A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
CLe C,c, (Gram.) est la troisieme lettre de notre alphabet. La figure de cette lettre nous vient des Latins. Elle a aujourd'hui un son doux devant l'e & devant l'i ; on prononce alors le c comme une s, ce, ci, comme se, si ; ensorte qu'alors on pourroit regarder le c, comme le sigma des Grecs, tel qu'il se voit souvent, sur-tout dans les inscriptions, avec la figure de notre C capital, TAIC HMEPAIC (Gruter, tom. I. p. 70.), c'est-à-dire tais emerais ; & au tome. II. pag. 1020, on lit une ancienne inscription qui se voit à Alexandrie sur une colonne, Democrates periclitos architectos, Democrates illustre architecte. Il y a un très-grand nombre d'exemples du sigma ainsi écrit, sur-tout en lettres majeures ou capitales ; car en lettres communes le sigma s'écrit ainsi au commencement & au milieu des mots, & ainsi à la fin des mots. A l'égard de la troisieme figure du sigma, elle est précisément comme notre c dans les lettres capitales, & elle est en usage au commencement, au milieu, & à la fin des mots : mais dans l'écriture commune on recourbe la pointe inférieure du c, comme si on ajoûtoit une virgule au c : en voici la figure, .

Ainsi il paroît que le c doux n'est que le sigma des Grecs ; & il seroit à souhaiter que le c eût alors un caractere particulier qui le distinguât du c dur : car lorsque le c est suivi d'un a, d'un o, ou d'un u, il a un son dur ou sec, comme dans canon, cabinet, cadenat, coffre, Cologne, colombe, copiste, curiosité, cuvette, &c. Alors le c n'est plus la même lettre que le c doux, quoiqu'il paroisse sous la même figure ; c'est le cappa des Grecs, K, dont on a retranché la premiere partie ; c'est le q des Latins écrit sans u, ainsi qu'on le trouve en quelques anciens : pronunciandum q latinum sine u, quod hae voces ostendunt, punicè qalam, , calamus, qane, , canna. Angeli Caninii . Parisiis, 1578, pag. 31.

En bas-breton on écrit aussi le q sans u, ê qever, envers ; qen, qer, tant, tellement. Le q sans u est le cappa des Grecs, qui a les mêmes regles & le même son. Grammaire françoise celtique, à Vannes, 1738.

S'il arrive que par la raison de l'étymologie on conserve le c dans l'écriture devant a, o, u ; que dans la prononciation on donne le son doux au c, comme quand on écrit, il prononça, François, conçu, reçu, &c. à cause de prononcer, France, concevoir, recevoir, &c. alors on met sous le c une petite marque, qu'on appelle cédille ; ce qui pourroit bien être le même sigma dont nous avons déjà parlé, qui en lettre commune s'écrit ainsi , , sô : ensorte que la petite queue de ce sigma pourroit bien être nôtre cédille.

Depuis que l'auteur du bureau typographique a mis en usage la méthode dont on parle au chapitre vj. de la grammaire générale de P. R. les maîtres qui montrent aujourd'hui à lire, à Paris, donnent une double dénomination au c ; ils l'appellent ce devant e & devant i : ainsi en faisant épeler, ils font dire ce, e, ce : ce, i, ci.

A l'égard du c dur ou sec, ils l'appellent ke ou que ; ainsi pour faire épeler cabane, ils font dire ke, a, ca ; be, a, ba, caba ; ne, e, ne, ca-ba-ne ; car aujourd'hui on ne fait que joindre un e muet à toutes les consonnes : ainsi on dit be, ce, de, me, re, te, se, ve ; & jamais effe, emme, enne, erre, esse. Cette nouvelle dénomination des lettres facilite extrèmement la lecture, parce qu'elle fait assembler les lettres avec bien plus de facilité. On lit en vertu de la dénomination qu'on donne d'abord à la lettre.

Il n'y a donc proprement que le c dur qui soit le kappa des Grecs n, dont on a retranché la premiere partie. Le c garde ce son dur après une voyelle & devant une consonne ; dicter, effectif.

Le c dur & le q sans u ne sont presque qu'une même lettre : il y a cependant une différence remarquable dans l'usage que les Latins ont fait de l'une & de l'autre de ces lettres, lorsqu'ils ont voulu que la voyelle qui suit le q accompagné de l'u, ne fît qu'une même syllabe ; ils se sont servis de qu : ainsi ils ont écrit, aqua, qui, quiret, reliquum, &c. mais lorsqu'ils ont eu besoin de diviser cette syllabe, ils ont employé le c au lieu de notre trema ; ainsi on trouve dans Lucrece a-cu-a en trois syllabes, au lieu de aqua en deux syllabes : de même ils ont écrit qui monosyllabe au nominatif, au lieu qu'ils écrivoient cu-i dissyllabe au datif. On trouve aussi dans Lucrece cu-i-ret pour quiret, relicu-um pour reliquum.

Il faut encore observer le rapport du c au g. Avant que le caractere g eût été inventé chez les Latins, le c avoit en plusieurs mots la prononciation du g ; ce fut ce qui donna lieu à Sp. Carvilius, au rapport de Terentius Scaurus, d'inventer le g pour distinguer ces deux prononciations : c'est pourquoi Diomede, lib. II. cap. de litterâ, appelle le g lettre nouvelle.

Quoique nous ayons un caractere pour le c, & un autre pour le g, cependant lorsque la prononciation du c a été changée en celle du g, nous avons conservé le c dans notre orthographe, parce que les yeux s'étoient accoûtumés à voir le c en ces mots-là : ainsi nous écrivons toûjours Claude, Cicogne, second, secondement, seconder, secret, quoique nous prononcions Glaude, Cigogne, segond, segondement, segonder : mais on prononce secret, secrettement, secrétaire.

Les Latins écrivoient indifféremment vicesimus ou vigesimus ; Gaius ou Caius ; Gneius pour Cneius.

Pour achever ce qu'il y a à dire sur ce rapport du c au g, je ne puis mieux faire que de transcrire ici ce que l'auteur de la méthode latine de P. R. a recueilli à ce sujet, pag. 647.

" Le g n'est qu'une diminution du c, au rapport de Quintilien ; aussi ces deux lettres ont-elles grande affinité ensemble, puisque de nous faisons gubernator ; de , gloria ; de agere, actume de nec-otium, negotium : & Quintilien témoigne ; que dans Gaius, Gneius, on ne distinguoit pas si c'étoit un c ou un g, c'est de-là qu'est venu que de centum on a formé quadringenti, quingenti, septengenti, &c. de porricere, qui est demeuré en usage dans les sacrifices, on a fait porrigere ; & semblables.

On croit que le g n'a été inventé qu'après la premiere guerre de Carthage, parce qu'on trouve toûjours le c pour le g dans la colonne appellée rostrata, qui fut élevée alors en l'honneur de Duillius consul, & qui se voit encore à Rome au capitole ; on y lit, macistratos leciones pucnando copias Cartaciniensis : ce que l'on ne peut bien entendre si l'on ne prend le c dans la prononciation du k. Aussi est-il à remarquer que Suidas parlant du croissant que les sénateurs portoient sur leurs souliers, l'appelle ; faisant assez voir par-là que le c & le k passoient pour une même chose, comme en effet ils n'étoient point différens dans la prononciation ; car au lieu qu'aujourd'hui nous adoucissons beaucoup le c devant l'e & devant l'i ensorte que nous prononçons Cicero comme s'il y avoit Sisero ; eux au contraire prononçoient le en ce mot & en tous les autres, de même que dans caput & dans corpus, kikero ".

Cette remarque se confirme par la maniere dont on voit que les Grecs écrivoient les mots latins où il y avoit un c, sur-tout les noms propres, Caesar, ; Cicero, , qu'ils auroient écrit , s'ils avoient prononcé ce mot comme nous le prononçons aujourd'hui.

Voici encore quelques remarques sur le c.

Le c est quelquefois une lettre euphonique, c'est-à-dire mise entre deux voyelles pour empêcher le bâillement ou hiatus ; si-c-ubi, au lieu de si-ubi, si en quelque part, si en quelque endroit ; nun-c-ubi, pour num-ubi ? est-ce que jamais ? est-ce qu'en quelque endroit ?

Quelques auteurs ont cru que le c venoit du chaph des Hébreux, à cause que la figure de cette lettre est une espece de quarré ouvert par un côté ; ce qui fait une sorte de c tourné à gauche à la maniere des Hébreux : mais le chaph est une lettre aspirée qui a plus de rapport au , chi, des Grecs qu'à notre c.

D'ailleurs les Latins n'ont point imité les caracteres hébreux. La lettre des Hébreux dont la prononciation répond davantage au & à notre c, c'est le kouph dont la figure n'a aucun rapport au c.

Le P. Mabillon a observé que Charlemagne a toujours écrit son nom avec la lettre c ; au lieu que les autres rois de la seconde race, qui portoient le nom de Charles, l'écrivoient avec un k ; ce qui se voit encore sur les monnoies de ces tems-là.

Le C qui est la premiere lettre du mot centum, étoit chez les Romains une lettre numérale qui signifioit cent. Nous en faisons le même usage quand nous nous servons du chiffre romain, comme dans les comptes qu'on rend en justice, en finance, &c. Deux CC marquent deux cent, &c. Le avec une barre au-dessus, comme on le voit ici, signifioit cent mille. Comme le C est la premiere lettre de condemno, on l'appelloit lettre funeste ou triste, parce que quand les juges condamnoient un criminel, ils jettoient dans l'urne une tablette sur quoi la lettre c étoit écrite, au lieu qu'ils y écrivoient un A quand ils vouloient absoudre. Universi judices in cistam tabulas simul conjiciebant suas : easque inculptas litteras habebant, A, absolutionis, C, condemnationis. Asconius Pedianus in Divinat. Cic.

Dans les noms propres, le C écrit par abréviation signifie Caius : s'il est écrit de droite à gauche, il veut dire Caia. Voyez Valerius Probus, de notis Romanorum, qui se trouve dans le recueil des grammairiens latins, Auctores linguae latinae.

Le C mis après un nom propre d'homme, ou doublé après deux noms propres, marquoit la dignité de consul. Ainsi Q. Fabio & T. Quintio CC, signifie sous le consulat. de Quintus Fabius, & de Titus Quintus. En italien, le c devant l'e ou devant l'i, a une sorte de son qui repond à notre tche, tchi, faisant entendre le t foiblement : au contraire si le c est suivi d'une h, on le prononce comme le ké ou qué, ki ou qui : mais la prononciation particuliere de chaque consonne regarde la grammaire particuliere de chaque langue.

Parmi nous, le C sur les monnoies est la marque de la ville de Saint-Lô en Normandie. (F)


Cdans le Commerce : cette lettre seule, ou suivie, ou précédée de quelques autres, sert aux marchands, négocians, banquiers & teneurs de livres, pour abréger certains termes qu'ils sont obligés de répéter souvent dans les écritures, qu'ils portent sur leurs journaux ou registres ; C. signifie compte ; C. O. compte ouvert ; C. C. compte courant ; M. C. mon compte ; S. C. son compte ; L. C. leur compte ; N. C. notre compte. Voyez ABREVIATION. (G)

C est, en Musique, le signe de la mesure à quatre tems. Voyez MESURE.

C BARRE, qui se fait ainsi , est en Musique, le signe de la mesure à quatre tems vîtes, ou plûtôt à deux tems posés, conservant pourtant toûjours le caractere de la mesure à quatre tems, qui est l'égalité des croches. Voyez MESURE.

C-SOL-UT, C-SOL-FA-UT, ou simplement C, caractere ou terme de Musique, qui indique la note que nous appellons ut. Voyez GAMME. C'est aussi le nom de l'une des trois clés de la Musique. Voy. CLE. (S)

* Quant à la formation de la lettre C, considérée comme caractere d'écriture, voyez l'art. ECRITURE.


C'EST POURQUOIAINSI, (Gramm. Syn.) termes relatifs à la liaison d'un jugement de l'esprit avec un autre jugement. C'est pourquoi, dit M. l'abbé Girard, dans ses Synonymes François, renferme dans sa signification particuliere un rapport de cause & d'effet ; & ainsi ne renferme qu'un rapport de prémisses & de conséquences. Les femmes sont changeantes ; c'est pourquoi les hommes deviennent inconstans : nous leur donnons la liberté, ainsi nous paroissons les estimer plus que les Orientaux qui les enferment. C'est pourquoi se rendroit par cela est la raison pour laquelle ; & ainsi, par cela étant. La derniere de ces expressions n'indique qu'une condition. L'exemple suivant où elles pourroient être employées toutes deux, en fera bien sentir la différence. Je puis dire : nous avons quelqu'affaire à la campagne, ainsi nous partirons demain s'il fait beau ; ou c'est pourquoi nous partirons demain s'il fait beau ; Dans cet exemple, ainsi se rapporte à s'il fait beau, qui n'est que la condition du voyage ; & c'est pourquoi, se rapporte à nous avons quelqu'affaire, qui est la cause du voyage.


CA-REVAUcri de Chasse, c'est-à-dire que le cerf s'en retourne dans son pays.


CA-VA-LA-HAUT(Chasse) maniere de parler aux chiens quand ils chassent.


CAA-APIA(Hist. nat. bot.) petite plante du Bresil dont la racine est longue d'un ou deux travers de doigt, grosse comme le tuyau d'une plume de cygne, noüeuse, garnie de petits filamens d'un gris jaunâtre en-dehors, blanche en-dedans ; d'abord insipide au goût, puis un peu acre & piquante. Il part de cette racine trois ou quatre pédicules longs de trois ou quatre travers de doigt, & portant chacun une feuille large d'un travers de doigt, longue de trois ou quatre, d'un verd luisant en-dessus, un peu blanchâtre en-dessous, traversée d'une nervure principale, d'où il en part d'autres latérales qui sont relevées en-dessous. La fleur a son pédicule particulier : elle est ronde, radiée, approchante de la fleur du bellis, à plusieurs étamines, & à semences rondes plus petites que la graine de moutarde. On attribue à la racine les vertus de l'ipecacuhana : mais c'est à tort. Cependant elle arrête le flux, & fait vomir. Les habitans du Bresil pilent la plante entiere, & se servent de son suc contre la morsure des serpens & la blessure des fleches empoisonnées. Mém. de l'acad. des Sciences, 1700.


CAA-ATAYA(Hist. nat. bot.) plante du Bresil dont la racine est petite, blanche, quarrée, de la hauteur d'un pié, d'un verd pâle, foible, genouillée, partie droite, partie rampante, & prenant racine où ses noeuds touchent la terre. Elle a à chaque noeud deux petites feuilles opposées, semblables à celles de la véronique mâle pour la position & pour la figure, d'un verd pâle, & dentelée par les bords. A chaque paire de feuilles est une petite fleur blanche en casque, à laquelle succede une gousse semblable au grain d'avoine. Cette gousse s'ouvre & répand une petite semence ronde, d'un jaune foncé, & plus menue que celle du pavot. La plante n'a point d'odeur ; elle est un peu amere au goût. Broyée & bouillie dans l'eau, on en tire par décoction un purgatif violent par haut & par bas. On la pourroit rapporter au genre de l'eufraise.


CAA-ETIMAY(Hist. nat. bot.) plante du Bresil qui s'éleve à la hauteur de trois piés, a la tige verte, pleine d'une substance médullaire & couronné à son origine d'un grand nombre de feuilles longues de quatre à cinq doigts, étroites, dentelées par les bords, un peu velues, ainsi que la tige, dont la partie supérieure se divise en quatre, cinq, six, ou sept branches, couvertes de petites feuilles semblables à celles de l'hysope. Les plus petites branches portent un grand nombre de petites fleurs semblables à celles du seneçon. Ces fleurs dégénerent en un duvet qu'emporte le vent.

Cette plante a la feuille chaude & acre : on l'employe bouillie & broyée, contre la gratelle. Ray, Hist. plant.


CAA-OPIA(Hist. nat. bot.) arbre du Bresil qui n'est pas fort considérable. Son écorce est d'une couleur cendrée tirant sur le rouge, avec des raies brunes ; son bois est fort, il pousse beaucoup de branches ; ses feuilles sont fermes, vertes, tirant sur le rouge en-dessous, & d'un verd pâle & luisant en-dessus ; ses fleurs sont en ombelle, & tirent leur origine de petites éminences rondes, brunes, de la forme d'une lentille, d'où elles sortent à la longue, composées de cinq pétales d'un verd tirant sur le jaune, couvertes au-dedans d'une espece de laine blanche, & bien pourvûes de belles étamines jaunes : les fleurs sont suivies de baies vertes d'abord, de la grosseur d'une cerise, rondes, couvertes d'une coque molle, d'où étant tirées & écrasées, elles rendent par exsudation une substance liquide d'un fort beau jaune : au-dedans de l'écorce de cet arbre est renfermée une pulpe blanche composée de corps cylindriques, placés les uns à côté des autres, & adhérens entr'eux à l'extrémité des branches qui portent le fruit. Il y a toûjours deux feuilles brunes, pointues, unies ou à moitié collées, qui ressemblent assez à une pique. Cet arbre fleurit en Novembre & en Décembre, & son fruit est mûr en Janvier ou Février. Si l'on fait une incision à son écorce, sur-tout lorsqu'il commence à bourgeonner, il en sortira au-bout d'un ou de deux jours une larme d'une couleur de safran, rougeâtre, qui est molle d'abord, mais qui se durcit par la suite : cette larme est de la couleur & consistance de la gutta-gamba. Elle se dissout dans l'esprit-de-vin, à qui elle donne une belle couleur de safran.

On se servoit autrefois de cette gomme comme d'un remede pour la gratelle, en la faisant dissoudre dans l'eau : mais elle n'a point tant d'efficacité que la gutta-gamba. En la faisant macérer dans du vinaigre de squille ou dans l'esprit-de-vin, on a un purgatif violent. Ray, Hist. plant.


CAABLÉadj. (Commerce de bois) on donne ce nom aux arbres que les vents ont abattus dans les forêts : ainsi caablé est synonyme à versé & à chablis. Voyez BOIS.


CAACICA(Hist. nat. bot.) plante du Bresil à racine petite & filamenteuse, d'où part un grand nombre de tiges voisines les unes des autres, hautes d'un demi-pié, & quelquefois davantage ; d'un verd rougeâtre, un peu velues, genouillées, de la grosseur du doigt, & portant à chaque noeud deux feuilles bien découpées, de la grandeur & de la forme de celles de la véronique mâle ; vertes en-dessus & blanchâtres en-dessous. Entre ces feuilles croît une multitude de petites fleurs en ombelle, d'un verd mêlé d'un peu de rouge : toute la plante rend un suc laiteux. Broyée, on l'applique pour la morsure des serpens & d'autres blessures.


CAAGHIYNITO(Hist. nat. bot.) arbrisseau de la grosseur du framboisier : sa tige est ligneuse & velue ; ses feuilles croissent par paires opposées, & sont couvertes d'un duvet doux au toucher, legerement découpées, divisées par trois nervures éminentes qui les traversent dans toute leur longueur, & d'où partent en grand nombre de petites veines qui se croisent en tous sens, plus vertes en-dessus qu'en-dessous, relevées en bosses en-dessus, & parsemées de cavités en-dessous. Il croît sur tout l'arbrisseau trois, quatre, cinq fleurs blanches, à cinq pétales qui se réunissent : elles sont suivies de baies noires de la grosseur de celles du genievre, douces au goût, & pleines d'un suc semblable à celui des baies de myrte. Les Negres les mangent. Le caaghiynito croît en plusieurs contrées du Bresil. On dit que ses feuilles mises en poudre, sont un bon remede contre les ulceres qui proviennent d'un principe chaud.


CAAGUA-CUBA(Hist. nat. bot.) petit arbre droit peu vigoureux, non branchu, couvert au sommet d'un grand nombre de feuilles larges d'un pié & davantage, longues d'un pié & demi, divisées par des nervures douces au toucher, velues, & plus vertes en-dessus qu'en-dessous. Il porte de petites fleurs disposées en ombelle, semblables à celles du tilleul, blanches, à cinq pétales, avec un ovaire jaune au milieu : elles ont aussi l'odeur des fleurs du tilleul. L'écorce de l'arbre est cendrée, & le bois en est cassant. Son fruit est noir quand il est mûr, & les oiseaux s'en nourrissent. Ray ne dit rien de ses vertus médicinales.


CAAIO(Hist. nat. bot.) plante du Bresil. M. Ray en distingue deux especes : il les appelle sensitives. Il n'en donne point la description, & ne leur attribue aucune propriété médicinale.


CAANA(Géog.) ville d'Egypte sur le bord oriental du Nil, agréable par sa situation, & curieuse par beaucoup de monumens. Long. 49. 58. lat. 25. 30.


CAAPEBA(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de quatre pétales disposés en rond, & stérile. Il s'éleve du milieu un pistil applati, rond, & marqué d'un ombilic. Il y a sur la même plante des embryons séparés des fleurs, qui deviennent dans la suite une baie molle & sphérique, qui renferme une semence ridée. Plumier, Nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE.


CAB(Hist. anc.) mesure hébraïque, qui étoit la sixieme partie du séah ou satum, & la dix-huitieme partie de l'epha. Le cab contenoit une pinte, chopine, un poisson, un pouce cube & un peu plus. Le quart du cab étoit cette mesure de fiente de pigeon, ou plûtôt d'une sorte de pois chiche appellée de ce nom, qui fut vendue à Samarie jusqu'à cinq sicles pendant le siege de cette ville, comme il est rapporté au IV. livre des Rois, c. vj. vers. 25. Ce quart de cab contenoit un demi-septier, un poisson, un quart de poisson, trois lignes cubes & un peu plus. On l'appelle aussi rog ou robah. Le cab étoit fort différent du cad, cadus. Voyez CAD. Dictionnaire de la bible. (G)


CABACK(Hist. mod.) c'est ainsi qu'on appelle en Russie les cabarets & les maisons où l'on va boire du vin, de l'eau-de-vie, & d'autres liqueurs fortes. Tous les cabacks ou cabarets qui sont dans l'étendue de l'empire appartiennent au souverain ; il est le seul cabaretier de ses états : il afferme en argent ces sortes de maisons ; cela fait une partie considérable de ses revenus, attendu la vaste étendue des pays qui lui sont soûmis, & l'invincible penchant que ses sujets ont à s'enivrer de vin, & sur-tout d'eau-de-vie.


CABAIGNAC(Géog.) petite ville de France dans le haut Languedoc, entre Toulouse & Carcassonne.


    
    
CABALES. f. (Jurisp.) concert ou conspiration de plusieurs personnes, qui par des menées secrettes & illicites, travaillent sourdement à quelque chose d'injuste, comme à perdre un innocent, à sauver un coupable, à décréditer une bonne marchandise, un bon ouvrage, à ruiner quelque établissement utile, ou à faire éclorre quelque projet préjudiciable à l'état ou à la société.

Il se dit aussi du projet même des personnes qui cabalent. Ainsi l'on dit, si les manoeuvres des personnes mal-intentionnées ont réussi, ou ont manqué : la cabale l'a emporté cette fois ; la cabale a échoüé, &c.

De ce mot on a fait cabaleur, pour désigner celui qui trempe dans une cabale, ou plûtôt même celui qui en est le promoteur. (H)

CABALE, (Philos.) On n'entend pas seulement ici par le mot de Cabale, cette tradition orale dont les Juifs croyoient trouver la source sur le mont Sinaï où elle fut donnée à Moyse, en même tems que la loi écrite, & qui, après sa mort, passa aux prophetes, aux rois chéris de Dieu, & sur-tout aux sages, qui la reçurent les uns des autres par une espece de substitution. On prend sur-tout ce mot pour la doctrine mystique, & pour la philosophie occulte des Juifs, en un mot pour leurs opinions mystérieuses sur la Métaphysique, sur la Physique & sur la Pneumatique.

Parmi les auteurs chrétiens qui ont fait leurs efforts pour relever la Cabale, & pour la mettre au niveau des autres sciences, on doit distinguer le fameux Jean Pic de la Mirandole, qui à l'âge de vingt-quatre ans soûtint à Rome un monstrueux assemblage de toute sorte de propositions tirées de plusieurs livres cabalistiques qu'il avoit achetés à grands frais. Son zele pour l'Eglise Romaine fut ce qui l'attacha à la Cabale. Séduit par les éloges qu'on donnoit à la tradition orale des Juifs, qu'on égaloit presque à l'Ecriture-sainte, il alla jusqu'à se persuader que les livres cabalistiques qu'on lui avoit vendus comme authentiques, étoient une production d'Esdras, & qu'ils contenoient la doctrine de l'ancienne église judaïque. Il crut y découvrir le mystere de la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption du genre humain, la passion, la mort & la résurrection de J. C. le purgatoire, le baptême, la suppression de l'ancienne loi, enfin tous les dogmes enseignés & crûs dans l'Eglise catholique. Ses efforts n'eurent pas un bon succès. Ses thèses furent supprimées, & treize de ses propositions furent déclarées hérétiques. On peut lire dans Wolf le catalogue des auteurs qui ont écrit sur la Cabale.

Origine de la Cabale. Les commencemens de la Cabale sont si obscurs, son origine est couverte de si épais nuages, qu'il paroît presque impossible d'en fixer l'époque : cette obscurité d'origine est commune à toutes les opinions qui s'insinuent peu-à-peu dans les esprits, qui croissent dans l'ombre & dans le silence, & qui parviennent insensiblement à former un corps de système.

Il seroit assez inutile de rapporter ici les rêveries des Juifs sur l'origine de la philosophie cabalistique, on peut consulter l'article PHILOSOPHIE JUDAÏQUE, & nous aurons occasion d'en dire quelque chose dans le cours même de celui-ci : nous nous contenterons de dire ici qu'il y a des Juifs qui ont prétendu que l'ange Raziel, précepteur d'Adam, lui avoit donné un livre contenant la science céleste ou la Cabale, & qu'après le lui avoir arraché au sortir du jardin d'Eden, il le lui avoit rendu, se laissant fléchir par ses humbles supplications. D'autres disent qu'Adam ne reçut ce livre qu'après son péché, ayant demandé à Dieu qu'il lui accordât quelque petite consolation dans le malheureux état où il se voyoit réduit. Ils racontent que trois jours après qu'il eut ainsi prié Dieu, l'ange Raziel lui apporta un livre qui lui communiqua la connoissance de tous les secrets de la nature, la puissance de parler avec le soleil & avec la lune, de faire naître les maladies & de les guérir, de renverser les villes, d'exciter des tremblemens de terre, de commander aux anges bons & mauvais, d'interpréter les songes & les prodiges, & de prédire l'avenir en tout tems. Ils ajoûtent que ce livre en passant de pere en fils, tomba entre les mains de Salomon, & qu'il donna à ce savant prince la vertu de bâtir le temple par le moyen du ver Zamir, sans se servir d'aucun instrument de fer. Le rabbin Isaac Ben Abraham a fait imprimer ce livre au commencement de ce siecle, & il fut condamné au feu par les Juifs de la même tribu que ce rabbin.

Les savans qui ont écrit sur la Cabale sont si partagés sur son origine, qu'il est presque impossible de tirer aucune lumiere de leurs écrits : la variété de leurs sentimens vient des différentes idées qu'ils se formoient de cette science ; la plûpart d'entr'eux n'avoient point examiné la nature de la Cabale, comment ne se seroient-ils pas trompés sur son origine ? Ainsi sans prétendre à la gloire de les concilier, nous nous bornerons à dire ici ce que nous croyons de plus vraisemblable.

1°. Ceux qui ont étudié l'histoire de la Philosophie, & suivi les progrès de cette science depuis le commencement du monde jusqu'à la naissance de J. C. savent que toutes les nations, & sur-tout les peuples de l'orient, avoient une science mystérieuse qu'on cachoit avec soin à la multitude, & qu'on ne communiquoit qu'à quelques privilégiés : or, comme les Juifs tenoient un rang distingué parmi les nations orientales, on se persuadera aisément qu'ils durent adopter de bonne heure cette méthode secrette & cachée. Le mot même de Cabale semble l'insinuer ; car il signifie une tradition orale & secrette de certains mysteres dont la connoissance étoit interdite au peuple. (Lisez Vachterus in Elucidario Cabba. Schrammius, Dissert. de mysteriis Judaeorum philosophicis.) Mais parmi le grand nombre de témoignages que nous pourrions citer en faveur de ce sentiment, nous n'en choisirons qu'un tiré de Jochaïdes écrivain cabalistique. Idra Rabba §. 16. Cabb. denud. tom. II.

R. Schimeon exorsus dixit : qui ambulat ut circumforaneus, revelat secretum ; sed fidelis spiritu operit verbum, ambulans ut circumforaneus : hoc dictum quaestionem meretur, quia dicitur circumforaneus quare ambulans, vir circumforaneus dicendus erat, quid est ambulans ? Verumenimvero in illo, qui non est sedatus in spiritu suo, nec verax, verbum quod audivit, hùc illuc movetur, sicut spina in aquâ, donec illuc foras expellat ; quamobrem ? quia spiritus ejus non est stabilis.... nec enim mundus in stabilitate manet nisi per secretum, & si circa negotia mundana opus est secreto, quanto magis in negotiis secretorum secretissimorum & consideratione senis dierum, quae nequidem tradita sunt angelis.... Coelis non dicam ut auscultent ; terrae non dicam at audiat ; certè enim nos columnae mundorum summus.

Ainsi parle Schimeon Jochaïdes ; & il regardoit le secret comme une chose si importante qu'il fit jurer ses disciples de le garder. Le silence étoit si sacré chez les Esseniens, que Josephe (Prooem. hist. Judaïc.) assûre que Dieu punissoit ceux qui osoient le violer.

2°. Il n'est donc pas douteux que les Juifs n'ayent eu de bonne heure une science secrette & mystérieuse : mais il est impossible de dire quelque chose de positif soit sur la vraie maniere de l'enseigner, soit sur la nature des dogmes qui y étoient cachés, soit sur les auditeurs choisis auxquels on la communiquoit. Tout ce qu'on peut assûrer, c'est que ces dogmes n'étoient point contraires à ceux qui sont contenus dans l'Ecriture-sainte. On peut cependant conjecturer avec vraisemblance, que cette science secrette contenoit une exposition assez étendue des mysteres de la nouvelle alliance, dont les semences sont répandues dans l'ancien Testament. On y expliquoit l'esprit des cérémonies qui s'observoient chez les Juifs, & on y donnoit le sens des Prophéties dont la plûpart avoient été proposées sous des emblèmes & des énigmes : toutes ces choses étoient cachées au peuple, parce que son esprit grossier & charnel ne lui faisoit envisager que les biens terrestres.

3°. Cette Cabale, ou bien cette tradition orale se conserva pure & conforme à la loi écrite tout le tems que les prophetes furent les dépositaires & les gardiens de la doctrine : mais lorsque l'esprit de prophétie eut cessé, elle se corrompit par les questions oisives & par les assertions frivoles qu'on y mêla. Toute corrompue qu'elle étoit, elle conserva pourtant l'éclat dont elle avoit joüi d'abord, & on eut pour ces dogmes étrangers & frivoles qu'on y inséra, le même respect que pour les véritables. Voilà quelle étoit l'ancienne Cabale, qu'il faut bien distinguer de la philosophie cabalistique, dont nous cherchons ici l'origine.

4°. On peut d'abord établir qu'on ne doit point chercher l'origine de la philosophie cabalistique chez les Juifs qui habitoient la Palestine ; car tout ce que les anciens rapportent des traditions qui étoient en vogue chez ces Juifs, se réduit à des explications de la loi, à des cérémonies, & à des constitutions des sages. La philosophie cabalistique ne commença à paroître dans la Palestine que lorsque les Esseniens, imitant les moeurs des Syriens & des Egyptiens, & empruntant même quelques-uns de leurs dogmes & de leurs instituts, eurent formé une secte de philosophie. On sait par les témoignages de Josephe & de Philon, que cette secte gardoit un secret religieux sur certains mysteres & sur certains dogmes de Philosophie.

Cependant ce ne furent point les Esseniens qui communiquerent aux Juifs cette nouvelle Cabale ; il est certain qu'aucun étranger n'étoit admis à la connoissance de leurs mysteres : ce fut Simeon Schetachides qui apporta d'Egypte ce nouveau genre de tradition, & qui l'introduisit dans la Judée. (Voyez l'Histoire des Juifs) Il est certain d'ailleurs que les Juifs, dans le séjour qu'ils firent en Egypte sous le regne de Cambise, d'Alexandre le grand, & de Ptolomée Philadelphe, s'accommoderent aux moeurs des Grecs & des Egyptiens, & qu'ils prirent de ces peuples l'usage d'expliquer la loi d'une maniere allégorique, & d'y mêler des dogmes étrangers : on ne peut donc pas douter que l'Egypte ne soit la patrie de la philosophie cabalistique, & que les Juifs n'ayent inseré dans cette science quelques dogmes tirés de la philosophie égyptienne & orientale. On en sera pleinement convaincu, si l'on se donne la peine de comparer les dogmes philosophiques des Egyptiens avec ceux de la Cabale. On y mêla même dans la suite quelques opinions des Peripatéticiens (Morus, Cabb. denud. tom. I.) & J. Juste Losius (Giessae 1706.) a fait une dissertation divisée en cinq chapitres, pour montrer la conformité des sentimens de ces derniers philosophes avec ceux des Cabalistes.

L'origine que nous donnons à la philosophie cabalistique, sera encore plus vraisemblable pour ceux qui seront bien au fait de la Philosophie des anciens, & sur-tout de l'histoire de la Philosophie judaïque.

Division de la Cabale. La Cabale se divise en contemplative & en pratique : la premiere est la science d'expliquer l'Ecriture-sainte conformément à la tradition secrette, & de découvrir par ce moyen des vérités sublimes sur Dieu, sur les esprits & sur les mondes : elle enseigne une Métaphysique mystique, & une Physique épurée. La seconde enseigne à opérer des prodiges par une application artificielle des paroles & des sentences de l'Ecriture-sainte, & par leur différente combinaison.

1°. Les partisans de la Cabale pratique ne manquent pas de raisons pour en soûtenir la réalité. Ils soûtiennent que les noms propres sont les rayons des objets dans lesquels il y a une espece de vie cachée. C'est Dieu qui a donné les noms aux choses, & qui en liant l'un à l'autre, n'a pas manqué de leur communiquer une union efficace. Les noms des hommes sont écrits au ciel ; & pourquoi Dieu auroit-il placé ces noms dans ses livres, s'ils ne méritoient d'être conservés ? Il y avoit certains sons dans l'ancienne Musique, qui frappoient si vivement les sens, qu'ils animoient un homme languissant, dissipoient sa mélancolie, chassoient le mal dont il étoit attaqué, & le faisoient quelquefois tomber en fureur. Il faut nécessairement qu'il y ait quelque vertu attachée dans ces sons pour produire de si grands effets. Pourquoi donc refusera-t-on la même efficace aux noms de Dieu & aux mots de l'Ecriture ? Les Cabalistes ne se contentent pas d'imaginer des raisons pour justifier leur Cabale pratique ; ils lui donnent encore une origine sacrée, & en attribuent l'usage à tous les saints. En effet ils soûtiennent que ce fut par cet art que Moyse s'éleva au-dessus des magiciens de Pharaon, & qu'il se rendit redoutable par ses miracles. C'étoit par le même art qu'Elie fit descendre le feu du ciel, & que Daniel ferma la gueule aux lions. Enfin, tous les prophetes s'en sont servis heureusement pour découvrir les évenemens cachés dans un long avenir.

Les Cabalistes praticiens disent qu'en arrangeant certains mots dans un certain ordre, ils produisent des effets miraculeux. Ces mots sont propres à produire ces effets, à proportion qu'on les tire d'une langue plus sainte ; c'est pourquoi l'hébreu est préféré à toutes les autres langues. Les miracles sont plus ou moins grands, selon que les mots expriment ou le nom de Dieu, ou ses perfections & ses émanations ; c'est pourquoi on préfere ordinairement les séphirots, ou les noms de Dieu. Il faut ranger les termes, & principalement les soixante & douze noms de Dieu, qu'on tire des trois versets du xjv. chap. de l'Exode, d'une certaine maniere à la faveur de laquelle ils deviennent capables d'agir. On ne se donne pas toûjours la peine d'insérer le nom de Dieu : celui des démons est quelquefois aussi propre que celui de la divinité. Ils croyent, par exemple, que celui qui boit de l'eau pendant la nuit, ne manque pas d'avoir des vertiges & mal aux yeux : mais afin de se garantir de ces deux maux, ou de les guérir lorsqu'on en est attaqué, ils croyent qu'il n'y a qu'à ranger d'une certaine maniere le mot hébreu Schiauriri. Ce Schiauriri est le démon qui préside sur le mal des yeux & sur les vertiges ; & en écrivant son nom en forme d'équerre, on sent le mal diminuer tous les jours & s'anéantir. Cela est appuyé sur ces paroles de la Genese, où il est dit, que les anges frapperent d'ébloüissement ceux qui étoient à la porte de Loth, tellement qu'ils ne purent la trouver. Le Paraphraste chaldaïque ayant traduit aveuglement, beschiauriri, on a conclu que c'étoit un ange, ou plûtôt un démon qui envoyoit cette espece de mal, & qu'en écrivant son nom de la maniere que nous avons dit, on en guérit parfaitement. On voit par-là que les Cabalistes ont fait du démon un principe tout-puissant, à la Manichéenne ; & ils se sont imaginés qu'en traitant avec lui, ils étoient maîtres de faire tout ce qu'ils vouloient. Quelle illusion ! les démons sont-ils les maître de la nature, indépendans de la divinité ; & Dieu permettroit-il que son ennemi eût un pouvoir presque égal au sien ? Quelle vertu peuvent avoir certaines paroles préférablement aux autres ? Quelque différence qu'on mette dans cet arrangement, l'ordre change-t-il la nature ? Si elles n'ont aucune vertu naturelle, qui peut leur communiquer ce qu'elles n'ont pas ? Est-ce Dieu ? est-ce le démon ? est-ce l'art humain ? On ne le peut décider. Cependant on est entêté de cette chimere depuis un grand nombre de siecles.

Carmine laesa Ceres sterilem vanescit in herbam ?

Deficiunt laesae carmine fontis aquae ;

Ilicibus glandes, cantataque vitibus uva

Decidit, & nullo poma movente fluunt.

(Ovid. Amor. lib. III. Eleg. 7.)

Il faudroit guérir l'imagination des hommes, puisque c'est-là où réside le mal : mais il n'est pas aisé de porter le remede jusque-là. Il vaut donc mieux laisser tomber cet art dans le mépris, que de lui donner une force qu'il n'a pas naturellement, en le combattant & en le réfutant.

2°. La Cabale contemplative est de deux especes ; l'une qu'on appelle littérale, artificielle, ou bien symbolique ; l'autre qu'on appelle philosophique ou non artificielle.

La Cabale littérale est une explication secrette, artificielle, & symbolique de l'Ecriture-sainte, que les Juifs disent avoir reçûe de leurs peres, & qui, en transposant les lettres, les syllabes, & les Paroles, leur enseigne à tirer d'un verset un sens caché, & différent de celui qu'il présente d'abord. On peut voir dans Banage les soûdivisions de cette espece de Cabale, & les exemples de transpositions. Hist. des Juifs, chap. iij.

La Cabale philosophique contient une Métaphysique sublime & symbolique sur Dieu, sur les esprits, & sur le monde, selon la tradition que les Juifs disent avoir reçûe de leurs peres. Elle se divise encore en deux especes, dont l'une s'attache à la connoissance des perfections divines & des intelligences célestes, & s'appelle le Chariot ou Mercava ; parce que les Cabalistes sont persuadés qu'Ezéchiel en a expliqué les principaux mysteres dans le chariot miraculeux, dont il parle au commencement de ses révélations ; & l'autre qui s'appelle Bereschit ou le Commencement, roule sur l'étude du monde sublunaire. On lui donne ce nom à cause que c'est le premier mot de la Genese. Cette distinction étoit connue dès le tems de Maïmonides, lequel déclare qu'il veut expliquer tout ce qu'on peut entendre dans le Bereschit & le Mercava. (Maïmonides More Nevochim, pag. 2. ch. xxxjx. pag. 273.) Il soûtient qu'il ne faut parler du bereschit, que devant deux personnes ; & que si Platon & les autres Philosophes ont voilé les secrets de la nature sous des expressions métaphoriques, il faut à plus forte raison cacher ceux de la religion, qui renferment des mysteres beaucoup plus profonds.

Il n'est pas permis aux maîtres d'expliquer le Mercava devant leurs disciples. (Excerpta Gemarae de opere currus, apud Hottinger, pag. 50, 53, 89.) Les docteurs de Pumdebita consulterent un jour un grand homme qui passoit par-là, & le conjurerent de leur apprendre la signification de ce chariot. Il demanda pour condition, qu'ils lui découvrissent ce qu'ils savoient de la création : on y consentit ; mais, après les avoir entendus, il refusa de parler sur le chariot, & emprunta ces paroles du Cantique des Cantiques, le lait & le miel sont sous ta langue, c'est-à-dire qu'une vérité douce & grande doit demeurer sous la langue, & n'être jamais publiée. Un jeune étudiant se hasarda un jour de lire Ezéchiel, & à vouloir expliquer sa vision : mais un feu dévorant sortit du chasmal qui le consuma : c'est pourquoi les docteurs délibérerent s'il étoit à propos de cacher le livre du prophete, qui causoit de si grands desordres dans la nation. Un rabbin chassant l'âne de son maître, R. Jochanan, fils de Sauai, lui demanda la permission de parler, & d'expliquer devant lui la vision du chariot. Jochanan descendit aussi-tôt, & s'assit sous un arbre ; parce qu'il n'est pas permis d'entendre cette explication en marchant, monté sur un âne. Le disciple parla, & aussi-tôt le feu descendit du ciel ; tous les arbres voisins entonnerent ces paroles du pseaume : Vous, la terre, louez l'Eternel, &c. On voit par-là que les Cabalistes attachent de grands mysteres à ce chariot du prophete. Maïmonides (More Nevochim, part. III. préf.) dit, qu'on n'a jamais fait de livre pour expliquer le chariot d'Ezéchiel ; c'est pourquoi un grand nombre de mysteres qu'on avoit trouvés sont perdus. Il ajoûte qu'on doit le trouver bien hardi d'en entreprendre l'explication ; puisqu'on punit ceux qui révelent les secrets de la loi, & qu'on récompense ceux qui les cachent : mais il assûre qu'il ne débite point ce qu'il a appris par la révélation divine ; que les maîtres ne lui ont pas enseigné ce qu'il va dire, mais qu'il l'a puisé dans l'Ecriture même ; tellement qu'il semble que ce n'étoit qu'une traduction. Voilà de grandes promesses : mais ce grand docteur les remplit mal, en donnant seulement à son disciple quelques remarques générales, qui ne développent pas le mystere.

En effet, on se divise sur son explication. Les uns disent que le vent qui devoit souffler du septentrion avec impétuosité, représentoit Nabuchodonosor, lequel ruina Jérusalem & brûla son temple ; que les quatre animaux étoient les quatre anges qui présidoient sur les monarchies. Les roues marquoient les empires qui recevoient leur mouvement, leur progrès & leur décadence du ministere des anges. Il y avoit une roue dans l'autre ; parce qu'une monarchie a détruit l'autre. Les Babyloniens ont été renversés par les Perses : ceux-ci par les Grecs, qui ont été à leur tour vaincus par les Romains. C'est-là le sens littéral, mais on y découvre bien d'autres mysteres, soit de la nature, soit de la religion. Les quatre animaux sont quatre corps célestes, animés, intelligens. La roue est la matiere premiere, & les quatre roues sont les quatre élémens. Ce n'est-là que l'écorce du chariot ; si vous pénétrez plus avant, vous y découvrez l'essence de Dieu, ses attributs & ses perfections, la nature des anges, & l'état des ames après la mort. Enfin Morus, grand cabaliste, y a trouvé le regne du messie. (Visionis Ezechieliticae, sive mercavae expositio, ex principiis philosophiae pytag. theosophiaeque judaicae ; Cabbala Denud. tom. I. p. 225.)

Pour donner aux lecteurs une idée de la subtilité des Cabalistes, nous mettrons encore ici l'explication philosophique, qu'ils donnent du nom de Jehovah. Lexicon cabalisticum.

" Tous les noms & tous les sur noms de la divinité sortent de celui de Jehovah, comme les branches & les feuilles d'un grand arbre sortent d'un même tronc, & ce nom ineffable est une source infinie de merveilles & de mysteres. Ce nom sert de lien à toutes les splendeurs, ou séphirots : il en est la colonne & l'appui. Toutes les lettres qui le composent sont pleines de mysteres. Le Jod, ou l'J, est une de ces chose que l'oeil n'a jamais vûes : elle est cachée à tous les mortels ; on ne peut en comprendre ni l'essence ni la nature ; il n'est pas même permis d'y méditer. Quand on demande ce que c'est, on répond non, comme si c'étoit le néant ; parce qu'elle n'est pas plus compréhensible que le néant. Il est permis à l'homme de rouler ses pensées d'un bout des cieux à l'autre : mais il ne peut pas aborder cette lumiere inaccessible, cette existence primitive que la lettre Jod renferme. Il faut croire sans l'examiner & sans l'approfondir : c'est cette lettre qui découlant de la lumiere primitive, a donné l'être aux émanations : elle se lassoit quelquefois en chemin ; mais elle reprenoit de nouvelles forces par le secours de la lettre h, he, qui fait la seconde lettre du nom ineffable. Les autres lettres ont aussi des mysteres ; elles ont leurs relations particulieres aux séphirots. La derniere h découvre l'unité d'un Dieu & d'un Créateur ; mais de cette unité sortent quatre grands fleuves ; les quatre majestés de Dieu, que les Juifs appellent Schetinah. Moyse l'a dit ; car il rapporte qu'un fleuve arrosoit le jardin d'Eden, le Paradis terrestre, & qu'ensuite il se divisoit en quatre branches. Le nom entier de Jehovah renferme toutes choses. C'est pourquoi celui qui le prononce met dans sa bouche le monde entier, & toutes les créatures qui le composent. De-là vient aussi qu'on ne doit jamais le prononcer qu'avec beaucoup de précaution. Dieu lui-même l'a dit : Tu ne prendras point le nom de l'Eternel en vain. Il ne s'agit pas-là des sermens qu'on viole, & dans lesquels on appelle mal-à-propos Dieu à témoin des promesses qu'on fait ? mais la loi défend de prononcer ce grand nom, excepté dans son temple, lorsque le souverain sacrificateur entre dans le lieu très-saint au jour des propitiations. Il faut apprendre aux hommes une chose qu'ils ignorent, c'est qu'un homme qui prononce le nom de l'Eternel ou de Jehovah, fait mouvoir les cieux & la terre, à proportion qu'il remue sa langue & ses levres. Les anges sentent le mouvement de l'univers ; ils en sont étonnés, & s'entredemandent pourquoi le monde est ébranlé : on répond que cela se fait, parce que N. impie a remué ses levres pour prononcer le nom ineffable ; que ce nom a remué tous les noms & les surnoms de Dieu, lesquels ont imprimé leur mouvement au ciel, à la terre, & aux créatures. Ce nom a une autorité souveraine sur toutes les créatures. C'est lui qui gouverne le monde par sa puissance ; & voici comment tous les autres noms & surnoms de la divinité se rangent autour de celui-ci, comme les officiers & les soldats autour de leur général. Quelques-uns qui tiennent le premier rang, sont les princes & les Porte-étendards ; les autres sont comme les troupes & les bataillons qui composent l'armée. Au-dessous des LXX. noms, sont les LXX. princes des nations qui composent l'univers ; lors donc que le nom de Jehovah influe sur les noms & surnoms, il se fait une impression de ces noms sur les princes qui en dépendent, & des princes sur les nations qui vivent sous leur protection. Ainsi le nom de Jehovah gouverne tout. On représente ce nom sous la figure d'un arbre qui a LXX. branches, lesquelles tirent leur suc & leur seve du tronc ; & cet arbre est celui dont parle Moyse, qui étoit planté au milieu du jardin, & dont il n'étoit pas permis à Adam de manger : ou bien ce nom est un roi qui a différens habits, selon les différens états où il se trouve. Lorsque le prince est en paix, il se revêt d'habits superbes, magnifiques, pour ébloüir les peuples ; lorsqu'il est en guerre, il s'arme d'une cuirasse, & a le casque en tête : il se deshabille lorsqu'il se retire dans son appartement, sans courtisans & sans ministres. Enfin il découvre sa nudité lorsqu'il est seul avec sa femme.

Les LXX. nations qui peuplent la terre, ont leurs princes dans le ciel, lesquels environnent le tribunal de Dieu, comme des officiers prêts à exécuter les ordres du roi. Ils environnent le nom de Jehovah, & lui demandent tous les premiers jours de l'an leurs étrennes ; c'est-à-dire, une portion de bénédictions qu'ils doivent répandre sur les peuples qui leur sont soûmis. En effet, ces princes sont pauvres, & auroient peu de connoissance, s'ils ne la tiroient du nom ineffable qui les illumine & qui les enrichit. Il leur donne au commencement de l'année, ce qu'il a destiné pour chaque nation, & on ne peut plus rien ajoûter ni diminuer à cette mesure. Les princes ont beau prier & demander pendant tous les jours de l'année, & les peuples prier leurs princes, cela n'est d'aucun usage : c'est-là la différence qui est entre le peuple d'Israël & les autres nations. Comme le nom de Jehovah est le nom propre des Juifs, ils peuvent obtenir tous les jours de nouvelles graces ; car Salomon dit, que les paroles, par lesquelles il fait supplication à Dieu, seront présentes devant l'Eternel, Jehovah, le jour & la nuit ; mais David assûre, en parlant des autres nations, qu'elles prieront Dieu, & qu'il ne les sauvera pas ". Que de folies !

L'intention des Cabalistes est de nous apprendre que Dieu conduit immédiatement le peuple des Juifs, pendant qu'il laisse les nations infideles sous la direction des anges : mais ils poussent le mystere plus loin. Il y a une grande différence entre les diverses nations, dont les unes paroissent moins agréables à Dieu & sont plus durement traitées que les autres : mais cela vient de ce que les princes sont différemment placés autour du nom de Jehovah ; car quoique tous ces princes reçoivent leur nourriture de la lettre Jod ou J, qui commence le nom de Jehovah, cependant la portion est différente, selon la place qu'on occupe. Ceux qui tiennent la droite, sont des princes doux, libéraux : mais les princes de la gauche sont durs & impitoyables. De-là vient aussi ce que dit le prophete, qu'il vaut mieux espérer en Dieu qu'aux princes, comme fait la nation Juive, sur qui le nom de Jehovah agit immédiatement.

D'ailleurs, on voit ici la raison de la conduite de Dieu sur le peuple juif. Jérusalem est le nombril de la terre, & cette ville se trouve au milieu du monde. Les royaumes, les provinces, les peuples, & les nations l'environnent de toutes parts, parce qu'elle est immédiatement sous le nom de Jehovah. C'est-là son nom propre ; & comme les princes, qui sont les chefs des nations, sont rangés autour de ce nom dans le ciel, les nations infideles environnent le peuple juif sur la terre.

On explique encore par-là les malheurs du peuple juif, & l'état déplorable où il se trouve ; car Dieu a donné quatre capitaines aux LXX. princes, lesquels veillent continuellement sur les péchés des Juifs, afin de profiter de leur corruption, & de s'enrichir à leurs dépens. En effet lorsqu'ils voyent que le peuple commet de grands péchés, ils se mettent entre Dieu & la nation, & détournent les canaux qui sortoient du nom de Jehovah, par lesquels la bénédiction couloit sur Israel, & les font pancher du côté des nations, qui s'en enrichissent & s'en engraissent. & c'est ce que Salomon a si bien expliqué lorsqu'il dit : La terre tremble pour l'esclave qui regne, & le sot qui se remplit de viande : l'esclave qui regne, ce sont les princes ; & le sot qui se remplit de viande, ce sont les nations que ces princes gouvernent, &c.

Au fond, les Cabalistes nous menent par un long détour, pour nous apprendre, 1°. que c'est Dieu de qui découlent tous les biens, & qui dirige toutes choses : 2°. que Dieu juge tous les hommes avec une justice tempérée par la miséricorde : 3°. que quand il est irrité contre les pécheurs, il s'arme de colere & de vengeance : 4°. que lorsqu'on le fléchit par le repentir, il laisse agir sa compassion & sa miséricorde : 5°. qu'il préfere le peuple juif à toutes les autres nations, & qu'il leur a donné sa connoissance : enfin, ils entremêlent ces vérités de quelques erreurs, comme de prétendre que Dieu laisse toutes les nations du monde sous la conduite des anges.

On rapporte aussi à la Cabale réelle ou non artificielle l'alphabet astrologique & céleste, qu'on attribue aux Juifs. On ne peut rien avancer de plus positif que ce que dit là-dessus Postel : Je passerai peut-être pour un menteur, si je dis que j'ai lû au ciel, en caracteres hébreux, tout ce qui est dans la nature ; cependant Dieu & son Fils me sont témoins que je ne ments pas : j'ajoûter ai seulement que je ne l'ai lû qu'implicitement.

Pic de la Mirandole attribue ce sentiment aux docteurs juifs ; & comme il avoit fort étudié les Cabalistes dont la science l'avoit ébloüi, on peut s'imaginer qu'il ne se trompoit pas (Picus Mir. in Astrolog. lib. VIII. cap. v.). Agrippa soûtient la même chose (Voyez de occultâ Philosoph. lib. III. capit. xxx.) ; & Gaffarel, (Curiosités inoüies, cap. xiij.) ajoûte à leur témoignage l'autorité d'un grand nombre de rabbins célebres, Maimonides, Nachman, Aben-Esra, &c. Il semble qu'on ne puisse pas contester un fait appuyé sur un si grand nombre de citations.

Pic de la Mirandole avoit mis en problème, si toutes choses étoient écrites & marquées dans le ciel à celui qui savoit y lire. (Pici Mir. heptaplus, cap. jv.) Il soûtenoit même que Moyse avoit exprimé tous ces effets des astres par le terme de lumiere, parce que c'est elle qui traîne & qui porte toutes les influences des cieux sur la terre. Mais il changea de sentiment, & remarqua que non-seulement ces caracteres, vantés par les docteurs hébreux, étoient chimériques ; mais que les signes mêmes n'avoient pas la figure des noms qu'on leur donne ; que la sphere d'Aratus étoit très-différente de celle des Chaldéens, qui confondant la balance avec le scorpion, ne comptent qu'onze signes du zodiaque. Aratus même, qui avoit imaginé ces noms, étoit au jugement des anciens, très-ignorant en Astrologie.

Enfin, il faut être visionnaire pour trouver des lettres dans le ciel, & y lire, comme Postel prétendoit l'avoir fait. Gaffarel, quoique engagé dans l'Eglise par les places, n'étoit pas plus raisonnable ; s'il n'avoit pas prédit la chûte de l'empire Ottoman, du moins il la croyoit, & prouvoit la solidité de cette science par un grand fatras de littérature. Cependant il eut la honte de survivre à sa prédiction : c'est le sort ordinaire de ceux qui ne prennent pas un assez long terme pour l'accomplissement de leurs prophéties. Ils devroient être assez sages, pour ne hasarder pas un coup qui anéantit leur gloire, & qui les convainc d'avoir été visionnaires : mais ces astrologues sont trop entêtés de leur science & de leurs principes, pour écouter la raison & les conseils que la prudence leur dicte.

Examinons maintenant quels sont les fondemens de la Cabale philosophique.

Principes & fondemens de la Cabale philosophique. Henri Morus & Van-Helmont (Knorrius, Cabala denud. tom. I.) sont les deux savans qui ont les premiers débrouillé le cahos de la philosophie cabalistique. Les efforts qu'ils ont faits tous les deux pour porter la lumiere dans un système où on avoit comme affecté de répandre tant d'obscurité, seroient plus loüables & plus utiles, s'ils n'eussent point attribué aux Cabalistes des sentimens qu'ils n'ont jamais eus : l'exposition qu'ils ont donnée des principes de la Cabale, a été examinée par des savans distingués ; qui ne l'ont pas trouvée conforme à la vérité (Cel. Wachterus, Spinosism. in Judaism. detect. p. 2.) Pour éviter de tomber dans le même défaut, nous puiserons ce que nous avons à dire sur ce sujet, dans les auteurs anciens & modernes qui passent pour avoir traité cette matiere avec le plus d'ordre & de clarté. Parmi les modernes on doit distinguer R. Iizchak Loriia, & R. Abraham-Cohen Irira. Le premier est auteur du livre Druschim : qui contient une introduction métaphysique à la Cabale ; & le second du livre Schaar hascamaim, c'est-à-dire, Porte des cieux, qui renferme un traité des dogmes cabalistiques, écrit avec beaucoup de clarté & de méthode. Voici donc les principes qui servent de base à la philosophie cabalistique.

PREMIER PRINCIPE. De rien il ne se fait rien, c'est-à-dire qu'aucune chose ne peut être tirée du néant. Voilà le pivot sur lequel roule toute la Cabale philosophique, & tout le système des émanations, selon lequel il est nécessaire que toutes choses émanent de l'essence divine, parce qu'il est impossible qu'aucune chose de non-existente devienne existente. Ce principe est supposé dans tout le livre d'Irira. Dieu, dit-il, (Dissert. IV. cap. j.) n'a pas seulement produit tous les êtres existans, & tout ce que ces êtres renferment, mais il les a produits de la maniere la plus parfaite, en les faisant sortir de son propre fonds par voie d'émanation, & non pas en les créant.

Ce n'est pas que le terme de création fût inconnu chez les Cabalistes : mais ils lui donnoient un sens bien différent de celui qu'il a chez les Chrétiens, parmi lesquels il signifie l'action par laquelle Dieu tire les êtres du néant ; au lieu que chez les premiers il signifioit une émission, une expansion de la divine lumiere faite dans le tems, pour donner l'existence aux mondes. C'est ce qu'on verra clairement dans le passage suivant de Loriia (Tr. I. Druschim, cap. j.). L'existence de la création, dit-il, dépend du tems où a commencé l'expansion & l'émission de ces lumieres, & de ces mondes dont nous venons de parler ; car puisqu'il falloit que l'expansion de ces lumieres se fit dans un certain ordre, il n'étoit pas possible que ce monde existât ou plûtôt ou plus tard. Chaque monde a été créé après le monde qui lui étoit supérieur, & tous les mondes ont été créés en différens tems, & les uns après les autres, jusqu'à ce qu'enfin le rang de celui-ci arrivât, &c. On peut lire beaucoup de choses semblables dans le Lexicon cabalistique.

On peut bien juger que les Cabalistes n'ont point emprunté ce principe de l'église judaïque ; il est certain qu'ils l'ont tiré de la philosophie des Gentils. Ceux-ci regardoient comme une contradiction évidente, de dire qu'une chose existe & qu'elle a été faite de rien, comme c'en est une de soûtenir qu'une chose est & n'est pas. Cette difficulté qui se présente assez souvent à la raison, avoit déjà choqué les Philosophes. Epicure l'avoit poussée contre Héraclite & les Stoïciens. Comme cet axiome est véritable dans un certain sens, on n'a pas voulu se donner la peine de développer ce qu'il a de faux. Accoûtumés que nous sommes à nous laisser frapper par des objets sensibles & matériels, qui s'engendrent & qui se produisent l'un l'autre, on ne peut se persuader qu'avec peine, que la chose se soit faite autrement, & on fait préexister la matiere sur laquelle Dieu a travaillé ; c'est ainsi que Plutarque comparoit Dieu à un charpentier, qui bâtissoit un palais de matériaux qu'il avoit assemblés, & à un tailleur qui faisoit un habit d'une étoffe qui existoit déjà. Voyez CHAOS.

On avoue aux Cabalistes, qu'il est vrai que rien ne peut être fait de rien, & qu'il y a, comme ils disent, une opposition formelle & une distance infinie entre le néant & l'être, s'il entendent par-là ces trois choses. 1°. Que le néant & l'être subsistent en même-tems ; en effet, cela implique contradiction aussi évidemment que de dire qu'un homme est aveugle & qu'il voit : mais comme il n'est pas impossible qu'un aveugle cesse de l'être, & voye les objets qui lui étoient auparavant cachés, il n'est pas impossible aussi que ce qui n'existoit pas acquiere l'existence & devienne un être. 2°. Il est vrai que le néant ne peut concourir à la production de l'être ; il semble que les Cabalistes regardent le néant comme un sujet sur lequel Dieu travaille, à-peu-près comme la boue dont Dieu se servit pour créer l'homme ; & comme ce sujet n'existe point, puisque c'est le néant, les Cabalistes ont raison de dire que Dieu n'a pû tirer rien du néant. Il seroit ridicule de dire que Dieu tire la lumiere des ténebres, si on entend par-là que les ténebres produisent la lumiere : mais rien n'empêche que le jour ne succede à la nuit, & qu'une puissance infinie donne l'être à ce qui ne l'avoit pas auparavant. Le néant n'a été ni le sujet, ni la matiere, ni l'instrument, ni la cause des êtres que Dieu a produits. Il semble que cette remarque est inutile, parce que personne ne regarde le néant comme un fond sur lequel Dieu ait travaillé, ou qui ait coopéré avec lui. Cependant c'est en ce sens que Spinosa, qui avoit pris ce principe des Cabalistes, combat la création tirée du néant : il demande avec insulte : si on conçoit que la vie puisse sortir de la mort : dire cela, ce seroit regarder les privations comme les causes d'une infinité d'effets ; c'est la même chose que si on disoit, le néant & la privation de l'être sont la cause de l'être. Spinosa & ses maîtres ont raison ; la privation d'une chose n'en est point la cause. Ce ne sont ni les ténebres qui produisent la lumiere, ni la mort qui enfante la vie. Dieu ne commande point au néant comme à un esclave qui est obligé d'agir & de plier sous ses ordres, comme il ne commande point aux ténebres ni à la mort, d'enfanter la lumiere ou la vie. Le néant est toûjours néant, la mort & les ténebres ne sont que des privations incapables d'agir : mais comme Dieu a pû produire la lumiere qui dissipe les ténebres, & ressusciter un corps, le même Dieu a pû aussi créer des êtres qui n'existoient point auparavant, & anéantir le néant, si on peut parler ainsi, en produisant un grand nombre de créatures. Comme la mort ne concourt point à la résurrection, & que les ténèbres ne sont point le sujet sur lequel Dieu travaille pour en tirer la lumiere, le néant aussi ne coopere point avec Dieu, & n'est point la cause de l'être, ni la matiere sur laquelle Dieu a travaillé pour faire le monde. On combat donc ici un phantôme ; & on change le sentiment des Chrétiens orthodoxes, afin de le tourner plus aisément en ridicule. 3°. Enfin il est vrai que rien ne se fait de rien ou par rien, c'est-à-dire sans une cause qui préexiste. Il seroit, par exemple, impossible que le monde se fût fait de lui-même ; il falloit une cause souverainement puissante pour le produire.

L'axiome, rien ne se fait de rien, est donc vrai dans ces trois sens.

II. PRINCIPE. Il n'y a donc point de substance qui ait été tirée du néant.

III. PRINCIPE. Donc la matiere même n'a pû sortir du néant.

IV. PRINCIPE. La matiere, à cause de sa nature vile, ne doit point son origine à elle-même : la raison qu'en donne Irira, est que la matiere n'a point de forme, & qu'elle n'est éloignée du néant que d'un degré.

V. PRINCIPE. De-là il s'ensuit que dans la nature il n'y a point de matiere proprement dite.

La raison philosophique que les Cabalistes donnent de ce principe, est que l'intention de la cause efficiente est de faire un ouvrage qui lui soit semblable ; or la cause premiere & efficiente étant une substance spirituelle, il convenoit que ses productions fussent aussi des substances spirituelles, parce qu'elles ressemblent plus à leur cause que les substances corporelles. Les Cabalistes insistent beaucoup sur cette raison. Suivant eux, il vaudroit autant dire que Dieu a produit les ténebres, le péché & la mort, que de soûtenir que Dieu a créé des substances sensibles & matérielles, différentes de sa nature & de son essence : car la matiere n'est qu'une privation de la spiritualité, comme les ténebres sont une privation de la lumiere, comme le péché est une privation de la sainteté, & la mort une privation de la vie.

VI. PRINCIPE. De-là il s'ensuit que tout ce qui est, est esprit.

VII. PRINCIPE. Cet esprit est incréé, éternel, intellectuel, sensible, ayant en soi le principe du mouvement ; immense, indépendant, & nécessairement existant.

VIII. PRINCIPE. Par conséquent cet esprit est l'Ensoph ou le Dieu infini.

IX. PRINCIPE. Il est donc nécessaire que tout ce qui existe soit émané de cet esprit infini. Les Cabalistes n'admettant point la création telle que les Chrétiens l'admettent, il ne leur restoit que deux partis à prendre ; l'un de soûtenir que le monde avoit été formé d'une matiére préexistante, l'autre de dire qu'il étoit sorti de Dieu même par voie d'émanation. Ils n'ont osé embrasser le premier sentiment, parce qu'ils auroient crû admettre hors de Dieu une cause matérielle, ce qui étoit contraire à leurs dogmes. Ils ont donc été forcés d'admettre les émanations ; dogme qu'ils ont reçû des Orientaux, qui l'avoient reçû eux-mêmes de Zoroastre, comme on peut le voir dans les livres cabalistiques.

X. PRINCIPE. Plus les choses qui émanent sont proches de leur source, plus elles sont grandes & divines ; & plus elles en sont éloignées, plus leur nature se dégrade & s'avilit.

XI. PRINCIPE. Le monde est distingué de Dieu, comme un effet de sa cause ; non pas à la vérité comme un effet passager, mais comme un effet permanent. Le monde étant émané de Dieu, doit donc être regardé comme Dieu même, qui étant caché incompréhensible dans son essence, a voulu se manifester & se rendre visible par ses émanations.

Voilà les fondemens sur lesquels est appuyé tout l'édifice de la Cabale. Il nous reste encore à faire voir comment les Cabalistes tirent de ces principes quelques autres dogmes de leur systême, tels que ceux d'Adam Kadmon, des dix séphirots, des quatre mondes, des anges, &c.

Explication des séphirots ou des splendeurs. Les séphirots font la partie la plus secrette de la Cabale. On ne parvient à la connoissance de ces émanations & splendeurs divines, qu'avec beaucoup d'étude & de travail : nous ne nous piquons pas de pénétrer jusqu'au fond de ces mysteres, la diversité des interprétations qu'on leur donne est presque infinie.

Losius (Pomum Aristot. dissert. II. de Cabb. cap. ij.) remarque que les interpretes y trouvent toutes les sciences dont ils font profession ; les Logiciens y découvrent leurs dix prédicamens ; les Astronomes dix spheres ; les Astrologues des influences différentes ; les Physiciens s'imaginent qu'on y a caché les principes de toutes choses ; les Arithméticiens y voyent les nombres, & particulierement celui de dix, lequel renferme des mysteres infinis.

Il y a dix séphirots ; on les représente quelquefois sous la figure d'un arbre, parce que les uns sont comme la racine & le tronc, & les autres comme autant de branches qui en sortent ; on les range souvent en dix cercles différens, parce qu'ils sont enfermés les uns dans les autres. Ces dix séphirots sont la couronne, la sagesse, l'intelligence, la force ou la sévérité, la miséricorde ou la magnificence ; la beauté, la victoire ou l'éternité, la gloire, le fondement, & le royaume.

Quelques-uns soûtiennent que les splendeurs (c'est le nom que nous leur donnerons dans la suite) ne sont que des nombres ; mais selon la plûpart, ce sont les perfections & les attributs de la divinité. Il ne faut pas s'imaginer que l'essence divine soit composée de ces perfections, comme d'autant de parties différentes ; ce seroit une erreur : l'essence de Dieu est simple. Mais afin de se former une idée plus nette de la maniere dont cette essence agit, il faut distinguer ses attributs ; considérer sa justice, sa miséricorde, sa sagesse. Il semble que les Cabalistes n'ayent pas d'autre vûe que de conduire leurs disciples à la connoissance des perfections divines, & de leur faire voir que c'est de l'assemblage de ces perfections que dépendent la création & la conduite de l'Univers ; qu'elles ont une liaison inséparable ; que l'une tempere l'autre : c'est pourquoi ils imaginent des canaux par lesquels les influences d'une splendeur se communiquent aux autres. " Le monde, disoit Siméon Jochaïdes (in Jezirah, cum not. Bittangel, pag. 185 & 186.) ne pouvoit être conduit par la miséricorde seule & par la colonne de la grace ; c'est pourquoi Dieu a été obligé d'y ajoûter la colonne de la force ou de la sévérité, qui fait le jugement. Il étoit encore nécessaire de concilier les deux colonnes ; & de mettre toutes choses dans une proportion & dans un ordre naturel ; c'est pourquoi on met au milieu la colonne de la beauté, qui accorde la justice avec la miséricorde, & met l'ordre sans lequel il est impossible que l'Univers subsiste. De la miséricorde qui pardonne les péchés, sort un canal qui va à la victoire ou à l'éternité " ; parce que c'est par le moyen de cette vertu qu'on parvient au triomphe ou à l'éternité. Enfin les canaux qui sortent de la miséricorde & de la force, & qui vont aboutir à la beauté, sont chargés d'un grand nombre d'anges. Il y en a trente-cinq sur le canal de la miséricorde, qui récompensent & qui couronnent la vertu des saints ; & on en compte un pareil nombre sur le canal de la force, qui châtient les pécheurs : & ce nombre de soixante dix anges, auxquels on donne des noms différens, est tiré du xjv. chap. de l'Exode. Il y a là une vérité assez sensible ; c'est que la miséricorde est celle qui récompense les fideles, & que la justice punit les impénitens.

Il me semble que la clé du mystere consiste en ceci : les Cabalistes regardant Dieu comme une essence infinie qui ne peut être pénétrée, & qui ne peut se communiquer immédiatement à la créature, ont imaginé qu'elle se faisoit connoître & qu'elle agissoit par les perfections qui émanoient de lui, comme les perfections de l'ame & son essence se manifestent & se font connoître par les actes de raison & de vertu qu'elle produit, & sans lesquels ces perfections seroient cachées.

Ils appellent ces attributs les habits de Dieu, parce qu'il se rend plus sensible par leur moyen. Il semble à la vérité que Dieu se cache par-là au lieu de se revéler, comme un homme qui s'enveloppe d'un manteau ne veut pas être vû ; mais la différence est grande, parce que l'homme est fini & borné, au lieu que l'essence de la divinité est imperceptible sans le secours de quelqu'opération : ainsi on ne peut voir le soleil, parce que son éclat nous ébloüit ; mais on le regarde derriere un nuage, ou au travers de quelque corps diaphane.

Ils disent aussi que c'étoient les instrumens dont le souverain architecte se servoit, mais de peur qu'on ne s'y trompe, ils ont ajoûté (Abrahami patriarchae liber Jezirah, cap. j. sect. 2. p. 175.) que ces nombres sont sortis de l'essence de Dieu même ; & que si on les considere comme des instrumens, ce seroit pourtant une erreur grossiere que de croire que Dieu peut les quitter & les reprendre selon les besoins qu'il en a, comme l'artisan quitte les outils lorsque l'ouvrage est fini ou qu'il veut se reposer, & les reprend lorsqu'il recommence son travail. Cela ne se peut, car les instrumens ne sont pas attachés à la main du Charpentier ; mais les nombres, les lumieres resplendissantes sortent de l'essence de l'infini & lui sont toûjours unies, comme la flamme au charbon. En effet, comme le charbon découvre par la flamme sa force & sa vertu qui étoit cachée auparavant, Dieu revele sa grandeur & sa puissance par les lumieres resplendissantes dont nous parlons.

Enfin les Cabalistes disent que ce ne sont pas là seulement des nombres, comme Morus l'a crû, mais des émanations qui sortent de l'essence divine, comme les rayons sortent du soleil, & comme la chaleur naît par le feu sans en être séparée. La divinité n'a souffert ni trouble, ni douleur, ni diminution, en leur donnant l'existence, comme un flambeau ne perd pas sa lumiere & ne souffre aucune violence lorsqu'on s'en sert pour en allumer un autre qui étoit éteint, ou qui n'a jamais éclairé. Cette comparaison n'est pas tout-à-fait juste ; car le flambeau qu'on allume, subsiste indépendamment de celui qui lui a communiqué sa lumiere : mais l'intention de ceux qui l'ont imaginée étoit seulement de prouver que Dieu ne souffre aucune altération par l'émanation de ses perfections, & qu'elles subsistent toûjours dans son essence.

L'ensoph, qu'on met au-dessus de l'arbre séphirotique ou des splendeurs divines, est l'infini. On l'appelle tantôt l'être, & tantôt le non-être. C'est un être, puisque toutes choses tirent de lui leur existence : c'est le non-être, parce qu'il est impossible à l'homme de pénétrer son essence & sa nature. Il s'enveloppe d'une lumiere inaccessible, il est caché dans une majesté impénétrable ; d'ailleurs il n'y a dans la nature aucun objet qu'on puisse lui comparer, & qui le représente tel qu'il est. C'est en ce sens que Denys l'Aréopagite a osé dire que Dieu n'étoit rien, ou que c'étoit le néant. On fait entendre par-là que Dieu est une essence infinie, qu'on ne peut ni la sonder ni la connoître ; qu'il possede toutes choses d'une maniere plus noble & plus parfaite que les créatures ; & que c'est de lui qu'elles tirent toute leur existence & leurs qualités par le moyen de ses perfections, qui sont comme autant de canaux par lesquels l'être souverain communique ses faveurs.

Les trois premieres splendeurs sont beaucoup plus excellentes que les autres. Les Cabalistes les distinguent : ils les approchent beaucoup plus près de l'infini, auquel elles sont étroitement unies ; & la plûpart en font le chariot d'Ezéchiel ou le mercava, qu'on ne doit expliquer qu'aux initiés. Les Chrétiens (Kirch. Oedip. Aegypt. Gymnas. Hyerog. ciass. 4. §. 2.) profitent de cet avantage, & soûtiennent qu'on a indiqué par-là les trois personnes de la Trinité dans une seule & même essence qui est infinie. Ils se plaignent même de l'ignorance & de l'aveuglement des Cabalistes modernes, qui regardent ces trois splendeurs comme autant d'attributs de la Divinité ; mais ces Cabalistes sont les plus sages. En effet, on a beau citer les Cabalistes qui disent que celui qui est un a fait émaner les lumieres ; qu'il a fait trois ordres d'émanations, & que ces nombres prouvent la trinité du roi pendant toute l'éternité ; ces expressions vagues d'Isachor Beer (Isachor Beer, fil. Mosis. Pesahc. lib. imve Beriah.) sont expliquées un moment après : tout le mystere consiste dans l'émanation de quatre mondes ; l'Archetipe, l'Angélique, celui des Etoiles, & l'Elémentaire. Cependant ces quatre mondes n'ont rien de commun avec la Trinité, c'est ainsi que Siméon Jochaïdes trouvoit dans le nom de Jehovah, le Pere, le Fils, la Fille & la Mere ; avec un peu de subtilité, on trouveroit le Saint-Esprit dans la Fille de la Voix, & la Mere pourroit être regardée comme l'essence divine ou l'Eglise chrétienne. Cependant on voit bien que ce n'étoit point l'intention de ce cabaliste. Le jod, disoit-il, est le Pere ; l'h, ou la seconde lettre du nom ineffable, est la Mere ; l'a est le Fils ; la derniere, h, est la Fille : & qu'entend-il par-là ? l'Esprit, le Verbe, la voix, & l'ouvrage. On cite Maimonides, qui dit que " la couronne est l'esprit original des dieux vivans ; que la sagesse est l'esprit de l'Esprit, & que l'intelligence est l'eau qui coule de l'esprit ; que s'il y a quelque distinction entre les effets de la sagesse, de l'intelligence & de la science, cependant il n'y a aucune différence entr'elles ; car la fin est liée avec le commencement, & le commencement avec la fin ". Mais il s'explique lui-même, en comparant cela au feu ou à la flamme qui jette au-dehors plusieurs couleurs différentes, comme autant d'émanations qui ont toutes leur principe & leur racine dans le feu. On ne conçoit pas les personnes de la Trinité. comme le bleu, le violet & le blanc qu'on voit dans la flamme ; cependant les Cabalistes soûtiennent que les splendeurs émanent de la Divinité, comme les couleurs sortent de la flamme, ou plûtôt du feu. Il ne faut donc pas s'arrêter aux éloges que les docteurs font des trois premiers séphirots, comme si c'étoient les personnes de la Trinité, d'autant plus qu'ils unissent tous les séphirots à l'essence de Dieu ; & dès le moment qu'on regarde les trois premiers comme autant de personnes de l'Essence divine, il faudra les multiplier jusqu'à dix, puisqu'ils subsistent tous de la même maniere, quoiqu'il y ait quelque différence d'ordre.

La couronne est la premiere des grandes splendeurs, parce que comme la couronne est le dernier habit qui couvre l'homme, & qu'on porte sur la tête, cette splendeur est la plus proche de l'infini, & le chef du monde azileutique : elle est pleine de mille petits canaux d'où coulent les effets de la bonté & de l'amour de Dieu. Toutes les troupes des anges attendent avec impatience qu'une portion de cette splendeur descende sur eux, parce que c'est elle qui leur fournit les alimens & la nourriture. On l'appelle le non-être, parce qu'elle se retire dans le sein caché de Dieu, dans un abysme inaccessible de lumiere.

On donne quelquefois le titre de couronne au royaume, qui n'est que la derniere des splendeurs : mais c'est dans un sens impropre, parce qu'il est la couronne du temple, de la foi, & du peuple d'Israël.

La seconde émanation est la sagesse, & la troisieme est l'intelligence : mais nous serions trop longs si nous voulions expliquer ces trois grandes splendeurs, pour descendre ensuite aux sept autres. Il vaut mieux remarquer la liaison qui est entre ces splendeurs, & celle qu'elles ont avec les créatures qui composent l'univers. A chaque séphirot on attache un nom de Dieu, un des principaux anges, une des planetes, un membre du corps humain, un des commandemens de la loi ; & de là dépend l'harmonie de l'univers. D'ailleurs une de ces choses fait penser à l'autre, & sert de degré pour parvenir au plus haut degré de la connoissance & de la Théologie contemplative. Enfin on apprend par-là l'influence que les splendeurs ont sur les anges, sur les planetes, sur les astres, sur les parties du corps humain, &c.

Il y a donc une subordination entre toutes les choses dont cet univers est composé, & les unes ont une grande influence sur les autres ; car les splendeurs influent sur les anges, les anges sur les planetes, & les planetes sur l'homme : c'est pourquoi on dit que Moyse qui avoit étudié l'Astronomie en Egypte, eut beaucoup d'égard aux astres dans sa loi. Il ordonna qu'on sanctifiât le jour du repos, à cause de Saturne qui préside sur ce jour là, & dont les malignes influences seroient dangereuses, si on n'en détournoit pas les effets par la dévotion & par la priere. Il mit l'ordre d'honorer son pere & sa mere sous la sphere de Jupiter, qui étant plus doux, est capable d'inspirer des sentimens de respect & de soûmission. Je ne sai pourquoi Moyse qui étoit si habile, mit la défense du meurtre sous la constellation de Mars ; car il est plus propre à les produire qu'à en arrêter le cours. Ce sont là les excès & les visions de la Cabale. Passons à d'autres.

En supposant la liaison des splendeurs ou perfections divines, & leur subordination, il a fallu imaginer des canaux & des conduits, par lesquels les influences de chaque perfection se communiquassent à l'autre : autrement l'harmonie auroit été traversée ; & chaque splendeur agissant dans sa sphere particuliere, les mondes des anges, des astres, & des hommes terrestres, n'en auroient tiré aucun avantage. C'est pourquoi les Cabalistes ne manquent pas de dire qu'il y a vingt-deux canaux, conformément au nombre des lettres de l'alphabet hébreu, & ces vingt-deux canaux servent à la communication de tous les séphirots : car ils portent les influences de l'une à l'autre.

Ils ont trois canaux de la couronne, dont l'un va se rendre à la sagesse, le second à l'intelligence, & le troisieme à la beauté. De la sagesse sort un quatrieme canal qui va se jetter dans l'intelligence : le cinquieme passe de la même source à la beauté, & le sixieme à la magnificence.

Il faut remarquer que ces lignes de communication ne remontent jamais, mais elles descendent toûjours. Tel est le cours des eaux qui ont leur source sur les montagnes, & qui viennent se répandre dans les lieux plus bas. En effet quoique toutes les splendeurs soient unies à l'essence divine, cependant la premiere a de la superiorité sur la seconde ; du-moins c'est de la premiere que sort la vertu & la force, qui fait agir la seconde ; & le royaume, qui est le dernier, tire toute sa vigueur des splendeurs qui sont au-dessus de lui. Cette subordination des attributs de Dieu pourroit paroître erronée : mais les Cabalistes disent que cela ne se fait que selon notre maniere de concevoir ; & qu'on range ainsi ces splendeurs, afin de distinguer & de faciliter la connoissance exacte & pure de leurs opérations.

C'est dans la même vûe qu'ils ont imaginé trente-deux chemins & cinquante portes qui conduisent les hommes à la connoissance de ce qu'il y a de plus secret & de plus caché. Tous les chemins sortent de la sagesse ; parce que l'Ecriture dit, tu as créé le monde avec sagesse. Toutes ces routes sont tracées dans un livre qu'on attribue au patriarche Abraham ; & un rabbin célebre du même nom y a ajoûté un commentaire, afin d'y conduire plus sûrement les hommes.

Les Chrétiens se divisent sur l'explication des séphirots aussi-bien que les Juifs ; & il n'y a rien qui puisse mieux nous convaincre de l'incertitude de la Cabale, que les différentes conjectures qu'ils ont faites : car ils y trouvent la Trinité & les autres principes de la religion chrétienne. (Morus, epist. in Cab. denud. tom. II. Kircher, Oedip. Aegypt. Gymnas. &c. cap. jx. tom. II.) Mais si l'on se donne la peine d'examiner les choses, on trouvera que si les Cabalistes ont voulu dire quelque chose, ils ont eu dessein de parler des attributs de Dieu. Faut-il, parce qu'ils distinguent trois de ces attributs comme plus excellens, conclure que ce sont trois personnes ? Qu'on lise leurs docteurs sans préjugé, on y verra qu'ils comparent les séphirots à dix verres peints de dix couleurs différentes. La lumiere du soleil qui frappe tous ces verres est la même, quoiqu'elle fasse voir des couleurs différentes : c'est ainsi que la lumiere ou l'essence divine est la même, quoiqu'elle se diversifie dans les splendeurs, & qu'elle y verse des influences très-différentes. On voit par cette comparaison que les séphirots ne sont point regardés par les Cabalistes comme les personnes de la Trinité que les Chrétiens adorent. Ajoûtons un autre exemple qui met la même chose dans un plus grand jour, quoiqu'on s'en serve quelquefois pour prouver le contraire.

Rabbi Schabté compare les splendeurs à un arbre, dans lequel on distingue la racine, le germe, & les branches. " Ce trois choses forment l'arbre ; & la seule différence qu'on y remarque, est que la racine est cachée pendant que le tronc & les branches se produisent au dehors. Le germe porte sa vertu dans les branches qui fructifient : mais au fond, le germe & les branches tiennent à la racine, & forment ensemble un seul & même arbre. Disons la même chose des splendeurs. La couronne est la racine cachée, impénétrable ; les trois esprits, ou séphirots, ou splendeurs, sont le germe de l'arbre ; & les sept autres, sont les branches unies au germe sans pouvoir en être séparées : car celui qui les sépare, fait comme un homme qui arracheroit les branches de l'arbre, qui couperoit le tronc & lui ôteroit la nourriture en le séparant de sa racine. La couronne est la racine qui unit toutes les splendeurs. " (Schabté in Jezirah.)

Comment trouver là la Trinité ? Si on l'y découvre, il faut que ce soit dans ces trois choses qui composent l'arbre, la racine, le germe, & les branches. Le Pere sera la racine, le germe sera le Fils, & les branches le saint Esprit qui fructifie. Mais alors les trois premieres splendeurs cessent d'être les personnes de la Trinité, car ce sont elles qui forment le tronc & le germe de l'arbre ; & que fera-t-on des branches & de la racine, si l'on veut que ce tronc seul, c'est-à-dire les trois premieres splendeurs soient la Trinité ? D'ailleurs ne voit-on pas que comme les dix splendeurs ne font qu'un arbre, il faudroit conclure qu'il y a dix personnes dans la Trinité, si on vouloit adopter les principes des Cabalistes ?

Création du monde par voie d'émanation. Les Cabalistes ont un autre système, & qui n'est pas plus intelligible que le précédent. Ils soûtiennent qu'il y a plusieurs mondes, & que ces mondes sont sortis de Dieu par voie d'émanation. Ils sont composés de lumiere. Cette lumiere divine étoit fort subtile dans sa source, mais elle s'est épaissie peu-à-peu à proportion qu'elle s'est éloignée de l'Etre souverain, auquel elle étoit originairement attachée.

Dieu vouloit donc créer l'univers, il y trouva deux grandes difficultés. Premierement tout étoit plein, car la lumiere éclatante & subtile (Introduct. ad lib. Zohar. sect. I. Cab. denud. tom. III.) qui émanoit de l'essence divine, remplissoit toutes choses : il falloit donc former un vuide pour placer les émanations & l'univers. Pour cet effet, Dieu pressa un peu la lumiere qui l'environnoit, & cette lumiere comprimée se retira aux côtés, & laissa au milieu un grand cercle vuide, dans lequel on pouvoit situer le monde. On explique cela par la comparaison d'un homme qui se trouvant chargé d'une robe longue la retrousse. On allegue l'exemple de Dieu qui changea de figure ou la maniere de sa présence, sur le mont Sinaï & dans le buisson ardent. Mais toutes ces comparaisons n'empêchent pas qu'il ne reste une idée de substance sensible en Dieu. Il n'y a que les corps qui puissent remplir un lieu, & qui puissent être comprimés.

On ajoûte que ce fut pour l'amour des justes & du peuple saint, que Dieu fit ce resserrement de lumiere. Ils n'étoient pas encore nés, mais Dieu ne laissoit pas de les avoir dans son idée. Cette idée le réjoüissoit : & ils comparent la joie de Dieu qui produisit les points, & ensuite les lettres de l'alphabet, & enfin les récompenses & les peines, au mouvement d'un homme qui rit de joie.

La lumiere qui émanoit de l'essence divine, faisoit une autre difficulté, car elle étoit trop abondante & trop subtile pour former les créatures. Afin de prévenir ce mal, Dieu tira une longue ligne, qui descendant les parties basses, tantôt d'une maniere droite, & tantôt en se recourbant, pour faire dix cercles ou dix séphirots, servit de canal à la lumiere. Elle se communiqua d'une maniere moins abondante, & s'épaississant à proportion qu'elle s'éloignoit de son centre, & descendant par le canal, elle devenoit plus propre à former les esprits & les corps.

La premiere émanation, plus parfaite que les autres, s'appelle Adam Kadmon, le premier de tout ce qui a été créé au commencement. Son nom est tiré de la Genese, où Dieu dit, faisons l'homme ou Adam à notre image ; & on lui a donné ce nom, parce que comme l'Adam terrestre est un petit monde, celui du ciel est un grand monde ; comme l'homme tient le premier rang sur la terre, l'Adam céleste l'occupe dans le ciel ; comme c'est pour l'homme que Dieu a créé toutes choses, l'Eternel a possedé l'autre dès le commencement, avant qu'il fît aucunes de ses oeuvres, & dès les tems anciens. (Prov. ch. viij. vers. 22.) Enfin, au lieu qu'en commençant par l'homme (Abraham Cohen Irirae philosoph. Cab. dissert. VI. cap. vij.) on remonte par degrés aux intelligences supérieures jusqu'à Dieu ; au contraire, en commençant par Adam céleste qui est souverainement élevé, on descend jusqu'aux créatures les plus viles & les plus basses. On le représente comme un homme qui a un crane, un cerveau, des yeux, & des mains ; & chacune de ses parties renferme des mysteres profonds. La sagesse (Apparatus in lib. Zohar. figurâ primâ, pag. 195.) est le crane du premier Adam, & s'étend jusqu'aux oreilles, l'intelligence est son oreille droite ; la prudence fait son oreille gauche ; ses piés ne s'allongent pas au-delà d'un certain monde inférieur, de peur que s'ils s'étendoient jusqu'au dernier ils ne touchassent à l'infini, & qu'il ne devînt lui-même infini. Sur son diaphragme est un amas de lumiere qu'il a condensée : mais une autre partie s'est échappée par les yeux & par les oreilles. La ligne qui a servi de canal à la lumiere, lui a communiqué avec l'intelligence & la bonté, le pouvoir de produire d'autres mondes. Le monde de cet Adam premier est plus grand que tous les autres ; ils reçoivent de lui leurs influences, & en dépendent. Les cercles qui forment la couronne, marquent sa vie & sa durée, que Plotin & les Egyptiens ont représentée par un cercle ou par une couronne.

Comme tout ce qu'on dit de cet Adam premier semble convenir à une personne, quelques chrétiens interprétant la Cabale, ont cru qu'on désignoit par-là Jésus-Christ, la seconde personne de la Trinité. Ils se sont trompés, car les Cabalistes (Abraham Cohen Irirae philosoph. Cab. Dissert. IV. cap. vij.) donnent à cet Adam un commencement : ils ont même placé un espace entre lui & l'infini, pour marquer qu'il étoit d'une essence différente, & fort éloigné de la perfection de la cause qui l'avoit produit ; & malgré l'empire qu'on lui attribue pour la production des autres mondes, il ne laisse pas d'approcher du néant, & d'être composé de qualités contraires : d'ailleurs les Juifs qui donnent souvent le titre de fils à leur Seir-Anpin, ne l'attribuent jamais à Adam Kadmon qu'ils élevent beaucoup au-dessus de lui.

On distingue quatre sortes de mondes, & quatre manieres de création.

1°. Il y a une production par voye d'émanation, & ce sont les séphirots & les grandes lumieres qui ont émané de Dieu, & qui composent le monde Azileutique ; c'est le nom qu'on lui donne. Ces lumieres sont sorties de l'Etre infini, comme la chaleur sort du feu, la lumière du soleil, & l'effet de la cause qui le produit. Ces émanations sont toujours proches de Dieu, où elles conservent une lumiere plus vive & plus subtile ; car la lumiere se condense & s'épaissit à proportion qu'on s'éloigne de l'Etre infini.

Le second monde s'appelle Briathique, d'un terme qui signifie dehors ou détacher. On entend par là le monde ou la création des ames qui ont été détachées de la premiere cause, qui en sont plus éloignées que les séphirots, & qui par conséquent sont plus épaisses & plus ténébreuses. On appelle ce monde le throne de la gloire, & les séphirots du monde supérieur y versent leurs influences.

Le troisieme degré de la création regarde les anges. On assûre (Philos. Cabb. diss. I. cap. xvij.) qu'ils ont été tirés du néant dans le dessein d'être placés dans des corps célestes, d'air ou de feu ; c'est pourquoi on appelle leur formation Jesirah, parce que ces esprits purs ont été formés pour une substance qui leur étoit destinée. Il y avoit dix troupes de ces anges. A leur tête étoit un chef nommé Métraton, élevé au-dessus d'eux, contemplant incessamment la face de Dieu, leur distribuant tous les jours le pain de leur ordinaire. Ils tirent de lui leur vie & leurs autres avantages ; c'est pourquoi tout l'ordre angélique a pris son nom.

Enfin Dieu créa les corps qui ne subsistent point par eux-mêmes comme les ames, ni dans un autre sujet, comme les anges. Ils sont composés d'une matiere divisible changeante, ils peuvent se détruire, & c'est cette création du monde qu'ils appellent Asiah. Voilà l'idée des Cabalistes, dont le sens est que Dieu a formé différemment les ames, les anges & les corps, car pour les émanations, ou le monde Azileutique, ce sont les attributs de la divinité qu'ils habillent en personnes créées, ou des lumieres qui découlent de l'Etre infini.

Quelque bisarres que soient toutes ces imaginations, on a tâché de justifier les visionnaires qui les ont enfantées, & ce sont les Chrétiens qui se chargent souvent de ce travail pour les Juifs. Mais il faut avoüer qu'ils ne sont pas toûjours les meilleurs interpretes de la Cabale. Ils pensent toûjours à la Trinité des personnes divines ; & quand il n'y auroit que ce seul article dont ils s'entêtent, ils n'entreroient jamais dans le sentiment des Cabalistes. Ils nous apprennent seulement par leur idée de la Trinité ; qu'on peut trouver tout ce qu'on veut dans la Cabale. Cohen Irira, dans son livre intitulé, Philos. Cab. dissert. V. chap. viij. nous fait mieux comprendre la pensée des Cabalistes, en soûtenant, 1°. que la lumiere qui remplissoit toutes choses étoit trop subtile pour former des corps ni même des esprits.

Il falloit condenser cette lumiere qui émanoit de Dieu. Voilà une premiere erreur, que le monde est sorti de la divinité par voie d'émanation, & que les esprits sont sortis de la lumiere. 2°. Il remarque que Dieu ne voulant pas créer immédiatement lui-même, produisit un être qu'il revêtit d'un pouvoir suffisant pour cela, & c'est ce qu'ils appellent Adam premier ou Adam kadmon. Ce n'est pas que Dieu ne pût créer immédiatement, mais il eut la bonté de ne le pas faire, afin que son pouvoir parût avec plus d'éclat, & que les créatures devinssent plus parfaites. 3°. Ce premier principe que Dieu produisit, afin de s'en servir pour la création de l'Univers, étoit fini & borné : Dieu lui donna les perfections qu'il a, & lui laissa les défauts qu'il n'a pas. Dieu est indépendant, & ce premier principe dépendoit de lui ; Dieu est infini, & le premier principe est borné ; il est immuable, & la premiere cause étoit sujette au changement.

Il faut donc avoüer que ces théologiens s'éloignent des idées ordinaires, & de celles que Moyse nous a données sur la création. Ils ne parlent pas seulement un langage barbare ; ils enfantent des erreurs, & les cachent sous je ne sai quelles figures. On voit évidemment par Isaac Loriia, commentateur Juif, qui suit pas à pas son maître, qu'ils ne donnent pas immédiatement la création à Dieu ; ils font même consister sa bonté à avoir fait un principe inférieur à lui qui pût agir. Trouver J. C. dans ce principe, c'est non-seulement s'éloigner de leur idée, mais en donner une très-fausse du Fils de Dieu, qui est infini, immuable, & dépendant.

Si on descend dans un plus grand détail, on aura bien de la peine à ne se scandaliser pas du Seir Anpin, qui est homme & femme ; de cette mere, ce pere, cette femme, ou Nucha, qu'on fait intervenir ; de cette lumiere qu'on fait sortir par le crane, par les yeux & par les oreilles du grand Anpin. Ces métaphores sont-elles bien propres à donner une juste idée des perfections de Dieu, & de la maniere dont il a créé le monde ? Il y a quelque chose de bas & de rampant dans ces figures, qui bien loin de nous faire distinguer ce qu'on doit craindre & ce qu'on doit aimer, ou de nous unir à la divinité, l'avilissent, & la rendent méprisable aux hommes.

Voilà les principes généraux de la Cabale, que nous avons tâché d'expliquer avec clarté, quoique nous ne nous flattions pas d'y avoir réussi. Il faut avoüer qu'il y a beaucoup d'extravagance, & même de péril dans cette méthode ; car si on ne dit que ce que les autres ont enseigné sur les opérations & sur les attributs de Dieu, il est inutile d'employer des allégories perpétuelles, & des métaphores outrées, qui, bien loin de rendre les vérités sensibles, ne servent qu'à les obscurcir. C'est répandre un voile sur un objet qui étoit déjà caché, & dont on ne découvroit qu'avec peine quelques traits. D'ailleurs, on renverse toute l'écriture, on en change le sens, & jusqu'aux mots, afin de pouvoir trouver quelque fondement & quelque appui à ses conjectures. On jette même souvent les hommes dans l'erreur, parce qu'il est impossible de suivre ces théologiens, qui entassent figures sur figures, & qui ne les choisissent pas toûjours avec jugement. Ce mêlange d'hommes & de femmes qu'on trouve associés dans les splendeurs, leur union conjugale, & la maniere dont elle se fait, sont des emblêmes trop puérils & trop ridicules pour représenter les opérations de Dieu, & sa fécondité. D'ailleurs, il y a souvent une profondeur si obscure dans les écrits des Cabalistes, qu'elle devient impénétrable : la raison ne dicte rien qui puisse s'accorder avec les termes dont leurs écrits sont pleins. Après avoir cherché long-tems inutilement, on se lasse, on ferme le livre ; on y revient une heure après, on croit appercevoir une petite lueur, mais elle disparoît aussitôt. Leurs principes paroissent d'abord avoir quelque liaison, mais la diversité des interpretes qui les expliquent est si grande, qu'on ne sait où se fixer. Les termes qu'on employe sont si étrangers ou si éloignés de l'objet, qu'on ne peut les y ramener ; & il y a lieu d'être étonné qu'il y ait encore des personnes entêtées, qui croyent que l'on peut découvrir ou éclaircir des vérités importantes, en se servant du secours de la Cabale. Il seroit difficile de les guérir : d'ailleurs si en exposant aux yeux cette science dans son état naturel, on ne s'apperçoit pas qu'elle est creuse & vuide, & que sous des paroles obscures, souvent inintelligibles à ceux-mêmes qui s'en servent, on cache peu de chose ; tous les raisonnemens du monde ne convaincroient pas. En effet, un homme de bon sens qui aura étudié à fond les séphirots, la couronne qui marque la perfection, la sagesse, ou la magnificence, en comprendra-t-il mieux que Dieu est un être infiniment parfait, & qu'il a créé le monde ? Au-contraire, il faut qu'il fasse de longues spéculations avant que de parvenir là. Il faut lire les Cabalistes, écouter les différentes explications qu'ils donnent à leurs splendeurs, les suivre dans les conséquences qu'ils en tirent, peser si elles sont justes. Après tout, il faudra en revenir à Moyse ; & pourquoi n'aller pas droit à lui, puisque c'est le maître qu'il faut suivre, & que le cabaliste s'égare dès le moment qu'il l'abandonne ? Les séphirots sont, comme les distinctions des scholastiques, autant de remparts, derriere lesquels un homme qui raisonne juste ne peut jamais percer un ignorant qui sait son jargon. Les écrivains sacrés ont parlé comme des hommes sages & judicieux, qui voulant faire comprendre des vérités sublimes, se servent de termes clairs. Ils ont dû nécessairement fixer leur pensée & celle des Lecteurs, n'ayant pas eu dessein de les jetter dans un embarras perpétuel & dans des erreurs dangereuses. S'il est permis de faire à Dieu tout ce qu'il a pû dire, sans que ni le terme qu'il a employé, ni la liaison du discours détermine à un sens précis, on ne peut jamais convenir de rien. Les systêmes de religion varieront à proportion de la fécondité de l'imagination de ceux qui liront l'Ecriture ; & pendant que l'un s'occupera à chercher les évenemens futurs & le sort de l'Eglise dans les expressions les plus simples, un autre y trouvera sans peine les erreurs les plus grossieres.

Mais, nous dira-t-on, puisque les Juifs sont entêtés de cette science, ne seroit-il pas avantageux de s'en servir pour les combattre plus facilement ? Quel avantage ! quelle gloire pour nous, lorsqu'on trouve, par la Cabale, la Trinité des personnes, qui est le grand épouvantail des Juifs, & le phantôme qui les trouble ! quelle consolation, lorsqu'on découvre tous les mysteres dans une science qui semble n'être faite que pour les obscurcir !

Je réponds 1°. que c'est agir de mauvaise foi que de vouloir que le Christianisme soit enfermé dans les séphirots ; car ce n'étoit point l'intention de ceux qui les ont inventés. Si on y découvre nos mysteres, afin de faire sentir le ridicule & le foible de cette méthode, à la bonne heure : mais Morus & les autres cabalistes chrétiens entrent dans le combat avec une bonne foi qui déconcerte, parce qu'elle fait connoître qu'ils ont dessein de prouver ce qu'ils avancent, & qu'ils sont convaincus que toute la religion chrétienne se trouve dans la Cabale ; ils insultent ceux qui s'en moquent, & prétendent que c'est l'ignorance qui enfante ces sourires méprisans. On peut employer cette science contre les rabbins qui en sont entêtés, afin d'ébranler leur incrédulité par les argumens que l'on tire de leur propre sein ; & l'usage qu'on fait des armes qu'ils nous prêtent, peut être bon quand on les tourne contre eux-mêmes : mais il faut toûjours garder son bon sens au milieu du combat, & ne se laisser pas ébloüir par l'éclat d'une victoire qu'on remporte facilement, ni la pousser trop loin. Il faut sentir la vanité de ces principes, & n'en pas faire dépendre les vérités solides du Christianisme ; autrement on tombe dans deux fautes sensibles.

En effet, le juif converti par des argumens cabalistiques, ne peut pas avoir une véritable foi. Elle chancellera dès le moment que la raison lui découvrira la vanité de cet art ; & son christianisme, s'il n'est tiré que du fond de la Cabale, tombera avec la bonne opinion qu'il avoit de sa science ; quand même l'illusion dureroit jusqu'à la mort, en seroit-on plus avancé ? On feroit entrer dans l'église chrétienne un homme dont la foi n'est appuyée que sur des roseaux. Une connoissance si peu solide peut-elle produire de véritables vertus ? Mais, de plus, le prosélyte, dégagé des préjugés de sa nation, & de l'autorité de ses maîtres, & de leur science, perdra peu à peu l'estime qu'il avoit pour elle. Il commencera à douter : on ne le ramenera pas aisément, parce qu'il se défiera de ses maîtres qui ont commencé par la fraude ; & s'il ne r'entre pas dans le Judaïsme par intérêt, il demeurera Chrétien sans religion & sans piété. Cet article est extrait de l'histoire des Juifs de Basnage. (C)

Voilà bien des chimeres : mais l'histoire de la Philosophie, c'est-à-dire des extravagances d'un grand nombre de savans, entre dans le plan de notre ouvrage ; & nous croyons que ce peut être pour les Philosophes même un spectacle assez curieux & assez intéressant, que celui des reveries de leurs semblables. On peut bien dire qu'il n'y a point de folies qui n'ayent passé par la tête des hommes, & même des sages ; & Dieu merci, nous ne sommes pas sans doute encore au bout. Ces Cabalistes qui découvrent tant de mysteres en transposant des lettres ; cette lumiere qui sort du crâne du grand Anpin ; la flamme bleue que les brachmanes se cherchent au bout du nez ; la lumiere du Tabor que les ombilicaux croyoient voir à leur nombril ; toutes ces visions sont à peu-près sur la même ligne : & après avoir lû cet article & plusieurs autres, on pourra dire ce vers des Plaideurs :

Que de fous ! je ne fus jamais à telle fête. (O)


CABALIG(Géog.) ville d'Asie dans le Turquestan. Long. 103. lat. 44.


CABALISTEterme de Commerce usité à Toulouse & dans tout le Languedoc. C'est un marchand qui ne fait pas le commerce sous son nom, mais qui est intéressé dans le négoce d'un marchand en chef. (G)


CABALISTESS. m. plur. (Hist.) secte des Juifs qui suit & pratique la Cabale, qui interprete l'Ecriture selon les regles de la Cabale prise au second sens que nous avons expliqué. Voyez CABALE.

Les Juifs sont partagés en deux sectes générales ; les Karaïtes, qui ne veulent pas recevoir les traditions, ni le thalmud, mais le seul texte de l'Ecriture (Voyez KARAÏTES) ; & les Rabbinistes ou Thalmudistes, qui outre cela reçoivent encore les traditions, & suivent le Thalmud. Voyez RABBINISTES.

Ceux-ci sont encore divisés en deux partis ; savoir, Rabbinistes simples, qui expliquent l'Ecriture selon le sens naturel, par la grammaire, l'histoire, ou la tradition ; & en Cabalistes, qui pour y découvrir les sens cachés & mysterieux que Dieu y a mis, se servent de la Cabale, & des principes sublimes que nous avons rapportés dans l'article précédent.

Il y a des visionnaires parmi les Juifs, qui disent que ce n'est que par les mysteres de la Cabale, que J. C. a opéré ses miracles. Quelques savans ont cru que Pythagore & Platon avoient appris des Juifs en Egypte l'art cabalistique, & ils ont cru en trouver des vestiges bien marqués dans leurs philosophies. D'autres croyent au contraire que c'est la Philosophie de Pythagore & de Platon qui a produit la Cabale. Quoi qu'il en soit, il est certain que dans les premiers siecles de l'Eglise, la plûpart des hérétiques donnerent dans les vaines idées de la Cabale. Les Gnostiques, les Valentiniens, les Basilidiens, y furent surtout très-attachés. C'est ce qui produisit l', & tant de talismans, dont il nous reste encore une grande quantité dans les cabinets des antiquaires. Voyez TALISMAN, &c. (G)


CABAMITEou CABAMITAN, (Géog.) petite contrée d'Asie dans la Tartarie.


CABANES. f. (Architecture) du Latin capana ; c'est aujourd'hui un petit lieu bâti avec de la bauge (espece de terre grasse) & couvert de chaume, pour mettre à la campagne les pauvres gens à l'abri des injures du tems. Anciennement les premiers hommes n'avoient pas d'autres demeures pour habitation ; l'Architecture a commencé par les cabanes, & a fini par les palais. Voyez ARCHITECTURE. (P)

CABANE, s. m. en terme de Marine ; c'est un petit logement de planches pratiqué à l'arriere, ou le long des côtés du vaisseau, pour coucher les pilotes ou autres officiers ; ce petit réduit est long de six piés, & large de deux & demi ; & comme il n'en a que trois de hauteur, on n'y peut être debout.

On donne le même nom à l'appartement pratiqué à l'arriere des bûches qui vont à la pêche du hareng, & qui est destiné pour les officiers qui les conduisent. Voyez Pl. XII. fig. 2.

C'est aussi un bateau couvert de planches de sapin, sous lequel un homme peut se tenir debout & à couvert ; il a un fond plat, & on s'en sert sur la Loire.

Les bateliers appellent aussi cabane un bateau couvert du côté de la poupe, d'une toile que l'on nomme banne, soûtenue sur deux cerceaux pliés en forme d'arc, pour mettre les passagers à couvert du soleil & de la pluie. Voyez BATEAU. (Z)


CABANIou KABANIA, (Géog.) ville & forteresse de la Russie septentrionale, dans la province de Burati.


CABAR-HUD(Géog.) ville de l'Arabie heureuse dans la province de Hadhramuth.


CABARERverb. neut. est un terme de brasserie, qui signifie jetter les métiers ou l'eau d'un vaisseau dans un autre, soit avec le jet ou avec le chapelet. Voyez l'article BRASSERIE.


CABARETS. m. (Hist. nat. bot.) asarum, genre de plante à fleurs sans pétales, composée de cinq ou six étamines qui sortent d'un calice découpé en trois parties. La partie postérieure de ce calice devient dans la suite un fruit qui est pour l'ordinaire anguleux, divisé en six loges, & rempli de quelques semences oblongues. Tournefort. Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

L'asarum offic. germ. a la racine purgative & émétique ; elle desobstrue le foie, provoque les regles, expulse l'arriere-faix, & même le foetus. On la recommande dans la jaunisse, l'hydropisie, les douleurs des reins, & la goutte ; on l'appelle la panacée des fievres quartes. Les paysans en font leur fébrifuge. Une emplâtre de ses feuilles appliquée sur la région lombaire, pousse les urines ; extérieurement elle est résolutive, détersive, & vulnéraire. Les femmes enceintes doivent en éviter l'usage, quoi qu'en dise Fernel.

Potion émétique avec le cabaret. Prenez suc d'asarum une once ; oxymel de squille demi-once ; eau de chardon deux onces : c'est un très-puissant émétique, excellent dans la manie, où il réussit mieux que tous les remedes ordinaires.

Le cabaret pris en décoction purge doucement, & ne fait point vomir. Fernel en faisoit une composition émétique qui convient, selon lui, à tout le monde. Elle se prépare dans les boutiques.

Le cabaret est ainsi nommé, parce que les ivrognes s'en servent pour s'exciter au vomissement. (N)

CABARET, TAVERNE, (Commerce) ces deux lieux ont eu cela de commun, que l'on y vendoit du vin : mais dans les tavernes on n'y vendoit que du vin, sans y donner à manger ; au lieu qu'on donnoit à manger dans les cabarets. Cette distinction est ancienne. Les Grecs nommoient les lieux où l'on vendoit du vin, & , ceux où l'on donnoit à manger. Les Romains avoient aussi leurs tabernae & popinae, dont la distinction étoit la même. Les professions d'Hôteliers, de Cabaretiers, & de Taverniers, sont maintenant confondues : la police leur a prescrit quelques regles relatives à la religion, aux moeurs, à la santé, & à la sûreté publique, qui sont fort belles, mais de peu d'usage.


CABARETIERS. m. celui qui est autorisé à donner à boire & à manger dans sa maison à tous ceux qui s'y présentent. Voyez CABARET.


CABARNESS. m. pl. (Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit les prêtres de Cerès dans l'île de Paros. Ce mot vient du Phénicien ou de l'Hébreu carbarnin ou careb, offrir : il étoit en usage dans le même sens parmi les Syriens, ainsi que Josephe le fait voir par Théophraste : d'autres prétendent que ce fut le nom du premier de ces prêtres, qui apprit, à ce qu'on dit, à Cerès l'enlevement de sa fille.


CABARRESS. m. pl. (Marine & Commerce) on donne ce nom à toutes sortes de petits bâtimens à fonds plats, qui servent à secourir & alléger les gros vaisseaux en mer. Les Suédois & les Danois les appellent clincar.


CABASS. m. (Messagerie) grand coche dont le corps est d'osier clissé. Cette voiture appartient ordinairement aux messageries.

CABAS ou CABAT, (Commerce) panier fait de jonc ou de feuilles de palmier. C'est dans ces sortes de paniers que l'on met les figues de Provence, après les avoir fait sécher. Il y en a de grands & de petits ; les uns pour la marchandise d'élite, & les autres pour la commune : on les ouvre également avec une toile ordinairement bleue ou violette. Voyez FIGUE.

Cabat se dit aussi dans quelques provinces de France, d'une mesure à mesurer les grains, particulierement le blé. (G)


CABASETS. m. signifioit autrefois, dans l'Art milit. une arme défensive qui couvroit la tête. Ce mot vient, selon Nicod, de l'Hébreu coba, qui signifie un casque ou heaume, ou de l'Espagnol cabeça, tête. (Q)


CABAYS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les Indiens, & les habitans de l'île de Ceylan & d'Aracan, donnent à des habits faits de soie ou de coton ornés d'or, que les seigneurs & principaux du pays ont coûtume de porter.


CABE(Géog.) petite riviere d'Espagne au royaume de Galice, qui se jette dans le Velezar, & tombe avec lui dans le Minho.


CABEÇA-DE-VIDE(Géog.) petite ville avec château, en Portugal, dans l'Alentéjo, à cinq lieues de Port-Alegre. Longitude 10. 48. latitude 39.


CABELA(Hist. nat.) c'est le nom d'un fruit des Indes occidentales, qui ressemble beaucoup à des prunes : l'arbre qui le produit ne differe presqu'en rien du cerisier.


CABENDE(Géog.) ville & port d'Afrique au royaume de Congo, dans la province d'Angoy, où il se fait un grand commerce de Negres.


CABEou GABES, (Géog.) ville d'Afrique au royaume de Tunis, assez près du golfe du même nom. Long. 28. 30. lat. 33. 40.


CABESTANS. m. (Mar.) c'est une machine de bois reliée de fer, faite en forme de cylindre, posée perpendiculairement sur la pointe du vaisseau, que des barres passées en travers par le haut de l'essieu font tourner en rond. Ces barres étant conduites à force de bras font tourner autour du cylindre un cable, au bout duquel sont attachés les gros fardeaux qu'on veut enlever. Voyez CABLE.

C'est encore en virant le cabestan qu'on remonte les bateaux, & qu'on tire sur terre les vaisseaux pour les calfater, qu'on les décharge des plus grosses marchandises, qu'on leve les vergues & les voiles, aussi bien que les ancres. Voyez ANCRE.

Il y a deux cabestans sur les vaisseaux, qu'on distingue par grand & petit cabestan : le grand cabestan est placé derriere le grand mât sur le premier pont, & s'éleve jusqu'à quatre ou cinq piés de hauteur au-dessus du deuxieme. Voyez Pl. IV. fig. 1 n°. 102. On l'appelle aussi cabestan double, à cause qu'il sert à deux étages pour lever les ancres, & qu'on peut doubler sa force en mettant des gens sur les deux ponts pour le faire tourner.

Le petit cabestan est posé sur le second pont, entre le grand mât & le mât de misene. Voyez Plan. IV. fig. 1. n°. 103. il sert principalement à isser les mats de hune & les grandes voiles, & dans les occasions où il faut moins de force que pour lever les ancres.

Les François appellent cabestan anglois, celui où l'on n'employe que des demi-barres, & qui à cause de cela n'est percé qu'à demi ; il est plus renflé que les cabestans ordinaires.

Il y a encore un cabestan volant que l'on peut transporter d'un lieu à un autre. Voyez VINDAS.

Virer au cabestan, pousser au cabestan, faire joüer an cabestan, c'est-à-dire faire tourner le cabestan.

Aller au cabestan, envoyer au cabestan : quand les garçons de l'équipage ou les mousses ont commis quelque faute, le maître les fait aller au cabestan pour les y châtier : on y envoye aussi les matelots. Tous les châtimens qu'on fait au cabestan chez les François, se font au pié du grand mât chez les Hollandois. (Z)

Le cabestan n'a pas la forme exactement cylindrique, mais est à peu-près comme un cone tronqué qui va en diminuant de bas en haut, afin que le cordage qu'on y roule soit plus ferme, & moins sujet à couler ou glisser de haut en bas.

Il est visible par la description de cette machine, que le cabestan n'est autre chose qu'un treuil, dont l'axe au lieu d'être horisontal, est vertical. Voyez à l'article AXE les lois par lesquelles on détermine la force du treuil, appellé en latin axis in peritrochio, axe dans le tambour, ou essieu dans le tour. Dans le cabestan le tambour, peritrochium, est le cylindre, & l'axe ou l'essieu sont les leviers qu'on adapte aux cylindres, & par le moyen desquels on fait tourner le cabestan.

Le cabestan n'est donc proprement qu'un levier, ou un assemblage de leviers auxquels plusieurs puissances sont appliquées. Donc suivant les lois du levier, & abstraction faite du frottement, la puissance est au poids comme le rayon du cylindre est à la longueur du levier auquel la puissance est attachée ; & le chemin de la puissance est à celui du poids comme le levier est au rayon du cylindre. Moins il faut de force pour élever le poids, plus il faut faire de chemin : il ne faut donc point faire les leviers trop longs, afin que la puissance ne fasse pas trop de chemin ; ni trop courts, afin qu'elle ne soit pas obligée de faire trop d'effort ; car dans l'un & l'autre cas elle seroit trop fatiguée.

On appelle encore en général du nom de cabestan tout treuil dont l'axe est posé verticalement : tels sont ceux dont on se sert sur les ports à Paris, pour attirer à terre les fardeaux qui se trouvent sur les gros bateaux, comme pierres, &c.

Un des grands inconvéniens du cabestan, c'est que la corde qui se roule dessus descendant de sa grosseur à chaque tour, il arrive que quand elle est parvenue tout-à-fait au bas du cylindre, le cabestan ne peut plus virer, & l'on est obligé de choquer, c'est-à-dire de prendre des bosses, de dévirer le cabestan, de hausser le cordage, &c. manoeuvre qui fait perdre un tems considérable. C'est pour y remédier que l'Académie des Sciences de Paris proposa pour le sujet du prix de 1739 ; de trouver un cabestan qui fut exempt de ces inconvéniens. Elle remit ce prix à 1741, & l'on a imprimé en 1745 les quatre pieces qu'elle crut devoir couronner, avec trois accessit. L'Académie dit dans son avertissement, qu'elle n'a trouvé aucun des cabestans proposés exempt d'inconvéniens. Cela n'empêche pas néanmoins, comme l'Académie l'observe, que ces pieces, sur-tout les quatre pieces couronnées, & parmi les accessit, celle de M. l'abbé Fenel, aujourd'hui de l'Académie des Belles-lettres, ne contiennent d'excellentes choses, principalement par rapport à la théorie. Nous y renvoyons nos lecteurs. (O)


CABESTERRE(Géog.) on appelle ainsi dans les îles Antilles, la partie de l'île qui regarde le levant, & qui est toûjours rafraîchie par les vents alisés, qui courent depuis le nord jusqu'à l'est-sud-est. La basse terre est la partie opposée ; les vents s'y font moins sentir, & par conséquent cette partie est plus chaude ; & la mer y étant plus tranquille, elle est plus propre pour le mouillage & le chargement des vaisseaux : joint à ce que les côtes y sont plus basses que dans les cabesterres, où elles sont ordinairement hautes & escarpées, & où la mer est presque toûjours agitée. Voyages du P. Labat.


CABIDOou CAVIDOS, s. m. (Commerce) sorte de mesure de longueur, dont on se sert en Portugal pour mesurer les étoffes, les toiles, &c.

Le cabidos, ainsi que l'aune de Hollande ou de Nuremberg, contient 2 piés 11 lignes, qui font quatre septiemes d'aune de Paris. L'aune de Paris fait un cabidos & trois quarts de cabidos ; desorte que sept cabidos sont quatre aunes de Paris. Voyez AUNE. (G)


CABIGIAou CAPCHAK, s. m. (Hist. mod.) tribu des Turcs Orientaux. Une femme de l'armée d'Oghuz Kan pressée d'accoucher, se retira dans le creux d'un arbre. Oghuz prit soin de l'enfant, l'adopta, & l'appella Cabigiak, écorce de bois ; nom qui marquoit la singularité de sa naissance. Cabigiak eut une postérité nombreuse qui s'étendit jusqu'au nord de la mer Caspienne. Il s'en fit un peuple qu'on connoît encore aujourd'hui sous le nom de Descht Kitchak : c'est de ces peuples que sont sorties les armées qui ont ravagé les états que le Mogol possédoit dans la Perse, & ce furent les premieres troupes que Bajazet opposa à Tamerlan.


CABILLou CABILAH, s. m. (Hist. mod.) nom d'une tribu d'Arabes, indépendans & vagabonds, qu'un chef conduit. Ils appellent ce chef cauque. On compte quatre-vingt de ces tribus : aucune ne reconnoît de souverain.


CABILLOTSS. m. pl. (Marine) ce sont de petits bouts de bois, qui sont faits comme les boutons des Récollets, c'est-à-dire taillés longs & étroits, plus épais vers le milieu, & un peu courbes, les deux extrémités étant plus pointues, & se relevant un peu. On met ces morceaux de bois au bout de plusieurs herses qui tiennent aux grands haubans, qui servent à tenir les poulies des pantoquieres.

CABILLOTS ; ce sont aussi de petites chevilles de bois qui tiennent aux chouquets avec une ligne, & qui servent à tenir la balancine de la vergue de hune quand les perroquets sont serrés. (Z)


CABIN(Géog.) riviere de France en Gascogne.


CABINETS. m. (Architect.) sous ce nom on peut entendre les pieces destinées à l'étude, ou dans lesquelles l'on traite d'affaires particulieres ; ou qui contiennent ce que l'on a de plus précieux en tableaux, en bronzes, livres, curiosités, &c. On appelle aussi cabinet, les pieces où les dames font leur toilette, leur oratoire, leur méridienne, ou autres qu'elles destinent à des occupations qui demandent du recueillement & de la solitude. On appelle cabinet d'aisance, le lieu où font placées les commodités, connues aujourd'hui sous le nom de lieux à soupape.

Les premieres especes de cabinets doivent être pour plus de décence, placés devant les chambres à coucher & non après, n'étant pas convenable que les étrangers passent par la chambre à coucher du maître pour arriver au cabinet, cette derniere piece chez un homme d'un certain rang, lui servant à conférer d'affaires particulieres avec ceux que son état ou sa dignité amenent chez lui ; par ce moyen le maître, au sortir du lit, peut aller recevoir ses visites, parler d'affaires sans être interrompu par les domestiques, qui pendant son absence entrent dans la chambre à coucher par des dégagemens particuliers, & y font leur devoir, sans entrer dans le lieu qu'habitent les maîtres, à moins qu'on ne les y appelle. Je parle ici d'un cabinet faisant partie d'un appartement destiné à un très-grand seigneur, à qui pour lors il faut plusieurs de ces pieces, qui empruntent leur nom de leurs différens usages, ainsi que nous venons de le dire ci-dessus. On a une piece qu'on appelle le grand cabinet de l'appartement du maître ; elle est consacrée à l'usage dont nous venons de parler ; c'est dans son cabinet paré qu'il rassemble ce qu'il a de tableaux ou de curiosités ; son arriere-cabinet contient ses livres, son bureau, & c'est-là qu'il peut recevoir en particulier, à la faveur des dégagemens qui l'environnent, les personnes de distinction qui demandent de la préférence : un autre lui sert de serre-papiers, c'est là que sont conservés sous sa main & en sûreté ses titres, ses contracts, son argent : enfin il y en a un destiné à lui servir de garde-robe & à contenir des lieux à soupape, où il entre par sa chambre à coucher, & les domestiques par un dégagement. Ce détail nous a paru nécessaire.

Il y a encore d'autres cabinets ; on en a un du côté de l'appartement de société, qui a ses usages particuliers ; il peut servir pour un concert vocal ; les lieux pour les concerts composés de beaucoup d'instrumens devant être plus spacieux, alors on les appelle salle de concert ; dans ce même cabinet on peut tenir jeu, pendant que la salle d'assemblée, qui est à côté, serviroit ainsi que celle de compagnie, à recevoir une plus nombreuse société. Un petit sallon peut aussi servir de cabinet au même usage : mais sa forme elliptique, la maniere dont il est plafonné, & principalement les pieces qui l'environnent, lui ont fait donner le nom de sallon, pendant que la piece qui lui est opposée peut recevoir le nom de cabinet, par rapport à l'appartement dont elle fait partie ; cependant il faut avoüer qu'il est pour ainsi dire, des formes consacrées à l'usage de chaque piece en particulier : par exemple, il semble que les cabinets destinés aux affaires ou à l'étude, doivent être de forme réguliere, à cause de la quantité des meubles qu'ils sont obligés de contenir, au lieu que ceux de concerts, de bijoux, de toilette, & autres de cette espece, peuvent être irréguliers : il faut sur-tout que la décoration des uns & des autres soit relative à leur usage, c'est-à-dire qu'on observe de la gravité dans l'ordonnance des cabinets d'affaires ou d'étude ; de la simplicité dans ceux que l'on décore de tableaux : & de la legereté, de l'élegance, & de la richesse, dans ceux destinés à la société, sans que pour cela on use de trop de licence.

Il n'y a personne qui ne sente la nécessité qu'il y a de faire précéder les chambres à coucher par les cabinets, sur-tout dans les appartemens qui ne sont composés que d'un petit nombre de pieces.

On appelle aussi cabinets, certains meubles en forme d'armoire, faits de marqueterie, de pieces de rapport & de bronze, servant à serrer des médailles, des bijoux, &c. Ces cabinets étoient fort en usage dans le dernier siecle : mais comme ils ne laissoient pas d'occuper un espace assez considérable dans l'intérieur des appartemens, on les y a supprimés. Il s'en voit encore cependant quelques-uns dans nos anciens hôtels, exécutés par Boule, ébeniste du roi, ainsi que des bureaux, des secrétaires, serre-papiers, bibliotheques, &c. dont l'exécution est admirable, & d'une beauté fort au-dessus de ceux qu'on fait aujourd'hui.

On appelle aussi cabinets, de petits bâtimens isolés en forme de pavillons, que l'on place à l'extrémité de quelque grande allée, dans un parc, sur une terrasse ou sur un lieu éminent ; mais leur forme étant presque toûjours sphérique, elliptique ou à pans couverts, en calotte, & souvent percés à jour, le nom de sallons leur convient davantage ; & lorsque ces pieces sont accompagnées de quelques autres, comme de vestibules, d'anti-chambres, garde-robes, &c. on les nomme belvederes. Voyez BELVEDERE.

On appelle cabinets de treillage, de petits sallons quarrés, ronds, ou à pans, composés de barreaux de fer maillé, d'échalats peints en verd, tels qu'il s'en voit un à Clagny, d'un dessein & d'une élégance très-estimable, & plusieurs à Chantilly, d'une distribution très-ingénieuse. (P)

CABINET D'HISTOIRE NATURELLE. Le mot cabinet doit être pris ici dans une acception bien différente de l'ordinaire, puisqu'un cabinet d'Histoire naturelle est ordinairement composé de plusieurs pieces & ne peut être trop étendu ; la plus grande salle ou plutôt le plus grand appartement, ne seroit pas un espace trop grand pour contenir des collections en tout genre des différentes productions de la nature : en effet, quel immense & merveilleux assemblage ! comment même se faire une idée juste du spectacle que nous présenteroient toutes les sortes d'animaux, de végétaux, & de minéraux, si elles étoient rassemblées dans un même lieu, & vûes, pour ainsi dire, d'un coup d'oeil ? ce tableau varié par des nuances à l'infini, ne peut être rendu par aucune autre expression, que par les objets mêmes dont il est composé : un cabinet d'Histoire naturelle est donc un abregé de la nature entiere.

Nous ne savons pas si les anciens ont fait des cabinets d'Histoire naturelle. S'il y en a jamais eu un seul, il aura été établi chez les Grecs, ordonné par Alexandre, & formé par Aristote. Ce fameux naturaliste voulant traiter son objet avec toutes les vûes d'un grand philosophe, obtint de la magnificence d'Alexandre des sommes très-considérables, & il les employa à rassembler des animaux de toute espece, & à les faire venir de toutes les parties du monde connu. Ses livres sur le regne animal, prouvent qu'il avoit observé presque tous les animaux dans un grand détail, & ne permettent pas de douter qu'il n'eût une ménagerie très-complete à sa disposition, ce qui fait le meilleur cabinet que l'on puisse avoir pour l'histoire des animaux. D'ailleurs les dépouilles de tant d'animaux, & leurs différentes parties disséquées, étoient plus que suffisantes pour faire un très-riche cabinet d'Histoire naturelle dans cette partie ; car on ne peut pas douter qu'Aristote n'ait disséqué les animaux avec soin, puisqu'il nous a laissé des résultats d'observations anatomiques, & qu'il a attribué à certaines especes des qualités particulieres, dont elles sont doüées à l'exclusion de toute autre espece. Pour tirer de pareilles conséquences, il faut avoir, pour ainsi dire, tout vû. Si nous sommes quelquefois tentés de les croire hasardées ; ce n'est peut-être que parce que les connoissances que l'on a acquises sur les animaux depuis la renaissance des lettres, ne sont pas encore assez étendues, & que les plus grandes collections d'animaux que l'on a faites sont trop imparfaites en comparaison de celles d'Aristote.

La science de l'Histoire naturelle fait des progrès à proportion que les cabinets se complete nt ; l'édifice ne s'éleve que par les matériaux que l'on y employe, & l'on ne peut avoir un tout que lorsqu'on a mis ensemble toutes les parties dont il doit être composé. Ce n'a guere été que dans ce siecle que l'on s'est appliqué à l'étude de l'Histoire naturelle avec assez d'ardeur & de succès pour marcher à grands pas dans cette carriere. C'est aussi à notre siecle que l'on rapportera le commencement des établissemens les plus dignes du nom de cabinet d'Histoire naturelle.

Celui du jardin du roi est un des plus riches de l'Europe. Pour en donner une idée il suffira de faire ici mention des collections dont il est composé, en suivant l'ordre des regnes.

Regne animal. Il y a au cabinet du Roi différens squeletes humains de tout âge, & une très-nombreuse collection d'os remarquables par des coupes, des fractures, des difformités, & des maladies : des pieces d'anatomie injectées & desséchées ; des foetus de différens âges, & d'autres morceaux singuliers conservés dans les liqueurs : de très-belles pieces d'anatomie représentées en cire, en bois, &c. quelques parties des momies & des concrétions pierreuses tirées du corps humain. Voyez la description du cabinet du Roi, Hist. nat. tome III. Quantité de vêtemens d'armes, d'ustenciles de sauvages, &c. apportés de l'Amérique & d'autres parties du monde.

Par rapport aux quadrupedes, une très grande suite de squeletes & d'autres pieces d'ostéologie, & quantité d'animaux & de parties d'animaux conservées dans des liqueurs, des peaux empaillées, une collection de toutes les cornes de quadrupedes, des bézoards, des égagropiles, &c.

De très-beaux squeletes des oiseaux les plus gros & les plus rares ; des oiseaux entiers conservés dans des liqueurs, & d'autres empaillés, &c.

Une nombreuse collection de poissons de mer & d'eau douce desséchés ou conservés dans des liqueurs.

Un très-grand nombre d'especes différentes de serpens, de lésards, &c. recueillis de toutes les parties du monde.

Une très-grande suite de coquilles, de crustacées, &c.

Enfin quantité d'insectes de terre & d'eau, entr'autres une suite de papillons presque complete , & une très-grande collection de fausses plantes marines de toutes especes.

Regne végétal. Des herbiers très-complets faits par M. de Tournefort & par M. Vaillant ; de nombreuses suites de racines, d'écorces de bois, de semences & de fruits de plantes ; une collection presqu'entiere, de gommes, de résines, de baumes, & d'autres sucs de végétaux.

Regne minéral. Des collections de terres, de pierres communes & de pierres figurées, de pétrifications, d'incrustations, de résidus pierreux, & de stalactites : une très-belle suite de cailloux, de pierres fines, brutes, polies, façonnées en plaques, taillées en vases, &c. & de pierres précieuses, de crystaux ; toutes sortes de sels & de bitumes, de matieres minérales & fossiles, de demi-métaux & de métaux. Enfin une très-nombreuse collection de minéraux du royaume, & de toutes les parties de l'Europe, surtout des pays du nord, des autres parties du monde, & principalement de l'Amérique.

Toutes ces collections sont rangées par ordre méthodique, & distribuées de la façon la plus favorable à l'étude de l'Histoire naturelle. Chaque individu porte sa dénomination, & le tout est placé sous des glaces avec des étiquettes, ou disposé de la maniere la plus convenable. (I)

* Pour former un cabinet d'Histoire naturelle, il ne suffit pas de rassembler sans choix, & d'entasser sans ordre & sans goût, tous les objets d'Histoire naturelle que l'on rencontre ; il faut savoir distinguer ce qui mérite d'être gardé de ce qu'il faut rejetter, & donner à chaque chose un arrangement convenable. L'ordre d'un cabinet ne peut être celui de la nature ; la nature affecte par-tout un desordre sublime. De quelque côté que nous l'envisagions, ce sont des masses qui nous transportent d'admiration, des grouppes qui se font valoir de la maniere la plus surprenante. Mais un cabinet d'Histoire naturelle est fait pour instruire ; c'est-là que nous devons trouver en détail & par ordre, ce que l'univers nous présente en bloc. Il s'agit d'y exposer les thrésors de la nature selon quelque distribution relative, soit au plus ou moins d'importance des êtres, soit à l'intérêt que nous y devons prendre, soit à d'autres considérations moins savantes & plus raisonnables peut-être, entre lesquelles il faut préférer celles qui donnent un arrangement qui plaît aux gens de goût, qui intéresse les curieux, qui instruit les amateurs, & qui inspire des vûes aux savans. Mais satisfaire à ces différens objets, sans les sacrifier trop les uns aux autres : accorder aux distributions scientifiques autant qu'il faut, sans s'éloigner des voies de la nature, n'est pas une entreprise facile ; & entre tant de cabinets d'Histoire naturelle formés en Europe, s'il doit y en avoir de bien rangés, il doit aussi y en avoir beaucoup d'autres qui peut-être auront le mérite de la richesse, mais qui n'auront pas celui de l'ordre. Cependant qu'est-ce qu'une collection d'êtres naturels sans le mérite de l'ordre ? A quoi bon avoir rassemblé dans des édifices, à grande peine & à grands frais, une multitude de productions, pour me les offrir confondues pêle-mêle & sans aucun égard, soit à la nature des choses, soit aux principes de l'Histoire naturelle ? " Je dirois volontiers à ces Naturalistes qui n'ont ni goût ni génie : Renvoyez toutes vos coquilles à la mer ; rendez à la terre ses plantes & son engrais, & nettoyez vos appartemens de cette foule de cadavres, d'oiseaux, de poissons, & d'insectes, si vous n'en pouvez faire qu'un chaos où je n'apperçois rien de distinct, qu'un amas où les objets épars ou entassés ne me donnent aucune idée nette & précise. Vous ne savez pas faire valoir l'opulence de la nature, & sa richesse dépérit entre vos mains. Restez au fond de la carriere, taillez des pierres ; mais laissez à d'autres le soin d'ordonner l'édifice ". Qu'on pardonne cette sortie au regret que j'ai de savoir dans des cabinets, même célebres, les productions de la nature les plus précieuses, jettées comme dans un puits : on accourt sur les bords de ce puits, vous y suivez la foule, vous cherchez à percer les ténebres qui couvrent tant de raretés ; mais elles sont trop épaisses, vous vous fatiguez envain, & ne remporterez que le chagrin d'être privé de tant de richesses soit par l'indolence de celui qui les possede, soit par la négligence de ceux à qui le soin en est confié.

Nous n'aurions jamais fait, si nous entreprenions la critique ou l'éloge de toutes les collections d'Histoire naturelle qui sont en Europe ; nous nous arrêterons seulement à la plus florissante de toutes, je veux dire le cabinet du Roi. Il me semble qu'on n'a rien négligé soit pour faire valoir, soit pour rendre utile ce qu'il renferme. Il a commencé dès sa naissance à intéresser le public par sa propreté & par son élégance : on a pris dans la suite tant de soins pour le complete r, que les acquisitions qu'il a faites en tout genre, sont surprenantes, sur-tout si on les compare avec le peu d'années que l'on compte depuis son institution. Les choses les plus belles & les plus rares y ont afflué de tous les coins du monde ; & elles y ont heureusement rencontré des mains capables de les réunir avec tant de convenance, & de les mettre ensemble avec tant d'ordre, qu'on n'auroit aucune peine à y rendre à la nature un compte clair & fidele de ses richesses. Un établissement si considérable & si bien conduit, ne pouvoit manquer d'avoir de la célébrité, & d'attirer des spectateurs ; aussi il en vient de tous états, de toutes nations, & en si grand nombre, que dans la belle saison, lorsque le mauvais tems n'empêche pas de rester dans les salles du cabinet, leur espace y suffit à peine. On y reçoit douze à quinze cent personnes toutes les semaines : l'accès en est facile ; chacun peut à son gré s'y introduire, s'amuser, ou s'instruire. Les productions de la nature y sont exposées sans fard, & sans autre apprêt que celui que le bon goût, l'élegance, & la connoissance des objets devoient suggérer : on y répond avec complaisance aux questions qui ont du rapport à l'Histoire naturelle. La pédanterie qui choque les honnêtes gens, & la charlatanerie qui retarde les progrès de la science, sont loin de ce sanctuaire : on y a senti par une impulsion particuliere aux ames d'un certain ordre, quelle bassesse ce seroit à des particuliers qui auroient quelques collections d'Histoire naturelle, de prétendre s'en faire un mérite réel, & de travailler à enfler ce mérite, soit en les étalant avec faste, soit en les vantant au-delà de leur juste prix, soit en mettant du mystere dans de petites pratiques qu'il est toûjours assez facile de trouver, lorsqu'on veut se donner la peine de les chercher. On a senti qu'une telle conduite s'accorderoit moins encore avec un grand établissement, où l'on ne doit avoir d'autres vûes que le bien de l'établissement, où en rendant le public témoin des procédés qu'on suit, on en tire de nouvelles lumieres, & l'on répand le goût des mêmes occupations. C'est le but que M. Daubenton, garde & démonstrateur au cabinet du Roi, s'est proposé, & dans son travail au cabinet même qu'il a mis en un si bel ordre, & dans la description qu'on en trouve dans l'Histoire naturelle. Nous ne pouvons mieux faire que d'insérer ici ses observations sur la maniere de ranger & d'entretenir en général un cabinet d'Histoire naturelle ; elles ne sont point au-dessous d'un aussi grand objet.

" L'arrangement, dit M. Daubenton, le plus favorable à l'étude de l'Histoire naturelle, seroit l'ordre méthodique qui distribue les choses qu'elle comprend, en classes, en genres, & en especes ; ainsi les animaux, les végétaux, & les minéraux, seroient exactement séparés les uns des autres ; chaque regne auroit un quartier à part. Le même ordre subsisteroit entre les genres & les especes : on placeroit les individus d'une même espece les uns auprès des autres, sans qu'il fût jamais permis de les éloigner. On verroit les especes dans leurs genres, & les genres dans leurs classes. Tel est l'arrangement qu'indiquent les principes qu'on a imaginés pour faciliter l'étude de l'Histoire naturelle, tel est l'ordre qui seul peut les réaliser. Tout en effet y devient instructif ; à chaque coup-d'oeil, non-seulement on prend une connoissance réelle de l'objet que l'on considere, mais on y découvre encore les rapports qu'il peut avoir avec ceux qui l'environnent. Les ressemblances indiquent le genre, les différences marquent l'espece ; ces caracteres plus ou moins ressemblans, plus ou moins différens, & tous comparés ensemble, présentent à l'esprit & gravent dans la mémoire l'image de la nature. En la suivant ainsi dans les variétés de ses productions, on passe insensiblement d'un regne à un autre ; les dégradations nous préparent peu-à-peu à ce grand changement, qui n'est sensible dans son entier que par la comparaison des deux extrèmes. Les objets de l'Histoire naturelle étant présentés dans cet ordre, nous occupent assez pour nous intéresser par leurs rapports, sans nous fatiguer, & même sans nous donner le dégoût qui vient ordinairement de la confusion & du desordre.

Cet arrangement paroît si avantageux, que l'on devroit naturellement s'attendre à le voir dans tous les cabinets ; cependant il n'y en a aucun où l'on ait pû le suivre exactement. Il y a des especes & même des individus qui, quoique dépendans du même genre & de la même espece, sont si disproportionnés pour le volume, que l'on ne peut pas les mettre les uns à côté des autres ; il en est de même pour les genres, & quelquefois aussi pour les classes. D'ailleurs on est souvent obligé d'interrompre l'ordre des suites ; parce qu'on ne peut pas concilier l'arrangement de la méthode avec la convenance des places. Cet inconvénient arrive souvent, lorsque l'espace total n'est pas proportionné au nombre des choses qui composent les collections : mais cette irrégularité ne peut faire aucun obstacle à l'étude de l'Histoire naturelle : car il n'est pas possible de confondre les choses de différens regnes & de différentes classes ; ce n'est que dans le détail des genres & des especes, que la moindre équivoque peut causer une erreur.

L'ordre méthodique qui, dans ce genre d'étude, plaît si fort à l'esprit, n'est presque jamais celui qui est le plus avantageux aux yeux. D'ailleurs, quoiqu'il ait bien des avantages, il ne laisse pas d'avoir plusieurs inconvéniens. On croit souvent connoître les choses, tandis que l'on n'en connoît que les numéros & les places : il est bon de s'éprouver quelquefois sur des collections, qui ne suivent que l'ordre de la symmétrie & du contraste. Le cabinet du Roi étoit assez abondant pour fournir à l'un & à l'autre de ces arrangemens ; ainsi dans chacun des genres qui en étoit susceptible, on a commencé par choisir une suite d'especes, & même de plusieurs individus, pour faire voir les variétés aussi-bien que les especes constantes ; & on les a rangés méthodiquement par genres & par classes. Le surplus de chaque collection a été distribué dans les endroits qui ont paru le plus favorables, pour en faire un ensemble agréable à l'oeil, & varié par la différence des formes & des couleurs. C'est-là que les objets les plus importans de l'Histoire naturelle sont présentés à leur avantage ; on peut les juger sans être contraint par l'ordre méthodique, parce qu'au moyen de cet arrangement, on ne s'occupe que des qualités réelles de l'individu, sans avoir égard aux caracteres arbitraires du genre de l'espece. Si on avoit toûjours sous les yeux des suites rangées méthodiquement, il seroit à craindre qu'on ne se laissât prévenir par la méthode, & qu'on ne vînt à négliger l'étude de la nature, pour se livrer à des conventions auxquelles elle n'a souvent que très-peu de part. Tout ce qu'on peut rassembler de ses productions, dans un cabinet d'histoire naturelle, devroit y être distribué dans l'ordre qui approcheroit le plus de celui qu'elle suit, lorsqu'elle est en liberté. Quoique contrainte, on pourroit encore l'y reconnoître, après avoir rassemblé dans un petit espace des productions qui sont dispersées au loin sur la terre ; mais pour peu que ces objets soient nombreux, on se croit obligé d'en faire des classes, des genres & des especes, pour faciliter l'étude de leur histoire : ces principes arbitraires sont fautifs pour la plûpart ; ainsi il ne faut les suivre rangés méthodiquement, que comme des indices qui conduisent à observer la nature dans les collections où elle paroît, sans presqu'aucun autre apprêt que ceux qui peuvent la rendre agréable aux yeux. Les plus grands cabinets ne suffiroient pas, si on vouloit imiter scrupuleusement les dispositions & les progressions naturelles. On est donc obligé, afin d'éviter la confusion, d'employer un peu d'art, pour faire de la symmétrie ou du contraste.

Tant qu'on augmente un cabinet d'histoire naturelle, on n'y peut maintenir l'ordre qu'en déplaçant continuellement tout ce qui y est. Par exemple, lorsqu'on veut faire entrer dans une suite une espece qui y manque, si cette espece appartient au premier genre, il faut que tout le reste de la suite soit déplacé, pour que la nouvelle espece soit mise en son lieu.... Quoique ce genre d'occupation demande de l'attention, & qu'il emporte toûjours beaucoup de tems, ceux qui font des collections d'histoire naturelle ne doivent point le négliger : on ne le trouvera point ennuyeux, ni même infructueux, si on joint au travail de la main l'esprit d'observation. On apprend toûjours quelque chose de nouveau en rangeant méthodiquement une collection ; car dans ce genre d'étude plus on voit, plus on sait. Les arrangemens qui ne sont faits que pour l'agrément, supposent aussi des tentatives inutiles ; ce n'est qu'après plusieurs combinaisons qu'on trouve un résultat satisfaisant dans les choses de goût : mais on est bien dédommagé de la peine qu'on a eue par le plaisir qu'on ressent, lorsqu'on croit avoir réussi. Ce qu'il y a de plus desagréable sont les soins que l'on est obligé de prendre pour conserver certaines pieces sujettes à un promt dépérissement ; l'on ne peut être trop attentif à tout ce qui peut contribuer à leur conservation, parce que la moindre négligence peut être préjudiciable. Heureusement toutes les pieces d'un cabinet ne demandent pas autant de soins les unes que les autres, & toutes les saisons de l'année ne sont pas également critiques.

Les minéraux en général ne demandent que d'être tenus proprement, & de façon qu'ils ne puissent pas se choquer les uns contre les autres ; il y en a seulement quelques-uns qui craignent l'humidité, comme les sels qui se fondent aisément, & les pyrites qui se fleurissent, c'est-à-dire qui tombent en poussiere. Mais les animaux & les végétaux sont plus ou moins sujets à la corruption. On ne peut la prévenir qu'en les desséchant le plus qu'il est possible, ou en les mettant dans des liqueurs préparées ; dans ce dernier cas, il faut empêcher que la liqueur ne s'évapore ou ne se corrompe. Les pieces qui sont desséchées demandent encore un plus grand soin ; les insectes qui y naissent & qui y trouvent leurs alimens, les détruisent dans l'intérieur avant qu'on les ait apperçûs. Il y a des vers, des scarabées, des teignes, des papillons, des mites, &c. qui s'établissent chacun dans les choses qui leur sont le plus convenables ; ils rongent les chairs, les cartilages, les peaux, les poils, & les plumes, ils attaquent les plantes, quoique desséchées avec le plus grand soin ; on sait que le bois même peut être réduit en poudre par les vers : les papillons ne font pas autant de mal que les scarabées ; & il n'y a que ceux qui produisent les teignes qui soient nuisibles. Tous ces insectes pullulent en peu de tems, & leur génération est si abondante, que le nombre en deviendroit prodigieux, si on n'employoit pas différens moyens pour les détruire. La plûpart de ces petits animaux commencent ordinairement à éclorre ou à se mettre en mouvement au mois d'Avril, lorsque le printems est chaud, ou au mois de Mai, lorsque la saison est plus tardive ; c'est alors qu'il faut tout visiter, & examiner si on n'appercevra pas la trace de ces insectes, qui est ordinairement marquée par une petite poussiere qu'ils font tomber des endroits où ils sont logés ; dans ce cas il y a déjà du mal de fait ; ils ont rongé quelque chose : ainsi on ne doit point perdre de tems, il faut travailler à les détruire. On doit observer ces petits animaux jusqu'à la fin de l'été ; dans ce tems il n'en reste plus que des oeufs, ou bien ils sont arrêtés & engourdis par le froid. Voilà donc environ cinq mois pendant lesquels il faut veiller sans-cesse ; mais aussi pendant le reste de l'année, on peut s'épargner ce soin.

Il suffit en général de garantir l'intérieur d'un cabinet du trop grand froid, de la trop grande chaleur, & sur-tout de l'humidité. Si les animaux desséchés, particulierement ceux de la mer, qui restent toûjours imprégnés de sel marin, étoient exposés à l'air extérieur dans les grandes gelées, après avoir été imbibés de l'humidité des brouillards, des pluies, ou des dégels, ils seroient certainement altérés & décomposés en partie, par l'action de la gelée & par de si grands changemens de température. Aussi pendant la fin de l'autonne & pendant tout l'hyver, on ne peut mieux faire que de tenir tous les cabinets bien fermés, il ne faut pas craindre que l'air devienne mauvais pour n'avoir pas été renouvellé : il ne peut avoir de qualité plus nuisible que celle de l'humidité. D'ailleurs les salles des cabinets sont ordinairement assez grandes pour que l'air y circule aisément : au reste en choisissant un tems sec, on pourroit les ouvrir au milieu du jour. Pendant l'été on a moins à craindre de l'humidité : mais la chaleur produit de mauvais effets, qui sont la fermentation & la corruption. Plus l'air est chaud, plus les insectes sont vigoureux, plus leur multiplication est facile & abondante, plus les ravages qu'ils font sont considérables : il faut donc parer les rayons du soleil par tous les moyens possibles, & ne jamais donner l'entrée à l'air du dehors, que lorsqu'il est plus frais que celui du dedans. Il seroit à souhaiter que les cabinets d'histoire naturelle ne fussent ouverts que du côté du nord ; cette exposition est celle qui leur convient le mieux, pour les préserver de l'humidité de l'hyver, & des chaleurs de l'été.

Enfin par rapport à la distribution & aux proportions de l'intérieur, comme les planchers ne doivent pas être fort élevés, on ne peut pas faire de très-grandes salles ; car si l'on veut décorer un cabinet avec le plus d'avantage, il faut meubler les murs dans toute leur hauteur, & garnir le plat-fond comme les murs, c'est le seul moyen de faire un ensemble qui ne soit point interrompu ; & même il y a des choses qui sont mieux en place étant suspendues, que par-tout ailleurs. Mais si elles se trouvent trop élevées, on se fatigueroit inutilement à les regarder sans pouvoir les bien distinguer. En pareil cas, l'objet qu'on n'apperçoit qu'à demi, est toûjours celui qui pique le plus la curiosité : on ne peut guere voir un cabinet d'histoire naturelle, sans une certaine application qui est déjà assez fatiguante, quoique la plûpart de ceux qui y entrent, ne prétendent pas en faire une occupation sérieuse, cependant la multiplicité & la singularité des objets fixent leur attention.

Par rapport à la maniere de placer & de présenter avantageusement les différentes pieces d'histoire naturelle, je crois que l'on a toûjours à choisir. Il y en a plusieurs qui peuvent être aussi convenables les unes que les autres pour le même objet ; c'est au bon goût à servir de regle " M. Daubenton ne prétend entrer dans aucune discussion à cet égard, il s'est contenté dans sa description du cabinet du Roi, de rapporter la façon dont les choses de différens genres y sont disposées, & en même tems les moyens de les conserver.

Me sera-t-il permis de finir cet article par l'exposition d'un projet qui ne seroit guere moins avantageux qu'honorable à la nation ? Ce seroit d'élever à la nature un temple qui fût digne d'elle. Je l'imagine composé de plusieurs corps de bâtimens proportionnés à la grandeur des êtres qu'ils devroient renfermer : celui du milieu seroit spacieux, immense, & destiné pour les monstres de la terre & de la mer : de quel étonnement ne seroit-on pas frappé à l'entrée de ce lieu habité par les crocodiles, les éléphans & les baleines ? On passeroit de-là dans d'autres salles contiguës les unes aux autres, où l'on verroit la nature dans toutes ses variétés & ses dégradations. On entreprend tous les jours des voyages dans les différens pays, pour en admirer les raretés ; croit-on qu'un pareil édifice n'attireroit pas les hommes curieux de toutes les parties du monde, & qu'un étranger un peu lettré pût se resoudre à mourir, sans avoir vû une fois la nature dans son palais ? Quel spectacle que celui de tout ce que la main du tout-puissant a répandu sur la surface de la terre, exposé dans un seul endroit ! Si je pouvois juger du goût des autres hommes par le mien, il me semble que pour joüir de ce spectacle, personne ne regretteroit un voyage de cinq ou six cent lieues ; & tous les jours ne fait-on pas la moitié de ce chemin pour voir des morceaux de Raphael & de Michel-Ange ? Les millions qu'il en coûteroit à l'état pour un pareil établissement, seroient payés plus d'une fois par la multitude des étrangers qu'il attireroit en tout tems. Si j'en crois l'histoire, le grand Colbert leur fit autrefois acquiter la magnificence d'une fête pompeuse, mais passagere. Quelle comparaison entre un carrousel & le projet dont il s'agit ? & quel tribut ne pourrions-nous pas en espérer de la curiosité de toutes les nations ?

CABINETS SECRETS, (Physique) sorte de cabinets dont la construction est telle que la voix de celui qui parle à un bout de la voûte, est entendue à l'autre bout : on voit un cabinet ou chambre de cette espece à l'Observatoire royal de Paris. Tout l'artifice de ces sortes de chambres consiste en ce que la muraille auprès de laquelle est placée la personne qui parle bas, soit unie & cintrée en ellipse ; l'arc circulaire pourroit aussi convenir, mais il seroit moins bon. Voici pourquoi les voutes elliptiques ont la propriété dont nous parlons. Si on imagine (fig. 16. n°. 3. Pneumatique.) une voûte elliptique A B C, dont les deux foyers soient F & f (voyez ELLIPSE), & qu'une personne placée au point F parle tout aussi bas qu'on peut parler à l'oreille de quelqu'un, l'air poussé suivant les directions F D, F C, F O, &c. se réfléchira à l'autre foyer f par la propriété de l'ellipse qui est connue & démontrée en Géométrie ; d'où il s'ensuit qu'une personne qui auroit l'oreille à l'endroit f, doit entendre celui qui parle en F aussi distinctement que si elle en étoit tout proche.

Les endroits fameux par cette propriété étoient la prison de Denys à Syracuse, qui changeoit en un bruit considérable un simple chuchotement, & un claquement de mains en un coup très-violent ; l'aquéduc de Claude, qui portoit la voix, dit-on, jusqu'à seize milles ; & divers autres rapportés par Kircher dans sa Phonurgie.

Le cabinet de Denys à Syracuse, étoit, dit-on, de forme parabolique : Denys ayant l'oreille au foyer de la parabole, entendoit tout ce qu'on disoit en-bas parce que c'est une propriété de la parabole, que toute action qui s'exerce suivant des lignes paralleles à l'axe, se réfléchit au foyer. Voyez PARABOLE & FOYER.

Ce qu'il y a de plus remarquable sur ce point en Angleterre, c'est le dome de l'église de saint Paul de Londres, où le battement d'une montre se fait entendre d'un côté à l'autre, & où le moindre chuchotement semble faire le tour du dome. M. Derham dit que cela ne se remarque pas seulement dans la galerie d'embas, mais au-dessus dans la charpente, où la voix d'une personne qui parle bas, est portée en rond au-dessus de la tête jusqu'au sommet de la voute, quoique cette voute ait une grande ouverture dans la partie supérieure du dome.

Il y a encore à Glocester un lieu fameux dans ce genre ; c'est la galerie qui est au-dessus de l'extrémité orientale du choeur, & qui va d'un bout à l'autre de l'église : deux personnes qui parlent bas, peuvent s'entendre à la distance de vingt-cinq toises. Tous les phénomenes de ces différens lieux dépendent à-peu-près des mêmes principes. Voyez ECHO & PORTE-VOIX. (O)


CABIRESS. m. plur. (Mythologie) divinités du Paganisme révérées particulierement dans l'île de Samothrace. Ces dieux étoient, selon quelques-uns, Pluton, Proserpine & Cerès ; & selon d'autres, c'étoient toutes les grandes divinités des Payens. Ce nom est hébreu ou phénicien d'origine, cabir, & signifie grand & puissant. Mnascas met ces dieux au nombre de trois ; Axierès, Cerès ; Axiocersa, Proserpine ; & Axiocersus, Pluton, auxquels Dionysiodore ajoûte un quatrieme nommé Casimil, c'est-à-dire Mercure. On croyoit que ceux qui étoient initiés dans les mysteres de ces dieux, en obtenoient tout ce qu'ils pouvoient souhaiter ; mais leurs prêtres avoient affecté de répandre une si grande obscurité sur ces mysteres, qu'on regardoit comme un sacrilége de prononcer seulement en public le nom de ces dieux : de-là vient que les anciens se sont contentés de parler des mysteres de Samothrace & du culte des dieux Cabires, comme d'une chose très-respectable, mais sans entrer dans le moindre détail. M. Pluche, dans son histoire du Ciel, dit que les figures de ces dieux venues d'Egypte en Phénicie, & de-là en Grece, portoient sur la tête des feuillages, des cornes, des ailes & des globes, qui, ajoûte cet auteur, ne pouvoient pas manquer de paroître ridicules à ceux qui ne comprenoient pas la signification de ces symboles, comme il arriva à Cambyse, roi des Perses, en entrant dans leur temple. Mais ces mêmes figures, si singulieres en apparence, désignoient Osiris, Isis & Horus, qui enseignoient au peuple à se précautionner contre les ravages de l'eau. Voilà, selon lui, à quoi se réduisoit tout l'appareil de ces mysteres, à apprendre à ceux qui y étoient initiés, une vérité fort simple & fort commune.

CABIRES, dans Origene contre Celse, se prend pour les anciens persans qui adoroient le soleil & le feu. Hyde dans son histoire de la religion des anciens Persans, confirme cette étymologie : Cabiri, dit-il ch. xxjx. sunt Gabri, voce persicâ aliquantulum detortâ ; c'est-à-dire que du mot Gabres ou Guebres, qui est persan, on a fait celui de Cabires. Voyez GUEBRES. (G)


CABIRIESS. f. pl. (Myth.) fêtes que les anciens habitans de Lemnos & de Thebes célébroient en l'honneur des dieux Cabires.

Cette fête passoit pour être très ancienne, & antérieure au tems même de Jupiter, qui la renouvella à ce qu'on dit. Les cabiries se célébroient pendant la nuit, & l'on y consacroit les enfans depuis un certain âge. Cette consécration étoit, selon l'opinion payenne, un préservatif contre tous les dangers de la mer.

La cérémonie de la consécration, appellée , ou , consistoit à mettre l'initié sur un throne, autour duquel les prêtres faisoient des danses. La marque des initiés étoit une ceinture ou écharpe d'un ruban couleur de pourpre.

Quand on avoit commis quelque meurtre, c'étoit un asyle que d'aller aux sacrifices des cabiries. Meursius produit les preuves de tout ce que nous venons d'avancer. (G)


CABITA(Géog.) une des îles Philippines, avec un port, à deux lieues de Manilla.


CABLAN(Géog.) ville & royaume d'Asie dans l'Inde, au-delà du Gange, dépendant du roi d'Ava.


CABLES. m. (Corderie) se dit en général de tous cordages nécessaires pour traîner & enlever les fardeaux. Ceux qu'on nomme brayers, en Architecture, servent pour lier les pierres, baquets à mortier, bouriquets à moilon, & c. les haubans, pour retenir & haubaner les engins, grues & gruaux, &c. les vintaines, qui sont les moindres cordages, pour conduire les fardeaux en les montant, & pour les détourner des saillies & des échafauds : ils servent aussi à attacher les boulins pour former les échafauds. On dit bander, pour tirer un cable. Ce mot vient du latin capulum ou caplum, fait du verbe capere, prendre. Voy. BANDER. (P)

CABLE, s. m. en Marine, que quelques-uns écrivent & prononcent chable : ce dernier n'est point usité par les gens de mer. C'est une grosse & longue corde ordinairement de chanvre, faite de trois hansieres, dont chacune a trois torons. V. HANSIERE & TORON.

Le cable sert à tenir un vaisseau en rade ou en quelqu'autre lieu. On appelle aussi cables, les cordes qui servent à remonter les grands bateaux dans les rivieres, & à élever de gros fardeaux dans les bâtimens, par le moyen des poulies.

Il y a ordinairement quatre cables dans les vaisseaux, & le plus gros s'appelle maître-cable. Ce maître-cable est long de 120 brasses & cela est cause que le mot de cable se prend aussi pour cette mesure ; desorte que quand on dit qu'on mouille à deux ou trois cables de terre ou d'un vaisseau, on veut dire qu'on en est à la distance de 240 ou 360 brasses. A l'égard de la fabrique des cables voyez CORDAGE, CORDE, & CORDERIE.

Les plus petits vaisseaux ont au moins trois cables. Il y a le cable ordinaire, le maître-cable, & le cable d'affourché, qu'on nomme aussi groslin, qui est le plus petit. La longueur la plus ordinaire de ces cables est de 110 & de 120 brasses.

On proportionne souvent la grosseur du cable de la moyenne ancre à la longueur du vaisseau, & on lui donne un pouce d'épais pour chaque dix piés de cette longueur. On se sert bien aussi de ces mêmes cables pour la maîtresse ancre. Lorsqu'on mou ille dans un très-mauvais tems, on met jusqu'à deux cables à une même ancre, afin qu'ils ayent plus de force, & qu'en même tems l'ancre puisse joüer plus facilement.

Un vaisseau de 134 piés de long de l'étrave à l'étambord, doit être pourvû de quatre cables de treize pouces de circonférence & de 100 brasses de long, & d'un autre de douze pouces.

Mais les vaisseaux de guerre sont pourvûs de cables de 120 brasses, afin qu'ils joüent plus aisément sur l'ancre. Ces cables ont vingt à vingt-deux pouces de circonférence, & sont composés de trois hansieres : chaque hansiere est de trois torons, & chaque toron est de trois cordons & d'environ 600 fils ; desorte que le cable entier est de 1800 fils, pris à 20 pouces de circonférence, & il doit peser 9500 livres sans être goudronné. Ces proportions peuvent cependant varier un peu ; & ne sont pas toûjours également suivies.

Quelques-uns reglent sur la largeur du vaisseau les proportions des cables, & donnent autant de demi-pouces de circonférence au maître-cable, que le vaisseau a de piés de largeur. D'autres font tous les cables presque d'égale grosseur pour les navires de guerre ; mais pour les navires marchands, dont les équipages sont foibles, c'est-à-dire qui ont peu de monde, on ne leur donne qu'un gros cable pour maître-cable ; & on fait le cable ordinaire d'un huitieme plus leger, & le cable d'affourché encore plus leger d'un autre huitieme.

Le cable de toue n'est qu'une simple hansiere, & l'on ne s'en sert ordinairement que dans les rivieres, & dans les endroits où les bancs rendent le chenal étroit & le resserrent.

Le cable d'affourché sert avec le cable ordinaire ou avec le maître-cable ; parce que si les vaisseaux n'étoient que sur une ancre ou sur un cable, ils ne manqueroient pas de tourner au premier changement de vent & de marée, ce qui pourroit nuire à la sûreté du vaisseau.

Les cables, & cordages dont on se sert dans les vaisseaux, ont depuis trois pouces jusqu'à 20 & 22 pouces de circonférence, & sont composés d'un plus grand nombre de fils, selon leur grosseur : on en auroit pû joindre ici une table, de même que de leur poids ; mas on le trouvera à l'article de la CORDERIE.

Quoiqu'on ait dit ci-devant que les vaisseaux ont ordinairement quatre cables, les vaisseaux du roi en sont mieux pourvûs. Le vaisseau le dauphin royal, du premier rang, avoit quatre cables de 32 pouces de circonférence & de 120 brasses de long, pesant chacun 9650 livres en blanc, & 12873 liv. goudronné ; quatre cables de vingt-deux pouces de circonférence, pesant chacun 8900 livres en blanc, & 11869 livres goudronné ; deux de douze pouces, pesant chacun 2620 livres en blanc, & 3495 livres goudronnés ; deux de onze pouces, pesant 1157 livres en blanc, & 2872 livres goudronnés : un tournevire de douze pouces de circonférence & de soixante brasses de longueur, pesant 1400 liv. blanc, & 1866 liv. goudronné. Voyez GOUDRONNERIE.

Bitter le cable, voyez BITTER.

Couper le cable, le tailler ; c'est le couper à coups de hache sur l'écubier, & abandonner l'ancre, afin de mettre plus vîte à la voile, soit pour éviter d'être surpris par le gros tems ou par l'ennemi, soit dans le dessein de chasser sur quelque vaisseau, n'ayant pas alors le loisir de lever l'ancre & de retirer le cable. On laisse alors une boüée sur l'ancre attachée avec une corde, par le moyen de laquelle on sauve l'ancre & le cable qui y tient, lorsqu'on peut renvoyer le chercher.

Lever un cable, c'est le mettre en rond en maniere de cerceau, pour le tenir prêt à le filer, & en donner ce qu'il faut pour la commodité du mouillage.

Donner le cable à un vaisseau, c'est secourir un vaisseau qui est incommodé ou qui marche mal ; ce qu'on fait en le toüant ou en le remorquant par l'arriere d'un autre vaisseau. En terme de Marine, cela s'appelle tirer en ouaiche.

Laisser traîner un cable sur le sillage du vaisseau ; cette manoeuvre se fait pour ralentir la course du vaisseau. Les vaisseaux corsaires se servent assez volontiers de cette ruse pour contrefaire les méchans voiliers.

Les cables sont dits avoir un demi-tour ou un tour, lorsqu'un vaisseau qui est mouillé & affourché, a fait un tour ou deux en obéissant au vent ou au courant de la mer ; ensorte qu'il ait croisé ou cordonné près des écubiers les cables qui les tiennent.

Filer du cable, c'est lâcher & laisser descendre le cable. Filer le cable bout pour bout, c'est lâcher & abandonner tout le cable qui tient l'ancre, & le laisser aller à la mer avec l'ancre, quand on n'a pas le tems de la lever.

Le cable à pic, c'est lorsque le vaisseau approchant de l'ancre qui est mouillée, ce cable commence à se roidir pour être à pic, c'est-à-dire perpendiculaire. (Z)


CABLÉadj. en termes d'Architecture, se dit des cannelures qui sont relevées & contournées en forme de cables. Voyez CANNELURE. (P)

CABLE, en termes de Blason, se dit d'une croix faite de deux bouts de cable de vaisseau, ou bien d'une croix couverte & entortillée de corde ; ce qu'on appelle plus proprement croix cordée. Voyez CROIX & CORDEE. (V)


CABLEAUS. m. (Marine) on se sert de ce mot pour le diminutif d'un cable : on l'applique communément à la corde qui sert d'amarre à la chaloupe d'un vaisseau lorsqu'elle est mouillée.

On appelle aussi cableau ou cincenelle, cette longue corde dont les bateliers se servent pour tirer les bateaux en remontant les rivieres. (Z)


CABLERterme de Boutonnier ; c'est assembler plusieurs fils ou cordons, au moyen d'un instrument nommé sabot ; & les tordre avec un roüer, pour en former un cordon plus gros. Voyez SABOT.


CABLIAUXS. m. pl. (Hist. mod.) nom de factieux qui troublerent la Hollande en 1350. Ils le prirent du poisson appellé cabliau, & ils promettoient de dévorer leurs adversaires, comme le cabliau dévore les autres poissons. La faction opposée se fit appeller des Hoeckens ou Hameçonniers.


CABO(Géog.) royaume d'Afrique dans la Nigritie, sur le Riogrande, vers le sud.


CABO-CORSO(Géog.) cap. d'Afrique sur la côte d'Or de Guinée, auprès duquel les Anglois ont une importante forteresse. Long. 18. 20. lat. 4. 40.


CABO-MISERADO(Géogr.) cap d'Afrique sur la côte de Malaguette, près d'une riviere nommée Duro.


CABOCEIRou CABACEIRA, (Géogr.) presqu'île attachée au continent de l'Afrique près de Mosambique, par une langue de terre que la mer couvre lorsqu'elle est haute. Elle est fort près & vis-à-vis de l'île Saint George.


CABOCHES. f. terme de Cloutier, espece de clous qu'on nomme plus souvent clous à souliers, parce que le menu peuple & les ouvriers de la campagne en font garnir le dessous du talon & de la semelle de leurs souliers, afin qu'ils durent plus long-tems. Il y a deux sortes de caboches ; les unes qu'on nomme à deux têtes, & les autres à tête de diamant. En général, ces sortes de clous sont courts, & ont la tête large.


CABOCHÉadj. terme de Blason, se dit d'une tête d'animal coupée derriere les oreilles par une section parallele à la fasce, ou par une section perpendiculaire ; au lieu qu'on diroit coupé, si la section étoit faite horisontalement. (A)


CABOCHONS. m. terme de Joaillier, pierre précieuse qui n'est que polie, & qu'on a laissée telle qu'on l'a trouvée, c'est-à-dire à laquelle on a seulement ôté ce qu'elle avoit de brut, sans lui donner aucune figure particuliere. On dit sur-tout rubis-cabochon. Voyez RUBIS.


CABOLETTO(Commerce) monnoie d'Italie usitée dans les états de la république de Genes, qui vaut environ quatre sous de notre argent.


CABOTpoisson de mer. Voyez MULET.


CABOTAGES. m. (Marine) on appelle ainsi la navigation le long des côtes. On entend aussi par ce mot la connoissance des mouillages, bancs, courans & marée que l'on trouve le long d'une côte.


CABOTERv. neut. terme de Marine, pour dire aller de cap en cap, de port en port, naviguant le long des côtes.


CABOTTIERES. f. (Commerce) barque plate, longue & étroite, d'environ trois piés de profondeur, avec un gouvernail très-long, fait en forme de rame. Cette espece de bateau n'est utile qu'au commerce qui se fait par la riviere d'Evre. Cette riviere prend sa source du côté de Chartres, passe à Dreux, & se jette dans la Seine à un quart de lieue au-dessus du Pont-de-l'Arche. (Z)


CABOUCHAN(Géog.) ville d'Asie dans le Corasan, dépendante de Nichabour.


CABRA(Géog.) ville d'Afrique au royaume de Tombut dans la Nigritie, sur le bord du Sénégal. Long. 18. 25. lat. 15. 10.


CABRÉadj. en terme de Blason, se dit d'un cheval acculé.

La Chevalerie dans le Maine, de gueules aux cheval cabré d'argent.


CABRERv. pass. se cabrer, (Manege) se dit des chevaux qui se levent & dressent sur les piés de derriere, prêts à se renverser lorsqu'on leur tire trop la bride, ou qu'ils sont vicieux ou fougueux. Lorsqu'un cheval se cabre plusieurs fois de suite, & se jette si haut sur les jambes de derriere qu'il est en péril de se renverser, on appelle ce desordre faire des ponts-levis : il faut que le cheval ait beaucoup de force, & lui rendre la main à propos, autrement ces ponts-levis sont très-dangereux. Le moyen de rendre obéissant un poulain sujet à se cabrer souvent & à desobéir, est de prendre le tems que ses piés de devant retombent à terre, & lui appuyer alors fortement des deux. (V)


CABRERA(Géog.) contrée d'Espagne dans la partie septentrionale du royaume de Léon.


CABRERou CAPRARIA, (Géog.) petite île d'Espagne dans la mer Méditerranée, à peu de distance de celle de Mayorque.


CABRESS. f. c'est ainsi qu'on appelle, dans les Manufactures d'ouvrages en soie, deux pieces de bois de sept à huit piés de longueur, soûtenues d'un côté par des piés qui les traversent dans une mortaise de neuf à dix pouces de hauteur en-dehors. On s'en sert pour placer l'ensuple quand on plie les chaînes, ou qu'on les met sur l'ensuple.


CABRESTAN(Géog.) petite ville d'Afrique dans une plaine formée par les montagnes qui regnent le long du golfe Persique.


CABRIOLou CAPRIOLE, s. f. terme de Danse, élévation du corps, saut leger & agile que les danseurs font ordinairement à la fin des cadences.

Friser la cabriole, c'est agiter les piés avec vîtesse tandis qu'ils sont en l'air. En matiere de danse, la cabriole est la même chose que le saut. La demi-cabriole est lorsqu'on ne retombe que sur l'un des piés. Voyez SAUT.

CABRIOLE, en terme de Manege, est un saut vif que le cheval fait sans aller en avant, de façon qu'étant en l'air il montre les fers, détache des ruades aussi loin qu'il peut les porter, & fait du bruit avec les piés. Ce mot vient de capreolare, & celui-ci de capreolus.

La cabriole est la plus difficile de toutes les ruades. Il y a plusieurs sortes de cabrioles : cabriole droite ; cabriole en arriere, cabriole de côté, cabriole battue ou grisée, cabriole ouverte. Lever à cabriole, voyez LEVER ; voyez aussi SAUTER. (V)


CABROLLEpoisson de mer. Voyez BICHE.


CABRUou CAPRUS, (Myth.) dieu particulier qu'on honoroit à Phaselis, ville de Pamphilie : on ne lui offroit en sacrifice que du poisson salé : ce qui donna lieu de nommer proverbialement un repas de poisson salé, un sacrifice de Phaselites.


CABUJA(Hist. nat. bot.) plante d'Amérique dont les feuilles ressemblent beaucoup à celles du chardon. On dit que les Américains travaillent cette plante comme nous faisons le chanvre & le lin, & qu'ils s'en servent pour faire du fil & des cordes.


CABUou CABOUL, (Géog.) grande ville d'Asie dans les Indes, capitale du Cabulistan, avec deux bons châteaux.


CABULISTAou CABOULISTAN, province d'Asie dans l'empire du Mogol, bornée au nord par la Tartarie, à l'est par la Cachemire, à l'ouest par le Zabulistan & le Candahar, au sud par le Multan. On y trouve des mines de fer, des bois aromatiques, & plusieurs sortes de drogues. Ce pays, peu fertile d'ailleurs, est cependant riche par le commerce.


CABURA(Géog.) endroit de la Mésopotamie où il y a, dit-on, une fontaine dont les eaux ont une odeur douce & agréable. Pline qui en parle, dit que cette odeur leur fut laissée par Junon qui s'y baigna une fois.


CABURLAUTpoisson de mer ; voyez CHABOT.


CAÇAÇA(Géog.) ville d'Afrique au royaume de Fez, proche Melille.


CACALIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est un bouquet à fleurons découpés en quatre parties, portés par un embryon, & soûtenus par un calice cylindrique. Lorsque la fleur est passée, chaque embryon devient une graine garnie d'une aigrette. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

* On dit que sa racine macérée dans du vin, ou mâchée seule, soulage dans la toux ; & que ses baies pulvérisées & réduites en cérat, adoucissent la peau & effacent les rides.


CACAou CACAOYER, s. m. (Hist. nat.) arbre étranger.

Sa description. Le cacaoyer est un arbre d'une grandeur & d'une grosseur médiocres, qui augmentent ou diminuent selon la qualité du fonds où il vient.

Sur la côte de Caraque, par exemple, il prend beaucoup plus de croissance que dans nos îles Françoises.

Son bois est poreux & fort leger : son écorce est assez unie, & de couleur de canelle plus ou moins foncée, suivant l'âge de l'arbre.

Ses feuilles sont longues d'environ neuf pouces sur quatre, dans le fort de leur largeur, qui diminue vers les deux extrémités où elles se terminent en pointe ; leur couleur est d'un verd un peu foncé, mais plus clair en-dessus qu'en-dessous ; elles sont attachées à des pédicules longs de trois pouces, & d'une ligne de diametre. L'allongement de ces pédicules forme le long du milieu de chaque feuille une côte droite un peu relevée, qui depuis sa naissance jusqu'au bout va en diminuant ; & de part & d'autre de cette côte sortent alternativement treize à quatorze nervures obliques.

Comme ces feuilles ne tombent guere que successivement, & à mesure que d'autres les remplacent, l'arbre ne paroît jamais dépouillé : il fleurit en tout tems ; mais plus abondamment vers les deux solstices que dans les autres saisons.

Ses fleurs qui sont régulieres & en rose, mais fort petites & sans odeur, sortent par bouquets des aisselles des anciennes feuilles, dont on apperçoit encore, pour ainsi dire, les cicatrices aux endroits où l'arbre s'en étoit autrefois dépouillé. Une grande quantité de ces fleurs coulent, & à peine de mille y en a-t-il dix qui nouent ; ensorte que la terre qui est au-dessous paroît toute couverte de ces fausses fleurs.

Chaque fleur est attachée à l'arbre par un pédicule délié, & long de cinq à six lignes ; & quand elle est encore en bouton, elle n'a qu'environ deux lignes de diametre, sur deux & demie ou trois tout au plus de longueur. Plus elle est petite par rapport à l'arbre & au fruit, plus elle m'a paru singuliere & digne d'attention.

Lorsque le bouton vient à s'épanoüir, on peut considérer le calice, le feuillage & le coeur de la fleur.

Le calice se forme de l'enveloppe du bouton, divisée en cinq parties ou feuilles de couleur de chair fort pâle.

Les cinq véritables feuilles de même couleur leur succedent, & remplissent les vuides ou séparations du calice. Ses feuilles ont deux parties, l'une qui est au-dessous en forme de tasse oblongue, panachée intérieurement de pourpre, se recourbe vers le centre par le moyen d'une étamine qui lui sert comme de lien, d'où sort ensuite au-dehors l'autre partie de la feuille, qui semble en être séparée, & est formée en maniere de fer de pique.

Le coeur de la fleur est composé de cinq filets & de cinq étamines, avec le pistil au milieu ; les filets sont droits, de couleur de pourpre, & disposés vis-à-vis des intervalles des feuilles ; les étamines sont blanches & courbes en-dehors, avec une espece de bouton au sommet qui s'engage dans le milieu de chaque feuille pour la soûtenir.

Quand on observe ces menues parties avec le microscope, on diroit que la pointe des filets est argentine, & que les étamines sont de crystal, aussi-bien que le pistil que la nature semble avoir placé au centre, en forme de filet blanc, ou pour être les prémices du jeune fruit ou pour lui servir de défense, s'il est vrai que cet embryon ne se produise & ne se développe qu'à sa base.

Le cacaoyer porte presque toute l'année des fruits de tout âge, qui mûrissent successivement, mais qui ne viennent point au bout des petites branches, comme nos fruits en Europe, mais le long de la tige & des meres branches ; ce qui n'est pas rare en ces pays-là, où plusieurs arbres ont la même propriété : tels sont les cocotiers, les abricotiers de S. Domingue, les calebassiers, les papayers, &c.

Le fruit du cacao est contenu dans une cosse, qui d'une extrème petitesse parvient en quatre mois à la grosseur & à la figure d'un concombre qui seroit pointu par le bas, & dont la surface seroit taillée en côte de melon.

Cette gousse dans les premiers mois est ou rouge ou blanche, ou mêlée de rouge & de jaune ; & cette variété de couleur fait trois sortes d'arbres de cacao, qui n'ont entr'eux que cette seule difference, que je ne crois pas suffisante pour établir trois especes de cacao.

La premiere est d'un rouge vineux & foncé principalement sur les côtes, lequel devient plus clair & plus pâle en mûrissant.

La seconde qui est la blanche, est au commencement d'un verd si clair, qu'il en paroît blanc ; peu-à-peu elle prend la couleur de citron ; & se colorant toûjours de plus en plus, elle devient enfin tout-à-fait jaune dans sa maturité.

La troisiéme, qui est rouge & jaune tout ensemble tient un milieu entre ces deux premieres ; car en mûrissant la rouge pâlit, & la jaune se renforce.

On a remarqué que les cosses blanches sont plus trapues que les autres, sur-tout du côté qu'elles tiennent à l'arbre ; & que les cacaoyers de cette sorte en rapportent communément davantage.

Si l'on fend une de ces cosses suivant sa longueur, on trouve qu'elle a environ quatre lignes d'épaisseur & que sa capacité est pleine d'amandes de cacao, dont les intervalles sont remplis avant leur maturité d'une substance blanche & ferme, mais qui se change enfin en une espece de mucilage d'une acidité charmante ; c'est pourquoi on se donne souvent le plaisir de mettre de ces amandes de cacao avec leurs enveloppes dans la bouche, pour la rafraîchir agréablement, & pour étancher la soif : mais on se garde bien d'y appuyer la dent, parce qu'en perçant la peau du cacao on sentiroit une amertume extrème.

Lorsqu'on examine avec attention la structure intérieure de ces cosses, & qu'on en anatomise, pour ainsi dire, toutes les parties, on trouve que les fibres de la queue du fruit passant à-travers la cosse se partagent en cinq branches ; que chacune de ces branches se divise en plusieurs filamens, qui se terminent chacun au gros bout d'une des amandes ; & que le tout ensemble forme comme une espece de grappe de vingt, vingt-cinq, trente à trente-cinq grains au plus, rangés & appliqués l'un contre l'autre dans la cosse avec un ordre merveilleux.

Après un grand nombre d'expériences, on n'en trouve ni moins ni plus de vingt-cinq : peut-être qu'à force de chercher les plus grosses cosses, dans les fonds les plus féconds, & sur les sujets les plus vigoureux, on en pourroit trouver de quarante amandes ; mais comme cela n'ira jamais au-delà, il est de même certain qu'on ne trouvera point de cosses qui en ayent au-dessous de quinze, à moins que ce ne soient des cosses avortées, ou le fruit de quelqu'arbre fatigué, c'est-à-dire usé de vieillesse, de méchant fonds, ou par defaut de culture.

Lorsqu'on ôte la peau à quelqu'une des graines de cacao, on découvre la substance de l'amende, qui paroît tendre, lisse, un peu violette, & comme divisée en plusieurs lobes, quoique dans la vérité elle n'en ait que deux, mais fort irréguliers, & fort embarrassés l'un dans l'autre.

Enfin coupant l'amande en deux suivant la longueur, on trouve à l'extrémité du gros bout une espece de grain cylindrique de deux lignes de long, sur demi-ligne de diametre, qui est le vrai germe de la plante ; au lieu que dans nos amandes européennes cette partie est placée à l'autre bout.

On peut voir même en France cette irrégularité de lobes, & le germe du cacao, dans les amandes rôties & mondées pour faire le chocolat.

Du choix & de la disposition du lieu pour planter une cacaoyere. Le cacaoyer croît naturellement dans plusieurs contrées de la zone torride de l'Amérique, mais particulierement au Mexique, dans les provinces de Nicarague & de Guatimale, comme aussi le long des bords de la riviere des Amazones, & sur la côte de Caraque, c'est-à-dire, depuis Comana jusqu'à Carthage, & à l'île d'Or ; on en a même trouvé quelques-uns dans les bois de la Martinique.

Les Espagnols & les Portugais ont été les premiers à qui les Indiens ont donné connoissance du cacao ; ils en ont long-tems usé sans le communiquer aux autres nations.

En 1649 on ne connoissoit encore aux îles du Vent qu'un seul arbre de cacao, planté par curiosité dans le jardin d'un anglois habitant de l'île de Sainte-Croix. En 1655 les Caraïbes montrerent à M. du Parquet le cacaoyer, dans les bois de l'île de la Martinique dont il étoit seigneur : cette découverte donna lieu à plusieurs autres de même espece, dans les mêmes bois de la Capestere de cette île, & c'est apparemment aux graines qu'on en tira, que les cacaoyeres qu'on y a depuis plantées doivent leur origine. Un Juif nommé Benjamin y planta la premiere vers l'année 1660 : mais ce ne fut que vingt ou vingt-cinq ans après, que les habitans de la Martinique commencerent à s'appliquer à la culture du cacao, & à planter des cacaoyeres.

On appelle une cacaoyere, une espece de verger d'arbres de cacao plantés au cordeau, à-peu-près comme nous disons en France une cerisaie, une pommeraie, une prunelaie, une figuerie, &c.

Lorsqu'on veut planter une cacaoyere, il faut surtout choisir la situation du lieu & la nature du terroir qui lui conviennent.

Le cacaoyer demande un lieu plat, humide, & à l'abri des vents, une terre neuve, & pour ainsi dire vierge, médiocrement grasse, meuble & profonde ; c'est pourquoi les fonds nouvellement défrichés, dont la terre est noire & sablonneuse, qu'une riviere tient frais, & que les coteaux ou mornes d'alentour (pour parler le langage du pays) mettent à couvert des vents, sur-tout du côté de la mer, sont préférables à toute autre situation ; & l'on ne manque guere de les mettre à cet usage, quand on est assez heureux pour en avoir de semblables.

J'entends par fonds nouvellement défrichés, ceux dont le bois vient d'être abattu exprès pour cela ; car il faut remarquer qu'on place encore aujourd'hui toutes les cacaoyeres au milieu des bois, de même qu'on a fait depuis la création du monde ; & cela pour deux raisons très-essentielles ; le premiere, afin que le bois debout qui reste autour leur serve d'abri ; & la seconde, afin qu'elles donnent moins de peine à sarcler, la terre qui n'a jamais produit d'herbe n'en poussant que peu faute de graines.

Aux cacaoyeres plantées sur des éminences, la terre n'a pas assez d'humidité ni assez de profondeur, & ordinairement le pivot ou la maîtresse racine, qui seule s'enfonce à-plomb dans la terre, ne peut percer le tuf qu'elle rencontre bien-tôt : les vents d'ailleurs y ayant plus de prise, font couler les fleurs noüées, & pour peu qu'ils soient forts, abattent les arbres dont presque toutes les racines sont superficielles.

C'est encore pis aux côteaux dont la pente est un peu rude ; car outre les mêmes inconvéniens, les avalaisons en entraînent la bonne terre, & découvrent insensiblement toutes les racines.

On peut donc conclure que toutes ces sortes de cacaoyeres sont longtems à porter, qu'elles ne sont jamais abondantes, & qu'elles se ruinent en peu de tems.

Il est bon aussi (autant qu'il est possible) qu'une cacaoyere soit entourée de bois debout ; ou s'il y a quelque côté d'ouvert, on doit y remédier de bonne heure par une lisiere à plusieurs rangs de bananiers.

Il faut encore qu'une cacaoyere soit d'une grandeur médiocre ; car les petites, sur-tout dans les fonds, n'ont pas assez d'air, & sont comme étouffées ; & les grandes jusqu'à l'excès sont trop exposées à la sécheresse & aux grands vents qu'on nomme ouragans en Amérique.

La place de la cacaoyere étant choisie, & les dimensions déterminées, on se met à abattre le bois : on commence par arracher les petites plantes, & à couper les arbrisseaux & le menu bois ; puis on tronçonne les tiges & les grosses branches des petits arbres, & des médiocres ; on fait des bûchers & on allume des feux de toutes parts ; on brûle même sur pié les plus gros arbres, pour s'épargner la peine de les couper.

Lorsque tout est brûlé, qu'il ne reste plus sur la terre que les troncs des plus grands arbres qu'on néglige de faire consumer, & que l'abattis se trouve parfaitement nettoyé, on dresse au cordeau des allées équidistantes & paralleles, où l'on plante en quinconce des piquets de deux à trois piés de long à l'intervalle de 5, 6, 7, 8, 9 ou 10 piés, en un mot, à telle distance qu'on a résolu de donner aux cacaoyers qu'ils représentent. Enfin on fait une piece de manioc de tout l'espace défriché, prenant garde de n'en planter aucun pié trop près des piquets.

On observera que les cacaoyeres plantées à grandes distances de 8, 6 & 10 piés donnent bien plus de peine à tenir nettes dans les premieres années (comme nous dirons dans la suite) : mais aussi quand elles sont dans de bons fonds, elles réussissent mieux de cette sorte, rapportent & durent beaucoup plus.

Les habitans qui sont pressés de leurs besoins, plantent plus près les arbres, parce que cela augmente considérablement le nombre des piés, & diminue en même tems le travail de les tenir nets. Quand dans la suite les arbres viennent à se nuire réciproquement par leur proximité, ils ont déjà recueilli quelques levées de cacao, qui ont pourvû à leurs nécessités les plus urgentes, & au pis aller ils coupent alors une partie des arbres pour donner de l'air au reste.

A la côte de Caraque, on plante des cacaoyers à 12 & 15 piés d'intervalle, & l'on pratique des rigoles de tems en tems pour les arroser dans les grandes sécheresses : on a fait aussi une heureuse expérience de cette pratique à la Martinique depuis quelques années.

Au reste le manioc est un arbuste dont les racines gragées & cuites sur le feu, fournissent la cassave & la farine qui servent de pain à tous les habitans naturels de l'Amérique. On en plante dans les nouveaux abattis, non-seulement parce qu'il en faut nécessairement à un habitant pour la nourriture de ses negres, mais aussi pour diminuer la production des mauvaises herbes, & pour mettre à l'ombre les piés de cacao qui levent, dont la plume tendre ni même les secondes feuilles ne pourroient résister à l'ardeur excessive du soleil : c'est pourquoi on attend que le manioc puisse ombrager le pié des piquets, avant que de planter le cacao.

De la maniere de planter une cacaoyere, & de la cultiver jusqu'à la maturité des fruits. Tout le cacao se plante de graine, le bois de cet arbre ne prenant point de bouture. On ouvre une cosse de cacao, & à mesure qu'on en a besoin, on en tire les amandes, & on les plante une à une : commençant, par exemple, par le premier piquet, on l'arrache, & avec une sorte de houlette de fer bien affilée ayant fait une espece de petit labour, & coupé, en béquillant tout-autour, les petites racines qui pourroient nuire, on plante la graine à trois ou quatre pouces de profondeur, & l'on remet le piquet un peu à côté pour servir de marque ; & ainsi de piquet en piquet, & de rang en rang, on parcourt toute la cacaoyere.

Il faut observer, 1°. de ne point planter dans les tems secs ; on le peut à la vérité tous les mois, & toutes les lunes vieilles ou nouvelles ; lorsque la saison est fraîche, & que la place est prête : mais on croit communément que plantant depuis le mois de Septembre jusqu'aux fêtes de Noël, les arbres rapportent plûtôt de quelques mois.

2°. De ne planter que de grosses amandes, & bien nourries ; car puisque dans les plus belles cosses il se trouve des graines avortées, il y auroit de l'imprudence de les employer.

3°. De planter le gros bout des graines en bas, c'est celui-là qui tient par un petit filet au centre de la cosse quand on tire l'amande en-dehors. Si on plantoit le petit bout en-bas, le pié viendroit tortu, & ne réussiroit point ; si on plantoit la graine de plat, le pié ne laisseroit pas de venir assez bien.

4°. De mettre deux ou trois graines à chaque piquet, afin que si par malheur les criquets ou autres petits insectes coupoient la plume encore tendre d'un ou deux piés, il en restât une troisieme pour suppléer au défaut des autres. S'il n'arrive point d'accident, on a au moins l'avantage de pouvoir choisir ensuite le brin qui est le plus droit & de meilleure venue, mais on ne se résout à couper les piés surnuméraires, que lorsque celui qu'on a choisi, est couronné, & hors de risque selon toutes les apparences.

Les graines de cacao levent dans huit, dix ou douze jours plus ou moins, selon que le tems plus ou moins propre avance ou recule la végétation : le grain cylindrique du germe venant à se gonfler, pousse en-bas la radicule, qui devient ensuite le pivot de l'arbre, & en-haut la plume, qui est un raccourci de la tige & des branches : ces parties croissant & se développant de plus en plus, les deux lobes de l'amande un peu séparés & recourbés, sortent les premiers de la terre, & à mesure que le pié s'éleve, se redressent & se séparent tout-à-fait en deux feuilles dissemblables, d'un verd obscur, épaisses, inégales, & comme recoquillées, qui font ce qu'on appelle les oreilles de la plante : la plume paroît en même tems, & se partage en deux feuilles tendres, & d'un verd clair & naissant ; à ces deux premieres feuilles opposées deux à deux en succedent deux autres de même, à celles-ci deux troisiemes, le pié s'éleve à proportion, & ainsi de suite durant une année ou environ.

Toute la culture du cacao se réduit alors à la pratique de deux choses.

Premierement à le recouvrir tous les quinze jours, c'est-à-dire planter de nouvelles graines aux lieux où les premieres n'ont pas levé, ou bien plûtôt, où les piés ont été rongés par les criquets & autres insectes, qui font souvent un dégât terrible de ces nouvelles plantes, lors même qu'on les croit hors de tout danger. Quelques habitans font des pépinieres à part, & transplantent ensuite des piés de cacao où il en manque, mais comme ils ne prennent pas tous, lors principalement qu'ils sont un peu grands, ou que la saison n'est pas favorable, & que la plûpart même de ceux qui prennent, sont long-tems à languir, il a toûjours paru plus convenable de recouvrir avec la graine.

Secondement, à ne laisser croître aucune herbe dans la cacaoyere, recommençant à sarcler par un bout dès qu'on a fini par l'autre, & prenant garde sur toutes choses de ne laisser jamais grener aucune herbe ; car s'il arrive une fois qu'on en laisse monter en graine, on a dans la suite bien de la peine & du travail à détruire les mauvaises herbes, & à tenir nets les cacaoyers, parce que la végétation n'est jamais interrompue en ce pays-là par le froid.

Ces sarclaisons continuelles durent jusqu'à ce que les cacaoyers devenus grands, & leurs branches se croisant, l'ombrage empêche les herbes de pousser ; & que d'ailleurs les feuilles tombant des arbres & couvrant la terre, achevent d'étouffer les herbes. Ainsi finit le pénible exercice de sarcler ; il suffit alors de faire tous les mois une revûe en se promenant dans la cacaoyere, d'arracher par-ci par-là le peu d'herbes qu'on y trouve, & de les transporter loin dans le bois crainte des graines.

Dès que les cacaos ont neuf mois, on doit commencer à arracher le manioc, & faire si bien qu'en trois mois au plus tard il n'y en ait plus. A mesure qu'on l'arrache, on peut encore en replanter une rangée ou deux au milieu de chaque allée, & semer dans les autres vuides des concombres, des citrouilles, des giraumonts & des choux caraïbes ; parce que ces plantes ayant de grandes feuilles rempantes, sont fort propres à conserver la fraîcheur de la terre, & à étouffer les méchantes herbes. Quand les cacaoyers sont parvenus à couvrir leur terre, on est contraint d'arracher tout, car rien ne peut plus profiter au-dessous.

Les cacaoyers d'un an ont ordinairement quatre piés de tige ou environ, & commencent à faire leur tête en poussant tout-à-la-fois cinq branches au sommet, qui forment ce qu'on appelle la couronne du cacao. Il arrive rarement que cette couronne n'ait pas ces cinq branches, & lorsque par quelque accident, ou contre l'ordre de la nature, elle n'en a que trois ou quatre, l'arbre ne vient jamais bien, & il seroit peut-être mieux de le recéper d'abord, & d'attendre une nouvelle couronne qui ne seroit pas long-tems à se former.

Si à la fin de l'année le manioc n'étoit pas encore arraché, cela retarderoit la portée des arbres ; & leurs tiges montant trop haut, seroient foibles, veules, & plus exposées aux coups de vent, que si elles couronnoient, les couronnes seroient trop serrées, & les meres branches ne s'évasant pas assez, les arbres ne seroient jamais bien dégagés, & n'auroient point l'étendue qui leur est naturelle.

Quand tous les piés sont couronnés ; on fait choix des plus beaux jets, & l'on coupe sans misericorde tous les surnuméraires ; si l'on ne prend brusquement ce parti, on a bien de la peine à s'y résoudre dans la suite ; cependant il n'est pas possible que des arbres ainsi accolés ne s'entrenuisent à la fin.

Les cacaoyers ne sont pas plûtôt couronnés qu'ils poussent de tems en tems un pouce ou deux au-dessous de leur couronne, de nouveaux jets qu'on appelle rejettons, si on laisse agir la nature, ces rejettons produisent bientôt une seconde couronne, sous laquelle un nouveau rejetton venant à pousser, en forme encore une troisieme, &c. C'est ainsi que sont faits les cacaoyers naturels, & sans culture, qu'on trouve dans les bois de la Capestere de la Martinique. Mais parce que toutes ces couronnes à plusieurs étages ne font qu'anéantir en quelque maniere la premiere, qui est la principale, & que l'arbre abandonné à lui-même devient trop haut & trop effilé ; on a soin tous les mois en sarclant, ou en cueillant le fruit, d'ébourgeonner, c'est-à-dire de châtrer tous ces rejettons ; & c'est ce qu'on appelle sur les lieux rejettonner.

On ne s'est point encore avisé de tailler, non plus que de greffer les cacaoyers ; il y a cependant une espece de taille qui pourroit leur être avantageuse. Il est constant, par exemple, que ces sortes d'arbres ont toûjours quelque partie de bois mort, les uns plus, les autres moins ; sur-tout aux extrémités des branches : & il n'y a pas lieu de douter qu'il ne leur fût très-utile de trancher ce bois mort jusqu'au vif avec la serpette : mais comme l'avantage qu'on en retireroit ne seroit pas si présent ni si sensible que le tems & le travail qu'on y employeroit, il y a bien apparence qu'on négligera toûjours cette opération, & qu'on la traitera même de peine inutile. Les Espagnols n'en jugent pas de même, & ils ont au contraire un grand soin de retrancher tous ces bois morts ; aussi leurs arbres sont plus vigoureux que les nôtres, & donnent de plus beaux fruits. On doute qu'ils ayent la même attention de les greffer, & que personne ait encore tenté de le faire ; on croit néanmoins que les cacaos en seroient bien meilleurs.

A mesure que les cacaoyers croissent, ils se dépouillent peu-à-peu des feuilles de la tige, qu'il faut laisser tomber d'elles-mêmes ; car dès qu'ils en sont entierement dépouillés, ils ne sont pas long-tems à fleurir ; mais ces premieres fleurs coulent ordinairement : & on ne doit guere espérer de fruit mûr avant trois ans, encore faut-il que ce soit en bonne terre : à quatre ans la levée est médiocre, & à cinq elle est dans toute sa force. Pour lors les cacaoyers portent ordinairement pendant toute l'année des fleurs & des fruits de tout âge ; il est à la vérité des mois où ils n'en ont presque point & d'autres où ils en sont chargés : vers les solstices les levées sont toûjours plus abondantes que dans les autres saisons.

Comme dans les ouragans le vent peut faire le tour du compas en très-peu d'heures, il est mal-aisé que perçant par l'endroit le plus foible & le moins couvert des cacaoyers, il n'y fasse bien du desordre, & il est nécessaire d'y remédier le plus promtement qu'il est possible. Si le vent n'a fait que renverser les arbres sans rompre leur pivot, en ce cas le meilleur parti qu'il y ait à prendre, sur-tout dans les bonnes terres, est de relever sur le champ ces arbres, & de les remettre en place, les appuyant avec une fourchette, & les rechaussant bien avec de la terre d'alentour : de cette maniere ils sont raffermis en moins de six mois, & rapportent comme s'ils n'avoient jamais eu de mal. Dans les mauvaises terres il vaut mieux les laisser couchés, rechausser les racines, & cultiver à chaque pié le rejetton de plus belle venue, & le plus proche des racines qu'il poussera, en retranchant avec soin tous les autres. L'arbre en cet état ne laisse pas de fleurir & de porter du fruit ; & quand dans deux ans le rejetton conservé est devenu un arbre nouveau, on étronçonne le vieux arbre à un demi-pié du rejetton.

De la cueillette du cacao, & de la maniere de le faire ressuer & sécher pour pouvoir être conservé & transporté en Europe. Le cacao est bon à cueillir lorsque toute la cosse a changé de couleur, & qu'il n'y a que le petit bouton d'en-bas qui soit demeuré verd. On va d'arbre en arbre & de rang en rang, & avec des gaulettes fourchues on fait tomber les cosses mûres, prenant garde de ne point toucher à celles qui ne le sont pas, non plus qu'aux fleurs. On employe à cela les Negres les plus adroits ; & d'autres qui les suivent avec des paniers, ramassent les cosses à terre, & en font à droite & à gauche dans la cacaoyere des piles qu'on laisse-là quatre jours sans y toucher.

Dans les mois d'un grand rapport, on cueille tous les quinze jours ; dans les saisons moins abondantes, on cueille de mois en mois.

Si les graines restoient dans les cosses plus de quatre jours, elles ne manqueroient pas de germer & de se gâter ; c'est pourquoi lorsque de la Martinique on a voulu envoyer aux îles voisines des cosses de cacao, pour avoir de la graine à planter, on a eu un soin extrème de ne cueillir que lorsque le bâtiment de transport alloit mettre à la voile, & de les employer d'abord en arrivant. Il n'est donc pas possible que les Espagnols voulant avoir de la semence pour produire ces arbres, laissent parfaitement mûrir & sécher les gousses qui la contiennent ; qu'après ils ôtent les semences de ces gousses, & qu'ils les fassent soigneusement sécher à l'ombre, pour les planter enfin en pépiniere, comme le rapporte Oexmelin, histoire des avanturiers, tom. I. pag. 424. Il est nécessaire de les écaler dès le matin du cinquieme jour au plus tard ; pour cela on frappe sur le milieu des cosses avec un morceau de bois, pour les fendre ; & avec les mains on acheve de les ouvrir en-travers, & d'en tirer les amandes qu'on met dans des paniers, jettant dans la cacaoyere les écosses vuides pour lui servir d'amandement & d'engrais, quand elles sont pourries, à-peu-près comme les feuilles de la dépouille des arbres leur servent de fumier continuel.

On porte ensuite dans une case tout le cacao écalé, & on le met en pile sur une espece de plancher volant, couvert de feuille de balisier qui ont environ quatre piés de long sur vingt pouces de large ; puis entourant le cacao de planches recouvertes des mêmes feuilles, & faisant une espece de grenier qui puisse contenir toute la pile de cacao étendue on couvre le tout de semblables feuilles, qu'on affermit avec quelques planches. Le cacao ainsi entassé, couvert & enveloppé de toutes parts, ne manque pas de s'échauffer par la fermentation de ses parties insensibles, & c'est ce qu'on appelle sur les lieux ressuer.

On découvre ce cacao soir & matin, & l'on fait entrer dans le lieu où il est, des Negres qui, travaillant à force des piés & des mains, le remuent bien, & le renversent c'en-dessus-dessous ; après quoi on le recouvre comme auparavant avec les mêmes feuilles & les mêmes planches. On continue cette opération chaque jour jusqu'au cinquieme, auquel il est ordinairement assez ressué ; ce qu'on connoît à la couleur, qui est beaucoup plus foncée & tout-à-fait rousse.

Plus le cacao ressue, & plus il perd de sa pesanteur & de son amertume ; mais s'il ne ressue pas assez, il est plus amer, sent le verd, & germe quelquefois ; il y a donc pour bien faire un certain milieu à garder, ce qui s'apprend par l'usage.

Dès que le cacao a assez ressué, on le met à l'air, & on l'expose au soleil pour le faire sécher en la maniere suivante.

On a déjà dressé d'avance plusieurs établis à deux piés ou environ, au-dessous du plan d'une cour destinée à cela : ce sont deux especes de sablieres paralleles, à deux piés l'une de l'autre, affermies sur de petits poteaux enfoncés dans la terre. On étend sur ces établis plusieurs nattes faites de brins de roseaux refendus, assemblés avec des liens d'écorce de mahot : (le mahot est un arbrisseau dont les feuilles sont rondes & douces au maniement, comme celles de la guimauve ; son écorce, qui se leve facilement, & qu'on divise en longs rubans, sert de ficelle & de corde aux habitans & aux sauvages) ; & sur ces nattes on met du cacao ressué environ à la hauteur de deux pouces ; on le remue & on le retourne fort souvent avec un rabot de bois, sur-tout les deux premiers jours : le soir on plie le cacao dans ses nattes, qu'on recouvre de quelques feuilles de balisier, crainte de la pluie ; on en fait autant le jour quand il va pleuvoir. Ceux qui craignent qu'on ne le vole la nuit, l'enferment dans une case.

Il y a des habitans qui se servent de caisses d'environ cinq piés de long sur deux de large, & trois à quatre pouces de rebord, pour faire sécher leur cacao. Elles ont cette commodité, que dans les grandes pluies, ou qui surviennent tout-à coup lorsque le cacao commence à sécher, on peut vîte mettre toutes ces caisses en pile l'une sur l'autre, ensorte qu'il ne reste que la derniere à couvrir ; ce qui est bientôt fait avec des feuilles de balisier recouvertes d'une caisse vuide renversée. Mais ce qui rend l'usage des nattes préférable, est que l'air qui passe par-dessous à-travers les vuides des roseaux, fait mieux sécher le cacao. Des caisses dont le fond seroit en réseau fort serré de fil de laiton, seroient excellentes ; mais il faudroit les faire faire en Europe, ce qui seroit une dépense considérable.

Quand le cacao est assez ressué, il faut l'exposer sur les nattes, quelque tems qu'il fasse : si l'on prévoyoit même une pluie abondante & de durée, il seroit bon de le laisser moins ressuer d'un demi-jour ou environ. On remarque que quelques heures de pluie dans le commencement, bien loin de lui nuire, ne servent qu'à le rendre plus beau & mieux conditionné. Dans la belle saison, au lieu de cette pluie, il n'est pas mal de l'exposer les premieres nuits au serein & à la rosée ; la pluie même d'un jour ou deux ne lui sera pas fort nuisible, si l'on observe de ne le point couvrir absolument jusqu'à ce qu'il ait eu un jour, ou tout au moins un demi-jour de soleil : car après un jour de beau tems on le plie le soir dans sa natte, comme nous avons dit ; & après un demi-jour on se contente, sans le plier, de le couvrir pendant la nuit de feuilles de balisier arrêtées avec des pierres mises dessus aux deux bouts. Mais une trop longue pluie fait fendre le cacao ; & parce qu'alors il ne se conserve pas longtems, on l'employe sur les lieux à faire du chocolat.

Si le cacao n'est pas assez ressué, & qu'on le plie trop-tôt dans sa natte, il est sujet à germer ; ce qui le rend fort amer & tout-à-fait mauvais.

Lorsque le cacao a été une fois plié dans sa natte, & qu'il a commencé à se sécher, il ne faut plus souffrir qu'il se mouille : il ne s'agit alors que de le remuer de tems-en-tems, jusqu'à ce qu'il soit suffisamment sec ; ce qu'on connoît, si en prenant une poignée de cacao dans la main, & la serrant, il craque : alors il est tems de le mettre en magasin, & de l'exposer en vente.

Ceux qui veulent acquérir la réputation de livrer de belle marchandise, se donnent le soin, avant que d'enfutailler leur cacao, de trier & de mettre à part les grains trop petits, mal nourris & plats, qui sont seulement moins beaux à la vûe, & rendent un peu moins en chocolat.

C'est de cette maniere que les graines ou amandes de cacao séchées au soleil, nous sont apportées en Europe & vendues chez les Epiciers, qui les distinguent, je ne sai pourquoi, en gros & petit caraque, & en gros & petit cacao des îles : car sur les lieux il n'est point fait mention de cette diversité ; & il faut apparemment que les marchands qui en font commerce, ayent trouvé leur compte à faire ce triage, puisque naturellement tout cacao provenu du même arbre & de la même cosse, n'est jamais de la même grosseur. Il est bien vrai que comparant une partie entiere de cacao avec une autre, on peut trouver que l'une est pour la plûpart composée de plus gros grains que l'autre ; ce qui peut provenir ou de l'âge du plant, ou de la vigueur des arbres, ou bien de la fécondité particuliere de la terre : mais très-assûrément il n'y a point d'espece de cacao qu'on puisse appeller grande par rapport à une autre qu'on puisse appeller petite.

Le cacao qui nous vient de la côte de Caraque, est plus onctueux & moins amer que celui de nos îles, & on le préfere en Espagne & en France à ce dernier ; mais en Allemagne & dans le Nord, on est, à ce qu'on dit, d'un goût tout opposé. Bien des gens mêlent le cacao de Caraque avec celui des îles moitié par moitié, & prétendent par ce mélange rendre leur chocolat meilleur. On croit que dans le fond la différence des cacaos n'est pas fort considérable, puisqu'elle n'oblige qu'à augmenter ou diminuer la dose du sucre, pour tempérer le plus ou le moins d'amertume de ce fruit : car il faut considérer, comme nous l'avons déjà dit, qu'il n'y a qu'une espece de cacao, qui croît aussi naturellement dans les bois de la Martinique que dans ceux de la côte de Caraque ; que le climat de ces lieux est presque le même, & par conséquent la température des saisons égale ; & qu'ainsi il ne sauroit y avoir entre ces fruits de différence intrinseque qui soit fort essentielle.

A l'égard des différences extérieures qu'on y remarque, elles ne sauroient provenir que du plus ou du moins de fécondité des terroirs, du plus ou du moins de soin donné à la culture des arbres, du plus ou du moins d'industrie & d'application de ceux qui le préparent & qui le travaillent depuis sa cueillette jusqu'à sa livraison, & peut-être même de tous les trois ensemble ; ce qu'on peut observer à la Martinique même, où il y a des quartiers où le cacao réussit mieux que dans d'autres, par la seule différence des terres plus ou moins grasses, plus ou moins humides.

On a l'expérience de ce que l'attention à la culture & à la préparation du cacao, peuvent ajoûter à son prix. Avec des soins & de l'intelligence, on trouve le moyen de faire la plus belle marchandise de toute l'île, & de se procurer la préférence de tous les marchands, pour la vente & le prix du cacao, sur tous ses voisins.

Le cacao de Caraque est un peu plat, & ressemble assez par son volume & sa figure à une de nos grosses féves ; celui de Saint Domingue, de la Jamaïque & de l'île de Cube, est généralement plus gros que celui des Antilles. Plus le cacao est gros & bien nourri, & moins il y a de déchet après l'avoir rôti & mondé.

Le bon cacao doit avoir la peau fort brune & assez unie ; & quand on l'a ôtée l'amande doit se montrer pleine, bien nourrie & lisse, de couleur de noisette fort obscure au-dehors, un peu plus rougeâtre en-dedans ; d'un goût un peu amer & astringent, sans sentir le verd ni le moisi ; en un mot sans odeur & sans être piqué des vers.

Le cacao est le fruit le plus oléagineux que la nature produise, il a cette prérogative admirable de ne jamais rancir, quelque vieux qu'il soit, comme font tous les autres fruits qui lui sont analogues en qualité, tels que les noix, les amendes, les pignons, les pistaches, les olives, &c.

On nous apporte aussi de l'Amérique du cacao réduit en pains cylindriques d'environ une livre chacun ; & comme cette préparation est la premiere & la principale qu'on lui donne pour faire le chocolat, il me semble à-propos d'ajoûter ici la maniere de la faire.

Les Indiens, dont on l'a tirée, n'y faisoient pas grande façon : ils faisoient rôtir leur cacao dans des pots de terre ; puis l'ayant mondé de sa peau & bien écrasé & broyé entre deux pierres, ils en formoient des masses avec leurs mains.

Les Espagnols, plus industrieux que les Sauvages, & aujourd'hui les autres nations à leur exemple, font choix du meilleur cacao, & du plus récent. (Comme le cacao n'est jamais si net que parmi les bons grains il n'y en ait d'avortés, de la terre, des pierres, &c. il faut avant que de l'employer, faire passer ces ordures à-travers un crible qui leur donne issue sans donner passage aux amandes de cacao). Ils en mettent environ deux livres dans une grande poële de fer sur un feu clair, & ils les remuent & les retournent continuellement avec une grande spatule, jusqu'à ce que les amandes soient assez rôties pour être facilement dépouillées de leur peau ; ce qu'il faut faire une à une, & les mettre à part ; prenant un soin extrème de rejetter les grains cariés, les moisis, & toute la dépouille des bons : car ces pellicules restées parmi le cacao ne se dissolvent jamais dans aucune liqueur, pas même dans l'estomac, & se précipitent au fond des tasses de chocolat dont le cacao n'a pas été bien mondé. Les ouvriers, pour expédier plus promtement cette opération & gagner du tems, mettent une grosse nappe sur une table, & y étendent leur cacao sortant tout chaud de la poêle ; puis ils font couler le rouleau de fer dessus, pour faire craquer & détacher les pellicules du cacao : enfin ils vannent le tout dans un van d'osier, jusqu'à ce que le cacao soit parfaitement mondé.

Si on a eu soin de peser le cacao chez l'épicier, & qu'ensuite on le repese après qu'il est rôti & mondé, on y trouvera environ un sixieme de déchet, un peu plus, un peu moins, selon la nature & les qualités du cacao ; c'est-à-dire, par exemple, que de trente livres d'achat, il en restera à-peu-près vingt-cinq toutes mondées.

Tout le cacao étant ainsi rôti & mondé à diverses reprises, on le met encore une fois rôtir dans la même poêle de fer, mais avec un feu moins violent ; on remue sans-cesse les amandes avec la spatule, jusqu'à ce qu'elles soient rôties également & au point qu'il faut ; ce qu'on connoit au goût savoureux & à la couleur brune sans être noire ; l'habileté consiste à éviter les deux extrémités, de ne les pas rôtir suffisamment & de les trop rôtir, c'est-à-dire de les brûler. Si on ne les rôtit pas assez, elles conservent une certaine rudesse de goût desagréable ; & si on les rôtit jusqu'à les brûler, outre l'amertume & le dégoût qu'elles contractent, on les prive entierement de leur onctuosité & de la meilleure partie de leurs bonnes qualités.

En France, où on outre ordinairement toutes choses, on s'est fort entêté du goût de brûlé & de la couleur noire, comme de qualités requises au bon chocolat ; ne considérant pas que charbon pour charbon il vaudroit autant y mettre celui du feu que celui du cacao. Cette observation n'est pas seulement conforme à la raison & au bon sens : mais elle est d'ailleurs confirmée par le consentement unanime de tous ceux qui ont écrit sur cette matiere, & elle est de même autorisée par la pratique universelle de toute l'Amérique.

Lorsque le cacao est rôti à-propos & bien mondé, on le pile dans un grand mortier pour le réduire en masse grossiere, qu'on passe enfin sur la pierre jusqu'à ce qu'elle soit d'une extrème finesse, ce qui demande une explication plus étendue.

On choisit une pierre qui résiste naturellement au feu, & dont le grain soit ferme, sans être ni trop doux pour s'égrainer, ni trop dur pour recevoir le poli. On la taille de seize à dix-huit pouces de large sur vingt-sept à trente de long & trois d'épaisseur, ensorte que sa surface soit courbe & creuse au milieu d'environ un pouce & demi ; cette pierre est affermie sur un chassis de bois ou de fer, un peu plus relevé d'un côté que de l'autre : on place dessous un brasier pour échauffer la pierre, afin que la chaleur mettant en mouvement les parties huileuses du cacao, & le réduisant en consistance liquide de miel, facilite beaucoup l'action d'un rouleau de fer, dont on se sert pour le travailler avec force, le broyer, & l'affiner jusqu'à ce qu'il n'y ait ni grumeau, ni la moindre dureté. Ce rouleau est un cylindre de fer poli, de deux pouces de diametre sur dix-huit ou environ de long, ayant à chaque bout un manche de bois de même grosseur, & de six pouces de long pour placer les mains de l'ouvrier.

Quand la pâte est autant broyée qu'on le juge nécessaire, on la met toute chaude dans des moules de fer-blanc, où elle se fige & se rend solide en très-peu de tems. La forme de ces moules est arbitraire & chacun les peut faire à sa fantaisie : cependant les cylindriques qui peuvent contenir deux à trois livres de matiere, me paroissent les plus convenables, parce que les pains les plus gros se conservent plus longtems dans leur bonté, & sont plus commodes pour le maniement quand il s'agit de les râper. On doit conserver ces billes enveloppées de papier dans un lieu sec, & observer qu'elles sont fort susceptibles des bonnes & des mauvaises odeurs, & qu'il est bon de les garder cinq ou six mois avant que d'en user.

Au reste le cacao étant suffisamment broyé & passé sur la pierre, comme nous venons de l'expliquer, si l'on veut achever la composition du chocolat en masse il ne s'agit plus que d'ajoûter à cette pâte une poudre passée au tamis de soie, & composée de sucre, de cannelle, & si l'on veut de vanille, suivant les doses & les proportions que nous enseignerons dans la suite de cet article ; de repasser le tout sur la pierre pour le bien mêler & incorporer ensemble, & de distribuer enfin cette confection américaine dans des moules de fer-blanc en forme de tablettes d'environ quatre onces chacune, ou demi-livre si l'on veut.

Propriétés du cacao. Le cacao est fort tempéré, nourrissant, & de facile digestion. Il répare promtement les esprits dissipés & les forces épuisées ; il est salutaire aux vieillards.

Usages du cacao ; on en fait des confitures, du chocolat, & l'on en tire l'huile qu'on appelle beurre de cacao.

Du cacao en confiture. On fait choix des cosses de cacao à demi mûres ; on en tire proprement les amandes sans les endommager, & on les met tremper pendant quelques jours dans de l'eau de fontaine, que l'on a soin de changer soir & matin : ensuite les ayant retirées & essuyées, on les larde avec des petits lardons d'écorce de citron & de cannelle, à-peu-près comme on fait les noix à Roüen.

On a cependant préparé un sirop du plus beau sucre, mais fort clair, c'est-à-dire où il y ait fort peu de sucre ; & après l'avoir bien purifié & bien clarifié, on l'ôte tout bouillant de dessus le feu, on y jette les grains de cacao, & on les y laisse tremper pendant vingt-quatre heures, après quoi on les retire de ce sirop ; & pendant qu'on les laisse égoutter, on en fait un nouveau semblable au précédent, mais plus fort de sucre, où on les fait pareillement tremper durant vingt-quatre heures. On réitere cinq ou six fois cette opération, augmentant à chaque fois la quantité de sucre, sans les mettre jamais sur le feu ni donner d'autre cuisson. Enfin ayant fait cuire un dernier sirop en consistance de sucre, on le verse sur les cacaos qu'on a mis bien essuyer dans un pot de fayence pour les conserver, & quand le sirop est presque refroidi, on y mêle quelques gouttes d'essence d'ambre.

Quand on veut tirer cette confiture au sec, on ôte les amandes hors de leur sirop ; & après les avoir bien égouttées, on les plonge dans une bassine pleine d'un sirop bien clarifié & fort de sucre, & sur le champ on les met dans une étuve, où elles prennent le candi.

Cette confiture, qui ressemble assez aux noix de Roüen, est excellente pour fortifier l'estomac sans trop l'échauffer ; ce qui fait qu'on peut même en donner aux malades qui ont la fievre.

Du chocolat. Voyez l'article CHOCOLAT.

Beurre de cacao. On prend du cacao rôti, mondé, & passé sur la pierre ; on jette cette pâte bien fine dans une grande bassine pleine d'eau bouillante sur un feu clair, où on la laisse bouillir jusqu'à la consomption presque entiere de l'eau ; alors on verse dessus une nouvelle eau dont on remplit la bassine : l'huile monte à la surface, & se fige en maniere de bourre, à mesure que l'eau se refroidit. Si cette huile n'est pas bien blanche, il n'y a qu'à la faire fondre dans une bassine pleine d'eau chaude, où elle se dégagera & se purifiera des parties rousses & terrestres qui lui restoient.

A la Martinique cette huile est en consistance de beurre : mais portée en France, elle devient comme du fromage assez dur, qui se fond néanmoins & se rend liquide à une legere chaleur ; elle n'a point d'odeur fort sensible, & a la bonne qualité de ne rancir jamais. L'huile d'olive ayant manqué une année, on usa de celle de cacao pendant tout un carême : elle est de fort bon gout ; & bien loin d'être malfaisante, elle contient les parties les plus essentielles & les plus salutaires du cacao.

Comme cette huile est très-anodyne, elle est excellente à l'intérieur pour guérir l'enrouement, & pour émousser l'acreté des sels qui dans le rhûme picotent la poitrine. Pour s'en servir on la fait fondre, on y mêle une suffisante quantité de sucre candi, & on en forme de petites tablettes, qu'on retient le plus long-tems qu'on peut dans la bouche, les laissant fondre tout doucement sans les avaler.

L'huile de cacao prise à propos, pourroit être encore merveilleuse contre les poisons corrosifs. Elle n'a pas de moindres vertus pour l'extérieur : 1°. elle est la meilleure & la plus naturelle de toutes les pommades, dont les dames qui ont le teint sec puissent se servir, pour se le rendre doux & poli, sans qu'il y paroisse rien de gras ni de luisant. Les Espagnols du Mexique en connoissent bien le mérite : mais comme en France elle durcit trop, il faut nécessairement la mêler avec l'huile de ben, ou celle d'amandes douces tirée sans feu.

2°. Si l'on vouloit rétablir l'ancienne coûtume que les Grecs & les Romains avoient d'oindre le corps humain d'huile, il n'y en a point dont l'usage répondît mieux aux vûes qu'ils avoient de conserver par ce moyen aux parties, & même de leur augmenter la force & la souplesse des muscles, & de les garantir des rhûmatismes & de plusieurs autres douleurs qui les affligent. On ne peut attribuer l'anéantissement de la pratique de ces onctions qu'à la mauvaise odeur & à la mal-propreté qui l'accompagnoient ; mais comme en substituant l'huile de cacao à celle d'olive, on ne tomberoit point dans ces inconvéniens, parce que celle-là ne sent rien, & qu'elle se seche plûtôt sur le cuir ; rien sans-doute ne seroit plus avantageux, sur-tout pour les personnes âgées, que de renouveller aujourd'hui un usage si autorisé par l'expérience de toute l'antiquité.

3°. Les Apothicaires doivent employer cette huile préférablement à toute autre chose pour servir de base à leurs baumes apoplectiques ; parce que toutes les graisses rancissent, & que l'huile de muscade blanchie avec l'esprit-de-vin, conserve toûjours un peu de son odeur naturelle, au lieu que l'huile de cacao n'est point sujette à ces accidens.

4°. Il n'y en a aucune plus propre pour empêcher les armes de rouiller, parce qu'elle contient moins d'eau que toutes les autres huiles dont on se sert ordinairement pour cela.

5°. Aux îles de l'Amérique, on se sert beaucoup de cette huile pour la guérison des hémorrhoïdes : quelques-uns en usent sans mélange ; d'autres ayant fait fondre deux ou trois livres de plomb, en ramassent la crasse, la réduisent en poudre, la passent au tamis de soie, l'incorporent avec cette huile, & en sont un liniment très-efficace pour cette maladie.

D'autres pour la même intention mêlent avec cette huile la poudre des cloportes, le sucre de saturne, le pompholyx, & un peu de laudanum.

D'autres se servent utilement de cette huile pour appaiser les douleurs de la goutte, l'appliquant chaudement sur la partie avec une compresse imbibée qu'ils couvrent d'une serviette chaude. On pourroit en user de même pour les rhûmatismes.

6°. Enfin l'huile de cacao entre dans la composition de l'emplâtre merveilleux, & de la pommade pour les dartres.

Emplâtre excellent pour la guérison de toutes sortes d'ulceres. Prenez huile d'olive une livre ; ceruse de Venise (elle est plus chere que celles d'Hollande & d'Angleterre, qui sont mélangées de craie, & qu'il faut laisser aux peintres) en poudre demi-livre : mettez-les dans une bassine de cuivre ou dans une casserole de terre vernissée sur un feu clair & moderé, remuant toûjours avec une spatule de bois jusqu'à ce que le tout soit devenu noir, & de consistance presque d'emplâtre (ce qu'on connoît en laissant tomber quelques gouttes sur une assiette d'étain ; car si la matiere se fige sur le champ, & ne prend presque point aux doigts en la maniant, elle est suffisamment cuite). Alors on y ajoûte de la cire coupée en petites tranches, une once & demie ; huile ou beurre de cacao, une once ; baume de copahu, une once & demie. Quand tout est fondu & bien mêlé, on tire la bassine de dessus le feu, & remuant toûjours avec la spatule, on y ajoûte peu-à-peu les drogues suivantes réduites en poudre très-subtile, séparément, & puis bien mêlées ensemble ; savoir, de la pierre calaminaire rougie au milieu des charbons, puis éteinte dans l'eau de chaux, & broyée sur le porphyre, une once ; de la myrrhe en larmes, de l'aloès succotrin, de l'aristoloche ronde, de l'iris de Florence, de chacun deux dragmes ; du camphre, une dragme. Lorsque tout sera bien incorporé, on le laissera un peu refroidir, après quoi on le versera sur le marbre, pour en former des magdaléons en la maniere ordinaire.

Ce remede produit des effets surprenans ; il guérit les ulceres les plus rebelles & les plus invétérés, pourvû que l'os ne soit pas carié ; car en ce cas, pour ne pas travailler en vain, il faut commencer par la cure de l'os, & traiter ensuite l'ulcere avec l'emplâtre. On panse la plaie soir & matin après l'avoir nettoyée avec l'eau de chaux, & bien essuyée avec un linge fin.

Le même emplâtre peut servir plusieurs fois, pourvû qu'avant que de l'appliquer on l'ait lavé avec l'eau de chaux, qu'on l'ait essuyé avec un linge, présenté au feu un moment, & qu'on l'ait un peu manié avec les doigts pour le renouveller en quelque maniere. On exhorte les personnes charitables de faire cet emplâtre & de le distribuer aux pauvres, surtout à ceux de la campagne.

Pommade excellente pour guérir les dartres, les rubis & les autres difformités de la peau. Prenez fleurs de soufre de Hollande (la fleur de soufre de Hollande est en pain comme le stil de grain, fort legere, douce, friable, & plûtôt blanche que jaune ; elle ne doit pas moins coûter de trente sols la livre. A son défaut on prendra de celle de Marseille, qui est en poudre impalpable, legere, & d'un jaune doré), salpetre raffiné, de chaque demi-once ; bon précipité blanc, deux dragmes (l'examen du précipité blanc se fait ainsi. On en met un peu sur un charbon allumé ; s'il exhale, c'est signe qu'il est bon & fidele ; s'il reste sur le feu ou qu'il se fonde, ce n'est que de la ceruse broyée, ou quelqu'autre blanc semblable) ; benjoin, une dragme. Pilez pendant long-tems le benjoin avec le salpetre raffiné dans un mortier de bronze, jusqu'à ce que la poudre soit très-fine ; mêlez-y ensuite la fleur de soufre & le précipité blanc ; & quand le tout sera bien mélangé, gardez cette poudre pour le besoin.

A la Martinique, lorsqu'il étoit question de m'en servir, je l'incorporois avec le beurre de cacao ; mais en France où il durcit trop, je lui ai substitué la pommade blanche de jasmin la plus odorante ; cette odeur jointe à celle du benjoin corrige en quelque maniere celle du soufre, que beaucoup de personnes abhorrent. Hist. nat. du cacao. vol. in -12. chez M de Dhoury.


CACAOTETL(Hist. nat.) nom qu'on donne dans les Indes à une pierre que Borelli nomme en latin lapis corvinus Indiae ; on prétend que si on vient à faire chauffer cette pierre dans le feu, elle fait un bruit très-considérable, & semblable à un coup de tonnerre.


CACATOWA(Géog.) petite île de la mer des Indes, près de l'île de Sumatra.


CACCIONDES. f. (Pharm.) nom d'une pilule dont le cachou fait la base, & que Baglivi recommande dans la dyssenterie.


CACERES(Géog.) petite ville d'Espagne dans l'Estramadure, proche les confins de Portugal : elle est sur la riviere de Sabrot, à neuf lieues d'Alcantara. Long. 12. 8. lat. 39. 15.

CACERES DE CAMERINHA (Géog.) petite ville d'Asie dans l'île de Luçon. Long. 142. 25. lat. 14. 15.


CACHALOTS. m. cette, Clus. (Hist. nat. Ichthyol.) très-grand poisson de mer, du genre des cétacées. Willughby fait la description, d'après Clusius, d'un cachalot qui fut jetté sur les côtes occidentales de la Hollande par une violente tempête : cet animal respiroit encore lorsqu'on l'apperçut, environ dix heures après la tempête. Il avoit cinquante-deux ou cinquante-trois piés de longueur, & trente-un piés de circonférence, & même beaucoup plus selon d'autres relations : on ne put pas avoir des mesures exactes, parce qu'une partie du corps s'étoit enfoncée dans le sable par les mouvemens que fit l'animal avant que de mourir. Il y avoit quinze piés de distance depuis le bout de la mâchoire supérieure jusqu'aux yeux. Le palais étoit percé de quarante-deux alvéoles, vingt-un de chaque côté, dans lesquels entroient autant de dents de la mâchoire inférieure, qui étoient de la grandeur d'un pouce d'un homme de haute taille. Ce poisson avoit sur sa tête auprès du dos un évent d'environ trois piés de diametre, par lequel il jettoit de l'eau en l'air. La mâchoire inférieure étoit longue de sept piés. Les yeux de cet animal étoient très petits à proportion de sa grosseur énorme : on auroit pû les entourer en faisant toucher l'extrémité du pouce avec celle du premier doigt. Il y avoit quatre piés de distance entre les yeux & les nageoires ; seize piés depuis les mâchoires jusqu'au nombril ; trois piés depuis le nombril jusqu'à la verge ; trois piés & demi depuis la verge jusqu'à l'anus, & treize piés & demi depuis l'anus jusqu'à la queue. Les nageoires avoient quatre piés quatre pouces de longueur, & un pié d'épaisseur. La longueur du membre étoit de six piés après la mort de l'animal. La queue étoit fort épaisse ; & elle avoit treize piés d'étendue. On tira de la tête de ce poisson du blanc de baleine en assez grande quantité, pour remplir plus du quart d'un tonneau ; & le corps entier rendit environ quarante tonneaux de graisse, sans compter celle qui se répandit sur la terre & dans la mer. La peau du dos étoit noire comme celle des dauphins ou des thons ; le ventre étoit blanc.

Clusius fait mention d'un autre cachalot qui avoit soixante piés de longueur, quatorze piés de hauteur, & trente-six piés de circonférence.

M. Anderson fait mention de plusieurs cachalots dans son histoire de Groenland, &c. Il y en a, dit cet auteur, qui ont de grosses dents plus ou moins longues, un peu arrondies & plates par le dessus ; les autres les ont minces & recourbées comme des faucilles. On ne trouve dans le détroit de Davis & aux environs de Spitzberg, qu'une espece de cachalot. Il a les dents courtes, grosses, & applaties ; la tête fort grosse ; deux nageoires longues aux côtés ; une sorte de petite nageoire qui s'éleve sur le dos, & une queue large de douze ou quinze piés. Les cachalots de cette espece voyagent par troupes. On en a vû qui avoient plus de cent piés de longueur, & qui faisoient en soufflant l'eau un très-grand bruit, que l'on pourroit comparer au son des cloches. Ces poissons se trouvent en quantité au cap du Nord, & sur les côtes de Finmarchie : mais on en prend rarement, parce qu'ils sont plus agiles que les baleines de Groenland, & qu'ils n'ont que deux ou trois endroits au-dessus de la nageoire où le harpon puisse pénétrer ; d'ailleurs leur graisse est fort tendineuse, & ne rend pas beaucoup d'huile.

Les marins, dit M. Anderson, distinguent deux especes de cachalots qui se ressemblent parfaitement par la figure du corps & par les dents, mais qui different en ce que les uns sont verdâtres, & ont un crane ou couvercle dur & osseux par-dessus le cerveau ; les autres sont gris sur le dos, & blancs sous le ventre, & leur cerveau n'est recouvert que par une forte membrane qui est de l'épaisseur du doigt. On prétend que cette différence ne dépend pas de l'âge du poisson.

Lorsqu'on a ôté la peau du haut de la tête des cachalots qui n'ont point de crane on trouve de la graisse de l'épaisseur de quatre doigts, & au-dessous une membrane épaisse & fort nerveuse qui sert de crane, & plus bas une autre cloison qui est assez semblable à la premiere, & qui s'étend dans toute la tête depuis le museau jusqu'à la nuque. La premiere chambre qui est entre ces deux membranes, renferme le cerveau le plus précieux, & dont on prépare le meilleur blanc de baleine. Cette chambre est divisée en plusieurs cellules, qui sont formées par une sorte de réseau ressemblant en quelque façon à un gros crêpe. Dans le cachalot sur lequel cette description a été faite, on tira de cette chambre sept petits tonneaux d'huile qui étoit claire & blanche : mais lorsqu'on la jettoit sur l'eau, elle se coaguloit comme du fromage ; & lorsqu'on l'en retiroit, elle redevenoit fluide comme auparavant. Au-dessous de la premiere chambre il y en a une autre qui se trouve au-dessus du palais, & qui a depuis quatre jusqu'à sept piés & demi de hauteur, selon la grosseur du poisson, & est remplie de blanc de baleine ; il est renfermé comme le miel dans de petites cellules, dont les parois ressemblent à la pellicule intérieure d'un oeuf. A mesure que l'on enleve le blanc de baleine qui est dans cette chambre, il en revient de nouveau en assez grande quantité, pour que le tout remplisse jusqu'à onze petits tonneaux. La matiere qui remplace celle que l'on tire, sort d'un vaisseau qui est auprès de la tête du poisson, & qui est gros comme la cuisse d'un homme ; il s'étend le long de l'épine jusqu'à la queue, où il n'est pas plus gros que le doigt. Lorsqu'on coupe la graisse du cachalot, il faut éviter ce vaisseau ; car si on le coupe, le blanc de baleine s'écoule par l'ouverture.

Le cachalot que l'on prend sur les côtes de la nouvelle Angleterre & aux Bermudes, est une espece différente. Ses dents sont plus grosses & plus larges, elles ressemblent aux dents de la roue d'un moulin, & sont de la grosseur du poignet. On trouve dans les cachalots de cette espece des boules d'ambre-gris qui ont jusqu'à un pié de diametre, & qui pesent jusqu'à vingt livres. Voyez l'article BALEINE. (I)


CACHAN(Géog.) ville de Perse dans l'Irac, située dans une grande plaine à vingt-deux lieues d'Ispahan. Il s'y fait grand commerce d'étoffes de soie en or & argent, & de belle fayence.


CACHAO(Géog.) grande ville d'Asie, capitale de la province du même nom, au royaume de Tonquin. Les Anglois & les Hollandois y ont un comptoir. Long. 132. 32. lat. 22.


CACHE-ENTRÉES. m. c'est ainsi que les Serruriers appellent une petite piece de fer qui dérobe l'entrée d'une serrure. Il y a des cache-entrées faits avec beaucoup d'art. Voyez l'article SERRURE, & l'explication des Planches de Serrurerie.


CACHECTIQUESadj. plur. (Medecine) c'est ainsi qu'on appelle des remedes bons pour prévenir la cachexie, ou la guérir lorsque le malade en est attaqué. Il s'agit pour parvenir à la guérison de cette maladie, d'enlever les obstructions commençantes, même les plus enracinées. Les préparations de Mars, les sels apéritifs, les amers, & sur-tout le quinquina, ont cette vertu.

Ces remedes sont souvent employés trop tard. Les malades négligent de demander du secours, & laissent par ce moyen enraciner sur eux la cause d'une maladie qui devient par la suite fâcheuse, & qu'on auroit pû détruire au commencement. Voyez CACHEXIE. (N)


CACHEMIRE(Géog.) province d'Asie dans les états du Mogol au nord ; elle a environ trente lieues de long sur douze de large. Ce pays est peuplé, & fertile en pâturages, riz, froment, légumes : on y trouve beaucoup de bois & de bétail. Les habitans sont adroits & laborieux, & les femmes y sont belles. On les croit Juifs d'origine, parce qu'ils ont toûjours à la bouche le nom de Moyse, qu'ils croyent avoit été dans leur pays, ainsi que Salomon. Ils sont aujourd'hui Mahométans ou Idolâtres. Dict, de M. de Vosgien.

CACHEMIRE, c'est la capitale de la province de ce nom. Long. 93. lat. 34. 30.


CACHEO(Géog.) ville d'Afrique dans la Nigritie, sur la riviere de Saint-Domingue : elle appartient aux Portugais. Long. 2. 40. lat. 22.


CACHERDISSIMULER, DÉGUISER, (Gram.) termes relatifs à la conduite que nous avons à tenir avec les autres hommes, dans les occasions où il nous importe qu'ils se trompent sur nos pensées & sur nos actions, ou qu'ils les ignorent. On cache ce qu'on ne veut point laisser appercevoir ; on dissimule ce qui s'apperçoit fort bien ; on déguise ce qu'on a intérêt de montrer autre qu'il n'est. Les participes dissimulé & caché se prennent dans un sens plus fort que les verbes dissimuler & cacher. L'homme caché est celui dont la conduite est impénétrable par les ténebres dont elle est couverte ; l'homme dissimulé est celui dont la conduite est toûjours masquée par de fausses apparences. Le premier cherche à n'être pas connu ; le second à l'être mal. Il y a souvent de la prudence à cacher ; il y a toûjours de l'art & de la fausseté soit à dissimuler, soit à déguiser. On cache par le silence : on dissimule par les démarches ; on déguise par les propos. L'un appartient à la conduite ; l'autre au discours. On pourroit dire que la dissimulation est un mensonge en action.


CACHERES. f. terme de verrerie en bouteilles ; c'est ainsi qu'on appelle une petite muraille contiguë aux fils des ouvraux, ou au remettement du four, sur laquelle le maître sépare la bouteille de la canne. Le cou de la bouteille étant placé, il pose le corps dans la cachere : & tenant ses deux mains étendues en avant, il presse de la main gauche le milieu de la canne ; & plaçant la main droite à l'extrémité de la canne, il leve cette extrémité, & donne en même tems en sens contraire une secousse de la main gauche. Cette secousse sépare la bouteille de la canne. Cela fait, il tourne le cul de la bouteille de son côté ; il y applique la partie du cou qui reste attachée à la canne, & met le cou au crochet pour y appliquer la cordeline. V. CORDELINE ; voy. VERRERIE en bouteille.


CACHETS. m. petit instrument qu'on peut faire de toutes sortes de métaux, & de toutes les pierres qui se gravent, & dont on se sert pour fermer des lettres, sceller des papiers, &c. par le moyen d'une substance fusible sur laquelle on l'applique. Voy. l'article SCEAU. Il y a des cachets en bague, c'est toûjours une pierre gravée & montée en or ou en argent : il y en a à manche ; ils sont ordinairement d'argent, le manche en est en poire, & la matiere du manche d'ébene, d'ivoire, de bouis, &c. Il y en a qui sont tout d'or ou d'argent ; ils sont petits ; ils ont une poignée proportionnée, qu'on prend entre le pouce & l'index quand on les applique sur la cire. Mais de quelque espece que soient les cachets, ils se fondent tous ; & ils ont le même usage & la meme forme principale, je veux dire une surface plane, ronde, ou ovale, sur laquelle on a gravé en creux ou des armes, ou une tête, ou quelques figures d'hommes, d'animaux, de plantes, &c. Cette gravure en creux appliquée sur une matiere molle, rend ces figures en relief. Voyez l'article GRAVURE. Les cachets ont été à l'usage des anciens : il nous en reste même quelques-uns d'eux qui sont précieux par le travail. Celui qui est connu sous le nom de cachet de Michel-Ange, peut être mis au nombre des chefs-d'oeuvres de gravure antique. Il est au cabinet du roi ; c'est une petite cornaline transparente, gravée en creux, que l'on croit avoir servi de cachet à Michel-Ange, & qui dans un espace de cinq à six lignes, contient quatorze figures humaines, sans compter des animaux, des arbres, des fleurs, des vases, &c. & un exergue, où l'on voit encore des monticules, des eaux avec un petit pêcheur, &c.

On prétend que le tout est une espece de fête qu'on célébroit anciennement en mémoire de la naissance de Bacchus. On remarque d'abord deux femmes dont l'une tient sur ses genoux un enfant nud ; c'est Bacchus, dit-on, avec sa nourrice, & la belle Hippa dont il est parlé dans les hymnes d'Orphée. Le vieillard assis par terre est Athamas, mari d'Ino, ou si l'on veut un faune qui tient une patere, & qui fait une libation, &c. C'est ainsi que M. de Mautour qui a tâché d'expliquer le cachet dont il s'agit, amene à son système toutes les autres figures de la pierre, hors celle du cheval.

M. Bourdelot prétend au contraire que les puanepsies sont le sujet de la cornaline de Michel-Ange. Voy. PUANEPSIES. Il prend la figure humaine couronnée d'olivier, élevant de la main droite un vase, & tenant de la gauche les renes d'un cheval pour Thesée ; le cheval pour le symbole de Neptune, pere de Thesée, les autres figures d'hommes & de femmes, pour des Athéniens & des Athéniennes qui prennent part à la fête ; l'enfant entre les bras de sa mere, pour le signe de la délivrance de ce tribut ; & le petit pêcheur de l'exergue, pour l'image de la paix que Thesée avoit assurée à son pays.

Quoi qu'on puisse dire du talent des modernes & des progrès des beaux Arts parmi nous, nous aurions de la peine à trouver quelque ouvrage dans le même genre qu'on pût comparer à la piece dont il s'agit, soit pour sa difficulté, soit pour sa perfection.


CACHEURS. m. en termes de Raffineur de sucre, est un morceau de bois de neuf à dix pouces de long, plat par un bout & rond par le manche. Le bout qui est plat, sert à frapper les cercles de bois qui environnent les formes. Celui qui est rond sert alors de poignée. On s'en sert pour sonder les formes. Voyez SONDER, FORME.


CACHEXIES. f. (Medecine) ce mot est tiré du grec ; mauvais, & constitution. Ainsi l'on entend par cachexie la mauvaise constitution, le mauvais état du corps humain dans toute son habitude.

Pour donner une idée juste de la cachexie, il faut poser pour principes, 1° que le corps ne peut rester dans son état naturel, ni augmenter, s'il n'est réparé à proportion de la déperdition qu'il fait journellement. On appelle la premiere opération nutrition, & la seconde accroissement, qui arrive lorsque la déperdition est plus que compensée par l'addition du suc nourricier. Voyez NUTRITION, CROISSEMENTMENT. 2° Que ce suc nourricier doit être tiré des alimens changés en chyle par l'opération nommée digestion (voyez DIGESTION) & convertis en sang dans la veine soûclaviere gauche. Voyez SANGUIFICATION, 3°. Que de ce sang se sépare le suc nourricier ; que ce suc sera propre à la nutrition lorsque le chyle & le sang seront de bonne qualité : qu'au contraire il sera dépravé, & ne produira pas une bonne nutrition, lorsqu'il sera fourni par un mauvais chyle & un mauvais sang. 4°. Que le chyle ni le sang ne seront pas loüables, lorsque les alimens dont ils sont tirés seront de mauvaise qualité, ou que les visceres destinés à les composer seront viciés. Cela posé, examinons à-présent quels effets produira sur le corps la dépravation du chyle & du sang. Lorsque le sang n'aura pas une consistance requise, qu'il ne sera pas fourni ou renouvellé par un bon chyle, il s'ensuivra par son défaut de couleur la pâleur de toutes les parties charnues, & sur-tout du visage, la déperdition des forces du corps en général, & l'inaptitude aux fonctions tant naturelles que volontaires ; d'où naîtront les lassitudes dans les bras & les jambes, la difficulté de respirer, l'inégalité du pouls, la fievre même, la perte de l'appétit, la douleur d'estomac appellée cardialgie, les palpitations, &c. enfin la dépravation du suc nourricier, d'où l'amaigrissement & l'affaissement total de la machine, à quoi se joignent les obstructions dans les glandes, & sur-tout dans le foie. Tous les accidens ci-dessus détaillés caractérisent la cachexie, qui lorsqu'on la néglige dégénere très-facilement en hydropisie ; le chyle mal préparé faisant, pour ainsi dire, sur le sang le même effet que le vinaigre sur le lait, en sépare la sérosité qui s'épanche. On voit aisément après cette exposition, pourquoi les jeunes personnes qui n'ont point encore été reglées, ou les femmes qui auront essuyé des pertes considérables, deviennent cachectiques ; la trop grande abondance ou la suppression de quelque évacuation ordinaire ou nécessaire, étant une cause de cachexie, leur appétit déréglé pour le fruit verd, pour la craie, le charbon, & autres drogues de cette espece, produit souvent chez elles le même accident. Par la mauvaise qualité du chyle qui en résulte, on voit de quelle conséquence il est de corriger la cause de la cachexie. Pour y parvenir, il faut examiner si le vice est dans les liqueurs ou dans les parties solides, ou enfin dans l'un & l'autre ensemble ; lorsque l'on se sera apperçu que ce sont les liqueurs qui pechent, & que l'on reconnoîtra par les signes détaillés aux articles ACIDE & ALKALI, considérés comme causes de maladies, il sera question de vuider l'estomac & les intestins, soit par un vomitif doux, soit par un purgatif leger, & empêcher par toutes sortes de moyens le renouvellement de la matiere morbifique. Lorsque les parties solides seront cause de la cachexie, les remedes corroborans, & sur-tout les martiaux, seront convenables ; enfin lorsqu'elle procédera du vice de l'un & de l'autre, on la détruira par les remedes destinés à réparer ce vice. On aura soin de joindre aux remedes dans l'un & l'autre cas, l'usage d'un exercice modéré, & d'un régime capable de rendre au suc nourricier la douceur qui lui est nécessaire pour être employé utilement ; de défendre l'usage des alimens grossiers, farineux, & de difficile digestion. De tout ce que j'ai dit ci-dessus, il faut conclure que la cachexie est un état très-fâcheux ; que lorsqu'elle est la suite de la foiblesse de quelque partie solide, elle est plus difficile à guérir ; & que lorsqu'elle est accompagnée d'une fievre opiniâtre, elle est très-dangereuse. (N)


CACHIS. m. (Hist. nat. foss.) c'est une espece de pierre blanche fort ressemblante à de l'albâtre, qu'on trouve en quantité dans les mines d'argent de l'Amérique : elles contiennent ordinairement quelques parties de plomb.


CACHIMAS(Hist. nat. bot.) arbre des Indes occidentales dans les îles Antilles. On en compte de deux especes ; le cachimas sauvage, & le cachimas privé. Le premier est garni de pointes ; son fruit est de la grosseur d'une pomme de moyenne grandeur, dont la pelure, qui demeure toûjours verte & dure, est remplie de bosses & d'inégalités. Le cachimas privé a une écorce lisse, & des fruits unis qui sont beaucoup plus grands que ceux du premier ; lorsqu'ils sont mûrs ils sont d'un beau rouge, & blancs au-dessous de l'enveloppe ; le goût en est très-agréable. Les feuilles des deux especes de cachimas ressemblent beaucoup à celles du châtaigner. On dit que le fruit donne de l'appétit, & a la propriété de diviser les humeurs.


CACHIMENTIER(Hist. nat. bot.) arbre très-commun aux îles Antilles, & dans plusieurs endroits de l'Amérique. Il y en a plusieurs especes. Cet arbre porte un fruit que l'on appelle cachiment ? il est de forme ronde, d'environ cinq ou six pouces de diametre ; il est couvert d'une peau brune rougeâtre, & quelquefois d'un verd tirant sur le jaune ; au-dedans de laquelle se trouve une substance blanche ; d'un goût fort fade & d'une consistance de creme, tout le fruit est rempli de graines grosses comme de petites feves, oblongues, brunes, lisses & fort astringentes. Les deux principales especes de cachiment sont le coeur de boeuf, qui a la forme & la couleur de ce dont il porte le nom, & le cachiment morveux très-bien nommé par comparaison. Cette derniere espece est fort rafraîchissante ; la peau qui le couvre est verte, & devient un peu jaunâtre lorsqu'il est mûr. Voyez Gonzalez Oviedo & le P. Plumier, qui appellent cet arbre guanabanus fructu purpureo.


CACHIMIAS. f. (Chimie) ce mot ne se trouve guere que dans Paracelse, qui s'en sert pour désigner des substances minérales qui ne sont point parvenues à perfection, ou ce qui n'est ni sel ni métal, mais qui participe cependant plus de la nature métallique que de toute autre. Les substances de ce genre sont les différentes especes de cobalt, le bismuth, le zinc, l'arsenic, &c. (-).


CACHLEX(Hist. nat.) espece de pierre dont il n'y a point de description, mais qu'on dit se trouver sur le bord de la mer. Galien prétend que si on la fait rougir dans le feu, & qu'on vienne à l'éteindre ensuite dans du petit-lait, elle lui donne la vertu d'être un excellent remede contre la dyssenterie.


CACHOS(Hist. nat. bot.) arbrisseau qui ne croît que sur les montagnes du Pérou. Il est fort verd ; sa feuille est ronde & mince, & son fruit comme la pomme d'amour ; il s'ouvre d'un côté, & a la forme de coquillage : sa couleur est cendrée, & son goût agréable. Il contient une petite semence. Les Indiens lui attribuent de grandes propriétés ; telles que celle de débarrasser les reins de la gravelle, & même de diminuer la pierre dans la vessie, quand elle commence à s'y former.


CACHOTS. m. (Architect.) c'est dans les prisons un lieu soûterrain, voûté, sans aucun jour, où l'on enferme les malfaiteurs.


CACHOU(Hist. nat. des drogues) suc épaissi tiré du regne des végétaux ; en anglois cashoo, en latin terra japonica, terre du Japon ; dénomination reçûe depuis près d'un siecle, quoique très-fausse en elle-même, & d'autant plus impropre, que tout le cachou, qu'on trouve au Japon y est apporté d'ailleurs.

Il en est du cachou, suivant la remarque de M. de Jussieu, comme de la plûpart des autres drogues, sur l'histoire desquelles il y a autant de variations que de relations de voyageurs.

Le cachou n'est point une terre. Le public & les marchands épiciers séduits par la sécheresse & la friabilité du cachou, ont commencé par goûter avidement les décisions de ceux qui s'éloignent du récit de Garcie du Jardin, & ont mis cette drogue au rang des terres. M. de Caen, docteur en Medecine de la faculté de Paris, est un des particuliers qui a le plus accrédité cette opinion de France, en détaillant l'origine & la nature de cette terre, sur l'attestation d'un de ses amis voyageur.

On trouve, a-t-il dit, cette terre dans le Levant, & elle y est appellée masquiqui ; on la ramasse principalement sur les plus hautes montagnes où croissent les cedres, & sous la racine desquels on la rencontre dure & en bloc. Pour ne rien perdre de cette terre, les naturels du pays, qu'on nomme Algonquins, la ramassent en entier avec ce sable qui s'y trouve joint. Ils versent dessus le tout de l'eau de riviere, le rendent liquide, & en pétrissent une pâte qu'ils mettent sécher au soleil, jusqu'à ce qu'elle soit dure comme nous la voyons. Les Algonquins en portent toûjours sur eux, & en usent pour les maux d'estomac. Ils l'appliquent aussi extérieurement en forme d'onguent sur la région du bas-ventre.

Ce roman a passé de bouche en bouche, de livres en livres, avec d'autres circonstances singulieres : tout cela n'a servi qu'à lui donner plus de créance ; & le petit gravier qu'on trouve quelquefois dans le cachou n'y a pas nui. Enfin le nom même de terre de Japon, sous lequel le cachou est connu depuis si longtems parmi les auteurs de matiere médicale, n'a pas peu contribué à confirmer l'opinion que c'est effectivement une terre, ou du moins qu'il y a une terre qui lui sert de base.

Mais on est à-présent détrompé de cette erreur par l'examen analytique qui a été fait des principes du cachou ; premierement en Allemagne par Hagendorn, Wedelius, & autres, & ensuite en France par M. Boulduc.

Les expériences, les dissolutions, & les différentes analyses de ce mixte, ont prouvé démonstrativement que c'est un suc de végétal épaissi : car 1°. au lieu de jetter comme toutes les autres terres un limon dans l'humidité, il s'y dissout entierement, à quelques parties grossieres près, & non-seulement dans les liqueurs aqueuses, mais encore dans les spiritueuses : 2°. il se dissout facilement dans l'eau commune, s'incorpore avec elle, & lui communique une teinture rouge, de même qu'un grand nombre d'extraits & de sucs de végétaux épaissis : 3°. la filtration ne l'en sépare point ainsi qu'elle fait les terres ; mais il passe par le filtre avec l'eau : 4°. en le filtrant on n'y trouve jamais de terre, si ce n'est lorsqu'il est mal-propre : 5°. il s'enflamme, brûle dans le feu, & ne donne que peu de cendres : 6°. mis dans la bouche il ne laisse sur la langue aucun goût de terre, & s'y fond totalement : 7°. on en tire par la chimie beaucoup d'huile & de sels essentiels, pareils à ceux qu'on tire des plantes.

Le cachou n'est point une substance vitriolique. Ces raisons étant décisives, d'autres physiciens ont imaginé de placer le cachou dans la classe des vitriols, c'est-à-dire de le regarder comme une substance composée, qui tient de leur nature : mais cette imagination n'a pas fait fortune ; les expériences la détruisent, & prouvent que le cachou n'a rien de vitriolique : en effet, 1°. on n'en sépare aucun sel de cette nature ; 2°. si on le mêle avec un alkali, il ne produit ni effervescence ni précipitation ; 3°. sa solution fait l'encre, avec une addition de quelques substances vitrioliques.

C'est une substance végétale. Il seroit inutile de m'étendre davantage sur de pures fictions : d'ailleurs tout le monde convient aujourd'hui qu'il faut mettre le cachou dans le rang des substances végétales ; personne n'oseroit le contester ; c'est un fait dont on est pleinement convaincu.

Sa définition. Par conséquent on peut hardiment le définir un suc gommeux, résineux, sans odeur, fait & durci par art, d'un roux noir âtre extérieurement, & d'un roux brun intérieurement ; son goût est astringent, amer quand on le met dans la bouche, ensuite plus doux & plus agréable. Voilà ce qu'on connoît du cachou : mais on n'est point encore assûré si c'est un suc qu'on tire de la décoction de diverses plantes, ou le fruit d'une seule, & si notre cachou est la même chose que le lycium indien de Dioscoride.

Il ne faut pas le confondre avec le cajou. Quelques-uns se fondant sur l'affinité des noms, ont avancé que le cachou est l'extrait ou le suc épaissi du fruit que nous appellons noix d'acajou ; car ce fruit se nomme catzu ou cajou : mais ceux qui ont eu cette idée ne connoissoient pas l'acajou, qui contient dans sa substance un suc acre, mordicant, brûlant les levres & la langue, & qui est d'une saveur bien différente de celle du cachou.

Arbre dont on tire le cachou suivant Garcie. Si nous nous en rapportons à Garcie, l'arbre dont on tire le cachou est de la hauteur du frêne : il a des feuilles très-petites, & fort semblables à celle de la bruyere ou du tamaris : il est toûjours verd, & hérissé de beaucoup d'épines. Voici comment il rapporte la maniere de le tirer. On coupe par petits morceaux les branches de cet arbre, on les fait bouillir, en suite on les pile ; après cela on en forme des pastilles & des tablettes avec la farine de nachani, & avec la sciure d'un certain bois noir qui naît dans le pays. On fait sécher ces pastilles à l'ombre : quelquefois on n'y mêle pas cette sciure.

Description de cet arbre suivant Bontius. Bontius, un des premiers voyageurs qui en ait parlé, dit que cet arbre est tout couvert d'épines sur le tronc & sur les branches, ayant des feuilles qui sont presque comme celles de la sabine, ou de l'arbre que l'on appelle l'arbre de vie, hormis qu'elles ne sont pas si grosses ni si épaisses. Il porte, dit-il, des feves rondes de couleur de pourpre, dans lesquelles sont renfermées trois ou quatre noix tout au plus, & qui sont si dures que l'on ne peut les casser avec les dents. On en fait bouillir les racines, l'écorce, & les feuilles, pour en faire un extrait que l'on appelle cate ; extrait, pour le dire en passant, que ces deux auteurs Garcie & Bontius, croyent être le lycium indien de Dioscoride.

Suivant Hebert de Jager. Mais Hebert de Jager, dans les éphémerides des curieux de la nature, décad. Il. an. 3. écrit que le lycium des Indes, ou le cate de Garcias, ou le kaath, comme les Indiens l'appellent, & le reng des Perses, est un suc tiré non d'un arbre, mais de presque toutes les especes d'acacia qui ont l'écorce astringente & rougeâtre, & de beaucoup d'autres plantes dont on peut tirer par l'ébullition un suc semblable. Tous ces sucs sont désignés, ajoûte-t-il, dans ces pays-là sous le nom de kaath, quoiqu'ils soient bien différens en bonté & en vertu.

Il parle cependant d'un arbre qui porte le plus excellent & le meilleur kaath : cet arbre est nommé khier par les Indiens, khadira par les Brachmanes, tsaanra par les Golcondois, karanggalli fatti par les Malabares.

C'est une espece d'acacia épineux, branchu, dont les plus grandes branches sont couvertes d'une écorce blanchâtre cendrée. Les rameaux qui produisent des feuilles sont couverts d'une peau roussâtre, & ils sortent des plus grandes branches entre les petites épines, placées deux à deux, crochues & opposées. Les feuilles ailées, portées sur une côte, sont semblables à celles de l'acacia, mais plus petites. Cet auteur n'a pas vû les fleurs ni le fruit. On retire de cet arbre par la décoction, dans le royaume de Pégu, un suc dont on fait le kaath, si recherché dans toutes les Indes orientales.

L'arbre qui fournit le cachou est sur-tout l'areca. En effet, quoi qu'en dise Hebert de Jager, l'arbre qu'on nomme areca est le plus célebre parmi ceux qui donnent l'extrait de kaath ou le cachou ; & c'est même le seul qui fournit le vrai cachou, si l'on en croit les voyageurs qui méritent le plus de créance, & en particulier Jean Othon Helbigius, homme très-versé dans la connoissance des plantes orientales, & qui a fait un très-long séjour dans le pays.

Synonymes de cet arbre. Voilà donc la plante que nous cherchions : c'est un grand arbre des Indes orientales, qui croît seulement sur les bords de la mer & dans les terres sablonneuses, une espece de palmier qui porte les noms suivans dans nos ouvrages de Botanique ; palma cujus fructus sessilis. Fausel dicitur, C. B. P. 510. Filfil & Fufel, Avicen. Faufel, sive areca palma foliis, J. B. 1. 389. areca, sive Fauvel, Clus. Exot. 188. Pinung. Bont. caunga hort. Malab. où l'on en trouvera la figure très-exacte.

Sa description. Sa racine est noirâtre, oblongue, épaisse d'un empan, garnie de plusieurs petites racines blanchâtres & rousses : son tronc est gros d'un empan près de la racine, & un peu moins vers son sommet ; son écorce est d'un verd gai, & si unie, qu'on ne peut y monter à moins qu'on n'attache à ses piés des crochets & des cordes, ou qu'on ne l'entoure par intervalles de liens faits de nattes, ou de quelqu'autre matiere semblable.

Les branches feuillées sortent du tronc en sautoir deux à deux ; celles qui sont au-dessus sortent de l'entre-deux des inférieures ; elles enveloppent par leur base le sommet du tronc, comme par une gaine ou une capsule ronde & fermée ; elles forment par ce moyen une tête oblongue au sommet, plus grosse que le tronc de l'arbre même.

Le pié des branches feuillées extérieurement se fend & se rompt, & elles tombent successivement l'une après l'autre : les branches feuillées sont composées d'une côte un peu creuse en-dessus, arrondie en-dessous, & de feuilles placées deux à deux & opposées, longues de trois ou quatre piés, larges de trois ou quatre pouces plus ou moins, pliées comme un éventail, vertes, & luisantes : au haut du tronc il sort de chaque aisselle de feuille une capsule en forme de gaîne, longue de quatre empans, plus ou moins, qui renferme les tiges chargées de fleurs & de fruits, concaves par où elles se rompent & s'ouvrent, d'un verd blanchâtre d'abord extérieurement, jaunâtre ensuite, & blanches en-dedans.

Les tiges qui sont renfermées dans ces gaînes sont les unes plus grosses, & chargées vers le bas de fruits tendres ; les autres sont plus grêles, & garnies des deux côtés de boutons de fleurs : ces boutons sont petits, anguleux, blanchâtres, s'ouvrant en trois pétales, roides, pointus, & un peu épais ; ils contiennent dans leur milieu neuf étamines grêles, dont trois sont plus longues, d'un jaune blanchâtre, qui sont entourées des six autres plus petites & plus jaunes.

Description du fruit arec. Les fruits encore tendres & mous sont blancs & luisans, attachés à des pédicules blancs, de figure anguleuse & non arrondis, renfermés pour la plus grande partie dans les feuilles du calice, qui sont ovalaires & entrelacées les unes avec les autres : ils contiennent beaucoup de liqueur limpide, d'un goût astringent, placée au milieu de la pulpe, qui s'augmente avec le tems ; & la liqueur diminue jusqu'à ce qu'il n'en reste plus : ensuite il naît une moelle blanchâtre, tandis que la pulpe s'endurcit & l'écorce acquiert enfin la couleur de jaune doré.

Les fruits devenus assez gros, & n'étant pas encore secs, sont ovalaires, & ressemblent fort à des dattes : ils sont plus serrés aux deux bouts, & composés d'une écorce épaisse, lisse, membraneuse, & d'une pulpe d'un brun rougeâtre, qui devient en séchant fibreuse ou cotonneuse, & jaunâtre : la moelle, ou plûtôt le noyau ou la semence qui est au milieu, est blanchâtre.

Lorsque le fruit est sec, le noyau se sépare aisément de la pulpe fibreuse ; il est de la grosseur d'une aveline ou d'une muscade, le plus souvent en forme de poire, ou applati d'un côté & sans pédicule, convexe de l'autre, ridé, cannelé extérieurement ; d'une couleur rousse ou de cannelle, d'une matiere dure, difficile à couper, panaché de veines blanchâtres, rousses & rougeâtres ; d'un goût un peu aromatique, & legerement astringent. C'est ce fruit que nous nommons proprement arec, & les Arabes fauvel.

Usages que les Indiens font de ce fruit. L'usage que les Indiens en font tous les jours, lui a donné une très-grande réputation. Ils le mâchent continuellement, soit qu'il soit mou, soit qu'il soit dur, avec le lycium indien, ou le kaath, les feuilles de betel, & très-peu de chaux. Ils avalent le suc ou la salive teinte de ces choses, & ils crachent le reste ; leur bouche alors paroît toute en sang, & fait peur à voir.

Ils ne manquent pas de l'employer comme une espece de régal dans les visites qu'ils se font. Leur maniere de le servir, est de le présenter en entier, ou coupé en plusieurs tranches. Lorsqu'on le présente entier, on sert en même tems un instrument propre à le couper, qui est une espece de ciseau, composé de deux branches mobiles arrêtées par une de leurs extrémités, & qui s'ouvre de l'autre. C'est par l'extrémité par laquelle le ciseau s'ouvre, que l'on presse l'arec, que l'on met entre ces deux branches pour le couper en autant de parties que l'on veut : & de ces deux branches il n'y en a qu'une, qui est la supérieure, destinée à couper ; l'inférieure ne sert que d'appui pour soûtenir cette semence dans le tems de l'effort que l'on fait par l'abaissement de la partie supérieure du ciseau.

Lorsqu'on le sert coupé en tranches, c'est ordinairement sur des feuilles de betel dans lesquelles on enveloppe ces morceaux, après les avoir auparavant couverts d'une couche legere de chaux, propre à se charger du suc de l'arec & du betel, quand on les mâche, pour en faire conserver plus long-tems dans la bouche une saveur agréable.

Préparations du cachou. Je viens à la maniere de préparer l'extrait d'areca ; la voici, selon que le rapporte Herbert de Jager dans les éphémerides des curieux de la nature, decur. II. an. 3.

On coupe en deux ou en trois morceaux la noix d'areca ou fauvel avant qu'elle soit tout-à-fait mûre, & lorsqu'elle est encore verte, & on la fait bouillir dans de l'eau, en y ajoûtant un peu de chaux de coquillages calcinés pendant l'espace de quatre heures, jusqu'à ce que les morceaux de cette noix ayent contracté une couleur d'un rouge obscur. La chaux y sert beaucoup. Alors on passe cette décoction encore chaude ; & lorsqu'elle est refroidie, on la sépare un peu de la matiere épaisse & de la lie qui va au fond du vaisseau. Cette lie étant épaisse, s'appelle aussi kaath, & on l'employe de la même maniere que l'extrait appellé cate. Mais pour rendre cet extrait plus excellent, ils y ajoûtent l'eau de l'écorce encore verte du tsianra, ou de l'acacia, dont nous avons parlé, qu'ils pilent & font macérer pendant trois jours. Enfin, lorsque ce suc est épaissi, ils l'exposent au soleil sur des nattes, & ils le réduisent en petites masses ou en pastilles.

Les grands du pays & les riches ne se contentent pas de ce cachou : ils y mêlent du cardamome, du bois d'aloès, du musc, de l'ambre, & d'autres choses, pour le rendre plus agréable & plus flateur au goût. Telle est la composition de quelques pastilles que l'on prépare dans les Indes, qui sont rondes, plates, de la grosseur d'une noix vomique, que les Hollandois apportent en Europe sous le nom de siri gata gamber.

Telles sont aussi des pastilles noires qui ont différentes figures, tantôt rondes comme des pilules, tantôt comme des graines, des fleurs, des fruits, des mouches, des insectes, tantôt comme des crottes de souris, &c. que les Portugais font dans la ville de Goa, & que les François méprisent à cause de leur violente odeur aromatique. Mais comme les nations qui fabriquent ces pastilles, sont fort trompeuses, il leur arrive souvent d'y mêler d'autres corps étrangers, pour en augmenter le poids & le volume ; desorte qu'il est rare d'en voir sortir de pures de leurs mains.

Pour ce qui est du cachou simple, naturel, & sans aromates, qui passe en Europe, & que nous recherchons le plus ; c'est un pur extrait de l'arec fait sur les lieux, & rendu solide par l'évaporation de toute l'humidité que cet extrait contenoit.

On coupe les graines d'arec vertes, en tranches ; on les met bouillir dans l'eau, jusqu'à ce que cette eau soit chargée d'une forte teinture rouge-brune ; on passe cette décoction, qu'on fait évaporer jusqu'à consistance d'extrait, auquel on donne telle forme que l'on veut, & qui se durcit bientôt après.

Effets de l'arec quand il est verd. Garcias & Bontius assûrent que si l'on mâche l'arec verd, il cause une espece de vertige & d'ivresse semblable à celle que cause le vin, mais qu'on dissipe bientôt en prenant un peu de sel & d'eau fraîche : quand ce fruit est mûr ou cuit, il ne fait point le même effet, il n'en produit que de salutaires ; & je ne crois pas vraisemblable qu'il tire son seul mérite de la mode, de l'habitude, & de la volupté.

Vertus médicinales du cachou. Les Orientaux l'employent continuellement contre la puanteur de l'haleine, pour raffermir les gencives, pour aider la digestion, pour arrêter le vomissement, la diarrhée, la dyssenterie ; & les relations de nos voyageurs, de Garcie, de Linschot, de Bontius, de Cleyer, d'Herman, d'Helbigius, conviennent de son efficace dans tous ces cas.

Par l'usage que nous en avons fait en Europe, nous y avons remarqué à-peu-près les mêmes propriétés ; nous avons trouvé que le cachou naturel est bon pour raffermir les gencives, pour l'angine aqueuse, pour dissiper les catarrhes, pour appaiser la toux qui vient d'une pituite acre, pour arrêter les flux de ventre qui viennent du relâchement de l'estomac & des intestins, & autres maladies semblables.

Si nous pénétrons jusque dans les principes qui peuvent opérer ces effets, il semble que ce soit à l'astriction dont cette drogue est principalement doüée, que l'on doive ses vertus.

Effectivement, c'est par cette astriction que l'estomac plus capable de retenir les alimens, est en état de les mieux digérer ; ce qui est le vrai remede de la plûpart des diarrhées qui ont pour cause la foiblesse de ce viscere.

C'est par cette même astriction, que réunissant les principes du sang qui étoient divisés, elle peut arrêter la dissenterie, & les fluxions dans lesquelles le sang ou sa sérosité s'épanchent avec trop de facilité.

Le caractere spécifique du cachou est donc d'être comme un composé des sucs d'hypocistis & d'acacia, desquels il a l'astriction ; & par sa douceur il approche de celle de la réglisse & du sang-dragon, ensorte qu'il réunit en soi les vertus de ces différens sucs, en modifiant ce qu'ils ont de trop astringent ou de trop difficile à dissoudre dans l'eau simple.

Nous pouvons le disputer aux Indiens par rapport aux différentes préparations que nous donnons au cachou pour le rendre plus agréable. On le dissout dans l'eau simple, qui dans peu de tems se charge de ses parties les plus pures ; on la coule, on laisse évaporer la colature, & l'on ne trouve au fond du vase qu'un extrait rouge-brun, qui est ce cachou purifié, auquel on ajoûte les aromates les plus convenables au goût de chacun, quelquefois même le sucre, pour en corriger cette amertume qui ne prévient pas d'abord en sa faveur.

Les formes sous lesquelles on le réduit, sont celles ou de pilules, ou de pastilles, ou de tablettes, pour s'accommoder aux goûts des diverses personnes qui en font usage ; l'ambre gris, dont l'odeur est utile à ceux qui ont l'haleine mauvaise, s'y retranche ordinairement pour les dames à qui elle pourroit causer des vapeurs. On le donne en substance sous la forme de pilules, de pastilles, ou de tablettes, depuis un demi-scrupule jusqu'à une drachme.

Son usage, sous quelqu'une de ces formes que ce soit, convient le matin à jeûn, avant & après le repas, & dans tous les cas où l'on veut faciliter la digestion, qui manque par l'affoiblissement de l'estomac, ou par l'acide qui domine dans les premieres voies.

Enfin, une qualité particuliere par laquelle le cachou se fait distinguer des autres drogues avec lesquelles il a quelque analogie, est, qu'au lieu que celles-ci se déguisent aisément par le mélange des autres ingrédiens que l'on y joint, le cachou se fait toûjours reconnoître, dans quelque composition qu'on le fasse entrer.

Je ne dois pas oublier un avantage que l'on peut tirer du cachou, en faveur de ceux qui ont de la répugnance pour les tisanes, & pour la commodité de ceux qui veulent faire sur le champ une boisson convenable dans les dévoiemens, dans les fievres bilieuses, dans les maladies provenantes d'une abondance de sérosités acres, &c. c'est que la quantité d'un ou deux gros de cette substance, jettée dans demi-pinte d'eau, lui donnera une teinture rougeâtre, une saveur douce & un peu astringente, telle qu'il convient dans ces occasions.

Il me paroît que l'on n'a rien à craindre d'une trop grande dose du cachou ; car l'on peut en retenir continuellement de petits morceaux dans la bouche, & en substituer de nouveaux à ceux qui sont dissous, sans accident fâcheux. Il faut observer que plus les morceaux sont petits, plus ils paroissent agréables au goût. On en prend de la grosseur d'une graine d'anis ou de coriandre.

Teinture de cachou. Wedelius en tire une teinture de la maniere suivante. cachou en poudre quantité suffisante ; versez dessus six ou huit fois autant d'esprit-de-vin rectifié : digérez. On retire une très-belle teinture, que l'on sépare de la lie, en la versant peu-à-peu, & on la garde pour l'usage ; la dose est depuis 20 gouttes jusqu'à 60.

On employe heureusement cette teinture dans la cachexie & autres maladies de fibres lâches ; où les astringens conviennent. On peut s'en servir en gargarisme dans un véhicule propre, pour le scorbut, pour raffermir les dents & les gencives, & pour adoucir l'haleine.

Pastilles de cachou. cachou, une drachme ; sucre royal, une once : réduisez-les en poudre fine. M. avec du mucilage de gomme adraganth, & une goutte ou deux d'huile de cannelle. Faites des pastilles, que l'on tiendra dans la bouche, dans les toux catarrhales.

Opiate de cachou. cachou, trois onces ; corail rouge préparé, deux drachmes ; sirop de coing, quantité suffisante. M. F. un opiat. La dose est une drachme trois ou quatre fois le jour, dans la super-purgation, la diarrhée, & la dyssenterie.

Julep de cachou. cachou, une drachme ; diacode, trois onces ; sirop de roses seches, une once ; eau de pourpier, de laitue, ana quatre onces : faites-en un julep dans le crachement de sang, ou la dyssenterie.

Looch de cachou. cachou en poudre, deux drachmes ; mucilage de gomme adraganth, trois onces ; sirop de grande consoude, une once : M. & faites-en un looch, contre la toux provenante de pituite acre ; qui tombe sur le poumon.

Tout medecin peut changer, combiner, amplifier ces sortes de formules à son gré, & les employer dans les occasions. Je ne les ai indiquées que parce que je mets le cachou au rang des bonnes drogues qui ont le moins d'inconvéniens.

Choix du cachou. Il faut le choisir pesant, d'un rouge tanné au-dessus, point brûlé, & très-luisant. On l'apporte de Malabar, de Surate, de Pégu, & des autres côtes des Indes.

Notre cachou paroît un extrait du seul areca. Parmi celui que nous recevons, il se trouve des morceaux de différentes couleurs & figures ; les uns sont formés en boules, & d'autres en masses applaties plus ou moins grosses ; de plus, il y en a de pur, qui se fond promtement dans la bouche, & d'autre plus grossier, plus amer, terreux, sablonneux, brûlé. Ces différences ont porté plusieurs auteurs de matiere médicale, à distinguer deux sortes de cachou, qu'ils ont imaginé être des sucs extraits de différentes plantes, cependant toutes les différences dont on vient de parler, ne semblent qu'accidentelles, & peuvent venir de diverses préparations d'un seul & même fruit.

En effet, suivant l'observation de M. de Jussieu, la différence des couleurs de l'intérieur & de l'extérieur des masses, peut ne dépendre que du plus ou du moins de cuisson du suc extrait, qui ayant été exposé au feu & au soleil pour être désseché, a reçu à l'extérieur plus d'impression de feu qu'à l'intérieur.

Il ne faut d'ailleurs qu'un peu d'expérience sur les différens effets qu'est capable de produire le plus ou le moins de maturité dans les fruits & les semences dont on extrait ces sucs, pour juger de la cause de cette diversité de couleur dans les différentes masses de cachou qui nous sont apportées des Indes.

Le plus ou le moins de sécheresse de l'arec peut aussi contribuer à rendre ces morceaux de cachou plus ou moins terreux, & à les faire paroître plus ou moins résineux ; puisqu'il est impossible qu'à proportion de l'un de ces deux états dans lequel cette semence aura été employée, il n'y ait plus ou moins de fécules, dont la quantité le rendra plus terrestre & plus friable ; il sera au contraire plus compact, plus pesant, moins cassant, & paroîtra plus résineux, plus il y aura d'extrait gommeux.

Le sable, les petites pierres, & corps étrangers qu'on trouve dans quelques morceaux & non dans d'autres, sont l'effet de la malpropreté & du manque de soin dans la préparation.

Enfin la couleur & la saveur de l'arec, qui se rencontrent dans l'un & l'autre cachou, paroissent indiquer qu'ils ne tirent leur origine que de ce seul & même fruit, & que tous les autres accidens qu'on a détaillés ne dépendent que de la préparation.

Cependant je n'oserois nier qu'il n'y ait d'autre cachou dans le monde que celui qu'on retire de l'arec ; il n'est pas même vraisemblable que ce seul fruit puisse suffire à la quantité prodigieuse qu'on débite de cette drogue aux Indes ; & il est à présumer que leur extrait kaath est un suc tiré non-seulement du fruit de l'arec, mais de beaucoup d'autres fruits ou plantes, dont on tire par l'ébullition un suc qui lui est analogue.

Le cachou n'est point le lycium indien des Grecs. Il ne me reste plus qu'à examiner si le cachou est la même chose que le lycium indien de Dioscoride ; on a grand sujet d'en douter.

L'illustre medecin d'Anazarbe, Galien, & Pline, ont fait mention de deux sortes de lycium ; savoir, de celui de Cappadoce, & de celui des Indes. Le premier étoit un suc tiré d'un certain arbre épineux, dont les branches ont trois coudées de long, & même plus ; son écorce est pâle ; ses feuilles sont semblables à celles du bouis ; elles sont touffues : son fruit est noir comme le poivre, luisant, amer, compact ; ses racines sont nombreuses, obliques, & ligneuses. Cet arbre croit dans la Cappadoce, la Lycie, & plusieurs autres endroits. Les Grecs l'appelloient & .

On préparoit le lycium, ou cet extrait, avec les rameaux & les racines que l'on piloit : on les macéroit ensuite pendant plusieurs jours dans l'eau, & enfin on les faisait bouillir. Alors on rejettoit le bois ; on faisoit bouillir de nouveau la liqueur jusqu'à la consistance de miel.

On en faisoit de petites masses noires en-dehors, rousses en-dedans lorsqu'on venoit de les rompre, mais qui se noircissoient bien-tôt, d'une odeur qui n'étoit point du-tout puante ; d'un goût astringent avec un peu d'amertume. On avoit aussi coûtume de faire un lycium, que l'on exprimoit & que l'on faisoit sécher.

L'autre lycium, ou celui des Indes, étoit de couleur de safran ; il étoit plus excellent & plus efficace que le précédent. On dit, ajoûte Dioscoride, que l'on fait ce lycium d'un arbrisseau qui s'appelle lonchitis.

Il est aussi du genre des arbres à épines ; ses branches sont droites ; elles ont trois coudées, ou même plus, elles sortent en grand nombre de la racine, & sont plus grosses que celles de l'églantier : l'écorce devient rousse après qu'on l'a brisée ; les feuilles paroissent semblables à celle de l'olivier.

Ces descriptions ne conviennent point du-tout avec celles que Garcias & Bontius font du caté, ou avec celle que Herbert de Jager fait de l'acacia indien, ni avec celle que nous avons donnée du palmier areca ; d'où nous pouvons conclure avec Clusius & Veslingius, que nous n'avons pas le lycium indien des Grecs. On ne trouve plus dans les boutiques le lycium de Cappadoce.

Auteurs sur le cachou. J'ai lû sur le cachou quantité de relations de voyageurs, qui m'ont paru la plûpart infideles ; le Traité d'Hagendorn, imprimé en Latin à Genes en 1679, in -8°, qui est une fort médiocre compilation ; plusieurs Dissertations d'Allemagne, qui n'ont rien de remarquable : les Ephémerides des curieux de la nature, qui ont du bon & du mauvais ; un Mémoire de M. Bolduc, dans le recueil de l'Académie des Sciences, qui ne renferme rien de particulier, un autre de M. de Jussieu, qui est intéressant ; l'article qu'en a donné M. Geoffroi dans sa Matiere médicale, qui est excellent, & dont j'ai fait le plus d'usage. Enfin j'ai beaucoup travaillé ce sujet pour m'en instruire & pour en parler avec quelque connoissance. Article communiqué par M(D.J.)


CACHRY(Hist. nat. bot.) c'est la graine d'une plante que M. Ray appelle libanotis cachryophora ; elle est échauffante & dessicative.


CACHUNDEsub. m. (Pharmacie) remede fort vanté dans la Chine & dans l'Inde, décrit dans Zacutus Lusitanus, dont cet auteur fait un si grand éloge, qu'il lui attribue les avantages de prolonger la vie & d'éloigner la mort ; enfin c'est selon lui un remede vraiment royal.

Ce remede est un opiat composé de médicamens aromatiques, de pierres précieuses, & d'autres choses fort coûteuses. Zacutus Lusitan. de Medic. princip. lib. I. obs. 37. (N)


CACIQUEsubst. m. (Hist. mod.) nom que les peuples d'Amérique donnoient aux gouverneurs des provinces & aux généraux des troupes sous les anciens Yncas ou empereurs du Pérou. Les princes de l'île de Cuba, dans l'Amérique septentrionale, portoient le nom de caciques quand les Espagnols s'en rendirent maîtres. Depuis leurs conquêtes dans le nouveau monde, ce titre est éteint quant à l'autorité parmi les peuples qui leur obéissent ; mais les Sauvages le donnent toûjours par honneur aux plus nobles d'entr'eux ; & les chefs des Indiens qui ne sont pas encore soûmis aux Européens ont retenu ce nom de caciques. (G)


CACOCHYMIEsub. f. (Medecine) état dépravé des humeurs ; mot tiré du Grec , mauvais, & de , suc.

Un corps devient sujet à la cacochymie par plusieurs causes : 1°. par l'usage habituel d'alimens qui ont peine à être digérés, soit par leur trop grande viscosité, soit par leur texture trop forte pour céder à l'action des organes de la digestion : la plethore, les hémorrhagies considérables, les diarrhées, les pertes dans les femmes, les fleurs blanches, ainsi que leur cessation subite, l'oisiveté, les veilles immodérées, sont autant de causes de la cacochymie, qui est elle-même la cause d'une infinité de maladies.

Un régime doux, un exercice modéré, quelques legers purgatifs appropriés au tempérament, au sexe & à l'âge de la personne menacée de cacochymie, en sont les préservatifs. (N)


CACONGO(Géog.) petit royaume d'Afrique, dans le Congo, sur la riviere de Zair ; Malemba en est la capitale.


CACOPHONIES. f. terme de Grammaire ou plûtôt de Rhétorique : c'est un vice d'élocution, c'est un son desagréable ; ce qui arrive ou par la rencontre de deux voyelles ou de deux syllabes, ou enfin de deux mots rapprochés, dont il résulte un son qui déplaît à l'oreille.

Ce mot cacophonie vient de deux mots Grecs ; , mauvais, & , voix, son.

Il y a cacophonie, sur-tout en vers, par la rencontre de deux voyelles : cette sorte de cacophonie se nomme hiatus ou bâillement, comme dans les trois derniers vers de ce quatrain de Pibrac, dont le dernier est beau :

Ne vas au bal qui n'aimera la danse,

Ni à la mer qui craindra le danger,

Ni au festin qui ne voudra manger,

Ni à la cour qui dira ce qu'il pense.

La rime, qui est une ressemblance de son, produit un effet agréable dans nos vers, mais elle nous choque en prose. Un auteur a dit que Xerxès transporta en Perse la bibliotheque que Pisistrate avoit faite à Athenes, où Seleucus Nicanor la fit reporter : mais que dans la suite Sylla la pilla : ces trois la font une cacophonie qu'on pouvoit éviter en disant, mais dans la suite elle fut pillée par Sylla. Horace a dit, aequam memento rebus in arduis servare mentem ; il y auroit eu une cacophonie si ce poëte avoit dit mentem memento, quoique la pensée eût été également entendue. Il est vrai que l'on a rempli le principal objet de la parole quand on s'est exprimé de maniere à se faire entendre : mais il n'est pas mal de faire attention qu'on doit des égards à ceux à qui l'on adresse la parole : il faut donc tâcher de leur plaire ou du moins éviter ce qui leur seroit desagréable & qui pourroit offenser la délicatesse de l'oreille, juge sévere qui décide en souverain, & ne rend aucune raison de ses décisions : Ne extremorum verborum cum insequentibus primis concursus, aut hiulcas voces efficiat aut asperas : quamvis enim suaves gravesque sententiae, tamen si inconditis verbis efferuntur, offendent, quarum est judicium superbissimum : quod quidem Latina lingua sic observat, nemo ut tam rusticus sit quin vocales nolit conjungere, Cic. Orat. c. 44. (F)

CACOPHONIE, s. f. bruit desagréable, qui résulte du mélange de plusieurs sons discordans ou dissonans. Voyez DISSONANCE, HARMONIE, &c. (O)


CAÇORLA(Géog.) ville d'Espagne, dans l'Andalousie ; sur le ruisseau de Véga, à deux lieues de la source du Guadalquivir, sur les frontieres du royaume de Grenade.


CACOUCHACS(Géog.) nation sauvage de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle France.


CACTONITES. f. (Hist. nat. Litholog.) cactonites ; pierre que quelques-uns prennent pour la sarde ou pour la cornaline. On a prétendu que son seul attouchement rendoit victorieux, & que prise dans la dose d'un scrupule elle mettoit à couvert des maléfices ; propriétés si fabuleuses, qu'à peine osons-nous en faire mention.


CAou CADILS, (Hist. anc.) signifie en hébreu une mesure de continence pour les liquides, une cruche, une barrique, un seau ; mais dans S. Luc, c. xvj. vers. 9. il se prend pour une certaine mesure déterminée. Combien donnez-vous à mon maître ? cent cades d'huile. Le Grec lit cent baths ; or le bath ou éphi contenoit vingt-neuf pintes, chopine, demi-septier, un poisson & un peu plus d'une mesure de Paris.


CADAHALSO(Géog.) petite ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille.


CADALENSou CADELENS, (Géog.) ville de France dans l'Albigeois, au Languedoc.


CADAou KADAN, (Géog.) petite ville de Boheme, au cercle de Zatz, sur l'Egre.


CADARIEN(Hist. mod.) nom d'une secte mahométane. Les Cadariens sont une secte de Musulmans qui attribue les actions de l'homme à l'homme même, & non à un decret divin qui détermine sa volonté.

L'auteur de cette secte fut Mabedben-Kaled-al-Gihoni, qui souffrit le martyre pour défendre sa croyance : ce mot vient de l'arabe , kadara, pouvoir, Ben-Aun appelle les Cadariens, les Mages ou les Manichéens du Musulmanisme ; on les appelle autrement Motazales. (G)


CADASTRESS. m. (terme d'Aides ou de Finances) est un registre public pour l'assiette des tailles dans les lieux où elles sont réelles, comme en Provence ou en Dauphiné. Le cadastre contient la qualité, l'estimation des fonds de chaque communauté ou paroisse, & les noms des propriétaires. (H)

CADASTRE, (Commerce) est aussi le nom que les marchands de Provence & de Dauphiné donnent quelquefois au journal ou registre sur lequel ils écrivent chaque jour les affaires concernant leur commerce & le détail de la dépense de leur maison. Voyez JOURNAL & LIVRE. Dictionn. du Commerce, tom. II. pag. 19. (G)


CADAVRES. m. c'est ainsi qu'on appelle le corps d'un homme mort : il est des cas où ne pouvant procéder contre la personne d'un criminel, parce qu'il est mort avant que son procès pût lui être fait, on le fait au cadavre, s'il est encore existant, sinon à sa mémoire. Voyez les cas dans lesquels cette forme de procéder est usitée, au mot MEMOIRE.

Pour cet effet, le juge doit nommer un curateur au cadavre ou à la mémoire, lequel prête serment de bien & fidelement défendre le cadavre ou sa mémoire. Toute la procédure se dirige contre ce curateur, à l'exception du jugement définitif qui se rend contre le cadavre ou la mémoire du défunt.

Le curateur cependant peut interjetter appel du jugement rendu contre le défunt : il peut même y être obligé par quelqu'un des parens du défunt, lequel en ce cas est tenu d'avancer les frais pour ce nécessaires.

Et s'il plaît à la cour souveraine où l'appel est porté, de nommer un autre curateur que celui qu'avoient nommé les juges dont est appel, elle le peut. Voyez CURATEUR. (H)

La loi salique, dit l'illustre auteur de l'esprit des lois, interdisoit à celui qui avoit dépouillé un cadavre le commerce des hommes, jusqu'à ce que les parens acceptant la satisfaction du coupable, eussent demandé qu'il pût vivre parmi les hommes. Les parens étoient libres de recevoir cette satisfaction ou non : encore aujourd'hui, dit M. de Fontenelle, éloge de M. Littre, la France n'est pas sur ce sujet autant au-dessus de la superstition chinoise, que les anatomistes le desiroient. Chaque famille veut qu'un mort joüisse pour ainsi dire, de ses obseques, & ne souffre point, ou souffre très-rarement, qu'il soit sacrifié à l'instruction publique ; tout au plus permet-elle en certain cas qu'il le soit à son instruction, ou plûtôt à sa curiosité particuliere. M. de Marsollier raconte dans la vie de S. François de Sale, que ce saint encore fort jeune étant tombé dangereusement malade, vouloit léguer son corps par testament aux écoles de Medecine, parce qu'il étoit scandalisé de l'impiété des étudians qui déterroient les morts pour en faire la dissection. Il est pourtant nécessaire que les magistrats ferment jusqu'à un certain point les yeux sur cet abus, qui produit un bien considérable. Les cadavres sont les seuls livres où on puisse bien étudier l'Anatomie. Voyez ANATOMIE. (O)

* L'ouverture des cadavres ne seroit pas moins avantageuse aux progrès de la Medecine. Tel, dit M. de la Métrie, a pris une hydropisie enkistée dans la duplication du péritoine, pour une hydropisie ordinaire, qui eût toûjours commis cette erreur, si la dissection ne l'eût éclairé. Mais pour trouver les causes des maladies par l'ouverture des cadavres, il ne faudroit pas se contenter d'un examen superficiel ; il faudroit fouiller les visceres, & remarquer attentivement les accidens produits dans chacun & dans toute l'économie animale ; car un corps mort differe plus encore au-dedans d'un corps vivant, qu'il n'en differe à l'extérieur. La conservation des hommes & les progrès de l'art de les guérir, sont des objets si importans, que dans une société bien policée les prêtres ne devroient recevoir les cadavres que des mains de l'anatomiste, & qu'il devroit y avoit une loi qui défendit l'inhumation d'un corps avant son ouverture. Quelle foule de connoissances n'acquerroit-on pas par ce moyen ! Combien de phénomenes qu'on ne soupçonne pas & qu'on ignorera toûjours, parce qu'il n'y a que la dissection fréquente des cadavres qui puisse les faire appercevoir ! la conservation de la vie est un objet dont les particuliers s'occupent assez, mais qui me semble trop négligé par la société. Voyez les articles FUNERAILLES, BUCHER, SEPULCRE, TOMBEAU, &c.


CADDOR(Géog.) ville d'Asie dans l'Inde, au royaume de Brampour, dépendante du grand Mogol.

CADDOR, (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne en Turquie à une épée dont la lame est droite, que les spahis sont dans l'usage d'attacher à la selle de leurs chevaux, & dont ils se servent dans une bataille au défaut de leurs sabres.


CADEAUS. m. (Art d'écrire) grand trait de plume dont les maîtres d'Ecriture embellissent les marges, le haut & le bas des pages, & qu'ils font exécuter à leurs éleves, pour leur donner de la fermeté & de la hardiesse dans la main.


CADÉES. f. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme celle des trois ligues qui composent la république des Grisons, qu'on appelle autrement la ligue de la maison de Dieu. C'est la plus étendue & la plus puissante des trois ; elle renferme l'évêché de Coire, la vallée Engadine, & celle de Bregaille ou Prigel. Elle est alliée aux sept premiers cantons suisses depuis 1498 ; on y professe le Protestantisme. L'allemand est la langue de deux des onze grandes & vingt-une petites communautés dont la Cadée est composée : les autres parlent le dialecte italien, appellé le rhétique.


CADEGI(Hist. nat. bot.) arbre qui croît aux Indes & en Arabie, & qui a beaucoup de ressemblance avec celui qui porte la casse, mais dont la feuille est cependant plus longue & plus mince. On donne aussi le même nom à un autre arbre des Indes, qui a beaucoup de conformité avec un prunier ; son écorce est d'un brun foncé ; ses feuilles sont un peu plus longues que celles du poirier ; la fleur qu'il produit est blanche & pourpre, d'une odeur fort agréable, & le fruit ressemble aux poires de bergamotte.


CADEL-AVANACU(Hist. nat. bot.) espece de ricin qui croît au Bresil, fleurit, & porte fruit en Janvier & en Juillet ; c'est tout ce que Ray nous en apprend. Voyez dans le dictionn. de Medecine, ses propriétés, qui sont en grand nombre, & qui feroient desirer une meilleure description du cadel-avanacu : si elles étoient bien réelles.


CADENAC(Géog.) petite ville de France dans le Quercy, sur la riviere de Lot.


CADENATS. m. est une espece de petite serrure qui sert à fermer les malles, les coffres-forts, les cassettes, &c. Il y en a de différentes figures & de méchanisme différent ; mais on peut les renfermer tous sous trois classes, & dire que les uns sont à serrure, les autres à ressort, & les troisiemes à secret. Quant aux figures, il y en a de ronds, de longs, d'ovales, en écusson, en cylindre, en triangle, en balustre, en coeur, &c.

Les cadenats d'Allemagne ont toutes leurs pieces brasées.

Pour expliquer les cadenats, nous allons commencer par ceux en coeur, en triangle, & en boule. Ils ont une anse O N, fig. 3. & 4. Planche II. de Serrurerie, arrêtée par une goupille entre les deux oreilles qui forment la tête du palâtre. Cette anse, par un mouvement de charniere, va se rendre dans une ouverture pratiquée entre les deux oreilles opposées aux précédentes, où son extrémité, à laquelle on voir une encoche, rencontre un pêle I L soûtenu sur une coulisse K qu'elle pousse, & qui est repoussé dans l'encoche par un ressort à chien M qui est fixé sur le palâtre du cadenat : c'est ainsi que le cadenat se ferme de lui-même. Pour l'ouvrir, on a une clé dont le panneton vient s'appliquer en tournant de gauche à droite contre la queue L du pêle, qui est coudé en équerre, repousse le ressort, & fait sortir le pêle I de l'encoche de l'anse du cadenat, & alors le cadenat est ouvert.

Ces cadenats sont, comme on voit, composés d'un palâtre, d'une cloison, & d'une couverture, qui est le côté où entre la clé, pour le dehors ; & quant à la garniture de dedans ; c'est un pêle à queue coudé en équerre, & soûtenu sur une coulisse K avec un ressort à chien par derriere, & une broche qui entre dans le canon de la clé.

Autre cadenat en demi-coeur & à anse quarrée. Celui-ci a les mêmes parties au-dehors, mais aucune garniture en-dedans. Les deux extrémités de son anse, F G H, F G H, sont garnies sur deux faces, savoir celles qui regardent le ventre du cadenat, & celles qui se regardent sous l'anse, chacune d'un ressort en aile FG, FG, soudé sur les extrémités F, F, de l'anse. On fait entrer ces extrémités de l'anse avec ces ressorts dans les ouvertures E, E, qui sont entre les oreilles de dessus la tête du palâtre. Dans ce mouvement les ressorts FG, FG, se pressent contre les faces des extrémités de l'anse ; & se détendant ensuite dans l'intérieur du cadenat, au-delà du diametre des ouvertures, l'anse ne peut sortir d'elle-même, & le cadenat se trouve fermé. Pour l'ouvrir, on a une clé forée K I, dont le panneton est entaillé à ses deux extrémités, suivant la forme des bouts de l'anse. En tournant cette clé de gauche à droite, les deux parties entaillées du panneton pressent les deux ressorts de devant ; & la partie du panneton qui est restée entiere, & qui passe entre les deux autres ressorts qui se regardent entre les branches de l'anse, les presse en même tems : d'où il arrive qu'ils sont tous quatre appliqués sur les faces de l'extrémité de l'anse qui perd son arrêt, & lui permet de sortir.

Cadenat cylindrique à ressort à boudin, (fig. 7. même Planche). Ce cadenat a pour corps un cylindre creux, A B I, fermé par une de ses extrémités B, & garni à l'autre extrémité d'un guide immobile & brasé avec le corps, ou fixé par une goupille. Le corps porte à la même extrémité du guide où entre la clé, deux oreilles entre lesquelles se meut l'anse B 2, qui y est arrêtée par une goupille d'un bout ; & dont l'autre, terminée par une surface plate, quarrée, & percée dans son milieu d'un trou quarré, entre par une ouverture faite au corps dans sa cavité, à la partie opposée des oreilles : voilà toutes les parties extérieures. L'intérieur est garni d'un guide ou plaque circulaire E 5, percée pareillement d'un trou quarré, & soudée parallelement au guide, à très-peu de distance de l'ouverture qui reçoit l'extrémité de l'anse qui doit recevoir le pêle. Entre ces deux guides se pose un ressort à boudin HG 3, sur l'extrémité duquel est située une nouvelle plaque ou piece ronde G 3, & percée dans son milieu d'un trou quarré, dans lequel le pêle a F 6 est fixé. Ce pêle traverse le ressort à boudin, la piece ronde mobile dans laquelle il est fixé, l'autre piece ronde fixée dans le corps, & s'avance par un de ses bouts jusqu'au-delà de l'ouverture du cadenat, comme on voit en K L M 7. Son autre extrémité est en vis, & entre dans le guide du côté de l'anse : il est évident que dans cet état le cadenat est fermé. Pour l'ouvrir, on a une clé I 4, dont la tige est forée en écrou. Cet écrou reçoit la vis du pêle, tire cette vis, fait mouvoir le pêle, approcher la piece ronde à laquelle il est fixé, & sortir son extrémité de la piece ronde fixée dans le corps, & du trou quarré de l'auberon : alors le cadenat est ouvert. La piece ronde s'appelle picolet. Il est évident que quand on retire la clé, on donne lieu à l'action du ressort qui repousse le picolet mobile, & fait aller le bout du pêle de dessus le picolet fixe, dans l'auberon. Cette clé a un épaulement vers le milieu de sa tige ; cet épaulement l'empêche d'entrer, & contraint le ressort à laisser revenir le pêle.

Autre cadenat à cylindre, figure 6. Il est fermé par un de ses bouts, M ; l'autre, N, est ouvert. Le côté ouvert peut recevoir une broche D E F, qui a quatre ailes soudées par la pointe de la broche, & formant ressort. L'anse accrochée par un bout M ou B dans un anneau qui est à l'extrémité par laquelle entre la clé, a en son autre extrémité un auberon, C, percé d'un trou quarré & qui entre dans le cylindre qui forme le corps de cadenat. Lorsqu'on veut fermer le cadenat, on pousse la broche D E F par le côté ouvert du cylindre, & on la fait passer avec les ressorts E F à-travers l'auberon. Ces ressorts passent au-delà de l'auberon, s'ouvrent, forment un arrêt, & le cadenat est fermé. Pour l'ouvrir, on a une clé G H K garnie d'un auberon, qui reçoit la pointe de la broche, resserre les ressorts, & les ressorts sont serrés avant que l'auberon de la clé soit parvenu jusqu'à l'auberon de l'anse : cette clé ouvre le cadenat & chasse la broche.

Cadenat à serrure, fig. 2. même Planche. Il est composé, quant à la cage, d'un palâtre, d'un cloison, d'une couverture & d'une anse ; quant au-dedans, d'un pêle monté dans deux picolets fixés sur le palâtre ; un grand ressort à gorge, aussi monté sur le palâtre : au-dessous du pêle est un roüet simple, avec une broche, des étochios qui arrêtent la cloison entre le palâtre & la couverture, & fixent le tout ensemble. La cloison est ouverte en-dessus en deux endroits, dont l'un reçoit une des branches de l'anse allongée, & terminée par un bouton qui fixe sa course, l'empêche de sortir du cadenat, & dont l'autre reçoit l'autre branche de l'anse qui est plate, & qui a une entaille ou ouverture. Cette entaille reçoit le pêle, lorsque la clé tournant de droite à gauche, rencontre la gorge du ressort, le fait lever & échapper de son encoche, & pousse les barbes du pêle qui entre dans l'entaille de l'anse, & reçoit le ressort qui tombe dans une autre encoche qui empêche le pêle de reculer : alors le cadenat est fermé. Si l'on meut la clé en sens contraire, tout s'exécutera en sens contraire, & le cadenat sera ouvert.

On voit encore à ce cadenat un cache-entrée qui est fixé sur la couverture par deux vis, dont l'une est rivée, & l'autre peut sortir jusqu'à fleur du cache-entrée. L'utilité du cache-entrée est d'empêcher que l'eau n'entre dans le cadenat. La tête de la broche qui est sur le palâtre, est tout-à-fait semblable au cache-entrée.

Cadenat à secret, même Pl. Il est formé d'une plaque A B, au milieu de laquelle est rivé un canon C D ouvert par sa partie supérieure. Sur ce canon peuvent s'enfiler des plaques rondes, percées dans le milieu E, échancrées circulairement en F G H, & fendues en F. Une autre plaque I K porte fixée sur son milieu une broche L M faite en scie. Cette broche entre dans le canon C D, & traverse toutes les plaques F G H, de maniere pourtant que ses dents débordent par l'ouverture du canon, & sont reçûes dans les échancrures des plaques. Quand la broche L M avance dans le canon C D, l'extrémité Q d'une des moitiés de l'anse entre dans l'extrémité R de l'autre moitié. Si vous faites tourner les plaques F G H sur elles-mêmes, il est évident que les dents de la broche L M seront retenues par toutes les échancrures de ces plaques ; & qu'on ne pourra en faire sortir cette broche qu'en faisant mouvoir toutes les plaques, jusqu'à ce que toutes les fentes F de ces plaques se trouvent & dans la même direction, & dans la direction des dents de la broche : or s'il y avoit seulement six à sept plaques échancrées, il faudroit les tourner long-tems avant que le hasard fit rencontrer cette position unique. Mais, dira-t-on, comment ouvre-t-on donc ce cadenat ? c'est par le moyen de signes & de caracteres répandus en grand nombre sur toutes les circonférences des plaques enfilées. Il n'y a qu'une seule position de tous ces caracteres, qui donne aux plaques celle dans laquelle on peut faire sortir la broche du canon ; & il n'y a que le maître du cadenat qui connoisse cette position ; & qu'un géometre qui épuiseroit les combinaisons de tous les caracteres, & qui éprouveroit ces combinaisons de caracteres les unes après les autres, qui puisse rencontrer la bonne : mais par malheur cette espece de cadenat est à l'usage de gens dont l'humeur inquiete ne laisse guere aux autres le tems de faire un si grand nombre d'épreuves.


CADENCES. f. (Belles-Lettr.) Ce mot, dans le discours oratoire & la Poésie, signifie la marche harmonieuse de la prose & des vers, qu'on appelle autrement nombre, & que les anciens nommoient . Voyez NOMBRE, RYTHME, RMONIEONIE.

Quant à la prose, Aristote veut que sans être mesurée comme les vers, elle soit cependant nombreuse ; & Cicéron exige que l'orateur prenne soin de contenter l'oreille, dont le jugement, dit-il, est si facile à révolter, superbissimum aurium judicium. En effet, la plus belle pensée a bien de la peine à plaire, lorsqu'elle est énoncée en termes durs & mal arrangés. Si l'oreille est agréablement flattée d'un discours doux & coulant, elle est choquée quand le nombre est trop court, mal soûtenu, la chûte trop rapide ; ce qui fait que le style haché, si fort à la mode aujourd'hui, ne paroît pas être le style convenable aux orateurs : au contraire, s'il est traînant & languissant, il lasse l'oreille & la dégoûte. C'est donc en gardant un juste milieu entre ces deux défauts, qu'on donnera au discours cette harmonie toûjours nécessaire pour plaire, & quelquefois pour persuader ; & tel est l'avantage du style périodique & soûtenu, comme on peut s'en convaincre par la lecture de Cicéron.

Quant à la cadence des vers, elle dépend dans la poésie greque & latine, du nombre & de l'entrelacement des piés ou mesures périodiques, qui entrent dans la composition des vers, des césures, &c. ce qui varie selon les différentes especes de vers : & dans les langues vivantes, la cadence résulte du nombre de syllabes qu'admet chaque vers, de la richesse, de la variété & de la disposition des rimes. Voyez HARMONIE.

" Dans l'ancienne Poésie, il y a, dit M. Rollin, deux sortes de cadences : l'une simple, commune, ordinaire, qui rend les vers doux & coulans, qui écarte avec soin tout ce qui pourroit blesser l'oreille par un son rude & choquant ; & qui par le mélange de différens nombres & différentes mesures, forme cette harmonie si agréable, qui regne universellement dans tout le corps d'un poëme.

Outre cela, continue-t-il, il y a de certaines cadences particulieres, plus marquées, plus frappantes, & qui se font plus sentir ; ces sortes de cadences forment une grande beauté dans la versification, & y répandent beaucoup d'agrément, pourvû qu'elles soient employées avec ménagement & avec prudence, & qu'elles ne se rencontrent pas trop souvent. Elles sauvent l'ennui que des cadences uniformes, & des chûtes reglées sur une même mesure ne manqueroient pas de causer.... Ainsi la Poésie latine a une liberté entiere de couper ses vers où elle veut, de varier ses césures & ses cadences à son choix, & de dérober aux oreilles délicates les chûtes uniformes produites par le dactyle & le spondée, qui terminent les vers héroïques ".

Il cite ensuite un grand nombre d'exemples tous tirés de Virgile ; nous en rapporterons quelques uns.

1°. Les grands mots placés à propos forment une cadence pleine & nombreuse, sur-tout quand il entre beaucoup de spondées dans le vers :

Luctantes ventos tempestatesque sonoras

Imperio premit. Aeneid. I.

Ainsi le vers spondaïque a beaucoup de gravité :

Constitit, atque oculis Phrygia agmina circumspexit,

Un monosyllabe à la fin du vers lui donne de la force :

Haeret pes pede densusque viro vir. Aeneid. x.

Il y a des cadences suspendues propres à peindre les objets, telle que celle-ci :

Et frustra retinacula tendens,

Fertur equis auriga. Georg. I.

d'autres coupées, d'autres où les élisions font un très-bel effet. Les spondées multipliés sont propres à peindre la tristesse :

Extinctum nymphae crudeli funere Daphnim

Flebant. Eclog.

des dactyles au contraire, à marquer la joie, le plaisir :

Saltantes satyros imitabitur Alphesibaeus. Eclog. v.

Pour exprimer la douceur, on choisit des mots où il n'entre presque que des voyelles avec des consonnes douces & coulantes :

Devenere locos laetos & amaena vireta,

Fortunatorum nemorum sedesque beatas. Aeneid. VI.

La durée se peint par des rr, ou d'autres consonnes dures redoublées :

Ergo aegrè rastris terram rimantur. Georg. III.

la legereté par des dactyles :

Ergo ubi clara dedit sonitum tuba, finibus omnes,

Haud mora, prosiluere suis ; ferit aethera clamor.

Aeneid. v.

& la pesanteur par des spondées :

Illi inter sese magna vi brachia tollunt,

In numerum, versantque tenaci forcipe ferrum.

Georg. IV.

Dans d'autres cadences, un mot placé & comme rejetté à la fin, a beaucoup de grace :

Vox quoque per lucos vulgo exaudita silentes

Ingens. Georg. I.

Traité des Etudes, tom. prem. pag. 335. & suiv. (G)

CADENCE, en Musique, est la terminaison d'une phrase harmonique sur un repos ou sur un accord parfait, ou pour parler plus généralement, c'est tout passage d'un accord dissonant à un autre accord quelconque ; car on ne peut jamais sortir d'un accord dissonnant que par une cadence. Or comme toute phrase harmonique est nécessairement liée par des dissonances exprimées ou sous-entendues, il s'ensuit que toute l'harmonie n'est proprement qu'une suite de cadences.

Ce qu'on appelle acte de cadence résulte toûjours de deux sons fondamentaux, dont l'un annonce la cadence, & l'autre la termine.

Comme il n'y a point de dissonance sans cadence, il n'y a point non plus de cadence sans dissonance exprimée ou sous entendue ; car pour faire sentir agréablement le repos, il faut qu'il soit précédé de quelque chose qui le fasse desirer, & ce quelque chose ne peut être que la dissonance : autrement les deux accords étant également parfaits, on pourroit se reposer sur le premier ; le second ne s'annonceroit point, & ne seroit pas nécessaire : l'accord formé sur le premier son d'une cadence, doit donc toûjours être dissonant. A l'égard du second, il peut être consonnant ou dissonant, selon qu'on veut établir ou éluder le repos. S'il est consonnant, la cadence est pleine : s'il est dissonant, c'est une cadence évitée.

On compte ordinairement quatre especes de cadences : savoir, cadence parfaite, cadence interrompue, cadence rompue, & cadence irréguliere. Ce sont les noms que leur a donné M. Rameau.

1. Toutes les fois qu'après un accord de septieme, la basse fondamentale descend de quinte sur un accord parfait, c'est une cadence parfaite pleine, qui procede toûjours d'une dominante à une tonique : mais si la cadence est évitée par une dissonance ajoûtée à la seconde note, elle peut se faire derechef sur cette seconde note, & se continuer autant qu'on veut en montant de quarte, ou descendant de quinte sur toutes les cordes du ton, & cela forme une succession de cadences parfaites évitées. Dans cette succession qui est la plus parfaite de toutes, deux sons, savoir la septieme & la quinte, descendent sur la tierce & sur l'octave de l'accord suivant, tandis que deux autres sons, savoir la tierce & l'octave, restent pour faire la septieme & la quinte, & descendent ensuite alternativement avec les deux autres : ainsi une telle succession donne une harmonie descendante : elle ne doit jamais s'arrêter qu'à une dominante pour tomber ensuite par cadence pleine sur la tonique. Voyez Pl. I. de musique, fig. 1.

2. Si la basse fondamentale descend seulement de tierce, au lieu de descendre de quinte après un accord de septieme, la cadence s'appelle interrompue : celle-ci ne peut jamais être pleine : mais il faut nécessairement que la seconde note de cette cadence porte un autre accord de septieme : on peut de même continuer à descendre par tierce ou monter par sixtes, d'accords de septieme en accords de septieme, ce qui fait une seconde succession de cadences évitées, mais bien moins parfaite que la précédente ; car la septieme qui se sauve ici sur la tierce dans la cadence parfaite, se sauve ici sur l'octave, ce qui fait moins d'harmonie, & fait même sous-entendre deux octaves ; desorte que pour les éviter, on retranche ordinairement la dissonance, ou l'on renverse l'harmonie.

Puisque la cadence interrompue ne peut jamais être pleine, il s'ensuit qu'une phrase ne peut finir par elle, mais il faut recourir à la cadence parfaite pour faire entendre l'accord dominant. Voyez fig. 2.

La cadence interrompue forme encore par sa succession une harmonie descendante : mais il n'y a qu'un seul son qui descende ; les trois autres restent en place pour descendre successivement chacun à son tour. (Voyez même fig.) Quelques-uns prennent pour cadence interrompue un renversement de la cadence parfaite, où la basse après un accord de septieme, descend de tierce portant un accord de sixte : mais il est évident qu'une telle marche n'étant point fondamentale, ne sauroit constituer une cadence particuliere.

3. Cadence rompue est celle où la basse fondamentale, au lieu de monter de quarte après un accord de septieme, comme dans la cadence parfaite, monte seulement d'un degré. Cette cadence s'évite le plus souvent par une septieme sur la seconde note : il est certain qu'on ne peut la faire pleine que par licence ; car alors il y a nécessairement défaut de liaison. Voyez fig. 3.

Une succession de cadences rompues est encore descendante ; trois sons y descendent, & l'octave reste seule pour préparer la dissonance : mais une telle succession est dure, & se pratique très-rarement.

4. Quand la basse descend de quinte de la dominante sur la tonique, c'est, comme je l'ai dit, un acte de cadence parfaite : si au contraire la basse monte de quinte de la tonique sur la dominante, c'est un acte de cadence irréguliere, selon M. Rameau, ou de cadence imparfaite, selon la dénomination commune. Pour l'annoncer on ajoûte une sixte à l'accord de la tonique, d'où cet accord prend le nom de sixte ajoûtée. Voyez ACCORD. Cette sixte qui fait dissonance sur la quinte, est aussi traitée comme dissonance sur la basse fondamentale, & comme telle est obligée de se sauver en montant diatoniquement sur la tierce de l'accord suivant.

Il faut remarquer que la cadence irréguliere forme une opposition presqu'entiere à la cadence parfaite. Dans le premier accord de l'un & de l'autre on divise la quarte qui se trouve entre la quinte & l'octave par une dissonance qui y produit une nouvelle tierce ; cette dissonance doit aller se resoudre sur la tierce de l'accord suivant par une marche fondamentale de quinte. Voilà tout ce que ces deux cadences ont de commun : voici ce qu'elles ont de contraire.

Dans la cadence parfaite, le son ajoûté se prend au haut de l'intervalle de quarte auprès de l'octave, formant tierce avec la quinte, & produit une dissonance mineure qui se sauve en descendant ; tandis que la basse fondamentale monte de quarte, ou descend de quinte de la dominante à la tonique, pour établir un repos parfait. Dans la cadence irréguliere, le son ajoûté se prend au-bas de l'intervalle de quarte auprès de la quinte, & formant tierce avec l'octave, il produit une dissonance majeure qui se sauve en montant, tandis que la basse fondamentale descend de quarte, ou monte de quinte de la tonique à la dominante, pour établir un repos imparfait.

M. Rameau qui a parlé le premier de cette cadence, & qui en a admis plusieurs renversemens, nous défend dans son traité de l'Harmonie, pag. 117. d'admettre celui où le son ajoûté est au grave, portant un accord de septieme. Il a pris cet accord de septieme pour fondamental, desorte qu'il fait sauver une septieme par une autre septieme, une dissonance par une autre dissonance, par un mouvement semblable sur la basse fondamentale. Voyez fig. 4. Mais l'harmonie sous laquelle cet auteur a mis une telle basse fondamentale, est visiblement renversée d'une cadence irréguliere évitée par une septieme ajoûtée sur la seconde note, même figure ; & cela est si vrai, que la basse continue qui frappe la dissonance, est nécessairement obligée de monter diatoniquement pour la sauver, autrement le passage ne vaudroit rien. D'ailleurs M. Rameau donne dans le même ouvrage, pag. 272. un exemple d'un passage semblable avec la vraie basse fondamentale : on peut remarquer encore que dans un ouvrage postérieur, (Gener. Harm. pag. 186.) le même auteur semble reconnoître le véritable fondement de ce passage à la faveur de ce qu'il appelle le double emploi. Voyez DOUBLE EMPLOI. (S)

M. Rameau donne les raisons suivantes des dénominations qu'on a données aux différentes especes de cadence.

La cadence parfaite consiste dans une marche de quinte en descendant, & au contraire l'imparfaite consiste dans une marche de quinte en montant. En voici la raison : quand je dis ut, sol, sol est déjà renfermé dans ut, puisque tout son comme ut, porte avec sa douzieme, dont sol est l'octave. Ainsi quand on va d'ut à sol, c'est le son générateur qui passe à son produit, de maniere pourtant que l'oreille desire toûjours de revenir à ce premier générateur ; au contraire, quand on dit sol, ut, c'est le produit qui retourne au générateur, l'oreille est satisfaite, & ne desire plus rien. De plus dans cette marche, sol, ut, le sol se fait encore entendre dans ut, ainsi l'oreille entend à la fois le générateur & son produit ; au lieu que dans la marche ut, sol, l'oreille qui dans le premier son avoit entendu ut & sol, n'entend plus dans le second que sol sans ut. Ainsi le repos ou cadence de sol à ut est plus parfait que le repos ou cadence de ut à sol.

Il semble que dans les principes de M. Rameau, on peut encore expliquer l'effet de la cadence rompue & de la cadence interrompue : imaginons pour cet effet qu'après un accord de septieme sol si re fa, on monte diatoniquement par une cadence rompue à l'accord la ut mi sol, il est visible que cet accord est renversé de l'accord de sous-dominante ut mi sol la, ainsi la marche de cadence rompue équivaut à celle-ci sol si re fa, ut mi sol la, qui n'est autre chose qu'une cadence parfaite, dans laquelle ut au lieu d'être traité comme tonique, est rendu sous-dominante. Or toute tonique peut toûjours être rendue sous-dominante en changeant de mode. Voyez DOMINANTE, SOUS-DOMINANTE, BASSE FONDAMENTALE, &c.

A l'égard de la cadence interrompue, qui consiste à descendre d'une dominante sur une autre par l'intervalle de tierce en descendant, en cette sorte sol si re fa, mi sol si re, il semble qu'on peut encore l'expliquer : en effet le second accord mi sol si re, est renversé de l'accord de sous-dominante, sol si re mi ; ainsi la cadence interrompue équivaut à cette succession, sol si re fa, sol si re mi, où la note sol, après avoir été traitée comme dominante, est rendue sous-dominante en changeant de mode, ce qui est permis, & dépend du compositeur. Voyez MODE, &c. (O)

La cadence irréguliere se prend aussi de la sous-dominante à la tonique : on peut de cette maniere lui donner une succession de plusieurs notes, dont les accords formeront une harmonie, dans laquelle la sixte & l'octave montent sur la tierce & la quinte de l'accord suivant, tandis que la quinte & la tierce restent pour faire l'octave, & préparer la sixte, &c.

Nul auteur jusqu'ici n'a parlé de cette ascension harmonique, & il est vrai qu'on ne pourroit pratiquer une longue suite de pareilles cadences, à cause des sixtes majeures qui éloigneroient la modulation, ni même en remplir sans précaution toute l'harmonie. Mais enfin si les meilleurs ouvrages de Musique, ceux, par exemple, de M. Rameau, sont pleins de pareils passages ; si ces passages sont établis sur de bons principes, & s'ils plaisent à l'oreille, pourquoi n'en avoir pas parlé ? (S)

On pourroit au reste, ce me semble, observer que M. Rameau a parlé du-moins indirectement de cette sorte de cadence, lorsqu'il dit dans sa Génération harmonique, que toute sous-dominante doit monter de quinte sur la tonique, & que toute tonique peut être rendue à la volonté sous-dominante. Car il s'ensuit de-là qu'on peut avoir dans une basse fondamentale une suite de sous-dominantes qui vont en montant de quinte, ou en descendant de quarte, ce qui est la même chose. (O)

Il y a encore une autre espece de cadence que les Musiciens ne regardent point comme telle, & qui, selon la définition, en est pourtant une véritable ; c'est le passage de l'accord de septieme diminuée de la note sensible, à l'accord de la tonique ; dans ce passage il ne se trouve aucune liaison harmonique, & c'est le second exemple de ce défaut dans ce qu'on appelle cadence. On pourroit regarder les transitions enharmoniques comme des manieres d'éviter cette même cadence : mais nous nous bornons à expliquer ce qui est établi.

CADENCE se dit, en terme de chant, de ce battement de voix que les Italiens appellent trillo, que nous appellons autrement tremblement, & qui se fait ordinairement sur la pénultieme note d'une phrase musicale, d'où sans-doute il a pris le nom de cadence. Quoique ce mot soit ici très-mal adapté, & qu'il ait été condamné par la plûpart de ceux qui ont écrit sur cette matiere, il a cependant tout-à-fait prévalu ; c'est le seul dont on se serve aujourd'hui à Paris en ce sens, & il est inutile de disputer contre l'usage.

CADENCE, dans nos danses modernes, signifie la conformité des pas du danseur avec la mesure marquée par l'instrument : mais il faut observer que la cadence ne se marque pas toûjours comme se bat la mesure. Ainsi le maître de Musique marque le mouvement du menuet en frappant au commencement de chaque mesure ; au lieu que le maître à danser ne bat que de deux en deux mesures, parce qu'il en faut autant pour former les quatre pas de menuet. (S)

CADENCE, dans la Danse, se prend dans le même sens que mesure & mouvement en Musique : ainsi sentir la cadence, c'est sentir la mesure, & suivre le mouvement d'un air ; sortir de cadence, c'est cesser d'accorder ses pas avec la mesure & le mouvement d'une piece de musique. Les danseurs distinguent deux sortes de mesures ; une vraie & une fausse, & conséquemment deux sortes de cadences, l'une vraie & l'autre fausse. Exemple : dans le menuet la mesure vraie est la premiere mesure, & la seconde est la fausse ; & comme les couplets du menuet sont de huit ou de douze mesures, la vraie cadence est en commençant, & la fausse en finissant. La premiere se marque en frappant de la main droite dans la gauche ; & la seconde ou fausse cadence en levant, ce que l'on continue par deux tems égaux.

Le pié fait tout le contraire de la main. En effet, dans le tems que l'on releve sur la pointe du pié droit, c'est dans ce même tems que vous frappez ; ainsi on doit plier sur la fin de la derniere mesure ; pour se trouver à portée de relever dans le tems que l'on frappe.

La cadence s'exprime de deux manieres en dansant : 1°. les pas qui ne sont que pliés & élevés sont relevés en cadence. 2°. Ceux qui sont sautés doivent tomber en cadence. Il faut donc toûjours que les mouvemens la préviennent, & plier sur la fin de la derniere mesure, afin de se relever lorsqu'elle se doit marquer.

CADENCE, en terme de Manege, se dit de la mesure & proportion égale que le cheval doit garder dans tous ses mouvemens, soit qu'il manie au galop, ou terre à terre, ou dans les airs, ensorte qu'aucun de ses tems n'embrasse pas plus de terrein que l'autre, qu'il y ait de la justesse dans tous ses mouvemens, & qu'ils se soûtiennent tous avec la même égalité. Ainsi on dit qu'un cheval manie toûjours de la même cadence, qu'il suit sa cadence, ne change point sa cadence, pour dire qu'il observe régulierement son terrein, & qu'il demeure également entre les deux talons. Lorsqu'un cheval a la bouche fine, les épaules & les hanches libres, il n'a aucune peine d'entretenir sa cadence. Cheval qui prend une belle cadence sur les airs, sans se démentir, sans se brouiller ; qui manie également aux deux mains. (V)


CADENEen terme de Marine, est synonyme à chaîne.

Cadene de hauban ; ce sont des chaînes de fer, au bout desquelles on met un cap de mouton pour servir à rider les haubans.

On voit à chaque porte-hauban une cadene ou chaîne de fer, faite d'une seule barre recourbée, & qui surmonte. Il y a une corde qui est amarrée, & qui passant dans les trous du cap de mouton que la cadene environne, & qui servent comme de roüets, tient ferme les haubans & les fait rider, & contribue par ce moyen à l'affermissement du mât ; les cadenes sont tenues par de bonnes chevilles de fer. Celles des hunes sont fort longues, & sur-tout celles qui sont aux hunes des mâts d'avant & d'artimon, parce que les haubans des mâts, qui sont entés dessus, ne descendent pas jusqu'aux cercles de la hune. Il n'y a point de cadence à la hune de beaupré. Les cadenes qui sont aux porte-haubans font rider les haubans par le moyen des palanquins : mais les haubans des hauts-mâts ne se rident qu'avec des caps de mouton.

Il y a dans les grands porte-haubans deux longues barres de fer plates qui sont mobiles, & que l'on appelle pareillement cadenes : l'un sert à mettre le palang qui ride les grands haubans, & l'autre à descendre la chaloupe à la mer, ou à la haler à bord. (Z)


CADENET(Géog.) petite ville de France, en Provence, à cinq lieues d'Aix, près de la Durance.


CADEQUIou CADAQUEZ, (Géog.) port d'Espagne, en Catalogne, sur la mer Méditerranée.


CADES(Géog. sainte) ville de la tribu de Nephtali, située au haut d'une montagne, à l'occident du lac de Lamechon. Ce fut là que Jonathas, frere de Judas Macchabée, tua trois mille hommes à Demetrius Nicanor, avec une poignée de soldats.


CADÉS(Géog. sainte) ville dans le desert de Pharan & de Sin, qui est entre la terre promise, l'égypte, & l'Arabie. Ce fut là que Marie, soeur de Moyse mourut & fut enterrée. Il y avoit dans la Palestine d'autres villes du même nom.


CADESSIA(Géog.) ville d'Asie dans la province de l'Irac Babylonienne.


CADETS. m. (terme de relation) est synonyme à puîné, & se dit de tous les garçons nés depuis l'aîné.

Dans la coûtume de Paris les cadets des familles bourgeoises partagent également avec leurs aînés. Dans d'autres coûtumes les aînés ont tout ou presque tout. En Espagne, l'usage dans les grandes familles est qu'un des cadets prenne le nom de sa mere. (H)

CADET, (Art militaire) un officier est dit le cadet d'un autre de même fonction que lui, lorsque sa commission est plus nouvelle ; il n'importe qu'il soit plus âgé ou qu'il eût beaucoup plus de service dans un autre grade.

CADETS ; se dit aussi, dans l'art militaire, de plusieurs compagnies de jeunes gentilshommes que Louis XIV. avoit créé en 1682, pour leur faire donner toutes les instructions nécessaires à un homme de guerre. Le roi payoit pour chaque compagnie un maître de mathématique, un maître à dessiner, un maître de langue allemande, un maître à danser, & deux maîtres d'armes.

Cet établissement dura dix ans dans sa vigueur : mais les grandes guerres que le roi eut sur les bras après la ligue d'Augsbourg, l'obligerent à retrancher les dépenses qui n'étoient pas absolument nécessaires, & l'on pensa à se décharger de celles qui se faisoient pour les cadets. On avoit déjà commencé à ne pas admettre gratuitement ceux qui se présentoient. Il falloit cautionner pour eux cinquante écus de pension, & ils étoient obligés d'aller prendre leurs lettres à la cour. Ces frais en rebuterent beaucoup, altérerent même l'établissement, en ce que plusieurs qui n'étoient pas gentilshommes étoient reçûs à ces conditions, pourvû qu'ils fussent de bonne famille & vivant noblement. Enfin, après 1692 on cessa de faire des recrues, & peu-à-peu dans l'espace de deux ans ces compagnies furent anéanties.

Le Roi a rétabli plusieurs compagnies de cadets en 1726, mais elles ont été reformées lors de la guerre de 1733.

CADETS D'ARTILLERIE, sont de jeunes gens de famille, que le grand-maître reçoit pour les faire instruire dans les écoles d'Artillerie, & les mettre par-là en état de se rendre capables de devenir officiers. Voyez ÉCOLES D'ARTILLERIE.

On appelle encore cadets, dans les troupes, de jeunes gentilshommes qui font un service comme les cavaliers & soldats, en attendant qu'ils ayent pû obtenir le grade d'officier. (Q)


CADI(Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne aux juges des causes civiles chez les Sarrasins & les Turcs. On peut cependant appeller de leurs sentences aux juges supérieurs.

Ce mot vient de l'Arabe, kadi, juge. D'Herbelot écrit cadhi.

Le mot cadi, pris dans un sens absolu, dénote le juge d'une ville ou d'un village ; ceux des provinces s'appellent molla ou moulas, quelquefois moula-cadis ou grand-cadis. (G)


CADIAR(Géog.) riviere d'Espagne, au royaume de Grenade, qui se jette dans la Méditerranée près de Salobrena.


CADIER(LA) ; Géog. petite ville de France, en Provence, à trois lieues de Toulon.


CADILESQUEou CADILESQUIER, sub. m. (Hist. mod.) chef de la justice chez les Turcs. Voyez CADI.

Ce mot est arabe, composé de kadi, juge, & aschar, & avec l'article al, alaschar, c'est-à-dire armée, d'où s'est formé kadilascher, juge d'armée parce que d'abord il étoit juge des soldats. D'Herbelot écrit cadhi-lesker ou cadhiasker.

Chaque cadilesquier a son district particulier ; d'Herbelot n'en compte que deux dans l'empire, dont l'un est le cadilesquier de Romanie, c'est-à-dire d'Europe, & le second d'Anatolie ou d'Asie. M. Ricaut en ajoûte un troisieme, qu'il appelle cadilesquier du Caire.

Le cadilesquier d'Europe & celui d'Asie sont subordonnés au reis effendi, qui est comme le grand chancelier de l'empire. Voyez REIS EFFENDI. (G)


CADILLACpetite ville de France, en Guienne dans le Basadois, proche la Garonne, à 4 lieues de Basas.


CADISS. m. (Commerce) petite étoffe de laine croisée, ou serge étroite & legere, qui n'a qu'une demi-aune moins 1/12 de large, sur 30 à 31 aunes de long. Il s'en fabrique beaucoup dans le Gévaudan & les Cévennes. Elle est exceptée par les reglemens du nombre de celles qu'il est défendu de teindre en rouge avec le bresil, à moins qu'elles n'ayent une demi-aune de large.

On donne encore le nom de cadis à une autre espece d'étoffe de laine fine croisée & drapée, d'une demi-aune de large, & dont les pieces portent depuis 38 jusqu'à 42 aunes. Ces derniers cadis se fabriquent particulierement en Languedoc. On appelle cadis ras, ceux qui ont la croisure déliée & peu de poil ; on nous les envoye à Paris en blanc & en noir. Les religieux en consomment beaucoup.


CADISADELITESS. m. pl. (Hist. mod.) nom d'une secte musulmane. Les Cadisadelites sont une espece de Stoïciens Mahométans, qui fuient les festins & les divertissemens, & qui affectent une gravité extraordinaire dans toutes leurs actions.

Ceux des Cadisadelites qui habitent vers les frontieres de Hongrie & de Bosnie, ont pris beaucoup de choses du Christianisme qu'ils mêlent avec le Mahométisme. Ils lisent la traduction Esclavonne de l'évangile, aussi-bien que l'alcoran, & boivent du vin, même pendant le jeune du Ramasan.

Mahomet, selon eux, est le S. Esprit qui descendit sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Ils pratiquent la circoncision comme tous les autres Musulmans, & se servent pour l'autoriser de l'exemple de Jesus-Christ, quoique la plûpart des Turcs & des Arabes se fondent bien davantage sur celui d'Abraham. (G)


CADISÉadj. (Commerce) On désigne par cette épithete une espece de droguets croisés & drapés, dont les chaînes sont de 48 portées, & chaque portée de 16 fils, & qui ont, tout apprêtés, une demi-aune de large & 40 aunes de long. Ils se fabriquent en plusieurs endroits du Poitou.


CADIX(Géog. anc. & mod.) ville d'Espagne, en Andalousie, avec bon port. Cette ville bâtie par les Phéniciens, est grande, fort riche, & très-commerçante : elle est dans une petite île, à 8 lieues de Medina Sidonia, & à 18 de Gibraltar. Long. 12. lat. 36. 25. Les anciens l'ont nommée Gades & Gadira.


CADMIES. f. (Chimie & Métallurgie) c'est une substance semi-métallique, arsénicale, sulphureuse, & alkaline, qui s'attache comme une croûte aux parois des fourneaux où l'on fait la premiere fonte de certains minéraux. On la nomme cadmia fornacum, cadmie des fourneaux, pour la distinguer de la pierre calaminaire, qu'on appelle quelquefois cadmia fossilis, cadmie fossile. Voyez l'article CALAMINE. En effet elle en a toutes les propriétés. La vraie différence qui se trouve entre ces deux substances, c'est que la pierre calaminaire est une production de la nature, au lieu que la cadmie des fourneaux en est une de l'art.

Il semble que les auteurs qui ont écrit sur la cadmie, loin de chercher à nous la faire connoître d'une façon distincte, se sont étudiés à obscurcir l'idée qu'on pouvoit s'en former. En effet, à quoi peut on attribuer les différens noms inutiles, empruntés du grec & de l'arabe, dont ils se sont servis pour la défigurer ? On trouve dans différens ouvrages cette matiere désignée sous les noms de capnites, diphryges, spodium, ostracites, botryites, catimia, climia, &c. qui tous doivent signifier la cadmie des fourneaux, & qui ne marquent cependant dans leur étymologie que la figure différente qu'elle prend, & la place qu'elle occupe dans le fourneau. C'est encore plus mal-à-propos qu'on la trouve dans quelques auteurs confondue avec d'autres substances, avec qui elle n'a que certains points de conformité, telles que la tutie, le pompholix, & le nihilum. Voyez ces articles. On a cru devoir se récrier contre cette erreur & cet abus de mots, sur-tout attendu les suites fâcheuses qui peuvent en résulter. En voici un exemple frappant. On sait que la tutie passe pour un bon remede contre les maux d'yeux, & que le pompholix est employé pour dessécher les plaies : où en seroit-on, si au lieu de ces remedes on employoit à cet usage la cadmie, qui est presque toûjours mêlée de parties arsénicales.

Il y a différentes sortes de cadmies ; c'est la diversité des minéraux, dont les vapeurs les produisent, qui en font la différence. On en voit qui s'élevent sous la forme d'une farine legere, d'autres sous celle d'une pierre compacte, & cependant friable ; tandis qu'une autre est legere, feuilletée, & spongieuse. La couleur ne laisse point d'en varier comme la figure ; elle est tantôt d'un bleu d'ardoise, tantôt brune, & tantôt elle tire sur le jaune. Enfin il y a de la cadmie qui a la propriété de jaunir le cuivre de rosette ; celle qui a cette qualité, en est redevable au zinc qui lui communique sa volatilité : la preuve est qu'on peut aisément tirer ce demi-métal de la cadmie. Celle qui ne jaunit point le cuivre, ne peut point être appellée une vraie cadmie ; ce n'est autre chose qu'une fumée condensée, dont jusqu'à présent on n'a pû découvrir l'usage.

De toutes les cadmies, la meilleure & la plus usitée est celle de Goslar dans le duché de Brunswick : il y a dans le voisinage de cette ville plusieurs fonderies où l'on travaille des mines de plomb qui sont entremêlées de quelque chose de terrestre, qu'on peut, selon M. Marggraf, à la simple vûe, distinguer de ses autres parties, & qui n'est autre chose que de la calamine, où par conséquent il se trouve du zinc ; dans la fonte une partie s'en dissipe en fumée, & l'autre demeure attachée comme un enduit aux parois des fourneaux. M. Stahl dit qu'anciennement on jettoit cet enduit comme inutile avec les scories : mais depuis qu'on a trouvé à le vendre à ceux qui font le cuivre de laiton, on le recueille avec soin, & même on a la précaution d'humecter de tems en tems, avec un peu d'eau, la partie antérieure du fourneau vis-à-vis des tuyeres, qu'on appelle ordinairement la chemise, afin qu'il s'y forme davantage de cadmie. Cette partie antérieure ou chemise, est faite avec des tables ou plaques de pierre fort minces, néanmoins capables de résister au feu. Quand après la fonte on les ôte des fourneaux, on en détache à coups de ciseau la cadmie qui s'y est attachée. Elle est d'une couleur d'ardoise, ou d'un gris tirant sur le jaune. C'est-là la matiere dont on se sert en bien des endroits d'Allemagne pour faire le cuivre de laiton ; on la préfere même à la calamine. Nous allons en donner le procédé.

Lorsqu'on a détaché la cadmie, on la laisse exposée pendant long-tems, quelquefois même pendant deux ou trois ans, aux injures de l'air : on prétend que cela la rend beaucoup meilleure, parce que par-là elle devient moins compacte & plus friable. On la torréfie dans des fourneaux faits exprès ; on la réduit en une poudre très-fine, qu'on passe au tamis : on en mêle une partie avec deux parties de charbon pilé ; on unit bien exactement ces deux matieres toutes seches ; on y verse de l'eau ; d'autres veulent que ce soit de l'urine, & qu'on y joigne un peu d'alun ; ils prétendent que cela contribue à donner une plus belle couleur au laiton : on remue bien tout le mélange, & on y ajoûte du sel marin. Voilà la préparation qu'on donne à la cadmie de Goslar. Lorsqu'on veut en faire du laiton, on a pour cela des fourneaux ronds enfoncés en terre, qui sont percés de plusieurs trous par le bas ; pour que le vent puisse y entrer & faire aller le feu ; on met dans chaque fourneau huit creusets à-la-fois, & lorsqu'ils sont échauffés, on y met le mélange qu'on vient de dire, de charbon & de cadmie ; de façon que quarante-six livres de ce mélange se trouvent également reparties dans les huit creusets : on met ensuite dans chaque creuset huit livres de cuivre en morceaux ; on les remet au fourneau, & on les laisse exposés à un feu violent pendant neuf heures : au bout de ce tems, on prend un des creusets pour examiner si la fonte s'est bien faite ; on le remet, & on laisse le tout encore une heure au feu, & enfin on vuide les creusets dans des lingotieres, où on coule le cuivre de laiton en tables. Il y a des gens qui sont dans l'usage de remettre le laiton encore une fois au fourneau, & qui prétendent par-là lui donner une plus belle couleur : mais il n'y a point de profit à le faire. Le cuivre dans l'opération que nous venons de décrire, acquiert près d'un tiers de son poids : en effet, si avant la fonte on répartit soixante-quatre livres de cuivre dans les huit creusets, on aura à la fin de l'opération quatre-vingt-dix livres de laiton. Voilà suivant Lazare Ercker, la maniere dont se fait le cuivre de laiton dans plusieurs endroits d'Allemagne, comme dans le Hartz, dans le pays de Hesse, & près de la ville de Goslar.

On peut tirer du zinc de la cadmie des fourneaux, comme de la cadmie fossile ou calamine. Voyez l'article ZINC. Cette substance fait comme elle effervescence dans les acides. M. Swedenborg dit, que si on fait dissoudre la cadmie dans l'esprit de vinaigre, elle donne une couleur jaune ; si on fait évaporer à siccité ce dissolvant, on trouve au fond du vase un précipité ou une chaux qui a la forme de petites étoiles inscrites dans un cercle, & dont tous les rayons sont à une distance égale les uns des autres. (-)


CADODACHEou CADODAQUIOS, (Géog.) peuple sauvage de la Loüisiane, dans l'Amérique septentrionale.


CADORou PIEVE DI CADORE, (Géog.) petite ville d'Italie dans l'état de Venise, au petit pays de Cadorino, ainsi appellé de son nom.


CADOROUSou CADEROUSSE, (Géog.) petite ville de France dans la principauté d'Orange, à l'endroit où l'Argente tombe dans le Rhone.


CADRAou CADRAN SOLAIRE, (Ordre encyclopédique. Entend. Raison. Philosophie ou Science. Science de la nature. Mathématiques. Mathématiques mixtes. Astronomie géométrique. Gnomonique, ou Art de faire des Cadrans.) c'est une surface sur laquelle on trace certaines lignes qui servent à mesurer le tems par le moyen de l'ombre du soleil sur ces lignes. Voyez TEMS & OMBRE.

Les anciens donnoient aussi aux cadrans le nom de sciatériques, parce que l'ombre, , sert à y marquer les heures.

On définit plus exactement le cadran, la description de certaines lignes sur un plan, ou sur la surface d'un corps donné, faite de telle maniere que l'ombre d'un style, ou les rayons du soleil passant à-travers un trou pratiqué au style, tombent sur de certains points à certaines heures. Voyez STYLE.

La diversité des cadrans solaires vient de la différente situation des plans & de la différente figure des surfaces sur lesquelles on les décrit : c'est pourquoi il y a des cadrans équinoctiaux, horisontaux, verticaux, polaires, directs, élevés, déclinans, inclinans, réclinans, cylindriques, &c. Voy. PLAN, GNOMONIQUE.

Pour montrer l'heure sur la surface des cadrans, on y met deux sortes de styles : l'un appellé droit, qui consiste en une verge pointue, laquelle par son extrémité & par la pointe de son ombre, marque l'heure ou partie d'heure qu'il est. Au lieu de ces verges on peut se contenter d'une plaque de métal, élevée parallelement au cadran, & percée d'un trou par où passe l'image du soleil : ce trou représente l'extrémité supérieure de la verge, comme on le voit à presque toutes les méridiennes. Voy. MERIDIENNE. L'autre espece de style est nommé style oblique ou incliné, ou bien axe, & montre l'heure par une ombre étendue.

Le bout du style droit de tous les cadrans représente le centre du monde, & par conséquent aussi le centre de l'horison, de l'équateur, des méridiens, des verticaux, &c. en un mot de tous les grands cercles de la sphere. Le plan du cadran est supposé éloigné du centre de la terre d'une quantité égale à la longueur du style droit.

En effet la distance du soleil au centre de la terre est si grande, que l'on peut regarder tous les points de la superficie de la terre que nous habitons, comme s'ils étoient réunis au centre sans que l'on puisse s'appercevoir que la différence de leur distance réciproque, qui est tout au plus le diametre de la terre, apporte aucun changement sensible au mouvement journalier du soleil autour du centre de la terre ou autour d'une ligne qui représente ce centre, & que l'on nomme l'axe du monde. C'est pourquoi l'extrémité du style de tous les cadrans peut être prise pour le centre de la terre, & la ligne parallele à l'axe du monde qui passe par l'extrémité de ce style, peut être considérée comme l'axe du monde.

Les lignes horaires que l'on trace sur les plans des cadrans sont la rencontre des cercles horaires, c'est-à-dire des méridiens où le soleil se trouve aux différentes heures, avec le plan du cadran.

Le centre du cadran est la rencontre de sa surface avec l'axe du cadran qui passe par l'extrémité du style & qui est parallele à l'axe du monde. Toutes les lignes horaires se rencontrent au centre du cadran ; d'où il s'ensuit qu'une ligne tirée par l'extrémité du style & par le point de rencontre des lignes horaires, est parallele à l'axe du monde.

Tous les plans des cadrans peuvent avoir un centre, excepté ceux dont le plan est placé de maniere qu'il soit parallele à l'axe du monde ; car alors la ligne tirée par l'extrémité du style parallelement à cet axe, est parallele au plan du cadran, & par conséquent elle ne rencontre point ce plan : ainsi le cadran n'a point alors de centre, & les lignes horaires ne se rencontrent point ; par conséquent elles sont paralleles.

La verticale du plan du cadran est une ligne qui passant par l'extrémité du style, rencontre perpendiculairement ce plan, & y détermine le pié ou le lieu du style. On appelle hauteur du style, la distance du pié du style à sa pointe.

La ligne horisontale est une ligne parallele à l'horison, qui est la rencontre du plan du cadran avec un plan horisontal. qu'on imagine passer par la pointe ou par le pié du style.

La verticale du lieu est à ligne droite, qui passant par le pié du style, est perpendiculaire à l'horison.

On appelle encore verticale, celle des lignes d'un cadran, qui passant par le pié du style, est perpendiculaire à la ligne horisontale : cette ligne est la section que fait avec la surface du cadran, le cercle vertical qui lui est perpendiculaire.

Il y a aussi deux méridiennes, dont l'une est la méridienne propre du plan ou la soûstylaire, parce que son cercle qui est un des méridiens, passe par la verticale du plan, & par conséquent par le pié du style ; l'autre qui est la méridienne du lieu, a son cercle méridien qui passe par la verticale du lieu.

Lorsque le cadran ne décline point vers l'orient ou vers l'occident, c'est-à-dire qu'il regarde directement le nord ou le midi, ces deux méridiennes se confondent.

La ligne équinoctiale est la section ou rencontre du plan du cadran avec le plan de l'équinoctial ou de l'équateur : cette ligne est toûjours d'équerre avec la soûstylaire.

Le point où se rencontrent la soûstylaire & la méridienne, est le centre du cadran ; car le centre du cadran est déterminé par la rencontre de deux lignes qui soient les sections du plan du cadran avec deux méridiens. Or la soûstylaire & la méridienne sont les sections du plan du cadran avec deux méridiens : ainsi le point où ces deux lignes se rencontrent, doit être le centre. Ces principes posés, nous allons enseigner la description des principaux cadrans. Voyez Bion, description des instrumens de mathématique.

Les cadrans se distinguent quelquefois en deux especes.

Les cadrans de la premiere espece sont ceux qui sont tracés sur le plan de l'horison, & que l'on appelle cadrans horisontaux ; ou bien perpendiculaires à l'horison sur les plans du méridien ou du premier vertical, & qui sont appellés cadrans verticaux ; au nombre desquels on met aussi ordinairement ceux que l'on trace sur des plans polaires & équinoctiaux quoiqu'ils ne soient ni horisontaux ni verticaux.

Les cadrans de la seconde espece sont ceux qui sont tracés sur des plans déclinans, ou inclinés, ou reclinés, ou déinclinés. On trouvera dans la suite de cet article les explications d e tous ces mots.

Le cadran équinoctial se décrit sur un plan équinoctial, c'est-à-dire sur un plan qui représente l'équateur. Voyez EQUINOCTIAL & EQUATEUR.

Un plan oblique à l'horison s'incline d'un côté & fait un angle aigu avec l'horison, ou se renverse en arriere en faisant un angle obtus : on appelle ce dernier un plan réclinant ; si sa réclinaison est égale au complément de la latitude du lieu, il se trouve dans le plan de l'équinoctial : ainsi un cadran tracé dessus, prend le nom de cadran équinoctial.

Les cadrans équinoctiaux se distinguent ordinairement en supérieurs, qui regardent le zénith, & en inférieurs qui regardent le nadir.

Or comme le soleil n'éclaire que la surface supérieure d'un plan équinoctial, quand il est sur notre hémisphere ou du côté septentrional de l'équateur, un cadran équinoctial supérieur ne marquera les heures que dans les saisons du printems & de l'été.

De même, comme le soleil n'éclaire que la surface inférieure d'un plan équinoctial, quand il est dans l'hémisphere méridional ou de l'autre côté de l'équateur, un cadran équinoctial inférieur ne marquera les heures qu'en automne & en hyver.

C'est pourquoi afin d'avoir un cadran équinoctial qui serve pendant toute l'année, il faut joindre ensemble le supérieur & l'inférieur, c'est-à-dire qu'il faut tracer un cadran sur chaque côté du plan.

Et puisque le soleil luit pendant tout le jour sur l'un ou l'autre côté d'un plan équinoctial, un cadran de cette espece marquera toutes les heures d'un jour quelconque.

Tracer géométriquement un cadran équinoctial. Le cadran équinoctial est le premier, le plus aisé & le plus naturel de tous : mais la nécessité de le faire double, est cause que l'on n'en fait pas un grand usage. Néanmoins comme sa construction fait entendre celle des cadrans des autres especes, & qu'elle fournit même une bonne méthode de les tracer, nous allons en enseigner ici la pratique.

1°. Pour décrire un cadran équinoctial supérieur d'un centre C (Pl. I. de Gnomon. fig. 4.) décrivez un cercle A B D E, & par deux diametres A D & B E, qui s'entre-coupent à angles droits, divisez ce cercle en quatre quarts A B, B D, D E, & E A ; subdivisez chaque quart en six parties égales par les lignes droites C 1, C 2, C 3, &c. ces lignes seront les lignes horaires. Au centre C attachez un style perpendiculaire au plan A B D E.

Après que le cadran a été ainsi tracé, disposez-le de maniere qu'il soit parallele au plan de l'équateur, que la ligne C 12 soit dans le plan du méridien, & que le point A regarde le sud ou le midi ; l'ombre du style marquera les heures avant & après midi.

Car les cercles horaires divisent l'équateur en arcs de quinze degrés (voyez EQUATION DU TEMS) ; par conséquent le plan A B D E étant supposé dans le plan de l'équateur, les cercles horaires diviseront pareillement le cercle A B D E en arcs de quinze degrés chacun. C'est pourquoi puisque les angles 12 C 11, 11 C 10, 10 C 9, &c. sont supposés chacun de 15 degrés, les lignes C 12, C 11, C 10, C 9, sont les intersections des cercles horaires avec le plan de l'équinoctial.

De plus, puisque le style qui passe par le centre C représente l'axe du monde, & qu'il est outre cela le diametre commun des cercles horaires ou méridiens, son ombre couvrira la ligne horaire C 12, quand le Soleil sera dans le méridien ou dans le cercle de douze heures ; la ligne C 11, quand il sera dans le cercle de onze heures ; la ligne C 10, quand il sera dans le cercle de dix heures.

Pour disposer le plan du cadran parallelement au plan de l'équateur, il ne faut qu'avoir un triangle rectangle de bois dont l'angle oblique à la base soit égal à l'élévation de l'équateur, (par exemple, 41d 10' pour Paris) & d'appliquer le plan du cadran à l'hypoténuse ou grand côté de ce triangle, dont on placera la base horisontalement ; & pour mettre la ligne A D dans la direction de la méridienne, il faut savoir trouver la méridienne. Voyez LIGNE MERIDIENNE.

2°. Pour décrire un cadran équinoctial inférieur, la méthode n'est pas différente de celle que nous venons de suivre pour tracer le supérieur, excepté que l'on ne doit pas tracer les lignes horaires au-delà de la ligne de six heures ; parce que ces cadrans ne peuvent servir qu'en autonne & en hyver, où les jours ne passent pas six heures.

3° Pour décrire un cadran équinoctial universel, joignez deux plans de métal ou d'ivoire A B C D & C D E F (fig. 5.), qui soient mobiles à l'endroit où ils se joignent : sur la surface supérieure du plan A B C D, décrivez un cadran équinoctial supérieur, & un inférieur sur la surface inférieure, ainsi qu'on l'a déjà enseigné, & placez un style au centre I : placez une boîte G dans le plan D E F C, & mettez-y une aiguille aimantée : ajustez sur le même plan un quart de cercle de cuivre A E bien exactement divisé, & qui passe par un trou fait au plan A B C D : cela posé, moyennant l'aiguille aimantée, on peut placer le plan A B C D de maniere que la ligne I 12 soit dans le plan du méridien ; & par le moyen du quart de cercle, on peut le disposer de maniere que l'angle B C F soit égal à l'élévation de l'équateur. On pourra donc se servir de ce cadran en quelqu'endroit du monde que ce soit. Il est à remarquer que le jour de l'équinoxe, les cadrans équinoctiaux ne marquent point l'heure ? parce qu'ils ne sont point éclairés par le Soleil, qui ces jours-là est dans le plan de l'équateur.

Le cadran horisontal est celui qui est tracé sur un plan horisontal ou parallele à l'horison. Voyez HORISON.

Puisque le Soleil peut éclairer un plan horisontal pendant toute l'année, lorsqu'il est au-dessus de l'horison : un cadran horisontal peut montrer toutes les heures du jour pendant toute l'année ; ainsi l'on ne sauroit avoir un cadran plus parfait.

Tracer géométriquement un cadran horisontal. Tirez une ligne méridienne A B (fig. 6.) sur le plan immobile donné. Ou tracez-là à volonté sur un plan immobile. Voyez LIGNE MERIDIENNE.

D'un point pris à volonté, comme C, élevez une perpendiculaire C D, & faites l'angle C A D égal à l'élévation du pole. En D faites un autre angle C D E égal aussi à l'élévation du pole, & tirez la ligne droite D E qui rencontre A B en E. Ensuite faites E B = E D, & du centre B avec le rayon E B, décrivez un quart de cercle E B F, & divisez-le en six parties égales. Par E tirez la ligne droite G H, qui coupe A B à angles droits. Du centre B par les divisions du quart de cercle E F tirez les lignes droites B a, B b, B c, B d, B H, qui rencontrent la ligne G H aux points a, b, c, d, H. Du point E sur la ligne droite E G portez les intervalles E a, E b, &c. c'est-à-dire portez E a de E en e, E b de E en f, E c de E en g, &c. Du centre A décrivez un petit cercle, & mettant une petite regle sur le point A & sur les différens points de division a, b, c, d, H, & f, g, h, G, tirez les lignes A 1, A 2, A 3, A 4, A 5 & A 11, A 10, A 9, A 8, A 7. Par le point A tirez une ligne droite 6 6, perpendiculaire à la ligne A B. Prolongez la ligne droite A 7, au-delà du petit cercle jusqu'en 7, A 8 jusqu'en 8, A 5 jusqu'en 5, A 4 jusqu'en 4. Autour de tout le plan, tracez un quarré, un cercle, ou un ovale. Enfin au point A fixez un style, qui fasse avec le méridien A B un angle égal à l'élévation du pole : ou bien élevez en C un style perpendiculaire égal à C D ; ou bien sur la ligne A E placez un triangle A D E perpendiculaire au plan du cadran.

Les lignes A 11, A 10, A 9, &c. sont les lignes horaires d'avant midi ; & les lignes A 1, A 2, A 3, &c. sont celles d'après midi. Et l'ombre des styles dont on a parlé ci-dessus, tombera à chaque heure sur les lignes horaires respectives.

Si on s'est contenté de tracer à volonté la ligne méridienne, & de décrire ensuite toutes les lignes du cadran, ce qui n'est permis que quand le plan du cadran est mobile, il faut alors orienter le cadran de maniere que la ligne méridienne qu'on y a tracée se trouve dans le plan du méridien : on peut en venir à bout par différens moyens, entr'autres par le moyen de la boussole : mais cette méthode n'est pas extrèmement exacte, parce que la déclinaison de l'aiguille aimantée varie ; ainsi il vaut mieux tracer géométriquement la méridienne sur un plan horisontal immobile.

Décrire un cadran horisontal trigonométriquement. Dans les grands cadrans, où l'on a besoin de la plus grande exactitude, il vaut mieux se passer des lignes géométriques, & déterminer les lignes du cadran par un calcul trigonométrique. M. Clapiès, dans les Mémoires de l'académie royale des Sciences, pour l'année 1707, nous a donné un moyen très-aisé & très-expéditif de calculer les lignes horaires : nous rapporterons ses regles ou ses analogies pour chaque espece de cadran dont nous aurons à parler.

Pour le cadran horisontal : l'élévation du pole du lieu étant donnée, trouver les angles que les lignes horaires font avec le méridien, au centre du cadran.

Voici la regle ou l'analogie ; comme le sinus total est au sinus de l'élévation du pole du lieu proposé, ainsi la tangente de la distance du Soleil au méridien pour l'heure requise, est à la tangente de l'angle cherché.

Le cadran vertical est un cadran tracé sur le plan d'un cercle vertical. Voyez VERTICAL.

Ces sortes de cadrans varient selon le vertical que l'on choisit. Les verticaux qui sont principalement en usage, sont le méridien, & le premier vertical, c'est-à-dire le cercle vertical perpendiculaire au méridien : d'où viennent les cadrans méridionaux, septentrionaux, orientaux, & occidentaux.

Les cadrans qui regardent les points cardinaux de l'horison, s'appellent particulierement cadrans directs. Voyez DIRECT.

Si l'on prend un autre vertical, on dit que le cadran décline. Voyez DECLINANT.

De plus en général, si le plan sur lequel on opere, est perpendiculaire à l'horison, comme on le doit supposer dans tous les cas dont il est question à présent, les cadrans sont appellés particulierement des cadrans droits. Par exemple on dit : un cadran droit méridional, ou septentrional, &c.

Si le plan du cadran est oblique à l'horison, on dit qu'il incline, ou qu'il récline. Voyez INCLINAISON, RECLINANT, &c.

Le cadran méridional, ou pour le désigner plus particulierement, cadran droit directement méridional, est celui que l'on décrit sur la surface du premier vertical, qui regarde le midi.

Le Soleil éclaire le plan du premier vertical qui regarde le midi, lorsque dans sa course il passe de ce vertical au méridien, ou qu'il va du méridien au premier vertical : en quoi il employe six heures avant midi & six heures après le jour de l'équinoxe ; & environ quatre heures & demie avant midi, & quatre heures & demie après le jour du solstice d'été, & ainsi des autres jours ; & en hyver, le Soleil ne paroît sur l'horison qu'après six heures : d'où il s'ensuit qu'un cadran méridional ne peut marquer les heures que depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir.

Tracer un cadran vertical méridional. Sur le plan du vertical qui regarde le midi, tracez une ligne méridienne A B (fig. 9.) & prenant l'intervalle A C à volonté pour la grandeur du cadran proposé, élevez en C une perpendiculaire d'une longueur indéfinie C D ; & faisant un angle C A D égal à l'élévation de l'équateur, tirez une ligne droite A D qui rencontre la perpendiculaire C D en D ; ensuite faites au point D l'angle C D E égal aussi à l'élévation de l'équateur en tirant la ligne droite D E qui coupe le méridien en E par le point E tirez la ligne droite G H qui coupe le méridien A B à angles droits. Prenez E C égal à E D, & avec ce rayon décrivez un quart de cercle E F. Le reste se fait comme dans le cadran horisontal, excepté que les heures d'après midi doivent être écrites à main droite, & celles d'avant midi à main gauche, ainsi que la figure le fait comprendre. Enfin au point A fixez un style oblique, qui fasse un angle égal à l'élévation de l'équateur ; ou bien, élevez en C un style perpendiculaire égal à C D ; ou enfin, élevez sur A E un triangle A D E, qui soit perpendiculaire au plan du cadran.

L'ombre du style couvrira les différentes lignes horaires aux heures qui répondent à ces lignes.

Le cadran septentrional, ou le cadran droit directement septentrional, se trace sur la surface du premier vertical qui regarde le nord. Voyez NORD.

Le Soleil n'éclaire cette surface que quand il avance de l'orient au premier vertical, ou qu'il vient de ce même vertical au couchant : de plus le Soleil est dans le premier vertical à six heures du matin & à six heures du soir le jour de l'équinoxe ; le jour du solstice d'été il se leve sur l'horison de Paris à quatre heures, & arrive au premier vertical vers les sept heures & demie ; & en hyver le Soleil n'éclaire point du tout ce plan septentrional : d'où il est évident que le cadran septentrional ne peut marquer que les heures d'avant sept heures & demie du matin, & celles d'après sept heures & demie du soir. C'est pourquoi comme dans l'automne & dans l'hyver le Soleil ne se leve pas avant six heures, & qu'il se couche avant six heures du soir, on voit que pendant toutes ces deux saisons, le cadran septentrional n'est d'aucun usage : mais en le joignant au cadran méridional, il supplée ce qui manque à celui-ci.

Décrire un cadran vertical septentrional. Tirez une ligne méridienne E B (fig. 10.) & du point A décrivez un petit cercle à volonté : au point A faites l'angle D A C égal à l'élévation de l'équateur, & du point C pris à volonté, élevez une perpendiculaire C D qui rencontre A D au point D. Faites un autre angle C D E égal aussi à l'élévation de l'équateur, & tirez pareillement une ligne D E qui rencontre A E au point E. Ensuite prenez I B égal à E D, & par I tirez G H qui coupe S B à angles droits. Du centre B avec le rayon I B décrivez un quart de cercle ; & divisez-le en six parties égales. Par les deux dernieres divisions tirez des lignes du centre B, c'est-à-dire B h & B G qui rencontrent G H en h & G, & faites I d égal à I h, & I H égal à I G. Ensuite appliquant une regle aux points A, d & H, & encore aux points A, h & G, tirez les lignes droites A 5, A 4, A 7, A 8. Enfin, au point A, fixez un style oblique A D, faisant un angle D A E, avec la ligne méridienne dans le plan du méridien, égal à l'élévation de l'équateur : ou bien un style perpendiculaire en C, égal à C D ; ou, au lieu d'un style, mettez sur la ligne méridienne E A un triangle E D A perpendiculaire au plan du cadran.

Les lignes A 4, A 5, A 6, marqueront les heures du matin ; & les lignes A 6, A 7, A 8, marqueront celles de l'après-midi, & par conséquent l'ombre de l'index montrera ces heures.

Ou bien encore, opérez de la maniere suivante. Dans le cadran méridional (fig. 9.) si les lignes horaires 4 & 5, de même que 7 & 8, sont continuées au-delà de la ligne 6 A 6, & que le triangle A D E tourne autour de son pole A, jusqu'à ce que A E tombe sur le prolongement de A 12 ; il est évident que par ce moyen on a un cadran septentrional, observant seulement ce que l'on dit sur la maniere de marquer les heures.

Si sur l'extrémité I K d'un cadran horisontal (fig. 7. Gnomon.) on éleve à angles droits un plan vertical I K N M, & qu'on prolonge l'index horaire A L du cadran horisontal jusqu'à ce qu'il rencontre le plan vertical en L, on n'aura qu'à tirer ensuite du point L à la ligne de contingence ou de rencontre I K des deux plans, des lignes droites qui passent par les différens points des heures marquées sur cette ligne I K : on aura un cadran vertical méridional, dont L sera le centre ; ce qui est évident, puisque l'ombre du style marquera les mêmes heures sur les deux cadrans.

Tracer par la Trigonométrie un cadran vertical septentrional ou méridional. La description de ces cadrans ne differe de celle du cadran horisontal, qu'en ce que l'angle C A D, est égal au complément de l'élévation du pole du lieu ; desorte que l'on doit se servir de la même analogie que pour le cadran horisontal : en observant seulement que le second terme soit le complément de l'élévation du pole pour le lieu où l'on trace le cadran.

Le cadran oriental, ou le cadran droit directement oriental, c'est celui que l'on trace sur le côté du méridien qui regarde l'orient. Voyez ORIENT.

Comme le Soleil n'éclaire le plan du méridien qui regarde l'orient, qu'avant midi ; un cadran oriental ne peut marquer les heures que jusqu'à midi.

Tracer un cadran oriental. Sur le côté oriental du plan du méridien, tirez une ligne droite A B (fig. 11.) parallele à l'horison, joignez-y la ligne A K, qui fasse avec elle un angle K A B, égal à l'élévation de l'équateur. Ensuite avec le rayon D E décrivez un cercle, & par le centre D, tirez E C perpendiculaire à A K ; moyennant quoi le cercle sera divisé en quatre quarts. Subdivisez chacun de ces quarts en six parties égales. Et du centre D, par les différentes divisions, tirez les lignes droites D 4, D 5, D 6, D 7, D 8, D 9, D 10, D 11. Enfin, en D élevez un style égal au rayon D E perpendiculairement au plan, ou sur deux petites pieces fixées perpendiculairement en E, C, & égales au même rayon D E, attachez un style parallele à E C.

Par ce moyen, chaque index aux différentes heures, rejettera une ombre sur les lignes respectives 44 55, 66, &c.

Le cadran occidental, ou le cadran droit directement occidental, se trace sur le côté occidental du méridien. Voyez OCCIDENT.

Comme le Soleil n'éclaire qu'après-midi le côté du plan du méridien, qui regarde l'occident, on voit qu'un cadran occidental ne peut marquer les heures que depuis midi jusqu'au Soleil couchant.

Ainsi en joignant le cadran occidental avec l'oriental, ces deux cadrans marqueront toutes les heures du jour.

Tracer un cadran occidental. La construction est précisément la même que celle du cadran orient al, excepté que sa situation est renversée, & les heures écrites conformément à cette disposition.

Le cadran polaire est tracé sur un plan qu'on imagine passer par les poles du monde, & par les points de l'orient & de l'occident de l'horison. Il y en a de deux especes ; ceux de la premiere espece regardent le zénith, & sont appellés polaires supérieurs ; ceux de la seconde regardent le nadir, & sont appellés polaires inférieurs.

Ainsi le cadran polaire est incliné à l'horison, avec lequel il fait un angle égal à l'élevation du pole.

Comme le plan polaire P O, Q S, (figure 12.) passe par les points O & S de l'orient & de l'occident, il y a un quart de l'équateur, & de chacun des paralleles à l'équateur, intercepté entre ce plan & le méridien P H Q : donc la surface supérieure est éclairée par le soleil depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir ; & la surface inférieure depuis le lever du soleil jusqu'à six heures du matin, & depuis six heures du soir jusqu'au coucher du soleil.

C'est pourquoi un cadran polaire inférieur marque les heures du matin depuis le lever du soleil jusqu'à six heures, & celles du soir depuis six heures jusqu'à son coucher ; & un cadran polaire supérieur marque les heures depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir.

Tracer un cadran polaire supérieur. Tirez une ligne droite A B (figure 13.) parallele à l'horison ; & si le plan est immobile, trouvez la ligne méridienne C E : divisez C E en deux parties égales, & par C tirez une ligne droite F G, parallele à A B ; ensuite du centre D avec l'intervalle D E, décrivez un quart de cercle, & divisez-le en six parties égales : du centre D, par les différens points de division, tirez les lignes droites D 1, D 2, D 3, D 4, D 5, & placez en sens contraire les intervalles E 1, E 2, E 3, E 4, E 5, c'est-à-dire E 11, 10, 9, 8 & 7 des points 5, 4, 3, 2, 1, &c. élevez des perpendiculaires qui rencontrent la ligne FG aux points correspondans, enfin élevez en D un style perpendiculaire égal à D E ; ou sur deux styles égaux à E D, placez une verge horisontale, parallele à E C, les lignes 12, 12, 11, 22, 33, &c. seront les lignes horaires.

Un cadran polaire supérieur ne differe des cadrans orientaux & occidentaux que par sa situation, & que par la maniere d'écrire les heures.

On a un cadran polaire inférieur, ne négligeant les heures d'avant midi, 9, 10 & 11, & celles d'après midi, 1, 2 & 3, avec l'heure 12 de midi ; & en ne laissant que les heures 7 & 8 du matin, & 4 & 5 du soir, qui deviendront alors les heures 7 & 8 du soir, & 4 & 5 du matin, en renversant le cadran c'en-dessus-dessous.

Tracer tous les cadrans de la premiere espece sur le même corps irrégulier. 1°. Supposons que le plan ABCD (fig. 12.) dans la situation naturelle du corps, soit horisontal : décrivez dessus un cadran horisontal, comme il a été enseigné plus haut.

2°. Tirez les lignes E M & F L paralleles à D C, qui seront par conséquent paralleles à l'horison dans la situation naturelle du corps. Si on suppose ensuite que le plan B N M C fasse un angle C M E avec E M, égal à l'élévation du pole, décrivez dessus un cadran polaire supérieur.

3°. Supposant que le plan opposé A D E fasse avec E M un angle D E M égal à l'élévation de l'équateur, tracez sur ce plan un cadran équinoctial supérieur.

4°. Supposant que le plan K L H fasse avec L F un angle H L F égal à l'élévation de l'équateur, tracez sur ce plan un cadran équinoctial inférieur.

5°. Si le plan opposé F G fait avec F L un angle G F L égal à l'élévation du pole, tracez-y un cadran polaire inférieur.

6°. Si le plan M N K L & l'opposé E F sont perpendiculaires à F L, sur l'un deux tracez un cadran méridional, & sur l'autre un cadran septentrional.

7°. Sur le plan E M L F décrivez un cadran occidental, & un oriental sur le plan opposé.

Nous avons expliqué plus haut, & fort en détail, les méthodes dont on doit se servir pour tracer ces différentes especes de cadrans.

Cela fait, si le corps est disposé de maniere que le plan M N K L regarde le midi, & que le plan du méridien le coupe en deux dans la ligne de 12 heures du cadran horisontal A B C D ; & du cadran méridional M N K L, tous ces différens plans marqueront en même tems les heures du jour.

Les cadrans secondaires, ou de la seconde espece, sont tous ceux que l'on place sur les plans de cercles différens de l'horison, du premier vertical, de l'équinoctial, & des cercles polaires ; c'est-à-dire sur des plans qui déclinent, inclinent, réclinent.

Les cadrans verticaux déclinans, sont des cadrans droits ou verticaux qui déclinent, ou qui ne regardent pas directement quelqu'un des points cardinaux.

Les cadrans déclinans sont d'un usage fort ordinaire ; car les murailles des maisons sur lesquelles on trace communément les cadrans, ne sont pas directement exposées aux points cardinaux. Voyez DECLINANT.

Il y a différentes especes de cadrans déclinans qui prennent leurs noms des points cardinaux vers lesquels ils paroissent le plus tournés, mais dont ils déclinent réellement : il y en a qui déclinent du midi ou du nord, & même du zénith.

Tracer trigonométriquement un cadran vertical déclinant. 1°. La déclinaison du plan & l'élévation du pole du lieu étant donnés, voici la regle pour trouver l'angle formé au centre du cadran par la méridienne & la soûstylaire. Comme le sinus total est à la tangente du complément de la hauteur du pole du lieu, ainsi le sinus de l'angle de déclinaison du plan est à la tangente de l'angle cherché.

2°. La déclinaison du plan étant donnée, avec l'élévation du pole du lieu, voici comment on trouve l'angle formé au centre d'un cadran vertical déclinant, par la soûstylaire & l'axe.

Regle. Comme le sinus total est au sinus du complément de l'élévation du pole, ainsi le sinus du complément de déclinaison du plan est au sinus de l'angle cherché.

3°. La déclinaison du plan & l'élévation du pole étant données, si on veut trouver l'arc de l'équateur compris entre le méridien du lieu & le méridien du plan, voici la regle.

Comme le sinus total est au sinus de la hauteur du pole du lieu, ainsi la tangente du complément de déclinaison du plan est à la tangente du complément de l'angle cherché, que nous appellerons, pour abréger, angle de la différence des longitudes.

4°. L'angle de la différence des longitudes, & celui de l'axe avec la soûstylaire, étant donnés, on demande les angles formés au centre d'un cadran vertical déclinant, entre la soûstylaire & les lignes horaires.

Ce problème a trois cas ; car les lignes horaires dont on cherche les angles, peuvent être, 1°. entre le méridien & la soustylaire ; ou, 2°. au-delà de la soûstylaire ; ou, 3°. du côté du méridien où la soûstylaire n'est pas. Dans les deux premiers cas, on doit prendre la différence entre la distance du soleil au méridien à chaque heure, & l'angle de la différence des longitudes trouvées par le dernier problème ; & dans le troisieme cas on doit prendre la somme de ces deux angles, & faire usage de la regle suivante.

Regle. Comme le sinus total est au sinus de l'angle entre l'axe & la soûstylaire, ainsi la tangente de la différence de la distance du soleil au méridien, & de la différence des longitudes, ou la tangente de la somme de ces deux angles est à la tangente de l'angle cherché.

5°. L'angle formé par la soûstylaire avec les lignes horaires, & celui de la soûstylaire avec le méridien, étant donnés, on peut trouver les angles formés entre le méridien & les lignes horaires, au centre des cadrans verticaux déclinans.

Les angles des lignes horaires entre le méridien & la soûstylaire, se trouvent en ôtant l'angle formé par la soûstylaire avec la ligne horaire, de l'angle formé par la soûstylaire avec la méridienne.

Les angles au-delà de la soûstylaire, & du côté opposé à celui du méridien, se trouvent en ajoûtant ces deux angles.

On trouve ceux qui sont de l'autre côté du méridien, en prenant leur différence.

Décrire géométriquement un cadran vertical qui décline du midi à l'orient ou au couchant. Trouvez la déclinaison du plan, ainsi qu'il est enseigné à l'article DECLINAISON & DECLINATEUR.

Ensuite tracez sur le papier un cadran horisontal, en supposant que G H soit la ligne de contingence, ou de rencontre du plan avec le plan équinoctial, (figure 16.) : par le point E où la ligne méridienne A E coupe la ligne G H, tirez une ligne droite I K qui fasse avec G H un angle H E K, égal à la déclinaison du plan donné ; ainsi comme G H représente l'intersection du premier vertical avec l'horison, I K sera l'intersection du plan déclinant & de l'horison : c'est pourquoi la partie I E doit être élevée au-dessus de G E, en cas que le plan donné décline vers l'occident ; ou bien au-dessous de G H, si le plan décline vers l'orient. Tirez une ligne droite parallele à l'horison, sur le plan ou sur le mur donné pour représenter I K ; & prenant sur cette ligne un point correspondant au point E, transportez-y les différentes distances horaires E 1, E 2, E 3, &c. marquées dans la ligne I K tracée sur le papier : ensuite du point E élevez une perpendiculaire B C, égale à la distance qu'il y auroit de la ligne de contingence G H au centre d'un cadran méridional élevé sur G H, & dont le style passeroit par le centre de ce cadran & par le point A : de-là tirez aux différens points 1, 2, 3, &c. les lignes C 1, C 2, C 3, &c. qui seront les lignes horaires ; ensuite faites tomber une perpendiculaire A D du centre A du cadran horisontal, sur la ligne de contingence I K, & transportez la distance E D du point E sur la muraille, C D sera la ligne soûstylaire. Voyez SOUSTYLAIRE.

C'est pourquoi joignant A D & D C à angles droits, l'hypothénuse A C sera un style oblique, qui doit être attaché sur la muraille au point C, de maniere que le côté C D tombe sur le côté C D, & que A D soit perpendiculaire au plan de la muraille. Il faut bien remarquer que la ligne I K qui est tracée obliquement sur le papier, doit être horisontale sur le plan ; & comme on suppose que le soleil éclaire la face du plan qui est tournée vers A, il faut que sur le cadran le point C soit en-haut, & le point E en-bas.

Tracez un cadran vertical déclinant du nord vers l'orient ou l'occident. Trouvez d'abord la déclinaison du plan ; ensuite tracez un cadran vertical déclinant du midi, dans lequel le point C soit en-haut, & le point E en-bas ; renversez-le de maniere que le centre C soit en-bas, & le point E en-haut, & portez sur la gauche les heures de la main droite ; & au contraire, en supprimant toutes les lignes horaires que l'on ne peut pas voir dans un plan de cette espece.

La meilleure méthode dans la pratique, c'est après que l'on a tracé sur le papier un cadran méridional déclinant, d'en piquer les différens points en les perçant avec une épingle ; appliquant ensuite à la muraille la face du papier sur laquelle le cadran est tracé, & ayant soin de mettre le point C en-bas ; le revers donnera tous les points nécessaires pour tracer un cadran septentrional déclinant.

Si le cadran décline trop, ensorte que le point C doive être trop éloigné, on se contentera de ne tracer qu'une partie des lignes horaires ; & au lieu du style triangulaire A C D, on ne mettra qu'une partie du style A C soûtenue par deux appuis ; de maniere pourtant que cette partie de style étant prolongée, ainsi que les lignes horaires, puisse rencontrer le plan du cadran au point C.

Les cadrans inclinés sont ceux que l'on trace sur des plans qui ne sont point verticaux, mais qui s'inclinent ou qui panchent vers le côté méridional de l'horison, en faisant un angle plus grand ou plus petit que le plan équinoctial. Voyez INCLINAISON.

On peut concevoir un plan incliné, en supposant que le plan de l'équateur se rapproche du zénith d'un côté, & de l'autre s'abaisse vers le nadir, en tournant sur une ligne tirée du point est au point oüest de l'horison.

Tracer un cadran incliné. 1°. L'inclinaison du plan, comme D C (fig. 17.), étant trouvée par le moyen d'un déclinateur, ainsi qu'il sera enseigné à l'article DECLINATEUR, si ce plan tombe entre le plan équinoctial C E & le vertical C B, de maniere que l'angle d'inclinaison D C A soit plus grand que l'élévation de l'équateur E C A, sur le côté supérieur tracez un cadran septentrional, & sur le côté inférieur un méridional pour une élévation de l'équateur, qui soit égale à la somme de l'élévation de l'équateur du lieu donné, & du complément de l'inclinaison du plan à un quart de cercle.

2°. Si le plan incliné F C tombe entre l'horisontal C A & l'équinoctial C E, tellement que l'angle d'inclinaison F C A soit plus petit que l'élévation de l'équateur E C A, décrivez un cadran horisontal pour une élévation du pole égale, à la somme de l'élévation du pole du lieu donné & de l'inclinaison du plan.

Les cadrans ainsi inclinés se tracent de la même maniere que les cadrans de la premiere espece, excepté que le style, dans le premier cas, doit être fixé sous l'angle A D C ; & dans le dernier cas, sous l'angle D F C ; & que la distance du centre du cadran à la ligne de contingence, dans le premier cas, est D C, & dans le dernier, est F C.

Les cadrans réclinans sont ceux que l'on trace sur des plans qui ne sont pas verticaux, mais penchés ; en s'écartant du zénith vers le nord, & faisant un angle plus grand ou plus petit que le plan polaire.

On peut concevoir un plan réclinant, en supposant que le plan polaire s'éleve d'un côté vers le zénith, & de l'autre s'abaisse vers le nadir, en tournant autour d'une ligne tirée de l'orient à l'occident. Pour trouver la réclinaison d'un plan, voyez RECLINAISON.

Tracer un cadran réclinant. 1°. Si le plan réclinant II C tombe entre le plan vertical B C & le plan polaire I C, de maniere que l'angle de réclinaison B C H soit plus petit que la distance du pole au zénith B C I, décrivez deux cadrans verticaux, un septentrional & un méridional, pour une élévation de l'équateur égale à la différence entre l'élévation de l'équateur du lieu donné, & l'angle de réclinaison.

2°. Si le plan récliné comme K C, tombe entre se plan polaire I C, & l'horisontal C L, de maniere que l'angle de réclinaison B C K soit plus grand que la distance du pole au zénith I C B : décrivez dessus un cadran horisontal pour une élévation du pole, égale à la différence entre l'angle de réclinaison & l'élévation de l'équateur du lieu donné.

On trace aussi par la Trigonométrie les cadrans inclinans & réclinans, l'inclinaison ou la réclinaison du plan, & l'élévation du pole étant connues ; & l'on trouve les angles faits, au centre d'un cadran inclinant ou réclinant, par le méridien & les lignes horaires.

Un cadran de cette espece est proprement un cadran horisontal pour une latitude égale à l'élévation particuliere du pole sur le plan du cadran : c'est pourquoi l'on détermine les angles par la regle que l'on a donnée pour les cadrans horisontaux.

Quant à l'élévation du pole sur le plan du cadran, on la trouve de cette maniere : le plan étant incliné, son élévation est plus grande que l'élévation du pole du lieu, ou est plus petite, ou lui est égale ; dans les deux premiers cas, pour les cadrans supérieurs méridionaux, ou inférieurs septentrionaux, on a l'élévation particuliere du pole sur le plan en prenant la différence entre l'élévation du pole du lieu, & l'inclinaison du plan : & dans le dernier cas, le cadran est un cadran polaire, où les lignes horaires seront paralleles, à cause que le plan étant placé sur l'axe du monde, aucun des deux poles n'y peut être représenté.

Pour les cadrans supérieurs septentrionaux, & inférieurs méridionaux, 1°. si l'inclinaison est plus grande que le complément de l'élévation, il faut ajoûter le complément de l'inclinaison au complément de l'élévation. 2°. Si elle est plus petite, il faut ajoûter l'inclinaison à l'élévation. 3°. Si elle est égale, le cadran sera un cadran équinoctial, où les angles au centre seront égaux à la distance du soleil au méridien.

Les cadrans déinclinés sont ceux qui sont en même tems déclinans & réclinans ou inclinés.

On se sert rarement des cadrans inclinés, réclinans, & surtout des cadrans déinclinés ; c'est pourquoi la construction géométrique & trigonométrique en étant un peu compliquée, nous prenons le parti de la supprimer, & de renvoyer ceux qui auroient du goût ou de la curiosité pour les cadrans de cette espece, à la méthode méchanique générale de tracer toutes sortes de cadrans : méthode que nous allons exposer en peu de mots.

Méthode facile de tracer un cadran sur toutes sortes de plans par le moyen d'un cadran équinoctial mobile. Supposons, par exemple, que l'on demande un cadran sur un plan horisontal ; si le plan est immobile, comme A B D C (fig. 18.) déterminez sa ligne méridienne G F ; ou, si le plan est mobile, prenez une méridienne à volonté. Ensuite par le moyen du triangle E K F, dont vous appliquerez la base sur la ligne méridienne, élevez le cadran équinoctial H, jusqu'à ce que le stile G I devienne parallele à l'axe du monde ; ce qui se trouve en faisant l'angle K E F égal à l'élévation du pole, & que la ligne de 12 heures du cadran soit bien directement au-dessus de la lige méridienne du plan ou de la base du triangle. Alors, si pendant la nuit une bougie allumée est appliquée à l'axe GI, desorte que l'ombre de l'index ou le stile G I tombe successivement sur les lignes horaires ; cette même ombre marquera les différentes lignes horaires sur le plan A B C D.

Ainsi marquant des points sur l'ombre, tirez par ces points des lignes au point G ; alors un index étant placé en G, suivant l'angle I G F, son ombre marquera les différentes heures, à la lumiere du soleil.

Si vous voulez un cadran sur un plan vertical, ayant élevé le cercle équinoctial, comme on l'a dit ci-dessus, poussez en avant l'index G I, jusqu'à ce que sa pointe I touche le plan vertical sur lequel vous voulez tracer le cadran.

Si le plan est incliné à l'horison, il faudra trouver l'élevation du pole sur ce même plan, & l'on fera l'angle du triangle K E F égal à cette élévation.

Remarquez qu'outre les différentes especes de cadrans ci-dessus mentionnés, qui sont des cadrans à centre, il y en a d'autres appellés des cadrans sans centre.

Les cadrans sans centre sont ceux dont les lignes horaires sont à la vérité convergentes, c'est-à-dire tendent à se réunir en un point, mais si lentement que l'on ne sauroit marquer sur le plan donné le centre vers lequel elles sont convergentes.

Les cadrans horisontaux sans centre, doivent être faits pour les endroits où l'élévation du pole est très-petite, ou, ce qui revient au même, l'élévation de l'équateur très-grande : en effet dans la fig. 6. si l'on suppose l'angle A E D presque droit, c'est-à-dire l'équateur presque perpendiculaire à l'horison, le point A qui est le centre du cadran deviendra très-éloigné, & la ligne D A qui représente l'axe du monde, sera presque parallele à l'horison.

De-là il s'ensuit que les cadrans verticaux sans centre conviennent aux endroits qui sont fort près du pole, & que les cadrans horisontaux sans centre conviennent aux endroits qui sont fort près de l'équateur.

Pour tracer un cadran horisontal sans centre (fig. 15.) on commencera par tracer la méridienne A O, & par un point quelconque E de cette méridienne, on tirera la perpendiculaire G H qui désignera la ligne de contingence de l'horison & du plan de l'équateur. On fera l'angle C E D, égal à l'élévation de l'équateur ; & ensuite ayant porté E D en E B, on divisera la ligne de contingence comme pour un cadran horisontal ordinaire ; on élevera ensuite au point D une perpendiculaire D F de longueur arbitraire ; & ayant tiré la perpendiculaire F L à D F, on transportera F L en L O, & on divisera par le point O, la ligne M N, en intervalles horaires, comme on a divisé la ligne G H par le point B ; ensuite par les points horaires correspondans de ces deux lignes G H, M N, on tirera les lignes horaires X I I I ; enfin aux points E, L, on placera perpendiculairement au plan du cadran l'index E D F L, composé du stile D F, & de deux appuis E D, F L, & le cadran sera achevé.

Pour tracer un cadran vertical méridional sans centre, on remarquera qu'un tel cadran n'est autre chose, qu'un cadran horisontal construit pour une hauteur de pole égale au complément de l'élévation du pole donnée ; ainsi la construction de ce cadran sera la même que celle du cadran horisontal sans centre.

Dans la sphere droite, c'est-à-dire dans les lieux situés sous l'équateur, le cadran horisontal est le même que le cadran polaire, & le cadran vertical est le même que le cadran équinoctial.

Dans la sphere parallele, c'est-à-dire, pour les habitans des poles, le cadran horisontal est le même que le cadran équinoctial ; & le cadran vertical est le même que le cadran polaire.

Outre la description des heures, on trace sur les cadrans solaires beaucoup d'autres choses qui leur servent comme d'accompagnement & d'ornement.

On décrit aussi les cadrans solaires sur la surface de différens corps irréguliers : nous avons déjà fait voir comment sur un corps irrégulier, on pouvoit tracer tous les cadrans de la premiere espece. On peut en tracer le plus sur différens autres corps ; par exemple, sur un bâton, sur un cylindre, on n'attend pas de nous que nous entrions sur ce sujet dans un plus grand détail, qui n'appartiendroit qu'à un ouvrage complet sur la Gnomonique. Ceux qui voudront en savoir davantage, pourront avoir recours aux différens traités qui en ont été publiés.

On trouvera aussi dans ces même traités des méthodes pour tracer géométriquement des cadrans universels ; mais nous ne nous y arrêterons point, parce qu'elles nous paroissent plus curieuses qu'utiles, & que dans un ouvrage de la nature de celui-ci, nous devons principalement faire mention de ce qui peut être le plus d'usage.

Nous ne dirons rien non plus des Cadrans qu'on appelle à réflexion & à réfraction. Voyez ces mots.

Le cadran nocturne ou de nuit, montre les heures de la nuit.

Il y en a de deux especes ; le lunaire ou le cadran à la lune, & le sidéréal ou le cadran aux étoiles.

Le cadran à la lune ou le cadran lunaire est celui qui montre l'heure de la nuit, par le moyen de la lumiere ou de l'ombre de la lune, qu'un index jette dessus.

Tracer un cadran lunaire. Supposons, par exemple, que l'on demande un cadran lunaire horisontal : décrivez d'abord un cadran solaire horisontal : élevez ensuite les deux perpendiculaires A B & C D, (fig. 19.) à la ligne de douze heures ; & divisant l'intervalle G F en douze parties égales, par les différens points de division, tirez des lignes paralleles. Maintenant si on destine la premiere ligne C D au jour de la nouvelle lune, & la seconde au jour où la lune arrive au méridien, une heure plus tard que le soleil ; & enfin la derniere ligne A B au jour de la pleine lune : les intersections de ces lignes avec les lignes horaires donneront des points, par lesquels on tracera une ligne courbe 12 12, qui sera la ligne méridienne de la lune ; on déterminera ensuite de la même maniere les autres lignes horaires, 11, 22, 33, &c. lesquelles seront coupées aux heures solaires correspondantes & respectives, ou par l'ombre de la lune, que jettera le style du cadran. On effacera les lignes horaires du cadran solaire, aussi bien que les perpendiculaires, par où l'on a tiré les heures lunaires ; & on divisera l'intervalle G F par d'autres lignes paralleles en quinze parties égales, qui répondent aux quinze jours entre la nouvelle & la pleine lune. Enfin on écrira auprès de ces lignes les différens jours de l'âge de la lune.

Maintenant, connoissant par un calendrier l'âge de la lune, l'intersection de la ligne de l'âge de la lune, avec les lignes horaires de la lune, donnera l'heure de la nuit.

On peut de la même maniere transformer tout autre cadran solaire en cadran lunaire.

Tracer un cadran lunaire portatif sur un plan ; qui peut être disposé selon l'élévation de l'équateur. Décrivez un cercle A B (fig. 20.) & divisez sa circonférence en 29 parties égales. Du même centre D décrivez un autre cercle mobile D E, divisez-le en 24 parties ou en 24 heures égales. Au centre C placez un index, de même que pour un cadran équinoctial.

Si l'on place ce cadran, comme il faut, dans un plan parallele à l'équateur, comme le cadran équinoctial, & que l'on porte la ligne de 12 heures au jour de l'âge de la lune, l'ombre du style donnera l'heure.

Pour se servir d'un cadran solaire, comme si c'étoit un cadran lunaire, c'est-à-dire trouver l'heure de la nuit, par le moyen d'un cadran solaire, on observera l'heure que l'ombre du style montre à la lumiere de la lune. On trouvera l'âge de la lune dans le calendrier, & on multipliera le nombre des jours par 3/4 ; le produit est le nombre d'heures qu'il faut ajoûter à l'heure marquée par l'ombre, afin d'avoir l'heure qu'on demande. La raison de cette pratique est, que la lune passe tous les jours au méridien, ou à quelque cercle horaire que ce soit, trois quarts d'heure plus tard que le jour précédent. Or le jour de la nouvelle & de la plaine lune, elle passe au méridien en même tems que le soleil ; d'où il s'ensuit que le troisieme jour, par exemple, après la nouvelle lune, elle doit passer deux fois trois quarts d'heure plus tard au méridien, & ainsi des autres.

Si le nombre des jours multipliés par 3/4 & ajoûtés au nombre des heures, excede 12, il faudra en ôter 12, pour avoir l'heure cherchée.

Si on veut connoitre plus facilement & plus exactement l'heure de la nuit par le moyen de l'ombre de la lune sur un cadran solaire, on pourra se servir de la table suivante, & ajouter pour chacun des jours de l'âge de la lune, les heures marquées dans cette table, aux heures marquées sur le cadran par l'ombre de la lune.

Le cadran aux étoiles est un instrument par lequel on peut connoître l'heure de la nuit en observant quelque étoile ; ce cadran se fait par la connoissance du mouvement journalier que font autour du pole ou de l'étoile polaire, qui n'en est présentement éloignée que de deux degrés, les deux étoiles de la grande ourse, qu'on appelle ses gardes, ou la claire du quarré de la petite ourse : pour la construction de ce cadran, il faut savoir l'ascension droite de ces étoiles, ou à quel jour de l'année elles se trouvent dans le même cercle horaire que le soleil ; ce qui se peut connoître par le calcul astronomique, ou par un globe, ou avec un planisphere céleste construit sur les nouvelles observations, en mettant sous le méridien l'étoile dont il s'agit, & en examinant quel degré de l'écliptique se trouve en même tems sous ce méridien. V. GLOBE.

Les jours de l'année où les deux étoiles ont la même ascension droite que le soleil, elles marqueront les mêmes heures que le soleil : mais comme les étoiles fixes retournent au méridien chaque jour plûtôt que le soleil d'environ 1 degré ou 40 minutes d'heures ; ce qui fait 2 heures par mois, il faudra avoir égard à cette différence, pour avoir l'heure du soleil par le moyen des étoiles.

Le cadran, dont il s'agit, est composé de deux plaques circulaires appliquées l'une sur l'autre (fig. 21. Gnomon.) ; la plus grande a un manche pour tenir à la main l'instrument dans les usages qu'on en fait.

La plus grande roue a environ deux pouces & demi de diametre : elle est divisée en 12 pour les 12 mois de l'année, & chaque mois de 5 en 5 jours ; de telle sorte que le milieu du manche réponde justement au jour de l'année auquel l'étoile, dont on veut se servir, a la même ascension droite que le soleil. Et si on veut que le même cadran serve pour différentes étoiles, il faut rendre le manche mobile autour de la roue, afin de l'arrêter où l'on voudra.

La roue de dessus, qui est la plus petite, doit être divisée en 24 parties égales, ou deux fois 12 heures pour les 24 heures du jour, & chaque heure en quarts ; ces 24 heures se distinguent par autant de dents, dont celles où sont marquées 12 heures, sont plus longues que les autres, afin de pouvoir compter la nuit les heures sans lumiere.

A ces deux roues, on ajoûte une regle ou alidade qui tourne autour du centre, & qui déborde au-delà de la plus grande circonférence.

Ces trois pieces doivent être jointes ensemble par le moyen d'un clou à tête, percé de telle sorte dans toute sa longueur, qu'il y ait au centre de ce clou un petit trou d'environ deux lignes de diametre, pour voir facilement à-travers ce trou l'étoile polaire.

L'instrument étant ainsi construit, si on veut savoir l'heure qu'il est de la nuit, on tournera la roue des heures jusqu'à ce que la plus grande dent où est marqué 12 heures, soit sur le jour du mois courant ; on approchera l'instrument de ses yeux, en le tenant par le manche, ensorte qu'il ne panche ni à droite ni à gauche, & qu'il regarde directement l'étoile polaire, ou ce qui est la même chose, qu'il soit à-peu-près parallele au plan de l'équinoctial ; ensuite ayant vû par le trou du centre l'étoile polaire, on tournera l'alidade jusqu'à ce que son extrémité, qui passe au-delà des circonférences des cercles, rase la claire du quarré de la petite ourse, si l'instrument est disposé pour cette étoile. Alors la dent de la roue des heures, qui sera sous l'alidade, marquera l'heure qu'il est de la nuit. Voyez BION, instrument de Mathématique, & Wolf, Elémens de Gnomonique. On trace souvent sur la surface d'un cadran d'autres lignes que celles des heures, comme des lignes qui marquent les signes du zodiaque, la longueur des jours, les paralleles des déclinaisons, les azimuths, les méridiens des principales villes, les heures babyloniennes & italiques, &c. Voyez GNOMONIQUE.

L'analemme ou le trigone des signes, est l'instrument dont on se sert principalement pour tracer ces sortes de lignes & de points sur les cadrans. Voyez ANALEMME & TRIGONE DES SIGNES.

Au reste la description de ces sortes de lignes & de points est plus curieuse qu'utile ; la condition la plus essentielle pour un bon cadran solaire, c'est que les lignes horaires, & surtout la méridienne, y soient bien tracées, & le stile bien posé ; & toutes les autres lignes qu'on y peut décrire, pour marquer autre chose que les heures du lieu où l'on est, peuvent être quelquefois nuisibles par trop de confusion. (O)

CADRAN DE MER. Voyez BOUSSOLE.

CADRAN, dans les horloges, est une plaque sur laquelle sont peintes ou gravées les heures, les minutes, les secondes, & tout ce que la disposition du mouvement lui permet d'indiquer.

Ce que l'on exige principalement d'un cadran, c'est qu'il soit bien divisé, bien monté, & que toutes les parties s'en distinguent facilement.

Le cadran des montres est fait d'une plaque de cuivre rouge, recouverte d'une couche d'émail de l'épaisseur d'un liard environ.

Les cadrans tiennent pour l'ordinaire à la platine des piliers, par le moyen de plusieurs piés soudés vers leur circonférence, au côté qu'on ne voit pas. Ces piés entrent juste dans des trous percés à la platine ; ils la débordent & l'on fiche des goupilles dans de petits trous percés dans leur partie excédante : ainsi le cadran tient à la platine des piliers de la même maniere que cette platine tient à celle du dessus. Voyez CAGE. Pl. I. Horl. fig. 1. (T)

CADRAN, se dit, en Architecture, de la décoration extérieure d'une horloge enrichie d'ornemens d'architecture & de sculpture, comme le cadran du palais à Paris, où il y a pour attributs la loi & la justice, avec les armes de Henri III. roi de France & de Pologne. Cet ouvrage est du célebre Germain Pilon.

On ne fait guere usage de ces sortes de décorations dans les bâtimens particuliers, mais elles sont presqu'indispensables aux édifices sacrés, tels que sont les paroisses, les couvens, communautés, &c. ou bien aux monumens publics, comme hôtels-de-ville, bourses, marchés ; alors il est convenable de rendre leurs attributs relatifs aux différens caracteres de l'édifice, & sur-tout que les ornemens soient unis avec des membres d'architecture qui paroissent liés avec le reste de l'ouvrage. Quelquefois ces cadrans sont surmontés par des lanternes, dans lesquelles sont pratiqués des carillons, tels qu'il s'en voyoit au marché-neuf il y a quelques années, & qu'on en voit encore aujourd'hui à celle de la Samaritaine, bâtiment hydraulique situé sur le pont-neuf à Paris.

Les cadrans solaires qui sont placés sur la surface perpendiculaire des murailles dans les grandes cours ou jardins des hôtels, comme au palais royal à Paris, ou posés sur des piédestaux, s'ornent aussi de figures, attributs & allégories relatifs au sujet ; tel est celui qu'on voit à Fontainebleau dans le jardin de l'orangerie. (P)

CADRAN, s. m. (instrument du Lapidaire) est une machine fort ingénieusement inventée pour tenir le bâton à ciment, à l'extrémité duquel le diamant est attaché, soit avec du mastic ou de l'étain fondu, & lui faire prendre telle inclinaison que l'on souhaite à l'égard de la meule.

Cet instrument, qui est de bois, est composé de quatre pieces principales ; savoir, le corps, la base, & les deux noix. Le corps représenté séparément, fig. 13. Planche du Lapidaire, est une piece de bois d'environ 5 ou 6 pouces de long & de 4 à 5 de large, dans laquelle est un trou K qui est le centre de l'arc h i percé à jour. Sur l'épaisseur de la face g g s'éleve la vis m qui est dans le même plan, & par laquelle elle s'assemble avec la base u x en passant par le trou y ; elle y est retenue par l'écrou en S marqué z, ainsi qu'on peut le voir dans la figure 10. qui représente le cadran tout monté.

La base, outre le trou y, en a encore un autre x qui descend verticalement : ce trou reçoit le clou qui est fixé sur l'établi, comme on voit en R, fig. 5.

Le trou K du corps reçoit la noix I I. La partie o est celle qui entre dans le trou K, & la partie p faite en vis reçoit l'écrou Z, fig. 19. au moyen duquel elle se trouve fixée sur le corps du cadran.

L'ouverture circulaire h i reçoit la noix de la fig. 8. la partie r est celle qui entre dans l'ouverture h i ; cette partie est cavée du côté qui doit s'appliquer sur l'arc convexe de l'ouverture circulaire, & elle est de même que la premiere retenue par l'écrou 6, fig. 19.

Les deux noix sont chacune percées d'un trou, dans lequel passe le bâton à ciment 3, 1, 2, fig. 10. qui peut tourner sur son axe & se fixer dans les ouvertures des noix par le seul frottement, à quoi contribue beaucoup sa forme conique.

Voyez pour l'usage de cet instrument l'article LAPIDAIRE & la figure 5. R est le cadran monté sur son clou, ensorte que le diamant soudé au bout du bâton à ciment porte sur la meule K.


CADRATURES. f. signifie en général, parmi les Horlogers, l'ouvrage contenu dans l'espace qui est entre le cadran & la platine d'une montre ou d'un pendule, &c. Planches VI. VII. & XI. de l'Horlog. mais il signifie plus particulierement cette partie de la répétition, laquelle, dans une montre ou une pendule qui répete, est contenue dans cet espace.

Dans les montres simples, la cadrature est composée de la chaussée, de la roue de minutes, & de la roue de cadran. Ces deux roues servent à faire tourner l'aiguille des heures, portée sur la roue de cadran pour cet effet ; la chaussée tournant en une heure a 12 dents, & elle engrene la roue des minutes de 36, celle-ci porte un pignon de 10, qui engrene dans la roue de cadran de 40 ; par ce moyen un tour de la chaussée fait faire à la roue de cadran 1/12 de tour, ou plûtôt 12 tours de la chaussée, où 12 heures équivalent à un tour de la roue de cadran ; & ainsi l'aiguille portée par cette roue marquera les heures. Dans toutes les montres simples, à répétition, ou autres, il y a toûjours ces trois roues qui servent à faire tourner l'aiguille des heures. Dans les pendules, il y a de même toûjours une cadrature pour faire tourner les aiguilles, & elle est disposée selon les mêmes principes.

Dans les montres ou pendules à répétition, la cadrature, comme nous l'avons dit plus haut, ouvre les roues dont nous venons de parler, contient encore une partie des pieces de la répétition, l'autre étant contenue dans la cage. Ces pieces sont la crémaillere, le tout ou rien, la piece des quarts, le doigt, l'étoile ou le limaçon des heures ; le valet, le limaçon des quarts, & la surprise ; la sourdine, les deux poulies, les ressorts des marteaux, les levées, & tous les ressorts qui servent au jeu de ces différentes pieces.

Comme la construction & la disposition de ces pieces, les unes par rapport aux autres, peuvent être très-variées, il est facile d'imaginer qu'on a fait un grand nombre de cadratures très-différentes les unes des autres : mais de toutes ces cadratures il n'y en a guere que trois ou quatre qu'on employe ordinairement : telles sont les cadratures à l'angloise, à la stagden, à la françoise, & celle de M. Julien le Roy. Voyez là-dessus l'article REPETITION. Voyez aussi les fig. 31. 34. 35.

La perfection d'une cadrature consiste principalement dans la justesse & la sûreté de ses effets ; cette derniere condition est sur-tout essentielle, parce que sans cela il arrive souvent que les machines de la répétition venant à se déranger, elles font arrêter la montre.

Plusieurs horlogers ont fait des tentatives pour placer toutes les parties de la répétition dans la cadrature, mais jusqu'ici elles ont été infructueuses : il est vrai que ce seroit un grand avantage, car la cage ne contenant alors que le mouvement, on pourroit le faire aussi grand & aussi parfait que celui des montres simples.

Nous avons dit dans la définition de cadrature, que c'étoit cette partie de la répétition contenue entre le cadran & la platine : mais quoique cette définition soit vraie en général, il semble que les Horlogers entendent plus particulierement par cadrature, l'assemblage des pieces dont nous avons parlé plus haut, soit que ces pieces soient situées entre le cadran & la platine, soit qu'elles le soient ailleurs. C'est ainsi que dans une pendule à répétition que M. Julien le Roy a imaginée, & dans laquelle ces mêmes pieces sont situées sur la platine de derriere, elles ont toujours conservé le nom de cadrature. Voyez PENDULE A REPETITION. (T)


CADRATURIERsub. m. nom que les Horlogers donnent à celui qui fait des cadratures ; il ne se dit qu'en parlant des cadratures des montres à répétition, parce que dans les pendules il n'y a point d'ouvrier particulier pour les cadratures, c'est-à-dire qui ne fasse que de cela. (T)


CADRES. m. en Architecture, est une bordure de pierre ou de plâtre traîné au calibre, laquelle dans les compartimens des murs de face & les plafonds renferme des ornemens de sculpture. V. BORDURE.

Cadre de plafond ; ce sont des renfoncemens causés par les intervalles des poutres dans les plafonds lambrissés avec de la sculpture, peinture, & dorure. (P)

CADRE, (Marine) c'est un carré fait de quatre pieces de bois d'une moyenne force & grosseur, mises en quarré long & entrelacées de petites cordes, ce qui forme un chassis, sur lequel on met un matelas pour se coucher à la mer. (Z)

CADRES, terme de manufacture de papier ; ce sont des chassis, GG, HH, voy. Pl. IV. de Papeterie, composés de quatre tringles de bois jointes ensemble par les extrémités, à angles droits, & ayant un drageoir comme les cadres des miroirs & tableaux. L'ouvrier fabriquant les applique sur la forme pour lui servir de rebord & empêcher que la pâte ne tombe quand il égoutte la forme.

Cadre est encore synonyme à bordure, & s'applique aux tableaux & aux estampes.


CADRITES. m. (Hist. mod.) sorte de religieux mahométans.

Les Cadrites ont eu pour fondateur un habile philosophe & jurisconsulte, nommé Abdul Cadri, de qui ils ont pris le nom de Cadrites.

Les Cadrites vivent en communauté & dans des especes de monasteres, qu'on leur permet néanmoins de quitter s'ils veulent, pour se marier, à condition de porter des boutons noirs à leur veste pour se distinguer du peuple.

Dans leurs monasteres, ils passent tous les vendredis une bonne partie de la nuit à tourner, en se tenant tous par la main, & repétant sans-cesse ghai, c'est-à-dire vivant, qui est un des noms de Dieu. Pendant ce tems-là un d'entr'eux joue de la flûte, pour les animer à cette danse extravagante. Ils ne rasent jamais leurs cheveux, ne se couvrent point la tête, & marchent toûjours les piés nuds. Ricaut, de l'empire Ottom. (G)


CADSANDT(Géog.) île de la Flandre Hollandoise, entre la ville de l'Ecluse & l'île de Zélande.


CADUCadj. VIEUX, CASSé, qui a perdu ses forces & qui en perd tous les jours davantage. On dit devenir caduc, âge caduc, santé caduque. Voyez VIEILLESSE.

CADUC (mal), Medecine, se dit de l'épilepsie ; elle a été ainsi nommée, parce que les malades tombent à la renverse dans l'accès de cette maladie ; cet accident joint aux convulsions qui l'accompagnent, donne beaucoup de frayeur aux spectateurs. Cette chûte fait souvent périr les malades, sur-tout lorsqu'elle arrive la nuit, qu'ils sont seuls, ou qu'ils tombent d'un lieu élevé. Voyez éPILEPSIE. (N)

CADUC, dans les matieres de Jurisprudence, se dit de ce qui étant valide dans l'origine, est cependant devenu nul dans la suite à cause de quelqu'évenement postérieur : ainsi l'on dit en ce sens qu'un legs ou une institution d'héritier est devenue caduque par la mort du légataire ou de l'héritier institué, avant celle du testateur. Caducité se dit aussi dans le même sens. (H)


CADUCÉES. m. (Hist.) verge ou baguette que les Poëtes & les Peintres donnent à Mercure. Quelques mythologistes disent que ce dieu ayant rencontré deux serpens qui se battoient, il jetta sa baguette au milieu d'eux, & les réunit, & que depuis il la porta toûjours pour symbole de paix. Aussi peint-on le caducée avec deux serpens entrelacés, & sur le haut on ajoûte deux ailerons ; ce qui, selon d'autres, marque la force de l'éloquence, dont Mercure étoit réputé le dieu aussi-bien qu'Apollon. Et en ce cas les serpens, symboles de la prudence, marquent combien cette qualité est nécessaire à l'orateur ; & les ailes signifient la promptitude & la vehémence des paroles. Comme Mercure étoit aussi censé présider aux négociations, pour avoir plus d'une fois rétabli la bonne intelligence entre Jupiter & sa femme Junon ; les ambassadeurs feciaux ou hérauts, chargés à Rome de traiter de la paix, portoient en main un caducée d'or, d'où leur vint le nom de caduceatores. Les Poëtes attribuoient encore au caducée de Mercure diverses autres propriétés, comme de conduire les ames aux enfers, & de les en tirer, d'exciter ou de troubler le sommeil, &c.

Le caducée qu'on trouve sur les médailles, est un symbole commun ; il signifie la bonne conduite, la paix & la félicité : le bâton marque le pouvoir ou l'autorité ; les deux serpens, la prudence, & les deux aîles la diligence, toutes choses nécessaires pour réussir dans les entreprises où l'on s'engage. Jobert, Science des médailles, tome I. pag. 377. (G)

CADUCEE, en Physique. Voyez BAGUETTE DIVINATOIRE. (O)


CADUCITÉS. f. l'état d'une personne caduque : on dit cette personne approche de la caducité ; d'où l'on voit que la caducité se prend pour l'extrème vieillesse ; mais il n'en est pas de même de caduc ; on dit d'un jeune homme qu'il est caduc, & d'un vieillard qu'il ne l'est pas.


CADURCIENSS. m. pl. (Géog. ant.) peuples qui occupoient les pays que nous nommons aujourd'hui le Quercy : c'étoit un des quatorze qui habitoient entre la Loire & la Garonne.


CADUou CERANIUM, (Hist. anc.) grande mesure des anciens, contenant cent vingt livres de vin, & environ cent cinquante livres d'huile.


CADUSIENSS. m. pl. (Géog.) peuples d'Asie, qui habitoient quelques contrées voisines du Pont-Euxin ; selon Strabon, ils occupoient la partie septentrionale de la Médie Atropatene, pays montagneux, & assez semblable à la description que Plutarque fait de celui des Cadusiens.


CAEN(Géog.) ville de France, capitale de la basse Normandie ; elle est sur l'Orne. Long. 17. 18. 13. lat. 49. 11. 10.


CAERDEN(Géog.) petite ville d'Allemagne, dans l'électorat de Treves, sur la Moselle.


CAERMARTHEN(Géog.) ville d'Angleterre, dans la principauté de Galles, sur la riviere de Towy, dans une province qui se nomme Caermarthenshire.


CAERNARVAN(Géog.) ville d'Angleterre, dans le pays de Galles, sur le Menay, capitale du Caernarvanshire.


CAESALPINAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont le nom a été dérivé de celui d'André Caesalpin, medecin du pape Clément VII. la fleur des plantes de ce genre est monopétale, faite en forme de masque, irréguliere, & divisée en quatre parties inégales : celle du dessus est la plus grande, elle est creusée en forme de cuilliere : il s'éleve du fond de la fleur un pistil entouré d'étamines recourbées. Ce pistil devient une silique remplie de semences oblongues. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)

On ne lui attribue aucune propriété médicinale.


CAESAR(Hist. rom.) les empereurs communiquoient le nom de Caesar à ceux qu'ils destinoient à l'empire ; mais ils ne leur donnoient point les titres d'imperator & d'augustus ; c'eût été les associer actuellement. Ces deux derniers titres marquoient la puissance souveraine. Celui de Caesar n'étoit proprement qu'une désignation à cette puissance, qu'une adoption dans la maison impériale. Avant Dioclétien on avoit déja vu plusieurs empereurs & plusieurs Caesars à-la-fois : mais ces empereurs possédoient l'empire par indivis. Ils étoient maîtres solidairement avec leurs collégues de tout ce qui obéissoit aux Romains. Dioclétien introduisit une nouvelle forme de gouvernement, & partagea les provinces romaines. Chaque empereur eut son département. Les Caesars eurent aussi le leur : mais ils étoient au-dessous des empereurs. Ils étoient obligés de les respecter comme leurs peres. Ils ne pouvoient monter au premier rang que par la permission de celui qui les avoit fait Caesar, ou par sa mort. Ils recevoient de sa main leurs principaux officiers. Ordinairement ils ne portoient point le diadème, que les augustes avoient coutume de porter depuis Dioclétien. Cette remarque est de M. de la Bléterie. (D.J.)


CAFFA(Géog.) autrefois Théodosie, ville riche, ancienne & considérable, capitale de la Tartarie Crimée, avec deux citadelles ; elle est sur la mer Noire, à 60 lieues de Constantinople. Long. 52. 30. lat. 44. 58.


CAFFÉS. m. (Hist. nat. bot.) Depuis environ soixante ans, disoit M. de Jussieu en 1715, que le caffé est connu en Europe, tant de gens en ont écrit sans connoître son origine, que si l'on entreprenoit d'en donner une histoire sur les relations qu'on nous en a laissées, le nombre des erreurs seroit si grand, qu'un seul mémoire ne suffiroit pas pour les rapporter toutes.

Ce que nous en allons dire est tiré d'un mémoire contenu dans le recueil de l'Académie des Sciences, année 1713. Ce mémoire est de M. de Jussieu, le nom de l'auteur suffit pour garantir les faits. L'Europe, dit M. de Jussieu, a l'obligation de la culture de cet arbre aux soins des Hollandois, qui de Moka l'ont porté à Batavia, & de Batavia au jardin d'Amsterdam. La France en est redevable au zele de M. de Ressons, lieutenant général de l'Artillerie, & amateur de la Botanique, qui se priva en faveur du jardin du Roi, d'un jeune pié de cet arbre qu'il avoit fait venir de Hollande. Il est maintenant assez commun, & on lui voit donner successivement des fleurs & des fruits.

Cet arbre dans l'état où il étoit au jardin du Roi, lorsque M. de Jussieu fit son mémoire, avoit cinq piés de hauteur & la grosseur d'un pouce ; il donne des branches qui sortent d'espace en espace de toute la longueur de son tronc, toûjours opposées deux à deux, & rangées de maniere qu'une paire croise l'autre. Elles sont souples, arrondies, noüeuses par intervalles, couvertes aussi-bien que le tronc, d'une écorce blanchâtre fort fine, qui se gerse en se desséchant : leur bois est un peu dur & douçâtre au goût ; les branches inférieures sont ordinairement simples, & s'étendent plus horisontalement que les supérieures qui terminent le tronc, lesquelles sont divisées en d'autres plus menues qui partent des aisselles des feuilles, & gardent le même ordre que celles du tronc. Les unes & les autres sont chargées en tout tems de feuilles entieres, sans dentelures ni crénelures dans leur contour, aiguës par leurs deux bouts, opposées deux à deux, qui sortent des noeuds des branches, & ressemblent aux feuilles du laurier ordinaire ; avec cette différence qu'elles sont moins seches & moins épaisses, ordinairement plus larges, plus pointues par leur extrémité, qui souvent s'incline de côté ; qu'elles sont d'un beau verd gai & luisant en-dessus, verd pâle en-dessous, & verd jaunâtre dans celles qui sont naissantes ; qu'elles sont ondées par les bords, ce qui vient peut-être de la culture, & qu'enfin leur goût n'est point aromatique, & ne tient que de l'herbe. Les plus grandes de ses feuilles ont deux pouces environ dans le fort de leur largeur, sur quatre à cinq pouces de longueur ; leurs queues sont fort courtes. De l'aisselle de la plûpart des feuilles naissent des fleurs jusqu'au nombre de cinq, soûtenues par un pédicule court ; elles sont toutes blanches, d'une seule piece, à-peu-près du volume & de la figure de celles du jasmin d'Espagne, excepté que le tuyau en est plus court, & que les découpures en sont plus étroites, & sont accompagnées de cinq étamines blanches à sommets jaunâtres, au lieu qu'il n'y en a que deux dans nos jasmins : ces étamines débordent le tuyau de leurs fleurs, & entourent un style fourchu qui surmonte l'embryon ou pistil placé dans le fond d'un calice verd à quatre pointes, deux grandes & deux petites, disposées alternativement. Ces fleurs passent fort vîte, & ont une odeur douce & agréable. L'embryon ou jeune fruit, qui devient à-peu-près de la grosseur & de la figure d'un bigarreau, se termine en ombilic, & est verd clair d'abord, puis rougeâtre, ensuite d'un beau rouge, & enfin rouge obscur dans sa parfaite maturité. Sa chair est glaireuse, d'un goût desagréable, qui se change en celui de nos pruneaux noirs secs, lorsqu'elle est séchée, & la grosseur de ce fruit se réduit alors en celle d'une baie de laurier. Cette chair sert d'enveloppe à deux coques minces, ovales, étroitement unies, arrondies sur leur dos, applaties par l'endroit où elles se joignent, de couleur d'un blanc jaunâtre, qui contiennent chacune une semence calleuse, pour ainsi dire ovale, voûtée sur son dos, & plate du côté opposé, creusée dans le milieu & dans toute la longueur de ce même côté, d'un sillon assez profond. Son goût est tout-à-fait pareil à celui du caffé qu'on nous apporte d'Arabie : une de ses deux semences venant à avorter, celle qui reste acquiert ordinairement plus de volume, a ses deux côtés plus convexes, & occupe seule le milieu du fruit. Voyez Plan. XXVIII. d'Hist. nat. fig. 3.

On appelle caffé en coque, ce fruit entier & desséché ; & caffé mondé, ses semences dépouillées de leurs enveloppes propres & communes.

Par cette description faite d'après nature, il est aisé de juger que l'arbre du caffé, que l'on peut appeller le caffier, ne peut être rangé sous un genre qui lui convienne mieux que sous celui des jasmins, si l'on a égard à la figure de la fleur, à la structure de son fruit, & à la disposition de ses feuilles.

Cet arbre croît dans son pays natal, & même à Batavia, jusqu'à la hauteur de quarante piés ; le diametre de son tronc n'excede pas quatre à cinq pouces : on le cultive avec soin ; on y voit en toutes les saisons des fruits, & presque toûjours des fleurs. Il fournit deux ou trois fois l'année une récolte très-abondante. Les vieux piés portent moins de fruit que les jeunes, qui commencent à en produire dès la troisieme & quatrieme année après la germination.

Les mots caffé en françois, & coffee en anglois & en hollandois, tirent l'un & l'autre leur origine de caouhe, nom que les Turcs donnent à la boisson qu'on prépare de cette plante.

Quant à sa culture, on peut assûrer que si la semence du caffé n'est pas mise en terre toute récente, comme plusieurs autres semences des plantes, on ne doit pas espérer de la voir germer. Celles de l'arbre qu'on cultivoit depuis une année au jardin-royal, mises en terre aussi-tôt après avoir été cueillies, ont presque toutes levé six semaines après. Ce fait, dit M. de Jussieu, justifie les habitans du pays où se cultive le caffé, de la malice qu'on leur a imputée de tremper dans l'eau bouillante, ou de faire sécher au feu tout celui qu'ils débitent aux étrangers, dans la crainte que venant à élever comme eux cette plante, ils ne perdissent un revenu des plus considérables.

La germination de ces semences n'a rien que de commun.

A l'égard du lieu où cette plante peut se conserver, comme il doit y avoir du rapport avec le pays dans lequel elle naît naturellement, & où l'on ne ressent point d'hyver, on a été obligé jusqu'ici de suppléer au défaut de la température de l'air & du climat, par une serre à la maniere de celles de Hollande, sous laquelle on fait un feu modéré, pour y entretenir une chaleur douce ; & l'on a observé que pour prévenir la sécheresse de cette plante, il lui falloit de tems en tems un arrosement proportionné.

Soit que ces précautions en rendent la culture difficile, soit que les Turcs, naturellement paresseux, ayent négligé le soin de la multiplier dans les autres pays sujets à leur domination ; nous n'avons pas encore appris qu'aucune contrée que celle du royaume d'Yemen en Arabie, ait l'avantage de la voir croître chez elle abondamment ; ce qui paroît être la cause pour laquelle avant le xvj. siecle son usage nous ait été presqu'inconnu.

On laisse à d'autres le soin de rapporter au vrai ce qui y a donné occasion, & d'examiner si l'on en doit la premiere expérience à la vigilance du supérieur d'un monastere d'Arabie, qui voulant tirer ses moines du sommeil qui les tenoit assoupis dans la nuit aux offices du choeur, leur en fit boire l'infusion, sur la relation des effets que ce fruit causoit aux boucs qui en avoient mangé ; ou s'il faut en attribuer la découverte à la piété d'un mufti, qui pour faire de plus longues prieres, & pousser les veilles plus loin que les dervis les plus dévots, a passé pour s'en être servi des premiers.

L'usage depuis ce tems en est devenu si familier chez les Turcs, chez les Persans, chez les Arméniens, & même chez les différentes nations de l'Europe, qu'il est inutile de s'étendre sur la préparation, & sur la qualité des vaisseaux & instrumens qu'on y employe.

Il est bon d'observer que des trois manieres d'en prendre l'infusion, savoir ou du caffé mondé & dans son état naturel, ou du caffé roti, ou seulement des enveloppes propres & communes de cette substance, auxquelles nos françois au retour de Moka ont improprement donné le nom de fleur de caffé ; la seconde de ces manieres est préférable à la premiere, & à la troisieme appellée aussi caffé à la sultane.

Qu'entre le gros & le blanchâtre qui nous vient par Moka, & le petit verdâtre qui nous est apporté du Caire par les caravanes de la Meque, celui-ci doit être choisi comme le plus mûr, le meilleur au goût, & le moins sujet à se gâter.

Que de tous les vaisseaux pour le rôtir, les plus propres sont ceux de terre vernissée, afin d'éviter l'impression que ceux de fer ou d'airain peuvent lui communiquer.

Que la marque qu'il est suffisamment brûlé ou rôti est la couleur tirant sur le violet, qu'on ne peut appercevoir qu'en se servant pour le rôtir d'un vaisseau découvert.

Que l'on ne doit en pulvériser qu'autant & qu'au moment que l'on veut l'infuser : on se sert pour cet effet d'un petit moulin portatif, composé de deux ou trois pieces ; d'une gorge qui fait la fonction de trémie, dans laquelle on met le caffé grillé, & qu'on bouche d'un couvercle percé d'un trou ; d'une noix dont l'arbre est soûtenu & fixé dans le coffre ou le corps du moulin qui la cache, & dans lequel elle se meut sur elle-même : la partie du coffre qui correspond à la noix est de fer, & taillée en dent ; il y a au-dessous de la noix un coffret qui reçoit le caffé à mesure qu'il se moud. Voyez Plan. du Tailland. 3 un moulin à caffé, r s tout monté ; & dans les fig. 4. m m l, k, o p p, n, un autre moulin & son détail. La fig. 4. est l'arbre séparé du moulin r s : m m l, autre moulin ; m, son arbre ; k, son embase ; n, sa coupe par le milieu ; o, sa noix ; fig. r s, r est la trémie.

Et qu'étant jetté dans l'eau bouillante, l'infusion en est plus agréable, & souffre moins de dissipation de ses parties volatiles, que lorsqu'il est mis d'abord dans l'eau froide.

Quant à sa maniere d'agir & à ses vertus, la matiere huileuse qui se sépare du caffé, & qui paroît sur sa superficie lorsqu'on le grille, & son odeur particuliere qui le fait distinguer du seigle, de l'orge, des pois, des feves, & autres semences que l'épargne fait substituer au caffé, doivent être les vraies indications de ses effets, si l'on en juge par leur rapport avec les huiles tirées par la cornue, puisqu'elle contient aussi-bien que celles-là, des principes volatils, tant salins que sulphureux.

C'est à la dissolution de ses sels, & au mélange de ses soufres dans le sang, que l'on doit attribuer la vertu principale de tenir éveillé, que l'on a toûjours remarquée comme l'effet le plus considérable de son infusion. C'est de-là que viennent ses propriétés de faciliter la digestion, de précipiter les alimens, d'empêcher les rapports des viandes, & d'éteindre les aigreurs, lorsqu'il est pris après le repas.

C'est par-là que la fermentation qu'il cause dans le sang, utiles aux personnes grasses, replettes, pituiteuses, & à celles qui sont sujettes aux migraines, devient nuisible aux gens maigres, bilieux, & à ceux qui en usent trop fréquemment.

Et c'est aussi ce qui dans certains sujets rend cette boisson diurétique.

L'expérience a introduit quelques précautions qu'on ne sauroit blâmer, touchant la maniere de prendre cette infusion : telles sont celle de boire un verre d'eau auparavant, afin de la rendre laxative ; de corriger par le sucre l'amertume qui pourroit la rendre desagréable, & de la mêler ou de la faire quelquefois au lait ou à la creme, pour en éteindre les soufres, en embarrasser les principes salins, & la rendre nourrissante.

Enfin l'on peut dire en faveur du caffé, que quand il n'auroit pas des vertus aussi certaines que celles que nous lui connoissons, il a toûjours l'avantage pat-dessus le vin de ne laisser dans la bouche aucune odeur desagréable, ni d'exciter aucun trouble dans l'esprit ; & que cette boisson au contraire semble l'égayer, le rendre plus propre au travail, le récréer, en dissiper les ennuis avec autant de facilité, que ce fameux Népenthe si vanté dans Homere. Mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1713 pag. 299.

M. Leaulté pere, docteur en Medecine de la faculté de Paris, a fait une observation sur l'infusion de caffé, qu'il n'est pas inutile de rapporter ici. Un homme à qui un charlatan avoit conseillé l'usage d'une composition propre, à ce qu'il disoit, à arrêter une toux opiniâtre qui le tourmentoit depuis longtems, prit le remede, sans être instruit des ingrédiens qui y entroient : cet homme fut tout-à-coup saisi d'un assoupissement & d'un étouffement considérable, accompagnés de la suppression de toutes les évacuations ordinaires, plus de crachats, plus d'urine, &c. On appella M. Leaulté, qui informé de la nature des drogues que cet homme avoit prises, lui ordonna sur le champ une saignée : mais le poison avoit figé le sang, de maniere qu'il n'en vint ni des bras ni des piés : le medecin ordonna plusieurs tasses d'une forte infusion de caffé sans sucre, ce qui en moins de cinq à six heures restitua au sang un mouvement assez considérable pour sortir par les quatre ouvertures, & le malade guérit.

Simon Pauli, medecin danois, a prétendu qu'il enivroit les hommes, & les rendoit inhabiles à la génération. Les Turcs lui attribuent le même effet, & pensent que le grand usage qu'ils en font, est la cause pour laquelle les provinces qu'ils occupent, autrefois si peuplées, le sont aujourd'hui si peu. Mais Dufour réfute cette opinion, dans son traité du caffé, du thé, & du chocolat.

Le pere Malebranche assûra à MM. de l'académie des Sciences, qu'un homme de sa connoissance avoit été guéri d'une apoplexie par le moyen de plusieurs lavemens de caffé : d'autres disent qu'employé de la même maniere, ils ont été délivrés de maux de tête violens & habituels. (N)

Le commerce du caffé est considérable : on assûre que les seuls habitans du royaume d'Yemen en débitent tous les ans pour plusieurs millions ; ce qu'on n'aura pas de peine à croire, si l'on fait attention à sa consommation prodigieuse.

Caffé mariné ; c'est ainsi qu'on appelle celui qui dans le transport a été mouillé d'eau de mer, on en fait peu de cas, à cause de l'acreté de l'eau de mer, que la torréfaction ne lui ôte pas.

CAFFES : ce sont des lieux à l'établissement desquels l'usage du caffé a donné lieu : on y prend toutes sortes de liqueurs. Ce sont aussi des manufactures d'esprit, tant bonnes que mauvaises.


CAFFETIERS. m. (Commerce) celui qui a le droit de vendre au public du caffé, du thé, du chocolat, & toutes sortes de liqueurs froides & chaudes. Les Caffetiers sont de la communauté des Limonadiers. Voyez LIMONADIER.


CAFFILAS. f. (Commerce) troupe de marchands ou de voyageurs, ou composée des uns & des autres, qui s'assemblent pour traverser avec plus de sûreté les vastes états du Mogol, & autres endroits de la terre ferme des Indes.

Il y a aussi de semblables caffilas qui traversent une partie des deserts d'Afrique, & particulierement ce qu'on appelle la mer de sable, qui est entre Maroc & Tambouctou, capitale du royaume de Gago. Ce voyage, qui est de quatre cent lieues, dure deux mois pour aller, & autant pour le retour, la caffila ne marchant que la nuit à cause des chaleurs excessives du pays.

La caffila est proprement ce qu'on appelle caravane dans l'empire du grand-seigneur, en Perse, & autres lieux de l'Orient. Voyez CARAVANE.

Caffila se dit aussi dans les différens ports que les Portugais occupent encore sur les côtes du royaume de Guzarate, des petites flottes marchandes qui vont de ces ports à Surate, ou qui reviennent de Surate sous l'escorte d'un vaisseau de guerre que le roi de Portugal y entretient à cet effet.


CAFFISS. m. (Commerce) mesure de continence dont on se sert pour les grains à Alicante. Le caffis revient à une charge & demie de Marseille, & contient six quillots de Constantinople, c'est-à-dire quatre cent cinquante livres poids de Marseille ; ce qui revient à trois cent soixante-quatre livres poids de marc. (G)


CAFICI(Commerce) mesure usitée en Afrique, sur les côtes de Barbarie. Vingt guibis font un cafici, & sept cafici font un last d'Amsterdam, ou 262 1/2 livres de Hollande.


CAFRERIE(Géog.) grand pays situé dans la partie méridionale de l'Afrique, borné au nord par l'Abyssinie & la Nigritie ; à l'occident par la Guinée & le Congo ; au sud par le cap de Bonne-Espérance ; à l'orient par l'Océan. Les habitans de cette contrée sont negres & idolâtres. Ce pays est peu connu des Européens, qui n'ont point encore pû y entrer bien avant : cependant on accuse les peuples qui l'habitent d'être anthropophages.


CAFRI(Hist. nat. bot.) fruit des Indes, qui croît sur de petits arbrisseaux. Il est à-peu-près de la grosseur des noix ; lorsqu'il est mûr, il est d'un beau rouge, comme la cerise ; ses fleurs ressemblent à celles du dictamne de Crete.


CAFSA(Géog.) ville d'Afrique dans le Biledulgerid, tributaire du royaume de Tunis. Long. 40. lat. 27. 10.


CAFTAN(Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne à une espece de manteau chez les Turcs & les Persans.


CAGASIAN(Géog.) fort d'Afrique sur la côte de Malaguette.


CAGASTRUM(Medecine) Paracelse se sert de ce mot, pour désigner le germe & le principe de toutes les maladies.


CAGAVELpoisson de mer. Voyez MERDOLE.


CAGAYAN(Géog.) province & riviere d'Asie dans l'île de Luçon, l'une des Philippines.


CAGES. f. c'est au propre un assemblage de plusieurs petits bois équarris, emmortoisés les uns avec les autres, & traversés de bas en-haut par des fils d'archal, de maniere que le tout renferme un espace dans lequel des oiseaux puissent se mouvoir facilement, sans s'échapper. On place en travers dans l'intérieur de la cage, quelques petits bâtons ronds, sur lesquels les oiseaux puissent se reposer. On en couvre le fond d'une planche mince, qui entre pardevant à coulisses dans les traverses assemblées en rectangle, qui forment la base & les contours inférieurs de la cage. Ces traverses sont aussi grillées de fils d'archal, afin que quand on tire la planche du fond, les oiseaux ne puissent pas sortir par ce fond qui resteroit tout ouvert. On a laissé cette planche mobile, afin de pouvoir nettoyer la cage ; on la tire par un petit anneau de fer qui y est attaché. On pratique une petite porte par-devant, & aux deux côtés des ouvertures, au-dessous desquelles on place des petits augets, dans lesquels l'oiseau peut boire & manger. Le fond de toutes ces cages est nécessairement rectangle ou quarré. On lui donne au reste telle forme qu'on veut ; on coupe sur cette forme les petits bois qui servent à la construction ; on les perce au foret & à l'archet. On peut se servir pour plus d'expédition, de la perçoire & de la machine à percer les moules de bouton. Voyez l'article BOUTON. Si on ajoûtoit à cette commodité des patrons d'acier sur lesquels on équarrît les petits bois à la lime, il faudroit très-peu de tems & d'adresse pour faire une cage, où il paroîtroit qu'il y auroit beaucoup d'art & d'ouvrage. On pourroit aisément équarrir & percer plusieurs bâtons à-la-fois par le moyen des patrons.

On a transporté le mot de cage dans plusieurs arts méchaniques, aux parties extérieures qui servent de base à d'autres, dans une grande machine. Ainsi on dit la cage du métier des ouvriers en soie ; la cage du métier à faire des bas ; la cage d'une grande horloge, &c. Voyez à la suite de cet article, plusieurs de ces acceptions.

CAGE, en Architecture, est un espace terminé par quatre murs, qui renferment un escalier, ou quelque division d'appartement.

CAGE de cloches ; c'est un assemblage de charpente, ordinairement revêtu de plomb, & compris depuis la chaise sur laquelle il pose, jusqu'à la base de la fleche.

CAGE de moulin à vent ; c'est un assemblage quarré de charpente en maniere de pavillon, revêtu d'ais & couvert de bardeau, qu'on fait tourner sur un pivot posé sur un massif rond de maçonnerie, pour exposer au vent les volans du moulin.

CAGE, terme de Bijoutier ; c'est une tabatiere qui differe de la garniture en ce que celle-ci a sa bate d'or, & que la cage n'a qu'une bate de fermeture. (Voyez BATE), une petite moulure, & un pilier sur chaque angle : le reste est rempli, comme le dessous & le dessus.

CAGE signifie, dans l'Horlogerie, une espece de bâti qui contient les roues de l'horloge. Dans les montres & les pendules elle est composée de deux plaques qu'on appelle platines. Ces plaques sont tenues éloignées l'une de l'autre d'une certaine distance, au moyen des piliers P, P, P, P. Voyez les fig. 42. 47. & 56. Pl. X. de l'Horlog. Ces piliers d'un côté sont rivés à la platine des piliers E, & de l'autre ils ont chacun un pivot qui entre dans les trous faits exprès dans l'autre platine D. De plus, ils ont un rebord ou assiette R, pour faire, comme on l'a dit, que ces platines soient tenues à une certaine distance l'une de l'autre. Pour qu'elles ne fassent qu'un corps ensemble, & que celle qui entre sur les pivots des piliers n'en sorte pas, chacun de ces pivots est percé d'outre-en-outre d'un petit trou situé à une distance du rebord R, un peu moindre que l'épaisseur de la platine : une petite goupille étant enfoncée à force dans ce trou, elle la presse contre ce rebord ; & chaque pilier en ayant une même, la platine D est retenue fermement avec l'autre E.

Tout ce que nous venons de dire des cages de montres, s'applique également à celles des pendules.

Pour qu'une cage soit bien montée, il faut que les platines soient bien paralleles entr'elles, & que la platine O qui entre sur les piliers, le fasse librement & sans brider. On trouvera à l'article HORLOGE de clocher, la description des cages de ces horloges. Voy. PLATINE, PILIER, &c. (T)

CAGE, chez les Tourneurs, est la partie ambiante du tour à figurer : elle sert à porter les roulettes qui poussent contre les rosettes de l'arbre. Voy. TOUR FIGURE, & Planche du tour III. & IV.

CAGE, (Marine) c'est une espece d'échauguette qui est faite en cage au haut du mât d'un vaisseau. On lui donne le nom de hune sur l'Océan, & celui de gabie sur la Méditerranée. (Z)


CAGLI(Géog.) ville d'Italie au duché d'Urbin au pié de l'Appennin. Long. 30. 18. lat. 43. 30.


CAGLIARI(Géog.) ville capitale du royaume de Sardaigne, dans la partie méridionale de l'île sur la mer Méditerranée. Long. 27. 7. lat. 39. 20.


CAGNARDS. m. sorte de fourneau à l'usage des Ciriers. Il consiste en une espece de baquet sans fond & renversé, sur lequel on pose la cuve qui contient la cire fondue, dont les Ciriers forment les bougies de table & les cierges. Dans l'un des côtés du cagnard on a ménagé une ouverture, par laquelle on fait entrer sous la cuve une poële de fer remplie de feu, pour faire fondre la cire que la cuve contient. Voyez les fig. 8. & 2. Plan. du Cirier. On se sert pour modérer le feu lorsqu'il devient trop violent, d'une plaque de tole percée de plusieurs trous, représentée fig. 10. avec laquelle on couvre la poële.


CAGOTou CAPOTS, s. m. pl. (Hist. mod.) c'est ainsi, dit Marca dans son histoire de Béarn, qu'on appelle en cette province, & dans quelques endroits de la Gascogne, des familles qu'on prétend descendues des Visigots qui resterent dans ces cantons après leur déroute générale. Ce que nous en allons raconter, est un exemple frappant de la force & de la durée des haines populaires. Ils sont censés ladres & infects ; & il leur est défendu, par la coûtume de Béarn, sous les peines les plus séveres, de se mêler avec le reste des habitans. Ils ont une porte particuliere pour entrer dans les églises, & des siéges séparés. Leurs maisons sont écartées des villes & des villages. Il y a des endroits où ils ne sont point admis à la confession. Ils sont charpentiers, & ne peuvent s'armer que des instrumens de leur métier. Ils ne sont point reçus en témoignage. On leur faisoit anciennement la grace de compter sept d'entr'eux pour un témoin ordinaire. On fait venir leur nom de caas Goths, chiens de Goths. Cette dénomination injurieuse leur est restée, avec le soupçon de ladrerie, en haine de l'Arianisme dont les Goths faisoient profession. Ils ont été appellés chiens & réputés ladres, parce qu'ils avoient eu des ancêtres Ariens. On dit que c'est par un châtiment semblable à celui que les Israélites infligerent aux Gabaonites, qu'ils sont tous occupés au travail des bois. En 1460, les états de Béarn demanderent à Gaston d'Orléans, prince de Navarre, qu'il leur fût défendu de marcher piés nuds dans les rues, sous peine de les avoir percés, & enjoint de porter le pié d'oie ou de canard sur leur habit. On craignoit qu'ils n'infectassent ; & l'on prétendoit annoncer par le pié d'un animal qui se lave sans-cesse, qu'ils étoient immondes. On les a aussi appellés Geziatins, de Giezi, serviteur d'Elisée, qui fut frappé de lepre. Le mot cagot est devenu synonyme à hypocrite.


CAGOUILLou GAGOUILLE, s. f. (Marine) volute du revers de l'éperon. C'est ce qui fait un ornement au haut du bout de l'éperon d'un vaisseau. Voyez REVERS D'éPERON.


CAGUES. f. (Marine) c'est une sorte de petit bâtiment hollandois, dont il faut voir le dessein Pl. XIV. fig. 1. pour pouvoir s'en former une idée juste. Voici le devis de la cague qui est représentée ici.

Ce bâtiment a 47 piés de long de l'étrave à l'étambord, 12 piés 6 pouces de large de dedans en-dedans, & 4 piés 2 pouces de creux. L'étrave a 9 piés de haut, un de large par le haut, & 5 piés & demi de queste. L'étambord a 7 piés 8 pouces de haut & 3 piés de queste. Il a 7 pouces d'épais en-dedans, & 5 pouces en-dehors, & un pié de large par le haut. La salle a 8 piés 5 pouces & demi de large, & 4 pouces d'épais. Les varengues ont 3 pouces & demi d'épais, & sont à un pié de distance l'une de l'autre ; les genoux sont à même distance, ayant 4 pouces d'épaisseur vers le haut, & 5 pouces de largeur. Le bordage a un pouce & demi d'épais, & la ceinte en a 4 & demi, & autant de largeur. Le bordage au-dessus de la ceinte a un pié de large, le serre-gouttiere qui est au-dessus a un pié 7 pouces de large, & 2 pouces d'épais. La couverte de l'avant a 15 piés de long. La carlingue a un pié 2 pouces de large, & 3 pouces d'épais. Le cornet du mât s'éleve d'un pié 7 pouces au-dessus du tillac, & a 4 pouces d'épais ; son étendue en-dedans est de 13 pouces d'épais, & 15 pouces de large. L'écoutille qui est au-devant a 7 piés 7 pouces de long. La hisse a un pouce & demi d'épais. La couverte de l'arriere a 4 piés 8 pouces de long, & deux écoutilles. Le traversin d'écoutille a deux pouces d'épais & 4 pouces de large. Les courbatons ont 4 pouces d'épais & 5 de large. La serre-gouttiere a un pié 9 pouces de large. Derriere le mât, il y a un ban où les semelles sont attachées, & un autre au bout de la couverte de l'arriere. Les semelles ont 11 piés & demi de long, 2 piés de large par-devant, 4 piés & demi par-derriere, & 2 pouces & demi d'épaisseur. Le gouvernail a 2 piés & demi de large par le haut, 4 piés 5 pouces & demi par le bas, d'épaisseur par-devant autant que l'étambord : mais il est un peu plus mince par-derriere. La barre du gouvernail a 8 piés de long, 4 pouces d'épais & 5 de large. Le mât a 45 piés de long. Le baleston a 50 piés de long. Il y a dans les courcives un taquet au-dessus de chaque courbaton. Les branches supérieures des genoux aboutissent sur la préceinte. (Z)


CAHou CAHYS. Voyez CAHYS.


CAHIERS. m. c'est au propre l'assemblage de plusieurs feuillets de papier blanc ou écrits, pliés ensemble, sans être ni attachés ni reliés. On a transporté ce nom à des ouvrages qui se dictent sous cette forme : ainsi on dit, des cahiers de Philosophie, des cahiers de Droit, &c.

CAHIER, en terme de Droit public, est la supplique ou le mémoire des demandes, des propositions, ou remontrances que le clergé ou les états d'une province font au Roi. (H)

CAHIER ; les relieurs appellent cahier les feuilles d'un livre pliées suivant leur format. Les feuilles in -4°. & in -8°. ne font jamais qu'un cahier. Il faut deux ou trois feuilles in-fol. pliées l'une dans l'autre pour faire le cahier in-fol. suivant que le livre est imprimé. Les in -12 font quelquefois deux cahiers : mais plus souvent un seul. Les formats au-dessous font toûjours plusieurs cahiers. Voyez PLIER.


CAHORLou CAORLE, (Géog.) petite île du golfe de Venise, sur les côtes du Frioul, avec une ville de même nom.


CAHORS(Géog.) ville de France, capitale du Quercy dans la Guienne sur la Lot. Long. 19. 7. 9. lat. 44. 36. 4.


CAHUCHU(Hist. des drogues) prononcez cahoutchou, c'est la résine qu'on trouve dans les pays de la province de Quito, voisins de la mer. Elle est aussi fort commune sur les bords du Maragnon, & est impénétrable à la pluie. Quand elle est fraîche, on lui donne avec des moules la forme qu'on veut ; mais ce qui la rend le plus remarquable, c'est sa grande élasticité. On en fait des bouteilles qui ne sont pas fragiles, & des boules creuses qui s'applatissent quand on les presse, & qui dès qu'elles ne sont plus gênées, reprennent leur premiere figure.

Les Portugais du Para ont appris des Omaguas à faire, avec la même matiere, des seringues qui n'ont pas besoin de piston. Elles ont la forme de poires creuses, percées d'un petit trou à leurs extrémités, où l'on adapte une cannule de bois ; on les remplit d'eau, & en les pressant lorsqu'elles sont pleines, elles font l'effet d'une seringue ordinaire. Ce meuble est fort en usage chez les Omaguas.

Quand ils s'assemblent entr'eux pour quelque fête, le maître de la maison ne manque pas d'en présenter une par politesse à chacun des conviés, & son usage précede toujours parmi eux le repas de cérémonie. En 1747, on a trouvé l'arbre qui produit cette résine dans les bois de Cayenne, où jusqu'alors il avoit été inconnu. Hist. de l'acad. des Scienc. année 1745. (D.J.)


CAHYSS. m. (Commerce) mesure de grains dont on se sert en quelques endroits d'Espagne, particulierement à Seville & à Cadix. Quatre cahys font le fanega, & cinquante fanegas font le last d'Amsterdam. Il faut douze anegras pour un cahys. Voyez FANEGA, LAST, ANEGRA, Dictionn. du Commerce, tome II. page 31.

* Le cahys est généralement en usage en Espagne pour les marchandises seches ; l'anegra tient douze almudas, & l'almuda répond à environ sept livres de Hollande ou d'Amsterdam, & neuf à dix onces.


CAI(Géog.) petit royaume dépendant de l'empire du Japon, dans l'île de Niphon.


CAIABO(Géog.) province de l'Amérique septentrionale dans l'île Espagnole.


CAICHEsorte de bâtiment. Voyez QUAICHE.


CAICOS(Géog.) îles de l'Amérique, au nord de celle de Saint-Domingue : elles sont au nombre de six.


ÇAICou SAIQUES, s. f. pl. (Hist. & Navigat.) L'on nomme ainsi de petites barques qui sont ordinairement attachées aux galeres, de même qu'une chaloupe l'est aux vaisseaux. On donne aussi ce nom à des bâtimens dont on se sert assez communément en Hongrie pour naviger sur le Danube, aussi-bien qu'à des barques couvertes par en-haut de peaux d'animaux, dont les Cosaques se servent pour pirater & croiser sur la mer Noire. Une çaïc tient quarante à cinquante hommes. (Z)


CAIENNou CAYENNE, (Géog.) île de l'Amérique, avec une ville de même nom, appartenant à la France. Voyez PENDULE.


CAIESS. f. (Marine) c'est un banc de sable ou de roche, couvert d'une vase épaisse ou de quantité d'herbages, quelquefois à fleur-d'eau, & le plus souvent couvert de très-peu d'eau, sur lequel les petits bâtimens peuvent échoüer. On écrit aussi cayes. (Z)


CAIFUNG(Géog.) ville d'Asie dans la Chine, province de Honnang. Long. 131. 30. lat. 35.


CAILLES. f. coturnix, (Hist. nat. Ornith.) oiseau plus petit, plus large, & moins resserré par les côtés que le râle. Il a sept pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & treize à quatorze pouces d'envergeure. Le bec a un peu plus d'un demi-pouce de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche : il est plus applati que le bec des autres oiseaux de ce genre ; la piece inférieure est noire, & la supérieure est legerement teinte de brun, & son extrémité est pointue. L'iris des yeux est couleur de noisette. Le ventre & la poitrine sont d'un jaune pâle mêlé de blanc, & la gorge a de plus une teinte de roux. Il y a sous la piece inférieure du bec une large bande noirâtre qui s'étend en-bas, & au-dessus des yeux une ligne blanchâtre qui passe sur le milieu de la tête, dont les plumes sont noires, à l'exception des bords qui sont roux ou cendrés. Les plumes du dessous du cou, & celles qui recouvrent le dos, ont chacune à leur milieu une marque de couleur jaune-blanchâtre, & le reste de la plume est bigarré de noir & de roux cendré. On voit sous les ailes une longue bande dont le milieu est noir & les côtés de couleur rousse mêlée de noir. Les grandes plumes des ailes sont brunes & parsemées de lignes transversales de couleur rousse pâle. Les petites plumes des ailes qui recouvrent les grandes, sont presqu'entierement roussâtres. La queue est courte, & n'a qu'un pouce & demi de longueur ; elle est composée de douze plumes de couleur noirâtre entremêlée de lignes transversales d'un roux peu foncé. Les pattes sont de couleur pâle, & recouvertes d'une peau divisée plûtôt en écailles qu'en anneaux entiers. Le dessous du pié est jaune ; le doigt extérieur tient par une membrane au doigt du milieu jusqu'à la premiere articulation. Les cailles sont des oiseaux de passage : elles quittent ces pays-ci aux approches de l'hyver, pour aller dans des climats plus chauds, & elles passent les mers pour y arriver. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU.

CAILLE, (roi de) ortigometra, oiseau qui pese environ cinq onces. Il a treize ou quatorze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des ongles, & onze pouces, si on ne prend la longueur que jusqu'au bout de la queue. L'envergeure est d'environ un pié & demi. Le bec a un pouce de longueur depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche. Le corps est applati sur les côtés. Le bas de la poitrine & le ventre sont blancs. Le menton est blanc ; le jabot de couleur sale. Il y a sur la tête deux traits noirs ; le milieu des plumes du dos est de même couleur, & les bords sont de couleur cendrée rousse. Les cuisses sont marquées de bandes transversales blanches. Il y a vingt-trois grandes plumes dans chaque aile. Les petites plumes qui recouvrent les grandes, sont de couleur de safran en-dessus, & en-dessous de même couleur que les bords des grandes plumes. La queue a près de deux pouces de longueur, & elle est composée de douze plumes. La partie supérieure du bec est blanchâtre, & l'inférieure de couleur brune. Les jambes sont dégarnies de plumes jusqu'au-dessus de l'articulation du genou. Les piés sont blanchâtres. On dit que cet oiseau sert de guide aux cailles lorsqu'elles passent d'un pays à un autre. On le nomme rallus ou grallus, parce que ses jambes sont si longues qu'il semble marcher sur des échasses. Cet oiseau est excellent à manger : c'est pourquoi on dit vulgairement que c'est un morceau de roi. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU.

CAILLE DE BENGALE, (Hist. nat. Ornith.) oiseau un peu plus gros que notre caille ; son bec est d'une couleur de frêne sombre, tirant sur le brun ; les coins de sa bouche sont rouges, ses narines sont grandes & oblongues ; l'iris des yeux est de couleur blanchâtre ; le sommet de la tête est noir ; au-dessous de ce noir il y a une couche de jaune, & ensuite une ligne noire qui commence auprès des coins de la bouche, & qui entoure le derriere de la tête : au-dessous de cette bande, il y a une couche de blanc ; la poitrine, le ventre, les cuisses sont de couleur de bufle pâle & tirant sur le jaune ; la partie de dessous contiguë à la queue est tachetée de rouge ; le derriere du cou & les plumes qui recouvrent les ailes, sont d'un verd jaunâtre, à l'exception d'une marque d'un verd pâle bleuâtre qui est à la naissance des ailes & d'une autre de la même couleur sur le croupion ; les grandes plumes des ailes sont noires, & il y a une ligne blanche sur les petites ; les jambes & les pattes sont de couleur de citron, & les ongles sont rougeâtres. Hist. nat. des Oiseaux. Derham. Voyez OISEAU. (I)

* Chasse de la caille. La caille se chasse au chien couchant & au fusil, au hallier & à la tirasse. Voyez HALLIER, voyez TIRASSE. La chasse de la caille au chien couchant n'a rien de particulier ; on tend le hallier en zig-zag ; c'est un petit filet d'un pié de hauteur au plus, qui se tient perpendiculaire à l'aide de piquets ; on a un appeau ; le hallier se place entre la caille & le chasseur : le chasseur contrefait la voix de la femelle ; & les mâles accourant, se jettent dans les mailles du hallier dont ils ne peuvent plus se débarrasser. L'appeau de la caille est fait d'une petite bourse de cuir pleine de crin, à laquelle on ajuste un sifflet fait d'un os de jambe de chat, de cuisse d'oie, d'aile de héron, &c. qu'on rend sonore avec un peu de cire molle ; ou d'un morceau de peau mollette attachée sur un fil de fer en spirale, & collée à l'une de ses extrémités sur un petit morceau de bois en forme de cachet, & à l'autre extrémité sur un petit sifflet semblable à celui du premier appeau. On tient celui-ci de la main gauche appuyé contre le côté droit, & l'on frappe dessus avec le doigt index, de maniere à imiter le chant de la caille. L'autre appeau a un fil passé à l'extrémité du petit morceau de bois en cachet ; on prend ce fil entre le pouce & l'index de la main gauche, & tenant le sifflet de la droite, on pousse l'appeau contre les doigts de la gauche, afin de le faire résonner convenablement. On peut au lieu d'appeau se servir d'une caille femelle qu'on a dans une cage qu'on entoure de hallier ; cette méthode est la plus sûre. Voyez Planches de chasses en A & B, les deux appeaux dont il s'agit, & en C le hallier.

On rôtit les cailles comme tout autre gibier ; on les met en ragoût, ou on les sert à la braise.

* CAILLES, (Myth.) Latone persécutée par Junon, fut changée en caille par Jupiter, & se réfugia sous cette forme dans l'île de Delos. Les Phéniciens sacrifioient la caille à Hercule, en mémoire de ce que ce héros que Typhon avoit tué, fut rappellé à la vie par l'odeur d'une caille qu'Iolaus lui fit sentir.


CAILLÉS. m. qui ne doit être employé, proprement parlant, que pour signifier du lait caillé. On dit aussi au participe passif, caillé ; lait caillé, sang caillé. De-là vient le mot caillebotte, lait caillé en petites masses. Voyez LAIT.


CAILLEBOTISS. m. (Marine) c'est une espece de treillis fait de petites pieces de bois entrelacées & mises à angle droit. Ils sont bordés par des hiloires, & on les place au milieu des ponts des vaisseaux. Les caillebotis servent non-seulement à donner de l'air à l'entre-deux des ponts quand les sabords sont fermés durant l'agitation de la mer, mais encore à faire exhaler par ces sortes de treillis, la fumée du canon qui tire sous les tillacs. On met des prélarts sur les caillebotis, pour les couvrir, afin que l'eau de la mer ne tombe pas sous les ponts dans le gros tems. Voyez Planche VI. n°. 75. la figure d'un caillebotis. Voyez aussi Planche IV. fig. 1. n°. 126. le caillebotis du second pont, n°. 147. le caillebotis des gaillards, n°. 191. le caillebotis d'éperon.

Le caillebotis est composé des hiloires, des vassales, & des lattes ; le grand caillebotis dans les vaisseaux de guerre doit avoir sept piés de large dans son milieu ; ses hiloires 10 à 11 pouces de large, sur 5 à 6 d'épais ; les vassales environ 2 pouces & demi de large, & au moins 2 pouces d'épais ; les lattes doivent avoir trois pouces & demi de large, & plus de demi pouce d'épais ; elles sont posées sur les vassales par la longueur du vaisseau.

Le petit caillebotis qui est derriere le mât doit avoir trois piés en quarré, les hiloires sept à huit pouces, les lattes trois pouces & demi de large, & un peu plus de demi-pouce d'épais.

Le caillebotis qui est devant la grande écoutille, & celui qui est sur le château d'avant, doivent être de même largeur. (Z)


CAILLELAITS. m. gallium, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est faite en forme de cloche, ouverte & découpée. Le calice devient dans la suite un fruit composé de deux semences seches, dont la figure ressemble pour l'ordinaire à celle d'un croissant. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles ne sont ni rudes ni cotonneuses, & qu'il y en a cinq ou six ensemble, & même davantage, autour des noeuds des tiges. Tournefort. Inst. rei herb. Voy. PLANTE. (I)

On a donné ce nom françois à la plante appellée gallium luteum, à cause de la propriété que l'on lui a découvert de faire cailler le lait. On se sert du caillelait contre l'épilepsie, en le donnant en poudre le matin à jeun, la dose d'un gros ; ou bien on fait prendre quatre onces de son suc dans une chopine d'eau commune ; ou enfin on fait bouillir une poignée de cette plante dans une pareille quantité d'eau.

On lui donne aussi la propriété d'arrêter les hémorrhagies, sur-tout celles du nez, en la mettant en poudre, & la prenant comme du tabac.

Nota, que lorsqu'on fait une infusion de gallium luteum ou caillelait, on doit la faire à froid, parce qu'en la mettant dans l'eau bouillante comme le thé, elle perd beaucoup de sa vertu. Il faut donc la mettre infuser le soir pour la prendre le lendemain. (N)


CAILLERv. n. p. (Chimie) Cailler & coaguler sont mots synonymes ; cependant cailler ne se dit ordinairement que du sang & du lait, & plus particulierement du lait. On ne peut dire en parlant d'autres liqueurs, qu'elles se caillent, ou qu'on les fait cailler ; on se sert alors du terme de coaguler. On peut en parlant du sang, se servir également du terme de coaguler, & de celui de cailler : mais en parlant du lait, cailler est un terme plus propre que coaguler, soit que cela se fasse par la chaleur, par la présure, &c. Voyez LAIT-PRIS & PETIT-LAIT.

On dit aussi quelquefois en Chimie, en parlant du changement qui arrive à certaines dissolutions, qu'elles se caillent, comme il arrive à la dissolution d'argent faite par l'acide du nitre, qui se caille lorsqu'on y ajoûte de l'acide du sel marin, & il s'y fait un précipité en caillé blanc. (M)


CAILLETTES. f. la partie du veau où se trouve la présure à cailler le lait. La caillette est le dernier estomac de ces animaux : les animaux ruminans ont quatre estomacs différens ; savoir la panse, le réseau, le feuillet, & la caillette. Voyez RUMINATION. (M)


CAILLIQUEpoisson de mer. Voyez HARENGADE.


CAILLOTS. m. qui ne se dit que du sang caillé en petites masses.


CAILLOUsilex, (Hist. nat.) matiere vitrifiable produite par l'argille, & analogue au sable vitrifiable, grès, granit, &c. Il y a des carrieres de cailloux où cette matiere est disposée en grandes masses & par couches ; il y a aussi dans différens pays des cailloux en petite masse & répandus en très-grande quantité, soit à la surface, soit à l'intérieur de la terre. Ainsi la matiere du caillou est une de celles qui tombent le plus souvent sous les yeux, & qu'il importe par conséquent de connoître le mieux. Or pour la considérer sous deux aspects, l'un relatif à l'Histoire naturelle, l'autre à la Chimie ; nous allons commencer par le premier. Voici comment M. de Buffon explique la formation du caillou, Hist. nat. tome I. pag. 259.

" Je conçois, dit-il, que la terre dans le premier état étoit un globe, ou plutôt une sphéroïde de matiere vitrifiée de verre, si l'on veut très-compacte, couverte d'une croûte legere & friable, formée par les scories de la matiere en fusion d'une véritable pierre-ponce : le mouvement & l'agitation des eaux & de l'air briserent bientôt & réduisirent en poussiere cette croûte de verre spongieuse, cette pierre-ponce qui étoit à la surface ; de-là les sables qui en s'unissant, produisirent ensuite les grès & le roc vif, ou ce qui est la même chose, les cailloux en grande masse, qui doivent aussi-bien que les cailloux en petite masse, leur dureté, leur couleur, ou leur transparence, & la variété de leurs accidens, aux différens degrés de pureté & à la finesse des grains de sable qui sont entrés dans leur composition.

Ces mêmes sables, dont les parties constituantes s'unissent par le moyen du feu, s'assimilent & deviennent un corps dur très-dense, & d'autant plus transparent, que le sable est plus homogène ; exposée au contraire long-tems à l'air, ils se décomposent par la désunion & l'exfoliation des petites lames dont ils sont formés, ils commencent à devenir terre ; & c'est ainsi qu'ils ont pû former les glaises & les argilles. Cette poussiere, tantôt d'un jaune brillant, tantôt semblable à des paillettes d'argent, dont on se sert pour sécher l'écriture, n'est autre chose qu'un sable très-pur, en quelque façon pourri, presque réduit en ses principes, & qui tend à une décomposition parfaite ; avec le tems ces paillettes se seroient atténuées & divisées au point qu'elles n'auroient plus eu assez d'épaisseur & de surface pour refléchir la lumiere, & elles auroient acquis toutes les propriétés des glaises. Qu'on regarde au grand jour, un morceau d'argille, on y apercevra une grande quantité de ces paillettes talqueuses, qui n'ont pas encore entierement perdu leur forme. Le sable peut donc avec le tems produire l'argille, & celle-ci en se divisant acquiert de même les propriétés d'un véritable limon, matiere vitrifiable comme l'argille, & qui est du même genre.

Cette théorie est conforme à ce qui se passe tous les jours sous nos yeux ; qu'on lave du sable sortant de sa miniere, l'eau se chargera d'une assez grande quantité de terre noire, ductile, grasse, de véritable argille. Dans les villes où les rues sont pavées de grès, les boues sont toûjours noires & très-grasses ; & desséchées, elles forment une terre de la même nature que l'argille. Qu'on détrempe & qu'on lave de même l'argille prise dans un terrein où il n'y a ni grès ni cailloux, il se précipitera toûjours au fond de l'eau une assez grande quantité de sable vitrifiable.

Mais ce qui prouve parfaitement que le sable, & même le caillou & le verre existent dans l'argille, & n'y sont que déguisés, c'est que le feu en réunissant les parties de celle-ci, que l'action de l'air & des autres élémens avoit peut-être divisées, lui rend sa premiere forme. Qu'on mette de l'argille dans un fourneau de réverbere échauffé au degré de la calcination, elle se couvrira au-dehors d'un émail très-dur ; si à l'extérieur elle n'est point encore vitrifiée, elle aura cependant acquis une très-grande dureté ; elle résistera à la lime & au burin ; elle étincellera sous le marteau ; elle aura enfin toutes les propriétés du caillou : un degré de chaleur de plus la fera couler, & la convertira en un véritable verre.

L'argille & le sable sont donc des matieres parfaitement analogues & du même genre. Si l'argille en se condensant peut devenir du caillou, du verre, pourquoi le sable en se divisant ne pourroit-il pas devenir de l'argille ? le verre paroît être la véritable terre élémentaire, & tous les mixtes un verre déguisé ; les métaux, les minéraux, les sels, &c. ne sont qu'une terre vitrescible ; la pierre ordinaire, les autres matieres qui lui sont analogues, & les coquilles de testacées, de crustacées, &c. sont les seules substances qu'aucun agent connu n'a pû jusqu'à présent vitrifier, & les seules qui semblent faire une classe à part. Le feu en réunissant les parties divisées des premieres, en fait une matiere homogène, dure, transparente à un certain degré, sans aucune diminution de pesanteur, & à laquelle il n'est plus capable de causer aucune altération ; celles-ci au contraire, dans lesquelles il entre une plus grande quantité de principes actifs & volatils, & qui se calcinent, perdent au feu plus du tiers de leur poids, & reprennent simplement la forme de terre, sans autre altération de leurs principes ; ces matieres exceptées, qui ne sont pas en grand nombre, & dont les combinaisons ne produisent pas de grandes variétés dans la nature, toutes les autres substances, & particuliérement l'argille, peuvent être converties en verre, & ne sont essentiellement par conséquent qu'un verre décomposé. Si le feu fait changer promtement de forme à ces substances, en les vitrifiant, le verre lui-même, soit qu'il ait sa nature de verre, ou bien celle de sable & de caillou, se change naturellement en argille, mais par un progrès lent & insensible.

Dans les terreins où le caillou est la pierre dominante, les campagnes en sont ordinairement jonchées ; & si le lieu est inculte, & que ces cailloux ayent été long-tems exposés à l'air sans avoir été remués, leur superficie est toûjours très-blanche, tandis que le côté opposé qui touche immédiatement la terre, est très-brun & conserve sa couleur naturelle. Si on casse plusieurs de ces cailloux, on reconnoîtra que la blancheur n'est pas seulement au-dehors, mais qu'elle pénétre dans l'intérieur plus ou moins profondément, & y forme une espece de bande, qui n'a dans de certains cailloux que très-peu d'épaisseur ; mais qui dans d'autres occupe presque toute celle du caillou. Cette partie blanche est un peu grenue, entierement opaque, aussi tendre que la pierre ; & elle s'attache à la langue comme les bols, tandis que le reste du caillou est lisse & poli, qu'il n'a ni fil ni grain, & qu'il a conservé sa couleur naturelle, sa transparence & sa même dureté. Si on met dans un fourneau ce même caillou à moitié décomposé, sa partie blanche deviendra d'un rouge couleur de tuile, & sa partie brune d'un très-beau blanc. Qu'on ne dise point avec un de nos plus célebres naturalistes, que ces pierres sont des cailloux imparfaits de différens âges, qui n'ont point encore acquis leur perfection ; car pourquoi seroient-ils tous imparfaits ? pourquoi le seroient-ils tous d'un même côté, & du côté qu'il est exposé à l'air ? il me semble qu'il est aisé au contraire de se convaincre que ce sont des cailloux altérés, décomposés, qui tendent à reprendre la forme & les propriétés de l'argille & du bol, dont ils ont été formés.

Si c'est conjecturer que de raisonner ainsi, qu'on expose en plein air le caillou le plus caillou (comme parle ce fameux naturaliste) le plus dur & le plus noir ; en moins d'une année il changera de couleur à la surface ; & si on a la patience de suivre cette expérience, on lui verra perdre insensiblement & par degrés sa dureté, sa transparence & ses autres caracteres spécifiques, & approcher de plus en plus chaque jour de la nature de l'argille.

Ce qui arrive au caillou arrive au sable ; chaque grain de sable peut être considéré comme un petit caillou, & chaque caillou comme un amas de grains de sable extrêmement fins & exactement engrainés. L'exemple du premier degré de décomposition du sable se trouve dans cette poudre brillante, mais opaque, mica, dont nous venons de parler, & dont l'argille & l'ardoise sont toûjours parsemées ; les cailloux entierement transparens, les quartz produisent, en se décomposant, des talcs gras & doux au toucher, aussi paitrissables & ductiles que la glaise, & vitrifiables comme elle, tels que ceux de Venise & de Moscovie. Il me paroît que le talc est un terme moyen entre le verre ou le caillou transparent & l'argille ; au lieu que le caillou grossier & impur, en se décomposant, passe à l'argille sans intermede.

Nous avons dit qu'on pouvoit diviser toutes les matieres en deux grandes classes, & par deux caracteres généraux ; les unes sont vitrifiables, les autres sont calcinables ; l'argille & le caillou, la marne & la pierre, peuvent être regardées comme les deux extrèmes de chacune de ces classes, dont les intervalles sont remplis par la variété presque infinie des mixtes, qui ont toujours pour base l'une ou l'autre de ces matieres.

Les matieres de la premiere classe ne peuvent jamais acquérir la nature & les propriétés de celle de l'autre ; la pierre quelqu'ancienne qu'on la suppose, sera toûjours aussi éloignée de la nature du caillou, que l'argille l'est de la marne : aucun agent connu ne sera jamais capable de les faire sortir du cercle de combinaisons propres à leur nature ; les pays où il n'y a que des marbres & de la pierre, aussi certainement que ceux où il n'y a que du grès, du caillou, & du roc vif, n'auront jamais que de la pierre ou du marbre.

Si l'on veut observer l'ordre & la distribution des matieres dans une colline composée de matieres vitrifiables, comme nous l'avons fait tout-à-l'heure dans une colline composée de matieres calcinables, on trouvera ordinairement sous la premiere couche de terre végétale un lit de glaise ou d'argille, matiere vitrifiable & analogue au caillou, & qui n'est, comme je l'ai dit, que du sable vitrifiable décomposé ; ou bien on trouve sous la terre végétale, une couche de sable vitrifiable ; ce lit d'argille ou de sable répond au lit de gravier qu'on trouve dans les collines composées de matieres calcinables : après cette couche d'argille ou de sable, on trouve quelques lits de grès, qui, le plus souvent n'ont pas plus d'un demi pié d'épaisseur, & qui sont divisés en petits morceaux par une infinité de fentes perpendiculaires, comme le moilon du troisieme lit de la colline, composée de matieres calcinables ; sous ce lit de grès on en trouve plusieurs autres de la même matiere, & aussi des couches de sable vitrifiable, & le grès devient plus dur, & se trouve en plus gros blocs à mesure que l'on descend. Au-dessous de ces lits de grès, on trouve une matiere très-dure, que j'ai appellée du roc vif, ou du caillou en grande masse : c'est une matiere très dure, très-dense, & qui résiste à la lime, au burin, à tous les esprits acides, beaucoup plus que n'y résiste le sable vitrifiable, & même le verre en poudre, sur lesquels l'eau-forte paroît avoir quelque prise ; cette matiere frappée avec un autre corps dur jette des étincelles, & elle exhale une odeur de souffre très-pénétrante. J'ai crû devoir appeller cette matiere du caillou en grande masse ; il est ordinairement stratifié sur d'autres lits d'argille, d'ardoise, de charbon de terre, de sable vitrifiable d'une très-grande épaisseur, & ces lits de cailloux en grande masse, répondent encore aux couches de matieres dures, & aux marbres qui servent de base aux collines composées de matieres calcinables.

L'eau, en coulant par les fentes perpendiculaires & en pénétrant les couches de ces sables vitrifiables, de ces grès, de ces argilles, de ces ardoises, se charge des parties les plus fines, les plus homogenes de ces matieres, & elle en forme plusieurs concrétions différentes, telles que les talcs, les amiantes, & plusieurs autres matieres, qui ne sont que des productions de ces stillations de matieres vitrifiables.

Le caillou malgré son extrème dureté & sa grande densité, a aussi, comme le marbre ordinaire & comme la pierre dure, ses exudations, d'où résultent des stalactites de différentes especes, dont les variétés dans la transparence des couleurs & la configuration, sont relatives à la différente nature du caillou qui les produit, & participent aussi des différentes matieres métalliques ou hétérogenes qu'il contient ; le crystal de roche, toutes les pierres précieuses, blanches ou colorées, & même le diamant, peuvent être regardées comme des stalactites de cette espece.

Les cailloux en petite masse, dont les couches sont ordinairement concentriques, sont aussi des stalactites & des pierres parasites du caillou en grande masse, & la plûpart des pierres fines opaques ne sont que des especes de cailloux. Les matieres du genre vitrifiable produisent, comme l'on voit, une aussi grande variété de concrétions que celles du genre calcinable ; & ces concrétions produites par les cailloux, sont presque toutes des pierres dures & précieuses ; au lieu que celles de la pierre calcinable ne sont guere que des matieres tendres, & qui n'ont aucune valeur ". (I)

Nous allons ajoûter ici plusieurs observations & conjectures sur le caillou, qui se trouvent répandues dans les opuscules minéralogiques de M. Henckel, & dans le commentaire de M. Zimmermann sur ces opuscules, ouvrages allemands qui n'ont jamais paru en françois ; laissant au lecteur à décider de ce qu'elles peuvent avoir de favorable au système de M. de Buffon.

M. Henckel pense que le caillou, dans sa premiere origine, a été formé par de la marne, fondé sur ce que la marne sans addition a la propriété de se durcir dans le feu, au point de donner des étincelles lorsqu'on la frappe avec l'acier ; ce qui fait une des principales propriétés du caillou : mais il ne peut pas croire que dans sa fermentation le feu doive être regardé comme agent extérieur. Il est vrai dit-il, que le caillou est vitreux, ainsi qu'il est visible quand il a la pureté & la transparence du crystal ; mais il ne se trouve point dans les entrailles de la terre un feu assez violent pour vitrifier, à l'exception des volcans qui jettent des flammes, & dont le feu destructif n'est qu'accidentel & incapable de produire aucun être, & que d'ailleurs la nature est lente dans toutes ses opérations : d'où l'on voit que M. de Buffon & M. Henckel ont été portés l'un & l'autre à croire, par l'inspection du caillou, que c'étoit une matiere donnée par le feu ; mais que M. Henckel ne s'est écarté de cette idée, que parce qu'il ne rencontroit point dans les entrailles de la terre un principe de vitrification ; ce que M. de Buffon lui accordera fort volontiers, puisqu'il remonte beaucoup plus loin pour trouver ce principe, & le déduit du système général.

M. Zimmermann dit que si l'on vient à casser un caillou, on le trouvera feuilleté & tranchant à l'endroit où il aura été cassé ; que les cailloux sont toûjours plus durs, plus purs & plus transparens vers le milieu ou le centre, ce qu'il appelle le grain intérieur, qu'à l'enveloppe, de maniere que ce grain central se distingue toûjours des autres parties environnantes, qui sont plus molles & moins compactes ; qu'il a rencontré dans plusieurs cailloux deux, trois, & même davantage de ces grains ou centres à côté les uns des autres, & séparés seulement par la partie molle & rare du caillou ; desorte qu'un grand caillou à plusieurs grains lui parut être un assemblage de cailloux petits, fondus ensemble, & réunis de quelque façon que ce fût : que quand on polit les cailloux, ils deviennent transparens ; mais qu'ils le deviennent encore plus, quand on n'en polit que les grains : que s'étant informé des Lapidaires s'il étoit vrai, ainsi qu'on le disoit, & qu'Henckel conseilloit de le rechercher, que le caillou contient du crystal, ils avoient varié dans leur rapport, les uns l'assûrant, les autres le niant, mais tous convenant de ce qu'il vient de dire sur le grain intérieur, & s'accordant à le regarder comme plus crystallin que le reste du caillou, qu'il s'ensuit de-là que puisque le caillou est transparent & pur, il faut qu'il ait été dans son principe sous une forme liquide ; car la transparence suppose un ordre, un arrangement & une sorte de symmétrie dans les parties qu'on ne peut trouver que dans un fluide : que le caillou étant gersé & plein de crevasses, il est clair que la matiere en est aigre, qualité qui vient apparemment d'une condensation subite, comme on le remarque aux larmes de verre qu'on éteint dans l'eau, & à tous les verres qui se refroidissent subitement ; ce qui rend en même tems le grain intérieur plus clair & plus compact que l'enveloppe, parce qu'il n'a pas été saisi & condensé si promtement : que si les cailloux sont si petits, c'est une preuve nouvelle de la promtitude du refroidissement & de la condensation qui a occasionné l'effraction : en un mot, que nous pouvons tenir pour certain, 1°. que le caillou a été originairement liquide, 2°. qu'il a été saisi & condensé subitement ; d'où il suit, selon lui, que s'il n'eût pas été interrompu dans sa formation, il seroit devenu un corps plus pur & plus parfait ; que la cause de ce saisissement & de cette condensation subite a été tout-à-fait accidentelle, hors de l'ordre commun, & extraordinaire ; & que c'est-là ce qui nous rend obscure la formation des cailloux. Ainsi parlent deux grands observateurs de la nature ; & quelle preuve M. de Buffon n'en auroit-il pas tirée en faveur de son système du monde, si ces autorités lui avoient été connues ?

Voilà ce que les Naturalistes pensent du caillou : voici maintenant le sentiment des Chimistes sur la même substance. Le caillou est une pierre qui est dans la classe des terres ou pierres vitrifiables ; non pas qu'il se vitrifie tout seul & sans addition, mais il faut pour cela qu'il soit mêlé avec suffisante quantité de sel alkali, Voyez l'article CRYSTAL FACTICE. Un des caracteres distinctifs du caillou, est de faire feu lorsqu'il est frappé avec l'acier. M. Cramer dit que si on regarde avec le microscope les étincelles que l'acier en fait partir, on les trouvera tout-à-fait semblables à des scories de fer mêlées d'un peu de ce métal & de caillou vitrifié. On trouve par l'examen du feu, de la différence entre les cailloux, il y en a qui n'entrent que très-difficilement en fusion au feu de reverbere, tandis que d'autres se fondent assez facilement ; mais ce n'est jamais que par l'addition de plus ou de moins de sel alkali. Cependant M. Henckel parle dans ses opuscules minéralogiques, d'une espece de caillou qui lui fut envoyé, qui entroit en fusion sans aucune addition, & formoit en fondant une masse noire. Il assûre la même chose d'une sorte de pierre à fusil qui se trouve, quoique rarement, dans des couches de terre argilleuse près de Waldenburg. Le sable ne doit être regardé que comme un amas de petits cailloux, aussi en a-t-il toutes les propriétés. Voyez l'article ACIER.

Les cailloux ont bien des formes & couleurs différentes ; les blancs sont regardés comme les meilleurs dans l'usage de la verrerie. Les taches ou veines rouges qu'on y remarque, ne sont autre chose que du fer qui s'y est attaché extérieurement ; mais lorsqu'on veut les employer dans l'art de la verrerie, il faut avoir soin d'en séparer la partie métallique, de peur qu'elle ne donne une couleur au verre.

M. Henckel dit avoir trouvé des cailloux de riviere qui devenoient plus pesans au feu, sur quoi son commentateur remarque que si le fait étoit bien prouvé, ce seroit un triomphe pour ceux qui, comme Boyle, pensent que les particules ignées ont du poids, & doivent par conséquent augmenter celui des corps où elles entrent.

Becker se vante d'avoir réduit les cailloux en une substance grasse, huileuse & mucilagineuse, semblable à de la gelée, & qui pouvoit se pétrir comme la cire, en la faisant rougir au feu, & en faisant l'extinction dans l'eau. Le même auteur prétend tirer de cette liqueur un sel verd & une huile rougeâtre, qui a, selon lui, la propriété de précipiter le mercure, & de le fixer en partie beaucoup mieux que ne peut faire l'huile de vitriol. Mais ces grandes promesses ont bien l'air d'être du genre merveilleux de celles que tous les Alchimistes affectent de faire, sans jamais les tenir.

Si on mêle deux ou trois parties de sel de tartre avec une partie de caillou bien pulverisé ; qu'on mette ce mélange dans une cornue tubulée toute rouge, il se fait une effervescence très-considérable, & il passe à la distillation un esprit acide d'une odeur sulphureuse ; c'est ce qu'on appelle liquor silicum, ou liqueur de caillou : les Alchimistes lui ont attribué des vertus tout extraordinaires, & l'ont même regardée comme le vrai alkahest ou dissolvant universel. Glauber va plus loin, & dit qu'en y mettant en digestion des métaux dissous, il se formera des végétations métalliques.

M. Lemery donne une autre maniere de faire le liquor silicum ; c'est de mêler quatre onces de cailloux calcinés & réduits en une poudre impalpable, avec 24 onces de cendre gravelée ; de vitrifier ce mélange dans un creuset ; & lorsque la vitrification est faite, de mettre ce verre à la fraîcheur de la cave, où il se résout en eau. Si on mêle à cette eau une dose égale de quelqu'acide corrosif, il se formera une espece de pierre. (-)


CAIMACAou CAIMACAM, s. m. (Hist. mod.) dignité dans l'empire ottoman, qui répond à celle de lieutenant ou de vicaire parmi nous.

Ce mot est composé de deux mots arabes, qui sont caim machum, celui qui tient la place d'un autre, qui s'acquite de la fonction d'un autre.

Il y a pour l'ordinaire deux caïmacans : l'un réside à Constantinople, dont il est gouverneur ; l'autre accompagne toûjours le grand-visir en qualité de lieutenant. Quelquefois il y en a trois, dont l'un ne quitte jamais le grand-seigneur, l'autre le grand-visir ; & le troisieme réside à Constantinople, où il examine toutes les affaires de police, & les regle en partie.

Le caïmacan qui accompagne le grand-visir, n'exerce sa fonction que quand il est éloigné du grand-seigneur, & sa fonction demeure suspendue quand le visir est auprès du sultan. Le caïmacan du visir est comme son secrétaire d'état, & le premier ministre de son conseil.

Un auteur moderne qui, après beaucoup d'autres, a écrit sur le gouvernement des Turcs, parle ainsi du caïmacan : " Le caïmacan est proprement le gouverneur de la ville de Constantinople ; il a rang après les visirs, & son pouvoir égale celui des bachas dans leurs gouvernemens : cependant il ne peut rien statuer par rapport à l'administration de la justice ou le reglement civil, sans un mandement du visir.

Si ce ministre est engagé dans quelqu'expédition militaire, & que le grand-seigneur soit resté au serrail, ce prince nomme toûjours un des visirs du kubbe ou un bacha à trois queues, rekiaf kaimacan, c'est-à-dire député pour tenir l'étrier. Le visir azem ne fait donner cette charge qu'à une de ses créatures, de peur qu'un autre abusant du privilége de sa place, qui veut qu'en l'absence du premier ministre le caïmacan ne quitte jamais sa hautesse, ne profite de la conjoncture pour le supplanter.

Cet officier est chargé, dans l'absence du visir, de toutes les affaires qui regardent le gouvernement, & que le visir décideroit s'il étoit présent ; mais il ne peut pas créer de nouveaux bachas, ni dégrader ceux qui le sont, ou en mettre aucun à mort. Dès que le premier ministre est de retour, le pouvoir du caïmacan cesse. Il n'a nulle autorité dans les villes de Constantinople & d'Andrinople, tant que le sultan y est présent ; mais si ce prince s'en absente seulement huit heures, l'autorité du caïmacan commence, & va presque de pair avec celle du souverain ". Guer, moeurs des Turcs, tome II. (G)


CAIMANS. m. (Hist. nat. Lith.) pierre que l'on apportoit, suivant quelques auteurs, des Indes orientales, & sur-tout de Carthagene & de Nombre de Dios. On prétend qu'elle ressemble au caillou des rivieres ; qu'elle se trouve dans l'estomac des grands crocodiles appellés caimans, & que les Indiens & les Espagnols la recherchent avec soin, comme un remede assûré contre la fievre quarte : il faut en appliquer une à chaque tempe. Voyez CROCODILE.

CAIMAN ou CAYMANES, (Géogr.) île de l'Amérique dans le golfe de Mexique ; il y a encore une île de ce nom au même endroit, qu'on appelle le petit Caiman.


CAINITEou CAIANIENS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom d'anciens hérétiques qui rendoient un honneur extraordinaire aux personnes que l'Ecriture nous représente comme les plus méchans de tous les hommes. Ils ont été ainsi appellés de Caïn, qu'ils regardoient comme leur pere. C'étoit une branche de Gnostiques, qui soûtenoient des erreurs monstrueuses. Ils prétendoient que Caïn & même Esaü, Lot & ceux de Sodome, étoient nés d'une vertu céleste très-puissante, & qu'Abel au contraire étoit né d'une vertu fort inférieure à la premiere. Ils associoient à Caïn & aux autres du même ordre, Judas, qui avoit eu, selon eux, une grande connoissance de toutes choses ; & ils en faisoient une si grande estime, qu'ils avoient un ouvrage sous son nom, intitulé l'évangile de Judas. S. Epiphane a rapporté & réfuté en même tems leurs erreurs, dont les principales étoient, que l'ancienne loi n'étoit pas bonne, & qu'il n'y auroit point de résurrection. Ils exhortoient les hommes à détruire les ouvrages du Créateur, & à commettre toutes sortes de crimes, persuadés que les mauvaises actions conduisoient au salut. Ils invoquoient même les anges à chaque crime qu'ils commettoient, parce qu'ils croyoient qu'il y avoit un ange qui assistoit à chaque péché & à chaque action honteuse, & qui aidoit à la faire. Enfin ils faisoient consister la souveraine perfection à dépouiller tellement toute honte & tous remords, qu'on commit publiquement les actions les plus brutales. Ils erroient aussi sur le baptême, comme il paroît par Tertullien ; & la plûpart de leurs opinions étoient contenues dans un livre qu'ils avoient composé sous le titre d'ascension de S. Paul, où, sous prétexte des revélations faites à cet apôtre dans son ravissement au ciel, ils débitoient leurs impiétés & leurs blasphèmes. Dupin, biblioth. des auteurs ecclés. tome II. Fleury, hist. ecclés. tome I. liv. iij. (G)


CAINITOS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, en cloche ouverte & découpée. Il s'éleve du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit mou, charnu, rond, ou de la forme d'une olive, contenant un ou plusieurs noyaux qui renferment chacun une amande. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


CAIRE(LE) Géog. grande ville d'Afrique, capitale de l'Egypte ; elle passe pour l'une des plus considérables de la domination des Turcs : elle est sur la rive orientale du Nil. Long. 49. 6. 15. lat. 30. 2. 30.


CAIROAN(Géog.) ville d'Afrique, au royaume de Tunis. Long. 29. lat. 35. 40.


CAISSES. f. du latin capsa, coffre ou boîte, se dit au propre d'un coffre de planches de bois de sapin, assemblées avec des clous, ou des traverses cloüées ou autrement, & destinées à renfermer des marchandises, soit pour les conserver, soit pour les transporter : le nom de caisse a pris par analogie, un grand nombre d'autres acceptions, comme on va voir à la suite de cet article.

CAISSE, terme d'Architecture, c'est dans chaque intervalle des modillons du plafond de la corniche corinthienne, un renfoncement quarré qui renferme une rose. Ces renfoncemens qu'on nomme aussi panneaux ou caissettes, sont de diverses figures dans les compartimens des voûtes & plafonds. (P)

CAISSE, (Lutherie) c'est une machine ou instrument de guerre, de la grosseur d'un minot, couvert à chaque bout d'une peau de veau, qui rend un son vraiment martial en battant sur l'une de ces peaux avec deux baguettes de bois faites exprès. Ce son est plus ou moins fort, selon que les peaux sont plus ou moins tendues par le moyen de plusieurs cordages qui se resserrent avec de petits tirets, ou des oreilles de cuir qui les environnent, & selon que le timbre, qui n'est autre chose qu'une corde qui traverse la peau de dessous ; est plus ou moins tendu. Voyez TAMBOUR & les Planches de Lutherie.

CAISSE de fusées ; les Artificiers appellent ainsi un coffre de planches, long & étroit, en quarré sur sa longueur, & posé verticalement, dans lequel on enferme une grande quantité de fusées volantes, lorsqu'on veut faire partir en même tems & former en l'air une figure de feu semblable à une gerbe de blé qu'on appelle pour la même raison gerbe de feu.

Caisse aérienne, c'est une espece de ballon qui renferme beaucoup d'artifice de petites fusées.

CAISSE à sable, est un coffre de bois de quatre piés de long, de deux de large, & de dix pouces environ de profondeur, soûtenu à hauteur d'appui par quatre piés. C'est dans cette caisse qu'est contenu le sable dont on forme les moules, & qu'on les corroye. Voyez l'article FONDEUR EN SABLE, & la fig. 14. Plan. du Fondeur en sable.

CAISSE, à la Monnoie, se prend à-peu-près dans le même sens que chez le Fondeur en sable.

CAISSE, (Jardinage) vaisseau quarré fait de planches de chêne cloüées sur quatre piliers du même bois, qui sert à renfermer les orangers, les jasmins, & autres arbres de fleur.

Pour faire durer les caisses, on les peint par dehors de deux couches à l'huile, soit de blanc, soit de verd, & on les goudronne en-dedans. Les grandes sont ferrées. Les petites caisses se font de douves sortant des tonneaux : les moyennes, de mairain ou panneau : les grandes, de chevrons de chêne, avec de gros ais de chêne attachés dessus, garnies d'équerres & de liens de fer. (K)

CAISSE, en terme de Raffineur de sucre, c'est un petit coffret de bois plus long que large, sur le derriere duquel il y a un rebord plus élevé que le reste, & à gauche une traverse d'environ deux pouces de hauteur & d'un pouce & demi d'épaisseur. Le rebord empêche le sucre que l'on gratte de tomber par terre, & la traverse sert à soûtenir la forme que l'on gratte sur la caisse. Voyez GRATTER.

CAISSE des marches, (Manufacture de soie) espece de coffret percé de part en part, & qui reçoit le boulon qui enfile les marches. On le charge d'un poids considérable pour lester les marches arrêtées. Cette façon d'arrêter les marches dans la caisse est la meilleure, parce qu'on peut avancer ou reculer le poids selon le besoin : mais il n'en est pas de même quand le boulon est arrêté à de gros pitons fichés dans le plancher.

CAISSE, (Commerce) espece de vaisseau ou coffre fait de menues planches de sapin, ou autre bois leger, jointes ensemble par des clous ou des chevilles de bois, & propre à transporter des marchandises plus facilement sans les gâter ou corrompre. On dit une caisse d'étoffes, de toiles, d'oranges, de vins étrangers, &c.

Caisse emballée, est une caisse pleine de marchandises, entourée de paille, & couverte d'une grosse toile qu'on nomme balle ou emballage. Voyez BALLE & EMBALLAGE.

Caisse cordée, est une caisse qui n'a point d'emballage, & qui est seulement liée par-dessus avec de la corde de distance en distance, pour empêcher les planches de s'écarter.

Caisse ficelée & plombée, est celle que les commis de la doüanne ont fait emballer & corder en leur présence, après avoir fait payer les droits nécessaires, & qu'ils ont fait noüer autour du noeud de la corde d'une ficelle dans laquelle est un plomb marqué dessus & dessous des coins du bureau. Ces sortes de caisses ne doivent être ouvertes qu'au dernier bureau de la route, suivant l'ordonnance de 1687.

CAISSE, (Commerce) signifie aussi une espece de coffre fort tout de fer, ou de bois de chêne garni de bonnes barres de fer, & d'une ou de plusieurs serrures, qui ordinairement ont des ressorts qui ne sont connus que de ceux à qui la caisse appartient.

C'est dans ces sortes de caisses que les Marchands, Négocians & banquiers en ferment leur argent comptant & leurs principaux effets de petit volume, comme lettres & billets de change, promesses, lingots d'or, &c.

On entend aussi par le mot de caisse le cabinet du Caissier, où est la caisse ou coffre-fort, & où il fait sa recette & ses payemens. Voyez CAISSIER.

On appelle livre de caisse, une sorte de livre qui contient en débit & crédit tout ce qui entre d'argent dans la caisse, & tout ce qui en sort. Ce livre est le plus important de tous ceux que les Négocians nomment livres auxiliaires.

CAISSE se dit de tout l'argent qu'un marchand Négociant ou Banquier peut avoir à sa disposition pour négocier : on dit en ce sens que la caisse d'un tel Banquier est de cent mille écus, de huit cent mille livres, M. Savary, dans son parfait Négociant, II part. liv. I. chap. jv. donne d'excellentes maximes pour le bon gouvernement d'une caisse. Voyez-les dans cet ouvrage ou dans le Dictionn. du commerce, tom. II. pag. 33. & 35.

CAISSE, de crédit, c'est une caisse établie en faveur des Marchands forains qui amenent à Paris des vins & autres boissons.

Le premier établissement de cette caisse est du mois de Septembre 1719. L'Edit porte : " que les Marchands forains & autres pourront y recevoir sur le champ le prix de leurs vins & boissons, & y prendre crédit moyennant six deniers pour livres ". On peut voir ce qui concerne la police & l'administration de cette caisse dans le Dictionn. du commerce, tom. II. page 36.

CAISSE des emprunts, nom qu'on a donné en France à une caisse publique établie à Paris dans l'hôtel des fermes-unies du Roi, où toutes sortes de personnes de quelque qualité ou condition qu'ils fussent, tant François qu'étrangers, étoient reçûs à porter leur argent pour le faire valoir, & d'où ils pouvoient le retirer à l'échéance des promesses solidaires que les Fermiers généraux de sa Majesté leur en fournissoient, signées de quatre de la compagnie préposés à cet effet.

Ces sortes de promesses dont le nom de celui qui en avoit payé la valeur restoit en blanc, étoient faites payables au porteur dans un an, & les intérêts qui y étoient compris pour l'année, ne se payoient qu'à leur échéance, soit en les renouvellant, soit en retirant son capital.

Cette caisse avoit d'abord été établie en 1673, & fut supprimée vers la fin du même siecle : elle fut rétablie en 1702, & les intérêts réglés à huit pour cent par an. Mais les promesses qu'on nommoit billets de la caisse des emprunts, s'étant prodigieusement multipliés pendant la guerre finie en 1713, on prit alors divers moyens de les rembourser : ils furent ensuite convertis en billets de l'état en 1715, & enfin retirés du commerce par différentes voyes qu'explique l'auteur du Dictionn. du commerce, tom. II. pag. 38. & 39. (G)

* Selon M. le Pr. Henault (Abrégé de l'Hist. de Fr.) ces billets furent introduits en 1707, M. de Chamillard étant controleur général des finances.


CAISSETINS. m. c'est ainsi qu'on appelle dans les Manufactures d'ouvrages en soie, une petite armoire en forme de caisse, de trois piés de longueur, d'un demi-pié de large, à plusieurs étages, dans lesquels l'ouvrier range les dorures & les soies qu'il employe.

CAISSETINS, (Commerce) petites caisses de sapin plus longues que larges, dans lesquelles on envoye de Provence les raisins en grappes séchées au Soleil, qu'on appelle raisins aux jubis. Voyez RAISINS AUX JUBIS. (G)


CAISSIERS. m. (Commerce & Finance) est celui qui tient un état des revenus & des deniers d'une compagnie, & en rend compte. Voyez RECEVEUR, THRESORIER.

Savary le définit celui qui garde l'argent d'une compagnie ou d'un banquier, négociant, &c. & qui est chargé de recevoir & de payer. (G)


CAISSONS. m. diminutif de caisse, petite caisse dans laquelle on envoye des marchandises. (G)

CAISSON, est aussi un chariot couvert dont on se sert pour voiturer le pain de munition à l'armée.

CAISSON de bombes, (Artillerie) est une tonne ou une cuve qu'on emplit de bombes chargées ; on l'enterre jusqu'au niveau du rez-de-chaussée, en l'inclinant un peu de côté, & répandant beaucoup de poudre de guerre dessus : on y met le feu par le moyen d'un saucisson qui répond au fond de ce caisson ; il fait élever les bombes en l'air du côté que le caisson est incliné. Cette invention n'est plus guere d'usage, on y a substitué les fougaces, qui produisent de plus grands effets. Voyez FOUGACE. (Q)

CAISSONS, s. m. pl. (Marine) on nomme ainsi les coffres qui sont attachés sur le revers de l'arriere d'un vaisseau. (Z)


CAITHNESS(Géog.) province au nord de l'Ecosse.


CAIUS(Hist. anc.) nom propre, mais en général & sans addition employé par les Romains pour signifier un homme, de même que Caia signifioit une femme. Ils exprimoient le premier de ces mots par la lettre C toute seule, dans sa position naturelle, & le second par la même lettre, mais renversée C. Quintilien rapporte que dans les épousailles & fêtes nuptiales, on faisoit mention de Caïus & de Caïa ; ce que Plutarque confirme lorsqu'il dit : " Pourquoi ceux qui conduisoient la nouvelle épouse en la maison du mari, lui font-ils prononcer ces mots : ubi tu Caïus, & ego Caïa ; où tu seras Caïus, je serai aussi Caïa ? sinon pour marquer qu'elle y entre à cette condition, d'avoir part aux biens & au gouvernement de la famille, & que Caïus étant maître, Caïa doit être aussi maîtresse ". D'où il s'ensuit que les noms Caïus & Caïa dans cette cérémonie, équivalent à ceux de pater familias, & de mater familias ; pere & mere de famille. (G)


CAJAou KAYAN, (Hist. nat. bot.) arbre des Indes d'une grandeur médiocre, dont les feuilles sont rondes & attachées trois à trois comme des treffles à l'arbre. Il porte des fleurs d'une odeur agréable, & conserve sa verdure l'hyver & l'été. Il produit une graine ou semence qui ressemble à des pois chiches.


CAJANEBURG(Géog.) ville forte de la Suede en Finlande, sur le lac d'Ula.


CAJANIE(Géog.) grande province de la Finlande appartenante aux Suédois, sur le golfe de Bothnie, dont la capitale est Cajaneburg.


CAJARE(Géog.) petite ville de France dans le Quercy.


CAJAZZO(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Labour. Long. 32. lat. 51. 10.


CAJOLERv. n. (Marine) c'est mener un vaisseau contre le vent à la faveur du courant. On se sert aussi de ce terme pour dire faire de petites bordées, ou attendre sans voile, en faisant peu de route.


CAJUMANE(Hist. nat. bot.) c'est une espece de canellier sauvage qui croît dans certains pays des Indes orientales, dont on n'a point de bonne description.


CAJUMANIS(Hist. nat. bot.) on appelle de ce nom une espece de canellier sauvage qui croît dans les Indes orientales, sur les côtes du Sunde.


CAJUTESS. f. pl. (Marine) on appelle ainsi les lits des vaisseaux qui sont emboîtés autour du navire ; on les appelle aussi cabanes. Voyez CABANE. (Z)


CAKET(Géog.) ville & petit royaume d'Asie, dépendant du roi de perse, près du Caucase. Long. 63. 50. lat. 43. 32.


CAKETA(Géog.) grande riviere de l'Amérique méridionale, qui prend sa source dans la nouvelle Grenade.


CAKILES. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en croix ; le pistil sort d'un calice, & devient dans la suite un fruit semblable en quelque façon à la pointe d'une pique, & composé de deux parties qui sont jointes ensemble par une sorte d'articulation, & qui renferment une semence singuliere, & ordinairement oblongue. Tournefort, Inst. rei herb. cor. Voyez PLANTE. (I)


CALA-DUCIRA(Géog.) ville & port de l'île de Gozo, dans la mer Méditerranée.


CALAA(Géog.) ville d'Afrique au royaume de Tremecen. Long. 12. 30. lat. 31. 10.


CALABAS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; il s'éleve du fond du calice un pistil, qui devient dans la suite un fruit sphérique, charnu, qui renferme un noyau ou une semence de la même forme, dans laquelle il y a une amande aussi de la même figure. Plumier, nova plantar. Amer. gen. Voyez PLANTE. (I)

* Il sort de son tronc & de ses branches une gomme claire, à-peu-près semblable au mastic, dont elle porte le nom, & auquel on la substitue quelquefois.


CALABRE(LA) Géog. province d'Italie dans la partie méridionale du royaume de Naples, avec titre de duché. On la divise en citérieure & ultérieure.

CALABRE, (la mer de) s'appelloit anciennement mare Ausonium. C'est celle qui baigne les côtes de la Calabre.


CALABRISMES. m. (Hist. anc.) nom d'une danse des anciens, dont nous ne connoissons rien de plus.


CALACIA(Géog.) ville d'Asie dans la Tartarie, au royaume de Tanguth.


CALACOROLY(Géog.) royaume d'Afrique dans la Nigritie, au nord de la riviere de Saint-Domingo.


CALADARISS. f. toile de coton rayée de rouge ou de-noir, qu'on apporte des Indes orientales, sur-tout de Bengale. La piece a huit aunes de long, sur 7/8 d'une aune de large.


CALADE(Maréch.) est la même chose que basse, Voyez BASSE. (V)


CALAF(Géog.) petite ville d'Espagne dans la province de Catalogne.


CALAFIGUER(Géog.) ville & port de la côte méridionale de l'île de Majorque.


CALAFUSUNG(Géog.) grande ville d'Asie dans l'île de Buton, l'une des Moluques.


CALAH(Géog.) île de la mer des Indes, près de la ligne équinoctiale.


CALAHORRA(Géog.) ville d'Espagne dans la vieille Castille. Long. 15. 48. lat. 42. 12.


CALAIS(Géog.) ville fortifiée de France dans la Picardie, sur le bord de la mer. Long. 19. 30. 65. lat. 50. 57. 31.

CALAIS, (le pas de) on nomme ainsi la partie la plus étroite de la Manche, ou du canal qui sépare la France de l'Angleterre.

CALAIS, (Saint-) Géog. petite ville de France dans le Maine.


CALAJATE(Géog.) ville ruinée d'Asie, dans l'Arabie heureuse, vers le golfe Persique.


CALALOU(Hist. mod.) ragoût que préparent les dames créoles en Amérique ; c'est un composé d'herbes potageres du pays, comme choux caraïbes, goment, gombaut & force piment : le tout soigneusement cuit avec une bonne volaille, un peu de boeuf salé, ou du jambon. Si c'est en maigre, on y met des crabes, du poisson, & quelquefois de la morue seche. Le calalou passe pour un mets fort sain & très-nourrissant ; on le mange avec une pâte nommée ouangou, qui tient lieu de pain.


CALAMA(Géog.) ville d'Afrique au royaume d'Alger, sur la Malvia.


CALAMALA(Géog.) ville d'Europe dans la Morée, sur la riviere de Spinarza. Long. 39. 45. lat. 37. 8.


CALAMBOURG(Comm.) bois odoriférant dont la couleur tire sur le verd : il differe du calambouc qui vient de la Chine, & qu'on substitue au bois d'aloès. On l'apporte des Indes en bûches. On l'employe en ouvrages de tabletterie, & dans les bains de propreté.


CALAMENTS. m. (Hist. nat. bot.) calamintha, genre de plante à fleur monopétale labiée, dont la levre supérieure est échancrée, arrondie, & relevée ; & l'inférieure est divisée en trois parties. Il sort du calice un pistil, qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui est environné de quatre embryons, qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies & renfermées dans la capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les fleurs naissent dans les aisselles des feuilles, & tiennent à des pédicules branchus. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le calamintha vulgaris officinarum, est plein d'un sel aromatique, volatil, huileux ; il est stomachique, diurétique, apéritif, & provoque les regles, on peut s'en servir comme du thé : sa décoction en clystere calme les douleurs de la colique, résout les tumeurs oedémateuses, & fortifie les parties. Tournefort. (N)


CALAMIANES(Géog.) île d'Asie dans la mer des Indes, entre celle de Borneo & les Philippines.


CALAMINou PIERRE CALAMINAIRE, s. f. (Minéral. & Métall.) en latin calamites, mais plus communément lapis calaminaris, cadmia nativa, ou cadmia fossilis, cadmie fossile, pour la distinguer de la cadmie des fourneaux. C'est une pierre ou terre, qui mêlée au cuivre par le moyen de la partie inflammable du charbon, produit un mixte métallique qu'on appelle cuivre jaune ou laiton.

Cette pierre se trouve en plusieurs endroits de l'Europe, comme en Allemagne, en Bohème, en Hongrie, en Pologne, en Espagne, en Angleterre ; il s'en trouve en Berri : le pays de Liége & les environs d'Aix-la-Chapelle en fournissent une grande quantité.

M. Henckel dit, dans sa Pyritologie, que la calamine se trouve ordinairement dans des terres grasses & argilleuses. Il n'est pas besoin pour cela de creuser bien avant, attendu qu'elle se présente très-souvent aussi-tôt qu'on a levé la premiere couche ; il arrive même quelquefois qu'elle forme elle-même cette premiere couche. On la trouve aussi mêlée à des mines métalliques, & sur-tout à des mines de plomb, comme on peut le voir dans celles de Goslar & d'Angleterre.

La calamine est ordinairement d'une figure irréguliere : elle ne laisse pas aussi de varier dans sa couleur ; tantôt elle est d'un beau jaune de couleur d'or ; tantôt elle est brune ; quelquefois elle tire sur le rouge : celle de Berri est de cette derniere couleur.

Celle qui est pesante & compacte, est préférable à celle qui est legere & spongieuse ; & celle qui est entremêlée de veines blanches, passe pour la meilleure. L'inconvénient de celle d'Angleterre est d'être mêlée avec beaucoup de plomb ; c'est pour cela qu'on est obligé de lui donner bien des préparations avant de l'employer à faire du laiton, parce que le plomb ne vaudroit rien dans cette opération.

La calamine contient la terre qui sert de base au zinc volatil & inflammable, & à ce qu'on appelle la cadmie des fourneaux : on juge de sa bonté par l'abondance de zinc qui y est contenu, & par le plus ou le moins de mélange qui s'y trouve d'autres terres limoneuses ou ferrugineuses qui lui sont tout-à-fait étrangeres. On confond quelquefois mal-à-propos avec la pierre calaminaire beaucoup d'autres minéraux qui lui ressemblent à l'extérieur. Agricola l'a confondue avec une mauvaise espece de mine de cobalt très-arsénical, qu'on nomme en allemand fliegenstein, pierre aux mouches ; mais la marque distinctive de la pierre calaminaire, c'est de jaunir le cuivre de rosette & de contenir du zinc. La regle de M. Marggraf, savant chimiste de l'académie de Berlin, est que " toute pierre qui mêlée avec des charbons, & qui exposée à l'action la plus véhémente d'un feu renfermé, ne produit point de zinc, ou qui à un feu découvert ne compose point le laiton lorsqu'elle est mêlée avec le cuivre & le charbon, n'est point une pierre calaminaire ".

Il y a néanmoins du choix à faire entre les différentes especes de pierres calaminaires : en effet, il s'en trouve quelques-unes qui augmentent plus, d'autres moins le cuivre, lorsqu'on en fait du laiton. Voyez l'article CUIVRE. Il y en a qui lui donnent une couleur plus ou moins belle, le rendent plus ou moins malléable, lorsque la calamine se trouve mêlée à du plomb ; comme cela est ordinaire à celle de la province de Sommerset en Angleterre ; ou à du fer, comme il arrive à celle de Bohème & à celle du Berri. Il n'est point douteux que ces especes ne rendent le cuivre fragile & cassant, à moins qu'on ne prévienne ces mauvais effets par des torréfactions réitérées avant de mêler la calamine au cuivre, tandis qu'il s'en trouve d'autre qui peut être employée tout de suite sans aucune préparation antérieure. Ce seroit donc se tromper que d'attendre les mêmes effets de toutes sortes de pierres calaminaires.

M. Henckel observe qu'un des phénomenes les plus remarquables de la Chimie, c'est la façon dont la calamine, qui est une terre, s'unit & s'incorpore avec le cuivre qui est un métal, sans lui ôter sa malléabilité. Il conclut de-là qu'il y a des terres qui ont la faculté de se métalliser. En effet, du laiton où l'on aura fait entrer un tiers de pierre calaminaire, se laisse travailler avec autant de facilité que le cuivre de rosette le plus pur & le plus fin ; il faut pour cela que l'union qui se fait par ce mélange soit bien intime & toute particuliere, sur-tout attendu qu'il est possible de séparer ensuite la calamine du cuivre, sans qu'il arrive aucun changement à ce métal.

Le rapport qui se trouve entre la calamine & le zinc, lui a fait donner par Glauber le nom de cadmie fusible : en effet, comme on a dit, toute bonne pierre calaminaire contient du zinc, & doit être regardée comme la miniere de ce demi-métal. M. Henckel a observé que la calamine de Bohème contient une petite quantité de mauvais fer : elle se trouve mêlée à des pyrites ferrugineuses appellées en allemand eisenstein ; on peut en tirer du vitriol de Mars, & on la trouve jointe à de l'alun. Ce savant minéralogiste ne doute point qu'il n'en soit de même de toutes les pierres calaminaires.

La calamine ressemble en quatre points à la cadmie des fourneaux : 1°. elle contient du zinc comme elle ; 2°. elle jaunit comme elle le cuivre de rosette ; 3°. elles ont toutes deux pour base une terre alkaline ; 4°. elles font toutes deux effervescence avec les acides.

La grande volatilité des fleurs de la calamine, & l'odeur qui s'en éleve, donnent lieu de croire que cette pierre est ordinairement mêlée d'arsenic ; sa promtitude à s'enflammer sur les charbons ou avec le nitre, est une marque qu'elle contient beaucoup de parties inflammables ou de phlogistique. C'est à la même raison qu'il faut attribuer sa promte & véhémente solution dans les acides, sa concrétion avec le cuivre, & les autres phénomenes qu'on y remarque. Voyez à l'article CUIVRE la maniere de l'exploiter, & de l'employer à la fonte du cuivre de rosette.

La calamine est quelquefois usitée extérieurement dans la Medecine : on lui attribue la propriété d'être astringente, & de sécher & cicatriser les plaies & les ulceres : mais il faut pour cela la bien dégager de toute partie arsénicale. Ce que les Apothicaires nomment calamine préparée, n'est autre chose que cette pierre bien broyée & formée en trochisques avec de l'eau-rose. (-)


CALAMITA(Géog.) riviere d'Asie dans la Tartarie-Crimée, qui se jette dans la mer Noire.


CALAMITEadj. (Mat. med.) épithete que l'on donne quelquefois au styrax, à cause qu'on le mettoit autrefois dans des roseaux appellés calami pour le conserver. Voyez STYRAX. (N)


CALAMO(Géog.) riviere de la Grece qui prend sa source dans l'Albanie, & se jette dans la mer, vis-à-vis de l'île de Corfou.

CALAMO, (Géog.) île de l'Archipel autrefois appellée Claros, près de la côte d'Asie.


CALAMUSCALAMUS

On donne, en Pharmacie, le nom de calamus aromaticus, roseau aromatique, à une racine amere & épicée, produite par une espece particuliere de jonc, ou plutôt de flambe ou de glayeul qui vient dans le Levant, & même en plusieurs endroits d'Angleterre, de l'épaisseur environ d'une plume d'oie, & haute de deux ou trois piés, dont on fait un grand usage comme d'un céphalique & d'un stomachique, sur-tout dans les douleurs occasionnées par la foiblesse de l'estomac.

Le calamus aromaticus est ce que l'on appelle autrement acorus. Voyez ACORUS.

On l'appelle aussi calamus odoratus, & calamus amarus ; & quelquefois calamus verus ou officinalis, pour le distinguer d'une autre espece, que l'on appelle adulterinus, en françois le roseau doux ou flambe aromatique.

Le meilleur est celui qui est grisâtre en-dehors & rougeâtre en-dedans, dont la pulpe est blanche & le goût extrèmement amer, mais qui a ses feuilles & ses racines d'une bonne odeur. (N)

CALAMUS SCRIPTORIUS, en Anatomie, est le nom de l'extrémité postérieure du quatrieme ventricule du cerveau, qui se termine comme le bec d'une plume à écrire. Voyez CERVEAU. (L)


CALANDRES. f. calandra, (Ornith.) oiseau du genre des aloüettes. Voyez ALOUETTE. Il est un peu plus gros que l'aloüette ordinaire, & il lui ressemble assez par la forme du corps. On peut le comparer à la grive pour sa grandeur ; cependant la tête est plus grosse, le bec plus court & plus épais : les pattes sont comme celles des autres aloüettes. Toute la face antérieure ou inférieure est de couleur cendrée, avec quelques taches noires qui sont sur la poitrine comme dans les grives. Toute la face supérieure ou postérieure est de couleur de terre d'ombre. A deux pouces au-dessous du bec il y a un cercle, ou plûtôt un collier de plumes noires qui entoure le cou. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

CALANDRE, insecte. Voyez CHARENÇON.


CALANGUECALE, s. f. (Marine) c'est un abri le long d'une côte, derriere une hauteur ou dans quelque petit enfoncement, où des bâtimens médiocres peuvent se mettre à couvert du mauvais tems. (Z)


CALANTIGAS(Géog.) nom qu'on donne à trois petites îles, sur la côte orientale de l'île de Sumatra.


CALANTIQUES. f. (Hist. anc.) ornement de tête des femmes romaines, dont Cicéron fait mention : Vous ajustiez, dit-il à Clodius, la calantique a sa tête. On ne sait rien de plus.


CALAOIDIESS. f. pl. (Hist. anc.) fêtes instituées en l'honneur de Junon. On n'en sait autre chose, sinon qu'elles se célébroient dans la Laconie.


CALAPATE(Géog.) ville d'Asie dans l'Inde en-deçà du Gange, sur la côte de Coromandel, dans le royaume de Bisnagar.


CALARÉ(Géog.) contrée des Indes sur la côte de Malabar, aux confins des royaumes de Travancor & de Changanate.


CALASINIS. f. (Hist. anc.) tunique de lin, frangée par le bas, que les Egyptiens portoient sous un habit de laine blanche. Quand ils entroient dans les temples, ils quittoient l'habit de laine, & ne conservoient que celui de lin. La calasini paroît leur avoir servi d'habit & de chemise. Elle a été aussi en usage chez les Grecs : il en est parlé dans les nuées d'Aristophane, & Hesychius l'appelle la tunique au clou large. Voyez CLOU LARGE.


CALAT(Géog.) ville d'Asie dans le royaume de Cotan, près de Candahar.


CALATA-BELLOTA(Géog.) ville de Sicile, sur une riviere du même nom.

CALATA-FIMI, (Géog.) ville de Sicile dans la vallée de Mazare.

CALATA-GIRONE, (Géog.) ville de Sicile dans la vallée de Noto, près de la riviere de Drillo.

CALATA-NISSETA, (Géog.) ville de Sicile dans la vallée de Noto, près de la riviere de Salso.

CALATA-XIBETA, (Géog.) petite ville de Sicile dans la vallée de Noto, près des sources de la riviere de Dataino.


CALATAYUD(Géog.) ville d'Espagne dans le royaume d'Aragon, au confluent du Xalon & du Xiloca. Long. 16. 10. lat. 41. 22.


CALATHUS(Hist. anc.) corbeille ou panier à ouvrage, fait ordinairement de jonc ou de bois fort leger qui servoit aux ouvriers à mettre leurs laines, & étoit spécialement consacré à Minerve, qu'on regardoit comme l'inventrice des Arts & des ouvrages faits à l'aiguille. Virgile pour exprimer que Camille reine des Volsques, avoit les inclinations martiales, & ne s'amusoit point aux petits travaux propres à son sexe, dit :

Non illa colo, calathisve Minervae,

Foemineas assueta manus. Aeneid. 7.

Pline compare ce panier à la fleur du lis, dont les feuilles vont en s'évasant à mesure qu'elles s'élargissent : ab angustiis in latitudinem paulatim sese laxantis effigie calathi ; & telles étoient les corbeilles que les Canephores portoient sur leur tête dans les fêtes de Minerve, & qui renfermoient les choses sacrées destinées à ses mysteres.

Sur les monumens antiques, les dieux d'Egypte sont représentés avec une espece de boisseau sur la tête, qu'on croit être le calathus ; mais il n'y a pas de doute que ce ne soit ce même calathus dont est surmontée la coëffure de Minerve dans une médaille que M. l'abbé de Fontenu a expliquée sous le titre de Minerve Iliade. Mémoires acad. des Belles-Lett. tome V. (G)


CALATISMES. m. (Hist. anc.) danse ancienne dont il ne nous est parvenu que le nom. V. DANSE.


CALATRAVA(Géog.) ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, sur la riviere de Guadiane, près de la Sierra-Morena, dans un pays nommé Campo di Calatrava. Long. 14. 20. lat. 39. 8.

CALATRAVA, (Hist. mod.) ordre militaire en Espagne, institué en 1158 par Sanche III. roi de Castille. Les historiens en rapportent l'origine à ce que ce prince ayant conquis sur les Mores le chateau de Calatrava, qui étoit alors une forteresse importante, il en confia d'abord la garde aux Templiers, qui ne pouvant défendre cette place, la lui rendirent. Ils ajoûtent qu'à la sollicitation de Diego Velasquez, moine de Cîteaux, & homme de condition, Raimond, abbé de Fitero, l'un des monasteres du même ordre, obtint du roi la permission de défendre Calatrava, & s'en acquitta très-bien contre les Mores ; que plusieurs de ceux qui l'avoient accompagné dans cette entreprise, prirent l'habit de l'ordre de Cîteaux, sans toutefois renoncer aux exercices militaires. De là, dit-on, se forma l'ordre de Calatrava, qui s'étant beaucoup augmenté sous le regne d'Alphonse le Noble, fut d'abord approuvé par le pape Alexandre III. en 1164, & confirmé par Innocent III. en 1198, & ensuite gouverné par des grands-maîtres, dont le premier fut don Garcias Redon ; mais sous Ferdinand & Isabelle la grande-maîtrise fut réunie à la couronne de Castille en 1486. Le premier habit de ces chevaliers étoit la robe & le scapulaire blanc, comme les religieux de Cîteaux, & ils ne pouvoient pas se marier ; mais les papes les ont dispensés des deux regles, & les quatre-vingt commanderies que cet ordre possede en Espagne, sont ordinairement tenues par des gens mariés. Leurs armes sont d'or à la croix fleurdelisée de gueules, accostée en pointe de deux entraves ou menottes d'azur ; & les chevaliers portent de même sur l'estomac une croix rouge, qui est la marque de leur ordre. (G)


CALAVON(Géog.) petite riviere de France dans le comté de Provence, qui se jette dans la Durance près de Cavaillon.


CALAW(Géog.) petite ville de Bohème, sur la riviere de Bober.


CALAZEITA(Géog.) petite ville d'Espagne au royaume d'Aragon, près de la riviere de Mataranna.


CALAZZOPHYLACESS. m. plur. (Hist. anc.) prêtres ou ministres de la religion chez les anciens Grecs, dont la fonction étoit d'observer les grêles, les orages & les tempêtes, pour les détourner par le sacrifice d'un agneau ou d'un poulet. Au défaut de ces animaux, où s'ils n'en tiroient pas un augure favorable, ils se découpoient le doigt avec un canif ou un poinçon, & croyoient ainsi appaiser les dieux par l'effusion de leur propre sang. Ils avoient été institués par Cléon. Leur nom est formé de , grêle, & de , j'observe, j'épie. Les Ethiopiens ont de semblables charlatans qui se déchiquettent le corps à coups de couteau & de rasoir, pour obtenir la pluie ou le beau tems ; & l'on trouve dans l'Ecriture un exemple des mêmes pratiques mises en oeuvre par les prêtres de Baal que confondit Elie. Voyez BAAL, BELLONAIRES, &c. (G)


CALBARY(Géog.) riviere d'Afrique au royaume de Benin, qui se jette dans le golfe de Guinée.


CALBE(Géog.) ville d'Allemagne sur la Saale au duché de Magdebourg.


CALBOTINS. m. est un panier de paille dans lequel les Cordonniers mettent le fil. Voyez les fig. 35. & 36. qui en est le profil.


CALCAIRE(TERRE ou PIERRE) Hist. nat. & Chim. L'on nomme ainsi les terres ou pierres qui exposées à l'action d'un feu convenable, se réduisent en poudre ou en chaux, ou qui sont disposées par le feu à prendre cette forme. M. Pott, savant chimiste, qui dans son excellent traité de la Lithogéognosie, a fait un examen tout particulier des différentes espèces de terres & pierres, distingue absolument la terre calcaire de la terre gypseuse, avec laquelle cependant presque tous les auteurs la confondent. Suivant ce savant naturaliste, les caractères distinctifs de la vraie terre ou pierre calcaire, sont de ne point prendre corps lorsqu'elle a été mise en dissolution dans l'eau, sans le secours d'une substance intermédiaire, comme le sable, le ciment, &c. & de se dissoudre dans les acides. On peut même dire en général que toute terre qui ne se dissout point dans l'eau-forte, ne doit point être appellée une terre calcaire. Le même auteur nomme aussi cette espece de terre, alkaline : en effet, elle a toutes les propriétés des alkalis. Elle fait effervescence dans tous les acides ; elle s'y dissout, & peut être précipitée par les sels alkalis.

Lorsque la terre ou pierre calcaire a éprouvé l'action du feu, elle est encore plus disposée à se dissoudre dans les acides ; elle attire pour lors l'humidité de l'air, & fait effervescence même dans l'eau commune : c'est ce que nous voyons tous les jours dans la chaux vive.

Les principales especes du genre des calcaires sont la craie, le marbre, une espece de spath, que M. Pott nomme alkalin ; la marne, le lapis judaicus, la pierre de lynx, la pierre à ciment, la terre d'Angleterre, la terre d'alun, le corail, les cendres lessivées, le lapis spongiae, les os des animaux, & toutes les coquilles calcinées ; on la trouve aussi dans quelques ardoises, dans l'argille, le limon, l'ostéocolle, &c. & dans un grand nombre de corps qui ne different entr'eux que par des choses qui leur sont accidentelles.

C'est la terre calcaire qui fait la base des os des animaux, où elle se trouve liée par une espece de gluten qui leur donne la consistance nécessaire. C'est ce même gluten ou lien qui met aussi toute la différence que nous remarquons entre les substances du genre des calcaires, comme entre la craie & le marbre, la pierre à chaux & la marne, &c. différence qui ne s'y trouve plus lorsque le gluten a été chassé par l'action du feu. C'est aussi ce lien qui empêche quelquefois les acides d'agir sur les terres calcaires, comme on peut le voir dans la pierre à chaux, qui ne se dissout point dans l'eau avant d'avoir été brûlée, & dans l'eau-forte qui n'agit point sur l'ivoire, quoiqu'il ait été calciné, parce que l'action du feu n'a pû entiérement détruire le gluten qui y lie la terre calcaire.

Les terres calcaires ne peuvent point se vitrifier, ni se mettre en fusion toutes seules & sans addition, quelque violent que soit le feu qu'on y employe. Pour produire cet effet, il faut y joindre une bonne quantité de sel alkali. Cette terre s'unit assez bien aux matieres déjà vitrifiées, sans leur ôter leur transparence, pourvû qu'elle n'y soit mêlée qu'en très-petite quantité.

Le savant M. Henckel explique comment nous voyons que plusieurs eaux minérales & sources d'eau chaude participent aux propriétés de la chaux : c'est, selon lui, parce que les terres ou pierre calcaire pardessus lesquelles ces eaux viennent à passer, sont brûlées & tournées en chaux par l'action du feu caché dans les entrailles de la terre, & par-là disposées à se dissoudre dans ces eaux, à les échauffer, & à leur communiquer leurs vertus & leurs propriétés.

De toutes les qualités de la terre calcaire, ne pourroit-on point conclure, 1°. que c'est par sa facile dissolution dans les acides qu'elle devient propre à passer avec eux dans tous les corps organisés de la nature ; 2°. que par la propriété que la terre calcaire a de favoriser la dissolution des soufres & des sels par les acides, elle développe les organes des corps, & les rend visibles en se mêlant à eux ; 3°. que par la faculté qu'elle a d'attirer l'humidité de l'air, & d'en être réciproquement attirée, elle produit l'élévation & l'accroissement des corps. Ce sont-là des conséquences naturelles des propriétés de la terre calcaire, dont il faut laisser l'examen aux Chimistes, à qui des expériences exactes feront connoître si ces conjectures sont bien ou mal fondées. (-)


CALCANEUMen Anatomie ; c'est la même chose que l'os du talon. Il est situé sous l'astragale, à la partie postérieure du tarse : c'est le plus gros des os du pié.

On peut y distinguer six faces ; une postérieure, convexe & inégale, qui forme la partie du pié qu'on appelle le talon ; une supérieure, qui est divisée en deux portions, dont la postérieure est la plus élevée, inégale & un peu concave ; l'antérieure, plus basse, a deux faces articulaires séparées l'une de l'autre par une gouttiere : une inférieure, à la partie postérieure de laquelle on remarque deux tubérosités ; une grosse, située intérieurement ; l'autre petite, située postérieurement : deux latérales, dont l'externe est legerement convexe ; l'interne est concave : une antérieure, qu'on appelle la grande apophyse. (L)


CALCAR(Géog.) ville d'Allemagne dans le duché de Cleves, sur le ruisseau de Men. Long. 24. 25. lat. 51. 45.


CALCE(Géog.) petite ville d'Italie au duché de Milan, sur la riviere d'Oglio.

CALCE, (Géog.) petite île de l'Archipel, sur les côtes de l'Asie mineure.


CALCEDOINou CHALCEDOINE, lapis chalcedonius, pierre fine qui a été mise dans la classe des pierres fines demi-transparentes. Voyez PIERRE FINE. Les descriptions de la calcedoine, que nous trouvons dans les anciens auteurs, sont si différentes les unes des autres, qu'on ne peut pas les rapporter à la même pierre, parce qu'on a donné autrefois le nom de calcedoine à plusieurs especes de pierres. La description que Pline nous a laissée, donne l'idée d'un grenat oriental ou d'une améthiste. D'autres descriptions designent l'onyce ou la sardoine onyce. Le nom de calcedoine appartient aujourd'hui à une pierre de même nature que le caillou que l'on appelle communément pierre à fusil, de couleur blanche, laiteuse, & légerement teinte de gris, de bleu & de jaune. Cette pierre a aussi été nommée agate blanche. Si la teinte de bleu est assez foncée pour approcher du brun ou du noir, la pierre prend le nom d'agate noire ; si la teinte de jaune est assez vive pour approcher de la couleur orangée ou du rouge, la pierre doit être appellée sardoine ou cornaline.

On distingue la calcedoine, comme l'agate, en orientale & en occidentale ; l'orientale a des couleurs plus vives & plus nettes que celles de l'occidentale, qui est ordinairement d'un blanc sale, ou d'une couleur rousse. On trouve des calcedoines de cette espece en Allemagne, en Flandre, aux environs de Louvain & de Bruxelles, &c. Il y a des calcedoines assez grosses pour faire des vases ; mais ces grandes pieces sont rares, & on trouve communément de petits morceaux que l'on grave pour faire des bagues ou des cachets. La dureté de la calcedoine est égale à celle de l'agate.

Les Joüailliers appellent pierres calcedoineuses, celles qui ont des nuages ou des teintes laiteuses, comme la calcedoine. Ce défaut est assez commun dans les grenats & dans les rubis : on tâche, par la maniere de les tailler, de faire disparoître ces taches : le moyen le plus sûr est de les chever, c'est-à-dire de rendre concave l'une des faces de la pierre, & l'autre convexe. (I)

CALCEDOINE FACTICE, (Chimie) Comme il y a beaucoup de rapport entre l'agate, le jaspe & la calcedoine, le même procédé pourra servir pour imiter ces trois especes de pierres précieuses. Faites dissoudre une once d'argent dans de l'eau-forte : prenez de chaux, d'étain, de cinnabre, de bol d'arménie, de chacun 1/2 once ; de safran de Mars, d'antimoine crud, de minium, d'orpiment & d'arsenic blanc, d'aes ustum, de chacun 1/2 once : réduisez toutes ces matieres en une poudre très-fine, & versez par-dessus petit-à-petit & bien doucement, suffisante quantité d'eau-forte, parce qu'il se fera une effervescence considérable : lorsque toute l'effervescence sera passée, versez-y encore de l'eau-forte, & mettez le vase en digestion dans un lieu modérément chaud. On pourra au bout de quelques jours retirer l'eau-forte par distillation ; il restera un sédiment ou une poudre d'un rouge verdâtre ; on n'aura qu'à la broyer & la réduire en une poudre très-fine, & en mêler à différentes reprises une 1/2 once ou deux onces sur 12 liv. de fritte de crystal, faite avec des morceaux de crystal cassé. On remuera bien exactement ce mélange pendant qu'il sera en fusion, en donnant un feu convenable : au bout de vingt-quatre heures l'opération sera faite, & le verre ou crystal coloré sera en état d'être travaillé. (-)

CALCEDOINE, (Géog.) ville autrefois considérable d'Asie mineure, sur la mer de Marmara, n'est plus qu'un mauvais bourg que les Turcs nomment aujourd'hui Calcitiu.


CALCETS. m. (Marine) assemblage de planches élevé & cloüé sur le haut des arbres d'une galere, & qui sert à renfermer les poulies de bronze qui sont destinées au mouvement des antennes. (Z)


CALCINATIONS. f. (Chimie) L'opération chimique connue sous le nom de calcination, est l'application d'un feu ouvert à des matieres solides & fixes, disposées de maniere qu'elles présentent au feu & à l'air le plus de surface qu'il est possible.

On se propose en général dans la calcination deux objets différens : ou l'on cherche à séparer une substance volatile qu'on ne se met pas en peine de retenir, d'une substance fixe qu'on a seule en vûe, comme dans la calcination des mines, dont on dissipe par cette operation les matieres volatiles étrangeres au métal qui est l'objet du travail, principalement le soufre & l'arsenic. Cette opération est plus connue dans le traitement des mines, soit pour l'essai, soit pour le travail en grand, sous le nom de rôtissage ou de grillage. Voyez GRILLAGE. C'est cette espece de calcination que M. Cramer appelle ustulatio, & qu'il distingue, mais seulement par son objet, de celle dont nous allons parler dans un moment. L'opération par laquelle on souffle ou fait fumer les culots d'or, dans la purification de ce métal par l'antimoine, se peut rapporter aux calcinations de la premiere espece : comme aussi la calcination des sels fixes, soit neutres, soit alkalis, gras, ou empâtés de matieres huileuses qu'on blanchit : on purifie par ce moyen celle des vrais savons, celle des sels très-aqueux, comme l'alun, le vitriol, le sel de Glauber, &c. La calcination de ces sels au soleil, & leur calcination à l'air, ne different de la précédente & entr'elles, que par le degré de feu. Voyez FEU.

Le second objet général de la calcination, c'est d'ouvrir certains corps, ou de rompre la liaison, de détruire le mastic naturel, le gluten de certaines matieres, telles que les parties dures des animaux & des pierres, & les terres alkalines & gypseuses, qui fournissent par la calcination ces produits connus de tout le monde sous les noms de chaux & de plâtre ; telles encore que les gangues dures, réfractaires ou sauvages, des mines d'ailleurs peu sulphureuses & peu arsénicales, qu'on ne grille que pour disposer cette gangue à la fusion. C'est à peu-près dans la même vûe que cette opération est en usage dans les travaux de la verrerie, des émaux, des porcelaines, & dans les laboratoires des Chimistes, pour la préparation des chaux métalliques, &c.

On appelle encore calcination en Chimie, calcination par la voie humide, la division de toute substance métallique opérée par un menstrue, lorsque cette division est suivie d'un précipité, soit spontanée, soit produit par l'action d'un précipitant ; & tous les précipités sont appellés indistinctement chaux. Ainsi on appelle chaux d'or, l'eau d'or départi de l'argent, ou l'or de départ précipité par l'huile de tartre ; chaux d'argent, l'argent départi de l'or, ou l'argent de départ précipité par le cuivre, le précipité par le sel marin ou par son acide de la dissolution d'argent dans l'acide nitreux, &c. Mais la plûpart de ces substances ne conviennent avec les chaux proprement dites, que par le nom. La calcination par la voie humide porte encore le nom bien plus exact de pulvérisation philosophique. Voyez PULVERISATION & & PRECIPITE.

On prend aussi le mot de calcination dans un sens trop vague, quand on l'applique à la préparation des parties solides des animaux, qu'on épuise de leur partie lymphatique par l'eau bouillante : on appelle ces substances ainsi épuisées, calcinées philosophiquement ; corne de cerf calcinée philosophiquement, &c. mais ce n'est ici absolument qu'une décoction. Voyez DECOCTION.

Quel est donc le caractere propre de la vraie calcination ? J'entre pour le déterminer dans un examen plus détaillé de ses principaux phénomenes, des différens changemens qu'elle opere dans les divers sujets auxquels on l'applique. Cette discussion nous conduira de la maniere la plus abrégée à la vraie théorie de notre opération.

Je distingue d'abord les effets qui lui sont communs avec d'autres opérations chimiques, de ceux qui lui sont propres : 1°. la calcination considérée comme séparant des parties volatiles d'avec des parties plus fixes, peut ne différer de la distillation qu'en ce qu'on retient ces parties volatiles dans la derniere opération, & qu'elles s'échappent dans la premiere. C'est ainsi que les sels aqueux se dessécheroient dans les vaisseaux fermés, comme ils se dessechent dans les vaisseaux ouverts ; la premiere opération exigeroit seulement un feu plus violent : mais les deux produits de chaque opération, c'est-à-dire, le phlegme passé dans la distillation, ou dissipé par la calcination (on peut en ramasser en exposant un miroir à la vapeur), & le résidu de l'une & de l'autre, seroient exactement les mêmes. Je pourrois faire de cette opération une espèce distincte de calcination : mais elle est si distincte des deux autres que je vais proposer, qu'il sera plus exact encore de l'en séparer absolument. Voyez DESSICCATION.

2°. Les savons, les sels gras ou empâtés de matieres grasses ou huileuses, pourroient aussi être privés de ces matieres par la distillation, aussi bien que par la calcination. La plûpart des substances métalliques minéralisées, traitées dans les vaisseaux fermés, laisseroient sublimer du soufre & de l'arsenic, mais j'observe dans ce cas une différence remarquable ; c'est que la substance volatile séparée qui est inflammable, du moins pour la plus grande partie, s'éleve dans la distillation ou dans la sublimation, sans éprouver aucune altération, ou n'étant que très-peu altérée ; au lieu qu'elle est décomposée dans la calcination, elle est enflammée, détruite. Cette espece de calcination opere donc la séparation réelle de deux especes de corps qui formoient un composé ou un surcomposé par leur union, circonstance commune à cette opération & à la distillation, mais de plus la destruction d'un des principes de la composition du corps calciné, celle du mixte ou du composé inflammable. Cette espece de calcination sera propre à tous les corps solides composés ou surcomposés, dans la formation desquels entreront des mixtes ou des composés inflammables. Ces corps sont les mines ou substances métalliques minéralisées, les métaux sulphurés, tous les savons, extraits solides des végétaux, le tartre, la lie, les os des animaux, les bitumes solides, &c.

Il est enfin une autre espece de calcination essentiellement distincte des opérations faites dans les vaisseaux fermés : c'est l'opération qui prive par l'action du feu un mixte fixe & solide de son phlogistique, ou la décomposition par le feu d'un mixte fixe & solide, dont le phlogistique pur est principe constituant. Les sujets de cette calcination sont les métaux imparfaits, les demi-métaux, excepté le mercure, & tous les vrais charbons tirés des trois regnes. L'hépar sulphuris ou foie de soufre peut se ranger aussi avec ces corps, quoiqu'avec quelqu'inexactitude.

Quoique la fixité absolue de l'or & de l'argent tenus en fusion pendant un tems très-considérable, soit unanimement adoptée d'après les expériences de Kunckel, il est très-probable cependant que leur calcination n'est pas beaucoup plus difficile que celle des autres substances métalliques, mais non pas absolument impraticable. C'est la doctrine de plusieurs Chimistes illustres.

Isaac le Hollandois, dans son traité de salibus & oleis metallorum, cap. ij. de reverberatione calcis, assûre que la chaux d'argent, c'est-à-dire, l'argent déjà ouvert par un menstrue, exposée pendant vingt-un jours à un feu non-interrompu, & tel qu'il est nécessaire pour tenir le plomb en fusion sans le rougir, se réduit en une vraie chaux ; & que la chaux ou le précipité d'or exposé au même degré de feu, éprouve la même altération en six semaines.

Kunckel ne daigne pas même réfuter un auteur à qui il avoit fait cet honneur sur plusieurs autres points ; un auteur, dis-je, qui avoit mis la vraie chaux d'or parmi les non-êtres chimiques.

Stahl qui compte beaucoup sur se témoignage de ces deux auteurs, est persuadé qu'ils entendent parler l'un & l'autre de la même opération ; savoir, de la réverbération, ou de la calcination au grand réverbere, tant vantée par le premier (Isaac le Hollandois.) Voyez le Vitulus aureus igne combustus de Stahl.

Il paroît que l'or & l'argent sont vitrifiables, qu'ils sont dans l'état de verre dans les émaux. (Voyez VITRIFICATION.) Il paroît encore par les expériences faites avec le miroir de Tschirnhausen, ou grande lentille du Palais-royal, (Voyez Mém. de l'Acad. royale des Scienc. 1702.) que ces metaux ont été vitrifiés, même sans addition, du moins évidente. Or la vitrification suppose une calcination : calciner l'or & l'argent, est pourtant encore un problème chimique.

Les produits de cette calcination sont des chaux ou des cendres.

Les chaux métalliques sont plus ou moins parfaites, selon que les substances qui les ont fournies ont été plus ou moins exactement calcinées : elles sont des chaux absolues, si le phlogistique en a été entierement séparé.

Lorsque ces chaux sont volatiles, elles s'appellent fleurs. Voyez FLEURS & SUBLIMATION.

Ma derniere espece de calcination ne differe pas réellement de la précédente, considérée comme détruisant un mixte inflammable. Le caractere générique & essentiel de l'une & de l'autre, ou de la calcination proprement dite, c'est de ne pouvoir être exécutée dans les vaisseaux fermés ; car les mixtes inflammables volatils ne peuvent être qu'élevés dans les vaisseaux fermés, quelque feu qu'on employe ; & les mixtes fixes, tels que sont les sujets de la derniere espece de calcination, peuvent y être actuellement ignés ou embrasés, sans y éprouver aucune espece d'altération, pas même un changement de lieu, dimotionem à loco.

Ces faits n'ont été qu'énoncés jusqu'à présent, sur tout l'inaltérabilité du charbon parfait, celle des métaux dans les vaisseaux fermés. Cette propriété singuliere peut se déduire pourtant par une analogie toute simple de plusieurs phénomenes connus, & très-bien expliqués par les Chimistes, entr'autres par Stahl. C'est par la théorie de la flamme en un mot qu'il faut expliquer les phénomenes de la calcination : car nous ne connoissons que deux especes d'ignition réelle, la flamme & l'embrasement simple : or les corps propres à la calcination restent embrasés dans les vaisseaux fermés sans s'y calciner ; donc ce n'est pas dans l'embrasement simple qu'il faut chercher le méchanisme de cette opération.

Ce méchanisme est sensible dans la destruction des mixtes inflammables humides ou aqueux : l'huile, le soufre, l'esprit-de-vin, le phosphore de Kunckel, ne se décomposent que par l'inflammation : mais les mixtes inflammables secs ou terreux, tels que sont les sujets propres de ma 2e espece de calcination, ne paroissent pas capables de donner une vraie flamme ; on a même fait entrer dans la détermination de leur caractere la propriété de n'en point donner, même à l'air libre, du moins par eux-mêmes : le zinc seul est excepté.

Voici par quelle chaîne de considérations je me crois autorisé à généraliser cette théorie, à l'étendre à tous les sujets de la calcination.

Les charbons qui flambent (je demande grace pour cette expression) lorsqu'ils sont exposés à un courant rapide d'air, sont infiniment plûtôt consumés ou détruits, que lorsqu'ils brûlent sans flamber dans un lieu où l'air n'est point renouvellé, comme dans un fourneau dont le cendrier est fermé, ou dans la casse d'une forge dont le soufflet ne joue point. On ne sauroit attribuer cette différence à la simple augmentation de la vivacité du feu ; c'est la flamme, comme telle, qui la constitue ; car des charbons exposés dans les vaisseaux fermés à un feu dix fois plus fort que celui qui les consume lentement, lorsqu'on les couvre de cendres par exemple, ne les altere pas.

Le zinc ne se calcine qu'en flambant : les substances métalliques qui ne flambent pas par elles-mêmes, le fer, l'étain, le régule d'arsenic, le régule d'antimoine, détonnent ou flambent avec le nitre : or le nitre seul ne flambe jamais ; donc ces substances métalliques contribuent matériellement à la flamme : car d'ailleurs par cette détonation ou cette inflammation, leur calcination, très-lente sans ce secours, est effectuée sur le champ.

Voilà si je ne me trompe, l'énergie de l'inflammation ou de la flamme bien constatée pour la calcination : n'est-il donc pas permis de la regarder comme une ustion avec flamme sensible dans la plûpart des sujets ; cachée, ou même insensible dans la moindre partie, dans les quatre métaux imparfaits, dont deux même flambent avec le nitre, & dans trois demi-métaux dont un seul, le bismuth, ne flambe point avec le nitre ? Voyez FEU.

La calcination des pierres & des terres calcaires, & celle des pierres & des terres gypseuses, sera plus ou moins analogue à l'opération dont je viens restraindre l'idée, à raison du plus ou du moins de combustibilité des parties qu'on dissipe dans la préparation des chaux & des plâtres : des inductions très-bien fondées rangent cette opération, du moins pour les matieres calcaires, dans la classe des calcinations les plus proprement dites. Les parties dures des animaux donnent des chaux par la destruction d'une matiere lymphatique, c'est-à-dire, d'une substance inflammable, qui constituoit leur gluten. Or entre le corps d'un animal le moins dégénéré, une corne, un os récent, & la pierre calcaire la plus déguisée, le marbre, il existe tant d'especes intermédiaires dans lesquelles on distingue évidemment l'espece même des matieres animales dont elles sont formées, & où l'on voit ces matieres plus ou moins détruites, depuis la plus grosse corne d'ammon, jusqu'aux fragmens ou aux semences de coquilles imperceptibles sans le secours de la loupe ou du microscope, qu'il est naturel de conclure de cette ressemblance extérieure, que le gluten des pierres calcaires est en général une matiere animale, qui peut-être un peu dégénérée à la vérité, & que leur calcination est par conséquent une vraie destruction d'une substance inflammable : la conformité des qualités intérieures de toutes ces substances, avec celles des parties dures des animaux, confirme cette analogie. Il en est de même de ces qualités intérieures qui démontrent immédiatement du phlogistique dans les pierres & les terres calcaires, comme dans la craie, le marbre, &c. Voyez TERRE.

La théorie de la calcination des pierres & des terres gypseuses tient moins immédiatement à celle-ci. Voyez TERRE.

Le feu s'applique de différentes façons aux matieres qu'on veut calciner ; ou on expose ces matieres immédiatement à un feu de bois ou de charbon. Cette matiere est la plus usitée dans la préparation des chaux & des plâtres. Voyez CHAUX & PLATRE.

Ou on les expose à la flamme d'un réverbere. L'une & l'autre de ces méthodes est en usage dans les travaux des mines. Voyez GRILLAGE.

Ou enfin on les place dans des vaisseaux plats & évasés, appellés têt, écuelles à rôtir ou scorificatoires, qu'on met sur un feu de charbon, ou sous la moufle du fourneau d'essai. Les calcinations pratiquées dans les laboratoires des Chimistes pour des vûes d'analyse, s'exécutent ordinairement dans ces vaisseaux.

Les regles générales du manuel de ces dernieres opérations sont :

1°. De réduire en poudre grossiere le corps à calciner.

2°. De gouverner le feu de sorte que la matiere n'entre point en fusion, du moins d'éviter la fusion autant qu'il est possible. Cette regle n'est pas absolument générale ; car la fusion favorise la calcination du plomb & de l'étain, & elle ne nuit pas à celle du bismuth, pourvû néanmoins que ce ne soit qu'une fusion commençante.

3°. Si on a laissé fondre sa matiere, ou seulement s'empâter, de la laisser refroidir & de la réduire de nouveau en poudre grossiere.

4°. De remuer souvent la matiere.

5°. Enfin de ménager l'accès libre de l'air, autant qu'il est possible.

Quelques substances métalliques éprouvent par la calcination, dans de certaines circonstances, un changement singulier. Leurs chaux se chargent d'une matiere qui augmente le poids absolu du corps calciné. Cette circonstance est sur-tout très-remarquable dans le minium. Voyez MINIUM.

La calcination vraie peut être considérablement hâtée par le secours du soufre, par celui du nitre, & par celui de l'un & de l'autre employés en même tems.

L'aes ustum, le safran de Mars, communément appellé astringent, &c. sont des chaux préparées par le soufre. Les chaux de cette espece portent le nom générique de safran, crocus. La théorie de cette opération, est précisément la même que celle du grillage des métaux imparfaits & des demi-métaux minéralisés. Voyez GRILLAGE.

Le nitre projetté dans un creuset rougi au feu avec les charbons en poudre, avec la limaille des métaux imparfaits, & avec les demi-métaux solides pulvérisés, ou jettés sur ces substances embrasées, concourt très-efficacement à leur calcination, qui s'opere dans ce cas très-promtement. Lorsque cette calcination se fait avec bruit & flamme manifeste, comme celle du fer, de l'étain, du régule d'antimoine, du zinc, du régule d'arsenic, elle s'appelle détonation. Voyez DETONATION.

Les chaux d'antimoine tirées de l'antimoine crud ordinaire par le secours du nitre, comme l'antimoine diaphorétique préparé avec l'antimoine crud, le safran des métaux, &c. sont dûes au concours du nitre & du soufre.

L'esprit de nitre opere aussi des calcinations vraies. Le fer dissous par l'acide nitreux & abandonné par cet acide à mesure qu'il est attaqué, est une vraie chaux de fer. Voyez FER. Cet acide agit de la même façon sur le zinc, & même un peu sur le bismuth. Voyez les articles ZINC, BISMUTH, & MENSTRUE.

Mais la chaux de cette espece la plus parfaite, une chaux absolue, c'est le produit de l'action de l'acide nitreux sur la partie réguline de l'antimoine, soit qu'on l'applique immédiatement à ce régule, soit qu'on l'applique à l'antimoine crud, ou au beurre d'antimoine pour faire le bézoard minéral.

Glauber a fort ingénieusement observé dans la premiere partie de ses fourneaux philosophiques, que le bézoard minéral & l'antimoine diaphorétique étoient exactement la même chose, & qu'il n'importoit pas que ce diaphorétique fût fait avec l'esprit de nitre ou avec le nitre même corporel. Voyez MENSTRUE, ANTIMOINE & FEU.

Il ne faut pas confondre ces chaux avec les précipités métalliques qui portent le même nom, dont on a parlé plus haut. Cet article est de M. VENEL.


CALCIO(Jeu) il giuoco del calcio : c'est une espece de jeu de ballon fort usité en Italie, sur-tout dans les environs de Florence : on y joue avec bien des formalités & solennités pendant l'hyver. Les jeunes gens qui y jouent se partagent en deux bandes, qui pour se distinguer portent les unes des rubans rouges, d'autres des rubans verds. Chaque bande élit un chef qu'on nomme principe del calcio, qui est pour l'ordinaire un gentilhomme riche. Ce prince ou chef se choisit des officiers, & se forme une cour parmi ceux de sa bande ou de son parti ; il envoye des ambassadeurs au chef qui lui est opposé, & en use comme feroient de vrais souverains. Comme il ne manque jamais d'arriver une rupture, il lui déclare la guerre & va lui livrer bataille, qui n'est point sanglante ; c'est une partie au ballon qui décide de la victoire, & le vainqueur marche la tête haute, aussi content de lui que s'il avoit remporté des lauriers plus sanglans. Cette bataille se livre ordinairement dans la ville de Florence, & ci-devant se donnoit sous les fenêtres du grand-duc.


CALCULS. m. (Mathém. pures) supputation de plusieurs sommes ajoûtées, soustraites, multipliées, ou divisées. Voyez ARITHMETIQUE.

L'erreur de calcul ne se couvre jamais ni par arrêt ni par transaction, &c. Quand on arrête un compte, on sous-entend toûjours sauf erreur de calcul.

L'art de calculer en général, est proprement l'art de trouver l'expression d'un rapport unique, qui résulte de la combinaison de plusieurs rapports. Les différentes especes de combinaisons, donnent les différentes regles de calcul. Cela est expliqué plus au long à l'article ARITHMETIQUE.

Voyez les différentes especes de calcul aux articles ALGEBRE, DIFFERENTIEL, EXPONENTIEL, INTEGRAL, ADDITION, &c.

Plusieurs peuples de l'Amérique, de l'Afrique, & de l'Asie calculent avec des cordes, auxquelles ils font des noeuds.

Le calcul aux jettons se fait aisément, en représentant les unités par les jettons, les dixaines par d'autres jettons, les centaines par d'autres. Par exemple, si je veux exprimer 315 avec des jettons, je mets 3 jettons pour marquer les centaines, 1 pour les dixaines, 5 pour les unités. Voyez DIXAINE, &c. (E)

Le mot calcul vient du latin calculus, qui signifie une pierre, parce que les anciens se servoient de petits cailloux plats pour faire leurs supputations, soit des sommes multipliées ou divisées dans les comptes, soit en Astronomie & en Géométrie. De-là vient que nous avons donné le nom de calcul aux Sciences des nombres, à l'Arithmétique, à l'Algebre. Les Romains s'en servoient encore pour donner les suffrages dans les assemblées & dans les jugemens ; ils marquoient aussi les jours heureux avec une pierre blanche, dies albo notanda lapillo, dit Horace, & les jours malheureux par une pierre noire. Ils avoient emprunté la premiere de ces coûtumes des Grecs qui nommoient ces especes de jettons naturels ; c'étoient d'abord des coquilles de mer, remplacées depuis par des pieces d'airain de la même figure, appellées spondyles. Deux choses distinguoient les calculs ; la forme & la couleur. Ceux qui portoient condamnation étoient noirs & percés par le milieu, les autres étoient entiers & blancs. M. l'abbé de Canaye, dont nous avons déjà parlé à l'article AREOPAGE, avec l'éloge que méritent la finesse de son esprit & la variété de ses connoissances, dit qu'on pourroit regarder la précaution de percer les noirs comme une preuve que les Aréopagites, qui s'en servoient, jugeoient pendant la nuit ; car à quoi bon percer les calculs noirs, si l'on eût pû voir les uns & les autres, & appercevoir, par le secours de la lumiere, la différence de leur couleur ; au lieu qu'en jugeant dans les ténebres il est clair qu'on avoit besoin d'une différence autre que celle de la couleur & relative au tact, pour démêler les calculs de condamnation d'avec ceux qui marquoient l'absolution. On comptoit ces calculs, & le nombre des uns ou des autres décidoit pour ou contre l'accusé.

On se servoit aussi de calculs ou bulletins pour tirer les athletes au sort dans les jeux publics, & les apparier. Voici comme la chose se pratiquoit aux jeux olympiques, au rapport de Lucien dans son dialogue intitulé Hermotime ou des Sectes. " On place, dit-il, devant les juges, une urne d'argent consacrée au dieu en l'honneur de qui se célebrent les jeux. On met dans cette urne des ballotes de la grosseur d'une féve, & dont le nombre répond à celui des combattans. Si ce nombre est pair, on écrit sur deux de ces ballotes la lettre A, sur deux autres la lettre B, sur deux autres la lettre T, & ainsi du reste. Si le nombre est impair, il y a de nécessité une des lettres employées qui ne se trouve inscrite que sur une seule ballote ; ensuite les athletes s'approchent l'un après l'autre, & ayant invoqué Jupiter, chacun met la main dans l'urne & en tire une ballote. Mais un des mastigophores ou porte-verges lui retenant la main, l'empêche de regarder la lettre marquée sur cette ballote jusqu'à ce que tous les autres ayent tiré la leur. Alors un des juges faisant la ronde examine les ballotes de chacun, & apparie ceux qui ont les lettres semblables. Si le nombre des athletes est impair, celui qui a tiré la lettre unique est mis en réserve pour se battre contre le vainqueur ". Mém. de l'Académ. des Bell. Lett. tom. I. & VII. (G)

CALCUL des nombres, signifie, en Méchanique & parmi les Horlogers, l'art de calculer les nombres des roues & des pignons d'une machine, pour leur faire faire un nombre de révolutions donné dans un tems donné. On ne peut parvenir à cela, qu'en modérant la vîtesse des roues par un pendule ou balancier, dont les vibrations soient isochrones. Voy. PENDULE & la fig. 2. & 3. Pl. I. de l'Horlogerie, qui représente un roüage de pendule ; D, la roue de rencontre ; C, la roue de champ ; B, la grande roue, laquelle doit faire un tour en une heure. Le mouvement lui est communiqué par la roue A adossée à une poulie que le poids G fait tourner en tirant en en-bas : cette roue engrene dans un pignon fixe au centre ou sur la même tige que la roue B, qui doit faire un tour en une heure. Cette roue engrene de même dans le pignon fixe sur la tige de la roue de champ C ; cette derniere engrene dans le pignon de la roue de rencontre D, dont la vîtesse est modérée par les vibrations du pendule, qui ne laisse passer qu'une dent de la roue de rencontre à chaque vibration du pendule. Mais comme chaque dent de la roue de rencontre, dans une révolution entiere, frappe deux fois contre les palettes du pendule, il suit que le nombre de vibrations pendant un tour de la roue de rencontre est double de celui des dents de cette roue. Ainsi, si les vibrations du pendule durent chacune une seconde, & que la roue de rencontre ait 15 dents, le tems de sa révolution sera de 30" ou une demi minute. Si on suppose que le pignon x de la roue de rencontre D ait six ailes ou dents, & que la roue de champ qui le mene en ait 24, il est manifeste, vû que les dents du pignon ne passent qu'une à une dans celle de la roue, qu'il faudra, avant que la roue de champ C ait fait un tour, que le pignon x en ait fait quatre, puisque le nombre de ses dents 6 est contenu 4 fois dans le nombre 24 de la roue. Mais on a observé que la roue de rencontre, & par conséquent le pignon x qui est fixé sur la même tige, employe 30" à faire une révolution ; par conséquent la roue de champ C doit employer quatre fois plus de tems à faire une révolution entiere : 30" x 4 = 120"= 2', ainsi le tems de sa révolution est de deux minutes.

Présentement si on suppose que le pignon y fixé sur la roue de champ ait six ailes, & que la roue à longue tige B ait 60 dents, il faudra que le pignon y fasse dix tours avant que la roue B en ait fait un ; mais le pignon y fixé sur la tige de la roue de champ C employe le même tems qu'elle à faire une révolution, & ce tems est de 2'; la roue B en employera donc 10 fois davantage, c'est-à-dire 20' ou 1200" ou vibrations du pendule. Ainsi l'on voit que le tems qu'elle met à faire une révolution, n'est que le tiers de 3600" ou d'une heure, qu'elle devoit employer à la faire. Les nombres supposés sont donc moindres que les vrais, puisqu'ils ne satisfont pas au problème proposé ; ainsi on sent qu'il est nécessaire d'avoir une méthode sûre de trouver les nombres convenables.

Il faut d'abord connoître le nombre des vibrations du pendule que l'on veut employer pendant le tems qu'une roue quelconque doit faire une révolution. Voyez à l'article PENDULE la maniere de déterminer le nombre des vibrations, par cette regle, que le quarré de ce nombre, dans un tems donné, est en raison inverse de la longueur du pendule. Divisez le nombre par deux, & vous aurez le produit de tous les exposans : on appelle les exposans les nombres qui marquent combien de fois une roue contient en nombre de dentures le pignon qui engrene dans cette roue. Ainsi on a une roue de soixante dents & un pignon de six qui y engrene ; l'exposant sera 10 qui marque que le pignon doit faire dix tours pour un de la roue : on écrit les pignons au-dessus des roues, & l'exposant entre deux en cette sorte :

6 = pignon,

10 = exposant,

60 = roue.

Lorsqu'il y a plusieurs pignons & roues, on les écrit à la file les uns des autres, en séparant les exposans par le signe x (multiplié par) dont un des côtés représente la tige sur laquelle est un pignon & une roue, qui ne composant qu'une seule piece, font leur révolution en tems égaux. Exemple :

1, 2, 15, 6, 5, 7 1/2, sont des exposans ou les quotiens des roues divisés par leurs pignons. 7, 7, 8, les pignons. 15, 42, 35, 60, les roues qui engrenent dans les pignons placés au-dessus. Les x marquent comme il a été dit, que le pignon 7 & la roue 15 sont sur une même tige, ainsi que le second pignon 7 & la roue 42, de même le pignon 8 est sur la tige de la roue 35.

Théorème. Le produit des exposans doublé est égal au nombre des vibrations du pendule pendant une révolution de la derniere roue B.

Démonstration. La roue de rencontre 15, ainsi qu'il a été expliqué ci-dessus ne laisse passer qu'une dent à chaque vibration du pendule : mais comme chaque dent passe deux fois sous les palettes du pendule, le nombre des vibrations, pendant une révolution de la roue de rencontre, est le double du nombre de dents de cette roue ; ainsi on doit compter 30 vibrations ou 2 x 15 : mais le pignon 7 fixé sur la tige de la roue de rencontre, fait sa révolution en même tems que la roue fait la sienne ; & il faut qu'il fasse six révolutions pour que la roue 42 en fasse une ; le nombre de vibrations pendant une révolution de cette seconde roue 42, sera donc sextuple de celui du pignon 7 qui employe B x 15 à faire sa révolution ; ainsi la roue 42 employera 2 x 15 x 6 vibrations à faire une révolution entiere. Le second pignon 7 fixé sur la tige de cette roue, employera autant de tems qu'elle à faire une révolution : mais il faut cinq révolutions de ce pignon pour un tour de la roue 35 : ainsi le nombre de vibrations pendant un tour de cette derniere roue, sera (2 x 15 x 6) x 5 vibrations ; le pignon 8 employera le même tems, & la roue 60, 7 1/2 fois davantage, puisqu'il faut que le pignon 8 fasse 7 1/2 tours, pour que la roue 60 en fasse un : ainsi le nombre des vibrations pendant une révolution de cette derniere roue, sera (2 x 15 x 6 x 5) x 7 1/2, ce qui est le produit de tous les exposans multiplié par 2. Ce qu'il falloit démontrer.

Dans un roüage on place ordinairement les plus petits pignons vers l'échappement, & les plus gros vers le moteur : on place de même les roues plus chargées de dentures ; ce qui fait que les plus grands exposans se trouvent vers l'échappement : ainsi dans l'exemple précédent, les roues 35 & 42 devroient changer de place, pour que les exposans allassent en décroissant de A vers B en cette sorte :

ce qui fait un roüage qui peut être employé avec avantage pour toutes les parties. On met le nombre de vibrations ou produit des exposans à la fin, séparé seulement par le signe = en cette sorte :

ce qui exprime le nombre de vibrations pendant une révolution entiere de la derniere roue 63.

Lors donc que l'on se propose de construire un roüage, il faut connoître le nombre de vibrations du pendule qu'on veut appliquer au roüage pendant le tems que l'on veut qu'une roue employe à faire sa révolution. Supposons que ce tems soit une heure, & que le pendule batte les secondes ; c'est-à-dire que chaque vibration soit de la durée d'une seconde, une heure en contient 3600 : ainsi pendant la révolution de la roue qui fera un tour en une heure, le pendule fera 3600 vibrations, & ce nombre 3600 est le double du produit de tous les exposans 2 x r x s x t des roues & des pignons qu'il faut connoître. Divisez le nombre 3600 par 2, il vient 1800, qui est le produit de trois grandeurs inconnues r, s, t, mais que l'on sait devoir aller en décroissant de r à t ; & que l'exposant r qui représente le rochet de la roue de rencontre, peut être double du triple de l'exposant s, qui ne doit surpasser le troisieme t que d'une unité au plus.

Pour trouver ces trois inconnues, on suppose une valeur à la premiere r, & cette valeur est un nombre commode pour être un rochet, & est toûjours un nombre impair pour une roue de rencontre. Supposant que r = 30, on le dégage facilement de l'équation 1800 = r s t, & on a pour la valeur s t, s t = 1800/30 = 60. Présentement, puisque s & t sont égaux ou presqu'égaux, en supposant t = s, on aura l'équation s s = 60 ; donc s = 60 : ainsi il faut extraire la racine quarrée de 60 ; mais comme elle n'est pas exacte, on prend pour exposant la racine du quarré le plus prochain, soit en-dessus ou en-dessous, & on divise le produit s t = 60 par cette racine, & le quotient est l'autre exposant, & le plus grand est celui que l'on met le premier : ainsi dans l'exemple, 64 est le quarré le plus prochain de 60 ; sa racine est 8 ; on divise 60 par 8, il vient 7 4/8 pour l'autre exposant.

On les disposera tous en cette sorte :

2 x 30 x 8 x 7 4/8 = 3600

Présentement il faut trouver les pignons & les roues, ce qui n'est point difficile. Pour 7 4/8 on prendra 8 pour pignon, & pour roue huit fois l'exposant 7 4/8 ; ce qui fait 60. Pour l'exposant 8 on prendra un pignon 7, & la roue sera 56. La troisieme roue, qui est le rochet, est toûjours égale au premier exposant :

On doit observer, 1°. lorsque l'exposant est un mixte, que le pignon doit toûjours être le dénominateur de la fraction du mixte, ou un multiple de ce dénominateur, s'il est trop petit pour être un pignon : 2°. que s'il y avoit trois exposans s t u, non compris le rochet ou la roue de rencontre, on devroit extraire la racine cubique de leur produit : cette racine cubique ou celle du cube le plus prochain, sera un des exposans. (D)

CALCUL, (Medecine) Voyez PIERRE.


CALCULATEURSS. m. pl. (Hist. anc.) nom que les Romains donnoient aux maîtres d'Arithmétique, parce qu'ils montroient d'abord aux enfans à calculer ou compter avec des jettons appellés en latin calculi. Ce terme se trouve dans les anciens jurisconsultes ; & selon d'habiles critiques, il servoit à désigner les maîtres d'Arithmétique de condition libre ; au lieu que par le mot calculones qui s'y rencontre aussi, l'on entendoit les esclaves ou les affranchis de nouvelle date, qui exerçoient la même profession. Tertullien appelle ces maîtres, primi numerorum arenarii, peut-être parce qu'après avoir enseigné aux enfans la maniere de compter aux jettons, ils leur montroient l'Arithmétique en traçant sur le sable les figures des chiffres, à la maniere des anciens géometres. Ordinairement il y avoit un de ces maîtres pour chaque maison considérable, & le titre de sa charge étoit à calculis, à rationibus, c'est-à-dire, officier chargé des comptes, des calculs. (G)


CALCULERv. act. c'est en général appliquer les regles ou de l'Arithmétique ou de l'Algebre, ou les unes & les autres, à la détermination de quelque quantité. Voyez CALCUL. Ainsi

CALCULER, en Hydraulique, est chercher à connoître la force & la vîtesse d'un jet, d'un ruisseau, d'un courant de riviere, ce qui est la même chose que sa dépense. Voyez DEPENSE.

Quand il s'agit du poids de l'eau & de son élévation, voyez ces deux mots & celui de COLONNE. Si l'on veut connoître le contenu d'eau d'un bassin, voyez TOISE DES BASSINS.

On ne se sert point dans l'Hydraulique vulgaire du calcul algébrique ; l'Arithmétique vulgaire lui a été préférée, comme plus familiere à tout le monde. (K)


CALES. f. en Architecture, est un petit morceau de bois mince qui détermine la largeur du joint de lit d'une pierre. Mettre une pierre sur cales, c'est la poser sur quatre cales de niveau & à demeure, pour ensuite la ficher avec un mortier fin. On se sert quelquefois de cales de cuivre ou de plomb pour poser le marbre. (P)

CALE, fond de cale, (Marine) c'est la partie la plus basse d'un navire qui entre dans l'eau sous le franc tillac ; elle s'étend de poupe en proue. Le fond de cale comprend tout l'espace compris depuis la carlingue jusqu'au franc tillac ou premier pont. C'est le lieu où l'on met les munitions & les marchandises. Voyez Pl. IV. fig. 1. n°. 31. le fond de cale & sa distribution, ses cloisons & séparations. Il n'y a point d'usage particulier pour sa distribution, qui se fait suivant la destination du bâtiment.

On tient le fond de cale plus large dans les vaisseaux qu'on destine pour charger à cueillette ou au quintal, que dans les autres ; parce que la diverse matiere des paquets, des tonneaux, des caisses & de toutes les choses qu'on y charge, fait qu'il est plus difficile de les bien arrimer. Voyez ARRIMER, ARRIMAGE, CUEILLETTE.

Dans le combat, si l'on a des prisonniers ou des esclaves contre lesquels on doive être en garde, on les enferme sous le tillac dans le fond de cale.

CALE, donner la cale, (Marine) c'est une sorte d'estrapade en usage parmi les gens de mer, à laquelle on condamne ceux de l'équipage qui sont convaincus d'avoir volé, blasphémé ou excité quelque révolte. Il y a la cale ordinaire & la cale seche. Lorsqu'on donne la cale ordinaire, on conduit le criminel vers le plat bord au-dessous de la grande vergue, & là on le fait asseoir sur un bâton qu'on lui passe entre les jambes, afin de le soulager ; il embrasse un cordage auquel ce bâton est attaché, & qui répond à une poulie suspendue à un des bouts de la vergue. Ensuite trois ou quatre matelots hissent cette corde le plus promtement qu'ils peuvent, jusqu'à ce qu'ils ayent guindé le patient à la hauteur de la vergue ; après quoi ils lâchent le cordage tout-à-coup, ce qui le précipite dans la mer. Quelquefois, quand le crime est tel qu'il fait condamner celui que l'on veut punir à une chûte plus rapide, on lui attache un boulet de canon aux piés. Ce supplice se réitere jusqu'à cinq fois, selon que la sentence le porte ; on l'appelle cale seche, quand le criminel est suspendu à une corde raccourcie, qui ne descendant qu'à quelques piés de la surface de l'eau, empêche qu'il ne plonge dans la mer ; c'est une espece d'estrapade. Ce châtiment est rendu public par un coup de canon qu'on tire, pour avertir tous ceux de l'escadre ou de la flotte d'en être les spectateurs.

Donner la grande cale, ou donner la cale par-dessous la quille, (Marine) c'est une sorte de punition qu'on pratique à la mer parmi les Hollandois. On mene le coupable au bord du vaisseau, & on y attache une corde, au milieu de laquelle il est lié par le milieu du corps, ou bien on amene la vergue sur le vibord ; & ayant mis le coupable sur le bout, on y attache la corde : autour de son corps on met quelque chose de pesant, ou bien on l'attache à ses piés. La corde est aussi longue qu'il faut pour passer sous la quille du vaisseau ; un des bouts en est tenu de l'autre côté par quelques-uns des plus forts matelots de l'équipage, & l'autre bout est celui qui est attaché au vibord ou à la vergue. Le coupable, à l'ordre qu'en donne le quartier-maître, étant jetté à la mer, ceux qui tiennent la corde à l'autre bord du vaisseau, la tirent le plus vîte qu'ils peuvent, desorte qu'il passe avec une grande rapidité dans l'eau sous la quille. On recommence même quelquefois, & on le jette autant de fois que la sentence le porte. Ce châtiment est rude & dangereux ; car le moindre défaut de diligence ou d'adresse de la part de ceux qui tirent la corde, ou quelqu'autre petit accident, peut être cause que celui qu'on tire, se rompe ou bras ou jambes, & même le cou : aussi l'on met ce châtiment au rang des peines capitales. (Z)

CALE (Marine) c'est un abri sur la côte. Voyez CALANGUE.

CALE se dit encore d'un terrein creusé d'une certaine longueur & largeur dans un chantier de construction, préparé en pente douce & s'étendant jusque dans la mer, pour tirer les vaisseaux à terre lorsqu'il est question de les radouber.

On a long-tems agité en France si les cales étoient plus avantageuses pour la construction que les formes ; mais les formes paroissent l'avoir emporté. Le principal inconvénient que l'on trouve dans les cales, c'est que le vaisseau est en danger de tomber sur le côté quand on le tire sur la cale, ou qu'on le remet à l'eau ; & quand le navire reste sur la cale, il ne peut être soûtenu que par les coittes, qui ne pouvant aller d'un bout à l'autre du vaisseau, à cause du relevement des façons de l'arriere & de l'avant, n'en soûtiennent qu'une partie, pendant que le devant & le derriere, qui ne sont soûtenus de rien, souffrent beaucoup. D'ailleurs la cale étant plus étroite que le vaisseau, on ne peut l'épontiller d'un bout à l'autre. Ces inconvéniens ne se rencontrent point dans la forme.

Pour qu'une cale soit dans sa perfection ; il faut que le fond en soit fort solide & extrèmement uni, conservant une pente douce & égale d'environ 6 à 8 lignes par pié ; desorte qu'elle devient extrèmement longue, & peut avoir environ 600 piés de long sur 25 à 30 piés de large. Il faut qu'elle s'étende sous l'eau, de façon qu'il y ait au moins 21 piés d'eau au bout, afin qu'un navire se puisse porter tout entier sur la cale, & que la quille touche d'un bout à l'autre dans le même moment ; car un vaisseau dont une partie touche & l'autre est à flot, souffre beaucoup. Pour rendre le fond de la cale solide, on le fait de grandes caisses maçonnées, qu'il faut avoir attention de poser de façon que le niveau de la pente soit bien conservé : la caisse du bout, qui est la plus avant sous l'eau, est fort difficile à enfoncer. On met sur ce fond un grillage de bois qu'on appelle échelle, qui sert à faire glisser le vaisseau, & y établir des coulisses pour le tirer droit & l'empêcher de varier. On se sert de plusieurs cabestans pour tirer le vaisseau sur la cale, & d'un bâtis de charpente qu'on appelle berceau. Il faut pour le service d'une cale, une échelle, trois berceaux, un pour les grands vaisseaux, un pour les moyens & un pour les petits, & plusieurs cabestans.

CALE, (Marine) ce mot se dit enfin d'un plomb dont on se sert pour faire enfoncer l'hameçon au fond de l'eau dans la pêche de la morue.

CALE, (Marine) terme de commandement qui se fait pour laisser tomber tout-d'un-coup ce que l'on tient suspendu. Cale-tout. (Z)


CALE-BASCARGUEBAS, CAL-BAS, CARQUE-BAS, s. m. (Marine) c'est un cordage qui sert à amener les vergues des pacfis : il est amarré par un bout au racage de l'un de ces pacfis, & par l'autre bout à un arganeau qui est au pié du mât ; & ce cordage est un palan simple.

CALEBAS, (Marine) c'est aussi un petit palan dont on se sert pour rider le grand étai. (Z)


CALEBASSEcucurbita, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs sont faites en forme de cloche ouverte, & pour l'ordinaire découpées de façon qu'elles paroissent être composées de cinq pétales. Les unes de ces fleurs sont stériles, & ne tiennent à aucun embryon ; les autres sont fécondes, & sont portées sur un embryon qui devient dans la suite un fruit cylindrique dans quelques especes, & fait en forme de flacon : dans d'autres ce fruit est ordinairement partagé en six loges remplies de semences applaties, oblongues, émoussées par les deux bouts, échancrées par le plus large. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CALEBASSIERCALEBASSIER

Un arbre d'Amérique dont on ne peut presque se passer dans aucune habitation, est le calebassier. Le lecteur en va juger tout-à-l'heure.

Ses caracteres. Sa fleur est d'une seule piece, faite en forme de cloche, & découpée en divers segmens. Du calice de la fleur s'éleve un pistil qui devient un gros fruit plein de chair, semblable à nos calebasses, revêtu d'une écorce dure & forte, & contenant plusieurs semences faites en coeur.

Description du calebassier. Cet arbre s'éleve à une grande hauteur dans les pays chauds de l'Amérique. Son tronc est tortueux, couvert d'une écorce grise, blanchâtre & raboteuse. Il est divisé en plusieurs branches composées d'autres plus petites, chargées de feuilles. Son bois est plus coriace que dur. Ses feuilles ont quatre, cinq, six pouces de longueur sur un pouce de largeur ; plus larges dans le milieu que par l'une ou l'autre de leurs extrémités ; épaisses, lisses, glabres, d'un verd clair en-dessous, plus obscures en-dessus : elles sont attachées le long des branches les unes après les autres. Ses fleurs qui croissent sur le tronc comme sur les branches, sont d'une seule piece en forme de cloche, approchant assez pour la figure à des roses sauvages écloses à moitié : elles sont longues d'un pouce & demi sur un pouce de largeur, pointillées sur leur surface, & d'une odeur désagréable. Les étamines sont blanches, & le calice de la fleur est verdâtre, à deux feuilles arrondies, du milieu desquelles s'éleve un pistil qui devient un fruit semblable aux calebasses & au potiron, de différente figure & grosseur, revêtu d'une écorce blanchâtre, dure, lisse, épaisse, forte, & renfermant plusieurs graines brunes.

Noms de son fruit. On nomme communément ce fruit macha-mona en Guinée, cuicte dans la Nouvelle-Espagne, & couï dans nos colonies françoises.

On connoît que les calebasses sont mûres, quand la queue qui les attache à l'arbre se flétrit & se noircit : pour lors on les détache de l'arbre. Si on veut s'en servir pour mettre de l'eau ou d'autres liqueurs, on fait près de la queue un trou d'une grandeur convenable, par lequel on jette de l'eau bouillante dans la calebasse pour macérer plus promtement la moëlle ou pulpe dont elle est remplie.

Usage de la coque de ce fruit. Après que cette pulpe est bien macérée, on introduit dans la calebasse un petit bâton, pour rompre entierement cette pulpe & la faire sortir : ensuite on y met encore de l'eau chaude avec du gros sable, que l'on remue fortement pour achever de détacher ce qui peut rester de la calebasse, & en polir le dedans. Quand les calebasses sont ainsi nettoyées & séchées, le vin & les autres liqueurs qu'on y met s'y conservent parfaitement, & ne contractent point de mauvais goût. Lorsqu'on veut séparer une calebasse en deux parties pour en faire deux couis, qui sont propres à une infinité d'usages, on l'environne avec une petite corde que l'on serre fortement à l'endroit où l'on veut couper la calebasse ; & de cette maniere on la separe en deux : mais il faut pour cela qu'elle ne soit ni trop seche, ni trop fraîchement cueillie. Etant ouverte, on la vuide facilement, on en gratte le dedans avec une coquille de moule ou autre, pour le polir.

Les Indiens polissent l'écorce du coui en-dedans & en-dehors, l'émaillent si agréablement avec du roucou, de l'indigo, & autres belles couleurs, que les délicats même peuvent boire & manger sans dégoût dans les divers vaisseaux qu'ils en forment. Ils dessinent & gravent sur la convexité, des compartimens & des grotesques à leur maniere. Ils remplissent les hachures de couleurs assorties ; & leurs desseins sont aussi justes qu'on peut l'attendre de gens qui ne se servent ni de regle, ni de compas. Il y a des curieux qui recherchent ces sortes d'ouvrages, & qui ne les estiment pas indignes d'une place entre les raretés de leurs cabinets.

Ces couis sont d'un usage très-diversifié ; & quoiqu'ils ne soient que de bois, on ne laisse pas que de les employer à y faire chauffer de l'eau. Lorsqu'ils sont rompus, leurs pieces servent à faire des cuillieres : on en fait des écumoires & des passoires, en les perçant avec un petit fer rouge. C'est la vaisselle ordinaire & la batterie de cuisine, tant des Caraïbes que de nos Negres. En un mot le calebassier fournit tout seul la plus grande partie des petits meubles du ménage des Indiens & des habitans étrangers qui demeurent aux îles.

Usages de la pulpe. Mais la pulpe de la calebasse leur est encore plus précieuse que la coque : c'est-là leur grande panacée pour une infinité de maladies ou d'accidens. Dans toute espece de brûlure, ils en font une espece de cataplasme, qu'ils appliquent sur la partie brûlée ou échaudée ; ils renouvellent de tems en tems ce cataplasme, & le maintiennent par un bandage : ils suivent la même méthode pour guérir les maux de tête causés par des coups de soleil. Ils cuisent cette pulpe, ou la macerent dans des cendres chaudes ; & du suc qu'elle fournit, ils en composent des lavemens pour la colique. Ils l'employent encore comme un préservatif contre tout accident dans les chûtes considérables : pour cet effet, ils vont cueillir une calebasse presque mûre, la cuisent sous des cendres chaudes, l'ouvrent ensuite, expriment le suc de la moëlle dans un vase, & le donnent à boire au malade. Ne nous moquons point ici de cette pratique ; cette boisson rafraîchissante vaut mieux en pareil cas que celle de l'infusion des herbes vulnéraires, que plusieurs de nos Médecins ordonnent, & que je trouve recommandée dans les Mémoires de l'Académie des Sciences.

Enfin les habitans de l'Amérique regardent la pulpe du coui comme souveraine pour arrêter les hémorrhagies causées par des blessures, pour prévenir des abcès, pour résoudre des tumeurs par contusion, pour empêcher les défaillances, &c. Les pauvres gens sont excusables de croire à ce prétendu remede : mais nos voyageurs Oviedo, Rochefort, du Tertre, Labat, & tant d'autres, ne se moquent-ils pas de nous quand ils nous vantent les merveilleux effets opérés par la moëlle de calebasse dans les derniers cas dont nous venons de parler ?

Culture du calebassier en Europe. Quoique la pulpe de calebasse ni sa coque ne nous touchent guere en Europe par le peu d'utilité que nous en pouvons tirer, nous avons cependant poussé la curiosité jusqu'à chercher à élever dans nos climats le calebassier d'Amérique, & nous y avons réussi. En voici la méthode enseignée par Miller, & que tout le monde ne connoît pas.

Il faut tenir cet arbre dans un endroit de la serre dont le degré de chaleur soit modéré, par le moyen du thermometre. Il sembleroit qu'étant originaire des pays chauds, il auroit besoin d'une très-forte chaleur : mais on a trouvé par expérience, que la chaleur tempérée lui est beaucoup plus avantageuse. Il demande une terre legere, sablonneuse, de fréquens arrosemens, & beaucoup d'air en été ; autrement il arrive que ses feuilles sont mangées d'insectes, ce qui la défigure étrangement & retarde sa pousse. Il n'y a d'autres moyens de prevenir ce mal ou d'y remédier, que de nettoyer soigneusement les feuilles avec une guenille de laine, de mettre l'arbre en été à un plus grand air, & en hyver dans un endroit plus frais.

On multipliera le calebassier en plantant pendant l'été de ses rejettons dans des pots garnis de bonne terre, & en plongeant ces pots dans un lit de tan d'une chaleur modérée, observant de les arroser & de les abriter pendant le chaud du jour, jusqu'à ce que les rejettons ayent pris racine. Les graines de cet arbre, si on les apporte fraîches dans le fruit même, viendront à merveille en les semant sur des couches chaudes, & en les cultivant comme des ananas. Le calebassier vient mieux de bouture que de graine, & porte bien plûtôt. On en transplante même en Amérique de très-grands & gros, d'un lieu à un autre, avec succès, sans qu'ils en reçoivent le moindre dommage.

De la calebasse d'herbe d'Amérique. Je n'entrerai dans aucun détail sur une autre espece de calebasse commune en Amérique, très-grosse, longue, qu'on seme chaque année, & que les François de nos îles nomment calebasse d'herbe. Ces sortes de calebasses ne sont autre chose que la gourde européenne, plante cucurbitacée dont la racine branchue périt toutes les années, & dont la graine a été portée de l'Europe dans le nouveau monde. Leur écorce ou coque est beaucoup plus épaisse que celle des calebasses d'arbres, mais beaucoup moins durable, parce qu'elle est molle & spongieuse : ce qui fait encore qu'elles contractent aisément un mauvais goût, & qu'elles gâtent ce qu'on y met.

Les curieux trouveront toutes sortes de détails sur le calebassier d'Amérique dans le recueil général des voyages, Oviedo, Marcgrave, du Tertre, Rochefort, Labat, Plumier, & Miller. Cet article est de M(D.J.)


CALEBEou KILBEG, (Géog.) petite ville d'Irlande dans la province d'Ulster, au comté de Dunnegal.


CALEÇONNIERS. m. Les maitres Peaussiers-Teinturiers en cuir prennent la qualité de Caleçonniers, parce que leurs statuts leur donnent pouvoir de passer les cuirs propres à faire des caleçons, qu'ils peuvent aussi fabriquer & vendre dans leurs boutiques. Voyez PEAUSSIER.


CALECOULON(Géog.) petit royaume d'Asie dans l'Inde, sur la côte de Malabar.


CALEDONIEN(OCEAN) Géog. anc. & mod. c'est ainsi qu'on nomme quelquefois la mer qui environne l'Ecosse, qui est une partie de la mer du Nord : elle s'étend depuis le Nord de l'Ecosse jusqu'à la partie méridionale de l'Islande.


CALÉFACTIONS. f. terme de Pharmacie, qui se dit de l'action du feu qui cause de la chaleur, ou l'impulsion que les particules d'un corps chaud impriment sur d'autres corps à la ronde. Voyez CHALEUR.

Ce mot est particulierement usité en Pharmacie, où l'on distingue la caléfaction de la coction ; la caléfaction n'étant en usage que pour exprimer l'action du feu sur quelque liqueur, sans qu'on l'ait fait bouillir. Voyez COCTION & FEU. (N)


CALEMARS. m. se dit, dans l'Ecriture, d'un vase de plomb ou de verre plein d'encre, qu'on a placé au milieu d'une éponge mouillée, dans un plateau de fayence ou de bois. On donne aussi le nom de calemar à un vaisseau de crystal, à peu-près de la forme d'un alambic, excepté que le bec de celui-ci tend en-bas, & celui-là en-haut. On l'appelle plus communément cornet à lampe.


CALEMBERG(Géog.) principauté d'Allemagne dans la basse-Saxe, qui fait partie du duché de Brunswick : on l'appelle ordinairement le pays de Hanovre.


CALENCARDSS. m. pl. (Commerce) toiles peintes qui viennent des Indes & de Perse : ce sont les plus estimées des indiennes.


CALENDARIS(Myth.) surnom donné à Junon, à qui les calendes de chaque mois étoient consacrées, & qu'on honoroit dans ces jours par des sacrifices.


CALENDER-HERREou FRERES DES CALENDES, (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on appelloit il y a quelques siecles, une société ou confrairie de laïques & d'ecclésiastiques, établie dans presque toutes les principales villes de l'Allemagne. Le nom de freres des Calendes leur fut donné, parce qu'ils s'assembloient le premier jour de chaque mois, que les Latins nomment calendae : chacun apportoit à ces assemblées de l'argent, qui étoit destiné à prier pour les morts, & à être employé en aumônes. Cette espece de société n'a plus lieu aujourd'hui.


CALENDERSS. m. pl. (Hist. mod.) espece de derviches ou religieux mahométans, répandus surtout dans la Perse & dans les Indes ; ainsi nommés du Santon Calenderi, leur fondateur. C'est une secte d'Epicuriens qui s'adonnent aux plaisirs au-moins autant qu'aux exercices de la religion, & qui usant de toutes les commodités de la vie, pensent aussi bien honorer Dieu par-là que les autres sectes par leurs austérités ; en général, ils sont habillés simplement d'une tunique de plusieurs pieces, piquée comme des matelats. Quelques-uns ne se couvrent que d'une peau d'animal velue, & portent au lieu de ceinture un serpent de cuivre, que leurs maîtres ou docteurs leur donnent quand ils font profession, & qu'on regarde comme une marque de leur science. On les appelle abdals ou abdallas, c'est-à-dire en persan ou en arabe, gens consacrés à Dieu. Leur occupation est de prêcher dans les marchés & les places publiques ; de mêler dans leurs discours des imprécations contre Aboubekre, Omar, & Osman, que les Turcs honorent, & de tourner en ridicule les personnages que les Tartares Usbegs reverent comme des saints. Ils vivent d'aumônes ; font le métier de charlatans, même celui de voleurs, & sont très-adonnés à toutes sortes de vices : on craint autant leur entrée dans les maisons, que leur rencontre sur les grands chemins ; & les magistrats les obligent de se retirer dans des especes de chapelles bâties exprès proche des mosquées. Les Calenders ressemblent beaucoup aux Santons des Turcs. Voyez SANTON. (G)


CALENDESS. f. pl. calendae, c'étoit dans la chronologie romaine, le premier jour de chaque mois. Voyez MOIS.

Ce mot est formé du latin calo, ou plûtôt du grec , j'appelle ou je proclame, parce qu'avant la publication des fastes romains, une des charges des pontifes étoit d'observer la nouvelle lune, & d'en donner connoissance au rex sacrificulus : alors, après avoir offert un sacrifice, le pontife ajournoit le peuple au capitole, & là il publioit à haute voix le nombre des calendes, ou quel jour seroient les nones ; ce qu'il faisoit en répetant cette formule, calo juro novellae, autant de fois qu'il y avoit de jours de calendes. C'est de-là qu'est venu le mot calendae, de calo, calare, appeller ou publier. C'est la raison qu'en donne Varron. Plutarque, & après lui Gaza, dérivent ce mot de clam, quia luna calendis clam sit ; mais cela paroît cherché trop loin : d'autres font venir ce nom de ce que le peuple étant assemblé ce jour-là, le pontife nommoit ou publioit les jours de fêtes qui devoient arriver dans le mois. Cette coûtume continua jusqu'à l'an de Rome 450, où Caius Flavius édile curule ordonna que l'on affichât les fastes ou le calendrier dans les places publiques, afin que tout le monde pût connoître la différence des tems & le retour des fêtes. Voyez FASTES.

Les calendes se comptoient à reculons, ou dans un ordre rétrograde : ainsi, par exemple, le premier de Mai étant les calendes de Mai, le dernier ou le trentieme d'Avril étoit le pridie calendas ou le second des calendes de Mai ; le vingt-neuf d'Avril, le troisieme des calendes, ou avant les calendes, & ainsi de suite en rétrogradant jusqu'au treizieme, où commençoient les ides que l'on comptoit pareillement en rétrogradant jusqu'au cinquieme qui étoit le commencement des nones ; elles se comptoient toûjours de même jusqu'au premier jour du mois, qui étoit les calendes d'Avril. Voyez NONES & IDES.

On a renfermé dans les vers suivans les regles du comput par calendes.

Prima dies mensis cujusque est dicta calendae ;

Sex Maius nonas, October, Julius & Mars

Quatuor at reliqui : dabit idus quilibet octo.

Inde dies reliquos omnes dic esse calendas,

Quos retro numerans dices à mense sequente.

Pour trouver le jour des calendes qui répondent à chaque jour du mois où l'on est, voyez combien il y a encore de jours du mois qui restent, & ajoûtez deux à ce nombre. Par exemple, supposons que l'on soit au vingt-deux d'Avril, c'est donc le 10e des calendes de Mai : car Avril a 30 jours ; & 22 ôtés de 30, donnent 8 pour reste, auquel ajoûtant 2, la somme est 10. La raison pour laquelle on ajoûte 2, c'est que le dernier du mois s'appelle secundo calendas, d'où il s'ensuit que le pénultieme ou le 29e doit s'appeller tertio calendas, l'antépenultieme ou le 28e quarto calendas, & ainsi de suite. Or si de 30 on ôte 29, il reste 1, auquel par conséquent il faut ajoûter 2 pour avoir le tertio calendas : de même si de 30 on ôte 28, il reste 2 auquel il faut ajoûter 2 pour avoir le quarto calendas, &c.

Les auteurs romains ne savent pas trop eux-mêmes la raison de cette maniere absurde & bizarre de compter les jours du mois, néanmoins on s'en sert encore aujourd'hui dans la chancellerie romaine ; & quelques auteurs, par une affectation frivole d'érudition, la préferent à la méthode commune qui est bien plus naturelle & plus aisée. Voyez AN, NONES, JOUR, IDES.

Cette maniere de compter par calendes étoit si particuliere aux Romains, qu'elle a donné lieu à une espece de proverbe encore en usage aujourd'hui : on dit qu'on fera une chose aux calendes greques, pour dire qu'on ne la fera jamais, parce que les Grecs ne comptoient point par calendes. Chambers.


CALENDRES. m. machine qui sert à tabiser & à moirer certaines étoffes, & à cacher les défauts des toiles & de quelques autres étoffes. Cette machine qu'on voit fig. 2. Pl. XI. des manufactures en soie, est composée de deux montans AB, ab, fixés en Aa, dans un bâtis de gros bois de charpente, ou dans un massif de pierre C D c d, ce massif est couvert d'un grand bloc de marbre E A F e a f qui embrasse par chacun de ses bouts un des montans, & descend ensuite en plans inclinés : les deux plans inclinés sont séparés par une grande surface plane : ce marbre s'appelle la table inférieure de la calendre : sa partie plane H h est garnie d'une plaque de cuivre d'un pouce d'épaisseur ; les montans A B, a b, sont ouverts selon la longueur de la calendre, chacun de deux ouvertures i i, k k ; I I, K K. Les trois ouvertures k k, K K, I I, sont chacune garnies d'une poulie ; les montans sont encore consolidés par une traverse B b : on remarque à celui qui est marqué A B, un boulon percé dans son milieu, & tenu par deux pitons cloüés sur les côtés du montant. On voit sur la table deux rouleaux L, l, & sur ces rouleaux une forte piece de bois O M N n o p, dont la surface inférieure M N n m, imite celle de la table ; ses extrémités M N, m n, sont coupées en plans inclinés, & sa partie N d est plate & garnie pareillement d'une table de cuivre d'un pouce au moins d'épaisseur ; à chaque extrémité de cette piece de bois, sur le milieu, est assemblé perpendiculairement un montant O P, o p ; chacun de ces montans O P, o p, est percé de deux ouvertures, selon la longueur de la calendre, q q, r r, Q Q, R R ; & il y a dans chacune de ces quatre ouvertures une poulie ; les extrémités supérieures des montans O P, o p, sont consolidées & soûtenues par une forte barre de fer P p qui les traverse. Sur le bois O M N n m o est assis un massif de pierre de taille u s t V S T du plus grand poids. A l'une des extrémités de la calendre est un plancher A B C D. Sur le milieu de ce plancher est arrêté une espece de treuil ou tourniquet F G H E, à la partie supérieure duquel, au-dessous du tambour, est adapté un levier ou bras ou aisselier I K, qui porte à son extrémité K un bout de traverse armé de deux pitons ou anneaux L L. Une corde attachée au boulon x passe sous la poulie Q Q, revient dessus la même poulie, passe sous la poulie I I, revient dessus la même poulie, passe sous la poulie R R, revient dessus la même poulie, passe sous la poulie K K, revient dessus la même poulie, & se rend sur le tambour supérieur G du tourniquet F E. Une corde fixée à la broche y passe dessous la poulie r r, revient dessous la même poulie, passe dessus la poulie k k, revient dessous la même poulie, passe dessus la poulie q q, revient dessous la même poulie, traverse le montant a b par l'ouverture i i, & se rend sur le tambour inférieur H du tourniquet F E, sous le plancher A B C D. La corde x & la corde y s'enveloppent sur leurs tambours, chacune en sens contraire. Si donc on attelle un cheval au bras I K, & qu'il fasse envelopper la corde x G sur le tambour G ; la masse M N n m & tout son équipage avancera dans la direction m M, & à mesure que la corde x G s'enveloppera sur le tambour G, la corde y H se developpera de dessus le tambour H. Si la corde x G se développe de dessus son tambour G, la corde y H s'enveloppera sur le sien, & la masse M N n m & tout son équipage reviendra dans la place M n. On a donc par ce méchanisme le moyen de faire aller & venir la masse M N n m & toute sa charge ; & cette machine est ce qu'on appelle une calendre.

L'usage de cette machine est, comme nous avons dit, de tabiser & de moirer, on entend par moirer, tracer sur une étoffe ces sillons de lustre qui semblent se succéder comme des ondes qu'on remarque sur certaines étoffes de soie & autres, & qui s'y conservent plus ou moins de tems ; & il n'y a de différence entre tabiser & moirer, que celle qui est occasionnée par la grosseur du grain de l'étoffe ; c'est-à-dire que dans le tabis, le grain de l'étoffe n'étant pas considérable, les ondes se remarquent moins que dans le moiré où le grain de l'étoffe est plus considérable. L'opération de la calendre n'est pas entierement la même pour toutes les étoffes, & l'on ne moire pas précisément comme l'on tabise : pour moirer on prend un coutil, & un rouleau L ou l, comme on le voit sous la calendre ; on fait faire au coutil un tour sur le rouleau ; on plie l'étoffe à moirer en deux selon sa longueur, ensorte que la lisiere se trouve sur la lisiere. Puis on la met en zig-zag, ensorte que l'étendue de chaque zig-zag soit à-peu-près celle du rouleau, & que chaque pli couvre en partie celui qui le précede, & soit couvert en partie par celui qui le suit, comme on voit même Pl. fig. 2. A B est le rouleau ; 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, &c. sont les zig-zags de l'étoffe. On enveloppe l'étoffe ainsi pliée en zig-zag sur le rouleau, observant de serrer chaque tour à force de bras, les uns contre les autres, par le moyen du coutil ; & l'on continue de plier en zig-zag, & d'envelopper jusqu'à la fin de la piece. On ne met guere sur un rouleau plus de trente à trente-cinq aunes de gros grain, comme moire, cannelé, & autres semblables, & guere plus de cinquante aunes, si c'est un petit grain ; le coutil qui enveloppe n'en a pas plus de six, sur trois quarts de large. On appelle fourreau, cette enveloppe de coutil qui suit tous les tours de l'étoffe en zig-zag sur le rouleau. Il faut observer quand on roule la piece à moirer de mettre la lisiere en face de soi, & de mouiller la tête du fourreau, afin d'arrêter l'étoffe & le fourreau sur le rouleau.

Lorsque le rouleau est ainsi chargé, on le fait passer sous la calendre, & on lui en donne vingt-cinq tours. On entend par un tour une allée & une venue, c'est-à-dire qu'on fait aller & venir la masse M N n m avec sa charge vingt-cinq fois. On retire ensuite le rouleau, on déroule l'étoffe, puis on la remet en zig-zag, mais de maniere que les parties de l'étoffe, qui faisoient l'extrémité des premiers zigzags, fassent le milieu de ceux-ci. Cela fait, on la remet sous la calendre, & on lui donne encore quinze tours, après lesquels on retire le rouleau, on développe l'étoffe, & on la dresse : la dresser, c'est la mettre en plis égaux d'une demi-aune, mais non pas en zig-zag, sans toutefois l'ouvrir ; quand elle est dressée, on la presse à chaud. La presse des Calendriers n'a rien de particulier : on a des plaques de fer chaud de la grandeur de l'étoffe pliée ; on met une plaque de fer chaud tiede, on la couvre d'une feuille de carton ; on met l'étoffe pliée sur ce carton ; on met une autre plaque de fer chaud sur l'étoffe avec une autre feuille de carton, & on serre le tout à force de bras. Cette précaution de presser à chaud l'étoffe moirée, fait tenir l'onde plus long-tems ; sans la presse, l'humidité agiroit tellement sur les ondes, qu'elle les effaceroit dans les envois qu'on fait au loin des étoffes moirées. On presse tous les draps à plaque chaude, excepté l'écarlate.

Il s'ensuit de ce qui précede, que la moire n'est ni un effet du travail de l'étoffe, ni un effet de la teinture ; que ce n'est autre chose que les différentes impressions des plis de l'étoffe sur elle-même ; ces plis appliqués sur l'étoffe par un poids immense, en écrasent le grain en zig-zag, & forment en entraînant le rouleau, ces ondes ou reflects de lumiere qui frappent si agréablement les yeux. Le massif de pierre u s t, V S T, est ordinairement de vingt-six à vingt-sept mille livres pesant : on le pousse à la calendre royale jusqu'à quarante mille.

Pour tabiser, on plie en deux, mais on ne fait point de zig-zag ; on se contente de bien rouler l'étoffe sur elle-même, & de bien serrer les tours les uns sur les autres. L'étoffe étant foible, si on la mettoit en zig-zag comme pour moirer, elle ne pourroit soûtenir l'impression des plis appliqués par le poids, sans s'érailler & même se déchirer. Quand on presse les étoffes tabisées, c'est à froid ; on observe seulement d'en séparer chaque lit par les planches.

Mais soit moire, soit tabis, les étoffes ne passent qu'une nuit sous la presse.

Les belsamines qui sont fil & soie se tabisent seulement. On ne met les damas sur fil à la calendre que pour les unir, leur donner plus d'oeil, les faire paroître serrés, & les allonger. L'allongement est de trois aunes sur quarante, selon toutefois que la chaîne a été plus ou moins tendue, & la trame plus ou moins frappée. Les étoffes de Paris, les satins sur coton, la papeline, s'étendent à la calendre : mais quand cette derniere est déroulée, elle se remet dans le même état : ce qui est commun à toutes les étoffes en laine. Il y a des camelots qui se moirent, mais c'est à force de calendre & de presse à feu. On calendre les toiles à carreaux & les toiles de coton ; les toiles de coton, pour les faire paroître serrées. Les toiles à carreaux s'étendent beaucoup & ne se remettent pas. La calendre écrase les fleurs des siamoises à fleurs & d'autres étoffes figurées, & les empêche d'avoir du relief. Les siamoises à raies sont exposées à un inconvénient sous la calendre, c'est de faire serpenter leurs raies. On donne à ces étoffes & aux toiles à carreaux, dix à douze tours, en deux reprises ; après les six premiers tours, elles se lâchent tellement sur le rouleau qu'il faut les resserrer. On donne plus ou moins de tours, selon que l'étoffe est plus ou moins dure. Les papelines ne se pressent point ; il faut les tenir roulées, afin qu'elles ne se retirent pas. On presse les toiles à carreaux, à coton ; mais on observe d'avoir des ais & de les rouler dessus ; autant de pieces, autant d'ais. Les siamoises & les toiles communes se pressent seulement, cueillies ou faudées, c'est-à-dire plis sur plis.

Il n'est permis qu'aux maîtres Teinturiers d'avoir des calendres. On paye la moire deux sous par aune ; les belsamines, un sou ; les tabis, six blancs ou deux sous ; les autres étoffes, à peine un liard ; les toiles communes, un liard.

Les rouleaux dont on se sert sont de charme ; ils ont trois piés huit pouces de long, y compris les pommes ou poignées, sur six à sept pouces de diametre. Ils servent tout au sortir des mains du tourneur ; ils ne sont pas tous également bons : les filamenteux & blancs sont préférables aux durs & roux. Ces premiers ne se paîtrissent ni ne se cassent. S'il arrive à un rouleau de s'écraser, il faut arrêter sur le champ la calendre ; sans cela, les fragmens du rouleau couperoient l'étoffe.

Quand les pieces ont peu d'aunage, on les calendre les unes sur les autres ; le moins qu'on en puisse calendrer à la fois, c'est douze ou quinze aunes, quand elles ne se doublent pas ; & sept à huit aunes, quand elles se doublent ou plient en deux. Toutes les étoffes ne se serrent pas sur le rouleau également bien. Quand on les apperçoit lâches, il faut les dérouler. Pour empêcher les pieces de se décharger les unes sur les autres, ou on les fait seules, ou on les sépare par des papiers blancs sur le même rouleau. Quand on a des rouleaux neufs, il est à propos de les faire travailler d'abord avec des pieces qui soient en largeur de toute la longueur de ces rouleaux. Il arrive d'en perdre jusqu'à vingt, trente, quarante en une semaine.

Lorsqu'on s'apperçoit qu'il se forme un bourlet à l'étoffe moite, ou qu'étant seche & la calendre glissant dessus, le rouleau se dérange, on le remet en place avec une mailloche ; ce qui s'appelle en terme de l'art, châtier le rouleau.

Mais la maniere dont on fait mouvoir la masse M N, n m, avec sa charge, n'est pas la seule qui soit en usage. Il y a des calendres ou la piece de bois M N, n m, est toute plate, comme on voit même Pl. fig. 3. La table inférieure est terminée à ses deux extrémités G g en plans inclinés ; il y a à la masse u s t, U S T, deux anneaux P p ; il passe dans ces deux anneaux deux crochets R r ; ces crochets sont attachés aux extrémités de deux cables, dont l'un se roule sur l'arbre X X ; quand l'autre se développe, on fait tourner l'arbre X X, par la grande roue Y Y, dans laquelle des hommes montent, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; ce qui fait aller & venir la masse M N, n m, avec sa charge & ses rouleaux L l qu'elle presse ; quand on veut retirer les rouleaux, on fait avancer la masse M N, n m, vers l'une des extrémités de la table G g, jusqu'à ce que la partie de cette masse, qui correspond à un des plans inclinés, étant plus lourde que l'autre, & l'emportant en haut, comme on voit dans la figure, elle n'appuie plus dessus le rouleau.

Il y a à Paris deux calendres royales, la grande & la petite ; la grande a sa table inférieure d'un marbre bien uni, & la supérieure d'une plaque de cuivre bien polie : la petite a les deux tables de fer ou d'acier bien poli ; au lieu que les calendres ordinaires des Teinturiers n'ont que des tables de bois.

Avant M. Colbert il n'y avoit point de calendre en France ; c'est à l'amour que ce grand ministre avoit pour les arts & pour les machines utiles, que nous devons les premieres calendres.

On prétend que la calendre à roue est meilleure que la calendre à cheval, parce qu'elle a le mouvement plus égal & plus uni ; reste à savoir si un peu d'irrégularité dans le mouvement est un desavantage, quand il s'agit de former des ondes sur une étoffe.


CALENDREURS. m. (Commerce) c'est ainsi qu'on appelle dans quelques manufactures, l'ouvrier qui met les étoffes sous la calendre.


CALENDRIERS. m. (Hist. & Astron.) c'est une distribution de tems accommodée aux usages de la vie ; ou bien c'est une table ou un almanach qui contient l'ordre des jours, des semaines, des mois, des fêtes, &c. qui arrivent pendant le cours de l'année. Voyez TEMS, ANNEE, MOIS & FETE.

Il a été appellé calendrier, du mot calendae, que l'on écrivoit anciennement en gros caracteres au commencement de chaque mois. Voyez CALENDES.

Le calendrier romain, qui est encore en usage, doit son origine à Romulus : mais depuis il a subi différentes réformes. Ce législateur distribua le tems en différentes périodes, pour l'usage du peuple qui vivoit sous son gouvernement : mais comme il étoit beaucoup plus versé dans la guerre que dans les matieres astronomiques, il ne divisa l'année qu'en dix mois, qui étoient alternativement de trente-un & de trente jours : elle commençoit le premier de Mars ; & Romulus croyoit qu'au moyen de cette distribution l'année recommençoit toûjours au printems, s'imaginant que le soleil parcouroit toutes les saisons dans l'espace de trois cent quatre jours, au lieu qu'en effet il s'en falloit soixante-un jours que cette année ne s'accordât avec la vraie année solaire.

Le calendrier de Romulus fut réformé par Numa, qui y ajoûta deux mois de plus, Janvier & Février, qu'il plaça avant le mois de Mars. De plus Numa ordonna que le mois de Janvier auroit vingt-neuf jours, Février vingt-huit, & les autres mois alternativement trente-un & vingt-neuf, excepté Août & Septembre, qui en avoient vingt-neuf chacun ; de maniere que l'année de Numa consistoit en trois cent cinquante-cinq jours, & commençoit au premier de Janvier. Il s'en falloit dix jours par an, & quarante-un jours au bout de quatre ans, que cette année ne s'accordât avec le cours du soleil ; & l'année greque lunaire, qui étoit de trois cent cinquante-quatre jours, donnoit en quatre ans quarante-cinq jours d'erreur. Cependant Numa, à l'imitation des Grecs, aima mieux faire une intercalation de quarante-cinq jours, qu'il divisa en deux parties, intercalant un mois de vingt-deux jours à la fin de chaque deuxieme année, & à la fin de deux autres années suivantes un autre mois de vingt-trois jours. Il appella ce mois ainsi interposé, le macédonien ou le Février intercalaire.

On ne fut pas long-tems sans s'appercevoir du défaut de cette intercalation, & on y ordonna une réforme. Voyez AN.

Mais cette réforme étant mal observée par les pontifes auxquels Numa en confia le soin, occasionna de grands desordres dans la constitution de l'année.

César, en qualité de souverain pontife, tâcha d'y remédier. Dans cette vûe il s'adressa à Sosigenes, célebre astronome de son tems. Cet astronome trouva que la distribution du tems dans le calendrier ne pourroit jamais être établie sur un pié bien sûr, sans avoir auparavant observé avec beaucoup de soin le cours annuel du soleil ; & comme le cours annuel du soleil ne s'acheve qu'en trois cent soixante-cinq jours six heures, il réduisit l'année à ce même nombre de jours. L'année de cette correction du calendrier fut une année de confusion ; car on fut obligé, afin d'absorber l'erreur de soixante-sept jours dans laquelle on étoit tombé, & qui étoit cause de la confusion, d'ajoûter deux mois outre le macédonien, qui se trouvoit avoir lieu dans cette même année ; de maniere qu'elle fut composée de quinze mois, ou de quatre cent quarante-cinq jours. Cette réformation se fit l'an de Rome 708, quarante-deux ou quarante-trois ans avant J. C.

Le calendrier romain, que l'on appelle aussi calendrier julien, du nom de Jules César son réformateur, est disposé en périodes de quatre années. Les trois premieres années, qu'on appelle communes, ont trois cent soixante-cinq jours ; & la quatrieme, nommée bissextile, en a trois cent soixante-six, à cause des six heures qui, dans l'espace de quatre ans, composent un jour. Il s'en faut à la vérité quelque chose : en effet, après un espace de cent trente-quatre ans, il faut retrancher un jour intercalaire. Ce fut pour cette raison que le pape Grégoire XIII. suivant les conseils de Clavius & de Ciaconius, ordonna que la centieme année de chaque siecle ne seroit point bissextile, excepté celle de chaque quatrieme siecle ; c'est-à-dire que l'on feroit une soustraction de trois jours bissextiles dans l'espace de quatre siecles, à cause des onze minutes qui manquent dans les six heures dont la bissextile est composée. Voyez BISSEXTILE.

La réformation du calendrier, ou le nouveau style, ainsi qu'on l'appelle en Angleterre, commença le 4 Octobre 1582, où l'on retrancha tout-d'un-coup dix jours qui, faute d'avoir tenu compte des onze minutes, s'étoient introduits dans le comput depuis le concile de Nicée en 325 : ce concile avoit fixé l'équinoxe paschal au 21 de Mars.

Le calendrier Julien des Chrétiens est celui dans lequel les jours de la semaine sont déterminés par les lettres A, B, C, D, E, F, G, au moyen du cycle solaire ; & les nouvelles & pleines lunes, particulierement la pleine lune de Pâque, avec la fête de Pâque & les autres fêtes mobiles qui en dépendent, par celui des nombres d'or, disposés comme il faut dans tout l'espace de l'année julienne. Voyez NOMBRE D'OR & CYCLE SOLAIRE.

On suppose dans ce calendrier, que l'équinoxe du printems est fixé au vingt-unieme de Mars (V. EQUINOXE), & que le cycle de dix-neuf ans, ou les nombres d'or indiquent constamment les lieux des nouvelles & pleines lunes ; cependant l'une & l'autre de ces suppositions est erronée (voyez CYCLE) : aussi cette erreur fit naître une fort grande irrégularité dans le tems de la Pâque.

Pour démontrer cette erreur d'une maniere plus évidente, appliquons cette méthode de comput à l'année 1715, où l'équinoxe du printems tomboit au 20 de Mars, suivant le vieux style, & au 21, suivant le nouveau. La vraie pleine lune d'après l'équinoxe tomboit au 7 d'Avril ; ainsi c'étoit trois jours trop tard par rapport au cycle lunaire ou nombre d'or, qui donnoit cette année la pleine lune paschale le 10 d'Avril : or le 10 d'Avril se trouvant un dimanche, la Pâque doit être remise au 17, suivant la regle ; ainsi la Pâque qui devroit être le dixieme d'Avril, ne seroit que le dix-septieme. L'erreur consiste ici dans la post-position de la pleine lune : ce qui vient du défaut du cycle lunaire. Si la pleine lune eût tombé le onzieme de Mars, Pâque auroit tombé le treizieme du même mois ; ainsi l'erreur qui vient de l'anticipation de l'équinoxe, auroit excessivement augmenté celle qui procede de la post-position. Voyez METEMPTOSE.

Ces erreurs étoient si multipliées par la succession du tems, que Pâque n'avoit plus aucune régularité dans le calendrier. Ainsi le pape Grégoire XIII. en 1582 retrancha dix jours du mois d'Octobre, pour rétablir l'équinoxe dans sa vraie place, c'est-à-dire au vingt-unieme de Mars. Il introduisit de cette maniere la forme de l'année grégorienne, ordonnant que l'on prendroit toûjours l'équinoxe au vingt-unieme Mars. Ce pape déclara qu'on n'indiqueroit plus les nouvelles & pleines lunes par les nombres d'or, mais par les épactes. Voyez EPACTE. Cependant on suit encore aujourd'hui (en 1749) l'ancien calendrier en Angleterre, sans cette correction ; & c'est ce qui cause une différence de onze jours entre le comput des Anglois & celui de la plûpart des autres nations de l'Europe.

Le calendrier grégorien est donc celui qui détermine les nouvelles & pleines lunes, le tems de la Pâque, avec les fêtes mobiles qui en dépendent dans l'année grégorienne, par le moyen des épactes disposées dans les différens mois de l'année.

C'est pourquoi le calendrier grégorien est différent du calendrier julien, 1°. par la forme de l'année (voy. AN) ; 2°. par les épactes qui ont été substituées au lieu des nombres d'or : quant à leur usage & à leur disposition, voyez EPACTE.

Quoique le calendrier grégorien soit préférable au calendrier julien, il n'est pas cependant sans défaut : peut-être n'est-il pas possible, ainsi que le conjecturent Cassini & Tycho-Brahé, de porter ce comput à une justesse qui ne laisse rien à désirer ; car premierement l'intercalation grégorienne n'empêche pas que l'équinoxe n'arrive après le vingt-unieme de Mars : ce n'est quelquefois que le vingt-troisieme, & quelquefois l'équinoxe anticipe en tombant le dix-neuvieme ; la pleine lune qui tombe le vingtieme de Mars, est alors la vraie lune paschale : néanmoins dans le calendrier grégorien on ne la compte pas pour telle. D'un autre côté, dans ce calendrier on prend pour la lune paschale la pleine lune du vingt-deuxieme de Mars, qui cependant n'est point paschale lorsqu'elle tombe avant l'équinoxe : ainsi dans chacun de ces deux cas le calendrier grégorien induit en erreur. De plus, le comput par épactes étant fondé sur les lunes moyennes, qui peuvent néanmoins précéder ou suivre les vraies lunes de quelques heures, la pleine lune de Pâque peut tomber un samedi, lorsque l'épacte la met au dimanche ; & au contraire l'épacte peut mettre au samedi la pleine lune qui est le dimanche : d'où il suit que dans le premier cas la Pâque est célébrée huit jours plus tard qu'elle ne doit être ; dans le second cas elle est célébrée le vrai jour de la pleine lune, avec les Juifs & les hérétiques quarto-décimans, condamnés pour de bonnes raisons par le concile de Nicée ; ce qui est, dit M. Wolf, un inconvénient fort à craindre. Scaliger fait voir d'autres défauts dans le calendrier grégorien. C'est ce calendrier que suivent les Catholiques romains, & même la plûpart des Protestans. Voyez les articles EPACTE & PASQUE.

Le calendrier réformé ou corrigé, est celui où sans s'embarrasser de tout l'appareil des nombres d'or, des épactes, des lettres dominicales, on détermine l'équinoxe, avec la pleine lune de Pâque & les fêtes mobiles qui en dépendent, par les calculs astronomiques, suivant les tables rudolphines.

Ce calendrier fut introduit dans les états protestans d'Allemagne l'an 1700, où l'on retrancha tout-d'un-coup onze jours du mois de Février ; de maniere qu'en 1700 Février n'eût que dix-huit jours : par ce moyen le style corrigé revint à celui du calendrier grégorien. Les protestans d'Allemagne ont ainsi reçû pour un certain tems la forme de l'année grégorienne, jusqu'à ce que la quantité réelle de l'année tropique étant enfin déterminée par observation d'une maniere plus exacte, les Catholiques romains puissent convenir avec eux d'une forme plus exacte & plus commode.

Construction d'un calendrier ou d'un almanach. 1°. Calculez le lieu de la lune & du soleil pour chaque jour de l'année, ou bien prenez-les dans les éphémérides. Voyez SOLEIL & LUNE. 2°. Trouvez la lettre dominicale, & par son moyen divisez le calendrier en semaines. Voyez LETTRE DOMINICALE. 3°. Calculez le tems de la Pâque, & déterminez par-là les autres fêtes mobiles. Voyez PASQUE. 4°. Ecrivez aux jours marqués les fêtes immobiles, avec les noms des saints qu'on y célebre. 5°. Marquez à chaque jour le lieu du soleil & de la lune, avec leur lever & leur coucher ; la longueur du jour & de la nuit, le crépuscule & les aspects des planetes. 6°. Mettez aux endroits qui conviennent les principales phases de la lune. Voyez PHASE. Mettez-y aussi l'entrée du soleil dans les points cardinaux, c'est-à-dire dans les solstices & dans les équinoxes, avec le lever & le coucher des planetes, particulierement leur lever & leur coucher héliaque, & ceux des principales étoiles fixes. On trouvera les méthodes pour ces différens calculs, aux articles qui leur sont particuliers.

La durée des crépuscules, c'est-à-dire la fin de l'après-midi & le commencement du matin, avec le lever & le coucher du soleil, & la longueur des jours ; tout cela peut être transporté des calendriers d'une année dans ceux d'une autre, la différence étant trop petite dans chaque année, pour être de quelque considération dans l'usage civil.

Ainsi la construction d'un calendrier n'a rien en soi de fort difficile, pourvû que l'on ait sous la main des tables des mouvemens célestes. V. EPHEMERIDES.

Le calendrier gélaléen est une correction du calendrier persan ; elle fut faite par l'ordre du sultan Gélaleddan, la 467e année de l'hégire, & de J. C. 1089. La correction du calendrier ordonnée par ce sultan est telle, qu'elle donne fort exactement la grandeur de l'année. Voyez AN.

Dans le calendrier des Juifs il y a un cycle de dix-neuf années, commençant à une nouvelle lune que les Juifs feignent être arrivée un an avant la création. Cette nouvelle lune est appellée par eux molad tohu ; & dans le cycle de 19 années, qui sont des années lunaires, la 3e, la 6e, la 8e, la 11e, la 14e, la 17e, & la 19e, nt des années embolismiques de 383 jours 21 heures : les autres sont des années communes de 354 jours 8 heures.

Dans le calendrier des Mahométans il y a un cycle de 30 années, dans lequel les années 2, 5, 7, 10, 13, 15, 18, 21, 24, 26, 29, sont embolismiques ou de 355 jours ; les autres communes, ou de 354 jours.

Selon les Juifs, l'année de la création du monde est la 959e. de la période julienne, commençant au 7e d'Octobre ; & comme l'année de la naissance de J. C. est la 4714e de la période julienne, il s'ensuit que J. C. est né l'an 3761 de l'ere des Juifs : c'est pourquoi si on ajoûte 3761 à une année quelconque de l'ere chrétienne, on aura l'année Juive correspondante qui doit commencer en automne ; bien entendu qu'on regarde alors l'année juive comme une année solaire : & elle peut être regardée comme telle en effet à cause des années embolismiques, qui remettent à-peu-près de trois en trois ans le commencement de l'année juive avec celui de l'année solaire.

L'ere des Mahométans commence à l'an 622 de J. C. qui est l'année de l'hégire ; d'où il s'ensuit que si d'une année quelconque de l'ere chrétienne on ôte 621, le reste sera le nombre des années de J. C. écoulées depuis le commencement de l'ére mahométane. Or l'année julienne est de 365 jours 6 heures, & les années de l'hégire, qui sont des années lunaires, sont de 354 jours 8 heures 48'; d'où il s'ensuit que chaque année de l'hégire anticipe sur l'année julienne de 10 jours 21 heures 12'; & par conséquent 33 ans, de 359 jours 3 heures 36', c'est-à-dire d'une année, plus 4 jours 18 heures 48': donc si on divise par 33 le nombre trouvé des années juliennes écoulées depuis l'ere mahométane ; & qu'on ajoûte le quotient à ce nombre d'années, on aura le nombre des années mahométanes.

Il faut remarquer que le surplus des 4 jours 18 heures 48', doit former aussi une année au bout de plusieurs siecles, c'est-à-dire au bout d'environ 72 fois 33 ans ; mais cette correction ne regardera que nos descendans. Wolf, élém. de Chronol.

On se sert aussi du mot calendrier pour désigner le catalogue ou les fastes que l'on gardoit anciennement dans chaque église, & où étoient les saints que l'on y honoroit en général ou en particulier, avec les évêques de cette église, les martyrs, &c. Voyez SAINT, NECROLOGE, &c.

Il ne faut pas confondre les calendriers avec les martyrologes ; car chaque église avoit son calendrier particulier, au lieu que les martyrologes regardent toute l'Eglise en général : ils contiennent les martyrs & les confesseurs de toutes les églises. De tous les différens calendriers on en a formé un seul martyrologe, ensorte que les martyrologes sont postérieurs aux calendriers. Voyez MARTYROLOGE.

Il y a encore quelques-uns de ces calendriers qui existent, particulierement un de l'église de Rome fort ancien, qui fut fait vers le milieu du quatrieme siecle, il contenoit les fêtes des payens comme celles des chrétiens ; ces derniers étoient alors en assez petit nombre. Le pere Mabillon a fait imprimer aussi le calendrier de l'église de Carthage, qui fut fait vers l'an 483. Le calendrier de l'église d'Ethiopie, & celui des Cophtes, publiés par Ludolphe, paroissent avoir été faits après l'année 760. Le calendrier des Syriens imprimé par Genebrard, est fort imparfait ; celui des Moscovites, publié par le pere Papebrock, convient pour la plus grande partie avec celui des Grecs, publié par Genebrard. Le calendrier mis au jour par dom Dachery, sous le titre d'année solaire, ne differe en rien du calendrier de l'église d'Arras. Le calendrier que Beckius publia à Augsbourg en 1687, est selon toute apparence, celui de l'ancienne église d'Augsbourg, ou plutôt de Strasbourg, qui fut écrit vers la fin du dixieme siecle. Le calendrier Mosarabique, dont on fait encore usage dans les cinq églises de Tolede ; le calendrier Ambrosien de Milan, & ceux d'Angleterre, avant la réformation, ne contiennent rien que l'on ne trouve dans ceux des autres églises occidentales, c'est-à-dire les saints que l'on honore dans toutes ces églises en général, & les saints particuliers aux églises qui faisoient usage des ces calendriers. Chambers.

CALENDRIER PERPETUEL. On appelle ainsi une suite de calendriers relatifs aux différens jours où la fête de Pâque peut tomber ; & comme cette fête n'arrive jamais plûtard que le 25 Avril, ni plûtôt que le 22 Mars, le calendrier perpétuel est composé d'autant de calendriers particuliers, qu'il y a de jours depuis le 22 Mars inclusivement, jusqu'au 25 Avril inclusivement ; ce qui fait 35 calendriers.

On trouve un calendrier perpétuel fort utile & fort bien entendu, dans l'excellent ouvrage de l'art de vérifier les dates, par des religieux Bénédictins de la congrégation de S. Maur.

CALENDRIER RUSTIQUE, est le nom qu'on donne à un calendrier propre pour les gens de la campagne, dans lequel ils apprennent les tems où il faut semer, planter, tailler la vigne, &c. Ces sortes de calendriers sont ordinairement remplis de beaucoup de regles fausses, & fondées la plûpart sur les influences & les aspects de la Lune & des planetes. C'est pourquoi il est bon de distinguer avec soin les regles qui sont fondées sur des expériences exactes & réitérées, d'avec celles qui n'ont que le préjugé pour principe. (O)


CALENGES. f. (Jurisprudence) terme qui se trouve fréquemment dans les anciennes coûtumes, où il se prend tantôt pour débat ou contestation, tantôt pour accusation ou dénonciation judiciaire, &c. tantôt pour défi ou appel.


CALENGERverbe formé de calenge, a les mêmes significations : en Normandie où il est encore en usage, il signifie barguigner. (H)


CALENTERS. m. (Hist. mod.) les Perses nomment ainsi le thrésorier & receveur des finances d'une province ; il a la direction du domaine, fait la recette des deniers, & en rend compte au conseil ou au chan de la province. Voyez CHAN.


CALENTURES. f. (Médecine) espece de fievre accompagnée d'un délire subit, commune à ceux qui font des voyages de long cours dans des climats chauds, & sur-tout à ceux qui passent sous la ligne.

L'histoire suivante donnera une idée de cette maladie, & de la maniere de la traiter.

Un matelot âgé de trente à quarante ans, assez grand, mais fluet, fut attaqué d'une calenture si violente, que quatre de ses camarades suffisoient à peine pour le retenir : il s'écrioit de tems en tems qu'il vouloit aller dans les champs : il avoit la vûe égarée, furieuse ; son corps étoit dans une chaleur brûlante, & son pouls fort déréglé, sans aucune vibration distincte. Le chirurgien du vaisseau tâcha de le saigner : mais quoique la veine du bras fût assez ouverte, il n'en put jamais tirer une once de sang ; on lui ouvrit la veine du front avec aussi peu de succès ; on passa à la jugulaire, il en sortit deux onces de sang fleuri, après quoi il cessa de couler, quoique l'ouverture fût assez large ; on répéta les saignées, on en tiroit de trois ouvertures à la fois ; le sang couloit plus librement à mesure que les vaisseaux se vuidoient. Après une évacuation considérable, la fievre diminua de même que l'agitation ; le malade avoit la vûe moins égarée, il ne crioit plus ; le pouls devint plus régulier, la chaleur se modéra, & la fureur se ralentit, de façon qu'un seul homme suffisoit pour le contenir. On lui tira environ cinquante onces de sang par les trois ouvertures dont on a parlé : l'ayant fait coucher, on lui donna une once de sirop de diacode dans un verre d'eau d'orge ; après quoi il dormit fort tranquillement pendant quelques heures, & ne sentit en s'éveillant qu'une foiblesse qui venoit du sang qu'on lui avoit tiré, & un malaise par tout le corps produit apparemment par la violence des convulsions qu'il avoit eues, & des efforts qu'il avoit faits pour s'échapper.

Il est vraisemblable que quand les matelots sont attaqués de cette chaleur violente & de cette maladie, ce qui leur arrive ordinairement pendant la nuit, ils se levent, s'en vont sur le bord, & se jettent dans la mer, croyant aller dans les prés ; ce qui rend cette conjecture d'autant plus vraisemblable, c'est que dans la mer Méditerranée, il arrive souvent en été dans des tems chauds, que des gens de mer disparoissent sans qu'on sache ce qu'ils sont devenus ; ceux qui restent dans le bâtiment, pensent que tous ceux qui disparoissent ainsi se sont sauvés sans qu'on s'en soit apperçu. Quant à celui dont il est parlé ci-dessus, le medecin apprit d'un de ses camarades, qu'ayant soupçonné son dessein, il l'avoit saisi, comme il étoit sur le point de s'élancer dans l'eau, & qu'on l'avoit conservé par ce moyen. Si les calentures sont plus fréquentes pendant la nuit que pendant le jour, c'est qu'alors les bâtimens sont plus fermés & reçoivent moins d'air. Philosoph. transact. abr. vol. IV. par le docteur Olivier.

Le docteur Shaw veut qu'on traite cette maladie de la maniere suivante.

Il faut tâcher de procurer du repos : on donnera de l'eau d'orge avec du vin blanc ; on proscrira la biere, & toute liqueur spiritueuse, & on prescrira un régime foible & liquide. Le premier pas qu'on ait à faire dans la cure, c'est de saigner ; il arrive assez souvent que les vaisseaux sont pleins d'un sang si épais, qu'on est obligé d'en ouvrir plusieurs pour évacuer assez de sang ; la veine jugulaire est préférable à celle du bras. Huit ou dix heures après la saignée, on donnera l'émétique, on appliquera au cou un large épispastique, on reviendra à la saignée aussi-tôt qu'on le pourra ; le soir lorsque le malade sera prêt à reposer, on lui donnera un parégorique.

Si la maladie est suffisamment calmée, on ordonnera le purgatif doux qui suit.

Prenez feuilles de séné deux gros & demi, rhubarbe un demi-gros, sel de tartre un demi-scrupule, graine de coriandre broyée un scrupule ; faites infuser le tout dans suffisante quantité d'eau de fontaine ; & sur deux onces & demie de la liqueur passée, ajoûtez sirop solutif de rose six gros ; sirop de corne de cerf deux gros ; esprit de nitre dulcifié, sel volatil huileux, de chacun trente gouttes. Faites-en une potion que le malade prendra deux ou trois fois, selon que la maladie l'exigera, & en gardant un régime exact.

Voilà la maniere ordinaire de traiter la calenture. (N)


CALER(terme d'Architecture) c'est arrêter la pose d'une pierre, mettre une cale de bois mince qui détermine la largeur du joint, pour la ficher ensuite avec facilité. (P)

CALER, v. n. (Marine) c'est enfoncer dans l'eau ; lorsqu'un vaisseau est trop chargé, cela le peut faire caler si bas dans l'eau, que sa batterie d'entre deux ponts est noyée.

CALER les voiles, (Marine) c'est amener ou abaisser les voiles avec les vergues, en les faisant glisser & descendre le long du mât. On dit à présent amener les voiles, & très-rarement caler les voiles. (Z)

CALER, v. act. (Plomberie) on dit caler des tuyaux, quand on en arrête la pose avec des pierres pour qu'ils ne s'affaissent pas, ce qui les feroit crever. (K)


CALESIAM(Hist. nat. bot.) arbre qui croît dans les contrées du Malabar. Il est grand ; son bois est de couleur de pourpre obscur, uni & flexible ; ses fleurs croissent en grappes à l'extrémité de ses branches ; elles ressemblent assez à celles de la vigne : ses baies sont oblongues, rondes, plates, vertes, couvertes d'une écorce mince, pleines d'une pulpe insipide, contenant un noyau verd, oblong, plat, & portant une amande blanche & insipide. Outre ce fruit, qui est le vrai, il en porte un second à la chûte des feuilles, qui croît au tronc & aux branches ; il est plus gros que le fruit vrai, ridé, en forme de rein, couvert d'une écorce de couleur de verd d'eau, sous laquelle on trouve une pulpe dense. Ray croit que ce fruit bâtard n'est qu'une grosseur produite par la piquûre des insectes, qui cherchent dans cet arbre une retraite & de la nourriture. Il donne du fruit une fois l'an, depuis dix ans jusqu'à cinquante.

Son écorce pulvérisée & réduite en onguent avec le beurre, guérit le spasme cynique & les convulsions causées par les grandes douleurs ; le même remede s'employe avec succès dans les ulceres malins & calme les douleurs de la goutte ; le suc de l'écorce dissipe les aphthes & arrête la dyssenterie ; sa poudre avec celle de compulli purge & chasse les humeurs pituiteuses & atrabilaires.

On fait prendre une tasse de la décoction de l'écorce & des feuilles dans de l'eau, pour hâter l'accouchement.


CALETURE(Géog.) forteresse de l'île de Ceylan, appartenante aux Hollandois. Longit. 97. 26. lat. 6. 38.


CALFATS. m. (Marine) on nomme ainsi un instrument de fer, ressemblant assez à un ciseau qui auroit la tête arrondie au lieu d'être emmanché dans un morceau de bois, qui sert au calfas, pour calfater un vaisseau. Il y a différens calfats destinés à différens usages.

Calfat à fret, c'est un instrument qui a le bout à demi-rond, & avec lequel on cherche autour des têtes de clous & des chevilles s'il n'y a point quelques ouvertures, afin d'y pousser des étoupes pour les boucher.

Calfat simple ; celui-ci est plus large que le précédent, & un peu coupant : on s'en sert pour faire entrer l'étoupe jusqu'au fond de la couture.

Calfat double ; il est rayé, & paroît comme double par le bout : on s'en sert à rabattre les coutures. (Z)


CALFATAGES. m. (Marine) c'est l'étoupe qui a été mise à force de la couture du vaisseau.


CALFATERCALFADER, CALFEUTRER, v. act. (Marine) c'est boucher les fentes des jointures du bordage ou des membres d'un vaisseau, avec ce qui peut être propre à le tenir sain & étanché, ensorte qu'il ne puisse y entrer d'eau. On se sert pour cela de planches, de plaques de plomb, d'étoupes, & d'autres matieres.

Calfater, c'est pousser l'étoupe dans les coutures.

Calfater les sabords, c'est emplir d'étoupe le vuide du tour des sabords, ainsi que les coutures du vaisseau. On ne fait ce calfatage que très-rarement, & lorsqu'on est obligé de tenir long-tems la mer.


CALFATEUR(Marine) Voyez CALFAT.


CALFATINS. m. (Marine) c'est le mousse qui sert de valet au calfateur.


CALFEUTRER(Marine) V. CALFATER. (Z)


CALGIN(Géog.) ville d'Afrique, dans l'Abyssinie, dans une contrée deserte.


CALI(Géog.) ville de l'Amérique méridionale, au Popayan, sur le bord de la riviere Cauca. Long. 304. 30. lat. 3. 15.


CALIACA(Géog.) ville & port d'Europe, dans la Bulgarie, sur la mer Noire, appartenante aux Turcs.


CALIBRES. m. (Arts méch.) ce mot a deux acceptions différentes ; il se prend ou pour le diametre d'un corps ; & en ce sens on dit, ces colonnes, ces fusils, &c. sont de même calibre, ou pour l'instrument qui sert à en mesurer les dimensions, & en ce sens les Serruriers, & presque tous les ouvriers en métaux, ont des calibres. Voyez les articles suivans.

* CALIBRE, pris dans le second sens, est un instrument ou de fer ou de bois, dont l'usage est différent, selon les différens ouvriers.

Les Maçons ont leur calibre ; c'est une planche sur le champ de laquelle on a découpé les différens membres d'architecture qu'ils veulent exécuter en plâtre aux entablemens des maisons, corniches des plafons, des appartemens, plintes, & ouvrages de maçonnerie qui se traînent. Ce calibre se monte sur un morceau de bois qu'ils appellent sabot. On a pratiqué sur le sabot, à sa partie du devant qui se doit traîner sur les regles, une rainure pour servir de guide au calibre.

CALIBRE des Serruriers ; les uns sont faits de fer plat battu en lame, & découpés comme ceux des maçons, suivant la forme & figure que l'on se propose de donner à la piece que l'on veut ou forger ou limer. Ce calibre a une queue, que le forgeron tient à sa main, pour le présenter sur le fer rouge quand il forge : Pour ceux dont on se sert en limant, ils sont figurés & terminés fort exactement ; on les applique sur la piece à limer, & avec une pointe d'acier on trace la figure & les contours du calibre, pour enlever avec la lime ce qui est au-delà du trait.

D'autres servent à mettre les fers droits ou contournés de largeur & d'épaisseur égales dans toute la longueur. Ces sortes de calibres sont des lames de fer battu mince, dans lesquelles on a fait des entailles suivant la largeur & l'épaisseur que l'on veut donner au fer. On fait glisser ce calibre sur le fer, & l'on forge jusqu'à ce qu'il puisse s'appliquer successivement sur toute la barre. Il est évident que ces sortes de calibres ne peuvent servir que pour un seul & même ouvrage.

Il y a d'autres calibres qu'on appelle calibres brisés ou à coulisse. Il y en a de plusieurs figures : les uns sont composés de quatre parties ; savoir, de la tige retournée en équerre par une de ses extrémités, qui forme une des ailes du calibre, & ouverte dans son milieu & dans toute sa longueur d'une entaille qui reçoit un bouton à vis, à tête & à collet quarré, qui glisse exactement dans l'entaille ; il est garni d'un écrou à oreille, & il traverse une coulisse qui embrasse entierement & exactement la largeur de la tige ; la partie de cette coulisse qui regarde l'aile de la tige pareillement conduite en équerre, forme une autre aile parallele en tout sens à l'aile de la tige ; desorte que ces deux ailes peuvent s'écarter plus ou moins l'une de l'autre, à la volonté de l'ouvrier, sans perdre leur parallélisme par le moyen de l'entaille & de la coulisse, & sont fixées à la distance que l'ouvrier veut par le moyen de l'écrou. On se sert de ce calibre pour dresser des pieces, & s'assurer si elles sont par-tout de grosseur & de largeur égales.

Il y en a d'autres qui ont le même usage, & dont la construction ne differe de la précédente, qu'en ce qu'une des deux ailes peut s'éloigner de l'autre par le moyen d'une vis de la longueur de la tige, qui traverse le talon de la tige, & passe dans un talon en écrou pratiqué au derriere de la coulisse mobile dans laquelle passe la tige que cette coulisse embrasse entierement ; quant à l'extrémité de la vis, elle est fixée au talon de l'autre aile, qui est pareillement à coulisse, mais immobile, par deux goupilles qui l'arrêtent sur le bout de la tige : le bout de la vis est reçu dans un petit chapeau fixé immobilement sur le talon de l'aile supérieure, desorte que cette vis, sans baisser ni descendre, tourne toûjours sur elle-même, & fait seulement monter & descendre la coulisse avec l'aile inférieure.

Un calibre portatif d'une troisieme construction, est composé d'une tige sur laquelle est fixée une aile, & sous laquelle se meuvent deux coulisses en ailes qui l'embrassent entierement, mais qu'on fixe à la distance qu'on veut de l'aile fixe, par le moyen de deux petites vis qui traversent la coulisse : par ce moyen on peut prendre deux mesures à la fois.

Le second qui est à vis en-dessous, est divisé pardessus en pouces, lignes, & demi-lignes ; ainsi on donne à la distance des ailes tel accroissement ou diminution qu'on veut, ce qui montre encore l'excès de dimensions d'une piece sur une autre.

Mais au premier calibre on met entre l'écrou & la coulisse une rondelle de cuivre, pour empêcher les deux fers de se ronger, & pour rendre le mouvement plus doux.

CALIBRE, terme d'Arquebusier ; les Arquebusiers se servent de diverses sortes d'outils, auxquels ils donnent le nom de calibre, dont les uns sont de bois, & les autres d'acier.

Les calibres de bois sont proprement les modeles, d'après lesquels ils font débiter ou débitent eux-mêmes les pieces de bois de noyer, de frêne, ou d'érable, dont ils font les fûts, sur lesquels ils montent les canons & les platines des armes qu'ils fabriquent. Ce ne sont que de simples planches très-minces, taillées de la figure du fût qu'on veut faire ; desorte qu'il y en a autant que de différentes especes d'armes, comme calibres de fusil, de mousquet, de pistolet, &c.

Les calibres d'acier pour l'Arquebuserie sont de deux sortes ; les uns doubles, & les autres simples. Les simples sont des especes de limes sans manche ni queue, percées de distance en distance par des trous de différens diametres. Ils servent à dresser & limer le dessous des vis. Ces calibres doubles ne different des simples, que parce qu'ils sont composés de deux limes posées l'une sur l'autre, & jointes par deux vis qui sont aux deux bouts, & avec lesquelles on les éloigne & on les rapproche à discrétion. La lime de dessous a de plus un manche aussi d'acier un peu recourbé en-dedans. Ces derniers calibres servent à roder, c'est-à-dire à tourner comme on fait au tour les noix des platines que l'on met entre deux.

CALIBRE, dans l'Artillerie, est l'ouverture de la piece de canon & de toutes les autres armes à feu, par où entrent & sortent le boulet & la balle. On dit, cette piece est d'un tel calibre : on le dit aussi d'un boulet ; l'instrument même dont on se sert pour prendre la grandeur de l'ouverture ou diametre d'une piece ou d'un mortier, s'appelle aussi calibre.

Cet instrument est fait en maniere de compas, mais ayant des branches courbes, afin de pouvoir aussi s'en servir pour calibrer & embrasser le boulet.

Quand il est entierement ouvert, il a la longueur d'un pié de roi, qui est de douze pouces, chaque pouce composé de douze lignes, entre les deux branches.

Sur l'une des branches sont gravés & divisés tous les calibres, tant des boulets que des pieces ; & au-dedans de la branche sont des crans qui répondent aux sections des calibres.

Et à l'autre branche est attachée une petite traverse ou languette, faite quelquefois en forme d'S, & quelquefois toute droite, que l'on arrête sur le cran opposé qui marque le calibre de la piece.

Le dehors des pointes sert à calibrer la piece ; & le dedans qui s'appelle talon, à calibrer les boulets. Voyez Pl. VII. de l'Art milit. fig. 3.

Il y a un autre moyen de calibrer les pieces. L'on a une regle bien divisée, & où sont gravés les calibres tant des pieces que des boulets, comme il se voit dans la Planche. Appliquez cette regle bien droit sur la bouche de la piece, rien de plus simple ; le calibre se trouve tout d'un coup : ou bien l'on prend un compas que l'on présente à la bouche de la piece ; on le rapporte ensuite sur la regle, & vous trouvez votre calibre.

Mais en cas qu'il ne se trouvât pas de regle divisée par calibre dans le lieu où vous serez, il faut prendre un pié de roi divisé par pouces & par lignes à l'une de ses extrémités.

Rapportez sur ce pié le compas, après que vous l'aurez retiré de la bouche de la piece où il faudra l'enfoncer un peu avant ; car il arrive souvent que des pieces se sont évasées & aggrandies par la bouche, où elles sont d'un plus fort calibre que n'est leur ame.

Vous compterez les pouces & les lignes que vous aurez trouvés pour l'ouverture de la bouche & de la volée de la piece, & vous aurez recours à la table que voici, pour en connoître le calibre : elle est très-exacte.

Calibre des pieces. La piece qui reçoit un boulet pesant une once poids de marc, a d'ouverture à sa bouche neuf lignes & cinq seiziemes de ligne.

Celle qui reçoit un boulet pesant deux onces, a d'ouverture à sa bouche onze lignes & trois quarts de ligne.

On va continuer suivant l'ordre.

La piece qui reçoit un boulet pesant 1 livre. qui fait 16 onces, a d'ouverture à sa bouche un pouce 11 lignes & demie.

Il est bon de remarquer qu'en l'année 1668, l'on rétablit le pié de roi conformément à la toise du châtelet de Paris ; c'est de ce pié rétabli que l'on s'est servi ici, & dont l'original aussi-bien que celui de la toise, se conserve à l'Observatoire royal de Paris. Il faut aussi remarquer que pour avoir le pié de roi bien exact, il faut avoir la toise du châtelet bien juste, & la diviser en six parties bien égales.

On a omis exprès quelques nombres, parce qu'il ne se trouve que peu ou point du tout de ces calibres rompus. Saint-Remy, mémoires d'artillerie.

CALIBRE, signifie, dans les Manufactures d'armes à feu, l'ouverture d'un fusil ou d'un pistolet par où entre & sort la balle : ainsi on dit, cette arme a trop de calibre. Voyez CANON de fusil.

CALIBRE, chez les Fontainiers, se dit de l'ouverture d'un tuyau, d'un corps de pompe, exprimée par leur diametre : ainsi on dit, tel tuyau a un demi-pié de calibre, c'est-à-dire de diametre. (K)

CALIBRE dans l'Horlogerie ; les Horlogers en ont de plusieurs especes : mais celui dont ils font le plus d'usage, est le calibre à pignon, fig. 57. Pl. XV. de l'Horlogerie. Il est composé de la vis V & des deux branches A B, A B, qui par leur ressort tendent toûjours à s'éloigner l'une de l'autre ; au moyen de cette vis on les approche à volonté. Les Horlogers s'en servent pour prendre la grosseur des pignons, & pour égaler leurs ailes. Voyez EGALER. (I)

CALIBRE, chez les Horlogers, signifie encore une plaque de laiton ou de carton, sur laquelle les grandeurs des roues & leurs situations respectives sont marquées. C'est en fait de machine la même chose qu'un plan en fait d'Architecture. Voyez la fig. 50. Pl. X. d'Horlogerie. C'est pourquoi l'Horloger dans la construction d'un calibre, doit avoir la même attention qu'un architecte dans celle d'un plan : celui-ci doit bien profiter du terrein, selon les lois de convenance & de la belle architecture ; de même l'autre doit profiter du peu d'espace qu'il a, pour disposer tout selon les lois de la méchanique.

Il seroit fort difficile de donner des regles générales pour la construction d'un calibre, parce que l'impossibilité où l'on est souvent de le faire de maniere qu'il réunisse tous les avantages possibles, fait que l'on est contraint d'en sacrifier certains à d'autres plus importans. Nous donnerons cependant ici le détail des regles que l'on doit observer ; & comme c'est particulierement dans les montres que se rencontrent les plus grandes difficultés, nous nous bornerons à ne parler que de leurs calibres, parce que l'application de nos principes aux calibres des pendules, sera facile à faire.

Une des premieres regles & des plus essentielles à observer, c'est que la disposition des roues, les unes par rapport aux autres, soit telle que les engrenages changent le moins qu'il est possible par l'usure des trous ; c'est-à-dire que la distance du centre d'une roue au centre du pignon dans lequel elle engrene, soit autant que faire se peut toûjours la même.

On en concevra facilement la nécessité, si l'on fait attention que l'action d'une roue sur un pignon pour le faire tourner, ne se fait point sans qu'il y ait du frottement sur les pivots de ce pignon : mais ce frottement ne peut se faire sans qu'il en résulte une usure dans les trous, qui se fait toûjours dans le sens de la pression de la roue ; & qui augmentant par conséquent sa distance au centre d'un pignon, diminue l'engrenage, & produit les inconvéniens dont il est parlé à l'article ENGRENAGE.

Pour remédier à ces inconvéniens, il faut que les roues depuis le barrillet jusqu'au balancier, (voyez la fig. 46.) agissent autant qu'on le peut, les unes sur les autres, ensorte que si la grande roue moyenne, par exemple, pousse le pignon de la petite roue moyenne 56 dans la direction di fig. 50. elle soit à son tour poussée par la grande roue dans la direction g c d'une certaine quantité, telle que par ce moyen sa distance entre le centre de cette roue & celui du pignon où elle engrene, ne change pas sensiblement.

La seconde regle, c'est que les roues & les pignons soient encore, autant qu'il est possible, dans le milieu de leurs tiges, ou à une égale distance de leurs pivots : par ce moyen on est plus à portée de mettre en usage la regle que nous venons de donner, & on évite un grand défaut ; c'est que lorsqu'un pignon est à l'extrémité de sa tige, il se fait un très-grand frottement sur le pivot qui est situé du même côté, ce qui en occasionne l'usure, de même que celle de son trou, & diminue beaucoup de la liberté du pignon. Il est même bon de remarquer que lorsqu'un pignon est à une des extrémités de sa tige, & que la roue qui est adaptée sur la même tige, est à l'autre, la premiere regle ne peut avoir lieu ; car quoique le pignon soit poussé par la roue qui le mene dans la direction nécessaire pour que l'engrenage de la roue qui est sur la même tige, se conserve toûjours la même avec le pignon dans lequel elle engrene, cette roue ne fait qu'éprouver une espece de bercement, à cause que la distance où elle se trouve du pignon, fait que, quelque mouvement de transport que celui-ci ait, la roue n'en éprouve qu'un très-petit.

La troisieme regle, mais qu'on ne peut guere mettre parfaitement en usage que dans les pendules & les horloges, est celle dont nous parlerons à l'article HORLOGE DE CLOCHER. Elle consiste à situer les roues, les unes par rapport aux autres, de façon que les pignons dans lesquels elles engrenent soient placés dans les points de leur circonférence, tels qu'il en résulte le moins de frottement possible sur les pignons de ces roues. Tout ceci étant plus détaillé à l'article HORLOGE DE CLOCHER, nous y renvoyons.

Enfin la force motrice dans les montres étant presque toûjours trop petite, on doit s'efforcer d'avoir de grands barillets, pour avoir par-là de plus grands ressorts. De plus, comme il y a toûjours beaucoup de frottement sur les pivots, on doit avoir pour principe de rendre toutes les roues, autant qu'il est possible, fort grandes, afin par-là de le diminuer. Une chose qui n'est pas moins importante, c'est de disposer le calibre de façon que le balancier puisse avoir une certaine grandeur. On en trouve la raison à l'article BALANCIER.

Pour terminer, il faut que le calibre d'une montre, d'une pendule, &c. soit tel qu'il en résulte tous les avantages qui peuvent naître de la disposition respective des roues ; telle que la montre en général éprouve le moins de frottement, & qu'elle subsiste le plus constamment qu'il est possible dans le même état. Voyez ROUE, PIGNON, ENGRENAGE, TIGE, TIGERON, BALANCIER, &c. (T)

CALIBRE se dit, en Marine, d'un modele qu'on fait pour la construction d'un vaisseau, & sur lequel on prend sa longueur, sa largeur & toutes ses proportions : c'est la même chose que gabarit. Voyez GABARIT. (Z)

CALIBRE, en terme d'Orfevre en tabatiere ; c'est un morceau de fer plat, large par un bout, & percé d'un seul trou. Il sert à dresser les charnons, après les y avoir fait entrer à force. Il faut que le calibre soit bien trempé, afin que la lime ne morde que sur le charnon. Voyez l'article TABATIERE.


CALIBRER(Horlogerie) c'est prendre avec un calibre la grandeur ou l'épaisseur de quelque chose. Voyez CALIBRE. (T)


CALICES. m. (Théol.) coupe ou vaisseau qui sert à la messe pour la consécration du vin. Ce mot vient du grec ou , qui signifie un vase ou un verre.

Le vénérable Bede assûre que le calice dont se servit Jesus-Christ à la derniere cene, étoit un vase à deux anses, & contenoit une chopine ; & que ceux dont on s'est servi dans les commencemens, étoient de la même forme. Dans les premiers siecles les calices étoient de bois ; le pape Zéphyrin, ou selon d'autres, Urbain I. ordonna qu'on les fit d'or ou d'argent. Léon IV. défendit qu'on en fit d'étain ou de verre : & le concile de Calchut ou de Celcyth en Angleterre, fit aussi la même défense. Les calices des anciennes églises pesoient au moins trois marcs ; & l'on en voit dans les thresors & sacristies de plusieurs églises anciennes, d'un poids bien plus considérable. Il y en a même dont il est comme impossible qu'on se soit jamais servi, attendu leur volume, & qui paroissent n'être que des libéralités des princes. Horn. Lindan & Beatus Rhenanus attestent qu'ils ont vû en Allemagne quelques anciens calices auxquels on avoit ajusté avec beaucoup d'art un tuyau qui servoit aux laïcs pour recevoir l'Eucharistie sous l'espece du vin. (G)

CALICE, (Bot.) se dit de la partie qui enveloppe les feuilles ou pétales d'une fleur, laquelle est formée en coupe ou calice. (K)


CALICUou CALECUT, (Géog.) ville & royaume des Indes sur la côte de Malabar. La ville de ce nom est une des plus grandes de l'Inde. Le samorin ou roi du pays y fait sa résidence. On dit que lorsque ce prince se marie, les prêtres commencent par coucher avec sa femme ; & qu'ensuite il leur fait un présent, pour leur marquer sa reconnoissance de la faveur signalée qu'ils ont bien voulu lui faire : ce ne sont point ses enfans qui lui succedent, mais ceux de sa soeur. A l'exemple de leur souverain, les habitans de ce royaume ne font point difficulté de communiquer leurs femmes à leurs amis. Une femme peut avoir jusqu'à sept maris ; si elle devient grosse, elle adjuge l'enfant à qui bon lui semble, & on ne peut appeller de son jugement. Les habitans de Calicut croient un Dieu ; mais ils prétendent qu'il ne se mêle point du gouvernement de l'univers, & qu'il a laissé ce soin au diable, à qui conséquemment ils offrent des sacrifices. Il se fait un grand commerce à Calicut ; il consiste en poivre, gingembre, bois d'aloès, cannelle, & autres épiceries. La ville de Calicut est au dégré de long. 93. 10. lat. 11. 21.


CALIDUCSS. m. (Physiq.) c'étoit une sorte de canaux disposés autrefois le long des murailles des maisons & des appartemens, & dont les anciens se servoient pour porter de la chaleur aux parties de leurs maisons les plus éloignées ; chaleur qui étoit fournie par un foyer ou par un fourneau commun. Voyez POELE, FEU, &c.

Ce mot est formé des mots latins calidus, chaud, & duco, je conduis. Chambers.


CALIENDRUM(Hist. anc.) tour de cheveux que les femmes romaines ajoûtoient à leur chevelure naturelle, afin de donner plus de longueur à leurs tresses.


CALIFES. m. (Hist. mod.) titre que prirent les successeurs de Mahomet, dans le nouvel empire temporel & spirituel établi par ce législateur. Voyez l'article MAHOMETAN.

Ce mot est ordinairement arabe, khalifah, qui signifie proprement un successeur ou un héritier. Quelques-uns prétendent qu'il vient d'un verbe qui signifie non-seulement succéder, mais encore être en la place d'un autre en qualité d'héritier & de vicaire. C'est en ce sens selon Erpenius, que les empereurs & les grands-prêtres sarrasins étoient appellés califes, comme étant les vicaires ou les lieutenans de Dieu ; mais l'opinion la plus reçue est qu'ils prirent ce titre en qualité de successeurs de Mahomet.

Après la mort de Mahomet, Aboubekre ayant été élû par les Musulmans pour remplir sa place, il ne voulut point prendre d'autre titre que celui de khalifa ressoul Allah, c'est-à-dire vicaire du prophete ou messager de Dieu. Omar, qui succéda à Aboubekre, représenta au chef des Mahométans que s'il prenoit, à l'imitation du calife dernier mort, le titre de vicaire ou de successeur du prophete, par la suite des tems le mot vicaire seroit répété & multiplié sans fin : sur cette représentation & par l'avis de Mogairah, Omar prit le titre d'emir moumenin, c'est-à-dire le seigneur ou le prince des croyans. Depuis ce tems, tous les califes ou les successeurs légitimes de Mahomet ont consenti à porter ce nom. Ils ont encore retenu le titre de calife sans aucune addition.

Les premiers califes réunissoient donc en leurs personnes l'autorité temporelle & spirituelle, & étoient en même tems chefs de l'empire & du sacerdoce, comme avoient été les empereurs romains dans le Paganisme : aussi les princes mahométans recevoient-ils d'eux l'investiture de leurs états avec beaucoup de cérémonies religieuses, & ils décidoient des points de doctrine. Les califes successeurs de Mahomet ont régné dans la Syrie ; & on les divise en deux races, celle des Ommiades, & celle des Abassides : mais à mesure que les Sarrasins augmenterent leurs conquêtes, les califes se multiplierent, plusieurs de leurs souverains ayant pris ce titre : car outre celui de Syrie & de Babylone, qu'on nommoit encore le calife du Caire, on trouve dans les historiens des califes de Carvan, de Fez, d'Espagne, de Perse, de Cilicie, de Mésopotamie. Mais depuis que les Turcs se sont rendus maîtres de la plus grande partie des conquêtes des Sarrasins, le nom de calife a été aboli ; & la premiere dignité de la religion mahométane chez eux, est devenue celle de muphti. Voyez MUPHTI. (G.)


CALIFORNIE(Géog.) grande presqu'île de l'Amérique septentrionale, au nord de la mer du sud, habitée par des sauvages qui adorent la lune : chaque famille y vit à son gré, sans être soumise à aucune forme de gouvernement. Les Espagnols y ont bâti un fort nommé Notre-Dame de Lorette.


CALIMNO(Géogr.) île de l'Archipel, habitée par des Grecs.


CALINDA(Hist. mod.) danse des Negres créols en Amérique, dans laquelle les danseurs & les danseuses sont rangés sur deux lignes en face les uns des autres ; ils ne font qu'avancer & reculer en cadence sans s'élever de terre, en faisant des contorsions du corps fort singulieres & des gestes fort lascifs, au son d'une espece de guittare & de quelques tambours sans timbre, que des Negres frappent du plat de la main. Le R. P. Labat prétend que les religieuses espagnoles de l'Amérique dansent le calinda par dévotion : & pourquoi non !


CALINGUECARLINGUE, CONTRE-QUILLE, voyez CARLINGUE.


CALIO(Géog.) petite ville d'Asie dans la Natolie, avec un port sur la mer Noire.


CALIORNES. f. (Marine) La caliorne est un gros cordage passé dans deux mouffles à trois poulies, dont on se sert pour guinder & lever de gros fardeaux. On l'attache quelquefois à une poulie sous la hune de misene, & quelquefois au grand étai au-dessus de la grande écoutille. (Z)


CALIPPIQUEpériode calippique, en Chronologie ; c'est une période de soixante-seize ans, après laquelle les nouvelles & pleines lunes moyennes revenoient au même jour de l'année solaire, selon Calippus, Athénien, inventeur de cette période. Voyez PERIODE.

Cent ans auparavant, Méton avoit inventé une période ou un cycle de 19 ans. Voyez CYCLE.

Il avoit formé ce cycle en prenant pour la quantité de l'année solaire 365 jours 6. h. 18' 56" 50''' 31"" 34"''' & le mois lunaire de 29 jours 12. h. 45' 47" 26''' 48"" 30"'''. Mais Calippus considérant que la quantité métonique de l'année solaire n'étoit pas exacte, multiplia par 4 la période de Méton, ce qui produisit une période de 76 ans, appellée calippique : c'est pourquoi la période calippique contient 27759 jours ; & comme le cycle lunaire contient 235 lunaisons, & que la période calippique est quadruple de ce cycle, il s'ensuit qu'elle contient 940 lunaisons.

Il est démontré cependant que la période calippique elle-même n'est point exacte ; qu'elle ne met point les nouvelles & pleines lunes précisément à leurs places, mais qu'elle les fait retarder de tout un jour dans l'espace de 225 ans. En effet, l'année solaire étant de 365 j. 6h. 49', & la période calippique de 76 ans, cette même période sera par conséquent de 27758 j. 10 h. 4'. Or la grandeur du mois lunaire étant de 29 j. 12 h. 44' 3" 11''', 940 mois lunaires font 27758 j. 19 h. 9' 52" 20''', & par conséquent surpassent 76 années solaires, de 8 h. 5' 52" 20'''; ainsi à chaque révolution de la période les pleines lunes & les nouvelles lunes anticipent de cet intervalle. Donc comme cet espace de tems fait environ un jour entier en 225 ans, il s'ensuit que les pleines & nouvelles lunes moyennes anticipent d'un jour dans cette période au bout de 225 ans ; & qu'ainsi la période calippique n'étant bonne que pour cet espace, est encore plus bornée que le cycle métonique de 19 ans, qui peut servir pendant un peu plus de 300 ans.

Au reste, Ptolémée se sert quelquefois de cette période. Calippus avoit supposé l'année solaire de 365 jours 6 h. & le mois lunaire de 29 j. 12 h. 44' 12" 48''', & par conséquent il avoit fait l'un & l'autre trop grand. Wolf, élém. de Chronol. (O)


CALIou CALIX, (Géog.) petite ville de Suede dans la Bothnie occidentale, sur une riviere de même nom qui a sa source dans la Laponie suédoise, & se jette dans le golfe de Bothnie.


CALIXTINSS. m. pl. (Hist. eccl.) sectaires qui s'éleverent en Bohème au commencement du xv. siecle, & qui prirent ce nom parce qu'ils soûtenoient que l'usage du calice ou de la coupe étoit absolument nécessaire au peuple dans la réception de l'Eucharistie.

La doctrine des Calixtins consistoit d'abord en quatre articles ; le premier concernoit la coupe, les trois autres regardoient la correction des péchés publics & particuliers, qu'ils portoient à certains excès : la libre prédication de la parole de Dieu, qu'ils ne vouloient pas qu'on pût défendre à personne ; & les biens d'église, contre lesquels ils déclamoient. Ces quatre articles furent reglés dans le concile de Basle, d'une maniere dont les Calixtins furent contens, & la coupe leur fut accordée à certaines conditions dont ils convinrent : cet accord s'appella Compactatum, nom célebre dans l'histoire de Bohème. L'ambition de Roquesane leur chef en empêcha l'effet, & ils ont duré jusqu'au tems de Luther auquel ils se réunirent. Quoique depuis ce tems-là la secte des Calixtins ne soit pas nombreuse, il s'en trouve cependant quelques-uns répandus en Pologne. Boss. hist. des variat. liv. XI n°. 168. & 171. (G)

CALIXTINS est encore le nom qu'on donne à quelques Luthériens mitigés, qui suivent les opinions de George Calixte, théologien célébre parmi eux, qui mourut vers le milieu du XVIIe siecle. Il n'étoit pas du sentiment de S. Augustin sur la prédestination, la grace, le libre arbitre ; aussi ses disciples sont-ils regardés comme des Sémipélagiens. Calixte soûtenoit qu'il y avoit dans les hommes un certain pouvoir d'intelligence & de volonté, avec un degré suffisant de connoissance naturelle, & qu'en usant bien de ces facultés, Dieu ne manque pas de donner tous les moyens nécessaires pour arriver à la perfection dont la révélation nous montre le chemin. Outre cela il étoit fort tolérant, & ne témoignoit pas un respect aveugle pour les décisions de Luther ; ce qui n'a pas contribué à accréditer son système, ni à grossir le nombre de ses partisans. (G)


CALKA(Géog.) royaume d'Asie dans la Tartarie, borné par la Sibérie, le royaume d'Eluth, &c.


CALLAF(Hist. natur. botan.) arbrisseau fort bas, dont le bois est uni, la feuille semblable à celle du cerisier, dentelée par les bords, & placée à l'extrémité des branches qui sont droites, jaunes, & sans noeuds ; & les fleurs qui viennent avant les feuilles, en grand nombre, sont disposées à égale distance les unes des autres ; ce sont des petites spheres oblongues, cotonneuses, jaunes, ou d'un jaune blanchâtre, & d'une odeur agréable. On en prépare à Damas une eau excellente pour fortifier, d'une agréable odeur, si pénétrante, qu'elle suffit pour dissiper la défaillance. Les Maures s'en servent tant intérieurement qu'extérieurement dans les fievres ardentes & pestilentielles. Elle humecte & rafraîchit. On en tire des huiles qu'on employe à plusieurs usages. Prosper Alpin.


CALLAHUYA(Géog.) province de l'Amérique méridionale au Pérou, très-fertile en mines d'or.


CALLAISS. f. (Hist. nat. Lith.) pierre qui imite le saphyr, excepté que sa couleur est plus claire, & ressemble à celle de l'eau de mer : on la trouve, à ce qu'il dit, dans les rochers escarpés & couverts de glace ; qu'elle a la forme de l'ail, & qu'elle y adhere légerement. Il paroît, ajoûte de Boot, que c'est l'aigue marine des modernes. Voyez AIGUE MARINE. Mais ce n'est pas l'avis de de Laet, qui dit que c'est la turquoise.


CALLAO(Géog.) ville forte & considérable de l'Amérique méridionale, au Pérou, à deux lieues de Lima, avec un bon port qui a été ruiné en 1746 par un tremblement de terre. Long. 30. 1. lat. mérid. 12. 29. Voyez TREMBLEMENT DE TERRE.


CALLEADA(Géog.) ville des Indes, sur la riviere de Septa, dans les états du Mogol.


CALLÉES. f. (Commerce) Cuirs de Caillé ; c'est ainsi qu'on appelle des excellens cuirs de Barbarie, que les Tagrains & les Andalous achetent, & dont ils rendent le commerce difficile, par le cas & les usages qu'ils en font.


CALLEN(Géog.) ville d'Irlande, dans la province de Leinster, au comté de Kilkenny, sur une riviere de même nom.


CALLEUXadjectif, (terme de Chirurgie) qui se dit en général de toutes sortes de duretés de la peau, de la chair & des os ; mais en particulier on donne cette épithete aux bords durs d'une plaie & d'un ulcere : tels que sont ceux des fistules, & des ulceres malins & carcinomateux. (Y)

CALLEUX, corps calleux (en Anatomie) est le nom qu'on a donné à la partie supérieure, ou à celle qui couvre les deux ventricules du cerveau, qui paroît immédiatement au-dessous de la faux, lorsqu'on l'a enlevée, & légerement écarté les deux hémispheres du cerveau. Elle est enfoncée au-dessous de toutes les circonvolutions du cerveau ; elle est formée par l'union des fibres médullaires de chaque côté. Ses fibres paroissent se rencontrer un peu obliquement sous une espece de raphé, que l'on remarque tout le long de la partie moyenne de la face supérieure ; de maniere que celles qui viennent du côté droit se croisent legerement avec celles qui viennent du côté gauche. Voyez SIEGE DE L'AME à l'article AME.


CALLIAR(Géog.) petite ville de l'Inde, au royaume de Visapour.


CALLIGRAPHEadj. pris subst. (Belles-Let.) écrivain copiste, qui mettoit autrefois au net ce qui avoit été écrit en notes par les Notaires ; ce qui revient à-peu-près à ce que nous exprimerions maintenant ainsi, celui qui fait la grosse d'une minute.

Ce mot est Grec, , composé de , beauté, & , j'écris, & signifie par conséquent scriptor elegans, écrivain qui a une belle main.

Autrefois on écrivoit la minute d'un acte, le brouillon ou le premier exemplaire d'un ouvrage, en notes, c'est-à-dire en abréviations, qui étoient une espece de chiffres. Telles sont les notes de Tiron dans Gruter ; c'étoit afin d'écrire plus vîte, & de pouvoir suivre celui qui dictoit. Ceux qui écrivoient ainsi en notes s'appelloient en latin Notaires, & en grec ; c'est-à-dire écrivains en notes, & gens qui écrivoient vîte. Mais parce que peu de gens connoissoient ces notes ou ces abréviations, d'autres écrivains, qui avoient la main bonne, & qui écrivoient bien & proprement, les copioient pour ceux qui en avoient besoin, ou pour les vendre ; & ceux-ci s'appelloient calligraphes, comme on le voit dans plusieurs auteurs anciens. Voyez SCRIBE, LIBRAIRE, NOTAIRE, &c. (G)


CALLIMUSS. m. (Hist. nat. Litholog.) pierre ou caillou qui se trouve dans la pierre d'aigle. Sa couleur & sa dureté varient ; elle est quelquefois aussi transparente que le crystal : on trouve près de l'Elbe, une sorte de pierre d'aigle, qui contient un caillou blanc très-dur, dont la superficie est pleine de capsules, comme un rayon de miel. On lui attribue les mêmes qualités qu'à la pierre d'aigle. Voyez PIERRE D'AIGLE.


CALLINS. m. à la Monnoie, composition de plomb & d'étain, dont l'alliage & l'usage vient de la Chine.

C'est de cette espece de métal que plusieurs faux-monnoyeurs ont fabriqué des écus, en y ajoûtant ce qu'ils ont crû le plus propre à remplir leur dessein.

A la Chine, à la Cochinchine, au Japon, à Siam, on couvre les maisons de callin bas ou commun. On fait avec le callin moyen des boîtes de thé & autres vaisseaux semblables ; & du callin qu'ils appellent fin, on en fabrique des especes.


CALLIOPE(Myth.) une des neuf Muses, ainsi appellée à cause de la douceur de sa voix ; elle préside à l'éloquence & à la poésie héroïque. On la représente le bras gauche chargé de guirlandes, & la main appuyée sur les oeuvres des premiers poëtes héroïques. On la donne pour mere à Orphée, & l'on dit qu'elle eut de Jupiter les deux Corybantes, & les Syrenes d'Acheloüs.


CALLISTEou CALLISTHES, (Myth.) fêtes instituées en l'honneur de Venus ; elles se célébroient dans l'île de Lesbos, & les femmes s'y disputoient le prix de la beauté.


CALLITRICHEN(Hist. nat. Zoologie) nom qu'on donne à une espece de singes à longue queue, qui sont couverts de longs poils fort hérissés, & qui forment autour de leur tête une espece de capuchon.


CALLOSITÉS. f. (Chirurgie) chair blanchâtre, dure, & indolente, qui couvre les bords & les parois des anciennes plaies & des vieux ulceres, qui ont été négligés & mal traités. On détruit ordinairement les chairs calleuses par les escharotiques. Voyez ESCHAROTIQUE, CAUSTIQUE. L'épaississement de la lymphe dans ses vaisseaux est la cause premiere de la callosité. Le mauvais usage des bourdonnets donne souvent lieu aux callosités des ulceres. Voyez BOURDONNET. (Y)

CALLOSITE, en Jardinage, se dit d'une matiere calleuse qui se forme à la jointure ou à la reprise des pousses d'une jeune branche chaque année, ou aux insertions des racines. Voyez CALUS. (K)


CALLYNTERIESS. f. pl. (Hist. anc.) fêtes célébrées par les Athéniens, dont il ne nous est parvenu que le nom.


CALMANDES. f. (Commerce) étoffe de laine d'un excellent user : elle se fabrique particulierement en Flandre. Il y en a de deux especes, des unies ou rayées, & des calmandes à fleurs. On fait entrer dans ces dernieres de la soie, & dans quelques autres du poil de chevre. Il n'y a rien de constant ni sur leur longueur ni sur leur largeur.


CALMANTadj. (Medecine) sorte de remedes qui adoucissent les douleurs causées par des humeurs acres, ou par une distension trop violente des parties ; ils agissent par leur humidité & leurs parties mucilagineuses, qui se glissant entre les fibres, les humectent, les relâchent, & empâtent les molécules acides qui picotent & irritent les tuniques des vaisseaux. Ces remedes sont de plusieurs classes ; ils sont en général nommés sédatifs, parégoriques, adoucissans & émolliens.

C'est ainsi que les béchiques doux sont de vrais calmants dans la toux ; que la graine de lin, le nitre, la guimauve, & les autres diurétiques froids calment les ardeurs d'entrailles, des reins, de la vessie & des ureteres. L'opium est à ce titre le plus grand & le plus énergique de tous les calmans ; toutes ses préparations sont employées pour les mêmes indications. Toutes les plantes soporeuses de la classe des mandragores, des morelles, & des pavots, sont aussi calmantes. Voyez SEDATIF & DOULEUR. (N)


CALMAou CALEMAR, CORNET, loligo, s. m. (Hist. nat. Zoologie) animal du genre des animaux mous, mollia. M. Needham, de la société royale de Londres, nous en a donné la description dans ses nouvelles observations microscop. Voici ce que nous en avons tiré. Le calmar est assez ressemblant à la seche & au polype de mer, & il a comme eux, un réservoir plein d'une liqueur noire comme de l'encre : le corps est allongé ; la partie qui porte le nom d'os dans la seche n'est point dans le calmar ; il y a en place une substance élastique, fine, transparente, ressemblante à du talc, pliée suivant la longueur de son grand axe dans l'état naturel, & de la figure d'un ovale allongé, lorsqu'elle est étendue. Cette substance est placée immédiatement entre la partie intérieure du dos ou de l'étui de l'animal, & les intestins qu'elle renferme dans sa cavité. Le calmar a dix cornes ou bras rangés à égale distance les uns des autres, autour d'une levre disposée en cercle & ridée, qui renferme un bec composé de deux pieces de substance analogue à la corne, & de deux parties crochues emboîtées l'une dans l'autre, & mobiles de droite à gauche. L'ouverture qu'elles laissent entre elles, est perpendiculaire au plan qui passe par les deux yeux, qui sont placés de chaque côté de la tête assez près l'un de l'autre, & au-dessous de la racine des bras de l'animal. Ces bras ne sont pas tous de la même longueur ; il y en a deux qui sont aussi longs que l'animal, tandis que les autres sont beaucoup plus petits : la grosseur de ceux-ci diminue peu à peu depuis la racine jusqu'à l'extrémité qui est terminée en pointe ; leur côté intérieur est convexe, & garni de plusieurs rangées de petits suçoirs mobiles. Il y a sur le côté extérieur deux plans qui forment un angle en se réunissant : les deux bras les plus longs sont cylindriques, excepté à leur extrémité, qui a la même forme que les petits bras, & qui est garnie de suçoirs ; la substance de tous ces bras est assez semblable à celle des tendons des animaux, & fort élastique.

Chaque suçoir tient au bras de l'animal par un pédicule ; lorsqu'ils sont étendus ils ressemblent en quelque sorte au calice d'un gland : dans la contraction, le pédicule s'éleve conjointement avec une membrane fine, qui environne un anneau cartilagineux, garni de petits crochets ; ces crochets s'attachent à ce qu'ils touchent, & ensuite l'animal retire le pédicule & les crochets pour retenir sa proie. C'est par ce moyen que s'opere la suction qui est faite en même tems par plus de mille suçoirs différens ; on en a compté plus de cent à l'un des petits bras, & plus de cent vingt à l'extrémité des longs bras : mais leur nombre ne peut être déterminé au juste, parce qu'ils sont à peine sensibles à l'extrémité des petits bras. Le diametre des plus grands suçoirs dans un de seize pouces est de trois dixiemes de pouce, & leur profondeur est à-peu-près égale au diametre.

Il y a au-dedans de la cavité du bec une membrane garnie de neuf rangées de dents, qui en s'élargissant par le haut & en se contournant par le bas, forme en même tems une langue & un gosier. Le corps du calmar est un étui cartilagineux, garni de deux nageoires ; il y a immédiatement au-dessous du bec un conduit ou canal en forme d'entonnoir ouvert par les deux bouts, qui donne issue à une liqueur noire, qui trouble l'eau lorsque l'animal la répand : cette liqueur étant exposée à l'air, se condense & devient une substance dure & fragile comme du charbon ; & ensuite elle peut se dissoudre dans l'eau. Vers le milieu de Décembre, M. Needham remarqua près de la racine du réservoir, qui renferme la liqueur noire, deux sacs membraneux d'une figure ovale, d'un quart de pouce de diametre ; ils étoient remplis d'une matiere gluante où étoit contenu le frai de l'animal. A la vûe simple on n'y distinguoit que des petites taches d'une belle couleur de cramoisi : mais à l'aide du microscope on voyoit des oeufs très-différens les uns des autres, pour la grandeur & pour la figure : les deux côtés du canal par où passe la liqueur noire sont soûtenus & écartés l'un de l'autre par deux cartilages paralleles & cylindriques. On voit au-dessus du cartilage gauche deux tuyaux fortement adhérens l'un à l'autre, quoique leurs cavités soient séparées : peut-être servent-ils de conduit au frai lorsqu'il sort ; au moins il est certain qu'il y a dans le corps du calmar mâle, deux vaisseaux de la même nature & situés de la même maniere, par lesquels l'animal fait sortir sa laite.

Ce fut au milieu de Décembre que M. Needham découvrit, pour la premiere fois, quelqu'apparence de la laite & des vésicules qui la renferment ; avant ce tems il n'avoit trouvé aucun vestige de semence dans les mâles, ni de frai dans les femelles. Les deux conduits de la semence étoient bien visibles : mais ils ne se terminoient point en un long réservoir ovale, étendu parallelement à l'estomac, & occupant plus de la moitié de la longueur de l'animal ; ces parties se forment & accroissent à mesure que la semence approche de son degré de maturité. Les vaisseaux qui la contiennent sont rangés par paquets, plus ou moins éloignés des conduits déférens.

" L'étui extérieur est transparent, cartilagineux, & élastique ; son extrémité supérieure est terminée par une tête arrondie, qui n'est autre chose que le sommet même de l'étui, contourné de façon qu'il ferme l'ouverture, par où l'appareil intérieur s'échappe dans le tems de son action.

Au-dedans est renfermé un tube transparent, qui est elastique en tous sens, comme il est aisé de s'en convaincre par les phénomenes qu'il offre ; ce tube fait effort pour passer par les ouvertures qu'il trouve : quoiqu'il ne soit pas par-tout également visible, diverses expériences prouvent cependant qu'il renferme la vis, le suçoir, le barillet & la substance spongieuse qui s'imbibe de la semence. La vis en occupe le haut & fait sortir en-deçà de sa partie supérieure, deux petits ligamens par lesquels elle est adhérente, aussi-bien que tout le reste de l'appareil, auquel elle est jointe, au sommet de l'étui extérieur. Le suçoir & le barillet sont placés au milieu de ce tube ; la substance spongieuse dilate sa partie inférieure, & est jointe au barillet par une espece de ligament.

Plusieurs de ces vaisseaux parvenus à leur maturité, & débarrassés de cette matiere gluante qui les environne pendant qu'ils sont dans le réservoir de la laite, agissent dans le moment qu'ils sont en plein air ; & peut-être que la legere pression qu'ils souffrent en sortant, suffit pour les déterminer à cela : cependant la plûpart peuvent être placés commodément pour être vûs au microscope, avant que leur action commence ; & même pour qu'elle s'exécute, il faut humecter avec une goutte d'eau l'extremité supérieure de l'étui extérieur, qui commence alors à se développer, pendant que les deux petits ligamens qui sortent hors de l'étui se contournent & s'entortillent en différentes façons ; en même tems la vis monte lentement, les volutes qui sont à son bout supérieur se rapprochent & agissent contre le sommet de l'étui. Cependant celles qui sont plus bas arrivent aussi & semblent être continuellement suivies par d'autres qui sortent du piston. M. Needham dit qu'elles semblent être suivies, parce qu'il ne croit pas qu'elles le soient en effet ; ce n'est qu'une simple apparence produite par la nature du mouvement de la vis. Le suçoir & le barillet se meuvent aussi suivant la même direction ; & la partie inférieure qui contient la semence s'étend en longueur, & se meut en même tems vers le haut de l'étui : ce qu'on remarque par le vuide qu'elle laisse au fond. Dès que la vis avec le tube dans lequel elle est renfermée, commence à paroître hors de l'étui, elle se plie, parce qu'elle est retenue par ses deux ligamens, & cependant tout l'appareil intérieur continue à se mouvoir, lentement & par degrés, jusqu'à ce que la vis, le suçoir & le barillet soient entierement sortis. Quand cela est fait, tout le reste saute dehors en un moment ; le suçoir se sépare du barillet, le ligament apparent qui est au-dessous de ce dernier, se gonfle & acquiert un diametre égal à celui de la partie spongieuse qui le suit. Celle-ci, quoique beaucoup plus large que dans l'étui, devient encore cinq fois plus longue qu'auparavant ; le tube qui renferme le tout s'étrécit dans son milieu, & forme ainsi deux especes de noeuds distans environ d'un tiers de sa longueur, de chacune de ses extrémités ; ensuite la semence s'écoule par le barillet, & elle est composée de petits globules opaques, qui nagent dans une matiere sereuse, sans donner aucun signe de vie, & qui sont précisément tels qu'on les a vûs, quand ils étoient répandus dans le réservoir de la semence. La partie comprise entre les deux noeuds paroît être frangée ; quand on l'examine avec attention, on trouve que ce qui la fait paroître telle, c'est que la substance spongieuse, qui est en-dedans du tube, est rompue & séparée en paralleles à-peu-près égaux.

Quelquefois il arrive que la vis & le tube se rompent précisément au-dessus du suçoir, lequel reste dans le barillet ; alors le tube se ferme en un moment, & prend une figure conique, en se contractant autant qu'il est possible par-dessus l'extrémité de la vis, ce qui démontre qu'il est très-élastique en cet endroit, & la maniere dont il s'accommode à la figure de la substance qu'il renferme, lorsque celle-ci souffre le moindre changement, prouve qu'il l'est également par-tout ailleurs ".

On sait par les fragmens d'alimens que l'on a trouvés dans l'estomac du calmar, qu'il se nourrit d'animaux, & entre autres de pélamides & de melettes, qui sont de petits poissons, dont il y a grand nombre dans les bas-fonds, près de l'embouchure du Tage. Voyez les nouvelles observations microscopiques.

On a distingué deux sortes de calmars, le grand & le petit, celui-ci est aussi appellé casseron ; il differe de l'autre en ce qu'il est plus petit, & que l'extrémité de son corps est plus pointue.

Le nom du calmar vient de la ressemblance qu'on lui a trouvée avec un encrier, sur tout pour la liqueur noire qui est dans le corps de l'animal, & que l'on prendroit pour de l'encre. Rondelet. (l)


CALMAR(Géog.) grande ville fortifiée de Suede, dans la province de Smaland, avec un port sur la mer Baltique, sur le détroit auquel on donne le nom de Calmar-Sund. Long. 34. 33. lat. 56. 48.


CALMES. m. (Marine) c'est une cessation entiere du vent : on dit sur mer calme tout plat, pour dire qu'il ne fait point du tout de vent. Quelques-uns prétendent que le grand calme est un présage d'une prochaine tempête. On dit mer calme.

Etre pris du calme, c'est demeurer sans aucun vent, ensorte qu'on ne peut plus gouverner.


CALMENDA(Géog.) ville du royaume de Portugal, peu éloignée de Brague.


CALMERappaiser la tempête ; il commence à calmer, se dit à la mer, calmer, devenir calme, pour signifier que le vent diminue.

Dans un combat entre deux armées navales ; le grand nombre de coups de canon qui se tirent, fait presque toûjours calmer. (Z)


CALMOUCKou CALMUQUES, (Géog.) peuples d'Asie, dans la grande Tartarie, entre le Mongul & le Wolga : ils sont divisés en hordes ou tribus qui ont chacune leur chef ou kam, dont le principal réside à Samarcand. Les Calmouks n'ont point de demeure fixe, ils campent toûjours sous des tentes, & ont des especes de chariots que les suivent par-tout, & qui portent leurs femmes, leurs enfans, & le peu de bagage qu'ils peuvent avoir. La Russie est en alliance avec cette nation, & a toûjours 6000 Calmouks à sa solde.


CALOMELS. m. terme de Pharmacie, nom qu'on donne au mercure doux, sublimé jusqu'à quatre fois ou même davantage. Voyez MERCURE.

Il paroît que cette dénomination a été d'abord donnée à l'éthiops minéral, & est composée des deux mots grecs , beau, & , noir, parce que les corps pâles ou blancs qu'on en frotte, deviennent noirs. Voyez ETHIOPS.

D'autres veulent qu'elle ait été donnée dès le commencement au mercure doux, par la fantaisie d'un certain chimiste qui se faisoit servir dans ses opérations par un noir ; & que cette dénomination fait allusion tout-à-la-fois à la couleur de l'aide qui étoit noir, & à la beauté du médicament qui était d'une fort belle apparence. (N)


CALOMNIES. f. (Morale) on calomnie quelqu'un, lorsqu'on lui impute des défauts ou des vices qu'il n'a pas. La calomnie est un mensonge odieux que chacun réprouve & déteste, ne fût ce que par la crainte d'en être quelque jour l'objet. Mais souvent tel qui la condamne, n'en est pas innocent lui-même : il a rapporté des faits avec infidélité, les a grossis, altérés ou changés, étourdiement peut-être, & par la seule habitude d'orner ou d'exagérer ses récits.

Un moyen sûr, & le seul qui le soit, pour ne point calomnier, c'est de ne jamais médire.

Transportez-vous en esprit dans quelque monde imaginaire, où vous supposerez que les paroles sont toûjours l'expression fidele du sentiment & de la pensée ; où l'ami qui vous fera des offres de service, soit en effet rempli de bienveillance ; où l'on ne cherche point à se prévaloir de votre crédulité, pour vous repaître l'esprit de fables ; où la vérité dicte tous les discours, les récits & les promesses ; où l'on vive par conséquent sans soupçon & sans défiance, à l'abri des impostures, des perfidies, & des délations calomnieuses : quel délicieux commerce, que celui des hommes qui pleupleroient cet heureux globe !

Vous voudriez que celui que vous habitez jouît d'une pareille félicité : eh bien, contribuez-y de votre part, & commencez par être vous-même droit, sincere & véridique. (C)

" L'Eglise, dit le célebre M. Pascal, a différé aux calomniateurs, aussi-bien qu'aux meurtriers, la communion jusqu'à la mort. Le concile de Latran a jugé indignes de l'état ecclésiastique ceux qui en ont été convaincus, quoiqu'ils s'en fussent corrigés ; & les auteurs d'un libelle diffamatoire, qui ne peuvent prouver ce qu'ils ont avancé, sont condamnés par le pape Adrien à être fouettés, flagellentur ".

L'illustre auteur de l'esprit des lois observe que chez les Romains, la loi qui permettoit aux citoyens de s'accuser mutuellement, & qui étoit bonne selon l'esprit de la république, où chaque citoyen doit veiller au bien commun, produisit sous les empereurs une foule de calomniateurs. Ce fut Sylla, ajoûte ce philosophe citoyen, qui dans le cours de sa dictature, leur apprit, par son exemple, qu'il ne falloit point punir cette exécrable espece d'hommes : bientôt on alla jusqu'à les récompenser. Heureux le gouvernement où ils sont punis. (O)

* Les Athéniens révererent la calomnie ; Apelle, le peintre le plus fameux de l'antiquité, en fit un tableau dont la composition suffiroit seule pour justifier l'admiration de son siecle : on y voyoit la crédulité avec de longues oreilles, tendant les mains à la calomnie qui alloit à sa rencontre ; la crédulité étoit accompagnée de l'ignorance & du soupçon ; l'ignorance étoit représentée sous la figure d'une femme aveugle ; le soupçon, sous la figure d'un homme agité d'une inquiétude secrette, & s'applaudissant tacitement de quelque découverte. La calomnie, au regard farouche, occupoit le milieu du tableau ; elle secoüoit une torche de la main gauche, & de la droite elle traînoit par les cheveux l'innocence sous la figure d'un enfant qui sembloit prendre le ciel à témoin : l'envie la précédoit, l'envie aux yeux perçans & au visage pâle & maigre ; elle étoit suivie de l'embûche & de la flaterie : à une distance qui permettoit encore de discerner les objets, on appercevoit la vérité qui s'avançoit lentement sur les pas de la calomnie, conduisant le repentir en habit lugubre. Quelle peinture ! Les Athéniens eussent bien fait d'abattre la statue qu'ils avoient élevée à la calomnie, & de mettre à sa place le tableau d'Apelle.

CALOMNIE, en Droit, outre sa signification ordinaire, s'est dit aussi de la peine ou amende imposée pour une action mal intentionnée & sans fondement.

On appelloit aussi anciennement calomnie l'action ou demande par laquelle on mettoit quelqu'un en justice, soit au civil, soit au criminel ; & en ce sens elle se disoit même d'une légitime accusation, & d'une demande juste. (H)


CALONE(Géog.) comté des Pays-bas, dans le duché de Brabant, sur les frontieres du pays de Liége.

CALONE, (Géog.) riviere de France, en Normandie.


CALOPINACO(Géog.) petite riviere du royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure.


CALORE(Géog.) riviere du royaume de Naples, dans la principauté ultérieure, qui prend sa source près de Bagnolo, & qui se jette dans le Sabato, près de Benevent.


CALOTS. m. terme de Bimblotier, ou faiseur de dragée au moule : c'est une calotte de chapeau dans laquelle ils mettent les dragées après qu'elles sont séparées des branches. Voyez D. fig. 2. Pl. de la Fonderie des dragées au moule.


CALOTTES. f. est une espece de petit bonnet de cuir, de laine, de satin ou d'autre étoffe, qu'on porta d'abord par nécessité, mais qui par succession est devenu un ornement de tête, sur-tout pour les ecclésiastiques de France.

Le cardinal de Richelieu est le premier qui en ait porté en France. La calotte rouge est celle que portent les cardinaux. Voyez BONNET.

On a transporté par analogie avec la calotte partie de notre vêtement, le nom de calotte à un grand nombres d'autres ouvrages. Voyez la suite de cet article.

CALOTTE, en terme d'Architecture, est une cavité ronde ou un enfoncement en forme de coupe ou de bonnet, latté & plâtré, imaginé pour diminuer la hauteur ou l'élevation d'une chapelle, d'un cabinet, d'une alcove, par rapport à leur largeur. (P)

CALOTTE, en terme de Boutonnier, c'est la couverture d'un bouton orné de tel ou tel dessein. Les calottes sont de cuivre, de plomb, d'étain argenté, d'or, d'argent, de pinchbec, &c. & sont serties sur des moules. Voyez BOUTON.

CALOTTE, en terme de Fourbisseur, c'est cette partie de la garde d'une épée qu'on remarque au-dessus du pommeau, sur laquelle on applique le bouton.

CALOTTE, en terme de Fondeur de petit plomb, se dit des formes de chapeaux dans lesquelles on met le plomb aussi-tôt qu'il est séparé de sa branche. Voyez CALOT.

CALOTTE, nom que les Horlogers donnent à une espece de couvercle qui s'ajuste sur le mouvement d'une montre. Les Anglois sont les premiers qui s'en sont servis. Cette calotte sert à garantir le mouvement de la poussiere ; on n'en met guere aux montres simples ; ce n'est qu'aux répétitions à timbre qu'elles deviennent absolument nécessaires, parce que la boîte étant percée, pour que le timbre rende plus de son, on est obligé d'avoir recours à ce moyen pour garantir le mouvement de toute la poussiere qui y entreroit sans cela.

On a presque abandonné l'usage des calottes, parce qu'elles rendoient les montres trop pesantes ; sans cela elles seroient fort utiles : car il faut convenir qu'une montre en iroit beaucoup mieux, si l'on pouvoit enfermer son mouvement de façon que la poussiere n'y pût pas pénétrer. Voyez la fig. 53. Pl. X. d'Horlogerie, où C marque la cavité nécessaire pour loger le coq. Voyez REPETITION. La fig. de dessus est le profil. (T)

CALOTTE CEPHALIQUE ou CUCUPHA, (Pharmacie) sachet qu'on appliquoit sur la tête dans la céphalalgie ; il étoit fait avec des morceaux de linge, de satin, de coton, doublés, entre lesquels on mettoit des médicamens céphaliques ; on imprégnoit aussi ce sachet de quelque huile distillée.

Nota. Ces calottes ne sont plus en usage, parce que souvent leurs effets devenoient funestes ; le plus petit mal qui en arrivoit, étoit de rendre les malades très-sensibles aux changemens les plus legers de l'air.

On peut voir sur ces calottes les différentes Pharmacopées, sur-tout celle de Lemery. (N)


CALOTTIES. m. (Commerce) celui qui a le droit de faire & de vendre des calottes : les maîtres Calottiers sont de l'état des marchands Merciers


CALOYEou CALOGER, s. m. (Hist. ecclés.) calogeri, moine, religieux & religieuse grecque, qui suivent la regle de S. Basile. Les Caloyers habitent particulierement le mont Athos : mais ils desservent presque toutes les églises d'Orient. Ils font des voeux comme les moines en Occident. Il n'a jamais été fait de réforme chez eux ; car ils gardent exactement leur premier institut, & conservent leur ancien vêtement. Tavernier observe qu'ils menent un genre de vie fort austere & fort retirée ; ils ne mangent jamais de viande, & outre cela ils ont quatre carêmes, & observent plusieurs autres jeûnes de l'église grecque avec une extrème régularité. Ils ne mangent du pain qu'après l'avoir gagné par le travail de leurs mains : il y en a qui ne mangent qu'une fois en trois jours, & d'autres deux fois en sept. Pendant leurs sept semaines de carême, ils passent la plus grande partie de la nuit à pleurer & à gémir pour leurs péchés & pour ceux des autres.

Quelques auteurs observent qu'on donne particulierement ce nom aux religieux qui sont vénérables par leur âge, leur retraite & l'austérité de leur vie, & le dérivent du grec , beau, & , vieillesse. Il est bon de remarquer que quoiqu'en France on comprenne tous les moines grecs sous le nom de caloyers, il n'en est pas de même en Grece ; il n'y a que les freres qui s'appellent ainsi : car on nomme ceux qui sont prêtres, Jéromonaques, Hieromonachi, .

Les Turcs donnent aussi quelquefois le nom de caloyers à leurs dervis ou religieux. Voyez DERVIS.

* Les religieuses caloyeres sont renfermées dans des monasteres, ou vivent séparément chacune dans leur maison. Elles portent toutes un habit de laine noire, & un manteau de même couleur ; elles ont la tête rasée, & les bras & les mains couvertes jusqu'au bout des doigts : chacune a une cellule séparée, & toutes sont soumises à une supérieure ou à une abbesse. Elles n'observent cependant pas une clôture fort réguliere, puisque l'entrée de leur couvent, interdite aux prêtres grecs, ne l'est pas aux Turcs, qui y vont acheter de petits ouvrages à l'aiguille faits par ces religieuses. Celles qui vivent sans être en communauté, sont pour la plûpart des veuves, qui n'ont fait d'autre voeu que de mettre un voile noir sur leur tête, & de dire qu'elles ne veulent plus se marier. Les unes & les autres vont par-tout où il leur plaît, & joüissent d'une assez grande liberté à la faveur de l'habit religieux. (G)


CALPES. f. (Hist. anc.) course de jumens introduite & peu de tems après proscrite par les Eléens dans leurs jeux. Elle consistoit, selon Pausanias, à courre avec deux jumens, dont on montoit l'une, & l'on menoit l'autre à la main. Sur la fin de la course on se jettoit à terre ; on prenoit les jumens par leurs mords, & l'on achevoit ainsi sa carriere. Amasée, dans sa version latine de Pausanias, s'est trompé en rendant par carpentum, chariot, puisque dans l'auteur grec il ne s'agit nullement d'une course de chars, mais d'une course de jumens libres & sans aucun attelage. Budé tire du grec l'étymologie de nos mots françois galop & galoper. En effet, de ou les Grecs ont fait & . Les Latins ont dit calpare & calupere, d'où nous avons formé galop & galoper. Mém. de l'académie des Belles-Lettr. tome VIII. (G)

CALPE, (Géogr.) haute montagne d'Espagne, au royaume d'Andalousie, au détroit de Gibraltar, qui fait l'une des colonnes d'Hercule. La montagne d'Abyla, qui est en Afrique vis-à-vis de celle-ci, fait l'autre.


CALPENTINE(Géog.) petite île d'Asie, à l'oüest de celle de Ceylan, avec une ville de même nom, appartient aux Hollandois.


CALQUES. m. (Hist. anc.) poids de la dixieme partie d'une obole. Voyez OBOLE.


CALQUER(Peinture, Dessein) maniere de dessiner ou transporter un dessein d'un corps sur un autre.

Lorsqu'on veut calquer quelque dessein que ce soit, on en frotte le revers avec un crayon ou une pierre tendre de couleur quelconque, mais différente de celle du papier, ou autre matiere sur laquelle on veut transporter le dessein. On applique le côté frotté de crayon sur le papier ou autre matiere où l'on veut porter le dessein, en l'y assujettissant d'une main, tandis que de l'autre on passe avec une pointe de fer émoussée sur chaque trait du dessein : alors il s'imprime sur le papier placé dessous, au moyen de la couleur dont le dessein est frotté sur son revers. Si l'on vouloit ne pas colorier le revers du dessein, on prépare avec cette même couleur un papier qu'on place entre le dessein & le corps sur lequel on veut le porter, & l'on opere ainsi qu'il vient d'être dit. Lorsqu'un dessein est sur du papier assez mince pour qu'on en puisse voir les contours au-travers du jour, on assujettit dessus celui sur lequel on veut reporter ce dessein ; ensuite on les pose contre une vitre de chambre ou contre une glace exposée au jour, ou bien on les applique sur une table où l'on a fait une ouverture : on pose une lumiere dessous la table ; & par l'une ou l'autre de ces manieres on distingue tous les traits du dessein que l'on veut avoir promtement & exactement, & qu'on trace avec du crayon sur le papier qui se trouve dessus. Lorsqu'on veut avoir le dessein en sens contraire, au lieu de placer le papier sur le dessein même, on le place sur son revers, & l'on suit les traits comme on les voit. La pointe à calquer A fait ordinairement partie du porte-crayon brisé, représenté figure 24. Planche II. de la Gravûre. (R)


CALQUERONS. m. partie du métier des étoffes de soie. Le calqueron est un liteau de quatre piés de long sur un pouce de large & un pouce d'épaisseur. Il sert à attacher les cordes qui répondent aux aleyrons pour faire joüer les lisses, suivant le besoin, pour la fabrication de l'étoffe. On attache encore au calqueron les cordes ou estrivieres, qui le sont aussi aux marches, pour donner le mouvement aux lisses.


CALSERY(Géogr.) ville d'Asie au royaume de Jamba, de la dépendance du grand-Mogol.


CALUCALA(Géog.) riviere d'Afrique au royaume d'Angola, dans la province d'Ilamba.


CALUMETS. m. (Hist. mod.) grande pipe à fumer, dont la tête & le tuyau sont ornés de figures d'animaux, de feuillages, &c. à l'usage des sauvages du Nord. Le calumet est aussi parmi eux un symbole de paix.


CALUNDRONIUSsub. m. (Hist. nat. bot.) pierre merveilleuse dont on ne donne aucune description ; mais à laquelle en récompense on attribue la vertu de rendre victorieux, de chasser la mélancholie, de résister aux enchantemens, & d'écarter les esprits malins.


CALUSS. m. en général signifie une dureté à la peau, à la chair, ou aux os, naturelle ou contre nature.

En ce sens les cors sont des especes de calus. Voyez COR.

Calus se dit plus particulierement d'un noeud ou d'une dureté qui se forme aux deux extrémités contiguës d'un os qui a été fracturé. Voyez OS & FRACTURE.

La formation du calus se fait de la maniere qui suit. Les sucs qui nourrissent l'os & coulent le long de ses fibres, s'extravasent à l'endroit où ces fibres sont rompues ; ensorte que s'y amassant, elles s'y attachent, s'y sechent, & s'y durcissent au point d'acquérir autant de consistance que l'os même, laissant seulement à l'endroit fracturé une inégalité plus ou moins grande, selon que la réduction a été plus ou moins parfaite.

Le calus devient aussi dur qu'un os. On lit dans les Transactions philosophiques, l'exemple d'un calus qui remplaça un humerus que M. Fowler avoit séparé parce qu'il étoit carié ; & celui d'un autre qui remplaça un fémur qu'avoit séparé M. Sherman ; & cela si parfaitement, que la personne n'en eut pas la cuisse plus foible, & marchoit ferme & sans boiter aucunement.

La formation du calus est proprement l'ouvrage de la nature ; lorsque par une par faite réduction & l'application des bandages convenables, on l'a mise en état d'agir. Il faut néanmoins que le suc osseux ne soit point vicié, c'est-à-dire que les principes qui le composent, ne le rendent ni trop ni trop peu disposé à se congeler. Cette disposition plus ou moins favorable du suc nourricier des os, fait souvent que dans des fractures de même espece, le calus est plus ou moins promtement affermi, & que le terme de trente-cinq à quarante jours suffit pour certaines, tandis que d'autres ont besoin d'un tems beaucoup plus considérable. On doit avoir en vûe de corriger les mauvaises dispositions de la lymphe, pour travailler à la formation & à la perfection du calus ; les alimens de bons sucs & de bonne digestion seront les moyens de procurer la formation du calus ; si le sang dépourvû de parties balsamiques y est un obstacle. Si les sucs étoient trop épaissis, il faudroit mettre en usage les délayans, les apéritifs & les fondans appropriés à la nature de l'épaississement ; l'usage des anti-vénériens seroit absolument nécessaire, si l'existence du virus vérolique ôtoit à la lymphe la consistance requise pour prolonger le conduit des fibres osseuses à chaque bout de l'os rompu, & souder l'endroit de la fracture. Extr. du traité des maladies des os, par M. Petit.

Le calus est encore une dureté qui se forme à quelque partie du corps humain, singulierement aux mains, aux piés, &c. en conséquence de frottement ou de pression contre des corps durs. (Y)

CALUS, en Jardinage, est une reprise de la matiere de la seve qui se fait en forme de noeud à la jointure d'une branche ou d'une racine. (K)


CALUTRE(Géog.) ville maritime de l'île de Ceylan, à trois lieues de Colombo.


CALVAIRE(Hist. & Géog.) montagne située hors de Jérusalem, du côté du septentrion, où l'on exécutoit les criminels, & où l'innocence même expira sur une croix.

CALVAIRE, s. m. (Hist. ecclés.) chez les Chrétiens est une chapelle de dévotion où se trouve un crucifix, & qui est élevée sur une terre proche d'une ville, à l'imitation du calvaire où J. C. fut mis en croix proche de Jérusalem. Tel est le calvaire du Mont-Valérien près de Paris : dans chacune des sept chapelles dont il est composé, est représenté quelqu'un des mysteres de la Passion.

On dérive ce nom de calvus, chauve, parce que, dit-on, cette éminence à Jérusalem étoit nue & sans verdure ; & c'est en effet ce que signifie le mot hébreu golgotha, que les interpretes latins ont rendu par calvariae locus.

CALVAIRE, (Congrégation de Notre Dame du) (Hist. ecclés.) ordre de religieuses qui suivent la regle de saint Benoît. Elles furent fondées premierement à Poitiers par Antoinette d'Orléans, de la maison de Longueville. Le pape Paul V. & le roi Louis XIII. confirmerent cet ordre en 1617 ; & le 25 d'Octobre Antoinette d'Orléans prit possession d'un couvent nouvellement bâti à Poitiers, avec vingt-quatre religieuses de l'ordre de Fontevrauld, qu'elle avoit tirées de la maison d'Encloitre, à deux lieues ou environ de Poitiers. Antoinette mourut le 25 d'Avril 1618 ; & en 1620 Marie de Medicis fit venir de ces religieuses à Paris, & les établit proche le palais d'Orléans du Luxembourg, qu'elle avoit fait bâtir. Leur couvent du calvaire au marais ne fut bâti qu'en 1638, par les soins du fameux P. Joseph, capucin, confesseur & agent du cardinal de Richelieu. C'est dans cette derniere maison que réside la générale de tout l'ordre. Supplém. au dictionn. de Moréri, tome I. lett. C. p. 216. (G)


CALVENSANO(Géog.) petite ville d'Italie dans le duché de Milan, sur l'Adda.


CALVI(Géogr.) ville du royaume de Naples, dans la terre de Labour.

CALVI, (Géog.) ville & port de l'île de Corse sur la mer Méditerranée, avec une citadelle. Long. 26. 35. lat. 42. 30.


CALVINISMES. m. (Hist. ecclés.) doctrine de Calvin & de ses sectateurs en matiere de religion.

On peut réduire à six chefs principaux les dogmes caractéristiques du Calvinisme ; savoir, 1°. que Jésus-Christ n'est pas réellement présent dans le sacrement de l'Eucharistie, mais qu'il n'y est qu'en signe ou en figure : 2°. que la prédestination & la réprobation sont antérieures à la présence divine des oeuvres bonnes ou mauvaises : 3°. que la prédestination & la réprobation dépendent de la pure volonté de Dieu, sans égard aux mérites ou démérites des hommes : 4°. que Dieu donne à ceux qu'il a prédestinés, une foi & une justice inamissible, & qu'il ne leur impute point leurs péchés : 5°. que les justes ne sauroient faire aucune bonne oeuvre, en conséquence du péché originel qui les en rend incapables : 6°. que les hommes sont justifiés par la foi seule, qui rend les bonnes oeuvres & les sacremens inutiles. A l'exception du premier article, qu'ils ont constamment retenu, les Calvinistes modernes ou rejettent ou adoucissent tous les autres. Voyez ARMINIENS & GOMARISTES.

Il est vrai que de ces erreurs capitales suivent beaucoup de conséquences qui sont elles-mêmes des erreurs, & qu'ils en ont aussi plusieurs communes avec d'autres hérétiques ; mais c'est une exagération visible que de leur en attribuer cent, comme fait le P. Gauthier, jésuite, dans sa chronologie ; à plus forte raison quatorze cent, comme les leur impute le cordelier Feuardent dans son ouvrage intitulé Theomachia calvinistica.

Le Calvinisme, depuis son établissement, s'est toûjours maintenu à Geneve qui fut son berceau, où il subsiste encore, & d'où il se répandit en France, en Hollande & en Angleterre. Il a été la religion dominante des Provinces-Unies jusqu'en 1572 ; & quoique depuis cette république ait toléré toutes les sectes, on peut toûjours dire que le Calvinisme rigide y est la religion de l'état. En Angleterre il a toûjours été en décadence depuis le regne d'Elisabeth, malgré les efforts qu'ont faits les Puritains & les Presbytériens pour le faire prédominer : maintenant il n'y est plus guere professé que par des Non-conformistes, quoiqu'il subsiste encore, mais bien mitigé, dans la doctrine de l'église anglicane ; mais il est encore dans toute sa vigueur en Ecosse, aussi-bien qu'en Prusse. Des treize cantons suisses, six professent le Calvinisme. La religion est aussi mélangée dans quelques parties de l'Allemagne, comme dans le Palatinat ; mais la catholique romaine commence à y être la dominante. Il a été toléré en France jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes en 1685. Les Protestans qui sortirent à cette occasion du royaume, & se retirerent en Hollande & en Angleterre, remplirent l'univers de plaintes & d'écrits. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner s'il est utile à un état de ne souffrir qu'une religion ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que lorsqu'ils ont fait éclater à cette occasion les murmures & les reproches les plus sanglans, un espace de plus de quatre-vingt ans leur avoit fait perdre de vûe les moyens dont leurs peres s'étoient servis pour arracher d'Henri IV. alors mal affermi sur son throne, un édit qui n'étoit après-tout que provisionnel, & qu'un des successeurs de ce prince a pû par conséquent révoquer sans injustice.


CALVINISTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) sectateurs de Calvin, auxquels on donne encore les noms de Protestans, de Prétendus-Réformés, de Sacramentaires, d'Huguenots. Voyez tous ces mots chacun sous leur titre.

Calvin leur chef commença à dogmatiser en 1533, se retira à Geneve en 1536, d'où il fut chassé deux ans après ; mais il y revint & s'y fixa en 1541. Ses erreurs s'étant insensiblement répandues en France, malgré la sévérité des rois François I. & Henri II. les Calvinistes y formerent sous le regne des trois derniers Valois un parti formidable à l'Eglise & à l'état. Après bien des révoltes & des amnisties, des combats & des défaites, où, comme dans toutes guerres de religion, les deux partis exercerent des cruautés inoüies, les Calvinistes obtinrent d'Henri IV. qui leur avoit été attaché avant sa conversion, le libre exercice de leur religion. Ils exciterent encore des troubles sous le regne de Louis XIII. & furent chassés du royaume sous celui de Louis-le-Grand.

Les Calvinistes ont emprunté une partie de leurs erreurs des hérétiques qui les avoient précédés, & y en ont ajoûté de nouvelles. Les plus célebres protestans conviennent que Calvin a pris pour le fonds de sa doctrine celle des Vaudois, particulierement en ce qui regarde le S. Sacrement, la Messe, le purgatoire, l'invocation des saints, la hiérarchie de l'Eglise & ses cérémonies. A l'égard des autres points qui sont plus théologiques, il a presque tout pris de Luther ; comme les articles de sa doctrine qui concernent le libre arbitre, qu'il détruit ; la grace, qui, selon lui, a toûjours son effet, & entraîne le consentement de la volonté par une nécessité absolue ; la justification par la foi seule ; la justice de Jesus-Christ qui nous est imputée ; les bonnes oeuvres sans aucun mérite devant Dieu ; les sacremens qu'il réduit à deux, & auxquels il ôte la vertu de conférer la grace ; l'impossibilité d'accomplir les commandemens de Dieu ; l'inutilité & la nullité des voeux, à la reserve de ceux du Baptême ; & autres semblables erreurs qu'il a tirées des écrits de Luther, & semées dans son livre de l'institution. Les opinions que Calvin y a ajoûtées du sien, sont, que la foi est toûjours mêlée de doute & d'incrédulité ; que la foi & la grace sont inamissibles ; que le Pere éternel n'engendre pas continuellement son Fils ; que Jesus-Christ n'a rien mérité à l'égard du jugement de Dieu ; que Dieu a créé la plûpart des hommes pour les damner, parce qu'il lui plaît ainsi, & antécédemment à toute prévision de leurs crimes. Quant à l'Eucharistie, Calvin assûre que Jesus-Christ nous donne réellement son sacré corps dans la sainte cene ; mais il ajoûte que c'est par la foi, & en nous communiquant son esprit & sa vie, quoique sa chair n'entre pas dans nous. Telle est l'idée qu'on peut se former des sentimens des Calvinistes d'après leurs livres, leurs catéchismes, leur discipline ecclésiastique, & les quarante articles de la profession de foi qu'ils présenterent au roi de France.

Leurs disputes dans ces derniers tems avec les Catholiques sur l'autorité, la visibilité de l'Eglise & ses autres caracteres, les ont jettés dans des opinions ou fausses ou absurdes, ou dans des contradictions dont les controversistes catholiques ont bien sû tirer avantage pour les convaincre de schisme. Voyez l'histoire des variations de M. Bossuet, liv. XV. & ses instructions sur l'Eglise contre le ministre Jurieu. Voyez aussi les ouvrages de M. Nicole, intitulés de l'unité de l'Eglise, & les Prétendus-Réformés convaincus de schisme. (G)


CALVITIES. f. terme de Medecine, est la chûte des cheveux, sur-tout du devant de la tête, sans qu'il y ait lieu d'espérer qu'ils reviennent ; elle arrive en conséquence du desséchement de l'humidité qui les nourrissoit, causé par une maladie, par le grand âge, ou par l'usage excessif de la poudre. Voyez CHEVEU & ALOPECIE. (N)


CALou CALBA, (Géog.) ville & comté d'Allemagne au duché de Wirtemberg, sur la riviere de Nagold.


CALYPTRAS. m. (Hist. anc.) ornement de tête des femmes romaines, dont il n'est resté de connu que le nom.


CALYPTRES. f. (Hist. anc.) vêtement des femmes greques dont il est fait mention dans Aelien qui parle en même tems d'un grand nombre d'autres. " La femme de Phocion, dit-il, portoit le manteau de son mari, & n'avoit besoin ni de crocote, ni de robe tarentine, ni d'anabolé, ni d'encyclion, ni de cecryphale, ni de calyptre, ni de tuniques teintes en couleur. Son vêtement étoit premiérement la modestie, & ensuite tout ce qu'elle pouvoit trouver pour se couvrir ". On n'a sur la plûpart de ces habits que des conjectures vagues.


CALZA(l'ordre de la) ou de la botte, Hist. mod. c'est le nom d'un ancien ordre militaire qui commença en Italie en l'année 1400 ; il étoit composé de gentilshommes qui choisissoient un chef entr'eux ; leur but étoit d'élever & d'instruire la jeunesse dans les exercices convenables à l'art militaire ; la marque distinctive de cet ordre, qui ne subsiste plus aujourd'hui, étoit de porter à une des jambes une botte qui étoit souvent brodée en or, ou même plus riche.


CALZADA(Géog.) petite ville d'Espagne, sur la riviere de Laglera, dans la Castille vieille.


CALZENOW(Géog.) petite ville de Livonie, dans la province de Letten, à sept lieues de Riga.


CAM-CHAINsub. m. (Hist. nat. bot.) espece d'orange qui croît au royaume de Tonquin, dont la pelure est fort épaisse, & remplie d'inégalités ; elle a l'odeur très-agréable, & le goût délicieux. On regarde ce fruit comme fort sain ; on en permet même l'usage aux malades.


CAMAENAS. f. (Myth.) déesse des Romains dont il est fait mention dans S. Augustin : elle présidoit aux chants.


CAMAGNES(Marine) Quelques gens de mer appellent ainsi les lits des vaisseaux qui sont emboîtés autour du navire. V. CABANE & CAPITE. (Z)


CAMAGUEIA(Géog.) province de l'Amérique septentrionale ; dans l'île de Cuba.


CAMAIEUS. m. pierre sur laquelle se trouvent plusieurs figures ou représentations de paysages & autres choses, par un jeu de la nature, en telle sorte que ce sont des especes de tableaux sans peinture. On le dit aussi de ces pierres précieuses, comme onices, sardoines, & agates, sur lesquelles les Graveurs en pierre employent leur art pour rendre les productions de la nature plus recommandables : alors les têtes ou les bas-reliefs dont ces pierres sont ornées, prennent le nom de camayeu. On en fait aussi sur des coquilles : ce sont les moins recommandables, par la raison de leur peu de dureté.

Camaïeu se dit encore de tous les tableaux faits de deux couleurs seulement : on dit peindre en camayeu, de beaux camayeux. On les appelle quelquefois tableaux de grisaille, & de clair-obscur. (R)


CAMAILS. m. sorte de couvre-chef à l'usage des ecclésiastiques, pendant l'hyver ; c'est une espece de cape qui enveloppe la tête, à l'exception du visage, embrasse le cou, s'étend sur les épaules, se ferme pardevant, & descend jusqu'à la ceinture. L'église prend le camail à la place du bonnet quarré, le 17 Octobre, jour de S. Cerboney.

CAMAIL, terme de Blason, espece de lambrequin qui couvroit les casques & les écus des anciens chevaliers. Quelques uns dérivent ce mot de camélanciers, qui étoit une petite ouverture de tête, faite de camelot ; & d'autres le font venir de cap de maille, à cause qu'il y avoit autrefois des couvertures de tête faites de maille. L'histoire ancienne fait mention de chevaliers armés de camails ; il y a grande apparence que ces camails étoient à-peu-près comme les haussecols, & que les camails des évêques ont été ainsi nommés à cause qu'ils leur ressemblent. (V)


CAMALDULESS. m. pl. (Hist. ecclés.) ordre de religieux fondés par S. Romuald en 1009, ou selon d'autres en 960, dans horrible desert de Campo-maldoli, dans l'état de Florence, sur le mont Appennin.

Leur regle est celle de S. Benoît : par leurs statuts, leurs maisons doivent être éloignées au moins de cinq lieues des grandes villes.

Les Camaldules ne porterent pas ce nom dès les commencemens : jusqu'à la fin du onzieme siecle, on les appella Romualdins, du nom de leur fondateur. On n'appelloit alors Camaldules, que ceux qui habitoient dans le de sert même de Camaldoli ; & le P. Grandi observe que le nom de Camaldules ne leur vient pas de ce que leur premiere maison a été établie à Campo-maldoli, mais de ce que la regle s'est maintenue dans cette maison sans dégénérer, mieux que partout ailleurs. Il n'y a qu'une maison de Camaldules en France, près de Gros-bois.

La congrégation des hermites de S. Romuald, ou du mont de la Couronne, est une branche de celle de Camaldoli, avec laquelle elle s'unit en 1532. Paul Justinien de Venise commença son établissement en 1520, & fonda le principal monastere dans l'Apennin, en un lieu nommé le mont de la Couronne, à dix milles de Pérouse. Baronius, Raynaldi, Sponde. (G)


CAMANHAYA(Hist. nat. bot.) plante du Bresil ; elle est capillaire ; elle croît sur les arbres les plus hauts, & les couvre quelquefois entierement ; elle est grise, & semblable au duvet ; elle a une, deux, trois, cinq, six feuilles comme celle du romarin ; on la prendroit pour un épithyme.


CAMARA(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, faite en forme de masque, irréguliere, dont la levre supérieure est relevée, & l'inferieure découpée en trois parties ; l'embryon qui porte la fleur devient dans la suite un fruit mou, ou une baie qui renferme un noyau rond. Ajoûtez au caractere de ce genre, que plusieurs fruits sont ramassés en une espece de grappe. Plumier, Nova plantar. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


CAMARA-JAPOCAMARA-MIRA, CAMARA-TINGA, CAMARA-CUBA, CAMARA-BAJA, (Hist. nat. bot.) plantes qui croissent au Bresil ; la premiere est une espece de mente à tige ronde, velue & rougeâtre, haute de deux piés, à feuilles legerement découpées, grisâtres en-dessous, opposées deux à deux ; les grandes environnées de petites, & à fleurs placées sur les branches les plus élevées en forme d'ombelles, semblables à celles de la tanesie, naissant pendant toute l'année, à étamines de couleur d'azur, & de l'odeur du mentastrum : toute la plante est aromatique & amere ; la semence en est petite, longue, & noire ; & quand elle est mûre, elle est dispersée par les vents avec son enveloppe cotonneuse.

La seconde est une plante qui s'éleve à la hauteur d'une coudée ; sa tige est foible & ligneuse ; sa fleur petite & jaune, s'ouvrant en tout tems sur le milieu du jour, & se refermant sur les deux heures ; ensorte qu'elle suppléroit en partie au défaut de montre. Ray, Hist. plant.

La troisieme est une espece de chevrefeuille nain, à fleur rouge, & quelquefois jaune, fort odorante ; l'herbe même en est suave ; aux fleurs succedent des grappes de baies vertes, grosses comme celles du sureau.

La quatrieme a la feuille âpre, hérissée comme des chardons, la fleur semblable à celle de l'oeil de boeuf, jaune, à neuf pétales, avec un ombilic large, jaune dans le milieu, & des étamines noires ; elle a l'odeur de l'aminte & de l'ortie ; les semences qui succedent aux fleurs sont longues, noirâtres, semblables à celles de la chicorée ; la plante entiere est très-glutineuse.

La derniere est une espece de lysimachia.


CAMARANA(Géog.) île d'Asie dans l'Arabie, sur la mer Rouge. Lat. 15.


CAMARASSE(Géog.) ville d'Espagne en Catalogne, dans le territoire de Lérida.


CAMARATA(Géog.) petite ville de Sicile, dans la vallée de Mazaro.


CAMARCES(Géog.) riviere d'Afrique, sur la côte de Guinée, dans le royaume de Benin.


CAMAREcaveçon camare, (Manége) espece de caveçon qu'on a banni des académies : il étoit garni de petites dents ou pointes de fer très-aiguës, qui déchiroient le cheval & le tourmentoient. Voyez CAVEÇON. (V)


CAMARGUE(LA) Géog. île de France en Provence, à l'embouchure du Rhône.


CAMARIN-BAou UMARI, (Hist. nat. bot.) arbre qui s'éleve à une hauteur moyenne, & porte de petites fleurs jaunes, suivies d'un fruit ovale semblable à la prune, de la saveur de la pêche, & d'un verd tirant sur le jaune pâle : la pulpe en est petite, douce, jaune, & contient un noyau large, ovale, blanc, dont l'amande est bonne à manger. Le fruit est mûr, & tombe en Mars.

On lui attribue plusieurs propriétés médicinales. On le trouve dans les environs de Riogrande.


CAMARINES(Géog.) contrée d'Asie dans l'île de Luçon, l'une des Philippines.


CAMARONES(LOS) Géog. riviere d'Afrique dans le golfe de Guinée, qui prend sa source dans le royaume de Biafara.


CAMou KAMP, (Géog.) riviere d'Allemagne en Autriche, qui prend sa source aux frontieres de Bohème, & se jette dans le Danube.


CAMBALUvoyez PEKIN.


CAMBAMBA(Géog.) Pays d'Afrique au royaume d'Angola, appartenant aux Portugais.


CAMBANAou CAMBOVA, ou CAMBAVA, (Géog.) île des Indes orientales, entre les îles Molucques, celle de la Sonde & de Java.


CAMBAYE(Géog.) grande ville d'Asie au royaume de Guzurate, dans les états du grand Mogol, proche d'un golfe de même nom. Long. 89. lat. 22. 30.


CAMBERG(Géog.) ville & château d'Allemagne, de l'électorat de Treves.


CAMBIO(Commerce) terme italien qui signifie change, & paroît dérivé du latin cambium, qui veut dire la même chose. On s'en sert assez communément en Provence, & encore davantage en Hollande. Voyez CHANGE.


CAMBISTES. m. nom qu'on donne dans le Commerce à ceux qui se mêlent du négoce des lettres & billets de change, qui vont régulierement sur la place ou à la bourse, pour s'instruire du cours de l'argent, & sur quel pié il est relativement au change des différentes places étrangeres, afin de pouvoir faire à propos des traites & remises, ou des négociations d'argent, de billets, lettres de change, &c. Voyez PLACE, BOURSE, BILLET, LETTRE DE CHANGE. &c.

Ce mot, quoique vieux, ne laisse pas que d'être d'usage parmi les marchands négocians ou banquiers. On croit qu'il vient du latin cambium, ou de l'italien cambio, qui signifient change. Voyez CHANGE. (G)


CAMBORI(Géog.) ville d'Asie au royaume de Siam, sur les frontieres de Pégu.


CAMBOUISS. m. (Medecine) graisse de porc ou d'autres animaux, dont on enduit les extrémités de l'essieu des roues des voitures. Le vieux-oing prend le nom de cambouis, quand il s'est chargé par le frottement des parties de fer de l'essieu & de la garniture des roues. Il passe pour propre à résoudre les hémorrhoïdes, étant appliqué dessus : cette vertu lui vient du mars qui s'est détaché par le mouvement & la chaleur continuelle de l'essieu & de la roue.

Des charlatans en ont fait pendant long-tems un secret, & on l'a regardé comme un remede merveilleux. Il est aisé de voir que ce n'est qu'un mélange de mars & de graisse, ou un liniment épaissi par le fer qui s'y est joint. (N)


CAMBOYou CAMBOGE, (Géog.) ville & royaume d'Asie dans les Indes, borné au nord par le royaume de Laos, à l'orient par la Cochinchine, au sud & à l'oüest par le royaume & le golfe de Siam. Long. 122. 30. lat. 12. 40.


CAMBRAY(Géog.) belle & grande ville de France dans les Pays-bas. Elle est très-fortifiée, munie d'une citadelle très-forte sur l'Escaut. Long. 20d. 53'. 41". lat. 50d. 10'. 32".


CAMBRES. m. en Architecture, ou CAMBRURE, du latin cameratus, courbé, se dit de la courbure du ceintre d'une voûte ou d'une piece de bois.


CAMBRÉvoyez CONCAVE. (P)


CAMBRERv. act. il est synonyme à courber. La différence qu'il peut y avoir entre l'un & l'autre, c'est que cambrer ne se dit que d'une courbure peu considérable ; au lieu que courber se dit de toute inflexion curviligne, grande ou petite.

CAMBRER un livre, en terme de Relieur, c'est le prendre à moitié avec les deux mains, & courber un peu les pointes des cartons en-dedans pour lui donner une meilleure forme. Cambrer est la derniere façon qu'on donne à un livre relié.


CAMBRESIS(Géog.) province de France dans les Pays-bas, bornée au nord & à l'est par le Hainault, au midi par la Picardie, & à l'oüest par l'Artois. Son commerce consiste en grains, & sur-tout en toiles de lin très-belles & très-estimées. Cambray en est la capitale.


CAMBRIDGE(Géog.) ville considérable d'Angleterre, capitale de Cambridgshire, avec titre de duché, fameuse par son université. Elle est sur la riviere de Cam. Long. 17. 28. lat. 52. 10.


CAMBURG(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la basse Saxe, à un mille de Naumbourg.


CAMELÉES. f. (Hist. nat. bot.) chamoelea, genre de plante à fleur monopétale, découpée en trois parties, de façon qu'elle paroît quelquefois composée de trois pétales. Le pistil devient dans la suite un fruit à trois noyaux, enveloppés d'une peau mince, & arrondis : ces noyaux renferment chacun une amande oblongue. Tournefort, Inst. rei herb. app. Voyez PLANTE. (I)


CAMÉLEONcameleo, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) petit animal du genre des animaux à quatre piés qui font des oeufs, comme le crocodile & le lézard, avec lesquels il a beaucoup de ressemblance. Voyez Planche XV. d'Hist. nat. fig. 2. Nous ne pouvons mieux faire, pour l'histoire du caméléon, que de rapporter ici ce qu'en a écrit M. Formey, secrétaire de l'académie royale des Sciences & Belles-Lettres de Prusse, dans un manuscrit qui nous a été remis.

" Le caméléon est fait comme le lézard, si ce n'est qu'il a la tête plus grosse & plus large : il a quatre piés, à chacun trois doigts ; la queue longue, avec laquelle il s'attache aux arbres, aussi-bien qu'avec les piés ; elle lui sert à grimper, & lorsqu'il ne peut atteindre de ses piés quelque lieu où il veut aller, pourvû qu'il y puisse toucher de l'extrémité de la queue, il y monte facilement. Il a le mouvement tardif comme la tortue, mais fort grave. Sa queue est plate, le museau long : il a le dos aigu, la peau plissée & hérissée comme une scie, depuis le cou jusqu'au dernier noeud de la queue, & une forme de crête sur la tête. Il a la tête sans cou, comme les poissons ; il fait des oeufs comme les lézards ; son museau est en pointe obtuse ; il a deux petites ouvertures dans la tête qui lui servent de narines ; ses yeux sont gros, & ont plus de cinq lignes de diametre, dont l'iris est isabelle, bordée d'un cercle d'or ; & comme il a la tête presqu'immobile, & qu'il ne peut la tourner qu'avec tout le corps, la nature l'a dédommagé de cette incommodité en donnant à ses yeux toutes sortes de mouvemens ; car il peut non-seulement regarder de l'un devant lui, & de l'autre derriere, de l'un en-haut & de l'autre en-bas : mais il les remue indépendamment l'un de l'autre avec tous les changemens imaginables. Sa langue est longue de dix lignes & large de trois, faite de chair blanche, ronde, & applatie par le bout, où elle est creuse & ouverte, semblable en quelque façon à la trompe d'un éléphant. Il la darde & retire promptement sur les mouches, qui s'y trouvent attrapées comme sur de la glu ; il s'en nourrit, & il lui en faut très-peu pour se repaître, quoiqu'il rende beaucoup d'excrémens. On dit même qu'il vit long-tems sans autre nourriture que l'air dont il se remplit au soleil jusqu'à ce qu'il en soit enflé. Il n'a point d'oreilles, & ne reçoit ni ne produit aucun son. Il a dix-huit côtes, & son épine a soixante & quatorze vertebres, y compris les cinquante de sa queue. Il devient quelquefois si maigre qu'on lui compte les côtes, desorte que Tertullien l'appelle une peau vivante. Lorsqu'il se voit en danger d'être pris, il ouvre la gueule & siffle comme une couleuvre. Gesner & Aldrovande disent qu'il se défend du serpent, par un fétu qu'il tient dans sa gueule.

Le caméléon habite dans les rochers : ce qu'il a de plus merveilleux, c'est le changement de couleur qu'il éprouve à l'approche de certains objets. Il est ordinairement verd, tirant sur le brun vers les deux épaules, & d'un verd jaune sous le ventre, avec des taches quelquefois rouges quelquefois blanches. Sa couleur verte se change souvent en un brun foncé, sans qu'il reste rien de la premiere couleur : les taches blanches disparoissent aussi quelquefois, ou changent seulement en une couleur plus obscure qui tire sur le violet, ce qui arrive ordinairement lorsqu'il est épouvanté. Lorsqu'il dort sous une couverture blanche, il devient blanc, mais jamais ni rouge ni bleu ; il devient aussi verd, brun ou noir, si on le couvre de ces couleurs : telles sont au moins les relations ordinaires qu'on a données de ce phénomene. Mais il me paroît exagéré ; & avant que d'en entreprendre l'explication, il faudroit bien constater le fait. Le P. Feuillée, minime, par exemple, prétend dans son Journal d'observations physiques, mathématiques & botaniques, que le changement de couleurs de cet animal vient des divers points de vûe où l'on le regarde ; ce qui n'est point aussi merveilleux que ce qu'en avoient publié les anciens. Mém. de Trévoux, Août 1727, pag. 1419. M. Souchu de Rennefort assûre dans son Histoire des Indes orientales, que les caméléons prennent par les yeux les couleurs des objets sur lesquels ils s'arrêtent. Hist. des ouvr. des Sav. Mars 1688. tom. II. p. 308. Un autre auteur avance qu'il n'est pas vrai que le caméléon change de couleur, suivant les choses sur lesquelles il se trouve ; mais ce changement arrive, selon lui, suivant les différentes qualités de l'air froid ou chaud qui l'environne. Rec. d'Hist. & de Littérat. tom. III. p. 73. Mlle de Scudéry, dans une relation qu'elle a publiée de deux caméléons qui lui furent apportés d'Afrique, assûre qu'elle les conserva dix mois, & que pendant ce tems-là ils ne prirent rien du tout. On les mettoit au soleil & à l'air, qui paroissoit être leur unique aliment : ils changeoient souvent de couleur, sans prendre celles des choses sur quoi on les mettoit. On remarquoit seulement, quand ils étoient variés, que la couleur sur laquelle ils étoient se mêloit avec les autres, qui par leurs fréquens changemens faisoient un effet agréable. Furetiere, article Caméléon. Toutes ces diversités demanderoient un examen plus circonspect ; qui épargnât la peine de chercher des explications pour ce qui n'existe peut-être point : cependant l'on en a proposé plusieurs : les uns disent que ce changement de couleurs se fait par suffusion, les autres par réflexion, d'autres par la disposition des particules qui composent sa peau. Elle est transparente, dit le P. Regnault (Entr. de Phys. tom. IV. p. 182.), & renferme une humeur transparente qui renvoye les rayons colorés, à-peu-près comme une lame mince de corne ou de verre. Mathiole rapporte plusieurs superstitions des anciens touchant le caméléon. Ils ont dit que sa langue, qu'on lui avoit arrachée étant en vie, servoit à faire gagner le procès de celui qui la portoit ; qu'on faisoit tonner & pleuvoir si l'on brûloit sa tête & son gosier avec du bois de chêne, ou si on rôtissoit son foie sur une tuile rouge ; que si on lui arrachoit l'oeil droit étant en vie, cet oeil mis dans du lait de chevre ôtoit les taies ; que sa langue liée sur une femme enceinte la faisoit accoucher sans danger ; que sa mâchoire droite ôtoit toute sa frayeur à ceux qui la portoient sur eux, & que sa queue arrêtoit des rivieres. Ce qui montre que les Naturalistes ont débité des choses aussi fabuleuses que les Poëtes.

Il y a en Egypte des caméléons qui ont onze à douze pouces, y compris la queue ; ceux d'Arabie & du Mexique ont six pouces seulement ".

On ne sait pourquoi les Grecs ont donné à une bête aussi vile & aussi laide, d'aussi beaux noms que ceux de petit-lion ou de chameau-lion. Cependant on a soupçonné que c'étoit parce qu'elle a une crête sur la tête comme le lion : mais cette crête ne paroit à la tête du lion, qu'après que les muscles des tempes ont été enlevés. On a aussi prétendu que c'est parce que le caméléon prend les mouches, comme le lion chasse & dévore les autres animaux, qu'il a été comparé au lion de même que le formica leo.

Les caméléons ont les jambes plus longues que le crocodile & le lézard, cependant ils ne marchent aisément que sur les arbres. On en a observé de vivans, qui avoient été apportés d'Egypte. Le plus grand avoit la tête de la longueur d'un pouce & dix lignes. Il y avoit quatre pouces & demi depuis la tête jusqu'au commencement de la queue. Les piés avoient chacun deux pouces & demi de long, & la queue étoit de cinq pouces. La grosseur du corps se trouvoit différente en différens tems ; il avoit quelquefois deux pouces depuis le dos jusqu'au-dessous du ventre ; d'autres fois il n'avoit guere plus d'un pouce, parce que le corps de l'animal se contractoit & se dilatoit. Ces mouvemens étoient non-seulement dans le thorax & le ventre, mais encore dans les bras, les jambes, & la queue ; ils ne suivoient pas ceux de la respiration, car ils étoient irréguliers, comme dans les tortues, les grenouilles, & les lézards. On a vû ici des caméléons rester enflés pendant plus de deux heures, & demeurer desenflés pendant un plus long-tems ; dans cet état ils paroissent si maigres, qu'on croiroit qu'ils n'auroient que la peau appliquée sur leurs squeletes. On ne peut attribuer ces sortes de contractions & de dilatations qu'à l'air que respire l'animal : mais on ne sait pas comment il peut se répandre dans tout le corps, entre la peau & les muscles ; car il y a toute apparence que l'air forme l'enflure, comme dans la grenouille.

Quoique le caméléon qui a été observé, parût fort maigre lorsqu'il étoit desenflé, on ne pouvoit cependant pas sentir le battement du coeur. La peau étoit froide au toucher, inégale, relevée par de petites bosses comme le chagrin, & cependant assez douce, parce que les grains étoient polis : ceux qui couvroient les bras, les jambes, le ventre, & la queue, avoient la grosseur de la tête d'une épingle ; ceux qui se trouvoient sur les épaules & sur la tête étoient un peu plus gros & de figure ovale. Il y en avoit sous la gorge de plus élevés & de pointus ; ils étoient rangés en forme de chapelet, depuis la levre inférieure jusqu'à la poitrine. Les grains du dos & de la tête étoient rassemblés au nombre de deux, trois, quatre, cinq, six, & sept ; les intervalles qui se trouvoient entre ces petits amas, étoient parsemés de grains presqu'imperceptibles.

Lorsque le caméléon avoit été à l'ombre & en repos depuis longtems, la couleur de tous les grains de sa peau étoit d'un gris bleuâtre, excepté le dessous des pattes qui étoit d'un blanc un peu jaunâtre ; & les intervalles entre les amas de grains du dos & de la tête étoient d'un rouge pâle & jaunâtre, de même que le fond de la peau.

La couleur grise du caméléon changeoit lorsqu'il étoit exposé au soleil. Tous les endroits qui en étoient éclairés prenoient, au lieu de leur gris bleuâtre, un gris plus brun & tirant sur la minime ; le reste de la peau changeoit son gris en plusieurs couleurs éclatantes, qui formoient des taches de la grandeur de la moitié du doigt ; quelques-unes descendoient depuis la crête de l'épine jusqu'à la moitié du dos ; il y en avoit d'autres sur les côtés, sur les bras : & sur la queue ; leur couleur étoit isabelle, par le mélange d'un jaune pâle dont les grains se coloroient, & d'un rouge clair qui étoit la couleur du fond de la peau entre les grains. Le reste de cette peau, qui n'étoit pas exposée au soleil & qui étoit demeurée d'un gris plus pâle qu'à l'ordinaire, ressembloit aux draps mêlés de laines de plusieurs couleurs ; car on voyoit quelques-uns des grains d'un gris un peu verdâtre, d'autres d'un gris minime, d'autres d'un gris bleuâtre qu'ils ont d'ordinaire ; le fond demeuroit rouge comme auparavant. Lorsque le caméléon ne fut plus exposé au soleil, la premiere couleur grise revint peu-à-peu sur tout le corps, excepté le dessous des piés qui conserva sa premiére couleur, avec quelque teinte de brun de plus. Lorsqu'on le toucha, il parut incontinent sur les épaules & sur les jambes de devant plusieurs taches fort noires de la grandeur de l'ongle ; quelquefois il devenoit tout marqueté de taches brunes qui tiroient sur le verd. Après avoir été enveloppé dans un linge pendant deux ou trois minutes, il devint blanchâtre, ou plûtôt d'une couleur grise fort pâle, qu'il perdit insensiblement quelque tems après. Cette expérience ne réussit qu'une seule fois, quoiqu'elle fût répétée plusieurs fois en différens jours, on la tenta aussi sur d'autres couleurs, mais l'animal ne les prit pas. On pourroit croire qu'il ne pâlit dans le linge blanc, que parce qu'il s'y trouva dans l'obscurité, & parce que le linge étoit froid de même que l'air, qui se trouva plus froid le jour de cette expérience, qu'il ne le fut les autres jours où on la répéta.

La tête de ce caméléon étoit assez semblable à celle d'un poisson, parce qu'il avoit le cou fort court, & recouvert par les côtés, de deux avances cartilagineuses assez ressemblantes aux oüies des poissons. Il y avoit sur le sommet de la tête une crête élevée & droite ; deux autres au-dessus des yeux, contournées comme une S couchée ; & entre ces trois crêtes deux cavités le long du dessus de la tête. Le museau formoit une pointe obtuse, & la mâchoire de dessous étoit plus avancée que celle de dessus. On voyoit sur le bout du museau, un trou de chaque côté pour les narines, & il y a apparence que ces trous servent aussi pour l'oüie. Les mâchoires étoient garnies de dents, ou plûtôt c'étoit un os dentelé, qui n'a pas paru servir à aucune mastication ; parce que l'animal avaloit les mouches & les autres insectes qu'il prenoit, sans les mâcher. La bouche étoit fendue de deux lignes au-delà de l'ouverture des mâchoires, & cette continuation de fente descendoit obliquement en-bas.

Le thorax étoit fort étendu en comparaison du ventre. Les quatre piés étoient pareils, ou s'il y avoit quelque différence, c'est que ceux de devant étoient pliés en-arriere, & ceux de derriere en-devant ; desorte que l'on pourroit dire que ce sont quatre bras qui ont leur coude en-dedans, y ayant dans chacun l'os du bras & les deux os de l'avant-bras. Les quatre pattes étoient composées chacune de cinq doigts, & ressembloient plûtôt à des mains qu'à des piés. Elles étoient néanmoins aussi larges l'une que l'autre ; les doigts, qui étoient deux à deux, étant plus gros que ceux qui étoient trois à trois. Ces doigts étoient enfermés ensemble sous une même peau, comme dans une mitaine, & n'étoient point séparés l'un de l'autre, mais paroissoient seulement à travers la peau. La disposition de ces pattes étoit différente, en ce que celles de devant avoient deux doigts en-dehors & trois en-dedans ; au contraire de celles de derriere, qui en avoient trois en-dehors & deux en-dedans.

Avec ces pattes il empoignoit les petites branches des arbres, de même que le perroquet, qui pour se percher partage ses doigts autrement que la plûpart des autres oiseaux, qui en mettent toûjours trois devant & un derriere ; au lieu que le perroquet en met deux derriere de même que devant.

Les ongles étoient un peu crochus, fort pointus, & d'un jaune pâle, & ils ne sortoient que de la moitié hors la peau ; l'autre moitié étoit cachée & enfermée dessous : ils avoient en tout deux lignes & demie de long.

Le caméléon marchoit plus lentement qu'une tortue, quoique ses jambes fussent plus longues & moins embarrassées. On a crû que les animaux de cette espece pourroient aller plus vîte, & on a soupçonné que c'est la timidité qui les arrête. La queue de celui qui a été observé, ressembloit assez à une vipere ou à la queue d'un grand rat, lorsqu'elle étoit gonflée ; autrement elle prenoit la forme des vertebres sur lesquelles la peau est appliquée. Lorsque l'animal étoit sur des arbres, il entortilloit sa queue autour des branches ; & lorsqu'il marchoit, il la tenoit parallele au plan sur lequel il étoit posé, & il ne la laissoit traîner par terre que rarement.

On l'a vû prendre des mouches & autres insectes avec sa longue langue. On a trouvé ces mêmes mouches & des vers dans l'estomac & les intestins : il est vrai qu'il les rendoit presqu'aussi entiers qu'il les avoit pris ; mais on sait que cela arrive à d'autres animaux qui n'ont jamais été soupçonnés de vivre d'air, comme le caméléon. Ce préjugé n'est pas mieux fondé que celui qui a rapport au changement de couleurs, qu'on a dit lui arriver par l'attouchement des différentes choses dont il approche. Mém. de l'acad. royale des Sciences, tome III. part. j. pag. 35. & suiv. Voyez QUADRUPEDE. (I)


CAMÉLÉOPARDvoyez GIRAFFE.


CAMELFORD(Géog.) ville d'Angleterre, dans la province de Cornouailles.


CAMELOTS. m. (Draperie) étoffe non croisée qui se fabrique, comme la toile ou comme l'étamine, sur un métier à deux marches. Il y en a de différentes longueurs & largeurs, & de toutes couleurs. On en distingue de plusieurs sortes, entre lesquels les uns sont tout poil de chevre ; d'autres ont la trame poil, & la chaîne moitié poil & moitié soie ; de troisiemes qui sont tout laine ; & de quatriemes où la chaîne est fil & la trame est laine. Tous ces camelots prennent différens noms, selon la façon ; il y en a de teints en fil & de teints en piece. On appelle teints en fil, ceux dont le fil, tant de chaîne que de trame, a été teint avant que d'être employé ; & teint en piece, ceux qui vont à la teinture au sortir du métier. Il y en a de jaspés, de gaufrés, d'ondés, de rayés, &c. On en fait des habits, des meubles, des ornemens d'église, &c. Il s'en fabrique particulierement en Flandre, en Artois, en Picardie ; on en tire aussi de Bruxelles, de Hollande & d'Angleterre, qui sont estimés. Il en vient du Levant. On en fait de soie, cramoisis, incarnats, violets, &c. mais ce sont des taffetas & des étoffes tabisées, qu'on fait passer pour des camelots.

Comme cette étoffe est d'un grand usage, le conseil a pris des précautions pour que la fabrication en fût bonne. Il a ordonné que les camelots de grain tout laine auroient la chaîne de quarante-deux portées, & chaque portée ou buhot, de vingt fils avec demi-aune demi-quart de largeur entre les lisieres, & trente-six aunes de longueur : que ceux à deux fils de soie auroient quarante-deux portées, & vingt-six ou vingt-huit fils à chaque portée, avec même longueur & largeur que les précédents : que les camelots superfins auroient la chaîne de poil de chevre filé, avec deux fils de soie ; quarante-deux portées à trente-six fils chacune, la trame double, de fil de turcoin, ou de poil de chevre filé, avec même longueur & largeur que ci-dessus : enfin que les rayés & unis, tout laine, auroient trente-trois portées, & douze fils à chacune, sur demi-aune de largeur entre les lisieres, & vingt-une aune de longueur pour revenir à vingt-une. Voyez les reglemens de 1699.

Les camelots ondés ont pris cette façon à la calendre, de même que les gaufres à la gaufrerie. Voyez CALENDRE & GAUFRER. Les camelots à eau ont reçû une eau d'apprêt, qui les a disposés à se lustrer sous la presse à chaud.

Il faut être fort attentif à ne point laisser prendre de mauvais plis au camelot, parce qu'on auroit beaucoup de peine à les lui ôter. Voyez PORTEE, BUHOT, CHAINE, TRAME ; & à l'article DRAPERIE, la fabrication & la différence de toutes ces étoffes.


CAMELOTERv. neut. c'est travailler un ouvrage de tissu, comme on travaille le camelot. Il y a des étamines camelotées à gros grain & à petit grain.


CAMELOTINES. f. (Draperie) petite étoffe faite de poil & de fleuret, à la maniere des camelots. Elle est passée de mode : il y en avoit de différentes largeurs.


CAMELOTTES. f. reliûre à la camelotte. Ces reliûres sont d'usage pour les livres d'un très modique prix, comme les livres des plus basses classes, ou de prieres, à très-bon marché. La camelotte consiste à coudre un livre à deux nerfs seulement : après qu'on a marqué les endroits de la couture avec la greque, on les passe en carton grossier, mais mince ; on les endosse sans mettre des ais entre les volumes, & on ne met que du papier sur le dos, & le reste se finit grossierement.


CAMEN(Géog.) petite ville d'Allemagne dans le comté de la Marck, en Westphalie.


CAMENEC(Géog.) ville de Pologne au grand duché de Lithuanie, dans le palatinat de Briescia.


CAMENTou CAMENITZ, (Géog.) ville d'Allemagne dans la Lusace, sur l'Elster.


CAMERA(LA TORRE DE) Géog. petite ville d'Afrique en Barbarie, au royaume de Barca.


CAMERAN(Géogr.) île d'Afrique dépendante de l'Abyssinie, dans la mer Rouge.


CAMERARIAsub. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Joachim Camerarius, medecin de Nuremberg. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, faite en forme de tuyau & de soûcoupe découpée. Il s'éleve du calice un pistil qui est attaché au bas de la fleur comme un clou, & qui devient dans la suite un fruit ordinairement double, siliqueux, bordé, qui s'ouvre longitudinalement, & qui renferme des semences oblongues, ailées & disposées par écailles. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


CAMERINO(Géogr.) petite ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, proche de l'Apennin, sur la riviere de Chiento. Long. 30. 42. lat. 43. 5.


CAMERLINGUES. m. (Hist. civil. & ecclés.) Ce nom, selon M. Ducange, a été autrefois employé pour signifier un thrésorier du pape & de l'empereur. Il vient de l'allemand kammer-ling, qui signifie chambrier, ou maître de la chambre, ou trésorier ; & dans une charte de l'empereur Lothaire, on trouve un Berthold qui exerçoit la charge de thrésorier, appellé camerling.

Aujourd'hui ce nom n'est plus en usage qu'à Rome, où par camerlingue on entend le cardinal qui régit l'état de l'Eglise & administre la justice. C'est l'officier le plus éminent de cette cour, parce qu'il est à la tête des finances. Pendant la vacance du saint siége il fait battre monnoie, marche en cavalcade accompagné des suisses de la garde & autres officiers, & fait publier des édits. Le cardinal camerlingue a sous lui un thrésorier général, un auditeur genéral, & est président d'une chambre ou bureau des finances, composée de douze prélats qu'on nomme clercs de la chambre. Le cardinal Annibal Albani, neveu de Clément XI. est aujourd'hui camerlingue du saint siége. (G)


CAMERON(Géogr.) petite ville d'Allemagne dans la Poméranie, au duché de Stettin.


CAMERONIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) On appelloit de ce nom en Ecosse dans le xvij. siecle, une secte qui avoit pour chef un nommé Archibald Cameron, ministre presbytérien, qui ne vouloit pas recevoir la liberté de conscience que Charles II. roi d'Angleterre vouloit accorder aux presbytériens, parce que, selon lui, c'étoit reconnoître la suprématie du roi, & le regarder comme chef de l'Eglise. Ces Caméroniens, non contens d'avoir fait schisme avec les autres presbytériens, pousserent les choses si loin, qu'ils regarderent le roi Charles II. comme déchû de la couronne, & se révolterent ; mais on les réduisit en peu de tems ; & enfin en 1690, sous le regne de Guillaume III. ils se réunirent aux autres presbytériens. Mais en 1706 ils jugerent à propos d'exciter de nouveaux troubles dans l'église d'Ecosse, il s'en amassa un grand nombre en armes près d'Edimbourg ; mais ils furent dispersés par des troupes réglées qu'on envoya contr'eux. On prétend qu'ils ont une haine plus forte contre les presbytériens que contre les épiscopaux.


CAMHOFF(Géogr.) ville d'Allemagne dans la basse Baviere.


CAMILLES. m. (Hist. anc.) jeune garçon qui servoit à l'autel dans les sacrifices des Romains : sa fonction étoit de tenir le coffret d'encens & de parfums, appellé acerra ou le praefericulum. V. ACERRA & PRAEFERICULUM. Il falloit que ce desservant fût de bonne famille, & qu'il eût pere & mere vivans. A l'autel il étoit vétu de long ; sa robe étoit large, relevée par la ceinture, & descendant fort bas : il avoit sur la tête un ornement en pointe, du moins c'est ainsi qu'on le voit dans plusieurs antiques. On lui remarque dans quelques autres la tête découverte quand le sacrificateur l'a voilée, & la tête couverte quand le sacrificateur l'a nue : il seroit difficile d'en dire la raison. Le camille étoit de la célébration des mariages & des pompes publiques.


CAMIou CAMMIN, (Géog.) ville d'Allemagne dans la Poméranie ultérieure, proche de la mer Baltique, à l'embouchure de l'Oder. Long. 32. 45. lat. 54. 4.


CAMINHA(Géog.) ville forte du Portugal, avec titre de duché. Long. 9. 5. lat. 41. 44.


CAMINIETZ(Géogr.) petite ville de Pologne sur la riviere de Bug, dans la province de Mazovie.


CAMINIZI(Géog.) ville & forteresse d'Asie, sur la mer Noire.


CAMIONS. m. (ouvrage de Charron) c'est une espece de petite voiture ou petit haquet monté sur quatre petites roues faites d'un seul morceau de bois chacune, sur laquelle on traîne des fardeaux pesans & difficiles à manier. Le camion est à l'usage de plusieurs ouvriers.

CAMION est, parmi les Epingliers, la plus petite de toutes les especes d'épingles ; elle ne sert guere que pour attacher les coëffures & les autres ornemens des femmes.


CAMISS. m. pl. (Hist. mod.) idole qu'adorent les Japonois, & principalement les bonzes ou ministres de la secte de Xenxus. Ces idoles représentent les plus illustres seigneurs du Japon, à qui les bonzes font bâtir de magnifiques temples, comme à des dieux, qu'ils invoquent pour obtenir la santé du corps & la victoire sur leurs ennemis. (G)


CAMISADES. f. terme de Guerre, qui signifie une attaque par surprise, de nuit ou de grand matin, lorsqu'on suppose que l'ennemi est couché.

Ce terme vient du mot chemise, qu'en quelques provinces on prononce camise. Cette sorte d'attaque s'appelloit camisade, parce que les soldats qui attaquoient, mettoient leur chemise par-dessus leurs armes, pour se reconnoître plus aisément dans la mêlée. (Q)


CAMISARDou CAMISARS, sub. m. pl. (Hist. mod.) est un nom qu'on a donné en France aux calvinistes des Cevennes, qui se liguerent & prirent les armes pour la défense du Calvinisme en 1688.

On ne convient pas sur l'étymologie de ce mot : quelques uns le font venir de camisade, parce que leurs attaques & leurs incursions furent subites & inattendues : d'autres le font venir de camise, qui en quelques provinces de France se dit pour chemise ; parce qu'ils alloient dans les maisons prendre de la toile pour se faire des chemises, ou parce qu'ils portoient des habillemens faits comme des chemises : d'autres le font venir de camis, un grand chemin ; parce que les routes publiques étoient infestées de Camisards.

On donna encore le même nom aux fanatiques, qui, au commencement de ce siecle, se révolterent & commirent beaucoup de desordres dans les Cevennes. Ils furent enfin réduits & dissipés par la bravoure & la prudence du maréchal de Villars. (G)


CAMISSANO(Géog.) ville d'Italie dans le Vicentin, sur les frontieres du Padouan, aux Vénitiens.


CAMMALAMMA(Géog.) ville d'Asie dans l'île de Ternate, dont elle est la capitale.


CAMMANAH(Géog.) petite province d'Afrique dans la Guinée, sur la côte d'Or.


CAMMES. f. c'est ainsi qu'on nomme dans les grosses forges & dans plusieurs autres usines, des éminences pratiquées à la surface d'un arbre, qui tournant sur lui-même par le moyen d'une grande roue & d'une chûte d'eau, fait lever ou des pilons ou des soufflets, auxquels on a pratiqué d'autres éminences que les cammes rencontrent.


CAMMONIA(Hist. nat. bot.) c'est une plante des Indes orientales, dont il y a plusieurs especes différentes. Elle croît à la hauteur de dix à douze piés ; ses feuilles ressemblent assez à celles du bouis, hormis qu'elles sont un peu plus grandes. Elle fleurit quatre fois par année ; ses fleurs sont blanches comme de la neige ; ressemblent à celles du jasmin, & ont une odeur pour le moins aussi gracieuse que la sienne, & qui se répand au loin ; ses branches ou rameaux se remplissent de fleurs qui sont monopétales, & qui se forment en grappes comme des raisins.


CAMOMILLES. f. (Hist. nat. bot.) chamaemelum genre de plante à fleur ordinairement radiée, dont le disque est un amas de fleurons, & dont la couronne est formée par des demi-fleurons portés sur des embryons, & soûtenus par un calice écailleux. Les embryons deviennent dans la suite des semences attachées à la couche : ajoûtez au caractere de ce genre le port de la plante, & principalement ses feuilles, qui sont découpées en petites parties. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On l'employe sur les plates-bandes : il ne s'agit que de l'exposer au grand chaud, & que de lui choisir des lieux sablonneux. Elle vient de graine ou de plant en racine, & fleurit en été. (K)

La camomille appellée chamaemelum vulgare, leucanthemum Dioscoridis, C. B. P. 135. chamomilla romana offic. Buxb. est d'usage en Medecine : elle est amere, aromatique, & rougit beaucoup le papier bleu. Elle contient du sel ammoniac chargé de beaucoup d'acide, & enveloppé d'une grande quantité de soufre & de terre. Elle est apéritive, diurétique, adoucissante, fébrifuge.

Les fleurs, dès le tems de Dioscoride, servoient dans les fievres intermittentes. Riviere & Morthon l'employent de même ; & c'est encore à-présent le fébrifuge ordinaire des Irlandois & des Ecossois.

L'infusion de ses sommités & de mélilot, soulage dans la colique néphrétique & dans la rétention d'urine : elle appaise les grandes tranchées qui surviennent après l'accouchement.

Simon Pauli loue le vin de camomille dans la pleurésie, & les fomentations de la décoction faites en même tems sur le côté.

Elle est bonne en lavement & en bain : on en fait des cataplasmes, lorsqu'il est question d'adoucir & résoudre, comme dans la sciatique, dans les hémorrhoïdes.

L'huile de camomille faite par l'infusion de la plante, est bonne contre les douleurs de rhûmatisme : on la mêle avec parties égales d'huile de millepertuis & d'esprit-de-vin camphré ; on en fait un liniment sur la partie malade, que l'on couvre d'un linge bien chaud plié en quatre.

La camomille fétide est d'un usage moins étendu. Voyez MAROUTE.

On trouve dans les boutiques l'eau distillée, simple & composée de camomille ; l'huile distillée, & l'huile par infusion. (N)


CAMONICA(Géog.) petit pays d'Italie dans le Brescian, appartenant aux Vénitiens.


CAMOUFLETS. m. Donner un camouflet, dans l'Art militaire, c'est chercher à étouffer ou écraser le mineur ennemi dans sa galerie.

Le camouflet se donne de différentes façons, suivant la distance de l'éloignement & de la ligne de moindre résistance. Voici la plus commune.

Si le mineur est bien voisin, on se sert pour lui donner le camouflet d'une bombe de douze pouces chargée avec sa fusée. On la loge dans un trou du côté du parvis opposé au mineur qu'on veut étouffer ; on regarnit le trou ; on le couvre d'un ou de plusieurs bouts de madriers que l'on arcboute bien solidement contre le côté opposé ; on remplit le bout du rameau ou de la galerie, que l'on arcboute encore à proportion de la résistance qu'elle doit faire. Avant de faire cette opération, on met le saucisson avec son auget, qui commence à la fusée jusqu'à la sortie de l'étançonnement, de la même maniere qu'on en use pour mettre le feu au fourneau, ou à la chambre des mines. On met le feu au saucisson, & le mineur ennemi se trouve étouffé par le renversement des terres, le manque d'air, & la fumée dont il est accablé. Voyez MINE. (Q)


CAMPS. m. dans l'Art militaire, est l'espace ou le terrein occupé par une armée pour son logement en campagne.

" Ce qui caractérise le camp, & qui en détermine le nom suivant nos usages, ce sont les tentes que les officiers & les soldats ont avec eux ; pour s'en servir au lieu de maisons.

Les tentes sont des pieces de toiles ou de coutil préparées & accommodées, pour être soûtenues en l'air avec des cordes, des piquets, & de petites pieces de bois ou gros bâtons.

Il est aisé de comprendre que ces tentes doivent être placées d'une maniere déterminée, qui convienne à la commodité de ceux qui habitent le camp, & aux précautions nécessaires pour le défendre : ces précautions, & tout ce qui concerne la sûreté du camp, font le principal objet ou la base de sa disposition.

Les conséquences tirées de ce principe, ont été différentes suivant les tems. Les anciens resserroient le campement de leurs troupes, & ils formoient un retranchement tout-autour, qui étoit presque toûjours quarré chez les Romains. Les Turcs, & quelques autres nations de l'Asie, qui font la guerre le plus souvent dans des pays de plaines entierement découvertes, entourent leur camp d'une enceinte formée par leurs chariots & autres bagages.

La pratique présente des nations de l'Europe est toute différente. On fait consister la sûreté du camp à la facilité qu'on procure aux cavaliers & aux soldats de se rassembler devant leurs tentes, pour s'y mettre en état de se défendre contre l'ennemi, & le combattre.

C'est pourquoi l'ordre de bataille fixé par le général, devant être regardé comme la meilleure disposition dans laquelle l'armée puisse combattre, il s'ensuit que les troupes doivent camper de maniere à se rassembler dans cet ordre lorsqu'il en est besoin, & que le terrein le permet.

Ainsi c'est l'ordre de bataille qui doit décider absolument celui du campement ; ce qui est conforme à ce que M. le marquis de Santa-Crux observe à ce sujet, en disant : que la bonne regle exige de camper selon l'ordre qu'on marche, & de marcher selon l'ordre dans lequel on doit combattre.

Les troupes étant destinées à combattre par division de bataillons & d'escadrons, elles doivent donc camper dans le même ordre, & être arrangées dans le Camp de la même maniere qu'elles le sont dans l'ordre de bataille.

D'où il suit : que l'étendue de droite à gauche des camps particuliers des bataillons & des escadrons, doit être égale au front que ces troupes occupent en bataille, & qu'il doit y avoir entre ces camps des intervalles aussi égaux à ceux qu'on met alors entre les mêmes troupes.

Par cette disposition, l'étendue du front de tout le camp de droite à gauche, est égale au front de l'ordre de bataille ; & l'armée étant en bataille à la tête de ce front, chaque bataillon & chaque escadron peut faire tendre son camp derriere lui ; ce qui étant fait, toutes les troupes peuvent entrer ensemble dans leur camp, s'y placer presqu'en un moment, & en sortir de même, s'il en est besoin, pour combattre.

Si le camp a un front plus grand que celui de l'armée en bataille, les troupes, en se formant à la tête du camp, laisseront de grands intervalles entr'elles si elles veulent le couvrir ; si au contraire le front du camp est plus petit, les troupes n'auront pas l'espace nécessaire pour se former en-avant avec les distances prescrites par le général. D'où l'on voit que pour éviter ces deux inconvéniens, il faut que le front du camp se trouve sensiblement égal à celui de l'armée rangée en bataille, & pour cela que le camp particulier de chaque troupe joint à l'intervalle qui le sépare du camp voisin, ait un front égal à celui de la même troupe & de son intervalle en bataille. C'est aussi ce que prescrit M. le maréchal de Puysegur, qui dit dans son livre de l'art de la guerre : que la premiere regle à observer pour asseoir un camp, est de lui donner au moins la même étendue que les troupes occupent en bataille ; parce qu'il faut qu'elles puissent être mises promtement & en tout tems en ordre pour combattre.

Remarque sur les intervalles qu'on doit laisser entre les camps de différentes troupes de l'armée. Il n'y a rien de déterminé, ni dans l'usage, ni dans les auteurs militaires, sur la largeur des espaces qui doivent séparer les corps particuliers de l'armée.

M. de Bombelles dit dans son livre sur le service journalier de l'infanterie, que cette détermination ne se peut faire avec précision, parce que l'étendue du front du camp de chaque bataillon, dépend de l'espace dans lequel le général veut faire camper son armée. Il suppose cependant qu'en terrein ordinaire on peut donner cent vingt pas au front d'un bataillon, y compris celui de son intervalle ; comme il suppose aussi que le camp de ce bataillon doit occuper quatre-vingt-dix pas : d'où il s'ensuit que selon cet officier général, trente pas font un espace suffisant pour l'intervalle des bataillons dans le camp.

D'autres auteurs ne donnent point d'intervalles entre tous les camps des bataillons de l'armée ; ils prescrivent seulement de séparer les camps des régimens par un espace de trente pas : mais ils n'appuient ce principe d'aucune raison ; ensorte qu'il paroit que leur intention à cet égard est uniquement de diviser le camp par régimens. Quoique cette division soit celle qui paroisse la plus conforme à l'usage présent, on ne peut néanmoins la regarder ni comme générale, ni comme ayant toûjours été observée. M. Rozand lieutenant colonel, & ingénieur dans les troupes de Baviere, qui a donné en 1733 un très bon traité de Fortification, prétend dans cet ouvrage, qu'il a toûjours vû donner dans les camps, quarante ou cinquante pas de cheval par escadron, & pareille distance pour l'espace ou l'intervalle des camps particuliers de chacune de ses troupes ; qu'il a vû donner de même cent pas de cheval pour le front du camp de chaque bataillon, & autant pour son intervalle. Cette pratique qui est conforme aux principes ci-devant établis, peut être regardée comme une regle invariable, si le général veut combattre avec des intervalles égaux aux fronts des différentes troupes de son armée : mais quel que soit le parti qu'il prenne à cet égard, le camp particulier de chaque troupe, joint à son intervalle, doit toûjours répondre sensiblement au front & à l'intervalle des troupes en bataille, au moins si on veut observer quelque regle dans la détermination du front du camp.

Il suit des principes qui ont été exposés sur l'étendue ou le front du camp, qu'il doit toûjours y avoir devant tous les corps des bataillons & des escadrons, un terrein libre où l'armée puisse se mettre en bataille.

C'est pourquoi si l'on est obligé de camper dans des lieux embarrassés, la premiere chose à laquelle on doit veiller, c'est de faire accommoder le terrein de maniere que les troupes qui l'occupent, puissent communiquer aisément entr'elles, & se mouvoir sans aucun obstacle.

L'ordre de bataille étant ordinairement dirigé du côté de l'ennemi par une ligne droite, le camp est déterminé du même côté & par une même ligne lorsque le terrein le permet. On place sur cette ligne, ou plûtôt quelques pas en-avant, les drapeaux & les étendards des troupes : on lui donne par cette raison le nom de front de bandiere, vieux mot françois qui signifie banniere, & en général tout signe ou enseigne militaire. C'est la principale ligne, ou, pour s'exprimer en terme de Fortification, la ligne magistrale du camp ; à laquelle toutes les autres se rapportent.

Après avoir expliqué les principes qui peuvent servir à déterminer le front de bandiere du camp, il s'agit de dire un mot de sa profondeur.

Elle est déterminée par celle des camps des bataillons & des escadrons, qu'on peut évaluer à quatre-vingt toises. Il faut observer que la seconde ligne doit avoir un terrein devant elle assez grand pour se mettre en bataille, sans que les dernieres tentes de la premiere ligne anticipent sur le terrein.

L'éloignement de la tête du camp ou du front de bandiere de la premiere ligne à celui de la seconde, est assez ordinairement de trois ou quatre cent pas, c'est-à-dire de cent cinquante ou deux cent toises : on donne même à cet intervalle jusqu'à cinq cent pas ou deux cent cinquante toises, si le terrein est assez spacieux pour cela ; mais cette distance ne peut être moindre que deux cent pas, autrement la queue des camps de la premiére ligne s'étendroit jusqu'à la tête du camp de la seconde.

Il est très utile en cas d'attaque, que non-seulement le camp de la premiere ligne ait assez de terrein libre en-avant, pour que cette ligne puisse s'y porter aisément s'il en est besoin, ainsi qu'on l'a déjà dit, mais encore pour que la seconde ligne, passant par les intervalles du camp de la premiere, puisse venir se former derriere cette premiere à une distance convenable pour la soûtenir. C'est pourquoi toutes les fois qu'on peut procurer cet avantage au camp, on ne doit jamais le négliger, surtout lorsqu'on est dans un camp à portée de l'ennemi.

Il arrive quelquefois qu'on fait un retranchement devant tout le front du camp : alors il ne doit y avoir aucun obstacle qui empêche les troupes de communiquer librement du camp au retranchement.

Dans les pays tels que la Hongrie & les provinces voisines du Danube, où les Allemands font la guerre aux Turcs, tous les officiers généralement se servent de tentes : mais dans la Flandre, l'Allemagne, l'Italie, &c. où l'on a coûtume de faire la guerre, & où il se trouve beaucoup de villages & de maisons, on s'en sert pour le logement des officiers généraux, c'est-à-dire pour celui des lieutenans-généraux & des maréchaux de camp. Les fourriers de l'armée leur font marquer à chacun une maison dans les villages qui se trouvent renfermés dans le camp. Les brigadiers mêmes peuvent, suivant les ordonnances militaires, se loger dans une maison, s'il s'en trouve à la queue de leur brigade : mais les colonels & les autres officiers inférieurs doivent nécessairement camper à la queue de leurs troupes, selon les mêmes ordonnances.

On a soin que les officiers généraux soient campés ou logés à côté des troupes ou des parties de l'armée qu'ils commandent : ainsi ceux qui commandent à la droite ou à la gauche de l'armée, occupent les villages qui se trouvent dans ces parties, & les autres ceux qui sont vers le centre ; lorsque ces villages ne seront pas suffisamment couverts ou regardés par les troupes du camp, on fait camper pour la sûreté des officiers qui y sont logés, des corps de troupes qui mettent ces lieux à l'abri de toute insulte. Essai sur la castramétation, par M. le Blond.

CAMP RETRANCHE, c'est un espace fortifié pour y renfermer un corps de troupes & le mettre à couvert des entreprises d'un ennemi supérieur : les camps retranchés se construisent ordinairement dans les environs d'une place dont le canon peut servir à leur défense ; & ils ont particulierement pour objet de couvrir & de protéger une place dont la fortification ne permettoit pas une longue résistance.

Le retranchement dont les camps retranchés sont entourés, ne consiste guere que dans un fossé, & un parapet flanqué de quelques redans ou de bastions. Les troupes sont campées environ à cent vingt toises du retranchement. Voyez Planc. XII. de l'art milit. une partie d'un camp retranché dans un terrein inégal.

C'est des Turcs, dit M. le Marquis de Feuquieres, que nous avons l'usage des camps retranchés, sous le nom de palanques. Cet usage est fort bon quand il est judicieusement pris, & j'approuve la pensée que M. de Vauban a eue d'en construire sous quelques-unes des places du Roi : mais il ne faut pas pour cela en faire sous toutes les places qui seroient susceptibles d'une pareille protection, parce qu'on ne pourroit pas les garnir suffisamment de troupes, & qu'ainsi ces camps retranchés seroient plus préjudiciables que profitables. Voici les cas où je les approuve.

Lorsque le prince a la guerre à soûtenir de plusieurs côtés de son état, que de quelques-uns de ces côtés il veut demeurer sur la défensive, & qu'à la tête de ce pays il y a une place dont la construction permet d'y placer un camp retranché ; le prince en peut ordonner la construction d'avance, afin qu'il soit bon, & que par-là l'ennemi soit forcé d'attaquer ce camp dans les formes, avant que de pouvoir assiéger la place.

Lorsqu'une ville est grande, & que son circuit n'a pû être fortifié régulierement à cause de la grande dépense, & que cependant sa conservation est nécessaire, on peut pour sa protection y placer un camp retranché lorsque sa situation la rend susceptible de le recevoir. Lorsqu'on ne veut garder qu'un petit corps à la tête d'un pays, soit pour empêcher les courses de l'ennemi, soit pour pénétrer dans le pays ennemi, on peut chercher la ville la plus commode pour les effets dont je viens de parler, & y construire un camp retranché, parce qu'il est plus aisé de se servir des troupes qui sont dans un camp retranché, que de celles qui sont logées dans une ville, dont le service ne sauroit être aussi promt que celui des troupes campées.

Lorsqu'on veut protéger une place dominée par des hauteurs, & qu'il s'en trouve quelques-unes où un camp retranché peut être placé de maniere que la communication de ce camp à la place ne puisse point être ôtée, qu'il éloigne la circonvallation, qu'il ne soit point dominé, & sous le feu du canon de l'ennemi, ou qu'il donne quelque liberté au secours qu'on pourroit introduire dans la place, ou une facilité à l'armée qui veut secourir, de s'approcher de ce camp ; on y peut faire un camp retranché.

Lorsqu'une place se trouve située sur une riviere, & qu'elle est du même côté par lequel l'ennemi la peut le plus favorablement aborder pour en former le siége, on peut encore en ce cas avoir un camp retranché de l'autre côté de la riviere, principalement si le terrein se trouve disposé de maniere que de cet autre côté de la riviere il se trouve une hauteur voisine dont l'occupation force l'ennemi à une circonvallation étendue de ce côté-là ; parce que cette grande circonvallation ainsi séparée & coupée par une riviere, rendra la place bien plus aisée à secourir.

On peut encore faire un camp retranché au-devant des fortifications d'une place, lorsqu'il peut être fait de maniere qu'il éloigne l'attaque, & que l'ennemi soit obligé à ouvrir une tranchée, & à prendre les mêmes établissemens contre ce camp retranché, que pour l'attaque même de la place ; & qu'après qu'il aura forcé les troupes qui sont dans ce camp à le lui abandonner, la terre qui y aura été remuée ne donnera pas des établissemens contre la place.

Enfin les camps retranchés sont d'un fort bon usage dans les especes dont je viens de parler, pourvû qu'ils soient bons, qu'ils ayent les épaisseurs convenables pour soûtenir les efforts de l'artillerie ennemie ; qu'ils soient protégés de la place qu'ils protegent ; qu'ils y tiennent, & que les flancs en soient en sûreté par la protection du canon de la place & des ouvrages, & sous le feu de la mousqueterie du chemin couvert ; sans quoi ils pourroient être dangereux à soûtenir avec trop d'opiniâtreté : lorsqu'on les veut soûtenir avec opiniâtreté, à cause de leur conséquence pour la durée d'un siége, l'on y peut faire un second retranchement intérieur, qui sera garni d'infanterie le jour qu'on craindra d'être attaqué de vive force, afin que le feu de cette infanterie facilite la retraite des troupes forcées, & contienne l'ennemi qui poursuivroit avec chaleur les troupes forcées jusque dans le chemin couvert de la place.

Tous les camps retranchés doivent être construits de maniere que les troupes qui y sont campées soient à couvert du feu du canon de l'ennemi : car il ne faut pas que par son artillerie il en puisse enfiler aucune partie : si cela étoit, le camp deviendroit fort difficile à soûtenir, trop peu tranquille, & trop coûteux.

Ce que j'ai dit jusqu'à présent des camps retranchés, ne regarde que ceux qui sont construits pour un corps d'infanterie, pour rendre une circonvallation plus difficile, pour éloigner l'attaque du corps de la place, & par conséquent augmenter la durée du siége. Il ne reste plus sur cette matiere qu'à dire quel est l'usage des camps retranchés pour y mettre aussi de la cavalerie.

L'usage de ces camps n'est que dans certains cas, qui regardent plûtôt la guerre de campagne que celle des siéges ; & voici quels ils sont.

Ou l'on veut dans les guerres offensives & défensives faire des courses dans le pays ennemi ; ou l'on veut empêcher que l'ennemi n'en fasse commodément, & ne pénetre le pays, ou l'on veut pouvoir mettre les convois en sûreté sous une place où il ne seroit pas commode de les faire entrer.

Dans tous ces cas l'on peut construire un camp retranché sous une place ; & pour lors il faut avoir plus d'attention à la commodité de la situation pour y entrer & en sortir facilement, & à son voisinage des eaux, qu'à sa force par rapport à la défense de la place. Ces camps sont toûjours de service, pourvû qu'ils soient hors d'insulte, gardés par un nombre d'infanterie suffisant, & assez étendus pour y camper commodément la cavalerie, & faire entrer & ressortir les charrois des convois sans embarras.

Voilà, ce me semble, tous les usages différens qu'on peut faire des camps retranchés : ils sont tous fort utiles : mais il ne faut pas pour cela avoir trop de ces camps retranchés : il doit suffire d'en avoir un bon sous une place principale sur une frontiere ; parce que leur garde consommeroit trop d'hommes, qui seroient de moins au corps de l'armée. Tout ceci est tiré des Mémoires de M. le marquis de Feuquieres.

CAMP VOLANT, est un petit corps d'armée composé de quatre, cinq ou six mille hommes, & quelquefois d'un plus grand nombre, d'infanterie & de cavalerie, qui tiennent continuellement la campagne, & qui font différens mouvemens pour empêcher les incursions de l'ennemi, ou pour faire échoüer leurs entreprises, intercepter les convois, fatiguer le pays voisin, & pour se jetter dans une place assiégée en cas de besoin. (Q)

CAMP PRETORIEN, (Hist. anc.) c'étoit chez les Romains une grande enceinte de bâtiment, qui renfermoit plusieurs habitations pour loger les soldats de la garde, comme pourroit être aujourd'hui l'hôtel des mousquetaires du Roi à Paris.

CAMP, (Commerce) Les Siamois, & quelques autres peuples des Indes orientales, appellent des camps les quartiers qu'ils assignent aux nations étrangeres qui viennent faire commerce chez eux : c'est dans ces camps, où chaque nation forme comme une ville particuliere, que se fait tout leur négoce ; & c'est là où non-seulement ils ont leurs magasins & leurs boutiques, mais aussi où ils demeurent, avec leur famille, & leurs facteurs & commissionnaires. Les Européens sont pourtant exempts à Siam, & presque par-tout ailleurs, de cette sujétion ; & il leur est libre de demeurer dans la ville ou dans les faubourgs, comme ils le jugent à-propos pour leur commerce. (G)


CAMPAGNA(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure. Long. 32. 47. lat. 41. 42.


CAMPAGNANO(Géog.) petite riviere d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure.


CAMPAGNES. f. en terme de Guerre, signifie l'espace de tems de chaque année que l'on peut tenir les troupes en corps d'armée.

Les Allemands commencent leur campagne fort tard, & attendent souvent jusqu'après la moisson : les François ouvrent la campagne de bonne heure ; ils la commencent quelquefois dès la fin de l'hyver ; & cette méthode leur est fort avantageuse. Ce qui doit décider de l'ouverture de la campagne, ce sont les moissons : il faut ou de grands magasins pour la nourriture des chevaux, ou que la terre soit en état de pourvoir à leur subsistance ; ce qui ne se peut guere que vers le milieu du mois de Mai. Voy. FOURRAGE (Q)

CAMPAGNE, (Marine) faire une campagne ; on entend sur mer par le mot de campagne, le tems que dure un armement, soit pour faire un voyage de long cours, soit le tems que dure une croisiere, ou celui qu'une armée navale peut tenir la mer. (Z)

CAMPAGNE, (Géog.) petite ville de France dans l'Armagnac, sur la Douze.

CAMPAGNE DE ROME, (la) Géog. province d'Italie bornée à l'oüest par la mer & le Tibre ; au sud & à l'est par la mer, l'Abruzze, & le pays de Labour ; & au nord par la Sabine.


CAMPANES. f. terme d'Architecture, du latin campana, cloche. On donne ce nom au corps du chapiteau corinthien & de celui du composite, parce qu'ils ressemblent à une cloche renversée : on l'appelle aussi vase ou tambour, & le rebord qui touche au tailloir se nomme levre.

CAMPANE, ornement de sculpture en maniere de crépines, d'où pendent des houpes en forme de clochettes pour un dais d'autel, de throne, de chaire à prêcher, comme la campane de bronze qui pend à la corniche composite du baldaquin de S. Pierre de Rome.

CAMPANE de comble, ce sont certains ornemens de plomb chantournés & évuidés qu'on met au bas du faîte d'un comble comme il s'en voit de dorés au château de Versailles.

CAMPANES, voyez GOUTTES. (P)

CAMPANE, ouvrage de Boutonnier ; c'est une espece de crépine ou de frange faite de fil d'or, d'argent, ou de soie, qui se termine par en-bas d'espace à autre par de petites houpes semblables à des clochettes ; ce qui leur a fait donner le nom de campane, qui vient du mot latin campana.

Quoique les marchands Merciers vendent dans leurs boutiques des houpes & campanes coulantes ou arrêtées, montées sur moules & bourrelets, noüées & à l'aiguille, il n'y a cependant que les maîtres Passementiers-Boutonniers qui ayent la faculté de les fabriquer, suivant l'article vingt-troisieme de leurs statuts du mois d'Avril 1653.

CAMPANE, tirage des soies ; c'est le nom que les Piémontois ont donné à une des roues principales de la machine à tirer les soies. Voyez à l'article SOIE, le tirage des soies.


CAMPANELLA(Philosophie de) Campanella étoit de Stilo, petite ville de la Calabre : il prit l'habit de S. Dominique à l'âge de treize ans. On l'accusa d'hérésie ; c'est pourquoi les juges de l'inquisition le tinrent en prison pendant vingt-cinq ans. Le pape Urbain VIII. obtint sa liberté. Il vint à Paris en 1634, & le cardinal de Richelieu, qui avoit une estime particuliere pour les savans, lui fit de grands biens. Il mourut à Paris en 1639, âgé de 71 ans, après une grande mélancholie, & un dégoût extraordinaire.

Campanella se croyoit fait pour donner à la Philosophie une face nouvelle : son esprit hardi & indépendant ne pouvoit plier sous l'autorité d'Aristote, ni de ses commentateurs. Il voulut donner le ton à son siecle ; & peut-être qu'il en seroit venu à bout, s'il n'eût fallu que de l'esprit & de l'imagination. On ne peut nier qu'il n'ait très-bien apperçû les défauts de la philosophie scholastique, & qu'il n'ait entrevû les moyens d'y remédier : mais son peu de jugement & de solidité le rendirent incapable de réussir dans ce grand projet. Ses ouvrages remplis de galimathias, fourmillent d'erreurs & d'absurdités : cependant il faut avoüer qu'il avoit quelquefois de bons intervalles ; & on peut dire de lui ce qu'Horace disoit d'Ennius :

Cum flueret lutulentus, erat quod tollere velles.

On assûre qu'il prétendoit connoître la pensée d'une personne, en se mettant dans la même situation qu'elle, & en disposant ses organes, à-peu-près de la même maniere que cette personne les avoit disposés. Ce sentiment devroit paroître bien singulier ; si on ne savoit qu'il n'est pas nécessaire, pour prendre plaisir à mettre au jour des choses extraordinaires, de les croire véritables ; mais qu'il suffit d'espérer que le peuple les regardera comme des prodiges, & que par leur moyen on passera soi-même pour un prodige.

Dialectique de Campanella. Pour mettre les lecteurs en état de se former une idée de l'esprit philosophique de Campanella, nous allons mettre ici ses sentimens.

1. La dialectique est l'art ou l'instrument du sage, qui lui enseigne à conduire sa raison dans les sciences.

2. La Logique se divise en trois parties, qui répondent aux trois actes de l'entendement, la conception, le jugement, & le raisonnement.

3. La définition n'est pas différente du terme : or les termes sont ou parfaits ou imparfaits.

4. Les termes sont les semences : & les définitions sont les principes des sciences.

5. La Logique naturelle est une espece de participation de l'intelligence de Dieu même, par laquelle nous sommes raisonnables : la Logique artificielle est l'art de diriger notre esprit par le moyen de certains préceptes.

6. Les termes sont les signes de nos idées.

7. Le genre est un terme qui exprime une similitude essentielle qui se trouve entre plusieurs êtres communs.

8. L'espece est un terme qui exprime une similitude essentielle entre plusieurs individus.

9. La différence est un terme qui divise le genre, & qui constitue l'espece.

10. La définition est un terme complexe, qui renferme le genre & la différence.

11. Le propre est un terme qui signifie l'état particulier des choses.

12. L'accident est un terme qui signifie ce qui n'est point essentiel à un être.

13. La premiere substance, qui est la base de tout, & qui ne se trouve dans aucun sujet, c'est l'espace qui reçoit tous les corps : en ce sens Dieu est une substance improprement dite.

14. La substance est un être fini, réel, subsistant par lui-même, parfait, & le premier sujet de tous les accidens.

15. La quantité, qui est le second prédicament, est la mesure intime de la substance matérielle ; & elle est de trois sortes ; le nombre, le poids, & la masse ou la mesure.

16. La division est la réduction d'un tout dans ses parties, soit qu'on regarde le tout comme intégral, ou comme quantitatif, ou comme essentiel, ou comme potentiel, ou comme universel.

17. Il y a plusieurs manieres de définir, parce qu'il y a plusieurs manieres d'agir.

18. Dieu ne peut point être défini, parce qu'il n'a qu'une différence négative.

19. La description est un discours qui indique l'essence d'une chose par des propriétés, par des effets, & par des similitudes.

20. Le nom est un terme qui signifie proprement l'essence des choses ; & le verbe est un terme qui signifie l'action des choses.

21. L'argumentation est l'action par laquelle l'esprit va de ce qui lui est connu à ce qui lui est inconnu, pour le connoître, le déclarer, & le prouver.

22. Les sens sont le fondement de toutes les sciences humaines.

23. Le syllogisme est composé de deux propositions, dans l'une desquelles se trouve le sujet de la conclusion, & dans l'autre l'attribut de la même conclusion.

24. L'induction est un argument qui conclut du dénombrement des parties au tout.

25. L'exposition est la preuve d'une proposition, par d'autres propositions plus claires & équipollentes.

26. L'enthimème est un syllogisme tronqué, dans lequel on sousentend ou la majeure ou la mineure.

27. La science consiste à connoître les choses par leurs causes.

Voilà ce qu'il y a de moins déraisonnable dans la Logique de Campanella : le lecteur est en état de juger s'il est ou plus clair ou plus méthodique qu'Aristote, & s'il a ouvert une route plus aisée & plus courte que cet ancien philosophe.

Physique de Campanella. 1. Les sens sont la base de la Physique : les connoissances qu'ils nous donnent sont certaines, parce qu'elles naissent de la présence même des objets.

2. L'essence d'une chose n'est point différente de son existence ; ce qui n'a point d'existence ne peut avoir d'essence.

3. Ce qui existe physiquement, existe dans un lieu.

4. Le lieu est la substance premiere : elle est spirituelle, immobile, & capable de recevoir tous les corps.

5. Il n'y a point de vuide, parce que tous les corps sentent, & qu'ils sont doüés du sens du tact : mais il est possible qu'il y ait du vuide par violence.

6. Le tems est la durée successive des êtres : c'est la mesure du mouvement, non pas réellement, mais seulement dans notre pensée.

7. Le tems peut mesurer le repos, & on peut le concevoir sans le mouvement ; il est composé de parties indivisibles d'une maniere sensible : mais l'imagination peut le diviser sans fin.

8. Il n'est point prouvé que le tems ait commencé : mais on peut croire qu'il a été fait avec l'espace.

9. Dieu mit la matiere au milieu de l'espace, & il lui donna deux principes actifs, savoir la chaleur & le froid.

10. Ces deux principes ont donné naissance à deux sortes de corps : la chaleur divisa la matiere & en fit les cieux : le froid la condensa, & en fit la terre.

11. Une chaleur violente divisa fort vîte une portion de matiere, & se répandit dans les lieux que nous appellons élevés : le froid fuyant son ennemie étendit les cieux, & sentant son impuissance, il réunit quelques-unes de ses parties, & il brilla dans ce que nous appellons étoiles.

12. La Lune est composée de parties qui ne brillent point par elles-mêmes, parce qu'elles sont engourdies par le froid de la terre ; au lieu que les cieux étant fort éloignés du globe terrestre, & n'en craignant point le froid, sont remplis d'une infinité d'étoiles.

13. Le Soleil renferme une chaleur si considérable, qu'il est en état de se défendre contre la terre.

14. Le Soleil tournant autour de la terre & la combattant, ou il en divise les parties, & voilà de l'air & des vapeurs ; ou il la dissout, & voilà de l'eau ; ou il la durcit, & il donne naissance aux pierres : s'il la dissout & la durcit en même tems, il fait naître des plantes ; s'il la dissout, la durcit, & la divise en même tems, il fait naître des animaux.

15. La matiere est invisible, & par conséquent noire.

16. Toutes les couleurs sont composées de ténébres, de la matiere, & de la lumiere du Soleil.

17. La lumiere est une blancheur vive : la blancheur approche fort de la lumiere ; ensuite viennent le rouge, l'orangé, le verd, le pourpre, &c.

18. Les cieux ne sont point sujets à la corruption, parce qu'ils sont composés de feu, qui n'admet point les corps étrangers, qui seuls donnent naissance à la pourriture.

19. Il y a deux élémens, savoir le Soleil & la terre qui engendrent toutes choses.

20. Les cometes sont composées de vapeurs subtiles, éclairées par la lumiere du Soleil.

21. L'air n'est point un élément, parce qu'il n'engendre rien, & qu'il est au contraire engendré par le Soleil ; il en est de même de l'eau.

22. La différence du mâle & de la femelle ne vient que de la différente intensité de la chaleur.

23. Nous sommes composés de trois substances, du corps, de l'esprit, & de l'ame. Le corps est l'organe ; l'esprit est le véhicule de l'ame ; & l'ame donne la vie au corps & à l'esprit.

Voilà une très-petite partie des principes & des opinions qu'on trouve dans les ouvrages de Campanella sur la Physique. Il est singulier qu'un homme qui se donnoit pour le restaurateur de la Philosophie, n'ait pas pris plus de soin de déguiser ses larcins. Il suffit d'avoir une connoissance médiocre des sentimens philosophiques des anciens & des modernes, pour reconnoître tout d'un coup les sources où Campanella a puisé la plûpart des idées que nous venons d'exposer. Je ne parle point ici des absurdités qui remplissent les ouvrages de notre dominiquain : sottise pour sottise, il me semble que les anciennes sont aussi bonnes que les modernes ; & il étoit assez inutile d'étourdir le monde savant par des projets de réforme, lorsqu'on n'avoit que des chimeres à proposer. Voyez ARISTOTELISME.

Comme le livre où Campanella donne du sentiment aux êtres les plus insensibles, fit beaucoup de bruit dans le tems, on sera peut-être bien-aise d'en voir ici l'extrait, d'autant plus que cet ouvrage est extrêmement rare. Il est intitulé de sensu rerum.

1. On ne donne point ce qu'on n'a point ; par conséquent tout ce qui est dans un effet, est aussi dans sa cause : or comme les animaux ont du sentiment, & que le sentiment ne sort point du néant, il faut conclure que les élémens qui sont les principes des animaux, ont aussi du sentiment ; donc le ciel & la terre sentent.

2. Le sentiment n'est pas seulement une passion : mais il est souvent accompagné d'un raisonnement si promt, qu'il n'est pas possible de s'en appercevoir.

3. Si le sentiment est une passion, & si les élémens & les êtres qui en sont composés ont des passions, tous les êtres ont donc du sentiment.

4. Sans le sentiment, le monde ne seroit qu'un chaos.

5. L'instinct est une impulsion de la nature, laquelle éprouve quelque sentiment : donc ceux qui prétendent que tous les êtres agissent par instinct, doivent par conséquent supposer qu'ils agissent par sentiment ; car ils accordent que tous les êtres naturels agissent pour une fin : il faut donc qu'ils la connoissent cette fin ; donc l'instinct est une impulsion qui suppose de la connoissance dans la nature.

6. Tous les êtres ont horreur du vuide ; donc ils ont du sentiment, & on peut regarder le monde comme un animal.

7. Il seroit ridicule de dire que le monde n'a point de sentiment, parce qu'il n'a ni piés ni mains, ni nez, ni oreilles, &c. Les mains du monde sont les rayons de lumiere ; ses yeux sont les étoiles, & ses piés ne sont autre chose que la figure ronde qui le rend propre au mouvement.

8. Il paroît par l'origine des animaux, que l'ame est un esprit subtil, chaud, mobile, propre à recevoir des passions, & par conséquent à sentir.

9. Tous les êtres ont une ame, comme on peut s'en convaincre par les choses qui naissent d'elles-mêmes, & qui ont toûjours quelque degré de chaleur.

10. Les choses les plus dures ont un peu de sentiment : les plantes en ont davantage, & les liqueurs encore plus. Le vent & l'air sentent facilement : mais la lumiere & la chaleur sont les êtres qui ont le plus de sentiment, &c.

En voilà assez, ce me semble, pour mettre le lecteur au fait des sentimens de Campanella ; nous finirons cet article en rapportant le jugement que Descartes portoit de cet auteur. " Il y a 16 ans (écrivoit-il au P. Mersenne) que j'ai lu le livre de sensu rerum de Campanella, avec quelques autres traités : mais j'avois trouvé dès-lors si peu de solidité dans ses écrits, que je n'en avois rien gardé dans ma mémoire. Je ne saurois maintenant en dire autre chose, sinon que ceux qui s'égarent en affectant de suivre des chemins extraordinaires, me paroissent beaucoup moins excusables que ceux qui ne s'égarent qu'en compagnie & en suivant les traces de beaucoup d'autres ". (C)


CAMPANULES. f. campanula, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, faite en forme de cloche, & découpée ; le calice devient un fruit membraneux partagé en trois loges ou plus, au milieu desquelles il y a un pivot chargé de trois placenta qui soûtiennent plusieurs semences menues, dans quelques especes, ovales, applaties, & pour ainsi dire entourées d'un anneau dans quelques autres. Ces semences s'échappent par un trou qui se trouve dans chaque loge. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La campanule est vivace, & demande une terre à potager avec peu d'eau, beaucoup de Soleil, & une culture ordinaire ; elle fleurit en été, & se seme en Septembre & Octobre ; on la soûtient ordinairement par de petites baguettes.

Quelques Botanistes, comme Lemery, l'appellent gantelée ou gants notre-dame ; Bradley dans son calendrier des jardiniers l'appelle miroir de Venus. (P)

La campanula esculenta rapunculus officin. campanula radice esulentâ, flore caeruleo, Tournefort, Inst. III. est d'usage en Medecine. La semence en est bonne pour les yeux ; son suc est bon pour les maux d'oreille ; la racine se mange dans les salades du printems ; on prétend que prise avec du poivre long, elle fait venir le lait.

La gantelée est une autre campanule d'usage. Voyez GANTELEE.

La campanule jaune, bulbocodium vulgatius, J. B. est une espece de narcisse, dont la racine contient beaucoup d'huile & de sel essentiel ; elle est purgative & apéritive, à la dose de deux gros en infusion.

On prétend qu'elle ne vaut rien pour les nerfs ; mais qu'appliquée extérieurement, elle est bonne pour les brûlures, les blessures, & les hernies.

Clusius & Lobel prétendent que toutes les racines de toutes les especes de narcisse excitent le vomissement. (N)


CAMPECHEou S. FRANCISCO, (Géog.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur la côte orientale de la Baie de Campeche. Long. 287. lat. 19. 20.


CAMPEN(Géog.) ville forte des Provinces-unies des Pays-bas, dans la province d'Overissel. Long. 23. 28. lat. 52. 28.


CAMPERour uriner, (SE) Maréchallerie, est un signe de convalescence dans de certaines maladies où le cheval n'avoit pas la force de se mettre dans la situation ordinaire des chevaux qui urinent. (V)


CAMPERCHES. f. (Tapissier) barre de bois, ainsi appellée par les basse-lissiers ou ouvriers en tapisseries de basse-lisse, qui traverse leur métier d'une roine à l'autre, & qui soûtient les sautriaux où sont attachées les cordes des lames. Voyez BASSE-LISSE.


CAMPESTRou CAMPESTE, s. f. (Hist. anc.) c'étoit chez les Romains une espece de culotte, ou d'habillement semblable à ce qu'on appelloit autrefois parmi nous tonnelet, bas de soie tourné en rond, ou haut-de-chausses, tels qu'on en voit sur des tableaux du regne d'Henri II. Charles IX. Henri III. ou tels qu'en portent encore aujourd'hui les danseurs de corde. Cette partie de l'habillement que nos ancêtres avoient convertie en parure par sa forme, d'étoffe précieuse garnie de galons & de rubans, n'étoit chez les anciens qu'un tablier destiné à se couvrir dans les exercices du champ de Mars, & qui prenant depuis le nombril jusqu'au milieu des cuisses, laissoit tout le reste du corps à nud ; ou l'on en avoit de faits exprès comme des caleçons, ou on les formoit au besoin avec la tunique. (G)


CAMPHRES. m. (Hist. nat. bot. & Chimie) en latin camphora ou caphura. C'est une substance blanche, transparente, solide, seche, friable, très-volatile, très-inflammable, d'une odeur très-pénétrante, & d'un goût très-amer & piquant ; elle paroît être composée de beaucoup de phlogistique, d'une terre très-subtile & de fort peu d'eau.

Les arbres dont on tire le camphre se trouvent à la Chine & au Japon : mais les meilleurs sont ceux des îles de Borneo, de Sumatra & de Ceylan. Les relations ne s'accordent pas sur la maniere dont on s'y prend pour tirer le camphre ; l'opinion la plus commune, & peut-être la moins fondée, est qu'il découle naturellement de l'arbre comme une gomme, & qu'on le ramasse figé au pié de ces arbres. Il y a des gens qui prétendent que les Indiens pour l'obtenir, font des incisions aux arbres d'où il tombe en abondance. Suivant les Lettres curieuses & édifiantes, voici la méthode usitée à la Chine pour tirer le camphre. On se sert pour cela des nouvelles branches d'un arbre que les Chinois nomment Tchang, on les coupe en petits morceaux, on les met en macération pendant trois jours & trois nuits dans de l'eau de puits ; au bout de ce tems on les fait bouillir dans une marmite, en observant de remuer continuellement avec un petit bâton de bois de saule ; quand on voit qu'il s'attache à ce petit bâton une espece de gelée blanche, on passe la décoction, on en sépare toutes les saletés, on la verse dans un pot de terre vernissé, où on la laisse reposer pendant une nuit ; on trouve le lendemain que ce suc s'est coagulé & a formé une masse. Pour purifier cette premiere production, on prend de la terre grasse fort seche, on la réduit en poudre bien fine, on en met une couche dans un bassin de cuivre, & sur cette couche de terre, on en met une de camphre ; on continue à faire des couches de cette maniere jusqu'à ce qu'il y en ait quatre, & on couvre la derniere avec des feuilles de la plante poho, ou de pouliot. On couvre le bassin de cuivre ainsi garni, d'un dome ou autre bassin qui s'y adapte exactement ; on garnit les joints de terre grasse, on les met sur un feu qu'on a soin de rendre égal & reglé ; on prend garde qu'il ne se fasse ni fentes ni crevasses à l'enduit de terre qui sert à lutter les jointures des bassins, de peur que la partie spiritueuse du camphre ne vienne à s'échapper : lorsqu'on a donné un feu suffisant, on laisse refroidir les bassins, on les détache, & l'on trouve le camphre sublimé dans celui d'en haut ; en réitérant deux ou trois fois la même opération, on aura un camphre très-pur.

L'arbre dont les branches fournissent ce camphre a, suivant les mêmes relations, jusqu'à cent trois coudées de haut ; & sa grosseur est si prodigieuse, que vingt hommes peuvent à peine l'embrasser. Tout ce détail est une traduction fidele d'un livre chinois fort estimé dans le pays. Mais les Chinois donnent eux-mêmes la préférence au camphre de l'île de Borneo, qu'ils regardent comme fort supérieur au leur.

Selon d'autres relations du Japon, on suit la même méthode à peu de chose près qu'à la Chine. On prend les racines, les branches, & même les feuilles de l'arbre qui donne le camphre ; on les coupe en morceaux grossiers, on les met dans un bassin de fer, on verse de l'eau par dessus, & on y adapte un chapiteau à bec, garni de paille en-dedans ; on lutte les jointures ; après y avoir appliqué un récipient, on commence à distiller : par ce moyen, la plus grande partie du camphre s'attache aux brins de paille sous la forme de crystaux, le reste passe dans la distillation, & on l'en sépare ensuite. Ces deux dernieres manieres semblent les plus vraisemblables, & celles qui s'accordent le plus avec la nature volatile du camphre, que la moindre chaleur fait non-seulement diminuer considérablement, mais encore disparoître entierement. Il est donc plûtôt à présumer qu'on le recueille de cette façon dans les Indes, qu'aux piés des arbres, où il paroît que la chaleur du pays doit aisément le faire disparoître.

Outre ces manieres dont nous venons de dire que le camphre se tire à la Chine & au Japon, on prétend aussi qu'il peut se tirer de la racine du canellier, du zédoar du Ceylan, du romarin, de l'aurone, & d'autres arbrisseaux aromatiques du genre des lauriers. M. Neumann croit que l'on a pû tirer de ces végétaux une substance grasse & huileuse, mais que jamais cette substance n'a eu la dureté ni la siccité, ni une ressemblance parfaite avec le vrai camphre des Indes. Ce savant chimiste a tiré du thym un camphre qui, à l'odeur près, ressembloit en tout point à celui des Indes, & qui avoit toutes les qualités qu'on y remarque. C'est ce dont il rend compte dans les Miscellanea Berolinensia, Continuatio II. pag. 70. & suiv.

Après avoir distillé de l'huile de thym, il voulut séparer cette huile d'avec l'eau par le moyen d'une meche de coton ; il s'apperçut que l'huile ne venoit qu'avec peine, & qu'elle étoit retardée par de petits crystaux qui s'étoient formés autour du coton ; ne sachant à quoi attribuer ce phénomene, il discontinua l'opération. Il la reprit au bout de quelques jours, & fut fort surpris de voir qu'il s'étoit formé au fond du vase où il avoit laissé le produit de la distillation du thym, une assez grande quantité de crystaux de forme cubique, & dont quelques-uns étoient de la grosseur d'une noisette ; ces crystaux ne pouvoient se dissoudre dans l'eau ; & M. Neumann y découvrit toutes les autres propriétés du camphre des Indes ; avec la seule différence, que le camphre fait de cette derniere matiere avoit l'odeur du thym dont il avoit été tiré.

Les propriétés du camphre sont de diminuer considérablement, lorsqu'il est exposé à l'air, & de s'exhaler entierement à la fin : il ne se mêle point à l'eau, mais il y surnage ; & lorsqu'elle est chaude, il s'y résout en une huile très-volatile. Quand on le met à distiller, on n'en tire aucune liqueur : mais il se sublime en entier, sans qu'il s'en perde la moindre chose ; il ne donne point d'empyreume, & ne laisse point de tête-morte en arriere ; il s'enflamme très-aisément à un feu ouvert, & brûle même dans l'eau ; il donne beaucoup de suie, mais aucunes cendres. Le camphre se dissout très-aisément dans toutes les huiles, tant exprimées que distillées ; dans l'esprit-de-vin bien rectifié ; dans l'eau-forte, mais plus difficilement dans l'huile de vitriol. On ne parvient à le mêler avec l'eau, que par le moyen du blanc-d'oeuf.

De toutes ces propriétés M. Neumann se croit autorisé à conclure, que le camphre doit être regardé comme une substance toute particuliere, qui ne doit être rangée dans aucune autre classe, & que le nom qu'on lui donne est générique, & doit se joindre à celui de la plante dont il a été tiré ; c'est-à-dire qu'on devroit dire camphre de thym, camphre de romarin, & ainsi des autres plantes dont on pourroit le tirer. En effet, selon lui, les propriétés qui viennent d'être énoncées, prouvent que le camphre ne peut être appellé ni résine, ni gomme, ni sel volatil, ni huile, & que c'est une substance toute particuliere, & qui a des caracteres qui la distinguent de tous les autres corps. M. Neumann en conclut aussi que tout camphre a l'odeur spécifique du végétal dont il a été tiré, & que la façon dont il l'a tiré du thym conduit à croire qu'on peut le tirer de même de beaucoup d'autres plantes.

Le camphre s'employe dans les feux d'artifice, dans beaucoup de vernis, &c. On prétend que dans les cours des princes orientaux, on le brûle avec de la cire pour éclairer pendant la nuit. On assûre que le camphre réduit en poudre, & saupoudré sur les habits & meubles, les préserve des mites & teignes : mais son principal usage est dans la Medecine & dans la Chirurgie. Il est regardé comme un des plus puissans diaphorétiques ; & sa volatilité fait que lorsqu'il est échauffé par la chaleur de l'estomac, il pénetre dans toutes les parties du corps. On prétend que c'est un préservatif contre la peste & les maladies contagieuses. Bien des gens croyent qu'il est soporatif, rafraîchissant & calmant : mais ces dernieres propriétés ne sont point avérées. On s'en sert dans des poudres & dans des élixirs ; il entre aussi dans l'huile bézoardique de Wedelius. Mais les effets extérieurs du camphre sont beaucoup plus certains & d'un usage très-fréquent dans la Chirurgie : mêlé avec l'essence de myrrhe & d'aloès, c'est un excellent remede pour arrêter le progrès de la gangrene, la carie des os, ou déterger les plaies. L'usage de l'esprit-de-vin ou de l'eau-de-vie camphrés est journalier & connu de tout le monde. (-)

Le camphre s'employe intérieurement avec succès, dissous par le moyen du jaune d'oeuf, & étendu dans quelques liqueurs appropriées, pour arrêter le progrès de la gangrene dans les esquinancies gangréneuses. La dose est de quatre ou cinq grains dans une potion de huit onces. Mêlé avec les sels de cantharides, il empêche qu'elles n'offensent la vessie ; sa subtilité le mettant en état de les accompagner dans tous les recoins des vaisseaux, & d'émousser leur acreté.

Le docteur Quincy observe que l'on commence à unir avec succès le camphre aux remedes mercuriaux ; qu'il modere leur qualité irritante, & les aide à pénétrer dans les conduits les plus déliés, où ils operent par fusion & par la force de l'impulsion : car non-seulement le mercure doux ou calomel n'agit plus par ce moyen sur les glandes salivales ; mais le turbith minéral qui opere de lui-même avec violence par haut & par bas, étant mêlé avec le camphre, se fait beaucoup moins sentir, circule avec plus de facilité, & excite la transpiration d'une maniere beaucoup plus efficace qu'aucun autre remede d'une moindre pesanteur spécifique.

M. Lemery a tenté de faire l'analyse du camphre : mais soit que ses parties ayent été trop déliées & trop volatiles pour être poussées à un plus grand degré de pureté par un procédé chimique, ou que ses principes, qui selon toute apparence doivent être une huile & un sel volatil, soient unis trop étroitement, il n'a jamais pû venir à-bout de les décomposer.

Cet auteur remarque que le camphre ne peut se dissoudre dans des liqueurs aqueuses, mais bien dans celles qui sont sulphureuses ; qu'il ne se dissout point non plus dans les alkalis, ni dans certains acides, mais bien dans l'esprit de nitre ; ce qu'aucune autre résine ne peut faire. On donne ordinairement à cette dissolution le nom d'huile de camphre ; & c'est à elle que l'on attribue la vertu médicinale du camphre, dans les plaies, les gangrenes, & la carie des os. On n'en use point intérieurement à cause de son acreté & de sa causticité ; quoique M. Lemery lui ait vû produire de bons effets dans les obstructions & les abcès de matrice, pris à la dose de deux ou trois gouttes. Il le mêle cependant pour l'ordinaire avec une égale quantité d'huile d'ambre. On a fait ce proverbe sur le camphre :

Camphora per nares castrat odore mares.

mais il est faux suivant Scaliger & Tulpius.

Si on jette du camphre dans un bassin sur de l'eau-de-vie, qu'on les fasse bouillir jusqu'à leur entiere évaporation, dans quelque lieu étroit & bien fermé, & qu'on y entre ensuite avec un flambeau allumé, tout cet air enfermé prend feu sur le champ, & paroît comme un éclair, sans incommoder le bâtiment ni les spectateurs.

On fait du camphre artificiel avec de la sandaraque & du vinaigre blanc distillé, qu'on met pendant 20 jours dans le fumier de cheval, & qu'on laisse après au soleil pendant un mois pour sécher, & on trouve le camphre sous la forme d'une croûte de pain-blanc, qu'on appelle autrement gomme de génievre, vernis blanc, & mastic. (N)


CAMPHRÉES. f. camphorata, (Hist. nat. bot.) sa racine est ligneuse, longue, de la grosseur du pouce. Ses tiges sont nombreuses, ligneuses, un peu grosses, hautes d'une coudée, branchues, un peu velues, blanchâtres, garnies de noeuds placés alternativement, de chacun desquels il sort un grand nombre de petites feuilles, qui n'ont pas plus d'un tiers de pouce de long, menues, velues, médiocrement roides ; d'une odeur aromatique, & qui approche un peu du camphre, quand on les frotte entre les doigts ; d'une saveur un peu acre. Ses fleurs sont sans pétales, & composées de quatre étamines garnies de sommets de couleur de rose, qui s'élevent d'un calice d'une seule piece, de couleur d'herbe, partagé tantôt en trois parties, tantôt en cinq. Le pistil se change en une petite graine noire, oblongue, arrondie, cachée dans une capsule qui étoit le calice de la fleur. Cette plante vient communément dans la Provence & dans le Languedoc. Elle est d'usage en Medecine.

Lobel la dit astringente & vulnéraire. M. Burlet, Mém. de l'acad. 1703. lui attribue la vertu d'exciter les urines, les sueurs, la transpiration, & les regles ; de lever les obstructions récentes des visceres ; d'être salutaire dans les maladies chroniques ; de soulager sur-tout dans l'asthme humide, & dans l'hydropisie où il n'y a ni chaleur ni altération. Il en faut faire un long usage, & se purger de tems en tems. On la prend en décoction dans de l'eau, ou macérée dans le vin. On peut la prendre infusée comme le thé ; elle échauffe beaucoup, & il en faut user avec précaution.


CAMPHRIER(LE) Hist. nat. bot. arbre qui croît de lui-même & sans culture au Japon, à la Chine, dans l'île de Borneo, & dans plusieurs autres contrées des Indes orientales. On dit qu'il est de la grandeur d'un beau tilleul. Ses racines sont fortes, très-odorantes, & fournissent plus de camphre que le reste de l'arbre. L'écorce est d'un gris obscur autour du tronc, mais autour des rameaux les plus jeunes elle est verte : ces rameaux contiennent un suc visqueux & gluant ; le bois en est blanc. Les feuilles en sont longues, se terminant en pointes ondulées par les bords, en-dessus d'un verd foncé & brillant. Cet arbre porte en Mai & en Juin des fleurs blanches à six pétales ; lorsqu'elles tombent, il vient en leur place des baies, qui étant mûres sont de la grosseur d'un pois, d'un rouge obscur, d'un goût qui approche de celui du clou de gérofle. Voyez l'article CAMPHRE.


CAMPHUR(Hist. nat. Zoolog.) espece d'âne sauvage qui se trouve dans les deserts de l'Arabie, qui suivant le rapport de quelques voyageurs, a une corne au milieu du front, dont il se sert pour se défendre des taureaux sauvages. Les Indiens attribuent des vertus merveilleuses à cette corne, & la regardent comme un remede souverain dans plusieurs maladies.


CAMPIANO(Géog.) petite ville forte de Sicile, dans le val di Taro, sur la riviere de Taro.


CAMPIGNOLE(Géog.) ville de France, dans la province de Bresse, sur la riviere de Dain.


CAMPINou CAMPIGNE, (Géog.) contrée des Pays-bas, dont une partie dépend du Brabant hollandois, & l'autre de l'évêché de Liége.


CAMPION(Géog.) ville d'Asie dans la Tartarie, capitale du royaume de Tangut. Long. 122. 30. lat. 40. 25.


CAMPLI(Géog.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze. Longit. 31. 30. latit. 42. 38.


CAMPNER-DAHLERécu de Campen, (Comm.) c'est une piece d'argent qui a cours dans les Provinces-unies des Pays-Bas, qui vaut 28 stuyvers d'Hollande, & environ 57 sous monnoie de France.


CAMPO(Géog.) petite ville d'Italie, de la dépendance de la république de Genes.

CAMPO D'ANDEVALO, (Géog.) petit pays d'Espagne dans l'Andalousie, sur les frontieres du Portugal.

CAMPO DI MONTIEL, (Géog.) petit district d'Espagne, dans la partie méridionale de la nouvelle Castille.

CAMPO DI S. PIETRO, (Géog.) petite ville d'Italie dans le Padouan, sur la riviere de Muson.

CAMPO MAJOR, (Géogr.) petite ville de Portugal, dans la province d'Alentejo. Long. 11. 17. lat. 38. 50.


CAMPOLI(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, sur les frontieres de la Marche d'Ancone.


CAMPREDON(Géog.) ville d'Espagne dans la Catalogne, au pié des Pyrénées.


CAMQUIT(Hist. nat. bot.) fruit du royaume de Tonquin, semblable à une orange, mais qui n'est pas si grand que le cam-chain. Sa couleur est d'un rouge foncé : sa pelure est fort mince ; elle est aussi rouge en-dedans, & ne le cede à aucun fruit en délicatesse : mais ce fruit est fort mal-sain, & donne la dyssenterie.


CAMSUARE(Géogr.) province de l'Amérique méridionale, habitée par différens peuples.


CAMUL(Géogr.) ville d'Asie à l'extrémité du royaume de Cialis, sur les frontieres de celui de Tanguth. Long. 115. 40. lat. 37. 15.


CAMULES. m. (Mythol.) nom que les Saliens donnoient à Mars. Il est représenté dans les monumens avec la pique & le bouclier.


CAMUou CAMARD, qui a le nez court ou creux, & enfoncé vers le milieu. Voyez NEZ.

Les Tartares font grand cas des beautés camuses. Rubruquis observe que la femme du grand cham Ienghis, beauté qui fit beaucoup de bruit en son tems, n'avoit pour tout nez que deux petits trous. (H)

Ce Rubruquis étoit un religieux envoyé par Saint Louis pour convertir le cham des Tartares : nous avons la relation de son voyage, qui est très-curieuse, sur-tout pour des philosophes. (O)

CAMUS, cheval camus, est celui qui a le chamfrain enfoncé. Voyez CHAMFRAIN.


CANA(Géog. sainte) ville de Galilée dans la tribu de Zabulon, où Jesus-Christ a fait plusieurs miracles. Ce n'est plus qu'un village peuplé de Mahométans. Sainte Helene avoit consacré ce lieu par une église & par un seminaire : l'église a été transformée en mosquée, & le seminaire en un logement de santons.


CANADou CANADE, (Hist. mod.) on nomme ainsi la mesure de vin ou d'eau qu'on donne par jour sur les vaisseaux portugais, à chaque matelot ou homme de l'équipage.

CANADA ou NOUVELLE FRANCE, (Géogr.) pays fort vaste de l'Amérique septentrionale, borné à l'est par l'Océan, à l'oüest par le Mississipi, au sud par les colonies angloises, & au nord par des pays deserts & inconnus. Ce pays est habité par plusieurs nations sauvages, qui ne vivent que de la chasse & de la pêche. Outre ces nations, les François y ont des établissemens considérables, & on y fait un grand commerce de pelletteries, que les sauvages apportent en quantité du produit de leur chasse. Le Canada est rempli de forêts, & il y fait très-froid. Les sauvages qui habitent ce pays adorent le soleil, & un premier esprit qu'ils regardent comme au-dessus de lui. La capitale du Canada est Québec. Voyez CANADIENS.


CANADELLES. f. (Hist nat. Ichthiolog.) petit poisson de mer qui est nommé sacchetto à Venise, & qui est peut-être le channadella de Belon & de Rondelet. Il est semblable à la perche d'eau douce pour la figure, les couleurs, & les bandes transversales. Les nageoires sont comme celles de la mendole ; celle du dos a une tache noire à sa partie supérieure, au-delà des aiguillons : cette marque est particuliere à la canadelle, & pourroit la faire distinguer de tout autre poisson. Le bec est pointu, & la bouche grande en comparaison du corps. La mâchoire du dessous est un peu plus grande que celle du dessus ; elles sont l'une & l'autre garnies de petites dents : il y a aussi sur le palais un espace triangulaire rude au toucher. L'iris des yeux est de couleur d'argent ; les nageoires du ventre sont noirâtres ; la queue est fourchue, & traversée par des lignes de couleur d'or. Les écailles de ce poisson sont très-petites. Willughby, hist. piscium. Voyez POISSON. (I)


CANADIENS(PHILOSOPHIE DES) Nous devons la connoissance des sauvages du Canada au baron de la Hontan, qui a vécu parmi eux environ l'espace de dix ans. Il rapporte dans sa relation quelques entretiens qu'il a eus sur la religion avec un de ces sauvages, & il paroît que le baron n'avoit pas toûjours l'avantage dans la dispute. Ce qu'il y a de surprenant, c'est de voir un huron abuser assez subtilement des armes de notre dialectique pour combattre la religion chrétienne ; les abstractions & les termes de l'école lui sont presqu'aussi familiers qu'à un européen qui auroit médité sur les livres de Scot. Cela a donné lieu de soupçonner le baron de la Hontan d'avoir voulu jetter un ridicule sur la religion dans laquelle il avoit été élevé, & d'avoir mis dans la bouche d'un sauvage les raisons dont il n'auroit osé se servir lui-même.

La plûpart de ceux qui n'ont point vû ni entendu parler des sauvages, se sont imaginés que c'étoient des hommes couverts de poil, vivant dans les bois sans société, comme des bêtes, & n'ayant de l'homme qu'une figure imparfaite : il ne paroît pas même que bien des gens soient revenus de cette idée. Les sauvages, à l'exception des cheveux & des sourcils, que plusieurs même ont soin d'arracher, n'ont aucun poil sur le corps ; car s'il arrivoit par hasard qu'il leur en vînt quelqu'un, ils se l'ôteroient d'abord jusqu'à la racine. Ils naissent blancs comme nous ; leur nudité, les huiles dont il se graissent, & les différentes couleurs dont ils se fardent, que le soleil à la longue imprime dans leur peau, leur hâlent le teint. Ils sont grands, d'une taille supérieure à la nôtre ; ont les traits du visage fort réguliers, le nez aquilin. Ils sont bien faits en général, étant rare de voir parmi eux aucun boiteux, borgne, bossu, aveugle, &c.

A voir les Sauvages du premier coup-d'oeil, il est impossible d'en juger à leur avantage, parce qu'ils ont le regard farouche, le port rustique, & l'abord si simple & si taciturne, qu'il seroit très-difficile à un européen qui ne les connoîtroit pas, de croire que cette maniere d'agir est une espece de civilité à leur mode, dont ils gardent entr'eux toutes les bienséances ; comme nous gardons chez nous les nôtres, dont ils se moquent beaucoup. Ils sont donc peu caressans, & font peu de démonstrations ; mais nonobstant cela ils sont bons, affables, & exercent envers les étrangers & les malheureux une charitable hospitalité, qui a dequoi confondre toutes les nations de l'Europe. Ils ont l'imagination assez vive, ils pensent juste sur leurs affaires, ils vont à leur fin par des voies sûres ; ils agissent de sang-froid, & avec un phlegme qui lasseroit notre patience. Par raison d'honneur & par grandeur d'ame, ils ne se fâchent presque jamais. Ils ont le coeur haut & fier, un courage à l'épreuve, une valeur intrépide, une constance dans les tourmens qui semble surpasser l'héroïsme, & une égalité d'ame que ni l'adversité ni la prospérité n'alterent jamais.

Toutes ces belles qualités seroient trop dignes d'admiration, si elles ne se trouvoient malheureusement accompagnées de quantité de défauts ; car ils sont legers & volages, fainéans au-delà de toute expression, ingrats avec excès, soupçonneux, traîtres, vindicatifs, & d'autant plus dangereux, qu'ils savent mieux couvrir & qu'ils couvrent plus longtems leurs ressentimens. Ils exercent envers leurs ennemis des cruautés si inoüies, qu'ils surpassent dans l'invention de leurs tourmens tout ce que l'histoire des anciens tyrans peut nous représenter de plus cruel. Ils sont brutaux dans leurs plaisirs, vicieux par ignorance & par malice ; mais leur rusticité & la disette où ils sont de toutes choses, leur donne sur nous un avantage, qui est d'ignorer tous les raffinemens du vice qu'ont introduit le luxe & l'abondance. Voici maintenant à quoi se réduisent leur philosophie & leur religion.

1°. Tous les Sauvages soûtiennent qu'il y a un Dieu. Ils prouvent son existence par la composition de l'univers qui fait éclater la toute-puissance de son auteur ; d'où il s'ensuit, disent-ils, que l'homme n'a pas été fait par hasard, & qu'il est l'ouvrage d'un principe supérieur en sagesse & en connoissance, qu'ils appellent le grand esprit. Ce grand esprit contient tout, il paroît en tout, il agit en tout, & il donne le mouvement à toutes choses. Enfin tout ce qu'on voit & tout ce qu'on conçoit, est ce Dieu, qui subsistant sans bornes, sans limites & sans corps, ne doit point être représenté sous la figure d'un vieillard ni de quelqu'autre chose que ce puisse être, quelque belle, vaste & étendue qu'elle soit ; ce qui fait qu'ils l'adorent en tout ce qui paroît au monde. Cela est si vrai, que lorsqu'ils voyent quelque chose de beau, de curieux & de surprenant, sur-tout le soleil & les autres astres, ils s'écrient : O grand esprit, nous te voyons par-tout !

2°. Ils disent que l'ame est immortelle, parce que si elle ne l'étoit pas, tous les hommes seroient également heureux en cette vie ; puisque Dieu étant infiniment parfait & infiniment sage, n'auroit pû créer les uns pour les rendre heureux, & les autres pour les rendre malheureux. Ils prétendent donc que Dieu veut, par une conduite qui ne s'accorde pas avec nos lumieres, qu'un certain nombre de créatures souffrent en ce monde, pour les en dédommager en l'autre ; ce qui fait qu'ils ne peuvent souffrir que les Chrétiens disent que tel a été bien malheureux d'être tué, brûlé, &c. prétendant que ce que nous croyons malheur, n'est malheur que dans nos idées ; puisque rien ne se fait que par la volonté de cet Etre infiniment parfait ; dont la conduite n'est ni bizarre ni capricieuse. Tout cela n'est point si sauvage.

3°. Le grand esprit a donné aux hommes la raison, pour les mettre en état de discerner le bien & le mal, & de suivre les regles de la justice & de la sagesse.

4°. La tranquillité de l'ame plaît infiniment à ce grand esprit ; il déteste au contraire le tumulte des passions, lequel rend les hommes méchans.

5°. La vie est un sommeil, & la mort un réveil qui nous donne l'intelligence des choses visibles & invisibles.

6°. La raison de l'homme ne pouvant s'élever à la connoissance des choses qui sont au-dessus de la terre, il est inutile & même nuisible de chercher à pénétrer les choses invisibles.

7°. Après notre mort nos ames vont dans un certain lieu, dans lequel on ne peut dire si les bons sont bien, & si les méchans sont mal ; parce que nous ignorons si ce que nous appellons bien ou mal, est regardé comme tel par le grand esprit. (C)


CANADORS. m. (Comm.) mesure des liquides de Portugal, dont les douze font une almonde, qui est une autre mesure du même royaume. Le canador est équivalent au mingle ou bouteille d'Amsterdam. Voyez MINGLE & ALMONDE. Dictionn. du Commerce, tome II. page 59. (G)


CANALCANAL

La France a plusieurs grands canaux. Celui de Briare fut commencé sous Henri IV. & achevé sous Louis XIII. par les soins du cardinal de Richelieu. Il établit la communication de la riviere de Loire à la riviere de Seine par le Loing. Il a onze grandes lieues de longueur, à le prendre depuis Briare jusqu'à Montargis. C'est au-dessous de Briare qu'il entre dans la Loire, & c'est à Cepoi qu'il finit dans le Loing. Les eaux du canal sont soûtenues par quarante-deux écluses, qui servent à monter & à descendre les trains de bois & les bateaux, qu'on construit pour cet effet d'une longueur & d'une largeur proportionnées. On paye un droit de péage à chaque écluse, pour l'entretien du canal & le remboursement des propriétaires.

Le canal d'Orléans fut entrepris en 1675, pour la communication de la Seine & de la Loire : il a vingt écluses. C'est Philippe d'Orléans, régent de France, qui l'a fait achever sous la minorité de Louis XV. Il porte le nom d'une ville dans laquelle il ne passe pas. Il commence au bourg de Combleux, qui est à une petite lieue d'Orléans.

Le projet du canal de Picardie pour la jonction des rivieres de Somme & d'Oise, a été formé sous les ministeres des cardinaux de Richelieu & de Mazarin, & sous celui de M. de Colbert.

Mais un des plus grands & des plus merveilleux ouvrages de cette espece, & en même tems un des plus utiles, c'est la jonction des deux mers par le canal de Languedoc, proposé sous François I. sous Henri IV. sous Louis XIII. entrepris & achevé sous Louis XIV. Il commence par un réservoir de quatre mille pas de circonférence & de quatre-vingt piés de profondeur, qui reçoit les eaux de la montagne Noire. Elles descendent à Naurouse dans un bassin de deux cent toises de longueur, & de cent cinquante de largeur, revêtu de pierre de taille. C'est-là le point de partage d'où les eaux se distribuent à droite & à gauche dans un canal de soixante-quatre lieues de long, où se jettent plusieurs petites rivieres soûtenues d'espace en espace de cent quatre écluses. Les huit écluses qui sont voisines de Besiers, forment un très-beau spectacle : c'est une cascade de cent cinquante-six toises de long sur onze toises de pente.

Ce canal est conduit en plusieurs endroits sur des aquéducs & sur des ponts d'une hauteur incroyable, qui donnent passage entre leurs arches à d'autres rivieres. Ailleurs il est coupé dans le roc, tantôt à découvert, tantôt en voûte, sur la longueur de plus de mille pas. Il se joint d'un bout à la Garonne près de Toulouse ; de l'autre traversant deux fois l'Aude, il passe entre Agde & Besiers, & va finir au grand lac de Tau, qui s'étend jusqu'au port de Cette.

Ce monument est comparable à tout ce que les Romains ont tenté de plus grand. Il fut projetté en 1666, & démontré possible par une multitude infinie d'opérations longues & pénibles, faites sur les lieux par François Riquet, qui le finit avant sa mort, arrivée en 1680. Quand les grandes choses sont exécutées, il est facile à ceux qui les contemplent de les imaginer plus parfaites & plus grandes. C'est ce qui est arrivé ici. On a proposé un réservoir plus grand que le premier, un canal plus large & des écluses plus grandes ; mais on a été arrêté par les frais.

Nous n'entrerons pas dans tous les détails de la construction de ce canal ; mais nous ne pouvons guere nous dispenser d'expliquer le méchanisme & le jeu des écluses ou réservoirs d'eau, qu'on peut regarder comme de grands coffres qu'on remplit à discrétion, & à l'aide desquels on fait monter ou descendre un bâtiment d'une portion de canal dans un autre.

Il faut observer d'abord, que dans les canaux l'eau est de niveau dans chaque partie, c'est-à-dire entre une écluse & une autre écluse, & que les eaux des différentes parties sont dans des niveaux différens.

Une écluse est composée de deux murs paralleles 12, 34, voy. Pl. du canal de Lang. à la fin de nos Pl. d'Hyd. fig. 1. & 4. La hauteur N M de ces murs est de deux piés ou environ plus haute que depuis le fond du canal inférieur jusqu'au niveau de la surface de l'eau du canal supérieur. Ces deux murs sont éloignés l'un de l'autre d'autant qu'il convient pour que les bâtimens puissent passer commodément ; & ils doivent être bâtis solidement sur pilotis ou terre franche, & un peu en talud, pour qu'ils puissent mieux soûtenir l'effort des terres.

On a placé entre ces deux murs les portes 24, 13, fig. 1. la premiere pour empêcher l'eau du canal supérieur d'entrer dans le coffre ou dans l'écluse ; & la seconde pour arrêter & soûtenir l'eau, quand elle en est remplie. Ces portes doivent être très-fortes, & tourner librement sur leurs pivots. C'est pour les pouvoir ouvrir & fermer avec facilité, qu'on y ajuste les longues barres A b, C a, au moyen desquelles on les meut comme le gouvernail d'un vaisseau par sa barre ou son timon. Il faut aussi les construire de maniere qu'elles soient bien étanchées, & qu'elles laissent passer le moins d'eau qu'il est possible. Les deux battans de chaque porte s'appuient l'un contre l'autre, & forment un angle saillant du côté où l'eau fait effort contr'eux.

Outre ces parties, une écluse a encore deux canaux soûterrains G, H ; K, F. Le canal G H qui descend obliquement, sert à lâcher l'eau du canal supérieur D, fig. 2. dans le corps de l'écluse, où elle est retenue par la porte C, qui est supposée fermée. On lâche cette eau en levant la pelle D G, qui en ferme l'ouverture. Voyez figure 3. le canal G H ouvert en G, & l'autre canal K F fermé en K. Quand au contraire on veut vuider le coffre de l'écluse, on ferme le canal G H en baissant la pelle G ; & l'on ouvre le canal K F en levant la pelle K : l'eau n'étant plus retenue, s'écoule par le canal K F dans le canal inférieur B ; ensorte qu'elles se mettent de niveau dans le canal & dans l'écluse. Voyez la fig. 2.

Jeu des écluses. Si l'on propose, par exemple, de faire monter le bateau B du canal inférieur dans le canal supérieur G, fig. 2. la porte A & la pelle G du canal supérieur étant fermées, on laissera écouler par le canal E F toute l'eau que contient l'écluse, si elle n'est pas vuide : on ouvrira ensuite les grandes portes C en tournant leurs barres C a, ou en tirant leurs battans, fig. 1. & 4. ce qui sera facile, puisque l'eau qu'elles ont de part & d'autre est en équilibre. Les portes étant ouvertes, on fera entrer le bateau dans le corps de l'écluse : on refermera ensuite les portes C & la pelle K ; ensuite on ouvrira la pelle G pour remplir l'écluse de l'eau du canal, jusqu'à ce qu'elle soit de niveau avec celle du canal D, comme on voit fig. 3. Le bateau s'élevera à mesure que l'écluse se remplira d'eau, & il arrivera à la hauteur B. Les choses étant en cet état, on ouvrira la porte A, & le bateau passera dans le canal D ; ce que l'on s'étoit proposé de faire.

S'il étoit question de faire descendre le bateau du canal D, figure 3. dans le canal inférieur, il faudroit commencer par remplir l'écluse d'eau, ouvrir la porte A, y faire ensuite passer le bateau, refermer cette porte & la pelle G ; ouvrir ensuite la pelle K, pour laisser écouler l'eau de l'écluse dans le canal inférieur. Le bateau baissera à mesure que l'écluse se vuidera ; & lorsque l'eau de l'écluse sera au niveau de celle du canal inférieur, on ouvrira la porte C pour faire sortir le bateau, & le faire passer dans le canal B. Voyez l'article ECLUSE.

CANAL, (Jardin) c'est ordinairement une longue piece d'eau pratiquée dans un jardin, pour l'ornement & la clôture.

CANAL, chez les Fontainiers, se prend encore pour un tuyau de fontaine.

CANAL en cascade, (Jardinage) est un canal interrompu par plusieurs chûtes qui suivent l'inégalité du terrein : on en voit à Fontainebleau, à Marly, au théatre d'eau à Versailles, & dans les jardins de Couvances.

CANAUX soûterrains, sont des aquéducs enfoncés en terre, qui servent à conduire les eaux. Voyez AQUEDUC.

Ce sont aussi les tuyaux & conduits dont on se sert pour amener les eaux, lesquels se trouvent tout recouverts de terre lorsqu'ils sont posés. (K)

CANAL de l'étrave, c'est, en Marine, le bout creusé ou cannelé de l'étrave, sur quoi repose le beaupré quand on n'y met point de coussin.

CANAL, faire canal, (Marine) ce terme n'est guere usité que pour la navigation des galeres. Une galere fait canal, lorsqu'elle fait un trajet de mer assez considérable pour perdre la côte de vûe avant que d'arriver au lieu vers lequel elle fait route. (Z)

CANAL, en Anatomie, est un mot pris généralement pour exprimer tous les vaisseaux du corps, tels que les veines, les arteres, &c. par lesquels différens fluides circulent. Voyez VAISSEAU, ARTERE, &c.

Les canaux demi-circulaires sont trois canaux dans le labyrinthe de l'oreille, qui s'ouvrent par autant d'orifices dans le vestibule. Voyez OREILLE.

Ils sont au nombre de trois, un vertical supérieur, un vertical postérieur, & un horisontal. Ce dernier est ordinairement le plus petit des trois ; le vertical postérieur est souvent le plus grand : quelquefois c'est le vertical supérieur qui surpasse les autres. Ils varient souvent, suivant la différence des sujets ; mais ils sont toûjours semblables dans la même personne. Valsalva conjecture que l'intention de la nature, en donnant des grandeurs différentes à ces canaux, dans lesquels une partie du nerf auditif est logée, a été de les accommoder à la différence des sons, dont les impressions eussent toûjours été les mêmes, si ces canaux, avoient été de même grandeur ; & quoiqu'on remarque quelque différence dans leur forme & leur grandeur dans différentes personnes, ils ne laissent pas d'être entierement semblables dans le même homme : car sans cette précaution il n'eût pas manqué d'y avoir de la discordance dans les organes de l'oüie. (L)

Les canaux aqueux, ductus aquosi Nuckii, sont certains canaux dans la sclérotique, que M. Nuck a découverts, par lesquels on croit que l'humeur aqueuse de l'oeil est apportée dans l'intérieur des membranes qui renferment cette liqueur ; mais cette découverte n'est pas généralement reçûe. Voyez AQUEUX & OEIL.

CANAL, (Maréchall.) On appelle ainsi le creux qui est au milieu de la mâchoire inférieure de la bouche du cheval, qui est destiné à placer la langue ; & qui étant borné de part & d'autre par les barres, se termine aux dents mâchelieres. C'est dans ce canal que croissent les barbillons.

Quand le canal est large, le gosier s'y loge facilement, & le cheval peut bien se brider ; mais lorsqu'il est trop étroit, le cheval est contraint de porter le nez au vent. (V)

CANAL ; c'est dans un aqueduc de pierre ou de terre, la partie par où passe l'eau qui se trouve dans les aqueducs antiques, revêtue d'un corroi de mastic de certaine composition, comme au pont du Gard en Languedoc.

CANAL ou GOUTTIERE, voyez GOUTTIERE.

CANAL d'un larmier, en Architecture, c'est le plafond creusé d'une corniche, qui fait le pendant à mouchettes. Voyez LARMIER & SOPHII.

Canal de volute ; c'est dans la volute ionique, la face des circonvolutions renfermée par un sistel, & dont le chapiteau est entre le sistel & l'ove.

CANAL, terme d'Architecture, se dit des cavités droites ou torses dont on orne les tigelles des caulicoles d'un chapiteau.

CANAL de triglyphe, voyez TRIGLYPHE.

* CANAL des espolins, (Manufact. de soie) machine de fer blanc sur laquelle on range les espolins, quand l'étoffe n'est pas assez large pour les contenir, ou qu'ils sont en trop grande quantité. Le canal est plus large que l'étoffe.

* CANAL de l'ensuple, se dit dans les mêmes manufactures, d'une cannelure dans laquelle on place la verge qui est attachée à la tête ou au chef de l'étoffe, ou plûtôt à la queue de la chaîne.

* CANAL désigne encore chez les mêmes ouvriers, un morceau de bois cave en forme de tuile creuse, dont la concavité imite la convexité de l'ensuple. Il est long de deux piés ou environ ; il s'applique sur l'ensuple même, & sert à garantir l'ouvrier des pointes d'aiguille qui arrêtent l'étoffe dans le velours ciselé, & à garantir l'étoffe même du frottement dans le velours uni. Voyez les artic. VELOURS & AIGUILLE D'ENSUPLE.

CANAL, (le) ou LA MANCHE, (Géogr.) c'est le nom qu'on donne ordinairement à la mer qui sépare la France de l'Angleterre.


CANANS. m. (Comm.) mesure des liquides dont on se sert dans le royaume de Siam, & que les Portugais appellent choup. Le canan tient environ un pot ou deux pintes de Paris. Le quart du canan s'appelle lenig : c'est notre chopine. Au-dessous du lenig sont les cocos ; il y en a cependant qui peuvent contenir une pinte entiere de liqueur. Voyez COCOS, mesure. (G)


CANANOR(Géog.) petit royaume d'Asie, avec une ville qui porte le même nom, sur la côte de Malabar, appartenante aux Portugais. Longit. 95. 45. latit. 12. 15.


CANAPÉS. f. longue chaise à dos sur laquelle plusieurs personnes peuvent s'asseoir, & même se coucher.

CANAPE, s. m. en terme de Raffineur de sucre, est une espece de chaise de bois sur laquelle on met le bassin, lorsqu'il est question de transporter la cuite du rafraîchissoir dans les formes : deux des montans sont un peu plus élevés que les autres, pour empêcher le bassin de répandre.


CANAPEYES(Géogr.) nom qu'on donne à une nation sauvage de l'Amérique méridionale, qui habite une partie de la nouvelle Grenade.


CANAPLES(Géogr.) petite ville de France en Picardie, entre Amiens & Dourlens.


CANARA(Géog.) royaume d'Asie sur la côte de Malabar, habité par des peuples idolâtres.


CANARANE(Géog.) royaume d'Asie dans l'Inde, au-delà du Gange : quelques géographes doutent de son existence.


CANARDS. m. anas, (Hist. nat. Zoolog.) oiseau aquatique, dont la femelle porte le nom de cane. Les canards & autres oiseaux de riviere sont pesans, & semblent se mouvoir difficilement ; c'est pourquoi ils font du bruit avec leurs ailes en volant. Il y a des canards sauvages qui sont aussi gros & plus que les canards domestiques, & qui leur ressemblent à tous égards ; d'autres qui sont plus petits : ainsi il y en a de deux sortes. On doit les distinguer en grands & en petits, & non pas en sauvages & en domestiques, puisque ceux-ci sont venus des oeufs de canards sauvages. Les couleurs de ceux-ci sont constantes ; mais celles des autres varient : ils sont quelquefois mi-partis de blanc ou entierement blancs. Cependant il s'en trouve qui ont les mêmes couleurs que les sauvages. Belon, Hist. de la nat. d es oiseaux.

Il y a quantité d'especes de canards : il suffira de rapporter ici les principales, je veux dire celles qui ont été nommées en François.

CANARD à bec crochu, anas rostro adunco : le mâle pese deux livres deux onces : il a depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue environ deux piés de longueur : l'envergeure est de trente-deux pouces ; le bec est long de deux pouces & demi ; il est un peu courbé, & d'un verd pâle ; la pointe qui est à l'extrémité est de couleur noire. Le plumage de la tête & du dessous du cou est d'un verd sombre, & il y a deux raies formées par de petits points ou taches blanches ; l'une des raies passe au-dessus du bec, presque sur l'oeil, & s'étend jusqu'au derriere de la tête, & l'autre va depuis le bec jusqu'au-dessous de l'oeil, qui est entouré d'un cercle de plumes de la même couleur : le plumage du menton est aussi bigarré de la même maniere ; celui de la gorge, de la poitrine & du ventre, est blanc, & cette couleur est mélangée de quelques petites taches transversales d'un brun rougeâtre ; les plumes du dos de même que celles de la naissance des aîles & des flancs, sont de cette même couleur, & bordées & bigarrées par-tout de blanc. Les grandes plumes des ailes sont au nombre de vingt-quatre, les six premieres sont toutes blanches, & les autres sont d'un brun rougeâtre ; les petites plumes du premier rang sont bleues, à l'exception des pointes qui sont blanches : les plumes du second rang sont brunes, & leur pointe est blanche : la queue est composée de vingt plumes noires, leurs pointes sont blanches ; les quatre du milieu sont recourbées par en-haut en forme de cercle vers le dos : les jambes & les pattes sont de couleur orangée. La femelle de cet oiseau ressemble beaucoup à celle du canard ordinaire, à l'exception du bec qui est crochu ; elles pondent plus qu'aucunes autres de ce genre. Derham, Hist. nat. des oiseaux. Voyez OISEAU.

CANARD à crête noire, anas fuligula prima, Gesn. il pese deux livres ; sa longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue est de quinze à seize pouces ; & l'envergeure est de deux piés & trois ou quatre pouces ; le bec a depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche, environ deux pouces de longueur ; il est large, d'un bleu pâle par-tout, excepté à la pointe qui est noire : les narines sont grandes, & environnées par un espace dégarni de plumes : l'iris des yeux est jaune, ou de couleur d'or : les oreilles sont petites ; la tête, sur-tout le sommet, est d'un pourpre noirâtre, ou plûtôt d'une couleur mélangée de noir & de pourpre ; c'est pourquoi on appelle cet oiseau à Venise, & dans d'autres endroits d'Italie, capo-negro. Il a une crête qui pend derriere la tête, de la longueur d'un pouce & demi : la couleur du cou, des épaules, du dos, enfin toute la partie supérieure de l'oiseau est d'un brun foncé, presque noir. Les ailes sont courtes, & toutes les petites plumes sont noires ; les quatre premieres grandes plumes sont de la même couleur que le corps ; les six qui suivent deviennent successivement blanches par degrés, les dix suivantes sont blanches comme neige, à l'exception de leurs pointes qui sont noires ; les six dernieres sont entierement noires : la queue est très-courte, & composée de quatorze plumes noires ; le dessous du cou & le devant de la poitrine sont noirs, & le reste de la poitrine est blanc ; le ventre est de la même couleur jusqu'à l'anus, où elle est plus obscure, & au-delà elle est noirâtre : les plumes des côtés, que recouvrent les ailes lorsqu'elles sont pliées, celles qui couvrent les cuisses, & les petites plumes du dessous de l'aile, sont blanches ; les jambes sont courtes, & placées en-arriere ; les pattes sont d'une couleur livide, ou de bleu obscur ; les doigts sont longs, & la membrane qui les joint est noire. Le corps de cet oiseau est court, épais, large, & un peu applati. On n'a trouvé que des cailloux & de l'algue dans l'estomac de cet oiseau. Willughby, Ornith. Derham, Hist. nat. des oiseaux. Voyez. OISEAU.

CANARD à tête élevée, anas arrecta ; le bec de cet oiseau est verd, & mêlé d'une couleur brune ; l'iris des yeux est blanc ; le sommet de la tête est noir ; il y a une bande blanche qui commence sous la base du bec, & qui entoure le sommet de la tête au-dessous du noir ; le reste de la tête est d'une couleur obscure, mêlée de verd & de rouge ; ce qui la fait paroître très-belle, selon les différens reflets de lumiere : le cou est bigarré de plumes noires & blanches ; celles de la poitrine & du ventre sont de cette derniere couleur ; les côtés du ventre sous les ailes & les cuisses, sont d'une couleur obscure tirant sur le noir ; les grandes plumes des ailes sont brunes, & leurs bords extérieurs sont blancs ; le dos est d'une couleur sombre, mêlée de verd & de rouge ; les jambes & les piés sont d'un jaune obscur. Cet oiseau se tient droit en marchant ; c'est pour cette raison qu'on l'appelle le canard droit ou à tête élevée. Derham, Hist. nat. des oiseaux. Voyez OISEAU.

CANARD de Barbarie : cet oiseau paroît avoir eu plusieurs dénominations ; car on croit qu'il a été désigné par les noms suivans, anas Moschata, anas Cairina, anas Libyca, anas Indica ; toutes les descriptions que l'on a faites sous ces différens noms, s'accordent pour la grandeur, pour la voix rauque & entrecoupée comme par des sifflemens, pour les tubérosités dégarnies de plumes entre les narines & autour des yeux, & pour la grandeur du mâle, qui surpasse celle de la femelle. Les couleurs du plumage varient comme dans tous les oiseaux domestiques. J'ai vû un mâle de trois ans qui pesoit quatre livres treize onces : il avoit deux piés deux pouces & demi de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'au bout des pattes, & deux piés & demi jusqu'au bout de la queue ; la partie supérieure du bec a deux pouces cinq lignes de longueur ; depuis l'ouverture de la bouche jusqu'à l'extrémité de cette partie supérieure, qui est terminée par une sorte d'ongle large & plat, noir & crochu, assez ressemblant à un ongle humain ; les bords de cet ongle sont blanchâtres ; il y a un pareil ongle à l'extrémité de la partie intérieure du bec ; la supérieure a onze lignes de largeur, & deux pouces huit lignes de longueur jusqu'aux premieres plumes de la tête ; elle est en forme de gouttiere renversée ; les narines sont à égale distance de la pointe du bec & du milieu des yeux : le bec est élevé, & tuberculeux derriere les narines ; mais cette partie est recouverte par une membrane marbrée de noir & de rouge, qui environne la base du bec entier, qui s'étend jusqu'aux yeux, & qui les entoure ; cette membrane recouvre des tubercules osseux plus ou moins gros, qui sont placés autour des yeux, & qui ont une couleur blanche roussâtre ; le bec est marbré de rouge, de couleur de chair & de noir ; les dents sont en forme de scie, comme dans les canards ordinaires ; la langue est aussi pareille ; la tête, & le dessus du cou sur la moitié de sa longueur, sont panachés de noir & de blanc ; tout le reste du dessus du cou, le dos entier, le croupion, & la queue, sont d'une couleur obscure & changeante, mêlée d'or, de pourpre, de bleu & de verd ; les six premieres grandes plumes des aîles sont blanches ; les dix-sept suivantes sont de la même couleur que les longues plumes de l'épaule & de la queue, la partie moyenne de ces dix-sept grandes plumes de l'aile est panachée de noir & de blanc, principalement sur les barbes intérieures : car les barbes extérieures des dernieres de ces dix-sept grandes plumes, sont de même couleur que l'extrémité, & les trois ou quatre dernieres grandes plumes sont entierement de la même couleur que la pointe des autres ; toutes les plumes qui recouvrent les grandes qui sont blanches, à l'exception des six ou sept premieres, qui sont en grande partie de la couleur changeante qui est sur la plûpart des grandes plumes : tout le dessous de l'aile est blanc, à l'exception des endroits des plumes qui sont de couleur changeante à l'extérieur ; l'intérieur en est brun ; la gorge est tachetée de blanc, de brun, & de noir ; le cou & la poitrine sont blancs, avec des taches irrégulieres sur le jabot, qui sont formées par plusieurs plumes brunes mêlées parmi les blanches ; le ventre & les cuisses sont bruns ; les côtés & le dessous de la queue sont aussi d'une couleur brune, mais elle est un peu mêlée de couleur changeante ; les pattes sont brunes ; la membrane qui réunit les doigts est aussi brune, & marquetée de blanc sale ; le dessous du pié & les ongles sont d'un blanc sale tacheté de noir. Ces oiseaux sont privés, & se multiplient comme les canards communs. Voyez OISEAU.

CANARD de Madagascar, anas Madagascariensis, est un peu plus grand que le canard privé ; le bec est d'un brun jaunâtre, & l'iris des yeux est d'un beau rouge ; le cou & la tête sont d'un verd sombre, & le dos est d'un pourpre foncé mêlangé de bleu, à l'exception des bords des plumes qui sont rouges ; la poitrine est d'un brun sombre, excepté les bords extérieurs des plumes qui sont rouges ; le bas du ventre est brun ; les plumes des épaules sont d'une couleur sombre mêlée de bleu, de même que le premier rang des petites plumes des ailes : les grandes ont les bords rouges ; le second rang des petites plumes est verd, les jambes & les piés sont de couleur orangée. Cet oiseau est très-beau ; il vient originairement de Madagascar. Derham, Hist. nat. des oiseaux. Voyez OISEAU.

CANARD d'été, anas cristatus elegans ; cet oiseau a une double hupe qui pend en arriere, & un fort beau plumage ; il a été décrit par Catesby, Hist. de la Caroline, vol. I. pag. 97. Il se trouve en Virginie & en Caroline : il fait son nid dans les trous que les piverts font sur les grands arbres qui croissent dans l'eau, & principalement sur les cyprès. Tant que les petits sont encore trop jeunes pour voler, les vieux canards les portent sur le dos jusque dans l'eau ; & lorsqu'il y a quelque chose à craindre pour eux, ils s'attachent par le bec au dos & à la queue du gros oiseau, qui s'envole avec sa famille. Hist. nat. de divers ois. par Edwards. art. XCIX. Voyez OISEAU.

CANARD domestique, anas domestica vulgaris ; il est plus petit que l'oie, & presque de la grosseur d'une poule, mais moins élevé ; le dos & le bec sont larges ; les jambes courtes, grosses, & dirigées en arriere, ce qui lui donne de la facilité pour nager, & da la difficulté pour marcher ; aussi marche-t-il lentement & avec peine. Les couleurs varient à l'infini dans ces canards, de même que dans les poules, & dans tous les autres oiseaux domestiques. Le mâle differe de la femelle, en ce qu'il a sur le croupion des plumes qui s'élevent & se recourbent en avant. La femelle fait d'une seule ponte douze ou quatorze oeufs, & quelquefois plus ; ils ressemblent à ceux des poules, & sont de couleur blanchâtre teinte de verd ou de bleu ; le jaune en est gros, & d'un jaune rougeâtre. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU.

CANARD sauvage ou cane au collier blanc, cane de mer ; boschas major, anas torquata minor, Ald. il pese trente-six à quarante onces ; il a environ un pié neuf pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergeure a près de deux piés neuf pouces ; le bec est d'un verd jaunâtre ; il a deux pouces & demi de longueur depuis les coins de la bouche jusqu'à son extrémité, & près d'un pouce de largeur ; il n'est pas trop applati ; il y a à l'extrémité de la piece supérieure du bec une appendice ou un ongle rond, comme dans la plûpart des oiseaux de ce genre ; les paupieres inférieures sont blanchâtres, les pattes sont de couleur de safran ; les ongles sont bruns ; celui du doigt de derriere est presque blanc ; celui du doigt intérieur est le plus petit de tous ceux de devant : la membrane qui joint les doigts ensemble est d'une couleur plus sale ; les cuisses sont couvertes de plumes jusqu'au genou : le mâle a la tête & le dessus du cou d'un beau verd, au bas duquel il y a un collier blanc bien entier en-devant ; mais qui ne l'est pas par-derriere ; la gorge est de couleur de châtaigne, depuis le collier jusqu'à la poitrine, qui est mêlée de blanc & de cendré, de même que le ventre, & parsemée d'un nombre infini de points bruns ; les plumes de dessous la queue sont noires ; la face supérieure du cou est parsemée de taches rousses, mêlées de cendré : la partie du dos entre les deux ailes est rousse ; le dessous de l'oiseau est noirâtre ; le croupion est d'une couleur plus foncée, & mêlée d'un pourpre luisant ; les côtés sous les ailes, & les plus longues plumes qui vont jusque sur les cuisses, sont marquées de lignes transversales d'un très-beau brun, avec du blanc mêlé de bleu ; les petites plumes des ailes sont roussâtres ; les longues plumes qui sortent des épaules sont de couleur d'argent, & élégamment panachées de petites lignes transversales brunes. Il y a vingt-quatre grandes plumes à chaque aile ; les dix premieres sont brunes ; les dix suivantes ont la pointe blanchâtre, & les barbes extérieures d'un beau pourpre bleuâtre ; entre le bleu & le blanc il y a de petites bandes noires ; la vingt-unieme plume a la pointe blanche, & le bord extérieur de couleur de pourpre obscur, la vingt-deuxieme a un peu de couleur d'argent dans son milieu ; la vingt-troisieme est entierement blanche, à l'exception des bords qui sont noirâtres ; la vingt-quatrieme est blanche aussi en entier, excepté le bord extérieur qui est noirâtre : les petites plumes sont de la même couleur que les grandes ; cependant celles qui recouvrent les pourprées ont la pointe noire, & ensuite une large ligne ou tache blanche ; la queue est composée de vingt plumes, dont l'extrémité est pointue ; les quatre du milieu sont contournées en cercle, & ont une belle couleur luisante mêlée de pourpre & de noir ; les huit suivantes de chaque côté sont blanchâtres ; les plumes du dessous de l'aile & de la fausse aile sont blanches.

Ces oiseaux vont par troupes pendant l'hyver ; au printems le mâle suit la femelle ; ils marchent par paires, & ils font leur nid le plus souvent près de l'eau, dans les joncs & les bruyeres, & rarement sur les arbres. La femelle fait d'une seule ponte douze ou quatorze oeufs, & plus, & elle les couve : elle n'a pas la tête verte, ni de collier sur le cou ; sa tête & son cou ont du blanc, du brun, & du roux noirâtre ; le milieu des plumes du dos est d'un brun presque noir, & les bords sont d'un blanc roussâtre. Villughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

Le canard sauvage passe pour meilleur que le domestique, étant nourri à l'air libre, & d'alimens qu'il va chercher lui-même, & plus exercé que l'autre ; ce qui contribue à atténuer & à chasser au-dehors les humeurs grossieres qu'il pourroit contenir, & enfin à exalter de plus en plus les principes de ses liqueurs ; ainsi il abonde davantage en sel volatil : cette chair est cependant de difficile digestion.

Le foie du canard sauvage passe pour propre à arrêter le flux hépatique.

La graisse du canard est adoucissante, résolutive, & émolliente. (N)

CANARD de pré de France, voy. CANE PETIERE.

CANARD de Moscovie, voyez CANARD de Barbarie.

CANARD d'Inde, voyez CANARD de Barbarie.

Dans les lieux de grand passage on fait au milieu des prairies & des roseaux, loin de tous arbres & haies, des canardieres ou grandes mares, où l'on met quelques canards privés qui appellent les passans, & un homme caché dans une hutte les tire au fusil. On les prend aussi aux piéges, soit collets ou autres : l'heure la plus favorable pour les tirer est de grand matin, à mesure qu'ils partent. On les prend encore avec des nappes ou à l'appât, ou bien au trictrac avec des panneaux, & à la glu le long des mares d'eau où ils se reposent.

Pour le vol du canard il faut se servir des autours qui font leur coup à la toise, c'est-à-dire tout d'une haleine, d'un seul trait d'aîle, & sont toûjours plus vîtes à partir du poing que les autres. Quand on est arrivé sur le lieu, & qu'on a observé où sont les canards, on prend les devants le long du fossé avec l'autour sur le poing ; on le présente vis-à-vis les canards, qui prennent l'épouvante & se levent : mais l'autour part aussi-tôt du poing, vole à eux, & en empiete toûjours quelqu'un.

Dans la saison où les canards sauvages font leurs canetons, on suit les bords des étangs & des rivieres avec un filet attaché à la queue d'un barque ; on bat tous les endroits couverts & marécageux, les canetons effrayés sortent & se jettent dans les filets ; on les prend, on leur brûle les bouts des aîles, & on les mêle avec les canetons domestiques.

CANARDS, ou bois perdus ; voyez BOIS.


CANARIS. m. oiseau ainsi appellé des îles Canaries d'où on nous l'a apporté. Voyez SERIN. (I)


CANARIE(LES ILES), Géog. îles de l'Océan, ainsi nommées de la plus grande ; elles étoient connues des anciens sous le nom d'îles Fortunées. On en compte sept, qui sont celle de Palme, de Fer, Gomero, Ténériffe, la grande Canarie, Fuerteventura, & Lancerote : on pourroit encore y en ajoûter quelques autres moins considérables. Elles sont très-fertiles, & produisent des vins délicieux. Les Espagnols en sont les maîtres. L. 0-5. 30. lat. 27. 30-29. 45.

CANARIE, subst. f. espece d'ancienne danse, que quelques-uns croyent venir des îles Canaries, & qui selon d'autres vient d'un ballet ou d'une mascarade, dont les danseurs étoient habillés en sauvages. Dans cette danse on s'approche & on s'éloigne les uns des autres, en faisant plusieurs passages bisarres, à la maniere des Sauvages.

La canarie, en Musique, est une espece de gigue. Voyez l'article GIGUE, & le prologue de l'Europe galante.


CANASSEsub. f. (Commerce) on nomme ainsi à Amsterdam des especes de grandes caisses, qui sont quelquefois d'étain, dans lesquelles les vaisseaux de la compagnie apportent les différens thés de la Chine & des Indes orientales. Dans la vente de cette marchandise, on donne ordinairement seize livres de tare par canasse. Voyez TARE. (G)


CANATHOS(Myth.) fontaine de Nauplia où Junon alloit, dit-on, se baigner une fois tous les ans, pour recouvrer sa divinité ; fable fondée sut quelque particularité des mysteres secrets qu'on y célebroit en l'honneur de la déesse.


CANCALE(Géog.) ville de France, dans la haute Bretagne, sur le bord de la mer. Long. 15d. 48'. 15". lat. 48d. 40'. 40".


CANCAMUM(Hist. nat.) gomme rare, qui paroît plûtôt un assemblage de plusieurs gommes : on y distingue quatre substances différentes, qui ont chacune leur couleur séparée. La premiere ressemble au succin ; elle se fond au feu, & à l'odeur de la gomme laque. La seconde est noire, se fond au feu comme la premiere, mais rend une odeur plus douce. La troisieme est semblable à de la corne, & n'a point d'odeur. La quatrieme est blanche, & c'est la gomme animé. On dit que ces gommes découlent d'un arbre qui croît en Afrique, au Bresil, & dans l'île de Saint-Christophe, & qui a quelque ressemblance avec celui qui donne la myrrhe.


CANCE(Géog.) riviere de France, dans le Vivarais, qui se jette dans le Rhône.


CANCELLARIUSsub. m. (Hist. anc.) mot que quelques auteurs ont rendu en françois par chancelier. C'étoit chez les Romains un officier subalterne, qui se tenoit dans un lieu fermé de grilles & de barreaux, cancelli, pour copier les sentences des juges & les autres actes judiciaires, à-peu-près comme nos greffiers ou commis du greffe. Ils étoient payés par rôles d'écritures, ainsi qu'il paroît par le fragment d'une loi des Lombards, cité par Saumaise. Il falloit que cet officier fût très-peu de chose, puisque Vopiscus rapporte que Numerien fit une élection honteuse, en confiant à un de ces greffiers le gouvernement de Rome. M. Ducange prétend que ce mot vient de la Palestine où les toîts étoient plats & faits en terrasse, avec des barricades ou balustrades grillées, nommées cancelli ; que ceux qui montoient sur ces toîts pour réciter quelque harangue s'appelloient cancellarii ; qu'on a depuis étendu ce titre à ceux qui plaidoient dans le barreau, nommés cancellarii forenses. Ménage a tiré du même mot l'étymologie de chancelier, cancellarius, à cancellis ; parce que, selon lui, quand l'empereur rendoit la justice, le chancelier étoit à la porte de la clôture ou des grilles qui séparoient le prince d'avec le peuple. (G)


CANCELLATIONS. f. (Commerce) terme en usage à Bordeaux, dans le bureau du courtage & de la foraine.

Il signifie la décharge que le commis donne aux marchands, de la soûmission qu'ils ont faite de payer le quadruple des droits, faute de rapporter dans un tems limité un certificat de l'arrivée de leurs marchandises dans les lieux de leur destination. (G)

Sur l'étymologie du mot cancellation, voyez l'article suivant.


CANCELLERv. act. en droit, signifier barrer ou biffer une obligation ou autre acte.

Ce mot vient du latin cancellare, croiser, traverser, fait de cancelli, qui signifie des barreaux ou un treillis ; parce qu'en effet en biffant un acte par des raies tirées en différens sens, on forme une espece de treillis. (H)


CANCELLIsubst. m. plur. (Hist. nat.) petites chapelles érigées par les anciens Gaulois aux déesses meres, qui présidoient à la campagne & aux fruits de la terre. Ces peuples y portoient leurs offrandes avec des petites bougies, & après avoir prononcé quelques paroles mystérieuses sur du pain ou sur quelques herbes, ils les cachoient dans un chemin creux ou dans le tronc d'un arbre, & croyoient par-là garantir leurs troupeaux de la contagion, & de la mort même. Cette pratique, ainsi que plusieurs superstitions dont elle étoit accompagnée, fut défendue par les capitulaires de nos rois & par les évêques. Mem. de l'Acad. tom. VII. (G)


CANCERS. m. terme de Chirurgie, est une tumeur dure, inégale, raboteuse & de couleur cendrée ou livide, environnée tout-autour de plusieurs veines distendues & gonflées d'un sang noir & limoneux, située à quelque partie glanduleuse ; ainsi appellée, à ce que quelques-uns prétendent, parce qu'elle est à-peu-près de la figure d'une écrevisse, ou, à ce que disent d'autres, parce que semblable à l'écrevisse elle ne quitte pas prise quand une fois elle s'est jettée sur une partie.

Dans les commencemens elle ne cause point de douleur, & n'est d'abord que de la grosseur d'un pois-chiche : mais elle grossit en peu de tems & devient très-douloureuse.

Le cancer vient principalement à des parties glanduleuses & lâches, comme les mamelles & les émonctoires. Il est plus ordinaire aux femmes qu'aux hommes, & singulierement à celles qui sont stériles, ou qui vivent dans le célibat. La raison pourquoi il vient plûtôt aux mammelles qu'à d'autres parties, c'est que comme elles sont pleines de glandes & de vaisseaux lymphatiques & sanguins, la moindre contusion, compression ou piquûre peut faire extravaser ces liqueurs, qui par degrés, contractant de l'acrimonie, forment un cancer. C'est pourquoi les maîtres de l'art disent que le cancer est aux glandes, ce qu'est la carie aux os, la gangrene aux parties charnues.

Le cancer cependant vient quelquefois à d'autres parties molles & spongieuses du corps ; & on en a quelquefois vû aux gencives, au ventre, au cou de la matrice, à l'urethre, aux levres, au nez, aux joues, à l'abdomen, aux cuisses, & même aux épaules.

On appelle loup, un cancer aux jambes ; & celui qui vient au visage ou au nez, noli me tangere. Voyez NOLI ME TANGERE.

On divise les cancers, selon qu'ils sont plus ou moins invétérés, en cancer occulte, & cancer ouvert ou ulcéré.

Le cancer occulte est celui qui n'a point encore fait tout le progrès qu'il est capable de faire, & qui ne s'est point encore fait jour.

Le cancer ulcéré se reconnoît par ses inégalités & par quantité de petits trous, desquels sort une matiere sordide, puante & glutineuse, pour l'ordinaire jaunâtre ; par des douleurs poignantes, qui ressemblent aux piquûres que feroient des milliers d'épingles ; par sa noirceur ; par l'enflure des veines de l'ulcere ; par la couleur noirâtre, le gonflement, & les varices.

Quelquefois les extrémités des vaisseaux sanguins sont rongées, & le sang en sort. Dans un cancer au sein, la chair est quelquefois consumée au point qu'on peut voir dans la cavité du thorax. Il occasionne une fievre lente, un sentiment de pesanteur, fort souvent des défaillances, quelquefois l'hydropisie, & la mort à la fin.

La cause immédiate du cancer paroît être un sel volatil excessivement corrosif, qui approche de la nature de l'arsenic, formé par la stagnation des humeurs, &c. On est quelquefois venu à bout de le guérir par le moyen du mercure & de la salivation. Quelques uns croyent que le cancer ulcéré n'est autre chose qu'une infinité de petits vers qui dévorent la chair petit-à-petit. Le cancer passe avec raison pour une des plus terribles maladies qui puisse arriver. Ordinairement on le guérit par l'extirpation, quand la tumeur est encore petite, qu'elle n'est, par exemple, que de la grosseur d'une noix, ou tout au plus d'un petit oeuf : mais quand il a gagné toute la mammelle, qu'il creve & devient ulcéré, on n'y peut remédier que par l'amputation de la partie.

Le cancer ulcéré est une maladie qui n'est pas méconnoissable : ses bords tuméfiés & renversés ; la sanie, semblable à celle d'une partie gangrenée, qui découle de ses chairs baveuses ; sa puanteur, & l'horreur qu'il fait au premier aspect, en annoncent le mauvais caractere. Mais il est important pour la pratique, qu'on établisse le diagnostic du cancer occulte commençant. Il y a une infinité de gens qui vantent des secrets pour la guérison des cancers naissans, & qui sont munis de témoignages & d'attestations des cures qu'ils ont faites, parce qu'ils donnent le nom de cancer à une glande tuméfiée qu'un emplâtre résolutif auroit fait disparoître en peu de tems. Les nourrices & les femmes grosses sont sujettes à des tumeurs dures & douloureuses aux mamelles, qui se terminent ordinairement & fort heureusement par suppuration. Il survient souvent presque tout-à-coup des tumeurs dures aux mamelles des filles qui entrent dans l'âge de puberté, & elles se dissipent pour la plûpart sans aucun remede. Le cancer naissant au contraire fait toûjours des progrès, qui sont d'autant plus rapides, qu'on y applique des médicamens capables de délayer & de résoudre la congestion des humeurs qui se forment. On en peut faire trop-tot l'extirpation, par les raisons que nous exposerons ci-après. Il faut donc le connoître par des signes caractéristiques, afin de ne les pas confondre avec d'autres tumeurs qui demandent un traitement moins douloureux, & afin de ne pas jetter mal-à-propos les malades dans de fausses allarmes.

Le cancer des mammelles & de toute autre partie, est toûjours la suite d'un skirrhe : ainsi toute tumeur cancéreuse doit avoir été précédée d'une petite tumeur qui ne change pas la couleur de la peau, & qui reste indolente, souvent plusieurs mois, & même plusieurs années sans faire de grands progrès. Lorsque le skirrhe dégenere en cancer, la douleur commence à se faire sentir, principalement lorsqu'on comprime la tumeur. On s'apperçoit ensuite qu'elle grossit, & peu de tems après elle excite des élancemens douloureux, qui se font ressentir sur-tout dans les changemens de tems, après les exercices violens, & lorsqu'on a été agité trop vivement par les passions de l'ame. La tumeur croît, & fait ensuite des progrès qui empêchent qu'on ne se trompe sur sa nature. Les élancemens douloureux qui surviennent à une tumeur skirrheuse, sont les signes qui caractérisent le cancer. Ces douleurs ne sont point continues ; elles sont lancinantes ou pungitives ; elles ne répondent point au battement des arteres comme les douleurs pulsatives, qui sont le signe d'une inflammation sanguine : il semble que la tumeur soit de tems à autre piquée & traversée, comme si on y enfonçoit des épingles ou des aiguilles. Ces douleurs sont fort cruelles, & ne laissent souvent aucun repos, ce qui réduit les malades dans un état vraiment digne de pitié : elles sont l'effet de la présence d'une matiere corrosive, qui ronge le tissu des parties solides. Les remedes fondans & émolliens ne conviennent point à ces maladies, parce qu'en procurant la dissolution des humeurs qui forment le cancer, ils en accélerent la fonte putride, & augmentent par-là considérablement les accidens.

On voit par ces raisons, qu'on ne peut pas trop promtement extirper une tumeur cancéreuse, même occulte. Après avoir préparé la malade par des remedes généraux, (je suppose cette maladie à la mammelle), on la fait mettre en situation convenable ; elle doit être assise sur un fauteuil, dont le dossier soit fort panché. Je fais fort volontiers cette opération, en laissant les malades dans leurs lits. On fait tenir & écarter le bras du côté malade, afin d'étendre le muscle grand pectoral. Si la tumeur est petite, on fait une incision longitudinale à la peau & à la graisse qui recouvre la tumeur ; on la saisit ensuite avec une errine, voyez ERRINE, & en la disséquant avec la pointe du bistouri droit qui a servi à faire l'incision de la peau, on la détache des parties qui l'environnent, & on l'emporte. J'ai fait plusieurs fois cette opération, j'ai réuni la plaie avec une suture seche, & cela m'a réussi parfaitement.

Si la tumeur est un peu considérable, qu'elle soit mobile sous la peau, & que le tissu graisseux ne soit point embarrassé par des congestions lymphatiques, on peut conserver les tégumens : mais une incision longitudinale ne suffiroit point ; il faut les inciser crucialement ou en T, selon qu'on le juge le plus convenable. On disseque les angles, & on emporte la tumeur ; on réunit ensuite les lambeaux des tégumens ; ils se recollent, & on guérit les malades en très-peu de tems.

Lorsque la peau est adhérente à la tumeur, ou que les graisses sont engorgées, si l'on n'emporte tout ce qui n'est pas dans l'état naturel, on risque de voir revenir un cancer avant la guérison parfaite de la plaie, ou peu de tems après l'avoir obtenue : on l'impute alors à la masse du sang, que l'on dit être infectée de virus cancéreux ; virus, de l'existence duquel tout le monde n'est point persuadé. Le préjugé que l'on auroit sur ce point, pourroit devenir préjudiciable aux malades qui ne se détermineroient pas à se faire faire une seconde operation, de crainte qu'il ne vint encore un nouveau cancer. On a vû des personnes qu'on a guéries parfaitement après s'être soûmises à deux ou trois opérations consécutives. Le cancer est un vice local qui a commencé par un skirrhe, effet de l'extravasation & de l'épaississement de la lymphe : le skirrhe devient carcinomateux par la dissolution putride des sucs épanchés ; dès que les signes qui caractérisent cette dépravation se sont manifestés, on ne peut faire trop-tôt l'extirpation de la tumeur, pour empêcher qu'il ne passe de cette matiere putride dans le sang, où elle causeroit une colliquation qu'aucun remede ne pourroit empêcher. Le docteur Turner assûre que deux personnes de sa connoissance perdirent la vie pour avoir goûté de la liqueur qui couloit d'un cancer à la mammelle. Malgré toutes les précautions que puisse prendre un habile chirurgien, il peut y avoir encore quelque point skirrheux, qui échappant à ses recherches dans le tems de l'extirpation d'un cancer, seront le germe d'un nouveau, qu'il faudra ensuite extirper ; alors ce n'est point une régénération du cancer : c'est une maladie nouvelle, de même nature que la premiere, produite par un germe local qui ne succede point à celui du cancer précédent. On peut en faire l'extirpation avec succès ; ces cas exigent des attentions, & doivent déterminer à faire usage des délayans, des fondans, & des apéritifs tant internes qu'externes. J'ai vû faire deux & même trois fois l'opération avec succès : si la masse du sang est atteinte de colliquation, on ne doit pas craindre la production d'un nouveau cancer ; on se dispense absolument de faire une opération, qui en ôtant la maladie, n'affranchiroit pas la malade d'une mort certaine ; on se contente alors d'une cure palliative. L'expérience a prouvé l'utilité des préparations de plomb dans ces cas : on peut appliquer sur le cancer ulcéré des remedes capables d'agir par inviscation sur les sucs dépravés ; les remedes coagulans qui donneroient de la consistance aux sucs exposés à l'action de l'humeur putride, pourroient les mettre, du moins quelque tems, à l'abri de la dissolution. M. Quesnay persuadé que la malignité de l'humeur cancéreuse dépendoit d'une dépravation alkaline, a pensé que les plantes qui sont remplies d'un suc acerbe, devoient modérer la férocité de cette humeur ; il a fait l'essai du sedum vermiculare dans quelques cas avec beaucoup de succès.

Lorsque le cancer occupe toute la mammelle, & que la masse du sang n'est point en colliquation, on peut amputer cette partie : pour faire cette opération, après les préparations générales, on met la malade en situation. Le chirurgien placé à droite, soûleve la mammelle avec sa main gauche, & la tire un peu à lui ; il tient de l'autre main un bistouri avec lequel il incise la peau à la partie inférieure de la circonférence de la tumeur. Il introduit ses doigts dans cette incision pour soûlever la tumeur & la décoller de dessus le muscle pectoral ; & avec son bistouri il coupe la peau à mesure qu'il disseque la tumeur. Il doit prendre garde de couper la peau en talud, pour ne pas découvrir les houpes nerveuses, ce qui rendroit les pansemens très-douloureux ; s'il restoit quelques pelotons graisseux affectés à la circonférence de la plaie ou vers l'aisselle, il faudroit les extirper. On panse la plaie avec de la charpie brute ; je suis dans l'usage de faire une embrocation tout autour de la plaie avec l'huile d'hypericum ; je pose des compresses assez épaisses sur la charpie, & je contiens le tout avec le bandage de corps, que j'ai soin de fendre par une des extrémités pour en former deux chefs, dont l'un passe au-dessus, & l'autre au-dessous de la mammelle saine, afin qu'elle ne soit point comprimée. Voyez BANDAGE DE CORPS. Je ne leve l'appareil que le troisieme ou quatrieme jour, lorsque la suppuration le détache, & je termine la cure comme celle des ulceres. Voyez ULCERE.

L'on a fait graver quelques figures pour l'intelligence des choses qui viennent d'être dites, & pour qu'on puisse juger des anciennes méthodes de pratiquer l'opération du cancer.

Planche XXVIII. fig. 3. cancer occulte à la mammelle droite, & qui n'en occupoit qu'une partie.

Fig. 4. La cicatrice qui reste après l'extirpation d'une pareille tumeur.

Fig. 5. Autre cancer qui occupe toute la mammelle, & dont on fait l'extirpation avec succès.

Fig. 6. Méthode que les anciens prescrivoient pour l'opération du cancer. Lorsqu'ils avoient passé deux fils en croix sous la tumeur, ils soûlevoient la mammelle, & l'amputoient comme on voit Planche XX. fig. 1. cette méthode est absolument proscrite pour sa cruauté & ses imperfections.

Planche XX. fig. 2. Fourchette que l'on a crû pouvoir substituer aux points d'aiguille, pour soûlever les tumeurs dont le volume est considérable.

Fig. 4. Autre instrument pour les petites tumeurs.

Fig. 3. Instrument tranchant comme un rasoir pour l'amputation de la mammelle.

Fig. 5. Nouvel instrument avec lequel on embrasse la mammelle, comme on voit fig. 6. la branche moyenne est d'acier & tranchante sur sa convexité.

Ces instrumens ne peuvent servir qu'à une opération défectueuse. Les figures sont d'après M. Heister, dans ses Instituts de Chirurgie. (Y)

CANCER, (en Astronomie) est un des douze signes du zodiaque : on le représente sur le globe sous la forme d'une écrevisse, & dans les ouvrages d'Astronomie, par deux figures placées l'une auprès de l'autre, & assez semblables à celles dont on se sert pour exprimer soixante-neuf en Arithmétique, 69. Voyez SIGNE, CONSTELLATION.

Ptolomée compte 13 étoiles dans le signe du cancer, Ticho, 15 ; Bayer & Hevelius, 29 ; Flamsteed, 71 au moins.

Tropique du CANCER, en terme d'Astronomie, est un des petits cercles de la sphere, parallele à l'équateur, & qui passe par le commencement du signe du cancer. Ce tropique est dans l'hémisphere septentrional, & est éloigné de l'équateur de 23d 1/2. Voyez TROPIQUE. Voyez aussi SPHERE. (O)


CANCHE(Géog.) riviere de France, en Picardie, qui prend sa source en Artois.


CANCHES(Géog.) Sauvages de l'Amérique méridionale, au Pérou.


CANCHEou CANTCHEOU, (Géog.) grande ville de la Chine, dans la province de Kiangsi, capitale d'un pays qui porte le même nom. Long. 133. 32. lat. 25. 53.


CANCHY(Hist. nat. bot. ] c'est le nom d'un arbre fort gros qui se trouve au Japon, dont les habitans du pays se servent pour faire une espece de papier. Voici comment ils s'y prennent. On coupe l'arbre à fleur de terre ; il continue à pousser de petits rejettons : quand ils sont de la grosseur du doigt, on les coupe, on les fait cuire dans un chauderon jusqu'à ce que l'écorce s'en sépare, on seche cette écorce, & on la remet cuire encore deux fois, en remuant continuellement, afin qu'il se forme une espece de bouillie ; on la divise & on l'écrase encore plus dans des mortiers de bois, avec des pilons de la même matiere ; on met cette bouillie dans des boîtes quarrées, sur lesquelles on met de grosses pierres pour en exprimer l'eau : on porte la matiere sur des formes de cuivre, & on procede de la même maniere que font les Papetiers.


CANCREvoyez CRABE.


CANDADI(Géog.) petit pays d'Espagne, dans l'Estramadoure.


CANDAHAR(Géog.) grande & forte ville d'Asie, capitale de la province de même nom, sous la domination du roi de Perse, aux frontieres des états du Mogol. Long. 85. lat. 33.


CANDARENou CANDRENA, (Myth.) Junon fut ainsi surnommée de Candara, ville de Paphlagonie, où elle étoit particulierement honorée.


CANDAU(Géog.) petite ville d'Allemagne, dans le duché de Courlande à 9 milles de Mittau.


CANDÉ(Géog.) petite ville de France en Touraine, au confluent de la Loire & de la Vienne.


CANDELABRES. m. (Architecture) du latin candelabrum, chandelier : c'est une espece de vase fort élevé en maniere de balustre, que l'on place ordinairement pour servir d'amortissement à l'entour extérieur d'un dome, ou pour couronner un portail d'église ; tels qu'il s'en voit à la Sorbonne, au Val-de-Grace, aux Invalides, &c. (P)


CANDELARO(Géog.) riviere d'Italie au royaume de Naples dans la Capitanate, qui se jette dans le golfe de Manfredonia.


CANDELETTES. f. (Marine) brosse de bossoir : jarre bosse ; c'est une corde garnie d'un crampon de fer, dont on se sert pour accrocher l'anneau de l'ancre lorsqu'elle sort de l'eau, & qu'on veut la baisser ou remettre en place. Chaque candelette a de son côté son pendour & son étrope. (Z)


CANDELOR(Géog.) ville de la Turquie en Asie, près de la côte de Natolie.


CANDIDATS. m. (Hist. anc. & mod.) se dit en général de toute personne qui aspire à un emploi honorable ou lucratif. Les Romains nommoient ainsi particulierement les prétendans aux charges publiques, qui se mettoient sur les rangs au tems de l'élection des magistrats. Le mot est latin, candidatus, formé de candidus, blanc, à cause de la robe blanche que ces aspirans portoient. Vêtus de la sorte, ils alloient solliciter les suffrages, accompagnés de leurs proches, de leurs amis, & de leurs cliens. Les plus illustres magistrats qui prenoient intérêt à un candidat, le recommandoient au peuple. De son côté, le candidat averti par ses nomenclateurs, gens chargés de lui faire connoitre par noms & surnoms ceux dont il briguoit les suffrages, saluoit tous ceux-ci, embrassoit tous ceux qu'il rencontroit en chemin ou dans la place publique. La loi Tullienne défendoit aux candidats de donner des jeux ou des fêtes au public, de peur que par ce moyen on ne gagnât les suffrages du peuple : mais du reste on n'oublioit rien pour y parvenir ; caresses, intrigues, libéralités, bassesses même, tout étoit prodigué. Dans les derniers tems de la république, on vint jusqu'à corrompre les distributeurs des bulletins, qui en les donnant au peuple pour le scrutin, glissoient adroitement par-dessous une piece d'or à chacun de ceux dont on vouloit déterminer le suffrage en faveur du candidat, dont le nom étoit inscrit sur ce bulletin. C'étoit pour prévenir cet inconvénient, disent quelques auteurs, qu'on avoit imposé aux candidats la nécessité de ne paroître dans les assemblées qu'avec la robe blanche sans tunique, afin d'ôter tout soupçon qu'ils portassent de l'argent pour corrompre les suffrages : d'autres disent que cet habillement servoit simplement à les faire mieux remarquer dans la foule par leurs cliens & leurs amis. (G)


CANDIDICANDIDI


CANDIDIANO(Géog.) petite riviere d'Italie dans la Romagne, dépendante de l'état de l'Eglise.


CANDIou CRETE, (Géog.) île considérable d'Europe dans la mer Méditerranée, dont la capitale porte le même nom. L'île a environ 200 lieues de circonférence : elle est aux Turcs. Long. 42. 58. lat. 35. 20.


CANDIILS. m. (Commerce) est un poids dont on se sert à la Chine & à Galanga. Il est de deux sortes : l'un qu'on nomme le petit, qui est de seize mans, & l'autre qui est plus fort, est de vingt mans. Le candiil de seize mans, fait trois chintals bien forts, & celui de vingt mans trois chintals & trois rubis. Le rubis fait trente-deux rotolis. Voyez CHINTAL, ROTOLI, BISUBIS. (G)


CANDIou CANDILE, s. m. (Commerce) mesure dont on se sert aux Indes, à Cambaye, & à Bengale ; pour vendre le riz & les autres grains : elle contient quatorze boisseaux, & pese environ cinq cent livres. Voyez BOISSEAU.

C'est sur le pié du candil qu'on estime & qu'on jauge dans ce pays là les navires, comme nous faisons en Europe au tonneau. Ainsi, lorsqu'on dit qu'un bâtiment est du port de 400 candils, c'est-à-dire qu'il peut porter deux cent milliers pesant, qui font cent tonneaux, le tonneau pris sur le pié de deux milliers. Voyez JAUGER & TONNEAU. (G)


CANDIRv. act. en parlant de sucre, préparation de cette substance faite en la fondant, la claréfiant, & la crystallisant six ou sept fois différentes pour la rendre dure & transparente. Voyez SUCRE.

Les Apothicaires font aussi candir certains médicamens en les faisant bouillir dans le sucre, & les conservent par ce moyen en nature : c'est à proprement parler ce qu'on appelle confire ; car ces deux opérations ne different entr'elles que du plus au moins de cuisson du sucre. (N)


CANDISen terme de Confiseur, se dit des confitures de fruits ordinairement tout entiers, sur lesquels l'on a fait candir du sucre, après qu'ils ont été cuits dans le sirop, ce qui les rend comme de petits rochers crystallisés de diverses formes & figures, dont les couleurs variées approchent de celle des fruits qui y entrent.

Une pyramide de candis sur une table, fait un coup-d'oeil agréable.

CANDIS, se dit encore, chez les mêmes ouvriers, des confitures liquides, lorsqu'à force d'avoir été gardées le sucre vient à s'en séparer & à s'élever au-dessus du fruit, où il forme une espece de croûte dure.


CANDISH(Géog.) province d'Asie dans les états du grand Mogol, dont la capitale est Brampour.


CANDOCANDI, ou CONDI, (Commerce) mesure ou aulne dont on se sert en plusieurs endroits des Indes, & sur-tout à Goa.

Le cando de Goa est de dix-sept aulnes de Hollande, & de 7/8 par cent plus grand que les aulnes de Babel & de Balsora, & de 6 & 1/2 plus que le varre ou aulne d'Ormus.

Les étoffes de soie & celles de laine se mesurent au varre, & les toiles au cando. Le cando ou condi dont on se sert dans le royaume de Pegu, est pareil à l'aulne de Venise. Voyez AULNE & VARRE. Dict. du Comm. tom. II. pag. 69. (G)


CANDOU(Hist. nat. bot.) arbre des Indes orientales, qui croît sur-tout dans les îles Maldives : il ressemble par ses feuilles & par sa grandeur à notre peuplier ; il ne porte point de fruit. Son bois est mou & spongieux : on dit qu'il a la propriété de faire feu, lorsqu'on en prend deux morceaux, & qu'on frappe l'un avec l'autre.


CANDY(Géog.) royaume d'Asie dans l'île de Ceylan habité par des idolâtres. La capitale de ce royaume s'appelle aussi Candi. Long. 98. 30. lat. 7. 35.


CANE à têteousse, anas fera fusca : cet oiseau pese deux livres ; il a un pié sept ou huit pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des doigts, & environ un pié & demi, si on n'étend la mesure que jusqu'au bout de la queue. Cet oiseau est plus gros, plus court, & plus épais que la cane rouge. Les petites plumes qui recouvrent les grandes plumes des ailes & celles du milieu du dos, sont de couleur cendrée & parsemée de petites lignes ondoyantes, dont les unes sont de couleur cendrée & les autres de couleur rousse ; elles sont placées alternativement. Les plumes du dessous du cou, du croupion, & celles qui se trouvent autour de l'anus, sont noires ; les petites plumes qui recouvrent l'aile en-dessous sont blanches ; la tête & le cou presqu'en entier, sont de couleur jaune foncée ou rousse ; les plumes du milieu de la poitrine sont blanches, à l'exception des bords qui sont jaunâtres : il y a sur le bas de la poitrine des lignes brunes, & la couleur du ventre devient peu-à-peu de plus en plus brune & obscure à mesure qu'on approche de l'anus. La queue est composée de quatorze plumes, qui ont deux pouces de longueur, & qui sont de couleur cendrée noirâtre. Il y a environ vingt-cinq grandes plumes à chaque aile ; elles sont toutes d'une même couleur cendrée & mêlée de brun : cependant si on y regarde de près, on trouvera que quelques-unes des plumes qui sont au-delà de la dixieme ont la pointe blanchâtre. Le bec est plus grand & plus large que celui de la cane mouche ; la piece supérieure du bec est de couleur plombée, à l'exception de l'extrémité qui est noirâtre ; la piece inférieure est presque entierement noire. L'iris des yeux est d'une belle couleur jaune éclatante ; les pattes sont de couleur plombée, & la membrane qui tient les doigts unis ensemble est noire ; le doigt intérieur est le plus petit, & l'extérieur est presque égal au doigt du milieu, dont l'ongle est tranchant. Ce qu'il y a de particulier dans cet oiseau, c'est que les plumes des ailes sont presque toutes d'une même couleur, qui est le cendré. Willughby, Ornithologie. Voyez OISEAU.

CANE du Levant, anas circia Gesn. Cet oiseau est le plus petit de son genre. Le bec est noirâtre ; toute la face supérieure de l'oiseau est de couleur brune cendrée. L'extrémité des plumes du dos est blanchâtre ; il y a sur les ailes une bande large d'un pouce, en partie noire & en partie de couleur d'émeraude & blanche de chaque côté ; les plumes de la queue sont pointues. Toute la face intérieure de l'oiseau est de couleur jaune pâle mêlée de blanc ; il y a cependant sur la poitrine & sur le bas-ventre, grand nombre de taches noirâtres assez larges. Les jambes sont d'un bleu pâle ; la membrane qui est entre les doigts est noire. On trouve dans l'estomac des semences & des petites pierres. D. Johnson. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU.

CANE haute sur ses jambes, anas alticrura ; oiseau qu'Aldrovande rapporte au genre des plongeons. Il a le bec pointu, en partie noir & en partie rouge ; le cou est entouré d'un collier blanc ; le dos est de couleur cendrée pâle ; le ventre est blanc ; les aîles sont très larges ; les quatre premieres grandes plumes sont noires, celles du milieu sont blanches, & les autres noires, à l'exception de la pointe qui est blanche ; la queue est en entier de la même couleur, excepté l'extrémité supérieure qui est legerement teinte de noir ; les jambes sont plus minces & plus longues que dans les autres oiseaux de ce genre ; le pié & la membrane qui joint les doigts les uns aux autres, sont blancs. Aldrovande, Ornith. lib. XIX. c. lx. Voyez OISEAU.

CANE MOUCHE, anas muscaria ; cet oiseau a été ainsi nommé, parce qu'il prend les mouches qui volent sur l'eau. Il est presque de la grosseur du canard domestique, & il lui ressemble beaucoup. Le bec est large & court, il n'a pas plus de deux pouces de longueur ; la piece de dessus est de couleur de safran ; les dents sont disposées de chaque côté comme celles d'une scie ; elles sont un peu larges, presque membraneuses, flexibles & saillantes, sur-tout dans la piece du dessus, car celles du dessous sont moins élevées, & forment des sortes de cannelures sur le bec. Tout le corps de cet oiseau est de plusieurs couleurs mêlées ensemble, telles que le noirâtre, le blanc & le verd-clair, avec une couleur de feu brillant, ou pour mieux dire, approchantes de celles de la perdrix. Les pattes sont jaunes, & les doigts sont noirâtres, & se tiennent par une membrane. Le cou a en-dessus & en-dessous des couleurs semblables à celles dont il a déjà été fait mention. Le sommet de la tête est plus noir que toute autre partie de l'oiseau, à l'exception des aîles où cette même couleur domine aussi : elles ne s'étendent pas jusqu'au bout de la queue. Gesn. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU.

CANE PETIERE ; anas campestris, tetrax ; oiseau qui paroit être particulier à la France ; desorte qu'il n'y a point de paysan qui ne le connoisse sous ce nom, qui ne doit pas désigner ici que cet oiseau soit aquatique, ni un vrai canard, mais seulement qu'il s'accroupit sur la terre comme les canards : car il n'a d'ailleurs aucune ressemblance avec les oiseaux de ce genre ; c'est un oiseau de campagne ; il est de la grosseur du faisan ; il a la tête semblable à celle de la caille, quoique plus grosse, & le bec comme le coq ; il a trois doigts à chaque patte, comme dans le pluvier & l'outarde ; les racines des plumes sont rouges & presque de couleur de sang, & elles tiennent à la peau comme celles des plumes de l'outarde ; ce qui fait croire que cet oiseau est une espece d'outarde. Il est blanc sous le ventre comme un cygne ; le dos est de trois ou quatre couleurs, le fauve, le cendré & le roux mêlé de noir ; les quatre premieres plumes des ailes sont noires à l'extrémité, celles qui se trouvent au-dessous du bec sont blanches. Il y a des canes petieres qui ont comme les merles de Savoie à l'endroit du jabot, un collier blanc qui entoure la poitrine : cette couleur s'étend jusqu'à la poitrine. La tête & le dessus du cou sont de même couleur que les ailes & le dos ; le bec est moins noir que celui du francolin ; la couleur des pattes tire sur le cendré ; celle de la tête & du cou n'est pas constante, c'est ce qui fait une différence entre le mâle & la femelle : mais la couleur du dos & des ailes est toûjours la même. On met la cane petiere au nombre des oiseaux les plus excellens à manger, & on la croit aussi bonne que le faisan : elle se nourrit indifféremment de toutes sortes de graines ; elle mange aussi des fourmis, des scarabés, des mouches, & du blé lorsqu'il est en herbe. On prend les canes petieres comme les perdrix au lacet, au filet, à la forme, & avec l'oiseau de proie : mais cette chasse n'est pas aisée, parce qu'elles font un vol de deux ou trois cent pas fort promt & peu élevé, & lorsqu'elles sont tombées à terre, elles courent si vîte qu'un homme pourroit à peine les suivre. Belon, Hist. de la nature des oiseaux. Voyez OISEAU.

CANE ou Canard femelle, voyez CANARD.

CANE de mer, voyez CANARD SAUVAGE.

CANE de Guinée, voyez CANARD de Barbarie.

CANE du Caire, voyez CANARD de Barbarie. (I)

* CANES, (Econom. rustique) il faut dresser à cette volaille un petit toît qui les mette à couvert des animaux qui les mangent ; ce toît leur suffit.

Les canes aiment l'eau, il n'en faut pas élever ou elles n'ont pas dequoi barboter : on se sert de leur plume en oreillers, traversin, matelats, &c. les oeufs & la chair en sont bons. Il faut choisir les plus grosses, & donner huit ou dix femelles à chaque mâle : on leur jette à manger le soir & le matin avec le reste de la volaille, & la même nourriture. Elles sont carnacieres ; cependant elles ne font point de dégât : elles commencent ordinairement leur ponte en Mars, & la continuent jusqu'à la fin de Mai ; il faut alors les retenir sous le toit jusqu'à ce qu'elles ayent pondu : on employe souvent les poules à couver les oeufs d'oie & de cane, parce qu'elles sont plus assidues ; qu'une poule peut couver une douzaine d'oeufs, & que la cane n'en sauroit guere couver que six : il faut trente-un jours de couvée pour faire éclorre les canetons ; on les éleve comme les poussins ; on ne les laisse sortir qu'au bout de huit à dix jours.

On ne donne que six femelles à chaque mâle de canes d'Inde : leurs canetons s'élevent plus difficilement que les autres ; on ne leur donne dans le commencement que des miettes de pain blanc détrempées dans le lait caillé.

Les mâles d'entre les canes d'Inde se mêlent souvent avec les canes communes, & il en vient des canes bâtardes qui sont assez grosses, & qui s'élevent bien.

CANEE, (la) Géog. ville forte de l'île de Candie, avec un port. Long. 41. 43. lat. 35. 28.


CANELLES. f. (Bot. exotiq.) c'est la seconde écorce & l'intérieure d'un arbre qui ne croît plus que dans l'île de Ceylan.

Les Hollandois sont parvenus à faire seuls le commerce de la canelle. Les histoires anciennes ne nous fournissent pas d'exemples de nation qui ait fait dans le commerce en aussi peu de tems, un progrès pareil à celui des Hollandois, sur-tout au milieu des guerres étrangeres & des divisions domestiques. Plusieurs causes ont concouru à procurer aux Hollandois ce grand avantage ; la nécessité de se domicilier dans un terroir ingrat, d'y subsister par artifice, de défendre des prises sur mer, les formerent d'abord à de petites courses, ensuite à des armemens, enfin à la navigation, à la création de puissantes compagnies, & au commerce le plus étendu dans les quatre parties du monde. Aussi cette nation possede en ce genre des qualités très-essentielles : de ce nombre sont un génie né pour la pêche, une frugalité naturelle, un goût dominant pour l'épargne, pour le travail, & pour la propreté, qui sert à conserver leurs vaisseaux & leurs équipages. Ajoûtez-y leur industrie & leur persévérance à supporter les plus grandes pertes sans se rebuter.

Par tous ces moyens ils établirent dans l'île de Java un second siége de leur empire, conquirent sur les Portugais d'un côté les îles Molucques, produisant seules le girofle, voyez GIROFLE ; & de l'autre l'île de Ceylan, autrefois Taprobane, seule féconde en canelle, écorce précieuse, d'un goût admirable, thrésor de luxe & de commerce, qui de superflu est devenu nécessaire.

Entrons dans les détails ; M. Geoffroi me fournira ceux de Botanique ; les Hollandois, éclairés sur cette matiere, m'en ont confirmé l'exactitude.

Description de la canelle. La canelle commune, cinnamomum des boutiques est une écorce mince, tantôt de l'épaisseur d'une carte à joüer, tantôt de la grosseur de deux lignes : elle est roulée en petits tuyaux ou cannules, de la longueur d'une coudée, d'une demi-coudée, plus ou moins, d'un pouce de large le plus souvent ; d'une substance ligneuse & fibreuse, cassante cependant, dont la superficie est quelquefois ridée, quelquefois unie, de couleur d'un jaune rougeâtre, ou tirant sur le fer ; d'un goût acre, piquant, mais agréable, douçâtre, aromatique, un peu astringent, d'une odeur douce & très-pénétrante.

L'arbre qui la produit est le cinnamomum, foliis latis, ovatis, frugiferum, Burm. Ther. Zeyl. pag. 62. tab. 27. laurus foliis oblongo-ovatis, trinerviis, nitidis, planis, Linn. Hort. Cliffort, 154.

Description du canellier. La racine de cet arbre est grosse, partagée en plusieurs branches, fibreuse, dure, couverte d'une écorce d'un roux grisâtre en-dehors, rougeâtre en-dedans, qui approche de l'odeur du camphre, le bois de cette racine est solide, dur, blanchâtre, & sans odeur.

Le tronc s'éleve à trois ou quatre toises, & il est couvert aussi-bien que les branches qui sont en grand nombre, d'une écorce qui est verte d'abord, & qui rougit ensuite avec le tems : elle enveloppe le bois avec une petite peau & une croute grise ; son goût est foible lorsqu'elle est verte, mais douçâtre, acre, aromatique, & très-agréable lorsqu'elle est seche ; cette écorce récente, séparée de sa croute qui est grise & inégale, enlevée en son tems, & séchée au soleil s'appelle canelle ; le bois est dur intérieurement, blanc, & sans odeur.

Les feuilles naissent tantôt deux à deux, tantôt seule à seule ; elles sont semblables aux feuilles du laurier ou du citronnier ; elles sont longues de plus d'une palme, lisses, luisantes, ovalaires, terminées en pointe : lorsqu'elles sont tendres, elles ont la couleur de soie ; selon qu'elles sont plus vieilles, plus seches, elles sont d'un verd foncé en-dessus, & d'un verd plus clair en-dessous, soûtenues d'une queue d'un demi-pouce, épaisse, cannelée, terminée par trois filets nerveux qui s'étendent tout le long de la feuille, saillans des deux côtés, d'où partent de petites nervures transversales : enfin elles ont le goût & l'odeur de la canelle, caractere qui les distingue principalement de la feuille du malabathrum.

Les fleurs sont petites, étoilées, à six pétales, blanchâtres, & comme disposées en gros bouquet à l'extrémité des rameaux, portées sur des pédicules d'un beau verd, d'une odeur agréable, & qui approche de celle du muguet. Au lieu de la fleur est renfermé un petit coeur composé de deux rangs d'étamines, avec un pistil verd, noirâtre au sommet, qui se change en une baie ovalaire, longue de quatre ou cinq lignes, lisse, verte d'abord, ensuite d'un brun bleuâtre, tachetée de pointes blanchâtres, fort attachés à un calice un peu profond, un peu épais, verd, partagé en six pointes.

Elle contient sous une pulpe verte, onctueuse, astringente, un peu acre & aromatique, un petit noyau cassant, qui renferme une amande ovalaire, acre, presque de couleur de chair, ou de pourpre legere.

Cet arbre naît, & ne se trouve présentement que dans l'île de Ceylan, où il seroit aussi commun dans les forêts & dans les haies, que le coudrier l'est parmi nous, si on n'avoit grand soin de l'arracher. Aussi ne le cultive-t-on que dans un espace d'environ quatorze lieues le long de la mer : mais cette petite étendue de pays en produit si abondamment, que sur le pié de la consommation de canelle qui se fait aujourd'hui, Ceylan en pourroit fournir aisément à quatre mondes comme le nôtre.

Les canelliers doivent avoir un certain nombre d'années avant qu'on enleve leur écorce : suivant même le terroir, la culture & l'espece, ils donnent la canelle plus ou moins promtement. Ceux qui croissent dans des vallées couvertes d'un sable menu, pur & blanchâtre, sont propres à être écorcés au bout de trois ans ; au lieu que ceux qui sont plantés dans des lieux humides & marécageux, profitent beaucoup moins vîte. Ceux qui sont situés à l'ombre des grands arbres, qui leur dérobe les rayons du soleil, parviennent aussi plus tard à la maturité ; il y a même quelque différence entre les écorces des uns & des autres. L'écorce des canelliers plantés dans des lieux humides & ombragés, a un peu plus le goût du camphre, que celle de ceux qui viennent à découvert dans un terrein sablonneux ; car l'influence du soleil rend le camphre si volatil, qu'il se mêle facilement avec les sucs de l'arbre : & s'élevant entre le bois & la membrane intérieure & tendre de l'écorce, il se répand si parfaitement entre les branches & dans les feuilles où il se transforme, qu'il ne se laisse plus distinguer, & que ce qui en reste n'est pas sensible.

L'odeur du canellier est admirable quand il est en fleur ; & lorsque les vents favorables soufflent de terre, le parfum en est porté fort avant dans la mer : ensorte qu'au rapport de quelques voyageurs, ceux qui navigent alors dans ces contrées, sentent cette odeur suave à quelques milles de distance du rivage.

Méthode en usage pour tirer la canelle de l'arbre. La canelle des boutiques est l'écorce tirée des canelliers de trois ans : on a coûtume de l'enlever au printems & en automne, dans le tems que l'on observe une seve abondante entre l'écorce & le bois. Lorsqu'on l'a enlevée, on sépare la petite écorce extérieure grise & raboteuse ; ensuite on la coupe par lames, on l'expose au soleil, & là en se séchant elle se roule d'elle-même comme nous la voyons. On choisit sur-tout le printems, & lorsque les arbres commencent à fleurir, pour enlever cette écorce. Après qu'on l'a enlevée, l'arbre reste nud pendant deux ou trois ans : enfin au bout de ce tems il se trouve revêtu d'une nouvelle écorce, & est propre à la même opération.

La canelle portugaise ne subsiste plus. On a eu pendant quelque tems dans le commerce cette canelle, qu'on appelloit canelle sauvage, canelle grise, qui croissoit dans le royaume de Cochin sur la côte de Malabar. Les Portugais chassés par les Hollandois de Ceylan, débitoient cette canelle sauvage à la place de la véritable ; mais ce débit n'a pas duré long-tems. Ces derniers ne virent pas sans envie le négoce de la canelle portugaise ; & l'on croit que cette jalousie fut en partie la cause qui les engagea de s'emparer en 1661 de Cochin, dont ils firent arracher toute la canelle sauvage, afin de se trouver seuls maîtres dans le monde de cette précieuse épicerie.

On demande si les anciens ont connu notre canelle ; & si le cinamome dont il est tant parlé dans les écrits des anciens, étoit la canelle de nos jours : problème qui partage tous les auteurs.

Il est d'abord certain que le kin-namom des Hébreux, mentionné dans l'Ecriture-sainte, Exode xx. 33. cant. jv. 14. n'est point celui des Grecs & des Romains, encore moins quelque canelle d'Amérique, ou celle des Indes orientales ; le nouveau monde n'étoit pas connu, & le commerce avec l'île de Ceylan ou de Taprobane n'étoit pas ouvert. Dieu ordonne à Moyse de prendre du kin-namom avec divers autres aromates, & d'en composer une huile de parfum pour oindre le tabernacle. Il s'agit donc ici d'une gomme ou d'une huile, plûtôt que d'une écorce ou d'un bois odorant.

La difficulté est bien plus grande à l'égard du cinamome des autres peuples : quelques-uns pensent que leur cinamome étoit les tendres rameaux d'un arbre qui porte le clou de girofle ; mais ils ne songent pas que si les anciens eussent connu cet arbre, ils n'auroient pas omis, comme ils l'ont fait, de parler de ses fruits, qui sont si remarquables par leur aromate, leur goût piquant & leur odeur pénétrante.

Ceux qui prétendent que le cinnamomum des anciens, de Théophraste, Dioscoride, Galien & Pline, est notre canelle moderne, s'appuient sur la ressemblance des caracteres de cet arbrisseau avec notre canellier, dans la description que ces anciens écrivains nous ont donnée de la petitesse de l'écorce, de son odeur, de son goût, de ses vertus & de son prix ; mais on combat les sectateurs de cette opinion précisément par les mêmes armes qu'ils employent pour la défendre. On leur oppose que les anciens distinguant plusieurs especes de cinnamomum, une mosylitique noirâtre, d'un gris vineux, qui est la plus excellente ; acre, échauffante, & salée en quelque maniere, une autre de montagne, une noire, une blanche ; aucune de ces especes ne convient à notre canelle : d'où l'on conclut que les anciens Grecs & Romains ne l'ont point connue. Les curieux trouveront toutes les raisons possibles en faveur de ce dernier sentiment, rassemblées dans un ouvrage exprès de Balthasar Michael Campi, intitulé, Spicilegio botanico, nel quale si manifesta lo sconosciuto cinnamomo delli antichi. Lucca, 1652, in -4°.

Sans décider une question susceptible de raisons pour & contre, nous nous contenterons de remarquer que les anciens n'ayant point déterminé clairement & unanimement ce qu'ils entendoient par leur cinnamomum, nous n'en pouvons juger qu'en aveugles ; ils n'en connoissoient pas l'histoire, comme il est aisé de le prouver.

Pline raconte que les marchands qui l'apportoient en Europe, faisoient un voyage si long & si périlleux, qu'ils étoient quelquefois cinq ans sans revenir ; que la plûpart mouroient en chemin, & que la plus considérable partie de ce trafic se faisoit par des femmes. L'éloignement du lieu dont on tiroit la marchandise, la longueur du trajet, l'avidité du gain, le prix naturel de la chose, les diverses mains par lesquelles elle passoit ; en faut-il davantage pour donner lieu à toutes les fables qu'on débitoit sur l'origine de la production végétale qu'ils nommerent cinnamomum ?

Du tems de Galien elle étoit déjà si rare, qu'on n'en trouvoit plus que dans les cabinets des empereurs. Pline ajoûte que le prix en étoit autrefois très-considérable, & que ce prix étoit augmenté de moitié par le dégât des Barbares, qui en avoient brûlé tous les plants. Seroit-il donc hors de vraisemblance de penser que le cinamome des anciens nous est entierement inconnu, & qu'il est présentement perdu ?

Il n'en arrivera pas de même de notre canelle ni du canellier : description exacte, planches, culture, débit, usage en Medecine, tant de préparations qu'on en tire, ou dans lesquelles elle entre ; tout nous assûre de son immortalité.

Du débit qui s'en fait, de ses diverses sortes, & de son choix. J'ai déjà remarqué que la compagnie des Indes orientales en Hollande étoit seule maîtresse de la canelle ; mais au lieu d'en augmenter la quantité par la multiplication des arbres qui la produisent, ce qui seroit facile, la compagnie prend grand soin de faire arracher de tems en tems une partie de ceux qui croissent sans culture, ou qui ne seroient pas dans de certains districts de l'île. Elle sait par une expérience de près de cent ans, la quantité de canelle qu'il lui faut pour le commerce, & est persuadée qu'elle n'en débiteroit pas davantage, quand même elle la donneroit à meilleur marché.

On juge que ce que cette compagnie en apporte en Europe, peut aller à environ six cent mille livres pesant par an, & qu'elle en débite à-peu-près autant dans les Indes.

Il s'en consomme une grande quantité en Amérique, particulierement au Pérou, pour le chocolat, dont les Espagnols ne peuvent se passer.

Ce qu'on appelle à Ceylan le champ de la canelle, & qui appartient en entier à la compagnie hollandoise, est depuis Négambo jusqu'à Gallieres : la meilleure canelle est celle des environs de Négambo & de Colombo.

On en distingue de trois sortes ; de fine, de moyenne, & de grossiere. Cette diversité procede de la variété, non-seulement des arbres dont on la tire, par rapport à leur âge, leur position, leur culture, mais encore des différentes parties de l'arbre : car la canelle d'un jeune arbre differe de celle d'un vieux arbre ; l'écorce du tronc, de celle des branches ; & l'écorce de la racine, de celle de l'un & de l'autre. Les jeunes arbres produisent la plus fine, & toûjours de moindre qualité à mesure qu'ils acquierent plus de trois ans.

Ainsi cette canelle grossiere, connue communément dans le commerce sous le nom de canelle mate, n'est autre chose que des écorces de vieux troncs de canellier. Une telle écorce est de beaucoup inférieure par son odeur, son goût & ses vertus, à la fine canelle : aussi la doit-on rejetter en Medecine.

On demande pour le choix de la bonne canelle, qu'elle soit fine, unie, facile à rompre, mince, d'un jaune tirant sur le rouge ; odorante, aromatique, d'un goût vif, piquant & cependant douçâtre & agréable. Celle dont les morceaux en même tems sont petits & les bâtons longs, ont la préférence par les connoisseurs.

Il semble que toute sa vertu consiste dans une pellicule très-fine qui revêt intérieurement cette écorce ; du moins a-t-on lieu d'en juger ainsi, si ce que dit Herman est vrai, qu'on retire plus d'huile d'une livre de cette pellicule, que de six livres de l'écorce entiere.

De ses falsifications. Il y a des gens qui pour gagner sur le débit de cette épicerie, la mélangent avec des écorces de même grosseur & couleur ; d'autres la vendent après en avoir tiré les vertus par la distillation. Ces fraudes se connoîtront aisément, tant au goût qu'à l'odorat. On dit qu'en laissant séjourner pendant long-tems des bâtons de canelle privés par la distillation de leur huile odorante, parmi de bonne canelle, ils reprennent leurs vertus. Mais, suivant la remarque de Boerhaave, si le fait est vrai, c'est aux dépens de la bonne canelle sur laquelle on les a mis ; & alors il est évident qu'elle doit avoir perdu tout ce qu'ils ont recouvré. Cependant comme il n'est pas possible dans l'achat de la canelle de goûter tous les bâtons les uns après les autres, le vrai secret est de la prendre chez d'honnêtes négocians, qui méprisent les gains illicites.

Toutes les parties du canellier fournissent des secours à la Medecine ; son écorce, sa racine, son tronc, ses tiges, ses feuilles, ses fleurs & son fruit : on en tire des eaux distillées, des sels volatils, du camphre, du suif ou de la cire, des huiles précieuses : l'on en compose des sirops, des pastilles, des essences odoriférantes, d'autres qui convertissent en hypocras toutes sortes de vins : en un mot, c'est le roi des arbres à tous ces égards. Prouvons-le en détail.

De la distillation de l'huile de canelle, & de sa nature. Newman dit que la canelle est un singulier composé de parties huileuses, salines, résineuses, gommeuses, & sur-tout terrestres ; ensorte que dans une livre de canelle il y a presque les trois quarts d'une terre indissoluble, deux onces d'une substance résineuse, une once & demie d'une substance gommeuse, & près d'une dragme d'une huile essentielle.

Cette huile vient dans la distillation avec une eau blanche au fond de laquelle elle se précipite, parce qu'elle est plus pesante en pareil volume. La qualité essentielle de cette eau & de cette huile, logée dans leur esprit recteur invisible, qui n'en augmente ni n'en diminue le poids, est un phénomene bien surprenant.

Si l'on distille la canelle quand elle est récente, elle donne plus d'huile que quand est vieille : delà vient peut-être que quelques chimistes disent n'avoir tiré qu'une dragme d'huile, & d'autres deux, d'une livre de canelle ; mais il se peut aussi que l'art de la distillation y concoure pour beaucoup ; s'il est vrai qu'il y a des artistes qui savent tirer près d'une once d'huile pure d'une livre de canelle, par le moyen de l'esprit-de-vin préparé d'une certaine maniere dont ils font un secret. C'est aux Indes mêmes, à Ceylan, à Batavia, qu'on fait la distillation de la plus grande partie d'huile de canelle qui se débite en Europe ; les droguistes & apothicaires hollandois trouvant encore mieux leur compte à l'acheter de la compagnie, qu'à la tirer de la canelle par la distillation.

Mais comme cette huile est extrèmement chere, & vaut environ 50 francs l'once, l'amour du gain a fait imaginer des ruses pour l'adultérer finement ; & on y a réussi par le mélange de l'huile de girofle, qui perdant avec le tems son odeur, ne laisse presqu'aucun moyen de découvrir la falsification.

Suivant le procédé de Boerhaave, on retire par la distillation d'une livre de canelle avec de l'eau bouillante, une liqueur laiteuse, au fond de laquelle on trouve une petite quantité d'huile limpide, rougeâtre, inflammable, brûlante, extrèmement odoriférante, & doüée au suprème degré des qualités essentielles de la canelle. Il faut la garder dans une phiole étroite & bien bouchée. Il en est de même de la liqueur laiteuse, si recherchée par son agréable odeur, son goût vif & piquant. Cette liqueur étant gardée, dépose un peu d'huile, & devient insensiblement plus claire & moins aromatique.

Si on conserve l'huile de canelle pendant plusieurs années dans des phioles hermétiquement bouchées, on prétend que la plus grande partie se transformera en un sel qui a les vertus de la canelle, & qui se dissout dans l'eau. Le docteur Slare assûre dans les Transactions philosophiques, que dans l'espace de vingt ans la moitié d'une certaine quantité d'huile de canelle se changera en sel.

La canelle est donc remplie d'un sel essentiel, soit acide, soit urineux, qui approche du sel ammoniac, uni avec une huile essentielle aromatique, d'où son action paroît dépendre principalement. Toutes les expériences nous manquent sur ce sel.

Du camphre que donne la racine du canellier. Voici d'autres phénomenes. Par la distillation on retire de l'écorce de la racine du canellier, une huile & un sel volatil, ou plûtôt du camphre. L'huile est plus legere que l'eau, limpide, jaunâtre, subtile, & se dissipe aisément dans l'air ; d'une odeur forte, vigoureuse, agréable, qui tient le milieu entre le camphre & la canelle, d'un goût fort vif. Sans employer même la distillation, l'écorce de la racine du canellier rend de tems en tems du camphre en gouttes oléagineuses, qui se coagulent en forme de grains blancs.

Le camphre de la canelle est très-blanc ; il surpasse de beaucoup par la douceur de son odeur le camphre ordinaire. Il est très-volatil, & se dissipe fort aisément ; il s'enflamme promtement, & il ne laisse point de marc après la déflagration.

L'huile que l'on tire de l'écorce de la racine du canellier, est employée extérieurement aux Indes dans les douleurs aux jointures, produites par le froid ; dans les rhumatismes & dans les paralysies. On l'y donne intérieurement broyée avec du sucre, pour exciter les sueurs, les urines, fortifier l'estomac, chasser les vents, dissiper les catarrhes. On y regarde le camphre du canellier comme le meilleur dont on puisse faire usage en Medecine ; on le ramasse avec soin, & il est destiné pour les rois du pays, qui le prennent comme un cordial d'une efficacité peu commune. La blancheur de ce sel, son odeur douce, sa volatilité, sa rareté, assûreroient sa fortune quelque part que ce fût. L'eau camphrée qui vient avec l'huile dans la distillation, est extrèmement recommandée à Ceylan dans les fluxions, les fievres malignes, & extérieurement pour dissiper les tumeurs aqueuses & œdémateuses.

De l'usage de l'huile des feuilles du canellier. L'huile des feuilles distillées va au fond de l'eau ; elle est d'abord trouble ; elle devient jaunâtre & transparente avec le tems, d'un goût douçâtre, acre, aromatique, sentant un peu la canelle, & approchant un peu de l'odeur du clou de girofle.

Cette huile passe pour un correctif des violens purgatifs : on la donne mêlée avec quelque poudre appropriée, dans les maux d'estomac, les coliques venteuses & causées par le froid ; bouillie avec de l'huile commune, elle est recommandée dans les compositions des linimens des cataplasmes nervins ou résolutifs : on prescrit même à Ceylan les seules feuilles du canellier dans les bains aromatiques & les onguens dessicatifs.

De l'usage des fleurs du canellier. On obtient des fleurs par la distillation, une eau odoriférante, agréable, bonne contre les vapeurs, propre à rétablir le cours des esprits, à les ranimer, à adoucir la mauvaise haleine, à donner du parfum & de l'agrément à différentes sortes de mets. On prépare encore avec ces fleurs une conserve très-bonne pour les personnes d'un tempérament leucophlegmatique.

De l'usage des fruits & de la cire. Les fruits donnent deux sortes de substances ; on en tire par la distillation une huile essentielle semblable à l'huile de genievre, qui seroit mêlée avec un peu de canelle & de clou de girofle ; & par la décoction on en tire une certaine graisse épaisse, d'une odeur pénétrante, ressemblante au suif par sa couleur, sa consistance, & qu'on met en pain comme le savon.

La compagnie des Indes orientales hollandoise nous l'apporte sous le nom de cire de canelle, parce que le roi de Candy, province du Mogolistan, en fait faire ses bougies & ses flambeaux, qui rendent une odeur agréable, & sont reservées pour son usage & celui de sa cour. Elle sert d'un remede intérieur & extérieur chez les Indiens ; ils la donnent intérieurement, assez mal-à-propos, dans les contusions, les luxations, les fractures ; ils la font entrer dans les onguens & les emplâtres résolutifs, nerveux, céphaliques : elle pourroit peut-être servir à faire une excellente pommade odorante, pour nettoyer & adoucir la peau, pour les petits boutons, les gerçures, les engelures, &c.

Dans les vieux troncs du canellier, il y a des noeuds résineux qui ont l'odeur du bois de Rhodes. Nos ébénistes pourroient en tirer quelque usage pour des ouvrages de leur profession.

De l'usage de la canelle, de l'eau spiritueuse, & de l'huile qu'on en tire par la distillation. Mais de toutes les parties du canellier, nous n'employons guere en Europe dans la Medecine que son écorce, l'eau spiritueuse, & l'huile essentielle qu'on en tire par la distillation.

Les modernes attribuent à l'écorce du canellier, les mêmes vertus que les anciens attribuoient à leur cinnamomum, ou à leur casse en tuyau. Ils l'estiment aromatique, stimulante, corroborative, cordiale, stomachique, emménagogue, styptique. Le docteur Halles démontre dans ses essais de statique, cette derniere qualité de la canelle par l'expérience suivante. Il injecta une certaine quantité de cette décoction chaude dans les intestins d'un gros chien ; aussi-tôt les vaisseaux se resserrerent, & retinrent pendant quelque tems la liqueur qu'ils avoient reçûe ; d'où l'on peut inférer que l'effet de cet aromate dans les intestins, seroit d'en arrêter les évacuations trop abondantes, & par conséquent conviendroit aux cours-de-ventre qui naissent du relâchement des vaisseaux. Elle est cordiale dans l'abattement des esprits, & la défaillance qui en est la suite ; parce que picotant les membranes de l'estomac, elle met les nerfs de ce viscere en jeu : suivant les mêmes raisons elle est emménagogue, quand les regles sont supprimées par l'atonie des vaisseaux : c'est encore d'après les mêmes principes qu'elle est carminative, en dissipant les vents par son action sur l'estomac & les intestins.

En un mot comme c'est le meilleur des aromates, elle en a toutes les propriétés au souverain degré : mais elle en a aussi les inconvéniens. Son usage immodéré ou mal placé, dispose l'estomac à l'inflammation, en crispant les fibres, & resserrant les orifices des glandes stomacales ; ce qui diminue la quantité du suc digestif, & jette un desordre général dans la machine : de plus son usage trop fréquent rend les sucs trop épais, trop acres ; d'où naissent plusieurs maladies chroniques. Il ne faut donc l'employer qu'à propos, & prendre garde d'en continuer l'usage trop long-tems.

L'écorce de canelle entre dans les plus fameuses compositions pharmaceutiques ; & on fait quantité de différentes préparations de cette écorce, dont la principale est l'eau spiritueuse de canelle, qui a les mêmes qualités que l'aromate.

On la prépare en faisant macérer pendant vingt-quatre heures une livre de canelle concassée, dans trois livres d'eau de mélisse distillée & trois livres de vin blanc. On distille la liqueur à un feu violent dans l'alembic avec un réfrigérant. On conserve pour l'usage les trois livres d'eau qui viennent les premieres. Cette eau est trouble, blanchâtre, laiteuse, à cause des parties huileuses de la canelle qui y sont incorporées, & qui lui donnent beaucoup de force.

Mais cette force n'est pas comparable à celle de l'huile pure, qui est vraiment caustique, & qui adoucie par le mélange du sucre, sous la forme d'un oleosaccharum, est délicieuse au goût. On la prescrit encore depuis une goutte jusqu'à six dans un oeuf poché, ou quelques liqueurs convenables. C'est dans cette huile que réside toute l'efficacité de la canelle ; aussi est-elle étonnante par ses effets. Rien de plus agréable, ni de plus admirable, pour animer, échauffer, fortifier tout-d'un coup la machine : mais il faut bien se garder d'en faire un usage déplacé. Elle est utile dans les accouchemens laborieux pour l'expulsion du foetus, de l'arriere-faix & des vuidanges, dans les femmes froides, phlegmatiques, & dont les forces languissent : mais il faut s'abstenir de ce remede dans les tempéramens échauffés, pléthoriques, & dans les cas où l'on craint quelque inflammation. On en éprouve au contraire le succès dans les maladies qui proviennent d'un phlegme muqueux, dans celles où il regne un défaut de chaleur & de mouvement, occasionné par l'habitude flasque des vaisseaux, ou par la constitution languissante des humeurs.

On peut ajoûter l'huile de canelle aux purgatifs, non-seulement pour les rendre moins desagréables au goût, mais encore pour prévenir les flatulences & les tranchées. On la fait entrer dans les linimens, les onguens, & les baumes, tant à cause de sa bonne odeur, que parce qu'elle est échauffante, résolutive & discussive.

Comme elle est extrèmement acre, brûlante, & corrosive, elle cautérise avec promtitude, quand on l'applique extérieurement. Quelques chirurgiens l'ont employée dans la carie profonde des os : mais outre qu'on a d'autres remedes plus faciles & plus sûrs, son prix excessif empêche de s'en servir. Tout le monde en connoît l'usage dans le mal de dents : mais elle ne le guérit qu'en desséchant & brûlant le nerf par son acreté caustique ; il ne faut donc l'employer qu'avec prudence dans ce cas-ci, & dans tous ceux dont nous avons parlé.

Auteurs. Je n'en connois point de particuliers sur la canelle ; il n'y a de bonnes figures du canellier, que celles des Botanistes hollandois ; d'un autre côté, je ne sache aucun voyageur, dont les relations méritent notre confiance sur ce sujet. L'académie des Sciences ne l'a point traité, & l'on trouve peu de détails intéressans dans les Transactions philosophiques. Article communiqué par M(D.J.)

CANELLE, (le pays de la) Géog. grande contrée de l'île de Ceylan. L'arbre qui fournit la canelle lui a donné son nom, à cause de la grande abondance qu'on en retire. Il y a des mines de pierres précieuses très-riches ; les Hollandois sont maîtres des côtes.


CANELUDou CANELADE, s. f. (Fauconn.) espece de curée, composée de canelle, de sucre, & de moelle de héron. Les fauconniers préparent cette curée & la donnent à leurs oiseaux, pour les rendre plus héroniers, plus chauds & plus ardens au vol du héron.


CANEPHORESS. f. pl. (Hist. anc.) porte-corbeilles ; du grec , corbeille ; & , je porte. C'étoit à Athenes deux jeunes vierges de qualité, consacrées au service des dieux, & particulierement de Minerve, dans le temple de laquelle elles demeuroient. Dans les panathénées, les canéphores parées superbement, portoient sur leurs têtes des corbeilles couronnées de fleurs & de myrthe, & remplies de choses destinées au culte des dieux. Elles commençoient la marche dans les processions solemnelles, & étoient suivies des prêtresses & du choeur. On les nommoit encore Xistophores. (G)


CANEPHORIESS. f. pl. (Myth.) fêtes de Diane chez les Grecs, dans lesquelles toutes les filles nubiles offroient à cette déesse des paniers pleins de petits ouvrages faits à l'aiguille, & faisoient connoître par cette offrande qu'elles s'ennuyoient du célibat. D'autres auteurs disent avec plus de vraisemblance, qu'à Athenes les canéphories étoient une cérémonie qui faisoit partie de la fête que les jeunes filles célébroient la veille de leurs nôces, & qui se pratiquoit ainsi : La fille conduite par ses parens au temple de Minerve, présentoit à cette divinité une corbeille remplie de présens, afin que Minerve rendît heureux le mariage qu'elle alloit contracter. Ou plûtôt, comme remarque le scholiaste de Théocrite, c'étoit une espece d'amende honorable que ces filles alloient faire à la chaste Minerve, pour l'appaiser & détourner sa colere, de ce qu'elles ne conservoient pas à son exemple leur virginité. (G)


CANEPINS. f. (Mégissier) c'est une pellicule très-mince, que les Mégissiers tirent de dessus les peaux de chevreau ou de mouton qui ont été passées en mégie. C'est précisément ce que les Anatomistes appellent l'épiderme dans l'homme.

Paris est l'endroit de France où l'on sait mieux lever le canepin ; ce sont les Peaussiers qui font cette opération.

Les Gantiers appellent ordinairement le canepin, cuir de poule ; & c'est avec cette sorte de cuirs qu'ils fabriquent la plus grande partie des gants que portent les femmes, sur-tout dans l'été. On en fait aussi des éventails.

Le canepin qu'on tire de dessus la peau des chevreaux, est le plus estimé pour la fabrique des gants.

* Les Couteliers en font un grand usage pour essayer leurs lancettes, & savoir si elles sont assez pointues & assez tranchantes. Ils tendent un morceau de canepin entre le pouce & l'index d'un bout, & entre le doigt du milieu & l'annulaire de l'autre bout, écartant l'index & l'annulaire. Ils placent ensuite la pointe de la lancette sur ce canepin tendu ; ils élevent la châsse ; si la lancette par son propre poids perce le canepin sans faire aucun bruit, elle est assez pointue & assez tranchante ; si elle ne le perce point, ou qu'elle fasse un petit bruit en le perçant, elle est censée ne piquer ni ne couper assez.

Il y a du choix dans le canepin ; celui qui est épais & jaunâtre ordinairement ne vaut rien pour l'essai de la lancette. Il faut prendre celui qui est le plus mince, le plus blanc, & le plus doux au toucher.


CANES(Géog.) petite ville de France, en Provence, sur le bord de la mer Méditerranée.


CANET(Géog.) petite ville de France dans le comté de Roussillon.

CANET, (Géog.) petite ville d'Espagne, dans la Catalogne, au territoire de Girone.


CANETA(Géog.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, qui se jette dans le golfe de Tarente.


CANETO(Géog.) petite ville d'Italie, au duché de Mantoue, sur l'Oglio. Longit. 27. 55. latit. 45. 10.


CANETTES. f. terme de Blason ; on s'en sert en parlant des petites canes, qu'on représente comme des merlettes avec des ailes serrées. La différence est qu'elles ont bec & jambes ; au lieu que les merlettes n'en ont point. Voyez MERLETTE. (V)


CANEVASS. m. (Comm.) toile écrue, claire, de chanvre ou de lin, dont on se sert pour les ouvrages de tapisserie à l'aiguille. Cette toile est divisée en carreaux qui dirigent l'ouvrage ; & même le dessinateur, lorsqu'il trace sur cette toile des fleurs, des fruits, des animaux à remplir en laine, en soie, en or & argent, en marque les contours avec des fils de différentes couleurs, qui indiquent à la brodeuse les couleurs qu'elle doit employer.

Nous allons proposer ici une sorte de canevas qui rendroit la broderie, soit en laine, soit en soie, infiniment plus belle, moins longue, & moins coûteuse : ce sont ceux qui se feroient sur le métier des ouvriers en soie. On monteroit le métier comme s'il étoit question d'exécuter le dessein en brocher : mais on ne brocheroit point ; ainsi le dessein resteroit vuide en-dessous, il seroit couvert en-dessus par des brides, comme à la gase, & tout le fond seroit fait ; la brodeuse n'auroit plus qu'à remplir les endroits vuides. Il est étonnant qu'on ne se soit point encore avisé de faire de ces canevas ; le point en est infiniment plus beau & plus régulier qu'il ne se peut faire à l'aiguille ; le métier fait en même tems la toile & le point ; & chaque coup de battant fait une rangée de points de toute la largeur du métier. Les contours du dessein sont tracés d'une façon infiniment plus réguliere & plus distincte que par des fils. Il me semble que cette invention a autant d'avantage sur l'ouvrage à l'aiguille, soit pour la perfection, soit pour la vitesse, que l'ouvrage au métier à bas en a sur le tricot à l'aiguille. Il n'y a point d'ouvrier qui ne pût faire en un jour presque autant d'aulnes de fonds de fauteuils, soit en soie, soit en laine, qu'un tisseran fait d'aulnes de toile ; & qu'on ne croye pas qu'il y ait grand mystere à la façon de ces canevas. Il faut que la chaîne soit de gros fils retors de Piémont ; qu'elle leve & baisse moitié par moitié, comme pour la toile ; avec cette différence qu'à la toile, où le grain doit être tout fin & par-tout égal, un fil baisse, un fil leve, un fil baisse, un fil leve, & ainsi de suite ; au lieu qu'ici, où il faut donner de l'étendue & du relief au point, on feroit baisser deux fils, lever deux fils, baisser deux fils, lever deux fils, & ainsi de suite. On prendroit une trame de laine ou de soie forte, large, épaisse, & bien capable de garnir. Au reste, j'ai vû l'essai de l'invention que je propose ; il m'a paru infiniment supérieur au travail de l'aiguille. Quant à la célérité, on peut faire une rangée de points de la longueur de vingt pouces & davantage d'un seul coup de battant. Les brides qui couvriroient les endroits du dessein, les fortifieroient encore, & leur donneroient du relief.

Nous proposons nos vûes toutes les fois qu'elles nous paroissent utiles ; au reste, c'est aux ouvriers à les juger : mais pour qu'ils en jugeassent sainement, il seroit à propos qu'ils se défissent de la prévention qu'il n'y a rien de bien imaginé que ce qu'ils inventent eux-mêmes, ni rien de mieux à faire que ce qu'ils font. Je les avertis que par rapport au canevas en question, j'en croirai plûtôt l'expérience que j'ai, que tous les raisonnemens qu'ils feroient. J'ai vû des fonds de canevas tels que je les propose, remplis avec la derniere célérité, & où le point étoit de la derniere beauté.

CANEVAS, autre grosse toile de chanvre écrue ; dont on se sert en piquûre des corps, ou en soûtien de boutonnieres pour les habits d'homme.

CANEVAS : on donne ce nom à des mots sans aucune suite, que les Musiciens mettent sous un air, qu'ils veulent faire chanter après qu'il aura été exécuté par l'orchestre & la danse. Ces mots servent de modele au poëte pour en arranger d'autres de la même mesure, & qui forment un sens : la chanson faite de cette maniere, s'appelle aussi canevas ou parodie. Voyez PARODIE.

Il y a de fort jolis canevas dans l'opéra de Tancrede ; aimable vainqueur, &c. d'Hésione, est un canevas ancien. Ma bergere fuyoit l'amour, &c. des Fêtes de l'hymen, en est un moderne ; puisque toutes les chaconnes de Lully, ainsi que ses passacailles ont été parodiées par Quinault ; c'est dans ces canevas que l'on trouve des vers de neuf syllabes, dont le repos est à la troisieme, ce poëte admirable ne s'en est servi que dans ces occasions.

Les bons poëtes lyriques ne s'écartent jamais de la regle qui veut que les rimes soient toutes croisées, hors dans les canevas seulement. Il y en a tel qui forcément doit être en rimes masculines, tel autre en demande quatre féminines de suite. Il y en a enfin, mais en petit nombre, dont toutes les rimes sont de cette derniere espece.

La correction dans l'arrangement des vers, est une grande partie du poëte lyrique ; les vers de douze syllabes, ceux de dix, de sept, & de six, adroitement mêlés, sont les seuls dont il se sert ; encore observe-t-il de n'user que très-sobrement de ceux de sept. Il faut même alors que dans le même morceau où ils sont employés, il y en ait au moins deux de cette mesure. Les vers de cinq, de quatre, de trois syllabes sont réservés au canevas ; la phrase de musique qu'il faut rendre donne la loi ; une note quelquefois exige un sens fini, & un vers par conséquent d'une seule syllabe.

Les canevas les mieux faits sont ceux dont les repos & le sens des vers répondent aux différens repos & aux tems des phrases de la musique. Alors le redoublement des rimes est un nouvel agrément : il n'est point d'ouvrage plus difficile, qui exige une oreille plus délicate, & où la prosodie françoise doive être plus observée. Le poëte qui est en même tems musicien, a dans ces sortes de découpures un grand avantage sur celui qui n'est que poëte. (B)

Aussi, comme l'observe M. Rousseau, il y a bien des canevas dans nos opéras qui, pour l'ordinaire, n'ont ni sens ni esprit, & où la prosodie françoise se trouve ridiculement estropiée.


CANGES. m. (Comm.) liqueur faite avec de l'eau & du riz détrempé. Les Indiens s'en servent pour gommer les chites. Voyez CHITES.


CANGERECORA(Géog.) ville des Indes, en-deçà du Gange, au pays de Canara, sur les frontieres du Malabar.


CANGETTES. f. (Commerce) petite serge qui se fabrique en quelques endroits de basse-Normandie ; elle est de bon usage & à bon prix.


CANGIANO(Géog.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure.


CANGOXUMA(Géog.) ville d'Asie de l'empire du Japon, dans l'île de Ximo, au royaume de Bungo.


CANGRI(Géog.) petite contrée d'Asie, dans la Natolie, dont la capitale qui est sur le fleuve Zacarat porte le même nom.


CANGRIA(Géog.) ville de la Turquie en Asie dans la Natolie.


CANIARToiseau. Voyez COLIN.


CANICIA(Géog.) province d'Afrique en Barbarie, entre Alger & Tunis.


CANICIDES. m. se dit d'une dissection anatomique des chiens vivans. Drelincourt s'est servi de ce terme dans ses XVII. expériences anatomiques, dans lesquelles il décrit ses canicides avec tous les phénomenes qui les ont accompagnés. Castelli. (L)


CANICLU(Géog.) province d'Asie, dans la grande Tartarie, à l'oüest du Tibeth ; les habitans sont idolâtres.


CANICULAIREjours caniculaires, marquent proprement un certain nombre de jours qui précedent & qui suivent celui où la canicule se leve le matin avec le soleil. Voyez CANICULE. Les Egyptiens & les Ethiopiens commençoient leur année aux jours caniculaires.


CANICULES. f. (Astronomie) c'est le nom d'une des étoiles de la constellation du grand chien, qu'on appelle aussi simplement l'étoile du chien ; les Grecs la nommoient , sirius. Voyez SIRIUS.

Pline & Galien donnent aussi à la canicule le nom de Procyon, quoiqu'en effet Procyon soit le nom d'une autre étoile dans le petit chien. Voyez PROCYON.

La canicule est la dixieme étoile dans le catalogue anglois de Flamsteed, & la seconde dans ceux de Ptolomée & de Tycho. Elle est située dans la gueule du grand chien, & est de la premiere grandeur ; c'est la plus grande & la plus brillante de toutes les étoiles du ciel.

Quelques auteurs anciens nous disent après Hippocrate & Pline, que le jour où la canicule se leve, la mer bouillonne, le vin tourne, les chiens entrent en rage, la bile s'augmente & s'irrite, & tous les animaux tombent en langueur & dans l'abattement ; que les maladies qu'elle cause le plus ordinairement, sont les fievres ardentes & continues, les dyssenteries & les phrénésies, &c. Voilà bien des chimeres.

Si la canicule pouvoit avoir la propriété d'apporter le chaud, ce devroit être plûtôt aux habitans de l'hémisphere méridional qu'à nous, puisque cette étoile est dans l'hémisphere méridional, de l'autre côté de l'équateur. Cependant il est certain que les peuples de cet hémisphere sont alors en hyver. La canicule & les autres étoiles sont trop éloignées de nous, pour produire sur nos corps ni sur notre système planétaire aucun effet sensible. (O)

* Les Romains étoient si persuadés de la malignité de la canicule, que pour en écarter les influences, ils lui sacrifioient tous les ans un chien roux ; le chien avoit eu la préférence dans le choix des victimes, à cause de la conformité des noms. Ce n'est pas la seule occasion où cette conformité ait donné naissance à des branches de superstition : la canicule passoit ou pour la chienne d'Erigone, ou pour le chien que Jupiter donna à Minos, que Minos donna à Procris, & que Procris donna à Cephale.


CANIDEou CANIVET, très-grand & très-beau perroquet d'Amérique. Voyez PERROQUET.


CANIFS. f. outil de l'Ecrivain ; c'est une espece de petit couteau d'acier, fort tranchant, & dont le manche ressemble assez à une pyramide à pans ; il sert à tailler les plumes ; il y en a d'une autre espece, à ressort, & dont le manche ressemble beaucoup par sa partie supérieure à celui d'un couteau : mais sa partie inférieure finit en pointe. Cette pointe sert à fendre la plume, quand on en taille. Il y a des canifs à secrets qui taillent eux-mêmes la plume ; mais ils sont de mauvais service.

CANIF ou KNIF, est un outil des Graveurs en bois, qui leur sert à creuser différentes parties de leurs planches, comme par exemple, à étrecir des filets que les burins ont laissés trop gros. Voyez la fig. 36. Pl. II. de la Gravure.


CANIFICIER(Hist. nat. bot.) c'est ainsi que l'on nomme aux Antilles le cassier ou l'arbre qui produit la casse, ce mot vient de l'espagnol cana fistola, qui signifie la même chose.


CANINadject. m. (Anatomie) c'est le nom d'un muscle qui vient de la partie majeure de la fosse maxillaire, & se termine à la levre supérieure, au-dessus des dents canines. (L)


CANINA(Géog.) ville & territoire de la Grece, dans l'Albanie, dépendant de la Turquie en Europe.


CANINES(dents), terme d'Anatomie, sont deux dents pointues à chaque machoire, l'une d'un côté, l'autre de l'autre, placées entre les incisives & les molaires.

Elles sont épaisses & rondes, & sont terminées en pointe par le bout ; elles n'ont ordinairement qu'une racine qui est plus longue que celle des incisives : leur usage propre est de déchirer les alimens. Comme les dents de devant non-seulement peuvent être déracinées ou rompues par les choses qu'on tient ou qu'on casse avec, mais sont aussi plus exposées aux coups, elles sont enfoncées aux deux tiers dans les alveoles ; moyennant quoi elles sont plus en état même que les molaires, de soûtenir les pressions latérales. Voyez DENT. (L)


CANIRAM(Hist. nat. bot.) grand arbre du Malabar, dont le tronc & les grosses branches sont couvertes d'une écorce cendrée, blanche ou rougeâtre ; les petites sont d'un verd sale, noüeuses & couvertes d'une écorce amere : les feuilles sont placées par paires à chaque noeud. La figure en est oblongue, ovale, & le goût amer. Des noeuds des petites branches sortent aussi des fleurs en parasol, à quatre, cinq, ou six pétales, de couleur verd-d'eau, pointues, peu odoriférantes, mais assez suaves : son fruit est une pomme ronde, lisse, jaune, dont la pulpe est blanche, mucilagineuse, & couverte d'une écorce épaisse & friable. Cette pulpe, ainsi que les graines qu'elle contient, sont très-ameres au goût : l'arbre fleurit en été, & porte fruit en automne ; sa racine en décoction passe pour cathartique & salutaire dans les fievres pituiteuses, les tranchées, le cours de ventre ; on s'en sert en fomentation pour la goutte : mêlée avec le lait de vache, on en lave la tête aux mélancoliques & aux vertigineux : son écorce pilée & pétrie avec de l'eau de riz, est bonne dans la dyssenterie bilieuse, &c.


CANISCHou CANISE, (Géog.) ville forte de la basse Hongrie, sur la riviere de Sale, aux frontieres de la Stirie.


CANISTRO(Géog.) petite ville de la Turquie, en Europe, dans la Macédoine, près du cap de même nom.


CANIVEAUXS. m. en Architecture, c'est ainsi qu'on appelle les plus gros pavés, qui étant assis alternativement & un peu inclinés, traversent le milieu du ruisseau d'une cour ou d'une rue.

Une pierre taillée en caniveau, est celle qui est creusée dans le milieu en maniere de ruisseau pour faire écouler l'eau ; on s'en sert pour paver une cuisine, un lavoir, une laiterie, un privé ou lieu commun, &c. (P)


CANNABINAsub. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs, sans pétales, composée de plusieurs étamines, mais stériles ; les especes de ce genre qui ne portent point de fleurs, produisent des fruits qui sont des capsules membraneuses, oblongues, & presque triangulaires, dans lesquelles il y a des semences ordinairement oblongues. Tournefort, Inst. rei herb. corol. Voyez PLANTE. (I)


CANNAGES. m. (Commerce) mesurage des étoffes, rubans, &c. à la canne. Voyez CANNE, mesure.


CANNARES(Géog.) nation sauvage de l'Amérique méridionale, au Pérou.


CANNES. f. morceau de jonc ou de bois précieux, d'environ trois piés de long, droit, ferme, couvert d'un vernis, armé par un bout d'une douille de fer, & d'une pomme de l'autre, & percée à quelques pouces au-dessous de la pomme, d'un trou dans lequel on met un cordon de soie, où l'on passe la main. L'usage de la canne est d'appuyer en marchant. Le nom de canne a passé à beaucoup d'autres objets.

CANNE, voyez ROSEAU.

CANNE D'INDE, voyez BALISIER.

CANNE, (Architecture) espece de roseaux dont on se sert en Italie & au Levant, au lieu de dosses, pour garnir les travées entre les cintres, dans la construction des voûtes.

On se sert aussi de ces roseaux à la place de chaume, c'est-à-dire, de paille de seigle ou de froment, pour couvrir à la campagne les étables, granges, écuries, de peu d'importance, ou bien les maisons des paysans. (P)

CANNE ou JONC à écrire, (Hist. anc.) calamus scriptorius ou arundo scriptoria. Les anciens se servoient de stilets pour écrire sur les tablettes enduites de cire, ou de jonc, ou de canne, pour écrire sur le parchemin, ou le papier d'Egypte ; car notre papier ordinaire est d'une invention nouvelle. Le Psalmiste dit que sa langue est comme la canne ou le jonc à écrire d'un écrivain habile : lingua mea calamus scribæ ; du-moins c'est ainsi que traduit la vulgate : mais le texte hébreu signifie plûtôt un stilet qu'une canne à écrire. L'auteur du troisieme livre des Macchabées, dit que les écrivains employés à faire le rôle des Juifs qui étoient en Egypte, vinrent montrer leurs roseaux qui étoient tout usés, disant qu'ils ne pouvoient suffire à faire le dénombrement que l'on demandoit. Baruch écrivoit ses prophéties avec de l'encre, & par conséquent avec les roseaux dont nous venons de parler ; car il ne paroît pas que l'usage des plumes fût connu en ce tems-là. Saint Jean, dans sa troisieme épître, dit qu'il n'a pas voulu écrire avec l'encre & le roseau : nolui per atramentum & calamum scribere tibi. Cet usage est commun chez les auteurs prophanes. Inque manus chartæ nodosaque venit arundo. Les Arabes, les Perses, les Turcs, les Grecs, & les Arméniens, se servent encore aujourd'hui de ces cannes ou roseaux, comme le témoignent les voyageurs. Jerem. xxxvj. 18. 3. Joann. vers. 13. Pers. satyr. 3. Calmet, diction. de la Bible.

CANNE à vent, (Physique) est une espece de canne creuse intérieurement, & par le moyen de laquelle on peut, sans le secours de la poudre, chasser une balle avec grande violence. La construction en est à-peu-près la même que celle de l'arquebuse à vent, avec cette différence, que l'arquebuse à vent a une crosse & une détente pour chasser la balle, au lieu que la canne à vent n'en a point, & a extérieurement la forme d'une canne ordinaire. Voyez ARQUEBUSE à vent. (O)

CANNE en hébreu kanna : (Hist. anc.) sorte de mesure dont parlent Ezechiel, chap. xl. vers. 3. & S. Jean dans l'Apocalypse, ch. x. vers. 1. Ezechiel dit qu'elle avoit six coudées & une palme, ou plûtôt six coudées & six palmes, c'est-à-dire six coudées hébraïques, dont chacune étoit plus grande d'une palme que la coudée babylonienne. Le prophete est obligé de déterminer ainsi la coudée dont il parle, parce qu'au-delà de l'Euphrate où elle étoit alors, les mesures étoient moins grandes qu'en Palestine. La coudée hébraïque avoit vingt-quatre doigts ou six palmes, ou environ vingt pouces & demi, en prenant le pouce à douze lignes ; ce qui donne à la canne ou calamus cent vingt-trois pouces ou dix piés trois pouces de notre mesure. Voy. Roseau d'Ezechiel. Dict. de la Bible. (G)

CANNE, mesure romaine composée de dix palmes, qui font six piés onze pouces de roi.

CANNE, mesure de longueur dont on se sert beaucoup en Italie, en Espagne, & dans les provinces méridionales de la France, & qui est plus ou moins longue en différens endroits.

A Naples la canne vaut sept piés trois pouces & demi anglois, ce qui fait une aune & quinze dix-septiemes d'aune de Paris ; ainsi 17 cannes de Naples font 32 aunes de Paris. La canne de Toulouse & de tout le haut Languedoc, est semblable à la varre d'Aragon, & contient 7 piés 8 pouces 1/5 anglois. A Montpellier, en Provence, en Dauphiné, & en bas Languedoc, elle contient 6 piés 5 pouces & demi anglois. Voyez MESURE, PIE.

La canne de Toulouse contient cinq piés cinq pouces six lignes de notre mesure, qui font une aune & demie de Paris ; ainsi deux cannes de Toulouse font trois aunes de Paris.

Celle de Montpellier & du bas-Languedoc a six piés neuf lignes de longueur, & fait une aune deux tiers de Paris ; ainsi trois de ces cannes font cinq aunes de Paris.

L'usage de la canne a été défendu en Languedoc & on Dauphiné par arrêt du conseil du 24 Juin & 27 Octobre 1687, suivant lesquels on ne peut se servir dans ces provinces, pour l'achat & vente des étoffes, que de l'aune de Paris au lieu de canne.

CANNE se dit aussi de la chose qui a été mesurée avec la canne : une canne de drap, une canne de toile, comme nous disons une aune de drap. (G)

CANNE, s. f. (Manufactures en soie) grandes baguettes de roseau ou de noyer, qu'on passe dans les envergeures des chaînes, soit pour remettre soit pour tordre les pieces. Voyez REMETTRE & TORDRE.

* CANNE, (Verrerie en bouteilles) instrument de fer, d'environ quatre piés huit pouces de long, en forme de canne, percé dans toute sa longueur d'un trou d'environ deux lignes de diametre, dont on se sert pour souffler les bouteilles & autres ouvrages. Voyez VERRERIE.

CANNE, (Géogr.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la province de Bari.


CANNEBERGES. f. oxycoccus, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le calice devient dans la suite un fruit ou une baie presque ronde, qui est divisée en quatre loges, & qui renferme des semences arrondies. Tournefort. Inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


CANNELÉadj. (Arts méchan.) On donne ce nom à tout corps, pierre, bois ou métal, auquel on remarque des cavités longitudinales & semi-circulaires ou à-peu-près, soit que ces cavités ayent été pratiquées par la nature, soit qu'elles ayent été faites par art ; ainsi on dit d'un canon de fusil, qu'il est cannelé, & de la tige d'une plante qu'elle est cannelée. De toutes les occasions dans lesquelles la nature forme des cannelures aux corps, il n'y en a peut-être pas une où la Physique soit en état de rendre raison de ce phénomene. L'art a plusieurs moyens différens de canneler : on cannelle au rabot ; on cannelle au ciseau ; on cannelle à la fonte ; on cannelle à l'argue. Voyez ARGUE, RABOT, CISEAU, FONDERIE, &c.

CANNELE, en Anatomie, les corps cannelés, quelquefois corps striés, sont deux éminences qui se trouvent à la partie antérieure des ventricules du cerveau, qui sont formées par l'entrelacement de la substance médullaire, & de la substance cendrée, ce qui fait paroître, lorsqu'on les racle avec un scalpel, des lignes blanches & des lignes cendrées alternativement disposées, & que l'on a regardé comme des cannelures. (L)

CANNELE, étoffe de soie ; le cannelé est un tissu de soie comme le gros-de-tours & le taffetas, à l'exception qu'on laisse oisive une des deux chaînes nécessaires pour former le corps de l'étoffe, du côté de l'endroit, pendant deux, trois, ou quatre coups. Il est composé de deux chaînes & de la trame, dont on proportionne le nombre des bouts à la qualité qu'on veut qu'il ait. Voyez ETOFFE DE SOIE.

Il se fait des cannelés unis & des cannelés brodés soie & dorure ; ils sont tous ordinairement de 11/24.

Lorsque la chaîne qui forme le cannelé a cessé de travailler trois, quatre, ou cinq coups plus ou moins, on la fait toute lever pour arrêter cette même soie, & former le grain du cannelé.

CANNELE, en termes de Blason, se dit de l'engrelure, dont les pointes sont en-dedans & le dos en-dehors, de même que les cannelures des colonnes en Architecture. (V)


CANNELERverb. act. terme d'Architecture ; c'est tracer ou former des cannelures. Voyez CANNELE. & CANNELURES.

CANNELER, (Architecture) c'est, dans le fût d'une colonne, d'un pilastre, ou bien dans les gaines, thermes, & consoles, creuser des canaux formés ou d'un demi-cercle ou de l'arc, dont le côté du triangle équilatéral seroit la corde. Voyez CANNELURES.

CANNELURES, termes d'Architecture : ce sont des canaux ou des cavités longitudinales formés ou taillés tout le long du fût d'une colonne, ou d'un pilastre, ou de tout autre objet. Vitruve croit qu'elles ont été introduites aux colonnes, à l'imitation des plis des vêtemens des anciennes dames greques ; aussi les nomme-t-il striures du latin striges, les plis d'une robbe. Cette étymologie peut avoir quelque sorte de vraisemblance, presque toutes les figures antiques étant revêtues de draperies perpendiculaires, lesquelles forment des ondulations concaves, qui ressemblent assez aux cannelures dont on parle ici. Les Anglois les appellent flûtes, parce qu'elles ont quelque ressemblance à l'instrument de musique qui porte ce nom.

On prétend que les cannelures ont été employées pour la premiere fois à l'ordre ionique, ensuite on les a introduites au corinthien, puis au dorique, avec cette différence qu'on n'en distribue que vingt sur la circonférence du fût de cet ordre, à cause de son caractere solide, au lieu que l'on en peut distribuer vingt-quatre, sur celle des ordres ionique & corinthien, ainsi qu'au composite, n'y ayant pas d'exemple qu'on en ait jamais employé au toscan, que l'on charge plûtôt, quand on veut orner le fût de cet ordre, de bossages, ainsi qu'on l'a pratiqué au palais du Luxembourg. Voyez BOSSAGES.

Ordinairement on pratique un listeau ou listel pour séparer les cannelures, lesquelles se forment d'un demi-cercle ou bien d'une portion de cercle soûtenue par le côté d'un triangle équilatéral inscrit : mais presque tous les auteurs ont retranché ce listel aux cannelures de l'ordre dorique ; je crois que cette méthode d'introduire des cannelures à un ordre solide est contraire à son caractere. Voyez les différentes especes de cannelures tant anciennes que modernes dans nos Planches d'Architecture. Je regarde aussi comme abus de pratiquer des cannelures torses, formant une spirale, autour d'un fût perpendiculaire ; cela ne peut être autorisé qu'aux décorations théatrales ou fêtes publiques, qui ne demandent pas autant de sévérité que les édifices construits de pierre, ainsi que nous l'avons dit ailleurs.

Ces cannelures concaves se remplissent assez souvent de rudentures, voyez RUDENTURES, dans toute la hauteur du tiers inférieur des colonnes ou pilastres, tant pour enrichir leur fût, que pour affecter de la solidité dans les parties d'en-bas ; alors on les appelle cannelures rudentées. Quelquefois à l'ordre dorique on ne fait régner les cannelures que dans les deux tiers du fût supérieur, afin de laisser au tiers inférieur toute sa solidité.

Ces rudentures sont souvent enrichies d'ornemens, tels qu'il s'en voit à l'ordre ionique du château des tuileries du côté des jardins, dont l'exécution surpasse tout ce que nous avons de meilleur en France dans ce genre : mais il faut observer, lorsqu'on y affecte des ornemens, ou qu'on enrichit seulement les cannelures de baguettes ou de doubles listeaux, de ne les pas orner indifféremment ; leur richesse aussi bien que leur élégance doit être en rapport avec la solidité ou la legereté de l'ordre ; il faut éviter, surtout lorsque l'on surmonte un ordre corinthien sur un ordre ionique, de faire les cannelures de l'ordre d'en haut plus simples que celles de l'ordre d'en-bas ; c'est un défaut de convenance que l'on peut remarquer aux colonnes corinthiennes & ioniques du portail des Feuillans à Paris.

On fait usage aussi des cannelures dans les gaînes & dans les consoles, lesquelles sont susceptibles d'ornemens selon la richesse de la matiere dont elles sont construites, ou des figures, thermes, vases, bustes, qu'elles soutiennent. (P)


CANNELLES. f. en terme d'Epinglier Aiguilletier, se dit d'une espece de couteau, dont la lame est dentelée comme une scie. Elle sert à faire une petite rainure sur un morceau de bois, dans laquelle on tient l'aiguille avec des tenailles pour l'y ébaucher. Voyez EBAUCHER. Cette petite fente s'appelle aussi cannelle. Voyez AIGUILLE, & la Planche de l'Aiguilletier, fig. 2.

CANNELLE, terme d'Aiguilletier ; c'est ainsi qu'on appelle une petite cannelure, qui se voit de chaque côté de la tête des aiguilles à coudre ou à tapisserie. On l'appelle aussi la railette de l'aiguille. V. AIGUILLE.

CANNELLE, (Boutonnier) c'est un morceau de bois percé en rond par le milieu, qui se met dans le trou de la jatte, pour empêcher que l'ouvrage ne s'endommage en frottant contre les bords assez mal polis. Il y a des cannelles qui ont leur trou quarré, pour recevoir des tresses quarrées. Voyez TRESSE. Les unes & les autres sont terminées par un bourlet, qui surpassant le trou de la jatte, les empêche de tomber au-travers. Voyez JATTE.

CANNELLE, terme de Tonnelier & de Marchand de vin, qui signifie un petit tuyau ou fontaine de cuivre, qu'on enfonce dans le trou d'un muid qu'on a mis en perce, afin d'en tirer le vin.


CANNEQUINSS. m. (Commerce) toiles de coton qui viennent des Indes, & dont on fait le commerce à la côte de Guinée.


CANNERsignifie mesurer les étoffes avec la canne dans les lieux où cette mesure est en usage, comme on dit auner à Paris, & par-tout où l'on se sert de l'aune. Dict. du Comm. tom. II. pag. 76. (G)


CANNETILLES. f. (Boutonnier) c'est un morceau de fil d'or ou d'argent trait, fin ou faux, plus ou moins gros, qu'on a roulé sur une longue aiguille de fer par le moyen d'un roüet. On employe la cannetille dans les broderies, les crêpines, & autres ouvrages semblables.

La fabrique & l'emploi de la cannetille forme une portion du métier des Passementiers-Boutonniers, Quand la cannetille est plate & luisante, pour avoir été serrée entre deux roues d'acier, on l'appelle bouillon : cette marchandise entre aussi dans la composition des crêpines & des broderies.


CANNETTES. f. (Manufactures en soie) petit tuyau de roseau ou de boüis fait au tour, sur lequel on met la soie pour la trame ou la dorure. Faire des cannettes, c'est mettre la soie ou dorure sur ces tuyaux. Voyez BROCHER, ESPOLIN, VETTEETTE.

CANNETTE, (Géog.) petite ville de l'Amérique méridionale au Pérou ; dans la vallée de Guarco.


CANNEY(Géog.) île d'Ecosse, l'une des Westernes.


CANNIBALESvoyez CARAÏBES.


CANNOBIO(Géogr.) petite ville d'Italie au duché de Milan sur le lac majeur, aux frontieres de la Suisse.


CANNS(Géog.) riviere d'Angleterre dans la province de Westmorland, qui va se jetter dans la mer d'Irlande.


CANNULES. f. terme de Chirurgie, petit tuyau fait d'or, d'argent, d'étain, ou de plomb, qu'on introduit dans les plaies pour les tenir ouvertes, & donner issue aux matieres qui y croupissent. Il y a aussi une cannule pour faciliter l'entrée & la sortie de l'air dans les poumons, dont on se sert dans l'opération de la bronchotomie. Voyez BRONCHOTOMIE.

Les différens usages des cannules, & la différence des parties auxquelles on les destine, obligent d'en construire de différentes formes : il y en a de rondes, d'ovales, de plates, de courtes, de longues, d'ailées ou à platine, à anses ou à anneaux pour les attacher. M. Foubert, de l'académie royale de Chirurgie, se sert toûjours d'une cannule flexible, lorsqu'il taille à sa méthode (Pl. XIII. Chir. fig. 2.) cette cannule procure la liberté du cours des urines, & empêche l'épanchement de ce fluide dans le tissu cellulaire, qui entoure la partie antérieure de la vessie & le rectum, ce qui occasionneroit des dépôts qui sont capables de faire périr les malades. Voyez le premier volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie, & l'article LITHOTOMIE dans ce Dictionnaire.

M. Foubert se sert aussi d'une cannule particuliere pour les personnes auxquelles on a fait une incision au périnée, pour procurer le cours des urines & du pus dans le cas de vessie ulcérée ou paralytique. Voy. BOUTONNIERE. Cette cannule a à son extrémité postérieure un petit robinet, au moyen duquel les malades peuvent uriner à leur volonté, & ne sont pas continuellement baignés de leur urine, qui s'échappe par les cannules ordinaires, à mesure que ce liquide excrémenteux distille par les ureteres dans la vessie.

M. Petit a inventé une cannule faite d'un fil d'argent tourné en spirale, qui la rend flexible dans toute sa longueur. Cette cannule a un pié & demi de long ; elle est garnie à son extrémité d'un morceau d'éponge ; elle sert à enfoncer dans l'estomac, ou à retirer de l'oesophage les corps étrangers arrêtés à la partie inférieure de ce conduit. Lorsqu'on veut se servir de cet instrument, on met dans la cannule un brin de baleine proportionné à sa longueur & à son diametre, afin de lui donner toute la force qui lui est nécessaire pour l'usage auquel elle est destinée. Cette baleine est plus longue que la cannule, & l'extrémité qui n'entre pas dedans est plus grosse, afin qu'elle puisse servir de manche. La baleine ainsi adaptée, est retenue en place dans la cannule par deux petits crochets, qui sont au dernier fil de cette cannule, & qui s'engrenent dans deux rainures qui sont au manche de la baleine. Voyez la fig. 1. Pl. V. de Chir.

Les anciens qui faisoient un grand usage du cautere actuel, avoient des cannules de fer ou de cuivre, semblables à des cercles peu élevés, à-travers desquelles ils passoient le fer rougi, de peur qu'il n'offensât les parties circonvoisines. Voyez CAUTERE.

On ne doit pas se servir sans nécessité des cannules pour le pansement des plaies, parce que ce sont autant de corps étrangers, qui par leur présence rendent les parois des plaies dures & calleuses, & occasionnent des fistules. Il faut savoir s'en servir à propos, & en supprimer l'usage à tems. (Y)


CANou ALCANEM, (Géog.) royaume d'Afrique dans la Nigritie, avec une ville qui porte le même nom.


CANONS. m. ce terme a dans notre langue une infinité d'acceptions différentes, qui n'ont presqu'aucun rapport les unes avec les autres. Il désigne un catalogue, une décision, une arme, & plusieurs instrumens méchaniques de différentes sortes.

* CANON, en Théologie, c'est un catalogue authentique des livres qu'on doit reconnoître pour divins, fait par une autorité légitime, & donné au peuple pour lui apprendre quels sont les textes originaux qui doivent être la regle de sa conduite & de sa foi. Le canon de la Bible n'a pas été le même en tous tems ; il n'a pas été uniforme dans toutes les sociétés qui reconnoissent ce recueil pour un livre divin. Les Catholiques Romains sont en contestation sur ce point avec les Protestans. L'Eglise chrétienne, outre les livres du nouveau-Testament qu'elle a admis dans son canon, en a encore ajoûté, dans le canon de l'ancien-Testament qu'elle a reçu de l'église Juive, quelques-uns qui n'étoient point auparavant dans le canon de celle-ci, & qu'elle ne reconnoissoit point pour des livres divins. Ce sont ces différences qui ont donné lieu à la distribution des livres saints en protocanoniques, deutérocanoniques, & apocryphes. Il faut cependant observer qu'elles ne tombent que sur un très-petit nombre de livres. On convient sur le plus grand nombre qui compose le corps de la Bible. On peut former sur le sujet que nous traitons, plusieurs questions importantes. Nous en allons examiner quelques-unes, moins pour les décider, que pour proposer à ceux qui doivent un jour se livrer à la critique, quelques exemples de la maniere de discuter & d'éclaircir les questions de cette nature.

Y a-t-il eu chez les Juifs un canon des livres sacrés ? Premiere question. Le peuple Juif ne reconnoissoit pas toutes sortes de livres pour divins ; cependant il accordoit ce caractere à quelques-uns : donc il y a eu chez lui un canon de ces livres, fixé & déterminé par l'autorité de la synagogue. Peut-on douter de cette vérité quand on considere que les Juifs donnoient tous le titre de divins aux mêmes livres, & que le consentement étoit entr'eux unanime sur ce point ? D'où pouvoit naître cette unanimité ? sinon d'une regle faite & connue qui marquoit à quoi l'on devoit s'en tenir ; c'est-à-dire d'un canon ou d'un catalogue authentique qui fixoit le nombre des livres, & en indiquoit les noms. On ne conçoit pas qu'entre plusieurs livres écrits en différens tems & par différens auteurs, il y en ait eu un certain nombre généralement admis pour divins à l'exclusion des autres, sans un catalogue autorisé qui distinguât ceux-ci de ceux pour qui l'on n'a pas eu la même vénération ; & ce seroit nous donner une opinion aussi fausse que dangereuse de la nation Juive, que de nous la représenter acceptant indistinctement & sans examen tout ce qu'il plaisoit à chaque particulier de lui proposer comme inspiré : ce qui précede me paroît sans replique. Il ne s'agit plus que de prouver que les Juifs n'ont reconnu pour divins qu'un certain nombre de livres, & qu'ils se sont tous accordés à diviniser les mêmes. Les preuves en sont sous les yeux. La premiere se tire de l'uniformité des catalogues que les anciens peres ont rapportés toutes les fois qu'ils ont eu lieu de faire l'énumération des livres reconnus pour sacrés par les Hébreux. Si les Juifs n'avoient pas eux-mêmes fixé le nombre de leurs livres divins, les peres ne se seroient pas avisés de le faire : ils se seroient contentés de marquer ceux que les Chrétiens devoient regarder comme tels, sans se mettre en peine de la croyance des Juifs là-dessus ; ou s'ils avoient osé supposer un canon Juif qui n'eût pas existé, ils ne l'auroient pas tous fabriqué de la même maniere ; la vérité ne les dirigeant pas, le caprice les eût fait varier, soit dans le choix, soit dans le nombre ; & plusieurs n'auroient pas manqué sur-tout d'y insérer ceux que nous nommons deutérocanoniques, puisqu'ils les croyoient divins, & les citoient comme tels. Nous devons donc être persuadés de leur bonne foi par l'uniformité de leur langage, & par la sincérité de l'aveu qu'ils ont fait que quelques livres mis par l'Eglise au rang des anciennes écritures canoniques, en étoient exclus par les synagogues. La même raison doit aussi nous convaincre qu'ils ont été suffisamment instruits de ce fait : car s'il y avoit eu de la diversité ou des variations sur ce point entre les Juifs, ils auroient eu au moins autant de facilité pour s'en informer, que pour savoir qu'on y comptoit ces livres par les lettres de l'alphabet, & ils nous auroient transmis l'un comme l'autre. L'accord des peres sur la question dont il s'agit, démontre donc celui des Juifs sur leur canon.

Mais à l'autorité des peres se joint celle de Josephe, qui sur ces matieres, dit M. Huet, en vaut une foule d'autres, unus pro mille. Josephe, de race sacerdotale, & profondément instruit de tout ce qui concernoit sa nation, est du sentiment des peres. On lit dans son premier livre contre Appion, que les Juifs n'ont pas comme les Grecs, une multitude de livres ; qu'ils n'en reconnoissent qu'un certain nombre comme divins ; que ces livres contiennent tout ce qui s'est passé depuis le commencement du monde jusqu'à Artaxerxès ; que quoiqu'ils ayent d'autres écrits, ces écrits n'ont pas entr'eux la même autorité que les livres divins, & que chaque Juif est prêt à répandre son sang pour la défense de ceux-ci : donc il y avoit chez les Juifs, selon Josephe, un nombre fixé & déterminé de livres reconnus pour divins ; & c'est-là précisément ce que nous appellons canon.

La tradition constante du peuple Juif est une troisieme preuve qu'on ne peut rejetter. Ils ne comptent encore aujourd'hui entre les livres divins que ceux, disent-ils, dont leurs anciens peres ont dressé le canon dans le tems de la grande synagogue, qui fleurit après le retour de la captivité. C'est même en partie par cette raison qu'elle fut nommée grande. L'auteur du traité Megillah dans la Gémare nous apprend au ch. iij. que ce titre lui fut donné non-seulement pour avoir ajoûté au nom de Dieu l'épithete gadol, grand, magnifique, mais encore pour avoir dressé le canon des livres sacrés : donc, pouvons-nous conclure pour la troisieme fois, il est certain qu'il y a eu chez les Juifs un canon déterminé & authentique des livres de l'ancien Testament regardés comme divins.

N'y a-t-il jamais eu chez les Juifs qu'un même & seul canon des saintes Ecritures ? Seconde question, pour servir de confirmation aux preuves de la question précédente. Quelques auteurs ont avancé que les Juifs avoient fait en différens tems différens canons de leurs livres sacrés ; & qu'outre le premier composé de vingt-deux livres, ils en avoient dressé d'autres où ils avoient inséré comme divins, Tobie, Judith, l'Ecclésiastique, la Sagesse, & les Macchabées.

Genebrard suppose dans sa chronologie trois différens canons faits par les assemblées de la synagogue : le premier au tems d'Esdras, dressé par la grande synagogue, qu'il compte pour le cinquieme synode ; il contenoit vingt-deux livres : le second au tems du pontife Eléazar, dans un synode assemblé pour délibérer sur la version que demandoit le roi Ptolémée, & que nous appellons des Septante, où l'on mit au nombre des livres divins Tobie, Judith, la Sagesse, & l'Ecclésiastique : le troisieme au tems d'Hircan, dans le septieme synode assemblé pour confirmer la secte des Pharisiens, dont Hillel & Sammaï étoient les chefs, & condamner Sadoc & Barjetos, promoteurs de celle des Saducéens, & où le dernier canon fut augmenté du livre des Macchabées, & les deux canons précédens confirmés malgré les Saducéens, qui comme les Samaritains ne vouloient admettre pour divins que les cinq livres de Moyse. A entendre Genebrard établir si délibérément toutes ces distinctions, on diroit qu'il a tous les témoignages de l'histoire ancienne des Juifs en sa faveur ; cependant on n'y trouve rien de pareil, & l'on peut regarder sa narration comme un des efforts d'imagination les plus extraordinaires, & une des meilleures preuves que l'on ait de la nécessité de vérifier les faits avant que de les admettre en démonstration.

Serarius, qui est venu après Genebrard, n'a pas jugé à propos d'attribuer aux Juifs trois canons différens. Il a cru que c'étoit assez de deux, l'un de vingt-deux livres fait par Esdras ; & le même, augmenté des livres deutérocanoniques, & dressé du tems des Macchabées. Pour preuve de ce double canon, il lui a semblé, ainsi qu'à Genebrard, que sa parole suffisoit. Il se propose cependant l'objection du silence des peres sur ces différens canons, & de leur accord unanime à n'en reconnoître qu'un composé de vingt-deux livres divins. Mais sa réponse est moins celle d'un savant qui cherche la vérité, que celle d'un disputant qui défend sa these. Il prétend avec confiance que les peres en parlant du canon des écritures Juives, composées de vingt-deux livres, n'ont fait mention que du premier, sans exclure les autres. Quoi donc, lorsqu'on examine par une recherche expresse quels sont les livres admis pour divins par une nation, qu'on en marque positivement le nombre, & qu'on en donne les noms en particulier, on n'exclut pas ceux qu'on ne nomme pas ? Moyse en disant qu'Abraham prit avec lui trois cent dix-huit de ses serviteurs, pour délivrer Loth son neveu des mains de ses ennemis, n'a-t-il pas exclu le nombre de quatre cent ? & lorsque l'évangéliste dit que Jesus-Christ choisit douze apôtres parmi ses disciples, n'exclud-il pas un plus grand nombre ? Les peres pouvoient-ils nous dire plus expressément que le canon des livres de l'ancien Testament n'alloit pas jusqu'à trente, qu'en nous assûrant qu'il étoit de vingt-deux ? Quand Meliton dit à Onésime qu'il a voyagé jusque dans l'orient pour découvrit quels étoient les livres canoniques, & qu'il nomme ensuite ceux qu'il a découverts & connus, n'en dit-il pas assez pour nous faire entendre qu'il n'en a pas connu d'autres que ceux qu'il nomme ? C'est donc exclure un livre du rang des livres sacrés, que de ne point le mettre dans le catalogue qu'on en fait exprès pour en désigner le nombre & les titres. Donc, en faisant l'énumération des livres reconnus pour divins par les Juifs, les peres ont nécessairement exclu tous ceux qu'ils n'ont pas nommés ; de même que quand nos papiers publics donnent la liste des officiers que le Roi a promus, on est en droit d'assûrer qu'ils excluent de ce nombre tous ceux qui ne se trouvent pas dans leur liste. Mais si ces raisons ne suffisent pas, si l'on veut des preuves positives que les peres ont exclu d'une maniere expresse & formelle du canon des Ecritures admises pour divines par les Juifs, tous les livres qu'ils n'ont pas comptés au nombre des vingt-deux, il ne sera pas difficile d'en trouver.

Saint Jérôme dans son prologue défensif, dit qu'il l'a composé afin qu'on sache que tous les livres qui ne sont pas des vingt-deux qu'il a nommés, doivent être regardés comme apocryphes : ut scire valeamus quidquid extra hos est, (on verra dans la question suivante quels étoient ces vingt-deux livres) inter apocrypha esse ponendum. Il ajoute ensuite que la Sagesse, l'Ecclésiastique, Tobie, Judith, ne sont pas dans le canon. Igitur Sapientia, quae vulgo Salomonis inscribitur, & Jesu filii Sirach liber, & Judith, & Tobias, & Pastor, non sunt in canone. Dans la préface sur Tobie, il dit que les Hébreux excluent ce livre du nombre des Ecritures divines, & le rejettent entre les apocryphes. Il en dit autant à la tête de son commentaire sur le prophete Jonas.

On lit dans la lettre qu'Origene écrit à Africanus, que les Hébreux ne reconnoissent ni Tobie ni Judith, mais qu'ils les mettent au nombre des livres apocryphes : nos oportet scire quod Hebræi Tobia non utuntur neque Judith ; non enim ea habent nisi in apocryphis.

Saint Epiphane dit, nomb. 3. & 4. de son livre des poids & des mesures, que les livres de la Sagesse & de l'Ecclésiastique ne sont pas chez les Juifs au rang des Ecritures-saintes.

L'auteur de la Synopse assûre que Tobie, Judith, la Sagesse & l'Ecclésiastique, ne sont point des livres canoniques, quoiqu'on les lise aux catéchumenes.

Y a-t-il rien de plus clair & de plus décisif que ces passages ? Sur quoi se retranchera donc Serarius ? Il répétera que les peres ne parlent dans tous ces endroits que du premier canon des Juifs : mais on ne l'en croira pas ; on verra qu'ils y disent nettement que Judith, Tobie, & les autres de la même classe, ne sont pas reconnus pour divins par les Juifs, par les Hébreux, par la nation. D'ailleurs, ce second canon imaginaire ne devoit-il pas avoir été fait par les Juifs ainsi que le premier ? Comment donc S. Jérôme & Origene auroient-ils pû avancer que les Juifs regardoient comme apocryphes des livres qu'ils auroient déclarés authentiquement divins & sacrés, quoique par un second canon ? Le premier ajoûteroit-il, comme il fait dans sa préface sur Tobie, que les Juifs peuvent lui reprocher d'avoir traduit cet ouvrage comme un livre divin, contre l'autorité de leur canon, s'il y avoit eu parmi eux un second canon où Tobie eût été mis au rang des livres divins ? Méliton n'a-t-il recherché que les livres du premier canon, ou a-t-il voyagé jusque dans l'orient pour connoître tous les ouvrages reconnus de son tems pour canoniques ? en un mot, le dessein des peres en publiant le catalogue des livres admis pour divins chez les Juifs, étoit-il d'exposer la croyance de ce peuple au tems d'Esdras, ou plûtôt celle de leur tems ? & s'il y avoit eu lieu à quelque distinction pareille, ne l'auroient-ils pas faite ? Laissons donc l'école penser là-dessus ce qu'elle voudra : mais concluons, nous, que les Juifs n'ont eu ni trois, ni deux canons, mais seulement un canon de vingt-deux livres ; & persistons dans ce sentiment jusqu'à ce qu'on nous en tire, en nous faisant voir que les peres se sont trompés, ce qui n'est pas possible. Car d'où tireroit-on cette preuve ? aucun ancien auteur n'a parlé du double canon. La tradition des Juifs y est formellement contraire. Ils n'ont encore aujourd'hui de livres divins que les vingt-deux qu'ils ont admis de tout tems comme tels. Josephe dit, ainsi qu'on l'a déjà vû, & qu'on le verra plus bas encore, que sa nation ne reconnoît que vingt-deux livres divins ; & que, si elle en a d'autres, elle ne leur accorde pas la même autorité. Mais, dira-t-on. Josephe a cité l'Ecclésiastique dans son second livre contre Appion. Quand on en conviendroit, s'ensuivroit-il de-là qu'il en a fait un livre divin ? Nullement. Mais il n'est point du tout décidé que Josephe ait cité l'Ecclésiastique. Il se propose de démontrer l'excellence & la supériorité de la législation de Moyse sur celles de Solon, de Lycurgue & des autres. Il rapporte à cette occasion des préceptes & des maximes, & il attribue à Moyse l'opinion que l'homme est supérieur en tout à la femme. Il lui fait dire que l'homme méchant est meilleur que la femme bienfaisante ; ; paroles citées comme de Moyse, & non comme de l'Ecclésiastique. On objectera sans-doute que ce passage ne se trouve point dans Moyse. Soit. Donc Josephe ne le lui attribue pas. Je le nie, parce que le fait est évident. Mais quand je conviendrois de tout ce qu'on prétend, on n'en pourroit jamais inférer que Josephe ait déclaré l'Ecclésiastique livre canonique. M. Pithou remarque que les dernieres paroles du passage cité de Josephe ne sont pas de lui, & qu'elles ont été insérées selon toute apparence par quelque copiste. Cette critique est d'autant plus vraisemblable, qu'elles ne se trouvent pas dans l'ancienne version latine de Rufin. Donc le double & le triple canon sont des chimeres, les Juifs n'en faisant aucune mention, & les peres ne les ayant point connus : ce qu'il falloit démontrer.

De combien de livres étoit composé le canon des Ecritures divines chez les Juifs, & quels étoient ces livres. Troisieme question, dont la solution servira d'éclaircissement & d'appui aux deux questions précédentes. Les Juifs ont toûjours composé leur canon de vingt-deux livres, ayant égard au nombre des lettres de leur alphabet dont ils faisoient usage pour les désigner, selon l'observation de S. Jérôme, dans son prologue général ou défensif. Quelques rabbins en ont compté vingt-quatre ; d'autres vingt-sept ; mais ces différens calculs n'augmentoient ni ne diminuoient le nombre réel des livres ; certains livres divisés en plusieurs parties y occupoient seulement plusieurs places.

Ceux qui comptoient vingt-quatre livres de l'Ecriture, séparoient les Lamentations, de la Prophétie de Jérémie, & le livre de Ruth de celui des Juges, que ceux qui n'en comptoient que vingt-deux laissoient unis : les premiers, afin de pouvoir marquer ces vingt-quatre livres avec les lettres de leur alphabet, répétoient trois fois la lettre jod, en l'honneur du nom de Dieu Jehova, que les Chaldéens écrivoient par trois jod. Ce nombre de vingt-quatre est celui dont les Juifs d'à-présent se servent pour désigner les livres de l'Ecriture-sainte ; & c'est peut-être à quoi les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse font allusion.

Ceux qui comptoient vingt-sept livres, séparoient encore en six nombres les livres des Roi & des Paralipomenes, qui n'en faisoient que trois pour les autres. Et pour les indiquer, ils ajoûtoient aux vingt-deux lettres ordinaires de l'alphabet les cinq finales, comme nous l'apprend S. Epiphane dans son livre des poids & des mesures. Ceux qui savent l'alphabet hébreu (car il n'en faut pas savoir davantage) connoissent ces lettres finales. Ce sont caph, mem, nun, pé, tsad, qui s'écrivent à la fin des mots d'une maniere différente que dans le milieu ou au commencement.

Le canon étoit donc toûjours le même, soit qu'on comptât les livres par 22, 24 ou 27. Mais la premiere maniere a été la plus générale & la plus commune ; c'est celle de Josephe. M. Simon donne l'ancienneté à celle de 24 : mais je ne sais sur quelle preuve, car il n'en rapporte aucune. J'avoue que ces matieres ne me sont pas assez familieres pour prendre parti dans cette question, & pour hasarder une conjecture.

Voyons maintenant quels étoient ces 22, 24 & 27 livres. S. Jérôme témoin digne de foi dans cette matiere, en fait l'énumération suivante. La Genese. L'Exode. Le Lévitique. Les Nombres. Le Deutéronome. Josué. Les Juges, auquel est joint Ruth, Samuel, ce sont les deux premiers des Rois. Les Rois, ce sont les deux derniers livres. Isaie. Jérémie, avec ses Lamentations. Ezechiel. Les douze petits Prophetes. Job. Les Pseaumes. Les Proverbes. L'Ecclésiaste. Le Cantique des Cantiques. Daniel. Les Paralipomenes, double. Esdras, double. Esther.

S. Epiphane, Heres. viij. nomb. 6. édit. de Petau, rapporte les mêmes livres que S. Jerôme. On retrouve le même canon en deux ou trois autres endroits de son livre des poids & mesures. Voyez les nomb. 3. 4. 22. 23. On lit au nombre 22, que les Hébreux n'ont que 22 lettres à leur alphabet ; que c'est par cette raison qu'ils ne comptent que 22 livres sacrés, quoiqu'ils en ayent 27, entre lesquels ils en doublent cinq, ainsi qu'ils ont cinq caracteres doubles ; d'où il arrive que comme il y a dans leur écriture 27 caracteres, qui ne sont pourtant que vingt-deux lettres, de même ils ont proprement vingt-sept livres divins, qui se réduisent à vingt-deux.

S. Cyrille de Jérusalem dit aux Chrétiens, dans sa quatrieme catechese, de méditer les vingt-deux livres de l'ancien Testament, & de se les mettre dans la mémoire tels qu'il va les nommer ; puis il les nomme ainsi que nous venons de les rapporter d'après S. Jérôme & S. Epiphane.

S. Hilaire, dans son Prologue sur les Pseaumes, ne differe de l'énumération précédente, ni sur les nombres, ni sur les livres. Le canon 60, de Laodicée, dit la même chose. Origene, cité par Eusebe, avoit dressé le même canon. Ce seroit recommencer la même chose jusqu'à l'ennui, que de rapporter ces canons.

Méliton évêque de Sardes, qui vivoit au second siecle de l'Eglise, avoit fait un catalogue qu'Eusebe nous a conservé, c. xxvj. l. IV. de son histoire. Il avoit pris un soin particulier de s'instruire. Il avoit voyagé exprès dans l'orient, & son catalogue est le même que celui des auteurs précédens ; car il est à présumer que l'oubli d'Esther est une faute de copiste.

Bellarmin donne ici occasion à une réflexion, par ce qu'il dit dans son livre des Ecrivains ecclésiastiques, savoir, que Méliton a mis au rang des livres de l'ancien Testament celui de la Sagesse, quoiqu'il ne fût point reconnu par les Juifs pour un livre divin. Mais Bellarmin se trompe lui-même. Sa Sagesse n'est point dans le canon de Méliton. On y lit : Salomonis Proverbia quae & Sapientia, . D'où il s'ensuit que Méliton ne nomme pas la Sagesse comme un livre distingué des Proverbes ; c'est l' soit oublié, soit mal entendu, qui a donné lieu à la méprise. Mais, pour revenir au canon des Juifs, Josephe dit dans son livre contre Appion, qu'il n'y a dans sa nation que 22 livres reconnus pour divins, cinq de Moyse, treize des prophetes, contenant l'histoire de tous les tems jusqu'à Artaxerxès, & quatre autres qui renferment des hymnes à la loüange de Dieu, ou des préceptes pour les moeurs. Il n'entre pas dans le détail, mais il désigne évidemment les mêmes livres que ceux qui sont contenus dans les catalogues des peres.

Sur ce que l'historien Juif a placé dans ses Antiquités l'histoire d'Esther sous le regne d'Artaxerxès, & sur ce qu'il dit dans le même endroit que les prophetes n'ont écrit l'histoire que jusqu'au tems de ce prince, & qu'on n'a pas la même foi à ce qui s'est passé depuis, M. Dupin s'est persuadé qu'il exclut le livre d'Esther du nombre des vingt-deux livres de son canon. Mais qui est-ce qui a dit à M. Dupin que Josephe ne s'est point servi du mot jusque dans un sens inclusif, ainsi que du terme depuis dans un sens exclusif ? Ce seroit faire injure à d'habiles & judicieux auteurs qui ont précédé M. Dupin, que de balancer leur témoignage par une observation grammaticale qui, au pis aller, ne prouve ni pour ni contre.

Il ne faut point non plus s'imaginer que Josephe n'ait point mis le livre de Job au nombre des vingt-deux livres divins, parce qu'il ne dit rien dans son ouvrage des malheurs de ce saint homme. Cet auteur a pû regarder le livre de Job comme un livre inspiré, mais non comme une histoire véritable ; comme un poëme qui montroit partout l'esprit de Dieu, mais non comme le récit d'un évenement réel ; & en ce sens, quel rapport pourroit avoir l'aventure de Job avec l'histoire de sa nation ?

Quel est le tems & quel est l'auteur du canon des livres sacrés chez les Juifs. Quatrieme question. Il semble que ce seroit aujourd'hui un paradoxe d'avancer qu'Esdras ne fut jamais l'auteur du canon des livres sacrés des Juifs ; les docteurs mêmes les plus judicieux ayant mis sur le compte d'Esdras tout ce dont ils ont ignoré l'auteur & l'origine, dans les choses qui concernent la Bible. Ils l'ont fait réparateur des livres perdus ou altérés, réformateur de la maniere d'écrire ; quelques-uns même inventeurs des points voyelles, & tous auteur du canon des Ecritures. Il n'y a sur ce dernier article qu'une opinion. Il est étonnant que nos Scaliger, nos Huet, ceux d'entre nous qui se piquent d'examiner de près les choses, n'ayent pas disserté là-dessus ; la matiere en valoit pourtant bien la peine. M. Dupin, au lieu de transcrire en copiste l'opinion de ses prédécesseurs, auroit beaucoup mieux fait d'exposer la question, & de montrer combien il étoit difficile de la résoudre.

Quoi qu'il en soit de l'opinion commune, il me semble qu'il n'y auroit aucune témérité à assûrer qu'on peut soûtenir qu'Esdras n'est point l'auteur du canon des livres reconnus pour livres divins par les Juifs, soit qu'on veuille discuter ce fait par l'histoire des empereurs de Perse, & celle du retour de la captivité ; soit qu'on en cherche l'éclaircissement dans les livres d'Esdras & de Néhémie, qui peuvent particulierement nous instruire. L'opinion contraire, quoique plus suivie, n'est point article de foi.

En un mot voici les difficultés qu'on aura à résoudre de part & d'autre, & ces difficultés me paroissent très-grandes : 1°. il faut s'assûrer du tems où Esdras a vécu ; 2°. sous quel prince il est revenu de Babylone à Jérusalem ; 3°. si tous les livres qui sont dans le canon étoient écrits avant lui ; 4°. si lui-même est auteur du livre qui porte son nom.

Voilà la route par laquelle il faudra passer avant que d'arriver à la solution de la quatrieme question : nous n'y entrerons point, de crainte qu'elle ne nous menât bien au-delà des bornes que nous nous sommes prescrites : ce que nous avons dit jusqu'à présent suffit pour donner à ceux qui se sentent le goût de la critique, un exemple de la maniere dont ils doivent procéder pour parvenir à quelque résultat satisfaisant pour eux & pour les autres ; c'étoit-là principalement notre but.

Il ne nous reste plus qu'une observation à faire, c'est que le canon qui fixe au nombre de vingt-deux les livres divins de l'ancien-Testament, a été suivi dans la premiere église jusqu'au concile de Carthage ; que ce concile augmenta beaucoup ce canon, comme il en avoit le droit ; & que le concile de Trente a encore été au-delà du concile de Carthage, prononçant anathème contre ceux qui refuseront de se soûmettre à ses décisions.

D'où il s'ensuit que dans toutes discussions critiques sur ces matieres délicates, le jugement de l'Eglise doit toûjours aller avant le nôtre ; & que dans les occasions où il arriveroit que le résultat de nos recherches ne seroit pas conforme à ses decrets, nous devons croire que l'erreur est de notre côté : l'autorité que nous avons alors contre nous est d'un si grand poids, qu'elle ne nous laisse pas seulement le mérite de la modestie, quand nous nous y soûmettons, & que nous montrons une vanité impardonnable, quand nous balançons à nous soûmettre. Tels sont les sentimens dans lesquels j'ai commencé, continué, & fini cet article, pour lequel je demande au lecteur un peu d'indulgence : il la doit à la difficulté de la matiere, & aux soins que j'ai pris pour la discuter comme elle le mérite. Voyez à l'article CANONIQUES (LIVRES) ce qui concerne le canon du nouveau-Testament ; c'est la suite naturelle de ce que nous venons de dire.

CANON, terme d'Histoire ecclésiastique, signifie proprement regle ou décision, soit sur le dogme, soit sur la discipline.

Ce mot est originairement grec, , regle, discipline.

Nous avons les canons des apôtres, de l'authenticité desquels tout le monde ne convient pas, quoiqu'on avoue en général qu'ils sont fort anciens, & diverses collections de canons des conciles que nous allons indiquer d'après M. Fleury, dans son institution au droit ecclésiastique.

Sous le regne de Constantin, l'an 314, se tinrent les conciles d'Ancyre en Galatie, & de Néocesarée dans le Pont, qui sont les plus anciens dont il nous reste des canons : ensuite, c'est-à-dire en 325, se tint le concile général de Nicée, dont les canons ont aussi été recueillis. Il y eut ensuite trois conciles particuliers dont les canons furent de grande autorité ; l'un à Antioche capitale de l'Orient, en 431 ; l'autre à Laodicée en Phrygie, vers l'an 370 ; & le troisieme à Gangres en Paphlagonie, vers l'an 375 ; enfin l'an 381 se tint le second concile universel à Constantinople.

Les canons de ces sept conciles furent recueillis en un corps qu'on appella le code des canons de l'Eglise universelle, auxquels on ajoûta ceux du concile d'Ephese, qui fut le troisieme oecuménique tenu en 430, & ceux du concile de Chalcédoine, tenu en 450 : on y ajoûta aussi les canons des apôtres, au nombre de cinquante, & ceux du concile de Sardique, tenu en 347, & que l'on regardoit en plusieurs églises comme une suite du concile de Nicée.

Tous ces canons avoient été écrits en grec, & il y en avoit pour les églises d'Occident une ancienne version latine dont on ne sait point l'auteur. L'église romaine s'en servit jusqu'au commencement du vj. siecle ; & les autres églises, particulierement celles de Gaule & de Germanie, n'en connurent point d'autres jusqu'au jx. siecle. Mais vers l'an 530 l'abbé Denys le Petit fit une autre version des canons plus fidele que l'ancienne, & y ajoûta tout ce qui étoit alors dans le code grec ; savoir les cinquante canons des apôtres, ceux du concile de Chalcédoine, du concile de Sardique, d'un concile de Carthage, & de quelques autres conciles d'Afrique. Il fit aussi une collection de plusieurs lettres decrétales des papes, depuis Sirice qui mourut en 398 jusqu'à Anastase II. qui mourut en 498. Voyez DECRETALES.

La collection de Denys le Petit fut de si grande autorité, que l'église romaine s'en servit toûjours depuis, & on l'appella simplement le corps des canons de l'église d'Afrique, formé principalement des conciles tenus du tems de saint Augustin. Les Grecs le traduisirent pour leur usage ; & Charlemagne l'ayant reçue en 787 du pape Adrien I. l'apporta dans les Gaules.

Les Orientaux ajoûterent aussi des canons à l'ancien code : savoir, trente-cinq canons des apôtres, ensorte qu'ils en comptoient quatre-vingt-cinq ; le code de l'église d'Afrique traduit en Grec ; les canons du concile in trullo, faits en 692, pour suppléer au cinquieme & au sixieme conciles qui n'avoient point fait de canons ; ceux du second concile de Nicée, qui fut le septieme oecuménique tenu en 787 : tout cela composa le code des canons de l'église d'Orient ; & ce peu de lois suffit pendant 800 ans à toute l'Eglise catholique.

Sur la fin du regne de Charlemagne on répandit en Occident une collection des canons qui avoit été apportée d'Espagne, & qui porte le nom d'un Isidore, que quelques-uns surnomment le marchand, Isidorus mercator : elle contient les canons orientaux d'une version plus ancienne que celle de Denys le Petit, plusieurs canons des conciles de Gaule & d'Espagne, & un grand nombre de decrétales des papes des quatre premiers siecles jusqu'à Sirice, dont plusieurs sont fausses & supposées. Voyez DECRETALES.

On fit ensuite plusieurs compilations nouvelles des anciens canons, comme celle de Réginon abbé de Prum, qui vivoit l'an 900 ; celle de Burchard évêque de Vormes, faite l'an 1020 ; celle d'Yves de Chartres, qui vivoit en 1100 ; & enfin Gratien bénédictin de Boulogne en Italie, fit la sienne vers l'an 1151 : c'est celle qui est la plus citée dans le Droit canon. Fleury, Instit. au Droit ecclés. tome I. part. I. chap. j. pag. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8 & 10.

Gratien mit à sa collection des textes de la Bible, les sentimens des peres sur les plus importantes matieres ecclésiastiques, & intitula son ouvrage la concordance des canons discordans ; il le partagea par ordre de matieres, & non par ordre de tems, comme on avoit fait avant lui. Cette compilation fait partie du Droit canonique, & est appellée decret ; Voyez DECRET, NONIQUE (Droit)oit).

On nous a depuis donné diverses collections des conciles, où l'on en a conservé les canons, comme celles des PP. Labbé & Cossart, Hardoüin, &c.

Les canons des conciles sont pour l'ordinaire conçus en forme de lois, en termes impératifs ; quelquefois conditionnels, & où l'injonction est presque toûjours accompagnée de la peine infligée à ceux qui la violeront : quand il s'agit du dogme, les canons sont quelquefois conçus en forme d'anathème ; c'est-à-dire que les peres du concile y disent anathème, ou excommunient quiconque soûtiendra telle ou telle erreur qu'ils ont condamnée.

CANONS des apôtres ; on appelle ainsi une espece de collection des canons ou lois ecclésiastiques que l'on attribue à S. Clément pape, disciple de S. Pierre, comme s'il l'eût reçue de ce prince des apôtres. Mais les Grecs même n'assûrent pas que ces canons ayent été faits par les apôtres, & recueillis de leur bouche par S. Clément ; ils se contentent de dire que ce sont des canons, , que l'on appelle des apôtres ; & apparemment ils sont l'ouvrage de quelques évêques d'Orient, qui vers le milieu du iij. siecle rassemblerent en un corps les lois qui étoient en usage dans les églises de leurs pays, & dont une partie pouvoit avoir été introduite par tradition dès le tems des apôtres, & l'autre par des conciles particuliers. Il y a quelque difficulté tant sur le nombre que sur l'autorité de ces canons. Les Grecs en comptent communément 85 : mais les Latins n'en ont reçu que 50, dont même plusieurs ne sont pas observés. Les Grecs comptent les 50 premiers à-peu-près comme nous : mais ils en ajoûtent d'autres dans la plûpart desquels il y a des articles qui ne sont pas conformes à la discipline, ni même à la créance de l'église latine ; & c'est pour cette raison qu'elle rejette les 35 derniers canons, comme ayant été la plûpart insérés ou falsifiés par les hérétiques & schismatiques. A l'égard de l'autorité de ces canons, le pape Gelase, dans un concile tenu à Rome l'an 494, met le livre de ces canons des apôtres entre les apocryphes ; & cela après le pape Damase, qui semble avoir été le premier qui détermina quels livres il falloit recevoir ou rejetter. Par cette raison Isidore les condamne aussi, dans le passage que Gratien rapporte de lui dans la seizieme distinction. Le pape Leon IX. au contraire excepte cinquante canons du nombre des apocryphes. Avant lui Denys le Petit avoit commencé son code des canons ecclésiastiques par ces cinquante canons. Gratien, dans la même distinction seizieme, rapporte qu'Isidore ayant changé de sentiment, & se contredisant lui-même, met au-dessus des conciles ces canons des apôtres, comme approuvés par la plûpart des peres, & reçus entre les constitutions canoniques, & ajoûte que le pape Adrien I. a approuvé les canons en recevant le quatrieme concile où ils sont insérés : mais on peut dire que Gratien se trompe, & qu'il prend le second concile in trullo, que les Grecs appellent souvent le quatrieme concile, pour le premier concile tenu in trullo, qui est véritablement le sixieme oecuménique ou général. Quant à Isidore, le premier passage est d'Isidore de Séville ; & le second est d'Isidore mercator ou peccator, selon la remarque d'Antoine Augustin archevêque de Tarragone, qui dit que pour concilier ces diverses opinions il faut suivre le sentiment de Léon IX. qui est, qu'il y a cinquante de ces canons des apôtres qui ont été reçus, & que les autres n'ont aucune autorité dans l'église occidentale. Il est certain que ces canons ne sont point des apôtres : mais ils paroissent fort anciens, & ont été cités par les anciens sous le nom de canons anciens, canons des peres, canons ecclésiastiques. S'ils sont quelquefois appellés ou intitulés canons apostoliques, ce n'est pas à-dire pour cela qu'ils soient des apôtres : mais il suffit qu'il y en ait quelques-uns qui ayent été faits par des évêques qui vivoient peu de tems après les apôtres, & que l'on appelloit hommes apostoliques. L'auteur des constitutions apostoliques est le premier qui attribue ces canons aux apôtres. Ils contiennent des réglemens qui conviennent à la discipline du second & du troisieme siecle de l'Eglise : ils sont cités dans les conciles de Nicée, d'Antioche, de Constantinople, & par plusieurs anciens. On ne sait pas en quel tems cette collection de canons a été faite, il peut se faire que ce soit en différens tems : non-seulement les cinquante premiers, mais les trente-cinq derniers, sont fort anciens ; les Grecs les ont toûjours reçus : Jean d'Antioche, qui vivoit du tems de Justinien, les cite dans sa sixieme novelle ; ils sont approuvés dans le synode in trullo, & loüés par Jean Damascene & par Photius. Parmi les Latins ils n'ont pas toûjours eu le même sort : le cardinal Humbert les a rejettés ; Gelase les a mis au nombre des livres apocryphes : Denys le Petit a traduit les cinquante premiers, & les a mis à la tête de sa collection, remarquant toutefois que quelques personnes ne les avoient pas voulu reconnoître ; c'est peut-être pour cette raison que Martin de Prague ne les fit point entrer dans sa collection : mais Isidore ne fit point difficulté de les mettre dans la sienne ; & depuis ils ont toûjours fait partie du Droit canon. Aussitôt qu'ils parurent en France, ils furent estimés, & allégués pour la premiere fois dans la cause de Prétextat du tems du roi Chilperic, & on déféra. Hincmar témoigne qu'ils étoient à la tête d'une collection de canons faite par l'église de France, & les croit anciens, quoiqu'ils ne soient pas des apôtres. Voyez Beveregius, dans la défense du code des canons de l'Eglise primitive. Daillé, de pseud. epigraphis. Dupin, dissertations préliminaires sur la bible, chap. iij. Doujat, hist. du Droit. (G)

CANON, (Chronologie) ce mot, autant qu'on en peut juger en parcourant les Chronologistes, est employé en différens sens ; quelquefois il signifie simplement des tables chronologiques, telles que les tables du nombre d'or, des épactes, & de la pâque ; quelquefois il signifie la méthode ou régle pour résoudre certains problèmes de Chronologie, comme trouver les épactes, les pleines lunes, les fêtes mobiles, &c. (O)

* CANON PASCHAL, (Hist. ecclés.) c'est une table des fêtes mobiles où l'on marque pour un cycle de dix-neuf ans, le jour auquel tombe la fête de pâque, & les autres fêtes qui en dépendent.

On croit que le canon paschal a été calculé par Eusebe de Césarée, & de l'ordre du concile de Nicée. Voyez PASQUE, FETE, CYCLE.

* CANON, parmi les religieux, c'est le livre qui contient la regle & les instituts de l'ordre : on l'appelle aussi regle, institut. Voyez REGLE.

* CANON, se dit encore dans l'Eglise du catalogue des saints reconnus & canonisés par l'Eglise. Voyez SAINT & CANONISATION.

* CANON ; on appelle ainsi par excellence les paroles sacramentales de la messe, les paroles secrettes dans lesquelles on comprend depuis la préface jusqu'au Pater ; intervalle au milieu duquel le prêtre fait la consécration de l'hostie. Voyez MESSE.

Le sentiment commun est que le canon commence à Te igitur, &c. Le peuple doit se tenir à genoux pendant le canon de la messe, & le réciter en soi-même tout bas, & de maniere à n'être point entendu. Quelques-uns disent que saint Jerôme par ordre du pape Sirice, a mis le canon dans la forme où nous l'avons ; d'autres l'attribuent au pape Sirice même qui vivoit sur la fin du jv. siecle. Le concile de Trente dit que le canon de la messe a été dressé par l'Eglise, & qu'il est composé des paroles de Jesus-Christ, de celles des apôtres, & des premiers pontifes qui ont gouverné l'Eglise.

CANON, dans la Musique ancienne ; c'étoit une regle ou méthode de déterminer les intervalles des notes. Voyez GAMME, NOTE, MUSIQUE, &c.

CANON, en Musique moderne, est une sorte de fugue qu'on appelle perpétuelle, parce que les parties partant l'une après l'autre, répetent sans-cesse le même chant.

Autrefois, dit Zarlin, on mettoit à la tête des fugues perpétuelles qu'il appelle fughe in conseguenza, certains avertissemens qui marquoient comme il falloit chanter ces sortes de fugues ; & ces avertissemens étant proprement les regles de cette espece de fugue, s'intituloient canoni, canons. C'est de-là que prenant le titre pour la chose même, on a nommé canons ces sortes de fugues.

Les canons les plus faciles & les plus communs, se prennent à l'unisson ou à l'octave, c'est-à-dire que chaque partie répete sur le même ton le chant de celle qui l'a précédée. Pour composer cette espece de canon, il ne faut qu'imaginer un chant à son gré, y ajoûter en partition autant de parties qu'on veut, puis de toutes ces parties chantées successivement n'en composer qu'un seul air, faisant ensorte que le chant de l'une puisse former une suite agréable avec celui de l'autre.

Pour exécuter un tel canon, la personne qui chante la premiere partie part seule, chantant de suite tout l'air, & le recommence aussi-tôt sans manquer à la mesure. Dès que celui-ci a fini le premier chant qui a servi de sujet, le second entre, commence, & poursuit ce même chant comme a fait le premier ; les autres partent de même successivement aussi-tôt que celui qui les précede a achevé le premier chant ; & recommençant ainsi sans-cesse, on peut continuer ce canon aussi long-tems qu'on veut.

L'on peut encore prendre une fugue perpétuelle à la quinte ou la quarte ; c'est-à-dire que chaque partie fera entendre le même chant que la précédente, une quinte ou une quarte au-dessus d'elle. Il faut alors que l'air soit entierement imaginé, & que l'on ajoûte des dièses ou des bémols selon le cas, aux notes dont les degrés naturels ne rendroient pas exactement à la quinte ou à la quarte, le chant de la partie précédente. On ne doit avoir ici égard à aucune modulation, mais seulement au chant ; ce qui augmente beaucoup la difficulté : car à chaque fois qu'une partie reprend la fugue, elle entre dans un nouveau ton.

Pour faire un canon dont l'harmonie soit un peu variée, il faut que les parties ne se suivent pas trop promtement, que l'une n'entre que long-tems après l'autre ; quand elles se suivent rapidement, comme à la demi-pause ou aux soupirs, on n'a pas le tems d'y faire entendre plusieurs accords, & le canon ne peut manquer d'être monotone : mais c'est un moyen de faire sans beaucoup de peine des canons à tant de parties qu'on veut ; car un canon de quatre mesures seulement sera déjà à huit parties si elles se suivent à la demi-pause ; & à chaque mesure qu'on ajoûtera, on gagnera encore deux parties.

L'empereur Charles VI. qui étoit grand musicien, & composoit très-bien, se plaisoit beaucoup à faire & chanter des canons. L'Italie est encore pleine de fort beaux canons qui ont été faits pour ce prince par les meilleurs maîtres de ce pays-là. (S)

* CANON, en Géométrie & en Algebre, signifie une regle générale pour la solution de plusieurs questions d'un même genre ; ce mot est aujourd'hui peu usité. On se sert plus communément des termes méthode & formule. Voyez METHODE & FORMULE.

CANON NATUREL DES TRIANGLES ; c'est une table qui contient tout ensemble, les sinus, les tangentes, & les sécantes des angles ; on la nomme de la sorte, parce qu'elle sert principalement à la résolution des triangles. Voyez TRIANGLE.

CANON ARTIFICIEL DES TRIANGLES ; c'est une table où se trouvent les logarithmes des sinus & des tangentes, &c. Voyez SINUS, TANGENTE, LOGARITHME.

CANON, dans l'art militaire, est une arme à feu de fonte ou de fer, propre à jetter des boulets de plomb ou de fer.

Le mot de canon semble venir de l'Italien cannone, qui vient de canna, canne, parce que le canon est long, droit, & creux comme une canne.

Les premiers canons ont été appellés bombardes. Voyez BOMBARDE. On leur a aussi donné des noms terribles, pareils à ceux que les anciens donnoient à leurs machines de guerre ; tels sont ceux de coulevrine, qui vient du nom de couleuvre ; de serpentine. de basilic, & d'autres semblables. Ces noms leur furent donnés à cause de la figure de ces animaux que l'on représentoit sur ces sortes de pieces : les Espagnols par dévotion leur donnoient quelquefois des noms de saints, témoins les douze apôtres que l'empereur Charles-Quint fit faire à Malaga pour son expédition de Tunis.

Les principales parties du canon sont Planche V. de l'Art milit. fig. 4, 5, & 6. 1°. La culasse A avec son bouton ; elle n'est autre chose que l'épaisseur du métal du canon depuis le fond de sa partie concave jusqu'au bouton, lequel termine le canon du côté opposé à sa bouche.

2°. Les tourillons I, qui sont deux especes de bras qui servent à soûtenir le canon, & sur lesquels il peut se balancer & se tenir à-peu-près en équilibre : je dis à-peu-près ; parce que le côté de la culasse doit l'emporter sur l'autre d'environ la trentieme partie de la pesanteur de la piece. Comme le métal est plus épais à la culasse que vers l'embouchure du canon, les tourillons sont plus près de sa culasse que de sa bouche.

3°. L'ame qui est toute la partie intérieure ou concave du canon. Elle est marquée dans la fig. 5. Pl. V. de l'Art militaire par deux lignes ponctuées.

Au fond de l'ame est la chambre, c'est-à-dire la partie qu'occupe la poudre dont on charge la piece. Voyez CHAMBRE.

Dans les pieces de 24 & de 16, on pratique au fond de l'ame une espece de petite chambre cylindrique a b, Pl. IV. de l'Art milit. fig. 5. & 6. qui peut contenir environ deux onces de poudre.

4°. La lumiere S, qui est une ouverture qu'on fait dans l'épaisseur du métal proche la culasse, & par laquelle on met le feu à la poudre qui est dans le canon. Elle se fait dans une espece de coquille qu'on construit sur la partie supérieure du canon.

Dans les pieces de 24 & de 16 livres de balle, la lumiere aboutit vers le fond des petites chambres cylindriques dont on vient de parler, comme c d, fig. 6. Elles ont pour objet d'empêcher que l'effort de la poudre dont le canon est chargé, n'agisse immédiatement sur le canal de la lumiere, ce qui peut le conserver plus long-tems. Suivant l'ordonnance du 7 Octobre 1732, la lumiere des pieces de canon, mortiers, & pierriers, doit être percée dans le milieu d'une masse de cuivre rouge, pure rosette, bien corroyée ; & cette masse doit avoir la figure d'un cone tronqué renversé. Voyez LUMIERE.

5°. Les anses H, qui sont deux especes d'anneaux de même métal que la piece, placés vers les tourillons du côté de la culasse, auxquels on donne la figure de dauphins, de serpens, & autres animaux ; ces anses servent à passer des cordages par le moyen desquels on éleve & on fait mouvoir le canon. Lorsqu'il est suspendu à ces cordages, il doit être en équilibre, c'est-à-dire que la culasse ne doit point l'emporter sur la bouche.

NOMS DES AUTRES PARTIES DU CANON.

B, plate bande & moulures de la culasse. C, champ de la lumiere. D, astragale de la lumiere. E, premier renfort. F, plate-bande & moulures du premier renfort. L, ceinture ou ornement de volée. M, astragale de la ceinture. N, volée. O, l'astragale du collet. P, collet, avec le bourrelet en tulipe. Q, couronne avec ses moulures. R, bouche.

Composition du métal du canon. Le métal ou la fonte dont on se sert pour les canons, est composée de rosette ou cuivre rouge, de laiton ou cuivre jaune, & d'étain. (Q)

* On n'est pas encore d'accord sur la quantité proportionnelle des métaux qui doivent entrer dans la composition destinée à la fonte des canons. Les étrangers mettent 100 livres de rosette ; 10 & même 20 livres d'étain, & 20 livres de laiton.

On prétend que les Keller mêloient à 10 milliers de rosette 900 livres d'étain & 600 livres de laiton.

L'étain est très-propre à empêcher les chambres ; mais comme il est mou, les lumieres durent d'autant moins qu'on en a plus employé.

Le sieur Bereau fondeur, prétend que quand on est obligé d'employer de vieilles pieces de métal bas, le fondeur doit demander sur 100 livres de ce métal 25 livres de bon cuivre & 5 livres d'étain.

D'autres prennent un tiers de rosette, un quart de laiton ou vieux métal, & un dix-septieme d'étain.

Il faut à chaque fonte mettre dix livres de vieux-oing, sur 5000 livres de métal.

On a soin de purifier le cuivre, l'étain, & le plomb. Pour cet effet on prend une once de cinnabre, quatre onces de poix noire, une once & demie de racine de raifort seche, seize onces d'antimoine ; quatre onces de mercure sublimé, six onces de bol d'Arménie, & vingt onces de salpetre. On met tout en poudre séparément, puis on mêle. On arrose ensuite de deux livres de l'eau-forte suivante : Prenez deux livres de vitriol, deux onces de sel ammoniac, douze onces de salpetre, trois onces de verd-de-gris, huit onces d'alun : mettez en poudre séparément, mêlez & distillez.

Mettez deux parties de cette eau-forte sur trois parties de la poudre précédente dans une terrine sur le feu, remuant bien, & laissant évaporer l'eau jusqu'à dessication.

Cela préparé, fondez 94 livres de rosette, avec 6 de laiton ; & avec autant d'étain : laissez le tout quelque tems en fusion, le remuant de tems en tems avec un bâton ferré & entortillé de haillons trempés dans le vieux-oing.

Au bout d'un quart-d'heure, sur les 103 livres de métal mettez deux onces de la poudre susdite. Pour cet effet renfermez ces deux onces dans une boîte : attachez cette boîte à une verge de fer, & plongez-la au fond du métal, remuant jusqu'à ce qu'il ne s'éleve plus de fumée blanche. Laissez encore le tout en fusion pendant une demi-heure, au bout de laquelle vous pouvez jetter en moule.

A l'égard des canons de fer, on les construit de la même maniere que les autres. Ils ne sont pas capables de la même résistance que ceux de fonte ; mais comme ils coûtent beaucoup moins, on s'en sert sur les vaisseaux, & même dans différentes places de guerre.

Les canons sont de différentes grandeurs, & ils chassent des boulets plus ou moins gros, suivant leur ouverture.

On faisoit autrefois des canons qui chassoient des boulets de 33, de 48, & même de 96 livres de balle : mais suivant l'ordonnance du 7 Octobre 1732, il ne doit être fondu en France que des pieces de 24, qui sont les plus grosses ; ensuite de 16, de 12, de 8, & de 4, c'est-à-dire des pieces qui chassent des boulets de 24 livres, de 16 livres, &c. car le canon porte ordinairement le nom de la pesanteur du boulet qu'il peut chasser. Ainsi une piece de 24, est un canon qui tire un boulet de 24 livres, & de même des autres pieces.

On désigne encore les pieces de canon par le diametre de leur bouche, qu'on nomme ordinairement leur calibre. Voyez CALIBRE. On doit le diviser en 36 parties, suivant l'ordonnance du 7 Octobre 1732, pour déterminer par ces parties les dimensions des différentes moulures du canon.

On joint ici la table de toutes les dimensions des pieces des cinq calibres suivant cette ordonnance.

Table des dimensions des pieces de canon des cinq calibres.

L'ordonnance de 1732 assujettit tous les Fondeurs à suivre le même profil ou les mêmes moulures dans les différentes pieces des cinq calibres : on joint ici la table des dimensions de ce profil, qui accompagne cette ordonnance. On y suppose le calibre de chaque piece divisé en 36 parties égales : ce sont ces parties qui serve nt à exprimer ou donner les différentes dimensions de ce profil général.

Table des dimensions des moulures d'une piece de canon, exprimées en parties de son calibre divisé en 36 parties égales.

Maniere de faire les moules du canon & de les fondre.

* Avant tout, il est à propos d'avoir les terres toutes préparées. La premiere qu'on employera sur la natte, ainsi qu'il sera dit ci-après, sera de la terre grasse détrempée avec de la poudre de brique : la quantité de la poudre de brique dépend de la bonté de la terre grasse.

La seconde terre qui servira pour le moule, sera pareillement de la terre grasse bien battue, avec de la siente de cheval & de la bourre ; la quantité de fiente de cheval dépend aussi de la qualité de la terre.

La troisieme, nommée potée, dont on se servira pour commencer la chape du moule, sera de la terre grasse très-fine & passée au tamis, mêlée de fiente de cheval, d'argille, & de bourre. La terre grasse, l'argille & la fiente de cheval se mettront en parties égales avec un tiers de bourre.

La quatrieme, qui s'appliquera sur la potée, sera de la terre grasse avec fiente de cheval & bourre, dans la proportion ci-dessus.

Il y a une façon de faire une potée, qui sera meilleure que la précédente. Prenez une demi-queue de terre à four, deux seaux de fiente de cheval : mêlez le tout dans un tonneau avec de l'eau commune, & l'y laissez plusieurs jours, au bout desquels faites des gâteaux de ce mélange : faites sécher ces gâteaux : pilez les bien menus : mettez cette poudre à détremper avec de l'eau de fiente de cheval, broyez-la ainsi détrempée avec une molette, sur une pierre à broyer les couleurs. Quand elle sera bien broyée, ajoutez-y environ un litron de céruse pilée & passée au tamis de soie : rebroyez le mélange à la molette avec de l'urine, puis ajoûtez une douzaine de blancs d'oeuf.

Pour faire l'eau de fiente de cheval dont on vient de parler, remplissez un tonneau de cette fiente : jettez dessus de l'eau jusqu'à ce que l'eau surnage ; laissez tremper quelque tems, & vous aurez l'eau de fiente.

Quand à la terre qu'on employera sur cette potée, on la composera d'un muid de terre grasse, de quatre seaux de fiente de cheval, & d'autant de forte urine qu'il en faudra pour détremper la terre & la bourre, & battre le tout ensemble.

On prend une piéce de bois de sapin, bien droite & à plusieurs pans, ou même toute unie & plus longue que la piece ne peut être, c'est-à-dire de 12 piés & plus : cette piece de bois s'appelle trousseau. On couche ce trousseau tout de son long, & l'on en appuie les bouts sur des tréteaux ou chantiers. V. Pl. I. Fonderie des canons, figure 1. Le trousseau de bois A sur des chantiers B B. La partie C du trousseau s'appelle le moulinet : ce moulinet sert à tourner le trousseau lorsqu'on y met la natte, & que l'on applique la terre qu'on doit former par son enduit le moule ou la chape.

On graisse le trousseau avec du vieux-oing : on roule par-dessus, & l'on attache avec deux clous une natte de paille qui couvre le trousseau, & qui lui donne une grosseur relative à celle que doit avoir la piece de canon. Voyez même figure, cette natte sur le trousseau.

Sur cette natte ou applique plusieurs charges ou couches d'une terre grasse détrempée avec de la poudre de brique, & l'on commence à former un modele de canon.

On met ensuite une autre couche, dont la terre est bien battue & mêlée avec de la bourre & de la fiente de cheval : on en garnit le modele, jusqu'à ce qu'il soit de la grosseur dont on veut la piece.

En appliquant toutes ces couches de terre, on entretient toûjours sous le trousseau un feu de bois ou de tourbes, suivant les lieux, afin de faire sécher la terre plus promtement.

Après cela on fait toutes les parties de la piece, comme le bourrelet, le collet, les astragales, les renforts, les plates-bandes, &c. ce qui se fait d'une maniere fort simple, & néanmoins fort ingénieuse.

Lorsque la derniere terre appliquée est encore toute molle, on approche du moule, qui est brut, ce que l'on appelle l'échantillon : c'est une planche de douze piés ou environ, dans laquelle sont entaillées toutes les différentes moulures du canon : on assûre cette planche bien solidement sur les deux chantiers, ensorte qu'elle ne puisse recevoir aucun mouvement.

On tourne après cela à force le moule contre l'échantillon par le moyen de petits moulinets qui sont à l'une de ses extrémités : le moule frottant ainsi contre les moulures de l'échantillon, en prend l'impression, ensorte qu'il ressemble entierement à une piece de canon finie dans toutes ses parties.

A la fonderie de Paris, au lieu des terres susdites on employe du plâtre bien fin : mais ce plâtre a un inconvénient, c'est de se renfler inégalement, ce qui rend la surface des pieces moins parfaite ; ce qu'on pourroit corriger en finissant le moule un peu plus menu, laissant faire au plâtre son effet ; le rechargeant ensuite avec du suif, & le repassant à l'échantillon jusqu'à ce qu'il eût la grosseur requise.

Voyez Planc. XI. de l'Art milit. fig. 1. le trousseau de bois A posé sur les chantiers B B. C, est le moulinet du trousseau. D, est l'échantillon de bois arrêté sur des chantiers garnis de fer du côté du moule de la piece, qui sert à former les moulures sur la terre molle qui couvre le trousseau, à mesure qu'on tourne par le moulinet que l'on voit au bout du trousseau. E, est le moule de terre sur le trousseau, que l'on tourne par le moulinet pour lui imprimer les moulures marquées sur l'échantillon.

Lorsque le moule du canon est formé avec ses moulures, on lui pose les anses, les devises, les armes, le bassinet, le nom, l'ornement de volée ; ce qui se fait avec de la cire & de la térébenthine mêlées, qui ont été fondues dans des creux faits de plâtre très-fin, où ces ornemens ont été moulés.

Les tourillons se font ensuite ; ce sont deux morceaux de bois de la figure que doivent avoir les tourillons, on les fait tenir au moule avec deux grands clous. Il faut avoir soin de renfler les renforts avec de la filasse ; car faute de cette précaution, ils sont creux à cause des moulures qui saillent.

Après avoir ôté le feu de dessous le moule, on le frotte partout avec force suif, afin que la chape qui doit être travaillée par-dessus, pour le couvrir, ne s'y attache point. On passe ensuite le moule par l'échantillon, pour faire coucher le suif également partout.

Cette chape se commence d'abord par une couche ou chemise de terre grasse, mais très-fine, qui s'appelle potée. On a déjà dit que cette potée est une terre passée & préparée avec de la fiente de cheval, de l'argille, & de la bourre.

On laisse sécher la premiere couche sans feu, ce qui s'appelle à l'ombre.

Quand elle est seche, on met par-dessus d'une terre plus grasse, mêlée aussi de bourre & de fiente de cheval : la proportion est demi-livre de terre, demi-livre de fiente de cheval, & un tiers de bourre ou environ. Quand c'est d'une certaine terre rouge comme celle qui se prend à Paris auprès des Chartreux, elle suffit seule en y mêlant un peu de bourre.

Après que la chape a pris une épaisseur de quatre pouces, & qu'elle a été bien séchée au feu, on tire les clous qui arrêtoient les anses & les tourillons, on en bouche les entrées avec de la terre, puis l'on bande ce moule, ainsi bien couvert de terre, avec de bons bandages de fer passés en long & en large & bien arrêtés : par-dessus ce fer on met encore de la grosse terre.

La chape des gros moules a ordinairement cinq ou six pouces d'épaisseur.

Quand le trou est bien sec, on ôte les clous de la natte, on donne quelques coups de marteau sur les extrémités du trousseau : lequel étant plus menu par un bout que par l'autre, ce que l'on appelle être en dépouille, se détache insensiblement du milieu du moule qu'il traverse de bout en bout ; & en retirant ce trousseau, la natte vient à mesure, & se défile avec beaucoup de facilité.

Ce moule ainsi vuidé par dedans, on le porte tout d'un coup dans la fosse qui est devant le fourneau, & où le canon doit être fondu.

L'on jette force bûches allumées dans ce moule jusqu'à ce qu'il soit parfaitement sec ; & c'est ce qu'on appelle le mettre au recuit.

L'ardeur du feu opere deux effets : elle fond le suif qui sépare la chape d'avec le moule ; & elle seche en même tems les terres de ce moule, de maniere qu'on les casse facilement avec des ferremens, afin qu'il ne reste en entier que la chape seule, laquelle dans son intérieur a conservé l'impression de tous les ornemens faits sur le moule.

A la place du moule que l'on vient de détruire ; l'on met une longue piece de fer qu'on appelle le noyau. Voyez NOYAU. Elle se pose très-juste dans le milieu de la chape, afin que le métal se répande également de côté & d'autre.

Le noyau est couvert d'une pâte de cendres bien recuite au feu comme le moule, & arrêtée avec du fil-d'archal, aussi bien recuit, le long & à-l'entour par trois fois en spirale, couche sur couche, jusqu'à la grosseur du calibre dont doit être l'ame de la piece, ensorte qu'il reste un espace vuide entre le noyau & le creux de la chape qui doit être rempli par le métal ; ce qui fait l'épaisseur de la piece. Cette précaution de couvrir ce noyau, s'observe pour empêcher que le métal ne s'attache, & pour pouvoir ensuite le retirer aisément du milieu de la piece ; comme en effet on l'en tire quand la piece est fondue.

Pour faire tenir ce noyau bien droit, on le soûtient du côté de la culasse par des barreaux d'acier passés en croix, c'est ce qu'on appelle le chapelet. Voyez CHAPELET. Du côté de la bouche de la piece, le noyau est soûtenu par une meule faite de plâtre & de tuiles, dans laquelle passe le bout opposé au chapelet.

Lorsque le noyau est placé, on attache la culasse au moule. Cette culasse est faite à part, de la même composition & de la même matiere que le moule du corps de la piece. Elle est aussi bien bandée de lames de fer, & elle s'enchâsse proprement au bout du moule, où elle s'accroche avec du fil-d'archal aux crochets des bandages de la chape.

On coule ordinairement les pieces de la culasse en bas, & on laisse au bout du moule qui est en-haut, un espace vuide d'environ deux piés & demi de haut, lequel sert à contenir la masselotte, c'est-à-dire l'excédent du métal de la piece, qui pese quatre milliers au moins : ce poids fait serrer le métal qui compose la piece, & il le rend moins poreux & moins sujet à avoir des chambres.

F, dans la fig. 1. de la Pl. II. de l'Art milit. représente le noyau. G, dans la même figure, est une coupe du noyau recouvert de pâte de cendre pour former le calibre de la piece. H, est le chapelet de fer qui se met à l'extrémité de l'ame de la piece pour assembler la piece avec la culasse. I, est le profil du moule recouvert de ses terres, & retenu par des bandages de fer. KK, dans la fig. 2. toujours même Pl. II. est l'épaisseur de la terre, qui forme la chape du moule. LL, est la chape de la culasse qui s'assemble au corps de la piece par le chapelet, comme les lignes ponctuées le font voir. MM, est l'espace vuide pour recevoir le métal entre la chape & le noyau. NN, est le noyau tel qu'il est posé dans le moule : on l'en fait sortir lorsque la piece est fondue. OO, est la masselotte ou l'excédent de la matiere, que l'on scie au bout de la volée à l'endroit qui est ponctué. P, est le passage où ce métal s'écoule dans le moule. Q, est le moule recouvert de ses terres & bandages, tel qu'il est dans la fosse où on le met pour fondre la piece.

Supposons qu'on veuille fondre plusieurs pieces à la fois, au haut du moule sont disposés plusieurs tuyaux creux & godets de terre répondant à l'intérieur du corps du moule, par où le métal doit couler ; & l'on laisse aussi plusieurs tuyaux pour servir d'évent. Quand tout est bien préparé, la fosse se remplit de terre bien seche que l'on bat avec grand soin couche sur couche autour du moule jusqu'en haut, les godets, tuyaux, & évents surpassant de quelques pouces l'air ou la superficie du dessus de la fosse. On forme des rigoles tout-au-tour avec une terre grasse que l'on seche parfaitement : elles se nomment échenos, & servent à conduire le métal du fourneau dans le moule des pieces. Saint-Remy. (Q)

* Le fourneau de cette fonderie ne differe presqu'en rien du fourneau de la grande fonderie en bronze. Voyez l'article de cette fonderie. Il y a à ses fondations voûte sous la chauffe, & voûte sous le fourneau, avec évent, pour donner sortie à la fumée. Il y a au rez-de-chaussée des âtres de fer pour remuer le métal en fusion, avec une ouverture pour jetter le bois dans la chauffe : cette ouverture se bouche avec une pelle de fer. Voyez Planc. II. de la fonderie dont il s'agit ici, une coupe du fourneau par le milieu sur les âtres de fer, fig. 3. BB, évents de dessus le fourneau. GG, âtres de fer par où l'on remue le métal. LL, ouvertures par où l'on tire les crasses. M, chauffe. P, voûte sous le fourneau. La fig. 4 de la même Planche, est une autre coupe du même fourneau perpendiculaire à la précédente, & par la chauffe. Q : évent pour la fumée. OO, voûte sous la chauffe. N, grille. G, âtres de fer. K, la chauffe. L, ouverture pour remuer le métal. M, le fourneau, ZZ, bâtis de charpente pour descendre les moules & remonter les pieces fondues. V, X, Y, bascule pour lever & baisser la porte du fourneau par où l'on remue le métal. Fig. 5. cette porte vue séparément. X, la porte. V, la bascule Y, le boulet qui fait hausser & baisser.

Quand le métal est chaud à un certain degré connu par le fondeur, c'est-à-dire fort fluide & non empâté, à quoi l'on employe ordinairement 24 ou 30 heures ou environ, observant de tenir les morceaux de rosette dans le fourneau élevés sur des grès, & ne posant pas sur l'âtre ; on dispose des hommes qui tiennent des pinces ou écluses de fer sur tous les trous qui communiquent dans les moules, afin que quand le métal vient à sortir du fourneau, il remplisse également toutes les rigoles, & qu'il soit également chaud en descendant dans toutes les parties du moule.

On débouche le trou du fourneau avec une longue & grosse piece de fer pointue appellée la serriere. Ce trou est fermé en-dedans avec de la terre grasse. Aussi-tôt qu'il est ouvert, le métal tout bouillonnant sort avec impétuosité, & il remplit toutes les rigoles : alors les hommes qui tiennent les petites écluses de fer sur les trous, les débouchent deux à deux, & à mesure que les trous se remplissent, ils se retirent ; & le métal tombant avec rapidité dans le moule, forme la piece.

Pour éviter les soufflures que le métal forme dans son bouillonnement & dans la chûte précipitée qui presse l'air dans les canaux, les Keller avoient imaginé un tuyau qu'ils disposoient à côté de leur moule : le métal entroit par ce tuyau ; & comme il faisoit le chemin de descendre avec violence au fond de ce tuyau, qui avoit un trou pour communiquer dans le moule, il remontoit dans le moule par ce trou, de la même maniere que l'eau qu'on verse dans une branche d'un siphon, remonte dans l'autre : par-là il chassoit l'air devant lui, & il étoit moins à portée d'en conserver des parties. Mais l'usage de ces habiles Fondeurs sur ce point, n'a pas été généralement suivi.

Les moules & les fontes des mortiers & des pierriers se font de la même maniere que pour le canon.

Lorsque les moules sont retirés de la fosse, on les casse à coups de marteau pour découvrir la piece qu'ils renferment. La figure se montre ensuite ; & comme elle est brute en plusieurs endroits, on se sert de ciseaux bien acérés & de marteaux, pour couper toutes les superfluités & les jets du métal ; & avec le tems, on donne à la piece toute la perfection que l'on veut. Lorsqu'elle commence à avoir une forme un peu réguliere, ce qui s'appelle être décrottée, on la met à l'alésoir pour lui donner le calibre qu'elle doit avoir. Voyez ALESOIR. On perce ensuite sa lumiere avec une espece de foret particulier : après quoi on fait l'épreuve de la piece. Voyez EPREUVE. Mémoires d'Artillerie par Saint-Remy.

On n'a pas toûjours fondu le canon avec un noyau ou un vuide dans le milieu : il y a eu des Fondeurs qui l'ont coulé massif ; on voit même dans les mémoires de M. de Saint-Remy, la figure de la machine dont ils se servoient pour former l'ame de la piece. Cette méthode fut abandonnée, suivant cet auteur, pour revenir à l'ancienne : mais le sieur Maritz a obtenu depuis quelques années la permission de fondre les pieces massives. On prétend qu'il a inventé une machine plus parfaite que celle dont il est fait mention dans les mémoires de M. de Saint-Remy, pour les forer. Voyez NOYAU.

Lorsque la piece se coule massive, le moule se forme de la même maniere que s'il devoit avoir un noyau. On ne fait que supprimer ce noyau.

On joint ici une table de ce que le Roy paye actuellement en France pour la façon des pieces de canon dans les différens arsenaux du royaume : le prix des pieces de la fonderie de Strasbourg est plus considérable que celui des autres, parce qu'elles y sont coulées massives & forées avec la machine du Sr. Maritz.

Table du prix des façons des pieces de canon en France.

Les métaux sont fournis par le Roi aux commissaires des fontes ; il leur est accordé dix pour cent de déchet sur tous les métaux qu'ils livrent en ouvrages neufs, faits, parfaits, & reçus.

Le Roi fournit aussi les outils & ustenciles de fonderie : mais les commissaires des fontes sont chargés de pourvoir à leurs frais au radoub & à l'entretien des outils & ustensiles qui leur sont remis en bon état, & dont on les charge par un inventaire en bonne forme.

Le Roy paye à Doüay & à Perpignan 3 sous, à Lyon & à Strasbourg 3 sous 6 deniers de façon pour chaque livre de métal pesant, pour les petits ouvrages, comme poulies, boîtes à roüage, mortiers & pilons pour compositions, boîtes à signaux, & autres petits ouvrages à l'usage de l'Artillerie.

Les pieces de canon, mortiers, & pierriers, sont portés au lieu destiné pour leur épreuve, & rapportés dans les fonderies aux dépens du Roi, à l'exception des pieces qui sont rebutées, que les commissaires des fontes sont obligés de faire rapporter à leurs frais & dépens.

Dans les cas pressans, & lorsqu'il est ordonné aux commissaires des fontes de ne point réparer les pieces, ils sont tenus de les livrer brutes ; & alors il leur est rabattu 50 livres par piece de 24, de 16 & de 12, & 25 livres pour chacune piece de calibre inférieur, ainsi que pour les mortiers & pierriers. Mémoires d'Artillerie de Saint-Remy, troisieme édition. (Q)

* Lorsque la piece est finie, on perce la lumiere : pour cet effet, on renverse la piece de côté, de maniere qu'un des tourillons soit tourné vers la terre. Elle est posée sur des chantiers, l'endroit où se doit percer la lumiere correspondante à la pointe du foret quand il est monté sur la bascule, comme on voit Planche I. fig. 2.

Suivant l'ordonnance du 7 Octobre 1732, le canal de la lumiere doit être pratiqué dans le milieu d'une masse de cuivre rouge, pure rosette, bien écroüi, & qu'on a placé dans le moule à la place où devoit être faite la lumiere. On a préféré le cuivre rouge à la matiere même du canon, parce qu'il résiste davantage à l'effort de la poudre.

La lumiere doit être percée de maniere qu'elle forme un angle obtus de 100 degrés avec l'extérieur de la piece vers la volée. C'est à quoi l'ouvrier doit faire attention en perçant, afin de diriger son foret convenablement.

Dans les pieces de 12, le canal de la lumiere doit aboutir à 8 lignes du fond de la lumiere. Dans celle de 8 à 7 lignes, & dans celle de 4 à 6 lignes.

Dans celles de 24 & de 16 où il y a de petites chambres, à 9 lignes du fond de la petite chambre dans celle de 24, & à 8 lignes dans celle de 16.

Le foret dont on se sert est le même que celui des Serruriers ; sa partie tranchante est seulement en langue de serpent.

Comme la force d'un homme ne seroit pas suffisante pour pousser le foret & le faire mordre, on se sert de la machine qu'on voit fig. 1 ; elle s'appelle bascule ; & s'en servir, c'est forer à bascule.

La palette G est tenue fortement appliquée au foret par le levier A B C & le poids D.

* Quand la lumiere est faite, on procede à l'épreuve : pour cet effet on choisit un lieu terminé par une bute de terre assez forte pour arrêter le boulet,

On place la piece à terre sur un chantier, & on la tire trois fois. La premiere charge de poudre est de la pesanteur du boulet. Après la premiere épreuve, on y brûle encore un peu de poudre en-dedans pour la flamber ; on y jette de l'eau sur le champ ; on bouche la lumiere ; on presse cette eau avec un écouvillon ; & l'on examine si elle ne s'échappe par aucun endroit.

On prend ensuite le chat : c'est un morceau de fer soit à trois, soit à deux griffes, comme on le voit fig. 3. 4. 5. du calibre de la piece que l'on conduit partout pour trouver les chambres. On ne peut user de la bougie que pour les petites pieces, la fumée l'éteignant dans les grandes.

On n'éprouve les pieces de la nouvelle invention qu'avec une charge de poudre des trois quarts du poids du boulet.

On substitue quelquefois au boulet des cylindres de terre grasse du calibre de la piece, & d'environ deux piés de long.

Le chat de la fig. 5 est à l'usage de toute sorte de pieces, par la commodité qu'on a d'étendre ou de resserrer ses griffes par le moyen de l'anneau dans lequel elles sont passées, & du ressort qui est placé entr'elles.

Quand on s'est assûré par le chat qui se trouve arrêté dans l'intérieur de la piece, qu'il y a chambre, on connoît la profondeur de la chambre de la maniere suivante : on prend le chat simple de la fig. 3. on éleve sur sa place de la terre glaise jusqu'à la hauteur du bout de la griffe ; vous conduisez votre griffe dans cet état dans la chambre ; vous l'y faites entrer le plus que vous pouvez : quand elle y est bien enfoncée, vous retirez votre chat ; les bords de la chambre appuient contre la glaise, & la détachent de la griffe ; & la partie découverte de la griffe marque la profondeur de la chambre.

* L'on met des grains aux lumieres des pieces, en les alésant d'un trou d'environ deux pouces ; cela fait, on fait couler par la bouche du canon de la cire au fond de l'ame, lorsque l'épaisseur de derriere de la culasse n'est pas assez considérable. On met sur cette cire du sable un peu moite : on le frappe avec un refouloir jusqu'à la hauteur des anses ; on fait chauffer la piece ; on place au-dessus un écheno de terre ; la piece est à deux piés au-dessous de l'écheno qui y conduit le métal. Il y a dans le fourneau à-peu-près 800 livres de métal. On pratique un gros jet pour la lumiere ; elle s'abreuve de métal par ce jet ; on la laisse refroidir : on lui enleve ce qu'il y a de trop, & on fore une nouvelle lumiere.

Banii, fondeur polonois, s'y prend autrement : il creuse la lumiere en écrou avant que d'y couler le métal ; le métal s'engage si bien dans ces tours ou pas d'écrou, qu'il n'en peut être chassé.

On a proposé d'autres moyens que les précédens pour mettre des grains, mais ont qui tous leurs inconvéniens. M. Gor, commissaire des fontes de Perpignan, en proposa un en 1736, par le moyen duquel le grain se met à une piece en moins de quatre heures sans la démonter : l'essai s'en fit le 2 Mai, & il fut heureux.

Lorsqu'on refond des pieces, il s'agit de les mettre en tronçons pour les jetter dans le fourneau ; pour cela, on fait une rainure à la piece dans l'endroit où l'on veut la couper avec une tranche & le marteau ; puis on fait une maçonnerie seche de quatre briques d'épaisseur : on y place la piece en équilibre ; on remplit de charbon allumé la maçonnerie ; on fait chauffer la piece jusqu'à lui donner la couleur de cerise ; puis on éleve un gros poids avec la chevre, qu'on laisse retomber à plomb sur la piece qui en est brisée.

* Des lavures. Dans les lieux où l'on fond & où on alese les canons, il reste des grains, des sciures, & autres pieces de métal mêlées avec les ordures. Il en reste aussi dans les fourneaux, attachées au fond de l'âtre, qu'on appelle gâteau. La maniere de séparer ces portions métalliques s'appelle laver ; & ces portions métalliques séparées s'appellent lavures. Pour laver, on fait passer le ramas de matieres hétérogenes tirées de l'attelier de l'alésoir des terres de la Fonderie, &c. par plusieurs eaux ; & on met au moulin ce qui sort des eaux. Il y a deux sortes de moulins ; la premiere n'a rien de particulier, elle ressemble aux moulins à cidre. C'est une meule de fer coulé d'environ trois piés de diametre, sur quinze pouces d'épaisseur, posée verticalement sur une cuvette coulée aussi de fer, & assise sur une maçonnerie. Les rebords de la cuvette ont six pouces de haut : un levier passe au centre de la meule, la traverse, & se rend dans un arbre vertical mobile sur lui-même, & soûtenu par en haut dans une solive où entre son tourillon, & par en bas sur une crapaudine placée au centre de la cuvette. Deux hommes s'appliquent au levier, & font tourner avec l'arbre la meule qui écrase les lavures : quand elles sont bien écrasées on les relave, puis on les fond pour les mettre en saumon. Il y a une autre sorte de moulin qu'on voit Planche II. de la Fonderie des canons.

B B, baquet à laver les lavures.

C C, pilons qui écrasent dans l'auger D D les lavures.

A, arbre qui meut les pilons.

E, grande roue mûe par des hommes.

F, lanterne qui fait mouvoir la roue E.

G, autre lanterne fixée sur le même arbre que la lanterne F, & qui fait mouvoir l'arbre A, qui fait hausser les pilons C, C, C ; d'où l'on voit que cette machine à laver n'est autre chose que celle à bocarder des grandes fonderies & usines placées aux environs des mines.

Les lavures sont portées, comme nous avons dit, au fourneau d'affinage, qu'on voit fig. 3. même Pl.

F, fourneau.

G H, espece de rigole où l'on jette la matiere & le charbon pêle-mêle.

I, un soufflet.

K, levier à mouvoir le soufflet.

Voilà tout ce qui peut concerner la fonte des canons. Pour l'entendre bien parfaitement, il ne seroit pas hors de propos d'en faire précéder la lecture par celle de la fonte des grandes statues en bronze. Voy. BRONZE. Quant à la maniere de charger le canon, voyez CHARGE ; & pour celle de le mettre en situation nécessaire pour que le boulet atteigne dans un lieu désigné, voyez POINTER.

On croit que l'on n'a commencé à se servir de canons qu'en 1350 sur la mer Baltique ; quoi qu'il en soit, il est certain qu'ils furent employés en 1380 pendant la guerre des Vénitiens avec les Génois. Six ans après, il en passa quelques-uns en Angleterre sur deux vaisseaux françois pris par ces insulaires. Les Anglois en firent de fer au commencement du xvj. siecle. (Q)

CANON de la nouvelle invention ou à l'Espagnole : on appelloit ainsi des pieces imaginées vers la fin du siecle dernier, qui avoient une chambre au fond de l'ame en forme de sphere un peu applatie. Ces canons étoient donc plus courts que les autres.

L'objet qu'on s'étoit proposé dans cette invention, étoit de chasser le boulet dans un canon plus court, moins pesant, & par conséquent plus aisé à transporter que les anciens, avec la même force que dans les canons ordinaires.

Pour cela on faisoit aboutir la lumiere à-peu-près vers le milieu de la chambre sphérique, afin qu'il s'enflammât une plus grande quantité de poudre à la fois, que lorsque l'ame du canon étoit par-tout uniforme.

L'expérience a prouvé la réussite de ce qu'on s'étoit proposé dans la construction de ces sortes de pieces ; car quoique beaucoup plus courtes que les anciennes, & avec une moindre quantité de poudre, elles produisoient les mêmes effets, mais comme il étoit difficile de nettoyer leur capacité intérieure après que la piece avoit tiré, il y restoit assez souvent du feu qui produisoit de fâcheux accidens aux canoniers chargés du service de ces pieces, surtout lorsqu'ils étoient obligés de tirer promtement. D'ailleurs la poudre, avant de sortir de la chambre, agissoit de tous côtés avec une si grande impétuosité, qu'elle brisoit les affûts, ou du moins qu'elle les mettoit en très-peu de tems hors de service ; elles avoient aussi par une suite nécessaire de ce grand mouvement, beaucoup de recul & très-peu de justesse dans leurs coups. Toutes ces considérations ont fait abandonner l'usage de ces pieces, malgré leurs avantages particuliers, & l'on a même fait refondre la plûpart de celles qui se trouvoient dans les arsenaux & dans les places. Voy. une de ces pieces de 24 liv. de balle ; Planche IV. de l'Art. milit. fig. 1. L'échelle qui est dessous en fera connoître les principales dimensions. Et Pl. II. fig. 1. & fig. A, B, C, D, l'affût du capitaine espagnol avec ses dimensions. Il servira du moins à faire connoître le canon & l'affût dans tout le détail de ses parties. (Q)

Proportions de la piece de huit livres de balle, & de son affût, roue, & avant-train de la nouvelle invention du capitaine espagnol.

Proportion de la piece de huit livres de balle.

Proportion de l'affût de la piece de huit livres, de la nouvelle invention du capitaine espagnol.

PREMIERE FIGURE.

Proportion des ferrures de l'affût de huit.

PREMIERE FIGURE.

A l'égard de la maniere de voiturer le canon & de le soûtenir, voyez AFFUST.

Pour ce qui concerne la méthode de le charger, voyez CHARGE.

CANON à la suédoise ; c'est une piece de quatre livres de balle de nouvelle invention. Dans l'épreuve de deux de ces pieces fondues à l'arsenal de Paris en 1740, on a aisément tiré dix coups par minute. Ces pieces ne pesent qu'environ 600 ou 625 livres, ce qui les rend d'un transport très-aisé dans toutes sortes de terreins. On assûre que Mr. Dubrocard, tué à Fontenoy, s'en est servi très-avantageusement en Boheme. (Q)

* CANON de fusil, (Arts méchaniques) Le canon d'un fusil en est la partie principale. C'est ce tube de fer dans lequel on met la poudre & le plomb, & qui dirige le coup où l'on veut qu'il atteigne. Il ne paroit pas au premier coup-d'oeil que ce soit un ouvrage difficile, que celui d'un bon canon ; cependant il demande pour l'exécution des précautions, & de l'expérience. Sans les précautions, le canon péchant par la matiere, celui qui s'en servira sera exposé à en être estropié, ou peut-être même tué : sans l'expérience, la matiere sera bonne ; mais étant mal travaillée, celui qui se servira de fusil, sera peu sûr de son coup, à moins que par une longue habitude de son arme, il ne parvienne à en connoître & corriger le défaut. Il y a des canons qui ne portent qu'à peu de distance ; d'autres portent, ou trop bas, ou trop haut, ou à gauche, ou à droite. Il y en a qui ont le recul très-incommode. On peut inviter les Physiciens à tourner leurs vûes de ce côté, à s'instruire de la maniere dont on forge les canons de fusil, & à rechercher tout ce qui peut contribuer à la perfection & à la bonté de cette arme.

Une des principales attentions que doit avoir celui qui fait un canon de fusil, c'est de choisir de bon fer. Le meilleur pour cet usage doit être doux, liant & sans paille.

Il prendra environ six piés de barre de ce fer, de vingt-deux lignes de large, sur quatre lignes environ d'épaisseur. Cette barre pliée en trois, appellée par les ouvriers maquelle, sera chauffée, soudée, & bien corroyée sous le gros marteau, pour en former la lame du canon.

On entend par la lame, un morceau de fer plat, destiné à être roulé ou tourné sur une longue broche, & à former le tube ou canal du canon.

La broche fait ici la fonction d'une bigorne. C'est sur elle que se fait l'opération la plus délicate, celle de souder le canon, ou la lame roulée, selon toute sa longueur. On conçoit que si cette soudure peche en quelque endroit, l'effort de la poudre ne manquera pas d'ouvrir le canon dans cet endroit ; & que si le défaut se trouve malheureusement à la partie inférieure du canon qu'on appelle le tonnerre ; le moindre accident qui puisse en arriver à celui qui s'en sert, c'est d'avoir un bras, une main emportée. Il est des Arts dont la bonne police devroit interdire l'exercice à tout mauvais ouvrier, & où les bons ouvriers sont plus particulierement obligés à ne point faire de mauvais ouvrages. Un ouvrier en canon de fusil qui s'est négligé dans son travail, s'est exposé à un homicide. Il n'en est pas d'un canon de fusil ainsi que d'un couteau, d'un ciseau, d'une montre, &c.

Pour que la soudure soit bien faite, il est enjoint à l'ouvrier de donner les chaudes de deux pouces en deux pouces au plus. S'il les donnoit moins fréquentes & sur plus de longueur, quelques portions de matiere se refroidissant avant que d'être travaillées au marteau, ou ne souderoient point, ou souderoient mal.

Lorsque le canon aura été soudé sur la broche de l'un à l'autre bout, l'ouvrier observera avec attention, s'il n'y a pas resté d'éventures ou crevasses, ou de travers. Les travers sont des especes de crevasses transversales, qui viennent du défaut de la matiere. S'il y remarque quelqu'une de ces défectuosités, il rapportera en cet endroit des lames de fer enchassées en queue d'aronde, & au lieu de la troisieme chaude douce, il ressoudera le canon depuis un bout jusqu'à l'autre ; cette ressoudure est même très-bonne à pratiquer, soit qu'il y ait eu des éventures ou non. Elle achevera de resserrer les pores de l'étoffe, & de rendre le canon de bon service.

Cela fait le canon sera forgé. Il s'agit maintenant de le forer ; car on se doute bien que sa surface tant intérieure qu'extérieure au sortir de la forge, doit être très-inégale. Le canon sera foré par vingt forets au moins, qui augmenteront le calibre peu-à-peu ; mais au lieu de l'instrument appellé la mouche, qui a une espece de ramasse, & qui ne peut pas rendre un canon égal de calibre, il est ordonné de se servir d'une meche ou outil quarré de la longueur de douze à quatorze pouces, sur laquelle on appliquera une ételle de bois, qui couvrira les deux carnes de la meche ; à chaque fois que l'on passera la meche dans le canon, on rechaussera l'ételle de bois par une bande de papier mise entr'elle & la meche ; ce qui servira à enlever les traits du foret, & à rendre le canon égal dans l'ame, & du calibre prescrit.

Voyez Planche premiere de la fabrication des canons, la perspective d'une usine dont on voit le plan, Planche II. A est un bac qui se remplit d'eau par le moyen du tuyau ou de la cannelle B, qui aboutit par son autre extrémité dans un reservoir ou courant qui conduit de l'eau, dont la chûte sur les aubes d'une grande roue fixée sur l'arbre de la roue D, fait tourner cette roue. On a pratiqué deux rainures dans l'épaisseur de la roue D, propres à recevoir deux cordes ; l'une de ces cordes, après s'être croisée, se rend sur la poulie E, & la fait tourner. La poulie E, fixée sur l'arbre F, fait tourner cet arbre, & avec cet arbre, la roue G, la meule H & le quarré I, dans lequel est adapté le foret L. La roue G, porte une corde qui se croise & se rend sur la roue M ; la roue M, fait tourner l'arbre N, la meule O, le quarré P & le foret Q, qui y est adapté. Cet équipage forme la moitié d'une usine, telle que sont celles de St. Etienne en Forès. Si l'on imagine une corde qui passe sur la seconde rainure de la roue D, & qui se rende sur une roue placée de l'autre côté, & telle que la roue G, on aura l'usine entiere.

Chacune des roues M occupe deux ouvriers ; l'un s'appelle le foreur, l'autre le semeur. Le foreur est placé dans la fosse R ; il adapte dans le quarré P, le foret qui convient. Il applique son canon à ce foret. Le canon est porté dans une piece échancrée T, qui l'embrasse. Une fermeture S, le contient dans l'échancrure de la piece T. Le foreur dirige le canon, & fait succéder les forets les uns aux autres, jusqu'à ce que le canon soit du calibre qui convient. Le semeur est couché sur la planche V, & c'est lui qui réduit le canon sur la meule O, à ses proportions extérieures.

Lorsque le canon est foré, on en vérifie le calibre avec un dé ou mandrin long de trois pouces, tourné, trempé, poli, & du diametre de sept lignes trois quarts. On passe ce mandrin dans le canon de l'un à l'autre bout. Le semeur a deux calibres, l'un de seize lignes justes, & l'autre de huit lignes & demie pour vérifier les bouts du canon ; c'est en semant le canon, c'est-à-dire en le mesurant exactement avec ces deux calibres, que le semeur lui donne à l'extérieur la forme de cierge qu'il doit avoir.

On conçoit aisément que le foret ne peut travailler au-dedans d'un canon, sans qu'il s'y fasse un grand frottement & une chaleur capable de le détremper ; c'est pour obvier à cet inconvénient qu'on a pratiqué les rigoles C, x, y, qui portent de l'eau vers toutes les fosses, & arrosent l'endroit où la fermeture soûtient le canon, & où la pointe & les carnes du foret agissent. Les meules H, O, tournent dans des auges qui sont aussi pleines d'eau qui les rafraîchit.

L'ouvrage du semeur n'est guere moins délicat que celui du forgeron ; c'est lui qui dresse le canon, & qui lui donne cette diminution d'épaisseur, qu'il faut conduire avec tant de précision, de la culasse à la bouche, pour rendre le canon juste. Il faut un grand nombre d'années pour former un excellent ouvrier en ce genre.

Le canon du fusil grenadier ou de soldat, est rond, & n'a qu'un seul pan qui prend de la culasse, & va finir à trois pouces du guidon. La longueur du canon est de trois piés huit pouces justes.

Le diametre entier à l'arriere ou à la culasse est de seize lignes. Le diametre entier sur le devant ou à la bouche est de huit lignes & demie, & le calibre de sept lignes trois quarts, afin que la balle des dix-huit à la livre ait suffisamment de vent.

Suivant ces dimensions, l'épaisseur du fer à la culasse doit être de quatre lignes & un huitieme de lignes, & l'épaisseur du fer à la bouche, de trois huitiemes de ligne.

Il est enjoint de faire la culasse double & bien jointe dessus & dessous ; la queue épaisse de trois lignes proche du talon, venant au bout à deux lignes ; & le talon de deux lignes & demie d'épaisseur par-dessous, allant au-dessus à la largeur du pan du canon, sur six à sept lignes de haut. La vis de la platine de derriere, passant au travers du talon, il sera ouvert en forme de fourche, afin que le canon se démonte, sans ôter la vis. Il n'y aura que la vis de la queue à lever.

La tête de la culasse sera de huit lignes de haut, & la lumiere sera percée à sept lignes de derriere ; par conséquent la tête de la culasse sera entaillée d'une ligne du côté de la lumiere, & restera plate par le bout.

On n'a pû régler la hauteur de la culasse par le nombre de ses filets : ces filets étant plus gros ou plus fins les uns que les autres : mais il faut avoir soin qu'ils soient vifs & bien enfoncés. La queue de la culasse aura deux pouces de longueur & se terminera en ovale.

Il y aura un tenon aux canons ; il sera placé à quatre pouces du bout, & se trouvera logé dans le fût sous le premier anneau. Le guidon sera aussi brasé à vingt lignes justes du bout. On y aura une attention singuliere, pour que les bayonnettes des différentes manufactures puissent se rapporter facilement.

Les canons demi-citadelle ou de rempart seront fabriqués comme nous l'avons prescrit ci-dessus ; ils auront trois piés huit pouces de longueur : le diametre entier de la culasse sera de dix-huit lignes. Le diametre sur le devant, ou la bouche, sera d'onze lignes un quart, & le calibre de huit lignes un quart. Ils auront comme ceux de grenadier, un tenon, & le guidon en sera posé à seize lignes du bout.

Le bouton de la culasse aura la même hauteur, & le talon la même épaisseur que la culasse du fusil grenadier ; la lumiere en sera aussi percée à la même distance.

Les canons tant de rempart que de soldat seront éprouvés horisontalement, avec leur vraie culasse, couchés sur des chevalets, la culasse appuyée contre une poutre armée de barres de fer, ce qui arrêtant le recul, rendra l'épreuve plus forte. Chaque canon soûtiendra deux épreuves : la premiere sera une charge de poudre du poids de la balle, bourrée avec du papier, & la balle par-dessus aussi bourrée ; la seconde sera d'un cinquieme de poudre de moins, aussi bourrée & de même la balle par dessus.

La balle du fusil de soldat est de dix-huit à la livre, & la balle du fusil de rempart est d'une once ou de seize à la livre.

Il est rare qu'il creve des canons à la seconde épreuve : mais elle est ordonnée, parce qu'elle ouvre & fait découvrir les éventures imperceptibles que la premiere épreuve n'a point assez dilatées. Les canons éventés sont mis au rebut, ainsi que les canons crevés.

Le canon tient au bois sur lequel on le monte, par la vis de la culasse, & par deux anneaux qui le joignent au fût ; l'un, au commencement, où il sert de porte-baguette à queue ; & l'autre, vers le bout du fût qu'il saisit avec le canon, & où il est arrêté au moyen d'une petite lame à ressort, qui porte sa goupille encastrée dans le côté du fût. Voyez aux articles FUSIL, PLATINE, &c. ce qui concerne le reste de l'arme-à-feu, avec les dimensions selon lesquelles M. de Valiere, lieutenant général des armées du Roi, & inspecteur des manufactures des armes, a reglé que ses différentes parties fussent toutes fabriquées.

Notre fabrique de canon de Saint-Etienne en Forès est très-considérable, tant par la quantité d'armes qui en sortent, que par la qualité qu'elles ont. Elle est composée d'une multitude d'ouvriers qui ne peut guere s'estimer, que par celle des usines construites sur les bords de la Furense ; cette riviere fait tourner des milliers de meules. Cependant comme elle manque d'eau quelquefois, cela a déterminé quelques fabricateurs à transporter les leurs sur la Loire. M. de Saint-Perieux, gendre de M. Girard un de ceux qui ont le mieux répondu aux vûes que M. de Valiere a toûjours eues pour perfectionner la fabrication des armes, a placé la sienne à Saint-Paul en Cornillon, à deux lieues de Saint-Etienne.

Quelques artistes ont imaginé de souder plusieurs canons ensemble, & d'en faire des fusils à plusieurs coups. Les fusils à deux coups sont communs. Il en est sorti un à trois coups de la fabrique des nouveaux entrepreneurs pour le Roi, remarquable que sa legereté, son méchanisme, sa sûreté, son travail de forge & de lime, & ses ornemens. Nous en ferons mention à l'article FUSIL. Voyez l'article FUSIL.

Les canons n'ont pas tous la même forme extérieure ; il y en a de ronds ; il y en a à pans, ou cannelés : les uns sont unis ; d'autres sont ciselés. Mais ces ornemens s'exécutent sur le canon du fusil, comme sur tout autre ouvrage. Voyez CISELER & CANNELER. On a inventé quelques machines pour les pans & pour les cannelures : mais elles n'ont pas répondu à l'effet qu'on en attendoit, & on a été obligé de les abandonner & de s'en tenir à la lime : il y a des canons brisés ; des canons carabinés, &c. Voyez la suite de cet article.

CANON BRISE, terme d'Arquebusier ; c'est un canon qui est coupé en deux parties au haut du tonnerre ; la partie supérieure est un écrou vissé, & se monte sur le tonnerre qui est en vis, de façon qu'ils se joignent ensemble, & forment en-dessus une face unie. Ces canons sont ordinairement carabinés ; il y en a de toutes sortes de grandeur & de grosseur, Voyez FUSIL.

CANON CARABINE, terme d'Arquebusier. Ce canon fait à l'extérieur comme les canons ordinaires, est tarodé en-dedans dans toute sa longueur de moulures longitudinales ou circulaires. L'on est obligé dans ces canons d'enfoncer la balle avec une baguette de fer, & de l'y forcer ; ces canons portent la balle plus loin & plus juste. Voyez les articles MOUSQUET & FUSIL.

Petit CANON, (Fonderie en caractere d'Imprimerie) quinzieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de quatre lignes quatre points, mesure de l'échelle. Voyez PROPORTIONS DES CARACTERES D'IMPRIMERIE, & l'exemple à l'article CARACTERES.

Gros CANON, chez les mêmes ouvriers, dix-septieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de sept lignes deux points, mesure de l'échelle. Voyez PROPORTIONS DES CARACT. D'IMP. & l'exemple à l'article CARACTERES.

Double CANON, chez les mêmes, dix-huitieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de neuf lignes deux points, mesure de l'échelle. Voyez PROPORTIONS DES CARACT. D'IMPRIM. & l'exemple à l'article CARACTERES.

Triple CANON, encore chez les mêmes, dix-neuvieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de douze lignes, mesure de l'échelle. Voyez PROPORTION DES CARACT. D'IMPRIM. & l'exemple à l'article CARACTERES.

CANON, en terme de Chauderonnier, est un morceau de fer à tête large & foré, que l'on appuie sur la piece, à l'endroit où on la perce. Voyez Pl. II. du Chauderonnier, fig. 8. qui représente un ouvrier qui appuie le canon contre une cuve pendant que l'ouvrier fig 7. perce un trou avec un poinçon qu'il chasse avec un marteau. La figure 18. de la même Planche représente le canon en particulier, & la fig. 17. une espece de tas qui sert au même usage.

CANON, terme dont les Emailleurs se servent pour signifier les plus gros morceaux ou filets d'émail qu'ils tirent pour le mettre en état d'être employé aux divers ouvrages de leur métier.

Suivant l'article xjx. des statuts des Emailleurs, il est défendu à toutes personnes, marchands ou autres ; de mêler aucune sorte d'émail, & retenir canon pour vendre, si ce n'est aux maîtres du métier. Voyez EMAIL & EMAILLEUR.

CANON, parmi les Horlogers, signifie une espece de petit tuyau, ou un cylindre creux un peu long, percé de part en part. On adapte des canons à différentes pieces ou roues, pour qu'elles tournent sur des arbres ou tiges sans aucun bercement, & aussi pour qu'elles puissent y tenir à frottement : tel est le canon de la chaussée, celui de la roue de cadran, &c. Voyez CHAUSSEE, ROUE de cadran, &c. & la Planche des Montres. (T)

CANON ; ce mot a deux sens dans le Manége : dans le premier, il signifie la partie qui est depuis le genouil & le jarret jusqu'au boulet. Les fusées, les suros viennent au canon des chevaux ; les arrêts, tout le long du canon jusqu'au boulet, ne viennent que très-rarement aux barbes. Dans le second, c'est une partie du mors ou de l'embouchure du cheval, qui consiste dans une piece de fer arrondi qui entre dans la bouche & la tient sujette. Il y a plusieurs sortes de canons, savoir le canon simple, le canon à trompe, le canon gorge de pigeon, le canon montant, le canon à compas, le canon à cou d'oie la liberté gagnée, le canon à bascule, le canon à pas d'âne, le canon coupé à pas d'âne, &c. dont on peut voir la description dans les auteurs. Voyez EMBOUCHURE, & fig. 22. Planche de l'Eperonnier en P.

CANON, terme de Plombier ; c'est un tuyau de plomb de trois ou quatre piés de longueur, où vont se rendre les eaux des chêneaux qui entourent un bâtiment, & qui jette l'eau bien loin des fondemens qu'elle pourroit gâter, si elle tomboit au pié du mur.

CANON d'une jauge, sont des ouvertures qui sont percées dans son pourtour, & où sont soudés des bouts de tuyaux. Voyez JAUGE. (K)

CANON, terme de Potier de fayence, c'est une espece de pot de fayence un peu long & rond, dans lequel les marchands Apothicaires, particulierement ceux de Paris, mettent les confections & les électuaires à mesure qu'ils les préparent.

CANON, terme de Rubanier, se dit d'un petit tuyau de boüis, ayant ainsi que le rochet de petits bords à ses bouts pour empêcher les soies d'ébouler ; il est percé d'outre en outre d'un trou rond pour recevoir la brochette de la navette dans laquelle il doit entrer ; son usage est d'être rempli dans chaque ouvrage de ce qui compose la trame. Voyez TRAME. Il est à-propos à chaque ouvrier d'avoir quantité de ces canons, pour éviter de faire de la trame à tous momens.

CANON à devider, qui se passe dans la ceinture de la devideuse ; c'est souvent un vieux rochet dans l'épaisseur du corps duquel on fait un trou qui va jusqu'au trou de la longueur ; il y en a d'uniquement destinés à cet usage, qui sont faits par les Tourneurs ; ils servent à recevoir le bout de la broche à devider, pour soulager la devideuse. Voyez DEVIDER.

CANON, en Serrurerie, c'est cette piece de la serrure qui reçoit la tige de la clé, quand il s'agit d'ouvrir ou fermer la serrure. Cette piece n'est autre chose qu'un canal fendu par sa partie inférieure, qui sert de conducteur à la clé : quand la serrure a une broche, la broche traverse le canon, & lui sert d'axe. Le canon aboutit par son entrée à la partie extérieure de la porte ; & par son extrémité intérieure il va se rendre à la couverture ou au foncet de la serrure. Voyez FONCET.

On distingue deux sortes de canons ; il y en a à patte, & de tournans.

Les canons à patte sont attachés avec des rivures ou des vis, sur la couverture ou sur le foncet de la serrure.

Les canons tournans, qui sont d'usage aux serrures des coffres forts, ronds à l'extérieur comme les autres canons, sont ordinairement figurés intérieurement, soit en treffle, soit en tiers-point, ou de quelqu'autre figure pareille, & reçoivent par conséquent des clés dont les tiges ont la même figure du treffle ou de tiers point ; d'où il arrive qu'ils tournent sur eux-mêmes avec la clé, sans quoi la clé ne pourroit se mouvoir. Pour leur faciliter ce mouvement, au lieu d'être fixés, soit à rivure, soit à vis sur la couverture ou sur le foncet, ils traversent toute la serrure, & leur tête qui pose sur le palâtre, est sous une piece creuse qu'on nomme couverture, qui les empêche de résister, mais non de se mouvoir : la couverture est fixée sur le palâtre par des vis. Voyez SERRURE.

CANON pour la trame, instrument des ouvriers en étoffes de soie ; le canon pour la trame est un bois arrondi, pointu d'un côté, & avec une tête de l'autre percée d'un bout à l'autre ; il est de six à sept pouces de long environ ; la trame est dévidée sur ce canon. Voyez NAVETTE.

CANON pour l'organsin, instrument des ouvriers en étoffes de soie ; le canon ou rochet pour l'organsin est différent de celui de la trame, en ce qu'il est un peu plus petit, & qu'il a une tête à chaque bout. Voyez ROCHET.

CANON, terme de Tourneur ; on nomme canons d'un arbre à tourner en ovale ou en d'autres figures irrégulieres, deux cylindres creux qui sont traversés par une verge de fer quarré qui joint la boîte au mandrin. Voyez TOUR.


CANONIALadj. terme de Droit ecclésiastique, se dit de ce qui concerne un chanoine ; ainsi l'on dit une maison canoniale, un titre canonial.


CANONICATS. m. terme de Jurisp. ecclés. synonyme à chanoinie : souvent les canonistes les confondent avec prébende ; il en differe cependant en ce que le canonicat n'est que le titre ou la qualité spirituelle, laquelle est indépendante du revenu temporel même, au lieu que la prébende est le revenu temporel même. Autrefois le pape créoit des canonicats sans prébende, avec l'expectative de la premiere qui viendroit à vaquer : mais ces expectatives ne se donnent plus depuis le concile de Trente, qui les a abolies. Seulement le pape crée quelquefois un chanoine sans prébende, quand il veut conférer une dignité dans une église ; pour l'obtention de laquelle il faut être chanoine. Ces canonicats s'appellent canonicats ad effectum ; ce n'est qu'un titre stérile & infructueux, qu'on appelle aussi par cette raison jus ventosum. Voyez CHANOINIE & PREBENDE. (H)


CANONIERS. m. (Artillerie) en France est celui qui sert à charger le canon, avec l'aide des soldats commandés pour le service des batteries.

Il n'y a personne actuellement qui ait le simple titre de canonier dans l'artillerie, parce qu'on se sert de soldats de Royal-artillerie, pour faire les fonctions de canonier.

Il y en a eu autrefois des compagnies particulieres, mais elles ont été incorporées dans Royal-artillerie, en conséquence de l'ordonnance du 5 Février 1720, Voyez ARTILLERIE.

L'art du CANONIER est la maniere de tirer le canon & les mortiers, c'est-à-dire de les charger, de les pointer, & d'y mettre le feu avec toute la justesse & promtitude possibles.

L'art du canonier se considere quelquefois comme une partie de l'art militaire, & quelquefois comme une partie de la Pyrotechnie. Voyez ART MILITAIRE & PYROTECHNIE.

Cet art enseigne à connoître la force & l'effet de la poudre, les dimensions des pieces d'artillerie, & les proportions de la poudre & du boulet dont on les charge, aussi bien que la maniere de les manier, charger, pointer, nettoyer, & rafraîchir. Voyez POUDRE-A-CANON, CHARGE, POINTER, EPONGE, &c.

Il y a quelques parties de cet art qui sont du ressort des Mathématiques ; savoir, la maniere de pointer un canon sur un angle donné, & de calculer sa portée ; ou de pointer & de diriger le canon de maniere qu'il atteigne le but. Voyez PROJECTILE.

Les instrumens principaux dont on se sert dans cette partie de l'art du canonier, sont la regle du calibre ou verge sphéréométrique, le quart de cercle, & le niveau. Pour ce qui est de la maniere de se servir de ces instrumens, consultez les articles CALIBRE, NIVEAU, & QUART DE CERCLE.

La ligne que décrit le boulet, ou la route qu'il tient en sortant du canon, à quelque hauteur qu'il ait été pointé, se trouve être la même que celle de tous les autres projectiles, savoir une parabole (Voy. PARABOLE) ; c'est pourquoi les lois particulieres que l'on observe dans le mouvement ou dans la volée du boulet, sa vîtesse, son étendue, &c. avec les regles pour atteindre le but, se trouvent sous l'article PROJECTILE.

Maltus, ingénieur anglois, passe pour celui qui a enseigné le premier, en 1634, la maniere de se servir des mortiers suivant des regles : mais toutes ses connoissances n'étoient fondées que sur des expériences & tentatives ; il n'avoit aucune idée de la ligne courbe que décrit le boulet sur son passage, ni de la différence de sa portée, suivant les différentes hauteurs auxquelles on pointe le canon.

Avant que M. Blondel eût donné son livre de l'art de jetter les bombes, la plûpart des canoniers ne se conduisoient par aucunes regles en servant les batteries ; s'ils ne frappoient point au but, ils haussoient ou baissoient la piece, jusqu'à ce qu'elle se trouvât pointée juste : cependant il y a pour toutes ces opérations des regles certaines, fondées sur celles de la Géométrie, & desquelles nous sommes redevables à Galilée, ingénieur du grand-duc de Toscane, & à son disciple Torricelli. Voyez BOMBE, &c. (Q)


CANONIERESS. f. pl. sont les tentes des soldats & cavaliers. Une canoniere doit contenir sept soldats. (Q)


CANONIQUEse dit, en style de Jurisprudence ecclésiastique, de tout ce qui est conforme à la disposition des canons.

CANONIQUE (Droit) est un corps de droit, ou recueil de lois ecclésiastiques concernant la discipline de l'Eglise. Ce recueil est composé, 1°. du Decret de Gratien ; 2°. des Decrétales ; 3°. d'une suite des Decrétales appellée le Sexte ; 4°. des Clémentines ; 5°. des Extravagantes. Voyez CANON, DECRET, DECRETALE, SEXTE, CLEMENTINES, TRAVAGANTESNTES.

Dans les églises protestantes, le droit canonique a été fort abrégé depuis la réformation ; car elles n'en ont retenu que ce qui étoit conforme au droit commun du royaume, & à la doctrine de chaque église. (K)

CANONIQUES (Livres), Théolog. on donne ce nom aux livres compris dans le canon ou le catalogue des livres de l'Ecriture ; voyez à l'article CANON ce qui concerne les livres canoniques de l'ancien Testament : à l'égard des livres canoniques du nouveau, on a constamment admis dans l'Eglise les quatre évangélistes ; les quatorze épitres de S. Paul, excepté l'épitre aux Hébreux, la premiere épître de S. Pierre, & la premiere de S. Jean. Quoiqu'il y eût quelque doute sur l'épitre aux Hébreux, les épîtres de S. Jacques & de S. Jude, la seconde de S. Pierre, la seconde & la troisieme de S. Jean, & l'apocalypse, cependant ces écrits ont toujours été d'une grande autorité : reconnus par plusieurs églises, l'Eglise universelle n'a pas tardé à les déclarer canoniques ; cela se démontre par les anciens catalogues des livres sacrés du nouveau Testament, par le canon du concile de Laodicée, par le concile de Carthage, par le concile Romain, &c. auxquels la décision du concile de Trente est conforme. Le mot canonique vient de canon, loi, regle, table, catalogue.

Le canon des livres du nouveau Testament n'a point été dressé par aucune assemblée de Chrétiens, ni par aucun particulier ; il s'est formé sur le consentement unanime de toutes les églises, qui avoient reçû par tradition, & reconnu de tout tems certains livres comme écrits par certains auteurs inspirés du S. Esprit, prophetes, apôtres, &c. Eusebe distingue trois sortes de livres du nouveau Testament : la 1re. classe comprend ceux qui ont été reçûs d'un consentement unanime par toutes les églises, savoir les quatre évangiles, les quatorze épîtres de S. Paul, à l'exception de celle aux Hébreux, & les premieres épîtres de S. Pierre & de S. Jean : la seconde classe comprend ceux qui n'ayant point été reçûs par toutes les églises du monde, ont été toutefois considérés par quelques-unes comme des livres canoniques, & cités comme des livres de l'Ecriture par des auteurs ecclésiastiques : mais cette classe se divise encore en deux ; car quelques-uns de ces livres ont été depuis reçûs de toutes les églises, & reconnus comme légitimes ; tels que sont l'épître de S. Jacques, l'épître de S. Jude, la seconde épître de S. Pierre, la seconde & la troisieme de S. Jean ; les autres au contraire ont été rejettés, ou comme supposés, ou comme indignes d'être mis au rang des canoniques, quoiqu'ils pussent être d'ailleurs utiles ; tels que sont les livres du pasteur, la lettre de S. Barnabé, l'évangile selon les Egyptiens, un autre selon les Hébreux, les actes de S. Paul, la révélation de S. Pierre : enfin la derniere classe contient les livres supposés par les hérétiques, qui ont été toûjours rejettés par l'Eglise ; tels que sont l'évangile de S. Thomas & de S. Pierre, &c. L'apocalypse étoit mise par quelques-uns dans la premiere classe, & par d'autres dans la seconde : mais quoique quelques livres du nouveau-Testament n'ayent pas été reçûs au commencement dans toutes les églises, ils se trouvent tous dans les catalogues anciens des livres sacrés, si l'on en excepte l'apocalypse, qui n'est point dans le canon du concile de Laodicée, mais que le consentement unanime des églises a depuis autorisé. M. Simon, Hist. critique du vieux-Testament. Dupin, Dissert. prélim. sur la Bible, tome III. Voyez APOCRYPHES. (G)


CANONISATIONS. f. (Théol.) déclaration du pape par laquelle, après un long examen & plusieurs solennités, il met au catalogue des saints un homme qui a mené une vie sainte & exemplaire, & qui a fait quelques miracles. Voy. SAINT & MIRACLE.

Le nom de canonisation semble être d'une origine moins ancienne que la chose même ; on ne trouve point qu'il ait été en usage avant le xij. siecle, quoique dès le xj. on trouve un decret ou bulle de canonisation donnée à la priere de Lintolfe, évêque d'Augsbourg, par le pape Jean XV. pour mettre S. Udelric ou Ulric au catalogue des saints.

Ce mot est formé de canon, catalogue, & il vient de ce que la canonisation n'étoit d'abord qu'un ordre des papes ou des évêques, par lequel il étoit statué que les noms de ceux qui s'étoient distingués par une piété & une vertu extraordinaires, seroient insérés dans les sacrés diptyques ou le canon de la messe, afin qu'on en fît mémoire dans la liturgie. On y ajoûta ensuite les usages de marquer un office particulier pour les invoquer, d'ériger des églises sous leur invocation, & des autels pour y offrir le saint sacrifice, de tirer leurs corps de leurs premiers sepulcres. Peu-à-peu on y joignit d'autres cérémonies : on porta en triomphe les images des saints dans les processions : on déclara jour de fête l'anniversaire de celui de leur mort ; & pour rendre la chose plus solemnelle, le pape Honorius III. en 1225, accorda plusieurs jours d'indulgence pour les canonisations.

Toutes ces regles sont modernes, & étoient inconnues à la primitive Eglise. Sa discipline à cet égard, pendant les premiers siecles, consistoit à avoir à Rome, qui fut long-tems le premier théatre des persécutions, des greffiers ou notaires publics, pour recueillir soigneusement & avec la derniere fidélité les actes des martyrs, c'est-à-dire les témoignages des Chrétiens touchant la mort des martyrs, leur constance, leurs derniers discours, le genre de leurs supplices, les circonstances de leurs accusations, & surtout la cause & le motif de leur condamnation. Et afin que ces notaires ne pussent pas falsifier ces actes, l'Eglise nommoit encore des soûdiacres & d'autres officiers, qui veilloient sur la conduite de ces hommes publics, & qui visitoient les procès-verbaux de la mort de chaque martyr, auquel l'Eglise, quand elle le jugeoit à propos, accordoit un culte public & un rang dans le catalogue des saints. Chaque évêque avoit le droit d'en user de même dans son diocèse, avec cette différence, que le culte qu'il ordonnoit pour honorer le martyr qu'il permettoit d'invoquer, ne s'étendoit que dans les lieux de sa jurisdiction, quoiqu'il pût engager les autres évêques, par lettres, à imiter sa conduite ; s'ils ne le faisoient pas, le martyr n'étoit regardé comme bienheureux que dans le premier diocese : mais quand l'église de Rome approuvoit ce culte, il devenoit commun à toutes les églises particulieres. Ce ne fut que long-tems après qu'on canonisa les confesseurs.

Il est difficile de décider en quel tems cette discipline commença à changer, ensorte que le droit de canonisation, que l'on convient avoir été commun aux évêques, & sur-tout aux métropolitains, avec le pape, a été réservé au pape seul. Quelques-uns prétendent qu'Alexandre III. élû pape en 1159, est le premier auteur de cette réserve, qui ne lui fut contestée par aucun évêque. Les jésuites d'Anvers assûrent qu'elle ne s'est établie que depuis deux ou trois siecles par un consentement tacite & une coûtume qui a passé en loi, mais qui n'étoit pas généralement reçue dans le x. & xj. siecle : on a même un exemple de canonisation particuliere, faite en 1373 par Witikind, évêque de Mindon en Westphalie, qui fit honorer comme saint l'évêque Félicien, par une fête qu'il établit dans tout son diocese. Cependant on a des monumens plus anciens, qui prouvent que les évêques qui connoissent le mieux leurs droits & qui y sont les plus attachés, les évêques de France, reconnoissoient ce droit dans le pape. C'est ce que firent authentiquement l'archevêque de Vienne & ses suffragans, dans la lettre qu'ils écrivirent à Grégoire IX. pour lui demander la canonisation d'Etienne, évêque de Die, mort en 1208. Quia nemo, disoient-ils, quantâlibet meritorum prærogativâ polleat, ab ecclesiâ Dei pro sancto habendus aut venerandus est, nisi priùs per sedem apostolicam ejus sanctitas fuerit approbata.

Quoi qu'il en soit, le saint siége apostolique est en possession de ce droit depuis plusieurs siecles, & l'exerce avec des précautions & des formalités qui doivent écarter tout soupçon de surprise & d'erreur.

Le cardinal Prosper Lambertini, aujourd'hui pape sous le nom de Benoît XIV. a publié sur cette matiere de savans ouvrages, qui prouvent qu'il ne peut rien s'introduire de faux dans les procès-verbaux que l'on dresse au sujet de la canonisation des saints.

Le P. Mabillon distingue aussi deux especes de canonisation ; l'une générale, qui se fait par toute l'église assemblée en concile oecuménique, ou par le pape ; & l'autre particuliere, qui se faisoit par un évêque, par une église particuliere, ou par un concile provincial. On prétend aussi qu'il y a eu des canonisations faites par de simples abbés. Voy. POMPE TYRRHENIQUE. (G)


CANONISTES. m. (Jurisprud.) docteur, ou du moins homme versé dans le droit canonique. (H)


CANONNIEREterme de Bijoutier, se dit de la gorge d'un étui, sur laquelle se glisse la partie supérieure de l'étui, appellée bonnet.


CANOPES. m. (Myth.) dieu des Egyptiens, dont Suidas raconte ainsi l'origine : il s'éleva, dit-il, un grand différend entre les Egyptiens, les Chaldéens, & les autres peuples voisins, sur la primauté de leurs dieux : après bien des contestations il fut arrêté qu'on les opposeroit les uns aux autres, & que celui qui resteroit vainqueur seroit reconnu pour souverain. Or les Chaldéens adoroient le feu, qui eut bientôt dévoré les dieux d'or, d'argent, de pierre & de bois qu'on lui exposa ; & il alloit être déclaré le maître des dieux, quand un prêtre de Canope, ville d'Egypte, s'avisa de prendre une cruche de terre, qui servoit à la purification des eaux du Nil, d'en boucher les trous avec de la cire, de la remplir d'eau, & de la placer sur la tête du dieu de Canope, qui devoit lutter contre le feu. A peine le dieu de Canope fut-il sur le feu, que la cire qui bouchoit les petits trous du vase s'étant fondue, l'eau s'écoula, éteignit le feu, & que la souveraineté sur les autres dieux fut acquise au dieu de Canope, grace à l'invention de son ministre. On raconte la chose d'une autre maniere, qui est un peu plus honorable pour le dieu, & où la prééminence fut une suite toute simple de ses qualités personnelles. On dit que le dieu même étoit représenté sous la forme d'un vase percé d'une infinité de petits trous imperceptibles, du milieu duquel s'élevoit une tête d'homme ou de femme, ou de chien, ou de bouc, ou d'épervier, ce qui ne laisse au ministre que le mérite d'avoir bouché avec de la cire les petits trous de la divinité.


CANOPIENadj. (Myth.) surnom donné à Hercule, de la ville de Canope, dans la basse égypte, où il étoit particulierement honoré.


CANOPINA(Géog.) petite ville d'Italie, dans l'état de l'Eglise.


CANOPUS(Astron.) étoile de la premiere grandeur, située dans l'hémisphere austral, à l'extrémité la plus australe de la constellation appellée argo ou le navire argo. Voyez ARGO. Voyez l'ascension droite de cette étoile pour 1750, à l'article ASCENSION. (O)


CANOSA(Géog.) ville d'Italie, au royaume de Naples, près de la mer, dans la province de Bari.


CANOTsub. m. (Marine) c'est une petite chaloupe ou petit bateau destiné au service d'un grand bâtiment.

CANOT de bois ; on appelle ainsi un canot, qui est fait d'un seul tronc d'arbre creusé.

CANOT de Sauvages & CANOT d'écorces ; ce sont de petits bateaux faits d'écorce d'arbre, dont se servent les Sauvages de l'Amérique pour pêcher à la mer, & pour voyager & aller en course & en traite sur les rivieres. Ils les nomment piroques. Ceux du Canada les font d'écorce de bouleau, & assez grands quelquefois pour contenir quatre ou cinq personnes.

Les François du Canada, qu'on appelle coureurs de bois & traiteurs, s'en servent aussi-bien que les Sauvages pour aller jusque dans leurs habitations leur porter des marchandises & en rapporter des pelletteries. Deux hommes conduisent ces canots ; & quand à cause des sauts des rivieres il faut faire portage, ils chargent canots & marchandises sur leurs épaules, & les transportent au-dessus & au-dessous des sauts, selon qu'ils montent ou qu'ils descendent les rivieres.

Les canots des Indiens & des Caraïbes sont faits de troncs d'arbres qu'on creuse ; & ces sortes de bateaux sont plus grands ou plus petits, selon la grandeur & grosseur des arbres qu'on employe pour les faire. On dresse ces troncs d'arbres selon la forme qu'on veut donner au canot, & l'on les creuse. On les conduit avec des pagaies & des rames, & on y ajoûte quelquefois une petite voile ; on met la charge au fond : mais comme ils ne sont point lestés, ils tournent souvent c'en-dessus dessous. Ils n'ont point de gouvernail, & ce sont les rames de l'arriere qui leur en servent.

La plûpart des canots ont à l'avant & à l'arriere des avances comme les navettes, & quelques-unes de ces avances se terminent aussi de même en pointe. D'autres ont l'avant & l'arriere tout plat ; il n'y en a presque point qui ayent un avant arrondi. Lorsqu'on veut y-ajoûter une voile, on éleve un petit mât vers l'avant. Les voiles sont ou de nattes, ou de toile, ou de joncs entrelacés.

On voit pourtant en Moscovie, sur le lac de Wolda, des canots arrondis à l'avant & à l'arriere, & beaucoup plus larges au milieu que par les bouts : on les fait avancer avec une seule rame, dont on se sert à l'arriere : mais tous les autres canots de ce pays-là sont aigus à l'arriere & à l'avant, & ont du relevement par les bouts : on les peint, on leur donne le feu, & on les braye pour les conserver.

Les canots dont se servent les Negres de la côte de Guinée, ne sont que des arbres creusés : ils sont d'une figure longue, & il ne leur reste guere de bois au-dessus de l'eau, desorte que celui qui est à l'arriere & qui gouverne le canot se trouve dans l'eau. Ils vont fort vîte, & ne laissent pas que d'aller assez avant en mer ; ils sont donc fort longs, bas, & étroits, & il n'y a d'espace dans la largeur que pour tenir un seul homme, & dans la longueur sept à huit : les hommes y sont assis sur de petits siéges de bois ronds, & la moitié de leur corps s'éleve au-dessus du bord. Ils ont à la main une rame de bois dur, & ils rament tous à la fois, à la maniere des galeres, & s'accordent ; ou si quelqu'un tire trop fort & que le bâtiment panche, il est redressé par celui qui gouverne, si bien qu'ils semblent voler sur la surface de l'eau, & il n'y a pas de chaloupe qui puisse les suivre d'un beau tems ; mais aussi quand la mer est haute, ils ne peuvent siller, l'élevation des flots empêchant leur aire : Lorsque la lame les renverse, ils ont l'adresse de les retourner dans l'eau, de les vuider, & de s'y rembarquer sans courir le moindre danger, nageant tous comme des poissons. Ces canots ont ordinairement 16 piés de long & un à deux piés de large. Il y en a de plus grands, qui ont jusqu'à 35 piés de long, 5 de large, & 3 de profondeur : ils sont plats par l'arriere, où il y a un gouvernail & un banc ; ils y ajoûtent des voiles faites de jonc & de natte. Les Negres ne laissent point leurs canots à l'eau ; ils les tirent à terre & les élevent sur quatre fourches pour les faire sécher ; & quand ils sont secs, deux hommes peuvent les charger sur leurs épaules & les porter.

Pour les construire & les creuser, les Negres se servent à présent de haches, que les Européens leur portent. Ils leur donnent aux deux côtés un peu de rétrécissement par le fond. Les bouts en sont pointus à l'avant & à l'arriere ; à chaque bout il y a une espece de petit éperon ou gorgere d'un pié de long, & large comme la paume de la main, qui sert à donner prise pour enlever le canot.

Les canots des Sauvages de la terre de Feu & des environs du détroit de Magellan, sont d'une fabrique particuliere. Ils prennent des écorces des plus gros arbres, qu'ils courbent pour leur donner des façons, si bien qu'ils les rendent assez semblables aux gondoles de Venise ; pour cet effet ils les posent sur de petites pieces de bois, comme on feroit un vaisseau sur le chantier ; & lorsque l'écorce a pris la forme de gondole & le pli nécessaire, ils affermissent le fond & les côtés avec des bois assez minces, qu'ils mettent en-travers depuis l'avant jusqu'à l'arriere, de même qu'on met les membres dans les vaisseaux ; & au haut sur le bord, ils posent encore une autre écorce qui regne tout-autour, prenant soin de bien lier le tout ensemble. Ces canots ont 10, 12, 14, & jusques à 16 piés de long, & 2 de large : ils sont à 7 ou 8 places, c'est-à-dire qu'il peut y tenir assez commodément sept ou huit hommes qui rament débout & extrêmement vîte.

Les canots des sauvages du détroit de Davis sont encore plus singuliers ; ces bateaux sont en forme de navette, longs de sept à huit piés & larges de deux piés, composés de petites baguettes de bois pliant en forme de claie, couvertes de peaux de chiens marins ou de loups marins. Chaque canot ne peut porter qu'un homme, qui s'assied dans un trou pratiqué au milieu. Ils s'en servent pour aller à la pêche, & d'une côte à l'autre.

CANOT, jaloux ; c'est un canot qui a le côté foible, & se renverse aisément. (Z)


CANOURGUE(LA) Géog. petite ville de France dans le Gevaudan.


CANSTADT(Géog.) petite ville d'Allemagne en Soüabe sur le Necker, au duché de Wirtemberg.


CANTABRESS. m. pl. (Géog.) anciens peuples de l'Espagne Tarragonoise : ils habitoient le pays de Guipuscoa, la Biscaye, les Asturies, & la Navarre : ils étoient très-belliqueux, & une liberté durable fut la récompense de leur courage.


CANTALABRES. m. (Architect.) ce mot n'est usité que parmi les ouvriers, & signifie le bandeau ou la bordure d'une porte ou d'une croisée. Il peut avoir été fait du grec , autour, & du latin labrum, levre ou bord. (P)


CANTANETTESS. f. (Marine) petites ouvertures rondes, entre lesquelles est le gouvernail, & qui donnent la lumiere au gavon. Voyez GAVON, GOUVERNAIL. (Z)


CANTARA(Géog.) riviere de Sicile dans la vallée de Demona. Il y en a une autre de même nom en Sicile, dans la vallée de Noto.


CANTARO(Commerce) poids dont on se sert en Italie & ailleurs, pour peser certaines especes de marchandises.

Il y a plusieurs sortes de cantaros ; l'un pese cent cinquante livres ; l'autre cent cinquante-une livres & le troisieme cent soixante livres. La livre de Livourne est de douze onces, poids de marc ; & celle de Paris, d'Amsterdam, de Strasbourg, & de Besançon, où les poids sont égaux, est de seize onces, aussi poids de marc ; ensorte que sur ce pié ces trois sortes de cantaros doivent rendre à Paris, Amsterdam, &c. celui de cinquante livres, cent trois livres huit onces ; celui de cent cinquante-une livres, cent quatre livres trois onces ; & celui de cent soixante livres, cent dix livres six onces trois gros, un peu plus. Voyez le dictionn. de Commerce.

* CANTARO ; on nomme ainsi le quintal dans l'île de Chypre, il contient 100 rotolis ou livres de Chypre, ce qui revient à près de 400 livres de notre poids. A Constantinople, à Florence, & à Livourne, le cantaro n'est pas si considérable.

CANTARO, est aussi une mesure de continence dont on se sert à Cochin. Il y en a jusqu'à trois qui different de quelques livres. On s'en sert suivant les diverses marchandises qu'on veut mesurer. Ordinairement le cantaro est de quatre rubis & le rubis de trente-deux rotolis. Voyez RUBIS & ROTOLIS. (G)


CANTATES. f. (Belles-Lettres) petit poëme fait pour être mis en musique, contenant le récit d'une action galante ou héroïque : il est composé d'un récit qui expose le sujet ; d'un air en rondeau ; d'un second récit & d'un dernier air contenant le point moral de l'ouvrage.

L'illustre Rousseau est le créateur de ce genre parmi nous. Il a fait les premieres cantates françoises ; & dans presque toutes, on voit le feu poétique dont ce génie rare étoit animé : elles ont été mises en musique par les Musiciens les plus célebres de son tems.

Il s'en faut bien que ses autres poëmes lyriques ayent l'agrément de ceux-ci. La poésie de style n'est pas ce qui leur manque : c'est la partie théatrale, celle du sentiment, & cette coupe rare que peu d'hommes ont connue, qui est le grand talent du théatre lyrique, qu'on ne croit peut-être qu'une simple méchanique, & qui fait seule réussir plus d'opéra que toutes les autres parties. Voyez COUPE. (B)

La cantate demande une poësie plûtôt noble que véhémente, douce, harmonieuse ; parce qu'elle doit être jointe avec la musique, qui ne s'accommode pas de toutes sortes de paroles. L'enthousiasme de l'ode ne convient pas à la cantate : elle admet encore moins le desordre ; parceque l'allégorie qui fait le fonds de la cantate, doit être soûtenue avec sagesse & exactitude, afin de quadrer avec l'application qu'en veut faire le poëte, Princ. pour la lect. des Poët. tom. I. (G)

On appelle aussi cantate, la piece de Musique vocale accompagnée d'instrumens, composée sur le petit poëme de même nom dont nous venons de parler, & variée de deux ou trois récitatifs, & d'autant d'ariettes.

Le goût de la cantate aussi-bien que le mot, nous est venu d'Italie. Plusieurs bons auteurs, les Berniers, les Campras, les Monteclairs, les Batistins, en ont composé à l'envi : mais personne en cette partie n'a égalé le fameux Clerambault, dont les cantates doivent par leur excellent goût être consacrées à l'immortalité.

Les cantates sont tout-à-fait passées de modes en Italie, & elles suivent en France le même chemin. On leur a substitué les cantatilles. (S)


CANTATILLEdiminutif de cantate, n'est en effet qu'une cantate fort courte, dont le sujet est lié avec quatre ou cinq vers de récitatif en deux ou trois airs communément en rondeau, avec des accompagnemens de symphonie. (S)


CANTAZARO(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples dans la Calabre ultérieure. Long. 34. 35. lat. 38. 59.


CANTECROIX(Géog.) petite contrée des Pays-Bas au duché de Brabant, avec titre de principauté.


CANTHARIDEcantharis. s. f. (Hist. nat. Insect.) genre d'insecte dont on distingue plusieurs especes. M. Linnæus le met dans la classe des insectes, qui ont des enveloppes à leurs ailes & des mâchoires dans leurs bouches. Les cantharides, selon le même auteur, ont les antennes faites en forme de soies ; les fausses ailes flexibles ; la poitrine un peu applatie, bordée & arrondie, & les côtés du ventre plissés, &c. Syst. naturae. Mouffet divise les especes de cantharides en grandes & en petites. Celles qu'on estime le plus comme remede, sont grandes ; leur corps est épais & allongé : il y a sur leurs ailes des lignes transversales de couleur d'or. On les trouve dans les blés. Insect. theatrum. Il y a des cantharides de différentes couleurs : celle que l'on employe dans la Pharmacie sont d'une très-belle couleur verte, luisante, azurée, mêlée de couleur d'or ; elles ont environ neuf lignes de longueur. On les trouve en été aux environs de Paris & en plusieurs autres lieux, sur les feuilles du frêne, du rosier, du peuplier, du noyer, du troêne, &c. dans les prés, & aussi sur les blés, où elles causent du dommage. Il y a beaucoup de ces insectes dans les pays chauds, comme l'Espagne, l'Italie, & les provinces méridionales de la France. Ils sont fort rares en Allemagne. Les cantharides sont quelquefois réunies en si grand nombre, qu'elles paroissent en l'air comme un essain qui seroit poussé par le vent : alors elles sont précédées par une odeur desagréable qu'elles répandent au loin. Ordinairement cette mauvaise odeur sert de guide lorsqu'on cherche à ramasser de ces insectes. Les cantharides viennent d'un vermisseau semblable en quelque façon à une chenille. Voyez la description détaillée des trois especes de cantharides, dans les Eph. de l'acad. des cur. de la nat. dec. 2. an. 2. obs. 20. & 21. 22. Voyez INSECTE. (I)

* Les cantharides en poudre appliquées sur l'épiderme, y causent des ulcérations, excitent même des ardeurs d'urine, la strangurie, la soif, la fievre, le pissement de sang, &c. & rendent l'odeur puante & cadavéreuse. Elles causent les mêmes symptomes prises intérieurement. On a observé qu'elles nuisoient beaucoup à la vessie. Voyez des exemples de ces effets dans les Ephémérides des curieux de la nat. dec. 2. an. 7. obs. 86. dans les récits anat. de Barthol, cent. I. hist. 21. On lit dans Paré, qu'une courtisanne ayant présenté des ragoûts saupoudrés de cantharides pulvérisées à un jeune homme qu'elle avoit retenu à souper, ce malheureux fut attaqué le jour suivant d'un priapisme & d'une perte de sang par l'anus dont il mourut. Un autre fut tourmenté du mal de tête & eut un pissement de sang dangereux pour avoir pris du tabac mêlé de poudre de cantharides. Boyle va plus loin : il assûre que des personnes ont senti des douleurs au cou de la vessie, & ont eu quelques-unes des parties qui servent à la secrétion des urines, offensées, pour avoir seulement manié des cantharides seches ; d'où il s'ensuit qu'on peut compter les cantharides au nombre des poisons. Boerhaave ordonne contre ce poison les vomitifs, les liqueurs aqueuses, délayantes, les substances huileuses, émollientes, & les acides qui résistent à la putréfaction. Quand on les employe dans les vésicatoires, il faut avoir égard & à la maladie & à la quantité qu'on en employe. Boerhaave les croit salutaires dans le rachitis, & toutes les fois qu'il s'agit d'aiguillonner les vaisseaux, & de résoudre des concrétions muqueuses. Mais en général, l'application extérieure de ce remede, & sur-tout son usage intérieur demande beaucoup de prudence & d'expérience de la part du medecin.


CANTHARUS(Littérature) c'est proprement le nom qu'on donnoit à la coupe dont Bacchus se servoit pour boire, ce qui fait juger qu'elle étoit de bonne mesure, gravis, pesante, comme dit Virgile, Pline, l. XXXIII. c. liij. reproche à Marius d'avoir bu dans une pareille coupe après la bataille qu'il gagna contre les Cimbres. (D.J.)


CANTHENOcantharus, s. m. (Hist. nat. Ichth.) poisson de mer qui ressemble au sargo & au sparaillon pour la forme du corps, mais qui differe de ces poissons & des autres du même genre, en ce que sa couleur est plus obscure & plus noires ; que ses écailles sont beaucoup plus petites ; qu'il n'y a pas de cercle noir auprès de la queue ; que ses dents, quoique disposées de la même maniere que dans les autres poissons de ce genre, ne sont pas larges, mais au contraire menues & pointues, & qu'il n'a point dans les mâchoires de tubercules osseux, mais seulement quelques inégalités : enfin la principale différence consiste dans des lignes jaunâtres presque paralleles, qui s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue, comme dans la saupe, mais cependant d'une couleur plus obscure. L'iris des yeux est d'une belle couleur d'argent sans aucun mélange de couleur d'or ni d'autres couleurs ; les lignes qui passent sur le milieu des côtés sont bien marquées, & plus larges que dans la plûpart des autres poissons. Rondelet prétend que l'on a donné à ce poisson le nom de cantharus, parce qu'il reste dans l'ordure comme l'insecte qui est appellé en françois fouille merde, & en latin cantharus. En effet le cantheno demeure dans la fange sur les bords des ports de mer, à l'embouchure des fleuves, & dans les endroits où les flots de la mer entraînent des immondices. Ce poisson est assez fréquent dans la mer Méditerranée : on en trouve à Rome & à Genes ; sa chair a la même qualité que celle de la dorade, du sparaillon, du sargo, &c. Willughby, hist. pisc. Voyez POISSON. (I)


CANTHUSS. m. terme d'Anatomie, est le coin ou angle de l'oeil, formé par la commissure ou jonction de la paupiere supérieure & de l'inférieure. Voy. OEIL.

L'angle qui est du côté de l'oeil, s'appelle le grand canthus, ou le canthus interne. Celui qui est du côté des tempes s'appelle petit canthus, ou canthus externe. (L).


CANTILLANA(Géogr.) petite ville & comté d'Espagne dans l'Andalousie, sur le Guadalquivir.


CANTIMARONou CATIMARONS, subst. m. (Mar.) ce sont deux ou trois canots de piés d'arbres croisés & liés ensemble avec des cordes de coco, qui soûtiennent des voiles de nattes en forme de triangle, dont les Negres de la côte de Coromandel se servent pour aller pêcher ; & même trafiquer de proche en proche. Ceux qui les conduisent sont ordinairement à demi dans l'eau, assis les jambes croisées, n'y ayant qu'un endroit un peu élevé vers le milieu, pour mettre leurs marchandises. Ils ne font aucune difficulté d'aller à dix ou douze lieues au large ; ils vont très-vîte, pour peu qu'il vente. (Z)


CANTINES. f. dans l'Art militaire, est le lieu où l'on fournit aux soldats de la garnison l'eau-de-vie, le vin & la biere à un certain prix beaucoup au-dessous de celui des cabarets. C'est un privilége particulier que le roi veut bien accorder à ses troupes.

Il y a aussi des cantines pour les fournir de tabac. (Q)


CANTIQUES. m. (Hist. & belles-Lett.) discours ou paroles que l'on chante en l'honneur de la divinité.

Les premiers & les plus anciens cantiques furent composés en mémoire de quelques événemens mémorables, & doivent être comptés entre les premiers monumens historiques.

" Le genre humain s'étant multiplié, dit un auteur moderne, & Dieu ayant fait éclater sa puissance en faveur du juste contre l'injuste, les peuples reconnoissans immortaliserent le bienfait par des chants, qu'une religieuse tradition fit passer à la postérité. C'est de là que viennent les cantiques de Moyse, de Debora, de Judith ; ceux de David & des prophetes ". Voyez PSEAUME.

M. Fourmont prétend qu'il y a dans les pseaumes & dans les cantiques des Hébreux des dictions étrangeres, des expressions peu usitées ailleurs, des phrases dont les mots sont transposés ; que leur style, comme celui de nos odes, en devient plus hardi, en paroit plus pompeux & plus énergique ; qu'on y trouve des strophes, des mesures & différentes sortes de vers, & même des rimes. Voyez RIME.

Ces cantiques étoient chantés par des choeurs de musique, au son des instrumens, & souvent accompagnés de danses, comme il paroit par l'Ecriture.

La plus longue piece qu'elle nous offre en ce genre, est le Cantique des cantiques, ouvrage attribué à Salomon ; & que quelques auteurs prétendent n'être que l'épithalame de son mariage avec la fille du roi d'Egypte ; mais les Théologiens prouvent que sous cet emblème il s'agit de l'union de Jesus-Christ avec l'Eglise.

" Quoique les Payens, dit encore l'auteur que nous avons déjà cité, se trompassent dans l'objet de leur culte, cependant ils avoient dans le fonds de leurs fêtes le même principe que les adorateurs du vrai Dieu. Ce fut la joie & la reconnoissance qui leur fit instituer des jours solemnels pour célébrer les dieux auxquels ils se croyoient redevables de leur récolte. De-là vinrent ces chants de joie qu'ils nommoient dithyrambes, parce qu'ils étoient consacrés au dieu qui, selon la fable, eut une double naissance, c'est-à-dire à Bacchus.... Après les dieux, les héros enfans des dieux devinrent les objets de ces chants.... C'est ce qui a produit les poëmes d'Orphée, de Linus, d'Alcée, de Pindare, &c. " Voyez DITHYRAMBE & ODE. Cours de Bell. Lett. tome. II. p. 28. & 29.

Au reste ni parmi les Hébreux ni parmi les Payens les cantiques n'étoient pas tellement des expressions de la joie publique, qu'on ne les employât aussi dans les occasions tristes & lugubres ; témoin ce beau cantique de David sur la mort de Saül & de Jonathas, qu'on trouve au II. livre des Rois, ch. I. Ces sortes de cantiques ou d'élégies eurent tant de charmes pour les Hébreux, qu'ils en firent des recueils, & que long-tems après la mort de Josias ils répétoient les plaintes de Jérémie sur la fin tragique de ce roi. II. Paralip. ch. xxxv.

Les anciens donnoient encore le nom de cantiques à certains monologues passionnés & touchans de leurs tragédies, qu'on chantoit sur le mode hypodorien & hypophrygien, comme nous l'apprend Aristote au xjx. de ses problèmes, à-peu-près comme certains monologues qui, dans quelques tragédies de Corneille, sont en stances de vers irréguliers, & qu'on auroit pû mettre en musique. Telles sont les stances du Cid, celles de Polieucte, qui sont très-belles, & celles d'Héraclius. Au reste l'usage de ces stances paroît entierement banni de nos tragédies modernes. Voyez STANCES. (G)


CANTONS. m. (Hist. mod.) quartier d'une ville que l'on considere comme séparé de tous les autres. Voyez QUARTIER.

Ce mot paroît dérivé de l'italien cantone, pierre de coin.

Le mot canton est plus communément employé pour désigner une petite contrée ou district sous un gouvernement séparé.

Tels sont les treize Cantons suisses, dont chacun forme une république à part. Ils sont cependant liés ensemble, & composent ce qu'on appelle le corps helvétique ou la république des Suisses. (G)

CANTON, en terme de Blason, est une des neuf pieces honorables des armoiries. C'est une partie quarrée de l'écu séparée des autres. Elle n'a aucune proportion fixe, quoiqu'elle doive être, suivant les regles, plus petite que le quartier. Elle est souvent la neuvieme partie de l'écu, & on l'employe comme une addition ou différence, & souvent pour marque de bâtardise.

Le canton est quelquefois placé au coin dextre, & quelquefois au fenestre ; & dans ce cas on l'appelle canton senestré. Sa forme est représentée dans Planch. Herald. On dit : il porte d'hermine au canton d'argent chargé d'un chevron de gueules.

Les espaces que laissent les croix & les sautoirs, sont aussi nommés cantons. (V)

CANTON, voyez QUAN-TON.


CANTONNÉadj. terme d'Architecture. On dit qu'un bâtiment est cantonné, quand son encoignure est ornée d'une colonne ou d'un pilastre angulaire, ou de chaînes en liaison de pierres de refend ou de bossages, ou de quelques autres corps qui excedent le nud du mur. Les anciens nommoient les pilastres qui étoient aux encoignures, antes ; & les temples où il y avoit de ces pilastres, temples à antes.

CANTONNE, en terme de Blason, se dit lorsque les espaces que les croix & les sautoirs laissent vuides, sont remplis de quelques figures.

Remond de Modene en Provence, de gueules à la croix d'argent, cantonné de quatre coquilles de même. (V)


CANTONNERCANTONNER


CANTORS. m. (Comm.) poids dont on se sert en Sardaigne, un cantor pese cent quarante-cinq livres de Venise, Voyez LITRE.


CANTORBERY(Géogr.) ville d'Angleterre, capitale du comté de Kent sur la Stoure. L'archevêque est primat d'Angleterre. Longit. 18. 38. lat. 51. 17.


CANTRES. f. se dit dans les Manufactures en soie, d'une partie de l'ourdissoir dans laquelle on passe les rochets pour ourdir. Voyez OURDISSOIR.

* CANTRE, pour les velours & autres ouvrages, est aussi dans les Manufactures en soie, une espece de chassis soûtenus sur des piés plus courts par-devant que par-derriere ; ce qui incline le chassis du côté de l'ouvrier. Ce chassis est divisé, selon sa longueur, en deux parties égales par une traverse. Cette traverse & les côtés du chassis qui lui sont paralleles, sont percés de petits trous. Ces petits trous reçoivent autant de broches de fil-de-fer. Ces broches sont chacune portées par les deux bouts sur les deux côtés en longueur de la cantre, & par le milieu sur la traverse parallele à ces côtés. C'est sur elles qu'on enfile les roquetins à qui elles servent d'axe. Les fils de soie dont les roquetins sont chargés ne se mêlent point, au moyen de l'inclinaison de la cantre & de son plan incliné, qui tient toutes les broches, & par conséquent chaque rangée de roquetins plus haute l'une que l'autre. La cantre est placée au derriere du métier. Quant à son usage, voyez l'article VELOURS.


CANUSALPHESTEL, s. m. (Hist. nat. Icth.) poisson de mer. Son dos est de couleur de pourpre, & le reste du corps jaunâtre. Le canus est plus étroit que la dorade & le pagre. Il est assez semblable à la mendole, quoique plus grand & plus épais. Il a un pié de longueur : sa bouche est de médiocre grandeur. Il a des levres ; ses dents sont serrées les unes contre les autres. Il a depuis la tête jusqu'à la queue des piquans joints ensemble par une membrane fort mince, Rondelet. Voyez POISSON. (I)


CANZON(Géogr.) petite ville d'Italie dans le duché de Milan, au comté de Come.


CANZUGA(Géogr.) ville de Pologne, dans le palatinat de Russie.


CANZULA(Géog.) ville maritime d'Asie au Japon, dans l'île de Niphon.


CAO(Géogr.) ville de la Chine, sur un lac de même nom, dans la province de Kiang-nan.


CAOCHEou TCHAOTCHEOU, (Géog.) ville de la Chine, dans la province de Quan-ton.


CAOMING(Géog.) petite ville de guerre de la Chine, dans la province de Younnang.


CAOPOIBA(Hist. nat. bot.) arbre des Indes, de la hauteur & de la forme du hêtre. Son écorce est cendrée, & a des ondes brunes ; ses feuilles sont fermes, de figure oblongue, & il sort de leur queue, quand on la rompt, une liqueur laiteuse ; ses fleurs ont un pédicule ; elles ont l'étendue de la rose : les pétales en sont blancs, avec de petits onglets rouges ; au lieu de nombril on leur remarque un petit globule rouge, résineux, de la grosseur d'un pois ; qui donne une liqueur gluante, jaunâtre, transparente, & assez semblable à la térébenthine. Le fruit est dans une capsule, de même que le gland, & laisse voir, quand on le coupe en long avant la maturité, plusieurs rangs de semences de la grosseur & de la figure des pepins de pommes. Chaque semence est couverte d'une pellicule rouge, sous une autre, couleur de vermillon. La pulpe du fruit est jaune, & donne un suc jaune. L'écorce de l'arbre, qui est épaisse, se sépare aisément du bois, qui est fragile, & qui contient une moelle que l'on en tire facilement, & qui laisse le bois creux.

Il y a une autre espece de caopoiba à écorce grise, & à feuilles oblongues & carinées.


CAOou CAHOR, (Géog.) royaume d'Asie dans l'Inde, au-delà du Gange : la capitale porte le même nom.


CAORA(Géogr.) riviere de l'Amérique méridionale.


CAORLE(Géog.) petite île du golfe de Venise, sur les côtes du Frioul.


CAOUANNE(Hist. nat. Zoolog.) grande tortue de mer dont la chair, quoique mangeable ; n'a pas la délicatesse de celle qu'on appelle tortue franche ; d'ailleurs elle lui ressemble en tout. Voyez TORTUE.


CAOUParbre qui croît dans l'île de Maragnan dans l'Amérique. Sa feuille ressemble à celle du pommier, mais elle est plus large. Il a la fleur rouge ou jaune, & le fruit comme l'orange pour la figure & le goût : il est plein d'amandes.


CAPS. m. ou PROUE, (Marine) c'est la pointe qui est à l'avant du vaisseau, qu'on nomme aussi poulaine, éperon, avantage ; tous mots usités parmi les gens de mer pour signifier la même chose. Voyez Pl. I. la cotte N.

On dit mettre le cap, porter le cap, avoir le cap à terre ou au large, pour dire mettre la proue du vaisseau du côté de la terre ou de la mer.

Porter le cap sur l'ennemi, c'est faire route pour l'aller chercher & avancer sur lui.

Porter le cap, mettre le cap à l'oüest, au sud, au nord, &c. c'est faire route à l'oüest ou au sud.

Avoir le cap à la marée ; cela se dit lorsque le vaisseau présente l'avant au courant de flot.

CAP DE MOUTON, (Marine) Les caps de mouton sont de petits billots de bois taillés en façon de poulie, qui sont environnés & fortifiés d'une bande de fer, pour empêcher que le bois n'éclate.

Le cap de mouton est percé par trois endroits sur le plat, ayant à chaque trou une ride ; c'est ainsi qu'on appelle une petite corde qui sert à plusieurs autres usages. Ordinairement il entre 160 caps de mouton pour agréer un vaisseau.

Les caps de mouton servent principalement à rider ou roidir les haubans & les otais : c'est par leur moyen qu'on roidit ou lâche ces manoeuvres dormantes, selon qu'on y est obligé par le tems qu'il fait. Ils servent aussi à donner la forme aux trélingages, qui sont au haut des étais, ayant divers petits trous par où passent les marticles ; ils sont en même tems une espece d'ornement au vaisseau. Ils sont de figure ovale & plats : ceux des haubans sont amarrés aux porte-haubans ou aux cadenes.

Les caps de mouton des grands haubans sont amarrés aux porte-haubans, moitié dans les haubans, moitié dans les cadenes ; & comme les cordages neufs se lâchent, il faut les roidir autant qu'il se peut en fanant.

CAP DE MOUTON de martinet, (Marine) c'est le cap de mouton du trélingage ou des marticles qui sont au bout du martinet de l'artimon & à la vergue ; mais le cap de mouton sur l'étai, qui a la figure ovale, d'où partent plusieurs lignes qui vont en s'élargissant en patte d'oie sur le bord de la hune, est pour empêcher les huniers de se couper contre la hune, c'est la moque de trélingages. Voyez MARTINET, MARTICLE, ELINGAGEGAGE.

CAP DE MOUTON à croc, (Marine) ce sont des caps de mouton où il y a un croc de fer, pour accrocher au côté d'une chaloupe ; c'est-là qu'on a coûtume de les faire pour retenir les haubans.

CAP DE MORE, TETE DE MORE, BLOC, CHOUQUET, voyez CHOUQUET. (Z)

CAP, ou CAVESSE DE MORE, (Manege) est un cheval de poil rouhan, qui outre son mélange de poil gris & bai, a la tête & les extrémités des piés noires. Voyez ROUHAN. (V)

* CAP, ou PROMONTOIRE, s. m. (Géog.) ce mot est dérivé de l'italien capo, qui veut dire tête en cette langue. Les Grecs se servoient des mots , ou , pour désigner un cap, & les Latins de promontorium ; c'est une pointe de terre qui s'avance dans la mer, plus que les terres contiguës. Quand en rangeant une côte, on passe près d'un cap, on se sert à la mer de l'expression doubler le cap, parer le cap. La Sicile fut appellée par les anciens trinacria, à cause de ses trois caps ou promontoires.

CAP DE BONNE-ESPERANCE : ce cap est à l'extrémité méridionale de l'Afrique ; les Portugais le découvrirent ; depuis les Hollandois y bâtirent un fort & s'y établirent ; ensorte qu'ils exigent des péages des autres nations qui y abordent. Il y croît du froment & de l'orge en abondance, ainsi que différentes sortes de légumes & de fruits ; il y croît aussi du vin de liqueur très-estimé. Long. 37. 45. lat. mérid. 34. 40.

CAP-BRETON, voyez ISLE ROYALE.

CAP-FRANÇOIS ; il est sur la côte septentrionale de l'île de S. Domingue ; & c'est le port le plus fréquenté de la partie de cette île qui appartient aux François. On y a bâti une ville considérable.

CAP-VERD, (Géog.) cap très-considérable sur la côte d'Afrique ; il a été découvert par les Portugais en 1474 ; il est bordé des deux côtés par la Gambre & le Sénégal. Il est habité par des Negres, qui sont laborieux & appliqués, & dont la plûpart adorent la Lune & les diables.

CAP-VERD, (îles du) Voyez ISLES.


CAPABLEadj. (en Droit) est celui qui a les qualités requises par les lois pour faire quelque fonction appartenante à la vie civile : par exemple, il faut avoir 25 ans accomplis pour être capable d'aliéner. Il faut être regnicole pour être capable de posséder des bénéfices en France ; il n'y a que les gradués qui soient capables de posséder des cures dans les villes murées. (H)

CAPABLE, (Géom.) on dit qu'un segment de cercle est capable d'un angle, lorsque ce segment est tel qu'on y peut inscrire cet angle ; ensorte que les deux côtés de l'angle se terminent aux extrémités du segment, & que le sommet de l'angle soit sur la circonférence du segment. On sait que tous les angles inscrits dans un même segment sont égaux ; ainsi le segment E F D (fig. 95. Géom.) est capable de l'angle E F D, ou de son égal E H D. On a plusieurs méthodes pour décrire un segment capable d'un angle donné : en voici une assez simple. Faites un triangle isoscele, dont l'angle au sommet E F D soit égal à l'angle donné ; ou, ce qui est la même chose, faites les angles F E D, F D E, égaux chacun à la moitié de 180 degrés moins la moitié de l'angle donné ; & par les points F, D, décrivez l'arc de cercle E F D. Voyez CERCLE. (O)


CAPACCIOou CAPACE, (Géog.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure. Long. 32. 38. lat. 40. 27.


CAPACITÉS. f. dans un sens général marque une aptitude ou disposition à quelque chose.

Les lois d'Angleterre donnent au roi deux capacités ; l'une naturelle, & l'autre politique : par la premiere, il peut acheter des terres pour lui & ses héritiers ; par la seconde, il en peut acheter pour lui & ses successeurs ; il en est de même du clergé.

CAPACITE, (en Droit) se prend dans le même sens que capable. Voyez ci-dessus.

En Droit canonique, on entend par capacité, les qualités extérieures seulement, comme l'extrait baptistaire, la tonsure, les dimissoires, s'il en est besoin, la provision du bénéfice, la prise de possession, & quelquefois les grades, les indults, ou autres priviléges. (H)

CAPACITE d'un corps, se dit proprement de l'espace ou volume qu'il occupe. Voyez ESPACE, VOLUME. (O)


CAPADES. f. (terme de Chapelier) est une certaine quantité de laine ou de poil qu'on a formée par le moyen de l'arçon. Un chapeau est composé de quatre capades que l'on feutre sur le bassin, & que les ouvriers foulent ensuite avec de la lie de vin.

* CAPADES, s. m. pl. (Hist. mod.) l'on nomme ainsi aux Indes chez les Maures & parmi d'autres nations, les eunuques noirs à qui on confie la garde des femmes, & qui les accompagnent dans leurs voyages.


CAPALANIERS. m. (Marine) on nomme ainsi sur les vaisseaux bretons qui vont à la pêche de la morue seche, les matelots qui aident à cette pêche ; ils ont rang entre les décoleurs & les saleurs, & ont le même pot-de-vin. Voyez DECOLEUR & SALEUR. (Z)


CAPALITA(Géog.) grande ville de l'Amérique septentrionale, dans la province de Guaxaca.


CAPARAÇONS. m. (Manege) couverture qu'on met sur les chevaux. Les caparaçons ordinaires sont d'une simple toile ou treillis pour l'été, ou de drap en hyver ; ceux des chevaux de main sont de drap, ornés & chargés des armoiries ou des chiffres du maître, en or, en argent, en laine ou en soie. Les caparaçons des anciens gendarmes étoient de riches housses brodées, dont ils faisoient parade dans les montres, les tournois, les pompes, & les cérémonies. Les caparaçons étoient autrefois une armure de fer dont on couvroit les chevaux de bataille.

Les caparaçons de l'armée sont quelquefois d'une grande peau d'ours ou de tigre, de même que ceux des chevaux de carrosse en hyver. (V)


CAPARAÇONNERCAPARAÇONNER


CAPDENAC(Géog.) ancienne & petite ville de France dans le Quercy, sur un rocher escarpé, & presqu'environné de la riviere de Lot.


CAPES. f. ou GRAND-PACFI, (Marine) c'est la grande voile : être à la cape, c'est ne porter que la grande voile bordée, & amurée toute arriere. On met aussi à la cape avec la misene & l'artimon. On se tient à la cape, quand le vent est trop fort, & qu'il est contraire à la route qu'on veut faire. V. CAPEER. (Z)

CAPE, (la) c'est dans la Fortification, la partie supérieure du batardeau. Voyez BATARDEAU. (Q)


CAPECHIUM(Géog.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur la presqu'île de Jucatan.


CAPÉERCAPIER, CAPÉIER, aller à la cape, mettre le vaisseau à la cape, (Marine) c'est faire servir la grande voile seule, après avoir ferlé toutes les autres, & portant le gouvernail sous le vent, mettre le vaisseau coté à-travers, pour le laisser aller à la dérive, & se maintenir dans le parage où l'on est, autant qu'il est possible, soit pendant un vent forcé & de gros tems, soit quand la nuit ou la brume vous surprend auprès d'une côte qu'on ne connoît pas bien, ou qui est dangereuse, & qu'on ne veut aborder que de jour. Que si le vent n'est pas forcé, on porte aussi la misene, & quelquefois on y ajoûte l'artimon ; mais de gros tems on les amene aussi-bien que les perroquets & les huniers, pour donner moins de prise au vent ; & si l'orage est si grand qu'on ne puisse plus capéier, on fait le jet, & on met le vaisseau à sec, le laissant aller à mâts & à cordes. (Z)


CAPELANS. m. (Hist. nat. Ichth.) asellus mollis minor, seu asellus omnium minimus, anthiæ secunda species. Rond. Ce poisson est le plus petit de son genre : celui sur lequel on a fait cette description n'avoit qu'environ six pouces de longueur. Le capelan a un barbillon à l'angle de la mâchoire inférieure ; les yeux sont recouverts d'une membrane lâche ; le dos est d'un brun clair, & le ventre d'un blanc sale. La premiere nageoire du dos est composée de douze piquans ; celle du milieu en a dix-neuf, & la derniere n'en a que dix-sept. La nageoire qui est immédiatement au-delà de l'anus, en a vingt-sept, & celle qui est plus loin en a dix-sept : les nageoires des oüies en ont chacune treize, & celles du ventre n'en ont que six seulement. La chair de ce poisson est douce & tendre, & a un très-bon goût. On en trouve en grande quantité dans la mer Méditerranée, & on en voit beaucoup à Venise & à Marseille. Willughby, Hist. pisc. Voyez POISSON. (T)


CAPELERCAPELER


CAPELETS. m. (Maréchallerie) enflure qui vient au train de derriere du cheval, à l'extrémité du jarret, qui est grosse à-peu-près comme une petite balle de jeu de paume. Cette maladie est causée par une matiere phlegmatique & froide, qui s'endurcit par sa viscosité, & ne fait pas grand mal. (V)


CAPELINES. f. terme de Chirurgie, bandage pour contenir l'appareil qu'on applique sur le moignon d'un membre amputé. Voyez AMPUTATION (Y)


CAPELINESS. m. pl. en terme de Plumasserie ; ce sont des panaches ou bouquets de plumes, dont se servent quelquefois les actrices sur le théatre.


CAPELLE(LA) Géog. petite ville de France, en Picardie, dans la Thiérache, à cinq lieues de Guise. Long. 21. 34. lat. 49. 58.

CAPELLE, (Géog.) petite ville d'Allemagne, de l'électorat de Treves, sur le Rhin, au-dessus de Coblentz.


CAPELLETTIS. m. pl. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne à Venise à une milice que la république compose des sujets qu'elle a en Esclavonie, Dalmatie, Albanie & Morlachie ; qui est regardée comme l'élite de ses troupes, & à la garde de qui elle confie ses places les plus importantes : il y en a toûjours deux compagnies à Venise pour la garde du palais & de la place de S. Marc.


CAPENDU(Géog.) petite ville de France, en Languedoc, au diocese de Carcassonne.


CAPERnom latin de la constellation du capricorne. Voyez CAPRICORNE. (O)


CAPEou CABEZ, (Géog.) ville d'Afrique, au royaume de Tripoli, sur une grande riviere de même nom, qui prend sa source dans le Biledulgerid, & qui sépare les deux royaumes de Tunis & de Tripoli, & tombe dans la mer Méditerranée, dans un golfe qui porte son nom : on dit que l'eau en est si chaude, qu'on ne peut en boire qu'après l'avoir laissée refroidir.

* CAPES, (Géog.) peuple d'Afrique, en Guinée, sur les côtes de l'Océan, près de la Sierra-Lionna. On dit que dans chaque village il y a une grande maison séparée des autres, où l'on met toutes les jeunes filles du lieu, pour écouter les leçons d'un vieillard choisi pour les instruire ; au bout de l'année cette troupe de filles sort au son des instrumens, & se rend dans de certaines places pour y danser : les jeunes gens vont dans ces endroits, & y prennent pour femmes celles qui leur conviennent.


CAPESTAN(Géog.) petite ville de France, dans le Languedoc, près de la riviere d'Aude & du canal royal. Long. 20. 40. lat. 43. 25.


CAPETIENS. m. (Hist. mod.) nom par lequel on désigne la troisieme race de nos rois ; il vient de Hugues Capet, le premier roi de cette race. Il y a aujourd'hui, en 1752, 765 ans qu'elle occupe le throne de la France. Nulle généalogie ne remonte si haut que celle de Jesus-Christ, dit un auteur allemand, cité par les auteurs du Trévoux, pas même celle des Capétiens.


CAPHARS. m. (Hist. mod.) péage ou droit que les Turcs font payer aux marchands chrétiens, qui conduisent ou envoyent des marchandises d'Alep à Jérusalem.

Le droit du caphar avoit été établi par les Chrétiens mêmes, lorsqu'ils étoient maîtres de la Terre-sainte ; & ce fut pour l'entretien des troupes, qu'on mettoit dans les passages difficiles pour observer les Arabes, & empêcher leurs courses : mais les Turcs qui l'ont continué & augmenté, en abusent, faisant payer arbitrairement aux marchands & aux voyageurs chrétiens des sommes considérables, sous prétexte de les défendre des Arabes, avec qui néanmoins ils s'entendent le plus souvent pour favoriser leurs brigandages. (G)


CAPHARNAUou CAPERNAUM, (Géograph. sainte) ville maritime de la tribu de Nephthali, à l'extrémité de celle de Zabulon, sur le rivage de la mer de Tibériade. Ses habitans incrédules ne tirerent aucun fruit d'un grand nombre de miracles que Jesus-Christ fit parmi eux, & dont la lumiere auroit suffi pour éclairer d'autres peuples à qui il ne fit pas la même grace ; parce qu'il est le maître de ses dons, & qu'il peut sans injustice, les accorder à ceux qui n'en profiteront pas, & les refuser à ceux à qui ils auroient été des moyens de salut. O altitudo ! Voyez GRACE.


CAPHESou CAPHSA, (Géog.) ancienne ville d'Afrique, dans le Biledulgerid, vers la source de la riviere de Magrada.


CAPI-AGou CAPI-AGASSI, s. m. (Hist. mod.) officier turc qui est le gouverneur des portes du sérail, & le grand maître du sérail. Voyez SERAIL.

La dignité de capi-aga est la premiere des eunuques blancs : le capi-aga est toûjours auprès du grand-seigneur, il introduit les ambassadeurs à l'audience ; personne n'entre & ne sort de l'appartement du grand-seigneur que par son ministere. Sa charge lui donne le privilége de porter le turban dans le sérail, & d'aller par-tout à cheval : il accompagne le grand-seigneur jusqu'au quartier des sultanes, mais il demeure à la porte, & n'y entre point. Le grand-seigneur fait les frais de sa table, & lui donne environ soixante livres par jour : mais sa charge lui attire de plus un très-grand nombre de présens, parce qu'aucune affaire de conséquence ne vient à la connoissance de l'empereur, qu'elle n'ait passé par ses mains. Le capi-agassi ne peut être bacha quand il quitte sa charge. Voyez AGA. (G)


CAPI-CAG-TINGA(Hist. nat. bot.) espece d'acorus qui croît aux Indes occidentales, & ressemble beaucoup à celui de l'Europe par sa racine & ses feuilles ; il est seulement plus petit : mais on lui attribue des vertus bien supérieures à celles de l'autre ; il est plus chaud & plus aromatique ; il incise les humeurs froides & peccantes ; il résiste au poison, &c.


CAPIeS. f. se dit dans les manufactures où l'on travaille la soie, le fil, la laine, &c. de plusieurs brins mis en double, à l'aide desquels on serre l'écheveau quand il est fini, & l'on arrête le dernier bout ; ce qui empêche l'écheveau de se déranger, & ce qui en facilite le devidage, en permettant d'en prendre toûjours le dernier bout.


CAPIERv. act. manufacture en soie, fil, laine, &c. c'est dans un écheveau de fil, de soie, laine, &c. arrêter le bout par lequel il a commencé, & celui par lequel il a fini, de façon qu'au devidage on puisse toûjours trouver & prendre le dernier ; la façon d'arrêter est arbitraire. Dans le fil on noue les deux bouts ensemble ; dans la soie on les arrête séparément. Quand il est question de teindre en bleu, eu verd, ou autres couleurs dont la teinture ne doit être que tiede, on casse les capies sous lesquelles la teinture ne prendroit pas, parce qu'ordinairement elles resserrent la partie de l'écheveau qu'elles enveloppent. Le reglement de Piémont ordonne de capier les organcins toutes les huit heures, & les tramer toutes les quatre : cela vient de ce que les organcins sont plus tors que les trames, & que par conséquent les aspes ou guindres se chargent d'une beaucoup moindre quantité d'organcins que de trames, en des tems égaux.

CAPIER se dit aussi, dans les manufactures en soie ; des mailles qu'on est obligé de faire aux lisses, lorsqu'elles commencent à s'user : c'est arrêter la maille par son noeud sur la cristelle, précisément dans l'endroit qu'elle doit occuper. Voyez CRISTELLE.


CAPIGIS. m. (Hist. mod.) portier du serrail du grand-seigneur. Il y a dans le serrail environ cinq cent capigis ou portiers partagés en deux troupes : l'une de trois cent, sous un chef appellé capigi-bassa, qui a de provision trois ducats par jour ; & l'autre de deux cent appellés cuccicapigi, de leur chef cuccicapigi-bassi qui a deux ducats d'appointe ment. Les capigis ont depuis sept jusqu'à quinze aspres par jour, l'un plus, l'autre moins. Leurs fonctions sont d'assister avec les janissaires à la garde de la premiere & de la seconde porte du serrail, quelquefois tous ensemble, comme quand le grand-seigneur tient conseil général, qu'il reçoit un ambassadeur, ou qu'il va à la mosquée ; & quelquefois ils ne gardent qu'une partie, & se rangent des deux cotés, pour empêcher que personne n'entre avec des armes, ou ne fasse du tumulte, &c.

Ce mot dans son origine signifie porte. Voyez SERRAIL. (G)

CAPIGI-BACHI, s. m. (Hist. mod.) capitaine des portes, officier du serrail du grand-seigneur. Les capigis-bachis sont subordonnés au capi-aga ou capou-agassi, & sont au nombre de douze ; leur fonction est de monter la garde deux à deux à la troisieme porte du serrail, avec une brigade de simples capigis ou portiers. Lorsque le grand-seigneur est à la tête de son armée ou en voyage, six capigis-bachis marchent toûjours à cheval devant lui pour reconnoître les ponts ; ils y mettent pié à terre, attendent le sultan rangés à droite & à gauche sur sa route, & lui font une profonde révérence pour marquer la sûreté du passage. A l'entrée des tentes ou du serrail ils se mettent en haie à la tête de leur brigade. (G).


CAPILLAIREtiré du latin capilli, cheveux, se dit de plusieurs choses, pour marquer leur petitesse, &c. qui ressemble à celle des cheveux.

Vaisseaux CAPILLAIRES, en Anatomie, ce sont les dernieres & les plus petites ramifications des veines & des arteres, qui sont insensibles, & qui lorsqu'on les coupe ou rompt, ne rendent que fort peu de sang. Voyez VEINE & ARTERE.

Les vaisseaux capillaires doivent être beaucoup plus fins que les cheveux, on ne sauroit mieux les comparer qu'aux fils des toiles d'araignée, & on les appelle quelquefois vaisseaux évanoüissans. Voyez CIRCULATION. (L)

Les tuyaux ou tubes capillaires, en Physique, sont de petits tuyaux les plus étroits que les ouvriers puissent faire, & non pas dont le diametre ne passe pas la grosseur d'un cheveu ; car on n'en a peut-être jamais fait de cette espece.

Le diametre ordinaire des vaisseaux capillaires est de la moitié, du tiers, ou du quart d'une ligne : cependant le docteur Hook nous assûre qu'il a tiré à la flamme d'une lampe des tuyaux plus petits encore, & au moins aussi fins qu'un fil de toile d'araignée. Ce fait est assez difficile à croire.

L'ascension de l'eau dans les tuyaux capillaires est un phénomene, dont l'explication embarrasse fort les Philosophes. Mettez dans l'eau l'un des bouts d'un petit tuyau ou d'un petit tube ouvert des deux côtés, & l'eau s'élevera à une hauteur sensible dans le tube où elle demeurera suspendue : de plus plongez dans le fluide plusieurs tubes capillaires, dont l'un soit d'un diametre beaucoup plus petit que l'autre, l'eau montera beaucoup plus haut dans le petit tube capillaire : son élévation sera en raison réciproque du diametre des tubes.

Cette élévation spontanée, contraire en apparence aux lois de la pesanteur, mérite une attention particuliere. Le corps humain est une machine hydraulique ; & dans le nombre presqu'infini de tuyaux qui le composent, celui des capillaires est sans comparaison le plus grand ; & c'est par conséquent la connoissance de cette espece de tuyau qui nous intéresse le plus.

M. Carré, aidé de M. Geoffroy, dit avoir fait sur les tuyaux capillaires les expériences suivantes, 1°. l'eau s'étant élevée au-dessus de son niveau dans un tuyau capillaire, si ensuite on pompe l'air aussi exactement qu'il soit possible, elle ne redescend point ; au contraire elle monte encore un peu : 2°. si l'on enduit de suif le dedans d'un tuyau capillaire, l'eau ne s'y met que de niveau au reste de sa surface : mais si ce tuyau n'est en duit de suif que jusqu'à une hauteur moindre que celle où il est plongé dans l'eau, elle monte à son ordinaire au-dessus de son niveau ; & s'il n'est enduit de suif que d'un côté, l'eau de ce côté-là se met de niveau, & de l'autre monte au-dessus. Hist. acad. 1705.

Plusieurs auteurs attribuent l'ascension de l'eau dans ces tuyaux, à la pression inégale de l'air dans des tubes inégaux : l'air, disent-ils, est composé de parties rameuses, spongieuses, entremêlées & enbarrassées les unes avec les autres : ainsi une colonne d'air étant placée perpendiculairement sur l'ouverture d'un petit tuyau capillaire, une partie sensible de la pression agira sur les parois de la surface du tube, de façon que la colonne ne pressera pas avec tout son poids sur le fluide placé au-dessous, mais qu'elle en aura perdu une quantité plus ou moins grande, suivant que le diametre sera plus petit ou plus grand. Mais une explication si vague se détruit & par elle-même, & par cette observation, que l'expérience réussit aussi-bien dans le vuide que dans l'air.

D'autres, comme M. Hauksbée, &c. ont recours à l'attraction des anneaux de la surface concave du tube ; & le docteur Morgan souscrit à cette opinion en ces termes. " Une partie de la gravité de l'eau dans ce tube étant arrêtée par la force attractive de la surface interne concave du verre ; le fluide qui est dans le tube devra, au moyen de la supériorité du poids extérieur, monter aussi haut qu'il faudroit pour compenser cette diminution de gravité produite par l'attraction du verre ". Il ajoûte que comme la force de l'attraction des tubes est en raison réciproque des diametres, on pourra en diminuant ces diametres, ou en prenant des tubes de plus en plus petits, faire monter l'eau en telle hauteur qu'on voudra.

Mais cet auteur s'est un peu mépris en cela, selon M. Jurin ; car puisque dans les tuyaux capillaires la hauteur à laquelle l'eau s'élevera naturellement, est réciproquement comme le diametre du tube, il s'ensuit de-là que la surface qui tient l'eau suspendue est toûjours une quantité donnée : mais la colonne d'eau suspendue dans chaque tube est comme le diametre du tube ; & par conséquent si l'attraction de la surface contenante étoit la cause de la suspension de l'eau, il s'ensuivroit de-là, selon M. Jurin, que des causes égales produiroient des effets inégaux ; ce qui est absurde. De plus, M. Jurin ajoûte que ce n'est pas seulement l'explication de M. Hauksbée qui s'étend trop loin, mais aussi le phénomene qu'il suppose ; car il n'a pas lieu dans tous les fluides : il arrive même tout le contraire dans le mercure ; cette liqueur ne s'élevant pas dans le tube jusqu'au niveau de celle qui est dans le vaisseau, & la hauteur qui s'en manque se trouvant d'autant plus grande, que le vaisseau est plus petit.

M. Jurin propose une autre explication de ce phénomene, laquelle est confirmée, selon lui, par les expériences. " La suspension de l'eau, dans le système de cet auteur, doit s'attribuer à l'attraction de cette circonférence de la surface concave du tube, à laquelle la surface supérieure de l'eau est contiguë, & adhere ; cette circonférence étant la seule partie du tube de laquelle l'eau doive s'éloigner en sortant du repos, & par conséquent la seule qui par la force de sa cohésion & de son attraction, s'oppose à la descente de l'eau ". Il fait voir que c'est une cause proportionnelle à l'effet, parce que cette circonférence & la colonne suspendue sont toutes deux en la même proportion du diametre du tube. Après cette explication de la suspension de la liqueur, l'ascension qui paroît spontanée de cette même liqueur dans ce tube s'expliquera aussi fort aisément ; car puisque l'eau qui entre dans les tuyaux capillaires, aussi-tôt que leur orifice y est plongé, perd une partie de sa gravité par l'attraction de la circonférence à laquelle la surface touche, il faut donc nécessairement qu'elle s'éleve plus haut, soit par la pression de l'eau stagnante, soit par l'attraction de la circonférence qui est immédiatement au-dessus de celle qui est contiguë.

M. Clairaut, dans sa Théorie de la figure de la terre, imprimée à Paris en 1734, a donné une théorie de l'élévation ou de l'abaissement des liqueurs dans les tuyaux capillaires, où il combat l'explication de M. Jurin. Voici ce qu'il lui objecte.

1°. On ne sauroit employer le principe que les effets sont proportionnels aux causes, que quand on remonte à une cause premiere & unique, & non lorsqu'on examine un effet qui résulte de la combinaison de plusieurs causes particulieres, qu'on n'évalue pas chacune séparément : or quand on compare l'élevation de l'eau dans deux tubes différens, l'attraction de chaque surface est le résultat de toutes les attractions de chaque particule de verre sur toutes celles de l'eau, & comme toutes les petites forces qui composent la force totale d'une de ces surfaces ne sont pas égales entr'elles, on n'a aucune raison pour conclure l'égalité d'attraction de deux surfaces, de l'égalité d'étendue de ces surfaces ; il faudroit de plus que ces surfaces fussent pareilles. Par la même raison, quand même on admettroit que le seul anneau du verre qui est au-dessus de l'eau seroit la cause de l'élévation de l'eau, on n'en sauroit conclure que le poids élevé devroit être proportionnel à ce diametre ; parce qu'on ne peut connoître la force de cet anneau, qu'en sommant celle de toutes les particules.

2°. Supposé qu'on eût trouvé que la force d'un anneau de verre fût en raison constante avec son diametre, on n'en pourroit pas conclure qu'une colonne du fluide d'un poids proportionnel à cette force, seroit suspendue par son moyen. On voit bien qu'un corps solide tiré en-haut par une force égale à son poids, ne sauroit tomber : mais si ce corps est fluide, ses parties étant détachées les unes des autres, il faut faire voir qu'elles se soûtiennent mutuellement.

M. Clairaut examine en suite la question des tuyaux capillaires, par les principes généraux de l'équilibre des fluides : son exposé est trop géométrique pour être rendu ici, & nous renvoyons à l'ouvrage même ceux qui voudront s'en instruire. Nous nous contenterons de dire que M. Clairaut attribue l'élévation de l'eau à l'attraction du bout inférieur du verre, & à celle du bout supérieur ; & qu'il fait voir que quand le tube a un fort petit diametre, l'eau doit s'y élever à une hauteur qui est en raison inverse de ce diametre ; pourvû qu'on suppose que l'attraction du verre agisse suivant une certaine loi. Il ajoûte que quand même l'attraction du tuyau capillaire seroit d'une intensité plus petite que celle de l'eau, pourvû que cette intensité ne fût pas deux fois moindre, l'eau monteroit encore ; ce qu'il prouve par ses formules. Il explique en passant une expérience de M. Jurin, qui au premier coup-d'oeil paroît contraire à ses principes : cette expérience consiste en ce que si on soude deux tuyaux capillaires d'inégale grosseur, & qu'on trempe le bout le plus étroit dans l'eau, cette liqueur n'y monte pas plus haut que si tout le tuyau étoit de la même grosseur que par le bout d'en-haut. Quand à la descente du vif-argent dans les tuyaux capillaires, il l'explique en montrant que les forces qui tirent en en-bas dans la colonne qui traverse le tube, sont plus grandes que les forces qui agissent dans les autres colonnes ; & qu'ainsi cette colonne doit être la plus courte, afin de faire équilibre aux autres.

Au reste dans cette explication M. Clairaut suppose que l'attraction n'est pas en raison inverse des quarrés des distances, mais qu'elle suit une autre loi, & dépend d'une fonction quelconque de la distance ; sur quoi voyez la fin de l'article ATTRACTION.

Il faut pourtant ajoûter à ce que nous avons dit dans cet article, que si on suppose les phénomenes des tuyaux capillaires produits par l'attraction, il paroît difficile d'exprimer la loi de cette attraction, autrement que par une fonction de la distance ; car cette attraction ne sauroit être en raison inverse du quarré de la distance, parce qu'elle est trop forte au point de contact ; nous l'avons prouvé à l'article ATTRACTION. Elle ne sauroit être non plus comme une simple puissance plus grande que le quarré ; car elle seroit infinie à ce point de contact ; elle ne peut donc être que comme une fonction : il est vrai qu'une telle loi seroit bien bizarre, & que cela suffit peut-être pour suspendre son jugement sur la cause de ce phénomene.

On trouve dans les tomes VIII. & IX. des mémoires de l'académie de Petersbourg, des dissertations sur cette même matiere, par M. Weitbrecht. L'auteur paroît la bien entendre, & l'avoir approfondie. La dissertation de M. Jurin sur les tuyaux capillaires, contient un choix ingénieux d'expériences faites pour remonter à la cause de ces phénomenes ; elle est insérée dans les Transactions philosophiques, & on la trouve en françois à la fin des leçons de Physique expérimentale de M. Cotes, traduites par M. le Monnier, & imprimées à Paris en 1742.

De toutes les liqueurs qui s'élevent dans les tuyaux capillaires, l'eau est celle qui monte le plus haut : c'est ce que M. Carré a trouvé en faisant les expériences des tuyaux capillaires avec un grand nombre de liqueurs différentes. Selon cet auteur, la raison de cette ascension plus grande de l'eau, c'est que les surfaces de ses petites parties sont d'une telle configuration, qu'elles touchent plus immédiatement, c'est-à-dire en un plus grand nombre de points, la surface du verre. Il est aisé d'appliquer ce raisonnement aux liqueurs qui mouillent certains corps, & n'en peuvent mouiller d'autres : car lorsque les parties des liqueurs ont leurs surfaces telles qu'elles peuvent s'appliquer plus immédiatement à la surface des corps qu'elles touchent, elles y adherent, & y sont comme collées, soûtenues d'ailleurs par la pression du fluide environnant ; & c'est par cette raison que les gouttes d'eau suspendues aux feuilles des arbres, ou à d'autres corps, ne tombent pas. L'on peut aussi par ce même principe rendre raison pourquoi certaines liqueurs, comme l'huile & l'eau, ne s'unissent pas ; & au contraire, pourquoi les parties d'une même liqueur s'unissent si facilement.

Nous devons à M. Formey une partie de cet article. (O)

CAPILLAIRE, (fracture) est une fracture au crane si peu marquée qu'à peine la peut-on voir : elle ne laisse pas d'être mortelle. Voyez FRACTURE & FISSURE.

La fracture capillaire est l'effet d'un coup, d'une chûte, qui peut procurer un dépôt sous le crane, ainsi lorsqu'on l'a reconnue, il faut faire l'opération du trépan. Voyez TREPANER. (N)

CAPILLAIRE, (Hist. nat. bot.) adiantum, genre de plante que l'on peut reconnoître par ses feuilles. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CAPILLAIRE, (Medecine) se dit de cinq plantes dont voici les noms ; savoir l'adiante commun ou noir ; l'adiante blanc, appellé capillaire de Montpellier ; le polytric, voyez POLYTRIC ; le céterach ou la scolopendre, voyez CETERACH ; & la salvia vitae ou ruta muraria. Voyez RUE DE MURAILLE.

La vertu de tous les capillaires est d'être incisifs, atténuans, diurétiques, stomachiques, & propres pour aider l'expectoration. Le meilleur capillaire est le suivant.

C'est de l'adiantum fruticosum brasilianum, C. B. P. qu'on fait le sirop de capillaire, qui est très-adoucissant ; on peut lui substituer le capillaire commun ; filicula quae adiantum nigrum officinarum pinnulis obtusioribus. J. R. H. Il entre dans le sirop de chicorée composé, & dans le sirop de guimauve de Fernel.

Le meilleur après ceux-là est le capillaire de Montpellier ; adiantum foliis coriandri. C. P. B. & J. R. H.

CAPILLAIRE, (sirop de) se prépare de plusieurs façons ; le meilleur est celui qui nous vient de Montpellier.

Sirop de capillaire, selon la pharmacopée nouvelle de Paris. Prenez capillaire de Canada deux onces ; faites-les infuser pendant deux heures, en y versant eau bouillante six livres : cette infusion se fera dans un vaisseau fermé ; on y fondra sucre blanc six livres ; on clarifiera ensuite, & l'on fera cuire à consistance de sirop, ou mieux encore à consistance d'électuaire : on y ajoûtera une nouvelle infusion de capillaire ; on aromatisera ensuite le sirop avec l'eau de fleur d'orange.

Le sirop de capillaire est très-vanté ; il possede toutes les vertus de cette plante : on l'employe dans les maladies de poitrine : on le mêle dans la tisane ordinaire, dans les émulsions, dans le thé, pour les rendre plus adoucissans. (N)


CAPILLAMENTS. m. (Anatom. Bot.) signifie à la lettre un cheveu, étant formé du latin capillus, & celui-ci de caput, tête, & de pilus, poil, voyez CHEVEU ; c'est pourquoi on donne figurément ce nom à plusieurs choses, qui par rapport à leur longueur & à leur finesse ressemblent à des cheveux ; comme les capillamens des nerfs, qui signifient les fibres déliées, ou les filamens dont les nerfs sont composés. Voyez NERF & FIBRE.

" La vision, dit M. Newton, ne se fait-elle pas principalement par les vibrations excitées au fond de l'oeil par des rayons de lumiere, & continuées à-travers les capillamens solides, transparens, & uniformes des nerfs optiques jusqu'au sensorium " ? Newton, Opt. Voyez VISION.


CAPILOTADES. f. (Cuisine) ragoût qu'on fait de restes de volailles & de pieces de rôti dépecées.


CAPIOGLANS. m. (Hist. mod.) espece de serviteur qui a soin dans le serrail des agemoglans, que le grand-seigneur y appelle pour être employés dans la suite auprès de sa personne.


CAPIONS. m. (Marine) capion de proue, capion de poupe ; c'est un terme dont les Levantins se servent, appellant l'étrave capion de proue, & l'étambord capion de poupe. On dit encore capion à capion, pour signifier la distance de l'extrémité de la poupe à celle de la proue. Voyez ETRAVE & ETAMBORD. (Z)


CAPISCOLS. m. (Hist. ecclésiastique) dignitaire de plusieurs églises, chapitres, cathédrales, ou collégiales, qu'on dit être le même sous un autre nom dans la Provence & le Languedoc, où cette dignité est plus ordinaire que le chantre dans les autres provinces : si l'on s'en rapporte à l'étymologie, le capiscol a la prééminence au choeur ; car capiscol vient, à ce qu'on prétend, de caput chori, le premier au choeur.


CAPISTRANO(Géog.) petite principauté d'Italie, dans le royaume de Naples.


CAPITA-GAUHAH(Hist. nat. Bot.) arbrisseau des Indes orientales, dont le bois & l'écorce ont une odeur très-pénétrante, aussi-bien que ses feuilles qui sont d'un beau verd clair, rondes, velues, & grandes. Il produit des baies d'une forme ronde, de couleur brune, & à-peu-près semblables aux grains de genievre.


CAPITAINES. m. (Art milit.) le titre de capitaine, en matiere de guerre, a toûjours signifié un commandant ou un chef de troupe ; ce mot vient du latin caput, qui signifie chef.

CAPITAINE d'une compagnie, est un officier subalterne, qui commande une compagnie de cavalerie ou d'infanterie, sous les ordres du colonel. Voyez COMPAGNIE & COLONEL.

Nous disons dans le même sens un capitaine de dragons, de grenadiers, de marine, d'invalides. Voy. DRAGON, GRENADIER, &c. Les capitaines des gardes à pié & à cheval du roi d'Angleterre ont le titre de colonel, parce que ce sont pour l'ordinaire gens du premier rang, & des officiers généraux.

Dans la compagnie colonelle d'un régiment ou premiere compagnie, dont le colonel est lui-même capitaine, l'officier commandant est appellé capitaine-lieutenant. Voyez CAPITAINE-LIEUTENANT.

Lieutenant capitaine, est le capitaine en second ou l'officier qui commande la compagnie sous les ordres du capitaine, & pendant son absence. Voyez LIEUTENANT. On l'appelle dans quelques compagnies, capitaine-lieutenant.

CAPITAINE - lieutenant, est celui qui commande une troupe ou compagnie au nom & à la place de quelqu'autre, qui en a la commission avec le titre, les honneurs & la paye, mais qui est dispensé à cause de son rang d'exercer les fonctions de ce poste.

Le colonel étant ordinairement capitaine de la premiere compagnie de son régiment, il la fait commander par un subalterne avec le titre de capitaine-lieutenant.

En France & en Angleterre, &c. le roi, la reine, le dauphin, les princes, &c. ont pour l'ordinaire les titres & les dignités de capitaines des gardes, des gens-d'armes, &c. quoique les capitaines-lieutenans en exercent véritablement les fonctions.

CAPITAINE-LIEUTENANT, est donc dans les gendarmes & les chevau-legers de la garde du Roi, dans les deux compagnies de mousquetaires, celle des grenadiers à cheval & les compagnies des gendarmes d'ordonnance, le commandant de chacune de ces compagnies ; parce que c'est le Roi qui est le capitaine.

Il y a deux raisons de ce titre de capitaine-lieutenant : la premiere est l'autorité que le Roi donne aux commandans des compagnies qui le portent, & qui est le même que celle de capitaine dans les autres compagnies ; & la seconde que le capitaine-lieutenant a les gages de capitaine & ceux de lieutenant.

Les compagnies de la gendarmerie, qui portent le nom de quelques princes, comme les gendarmes de Bretagne, de Berry, &c. ont également des capitaines lieutenants quoiqu'il n'y ait point actuellement de prince de ce nom, parceque le Roi en est censé le capitaine.

CAPITAINE réformé, est un officier dont la place & la charge ont été réformées, mais qui conserve cependant le grade de capitaine en second, & sans aucun commandement. Voyez REFORME.

CAPITAINE général d'une armée, est celui qui la commande en chef. Voyez GENERAL.

Ce dernier mot est seul en usage par une espece d'ellipse. Le Stathouder a pourtant titre de capitaine général des Provinces-unies.

CAPITAINE de milice, est celui qui commande une compagnie de milice. Voyez MILICE.

CAPITAINE des guides, est celui qui est chargé du détail des chemins de l'armée. Il doit être très-habile dans la carte & dans la topographie des lieux où se fait la guerre. Les capitaines des guides sont sous les ordres des maréchaux des logis de l'armée. Il y a aussi des capitaines de mineurs qui ont soin d'instruire & de fournir les mineurs ; un capitaine des charrois, pour les attelages & les chariots des vivres & de l'artillerie, &c. (Q)

CAPITAINE de vaisseau, ou CAPITAINE des vaisseaux, (Marine) c'est un officier employé en cette qualité sur l'état du Roi, dont il tient sa commission, pour commander les vaisseaux de guerre.

Les devoirs & les fonctions du capitaine de vaisseau sont renfermés dans 47 articles du titre 7 du livre 1er de l'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de marine, du 15 Avril 1689. Nous croyons qu'il est inutile de copier cette ordonnance, qui est commune & connue de tout le monde.

Lorsque les capitaines des vaisseaux du Roi se trouvent servir sur terre, ils roulent avec les colonels, suivant l'ancienneté de leur commission.

Quoique le nombre des capitaines ne soit pas absolument fixé, le roi en a toujours au moins 110 ou 120 employés sur l'état de la marine.

Lorsqu'un capitaine monte un vaisseau pavillon, c'est-à-dire un vaisseau monté par un officier général, c'est au capitaine à faire faire le détail du service.

Les connoissances d'un capitaine des vaisseaux du roi doivent être étendues. Il doit savoir la construction & la bâtisse des vaisseaux ; il doit posseder toutes les manoeuvres qu'il convient de faire dans les différentes situations où il peut se trouver à la mer, soit dans le mauvais tems, soit pour attaquer ou éviter l'ennemi : il doit savoir les évolutions navales convenables pour marcher en corps d'armée, ou en escadre ; l'hydrographie & toutes ses opérations lui doivent être familieres. Enfin c'est un métier perpétuel d'étude, de reflexion, & d'attention ; & on ne parvient au grade de capitaine, qu'après avoir passé successivement par tous les autres grades de la marine, tels que ceux de garde de la marine, enseigne, & lieutenant.

CAPITAINE en second ; il fait les mêmes fonctions que le capitaine qui commande le vaisseau en son absence ; le capitaine en second est moins ancien que le commandant.

CAPITAINE de vaisseau marchand, ou Capitaine de navire, Voyez MAITRE & PATRON.

CAPITAINE de port, c'est l'officier établi dans quelque port considerable, où il y a un arsenal de marine, & qui y commande une garde pour la sûreté de toutes choses. Dans les désarmemens qui se font au retour des voyages, les capitaines & les officiers qui ont monté des vaisseaux, les remettent à la charge & à la garde du capitaine du port ; c'est lui qui a soin de l'amarrage des navires de guerre, & qui oblige les vaisseaux qui arrivent, à rendre les saluts ordinaires. Il fait les rondes nécessaires autour des bassins, pour veiller à la conservation des vaisseaux du roi, & doit coucher toutes les nuits à bord. Il doit visiter les vaisseaux à armer, & en dresser l'état de radoub & de carene. Il est obligé de mener en rade les vaisseaux du premier & du deuxieme rangs : son lieutenant, ceux des troisieme & quatrieme rangs ; & l'enseigne ceux au-dessous. Il y a présentement en France six capitaines de port, à Toulon, Rochefort, Brest, le Havre, Dunkerque, & Port-Louis.

Le détail de ce qui concerne toutes les fonctions de capitaines de port se trouve renfermé en 15 articles du livre XII. titre iij. de l'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de marine, du 15 Avril 1689.

CAPITAINE de Marine, c'est celui qui commande les soldats gardiens d'un port. Il y en a dans chaque port où il y a des soldats gardiens.

CAPITAINE d'armes, c'est un bas officier qui a soin des soldats sur les vaisseaux ; il est immédiatement au-dessus des sergens, & a l'inspection sur les menues armes du vaisseau ; comme aussi sur les balles, bandolieres, pertuisanes, espontons, haches d'armes, & autres choses semblables qu'il distribue selon les besoins.

C'est au capitaine d'armes d'avoir soin des menues armes, & de se mettre à la tête des soldats lorsqu'il faut combattre ; il doit sur-tout visiter leurs mousquets, & voir s'ils sont chargés comme il faut, & si les soldats ont leurs petites gargousses toutes prêtes. C'est lui qui pose la sentinelle devant la chambre du capitaine, & au haut de la tire-vieille.

CAPITAINE des Matelots, c'est un officier marinier qui commande aux matelots sous le maître d'équipage.

CAPITAINES gardes-côtes, ce sont ceux qui commandent la milice que l'on établit pour garder les côtes, & pour empêcher les ennemis de faire quelques descentes. (Z)


CAPITAINERIES. f. nom de dignité qui n'a plus guere lieu, que par rapport au commandement des gardes-côtes & de chasse, & à l'entretien des forêts & de tout ce qui concerne les chasses. La capitainerie, se dit d'un certain canton sur l'étendue duquel le capitaine des chasses accorde ou refuse la permission de chasser, & veiller à ce qu'il soit bien fourni de gibier. Les capitaineries sont assez ordinairement des annexes de maisons royales.

CAPITAINERIE GARDE-COTE, (Marine) on donne ce nom à une étendue de pays le long des côtes de la mer, qui renferme un certain nombre de paroisses, qui sont sujettes à la garde des côtes.

Chaque capitainerie est commandée par un capitaine général, un major général, & un lieutenant général, qui en forment l'état major.

Ces capitaineries sont composées chacune plus ou moins du nombre des paroisses qui fournissent les soldats de milice, gardes-côtes, depuis l'âge de 18 ans jusqu'à 60 ans.

Il y a des capitaineries gardes-côtes, qui sont formées en bataillons, dont chaque compagnie est de quarante hommes, & en compagnies de cavalerie de soixante & dix maîtres chacune, bien montés & bien équipés, à la tête desquelles sont des capitaines commandans, des majors, & des aides-majors, des lieutenans, & des enseignes par commission du roi.

Il y a deux sortes de service dans la garde-côte : le service militaire pour s'opposer aux descentes ; & le service d'observation dans les paroisses, pour y veiller journellement.

Les capitaines généraux, majors & lieutenans de chaque capitainerie garde-côte des provinces du royaume, joüissent de l'exemption du droit de tutele & curatelle ; les soldats & cavaliers de milices gardes-côtes, sont dispensés de tirer pour la milice ordinaire chacun dans leur paroisse, qui en sont exemptes par ordre du Roi. Les paroisses soûmises à la garde-côte, sont celles qui se trouvent sur les côtes & jusqu'à deux lieues du bord de la mer.

Les côtes de France tant sur l'Océan que sur la Méditerranée, sont divisées en 112 capitaineries garde-côtes, qui composent environ deux cent mille hommes à pié & à cheval. (Z)


CAPITAil vient du latin caput, & se dit en différentes occasions, pour marquer la relation de chef ou de principal ; ainsi ville capitale signifie la premiere ville d'un royaume, d'une province, d'un état, comme Paris est la capitale de France ; Londres est la capitale d'Angleterre ; Moscou, la capitale de Moscovie ; Constantinople, la capitale de l'empire Ottoman ; Roüen, la capitale de Normandie, &c.

CAPITALE, se dit aussi de la somme qu'on doit rembourser, indépendamment des intérêts ; ainsi 100 liv. au denier vingt, produisent à la fin de l'année 105 liv. dont 100 est le capital, & 5, l'intérêt. Voyez ARRERAGES, INTERET, PRINCIPAL.

CAPITAL, ou FONDS DANS LE COMMERCE, se dit du fonds d'une compagnie de commerce ou de la somme d'argent que ceux qui la composent fournissent en commun, pour être employée dans leur commerce. Voyez FONDS.

Le capital de la compagnie des Indes d'Angleterre étoit dans le commencement de son institution de 369861 livres sterlins ; on le doubla ensuite, & il va maintenant à plus de 1703422 livres sterlins : quand on a 500 livres dans les fonds de la compagnie, on a alors voix dans les assemblées générales.

Le pouvoir que le roi d'Angleterre donna à la compagnie du Sud d'augmenter son capital, fut la source de tous les malheurs qui arriverent à cette compagnie en l'année 1720. Voyez COMPAGNIE.

CAPITAL, se dit aussi de la somme d'argent qu'un marchand met d'abord dans son commerce, lorsqu'il s'établit pour son compte particulier.

Le mot de capital est opposé à celui de gain ou profit, quoique souvent le gain augmente le capital, & devienne capital lui-même, lorsqu'il est joint au premier capital. Dictionn. du Comm. tom. II. pag. 81. (G)

CAPITAL, (crime) est celui pour la réparation duquel on inflige au criminel une peine capitale, comme la perte de la vie naturelle ou civile. Voy. CRIME & CHATIMENT. (H)

CAPITALE (lie), est une lie forte que laisse la potasse au fond des chaudieres, où l'on fait le savon. Voyez SAVON.

On l'employe, en Chirurgie, en qualité de caustique, & elle entre dans la composition de la pierre infernale.

CAPITALES (medecines), sont les préparations des boutiques les plus fameuses & les plus essentielles, remarquables pour le nombre des ingrédiens qui y entrent, pour leurs vertus extraordinaires, &c. comme la thériaque de Venise, le mithridate, &c. Voyez MITHRIDATE, &c. (N)

CAPITAL, (Peinture) on appelle aussi de ce nom un tableau qu'on suppose d'une grande beauté, si le dessein en est d'une grande ordonnance : un dessein qui ne seroit que de quelques parties, ou même d'une figure entiere, ne seroit point appellé dessein capital. Cependant la perfection d'une figure, la conservation d'un beau morceau, la rareté des ouvrages excellens en ce genre, sont des motifs pour leur appliquer ce mot. (R)

CAPITALE du bastion (la), est, en Fortification, une ligne tirée de l'angle flanqué à l'angle du centre du bastion. Elle est la différence du rayon du polygone extérieur & de l'intérieur. Telle est K H, Pl. I. de l'Art milit. fig. 1.

Les capitales des bastions ont depuis trente jusqu'à quarante toises de longueur. C'est sur leur prolongement que l'on se dirige ou conduit dans les tranchées pour approcher du bastion. Voyez TRANCHEES. (Q)

CAPITALES, adj. f. pl. on nomme ainsi, dans la pratique de l'Imprimerie, certaines lettres, qui quoiqu'elles fassent partie d'une fonte & soient du même corps de caractere, different seulement en ce que l'oeil en est plus gros, en ce que la figure n'est pas la même, & qu'elles sont moins d'usage & moins courantes dans l'impression, ces sortes de lettres n'étant faites que pour la plus grande perfection de l'art. Elles sont indispensables au commencement d'une phrase, d'un a-linea, au commencement d'un vers, aux noms propres d'hommes, de femmes, de royaumes, de provinces, de villes, &c.

Les petites capitales s'employent suivant le système que l'on se propose de suivre dans un ouvrage. Elles sont d'un oeil plus petit que celui des capitales, & leur configuration est la même, aussi en plus petit. Voyez MAJUSCULES & MINUSCULES.


CAPITAN BACHou CAPOUDAN BACHA, s. m. (Hist. mod.) c'est en Turquie le grand amiral. Il possede la troisieme charge de l'empire, & a sur mer autant de pouvoir que le grand-visir en a sur terre. Ce commandant n'avoit point autrefois le titre de capitan bacha ou d'Amiral ; il n'étoit que beg de Gallipoli. Soliman II. institua cette charge en faveur du fameux Barberousse, & y attacha une autorité absolue sur tous les officiers de la marine & de l'arsenal, que le capitan bacha peut punir, casser, & faire mourir dès qu'il est hors du détroit des Dardannelles. Il commande dans toutes les terres, les villes, châteaux & forteresses maritimes ; visite les places, les fortifications, les magasins ; ordonne des réparations, des munitions de guerre & de bouche ; change les milices, & tient conseil pour recevoir les plaintes des officiers.

Lorsque cet officier est à Constantinople, il a droit de police dans les villages de la côte du port & du canal de la mer Noire, qu'il fait exercer ou par son keaja ou lieutenant, ou par le bostangi bachi.

La marque de son autorité est une grande canne d'inde, qu'il porte à la main dans l'arsenal & à l'armée. Son canot, par un privilége reservé seulement au grand-seigneur, est couvert d'un tendelet, & armé d'un éperon à la proue. Il dispose des places de capitaines de vaisseau & de galeres, vacantes par mort.

Cet officier a une copie de l'état des troupes de mer & des fonds destinés pour l'entretien des armées navales. Trois compagnies de Janissaires composent sa garde : elles débarquent par-tout où la flotte séjourne, & campent devant la galere du général. Sa maison, sans être aussi nombreuse que celle du grand-visir, est composée des mêmes officiers ; & quand la flotte mouille dans un port, il tient un divan ou conseil composé des officiers de marine.

Le capitan bacha joüit de deux sortes de revenus ; les uns fixes, & les autres casuels. Les premiers proviennent de la capitation des îles de l'Archipel, & certains gouvernemens & bailliages de la Natolie & de Romelie, entr'autres de celui de Gallipoli, que le grand-seigneur lui donne en apanage avec la même étape que celle du grand-visir. Ses revenus casuels consistent en ce qu'il tire de la paye des bénévoles, & de la demi-paye de ceux qui meurent pendant la campagne, qu'il partage avec le Tersana Emini. Il a encore le cinquieme des prises que font les begs, & loue ses esclaves pour mariniers & rameurs sur les galeres du grand-seigneur, à raison de 50 écus par tête, sans qu'ils lui coûtent à nourrir ni à entretenir ; parce qu'au retour de la flotte, il les fait enfermer avec ceux de sa hautesse. Les contributions qu'il exige dans les lieux où il passe, augmentent considérablement ses revenus casuels, Guer, Moeurs & usag. des Turcs, tom. II. (G)


CAPITANATE(LA) Géog. province d'Italie au royaume de Naples, bornée au nord & à l'orient par le golfe de Venise ; à l'occident par le comté de Molise ; au midi par la principauté ultérieure, la Basilicate, & la terre de Bari. Lucera delli Pagani en est la capitale.


CAPITANEgalere capitane, (Marine) Les puissances maritimes, & les états souverains qui n'ont pas le titre de royaume, donnent le nom de galere capitane à la principale de leurs galeres.

Depuis la suppression de la charge de capitaine général des galeres de France, il n'y a plus eu de galere capitane. La principale a été nommée réale, & la seconde patrone. La galere capitane porte trois fanaux posés en ligne courbe, & non pas en droite ligne comme ceux de la réale. (Z)


CAPITATIONS. f. (Finance) est un droit annuel qui se leve sur tous les bourgeois ou habitans des villes, à raison de leur état & de leurs facultés. On leve sur les paysans ou habitans de la campagne un droit à-peu-près semblable, qu'on appelle taille. Voyez TAILLE.

En France, la capitation est un droit très-distingué de la taille, & que payent toutes les personnes taillables ou non-taillables.

C'est proprement une taxe ou une imposition qui se leve sur chaque personne à raison de son travail, de son industrie, de sa charge, ou de son rang. Personne n'en est exempt en France, pas même les princes du sang.

Cette espece de tribut en général est fort ancien, & répond à ce que les Grecs appelloient , les Latins capita ou capitatio, ou tributum capitis ou capitulare ; ce qui distinguoit les taxes sur les personnes, des taxes sur les marchandises, qu'on nommoit vectigalia. Voyez DROIT & TAXE.

On appelle encore capitation une taxe qu'on impose par tête dans certains besoins de l'état.

La capitation est encore aujourd'hui la taille des Turcs. Elle n'a commencé sous Louis XIV. qu'en 1695, & l'édit qui en ordonne l'imposition est du 18 Janvier de la même année. Le Roi avoit promis de la supprimer après la paix : mais les besoins continuels de l'état ne l'ont pas encore permis. Larrey, Hist. de Louis XIV. tom. VI. Les ecclésiastiques ne payent point de capitation, mais ils en donnent l'équivalent sous d'autres titres. (G)

CAPITATION, en Angleterre, est une taxe imposée par l'autorité du parlement sur chaque personne ou tête, sur tout le monde indifféremment, ou suivant quelque marque de distinction reconnue, telle que la qualité, le métier, &c. Voyez TAXE.

Ainsi par le reglement ou le statut xviij. de Charles II. chaque sujet du royaume d'Angleterre fut cotisé par tête suivant son degré. Un duc, payoit cent livres, un marquis quatre-vingt livres, un baronet trente livres, un chevalier vingt livres, un écuyer dix livres, & toute personne roturiere douze deniers.

Il paroît par d'anciens actes du parlement, que ce reglement n'établit pas une nouvelle taxe, comme on le peut voir particulierement par celui qui parut l'an 1380, qui porte : Quilibet tam conjugatus quam solutus, utriusque sexûs, pro capite suo solvere cogebatur. Walsingham.

Cambden, dans les ouvrages qui nous restent de lui sur la monnoie, dit qu'il y avoit anciennement un tribut personnel appellé capitatio, imposé sur chaque tête ; sur les femmes depuis l'âge de douze ans, & sur les hommes depuis l'âge de quatorze ans.


CAPITEit de vaisseau. Voyez CAJUTES. (Z)


CAPITELLO(Géog.) petite riviere de l'île de Corse, qui se jette dans le golfe d'Ajaccio.


CAPITOLES. m. (Hist. anc. & mod.) forteresse de l'ancienne Rome, bâtie sur le mont Tarpeien, où il y avoit un temple de Jupiter surnommé de-là Capitolin : le sénat s'y assembloit ; & aujourd'hui c'est une maison-de-ville où les conservateurs du peuple Romain ont leur tribunal. Les Italiens l'appellent campidoglio.

On prétend que ce nom de capitole vint d'une tête d'homme encore fraîche & saignante, trouvée dans la terre lorsqu'on creusa les fondemens de cette forteresse sous Tarquin l'ancien, l'an de Rome 139. Arnobe ajoute que cet homme dont on trouva la tête, se nommoit Tolus, d'où l'on a fait capitole, quasi à capite Toli. Servius, successeur de Tarquin, fit élever l'édifice, & Tarquin le superbe l'acheva en 221. mais il ne fut consacré que trois ans après l'expulsion des rois & l'établissement du consulat. Horace alors revêtu de la dignité consulaire, en fit la dédicace l'an de Rome 246.

Le capitole étoit composé de trois parties, un vaste bâtiment ou temple au milieu, consacré à Jupiter, & deux aîles dédiées l'une à Junon, l'autre à Minerve. On y montoit par cent degrés, selon Juste Lipse, y compris ceux qui facilitoient l'abord de la roche Tarpéienne. Le frontispice & les côtés étoient environnés de galeries ou portiques, dans lesquels les vainqueurs qui avoient obtenu l'honneur du triomphe, donnoient au sénat un repas splendide, après avoir sacrifié aux dieux. C'étoit au capitole que les triomphateurs terminoient leur marche. Les dedans & les dehors de cet édifice étoient extrèmement ornés, sur-tout le temple, où brilloit la statue de Jupiter avec la foudre, le sceptre & la couronne d'or. On voyoit encore dans le capitole un temple de Jupiter Gordien, un de Junon, l'hôtel de la monnoie. Sur la pente de la montagne étoient le temple de la concorde, & plus de cinquante autres moindres consacrés à différentes divinités.

Ce bel édifice renfermoit les dépôts les plus sacrés de la religion, comme les livres des Sibylles, les anciles ou boucliers tombés du ciel. Il fut brûlé du tems de Sylla. Un nouvel incendie le consuma sous Vitellius, & Vespasien le rétablit. Il éprouva le même sort sous Tite, & Domitien en répara les ruines.

A l'imitation de Rome diverses villes, & sur-tout les colonies romaines, voulurent avoir leur capitole, soit temples, soit forteresses. Constantinople, Jérusalem, Carthage, Milan, Ravenne, Vérone, Augsbourg, Treves, Cologne, Nismes, Rheims, Toulouse, se conformerent à cet égard à la capitale de l'empire. On croit communément que les capitouls ou juges-consuls de Toulouse ont tiré leur nom du capitole érigé dans leur ville. (G)


CAPITOLINSadj. pl. (Hist. anc.) jeux capitolins, ludi capitolini. Camille les institua en mémoire de la levée du siége du capitole par les Gaulois, ou plûtôt de ce que le cri des oies avoit empêché ces barbares de surprendre cette citadelle. On les célébroit tous les ans en l'honneur de Jupiter Capitolin. Plutarque dit qu'une partie de ces jeux consistoit en ce que les crieurs publics mettoient les Etruriens à l'enchere, & qu'on prenoit un vieillard qu'on habilloit avec la robe prétexte & une bulle d'or au cou, pour représenter les rois d'Etrurie ; origine qui ne paroît pas avoir beaucoup de rapport à l'évenement que Camille avoit prétendu retracer dans l'institution de ces jeux.

Domitien en institua de nouveaux, nommés agones capitolini, dans lesquels non-seulement les lutteurs, les gladiateurs, les conducteurs de chars, & les autres athletes s'exerçoient, mais encore les poëtes, les orateurs, les historiens, les musiciens, & les acteurs de théatre, se disputoient des prix. Ces nouveaux jeux capitolins se célébroient de cinq en cinq ans : l'empereur lui-même y distribuoit les couronnes ; & ils devinrent si fameux, qu'au calcul des années par lustres on substitua l'usage de compter par jeux capitolins, comme les Grecs avoient fait par olympiades. Il paroît pourtant que cet usage ne fut pas de longue durée. (G)


CAPITONS. m. (Commerce de soie) bourre qu'on tire de dessus le cocon, après qu'on en a enlevé la bonne soie. On l'appelle aussi lassis, cardasse ; & l'on donne les mêmes noms à des étoffes communes qu'on en fait.


CAPITOULSS. m. (Hist. mod.) magistrats de ville à Toulouse, ou officiers municipaux, qui y exercent la même jurisdiction que les échevins à Paris, les jurats à Bordeaux, les consuls en Provence & en Languedoc. On ne choisit pour remplir ces places, que des bourgeois des plus honnêtes familles, & c'est un honneur que d'avoir passé par ces charges. (G)


CAPITULAIRESS. m. pl. (Hist. mod. & Dr. can.) ce nom qui signifie en général un livre divisé en plusieurs chapitres ou capitules, s'est appliqué en particulier aux lois tant civiles que canoniques, & spécialement aux lois ou réglemens que les rois de France faisoient dans les assemblées de évêques & des seigneurs du royaume. Les évêques rédigeoient en articles les réglemens qu'ils croyoient nécessaires pour la discipline ecclésiastique, qu'ils tiroient pour la plûpart des anciens canons. Les seigneurs dressoient des ordonnances suivant les lois & les coûtumes ; le roi les confirmoit par son autorité, & ensuite ils étoient publiés & reçûs.

L'exécution de ceux qui regardoient les affaires ecclésiastiques, étoit commise aux archevêques & aux évêques ; & celle des capitulaires qui concernoient les lois civiles, aux comtes & aux autres seigneurs temporels ; & à leur défaut, des commissaires envoyés par le roi, qu'on appelloit missi dominici, étoient chargés d'y veiller. Ces capitulaires avoient force de loi dans tout le royaume ; non-seulement les évêques, mais les papes même s'y soûmettoient. Childebert, Clotaire, Dagobert, Carloman, Pepin & sur-tout Charlemagne, Louis le débonnaire, Charles le chauve, Lothaire, & Louis II. ont publié plusieurs capitulaires : mais cet usage s'est aboli sous la troisieme race de nos rois.

Ansegise abbé de Lobe, selon quelques-uns, ou selon M. Baluze, abbé de Fontenelles, a fait le premier un recueil des reglemens contenus dans les capitulaires de Charlemagne & de Louis le débonnaire ; ce recueil est partagé en quatre livres, & a été approuvé par Louis le débonnaire & par Charles le chauve. Après lui, Benoît diacre de Mayenne, recueillit vers l'an 845, des capitulaires de ces deux empereurs, omis par Ansegise, & y joignit les capitulaires de Carloman & de Pepin. Cette collection est divisée en trois livres, qui composent avec les quatre précédens, les sept livres des capitulaires de nos rois : les six premiers livres ont été donnés par du Tillet en 1548, & le recueil entier des sept livres par Mrs Pithou. Mais on a encore des capitulaires de ces princes en la maniere qu'ils ont été publiés, & dès l'an 545 ; il y en a eu quelques-uns imprimés en Allemagne en 1557 : on en a imprimé une autre collection plus ample à Basle. Le P. Sirmond a fait paroître quelques capitulaires de Charles le chauve, & enfin M. Baluze nous a procuré une belle édition des capitulaires de nos rois, fort ample, & revûe sur plusieurs manuscrits, imprimée en deux volumes in-folio, à Paris en 1677. Elle contient les capitulaires originaux de nos rois, & les collections d'Ansegise & de Benoît, avec quelques autres pieces.

Les évêques donnoient aussi dans le VIIIe siecle & dans les suivans, le nom de capitules & de capitulaires aux réglemens qu'ils faisoient dans leurs assemblées synodales sur la discipline ecclésiastique, qu'ils tiroient ordinairement des canons des conciles, & des ouvrages des SS. Peres. Ces réglemens n'avoient force de loi que dans l'étendue du diocèse de celui qui les publioit, à moins qu'ils ne fussent approuvés par un concile ou par le métropolitain ; car en ce cas ils étoient observés dans toute la province : cependant quelques prélats adoptoient souvent les capitules publiés par un seul évêque. C'est ainsi qu'ont été reçûs ceux de Martin, archevêque de Brague, de l'an 525 ; ceux du pape Adrien I. donnés à Angilram ou Enguerran, évêque de Metz, l'an 785 ; ceux de Théodulphe, évêque d'Orléans, de l'an 767 ; ceux d'Hincmar, archevêque de Rheims, en 852 ; ceux d'Herard, archevêque de Tours, en 858 ; & ceux d'Isaac, évêque de Langres. Doujat, Histoire du Droit canon. Baluze, Præfatio ad capitularia. M. du Pin, Biblioth. des Aut. ecclés. VIII. siecle. (G)

L'illustre auteur de l'Esprit des lois, observe que sous les deux premieres races on assembloit souvent la nation, c'est-à-dire les seigneurs & les évêques ; car il n'étoit pas encore question de communes. On chercha dans ces assemblées à regler le clergé par des capitulaires. Les lois des fiefs, s'étant établies, une grande partie des biens de l'Eglise fut gouvernée par ces lois. Les ecclésiastiques se séparerent, & négligerent des lois dont ils n'avoient pas été les seuls auteurs : on recueillit les canons des conciles & les décrétales, qu'ils préférerent comme venant d'une source plus pure. D'ailleurs la France étant divisée en plusieurs petites seigneuries, en quelque maniere indépendantes, les capitulaires furent plus difficiles à faire observer, & peu-à-peu on n'en entendit plus parler. Esprit des lois, liv. XXVIII. ch. jx. (O)


CAPITULANTqui a voix délibérative dans un chapitre. On peut dire aussi capitulaires dans le même sens ; mais cette derniere façon de parler est moins en usage. (H)


CAPITULATIONCAPITULATION

Bien des jurisconsultes font remonter l'origine des capitulations aux tems les plus reculés, & prétendent qu'elles étoient en usage dès le tems de Charles le Chauve & de Louis le Germanique : mais ceux qui sont dans ce sentiment, semblent avoir confondu avec les capitulations en usage aujourd'hui, des formules de sermens que les rois de plusieurs pays & les empereurs ont de tems immémorial prêtés à leur sacre, qui ne contiennent que des promesses générales de gouverner leurs états suivant les regles de la justice & de l'équité, & de remplir envers leurs sujets les devoirs de bons souverains : les capitulations dont il est ici question sont plus particulieres, & doivent être regardées comme des conditions auxquelles l'empereur est obligé de souscrire avant de pouvoir entrer en possession de la couronne impériale.

La premiere qui ait été faite dans l'empire, fut prescrite à l'empereur Charles-Quint. Ce fut Frédéric le sang, électeur de Saxe, qui proposa cet expédient, pour favoriser l'élection de ce prince, dont les vastes états & la trop grande puissance faisoient de l'ombrage aux autres électeurs ; il leur ouvrit l'avis de proscrire cette capitulation, pour limiter le pouvoir de l'empereur, l'obliger à observer les lois & coûtumes établies dans l'empire, mettre à couvert les prérogatives des électeurs, princes, & autres états, & assûrer par-là la liberté du corps germanique.

Depuis Charles-Quint, les électeurs ont toûjours continué de prescrire des capitulations aux empereurs qu'ils ont élûs après lui, en y faisant cependant quelques changemens ou additions, suivant l'exigence des cas. Enfin du tems de Rodolphe II. on commença à douter si le droit de faire la capitulation n'appartenoit qu'aux seuls électeurs ; en conséquence les princes & états de l'empire voulurent aussi y concourir, & donner leurs suffrages pour celle qu'on devoit prescrire à l'empereur Matthias. Ils vouloient que par la suite la capitulation fût faite dans la diete ou assemblée générale des états de l'empire. Les électeurs qui auroient bien voulu demeurer seuls en possession d'un droit qu'ils avoient jusqu'alors seuls exercé, alléguerent, pour s'y maintenir, que ce droit leur étoit acquis par une possession centenaire, & l'affaire demeura en suspens ; cependant les états obtinrent en 1648, à la paix de Westphalie, qu'on insereroit dans l'article viij. § 3. du traité conclu à Osnabruck, que dans la prochaine diete on travailleroit à dresser une capitulation perpétuelle & stable, à laquelle les princes & états auroient part. Nonobstant cette précaution & les protestations réitérées des états, les électeurs ont toûjours trouvé le secret d'éluder l'exécution de cet article. La question est donc restée indécise jusqu'à présent : cependant pour donner une espece de satisfaction à leurs adversaires, ils ont depuis inseré dans les capitulations des empereurs, & nommément dans celle de François I. aujourd'hui régnant, une promesse de travailler avec force à faire décider l'affaire de la capitulation perpétuelle.

Le collége des princes, qui ne perd point de vûe cet objet, a fait présenter en dernier lieu, au mois de Juin 1751, un mémoire à la diete de Ratisbonne, sur la nécessité de dresser un projet de capitulation perpétuelle, qui régle d'une maniere ferme & stable les engagemens auxquels les empereurs sont tenus par leur dignité de chefs du corps germanique. La suite fera voir si cette derniere tentative aura plus de succès que les précédentes, & si le collége électoral sera plus disposé que par le passé à y faire attention. (-)

CAPITULATION, dans l'Art militaire, est un traité des différentes conditions que ceux qui rendent une ville obtiennent de ceux auxquels ils sont obligés de la céder.

Lorsque le gouverneur qui défend une ville se voit réduit aux dernieres extrémités, ou que sa cour lui donne ordre de se rendre pour avoir de meilleures compositions de l'ennemi & faire un traité plus avantageux, tant pour la ville que pour la garnison, il fait battre ce qu'on appelle la chamade. Pour cela on fait monter un ou plusieurs tambours sur le rempart, du côté des attaques, qui battent pour avertir les assiégeans que le gouverneur a quelque chose à leur proposer : on éleve aussi un ou plusieurs drapeaux blancs sur le rempart pour le même sujet, & on en laisse un planté sur le rempart ou sur la breche pendant tout le tems de la négociation. On en use de même pour demander une suspension d'armes, après des attaques meurtrieres, pour enlever les morts, les blessés &c.

Aussi-tôt que la chamade a été battue, on cesse de tirer de part & d'autre, & le gouverneur fait sortir quelques officiers de marque de la ville, qui vont trouver le commandant du siége, & qui lui exposent les conditions sous lesquelles le gouverneur offre de rendre la ville. Pour la sûreté de ces officiers, les assiégeans en envoyent dans la ville un pareil nombre pour ôtages. Si les propositions du gouverneur ne conviennent pas au commandant de l'armée assiégeante, il les refuse, & il dit quelles sont celles qu'il veut accorder. Il menace ordinairement le gouverneur de ne lui en accorder aucune, s'il ne prend le parti de se rendre promtement ; s'il laisse achever, par exemple, le passage du fossé de la place, ou établir quelque batterie vis-à-vis les flancs, &c. Si l'on trouve les propositions qu'il fait trop dures, on rend les ôtages, & on fait rebattre le tambour sur le rempart, pour faire retirer tout le monde, avant que l'on recommence à tirer, ce que l'on fait très-peu de tems après. Il faut observer que pendant le tems que dure la négociation, on doit se tenir tranquille de part & d'autre, & ne travailler absolument en aucune maniere aux travaux du siége. Le gouverneur doit aussi pendant ce tems se tenir exactement sur ses gardes, pour n'être point surpris pendant le traité de la capitulation ; autrement il pourroit se trouver exposé à la discrétion de l'assiégeant.

Supposant que l'on convienne des termes de la capitulation, le gouverneur envoye aux assiégeans pour ôtages deux ou trois des principaux officiers de sa garnison, & le général des assiégeans en envoye le même nombre & de pareil grade, pour sûreté de l'exécution de la capitulation. Lorsque les assiégés ont exécuté ce qu'ils ont promis, on leur remet leurs ôtages ; & lorsque les assiégeans ont pareillement exécuté leurs engagemens, on leur renvoye aussi les leurs.

Les conditions que demandent les assiégés, varient suivant les différentes circonstances & situations où l'on se trouve. Voici les plus ordinaires : 1°. que la garnison sortira par la breche avec armes & bagages, chevaux, tambour battant, meche allumée par les deux bouts, drapeaux déployés, un certain nombre de pieces de canon & de mortiers, avec leurs armes, & des affûts de rechange, des munitions de guerre pour tirer un certain nombre de coups ; pour être conduite en sûreté dans la ville qu'on indique, & qui est ordinairement la plus prochaine de celles qui appartiennent aux assiégés : on observe de mettre par le plus court chemin, ou on indique clairement celui par lequel on veut être mené. Lorsque la garnison doit être plusieurs jours en marche pour se rendre au lieu indiqué, on demande que les soldats soient munis de provisions de bouche pour quatre ou cinq jours, suivant le tems que doit durer la marche par le chemin dont on est convenu.

2°. Que l'on remettra le soir, ou le lendemain à telle heure, une porte de la ville aux assiégeans, & que la garnison en sortira un jour ou deux après, suivant ce dont on sera convenu à ce sujet de part & d'autre.

3°. Que les assiégeans fourniront un certain nombre de chariots couverts, c'est-à-dire qui ne seront point visités, & en outre des chariots pour conduire les malades & les blessés en état d'être transportés, & en général toutes les voitures nécessaires pour emporter les bagages de la garnison, & l'artillerie accordée par la capitulation.

4°. Que les malades & les blessés, obligés de rester dans la ville, pourront en sortir avec tout ce qui leur appartient, lorsqu'ils seront en état de le faire, & qu'en attendant il leur sera fourni des logemens gratis, ou autrement.

5°. Qu'il ne sera prétendu aucune indemnité contre les assiégés, pour chevaux pris chez le bourgeois & pour ces maisons qui ont été brûlées & démolies pendant le siége.

6°. Que le gouverneur, tous les officiers de l'état major, les officiers des troupes, & les troupes elles-mêmes, & tout ce qui est au service du roi, sortiront de la place sans être sujets à aucun acte de représailles, de quelque nature que ce puisse être, & sous quelque prétexte que ce soit.

7°. Si ceux auxquels on rend la ville ne sont point de la religion catholique, apostolique & romaine, on ne manque pas d'insérer dans la capitulation, qu'elle sera conservée dans la ville.

8°. Que les bourgeois & habitans seront maintenus dans tous leurs droits, priviléges & prérogatives.

9°. Qu'il sera libre à ceux qui voudront sortir de la ville, d'en sortir avec tous leurs effets, & d'aller s'établir dans les lieux qu'ils jugeront à propos. On y marque aussi quelquefois (& on le doit, lorsqu'on craint que l'ennemi ne traite avec trop de rigueur les bourgeois, sur les marques d'attachement qu'ils auront données pendant le siége pour le prince dont ils quittent la domination) qu'ils ne seront ni inquiétés ni recherchés pour aucune des choses qu'ils auront pû faire avant ou pendant le siége.

10°. On met aussi dans la capitulation, qu'on livrera les poudres & les munitions qui se trouveront dans la place, & qu'on indiquera les endroits où il y aura des mines préparées.

11°. Que les prisonniers faits de part & d'autre pendant le siége, seront rendus.

Il faut observer que pour qu'une place soit reçûe à composition, il faut qu'elle ait encore des vivres & des munitions de guerre au moins pour trois jours sans quoi elle se trouveroit obligée de se rendre prisonniere de guerre ; mais si l'assiégeant n'en est point informé, & que la capitulation ait été signée, il ne seroit pas juste de retenir la garnison prisonniere de guerre, lorsque l'on reconnoîtroit sa disette de munitions.

Quand l'ennemi ne veut point accorder de capitulation, à moins que la garnison ne se rende prisonniere de guerre, & qu'on se trouve dans la fâcheuse nécessité de subir cette loi, on tâche de l'adoucir autant qu'il est possible, on convient assez communément.

1°. Que le gouverneur & les principaux officiers garderont leurs épées, pistolets, bagages, &c.

2°. Que les officiers subalternes, au-dessous des capitaines, auront leurs épées seulement, avec leurs ustensiles ou bagages.

3°. Que les soldats ne seront ni dépouillés, ni dispersés de leur régiment.

4°. Que la garnison sera conduite en tel endroit, pour y demeurer prisonniere de guerre.

5°. Que les principaux officiers auront la permission d'aller vaquer à leurs affaires pendant deux ou trois jours.

6°. Que lorsque la garnison évacuera la place, il ne sera pas permis de débaucher les soldats, pour les faire déserter de leurs régimens.

Lorsque toute la capitulation est arrêtée, il entre dans la place un officier d'artillerie des assiégeans, pour faire conjointement avec un officier d'artillerie de la garnison, un inventaire de toutes les munitions de guerre qui se trouvent dans la place, il y entre aussi un commissaire des guerres, pour faire un état des munitions de bouche qui s'y trouvent encore.

Lorsqu'on prévoit être dans la nécessité de se rendre, & que l'on a des magasins considérables de munitions de guerre ou de bouche, on en gâte autant que l'on peut avant de parler de se rendre, afin qu'il n'en reste dans la place que ce qu'il doit y en avoir pour pouvoir capituler, & que l'ennemi n'en profite pas : si l'on attendoit pour les brûler ou gâter, que l'on entrât en capitulation, l'ennemi pourroit insister à ce qu'ils fussent conservés ; mais il ne peut plus y penser lorsqu'on a pris ses précautions auparavant.

Aussi-tôt que les assiégés ont livré une porte de leur ville aux assiégeans, le premier régiment de l'armée s'en empare, & y fait la garde.

Le jour venu que la garnison doit sortir de la place, on fait mettre l'armée assiégeante sous les armes ; elle se range ordinairement en deux haies de bataillons & d'escadrons, & la garnison passe au milieu. L'heure venue de la sortie, le général & les principaux officiers se mettent à la tête des troupes, pour la voir défiler devant eux.

Le gouverneur sort à la tête de la garnison, accompagné de l'état-major de la place & des principaux officiers ; il la fait défiler dans le meilleur ordre qu'il lui est possible. On met ordinairement les anciens régimens à la tête & à la queue, & les autres au milieu avec les bagages. Lorsqu'on a de la cavalerie, on la partage de même en trois corps pour la tête, le centre & la queue. On détache des cavaliers & de petits corps d'infanterie pour marcher le long des bagages & veiller à leur sûreté, afin qu'il n'en soit pillé aucune partie.

L'artillerie accordée par la capitulation, marche après le premier bataillon. Lorsque la garnison est arrivée à la place où elle doit être conduite, elle remet à l'escorte les ôtages des assiégeans ; & lorsque cette escorte a rejoint l'armée, on renvoye les ôtages que les assiégés avoient laissés pour la sûreté de l'escorte, des chariots, & autres choses accordées par l'armée assiégeante pour la conduite de la garnison.

Lorsque la garnison est prisonniere de guerre, on la conduit aussi avec escorte jusqu'à la ville où on doit la mener par la capitulation.

Tout ce qui est porté dans les capitulations doit être sacré & inviolable, & l'on doit entendre tous les termes dans le sens le plus propre & le plus naturel ; cependant on ne le fait pas toûjours. Il faut que le gouverneur apporte la plus grande attention pour qu'il ne s'y glisse aucun terme équivoque & susceptible de différentes interprétations : il y a nombre d'exemples qui prouvent la nécessité de cette attention.

Lorsque la garnison d'une ville où il y a une citadelle, capitule pour se retirer dans la citadelle, il y a quelques conditions particulieres à demander, telles que sont celles-ci :

Que la citadelle ne sera point attaquée du côté de la ville : que les malades & blessés qui ne pourront être transportés, resteront dans la ville & dans les logemens qu'ils occupent ; & qu'après leur guérison il leur sera fourni des voitures & des passe-ports pour se retirer en toute sûreté dans une ville qui sera marquée dans la capitulation. On doit ne laisser entrer dans la citadelle que ceux qui peuvent y être utiles pour sa défense : les autres personnes, qu'on nomme communément bouches inutiles, ne doivent point absolument y être souffertes. Il faut faire insérer dans la capitulation, qu'ils seront conduits dans une ville voisine de la domination du prince, que l'on indiquera. On doit aussi convenir d'un certain tems pour faire entrer toute la garnison dans la citadelle, & marquer expressément que pendant ce tems il ne sera fait de la part de l'assiégeant aucuns des travaux nécessaires pour l'attaque de la citadelle.

Une ville maritime demande encore quelques attentions particulieres pour les vaisseaux qu'il peut y avoir dans son port. On doit convenir qu'ils sortiront du port le jour que la garnison sortira de la ville, ou lorsque le tems le permettra, pour se rendre en sûreté dans le port dont on sera convenu. Ils doivent conserver leur artillerie, agrès, provisions de guerre & de bouche, &c. Si le mauvais tems les obligeoit de relâcher pendant leur route dans un des ports des assiégeans, il doit être porté dans la capitulation qu'ils y seroient reçûs, & qu'on leur fourniroit tous les secours dont-ils auroient besoin pour les mettre en état de continuer leur route. Ils doivent être aussi munis de passe-ports, & en un mot avoir toutes les sûretés qu'on peut exiger pour n'être point insultés par les vaisseaux ennemis, & se rendre sans aucun obstacle dans le port qui leur sera indiqué. Défense des places, par M. Le Blond. (Q)


CAPIVAR(Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede & amphibie. Il ressemble par le corps à un cochon, mais sa tête est comme celle d'un lievre. Il n'a point de queue. Il se tient ordinairement assis sur ses pattes de derriere, à-peu-près comme les singes. On en trouve beaucoup sur les côtes du Bresil. Cet animal se tient communément dans la mer pendant la journée, il ne vient à terre que durant la nuit. Il fait un grand tort aux arbres & aux plantations, attendu qu'il arrache les arbres & en ronge les racines. On assûre qu'il est fort bon à manger.


CAPNOBATESS. m. pl. (Hist. anc.) surnom que l'on donna anciennement aux Mysiens, peuples d'Asie, parce qu'ils faisoient une profession particuliere d'honorer les dieux, & qu'ils s'employoient uniquement à leur culte. Selon Strabon, ils s'abstenoient de toute autre occupation, ne mangeoient point de chair, ni rien de ce qui avoit été animé, & vivoient simplement de miel & de laitage. en grec signifie fumée, & comme la fumée de l'encens entroit pour beaucoup dans les cérémonies de la religion payenne, on pense que c'est de-là que ces peuples ont eu le nom de capnobates. (G)


CAPNOIDES(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur polypétale, irréguliere, & semblable à celle de la fumeterre. Le pistil sort du calice, & devient une silique cylindrique composée de deux panneaux assemblés sur un chassis, auquel sont attachées quelques semences arrondies. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


CAPNOMANCIES. f. divination dans laquelle les anciens observoient la fumée pour en tirer des présages.

Ce mot est grec, & formé de , fumée, & de , divination.

On distinguoit deux sortes de capnomancies ; l'une qui se pratiquoit en jettant sur des charbons ardens des graines de jasmin ou de pavot, & en observant la fumée qui en sortoit ; l'autre, qui étoit la principale & la plus usitée, consistoit à examiner la fumée des sacrifices. C'étoit un bon augure, quand la fumée qui s'élevoit de l'autel étoit legere, peu épaisse, & quand elle s'élevoit droit en-haut, sans se répandre autour de l'autel. Théophraste, sur le prophete Osée, remarque que les Juifs étoient aussi adonnés à cette superstition. On pratiquoit encore la capnomancie en humant ou respirant la fumée qu'exhaloient les victimes, ou celle qui sortoit du feu qui les consumoit, comme il paroît par ces vers de la Thébaïde de Stace, où se poëte dit du devin Tiresias ;

Ille coronatos jamdudum amplectitur ignes,

Fatidicum sorbens vultu flagrante vaporem.

On pensoit sans-doute que cette fumée donnoit des inspirations prophétiques. Delrio, disquisit. magic. lib. IV. cap. ij. quaest. 7. sect. 1. p. 552. (G)


CAPO-BLANCO(Géogr.) cap de l'Amérique dans la mer du Sud, à la partie occidentale de l'isthme de Panama.


CAPO-D'ISTRIA(Géogr.) ville considérable d'Italie dans l'Istrie, sur le golfe de Trieste, à trois lieues de la ville de ce nom. Longit. 31. 35. latit. 45. 58.


CAPOLETTO(Géog.) ville & port d'Asie dans la Géorgie, sur la mer noire.


CAPOLINIERI(Géogr.) petite ville d'Italie sur l'île d'Elba, dans la mer de Toscane.


CAPOLLIN(Hist. nat. bot.) arbre qui croît au Mexique. Sa grosseur est médiocre ; il a la feuille de notre amandier ; ses fleurs sont en bossettes, pendantes ; son fruit est tout semblable à la cerise. L'arbre fleurit au printems, & porte fruit en été. On fait de sa baie une boisson, & une sorte de pain dont on use dans les tems de disette. On distingue trois especes de capollin.


CAPONS. m. (Marine) c'est une machine composée d'une corde & d'une grosse poulie, à quoi l'on joint un gros croc de fer, dont l'usage est de lever l'ancre lorsqu'elle paroît hors de l'eau, & de saisir l'orin ou cordage qui répond à l'arganeau de la bouée & à la croisée de l'ancre.

Croc de capon,

Poulie de capon, servent à caponner l'ancre.


CAPONNEterme de commandement qu'on fait à ceux de l'équipage destinés à lever l'ancre, pour les faire haler sur le capon, afin de mettre l'ancre en place. (Z)


CAPONNERCAPONNER


CAPONNIERES. f. en terme de Fortification, est une espece de double chemin couvert, large de 12 à 15 piés, construit au fond du fossé sec, vis-à-vis le milieu de la courtine. Elle occupe toute la largeur du fossé en cet endroit, c'est-à-dire qu'elle aboutit à l'angle rentrant de la contrescarpe. Elle est palissadée de part & d'autre ; & son parapet, qui est seulement élevé de trois piés au-dessus du niveau du fossé, va se perdre en pente douce ou en glacis dans le fossé, à 10 ou 12 toises de son côté intérieur. Son terre-plein est creusé de trois piés dans le fossé ; ainsi toute la hauteur de son parapet est de six piés. Elle a des banquettes comme le chemin couvert.

Pour construire la caponniere, il faut tirer les lignes de défense EH, GF, (Pl. I. de l'Art milit. fig. 11.) pour avoir l'angle flanquant C B D ; de son sommet B tirer au sommet A de l'angle rentrant de la contrescarpe, la ligne B A ; mener de part & d'autre des paralleles à cette ligne, à la distance de six ou sept piés, terminées d'un côté par la contrescarpe, & de l'autre par les lignes de défense, & l'on aura la caponniere tracée.

On construit souvent des caponnieres dans le fossé sec, quoiqu'il n'y ait point de tenailles ; mais alors on substitue à la tenaille ordinaire une espece de tenaille simple O B P, qui consiste en une élévation de terre de 8 ou 9 piés le long des parties O B, P B, des lignes de défense. Elle va se perdre en glacis dans le fossé à la distance de 10 ou 12 toises. On donne une ou deux banquettes à cette espece de tenaille, qui a le même usage que la tenaille ordinaire. Voyez TENAILLE.

Le principal usage de la caponniere qu'on vient de décrire, est de défendre directement le passage du fossé des faces du bastion, & de donner un passage sûr au soldat pour aller de la place dans les ouvrages extérieurs. Afin qu'il ne soit point découvert en sortant de la caponniere, on coupe ordinairement la contrescarpe dans son angle rentrant par une ligne IK (Pl. de l'Art milit. fig. 11.) parallele à la courtine. On pratique aussi quelquefois pour le même sujet un petit enfoncement L M N K dans cet endroit, auquel on donne différentes figures.

On couvroit autrefois le dessus de la caponniere par de forts madriers, qui sont des planches très-épaisses, & on mettoit beaucoup de terre sur ces madriers. On pratiquoit de petites ouvertures dans le parapet de cet ouvrage, par lesquelles le soldat tiroit sur l'ennemi ; mais la fumée de la poudre, qui en rendoit le séjour très-incommode, a fait supprimer ces especes de routes ou couvertures. On se contente seulement aujourd'hui, dans un tems de siege, de couvrir le dessus de la caponniere de claies ou de blindes, pour garantir ceux qui défendent la caponniere, des pierres que l'ennemi jette dans le fossé pour la faire abandonner.

Outre la caponniere du fossé, il faut observer qu'on donne quelquefois le même nom aux communications du chemin couvert avec les ouvrages qui sont au pié du glacis, parce que ces communications sont de même des especes de doubles chemins couverts. Voyez COMMUNICATION. Elémens de Fortific. par M. Le Blond. (Q)


CAPORALS. m. (Art milit.) c'est un bas officier d'infanterie qui pose & leve les sentinelles, fait garder le bon ordre dans le corps-de-garde, commande une escoüade, & reçoit le mot des rondes qui passent auprès de son corps-de-garde. Il y a pour l'ordinaire trois caporaux dans chaque compagnie. Voyez COMPAGNIE.

Ce mot vient de l'italien caporale, qui signifie la même chose, & qui est dérivé de caput, tête, chef ; le caporal étant le premier de sa compagnie.

CAPORAL d'un vaisseau, est un officier qui a soin de poser le guet & les sentinelles, & de les lever ; il visite aussi les armes des soldats & des mariniers, & leur apprend à s'en servir : il a un aide sous lui. (Q)


CAPORIou CAPORIO, (Géog.) ville de Suede en Ingrie, sur le golfe de Finlande.


CAPORNACK(Géog.) ville & château d'Hongrie, dans l'Esclavonie.


CAPOSERv. neut. (Marine) ce mot, peu usité, signifie mettre le navire à la cape.

On capose en amarrant le gouvernail bien ferme, pour laisser aller le vaisseau au gré du vent. Voyez CAPE & CAPELER.


CAPOTS. m. (Marine) c'est un habillement fait en forme de robe capuchonnée, que mettent les gens de mer par-dessus leur habit ordinaire, pour les garantir de l'injure du tems. (Z)

CAPOT, s. m. voyez CAGOT.

CAPOT, terme de jeu de Piquet. On dit de celui qui ne fait aucune levée ou main, qu'il est capot.

Le capot vaut quarante points. Voyez PIQUET. Celui qui gagne seulement les cartes, n'en compte que dix.


CAPOTAGES. m. (Mar.) On donne ce nom à cette partie de la science du pilote qui consiste dans la connoissance du chemin que le vaisseau fait sur la surface de la mer ; connoissance nécessaire pour conduire sûrement le vaisseau.

On sait que la ligne décrite par un vaisseau sur la surface de la mer, est une courbe, appellée loxodromie ou loxodromique, qui coupe tous les méridiens à angles égaux. Plusieurs auteurs nous ont donné des traités de cette loxodromie, dans l'hypothese de la terre sphérique. Mais comme on a reconnu que la terre est un sphéroïde applati, il a fallu faire entrer cette nouvelle considération dans la théorie de la loxodromie, qui en est devenue beaucoup plus difficile. C'est ce qu'ont fait MM. Murdoch & Walz, savans géometres, l'un anglois, l'autre allemand, dans des traités qu'ils ont publiés exprès sur cela. M. de Maupertuis a traité le même sujet d'une maniere plus élégante & plus commode pour la pratique, dans un mémoire qui, quoiqu'assez court, renferme toute la théorie du capotage, dans l'hypothese de la terre applatie. Ce mémoire, imprimé parmi ceux de l'académie des Sciences de 1744, est intitulé, traité de la loxodromie. On y réduit tout le capotage à ces quatre problèmes, dont il donne la solution en très-peu de pages.

I. Etant connue la longueur de la route faite sur un même cercle parallele à l'équateur, trouver la différence en longitude ; ou réciproquement, étant connue la différence en longitude sur le même parallele, trouver la longueur de l'arc du parallele.

II. étant connue la latitude d'un lieu de la surface de la terre, trouver l'arc du méridien intercepté entre l'équateur & ce lieu.

III. étant connus l'angle de la route & la latitude d'un lieu, trouver l'arc de la loxodromie terminé par l'équateur & ce lieu.

IV. étant connus l'angle de la route & la latitude d'un lieu, trouver la différence en longitude entre ce lieu & le point où la loxodromie coupe l'équateur.

M. de Maupertuis donne des formules algébriques pour résoudre ces questions, & fait voir comment on y peut rapporter tous les problèmes qu'on peut proposer sur la navigation.

Il seroit à souhaiter qu'on réduisît ces formules algébriques en tables toutes calculées, pour l'utilité & la commodité des pilotes. Voyez NAVIGATION, ROUTE, TERRE, LOXODROMIE, &c. (O)


CAPOUE(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Labour. Long. 31. 55. lat. 41. 7.


CAPOZWAR(Géogr.) petite ville forte de la basse Hongrie, sur la riviere de Capoz.


CAPPADOCES. m. (Géog. anc. & mod.) contrée ancienne & considérable de l'Asie mineure, bornée par l'Arménie mineure à l'orient, la Cilicie au midi, la Galatie & la Pamphilie au couchant, & le Pont-Euxin au septentrion. Ce fut un royaume, mais les Romains la réduisirent en province : elle appartient maintenant aux Turcs.


CAPPES. f. (Sucrerie) c'est ainsi qu'on appelle des morceaux de bois legers, minces, arrêtés ensemble par le bout d'en-haut : on en couvre les formes cassées, pour les mettre en état de servir encore. L'élévation que forme l'assemblage des morceaux de bois, s'appelle la tête ou le crochet de la cappe.


CAPRAIou LA CAPRÉE, (Géogr.) île d'Italie dans la mer de Toscane, au nord-est de celle de Corse dont elle dépend ; elle a environ six lieues de tour.


CAPRANICA(Géogr.) petite ville d'Italie dans l'état de l'église, à deux milles de Sutri.


CAPRARA(Géog.) petite île du golfe de Venise, une de celles de Trémiti, dépendante du royaume de Naples.


CAPRÉEou CAPRI, (Géog.) île de la Méditerranée au royaume de Naples, dans la principauté citérieure, fameuse par la retraite & les débauches de Tibere, & par la grande quantité de cailles qui y passent tous les ans.


CAPRESS. m. pl. (Marine) c'est le nom qu'on donne aux armateurs & aux vaisseaux qui sont armés en guerre pour faire la course. (Z)

CAPRES, s. f. plur. baie du caprier. Voyez CAPRIER.


CAPRI(Géog.) capitale de l'île du même nom : elle a un beau chateau : elle est à 8 lieues de Naples. Long. 31. 41. lat. 40. 35.


CAPRIANA(Géogr.) petite ville forte d'Italie, dans le Mantouan.


CAPRIATO(Géog.) petite ville d'Italie, dans le marquisat de Montferrat.


CAPRICES. f. en Architecture : on se sert de ce nom par métaphore, pour exprimer une composition bizarre, quoiqu'ingénieuse, mais qui est éloignée des préceptes de l'art, tels que sont les ouvrages du Boromini, architecte d'Italie : de Berin & de la Joue, peintres & dessinateurs françois ; & de plusieurs autres de nos jours. Par une imagination aussi fertile que déréglée, ils mettent en usage des licences qui autorisent la plûpart des jeunes architectes sans expérience & sans regle, à les imiter, & par-là à rendre l'Architecture susceptible de variations, comme les habits, les modes, &c. (P)

CAPRICE ou FANTAISIE, sorte de piece de musique libre, dans laquelle l'auteur, sans s'assujettir à rien, donne carriere à son génie, & se livre à tout le feu de la composition. Le caprice de Rebel étoit estimé dans son tems, aujourd'hui les caprices de Locatelli donnent de l'exercice à nos violons. (S)


CAPRICORNEen Astronomie, est le dixieme signe du zodiaque : il donne son nom à la dixieme partie de l'écliptique. Voyez SIGNE, ECLIPTIQUE.

Le caractere dont se servent les auteurs d'Astronomie pour désigner le capricorne, est .

Les anciens ont regardé le capricorne comme le dixieme signe du zodiaque & fixé le solstice d'hyver pour notre hémisphere, à l'arrivée du soleil dans ce signe. Mais les étoiles ayant avancé d'un signe tout entier vers l'orient, le capricorne est maintenant plûtôt le onzieme signe que le dixieme ; & c'est à l'entrée du soleil dans le sagittaire que se fait le solstice, quoiqu'on ait conservé la façon de s'exprimer des anciens. Voyez SOLSTICE & PRECESSION.

Ce signe a dans les anciens monumens, dans les médailles, &c. la tête d'un bouc & la queue d'un poisson, ou la forme d'un égipan : il est quelquefois désigné simplement par un bouc.

Le capricorne a dans les catalogues de Ptolomée & de Tycho, 28 étoiles ; dans celui d'Hevelius, 29 ; quoiqu'au tems d'Hevelius il en eût disparu une de la sixieme grandeur, que Tycho comptoit la vingt-septieme, & qu'il avoit placée dans la queue du capricorne. Flamsteed fait le capricorne de 51 étoiles, dans son catalogue britannique. (O)

CAPRICORNE, s. m. (Hist. nat. insectolog.) capricornus, cerambix, insecte de la classe de ceux qui ont des fausses ailes, & dont la bouche a des mâchoires. Selon M. Linnaeus, syst. nat. le capricorne ressemble au cerf-volant pour la grandeur & pour la couleur ; sa tête est large, ses yeux sont grands ; sa bouche est ouverte, & garnie de deux dents crochues & dures. La partie du corps qui correspond aux épaules des quadrupedes, semble être sculptée comme un ouvrage d'ébene polie. Il a trois pattes qui ont chacune trois articulations, & qui paroissent fort foibles. Il a deux antennes placées au-dessus des yeux, plus longues que le corps, & flexibles par le moyen de neuf ou dix articulations. Ces antennes ne sont pas d'égale grosseur dans toute leur étendue ; elles ont au contraire des inégalités ou des noeuds, à-peu-près comme ceux des cornes du bouc : c'est d'où lui vient le nom de capricorne. Mouffet, théat. infect. Cet auteur ajoûte que le capricorne se suspend aux arbres par le moyen de ses antennes, qu'il s'en aide pour marcher ; & qu'en rongeant le bois avec ses dents, il fait un bruit que l'on peut comparer au cri ou au grognement des pourceaux. Mouffet donne aussi la description de plusieurs autres especes de capricornes : M. Linnaeus en rapporte dix-huit especes dans le Fauna Suecica. Voyez INSECTE. (I)


CAPRIERS. m. (Hist. nat. bot.) capparis, genre de plante à fleur, composée pour l'ordinaire de quatre pétales disposés en rose. Il sort du calice un pistil qui a un embryon. Cet embryon devient dans la suite un fruit fait en forme de poire, ou une silique charnue, dans laquelle il y a plusieurs semences qui sont assez souvent arrondies & d'une figure approchante de celle d'un rein. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On cueille les boutons du capparis spinosa, J. B. 2. 63. on les confit dans le vinaigre, & on les envoye par toute l'Europe.

Les capres sont astringentes, ameres, corroborantes, bonnes pour les estomacs foibles & grossiers, chargés d'humeurs pituiteuses, & qui ont perdu l'appétit : elles sont bonnes pour lever les obstructions des visceres, sur-tout de la rate ; pour la paralysie & les convulsions causées par la superfluité des humeurs. On les recommande dans les fievres chroniques & continues.

On applique des linges ou une éponge trempée dans la saumure de capres, sur le côté au-dessous de l'hypocondre, pour résoudre l'enflûre de la rate. Si l'on y ajoûte de la semence de moutarde, pour que le vinaigre puisse s'imprégner de son sel volatil, le remede n'en sera que meilleur.

Les capres sont aussi bonnes pour tuer les vers.

La racine du caprier est une des cinq petites racines apéritives.

L'écorce de cette racine est apéritive diurétique ; elle entre dans les tisanes apéritives.

L'huile du caprier se fait par l'ébullition de cette racine dans l'huile d'olive ; on en oint la région de la rate dans les douleurs de cette partie.

Cette huile est fort composée dans Lémery, & n'en est pas meilleure. Zwelfer ajoûte à la composition, pour la rendre plus efficace, du sel ammoniac, du tabac, du camfre, de l'huile distillée de gomme ammoniaque. (N)


CAPRIFICATIONS. f. (Hist. nat. bot.) maniere d'élever des figuiers. Les anciens en ont parlé avec beaucoup d'admiration, & elle n'est pas imaginaire ; elle se pratique tous les ans dans la plûpart des îles de l'Archipel, par le moyen des moucherons. Les figuiers y portent beaucoup de fruits ; mais ces fruits, qui font une partie des richesses du pays, ne profiteroient pas, si l'on ne s'y prenoit de la maniere que nous allons décrire.

On cultive dans les îles de l'Archipel deux sortes de figuiers ; la premiere espece s'appelle ornos, du grec littéral erinos, qui signifie le figuier sauvage, ou le caprificus des Latins ; la seconde espece est le figuier domestique. Le sauvage porte trois sortes de fruits, qui ne sont pas bons à manger, mais qui sont absolument nécessaires pour faire mûrir ceux des figuiers domestiques. Les fruits du sauvage sont nommés fornites, cratitires, & orni. Ceux qu'on appelle fornites paroissent dans le mois d'Août, & durent jusqu'en Novembre sans mûrir : il s'y engendre de petits vers de la piquûre de certains moucherons que l'on ne voit voltiger qu'autour de ces arbres. Dans les mois d'Octobre & de Novembre, ces moucherons piquent d'eux-mêmes les seconds fruits des mêmes piés du figuier. Ces fruits, que l'on nomme cratitires, ne se montrent qu'à la fin de Septembre, & les fornites tombent peu-à-peu après la sortie de leurs moucherons : les cratitires au contraire restent sur l'arbre jusqu'au mois de Mai, & renferment les oeufs que les moucherons des fornites y ont laissés en les piquant. Dans le mois de Mai, la troisieme espece de fruit commence à pousser sur les mêmes piés des figuiers sauvages, qui ont produit les deux autres. Ce fruit est beaucoup plus gros, & se nomme orni. Lorsqu'il est parvenu à une certaine grosseur, & que son oeil commence à s'entrouvrir, il est piqué dans cette partie par les moucherons des cratitires, qui se trouvent en état de passer d'un fruit à l'autre pour y décharger leurs oeufs. Il arrive quelquefois que les moucherons des cratitires tardent à sortir dans certains quartiers, tandis que les orni de ces mêmes quartiers sont disposés à les recevoir. On est obligé dans ce cas-là d'aller chercher des cratitires dans un autre quartier, & de les ficher à l'extrémité des branches des figuiers, dont les orni sont en bonne disposition, afin que les moucherons les piquent. Si l'on manque ce tems-là, les orni tombent, & les moucherons des cratitires s'envolent, s'ils ne trouvent pas des orni à piquer. Il n'y a que les paysans qui s'appliquent à la culture des figuiers, qui connoissent le vrai tems auquel il faut y pourvoir, & pour cela ils observent avec soin l'oeil de la figue ; car cette partie ne marque pas seulement le tems que les piqueurs doivent sortir, mais aussi celui où la figue peut-être piquée avec succès. Si l'oeil est trop dur & trop serré, le moucheron n'y sauroit déposer ses oeufs, & la figure tombe lorsque cet oeil est trop ouvert. Ce n'est pas-là tout le mystere : ces trois sortes de fruits ne sont pas bons à manger ; ils sont destinés par l'auteur de la nature, comme nous l'avons dit, à faire mûrir les figues des figuiers domestiques. Voici l'usage qu'on en fait. Dans les mois de Juin & de Juillet, les paysans prennent les orni dans le tems que les moucherons sont prêts à sortir, & les vont porter sur les figuiers domestiques. Ils enfilent plusieurs de ces fruits dans des fétus, & les placent sur ces arbres à mesure qu'ils le jugent à propos. Si l'on manque ce tems-là, les orni tombent, & les fruits du figuier domestique ne mûrissant pas, tombent en aussi peu de tems. Les paysans connoissent si bien ces précieux momens, que tous les matins en faisant leur revûe, ils ne transportent sur les figuiers domestiques que des orni bien conditionnés ; autrement ils perdroient leur récolte. Il est vrai qu'ils ont encore une ressource, quoique légere ; c'est de répandre sur les figuiers domestiques les fleurs d'une plante qu'ils nomment ascolimbros. Il se trouve quelquefois dans les têtes de ces fleurs des moucherons propres à piquer ces figues ; ou peut-être que les moucherons des orni vont chercher leur vie sur les fleurs de cette plante. Enfin les paysans ménagent si bien les orni, que leurs moucherons font mûrir les figues des figuiers domestiques dans l'espace d'environ quarante jours. Ces figues fraîches sont fort bonnes. Pour les sécher, on les expose au soleil pendant quelque tems ; après quoi on les passe au four, afin de les conserver pendant le reste de l'année. C'est une des principales nourritures des îles de l'Archipel ; car on n'y trouve guere que du pain d'orge & des figues seches. Il s'en faut bien pourtant que ces figues soient aussi bonnes que celles que l'on seche en Provence, en Italie & en Espagne ; la chaleur du four leur fait perdre leur bon goût : mais d'un autre côté elle fait périr les oeufs que les piqueurs de l'orni y ont déchargés, & ces oeufs ne manqueroient pas de produire de petits vers qui endommageroient ces fruits. Voilà bien de la peine & du tems perdu, dira-t-on, pour n'avoir que de méchantes figues. Quelle doit être la patience des Grecs qui passent plus de deux mois à porter les piqueurs d'un figuier à l'autre ; & ne semble-t-il pas qu'ils devroient plûtôt cultiver les especes de figuiers que l'on éleve en France & en Italie ? Mais ce qui les détermine à préférer cette espece inférieure, c'est la quantité de beaucoup supérieure de fruit qu'ils en retirent. Un de leurs arbres produit ordinairement jusqu'à 280 livres de figues, au lieu que les autres n'en produisent pas 25 livres. Peut-être que les piqueurs contribuent à la maturité des fruits du figuier domestique, en faisant extravaser le suc nourricier, dont ils déchirent les tuyaux lorsqu'ils y déchargent leurs oeufs : peut-être aussi qu'avec ces oeufs ils laissent échapper quelque liqueur qui fermente doucement avec le lait de la figue, & en attendrit la chair.

Les figues en Provence & à Paris même, mûrissent bien plûtôt, si on pique leurs yeux avec une paille, ou avec une plume graissée d'huile d'olive. Les prunes & les poires qui ont été. piquées par quelqu'insecte, mûrissent bien plûtôt aussi, & même la chair qui est autour de la piquûre est de meilleur goût que le reste. Il est hors de doute qu'il arrive un changement considérable à la tissure des fruits piqués. Il semble que la principale cause en doit être rapportée à l'épanchement des sucs, qui ne s'alterent pas seulement lorsqu'ils sont hors de leurs vaisseaux, mais qui alterent les parties voisines : de même qu'il arrive aux tumeurs des animaux survenues à l'occasion des piquûres de quelque instrument aigu. Mém. de l'acad. des Sciences, ann. 1705. pag. 447. & suiv. Article communiqué par M. Formey.


CAPRIOLvoyez CABRIOLE.


CAPRISANTadj. (Medecine) épithete du pouls irrégulier & sautillant, dans lequel l'artere interrompt son mouvement ; ensorte que le second battement qui vient après cette interruption, est plus promt & plus fort que le premier : de même qu'il arrive aux chevres qui bondissent & semblent faire un double mouvement en marchant. Galien, de diff. puls. lib. I. cap. xxjx.


CAPRONEZA(Géog.) petite ville de Hongrie, dans l'Esclavonie, à deux milles de la Save.


CAPRONS(Jardinage) ce sont de grosses fraises plus belles que bonnes, dont on fait peu de cas, & qui mûrissent en même tems que les autres. Leurs feuilles sont plus larges & en plus grand nombre. (K)


CAPROTINEadj. f. (Hist. anc.) surnom que les anciens Romains avoient donné à Junon & aux nones de Juillet, tems auquel ils célébroient une fête dont Plutarque & Macrobe racontent ainsi l'origine. Les peuples voisins de Rome crurent qu'il leur seroit facile de prendre ou de détruire cette ville épuisée, après l'invasion des Gaulois. ils s'assemblerent, & mirent à leur tête Lucius, dictateur des Fidenates. Lucius fit annoncer aux Romains par un héraut, que le seul moyen qu'ils eussent de conserver les restes de leur ville, c'étoit de lui livrer leurs femmes & leurs filles. Les sénateurs ne savoient quel parti prendre, lorsqu'une esclave appellée Philotis, persuada à ses compagnes de se couvrir des habits de leurs maîtresses, & de passer dans le camp ennemi. Ce qui fut exécuté. Le général les distribua aux capitaines & aux soldats. Ces filles les inviterent à prendre part à une fête solemnelle qu'elles feignirent de célébrer entr'elles. Les hôtes séduits par cette innocente supercherie, s'abandonnerent à la débauche : mais lorsqu'ils furent assoupis par le vin & par le sommeil, elles appellerent les Romains par un signal qu'elles leur donnerent du haut d'un figuier sauvage. Ceux-ci accoururent, & firent main-basse par-tout. La liberté fut accordée à ces généreuses esclaves, avec une somme d'argent pour se marier ; le jour de cette délivrance extraordinaire fut appellé Nones Caprotines ou du figuier ; & une fête instituée sous le même nom en l'honneur de Junon. Depuis ce tems, à pareil jour, les esclaves régaloient leurs maîtresses hors de la ville, sous des figuiers sauvages, luttoient entr'elles, & rappelloient par des exercices la mémoire de la défaite qu'elles avoient occasionnée par leur dévouement & leur industrie.


CAPSA(Géog.) ville de la Turquie en Europe dans la Romanie.


CAPSAIRES. m. (Hist. anc. & mod.) Les Romains & les Grecs donnoient ce nom à ceux qui gardoient les habits dans les bains publics, & à certains domestiques qui conduisoient les enfans à l'école, portant leurs livres dans une boîte, capsa.


CAPSCHAC(Géog.) pays très-considérable de la Tartarie, qui s'étend depuis le Turquestan jusqu'au Wolga, & depuis le Wolga jusqu'au pays de Crimée. Sa plus grande étendue est depuis la mer Caspienne jusqu'à la mer Glaciale.


CAPSES. f. espece de chausse de velours mi-partie, dans laquelle on met les billets le jour de l'élection des prevôt des marchands & échevins.


CAPSULAIREadj. en Anatomie, épithete des ligamens & des membranes qui forment avec les os auxquels elles sont attachées des especes de capsules. Voyez LIGAMENT, MEMBRANE, PSULESULE. (L)


CAPSULEsignifie à la lettre bourse, étui, poche. Ce mot vient du latin capsula, diminutif de capsa, qui signifie une boëte à serrer quelque chose.

La capsule de Glisson est une membrane qui naît du péritoine, enveloppe le tronc de la veine-porte à son entrée dans le foie, & lui sert comme d'étui, se partageant en autant de branches qu'elle, & l'accompagnant jusque dans ses moindres ramifications. Voyez VEINE-PORTE.

Cette même capsule ou membrane enferme aussi le conduit biliaire, & autres vaisseaux du foie, ce qui lui a fait donner le nom de capsule commune. V. CONDUIT biliaire.

Capsule du coeur est une membrane qui environne le coeur, la même que celle qu'on appelle plus communément péricarde. Voyez PERICARDE.

CAPSULES atrabilaires, (autre terme d'Anatomie) se dit de deux glandes situées sur les veines, qu'on appelle aussi reins succenturiaux ou glandes rénales. L'épithete d'atrabilaires leur a été donnée à cause de la liqueur noire qui se trouve dans leur cavité ; & celle de rénales ou reins succenturiaux, à cause de leur position. Voy. REINS SUCCENTURIAUX & RENALES.

Elles sont à peu-près de la grosseur d'une noix vomique ; leur figure n'est pas tout-à-fait la même dans tous les sujets : dans quelques-uns elles sont rondes ; dans d'autres triangulaires, quarrées, &c. La membrane dont elles sont couvertes est très-fine, & leur cavité considérable à proportion de leur volume. On ne sait pas bien quel est leur usage ; il y a pourtant apparence qu'elles servent à séparer l'humeur noire qu'on trouve dans leur cavité, & qui est ensuite versée par leur veine dans l'émulgente, où elle se mêle avec le sang, auquel elle sert de ferment, selon quelques-uns ; & selon d'autres, de délayant pour l'atténuer & le rendre moins épais. Ces glandes dans le foetus sont presque de la grosseur des reins. Voyez BILE.

CAPSULES séminales, c'est la même chose que vésicules séminales. Voyez VESICULES SEMINALES. (L)

CAPSULE, capsula, (Hist. nat. bot.) c'est une loge ou une sorte de boëte, theca, qui renferme les semences des plantes. Cette enveloppe est plus ou moins mince ou épaisse, plus ou moins molle ou dure, &c. Tournefort, Inst. rei. herb. (I)


CAPTATEURS. m. terme de palais, par où l'on entend celui qui par flatteries & par artifices tâche à surprendre des testamens ou des donations. (H)


CAPTIFS. m. (Hist. mod.) esclave ou personne prise sur l'ennemi, en particulier par un pirate ou corsaire. Voyez ESCLAVE, PIRATE, &c.

On appelle plus particulierement de ce nom les esclaves chrétiens que les corsaires de Barbarie font dans leurs courses, & que les PP. de la Merci & les Mathurins vont racheter de tems en tems à Alger & dans d'autres endroits de la partie septentrionale d'Afrique.


CAPTIVERIES. f. (Commerce) on nomme ainsi dans le commerce des Negres, qui se fait par les François au Sénégal, des grands lieux destinés à renfermer les captifs que l'on traite, & dans lesquels on les tient jusqu'à ce qu'ils soient en assez grand nombre pour être transportés aux vaisseaux & envoyés aux isles.

Les captiveries les plus grandes & les plus sûres que la compagnie Françoise du Sénégal ait dans toute l'étendue de sa concession, sont celles de l'isle de Gorée, (G)


CAPTURES. f. terme de pratique, est l'appréhension au corps d'un débiteur ou criminel par des archers ou sergens, à l'effet d'être conduit & détenu dans les prisons. (H)


CAPUCHONS. m. (Hist. ecclés.) espece de vêtement à l'usage des Bernardins, des Bénédictins, &c. Il y a deux sortes de capuchons ; l'un blanc, fort ample, que l'on porte dans les occasions de cérémonie : l'autre noir, qui est une partie de l'habit ordinaire.

Le. P. Mabillon prétend que le capuchon étoit dans son origine, la même chose que le scapulaire. Mais l'auteur de l'apologie pour l'empereur Henri IV. distingue deux especes de capuchon ; l'une étoit une robe qui descendoit de la tête jusqu'aux piés, qui avoit des manches, & dont on se couvroit dans les jours & les occasions remarquables ; l'autre une sorte de camail pour les autres jours : c'est ce dernier qu'on appelloit proprement scapulaire, parce qu'il n'enveloppoit que la tête & les épaules. V. SCAPULAIRE.

Capuchon, se dit plus communément d'une piece d'étoffe grossiere, taillée & cousue en cone, ou arrondie par le bout, dont les Capucins, les Récollets, les Cordeliers, & d'autres religieux mendians, se couvrent la tête.

Le capuchon fut autrefois l'occasion d'une grande guerre entre les Cordeliers. L'ordre fut divisé en deux factions, les freres spirituels, & les freres de communauté. Les uns vouloient le capuchon étroit, les autres le vouloient large. La dispute dura plus d'un siecle avec beaucoup de chaleur & d'animosité, & fut à peine terminée par les bulles des quatre papes, Nicolas IV, Clément V, Jean XXII, & Benoît XII. Les religieux de cet ordre ne se rappellent à présent cette contestation qu'avec le dernier mépris.

Cependant si quelqu'un s'avisoit aujourd'hui de traiter le Scotisme comme il le mérite, quoique les futilités du docteur subtil soient un objet moins important encore que la forme du coqueluchon de ses disciples, je ne doute point que l'agresseur n'eût une querelle fort vive à soutenir, & qu'il ne s'attirât bien des injures.

Mais un Cordelier qui auroit du bon sens ne pourroit-il pas dire aux autres avec raison : " Il me semble, mes peres, que nous faisons trop de bruit pour rien : les injures qui nous échapperont ne rendront pas meilleur l'ergotisme de Scot. Si nous attendions que la saine philosophie, dont les lumieres se répandent partout, eût pénétré un peu plus avant dans nos cloîtres, peut-être trouverions-nous alors les rêveries de notre docteur aussi ridicules que l'entêtement de nos prédécesseurs sur la mesure de notre capuchon ". Voyez les articles CORDELIERS & SCOTISME.


CAPUCIATou ENCAPUCHONNÉS, certains hérétiques qui s'éleverent en Angleterre en 1387, & qui furent ainsi nommés, parce qu'ils ne se découvroient pas devant le S. Sacrement. Ils suivoient les erreurs de Wiclef, & soûtenoient l'apostasie de Pierre Pareshul, moine Augustin, lequel ayant quitté le froc, accusa son ordre de plusieurs crimes. Sponde, A. C. 1377.


CAPUCINES. f. (Hist. nat. bot.) cardamindum, genre de plante à fleur polypétale irréguliere, composée de cinq pétales qui sortent des échancrures du calice : le calice est terminé par un prolongement en forme de queue : le pistil sort du fond du calice, & devient dans la suite un fruit composé pour l'ordinaire de trois capsules arrondies & rassemblées en forme de tête. Chaque capsule renferme une semence de même figure : Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On se sert de la capucine pour couvrir les murs des petits jardins des cours, & pour ombrager quelque cabinet de treillage dont elle gagne le haut en la palissant avec du jonc. Sa culture consiste à en labourer le pié en forme de plate-bande, & répandre dessus un pouce d'épaisseur de bon terreau, & l'arroser de tems en tems. Il y a la grande & la petite capucine. (K)


CAPUCINSreligieux de l'ordre de S. François, de la plus étroite observance. Voyez RELIGIEUX.

On leur donna ce nom par rapport à la réforme extraordinaire de leur capuchon. Ils sont vêtus d'une grosse robe, d'un manteau, & d'un capuce d'un gros drap gris ; portent la barbe, des sandales, & une couronne de cheveux. Cette réforme des Mineurs ou Cordeliers a pour auteur Matthieu de Baschi, frere Mineur observantin, du duché de Spolète, & religieux au couvent de Montefiascone, qui en 1525, assûra que Dieu l'avoit averti plusieurs fois, d'une maniere miraculeuse, qu'il devoit pratiquer à la lettre la regle de S. François. Dans ce dessein il se retira, avec la permission du pape Clément VII. dans une solitude, où il fut suivi de douze autres personnes. Le duc de Florence leur donna un hermitage dans ses terres, & Clément VII. approuva leur congrégation par une bulle de 1529. Son successeur Paul III. la confirma en 1535, avec permission de s'établir par-tout, & lui donna un vicaire général avec des supérieurs. Ils furent reçûs en France sous Charles IX. & s'y sont tellement multipliés, qu'ils y ont dix provinces en comprenant celle de Lorraine. Ils rendent des services à l'Eglise par les catéchismes, conférences, prédications, missions auxquelles ils sont employés, & doivent pratiquer la plus étroite pauvreté, leurs maisons ne subsistant que d'aumônes. Il y a aussi des religieuses capucines. (G)

* Quoique leurs constitutions auxquelles ils sont toûjours restés fort attachés, & l'indigence extrème dont ils font profession particuliere, ne leur ayent guere permis de se livrer à des études assidues, cependant ils ont eu d'habiles gens en différens genres ; & l'on doit présumer, à l'esprit d'émulation qui commence à les animer, que le savoir y deviendra encore plus commun. Il est à souhaiter que les supérieurs donnent toute leur attention à fortifier cet esprit, & que l'Eglise répare de ce côté les pertes de lumiere qu'elle semble faire de plusieurs autres.


CAPUou CAPAS-PUSSAR, (Hist. nat. bot.) c'est le nom d'un arbre qui croît communément aux Indes orientales ; sans culture & de lui-même, & se multiplie par la semence qui en tombe : ses feuilles ressemblent à l'agnus-castus, mais elles sont un peu plus longues & plus larges ; ses branches croissent à côté les unes des autres par couronnes. Le fruit qui en vient est une gousse fort épaisse, de la longueur de la main, qui séchée par le soleil se creve & tombe ; les Indiens la ramassent & en tirent le capuk, qui est une espece de coton, qu'ils renferment dans des sacs faits d'écorce d'arbre, & vont le vendre aux Hollandois à Batavia : on s'en sert au lieu de plumes pour garnir les oreillers & les matelas des lits.


CAPULES. m. (Hist. anc.) c'étoit chez les anciens Romains une biere ou cercueil, pour porter les morts en terre. De-là vient qu'on appelloit les vieillards capulares senes, & les criminels condamnés à mort capulares rei, pour exprimer que les uns & les autres étoient sur le bord de leur fosse, & près de la biere ou du tombeau. (G)


CAPULou CAPOUL, (Géog.) île d'Asie, l'une des Philippines, appartenante aux Espagnols.


CAPURIONSS. m. (Hist. anc. & mod.) La ville de Rome est encore aujourd'hui divisée, comme elle l'étoit du tems des Césars, en quatorze regions ou quartiers, que les Italiens nomment rio ; ils ont seulement changé les noms. Il en est arrivé de même des officiers. Ils étoient sous les empereurs au nombre de dix-huit ; ils sont aujourd'hui dix-huit. Ils s'appelloient sous Auguste, curatores regionum urbis ; on les nomme à présent capurioni. Leurs fonctions sont les mêmes, & c'est à eux d'entretenir la tranquillité publique, d'empêcher qu'il ne se commette des violences dans les rues, d'en informer les magistrats de police, veiller à ce que chaque citoyen s'applique à une profession honnête, poursuivre les gens de mauvaise vie, chasser les fainéans, avoir l'oeil sur les édifices publics, assembler les citoyens quand il en est besoin, surveiller les boulangers, les bouchers, & autres gens d'art ; d'où l'on voit que les curatores urbis des anciens, les capurions des Italiens d'aujourd'hui, & nos commissaires, ont beaucoup de rapport entr'eux.


CAPUT DRACONIStête de dragon, en Astronomie, c'est le noeud ascendant de la lune. Voyez DRAGON & NOEUD. (O)

CAPUT MORTUUM, (Chimie) Les Chimistes ont désigné par cette expression le produit le plus fixe des analyses ordinaires faites par le moyen de la distillation, ou la partie du corps analysé qui a été épuisée par le feu (poussé au plus haut degré auquel ils avoient coûtume de l'élever dans les distillations), & qui reste encore, après l'opération, au fond du vaisseau dans lequel les matieres à distiller ont été exposées au feu.

Le caput mortuum étoit un des cinq principes prétendus des anciens chimistes, ou plûtôt un des cinq produits des anciennes analyses chimiques. Ces cinq produits étoient l'esprit ou mercure, le phlegme, l'huile ou soufre, le sel, & la terre damnée ou caput mortuum. Voyez PRINCIPE.

C'est avec raison qu'on commence à bannir l'expression caput mortuum du langage chimique ; & de lui substituer le mot générique & indéterminé de résidu. La premiere dénomination est absolument fausse ; car on pourroit regarder, sur la foi du nom, les matieres qu'elle désigne, comme dépouillées de tout principe actif, comme indestructibles, ou ne donnant prise à aucun agent naturel ; en un mot, comme une pure terre exactement simple, & par conséquent connue autant qu'il est possible par l'art, ou du moins peu digne d'un examen ultérieur ; & c'est là l'idée que plusieurs chimistes s'en étoient faite.

Mais ces matieres ne sont rien moins que simples & inaltérables ; elles contiennent le plus souvent des substances salines, soit neutres, soit alkalines, qu'on en sépare très-facilement. Voyez LIXIVIATION. Les résidus charbonneux contiennent au moins du phlogistique, qui en est très-séparable aussi. Voyez INCINERATION & CHARBON.

D'ailleurs l'examen ultérieur du résidu des distillations que j'appellerai analytiques (de celles qu'on pousse à grand feu, car ce n'est que de celles-là dont il s'agit dans cet article), entre nécessairement dans la suite des opérations d'un procédé régulier. Il est même telle de ces distillations qu'on n'exécute que pour ce produit, pour le résidu ; comme si on distilloit, par exemple, une huile minérale avec de l'alkali fixe, ou un savon de Starckey préparé avec une huile essentielle dans laquelle on soupçonne l'acide vitriolique, ou le marin, pour vérifier ce soupçon.

La nouvelle analyse, ou l'analyse par combinaison, exige sans contredit cet examen ; & c'est même sans-doute la méthode de cette analyse, étendue aux distillations des substances regardées comme uniques ou homogenes, comme celle d'une plante, d'une gomme, d'une graisse, &c. qui a réveillé l'attention sur l'abus de négliger les résidus de ces dernieres opérations. Mais on sera bien plus fondé à n'en négliger aucun, & à généraliser la loi de les étudier avec soin, si on fait réflexion que la plûpart des sujets de distillations analytiques ordinaires sont des composés ou des mélanges naturels ; qui portent en eux-mêmes des principes de réaction, qui n'ont besoin que d'être mis en jeu par le feu pour produire de nouvelles combinaisons ; & que ce n'est qu'à la faveur de ces nouvelles combinaisons, dont on trouve les produits dans les résidus, qu'on obtient les produits plus mobiles, les substances qui passent ou qui s'élevent dans la distillation. A. DISTILLATION, & ANALYSE VEGETALE à l'art. VEGETAL. Cet article est de M. VENEL.


CAPUUPEBA(Hist. nat. bot.) sorte de gason qui vient au Bresil, à la hauteur de deux ou trois piés ; sa tige est ronde & lisse genouillée, & garnie d'une feuille à chaque noeud ; elle se distribue à son sommet en une trentaine de branches plus petites, dont l'extrémité se termine en une ombelle argentée d'où naît la semence.


CAQUES. f. (Commerce) que nous appellons communément barril ; c'est un petit tonneau dans lequel on encaque les harengs, c'est-à-dire où on les enferme après qu'ils ont été apprêtés & salés.

Caque se dit aussi des petits barrils dans lesquels on renferme la poudre à canon.

Caque est encore le nom qu'on donne en Champagne à ce qu'on nomme plus communément un quarteau. Voyez QUARTEAU. (G)


CAQUEUXS. m. pl. (Hist. mod.) espece de secte que les Bretons, entre lesquels elle s'étoit formée regardoient avec une extrème aversion, comme un reste de Juifs infecté de lepre. Les caqueux exerçoient tous le metier de cordier, & il leur étoit presque défendu de faire autre chose : la haine & le préjugé public les traitoient du reste à-peu-près comme les cagots. Voyez l'article CAGOT. La police civile & ecclésiastique fit des efforts pour détruire la prévention des peuples, & rétablir dans les droits de la société des gens qui contribuoient à son avantage : mais ces efforts furent long-tems inutiles.


CARA(Hist. nat. bot.) espece de convolvulus à tige quarrée, fort anguleuse, velue & barbue aux angles, verte, rougeâtre, & tortueuse : il rampe & s'étend si prodigieusement, qu'une seule plante suffit pour garnir une surface de cent vingt piés en quarré : les branches & la tige prennent racine partout où elles touchent terre ; il a la tige de notre sagittale ; quand on en coupe la tige il en sort des larmes : sa racine entre en terre de plus d'un pié, & a jusqu'à douze doigts de diametre : elle est couverte d'une peau mince, obscure, jaunâtre, & cendrée ; elle a une pulpe blanche & pleine d'un suc laiteux : on la mange comme un légume : les habitans de Guinée en font même du pain. Margg.


CARA-HISSAR(Géog.) ville d'Asie, dans la province qui étoit anciennement appellée Galatie.


CARA-KALPACKS(Géog.) peuple qui habite en Asie, dans le Turquestan.


CARA-SCHULLI(Hist. nat. bot.) arbrisseau des Indes, assez semblable au caprier. Voyez dans l'Histoire des plantes de Ray, la liste des propriétés merveilleuses qu'on lui attribue.


CARABACCIUM(Hist. nat. bot.) c'est le nom que l'on donne à un bois aromatique des Indes, dont l'odeur ressemble beaucoup à celle du clou de girofle, excepté qu'elle est plus douce & moins pénétrante ; extérieurement il est brun, ou de la couleur de la canelle : on lui attribue la qualité d'adoucir l'acrimonie de la lymphe, & d'être un excellent remede contre le scorbut ; il fortifie l'estomac, & facilite la digestion. On le prend en décoction, ou infusé comme du thé & du caffé.


CARABANA(Géog.) province de l'Amérique méridionale, appartenante aux Espagnols.


CARABI(Géog.) petite riviere de Sicile dans la vallée de Mazara, qui se jette dans la mer d'Afrique.


CARABINES. f. est une espece de mousqueton dont le canon est rayé circulairement ou en spirale depuis la culasse jusqu'à l'autre bout ; ensorte que lorsque la balle qu'on y enfonce à force, sort poussée par l'impétuosité de la poudre, elle s'allonge environ d'un travers de doigt, & elle sort empreinte des rayures du canon.

Le canon de la carabine a trois piés de long, & elle a quatre piés étant toute montée : elle a une baguette de fer, & l'on commence à y faire entrer la balle avec une espece de verge de même métal appellée pousse-balle, sur la tête de laquelle on frappe avec un petit marteau destiné à cet effet.

La carabine a beaucoup plus de portée que le fusil ; parce que les rayures du canon arrêtant la balle, la font résister aux premieres impressions de la poudre, qui ayant le tems de s'enflammer entierement avant que de pouvoir la faire sortir, la chasse ensuite avec bien plus de force que le fusil ordinaire. Traité d'Artillerie par M. le Blond. (Q)


CARABINERv. act. c'est tracer en-dedans d'un canon des traces longitudinales ou circulaires. Voy. FUSIL.


CARABINIERSS. m. pl. (Art. milit.) espece de chevaux-legers qui portent des carabines plus longues que les autres, & qui servent quelquefois à pié.

Les François ont formé des corps entiers de ces carabiniers, qui ne peuvent être que très-utiles, parce que ce sont des troupes choisies dans toute la cavalerie, & qui sont mieux payées que les autres. On dit qu'il n'y en a point du tout parmi les Anglois, excepté dans un seul.

Il y a en France le régiment royal des carabiniers. Plusieurs années avant l'institution de ce régiment, on avoit mis deux carabiniers dans chaque compagnie de cavalerie, que l'on choisissoit parmi les plus habiles tireurs, & qu'on mettoit dans les combats à la tête des escadrons, pour faire une décharge de loin sur ceux des ennemis.

Sur la fin de la campagne de 1690, le Roi ordonna que l'on formât par régiment de cavalerie une compagnie de carabiniers, cette compagnie étoit de trente maîtres ; elle avoit un capitaine, deux lieutenans, un cornette, & un maréchal des logis : chaque mestre de camp dans sa compagnie choisissoit les officiers. Le capitaine pour faire sa compagnie, avoit le choix de donner 260 liv. pour un cavalier tout monté, ou 60 livres pour un homme tout seul. Il choisissoit aussi par compagnie un nombre égal dans chacune, & il n'y avoit d'exclus pour lui que les deux brigadiers & les deux carabiniers, pour laisser toûjours des têtes aux régimens de cavalerie.

Le Roi accorda à tous les officiers des pensions qu'il attribua à leurs emplois. La compagnie devoit toûjours suivre le régiment, & cependant être toujours prête à camper séparément. Elle étoit aussi recrutée à tour de rôle des compagnies, moyennant cinquante francs par homme. Tous les mestres de camp se firent une idée différente de cette création, & ne s'accorderent que sur la valeur qu'ils chercherent tous également dans les officiers qu'ils choisirent. Quoiqu'une des conditions imposées par Sa Majesté fût qu'ils n'eussent pas plus de trente-cinq ans, on ne s'y arrêta pas beaucoup, & les mestres de camp y placerent ou ceux qui s'accordoient le moins avec eux, ou les plus anciens, ou leurs parens, ou leurs amis, ou au moins ceux qui témoignoient le plus d'envie d'y aller ; ce qui composa un assemblage de très-braves gens, mais très différens.

Toutes ces compagnies étoient surnuméraires dans leurs régimens, & furent en très-bon état pour la campagne suivante 1691. Le roi ordonna que toutes les compagnies de carabiniers campassent ensemble, & composassent une brigade à laquelle on nommoit un brigadier, & deux mestres de camp sous lui quand la brigade étoit forte. La destination de ce corps étoit d'aller en parti.

L'année 1692 les carabiniers firent le même service que l'année précédente ; on étoit très-satisfait d'eux : mais on commença à trouver qu'étant la plupart habillés de diverses couleurs, cette bigarrure étoit choquante, & que de plus les officiers ne se connoissoient point les uns les autres ; ce qui fit prendre à sa majesté la résolution de former un seul régiment, sous le nom de Royal-Carabiniers, de toutes ces compagnies, excepté celles des régimens allemands. Le roi qui affectionnoit fort ce corps, dont il étoit très-content, choisit pour le commander M. le duc du Maine, qu'il jugea très-propre pour le mettre en bon état, & lui donner l'esprit qu'il vouloit qu'il prît, le destinant à un genre de service tout particulier. Sa majesté prit la peine elle-même de donner par écrit des instructions sur ce sujet.

Les compagnies allemandes étoient retranchées ; il en resta cent françoises, qui furent divisées en cinq brigades de quatre escadrons chacune, & les escadrons de cinq compagnies.

Le roi affecta à chaque compagnie un mestre de camp, un lieutenant-colonel, un major, un aide-major, avec des pensions attachées à leur emploi.

Les cinq mestres de camp eurent le titre de chefs de brigade ; le premier étoit le chevalier du Mesnil ; le second étoit le chevalier du Prosel ; le troisieme, le sieur d'Achi ; le quatrieme ; le sieur de Signi ; & le cinquieme, le commandeur de Courcelles.

Tout le régiment fut habillé de bleu : au lieu de deux lieutenans qu'il y avoit par compagnie, il n'y en eut plus qu'un. Le roi donna deux étendarts par escadron, & un timbalier par brigade.

Tout le régiment ayant été mis en état dès le commencement de l'année 1694, sa majesté voulut le voir à Compiegne au mois de Mars de la même année, & elle en fut très-contente. Le roi ayant dessein que ce régiment ne fît pas un corps à part dans la cavalerie, M. le duc du Maine voulut bien prendre l'attache de M. le comte d'Auvergne, colonel général de la cavalerie legere, quoique l'intention du roi fût de l'en exempter ; il se contenta du titre de mestre de camp lieutenant. Il prit pour sa compagnie de mestre de camp celle qui avoit été tirée de son régiment du Maine, & elle fut attachée à la premiere brigade ; desorte que toutes les fois que les brigades changent de rang, ce qui arrive par l'ancienneté ou la dignité de ceux qui les commandent, elle change aussi de brigade, & est toûjours à la premiere.

Le corps des carabiniers fut trouvé si bon & si nombreux, que sa majesté le partagea dans différentes armées ; ce qui s'est presque toûjours pratiqué depuis. Nul corps ne l'a surpassé pour la discipline, pour la fermeté, & pour la valeur, dans toutes les occasions : Fontenoy les a immortalisés.

En 1698 la paix étant faite, & le roi ayant réformé une grande partie de ses troupes, il réforma soixante compagnies des carabiniers, sans pourtant diminuer le nombre des brigades ni de leur état major ; elles furent seulement réduites chacune à huit compagnies, qui formerent deux escadrons ; & à la fin de l'année 1698 les compagnies furent encore réduites à vingt carabiniers. Elles ne furent plus recrutées comme elles l'avoient été par les régimens dont elles sortoient ; mais tous les régimens qui restoient sur pié y fournissoient a tour de rôle le remplacement nécessaire, auquel les inspecteurs tenoient la main. Tous les officiers des soixante compagnies réformées demeurerent chacun à la suite de leur brigade, séparés par compagnies, excepté les cornettes qui ne se trouverent pas dix ans de service dans le tems de la réforme, & qui furent congédiés absolument. M. le duc du Maine reçut ordre de remplacer tous les autres par rang d'ancienneté, à mesure qu'il vaqueroit des emplois qui leur seroient propres.

En 1694 le chevalier du Mesnil étant mort, le roi donna la brigade au comte d'Aubeterre, & par-là elle devint la derniere : ainsi la compagnie de M. le duc du Maine passa à celle de du Rosel, qui devint la premiere ; & cela s'est toûjours ainsi pratiqué à tous les changemens des chefs de brigade. Sous quelque prétexte que ce puisse être, le roi ne veut jamais permettre de vendre les compagnies de carabiniers.

Pour conserver toûjours les compagnies de carabiniers sur un pié de distinction, le roi permettoit de prendre quelquefois des capitaines dans la cavalerie, mais il ne consentoit pas qu'ils vendissent leurs compagnies : sa majesté trouvoit bon aussi qu'on y prit des chefs de brigade ; & l'on observoit assez de les prendre alternativement avec les lieutenans-colonels du corps.

On accordoit assez aisément aux lieutenans-colonels du corps, des commissions de mestres de camp, & on ne refusoit guere aux aides-majors & aux lieutenans des compagnies mestres de camp, des commissions de capitaines.

Les compagnies des carabiniers furent remises à trente maîtres dans l'hyver 1701 & 1702. Voici le reglement qu'on leur donna pour lors.

Le régiment des carabiniers du roi sera composé de cent compagnies de carabiniers de 30 maîtres chacune, faisant en tout 3000 carabiniers, & 411 officiers, y compris le mestre de camp en chef, les cinq mestres de camp sous lui, les cinq lieutenans-colonels, les cinq majors, & les cinq aides-majors. Ils feront vingt escadrons de cinq compagnies chacun, dont il y en aura deux de vieux régimens, & trois de nouveaux. Le mestre de camp en chef aura l'inspection sur tous les régimens, & les autres l'auront seulement sur vingt compagnies, faisant quatre escadrons, & cela par police, & pour la commodité du service ; car ils auront aussi autorité sur tous également selon leur emploi & leur grade, aussi-bien que les lieutenans-colonels, les majors, les aides-majors.

Quand on séparera le régiment en différentes armées, on mettra toûjours un mestre de camp pour commander les différens corps, & les autres officiers de l'état-major à proportion.

Le service se fera comme les carabiniers l'ont fait jusqu'à présent, tant pour les gardes que pour les détachemens.

Les compagnies seront entretenues par tous les régimens de cavalerie françois, qui fourniront les recrues nécessaires à tour de rôle ; tant pour les officiers que pour les cavaliers, à moins que le roi n'en ordonnât autrement.

Le régiment sera habillé de bleu doublé de rouge ; les cavaliers d'un bon drap tout uni, & les officiers de même ; à la réserve des boutons d'argent sur les manches & aux collets des manteaux qui seront bleus comme ceux des cavaliers ; le chapeau sera bordé d'argent d'un galon plus large que celui des cavaliers ; les housses des cavaliers seront bleues, tout unies, bordées d'un galon de soie blanche, les bourses des pistolets de même ; leur ceinturon de bufle, avec un bord de cuir blanc & la bandouliere de même, des gants & des cravates noirs ; les officiers en auront aussi, excepté que ce qui est blanc au cavalier, ils l'auront d'argent.

Les têtieres des chevaux seront propres & tout unies, des bossettes dorées tout unies aussi, des épées de même longueur & largeur, des carabines rayées pareilles, & tout ce qu'il faut pour les charger ; observant d'avoir des balles de deux calibres, les unes pour entrer à force avec le marteau & la baguette de fer, & les plus petites pour recharger plus promtement si l'on en a besoin.

Les pistolets seront les meilleurs que l'on pourra, & de quinze pouces de longueur ; les chevaux tous de même taille, à longue queue, & l'ayant retroussée de même sans ruban ni trousse-queue.

A chaque escadron il y aura un timbalier à la compagnie de mestre de camp, qui sera habillé des livrées du roi, sans or ni argent, aussi-bien que les trompettes de toutes les compagnies ; les tentes seront pareilles avec du bleu sur leur faîte. Il y aura à chaque quatre escadrons un aumônier à qui on donnera une chapelle, & un chirurgien. On aura soin de n'avoir que de bons chevaux, pour que la troupe soit toûjours bien en état d'entreprendre ce qu'on lui ordonnera.

Le mestre de camp en chef, & les autres mestres de camp sous lui, tiendront la main qu'il n'y ait aucun officier mal monté, & qui ne soit sur un cheval de bonne taille : les officiers auront le moins de bagage qu'il leur sera possible ; rien que des chevaux de bât, ou des mulets, & point de chariots, de charrettes, ni surtouts.

On fera les détachemens par chambrée, de maniere que le cavalier commandé ne porte que ce qui lui sera nécessaire, & laisse les autres hardes à ceux de sa chambrée qui demeureront au corps du régiment.

Les compagnies, sans avoir égard aux régimens dont elles sortent, prendront leur rang de l'ancienneté de leur capitaine ; à la réserve de celle de mestre de camp, & des lieutenans-colonels.

S'il y a des commissions du même jour, ou des rangs incertains, on entendra les raisons de chacun, qui se débiteront sans aigreur ni dispute, pour en rendre compte au roi, afin qu'il décide promtement. L'intention du roi est que ce régiment ne fasse jamais de difficulté en tout ce qui regardera le service, & que la discipline y soit observée fort régulierement. Il ne doit point monter de gardes.

Il faut deux étendarts par escadrons, avec une devise bien choisie, qui ait un soleil pour corps d'un côté, & de l'autre, des fleurs-de-lis parsemées, comme la plûpart des autres régimens du roi.

Pour se servir des carabiniers à pié quand l'occasion s'en présente, il faut qu'ils ayent des bottes de basse tige, mais de cuir fort, avec une petite genouilliere échancrée à la mousquetaire, & de petits dessus d'éperons.

Quand les mestres de camp de cavalerie à qui ce sera à fournir les recrues, n'auront pas envoyé de bons sujets, on les leur renvoyera à leurs frais & dépens, & ils seront obligés d'en donner d'autres, quand même il mésarriveroit desdits cavaliers ; les mestres de camp auront mille livres de pension ; les lieutenans-colonels auront huit cent livres, les majors six cent, & les aides-majors trois cent ; les autres officiers demeureront comme ils sont déjà. Les carabines rayées auront trente pouces de canon ; les épées auront trente-trois pouces de lame ; il sera permis aux officiers d'avoir de petites carabines, pourvû qu'elles soient bonnes. Les cravates noires seront, tant des officiers que des carabiniers, de floure, de longueur de deux aunes de Paris.

Les vestes des habits uniformes seront de drap rouge brodées d'argent avec des boutons & des boutonnieres d'argent, & un galon d'argent pareil à celui du juste-au-corps, sur l'amadis ; les officiers auront tous des plumets blancs. Le roi permet que le maréchal qu'il faut, soit pris hors de la compagnie. Histoire de la milice françoise.

Outre le corps de carabiniers dont on vient de parler, on appelle encore de ce même nom un certain nombre de gendarmes, chevau-legers, &c. auxquels dans le tems de guerre le roi fait donner des carabines. Voyez CARABINES. Ces carabiniers ne forment point de corps séparé : ils combattent avec leurs troupes, & ils se servent seulement de leurs carabines pour tirer sur l'ennemi lorsqu'il n'est pas à portée d'être joint. (Q)


CARABINSS. m. pl. (Hist. mod.) espece de chevau-legers, dont le service en guerre étoit assez semblable à celui de nos houssards. Ils formoient des compagnies séparées, quelquefois des régimens ; les officiers généraux les employoient dans leur garde ; ils portoient une cuirasse échancrée à l'épaule pour tirer plus commodément, un gantelet à coude pour la main de la bride, un cabasset en tête, une longue épée avec la carabine à l'arçon.


CARACASCARACOS, LES CARAQUES, ou S. JEAN DE LÉON, ville riche & considérable de l'Amérique en terre-ferme, dans la province de même nom ; ses environs produisent beaucoup de cacao. Long. 312. 35. lat. 9. 40.


CARACATAY(Géog.) grand pays au septentrion de l'Asie, habité par plusieurs nations différentes : on l'appelle aussi Khita. Il ne faut point le confondre avec le Catay, qui n'est autre chose que la Chine. Voyez CHINE & CHINOIS.


CARACHISAou CHURGO, (Géog.) ville d'Asie dans la Natolie, avec port & château, sur la côte de la Caramanie.


CARACOLES. f. (Manége & Art milit.) est un mouvement qui se fait dans la cavalerie par le flanc ou la hauteur de l'escadron ; chaque file fait une espece de quart de conversion en serpentant & en faisant des passades par la campagne à droite & à gauche pour ôter la mire à ceux que l'on insulte.

Ce mouvement differe de la conversion en ce que celle-ci se fait par rang, & que la caracole se fait par file. (Q)


CARACOLER(Manége & Art milit.) c'est faire des caracoles dans un manége. On se sert du même terme quand plusieurs escadrons se détachent l'un après l'autre du corps de la cavalerie pour aller agacer l'ennemi à coups de pistolet. (V)


CARACOLY(Hist. mod.) métal composé de parties égales d'or, d'argent, & de cuivre : il est très-estimé, & fort recherché des Caraïbes ou Sauvages des îles de l'Amérique. Ils nomment aussi caracolys les petites plaques faites du même métal, dont ils font leur principal ornement, en se les attachant au nez, aux levres, & aux oreilles. Ils tiroient autrefois cette composition des Sauvages de la riviere d'Orenoque : mais aujourd'hui les Orfévres du pays les contrefont en altérant un peu l'alliage, & leur vendent bien cher ces bagatelles.


CARACOMBO(Géog.) île d'Afrique dans l'Océan éthiopien, sur la côte de la basse Guinée.


CARACORES. m. (Marine) c'est un bâtiment des Indes, dont les habitans de l'île de Borneo se servent beaucoup. Il va à la rame pendant le calme, ou lorsqu'il fait peu de vent. Les rameurs sont assis sur une galerie de roseaux qui regne autour. Le dernier est jusque dans l'eau, & ils ont chacun leur fleche & leur arc à leur côté. Ces sortes de bâtimens, bien loin d'avoir du relevement, baissent à l'avant & à l'arriere. Lorsqu'il y a du vent assez fort pour aller à la voile, ils en mettent de cuir. Ils portent 150 & jusqu'à 170 hommes. Ils n'ont de bordages ou de planches que quatre ou cinq de chaque côté de la quille. Ils sont aigus ; l'étrave & l'étambord demeurent tout découverts au-dessus du bordage de planches. Sur ces bordages, il y a de petits barots qui font saillie sur l'eau, selon la largeur qu'on veut donner au bâtiment, & l'on couvre ces barots de roseaux ; ce qui sert d'un pont qui s'étend jusqu'au bout de l'élancement que les barots font. Ces roseaux sont environ de la grosseur du bras.

C'est sur l'élancement de ce pont, qui fait de chaque côté comme une galerie, que sont les rameurs ; & il y a entre chaque rang de rameurs, une ouverture assez grande pour donner lieu au mouvement de la pagaie ou rame. On proportionne les rangs des rameurs à la grandeur du bâtiment. Chaque rang est ordinairement de 10 ou 12 hommes. Les pagaies sont composées de palettes plates, avec des manches courts ; elles sont toutes égales & fort legeres. Il y a quelquefois un rang de rameurs en-dedans du bordage. C'est en chantant & en battant la caisse, ou en jouant de quelque instrument de musique, qu'on commande aux rameurs ce qu'ils ont à faire. Le bâtiment flotte sur l'eau, & vogue par le moyen du pont de roseaux, dont la saillie se trouve sur la surface de l'eau ; & sans laquelle le caracore, étroit comme il est, ne manqueroit pas de se renverser ; l'avant ne s'éleve point au dessus du bordage de planches.

Quelquefois les saillies ou galeries de pont descendent depuis le haut du bâtiment en talus sur l'eau, & alors on ne peut ramer du dedans du vaisseau. (Z)


CARACOSA (Géog.) petite ville d'Espagne dans la nouvelle Castille.


CARACTERE(Ordre encyclopédique. Entendement. Raison. Philosophie ou Science. Science de l'homme. Logique. Art de communiquer la pensée. Grammaire. Science de l'instrument du discours. Signes. Caractere.) Ce mot pris dans un sens général ; signifie une marque ou une figure tracée sur du papier, sur du métal, sur de la pierre, ou sur toute autre matiére, avec la plume, le burin, le ciseau, ou autre instrument, afin de faire connoître ou de désigner quelque chose. Voy. MARQUE, NOTE, &c.

Ce mot vient du Grec , qui est formé du verbe , insculpere, graver, imprimer, &c.

A peine les hommes furent-ils en société, qu'ils sentirent le besoin qu'ils avoient d'inventer une langue pour se communiquer leurs pensées. Cette langue ne consista sans-doute d'abord qu'à désigner par certains sons & par certains signes les êtres sensibles & palpables, qu'ils pouvoient se montrer, & par conséquent elle étoit encore fort imparfaite, mais les hommes ne furent pas long-tems sans s'appercevoir que non-seulement il leur étoit nécessaire de représenter, pour ainsi dire, ces êtres à l'oreille par des sons, mais de les représenter aussi en quelque maniere aux yeux, en convenant de certaines marques qui les désignassent. Par-là le commerce de la société devoit s'étendre, puisqu'il devenoit également facile de désigner ces êtres présens ou absens, & que la communication des idées étoit rendue également possible entre les hommes absens, & entre les hommes présens. Il y a bien de l'apparence que les figures même de ces êtres, tracées grossierement sur quelques corps, furent les premiers caracteres par lesquels on désigna, & la premiere espece d'écriture, qui a dû naître à-peu-près dans le même tems que les langues. Voyez ECRITURE. Mais on dut bientôt sentir l'insuffisance de ces caracteres ; & peut-être cette insuffisance contribua-t-elle à faire mieux sentir l'imperfection des premieres langues. Voyez LANGUE. Les hommes qui avoient la facilité de se parler en désignant les êtres palpables par des sons, pouvoient suppléer par d'autres signes, comme par des gestes, à ce qui pouvoit manquer d'ailleurs à cette langue ; c'est ainsi qu'un muet fait entendre sa pensée en montrant les objets dont il parle, & suppléant par des gestes aux choses qu'il ne peut montrer : mais une telle conversation devenoit impossible entre des hommes éloignés, & qui ne pouvoient se voir. Les hommes comprirent donc bientôt qu'il falloit nécessairement 1°. inventer des sons pour désigner, soit les êtres non-palpables, soit les termes abstraits & généraux, soit les notions intellectuelles, soit enfin les termes qui servent à lier des idées ; & ces sons furent inventés peu-à-peu : 2°. trouver la maniere de peindre ces sons une fois inventés ; & c'est à quoi les hommes purent parvenir, en convenant de certaines marques arbitraires pour désigner ces sons. Peu-à-peu on s'apperçut que dans la multitude infinie en apparence des sons que forme la voix, il y en a un certain nombre de simples auxquels tous les autres peuvent se réduire, & dont ils ne sont que des combinaisons. On chercha donc à représenter ces sons simples par des caracteres, & les sons combinés par la combinaison des caracteres, & l'on forma l'alphabet. Voyez l'article ALPHABET.

On n'en resta pas là. Les différens besoins des hommes les ayant portés à inventer différentes sciences, ces sciences furent obligées de se former des mots particuliers, de se réduire à de certaines regles, & d'inventer quelquefois des caracteres, ou du moins de faire un usage particulier des caracteres déjà inventés, pour désigner d'une maniere plus courte certains objets particuliers. L'arithmétique ou science des nombres a dû être une de ses premieres sciences, parce que le calcul a dû être un des premiers besoins des hommes réunis en société : les autres sciences à son exemple se firent bientôt des caracteres plus ou moins nombreux, des formules d'abréviation, formant comme une espece de langue à l'usage de ceux qui étoient imités dans la science.

On peut donc réduire les différentes especes de caracteres à trois principales ; savoir les caracteres littéraux, les caracteres numéraux, & les caracteres d'abréviation.

On entend par caractere littéral, une lettre de l'alphabet, propre à indiquer quelque son articulé : c'est en ce sens qu'on dit que les Chinois ont 80000 caracteres. Voyez ALPHABET.

Les caracteres littéraux peuvent se diviser, eu égard à leur nature & à leur usage, en nominaux, & en emblématiques.

Les caracteres nominaux sont ce que l'on appelle proprement des lettres qui servent à écrire les noms des choses. Voyez LETTRE.

Les caracteres emblématiques ou symboliques expriment les choses mêmes, les personnifient en quelque sorte, & représentent leur forme : tels sont les hiéroglyphes des anciens Egyptiens. (O)

Suivant Hérodote, les Egyptiens avoient deux sortes de caracteres, les uns sacrés, les autres populaires : les sacrés étoient des hiéroglyphes ou symboles ; ils s'en servoient dans leur morale, leur politique, & sur-tout dans les choses qui avoient rapport à leur fanatisme & à leur superstition. Les monumens où l'on voit le plus d'hiéroglyphes, sont les obélisques. Diodore de Sicile, liv. III. pag. 144. dit que de ces deux sortes de caracteres, les populaires & les sacrés, ou hiéroglyphiques ; ceux-ci n'étoient entendus que des prêtres. Voyez HIEROGLYPHE, SYMBOLE, &c. (F)

Les hommes qui ne formoient d'abord qu'une société unique, & qui n'avoient par conséquent qu'une langue & qu'un alphabet, s'étant extrèmement multipliés, furent forcés de se distribuer, pour ainsi dire, en plusieurs grandes sociétés ou familles, qui séparés par des mers vastes ou par des continens arides, ou par des intérêts différens, n'avoient presque plus rien de commun entr'elles. Ces circonstances occasionnerent les différentes langues & les différens alphabets, qui se sont si fort multipliés.

Cette diversité de caracteres, dont se servent les différentes nations pour exprimer la même idée, est regardée comme un des plus grands obstacles qu'il y ait au progrès des Sciences : aussi quelques auteurs pensant à affranchir le genre humain de cette servitude, ont proposé des plans de caracteres qui puissent être universels ; & que chaque nation pût lire dans sa langue. On voit bien qu'en ce cas, ces sortes de caracteres devroient être réels & non nominaux, c'est-à-dire exprimer des choses, & non pas, comme les caracteres communs, exprimer des lettres ou des sons.

Ainsi chaque nation auroit retenu son propre langage, & cependant auroit été en état d'entendre celui d'une autre sans l'avoir appris, en voyant simplement un caractere réel ou universel, qui auroit la même signification pour tous les peuples, quels que puissent être les sens, dont chaque nation se serviroit pour l'exprimer dans son langage particulier : par exemple, en voyant le caractere destiné à signifier boire, un Anglois auroit lû to drink, un François boire, un Latin bibere, un Grec , un Allemand trincken, & ainsi des autres ; de même qu'en voyant un cheval, chaque nation en exprime l'idée à sa maniere, mais toutes entendent le même animal.

Il ne faut pas s'imaginer que ce caractere réel soit une chimere. Les Chinois & les Japonois ont déjà, dit-on, quelque chose de semblable : ils ont un caractere commun que chacun de ces peuples entend de la même maniere dans leurs différentes langues, quoiqu'ils prononcent avec des sons ou des mots tellement différens, qu'ils n'entendent pas la moindre syllabe les uns des autres quand ils parlent.

Les premiers essais, & même les plus considérables que l'on ait fait en Europe pour l'institution d'une langue universelle ou philosophique, sont ceux de l'Evêque Wilkins & de Dalgarme : cependant ils sont demeurés sans aucun effet.

M. Leibnitz a eu quelques idées sur le même sujet. Il pense que Wilkins & Dalgarme n'avoient pas rencontré la vraie méthode. M. Leibnitz convenoit que plusieurs nations pourroient s'entendre avec les caracteres de ces deux autres : mais selon lui, ils n'avoient pas attrapé les véritables caracteres réels que ce grand philosophe regardoit comme l'instrument le plus fin dont l'esprit humain pût se servir, & qui devoient, dit-il, extrèmement faciliter & le raisonnement, & la mémoire, & l'invention des choses.

Suivant l'opinion de M. Leibnitz, ces caracteres devoient ressembler à ceux dont on se sert en Algebre, qui sont effectivement fort simples, quoique très-expressifs, sans avoir rien de superflu ni d'équivoque, & dont au reste toutes les variétés sont raisonnées.

Le caractere réel de l'Evêque Wilkins fut bien reçu de quelques savans. M. Hook le recommande après en avoir pris une exacte connoissance, & en avoir fait lui-même l'expérience : il en parle comme du plus excellent plan que l'on puisse se former sur cette matiere ; & pour engager plus efficacement à cette étude, il a eu la complaisance de publier en cette langue quelques-unes de ses découvertes.

M. Leibnitz dit qu'il avoit en vûe un alphabet des pensées humaines, & même qu'il y travailloit, afin de parvenir à une langue philosophique : mais la mort de ce grand philosophe empêcha son projet de venir en maturité.

Mr. Lodwic nous a communiqué, dans les transactions philosophiques, un plan d'un alphabet ou caractere universel d'une autre espece. Il devoit contenir une énumération de tous les sons ou lettres simples, usités dans une langue quelconque, moyennant quoi, on auroit été en état de prononcer promtement & exactement toutes sortes de langues ; & de décrire, en les entendant simplement prononcer, la prononciation d'une langue quelconque, que l'on auroit articulée ; de maniere que les personnes accoutumées à cette langue, quoiqu'elles ne l'eussent jamais entendu prononcer par d'autres, auroient pourtant été en état sur le champ de la prononcer exactement : enfin ce caractere auroit servi comme d'étalon ou de modele pour perpétuer les sons d'une langue quelconque.

Dans le journal littéraire de l'année 1720, il y a aussi un projet d'un caractere universel. L'auteur, après avoir répondu aux objections que l'on peut faire contre la possibilité de ces plans ou de ces projets en général propose le sien. Il prend pour caracteres les chiffres Arabes ou les figures numériques communes : les combinaisons de ces neuf caracteres peuvent suffire à l'expression distincte d'une incroyable quantité de nombres, & par conséquent à celle d'un nombre de termes beaucoup plus grand que nous n'en avons besoin pour signifier nos actions, nos biens, nos maux, nos devoirs, nos passions, &c. par-là on sauve à la fois la double incommodité de former & d'apprendre de nouveaux caracteres, les figures Arabes ou les chiffres de l'Arithmétique ordinaire ayant déjà toute l'universalité que l'on demande.

Mais ici la difficulté est bien moins d'inventer les caracteres les plus simples, les plus aisés, & les plus commodes, que d'engager les différentes nations à en faire usage ; elles ne s'accordent, dit M. de Fontenelle, qu'à ne pas entendre leurs intérêts communs. (O)

Les caracteres littéraux peuvent encore se diviser, eu égard aux différentes nations chez lesquelles ils ont pris naissance, & où ils sont en usage, en caracteres Grecs, caracteres Hébraïques, caracteres Romains, &c.

Le caractere dont on se sert aujourd'hui communément par toute l'Europe, est le caractere Latin des anciens.

Le caractere Latin se forma du Grec, & celui-ci du Phénicien, que Cadmus apporta en Grece.

Le caractere Phénicien, étoit le même que celui de l'ancien Hébreu, qui subsista jusqu'au tems de la captivité de Babylone ; après quoi l'on fit usage de celui des Assyriens, qui est l'Hébreu dont on se sert à présent ; l'ancien ne se trouvant que sur quelques médailles Hébraïques, appellées communément Médailles Samaritaines. Voyez SAMARITAIN.

Postel & d'autres prouvent qu'outre le Phénicien, le caractere Chaldéen, le Syriaque, & l'Arabe, étoient pareillement dérivés de l'ancien Hébreu. Voyez HEBREU, &c.

Les François furent les premiers qui admirent les caracteres Latins, avec l'Office Latin de S. Grégoire. L'usage des caracteres Gothiques, inventés par Ulfilas, fut aboli dans un synode provincial, qui se tint en 1091, à Leon, ville d'Espagne, & l'on établit en leur place les caracteres Latins. Voyez GOTHIQUE.

Les Médaillistes observent que le caractere Grec, qui ne consiste qu'en lettres majuscules, a conservé son uniformité sur toutes les médailles jusqu'au tems de Galien ; on n'y trouve aucune altération dans le tour ou la figure du caractere ; quoiqu'il y ait plusieurs changemens considérables, tant dans l'usage que dans la prononciation. Depuis le tems de Galien, il paroit un peu plus foible & plus rond. Dans l'espace de tems qui s'écoula entre le regne de Constantin & celui de Michel, qui fut environ de 500 ans, on ne trouve que des caracteres Latins. Après Michel, les caracteres Grecs recommencerent à être en usage ; mais depuis ce tems, ils reçurent des altérations, ainsi que le langage, qui ne fut alors qu'un mélange de Grec & de Latin. Voyez GREC.

Les médailles latines conserverent leurs caracteres & leur langue jusqu'à la translation du siége de l'empire à Constantinople. Vers le tems de Decius, le caractere commença à s'altérer & à perdre de sa rondeur & de sa beauté : on la lui rendit quelque tems après, & il subsista d'une maniere passable jusqu'au tems de Justin ; il tomba ensuite dans la derniere barbarie, dont nous venons de parler, sous le regne de Michel ; ensuite il alla toûjours de pis en pis, jusqu'à ce qu'enfin il dégénérât en Gothique. Ainsi plus le caractere est rond & mieux il est formé, plus l'on peut assûrer qu'il est ancien. Voyez MEDAILLE.

Nous nous servons de deux sortes de caracteres pour l'impression des livres ; 1°. le romain, 2°. l'italique. Nous avons aussi deux sortes d'écritures à la main ; 1°. la batarde, qui est le plus en usage, & que les maîtres appellent aussi italienne ; 2°. la ronde ou financiere nommée aussi françoise. Voyez plus bas CARACTERES d'écriture, & fonderie en CARACTERES.

Les caracteres numéraux sont ceux dont on se sert pour exprimer les nombres ; ce sont des lettres ou des figures, que l'on appelle autrement chiffres. Les especes de caracteres, qui sont principalement en usage aujourd'hui, sont le commun & le romain : on peut y joindre le grec & un autre nommé le caractere françois, ainsi que les lettres des autres alphabets, dont on s'est servi pour exprimer les nombres.

Le caractere commun est celui que l'on appelle ordinairement le caractere arabe, parce que l'on suppose qu'il a été inventé par les astronomes arabes, quoique les Arabes eux-mêmes l'appellent le caractere indien, comme s'ils l'avoient emprunté des peuples de l'Inde.

Il y a dix caracteres arabes, savoir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0, dont le dernier s'appelle en latin cyphra ; en France, on donne en général le nom de chiffre à tout caractere qui sert à exprimer les nombres. Voyez CHIFFRE.

On se sert du caractere arabe presque dans toute l'Europe, & presque dans toutes les circonstances où il peut avoir lieu, en fait de commerce, de mesure, de calculs astronomiques, &c.

Le caractere romain est composé de lettres majuscules de l'alphabet romain, d'où probablement lui est venu son nom ; ou peut-être de ce que les anciens romains en faisoient usage sur leurs monnoies, & dans les inscriptions de leurs monumens publics, érigés en l'honneur de leurs divinités & de leurs hommes illustres ; de même que sur leurs tombeaux, &c.

Les lettres numérales qui composent le caractere romain, sont au nombre de sept : savoir, I, V, X, L, C, D, M.

Le caractere I signifie un ; V, cinq ; X, dix ; L, cinquante ; C, un cent ; D, cinq cent ; & M, un mille.

Le I, répété deux fois, fait deux, II ; trois fois, trois, III ; quatre s'exprime ainsi IV. I, mis devant V ou X, retranche une unité de nombre exprimé par chacune de ces lettres.

Pour exprimer six, on ajoûte I à V, VI ; pour sept, on y en ajoûte deux, VII ; & pour huit, trois, VIII : on exprime neuf, en mettant I devant X, IX, conformément à la remarque précédente.

On peut faire la même remarque par rapport à X devant L ou C, ce X indique alors qu'il faut retrancher dix unités du nombre suivant ; ainsi X L signifie quarante, & XC, quatre-vingt-dix ; une L suivie d'un X, signifie soixante LX, &c. On a designé quelquefois quatre cent par CD, mais cela est rare.

Outre la lettre D, qui exprime cinq cent, on peut encore exprimer ce nombre par un I devant un C renversé de cette maniere I ; de même au lieu de M, qui signifie un mille, on se sert quelquefois de I entre deux C, l'un droit & l'autre renversé : en cette sorte CI ; suivant cette convention, on peut exprimer six cent par I C, & sept cent par ICC ; &c.

L'addition de C & C devant & après, augmente CI en raison décuple ; ainsi CCI signifie 10000 ; CCCI , 100000, &c.

Ceci est la maniere commune de marquer les nombres, anciennement usitée par les Romains, qui exprimoient aussi tout nombre de mille par une ligne, tirée sur un nombre quelconque moindre que mille. Par exemple, signifie 5000 ; , 60000 ; pareillement est 1000000 ; est 2000000, &c.

Outre cela, 1°. certaines libertés ou variations ont été admises, au moins dans quelques écrivains modernes par exemple IIX signifie 8, IICIX : 89 2°. certains caracteres ont été en usage, qui semblent avoir du rapport aux lettres ; par exemple M, par lequel on exprime mille, 1000, a été formé de CX ou CI, dont la moitié c'est-à-dire I étoit prise pour 500 ; de même, afin d'avoir peut-être plus de commodité pour écrire, I semble avoir été changé en D. Nous ignorons au reste comment les Romains faisoient leurs calculs par le moyen de ces nombres. Ils avoient sans-doute une arithmétique comme nous, & peut-être ne seroit-il pas impossible de la retrouver : mais ce seroit une recherche de pure curiosité. Le caractere arabe qui a prévalu par-tout nous en exempte.

Chiffres grecs. Les Grecs avoient trois manieres d'exprimer les nombres. 1°. La plus simple étoit pour chaque lettre en particulier, suivant sa place dans l'alphabet, afin d'exprimer un nombre depuis 1 jusqu'à 24 ; c'est de cette maniere que sont distingués les livres de l'Iliade d'Homere. 2°. Il y avoit une autre maniere, qui se faisoit par une division de l'alphabet en huit unités : 1. 2, &c. 8. dixaines : 10, 20, &c. 8 centaines 100, 200, &c. N. B. ils exprimoient mille par un point ou un accent sous une lettre : par exemple 1000, 2000, &c. 3°. Les Grecs avoient une troisieme maniere qui se faisoit par six lettres capitales, en cette maniere, 1 ( pour ) 1, () 5, () 10, H () 100, X () 1000, M () 10000. Et quand la lettre en renfermoit quelques-unes, excepté 1, cela montroit que la lettre renfermée étoit le quintuple de sa propre valeur, comme

50, 500, 5000, 50000.

Chiffres hébraïques. L'alphabet hébreu étoit divisé en neuf unités, 1, 2, &c. en neuf dixaines, '10, 20, &c. en neuf centaines, 100, 200, &c. 500, 600, 700, 800, 900. Les mille s'exprimoient quelquefois par les unités, que l'on mettoit avant les cent, , 1534, & de même devant les dixaines, , 1070. Mais en général on exprimoit mille par le mot , & 2000 par précédé des autres lettres numérales, servoit à déterminer le nombre de mille : par exemple, , 3000, &c.

Le caractere françois, ainsi appellé, à cause que les François l'ont inventé, & en font principalement usage, est plus ordinairement nommé chiffre de compte ou de finance.

Ce n'est proprement qu'un chiffre romain en lettres non majuscules ; ainsi au lieu d'exprimer 56 par LVI, en chiffre romain on l'exprime en plus petits caracteres par lvj. & ainsi des autres, &c.

On en fait principalement usage dans les chambres des comptes ; dans les comptes que rendent les thrésoriers, les receveurs, &c. & autres personnes employées dans l'administration des revenus.

Caractère d'abréviation. On se sert aussi du mot caractere en plusieurs arts pour exprimer un symbole destiné à communiquer d'une maniere plus concise & plus immédiate, la connoissance des choses. Voyez ABREVIATION.

Paul Diacre attribue l'invention de ces caracteres à Ennius, qui en a inventé, dit-il, les premiers onze cent. Tyron, affranchi de Ciceron, Philargyrus, Faunius & Aquila, affranchis de Mecene, y en ajoûterent un bien plus grand nombre.

Enfin Seneque en fit une collection qu'il mit en ordre, & il augmenta leur nombre jusqu'à cinq mille. On peut lire les notes de Tyron à la fin des inscriptions de Gruter.

Valerius Probus, grammairien du tems de Néron, travailla avec succès à expliquer les notes des anciens. Paul Diacre écrivit un ample traité touchant l'explication des caractères de droit, sous le regne de l'empereur Conrad I., & Goltzius en fit un autre pour l'explication des médailles.

On fait un usage particulier de plusieurs caractères différens dans les Mathématiques, & particulierement en Algebre, en Géométrie, en Trigonométrie, & en Astronomie, de même qu'en Medecine, en Chimie, en Musique, &c.

Caracteres usités en Arithmétique & en Algebre. Les premieres lettres de l'alphabet a, b, c, d, &c. sont les signes ou les caractères qui expriment des quantités données ; & les dernieres lettres z, y, x &c. sont les caracteres des quantités cherchées. Voyez QUANTITE : voyez aussi l'article ARITHMETIQUE UNIVERSELLE, où nous avons expliqué pourquoi l'Algebre se sert de lettres pour désigner les quantités, soit connues, soit inconnues.

Observez que les quantités égales se marquent par le même caractere. Les lettres m, n, r, s, t, &c. sont les caracteres des exposans indéterminés des rapports & des puissances ; ainsi xm, yn, zr &c. désignent les puissances indéterminées de différente espece ; m x, n y, r z, les différens multiples ou sous-multiples des quantités x, y, z, selon que m, n, r, représentent des nombres entiers ou rompus.

+ Est le signe de ce qui existe réellement, & on l'appelle signe affirmatif ou positif ; il fait comprendre que les quantités qui en sont précédées, ont une existence réelle & positive. Voyez POSITIF.

C'est aussi le signe de l'addition ; & en lisant, on prononce plus ; ainsi 9 + 3 se prononce neuf plus trois ; c'est-à-dire 9 ajoûté à 3, ou la somme de 9 & 3 égale 12. Voyez ADDITION.

Quand le signe - précede une quantité simple, il exprime une négation ou bien une existence négative ; il fait voir, pour ainsi dire, que la quantité qui en est précédée, est moindre que rien. Car on peut dire, par exemple, d'un homme qui a 20000 livres de dettes, & qui n'a rien d'ailleurs, que sa fortune est au-dessous de rien de la valeur de 20000 livres, puisque si on lui donnoit 20000 livres, il seroit obligé de payer ses dettes, & il ne lui resteroit rien ; ce qu'on peut exprimer ainsi, la fortune de cet homme est - 20000 livres. Au reste nous donnerons plus au long & plus exactement l'idée des quantités négatives à l'article NEGATIF.

Si on met ce signe entre des quantités, c'est le signe de la soustraction, & en le lisant, on prononce moins ; ainsi 14 - 2 se lit 14 moins 2, ou diminué de 2 ; c'est-à-dire le reste de 14, après que l'on en a soustrait 2, ce qui fait 12. Voyez SOUSTRACTION.

= est le signe de l'égalité ; ainsi 9 + 3 = 14 - 2, signifie que 9 plus 3 sont égaux à 14 moins 2.

Harriot est le premier qui a introduit ce caractere. En sa place Descartes se sert de x : avant Harriot il n'y avoit aucun signe d'égalité. Wolf & quelques autres auteurs se servent du même caractere = pour exprimer l'identité des rapports, ou pour marquer les termes qui sont en proportion géométrique, ce que plusieurs auteurs indiquent autrement. Le signe x est la marque de la multiplication ; il fait voir que les quantités qui sont de l'un & de l'autre côté de ce signe, doivent être multipliés les unes par les autres : ainsi 4 x 6 se lit 4 multiplié par 6, ou bien le produit de 4 & 6 = 24, ou le rectangle de 4 & de 6. Cependant dans l'Algebre on omet assez souvent ce signe, & l'on met simplement les deux quantités ensemble : ainsi b d exprime le produit des deux nombres marqués par b & d, lesquels étant supposés valoir 2 & 4, leur produit est 8 signifié par b d.

Wolf & d'autres auteurs prennent pour signe de multiplication un point (.) placé entre deux multiplicateurs ; ainsi 6. 2 signifie le produit de 6 & 2, c'est-à-dire 12. Voyez MULTIPLICATION.

Quand un des facteurs ou tous les deux sont composés de plusieurs lettres, on les distingue par une ligne que l'on tire dessus ; ainsi le produit de a + b - c par d s'écrit d x .

Guido Grandi, & après lui Leibnitz, Wolf, & d'autres, pour éviter l'embarras des lignes, au lieu de ce moyen, distinguent les multiplicateurs composés en les renfermant dans une parenthese de la maniere suivante (a + b - c) d.

Le signe ÷ exprimoit autrefois la division ; ainsi a ÷ b désignoit que la quantité a est divisée par la quantité b. Mais aujourd'hui en Algebre on exprime le quotient sous la forme d'une fraction ; ainsi a/b signifie le quotient de a divisé par b.

Wolf & d'autres prennent pour indiquer la division, le signe (:) ; ainsi 8 : 4 signifie le quotient de 8 divisé par 4, = 2.

Si le diviseur ou le dividende, ou bien tous les deux sont composés de plusieurs lettres ; par exemple, a + b divisé par c, au lieu d'écrire le quotient sous la forme d'une fraction de cette maniere (a + b)/c, Wolf renferme dans une parenthese les quantités composées, comme (a + b) : c. Voyez DIVISION.

> est le signe de majorité ou de l'excès d'un quantité sur une autre. Quelques-uns se servent du caractere ou de celui-ci .

< est le signe de minorité ; Harriot introduisit le premier ces deux caracteres, dont tous les auteurs modernes ont fait usage depuis.

D'autres auteurs employent d'autres signes ; quelques-uns se servent de celui-ci ; mais aujourd'hui on n'en fait aucun usage.

est le signe de similitude, recommandé dans les miscellanea berolinensia, & dont Leibnitz, Wolf, & d'autres, ont fait usage, quoiqu'en général les auteurs ne s'en servent point. Voyez SIMILITUDE.

D'autres auteurs employent ce même caractere, pour marquer la différence entre deux quantités, lorsque l'on ignore laquelle est la plus grande. Voyez DIFFERENCE.

Le signe est le caractere de radicalité ; il fait voir que la racine de la quantité qui en est précédée, est extraite ou doit être extraite : ainsi ou signifie la racine quarrée de 25, c'est-à-dire 5 : & indique la racine cubique de 25. Voyez RACINE, RADICAL.

Ce caractere renferme quelquefois plusieurs quantités ; ce que l'on distingue en tirant une ligne dessus ; ainsi b + d signifie la racine quarrée de la somme des quantités b & d.

Wolf, au lieu de ce signe, renferme dans une parenthese les racines composées de plusieurs quantités, en y mettant l'exposant : ainsi (a + b - c)2 signifie le quarré de a + b - c, qui s'écrit ordinairement 2.

Le signe : est le caractere de la proportion arithmétique ; ainsi 7. 3 : 13. 9 fait voir que trois est surpassé par 7 autant que 9 l'est par 13, c'est-à-dire de 4. Voyez PROGRESSION.

Le signe :: est le caractere de la proportion géométrique ; ainsi 8. 4 : : 30. 15. ou 8 : 4 : : 30 : 15. montre que le rapport de 30 à 15 est le même que celui de 8 à 4, ou que les quatre termes sont en proportion géométrique, c'est-à-dire que 8 est à 4 comme 30 est à 15. Voyez PROPORTION.

Au lieu de ce caractere, Wolf se sert du signe d'égalité = qu'il préfere au premier, comme plus scientifique & plus expressif. D'autres désignent ainsi la proportion géométrique, a | b || c | d. Tout cela est indifférent.

Le signe est le caractere de la proportion géométrique continue ; il montre que le rapport est toûjours le même sans interruption : ainsi 2. 4. 8. 16. 32. sont dans la même proportion continue ; car 2 est à 4 comme 4 est à 8, comme 8 est à 16, &c. Voyez PROPORTION & PROGRESSION.

Caracteres en Géométrie & en Trigonométrie.

|| est le caractere du parallélisme, qui montre que deux lignes ou deux plans doivent être à égale distance l'un de l'autre. Voyez PARALLELE.

est le caractere d'un triangle. Voyez TRIANGLE.

est le signe d'un quarré ; marque l'égalité des côtés d'une figure.

signifie un rectangle ; < est le signe d'un angle.

caractérise un cercle ; marque un angle droit.

exprime l'égalité des angles. est le signe d'une perpendiculaire.

° exprime un degré ; ainsi 75° signifie soixante & quinze degrés.

'est le signe d'une minute ou d'une prime, ainsi 50' dénote cinquante minutes. ", ''', "", &c. sont les caracteres des secondes, des tierces, des quartes, &c. de degrés ; ainsi 5", 6''', 18"", 20"''', signifie 5 secondes, 6 tierces, 18 quartes, 20 quintes. Les quartes & les quintes s'expriment aussi par IV. & par V.

Au reste, plusieurs des caracteres de Géométrie, dont nous avons parlé dans cet article, sont peu usités aujourd'hui ; mais nous avons crû pouvoir en faire mention. (E)

Caracteres dont on fait usage dans l'Arithmétique des infinis.

Le caractere d'un infinitésimal ou d'une fluxion, se marque ainsi , &c. c'est-à-dire que ces quantités ainsi affectées expriment les fluxions ou les différentielles des grandeurs variables v & y : deux, trois, ou un plus grand nombre de points désignent les secondes, les troisiemes fluxions, ou des fluxions d'un plus haut degré. Voyez FLUXION.

On doit à l'illustre Newton, l'inventeur des fluxions, la méthode de les caractériser ; les Anglois l'ont suivie : mais les autres mathématiciens suivent M. Leibnitz ; & au lieu d'un point, ils mettent la lettre d au-devant de la quantité variable, afin d'éviter la confusion qui vient de la multiplicité des points, dans le calcul des différentielles, Voyez DIFFERENTIEL.

Ainsi d est le caractere de la différentielle d'une quantité variable ; d x est la différentielle de v ; d y la différentielle de y.

Cette différente maniere de caractériser les fluxions & les quantités différentielles, tient peut-être jusqu'à un certain point à la différente maniere dont MM. Newton & Leibnitz les envisageoient ; en effet l'idée qu'ils s'en formoient n'étoit pas la même, comme on le verra aux articles cités.

exprime l'infini.

Caracteres usités en Astronomie.

Caracteres des Aspects, &c.

Caracteres de Tems.

A. M. (avant midi ou ante meridiem.)

P. M. (post meridiem), ou après midi.

M. matin.

S. soir. (O)

Caracteres de Chimie.

Les caracteres chimiques sont une espece d'écriture hiéroglyphique & mystérieuse ; c'est proprement la langue sacrée de la Chimie : mais depuis qu'on en a dressé des tables avec des explications qui sont entre les mains de tous les gens de l'art, ils ne peuvent plus rien ajoûter à l'obscurité des ouvrages des philosophes. Voyez Planche de Chimie.

On s'est servi des mêmes caracteres lorsque la Chimie a commencé à fournir des remedes à la Medecine, pour cacher ces remedes au malade, aux assistans, & aux barbiers. Les malades se sont enfin accoûtumés aux remedes chimiques, & les Medecins à partager l'exercice de leur art avec tous leurs ministres : & les caracteres chimiques sont devenus encore inutiles pour ce dernier usage : on ne s'en sert plus aujourd'hui que comme d'une écriture abrégée.

Les caracteres chimiques les plus anciens sont ceux qui désignent les substances métalliques connues des anciens, leurs sept métaux ; ces caracteres désignoient encore leurs sept planetes qui portent aussi les mêmes noms que ces métaux. Que de doctes conjectures ne peut-on pas former sur cette conformité de nom, de signe, de nombre sur-tout ? Aussi l'on n'y a pas manqué : mais la plus profonde discussion ne nous a rien appris, sinon que ces signes & ces noms leur sont communs depuis une antiquité si reculée, qu'il est à-peu-près impossible de décider si les Astrologues les ont empruntés des Chimistes, ou si ce sont ceux-ci au contraire qui les ont empruntés des premiers.

Il est au moins certain que ces caracteres sont vraiment symboliques ou emblématiques chez les Chimistes ; qu'ils expriment par des significations déjà convenues des propriétés essentielles des corps désignés, & même leurs rapports génériques & spécifiques.

Ces sept signes n'ont que deux élémens ou racines primitives ; le cercle, & la croix ou la pointe : le cercle désigne la perfection ; la croix ou la pointe, tout acre, acide, corrosif, arsénical, volatil, &c.

L'or ou le soleil est donc désigné par le cercle, par le caractere de la perfection ; l'argent ou la lune, par le demi-cercle ou la demi-perfection ; les métaux imparfaits par l'un ou l'autre de ces signes, & par le caractere d'imperfection ; imperfection qui dépend d'un soufre immûr, immaturum, volatil, corrosif, &c. selon le langage de l'ancienne chimie.

Ces métaux sont solaires ou lunaires, cette division est ancienne & très-réelle. Voyez MENSTRUE.

Le fer ou mars, & le cuivre ou Venus, sont solaires ou colorés ; le plomb ou Saturne, & l'étain ou Jupiter, sont lunaires ou blancs ; aussi les deux premiers sont-ils désignés par le cercle, & la croix ou la pointe ; & les deux derniers, par le demi-cercle & la croix. Le mercure prétendu très-solaire intérieurement, quoique lunaire ou blanc extérieurement, est désigné par le cercle surmonté du demi-cercle, & par le caractere d'imperfection. Voyez la Planche. L'antimoine, demi-métal prétendu solaire, est désigné par le cercle, & par le caractere d'imperfection ou la croix.

Les caracteres chimiques plus modernes n'ont pas été imaginés sur les modeles de ceux-là ; on n'y a pas employé tant d'art ou tant de finesse : quelques-uns ne sont autre chose que les lettres initiales des noms des substances, des opérations, des instrumens, &c. qu'ils désignent comme celui du bismuth, de l'effervescence, du bain-marie, &c. d'autres peignent la chose exprimée comme ceux qu'on employe ordinairement pour cornue, bain de sable, &c. d'autres enfin sont purement arbitraires & de convention : tels sont ceux dont on se sert pour le cinnabre, les cendres, le lait, &c. Cet article est de M. VENEL.

Caracteres usités en Pharmacie & en Medecine.

.... recipe, prenez.

. ana, de chacun également.

. une once.

. une dragme.

. un scrupule.

Gr. un grain.

. la moitié de quelque chose.

Cong. congius, ou quatre pintes.

Coch. cochleare, une cuillerée.

M. manipulus, une poignée.

P. la moitié d'une poignée.

P. E. parties égales.

S. A. conformément à l'art.

Q. S. une quantité suffisante.

Q. Pl. quantum placet, autant qu'il vous plaît.

P. P. pulvis patrum, le quinquina.

Caracteres usités parmi les anciens avocats, & dans les anciennes inscriptions.

§. paragraphe.

ff. Digeste.

E. extra.

S. P. Q. R. senatus populusque Romanus.

S. cto. senatus consulto.

P. P. pater patriae.

C. code.

C. C. consules.

T. Titulus, &c.

Caracteres que l'on met sur les tombes.

S. V. siste viator, arrête-toi voyageur.

M. S. memoriæ sacrum, consacré à la mémoire.

D. M. diis manibus.

I. H. S. Jesus.

X. P. caractere trouvé sur d'anciens monumens, sur la signification duquel les auteurs ne s'accordent pas.

Caracteres en Grammaire, Rhétorique, Poésie, &c.

, caractere d'un comma ou d'une virgule.

; sémicolon, un point & une virgule.

: colon, deux points.

. point.

! exclamation.

? interrogation.

() parenthese.

' apostrophe.

accent aigu.

` accent grave.

^ accent circonflexe.

breve.

" guillemet.

+ renvoi.

§ sections ou paragraphe.

M. D. docteur en Medecine.

A. M. artium magister, maître ès arts.

F. R. S. fellow of the royal society, membre de la société royale.

Caracteres, en Commerce.

D°. dicto, le même.

N°. numero, ou nombre.

F°. folio ou page.

R°. recto. folio.

V°. verso.

L. ou . livres d'argent.

. livres pesant.

s. sous.

d. deniers.

Rx. rixdales.

Dd. ducat.

P. S. postscript. &c.

Caractere, en Musique, sont les signes dont on se sert pour la noter. Voyez NOTE.

Caractere, en Ecriture & en Impression : outre les acceptions qui précedent, où il se prend pour lettre, il désigne aussi la grandeur relative d'un caractere ou d'une lettre à une autre ; ainsi on dit un gros caractere, un petit caractere ; caractere en Ecriture est alors synonyme à oeil en Impression, ou en Fonderie en caractere. Voyez OEIL, voyez FONDERIE EN CARACTERES à l'article suivant. On distingue en Ecriture quatre sortes de caracteres pris dans ce dernier sens : le gros titulaire, le moyen ou le caractere de finance, la coulée commune, & la minute.

Les caracteres en Ecriture & en Impression, se distinguent encore relativement à une certaine forme particuliere ; & l'on a en Ecriture le bâtard ou italien, & le rond ou financier ; & en Impression le romain & l'italique. Voyez l'article suivant, & les articles IMPRIMERIE & ECRITURE.


CARACTERESCARACTERES

On conçoit qu'il faut que le caractere qui doit laisser son empreinte sur le papier, soit tourné dans le sens opposé à l'empreinte. Exemple, pour que le caractere B donne l'empreinte B, il faut que ce caractere soit disposé comme le voici ; car si l'on suppose un papier appliqué sur ce , de maniere qu'il en reçoive l'empreinte, il est évident que quand on retournera le papier pour appercevoir l'empreinte laissée, les parties de ce qui étoient à gauche, se trouvant à droite, & celles qui étoient à droite, se trouvant à gauche, on ne verra plus la figure , mais la figure B. C'est précisément comme si le papier étant transparent, on regardoit le caractere par derriere. C'est-là ce qui rend la lecture d'une forme difficile à ceux qui n'en ont pas l'habitude. Voyez IMPRIMERIE, FORME.

On conçoit encore que si l'on avoit autant de ces petits caracteres en relief, qu'il en peut entrer dans l'Ecriture, & qu'on possédât l'art de les arranger comme ils le doivent être pour rendre l'écriture ; de les enduire de quelque matiere colorante, & d'appliquer dessus fortement du papier, de maniere que ce papier ne se chargeât que des figures des caracteres disposés, on aurait l'art le plus utile qu'on pût desirer, celui de multiplier à peu de frais & à l'infini les exemplaires des bons livres pour lesquels cet art devroit être réservé ; car il semble que l'Imprimerie mettant les productions de l'esprit humain entre les mains de tout le monde, il ne faudroit imprimer de livres que ceux dont la lecture ne peut nuire à personne.

Cet art suppose celui de faire les caracteres, & celui de les employer : l'art de faire les caracteres se distribue en deux autres, celui de préparer les poinçons nécessaires pour la fonte des caracteres, & l'art de fondre ces caracteres à l'aide des poinçons.

On peut donc distribuer l'art d'imprimer en trois parties : l'art de graver les poinçons, premiere partie ; l'art de fondre les caracteres, seconde partie ; l'art d'en faire usage, auquel nous avons restraint le nom d'Imprimerie, troisieme partie.

Nous allons exposer ici l'art de graver les poinçons, & celui de fondre les caracteres. Quant à celui d'employer les caracteres, on le trouvera à l'article IMPRIMERIE, avec l'historique détaillé de l'art entier.

De la gravure des poinçons. On peut regarder les Graveurs des poinçons comme les premiers auteurs de tous les caracteres mobiles, avec lesquels on a imprimé depuis l'origine de l'Imprimerie : ce sont eux qui les ont inventés, corrigés & perfectionnés par une suite de progrès longs & pénibles, & qui les ont portés dans l'état où nous les voyons.

Avant cette découverte, on gravoit le discours sur une planche de bois, dont une seule piece faisoit une page, ou une feuille entiere : mais la difficulté de corriger les fautes qui se glissoient dans les planches gravées, jointe à l'embarras de ces planches qui se multiplioient à l'infini, inspira le dessein de rendre les caracteres mobiles, & d'avoir autant de pieces séparées, qu'il y avoit de figures distinctes dans l'écriture.

Cette découverte fut faite en Allemagne vers l'an 1440 ; l'utilité générale qu'on lui trouva, en rendit les succès très-rapides. Plusieurs personnes s'occuperent en même tems de sa perfection ; les uns s'unissant d'intérêt avec l'inventeur ; d'autres volant, à ce qu'on prétend, une partie du secret pour faire société à part, & enrichir l'art naissant de leurs propres expériences ; de maniere qu'on ne sait pas au juste qui est le véritable auteur de l'art admirable de la Gravure des poinçons & de la Fonderie des caracteres, plusieurs personnes y ayant coopéré presqu'en même tems ; cependant on en attribue plus communément l'honneur à Jean Guttemberg, gentilhomme allemand. Voyez l'article IMPRIMERIE.

Les Graveurs de caracteres sont peu connus dans la république des Lettres. Par une injustice dont on a des exemples plus importans, on a attribué aux Imprimeurs qui ont fait les plus belles éditions, une réputation & des éloges que devoient au moins partager avec eux les ouvriers habiles qui avoient gravé les poinçons sur lesquels les caracteres avoient été fondus ; sans les difficultés de l'art typographique qui sont grandes, ce seroit comme si l'on eût donné à un Imprimeur en taille-douce la gloire d'une belle estampe, dont il auroit acheté la planche, & vendu au public des épreuves imprimées avec soin.

On a beaucoup parlé des Plantins, des Elzevirs, des Etiennes, & autres Imprimeurs, que la beauté & la netteté de leurs caracteres ont rendus célebres, sans observer qu'ils n'en étoient pas les auteurs, & qu'ils n'auroient proprement que montré l'ouvrage d'autrui, s'ils n'avoient travaillé à le faire valoir par les soins d'une impression propre & soignée.

Nous ne prétendons point ici déprimer l'art appellé proprement Typographique ; il a ses regles, qui ne sont pas toutes faciles à bien observer, & sa difficulté qu'on ne parvient à vaincre que par une longue habitude du travail. Ce travail se distribue en plusieurs branches qui demandent chacune un talent particulier. Mais n'est-ce pas assez pour l'Imprimeur de la loüange qui lui revient du méchanisme de la composition, de la propreté de l'impression, de la pureté de la correction, &c. sans lui transporter encore celle qui appartient à des hommes qu'on a laissés dans l'oubli, quoiqu'on leur eût l'obligation de ce que l'Imprimerie a de plus beau ? Car une chose qui doit étonner, c'est que les Ecrivains qui ont fait en différens tems l'histoire de l'Imprimerie, qui en ont suivi les progrès, & qui se sont montrés les plus instruits sur cet objet, se sont fort étendus sur le mérite des Imprimeurs, sans presque dire un mot des Graveurs en caracteres ; quoique l'Imprimeur ou plûtôt le Typographe, ne soit au Graveur que comme un habile chanteur est à un bon compositeur de musique.

C'est pour rendre à ces artistes la gloire qui leur est dûe, que M. Fournier le jeune, lui-même habile fondeur & graveur en caracteres à Paris, en a fait mention dans un livre de modeles de caracteres d'Imprimerie, qu'il a publié en 1742. Il a mis au nombre de ceux qui se sont distingués dans l'art de graver les caracteres, Simon de Collines, né dans le village de Gentilly près Paris ; il gravoit en 1480 des caracteres romains, tels que ceux que nous avons aujourd'hui. Alde Manuce faisoit la même chose & dans le même tems à Venise. Claude Garamond, natif de Paris, parut en 1510, & porta ce travail au plus haut point de perfection qu'il ait jamais acquis, soit par la figure des caracteres, soit par la justesse & la précision avec lesquelles il les exécuta.

Vers le commencement de ce siecle on a perfectionné quelques lettres, mais on n'a rien ajoûté à l'exactitude & à l'uniformité que Garamond avoit introduites dans son art. Ce fut lui qui exécuta, par ordre de François 1er. les caracteres qui ont tant fait d'honneur à Robert Etienne. Robert Granjean aussi de Paris, fils de Jean Granjean, imprimeur & libraire, grava de très-beaux caracteres grecs & latins ; il excella dans les caracteres italiques. Il passa à Lyon en 1570 ; il y travailla huit ans, au bout desquels il alla à Rome où le pape Grégoire XIII. l'avoit appellé.

Les caracteres de ce graveur ont été plus estimés que ceux d'aucun de ses contemporains : ils étoient dans le même goût, mais plus finis. Les frappes ou matrices s'en sont fort répandues en Europe, & elles servent encore en beaucoup d'endroits.

Le goût de ces italiques a commencé à passer vers le commencement du dix-huitieme siecle : cette espece de révolution typographique fut amenée par les sieurs Granjean & Alexandre, graveurs du roi, dont les caracteres servent à l'Imprimerie royale. En 1742, M. Fournier le jeune que nous avons déjà cité avec éloge, les approcha davantage de notre maniere d'écrire, par la figure, les pleins & les déliés qu'il leur donna. Voyez l'article ITALIQUE.

Guillaume le Bé, né à Troyes en Champagne vers l'an 1525, grava plusieurs caracteres, & s'appliqua principalement aux hébreux & rabbiniques ; il travailla d'abord à Paris ; de là il alla à Venise, à Rome, &c. Il revint à Paris où il mourut. Robert Etienne a beaucoup employé de ses caracteres dans ses éditions hébraïques.

Jacques de Sanlecque, né à Cauleu, dans le Boulonnois en Picardie, commença dès son extrème jeunesse à cultiver la Gravure en caracteres. Il travailloit vers l'an 1558 ; il y a bien réussi.

Jacques de Sanlecque son fils, né à Paris, commença par étudier les Lettres ; il y fit des progrès, & se rendit aussi digne successeur de son pere dans la Gravure. Sanlecque pere & fils étoient en 1614, les seuls graveurs qu'on eût à Paris. Le fils exécuta de très-belles notes de Plein-Chant & de Musique ; plusieurs beaux caracteres, entre lesquels on peut nommer le plus petit qu'on connût alors à Paris, & que nous appellons la Parisienne. Voyez PARISIENNE.

M. Fournier le jeune, juge très-compétent par la connoissance qu'il a & de son art & de l'histoire de cet art, prononce sévérement que depuis Sanlecque fils, jusqu'au commencement du dix-huitieme siecle, il ne s'est trouvé en France aucun graveur en caracteres tant-soit-peu recommandable. Lorsqu'il fut question de distinguer les i & les u consonnes & voyelles, il ne se trouva pas un seul ouvrier en état d'en graver passablement les poinçons ; ceux de ces anciens poinçons qu'on retrouve de tems en tems, montrent combien l'art avoit dégénéré. Il en sera ainsi de plusieurs arts, toutes les fois que ceux qui les professent seront rarement employés ; on fond rarement des statues équestres ; les poinçons des caracteres typographiques sont presqu'éternels. Il est donc nécessaire que la maniere de s'y prendre & d'exceller dans ces ouvrages, s'oublie en grande partie.

La gravure des caracteres est proprement le secret de l'Imprimerie ; c'est cet art qu'il a fallu inventer pour pouvoir multiplier les lettres à l'infini, & rendre par-là l'Imprimerie en état de varier les compositions autant qu'une langue a de mots, ou que l'imagination peut concevoir d'idées, & les hommes inventer de signes d'écriture pour les désigner.

Cette gravure se fait en relief sur un des bouts d'un morceau d'acier, d'environ deux pouces géométriques de long, & de grosseur proportionnée à la grandeur de l'objet qu'on y veut former, & qui doit y être taillé le plus parfaitement qu'il est possible, suivant les regles de l'art & les proportions relatives à chaque lettre ; car c'est de la perfection du poinçon, que dépendra la perfection des caracteres qui en émaneront.

On fait les poinçons du meilleur acier qu'on peut choisir. On commence par arrêter le dessein de la lettre : c'est une affaire de goût ; & l'on a vû en différens tems les lettres varier, non dans leur forme essentielle, mais dans les rapports des différentes parties de cette forme entr'elles. Soit le dessein arrêté d'une lettre majuscule B, que nous prendrons ici pour exemple ; cette lettre est composée de parties blanches & de parties noires. Les premieres sont creuses, & les secondes sont saillantes.

Pour former les parties creuses, on travaille un contre-poinçon d'acier de la forme des parties blanches (Voyez Planche III. de la Gravure, fig. 52. le contre-poinçon de la lettre B) ; ce contre-poinçon étant bien formé, trempé dur, & un peu revenu ou recuit, afin qu'il ne s'égraine pas, sera tout prêt à servir.

Le contre-poinçon fait, il s'agit de faire le poinçon : pour cela on prend de bon acier ; on en dresse un morceau de grosseur convenable, que l'on fait rougir au feu pour le ramollir, on le coupe par tronçons de la longueur dont nous avons dit plus haut. On arrondit un des bouts qui doit servir de tête, & l'on dresse bien à la lime l'autre bout ; ensorte que la face soit bien perpendiculaire à l'axe du poinçon ; ce dont on s'assûrera en le passant dans l'équerre à dresser sur la pierre à l'huile, ainsi qu'il sera expliqué ci-après. On observe encore de bien dresser deux des longues faces latérales du poinçon, celles qui doivent s'appliquer contre les parois internes de l'équerre à dresser. On fait une marque de repaire sur une de ces faces ; cette marque sert à deux fins : 1°. à faire connoître le haut ou le bas de la lettre, selon le côté du poinçon sur lequel elle est tracée ; 2°. à faire que les mêmes faces du poinçon regardent à chaque fois qu'on le remet dans l'équerre, les faces de l'équerre contre lesquelles elles étoient appliquées la premiere fois. Cette précaution est très-essentielle ; sans elle on ne parviendroit jamais à bien dresser la petite face du poinçon, sur laquelle la lettre doit être pour ainsi dire découpée.

Lorsqu'on a préparé le poinçon, comme nous venons de le prescrire, on le fait rougir au feu, quand il est très-gros ; quand il ne l'est point, il suffit que l'acier soit recuit, pour recevoir l'empreinte du contre-poinçon ; on le serre dans un tas dans lequel il y a une ouverture propre à le recevoir. On l'y affermit par deux vis, la face perpendiculaire à l'axe tournée en haut ; on présente à cette face le contre-poinçon qu'on enfonce à coups de masse, d'une ligne ou environ, dans le corps du poinçon, qui reçoit ainsi l'empreinte des parties creuses de la lettre.

Cette opération faite, on retire le contre-poinçon, on ôte le poinçon du tas ; on le dégrossit à la lime, tant à sa surface perpendiculaire à l'axe, qu'à sa surface latérale ; on le dresse sur la pierre à l'huile avec l'équerre. Il y en a qui tracent quelquefois avec une pointe d'acier bien aiguë, le contour extérieur des épaisseurs des parties saillantes de la lettre : mais quand le contre-poinçon est bien fait, le graveur n'a qu'à se laisser diriger par la forme. On enleve à la lime les parties qui sont situées hors du trait de la pointe aiguë, quand on s'en sert, ce qui arrive toûjours dans la gravure des vignettes ; on observe bien de ne pas gâter les contours de la lettre, en emportant trop. On dresse la lettre sur la pierre à huile pour enlever les rebarbes que la lime a occasionnées ; on finit la lettre à la lime, & quelquefois au burin, ne laissant à cette extrémité que la lettre seule, telle qu'on voit la lettre B, fig. 52. même Planche III. Cette figure montre le poinçon de la lettre B achevé ; on voit que la lime a enlevé en talud les parties qui excédoient les contours de cette lettre.

L'équerre à dresser, qu'on voit fig. 53. est un morceau de bois ou de cuivre formé par deux parallelepipedes ABCD, ABEF, qui forment un angle droit sur la ligne A B ; ensorte que quand l'équerre est posée sur un plan, comme dans la figure 51. cette ligne A B soit perpendiculaire au plan. La partie inférieure de l'équerre, celle qui pose sur le plan, est garnie d'une semelle d'acier ou d'autre métal, bien dressée sur la pierre à huile, qui doit être elle-même parfaitement plane. On place le poinçon dans l'angle de l'équerre ; on l'y assujettit avec le pouce, & avec le reste de la main dont on tient l'équerre extérieurement, on promene le tout sur la pierre à huile sur laquelle on a soin de répandre un peu d'huile d'olive. La pierre use à la fois & la semelle de l'équerre & la partie du poinçon. Mais comme l'axe du poinçon conserve toûjours son parallélisme avec l'arête angulaire de l'équerre A B, & que l'équerre à cause de la grande étendue de sa base, ne perd point sa direction perpendiculaire au plan de la pierre ; il s'ensuit qu'il en est de même du poinçon, qu'il est dressé & que le plan de la lettre est bien perpendiculaire à l'axe du poinçon.

Quand le poinçon a reçu cette façon, on le trempe pour le durcir. On le fait ensuite un peu revenir ou recuire, afin qu'il ne s'égraine pas quand on s'en servira pour marquer les matrices ; c'est de sa ferme consistance que dépend sa dureté & sa bonté. Trop dur, il se brise facilement ; trop mou, les angles de sa lettre s'émoussent, & il faut revenir à la taille & à la lime.

Tous les poinçons des lettres d'un même corps doivent avoir une hauteur égale, relativement à leur figure. Les capitales doivent être toutes de même grandeur entr'elles, & de la hauteur des minuscules b, d, l, &c. & autres lettres à queue ; il en est de même de p, q, par en-bas. Les minuscules sont aussi égales entr'elles, mais d'un calibre plus petit, comme m, a, &c. On les égalise avec un calibre ; ce calibre est un morceau de laiton plat dans lequel sont trois entailles, la plus grande pour les lettres pleines, telles que j long, Q capital, &c. la seconde pour les lettres longues qui sont les capitales, les minuscules longues, telles que d, b, p, q, &c. la troisieme pour les minuscules, comme m, a, c, e. La lettre du poinçon qu'on présente à l'une de ces entailles, doit la remplir exactement : desorte qu'après que les caracteres sont fondus, leurs sommets & leurs bases se trouvent précisément dans la même ligne, ainsi qu'on voit dans l'exemple suivant &c.

Les poinçons faits, ils passent entre les mains du Fondeur, qui doit veiller à ce que les poinçons qu'il achete ou qu'il fait, ayent l'oeil bien terminé & d'une profondeur suffisante, & que les bases & sommets des lettres se renferment bien entre des paralleles. On commence ordinairement par le poinçon de la lettre M, & c'est lui qui sert de regle pour les autres.

De la Fonderie en caracteres. La Fonderie en caracteres est une suite de la gravure des poinçons. Le terme Fonderie en caracteres a plusieurs acceptions : il se prend ou pour un assortiment complet de poinçons & de matrices de tous les caracteres, signes, figures, &c. servant à l'Imprimerie, avec les moules, fourneaux, & autres ustensiles nécessaires à la fonte des caracteres ; ou pour le lieu où l'on fabrique les caracteres, ou pour l'endroit où l'on prépare le métal dont ils sont formés ; ou enfin pour l'art même de les fondre : c'est dans ce dernier sens que nous en allons traiter particulierement.

La Fonderie en caracteres est un art libre. Ceux qui l'exercent ne sont point sujets à maîtrise, à réception, ou visites. Ils joüissent néanmoins des privileges, exemptions & immunités attribués à l'Imprimerie, & sont réputés du corps des Imprimeurs.

Cet art est peu connu, parce que le vulgaire ne fait point de distinction entre Fonderie & Imprimerie, & s'imagine que l'impression est l'ouvrage de l'imprimeur, comme un tableau est l'ouvrage d'un peintre. Il y a peu d'endroits où l'on exerce cet art : à peine compte-t-on douze fonderies en caracteres en France : de ces douze fonderies, il y en a plus de la moitié à Paris.

Les premiers Fondeurs étoient Graveurs, Fondeurs, & Imprimeurs ; c'est-à-dire qu'ils travailloient les poinçons, frappoient les matrices, tiroient les empreintes des matrices, les disposoient en formes, & imprimoient : mais l'art s'est divisé en trois branches, par la difficulté qu'il y avoit de réussir également bien dans toutes.

On peut observer sur les ouvriers qui ne sont que Fondeurs, ce que nous avons observé sur ceux qui ne sont qu'Imprimeurs, c'est qu'ils ne font les uns & les autres que prendre des empreintes, les uns sur le métal, les autres sur le papier. Que les caracteres soient beaux ou laids, ils n'en sont ni à loüer ni à blâmer ; chacun d'eux coopere seulement à la beauté de l'édition, les Imprimeurs par la composition & le tirage, les Fondeurs par le soin qu'ils doivent avoir que les caracteres soient fondus exactement suivant les regles de l'Art ; c'est-à-dire que toutes les lettres de chaque corps soient entr'elles d'une épaisseur & d'une hauteur égale, que tous les traits de chacune des lettres soient bien de niveau, & également distans les uns des autres ; que toutes les lettres des caracteres romains soient droites & parfaitement perpendiculaires ; que celles des italiques soient d'une inclinaison bien uniforme ; & ainsi des autres caracteres suivant leur nature : toutes choses que nous allons expliquer plus en détail.

Lorsque le Fondeur s'est pourvû des meilleurs poinçons, il travaille à former des matrices : pour cet effet il prend le meilleur cuivre de rosette qu'il peut trouver ; il en forme à la lime de petits parallelepipedes longs de quinze à dix-huit lignes, & d'une base & largeur proportionnées à la lettre qui doit être formée sur cette largeur. Ces morceaux de cuivre dressés & recuits, sont posés l'un après l'autre sur un tas d'enclume : on applique dessus à l'endroit qui convient, l'extrémité gravée du poinçon ; & d'un ou de plusieurs coups de marteau, on l'y fait entrer à une profondeur déterminée depuis une demi-ligne jusqu'à une ligne & demie.

Par cette opération, le cuivre prend exactement la forme du poinçon, & devient un véritable moule de corps de lettres semblables à celles du poinçon ; & c'est par cette raison qu'on lui a donné le nom de matrice. Le nom de moule a été réservé pour un assemblage, dont la matrice n'est que la partie principale.

La matrice ainsi frappée n'est pas parfaite, eu égard à la figure dont elle porte l'empreinte : il faut soigneusement observer que sa face supérieure, fig. 13. Pl. II. de la Fonderie en caracteres, sur laquelle s'est faite l'empreinte du poinçon, soit exactement parallele à la lettre imprimée sur elle, & que les deux faces latérales soient bien perpendiculaires à celle-ci. On remplit la premiere de ces conditions en enlevant à la lime la matiere qui excede le plan parallele à la face de la lettre ; & la seconde, en usant de la lime & de l'équerre.

Cela fait, on pratique les entailles a, b, c, qu'on voit fig. 12. & 13. Les deux entailles a, b, placées l'une en-dessus, & l'autre en-dessous fig. 13. à la même hauteur, servent à attacher la matrice au moule : l'autre entaille c reçoit l'extrémité de l'arc ou archet qui appuie la matrice contre le moule, ainsi que nous l'allons expliquer.

Le moule est l'assemblage d'un grand nombre de parties, dont on peut considérer la somme comme divisée en deux.

Toutes les pieces de chacune de ces deux moitiés de moule, sont assujetties les unes aux autres par des vis & par des écrous, & sont toutes de fer bien dressé & bien poli, à l'exception des deux extérieures qui sont de bois, & qu'on appelle par cette raison le bois du moule. Ce revêtement garantit les mains de l'ouvrier de la chaleur que le métal fondu qu'on jette continuellement dans le moule, ne manque pas de lui communiquer.

Les deux premieres parties qu'on peut considérer dans le moule, sont celles qu'on voit Planche II. de la Fonderie en caracteres, fig. 20 & 21. La fig. 20 représente la platine vûe en-dedans, & garnie de toutes ses pieces : la fig. 21 la même platine, ou sa semblable, mais vûe du côté opposé, c'est sur les platines que l'on assujettit toutes les autres pieces ; elles leur servent, pour ainsi dire, de point d'appui, comme on va voir. La premiere piece qu'on ajuste sur la platine est la piece B ; fig. 1. 2. 3. 17. 20. on l'appelle longue piece : elle & sa semblable sont en effet les plus longues du moule (On observera que les mêmes pieces dans les différentes figures sont marquées des mêmes lettres). Cette longue piece qui a dix lignes de large, & qui est épaisse à discrétion, est fourchue par l'une de ses extrémités X, fig. 17 & 20, & reçoit par ce moyen la tête de la potence de l'autre moitié, à laquelle elle sert de coulisse : il ne faut pas oublier que les deux moitiés du moule sont presque entierement semblables, & que toutes les pieces dont nous avons déjà parlé, & dont nous allons faire mention dans la suite, sont doubles ; chaque moitié du moule a la sienne.

La longue piece est fixée sur la platine par une vis à tête ronde b, fig. 18. qui après avoir passé par le trou b, fig. 21. va s'envisser dans le trou taraudé fait à la longue piece à la hauteur de la fourchette X. Ce trou taraudé ne traverse pas entierement l'épaisseur de la longue piece, qui a à son extrémité opposée un trou quarré d, fig. 17 & 18, qui reçoit le tenon quarré de la potence, fig. 9 & 10.

Avant que de placer la potence D, on applique un des blancs C, qu'on voit fig. 14 & 15, assemblés avec la potence. Ces blancs ont la même largeur que les longues pieces. Leur longueur est un peu moindre que la moitié de celle de la longue piece : elles ont la même épaisseur que celle du corps que l'on veut fondre dans le moule.

Le blanc appliqué sur la longue piece, comme on voit fig. 20. est percé d'un trou quarré semblable à celui que l'on voit fig. 7. Ce trou quarré reçoit le tenon quarré x de la potence, fig. 9 & 10. Le tenon traverse le blanc, la longue piece, & la platine, & fixe toutes ces pieces ensemble.

Le nez D de la potence se jette du côté de l'extrémité la plus prochaine de la longue piece. Son extrémité m faite en vis, reçoit un écrou qui le contient. On voit cet écrou en d, fig. 21.

Ces écrous qui sont à pans se tournent avec la clé ou le tourne-écrou de la fig. 26.

Le blanc peut encore être fixé sur la platine par une vis à tête perdue, qui traverseroit la platine ; la longue piece entreroit dans l'épaisseur du blanc, & s'y arrêteroit : mais cela n'est plus d'usage.

Au-dessus des longues pieces & des blancs, on place les jets A, fig. 5. & 6. comme on les voit fig. 20. Ces jets sont des moitiés d'entonnoirs pyramidaux, dont les faces extérieures sont perpendiculaires les unes aux autres. Celles de ces faces qui s'appliquent sur la platine, sur le blanc, & sur la longue piece, doivent s'y appliquer exactement. Quand les deux moitiés du moule sont réunies, il est évident que les jets forment une trémie, dont la plus petite ouverture est en en-bas. Leurs faces inclinées A, fig. 20. doivent un peu excéder les faces de la longue piece & du blanc, afin de former un étranglement au métal fondu qu'on versera dans le moule, & afin de déterminer en même tems le lieu de la rupture du superflu de matiere qu'on y versera, & faciliter cette rupture. Voyez les fig. 2, 3 & 20, où cette saillie des faces inclinées des jets est sensiblement marquée.

Chaque jet porte une vis, qu'on voit fig. 6. par le moyen de laquelle & d'un écrou, on fixe cette piece sur la platine, comme on le voit en a, fig. 21. La partie de cette vis ou tenon vissé qui répond à l'épaisseur de la platine, est quarrée, & entre dans un trou de même figure ; ce qui empêche le jet de vaciller : inconvénient qui est encore prévenu par l'application exacte de l'une de ces faces contre la platine, & de l'autre contre la longue piece & le blanc.

Au-dessous du trou quarré d de la longue piece est une vis f fixée en queue d'aronde dans cette longue piece. Cette vis au moyen d'un écrou F, fig. 20, assujettit la piece E, fig. 19, qu'on appelle registre. La partie de la vis ou du tenon vissé f qui se loge dans l'épaisseur du registre, est quarrée & entre dans une mortoise plus longue que large ; ce qui donne la commodité d'avancer ou de reculer le registre à discrétion, & de laisser entre son extrémité E, fig. 20. & l'extrémité ou l'angle saillant du blanc, tant & si peu de distance que l'on voudra. L'écrou F sert à l'affermir dans la situation convenable.

Chaque platine porte à sa partie postérieure une vis G, qu'on voit fig. 21. elle traverse une petite planche appellée bois, qui a la forme & la grandeur de la platine, au derriere de laquelle on la fixe par le moyen d'un écrou ; & pour que la platine & le bois s'appliquent plus exactement l'une contre l'autre, on a pratiqué au bois des cavités propres à recevoir les vis, écrous, & autres parties saillantes qu'on voit à la partie postérieure de la platine, fig. 21.

Les deux moitiés semblables du moule construites comme nous venons de l'expliquer, & comme on les voit fig. 2. & 3, s'ajustent exactement, & forment un tout qu'on voit fig. 1. La potence de l'une entre dans l'entaille fourchue de la longue piece de l'autre ; & comme les entailles ont la même direction que les potences, elles se servent réciproquement de coulisses ; & il est évident qu'ainsi les blancs pourront s'approcher ou s'éloigner l'un de l'autre, en faisant mouvoir les deux moitiés du moule l'une sur l'autre.

On voit avec la même évidence que le vuide formé par les jets aura la forme d'une pyramide tronquée ; & que celui qui est entre les longues pieces & les blancs, aura la forme d'un prisme quadrangulaire d'environ dix ligues de hauteur, d'une épaisseur constante ; celle des blancs est d'une largeur à discrétion, cette largeur augmentant ou diminuant selon qu'on tient les blancs plus ou moins près l'un de l'autre : ce qui s'exécute par le moyen des registres qu'on avance ou qu'on recule à discrétion, comme nous avons dit. Le vuide du jet & celui du prisme communiquent ensemble, & ne font proprement qu'une même capacité.

Voilà bien des pieces assemblées : cependant le moule n'est pas encore formé ; il y manque la piece principale, celle pour laquelle toutes les autres ont été inventées & disposées, la matrice. La matrice se place entre les deux registres en M, comme on la voit fig. 2. elle appuie d'un bout contre la platine de l'autre moitié, & elle est liée par son autre extrémité à l'attache. L'attache est une petite piece de peau de mouton qu'on colle au bois d'une des parties du moule. L'attache passe entre le jimblet & le bois. On appelle jimblet une petite fiche de fer plantée dans le bois de la piece de dessus, & qui retenant l'attache, empêche la matrice de sortir de place.

La matrice ainsi placée entre les registres, est tenue appliquée aux longues pieces & aux blancs par le ressort D C E, fig. 1. qu'on appelle l'arc ou archet : l'extrémité E de ce ressort entre dans l'entaille C de la matrice, fig. 12. & 15. & fait effort pour presser la matrice contre la platine opposée, & sur le heurtoir ou la piece qu'on voit fig. 22. cette piece est adossée à celle qu'on voit en m, fig. 21. rivée à la partie postérieure de la platine ; elle sert à monter ou descendre à discrétion la matrice vers l'ouverture intérieure du moule, & à mettre la lettre dans la place qu'elle doit avoir sur le corps : pour cet effet on la prend plus ou moins épaisse.

Pour empêcher la matrice de tomber, & de sortir d'entre les registres, on met entre la platine & le bois qui porte l'attache, un petit crochet qu'on voit fig. 23. ce crochet s'appelle jobet. L'anneau du jobet s'enfile sur la tige G de la platine, fig. 21. & son crochet descend au-dessous de la matrice, & la soûtient, comme on l'apperçoit en x, fig. 2. en laissant toutefois la place de la matrice qu'il embrasse.

Outre les parties dont nous venons de parler, on peut remarquer à chaque moitié du moule, fig. 1, 2, 3, un crochet a b, dont nous expliquerons l'usage plus bas.

Il est à propos, avant que de fermer le moule, d'observer à la partie supérieure de la longue piece représentée fig. 17, un demi-cylindre a b, placé à deux lignes au-dessous ou environ de son arrête supérieure : ce demi-cylindre qu'on appelle cran, est une piece de rapport qui traverse la longue piece, & dont la partie saillante est arrondie : mais comme cette partie saillante empêcheroit le blanc de l'autre moitié de s'appliquer exactement à la longue piece qui la porte, on a pratiqué à cette moitié un canal concave dans le blanc. Ce canal hémi-cylindrique reçoit le demi-cylindre. On voit ce canal en b a, fig. 15.

Voilà tout ce qui concerne la structure du moule, qui est une des machines les plus ingénieuses qu'on pouvoit imaginer, ainsi qu'on achevera de s'en convaincre par ce que nous allons dire de la fonte.

Le moule est composé de douze pieces principales, dont nous avons fait mention. Toutes ces pieces de fer ont été bien limées, & sont bien jointes ; elles forment avec les autres un tout, qui a depuis deux pouces de long jusqu'à quatre, suivant la grosseur du caractere, sur deux pouces environ de large, contenant sur son plan horisontal au moins quarante pieces de morceaux distincts. Les deux portions presque semblables dans lesquelles il se divise s'appellent, l'une piece de dessus, l'autre piece de dessous : c'est celle qui porte l'archet qu'on appelle piece de dessous.

La premiere opération qu'on ait à faire quand on a construit & disposé le moule, est de préparer la matiere dont les caracteres doivent être fondus. Pour cet effet, prenez du plomb & du régule d'antimoine, fondez-les séparément ; mêlez-les ensuite, mettant quatre cinquiemes de plomb & un cinquieme de régule ; & ce mélange vous donnera un composé propre pour la fonte des caracteres.

Ou, prenez de l'antimoine crud, prenez égale quantité de potin ; mettez le tout ensemble avec du plomb fondu, & vous aurez une autre composition.

La précédente est préférable à celle-ci, qu'il semble qu'on a abandonnée en France depuis une vingtaine d'années, parce qu'on a trouvé que le potin & l'antimoine faisoient beaucoup de scories, rendoient la matiere pâteuse, & exigeoient beaucoup plus de feu.

Au reste nous pouvons assurer en général que la matiere dont on fond les caracteres d'Imprimerie est un mélange de plomb & de régule d'antimoine, où le dernier de ces ingrédiens corrige la mollesse de l'autre.

Cette fonte se fait dans un fourneau, tel que celui qui occupe le milieu de la vignette, Planche I. de Fonder. il est divisé en deux parties, l'une & l'autre de brique. Celle qui répond à la fig. 4. est un fourneau sur lequel on a établi une chaudiere de fonte, dans laquelle le plomb est en fusion : cette chaudiere est chauffée avec du bois, comme on voit ; la fumée s'échappe par une ouverture qu'on peut distinguer sur le fond, & suit la cheminée qui est commune aux deux fourneaux.

Le second fourneau qui correspond à la figure 3. même vignette, est un fourneau proprement dit : à sa partie supérieure est l'ouverture du fourneau ; l'inférieur est un cendrier ; elles sont séparées par une grille horisontale : cette grille soûtient un creuset qui contient le régule d'antimoine, & les charbons allumés qui servent à le mettre en fusion. Le feu est excité par le courant d'air qui se porte à la grille. On recommande aux ouvriers occupés à ce fourneau de l'opération qu'ils y ont à faire, de se garantir avec soin de la vapeur du régule, qu'on regarde comme un poison dangereux : mais c'est un préjugé ; l'usage du régule n'expose les Fondeurs à aucune maladie qui leur soit particuliere, sa vapeur n'est funeste tout au plus que pour les chats : les premieres fois qu'ils y sont exposés, ils sont attaqués de vertiges d'une nature si singuliere, qu'après s'être tourmentés pendant quelque tems dans la chambre où ils sont forcés de la respirer, ils s'élancent par les fenêtres : j'en ai vû deux fois l'expérience dans un même jour. Mais quand ils en réchappent, & qu'ils ne périssent pas dans les premiers accès, ils n'ont plus rien à redouter des seconds ; ils se font à la vapeur qui les avoit d'abord si violemment agités, & vivent fort bien dans les fonderies.

Le régule fondu dans le creuset est versé en quantité suffisante dans la chaudiere qui contient le plomb : l'ouvrier 4. prend le mêlange avec une cuilliere, & le verse dans les moules ou lingotieres qui sont à ses piés : on voit aussi sur le plancher des tenailles pour le creuset, son couvercle, une cuilliere, & d'autres outils au service de la fonderie.

Le rapport entre le plomb & l'antimoine n'est pas le même pour toute sorte de caracteres : la propriété de l'antimoine étant de donner du corps au plomb, on en mêle plus ou moins, selon que les caracteres qu'on a à fondre sont plus ou moins gros ; les petits caracteres n'étant pas aussi propres à résister à l'action de la presse que les gros, on les fond de la matiere que les ouvriers appellent matiere forte, & ceux-ci de celle qu'ils appellent matiere foible. La matiere forte destinée pour les petits caracteres, est un mélange de régule & de plomb, où le premier de ces ingrédiens est en quantité beaucoup plus considérable, relativement à celle du plomb, que dans la matiere foible.

Quand la matiere ou composition est ainsi préparée & mise en lingots, elle passe dans les fourneaux des Fondeurs. Voyez ces fourneaux dans la vignette, fig. 2. & 2. à droite & à gauche. Ce fourneau est fait de la terre dont se servent les fournalistes pour la fabrique des creusets, mais moins fine ; elle est composée de ciment de pots à beurre cassés, & de terre glaise pétris ensemble : sa grandeur est de dix-huit à vingt pouces de hauteur, sur dix à douze de diametre, & deux piés & demi de long ; il est séparé en deux dans sa hauteur par une grille qui peut être indifféremment de terre ou de fer. On pose le bois sur cette grille ; la partie inférieure D sert de cendrier : la face supérieure est percée d'un trou rond B d'environ dix pouces de diametre ; ce trou rond est environné d'une espece de bourlet qui supporte la chaudiere de fer A, fig. 9. on appelle cette chaudiere cuilliere. Cette cuilliere est divisée en deux ou trois portions comme on voit ; ces divisions servent à contenir des matieres de différentes forces ou qualités, suivant les ouvriers qui y travaillent, & chaque ouvrier puise dans la division qui contient la composition dont il a besoin.

Le fourneau a encore une autre ouverture H, à laquelle on adapte un autre tuyau de tole qui porte les fumées hors de l'attelier, comme on voit dans la vignette. Tout ce fourneau est porté sur un banc F G G G, au milieu de la hauteur duquel on a pratiqué une tablette F, qui sert à placer différens ustensiles.

A côté du fourneau on range plusieurs autres bancs, tels qu'on les voit dans la vignette, & au bas de la Plan. fig. 11. ce sont des especes de tables dont le dessus est à hauteur d'appui ; ces bans sont environnés d'un rebord ; ils doivent être de deux ou trois pouces moins hauts que la partie supérieure du fourneau, à un des côtés duquel ils doivent s'arranger comme on voit dans la vignette. On a une plaque de tole ou de fer, qu'on place de maniere qu'elle porte d'un bout sur le fourneau, & de l'autre sur le banc. L'usage de cette tole est de ramasser les gouttes de matiere fondue qui s'échappent de la cuilliere, ou que l'ouvrier rejette du moule quand il est trop plein.

Quand l'ouvrier veut fondre un caractere, il prend le moule préparé comme nous avons dit, & comme on le voit fig. 1. de la main gauche, il place l'extrémité de l'arc ou archet dans l'entaille que nous avons dit être à la partie inférieure de la matrice, afin qu'elle s'applique exactement contre les longues pieces & les parties saillantes des blancs : il presse ensuite les deux moitiés du moule, de maniere que les registres soient bien placés contre les faces latérales de la matrice ; & il enduit superficiellement le fond d'un jet d'un peu d'ocre délayé dans de l'eau froide, quand la lettre est extrèmement fine. Cet enduit fait couler le métal promtement, & le précipite au fond du parallelepipede vuide, avant que rafraîchi par le contact de la surface des pieces qui forment cet espace vuide, il ait en le tems de se figer & de s'arrêter. On se sert de la même précaution dans l'usage du moule à réglet, dont nous parlerons plus bas. Comme dans ce moule le métal a souvent plus d'épaisseur, & qu'il a beaucoup de chemin à parcourir, il n'en est que plus disposé à se figer, & à ne pas descendre jusqu'au fond du moule : c'est pourquoi l'on ne se contente pas seulement d'enduire le jet d'ocre délayé, on en enduit même toute sa surface intérieure, d'une couche à la vérité la plus légere qu'on peut : mais revenons à la fonte des caracteres.

Tout étant dans cet état, le fondeur puise avec la cuilliere à verser qu'on voit fig. 13. une quantité de métal fondu qu'il jette par l'espece d'entonnoir que nous avons dit avoir été formé par les jets. Le métal fluide descend dans le prisme vuide que laissent entr'elles les faces des longues pieces & des blancs, & se répand sur la surface de la matrice dont il prend toutes les formes ; de maniere que quand on l'en tire, il est parfaitement semblable au poinçon qui a servi à la former. Il rapporte aussi en creux l'impression du demi-cylindre a b, fixé à une des longues pieces, & dont nous avons parlé plus haut. Ce creux qu'on appelle cran, doit toûjours être à la face qui répond à la partie supérieure de la lettre : il sert aux Imprimeurs à connoître si la lettre est du sens dont elle doit être, ou si elle est renversée. Voyez l'article IMPRIMERIE. Les deux opérations de puiser dans le moule avec la cuilliere & de verser dans le moule, sont représentées fig. 5. & 6. de la vignette.

Il y a ici une chose importante à observer, c'est que dans le même instant que l'on verse la matiere dans le moule, on doit donner à celui-ci une secousse en-haut, afin que la matiere qui descend en sens contraire, frappe avec plus de force le fond de la matrice, & en prenne mieux l'empreinte.

Après que l'ouvrier a versé son métal, il remet sa cuilliere sur le fourneau, & il se dispose à ouvrir le moule : pour cet effet, il commence par déplacer l'arc ou archet, ou le ressort de l'entaille de la matrice, & le placer dans un cran fait au bois sous le heurtoir. Il ouvre le moule en séparant les deux moitiés ; & s'il arrive que la lettre reste adhérente à l'une des moitiés, il la détache avec le crochet qui est fixé sur l'autre, ce qui s'appelle décrocher. C'est ce qu'exécute la fig. 8. de la vignette : après quoi il referme le moule, replace l'arc sous la matrice, verse de la matiere, & recommence la même opération jusqu'à trois ou quatre mille fois dans un seul jour.

Il ne faut pas s'imaginer que la lettre au sortir du moule soit achevée, du moins quant à ce qui regarde son corps ; car pour le caractere il est parfait ; il est beau ou laid, selon que le poinçon qui a servi à former la matrice a été bien ou mal gravé.

Quelle que soit la figure du caractere, les contre-poinçons, les poinçons, les matrices, &c. la fonte en est la même ; & il n'y a dans toutes ces opérations aucune différence de l'Arabe, au Grec, au François, à l'Hébreu, &c.

La lettre apporte avec elle au sortir du moule une éminence de matiere de forme pyramidale, adhérente par son sommet au pié de la lettre. Cette partie de matiere qu'on appelle jet, est formée de l'excédent de la matiere nécessaire à former les caracteres, qu'on a versée dans le moule. On la sépare facilement du corps de la lettre, au moyen de l'étranglement que les plans inclinés des parties du moule appellées jets, y ont formé, ainsi que nous avons dit plus haut, & qu'on voit fig. 2. Planche II. D'ailleurs la composition que l'addition de l'antimoine rend cassante, presque comme de l'acier trempé, facilite cette séparation ; le jet séparé de la lettre s'appelle rompure.

Après que toutes les lettres sont rompues, c'est-à-dire, qu'on en a séparé les jets, qui se remettent à la fonte, on les frotte sur une meule de grès qu'on voit fig. 7. Pl. III. & qu'on appelle pierre à frotter. Cette meule a depuis quinze jusqu'à vingt-cinq pouces de diametre ; elle est de la même sorte que celles dont se servent les Coûteliers pour émoudre. Pour la rendre propre à l'opération du Fondeur en caractere, on en prend deux qu'on met à plat l'une sur l'autre ; on répand entr'elles du sable de riviere, puis on les meut circulairement, répandant de tems en tems de nouveau sable, jusqu'à ce que les petites éminences qui sont à ces pierres soient grugées, & qu'on ait rendu leurs surfaces planes & unies. Le sable en dressant les grès ou meules, ne les polit pas ; il y laisse toûjours de petits grains qui servent à enlever aux caracteres les bavûres qui leur viennent de la fonte.

On ne peut pas frotter toutes les lettres ; il y en a, mais en plus grand nombre dans l'italique que dans le romain, dont une partie de la figure excede le corps du côté qu'on frotte. Il est évident que si on les frottoit, la pierre emporteroit cette partie, & estropieroit la lettre : c'est pourquoi on commence par la dégager légerement, & par en enlever un peu de matiere avec un canif, afin qu'elle puisse se loger facilement dans l'espace vuide que lui présentera une lettre voisine. Cette opération par laquelle on dégage la partie saillante au canif, s'appelle crener.

Après que la lettre est crenée, on la ratisse & on emporte avec le canif tout ce qu'il y a d'étranger au corps depuis l'oeil jusqu'au pié. Ces deux opérations suppléent au frottement ; les lettres crenées & ratissées s'accolent & se joignent aussi-bien que si elles avoient été frottées. Les deux faces du caractere que l'on frotte sur la meule, sont celles qui s'appliquent aux blancs du moule, quand on y verse le métal ; on donne cette façon à ces faces pour en enlever le morfile ou la vive arrête occasionnée tant par la face du blanc d'une des moitiés que par celle de la longue piece de l'autre moitié.

Lorsque les lettres ont été frottées ou crenées & ratissées, on les arrange dans un composteur ; le composteur qu'on voit fig. 5. Pl. III. de la Fonderie des caracteres, est une regle de bois entaillée, comme on voit, sur laquelle on arrange les caracteres la lettre en-haut, & tous les crans tournés du même côté ; ensorte qu'on a tous les a, rangés de cette maniere, a, a, a, a, a, a, & non en celle-ci aa, a, & ainsi des autres lettres : c'est ce que l'inspection des crans indiquera facilement. Les caracteres ainsi rangés dans le composteur sont transportés sur la regle de fer A B du justifieur, fig. 3. même Planche ; on les y place de maniere que leur pié soit en-haut, & que le caractere porte sur la face horisontale du justifieur, qui n'est lui-même, comme on voit, qu'un composteur de fer. A cette regle, on en applique une autre C D, qui a un épaulement en C, comme celui que l'on voit en B de la premiere piece fig. 3. cette regle a de plus en C & D, de petites languettes qui entrent dans les mortoises a & b de la figure 3, ensorte que, quand les deux regles fig. 3. & 4. sont appliquées l'une sur l'autre, elles enferment exactement la rangée de caracteres placée sur la premiere regle ; ainsi il n'y a que les piés des lettres qui excedent d'environ une ligne au-dessous des regles de fer, qui forment le justifieur.

Le justifieur ainsi garni d'une rangée de caracteres, est placé entre les deux jumelles A E, C D du coupoir qu'on voit fig. 1. Planche III. Le coupoir est une sorte d'établi très-solide : sur sa table sont fortement fixées la jumelle A B, qui est une planche d'un bon pouce d'épaisseur, & la barre de fer E F, qui a un crochet E & un crochet F à chacune de ses extrémités. Le crochet F est taraudé & reçoit une vis, au moyen de laquelle on peut faire avancer la seconde regle du justifieur, que nous avons décrite ci-dessus.

Les deux regles du justifieur sont serrées l'une contre l'autre par l'autre jumelle C D, représentée par sa partie inférieure dans la fig. 2. A B, C D sont deux fortes barres de fer, dont les crochets A, C, entrent dans la table du coupoir. B D est une autre barre de fer qui porte un écrou qui reçoit la vis F, E, que l'on tourne comme celle d'un étau, par le moyen du manche F, G. Tout cet assemblage est fixé à la table du coupoir, ensorte que la jumelle C D tirée ou poussée par la vis F E, peut seule se mouvoir.

Il suit de cette description du coupoir, que si l'on tourne la vis E F, fig. 2. on fera marcher la jumelle mobile A B, vers la jumelle immobile C D fig. 1. & que par conséquent on fera appliquer les deux regles du justifieur contre la rangée de caracteres qu'elles contiennent. Mais pour serrer les caracteres les uns contre les autres, on fera tourner la vis F f. Cette vis fera couler la seconde regle du justifieur le long de la rangée de caracteres, jusqu'à ce que son épaulement C fig. 4. rencontrant la rangée de caracteres, les pressera & les poussera vers l'épaulement B de la premiere piece fig. 3. jusqu'à ce qu'ils soient tous exactement appliqués les uns contre les autres. Cela fait, il est évident que les caracteres formeront comme un corps solide contenu par ses deux extrémités entre les épaulemens des deux pieces du justifieur, & selon sa longueur entre les mêmes pieces, par l'action des deux jumelles.

Mais avant que de consolider ainsi la rangée de caracteres, on passe un morceau de bois dur sur leurs extrémités saillantes ou sur leurs piés, afin de les enfoncer toutes également, & d'appliquer leur tête, ou la lettre, contre la surface de la regle horisontale du justifieur.

Lorsque tout est ainsi disposé, on coupe les caracteres avec le rabot, de la maniere que nous allons dire.

L'instrument qu'on voit Planche III. de la Fonderie en caracteres, fig. 6. est appellé rabot. Il est composé d'un fût de fer, qu'on voit fig. 10. Sous la partie N O de ce fût, sont arrêtés avec des vis les deux guides C e, D f. Cet assemblage est surmonté d'un bois P Q qu'on voit fig. 8. ce bois sert de poignée au rabot. Il se fixe sur sa partie N O, fig. 10. comme on l'y voit fixé, fig. 6. Le fer A B du rabot se place sur la face inclinée du fût, par les deux vis G H taraudées, & entrant dans les collets que le fer traverse, & qui sont eux-mêmes fixés sur le fût par la vis que l'on voit en R. Toutes ces pieces assemblées forment le rabot de la fig. 6. Les vis se serrent avec le tourne-vis de la fig. 16. même Planche III.

Quand on veut couper les lettres, on place le rabot sur le justifieur, ensorte que les parties saillantes des lettres soient entre les guides du rabot ; on hausse ou l'on baisse le fer, qui est un peu arrondi par son tranchant, ensorte qu'il puisse emporter autant de matiere que l'on souhaite.

Les reglemens ont statué sur la hauteur des lettres ; il est ordonné que la lettre portera, depuis sa surface jusqu'à l'extrémité de son pié, dix lignes & demie de pié de roi. Cette hauteur n'est pas la même par-tout ; la hauteur de Hollande après d'une ligne de plus que celle de Paris ; celle de Flandre, & même de Lyon, ont plus de dix lignes. Au reste, lorsque des Imprimeurs, sans aucun égard pour les ordonnances, veulent des caracteres au-dessus ou au-dessous de dix lignes & demie, on a de petites pieces qu'on ajuste au moule à fondre les caracteres, entre le jet & les longues pieces.

Ces pieces s'appellent hausses ; selon que les hausses sont plus ou moins épaisses, un même moule sert à fondre des caracteres plus ou moins hauts de papier ; c'est l'expression dont on se sert pour désigner la dimension dont il s'agit ici.

Le fer du rabot étant convexe, les caracteres coupés auront tous une petite échancrure concave, de maniere qu'étant posés sur leurs piés, ils ne porteront, pour ainsi dire, que sur deux lignes, au lieu de porter sur une surface. On a pratiqué cette concavité aux piés des caracteres, afin qu'ils s'arrangent mieux sur le marbre de la presse, sur lequel exposant moins de surface, ils sont moins sujets à rencontrer des inégalités.

Mais ce retranchement de matiere n'est pas le seul qui se fasse avec le rabot ; on est contraint d'enlever encore de l'étoffe au haut du caractere, comme on peut le voir en B, fig. 14. Ce retranchement se fait des deux côtés aux lettres qui n'ont ni tête ni queue, & seulement du côté opposé à la queue, lorsque les caracteres en ont une. Le but de cette opération est de dégager encore mieux l'oeil du caractere. On voit en effet, fig. 14. que le caractere B est plus saillant que le caractere A, quoiqu'ils ayent été fondus l'un & l'autre dans le même moule.

La machine représentée fig. 14. & qui contient les deux caracteres A & B dont nous venons de parler, s'appelle justification ; elle sert à connoître, par le moyen du petit reglet qu'on voit fig. 13. & qu'on appelle jetton, si les traits des lettres se trouvent tous sur une même ligne. Pour cet effet, après avoir justifié les lettres m m, que nous avons dit être la premiere lettre que l'on fabrique, on place un a, par exemple entre les deux m, en cette sorte mam, & l'on examine si l'arrête du jetton s'applique également sur les trois caracteres.

Le morceau de glace, fig. 12. & son jetton, fig. 1. servent à jauger de la même maniere les épaisseurs, & l'une & l'autre de ces deux machines indique pareillement, par l'application du jetton, si les traits des lettres se trouvent tous exactement dans la même ligne droite, comme nous venons de dire.

On entend par une fonte de caracteres d'Imprimerie, un assortiment complet de toutes les lettres majuscules, minuscules, accens, points, chiffres, &c. nécessaires à imprimer un discours, & fondues sur un seul corps.

Le corps est une épaisseur juste & déterminée, relative à chaque caractere en particulier ; c'est cette épaisseur qui fait la distance des lignes dans un livre, & qui donne le nom au caractere, & non l'oeil de la lettre ; cependant pour ne rien confondre, on dit fondre un Cicéro sur un corps de S. Augustin, quand on a pris ce moyen pour jetter plus de blanc entre les lignes.

Mais pour se faire une idée juste de ce qu'on appelle en Fonderie de caracteres ou en Imprimerie, corps, oeil & blanc, prenez une distance ou ligne quelconque, supposez-la divisée en sept parties égales par des lignes paralleles ; supposez écrite entre ces lignes paralleles une des lettres que les Imprimeurs appellent courtes, telles que l'a, le c, l'm, &c. car ils appellent les lettres à queue, telles que le p, le q, le d, lettres longues. Supposez-la tracée entre ces paralleles de maniere qu'elle ait sa base appuyée sur la troisieme parallele en montant, & qu'elle touche de son sommet la troisieme parallele en descendant, ou ce qui revient au même, que des sept intervalles égaux dans lesquels vous avez divisé la ligne, elle occupe les trois du milieu ; il est évident qu'il restera au-dessus de ces trois intervalles occupés, deux espaces vuides, & qu'il en restera aussi deux vuides au-dessous. Cela bien compris, il ne sera pas difficile d'entendre ce que c'est que l'oeil, le corps, & le blanc. Le corps est représenté par la ligne entiere ; l'oeil occupe les trois espaces du milieu, c'est la hauteur même de la lettre ; & on entend par les blancs, les deux espaces qui restent vuides au-dessous & au-dessus de l'oeil.

Exemple. la ligne A B représente la hauteur du corps ; C D, le blanc d'en-haut ; D E, l'oeil ; E F, le blanc d'en-bas. C D, forme dans une page imprimée la moitié de l'espace blanc qui est entre une ligne & sa supérieure ; & E F, la moitié de l'espace blanc qui est entre la même ligne & son inférieure.

Il y a des lettres qui occupent toute la hauteur du corps, telle est l'j consonne avec son point, comme on voit dans l'exemple, les Q capitales en romain, & les s & f en italique, ainsi que les signes (, §, [, &c.

Dans les lettres longues, telles que le d & le q, il faut distinguer deux parties, le corps & la queue ; le corps occupe les trois intervalles du milieu, de même que les lettres courtes, & la queue occupe les deux intervalles blancs, soit d'en-haut, soit d'en-bas, selon que cette queue est tournée. Voyez dans l'exemple le d & le q. S'il se trouve dans une ligne un q, & dans la ligne au-dessous un d, qui corresponde exactement au q, il n'y aura point d'intervalle entre les queues, les extrémités de ces queues se toucheront ; d'où il s'ensuit que voilà la hauteur relative des corps & celle des caracteres déterminée ; que resteroit-il donc à faire pour que la Fonderie & l'Imprimerie fussent assujetties à des regles convenables ? sinon de déterminer la largeur des lettres ou caracteres, relativement à leur hauteur : c'est ce que personne n'a encore tenté. On est convenu que la hauteur du corps étant divisée en sept parties égales, la hauteur du caractere, de l'm, par exemple, seroit de trois de ces parties ; quant à sa largeur, chacun suit son goût & sa fantaisie ; les uns donnent au caractere ou à l'oeil, une forme plus ou moins voisine du quarré que les autres.

Nous invitons M. Fournier, à qui nous devons la table des rapports des corps entre eux, à nous donner la table des proportions des caracteres entre eux dans chaque corps. Elle est bien aussi importante pour la perfection de l'art de la gravure en caracteres, que la premiere pour la perfection & commodité de l'art d'imprimer.

Il pourra, pour cet effet, consulter les regles que les grands écrivains à la main se sont prescrites, & celles que les plus habiles graveurs ont suivies par goût.

Une observation qui se présente naturellement & qu'on ne sera pas fâché de trouver ici, c'est qu'il y a quelque rapport entre l'impression & le génie d'une langue ; par exemple, l'Allemand est extraordinairement diffus, aussi n'y a-t-il presque point de blanc entre les lignes, & les caracteres sont ils extrèmement serrés sur chaque ligne : les Allemands tâchent de regagner par-là, l'espace que la prolixité de leur diction exigeroit.

Les expressions oeil, corps, blanc, caractere fondu sur un corps d'un autre caractere, &c. ne doivent plus avoir rien d'obscur.

On disoit corps foible & corps fort, dans le tems qu'on ignoroit la proportion que les yeux des caracteres devoient avoir avec leurs corps, & celle que les corps & les caracteres devoient avoir avec d'autres corps & caracteres. Cette ignorance a duré parmi nous jusqu'en 1742, que M. Fournier le jeune, graveur & fondeur de caracteres, proposa sa table des rapports des différens corps des caracteres d'Imprimerie. Nous ne tarderons pas à en faire mention. Nous observerons en attendant, qu'avant cette table on n'avoit aucune regle sûre pour l'exécution des caracteres : chaque Imprimeur commandoit des caracteres suivant les modeles qu'il en trouvoit chez lui, ou qu'il imaginoit. Aucun n'ayant l'idée soit du corps, soit de l'oeil, par exemple, d'un véritable Cicéro, ce caractere avoit autant de hauteurs de corps & d'oeil différentes qu'il y avoit d'Imprimeries, & s'appelloit ici foible, là fort ; ici petit oeil, là gros oeil.

On dit une fonte de Cicéro, de petit Romain, &c. lorsque ces caracteres ont été fondus sur les corps de leurs noms. Les fontes sont plus ou moins grandes, suivant le besoin ou le moyen de l'Imprimeur qui les commande par cent pesant ou par feuilles. Quand un Imprimeur demande une fonte de cinq cens, il veut que cette fonte, bien assortie de toutes ses lettres, pese cinq cens. Quand il la demande de dix feuilles, il entend qu'avec cette fonte on puisse composer dix feuilles, ou vingt formes, sans être obligé de distribuer. Le fondeur prend alors ses mesures ; il compte cent-vingt livres pesant pour la feuille, y compris les quadrats & espaces, ou soixante pour la forme, qui n'est que la demi-feuille. Ce n'est pas que la feuille pese toujours cent-vingt livres, ni la forme soixante ; tout cela dépend de la grandeur de la forme, & on suppose toûjours qu'il en reste dans les casses.

S'il n'entre pas dans toutes les feuilles le même nombre de lettres, ni les mêmes sortes de lettres, il est bon de remarquer que, comme il y a dans une langue des sons plus fréquens que d'autres, & par consequent des signes qui doivent revenir plus fréquemment que d'autres dans l'usage qu'on en fait en imprimant, une fonte ne contient pas autant d'a que de b, autant de b que de c, & ainsi de suite. La détermination des rapports en nombre, qu'il faut mettre entre les différentes sortes de caracteres qui forment une fonte, s'appelle la police. Il est évident que la police peut varier d'une langue à une autre, mais qu'elle est la même pour toutes sortes de caracteres employés dans la même langue. Pour donner une idée de la police dans notre françois ; soit, par exemple, demandée une fonte de cent mille lettres. Pour remplir ce nombre de cent mille caracteres, on prendra les nombres suivant de chacun. L'expérience a résolu chez les Fondeurs un problème, dont on auroit trouvé difficilement ailleurs une solution exacte. J'espere que les Philosophes & les Grammairiens jetteront les yeux avec quelque satisfaction sur cette table, & en désireront de semblables du latin, du grec, de l'anglois, de l'italien, & de la plûpart des langues connues. Pour se les procurer, ils n'ont qu'à s'adresser aux Fondeurs en caracteres des différens pays où ces langues sont en usage.

Police pour cent mille lettres destinées à une impression françoise ordinaire.

Le lecteur s'appercevra facilement qu'elle ne contient que les signes grammaticaux, & qu'il ne s'agit ici que de ceux-là, & que par conséquent cette police n'est pas particuliere à un livre ou d'algebre, ou d'arithmétique, ou de chimie, mais qu'elle convient seulement à un discours oratoire, à la poésie, &c.

S'il est évident que la même police ne convient pas à toute langue, il ne l'est pas moins qu'elle convient à tout caractere, de quelque corps que ce soit, dans une même langue.

Il y a dans l'Imprimerie, ou plûtôt dans la Fonderie en caracteres, vingt corps différens.

Chacun de ces corps a son nom particulier & distinctif, propre aux caracteres fondus sur ces corps. Le plus petit se nomme Parisienne, & en descendant de la Parisienne jusqu'aux caracteres les plus gros, on a la Nompareille, la Mignone, le Petit Texte, la Gaillarde, le Petit-Romain, la Philosophie, le Cicéro, le Saint-Augustin, le Gros-Texte, le Gros-Romain, le Petit-Parangon, le Gros-Parangon, la Palestine, le Petit-Canon, le Trismegiste, le Gros-Canon, le Double-Canon, le Triple-Canon, la Grosse-Nompareille ; voyez les articles de ces caracteres à leurs noms particuliers, & ci-après les modèles de ces caracteres dans les Planches placées à la fin de cet article. Ces Planches ont été composées sur les caracteres de M. Fournier le jeune, de qui nous tenons aussi tous les matériaux qui forment cet article & les autres articles de la Fonderie en caracteres. Nous pourrions bien assûrer que notre Ouvrage ne laisseroit rien à désirer d'important sur les Arts, si nous avions toûjours rencontré des Gens aussi attachés au progrès de leur art, aussi éclairés, & aussi communicatifs que M. Fournier le jeune. Une observation que nous avons été cent fois dans le cas de faire, c'est qu'entre les ouvriers qui s'occupent d'un même art, les ignorans, & entre les ouvriers qui s'occupent de différens arts, ceux dont les métiers étoient les moins entendus & les plus vils, se sont toûjours montrés les plus mystérieux, comme de raison.

Ces corps se suivent par degrés ; les uns se trouvent juste, le double, le tiers, le quart, &c. des autres, de maniere que deux ou plusieurs combinés ensemble, remplissent toûjours exactement le corps majeur qui est en tête de la combinaison ; régularité bien essentielle à l'Imprimerie.

Mais pour établir entre les corps la correspondance dont nous venons de parler, & qui se remarquera bien dans la table des rapports ci-jointe, M. Fournier a été obligé de créer un corps exprès appellé le Gros-Texte, qui équivaut à deux corps de Petit-Texte, & d'en faire revivre deux autres qui n'étoient point connus ou qui l'étoient peu, la Palestine & le Trismégiste. Le premier fait les deux corps de Cicero, le caractere le plus en usage dans l'Imprimerie ; & le second fait les deux points du Gros-Romain.

Sans ces trois corps la correspondance est interrompue. On a placé dans la table qui suit, dans la premiere colonne, les noms de ces corps, & dans celle du milieu, les corps auxquels ils équivalent.

Quand on rencontre le signe || dans un des articles de la colonne du milieu, il faut entendre que le nombre des corps qui rempliroient celui qui est en marge va changer, & que ce sont d'autres corps qui vont suivre, & dont la somme seroit équivalente au seul corps qui est dans la premiere colonne.

Mais ce n'étoit pas assez d'avoir fixé le nombre des corps des caracteres à vingt, & d'avoir établi les rapports que ces vingt corps devoient avoir entr'eux : il falloit encore donner la grandeur absolue d'un de ces corps, n'importe lequel. Pour cet effet, M. Fournier le jeune s'est fait une échelle, d'après le conseil des personnes les plus expérimentées dans l'Art.

Cette échelle est composée de deux parties qu'il appelle pouces ; ces deux pouces ne sont pas de la même longueur que les deux pouces de pié de Roi. Nous dirons plus bas quel est le rapport du pouce de son échelle, avec le pouce de pié de Roi. Il a divisé son pouce en trois lignes, & sa ligne en trois points. On voit cette échelle au haut de la table qui suit.

Cette table est divisée en quatre colonnes :

La premiere marque en chiffres l'ordre des caracteres.

La seconde, les noms de ces caracteres & leur équivalence en autres caracteres.

La troisieme & quatrieme, leurs hauteurs en parties de l'échelle.

Proportions des différens corps de caracteres de l'Imprimerie, suivant S. P. Fournier.

échelle de deux pouces.

C'est un fait assez simple qui a conduit M. Fournier à la formation de sa table des rapports des caracteres : un Imprimeur demande, par exemple, un Cicero au Fondeur, & envoye en lettres un échantillon sur lequel il veut que ce Cicero soit fondu. Un autre Imprimeur demande aussi un Cicero ; & comme c'est un caractere de même nom qu'il faut à tous les deux, on croiroit que ce caractere est aussi le même ; point du tout : l'échantillon de l'un de ces imprimeurs est ou plus grand ou plus petit que l'échantillon de l'autre, & le fondeur se trouve dans la nécessité ou de réformer ses moules, ou même d'en faire d'autres ; ce qui peut être poussé fort loin, ainsi que toutes les choses de fantaisie. Il semble que les écrivains ayent été plus d'accord entr'eux, qu'on ne l'est dans l'Imprimerie sur la hauteur & sur la largeur des caracteres. Ils ont commencé par convenir des dimensions du bec de plume ; ensuite ils ont fixé tant de becs de plume pour chaque sorte de caractere.

En formant sa table des rapports, il paroît que M. Fournier le jeune est entré dans les vues de l'édit du Roi, du 28 Février 1723, portant un réglement pour l'Imprimerie, qui semble supposer cette table. Exemple. Quand le réglement ordonne, que le Gros-Romain soit équivalent à un Petit-Romain & à un Petit-Texte, qu'est-ce que cela doit signifier ? quel Petit-Romain & quel Petit-Texte choisira-t-on ? ils sont partout inégaux. En prescrivant cette regle, on imaginoit donc ou qu'il y avoit une table des rapports des caracteres instituée, ou qu'on en institueroit une. Mais quand on auroit eu pour les caracteres une grandeur fixe & déterminée, on n'auroit pas encore atteint à la perfection qu'on se pouvoit promettre ; puisque pour avoir l'équivalent convenable du Gros-Romain, ce n'étoit point un Petit-Romain & un petit-Texte qu'il falloit prendre : car les corps des caracteres devant, selon M. Fournier, aller toûjours soit en diminuant soit en augmentant dans la proportion double, pour les avantages que nous allons expliquer, il s'ensuit que le Gros-Romain a deux Gaillardes pour équivalent, & non pas un Petit-Romain & un Petit-Texte.

En déterminant les forces des corps, M. Fournier a mis les Imprimeurs en état de savoir au juste ce qu'un caractere augmente ou diminue de pages sur un autre caractere ; combien il faudra de lignes de Petit-Romain, par exemple, pour faire la page in 12. de Cicero ou de St. Augustin ; combien par ce moyen, on gagnera ou perdra de pages sur une feuille, & par conséquent ce qu'un volume aura de plus ou de moins de feuilles en l'imprimant de tel ou tel caractere.

Ces proportions établies & connues rendent le méchanisme de l'Imprimerie plus sûr & plus propre ; l'ouvrier sachant la portée de ses caracteres, remplit exactement tous les espaces vuides de ses ouvrages sans addition ni fraction, soit dans la composition des vignettes, soit dans tout autre ouvrage difficile & de goût. Il a par exemple pour reste de page un vuide de six lignes de Nompareille à remplir, il saura tout d'un coup qu'il peut y substituer ou quatre lignes de quadrats de Gaillarde, ou trois de Cicero, ou deux de Gros Romain, ou une seule de Trismégiste. Il a à choisir, & tout cela remplit & fait exactement son blanc sans peine ni soin.

On évite par le même moyen la confusion dans l'Imprimerie, particulierement pour ce qu'on appelle lettres de deux points : les lettres doivent se trouver exactement par la fonte, le double des corps pour lesquelles elles font les deux points ; voyez LETTRES DE DEUX POINTS : mais ces corps, soit Petit-Texte, soit Petit-Romain, soit Cicero, étant indéterminés, plus forts dans une Imprimerie, plus foibles dans une autre, il s'ensuit que ces lettres de deux points n'ayant point de rapport fixe avec les gros corps, formeront une multiplicité d'épaisseurs différentes ou de corps dans l'Imprimerie, où l'on n'aura cependant point d'autres noms, que celui de lettres de deux points.

Il faut pour l'usage de ces lettres de deux points, des quadrats ou espaces faits exprès & assujettis à la même épaisseur : mais les rapports institués par la table rameneront tout à la simplicité ; les lettres de deux points de Petit-Texte seront fondues sur le corps de Gros-Texte ; celles de Petit-Romain sur le corps de Petit-Parangon ; celles de Cicero, sur le corps de Palestine, & ainsi de suite. Il ne sera plus nécessaire de fondre exprès des quadrats & espaces pour ces lettres, parce que ceux qui servent pour les caracteres, qui sont le double de ces corps, seront incontestablement les mêmes.

Nous avons observé au commencement de cet article, que l'art de la gravûre en poinçon, & de la Fonderie en caractere, étoit redevable de sa naissance parmi nous, & de ses progrès, à Simon de Collines, Claude Garamond, Robert Grandjean, Guillaume le Bé ; Jacques de Sanlecque, pour les 15, 16, & 17e siecles, & pour le 18e à MM. Grandjean & Alexandre, qui ont consacré leurs travaux à l'Imprimerie du Roi.

L'équité & la reconnoissance ne nous permettent pas de passer sous silence ce que M. Fournier le jeune a fait pour le même art, depuis ces habiles Artistes. Il a commencé par l'article important de la table des rapports, dont nous avons fait mention plus haut. Cherchant ensuite ce qui pourroit être innové d'ailleurs avec avantage, il a remarqué que l'Imprimerie manquoit de grandes lettres majuscules pour les placards, affiches & frontispices. Celles dont on se servoit avant lui étoient trop petites & d'un goût suranné ; les lettres de bois étoient communément mal formées, sujettes à se déjetter, à se pourrir, &c. Il en a gravé de quinze lignes géométriques de haut ; & par conséquent une fois plus grandes que celles de fonte, dont on usoit auparavant : il en a continué la collection complete depuis cette hauteur, jusqu'aux plus petites.

Il a redoublé ce travail, en exécutant des caracteres italiques de la même grandeur ; cette sorte de lettre n'existoit point dans l'Imprimerie. Les plus grosses qu'on y avoit eues étoient de deux points de Saint-Augustin, ou Gros-Romain, encore maigres & mal taillées. Il ne faut pourtant pas celer qu'on en emploie de fort belles à l'Imprimerie royale, mais jusqu'à une certaine hauteur seulement, & c'est d'ailleurs comme si elles n'existoient pas pour les autres Imprimeries du royaume.

Ces grandes majuscules ont presqu'éteint l'usage d'imprimer les affiches & frontispices en rouge & noir. Les mots que l'on veut rendre plus sensibles se remarquant assez par le mélange des lignes de romain & d'italique dont les figures tranchent assez l'une sur l'autre, on a évité par ce moyen le double tirage du rouge & du noir, & l'on a formé de plus beaux titres.

L'Imprimerie étoit aussi comme dénuée de ces petits ornemens de fonte qu'on appelle vignettes. Le peu qu'on en avoit étoit si vieux & d'un goût si suranné, qu'on n'en pouvoit presque faire aucun usage. M. Fournier, à l'imitation des sieurs Grandjean & Alexandre, qui en ont exécuté de fort belles pour l'Imprimerie du Roi, en a inventé de plus de cent cinquante sortes, qu'il a gravées relativement à la proportion qu'il a donnée aux corps. Une figure, par exemple, gravée pour être fondue sur un corps de Cicéro de la moitié de son épaisseur, n'a qu'à être renversée pour s'ajuster à la Nompareille ; une autre sera quarrée, & représentera le Cicéro en tout sens ; une autre sera de la largeur d'un Cicéro & demi, & viendra au corps de Gros-Romain ; une autre de deux Cicéros fera le corps de Palestine : ainsi du reste, qui fondu sur un corps fixe, forme par les largeurs, tels ou tels autres corps, de maniere que de quelque sens qu'on les retourne, elles présentent des grandeurs déterminées, dont les interstices seront exactement remplis par des corps plus ou moins forts.

C'est ainsi qu'en combinant ces petits objets, on compose facilement des ornemens de fonte plus ou moins grands, selon le besoin, & plus ou moins bien entendus, selon le goût du compositeur de l'Imprimerie. Voyez quelques-uns de ces ornemens dans les planches des caracteres qui sont à la fin de cet article.

Dans la gravûre des poinçons des notes de Plein-chant, M. Fournier a fait des changemens dont lui ont su gré les Imprimeurs des différens diocèses qu'il a fournis. Les notes béquarres, bémols, &c. étoient gravées & fondues de différentes épaisseurs, suivant leurs figures ; de maniere que pour composer ces notes, & justifier les lignes, il falloit fondre des espaces d'épaisseurs indéterminées, parmi lesquels il y en avoit de très-fins. Ces espaces portoient quatre filets ; multipliés ils formoient autant de hachures dans les filets de la note, parce que la jonction ne se faisoit jamais si bien qu'on n'en vît l'endroit, sur-tout lorsque la note avoit un peu servi ; ces hachures devenant plus sensibles, n'en étoient que plus désagréables. D'ailleurs, l'ouvrier étoit toujours obligé de justifier sa ligne en tâtonnant, comme on tâtonne une ligne de caracteres avec les espaces ordinaires. Pour éviter ces inconvéniens, M. Fournier a gravé des poinçons de notes, béquarres, bémols, guidons, poses, &c. précisément d'une même largeur, & des espaces portant quatre filets de la même épaisseur, ou deux, trois, quatre, cinq fois plus large ; les plus minces sont moitié d'épaisseur de la note : or toutes ces épaisseurs étant égales & déterminées, quand l'Imprimeur a décidé la longueur de sa ligne, toutes les autres se trouvent justifiées comme d'elles-mêmes ; il ne s'agit que d'employer le même nombre de notes, ou leur équivalent en espace, ce qui se fait sans soin. Arrivé au bout de la ligne, on y placera une demi-note, ou son équivalent, ou l'équivalent d'une note, ou un espace équivalent à plusieurs notes, suivant le vuide à remplir, & la ligne se trouvera justifiée. Les fautes qui seront survenues dans la composition, ne seront pas difficiles à corriger, puisqu'on aura toujours précisément l'équivalent de ce qu'on déplacera. Comme on ne sera plus obligé de justifier avec des espaces fins, il y aura moins de hachures, & l'ouvrage sera plus parfait.

Pour cet effet, il a suffi de graver les filets qui portent la note tous de la même largeur ; & de laisser sur ces filets la note, ou telle autre figure, suivant la grandeur qu'elles doivent avoir, suivant l'exemple qu'on voit.

M. Fournier a retranché de la note dont on se servoit avant lui, une multiplication inutile de huit sortes, dont l'effet étoit désagréable, comme on voit, par l'usage où l'on étoit de mettre les queues de ces notes en-bas, elles se trouvoient mêlées avec les caracteres qui étoient dessous. Pour éviter cet inconvénient, de quoi s'agissoit-il ? De retourner en-haut la queue de ces notes, ainsi qu'on le pratique en musique. Cet expédient a été d'autant plus avantageux, qu'on trouve dans le reste de la note de quoi former celle-ci, sans qu'il soit besoin d'en faire exprès. Exemple :

retournez ces caracteres à la composition, & vous aurez,

c'est-à-dire l'effet désiré, à moins de frais, sans embarras, & avec plus de propreté. Voyez l'exemple dans les tables des caracteres qui suivent.

On se sert dans l'Imprimerie beaucoup plus fréquemment de reglets simples, doubles ou triples, qu'on ne faisoit il y a dix ans, grace à M. Fournier qui a inventé un moule pour les fondre. On les exécutoit ci-devant en cuivre rouge ou laiton ; ils étoient chers, & jamais justes. Il eût été trop long, & peut-être impossible de bien planir les lames de laiton, de l'épaisseur déterminée de quelques corps de caracteres. On n'avoit d'autre ressource que dans différentes lames d'épaisseurs inégales, qu'on ajustoit avec le moins d'inconvénient que l'on pouvoit. Le moule de M. Fournier remédie à tout cela : c'est une machine simple & commode de quatorze à quinze pouces de longueur, sur un pouce ou environ de large, dans laquelle on fond des lames de la longueur de quatorze pouces, & de la hauteur d'un caractere donné. Le même moule sert pour telle hauteur qu'on veut : pour avoir des lames d'une épaisseur déterminée, il ne s'agit que d'y disposer le moule, ce qui s'exécute en un moment : on met ces lames dans le coupoir, & avec les rabots servant aux lettres, & des fers faits exprès, on taille sur une des faces un reglet de telle figure qu'on le souhaite.

L'utilité de ce moule à reglets a été si généralement reconnue, que deux ou trois mois après qu'il en fut fait usage, les autres fondeurs s'empresserent de l'imiter : mais ce qu'ils ont trouvé est grossier, moins simple, d'un usage moins commode, le sieur Fournier n'ayant point communiqué le sien, & l'ayant toujours réservé pour sa Fonderie. Voyez à l'article REGLET, l'explication de cette machine, & dans nos planches de Fonderie en caracteres, sa figure & ses détails.

Pour jetter un peu de variété dans l'impression, & servir à l'exécution de quelques ouvrages particuliers, M. Fournier vient de graver un caractere nouveau dans son genre ; il est en deux parties & sur deux corps différens. La premiere fondue sur le corps de Gros-Parangon, s'appelle bâtarde coulée ; & l'autre partie qui a l'oeil plus gros, est fondue sur le Trismégiste, qu'on appelle bâtarde. Ces caracteres avec l'alphabet de lettres ornées & festonnées, pour tenir lieu de petites capitales, sont faits pour aller ensemble, & forment un tout qu'il appelle caractere de finance, parce qu'il imite l'écriture. Voyez-en le modele dans les planches qui suivent.

La partie la plus utile pour l'Imprimerie, & qui fera le plus d'honneur à M. Fournier, après sa table des rapports, c'est le changement des caracteres italiques auxquels il a donné une figure plus terminée, dont il a rendu les pleins & les déliés plus sensibles, & qu'il a plus approchés de notre écriture.

Au commencement de ce siecle, les sieurs Grandjean & Alexandre firent quelques changemens dans les italiques qu'ils graverent pour l'Imprimerie du Roi ; cet exemple a enhardi le sieur Fournier. Pour mettre le lecteur en état de juger de son travail, voici quelques lignes des italiques, telles qu'il les a trouvées, & de celles qu'il leur a substituées.

Italique ancienne de Gros Romain.

Vous égalez les Dieux, disoit Cicéron à César ; vous voulez faire du bien, & vous le pouvez comme eux.

Italique nouvelle de Gros-Romain.

Vous égalez les Dieux, disoit Cicéron à César ; vous voulez faire du bien, & vous le pouvez comme eux.

Pour l'exécution des proportions données aux caracteres, & pour s'assûrer de leur exactitude, il faut faire une justification ou mesure juste de quarante lignes, mesure de l'échelle de M. Fournier, & de trente-sept lignes géométriques : elle contiendra ou quarante-huit Parisiennes, ou quarante Nompareilles, ou trente-deux Mignones & un gros-Texte, ou trente petits-Textes, ou vingt-six Gaillardes & une Nompareille, ou vingt-quatre petits-Romains, ou vingt-un Philosophies & une Gaillarde, ou vingt Cicéros, ou seize Saint-augustins & un gros-Texte, ou quinze gros-Textes, ou treize gros-Romains & une Nompareille, ou douze petits-Parangons, ou dix gros Parangons & un petit Parangon, ou dix Palestines, ou huit petits-Canons & un gros-Texte, ou six Trismégistes & une Palestine, ou cinq gros-Canons, & un petit-parangon, ou quatre doubles-Canons & un gros-Texte, ou trois triples-Canons & une Palestine, ou deux grosses-Nompareilles & deux Palestines.

S'il y a quelques gros ou quelques petits caracteres dont il ne soit point fait mention dans la table des rapports, ni dans la justification précédente, c'est que ces gros caracteres ne se fondent pas, & que les petits tels que la Perle, la sédanoise, &c. sont hors de proportions, quoiqu'ils se fondent. Au reste il seroit à souhaiter qu'on les réduisît aux mesures de la table ; l'art de l'Imprimerie n'en seroit que plus parfait, & sa pratique que plus facile.

Il ne nous reste plus qu'un mot à dire des réglemens auxquels les Fondeurs en caracteres sont assujettis.

Les Fondeurs sont tenus, avant que d'exercer leur profession, de se présenter aux syndic & adjoints de l'Imprimerie, & de se faire inscrire sur le registre de la communauté en qualité de Fondeurs de caracteres : ce qui doit se faire sans frais.

Il leur est néanmoins défendu d'exercer la Librairie ou l'Imprimerie.

Ils doivent résider & travailler dans le quartier de l'Université.

On a vu par ce qui précede, ce qu'il faut penser de l'article des réglemens sur la proportion des caracteres. Il leur est enjoint de fondre les caracteres de bonne matiere forte & cassante (voyez plus haut ce que c'est que cette matiere) : de travailler pour les Imprimeurs de Paris par préférence à ceux de province : de n'envoyer au-dehors aucune fonte sans en avoir déclaré au bureau de la communauté la qualité, le poids, & la quantité : de fondre les fontes étrangeres sur la hauteur de celles de Paris : de ne livrer des fontes & caracteres qu'aux Imprimeurs.

Voilà les principaux reglemens ; d'où l'on voit combien ils sont imparfaits, & combien il est incertain qu'en séparant les arts de Graveur, de Fondeur, & d'Imprimeur, on ait travaillé à leur perfection réelle.

Je n'ai rien épargné pour exposer clairement ce qui concerne les deux premiers, qui servent de préliminaires essentiels au troisieme ; & j'espere que les gens de lettres, qui ont par leurs ouvrages quelque prétention à l'immortalité, ne m'accuseront pas d'avoir été prolixe : quant au jugement des autres, il m'importe peu. J'aurois été beaucoup plus étendu, si je n'avois pris sur moi de glisser légerement sur les opérations les moins importantes. En revanche j'ai tâché de décrire les autres de maniere à m'acquiter envers l'art & à le conserver, s'il étoit jamais menacé de se perdre. Voyez la suite à l'article IMPRIMERIE. Devions-nous moins à la Fonderie en caracteres, par laquelle les productions des grands génies se multiplient & s'éternisent, qu'à la fonderie en bronze, qui met en relief les héros & leurs actions ? Voyez Fonderie en bronze à l'article BRONZE.

Voici des exemples de tous les Caracteres en usage ; ils sont de l'Imprimerie de M. le Breton, notre Imprimeur, & de la Fonderie du sieur Fournier, excepté la Perle & la sédanoise, qui ne se trouvent qu'à l'Imprimerie Royale, & que M. Anisson, directeur de cette Imprimerie, a bien voulu communiquer.

Nous renvoyons à nos Planches gravées les alphabets de la plûpart des peuples, tant anciens que modernes.

EXEMPLES DE TOUS LES CARACTERES ROMAINS ET ITALIQUES EN USAGE DANS L'IMPRIMERIE.

X.

GROS-TEXTE.

L'homme croit souvent se conduire lors qu'il est conduit ; & pendant que par son esprit il tend à un but, son coeur l'entraîne insensiblement à un autre.

Assez de Gens méprisent le bien ; mais peu savent le donner comme il faut.

GROS-TEXTE.

IL y a des crimes qui deviennent innocens & même glorieux par leur éclat, leur nombre & leur excès. Il arrive de-là que les....

XI.

GROS-ROMAIN.

Tous les sentimens ont chacun un ton de voix, des gestes & des mines qui leur sont propres : Ce rapport bon ou mauvais, agréable ou desagréable, est ce qui fait que les personnes plaisent ou déplaisent.

GROS-ROMAIN.

Presque tout le monde prend plaisir à s'aquitter des petites obligations, beaucoup de gens ont de la reconnoissance pour les médiocres, mais il n'y a quasi personne qui n'ait de l'ingratitude pour les grandes.

XII.

PETIT-PARANGON.

L'homme aiant besoin de la société pour vivre commodément & agréablement, il doit contribuer au bien de cette société en se rendant utile à ceux qui la composent.

PETIT-PARANGON.

IL y a dans le coeur & dans l'esprit humain une génération perpétuelle de passions en sorte que la ruine de l'une est presque toûjours l'établissement d'une autre.

XIII.

GROS-PARANGON.

ON ne sauroit conserver les sentimens que l'on doit avoir pour ses amis si on se donne la liberté de parler souvent de leurs défauts.

GROS-PARANGON.

LE desir de mériter les louanges qu'on nous donne fortifie notre vertu : & celles que l'on donne à la valeur, & à l'esprit, contribuent à les augmenter.

XIV.

PALESTINE.

LA vanité, la honte, & sur-tout le tempérament, font en plusieurs la valeur des hommes & la vertu....

PALESTINE.

L'orgueil contrepese toutes nos miseres. Car ou il les cache, ou s'il les montre, il se glorifie de les connoitre.

XV.

PETIT-CANON (Romain & Italique.)

Quelque bien que l'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.

La Sagesse & la réputation ne sont pas moins à la mercy de la Fortune que le bien.

XVI.

TRISMEGISTE (Romain & Italique.)

EN peu de tems nous passons de la vie à la mort.

L'honneur acquis est caution de celui qu'on acquérera.

XVII.

GROS-CANON (Romain & Italique.)

Rien de durable dans ce monde.

Heureux celui qui ne s'y attache pas.

XVIII.

DOUBLE-CANON (Romain & Italique.)

Dieu soit aimé & Adoré.

Qu'il le soit éternellement.

XIX.

TRIPLE-CANON.

ON donne liberalement des conseils.


CARACTÉRISERv. act. en Peinture, c'est saisir si bien le caractere qui convient à chaque objet, qu'on le reconnoisse au premier coup d'oeil. On dit ce Peintre caractérise bien ce qu'il fait, c'est-à-dire qu'il est juste. (R)


CARACTÉRISTIQUEadj. pris sub. en général, se dit de ce qui caractérise une chose ou une personne, c'est-à-dire de ce qui constitue son caractere, par lequel on en fait la distinction d'avec toutes les autres choses. Voyez CARACTERE.

Caractéristique est un mot dont on se sert particulierement en Grammaire pour exprimer la principale lettre d'un mot, qui se conserve dans la plûpart de ses tems, de ses modes, de ses dérivés & composés.

La caractéristique marque souvent l'étymologie d'un mot, & elle doit être conservée dans son orthographe, comme l'r est dans le mot de course, mort, &c.

Les caractéristiques sont de grand usage dans la grammaire greque, particulierement dans la formation des tems, parce qu'ils sont les mêmes dans les mêmes tems de tous les verbes de la même conjugaison, excepté le tems présent, qui a différentes caractéristiques, & le futur, l'aoriste premier, le prétérit parfait & le plusque-parfait de la quatrieme conjugaison, qui ont deux caractéristiques. Voyez TEMS, VERBE, MODE, &c. (G)

CARACTERISTIQUE, s. f. La caractéristique d'un logarithme est son exposant, c'est-à-dire le nombre entier qu'il renferme ; ainsi dans ce logarithme 1,000 000, 1 est l'exposant : de même 2 est l'exposant dans celui-ci, 2, 4523, &c. En général, on appelle en Mathématique caractéristique, une marque ou caractere par lequel on désigne quelque chose. Voyez CARACTERE. Ainsi d est la caractéristique des quantités différentielles, suivant M. Léibnitz ; & suivant M. Newton, la caractéristique des fluxions est un point. Voyez FLUXION, DIFFERENTIEL.

Dans la haute Géométrie on appelle triangle caractéristique d'une courbe, un triangle rectiligne rectangle, dont l'hypothénuse fait une partie de la courbe, qui ne differe pas sensiblement d'une ligne droite, parce que cette portion de courbe est supposée infiniment petite. Ce triangle a été appellé caractéristique, à cause qu'il sert ordinairement à distinguer les lignes courbes. Voyez COURBE.

Supposons, par exemple, la demi-ordonnée p m (Pl. d'Anal. fig 18.) infiniment proche d'une autre demi-ordonnée P M ; alors P p sera la différence de l'abscisse : & abaissant une perpendiculaire M R = P p, R m fera la différence de la demi-ordonnée. Tirant donc une tangente T M, en ce cas l'arc infiniment petit M m ne différera pas d'une ligne droite ; par conséquent M m R est un triangle rectiligne rectangle, & constitue le triangle caractéristique de cette courbe, autrement appellé triangle différentiel. En effet, l'équation différentielle qui est entre les petits côtés de ce triangle, est l'équation qui désigne & caractérise la courbe. Voyez TRIANGLE DIFFERENTIEL. (O)

CARACTERISTIQUE, adj. en Littérature, se dit de ce qui sert à caractériser, à distinguer les ouvrages & les auteurs ; ainsi l'élévation & la véhémence sont les traits caractéristiques de Corneille ; la noblesse & l'élégance, ceux de Racine.


CARADIVA(Géogr.) île de l'Asie, auprès de l'île de Ceylan.


CARAGIS. m. (Comm.) On nomme ainsi dans les états du grand-seigneur, les droits d'entrée & de sortie qu'on paye pour les marchandises : ces droits ne se payent qu'une fois, & seulement à la doüanne où les marchandises sont d'abord déchargées. On est libre de les transporter dans une autre ville, en représentant le premier acquit.

Caragi est aussi le nom qu'on donne aux commis des bureaux où se perçoivent les droits : leur chef ou directeur de la doüanne se nomme Caragi-Bachi. (G)


CARAGONA(Hist. nat. bot.) arbre qui se trouve fréquemment dans les Indes orientales, & dont on ne nous apprend rien, sinon qu'il conserve sa verdure hyver & été, & qu'il a beaucoup de ressemblance avec celui qui produit la gomme de Caranne.


CARAGROUCHS. m. (Comm.) monnoie d'argent d'usage dans l'empire, au titre de dix deniers vingt-trois trente-deuxiemes : elle vaut argent de France deux livres dix-huit sous cinq deniers. Cette monnoie a cours à Constantinople : elle y est reçue pour cent seize aspres.


CARAGUATAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, en cloche tubulée, découpée ordinairement sur les bords en trois parties. Il s'éleve du fond du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit oblong, pointu, membraneux, qui s'ouvre d'un bout à l'autre en trois parties, & qui renferme des semences garnies d'aigrettes. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


CARAIAM(Géog.) grande province ou pays d'Asie dans la Tartarie, dont la capitale porte le même nom.


CARAIBEou CANNIBALES, sauvages insulaires de l'Amérique, qui possedent une partie des îles Antilles. Ils sont en général tristes, rêveurs & paresseux, mais d'une bonne constitution, vivant communément un siecle. Ils vont nuds, leur teint est olivâtre. Ils n'emmaillotent point leurs enfans, qui dès l'âge de quatre mois marchent à quatre pattes ; & en prennent l'habitude au point de courir de cette façon, quand ils sont plus âgés, aussi vîte qu'un européen avec ses deux jambes. Ils ont plusieurs femmes, qui ne sont point jalouses les unes des autres ; ce que Montagne regarde comme un miracle dans son chapitre sur ce peuple. Elles accouchent sans peine, & dès le lendemain vaquent à leurs occupations ; le mari garde le lit, & fait diete pour elles pendant plusieurs jours. Ils mangent leurs prisonniers rôtis, & en envoyent des morceaux à leurs amis. Ils croyent un premier homme nommé Longuo, qui descendit du ciel tout fait ; & les premiers habitans de la terre, suivant eux, sortirent de son énorme nombril au moyen d'une incision. Ils adorent des dieux & des diables, & croyent l'immortalité de l'ame. Quand un d'entr'eux meurt, on tue son negre, pour qu'il aille le servir dans l'autre monde. Ils sont fort adroits à tirer de l'arc ; leurs fleches sont faites d'un bois empoisonné, taillées de façon qu'on ne peut les retirer du corps sans déchirer la plaie ; & elles sont arrosées d'un venin très-dangereux, fait avec le suc du mancenillier. Voyez SAUVAGES.


CARAITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte très-ancienne parmi les Juifs, si l'on en croit quelques auteurs, & qui subsiste encore parmi les Juifs modernes en Pologne, en Russie, à Constantinople, au Caire, & dans plusieurs autres endroits du Levant. Ce qui les distingue des autres Juifs, quant à la religion, c'est leur attachement scrupuleux à la lettre de l'Ecriture, exclusivement aux allégories, traditions, interprétations humaines, &c.

Léon de Modene, rabbin de Venise, observe que de toutes les hérésies qui étoient chez les Juifs avant la destruction du temple, il n'est resté que celle de Caraim, nom dérivé de Miera, qui signifie le pur texte de l'Ecriture ; parce que les Caraïtes veulent qu'on s'en tienne au Pentateuque ; qu'on le garde à la lettre, sans égard pour les gloses & les interprétations des rabbins.

Aben Ezra & quelques autres, pour rendre les Caraïtes odieux, les qualifient de Saducéens, mais Léon de Modene se contente de les appeller Saducéens mitigés, parce qu'ils admettent l'immortalité de l'ame, la résurrection, les récompenses & les peines de la vie future, que rejettoient les anciens Saducéens, dont il doute meme que les Caraïtes soient descendus. Voyez SADUCEENS.

M. Simon suppose avec plus de vraisemblance, que cette secte ne s'est formée que de l'opposition qu'ont apportées aux rêveries des Thalmudistes les Juifs les plus sensés, qui s'en tenant au texte de l'Ecriture pour réfuter les traditions mal-fondées de ces nouveaux docteurs, en reçurent le nom de Caraim, qui signifie en latin barbare, scripturarii, c'est-à-dire gens attachés au texte de l'Ecriture, & qu'on y ajoûta le nom odieux de Saducéens, parce qu'à l'imitation de ceux-ci, ils rejettoient les traditions des docteurs.

Scaliger, Vossius, & M. Spanheim, par une erreur qui n'est pas pardonnable à des savans du premier ordre, ont mis les Caraïtes au même rang que les Sabéens, les Mages, les Manichéens, & même les Musulmans. Wolfgang, Fabricius, &c. disent que les Saducéens & les Esséniens furent appellés Caraïtes, par opposition aux Pharisiens, qui, comme l'on sait, étoient grands traditionaires. D'autres croyent que ce sont les docteurs de la loi, legisperiti, dont il est si souvent parlé dans l'Ecriture ; mais toutes ces conjectures sont peu solides. Josephe ni Philon ne font aucune mention des Caraïtes ; cette secte est donc plus récente que ces deux auteurs, on la croit même postérieure à la collection de la seconde partie du Thalmud, connue sous le nom de Gemara : peut-être même ne commença-t-elle qu'après la compilation de la Mischna, vers le v. ou vj. siecle ; d'autres en reculent l'origine jusqu'au viij. siecle.

Les Caraïtes de leur côté, intéressés à se donner le mérite de l'antiquité, font remonter la leur jusqu'au tems où les dix tribus furent emmenées captives par Salmanasar. Wolf, sur les mémoires du caraïte Mardochée, la fixe au tems du massacre des docteurs Juifs sous le regne d'Alexandre Jannée, environ cent ans avant Jesus Christ. On raconte qu'alors Simon fils de Schétach, frere de la reine, s'étant enfui en Egypte, y forgea ses prétendues traditions, qu'il débita à son retour à Jérusalem, interprétant la loi à sa fantaisie, & se vantant d'être le dépositaire des connoissances que Dieu avoit communiquées de bouche à Moyse ; ensorte qu'il s'attira un grand nombre de disciples : mais il trouva des contradicteurs, qui soûtinrent que tout ce que Dieu avoit révélé à Moyse étoit écrit, & qu'il falloit s'en tenir-là. Cette division, ajoûte-t-on, donna naissance à la secte des Rabbinistes ou Traditionaires, parmi lesquels brilla Hillel ; & des Caraïtes, dont Juda, fils de Tabbaï, fut un des chefs. Le même auteur met au nombre de ceux-ci, non-seulement les Saducéens, mais aussi les Scribes dont il est parlé dans l'Evangile. L'adresse & le crédit des Pharisiens affoiblirent le parti des Caraïtes ; Wolf dit qu'Anam le releva en partie dans le viij. siecle, & Rabbi Schalomon dans le jx. Il étoit très-nombreux dans le xjv. mais ils ont toûjours été depuis en déclinant.

Les ouvrages des Caraïtes sont peu connus en Europe, quoiqu'ils méritent mieux de l'être que ceux des Rabbins. On en a un manuscrit apporté de Constantinople, qui se conserve dans la bibliotheque des peres de l'Oratoire de Paris. Les savans les plus versés dans l'intelligence de l'hébreu, n'ont d'ailleurs vû que très-peu de leurs écrits. Buxtorf n'en avoit vû aucun ; Selden n'en avoit lû que deux ; Trigland assûre qu'il en a recouvré assez pour en parler avec quelque certitude ; & il avance, apparemment d'après eux, que peu de tems après que les prophetes eurent cessé, les Juifs se partagerent touchant les oeuvres de surérogation ; les uns soûtenant qu'elles étoient nécessaires, suivant la tradition des docteurs ; les autres les rejettant, parce qu'il n'en est pas fait mention dans la loi ; & ce dernier parti forma la secte des Caraïtes. Il ajoûte qu'après la captivité de Babylone on rétablit l'observation de la loi & des pratiques qu'on en regardoit comme des dépendances essentielles, selon les Pharisiens, qui en rapportoient l'institution à Moyse.

Léon de Modene observe que les Caraïtes modernes ont leurs synagogues & leurs cérémonies particulieres, & qu'ils se regardent comme les seuls vrais observateurs de la loi ; donnant par mépris le nom de Rabbanim à ceux qui suivent les traditions des rabbins. Ceux-ci de leur côté haïssent mortellement les Caraïtes, avec lesquels ils ne veulent ni s'allier, ni même converser, & qu'ils appellent mamzerim, c'est-à-dire bâtards, parce que les Caraïtes n'observent point les usages des rabbins dans les mariages, les divorces, la purification légale des femmes, &c. aversion poussée si loin, que si un Caraïte vouloit passer dans la secte des Rabbinistes, ceux-ci le refuseroient.

Il est cependant faux que les Caraïtes rejettent absolument toutes sortes de traditions ; ils n'en usent ainsi qu'à l'égard de celles qui ne leur paroissent pas bien fondées. Selden qui traite au long de leurs sentimens dans son livre intitulé Uxor hebraïca, dit qu'outre le texte de l'Ecriture, les Caraïtes reçoivent certaines interprétations qu'ils appellent héréditaires, & qui sont de véritables traditions. Leur théologie ne differe de celle des autres Juifs, qu'en ce qu'elle est plus dégagée de vétilles & de superstitions ; car ils n'ajoûtent aucune foi aux explications des cabalistes, ni aux sens allégoriques, souvent plus subtils que raisonnables. Ils rejettent aussi toutes les décisions du Thalmud qui ne sont pas conformes au texte de l'Ecriture, ou qui n'en suivent pas par des conséquences nécessaires & naturelles : en voici trois exemples. Le premier regarde les mizouzot ou parchemins que les Juifs rabbinistes attachent à toutes les portes par lesquelles ils ont coûtume de passer. Le second concerne les Thephilim ou Philacteres dont il est parlé dans le Nouveau testament. Le troisieme est sur la défense faite aux Juifs de manger du lait avec de la viande. Les Rabbinistes prétendent que les deux premiers de ces articles sont formellement ordonnés par ces paroles du Deutéronome, ch. vj. v. 8. Et ligabis ea quasi signum in manu tua, eruntque & movebuntur inter oculos tuos, scribesque ea in limine & in ostiis domûs tuae. Aaron le caraïte, dans son commentaire sur ces paroles, répond qu'on ne doit point les prendre à la lettre ; que Dieu a seulement voulu faire connoître par-là que dans toutes les circonstances de la vie son peuple devoit avoir devant les yeux la loi donnée à Moyse. Quant aux Thephilim, après y avoir donné une pareille interprétation, les Caraïtes appellent par raillerie les rabbins des ânes bridés de leurs fronteaux. Voyez FRONTEAU. S. Jérôme explique aussi ce passage dans un sens figuré. Sur le troisieme article, que les rabbins croyent expressément défendu par le Deutéronome, ch. xjv. v. 21. Non coques hædum in lacte matris suae ; les Caraïtes répondent avec beaucoup de vraisemblance, qu'on doit l'expliquer par cet autre passage : Tu ne tueras point la mere quand elle aura des petits ou qu'elle sera pleine. A cela les rabbins n'opposent que la tradition & l'autorité de leurs docteurs ; motif insuffisant, selon les Caraïtes, pour admettre une infinité de pratiques dont on ne trouve rien dans le texte sacré.

Ces derniers retiennent cependant plusieurs superstitions des rabbins. Schupart, dans son livre de sectâ Karræorum, montre qu'ils ont les mêmes scrupules, & s'attachent aux mêmes minuties sur l'observation du sabbat, de la pâque, des fêtes, de l'expiation, & des tabernacles, &c. qu'ils observent aussi régulierement les heures de la priere & les jours de jeûne, qu'ils portent le zitzit ou morceaux de frange aux coins de leurs manteaux, & croyent que tout péché peut être effacé par la pénitence ; au contraire des rabbins, qui soûtiennent que certains péchés ne peuvent être effacés que par la mort. Les Caraïtes ne croyent pas, comme les Traditionaires, qu'il doive y avoir du sang répandu dans la circoncision, ni que ce signe de leur loi doive être donné à l'enfant toûjours le huitieme jour après sa naissance, & même aux enfans morts ; mais qu'à ceux qui sont en danger on doit anticiper ce jour. Quant aux divorces, ils conviennent avec les autres Juifs, aussi-bien que dans la maniere de tuer & de préparer les viandes permises : ils en different seulement sur les especes d'impuretés & de pollutions légales.

Peringer dit que les Caraïtes de Lithuanie sont fort différens, & pour le langage & pour les moeurs, des Rabbinistes dont ce pays est plein ; qu'ils parlent la langue turque dans leurs écoles & leurs synagogues, à l'exemple des Tartares mahométans ; que leurs synagogues sont tournées du septentrion au midi, parce que, disent-ils, Salmanasar ayant transporté leurs peres dans des provinces situées au nord de Jérusalem, ceux-ci pour prier regardoient le côté où étoit située la Ville-sainte, c'est-à-dire le midi. Le même auteur ajoûte qu'ils admettent tous les livres de l'ancien-Testament ; opinion opposée à celle du plus grand nombre de savans, qui prétendent que les Caraïtes ne reconnoissent pour canonique que le Pentateuque, & ne reconnoissent que trois prophetes, savoir, Moyse, Aaron, & Josué.

Caleb réduit à trois points toutes les différences qui se rencontrent entre les Caraïtes & les Rabbinistes ; savoir, que les premiers nient, 1°. que la loi orale ou la tradition viennent de Moyse, & rejettent la cabale. 2°. Ils abhorrent le Thalmud. 3°. Ils observent les fêtes comme le sabbat, &c. beaucoup plus rigoureusement que leurs adversaires, à quoi l'on peut ajoûter qu'ils étendent presque à l'infini les degrés prohibés pour le mariage. Voyez CABALE, THALMUD, SABBAT, &c. Les Caraïtes ont encore ceci de particulier, que, selon l'ancienne coûtume des Juifs, ils reglent leurs fêtes sur l'apparition de la lune, & blâment les Rabbinistes qui, dans leur calendrier, se servent des calculs astronomiques. Voyez RABBINISTES. (G)


CARAMAN(Géog.) ville & royaume d'Afrique en Ethiopie, dont l'existence est douteuse.


CARAMANICO(Geog.) ville d'Italie au royaume de Naples dans l'Abruze.


CARAMANIE(Géog.) province de la Turquie en Asie dans la Natolie ; Satalie en est la capitale.


CARAMANTA(Géog.) province de l'Amérique méridionale, bornée au nord par le pays de Carthagene & la nouvelle Grenade, au midi par le Popayan, à l'occident par l'audience de Panama : la capitale porte le même nom. Long. 305. lat. 5. 18.


CARAMBOLAS(Hist. nat. bot.) pommier des Indes à fruit oblong, avec un petit ombilic ; garni à son extrémité de cinq côtes fort épaisses, & couvert d'une peau mince, adhérente à la pulpe, lisse, éclatante, verte d'abord puis jaunâtre. Ce fruit contient dix graines oblongues, pentagonales, mousses par un bout, pointues par l'autre, séparées par quelques pellicules dures & membraneuses, qui forment des cellules où les graines sont deux à deux. On cultive cette plante dans les jardins : trois ans après avoir été greffée elle porte fleurs & fruits trois fois l'an : on lui attribue beaucoup de propriétés médicinales, qu'on peut voir dans l'histoire des plantes de Ray.


CARAMINNAL(Géog.) petite ville d'Espagne sur la côte de Galice.


CARAMOUSSALsubst. m. (Marine.) c'est un vaisseau marchand de Turquie construit en huche ; c'est-à-dire qui a la poupe fort haute. Cette sorte de bâtiment n'a ni misene ni perroquets que le seul tourmentin, & porte seulement un beaupré, un petit artimon & un grand mât : ce mât avec son hunier s'éleve à une hauteur extraordinaire, & il n'y a que des galaubens & un étai, répondant de l'extrémité supérieure du mât de hune à la moitié du tourmentin ; sa grande voile porte ordinairement une bonnette maillée. (Z)


CARANCEBEou KARAN-SEBES, (Géog.) ville de la basse Hongrie, au confluent de la Sebes & du Temes.


CARANDAou ANZUBA, (Hist. nat. bot.) espece de plante ou d'arbuste des Indes orientales, dont la feuille ressemble beaucoup à celle du fraisier, & suivant d'autres à celles du Tamarin ; il produit plusieurs fleurs odoriférantes ; son fruit ressemble à une petite pomme, qui est verte au commencement, & pleine d'un suc blanc comme du lait ; mais lorsqu'elle mûrit, elle devient noirâtre, & prend un goût assez semblable à celui du raisin. Il y a des gens qui en tirent le suc pour en faire une espece de verjus : on mange aussi ce fruit confit dans du vinaigre & du sel ; on dit qu'il est propre à exciter l'appétit. Il s'en trouve beaucoup au royaume de Bengale.


CARANGUE(Hist. nat. Zoolog.) poisson de mer très-commun aux Indes occidentales, & sur-tout aux Antilles ; on en trouve souvent de deux ou trois piés de long, un peu plats ; ils ont les yeux grands & la queue fourchue ; la chair en est excellente, & se mange à toute sauce.


CARANGUER(terme de Riv.) c'est un terme dont les matelots du pays d'Aunis se servent pour dire agir : ce maître est un grand carangueur, c'est-à-dire qu'il est agissant. Cette expression n'est point en usage hors du bateau. (Z)


CARANGUES(Géog.) peuple de l'Amérique méridionale au Pérou.


CARANNA(Hist. nat. bot.) on varie sur la description de cet arbre : les uns disent qu'il est haut & fort ; d'autres que c'est une sorte de palmier dont on fend l'écorce, & qui rend la résine ou gomme cendrée ou blanchâtre, qui porte son nom. Cette gomme est en-dedans de la couleur de la poix, a le goût amer, gras & oléagineux, l'odeur forte, aromatique & tirant sur celle de la lavande : on l'apporte de Carthagene en masses molles, enveloppées dans des morceaux de jonc. La plus blanche est la meilleure. Ses propriétés sont à-peu-près les mêmes que celles du Tacamahaca. Voyez TACAMAHACA.

Cette gomme ne se dissout que dans l'esprit de vin ; c'est ce qui a donné lieu à M. Geoffroy de dire que l'on l'appelle improprement gomme. Elle est fondante, discussive, résolutive.

On la mêle dans un mortier chaud avec le baume de Copahu, & on l'applique avec succès sur l'épigastre, dans les douleurs d'estomac, dans les affections des hypochondres.

Délayée avec de l'huile d'ambre, elle est excellente dans la goutte. Schroder recommande pour la goutte une emplâtre faite avec une once de gomme caranna, une demi-once de cire jaune, & une quantité raisonnable d'huile.

On trouve dans Pomet la description d'un baume fait avec le caranna, qu'il dit être très en usage en Amérique pour les plaies. (N)


CARAQUES. f. (Marine.) c'est le nom que les Portugais donnent aux vaisseaux qu'ils envoyent au Brésil & aux Indes orientales. Ils les appellent aussi naos, comme voulant dire navires par excellence. Ce sont de très-grands vaisseaux ronds, également propres pour le combat & pour le commerce, plus étroits par le haut que par le bas ; qui ont quelquefois sept ou huit planchers, & sur lesquels ont peut loger jusqu'à deux mille hommes. Ces sortes de bâtimens ne sont plus en usage ; il y en avoit du port de deux mille tonneaux. La capacité des caraques consiste plus dans le creux qu'elles ont, que dans leur longueur & largeur. Cette profondeur des caraques, & la maniere dont elle sont construites, assez foible d'échantillon, les rend sujettes à se renverser lorsque leur charge n'est pas entierement complete : mais lorsqu'elles sont toutes chargées, elles ne courent pas beaucoup plus de risques que les autres vaisseaux, parce que le grand poids qui est dedans, les fait beaucoup enfoncer, ce qui les soûtient. (Z)

CARAQUES (les), Géog. peuple sauvage de l'Amérique méridionale, au Pérou, sur la côte de la mer du Sud ; leurs coûtumes différent des autres nations de ce pays.


CARARAS. m. (Commerce.) poids dont on se sert en quelques endroits d'Italie, & particulierement à Livourne, pour la vente des laines & des morues.

Le carara est de cent soixante livres du pays, où la livre n'est que de douze onces poids de marc, ce qui revient à cent dix livres six onces trois gros, un peu plus, de Paris, Amsterdam, & autres villes où la livre est de seize onces. Le carara fait cent trente-six livres poids de Marseille (G)

CARARA, (Géog.) petite ville d'Italie, avec titre de principauté, fameuse par ses carrieres de marbre.


CARASOU(Géog.) il y a deux rivieres de ce nom dans la Turquie ; l'une en Natolie, dans la Caramanie ; l'autre en Romanie, dans la Turquie, en Europe.

CARASOU, (Géog.) ville de la Tartarie Précopite, dans la Crimée.


CARATS. m. on donne ce nom au poids qui exprime le degré de bonté, de finesse, & de perfection ou d'imperfection de l'or. Les auteurs ne sont pas d'accord sur l'origine de ce mot : Ménage, après Alciat, le dérive du grec , qui étoit une espece de petit poids. Savot le dérive, ce qui revient au même, de caratzion, qui signifioit un denier de tribut, ou une espece de monnoie qu'on battoit à cette fin : cet auteur dit que, comme la division du fin de l'argent a été faite par une espece de monnoie qu'on appelloit denier, aussi le titre de l'or a été marqué par une monnoie d'or qu'on appelloit en ce tems-là carat. D'autres le dérivent simplement du latin caracter : mais beaucoup de personnes aiment mieux suivre l'opinion de Kennet, qui le dérive de carecta, terme qui signifioit anciennement, selon cet auteur, un certain poids, & qui a été employé depuis pour exprimer la finesse de l'or, ou la pesanteur des diamans.

Le carat d'or est la vingt-quatrieme partie d'une quantité d'or, quelle qu'elle soit, ainsi un scrupule qui doit peser vingt-quatre grains, est un carat à l'égard d'une once d'or ; car une once contient vingt-quatre scrupules.

Si une once d'or n'a aucun alliage, c'est de l'or à vingt-quatre carats ; si l'alliage est d'un carat, c'est de l'or à vingt-trois carats ; s'il est de deux carats, c'est de l'or à vingt-deux carats, & ainsi du reste : mais on assûre qu'il ne peut se trouver d'or à vingt-quatre carats ; parce qu'il n'y en a point qui ne contienne quelque portion d'argent ou de cuivre, si bien purifié qu'il soit. Voyez CARATURE.

L'or rouge est le moins estimable, parce qu'il contient quelque portion de cuivre qui lui donne cette couleur ; le jaune est le meilleur.

Le carat de perle, de diamant, & des autres pierres précieuses, n'est que de quatre grains. Chymie de Lemery, onzieme édit. de Paris, pag. 91.

Suivant ce que l'on a vû ci-dessus, les Monnoyeurs ont fixé à vingt-quatre carats le plus haut titre ou la plus grande perfection de l'or. Il y a des demi, des quarts, des huitiemes, des seiziemes, & des trente-deuxiemes de carat. Ces degrés servent à marquer l'alliage : par les lois de France, il est défendu aux Orfevres de travailler l'or au-dessous de vingt-trois carats.

Le carat de fin est donc un vingt quatrieme degré de bonté ou de perfection d'une piece de pur or.

Le carat de prix est la vingt-quatrieme partie de la valeur d'une once ou d'un marc d'or. On dit aussi quelquefois un carat de poids, qui est la vingt-quatrieme partie du poids de l'once ou du marc. Voyez GRAIN, POIDS, &c.

On a déja vû que le carat est aussi un poids dont on se sert pour peser les diamans, les perles & les pierres précieuses, & qu'en ce cas il ne se divise qu'en quatre grains. Voyez DIAMANT & GRAIN. C'est ce qui fait conjecturer à quelques-uns que ce mot doit dériver du grec , qui signifie un fruit, que les Latins appellent siliqua, & les François carouge ou caroube. Chaque grain de ce légume peut peser quatre grains de froment ou d'orge ; c'est pourquoi le mot latin siliqua a toûjours été usité pour signifier un poids de quatre grains. (E)


CARATCHOLIS(les) Géog. peuple d'Asie, dans la Colchide, au nord du mont Caucase ; on les nommoit aussi Karakirks ou Circassiens noirs, à cause du tems noir & toûjours couvert qu'il fait dans leur pays.


CARATURES. f. (Chimie & Métall.) c'est ainsi qu'on appelle le mélange des parties d'or avec des parties ou d'argent seul, ou d'argent & de cuivre, selon une certaine proportion. Ce mélange est destiné à faire les aiguilles d'essai pour l'or. Selon que l'on veut avoir un plus grand nombre d'aiguilles, & mettre une plus grande précision dans l'essai de l'or par la pierre de touche, on divise le marc d'or en un plus grand nombre de parties égales : supposons-le, par exemple, divisé en vingt-quatre parties, l'or pur sera représenté par vingt-quatre ; l'or le plus pur après le premier, par vingt-trois parties d'or, & par une partie d'argent ; l'or le plus pur après le précédent, sera représenté par vingt-deux parties d'or, & par deux parties d'argent ; ainsi de suite. Cette division du marc en vingt-quatre parties est purement arbitraire, & l'on auroit pû la faire ou plus petite ou plus grande. S'il n'entre, dans le mélange destiné à faire les aiguilles d'essai, que de l'or & de l'argent, il s'appellera carature blanche. S'il y entre de l'or, de l'argent & du cuivre, il s'appellera carature mixte.

On voit par rapport à la carature mixte, que la combinaison est double. Exemple, l'or le plus pur étant comme vingt-quatre, celui qui sera le plus pur immédiatement après l'or de vingt-quatre, sera allié, ou de deux parties égales d'argent & de cuivre, ou de deux parties inégales ; & dans ce second cas où il y a inégalité, ou il y aura deux parties d'argent contre une de cuivre, ou deux parties de cuivre contre une d'argent ; ou trois parties d'argent contre une de cuivre ; ou une partie d'argent contre trois de cuivre ; ainsi de toutes les autres combinaisons d'alliage d'argent & cuivre, dont le nombre des parties prises ensemble doit servir de complément à celui de vingt-quatre qui représente l'or pur.

Observez toutefois que quoique la division du marc d'or pur destiné à faire des aiguilles d'essai, soit arbitraire ; elle ne peut pourtant être poussée que jusqu'à un certain point, au-delà duquel les altérations des couleurs occasionnées par l'alliage, dans les traces des aiguilles sur la pierre de touche, passeroient par des nuances si imperceptibles, qu'on ne pourroit porter aucun jugement du degré de pureté de l'or éprouvé. Voyez ALLIAGE.

Le mélange destiné à faire les aiguilles d'essai pour l'argent s'appelle ligature. Voyez LIGATURE. Voyez à l'article ESSAI la maniere de faire les aiguilles d'essai pour l'or & l'argent, & à l'article PIERRE, celui de PIERRE DE-TOUCHE. (-)


CARAVAIA(Géog.) riviere de l'Amérique méridionale, qui prend sa source dans le Pérou.


CARAVALLEvoyez CARAVELLE.


CARAVANES. f. (Hist. mod.) dans l'Orient, troupe ou compagnie de voyageurs, marchands, & pelerins qui, pour plus de sûreté, marchent ensemble pour traverser les deserts, & autres lieux dangereux infestés d'arabes ou de voleurs.

Ce mot vient de l'arabe cairawam ou cairoan, & celui-ci du persan kerwan ou karwan, négociant ou commerçant. Voyez Perits. Itin. mund. ed. Hyde, p. 61.

Les marchands élisent entr'eux un chef nommé caravan-bachi, qui commande la caravane ; celle de la Mecque est commandée par un officier nommé Emir Adge, qui a un nombre de janissaires ou autres milices suffisant pour la défendre. Ordinairement ces troupes de voyageurs marchent plus la nuit que le jour, pour éviter les grandes chaleurs, à moins que ce ne soit en hyver ; alors la caravane campe tous les soirs auprès des puits ou ruisseaux qui sont connus des guides, & il s'y observe une discipline aussi exacte qu'à la guerre. Les chameaux sont ordinairement les voitures dont on se sert ; ces animaux supportant aisément la fatigue, mangeant peu, & sur-tout se passant des trois & quatre jours de boire. On les attache à la file les uns des autres, & un seul chamelier en mene sept. Les marchands & les soldats se tiennent sur les ailes.

Le grand-seigneur donne la quatrieme partie des revenus de l'Egypte pour les frais de la caravane, qui va tous les ans du Caire à la Mecque visiter le tombeau de Mahomet ; cette troupe de pieux musulmans est quelquefois de 40 à 70 mille hommes, accompagnée de ses soldats pour les mettre à couvert du pillage des Arabes, & suivie de huit ou neuf mille chameaux chargés de toutes les provisions nécessaires pour un si long trajet à-travers les deserts. Il y en vient aussi de Maroc & de Perse.

Les pélerins pendant le chemin s'occupent à chanter des versets de l'alcoran ; quand ils sont à deux journées de la Mecque, dans un lieu nommé Rabak, ils se dépouillent tout nuds, & ne prennent qu'une serviette sur leur cou, & une autre autour des reins. Arrivés à la Mecque, ils y demeurent trois jours à faire leurs prieres & à visiter les lieux saints ; de-là ils vont au Mont-Arafat offrir leur corban ou sacrifice ; & après y avoir reçû la bénédiction du schérif ou prince de la Mecque, ils se rendent à Médine, pour honorer le tombeau du prophete.

On distingue en Orient les journées, en journées de caravanes de chevaux, & de caravanes de chameaux ; celles de chevaux en valent deux de chameaux : il part plusieurs caravanes d'Alep, du Caire, & d'autres lieux, tous les ans, pour aller en Perse, à la Mecque, au Thibet. Il y a aussi des caravanes de mer établies pour le même sujet ; telle est la caravane de vaisseaux qui va de Constantinople jusqu'à Alexandrie.

On appelle aussi caravanes, les campagnes de mer, que les chevaliers de Malte sont obligés de faire contre les Turcs & les corsaires, afin de parvenir aux commanderies & aux dignités de l'ordre : on les nomme de la sorte, parce que les chevaliers ont souvent enlevé la caravane, qui va tous les ans d'Alexandrie à Constantinople. (G)


CARAVANSERAIS. m. (Hist. mod.) grand bâtiment public destiné à loger les caravanes. Voyez CARAVANE.

Ce mot vient de l'arabe cairawan, ou du persan karwan, qui signifie caravane, & de serrai, hôtel ou grande maison, c'est-à-dire hôtellerie des voyageurs.

Ces caravanserais, ou, comme Chardin les appelle, caravanserails, sont en grand nombre dans l'Orient, où ils ont été bâtis par la magnificence des princes des différens pays.

Ceux de Schiras & de Casbin en Perse passent pour avoir coûté plus de soixante mille écus à bâtir ; ils sont ouverts à tous venans, de quelque nation & religion qu'ils soient, sans que l'on s'informe ni de leur pays, ni de leurs affaires, & chacun y est reçû gratis.

Les caravanserais sont ordinairement un vaste & grand bâtiment quarré, dans le milieu duquel se trouve une cour très-spacieuse : sous les arcades qui l'environnent, regne une espece de banquette élevée de quelques piés au-dessus du rez-de-chaussée, où les marchands & voyageurs se logent comme ils peuvent eux & leurs équipages ; les bêtes de somme étant attachées au pié de la banquette. Au-dessus des portes qui donnent entrée dans la cour, il y a quelquefois de petites chambres que les concierges des caravanserais savent loüer fort cher à ceux qui veulent être en particulier.

Quoique les caravanserais tiennent en quelque sorte lieu en Orient des auberges, il y a cependant une différence très-grande entr'eux & les auberges ; c'est que dans les caravanserais, on ne trouve absolument rien ni pour les hommes ni pour les animaux, & qu'il y faut tout porter ; ils sont ordinairement bâtis dans des lieux arides, stériles & deserts, où l'on ne peut faire venir de l'eau que de loin & à grands frais, n'y ayant point de caravanserai sans sa fontaine. Il y en a aussi plusieurs dans les villes où ils servent non-seulement d'auberge, mais encore de boutique, de magasin, & même de place de change.

Il n'y a guere de grandes villes dans l'Orient, surtout de celles qui sont dans les états du grand seigneur, du roi de Perse, & du Mogol, qui n'ayent de ces sortes de bâtimens. Les caravanserais de Constantinople, d'Ispahan, & d'Agra, capitales des trois empires, sont sur-tout remarquables par leur magnificence & leur commodité.

En Turquie, il n'est permis qu'à la mere & aux soeurs du grand-seigneur, ou aux visirs & bachas qui se sont trouvés trois fois en bataille contre les Chrétiens, de fonder des caravanserais. (G)


CARAVANSERASKIERS. m. (Hist. mod.) directeur ou intendant, chef d'un caravanserai. Voyez CARAVANSERAI.

Dans chaque caravanserai qui se rencontre sur les routes & dans les deserts, il y a un caravanseraskier ; dans ceux qui sont situés dans les villes, & destinés à serrer ou à étaler les marchandises, comme dans celui d'Ispahan, il y a aussi un officier ou garde-magasin qu'on appelle caravanseraskier. Il répond des marchandises déposées dans le caravanserai, moyennant un certain droit ou rétribution qu'on lui paye. (G)


CARAVELLES. f. (Marine) c'est un petit bâtiment portugais à poupe carrée, rond de bordage, & court de varangue ; il porte jusqu'à quatre voiles latines ou à oreilles de lievre, outre les boursets & les bonnettes en étui. Ces voiles latines sont faites en triangle ; cette sorte de bâtiment n'a point de hune, & la piece de bois qui traverse le mât est seulement attachée près de son sommet. Le bout d'embas de la voile n'est guere plus élevé que les autres fournitures du vaisseau ; au plus bas il y a de grosses pieces de bois comme un mât, qui sont vis-à-vis l'une de l'autre, aux côtés de la caravelle, & s'amenuisent peu-à-peu en haut. Les caravelles sont regardées comme les meilleurs voiliers ; elles sont ordinairement du port de 120 à 140 tonneaux. Les Portugais se servent de ces sortes de vaisseaux en tems de guerre pour aller & venir en plus grande diligence ; la manoeuvre en étant facile & faisant bien toutes les évolutions.

On nomme aussi caravelle, sur quelques côtes de France, les bâtimens qui vont à la pêche du hareng sur les bancs ; ils sont ordinairement de 25 à 30 tonneaux. Ceux qui sont destinés pour la même pêche, qui se fait dans la Manche, s'appellent trinquarts ; ils sont depuis 12 jusqu'à 15 tonneaux. (Z)


CARAY(Géog.) petite île d'Ecosse, l'une des Westernes, assez fertile.


CARBATINES. f. (Chasse) on donne ce nom en général à toute peau de bête nouvellement écorchée.


CARBEQUIS. m. (Commerce) monnoie de cuivre fabriquée à Teflis, capitale de Géorgie, qui vaut un demi-chaoury, ou trois sous quatre deniers argent de France.


CARBONADES. f. (Cuisine) on donne en général ce nom à toute viande que l'on sert sans autre apprêt, que de l'avoir exposée au feu sur le gril. Un pigeon à la carbonade, est un pigeon ouvert par l'estomac & cuit sur un gril. Une tranche de boeuf à la carbonade, c'est un morceau mince de cette viande cuit de la même maniere ; on fait quelquefois une sauce à la carbonade, quelquefois on n'en fait point.


CARBONIE(l'édit), Hist. anc. edictum Carbonianum ; étoit dans l'origine un decret du préteur Cn. Carbo, lequel fut dans la suite adopté par les empereurs ; qui portoit que dans le cas où on disputoit à un impubere sa qualité de fils & celle d'héritier tout ensemble, la question d'état devoit être remise après sa puberté, & celle concernant l'hérédité devoit être jugée sans délai ; & au cas qu'il y eût lieu, la succession adjugée provisoirement à l'impubere, sauf l'examen de la question d'état après la puberté.

Or il falloit, pour qu'il y eût lieu au bénéfice de l'édit Carbonien, 1°. qu'il s'agît des biens paternels & non pas des maternels : 2°. que la question d'état & celle sur l'hérédité fussent mues toutes deux : 3°. & enfin que l'impubere n'eût été ni institué ni deshérité. (H)


CARBONILLAS. f. (Chimie) on nomme ainsi au Potosi, un mélange de deux parties de charbon, & d'une partie de terre grasse, qu'on humecte & qu'on pétrit ensemble, jusqu'à ce que les matieres soient bien mêlées & bien retournées avec les mains, qu'elles s'unissent parfaitement entr'elles, & qu'elles paroissent ne faire qu'un même corps ; cette terre ainsi préparée, cette carbonilla sert à faire des vaisseaux pour les essais des mines, pour faire les catins. Voyez CATIN. (M)


CARBOUILLONS. m. terme de Finances, est un droit des salines de Normandie, dont il est fait mention dans l'ordonnance des Gabelles. Ce droit est la quatrieme partie du prix du sel blanc qui s'y fabrique. (H)


CARBURou CARBER, (Géog.) petite ville d'Irlande, dans la province de Leinster au comté de Kildare, sur la Boyne.


CARCAGNOLESsub. f. (Soierie) c'est ainsi que les Piémontois appellent des especes de petites crapaudines de verre, sur lesquelles tournent les fuseaux des moulins, soit à ovaler, soit à organciner la soie. Voyez à l'article SOIE, le moulin à tordre les soies ; & à l'article FIL, le moulin ou ovale à tordre le fil.


CARCAISEsub. f. (Verrerie) c'est un fourneau particulier aux manufactures en glaces & en crystal, où l'on prépare les frites destinées à ces ouvrages, & qui sont propres à quelques autres opérations relatives aux frites. Voyez les art. GLACE & CRYSTAL.


CARCAJOUCARCAJOUX ou CARCAIOU, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede de l'Amérique septentrionale ; il est carnacier, & il habite les cantons les plus froids ; il pese ordinairement depuis vingt-cinq jusqu'à trente-cinq livres ; il a environ deux piés depuis le bout du museau jusqu'à la queue, qui peut avoir huit pouces de longueur : la tête est fort courte & fort grosse à proportion du reste du corps : les yeux sont petits, les mâchoires très-fortes & garnies de trente-deux dents, dont il y en a treize molaires, quatre canines, qui sont très-longues, & douze incisives, qui sont courtes, étroites, épaisses, & fort tranchantes : les jambes sont fort courtes ; il y a cinq doigts dans chaque pié, & les angles crochus, très-forts & très-pointus : le poil a quatorze ou quinze lignes de longueur ; il est de plusieurs couleurs, noir, roux, blanc, &c. Cet animal est très-fort & très-furieux, quoiqu'il soit petit ; il est si lent & si pesant, qu'il se traîne sur la neige plûtôt qu'il ne marche, aussi ne peut-il attraper en marchant que le castor. En hyver il brise & démolit la cabane du castor : mais celui-ci y est rarement surpris, parce qu'il a sa retraite assûrée sous la glace. La chasse qui rend le plus au carcajou, est celle de l'orignac & du caribou. Dans l'hyver, lorsqu'il y a de la neige de cinq ou six piés de hauteur, l'orignac se fait des chemins dans les endroits où il trouve la nourriture qui lui est convenable ; c'est dans ces chemins qu'il est attaqué par le carcajou, qui monte sur un arbre, attend l'orignac au passage, s'élance sur lui, & lui coupe la gorge en un moment ; c'est en vain que l'orignac se couche par terre, se frotte contre les arbres, & fait des efforts assez violens pour y laisser des morceaux de sa peau larges comme la main ; rien n'est capable de faire lâcher prises au carcajou. Il tue le caribou de la même façon, & il a beaucoup d'autres ruses ; il détend les piéges, & ensuite il mange l'appât sans péril. M. Sarrasin, hist. de l'acad. royale des Sciences, année 1723. (I)


CARCANS. m. est un poteau planté en terre, avec un collier de fer attaché à hauteur d'homme, à quoi on attache par le cou des malfaiteurs qu'on ne juges pas dignes de mort, pour les punir d'un délit qui marque la bassesse d'ame, par la confusion. La plûpart de ceux qu'on attache au carcan, ont été auparavant fustigés par le bourreau, & marqués d'un fer chaud, & sont souvent ensuite ou bannis ou envoyés aux galeres. (H)


CARCANOSSI(Géog.) province d'Asie, dans l'île de Madagascar, au midi de la riviere de Matanengha.


CARCAPULI(Hist. nat. bot.) c'est une espece d'oranger de Malabar, grand & gros à proportion, que deux hommes peuvent à peine embrasser : les feuilles sont par paires le long des branches, au bout desquelles il y a des fleurs tetrapétales, jaunâtres, sans odeur, & d'un goût aigrelet : le calice est à quatre pieces pâles & concaves ; le fruit pend à un pédicule d'un pouce de long ; il est gros, rond, divisé en huit ou neuf côtes, gonflées à leurs extrémités : il est d'abord verd, il jaunit, & finit par être blanc : il est d'une acidité agréable ; sa graine est oblongue, un peu plate, d'une couleur d'azur foncé, & logée au centre de la pulpe. Il se mange ; il se transporte seché, & on lui attribue plusieurs propriétés médicinales. Voyez Ray.


CARCARANNou CARCARAVAL, (Géog.) riviere de l'Amérique méridionale, au Paraguai, qui se jette dans la Plata.


CARCASSES. f. (Anatomie) c'est proprement le squelete d'un animal, ou le corps mort de cet animal, tel qu'il est lorsque la chair en est enlevée, brûlée ou desséchée. Voyez SQUELETE.

C'est ainsi qu'on dit : on voyoit long-tems après la bataille les carcasses des soldats, des chevaux, &c.

Carcasse d'un oiseau, d'une poularde, d'une perdrix, d'un levraud, d'un lapin, &c. c'est ce qui reste après qu'on en a enlevé les quatre membres, savoir les cuisses & les ailes.

On dit aussi, en Architecture & en Charpenterie, la carcasse d'un bâtiment ; elle comprend les solives, les poutres, les cloisons, les planchers, &c. & c'en est proprement l'assemblage considéré indépendamment des murs qui l'environnent, des tuiles ou ardoises qui le couvrent, & des autres matieres qu'on y applique, soit pour le consolider, soit pour l'orner.

CARCASSE. Voyez PARQUET.

CARCASSE de navire (Marine) c'est le corps du vaisseau qui n'est point bordé, & dont toutes les pieces du dedans paroissent au côté comme tous les os d'une carcasse. (Z)

CARCASSE : les Artificiers appellent ainsi une machine ou espece de bombe, ovale, rarement sphérique, composée de deux cercles de fer passés l'un sur l'autre en croix, en forme d'ovale, avec un culot de fer, le tout presque dans la même figure que sont certaines lanternes d'écurie. On dispose en-dedans, selon la capacité de la carcasse, de petits bouts de canon à mousquet, chargés de balles de plomb ; de petites grenades chargées, du calibre de deux livres, & de la poudre grenée ; ou couvre le tout d'étoupe bien goudronnée, & d'une toile forte & neuve par-dessus, à laquelle on fait un trou pour placer la fusée qui repond au fond de l'ame de la carcasse. On la jette avec un mortier, pour mettre feu aux maisons & pour produire d'autres pareils effets.

On a donné à cette machine le nom de carcasse, parce que les cercles qui la composent représentent en quelque sorte les côtes d'un cadavre humain.

On prétend que les carcasses furent inventées vers l'an 1672, & que les François en firent usage dans la guerre qu'il y eut alors entre la France & la Hollande.

La carcasse pesoit environ 20 livres ; elle avoit 12 pouces de hauteur & 10 pouces de diametre par le milieu. L'usage en est pour ainsi dire aboli, parce qu'on a remarqué qu'elle ne faisoit guere plus d'effet que la bombe, & qu'elle étoit d'une plus grande dépense. Voyez BOMBE. (Q)

CARCASSE, en termes de marchand de modes, sont des branches de fil de fer, couvertes d'un cordonnet, & soutenues toutes par une traverse commune à laquelle elles aboutissent. Ces carcasses servent à monter les bonnets, à en tenir les papillons étendus, & à empêcher qu'ils ne se chiffonnent.


CARCASSEN(Géog.) ville d'Espagne, dans le royaume de Valence, dans la vallée de Xucar.


CARCASSE(LE) Géog. petit pays de France, au bas Languedoc, dont Carcassone est la capitale.


CARCASSONE(Géog.) ville de France, en Languedoc : il y a beaucoup de manufactures de draps ; elle est sur l'Aude. Longit. 20d. 0'. 46". lat. 43d. 10'. 51".


CARCHI(Géog.) petite île très-fertile, dans la mer Méditerranée ; près de celle de Rhodes.


CARCINOMES. m. , terme de Médecine, synonyme à cancer. Ce mot vient de , cancer, écrevisse. Voyez CANCER.


CARCUNAH(Géog.) ville d'Afrique, dans la province de Berbera en Barbarie éthiopique.


CARDAILLAou CARDILLAC, (Géog.) petite ville de France, dans le Quercy.


CARDAIRES. f. (Hist. nat. Ichth.) raia spinosa, poisson de mer du genre des raies : il est hérissé d'aiguillons à-peu-près comme des cardes avec lesquelles on carde la laine, c'est pourquoi on lui a donné le nom de cardaire. Il a des aiguillons non-seulement sur les nageoires, comme la raie appelée ronce, mais encore sur les côtés de la tête, devant les yeux, sur le dos, &c. Rondelet. Voyez RAIE. (I)


CARDAMINEsub. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont la fleur est composée de quatre feuilles disposées en croix. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit ou une silique composée de deux lames ou panneaux appliqués sur les bords d'une cloison, qui divise la silique en deux loges remplies de quelques semences arrondies pour l'ordinaire. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les lames des siliques se recoquillent par une espece de ressort, se roulent en volute, & répandent les semences de part & d'autre avec assez de force. Tourne fort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La cardamine offic. Germ. emac. 259. ressemble fort au cresson de fontaine, & en a à-peu-près les propriétés ; elle est échauffante, & bonne contre le scorbut ; elle se donne à la place du cresson de fontaine. On l'employe rarement dans les boutiques : Miller Bot. off. (N)


CARDAMOMES. m. (Hist. nat. bot.) cardamomum ; le meilleur vient de Comagene, d'Arménie, & du Bosphore, il en croît aussi dans l'Inde & dans l'Arabie : il faut préférer celui qui est plein, bien ferme, & difficile à rompre ; celui qui manque de ces qualités est vieux. Le bon cardamome doit avoir l'odeur forte, & le goût acre & un peu amer.

On en distingue de quatre especes ; le cardamome proprement dit, dont nous venons de parler, le maximum, le majus, & le minus.

Le maximum, qu'on appelle aussi graine de paradis, a les grains quarrés, angulaires, d'un rouge brun, blancs en-dedans, d'une saveur chaude & mordicante, mais moins aromatique que le cardamome proprement dit : la cosse qui renferme les grains est à-peu-près sphérique ; elle vient de Guinée : l'arbre qui la porte est inconnu. Les grains de cardamomum maximum, ou grains de paradis, sont chauds, dessicatifs, & ont à-peu-près les mêmes qualités que le poivre.

Le majus ou grand cardamome a la cosse longue, à peu-près triangulaire, le grain cornu, rouge, brun, chaud, & aromatique ; il vient de l'île de Java. On n'en tire guere, parce qu'il n'est plus d'usage en Médecine.

Le minus ou cardamome commun, a la cosse triangulaire, sur une tige courte, coriace, striée, & contenant des grains petits, angulaires, chauds, épicés. On l'apporte des Indes orientales : la plante qui le produit est inconnue.

On attribue à tous, mais sur-tout à ce dernier dont on fait beaucoup d'usage en Medecine, les propriétés d'échauffer, de fortifier, d'aider la digestion, d'être bienfaisant à l'estomac & aux visceres, de chasser les vents, de soulager dans les maux de nerfs & de tête, de provoquer les urines & les regles, & de dissiper la jaunisse.


CARDA(Philosophie de). Jérome Cardan, Milanois, naquit le premier Octobre 1508 ; il fut professeur en Medecine dans presque toutes les Académies d'Italie. En 1570 il fut mis en prison ; & en étant sorti il alla à Rome, où le pape lui donna une pension. On remarqua une étrange inégalité dans ses moeurs, & sa vie a été remplie de différentes aventures qu'il a écrites lui-même avec une simplicité ou une liberté qui n'est guere en usage parmi les gens de lettres. En effet il paroît n'avoir composé l'histoire de sa vie, que pour instruire le public qu'on peut être fou & avoir beaucoup de génie. Il avoue également ses bonnes & ses mauvaises qualités. Il semble avoir tout sacrifié au desir d'être sincere ; & cette sincérité déplacée va toujours à ternir sa réputation. Quoiqu'un auteur ne se trompe guere quand il parle de ses moeurs & de ses sentimens, on est cependant assez disposé à contredire Cardan, & à lui refuser toute créance, tant il semble difficile que la nature ait pû former un caractere aussi capricieux & aussi inégal que le sien. Il se félicitoit de n'avoir aucun ami sur la terre, mais en revanche d'avoir un esprit aérien mi-parti de Saturne & de Mercure, qui le conduisoit sans relâche, & l'avertissoit de tous ses devoirs. Il nous apprend encore qu'il étoit si inégal dans son marcher, qu'on le prenoit sans-doute pour un fou. Quelquefois il marchoit fort lentement, & en homme qui étoit dans une profonde méditation ; & puis tout d'un coup il doubloit le pas avec des postures bisarres. Il se plaisoit dans Bologne à se promener sur un chariot à trois roues. Enfin on ne sauroit mieux représenter la singularité de ce philosophe que par ces vers d'Horace, que Cardan avoue lui convenir très-bien.

Nil æquale homini fuit illi : saepe velut qui

Currebat fugiens hostem, persæpe velut qui

Junonis sacra ferret : habebat saepe ducentos,

Saepe decem servos, &c.

Quand la nature ne lui faisoit pas sentir quelque douleur, il se procuroit lui-même ce sentiment desagréable, en se mordant les levres, & en se tiraillant les doigts jusqu'à ce qu'il en pleurât. Il n'en usoit ainsi, disoit-il, que pour tempérer des saillies ou des impétuosités d'esprit si violentes, qu'elles lui étoient plus insupportables que la douleur même, & pour mieux goûter ensuite le plaisir de la santé. Enfin Cardan assûre qu'il étoit vindicatif, envieux, traître, sorcier, médisant, calomniateur, abandonné aux plus sales & plus exécrables excès que l'on puisse imaginer. D'un autre côté, il n'y a jamais eu personne qui ait eu si bonne opinion de soi-même, & qui se soit tant loüé que Cardan. Voici quelques-uns des éloges qu'il se donne. " Nous avons été admirés de plusieurs peuples. On a écrit une infinité de choses à ma loüange, tant en vers qu'en prose. Je suis né pour délivrer le monde d'une infinité d'erreurs. Ce que j'ai inventé n'a pû être trouvé par aucun de mes contemporains, ni par ceux qui ont vécu avant moi ; c'est pourquoi ceux qui écrivent quelque chose digne d'être dans la mémoire des hommes, n'ont pas honte d'avoüer qu'ils le tiennent de moi. J'ai fait un livre de dialectique où il n'y a pas une lettre de superflue, & où il n'en manque aucune. Je l'ai achevé dans sept jours, ce qui semble un prodige. A peine se trouvera-t-il quelqu'un qui puisse se vanter de l'avoir bien entendu dans un an ; & celui qui l'aura compris semblera avoir été instruit par un démon familier. Natura mea in extremitate humanæ substantiæ conditionisque, & in confinio immortalium posita ".

Si l'on considere dans Cardan les qualités d'esprit, on ne sauroit nier qu'il ne fût orné de toutes sortes de connoissances, & qu'il n'eût fait plus de progrès dans la Philosophie, dans la Medecine, dans l'Astronomie, dans les Mathématiques, &c. que la plûpart de ceux mêmes qui de son tems ne s'étoient appliqués qu'à une seule de ces sciences. Scaliger, qui a écrit contre Cardan avec beaucoup de chaleur, avoue qu'il avoit un esprit très-profond, très-heureux, & même incomparable ; desorte qu'on ne peut s'empêcher de convenir que son ame ne fût d'une trempe singuliere. Voyez ALGEBRE.

Quelques-uns l'ont accusé d'impiété, & même d'athéisme : en effet, dans son livre de Subtilitate, il rapporte quelques dogmes de diverses religions, avec les argumens dont on les appuie ; il propose les raisons des Payens, des Juifs, des Mahométans, & des Chrétiens ; mais celles des Chrétiens sont toûjours les moins fortes : cependant en lisant le livre que Cardan a composé de Vitâ propriâ, on y trouve plus le caractere d'un homme superstitieux, que celui d'un esprit fort. Il est vrai qu'il avoue qu'il n'étoit guere dévot, parum pius ; mais il assûre aussi qu'encore que naturellement il fût très-vindicatif il négligeoit de se venger quand l'occasion s'en présentoit ; il le négligeoit, dis-je, par respect pour Dieu, Dei ob venerationem. Il n'y a point de priere, dit-il, qui vaille le culte que l'on rend à Dieu, en obéissant à sa loi contre le plus fort penchant de la nature. Il se vante d'avoir refusé d'Edouard, roi d'Angleterre, une somme considérable que ce prince lui offroit, à condition qu'il lui donneroit les titres que le pape lui avoit ôtés. Enfin on ne peut rien voir de plus solide ni de plus sage que les réflexions qu'il fait dans son chapitre xxij. où il expose sa religion. La raison de son goût pour la solitude sent-elle l'impie ? Quand je suis seul, disoit-il, je suis plus qu'en tout autre tems avec ceux que j'aime, Dieu & mon bon ange.

Cardan avoit un esprit vaste & déréglé, plus hardi que judicieux, plus amoureux de l'abondance que du choix. La même bisarrerie qu'il avoit dans sa conduite paroît dans la composition de ses ouvrages.

Nous avons de cet auteur une multitude d'écrits, où l'obscurité & les digressions arrêtent le lecteur à chaque pas. On trouve dans son arithmétique plusieurs discours sur le mouvement des planetes, sur la création, sur la tour de Babel. Il y a dans sa dialectique un jugement sur les historiens, & sur ceux qui ont composé des lettres. Il avoue qu'il faisoit des digressions afin de remplir plûtôt la feuille ; car son marché avec le libraire étoit à tant par feuille ; & il ne travailloit pas moins pour avoir du pain que pour acquérir de la gloire. C'est lui qui a réveillé dans ces derniers siecles toute cette philosophie secrette de la cabale & des cabalistes, qui remplissoit le monde d'esprits, auxquels Cardan prétendoit qu'on pouvoit devenir semblable, en se purifiant par la Philosophie. Voyez CABALE.

Cardan avoit pris cette belle devise, tempus mea possessio, tempus ager meus, le tems est ma richesse, c'est le champ que je cultive. Voyez Bayle, d'où l'on a tiré quelques traits de la vie de ce philosophe. (C)


CARDANO(Géog.) petite ville d'Italie au duché de Milan, sur l'Arne.


CARDASSEvoyez RAQUETTE.


CARDES. f. en terme de Cardeur de laine, est un instrument ou une espece de peigne composé de morceaux de fils-de-fer aigus, courbés, & attachés par le pié l'un contre l'autre, & par rangées fort pressées.

Voyez à l'article CARDIER la maniere dont on les fait, avec leurs différentes especes ; & à l'article LAINE & DRAPERIE, leur usage.


CARDEAS. f. (Myth.) déesse qui présidoit chez les Romains aux gonds des portes. On dit que Janus lui donna cette intendance en réparation d'une injure qu'il lui avoit faite.


CARDÉES. f. les Cardeurs appellent ainsi la quantité de laine ou de coton qu'on a levée à chaque fois de dessus les deux cardes, après qu'on les a tirées & passées à plusieurs reprises l'une sur l'autre.


CARDERterme de Cardeur, signifie l'action de préparer la laine, en la faisant passer entre les pointes de fer des deux instrumens qu'on nomme cardes, pour la peigner, en démêler le poil, & la mettre en état d'être filée, ou employée à divers ouvrages qu'on se propose d'en faire. Voyez LAINE & DRAPERIE.


CARDES(Géog.) petite ville de l'Ecosse méridionale, dans la province de Lothian.


CARDEURS. m. ouvrier qui carde la laine, le coton, la bourre, &c. Voyez à l'article DRAPERIE leur fonction.

La communauté des Cardeurs de Paris est assez ancienne : ses statuts ou réglemens ont été confirmés par lettres patentes de Louis XI. du 24 Juin 1467, & depuis par autres de Louis XIV. du mois de Septembre 1688, & enregistrées au parlement le 22 Juin 1691.

Par ces statuts & réglemens, les maîtres de cette communauté sont qualifiés Cardeurs, Peigneurs, Arçonneurs de laine & coton, Drapiers drapans, Coupeurs de poil, Fileurs de lumignons, &c.

Aucun ne peut être reçû maître qu'après trois ans d'apprentissage, & un de compagnonage, & sans avoir fait le chef-d'oeuvre prescrit par les Jurés.

Il y a toûjours à la tête de la communauté des Cardeurs trois jurés en charge, établis pour veiller & reformer les abus & malversations qui peuvent s'introduire dans le métier ; & défendre les intérêts de la communauté. L'élection des jurés se fait d'année en année ; savoir, la premiere des deux, & la suivante du troisieme.

Outre le pouvoir attribué aux maîtres Cardeurs de Paris, de carder & peigner la laine ou le coton, de couper toute sorte de poil, de faire des draps, &c. ils ont encore, suivant les mêmes statuts, celui de faire teindre ou de teindre dans leurs maisons toute sorte de laine, en noir, musc, & brun : mais il leur est défendu par arrêt du conseil du Roi du 10 Août 1700, d'arracher ou couper aucun poil de lievre, même d'en avoir des peaux dans leurs maisons, n'étant pas permis aux Chapeliers d'employer de cette sorte de poil dans la fabrique des chapeaux. Voyez les regl. génér. pour le Commer. le dict. du Comm. & l'article CARDIER.


CARDIALGIES. f. (Medecine) des mots grecs , coeur, & de , je souffre : douleur violente qui se fait sentir à l'orifice supérieur de l'estomac, que les anciens appelloient aussi le coeur. Cette fausse dénomination a donné occasion à une façon de parler très-commune & très-impropre, qui est de dire j'ai des maux de coeur, lorsque l'on a envie de vomir ; ce mouvement contre nature est absolument dépendant de l'estomac, & en aucune façon du coeur.

La cardialgie est essentielle ou symptomatique.

L'essentielle est occasionnée par l'irritation des fibres de l'estomac, leur trop grande contraction, ou leur foiblesse.

Sa symptomatique a des causes étrangeres à ce viscere ; telle qu'une inflammation ou obstruction du foie, ou quelque affection de cerveau ou de la matrice.

La cardialgie essentielle est ou inflammatoire ou venteuse. Un sang épais engorgé dans les vaisseaux du ventricule est cause de la premiere espece ; voyez l'article INFLAMMATION : des vents occasionnés par l'air raréfié & échappé des alimens que l'on a pris, produisent la seconde ; celle-ci se distingue de l'autre par la difficulté qu'a le malade de respirer, par le gonflement de l'estomac, la douleur en cette partie, qui augmente lorsqu'on a mangé, enfin par les rots & les nausées fréquentes qui tourmentent le malade. Les remedes carminatifs sont très-indiqués dans ce cas, & cet accident cede aisément à leur usage.

Il y a encore une espece de cardialgie que l'on nomme spasmodique : celle-ci est plus cruelle que les autres, & est accompagnée de douleurs très-violentes, les nerfs de l'estomac se trouvent dans un érethisme & une tension des plus considérables, qui occupe les hypochondres & toute la région épigastrique. Elle est causée par un amas d'humeurs mordicantes, par émétique donné à trop forte dose, ou par un poison : dans ces deux derniers cas, les symptomes sont très effrayans. Le vertige, les maux de tête, la perte du sommeil, le délire, les convulsions, l'oppression de poitrine, les palpitations, la foiblesse, & l'intermittence du pouls, les syncopes, les tranchées, la constipation, la suppression des urines, le froid des extrémités, les sueurs froides, la lividité du visage, & sa pâleur, sont autant de symptomes de ce funeste accident, qui lorsque le Medecin n'est point promtement averti, cause en peu de tems la mort du malade.

Après cette description de la cardialgie, on conçoit aisément comment le lait caillé, ou les vers dans l'estomac des enfans occasionnent cette maladie, pourquoi les hypochondriaques & les femmes hystériques y sont sujets ; la délicatesse des fibres de l'estomac dans les uns, les mauvaises digestions dans les autres, sont les causes de la maladie : enfin comment un accès de colere, de peur, ou de quelque passion violente, peut occasionner la cardialgie : un engorgement du sang dans les vaisseaux de l'estomac, & son peu de facilité à se dégorger dans la veine-porte, la produisent.

La cardialgie est un état fâcheux, & auquel on ne peut trop-tôt remédier ; car les suites en sont très-funestes.

Le traitement varie selon les causes de la maladie ; rien en même tems n'est plus difficile que de placer les remedes dont on doit user : car les cordiaux que l'on employe assez fréquemment parmi le peuple, tels que la thériaque, la confection d'hyacinthe, & autres remedes de cette espece, ne sont pas toûjours indiqués. C'est aux lumieres d'un medecin qu'il faut s'en rapporter pour en diriger l'usage. Rien de plus dangereux pour un malade attaqué de cardialgie inflammatoire, que l'administration de ces remedes. Quel effet doit-on en attendre dans une cardialgie spasmodique ? enfin quel succès auront-ils lorsqu'elle sera causée par des vers, ou des matieres bilieuses & glaireuses, amassées dans l'estomac ? Un médecin expérimenté examinera les causes de la maladie ; il appliquera les remedes convenables, & vous épargnera les dangers que vous feroient courir par leur conseil, des gens qui n'ont nulle connoissance de l'économie animale, ni des maladies, ni de la façon de les traiter. (N)


CARDIAQUEadj. en Anatomie, se dit de l'orifice gauche de l'estomac, à cause de sa proximité du coeur. Voyez ESTOMAC.

On donne aussi cette épithete aux vaisseaux, artere, veine, &c. qui se distribuent. Voyez ARTERE, VEINE, &c.

Le plexus cardiaque est un lacis de différens rameaux, tant de la huitieme paire que du nerf intercostal, qui se distribuent au coeur. Voy. COEUR. (L)

CARDIAQUE, adj. (Med.) passion cardiaque, est une maladie dont il est souvent parlé dans les auteurs sous ce nom ; mais dont les modernes traitent plus souvent sous le nom de syncope : c'est une foiblesse extrème, que le vulgaire nomme défaillance. Voyez SYNCOPE.

CARDIAQUE, remede qui peut réveiller & ranimer les forces abattues & languissantes. Ces sortes de remedes agissent en détruisant les obstacles qui s'opposent à la circulation, en augmentant le mouvement du sang ; & enfin leur effet se rend sensible par le pouls plus élevé, la transpiration augmentée, & par tous les signes qu'accompagnent l'usage modéré des liqueurs restaurantes.

Ce terme est synonyme à cordiaux, restaurans, fortifians, analeptiques. Voyez CORDIAUX. (N)


CARDIEou FAISEUR DE CARDES, (Art méchaniq.) Les Cardiers se servent pour leur ouvrage de la peau de veau, de bouc, ou de chevre bien tannée. Ils prennent cette peau ; ils la coupent par morceaux quarrés oblongs de la grandeur dont la carde doit être ; ils tendent ces morceaux, qu'ils appellent feuillets, sur une espece de métier appellé le panteur. Le panteur qu'on voit fig. 1. Pl. du Cardier, est composé de deux tringles, ou rames, ou branches de bois ébiselées en-dedans, AA, a a. Les bords des ébiselures sont garnis de deux rangées de clous à crochet, à l'aide desquels on tend les morceaux de peau, comme on le voit. Dans les extrémités des deux tringles ou rames sont reçûs deux bâtons ou cylindres BB, b b, terminés par les bouts d'un côté en tenon rond ou tourillon, & par les bouts de l'autre en vis. Les tourillons sont reçûs dans la tringle AA, & les vis dans la tringle a a. Il y a des cordes fines passées aux bords CC de la peau, & assujetties sur les rames AA, aa. Il est évident que si l'on fait tourner les bâtons BB, bb sur eux-mêmes dans le sens convenable, la rame a a sera forcée de monter, & qu'il viendra un moment où la peau tirée selon sa hauteur par la rame aa, & selon sa largeur par les ficelles CC, sera tendue en tous sens & à discrétion. On appelle cette opération, monter une peau sur le panteur ou panter.

Lorsque la peau est montée, on prend une pierre ponce qu'on passe dessus pour l'égaliser, pour enlever les parties trop dures, lui donner par-tout la même épaisseur, & la rendre plus déliée & plus souple, suivant le genre de cardes auquel elle est destinée. S'il s'y trouve des endroits trop minces, on y colle du papier ou du parchemin. Cette seconde opération s'appelle parer.

Lorsque la peau est parée, on la pique. Piquer une peau, c'est la percer de petits trous placés sur une même ligne droite, tout à la même distance, de maniere que le premier de la seconde ligne se trouve au centre du petit quarré, dont les deux premiers de la premiere ligne, & les deux premiers de la troisieme occupent les angles ; que le premier de la quatrieme ligne occupe le centre du petit quarré, dont les deux premiers de la troisieme & la cinquieme marquent les angles, & ainsi de suite, comme on voit fig. 2. Cette opération se fait avec l'instrument représenté fig. 3. Cet instrument s'appelle une fourchette. Il est garni à sa partie supérieure de deux aiguilles plus ou moins fines, selon les trous qu'on veut faire, & son manche est entaillé. Cette entaille sert à recevoir l'index, tandis que le reste du manche est embrassé par la paume de la main. Il est essentiel que les trous soient bien rangés en ligne droite, à même distance, & dans l'ordre où on les voit : cependant pour le leur donner, les ouvriers ne tracent aucune ligne sur la peau ; l'habitude seule les dirige, & ils travaillent avec une vîtesse incroyable. Au reste il ne seroit pas impossible d'imaginer une machine qui leur épargneroit toute cette peine. Il me semble que quand la peau seroit suffisamment tendue sur le panteur, on pourroit l'appuyer en-dessous de matelats, ou de gros draps, ou de chapeaux, & la presser en-dessus d'une surface armée de pointes courtes & roides, & rangées comme on le desire. Rien n'empêcheroit que cette presse ne ressemblât tout-à-fait à celle des Imprimeurs. On dit qu'il y a des ouvriers qui ont des fourchettes à quatre, six, huit pointes : mais que l'usage de ces fourchettes est plus difficile que de celles à deux pointes, & qu'il se trouve de l'inégalité soit dans le diametre, soit dans l'arrangement des trous, ce qui est de conséquence.

Quand on a piqué la peau, il s'agit de la garnir de fils d'archal. Pour cet effet on choisit celui qui a la qualité convenable à la grosseur de la carde qu'on veut faire. Les fils dont on fait les cardes pour les laines fines, sont connus dans le Languedoc sous les noms de fils à 2, à 3, à 4, à 5, à 6, & à 7 plombs, & désignés à Paris par les numeros 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 : le numero 1 est moins gros que le numero 2, & ainsi de suite. Les gros fils employés aux cardes des marchandises, ou laines, ou fils, ou poils extrèmement grossiers, vont depuis le numero 30 jusqu'au numero 40, toûjours augmentant en grosseur.

On commence par couper le fil-de-fer d'une longueur proportionnée à la carde qu'on veut faire ; ce qui s'exécute par le moyen de la jauge. La jauge est un instrument qu'on voit fig. 4. Son corps A est de bois : elle est entaillée en B. Cette entaille est revêtue de fer bien dressé. Sa partie supérieure C est couverte d'une plaque bien unie. Il est traversé d'une vis D qui sert de queue à la plaque C. Sur son corps à son extrémité E est fixé un écrou à oreilles, qui ne descend ni ne monte, mais qui se mouvant seulement sur lui-même, fait baisser ou descendre à discrétion la plaque C. On remplit l'entaille B de fils d'archal attachés en parquet, ainsi qu'on le voit dans la figure. On frappe un coup sur la plaque C, afin que les fils s'arrangent entr'eux & s'appliquent bien tous exactement sur la garniture inférieure G. On a une cisaille dont la lame s'applique à la plaque C, qui lui sert de guide ; & l'on enleve d'un coup de cette force ou cisaille les tronçons égaux & longs à discrétion, qu'on voit fig. 5. On les coupe ordinairement d'un pouce & demi plus ou moins. Il faut que ces fils soient bien droits, afin qu'ils prennent tous une inflexion égale, & dans le même endroit. On en prépare depuis 50 jusqu'à 100 à la fois, suivant la capacité de la jauge.

Quand les fils sont coupés, on les double. Pour cette opération, on se sert de l'instrument qu'on voit fig. 5. il est appellé doubleur, de fonction. Son manche A est de bois, sa partie supérieure C C est garnie de deux joues de fer. Une piece de fer bien dressée & fixée à vis dans le corps, revêtit l'espace D D D creusé à la partie supérieure. L'espece de gouttiere E E fig. 5. est comprise entre les deux joues C C, de maniere qu'il y ait entre sa face inférieure & la plaque D D D, un espace suffisant pour pouvoir y insérer les tronçons de fil-d'archal. La gouttiere E E a sa rainure tournée en-devant. On verra tout-à-l'heure pourquoi on lui a pratiqué cette rainure, & pourquoi on lui a donné du reste la forme d'un prisme triangulaire. On passe autant de tronçons de fil d'archal entre la gouttiere E E & la plaque D D D qu'on y en peut insérer, comme on y voit le tronçon F L, & l'on ramene la partie F par-dessus la gouttiere jusqu'au fond de la concavité D D ; ce qui fait souffrir au fil deux inflexions à la fois, & le réduit à la figure de celui qu'on voit sur le doubleur en G H I K. On a grand soin que le fond de la concavité D D soit bien en ligne droite, & que tous les bouts des tronçons soient bien exactement appliqués sur ce fond. Avec ces précautions, non-seulement les fils souffriront tous deux inflexions, l'une en H & l'autre en I : mais ces inflexions ou angles seront placés précisément aux mêmes endroits & seront très-vifs ; ce qui est un effet du taillant de la gouttiere qu'on a fait prismatique, afin que l'extrémité du tronçon pût être ramenée jusqu'en K. On la ramene jusqu'en K, afin que le fil venant à se restituer un peu par son ressort, l'angle I reste droit. Les tronçons au sortir du doubleur, ont la figure qu'on leur voit fig. 6. Les parties a c, bd sont toûjours de même longueur entr'elles : mais & ces parties & la distance a b, sont plus ou moins longues, selon l'espece des cardes auxquelles les fils d'archal sont destinés. Quant aux angles a & b, ils sont toujours droits. Les tronçons dans cet état s'appellent pointes.

Les pointes sont portées sur la partie qu'elles occupent fig. 6. du plateau A B C D ; le plateau A B C D, est une planche quarrée garnie d'un rebord. Au milieu du côté A D, est fixé un liteau E F ; par le moyen d'une corde I K, qui passe par-dessus, qui traverse la planche ou le fond du plateau, & qu'on arrête en-dessous avec une clavette. On éleve le bout F de ce liteau par le moyen d'une espece de coin G H ; le bord de sa surface supérieure est garni d'une plaque de fer L M. Cette plaque est percée de trous ; & ces trous pénetrent dans le fond ou corps du liteau à une profondeur déterminée. Ce liteau fait exactement la fonction d'un second doubleur ; on prend les pointes a b c d ; on les plante dans les trous du crocheux ou croqueux ; car c'est ainsi qu'on appelle cet instrument. On en voit une en O, puis on abaisse la partie O de la pointe en-devant sur la plaque L M du croqueux ; & les côtés a c, b d, des pointes, fléchissant, prennent encore deux nouveaux angles, & se réduisent sous la forme n o p q r.

Lorsque les pointes sont crochées, on les passe dans les trous de la peau piquée & tendue sur le panteur. On voit fig. 7. une peau couverte de pointes en-dessous ; & fig. 8. la même peau en-dessus ; cette opération de garnir la peau de pointes s'appelle bouter ou ficher. Lorsqu'on a bouté, & que la peau est couverte de pointes ou crocs, on passe dessus de la colle forte, après s'être bien assûré toutefois qu'il n'y a point de crocs à contre sens ; car il est évident que tous les angles doivent avoir leurs côtés paralleles, & les sommets tournés du même côté. Pour s'assûrer de cela, on a une planche qu'on appelle patron. On applique cette planche sur le feuillet ou sur la peau percée & garnie de crocs, & on retourne le panteur sans crainte que les crocs sortent de leurs trous, ou se dérangent.

Lorsqu'on a bien fixé les crocs sur le feuillet avec la colle forte dont on l'a enduit, on prend une pierre de grès très-fine, on enleve le morfil, & l'on aiguise les pointes des crocs en passant dessus cette pierre. Cette opération s'appelle habiller ou rhabiller la carde.

Après que la carde est habillée, on prend le fendoir, & l'on démêle les crocs qui sont embarrassés les uns dans les autres. Voyez fig. 9. cet instrument. C'est une espece de ciseau dont une des branches est inclinée en un sens, & l'autre en sens contraire ; il a un dos & un tranchant ; on passe sa pointe entre les crocs entrelacés, & on les démêle.

Après cette opération, on prend l'instrument représenté fig. 10. & appellé dresseur, de sa fonction. C'est un petit canon emmanché ; son ouverture est à-peu-près du diametre du fil ; on s'en sert pour redresser les crocs versés ou renversés ; on insere la pointe du croc dans l'ouverture, & on lui donne l'angle que l'on veut, & à l'endroit où il faut.

L'usage du fendoir est de mettre les crocs en ligne & de les démêler : celui du dresseur, c'est de placer tous les sommets des angles dans un même plan parallele au feuillet, & de rendre tous les crocs bien perpendiculaires, ou dans une même inclinaison.

Il s'agit maintenant de recorder la carde : recorder une carde, c'est examiner tous les crocs, ôter ceux qui se sont cassés, soit dans l'opération du fendoir, soit dans celle du dresseur, & ceux qui se sont trouvés trop courts. Pour cet effet, on ôte la colle dans l'endroit du feuillet auquel ils correspondent, & on leur en substitue d'autres.

Quand la carde a reçû toutes ces façons, on la détend pour la monter sur un morceau de bois de hêtre de même grandeur ; ce qui s'exécute au poinçon & au marteau. Le poinçon sert à faire des trous dans l'épaisseur du bois, & le marteau à enfoncer les clous. On a soin que le feuillet soit bien tendu sur le bois ; & pour l'y arrêter plus solidement, on borde la carde avec une lisiere de peau dont on couvre les extrémités cloüées du feuillet, & qu'on fixe avec de nouveaux clous.

Lorsque la carde est montée, on la mouve : les ouvriers entendent par mouver, repasser les pointes au grès, les égaliser derechef, & donner la derniere façon tant à celles qu'on a substituées, qu'aux autres.

Les Cardiers ne peuvent guere se négliger dans la façon des cardes que l'apprêt des laines ne s'en ressente : si les Cardiers n'observent aucune regle fixe dans la maniere de fabriquer les cardes destinées à mélanger & à carder les laines, ou que les Cardeurs se servent indistinctement de toutes sortes de cardes, les laines n'obtenant pas toute la perfection de travail dont elles sont susceptibles, les draps & les étoffes qu'on en fabriquera seront moins parfaits. C'est pourquoi le Roi a statué par un arrêt du 30 Décembre 1727, que les cardes appellées grosses plaquettes, qui servent à embourrer, ou carder pour la premiere fois les laines fines d'Espagne ou de Languedoc, qui entrent dans la fabrication des draps Londrins premiers & seconds, auront neuf pouces de long, cinq & demi de large, au moins cinquante & un rangs de dents, de soixante dents chacun, d'un fil de fer d'Allemagne de trois plombs.

Que les cardes appellées grosses plaquettes, qui servent à embourrer pour la premiere fois les draps communs, auront neuf pouces de long, cinq pouces & demi de large, au moins quarante-cinq rangs de dents, de cinquante-quatre dents chacun, de fil de fer d'Allemagne de deux plombs.

Que les drossettes destinées à dresser ou carder les laines pour la seconde fois, auront neuf pouces de long, cinq de large, au moins soixante & un rangs de dents de soixante & une dents chacun, de fil de fer d'Allemagne de quatre plombs.

Que les fines plaquettes qui servent à imprimer ou recarder sur le genou pour la troisieme fois, auront neuf pouces de long, quatre pouces trois lignes de large, au moins quatre-vingt-quatre rangs de dents, de soixante & une dents chacun, fil de fer d'Allemagne de six plombs.

Que les petites ou fines cardes qui servent à recarder pour la derniere & quatrieme fois les laines destinées pour les chaînes des draps Londres, Elbœuf, &c. auront neuf pouces de long, deux pouces deux lignes de large, au moins quatre-vingt-quatre rangs de dents, de quarante & une dents chacun, fil de fer d'Allemagne de six plombs.

Que les petites ou fines cardes à carder les laines fines d'Espagne pour chaînes de draps Londrins premiers & seconds, draps fins noirs, écarlates, & autres de même qualité, façon d'Espagne, d'Angleterre, de Hollande, &c. auront neuf pouces de long, deux pouces de large, au moins quatre-vingt-quatre rangs de dents, de quarante-trois dents chacun, de fil de fer d'Allemagne de sept plombs.

Que les petites ou fines cardes à recarder pour la quatrieme & derniere fois les laines pour trame de draps Londres larges, Elbœuf, droguets d'Angleterre, &c. auront neuf pouces de long, deux pouces & demi de large, au moins quatre-vingt-quatre rangs de dents, de quarante & une dents chacun, & de fil de fer d'Allemagne de cinq plombs.

Que les petites ou fines cardes à carder la trame des draps fins qui passent au Levant, façon d'Angleterre, de Hollande, d'Espagne, &c. auront neuf pouces de long, deux pouces & demi de large, au moins quatre-vingt-quatre dents, de quarante-trois dents chacun, fil de fer d'Allemagne de six plombs.

Que le cardier mettra sa marque à feu sur les cardes qu'il fabriquera, avec les numeros de la grosseur du fil & des rangs & des dents, sous peine de confiscation.

Que le cardeur n'employera point de cardes non-marquées, & ne cardera des laines qu'avec celles qui sont destinées à cette qualité de laine, sous peine de confiscation des laines & d'amende, soit contre lui, soit contre le fabriquant.

Que le cardeur ne cardera point des laines blanches avec des cardes qui auroient servi à des laines teintes.

Que les laines dont on fait les Londrins premiers & seconds, les Londres larges, & autres draps en blanc, n'ayant pas besoin d'être cardées autant que les laines teintes, si on ne les carde que trois fois, seront cardées la premiere avec les grosses plaquettes, la seconde avec les drossettes ou avec les fines plaquettes, & la troisieme avec les petites ou fines cardes, & que les jurés veillent à ce que les Cardiers & Cardeurs se conforment à ces ordonnances. Voyez les Reglemens génér. pour les manuf. tom. III. pag. 257.

Les cardes pour le coton ne sont pas différentes de celles qu'on employe pour la laine : ce sont celles qui servent à carder sur le genou, & qu'on appelle vulgairement petites cardes. Voyez. l'article DRAPERIE. Voyez aussi les dimensions de cette sorte de carde plus haut dans cet article même, & l'article LAINE.


CARDIFou GLAMORGAN, (Géogr.) ville d'Angleterre, dans la principauté de Galles, avec un bon havre. Long. 14. 20. lat. 51. 32.


CARDIGAN(Géog.) ville d'Angleterre, capitale d'une province qu'on nomme Cardigan-shire, avec titre de comté, dans la province de Galles. Long. 12. 50. lat. 52. 13.


CARDINALterme qui sert à exprimer la relation ou qualité de premier, principal, ou plus considérable.

Ce mot vient de cardo, terme latin qui signifie un gond ; parce qu'en effet il semble que sur les points principaux, portent & roulent pour ainsi dire toutes les autres choses de même nature.

Ainsi la justice, la prudence, la tempérance, & la force, sont nommées les quatre vertus cardinales, comme étant la base de toutes les autres. Voyez VERTU.

Points cardinaux, en Cosmographie, sont les quatre intersections de l'horison, avec le méridien & le premier vertical. Voyez POINT.

Il y en a deux, savoir, les intersections de l'horison & du méridien, qu'on nomme nord & sud, ou nord & midy par rapport aux poles vers lesquels ils se dirigent. Voyez NORD, SUD, MIDY.

Quant à la maniere de déterminer ces points, voyez LIGNE MERIDIENNE.

Les deux autres, savoir, les intersections de l'horison & du premier vertical, s'appellent est & oüest, ou levant & couchant, ou orient & occident. V. ces mots.

Les points cardinaux coïncident donc avec les quatre regions cardinales des cieux, & sont éloignés de quatre-vingt-dix degrés les uns des autres.

Les points intermédiaires s'appellent points collatéraux. Voyez POINTS COLLATERAUX.

Points cardinaux du ciel, se dit aussi quelquefois, mais plus rarement, du lever & du coucher du Soleil, du zénith & du nadir. Voyez LEVER, COUCHER, ZENITH & NADIR.

CARDINAUX, (vents) sont ceux qui soufflent des points cardinaux. Voyez VENT.

CARDINAUX, (signes) adj. pl. en Astronomie. On désigne ainsi les signes du zodiaque, qui sont les premiers où le Soleil est censé entrer au commencement de chaque saison ; savoir, le bélier, le cancer, la balance, & le capricorne. Voyez SIGNE & PRECESSION. (O)

CARDINAUX, (nombres) en Grammaire, ce sont les nombres 1, 2, 3, &c. qui sont indéclinables par opposition aux nombres ordinaux, premier, second, troisieme, &c. Voyez NOMBRE.

CARDINAL, s. m. (Hist. ecclés.) se dit plus particulierement d'un prince ecclésiastique, qui a voix active & passive dans le conclave, lors de l'élection du pape. Voyez CONCLAVE.

Quelques auteurs disent que le mot cardinal vient du latin incardinatio, qui signifie l'adoption que faisoit une église d'un prêtre d'une église étrangere, d'où il avoit été éloigné par quelques malheurs ; que l'usage de ce mot a commencé à Rome & à Ravenne, parce que les églises de ces deux villes étant les plus riches, les prêtres malheureux s'y retiroient ordinairement.

Les cardinaux composent le conseil & le sénat du pape. Il y a dans le vatican une constitution du pape Jean, qui regle le droit & les titres des cardinaux, & qui porte que comme le pape représente Moyse, ainsi les cardinaux représentent les soixante-dix anciens, qui sous l'autorité pontificale jugent & terminent les différends particuliers.

Les cardinaux dans leur premiere institution, n'étoient autre chose que les prêtres principaux ou les curés des paroisses de Rome. Dans la primitive église le prêtre principal d'une paroisse, qui suivoit immédiatement l'évêque, fut appellé presbyter cardinalis. On les distinguoit par-là des autres prêtres moins relevés en dignité, qui n'avoient ni église, ni emploi. Ce mot a commencé environ l'an 150 ; d'autres tiennent que ce fut sous le pape Sylvestre l'an 300 : ces prêtres cardinaux étoient les seuls qui pouvoient baptiser & administrer les sacremens. Autrefois les prêtres cardinaux étant faits évêques, leur cardinalat vaquoit, parce qu'ils croyoient être élevés à une plus grande dignité. S. Grégoire se sert souvent de ce mot pour exprimer une grande dignité. Sous le pape Gregoire les cardinaux prêtres & les cardinaux diacres n'étoient autre chose que les prêtres ou les diacres qui avoient une église ou une chapelle à desservir. C'est-là ce que ce mot signifioit selon l'ancienne & véritable interprétation. Léon IV. les nomme dans le concile de Rome, tenu en 853, presbyteros sui cardinis, & leurs églises parochias cardinales.

Les cardinaux demeurerent sur le même pié jusqu'au xj. siecle : mais la grandeur du pape s'étant depuis extrèmement accrue, il voulut avoir un conseil de cardinaux, plus élevés en dignité que les anciens prêtres. Il est vrai que l'ancien nom est demeuré : mais ce qu'il exprimoit n'est plus. Il se passa un assez long-tems sans qu'ils prissent le pas sur les évêques, ou qu'ils se fussent rendus les maîtres de l'élection du pape : mais dès qu'une fois ils ont été en possession de ces priviléges, ils ont eu bien-tôt après le chapeau rouge & la pourpre ; ensorte que croissant toûjours en grandeur, ils se sont enfin élevés au-dessus des évêques par la seule dignité de cardinal.

Ducange observe qu'originairement il y avoit trois sortes d'églises ? que les vraies églises s'appelloient proprement paroisses : les secondes, diaconies, qui étoient jointes à des hôpitaux desservis par des diacres : les troisiemes de simples oratoires, où on disoit des messes particulieres, & qui étoient desservis par des chapelains locaux & résidens ; & que pour distinguer les églises principales ou les paroisses, des chapelles ou des oratoires, on leur donna le nom de cardinales. Les églises paroissiales donnerent en conséquence les titres aux cardinaux prêtres, & quelques chapelles donnerent ensuite le titre aux cardinaux diacres. Voyez EGLISE.

Tous les cardinaux furent distribués sous cinq églises patriarchales : savoir, de S. Jean de Latran, de Sainte Marie-majeure, de S. Pierre du Vatican, de S. Paul, de S. Laurent. L'église de S. Jean de Latran avoit sept cardinaux évêques que l'on appelloit collatéraux ou hebdomadaires, parce qu'ils étoient assistans du pape, & faisoient en sa place le service divin chacun leur semaine. Ce sont les évêques d'Ostie, de Porto, de Sylva Candida ou Sainte Rufine, d'Albano, de Sabine, de Frescati, & de Palestrine.

L'évêché de Sainte Rufine est maintenant uni à celui de Porto. L'église de Sainte Marie majeure avoit aussi sept cardinaux prêtres ; savoir, ceux de S. Philippe & S. Jacques, de S. Cyriace, de S. Eusebe, de Sainte Prudentienne, de S. Vital, des SS. Pierre & Marcellin, & de S. Clément. L'église patriarchale de S. Pierre avoit les cardinaux prêtres de Sainte Marie de-là le Tibre, de S. Chrysogone, de Sainte Cécile, de Sainte Anastasie, de S. Laurent in Damaso, de S. Marc, & des SS. Martin & Sylvestre. L'église de S. Paul avoit les cardinaux de Sainte Sabine, de S. Prisce, de Sainte Balbine, des SS. Nerée & Achillée, de S. Xiste, de S. Marcel, & de Sainte Susanne. L'église patriarchale de S. Laurent hors les murs, avoit sept cardinaux, ceux de Sainte Praxede, de S. Pierre-aux-liens, de S. Laurent in Lucinâ, des SS. Jean & Paul, des SS. quatre couronnés, de S. Etienne au mont Celio, & de S. Quirice. Baronius sur l'année 1057, cite un rituel ou cérémonial extrait de la bibliotheque du Vatican, qui contient ce denombrement de cardinaux.

D'autres observent qu'on appelloit cardinaux, non-seulement les prêtres, mais les évêques, les prêtres & les diacres titulaires, & attachés à une certaine église ; à la différence de ceux qui ne les servoient qu'en passant & par commission. Les églises titulaires où les titres étoient des especes de paroisses, c'est-à-dire des églises attribuées chacune à un prêtre cardinal, avec un quartier fixé & déterminé qui en dépendoit, & des fonts pour administrer le Baptême dans le cas où il ne pouvoit pas être administré par l'évêque. Ces cardinaux étoient subordonnés aux évêques. C'est pour cela que dans les conciles, par exemple dans celui de Rome tenu l'an 868, ils ne souscrivent qu'après les évêques. Ce n'étoit pas seulement à Rome qu'ils portoient ce nom : on trouve des prêtres cardinaux en France. Ainsi le curé de la paroisse de S. Jean des Vignes est nommé cardinal de cette paroisse dans une charte de Thibault, évêque de Soissons, où ce prélat confirmant la fondation de l'abbaye de S. Jean des Vignes, faite par Hugue, seigneur de Château-Thierry, exige que le prêtre cardinal du lieu, presbyter cardinalis illius loci, soit tenu de rendre raison du soin qu'il aura eu de ses paroissiens à l'évêque de Soissons, ou à son archidiacre, comme il faisoit auparavant. Les mêmes termes se trouvent employés, & dans le même sens, dans la charte du roi Philippe I. en 1076, portant confirmation de la fondation de S. Jean des Vignes.

On a donné aussi ce titre à quelques évêques, en tant qu'évêques. Par exemple, à ceux de Mayence & de Milan. D'anciens écrits appellent l'archevêque de Bourges cardinal, & l'église de Bourges église cardinale. L'abbé de Vendôme prend le titre de cardinal né.

Les cardinaux sont divisés en trois ordres : six évêques, cinquante prêtres, & quatorze diacres, faisant en tout soixante-dix, qu'on appelle le sacré collége. Voyez COLLEGE.

Les cardinaux évêques, qui sont comme les vicaires du pape, portent le titre des évêchés qui leur sont attribués. Pour les cardinaux prêtres & diacres, ils ont tous des titres tels qu'ils leur sont assignés. Le nombre des cardinaux & des évêques est fixé : mais celui des cardinaux prêtres & diacres, & par conséquent le nombre des membres du sacré-collége, a toûjours varié jusqu'à l'année 1125. Le collége des cardinaux étoit de cinquante-deux ou cinquante-trois. Le concile de Constance fixa le nombre des cardinaux à vingt-quatre. Sixte IV. sans avoir égard au concile, en grossit le nombre, & le porta jusqu'à cinquante-trois ; ainsi comme le nombre des cardinaux étoit anciennement reglé à vingt-huit, il fallut établir de nouveaux titres à mesure que l'on créa de nouveaux cardinaux. A l'égard des diacres, ils n'étoient originairement que sept pour les quatorze quartiers de la ville de Rome. On les augmenta ensuite jusqu'à dix-neuf, après quoi le nombre en fut diminué de nouveau.

Selon Onuphre, ce fut le pape Pie IV. qui régla le premier, en 1562, que le pape seroit seulement élu par le sénat des cardinaux, au lieu qu'il l'étoit auparavant par le clergé de Rome. D'autres disent que dès le tems d'Alexandre III. en 1160, les cardinaux étoient déjà en possession d'élire le pape, à l'exclusion du clergé. On remonte encore même plus haut, & l'on croit que Nicolas II. ayant été élû à Sienne en 1058, par les seuls cardinaux, c'est à cette occasion qu'on ôta le droit d'élire le pape au clergé & au peuple romain, qui n'eurent plus que celui de le confirmer, en donnant leur consentement ; ce qui leur fut encore ôté dans la suite. Le P. Papebrock conjecture que c'est Honorius IV. qui a mis le premier des évêques dans le sacré-collége, en y faisant entrer les évêques suffragans du pape, à qui de droit il appartient de le nommer, & en en faisant la premiere classe des cardinaux.

La constitution du conclave, pour l'élection du pape, fut faite au second concile de Lyon en 1274. Le decret du pape Urbain VIII. par lequel il est ordonné que les cardinaux seroient traités d'éminence, est de l'année 1630. Avant cela on les traitoit d'illustrissime.

Depuis ces nouvelles prérogatives, les cardinaux ont précédé les évêques ; cependant ces derniers, conservant leur prééminence, ont quelquefois pris le pas dans les assemblées & les cérémonies publiques en présence même du pape ; cela se voit dans l'acte de dédicace de l'église de Marmoutier par le pape Urbain II. l'an 1090, lorsqu'il vint en France tenir le fameux concile de Clermont ; car dans cette cérémonie, Hugues archevêque de Lyon, tenoit, après le pape, le premier rang ; les autres archevêques & évêques le suivoient ; & après eux venoient les cardinaux prêtres & diacres qui avoient accompagné le pape dans ce voyage.

Quand le pape crée des cardinaux, il écrit le nom de ceux qu'il veut élever à cette dignité, & il les fait lire dans le consistoire, après avoir dit aux cardinaux habetis fratres, c'est-à-dire vous avez pour freres NN. Le cardinal patron envoye ensuite querir ceux qui se trouvent à Rome, & les mene à l'audience du pape pour recevoir de lui le bonnet rouge, & au premier consistoire sa sainteté leur donne le chapeau. Jusque-là ils demeurent incognito, & ne peuvent se trouver aux assemblées. A l'égard des absens, le pape leur dépêche un de ses cameriers d'honneur pour leur porter le bonnet : mais ils sont obligés d'aller recevoir le chapeau de la main de sa sainteté ; & quand ils entrent à Rome on les reçoit en cavalcade. Les habits des cardinaux sont la soûtane, le rochet, le mantelet, la mozette, & le chape papale sur le rochet dans les actions publiques & solemnelles. La couleur de leur habit est différente selon le tems, ou de rouge, ou de rose seche, ou de violet : les cardinaux réguliers ne portent point de soie ou d'autre couleur que celle de leur religion, avec une doublure rouge ; mais le chapeau & le bonnet rouge sont communs à tous. Les cardinaux que le pape envoye aux princes souverains, sont décorés du titre de légats à latere ; & lorsqu'ils sont envoyés dans une ville de la domination du pape, leur gouvernement s'appelle légation. Il y a cinq légations, qui sont celles d'Avignon, de Ferrare, de Boulogne, de Perouse, & de Ravenne. Voyez LEGAT & LEGATION ; traité de l'orig. des cardinaux ; Ducange, gloss. Aubery, hist. des cardinaux.

Cardinal se dit aussi d'offices séculiers : ainsi les premiers ministres de la cour de Théodose sont aussi appellés cardinaux. Et Cassiodore, liv. VII. form. 34. fait mention du prince cardinal de la ville de Rome. On trouve parmi les officiers du duc de Bretagne, en 1447, un Raoul de Thorel, cardinal de Quillart, chancelier & serviteur du vicomte de Rohan ; ce qui montre que c'étoit un officier subalterne. (G)


CARDINALECARDINALE


CARDINAUXS. m. pl. en terme de Drapier & de Tondeur ; c'est une espece de petites cardes de fer, remplie par le pié, & dont il n'y a que l'extrémité des pointes qui paroisse. On s'en sert pour ranger le poil & le coucher dans la tonte. Voyez l'article & les figures de la draperie.


CARDONE(Géog.) ville forte d'Espagne dans la Catalogne, avec titre de duché. Il y a auprès de cette ville une montagne toute de sel, & qui ne s'épuise point ; ce sel est de différentes couleurs fort éclatantes, qu'il perd lorsqu'on le lave. Long. 19. 10. lat. 41. 42.


CARDONERO(Géog.) riviere d'Espagne dans la Catalogne, qui se jette dans celle de Lobregat.


CARDONSCARDONS


CARDUEL(LE) ou CARTHUEL, (Géog.) pays d'Asie à l'Orient de la Géorgie, dont la capitale est Teflis


CAREDIVE(Géog.) île d'Asie, dans la mer des Indes, sur la côte occidentale de l'île de Ceylan.


CARELIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en fleurons rassemblés en forme de tête, écailleuse & garnie de feuilles ; ces fleurons sont d'une seule piece, dont les bords sont découpés. La semence est oblongue, anguleuse, terminée par une aigrette garnie d'écailles ; elle mûrit sur la couche qui est nue. Pontedera, diss. oct. Voyez PLANTE. (I)


CARELIE(Géog.) province de la partie orientale de la Finlande ; on la divise en suédoise & en moscovite : la partie la plus considérable appartient à la Russie.


CARELLCRAOL, ou CRAIL, (Géog.) petite ville d'Ecosse, dans la province de Fife.


CARELSBROOK(Géog.) forteresse d'Angleterre dans l'île de Wight, dans la Manche.


CAREMBOUL(Géog.) contrée de l'île de Madagascar, dans la partie méridionale.


CAREMES. m. (Hist. ecclésiast.) quadragesima, tems de pénitence, pendant lequel on jeûne quarante jours, pour se préparer à célébrer la fête de Pâque. Voyez JEUNE.

Anciennement dans l'église latine, le carême n'étoit que de trente-six jours. Dans le cinquieme siecle, pour imiter plus précisément le jeûne de quarante jours que Jesus-Christ souffrit au desert, quelques-uns ajoûterent quatre jours ; & cet usage, a été suivi dans l'Occident, si l'on excepte l'église de Milan, qui a conservé l'ancien usage, de ne faire le carême que de trente-six jours.

Suivant S. Jérôme, S. Léon, S. Augustin, & plusieurs autres, le carême a été institué par les apôtres. Voici comment ils raisonnent. Tout ce que l'on trouve établi généralement dans toute l'Eglise, sans en voir l'institution dans aucun concile, doit passer pour un établissement fait par les apôtres : or tel est le jeûne du carême. On n'en trouve l'institution dans aucun concile ; au contraire, le premier concile de Nicée, celui de Laodicée, aussi-bien que les PP. grecs & latins, sur-tout Tertullien, parlent du carême comme d'une chose générale & très-ancienne.

Calvin, Chemnitius, & les Protestans prétendent que le jeûne du carême a été d'abord institué par une espece de superstition, & par des gens simples qui voulurent imiter le jeûne de Jesus-Christ. Ils prétendent prouver ce fait par un mot de S. Irénée, cité par Eusebe : preuve très-foible, ou pour mieux dire de nulle valeur, quand on a contr'elle le témoignage constant de tous les autres peres, & la pratique de l'Eglise universelle.

D'autres disent que ce fut le pape Telesphore qui l'institua vers le milieu du second siecle ; d'autres conviennent que l'on observoit à la vérité le carême dans l'église, c'est-à-dire un jeûne de quarante jours avant Pâques, du tems des apôtres ; mais que c'étoit volontairement, & qu'il n'y eut de loi que vers le milieu du troisieme siecle. Le précepte ecclésiastique quand il seroit seul, formeroit une autorité que les réformateurs auroient dû respecter, s'ils avoient moins pensé à introduire le relâchement dans les moeurs, que la réforme.

Les Grecs différent des Latins par rapport à l'abstinence du carême : ils le commencent une semaine plûtôt, mais ils ne jeûnent point les samedis comme les Latins, excepté le samedi de la semaine-sainte.

Les anciens moines latins faisoient trois carêmes ; le grand, avant Pâques ; l'autre, avant Noël, qu'on appelloit de la S. Martin ; & l'autre de S. Jean Baptiste, après la Pentecôte, tous les trois de quarante jours.

Outre celui de Pâques, les Grecs en observoient quatre autres qu'ils nommoient les carêmes des apôtres, de l'Assomption, de Noël, & de la Transfiguration : mais ils les réduisoient à sept jours chacun ; les Jacobites en font un cinquieme, qu'ils appellent de la pénitence de Ninive ; & les Maronites six, y ajoûtant celui de l'exaltation de la Sainte-Croix.

Le huitieme canon du concile de Tolede ordonne que ceux qui, sans une nécessité évidente, auront mangé de la chair pendant le carême, n'en mangeront point pendant toute l'année, & ne communieront point à Pâques.

Quelques-uns prétendent que l'on jeûne les quarante jours que dure le carême, en mémoire du déluge, qui dura autant de tems, d'autres, des quarante années pendant lesquelles les Juifs errerent dans le desert ; d'autres veulent que ce soit en mémoire des quarante jours qui furent accordés aux Ninivites pour faire pénitence ; les uns, des quarante coups de foüets que l'on donnoit aux malfaiteurs pour les corriger ; les autres, des quarante jours de jeûne que Moyse observa en recevant la loi, ou des quarante jours que jeûna Elie, ou enfin des quarante jours de jeûne qu'observa Jesus-Christ.

La discipline de l'Eglise s'est insensiblement relâchée sur la rigueur & la pratique du jeûne pendant le carême. Dans les premiers tems, le jeûne dans l'église d'Occident consistoit à s'abstenir de viandes, d'oeufs, de laitage, de vin, & à ne faire qu'un repas vers le soir : quelques-uns seulement prétendant que la volaille ne devoit pas être un mets défendu, parce qu'il est dit dans la Genese que les oiseaux avoient été crées de l'eau, aussi-bien que les poissons, se permirent d'en manger ; mais on réprima cet abus. Dans l'église d'Orient le jeune a toûjours été fort rigoureux ; la plupart ne vivoient alors que de pain & d'eau avec des légumes. Avant l'an 800 on s'étoit déjà beaucoup relâché, par l'usage du vin, des oeufs & des laitages. D'abord le jeûne consistoit à ne faire qu'un repas le jour, vers le soir après les vêpres ; ce qui s'est pratiqué jusqu'à l'an 1200 dans l'église latine. Les Grecs dînoient à midi, & faisoient collation d'herbe & de fruits vers le soir dès le sixieme siecle. Les Latins commencerent dans le treizieme à prendre quelques conserves pour soûtenir l'estomac, puis à faire collation le soir. Ce nom a été emprunté des religieux, qui après souper alloient à la collation, c'est-à-dire à la lecture des conférences des saints peres, appellées en latin collationes, après quoi on leur permettoit de boire aux jours de jeûne de l'eau ou un peu de vin, & ce leger rafraîchissement se nommoit aussi collation. Le dîner des jours de carême ne se fit cependant pas tout-d'un coup à midi. Le premier degré de changement fut d'avancer le souper à l'heure de none, c'est-à-dire à trois heures après midi : alors on disoit none, ensuite la messe, puis les vêpres, après quoi l'on alloit manger. Vers l'an 1500, on avança les vêpres à l'heure de midi ; & l'on crut observer l'abstinence prescrite, en s'abstenant de viande pendant la quarantaine, & se réduisant à deux repas, l'un plus fort, & l'autre très-leger sur le soir. On joignoit aussi au jeûne du carême la continence, l'abstinence des jeux, des divertissemens & des procès. Il n'est pas permis de marier sans dispense pendant le carême. Thomassin, traité historique & dogmatique des jeûnes. (G)


CARENAGECRANAGE, CRAN, s. m. (Marine) c'est un lieu convenable sur le rivage de la mer, pour donner la carene à des vaisseaux. Les mots de cranage & de cran sont venus par corruption, & ne sont d'usage que parmi quelques matelots.

Pour qu'un lieu soit propre pour en faire un carenage, il faut qu'au pié de la côte il y ait assez d'eau pour que le vaisseau y soit à flot, & qu'on puisse l'abattre aisément sur la terre, & le coucher sur côté assez pour qu'on lui voye la quille.


CARENEquille, s. m. (Marine) c'est une longue & grosse piece de bois, ou plusieurs pieces mises à bout l'une de l'autre, & qui regnent par-dehors dans la plus basse partie du vaisseau, de poupe à proue, afin de servir de fondement au navire. Voyez QUILLE. On prend souvent le mot de carene plus généralement, & on entend par-là toute la partie du vaisseau qui est comprise depuis la quille jusqu'à la ligne de l'eau ; de-là vient qu'on dit carener un vaisseau, donner la carene, mettre un vaisseau en ca rene, pour signifier qu'on donne le radoub au fond du bâtiment.

CARENE, CRAN ; c'est le travail qu'on fait pour calfater & radouber un vaisseau dans ses oeuvres vives, & qui vont sous l'eau.

Demi-carene, se dit lorsqu'en voulant carener un vaisseau, on ne peut travailler que dans la moitié de son fond par-dehors, & qu'on ne peut joindre jusque vers la quille.

Carene entiere, c'est quand on peut carener tout un côté jusqu'à la quille.


CARENERv. act. (Marine) donner la carene à un vaisseau, mettre un vaisseau en carene. Quelques-uns disent par corruption carner & mettre un vaisseau en cran, car le mot cran n'est autre chose que celui de carene qu'ils ont estropié. Carener un vaisseau, c'est le coucher sur le côté jusqu'à ce qu'on lui voye la quille, pour le radouber, le calfater, ou le raccommoder aux endroits qui sont dans l'eau, qu'on nomme oeuvres vives ; & les oeuvres mortes comprennent toutes les parties du vaisseau qui sont hors de l'eau, ou bien tous les hauts du vaisseau.

Pour bien carener un vaisseau, il ne faut pas épargner le chauffage, qui se fait avec des bourrées de menus bois. Ce chauffage est nécessaire pour bien nettoyer le vaisseau, & mieux faire paroître les défectuosités ou les fentes qu'il pourroit y avoir, afin d'y remédier ; ensuite on le fraie & on le suife.

Pour coucher le vaisseau sur le côté lorsqu'on veut le carener, on se sert dans les ports, de pontons, sur lesquels on l'abat & l'amarre. (Z)


CARENTAN(Géog.) petite ville de France en basse Normandie, dans le Cotentin.


CARETTES. f. partie du metier des étoffes de soie. La carette est un cadre d'un pié & demi environ de large sur deux piés & demi de long, composé d'un brancard & d'un montant, sur les traverses duquel, de chaque côté, est un rateau dans lequel les aleirons sont posés & enfilés. Voyez ETOFFE DE SOIE. Voyez aussi ALEIRONS.

Il n'y a pas ordinairement de poulies dans les carettes. Les aleirons sont séparés par des dentures faites aux deux planches, dans lesquelles sont enfilés les aleirons ; d'ailleurs il y a des carettes qui portent jusqu'à vingt aleirons de chaque côté : à quoi serviroient donc les poulies ?


CAREX(Géog.) petite île d'Asie, dans le golfe Persique.


CARFAGNANA(Géog.) petit pays d'Italie dans le Modénois, près de l'Apennin.


CARGA(Géog.) île d'Asie dépendante de la Perse, de la province de Kerman.


CARGADORSS. m. pl. (Commerce) nom qu'on donne à Amsterdam à des especes de courtiers qui ne se mêlent que de chercher du fret pour les navires qui sont en chargement, ou d'avertir les marchands qui ont des marchandises à voiturer par mer, des vaisseaux qui sont prêts à partir, & pour quels lieux ils sont destinés.

Si le cargador à qui le maître d'un vaisseau s'adresse, trouve à le fretter tout entier, il convient du prix avec le marchand qui en a besoin ; si au contraire il trouve à ne le charger qu'à cueillette, il distribue des billets à la bourse, & y fait afficher des placards qui contiennent le nom du vaisseau, du capitaine, du lieu de sa destination, & celui des cargadors. On peut voir un modele de ce billet, & la maniere de traiter avec les cargadors dans le dictionn. du Comm. tome II. p. 97.


CARGAISONCARGUAISON, s. f. (Marine) c'est le chargement du vaisseau ; ainsi toutes les marchandises dont le vaisseau est chargé, composent la cargaison. On entend aussi quelquefois par ce mot, la facture des marchandises qui sont chargées dans un vaisseau marchand.

Quelques-uns se servent du mot de cargaison pour signifier l'action de charger, ou le tems propre à charger certaines marchandises ; en ce dernier sens on dit : ce mois est le tems de la cargaison des vins, des huiles, &c.


CARGUECARGUES, s. f. (Marine) on appelle ainsi toute sorte de manoeuvre qui sert à faire approcher les voiles près des vergues, pour les trousser & les relever, soit qu'on ait dessein de les laisser en cet état, ou de les serrer.

Les cargues sont distinguées en cargues-point, en cargues-fond, & en cargues-bouline.

Il faut remarquer que quoiqu'on dise une cargue au féminin, ce mot devient masculin lorsqu'il est joint avec un autre : on dit le cargue-point, le cargue-bouline, &c.

Cargues d'artimon. Quand on parle de ces sortes de cargues, on dit les cargues du vent & les cargues dessous le vent ; les unes sont du côté d'où le vent vient, & les autres du côté opposé.

Mettre les basses voiles sur les cargues, mettre les huniers sur les cargues, cela se dit lorsqu'on se sert des cargues pour trousser les voiles par en-bas.

Cargues à vûe ; c'est une petite manoeuvre passée dans une poulie sous la grande hune, & qui est frappée à la ralingue de la voile, pour la lever lorsqu'on veut voir par-dessous : cette manoeuvre n'est pas ordinairement d'usage.

Presque toutes les voiles ont des cargues : en voici le détail & le renvoi à la figure, pour en donner une plus parfaite intelligence.

Cargues de la grande voile, Planche I. n°. 33.

Cargues du grand hunier, n°. 79.

Cargues du grand perroquet, n°. 81.

Cargues d'artimon, n°. 32.

Cargues du perroquet de foule, n°. 78.

Cargues de misene, n°. 34.

Cargues du petit hunier, n°. 80.

Cargues du perroquet de misene, n°. 82.

Cargues de la civadiere, n°. 35.

Cargues du perroquet de beaupré, n°. 83.

Cargues-point ou tailles de point, ce sont des cordes qui étant amarrées aux angles ou points du bas de la voile, servent pour la trousser vers la vergue, ensorte qu'il n'y a que le fond de la voile qui reçoive le vent.

Cargues-bouline, contrefanons ; ce sont des cordes qui sont attachées ou amarrées au milieu des côtés de la voile vers les pattes de la bouline, & servent à trousser les côtés de la voile.

Voyez Planche I. les cargues-bouline de la grande voile, cotés 51.

Cargues-fond ou tailles de fond ; ce sont des cordes amarrées au milieu du bas de la voile, & c'est par le moyen de ces cordes qu'on en releve ou trousse le fond. Voyez Planche I. cargues-fond ou tailles de fond de la grande voile, n°. 53. cargues-fond de la voile de misene, n°. 54. cargues-fond de la civadiere, n°. 55. (Z)

Cargue-bas, voyez CALE-BAS.

Cargues de hune, voyez RETRAITES DE HUNE.


CARGUEURS. m. (Marine) c'est une poulie qui sert particulierement pour amener & guinder le perroquet ; on la met tantôt au tenon du perroquet, & tantôt à son chouquet ou à ses barres. (Z)


CARHAIX(Géogr.) petite ville de France en basse Bretagne, fameuse par la bonté des perdrix qui s'y trouvent.


CARIATI(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, avec titre de principauté. Long. 34. 50. lat. 39. 38.


CARIBANE(Géog.) province maritime de l'Amérique méridionale, qui s'étend depuis l'embouchure de la riviere d'Orenoque jusqu'à celle de l'Amazone.


CARIBES(LES) Géog. peuples sauvages de l'Amérique méridionale, aux confins des terres des Caripous ; ils vont tout nuds, & se peignent le corps en noir.


CARIBOUS. m. (Hist. nat. Zool.) espece de cerf de l'Amérique. Il est très-leger, & il court sur la neige presqu'aussi vite que sur la terre. Cette facilité lui vient de la conformation de ses piés, qui n'enfoncent pas aisément dans la neige ; parce que la corne de ses piés est fort large, & garnie d'un poil rude dans les intervalles, desorte qu'elle lui tient lieu des raquettes des Sauvages. Lorsqu'il habite le fort des bois, il se fait des routes dans la neige, & il y est attaqué par le carcajou. Voyez CARCAJOU. (I)


CARICATURES. f. (Peinture) Ce mot est francisé de l'italien caricatura, & c'est ce qu'on appelle autrement charge. Il s'applique principalement aux figures grotesques & extrèmement disproportionnées soit dans le tout, soit dans les parties qu'un peintre, un sculpteur ou un graveur fait exprès pour s'amuser & pour faire rire. Calot a excellé dans ce genre. Mais il en est du burlesque en Peinture comme en Poésie ; c'est une espece de libertinage d'imagination qu'il ne faut se permettre tout au plus que par délassement. (O)

CARIE, s. f. terme de Chirurgie, solution de continuité dans un os, accompagnée de perte de substance, laquelle est occasionnée par une humeur acre & rongeante. Voyez Os.

La carie est une sorte de corruption ou putréfaction particuliere aux parties dures & osseuses du corps, qui y produit le même effet que la gangrene ou la mortification sur les parties molles ou charnues ; ou qui, comme s'expriment d'autres auteurs, y fait ce que font aux parties molles l'abcès ou l'ulcere. Voyez GANGRENE, MORTIFICATION, ABCES, ULCERE.

La carie provient de l'affluence continuelle d'humeurs vicieuses sur l'os, ou de l'acrimonie de ces humeurs ; de fracture, de contusion, de luxation, d'ulcere, de mal vénérien, de médicamens corrosifs, de ce que l'os est resté long-tems à nud & dépouillé de chair, exposé à l'air extérieur, &c.

Les remedes usités dans la carie sont les teintures d'euphorbe, de myrrhe & d'aloès, ou les mêmes substances en poudre avec une addition d'iris, d'aristoloche d'une ou d'autre sorte, de gentiane, &c. & singulierement la poudre de diapenté. Après qu'on a fait usage de la teinture ; on met sur l'os un plumasseau saupoudré des mêmes substances pulvérisées. On applique aussi fort souvent avec succès sur l'os carié le cautere actuel, qu'on passe à-travers une cannule, pour ne point endommager les parties voisines. Voyez CAUTERE.

Les Anatomistes, en disséquant des corps, trouvent souvent des os cariés, singulierement ceux des mâchoires, des jambes, &c. quoique pendant que les personnes étoient vivantes on ne soupçonnât rien de semblable, & qu'elles n'en ressentissent aucun mal.

Lorsque les caries sont causées par un virus vénérien, scorbutique, écroüelleux, &c. il faut tâcher de détruire la cause avant que d'employer les remedes locaux capables de produire l'exfoliation de la carie. Voyez EXFOLIATION.

Les caries avec vermoulure ne se peuvent guérir, il faut en venir à l'amputation du membre. Voyez AMPUTATION.

La carie des os du crane oblige souvent à multiplier l'application des couronnes de trépans. On trouve dans le premier volume des mém. de l'académie royale de Chirurgie, plusieurs observations importantes sur la guérison des caries du crane, à l'article de la multiplicité des trépans. Il y en a une entr'autres de Mr. de la Peyronie, qui enleva une carie considérable, & qui employa à cette opération les trépans, les élévatoires, les tenailles, les scies, les limes, les vilebrequins, les maillets de plomb, les gouges, les ciseaux de presque toutes les especes, &c. Cette observation, qui fournit un des plus grands faits de Chirurgie, tant par la grandeur de la maladie & la constance du malade, que par l'intrépidité du chirurgien, est un de ces exemples extraordinaires dûs à l'humanité, qui dans le cas desespéré a porté de grands chirurgiens à des entreprises audacieuses, qui ont servi à faire connoitre de plus en plus les forces de la nature & les ressources de l'art.

La carie des dents cause des douleurs considérables, qui ne cessent ordinairement que par l'extirpation. Voyez ODONTALGIE, DENT, MAL DE DENT. (Y)

CARIE, (Géog. anc. & mod.) province d'Asie en Natolie, au midi de l'Archipel, appellée aujourd'hui Alidinelli.


CARIFE(Geogr.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure.


CARIGNA(Géogr.) petite ville du Piémont, avec titre de principauté. Long. 25. 20. lat. 44. 45.


CARIGOURIQUA(Géog.) peuple d'Afrique dans la Cafrerie, aux environs du cap de Bonne-Espérance.


CARILLONS. m. (Horlog.) horloge ou pendule à carillon ; c'est une horloge qui sonne ou répete un air à l'heure, à la demie, & quelquefois aux quarts.

Ces horloges sont fort communes en Flandre, on en voit presqu'à toutes les églises ; mais dans ce pays-ci elles sont assez rares. L'horloge de la samaritaine est, je crois, la seule de cette espece qui soit dans Paris.

Quand aux pendules à carillon, elles sont beaucoup plus en usage en Angleterre qu'ici, où on en fait peu.

Les carillons sont faits sur les mêmes principes que les serinettes ou les orgues d'Allemagne. Dans celles-ci les tons sont formés par des petits tuyaux d'orgue ; dans les carillons ils le sont par des timbres ou des cloches, dont les diametres doivent suivre exactement le diapason. Voyez DIAPASON, & l'article CLOCHE. Ils ont de même un tambour qui a des chevilles sur sa circonférence, lesquelles, au lieu de lever des touches, comme dans ces orgues, baissent les leviers pour les faire frapper sur les timbres. (T)

Comme les cloches des carillons sont souvent fort éloignées du cylindre, étant placées symmétriquement dans une lanterne élevée au-dessus du bâtiment qui contient l'horloge, on transmet à leurs marteaux l'action des chevilles du cylindre ; par des fils-de-fer attachés d'un bout à la queue du marteau, & de l'autre au milieu d'une bascule fixée par une de ses extrémités. Voyez CLAVIER du grand orgue ; & pour la maniere de noter le cylindre, l'article SERINETTE. Il faut remarquer que le clavier du cylindre ne peut pas être touché avec les doigts, parce que le cylindre occupe la place de l'organiste ; & d'ailleurs que les touches sont trop larges & toutes de même longueur, les feintes n'étant point distinguées par ces sortes de claviers. Si donc on veut y en ajuster un que l'on puisse toucher avec les doigts, on placera le clavier où on jugera à propos ; & par le moyen d'un ou de plusieurs abregés (voyez ABREGE), on établira la sonnerie entre les touches du clavier & les leviers, ou queues des marteaux.

On conçoit facilement que lorsque le carillon répete par le moyen du cylindre, il faut une puissance qui le fasse tourner ; comme, par exemple, un ressort, un poids, dont le mouvement est modéré par le moyen d'un roüage, comme dans les sonneries. Voy. SONNERIE. Il est encore facile d'imaginer qu'il y a une détente qui correspond à l'horloge, au moyen de laquelle le carillon sonne aux heures & aux demies, &c. & que cette détente est disposée de façon qu'il sonne toûjours avant l'horloge, & que celle-ci ne peut sonner qu'après le carillon.

Quant à la maniere de noter le tambour, elle est la même que pour les orgues d'Allemagne. Voyez SERINETTE, ORGUE d'Allemagne.

Les tableaux mouvans & les figures qui jouent des airs, soit avec un violon, un tambourin, &c. sont faites sur le même principe. C'est toûjours un tambour qui, faisant un tour dans un tems donné, leve des bascules, qui par de petites chaînes font mouvoir les doigts, les bras, &c. Tel étoit, par exemple, l'admirable flûteur de Mr. de Vaucanson. Voyez l'article ANDROÏDE.


CARIM-CURINI(Hist. nat. bot.) arbrisseau des Indes, qui porte des fleurs en casque d'un bleu verdâtre, & formant des épis dont le fruit est partagé en deux cellules, où sont deux semences plates ; arrondies & faites en coeur, & qui a la racine fibreuse, blanchâtre, & couverte d'une écorce amere. Voyez dans Ray, ses propriétés médicinales ; dont les principales sont attribuées à la décoction de la racine, qu'on dit appaiser les douleurs de la goutte ; &c.


CARINESS. f. (Hist. anc.) femmes dont la profession étoit de pleurer les morts dans les cérémonies des funérailles payennes : on les faisoit venir de Carie, d'où elles étoient appellées Carines.


CARINOLA(Géogr.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Labour. Long. 31. 35. lat. 41. 15.


CARINTHIE(Géogr.) province d'Allemagne, avec titre de duché, bornée par l'Autriche, la Styrie, la Carniole & le Frioul, le Tirol, &c. Clagenfurt en est la capitale.


CARIOLES. f. (Messagerie) espece de voiture grossiere à deux roues, dont on se sert dans les messageries.


CARIPIS. m. (Hist. mod.) espece de cavalerie dans les armées turques. Les caripis, qui sont au nombre de mille, ne sont point esclaves, & n'ont point été nourris & élevés comme eux au serrail ; mais ce sont pour la plûpart des maures ou chrétiens renégats qui ont fait le métier d'aventuriers qui cherchent fortune, & qui par leur adresse & leur courage sont parvenus au rang de cavaliers de la garde du prince. Ils marchent avec l'usagi, à main gauche derriere le sultan, & ont dix à douze aspres par jour. Caripi signifie pauvre & étranger ; & Calcondyle dit qu'on leur a donné ce nom, parce qu'on les tire principalement d'Egypte, d'Afrique, &c. (G)


CARIPOUS(Géog.) peuple de l'Amérique méridionale, au nord du Bresil & de la riviere des Amazones. Ce peuple passe pour le plus doux & le plus humain de tous ceux des Indes occidentales. Il fait une guerre continuelle aux Caribes, qui ne sont point tout-à-fait si honnêtes gens que les Caripous.


CARIQUEUSEadj. f. terme de Chirurgie, est l'épithete qu'on donne à une tumeur qui par sa figure ressemble à une figue : il en vient quelquefois de cette espece parmi les hémorrhoïdes. Voyez FIGUE & HEMORRHOÏDE.

Ce mot vient du latin carica, qui est le nom d'une espece de figue sauvage, ainsi nommée parce qu'elle croissoit en Carie.


CARISEO(Géog.) île d'Afrique près du cap Saint-Jean, près la côte de Guinée au royaume de Benin.


CARISTO(Géog.) petite ville de Grece dans l'île de Negrepont. Long. 42. 50. lat. 38. 6.


CARLADEZ(LE) Géogr. petit pays de France dans la haute Auvergne, sur les confins du Roüergue, dont la capitale est Carlat.


CARLAT(Géog.) petite ville de France dans la province d'Auvergne, au Carladez.

CARLAT, (Géog.) petite ville de France dans le haut Languedoc, sur la riviere de Bezegue. Il y a encore une ville de ce nom en France, au comté de Foix : c'est la patrie de Bayle.


CARLEBY(Géog.) petite ville de Suede dans la Cajanie en Finlande, à l'orient du golfe de Bothnie.


CARLENTINI(Géog.) petite ville de Sicile dans la vallée de Noto.


CARLETON(Géogr.) petite ville d'Angleterre dans la province d'Yorck.


CARLETTou CARRELETTE, s. f. (Commerce & fabrication d'ardoise) c'est ainsi qu'on appelle une sorte d'ardoise qui se fabrique dans l'Anjou. Voyez ARDOISE.


CARLILE(Géog.) ville d'Angleterre assez forte, capitale du duché de Cumberland, sur l'Eden. Long. 14. 17. lat. 55.


CARLIou CARLINO, (Comm.) monnoie du royaume de Naples & qui a aussi cours en Sicile. Le carlin fait dix grains, ou environ huit sous de notre argent.


CARLINEcarlina. s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs ordinairement radiées. Le disque de ces fleurs est un amas de fleurons portés chacun sur un embryon. La couronne des mêmes fleurs est formée par plusieurs fleurs plates qui ne portent sur aucun embryon. Toutes ces pieces sont soûtenues par un grand calice épineux. Les embryons deviennent dans la suite des semences garnies d'aigrettes, & séparées les unes des autres par de petites feuilles pliées en gouttiere. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La carlina, chameleon albus, carlina offic. est d'usage. On se sert de la racine de cette plante en Medecine ; elle est estimée sudorifique, alexipharmaque, bonne contre toutes les maladies pestilentielles, & même contre la peste : elle est aussi diurétique, & salutaire dans l'hydropisie : elle excite les regles, & on peut l'employer dans les maladies hypochondriaques.

Son odeur cause des maux de tête, des vertiges, des nausées. (N)


CARLINGFORD(Géog.) petite ville maritime d'Irlande, au comté de Louth. Longit. 11. 20. latit. 64. 6.


CARLINGUECALINGUE, ESCARLINGUE, ECARLINGUE, CONTRE-QUILLE, s. f. (Marine) on appelle ainsi la plus longue & la plus grosse piece de bois qui soit employée dans le fond de cale d'un vaisseau. Comme une seule piece ne suffit pas n'y en ayant point d'assez longue, on en met plusieurs bout à bout. La carlingue se pose sur toutes les varangues ; elle sert à les lier avec la quille, ce qui fait que quelques-uns l'appellent contre-quille : le pié du grand mât pose dessus. Voyez Planche VI. n°. 27. la forme d'une des pieces de bois qui composent la carlingue.

Voyez Pl. IV. fig. 1. n°. 22. la position de la carlingue ; & n°. 5. la partie qu'on nomme contre-quille. Voyez encore Pl. V. fig. 1. n°. 22. la carlingue dans sa coupe transversale.

La carlingue doit avoir l'épaisseur des deux tiers de celle de l'étrave ; elle doit être plus large que la quille, à cause que la carlingue du pié du mât pose dessus, & que le serrage y entre. Elle est jointe à la quille par des chevilles de fer, & sert à l'affermissement de tout le vaisseau : on la peut nommer une quille interne ; elle a fort souvent un écart à l'avant.

Les mesures que l'on donne à la carlingue pour sa largeur & épaisseur, se reglent suivant la grandeur du bâtiment : par exemple, la carlingue d'un vaisseau de 134 piés de long aura 9 à 10 pouces d'épaisseur, 2 piés 4 à 5 pouces de largeur, & environ 3 pouces d'épais aux bouts de l'écart.

La carlingue va en diminuant vers les bouts, tant à l'égard de la largeur que de l'épaisseur. On met à chaque varangue, ou du moins de deux en deux varangues, une cheville de fer à tête perdue, qui passe au-travers de la carlingue & de la varangue, & entre dans la quille si avant, qu'il ne s'en faut qu'un pouce & demi qu'elle ne passe tout au-travers ; & lorsqu'on met le vaisseau sur le côté, on garnit le reste du trou par-dehors, de bouts de chevilles de bois qu'on y fait entrer avec beaucoup de force, afin qu'il n'y passe point d'eau.

On renforce la carlingue d'une autre piece de bois qu'on met dessus, à l'endroit qui porte le pié du grand mât.

CARLINGUE ou ECARLINGUE de pié de mât ; c'est la piece de bois que l'on met au pié de chaque mât, qui porte aussi ce nom.

Le grand mât, le mât de misene & le mât d'artimon, ont chacun leur carlingue. Voyez Pl. VI. n°. 40. la figure de la grande carlingue ou carlingue du grand mât, & sa situation, Pl. IV. fig. 1. n°. 34.

Carlingue du mât de misene ; sa figure Pl. VI. n°. 41. sa situation dans le vaisseau, Pl. IV. fig. 1. n°. 35.

Carlingue du mât d'artimon, voyez Pl. IV. fig. 11. n°. 84. & 106.

La grande carlingue, ou l'écarlingue du pié du grand mât, se pose droit sur la contre-quille : ses proportions dépendent de la grandeur du vaisseau. Dans un bâtiment de 134 piés de long, elle est à 6 piés de distance du milieu de la longueur du vaisseau, en allant vers l'arriere ; elle est assûrée par deux porques marquées aa dans la figure 40. de la Planche VI. Ces porques, dans un vaisseau de 134 piés de long, doivent avoir 14 pouces de large & 12 pouces d'épais, & être à 3 piés & demi de distance l'un de l'autre. La porque qui est vers l'avant, se place derriere le banc de la grande écoutille. Ces porques sont encore fortifiées par 4 genoux, deux du côté de l'avant, & deux du côté de l'arriere. Ils doivent avoir 10 pouces d'épais, & ils sont par le bas de la même largeur que les porques ; leurs branches inférieures ont 8 piés de long, & leurs branches supérieures 7 piés ; celles-ci sont moins épaisses de deux pouces que celles d'en-bas. De chaque côté de la contre-quille on met un billot ou taquet, pour supporter l'avance que la carlingue fait au-delà de la contre-quille, au-dessus de laquelle il doit monter de la hauteur de 4 pouces & il a 4 pouces d'épais par le haut. La largeur de la carlingue doit être de 2 piés 6 pouces, & celle de la carlingue du mât de misene doit être égale : l'épaisseur de l'une & de l'autre doit être de 10 pouces. Le billot qu'on pose sur la contre-étrave, sous la carlingue du mât de misene, doit avoir 10 pouces d'épais ; & à le prendre par le côté qui regarde l'avant, il est placé à la neuvieme partie de la longueur du vaisseau, où est aussi la carlingue du pié du mât. Il reste au côté du billot une partie de la piece où le billot a été coupé, qui fait comme une planche épaisse qui monte avec le mât jusqu'au pont. Les porques de la carlingue du mât de misene doivent avoir 12 pouces de large, & 10 pouces d'épais ; il y a 4 genoux au-dessous & deux au-dessus, qui ont 10 pouces de large & 9 pouces d'épais ; leurs branches ont 7 piés de long. La carlingue du mât d'artimon doit avoir 14 pouces de large, & 10 pouces d'épais : ces mesures dépendent des différentes méthodes qu'adoptent les constructeurs, & changent, comme on l'a dit ci-devant, suivant la grandeur des vaisseaux.

Carlingue de cabestan ; il y a la carlingue du grand cabestan. Voyez Planche IV. fig. 1. n°. 67.

La carlingue du petit cabestan, n°. 104.

Carlingue de cabestan arquée & cousue au pont ; c'est lorsque le pié du cabestan ne descend pas jusque sur le pont, on lui fait une carlingue courbée, dont les deux bouts sont attachés au baux, & le pié du cabestan entre dans son arc qui est suspendu.

Carlingue du bâton de pavillon, voyez Planche IV. fig. 1. n°. 155. (Z)


CARLOVINGIENSS. m. pl. (Hist. mod.) nom que l'on donne aux rois de France de la seconde race, qui commença en 752 en la personne de Pepin le Bref, fils de Charles Martel, & finit en celle de Louis V. en 987. On compte quatorze rois de cette famille.


CARLOWITZ(Géog.) petite ville de Hongrie, sur le Danube. Long. 37. 43. lat. 45. 25.


CARLS-TOWN(Géog.) ville & port de l'Amérique septentrionale dans la Caroline, sur l'Asty.


CARLSBAD(Géog.) petite ville de Bohème, sur la Toppel, remarquable par ses bains d'eau chaude, auxquels toute l'Allemagne a beaucoup de foi.


CARLSBOURG(Géog.) ville & forteresse d'Allemagne, dans le duché de Bremen, sur la riviere de Geeste qui se jette dans le Weser.


CARLSEROON(Géog.) ville forte de Suede, dans la Blekingie, avec un port sur la mer Baltique. Long. 33. 35. lat. 56. 15.


CARLSHAFEN(Géog.) ville & port de Suede, dans la Blekingie.


CARLSRUHE(Géog.) petite ville d'Allemagne, au cercle de Soüabe, dans le marggraviat de Bade-Dourlach.


CARLSTADTou CARLOWITZ, (Géog.) ville & forteresse d'Hongrie dans la Croatie, au confluent des rivieres du Kulp & de Mereswitz.

CARLSTADT, (Géog.) ville forte de Suede, dans la West-Gothie, sur une île. Long. 31. 40. lat. 59. 16.

CARLSTADT, ou CARSTADT, (Géog.) petite ville d'Allemagne en Franconie, sur le Mein, près de Wirtzbourg.


CARMAGNOLE(Géog.) ville forte d'Italie, dans le Piémont, près du Pô. Long. 25. 20. lat. 44. 43.


CARMAING(Géog.) petite ville de France en Gascogne, dans la Lomagne.


CARMELITESnom d'un ordre de religieuses réformé par sainte Thérese. C'est un ordre extrèmement austere. (G)


CARMEN(Belles-Lettres) mot latin dont on se servoit en général pour signifier des vers, & dans un sens plus particulier, pour marquer un charme, ou formule d'expiation, d'exécration, de conjuration, &c. renfermée dans un petit nombre de mots, d'où l'on croyoit que dépendoit leur efficacité.

Carmina vel coelo possunt deducere lunam.

Voyez VERS, CHARME, &c.

Le P. Pezron fait venir ce mot de carm ou garm, qui chez les Celtes se prenoit pour des cris de joie, & les vers que les Bardes chantoient avant le combat pour encourager les soldats ; & il ajoûte qu'en grec signifie tout-à-la-fois combat & joie ; mais ce dernier mot n'est pas dérivé du celtique, que les Grecs ignoroient très-certainement : il a pour racine le grec même, , je me réjouis.

Quelques auteurs tirent de ce mot l'étymologie des vers ou pieces de poësies nommées par les Latins carmina, parce que, disent-ils c'étoient des discours mesurés & d'une forme déterminée telle que les charmes ou formules des enchanteurs. D'autres au contraire prétendent que ces formules ont été nommées carmina parce qu'elles étoient conçûes en vers. On croyoit alors, ajoûtent-ils, que le langage mesuré & cadencé avoit beaucoup plus de pouvoir que la prose, pour produire la guérison de certains maux, & autres effets merveilleux que promettoient les magiciens.

Vigenere dérive carmen de Carmenta, prophétesse, mere d'Evandre, parce qu'elle faisoit ses prédictions en vers ; & d'autres prétendent que c'est précisement par cette derniere raison qu'on lui donna le nom de carmante, parce qu'avant elle on nommoit tout discours en vers carmen. Voyez CARMENTALES. (G)


CARMENTALEou CARMENTALIA, adj. pris subst. (Hist. anc.) fête des anciens Romains qu'ils célebroient tous les ans le 11 de Janvier, en l'honneur de Carmenta ou Carmentis, prophétesse d'Arcadie, mere d'Evandre, avec lequel elle vint en Italie, soixante ans avant la guerre de Troie.

Cette solennité se répétoit aussi le 15 de Janvier ; ce qui est marqué dans le vieux calendrier par carmentalia relata.

Cette fête fut établie au sujet d'une grande fécondité des dames romaines, après leur réconciliation avec leurs maris, avec qui elles s'étoient brouillées, parce qu'ils leur avoient défendu l'usage des chars par un édit du sénat.

C'étoient les dames qui célébroient cette fête ; celui qui offroit les sacrifices s'appelloit sacerdos carmentalis.

Les auteurs sont partagés sur l'origine du mot carmenta : Vigenere dit que cette prophétesse fut ainsi appellée de carens mente, c'est-à-dire, hors de sens, hors de soi-même, à cause de l'enthousiasme où elle entroit souvent. D'autres prétendent que son nom vient de carmen, parce qu'elle faisoit ses prophéties en vers : mais Vigenere soutient au contraire que carmen vient de carmenta. Voyez CARMEN. (G)


CARMERY(Géog.) ville & abbaye de France au pays de Vélay, sur la riviere de Colance, à quatre lieues de Puy.


CARMESS. m. pl. (Hist. ecclés.) ou NOTRE-DAME DU MONT-CARMEL, ordre religieux qui tire son nom du Carmel, montagne de Syrie, autrefois habitée par les prophetes Elie & Elisée, & par les enfans des prophetes, desquels quelques auteurs peu intelligens ont prétendu que les Carmes descendoient par une succession non interrompue ; l'un d'entr'eux l'a même soûtenu dans des theses singulieres imprimées à Besiers, & qu'on trouve dans les nouvelles de la république des lettres de Bayle.

D'autres, avec aussi peu de vraisemblance, leur donnent Jesus-Christ pour fondateur immédiat : quelques-uns ont imaginé que Pythagore avoit été Carme, & cela naturellement, & sans le secours de la métempsycose ; & d'autres, que nos anciens druides des Gaules étoient une branche ou un rejetton de cet ordre. Phocas, moine grec, qui vivoit en 1185, dit que de son tems on voyoit encore sur le Carmel la caverne d'Elie, auprès de laquelle étoient des restes d'un bâtiment qui paroissoit avoir été un monastere ; que depuis quelques années un vieux moine, prêtre de Calabre, s'étoit établi en ce lieu, en conséquence d'une révélation du prophete Elie ; & qu'il y avoit assemblé dix freres. Albert, patriarche de Jérusalem, donna en 1209 à ces solitaires une regle qui fut approuvée deux ans après par le pape Honoré III. & que le pere Papebrock a fait imprimer. En 1238, le roi S. Louis revenant de la Terre-Sainte, emmena avec lui quelques-uns de ces religieux, & les établit en France où ils ont sept provinces. Cet ordre qui est un des quatre mendians aggrégés à l'université de Paris, s'est rendu célebre par les évêques, les prédicateurs, & les écrivains qu'il a donnés à l'Eglise. L'habit des Carmes est une robe noire, avec un scapulaire & un capuce de même couleur, & par dessus une ample chape & un camail de couleur blanche. Il n'étoit pas autrefois de même. V. BARRES. L'ordre des Carmes se divise en deux branches ; ceux de l'ancienne observance, qu'on appelle mitigés, parce que l'austérité de leur régle fut adoucie par Innocent IV. & par Eugene IV. & qui n'ont qu'un général auquel obéissent quarante provinces, & la congrégation de Mantoue qui a un vicaire général ; & l'étroite observance qui a deux généraux, l'un en Espagne, qui a huit provinces de son obéissance, & l'autre en Italie, qui a douze provinces en différentes parties de l'Europe.

CARMES DECHAUSSES ou DECHAUX, ainsi appellés parce qu'ils vont nud-piés ; c'est une congrégation religieuse établie dans le xvj. siecle par sainte Thérese ; cette sainte la remit dans sa premiere austérité vers l'an 1562. Elle commença par établir sa réforme dans les couvens de filles, & la porta ensuite dans ceux des hommes, aidée dans ce dessein par le pere Antoine de Jesus, & le pere Jean de la Croix, religieux Carmes. Pie V. l'approuva, & cette réforme fut confirmée par Grégoire XIII. en 1580. Il y a deux congrégations de Carmes déchaussés, dont chacune a son général & ses constitutions particulieres : l'une est la congrégation d'Espagne, divisée en six provinces ; l'autre est la congrégation d'Italie, qui comprend tout ce qui ne dépend pas de l'Espagne. Ils ont quarante-quatre ou quarante-cinq couvents en France, où ils sont établis depuis 1605. (G)


CARMINS. m. (Peinture & Chimie) c'est une espece de laque très-fine & fort belle, de couleur rouge fort éclatante & précieuse, dont on ne fait guere d'usage que dans la mignature & peinture en détrempe. Comme elle n'a pas beaucoup de corps, non plus que toutes les laques, on ne peut la glacer sur le blanc.

Pour faire le carmin, prenez cinq gros de cochenille, trente-six grains de graine de choüan, dix-huit grains d'écorce de raucour, & dix-huit grains d'alun de roche ; pulvérisez chacune de ces matieres à part dans un mortier bien net ; faites bouillir deux pintes & demie d'eau de riviere ou de pluie bien claire dans un vaisseau bien net, & pendant qu'elle bout versez-y le choüan, & le laissez bouillir trois bouillons, en remuant toûjours avec une spatule de bois, & passez promtement par un linge blanc : remettez cette eau passée dans un vaisseau bien lavé, & la faites bouillir : quand elle commencera à bouillir, mettez-y la cochenille, & la laissez bouillir trois bouillons ; puis vous y ajoûterez le raucour, & lui laisserez faire un bouillon : enfin vous y verserez l'alun, & vous ôterez en même tems le vaisseau de dessus le feu ; vous passerez promtement la liqueur dans un plat de fayence ou de porcelaine bien net, & sans presser le linge : vous laisserez ensuite reposer la liqueur rouge pendant sept à huit jours, puis vous verserez doucement le clair qui surnage, & laisserez secher le fond ou les feces au soleil dans une étuve ; vous les ôterez ensuite avec une brosse ou plume, & ce sera du carmin en poudre très-fine & très-belle en couleur.

Remarquez que dans un tems froid on ne peut pas faire le carmin, attendu qu'il ne se précipite pas au fond de la liqueur, mais fait une espece de gelée & se corrompt.

La cochenille qui reste dans le linge après avoir passé la liqueur, peut être remise au feu dans de nouvelle eau bouillante, pour en avoir un second carmin ; mais il ne sera ni si beau, ni en si grande quantité que le premier.

Enfin la cochenille qui reste dans le linge, & la liqueur rouge qui surnage au carmin, peut se mêler avec la teinture de bourre d'écarlate, pour en faire la laque fine. Voyez l'article LAQUE, & la suite de celui-ci.

Autre maniere. Prenez trois chopines d'eau bien pure, c'est-à-dire, trois livres pesant ; mettez-les dans un pot de terre vernissé ; placez ce pot devant un feu de charbon ; ajoûtez-y aussi-tôt un grain au plus de graine de choüan : quand ce mélange bouillira fortement, passez-le par un tamis serré, & remettez cette premiere eau dans le même pot sur le feu, y ajoûtant aussi-tôt deux gros de cochenille mesteque, & remuant le tout une fois avec une spatule. Quand ce nouveau mélange bouillira bien fort, ajoûtez-y un grain d'autour, & immédiatement ensuite huit grains de creme de tartre pilée, autant de talc blanc, & autant d'alun de Rome broyé ; laissez bouillir le tout pendant deux à trois minutes ; éloignez-le ensuite du feu, & le laissez refroidir sans y toucher, jusqu'à ce qu'il soit tiede, alors l'eau paroîtra plus rouge que l'écarlate : passez-la tiede au-travers d'un linge net un peu fin, dans un plat de fayence ; laissez le marc au fond du pot pour le passer & presser à part dans un autre plat ; ce qui vous donnera le carmin commun : laissez reposer vos plats pendant trois jours ; décantez-en l'eau, le carmin restera au fond des plats : faites-le secher à l'ombre & à l'abri de toute poussiere, & quand il sera sec, enlevez-le avec une petite brosse ; vous aurez dix-huit à dix-neuf grains de beau carmin, sans compter le commun.

Observez que le talc blanc doit être purifié de la maniere suivante pour l'opération qu'on vient de dire. Prenez du talc, calcinez-le dans un bon feu, jettez-le ensuite dans de l'eau, remuez & délayez avec les mains ; quand l'eau paroîtra blanche, enlevez-la avec une tasse, & la passez par un tamis dans un grand vaisseau, où vous la laisserez reposer pendant deux heures ; le talc se précipitera au fond du vaisseau, dont vous décanterez l'eau : faites secher ce sédiment, ce sera le talc dont vous employerez huit grains au carmin.

Quoique les méthodes précédentes puissent être bonnes, nous conseillons au lecteur de donner la préférence à celle qui suit ; elle est de Kunckel. Voici comment cet auteur enseigne à faire le carmin.

" Prenez, dit-il, quatre onces de cochenille, une livre d'alun, de laine bien fine & bien nette une demi-livre, de tartre pulvérisé une demi-livre, de son de froment huit bonnes poignées ; faites bouillir le son dans environ vingt-quatre pintes d'eau, ou plus ou moins à volonté ; laissez reposer cette eau pendant une nuit, pour qu'elle devienne bien claire ; & pour la rendre encore plus pure, filtrez-la : prenez un chauderon de cuivre assez grand pour que la laine y soit au large ; versez dessus la moitié de votre eau de son, & autant d'eau commune à proportion de la quantité de laine que vous aurez à y faire bouillir ; mettez-y l'alun, le tartre, & la laine ; ensuite vous ferez bouillir le tout pendant deux heures, en observant de remuer la laine de bas en haut ou de haut en bas, afin qu'elle se nettoye parfaitement ; mettez la laine ; après qu'elle aura bouilli le tems nécessaire, dans un filet, pour la laisser égoutter : prenez pour lors la moitié qui vous reste de votre eau de son, joignez-y vingt-quatre pintes d'eau commune, & faites-les bien bouillir ; dans le fort de la cuisson mettez-y la cochenille pulvérisée au plus fin, mêlée avec deux onces de tartre ; il faut remuer sans-cesse ce mélange pour l'empêcher de fuir : on y mettra la laine, on l'y sera bouillir pendant une heure & demie, en observant de la remuer comme il a déjà été dit ; lorsqu'elle aura pris couleur, on la remettra dans un filet pour égoutter ; elle aura pour lors une belle couleur écarlate.

Voici la maniere de tirer la laque ou le carmin de cette laine ainsi colorée. Prenez environ trente-deux pintes d'eau claire, faites-y fondre assez de potasse pour en faire une lessive fort acre ; purifiez cette lessive en la filtrant ; faites-y bouillir votre laine jusqu'à ce qu'elle ait perdu toute sa couleur, & soit devenue toute blanche, & que la lessive se soit chargée de toute sa teinture ; pressez bien votre laine, & passez la lessive par la chausse ; faites fondre deux livres d'alun dans de l'eau, versez cette solution dans la lessive colorée ; remuez bien le tout ; par cette addition la lessive se caillera & s'épaissira ; repassez-la à la chausse, elle sortira toute claire & pure : si elle étoit encore chargée de couleur, il faudroit la mettre bouillir, & y ajoûter encore de l'alun dissous ; elle achevera de se cailler, & le carmin ou la laque ne passera point, mais restera dans la chausse. On aura soin de verser à plusieurs reprises de l'eau fraîche par-dessus, pour achever d'en ôter l'alun ou les sels qui pourroient y être restés : on fait sécher ensuite la couleur, qu'on réserve pour l'usage, après l'avoir réduite en une poudre impalpable. Si dans l'opération on trouvoit que l'eau se fût trop diminuée par la cuisson, il faudra bien se garder d'y verser de l'eau froide ; mais il faut dans ce cas n'y mettre que de l'eau bouillante. "

Si on vouloit faire du carmin à moins de frais, & sans se donner la peine de commencer par teindre la laine, il n'y auroit qu'à faire bouillir dans la lessive susdite de la bourre tontisse de drap écarlate, & procéder en toutes choses de la maniere qu'on vient de décrire. Kunckel dit avoir souvent fait ces deux opérations, & toûjours avec succès. Voyez ses remarques sur l'art de la Verrerie d'Antoine Néri, liv. VII.

On contrefait le carmin avec du bois de Bresil ou de Fernambouc ; on les pile pour cet effet dans un mortier ; on les met tremper dans du vinaigre blanc ; on fait bouillir ces matieres, & l'écume qui en vient donne une espece de carmin : mais il n'approche nullement de la beauté de celui que nous venons d'indiquer. On tire aussi une couleur rouge des grains de kermès & de la garance. Voyez l'art. ROUGE. (-)


CARMINA(Géog.) île de l'Archipel, habitée par des Grecs & des Turcs, qui ne s'occupent qu'à la piraterie.


CARMINACou CARMINIAH, (Géog.) ville d'Asie, dans la grande Tartarie, dans la contrée de Bochara. Long. 88. lat. 39. 30.


CARMINATIFadj. (Med.) nom que l'on a donné à certains médicamens, qui ont la vertu d'expulser les vents retenus dans la cavité de l'estomac & des intestins. Quincy pense que la promtitude avec laquelle ces remedes agissent, les a fait nommer carminatifs, qu'il tire du mot latin carmen, vers ; parce que l'on loüoit en vers tout ce qui paroissoit surprenant, & tenant du charme ou de l'enchantement. On explique leur action par la raréfaction de l'air arrêté par une humeur visqueuse, placée dans l'estomac ou dans les intestins. Lorsque cette espece de digue est rompue par quelque remede atténuant, alors l'air sort avec explosion & occasionne du bruit par haut ou par bas. Rien n'est plus capable de produire cet effet que les semences que l'on employe contre les vents, & que l'on appelle carminatives : telles sont les semences d'anis, de fenouil, de persil, &c. les eaux distillées de ces mêmes plantes ; l'infusion de leurs fleurs, auxquelles on peut ajoûter celles de camomille, de mélilot, de matricaire, d'aneth. Leur nature chaude les rend très-propres à raréfier l'air, & à faire sur la membrane de l'estomac & des intestins, une petite irritation, & un petit mouvement capable de broyer ces humeurs visqueuses, & d'en détruire la ténacité. Voyez VENT. (N)


CARMONE(Géog.) ville d'Espagne, dans l'Andalousie. Long. 12. 25. lat. 37. 24.


CARMONou CORMONS, (Géog.) petite ville d'Italie, dans le Frioul, près de la riviere d'Indri.


CARNACARNE ou CARDINEA, s. f. (Myth.) Déesse révérée chez les Romains. Elle présidoit à la conservation de la santé des parties intérieures du corps, & à l'embonpoint des autres. On lui sacrifioit le premier de Juin ; l'offrande étoit d'une bouillie de farine & de lard. Il étoit encore de son ministere d'écarter les esprits follets, qui tourmentoient les enfans au berceau. Voyez ESPRITS.


CARNACIERadj. (Hist. nat.) épithete qu'on donne aux animaux qui se nourrissent naturellement de chair. Voyez ANIMAL & NOURRITURE.

Les Physiciens sont en dispute sur la question, si l'homme est ou n'est pas naturellement carnacier : il y en a qui prétendent que les fruits de la terre étoient destinés seuls à le nourrir ; & que c'a été le besoin dans quelques pays, & le luxe dans d'autres, qui les a portés à se nourrir des animaux auxquels ils ont tant de ressemblance. Pythagore & ses sectateurs regardoient cette action comme une grande impiété, & s'en abstenoient rigoureusement d'après l'opinion ou ils étoient sur la métempsycose ; & les Bramines leurs successeurs continuent encore à en faire autant aujourd'hui. Voyez ABSTINENCE, BRACHMANES, &c.

La réflexion sur laquelle Gassendi insiste le plus, pour prouver que les hommes ne sont pas naturellement animaux carnaciers ; c'est la conformation de nos dents, dont il y en a plusieurs d'incisives & de molaires ; au lieu que nous n'avons de semblables aux animaux carnaciers, & propres à déchirer la chair, que les quatre canines ; comme si la nature nous avoit destinés plûtôt à couper des herbes, des racines, &c. Cette raison paroît assez foible. Mais on peut observer, que si nous nous nourrissons de viandes, ce n'est qu'après une préparation par coction, & en la mangeant soit bouillie, soit rôtie, &c. & qu'alors même, suivant que l'observe le docteur Drake, elle est plus difficile à digérer que toutes les autres nourritures ; ce qui fait qu'on la défend dans les fievres & dans d'autres indispositions : enfin que les enfans ont de l'éloignement pour les viandes ; jusqu'à ce que leur palais ait été vicié par l'habitude ; & que la maladie des vers à laquelle ils sont sujets, ne vient que de ce qu'on leur fait manger trop-tôt de la viande.

Le docteur Wallis en apporte encore une autre preuve ; c'est que les quadrupedes qui broutent les plantes, ont un long colum avec un coecum à son extrémité inférieure, ou quelque chose d'équivalent, qui porte la nourriture de l'estomac en en-bas par un chemin fort long & fort large, par où la nature paroît avoir eu en vûe de rendre le passage des nourritures dans les intestins plus lent, & de les y faire arrêter plus long-tems : au lieu que dans les animaux carnaciers on ne trouve point de coecum, mais on trouve en sa place un boyau plus court & plus grêle, par où il est évident que le passage de la nourriture doit se faire plus promtement. Or le coecum est très-visible dans l'homme ce qui forme une forte présomption, que la nature qui agit toûjours d'une maniere uniforme, ne s'est pas proposé d'en faire un animal carnacier. Il est vrai que le coecum n'est que fort petit dans les adultes, & qu'il semble n'y avoir que fort peu d'usage ou même point du tout : mais il est plus grand à proportion dans le foetus ; & il est probable que les changemens que nous faisons dans notre régime à mesure que nous devenons plus âgés, peuvent être la cause de cette diminution. Voyez CARNIVORE, COLUM & COECUM. (L)


CARNATIONS. f. se dit au simple de la couleur des chairs, & au figuré de l'art de les rendre. Il s'étend en Peinture à toutes les figures d'un tableau qui sont nues & sans draperie. Il faut observer que le mot de carnation ne se dit point d'une partie en particulier ; ce seroit parler improprement que de dire ce bras est d'une belle carnation ; il faut dire, ce bras est de belle chair, & non pas bien de chair, ainsi que quelques auteurs le prétendent : bien de chair exprime les mollesses de chair, & se dit également des mollesses de chair exprimées dans un dessein, quoiqu'il n'y soit pas question de la beauté des carnations. On dit encore, les carnations de ce tableau sont admirables. (R)

CARNATION, en terme de Blason, se dit de toutes les parties du corps humain, particulierement du visage, des mains, & des piés ; qui sont représentées au naturel.

La ville de Treves, d'argent à un S. Pierre de carnation, vêtu d'azur, tenant de la main droite deux clés d'or passées en sautoir. (V)


CARNAVALS. m. (Hist. mod.) tems de fête & de réjoüissance qu'on observe avec beaucoup de solennité en Italie, sur-tout à Venise.

Ce mot vient de l'italien carnavale : mais Ducange le dérive de carn-aval, parce qu'on mange alors beaucoup de viande, pour se dédommager de l'abstinence où l'on doit vivre ensuite ; il dit en conséquence que dans la basse latinité on l'a appellé carne levamen : carnis privium ; & les Espagnols carnes tollendas.

Le tems du carnaval commence le lendemain des Rois, ou le sept de Janvier, & dure jusqu'au carême. Les bals, les festins, les mariages, se font principalement dans le carnaval. (G)


CARNÉadj. (Jardinage) se dit d'un oeillet dont le blanc tire sur la couleur de chair ; ce qui est regardé comme un défaut dans un oeillet. (K)


CARNEAUS. m. (Marine) les matelots donnent ce nom à l'angle de la voile latine, qui est vers la proue. (Z)


CARNETS. f. (Comm.) c'est un des noms que les marchands, négocians & banquiers donnent à une sorte de livre dont ils se servent pour connoître d'un coup-d'oeil le tems des échéances de leurs dettes actives & passives ; c'est-à-dire des sommes qu'ils ont à recevoir & de celles qu'ils ont à payer, afin qu'en faisant la balance ou comparaison des payemens à faire ou à recevoir, ils puissent pourvoir aux fonds nécessaires pour payer à point nommé, & dans le tems des échéances.

Le carnet est du nombre des livres auxiliaires ; on le nomme encore bilan. Voyez BILAN & LIVRES AUXILIAIRES.

CARNET, se dit aussi d'une espece de petit livre que les marchands portent dans les foires & marchés, sur lequel ils écrivent soit la vente, soit l'achat qu'ils y font des marchandises & même leur recette & dépense journaliere.

On appelle aussi quelquefois carnet, une sorte de petit livre dont se servent les marchands & négocians de Lyon, lorsqu'ils vont sur la place du change, pour faire le virement des parties ; mais son nom le plus usité est bilan. Voyez BILAN. (G)


CARNIA(LA) Géog. province ou despotat de la Turquie en Europe, dans la basse Albanie.

CARNIA, (LA) Géog. pays d'Italie, dans l'état de la république de Venise, dans la partie septentrionale du Frioul, le long de la riviere de Tajamento.


CARNIENadj. (Hist. & Myth.) surnom d'Apollon, & nom de fêtes instituées en son honneur, sur-tout à Lacédémone pour expier la mort du devin Carnus. Les prêtres d'Apollon Carnien gouvernerent pendant trente-cinq ans le royaume des Sycioniens, après la mort de leur roi. Carnus, prêtre d'Apollon, fut tué à coups de fleches par les Héraclides, à qui il prédisoit des suites malheureuses de la guerre qu'ils avoient contre les Athéniens ; mais la peste ayant succédé dans l'armée presqu'immediatement à la mort de Carnus, on ne manqua pas de la regarder comme un effet de la colere céleste. On éleva un temple à Apollon, & l'on institua les carnées.


CARNIFICATIONCARNIFICATION


CARNIOLE(Géog.) province d'Allemagne, dans les états de la maison d'Autriche, bornée par la Carinthie & la Stirie, par l'Esclavonie & l'Istrie, la Croatie & le Frioul. Laubach en est la capitale.


CARNIVOREadj. (Hist. nat.) se dit des animaux qui vivent de chair. Dans les animaux carnivores le colon est simple, & les excrémens liquides. C'est ce qu'on a observé dans le chat, dans le chien, dans le lion, dans l'ours. De plus, ils n'ont qu'un estomac membraneux, mou ; & il est de même nature dans les lésards, dans les poissons, dans les serpens, dans le veau-marin, &c. mais toutes les especes d'oies, de poules, & d'autres oiseaux granivores, dont le nombre est immense, qui n'ont point de dents & ne se nourrissent que d'une farine végétale, enfermée dans des grains à double écorce, ont une structure différente. Au cou, au-dessus du sternum, l'oesophage se dilate en une bulbe ou sinus, appellé communément jabot, rempli de glandes salivaires, qui versent sur les grains une liqueur propre à les amollir. Ces glandes sont en grand nombre, rondes, oblongues ; fistuleuses, divisées suivant leur longueur ; elles paroissent caves, & versent un suc blanc un peu visqueux. Dans les oiseaux de proie, on trouve beaucoup de corps glanduleux. Malpighi remarque que dans l'aigle, non-seulement la partie supérieure de l'estomac, mais encore l'oesophage, est parsemé de glandes ovales, & qu'on y voit par-tout de petits tuyaux qui viennent de la tunique nerveuse, & qui fournissent un suc. Le jabot a été exactement décrit par Wepfer dans la cicogne, & par Grew dans le pigeon. C'est donc dans ce jabot ou premier ventricule, que les matieres séjournent, s'amollissent, & deviennent friables ; ensuite elles sont poussées au-dessous du diaphragme dans l'abdomen, ou au lieu d'un estomac mou & membraneux, comme celui de l'homme & de tous les carnivores, elles ont à essuyer l'action de deux paires de muscles, après avoir souffert celle des trois tuniques musculeuses du jabot. Ces muscles ont à leur partie supérieure, des glandes rangées en anneaux qui descendent de la membrane musculeuse, & sont percées à leurs pointes, comme on le voit encore dans la poule & dans l'outarde. Mais ce qu'il y a peut-être ici de plus singulier & de plus digne de remarque, c'est qu'étant de figure elliptique, ils laissent entr'eux une fente fort étroite, & sont intérieurement incrustés d'une membrane forte, remplie de sillons transversaux, raboteuse, dure, calleuse, presque cartilagineuse ; desorte que cette espece de bouclier est capable de moudre les corps les plus durs : car son action est presque comparable à celle des dents molaires. Willis même prétend que les écrevisses ont de vraies dents dans le ventricule. Les organes qui sont réunis dans l'homme, sont donc séparés dans les oiseaux. Nous avons dans l'estomac la salive qui amollit, & des fibres charnues qui broyent ; au lieu que les oiseaux dissolvent dans un ventricule avant que de broyer dans l'autre ; & cette structure leur étoit absolument nécessaire. Sans cette duplicité, qui fait que l'action des fibres charnues n'est point énervée par un velouté & par des humeurs, comment pourroient-ils digérer des alimens aussi durs, que la mastication n'eût pas préparés auparavant ? Il n'est donc pas surprenant qu'on trouve si souvent dans les pigeons des matieres friables dans le premier ventricule, & réduites en bouillie dans le second : mais il y a des animaux qui n'ont ni dents, ni d'autre instrument qui leur en tienne lieu. Pourquoi cela ? c'est qu'ils ne se nourrissent pas d'alimens durs ; d'ailleurs ce qui manque en solide à quelques estomacs, leur a été donné en liquide. Telle est la vanité qui s'observe dans les estomacs des granivores & des carnivores. Voyez CARNACIER, GRANIVORE, TOMACOMAC. (L)


CARNO(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure, près de la source du Sarno, à 5 milles de Nocera, à 8 de Nole, & à 13 au nord-ouest de Salerne ; elle a titre de duché, & un évêché suffragant de Salerne, érigé vers l'an 967. Long. 32. 12. lat. 40. 47. (D.J.)

SARNO, LE, (Géog. mod.) en latin Sarnus, riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure, aux confins de laquelle elle prend sa source, & porte ses eaux à la mer, sur la côte du golfe de Naples. (D.J.)


CARNOSITÉS. f. terme de Chirurgie, qui signifie une excroissance charnue & fongueuse formée dans l'urethre ou col de la vessie, ou dans la verge, qui bouche le passage des urines.

Les carnosités sont très-difficiles à guérir : on ne les connoît guere qu'en introduisant la sonde dans le passage, où elle trouve en ce cas de la résistance. Elles viennent ordinairement de maladies vénériennes négligées ou mal guéries.

Les auteurs ne conviennent point unanimement de l'existence des carnosités. Ils reconnoissent tous une maladie dans le canal de l'urethre, qui occasionne une difficulté d'uriner, laquelle consiste en ce que le jet de l'urine est fort délié, fourchu, & de travers. Les efforts que font inutilement les malades pour pisser, rendent cette action fort douloureuse, & leur fait rejetter souvent les excrémens en même tems. La vessie, en ne se vuidant qu'imparfaitement, peut s'enflammer & s'ulcérer par l'acrimonie que l'urine contracte en séjournant dans la cavité de ce viscere. Cette maladie est très-fâcheuse ; elle peut avoir plusieurs suites funestes, telles que la rétention totale d'urine, & l'impossibilité de pénétrer dans la vessie avec la sonde, ce qui met les malades dans le cas d'une opération. Voyez RETENTION D'URINE. Il peut aussi se faire des crevasses à l'urethre, & en conséquence une inondation d'urine dans le tissu cellulaire qui entoure la vessie & le rectum : de-là des abcès gangréneux suivis de fistules, &c.

M. Dionis attribue la cause de tous les accidens à des cicatrices qui se sont faites sur des ulceres durs & calleux de l'intérieur de l'urethre. Il assûre que quelque diligence qu'il ait faite en ouvrant les corps qu'on accusoit d'avoir des carnosités, il n'en a jamais trouvé. Il traite d'erreur commune la persuasion de l'existance des carnosités. Il ajoûte que ceux qui prétendoient avoir des remedes particuliers pour les guérir, avoient intérêt de confirmer cette erreur plûtôt que d'en desabuser ; d'autant plus que cette maladie ayant été abandonnée des véritables chirurgiens, étoit devenue le partage des charlatans ou distributeurs de secrets.

Dionis rapporte à ce sujet l'exemple de Jean-Baptiste Loiseau, maître chirurgien de Bordeaux, qui dans un recueil d'observations chirurgicales qu'il a écrites, dit qu'il fut appellé pour traiter le roi Henri IV. d'une carnosité ; qu'il l'avoit pansé & guéri, & qu'il en avoit été récompensé par une charge de chirurgien de sa majesté, que le roi lui donna. Dionis tient cette histoire pour apocryphe : " elle ne prouve point, dit-il, qu'il y ait des carnosités ; elle fait voir que ce M. Loiseau fait le mystérieux, & tient du charlatan, en publiant ce qu'il a fait, sans dire ni les moyens ni les remedes dont il s'est servi. S'il avoit été vrai, continue-t-il, que le roi eût eu une carnosité, il falloit qu'en écrivant cette histoire, M. Loiseau ne fît point un secret ni de la méthode, ni des drogues qu'il avoit employées à une guérison pour laquelle il avoit été si libéralement gratifié : & puisqu'il se taît sur l'essentiel, ajoûte M. Dionis, je tiens le tout pour apocryphe ". Ce raisonnement est d'un ami du genre humain : mais il n'est pas concluant contre les carnosités.

Des praticiens postérieurs à M. Dionis ont essayé dans la maladie dont est question, de dilater peu-à-peu le canal de l'urethre, en se servant d'abord de sondes de plomb fort déliées, & les augmentant ensuite jusqu'à rétablir le diametre naturel de ce conduit. D'autres avec des bougies de cordes à boyau qui se gonflent par l'humidité, sont parvenus à mettre en forme le canal de l'urethre ; ils ont en conséquence attribué le retrécissement de l'urethre au gonflement du tissu spongieux de ce canal, en rejettant l'opinion des carnosités & des cicatrices.

Benevole, chirurgien de Florence, a composé en 1725 un petit traité en langue italienne, sur les maladies de l'urethre. Il n'est d'aucune des opinions que nous venons d'exposer : il pense que la maladie fâcheuse dont nous parlons, est un effet de la tuméfaction des glandes prostates en conséquence de leur ulcération, puisque l'ulcere de cette glande est toûjours le principe de ce qu'on appelle carnosité.

S'il m'étoit permis d'exposer mon sentiment après celui de tous ces praticiens, je dirois librement qu'ils ont erré en donnant pour cause exclusive le vice que quelques observations leur avoient fait appercevoir ; & je pense qu'ils n'ont trouvé cette maladie si rebelle, que pour avoir reglé leur méthode de traiter invariablement sur la cause qu'ils avoient reconnue, & qu'ils croyoient être unique.

Le retrécissement de l'urethre par la présence des carnosités est indubitable. La maniere avec laquelle M. Daran traite ces maladies, en est une preuve. Il se sert de bougies, qui mettent en suppuration les obstacles de l'urethre. A mesure qu'ils disparoissent, l'urine reprend son cours ; & lorsqu'elle sort à plein canal, & que les bougies d'une grosseur convenable passent librement jusque dans la vessie, il cicatrise le canal avec des bougies dessicatives. On voit que M. Daran traite ces maladies comme on feroit un ulcere à la jambe. On doit rendre justice à la vérité : on ne peut disconvenir des succès de M. Daran ; son application à cette sorte de traitement, en lui faisant honneur, en fait beaucoup à la Chirurgie, dont cette maladie étoit presque devenue l'opprobre. Les guérisons qu'il a faites ne sont point, comme quelques personnes le pensent, le fondement d'une nouvelle théorie : elles rétablissent la doctrine des anciens ; elles encouragent tous les Chirurgiens à ne pas abandonner le traitement d'une maladie, & à ne pas se rebuter par les difficultés qu'il présente. M. Daran possede un remede pour mettre les obstacles de l'urethre en suppuration : il a apparemment des raisons particulieres pour en garder le secret. Mais il y a tant de personnes qui ont besoin d'un tel secours ! ce remede n'auroit-il point de substituts qu'un habile chirurgien pourroit employer ? M. Goulard, célebre chirurgien de Montpellier, en a découvert un qui produit les meilleurs effets, & qu'il a communiqué à la société royale de cette ville dont il est membre. La connoissance de la cause de la maladie fournira toûjours des vûes efficaces à un praticien suffisamment éclairé. J'ai réussi à vaincre quelques obstacles, & à mettre l'urethre en suppuration avec des bougies couvertes d'un mélange d'emplâtres de vigo cum mercurio, & de diachylum cum gummis, parties égales. Lorsque le conduit a été parfaitement libre, j'ai procuré la cicatrice des ulceres avec des bougies couvertes d'emplâtre de pierre calaminaire.

Aquapendente, au chap. xjv. du livre III. des ulceres & fistules, décrit la méthode curative des carnosités de l'urethre. Les personnes de l'art ne lisent point ce qu'on en dit sans en tirer quelque fruit.

Les bougies suppuratives ne sont point capables de détruire les cicatrices, & de remédier aux rétrécissemens de l'urethre par le gonflement du tissu spongieux. Dans quelques-uns de ces cas, il faut avoir recours à l'usage des dilatans, & dans d'autres aux cathérétiques ; remedes dont l'application demande beaucoup de prudence & de circonspection. On trouve un mémoire de M. Petit, dans le I. volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie, où l'on voit comme ce grand chirurgien a guéri des rétrécissemens de l'urethre par l'usage des médicamens, & par opération.

Ambroise Paré, qui a fort bien traité des carnosités dans les chap. xxiij. & suiv. de son XIX. livre, propose des sondes tranchantes pour franchir l'obstacle qu'apportent les cicatrices de l'urethre. M. Foubert vient de rétablir & de perfectionner l'usage de ces sondes, que les modernes avoient méprisées. Une personne qui avoit dans l'urethre un obstacle sur lequel les bougies de M. Daran n'agissoient point, consulta, de concert avec ce chirurgien, plusieurs maîtres de l'art. On ne put jamais parvenir à la sonder. M. Foubert qui fut appellé ensuite, examina attentivement ce qui se passoit lorsque le malade faisoit ses efforts pour uriner : il tenoit l'extrémité de sa sonde sur l'obstacle ; & tâtant extérieurement la continuité de l'urethre, il observa que l'urine n'étoit retenue que par une cloison. Il promit de sonder le malade & de le guérir. Il demanda huit jours pour combiner les moyens convenables. Il fit armer une algalie d'une pointe de trocar, qui au moyen d'un stilet, pouvoit être poussée hors de la sonde, ou y rester cachée. M. Foubert introduisit cette sonde dans l'urethre la pointe renfermée ; ayant posé l'extrémité de l'algalie sur l'obstacle, il poussa le stilet, fit sortir la pointe du trocar, & perça le diaphragme contre nature, qui bouchoit la plus grande partie du canal. Il retira la pointe du trocar dans l'algalie, qu'il poussa ensuite très-facilement jusque dans la vessie. Le malade est parfaitement guéri par la cicatrice qui s'est formée pendant qu'on tenoit une sonde d'un diametre convenable dans le conduit de l'urine.

Les autres vices de l'urethre exigent des soins & des opérations particulieres. Voyez RETENTION D'URINE. (Y)


CARNUTESS. m. pl. (Hist. anc. & Géog.) anciens peuples des Gaules. On dit qu'ils habitoient le pays Chartrain.


CARO FOSSILIS(Hist. nat. & Minéralogie) M. Henckel, dans ses opuscules minéralogiques, dit qu'on appelle ainsi une espece d'amiante, qui se trouve près de Dannemore en Norwege, qui a la propriété de rougir au feu & d'en être pénétré ; ce qui le diminue : mais il ne perd point pour cela la vertu de faire feu avec l'acier, comme un caillou ou une pierre à fusil. (-)


CAROCHAS. f. (Hist. mod.) nom que les Espagnols & les Portugais donnent à une espece de mitre faite de papier ou de carton, sur laquelle on peint des flammes de feu & des figures de démons, & qu'on met sur la tête de ceux qui ont été condamnés à mort par le tribunal de l'inquisition. Voyez INQUISITION. (G)


CAROLINES. f. (Commerce) monnoie d'argent de Suede, sans effigie, ni cordon, ni marque sur tranche, ayant pour légende, si Deus pro nobis quis contrà ? elle vaut argent de France, dix-neuf sous deux deniers.

CAROLINE, (LA) Géog. contrée de l'Amérique septentrionale appartenante aux Anglois : on la divise en septentrionale & méridionale : elle contient six provinces. Elle est bornée au nord par la Virginie, au midi par la nouvelle Géorgie, à l'est par la mer, & à l'ouest par les monts Apalathes. Ce pays est très-fertile. La capitale est Charlestown.


CAROLINSadj. pris s. (Hist. ecclés.) nom qu'on donna à quatre livres composés par l'ordre de Charlemagne en 790, pour réfuter le second concile de Nicée.

Ce concile avoit fait plusieurs décrets contre les Iconoclastes sur le culte des images ; decrets très-catholiques, mais qui ayant été envoyés mal traduits aux évêques assemblés à Francfort pour la même cause, & par ordre de Charlemagne, leur parurent contenir une doctrine jusqu'alors inoüie, & qui tendoit à faire rendre aux images un culte fort approchant de celui qu'on rend à Dieu même. Cette erreur de fait engagea Charlemagne à faire composer ces quatre livres, qui contiennent cent vingt chefs d'accusation contre les Grecs. Ces livres furent envoyés au pape Adrien I. à qui ils furent présentés par Angilbert ; abbé de Centule. Adrien écrivit à Charlemagne pour soûtenir les décisions du concile de Nicée : mais on persista en France à les rejetter, parce qu'on ne les entendoit pas ; opposition qui cessa pourtant lorsqu'on eut démêlé la véritable pensée des Grecs, & réduit à leur juste sens des expressions qui avoient paru outrées, & révolter les esprits. Aussi les prétendus réformés n'ont-ils jamais pû retirer aucun avantage réel, ni des décisions du concile de Francfort, ni des livres carolins.

On a douté de la vérité & de l'antiquité de ces livres, lorsque M. du Tillet, évêque de Meaux, les donna pour la premiere fois en 1549 sous le nom d'Eliaphilyra, parce qu'on crut qu'ils avoient été supposés par les nouveaux sectaires, dont ils paroissoient favoriser extrèmement les opinions. Quelques-uns les attribuoient à Angilram, évêque de Metz ; d'autres à Alcuin ; & d'autres enfin à tous les évêques assemblés à Francfort : mais quoiqu'on n'en connoisse pas le véritable auteur, il est certain qu'ils ont été écrits du tems de Charlemagne, comme il paroit par la réponse du pape Adrien, par les conciles de Francfort & de Paris, par le témoignage d'Hincmar qui les cite, & par les divers manuscrits anciens qu'on en a recouvrés. Dupin, biblioth. des auteurs ecclés. du huitieme siecle. (G).


CAROLUSS. m. (Com.) ancienne monnoie de billon de France, frappée sous différens regnes, à différent titre & valeur. Les premiers carolus furent fabriqués sous le regne de Charles VIII. & valoient dix deniers : ils augmenterent sous les regnes suivans, revinrent à leur premiere valeur, puis cesserent d'avoir cours.

Il y a eu beaucoup de différens carolus dans plusieurs états de l'Europe ; mais presque tous ont été du billon tenant argent au plus haut titre de cinq deniers deux grains, & au plus bas de deux deniers, si l'on en excepte le carolus d'Angleterre, &c.

CAROLUS, ancienne piece d'or assez grosse frappée en Angleterre sous Charles I. dont elle porte l'image & le nom ; sa valeur a été de vingt-trois schelins, quoiqu'on dise qu'au tems où elle a été frappée elle ne valoit que vingt schelins. Voyez MONNOIE. (G)


CARON(Géog.) riviere d'Asie dans la Perse, qui se décharge dans le golfe de Balsora.


CARONCULES. f. terme d'Anatomie, signifie à la lettre une petite portion de chair, étant un diminutif du latin caro, chair. Voyez CHAIR.

Mais ce terme s'applique d'une maniére plus spéciale à quelques parties du corps en particulier.

Les caroncules lacrymales sont deux petites éminences, situées l'une à droite, l'autre à gauche, chacune au grand angle de l'oeil, & qui séparent les deux points lacrymaux.

Quelques auteurs n'appellent lacrymale que la caroncule qui est au grand angle ou angle interne, & appellent celle qui est au petit innominée.

Galien avoit enseigné qu'il y avoit dans l'oeil deux glandes qui versent un suc, & cela dans les brutes ; & cependant les modernes voulant les trouver dans l'homme, ont imaginé que la caroncule filtroit les larmes ; & l'erreur n'a fait que passer, pour ainsi dire, de main en main jusqu'à Stenon & Morgagni ; l'un qui proposa de nouveaux conduits hygrophtalmiques, & l'autre qui donna une anatomie plus exacte de la caroncule : c'est une glande sebacée, conglomerée, oblongue, transversalement située dans l'appendice de la fente de l'oeil, pleine de follicules qui donnent une cire qui sort par divers petits trous, sous la forme de vers, pleine aussi souvent de divers petits poils, comme on en voit presque par-tout dans les glandes sebacées. Haller, Comment. Boerh.

Il est facile de concevoir que cette glande empêche le lac, ainsi nommé par M. Petit, de se dessécher. Quand les bords des paupieres sont exactement joints, elle distend les points lacrymaux, afin qu'ils soient libres, éminens, & comme attentifs à leur devoir : elle retient dans les poils les ordures de l'oeil ; enfin elle sépare une partie de l'humeur sebacée de Meibom.

Caroncules myrtiformes, sont quatre petites éminences charnues ; environ de la grosseur d'une baie de myrte, raison pour laquelle on les a appellées myrtiformes. Elles sont situées proche, ou pour mieux dire, à la place même de l'hymen ; aux parties génitales des femmes.

Quelques-uns prétendent qu'elles sont plus grosses dans les filles, & qu'elles s'appetissent de plus en plus par le coït : mais d'autres, avec plus de vraisemblance, veulent que ce soit le coït même qui leur ait donné naissance, & qu'elles ne soient autre chose que des portions de la membrane même de l'hymen déchirée, qui se sont retirées. Voyez HYMEN.

Les caroncules papillaires ou mamillaires, sont de petites protubérances en dedans du bassinet des reins, formées par l'extrémité des conduits qui portent la sérosité des glandes des parties extérieures au bassinet.

Elles ont été découvertes par Carpi, & ainsi appellées parce qu'elles ressemblent à un petit téton ou une mamelle. Elles ont la figure d'une tête de gland & sont moins rouges & plus dures que la chair. Elles sont de la grosseur d'un pois, mais elles sont plus grosses en-haut qu'en-bas ; elles se terminent en quelque sorte en pointe, à l'endroit où elles sont percées pour laisser passer l'urine dans le bassinet. Voy. REIN, BASSINET, &c. (L)


CAROTIDES. f. terme d'Anatomie, sont deux arteres du cou, placées l'une à droite, l'autre à gauche, dont l'office est de porter le sang de l'aorte au cerveau & aux parties externes de la tête. Voyez les Planches d'Anatomie, & leur explication. Voyez l'article ANATOMIE, voyez aussi ARTERE, SANG, CERVEAU.

Elles naissent l'une auprès de l'autre de la courbure ou arcade de l'aorte. La droite prend ordinairement son origine de l'artere soûclaviere ; la gauche de l'aorte immédiatement. Elles sont situées très-profondément : & défendues par la trachée artere à côté de laquelle elles sont placées : elles passent sans souffrir de compression, & sans presque donner aucunes branches, jusqu'à ce qu'elles soient parvenues environ à la partie supérieure du larynx, où elles se divisent en deux grosses branches, dont on appelle l'une carotide externe, & l'autre carotide interne.

La carotide externe est antérieure, & l'interne est postérieure.

La carotide externe se porte entre l'angle de la mâchoire inférieure & la glande parotide ; elle monte devant l'oreille sur l'arcade du zygoma, & se termine sur les tempes en se divisant ordinairement en trois rameaux, un antérieur, un moyen, & un postérieur.

Dans ce trajet elle donne plusieurs branches, qui se distribuent aux parties antérieures & postérieures du cou ; telles sont l'artere laringée, l'artere sublinguale ou artere ranime, l'artere maxillaire inférieure, l'artere maxillaire externe, l'autre maxillaire interne, l'artere masseterique ; l'artere occipitale, l'artere auditive externe, &c. Voyez chacune à leur article, LARINGEE SUBLINGUALE, &c.

La carotide interne monte sans aucune ramification jusqu'à l'orifice inférieur d'un produit de l'apophyse pierreuse de l'os des tempes ; elle s'y coude suivant la conformation de ce canal ; & lorsqu'elle est parvenue à l'orifice interne, elle envoye deux rameaux à l'oeil, dont l'un passe par la fente sphénoïdale, & l'autre par le trou optique, par lequel elle communique avec la carotide externe : elle se courbe ensuite de derriere en-devant à côté de la selle sphénoïdale : elle vient enfin en se repliant sur elle-même gagner le côté de l'entonnoir, à la partie antérieure duquel les carotides internes communiquent quelquefois au moyen d'un petit conduit qui va de l'un à l'autre ; elle se divise alors en plusieurs branches, qui se distribuent au cerveau : la postérieure de ces branches communique avec l'artere vertébrale. Voyez CERVEAU, VERTEBRAL, &c.

Hippocrate & les autres anciens médecins, plaçoient le siége de l'assoupissement dans ces arteres ; ce qui leur a fait donner le nom de carotides, comme qui diroit assoupissantes : car le mot de carotide vient de , assoupissement. Par la même raison on les a aussi appellées léthargiques & apoplectiques. (T)


CAROTTES. f. (Hist. nat.) daucus, genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales inégaux faits en forme de coeur, disposés en rond, & soûtenus par le calice qui devient un fruit arrondi, composé de deux semences garnies & entourées de poils disposés en maniere de sourcil. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La carotte légumineuse est une plante qui pousse de grandes feuilles velues, d'une odeur & d'un goût assez agréable : sa tige qui s'éleve de trois piés, est chargée dans sa sommité de parasols, qui portent de petites fleurs blanches à cinq feuilles, disposées en fleurs-de-lis : sa racine charnue, jaune ou blanche, d'un goût douçâtre, est employée dans les cuisines.

Elle ne se multiplie que de graines qui se sement au mois d'Avril ou Mai sur planches : quand elles sont trop drues on les éclaircit ; & pour les avancer, il faut à la mi-Août couper tous les montans à un demi-pié de terre. (K)

La carotte appellée daucus vulgaris, Tournef. Inst. 307. est d'usage en Medecine ; sa semence infusée dans le vin blanc est diurétique, bonne pour prévenir le calcul & en diminuer la violence des accès ; elle chasse le gravier, provoque les regles & l'urine. & fait beaucoup de bien dans les maladies de la matrice & dans les affections hystériques.

Vanhelmont assûre qu'un jurisconsulte fut exempt pendant plusieurs années des douleurs du calcul, en bûvant d'une infusion de la graine de daucus dans de la biere. (N)


CAROU(Géog.) province d'Afrique dans la Nigritie, au royaume de Folgia, près des rivieres de Riojunk & Arveredo.


CAROUBIERS. m. (Hist. nat.) arbre connu des anciens & des modernes. Nos botanistes l'appellent caroba siliqua dulcis, ; les Arabes kernab ; & les Egyptiens carub ou carnub, au rapport de Prosper Alpin, qui en a donné une figure très-peu correcte.

C'est un arbre de moyenne grandeur, branchu, & garni de feuilles arrondies, nerveuses, d'un pouce ou deux de diametre ; épaisses, lisses, verd foncé, portées sur des queues assez courtes, & rangées sur une côte à droite & à gauche : ses fleurs sont de petites grappes rouges chargées d'étamines jaunâtres ; ses fruits, que nous nommons aujourd'hui carouges, & autrefois caroubes, sont des siliques ou gousses applaties, longues depuis un demi pié jusqu'à quatorze pouces, sur un pouce & demi de large ; elles sont brunes en-dessous, courbées quelquefois, composées de deux cosses séparées par des membranes en plusieurs loges qui contiennent des semences plates, approchantes de celles de la casse.

Ces cosses sont remplies dans leur substance d'un suc épais, noirâtre, mielleux, douçâtre, qui ne s'éloigne pas beaucoup de celui de la moelle de casse. C'est apparemment la figure courbée de cette gousse qui lui a fait donner en grec & en latin les noms de keratia, keratonia, qui signifient de petites cornes.

Le caroubier étoit autrefois fort commun en Grece, en Egypte, dans la Palestine, & dans les montagnes de Judée.

Les Egyptiens, à ce que rapporte Prosper Alpin, chap. iij. tirent des siliques une espece de miel fort doux, qui tient lieu de sucre aux Arabes. Ils s'en servent pour confire les myrobolans, les tamarins, & plusieurs autres fruits ; ils l'employent fréquemment au lieu de miel dans les clysteres, & le donnent aux malades à dessein de leur rendre le ventre libre ; car il produit autant d'effet que la pulpe de la casse. Ils en usent encore extérieurement & intérieurement pour les inflammations des reins, contre la toux & l'asthme. Tous ceux qui prétendent que ce fruit resserre sont dans l'erreur ; il est certain qu'il relâche & qu'il purge, comme la pulpe de casse, quand il est mûr : c'est ce que Bauhin confirme par des expériences qu'il en a faites quand il étoit à Venise.

Ce fruit est fort commun en Italie, en Provence, en Barbarie : on le laisse mûrir & sécher au soleil ; les pauvres s'en nourrissent, & on en engraisse le bétail. Autrefois on en tiroit une espece de vin ou de liqueur fermentée, d'un grand usage dans la Syrie & dans l'Egypte, & le marc se donnoit aux porcs.

L'enfant prodigue, dit S. Luc, ch. xvj. 5. accablé de misere, & pressé par la faim, auroit desiré se rassasier des gousses (il faudroit traduire des carouges) dont les pourceaux se nourrissoient. C'est le sentiment des plus habiles interpretes de l'Ecriture, de Bochart, Grotius, Hammond, le Clerc & autres. En effet le mot grec qu'employe S. Luc, signifie des carouges, ou, ce qui revient au même, le fruit du caroubier. Aussi MM. de Beausobre & Lenfant ont traduit avec raison le terme qu'employe S. Luc par celui de carouges : mais quand ils ajoûtent dans leur note sur ce passage de l'évangéliste, que ce fruit vient dans des écosses, ils ne se sont pas exprimés avec assez d'exactitude ; ils devoient dire que le caroubier porte pour fruit des siliques, des gousses, qui contiennent dans leur substance, dans leur follicule une espece de pulpe douce, mielleuse, &c. Article communiqué par M(D.J.)


CAROUGou CAROUBE, s. f. Voyez CAROUBIER.


CARPA(Géog.) ville d'Asie dans l'Inde au-delà du Gange, au royaume de Brama, sur la riviere de Caipumo.


CARPARY(Géog.) île de l'Amérique méridionale dans la Guiane. On l'appelle aussi l'île des lapins.


CARPATHIE(Géog. anc. & mod.) ville de l'Archipel qui a donné son nom à la mer Carpathienne : elle est située entre Rhodes & Candie. Il y subsiste encore des vestiges de villes anciennes, & d'autres antiquités. C'est aujourd'hui Scarpanto.


CARPE, s. m. terme d'Anatomie, le poignet, ou la partie qui est entre la paume de la main & la partie inférieure de l'avant-bras. Voyez Planches anat. & leur explication. Voyez aussi MAIN.

Le carpe est composé de huit os de figure & grosseur differentes, placés en deux rangs, quatre à chaque. Le premier rang s'articule avec les deux os de l'avant-bras, & le second avec les os du métacarpe. Ces os sont fortement liés ensemble par des ligamens qui viennent du radius, & par le ligament annulaire, par lequel passent les tendons qui font mouvoir les doigts. Quoique ce ligament passe pour être unique, il fournit une gaine à chaque tendon qu'il reçoit.

Les Arabes l'appellent rasceta, & les Latins quelquefois carpismus.

Les os du carpe sont le scaphoïde, le semi-lunaire, le telocïde, le pisiforme ou hors de rang, le trapese, le trapesoïde, le grand, & le crochu. Voyez SCAPHOIDE, &c. (L)

CARPE, (Hist. nat. Ichthiolog.) en latin cyprinus, poisson d'eau douce fort commun & fort connu.

Ceux qui ne sont touchés que de la bonté des langues de carpe, n'ont pas besoin de lire cet article, & ce n'est pas pour eux qu'il est fait ; c'est pour des gens moins curieux de la délicatesse du palais de ce poisson, que de son histoire anatomique. On en est redevable à plusieurs physiciens, & particulierement à M. du Verney l'aîné, & à M. Petit le medecin, qui l'ont donné dans les Mémoires de l'académie des Sciences, avec les lumieres & l'exactitude qui regnent dans leurs recherches.

Ménage que Balsac disoit être inspiré pour les étymologies, n'a pas eu besoin d'une révélation pour dériver notre terme françois carpe, du mot latin carpa, qui se trouve dans Cassiodore. Ceux qui dérivent carpe, de carpio, qui est un poisson qu'on trouve dans un lac d'Italie, doivent céder le pas à Ménage ; car outre qu'ils se trompent dans le fait, parce que carpio désigne un poisson tout différent ; la permutation des lettres est bien plus grande, en tirant carpe de carpio que de carpa.

Les Grecs appellent ce poisson , d'où les Latins, comme Pline, ont fait cyprinus.

On trouve la carpe dans les rivieres, dans les étangs, & dans les marais ; il y en a de plusieurs grandeurs ; elle multiplie beaucoup, & parvient à un âge fort avancé : mais je ne sais si nous en devons croire Willughby, qui dans son histoire des poissons, fait mention d'une carpe qui avoit vécu cent ans. On sait qu'il y a des carpes mâles & des carpes femelles ; que la carpe laitée est le mâle, & l'oeuvée la femelle : il y en a même d'hermaphrodites, comme nous le dirons plus bas.

Les naturalistes modernes n'ont pas manqué d'orner leurs ouvrages de la figure de ce poisson : celle d'Aldrovandi, de Blasius, de Jonston, tant dans la premiére édition d'Allemagne, que dans celle d'Amsterdam, imprimée sous le nom du Ruisch, ne sont pas exactes. Les uns n'ont pas représenté les moustaches qui sont au-dessus de la levre supérieure, & celles qui sont au coin des deux levres. Les autres n'ont pas marqué les rayons qui sont sur les écailles, ou la ligne qui se trouve dans toute la longueur du corps sur les deux côtés de la carpe, ou encore la différence de la grosseur du ventre des carpes laitées & des carpes œuvées. La figure de Willughby est fort belle ; celle de Rondelet bien plus exacte, & celle de M. Petit encore davantage.

Les écailles. Tous les poissons sont revêtus de peau ou d'écailles, tant dans la mer & les rivieres, que dans les étangs & les lacs. La carpe est peut-être celui de tous les poissons qui a de plus grandes écailles, à proportion de sa grandeur. Dans la même carpe il y en a de brunes, de jaunes, & de blanches ; la couleur brune domine dans les plus grandes écailles ; dans les moyennes c'est la jaune & la dorée ; on trouve ces trois couleurs dans chacune des grandes écailles. En général plus les carpes sont grandes, plus les écailles sont brunes, quoi qu'en dise Rondelet.

Les plus grandes écailles occupent le milieu des côtés de la carpe par rapport à sa longueur ; plus elles sont près de la tête, plus elles sont petites.

Les écailles de moyenne grandeur sont du côté de la queue ; les plus petites sous le ventre, & sont d'autant plus petites, qu'elles sont plus près de la tête.

Dans les carpes les plus communes, qui sont de 16 à 18 pouces de longueur tout compris, ou de 9 à 10 pouces entre oeil & bas, c'est-à-dire entre la tête & la queue, les plus grandes écailles ont 7 lignes 1/2 jusqu'à 8 lignes de longueur, & 6 lignes jusqu'à 6 lignes & 1/2 de largeur. Il s'en trouve assez souvent qui sont aussi larges que longues ; elles sont épaisses de 1/5 ou 1/6 de ligne : en général, plus elles sont petites, plus elles sont allongées. Lorsqu'elles sont encore sur la carpe, il n'en paroit tout au plus que le tiers qui est coloré, cette partie externe est souvent d'un jaune un peu rembruni, couleur qui paroît être dans la propre substance de l'écaille ; car on ne peut l'ôter entierement en raclant l'écaille, qu'on n'en enleve une portion, hors un endroit qui appartient à la membrane qui attache les écailles, & c'est aussi l'endroit le plus brun sur l'écaille ; il y a sur cette partie externe des lignes en forme de rayons.

Le dessous de l'écaille opposée à cette partie externe, est argenté au moyen d'une membrane extrèmement fine qui porte cette couleur, que l'on enleve facilement avec la membrane, & qui laisse l'écaille blanche en cet endroit.

Toutes les écailles tiennent ensemble par le moyen des membranes qui les enveloppent : mais tout cela n'empêche pas qu'il n'y ait un peu de jeu dans les écailles, les unes à l'égard des autres ; sans cela la carpe ne pourroit se courber vers les côtés, comme elle fait dans ses mouvemens. Ces membranes tiennent très-fortement à la membrane tendineuse qui enveloppe tout le corps de la carpe, & en sont une continuité.

Si l'on examine bien la partie externe de la carpe, on remarque une ligne brune de chaque côté qui s'étend depuis la tête jusqu'à la queue. Cette ligne paroit brune, parce que la membrane qui attache la partie inférieure de l'écaille, est très-brune dans le milieu ; quelquefois elle est rouge.

On trouve dans la substance des écailles, où l'on voit cette ligne, un canal long de deux lignes ou deux lignes & demie ; qui a environ un quart de ligne de diametre. On peut y introduire une petite épingle de cette grosseur : mais elle y entre plus facilement par la partie interne & inférieure, que par la partie externe & supérieure de l'écaille. Ce canal va de haut en bas de cette écaille, ou de bas en haut, & obliquement de dehors en-dedans ; il se continue d'une écaille dans l'autre successivement depuis la tête jusqu'à la queue : il y a entre chaque écaille un petit canal membraneux qui en fait la continuité.

Après avoir observé ce qu'il y a de plus singulier dans les parties externes de la carpe, il faut venir aux parties internes.

Division de la carpe. On peut diviser la carpe en quatre parties : 1°. la tête, 2°. la poitrine, 3°. le bas-ventre, 4°. la queue. La tête se prend depuis le museau jusqu'à l'extrémité des couverts des oüies, vis-à-vis desquelles se trouve la poitrine ; car il n'y a point de cou entre la tête & le tronc de la carpe. La poitrine est séparée du bas-ventre par le diaphragme ; elle renferme seulement le coeur, & une partie considérable des reins ; le bas-ventre contient les entrailles ; la queue commence à l'anus, & est toute musculeuse.

La tête. La tête est un composé d'un nombre prodigieux d'os emboîtés ensemble avec un art admirable : on y trouve entr'autres un os pierreux assez large, plat, triangulaire, blanc, placé au haut du palais ; c'est proprement l'os hyoïde. On prétend qu'étant réduit en poudre subtile, & donné depuis un scrupule jusqu'à demi-drachme, il est propre pour arrêter le cours de ventre, pour exciter l'urine, pour atténuer les pierres des reins, pour l'épilepsie. C'est l'opinion des Schroders, de Boeclers, des Lémerys : mais n'est-ce point me rendre moi-même ridicule que de la rapporter ?

La mâchoire supérieure de la carpe est garnie de six dents molaires, rangées trois à trois. L'inférieure a un os cartilagineux de la forme d'une olive applatie ; cet os lui sert peut-être pour appuyer & aider à broyer ses alimens.

Ses yeux sont fort remarquables ; le cristallin dans sa partie centrale, a une fermeté qui approche presque de la dureté de la corne. Dans une carpe de quinze pouces de longueur, il fait par sa convexité antérieure une portion de sphere qui a trois lignes de diametre, & la postérieure deux lignes & demie, il y a deux lignes & demi de largeur ou de diametre de sa circonférence, & deux lignes un tiers d'axe ou d'épaisseur : il pese deux grains & demi.

Le coeur. Chacun sait que le coeur de tous les poissons qui ne respirent pas l'air, n'a qu'une cavité, & par conséquent qu'une oreillette à l'embouchure du vaisseau qui y rapporte le sang ; celle du coeur de la carpe est appliquée au côté gauche.

Sa chair est fort épaisse, & ses fibres très-compactes : mais il faudroit des figures pour bien expliquer la structure de cet organe : on en trouvera de très-bonnes dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de l'année 1690.

L'abdomen. Ce poisson a la cavité du bas-ventre formée par les vertebres du dos, & par des muscles qui sont tout différens de ceux de l'homme, & des animaux à quatre piés. Il a plus de seize arêtes de chaque côté en forme de côtes, qui sortent de chaque vertebre, depuis le diaphragme jusqu'à l'anus, où se termine le bas-ventre comme en pointe de cone.

L'anus. L'anus, que les mariniers appellent ombilic, ou le fondement, a aussi ses singularités dans la carpe. Il ne consiste pas seulement dans une ouverture par où elle décharge les excrémens des boyaux : il comprend encore deux autres ouvertures, l'une donne passage aux oeufs dans les femelles, & à la semence dans les mâles lorsqu'ils s'en déchargent ; & l'autre laisse passer l'urine de la vessie : desorte que voilà trois conduits qui aboutissent à cet endroit.

L'anus appellé podex par Rondelet, est en quelque maniere triangulaire dans les carpes laitées, moins dans les carpes œuvées, & a environ quatre à cinq lignes de diametre. Si l'on pique cette partie dans les carpes vives avec la pointe d'une aiguille, on n'y apperçoit aucun mouvement, & néanmoins elle se retrécit insensiblement de moitié.

L'estomac. L'estomac ou le ventricule prend son origine du fond de la gorge ; il passe à-travers le centre du diaphragme, & a la figure d'un boyau. Il a cinq ou six pouces de longueur, & s'étend le long de l'abdomen ; à son extrémité du côté de l'anus, il se replie pour former le premier boyau.

Cet estomac est enveloppé de tous côtés par les boyaux & le foie ; dans l'endroit où il se replie pour produire le premier boyau, il n'y a ni pylore ni valvule à ce repli, comme dans le brochet & d'autres poissons.

Les intestins. Les intestins au nombre de six, n'ont point de mésentere ; ils sont liés ensemble par les parties du foie, qui se trouvent logées & attachées entre les espaces qu'ils laissent entre leurs circonvolutions.

Le foie. Le foie est divisé en plusieurs parties, & comme par appendices, qui ont peu d'épaisseur. Il est aussi long que le paquet des boyaux, logé avec eux entre les deux laites. Sa couleur est d'un rouge de chair musculeuse, tantôt plus, tantôt moins pâle. Il recouvre près de la moitié de la grosse vésicule aérienne, avec laquelle il a une légere adhérence, & il est recouvert à ses côtés par le paquet des oeufs.

La vésicule du fiel. La vésicule du fiel se trouve enchâssée dans le milieu de la partie principale du foie, tout le long de la partie supérieure de l'estomac.

Le canal cholidoque & le canal cystique ne font qu'un canal continu & de même diametre, qui a deux à trois lignes de longueur.

La vésicule du fiel dans une carpe de dix-huit pouces tout compris, est longue d'environ quinze lignes, & six à sept lignes de diametre. La bile qu'elle contient est ordinairement verte & liquide. Lémery dit qu'elle est propre pour éclaircir la vûe : mais on s'en servira bien plus utilement pour le dégraissage.

La rate. La rate est attachée au commencement de l'estomac, à cinq ou six lignes du diaphragme ; sa situation est entre le paquet des boyaux & la grosse vésicule aérienne vers le côté gauche ; sa longueur dans une carpe de dix-huit pouces est de trois ou quatre pouces, sa longueur de 1/2 pouce, & son épaisseur de deux lignes. Cette partie varie très-fort dans ses dimensions ; elle est d'un rouge foncé, comme du sang caillé.

Les oeufs. Les oeufs de la carpe forment deux paquets, un de chaque côté de l'abdomen ; ils s'étendent depuis le diaphragme jusqu'à l'anus ; ils couvrent de chaque côté le paquet formé par les intestins & le foie, & s'étendent entre ce paquet & la vessie aérienne, qu'ils couvrent de part & d'autre depuis la moitié de la grosse vésicule aérienne jusqu'à l'anus.

Ils sont revêtus d'une membrane très-fine & transparente, formant une capsule qui enveloppe entierement les oeufs, auxquels elle est très peu adhérente ; si l'on souffle dans cette capsule, elle se sépare facilement des oeufs, & se gonfle beaucoup.

Les deux capsules se réunissent en un seul canal, qui se termine à la partie postérieure de l'anus. Cette capsule est adhérente au péritoine, & au paquet du foie & des boyaux, mais très-legerement.

Les oeufs qu'elle contient sont adhérens les uns aux autres ; ils sont ronds, ou à-peu-près ronds, & ont 1/3 ligne jusqu'à 2/3 de ligne de diametre, ce qui est rare.

Ils sont d'un jaune très-leger, plus ou moins ; si on les fait bouillir, ils deviennent blancs : mais étant refroidis, ils redeviennent jaunes.

Leur quantité. M. Petit a été curieux de voir combien il y avoit d'oeufs dans une carpe ; pour y parvenir il a mis dans une balance très-fine, la quantité d'oeufs qu'il falloit pour la pesanteur d'un grain, & il a trouvé qu'il en falloit 71 ou 72. Les deux paquets qu'en avoit une carpe de dix-huit pouces de longueur, compris la tête & la queue, pesoient huit onces deux gros, qui font 4752 grains, qui multipliés par 72, font 342144 oeufs, ou environ, que cette carpe contenoit.

Dans une autre carpe moins grosse, c'est-à-dire de seize pouces, les deux paquets d'oeufs ne pesoient que sept onces deux gros quarante-deux grains, & ne contenoient que 305552 oeufs. Dans une carpe de 14 pouces, le paquet d'oeufs pesoit six onces quatre gros quarante-deux grains ; & ne contenoit par conséquent que 262224 oeufs. Les oeufs de toutes ces carpes paroissoient de la même grosseur. Il suit de ces observations, que plus les carpes sont grosses, plus elles contiennent d'oeufs. Ce doit être un fait fort rare de rencontrer juste dans de pareilles opérations, & ce seroit bien peu de chose de ne se tromper que de quelques centaines.

Leuwenhoeck, tom. I. de ses Oeuvres, ne donne aux carpes que 221629 oeufs, & quatre fois plus aux morues, ajoûtant que les oeufs d'un poisson d'un an, sont aussi gros que ceux d'un poisson de vingt-cinq ans. Il établit ensuite que la morue contient 9344000 (neuf millions trois cent quarante quatre mille) oeufs, ce qui fait non pas quatre fois plus d'oeufs que la carpe, comme il avoit dit auparavant, mais quarante quatre fois plus & davantage. Il s'est apparemment glissé quelque faute d'impression dans les chiffres du nombre des oeufs de la morue ; car l'édition latine des ouvrages de cet habile artiste, pour le dire en passant, est toute pleine de pareilles fautes ; & il n'y a que l'édition originale de Leuwenhoeck en Hollandois qui soit bonne.

La laite. La laite que l'on nomme aussi laitance, est une partie dans les carpes mâles, composée de deux corps blancs, très-irréguliers : ce sont les testicules dans lesquels se filtre la semence ; ils sont presque aussi longs que la cavité du bas-ventre. Le côté droit est quelquefois un peu plus long que le gauche, parce qu'il commence un peu plus près du diaphragme ; il recouvre par les côtés, le paquet des boyaux, la vessie aérienne, & la vessie urinaire.

Les vésicules séminales. Chaque corps blanc ou testicule, est composé de deux parties. La premiere & la plus considérable, qui prend son origine près le diaphragme, est le corps du testicule, qui est uni & lisse à sa superficie ; la seconde partie consiste dans les vésicules séminales, qui sont près de l'anus.

Ces vésicules séminales paroissent formées par des petites vésicules distinguées les unes des autres. Pour les avoir avec facilité ; il faut les presser doucement avec le doigt en ramenant du côté de l'anus ; & par ce moyen on en fait sortir par l'ouverture qui est au-dessous de l'anus, la semence qu'elles contiennent. Si après cela on souffle dans cette ouverture, on voit gonfler ces vésicules qui paroissent très-distinctes les unes des autres à l'extérieur. Ces deux vésicules séminales se réunissent en un canal commun, qui se termine au-dehors comme l'anus à la partie postérieure duquel il est situé. Il est long de quatre à cinq lignes, & n'a qu'une ligne & demie jusqu'à deux lignes de diametre. Si on ouvre ce canal, on y voit l'ouverture de la vessie, qui ne paroît pas toujours au-dehors dans les carpes laitées.

La vessie aérienne. On trouve dans la carpe & dans la plûpart des autres poissons une vessie remplie d'air, & qu'on peut appeller pour cela vessie aérienne. C'est pour la même raison que quelques auteurs l'ont nommée vesicula pneumatica, d'autres utriculus natatorius, parce qu'il paroît que les poissons s'élevent plus ou moins facilement vers la superficie de l'eau, selon qu'elle se trouve plus ou moins remplie d'air.

Elle est située entre les reins & les oeufs ou la laite. Elle s'étend depuis le diaphragme jusqu'à la vessie urinaire.

Elle est attachée legerement par des fibres & des vaisseaux à toutes les parties qui la touchent, mais elle tient très-fort à la base d'un petit os qui ressemble de figure à la partie antérieure d'une mitre. La partie supérieure de la membrane externe de cette vessie est attachée si fortement à cet os, qu'on ne peut la séparer sans la couper ou la déchirer ; il y a même quelques-unes des fibres de cette membrane, qui sont continues avec le diaphragme.

Cette vessie est composée de deux vésicules. La premiere est la plus grosse & la plus près du diaphragme ; elle a trois pouces ou environ de longueur, & dix-huit à vingt lignes de diametre à l'endroit où elle a plus de grosseur ; elle forme une espece d'ovale.

La seconde vésicule qui est plus petite en grosseur que la précédente, est de deux ou trois lignes plus longue que la premiere ; mais elle n'a qu'environ douze lignes de diametre dans l'endroit où elle a le plus de grosseur.

Chacune de ces vésicules a deux membranes, une externe & une interne. La premiere tendineuse & forte, est double, ce que l'on apperçoit très-bien en la déchirant, principalement lorsqu'elle a été macérée dans l'eau. On voit que chacune des deux lames qui la composent a des fibres, dont la direction est différente. Les fibres de la lame extérieure sont plus obliques que celles de l'intérieure.

La seconde membrane est très-fine : malgré cela, on reconnoît par la macération, qu'elle est double ; elle renferme dans sa duplicature un muscle dont les fibres sont transverses, & occupent toute la longueur de la vésicule, ou peu s'en faut, & environ le tiers de sa circonférence. Les fibres inférieures se croisent à angles droits, avec d'autres fibres charnues, qui sont à la partie inférieure de la vésicule.

La seconde vésicule a les mêmes membranes : mais les externes sont plus fines que celles de la premiere vésicule. Elle a deux plans de fibres charnues & transverses, un de chaque côté, qui regnent dans toute la longueur de la vésicule : mais chaque plan n'occupe qu'environ le quart de la circonférence.

Les deux vésicules communiquent l'une à l'autre par un petit canal qui a environ une ligne de diametre, & 2/3 de ligne de longueur pour l'ordinaire. Il n'y a point de valvule, & l'air passe librement de l'une à l'autre vésicule.

Tout le monde connoît l'usage de la vessie aérienne ; selon qu'elle est plus ou moins remplie d'air, elle rend le corps du poisson plus ou moins pesant, & par-là propre à monter à la superficie de l'eau, ou à s'enfoncer plus ou moins dans l'eau.

Tout le monde connoît aussi la nécessité absolue de l'air, & même du renouvellement d'air pour la vie des poissons. La machine du vuide a prouvé l'un & l'autre depuis long-tems ; & c'est sur la carpe que les expériences en ont été faites le plus souvent, ce poisson étant fort commun.

Si l'on met une carpe mâle dans un vaisseau plein d'eau, placé sous le récipient de la machine pneumatique, & que l'on pompe l'air trois ou quatre fois, la carpe commence à s'agiter ; toute la surface de son corps devient perlée ; il lui sort par la bouche & par les oüies une infinité de bulles d'air fort grosses, & la région de la vessie aérienne s'enfle considérablement. Si l'on recommence à pomper, les oüies recommencent à battre, mais peu de tems & foiblement ; ensuite la carpe demeure sans aucun mouvement, & la région de la vessie aérienne devient si gonflée & tendue, que la laite fort en s'éfilant par l'anus : enfin au bout d'une demi-heure ou environ, la carpe meurt ; si on l'ouvre, on trouve d'ordinaire la vessie aérienne crevée.

Les reins. Les reins de la carpe sont rouges-bruns, mollasses, semblables en quelque maniere à du sang caillé : ils occupent la plus grande partie de la poitrine, & de-là s'étendent dans toute la longueur du bas-ventre jusqu'à la vessie ; ils sont adhérens au péritoine, aussi-bien qu'aux ovaires, ou à la laite ; ils se grossissent en bosse triangulaire, & sont logés entre les deux vésicules aériennes ; ils remplissent l'espace que ces vésicules laissent entr'elles.

L'urine passe immédiatement de la substance des reins dans les ureteres, par le moyen des vaisseaux excrétoires qui s'y rendent. Les ureteres sont, comme l'on sait, des canaux qui transportent l'urine des reins dans la vessie. Ils sont dans la carpe cachés en partie dans la substance des reins, & principalement dans la partie qui est renfermée dans la poitrine.

La vessie urinaire. La vessie urinaire est une capsule oblongue, arrondie, & qui étant gonflée, ressemble à une petite cucurbite renversée, dont l'embouchure est très-étroite. Elle ne paroît composée que d'une seule membrane qui est fort fine ; son embouchure est tout près de celle du rectum, à la partie postérieure de l'anus dans les carpes œuvées : mais dans les carpes laitées, on ne la découvre point au-dehors ; on la trouve dans le canal commun des vésicules séminales.

Des carpes hermaphrodites. M. Morand a fait voir à l'académie des Sciences en 1737, les parties intérieures d'un grosse carpe, où l'on voyoit distinctement d'un côté les oeufs, & de l'autre la laite : elle étoit donc véritablement hermaphrodite. A cette occasion, M. de Reaumur dit qu'il avoit observé plusieurs fois la même chose dans le brochet, & M. Marchand dans le merlan. On peut y ajoûter les moules. dont nous parlerons : & voilà bien des poissons hermaphrodites qui en feroient soupçonner beaucoup d'autres. Que d'éclaircissemens à desirer sur ce sujet ! Toute une espece n'aura-t-elle que des hermaphrodites, ou sera-t-elle mêlée ? Plusieurs hermaphrodites ont le besoin ordinaire d'un autre animal de leur espece pour engendrer ; les moules engendrent toutes seules. De quel genre seront ces nouveaux hermaphrodites qui se trouvent parmi les poissons ? ce sont tout autant de questions de M. de Fontenelle.

De la respiration de la carpe. Mais de quelque sexe que soient les carpes, œuvées, laitées, hermaphrodites, elles ont toutes besoin de respirer pour vivre.

M. Derham dit que pourvû qu'on les mette dans un endroit frais & dans une position qui ne gêne point leur respiration, elles peuvent vivre long-tems dans l'air & hors de l'eau ; ce qu'il prouve d'après le témoignage d'une personne très-illustre & très-curieuse, par la maniere dont on les engraisse en Hollande, laquelle a aussi été pratiquée en Angleterre. On les suspend à la cave, ou en tout autre lieu frais, dans un petit filet, sur de la mousse humide ; ensorte que la tête de la carpe sorte hors du filet. On les nourrit de cette maniere de pain blanc qui a trempé dans du lait.

Ce fait est aisé à vérifier : il n'est pas aussi facile de démontrer toutes les pieces qui servent à la respiration de ce poisson ; elles montent à un nombre si surprenant, que l'imagination même en est effrayée.

Mais sans entrer dans un détail que je ne saurois faire par écrit, je me contenterai d'en donner le dénombrement, que personne ne sera fâché de voir ; & je ne donnerai point ce dénombrement en chiffres, de peur que quelqu'un ne soupçonne ici des fautes d'impression.

Les pieces osseuses sont au nombre de quatre mille trois cent quatre-vingt-six : il y a soixante-neuf muscles.

Les arteres des oüies, outre leurs huit branches principales, jettent quatre mille trois cent vingt rameaux ; chaque rameau jette de chaque côté sur le plat de chaque lame, une infinité d'arteres capillaires transversales, dont le compte ne seroit pas impossible : il passe de beaucoup tous ces nombres ensemble.

Il y a autant de nerfs que d'arteres, les ramifications des premiers suivant exactement celles des autres.

Les veines ainsi que les arteres, outre les huit branches principales, jettent quatre mille trois cent vingt rameaux, qui sont de simples tuyaux, & qui à la différence des rameaux des arteres, ne jettent point de vaisseaux capillaires transversaux.

Ce nombre prodigieux d'os, de muscles, de vaisseaux, de nerfs, de veines & d'arteres, concourant au même but, arrangés avec tant d'industrie, marquent sans-doute la main du souverain artiste. Que ses oeuvres sont admirables ! Et puisqu'il ne s'est point lassé de les produire dans les eaux comme sur la terre, suivant la remarque de Galien, les hommes peuvent-ils jamais se lasser de les lire & de les étudier ?

Que cette étude est belle ! qu'elle est intéressante !

Etude de tout tems, de tous lieux, de tout âge,

Que n'épuiseront point les siecles à venir !

Je la propose aux grands, je la propose au sage :

Par où saurois-je mieux finir ?

Article communiqué par M(D.J.)

La pêche de la carpe n'a rien de particulier.


CARPÉES. m. (Hist. anc.) espece de pantomime ancienne, que les Athéniens & les Magnésiens peuples de Thessalie, avoient coûtume de danser de la maniere suivante. Un des danseurs mettoit bas ses armes, sembloit labourer & semer, regardoit souvent derriere lui, comme un homme inquiet. Un second danseur imitoit l'action d'un voleur qui s'approche. Le premier reprenoit aussi-tôt ses armes, & il y avoit entr'eux un combat autour de la charrue & des boeufs : ce combat se livroit en cadence & au son de la flûte. Le voleur remportoit la victoire, lioit le laboureur, & emmenoit les boeufs ; quelquefois le laboureur étoit victorieux. Rien n'a plus de rapport avec les ballets que le sieur Dehesse imagine avec tant d'esprit, & qui sont si bien exécutés par nos comédiens Italiens.

On dit que cette danse fut instituée pour accoûtumer les paysans à se défendre contre les incursions des brigands.


CARPEN(Géog.) petite ville forte de la haute Hongrie dans le comté de Bars.


CARPENEDOLO(Géog.) petite ville d'Italie dans le Brescian, aux Vénitiens.


CARPENTER-LANou CARPENTARIA, (Géog.) pays d'Asie de la nouvelle Guinée, dans la nouvelle Hollande.


CARPENTRAS(Géog.) ville de France en Provence, capitale du comté Venaissin. Long. 22d. 42'. 53". lat. 44d. 3'. 33".


CARPENTUM(Hist. anc. & antiq.) char à plusieurs usages chez les Romains. Il étoit ordinairement employé à porter les matrones, & les impératrices sous les empereurs. Il étoit tiré par des mules ; il n'avoit que deux roues, rarement quatre ; il ne servoit pas seulement pour les femmes. Florus fait mention d'un roi Gaulois qui fut pris combattant sur un carpentum d'argent, & mené en triomphe sur le même chariot.


CARPI(Géog.) ville d'Italie en Lombardie dans le Modénois. Long. 28. 25. lat. 44. 45.

CARPI, (Géog.) petite ville d'Italie dans l'état de Venise au Veronois, sur l'Adige.


CARPIO(Géog.) petite ville d'Espagne dans l'Andalousie, sur le Guadalquivir.


CARPOBALSAMUM(Hist. nat. bot.) baie ou fruit de l'arbre qui produit le vrai baume de Judée. Ce fruit n'a pas de nom françois. Il est fort semblable en grosseur, en figure & en couleur, à celui du térébinthe. Ce mot vient de deux mots grecs, , fruit, & , baume.

Le carpobalsamum est une baie oblongue, avec un petit calice & une écorce brune ridée, marquée de quatre côtés, d'un goût & d'une odeur agréables. On en trouve peu dans les boutiques. Il faut s'y connoître pour l'acheter. Il est très-rare. Celui qu'on vend d'ordinaire n'est que du poivre de la Jamaïque. D'autres y substituent les cubebes ou les baies de génevrier.

Le carpobalsamum entre dans la composition de la thériaque & du mithridate : on voit par-là qu'il est regardé comme stomachique, cordial, & propre à fortifier. (N)


CARPOBOLUSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont les individus paroissent ronds lorsqu'ils sont renfermés dans leur enveloppe, mais dans la suite l'enveloppe & le corps qu'elle renfermoit s'ouvrent par le haut, de sorte qu'ils ressemblent à une cloche renversée & découpée par les bords. Il y a au centre de la plante un fruit rond, recouvert d'une membrane très-mince, composé de semences très-petites, & environné d'une certaine liqueur très-claire. Cette liqueur n'est pas plûtôt évaporée, que le carpobolus change de forme ; de concave qu'il étoit, il devient convexe : ce changement se fait en un instant, & avec tant de violence, que le ressort du fond de la plante lance le fruit en-haut. Aussi-tôt que le fruit est sorti, le carpobolus perd une partie de sa convexité ; une moitié s'affaisse & se recourbe en-dedans. Ces observations ne se peuvent faire qu'à l'aide du microscope. Micheli, nova pl. gen. Voyez PLANTE. (I)


CARPOCRATIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui parurent dans le xj. siecle, & prirent ce nom de leur chef Carpocrate, natif d'Alexandrie. C'étoit une branche de la secte des Gnostiques, qui renouvella les erreurs de Simon le Magicien, de Menandre, de Saturnin, de Basilide, &c.

Les Carpocratiens reconnoissoient un principe unique & pere de toutes choses, mais dont ils ne disoient ni le nom, ni la nature : cependant ils pensoient que le monde avoit été créé par des anges ou des génies, bien inférieurs à ce premier principe. Ils nioient la divinité de Jesus-Christ, qui, disoient-ils, étoit fils de Joseph, né comme les autres hommes, mais favorisé de dons extraordinaires, & distingué par sa vertu. Pour arriver à Dieu il falloit, selon eux, avoir accompli toutes les oeuvres du monde & de la concupiscence, à laquelle il falloit obéir en tout ; prétendant qu'elle étoit cet adversaire à qui l'Evangile ordonne de céder, tandis que l'on est avec lui dans la voie (Matth. v. vers. 25.) : que l'ame qui résistoit à la concupiscence, en étoit punie en passant après la mort successivement d'un corps dans un autre, jusqu'à ce qu'elle eût accompli toutes les oeuvres de la chair ; & que par conséquent on ne pouvoit trop se hâter d'acquiter cette dette. De-là ces impudicités en tout genre auxquelles ils se livroient sans remords ; au moins pour leur imposer silence avoient-ils imaginé ce principe qui conduit aux derniers excès, qu'il n'y a point d'action bonne ou mauvaise en soi, mais seulement par l'opinion des hommes. Ils détestoient le jeûne, recherchoient tous les plaisirs des sens, & admettoient la communauté des femmes. Fleury. Hist. ecclés. tom. I. liv. III. pag. 333.


CARQUOISS. m. (Art milit.) espece de boîte ou de fourreau, dans lequel les troupes qui se servent d'arcs mettent leurs fleches. (Q)


CARRAVEIRA(Géog.) ville de la Turquie, en Europe, dans la Macédoine. Long. 40. lat. 40. 27.


CARREqu'on nomme aussi carse, s. f. (Comm.) mesure de continence, dont on se sert à Briare pour mesurer les grains.

La carre pese vingt livres ; & dix carres & 10/11 de ces carres font le septier de Paris. Voyez SEPTIER. Diction. de Commerce, tom. II. pag. 102. (G)


CARRÉqu'il semble qu'on devroit écrire quarré, est un adjectif dont on a fait un substantif, qui désigne dans les arts méchaniques & des instrumens & des formes, où se fait particulierement remarquer celle du quarré, c'est-à-dire, de la figure à quatre côtés perpendiculaires l'un à l'autre, & égaux entr'eux. V. ces différentes acceptions dans les art. suivans.

CARRE, s. m. en terme de Bijoutier, c'est proprement le pilier qui fait l'angle d'une tabatiere. Il se tire au banc. Voyez BANC A TIRER.

CARRE, TRAINE ou TRAINEAU, (Corderie) bâtis de charpente en forme de traîneau, sur le devant duquel s'élevent deux montans qui portent une traverse dans laquelle passent les manivelles qui servent à tordre les torons, ou à commettre la corde. On charge les carrés de poids, pour que les torons soient bien tendus. Voyez l'article CORDERIE & les figures.

CARRE, (Gravure & Monnoyage) morceau d'acier fait en forme de dé, dans lequel on a gravé en creux ce qui doit être en relief dans une médaille. Quand les carrés sont bien trempés, l'on y frappe si l'on veut des poinçons de même que l'on frappe des carrés avec les poinçons : ces derniers carrés alors s'appellent matrices. Voyez MATRICE. Voyez Pl. I. de la Monnoie, fig. 3. & 4.

CARRE de cuir, (Tanneur & cordonnier) c'est ainsi que les Tanneurs & autres qui font commerce de gros cuirs appellent des morceaux de cuir fort, coupés par carré : un carré contient juste ce qu'il faut de cuir pour faire une paire de souliers : cette étendue de cuir se nomme aussi tableau ; & l'on dit des Cordonniers qui se pourvoyent de cette maniere, parce qu'ils ne sont pas en état d'acheter des cuirs entiers, qu'ils vont au tableau.


CARREAUS. m. (Architecture) terre moulée de différentes formes & grandeurs, & cuite comme la brique. Voyez l'article BRIQUE. Le carreau prend différens noms : le quarré, grand de six à sept pouces, sert à parer les atres ; le grand carreau a six pans de six à sept pouces ; le petit carreau a six pans de quatre pouces. Le premier de ces deux-ci s'employe quelquefois aux jeux de paume & grandes galeries ; le second, dans les salles & les chambres ordinaires. Les anciens appelloient ces carreaux à six pans, favi, de la ressemblance qu'ils ont avec les panneaux des rayons de miel ; ceux à trois pans trigona ; les quarrés quadrata ; ceux qui avoient la même base & la même hauteur, tessera. Le carreau de fayence ou de Hollande, ordinairement de quatre pouces en quarré, sert à paver les salles de bain, les petits cabinets ou lieux à soupapes, & autres endroits de cette nature. Il y a des carreaux mi-partis de différentes couleurs, avec lesquels on peut former un grand nombre de desseins & de figures agréables. On trouve dans les Mém. de l'Académie, année 1704. pag. 363. un essai sur cette matiere, par le fameux P. Sébastien. En cherchant, selon la méthode qu'il propose, en combien de manieres deux carreaux mi-partis chacun de deux mêmes couleurs, pourroient s'assembler, en les disposant toûjours en échiquier, on trouve soixante-quatre, ce qui ne doit pas étonner. Deux lettres ou deux chiffres ne se combinent ordinairement que de deux façons, parce qu'ils ne changent de situation que pour être mis l'un après l'autre sur une ligne, la base demeurant toûjours la même : mais dans l'arrangement de deux carreaux, l'un des deux peut prendre quatre situations différentes, dans chacune desquelles l'autre carreau peut changer seize fois, ce qui donne les soixante-quatre combinaisons. Voyez, Planche du Carreleur, ces soixante-quatre combinaisons.

Mais en examinant ces soixante-quatre combinaisons, on y trouve un grand nombre de figures semblables, & l'on voit qu'elles se réduisent à trente-deux différentes ; parce que chaque figure est répétée deux fois dans la même situation, & que les ensembles ne different les uns des autres, que par la transposition du carreau le plus ombré. Tels sont, même Planche, le premier & le troisieme ; le second & le quatrieme ; le cinquieme & le trente-unieme ; le sixieme & le trente-deuxieme ; le septieme & le vingt-neuvieme ; le huitieme & le trentieme ; le neuvieme & le quarante-troisieme ; le dixieme & le quarante-quatrieme ; le onzieme & le quarante-unieme ; le douzieme & le quarante-deuxieme ; le treizieme & le cinquante-cinquieme, le quatorzieme & le cinquante-sixieme ; le quinzieme & le cinquante-troisieme, le seizieme & le cinquante-quatrieme ; le dix-septieme & le dix-neuvieme ; le dix-huitieme & le vingtieme ; le vingt-unieme & le quarante-septieme ; le vingt-deuxieme & le quarante-huitieme ; le vingt-troisieme & le quarante-cinquieme ; le vingt-quatrieme & le quarante-sixieme ; le vingt-cinquieme & le cinquante-neuvieme ; le vingt-sixieme & le soixantieme ; le vingt-septieme & le cinquante-septieme ; le vingt-huitieme & le cinquante-huitieme ; le trente-troisieme & le trente-cinquieme ; le trente quatrieme & le trente-sixieme ; le trente septieme & le soixante troisieme ; le trente-huitieme & le soixante-quatrieme ; le trente-neuvieme & le soixante-unieme ; le quarantieme & le soixante-deuxieme ; le quarante-neuvieme & le cinquante-unieme ; le cinquantieme & le cinquante-deuxieme.

Il y a plus : si l'on n'a point d'égard à la situation & au meme point de vûe, on apperçoit que ces trente-deux figures différentes peuvent encore se réduire à dix semblables. Telles sont, même Planche, la premiere, la troisieme, la dix-huitieme, la vingtieme, la trente-troisieme, la trente-cinquieme : la cinquantieme, & la cinquante-deuxieme : la seconde, la quatrieme, la dix-septieme, la dix-neuvieme, la trente-quatrieme, la trente-sixieme, la quarante-neuvieme, & la cinquante-unieme : la cinquieme, la trente-unieme, la seizieme, la cinquante-quatrieme, la trente-neuvieme, la soixante-unieme, la vingt-quatrieme, & la quarante-sixieme : la sixieme, la trente-deuxieme, la treizieme, la cinquante-cinquieme, la quarantieme, la soixante-deuxieme, la vingt-unieme, & la quarante-septieme : la septieme, la vingt-neuvieme, la quatorzieme, la cinquante-sixieme, la trente-septieme, la soixante-troisieme, la vingt-deuxieme, & la quarante-huitieme : la huitieme, la trentieme, la quinzieme, la cinquante troisieme, la trente-huitieme, la soixante-quatrieme, la vingt-troisieme, & la quarante-cinquieme : la neuvieme, la quarante-troisieme, la vingt-huitieme, & la cinquante-huitieme : la dixieme, la quarante-quatrieme, la vingt-cinquieme, & la cinquante-neuvieme : la onzieme, la quarante-unieme, la vingt-sixieme, & la soixantieme : la douzieme, la quarante-deuxieme, la vingt-septieme, & la cinquante-septieme.

Si l'on exclut de ces dix figures les variétés qui naissent de ce que les parties blanches se trouvent à la place des parties noires, & les noires à la place des blanches, elles se réduiront encore à quatre, où ces parties se voyent dans les unes à droite, comme elles sont dans les autres à gauche, ou en-haut comme elles sont en-bas ; ensorte que si on les suppose tracées sur un papier transparent, on verra les unes en les regardant à-travers le papier, comme on voit les autres sur le papier même ; d'où il s'ensuit qu'à proprement parler, leurs figures ne sont pas différentes. Telles sont les 9e, 43e, 28e, 58e, 10e, 44e, 25e, 29e, 11e, 41e, 26e, 60e, 12e, 42e, 27e, & 57e ; les 6e, 32e, 13e, 55e, 40e, 62e, 21e, 47e, 8e, 30e, 15e, 53e, 38e, 64e, 23e, & 45e, les 7e, 29e, 14e, 56e, 37e, 63e, 22e, 48e, 5e, 31e, 16e, 54e, 39e, 61e, 24e, 46e ; & les 2e, 4e, 17e, 19e, 34e, 36e, 49e, 51e, 1ere, 3e, 18e, 20e, 33e, 35e, 50e, 52e.

Peut-être qu'en cherchant quelque maniere de disposer les combinaisons de ces carreaux sur le papier, on eût rencontré quelque loi qui auroit dispensé de l'énumeration précédente : mais c'est ce que personne n'a encore tenté, non plus que la combinaison de plusieurs carreaux, & moins encore la combinaison de carreaux partis de plusieurs couleurs.

Si l'on s'occupe à former des desseins & des compartimens avec ces figures jointes ensemble, & toûjours en échiquier, on en formera une multitude prodigieuse. Nous n'avons pas jugé à propos de les faire graver ; elles en paroîtront plus surprenantes à ceux qui les verront naître sous leurs yeux, soit par amusement soit par utilité : mais pour les diriger dans cette opération, nous allons leur indiquer & les carreaux & l'ordre dans lequel ils auront à les assembler pour en former des tous agréables : ces exemples pourront être de quelque commodité non-seulement pour les Carreleurs, mais encore pour les ouvriers en Marqueterie, en Tabletterie, en Menuiserie, & autres ouvrages faits de pieces rapportées.

On voit, Planche du Carreleur, les soixante-quatre combinaisons possibles que l'on peut faire avec deux carreaux mi-partis selon leur diagonale. Cette planche est divisée en quatre colonnes de haut-en-bas ; chaque colonne est partagée en cinq quarrés : dans le premier quarré de chaque colonne on a figuré en grand un seul carreau, qui est différemment situé dans chacune, ainsi que l'on les voit par A, B, C, D, quatre lettres qui marquent toûjours les mêmes côtés du carreau ; A, D, les deux colorés ; B, C, les deux blancs. Ainsi dans tous les quarrés de la premiere colonne, le carreau le plus ombré est toûjours censé appliqué horisontalement au côté A ; dans la seconde, au côté B ; dans la troisieme, au côté C ; & dans la quatrieme, au côté D.

Dans les quatre quarrés qui achevent la premiere colonne, & qui ont la lettre A au centre, on a figuré les 16 combinaisons qui se peuvent faire avec deux carreaux ; l'un desquels qui est le plus ombré, demeure toûjours horisontal sur le côté A. On a suivi le même ordre dans les autres colonnes. Les quarrés de chacune sont marqués d'une même lettre : ainsi ils ont au centre B à la seconde ; C, à la troisieme ; D, à la quatrieme. On a séparé les combinaisons de quatre en quatre, pour éviter la confusion : on auroit pû, outre cet avantage, s'en proposer un autre, celui de rencontrer quelque loi qui donnât sans peine les semblables & les différens, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut.

On aura un premier dessein régulier, si l'on fait une ligne de la combinaison 2, & sous cette ligne une autre ligne de même longueur, avec la même combinaison 2, & ainsi de suite.

On aura un second dessein, si l'on fait une premiere rangée avec la combinaison 2 ; une seconde avec la combinaison 34 ; & alternativement ainsi de suite.

Un troisieme dessein, si l'on fait la premiere rangée de la combinaison 6, & la seconde de la combinaison 40, & ainsi de suite alternativement.

Un quatrieme, si l'on fait la premiere rangée avec la combinaison 12, & la seconde avec la combinaison 10, & ainsi de suite alternativement.

Un cinquieme, si l'on fait la premiere rangée avec les deux combinaisons 24 & 14, mises alternativement ; la seconde avec les deux combinaisons 22 & 16 alternativement ; la troisieme avec les deux combinaisons de la premiere, mais en mettant 14 avant 24 ; la quatrieme avec les deux combinaisons de la seconde, mais en mettant 16 avant 22, & ainsi de suite.

Un sixieme, si l'on fait la premiere rangée avec la combinaison 24, & la seconde avec la combinaison 16, & ainsi de suite alternativement.

Un septieme, en faisant la premiere rangée avec la combinaison 42 ; la seconde avec la combinaison 10, la troisieme comme la seconde ; & la quatrieme & cinquieme comme la premiere.

Un huitieme, si l'on fait la premiere rangée des 28, 26, & 50 combinaisons mises de suite ; la seconde des 26, 50, & 28 ; & la troisieme, des combinaisons 50, 28, & 26.

Un neuvieme, si l'on fait la premiere rangée des deux combinaisons 10 & 12 ; & la seconde & troisieme, des deux combinaisons 12, 10.

Un dixieme, si l'on fait la premiere rangée de la combinaison 14 ; la seconde, des combinaisons 40 & 8 : la troisieme, des combinaisons 38 & 6 ; & la quatrieme, de la combinaison 22.

Un onzieme, en faisant la premiere rangée de la combinaison 24 ; & la seconde, de la combinaison 22.

Un douzieme, en faisant la premiere rangée des combinaisons 6 & 38 ; la seconde, des combinaisons 40 & 8 ; la troisieme, des combinaisons 38 & 6 ; & la quatrieme, des combinaisons 8 & 40.

Un treizieme, si l'on fait la premiere rangée des combinaisons 14 & 24 ; la seconde, des combinaisons 24 & 14.

Un quatorzieme, si l'on fait la premiere rangée de la combinaison 24 ; & la seconde, de la combinaison 14.

Un quinzieme, si l'on fait la premiere rangée des combinaisons 50 & 2 ; & la seconde, des combinaisons 18 & 34.

Un seizieme, en faisant toutes les rangées de la combinaison 14.

Un dix-septieme, en faisant toutes les rangées des combinaisons 14 & 24.

Un dix-huitieme, en faisant toutes les rangées des combinaisons 28 & 12.

Un dix-neuvieme, en faisant la premiere rangée des combinaisons 10, 14, 10, & 6 ; la seconde, des combinaisons 16, 12, 8, & 12 ; la troisieme, des combinaisons 14, 10, 6, 10 ; la quatrieme, des combinaisons 12, 8, 12, 16 ; la cinquieme, des combinaisons 10, 6, 10, 14 ; la sixieme, des combinaisons 8, 12, 16, 8 ; la septieme, des combinaisons 6, 10, 14, 10 ; & la huitieme, des combinaisons 12, 16, 12, 8.

Un vingtieme, en faisant la premiere rangée des combinaisons 28 & 12 ; la seconde, des combinaisons 14 & 22 ; la troisieme, des combinaisons 12 & 28 ; & la quatrieme des combinaisons 22 & 14.

Un vingt-unieme, en faisant la premiere rangée des combinaisons 10, 14, & 12 ; la seconde, des combinaisons 22, 34, 2, la troisieme, des combinaisons 14, 12, 10 ; la quatrieme, des combinaisons 34, 2, 22 ; la cinquieme, des combinaisons 12, 10, 14 ; & la sixieme, des combinaisons 2, 22, 34.

Un vingt-deuxieme, en faisant la premiere rangée des combinaisons 28, 12 ; la seconde, des combinaisons 26, 10 ; la troisieme, des combinaisons 10, 26 ; la quatrieme, des combinaisons 12, 28.

Un vingt-troisieme, en faisant la premiere rangée des combinaisons 24, 16 ; & la seconde, des combinaisons 26, 10.

Un vingt-quatrieme, si l'on fait la premiere rangée des combinaisons 28, 10 ; la seconde, des combinaisons 26, 12 ; la troisieme, des combinaisons 12, 26 ; & la quatrieme, des combinaisons 10, 28.

Un vingt-cinquieme, si l'on fait la premiere rangée de la combinaison 12, répetée deux fois de suite ; & de la combinaison 28, répétée aussi deux fois, en continuant ainsi : la seconde, de la combinaison 28, répétée deux fois de suite ; & de la combinaison 12, aussi répétée deux fois de suite : la troisieme, de la combinaison 26, répétée deux fois de suite ; & de la combinaison 10, aussi répétée deux fois de suite : la quatrieme comme la seconde ; la cinquieme comme la troisieme ; la sixieme, de la combinaison 10, répétée deux fois ; & de la combinaison 26, aussi répétée deux fois : la septieme, de la combinaison 12, répétée deux fois de suite ; & de la combinaison 28, répétée aussi deux fois ; & la huitieme comme la sixieme.

Un vingt-sixieme, en faisant la premiere rangée de la combinaison 14, une fois ; la combinaison 22, une fois ; la combinaison 14, deux fois ; & ainsi de suite pour cette rangée : la seconde, des trois combinaisons 12, 16, 28 ; la troisieme, des trois combinaisons 10, 24, 26 ; la quatrieme, des trois combinaisons 26, 16, 10 ; la cinquieme, des trois combinaisons 28, 24, 12 ; la sixieme, de la 22, une fois, de la 14 une fois, de la 22 deux fois.

Un vingt-septieme, en formant la premiere rangée de la combinaison 24, deux fois ; & de 12, 14, 28, une fois chacune : la seconde, de la 14 deux fois ; & de 10, 22, 26 ; chacune une fois : la troisieme, de la 24, deux fois ; & des 12, 16, 28, chacune une fois : la quatrieme, des 8, 40, 28, 24, 12, chacune une fois ; la cinquieme, des 6, 38, 12, 16, 28, chacune une fois ; la sixieme, de la 16, deux fois ; & des 28, 24, 12, une fois : la septieme, de la 22, deux fois ; & des 26, 14, 10, une fois : la huitieme, de la 16, deux fois ; & des 28, 22, 12, une fois : la neuvieme, de la 22, deux fois ; & de la 14, trois fois : la dixieme, de la 14, deux fois ; & de la 22, trois fois.

Un vingt-huitieme, en faisant la premiere rangée de la 28, une fois ; de la 12, deux fois ; de la 22, une fois, & une fois de la 28 : la seconde, de la 26, une fois ; de la 10, deux fois ; de la 22, une fois ; & de la 26, une fois : la troisieme, de la 18, de la 34, 12, 16, & 28, chacune une fois : la quatrieme, des 28, 12, 10, 22, & 26, chacune une fois : la cinquieme, des 12, 28, 26, 14, & 10, chacune une fois : la sixieme, des 2, 50, 28, 24, & 12, une fois chacune : la septieme, de la 10, une fois, 26, deux fois, 14, & 10, chacune une fois : la huitieme de la 12, une fois ; de la 28, deux fois ; de la 14 & de la 12, chacune une fois : la neuvieme, de 10, 26, 50, 24, & 2, chacune une fois : la dixieme, des 26, 10, 34, 16, & 18, chacune une fois.

Un vingt-neuvieme, si l'on fait la premiere rangée de la 26, 22, & 10, chacune une fois ; la seconde, des 28, 16, & 12, chacune une fois ; la troisieme, des 12, 14, 28, chacune une fois ; la quatrieme, des 28, 22, 12 ; la cinquieme, des 12, 14, 28 ; & la sixieme, des 10, 14, 26.

Le trentieme & dernier, de ceux que nous donnerons, si l'on fait la premiere rangée avec les 16 & 8, chacune une fois ; la 22, deux fois ; les 40 & 16, chacune une fois : la seconde avec les 34, 6, 50, 2, 38, & 18, chacune une fois : la troisieme, avec les 12, 8, 26, 10, 40, & 28, chacune une fois : la quatrieme, avec les 28, 6, 10, 26, 38, 12, chacune une fois : la cinquieme, avec les 50, 8, 34, 18, 40, 2, chacune une fois : la sixieme, avec la 44 & la 32, chacune une fois : la 14, deux fois ; la 28 & la 24, chacune une fois : la septieme, avec les 22 & 40, chacune une fois ; la 16, deux fois ; & les 8 & 22, chacune une fois : la huitieme, avec les 2, 38, 18, 34, 6, & 50, chacune une fois : la neuvieme, avec les 10, 40, 28, 12, 8, 26, chacun une fois : la dixieme, avec les 26, 38, 12, 28, 6 & 10, de suite : la onzieme, avec les 18, 40, 2, 50, 8, 34, de suite : enfin la douzieme, avec les 14 & 38, chacune une fois ; la 24, deux fois de suite ; les 6 & 14, chacune une fois.

Le P. Sébastien a choisi ces trente desseins sur plus d'un cent ; & en effet ils sont très-beaux, & suffisent pour introduire assez de variété dans les ouvrages de Tabletterie & de la Menuiserie. Au reste il sera facile, en suivant la même méthode, d'en former un grand nombre d'autres, même au-delà de la centaine que le P. Sebastien avoit trouvée.

CARREAU, en Architecture, se dit d'une pierre qui a plus de largeur au parement que de queue dans le mur, & qui est posée alternativement avec la boutisse pour faire liaison. Voyez BOUTISSE. (P)

CARREAU ou CARREAUX, en Marine ; on donne en général le nom de carreau à toutes les ceintes ou préceintes : mais il se donne aussi bien souvent en particulier à la lisse de vibord, qui est la plus haute de toutes les préceintes, & qui forme l'embelle. Voyez CEINTE, PRECEINTE, SSE DE VIBORDBORD.

CARREAU de chaloupe, (Marine) ce sont les pieces de bois qui font les hauts des côtés d'une chaloupe. Voyez CHALOUPE, & la Plan. XV. fig. 1. le carreau, n° 6. fig. 2. & fig. 3. coté i. (Z)

CARREAU, (Jardinage) c'est une piece de terre oblongue, qui fait partie d'un parterre ou d'un potager. Le carreau de parterre est ordinairement bordé de buis nain, & garni de fleurs ou de gason. Le carreau de potager est semé de légumes & d'autres herbes, & n'est séparé du reste que par des raies un peu plus profondes.

CARREAU VERNISSE, (Manége) est un grand carreau plombé qu'on met dans les écuries au-dessus des mangeoires des chevaux, pour les empêcher de lêcher le mur. Voyez ECURIE, MANGEOIRE. On fait aussi du petit carreau vernissé pour les compartimens. (V)

CARREAU, eu Menuiserie, c'est un petit ais quarré de bois de chêne, dont on prépare autant qu'il en faut pour remplir la carcasse d'une feuille de parquet.

CARREAU, terme d'ancien Monnoyage : lorsque l'on fabriquoit les especes au marteau, le métal ayant été moulé en lames, battu sur l'enclume à-peu-près de l'épaisseur de la monnoie à fabriquer, on coupoit ces lames par morceaux quarrés avec des cisoirs, ensuite on réchauffoit & l'on abattoit les pointes ou angles de ces quarrés, qu'on appelloit ensuite carreaux.

CARREAU, en Rubanerie. Voyez EFFILE.

CARREAU, instrument ou partie du métier des étoffes de soie. On se sert de carreaux de differentes especes ; il y en a de plomb, de fer, & de terre ; on les fait d'un poids proportionné.

Les carreaux pour les lisses de satin à cinq & à huit lisses sont trop petits à trois livres, il leur en faut au-moins trois livres & demie ; mais l'ordinaire est de quatre : ils ont besoin de ce poids, non-seulement pour faire baisser ou relever la lisse, mais encore pour faire relever le calqueron & la marche, qui font toûjours un poids.

CARREAU, c'est le nom qu'on donne en Serrurerie, Taillanderie, & autres arts en fer, à une sorte de grosses limes quarrées, triangulaires ou méplates : on s'en sert pour enlever au fer les inégalités de la forge, ce qui s'appelle dégrossir. La taille de ces limes est rude ; du reste elle est la même qu'aux autres. Ces sortes de limes sont ordinairement de fer trempé en paquet.

Il y a le demi-carreau ou carrelet, qui n'a que la moitié de la force du carreau, & qui sert pour les ouvrages dont le dégrossissage est moins considérable.

CARREAU, terme de Tailleur & de Blanchisseuse, c'est un instrument de fer dont les Tailleurs & autres ouvriers en couture se servent pour applatir leurs rentraitures, & d'autres parties des étoffes qu'ils ont cousues ensemble, en l'appuyant & le passant par-dessus après l'avoir fait chauffer.

Cet instrument est de fer, d'environ dix pouces de longueur, & de deux de largeur par un bout, & se termine en pointe par l'autre. Il a aussi un manche de fer à un de ses bouts en forme de queue, qui se reploye sur la masse du carreau, & lui est parallele.

Le carreau des Tailleurs differe de celui des Blanchisseuses, en ce que le premier est étroit, long, pointu, & brut ; l'autre au contraire est arrondi par sa partie antérieure, & sa platine est fort unie.

Il y a des carreaux de Tailleur & de Blanchisseuse de deux especes ; les uns solides, les autres composés de différentes pieces qu'on assemble, & qui forment une espece de boîte, dans laquelle on peut enfermer ou du feu, ou quelque corps chaud. Voyez les Planches de Taillanderie & leur explication.

CARREAU ; les Vitriers appellent ainsi une piece de verre quarrée ou d'une autre figure, mise en plomb, ou retenue avec des pointes, ou du papier, ou du mastic, dans les chassis d'une fenêtre.

Franc - CARREAU, sorte de jeu dont M. de Buffon a donné le calcul en 1733, avant que d'être de l'Académie des Sciences. Voici l'extrait qu'on trouve de son mémoire sur ce sujet, dans le volume de l'Académie pour cette année-là.

Dans une chambre carrelée de carreaux égaux, & supposés réguliers, on jette en l'air un louis ou un écu, & on demande combien il y a à parier que la piece ne tombera que sur un seul carreau, ou franchement.

Supposons que le carreau donné soit quarré ; dans ce quarré inscrivons en un autre qui en soit distant partout de la longueur du demi-diametre de la piece ; il est évident que toutes les fois que le centre de la piece tombera sur le petit quarré ou sur sa circonférence, la piece tombera franchement ; & qu'au contraire elle ne tombera pas franchement, si le centre de la piece tombe hors du quarré inscrit ; donc la probabilité que la piece tombera franchement, est à la probabilité contraire, comme l'aire du petit quarré est à la différence de l'aire des deux quarrés.

Donc pour joüer à jeu égal, il faut que le grand quarré soit double du petit ; c'est-à-dire que le diametre de la piece étant 1, & x le côté du grand quarré, on aura x2 : (x - 1)2 : : 2 : 1, d'où l'on tire facilement la valeur de x, qui sera incommensurable avec le diametre de la piece.

Si la piece, au lieu d'être ronde, étoit quarrée, &, par exemple, égale au quarré inscrit dans la piece circulaire dont nous venons de parler ; il saute aux yeux que la probabilité de tomber franchement deviendroit plus grande : car il pourroit arriver que la piece tombât franchement hors du petit quarré : le problème devient alors un peu plus difficile, à cause des différentes positions que la piece peut prendre ; ce qui n'a point lieu quand la piece est circulaire, car toutes les positions sont alors indifférentes. Voici dans un problème simple une idée qu'on peut se former de ces différentes positions.

Sur un seul plancher formé de planches égales & paralleles, on jette une baguette d'une certaine longueur, & supposée sans largeur : on demande la probabilité qu'elle tombera franchement sur une seule planche. Que l'on conçoive le point du milieu de la baguette à une distance quelconque du bord de la planche, & que de ce point comme centre on décrive un demi-cercle dont le diametre soit perpendiculaire aux côtés de la planche ; la probabilité que la baguette tombera franchement, sera à la probabilité contraire, comme le secteur circulaire renfermé au-dedans de la planche est au reste de l'aire du demi-cercle ; d'où il est aisé de tirer la solution cherchée. Car nommant x la distance du centre de la baguette à l'un des côtés de la planche, X le secteur correspondant, dont il est toûjours facile de trouver la valeur en x, & A l'aire du demi-cercle ; la probabilité cherchée sera à la probabilité contraire, comme s X d x est à s d x (A-X). Voyez JEU, PARI. (O)


CARREFOURS. m. (Jardinage) est la rencontre de quatre allées dans une forêt, dans un bois ; ce qui imite l'issue de quatre rues dans une ville, que l'on nomme aussi carrefour.

On les peut faire circulaires ou quarrés : dans cette derniere forme on en retranche les encoignures ; ce qui leur donne plus de grace, & les aggrandit considérablement. (K)


CARRELAGES. m. en Architecture, se dit de tout ouvrage fait de carreau, de terre cuite, ou de pierre, ou de marbre. (P)


CARRELÉadj. pris subst. dans les Manufactures en soie, espece d'étoffe qui n'est pas moins à la mode aujourd'hui que le cannelé, surtout quand elle a du fond, & qu'elle est un peu riche.

Le carrelé & le cannelé sont l'un & l'autre composés de quarante portées de chaines, un peu plus ou un peu moins, & d'un pareil nombre de portées de poil ; c'est pourquoi nous joignons ici ces étoffes. La chaîne est montée, comme le gros-de-Tours, sur quatre lisses pour lever, quatre de rabat, & de même pour le poil. Pour faire le cannelé ordinaire par le poil, on passe trois coups à l'ordinaire, on broche pareillement sans toucher au poil : le quatrieme coup on fait lever tout le poil, & baisser la moitié de la chaîne, en passant un coup de navette beaucoup plus fin que les trois premiers, le poil se trouve arrêté par ce moyen. Ce même poil qui a demeuré trois coups sans travailler, forme une longueur d'une ligne au moins dans le travers de l'étoffe, avant que d'être arrêté ; & quand il l'est au quatrieme coup, sa reprise forme le coup de cannelé ; après quoi on recommence le course, & on continue.

Démonstration de l'armure d'un cannelé.


CARRELERv. act. c'est paver une chambre, une salle, &c. avec des carreaux. Ce travail s'exécute au mortier & à la brique. On commence par répandre sur la surface à carreler une couche plus ou moins épaisse d'excellent mortier ; on applique le carreau sur cette couche ; on enduit les côtés du carreau de mortier, afin qu'il se lie bien avec le carreau contigu ; on en pose ainsi une rangée entiere ; on s'assûre que cette rangée est bien droite & bien de niveau, par une longue regle, & par l'instrument appellé niveau. L'étendue d'une chambre & la figure du carreau étant données, il n'est pas difficile de trouver le nombre des carreaux qui y entreront ; il ne s'agit que de chercher la surface de la chambre & celle du carreau, & diviser la premiere par la seconde. S'il s'agit de former un pavé dont l'aspect soit agréable à la vûe, avec des carreaux mi-partis de deux couleurs. Voyez l'article CARREAU en Architecture.


CARRELETS. m. (Hist. nat. Ichthyol.) quadratulus, poisson de mer de la classe des poissons plats. Belon donne le nom de plie & de carrelet au même poisson : il l'appelle plie lorsqu'il est jeune, & carrelet lorsqu'il est vieux ; mais Rondelet prétend que la plie & le carrelet sont deux especes du même genre, qui se ressemblent beaucoup, mais qui different cependant en ce que la figure du carrelet approche plus du quarré que celle de la plie ; c'est d'où vient le nom de carrelet, & que sa face supérieure est parsemée de taches rousses ; il est lisse, sa chair est blanche, molle, & on le pêche en grand nombre dans l'Océan. Rondelet, Willughby, hist. pisc. Voyez PLIE, POISSON. (I)

CARRELET, CADRE, ou CHASSIS, instrument dont se servent les Apothicaires : il est composé de quatre tringles de bois uni, d'un pouce de large, & d'un pié ou environ de longueur. Ces quatre tringles sont assemblées en quarré par les extrémités avec des clous dont les pointes passent outre, & sont destinées à retenir les coins du torchon ou blanchet par lequel on passe quelque liqueur. Voyez BLANCHET. (N)

CARRELET, est une espece de grande aiguille à quatre cornes ou angles, dont les Selliers, Bourreliers, Cordonniers, &c. se servent pour coudre les cuirs foibles & minces. Voyez AIGUILLE A SELLIER.

CARRELET, instrument de Chapelier, c'est une espece de petite carde sans manche, dont les dents sont de fil de fer très-fin : on s'en sert pour donner la façon que les ouvriers appellent tirer le chapeau à poil. Voyez CHAPELIER, & la fig. 9. Pl. du Chapelier.

CARRELET à renverser, est une espece d'aiguille qui sert au Cordonnier à faire la trépointe du derriere du soulier ; elle est un peu coudée (Voyez la figure 15. Pl. du Cordonnier-Bottier), au lieu que le carrelet à coudre les ailettes aux empeignes est droit. Voyez SOULIER.

CARRELET, ou demi-carreau ; voyez CARREAU en Serrurerie.

CARRELET, (Pêche) espece de filet pour la pêche : il doit avoir six piés en quarré, & la maille assez large ; car plus la maille en est grande, plus le carrelet est facile à lever de l'eau, commodité qui n'est pas à négliger ; car si le carrelet se tire lentement, les gros poissons, & sur-tout les carpes, sauteront par-dessus. Pour pêcher avec ce filet, il faut y mettre une bonne poignée d'achées ou vers de terre, qu'on enfilera par le milieu du corps, ensorte qu'ils remuent ; ce qui attire le poisson, Voyez PECHE.


CARRELETTEen terme d'Eperonnier, de Coutelier, & autres ouvriers enfer, se dit d'une lime plate moins grosse que le carreau : au reste il y en a de plus ou moins fortes, selon les besoins qu'on peut en avoir. Ce sont les Taillandiers qui travaillent toutes ces limes.


CARRELEURS. m. en Architecture ; il se dit autant du maître qui entreprend les ouvrages de carrelage, que du compagnon qui pose les carreaux. Il faut avoir l'oeil à ces ouvriers ; au lieu d'asseoir leur carreau sur du plâtre, ils ne le posent quelquefois que sur de la poussiere ; ils employent du carreau mal cuit ; & quand on se plaint de leur travail, ils disent que s'ils faisoient un lit de plâtre, ce plâtre pousseroit ; ce qui est faux : il est d'expérience que le plâtre pur attache le carreau si fortement, qu'il se détache difficilement.


CARRETS. m. (Corderie) fil de carret, gros fil qui sert à faire les cordages. V. l'article CORDERIE.

CARRET, fil de carret, (Marine) est encore un fil tiré de l'un des cordons de quelque vieux cable coupé par morceaux. On s'en sert dans les vaisseaux quand on veut raccommoder quelque manoeuvre rompue. (Z)


CARRETTO(Géog.) petite ville d'Italie dans la province d'Aqui, au duché de Montferrat.


CARRICK(Géog.) province méridionale de l'Ecosse, dont la capitale est Bargeny.


CARRIERS. m. (Art méch.) ce sont les ouvriers qui travaillent à tirer les pierres des carrieres.

Ils se servent pour cet effet de coins de différentes figures & grosseurs, & de marteaux qu'on appelle mail, mailloche, pic, &c. & d'un grand levier que l'on appelle barre ; quelquefois aussi de poudre à canon, pour détacher de grandes pieces de rocher, au moyen d'une mine.

Les figures 1. 2. 3. 4. Pl. du Carrier, représentent les coins ; celui marqué 1 est tranchant par son extrémité inférieure ; les autres sont obtus & de différentes grosseurs, pour servir au besoin : on les fait entrer à grands coups de mail dans le vuide que le premier a pratiqué entre deux lits ou bancs de pierre. Le mail est représenté fig. 9. la piece A B est une grosse barre de fer du poids d'environ 50 à 70 livres, percée en son milieu pour recevoir un manche long d'environ 2 piés 1/2 ; la mailloche est un marteau de même grosseur, mais dont le fer est beaucoup moins long ; elle est représentée fig. 7.

Après que le carrier a introduit ses plus gros coins, il arrive assez souvent que les pierres sont encore unies ensemble : pour achever entierement de les séparer, il prend la barre ou pince, fig. 15. par la partie A qui sert de manche, & il met l'extrémité B du bec C B, entre les deux lits de pierre qu'il faut séparer ; le crochet C, qui sert d'hypomoclion ou point d'appui, tourne vers le lit inférieur ; il pese ensuite sur l'extrémité A, & sépare ainsi ce que les coins n'avoient pas pû séparer.

La mine que les Carriers font pour éclater de gros morceaux de pierre, consiste en un trou cylindrique, fig. 14. d'environ un pouce & demi de diametre, & assez profond pour atteindre le centre de la pierre : on charge ensuite ce trou comme on charge un canon, & on remplit le vuide que laisse la poudre d'un coulis de plâtre, après cependant y avoir introduit l'aiguille de fer, fig. 12. pour former la lumiere. L'espace occupé par la poudre est la chambre de la mine : il faut apporter un grand soin pour en bien boucher l'entrée. Voyez l'article MINE.

La tariere est représentée fig. 13. elle a deux poignées perpendiculaires à la tige : la premiere est fixe, & sert à tourner la tariere ; la seconde est mobile dans l'espace d'environ un pié, où la tige est arrondie ; elle sert à appuyer la tariere sur l'endroit qu'elle doit percer : il y a pour cet effet, à l'endroit où elle est traversée par la tige, plusieurs rondelles de fer ou de cuivre qui appuient deux chevilles qui traversent la tige.


CARRIERES. f. en Architecture, c'est un lieu creusé en terre d'où l'on tire la pierre pour bâtir, ou par un puits comme aux environs de Paris, ou de plein pié le long de la côte d'une montagne, comme à S. Leu, Troci, Mallet, & autres endroits. Les carrieres d'où l'on tire le marbre, sont appellées en quelques endroits de France marbrieres ; celles d'où l'on tire la pierre, perrieres, & celles d'ardoise ardoisieres, & quelquefois perrieres comme en Anjou. Le mot carriere vient selon M. Ménage, du latin quadraria ou quadrataria, fait de quadratus lapis, pierre de taille. Voyez CARRIER, PIERRE, MARBRE, DOISEOISE. (P)

CARRIERE, (terme de Manége) c'est une place renfermée d'une barriere où l'on court la bague. Voyez BARRIERE.

On s'en sert aussi pour marquer la course même des chevaux, pourvû qu'elle ne soit pas de plus de 200 pas.

Dans les anciens cirques, la carriere étoit l'espace où les biges ou quadriges devoient courir à toute bride pour remporter le prix. (P)


CARRION(Géog.) riviere d'Espagne, qui prend sa source dans les Asturies, & qui se jette dans celle de Pisuergia. Il y a au royaume de Léon, une ville qu'on appelle Carrion de los Condes.


CARROSSES. m. (ouvrage de Sellier-Carrossier, de Charron, de Serrurier, &c.) c'est une voiture commode & même quelquefois très-somptueuse, suspendue à des soûpentes ou fortes courroies de cuir, & monté de roues sur lesquelles elle se meut. Voyez ROUE, TIMON, SOUPENTE, AVANT-TRAIN, ARRIERE-TRAIN, &c.

En France & dans le reste de l'Europe, les carrosses sont tirés par des chevaux, excepté en Espagne où l'on se sert de mules : dans une partie de l'Orient, & particulierement dans les états du grand-seigneur, on y attelle des bœufs, & quelquefois des rennes ; mais c'est moins par usage que par ostentation. Le cocher est ordinairement placé sur un siége élevé sur le train, au-devant du carrosse : mais en Espagne la politique l'en a déplacé par un arrêt, depuis qu'un comte duc d'Olivarès se fut apperçû qu'un secret important, dont il s'étoit entretenu dans son carrosse, avoit été entendu & revélé par son cocher ; en conséquence de cet arrêt, les cochers espagnols occuperent la place qu'occupent les cochois dans nos carrosses de voiture. Chambers.

Les carrosses sont de l'invention des François, & par conséquent toutes les voitures qu'on a imaginées depuis à l'imitation des carrosses. Ces voitures sont plus modernes qu'on ne l'imagine communément. L'on n'en comptoit que deux sous François I. l'une à la reine, l'autre à Diane, fille naturelle de Henri II. Les dames les plus qualifiées ne tarderent pas à s'en procurer ; cela ne rendit pas le nombre des équipages fort considérable ; mais le faste y fut porté si loin, qu'en 1563, lors de l'enregistrement des lettres-patentes de Charles IX. pour la réformation du luxe, le Parlement arrêta que le Roi seroit supplié de défendre les coches par la ville ; & en effet, les conseillers de la cour, non plus que les présidens, ne suivirent point cet usage dans sa nouveauté ; ils continuerent d'aller au Palais sur des mules jusqu'au commencement du dix-septieme siecle.

Ce ne fut que dans ce tems que les carrosses commencerent à se multiplier ; auparavant il n'y avoit guere que les dames qui s'en fussent servies. On dit que le premier des seigneurs de la cour qui en eut un, fut Jean de Laval de Bois-Dauphin, que sa grosseur excessive empêchoit de marcher & de monter à cheval. Les bourgeois n'avoient point encore osé se mettre sur le même pié : mais comme cette voiture, outre sa grande commodité, distingue du commun, l'on passa bien-tôt par-dessus toute autre considération ; d'autant plus qu'on n'y trouva aucun empêchement de la part du prince ou des magistrats. De là vint cette grande quantité de carrosses, qui se firent pendant les regnes de Louis XIII, de Louis XIV, & de Louis XV. Il y en a, à ce qu'on croit, à-peu-près quinze mille de toutes sortes à Paris seulement ; au reste, on ne sera pas surpris de ce nombre, si on le compare à celui des seigneurs qui l'habitent, & des riches citoyens qui y sont établis, & à la facilité d'y entretenir des chevaux par le bon ordre de la police, qui y procure sans-cesse l'abondance des grains & des fourrages, & qui veille au dehors & au dedans sur le prix des choses, & sur la conduite du marchand & de l'ouvrier. Au reste M. l'abbé Gedoyn dans un de ses ouvrages, déplore fort cette multiplicité de carrosses, qu'il regarde comme une des principales causes de la décadence des lettres, par la facilité qu'elle apporte à la dissipation.

Les carrosses ont eu le sort de toutes les nouvelles inventions, qui ne parviennent que successivement à leur perfection. Les premiers qu'on fit étoient ronds & ne tenoient que deux personnes ; on leur donna dans la suite plus de capacité, on les fit quarrés, & on s'y asseyoit quatre personnes ; ils étoient fermés par-devant, comme le sont encore ceux de loüage. On peut dire qu'il ne manque plus rien aujourd'hui soit à leur commodité, soit à leur magnificence ; ils sont ornés en-dehors de peintures très-finies, & garanties par des vernis précieux ; ils sont couverts en-dedans de velours.

Les parties de menuiserie sont élégamment sculptées ; & celles du charronage ont des moulures & des dorures ; le Serrurier y a étalé tout son savoir-faire par l'invention des ressorts doux, plians, & solides ; le Sellier n'y a rien négligé dans les parties en cuir. On a publié quelques lois somptuaires pour modérer la dépense excessive de ces voitures : il a été défendu d'y employer l'or & l'argent ; mais l'exécution de ces défenses a été négligée.

On distinguoit jadis deux sortes de carrosses, les uns à arcs de fer, les autres sans arcs : mais l'usage des arcs a passé. Voyez ARC DE CHARRON. Les parties principales du carrosse sont l'avant-train, le train, le bateau, l'impériale, les quenouilles, les fonds, les portieres, les mantelets, les gouttieres, les roues, le timon, l'arriere-train, &c.

Les carrosses ont différens noms, eu égard à leur structure ; il y a des carosses proprement dits, des carrosses coupes, des caleches, des berlines, &c. Ils en ont aussi d'autres, eu égard à leur usage ; & il y a des carrosses de campagne, des carrosses de voiture, des carrosses de loüage, &c. Voyez Pl. du Sellier-Carrossier, des figures de la plûpart de ces voitures.

Le carrosse proprement dit, est à quatre places ; le carrosse coupé n'a qu'un fond sur le derriere, & un strapontin sur le devant. Si la voiture est legere, a des roues très-basses, est ouverte de toutes parts à un, à deux, à trois rangs de places où l'on est assis, non le visage tourné les uns vers les autres, comme dans les carrosses ordinaires, mais pour ainsi dire de front, chaque rang ayant son dossier, on l'appelle caleche. Il y a des chaises de cent façons différentes. Voyez CHAISE. Il y a des carrosses de voitures, qui servent à transporter les voyageurs d'une ville dans une autre. Voyez COCHE.

Quelque grand que fût le nombre des carrosses sous Louis XIV. l'usage en paroissoit encore reservé aux grands & aux riches ; & ces voitures publiques, qui sont maintenant à la disposition des particuliers, n'étoient point encore établies. Ce fut un nommé Sauvage à qui cette idée se présenta ; son entreprise eut tout le succès possible : il eut bien-tôt des imitateurs. Sauvage demeuroit rue S. Martin, à un hôtel appellé S. Fiacre ; c'est de-là qu'est venu le nom de Fiacre, qui est resté depuis & à la voiture & au cocher. En 1650, un nommé Villerme obtint le privilége exclusif de loüer à Paris, de grandes & de petites carioles. M. de Givri en obtint un pour les carrosses : il lui fut accordé par lettres-patentes du mois de Mai de 1657, de placer dans les carrefours, & autres lieux publics, des carrosses à l'heure, à la demi-heure, au jour, qui meneroient jusqu'à quatre à cinq lieues de Paris. L'exemple de M. de Givri encouragea d'autres personnes à demander de pareilles graces ; & l'on eut à Paris un nombre prodigieux de voitures de toute espece. Les plus en usage aujourd'hui sont les carrosses appellés fiacres, les broüettes, les chaises à porteur, & les voitures pour S. Germain, Versailles, & autres lieux circonvoisins de Paris, sans compter les voitures d'eau. Voyez COCHE DE TERRE, COCHE D'EAU, &c.

Les fiacres ou carrosses de place se payent ici vingt-quatre sous la premiere heure, & vingt sous les autres ; mais il me semble que la police de ces voitures pourroit être perfectionnée, en instituant sur les places un officier qui reçût leur salaire & qui les fît partir, & en leur défendant de prendre personne dans les rues & de s'y arrêter ; par ce moyen, ils ne mettroient pas le public à contribution, & ne voleroient pas leurs maîtres. Ce sont les commissaires qui font ici la police des fiacres ; ainsi qu'à Londres où les fiacres ont des numeros derriere, comme parmi nous. Le prix qu'on doit leur payer le tems, a été fixé par le quatrieme statut de Charles II. confirmé par d'autres de la cinquieme & sixieme année de Guillaume III. Il leur est dû pour une journée entiere de douze heures, dix sols sterling ; pour une heure seule, un sous six deniers ; pour chaque heure après la premiere, un sou : ils sont obligés de mener à ce prix tous ceux qui s'en servent jusqu'à dix milles de Londres.


CARROSSIERS. m. ouvrier qui fait & qui vend des carrosses ; il y a dans la ville de Paris une communauté considérable de maîtres Carrossiers, qui sont plus connus sous le nom de Selliers. Ils ont dans leurs statuts la qualité de maîtres Selliers-Lormiers-Carrossiers. Voyez SELLIER.


CARROUSELS. m. course de chariots & de chevaux, ou fête magnifique que donnent des princes ou des grands seigneurs dans quelque réjoüissance publique ; elle consiste en une cavalcade de plusieurs seigneurs superbement vêtus & équipés à la maniere des anciens chevaliers ; on se divise en quadrilles ; on se rend à quelque place publique : là se font des joûtes, des tournois, & d'autres exercices convenables à la noblesse. Voyez JOUTE & TOURNOI.

Ce mot vient de l'italien carosello, diminutif de carro, chariot.

Tertullien attribue à Circé l'invention des carrousels ; il prétend qu'elle les institua en l'honneur du Soleil, dont les Poëtes l'ont fait fille ; de sorte que quelques-uns croyent que ce mot vient de carrus solis.

Les Maures y introduisirent les chiffres & les livrées dont ils ornerent leurs armes & les housses de leurs chevaux, &c. Les Goths y ajoûterent l'usage des aigrettes & des cimiers, &c.

On distinguoit dans les carrousels plusieurs parties ; 1°. la lice ou le lieu où devoit se donner le combat, terminé par des barrieres à ses deux bouts, & garni dans toute sa longueur de chaque côté d'amphithéatres pour placer les dames & les principaux spectateurs ; 2°. le sujet qui est une représentation allégorique de quelqu'évenement fameux pris dans la fable ou dans l'histoire, & relatif au prince en l'honneur de qui se fait le carrousel ; 3°. les quadrilles ou la division des combattans en plusieurs troupes qui se distinguent par la forme des habits & par la diversité des couleurs, & prennent quelquefois chacune le nom d'un peuple fameux : ainsi dans un carrousel donne sous Louis XIV. il y avoit les quadrilles des Romains, des Perses, des Turcs, & des Moscovites ; 4°. l'harmonie soit militaire, soit douce, usitée dans ces sortes de fêtes ; 5°. outre les chevaliers qui composent les quadrilles, tous les officiers qui ont part au carrousel, comme le mestre de camp & ses aides, les hérauts, les pages, les estafiers, les parrains & les juges ; 6°. la comparse ou l'entrée des quadrilles dans la carriere, dont elles font le tour en ordre pour se faire voir aux spectateurs ; 7°. enfin les différentes especes de combats, qui sont de rompre des lances les unes contre les autres, de les rompre contre la quintane ou figure de bois ; de courre la bague, les têtes, de combattre à cheval l'épée à la main, & de faire la foule, c'est-à-dire, de courir les uns après les autres sans interruption. Ces combats qui tenoient de l'ancienne chevalerie, furent introduits en France à la place des joûtes & tournois sous le regne d'Henri IV : il y en a eu quelques-uns sous Louis XIV : mais ces divertissemens ont cessé d'être de mode. (G)


CARRUQUES. f. (Antiq.) char des Romains à l'usage des gens de qualité & du peuple : ceux-là l'ornoient d'argent ; il étoit à quatre roues, tiré ordinairement par des mules ou des mulets. Le peuple le faisoit garnir de cuivre ou d'ivoire ; l'empereur Alexandre Severe ne permit les carruques argentées qu'aux sénateurs ; l'empereur Aurelien rendit la liberté à chacun d'avoir des carruques telles qu'il les desireroit ; & on en vit de très-hautes, dans lesquelles on se faisoit promener en habits somptueux.


CARS(Géog.) ville forte d'Asie dans l'Arménie, sur la riviere de même nom. Long. 60. 23. lat. 40. 20.


CARSCHI(Géog.) grande ville d'Asie, dans la Tartarie, dans la grande Boucharie.


CARSO(Géog.) partie du Frioul en Italie, qui est entre le comté de Gortz, le golfe de Venise, & Trieste, à la maison d'Autriche.


CARSWICK(Géog.) petite ville & port d'Ecosse, dans l'île de Mula.


CARTAS. f. (Commerce) nom usité parmi quelques marchands Provençaux & plusieurs négocians étrangers, pour signifier la page ou le folio d'un registre. Dictionn. de Commerce, tome II. page III. (G)


CARTA-SOURAville d'Asie, capitale de l'île de Java, & résidence de l'empereur.


CARTAGERv. neut. (Agriculture & Oeconomie rustique) c'est donner à la vigne un quatrieme labour ; il ne faut pas l'épargner à celle où l'on aura mis du fumier depuis la derniere vendange, & quand l'année aura été pluvieuse ; le fumier & les pluies fréquentes produisant des herbes qui usent la terre, & empêchent le raisin de profiter & de mûrir. Les Vignerons ne sont point obligés à cette façon, à moins que ce ne soit une condition du marché. Au reste il vaut mieux la leur payer à part que de les y obliger. Voyez VIGNE. Le mot cartager est principalement d'usage dans l'Orléanois.


CARTAHUS. m. (Marine) c'est une manoeuvre qu'on passe dans une poulie au haut des mâts, & qui sert à hisser les autres manoeuvres, ou quelqu'autre chose.


CARTAMA(Géog.) petite ville d'Espagne au royaume de Grenade. Long. 13. 32. lat. 36. 32.


CARTAYERv. neut. (terme de Messagerie) c'est conduire une voiture de maniere que les roues soient entre les ornieres & les ruisseaux, & non dedans, ce qui facilite le roulement & soulage les chevaux.


CARTES. f. (Géog.) figure plane qui représente la surface de la terre, ou une de ses parties, suivant les lois de la perspective. Voyez TERRE, & PERRSPECTIVE.

Une carte est donc une projection de la surface du globe ou d'une de ses parties, qui représente les figures & les dimensions, ou au moins les situations des villes, des rivieres, des montagnes, &c. Voyez PROJECTION.

Cartes universelles, sont celles qui représentent toute la surface de la terre, ou les deux hémispheres. On les appelle ordinairement mappemondes. Voyez MAPPEMONDES.

Cartes particulieres, sont celles qui représentent quelques pays particuliers, ou quelques portions de pays.

Ces deux especes de cartes sont nommées souvent cartes géographiques, ou cartes terrestres, pour les distinguer des hydrographiques ou marines, qui ne représentent que la mer, ses îles, & ses côtes.

Les conditions requises pour une bonne carte, sont 1°. que tous les lieux y soient marqués dans leur juste situation, eu égard aux principaux cercles de la terre, comme l'équateur, les paralleles, les méridiens, &c. 2°. que les grandeurs des différens pays ayent entr'elles les mêmes proportions sur la carte, qu'elles ont sur la surface de la terre : 3°. que les différens lieux soient respectivement sur la carte aux mêmes distances les uns des autres, & dans la même situation que sur la terre elle-même.

Pour les principes de la construction des cartes, & les lois de projection, voyez PERSPECTIVE & PROJECTION de la sphere. Voici l'application de ces principes à la construction des cartes.

Construction d'une carte, l'oeil étant supposé placé dans l'axe. Supposons, par exemple, qu'il faille représenter l'hémisphere boréal tel qu'il doit paroître à un oeil situé dans un des points de l'axe, comme dans le pole austral, & en prenant le plan de l'équateur pour celui où la représentation doit se faire : nous imaginerons pour cela des lignes tirées de chaque point de l'hémisphere boréal à l'oeil, & qui coupent le plan en autant de points. Tous ces derniers points joints ensemble, formeront par leur assemblage la carte requise.

Ici l'équateur sera la limite de la projection ; le pole de la terre se représentera ou se projettera au centre ; les méridiens de la terre seront représentés par des lignes droites qui iront du centre de l'équateur ou du pole de la carte, à tous les points de l'équateur ; les paralleles de latitude formeront de petits cercles, dont les centres seront le centre même de l'équateur ou de la projection.

La meilleure maniere de concevoir la projection d'un cercle sur un plan, c'est d'imaginer un cone dont le sommet placé à l'endroit où nous supposons l'oeil, soit radieux, ou envoye des rayons dont la base soit le cercle qu'il faut représenter, & dont les côtés soient autant de rayons lancés par le point lumineux : la représentation du cercle ne sera alors autre chose que la section de ce cone par le plan sur lequel elle doit se faire ; & il est clair que selon les différentes positions du cone, la représentation sera une figure différente.

Voici maintenant l'application de cette théorie à la pratique. Prenez pour pole le milieu P (Pl. de Géog. fig. 2.) de la feuille de laquelle vous voulez faire votre carte ; & de ce point comme centre, décrivez pour représenter l'équateur, un cercle de la grandeur que vous voulez donner à votre carte. Ces deux choses peuvent se faire à la volonté ; & c'est d'elles que dépend la détermination de tous les autres points ou cercles. Divisez votre équateur en 360 parties, & tirez des droites du centre à chaque commencement de degré : ces droites seront les méridiens de votre carte, & vous prendrez pour premier méridien celle qui passera par le commencement du premier degré ou par zéro. Voyez MERIDIEN.

Construction des paralleles sur la carte. Marquez par les lettres A B, B C, C D, D A, les quatre quarts de l'équateur, compris le premier depuis zéro jusqu'à 90 ; le second, depuis 90 jusqu'à 180 ; le troisieme, depuis 180 jusqu'à 270 ; le quatrieme, depuis 270 jusqu'à zéro ; & de tous les degrés d'un de ces quarts de cercle BC, comme aussi des points qui marquent 23d 30' à 66d 30', tirez des droites occultes au point D, qui marquent celui où ces lignes coupent le demi-diametre A P C : enfin du point P comme centre, décrivez différens arcs qui passent par les différens points de PC ; ces arcs seront les paralleles de latitude ; le parallele de 23d 30' sera le tropique du cancer, & celui de 66d 30' sera le cercle polaire arctique. Voyez PARALLELE & TROPIQUE.

Les méridiens & les paralleles ayant été ainsi décrits, on décrira les différens lieux au moyen d'une table de longitude & de latitude, comptant la longitude du lieu sur l'équateur, à commencer du premier méridien, & continuant vers le méridien du lieu ; & pour la latitude du lieu, on prendra sur le parallele de la même latitude. Il est évident que le point d'intersection de ce méridien & de ce parallele, représentera le lieu sur la carte ; & on s'y prendra de même pour y représenter tous les autres lieux.

Quant à la moitié de l'écliptique qui passe dans cet hémisphere, ce grand cercle doit se représenter par un arc de cercle ; de façon qu'il ne s'agit plus que de trouver sur la carte trois points de cet arc. Le premier point, c'est-à-dire celui où l'écliptique coupe l'équateur, est le même que celui où le premier méridien coupe l'équateur ; il se distingue par cette raison par le signe d'aries. Le dernier point de cet arc de cercle, ou l'autre intersection de l'équateur & d'écliptique, c'est-à-dire la fin de Virgo, sera dans le point opposé de l'équateur à 180d le milieu de l'arc, c'est le point où le méridien de 90d coupe le tropique du cancer : ainsi nous avons trois points de cet are qui donneront l'arc entier. Voyez CERCLE & CORDE.

Les cartes de cette premiere projection ont la premiere des qualités requises ci-dessus : mais elles manquent de la seconde & de la troisieme ; car les degrés égaux des méridiens sont représentés sur ces cartes par des portions de ligne droite inégales.

On peut par cette méthode représenter dans une carte presque toute la terre, en plaçant l'oeil, par exemple, dans le pole antarctique, & prenant pour plan de projection celui de quelque cercle voisin, par exemple celui d'un cercle antarctique. Il ne faut ici de plus qu'à la premiere projection, que continuer les méridiens, tirer des paralleles du côté de l'équateur, & achever l'écliptique : mais ces cartes seroient trop embrouillées & trop difformes pour qu'on pût en faire usage.

On se contente pour l'ordinaire de tracer les deux hémispheres séparément ; ce qui rend la carte beaucoup plus nette & plus commode. Si on veut avoir par le moyen de cette carte la distance de deux lieux A, B, (fig. 4. n°. 2. Géog.) situés sous le même méridien P B, on décrira les arcs de cercle AE BD ; on verra combien la partie ED contient de divisions ou degrés, & on aura le nombre de degrés depuis E jusqu'en D. Or comme un degré de la terre contient 25 lieues, il faudra prendre 25 fois ce nombre de degrés pour avoir la distance de A en B.

M. de Maupertuis a démontré dans son discours sur la parallaxe de la lune, que les loxodromiques dans cette projection devenoient des spirales logarithmiques. Voyez LOXODROMIQUE, SPIRALE LOGARITHMIQUEIQUE. Supposons donc que A G (fig. 3. n°. 4. Géog.) soit une portion de spirale logarithmique, ou projection de loxodromique, & qu'on veuille savoir la distance A G des deux lieux placés sur le même rhumb, il est certain que AG sera à AB en raison constante, c'est-à-dire dans le rapport du sinus total au cosinus de l'angle du rhumb, ou de l'angle de la loxodromique avec le méridien : donc connoissant A B par la méthode précédente, & sachant de plus, comme on le suppose, l'angle du rhumb, on connoîtra A G ; c'est-à-dire, on connoîtra de combien de lieues sont éloignés l'un de l'autre les deux endroits dont les points A G, sont la projection.

Cette projection est la plus aisée de toutes : mais on préfere pour l'usage celle où l'oeil est placé dans l'équateur. C'est en effet de cette derniere sorte qu'on fait ordinairement les cartes. Au reste, comme la situation de l'écliptique, par rapport à chaque lieu de la terre, change continuellement, ce cercle ne doit point avoir lieu, à proprement parler, sur la surface de la terre : mais on s'en sert pour représenter, conformément à sa situation, quelques momens marqués ; par exemple, celui où le commencement d'aries & de libra seroit dans l'intersection du premier méridien & de l'équateur.

Construction des cartes, en supposant l'oeil placé dans le plan de l'équateur. Cette méthode de projection, quoique plus difficile, est cependant plus juste, plus naturelle, & plus commode que la premiere. Pour la concevoir, nous supposerons que la surface de la terre soit coupée en deux hémispheres par la circonférence entiere du premier méridien ; nous proposant de représenter chacun de ces hémispheres dans une carte particuliere, l'oeil sera placé dans un point de l'équateur, éloigné de 90d du premier méridien, & nous prendrons pour plan transparent où la représentation doit se faire, celui du premier méridien. Dans cette projection l'équateur devient une droite, aussi bien que le méridien éloigné de 90d du premier : mais les autres méridiens, ou paralleles aux équateurs, deviennent des arcs de cercle, ainsi que l'écliptique. Voyez PROJECTION STEREOGRAPHIQUE DE LA SPHERE.

Voici la méthode pour les construire. Du point E comme centre (fig. 3.) décrivez un cercle de la grandeur que vous voulez donner à votre carte, il représentera le premier méridien, qui est aussi le même que celui de 180d ; car tirant le diametre BD, il partagera le méridien en deux demi-cercles, dont le premier B A D conviendra à zéro, & l'autre B C D à 180d. Ce diametre B D représentera le méridien de 90d. ; ainsi le point B sera le pole arctique. & le point D, le pole antarctique. Le diametre AC perpendiculaire à B D, sera l'équateur. Divisez les quarts de cercle A B, B C, C D, A D, en 90 degrés chacun ; & pour trouver les arcs des méridiens & des paralleles, vous vous y prendrez de cette sorte. Il faudra par la méthode donnée ci-devant, & démontrée à l'article PROJECTION STEREOGRAPHIQUE DE LA SPHERE, diviser l'équateur en ses degrés ; savoir en 180, parce que celui de la carte ne représente en effet que la moitié de l'équateur. Par ces différentes divisions & par les deux poles, vous décrirez des arcs de cercle B 10 D, B 20 D, & ces arcs représenteront les méridiens.

Pour décrire les paralleles, il faudra diviser de la même sorte le méridien B D en 180d, & par chacune de ces divisions, & les divisions correspondantes des quarts de cercle A B, B C, décrire des arcs de cercle ; on aura de cette maniere les paralleles de tous les degrés, avec les tropiques, les polaires, & les méridiens.

L'écliptique peut se marquer de deux façons ; car sa situation sur la terre peut être telle que ses intersections avec l'équateur répondent perpendiculairement au point E : en ce cas, la projection de ce demi-cercle, depuis le premier degré du cancer jusqu'au premier du capricorne, sera une droite qu'on déterminera en comptant un arc de 23d 30' de A vers B, & tirant par l'extrémité F de cet arc un diametre. Ce diametre représentera l'écliptique pour la situation dont nous parlons ; & on pourra comme ci-dessus, le diviser en degrés, & y marquer les nombres, signes, &c. Mais si l'écliptique est placée de façon que son intersection avec l'équateur réponde au point A, sa projection sera en ce cas un arc de cercle qui passera par les points d'intersection A & C de l'écliptique & de l'équateur, pris sur la droite qui marque la projection de l'équateur ; & par celui qui marque l'intersection du tropique du Cancer, & du méridien du 90d pris sur la droite qui sert de projection à ce méridien. Ces points suffisent pour décrire cet arc de cercle.

Il ne reste plus pour rendre la carte parfaite, qu'à prendre dans les tables les longitudes & les latitudes des différens lieux, & à placer ces lieux conformément sur la carte ; ce qu'on fera selon qu'on l'a enseigné dans la construction des cartes de la premiere espece. On pourroit dans cette projection représenter sur une seule carte presque tout le globe de la terre ; il ne faudroit pour cela que prendre pour plan de projection, au lieu du plan du premier méridien, le plan de quelqu'autre petit cercle, parallele à ce premier méridien, & fort proche de l'oeil ; car par ce moyen on pourra décrire tous les méridiens & les paralleles à l'équateur en entier, sans qu'ils sortent des limites de la carte. Mais comme ce la rendroit la carte confuse & embrouillée, on ne le fait que rarement ; & il paroît plus à propos de représenter les deux hémispheres en entier sur deux cartes différentes.

Un des avantages de cette projection est qu'elle représente d'une maniere un peu plus vraie que la précédente, les longitudes & les latitudes des lieux, leurs distances de l'équateur & du premier méridien. Ses inconvéniens sont : 1°. qu'elle rend les degrés de l'équateur inégaux, ces degrés devenant d'autant plus grands, qu'ils sont plus près de D A B ou de son opposé B C D, ce qui fait que des espaces inégaux sur la terre sont représentés comme égaux sur la carte ; & réciproquement ; défaut qu'on n'éviteroit que par d'autres, peut-être plus grands. 2°. Que les distances des lieux & leurs situations mutuelles ne peuvent pas se bien déterminer dans les cartes de cette projection.

Construction des cartes sur le plan de l'horison, ou dont un lieu donné quelconque à volonté doive être le centre ou le milieu. Supposons, par exemple, qu'on veuille décrire la carte dont le centre soit la ville de Paris, nous supposerons sa latitude de 48d 50' 10" ; l'oeil sera placé dans le nadir ; la carte transparente sera le plan de l'horison, ou quelqu'autre plan parallele à celui-là, en supposant qu'on veuille représenter dans la carte plus qu'un hémisphere : prenez le point E, fig. 4. pour Paris, & de ce point comme centre, décrivez le cercle A B C D pour représenter l'horison, que vous diviserez en quatre quarts de cercle, & chacun d'eux en 90d. Que le diametre B D soit méridien ; B, le côté du nord ; D, celui du sud ; la ligne tirée de l'est de l'équinoxe, à l'oüest de l'équinoxe, marquera le premier vertical ; A le côté de l'est ; C celui de l'oüest, c'est-à-dire deux points du premier vertical, éloignés de part & d'autre de 9d du zénith. Tous les verticaux sont représentés par des droites tirées du centre E, aux différens degrés de l'horison. Divisez B D en 180 degrés par les méthodes précédentes, & le point de E B qui représentera 48d 50' 10", à compter depuis B, sera la projection du pole boréal, que nous marquerons par la lettre P. Le point de E D qui représentera 48d, 50' 10" de l'arc D C, en allant de C vers D, sera l'intersection de l'équateur avec le méridien de Paris, que vous marquerez par la lettre Q. De ce point Q, en allant vers P, vous écrirez les nombres 1, 2, 3, &c. comme aussi en allant de Q vers D, & en allant de B vers P, il faudra marquer les degrés de cette sorte 48, 47, 46, &c.

Vous prendrez ensuite les points correspondans des degrés égaux ; & de leur distance prise pour diametre, vous décrirez des cercles qui représenteront les paralleles ou cercles de latitude avec l'équateur, les tropiques & le cercle polaire. Pour les méridiens, vous décrirez par les points A P C un cercle qui représentera le méridien de 90 degrés de Paris, & dont le centre sera le point M, & P N le diametre ; & ayant divisé K L en degrés par les méthodes précédentes, vous décrirez par les points P N, & par les points de division de la ligne K L, des cercles dont les portions renfermées dans le cercle B A D C représenteront les méridiens.

Les cartes rectilignes sont celles où les méridiens & les paralleles sont tout-à-la-fois représentés par des droites, ce qui est réellement impossible par les lois de la perspective, parce qu'on ne peut point assigner de position pour l'oeil & le plan de projection, telle, que les cercles de longitude & de latitude deviennent tous à-la-fois des lignes droites. Dans la premiere méthode que nous avons donnée ci-dessus, les méridiens étoient des droites, mais les paralleles étoient des cercles : Dans la plûpart des autres especes de projections, les méridiens & les paralleles sont des courbes. Il y a une espece de projection où les méridiens sont des droites, & les paralleles des hyperboles. C'est lorsque l'oeil seroit supposé placé dans le centre de la terre, & que la projection se feroit sur un parallele au premier méridien : mais cette projection est plûtôt de pure curiosité que d'usage.

Construction des cartes particulieres. Les cartes particulieres de grandes étendues de pays, comme les cartes d'Europe, se projettent de la même maniere que les cartes générales, observant seulement qu'il est à-propos de faire choix de différentes méthodes pour différentes pratiques : par exemple, l'Afrique & l'Amérique par où passe l'équateur, ne se projetteroient pas convenablement par la premiere méthode, mais par la seconde ; l'Europe & l'Asie se projetteroient mieux par la troisieme ; & les pays voisins des poles ou les zones froides, par la premiere.

Ainsi, pour commencer, tirez sur votre plan ou papier une droite, que vous prendrez pour le méridien du lieu sur lequel l'oeil est imaginé placé, & divisez-la comme ci-dessus en degrés, qui seront les degrés de latitude : prenez ensuite dans les tables la latitude des deux paralleles qui en terminent les deux extrémités ; il faudra marquer dans le méridien ces degrés de latitude, & tirer par ces mêmes degrés des perpendiculaires, qui serviront à la carte de limite nord & sud. Cela fait, il faudra tirer des paralleles dans les différens degrés des méridiens, & placer les lieux jusqu'à ce que la carte soit complete .

Des cartes particulieres de moindre étendue. Les Géographes suivent une autre méthode dans la construction des cartes qui doivent représenter une plus petite portion de la terre. Premierement on tire une droite au bas du plan, qui puisse représenter la longitude, & qui serve de bornes à la partie méridionale du pays qu'on veut décrire. On prend dans cette ligne autant de parties égales que le pays comprend de degrés de longitude ; au milieu de cette ligne, on lui éleve une perpendiculaire dans laquelle on prend autant de parties que le pays contient de degrés de latitude. On détermine de quelle grandeur ces parties doivent être par la proportion d'un degré de grand cercle aux degrés des paralleles qui terminent le pays dont on fait la carte. Par l'extrémité de cette perpendiculaire, on tire une autre droite perpendiculaire ou parallele à celle d'en-bas sur laquelle les degrés de longitude doivent se représenter comme dans la ligne d'en-bas ; c'est-à-dire, presqu'égaux les uns aux autres, à moins que les latitudes des deux extrémités ne soient fort différentes l'une de l'autre ; car si la parallele la plus basse est située à une distance considérable du cercle équinoctial, ou que la latitude de la limite boréale soit beaucoup plus grande que celle de l'australe, les parties ou degrés de la ligne supérieure ne seront plus égaux aux parties ou degrés de l'inférieure ; mais ils seront moindres suivant la proportion du degré de la partie septentrionale, au degré de la partie méridionale. Après qu'on aura ainsi déterminé soit sur la ligne supérieure, soit sur l'inférieure, les parties qu'on doit prendre pour les degrés de longitude ; on tirera par les points de division ces paralleles des droites qui représenteront les méridiens ; & par les différens degrés de la perpendiculaire élevée au milieu de la premiere ligne transversale, on tirera des lignes paralleles à cette premiere ligne transversale ; lesquelles représenteront les paralleles de latitude. Enfin on placera les lieux suivant la méthode qui a été déjà enseignée, aux points dans lesquels les méridiens ou cercles de longitude concourront avec les paralleles ou cercles de latitude.

Pour les cartes de province ou de pays de peu d'étendue, comme de paroisses, de terres, &c. on se sert d'une autre méthode plus sûre & plus exacte qu'aucunes des précédentes. Les angles de position ou ceux sur lesquels doivent tomber les lieux, y sont déterminés par des instrumens propres à cet effet, & rapportés ensuite sur le papier. Cela fait un art à part qu'on appelle arpentage. Voyez ARPENTAGE, &c.

Les fig. 10 & 11 de la Géographie représentent des cartes particulieres de quelques portions de la terre ; la figure 10 est la représentation d'une portion assez considérable, où les méridiens, comme on le voit, sont des lignes convergentes. La figure 11 est la représentation d'une portion peu étendue, où les méridiens & les paralleles sont des lignes droites sensiblement paralleles. L, K, I, sont trois lieux placés sur la carte. Si on connoît les lieux K, I, & leur distance au lieu L, on connoîtra sûrement la position du lieu L : car il n'y a qu'à décrire des centres L, I, & des distances L K, L l, qu'on suppose données, deux arcs de cercle qui se couperont au point cherché L. Voyez LEVER UN PLAN.

L'usage des cartes se déduit facilement de leur construction. Les degrés des méridiens & des paralleles marquent les longitudes & les latitudes des lieux ; & l'échelle des lieues qui y est jointe, la distance des uns aux autres. La situation des lieux les uns par rapport aux autres, comme aussi par rapport aux points cardinaux, paroît à la seule inspection de la carte ; puisque le haut en est toûjours tourné vers le nord, le bas vers le sud, la droite vers l'est, & la gauche vers l'oüest ; à moins que la boussole qu'on met assez souvent sur la carte, ne marque le contraire.

CARTE MARINE, est la projection de quelques parties de la mer sur un plan, pour l'usage des navigateurs. Voyez PROJECTION.

Le P. Fournier rapporte l'invention des cartes marines à Henri fils de Jean roi de Portugal ; elles different beaucoup des cartes géographiques terrestres, qui ne sont d'aucun usage dans la navigation : toutes les cartes marines ne sont pas non plus de la même espece ; car il y en a qu'on nomme cartes planes ; d'autres, réduites ; d'autres, cartes de Mercator ; d'autres, cartes du globe, &c.

Les cartes planes, sont celles où les méridiens & les paralleles sont représentés par des droites paralleles les unes aux autres.

Ptolomée les rejette dans sa Géographie, à cause des erreurs auxquelles elles sont sujettes, quoiqu'elles puissent être utiles dans des voyages courts. Leurs défauts sont, 1°. que puisque tous les méridiens se rencontrent en effet dans les poles, il est absurde de les représenter, sur-tout dans de grandes cartes, par des droites paralleles ; 2°. que les cartes planes représentent les degrés des différens paralleles égaux à ceux de l'équateur, & par conséquent les distances des lieux de l'est à l'ouest, plus grandes qu'elles ne sont ; 3°. que dans une carte plane, le vaisseau paroit, tant qu'on garde le même rhumb de vent, faire voile dans un grand cercle du globe, ce qui est pourtant très-faux.

Malgré ces défauts des cartes planes, elles sont cependant assez exactes, lorsqu'elles ne représentent qu'une petite portion de la mer ou de la terre ; & elles peuvent être en ce cas d'un usage fort simple & fort commode.

Construction d'une carte plane. 1°. Tirez une droite comme A B. (Pl. de navigation, fig. 9.) & divisez-la en autant de parties égales, qu'il y a de degrés de latitude dans la portion de mer qu'il faut représenter ; 2°. joignez-y-en une autre B C à angles droits, & divisez-la en autant de parties égales les unes aux autres, & à la premiere, qu'il y a de degrés de longitude dans la portion de mer que vous voulez représenter ; 3°. achevez le parallélogramme A B C D, & partagez son aire en petits quarrés, & les droites paralleles à A B, C D, seront les méridiens, & les paralleles à A D & B C, les cercles paralleles ; 4°. vous y placerez, au moyen d'une table de longitudes & de latitudes, les côtes, les îles, les bayes, les bancs de sable, les rochers, de la maniere qui a été prescrite ci-dessus pour les cartes particulieres.

Il s'ensuit de-là 1°. que la latitude & la longitude du lieu où est un vaisseau étant données, on pourra aisément représenter son lieu dans la carte : 2°. qu'étant donnés dans la carte, les lieux F & G, d'où le vaisseau part, & où il va, la ligne FG, tirée de l'un à l'autre, fait avec le méridien A B un angle A F G égal à l'inclinaison du rhumb ; & puisque les portions F 1, 12, 2 G, entre des paralleles équidistans sont égales, & que l'inclinaison de la droite FG à tous les méridiens ou à toutes les droites paralleles à A B, est la même, la droite FG représente donc le rhumb. On peut prouver de la même maniere que cette carte représente véritablement les milles de longitude.

Il s'ensuit de-là qu'on peut se servir utilement des cartes planes pour diriger un vaisseau dans un voyage qui ne soit pas de long cours, ou même dans un voyage assez long, pourvû qu'on ait soin qu'il ne se glisse point d'erreur dans la distance des lieux F & G, ce qu'on corrigera de la maniere suivante.

Construction d'une échelle pour corriger les erreurs des distances dans les cartes planes. 1°. Transportez cinq degrés de la carte à la droite AB, fig. 10. & divisez-les en 300 parties égales ou milles géographiques ; 2°. décrivez sur cette droite un petit cercle ABC, qu'il faudra diviser en 90 parties égales : si l'on veut savoir en conséquence, combien cinq degrés font de milles dans le parallele de cinquante, qu'on prenne au compas l'intervalle A C égal à cinquante, & qu'on le transporte au diametre AB, sur lequel il marquera le nombre de mille requis.

Il s'ensuit de-là que si un vaisseau fait voile sur un rhumb à l'est ou à l'ouest, hors de l'équateur, les milles correspondans aux degrés de longitude se trouveront comme dans l'article précédent ; s'il fait voile sur un rhumb collatéral, alors on peut supposer toûjours la course de l'est à l'ouest dans un parallele moyen entre le parallele du lieu d'où le vaisseau vient, & de celui où il va.

Il est vrai que cette réduction par une parallele moyenne arithmétique n'est pas exacte : cependant on s'en sert souvent dans la pratique, parce que c'est une méthode commode pour l'usage de la plûpart des marins. En effet, elle ne produira point d'erreur considérable, si toute la course est divisée en parties dont chacune ne passe pas un degré ; ce qui fait qu'il est convenable de ne pas prendre le diametre du demi-cercle ABC de plus d'un degré, & de le diviser au plus en milles géographiques. Pour l'application des cartes planes à la navigation, voyez NAVIGATION.

Carte réduite ou carte de réduction : c'est celle dans laquelle les méridiens sont représentés par des droites convergentes vers les poles, & les paralleles par des droites paralleles les unes aux autres, mais inégales. Il paroît donc par leur construction qu'elles doivent corriger les erreurs des cartes planes.

Mais puisque les paralleles y devroient couper les méridiens à angles droits, il s'ensuit aussi que ces cartes sont défectueuses à cet égard, puisqu'elles représentent les paralleles comme inclinés aux méridiens ; c'est ce qui a fait imaginer une autre espece de cartes réduites, dans lesquelles les méridiens sont paralleles, mais les degrés inégaux ; on les appelle cartes de Mercator.

Carte de Mercator : c'est celle dans laquelle les méridiens & les paralleles sont représentés par des droites paralleles, mais où les degrés des méridiens sont inégaux, & croissent toûjours à mesure qu'ils s'approchent du pole dans la même raison que ceux des paralleles décroissent sur le globe ; au moyen de quoi, ils conservent entr'eux la même proportion que sur le globe.

Cette carte tire son nom de celui de l'auteur qui l'a proposée le premier, & qui a fait la premiere carte de cette construction, savoir de N. Mercator : mais il n'est ni le premier qui en ait eu l'idée (car Ptolomée y avoit pensé quinze cent ans auparavant) ni celui à qui on en doit la perfection ; M. Whright étant le premier qui l'ait démontrée, & qui ait enseigné une maniere aisée de la construire, en étendant la ligne méridienne par l'addition continuelle des sécantes.

Construction de la carte de Mercator. 1°. Tirez une droite, & divisez-la en parties égales, qui représentent les degrés de longitude, soit dans l'équateur, soit dans les paralleles qui doivent terminer la carte ; élevez de ces différens points de division des perpendiculaires qui représentent les différens méridiens, de façon que des droites puissent les couper toutes sous un même angle, & par conséquent représenter les rhumbs ; & vous ferez le reste comme dans la carte plane, avec cette condition de plus, que pour que les degrés des méridiens soient dans la proportion convenable avec ceux des paralleles, il faut augmenter les premiers ; car les derniers restent les mêmes à cause du parallélisme des méridiens. Voyez DEGRE.

Décrivez donc dans l'équateur CD, & de l'intervalle d'un degré, (Pl. Navig. fig. 11.) le quart de cercle D L E, & élevez en D la perpendiculaire DG ; faites l'arc DL égal à la latitude, & par le point L tirez CG ; cette droite CG sera le degré du méridien propre à être transporté sur le méridien de la carte ; le reste se fera comme dans les cartes planes. Supposons qu'on demande dans la pratique de construire une carte plane de Mercator, depuis le quarantieme jusqu'au cinquantieme degré de latitude boréale, & depuis le sixieme jusqu'au quinzieme degré de longitude ; tirez d'abord une droite qui représente le quarantieme parallele de l'équateur, & divisez-la en douze parties égales, par les douze degrés de longitude que la carte doit contenir ; prenez ensuite une ligne de parties égales, sur l'échelle de laquelle ces parties sont égales à chacun des degrés de longitude ; & à chacune de ses extrémités élevez des perpendiculaires, pour représenter deux méridiens paralleles, qu'il faut diviser au moyen de l'addition continuelle des sécantes, lesquelles on démontre croître dans la même proportion que les degrés de longitude décroissent. Voyez SECANTE.

Ainsi pour la distance de 40d de latitude à 41d, prenez 131 1/2 parties égales de l'échelle, qui font la sécante de 40d 30'; pour la distance de 41d à 42d, prenez 133 1/2 parties égales de l'échelle, qui font la sécante de 41d 30', & ainsi de suite jusqu'au dernier degré de votre carte, qui contiendra 154 de ces parties égales, lesquelles font la sécante de 49d 30', & doivent donner par conséquent la distance du 49d de latitude au 50. Par cette méthode les degrés de latitude se trouveront évidemment augmentés dans la proportion suivant laquelle les degrés de longitude décroissent sur le globe.

Le méridien étant divisé, il faudra y ajoûter la boussole ou le compas de mer : choisissant pour cela quelqu'endroit convenable dans le milieu, on tirera par cet endroit une parallele au méridien divisé, laquelle sera le rhumb du nord ; & au moyen de celle-ci on aura les 31 autres points de compas : enfin on rapportera les villes, les ports, les côtes, les iles, &c. au moyen d'une table de latitude & de longitude, & la carte sera finie.

Dans la carte de Mercator, l'échelle change à proportion des latitudes : si par conséquent un vaisseau fait voile entre le 40 & le 50 de la parallele de latitude, les degrés des méridiens entre ces deux paralleles devront servir d'échelle pour mesurer le chemin du vaisseau ; d'où il s'ensuit que quoique les degrés de longitude soient égaux en longueur sur la carte, ils doivent néanmoins contenir un nombre inégal de milles ou de lieues, & qu'ils décroîtront à mesure qu'ils approcheront plus près du pole, parce qu'ils sont en raison inverse d'une quantité qui croît continuellement.

Cette carte est très-bonne, quoique fausse en apparence : on trouve par expérience qu'elle est fort exacte, & qu'il est en même tems fort aisé d'en faire usage. En effet, elle a toutes les qualités requises pour l'usage de la navigation. La plûpart des marins, dit Chambers, paroissent cependant éloignés de s'en servir, & aiment mieux s'en tenir à leur vieille carte plane, qui est, comme on l'a vû, très-fautive.

Pour l'usage de la carte plane de Mercator dans la navigation. voyez NAVIGATION.

Carte du globe. C'est une projection qu'on nomme de la sorte à cause de la conformité qu'elle a avec le globe même, & qui a été proposée dans ces derniers tems par MM. Senex, Wilson, & Harris : les méridiens y sont inclinés, les paralleles à égales distances les uns des autres, & courbes, & les rhumbs réels sont en spirales, comme sur la surface du globe. Cette projection est encore peu connue ; nous n'en pouvons dire que peu de chose, jusqu'à ce que sa construction & ses usages ayent une plus grande publicité ; cependant M. Chambers en espere beaucoup, puisqu'elle est munie d'un privilége du roi d'Angleterre, qu'elle paraît sous sa protection, qu'elle est approuvée de plusieurs navigateurs habiles, & entr'autres du docteur Halley, & qu'elle a subi en Angleterre l'épreuve d'un examen très-sévere. M. Chambers ajoûte que la projection en est très-conforme à la nature, & par conséquent fort aisée à concevoir ; & qu'on a trouvé qu'elle étoit exacte, même à de grandes distances, où ses défauts, si elle en eût eu, auroient été plus remarquables. Voyez GLOBE. Voyez aussi la Géographie de M. Wolf.

Cartes composées par rhumbs & distances. Ce sont celles où il n'y a ni méridiens ni paralleles, mais qui ne montrent la situation des lieux que par rhumbs, & par l'échelle des milles.

On s'en sert principalement en France, & sur-tout dans la Méditerranée.

On les trace sans beaucoup d'art, & il seroit par conséquent inutile de vouloir rendre un compte exact de la maniere de les construire ; on ne s'en sert que dans de courts voyages. (O)

CARTE ou QUARTE, s. f. (Commerce) mesure de grains dont on se sert en quelques lieux de la Savoie, & qui n'est pas par-tout d'un poids égal.

La carte de Conflans pese 35 livres poids de marc.

Celle de S. Jean de Maurienne, 21 livres aussi poids de marc.

La carte de Faverge, 30 liv. poids de Geneve.

La carte de Miolans, S. Pierre d'Albigny, S. Philippe, 25 livres poids de Geneve.

Celle de Modane, 24 livres aussi poids de Geneve. Voyez LIVRE, MARC, POIDS. Dict. du Com. (G)

CARTE BLANCHE, se dit dans l'Art militaire pour exprimer qu'un général peut faire ce que bon lui semble sans en avertir la cour auparavant. Ainsi dire qu'un général a carte-blanche, c'est dire qu'il peut attaquer l'ennemi lorsqu'il en trouve l'occasion, sans avoir besoin d'ordres particuliers. (Q)

CARTE ou CARDE, instrument dont se servent les Perruquiers pour travailler les cheveux destinés à faire des perruques. C'est une espece de peigne composé de dix rangées de pointes de fer de près d'un pouce & demi de hauteur, épaisses de deux lignes, & éloignées les unes des autres par la pointe, d'environ trois lignes. Ces pointes sont enfoncées dans une planche de bois de chêne, assujettie sur une table par des clous, & rangées en losanges.

Il y a des cartes ou cardes de plusieurs grosseurs, sur lesquelles on passe les paquets de cheveux pour les mêlanger, en commençant par les plus grosses, & successivement jusqu'aux plus fines.

* CARTES, s. f. (Jeux) petits feuillets de carton oblongs, ordinairement blancs d'un côté, peints de l'autre de figures humaines ou autres, & dont on se sert à plusieurs jeux, qu'on appelle par cette raison jeux de cartes. Voyez LANSQUENET, BRELAND, PHARAON, OMBRE, PIQUET, BASSETTE, &c. Entre ces jeux il y en a qui sont purement de hasard, & d'autres qui sont de hasard & de combinaison. On peut compter le lansquenet, le breland, le pharaon, au nombre des premiers ; l'ombre, le piquet, le médiateur, au nombre des seconds. Il y en a où l'égalité est très exactement conservée entre les joüeurs, par une juste compensation des avantages & des desavantages ; il y en a d'autres où il y a évidemment de l'avantage pour quelques joüeurs, & du desavantage pour d'autres : il n'y en a presqu'aucun dont l'invention ne montre quelqu'esprit ; & il y en a plusieurs qu'on ne joue point supérieurement, sans en avoir beaucoup, du moins de l'esprit du jeu. Voyez JEU.

Le pere Ménestrier Jésuite, dans sa bibliotheque curieuse & instructive, nous donne une petite histoire de l'origine du jeu de cartes. Après avoir remarqué que les jeux sont utiles, soit pour délasser, soit même pour instruire ; que la création du monde a été pour l'Etre suprème une espece de jeu ; que ceux qui montroient chez les Romains les premiers élémens s'appelloient ludi magistri ; que Jesus-Christ même n'a pas dédaigné de parler des jeux des enfans : il distribue les jeux en jeux de hasard, comme les dés (voyez DES) ; en jeux d'esprit, comme les échecs (voyez ECHECS) ; & en jeux de hasard & d'esprit, comme les cartes. Mais il y a des jeux de cartes, ainsi que nous l'avons remarqué, qui sont de pur hasard.

Selon le même auteur, il ne paroît aucun vestige de cartes à joüer avant l'année 1392, que Charles VI. tomba en phrénésie. Le jeu de cartes a dû être peu commun avant l'invention de la gravûre en bois, à cause de la dépense que la peinture des cartes eût occasionnée. Le P. Ménestrier ajoûte que les Allemands, qui eurent les premiers des gravûres en bois, graverent aussi les premiers des moules de cartes, qu'ils chargerent de figures extravagantes : d'autres prétendent encore que l'impression des cartes est un des premiers pas qu'on ait fait vers l'impression en caracteres gravés sur des planches de bois, & citent à ce sujet les premiers essais d'Imprimerie faits à Harlem, & ceux qu'on voit dans la bibliotheque Bodleyane. Ils pensent que l'on se seroit plûtôt apperçû de cette ancienne origine de l'Imprimerie, si l'on eût considéré que les grandes lettres de nos manuscrits de 900 ans paroissent avoir été faites par des enlumineurs.

On a voulu par le jeu de cartes, dit le P. Ménestrier, donner une image de la vie paisible, ainsi que par le jeu des échecs, beaucoup plus ancien, on en a voulu donner une de la guerre. On trouve dans le jeu de cartes les quatre états de la vie ; le coeur représente les gens d'église ou de choeur, espece de rébus ; le pique, les gens de guerre ; le treffle, les laboureurs ; & les carreaux, les bourgeois dont les maisons sont ordinairement carrelées. Voilà une origine & des allusions bien ridicules. On lit dans le pere Ménestrier que les Espagnols ont représenté les mêmes choses par d'autres noms. Les quatre rois, David, Alexandre, César, Charlemagne, sont des emblèmes des quatre grandes monarchies, Juive, Greque, Romaine, & Allemande. Les quatre dames, Rachel, Judith, Pallas, & Argine, anagramme de regina (car il n'y a jamais eu de reine appellée Argine), expriment les quatre manieres de regner, par la beauté, par la piété, par la sagesse, & par le droit de la naissance. Enfin les valets représentoient les servans d'armes. Le nom de valet qui s'est avili depuis, ne se donnoit alors qu'à des vassaux de grands seigneurs, ou à de jeunes gentilshommes qui n'étoient pas encore chevaliers. Les Italiens ont reçû le jeu de cartes les derniers. Ce qui pourroit faire soupçonner que ce jeu a pris naissance en France, ce sont les fleurs-de-lis qu'on a toûjours remarquées sur les habits de toutes les figures en carte. Lahire, nom qu'on voit au bas du valet de coeur, pourroit avoir été l'inventeur des cartes, & s'être fait compagnon d'Hector & d'Ogier le danois, qui sont les valets de carreau & de pique, comme il semble que le cartier se soit réservé le valet de treffle pour lui donner son nom. Voyez l'article JEU. Bibl. cur. & instruct. p. 168.

Après cette histoire bonne ou mauvaise de l'origine des cartes, nous allons expliquer la fabrication. Entre les petits ouvrages, il y en a peu où la main d'oeuvre soit si longue & si multipliée : le papier passe plus de cent fois entre les mains du cartier avant que d'être mis en cartes, comme on va le voir parce qui suit.

Il faut d'abord se pourvoir de la sorte de papier qu'on appelle de la main brune, voyez PAPIER ; on déplie son papier & on le rompt : rompre, c'est tenir le papier ouvert de la main gauche par le bas du pli, de la droite par le haut du pli, de maniere que les deux pouces soient dans le pli, & faire glisser les autres doigts de la main droite tout le long du dos du pli, en commençant par le bas ; ce qui ne peut se faire sans appliquer le haut du dos du pli contre le bas du dos du pli, & paroître rompre les feuilles. Le but de cette opération, qu'on réitere autant de fois qu'il est nécessaire sur le même papier, c'est d'en effacer le pli du mieux qu'on peut.

Après qu'on a rompu le papier, on en prend deux feuilles qu'on met dos à dos : sur ces deux feuilles on en place deux autres mises aussi dos à dos : mais il faut que ces deux dernieres débordent les deux premieres, soit par en-haut, soit par en-bas d'environ quatre doigts. On continue de faire un tas le plus grand qu'on peut de feuilles prises deux à deux, dans lequel les deux 1, 3, 5, 7, 9, &c. se correspondent exactement, & sont débordées d'environ quatre doigts par les deux 2, 4, 6, 8, 10, &c. qui par conséquent se correspondent aussi exactement. Cette opération s'appelle mêler. Dans les grosses manufactures de cartes il y a des personnes qui ne font que mêler. On donne six liards pour mêler deux tas ; la rame fait un tas.

Après qu'on a mêlé, ou plûtôt tandis qu'on mêle d'un côté, de l'autre on fait la colle. La colle se fait avec moitié farine, moitié amydon : on met sur vingt seaux d'eau deux boisseaux de farine, & trente livres d'amydon. On délaye la farine & l'amydon avec de l'eau tiede : cependant il y en a qui chauffe sur le feu : quand elle est prette à bouillir, on jette dedans le mélange de farine & d'amydon, en le passant par un tamis de crin médiocrement serré. Tandis que la colle se cuit, on la remue bien avec un balai, afin qu'elle ne se brûle pas au fond de la chaudiere : on la laisse bouillir environ une bonne heure ; on la retire ensuite, & elle est faite. Il faut avoir soin de la remuer, jusqu'à ce qu'elle soit froide, de peur, disent les ouvriers, qu'elle ne s'étouffe, ou devienne en eau. On ne s'en sert que le lendemain.

Quand la colle est froide, le colleur la passe par un tamis, d'où elle tombe dans un baquet, & se dispose à coller. Pour cet effet il prend la brosse à coller. Cette brosse est oblongue ; elle a environ cinq pouces de large, & sa longueur est de la largeur du papier : elle est de soie de sanglier, & garnie en-dessus d'une manique ou courroie de lisiere. On la voit Pl. du Cartier, fig. 9. le colleur la trempe dans la colle, & la passe sur le papier de la maniere qui suit : il l'applique au centre de la feuille, d'où il va à l'angle du haut qui est à droite, & de-là à l'angle du bas qui lui est opposé à gauche : il remet sa brosse au centre, d'où il l'avance à l'angle du haut qui est à gauche, la ramenant de-là à l'angle opposé du bas qui est à droite : il lui est enjoint de réitérer huit fois cette opération sur la même feuille.

Cela fait il enleve cette feuille enduite de colle, & avec elle la feuille qui lui est adossée. Il fait la même opération sur la premiere des deux feuilles suivantes, les enleve toutes deux, & les place sur les deux précédentes. Il continue ainsi, collant une feuille & en enlevant deux, reformant un autre tas, où il est évident qu'une feuille collée se trouve toûjours appliquée contre une feuille qui ne l'est pas. Dans ce nouveau tas les feuilles ne se débordent point ; on les applique les unes sur les autres le plus exactement qu'on peut.

Quand on a formé ce tas d'environ une rame & demie, on le met en presse. La presse des Cartiers n'a rien de particulier ; c'est la même que celle des Bonnetiers & des Calendreurs. On presse le tas legerement d'abord ; au bout d'un quart-d'heure, on revient à la presse, & on le serre davantage. Si l'on donnoit le premier coup de presse violent, le papier qui est moite de colle, foible & non pris, pourroit s'ouvrir. On laisse ce tas en presse environ une bonne heure ; c'est à-peu-près le tems que le colleur employe à former un nouveau tas pareil au premier : quand il est formé, il retire de presse le premier tas, & y substitue le second. Un bon ouvrier peut faire quinze à seize tas par jour. Il a six blancs par tas.

Quand le premier tas est sorti de presse, on le torche ; torcher, c'est enlever la colle que l'action de la presse a fait sortir d'entre les feuilles ; cela se fait avec un mauvais pinceau qu'on trempe dans de l'eau froide, afin que ce superflu de colle se sépare plus facilement. Cette colle enlevée des côtés du tas ne sert plus.

Ces feuilles qui sortent de dessous la presse, collées deux à deux, s'appellent étresses ; quand les étresses sont torchées, on les pique. Pour cet effet on a une perce ou un poinçon qu'on enfonce au bord du tas, environ à la profondeur d'un demi-doigt : on enleve du tas un petit paquet d'environ cinq étresses percées, & on passe une épingle dans le trou. L'épingle des Cartiers est un fil de laiton de la longueur & grosseur des épingles ordinaires, dont la tête est arrêtée dans un parchemin plié en quatre, dans un bout de carte, ou même dans un mauvais morceau de peau, & qui est plié environ vers la moitié, de maniere qu'il puisse faire la fonction de crochet. Le piqueur perce toutes les étresses, & garnit autant de paquets d'environ cinq à six qu'il peut faire, chacun de leur épingle. Le colleur s'appelle le servant du piqueur ; celui-ci gagne environ trente sous par jour.

Quand tous les paquets d'étresses sont garnis d'épingles, on les porte sécher aux cordes. L'opération de suspendre les étresses aux cordes par les épingles en crochet, s'appelle étendre. Les feuilles ou étresses demeurent plus ou moins étendues, selon la température de l'air. Dans les beaux jours d'été, on étend un jour, & l'on abat le lendemain. Abattre, c'est la même chose que détendre. On voit que l'été est la saison favorable pour cette partie du travail des cartes ; en hyver, il faudroit une poële, encore n'éviteroit-on pas l'inconvénient du feu, qui mange la colle & fait gripper le papier. Ceux qui entendent leur intérêt se préparent en été de l'ouvrage pour l'hyver.

En abattant, on ôte les épingles, & l'on reforme des tas ; quand ces nouveaux tas sont formés, on sépare : séparer, c'est détacher les étresses les unes des autres, & les distribuer séparément ; cette opération se fait avec un petit couteau de bois appellé coupoir.

Quand on a séparé, on ponce ; poncer c'est, ainsi que le mot le designe, frotter l'étresse des deux côtés avec une pierre ponce ; il est enjoint de donner dix à douze coups de pierre ponce de chaque côté de l'étresse. Cet ouvrage se paye à la grosse. On donne cinq sous par grosse ; un ouvrier en peut faire sept à huit par jour.

Cela fait, on trie ; trier, c'est regarder chaque étresse au jour, & en enlever toutes les inégalités, soit du papier, soit de la colle ; ce qui s'appelle le bro. Le triage se fait avec une espece de canif à main ou grattoir, que les ouvriers nomment pointe.

L'étresse tirée formera l'ame de la carte. Le papier dont on fait les étresses vaut cinquante à cinquante-deux sols la rame. Quand l'étresse est préparée, on prend deux autres sortes de papiers : l'une appellée le cartier, qui ne sert qu'à l'usage dont il s'agit ; il est sans marque ; il pese vingt-deux liv. le paquet ou les deux rames, & vaut environ quinze francs la rame ; l'autre, appelle le pau, qui vaut à-peu-près trois livres douze sous la rame. Le papier d'étresse, le cartier, & le pau, sont à-peu-près de la même grandeur, excepté le cartier ; mais c'est un défaut : s'ils étoient bien égaux, il y auroit moins de déchet.

Ces papiers étant préparés, on mêle en blanc. Pour cette opération, on a un tas de cartier à droite, & un tas de pau à gauche. On prend d'abord une feuille de pau, on place dessus deux feuilles de cartier ; puis sur celles-ci deux feuilles de pau ; puis sur ces dernieres deux feuilles de cartier, & ainsi de suite jusqu'à la fin, qu'on termine ainsi qu'on a commencé, par une seule feuille de pau. Il faut observer que le nouveau tas est formé de maniere que les feuilles se débordent de deux en deux, comme quand on a mêlé la premiere fois pour faire les étresses ; ce nouveau tas contient environ dix mains de papier.

Quand on a mêlé en blanc, on mêle en étresse ; mêler en étresse, c'est entrelarder l'étresse dans le blanc : ce qui s'exécute ainsi. On enleve la premiere feuille de pau, on met dessus une étresse ; sur cette étresse deux feuilles de cartier ; sur les deux feuilles de cartier, une étresse ; sur cette étresse, deux feuilles de pau, & ainsi de suite : d'où l'on voit évidemment que chaque étresse se trouve entre une feuille de cartier & une feuille de pau. Les feuilles de cartier, de pau, & les étresses, doivent se déborder dans le nouveau tas.

Après cette manoeuvre, on colle en ouvrage. Cette opération n'a rien de particulier ; elle se fait comme le premier collage, & consiste à enfermer une étresse entre une feuille de pau & une feuille de cartier. Après avoir collé en ouvrage, on met en presse, on pique, on étend, & on abat, comme on a fait aux étresses, avec cette différence qu'on n'étend que deux des nouveaux feuillets à la fois ; ces deux feuillets s'appellent un double : avec un peu d'attention on s'appercevra que les deux blancs ou feuilles de cartier sont appliquées l'une contre l'autre dans le double, & que les deux feuilles de pau sont en dehors ; par ce moyen la dessication se fait sans que le papier perde de sa blancheur. Le cartier fait le dos de la carte, & le pau le dedans ; le Cartier qui entend ses intérêts, conduira jusqu'ici pendant l'été sa matiere à mettre en cartes.

Lorsque les doubles sont préparés, on a proprement le carton dont la carte se fait, il ne s'agit plus que de couvrir les surfaces de ces doubles, ou de têtes ou de points. Les têtes, ce sont celles d'entre les car tes qui portent des figures humaines ; toutes les autres s'appellent des points.

Pour cet effet, on a un moule de bois, tel qu'on le voit, Pl. du Cart. fig. 5. il porte vingt figures à tête ; ces figures sont gravées profondement ; voyez l'article de la GRAVURE EN BOIS. Ce moule est fixé sur une table ; il est composé de quatre bandes, qui portent cinq figures chacune ; chaque bande s'appelle un coupeau.

On prend du papier de pau, on le déplie, on le rompt, on le moitit ; moitir, c'est tremper. Voyez IMPRIMERIE. On le met entre deux ais : on le presse pour l'unir ; au sortir de la presse, on moule.

Pour mouler, on a devant soi ou à côté un tas de ce pau trempé ; on a aussi du noir d'Espagne qu'on a fait pourrir dans de la colle. Plus il est resté longtems dans la colle, plus il est pourri, meilleur il est. Il y en a dont le pié a deux à trois ans. On a une brosse ; on prend de ce noir fluide avec la brosse ; on la passe sur le moule : comme ce sont les parties saillantes du moule qui forment la figure, & que ces parties sont fort détachées du fond, il n'y a que leurs traces qui fassent leurs empreintes sur le papier, qu'on étend sur le moule & qu'on presse avec un froton ; le froton est un instrument composé de plusieurs lisieres d'étoffes roulées les unes sur les autres : de maniere que la base en est plate & unie, & que le reste a la forme d'un sphéroide allongé. Voyez Pl. du Cart. fig. 13. On continue de mouler autant qu'on veut. Les moules sont aujourd'hui au bureau ; on y va mouler en payant les droits : ils sont d'un denier par cartes. Ainsi un jeu de piquet paye à la ferme 32 deniers. Après cette opération, on commence à peindre les têtes, car le moule n'en a donné que le trait noir, tel qu'on le voit fig. 5. On applique d'abord le jaune, ensuite le gris, puis le rouge, le bleu & le noir. On fait tous les tas en jaune de suite, tous les tas en gris, &c.

Le jaune n'est autre chose que de la graine d'Avignon qu'on fait bouillir, & à laquelle on mêle un peu d'alun pour la purifier ; le gris, qu'un petit bleu d'indigo qu'on a dans un pot : le rouge, qu'un vermillon broyé & délayé avec un peu d'eau & de colle ou gomme ; le bleu, qu'un indigo plus fort, délayé aussi avec de la gomme & de l'eau ; le noir, que du noir de fumée.

On se sert pour appliquer ces couleurs, de différens patrons, le patron est fait d'un morceau d'imprimure. Les ouvriers entendent par une imprimure, une feuille de papier qu'on prépare de la maniere suivante : faites calciner des écailles d'huîtres ou des coques d'oeufs ; broyez-les & les réduisez en poudre menue. Mêlez cette poudre avec de l'huile de lin, & de la gomme arabique, vous aurez une composition pâteuse & liquide, dont vous enduirez le papier. Vous donnerez six couches à chaque côté ; ce qui rendra la feuille épaisse, à-peu-près comme une piece de 24 sous.

C'est au Cartier à découper l'imprimure ; ce qu'il exécute pour les têtes avec une espece de canif : pour cet effet il prend une mauvaise feuille de carte toute peinte, il applique cette feuille sur l'imprimure & l'y fixe ; il enleve avec sa pointe ou son canif toutes les parties peintes de la même couleur, & de la feuille & de l'imprimure : puis il ôte cette imprimure & en substitue une autre sous la même feuille, & enleve au canif tant de la feuille que de l'imprimure, une autre couleur, & ainsi de suite autant qu'il y a de couleurs. La feuille peinte qui sert à cette opération, s'appelle faute. Voyez fig. 6. un patron découpé, c'est-à-dire, dont on a enlevé toutes les parties qui doivent être peintes d'une même couleur en jaune, si c'est un patron jaune. Comme il y a cinq couleurs à chaque carte, il y a aussi cinq patrons. On applique les patrons successivement sur la même tête, & on passe dessus avec un pinceau la couleur qui convient ; il est évident que cette couleur ne prend que sur les parties de la carte, que les découpures du patron laissent découvertes. Dans la fig. 6. d'un patron jaune, les parties couvertes sont représentées par le noir ; & les parties découpées, par les taches irrégulieres blanches.

Voilà pour la peinture des têtes. Quant à celle des points, les patrons ne sont pas découpés au canif, mais à l'emporte-piece. On a quatre emporte-pieces différens, pique, treffle, coeur, & carreau, dont on frappe les imprimures. Les bords de ces emporte-pieces sont tranchans & coupent la partie de l'imprimure sur laquelle ils sont appliqués ; ces imprimures ainsi préparées servent à faire les points, comme celles des têtes ont servi à peindre les figures : il faut seulement observer pour les têtes, que la planche en étant divisée en quatre coupeaux, on passe le pinceau à quatre reprises.

Quand tous les papiers ou feuilles de pau sont peintes, comme nous venons de dire, il s'agit de les appliquer sur les doubles ; pour cet effet, on les mêle en tas : une feuille peinte, un double ; une feuille peinte, un double, & ainsi de suite : de maniere que le double soit toujours enfermé entre deux feuilles peintes. On colle, on presse, on pique, on étend, comme ci-dessus. On abat, & l'on sépare les doubles, ainsi comme nous avons dit qu'on séparoit les étresses. Ce nouveau travail n'a rien de particulier ; il fait seulement passer l'ouvrage un plus grand nombre de fois entre les mains de l'ouvrier.

Quand on a séparé, on prépare le chauffoir ; le chauffoir est tel qu'on le voit, fig. 7. c'est une caisse de fer quarrée, à pié, dont les bords supportent des bandes de fer quarrées, passées les unes sur les autres, & recourbées par les extrémités. Il y en a deux sur la longueur, & deux sur la largeur ; ce qui forme deux crochets sur chaque bord du chauffoir.

On allume du feu dans le chauffoir ; on passe dans les crochets ou agraffes qu'on remarque autour du chauffoir, une caisse quarrée de bois qui sert à concentrer la chaleur ; on place ensuite quatre feuilles en-dedans de cette caisse quarrée, une contre chaque côté, puis on en pose une dessus les barres qui se croisent ; on ne les laisse toutes dans cet état, que le tems de faire le tour du chauffoir. On les enleve en tournant, on y en substitue d'autres, & l'on continue cette manoeuvre jusqu'à ce qu'on ait épuisé l'ouvrage ; cela s'appelle chauffer.

Au sortir du chauffoir, le lisseur prend son ouvrage & le savonne par-devant, c'est-à-dire du côté des figures. Savonner, c'est avec un assemblage de morceaux de chapeau cousus les uns sur les autres à l'épaisseur de deux pouces, & de la largeur de la feuille (assemblage qu'on appelle savonneur), emporter du savon, en le passant sur un pain de cette marchandise, & la transporter sur la feuille en la frottant seulement une fois. On savonne la carte pour faire couler dessus la pierre de la lissoire.

Quand la carte est savonnée, on la lisse. La lissoire est un instrument composé d'une perche, dont on voit une extrémité Planche du Cartier fig. 8. l'autre bout aboutit à l'extrémité d'une planche, qu'on voit dans la vignette de la même Planche, fixée aux solives. Cette planche fait ressort. La figure M est la boîte de la lissoire : la figure n en est la pierre. Cette pierre, qui n'est autre chose qu'un caillou noir bien poli, se place dans l'ouverture qu'on voit à la partie supérieure de la boîte M. La pierre se polit sur un grès ; on la figure à-peu-près en dos d'âne. On voit, fig. M n, la boîte avec sa pierre. On apperçoit à la partie supérieure de la figure M n de part & d'autre, deux entailles circulaires. La langue solide qui est entre les entailles, se place dans la fente de l'extrémité de la perche 8. On apperçoit aux deux extrémités de la boîte M n, deux éminences cylindriques : ce sont les deux poignées avec lesquelles l'ouvrier appellé lisseur, fait aller la lissoire sur la feuille de carte. Cette carte à lisser est posée sur un marbre. Ce marbre est fixé sur une table ; la pierre de la lissoire appuyée fortement contre la carte, sur laquelle l'ouvrier la fait aller de bas en haut, & de haut en bas. Pour qu'une feuille soit bien lissée, il faut qu'elle ait reçû vingt-deux coups ou vingt-deux allées & venues. Un bon ouvrier lissera trente mains par jour : il est payé 30 sous. Son métier est fort pénible ; & ce n'est pas une petite fatigue que de vaincre continuellement l'élasticité de la planche qui agit à un des bouts de la perche de la lissoire, & applique fortement la pierre contre la feuille à lisser. On voit dans la vignette, fig. 3. un lisseur ; figure 2. un ouvrier occupé à peindre des points ; & fig. 1. un ouvrier qui peint des têtes.

Quand la carte est lissée par-devant, on la chauffe, comme on a fait ci-dessus. Il faut observer que soit en chauffant, soit en réchauffant, c'est la couleur qui est tournée vers le feu. Le réchauffage se fait comme le chauffage. Après cette manoeuvre, on savonne la carte par-derriere, & on la lisse par-derriere.

Au sortir de la lisse, la carte va au ciseau pour être coupée. On commence par rogner la feuille. Rogner, c'est enlever avec le ciseau ce qui excede le trait du moule, des deux côtés qui forment l'angle supérieur à droite de la feuille. Pour suivre ce trait exactement, il est évident qu'il faut que la face colorée soit en-dessus, & puisse être apperçûe par le coupeur. Les traits du moule tracés autour des cartes, & qui, en formant pour ainsi dire les limites, en assûrent l'égalité, s'appellent les guides : c'est en effet ces traits qui guident le coupeur.

Le coupeur a son établi particulier. Il est représenté dans la vignette, fig. 4. il est composé d'une longue table, sur laquelle est l'esto. L'esto est un morceau de bois d'environ deux pouces d'épais, sur un bon pié en quarré, bien équarri & assemblé le plus fermement & le plus perpendiculairement qu'il est possible avec le dessus de la table. On voit, figure 12. l'esto séparé Z, & fig. 4. de la vignette, on le voit assemblé avec la table par les tenons 4, 4, & ses clavettes ou clés 5, 5 ; sur la surface Z de l'esto, fig. 12. on a fixé un litau 2 percé : c'est dans le trou de ce litau qu'on a placé la vis 12, dont l'extrémité n reçoit l'écrou b sur l'autre surface de l'esto. La corde qui passe par-dessus le bord supérieur de l'esto, soûtient une broche de fer à laquelle elle est attachée, & qui sert à avancer ou reculer la vis. On voit à l'extrémité de la vis, deux arrêts circulaires 1, 2, dont nous ne tarderons pas d'expliquer l'usage. On voit, fig. 10. & 11. les ciseaux desassemblés ; & dans la vignette, fig. 4. on les voit assemblés avec l'établi, & en situation pour travailler. Le bout d'une des branches 2, se visse dans le solide de l'établi par le boulon taraudé, & son extrémité est contenue entre les deux arrêts circulaires de la vis ; ensorte que cette branche ne peut vaciller non plus que l'autre, qui est fixée à celle-ci par le clou, comme on voit vignette, fig. 4.

Il s'ensuit de cette disposition, que pour peu que l'ouvrier soit attentif à son ouvrage, il lui est impossible de ne pas couper droit & de ne pas suivre les guides. Quand il a rogné, il traverse. Traverser, c'est séparer les coupeaux, ou mettre la feuille en quatre parties égales. Quand il a traversé, il ajuste : ajuster, c'est examiner si les coupeaux sont de la même hauteur. Pour cet effet, on les applique les uns contre les autres, & on tire avec le doigt ceux qui débordent ; on repasse ceux-ci au ciseau. On doit s'appercevoir que le ciseau est tenu toûjours à la même distance de l'esto, & qu'il ne s'en peut ni éloigner, ni approcher. On a planté en 3, 3, sur le milieu de l'esto, dans une ligne parallele au tranchant de la lame immobile du ciseau, deux épingles fortes. On pose le coupeau à retoucher contre ces épingles en-dessous ; on applique bien son côté contre l'esto, & l'on enleve avec le ciseau tout ce qui excede. Cet excédent est nécessairement de trop, parce que la distance du ciseau à l'esto est précisément de la hauteur de la carte. Quand on a repassé, on rompt. Rompre, c'est plier un peu les coupeaux, & leur faire le dos un peu convexe. Après avoir rompu les coupeaux, on les mene au petit ciseau. Le petit ciseau est monté précisément comme le grand ; & il n'y a entr'eux de différence que la longueur & l'usage. Le grand sert à rogner les feuilles & à les mettre en coupeaux ; & le petit, à mettre les coupeaux en cartes. On rogne, & l'on met en coupeaux les feuilles les unes après les autres ; & les coupeaux en cartes, les uns après les autres. Quand les coupeaux sont divisés, on assortit. Assortir, c'est ranger les cartes divisées par deux rangs de cartes, déterminées par l'ordre qu'elles avoient sur le moule ou sur les feuilles. Il y a entre la place d'une carte sur la feuille & sa place dans le rang, une correspondance telle que dans cette distribution, toutes les cartes de la même espece, tous les rois, toutes les dames, tous les valets, &c. tombent ensemble : alors on dit qu'elles sont par sortes. Mises par sortes, on les trie. Trier, c'est mettre les blanches avec les blanches, les moins blanches ensemble, & ôter les taches, qu'on appelle le bro, comme nous avons dit. On distingue quatre lots de cartes relativement à leur degré de finesse : celles du premier lot s'appellent la fleur ; celles du second, les premieres ; celles du troisieme, les secondes ; celles du quatrieme & du cinquieme, les triards ou fonds.

Quand on a distribué chaque sorte relativement à sa qualité ou son degré de finesse, on fait la couche, où l'on forme autant de sortes de jeu qu'on a de différens lots ; ensuite on range & on complete les jeux, ce qui s'appelle faire la boutée. On finit par plier les jeux dans les enveloppes ; ce qu'on exécute de maniere que les jeux de fleur se trouvent au-dessus du sixain, afin que si l'acheteur veut examiner ce qu'on lui vend, il tombe nécessairement sur un beau jeu.

On prépare les enveloppes exactement comme les cartes, avec un moule qui porte l'enseigne du Cartier. Mais il y a à l'extrémité de ce moule une petite cavité qui reçoit exactement une piece amovible, sur laquelle on a gravé en lettres le nom de la sorte de jeu que l'enveloppe doit contenir, comme piquet, si c'est du piquet ; médiateur ou comete, si c'est médiateur ou comete : cette piece s'appelle bluteau. Comme il y a deux sortes d'enveloppes, l'une pour les sixains, l'autre pour les jeux, il y a plusieurs moules pour les enveloppes : ces moules ne different qu'en grandeur.

Les cartes se vendent au jeu, au sixain, & à la grosse. Les jeux se distinguent en jeux entiers, en jeux d'hombre, & jeux de piquet.

Les jeux entiers sont composés de cinquante-deux cartes ; quatre rois, quatre dames, quatre valets, quatre dix, quatre neuf, quatre huit, quatre sept, quatre six, quatre cinq, quatre quatre, quatre trois, quatre deux, & quatre as.

Les jeux d'hombre sont composés de quarante cartes, les mêmes que ceux des jeux entiers, excepté les dix, les neuf, & les huit qui y manquent.

Les jeux de piquet sont de trente-deux ; as, rois, dames, valets, dix, neuf, huit, & sept.

On distingue les cartes en deux couleurs principales, les rouges & les noires : les rouges représentent un coeur ou un losange ; les noires un treffle ou un pique : elles sont toutes marquées depuis le roi jusqu'à l'as, de coeur, treffle, carreau ou pique.

Celles qu'on appelle roi, sont couronnées & ont différens noms. Le roi de coeur s'appelle Charles ; celui de carreau, César ; celui de treffle, Alexandre ; & celui de pique, David.

Les dames ont aussi leurs noms : la dame de coeur s'appelle Judith ; celle de carreau, Rachel ; celle de treffle, Argine ; & celle de pique, Pallas.

Le valet de coeur se nomme Lahire ; celui de carreau, Hector ; celui de pique, Hogier ; celui de treffle a le nom du Cartier.

Les dix portent dix points sur les trois rangées, quatre, deux, quatre ; les neuf sur les trois rangées, quatre, un, quatre ; les huit sur les trois rangées, trois, deux, trois ; les sept sur les trois rangées ; trois, un, trois ; les six sur les deux rangées, trois, trois ; les cinq sur les trois rangées, deux, un, deux ; les quatre sur les deux rangées, deux, deux ; les trois sur une rangée, ainsi que les deux : l'as est au milieu de la carte.

S'il y avoit un moyen de corriger les avares, ce seroit de les instruire de la maniere dont les choses se fabriquent : ce détail pourroit les empêcher de regretter leur argent ; & peut-être s'étonneroient-ils qu'on leur en demande si peu pour une marchandise qui a coûté tant de peine.

On a mis de grands impôts sur les cartes, ainsi que sur le tabac ; cependant je ne pense pas que ceux même qui usent le plus de l'un, & qui se servent le plus des autres, ayent le courage de s'en plaindre. Qui eût jamais pensé que la fureur pour ces deux superfluités, pût s'accroître au point de former un jour deux branches importantes des fermes ? Qu'on n'imagine pas que celle des cartes soit un si petit objet. Il y a tel cartier qui fabrique jusqu'à deux cent jeux par jour.

Il y auroit un moyen de rendre cette ferme beaucoup plus importante : je le public d'autant plus volontiers, qu'il ne seroit certainement à charge à personne ; ce seroit de taxer le prix des cartes au-dessous de celui qu'elles ont. Qu'arriveroit-il de-là ? qu'il y auroit si peu de différence entre des cartes neuves & des cartes recoupées, qu'on se détermineroit aisément à n'employer que des premieres. Le fermier & le cartier y trouveroient leur compte tous deux : ce qui est évident ; car les cartes se recoupent jusqu'à deux fois, & reparoissent par conséquent deux fois sur les tables. Si en diminuant le prix des cartes neuves, on parvenoit à diminuer de moitié la distribution des vieilles cartes, celui qui fabrique & vend par jour deux cent jeux de cartes, qui par la recoupe tiennent lieu de six cent, en pourroit fabriquer & vendre trois cent. Le cartier regagneroit sur le grand nombre des jeux vendus, ce qu'on lui auroit diminué sur chacun, & la ferme augmenteroit sans vexer personne.

Il est surprenant que nos François qui se piquent si fort de bon goût, & qui veulent le mieux jusque dans les plus petites choses, se soient contentés jusqu'à présent des figures maussades dont les cartes sont peintes : il est évident, par ce qui précede, qu'il n'en coûteroit rien de plus pour y représenter des sujets plus agréables. Cela ne prouve-t-il point qu'il n'est pas aussi commun qu'on le pense, de joüer ou par amusement, ou sans intérêt ? pourvû qu'on tue le tems, ou qu'on gagne, on ne se soucie guere que ce soit avec des cartes bien ou mal peintes.

CARTE, (Artificier) ce mot signifie en général le carton dont se servent les Artificiers. Ils en désignent l'épaisseur par le nombre des feuilles de gros papier gris dont il est composé : ainsi on dit, de la carte en deux, trois, quatre, ou cinq, sans y ajoûter le mot de feuille, qui est sousentendu chez eux & chez les marchands qui les vendent.

On désigne les petites cartes en les appellant cartes à joüer ; & le gros carton plus roide & moins propre au moulage, qui doit être flexible, s'appelle carte-lisse.


CARTELS. m. (Hist. mod.) lettre de défi, ou appel à un combat singulier, qui étoit fort en usage lorsqu'on décidoit des différends par les armes, & uniquement par elles, ainsi que certains procès. Voyez COMBAT, DUEL, CHAMPION, &c. (G)

CARTEL, (Commerce) mesure de continence pour les grains, & qui est en usage à Rocroi, à Mezieres & autres lieux où elle varie pour la grandeur & pour le poids.

Le cartel de froment pese à Rocroi trente-cinq livres poids de marc, celui de méteil trente-quatre, & celui de seigle trente-trois.

A Mezieres le cartel de froment pese trente livres, de méteil vingt-huit, de seigle vingt-six livres.

A Sedan le cartel de froment pese trente-neuf livres, celui de méteil une livre de moins ; le cartel de seigle, trente-sept, & celui d'avoine trente-cinq livres.

A Montdimi le cartel de froment pese quarante-huit livres & demie ; de meteil, quarante-sept ; d'avoine, cinquante livres. Toutes les livres dont nous venons de parler, doivent être prises poids de marc. Dictionnaire du Commerce. (G)


CARTELADES. f. (Commerce) mesure en longueur dont on se sert dans l'arpentage des terres en plusieurs endroits de la Guienne ; elle est environ de 1080 toises.


CARTELLESS. f. (Commerce de bois) petites planches de l'épaisseur de deux, trois, quatre, cinq pouces, dans lesquelles on débite les bois qui sont à l'usage des Tabletiers, Ebénistes, Armuriers, &c.


CARTERONS. m. (terme de Tisserand) c'est une lame de bois d'un pouce de largeur, plate & d'environ cinq piés de longueur, qui se place derriere les verges. Cette barre passe entre les fils de la chaîne, qui se croisent sur elle, c'est-à-dire, qui passent deux dessus & deux dessous ; son usage est de contenir les fils de la chaîne, & les empêcher de se mêler.


CARTÉSIANISMES. m. Philosophie de Descartes, ainsi appellée du nom latin Cartesius de son auteur. René Descartes naquit le 31 Mars 1596 à la Haye, petite ville de la Touraine, de Joachim Descartes, conseiller au parlement de Bretagne, & de Jeanne Brochard, fille du lieutenant général de Poitiers. On lui donna le surnom de du Perron, petite seigneurie située dans le Poitou, qui entra ensuite dans son partage après la mort de son pere.

La délicatesse de son tempérament, & les infirmités fréquentes qu'il eut à soutenir pendant son enfance, firent appréhender qu'il n'eût le sort de sa mere, qui étoit morte peu de tems après être accouchée de lui : mais il les surmonta, & vit sa santé se fortifier à mesure qu'il avança en âge.

Lorsqu'il eut huit ans, son pere lui trouvant des dispositions heureuses pour l'étude, & une forte passion pour s'instruire, l'envoya au collége de la Fleche. Il s'y appliqua pendant cinq ans & demi aux humanités ; & durant ce tems, il fit de grands progrès dans la connoissance des langues greque & latine, & acquit un goût pour la Poësie, qu'il conserva jusqu'à la fin de sa vie.

Il passa ensuite à la Philosophie, à laquelle il donna toute son attention, mais qui étoit alors dans un état trop imparfait, pour pouvoir lui plaire. Les mathématiques auxquelles il consacra la derniere année de son séjour à la Fleche, le dédommagerent des dégoûts que lui avoient causés la Philosophie. Elles eurent pour lui des charmes inconnus, & il profita avec empressement des moyens qu'on lui fournit, pour s'enfoncer dans cette étude aussi profondément qu'il pouvoit le souhaiter. Le recteur du collége lui avoit permis de demeurer long-tems au lit, tant à cause de la délicatesse de sa santé, que parce qu'il remarquoit en lui un esprit porté naturellement à la méditation. Descartes, qui à son réveil, trouvoit toutes les forces de son esprit recueillies, & tous ses sens rassis par le repos de la nuit, profitoit de ces conjonctures favorables pour méditer. Cette pratique lui tourna tellement en habitude, qu'il s'en fit une maniere d'étudier pour toute sa vie ; & l'on peut dire que c'est aux matinées qu'il passoit dans son lit, que nous sommes redevables de ce que son génie a produit de plus important dans la Philosophie & dans les Mathématiques.

Son pere, qui avoit fait prendre à son aîné le parti de la robe, sembloit destiner le jeune du Perron à celui de la guerre : mais sa grande jeunesse & la foiblesse de son tempérament ne lui permettant pas de l'exposer si-tôt aux travaux de ce métier pénible, il l'envoya à Paris, après qu'il eut fini le cours de ses études.

Le jeune Descartes s'y livra d'abord aux plaisirs, & conçut une passion d'autant plus forte pour le jeu, qu'il y étoit heureux. Mais il s'en desabusa bientôt, tant par les bons avis du P. Mersenne, qu'il avoit connu à la Fleche, que par ses propres réflexions. Il songea alors à se remettre à l'étude, qu'il avoit abandonnée depuis sa sortie du collége, & se retirant pour cet effet de tout commerce oisif, il se logea dans une maison écartée du fauxbourg S. Germain, sans avertir ses amis du lieu de sa retraite. Il y demeura une partie de l'année 1614, & les deux suivantes presque entieres, sans en sortir, & sans voir personne.

Ayant ainsi repris le goût de l'étude, il se livra entierement à celle des Mathématiques, auxquelles il voulut donner ce grand loisir qu'il s'étoit procuré ; & il cultiva particulierement la Géométrie & l'Analyse des anciens, qu'il avoit déjà approfondie dès le collége.

Lorsqu'il se vit âgé de 21 ans, il crut qu'il étoit tems de songer à se mettre dans le service ; il se rendit pour cela en Hollande, afin d'y porter les armes sous le prince Maurice. Quoiqu'il choisit cette école, qui étoit la plus brillante qu'il y eût alors par le grand nombre de héros qui se formerent sous ce grand capitaine, il n'avoit pas dessein de devenir grand guerrier ; il ne vouloit être que spectateur des rôles qui se jouent sur ce grand théatre, & étudier seulement les moeurs des hommes qui y paroissent. Ce fut pour cette raison qu'il ne voulut point d'emploi, & qu'il s'entretint toûjours à ses dépens, quoique pour garder la forme, il eût reçû une fois la paye.

Comme on joüissoit alors de la treve, Descartes passa tout ce tems en garnison à Breda : mais il n'y demeura pas oisif. Un problème qu'il y résolut avec beaucoup de facilité, le fit connoître à Isaac Beeckman, principal du collége de Dordrecht, lequel se trouvoit à Breda, & par son moyen à plusieurs savans du pays.

Il y travailla aussi à plusieurs ouvrages, dont le seul qui y ait été imprimé, est son Traité de la Musique. Il le composa en latin, suivant l'habitude qu'il avoit de concevoir & d'écrire en cette langue. Après avoir fait quelques autres campagnes sous différens généraux, il se dégoûta du métier de la guerre, & y renonça avant la fin de la campagne de 1621.

Il avoit remis à la fin de ses voyages à se déterminer sur le choix d'un état : mais, toutes réflexions faites, il jugea qu'il étoit plus à propos pour lui de ne s'assujettir à aucun emploi, & de demeurer maître de lui-même.

Après beaucoup d'autres voyages qu'il fit dans différens pays, la reine Christine de Suede, à qui il avoit envoyé son Traité des passions, lui fit faire au commencement de l'année 1649, de grandes instances pour l'engager à se rendre à sa cour. Quelque répugnance qu'il se sentit pour ce nouveau voyage, il ne put s'empêcher de se rendre aux desirs de cette princesse, & il partit sur un vaisseau qu'elle lui avoit envoyé. Il arriva à Stockolm au commencement du mois d'Octobre, & alla loger à l'hôtel de M. Chanut, ambassadeur de France, son ami, qui étoit alors absent.

La reine, qu'il alla voir le lendemain, le reçut avec une distinction qui fut remarquée par toute la cour, & qui contribua peut-être à augmenter la jalousie de quelques savans auxquels son arrivée avoit paru redoutable. Elle prit dans une seconde visite des mesures avec lui, pour apprendre sa philosophie de sa propre bouche ; & jugeant qu'elle auroit besoin de tout son esprit & de toute son application pour y réussir, elle choisit la premiere heure d'après son lever pour cette étude, comme le tems le plus tranquille & le plus libre de la journée, où elle avoit l'esprit plus tranquille, & la tête plus dégagée des embarras des affaires.

Descartes s'assujettit à l'aller trouver dans sa bibliotheque tous les matins à cinq heures, sans s'excuser sur le dérangement que cela devoit causer dans sa maniere de vivre, ni sur la rigueur du froid, qui est plus vif en Suede, que par-tout où il avoit vécu jusque-là. La reine en récompense lui accorda la grace qu'il lui avoit fait demander, d'être dispensé de tout le cérémonial de la cour, & de n'y aller qu'aux heures qu'elle lui donneroit pour l'entretenir. Mais avant que de commencer leurs exercices du matin, elle voulut qu'il prit un mois ou six semaines pour se reconnoître, se familiariser avec le génie du pays, & former des liaisons qui pussent le retenir auprès d'elle le reste de ses jours.

Descartes dressa au commencement de l'année 1650 les statuts d'une académie qu'on devoit établir à Stockolm, & il les porta à la reine le premier jour de Février, qui fut le dernier qu'il la vit.

Il sentit à son retour du palais des pressentimens de la maladie qui devoit terminer ses jours ; & il fut attaqué le lendemain d'une fievre continue avec une inflammation de poumon. M. Chanut qui sortoit d'une maladie semblable, voulut le faire traiter comme lui : mais sa tête étoit si embarrassée, qu'on ne put lui faire entendre raison, & qu'il refusa opiniâtrément la saignée, disant, lorsqu'on lui en parloit, Messieurs, épargnez le sang françois. Il consentit cependant à la fin qu'elle se fit : mais il étoit trop tard ; & le mal augmentant sensiblement, il mourut le 11 Février 1650, dans sa cinquante-quatrieme année.

La reine avoit dessein de le faire enterrer auprès des rois de Suede avec une pompe convenable, & de lui dresser un mausolée de marbre : mais M. Chanut obtint d'elle qu'il fût enterré avec plus de simplicité dans le cimetiere de l'hôpital des orphelins, suivant l'usage des Catholiques.

Son corps demeura à Stockolm jusqu'à l'année 1666, qu'il fut enlevé par les soins de M. d'Alibert, thrésorier de France, pour être porté à Paris, où il arriva l'année suivante. Il fut enterré de nouveau en grande pompe le 24 Juin 1667, dans l'église de Ste. Genevieve du mont. Mém. de Littérat. tom. 31.

Quoique Galilée, Toricelli, Pascal & Boyle, soient proprement les peres de la Physique moderne, Descartes, par sa hardiesse & par l'éclat mérité qu'a eu sa Philosophie, est peut-être celui de tous les savans du dernier siecle à qui nous ayons le plus d'obligation. Jusqu'à lui l'étude de la nature demeura comme engourdie par l'usage universel où étoient les écoles de s'en tenir en tout au Péripatétisme. Descartes, plein de génie & de pénétration, sentit le vuide de l'ancienne philosophie ; il la représenta au public sous ses vraies couleurs, & jetta un ridicule si marqué sur les prétendues connoissances qu'elle promettoit, qu'il disposa tous les esprits à chercher une meilleure route. Il s'offrit lui-même à servir de guide aux autres ; & comme il employoit une méthode dont chacun se sentoit capable, la curiosité se réveilla par-tout. C'est le premier bien que produisit la philosophie de Descartes : le goût s'en répandit bien-tôt par-tout : on s'en faisoit honneur à la cour & à l'armée. Les nations voisines parurent envier à la France les progrès du Cartésianisme, à-peu-près comme les succès des Espagnols aux deux Indes mirent tous les Européens dans le goût des nouveaux établissemens. La Physique françoise, en excitant une émulation universelle, donna lieu à d'autres entreprises, peut-être à de meilleures découvertes. Le Newtonianisme même en est le fruit.

Nous ne parlerons point ici de la Géométrie de Descartes ; personne n'en conteste l'excellence, ni l'heureuse application qu'il en a faite à l'Optique : & il lui est plus glorieux d'avoir surpassé en ce genre le travail de tous les siecles précédens, qu'il ne l'est aux modernes d'aller plus loin que Descartes. Voyez ALGEBRE. Nous allons donner les principes de sa Philosophie, répandus dans le grand nombre d'ouvrages qu'il a mis au jour : commençons par sa méthode.

Discours sur la méthode.
Descartes étant en Allemagne, & se trouvant fort desœuvré dans l'inaction d'un quartier d'hyver, s'occupa plusieurs mois de suite à faire l'examen des connoissances qu'il avoit acquises soit dans ses études, soit dans ses voyages, & par ses réflexions, comme par les secours d'autrui, il y trouva tant d'obscurité & d'incertitude, que la pensée lui vint de renverser ce mauvais édifice, & de rebâtir le tout de nouveau, en mettant plus d'ordre & de liaison dans ses connoissances.

1. Il commença par mettre à part les vérités révélées ; parce qu'il pensoit, disoit-il, que pour entreprendre de les examiner & y réussir, il étoit besoin d'avoir quelqu'extraordinaire assistance du ciel, & d'être plus qu'homme.

2. Il prit donc pour premiere maxime de conduite, d'obéir aux lois & aux coûtumes de son pays, retenant constamment la religion dans laquelle Dieu lui avoit fait la grace d'être instruit dès l'enfance, & se gouvernant en toute autre chose selon les opinions les plus modérées.

3. Il crut qu'il étoit de la prudence de se prescrire par provision cette regle, parce que la recherche successive des vérités qu'il vouloit savoir, pouvoit être très-longue ; & que les actions de la vie ne souffrant aucun délai, il falloit se faire un plan de conduite ; ce qui lui fit joindre une seconde maxime à la précédente, qui étoit d'être le plus ferme & le plus résolu en ses actions qu'il le pourroit, & de ne pas suivre moins constamment les opinions les plus douteuses lorsqu'il s'y seroit une fois déterminé, que si elles eussent été très-assûrées. Sa troisieme maxime fut de tâcher toûjours plûtôt de se vaincre que la fortune, & de changer plûtôt ses desirs que l'ordre du monde. Réfléchissant enfin sur les diverses occupations des hommes, pour faire choix de la meilleure, il crut ne pouvoir rien faire de mieux, que d'employer sa vie à cultiver sa raison par la méthode que nous allons exposer.

4. Descartes s'étant assûré de ces maximes, & les ayant mises à part, avec les vérités de foi qui ont toûjours été les premieres en sa créance, jugea que pour tout le reste de ses opinions, il pouvoit librement entreprendre de s'en défaire.

" A cause, dit-il, que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avoit aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer ; & parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matieres de Géométrie, & y font des parallogismes, jugeant que j'étois sujet à faillir autant qu'un autre, je rejettai comme fausses toutes les raisons que j'avois prises auparavant pour des démonstrations : & enfin considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je résolus de feindre que toutes les choses qui m'étoient jamais entrées dans l'esprit, n'étoient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussi-tôt après je pris garde que pendant que je voulois ainsi penser que tout étoit faux, il falloit nécessairement que moi qui le pensois, fusse quelque chose : & remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme & si assûrée, que toutes les plus extravagantes suppositions des Sceptiques n'étoient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvois la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la Philosophie que je cherchois.

Puis examinant avec attention ce que j'étois, & voyant que je pouvois feindre que je n'avois aucun corps, & qu'il n'y avoit aucun monde, ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvois pas feindre pour cela que je n'étois point, & qu'au contraire de cela même, que je pensois à douter de la vérité des autres choses, il suivoit très-évidemment & très-certainement que j'étois ; au lieu que si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avois jamais imaginé eût été vrai, je n'avois aucune raison de croire que j'eusse été : je connus de-là que j'étois une substance, dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, & qui pour être n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle, ensorte que ce moi, c'est-à-dire l'ame par laquelle je suis ce que je suis, est entierement distincte du corps, & même qu'elle est plus aisée à connoître que lui, & qu'encore qu'il ne fût point, elle ne laisseroit pas d'être tout ce qu'elle est.

Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie & certaine : car puisque je venois d'en trouver une que je savois être telle, je pensai que je devois aussi savoir en quoi consiste cette certitude ; & ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m'assûre que je dis la vérité, sinon que je vois très-clairement que pour penser il faut être, je jugeai que je pouvois prendre pour regle générale, que les choses que nous concevons fort clairement & fort distinctement sont toutes vraies. "

5. Descartes s'étend plus au long dans ses méditations, que dans le discours sur la méthode : pour prouver qu'il ne peut penser sans être : & de peur qu'on ne lui conteste ce premier point, il va au-devant de tout ce qu'on pouvoit lui opposer, & trouve toûjours qu'il pense, & que s'il pense, il est, soit qu'il veille, soit qu'il sommeille, soit qu'un esprit supérieur ou une divinité puissante s'applique à le tromper. Il se procure ainsi une premiere certitude ; ne s'en trouvant redevable qu'à la clarté de l'idée qui le touche, il fonde là-dessus cette regle célebre, de tenir pour vrai ce qui est clairement contenu dans l'idée qu'on a d'une chose ; & l'on voit par toute la suite de ses raisonnemens, qu'il sous-entend & ajoûte une autre partie à sa regle, savoir, de ne tenir pour vrai que ce qui est clair.

6. Le premier usage qu'il fait de sa regle, c'est de l'appliquer aux idées qu'il trouve en lui-même. Il remarque qu'il cherche, qu'il doute, qu'il est incertain, d'où il infere qu'il est imparfait. Mais il sait en même tems qu'il est plus beau de savoir, d'être sans foiblesse, d'être parfait. Cette idée d'un être parfait lui paroît ensuite avoir une réalité qu'il ne peut tirer du fonds de son imperfection : & il trouve cela si clair, qu'il en conclut qu'il y a un être souverainement parfait, qu'il appelle Dieu, de qui seul il a pû recevoir une telle idée. Voyez COSMOLOGIE.

7. Il se fortifie dans cette découverte en considérant que l'existence étant une perfection, est renfermée dans l'idée d'un être souverainement parfait. Il se croit donc aussi autorisé par sa regle à affirmer que Dieu existe, qu'à prononcer que lui Descartes existe puisqu'il pense.

8. Il continue de cette sorte à réunir par plusieurs conséquences immédiates, une premiere suite de connoissances qu'il croit parfaitement évidentes, sur la nature de l'ame, sur celle de Dieu, & sur la nature du corps.

Il fait une remarque importante sur sa méthode, savoir que " ces longues chaînes de raisons toutes simples & faciles, dont les Géometres ont coûtume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, lui avoient donné occasion de s'imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connoissance des hommes, s'entresuivent en même façon ; & que pourvû seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, & qu'on garde toûjours l'ordre qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre ".

10. C'est dans cette espérance que notre illustre philosophe commença ensuite à faire la liaison de ses premieres découvertes avec trois ou quatre regles de mouvement ou de méchanique, qu'il crut voir clairement dans la nature, & qui lui parurent suffisantes pour rendre raison de tout, ou pour former une chaîne de connoissances, qui embrassât l'univers & ses parties, sans y rien excepter.

" Je me résolus, dit-il, de laisser tout ce monde-ci aux disputes des Philosophes, & de parler seulement de ce qui arriveroit dans un nouveau monde, si Dieu créoit maintenant quelque part dans les espaces imaginaires assez de matiere pour le composer, & qu'il agitât diversement & sans ordre les diverses parties de cette matiere, ensorte qu'il en composât un cahos aussi confus que les Poëtes en puissent feindre, & que par-après il ne fit que prêter son concours ordinaire à la nature, & la laisser agir selon les lois qu'il a établies.

De plus je fis voir quelles étoient les lois de la nature.... Après cela je montrai comment la plus grande partie de la matiere de ce cahos devoit, ensuite de ces lois, se disposer & s'arranger d'une certaine façon qui la rendoit toute semblable à nos cieux ; comment cependant quelques-unes de ces parties devoient composer une terre ; & quelques-unes, des planetes & des cometes ; & quelques-autres, un soleil & des étoiles fixes.... De-là je vins à parler particulierement de la terre ; comment les montagnes, les mers, les fontaines & les rivieres pouvoient naturellement s'y former, & les métaux y venir dans les mines ; & les plantes y croître dans les campagnes ; & généralement tous les corps qu'on nomme mêlés ou composés, s'y engendrer.... On peut croire, sans faire tort au miracle de la création, que par les seules lois de la méchanique établies dans la nature, toutes les choses qui sont purement matérielles, auroient pû s'y rendre telles que nous les voyons à présent.

De la description de cette génération des corps animés & des plantes, je passai à celle des animaux, & particulierement à celle des hommes ".

11. Descartes finit son discours sur la méthode, en nous montrant les fruits de la sienne. " J'ai cru, dit-il, après avoir remarqué jusqu'où ces notions générales, touchant la Physique, peuvent conduire, que je ne pouvois les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connoissances qui sont fort utiles à la vie, & qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connoissant la force & les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des lieux, & de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, & ainsi nous rendre maîtres & possesseurs de la nature ".

Descartes se félicite en dernier lieu des avantages qui reviendra de sa Physique générale à la Medecine & à la santé. Le but de ses connoissances est, de se pouvoir exempter d'une infinité de maladies, & même aussi peut-être de l'affoiblissement de la vieillesse.

Telle est la méthode de Descartes. Telles sont ses promesses ou ses espérances. Elles sont grandes sans doute : & pour sentir au juste ce qu'elles peuvent valoir, il est bon d'avertir le lecteur qu'il ne doit point se prévenir contre ce renoncement à toute connoissance sensible, par lequel ce philosophe débute. On est d'abord tenté de rire en le voyant hésiter à croire qu'il n'y ait ni monde, ni lieu, ni aucun corps autour de lui : mais c'est un doute métaphysique, qui n'a rien de ridicule ni de dangereux ; & pour en juger sérieusement, il est bon de se rappeller les circonstances où Descartes se trouvoit. Il étoit né avec un grand génie ; & il regnoit alors dans les écoles un galimathias d'entités, de formes substancielles, & de qualités attractives, répulsives, retentrices, concoctrices, expultrices, & autres non moins ridicules ni moins obscures, dont ce grand homme étoit extrèmement rebuté. Il avoit pris goût de bonne heure à la méthode des Géometres, qui d'une vérité incontestable, ou d'un point accordé, conduisent l'esprit à quelqu'autre vérité inconnue ; puis de celle-là à une autre, en observant toûjours ainsi ; ce qui procure cette conviction d'où naît une satisfaction parfaite. La pensée lui vint d'introduire la même méthode dans l'étude de la nature ; & il crut en partant de quelques vérités simples, pouvoir parvenir aux plus cachées, & enseigner la Physique ou la formation de tous les corps, comme on enseigne la Géometrie.

Nous reconnoîtrions facilement nos défauts, si nous pouvions remarquer que les plus grands hommes en ont eu de semblables. Les Philosophes auroient suppléé à l'impuissance où nous sommes pour la plûpart, de nous étudier nous-mêmes, s'ils nous avoient laissé l'histoire des progrès de leur esprit. Descartes l'a fait, & c'est un des grands avantages de sa méthode. Au lieu d'attaquer directement les scholastiques, il représente le tems où il étoit dans les mêmes préjugés : il ne cache point les obstacles qu'il a eus à surmonter pour s'en défaire ; il donne les regles d'une méthode beaucoup plus simple qu'aucune de celles qui avoient été en usage jusqu'à lui, laisse entrevoir les découvertes qu'il croit avoir faites, & prépare par cette adresse les esprits à recevoir les nouvelles opinions qu'il se proposoit d'établir. Il y a apparence que cette conduite a eu beaucoup de part à la révolution dont ce philosophe est l'auteur.

La méthode des Géometres est bonne, mais a-t-elle autant d'étendue que Descartes lui en donnoit ? Il n'y a nulle apparence. Si l'on peut procéder géométriquement en Physique, c'est seulement dans telle ou telle partie, & sans espérance de lier le tout. Il n'en est pas de la nature comme des mesures & des rapports de grandeur. Sur ces rapports Dieu a donné à l'homme une intelligence capable d'aller fort loin, parce qu'il vouloit le mettre en état de faire une maison, une voûte, une digue, & mille autres ouvrages où il auroit besoin de nombrer & de mesurer. En formant un ouvrier, Dieu a mis en lui les principes propres à diriger ses opérations : mais destinant l'homme à faire usage du monde, & non à le construire, il s'est contenté de lui en faire connoître sensiblement & expérimentalement les qualités usuelles ; il n'a pas jugé à-propos de lui accorder la vûe claire de cette machine immense.

Il y a encore un défaut dans la méthode de Descartes : selon lui il faut commencer par définir les choses, & regarder les définitions comme des principes propres à en faire découvrir les propriétés. Il paroît au contraire qu'il faut commencer par chercher les propriétés ; car si les notions que nous sommes capables d'acquérir, ne sont, comme il paroît évident, que différentes collections d'idées simples que l'expérience nous a fait rassembler sous certains noms, il est bien plus naturel de les former, en cherchant les idées dans le même ordre que l'expérience les donne, que de commencer par les définitions, pour en déduire en suite les différentes propriétés des choses. Descartes méprisoit la science qui s'acquiert par les sens ; & s'étant accoûtumé à se renfermer tout entier dans des idées intellectuelles, qui pour avoir entr'elles quelque suite, n'avoient pas en effet plus de réalité, il alla avec beaucoup d'esprit de méprise en méprise. Avec une matiere prétendue homogene, mise & entretenue en mouvement, selon deux ou trois regles de la méchanique, il entreprit d'expliquer la formation de l'univers. Il entreprit en particulier de montrer avec une parfaite évidence, comment quelques parcelles de chyle ou de sang, tirées d'une nourriture commune, doivent former juste & précisément le tissu, l'entrelacement, & la correspondance des vaisseaux du corps d'un homme, plûtôt que d'un tigre ou d'un poisson. Enfin il se vantoit d'avoir découvert un chemin qui lui sembloit tel, qu'on devoit infailliblement trouver la science de la vraie Medecine en le suivant. Voyez AXIOME.

On peut juger de la nature de ses connoissances à cet égard par les traits suivans. Il prit pour un rhûmatisme la pleurésie dont il est mort, & crut se délivrer de la fievre en buvant un demi-verre d'eau-de-vie : parce qu'il n'avoit pas eu besoin de la saignée dans l'espace de 40 ans, il s'opiniâtra à refuser ce secours qui étoit le plus spécifique pour son mal : il y consentit trop tard, lorsque son délire fut calmé & dissipé. Mais alors, dans le plein usage de sa raison, il voulut qu'on lui infusât du tabac dans du vin pour le prendre intérieurement ; ce qui détermina son medecin à l'abandonner. Le neuvieme jour de sa fievre, qui fut l'avant-dernier de sa vie, il demanda de sang froid des panais, & les mangea par précaution, de crainte que ses boyaux ne se retrécissent, s'il continuoit à ne prendre que des bouillons. On voit ici la distance qu'il y a du Géometre au Physicien. Hist. du Ciel, tome II.

Quoique M. Descartes se fût appliqué à l'étude de la Morale, autant qu'à aucune autre partie de la Philosophie, nous n'avons cependant de lui aucun traité complet sur cette matiere. On en voit les raisons dans une lettre qu'il écrivit à M. Chanut. " Messieurs les régens de collége (disoit-il à son ami) sont si animés contre moi à cause des innocens principes de Physique qu'ils ont vûs, & tellement en colere de ce qu'ils n'y trouvent aucun prétexte pour me calomnier, que si je traitois après cela de la Morale, ils ne me laisseroient aucun repos ; car, puisqu'un pere Jésuite a crû avoir assez de sujet pour m'accuser d'être sceptique, de ce que j'ai réfuté les sceptiques ; & qu'un ministre a entrepris de persuader que j'étois athée, sans en alléguer d'autres raisons, sinon que j'ai tâché de prouver l'existence de Dieu : que ne diroient-ils point, si j'entreprenois d'examiner quelle est la juste valeur de toutes les choses qu'on peut desirer ou craindre ; quel sera l'état de l'ame après la mort ; jusqu'où nous devons aimer la vie, & quels nous devons être pour n'avoir aucun sujet d'en craindre la perte ! J'aurois beau n'avoir que les opinions les plus conformes à la religion, & les plus utiles au bien de l'état, ils ne laisseroient pas de me vouloir faire croire que j'en aurois de contraires à l'un & à l'autre. Ainsi je pense que le mieux que je puisse faire dorénavant, sera de m'abstenir de faire des livres : & ayant pris pour ma devise, illi mors gravis incubat, qui notus nimis omnibus, ignotus moritur sibi, de n'étudier plus que pour m'instruire, & ne communiquer mes pensées qu'à ceux avec qui je pourrai converser en particulier ".

On voit par-là qu'il n'étudioit la Morale que pour sa conduite particuliere ; & c'est peut-être aux effets de cette étude qu'on pourroit rapporter les desirs qu'on trouve dans la plûpart de ses lettres, de consacrer toute sa vie à la science de bien vivre avec Dieu & avec son prochain, en renonçant à toute autre connoissance ; au moins avoit-il appris dans cette étude à considérer les écrits des anciens payens comme des palais superbes, qui ne sont bâtis que sur du sable. Il remarqua dès-lors, que ces anciens dans leur morale, élevent fort haut les vertus, & les font paroître estimables au-dessus de tout ce qu'il y a dans le monde ; mais qu'ils n'enseignent pas assez à les connoître, & que ce qu'ils appellent d'un si beau nom, n'est souvent qu'insensibilité, orgueil, & desespoir. Ce fut aussi à cette étude qu'il fut redevable des quatre maximes que nous avons rapportées dans l'analyse que nous avons donnée de sa méthode, & sur lesquelles il voulut regler sa conduite : il n'étoit esclave d'aucune des passions qui rendent les hommes vicieux. Il étoit parfaitement guéri de l'inclination qu'on lui avoit autrefois inspirée pour le jeu & de l'indifférence pour la perte de son tems. Quant à ce qui regarde la religion, il conserva toûjours ce fonds de piété que ses maîtres lui avoient inspirée à la Fleche. Il avoit compris de bonne heure que tout ce qui est l'objet de la foi, ne sauroit l'être de la raison : il disoit qu'il seroit tranquille, tant qu'il auroit Rome & la Sorbonne de son côté.

L'irrésolution où il fut assez long-tems touchant les vûes générales de son état, ne tomboit point sur ses actions particulieres ; il vivoit & agissoit indépendamment de l'incertitude qu'il trouvoit dans les jugemens qu'il faisoit sur les Sciences. Il s'étoit fait une morale simple, selon les maximes de laquelle il prétendoit embrasser les opinions les plus modérées, le plus communément reçûes dans la pratique, se faisant toûjours assez de justice, pour ne pas préférer ses opinions particulieres à celles des personnes qu'il jugeoit plus sages que lui. Il apportoit deux raisons qui l'obligeoient à ne choisir que les plus modérées d'entre plusieurs opinions également reçûes. " La premiere, que ce sont toûjours les plus commodes pour la pratique, & vraisemblablement les meilleures, toutes les extrémités dans les actions morales étant ordinairement vicieuses ; la seconde, que ce seroit se détourner moins du vrai chemin, au cas qu'il vint à s'égarer ; & qu'ainsi, il ne seroit jamais obligé de passer d'une extrémité à l'autre ". Disc. sur la Méth. Il paroissoit dans toutes les occasions si jaloux de sa liberté, qu'il ne pouvoit dissimuler l'éloignement qu'il avoit pour tous les engagemens qui sont capables de nous priver de notre indifférence dans nos actions. Ce n'est pas qu'il prétendit trouver à redire aux lois, qui, pour remédier à l'inconstance des esprits foibles, ou pour établir des sûretés dans le commerce de la vie, permettent qu'on fasse des voeux ou des contrats, qui obligent ceux qui les font à persévérer dans leur entreprise : mais ne voyant rien au monde qui demeurât toûjours dans le même état, & se promettant de perfectionner son jugement de plus en plus, il auroit crû offenser le bon sens, s'il se fût obligé à prendre une chose pour bonne, lorsqu'elle auroit cessé de l'être ; ou de lui paroître telle, sous prétexte qu'il l'auroit trouvée bonne dans un autre tems.

A l'égard des actions de sa vie, qu'il ne croyoit point pouvoir souffrir de délai ; lorsqu'il n'étoit point en état de discerner les opinions les plus véritables, il s'attachoit toûjours aux plus probables. S'il arrivoit qu'il ne trouvât pas plus de probabilité dans les unes que dans les autres, il ne laissoit pas de se déterminer à quelques-unes, & de les considérer ensuite, non plus comme douteuses par rapport à la pratique, mais comme très-vraies & très-certaines, parce qu'il croyoit que la raison qui l'y avoit fait déterminer se trouvoit telle : par ce moyen, il vint à bout de prévenir le repentir & les remords qui ont coûtume d'agir sur les esprits foibles & chancelans, qui se portent trop legerement à entreprendre, comme bonnes, les choses qu'ils jugent ensuite être mauvaises.

Il s'étoit fortement persuadé qu'il n'y a rien dont nous puissions disposer absolument, hormis nos pensées & nos desirs ; desorte qu'après avoir fait tout ce qui pouvoit dépendre de lui pour les choses de dehors, il regardoit comme absolument impossible à son égard, ce qui lui paroissoit difficile ; c'est ce qui le fit résoudre à ne desirer que ce qu'il croyoit pouvoir acquérir. Il crut que le moyen de vivre content, étoit de regarder tous les biens qui sont hors de nous, comme également éloignés de notre pouvoir. Il dut sans-doute avoir besoin de beaucoup d'exercice, & d'une méditation souvent réitérée, pour s'accoûtumer à regarder tout sous ce point de vûe ; mais étant venu à bout de mettre son esprit dans cette situation, il se trouva tout préparé à souffrir tranquillement les maladies & les disgraces de la fortune par lesquelles il plairoit à Dieu de l'exercer. Il croyoit que c'étoit principalement dans ce point, que consistoit le secret des anciens philosophes, qui avoient pû autrefois se soustraire à l'empire de la fortune, & malgré les douleurs & la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs Dieux, Discours sur la Méthode, pag. 27. 29.

Avec ces dispositions intérieures, il vivoit en apparence de la même maniere que ceux qui, étant libres de tout emploi, ne songent qu'à passer une vie douce & irreprochable aux yeux des hommes qui s'étudient à séparer les plaisirs des vices, & qui, pour joüir de leur loisir sans s'ennuyer, ont recours de tems en tems à des divertissemens honnêtes. Ainsi, sa conduite n'ayant rien de singulier qui fût capable de frapper les yeux ou l'imagination des autres, personne ne mettoit obstacle à la continuation de ses desseins, & il s'appliquoit sans relâche à la recherche de la vérité.

Quoique M. Descartes eût résolu, comme nous venons de le dire, de ne rien écrire sur la Morale, il ne put refuser cette satisfaction à la princesse Elisabeth ; il n'imagina rien de plus propre à consoler cette princesse philosophe dans ses disgraces, que le livre de Séneque, touchant la vie heureuse, sur lequel il fit des observations, tant pour lui en faire remarquer les fautes, que pour lui faire porter ses pensées au-delà même de celles de cet auteur. Voyant augmenter de jour en jour la malignité de la fortune, qui commençoit à persécuter cette princesse, il s'attacha à l'entretenir dans ses lettres, des moyens que la Philosophie pouvoit lui fournir pour être heureuse & contente dans cette vie ; & il avoit entrepris de lui persuader, que nous ne saurions trouver que dans nous-mêmes cette félicité naturelle, que les ames vulgaires attendent en vain de la fortune, tom. I. des Lett. Lorsqu'il choisit le livre de Séneque de la vie heureuse, " il eut seulement égard à la réputation de l'auteur, & à la dignité de la matiere, sans songer à la maniere dont il l'avoit traitée " : mais l'ayant examinée depuis, il ne la trouva point assez exacte pour mériter d'être suivie. Pour donner lieu à la princesse d'en pouvoir juger plus aisément, il lui expliqua d'abord de quelle sorte il croyoit que cette matiere eût dû être traitée par un philosophe tel que Séneque, qui n'avoit que la raison naturelle pour guide ; ensuite il lui fit voir " comment Séneque eût dû nous enseigner toutes les principales vérités, dont la connoissance est requise pour faciliter l'usage de la vertu, pour regler nos desirs & nos passions, & joüir ainsi de la béatitude naturelle ; ce qui auroit rendu son livre le meilleur & le plus utile qu'un philosophe payen eût sû écrire ". Après avoir marqué ce qu'il lui sembloit que Séneque eût dû traiter dans son livre, il examina dans une seconde lettre à la princesse ce qu'il y traite, avec une netteté & une force d'esprit qui nous fait regretter que M. Descartes n'ait pas entrepris de rectifier ainsi les pensées de tous les anciens. Les réflexions judicieuses que la princesse fit de son côté sur le livre de Séneque, porterent M. Descartes à traiter dans les lettres suivantes, des autres questions les plus importantes de la morale, touchant le souverain bien, la liberté de l'homme, l'état de l'ame, l'usage de la raison, l'usage des passions, les actions vertueuses & vicieuses, l'usage des biens & des maux de la vie. Ce commerce de philosophie morale fut continué par la princesse, depuis son retour des eaux de Spa, où il avoit commencé, avec une ardeur toûjours égale au milieu des malheurs dont sa vie fut traversée ; & rien ne fut capable de le rompre, que la mort de M. Descartes.

En 1641 parut en latin un des plus célebres ouvrages de notre philosophe, & celui qu'il paroît avoir toujours chéri le plus, ce furent ses méditations touchant la premiere Philosophie, où l'on démontre l'existence de Dieu & l'immortalité de l'ame. Mais on sera peut-être surpris d'apprendre que c'est à la conscience de Descartes que le public fut redevable de ce présent. Si l'on avoit eu affaire à un philosophe moins zélé pour le vrai, & si cette passion si loüable & si rare n'avoit détruit les raisons qu'il prétendoit avoir de ne plus jamais imprimer aucun de ses écrits, c'étoit fait de ses méditations, aussi bien que de son monde, de son cours philosophique, de sa réfutation de la scholastique, & de divers autres ouvrages qui n'ont pas vû le jour, excepté les principes, qui avoient été nommément compris dans la condamnation qu'il en avoit faite. Cette distinction étoit bien dûe à ses méditations métaphysiques. Il les avoit composées dans sa retraite en Hollande. Depuis ce tems-là, il les avoit laissées dans son cabinet comme un ouvrage imparfait, dans lequel il n'avoit songé qu'à se satisfaire. Mais ayant considéré en suite la difficulté que plusieurs personnes auroient dû comprendre le peu qu'il avoit mis de métaphysique dans la quatrieme partie de son discours sur la méthode, il voulut revoir son ouvrage, afin de le mettre en état d'être utile au public, en donnant des éclaircissemens à cet endroit de sa méthode, auquel cet ouvrage pourroit servir de commentaire. Il comparoit ce qu'il avoit fait en cette matiere aux démonstrations d'Apollonius, dans lesquelles il n'y a véritablement rien qui ne soit très-clair & très-certain, lorsqu'on considere chaque point à part. Mais parce qu'elles sont un peu longues, & qu'on ne peut y voir la nécessité de la conclusion, si l'on ne se souvient exactement de tout ce qui la précede, à peine peut-on trouver un homme dans toute une ville, dans toute une province, qui soit capable de les entendre. De même, M. Descartes croyoit avoir entierement démontré l'existence de Dieu & l'immatérialité de l'ame humaine. Mais parce que cela dépendoit de plusieurs raisonnemens qui s'entre-suivoient, & que si on en oublioit la moindre circonstance il n'étoit pas aisé de bien entendre la conclusion, il prévoyoit que son travail auroit peu de fruit, à moins qu'il ne tombât heureusement entre les mains de quelques personnes intelligentes, qui prissent la peine d'examiner sérieusement ses raisons ; & qui disant sincerement ce qu'elles en penseroient, donnassent le ton aux autres pour en juger comme eux, ou du moins pour n'oser les contredire sans raison.

Le pere Mersenne ayant reçû l'ouvrage attendu depuis tant de tems, voulut satisfaire l'attente de ceux auxquels il l'avoit promis, par l'activité & l'industrie dont il usa pour le leur communiquer. Il en écrivit peu de tems après à M. Descartes, & il lui promit les objections de divers théologiens & philosophes. M. Descartes en parut d'autant plus surpris, qu'il s'étoit persuadé qu'il falloit plus de tems pour remarquer exactement tout ce qui étoit dans son traité, & tout ce qui y manquoit d'essentiel. Le P. Mersenne, pour lui faire voir qu'il n'y avoit ni précipitation, ni négligence dans l'examen qu'il en faisoit faire, lui manda qu'on avoit déjà remarqué que dans un traité qu'on croyoit fait exprès pour prouver l'immortalité de l'ame, il n'avoit pas dit un mot de cette immortalité. M. Descartes lui répondit sur le champ qu'on ne devoit pas s'en étonner ; qu'il ne pouvoit pas démontrer que Dieu ne puisse anéantir l'ame de l'homme, mais seulement qu'elle est d'une nature entierement distincte de celle du corps, & par conséquent qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui ; que c'étoit-là tout ce qu'il croyoit être requis pour établir la religion, & que c'étoit aussi tout ce qu'il s'étoit proposé de prouver. Pour détromper ceux qui pensoient autrement, il fit changer le titre du second chapitre, ou de la seconde méditation, qui portoit de mente humanâ en général ; au lieu de quoi il fit mettre, de naturâ mentis humanæ, quod ipsa sit notior quam corpus, afin qu'on ne crût pas qu'il eût voulu y démontrer son immortalité.

Huit jours après, M. Descartes envoya au P. Mersenne un abregé des principaux points qui touchoient Dieu & l'ame, pour servir d'argument à tout l'ouvrage. Il lui permit de le faire imprimer par forme de sommaire à la tête du traité, afin que ceux qui aimoient à trouver en un même lieu tout ce qu'ils cherchoient, pussent voir en raccourci tout ce que contenoit l'ouvrage, qu'il crut devoir partager en six méditations.

Dans la premiere, il propose les raisons pour lesquelles nous pouvons douter généralement de toutes choses, & particulierement des choses matérielles, jusqu'à ce que nous ayons établi de meilleurs fondemens dans les Sciences, que ceux que nous avons eus jusqu'à-présent. Il fait voir que l'utilité de ce doute général consiste à nous délivrer de toutes sortes de préjugés ; à détacher notre esprit des sens, & à faire que nous ne puissions plus douter des choses que nous reconnoîtrons être très-véritables.

Dans la seconde, il fait voir que l'esprit usant de sa propre liberté pour supposer que les choses de l'existence desquelles il a le moindre doute, n'existent pas en effet, reconnoît qu'il est impossible que cependant il n'existe pas lui-même : ce qui sert à lui faire distinguer les choses qui lui appartiennent d'avec celles qui appartiennent au corps. Il semble que c'étoit le lieu de prouver l'immortalité de l'ame. Mais il manda au P. Mersenne qu'il s'étoit contenté dans cette seconde méditation de faire concevoir l'ame sans le corps, sans entreprendre encore de prouver qu'elle est réellement distincte du corps ; parce qu'il n'avoit pas encore mis dans ce lieu-là les prémisses, dont on peut tirer cette conclusion, que l'on ne trouveroit que dans la sixieme méditation. C'est ainsi que ce philosophe tâchant de ne rien avancer dans tout son traité dont il ne crût avoir des démonstrations exactes, se croyoit obligé de suivre l'ordre des Géometres, qui est de produire premierement tous les principes d'où dépend la proposition que l'on cherche, avant que de rien conclure. La premiere & la principale chose qui est requise selon lui pour bien connoître l'immortalité de l'ame, est d'en avoir une idée ou conception très-claire & très-nette, qui soit parfaitement distincte de toutes les conceptions qu'on peut avoir du corps. Il faut savoir outre cela que tout ce que nous concevons clairement & distinctement est vrai de la même maniere que nous le concevons ; c'est ce qu'il a été obligé de remettre à la quatrieme méditation. Il faut de plus avoir une conception distincte de la nature corporelle ; c'est ce qui se trouve en partie dans la seconde, & en partie dans les cinquieme & sixieme méditations. L'on doit conclure de tout cela, que les choses que l'on conçoit clairement & distinctement comme des substances diverses, telles que sont l'esprit & le corps, sont des substances réellement distinctes les unes des autres. C'est ce qu'il conclut dans la sixieme méditation. Revenons à l'ordre des méditations & de ce qu'elles contiennent.

Dans la troisieme, il développe assez au long le principal argument par lequel il prouve l'existence de Dieu. Mais n'ayant pas jugé à propos d'y employer aucune comparaison tirée des choses corporelles, afin d'éloigner autant qu'il pourroit l'esprit du lecteur de l'usage & du commerce des sens, il n'avoit pû éviter certaines obscurités, auxquelles il avoit déjà remédié dans ses réponses aux premieres objections qu'on lui avoit faites dans les Pays-Bas, & qu'il avoit envoyées au P. Mersenne pour être imprimées à Paris avec son traité.

Dans la quatrieme, il prouve que toutes les choses que nous concevons fort clairement & fort distinctement sont toutes vraies. Il y explique aussi en quoi consiste la nature de l'erreur ou de la fausseté. Par-là il n'entend point le péché ou l'erreur qui se commet dans la poursuite du bien & du mal, mais seulement l'erreur qui se trouve dans le jugement & le discernement du vrai & du faux.

Dans la cinquieme, il explique la nature corporelle en général. Il y démontre encore l'existence de Dieu par une nouvelle raison. Il y fait voir comment il est vrai que la certitude même des démonstrations géométriques dépend de la connoissance de Dieu.

Dans la sixieme, il distingue l'action de l'entendement d'avec celle de l'imagination, & donne les marques de cette distinction. Il y prouve que l'ame de l'homme est réellement distincte du corps. Il y expose toutes les erreurs qui viennent des sens, avec les moyens de les éviter. Enfin il y apporte toutes les raisons desquelles on peut conclure l'existence des choses matérielles. Ce n'est pas qu'il les jugeât fort utiles pour prouver qu'il y a un monde, que les hommes ont des corps, & autres choses semblables qui n'ont jamais été mises en doute par aucun homme de bon sens ; mais parce qu'en les considérant de près, on vient à connoître qu'elles ne sont pas si évidentes que celles qui nous conduisent à la connoissance de Dieu & de notre ame.

Voilà l'abregé des méditations de Descartes, qui sont de tous ses ouvrages celui qu'il a toûjours le plus estimé. Tantôt il remercioit Dieu de son travail, croyant avoir trouvé comment on peut démontrer les vérités métaphysiques : tantôt il se laissoit aller au plaisir de faire connoître aux autres l'opinion avantageuse qu'il en avoit conçûe. " Assûrez-vous, écrivoit-il au P. Mersenne, qu'il n'y a rien dans ma métaphysique que ne je croie être, ou très-connu par la lumiere naturelle, ou démontré évidemment, & que je me fais fort de le faire entendre à ceux qui voudront & pourront y méditer, &c. " En effet, on peut dire que ce livre renferme tout le fonds de sa doctrine, & que c'est une pratique très-exacte de sa méthode. Il avoit coûtume de le vanter à ses amis intimes, comme contenant des vérités importantes, qui n'avoient jamais été bien examinées avant lui, & qui ne donnoient point l'ouverture à la vraie Philosophie, dont le point principal consiste à nous convaincre de la différence qui se trouve entre l'esprit & le corps. C'est ce qu'il a prétendu faire dans ces méditations par une analyse, qui ne nous apprend pas seulement cette différence mais qui nous découvre en même tems le chemin qu'il a suivi pour la découvrir. Voyez ANALYSE.

Descartes, dans son traité de la lumiere, transporte son lecteur au-delà du monde dans les espaces imaginaires ; & là il suppose que pour donner aux philosophes l'intelligence de la structure du monde, Dieu veut bien leur accorder le spectacle d'une création. Il fabrique pour cela une multitude de parcelles de matieres également dures, cubiques, ou triangulaires, ou simplement irrégulieres & raboteuses, ou même de toutes figures, mais étroitement appliquées l'une contre l'autre, face contre face, & si bien entassées, qu'il ne s'y trouve pas le moindre interstice. Il soûtient même que Dieu qui les a créées dans les espaces imaginaires, ne peut pas après cela laisser subsister entr'elles le moindre petit espace vuide de corps ; & que l'entreprise de ménager ce vuide, passe le pouvoir du Tout-puissant.

Ensuite Dieu met toutes ces parcelles en mouvement, il les fait tourner la plûpart autour de leur propre centre ; & de plus, il les pousse en ligne directe.

Dieu leur commande de rester chacune dans leur état de figure, masse, vîtesse, ou repos, jusqu'à ce qu'elles soient obligées de changer par la resistance, ou par la fracture.

Il leur commande de partager leurs mouvemens avec celles qu'elles rencontreront, & de recevoir du mouvement des autres. Descartes détaille les regles de ces mouvemens & de ces communications le mieux qu'il lui est possible.

Dieu commande enfin à toutes les parcelles mûes d'un mouvement de progression, de continuer tant qu'elles pourront à se mouvoir en ligne droite.

Cela supposé, Dieu, selon Descartes, conserve ce qu'il a fait, mais il ne fait plus rien. Ce chaos sorti de ses mains, va s'arranger par un effet du mouvement, & devenir un monde semblable au nôtre ; un monde dans lequel, quoique Dieu n'y mette aucun ordre ni proportion, on pourra voir toutes les choses, tant générales que particulieres, qui paroissent dans le vrai monde. Ce sont les propres paroles de l'auteur, & l'on ne sauroit trop y faire attention.

De ces parcelles primordiales inégalement mûes, qui sont la matiere commune de tout, & qui ont une parfaite indifférence à devenir une chose ou une autre, Descartes voit d'abord sortir trois élémens ; & de ces trois élémens, toutes les masses qui subsistent dans le monde. D'abord les carnes, angles, & extrémités des parcelles sont inégalement rompues par le frottement. Les plus fines pieces sont la matiere subtile, qu'il nomme le premier élément : les corps usés & arrondis par le frottement, sont le second élément ou la lumiere : les pieces rompues les plus grossieres, les éclats les plus massifs, & qui conservent le plus d'angles, sont le troisieme élément, ou la matiere terrestre & planétaire.

Tous les élémens mûs & se faisant obstacle les uns aux autres, se contraignent réciproquement à avancer, non en ligne droite, mais en ligne circulaire, & à marcher par tourbillons, les uns autour d'un centre commun, les autres autour d'un autre ; desorte cependant que conservant toûjours leur tendance à s'en aller en ligne droite, ils font effort à chaque instant pour s'éloigner du centre ; ce qu'il appelle force centrifuge.

Tous ces élémens tâchant de s'éloigner du centre, les plus massifs d'entr'eux sont ceux qui s'en éloigneront le plus : ainsi l'élément globuleux sera plus éloigné du centre que la matiere subtile ; & comme tout doit être plein, cette matiere subtile se rangera en partie dans les interstices des globules de la lumiere, & en partie vers le centre du tourbillon. Cette partie de la matiere subtile, c'est-à-dire de la plus fine poussiere qui s'est rangée au centre, est ce que Descartes appelle un soleil. Il y a de pareils amas de menue poussiere dans d'autres tourbillons, comme dans celui-ci ; & ces amas de poussiere sont autant d'autres soleils que nous nommons étoiles, & qui brillent peu à notre égard, vû l'éloignement.

L'élément globuleux étant composé de globules inégaux, les plus forts s'écartent le plus vers les extrémités du tourbillon ; les plus foibles se tiennent plus près du soleil. L'action de la fine poussiere qui compose le soleil, communique son agitation aux globules voisins & c'est en quoi consiste la lumiere. Cette agitation communiquée à la matiere globuleuse, accélere le mouvement de celle-ci ; mais cette accélération diminue en raison de l'éloignement, & finit à une certaine distance.

On peut donc diviser la lumiere depuis le soleil jusqu'à cette distance, en différentes couches dont la vîtesse est inégale & va diminuant de couche en couche. Après quoi la matiere globuleuse qui remplit le reste immense du tourbillon solaire, en reçoit plus d'accélération du soleil : & comme ce grand reste de matiere globuleuse est composé des globules les plus gros & les plus forts, l'activité y va toûjours en augmentant depuis le terme où l'accélération causée par le soleil expire, jusqu'à la rencontre des tourbillons voisins. Si donc il tombe quelques corps massifs dans l'élément globuleux, depuis le soleil jusqu'au terme où finit l'action de cet astre, ces corps seront mûs plus vîte auprès du soleil, & moins vîte à mesure qu'ils s'en éloigneront : mais si quelques corps massifs sont amenés dans le reste de la matiere globuleuse, entre le terme de l'action solaire & la rencontre des tourbillons voisins, ils iront avec une accélération toûjours nouvelle, jusqu'à s'enfoncer dans ces tourbillons voisins & d'autres qui s'échapperoient des tourbillons voisins, & entreroient dans l'élément globuleux du nôtre, pourroient y descendre ou tomber, & s'avancer vers le soleil.

Or il y a de petits tourbillons de matiere qui peuvent rouler dans les grands tourbillons ; & ces petits tourbillons peuvent non-seulement être composés d'une matiere globuleuse & d'une poussiere fine, qui rangée au centre, en fasse de petits soleils, mais ils peuvent encore contenir ou rencontrer bien des parcelles de cette grosse poussiere, de ces grands éclats d'angles baissés que nous avons nommés le troisieme élément. Ces petits tourbillons ne manqueront pas d'écarter vers leurs bords toute la grosse poussiere ; c'est-à-dire, si vous l'aimez mieux, que les grands éclats formant des pelotons épais & de gros corps, gagneront toûjours les bords du petit tourbillon par la supériorité de leur force centrifuge : Descartes les arrête-là, & la chose est fort commode. Au lieu de les laisser courir plus loin par la force centrifuge, ou d'être emportés par l'impulsion de la matiere du grand tourbillon, ils obscurcissent le soleil du petit, & ils encroûtent peu-à-peu le petit tourbillon ; & de ces croûtes épaisses sur tout le dehors il se forme un corps opaque, une planete, une terre habitable. Comme les amas de la fine poussiere sont autant de soleils, les amas de la grosse poussiere sont autant de planetes & de cometes. Ces planetes amenées dans la premiere moitié de la matiere globuleuse, roulent d'une vîtesse qui va toûjours en diminuant depuis la premiere qu'on nomme Mercure, jusqu'à la derniere qu'on nomme Saturne. Les corps opaques qui sont jettés dans la seconde moitié, s'en vont jusque dans les tourbillons voisins ; & d'autres passent des tourbillons voisins, puis descendent dans le nôtre vers le soleil. La même poussiere massive qui nous a fourni une terre, des planetes & des cometes, s'arrange, en vertu du mouvement, en d'autres formes, & nous donne l'eau, l'atmosphere, l'air, les métaux, les pierres, les animaux & les plantes ; en un mot toutes les choses tant générales que particulieres, que nous voyons dans notre monde, organisées & autres.

Il y a encore bien d'autres parties à détailler dans l'édifice de Descartes, mais ce que nous avons déjà vû est regardé de tout le monde comme un assortiment de pieces qui s'écroulent ; & sans en voir davantage, il n'y a personne qui ne puisse sentir qu'un tel système n'est nullement recevable.

1°. Il est d'abord fort singulier d'entendre dire que Dieu ne peut pas créer & rapprocher quelques corps anguleux, sans avoir de quoi remplir exactement les interstices des angles. De quel droit ose-t-on resserrer ain si la souveraine puissance ?

2°. Mais je veux que Descartes sache précisément pourquoi Dieu doit avoir tant d'horreur du vuide : je veux qu'il puisse très-bien accorder la liberté des mouvemens avec le plein parfait ; qu'il prouve même la nécessité actuelle du plein : à la bonne heure. L'endroit où je l'arrête, est cette prétention que le vuide soit impossible, il ne l'est pas même dans sa supposition ; car pour remplir tous les interstices, il faut avoir des poussieres de toute taille, qui viennent au besoin se glisser à-propos dans les intervalles entre-ouverts. Ces poussieres ne se forment qu'à la longue. Les globules ne s'arrondissent pas en un instant. Les coins les plus gros se rompent d'abord, puis les plus petits ; & à force de frottemens nous pourrons recueillir de nos pieces pulvérisées dequoi remplir tout ce qu'il nous plaira : mais cette pulvérisation est successive. Ainsi au premier moment que Dieu mettra les parcelles de la matiere primordiale en mouvement, la poussiere n'est pas encore formée. Dieu souleve les angles ; ils vont commencer à se briser ; mais avant que la chose soit faite, voilà entre ces angles des vuides sans fin, & nulle matiere pour les remplir.

3°. Selon Descartes, la lumiere est une masse de petits globes qui se touchent immédiatement, ensorte qu'une file de ces globes ne sauroit être poussée par un bout, que l'impulsion ne se fasse sentir en même tems à l'autre bout, comme il arrive dans un bâton ou dans une file de boulets de canon qui se touchent. M. Roemer & M. Picard ont observé que quand la terre étoit entre le soleil & jupiter, les éclipses de ses satellites arrivoient alors plûtôt qu'il n'est marqué dans les tables ; mais que quand la terre s'en alloit du côté opposé, & que le soleil étoit entre jupiter & la terre, alors les éclipses des satellites arrivoient plusieurs minutes plus tard, parce que la lumiere avoit tout le grand orbe annuel de la terre à traverser de plus dans cette derniere situation que dans la précédente : d'où ils sont parvenus à pouvoir assûrer que la lumiere du soleil mettoit sept à huit minutes à franchir les 33 millions de lieues qu'il y a du soleil à la terre. Quoi qu'il en soit au reste sur la durée précise de ce trajet de la lumiere, il est certain que la communication ne s'en fait pas en un instant ; mais que le mouvement ou la pression de la lumiere parvient plus vîte sur les corps plus voisins, & plus tard sur les corps les plus éloignés : au lieu qu'une file de douze globes & une file de cent globes, s'ils se touchent, communiquent leur mouvement aussi vîte l'une que l'autre. La lumiere de Descartes n'est donc pas la lumiere du monde. Voyez ABERRATION.

En voilà assez, ce me semble, pour faire sentir les inconvéniens de ce système. On peut, avec M. de Fontenelle, féliciter le siecle qui, en nous donnant Descartes, a mis en honneur un nouvel art de raisonner, & communiqué aux autres sciences l'exactitude de la Géometrie. Mais on doit, selon sa judicieuse remarque, " sentir l'inconvénient des systèmes précipités, dont l'impatience de l'esprit humain ne s'accommode que trop bien ; & qui étant une fois établis, s'opposent aux vérités qui surviennent ".

Il joint à sa remarque un avis salutaire, qui est d'amasser, comme font les Académies, des matériaux qui se pourront lier un jour, plûtôt que d'entreprendre avec quelques lois de méchanique, d'expliquer intelligiblement la nature entiere & son admirable variété.

Je sai qu'on allegue en faveur du système de Descartes, l'expérience des lois générales par lesquelles Dieu conserve l'univers. La conservation de tous les êtres est, dit-on, une création continuée ; & de même qu'on en conçoit la conservation par des lois générales, ne peut-on pas y recourir pour concevoir, par forme de simple hypothèse, la création & toutes ses suites ?

Raisonner de la sorte, est à-peu-près la même chose que si on assûroit que la même méchanique qui, avec de l'eau, du foin & de l'avoine, peut nourrir un cheval, peut aussi former un estomac & le cheval entier. Il est vrai que si nous suivons Dieu dans le gouvernement du monde, nous y verrons régner une uniformité sublime. L'expérience nous autorise à n'y pas multiplier les volontés de Dieu comme les rencontres des corps. D'une seule volonté il a reglé pour tous les cas & pour tous les siecles, la marche & les chocs de tous les corps, à raison de leur masse, de leur vîtesse & de leur ressort. Les lois de ces chocs & de ces communications peuvent être sans-doute l'objet d'une physique très-sensée & très-utile, surtout lorsque l'homme en fait usage pour diriger ce qui est soûmis à ses opérations, & pour construire ces différens ouvrages dont il est le créateur subalterne. Mais ne vous y méprenez pas : autre chose est de créer les corps, & de leur assigner leur place & leurs fonctions, autre chose de les conserver. Il ne faut qu'une volonté ou certaines lois générales fidelement exécutées, pour entretenir chaque espece dans sa forme spéciale, & pour perpétuer les vicissitudes de l'économie du tout, quand une fois la matiere est créée. Mais quand il s'agit de créer, de regler ces formes spéciales, d'en rendre l'entretien sûr & toûjours le même, d'en établir les rapports particuliers, & la correspondance universelle ; alors il faut de la part de Dieu autant de plans & de volontés spéciales, qu'il se trouve de pieces différentes dans la machine entiere. Hist. du ciel, tome II.

M. Descartes composa un petit traité des passions en 1646, pour l'usage particulier de la princesse Elisabeth : il l'envoya manuscrit à la reine de Suede sur la fin de l'an 1647 ; mais sur les instances que ses amis lui firent depuis pour le donner au public, il prit le parti de le revoir, & de remédier aux défauts que la princesse philosophe, sa disciple, y avoit remarqués. Il le fit voir ensuite à M. Clerselier, qui le trouva d'abord trop au-dessus de la portée commune, & qui obligea l'auteur à y ajoûter de quoi le rendre intelligible à toutes sortes de personnes. Il crut entendre la voix du public dans celle de M. Clerselier, & les additions qu'il y fit augmenterent l'ouvrage d'un tiers. Il le divisa en trois parties, dans la premiere desquelles il traite des passions en général, & par occasion de la nature de l'ame, &c. dans la seconde, des six passions primitives ; & dans la troisieme, de toutes les autres. Tout ce que les avis de M. Clerselier firent ajoûter à l'ouvrage, put bien lui donner plus de facilité & de clarté qu'il n'en avoit auparavant ; mais il ne lui ôta rien de la briéveté & de la belle simplicité du style, qui étoit ordinaire à l'auteur. Ce n'est point en orateur, ce n'est pas même en philosophe moral, mais en physicien, qu'il a traité son sujet ; & il s'en acquitta d'une maniere si nouvelle, que son ouvrage fut mis fort au-dessus de tout ce qu'on avoit fait avant lui dans ce genre. Pour bien déduire toutes les passions, & pour développer les mouvemens du sang qui accompagnent chaque passion, il étoit nécessaire de dire quelque chose de l'animal : aussi voulut-il commencer en cet endroit à expliquer la composition de toute la machine du corps humain. Il y fait voir comment tous les mouvemens de nos membres, qui ne dépendent point de la pensée, se peuvent faire en nous sans que notre ame y contribue, par la seule force des esprits animaux & la disposition de nos membres, desorte qu'il ne nous fait d'abord considérer notre corps que comme une machine faite par la main du plus savant de tous les ouvriers, dont tous les mouvemens ressemblent à ceux d'une montre ou autre automate, ne se faisant que par la force de son ressort, & par la figure ou la disposition de ses roues. Après avoir expliqué ce qui appartient au corps, il nous fait aisément conclure qu'il n'y a rien en nous qui appartienne à notre ame, que nos pensées, entre lesquelles les passions sont celles qui l'agitent davantage ; & que l'un des principaux devoirs de la Philosophie est de nous apprendre à bien connoître la nature de nos passions, à les modérer & à nous en rendre les maîtres. On ne peut s'empêcher de regarder ce traité de M. Descartes, comme l'un des plus beaux & des plus utiles de ses ouvrages.

Jamais philosophe n'a paru plus respectueux pour la divinité que M. Descartes, il fut toûjours fort sage dans ses discours sur la religion. Jamais il n'a parlé de Dieu, qu'avec la derniere circonspection, toûjours avec beaucoup de sagesse, toûjours d'une maniere noble & élevée. Il étoit dans l'appréhension continuelle de rien dire ou écrire qui fût indigne de la religion, & rien n'égaloit sa délicatesse sur ce point. Voyez tom. I. & II. des lettres.

Il ne pouvoit souffrir sans indignation la témérité de certains théologiens qui abandonnent leurs guides, c'est-à-dire l'Ecriture & les peres, pour marcher tout seuls dans des routes qu'ils ne connoissent pas. Il blâmoit sur-tout la hardiesse des philosophes & mathématiciens, qui paroissent si décisifs à déterminer ce que Dieu peut, & ce qu'il ne peut pas. " C'est, dit-il, parler de Dieu comme d'un Jupiter ou d'un Saturne, & l'assujettir au styx & au destin, que de dire qu'il y a des vérités indépendantes de lui. Les vérités mathématiques sont des lois que Dieu a établies dans la nature, comme un roi établit des lois dans son royaume. Il n'y a aucune de ces lois que nous ne puissions comprendre ; mais nous ne pouvons comprendre la grandeur de Dieu, quoique nous la connoissions, &c.

Pour moi, dit encore ailleurs M. Descartes, il me semble qu'on ne doit dire d'aucune chose qu'elle est impossible à Dieu ; car tout ce qui est vrai & bon dépendant de sa toute-puissance, je n'ose pas même dire que Dieu ne peut faire une montagne sans vallée, ou qu'un & deux ne fassent pas trois ; mais je dis seulement qu'il m'a donné un esprit de telle nature, que je ne saurois concevoir une montagne sans vallée, ou que l'aggrégé d'un & de deux ne fasse pas trois ". Voyez tome II. des lettres. Cette retenue de M. Descartes, peut-être excessive, a choqué certains esprits, qui ont voulu lui en faire un crime ; car sur ce qu'en quelques occasions il employoit le nom d'un ange plûtôt que celui de Dieu, qu'il ménageoit par pur respect ; quelqu'un (Beeckman) s'étoit imaginé qu'il étoit assez vain pour se comparer aux anges. Il se crut obligé de repousser cette calomnie. " Quant au reproche que vous me faites, dit-il pag. 66. 67. de m'être égalé aux anges, je ne saurois encore me persuader que vous soyez si perdu d'esprit que de le croire. Voici sans doute ce qui vous a donné occasion de me faire ce reproche ; c'est la coûtume des Philosophes, & même des Théologiens, toutes les fois qu'ils veulent montrer qu'il répugne tout-à-fait à la raison que quelque chose se fasse, de dire que Dieu même ne le sauroit faire ; & parce que cette façon de parler m'a toûjours semblé trop hardie, pour me servir de termes plus modestes, quand l'occasion s'en présente, où les autres diroient que Dieu ne peut faire une chose, je me contente seulement de dire qu'un ange ne le sauroit faire... Je suis bien malheureux, de n'avoir pû éviter le soupçon de vanité en une chose où je puis dire que j'affectois une modestie particuliere ".

A l'égard de l'existence de Dieu, M. Descartes étoit si content de l'évidence de sa démonstration, qu'il ne faisoit point difficulté de la préférer à toutes celles des vérités mathématiques ; cependant le ministre Voetius, son ennemi, au lieu de l'accuser d'avoir mal réfuté les Athées, jugea plus à propos de l'accuser d'Athéisme, sans en apporter d'autre preuve, sinon qu'il avoit écrit contre les Athées. Le tour étoit assurément nouveau ; mais afin qu'il ne parût pas tel, Voetius trouva assez à tems l'exemple de Vanini, pour montrer que M. Descartes n'auroit pas été le premier des Athées qui auroit écrit en apparence contre l'Athéisme. Ce fut sur-tout l'impertinence de cette comparaison qui révolta M. Descartes, & qui le détermina à réfuter une si ridicule calomnie, dans une lettre latine qu'il lui écrivit. Quelques autres de ses ennemis entreprirent de l'augmenter, en l'accusant outre cela d'un scepticisme ridicule. Leurs accusations se réduisoient à dire que M. Descartes sembloit insinuer qu'il falloit nier (au moins pour quelque tems) qu'il y eût un Dieu, que Dieu pouvoit nous tromper, qu'il falloit révoquer toutes choses en doute, que l'on ne devoit donner aucune créance aux sens, que le sommeil ne pouvoit se distinguer de la veille. M. Descartes eut horreur de ces accusations, & ce ne fut pas sans quelque mouvement d'indignation qu'il y répondit. " J'ai réfuté, dit-il tome II. des lettres, page 170. en paroles très-expresses toutes ces choses qui m'avoient été objectées par des calomniateurs ignorans. Je les ai réfutées même par des argumens très-forts, & j'ose dire plus forts qu'aucun autre ait fait avant moi. Afin de pouvoir le faire plus commodément & plus efficacement, j'ai proposé toutes ces choses, comme douteuses, au commencement de mes méditations ; mais je ne suis pas le premier qui les aye inventées, il y a long-tems qu'on a les oreilles battues de semblables doutes proposés par les Septiques. Mais qu'y a-t-il de plus inique que d'attribuer à un auteur des opinions qu'il ne propose que pour les réfuter ? Qu'y a-t-il de plus impertinent que de feindre qu'on les propose, & qu'elles ne sont pas encore réfutées ; & par conséquent que celui qui rapporte les argumens des Athées, est lui-même un athée pour un tems ? Qu'y a-t-il de plus puérile que de dire que s'il vient à mourir avant que d'avoir écrit ou inventé la démonstration qu'il espere, il meurt comme un athée ? Quelqu'un dira peut-être que je n'ai pas rapporté ces fausses opinions comme venant d'autrui, mais comme de moi ; mais qu'importe ? puisque dans le même livre où je les ai rapportées, je les ai aussi toutes réfutées ".

Ceux qui ont l'esprit juste & le coeur droit, en lisant les méditations & les principes de M. Descartes, n'ont jamais hésité à tirer de leur lecture des conséquences tout opposées à ces calomnies. Ces ouvrages n'ont encore rendu athée jusqu'aujourd'hui, aucun de ceux qui croyoient en Dieu auparavant ; au contraire, ils ont converti quelques athées : c'est au moins le témoignage qu'un peintre de Suede, nommé Beek, a rendu publiquement de lui-même chez M. l'ambassadeur de France à Stockolm. Voyez tout cela plus au long dans la vie de Descartes, par A. Baillet. (C)

On peut voir dans un grand nombre d'articles de ce Dictionnaire, les obligations que les Sciences ont à Descartes, les erreurs où il est tombé, & ses principaux disciples. Voyez ALGEBRE, EQUATION, COURBE, MOUVEMENT, IDEE, AME, PERCUSSION, LUMIERE, TOURBILLON, MATIERE SUBTILE, &c.

Ce grand homme a eu des sectateurs illustres ; on peut mettre à leur tête le P. Malebranche, qui ne l'a pourtant pas suivi en tout. V. MALEBRANCHISME. Les autres ont été Rohaut, Regis, &c. dont nous avons les ouvrages. La nouvelle explication du mouvement des planetes, par M. Villemot curé de Lyon, imprimée à Paris en 1707, est le premier & peut-être le meilleur ouvrage qui ait été fait pour défendre les tourbillons. Voyez TOURBILLONS.

La philosophie de Descartes a eu beaucoup de peine à être admise en France, le parlement pensa rendre un arrêt contr'elle ; mais il en fut empêché par la requête burlesque en faveur d'Aristote, qu'on lit dans les oeuvres de Despreaux, & où l'auteur, sous prétexte de prendre la défense de la philosophie péripatéticienne, la tourne en ridicule ; tant il est vrai que ridiculum acri, &c. Enfin cette philosophie a été reçûe parmi nous ; mais Newton avoit déjà démontré qu'on ne pouvoit la recevoir : n'importe, toutes nos universités & nos académies même y sont demeurées fort attachées. Ce n'est que depuis environ 18 ans qu'il s'est élevé des Newtoniens en France. Mais ce mal, si c'en est un (car il y a des gens pour qui c'en est un) a prodigieusement gagné ; toutes nos académies maintenant sont newtoniennes, & quelques professeurs de l'université de Paris enseignent aujourd'hui ouvertement la philosophie angloise. Voy. ATTRACTION, &c. Voyez aussi sur Descartes & les Cartésiens, notre Discours Préliminaire.

Quelque parti qu'on prenne sur la philosophie de Descartes, on ne peut s'empêcher de regarder ce grand homme comme un génie sublime & un philosophe très-conséquent. La plûpart de ses sectateurs n'ont pas été aussi conséquens que lui ; ils ont adopté quelques-unes de ses opinions & en ont rejetté d'autres, sans prendre garde à l'étroite liaison que presque toutes ont entr'elles. Un philosophe moderne, écrivain élégant & homme de beaucoup d'esprit ; M. l'abbé de Gamaches, de l'académie royale des Sciences, a démontré à la tête de son Astronomie physique, que pour un cartésien il ne doit point y avoir de mouvement absolu ; & que c'est une conséquence nécessaire de l'opinion de Descartes, que l'étendue & la matiere sont la même chose. Cependant les Cartésiens croyent pour la plûpart le mouvement absolu, en confondant l'étendue avec la matiere. L'opinion de Descartes sur le méchanisme des bêtes (voyez AME DES BETES) est très-favorable au dogme de la spiritualité & de l'immortalité de l'ame ; & ceux qui l'abandonnent sur ce point, doivent au moins avoüer que les difficultés contre l'ame des bêtes sont, sinon insolubles, du moins très-grandes pour un philosophe chrétien. Il en est de même de plusieurs autres points de la philosophie de ce grand homme ; l'édifice est vaste, noble & bien entendu : c'est dommage que le siecle où il vivoit ne lui ait pas fourni de meilleurs matériaux. Il faut, dit M. de Fontenelle, admirer toûjours Descartes. & le suivre quelquefois.

Les persécutions que ce philosophe a essuyées pour avoir déclaré la guerre aux préjugés & à l'ignorance, doivent être la consolation de ceux qui ayant le même courage, éprouveront les mêmes traverses. Il est honoré aujourd'hui dans cette même patrie où peut-être il eût vécu plus malheureux qu'en Hollande. (O)


CARTÉSIENSS. m. pl. est le nom qu'on donne aux partisans de la philosophie de Descartes. On appelle par cette raison cette philosophie, philosophie cartésienne, ou Cartésianisme. Il n'est presque plus aujourd'hui de Cartésiens rigides, c'est-à-dire qui suivent Descartes exactement en tout ; sur quoi voyez la fin de l'article CARTESIANISME.


CARTHAGEdite la grande, (Géog.) fut autrefois capitale d'un puissant empire, & la principale ville d'Afrique, près de Tunis. Scipion le jeune la prit & la ruina 146 ans avant J. C. Elle fût rebâtie sous C. Gracchus ; 123 ans avant J. C. & les Arabes la ruinerent environ l'an 685. Elle étoit située dans une langue de terre qui formoit une presqu'île jointe à l'Afrique par un isthme de 25 stades, entre Utique & Tunis. Toute la presqu'île avoit 390 stades, de tour. Il ne reste de Carthage que quelques vestiges. La presqu'île a retenu le nom de promontoire de Carthage.


CARTHAGENE(Géog.) ville forte & port d'Espagne au royaume de Murcie, capitale du pays de même nom. Long. 17. 6. lat. 27. 36. 7.

CARTHAGENE, (Géog.) grande ville de l'Amérique méridionale, capitale de la province de même nom. Il s'y fait un commerce très-considérable. Son port passe pour le meilleur du Nouveau-monde. Long. 302. 10. lat. 10. 30. 25.


CARTHAGO(Géog.) ville considérable de l'Amérique septentrionale, dans le Mexique. Lon. 260. 15. lat. 9. 5.

CARTHAGO ou la NOUVELLE CARTHAGENE, (Géog.) ville d'Amérique dans l'audience de Santa-fé, en terre ferme.


CARTHAMou SAFRAN BATARD, s. m. carthamus, (Hist. nat. botan.) genre de plante dont la fleur est un bouquet à plusieurs fleurons découpés en lanieres, portés chacun sur un embryon, & soûtenus par un calice écailleux garni de feuilles. Lorsque la fleur est passée ; chaque embryon devient une semence sans aigrette. Tournef. inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)

Le carthamus officinarum flore croceo, Tourn. inst. 457. est d'usage en Medecine : sa semence passe pour un violent purgatif ; elle évacue la pituite par haut & par bas.

Etmuller dit qu'elle est propre dans les cas où les premieres voies sont surchargées d'une mucosité épaisse & visqueuse, dans les maladies de la poitrine, dans l'asthme, & dans la toux occasionnée par une matiere épaisse & tenace : il la compte par cette raison parmi les remedes qui évacuent le phlegme.

La meilleure façon de s'en servir, est de la donner en émulsion purgative avec quelqu'eau aromatique, telle que celle du fenouil ou d'anis ; on la mêle ensuite avec un lait d'amande. La dose est jusqu'à trois gros. On fait avec cette semence des tablettes.

Tablettes diacarthami. Prenez du turbith choisi une once & demie ; de la moelle de semence de carthame, de la poudre diatraganth froid, des hermodactes, du diagrede, de chacun une once ; du gingembre demi-once ; de la manne deux onces & demie ; du miel rosat, de la chair de coin confite, de chacun deux gros ; du sucre blanc dissous dans l'eau & cuit en électuaire solide, une livre six onces : faites-en selon l'art un électuaire solide & en tablettes.

Un gros de ces tablettes contient du turbith trois grains ; des hermodactes & du diagrede, de chacun 2 grains ; de manne 5 grains. La dose est depuis un gros jusqu'à une once pour les tempéramens forts.

Tous les purgatifs de cette espece sont très à craindre, & ne doivent être employés qu'avec de grandes précautions. (N)


CARTIERS. m. artisan ou marchand qui a le droit de faire & vendre des cartes à joüer. Voyez CARTES.

Les Cartiers faiseurs de cartes à joüer forment à Paris une communauté fort ancienne : on les nomme aujourd'hui Papetiers-Cartiers ; mais dans leurs statuts ils ont le titre de maîtres du métier de Cartiers, faiseurs de cartes, tarots, feuillets & cartons ; ou Cartiers, Tarotiers, Feuilletiers & Cartonniers.

Les statuts dont ils se servent encore à-present, & qui ne sont que des statuts renouvellés en conséquence de l'édit de Henri III. de 1581, ont été confirmés & homologués en 1594 sous Henri IV. Ils contiennent vingt-deux articles, auxquels Louis XIII. & Louis XIV. en ont encore ajouté quelques autres.

Le premier & le quatrieme portent qu'aucun ne pourra faire le métier de Cartier, s'il n'est reçû maitre, & s'il ne tient ouvroir ouvert sur la rue.

Les deuxieme & troisieme fixent l'apprentissage à quatre années, suivies de trois autres de compagnonage ; après lesquelles les aspirans sont obligés de faire le chef-d'oeuvre, qui consiste en une demi-grosse de cartes fines, & de payer les droits aux jurés pour être admis à la maîtrise.

Les cinquieme & sixieme fixent le nombre des apprentis à un ; ou à deux, si le maître tient chez lui cinq ou six compagnons : & défendent aux maîtres de se transporter leurs compagnons sans en avertir les jurés.

Les septieme, huitieme, neuvieme, dixieme & dix-huitieme fixent les droits des fils, filles & veuves des maîtres.

Le seizieme enjoint aux maîtres d'avoir une marque différente les uns des autres, sur laquelle doivent être détaillés leurs nom, surnom, enseigne & devise.

Les autres articles regardent l'élection des deux jurés, & contiennent des regles de discipline pour les maîtres & les compagnons. Voyez les réglemens des Arts & Métiers.

CARTIER, nom d'une sorte de papier qui est destiné à couvrir les jeux ou les sixains de cartes à joüer. Voyez PAPIER & CARTES.


CARTILAGEen Anatomie ; c'est une des parties solides du corps, blanche, polie, uniforme, flexible & élastique ; moins compacte qu'un os, mais plus dure qu'aucune autre partie.

Les cartilages paroissent être à-peu-près de même nature que les os, puisqu'ils ont été cartilages, & que d'ailleurs toutes les parties solides ne paroissent différer que par le plus ou moins de consistance. Voyez OS, OSSIFICATION, LIDELIDE.

Il y en a qui sont très durs, & qui même deviennent osseux avec le tems ; comme ceux qui unissent les côtes au sternum, ceux du larynx, &c. Voyez STERNUM & LARYNX.

D'autres sont plus tendres, & servent à donner à certaines parties leur configuration ; comme ceux du nez, des oreilles, &c. qui doivent avoir un petit mouvement que produit l'élasticité de ces cartilages, laquelle leur fait faire l'office de muscles antagonistes. Voyez NEZ, &c.

Il y en a d'autres plus mous encore, qui tiennent quelque chose de la nature des ligamens, & qui par cette raison sont appellés cartilages ligamenteux. Voy. LIGAMENT.

Il y a des cartilages de différentes figures, auxquels on donne différens noms tirés de ceux des choses auxquelles ils ressemblent ; l'un se nomme sémi-lunaire ; un autre xiphoïde, parce qu'il ressemble à la pointe d'un poignard ; un autre scutiforme, parce qu'il a la figure d'un bouclier ; & ainsi des autres. Voyez chacun de ces cartilages à leur article.

Les cartilages n'ont point de cavités qui contiennent de moelle, ni de nerfs ou de membranes qui les rendent susceptibles de sensations. Leur usage est d'empêcher les os de s'offenser ou de se blesser par un froissement continuel, de les joindre l'un à l'autre par synchondrose, de contribuer, à la conformation de certaines parties, comme le nez, les oreilles, la trachée, les paupieres, &c. (L)


CARTILAGINEUXEUSE, adj. qui est de la nature de cartilage, qui est composé de cartilage : ligament cartilagineux, symphise cartilagineuse.


CARTISANNEen termes de boutonnier, de Passementier, de Rubanier, &c. c'est un ornement composé d'un fond de vélin ou de veau, recouvert de soie, de milanoise, d'or ou d'argent, &c. on coupe d'abord son vélin ou son veau, tantôt par bandes plus ou moins étroites, tantôt en pic, en sabot, en pompons, avec l'emporte-piece. Voyez PIC, SABOT, MPONMPON. Ensuite on couvre ces bandes ou découpures, les premieres au roüet, les secondes à la bobine, avec de la soie de trame pour les cartisannes unies, & de soie de grenade pour faire les frisées. Les cartisannes peuvent être couvertes de nouveau d'un trait d'or, quand les ouvrages qu'on veut en faire sont riches. La cartisanne s'employe au lieu de milanoise, de clinquant, de cordonnet, &c. on en fait les feuilles d'une cocarde, d'une aigrette ; on en recouvre en différens desseins des bandes de corniche dans les appartemens, pour imiter des morceaux de sculpture. Le vélin s'employe comme il vient de chez le Parcheminier ; le veau se prend chez le Corroyeur, & on lui donne un apprêt qui est un secret parmi les Boutonniers, pour le rendre dur & ferme. Voy. fig. 14. Planche du Boutonnier, une piece de corps ouvragée en cartisanne ; & dans la vignette de la même Planche, des ouvriers qui s'occupent à cette sorte d'ouvrage. La figure 15. représente leur établi.


CARTONS. m. (Art méchaniq.) Le carton est un corps qui a beaucoup de surface & peu d'épaisseur, composé par art avec des rognures de cartes, des rognures de reliures, & de mauvais papier, à l'usage d'un grand nombre d'ouvriers ; mais sur-tout des Relieurs mêmes. Il y a beaucoup de ressemblance entre la manoeuvre du papetier & celle du cartonnier : le papetier prend dans un moule de chiffon réduit en bouillie, pour en faire du papier ; le cartonnier prend dans un moule le papier même remis en bouillie, pour en faire le carton.

Pour faire du carton, il faut ramasser dans un magasin une grande quantité de rognures de relieur & de cartier, avec beaucoup de mauvais papier ; quand on a sa provision faite de ces matieres, on en transporte ce qu'on en peut travailler relativement au nombre d'ouvriers qu'on employe, dans un attelier bien clos. Le pavé de cet attelier doit s'élever un peu vers le fond ; & l'attelier doit être garni d'auges de pierre, larges & profondes, placées vers le côté opposé. Il faut qu'il y ait des trous à ces auges, & sous ces trous des pierres concaves, qui puissent conduire les eaux dans une rigole qui les évie ; il seroit aussi à-propos qu'il y eût un puits dans le même attelier, avec une pompe qui conduisît l'eau dans les auges, & dans tous les autres endroits de la cartonnerie où l'on en peut avoir besoin.

On jette au sortir du magasin le mélange de papier, de rognures de papier, & de cartes, dans les auges de l'attelier que je viens de décrire, & qu'on appelle celui du trempi ; on humecte ou moitit ces matieres avec de l'eau, & de-là on les jette sur le fond de l'attelier, où l'on en forme des tas considérables. La gomme, la colle, & les autres substances qui sont dans ces matieres qu'on n'a eu garde de trop humecter, y élevent peu-à-peu la fermentation, au bout de quatre à cinq jours dans les chaleurs de l'été, & de six à sept ou huit, à l'approche de l'hyver ; la fermentation est si forte, qu'on a peine à supporter la chaleur & l'odeur des tas : la quantité de papier dont ils sont formés, est beaucoup plus considérable que celle des rognures de cartes. Ce n'est pas que plus il y a de ces rognures, plus le carton ne soit fort & bon : mais on les épargne, parce qu'elles sont cheres. Elles se vendent aujourd'hui jusqu'à sept livres dix sous le cent. Afin que le travail ne soit point interrompu dans une cartonnerie, c'est la coûtume de mettre en fermentation autant de tas qu'on en met en travail ; de maniere que quand un tas est à sa fin, un autre puisse être entamé.

Quand la matiere des tas a suffisamment fermenté, ce qui la dispose à se mettre en bouillie, on en prend une quantité convenable qu'on porte dans un attelier contigu, qu'on appelle l'attelier du moulin. Cet attelier est partagé en deux parties ; d'un côté sont des auges, de l'autre le moulin. Les auges de cet attelier s'appellent auges à rompre ; il y a au-dessus de ces auges de gros robinets qui fournissent la quantité d'eau dont on a besoin. Avant que de jetter les matieres fermentées dans les auges, on les ouvre & on les trie, on rejette les grosses ordures qui s'y trouvent : il seroit à souhaiter que ce triage se fît mieux ; il épargneroit presqu'une manoeuvre, dont nous parlerons dans la suite, qu'on appelle l'épluchage.

A mesure que les matieres sont ouvertes & triées, on les laisse tomber dans les auges à rompre ; on lâche les robinets, & on laisse bien imbiber d'eau les matieres ; ensuite on les remue, puis on les rompt : les rompre, c'est les battre avec des pelles de bois qu'on y plonge perpendiculairement, & qu'on tourne en rond. Des ouvriers vigoureux continuent ce travail jusqu'à ce qu'ils s'apperçoivent que les matieres sont broyées, hachées & mises en bouillie, autant qu'on peut le faire par une manoeuvre aussi grossiere ; alors ils prennent des sceaux qu'ils en remplissent, & qu'ils versent dans le moulin qu'on voit Pl. du Cartonnier, vignette fig. 1. La cuve A B est composée de douves épaisses, étroites, & bandées par de larges cerceaux de fer. Il y a au fond de cette cuve une crapaudine qui porte la pointe en fer de l'arbre C D ; l'autre extrémité de cet arbre est garnie d'un tourillon reçû dans une poutre : le milieu en est percé d'un trou quarré ; ce trou reçoit le bras supérieur de la traverse d'un brancard E F G. Les parties E F du brancard assemblées perpendiculairement avec la traverse supérieure, laissent entr'elles l'espace nécessaire pour recevoir un cheval qu'on y attelle par son collier, percé de deux trous où l'on insere des bouts de cordes bouclés, qui pendent des extrémités des parties E F du brancard, & qu'on arrête sur le collier par deux clavettes. Le cheval se meut autour de la cuve, & fait tourner l'arbre qui est garni à sa partie inférieure de bandes de fer pliées en quarré, dont deux bouts sont scellés dans l'arbre, qui forme un des côtés du quarré, & dont un autre côté lui est parallele, ainsi qu'on voit fig. 4, C D, l'arbre ; E F, ses tourillons ; G H, bras du brancard ; I K, L M, autres parties du brancard ; n o, p q, cordes & clavettes ; r s, r s, r s, r s, bandes de fer pliées qu'on appelle couteaux. Ces couteaux achevent de diviser la matiere contenue dans la cuve, & de la disposer à être employée. La matiere reste une heure & demie, deux heures, au moulin, selon que le cheval marche plus ou moins vîte.

Quand la matiere est moulue, on la passe dans un nouvel attelier, qu'on peut appeller proprement la cartonnerie. L'attelier de la cartonnerie est divisé en deux parties, le lieu de la presse, & celui de la cuve. Pour concevoir le lieu de la cuve, il faut imaginer un grand évier entre deux auges, élevées à-peu-près à sa hauteur ; l'auge de derriere reçoit la matiere au sortir du moulin ; celui de devant où travaille le cartonnier s'appelle la cuve. Le cartonnier a une table à droite, & sa presse à gauche. Voyez figure 2. le cartonnier travaillant. A B, est la cuve ; C D, le grand évier, qu'on appelle égouttoir ; G, une forme ; F, le tonneau du bout (c'est son nom), qui reçoit l'eau & la matiere qui descendent de l'égouttoir par l'ouverture E. On n'a point représenté la table à droite du cartonnier, parce qu'il est facile de l'y supposer, non plus de l'auge de derriere, qui devroit être placée en X, précisément comme on voit en A B, la cuve ou l'auge de devant.

Lorsque la cuve A B est pleine de matiere préparée, comme nous venons de l'expliquer, l'ouvrier prend une forme ; on entend par une forme, un instrument tel que celui que tient l'ouvrier de la fig. 2. dans la vignette, ou qu'on voit en G posé sur l'égouttoir. Ce sont quatre morceaux de bois équarris & assemblés, renfermant un espace de la grandeur du carton qu'on veut faire. Le fond est traversé de plusieurs tringles, qui fortifient l'assemblage de celles des côtés ; ces côtés ont été percés de trous, & on y a travaillé un tissu ou crible fort serré de fils de laiton ; on apperçoit bien ce tissu ou treillis de fils de laiton longitudinaux & transversaux à la forme G. On applique sur cette forme un chassis de bois qui l'embrasse exactement. On plonge dans la cuve la forme garnie de son chassis, qui lui fait un rebord plus ou moins haut à discrétion. La matiere couvre le treillis de laiton, & y est retenue par le chassis. L'ouvrier pose la forme couverte de matiere jusqu'à la hauteur des bords du chassis, sur les barres qui traversent l'égouttoir. L'eau mêlée à la matiere, ou plûtôt la partie la plus fluide de la matiere, s'échappe par les petits trous de treillis, tombe dans l'égouttoir, & se rend dans le tonneau du bout. La partie la plus épaisse & la plus grossiere est arrêtée, & se dépose sur le grillage. Pendant que cette forme égoutte, l'ouvrier en plonge une autre dans la cuve qu'il met ensuite sur l'égouttoir, puis il reprend la premiere, en enleve le chassis, & renverse la matiere déposée sur le grillage, ou plûtôt la feuille de carton, car c'est elle-même, sur un morceau de moleton de sa largeur, placé sur le fond du plateau de la presse. On voit en L H K I, ce plateau chargé en partie. Il étend un nouveau moleton sur cette feuille ; puis il remplit sa forme après avoir remis son chassis, & la met égoutter ; pendant qu'elle égoutte, il reprend celle qui est égouttée, ôte son chassis, & la renverse sur le moleton, qui couvre la premiere feuille du carton. Il couvre cette seconde feuille d'un moleton, & il continue ainsi son travail, versant une forme, tandis qu'une autre s'égoutte, & enfermant les feuilles de carton entre des morceaux de moleton, qui forment sur le plateau de la Presse K L, une pile H I, qu'on appelle une pressée, quand elle contient environ cent vingt feuilles doubles, ou deux cent trente feuilles simples, telles que celles dont il s'agit ici. Il faut seulement observer que le cartonnier peut fort bien travailler à deux formes avec un seul chassis, & qu'il y a même à cela une épargne de manoeuvre & de tems. Quand une feuille est égouttée, il peut, en la laissant sur l'égouttoir, ôter son chassis & le placer sur une autre forme, qu'il remplira & mettra pareillement égoutter ; tandis que celle-ci égouttera, il renversera la premiere sur le moleton. Le tems qu'il mettra à renverser suffira pour que la seconde forme soit assez égouttée, & puisse se passer de son chassis, qu'il mettra sur celle qui est vuide, qu'il remplira & mettra à égoutter. Pendant que cette derniere égouttera, il renversera sur le moleton celle qui est restée sur l'égouttoir sans chassis, & ainsi de suite. Il faut encore observer que le cartonnier a soin de remuer sa cuve, & de la rebrouiller de trois en trois formes, ce qui s'appelle cocher. L'instrument avec lequel on coche, est une espece de rateau à griffe de fer, qu'on voit fig. 5. L'ouvrier le prend par son manche, & le promene cinq ou six fois d'un bout de sa cuve à l'autre, afin de ramener à la surface la matiere qui se sera déposée au fond. On se doute bien qu'il n'a garde de jetter les matieres qui se rendent de l'égouttoir dans le tonneau F. C'est proprement la gomme & la colle dissoutes, & par conséquent les parties les plus propres à lier celles du carton, & à la fortifier : aussi le cartonnier verse-t-il dans sa cuve avec un seau la matiere qui se rend dans ce tonneau, lorsqu'il en est trop plein.

L'épaisseur de la feuille de carton dépend de deux choses ; de l'épaisseur de la matiere, & de la hauteur du chassis : plus la matiere sera épaisse, le chassis restant le même, plus il y aura de matiere contenue sur la forme : plus le chassis sera haut, la matiere restant la même, plus on en puisera à-la-fois.

La grandeur de la feuille dépend de la grandeur de la forme ; cela est évident : mais il est bon de savoir qu'avec une grande forme capable, par exemple, de former un carton de l'étendue de la feuille in folio de papier, on fait aisément à-la-fois & sans augmenter la manoeuvre, deux feuilles de carton égales à la demi-feuille. Pour cet effet, on se sert d'un chassis, divisé du haut en-bas par une tringle de bois, qui entre & se fixe par ses extrémités dans les côtés d'en-haut & d'en-bas de la forme ; de maniere qu'il ne s'en manque presque rien qu'elle ne s'applique exactement sur le grillage. Qu'arrive-t-il de-là ? c'est que la matiere puisée dans la cuve se trouve partagée sur la forme en deux espaces différens, dont chacun donne une feuille qui n'est que la moitié de ce que seroit la feuille totale, sous la tringle qui divise la forme, ou plûtôt le chassis de haut en-bas, & qui s'applique presque sur le grillage.

Je dis, qui s'applique presque sur le grillage : c'est qu'en effet la tringle, ou ne s'applique pas exactement sur le grillage, ou le grillage fléchissant un peu sous le poids de la matiere dont il est chargé, se sépare de la tringle, & laisse échapper entre la tringle & lui, un peu de matiere qui lie les deux feuilles : & n'en forme qu'une apparente : mais la jointure est si mince, c'est une pellicule de carton si déliée, qu'on la rompt facilement ; elle se rompt même en partie, tout en renversant la forme sur le lange.

Mais ce qu'on pourroit regarder comme un inconvénient, devient par hasard une espece d'avantage : cette pellicule de carton qui ne joint pas assez les deux feuilles pour n'en faire qu'une, suffit pourtant pour qu'elles se séparent en même tems de la forme quand on les renverse sur le lange. Les langes sont les mêmes, soit qu'on fasse une seule feuille à-la-fois, soit qu'on en fasse deux.

Quand on ne veut pas que la feuille se trouve séparée en deux parties égales, mais qu'on souhaite que la feuille soit de toute la grandeur de la forme, il n'y a d'autre chose à faire qu'ôter du chassis la tringle qu'on y avoit arrêtée.

Quand le cartonnier a fait sa pressée, il met des morceaux de bois sur les bords de la presse, & fait monter son plateau par ce plan incliné, entre les montans, comme on le voit en A B. C'est pour cet effet qu'on a mis au plateau K L des anneaux. Lorsque la pressée est entre les montans, on la couvre de planches de chêne ; on place sur ces planches une rangée de madriers ; sur ces madriers des planches ; sur ces planches une autre rangée de madriers plus forts que les précédens ; & sur ces derniers madriers s'applique l'ais supérieur de la presse qui en fait partie, qui se meut à coulisse le long de ses montans, & qui agit également sur toute la pressée par le moyen de la vis, de l'écrou, & de la lanterne. On passe un levier dans les fuseaux de la lanterne ; on met une corde à l'extrémité de ce levier : cette corde va s'enrouler sur un arbre ; cet arbre est tourné par un bras de levier auquel un homme s'applique. L'écrou étant attaché fixement, la vis fait par bas l'effort le plus violent contre la pressée. En conséquence de cet effort, les feuilles prises entre les molletons s'étendent, leurs parties lâches & molles se serrent, s'approchent, & s'essuient. On reçoit dans un baquet l'eau qui s'en échappe par une ouverture pratiquée au plateau : on conçoit aisément que cette eau n'est pas d'une qualité inférieure à celle du tonneau du bout ; aussi la conserve-t-on. Je ne doute pas même qu'étant extrèmement chargée de farine, de gomme, de colle, si on s'en servoit dans les trempis, elle n'en rendit la fermentation beaucoup plus vigoureuse & plus forte. On voit l'opération de la presse si clairement, fig. 3. & elle est si simple, qu'il est inutile de la détailler davantage. Cette presse n'a rien de particulier, que son plateau, ses madriers, & la grosseur de toutes ses parties.

Le carton ne reste pas long-tems sous la presse : la pressée, quand elle ne rend plus rien par le plateau, est envoyée dans un autre attelier.

Cet attelier s'appelle l'épluchoir : là des filles, qu'on appelle éplucheuses, s'occupent à tirer les feuilles de carton d'entre les molletons que les ouvriers appellent langes, & à les visiter les unes après les autres pour en arracher les grosses ordures. Ces grosses ordures se sentent facilement à-travers la feuille molle, quand on ne les voit pas. On les ôte ; on presse avec le doigt l'endroit déchiré, & il n'y paroît plus qu'à l'inégalité d'épaisseur. L'endroit reprend ; il est seulement plus mince.

Ou ces feuilles épluchées sont destinées à rester simples comme elles sont, ou à former un carton plus épais dont elles seront parties : si elles sont destinées à rester simples, on les rapporte dans l'attelier de la presse, sous laquelle on les remet, & on les équarrit. Equarrir, c'est enlever les bords & les rendre plus quarrées ; ce qui s'exécute avec une ratissoire tranchante. On conçoit bien qu'alors les feuilles ne sont pas entre les langes.

Si on les destine à former un carton plus épais, il y a des ouvriers qui ne les épluchent point, de peur qu'elles ne se sechent trop ; elles passent de dessous la presse où on les a mises entre les langes pour la premiere fois, au côté droit de l'ouvrier sur une table : alors l'ouvrier remet proche de lui son plateau vuide ; ôte de dessus la pressée mise sur sa table, le premier lange qui la couvre, & l'étend au fond de son plateau ; il enleve pareillement la premiere feuille simple qui se présente : mais comme elle est mollette, pour ne la point déchirer, il prend le lange, sur lequel elle est posée, par les deux coins d'en-bas ; il corne ces deux coins ; puis il roule le reste de la main droite en allant vers la gauche, & de la gauche en allant vers la droite. Il porte en cet état la feuille roulée en deux parties avec le lange, sur le fond de son plateau. L'endroit des coins étant plus épais que le reste, fait dérouler ; & la feuille, & sous cette feuille le lange, sont étendus en un moment sur le fond du plateau. Cela fait, ou plûtôt pendant cette manoeuvre, une forme de matiere s'égoutte sur l'égouttoir ; le cartonnier en ôte aussi-tôt le chassis, le met sur une seconde forme ; remplit celle-ci, la met égoutter, & renverse la premiere sur celle qu'il a étendue sur le plateau.

Puis il retourne à la cuve ; ôte à la forme qui égouttoit, son chassis ; le met à la forme vuide ; la remplit, & la met égoutter. Pendant qu'elle égoutte, il s'avance vers sa table ; enleve de la pressée une autre feuille avec la même précaution que ci-dessus ; c'est-à-dire roulée dans son lange, & étend ce lange & cette feuille sur son plateau ; puis il prend de ces deux formes la premiere égouttée, celle qui n'a point de chassis, & la renverse sur son plateau, ou plûtôt sur la feuille de pressée.

Il retourne à sa cuve ; ôte à la forme qui égoutte son chassis ; remplit la forme qu'il tient, après lui avoir mis le chassis qu'il a ôté à l'autre, & la pose sur l'égouttoir. Tandis qu'elle égoutte, il enleve de la pressée une feuille roulée dans son lange, l'étend sur le plateau avec son lange dessous ; puis il prend des deux formes qui égouttoient, celle qui n'a point de chassis, & la renverse sur le plateau, ou plûtôt sur la feuille de pressée. Il retourne ensuite à la cuve, & réitere toute la manoeuvre que nous venons d'expliquer, jusqu'à ce qu'il ait formé une nouvelle pressée, qui ne différera de la premiere qu'en ce que entre chaque lange il ne se trouvoit qu'une feuille ; au lieu qu'ici il y en a deux, la feuille de la nouvelle fabrique, & celle de la précédente.

Quand cette pressée est faite, on remet le plateau sous la presse, & l'on presse. L'effet de la manoeuvre précédente & de celle-ci, est d'unir si bien la premiere feuille faite avec la seconde, qu'elles n'en fassent qu'une à-peu-près double en épaisseur, ce qui ne manque jamais de réussir ; la premiere feuille n'étant pas seche, la seconde étant toute molle & fluide, il se fait entr'elles une distribution égale d'humidité : la feuille de dessous reçoit, pompe même ce que la feuille de dessus en a de plus qu'elle ; de maniere que l'action de la presse les identifie sans peine. D'où il arrive que quand ces nouvelles feuilles passent à l'attelier des éplucheuses, elles sont réellement doubles d'épaisseur, & c'est tout : mais leur corps & leur consistance sont aussi parfaitement uns que si elles avoient été moulées tout d'un coup.

Quand on veut avoir des cartons de moulage très-fort, on peut en appliquer trois feuilles l'une sur l'autre entre les mêmes langes, & n'en faire qu'une de trois : mais cela ne va point jusqu'à quatre. Comme il faut que chacune soit moulée & pressée en particulier, l'humidité a le tems de s'échapper pendant ces opérations réitérées ; la feuille se seche ; & cette feuille composée déjà de trois autres, ou n'est plus assez molle pour pomper l'humidité d'une quatrieme qu'on lui appliqueroit, ou cette quatrieme, qui est simple, n'a pas assez d'humidité pour arroser & amollir celle qui est composée de trois, sur laquelle on l'étend : ainsi il arrive qu'elles ne peuvent plus se lier & faire corps.

Quand la nouvelle pressée, soit simple, soit double, soit triple, sort de dessous la presse, on l'épluche ; on la rapporte sous la presse ; on l'équarrit, & on l'envoye aux étendoirs.

Les étendoirs sont de grands greniers ; les plus airés sont les plus propres ; par la raison contraire les caves seroient les meilleurs endroits qu'on pût choisir pour les trempis. Comme il n'y a plus de langes entre les feuilles de carton quand on les équarrit, il est évident qu'on en équarrit beaucoup plus à la fois qu'on n'en presse. La quantité qu'on équarrit à la fois s'appelle une réglée : la réglée est faite d'une trentaine de poignées ; & la poignée d'une dixaine de cartons doubles. On peut apprécier là-dessus les réglées & poignées des autres sortes : elles contiennent d'autant moins de feuilles, que les feuilles sont plus fortes.

Les réglées trouvent dans les étendoirs des mains toutes prêtes à les employer : chacun se place devant sa réglée, le poinçon à la main. Cet instrument n'est autre chose qu'une espece de pointe de fer, aiguë, d'une ligne & demie de diametre au plus par le bas, de quatre à cinq pouces de long, & emmanchée comme une alêne de sellier. On enfonce cet instrument au bord de la réglée, à la profondeur de trois ou quatre pouces ; ce qui s'appelle piquer. On enleve les feuilles piquées ou une à une, ou deux à deux : ou trois à trois : une à une, si elles sont fort épaisses ; deux à deux, si elles le sont moins ; & trois à trois, si elles sont simples : cela dépend aussi un peu & de la saison qu'il fait, & de l'espace qu'on a pour tendre. Il est évident qu'il y a de l'avantage à étendre, quand on le peut, les feuilles une à une ; exposant plus de surface à l'air, elles en secheront beaucoup plus vîte. Quand on a piqué & séparé les feuilles comme il convient, on a des bouts de fil-d'archal, qu'on recourbe en S, de deux pouces de long ou environ ; on passe un des crochets de l'S dans le trou de la feuille piquée, & on la suspend par l'autre crochet aux lattes du toît, qui forment des especes d'échelons en-dedans des greniers, comme tout le monde sait. Les feuilles de carton restent dix jours, douze, quinze, trois semaines étendues, selon la saison & leur épaisseur. Quand elles sont seches, on abat. Abattre, c'est détendre & ôter les aiguilles.

De ces feuilles ainsi préparées, les unes sont vendues aux Relieurs, qui les achetent dans cet état brut ; & les autres destinées à d'autres usages, sont partagées en deux portions, dont l'une revient de l'étendoir dans l'attelier des lisseurs, & l'autre est portée dans l'attelier des colleurs.

Celles qui passent dans l'attelier des lisseurs, y sont travaillées à la lissoire. La lissoire des Cartonniers se meut précisément comme celle des Cartiers, par un gros bâton appliqué par son extrémité supérieure à une planche attachée par un bout à une poutre, & qui fait ressort par l'autre bout, celui auquel le bâton de la lissoire est appliqué : ce bâton est fendu par son extrémité inférieure ; cette extrémité est encore arrondie circulairement. La langue L de la boîte de la lissoire, fig. 6. entre dans la fente du bâton ; & les extrémités arrondies du bâton se placent dans les échancrures concaves M. Cette boîte se meut de bas en haut, & de haut en bas de la feuille de carton, par le moyen des mains N, N. Les feuilles ou sont placées les unes sur les autres en pile, ou sur un bloc, & sont applanies par le cylindre O O, placé sous la lissoire où l'on a pratiqué un canal concave qui le reçoit à moitié. Ce cylindre est de fer poli ; & il se meut sur deux tourillons reçus dans deux pattes de fer, fixées aux deux bouts de la boîte de la lissoire, comme on voit. Au sortir de la lissoire, on peut les vendre. Il faut observer que celles des feuilles qui viennent de l'étendoir pour être lissées, ne doivent pas être bien seches ; sans quoi elles ne se lisseroient pas, & il faudroit les humecter.

Celles qui passent dans l'attelier des colleurs, sont ou collées les unes avec les autres, pour former du carton plus épais, ou couvertes de papier blanc auquel elles servent d'ame : d'où l'on voit qu'il y a déjà trois sortes de carton ; du carton de pur moulage, du carton de moulage collé, & du carton couvert, auquel le carton de moulage sert d'ame. Il n'y a rien de particulier sur la seconde espece, celles de feuilles de carton de moulage collées ensemble. On a de la colle de farine à l'ordinaire, ou telle que celle des Cartiers (voyez CARTIER) : on trempe une brosse dans cette colle, & l'on en enduit une feuille ; on pose sur cette feuille collée deux feuilles, dont celle de dessous n'est point collée, mais celle de dessus l'est ; on continue à prendre les feuilles deux à deux, & à ne coller que celle de dessus, & à en former des tas, dans lesquels les feuilles se trouvent seulement collées deux à deux ; on passe ces tas sous la presse ; on ôte avec une mauvaise brosse la colle que l'action de la presse fait sortir ; on sépare ces feuilles qui tiennent ensemble un peu par les bords ; on les porte à l'étendoir, où on les fait sécher sans les piquer, parce qu'elles sont assez fortes pour se soûtenir appuyées sans se courber.

On voit que pour faciliter le promt collage de ces feuilles, il est bon d'en avoir préparé les tas auparavant. Cette préparation consiste à mettre les feuilles par échelle de deux en deux : pour cet effet on prend une feuille, on la met sur une table ; on prend deux feuilles qu'on pose dessus cette premiere, de maniere qu'elle les déborde de quatre doigts par en-bas ; sur ces deux, deux autres qui correspondent à la premiere, & qui sont par conséquent débordées par en-haut de quatre doigts par les deux premieres, & ainsi de suite : on finit le tas par une seule.

Si on veut ajoûter une nouvelle feuille aux deux précédentes, pour avoir un carton d'un tiers plus épais, & composé de trois feuilles, on facilitera cette opération en prenant la même précaution ; je veux dire, en mêlant les feuilles simples & les feuilles doubles deux à deux de maniere qu'elles soient en échelle, & que si deux débordent par en-haut celles qui les précedent, elles soient débordées par en-bas par les deux qui les suivront, & en ne collant jamais que celle des deux qui est dessus. Il est évident qu'on formera ainsi toûjours des tas où les feuilles ne sont collées que deux à deux.

On continuera la même manoeuvre, mêlant, collant, pressant & séchant autant de fois qu'on voudra doubler les cartons : on parviendra de cette maniere à en former qui auront un pouce d'épais, & par-delà.

Quant aux cartons qu'on veut couvrir de beau papier, on ne suivra pas une autre méthode ; il suffit de l'avoir indiquée.

Il y a, comme on voit, bien des sortes de carton : il y en a de trois sortes de pur moulage ; du simple, du double, & du triple.

Il y en a de feuilles de moulage collées ensemble, de tant d'especes que l'on veut.

Il en est de même de celui de moulage qui est couvert de papier blanc ; car on peut également couvrir & celui qui est de pur moulage, qui donnera trois sortes de cartons couverts ; & celui qui est fait de feuilles de moulage collées, ce qui en ajoûtera un grand nombre d'autres sortes.

Outre toutes ces sortes de carton, entre lesquelles il faut observer que ceux qui sont couverts d'un seul ou des deux côtés reviennent à la lisse, & que pour les bien lisser il est souvent à propos de les savonner & chauffer auparavant, comme nous l'avons prescrit à l'article cartier (voyez CARTIER) ; outre ces especes, dis-je, on en fait de pur collage ; celui-ci est beaucoup plus fin que l'autre. On commence par lui préparer une ame de papier commun : on fait cette ame plus ou moins épaisse à discrétion, & on la couvre de beau papier. Voyez a l'article CARTIER la maniere détaillée de faire ce carton ; car celui dont on fait les cartes est de cette espece.

Il y a aussi des cartons de collage d'un grand nombre de sortes, dont la finesse se distingue par numeros. Il y en a de couverts des deux côtés, d'un seul ; des lissés des deux côtés, & d'un seul, &c.

On fait en France un commerce considérable de carton. J'ai visité les atteliers des ouvriers, que je n'ai pas trouvés aussi-bien entendus que celui que je viens de décrire : il m'a semblé qu'ils n'apportent pas à leur ouvrage autant d'attention & de propreté qu'ils y en pourroient mettre : ce n'est pas la seule occasion où j'ai remarqué que pourvû que les choses se fissent, on s'embarrassoit fort peu du comment. On se sert du carton pour relier les livres, faire des porte-feuilles, des étuis à chapeaux, à manchons, &c.

Ce sont les Papetiers-Merciers & les Papetiers-colleurs de feuilles, autrement dit Cartonniers, qui en font le négoce ; avec cette différence que ces derniers fabriquent & vendent, au lieu que les premiers ne peuvent fabriquer.

CARTON, terme d'Architecture, se dit d'un contour chantourné sur une feuille de carton ou de fer-blanc, pour tracer le profil des corniches, & pour lever les panneaux de dessus l'épure. (P)

CARTON, se dit en Peinture d'un dessein qu'on fait sur de fort papier, pour le calquer ensuite sur l'enduit frais d'une muraille, où l'on veut peindre à fresque.

Carton se dit aussi d'un dessein en grand, coloré pour travailler en mosaïque, en tapisserie, &c. Voy. TAPISSERIE.

Les cartons que l'on conserve à Hamptoncourt en Angleterre, sont des desseins de Raphael d'Urbin, faits pour être exécutés en tapisserie. (R)

CARTON ; les Imprimeurs appellent ainsi une maculature bien unie, sur laquelle ils collent des hausses pour remédier à l'inégalité du foulage, qui se rencontre à presque toutes les presses. Ce carton se place entre le petit tympan & les blanchets. Chaque ouvrage doit avoir son carton particulier. Quand il est bien fait il y a peu de hausses à mettre sur le tympan ; & presque toûjours la perfection ou la défectuosité d'une impression en dépendent, tant il est utile & de conséquence de le bien faire. Voyez HAUSSE, &c.

CARTON, terme de Libraire, de brochure & de Relieur, est un ou plusieurs feuillets détachés d'une feuille entiere. Il y a plusieurs cas où l'on est obligé de mettre des cartons dans les livres. 1°. Quand après l'impression, soit d'un manuscrit, soit d'un livre déjà imprimé, il reste de la matiere dont la quantité ne suffit pas pour faire une feuille entiere, ni même une demi-feuille, ce reste s'imprime sur un ou deux feuillets de papier séparés, & s'appelle carton. 2°. Quand pendant le cours de l'impression il s'est glissé quelques fautes grossieres dans l'ouvrage, ou quelque proposition hasardée relativement à la religion, au gouvernement, aux moeurs, ou à la réputation des particuliers, on a soin de déchirer la partie de la feuille sur laquelle se trouve ce qu'on veut supprimer, & l'on y substitue d'autres feuillets purgés de ces fautes, & ces feuillets se nomment aussi cartons.

Le public à Paris est tellement prévenu contre ces cartons, qu'on a vû des ouvrages décrédités parce qu'il y en avoit, quoiqu'ils eussent été placés pour la plus grande perfection de ces ouvrages.

CARTON, partie du métier du Rubanier ; il est attaché d'une part à la barre de la poitriniere, & d'autre au premier travers de lames, au moyen de deux ficelles qui le tiennent suspendu un peu au-dessus de l'ensuple de devant : il sert à poser les navettes & sabots, lorsqu'il y en a plusieurs, pendant que l'ouvrier en fait travailler une. On le voit très-distinctement dans les fig. de passement. Voyez leur explication.


CARTONNERparmi les Tondeurs, c'est couvrir chaque pli d'une piece d'étoffe, d'un carton ou d'un vélin, avant que de la presser & de la catir.


CARTONNIERS. m. (Art méch.) ouvrier qui a le droit de faire & vendre du carton. Voyez CARTON.


CARTOUCHEen Architecture, est un ornement de sculpture, de pierre, de marbre, de bois, plâtre, &c. composé de membres d'Architecture, au milieu duquel est une espece de forme réguliere ou irréguliere, dont la surface est quelquefois plane, concave, convexe, ou tous les deux ensemble. Ces cartouches servent ordinairement à annoncer le nom des grands hôtels, ou à recevoir des inscriptions, des chiffres, des armoiries, des bas-reliefs, pour la décoration extérieure & intérieure des églises, communautés, ou pour la décoration des appartemens. Ce mot vient de l'italien cartoccio, qui signifie la même chose.

On appelle aussi cartouche le dessein qu'on met au bas des plans ou cartes de Géographie, & qui sert à renfermer le titre ou le blason de celui à qui on le veut présenter. Ces cartouches sont susceptibles d'attributs ou d'allégories qui doivent être relatives à celui à qui l'on présente ces desseins, ou à leur objet.

On appelle cartel les petits cartouches qui servent dans les décorations des frises ou panneaux de menuiserie, & généralement ceux qu'on employe dans les bordures des tableaux aux couronnemens des trumeaux, cheminées, pilastres, &c.

En général il faut éviter le genre tourmenté & trop pittoresque dans ces sortes de sculptures ; leur composition demande de la retenue, aussi-bien que toutes les autres productions analogues à l'Architecture. Voyez ce qui a été dit au sujet des amortissemens. (P)

CARTOUCHE, (Peinture) est une espece de bordure d'ornemens peints ou sculptés, qui renferment des tableaux, des bas-reliefs, des trophées, des inscriptions ou devises, &c.

On fait des cartouches de toutes sortes de formes, & on les compose de tout ce que le caprice ou la mode peut suggérer : on les appelle cartouches, parce qu'ils ont quelquefois des parties qui ressemblent à des cartons roulés & entortillés. Aujourd'hui même ils conservent encore quelques parties de ces cartons qui leur ont donné nom, & dont ces ornemens ont été composés dans leur origine. (R)

CARTOUCHE, en Jardinage, est un ornement régulier en forme de tableau, avec des enroulemens, qui se répete souvent aux deux côtés ou aux quatre coins d'un parterre ; le milieu se remplit d'une coquille de gason, ou d'un fleuron de broderie. (K)

CARTOUCHES, GARGOUGES, GARGOUCHES, ou GARGOUSSES : on se sert presque également de ces mots dans l'Artillerie, pour signifier une espece de boîte faite d'un parchemin ou d'un papier en plusieurs doubles, ou d'une feuille de fer-blanc, ou même de bois, qui renferme la charge de poudre & le boulet, & qui se met dans une piece lorsque l'on est tellement pressé de tirer, que l'on n'a pas le tems de s'ajuster.

Quand on n'y met pas de boulet, l'on y met des balles de plomb, des clous, des chaînes, & de la mitraille de fer, afin que le coup écarte davantage.

Sur-tout les cartouches à grappes de raisin, qui sont des balles de plomb jointes avec de la poix, enfermée dans une toile claire, & disposées sur une petite planche en forme pyramidale autour d'un piquet de bois qui s'éleve du milieu de la planche, sont d'une grande utilité dans un combat ou dans une bataille.

Il y a des moules de bois dont on se sert pour serrer ces gargouges & cartouches, afin de pouvoir les faire avec plus de propreté & de justesse.

On fait aussi des cartouches à mousquetaires, qui portent la charge de poudre & la balle au bout ; & le soldat n'a autre chose à faire quand il veut charger son fusil ou son mousquet, que de déchirer avec la dent cette cartouche, qui est très-bien collée partout, par le bout qui doit répondre à la lumiere & au bassinet du canon du fusil ou du mousquet où il amorce ; & cette invention abrege beaucoup de tems.

Il faut encore observer que quoique bien des officiers, & des auteurs même fort habiles, confondent la cartouche avec la gargouge ; il est certain néanmoins que l'usage nous apprend que la gargouge ne doit s'entendre que de ce qui renferme la poudre seule ; & que la cartouche est ce qui renferme les clous, chaînes, balles de plomb, & autres mitrailles & ferrailles que l'on met dans la piece au lieu de boulet, soit sur une breche, ou sur un retranchement, soit lorsque l'on se trouve près des ennemis dans une bataille : on dit alors tirer à cartouche.

Les gargouges sont de papier, parchemin, ou toile : les meilleures & les plus sûres sont celles qui sont faites de parchemin, parce que le feu ne s'y attache point ; le parchemin ne fait que griller, sans s'attacher à la piece. Le papier & la toile ont cette incommodité, qu'ils laissent presque toûjours quelque lambeau accroché au métal de l'ame de la piece avec du feu ; ce qui a souvent causé de fort fâcheux accidens, & ordinairement ces malheurs arrivent quand on est près de l'ennemi & pressé : car quand il faut servir une piece, les canoniers négligent d'écouvillonner ; la nouvelle gargouge que l'on fourre dans la piece rencontrant ce papier ou cette toile allumée, prend feu, & en ressortant de la piece, brise avec la hampe de la lanterne ou de l'écouvillon les bras & les jambes de ceux qui chargent, & les tue fort souvent.

Lorsque l'on sera obligé de se servir de papier ou de toile dans l'occasion, il ne faut pas oublier d'écouvillonner à chaque coup, & pour celles de parchemin, de trois coups en trois coups.

La longueur des gargouges sera de quatre calibres de la piece où elles devront servir, dont un demi-calibre servira à fermer le cul, & un autre pour fermer le dessus quand la poudre y sera ; cette poudre doit être charge ordinaire. Celles de parchemin ne feront qu'un tour, avec un peu plus de largeur pour la couture : elles seront trempées dans le vinaigre, afin de les coudre plus facilement. A celles de toile la largeur de la couture doit être en-dedans la gargouge ; les ourlets seront froncés avec de la ficelle.

L'on pourra aux gargouges de toile laisser deux calibres de plus, au-dessus de ce qui sera froncé quand elles seront pleines de poudre : cela sert à y mettre des balles de plomb ou de la mitraille, le tout bien fermé : l'on en pourra faire autant avec le parchemin, & alors elles se nomment cartouches. Elles sont bonnes pour tirer promtement & de près. Quand on pourra avoir des cartouches de fer-blanc, elles vaudront mieux ; elles portent plus loin : elles auront de longueur un calibre demi-quart, le diametre comme les gargouges, fermées par un bout de fer-blanc ainsi qu'une mesure ; & lorsqu'on aura rempli la cartouche de balles à la hauteur d'un calibre, l'on y fera entrer un tampon de bois long d'un demi-calibre, sur lequel on attachera avec des clous les bords de la cartouche. En les fourrant dans l'ame des pieces, il faudra prendre garde que le côté du tampon soit mis le premier dans la piece.

L'on fait encore des cartouches en pomme de pin : c'est un boulet de même fer que les autres, qui fait le noyau de la cartouche : sa figure est en pyramide ronde ; la base est égale au calibre d'un boulet proposé pour la piece avec laquelle on voudra la tirer ; sa hauteur est d'un calibre & demi. On le trempe dans la poix goudronnée, ensuite on le roule sur des balles de plomb ; & quand il est bien couvert de balles de plomb, on le trempe dans le même goudron, après quoi on peut s'en servir, en poussant le gros bout devant dans la piece.

Mais les cartouches de fer-blanc valent mieux sur terre, & coûtent moins de tems à faire : les pommes de pin sont bonnes pour tirer sur mer : car outre que les balles qui y sont attachées en s'écartant blessent bien des gens sur le grand pont, le noyau fait encore bien du fracas où il touche.

L'on peut aussi remplir les cartouches de fer-blanc de toutes sortes d'especes de ferraille. Si l'on manque de matieres dans les occasions pour faire des gargouges & cartouches, l'on pourra charger le canon à l'ordinaire, & y mettre par-dessus le fourrage de la ferraille, des balles de plomb, ou des petits boulets ; même jusqu'à de petits cailloux ronds ; de cette façon les pieces en souffriront davantage ; mais dans l'occasion le génie doit suppléer au défaut de ce qui manque. Mém. de l'Artill. de Saint Remy. (Q)

CARTOUCHE : on appelle ainsi toutes sortes de boîtes de carton, cubiques, sphériques, cylindriques, ou mixtes, dans lesquelles on renferme les matieres combustibles des artifices, pour en déterminer & varier les effets ; les cylindriques sont les plus ordinaires. Ce mot est masculin chez les Artificiers, & féminin pour les charges des armes à feu : on dit dans l'exercice, déchirez la cartouche avec les dents.

On peut faire les cartouches de différentes matieres, comme de bois, de toile, de parchemin, de carton, & de papier. Ceux de bois ne sont plus en usage, à cause des inconvéniens qu'on y a trouvés : premierement, tous les bois n'y sont pas propres ; il faut en choisir de lians, de doux, & de legers, comme le tilleul, le saule, & autres semblables : secondement, il faut des ouvriers accoûtumés à les creuser & tourner proprement, & d'une figure très-uniforme ; ce qu'on ne trouve point par-tout : troisiemement, ils sont sujets à se fendre pendant qu'on les charge, ou à crever lorsque l'artifice s'enflamme, desorte qu'ils lancent des éclats qui peuvent blesser les spectateurs. Les cartouches de toile ne sont propres qu'à renfermer les artifices destines pour l'eau ; parce qu'on a soin de les goudronner pour empêcher qu'elle ne penetre au travers. Le parchemin seroit assez bon pour faire les cartouches : mais c'est une matiere trop chere, difficile à manier, & qui se tourmente aisément ; il vaut donc mieux se servir de carton ou de bon papier.

On trouve à Paris du carton pour les fusées, qu'on appelle carte de moulage, dont les épaisseurs sont désignées par le nombre des feuilles du gros papier collé dont il est composé, comme un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit ; on achete de gros papier gris, qui est très-commun ; on en colle deux ou trois feuilles ensemble, plus ou moins suivant la force & l'épaisseur qu'on veut donner au carton, eu égard à l'emploi qu'on en veut faire. Pour les petits cartouches, celui de deux feuilles suffit ; pour les plus gros, on en met trois, & même quatre, cinq, & six.

Pour les coller, on prépare de la pâte de farine liquide qu'on fait un peu cuire, ayant soin de la bien délayer, à laquelle on peut ajoûter, si l'on veut, de la colle-forte. On l'étend avec une brosse sur la premiere feuille de papier, pour y en appliquer une seconde ou une troisieme qui forme la feuille du carton ; on arrange ensuite toutes les feuilles de carton qu'on vient de faire en une pile, comme celles d'un livre, sur laquelle on met un bout de planche unie qu'on charge d'un poids capable de les presser & applanir, afin que les feuilles ne laissent aucun vuide entr'elles, & que la colle prenne également partout.

Après avoir ainsi laissé les feuilles de carton en presse pendant quelques heures, on les disperse dans un lieu couvert pour les faire sécher doucement ; & supposé qu'elles viennent à se tourmenter, on les remet encore sous la presse. De cette maniere on a du carton uni, & d'une épaisseur convenable à la grandeur des cartouches qu'on veut faire.

Les cartouches les plus usités sont de figure cylindrique, parce qu'après la sphérique, il n'y en a point de plus simple, ni de plus propre à contenir les matieres : elle a même cet avantage sur la sphérique, qu'on peut les y fouler autant qu'on veut, & d'une égale compression ; ce qui est nécessaire à la formation de la plûpart des artifices.

Pour former ces sortes de cartouches, il faut avoir un rouleau de bois tourné & également épais, suivant la grosseur déterminée pour la piece d'artifice qu'on veut faire. Les rouleaux étant faits, on coupe le carton ou le papier qu'on veut employer, de la grandeur convenable à la piece qu'on veut faire ; & parce que le développement d'un cylindre est un parallélogramme ou quarré long, il n'y a point de façon dans cette coupe.

Les épaisseurs des cartouches doivent être proportionnées, non-seulement à la grosseur des artifices, mais encore à la force du feu que produisent les matieres dont ils sont remplis, laquelle vient de leur qualité plus ou moins vive, & d'un volume de flamme plus ou moins grand. Premierement ils sont plus ou moins forts, suivant la qualité & la force du papier ou du carton dont ils sont faits. Secondement, ils dépendent encore d'une exacte application de chaque feuille dans toute l'étendue de la révolution sur le rouleau qui sert à les former ; car lorsqu'elles ne laissent pas de vuide entr'elles, leur résistance n'est pas divisée par parties interrompues, mais répandue sur toute la circonférence, ensorte qu'elle en devient plus grande.

Les cartouches étant bien faits, & en tel nombre qu'on veut, on les range proprement sur une planche, de maniere qu'ils ne se touchent pas, pour les faire secher doucement à l'ombre, parce qu'ils se décollent & se courbent lorsqu'on les fait secher trop vîte au soleil, ou trop près du feu : là on a soin de les tourner de tems en tems, pour qu'ils sechent également de tous côtés, & qu'ils ne se défigurent pas.

Lorsque les cartouches sont à-peu-près à moitié secs, il faut les étrangler par un bout, c'est-à-dire, en resserrer tellement l'ouverture, qu'il n'y reste qu'un trou de grandeur à recevoir une branche de fer qui doit y entrer ; quelquefois il faut les fermer tout-à-fait pour les remplir de matieres combustibles.

Il n'y a qu'un tems propre pour cette opération ; parce que si les cartouches sont trop humides, ils se chiffonnent & se coupent, s'ils sont trop secs, ils font trop de résistance ; on ne peut les étrangler qu'avec une grande force, qui fait souvent casser la corde ou la ficelle dont on se sert.

La maniere ordinaire d'étrangler un cartouche, est de le comprimer si fort par un tour de ficelle, que le carton s'enfonce dans lui-même par de petits plis rentrans qui en bouchent l'orifice, ou en tout ou en partie, suivant l'usage qu'on en doit faire.

Pour cet effet, on a une petite corde ou ficelle faite exprès de grosseur proportionnée aux cartouches qu'on veut étrangler, appellée filagore, qu'on attache par un bout à un poteau solide, à la hauteur de trois à quatre piés ; & à l'autre bout on fait une boucle, dans laquelle on introduit le milieu d'un bâton d'environ dix-huit à vingt pouces de long, qu'on fait passer sous les fesses, comme si l'on vouloit s'asseoir dessus.

On frotte la filagore de savon, & l'on prend d'une main le cartouche dans lequel on a mis le rouleau jusqu'à un demi-pouce près du bout qu'on veut étrangler plus ou moins, suivant la grosseur du cartouche, & de l'autre on tient dans son orifice un bout de rouleau avancé seulement en-dedans de quelques lignes ; ensorte qu'il reste un certain intervalle vuide entre les deux bouts de bois, dans lequel le carton pressé par la ficelle, puisse s'enfoncer & resserrer en cet endroit son ouverture, ou tout-à-fait, ou seulement autant qu'il faut pour y introduire une broche de fer de la grosseur convenable à la lumiere par laquelle on doit donner le feu à l'artifice.

Sur cet espace vuide, on fait passer deux tours de la ficelle qu'on tend fortement en se reculant, comme pour s'asseoir sur le bâton dont on vient de parler ; desorte qu'elle fait un tel effort sur le cartouche, qu'elle l'enfonce & y grave sa trace : mais comme elle s'enfonceroit plus d'un côté que de l'autre, on a soin de tourner le cartouche pour exposer successivement sa circonférence au point où se fait la plus grande pression de la ficelle ; par ce moyen, elle se grave également tout-autour, & il se forme à l'orifice une gorge fort réguliere en façon d'écuelle. Lorsque l'orifice est fermé au point qu'on le demande, on dégage le cartouche de la filagore, & on lui substitue aussi-tôt un lien de plusieurs tours de gros fil ou de ficelle à paumier, qu'on arrête avec un noeud coulant, pour empêcher que le ressort du carton ne fasse r'ouvrir la partie étranglée. Ceux qui desireront s'instruire plus à fond sur cette matiere, n'ont qu'à consulter le traité des feux d'artifice de M. Frezier, où ils trouveront un détail qui n'eût aucunement convenu à un Dictionnaire.


CARTULAIRESS. f. pl. (Hist. mod.) nom qu'on donne aux papiers terriers des églises ou des monasteres, où sont écrits les contrats d'acquisition, de vente, d'échange, les priviléges, immunités, exemptions, chartres, & autres titres primordiaux. Ces recueils sont de beaucoup postérieurs à la plûpart des actes qui y sont compris ; on ne les a même inventés que pour conserver des doubles de ces actes. Ce qui fait que les critiques soupçonnent ces actes de n'être pas toûjours authentiques, soit qu'on y en ait glissé de faux, soit qu'on ait altéré les véritables. (G)


CARULOM(Géog.) petite riviere de Bulgarie, qui tombe dans le Danube, près de Nicopoli.


CARUSS. m. de , sommeil profond, terme de Medecine, espece de maladie léthargique qui consiste dans un profond assoupissement, avec privation subite du sentiment & du mouvement, & accompagné d'une fievre aiguë.

Le carus differe du coma en ce que le malade affligé du coma répond lorsqu'on lui parle, ce que ne fait pas celui qui est affligé du carus. Voyez COMA.

Il differe de la léthargie par la fievre dont il est accompagné : au lieu que la léthargie est sans fievre, & que de plus si on agite ou qu'on pique la personne en léthargie, le sentiment lui revient ; ce qui n'arrive pas de même dans le carus. Voyez LETHARGIE.

Il differe de l'apoplexie propre, en ce qu'il laisse la respiration libre : au lieu qu'elle ne l'est jamais dans l'apoplexie. Voyez APOPLEXIE.

Il differe de l'épilepsie, en ce que le malade n'est point agité dans le carus, & n'écume pas comme il fait dans l'épilepsie. Il differe de la syncope, en ce que dans le carus le pouls est élevé & le visage rouge ; au lieu que dans la syncope le pouls est bas & la face cadavéreuse ; Il differe de la suffocation hystérique, en ce que dans celle-ci le malade entend ce qu'on lui dit & s'en souvient, ce qu'il ne fait pas dans le carus. Voyez SYNCOPE, éPILEPSIE, &c. (N)


CARVIS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelles, & composées de plusieurs pétales faits en forme de coeur, inégaux, rangés en rond, & soûtenus par le calice, qui devient un fruit composé de deux petites semences renflées & cannelées d'un côté, & plates de l'autre. Ajoûtez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont légerement découpées, & rangées par paires le long d'une côte. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le carvi officinarum, C. B. Pin. 158. est d'usage en Medecine ; sa semence est une des semences chaudes ; elle est stomacale, carminative, bonne contre la colique & la foiblesse d'estomac ; propre pour aider la digestion, pour exciter l'urine, & augmenter le lait des nourrices.

Ses préparations officinales sont sa semence confite avec du sucre, & l'huile qu'on en tire par la distillation.

L'huile essentielle de carvi est acre & fort pénétrante ; on l'ordonne à cinq ou six gouttes dans l'huile d'amandes douces. Pour la surdité on en met quelques gouttes dans de bon esprit de vin, que l'on injecte dans l'oreille. (N)


CARYATIDESS. f. (Architect.) Statues de femmes sans bras, vêtues décemment, & placées par ornement ou pour soûtien aux architraves des édifices. Vitruve en raconte l'origine de la maniere suivante. Il dit que Carie dans le Péloponese, ayant été prise & ruinée par les autres Grecs, vainqueurs des Perses, avec lesquels les Cariates s'étoient ligués, les hommes furent passés au fil de l'épée, & les femmes emmenées en esclavage, où l'on contraignit les plus qualifiées d'entr'elles à garder leurs longues robes & leurs ornemens ; & il ajoûte que dans la suite, pour éterniser la mémoire de la trahison & du châtiment, les architectes substituerent en plusieurs édifices publics, des figures de femmes Cariates aux pilastres & aux colonnes.


CARYATIS(Myth.) surnom de Diane en l'honneur de laquelle les jeunes filles de la Laconie s'assembloient dans le tems de la récolte des noix, & célebroient une fête appellée carya, c'est-à-dire la fête de Diane des noix.


CARYOCOSTIN(électuaire) se compose de la façon suivante. Prenez clous de girofle, costus blanc, zédoaire, gingembre, semence de cumin, de chacun deux gros ; hermodactes mondées, diagrede, de chacun demi-once ; miel rosat cuit en consistance d'électuaire mou, trois fois la quantité du tout. Pulvérisez le tout, à l'exception du diagrede que vous n'ajoûterez qu'après avoir mêlé le reste avec le miel rosat, au moyen d'une spatule de bois ; faites un électuaire selon l'art.

Cette composition est bonne pour les gens robustes, forts, les pituiteux & les hydropiques : mais il ne convient point aux personnes délicates. La dose est depuis un gros jusqu'à six.

On prétend que ce purgatif est excellent dans les maladies soporeuses, & dans la goutte.

On appelle cet électuaire caryocostin, du nom de deux des ingrédiens qui entrent dans sa composition, qui sont le costus, & les clous de girofles ; appellés en latin caryophilli. (N)


CASS. m. terme de Grammaire ; ce mot vient du latin casus, chûte, rac. cadere, tomber. Les cas d'un nom sont les différentes inflexions ou terminaisons de ce nom ; l'on a regardé ces terminaisons comme autant de différentes chûtes d'un même mot. L'imagination & les idées accessoires ont beaucoup de part aux dénominations ; & à bien d'autres sortes de pensées ; ainsi ce mot cas est dit ici dans un sens figuré & métaphorique. Le nominatif, c'est-à-dire, la premiere dénomination tombant, pour ainsi dire, en d'autres terminaisons, fait les autres cas qu'on appelle obliques. Nominativus sive rectus, cadens à suâ terminatione in alias, facit obliquos casus. Prisc. liv. v. de casu.

Ces terminaisons sont aussi appellées désinances ; mais ces mots terminaison, désinance, sont le genre. Cas est l'espece, qui ne se dit que des noms ; car les verbes ont aussi des terminaisons différentes, j'aime, j'aimois, j'aimerai ; &c. Cependant on ne donne le nom de cas, qu'aux terminaisons des noms, soit au singulier, soit au pluriel. Pater, patris, patri, patrem, patre ; voilà toutes les terminaisons de ce mot au singulier, en voilà tous les cas, en observant seulement que la premiere terminaison pater, sert également pour nommer & pour appeller.

Les noms hébreux n'ont point de cas, ils sont souvent précédés de certaines prépositions qui en font connoître les rapports : souvent aussi c'est le sens, c'est l'ensemble des mots de la phrase qui, par le méchanisme des idées accessoires & par la considération des circonstances, donne l'intelligence des rapports des mots ; ce qui arrive aussi en latin à l'égard des noms indéclinables, tels que fas & nefas, cornu, &c. Voyez la grammaire hébraïque de Masclef, tom. I. c. ij. n. 6.

Les Grecs n'ont que cinq cas, nominatif, genitif, datif, accusatif, vocatif : mais la force de l'ablatif est souvent rendue par le genitif, & quelquefois par le datif. Ablativi formâ Graeci carent, non vi, quae genitivo & aliquando dativo refertur. Canisii Hellenismi, Part. orat. p. 87.

Les Latins ont six cas, tant au singulier qu'au pluriel, nominatif, génitif, datif, accusatif, vocatif, ablatif. Nous avons déjà parlé de l'ablatif & de l'accusatif ; il seroit inutile de répeter ici ce que nous disons en particulier de chacun des autres cas : on peut le voir en leur rang.

Il suffira de dire ici un mot du nom de chaque cas.

Le premier, c'est le nominatif ; il est appellé cas par extension, & parce qu'il doit se trouver dans la liste des autres terminaisons du nom ; il nomme, il énonce l'objet dans toute l'étendue de l'idée qu'on en a sans aucune modification ; & c'est pour cela qu'on l'appelle aussi le cas direct, rectus : quand un nom est au nominatif, les Grammairiens disent qu'il est in recto.

Le génitif est ainsi appellé, parce qu'il est pour ainsi dire le fils aîné du nominatif, & qu'il sert ensuite plus particulierement à former les cas qui le suivent ; ils en gardent toûjours la lettre caractéristique ou figurative, c'est-à-dire celle qui précede la terminaison propre qui fait la différence des déclinaisons ; par ex. is, i, em, ou im, e ou i, sont les terminaisons des noms de la troisieme déclinaison des latins au singulier. Si vous avez à décliner quelqu'un de ces noms, gardez la lettre qui précédera is au génitif : par ex. nominatif rex, c'est-à-dire regs, génitif reg-is, ensuite reg-i, reg-em, reg-e, & de même au pluriel, reg-es, reg-um, reg-ibus. Genitivus naturale vinculum generis possidet : nascitur quidem à nominativo, generat autem omnes obliquos sequentes. Prisc. lib. V. de casu.

Le datif sert à marquer principalement le rapport d'attribution, le profit, le dommage, par rapport à quoi, le pourquoi, finis cui.

L'accusatif accuse, c'est-à-dire déclare l'objet, ou le terme de l'action que le verbe signifie : on le construit aussi avec certaines prépositions & avec l'infinitif. Voyez ACCUSATIF.

Le vocatif sert à appeller ; Priscien l'appelle aussi salutatorius, vale domine, bon jour monsieur, adieu monsieur.

L'ablatif sert à ôter avec le secours d'une préposition. Nous en avons parlé fort au long. Voyez ABLATIF.

Il ne faut pas oublier la remarque judicieuse de Priscien : " Chaque cas, dit-il, a plusieurs usages ; mais les dénominations se tirent de l'usage le plus connu & le plus fréquent ". Multas alias quoque & diversas unusquisque casus habet significationes, sed à notioribus & frequentioribus acceperunt nominationem, sicut in aliis quoque multis hoc invenimus. Prisc. l. V. de casu.

Quand on dit de suite & dans un certain ordre toutes les terminaisons d'un nom, c'est ce qu'on appelle décliner : c'est encore une métaphore ; on commence par la premiere terminaison d'un nom, ensuite on descend, on décline, on va jusqu'à la derniere.

Les anciens Grammairiens se servoient également du mot décliner, tant à l'égard des noms qu'à l'égard des verbes : mais il y a long-tems qu'on a consacré le mot de décliner aux noms ; & que lorsqu'il s'agit de verbes, on dit conjuguer, c'est-à-dire ranger toutes les terminaisons d'un verbe dans une même liste, & tous de suite, comme sous un même joug ; c'est encore une métaphore.

Il y a en latin quelques mots qui gardent toûjours la terminaison de leur premiere dénomination : on dit alors que ces mots sont indéclinables ; tels sont fas, nefas, cornu au singulier, &c. Ainsi ces mots n'ont point de cas.

Cependant quand ces mots se trouvent dans une phrase ; comme lorsqu'Horace a dit, fas atque nefas exiguo fine libidinum discernunt avidi. L. I. od. xviij. v. 10. Et ailleurs : & peccare nefas, aut pretium est mori. L. III. od. jv. v. 24. Et Virgile : jam cornu petat. Ecl. jv. v. 57. Cornu ferit ille, caveto. Ecl. jx. v. 25. alors le sens, c'est-à-dire l'ensemble des mots de la phrase fait connoître la relation que ces mots indéclinables ont avec les autres mots de la même proposition, & sous quel rapport ils y doivent être considérés.

Ainsi dans le premier passage d'Horace je vois bien que la construction est, illi avidi discernunt fas & nefas. Je dirai donc que fas & nefas sont le terme de l'action ou l'objet de discernunt, &c. Si je dis qu'ils sont à l'accusatif, ce ne sera que par extension & par analogie avec les autres mots latins qui ont des cas, & qui en une pareille position auroient la terminaison de l'accusatif. J'en dis autant de cornu ferit ; ce ne sera non plus que par analogie qu'on pourra dire que cornu est là à l'ablatif ; & l'on ne dira ni l'un ni l'autre, si les autres mots de la langue latine étoient également indéclinables.

Je fais ces observations pour faire voir, 1°. que ce sont les terminaisons seules, qui par leur variété constituent les cas, & doivent être appellées cas : ensorte qu'il n'y a point de cas, ni par conséquent de déclinaison dans les langues où les noms gardent toûjours la terminaison de leur premiere dénomination ; & que lorsque nous disons un temple de marbre, ces deux mots de marbre, ne sont pas plus un génitif que les mots latins de marmore, quand Virgile a dit, templum de marmore, Georg. L. III. v. 13. & ailleurs : ainsi à & de ne marquent pas plus des cas en françois que par, pour, en, sur, &c. Voyez ARTICLE.

2°. Le second point qui est à considérer dans les cas, c'est l'usage qu'on en fait dans les langues qui ont des cas.

Ainsi il faut bien observer la destination de chaque terminaison particuliere : tel rapport, telle vûe de l'esprit est marquée par tel cas, c'est-à-dire par telle terminaison.

Or ces terminaisons supposent un ordre dans les mots de la phrase, c'est l'ordre successif des vûes de l'esprit de celui qui a parlé ; c'est cet ordre, qui est le fondement des relations immédiates des mots de leurs enchaînemens & de leurs terminaisons. Pierre bat Paul ; moi aimer toi, &c. On va entendre ce que je veux dire.

Les cas ne sont en usage que dans les langues où les mots sont transposés, soit par la raison de l'harmonie, soit par le feu de l'imagination, ou par quelqu'autre cause.

Or quand les mots sont transposés, comment puis-je connoître leurs relations ?

Ce sont les différentes terminaisons, ce sont les cas qui m'indiquent ces relations ; & qui lorsque la phrase est finie, me donnent le moyen de rétablir l'ordre des mots, tel qu'il a été nécessairement dans l'esprit de celui qui a parlé lorsqu'il a voulu énoncer sa pensée par des mots ; par exemple :

Frigidus agricolam si quando continet imber.

Virg. Georg. Lib. I. v. 259.

Je ne puis pas douter que lorsque Virgile a fait ce vers, il n'ait joint dans son esprit l'idée de frigidus à celle d'imber ; puisque l'un est le substantif, & l'autre l'adjectif. Or le substantif & l'adjectif sont la chose même ; c'est l'objet considéré comme tel : ainsi l'esprit ne les a point séparés.

Cependant voyez combien ici ces deux mots sont éloignés l'un de l'autre : frigidus commence le vers, & imber le finit.

Les terminaisons font que mon esprit rapproche ces deux mots, & les remet dans l'ordre des vûes de l'esprit, relatives à l'élocution ; car l'esprit ne divise ainsi ses pensées que par la nécessité de l'énonciation.

Comme la terminaison de frigidus me fait rapporter cet adjectif à imber, de même voyant qu'agricolam est à l'accusatif, j'apperçois qu'il ne peut avoir de rapport qu'avec continet : ainsi je range ces mots selon leur ordre successif, par lequel seul ils font un sens, si quando imber frigidus continet domi agricolam. Ce que nous disons ici est encore plus sensible dans ce vers.

Aret ager ; vitio, moriens, sitit, aëris, herba.

Virg. Ecl. vij. v. 57.

Ces mots ainsi séparés de leurs corrélatifs, ne font aucun sens.

Est sec, le champ, vice, mourant, a soif, de l'air, l'herbe, mais les terminaisons m'indiquent les corrélatifs, & dès-lors je trouve le sens. Voilà le vrai usage des cas.

Ager aret, herba moriens sitit prae vitio aeris. Ainsi les cas sont les signes des rapports, & indiquent l'ordre successif, par lequel seul les mots font un sens. Les cas n'indiquent donc le sens que relativement à cet ordre ; & voilà pourquoi les langues, dont la syntaxe suit cet ordre, & ne s'en écarte que par des inversions legeres aisées à appercevoir, & que l'esprit rétablit aisément ; ces langues, dis-je, n'ont point de cas ; ils y seroient inutiles, puisqu'ils ne servent qu'à indiquer un ordre que ces langues suivent ; ce seroit un double emploi. Ainsi si je veux rendre raison d'une phrase françoise ; par exemple de celle-ci, le Roi aime le peuple, je ne dirai pas que le roi est au nominatif, ni que le peuple est à l'accusatif ; je ne vois en l'un ni en l'autre mot qu'une simple dénomination, le Roi, le peuple : mais comme je sai par l'usage l'analogie & la syntaxe de ma langue, la simple position de ces mots me fait connoître leurs rapports & les différentes vûes de l'esprit de celui qui a parlé.

Ainsi je dis 1°. que le Roi paroissant le premier est le sujet de la proposition, qu'il est l'agent, que c'est la personne qui a le sentiment d'aimer.

2°. Que le peuple étant énoncé après le verbe, le peuple est le complément d'aime : je veux dire que aime tout seul ne feroit pas un sens suffisant, l'esprit ne seroit pas satisfait. Il aime : hé quoi ? le peuple. Ces deux mots aime le peuple, font un sens partiel dans la proposition. Ainsi le peuple est le terme du sentiment d'aimer ; c'est l'objet, c'est le patient ; c'est l'objet du sentiment que j'attribue au Roi. Or ces rapports sont indiqués en françois par la place ou position des mots ; & ce même ordre est montré en latin par les terminaisons.

Qu'il me soit permis d'emprunter ici pour un moment le style figuré. Je dirai donc qu'en latin l'harmonie ou le caprice accordent aux mots la liberté de s'écarter de la place que l'intelligence leur avoit d'abord marquée. Mais ils n'ont cette permission qu'à condition qu'après que toute la proposition sera finie, l'esprit de celui qui lit ou qui écoute les remettra par un simple point de vûe dans le même ordre où ils auront été d'abord dans l'esprit de celui qui aura parlé.

Amusons-nous un moment à une fiction. S'il plaisoit à Dieu de faire revivre Cicéron, de nous en donner la connoissance, & que Dieu ne donnât à Cicéron que l'intelligence des mots françois, & nullement celle de notre syntaxe, c'est-à-dire de ce qui fait que nos mots assemblés & rangés dans un certain ordre font un sens ; je dis que si quelqu'un disoit à Cicéron : illustre romain, après votre mort Auguste vainquit Antoine. Cicéron entendroit chacune de ces paroles en particulier, mais il ne connoîtroit pas quel est celui qui a été le vainqueur, ni celui qui a été vaincu ; il auroit besoin de quelques jours d'usage, pour apprendre parmi nous que c'est l'ordre des mots, leur position, & leur place, qui est le signe principal de leurs rapports.

Or, comme en latin il faut que le mot ait la terminaison destinée à sa position, & que sans cette condition la place n'influe en rien pour faire entendre le sens, Augustus vicit Antonius ne veut rien dire en latin. Ainsi Auguste vainquit Antoine, ne formeroit d'abord aucun sens dans l'esprit de Ciceron ; parce que l'ordre successif ou significatif des vûes de l'esprit n'est indiqué en latin que par les cas ou terminaisons des mots : ainsi il est indifférent pour le sens de dire Antonium vicit Augustus, ou Augustus vicit Antonium. Cicéron ne concevroit donc point le sens d'une phrase, dont la syntaxe lui seroit entierement inconnue. Ainsi il n'entendroit rien à Auguste vainquit Antoine ; ce seroit-là pour lui trois mots qui n'auroient aucun signe de rapport. Mais reprenons la suite de nos réflexions sur les cas.

Il y a des langues qui ont plus de six cas, & d'autres qui en ont moins. Le pere Galanus théatin, qui avoit demeuré plusieurs années chez les Arméniens, dit qu'il y a dix cas dans la langue arménienne. Les Arabes n'en ont que trois.

Nous avons dit qu'il y a dans une langue & en chaque déclinaison autant de cas, que de terminaisons différentes dans les noms ; cependant le génitif & le datif de la premiere déclinaison des Latins, sont semblables au singulier. Le datif de la seconde est aussi terminé comme l'ablatif ; il semble donc qu'il ne devroit y avoir que cinq cas en ces déclinaisons. Mais 1°. il est certain que la prononciation de l'a au nominatif de la premiere déclinaison, étoit différente de celle de l'a à l'ablatif : le premier est bref, l'autre est long.

2°. Le génitif fut d'abord terminé en ai, d'où l'on forme ae pour le datif. In primâ declinatione dictum olim mensai, & hinc deinde formatum in dativo mensae. Perizonius in Sanctii Minervâ, L. I. c. vj. n. 4.

3°. Enfin l'analogie demande cette uniformité de six cas dans les cinq déclinaisons, & alors ceux qui ont une terminaison semblable, sont des cas par imitation avec les cas des autres terminaisons, ce qui rend uniforme la raison des constructions : casus sunt non vocis, sed significationis, nec non etiam structurae rationem servamus. Prisc. L. V. de casu.

Les rapports qui ne sont pas indiqués par des cas en grec, en latin, & dans les autres langues qui ont des cas, ces rapports, dis-je, sont suppléés par des prépositions, clam patrem. Teren. Hecy. Act. III. sc. iij. v. 36.

Ces prépositions qui précedent les noms équivalent à des cas pour le sens, puisqu'elles marquent des vûes particulieres de l'esprit ; mais elles ne sont point des cas proprement dits, car l'essence du cas ne consiste que dans la terminaison du nom, destinée à indiquer une telle relation particuliere d'un mot à quelqu'autre mot de la proposition. (F)

CAS IRREDUCTIBLE du troisieme degré, ou simplement CAS IRREDUCTIBLE, en Analyse, c'est celui où une équation du troisieme degré a ses trois racines réelles, inégales & incommensurables. Dans ce cas, si on résout l'équation par la méthode ordinaire, la racine quoique réelle, se présente sous une forme qui renferme des quantités imaginaires, & l'on n'a pû jusqu'à-présent réduire cette expression à une forme réelle, en chassant les imaginaires qu'elle contient. Voyez REEL, IMAGINAIRE, &c. Entrons sur ce sujet dans quelque détail.

Soit x3 + q x + r = 0 une équation du troisieme degré, dans laquelle le second terme est évanoüi. Voyez EVANOUISSEMENT, EQUATION & TRANSFORMATION, &c. Pour la résoudre, je fais x = y + z, & j'ai x3 = y3 + 3 y y z + 3 z y y + z3 = y3 + 3 y z x + z3 ; donc x3 - 3 y z x - y3 = 0.

- z3

Cette équation étant comparée terme à terme avec x3 + q x + r = 0, on aura, 1°. - 3 y z = q, ou z = - q /3 y ; 2°. y3 + z3 = - r, ou y3 + r = q3/2 y y2, ou y6 + r y3 = q3/2 y.

Cette équation, qu'on peut regarder comme du second degré (voyez ABAISSEMENT), étant résolue à la maniere ordinaire (voyez EQUATION), donne y3 = - r/2 + (q3/2 y + r2/4). Donc à cause de z3 = - r - y3, on aura z3 = - r/2 (q3/2 y + r2/4) ; donc x ou y + z = <-r/2+Racine(q3/2y+r2/4)Racine3> + . Telle est la forme de la valeur de x. Cela posé,

1°. Il est évident que si q est positif, r étant positif ou négatif, cette forme est réelle, puisqu'elle ne contient que des quantités réelles. Or dans ce cas, comme on le verra à l'article EQUATION, deux des racines sont imaginaires. Ainsi la seule racine réelle se trouve exprimée par une formule qui ne contient que des quantités réelles. Ce cas ne tombe donc point dans le cas irréductible, & n'a aucune difficulté.

2°. Si q est négatif, & que r2/4 = q3/2 y, alors l'équation a deux racines égales, & il n'y a encore aucune difficulté.

3°. Si q est négatif & r2/4 > q3/2 y, il y a deux racines imaginaires, & la racine réelle se trouve représentée par une formule toute réelle ; ce qui n'a point de difficulté non plus.

4°. Mais si q est négatif & que r2/4 < q3/2 y, alors - q3/2 y + r2/4 est une quantité négative, & par conséquent (- q3/2 y + r2/4) est imaginaire. Ainsi l'expression de x renferme alors des imaginaires.

Cependant on démontre en Algebre, que dans ce cas les trois racines sont réelles & inégales. On peut en voir la preuve à la fin de cet article. Comment donc peut-il se faire que la racine x se présente sous une forme qui contienne des imaginaires ?

M. Nicole a le premier résolu cette difficulté (mém. académ. 1738). Il a fait voir que l'expression de x, quoiqu'elle contienne des imaginaires, est en effet réelle. Pour le prouver, soit (- q/2 y + r2/4) = b -1, & r /2 = a, on aura x = + . Il s'agit de montrer que cette expression, quoiqu'elle renferme des imaginaires, représente une quantité réelle. Pour cela, soit formée suivant les regles données à l'article BINOME, une série qui exprime la valeur de ou 1/3 & celle de 1/3, on trouvera après avoir ajoûté ensemble ces deux séries, que tous les termes imaginaires se détruiront, & qu'il ne restera qu'une suite infinie de termes composés de quantités toutes réelles. Ainsi la valeur de x est en effet réelle. La difficulté est de sommer cette série ; c'est à quoi on n'a pû parvenir jusqu'à-présent. Cependant M. Nicole l'a sommée dans quelques cas particuliers, qu'il a par conséquent soustraits, pour ainsi dire, au cas irréductible. Voyez les mém. académ. 1738, & suiv.

Lorsque l'une des trois équations réelles & inégales est commensurable, alors l'équation n'est plus dans le cas irréductible, parce que l'un des diviseurs du dernier terme donne la racine commensurable. Voyez DIVISEUR & RACINE.

Mais quand l'équation est incommensurable, il faut, pour trouver l'expression réelle de la racine, ou sommer la série susdite, ou dégager de quelqu'autre maniere l'expression trouvée, de la force imaginaire qui la défigure pour ainsi dire. C'est à quoi on travaille inutilement depuis deux cent ans.

Cette racine du cas irréductible, si difficile à trouver par l'Algebre, se trouve aisément par la Géométrie. Voyez CONSTRUCTION. Mais quoiqu'on ait la valeur linéaire, on n'en est pas plus avancé pour son expression algébrique. Voyez INCOMMENSURABLE.

Cet inconvénient du cas irréductible vient de la méthode qu'on a employée jusqu'ici pour résoudre les équations du troisieme degré ; méthode imparfaite, mais la seule qu'on ait pû trouver jusqu'à-présent. Voici en quoi consiste l'imperfection de cette méthode. On suppose x = y + z, y & z étant deux quantités indéterminées ; ensuite on a tout-à-la-fois x3 - 3 y z x - y3 = 0, & x3 + q x + r = 0. On

- z3

compare ces équations terme à terme, & cette comparaison terme à terme enferme une supposition tacite, qui amene la forme irréductible sous laquelle x est exprimée ; à la rigueur on a q x + r = - 3 y z x - y3 - z3 ; voilà la seule conséquence rigoureuse qu'on puisse tirer de la comparaison des deux équations ; mais outre cela on veut encore supposer que la premiere partie de q x + r, c'est-à-dire q x soit égale à - 3 y z x premiere partie du second membre. Cette supposition n'est point absolue ni rigoureusement nécessaire, on ne la fait que pour parvenir plus aisément à trouver la valeur de y & de z, qu'on ne pourroit pas trouver sans cela ; d'ailleurs comme y & z sont l'une & l'autre indéterminées, on peut supposer - 3 y z x = q x & - y3 - z3 = r. Mais cette supposition même fait que les deux quantités y & z, au lieu d'être réelles comme elles devroient, se trouvent chacune imaginaires. Il est vrai qu'en les ajoûtant ensemble, leur somme est réelle ; mais l'imaginaire qui s'y trouve toûjours, & qu'on ne peut en chasser, rend inutile l'expression de x qui s'en tire.

En un mot l'équation x = y + z ne donne à la rigueur que cette équation q x + r = - 3 y z x - y3 - z3 ou q y + q z + r = - 3 y y z - 3 y z z - y3 - z3 & toutes les fois que l'on voudra de cette équation en faire deux autres particulieres, on fera une supposition tacite qui pourra entraîner des inconvéniens impossibles à éviter, comme il arrive ici, où y & z se trouvent forcément imaginaires.

Il faudroit voir si par quelque moyen on ne pourroit pas couper l'équation susdite en deux autres, qui donnassent à y & à z une forme réelle & facile à trouver : mais cette opération paroît devoir être fort difficile, si elle n'est pas impossible.

J'ai fait voir dans les mémoires de l'académie des Sciences de Prusse de 1746, que l'on pouvoit toûjours trouver par la trisection d'un arc de cercle, une quantité c + e - 1, égale à la racine cube de a + b - 1 ; & que si c + e - 1 = , on a = c - e - 1. Voy. IMAGINAIRE. D'où il s'ensuit que dans les cas où un arc de cercle peut être divisé géométriquement, c'est-à-dire par la regle & le compas, en trois parties égales, on peut assigner la valeur algébrique de c & de e : ce qui pourroit fournir des vûes pour résoudre en quelques occasions des équations du troisieme degré qui tomberoient dans le cas irréductible. Voyez le mémoire que j'ai cité.

Quoi qu'il en soit, la racine étant incommensurable dans le cas irréductible, l'expression réelle de cette racine, quand on la trouveroit, n'empêcheroit pas de recourir aux approximations. Nous avons donné à l'article APPROXIMATION la méthode générale pour approcher de la racine d'une équation, & nous y avons indiqué les auteurs qui ont donné des méthodes particulieres d'approximation pour le cas irréductible. Voyez aussi CASCADE.

Puisque nous en sommes sur cette matiere des équations du troisieme degré, nous croyons qu'on ne nous saura pas mauvais gré de faire ici quelques remarques nouvelles qui y ont rapport, & dont nos lecteurs pourront tirer de l'utilité.

On sait que toute équation du troisieme degré a trois racines. Il faudroit donc, pour résoudre d'une maniere complete une équation du troisieme degré, trouver une méthode qui fît trouver à la fois les trois racines, comme on trouve à la fois les deux racines d'une équation du second degré. Jusqu'à ce qu'on ait trouvé cette méthode, il y a bien de l'apparence que la théorie des équations du troisieme degré restera imparfaite : mais la trouvera-t-on, cette méthode ? c'est ce que nous n'osons ni nier ni prédire.

Examinons présentement de plus près la méthode dont on se sert pour trouver les racines d'une équation du troisieme degré. On a d'abord une équation du sixieme degré y6, &c. telle qu'on l'a vûe ci-dessus, & qui a par conséquent six racines, qu'on peut aisément prouver être toutes inégales : on a ensuite une équation du troisieme degré z3 = - y3 - r ; & comme y3 a deux valeurs différentes à cause de l'équation y6 + r y3 ; &c. = 0, & que z est élevé au troisieme degré, il s'ensuit que cette équation doit donner aussi six valeurs différentes de z, trois pour chaque valeur de y3 ; or chacune des six valeurs de z étant combinée avec chacune des six valeurs de y, on aura trente-six valeurs différentes pour z + y ; donc x paroît avoir trente-six valeurs différentes. Cependant l'équation étant du troisieme degré, x ne doit avoir que trois valeurs : comment accorder tout cela ?

Je réponds d'abord que les trente-six valeurs prétendues de y + z doivent se réduire à dix-huit. En effet, il ne faut pas combiner indifféremment chaque valeur de z avec toutes les valeurs de y, mais seulement avec les valeurs de y qui correspondent à la valeur qu'on a supposée à y3. Par exemple, on a y3 = - r/2 + (- q3/2 y + r2/4), d'où l'on tire z3 = - r/2 (- q/2 y + r2/4) ; le signe + qui précede le signe radical dans la valeur de y3, répond au signe - qui précede le signe radical dans la valeur de z3, & le signe - au signe + ; ce qui est évident, puisque z3 = - r - y3 : donc pour chacune des trois valeurs de y qui répondent au signe + placé devant le signe radical, il y a trois valeurs de z qui répondent au signe - placé devant le signe radical : ce qui fait neuf valeurs de y + z ; & en y ajoûtant les neuf autres valeurs pour le cas du signe - placé avant le signe radical dans l'expression de y 3, cela fait 18 au lieu de 36 qu'on auroit eu en combinant indifféremment les signes. Mais ce n'est pas tout.

Quoique chacune des valeurs de y & de z, employées & combinées, comme on vient de le prescrire, paroisse donner une valeur de y + z, il faut encore rejetter celles dans lesquelles le produit z y ne sera pas égal à - q /3 ; car c'est une des conditions de la solution, comme on l'a vû plus haut, que - 3 z y = q ; il est vrai que les dix-huit valeurs de y & z satisfont à la condition que - 27 y3 z3 = q3. Mais cette condition - 27 y3 z3 = q3 est beaucoup plus étendue que la condition - 3 z y = q, quoique d'abord elle paroisse la même. Par exemple, u = b ne donne qu'une valeur de u : mais u3 = b3 donne trois valeurs de u. Pour le prouver, soit u3 - b3 = 0, & divisons par u - b, il viendra u u + b u + b b = 0, ce qui donne u = - b/2 + (- 3 b b/4) ; ainsi u3 = b3 donne u = b, u = b x (- 1/2 + & u = b x (- 1/2 - . Donc quoique dans les dix-huit valeurs de y + z on ait 27 y3 z3 = - q3, il ne faut prendre que celles où 3 y z = - q. Cela posé.

Soient ces quatre équations :

Sont les mêmes que de la seconde.

Racines de la quatrieme.

Sont les mêmes que de la premiere.

Donc, 1°. la combinaison des racines de la troisieme équation avec celles de la quatrieme, donnera le même résultat que celle des racines des deux premieres.

2°. Il ne faudra combiner ensemble que les valeurs de y & de z, & dont le produit sera = - q/3, c'est-à-dire a a + b b ; car a + b - 1 étant = à & a - b - 1 = , on aura a a + b b = = - q/3. D'où il s'ensuit,

3°. Qu'il faudra combiner la racine marquée (1) avec la racine marquée (4), ce qui donnera y = 2 a.

4°. Qu'il faudra combiner la racine marquée (2) avec la racine marquée (6), ce qui donnera - a + b 3.

5°. Qu'il faudra combiner la racine marquée (3) avec la racine marquée (5), ce qui donnera - a b 3.

Voilà les trois racines de l'équation ; & il est visible, par les regles que nous avons établies, que toutes les autres valeurs de y + z donneroient des expressions fausses de la racine x, & que toutes les trois racines sont ici réelles.

On peut trouver aisément par la même méthode les trois valeurs de x dans tout autre cas que le cas irréductible. Par exemple, si q est positif, ou si q est négatif & < ou = r2/4, alors il faudra supposer = a + b, &

= a - b ; & l'on trouvera en ce cas une racine réelle & deux imaginaires, ou une racine réelle & deux autres réelles, égales entr'elles. C'est ce qu'il est inutile d'expliquer plus en détail : il ne faut pour s'en convaincre, que faire un calcul semblable à celui que nous avons fait pour trouver les trois racines dans le cas irréductible. (O)

CAS, en terme de Palais, se dit de certaines natures d'affaires, de délits, ou de crimes. Ainsi les cas royaux sont ceux dont les seuls juges royaux connoissent : tels sont en matiere criminelle la fausse monnoie, le rapt, le port d'armes, la sédition, l'infraction de sauve-garde, & quelques autres. Pour le crime de lése-majesté, qui est aussi un des cas royaux, la connoissance en appartient exclusivement au parlement, du-moins au premier chef. En matiere civile, le possessoire des bénéfices, les causes du domaine du Roi, les procès concernant les églises de fondation royale, & en général tous les délits où le Roi a quelque intérêt en sa qualité de Roi, voyez ROYAL ; voyez aussi la conférence des nouvelles ordonnances au titre j. des matieres criminelles, où plusieurs autres cas royaux sont rapportés.

Il y a aussi des cas qu'on appelle prevôtaux, d'autres qu'on appelle cas privilégiés. Voyez PREVOTAL & PRIVILEGIE.

Il y en a enfin qu'on appelle ecclésiastiques, parce que les seuls juges d'église en peuvent connoître. (H)

* CAS DE CONSCIENCE, (Morale) Qu'est-ce qu'un cas de conscience ? c'est une question relative aux devoirs de l'homme & du chrétien, dont il appartient au théologien, appellé casuiste, de peser la nature & les circonstances, & de décider selon la lumiere de la raison, les lois de la société, les canons de l'Eglise, & les maximes de l'Evangile ; quatre grandes autorités qui ne peuvent jamais être en contradiction. Voyez CASUISTE.

Nous sommes chrétiens par la croyance des vérités révélées, & par la pratique des maximes évangéliques. Nous faisons à Dieu le sacrifice de notre raison par la foi, & nous lui faisons le sacrifice de nos penchans par la mortification : ces deux branches de l'abnégation de soi-même sont également essentielles au salut : mais l'infraction n'en est peut-être pas également funeste à la société ; & c'est une chose encore à savoir, si ceux qui attaquent les dogmes d'une religion, sont aussi mauvais citoyens que ceux qui en corrompent la Morale.

Il semble au premier coup d'oeil que le poison des corrupteurs de la morale, soit fait pour plus de monde que celui des impies. La dépravation des moeurs est un effet direct de celle des principes moraux ; au lieu qu'elle n'est qu'une suite moins prochaine de l'irréligion ; mais suite toutefois presqu'infaillible, ainsi qu'un de nos plus grands orateurs, le P. Bourdaloue, l'a bien démontré. L'incrédule est d'ailleurs quelquefois un homme, qui las de chercher inutilement dans les sources communes & les conversations ordinaires, le rayon de lumiere qui devoit rompre l'écaille de ses yeux, s'est adressé au public, en a reçû les éclaircissemens dont il avoit besoin, a abjuré son erreur, & a évité le plus grand de tous les malheurs, la mort dans l'impénitence : c'est un homme qui s'est exposé à nuire à beaucoup d'autres, pour guérir du mal dont il étoit attaqué. Voyez l'article CERTITUDE. Mais celui qui défigure la morale tend à rendre les autres méchans, sans espérance d'en devenir lui-même meilleur.

Au reste, quel que soit le parti qu'on prenne dans cette question, l'équité veut qu'on distingue bien la personne de l'opinion, & l'auteur de l'ouvrage : car c'est bien ici qu'on a la preuve complete que les moeurs & les écrits sont deux choses différentes. La foule des casuistes que Paschal a convaincus de relâchement dans les principes, en offre à peine un seul qu'on puisse accuser de relâchement dans la conduite : tous ne semblent avoir été indulgens que pour les autres : c'est au pié du crucifix, où l'on dit qu'il restoit prosterné des jours entiers, qu'un des plus fameux d'entr'eux résolvoit en latin ces combinaisons de débauches si singulieres, qu'il n'est guere possible d'en parler honnêtement en françois, un autre passe pour l'avoir disputé aux peres du desert par l'austérité de sa vie. Mais nous ne nous étendrons pas davantage sur les moeurs des casuistes : c'est bien assez d'avoir montré qu'elles n'avoient rien de commun avec leurs maximes.

CAS RESERVES, dans la Discipline ecclésiastique, sont certains péchés atroces dont les supérieurs ecclésiastiques se réservent l'absolution à eux-mêmes, ou à leurs vicaires généraux. Il y a quelques cas réservés au pape, suivant un ancien usage ou consentement des églises : autrefois il falloit aller à Rome pour en être absous ; à présent le pape en donne le pouvoir par des facultés particulieres, aux évêques & quelques prêtres.

Les cas réservés au pape, suivant le rituel de Paris, sont 1°. l'incendie des églises & celle des lieux profanes, si l'incendiaire est dénoncé publiquement ; 2°. la simonie réelle dans les ordres & les bénéfices, & la confidence publique : 3°. le meurtre ou la mutilation de celui qui a les ordres sacrés ; 4°. frapper un évêque ou un autre prélat ; 5°. fournir des armes aux infideles ; 6°. falsifier les bulles ou lettres du pape ; 7°. envahir ou piller les terres de l'Eglise romaine ; 8°. violer l'interdit du saint siége.

Les cas réservés à l'évêque sont 1°. frapper notablement un religieux ou un clerc in sacris ; 2°. l'incendie volontaire ; 3°. le vol dans un lieu sacré avec effraction, 4°. l'homicide volontaire ; 5°. le duel ; 6°. machiner la mort de son mari ou de sa femme ; 7°. procurer l'avortement ; 8°. frapper son pere ou sa mere ; 9°. le sortilege ou empoisonnement, & la divination ; 10°. la profanation de l'eucharistie ou des saintes huiles ; 11°. l'effusion violente de sang dans l'église ; 12°. la fornication dans l'église ; 13°. abuser d'une religieuse ; 14°. le crime du confesseur avec sa pénitente ; 15°. le rapt ; 16°. l'inceste au deuxieme degré ; 17°. la sodomie, & autres péchés semblables ; 18°. le larcin sacrilege ; 19°. le crime de faux, faux témoignage, fausse monnoie, falsification de lettres ecclésiastiques ; 20°. simonie & confidence cachée ; 21°. supposition de titre ou de personne à l'examen pour la promotion aux ordres.

Les réservations sont différentes suivant l'usage des diocèses, & elles sont fort utiles pour donner plus d'horreur des grands crimes, par la difficulté d'en recevoir l'absolution. Le prêtre pénitencier est établi principalement pour absoudre de ces cas : mais à l'article de la mort il n'y a ni réservation de cas, ni distinction de confesseur ; tout prêtre peut absoudre celui qui se trouve en cet état, pourvû qu'il ait donné quelque signe de pénitence. Fleury, Instit. au Droit ecclés. tome I. part. 2. chap. jv. pag. 288. & suiv.

Il y a aussi dans les couvens des cas réservés par les chapitres, dont il n'y a que les supérieurs qui ayent droit d'absoudre. (G)


CASAL(Géog.) ville forte d'Italie, capitale du Montferrat, avec une citadelle. Elle est sur le Pô. Long. 26. 4. lat. 45. 7.

CASAL-MAGGIORE, petite ville forte d'Italie située sur le Pô, au duché de Milan. Long. 27. 50. lat. 45. 6.


CASALE-NUOVO(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans le pays d'Otrante.

CASALE-PUSTURLENGO, (Géog.) petite ville d'Italie dans le duché de Milan, au territoire de Lodi.


CASALMACH(Géog.) grande riviere d'Asie dans la Natolie, qui se jette dans la mer Noire.


CASAMANCE(Géog.) riviere d'Afrique au royaume de Mandiga.


CASAN(Géog.) ville considérable d'Asie, capitale du royaume du même nom, dans l'empire Russien, avec un château fort. Elle est sur le Casanka. Sa long. est 69. lat. 55. 38.

Le royaume de Casan est fertile en fruits, grains, & légumes ; il s'y fait grand commerce de pelletteries & de construire les vaisseaux.


CASANGAS(Géog.) nation d'Afrique dans la Nigritie, auprès de la riviere de Casamance.


CASAQUES. f. (Hist. mod.) espece de sur-tout ou d'habit long de dessus qui se porte sur les autres habits, qui est sur-tout en usage en Angleterre parmi les ecclésiastiques, & que les laïques portoient aussi autrefois.

Ce mot signifie habit de cavalier : d'autres le font venir par corruption d'un habillement des Cosaques : Covarruvias le fait venir de l'Hébreu casach, qui signifie couvrir ; d'où a été tiré le Latin casa, cabane, & casula, diminutif du premier. Enfin il y en a qui veulent que ce mot, ainsi que la chose qu'il signifie vienne de caracalla, espece d'habit de dessus qui pendoit jusqu'aux talons. (G)


CASASAville & port d'Afrique en Barbarie, dans la province de Garet.


CASAUBON(Géog.) petite ville de France dans la province d'Armagnac, sur la riviere de Douze.


CASAVA(Commerce) monnoie des Indes que l'on écrit & que l'on prononce gasava. Voyez GASAVA.


CASBA(Géog.) ville d'Afrique au royaume de Tunis.


CASBIou CASWIN, grande ville de Perse dans l'Irac proche de la montagne d'Elwend. Long. 67. 35. lat. 36. 30.


CASCADES. f. (Hydraul. des Jard.) est une chûte d'eau qui tombe d'un lieu élevé dans un plus bas.

On en distingue de deux sortes ; la cascade naturelle, & l'artificielle.

La naturelle, occasionnée par l'inégalité du terrein, se nomme cataracte : telle est la cascade de Tivoli, de Terni, de Schaffhouse, &c.

L'artificielle, dûe à la main des hommes, tombe en nappes, comme la riviere de Marly ; en goulettes, comme on en voit dans les bosquets de S. Cloud ; en rampe douce, comme celle de Sceaux ; en buffets, comme à Trianon & Versailles ; ou par chûtes des perrons, comme la grande cascade de S. Cloud.

On dit encore grande & petite cascade, qui se placent dans une niche de charmille ou de treillage, soit dans le milieu d'un fer à cheval, soit à la tête d'une piece d'eau. (K)

Méthodes des cascades, (Algebre) est le nom que M. Rolle, géometre de l'Académie des Sciences, a donné autrefois à une méthode qu'il avoit imaginée pour résoudre les équations. Il la publia en 1699 dans son traité d'Algebre. Par cette méthode on approche toûjours de la valeur de l'inconnue, par des équations successives qui vont toûjours en baissant ou en tombant d'un degré, & de-là est venu le nom de cascades. Voyez EQUATION.

On trouve dans l'Analyse démontrée du P. Reyneau, liv. VI. une méthode par laquelle on approche des racines d'une équation, en résolvant des équations qui vont toûjours en baissant d'un degré ; & cette méthode paroît avoir beaucoup de rapport à celle de M. Rolle. En voici l'idée. Soit, par exemple, une équation du troisieme degré x3 - p x2 + q x + r = 0 dont les trois racines soient réelles & positives a, b, c, a étant la plus petite, & c la plus grande ; soit multipliée cette équation par les termes d'une progression arithmétique 3, 2, 1, 0 ; elle deviendra l'équation du second degré 3 x2 - 2 p x + q = 0, dont les deux racines sont réelles, & sont telles que la plus petite est entre a & b, & la plus grande entre b & c : ainsi cherchant les deux racines de cette équation du second degré, on aura les limites entre lesquelles b est renfermé ; & on pourra trouver ensuite cette racine b par approximation : la racine b étant trouvée, on connoîtra les autres a, c.

Pour démontrer cette méthode, soit x3 - p x2 + q x + r = y, l'équation d'une courbe de genre parabolique. Voy. ce mot. L'équation 3 x2 - 2 p x + q = 0, sera l'équation des points qui donneront les maxima de y. Voyez MAXIMUM. Et ces points, comme il est aisé de le voir, seront situés de maniere qu'ils seront l'un d'un côté, l'autre de l'autre côté du point qui donnera la racine moyenne de l'équation x3 - p x2 + q x + r = 0, c'est-à-dire du second point où la courbe coupera son axe. Voyez RACINE ; voyez aussi dans les Mém. acad. 1741. deux Mémoires de M. l'abbé de Gua sur le nombre des racines, où il fait usage des courbes de genre parabolique.

En voilà assez pour faire sentir comment on parvient à trouver au-moins par approximation les racines d'une équation, en changeant cette équation en une autre d'un degré inférieur. On trouve dans le livre VI. du P. Reyneau, tout le détail de cette méthode, qui est extrèmement pénible, peu commode, & très-imparfaite dans la pratique, sur-tout lorsqu'il y a des racines imaginaires. Voyez LIMITES. (O)


CASCAES(Géog.) petite ville du royaume de Portugal, à l'embouchure du Tage, avec une bonne rade.


CASCANESS. f. en termes de Fortification, sont des trous ou cavités en forme de puits que l'on fait dans le terre-plein, près du rempart, & d'où l'on pousse une galerie soûterraine, pour découvrir & éventer, ou couper la mine des ennemis. Ce terme n'est plus guere d'usage à présent ; on se sert plûtôt de celui de puits ou d'écoutes. Voyez PUITS & ECOUTES. (Q)


CASCARILLou CHACRIL, cascarilla ou chakarilla (Hist. nat. bot.) Nous n'avons rien de mieux sur cette production naturelle, que ce que M. Boulduc en a donné à l'académie des Sciences, année 1709.

La cascarille ou le chacril, dit M. Boulduc, est une écorce assez ligneuse, épaisse depuis une ligne jusqu'à une ligne & demie, de la couleur à-peu-près du quinquina ordinaire, d'un brun pâle, moins compacte, & plus friable, d'un goût amer, un peu styptique, piquant la langue avec assez d'acrimonie, & laissant à la fin une impression d'amertume mêlée de quelque chose d'aromatique. Cette écorce est couverte d'une pellicule blanchâtre, mince, insipide, ridée, & sillonnée legerement & en divers sens. C'est, ajoûte M. Boulduc, l'écorce d'une plante du Pérou, qu'on ne connoit point encore.

Sa ressemblance avec le quinquina dont on distingue six especes, la fait compter pour la septieme ; cependant la cascarille est plus amere que le quinquina : elle est aussi plus acre & plus brûlante ; mais l'amertume du quinquina est plus désagréable & plus styptique.

La cascarille brûlée donne encore une odeur aromatique agréable, que n'a point le quinquina. Allumée à la bougie, elle jette une fumée épaisse, beaucoup de fuliginosité, & pour résidu un charbon raréfié, semblable à celui des résines brûlées ; ce qui désigne plus de résine que le quinquina n'en contient en pareil volume. Elle donne par l'esprit-de-vin plus d'extrait résineux qu'aucun végétal connu. Cet extrait est amer, piquant, aromatique, & d'une couleur de pourpre. Lorsque le quinquina étoit rare en France, on lui substituoit quelquefois avec succès la cascarille dans les fievres intermittentes. M. Boulduc dit qu'elle a cet avantage sur le quinquina, qu'elle agit autant en plus petite dose, & n'a pas besoin d'être continuée si long-tems.

Apemis, medecin & professeur à Astorf, en a employé la teinture dans les fievres épidémiques & catarrheuses, & la substance dans les fievres ordinaires. L'illustre Stahl en a étendu l'usage aux pleurésies, aux péripneumonies, & aux toux connues sous le nom de quintes. M. Boulduc en a éprouvé la vertu dans les coliques venteuses & les affections hystériques & hypochondriaques appellées vapeurs.

S'il ne s'agit que de subtiliser les liqueurs, la teinture suffit ; s'il faut de plus rétablir le ressort, il faut la substance. La substance réussit aussi pour les hémorroïdes internes qui ont peine à fluer, pourvû que le malade soit un peu replet. La cascarille fit très-bien dans les dyssenteries de 1719, soit qu'il y eût, soit qu'il n'y eût point de fievre ; l'ipecacuanha y perdit sa réputation : mais il n'y a rien à conclure de-là ; car d'une année à une autre, les maladies de même nom sont très-différentes.

M. Boulduc attribue à la cascarille la propriété de fortifier l'estomac, que l'ipecacuanha débilite. Ce remede pourroit bien réunir les vertus de ces deux compatriotes, le quinquina & l'ipecacuanha, & les porter chacune plus loin que l'un & l'autre.


CASCHGAR(LE ROYAUME DE) autrement petite Boucharie, pays d'Asie dans la Tartarie, borné au nord par le pays des Calmouks, dont il dépend ; à l'orient, par le Tibet ; au sud, par le Mogol ; à l'occident, par la grande Boucharie. Il a environ 160 lieues de long sur 100 de large. Il est fertile & peuplé. On y trouve du musc, des mines d'or, d'argent, & des pierres précieuses. Yarkan ou Yrken en est la capitale.

CASCHGAR, ville du royaume du même nom.


CASCIA(Géog.) petite ville d'Italie en Ombrie, dans l'état de l'Eglise, vers les frontieres du royaume de Naples. A deux milles de cette ville, il y en a une autre nommée Civita di Cascia, près du Corno.


CASou CASSE d'Imprimerie, est une espece de table en deux parties, formant ensemble un quarré de deux piés neuf à dix pouces de long sur deux piés cinq à six pouces de large. Chaque partie est entourée & traversée dans sa largeur de tringles de bois de dix à douze lignes de large, sur un pouce & demi de hauteur, qui sont entaillées à certaines distances pour recevoir les extrémités de petites reglettes de bois environ de deux lignes d'épaisseur, & un peu moins hautes que les tringles ; lesquelles en se traversant, forment sur le fond de la table nombre de cassetins ou compartimens, qui servent à placer les différentes lettres dont une fonte doit être assortie. La partie inférieure appellée bas de casse, est partagée en cinquante-quatre cassetins de différente grandeur, destinés pour les voyelles & consonnes minuscules, les espaces, les quadrats, les quadratins, &c. La partie supérieure, qu'on appelle haut de casse, est divisée en 98 cassetins tous égaux, 49 de chaque côté, destinés pour les capitales ou majuscules, les petites capitales, les lettres accentuées, quelques lettres doubles, &c. Quand on dresse une casse pour y travailler, on la pose sur deux treteaux, beaucoup plus élevés sur leurs piés de derriere que sur ceux de devant ; ce qui fait que la partie la plus basse, qui contient les lettres les plus courantes, est la plus proche du compositeur ; & la partie la plus éloignée est la plus haute, & est celle qui renferme les lettres les moins fréquentes dans le discours, comme les capitales, les lettres accentuées, & lettres doubles. Voy. la fig. 1. Pl. III. de l'Imprimerie, qui représente une case françoise, dans laquelle les lettres sont placées, comme il est d'usage à Paris de les disposer. La fig. 2. de la même Planche représente les casseaux de romaines A B D E, & d'italiques B C F E, qui sont toûjours placés à côté l'un de l'autre sur la table inclinée D E F d, portées par les quatre piliers K, K, K, K, assemblés les uns avec les autres par le moyen de plusieurs traverses, sur lesquelles pose la planche G H, qui sert au compositeur à mettre la galée & les pages déjà composées, & autres choses qui peuvent l'embarrasser sur la casse.

La casse italique ne differe point de la romaine par la disposition des lettres.

CASE ou CASSE, en terme d'Orfèvre, n'est autre chose qu'une plaque de fer quarrée de fonte, de dix à douze pouces de diametre. Elle est concave dans le milieu, afin que l'or ou l'argent venant à se fondre quand on les fait recuire, puissent se rassembler dans cette fossette. En ajoûtant la serre-feu à la case, on en fait un fourneau commode pour fondre les petites parties du métal.

L'usage principal de la case est de recuire les pieces d'Orfévrerie.

CASE, au Trictrac, se dit de deux dames posées sur la même ligne ou fleche où l'on joue. Voy. TRICTRAC. S'il n'y a qu'une dame sur la fleche, elle fait la demi- case.

On appelle case du diable, celle de la seconde fleche du gran-jan : on ne lui donne guere ce nom que quand c'est la seule qui soit à faire, parce qu'il ne reste alors dans le petit-jan que cinq dames, & que tous les coups que l'on joue sans remplir, avancent ces dames, les font même passer, & mettent dans le cas ou de ne point faire son plein, ou de ne pas tenir long-tems.


CASENTINO(Géog.) petit pays d'Italie, au grand duché de Toscane dans le Florentin, près de la source de l'Arne.


CASERv. n. au Trictrac, c'est accoupler deux dames, ou les placer sur la même fleche.


CASERIES. f. (Commerce) M. Savary dit, dans son dictionnaire du commerce, que les Arabes de la Terre-Sainte nomment ainsi, ce qu'on appelle ailleurs des chans ou caravanseras ; & qu'il y a à Rama deux caseries, ou grand enclos de murailles, au-dedans desquelles on trouve des magasins pour les marchandises, & des écuries pour les chameaux. Voyez CHAN ; voyez CARAVANSERAI.


CASERTA(Géog.) petite ville d'Italie avec titre de duché, dans la terre de Labour, au pié du mont Caserta. Long. 31. 58. lat. 41. 5.


CASHS. m. (Commerce) espece de petite monnoie de cuivre, usitée au royaume de Tunquin en Asie, & la seule qui se fasse dans ce pays ; encore n'est-il point décidé qu'on ne la tire point de la Chine. Sa valeur varie ; elle est tantôt haute & tantôt basse, suivant la quantité qui s'en trouve dans le commerce. Mille cashs peuvent revenir à cinq livres de notre argent.


CASHEou CASSEL, (Géog.) ville d'Irlande au comté de Tipperary. Long. 9. 52. lat. 52. 36.


CASIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur sans pétale, composée de quelques étamines, soûtenues par un calice découpé pour l'ordinaire en trois parties. Cette fleur est stérile. Les fruits sont produits par des especes de ce genre, qui ne portent point de fleurs : ce sont des baies, le plus souvent de figure sphérique, qui renferment un noyau dans lequel il y a une amande de même forme. Tournefort, Inst. rei herb. corol. Voyez PLANTE. (I)


CASILIRMAR(Géog.) riviere d'Asie en Natolie, qui prend sa source dans la province de Chiangare, & va se perdre dans l'Euphrate.


CASILLEUXadj. Les Vitriers appellent le verre casilleux, lorsqu'il se casse en plusieurs endroits, en y appliquant le diamant pour le couper. Cela arrive, disent-ils, à cause qu'il n'a pas eu assez de recuit au fourneau, c'est-à-dire qu'on l'a retiré trop tôt. Celui qui est bien recuit se coupe facilement, & est tendre au diamant.


CASIMAMBOUS(Géog.) peuple ou tribu d'Afrique dans l'île de Madagascar, dans la province de Matatane.


CASIMIR(Géog.) petite ville en Starostie dans la petite Pologne, au palatinat de Lublin, sur la Vistule. Il y a encore une ville du même nom dans la grande Pologne, au palatinat de Posnanie.


CASIUS(Myth.) Jupiter fut ainsi appellé des montagnes de ce nom sur lesquelles il étoit honoré. Il y en avoit une à l'entrée de l'Egypte ; une autre en Syrie. Ce Jupiter étoit représenté sous la forme d'un rocher escarpé, avec un aigle à côté.


CASLEUS. m. (Hist. anc.) neuvieme mois de l'année sainte des Hébreux, & le troisieme suivant l'ordre civil & politique. Il répond à-peu-près à notre mois de Novembre, & à trente jours pleins. V. AN.

Le septieme jour de casleu, les Juifs font un grand jeûne en mémoire de ce que le roi Joachim perça d'un canif le livre des prophéties de Jérémie, & les jetta sur du charbon allumé dans un réchaud. Le quinzieme du même mois, ils s'affligent devant le Seigneur, à cause qu'à pareil jour Antiochus Epiphanes profana le temple de Jérusalem, & y plaça une statue de Jupiter Olympien. Le vingt-cinquieme de casleu, Judas Macchabée purifia le temple, & en fit de nouveau la dédicace, en mémoire de laquelle les Juifs célébroient tous les ans une fête solemnelle nommées encénies. Voyez ENCENIES & DEDICACE.

On dit aussi que le trentieme de ce mois Néhémie offrit un sacrifice solemnel, & répandit sur l'hostie de l'eau boüeuse qui avoit été trouvée au lieu où l'on avoit auparavant trouvé le feu sacré, & que Dieu fit descendre une flamme du ciel qui alluma le feu sur l'autel. Dictionnaire de la bible, tome I. page 388. (G)


CASLONApetite ville d'Espagne dans l'Andalousie, près du Guadalquivir.


CASMINARou CASSUMMUNIAR, (Hist. nat. bot.) on la nomme aussi rysagon. C'est une racine qui croît aux Indes orientales ; elle est de la grosseur du pouce, raboteuse, coupée en-travers ; elle montre des noeuds qui forment des especes de cercles ; sa couleur extérieure est brune, en dedans elle est jaunâtre ; son goût est amer, son odeur est aromatique & fort pénétrante. Suivant M. Dale, elle a beaucoup de rapport avec la racine du zédoar. On lui attribue la vertu de fortifier les nerfs ; on en tire une teinture avec de l'esprit-de-vin, qu'on dit être un excellent anti-apoplectique & un bon remede contre la paralysie, le tremblement des nerfs, & la passion hystérique : on prétend qu'elle peut aussi servir de correctif au quinquina.


CASOAou CASUEL, s. m. (Hist. nat. Ornith.) oiseau des Indes ; qui est aussi appellé émeu & emé, par les naturels du pays. Voyez Plan. IX. fig. 3. on n'avoit point vû de casoar en Europe avant l'an 1597, & aucun auteur n'en avoit fait mention. Les Hollandois au retour de leur premier voyage, en rapporterent un qui leur avoit été donné comme une chose rare, par un prince de l'île de Java. Le gouverneur de Madagascar en acheta un des marchands qui retournoient des Indes, & il l'envoya à la ménagerie de Versailles en 1671. Cet oiseau y vécut quatre ans ; sa description est dans les mém. de l'académie royale des Sciences, tome III. part. II.

Il avoit cinq piés & demi de longueur depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des ongles ; la longueur des jambes étoit de deux piés & demi depuis le ventre jusqu'au bout des ongles. La tête & le cou avoient ensemble un pié & demi ; le plus grand des doigts compris l'ongle avoit cinq pouces de longueur, & l'ongle seul du petit doigt trois pouces & demi. L'aîle étoit si petite, que les plumes du dos la cachoient : toutes les plumes ressembloient fort à du poil, parce que leurs barbes étoient dures, pointues, & clair-semées. Cet oiseau n'avoit pas comme ceux qui volent, des plumes de deux sortes, dont les unes servent au vol, & les autres ne sont que pour couvrir le corps ; il n'en avoit que de celles-ci ; elles étoient doubles pour la plûpart ; elles avoient deux longues tiges qui sortoient d'un même tuyau fort court attaché à la peau ; leur longueur étoit inégale ; quelques-unes de celles du croupion avoient jusqu'à quatorze pouces : ou a trouvé de ces plumes doubles dans un aigle & dans un perroquet. Voyez AIGLE, PERROQUET. Mais celles du casoar avoient encore d'autres particularités ; les barbes qui garnissoient la tige, étoient depuis environ la moitié jusqu'à l'extrémité fort longues, & grosses comme du crin de cheval, sans jetter aucunes fibres ; sa tige est plate, noire, luisante, & par noeuds en-dessous ; il sort de chaque noeud une barbe : enfin les barbes du bout des grandes plumes étoient parfaitement noires, & vers la racine, elles étoient de couleur de gris tanné, plus courtes, plus molles, & jettant de petites fibres comme du duvet ; il n'y avoit que la partie composée de barbes dures & noires qui parût ; l'autre partie composée de duvet en étant recouverte, les plumes du cou & de la tête étoient si courtes & si clair-semées, que la peau paroissoit à découvert, excepté vers le derriere de la tête, où elles étoient plus longues ; le croupion étoit extraordinairement gros ; les plumes dont il étoit garni ne différoient des autres qu'en ce qu'elles étoient plus longues.

Les aîles dépouillées de leurs plumes n'avoient pas trois pouces de longueur : il y avoit au bout cinq piquans de différentes longueur & grosseur, courbés en arc suivant la figure du corps. Ils étoient creux depuis la racine jusqu'à la pointe, & remplis d'une moëlle à-peu-près semblable à celle qui se trouve dans les plumes naissantes des autres oiseaux. Ces piquans étoient de longueur différente, selon la disposition & la proportion des doigts de la main ; le plus long avoit onze pouces de longueur, & trois lignes de diametre vers la racine ; ils étoient tous d'un noir fort luisant ; il n'y a aucune apparence que les ailes du casoar lui aident à marcher : il pourroit plûtôt s'en servir pour frapper comme avec des houssines.

La tête paroissoit petite, parce qu'elle n'étoit pas garnie de plumes ; il y avoit au-dessus une crête haute de trois pouces comme celle d'un casque ; cependant cette crête ne couvroit pas tout le dessus de la tête ; car elle ne commençoit qu'un peu au-delà du milieu du sommet, & finissoit au commencement du bec ; le devant de cette crête étoit noirâtre, & le derriere & les côtés de couleur de cire ; partout elle étoit polie & luisante ; le haut étoit mince, n'ayant pas plus de trois lignes, & la base avoit un pouce ; sa substance étoit fort dure, & de la nature de la corne, étant composée de plusieurs lames comme la corne des boeufs. Clusius & Bontius disent que cette crête tombe dans la mue : cependant c'est une partie du crane, & elle n'est point tombée pendant quatre ans que l'oiseau a été à Versailles. La partie supérieure du bec étoit fort dure par ses deux bords & par le dessus ; les entre-deux de chaque côté n'étant garnis que d'une membrane, dans laquelle étoient les trous des narines tout auprès de l'extrémité du bec, qui étoit refendue en trois comme un coq indien. Le bout de la partie inférieure étoit aussi partagé en trois, & legerement dentelé ; tout le bec étoit d'un gris brun, à l'exception d'une marque verte qui étoit de chaque côté de la partie inférieure du bec, environ vers le milieu de l'oeil. Il y avoit une paupiere interne qui se cachoit vers le grand angle : la paupiere inférieure étoit la plus grande ; on y voyoit quantité de poils noirs. Il se trouvoit au bas de la paupiere supérieure un rang de petits poils, & au-dessus un autre rang de poils noirs qui s'élevoient en forme de sourcil ; le trou de l'oreille étoit fort grand, & environné seulement de petites plumes noires ; les deux côtés de la tête autour de l'oeil & de l'oreille, étoient de couleur bleue, excepté le milieu de la paupiere inférieure qui étoit blanc.

Le cou étoit de couleur violette, tirant sur la couleur d'ardoise ; il y avoit aussi du rouge par-derriere en plusieurs endroits, principalement vers le milieu ; ces endroits rouges étoient plus relevés que le reste par des rides dont le cou étoit entre-coupé obliquement. Vers le milieu du cou par-devant ; il y avoit à la naissance des grandes plumes deux appendices formées par la peau, rouges, semblables à celles qui pendent à la partie inférieure du bec des poules, longues d'un pouce & demi, larges de neuf lignes, arrondies par le bout, & de couleur en partie rouge, & en partie bleue.

La peau qui couvre le devant du sternum étoit dure, calleuse, & sans plumes, parce que l'oiseau s'appuie sur cette partie lorsqu'il se repose.

Les cuisses & les jambes étoient couvertes de plumes, la partie qui tient lieu de tarse & métatarse, étoit extraordinairement grosse, forte, droite, & couverte d'écailles de diverses figures ; il n'y avoit que trois doigts ; ils étoient aussi couverts d'écailles ; celui de derriere manquoit ; les ongles étoient d'une substance dure & solide, noire en-dehors, & blanche en-dedans. Mém. pour servir à l'histoire des animaux, seconde partie. Voyez OISEAU. (I)


CASPE(Géog.) ville ou bourg d'Espagne au royaume d'Aragon, au confluent de l'Ebre & de la Guadeloupe.


CASPIA(Géog.) petite riviere de Lithuanie, qui prend sa source dans la principauté de Smolensko, & va se jetter dans la Duna.


CASPIENNE(la mer) Géog. grande mer d'Asie, entre la Tartarie, le royaume de Perse, la Géorgie, & la Moscovie. Elle n'a point de communication visible avec les autres mers ; on lui en croit une cependant avec le golfe persique. La navigation y est dangereuse ; sa longueur est du nord au sud suivant les observations faites par ordre du czar Pierre le grand. Elle est entre les 37 & 47 degrés de latitude, & entre les 67 & 73 degrés de longitude. Ses eaux sont plus salées vers le milieu que vers les côtes.

CASPIENS, (monts) chaîne de montagnes qui s'étendent du nord au sud, entre l'Arménie & la mer Caspienne.

CASPIENS, (Géog.) anciens peuples de Scythie, voisins de l'Hircanie, qui ont donné leur nom à la mer Caspienne. Strabon rapporte que ces barbares avoient coûtume de renfermer dans un lieu étroit, & d'y laisser mourir de faim leurs peres & meres, quand ils avoient atteint l'âge de soixante & soixante-dix ans.


CASQUou HEAUME, s. m. (Art milit.) arme défensive pour couvrir la tête & le cou.

Le mot casque vient de cassicum ou cassicus, diminutif de cassis.

Le casque avoit une visiere faite de petites grilles ; elle se baissoit durant le combat, & se relevoit pour prendre l'air en rentrant sous le front du casque. Cette armure étoit pesante, & devoit être forte pour être à l'épreuve de la hache d'armes & de la massue. Le casque étoit assez profond, & s'étrécissoit en s'arrondissant par en-haut, ayant presque la figure d'un cone. Il avoit une mentonniere dans laquelle entroit la visiere quand elle étoit baissée, & au-dessus comme un collet de fer qui descendoit jusqu'au défaut des épaules. Il étoit séparé du casque, & s'y joignoit par le moyen d'un collier de métal.

Le Gendre a remarqué qu'autrefois en France les gendarmes portoient tous le casque. Le roi le portoit doré ; les ducs & les comtes argentés ; les gentilshommes d'ancienne race le portoient d'un acier poli, & les autres de fer simplement.

On trouve des casques sur les anciennes médailles, & l'on y reconnoît leurs différentes façons à la Greque & à la Romaine. C'est le plus ancien habillement de tête qui paroisse sur les médailles & le plus universel : C'est par-là que les rois & les dieux mêmes se distinguoient. Celui qui couvre la tête de la figure de Rome, est garni de deux ailes comme celui de Mercure : celui de quelques rois est paré des cornes de Jupiter Ammon, ou simplement de taureau & de bélier, pour marquer une force extraordinaire. Voyez le P. Jobert, science des médailles.

Le casque est un ornement & une marque de noblesse & de fiefs nobles ; il en fait voir les différens degrés selon sa nature & sa situation, à plus ou moins de vûes sur les écus. Les rois & les empereurs le portent tout d'or, broché, brodé & damasquiné, tarré de front, la visiere entierement ouverte, sans aucune grille ni barreaux.

Les princes, ducs & souverains, le portent d'or, & tarré de front, sans visiere, mais un peu moins ouvert, pour marquer une moindre dignité, & quand il y a des barreaux, ils en mettent onze, &c. (Q)

* CASQUE, (Myth.) on dit que les Cyclopes, en forgeant le foudre de Jupiter, firent en même tems un casque pour Pluton ; que ce casque rendoit invisible celui qui le portoit, & que Persée l'emprunta pour combattre Méduse.

CASQUE, en terme de Blason, signifie la même chose que heaulme. Voyez HEAULME & BLASON.


CASSAterme usité parmi les Provençaux, pour signifier la caisse ou coffre fort, dans lequel les marchands, négocians, banquiers & gens d'affaires, ont coûtume d'enfermer leur argent comptant, pierreries, papiers de conséquence, & autres effets les plus précieux. Voyez CAISSE. Dictionnaire du Commerce, tom. II. pag. 123. (G)


CASSAGNETES(Géog.) petite ville de France, dans le Roüergue.


CASSAILLES. f. (Agriculture) c'est ainsi qu'on appelle le premier labour qu'on donne aux terres, ou après la moisson aux environs de la S. Martin, ou après la semaille vers Pâques. Dans le premier cas on se propose d'ouvrir la terre, & de détruire les mauvaises herbes. On dit faire la cassaille. Voyez l'article AGRICULTURE.


CASSAou CACHAN, (Géog.) grande & riche ville d'Asie du royaume de Perse, dans la province d'Irac, fameuse par les étoffes de soie qui s'y fabriquent.


CASSANO(Géog.) petite ville d'Italie, au duché de Milan, avec un château fort.

CASSANO ou COSSANO, (Géog.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, à deux lieues du golfe de Tarente. Long. 34. 5. lat. 39. 55.


CASSANTadj. (Phys.) se dit d'un corps dont la dureté est accompagné de fragilité, espece de dureté, qu'on suppose produite par l'engrenement mutuel & facile à détruire, des parties du corps. Voyez DURETE.

Cassant est opposé à ductile, malléable. Voyez DUCTILITE, &c. (O)


CASSATIONS. f. terme de Palais, est le jugement par lequel on annulle un acte ou une procédure.

Ce mot vient du Latin quassare, qui signifie secoüer quelque chose avec force.

On peut se pourvoir au conseil d'état & privé, en cassation, contre un jugement d'une cour souveraine, si ce jugement se trouve être en contrariété avec un autre rendu précédemment dans la même cause & contre la même partie ; s'il contient des dispositions directement contraires à celles des ordonnances ou des coûtumes ; s'il a été omis quelqu'une des formalités prescrites par les ordonnances à peine de nullité.

Celui qui veut se pourvoir en cassation, fait signifier sur les lieux à la partie ou à son procureur, ou au procureur général, si c'est en matiere criminelle, ou qui concerne les droits & domaines de sa Majesté, qu'il entend se pourvoir au conseil en cassation, & leur donne copie de sa requête, & des pieces sur lesquelles il entend fonder la cassation.

La requête en cassation doit être signifiée dans les six mois du jour de la signification de l'arrêt contre lequel on entend se pourvoir.

La voie de la cassation ne suspend point l'exécution du jugement contre lequel on se pourvoit.

Le demandeur en cassation doit consigner une amande de 450 livres, qu'il ne retire point s'il succombe à sa demande. (H)


CASSAVEou CASSAVI, ou MANIHOT, ou MANIHOC, est un genre de plante observée par le P. Plumier ; ses fleurs sont monopétales, en forme de cloche découpée, & le plus souvent ouverte. Le pistil devient dans la suite un fruit arrondi, qui renferme trois capsules oblongues, jointes ensemble, dans chacune desquelles il y a un noyau oblong. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

* Celle qui est désignée dans Gasp. Bauhin sous le nom de manihot Indorum, seu yucca foliis cannabinis, dont on trouvera une description assez exacte dans ceux qui ont écrit des Antilles, comme le P. du Tertre, le P. Labat & autres, fournit plusieurs produits dont la connoissance peut piquer la curiosité. Sa racine mangée sans aucune préparation, est un poison mortel : mais on parvient à en séparer la partie nuisible, & à conserver la portion nourrissante, dont on fait un pain d'un usage commun parmi les sauvages ; & que les européens, & même les dames les plus délicates, préferent par goût au pain de froment.

Pour faire cette séparation, on s'y prend de la maniere suivante : lorsque la racine est cueillie, on la dépouille de sa peau ; il reste une substance blanche & pleine de suc, qu'on rape : pour cet effet, on a de grosses rapes de cuivre, & non des moulinets à bras, comme le dit le P. du Tertre. On met la rapure dans des sacs faits d'écorce d'arbre ; ces sacs sont portés sous une presse d'un méchanisme fort simple : c'est une branche d'arbre attachée au tronc, qui fait la fonction de levier, en vertu d'un gros poids dont on charge son extrémité fourchue. Voyez les Pl. d'hist. & leur expl. A tronc d'arbre ; B branche fourchue, avec des pierres qui pesent sur son extrémité ; C sacs de jonc qui contiennent la rapure ; D ais mis entre chaque sac ; E massif de pierre. Il y a une rigole au massif, qui conduit le suc ou le lait de manioc dans la coupe de calebasse F, ou petite terrine. Voilà une sorte de presse, telle que la méchanique naturelle pouvoit la suggérer ; cependant ce n'est pas celle qui est en usage parmi les sauvages. Il y a dans la leur autant de simplicité & plus d'esprit. Ils ont une espece de sac long de six à sept piés & de la grosseur de la jambe ; il est fait d'une sorte de jonc d'un tissu très-lâche, de maniere que quand il est rempli & bien foulé, il prend beaucoup de largeur, & perd beaucoup de sa longueur ; ce sac est terminé par un crochet ; ils plantent deux morceaux de bois en fourche ; ils passent un bâton dans l'anse du sac ; ils placent les deux bouts du bâton dans les fourches des deux piés ; & ils mettent dans le crochet un vaisseau à anse fort pesant, qui faisant en même tems la fonction de poids, tire le sac avec force, en fait sortir le suc de manioc, & le reçoit. Voyez aussi Plan. d'hist. nat. A B, a b ; les piés ; C D le bâton ; E F le sac, H le vaisseau ou poids. Ce suc ou lait contient toute la malignité ; les animaux qui en boivent, enflent & meurent en vingt-quatre heures. Quand la matiere est vuide de suc, & bien desséchée, on la place sur un crible un peu gros ; on la porte ensuite sur des poëles, ou plutôt sur des platines de fonte, sous lesquelles on fait du feu ; c'est de-là qu'on forme la cassave ou la farine de manioc. Il n'y a de différence entre ces deux choses que par la forme. La farine est un amas de grumeaux de manioc desséché & divisé ; & la cassave est faite des mêmes grumeaux liés & joints les uns aux autres par la cuisson, ce qui forme des especes de galettes, larges & minces à-peu-près comme du croquet. Les sauvages la font plus épaisse ; mais & la farine & la cassave tiennent lieu du pain l'un & l'autre. Il ne s'agit que de les humecter avec un peu d'eau pure, ou avec un peu de bouillon. On se sert d'eau ou de bouillon selon que l'on est plus ou moins friand.

Le suc exprimé de la racine rapée n'est pas rejetté comme inutile. Quoique ce soit un poison, on en obtient une substance blanche & nourrissante. Ce suc est blanc comme du lait d'amande, & en a à-peu-près l'odeur. On le reçoit dans des vases, comme nous avons dit ci-dessus ; on l'y laisse reposer, & il se sépare en deux portions ; l'une est une fécule blanche qui se précipite ; l'autre est une eau qui surnage, qui n'est d'aucune utilité, qu'on décante & qu'on rejette. Quant à la fécule, on la lave avec de l'eau chaude ; on la laisse ensuite se précipiter dans cette eau à chaque lavage ; on la retire, & on la met sécher à l'ombre. Cette fécule a l'apparence, la consistance & les propriétés de l'amydon. Cet amydon s'employe au même usage que le nôtre ; on l'appelle moustache. On en fait encore des gâteaux qui ressemblent beaucoup à nos échaudés. Nous tenons ces détails de M. le Romain, qui nous les a donnés d'après l'expérience, & dont nous avons fait mention entre les personnes qui nous ont aidés de leurs lumieres.


CASSES. f. cassia (Hist. nat. bot. & Mat. med.) genre de plante dont la fleur est le plus souvent composée de cinq feuilles disposées en rond ; le pistil devient dans la suite une silique cylindrique ou applatie, divisée en plusieurs loges par des cloisons transversales, ensuite d'une sorte de moëlle noirâtre pour l'ordinaire ; cette silique renferme des semences arrondies & noires. Tournefort, instit. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)

* La casse solutive est une espece de gousse différente de la casse syrinx aromatique des Grecs, & de la casse ligneuse des modernes. Les Arabes ont connu les premiers les propriétés de la casse solutive : c'est un fruit exotique, qu'on reconnoitra à la description qui précede. Il y en a de deux sortes dans les boutiques ; l'une qui vient d'Egypte, & qu'on appelle casse orientale ; & l'autre qui vient d'Amérique, & qu'on appelle casse occidentale : celle-ci n'est pas la meilleure ; son écorce est plus épaisse, plus rude & plus ridée, & sa moëlle acre & desagréable au goût : il faut lui préférer l'orientale & prendre les gousses de celle-ci, qui sont pesantes, nouvelles, & pleines, dont les graines ne raisonnent pas au-dedans, & qui a la moëlle grasse, douce, & d'un noir vif ; c'est la seule partie dont on fasse usage : on la tire de la gousse, on la passe par un tamis, & on l'appelle fleur de casse ou casse mondée. L'arbre qui la produit s'appelle cassia fistula alexandrina.

Le pere Plumier dit que cet arbre ressemble assez à notre noyer, quant à l'ordre de ses feuilles, & à l'arrangement de ses branches ; qu'il a l'écorce du tronc plus fine, plus polie, d'un gris cendré en-dehors, & de couleur de chair en-dedans ; que son bois est dur, noirâtre intérieurement, & environné d'un aubier pâle ; que les feuilles disposées deux à deux sur des côtes menues, vertes, longues d'environ un pié & demi, & plus grosses à leur origine, ont à peu-près la forme, la couleur, & la consistance de celles du noyer ; qu'il y a souvent cinq ou six conjugaisons de feuilles sur chaque côte, & sans que cela empêche qu'elles soient terminées par une seule feuille ; que ces feuilles sont plus unies en-dessus, à cause de la petitesse de leurs nervures ; qu'elles ont à-peu-près la figure d'un fer de lance de quatre à cinq pouces de long sur deux de large ; qu'elles ont la pointe aiguë, & la base arrondie ; que proche des côtes il sort trois ou quatre pédicules un peu plus longs, chargés de fleurs ; que chaque fleur a son pédicule long d'environ deux pouces, son calice concave, & formé de cinq petites feuilles presqu'ovales, d'un verd jaunâtre, & de la grandeur au plus de la moitié de l'ongle ; qu'il part de ce calice cinq pétales placés en rond, d'un beau jaune, creusés & arrondis en cuilliere ; que des cinq il y en a deux un peu plus grands que les autres ; qu'aucun n'excede la grandeur d'un pouce, qu'ils sont veinés dans toute leur étendue ; qu'il s'éleve aussi du calice dix petites étamines, d'un jaune pâle, inégales, trois recourbées, & les autres droites ; qu'on voit au milieu d'elles un pistil long, cylindrique, verdâtre, & recourbé en crochet ; que ce pistil dégénere en une gousse cylindrique droite, longue d'un pié & demi, & d'un peu moins d'un pouce d'épaisseur ; d'une substance ligneuse & mince, couverte d'une pellicule d'un noir châtain, ridée transversalement, excepté du côté du ventre & du dos, portant sur toute sa longueur une côte saillante, lisse & unie, divisée en plusieurs petites cellules séparées par des lames minces, ligneuses, orbiculaires, paralleles, & couvertes d'une pulpe moëlleuse, douce, blanchâtre, jaune ensuite, puis noire ; que chaque cellule contient une graine dure, arrondie, plate, à-peu-près en coeur, d'une couleur voisine du châtain, & attachée par un fil délié aux parois de chaque cellule ; que l'arbre fleurit en Mai & en Avril dans les îles de l'Amérique & qu'il est sans feuilles quand il est en fleur.

On confit des bâtons de cette casse, quand ils sont encore jeunes & tendres ; on les appelle cannificium, cannefice. On en mange quand on veut se lâcher le ventre.

La moëlle mondée s'aigrit quand on la garde : elle contient beaucoup de phlegme, de sel essentiel, & d'huile : elle purge doucement les humeurs bilieuses, & échauffe peu ; mais elle est venteuse, & donne des vapeurs à ceux qui y sont sujets. Pour lui ôter cette qualité, on l'atténue avec le sel végétal ou autre, & on la fait bouillir legerement : la dose est depuis demi-once jusqu'à une once & demie. Le quarteron en bâton équivaut à l'once en moëlle. Geoffroy, Mat. med.

Préparations de casse officinale. L'extrait de casse se fait en passant la moëlle à-travers un tamis : après l'avoir dissous dans une liqueur convenable, on l'aromatise avec la fleur d'orange, le sucre, l'anis, le fenouil ; on le fait évaporer pour lui donner la consistance de bol, & l'on en donne dix gros.

La préparation appellée diacassia cum manna, quoique de peu d'usage, a son utilité en plusieurs cas.

Pour la faire, prenez prunes de damas deux onces ; fleurs de violette, une poignée & demie ; eau de fontaine, une livre & demie : faites bouillir le tout jusqu'à diminution de moitié, & dissolvez dans la colature, de la pulpe de casse, six onces ; du sirop violat, huit onces ; de la pulpe de tamarin, une once ; de sucre candi, une once & demie ; de la meilleure manne, deux onces : faites du tout un électuaire.

L'extrait de casse avec les feuilles de séné se prépare de la maniere suivante.

Prenez du diacassia cum manna, deux livres ; feuilles de séné pulvérisées, deux onces ; semence de carvi, une once ; sirop violat, quantité suffisante : faites un électuaire.

La pulpe de casse s'employe aussi à l'extérieur dans les cataplasmes résolutifs & émolliens. Quincy, Pharmacop.

La casse du Bresil est une gousse plus courte que celle de la casse d'Egypte, un peu plus applatie, & très-dure. L'arbre qui la porte s'appelle cassia fistula brasiliana : il est grand & beau ; son tronc est droit, lisse, & cendré ; il étend ses branches au loin ; il est couvert de feuilles portées sur une côte de neuf pouces, & attachées à de petites queues fort courtes : elles sont d'un verd clair, velues, un peu inclinées, traversées longitudinalement d'une nervure rougeâtre, & transversalement de plusieurs autres qui s'étendent des deux côtés, se recourbant vers leurs extrémités, & se réunissant au bord de la feuille. Les fleurs naissent de l'aisselle des feuilles ; elles sont disposées en forme d'épi sur des pédicules qui ont près d'une palme & demi de long, chaque fleur a son pédicule propre, foible, velu, long d'un pouce. Les boutons de ces fleurs ressemblent à la capre, & les fleurs épanoüies sont plus petites que celles de la casse ordinaire : elles ont cinq pétales de couleur de chair ; le milieu en est occupé par dix étamines recourbées, garnies de longs sommets ; les trois inférieures en sont une fois plus longues que les supérieures : il se trouve parmi elles un style en croissant, long & velu ; ce style dégénere en une gousse verte, puis noire, ensuite brune, pendante quand elle est mûre, longue d'environ deux piés, épaisse de cinq doigts, un peu courbée, bordée d'un côté & dans toute sa longueur de deux côtes, & de l'autre, d'une seule côte qu'on prendroit pour une corde collée sous l'écorce. L'écorce en est rude en-dehors ; ligneuse, & blanche en-dedans ; elle est si ferme qu'on ne la peut casser qu'avec le marteau ; l'intérieur en est séparé en loges, chacune de deux lignes ou environ d'épaisseur, & contenant une graine de la grandeur & figure d'une amande, d'un blanc jaunâtre, luisante, lisse, dure, & divisée d'un côté dans toute sa longueur par une ligne roussâtre, dont l'intérieur est blanc ; & d'une substance de corne. Outre cela chaque cellule renferme une pulpe gluante, brune ou noirâtre, pareille à la casse ordinaire, mais amere & desagréable : cette pulpe est très-purgative, au jugement de Lobel & de Tournefort. Geoff. Mat. med.

La casse en bois, cassia lignea offic. est une écorce roulée en tuyau, tout-à-fait ressemblante par l'extérieur à la canelle, dont elle a la couleur, l'odeur & le gout, & dépouillée comme elle de sa pellicule extérieure. On la distingue de la canelle par la foiblesse de son goût aromatique, & par une glutinosité qu'on lui trouve en la mâchant : elle est tantôt jaune, tantôt jaune rougeâtre ; la meilleure est celle qui décele les qualités les plus voisines de la canelle. L'arbre qui la donne s'appelle cinnamomum, ou cannelle malarialogie & javanais : c'est la même espece de plante que celle qui donne la canelle de Ceylan. On fait peu d'usage de cette casse. Geoffroy présume qu'elle a été connue des anciens. Elle passe pour alexipharmaque & stomachique. On la préfere à la canelle quand il s'agit de resserrer. On la conseille dans l'asthme, la toux, les diarrhées, & les dyssenteries. On l'employe dans la thériaque, le mithriaque, &c.

La casse giroflée, cassia caryophillata off. est aussi une écorce comme la canelle, dont l'odeur de girofle devient si vive & si forte, que la langue en est affectée comme d'un caustique leger ; du reste elle ressemble à la canelle : c'est l'arbre appellé caninga qui la donne : il est grand & haut ; son tronc est gros & brun ; ses feuilles, semblables par la forme à celles du canellier, sont plus grandes : il est commun dans l'île de Cuba, & dans les contrées méridionales de la Guyane. On attribue à l'écorce les propriétés du girofle, auquel on la substitue dans les assaisonnemens. Geoffroy prétend que les anciens Grecs & Arabes ne l'ont point connue. On la croit stomachique & alexipharmaque ; mais dans un degré fort au-dessous du clou de girofle. Geoff. Mat. med.

* CASSE, s. m. (Métallurgie) on donne ce nom en général en plusieurs endroits à une grande poële : mais il désigne particulierement à Sainte-Marie aux mines, & en différentes autres usines où l'on travaille les mines de cuivre, de plomb, & d'argent, une cavité préparée au-dehors des fourneaux d'affinage, dans laquelle le métal se rend au sortir du fourneau, par un tour pratiqué à sa partie inférieure. Voyez CUIVRE.

Les Orfevres & les Monnoyeurs donnent aussi le nom de casse à un vaisseau fait de cendres de lessive & d'os de mouton calcinés, dont ils se servent dans l'affinage de l'or & de l'argent, ou lorsqu'il s'agit d'asseoir le cuivre en bain.

CASSE des Rubaniers, espece de peigne qui se fait de la maniere suivante. On prend un morceau de corne long de quatre jusqu'à six pouces, large de cinq à six lignes, assez épais pour être coupé en deux ; ce morceau de corne se refend dans toute son épaisseur, mais non pas dans toute sa largeur, & cela à peu-près comme les Tabletiers refendent leurs peignes ; il est ensuite scié en deux dans son épaisseur, ce qui donne deux parties dont les dentures sont parfaitement égales ; l'une forme le haut de la casse ; & l'autre le bas : ces deux morceaux sont ensuite assemblés à queue d'aronde avec deux morceaux de bois de pareille épaisseur, & arrêtés & fixés ensemble par les angles avec de la petite ficelle : ainsi voilà un quarré dont toutes les dentures sont remplies chacune d'une dent d'acier qui trouve sa place en-haut & en-bas dans chacun des interstices de cette denture. Quand toutes les dents sont ainsi placées, on couche sur le devant de la denture & à plat une de ces mêmes dents, que l'on lie par les bouts ; par ce moyen toutes les dents sont tenues dans leur situation : on garnit le dessus & le dessous d'une bande de papier ou de carton, pour empêcher les dents de s'échapper par les ouvertures des morceaux de corne. La casse sert ainsi de peigne dans les forts ouvrages, où les dents de canne seroient trop foibles, & ne résisteroient pas.

* CASSES, s. f. (Commerce) c'est ainsi qu'on appelle des mousselines ou des toiles de coton blanches & fines, qui viennent des Indes orientales, mais surtout de Bengale : c'est pour cette raison qu'on les appelle casses bengales. Elles ont seize aunes de long, sur huit de large.


CASSE NOISETTES. m. (Hist. nat. Ornith.) picus cinereus, sitta, oiseau qui a aussi été nommé torchepot & grimpereau ; il est un peu plus petit que le pinçon, à peine pese-t-il une once. Il a six pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des pattes ; le bec a sept huitiemes de pouce, depuis sa pointe jusqu'à l'angle de la bouche. Il est triangulaire ; la piece du dessus est noire, & celle du bas est blanchâtre à sa racine. Sa langue est large & pas plus longue que le bec ; elle est dure à son extrémité & déchiquetée. L'ouverture des narines est ronde & recouverte par des poils ou soies roides ; la tête, le cou, & le dos sont cendrés. Les côtés du corps sous les ailes sont rougeâtres ; la gorge & la poitrine sont d'un blanc roussâtre : les plumes du dessous de la queue sont rougeâtres sur les côtés, & blanches dans le milieu. Il y a une longue bande noire qui s'étend depuis le bec, jusque sur le cou en passant sur les yeux. Chaque aile a dix-huit grandes plumes : la premiere est très-courte & fort petite ; les intérieures sont cendrées, & les extérieures sont plus brunes : le tuyau de toutes ces plumes est noir. Il y a deux taches sur la face inférieure des ailes ; l'une est noire & assez grande sur la côte de l'aileron ; l'autre blanche & plus petite au-dessous de la noire sur la racine des grandes plumes de l'aileron. La queue est courte, elle a à peine deux pouces de longueur ; & elle est composée de douze plumes, dont les deux du milieu sont de couleur cendrée comme le dos. La plume qui suit de chaque côté est de couleur cendrée dans le bas, & noire dans le reste, à l'exception de la pointe qui est cendrée, avec un peu de noir au bout du tuyau ; la troisieme plume n'a presque point de couleur cendrée dans le bas, mais il y a une plus grande tache cendrée à la pointe ; au reste elle ressemble à la seconde. La quatrieme est noire sur plus des trois quarts de sa longueur, & il y a à l'extrémité supérieure une marque blanche sur les barbes intérieures ; les barbes extérieures qui sont à la même hauteur sont cendrées ; la pointe de la plume est aussi de couleur cendrée, mais un peu plus foncée : l'avant-derniere plume ne differe de la précédente qu'en ce que le blanc & le cendré sont un peu plus étendus, & qu'en ce qu'il y a un peu de blanc sur le côté extérieur au-dessous de la marque cendrée : les barbes extérieures du milieu de la derniere plume sont entierement blanches. Cette marque occupe environ un tiers de la longueur de la plume, & se trouve immédiatement au-dessous de la couleur cendrée, qui est au-dessus de la plume : au reste cette plume ressemble aux deux précédentes ; toute la difference qu'on y peut observer, est que la marque cendrée du dessus & le blanc qui est sur le côté extérieur sont plus étendus. Les pattes sont de couleur de chair avec une legere teinte de brun. Les ongles sont bruns, longs, & crochus ; cet oiseau n'a qu'un doigt de derriere qui est égal à celui du milieu, son ongle est le plus long. Les doigts extérieurs de chaque côté tiennent au doigt du milieu à leur racine ; le doigt extérieur est le plus petit : on trouve dans l'estomac de cet oiseau des scarabées. Il niche dans des trous d'arbre ; & quand l'ouverture qui lui sert de passage est trop grande, il la retrécit en la bouchant avec de la terre : il ne se nourrit pas seulement d'insectes, il mange aussi des noisettes ; il en fait provision pour l'hyver. La façon dont il les casse est assez singuliere ; il met une noisette dans une fente pour l'assûrer en place, & ensuite il frappe dessus de toute sa force avec son bec, jusqu'à ce qu'il ait percé la coque, alors il lui est facile de tirer l'amande par le trou qu'il a fait. Willughby, Ornit. voyez OISEAU.

CASSE-NOIX, s. m. (Hist. nat. Ornit.) caryocatactes, oiseau qui a environ un pié de longueur depuis l'extrémité du bec, jusqu'au bout des pattes ou des aîles ; car les unes & les autres sont également longues : l'envergeure est d'environ un pié neuf pouces. Le bec a près de deux pouces de longueur, depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; il est noir & fort : la piece supérieure est un peu plus avancée que l'inférieure, & elle n'est pas pointue. La langue est courte, fourchue, & très-profondément découpée ; l'iris des yeux est de couleur de noisette : l'ouverture des narines est ronde & recouverte par de petites soies blanchâtres. Tout le corps de cet oiseau est de couleur rousse, mêlée de brun & parsemé de taches blanches triangulaires partout, excepté sur la tête. Les taches de la poitrine sont les plus grandes, & le dessus de l'oiseau est d'une couleur plus rousse que le reste du corps. Il y a du blanc entre le bec & les yeux ; & les plumes qui sont au-delà de l'anus sous la queue sont aussi très-blanches : les grandes plumes des aîles sont noirâtres. La queue a près de cinq pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes : plus de la moitié des plumes extérieures de chaque côté est blanche ; celles qui suivent ont moins de blanc, & l'étendue de cette couleur diminue par degrés dans chaque plume, jusqu'à celle du milieu où il n'y a presque point de blanc. Les pattes & les ongles sont noirs ; le doigt extérieur tient au doigt du milieu par sa base. Cet oiseau mange des noix ; c'est pourquoi on l'a nommé casse-noix. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU. (I)

CASSE-NOIX. Voyez GROS-BEC.


CASSE-AIGUILLES. m. ouvrier occupé dans les salines. Voyez AIGUILLEUR, voyez SALINES.


CASSE-MOTTES. f. (Agricult.) instrument dont le nom indique assez l'usage ; c'est une massue de bois dur qu'on employe dans les terres fortes : elle est grosse comme la cuisse. On la cercle de fer, & l'on y ajuste un manche d'environ quatre piés de long. Voyez cet instrument, Pl. d'Agriculture.


CASSEAUS. m. on entend par ce terme dans l'Imprimerie, le diminutif d'une casse : c'est une espece de tiroir dont les cassetins ou compartimens sont égaux, plus ou moins grands & plus ou moins profonds, à proportion de la grosseur du caractere auquel il est destiné. Le nombre de ses cassetins est ordinairement de quarante-neuf, ou de sept en tout sens, parce qu'il est exactement quarré. Le casseau sert à mettre les lettres de deux points, ou les vignettes de fonte : on lui donne le nom du corps de caractere qu'il renferme. Il y a le casseau de deux points de Gros-romain, celui de deux points de Saint-Augustin, & ainsi des autres corps de caracteres.

* CASSEAU, s. m. (art de faire la dentelle) ; c'est un petit morceau de corne fort mince, teint en rouge ou en autre couleur, d'un quart ou d'une demi-ligne d'épais, de cinq à six lignes de haut ; d'un pouce ou environ de large, replié de maniere que ses deux extrémités rapprochées & arrêtées par un fil, forment une espece de petit étui dans lequel on met la casse du fuseau à faire la dentelle quand il est chargé de fil, afin d'empêcher le fil de s'éventer. Lorsque le fil est éventé, il se casse facilement ; aussi est il à propos que celles qui font la dentelle travaillent à l'ombre. Voyez DENTELLE.


CASSELville de France dans la Flandre, à quatre lieues de S. Omer. Long. 20. 9. 9. lat. 50. 47. 54.

CASSEL, belle & forte ville d'Allemagne, capitale du landgraviat de Hesse-Cassel. Long. 27. 10. lat. 51. 20.


CASSEMENTS. m. (Jardinage) est l'action de rompre & d'éclater exprès un rameau, une branche de la pousse précédente, ou un bourgeon de l'année, en appuyant avec le pouce sur le tranchant de la serpette, pour les séparer & les emporter. Par le moyen de cette opération, faite à l'endroit des sous-yeux en hiver pour les branches, & en Juin, ou au commencement de Juillet pour les bourgeons, vous êtes assuré de faire pousser à cet endroit ainsi cassé, ou des boutons à fruit pour l'année même, ou des boutons fructueux pour l'année prochaine, ou du moins des lambourdes, quelquefois même ces trois choses à la fois ; mais cette opération n'a lieu que pour les arbres à pepin, & rarement pour les fruits à noyau. Si l'on coupe le rameau, la seve recouvre la plaie, & il repousse une nouvelle branche ou de nouveaux bourgeons ; mais quand on le casse, les esquilles forment un obstacle au recouvrement de la plaie, & de-là naissent l'une des trois choses qui viennent d'être rapportées. Le cassement doit se faire à un demi-pouce près de la naissance ou de l'empatement de la branche ou du bourgeon, à l'endroit même des sous-yeux.

Cette opération demande de grands ménagemens & une main sage, autrement on épuiseroit un arbre à force de le tirer trop à fruit en même tems : on peut dire même que le cassement tient lieu du pincement qui a toujours été en usage jusqu'à présent : la force du préjugé l'avoit fait croire bon, l'expérience l'a enfin détruit, & a convaincu que le pincement tendoit à la ruine des arbres, & qu'on étoit obligé de replanter sans cesse, sans jamais pouvoir jouir. (K)


CASSENA(Géog.) royaume d'Afrique, dans la Nigritie, tributaire de celui de Tombut.


CASSENEUIL(Geog.) petite ville de France dans l'Agénois, sur la riviere de Lot.


CASSENOLLES. f. (Teint.) c'est ainsi que les Teinturiers appellent la noix de galle, dont ils font grand usage. Voyez TEINTURE.


CASSERen terme de Palais, c'est annuller, déclarer nul un acte, une convention, un contrat.

CASSER des troupes, signifie les licentier, les réformer.

CASSER une charge, c'est la supprimer ; casser l'officier qui en est pourvû, c'est l'en déposséder. (H)

CASSER, en terme de Raffineur de sucre, c'est l'action d'ouvrir les barrils en brisant les cerceaux à coups de hache, pour en tirer plus aisément les matieres.


CASSERIUS(MUSCLE DE) Anatom. muscle du marteau qui porte le nom de l'anatomiste qui le découvrit ; voyez OREILLE : cet anatomiste fut disciple, rival, & successeur d'Aquapendente. Il a écrit de Organis vocis & auditus, une nouvelle anatomie de Organis sensuum. La bonne édition de ses oeuvres est de Venise, 1609. (L)


CASSEROLLES. f. ustencile de cuisine à queue ; on forme de bassin de cuivre rouge étamé, plus ou moins profond à proportion de son diametre.


CASSERONvoyez CALMAR.


CASSETTES. f. est synonyme à un petit coffre, les cassettes sont destinées à enfermer des choses qui tiennent peu de volume.

CASSETTE, est une espece de boîte divisée en quatre cases, dans lesquelles les Tailleurs mettent le fil & le poil de chevre devidés sur des pelotes, afin de les avoir tout prêts sous leur main, & de pouvoir s'en servir dans le besoin.

Cette cassette sert aussi de pié à leur chandelier, quand ils travaillent à la lumiere. Voyez Pl. du Tailleur.


CASSIES. f. acacia, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, faite en forme d'entonnoir, dans laquelle il y a quantité d'étamines rassemblées en touffe. Le pistil sort du fond de la fleur, & devient dans la suite une silique qui est divisée en plusieurs cellules, qui renferme des semences arrondies. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


CASSIM-GHEURI(Hist. mod.) c'est le nom que les Turcs & les Grecs levantins donnent à la fête de S. Demetrius. Ce jour est fort redouté par les matelots & gens de mer, & ils n'osent jamais se hasarder à tenir la mer ce jour-là, & font toûjours ensorte d'être dans le port dix jours avant que cette fête arrive.


CASSIMERA(Géog.) pays d'Asie dans les états du grand mogol, aux frontieres de la grande Tartarie.


CASSINS. m. partie du métier à étoffes de soie, gase, &c. c'est un cadre de deux piés & demi de long sur vingt pouces de large, qui est appuyé ou porté par les deux estases du métier, & qui soûtient un autre cadre en talud, appellé cage, garni de petites lames d'une ligne d'épaisseur, entre lesquelles sont enfilées sur des verges de fer qui leur servent d'axe, les rangées de poulies sur lesquelles les cordes de rame sont passées. Voyez ESTASES, RAME, LOURS CISELESELE. Le montant du cassin est la partie qui soûtient la cage. L'A du cassin est la piece de bois qui tient les brancards & montans arrêtés.

CASSIN VOLANT, c'est ainsi qu'on appelle un cassin ordinaire, garni de tous ses cordages, rame, semple, dont on se sert pour la lecture des desseins, tandis que les autres métiers travaillent. Une aiguille de plomb du poids de quatre onces, détend la corde de rame, & par conséquent celle de semple. Voyez RAME, SEMPLE & VELOURS.


CASSINOGOROD(Géog.) ville de l'empire russien dans la principauté de Cassinow. Long. 62. 5. lat. 55. 20.


CASSINOIDES. f. (Géom.) courbe connue des Géometres sous le nom d'ellipse de M. Cassini, ou ellipse cassinienne. Voyez ELLIPSE. (O)


CASSIOPÉES. f. (Astronomie) c'est une des constellations de l'hémisphere septentrional ; elle est située proche Céphée. Voyez CONSTELLATION.

Il parut en 1572, une nouvelle étoile dans cette constellation, qui surpassoit d'abord Jupiter en éclat & en grandeur : mais elle diminua peu-à-peu, & disparut au bout de dix-huit mois. Elle exerça tous les Astronomes de ce tems. Elle fut la matiere des écrits de plusieurs d'entr'eux. Tycho-Brahé, Kepler, Maurolycus, Licetus, Beze, le landgrave de Hesse, Rosa, &c. prétendirent que c'étoit une comete ; d'autres ajoûtoient de plus que c'étoit la même que celle qui avoit paru à la naissance de Jesus-Christ, & qu'elle annonçoit son second avenement. Tycho les réfuta. Voyez COMETE & ÉTOILE.

Cassiopée a 13 étoiles dans le catalogue de Ptolomée ; 28 dans celui de Tycho, & 56 dans Flamsteed, ou dans le catalogue britannique. (O)


CASSIou CASSIER, s. m. (Hist. nat. bot.) est une des six especes de groseiller de Boerhaave, ou des quatorze que compte Miller.

Le nom de cassier, ou plûtôt de cassis, qui a présentement passé en usage, lui a été donné par les Poitevins. Quelques-uns l'appellent très-improprement poivrier. La dénomination de cassier est équivoque, celle de cassis ne méritoit guere de faire fortune. On devroit nommer cet arbrisseau groseiller noir. En effet, c'est le ribes nigrum ou nigra, ribes fructu nigro, folio olente des Botanistes.

Ses feuilles sont semblables à celles de la vigne ; elles sont larges, un peu velues en-dessous, d'une odeur fétide, ainsi que ses fleurs qui naissent du même tubercule plusieurs ensemble, ramassées en grappe, & ressemblant à celles du groseiller blanc épineux. Ses baies sont oblongues, noires, acides, soit qu'elles soient mûres, soit qu'elles soient vertes, d'une saveur peu agréable. Cette plante vient communément dans le Poitou & la Touraine : elle est plus rare aux environs de Paris, & on la trouve seulement auprès de Montmorency.

On la cultive dans quelques jardins, mais très-rarement, à cause de son peu d'efficace réelle en medecine. Sa principale vertu consiste à être apéritive & diurétique ; c'est pourquoi quelques auteurs prescrivent le suc exprimé de ses feuilles fraîches, leur infusion ou décoction, dans les douleurs de reins & de la vessie.

On prépare dans plusieurs boutiques d'apothicaires un sirop, ou une conserve des feuilles ; & dans quelques maisons une gelée du fruit, qui n'a ni l'odeur, ni l'agrément de celle des groseilles rouges.

Paul Contant a vanté si fortement, si positivement les vertus du cassis pour la guérison de l'hydropisie & de la morsure des viperes, qu'il a trouvé bien des gens qui lui ont ajoûté foi. Cet apothicaire de Poitiers est le premier qui a mis cette plante en réputation dans les provinces méridionales de France ; & par une bisarrerie qui dépend peut-être de la mauvaise odeur de ses fleurs, de ses feuilles, & du mauvais goût de son fruit, elle a trouvé de tems en tems des panégyristes qui ont du moins ressuscité la mémoire de son nom.

On vit paroître en 1712 à Bourdeaux, un petit traité intitulé Propriétés admirables du cassis, dans lequel il est vanté comme une panacée universelle pour toutes sortes de maladies. Peu de tems après, M. Chauvelin, qui a été intendant de Touraine, ensuite de Picardie, conseiller d'état, mais qui n'étoit pas medecin, s'engoüa des vertus du cassier, & répandit dans le public pour la guérison de la rage une composition, qu'on disoit éprouvée, dont les feuilles de cet arbrisseau étoient la base.

Enfin il y a environ dix ans qu'on renouvella en Guienne les anciens éloges qu'on avoit ci-devant prodigués au cassis : mais comme nous donnons avec vivacité dans les nouveautés réelles ou prétendues, nous nous en dégoûtons de même. Ces éloges tomberent l'année suivante ; la composition de M. Chauvelin contre la rage, a fait place à d'autres ; & toutes les vertus du cassis contre la morsure des viperes, l'hydropisie, la pierre, & le rhûmatisme, se sont évanoüies dans les pays où on les avoit ressuscitées. Article communiqué par M(D.J.)

CASSIS, (Géog.) petite ville de France en Provence, avec un petit port de mer.


CASSOLETTES. f. (Architecture) espece de vases isolés de peu de hauteur, composés de membres d'architecture & de sculpture, du sommet & souvent des côtés desquels s'exhalent des flammes ou des parfums affectés. Ils servent souvent d'amortissement à l'extrémité supérieure d'une maison de plaisance, comme on voit au château de Marli ; ou bien ils couronnent les retables d'autels : on les employe aussi dans la décoration des catafalques, des arcs de triomphes, feux d'artifices, &c. (P)

CASSOLETTE, (Parfumeur) on donne ce nom à deux instrumens destinés au même effet, mais d'une forme différente : l'un est une espece de réchaud sur lequel on fait brûler des parfums ; l'autre est une petite boîte d'or ou d'argent portative, dans laquelle on les renferme.

On appelle aussi cassolette la composition odoriférante. Il est inutile de donner cette composition. On formera une cassolette de l'amas de tout ce qui rend une odeur agréable, observant toutefois qu'il y ait une certaine analogie entre les odeurs ; car il peut arriver ou qu'elles soient rendues plus suaves, ou qu'elles se corrompent par le mélange.


CASSONADES. f. (Hist. nat.) espece de sucre que les Portugais du Bresil ont les premiers apporté en France ; & comme ils le livroient dans des caisses qu'ils appellent casses, on lui a donné le nom de cassonade. Voyez l'article SUCRE.


CASSORORARI(Hist. nat. Ichthyolog.) petit poisson de mer de la grosseur de l'anchois, & beaucoup plus recherché. Il se pêche dans les mers des Indes occidentales. On dit qu'il a deux prunelles à chaque oeil, à l'aide desquelles on ajoûte qu'il voit en même tems en-dessus & en-dessous.


CASSOVIou CASCHAU, (Géog.) ville forte de la haute Hongrie, capitale du comté d'Abanwyvar. Long. 38. 28. lat. 48. 38.


CASSUBIE(LA) Géog. continent d'Allemagne dans la Poméranie ultérieure, sur la mer Baltique. Ses villes les plus considérables sont Colberg, Belgard, & Coslin.


CASTAGNEDOLI(Géog.) petite ville d'Italie dans les états de la république de Genes.


CASTAGNEDOLO(Géog.) ville d'Italie dans le Brescian, dépendante de la république de Venise.


CASTAGNETTESS. m. pl. (Musiq. & Luth.) instrument de percussion en usage chez les Maures, les Espagnols, & les Bohémiens. Il est composé de deux petites pieces de bois, rondes, seches, concaves, & de la grandeur à peine d'un écu de six livres. On s'en sert pour accompagner des airs de danse ; les concavités s'appliquent l'une contre l'autre quand on en joue. C'est pour cet effet que les deux pieces sont attachées ensemble par un cordon passé dans un trou percé à une petite éminence laissée au bord de la castagnette, & qui en est comme le manche. Le cordon se tourne ou sur le pouce ou sur le doigt du milieu ; s'il est tourné sur le pouce, c'est le doigt du milieu qui fait résonner les concavités l'une sur l'autre ; s'il est tourné sur le doigt du milieu, ce sont les doigts libres de part & d'autre qui font la même fonction. Les castagnettes marquent le mouvement, & doivent au moins battre autant de fois qu'il y a de notes dans la mesure. Ceux qui en jouent habilement, peuvent doubler, tripler. Voyez la figure de cet instrument Planche XI. de Luth. fig. 21.

La tablature des castagnettes se marque par des notes de musique placées au-dessus & au-dessous d'une même ligne. Celles qui sont au-dessus sont pour la main gauche, & celles qui sont au-dessous, sont pour la main droite. La ligne de la tablature doit être tranchée de mesure en mesure par une ligne perpendiculaire, afin de distinguer les mesures. Il doit y avoir aussi au commencement de la ligne une clé, & le signe de la mesure. Exemple :


CASTAGNEUXS. m. mergus minimus fluviatilis, (Hist. nat. Ornit.) oiseau aquatique qui marche très-difficilement sur la terre, parce que ses cuisses semblent être dans le ventre, & que les jambes sont dirigées en arriere. Les ailes sont fort petites, il n'a ni queue, ni croupion ; ses plumes sont semblables à celles d'un oison nouvellement éclos. Cet oiseau est de la grosseur d'une petite sarcelle, & de couleur de châtaigne, d'où il paroît que lui est venu le nom de castagneux. Les doigts des piés ne sont pas joints les uns aux autres par une membrane, cependant ils sont larges comme ceux de la poule d'eau ; le doigt postérieur est large comme les autres. Les pattes sont cochées par-derriere comme une double scie. Le ventre est de couleur de lait ; il y a de ces oiseaux qui l'ont de couleur de souris. Le bec est arrondi, petit, rougeâtre, & plus court que celui de la poule d'eau. Cet oiseau a beaucoup de peine à s'élever hors de l'eau ; mais lorsqu'il est une fois en l'air, il vole pendant long-tems. S'il se trouve dans un endroit ou il n'y ait que peu d'eau, il ne peut pas prendre son vol ; alors on peut le fatiguer au point qu'il se laisse prendre à la main. Il est aussi très-facile dans ce cas de le prendre avec des gluaux. Le castagneux vit dans l'eau salée & dans l'eau douce : dans la mer il mange des chevrettes, des melettes, &c. dans les rivieres il se nourrit de petites écrevisses & de petits poissons. Il fait son nid contre terre dans les marais, & il le cache derriere quelque motte de terre. La chair de cet oiseau a un goût de sauvage dans toutes les saisons ; cependant il est fort gras en hyver. Belon, hist. de la nat. des oiseaux. Voyez OISEAU. (I)


CASTAGNOLA(Géog.) petite ville d'Italie du Montferrat dans le territoire de Casal.


CASTALIE(Géogr. & Mythol.) fontaine qui coule au pié du mont Taurus dans la Phocide. Elle étoit consacrée à Apollon & aux Muses ; & c'étoit auparavant une nymphe qu'Apollon métamorphosa ; ses eaux en reçurent en même tems le don de rendre poëtes ceux qui en boiroient, ou même ceux qui entendroient leur murmure. La Pythie en bûvoit avant que de s'asseoir sur le trépié. On fait dépendre toute cette fable du mot arabe castala, qui signifie bruit, murmure d'eau. On pourroit aisément lui trouver une autre origine, & croire que les anciens nous ont figuré par cette fable, que tous ceux qui portoient en eux quelque étincelle de l'esprit de la Poésie, en ressentoient particulierement la présence, loin du tumulte des cités, dans l'ombre & le silence des forêts, au bruit de la chûte des eaux, à l'aspect des charmes secrets de la nature. Il ne faut que s'être égaré quelquefois au printems dans la forêt de Saint-Germain, pour adopter cette idée.


CASTAMENA(Géog.) ville d'Asie dans la Natolie & dans la province de Becsangil, sur la riviere de Lime.


CASTANETpetite ville de France dans le haut Languedoc, proche du canal.


CASTANOWITZ(Géog.) ville fortifiée de Hongrie en Croatie, dans une île formée par la riviere d'Unna.


CASTES. f. (Hist. mod.) la nation immense des gentils, ou peuples des côtes de Coromandel & Malabare, est partagée en différentes castes, ou tribus. Un indien ne sauroit se marier hors de sa caste, ou bien il en est exclu pour toujours ; mais il n'en est point qui ne se crût deshonoré, s'il étoit obligé d'en sortir ; cependant il ne faut qu'un rien pour la lui faire perdre : car quelque basse que soit la caste dans laquelle il est né, l'entêtement ou le préjugé de chacun en particulier, fait qu'il y est aussi attaché qu'il le seroit à celle qui lui donneroit le premier rang parmi les autres. Un européen ne peut s'empêcher de rire de la folie de l'indien sur le sujet de sa qualité ; mais celui-ci a ses préjugés comme nous avons les nôtres, & comme tous les peuples de l'univers ont les leurs, même les castes de Guinée ou de Mosambique.


CASTEL(Géog.) ville d'Allemagne dans le haut Palatinat.


CASTEL-ARAGONESEville forte d'Italie, dans l'île de Sardaigne, avec un bon port. Long. 26. 32. lat. 40. 56.


CASTELAMAREville du royaume de Naples, dans la principauté citérieure, avec un bon port. Long. 32. lat. 41. 40. Il y a encore une ville de ce nom dans la vallée de Mazare en Sicile.


CASTELAUou CASTELHUN, ville & château d'Alsace, au cercle du haut Rhin, dans le Hunsruck.

CASTEL-BALDO, (Géogr.) petite place d'Italie dans le Veronese, sur l'Adige. Long. 29. lat. 45. 7.

CASTEL-BOLOGNESE, petite ville d'Italie dans l'état ecclésiastique, au Bolognese.

CASTEL-BRANCO, ville de Portugal, dans la province de Beyra, sur la riviere de Lyra.

CASTEL-DEL-OVO, fort d'Italie, au royaume de Naples.

CASTEL-DE-VIDE, place forte de Portugal, dans l'Alentéjo. Long. 11. 10. lat. 39. 15.

CASTEL-DURANTE, voyez URBANEA.

CASTEL-FOLLIT, place d'Espagne dans la Catalogne, entre Lampredon & Ampurias.

CASTEL-GANDOLFE, place d'Italie dans l'état ecclésiastique, avec un château sur le lac du même nom, à quatre lieues de Rome.

CASTEL-GELOUX, petite ville de France en Gascogne, dans le Bazadois. Long. 17. 50. lat. 44. 25.

CASTEL-MAYRAN, petite ville de France en Gascogne, dans la Lomagne.

CASTEL-MORON, petite ville de France dans l'Agénois, sur la riviere de Lot.

CASTEL-MOROUX, petite ville de France dans le haut Languedoc.

CASTEL-NOVO, ville forte de Dalmatie, sur le golfe de Cataro, avec un château. Long. 36. 20 lat. 42. 25.

CASTEL-NOVO DE CARFAGNAGNE, petite ville d'Italie dans le Modénois, avec une bonne forteresse.

CASTEL-RODRIGO, (Géog.) forteresse du royaume de Portugal, dans la province de Beira.

CASTEL-SAINT-JOANNE, petite ville d'Italie, au duché de Plaisance.

CASTEL-SARRASIN, ville de France dans le haut Languedoc, au diocèse de Montauban.


CASTELHOLM(Géog.) forteresse de Suede dans l'île d'Aland, vis-à-vis de Stockholm.


CASTELLANA(Géog.) ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, à l'occident du Tibre, dans la Sabine.


CASTELLANE(Géog.) ville de France en Provence, au diocèse de Senez. Lon. 24. 24. lat. 43. 55.


CASTELLANI& NICOLOTTI, (Hist. mod.) c'est le nom de deux factions toûjours opposées, qui divisent la populace à Venise.


CASTELLANNETEpetite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Lecce. Long. 34. 38. lat. 40. 50.


CASTELLANSS. m. plur. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne en Pologne aux sénateurs qui sont revêtus des premieres dignités après les palatins du royaume ; leur nombre est fixé à quatre-vingt-deux. Ils sont chargés du soin des castellanies, subordonnées aux palatins, & les chefs & les conducteurs de la noblesse dans chaque palatinat. Le premier de tous est le castellan de Cracovie ; celui-ci a le droit de précéder tous les palatins, & tient après les évêques le premier rang parmi les sénateurs laïques. On divise les castellans en grands & en petits ; les premiers sont au nombre de trente-trois, & les derniers au nombre de quarante-neuf, de la petite Pologne, de Mazovie, & de la Prusse polonoise. Les grands castellans ont comme les autres sénateurs du royaume, séance dans les conseils & aux dietes qu'ils ont le droit de convoquer ; ils administrent la justice dans leurs districts, ont l'intendance sur les poids & mesures, fixent le prix des grains & denrées, & sont les juges des Juifs. Mais les petits castellans n'ont ni séance, ni voix délibérative dans les affaires d'état. (-)


CASTELLANZA(Géog.) ville d'Italie au duché de Milan, sur l'Olana.


CASTELLAZZO(Géog.) petite ville d'Italie au duché de Milan, près d'Alexandrie, entre les rivieres de Bormida & d'Orta.


CASTELLE(LE) Géog. petite ville de la Turquie en Asie, en Natolie, dans la province de Boli, sur la côte de la mer noire.


CASTELLETTO(Géog.) il y a trois villes de ce nom en Italie au duché de Montferrat, dans le territoire d'Aqui : la premiere est près de Nice ; la seconde, sur les frontieres du marquisat de Spigno ; la troisieme, sur celles du pays d'Albe.

CASTELLETTO, (Géog.) petite ville d'Italie au duché de Milan, sur le lac Majeur.


CASTELLONCASTELLON


CASTELLOT(Géog.) petite ville de Lorraine, dans le comté de Montbéliard.


CASTELLUCCIA(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre.


CASTELNAU-CASTELNAU-

CASTELNAU - de-Bressac, petite ville dans le haut-Languedoc, au diocèse de Castres.

CASTELNAU - de-Bretenous, petite ville de France dans le Querci, sur la Cere.

CASTELNAU - d'Estretefon, ou de Trigefon, petite ville de France dans le haut Languedoc, au diocèse de Toulouse.

CASTELNAU - de-Magnoac, petite ville de France dans l'Armagnac, sur le Gers.

CASTELNAU - de-Montartier, petite ville de France en Querci.

CASTELNAU - de-Montmirail, petite ville de France dans l'Albigeois.


CASTELNAUDARY(Géog.) ville considérable de France dans le haut Languedoc, capitale du Lauraguais, à six lieues de Carcassonne. Long. 16. 38. lat. 43. 19. 4.


CASTELTOWN(Géog.) petite ville de l'Ecosse septentrionale, au comté de Marr, sur la Dée.


CASTEN-VOGTEou AVOCATIE, (Jurispr.) c'est le nom qu'on donne en Allemagne à un droit particulier que quelques seigneurs ou souverains de l'empire peuvent exercer sur les monasteres ou chapitres situés dans leur voisinage, en vertu de celui de protection qu'ils ont sur eux. La plûpart des couvents ont souvent tâché de secoüer ce joug, qui leur étoit en plusieurs occasions plus onéreux qu'utile, & beaucoup y ont réussi. Ce droit est aussi ancien en Allemagne que les monasteres & chapitres, & paroît avoir été établi par les fondateurs eux-mêmes, ou par les empereurs. (-)

Les moines dans quelque pays que ce puisse être, étant sujets du prince & de l'état ainsi que les autres habitans, il n'est pas douteux que suivant les principes du droit naturel, le prince & l'état n'ayent sur eux un pouvoir dont la prudence doit regler l'exercice.


CASTER(Géog.) petite ville d'Allemagne dans l'archevêché de Cologne, sur la riviere d'Erp.


CASTIGLIONE(Géog.) ville forte d'Italie dans la vallée de Carfagnana, appartenante à la république de Lucques.

CASTIGLIONE, (Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, avec titre de principauté.

CASTIGLIONE, (Géog.) ville d'Italie au grand duché de Toscane, dans le Siennois, sur le bord de la mer.

CASTIGLIONE, (Géog.) ville d'Italie au Piémont, dans la province de Chieti.

CASTIGLIONE-DEL-STIVERE, petite ville forte d'Italie dans le Mantoüan, avec un château. Long. 28. 4. lat. 45. 23.


CASTILLE(LA VIEILLE) Géog. province d'Espagne, avec titre de royaume, bornée au sud par la nouvelle Castille, à l'orient par l'Aragon & la Navarre, au nord par la Biscaye & l'Asturie, & au couchant par le royaume de Léon. Burgos en est la capitale.

CASTILLE, (la neuve) Géog. ou royaume de Tolede, province d'Espagne bornée au nord par la Castille vieille, à l'orient par les royaumes d'Aragon & de Valence, au midi par celui de Murcie & par l'Andalousie, & à l'occident par le royaume de Léon.

CASTILLE D'OR, (la) Géog. grand pays de l'Amérique méridionale, dans la terre ferme, qui comprend huit gouvernemens. Il appartient aux Espagnols.


CASTILLON(Géog.) ville de France dans la Guienne, au Périgord, sur la Dordogne. Long. 18. 43. lat. 44. 52.

CASTILLON, (Géog.) petite ville de France en Gascogne, dans le Couserans.


CASTILLONES(Géog.) petite ville de France en Guienne, dans l'Agénois.


CASTINES. f. (Hist. nat. Métallurgie) l'on nomme ainsi dans les grosses forges de fer une pierre blanchâtre du genre des calcaires. On en met dans les fourneaux où l'on fait fondre la mine de fer, parce qu'elle a la propriété d'absorber les acides du soufre dont la mine de fer est quelquefois entremêlée, & qui, comme on le sait, est la matiere la plus ennemie du fer. (-)


CASTINHERA(Géog.) petite ville du royaume de Portugal, sur le Tage.


CASTIONE(Géog.) petite ville d'Italie au duché de Milan, sur la riviere d'Olone.


CASTLE(Géog.) petite ville maritime & port d'Irlande, dans la Mommonie.

CASTLE-RISING, (Géog.) petite ville d'Angleterre dans le duché de Norfolck. Long. 17. 51. lat. 52. 45.


CASTORS. m. fiber, (Hist. nat.) animal quadrupede amphibie, qui a au plus trois ou quatre piés de longueur, sur douze ou quinze pouces de largeur au milieu de la poitrine, & qui pese ordinairement depuis quarante à soixante livres. Les animaux de cette espece sont pour l'ordinaire fort noirs : dans le nord le plus reculé de l'Amérique il y en a aussi de blancs. La plûpart de ceux de Canada sont bruns : cette couleur s'éclaircit à mesure que les pays sont plus tempérés ; car les castors sont de couleur fauve ; & même ils approchent de la couleur de paille, chez les Illinois & chez les Chaoüanons. Celui dont on a fait la description dans les Mém. de l'Académ. roy. des Scien. tom. III. part. I. avoit été pris en Canada, aux environs de la riviere de Saint-Laurent : sa longueur étoit d'environ trois piés & demi, depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité de la queue ; & sa plus grande longueur de près d'un pié : il pesoit plus de trente livres. Il avoit du poil sur tout le corps, à l'exception de la queue, & ce poil étoit de deux sortes mêlées ensemble ; l'une avoit environ un pouce & demi de longueur ; celui-là étoit gros comme des cheveux, fort luisant, de couleur brune, tirant un peu sur le minime ; il donne la principale couleur au castor ; sa substance étoit ferme, & si solide, qu'on n'y appercevoit aucune cavité avec le microscope ; cependant M. Sarrasin, medecin du Roi en Canada, dit qu'on y remarque dans le milieu une ligne qui est beaucoup moins opaque que les côtés, & qui a fait conjecturer que le poil est creux, Mém. de l'Ac. des Scienc. ann. 1704. L'autre sorte de poil n'avoit qu'environ un pouce de longueur ; Il étoit beaucoup plus abondant que le premier ; il paroissoit aussi plus délié, & si doux, qu'il ressembloit à de la soie ; c'est un duvet très-fin & très-serré, qui garantit le castor du froid, & qui sert à faire des chapeaux & des étoffes : il ne reste que ce duvet dans les peaux qui ont servi de vêtement & de couvertures de lits aux sauvages : il est le plus recherché, parce qu'étant engraissé par la matiere de la transpiration, il se foule beaucoup mieux. Le duvet du castor est garanti de la boue par le poil le plus long, lorsque l'animal est en vie & qu'il travaille.

Il y avoit cinq pouces & demi depuis le bout du museau jusqu'au derriere de la tête, & cinq pouces de largeur à l'endroit des os qui font l'éminence des joues ; desorte que la tête étoit presque quarrée : les oreilles étoient rondes & fort courtes, revêtues de poil par le dehors, & presque sans poil au-dedans. Les yeux du castor sont fort petits : l'ouverture des paupieres n'a qu'environ quatre lignes ; la cornée est ronde, & l'iris d'un bleu foncé. Les dents incisives, qui sont au nombre de deux en chaque mâchoire, étoient tranchantes dans le castor dont la description a été faite, comme celles des écureuils, des porcs-épics, des rats, &c. celles d'en-bas avoient plus d'un pouce de longueur ; celles d'en-haut n'avoient qu'environ dix lignes ; elles glissoient au dedans des autres lorsqu'on fermoit la bouche de l'animal ; elles étoient demi-rondes par-devant, & comme taillées en biseau de dedans en-dehors ; en-dedans leur couleur étoit blanche, & en-dehors d'un rouge clair tirant sur le jaune ; les unes & les autres étoient larges d'environ trois lignes au sortir de la mâchoire, & de plus de deux lignes à leur extrémité ; il y avoit seize dents molaires, huit de chaque côté, quatre en haut & quatre en bas ; elles étoient directement opposées les unes aux autres.

Ce castor avoit cinq doigts à chaque pié ; ceux des piés de derriere étoient joints ensemble par des membranes, comme ceux d'une oie ; les piés de devant avoient les doigts séparés, & étoient faits comme la main d'un homme, excepté qu'ils étoient couverts de poil, & que les ongles étoient longs & pointus ; les piés de devant avoient six pouces & demi de longueur depuis le coude jusqu'à l'extrémité du plus grand doigt, & trois pouces depuis le commencement de la main jusqu'à cette extrémité du plus grand doigt ; les piés de derriere avoient six pouces depuis l'extrémité du talon jusqu'au bout du plus long des doigts, qui étoit le second ; les ongles étoient taillés de biais, & creux par-dedans comme des plumes à écrire ; il y avoit à la partie externe de chaque pié de devant & de derriere, un petit os qui faisoit une éminence, & qu'on auroit pû prendre pour un sixieme doigt s'il avoit été séparé du pié.

La queue avoit environ onze pouces de longueur. deux pouces de largeur à la racine, & trois pouces dans le milieu, le bout étoit terminé en ovale ; l'épaisseur étoit de près de deux pouces vers la racine, d'un pouce dans le milieu, & de cinq lignes & demie à l'extrémité ; ses bords étoient ronds, & beaucoup plus minces que le milieu : elle étoit couverte d'une peau garnie d'écailles jointes ensemble par une pellicule épaisse comme un parchemin, longue au plus d'une ligne & demie, d'un gris brun un peu ardoisé & pour la plûpart d'une figure hexagone irréguliere. Il sortoit un, deux, ou trois petits poils d'environ deux lignes de longueur, entre les écailles du dessous de la queue. En corroyant la peau de ce castor, les écailles de la queue tomberent, mais leur figure y demeura empreinte. La chair de la queue étoit assez grasse, & avoit beaucoup de conformité avec celle des gros poissons.

Les parties de la génération du castor ne sont pas apparentes au-dehors lorsqu'il n'y a point d'érection ; on ne voit dans le mâle & dans la femelle qu'une ouverture, qui étoit située, dans le castor dont nous suivons la description, entre la queue & les os pubis. Trois pouces & demi plus bas que ces os, pour reconnoître le sexe, il faut pincer plus que la peau qui est entre l'os pubis & cette ouverture ; on y sent dans le mâle la verge qui est dure, grosse, & longue comme le doigt. L'ouverture avoit une figure ovale, longue d'environ neuf lignes, & large de sept ; elle se dilatoit & se resserroit aisément, non pas par le moyen d'un sphincter, mais simplement comme une fente qui se ferme en s'allongeant. Les gros excrémens, l'urine, & même la verge, passent par cette ouverture ; parce que la verge est renfermée dans un conduit qui est couché sur le rectum, & qui aboutit à l'ouverture commune, de même que le rectum : le vagin y aboutit aussi dans les femelles.

Il y avoit aux parties latérales du dedans de l'extrémité du rectum, deux petites cavités ; une de chaque côté ; & on sentoit à-travers la peau du dehors deux éminences, qui sont les poches ou vessies dans lesquelles le castoreum est renfermé. Après avoir écorché l'animal, on découvrit à l'endroit où on avoit remarqué les éminences, quatre grandes poches situées au-dessous des os pubis. Les deux premieres étoient placées au milieu, & plus élevées que les deux autres ; elles avoient toutes deux, prises ensemble, la forme que l'on donne à un coeur. Leur plus grande largeur étoit d'un peu plus de deux pouces ; & la longueur depuis le haut de chacune de ces poches jusqu'à l'ouverture commune & extérieure dans laquelle elles communiquoient, étoit aussi d'environ deux pouces. Il y avoit au-dedans de ces poches une tunique qui paroissoit plus charnue que glanduleuse ; elle étoit rougeâtre, & avoit au-dedans plusieurs replis semblables à ceux de la caillette d'un mouton. Ces replis contenoient une matiere grisâtre de fort mauvaise odeur, qui étoit adhérente : ces mêmes replis s'étendoient dans les deux poches qui avoient communication l'une avec l'autre vers le bas par une ouverture de plus d'un pouce, & qui n'étoient séparées que par le fond. Au bas de ces deux premieres poches, il y en avoit deux autres, l'une à droite & l'autre à gauche. Leur figure ressembloit à celle d'une poire longue & un peu applatie ; leur longueur étoit de deux pouces & demi, & la largeur de dix lignes. Ces deux poches inférieures étoient étroitement jointes avec les supérieures vers l'ouverture commune.

Il y a lieu de croire que la matiere du castoreum passe des premieres poches dans les secondes pour s'y perfectionner : aussi ces secondes poches étoient-elles d'une structure différente de celle des premieres ; elles étoient composées de glandes qui formoient à l'extérieur des éminences rondes, dont les plus grandes n'excédoient pas une lentille de grandeur moyenne. Ayant ouvert l'une de ces secondes poches par le fond, on y trouva une liqueur d'une odeur desagréable, jaune comme du miel, onctueuse comme de la graisse fondue, & combustible comme de la térébenthine : en comprimant la poche il ne se fit aucun reflux de cette liqueur dans les poches supérieures, ni dans l'ouverture commune des excrémens. Après avoir vuidé la liqueur de cette seconde poche, on apperçut dans sa partie inférieure une troisieme poche longue d'environ quatorze lignes, & large de six ; elle étoit tellement attachée à la membrane de la seconde, qu'on ne put pas l'en séparer : elle aboutissoit en pointe à la partie latérale de l'ouverture commune ; mais on ne découvrit aucune issue dans les cavités que l'on avoit observées dans cette ouverture. Il y avoit sur la surface extérieure de ces troisiemes poches, des éminences semblables à celles des secondes poches, & on trouva dans leur cavité un suc plus jaune & plus liquide que dans les autres ; il avoit aussi une autre odeur & une couleur plus pâle : enfin toutes ces poches sont très-différentes des testicules. Ainsi il est bien prouvé que ce ne sont pas les testicules qui contiennent le castoreum ; & par conséquent on ne sera plus tenté de croire que le castor arrache ses testicules lorsqu'il est poursuivi par des chasseurs, afin de s'en délivrer en leur donnant le castoreum qui fait l'objet de leur poursuite. Cette fable n'a jamais eu aucun fondement, puisque les testicules sont cachés dans les aines, un peu plus haut que les poches du castoreum, aux parties externes & latérales des os pubis.

M. Sarrasin a remarqué trois membranes dans la tissure des premieres bourses du castoreum, qu'il appelle bourses supérieures. La premiere de ces membranes est simple, mais très-ferme. La seconde est plus épaisse, moëlleuse, & garnie de vaisseaux. La troisieme est particuliere au castor ; elle est seche comme un vieux parchemin, elle en a l'épaisseur, & se déchire de même. Cette membrane forme des replis dans lesquels la seconde membrane s'insere : ces replis sont en si grand nombre, que la troisieme membrane devient trois fois plus étendue lorsqu'elle est développée : elle est inégale au-dedans, & garnie de petits filets, auxquels il adhere une matiere résineuse qui est le castoreum, & qui s'épaissit peu-à-peu dans les bourses, & y acquiert la consistance d'une résine échauffée entre les doigts. Elle conserve sa mollesse plus d'un mois après avoir été séparée de l'animal ; il sent mauvais dans ce tems-là, & elle est de couleur grisâtre en-dehors & jaunâtre en-dedans ; ensuite elle perd son odeur, se durcit, & devient friable comme les autres résines, & en tout tems elle est combustible. Lorsqu'on a découvert la membrane qui enveloppe les bourses inférieures, on trouve de chaque côté, quelquefois deux, quelquefois trois bourses ensemble. Chacun de ces paquets est long de deux pouces & demi sur environ quatorze ou quinze lignes de diametre ; les bourses sont arrondies par le fond, & diminuent insensiblement de grosseur en approchant de l'ouverture commune, que M. Sarrasin nomme cloaque. La plus grande de ces bourses occupe toute la longueur du paquet, & n'a qu'environ huit ou dix lignes de diametre ; la seconde n'a ordinairement pas la moitié du volume de la premiere ; elle n'est pas toujours plus grande que la troisieme, qui cependant est le plus souvent la plus petite de toutes. Les bourses, tant supérieures qu'inférieures, n'ont point de communication les unes avec les autres, leurs conduits aboutissent dans le cloaque.

On ne sait pas encore, ajoute M. Sarrasin, à quoi servent pour le castor les liqueurs contenues dans les bourses. Il n'est pas vrai, selon cet auteur, qu'ils en prennent pour exciter leur appétit lorsqu'il est languissant, ni que les chasseurs l'employent, comme on l'a dit, pour attirer les castors : mais on frotte avec la liqueur huileuse les piéges que l'on dresse aux animaux carnaciers qui font la guerre aux castors, comme les martes, les renards, les ours, & sur-tout les carcajoux, qui brisent souvent pendant l'hyver les loges des castors pour les y surprendre. Voyez CARCAJOU. Les femmes des sauvages graissent leurs cheveux avec cette même huile, quoiqu'elle ait une mauvaise odeur.

Les castors ne vivent dans les pays froids, & pendant l'hyver, que de bois d'aune & de platane, d'orme, de frêne, & de différentes sortes de peuplier. Pendant l'été ils mangent de toutes sortes d'herbes, de fruits, de racines, sur-tout de celles de différentes especes de nymphaea. On ne croit pas qu'ils vivent plus de quinze ou vingt ans.

M. Sarrasin ne s'en est pas tenu à la description du castor ; il a aussi rapporté plusieurs faits qui concernent l'histoire de cet animal.

Les castors choisissent pour établir leur demeure un lieu qui soit abondant en vivres, arrosé par une petite riviere, & propre à faire un réservoir d'eau : ils commencent par construire une sorte de chaussée, assez haute pour retenir l'eau à la hauteur du premier étage des cabanes qu'ils doivent faire. Ces chaussées ont dix à douze piés d'épaisseur dans les fondemens, & deux piés seulement dans le haut ; elles sont construites avec des morceaux de bois gros comme le bras ou comme la cuisse, & longs de 2, 4, 5 ou 6 piés, que les castors coupent & taillent très-facilement avec leurs dents incisives ; ils les plantent fort avant dans la terre & fort près les uns des autres ; ils entrelacent d'autres bois plus petits & plus souples ; & ils remplissent les vuides avec de la terre glaise qu'ils amollissent & qu'ils gachent avec leurs piés, & qu'ils transportent sur leur queue, qui leur sert aussi comme une sorte de truelle pour la mettre en place & pour l'appliquer. Ils élevent la digue à mesure que la riviere grossit, & par ce moyen le transport des matériaux est plus facile ; enfin cet ouvrage est assez solide pour soûtenir les personnes qui montent dessus. Les castors ont grand soin d'entretenir ces chaussées en bon état, & pour cela ils appliquent de la terre glaise dans la moindre ouverture qu'ils y apperçoivent.

Après avoir fait la chaussée, ils fondent leurs cabanes sur le bord de l'eau, sur quelque petite île, ou sur des pilotis ; elles sont rondes ou ovales, & débordent des deux tiers hors de l'eau : les murs sont perpendiculaires, & ont ordinairement deux piés d'épaisseur. La cabane est terminée en maniere de dome au-dehors, & en anse de panier en-dedans : elle est bâtie à plusieurs étages, que les castors habitent successivement à mesure que l'eau s'éleve ou s'abaisse : ils ne manquent pas d'y faire une porte que la glace ne puisse pas boucher ; ils ont aussi une ouverture séparée de leur porte & de l'endroit où ils se baignent ; c'est par cette ouverture qu'ils vont à l'eau rendre leurs excrémens. Quelquefois ils établissent la cabane entiere sur la terre, & creusent autour des fossés de cinq ou six piés de profondeur, qu'ils conduisent jusqu'à l'eau : les matériaux sont les mêmes pour les cabanes que pour les chaussées. Lorsque la construction est faite, ils perfectionnent leur ouvrage en coupant avec leurs dents qui valent des scies, tous les morceaux de bois qui excedent les murailles, & ils appliquent avec leur queue au-dedans & au-dehors de la cabane une sorte de torchis fait avec de la terre glaise & des herbes seches. Une cabane dans laquelle il y a huit ou dix castors, a huit ou dix piés de largeur hors d'oeuvre & dix à douze de longueur, supposé qu'elle soit ovale ; dans oeuvre elle a quatre ou cinq piés de largeur, & cinq ou six piés de longueur. Lorsqu'il y a quinze, vingt, ou même trente castors qui habitent la même cabane, elle est grande à proportion, ou il y en a plusieurs les unes contre les autres. On dit qu'on a trouvé jusqu'à quatre cent castors dans différentes cabanes qui communiquoient les unes avec les autres. Les femelles rentrent dans leurs cabanes pour y faire leurs petits, lorsque les grandes inondations sont passées : mais les mâles ne quittent la campagne qu'au mois de Juin ou de Juillet : lorsque les eaux sont tout-à-fait basses ; alors ils réparent leurs cabanes, ou ils en font de nouvelles ; & ils en changent lorsqu'ils ont consommé les alimens qui étoient à portée, lorsque leur nombre devient trop grand, & lorsqu'ils sont trop inquiétés par les chasseurs.

Il y a des castors qui se logent dans des cavernes pratiquées dans un terrein élevé sur le bord de l'eau : on les nomme castors terriers. Ils commencent leur logement par une ouverture, qui va plus ou moins avant dans l'eau, selon que les glaces sont plus ou moins épaisses, & ils la continuent de cinq ou six piés de longueur, sur une largeur suffisante pour qu'ils puissent passer ; ensuite ils font un réservoir d'eau de trois ou quatre piés en tout sens pour s'y baigner ; ils coupent un autre boyau dans la terre, qui s'éleve par étages, où ils se tiennent à sec successivement lorsque l'eau change de hauteur. Il y a de ces boyaux qui ont plus de mille piés de longueur. Les castors terriers couvrent les endroits où ils couchent, avec de l'herbe, & en hyver ils font des copeaux qui leur servent de matelas.

Tous les ouvrages sont achevés au mois d'Août ou de Septembre, sur-tout dans les pays froids ; alors les castors, font des provisions pour l'hyver ; ils coupent du bois par morceaux, dont les uns ont deux ou trois piés de longueur, & d'autres ont jusqu'à huit ou dix piés. Ces morceaux sont traînés par un ou plusieurs castors, selon leur pesanteur : ils rassemblent une certaine quantité de bois qui flotte sur l'eau, & ensuite ils empilent d'autres morceaux sur les premiers, jusqu'à ce qu'il y en ait assez pour suffire aux castors qui vivent ensemble. Par exemple, la provision de huit ou dix, est de vingt-cinq ou trente piés en quarré, sur huit ou dix piés de profondeur. Ces piles sont faites de façon qu'ils peuvent en tirer les morceaux de bois à leur choix, & ils ne mangent que ceux qui trempent dans l'eau.

On fait la chasse des castors depuis le commencement de Novembre jusqu'au mois de Mars & d'Avril, parce que c'est dans ce tems qu'ils sont bien fournis de poil. On les tue à l'affût, on leur tend des piéges, & on les prend à la tranche.

Les piéges sont semblables aux quatre de chiffre, avec lesquels on prend des rats. On plante fort avant dans la terre plusieurs piquets de trois ou quatre piés de longueur, entre lesquels il y a une traverse fort pesante, élevée d'environ un pié & demi : on met dessus une branche de peuplier longue de cinq ou six piés, qui conduit à une autre branche fort petite, placée de façon que dès que le castor la coupe, la traverse tombe & le tue. Ces animaux ne manquent pas de donner dans ces piéges, en allant de tems de tems dans le bois chercher de nouvelles nourritures, quoiqu'ils ayent fait leurs provisions, parce qu'ils aiment mieux le bois frais que le bois flotté.

Prendre les castors à la tranche, c'est faire des ouvertures à la glace avec des instrumens tranchans, lorsqu'elle n'a qu'environ un pié d'épaisseur ; ces animaux viennent à ces ouvertures pour respirer, & on les assomme à coups de hache. Il y a des chasseurs qui remplissent ces trous avec la bourre de l'épi de typha, pour n'être pas vûs par les castors ; & alors ils les prennent par un pié de derriere. S'il y a quelque ruisseau près des cabanes, on en coupe la glace en travers ; on y tend un filet bien fort, ensuite on détruit la cabane : les castors en sortent, & se réfugient dans le ruisseau où ils rencontrent le filet.

On donne le nom de bievre au castor d'Europe. On en a dissequé un à Metz qui avoit la queue beaucoup plus petite, à proportion, que le castor du Canada, dont on vient de donner la description. Ses piés de devant n'étoient pas faits comme des mains : mais il avoit les doigts joints par des membranes comme la loutre. Cependant Rondelet dit expressement que le bievre a les piés de devant semblables aux piés d'un singe. Mém. de l'acad. roy. des Sc. tom. III. part. I. & année 1704. Rondelet, histoire des poissons. Voyez QUADRUPEDE. (I)

Le castor fournit plusieurs remedes à la Medecine ; la peau de cet animal appliquée sur les parties affligées de goutte, les défend contre le froid.

On se sert avec succès de l'axonge du castor pour amollir les duretés ; elle est très-efficace dans les tremblemens & les maladies des nerfs, la paralysie, &c. on en oint les parties affligées.

Le castoreum attenue les humeurs visqueuses, fortifie le cerveau, excite les regles, & pousse par la transpiration ; on l'employe dans l'épilepsie, la paralysie, l'apoplexie, & la surdité.

On brûle du castoreum, & on en fait respirer l'odeur fétide aux femmes hystériques dans le tems des accès. La teinture du castoreum se fait comme il suit.

Prenez une demi-once de castoreum & une demi-livre d'esprit-de-vin ; mettez les en digestion pendant quelques jours ; décantez ensuite la liqueur, & la gardez pour l'usage.

On ajoûte quelquefois le sel de tartre à la dose de deux gros, dans le dessein de diviser le tissu résineux du castoreum ; la dose de cette teinture est depuis six jusqu'à douze gouttes dans les cas où on employe le castoreum en substance. Le castoreum entre dans plusieurs compositions de la Pharmacopée de Paris. (N)

Il se fait un grand commerce de peaux de castor ; les marchands, dit M. Savary, les distinguent en castors neufs, castors secs, & castors gras. Les castors neufs sont les peaux des castors qui ont été tués à la chasse pendant l'hyver & avant la mue. Ce sont les meilleures & les plus propres à faire de belles fourrures.

Les castors secs, qu'on nomme aussi castors maigres, sont les peaux de castors provenant de la chasse d'été, tems auquel l'animal est en mûe & a perdu une partie de son poil. Les castors secs peuvent aussi être employés en fourrures, quoique bien inférieures aux premieres. Leur plus grand usage est pour les chapeaux.

Les castors gras sont des peaux de castor, que les sauvages ont portées sur leur corps, & qui sont imbibées de leur sueur : le castor gras vaut mieux que le sec ; on ne s'en sert cependant que pour la fabrique des chapeaux.

Outre les chapeaux & les fourrures auxquels on employe le poil & les peaux de castor, on a tenté d'en faire des draps. Cette entreprise méritoit bien d'être tentée, & avoit pour but de rendre le poil de castor d'une utilité plus étendue : mais les draps ordinaires sont préférables à ceux de castor. L'expérience a fait voir que les étoffes fabriquées avec le poil de castor, quoique mêlé avec la laine de Ségovie, ne gardoient pas bien la teinture, & qu'elles devenoient seches & dures comme du feutre.

CASTOR signifie aussi un chapeau fait avec du poil de castor seul. Un chapeau demi-castor est celui dans lequel on a mêlé une partie de poil de castor avec une partie d'autre poil. Voyez CHAPEAU.

CASTOR, en Astronomie, est le nom de la moitié de la constellation des gemeaux. Voyez GEMEAUX.

CASTOR & POLLUX, en Météorologie, est un météore igné, qui paroît quelquefois en mer s'attacher à un des côtés du vaisseau, sous la forme d'une, de deux, ou même de trois ou quatre boules de feu. Lorsqu'on n'en voit qu'une, on l'appelle plus proprement Helene ; & lorsqu'on en voit deux, on les nomme Castor & Pollux. Mussch. Ess. de Phys. Voy. FEU SAINT-ELME, & l'article qui suit.

* CASTOR & POLLUX, (Myth.) fils de Jupiter & de Léda ; ils furent élevés à Pallene, où Mercure les porta aussi-tôt qu'ils furent nés. Ils s'illustrerent dans l'expédition de la toison d'or : à leur retour ils nettoyerent l'Archipel des corsaires qui l'infestoient. Ce service, l'apparition de deux feux qui voltigerent autour de leur tête, & le calme qui succéda, les firent placer après leur mort, au nombre des dieux tutélaires des nautonniers. Ces feux continuerent d'être regardés comme des signes de la présence de Castor & Pollux. Si l'on n'en voyoit qu'un, il annonçoit la tempête ; s'il s'en montroit deux, on espéroit le beau tems. Nos marins sont encore aujourd'hui dans la même opinion ou dans le même préjugé ; & ils appellent feux S. Elme & S. Nicolas, ce que les payens appelloient feux de Castor & Pollux. Les deux freres invités aux noces de leurs parentes Hilaire & Phébé, les enleverent. Ce rapt coûta la vie à Castor, qui périt quelque tems après de la main d'un des époux. Pollux, qui aimoit tendrement son frere, demanda à Jupiter la résurrection de Castor & le partage entr'eux de l'immortalité qu'il devoit à sa naissance. Jupiter l'exauça ; & l'un fut habitant des enfers, pendant que l'autre fut citoyen des cieux. Cette fable est fondée sur ce que l'apothéose de ces héros les a placés dans le signe des Gemeaux, dont l'une des étoiles descend sous l'horison quand l'autre y paroît. Pour célébrer leurs fêtes, les Romains envoyoient tous les ans vers leur temple, un homme couvert d'un bonnet comme le leur, monté sur un cheval, & en conduisant un autre à vuide. La Grece les compta parmi ses grands dieux : ils eurent des autels à Sparte & dans Athenes. Les Romains leur éleverent un temple par lequel on juroit : le serment des hommes étoit œdepol, par le temple de Pollux ; & celui des femmes œcastor, par le temple de Castor. Les deux dieux parurent plusieurs fois au milieu des combats sur des chevaux blancs. On les représentoit sous la figure de jeunes hommes, avec un bonnet surmonté d'une étoile, à cheval, ou en ayant près d'eux. Ils sont connus dans les Poëtes sous le nom de Dioscures, ou fils de Jupiter, & de Tyndarides, parce que leur mere étoit femme de Tyndare roi de Sparte. Ils se distinguerent dans les jeux de la Grece : Castor, par l'art de dompter & de conduire des chevaux ; ce qui le fit appeller dompteur de chevaux : Pollux, par l'art de lutter ; ce qui le fit regarder comme le patron des athletes. Voyez M. l'abbé de Claustre.


CASTOREAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont le nom a été dérivé de celui de Castor Durantes medecin de Rome. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, & faite en forme de masque, dont la levre supérieure est relevée, & l'inférieure divisée en trois parties : la partie moyenne est divisée en deux pieces. Le calice devient un fruit charnu, arrondi, composé d'une seule capsule qui renferme quatre semences anguleuses. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


CASTOREUMVoyez CASTOR.


CASTOS(Commerce) nom qu'on donne dans le Japon aux droits d'entrée & de sortie que l'on paye pour les marchandises qu'on y porte ou qu'on en tire : ou plûtôt ce sont les présens que les Européens avoient coûtume de faire tous les ans pour y être reçûs, avant que les Hollandois se fussent emparés de tout le commerce de ces îles ; ce qui leur tenoit lieu de droits, & alloit beaucoup au-delà de ceux qu'ils auroient pû payer. Dict. du Comm. (G)


CASTRAMETATIONS. f. c'est proprement l'art de marquer le camp & d'en déterminer toutes les différentes proportions. Ce mot vient du latin castrum, camp, & de metiri, mesurer. Voyez CAMP.

La Castramétation est une partie si importante de l'Art militaire, qu'il doit paroître assez étonnant qu'elle ait été absolument négligée dans les auteurs modernes qui ont écrit sur la guerre.

Polybe & Vegece sont entrés dans un grand détail sur celle des Romains ; & leurs écrits ont beaucoup servi à l'établissement de l'ordre & de l'arrangement de nos camps, quoiqu'ils different à plusieurs égards de ceux des Romains.

Du tems de Polybe les camps des Romains étoient toûjours quarrés : mais du tems de Végece, qui a écrit plusieurs siecles après, ils avoient différentes figures relatives à celle des terreins que les armées devoient occuper.

Le général se campoit dans l'endroit du camp le plus avantageux, pour découvrir tout ce qui s'y passoit & pour envoyer ses ordres. Les troupes romaines & celles des alliés étoient distribuées en différentes parties de cavalerie & d'infanterie ; de maniere qu'elles avoient, pour ainsi dire, chacune une espece de quartier séparé : ces camps étoient toûjours entourés d'un retranchement formé d'un fossé & d'un parapet, dont la terre étoit soûtenue par des pieux ou palissades, que les soldats portoient avec eux pour cet effet dans les marches.

Cette police des Romains étoit oubliée en Europe, lorsque le fameux Maurice prince d'Orange, songea à la rétablir, ou plûtôt à l'imiter vers la fin du xvj. & le commencement du xvij. siecle. On ne peut douter que les troupes n'ayent toûjours eu une sorte de camp pour se mettre à l'abri du mauvais tems, & se reposer des fatigues militaires : mais le silence des historiens sur ce sujet, nous laisse ignorer absolument l'ordre qu'on pouvoit y observer.

Le pere Daniel, qui a fait de savantes recherches sur tout ce qui concerne notre milice ancienne & moderne, croit que ce fut dans les guerres d'Italie sous Charles VIII. & Louis XII. que nos généraux apprirent à se retrancher en campagne, de maniere à rendre le camp inaccessible à l'ennemi.

Le plus célébre & le plus ancien que nous connoissions est celui du maréchal Anne de Montmorency à Avignon. " Il le fit de telle sorte, dit l'auteur qu'on vient de nommer, " que l'empereur Charles V. étant descendu en Provence, n'osa jamais l'attaquer, nonobstant la grande envie qu'il avoit d'en venir à une action décisive ; & ce fut cette conduite du maréchal qui sauva le royaume ".

Dans les guerres civiles qui s'éleverent en France après la mort d'Henri II. on n'observoit, suivant la Noue dans ses discours politiques & militaires, aucune regle dans le campement des armées. On distribuoit les troupes dans les villages ou les petites villes les plus voisines du lieu où l'armée se trouvoit ; ou bien on campoit en plaine campagne avec quelques tentes, qu'on plaçoit sans arrangement régulier. On se fortifioit avec les chariots de l'armée dont on faisoit une espece de retranchement : mais les troupes n'étoient pas dans cette sorte de camp à portée de se mouvoir avec ordre pour s'opposer aux attaques imprévûes de l'ennemi ; elles y manquoient d'ailleurs de la plûpart des commodités & des subsistances nécessaires : aussi ne campoient-elles de cette façon que rarement & pour très-peu de tems. L'attention des généraux étoit de pouvoir occuper différens villages assez proches les uns des autres, pour se soûtenir réciproquement : mais comme il n'étoit pas aisé d'en trouver ainsi lorsque les armées étoient nombreuses, il arrivoit souvent que l'ennemi enlevoit ou détruisoit plusieurs de ces quartiers avant qu'ils pussent être secourus des autres plus éloignés.

Les Hollandois s'étant soustraits à l'obéissance de la maison d'Autriche vers l'an 1566, ce peuple, qui ne pouvoit par lui-même opposer des armées égales à celles que l'Espagne étoit en état d'employer pour le réduire, chercha à suppléer au nombre des soldats par l'excellence de la discipline militaire : les princes d'Orange s'y appliquerent avec le plus grand succès, & il paroît assez constant qu'on leur doit le rétablissement de cette discipline en Europe. Les camps furent un des principaux objets de Maurice de Nassau, il voulut y faire renaître l'ordre & la police des Romains. Son camp, tel que le décrit Stevin dans sa castramétation, étoit une espece de quarré ou de quarré long distribué en différentes parties appellées quartiers. Celui de ce prince en occupoit à-peu-près le milieu ; l'artillerie & les vivres avoient aussi le leur, de même que les différentes troupes ou régimens dont l'armée étoit composée. L'étendue ou le front de ces quartiers se proportionnoit au nombre des troupes qui devoient les occuper ; pour leur profondeur, elle étoit toûjours de 300 piés.

Une compagnie de 100 soldats occupoit deux files de huttes ou petites baraques. Chaque file avoit 200 piés de longueur & 8 de largeur ; elles étoient séparées par une rue aussi de 8 piés. Le capitaine campoit à la tête de sa compagnie, & les vivandiers à la queue, comme ils le font encore aujourd'hui. Le colonel avoit pour logement un espace de 64 piés de front, au milieu du rang des tentes des capitaines. Derriere cet espace régnoit une rue de pareille largeur, qui séparoit le régiment en deux parties égales. La partie qui en restoit après l'emplacement des tentes du colonel & de son équipage, servoit à camper le ministre, le chirurgien, &c.

La cavalerie campoit à-peu-près dans le même ordre que l'infanterie. Une compagnie de 100 chevaux avoit deux files de huttes de 200 piés de profondeur & de 10 de largeur, lesquelles étoient séparées par un espace de 50 piés. Les chevaux formoient deux files dans cet espace, placées chacune parallelement & à la distance de 5 piés des huttes. Le capitaine campoit à la tête de sa compagnie, & le colonel au milieu de ses capitaines, comme dans l'infanterie. Le camp étoit entouré, ainsi que celui des Romains, d'un fossé & d'un parapet. Cet ouvrage se distribuoit à toutes les troupes de l'armée, & chaque régiment en faisoit une partie proportionnée au nombre d'hommes dont il étoit composé. On observoit de laisser un espace vuide de 200 piés de largeur entre le retranchement du camp & ses différens quartiers, afin d'y placer les troupes en bataille dans le besoin.

Cette disposition ou formation de camp passa ensuite dans la plûpart des autres états de l'Europe ; elle a sans-doute été observée en France, car on la trouve décrite dans plusieurs auteurs, notamment dans le livre de la doctrine militaire, donné en 1667 par le sieur de la Fontaine, ingénieur du roi ; & dans les travaux de Mars, par Alain Manesson Mallet.

Il paroît cependant par plusieurs mémoires du régne de Louis XIII. & de la minorité de Louis XIV. que nos armées ne campoient pas toûjours ensemble, comme ces auteurs le prescrivent, mais en différens quartiers séparés, qui portoient chacun le nom de l'officier qui les commandoit. Il y a un grand nombre d'exemples de ces sortes de camps dans la vie de M. de Turenne, les mémoires de M. de Puysegur, &c. Il en résulte que si les regles dont on vient de parler avoient d'abord été observées, on les avoit ensuite négligées. Cette conjecture se trouve fortifiée par ce que le P. Daniel rapporte dans son histoire de la milice françoise, au sujet de l'arrangement régulier de nos camps. Il y dit que " dans un mémoire qui lui a été fourni sur le régiment du roi, on trouve que le sieur Martinet, qui fut lieutenant-colonel, puis colonel du régiment, commença à établir ou rétablir la maniere réguliere de camper ". Ce qui semble indiquer assez clairement qu'on avoit précédemment observé une méthode réguliere qui n'étoit plus d'usage. Quoi qu'il en soit, cet officier faisoit diviser le camp de son régiment par des rues tirées au cordeau ; il le fit ainsi camper aux Pays-Bas à la campagne de 1667, & mettre en faisceaux toutes les armes à la tête des bataillons. Le roi ayant trouvé cette méthode fort belle, la fit, dit-on, pratiquer aux autres troupes. Il est vraisemblable que c'est-là l'origine de la disposition actuelle de nos camps ; & que comme elle ne s'est apparemment établie qu'insensiblement dans les différens corps des troupes du roi, l'auteur des travaux de Mars n'en étoit pas encore instruit lors de la seconde édition de son livre en 1684, quoiqu'elle fût alors généralement suivie : c'est ce qui est évident par le traité de l'Art de la guerre, de M. de Gaya, capitaine au régiment de Champagne, imprimé pour la premiere fois en 1679. On y trouve à-peu-près les mêmes regles qu'on observe encore aujourd'hui dans le campement des armées ; mais alors les soldats & les cavaliers n'avoient point de tentes ou canonieres. Cet auteur marque précisément qu'ils se baraquoient, & il ne parle de tentes que pour les officiers ; ainsi l'usage des canonieres pour les soldats & les cavaliers, est postérieur à 1679. Il y a apparence qu'il ne s'est entierement établi que dans la guerre terminée par le traité de Riswick en 1697.

Nos camps different particulierement de ceux des princes d'Orange, en ce que les troupes y sont campées sur deux ou trois lignes, l'infanterie au centre & la cavalerie sur les ailes ; & que la tête ou le front du camp est entiérement libre, pour que l'armée puisse s'y mettre en bataille en sortant du camp. Les officiers sont placés à la queue de leur troupe ; l'artillerie est assez ordinairement un peu en-avant du centre de la premiere ligne ; & les vivres entre la premiere & la seconde ligne, vers le milieu de l'armée. Nos officiers généraux ne campent plus comme le faisoient ces princes : ils occupent les villages qui se trouvent renfermés dans le camp, ou qui en sont fort proches ; ce qui est regardé comme un inconvénient par bien des gens, en ce que par-là ils se trouvent quelquefois éloignés des corps qu'ils doivent commander, & qu'ils augmentent le nombre des gardes de l'armée.

Pour le camp, il n'est défendu ou fortifié que par une espece d'enceinte formée de différentes troupes de cavalerie & d'infanterie, qu'on a substituée aux retranchemens des anciens, quoique leur usage en cela, suivant les plus habiles militaires, fût infiniment supérieur au nôtre, non-seulement pour la sûreté du camp, mais encore pour diminuer la fatigue des troupes, dont il faut toûjours avoir une grande partie sous les armes pour être à l'abri des entreprises de l'ennemi. Préface des essais sur la Castramétation, par M. le Blond. (Q)


CASTRATIS. m. (Hist. mod.) Ce nom, qui est purement italien, se donne à ceux qu'on a faits eunuques dans leur enfance, pour leur procurer une voix plus nette & plus aigue. Les castrati chantent dans les concerts la même partie que les femmes, ou dessus. Voyez DESSUS, CHANTEUR. A l'égard de la cause physique pour laquelle les castrati ont la voix grêle & aiguë, il ne paroît pas plus facile de la trouver, que d'expliquer pourquoi ils n'ont point de barbe ; mais le fait est certain, & cela suffit. (O)


CASTRATIONS. f. terme de Chirurgie, est l'action de châtrer, où l'opération par laquelle on ampute & retranche les testicules d'un animal mâle qui devient par-là incapable d'engendrer. Voyez TESTICULES.

La castration se pratique communément en Asie, spécialement chez les Turcs, qui châtrent tous ceux de leurs esclaves qu'ils employent à la garde de leurs femmes, & à qui ils coupent non-seulement les testicules, mais souvent même la verge. La castration se pratique aussi en Italie sur les musiciens dont on veut que la voix se conserve. Cette castration n'est point une opération de Chirurgie, puisqu'elle n'a pas le rétablissement de la santé pour objet. Voyez EUNUQUE & CASTRATI.

La castration est aussi une opération médicinale, nécessaire en certains cas, comme dans la mortification ou autres maladies des testicules, & singulierement dans la sarcocele & la varicocele. On l'a quelquefois faite aussi à des maniaques. Voyez SARCOCELE, &c.

La castration peut aussi se pratiquer sur les femmes. Athenée dit que le roi Andramiris fut le premier qui fit châtrer les femmes. Hésychius & Suidas rapportent que Gyges fit la même chose. Galien observe qu'on ne les peut châtrer sans les mettre en danger de la vie. Dalechamp, sur le passage d'Athenée que nous venons de citer, dit qu'il ne faut pas entendre là châtrer à la lettre, que ce n'étoit que boucler.

Pour faire l'opération de la castration dans les maladies du testicule qui n'ont pû se guérir par les différens secours qu'elles indiquoient, on fait coucher le malade sur le dos ; on lui fait assujettir les jambes & les mains par des aides. Le chirurgien pince la peau du scrotum sur la tumeur, à l'endroit de l'anneau, avec les pouces & les doigts indicateurs de ses deux mains : un aide prend le pli de peau que tenoient les doigts de la main droite ; l'opérateur prend alors un bistouri droit avec lequel il fend ce pli. Il continue l'incision jusqu'à la partie inférieure, au moyen d'une sonde cannelée & du bistouri. Il sépare tout le tissu cellulaire qui entoure le testicule, soit en le coupant, soit en le déchirant. On fend le muscle cremaster suivant sa longueur, pour mettre le cordon spermatique à nud : on passe par-dessous une aiguille courbe, enfilée de quelques brins de fil ciré, afin d'en faire la ligature. Voyez LIGATURE. Quelques praticiens veulent qu'on ne lie que l'artere. Si le cordon spermatique est gonflé jusqu'au-dessus de l'anneau, il faut débrider cette ouverture, & ne point faire de ligature. On coupe le cordon ; & si l'artere donnoit du sang, on mettroit sur son embouchure un peu de charpie imbibée d'eau de rabel.

L'artere de la cloison du scrotum donne quelquefois du sang : dans ce cas on peut en faire la ligature, ou appliquer sur l'embouchure un petit bourdonnet trempé dans l'essence de rabel.

Après avoir extirpé le testicule, on retranche avec le bistouri les levres de la poche que forme le scrotum. On panse la plaie avec de la charpie seche, soûtenue d'une compresse en fer à cheval, & le tout contenu par un suspensoire. Voyez SUSPENSOIRE.

Il ne faut lever l'appareil qu'au bout de trois ou quatre jours, lorsque la suppuration le détache ; on peut seulement dès le lendemain humecter la charpie avec l'huile d'hypericum.

Les pansemens doivent être simples, & ne demandent pas d'autres attentions que la cure des ulceres. Voyez ULCERE.

Il est à propos de faire saigner le malade, & de lui faire sur le bas-ventre des embrocations avec les huiles émollientes, pour relâcher le tissu de toutes les parties, & prévenir l'inflammation. (Y)


CASTRES(Géog.) ville de France en Languedoc. Long. 19. 55. lat. 43. 37. 10.


CASTRO(Géog.) petite ville maritime d'Italie au royaume de Naples, dans la terre d'Otrante. Long. 36. lat. 40. 18.

CASTRO, (Géogr.) petite ville d'Italie dans la campagne de Rome, sur le Garigliano, à deux milles de Fondi, avec titre de duché. Long. 29. 15. lat. 42. 33.

CASTRO D'AIRO, (Géog.) ville de Portugal dans la province de Beira, entre les rivieres de Duero & de Vouga.

CASTRO-BUON, (Géog.) ville de Portugal dans la province de Beira, sur la riviere de Coa.

CASTRO-CALTALDO, (Géog.) petite ville d'Italie dans le grand duché de Toscane, au territoire de Sienne.

CASTRO-FRANCO, (Géogr.) petite ville d'Italie dans la marche Trévise, aux Vénitiens.

CASTRO-GERITZ, (Géog.) ville d'Espagne dans la vieille Castille, au comté de Mendoza.

CASTRO-MARINO, (Géog.) ville forte & port de mer de Portugal, dans les Algarves.

CASTRO-MENTO, (Géog.) ville de Portugal dans la province de Beira, sur la riviere de Coa.

CASTRO-NOVO, (Géog.) ville d'Italie en Sicile, dans la vallée de Mazare, à la source du Platani. Long. 31. 30. lat. 37. 40.

CASTRO-REALE, (Géogr.) petite ville de Sicile, dans le val de Demona, à la source du Razzolino.

CASTRO-DEL-REY, (Géog.) ville forte d'Espagne dans le royaume de Galice.

CASTRO-VERREYNA, (Géog.) ville de l'Amérique méridionale au Pérou, fameuse par les mines d'argent qui se trouvent dans son voisinage. Long. 305. lat. mérid. 13.

CASTRO-VILLARE, (Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, sur les frontieres de la Basilicate, avec titre de duché.

CASTRO-DE-URDIALES, (Géog.) petite ville d'Espagne dans la Biscaye, avec un port sur l'Océan.


CASTROMA(Géog.) riviere de l'empire russien, qui prend sa source dans la contrée de Kneesma, & se perd dans le Wolga.

CASTROMA ou KASTROM, (Géogr.) ville de l'empire russien, dans le duché de Susdal, sur les bords du Wolga, & à l'embouchure de la riviere de Castroma.


CASUALITÉS. f. revenu casuel. Voyez ci-dessous CASUEL.


CASUELvoyez CASOAR.

CASUEL, adj. (Jurisp.) se dit de ce qui échet fortuitement ; ainsi un revenu casuel est celui qui dépend d'évenemens incertains qui arrivent ou n'arrivent pas ; ou qui arrivent tantôt plus souvent, tantôt plus rarement. Telle est la portion des revenus du roi, qui consiste en aubaines, confiscations, paulette, &c. Telle est encore celle des revenus des seigneurs, qui résulte de mutations des fiefs & terres qui relevent d'eux, comme quints, requints, reliefs, lods & ventes, desherences, amendes, &c. Voyez chacun de ces termes à leur rang.

On appelle casuel simplement, en sous-entendant le terme de revenu, les profits d'une cure qui ne sont point fixes, comme sont le baise-mains, les baptêmes & enterremens. (H)


CASUISTES. m. (Morale) Qu'est-ce qu'un casuiste ? c'est un théologien qui s'est mis en état par une longue étude des devoirs de l'homme & du chrétien, de lever les doutes que les fideles peuvent avoir sur leur conduite passée, présente & future ; d'apprécier la griéveté devant Dieu & devant les hommes, des fautes qu'ils ont commises, & d'en fixer la juste réparation.

D'où l'on voit que la fonction de casuiste est une des plus difficiles, par l'étendue des lumieres qu'elle suppose ; & une des plus importantes & des plus dangereuses, par la nature de son objet. Le casuiste tient pour ainsi dire la balance entre Dieu & la créature ; il s'annonce pour conservateur du dépôt sacré de la morale évangélique ; il prend en main la regle éternelle & inflexible des actions humaines ; il s'impose à lui-même l'obligation de l'appliquer sans partialité ; & quand il oublie son devoir, il se rend plus coupable que celui qui vend aux peuples leur subsistance temporelle à faux poids & à fausse mesure.

Le casuiste est donc un personnage important par son état & par son caractere ; un homme d'autorité dans Israël, dont par conséquent la conduite & les écrits ne peuvent être trop rigoureusement examinés : voilà mes principes. Cependant je ne sai s'il faut approuver la plaisanterie éloquente & redoutable de Pascal, & le zele peut-être indiscret avec lequel d'autres auteurs, d'ailleurs très-habiles & très-respectables, poursuivirent vers le milieu du siecle dernier, la morale relâchée de quelques casuistes obscurs. Ils ne s'apperçurent pas sans-doute que les principes de ces casuistes recueillis en un corps, & exposés en langue vulgaire, ne manqueroient pas d'enhardir les passions, toûjours disposées à s'appuyer de l'autorité la plus frêle. Le monde ignoroit qu'on eût osé enseigner qu'il est quelquefois permis de mentir, de voler, de calomnier, d'assassiner pour une pomme, &c. quelle nécessité de l'en instruire ? Le scandale que la délation de ces maximes occasionna dans l'Eglise, fut un mal plus grand que celui qu'auroient jamais fait des volumes poudreux relégués dans les ténebres de quelques bibliotheques monastiques.

En effet, qui connoissoit Villalobos, Connink, Llamas, Achozier, Dealkoser, Squilanti, Bizoteri, Tribarne, de Grassalis, de Pitigianis, Strevesdorf & tant d'autres, qu'on prendroit à leurs noms & à leurs opinions pour des Algériens ? Pour qui leurs principes étoient-ils dangereux ? pour les enfans qui ne savent pas lire ; pour les laboureurs, les marchands, les artisans & les femmes, qui ignorent la langue dans laquelle la plûpart ont écrit ; pour les gens du monde, qui lisent à peine les ouvrages de leur état, qui ont oublié le peu de latin qu'ils ont rapporté des colléges, & à qui une dissipation continuelle ne laisse presque pas le tems de parcourir un roman ; pour une poignée de théologiens éclairés & décidés sur ces matieres. Je voudrois bien qu'un bon casuiste m'apprit qui est le plus coupable, ou de celui à qui il échappe une proposition absurde qui passeroit sans conséquence, ou de celui qui la remarque & qui l'éternise.

Mais, après avoir protesté contre tout desir d'une liberté qui s'exerceroit aux dépens de la tranquillité de l'état & de la religion, ne puis-je pas demander si l'oubli que je viens de proposer par rapport aux corrupteurs obscurs de la morale chrétienne, n'est pas applicable à tout autre auteur dangereux, pourvû qu'il ait écrit en langue savante ? Il me semble qu'il faut ou embrasser l'affirmative, ou abandonner les casuistes ; car pourquoi les uns mériteroient-ils plus d'attention que les autres ? Des casuistes relâchés seroient-ils moins pernicieux & plus méprisables que des inconvaincus ?

Mais, dira-t-on, ne vaudroit-il pas mieux qu'il n'y eût ni incrédules ni mauvais casuistes, & que les productions des uns & des autres ne parussent ni en langue savante ni en langue vulgaire ? Rien n'est plus vrai, de même qu'il seroit à souhaiter qu'il n'y eût ni maladies ni méchanceté parmi les hommes ; mais c'est une nécessité qu'il y ait des maladies & des méchans, & il y a des maladies & des crimes que les remedes ne font qu'aigrir.

Et qui vous a dit, continuera-t-on qu'il est aussi nécessaire qu'il y ait parmi nous des casuistes relâchés & des incrédules, que des méchans & des malades ? N'avons-nous pas des lois qui peuvent nous mettre à-couvert de l'incrédulité & du relâchement ?

Je ne prétends point donner des bornes aux puissances ecclésiastiques & civiles, personne ne respecte plus que moi l'autorité des lois publiées contre les auteurs dangereux ; mais je n'ignore pas que ces lois existoient long-tems avant les casuistes relâchés & leur apologiste, & qu'elles ne les ont pas empêchés de penser & d'écrire.

Je sais aussi que par l'éclat de la procédure, les lois civiles pourroient arracher des productions misérables à l'obscurité profonde où elles ne demanderoient qu'à rester ; & que c'est-là précisément ce qu'elles auroient de commun avec les lois ecclésiastiques dans la censure de casuistes ignorés, qu'une délation maligne auroit fait connoître mal-à-propos.

Au reste, c'est moins ici une opinion que je prétends établir, qu'une question que je propose. C'est aux sages magistrats chargés du dépôt des lois, & aux illustres prélats qui veillent pour le maintien de la foi & de la morale évangélique, à décider dans quels cas il vaut mieux ignorer que punir ; & quelles sont, pour me servir de l'expression d'un auteur célebre, les bornes précises de la nécessité dans lesquelles il faut tenir les abus & les scandales. Voy. CAS, AIUS-LOCUTIUS, & le Journ. de Trév. Nov. 1751.


CASZBEQUIS. m. (Comm.) monnoie de cuivre de Perse, que l'on nomme plus communément kabeskiz. Voyez KABESKIZ.


CAou CATH, (Géog.) ville d'Asie dans la province de Khuarezm, sur le fleuve Oxus ou Gihon. Long. 95. lat. 41. 36.


CATABAPTISTES. m. (Hist. ecclés.) nom dont on s'est servi quelquefois pour désigner en général tout hérétique qui nie la nécessité du baptême, surtout pour les enfans.

Ce mot est composé de la préposition greque , qui en composition signifie quelquefois contre, à l'encontre ; & de , laver, baigner : ainsi catabaptiste est la même chose qu'opposé au baptême. Voyez BAPTEME. (G)


CATABIBAZONen Astronomie, est le noeud descendant de la lune, qu'on appelle aussi queue du dragon. Voyez QUEUE DU DRAGON & ANABIBAZON. (O)


CATACAUSTIQUES. f. (Géom.) est la caustique formée par des rayons réfléchis : on la nomme ainsi pour la distinguer de la diacaustique. V. CAUSTIQUE, DIACAUSTIQUE, REFLEXION, CATOPTRIQUE, &c. (O)


CATACHRESES. f. (Rhét.) trope ou figure de Rhétorique, par laquelle on employe un mot impropre à la place d'un mot propre.

Ce terme est formé du grec , j'abuse, qui lui-même est dérivé de , contre, & de , j'use ; c'est-à-dire j'use du mot contre sa signification propre & naturelle.

On employe donc la catachrese lorsque, faute de trouver un mot propre pour exprimer une pensée, l'on abuse d'un mot qui en approche ; comme lorsqu'on dit, aller à cheval sur un bâton, equitare in arundine longa. La raison rejette ces expressions, mais la nécessité les excuse ; & le sens qu'on y attache, sauve la contradiction qu'elles présentent. Voyez FIGURE. (G)


CATACLYSMES. m. , mot grec qui signifie un déluge ou inondation. Voyez DELUGE.


CATACOMBou CATACUMBE, s. f. (Hist. mod.) signifie des lieux ou des cavités soûterraines, pratiquées pour servir à la sépulture des morts.

Quelques-uns dérivent ce mot de l'endroit où on gardoit les vaisseaux, & que les Grecs & les Latins modernes ont appellé combe : d'autres disent qu'on s'est servi autrefois de cata pour ad, desorte que catatumbas signifioit ad tumbas. Dadin assûre en conséquence qu'on a écrit anciennement catatumbas ; d'autres tirent ce mot du grec & de , creux, cavité, ou autre chose semblable.

On nommoit aussi les catacombes, cryptæ & cæmeteria.

Le mot catacombe ne s'entendoit autrefois que des tombeaux de S. Pierre & de S. Paul ; & M. Châtelin, ministre protestant, observe que parmi les Catholiques romains, les plus habiles n'ont jamais appliqué le mot catacombe aux cimetieres de Rome, mais seulement à une chapelle de S. Sébastien, où l'ancien calendrier romain marque qu'a été mis le corps de S. Pierre, sous le consulat de Tuscus & de Bassus, en 258.

Le mot catacombe est particulierement en usage en Italie, pour marquer un vaste amas de sepulchres soûterrains dans les environs de Rome, & principalement dans ceux qui sont à trois milles de cette ville, dans la via appia ou la voie appienne. On croit que ce sont les sepulchres des martyrs : on va en conséquence les visiter par dévotion ; & on en tire les reliques qu'on envoye maintenant dans tous les pays catholiques, après que le pape les a reconnues sous le nom de quelque saint. Voyez SAINT, MARTYR & RELIQUE.

Plusieurs auteurs disent que c'étoit des grottes où se cachoient & s'assembloient les premiers Chrétiens, & où ils enterroient leurs martyrs. Ces catacombes sont de la largeur de deux à trois piés, & de la hauteur de huit à dix pour l'ordinaire, en forme d'allée ou de galerie, communiquant les unes aux autres, & s'étendant souvent jusqu'à une lieue de Rome. Il n'y a ni maçonnerie ni voûte, la terre se soûtenant d'elle-même. Les deux côtés de ces rues, que l'on peut regarder comme les murailles, servoient de haut-en-bas pour mettre les corps des morts ; on les y plaçoit en long, trois ou quatre rangées les unes sur les autres, & parallelement à la rue : on les enfermoit avec des tuiles fort larges & fort épaisses, & quelquefois avec des morceaux de marbre cimentés d'une maniere qu'on auroit peine à imiter de nos jours. Le nom du mort se trouve quelquefois, mais rarement, sur les tuiles : on y voit aussi quelquefois une branche de palmier avec cette inscription peinte ou gravée, ou ce chiffre X P, qu'on interprete communément pro Christo. Voyez SAINT.

Plusieurs auteurs protestans pensent que les catacombes ne sont autre chose que les sepulchres des payens, & les mêmes dont Festus Pompeius fait mention sous le nom de puticuli : & ils soûtiennent en même tems que quoique les anciens Romains fussent dans l'usage de brûler leurs morts, cependant ils avoient aussi coûtume, pour éviter la dépense, de jetter les corps de leurs esclaves dans des trous en terre, & de les y laisser pourrir ; que les Romains chrétiens voyant ensuite la grande vénération qu'on avoit pour les reliques, & desirant d'en avoir à leur disposition, ils entrerent dans les catacombes ; qu'ils mirent à côté des tombeaux les chiffres ou inscriptions qu'il leur plut, & les fermerent ensuite, pour les ouvrir quand ils en trouveroient l'occasion favorable. Ceux qui étoient dans le secret, ajoûtent-ils, étant venus à mourir ou à s'éloigner, on oublia ce stratagême, jusqu'à ce que le hasard fit ouvrir les catacombes ; mais cette opinion est encore moins probable que la premiere.

M. Moreau, dans les Transactions philosophiques, prend un milieu entre ces deux extrémités ; il suppose que les catacombes ont été originairement les sepulchres des Romains, & qu'on les creusa en conséquence de ces deux opinions, que les ombres haïssent la lumiere, & qu'elles se plaisent à voltiger autour des endroits où les corps sont placés.

Il est certain que la premiere maniere d'enterrer a été de mettre les corps dans des caves, & il paroît que cette maniere a passé des Phéniciens chez les nations où ils ont envoyé des colonies ; & que l'usage où nous sommes, ou d'exposer les corps morts à l'air, ou de les enterrer dans des églises, a été introduit d'abord par les Chrétiens. Lorsqu'un ancien héros mouroit, ou qu'il étoit tué dans quelqu'expédition étrangere, comme le corps étoit sujet à corruption, & par conséquent peu propre à être transporté en entier, on avoit trouvé l'expédient de le brûler, pour en pouvoir rapporter les cendres dans sa patrie, & obliger ainsi ses manes à le suivre ; ensorte que le pays qui avoit donné naissance aux morts, ne fût pas privé de l'avantage de leur protection. C'est ainsi que la coûtume de brûler les corps commença à s'introduire ; que par degrés elle devint commune à tous ceux qui en pouvoient faire la dépense, & qu'elle prit enfin la place des anciens enterremens : les catacombes cesserent donc d'être d'usage pour les Romains, lorsque ceux-ci eurent emprunté des Grecs la maniere de brûler les corps, & on ne mit plus en terre que les seuls esclaves. Voyez ENTERREMENT.

Ces lieux qui se trouvoient ainsi tout préparés, étoient fort propres aux assemblées des premiers Chrétiens ; mais jamais ceux-ci n'auroient pû les bâtir.

L'empire étant devenu chrétien, on les abandonna encore, jusqu'à ce que la lecture de quelques auteurs y fit faire de nouveau attention. Quant au fameux chiffre X P, on observe qu'il étoit déjà en usage longtems avant Jesus-Christ. L'abbé Bencini dit qu'il étoit composé des deux lettres greques x, p, sous lesquelles étoient cachés quelques sens mystiques ; mais personne, dit Chambers, ne les explique.

L'auteur anglois n'a rapporté cette opinion que pour infirmer le premier sentiment, qui veut que les catacombes n'ayent servi qu'à la sépulture des premiers Chrétiens. Il dissimule qu'outre le chiffre qui ne cache aucun mystere, & qui n'est que le monogramme de Jesus-Christ, on a trouvé sur les pierres & tombeaux des catacombes, des figures d'un bon pasteur & d'un agneau ; ce qui ne peut convenir qu'à des Chrétiens. On conclurroit mal de-là que tous ces Chrétiens étoient saints ; mais pour peu qu'on fasse attention aux moeurs des Chrétiens de la primitive Eglise, on en conclura toûjours avec une certitude morale, que leurs ossemens & reliques étoient dignes de vénération. Chambers ne fait point un crime aux Payens de l'honneur qu'ils rendoient aux cendres de leurs héros ; & il tâche de rendre suspectes les reliques des martyrs, afin d'attaquer indirectement leur culte. Les papes ont été si peu persuadés que tous les ossemens trouvés dans les catacombes fussent des reliques des saints, qu'ils ont toûjours été d'une extrème reserve à en accorder, & à les faire constater. (G)


CATACOUSTIQUES. f. qu'on appelle aussi Cataphonique, est la science qui a pour objet les sons refléchis ; ou cette partie de l'Acoustique qui considere les propriétés des échos ; ou en général des sons qui ne viennent pas directement du corps sonore à l'oreille, mais qui ne la frappent qu'après qu'ils y ont été renvoyés par quelqu'autre corps. Ce mot Catacoustique est analogue au mot Catoptrique, qui signifie la science qui a pour objet les rayons de lumiere refléchis, & leurs propriétés ; ainsi la Catacoustique est à l'Acoustique proprement dite, ce que la Catoptrique est à l'Optique. Voyez ACOUSTIQUE, ECHO & SON.


CATACTHONIEN(Myth.) c'est ainsi qu'on avoit surnommé à Opunte, le souverain pontife des dieux de la terre & des enfers.


CATADIOPTRIQUEadj. (Optique) On donne ce nom à ce qui appartient à-la-fois à la Catoptrique & à la Dioptrique, c'est-à-dire à ce qui appartient à la théorie de la lumiere refléchie & de la lumiere rompue. Par exemple un instrument ou lunette qui refléchit & rompt en même tems les rayons, est appellé télescope catadioptrique. Voyez TELESCOPE. (O)


CATADUPES: les anciens donnoient ce nom aux peuples qui habitoient proche des catadupes ou cataractes du Nil. On les représente tous comme sourds, à cause du fracas que font continuellement les eaux du fleuve en tombant. Voyez CATARACTE. (G)


CATAFALQUES. m. (Architect.) de l'italien catafalco, signifie littéralement échaffaud ou élévation faite ordinairement de charpente pour recevoir les décorations d'Architecture, Peinture, & Sculpture, dressées à l'occasion des pompes funebres. (P)


CATAGMATIQUEadj. terme de Medecine, médicamens propres à souder & à unir des os, en accélérant la formation du calus. V. CALUS, FRACTURE, & OS.

Ce mot vient du grec , qui signifie fracture.

Les principaux catagmatiques sont le bol d'Arménie, la gomme adragant, l'ostéocolle, les noix de cyprès, l'encens, l'aloès, l'acacia, &c. Voyez CONSOLIDATION. (N)


CATAGOGIESS. f. pl. (Mythol.) fêtes instituées en l'honneur de Vénus. Ceux d'Eryce en Sicile faisoient une fête qu'ils appelloient l'anagogie, ou le départ de Vénus pour la Lybie. Ce départ étoit fondé parmi eux, sur ce qu'alors on cessoit de voir des pigeons. Ils imaginoient que ces oiseaux consacrés à la déesse, lui servoient d'escorte. Elien qui raconte toutes ces choses comme un homme qui les auroit crûes, ajoûte qu'après neuf jours d'absence, il paroissoit sur la mer du côté de l'Afrique, une colombe purpurine, & beaucoup plus belle que les autres : c'étoit l'avant-coureuse de Vénus qui revenoit accompagnée d'une nuée de pigeons ; alors ceux d'Eryce célébroient les catagogies, ou fêtes du retour.


CATALAJUD(Géog.) petite ville d'Espagne au royaume d'Aragon, sur la riviere de Xalon, à l'embouchure de celle de Xaloca.


CATALECTIQUEadj. terme de la Poésie greque & latine, usité parmi les anciens pour désigner les vers imparfaits, auxquels il manquoit quelques piés ou quelques syllabes, par opposition aux vers acatalectiques, auxquels il ne manquoit rien de ce qui devoit entrer dans leur structure. Ce mot est originairement grec, & formé de , contrà, & de , desino, je finis ; c'est-à-dire qui n'est pas terminé ou fini dans les regles. Voyez ACATALECTIQUE. (G)


CATALEPSIES. f. (Medecine) maladie soporeuse qui saisit tout-d'un-coup le malade, le fait rester dans la situation où il étoit au moment de l'accès, & lui fait perdre le sentiment & le mouvement, quoique la respiration subsiste ainsi que le battement des arteres, qui à la vérité sont moins forts que dans l'état naturel. Il arrive alors une cessation de mouvement du sang contenu dans les arteres du cerveau, & du fluide nerveux, dont la secrétion se fait dans les glandes de cette partie, sans que ce mouvement soit intercepté dans le cervelet : c'est pourquoi les fonctions qui ne dépendent pas de la volonté sont exécutées, pendant que celles qui y sont soûmises sont suspendues. On trouve par le dissection des cadavres de ceux qui sont morts de cette maladie, que les vaisseaux tant artériels que veineux du cerveau, sont remplis d'un sang épais & grossier qui y est engorgé. En conséquence de cet engorgement, les esprits animaux ne se séparent pas pour passer dans les filets de nerfs qui partent du cerveau, & produire le mouvement musculaire, ce qui est si vrai, que le malade reste dans la situation où on l'a mis, si on lui leve un bras sur la tête, ce bras demeure immobile à cet endroit ; si l'on éleve une paupiere, elle ne s'abaisse point d'elle-même ; enfin si l'on lui fait fléchir un doigt ou plusieurs, ils restent fléchis jusqu'à ce que l'on prenne soin de les étendre. On peut voir à l'article ASSOUPISSEMENT deux observations sur cette maladie, tirées des mém. de l'acad.

Cette maladie a plusieurs causes, la mélancholie portée au dernier degré, toutes sortes d'affections vives de l'ame, sur-tout lorsqu'elles sont subites, comme la perte inopinée d'une personne chere, d'un procès, &c. Les méditations profondes & continuées longtems sur un même sujet, un travail forcé dans le cabinet, &c. sont aussi quelquefois cause de cette maladie, sur-tout lorsqu'on ne prend pas de nourriture convenable & proportionnée à la déperdition de substance. Les indications que l'on a à remplir pour parvenir à la guérison de cette maladie, sont de tirer le malade de cette affection soporeuse par quelque chose qui puisse l'affecter vivement, telle que le son d'une cloche, le bruit d'un canon, l'odeur des sels volatils & pénétrans. Si ces moyens ne suffisent pas, il faut employer les vésicatoires, les scarifications, & autres opérations semblables, qui puissent exciter quelque douleur ; & selon Boerhaave, rien de mieux que de procurer au moyen des sternutatoires une hémorrhagie abondante par les narines ou par les hémorrhoïdes, au moyen de l'application des sangsues, jointe à un régime humectant, aux vomitifs, &c. Voyez ASSOUPISSEMENT. (N)


CATALOGNE(LA) Géog. province d'Espagne avec titre de principauté. Elle est bornée au nord par les Pyrénées, au levant & au midi par la Méditerranée, à l'occident par le royaume d'Aragon & de Valence. Ce pays est abondant en vin, grains, fruits, huile, & lin. Il s'y trouve beaucoup de mines, & même des pierres précieuses ; la capitale est Barcelone.


CATALOGUES. m. (Littér. & Librair.) est une énumération ou liste de noms d'hommes, de livres, & d'autres choses disposées suivant un certain ordre. Ce mot, selon Ducange, étoit employé dans la basse latinité, pour signifier collection, du grec , de , recenseo.

Nous n'entrerons point dans le détail des différentes collections auxquelles on a coûtume de donner ce nom. V. CABINET, ETOILE. Nous nous contenterons de parler des catalogues de livres, parce que de toutes les collections c'est en effet la plus intéressante.

Ce qui existe, ce qui arrive, ce qu'on peut dire, faire, ou imaginer, tout enfin étant matiere de livres, la vie la plus longue & l'étude la plus assidue ne mettent que difficilement en état d'en acquérir la connoissance. Un homme de lettres doit cependant s'en faire un plan méthodique, afin de savoir caractériser & réduire à des classes convenables ce nombre prodigieux d'écrits qu'on a donnés & qu'on donne tous les jours au public : autrement il est exposé à errer perpétuellement dans l'immensité de la Littérature, comme dans un labyrinthe plein de routes confuses.

Ce système ou plan méthodique consiste à diviser & sous-diviser en diverses classes tout ce qui fait l'objet de nos connoissances ; chacune des classes primitives pouvant être considérée comme un tronc qui porte des branches, des rameaux, & des feuilles. La difficulté à surmonter pour établir entre toutes ces parties l'ordre qui leur convient est, 1°. de fixer le rang que les classes primitives doivent tenir entr'elles ; 2°. de rapporter à chacune d'elles la quantité immense de branches, de rameaux, & de feuilles qui lui appartiennent.

Ces divisions & sous-divisions une fois établies, forment ce qu'on nomme système bibliographique, & s'appliquent à l'arrangement des livres, soit dans une bibliotheque, soit dans un catalogue. Un des avantages que l'on tire de ces divisions & sous-divisions bien établies, est de trouver avec facilité les livres que l'on cherche dans une bibliotheque & dans un catalogue ; elles procurent aussi à l'homme de lettres le moyen de connoître assez promtement ce qu'on a écrit de meilleur sur les matieres qu'il étudie, ou qu'il se propose d'étudier.

De savans bibliographes & des libraires habiles ont donné différens systèmes de catalogues : mais il seroit inutile & trop long de les rapporter ici ; nous nous contenterons d'indiquer les principaux que l'on pourra consulter. On a obligation à Lambecius du catalogue des manuscrits de la bibliotheque de l'empereur ; Mettaire a fait celui de la bibliotheque Harleienne ; Prosper Marchand a suivi des routes qui lui étoient particulieres, & en a donné les raisons dans la préface de son catalogue de Faultrier. Celui de tous qui s'est fait jusqu'à-présent le plus de réputation dans ce genre de littérature, & qui en effet a mis le plus d'ordre, d'intelligence, & de raisonnement dans les divisions, & le plus d'instructions sur les livres rares dans ses notes, est M. Martin libraire à Paris ; aussi son système est-il le plus généralement adopté. Quoiqu'on le trouve dans tous les catalogues qu'il a donnés au public, nous croyons devoir le rapporter ici en faveur de ceux qui ne sont point à portée de se les procurer.

Si le catalogue de la bibliotheque du Roi étoit achevé, nous croirions n'avoir rien de plus agréable & de plus instructif à donner au public sur cette matiere, que le système que l'on y a adopté. Les divisions générales sont les mêmes que celles de M. Martin : mais on y a porté les divisions à un degré de détails qui ne se trouve dans aucun autre ouvrage de cette nature. On est redevable de ce travail immense, & qui se continue, à M. l'abbé Sallier & à M. Melot. Il ne falloit pas moins que le savoir profond & le zele infatigable de ces deux illustres académiciens, pour commencer & conduire à sa fin, à la satisfaction des connoisseurs, une entreprise aussi difficile & aussi pénible.

M. Martin divise toute la Littérature en cinq classes primitives, & chacune de ces classes comme il suit.

La THEOLOGIE, la JURISPRUDENCE, les SCIENCES & ARTS, les BELLES-LETTRES, & l'HISTOIRE.

LA THÉOLOGIE en ECRITURE SAINTE, CONCILES, PERES DE L'EGLISE GRECS & LATINS, & THEOLOGIENS.

L'ÉCRITURE SAINTE comprend les textes & versions de l'écriture-sainte ; leurs commentaires, explications, paraphrases, &c. les histoires de la bible, vies de J. C. & harmonies évangéliques extraites de l'écriture-sainte ; les critiques sacrées, & les liturgies.

Les CONCILES sont ou généraux ou particuliers.

Les SAINTS PERES se distinguent par l'ordre des siecles dans lesquels ils ont vécu.

Les THEOLOGIENS se divisent en scholastiques, moraux, catéchétiques ou instructifs ; parénétiques ou prédicateurs ; mystiques, polémiques, ou qui ont écrit pour la défense de la religion chrétienne & catholique, hétérodoxes.

LA JURISPRUDENCE en DROIT CANONIQUE & DROIT CIVIL.

Le DROIT CANONIQUE renferme les canonistes anciens & modernes, le Droit ecclésiastique françois, le Droit ecclésiastique étranger, le Droit ecclésiastique des moines & des réguliers.

Le DROIT CIVIL renferme le Droit naturel, public, & des gens ; le Droit romain, le Droit françois, le Droit étranger.

LES SCIENCES & ARTS en PHILOSOPHIE, MEDECINE, MATHEMATIQUES, & ARTS tant LIBERAUX que MECHANIQUES.

La PHILOSOPHIE comprend les philosophes anciens & modernes avec leurs interpretes & sectateurs, les traités de la Philosophie universelle, Logique & Dialectique, Morale, Oeconomie, Politique, Métaphysique, Physique, Histoire naturelle.

La MEDECINE comprend les Medecins anciens & modernes, les traités particuliers de Medecine, l'Anatomie, la Chirurgie, la Pharmacie, & la Chimie, la Philosophie ou Medecine hermétique, paracelsique, ou Alchimie.

Les MATHEMATIQUES se divisent en traités généraux de Mathématiques, Arithmétique & Algebre, Géométrie, Astronomie, Gnomonique ou science des cadrans solaires, Hydrographie ou science de la Navigation, Optique, Musique, Méchanique, Astrologie, &c.

Les ARTS se divisent en art de la Mémoire ; art de l'Ecriture ; l'art de l'Imprimerie, l'art du Dessein, de la Peinture, de la Gravûre, & de la Sculpture ; l'Architecture ; l'art militaire ; la Pyrotechnie ou l'art du Feu, de la fusion des métaux, des Feux d'artifice, de la Verrerie ; les divers Arts méchaniques ; la Gymnastique qui comprend l'art de manier & de traiter les chevaux ; l'Escrime, la Danse, les exercices du corps.

LES BELLES-LETTRES en GRAMMAIRE, RHETORIQUE, POETIQUE, PHILOLOGIE, POLYGRAPHES.

La GRAMMAIRE comprend les traités généraux de la Grammaire, Institutions, Grammaires, & Dictionnaires de diverses langues.

La RHETORIQUE renferme les traités de l'art oratoire, & les Orateurs anciens & modernes.

La POETIQUE comprend les traités de l'art de versifier, les poésies prosaïques ou facéties, plaisanteries, contes, nouvelles, romans, &c.

La PHILOLOGIE renferme la Critique, qui consiste en critiques anciens & modernes, satyres, apologies, & dissertations critiques, allégoriques, enjouées, &c. les gnomiques ou sentences, apophtegmes, adages, proverbes, &c. & les hieroglyphiques, ou emblèmes, & devises.

Les POLYGRAPHES se divisent en auteurs anciens & modernes, qui ont écrit divers traités sur différens sujets, dialogues, & entretiens sur différens sujets, épistolaires ou lettres écrites sur différens sujets.

L'étude de l'Histoire demandant la connoissance de la Géographie & de la Chronologie ; les livres qui traitent de ces deux sciences sont à la tête de cette classe, & se divisent, savoir :

La Géographie en Cosmographie ou description de l'Univers, géographes anciens & modernes, ou description du globe terrestre, descriptions & cartes particulieres, voyages & navigations.

La Chronologie en Chronologie technique, Chronologie historique ou l'Histoire réduite & divisée par tables & divisions chronologiques, histoires universelles, &c.

L'HISTOIRE en HISTOIRE ECCLESIASTIQUE, HISTOIRE PROFANE.

L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE se divise en Histoire ecclésiastique proprement dite, ou Histoire ecclésiastique ancienne & nouvelle, Judaïque & Chrétienne. Il y a des histoires ecclésiastiques universelles, & des histoires ecclésiastiques particulieres ; on les divise en histoire catholique, pontificale, histoire monastique, histoire sainte, histoire ecclésiastique des hérésies & des hérétiques.

L'Histoire catholique & pontificale renferme l'histoire des conciles, générale & particuliere, l'histoire & les vies des papes & des cardinaux.

L'Histoire monastique comprend l'histoire des ordres monastiques & religieux, avec les vies des instituteurs, fondateurs, saints & personnages illustres de chaque ordre, & de plus l'histoire des monasteres ; elle renferme aussi l'histoire des ordres militaires & de chevalerie.

L'Histoire sainte comprend les martyrologes & vies des saints & des personnes illustres en piété, l'histoire des lieux saints des églises, cimetieres, &c. des reliques des saints, des saintes images, des miracles, &c.

L'Histoire ecclésiastique des hérésies & des hérétiques se divise en histoire ancienne des hérésies jusqu'au xij. siecle, histoire des nouvelles hérésies depuis le xiij. siecle jusqu'à présent, histoires des inquisitions contre les hérétiques & contre d'autres.

L'HISTOIRE PROFANE se divise en histoire ancienne, histoire moderne, histoire généalogique & héraldique, antiquités, histoire des solennités & des pompes ; histoire littéraire, académique, & bibliographique ; vies des personnages illustres, & traits historiques.

L'Histoire ancienne ou des anciennes monarchies, comprend les histoires des Juifs, des Chaldéens, des Babyloniens, des Assyriens, &c. histoire de la monarchie des Perses ; histoire Grecque, Romaine ; Byzantine ou de l'empire de Constantinople.

L'Histoire moderne ou des monarchies qui subsistent aujourd'hui, se divise en deux parties. La premiere renferme les monarchies de l'Europe : la seconde les monarchies hors de l'Europe.

Dans la premiere partie sont comprises les histoires d'Italie, de France, d'Allemagne, des Pays-Bas, de Lorraine, des Suisses & des peuples leurs conféderés, d'Espagne, de la Grande-Bretagne, des pays septentrionaux.

Dans la seconde partie sont comprises l'histoire Orientale générale, celle des Arabes, des Sarrasins & des Turcs ; l'histoire Asiatique, l'histoire d'Afrique, l'histoire de l'Amérique ou des Indes occidentales.

L'Histoire généalogique & héraldique, comprend les traités généraux & particuliers de la science héroïque de la noblesse, des nobles ; de leurs titres, prérogatives, &c. & des choses qui leur sont propres ; les traités héraldiques ou qui appartiennent à la science du Blason ; les histoires généalogiques des familles illustres.

Les antiquités renferment les rits, usages & coûtumes des anciens, histoire métallique ou médailles, monnoies, &c. divers monumens de l'antiquité ; descriptions & traités singuliers des édifices publics, des amphithéatres, obélisques, pyramides, &c. diverses antiquités, pierres gravées, cachets, lampes, & autres choses qui nous restent des anciens ; mélanges d'antiquités contenant des collections mêlées, des dissertations, des descriptions de cabinet d'antiquaires, &c.

L'Histoire des Solennités & des Pompes comprend les réjoüissances publiques, entrées, mariages, &c. histoire des Pompes funebres.

L'Histoire littéraire, académique & bibliographique, comprend l'histoire des lettres & des langues, des sciences & des arts ; où il est traité de leur origine & de leur progrès ; histoire des académies, écoles, universités, colléges & sociétés de gens de lettres ; bibliographie ou histoire & description des livres.

Vies des personnages illustres divisées en vies des illustres personnages anciens, Grecs & Romains, en général & en particulier ; vies des hommes illustres & modernes ensemble, ou des derniers tems seulement ; vies des hommes illustres dans les sciences & dans les arts anciens & modernes.

Extraits historiques, sont les diverses collections tirées & extraites des historiens anciens & modernes ; les monumens, actes & écrits historiques, pieces du tems, &c. traités de paix, de confédération, d'alliance, de treve, &c. entre les princes ; ensemble les pieces, recueils, dissertations, & autres choses concernant les négociations de ces traités ; les dictionnaires historiques, &c.

Ceux qui voudront mettre en pratique le présent système, pourront consulter pour les détails de chaque partie quelques-uns des catalogues de M. Martin, comme ceux de MM. Bulteau, Dufay, comte Hoym, de Rothelin, & Bellanger.

Il a été trouvé dans les manuscrits de feu M. l'Abbé Girard, de l'Académie Françoise, un systeme de Bibliographie, où il regne un ordre fort différent de ceux que l'on a connus jusqu'à présent. Comme on ne se propose pas de le publier en particulier, nous avons crû devoir le placer ici, pour ne pas priver le public de ces nouvelles lumieres sur une matiere vraiment intéressante. M. l'Abbé Girard y rend compte en Philosophe des raisons qui l'ont déterminé dans le choix & le rang de ses divisions.

D'abord il considere l'homme dans la naissance du monde, foible & inquiet sur sa destinée, agité par la crainte & par d'autres sentimens qui lui inspirent la défiance de lui même, & le portent à chercher un protecteur puissant. Conduit par degrés à la connoissance d'un Dieu, il met tous ses soins à se le rendre propice par le culte qu'il croit lui être le plus agréable ; c'est ce qu'on nomme religion chez tous les peuples. Ce qui la concerne soit dans le général, soit dans le particulier, soit pour la maintenir, soit pour la combattre, fait le premier chef de ce plan sous le titre de THEOLOGIE.

L'homme isolé sentit de nouveaux besoins, & chercha dans la protection de ses égaux & de ses voisins, un appui à sa portée ; cela forma la société dont les commencemens n'eurent d'autres motifs que les secours mutuels & les services réciproques ; mais dont les progrès formerent des parties, des états, & des empires ; produisirent des lois & des coûtumes, &c. Tout ce qui regarde la société, ses formes, ses intérêts, ses lois & ses usages, fait le second chef de ce système sous le titre de NOMOLOGIE.

Quoique le culte & la police remédient aux horreurs de la solitude par les liaisons qu'ils établissent entre les hommes, peu satisfaits du petit volume de leur personne, & de la courte durée de leur existence, ils travaillent à vivre dans l'idée d'autrui, & forment sur le plan de cette image une maniere d'être, à laquelle ils donnent le nom de gloire & de renommée. Ce goût rend les hommes jaloux de leur honneur, sensibles à l'estime des autres, & curieux de ce qui les regarde ; de façon qu'ils s'occupent des actions & des évenemens ; qu'ils travaillent à s'en instruire & à les publier. De-là l'origine d'un troisieme objet d'érudition sous le titre d'HISTORIOGRAPHIE.

Le spectacle pompeux de l'univers, & les merveilles de la nature, frappent assez pour attirer des regards curieux. L'esprit humain avide de connoissances, animé par ses premieres découvertes, aidé de l'expérience, de l'analyse, & du raisonnement, se livre à ces recherches profondes qui font ce qu'on nomme proprement Sciences, objet distingué formant dans ce système le quatrieme chef sous le nom de PHILOSOPHIE.

C'est sans-doute par l'acquisition des connoissances & par l'amas des vérités, que l'esprit s'enrichit : mais ici comme ailleurs, il faut faire usage de ce que l'on possede pour en tirer satisfaction. Cet usage ne se trouve que dans la communication avec les autres êtres de notre espece ; & cette communication ne pouvant se faire par une voie plus naturelle ni plus commode que par le moyen de la parole, il en résulte dans les hommes un penchant vif à vouloir briller, flatter, & amuser par le discours. L'on ne doit donc pas être surpris s'ils se sont appliqués à cultiver le langage, & si quelques-uns préférant les amusemens du bel esprit au travail pénible des recherches savantes, se sont attachés à l'éloquence, à la poësie, à la critique, à la pureté des expressions ; enfin à tout ce qui dépend du feu de l'imagination, & à ce qui concerne les regles & les graces de la parole, compris sous le titre de PHILOLOGIE.

Le bonheur étant le but que tout être sensible & intelligent envisage, il est naturel que l'homme ne néglige rien de tout ce qu'il croit être propre à le rendre heureux. C'est par ce desir du bien être, & par la nécessité de pourvoir à ses besoins réels ou imaginaires, que son industrie a été excitée ; qu'en étudiant ce qui plaît aux sens comme ce qui orne l'esprit, il a donné naissance aux Arts. Ce qui les regarde fait le sixieme & dernier chef de ce système sous le titre de TECHNOLOGIE.

M. l'abbé Girard divise donc toute la Littérature en six genres qui sont :

THEOLOGIE, NOMOLOGIE, HISTORIOGRAPHIE, PHILOSOPHIE, PHILOLOGIE, TECHNOLOGIE.

Cette premiere division, toute simple qu'elle est, répond à toute l'étendue de la Littérature, n'y ayant aucun ouvrage que l'on ne puisse rapporter à ces six chefs : mais quoique juste, elle est encore trop générale pour démêler les différences de tout ce qui est écrit, & y établir un ordre parfait. M. l'abbé Girard entre donc dans un plus grand détail, & divise chacun de ces six genres en six classes, & chaque classe en deux ordres.

THÉOLOGIE.

TEXTES, COMMENTATEURS, DOGMATIQUES, PREDICATEURS, MYSTIQUES, LITURGIQUES.

Ce premier genre de Littérature ne se borne pas dans le système de l'érudition générale, comme dans celui de l'érudition scholastique, à ce qui regarde seulement la religion Chrétienne. D'une bien plus vaste étendue, il embrasse toutes les religions de l'univers présentes & passées, qui se rapportent toutes à six especes générales : savoir, Christianisme, Judaïsme, Mahométisme, Paganisme, Déisme, & Athéisme.

La religion Chrétienne se divise en trois communions principales ; Romaine, Greque, & Protestante.

La Théologie Juive a produit différens partis : le premier de tous les schismes y fut une suite des factions de l'état ; la desunion des tribus forma de l'ancien Israëlite le Juif & le Samaritain. Ensuite parurent dans le sein du Judaïsme les Esséniens, Pharisiens, & Saducéens, dont les Caraïtes ont pris la place. Ces derniers sont parmi les Juifs ce que les Réformés sont parmi les Chrétiens.

Dans le Mahométisme il y a deux sectes ; celle d'Omar, & celle d'Haly.

Le caractere du Paganisme est la pluralité des dieux : tous les livres écrits sur ces six différentes especes de religions font, comme nous l'avons dit, l'objet de la Théologie considérée comme portion d'un système bibliographique. Nous allons présentement rendre compte des sous-divisions en deux ordres de chacune des six classes.

Les TEXTES, ce sont les écrits qu'on regarde dans chaque religion comme dépositaires authentiques de la croyance & du culte qu'on y professe ; ils sont ou sacrés ou ecclésiastiques.

Les Textes sacrés partent des Législateurs, & sont respectés comme divins : tels sont chez les Chrétiens les livres de l'ancien & du nouveau Testament ; chez les Juifs, la Bible ; chez les Mahométans, l'Alcoran ; chez les Chinois, les ouvrages de Confucius ; & dans l'ancien paganisme, les oracles des Sibylles, &c. Les Textes sacrés, en langues qui ont été ou qui sont d'usage dans les églises, se nomment versions : ceux qui sont en langues vulgaires, & qu'on lit simplement dans le particulier, sont nommés traductions.

Les Textes ecclésiastiques sont les décisions ou constitutions faites par le concours des principaux chefs d'une religion, reçues & acceptées comme lois émanées d'une autorité sainte, & comme regles indispensables de foi & de conduite. Tel est parmi les Juifs le Thalmud, & tels sont parmi nous les conciles divisés en généraux, nationaux & provinciaux.

Les COMMENTATEURS sont ou des interprétations ou des dissertations sur les Textes.

Les DOGMATIQUES se divisent en Docteurs & en Casuistes.

Les Docteurs sont ceux qui enseignent méthodiquement la doctrine divine. Ceux dont les opinions ont acquis de l'authenticité, sont appellés Peres de l'Eglise, Grecs & Latins, & sont regardés comme dépositaires de la doctrine divine à laquelle on donne le nom de tradition. Les Docteurs modernes sont appellés scholastiques.

Les Casuistes s'attachent à marquer la distinction précise de ce qui est permis ou défendu par la loi & la morale du systême reçu dans la société.

Les PREDICATEURS se divisent en orthodoxes & en sectaires.

Les MYSTIQUES sont ou contemplatifs ou ascétiques.

Les contemplatifs ne présentent dans leurs écrits que des réflexions spéculatives ou épanchemens de coeur pour nourrir la dévotion, faire aimer & estimer les choses divines préférablement aux temporelles.

Les ascétiques, persuadés que la seule contemplation ne suffit pas pour attacher l'homme à Dieu, s'occupent à écrire des maximes & des regles de conduite ; à proposer certaines pratiques de prieres & de mortification, &c.

Les LITURGIQUES traitent de ce qui concerne le service divin, & la pratique du culte extérieur, d'où se forment les rituels & les eucologies.

Les rituels reglent l'ordre & le cérémonial de l'office & des fonctions ecclésiastiques, conformément aux usages de chaque église.

Les eucologies n'ont pour objet que la priere, soit publique, soit particuliere.

NOMOLOGIE,

DISCIPLINE, DROIT CIVIL, CORPOROLOGIE, ETHICOLOGIE, THESMOLOGIE, PRAXEONOMIE.

Ce genre embrasse tout ce qui traite de l'avantage que les hommes trouvent à être réunis en corps de société, dont la conservation est indispensablement attachée à l'observation des lois. Ces six classes sont distinguées par la diversité des liens qui attachent ou associent les hommes les uns aux autres. Ces liens sont ou église, ou patrie, ou congrégation, ou moeurs, ou usages, ou actions communes.

La DISCIPLINE dans ce système général de Littérature, ne se borne pas comme dans nos écoles, au seul gouvernement de l'église catholique, elle embrasse toutes les lois & tous les réglemens faits pour gouverner les sociétés fondées sur les liens de culte & de religion, & peut se diviser en discipline chrétienne, & en discipline hétéronome.

La discipline chrétienne varie selon les différentes communions qui partagent l'Eglise universelle : mais toutes ces diversités peuvent être réduites sous les communions romaine, greque, & protestante.

La discipline hétéronome renferme tout ce qui concerne le gouvernement des églises non-chrétiennes, telles que celles des Juifs, des Musulmans, & des Gentils idolâtres.

Le DROIT CIVIL : de tout tems les hommes se sont réunis pour se fortifier contre leurs ennemis, & veiller avec plus de sûreté à leur mutuelle conservation, ce qui a formé des patries ; d'où le Droit civil a pris naissance. Il se partage assez naturellement en deux especes, Politique & Jurisprudence.

La Politique a pour objet le Droit public ; c'est-à-dire qu'elle regarde les intérêts, la gloire, la puissance, la forme, & l'administration des états ; d'où les actes conventionnels, les manifestes, les mémoires de négociations, &c.

La Jurisprudence veille aux intérêts des particuliers, décide leurs différends, &c. d'où les lois, les jugemens rendus, les Jurisconsultes, les Praticiens, &c.

CORPOROLOGIE : au milieu des sociétés générales que forme l'église ou la patrie, il s'en éleve de particulieres qui peuvent se diviser en cénobitiques & associations.

La cénobitique comprend les regles claustrales & les autres écrits qui concernent le gouvernement des communautés religieuses.

Les associations renferment toutes les sociétés auxquelles la conformité de profession, d'emploi, ou d'occupations, donne naissance dans le corps civil de l'état : telles sont les académies, les ordres de chevalerie, les compagnies, les corps & métiers, &c. leurs statuts, leurs réglemens, & leurs usages particuliers.

L'ÉTHICOLOGIE : outre les sociétés fondées sur des lois authentiques, il en est une libre & naturelle que l'humanité inspire, & que la raison approuve ; c'est ce qu'on nomme commerce ordinaire de la vie. Les moeurs en sont le lien, & font l'objet de l'éthicologie. Les livres qui appartiennent à cette classe sont distingués par la forme que les auteurs ont donnée à leurs ouvrages ; ce sont ou des traités ou des caracteres.

Les Traités de morale sont des discours suivis ou méthodiques ; adressés au public ou à quelques personnes particulieres, par forme de leçons.

Les Caracteres ne font précisément que mettre les moeurs en tableau par descriptions, qui sans attaquer les personnes, tracent néanmoins tous les traits personnels.

La THESMOLOGIE comprend les livres qui traitent des usages reçus dans les sociétés ; ces usages se distinguent par le cérémonial & les modes.

La PRAXEONOMIE traite des sociétés particulieres & momentanées, de leurs regles, de leurs formes, &c. & se divise en aétiologie & ludicrologie.

L'aétiologie embrasse les pratiques familieres & domestiques.

Le ludicrologie comprend les jeux de hazard, d'adresse, ou de conduite.

HISTORIOGRAPHIE,

NOTICES, HISTOIRES, PERSONOLOGIES, LITTEROLOGIE, FICTIONS, COLLECTIONS.

Les NOTICES sont des ouvrages purement énumératifs, ou des listes méthodiques ; tantôt municipales, tantôt nominales.

Les notices municipales ont pour objet les offices, charges, emplois, siéges & tribunaux ; elles servent à faire connoître la puissance, ainsi que la forme des états & des corps civils.

Les notices nominales exposent les noms des personnes, soit des membres qui composent les différentes sociétés : soit des têtes qui étendent & soûtiennent les familles, soit de ceux qui forment l'ordre & la durée des successions sur les thrones & dans les places distinguées.

Les HISTOIRES narrent les évenemens qui touchent le corps général de quelque société, soit que cette société forme une patrie, ou une simple congrégation ; ce qui divise cette classe en histoires nationales & congrégationales.

Les histoires nationales ont pour objet toutes les sociétés politiques d'état & de nation.

Les congrégationales ont les autres sociétés particulieres, telles que celles de religion.

Les PERSONOLOGIES, sont, ainsi que l'étymologie de la dénomination le fait entendre, une sorte d'historiographie qui a pour objet les personnes en particulier. Cette forme, comme les autres, a deux ordres sous les noms de vies & de voyages. Sous le nom de vies est compris tout ce qui porte le titre de mémoires.

La LITTEROLOGIE a pour objet les faits & les évenemens littéraires, & se divise en doctrinologie, bibliographie.

La doctrinologie fait l'histoire des Sciences & des Arts, c'est-à-dire qu'on y prend soin de faire connoître le tems & les circonstances de leur origine, ainsi que le cours de leurs progrès.

La bibliographie instruit des écrits, que la plume, conduite par le talent de l'esprit, a donnés au public ; ce qui se fait ou par des extraits & des analyses, ou par des catalogues.

Les FICTIONS, enfans de la seule imagination, & faites pour amuser, se masquent d'un faux ait d'histoire par une narration suivie, & se divisent en romans & en contes.

Les COLLECTIONS comprennent tous les ouvrages historiographiques, faits de diverses pieces d'assemblage sans aucun enchaînement d'évenemens & de circonstances : elles peuvent se réduire à deux objets différens, les antiquités & les compilations.

Les antiquités rassemblent ce qui regarde les monumens que la main des hommes a fabriqués, & que les tems n'ont pas détruits ; tels que les bâtimens, les inscriptions, les médailles, les chartres, & autres choses pareilles.

Les compilations ramassent les différens faits indépendans les uns des autres ; tels que les mémoriaux & les dictionnaires historiques.

PHILOSOPHIE, Mathématiques, Cosmographie, Physiographie, Physique, Medecine, Spiritologie.

La nature présente une multitude d'êtres contenus dans un espace, d'où naît l'envie de calculer les uns, & de mesurer l'autre ; de façon que le nombre & la grandeur deviennent une occupation d'esprit, & sont véritablement des connoissances préliminaires & nécessaires à l'étude de la nature.

Un regard ensuite plus attentif fait qu'on regarde le monde comme un vaste pays où l'on voudroit voyager, & dont la totalité se distribue en deux parties, le ciel & la terre. Ce sont deux objets nouveaux à traiter.

A l'idée générale des régions doit naturellement succéder celle d'habitation ; on y rencontre une multitude d'êtres successivement produits & renouvellés, ou par voie de génération, ou par voie de végétation. Leur description fait le travail des Naturalistes.

Le travail constant & infatigable de la nature la fait envisager dans un état d'action, dont la connoissance devient intéressante par le desir de dévoiler ses mysteres, de-là l'étude de la Physique.

L'étude de la nature en action conduit nécessairement à celle de l'état de vie. Une curiosité bien placée par l'intérêt qu'on prend & qu'on doit prendre à sa conservation, détermine l'homme studieux à approfondir la machine animale, pour savoir en quoi consiste la vie, quels en sont les ressorts, ce qui en fait la bonne économie & la santé, & pour découvrir aussi les causes & les regles de sa destruction ou de sa langueur ; d'où la Medecine.

Après avoir considéré la nature sous ses différentes faces, il n'étoit pas naturel d'oublier le plus admirable de ses aspects ; celui où s'appliquant & cherchant à connoître, elle paroit toute spirituelle. L'esprit humain se repliant souvent sur lui-même & sur ses opérations, s'étudie & travaille sur son propre fonds, non-seulement pour se comprendre ainsi que tout ce qu'il imagine être comme lui au-dessus de la sphere corporelle, mais encore pour se faire une méthode de penser & de raisonner, qui serve à le conduire au vrai & au bon. Voilà les raisons sur lesquelles sont fondées les divisions de la Philosophie, dont nous allons rendre compte en particulier.

Les MATHEMATIQUES ayant pour objet le nombre & la grandeur, se divisent en Arithmétique & Géométrie ; sous le nom d'Arithmétique est compris l'Algebre.

La COSMOGRAPHIE se divise en Astronomie & Géographie.

La PHYSIOGRAPHIE s'attache à faire connoître les productions de la nature, & se divise en Psycologie & Végétologie.

La Psycologie considére les êtres produits par voie de génération, & doüés de vie ; c'est-à-dire des animaux de toute espece.

La Végétologie comprend tout ce qui est produit par l'action continuelle de la nature ; tels que sont les plantes, les fruits, les métaux, les minéraux, les coquillages, &c.

La PHYSIQUE est ou spéculative ou pratique.

La spéculative renferme les systèmes, & la pratique les expériences.

La MEDECINE a pour but ce qui concerne la vie & la santé de l'animal : ses deux branches sont la Physiologie & Pathologie.

La Physiologie considere la constitution, les fonctions, & toute l'économie des parties qui composent le corps animé.

La Pathologie étudie les altérations qui peuvent troubler cette machine vivante ; comment on peut prévenir ces accidens, & y remédier ; ce qu'on nomme diete & thérapeutique, qui, ainsi que la Chirurgie & la Pharmacopée, appartiennent à ce dernier ordre.

La SPIRITOLOGIE se divise en Métaphysique & Logique.

La Métaphysique cherche à connoître ce que c'est que l'esprit & la pensée, les propriétés & les opérations de l'ame raisonnable ; elle pousse même ses recherches jusqu'à la divinité.

La Logique s'applique à conduire l'esprit humain dans les routes de la vérité, par des regles sûres & lumineuses. C'est à elle qu'appartient tout ce qui regarde la direction du raisonnement, soit dans la position des principes, soit dans la déduction des conséquences.

PHILOLOGIE.

LEXICOLOGIE, ELOQUENCE, POEMES, THEATRES, LETTRES, CRITIQUE.

Les avantages que procurent les graces du discours, à ceux qui les possedent, font que les hommes se portent avec ardeur à ce qui peut perfectionner leur langage, & leur valoir la réputation de bel esprit. De-là une foule d'ouvrages caractérisés par un goût particulier pour l'art de la parole, & par les tournures & les idées singulieres d'une imagination ingénieuse. Le mot de Philologie caractérise parfaitement ce genre de Littérature, qui se divise comme les autres en six classes.

La LEXICOLOGIE embrasse tout ce qui concerne les langues, soit pour en donner l'intelligence, en conserver la pureté, en faire connoître le génie. Les auteurs de cette classe sont ou grammairiens ou vocabulistes.

Les grammairiens établissent des regles & des principes, discutent la nature des mots pour en connoître les divers accidens, &c. ils traitent aussi de l'orthographe & de la ponctuation.

Les vocabulistes font des observations sur la pureté du langage, en distinguent le bon usage du mauvais. Ils travaillent enfin à bien représenter la valeur ou la signification des mots, & font ce qu'on nomme dictionnaire.

L'ELOQUENCE a pour objet les embellissemens du discours : tantôt elle enseigne les regles de son art, tantôt elle les met en oeuvre ; ce qui distingue ses écrivains en rhéteurs & en orateurs.

Les rhéteurs donnent des préceptes sur les figures du langage, la construction des périodes, &c.

Les orateurs sont uniquement appliqués à l'exécution. Les oraisons funebres, les discours académiques, les éloges des hommes illustres, &c. composent cet ordre.

Les POEMES par leur grande diversité ne sont pas d'une division aussi facile dans l'arrangement d'une bibliotheque, que dans un traité de Poésie. Il faut donc chercher dans le génie même de la Poésie quelque différence assez grande pour que les Poëtes qui se sont attachés à une espece se soient rarement attachés à l'autre, & que par conséquent on puisse fonder là-dessus un partage convenable au systéme bibliographique. M. l'abbé Girard trouve dans la verve poétique deux ames qui vont peu ensemble : l'une élevée & sérieuse, qui frappe vivement l'imagination par la force des images ; l'autre voluptueuse, qui flate ou amuse par l'agrément ou la douceur de la mélodie : de façon qu'il distingue les poëmes en épimétriques & lyriques.

Les épimétriques s'adressent à l'esprit ; ils narrent, peignent, raisonnent ou font parler ; tels sont les poëmes épiques ou héroïques, les odes, les élegies, les satyres, les éclogues, les idylles, les madrigaux, les épigrammes, &c.

Les lyriques sont faits pour les organes de la voix & des oreilles ; ce sont les chansons.

Le THEATRE. M. l'abbé Girard en fait une classe à part & distinguée des poëmes, parce qu'il n'y regarde la versification que comme un accessoire qui ne sert point à caractériser cette sorte d'ouvrages, étant manifestement marqué à un coin très-différent de celui de la cadence & de la mesure des expressions. Ceux qui ont consacré leurs talens aux pieces de théatre se distinguent en tragiques & en comiques.

Les LETTRES. Il n'est ici question que des lettres amusantes : celles qui traitent de dévotion ou de politique appartiennent à d'autres classes. Dans celle-ci on les divise en ingénieuses & galantes, selon que l'esprit & le coeur y ont part.

La CRITIQUE examine, juge, & met au creuset tous les ouvrages. Elle se divise en polygraphique & monographique.

La polygraphique s'attache indifféremment dans un même ouvrage à plusieurs objets & de toutes sortes d'especes.

La monographique n'attaque qu'un ouvrage ou qu'un auteur en particulier, par un écrit destiné à ce seul sujet & fait exprès pour l'examiner d'un bout à l'autre.

TECHNOLOGIE,

CIVIQUES, ACADEMIQUES, GYMNASTIQUES, PLASTIQUES, NUTRITIFS, MYSTERIQUES.

Il est si naturel à l'homme de penser à ses besoins, qu'il n'est pas douteux que les arts n'ayent été d'abord l'unique objet de son travail. Mais quoiqu'il les ait mis au premier rang de ses occupations, il ne leur a pas consacré les prémices de ses écrits, laissant à la pratique le soin de les conserver. Quoique l'on ait écrit un peu tard sur cette matiere, elle a produit un fort grand nombre d'ouvrages, qui peuvent aussi se partager en six classes.

Les ARTS CIVIQUES sont ceux que la politique adopte par préférence dans la constitution du gouvernement. Ils sont souvent cultivés par les citoyens du premier rang. Les uns ont pour but la force & la gloire de l'état ; les autres la richesse, & se divisent en célebres & pécuniaires.

Les Arts célebres méritent ce nom, parce qu'ils offrent de la réputation à ceux qui en font profession, & rendent célebres ceux qui s'y distinguent : tels sont l'Art militaire, la Navigation.

Les Arts pécuniaires sont moins nobles, mais ils sont utiles, tels que le Commerce & la Finance.

Les ARTS ACADEMIQUES sont caractérisés par le génie, dont l'étude a deux principaux objets, le dessein, & les forces mouvantes. L'un renferme les arts iconographiques ; les autres sont le fondement de ce qu'on nomme méchanique.

Les Arts iconographiques représentent, peignent & construisent : ainsi l'écriture, l'Imprimerie, la Peinture, la Gravûre, l'Architecture, &c. composent cet ordre.

La Méchanique enseigne à distribuer sagement, & appliquer à propos les forces mouvantes, d'où naissent la pyretique, l'hydraulique, la pulsative, la statique & l'élatérique.

Les ARTS GYMNASTIQUES ont pour objet ce que l'homme est capable d'exécuter par les mouvemens reglés & compassés de ses organes & de ses membres. Ils sont symphoniques ou dextériques.

Les symphoniques embrassent le Plain-Chant, la Musique, & la Déclamation.

Les dextériques sont enfans de l'action & de l'exercice. La Danse, la Lutte, l'art de monter à cheval, de faire des armes, & tout ce qui dépend de l'adresse & de l'agilité sont de cet ordre.

Les ARTS PLASTIQUES travaillent la matiere pour en faire des ouvrages de consistance. La différente façon de la manier fait ou des manufacturiers ou des manoeuvriers.

Les manufacturiers forment, c'est-à-dire qu'ils donnent à ce qu'ils employent un nouvel être, par la fusion, la composition ou le tissu.

Les manoeuvriers adaptent simplement, c'est-à-dire qu'ils font leurs ouvrages en coupant, taillant, joignant, &c. les matériaux dont ils se servent.

Les ARTS NUTRITIFS se partagent en ruraux & condimentaires.

Les Arts ruraux embrassent le labourage, la culture des jardins, des vignes, des prairies ; la pêche, la chasse & les autres occupations de la campagne.

Les Arts condimentaires assaisonnent les alimens pour les rendre agréables & en varier le goût. La Boulangerie, la Cuisine, l'Office, &c. sont de ce nombre.

Les ARTS MYSTERIQUES marchent sous le voile du symbole, & dans l'obscurité de la divination, ce qui les distingue en symboliques & judiciaires.

Les symboliques comprennent tout ce que les hommes ont imaginé pour produire leurs idées par des figures & des allusions : tels sont le blason, les emblèmes, les devises, les hyéroglyphes, les énigmes, les logogryphes, la stéganographie, &c.

Les Arts judiciaires, qu'on pourroit à juste titre nommer illusoires, sont tous les Arts magiques, enfans de l'oisiveté, de la malice ou du dérangement de l'imagination.

Ceux qui seroient curieux de connoître un plus grand nombre de systèmes bibliographiques, pourroient encore consulter GARNERII systema bibliothecæ collegii parisiensis societatsis Jesu, & les autres dont nous avons parlé au commencement de cet article. La diversité des opinions sur l'ordre & les divisions d'un système bibliographique, semble prouver que c'est une chose assez arbitraire : cependant il doit y en avoir un vraiment conforme à la raison, & je pense que c'est celui où les matieres sont rangées dans le même ordre que l'esprit humain en a acquis la connoissance ; il est vrai qu'il faut beaucoup de philosophie pour saisir cet ordre & le suivre. Mais je ne craindrai point de dire que le système figuré des connoissances humaines que l'on trouve au commencement du premier volume de cet Ouvrage, peut servir d'introduction & de modele à ce travail. Quiconque voudra prendre la peine de l'étudier & de le comparer aux autres système, après les avoir comparés entr'eux & en avoir bien observé les différences, pourra pousser les divisions plus loin, & dresser un plan méthodique ou système, qui ne laissera plus rien d'indéterminé, & qui sauvera l'inconvénient de trouver quelquefois le même livre dans plusieurs classes différentes.

Qu'on me permette, à l'occasion du mot catalogue, d'annoncer ici un ouvrage imprimé depuis peu en Allemagne, sous le titre de bibliotheque curieuse, historique & critique, ou catalogue raisonné des livres difficiles à trouver, par David Clément. Cet ouvrage, dont il n'y a encore que deux volumes in -4°. & qui doit en avoir un plus grand nombre, est rempli de recherches fort savantes & fort curieuses. Les matieres y sont rangées selon l'ordre alphabetique des noms des auteurs, & m'ont paru bien propres à satisfaire la curiosité des amateurs de livres.

Cet article a été fait par M. David l'aîné, un des Libraires associés pour l'Encyclopédie, sur un des manuscrits légués par feu M. l'abbé Girard à M. le Breton, son imprimeur & son ami. Ce manuscrit est intitulé Bibliotheque générale ou essai de Littérature universelle. On voit par cet ouvrage que M. l'abbé Girard, si connu par ses préceptes de la Langue Françoise, & surtout par ses Synonymes, joignoit à la connoissance des signes, une connoissance très-étendue des choses.


CATALOTIQUESadj. (Medec.) c'est ainsi qu'on appelle des remedes dont l'effet est d'applanir & de dissiper les marques grossieres des cicatrices qui paroissent sur la peau. (N)


CATANANCES. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est un bouquet à demi-fleurons, portés chacun sur un embryon, & soûtenus par un calice composé de plusieurs feuilles en écailles. Chaque embryon devient dans la suite une semence garnie d'une couronne de poils, & renfermée dans le calice. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CATANou CATANÉE, (Géog.) ville de Sicile, sur un golfe de même nom, dans une vallée qui s'appelle vallée de Catane.


CATANZARO(Géog.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, dont elle est capitale.


CATAPACTAYMES. f. (Hist. mod.) fête que les peuples du Pérou célebroient avec grande solennité au mois de Décembre, qu'ils appellent bayme, & qui est le commencement de leur année. Cette fête est consacrée aux trois statues du soleil, nommées apointi, churiunti, & intiaquacqui ; c'est-à-dire au soleil pere, au soleil fils, & au soleil frere. Linchostan, Hist. des Indes occid. (G)


CATAPANSS. m. pl. (Hist.) nom des gouverneurs que les empereurs de Constantinople envoyoient dans la Pouille & dans la Calabre en Italie. Quelques savans tirent l'origine de ce mot de , dont les Bysantins se servoient pour marquer un homme d'autorité chargé du commandement : d'autres croyent que c'est un abregé de après l'empereur, ou lieutenant de l'empereur, comme nous disons viceroi. M. Ducange a donné une liste exacte de ces catapans, qu'il dit être nécessaire pour l'intelligence de l'histoire Bysantine, & en fait monter le nombre à soixante-un, depuis Etienne surnommé Maxence, nommé le premier catapan sous Basile le Macédonien, qui commença à regner en 868, jusqu'à Etienne Patrian, qui occupa le dernier cette dignité en 1071, tems vers lequel les Grecs furent chassés de la Calabre & de la Pouille par les Normands.

Aujourd'hui on donne encore le nom de catapan au magistrat de la Police à Naples. (G)


CATAPASMES. m. (Med. & Pharm.) , médicament sec composé de substances pulvérisées, & dont on saupoudre quelque partie du corps.

Ce mot vient du grec ou , & , saupoudrer.

Il y a des catapasmes de différentes sortes ; les uns odoriférans qui servent de parfums : tels sont les différentes especes de poudre dont on se sert pour les cheveux ; d'autres sont fortifians ; on en applique de cette espece sur l'estomac, le coeur, ou la tête ; d'autres, escarotiques, & propres pour consumer les chairs mortes. (N)


CATAPELTES. f. (Hist. anc.) nom d'un instrument de supplice. Le savant Pere Montfaucon conjecture que c'étoit une espece de chevalet, autrement appellé equuleus : d'autres disent que c'étoit une presse composée de planches, entre lesquelles on mettoit & l'on serroit le patient jusqu'à la mort. Suidas qui a fait mention de la catapelte, n'éclaircit rien ni sur sa construction ni sur son usage.


CATAPHORES. f. , terme de Medecine, sorte de léthargie ou d'assoupissement : c'est la même chose que le coma. Voyez COMA.

Ce mot est composé de la préposition , ou , en-bas, & de , je porte.


CATAPHRACTESS. m. pl. (Hist. anc.) on appelloit ainsi dans les armées romaines des cavaliers armés de toutes pieces ; ils étoient couverts de fer eux & leurs chevaux ; pour les chevaux c'étoit des lames de fer, attachées & rangées comme des plumes sur une toile. Tite-Live fait mention des cataphractes, d'où le Pere Montfaucon conclut que cette sorte de cavalerie étoit ancienne. Il ajoute qu'alors elle faisoit la force des armées. Il y avoit du tems de l'empereur Constance dans l'armée Romaine, des cataphractes. Ammien Marcellin dit que les Perses les appelloient clibanaires. Ils portoient des cuirasses & des ceintures de fer ; & vous les eussiez pris, ajoûte le même auteur, plûtôt pour des statues de fer faites de la main de Praxitele, que pour des hommes vivans. Les lames de fer qui composoient les vêtemens militaires des cataphractes, étoient assemblées avec tant d'art, que ce vêtement conservoit toûjours la même grace dans tous les mouvemens, & ne laissoit aucune partie du corps exposé. Il y avoit dans l'armée d'Antiochus, marchant contre Scipion l'Asiatique, trois mille cataphractes à la droite des phalangites. Les Grecs en avoient aussi dans leurs troupes.

* CATAPHRACTES, (Hist. anc.) Les Grecs & les Romains ont donné ce nom à des vaisseaux de guerre du nombre de ceux qu'on appelloit vaisseaux longs. Ils avoient des ponts ; les vaisseaux sans ponts se nommoient aphractes. Les cataphractes sont aussi appellés par les auteurs constratæ naves ; on en attribue l'invention aux Thasiens. Thucydide parlant de la guerre de Troye, dit qu'alors les Grecs n'avoient point de vaisseaux cataphractes ; mais que leurs navires étoient équipés à la maniere des pirates.


CATAPHRYGEou CATAPHRYGIENS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui s'éleverent dans le ij. siecle de l'Eglise, & qu'on nomma de la sorte, parce que leurs chefs étoient de Phrygie, province de l'Asie mineure.

Leurs erreurs consistoient moins dans le relâchement en fait de dogmes, que dans l'excès opposé ; c'est-à-dire dans une sévérité outrée, & une morale extrèmement austere, à laquelle répondoit mal la corruption de leurs moeurs : ils regardoient Montan & ses deux prétendues prophétesses Priscilla & Maximilia, comme les seuls oracles qu'il falloit consulter en matiere de religion, se persuadant que le S. Esprit avoit abandonné l'Eglise, ou qu'il ne la dirigeoit plus que par l'organe de ces fanatiques. Voyez MONTANISTE. (G)


CATAPINA(Geog.) petite ville de l'île de Candie sur la riviere de Cartero.


CATAPLASMES. m. (Med. & Pharm.) remede qu'on applique sur quelque partie du corps. Le cataplasme doit être d'une consistance molle comme de la bouillie : les ingrédiens du cataplasme sont les pulpes de différentes parties des plantes, les graisses & huiles de certains animaux ; on saupoudre aussi les cataplasmes avec les gommes pulvérisées, les farines de diverses especes ; on y fait aussi entrer différentes especes d'onguens ; le tout suivant les indications que l'on a à remplir : de-là vient la division des cataplasmes en anodyns, émolliens, résolutifs, suppuratifs, digestifs, &c.

Le cataplasme composé avec la mie de pain bien écrasée, & bouillie dans le lait avec le safran pulvérisé, est plus en usage, quand il est question d'appaiser les douleurs & d'amollir ; lorsqu'il ne suffit pas, on substitue à la mie de pain & au lait la pulpe des herbes émollientes. Lorsque l'on a intention de résoudre quelques tumeurs, & qu'il en est tems, on ajoûte à cette pulpe la farine de graine de lin, de fénugrec, & la poudre de fleurs de camomille.

Quoique les cataplasmes soient des remedes extérieurs, leur application n'est pas sans danger ; & l'on a souvent vû des tumeurs devenues skirrheuses, & dont il a été impossible de procurer la résolution, pour avoir été traitées avec impéritie : d'autres sont venues à suppuration sans nécessité ; ce que l'on auroit pû éviter si on n'avoit pas mis en usage des cataplasmes peu appropriés. Ainsi il est toûjours bon de consulter un medecin lorsqu'il est question d'appliquer un cataplasme de quelque espece qu'il soit. Voyez TOPIQUE. (N)

CATAPLASMES, (Maréchallerie) Voyez CHARGE, EMMIELURE, REMOLADE.


CATAPPAS(Hist. nat. bot.) c'est le nom d'une espece d'amandier qui croît communément aux Indes orientales, & sur-tout dans l'île de Java. Comme ses feuilles sont très-grandes, & fournissent beaucoup d'ombrage, les habitans du pays ont soin d'en planter autour de leurs jardins, pour les mettre à couvert des gros vents & des rayons brûlans du Soleil. Cet arbre donne une fleur d'un blanc tirant sur le jaune ; son fruit est verd au commencement, & contient un noyau oblong, d'une couleur blanche, qui ressemble à une grosse amande.


CATAPUCES. f. (Hist. nat.) plante médicinale, qu'on appelle communément petite tithymale. Elle purge par haut & par bas avec tant de violence, qu'il y a peu de Medecins qui osent hasarder de l'ordonner. Voyez TITHYMALE.


CATAPULTES. f. (Hist. anc. & Art. milit.) machine dont les anciens se servoient pour jetter de grosses pierres, & quelquefois des dards & des javelots de douze ou quinze piés de long sur les ennemis.

Ce mot est originairement Grec, , formé .

On prétend que la catapulte est de l'invention des Syriens. Quelques auteurs la représentent semblable à la baliste ; d'autres veulent qu'elle soit différente. Voyez BALISTE & ONAGRE.

Le propre de la baliste étoit de lancer des traits d'une grosseur extraordinaire, & quelquefois plusieurs ensemble, dans une gargousse ; & la catapulte lançoit des pierres & des traits tout ensemble, & en très-grand nombre. Folard, Attaque des places des anciens. Voici la description d'une catapulte, suivant cet auteur.

On fait un chassis ou base composée de deux grosses poutres, Planche XII de l'art. milit. 2, 3 ; leur longueur est de quinze diametres des trous des chapiteaux : leur largeur de deux diametres & quatre pouces, & leur épaisseur tout au moins d'un diametre & quatre pouces, le plus n'y fait rien. On pratiquera vers les deux extrémités de chaque poutre de doubles mortoises pour recevoir les huit tenons des deux traversans, 4, 5, chacun de quatre diametres de longueur sans les tenons, observant d'en marquer exactement le centre par une ligne creuse 6 ; le traversant 5 doit être courbe ou moins épais que l'autre, où l'on pratiquera au milieu une entaille arrondie pour donner une plus grande courbure à l'arbre ou bras dont nous parlerons bientôt.

On prendra le centre des deux poutres (2, 3) au sixieme diametre de leur longueur, où l'on pratiquera au milieu de chacune à son épaisseur, un trou 8 parfaitement rond de seize pouces de diametre opposés juste, & vis-à-vis l'un de l'autre. Ils s'élargiront vers l'intérieur du chassis, percés en forme de pavillon de trompette ; c'est-à-dire, que les deux trous opposés qui ont chacun seize pouces de diametre du côté des chapiteaux, en auront dix-sept & demie à l'ouverture intérieure. Il faut en adoucir l'entrée que Vitruve appelle peritretos, & en abattre la carne tout-au-tour. Passons maintenant à la description des chapiteaux, qui sont comme la glande pinéale de la machine, & qui servent à tortiller & bander les cordages qui sont le principe du mouvement.

Les chapiteaux (9) sont de fonte ou de fer, composés chacun d'une roue dentée (10) de deux pouces & demi d'épaisseur. Le trou doit être de onze pouces trois lignes de diametre, parfaitement rond, & les carnes abattues. Le rebord intérieur (11) est de quatre pouces de hauteur ; son épaisseur d'un pouce : mais comme il se trouve plus large d'un pouce par cette épaisseur que le trou pratiqué dans l'extérieur des deux poutres, on fera une entaille arrondie (12) de quatre pouces de profondeur, pour l'introduire juste dans l'entaille. Comme il y auroit un trop grand frottement si les chapiteaux appuyoient de plat contre les poutres, par l'extrême tension des cordages qui les serrent contre, on peut remédier facilement à cet inconvénient par le moyen de six roulettes (13) d'un pouce de diametre sur quatorze lignes de longueur, posées circulairement, & tournant sur leurs axes contre la poutre, comme on voit en A, & la roulette séparée B.

Ces roulettes ou petits cylindres de cuivre fondu, doivent être tournés au tour, & égaux à leur diametre, pour que les chapiteaux portent par-tout également.

Sur cet assemblage de cylindres, on appliquera les chapiteaux (9) de telle sorte, que les cylindres ne débordent pas vers les dents de la roue, qui doivent recevoir un fort pignon (14) par le moyen duquel on fait tourner la roue pour le bandage, & où l'on applique la clé (15), où l'on pratiquera un crochet d'arrêt (16) ; & pour la grande sûreté, on en mettra un autre, pour empêcher que rien ne lâche par l'extrème & violent effort du bandage des cordes entortillées. On use de ces précautions à cause des roulettes, qui ôtant tout le frottement des chapiteaux & facilitant le bandage, font que les chapiteaux sont plus faciles à lâcher par l'extraordinaire tension des cordes, qui est à peine concevable : elle doit l'être encore moins dans une catapulte qui chasse un corps de quatre cent pesant & au-delà. On doit alors employer les roues multipliées ; & pour plus grande précaution ; l'on mettra un fort crochet d'arrêt à chaque roue.

On fait pour les petites catapultes depuis dix livres jusqu'à vingt ou trente, un cercle de fer en maniere de rebord, qui s'éleve au-dessus du bois de trois ou quatre lignes. Ce cercle doit être appliqué sur le bois & retenu par le moyen de huit fortes pointes ; le chapiteau appuyant dessus comme sur plusieurs points, aura beaucoup moins de frottement pour le bandage, que s'il portoit tout entier sur le bois, observant d'abattre les carnes du rebord qui doit aller e n arrondissant. Passons maintenant à la piece capitale qui soûtient tout l'effort & toute la puissance du bandage.

Cette piece est un bouton ou un travers plat (17) de fer battu à froid, qui partage en deux également le trou des chapiteaux à leur diametre, & qui s'enchâsse dans une entaille quarrée d'environ un pouce de profondeur dans l'épaisseur des chapiteaux. Ce travers doit être de deux pouces quatre lignes dans sa plus grande épaisseur d'en-haut (18), qui doit être arrondie & polie autant qu'il sera possible, pour que les cordes qui passent & repassent dessus, ne soient pas endommagées & coupées par les inégalités du fer. La hauteur de cette piece doit être de huit pouces, allant en diminuant depuis le milieu jusqu'en bas (19), qui ne doit avoir qu'un pouce. Cette piece doit entrer juste dans les trous des chapiteaux : cette hauteur donne plus de force, & empêche qu'elle ne plie par l'effort du bandage. Pour moi je crois, dit M. de Folard, qu'il seroit plus sûr de fondre les chapiteaux avec les travers, ou les faire de même métal : je voudrois m'en tenir là.

Après avoir appliqué les deux chapiteaux contre les trous des deux poutres, tous les deux dans une égale situation, & posé les deux pieces traversantes & diamétrales, sur lesquelles passe le cordage, on passe un des bouts de ce cordage à travers de l'un des trous d'un chapiteau & de la poutre ; on amarre ce bout à un clou planté dans l'intérieur de la poutre, de telle sorte qu'il ne lâche point ; on prend ensuite l'autre bout de la corde, qu'on passe à-travers du trou de la poutre & du chapiteau opposé, & on file ainsi ce cordage passant & repassant sur les deux travers de fer qui partagent les trous des chapiteaux, la corde formant un gros écheveau (20) qui doit remplir entierement toute la capacité des deux trous : alors on lie le premier bout de la corde avec le dernier. La tension doit être égale, c'est-à-dire que les différens tours de la corde passés & repassés, doivent être tendus à force égale, & si près-à-près l'un de l'autre, qu'il n'y ait aucun intervalle entre chaque tour de corde. Dès que le premier tour ou lit de corde aura rempli l'espace de fer diamétral, on passera un autre lit par-dessus le premier, & ainsi les uns sur les autres, & toûjours également tendus jusqu'à ce qu'il ne puisse plus rien entrer dans les deux trous, & que l'écheveau les remplisse totalement ; observant de frotter de tems en tems le cordage avec du savon. On peut encore passer & repasser la corde par les deux bouts, en prenant le centre.

A trois ou quatre pouces derriere l'écheveau des cordes, s'éleve un fort montant (21), composé de deux poteaux équarris de bois de chêne de quatorze pouces de grosseur & des trois traversans à tenons & à mortoises. Comme ce montant se trouve à deux ou trois pouces derriere le gros écheveau de corde, il est nécessaire qu'il soit posé obliquement vers l'écheveau, de telle sorte que le bras (22) enfermé par son bout d'en-bas, au milieu & au centre d'entre les cordes de l'écheveau, dont une moitié l'embrasse d'un côté & de l'autre ; il est nécessaire, dis-je, qu'il soit baissé de telle sorte que le bras appuie un peu obliquement sur le coussinet (23), qui doit être mis au centre du traversant (24). La hauteur du montant (21) est de sept diametres & demi & trois pouces, appuyé derriere par trois forts liens ou contre-fiches (25), assemblées par le bas dans l'extrémité des deux poutres (2, 3), & celle du milieu (26), au traversant (24), avec tenons & mortoises. Les poteaux & les traversans doivent être embrassés par de doubles équerres larges de quatre pouces, & épaisses de trois lignes, assurées par des boutons arrêtés par une goupille pour les tenir fermes.

On observera de mettre le coussinet (23) au centre, comme je l'ai dit, & qu'il soit couvert de cuir de boeuf passé & garni de bourre ; car c'est contre ce coussinet que le bras va frapper avec une très-grande force.

Lorsqu'on vouloit mettre la catapulte en batterie & en état de jetter des pierres, on mettoit le bout d'en-bas de l'arbre ou du bras, dans l'entre-deux & au centre de l'écheveau de corde. Ceci est d'autant plus important, que s'il ne se rencontroit pas dans ce juste milieu, la tension se trouveroit inégale ; & ce qu'il y a de cordages plus d'un côté que de l'autre, se casseroit infailliblement dans la tension : ce qui mérite d'être observé. Pour n'être pas trompé dans une chose si importante ; on peut mettre un morceau de bois en formant l'écheveau de la grosseur du bout d'en bas du bras. Ce morceau de bois servira pour marquer le centre des cordes, en les passant & repassant dans les trous des chapiteaux.

Le bras ou style, comme Ammien Marcellin l'appelle, doit être d'excellent bois de frêne, & le plus sain qu'il sera possible de trouver. Sa longueur est de quinze à seize diametres du trou des chapiteaux. Le bout d'en-bas engagé dans le milieu de l'écheveau, est de dix pouces d'épaisseur, & large de quatorze ; c'est-à-dire qu'il doit être plus étroit dans la premiere dimension que dans la seconde, pour lui donner plus de force & empêcher qu'il ne plie ; car si on s'appercevoit que le bras pliât, il faudroit lui donner plus de largeur.

On doit laisser ces dimensions au bout d'en-bas que les cordes embrassent, en rabattre les carnes ; car sans cette précaution, elles couperoient ou écorcheroient les cordes qui sont de boyau. Le reste du bras doit être taillé en ellipse, moins épais d'un pouce que le bout enchâssé dans l'écheveau, & de la même largeur jusqu'à l'endroit où il vient frapper le coussinet, qui doit être plus épais, mais plat, de peur que la violence du coup ne la coupât en deux. C'est en cet endroit que le bras doit être un peu plus courbe. Pour fortifier davantage le bras ou l'arbre, dont l'effort est tout ce qu'on peut imaginer de plus violent, on doit le garnir tout-autour dans une toile trempée dans de la colle forte, comme les arçons d'une selle, & rouler autour une corde goudronnée de deux lignes de diametre ; si serrément & si près-à-près, qu'il n'y ait aucun intervalle entre les tours. On doit commencer cette liure hors du gros bout d'en-bas. La figure suffit de reste pour le faire comprendre. Traité de l'Attaque des Places des anciens, par M. le chevalier Folard.

Les effets des catapultes étoient considérables. On lançoit avec ces machines des poids de plus de 1200 livres. Elles étoient encore en usage en France dans le xij. & le xiij. siecle. Le P. Daniel, dans l'Histoire de la Milice Françoise, cite un passage de Froissart, qui fait voir la force surprenante de ces sortes de machines. Il nous apprend qu'au siége de Thyn-Lévêque aux Pays-Bas, le Duc Jean de Normandie fit charrier grand foison d'engins de Cambray & de Douay, & entr'autres six fort grands, qu'il fit lever devant la forteresse, lesquels jettoient nuit & jour grosses pierres & mangonneaux, qui abattoient les combles & hauts des tours, des chambres, & des sales : tellement que les compagnons qui gardoient la place, n'osoient demeurer que dans les caves & les selliers. Ceux de l'ost leur jettoient encore plus par leurs engins des chevaux morts, & autres charoignes infectes pour les empuantir là dedans, dont ils étoient en grande détresse ; & de ce furent plus contraints que de nulle autre chose, parce que même il faisoit chaud comme en plein été, &c.

C'étoit, dit M. de Folard que nous copions ici, une très-grande incommodité que ces chevaux lancés dans une place assiégée ; rien n'étoit plus capable d'y mettre la peste, ou du moins d'occuper une partie de la garnison pour les enterrer & se délivrer de l'infection de ces cadavres.

L'histoire de Ginghiscan & de Timur-Beg nous fournit une infinité d'exemples de la force & de la puissance de ces sortes de machines. Les catapultes dont ces conquérans se servoient étoient si énormes qu'elles chassoient des meules de moulin & des masses affreuses ; qu'elles renversoient tout ce qu'elles rencontroient avec un fracas épouvantable. Ces machines paroissent avoir subsisté jusqu'à l'invention de la poudre. L'usage du canon qui les détruisoit facilement, les fit disparoître : cependant M. le chevalier de Folard croit qu'elles seroient encore aujourd'hui supérieures à nos mortiers.

Les effets en sont à-peu-près les mêmes pour jetter des corps pesans, capables d'écraser par leur poids les édifices les plus solides : la catapulte a même quelque avantage en cela sur le mortier. Il faut bien moins de dépense pour le transport des choses nécessaires à la construction de la premiere ; que pour le transport du dernier.

Ce que l'on doit le plus considérer dans la catapulte, dit toûjours le chevalier Folard ; c'est la certitude de son effet & la justesse de ses tirs différens. " On est assûré de jetter les pierres où l'on veut ; car il n'y a point de raison qui puisse faire qu'elle chasse plus ou moins loin, ou plus ou moins juste en un tems qu'en un autre sur les mêmes degrés d'élévation & de bandage. Il n'en est pas ainsi de nos mortiers, à cause des différens effets ou des différentes qualités de la poudre ; car quoiqu'elle soit de même nature en apparence, elle ne l'est pas en effet. Un barril n'est jamais semblable à un autre barril ; la poudre n'est jamais égale en qualité & en force, &c.

Il est vrai, comme l'observe M. de Folard, que les effets de la poudre sont fort irréguliers : mais le ressort des cordes de la catapulte qui en fait toute la force, seroit à-peu-près sujet aux mêmes variations à cause des différentes impressions de l'air : ainsi il n'y a guere d'apparence que le coup de la catapulte puisse être beaucoup plus sûr que celui du mortier ; mais cette machine paroît avoir un avantage très-évident sur le pierrier.

" La portée la plus grande des mortiers-pierriers de quinze pouces de diametre à leur bouche ne va guere au-delà de cent cinquante toises. Les cailloux chassés par une catapulte, parcourront un plus grand espace, & écarteront beaucoup moins. Cet avantage est beaucoup plus grand qu'on ne pense ; car lorsqu'il en peut tomber une plus grande quantité dans un logement, dans une batterie, dans les sappes, dans un ouvrage, & dans un chemin couvert, quel desordre ! quelle exécution ces sortes de machines ne feront elles pas ? En jettant si juste, soit des pierres ou des bombes, il n'y a point de batterie qui ne puisse être démontée, ni de logement qu'une grêle de caillous ne fasse abandonner ". Folard, Traité de l'attaque des places des anciens. (Q)


CATARACTAIRESS. m. plur. (Hist. anc.) il paroît que c'est ainsi qu'on appelloit anciennement les geoliers ou gardes-portes des prisons, & les gardes des prisonniers.


CATARACTE D'EAU(Physiq.) chûte ou précipice dans le canal ou lit d'une riviere, qui a pour cause des rochers ou autre chose qui arrête le courant, & fait tomber l'eau avec bruit & une grande impétuosité.

Ce mot vient du grec , cum impetu decido, je tombe avec impétuosité ; lequel est composé de , en-bas, & de , dejicio, je jette en-bas.

M. de Maupertuis, dans la relation curieuse & intéressante de son voyage au Nord, parle des cataractes du fleuve de Torneao, & de la maniere dont les gens du pays les franchissent dans des nacelles fort minces. On peut voir aussi dans le tome I. de l'histoire ancienne de M. Rollin, la description abrégée des cataractes du Nil, & de l'intrépidité avec laquelle les peuples du pays s'y exposent.

Strabon appelle aussi cataractes, ce qu'on appelle aujourd'hui cascade ; & ce que nous appellons présentement cataracte, les anciens l'appelloient catadupes. Voyez CASCADE & CATADUPES.

Dans presque tous les fleuves, dit M. de Buffon, la pente va en diminuant jusqu'à leur embouchure d'une maniere assez insensible : mais il y en a dont la pente est très-brusque dans certains endroits, ce qui forme ce qu'on appelle une cataracte, qui n'est autre chose qu'une chûte d'eau plus vive que le courant ordinaire du fleuve. Le Rhin, par exemple, a deux cataractes ; l'une à Bilefeld, & l'autre auprès de Schaffouse. Le Nil en a plusieurs, & entr'autres deux qui sont très-violentes & qui tombent de fort haut entre deux montagnes : la riviere Vologda, en Moscovie, a aussi deux cataractes auprès de Ladoga : le Zaïre, fleuve du Congo, commence par une forte cataracte qui tombe du haut d'une montagne : mais la plus fameuse cataracte est celle de la riviere Canada, en Canada ; elle tombe de cent cinquante-six piés de hauteur perpendiculaire comme un torrent prodigieux, & elle a plus d'un quart de lieue de largeur ; la brume ou le brouillard que l'eau fait en tombant se voit de cinq lieues, & s'éleve jusqu'aux nues ; il s'y forme un très-bel arc-en-ciel lorsque le Soleil donne dessus. Au-dessous de cette cataracte il y a des tournoyemens d'eau si terribles, qu'on ne peut y naviger jusqu'à six milles de distance ; & au-dessus de la cataracte la riviere est beaucoup plus étroite qu'elle ne l'est dans les terres supérieures. Voyez Transact. philosoph. abr. vol. VI. part. II. page 119. Voici la description qu'en donne le Pere Charlevoix : " Mon premier soin fut de visiter la plus belle cascade qui soit peut-être dans la nature : mais je reconnus d'abord que le baron de la Hontan s'étoit trompé sur sa hauteur & sur sa figure, de maniere à faire juger qu'il ne l'avoit point vûe.

Il est certain que si on mesure sa hauteur par les trois montagnes qu'il faut franchir d'abord, il n'y a pas beaucoup à rabattre des six cent piés que lui donne la carte de M. de l'Isle, qui sans-doute n'a avancé ce paradoxe que sur la foi du baron de la Hontan & du P. Hennepin : mais après que je fus arrivé au sommet de la troisieme montagne, j'observai que dans l'espace de trois lieues que je fis ensuite jusqu'à cette chûte d'eau, quoiqu'il faille quelquefois monter, il faut encore plus descendre, & c'est à quoi ces voyageurs paroissent n'avoir pas fait assez d'attention. Comme on ne peut approcher la cascade que de côté, ni la voir que de profil, il n'est pas aisé d'en mesurer la hauteur avec les instrumens : on a voulu le faire avec une longue corde attachée à une longue perche, & après avoir souvent réiteré cette maniere, on n'a trouvé que cent quinze ou cent vingt piés de profondeur : mais il n'est pas possible de s'assûrer si la perche n'a pas été arrêtée par quelque rocher qui avançoit ; car quoiqu'on l'eût toûjours retirée mouillée aussi-bien qu'un bout de la corde à quoi elle étoit attachée, cela ne prouve rien, puisque l'eau qui se précipite de la montagne réjaillit fort haut en écumant. Pour moi, après l'avoir considérée de tous les endroits d'où on peut l'examiner à son aise, j'estime qu'on ne sauroit lui donner moins de cent quarante ou cent cinquante piés.

Quant à la figure, elle est en fer à cheval, & elle a environ quatre cent pas de circonférence, mais précisément dans son milieu elle est partagée en deux par une île fort étroite, & d'un demi-quart de lieue de long, qui y aboutit. Il est vrai que ces deux parties ne tardent pas à se rejoindre ; celle qui étoit de mon côté, & qu'on ne voyoit que de profil, a plusieurs pointes qui avancent : mais celle que je découvrois en face me parut fort unie. Le baron de la Hontan y ajoûte un torrent qui vient de l'oüest : il faut que dans la fonte des neiges les eaux sauvages viennent se décharger-là par quelque ravine, &c. " pag. 332. &c. tom. III.

Il y a, continue M. de Buffon, une cataracte à trois lieues d'Albanie, dans la nouvelle Yorck, qui a environ cinquante piés de hauteur ; & de cette chûte d'eau il s'éleve aussi un brouillard dans lequel on apperçoit un leger arc-en-ciel, qui change de place à mesure qu'on s'en éloigne ou qu'on s'en approche. Voyez Trans. phil. abr. vol. VI. pag. 119.

En général dans tous les pays où le nombre d'hommes n'est pas assez considérable pour former des sociétés policées, les terreins sont plus irréguliers & le lit des fleuves plus étendu, moins égal, & rempli de cataractes. Il a fallu des siecles pour rendre le Rhône & la Loire navigables ; c'est en contenant les eaux, en les dirigeant & en nettoyant le fond des fleuves, qu'on leur donne un cours assûré. Dans toutes les terres où il y a peu d'habitans, la nature est brute & quelquefois difforme. Hist. nat. de MM. de Buffon & Daubenton, tom. I.

Il est dit dans la Genese, à l'occasion du déluge, que les cataractes du ciel furent ouvertes. Il y a apparence que le mot de cataractes en cet endroit, signifie un grand réservoir d'eau.

M. Newton a donné le nom de cataracte à la courbe que décrivent, selon lui, les particules d'un fluide qui s'échappent d'un vase par un trou horisontal. Voyez HYDRODYNAMIQUE. (O)

CATARACTE, s. f. (Hist. nat. Ornith.) cataracta Ald. oiseau qui approche beaucoup du gannet, voyez GANNET. Le dessous du corps, les ailes, & le dos, sont d'une couleur brune roussâtre mêlée de blanc & de jaune ; toute la face supérieure est de couleur blanche mêlée de brun roussâtre : il a la bouche grande & large ; le bec est très-gros, pointu, crochu & fort ; il est épais d'un pouce, & de couleur noire : le cou est un peu allongé ; les ailes s'étendent jusqu'à l'extrémité de la queue, qui est de la longueur d'une palme & de couleur noirâtre : les cuisses sont couvertes de plumes jusqu'à la jambe : les pattes, les doigts, & la membrane qui joint les doigts ensemble, sont de couleur cendrée : les ongles sont noirs, crochus, & petits. La cataracte differe du gannet par la petitesse du corps & des ongles ; cependant Willughby soupçonne que ces deux noms devroient être rapportés au même oiseau, parce qu'il croit qu'Aldrovande a fait sa description sur une représentation & non pas sur l'oiseau naturel. Aldrovande, Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

* CATARACTE, s. f. (Hist. anc.) c'est ainsi que les anciens appelloient ces défenses que nous plaçons à l'entrée des villes de guerre, & que nous appellons herse. Voyez HERSE.

CATARACTE, ou SUFFUSION, (Chirurgie) suivant l'opinion des anciens est une membrane ou pellicule qui nage dans l'humeur aqueuse de l'oeil, & qui se mettant au-devant de la prunelle, empêche la lumiere d'y entrer. Voyez VUE.

Ils croyent que la cataracte est formée par la condensation des parties les plus visqueuses de l'humeur aqueuse entre la tunique uvée & le crystallin ; quoique quelques-uns pensent que cette pellicule est détachée du crystallin même, qui n'est qu'un composé de plusieurs petites pellicules appliquées les unes sur les autres. Voyez CRYSTALLIN.

Il y a deux sortes de cataractes, la vraie & la fausse : la vraie a plusieurs degrés & plusieurs noms différens : d'abord le malade voit des especes de brouillards, d'atomes, de mouches, &c. sur les objets exposés à sa vûe. Jusque-là la cataracte est appellée imaginaire, parce qu'il n'y a encore à l'oeil aucun changement sensible dont d'autres personnes que le malade puissent s'appercevoir. A mesure que la suffusion augmente, la prunelle commence à prendre une couleur de verd de mer, ou quelquefois celle d'un air rempli de brouillards ; & alors la cataracte s'appelle chûte d'eau. Lorsque le mal est arrivé à son plus haut période, & que la matiere est suffisamment coagulée, le malade perd tout-à-fait la vûe ; la prunelle cesse d'être transparente, mais devient blanche ou brune, ou de quelqu'autre couleur ; & c'est en cet état que le nom de cataracte convient proprement à cette maladie.

Voilà la théorie commune sur les cataractes, à laquelle quelques medecins & chirurgiens modernes, tels que Heister, Brisseau, Maître Jan, &c. en opposent & en substituent une nouvelle. Ils pensent que la membrane ou pellicule qui s'oppose au passage des rayons de la lumiere, n'est autre chose que le crystallin même qui a été ainsi condensé, & qui a perdu sa transparence, & qu'alors au lieu de servir d'instrument à la vision, il y sert d'obstacle, en empêchant les rayons de pénétrer jusqu'à la rétine. Cette altération dans sa transparence est accompagnée d'un changement de couleur : il devient quelquefois verdâtre ; & c'est pour cela que les Grecs ont appellé cette indisposition de l'oeil glaucome. Ainsi dans le sentiment de ces auteurs, le glaucome & la cataracte sont la même chose : quoique dans l'autre hypothese ce soient deux maladies fort différentes, dont l'une, à savoir la premiere, passe pour incurable, & non pas l'autre. Voyez GLAUCOME.

La principale preuve qu'on ait apportée en faveur de cette seconde hypothese, à l'académie royale des Sciences où elle a été proposée, est qu'après qu'on a abaissé la cataracte, la personne ne peut plus voir qu'à l'aide d'un verre lenticulaire. Or si on n'avoit rien fait qu'enlever une pellicule de devant le crystallin, il seroit après l'opération dans le même état qu'avant la formation de la cataracte, & feroit les mêmes réfractions ; & il ne seroit pas besoin de verre lenticulaire : au lieu qu'en supposant que c'est le crystallin qui a été enlevé, on conçoit qu'il faut un verre lenticulaire pour suppléer à sa fonction.

A cela on répond, qu'il y a eu des personnes qui ont vû après l'opération sans le secours d'aucun verre ; & il est du moins très-constant, qu'immédiatement après l'opération, bien des personnes ont vû très-distinctement ; & quoiqu'il ait fallu bien-tôt après un verre lenticulaire, les premiers instans pendant lesquels la personne a pu s'en passer, suffisent pour prouver que ce n'étoit point le crystallin qu'on avoit rangé.

M. de la Hire, en preuve de l'ancien système, apporte pour raison de la nécessité du verre lenticulaire après l'opération, que le vice qui a produit la cataracte est encore subsistant dans l'humeur aqueuse, qui étant trouble & épaisse, ne laisse passer que peu de rayons ; inconvénient à quoi on remédie par le verre lenticulaire qui en réunit un plus grand nombre sur la rétine. Il ajoûte quelques expériences faites sur des yeux de boeufs, d'où il résulte que le crystallin ne sauroit être rangé entierement au fond de l'oeil, mais quand il en reste toûjours assez pour empêcher le passage d'une grande partie des rayons, tant à cause de son volume, que parce qu'il est soûtenu par l'humeur aqueuse & vitrée. Il observe de plus que dans l'opération de la cataracte, l'aiguille pourroit égratigner la surface antérieure du crystallin, & ouvrir la membrane qui lui sert d'enveloppe ; d'où s'ensuivroient des rides qui rendroient les réfractions irrégulieres, & changeroient la direction des rayons qui se rencontreroient tous au même point ; au moyen de quoi la représentation des objets se feroit d'une maniere imparfaite. Il prétend enfin que si c'étoit le crystallin qui fût dérangé, la personne ne verroit plus du tout, parce que les réfractions nécessaires pour la vision ne pourroient plus se faire du tout. Voyez CRYSTALLIN & VISION.

M. Antoine rapporte, en faveur du sentiment opposé, qu'en disséquant le corps d'une personne à qui on avoit fait l'opération de la cataracte aux deux yeux, il avoit trouvé les deux crystallins actuellement couchés & rangés au fond, entre l'humeur vitrée & la tunique uvée, où l'aiguille les avoit laissés, & que la personne néanmoins après cette opération, n'avoit pas laissé de voir ; d'où il infere que le dérangement du crystallin est pratiquable, & peut ne pas détruire la vision. En effet, on peut supposer que l'humeur vitrée & aqueuse, après qu'on a écarté le crystallin, est venue remplir la cavité, qu'elle a pris la forme de son moule, & a produit les réfractions que l'humeur crystalline produisoit elle-même ; car il est constant par l'expérience que l'une & l'autre de ces deux humeurs produit les mêmes réfractions. Voyez OEIL.

Cependant pour faire voir qu'il y a des cataractes distinctes des glaucomes, M. Littre a montré à la société royale de Londres, l'oeil d'un homme qui n'avoit point vû pendant les vingt-deux dernieres années de sa vie, où il y avoit une cataracte ou pellicule très-distincte qui couvroit l'ouverture de la prunelle. Voyez PUPILLE, VISION, &c.

Feu M. de la Peyronie, premier chirurgien du Roi, pensoit qu'il pouvoit y avoir des cataractes membraneuses ; il croyoit que la membrane qui couvre la partie antérieure du crystallin, & qui forme en partie la capsule de ce corps, pouvoit perdre sa transparence, se séparer peu à peu du crystallin, & devenir adhérente au cercle de l'iris : dans ce cas, on pourroit abattre le crystallin, sans pour cela détruire la cataracte.

On dit qu'on ne doit faire l'opération que lorsque la cataracte est bien mûre : les signes de maturité sont 1°. que la couleur en soit égale en toutes ses parties ; car les cataractes marbrées sont ordinairement caséeuses ; elles n'ont pas une consistance égale dans tous leurs points, ce qui est indiqué par la couleur variée ; ces sortes de cataractes ne sont point assez fermes pour soûtenir l'action de l'aiguille, & se partagent en différentes parties, ce qui rend fort souvent l'opération infructueuse : 2°. que les malades n'apperçoivent plus qu'une foible lueur ; qu'ils ne fassent qu'appercevoir les ombres des corps opaques que l'on passe devant leurs yeux, & qu'ils soient affectés par le grand jour.

Lorsque dans cet état l'iris ou cercle de la prunelle se dilate à l'obscurité, & se resserre au grand jour, on peut entreprendre l'opération après avoir préparé le malade par les remedes généraux.

Pour faire l'opération, on fait mettre le malade sur une chaise posée vis-à-vis des fenêtres, à une distance convenable & un peu de biais, afin que la lumiere ne frappe point à plomb le visage du malade. On choisit pour cela un jour bien serein : mais il faut prendre garde qu'un rayon de soleil ne puisse venir frapper les yeux du malade. Le Chirurgien s'assied sur une chaise un peu plus haute, afin d'opérer commodément étant plus élevé que le malade. S'il n'y a qu'un oeil d'incommodé, on applique sur le sain une compresse en plusieurs doubles avec une bande posée obliquement ; un aide qui est debout derriere le malade, lui appuie fermement la tête sur sa poitrine. Voyez Planche XXIV. fig. 4.

L'opérateur prend alors une aiguille convenable, voyez AIGUILLE, & prie le malade de tenir son oeil ouvert, & de le tourner comme s'il vouloit regarder le bout du nez. Il lui recommande de le tenir aussi ferme qu'il pourra dans cette situation. Il pose ensuite le doigt index de sa main droite, si c'est l'oeil droit sur lequel il opere, au-dessous du sourcil, & le pouce sur la pommette de la joue, pour tenir les paupieres ouvertes par l'écartement de ces deux doigts. Quelques praticiens se servent d'un instrument nommé speculum oculi, pour écarter les paupieres & tenir le globe de l'oeil à découvert. Voyez SPECULUM OCULI. Alors le chirurgien reçoit de la main gauche, si c'est l'oeil droit sur lequel il opere, & de la main droite, si c'est l'oeil gauche, l'aiguille qu'un aide lui présente : il la tient par le milieu du manche avec le pouce, le doigt index & celui du milieu, à-peu-près comme on tient une plume pour écrire. Il appuie le petit doigt & l'annulaire sur la tempe, pour empêcher sa main de vaciller, & pique hardiment le globe de l'oeil du côté du petit angle, à deux lignes du cercle extérieur de l'iris, & sur la ligne qu'on imagineroit être tirée d'un angle à l'autre. Voyez figure 4. & 5. Plan. XXIV. Il perce la conjonctive, la cornée opaque, & l'uvée. Quand il a pénétré l'uvée, il couche un peu le manche de son aiguille du côté de la tempe, & la pousse doucement pour en porter la pointe vers la partie supérieure de la cataracte ; & en l'appuyant un peu vers le bas de l'oeil, il l'abaisse, la détache du lieu qu'elle occupoit, & il la met enfin au-dessous de la pupille. S'il y avoit quelques adhérences autour du chaton, on coupe avec le tranchant de l'aiguille les portions de la membrane capsulaire, qui font obstacle à la précipitation de la cataracte. Lorsqu'elle est abaissée, le chirurgien la tient en cet état pendant un peu de tems, & releve ensuite la pointe de son aiguille : si la cataracte reste abaissée, l'opération est faite : si elle remonte & fait le pont-levis, il appuie dessus, & l'abaisse un peu plus que la premiere fois, & la contient ainsi pendant un peu plus de tems. Il releve encore la pointe de son aiguille ; & si la cataracte remonte encore, quelques praticiens la piquent & tournent leur aiguille en rond pour la rouler, & la rangent ensuite au côté externe de l'intérieur de la cavité de l'oeil, en retirant leur aiguille avec la précaution de hausser le manche.

Lorsque l'opération est faite, on ferme les paupieres, & on applique sur tout l'oeil une compresse en plusieurs doubles, trempée dans un collyre fait avec l'eau de rose, l'eau de plantain, & un blanc d'oeuf, battus ensemble : on bande l'oeil sain de même que le malade, parce que les mouvemens des yeux étant réciproques, l'oeil malade seroit fatigué par l'action du sain. Le bandage se nomme oeil-double. Voyez ce mot.

On saigne le malade, s'il survient inflammation : il est toûjours prudent de le faire pour la prévenir. Cette opération présente beaucoup de difficulté, dont il faut s'instruire dans les livres des maîtres de l'art ; & en les suivant dans la pratique, la réussite peut dépendre des précautions avec lesquelles on s'expose aux impressions de la lumiere. Une femme de soixante ans, aveugle depuis six, me pria de voir ses yeux : je reconnus deux cataractes, dont je lui fis l'opération aux deux yeux de suite avec succès. Il n'y survint point d'accidens. Je lui permis le dixieme jour d'avoir les yeux ouverts une heure le matin & autant le soir. Je ne voulois lui accorder l'usage de ses yeux que par degrés ; la satisfaction de voir lui fit négliger mes avis. Le dix-septieme jour, après avoir été examinée par plusieurs chirurgiens de Paris qui avoient assisté à l'opération, & qui en jugerent fort avantageusement, cette femme fatigua beaucoup sa vûe, & devint aveugle l'après-dînée en regardant quelqu'un à une lumiere fort vive. L'iris qui se contractoit & se dilatoit fort bien lorsque l'oeil étoit plus ou moins exposé à la lumiere, est actuellement immobile & fort dilatée, comme dans la goutte-sereine. Cette grande dilatation laisse appercevoir à un des yeux une portion de la cataracte, qui déborde la partie inférieure du cercle de la prunelle.

Une personne à qui on a abattu la cataracte, ressemble à ces hommes qui sortant tout-à-coup d'une caverne obscure, ne peuvent supporter l'éclat du grand jour : il faut que des gradations insensibles de lumiere préparent la vûe à en recevoir les rayons ; faute de ce ménagement, on risque de perdre tout-à-fait l'organe. (Y)


CATARRHES. m. (Méd.) fluxion ou distillation qui, selon Hippocrate, se fait de la tête dans la bouche, & de-là sur la trachée-artere & le poumon. Le siége de cette maladie est dans les sinus de la base du crane, & les glandes de la membrane pituitaire qui tapisse ces sinus. Cette humeur étant en plus grande quantité qu'elle ne doit être, & devenant acre, occasionne les symptomes suivans : une chaleur & une sécheresse insupportable dans le gosier & le nez, dans la bouche & la gorge ; l'engorgement des vaisseaux de ces parties, d'où naissent la roideur dans les muscles du cou, la tension des tégumens, l'enchifrenement, l'écoulement involontaire d'une humeur séreuse & acre par les narines ; ce qui caractérise ce que l'on appelle vulgairement rhûme de cerveau.

Lorsque cette humeur ne se fixe pas sur ces parties, & qu'elle occupe les glandes du poumon, elle irrite les parties nerveuses des bronches, & occasionne l'enrouement & la toux : lorsque ces parties par l'irritation qu'elles ont essuyée se trouvent engorgées, il s'ensuit oppression, râlement, & autres accidens funestes : lorsque l'humeur bronchiale est retenue long-tems dans ces glandes par le resserrement qui y a été occasionné, on doit craindre l'inflammation du poumon & la fievre. Un rhûme leger d'abord peut devenir, en le négligeant, très-dangereux pour le malade ; car alors les vaisseaux capillaires du poumon cedent à la force de la toux, se rompent, d'où suit le crachement de sang ; accident qu'Hippocrate a regardé comme décisif pour le malade, puisqu'il s'est expliqué ainsi à ce sujet : à sanguinis sputo, puris sputum ; à puris sputo tabes, à tabe mors.

Les causes éloignées du catarrhe sont tout ce qui peut occasionner la surabondance de l'humeur des glandes dont j'ai parlé ci-dessus ; comme la suppression ou la diminution de la transpiration, en sortant d'un endroit chaud & passant subitement dans un lieu froid, en s'exposant à un vent violent, soit à pié, soit à cheval ; en chantant ou en criant dans un lieu exposé au grand air.

Le traitement de cette maladie consiste dans le rétablissement de la transpiration, par les boissons abondantes d'infusions ou de décoctions de plantes légerement sudorifiques. La boisson abondante d'eau tiede suffit quelquefois pour parvenir à ce but : on y mêle cependant quelques cuillerées de sirop, comme celui de capillaire, de guimauve, & autres de cette espece.

Lorsqu'il y a fievre & inflammation considérable, la saignée est très-bien indiquée ; car par ce moyen l'on vient à bout de faire cesser l'engorgement actuel & d'en prévenir un plus grand ; & c'est très-mal-à-propos que la plûpart des gens enrhûmés, & qui sont dans le cas dont il est question ici, craignent la saignée, dans l'idée que le rhûme leur tomberoit sur la poitrine : ils penseroient autrement, s'ils savoient d'où vient la toux ; & que c'est le seul moyen de la diminuer, & d'en prévenir les mauvais effets. Voyez PERIPNEUMONIE & TOUX.

Il y a encore une espece de catarrhe que l'on appelle suffoquant ; parce que tout-à-coup la maladie se jette sur le larynx & l'épiglotte, & que le malade est en danger de suffoquer, s'il n'est promtement secouru. Ces parties sont dans un si grand resserrement, que l'air a très-grande peine à entrer & sortir. Il est donc question de procurer à l'instant même, par les saignées copieuses & réitérées, quelque relâchement ; de détourner par les lavemens, les vésicatoires, & autres remedes de cette espece, l'humeur qui est la cause de ce mal, auquel le malade succomberoit en très-peu de tems. (N)


CATARTHIQUEadj. (Medecine) médicament qui a la vertu d'évacuer les humeurs par les selles : il est tiré du mot grec , purgation.

Quoique ce terme semble signifier généralement toute sorte d'évacuations, soit naturelles soit artificielles, par quelque voie que ce soit, comme la bouche, l'anus, la matrice, le passage des urines, ou les pores de la peau ; cependant on a donné le nom de catarthiques seulement à ceux qui agissant sur la membrane interne des intestins, occasionnent par bas une évacuation copieuse d'humeurs : on a nommé ces remedes purgatifs. Voyez PURGATIFS. (N)


CATASTASES. f. en Poésie ; c'est, selon quelques-uns, la troisieme partie du poëme dramatique chez les anciens, dans laquelle les intrigues noüées dans l'épitase se soûtiennent, continuent, augmentent jusqu'à ce qu'elles se trouvent préparées pour le dénouement, qui doit arriver dans la catastrophe, ou à la fin de la piece. Voyez EPITASE & CATASTROPHE. Quelques auteurs confondent la catastase avec l'épitase, ou ne les distinguent tout au plus qu'en ce que l'une est le commencement, & l'autre la suite du noeud ou de l'intrigue.

Ce mot est originairement grec, , constitution ; parce que c'est cette partie qui forme comme le corps de l'action théatrale, que la protase ne fait que préparer, & la catastrophe que démêler. Voyez DRAME, TRAGEDIE. (G)


CATASTES. f. (Hist. anc.) ce terme a, dans les anciens auteurs, différentes acceptions : il signifie ou un échaffaud à dégrés où l'on faisoit les exécutions ; ou les entraves qu'on mettoit aux esclaves, de peur qu'ils ne s'enfuissent quand on les exposoit en vente ; ou un instrument de torture, dont la forme est inconnue. Il y avoit une sorte de cataste qu'on appelloit encore cyphon. Voyez CYPHONISME.


CATASTROPHES. f. en Poésie ; c'est le changement ou la révolution qui arrive à la fin de l'action d'un poëme dramatique, & qui la termine. Voyez DRAME & TRAGEDIE.

Selon Scaliger, la catastrophe étoit la quatrieme & derniere partie des tragédies anciennes, où elle succédoit à la catastase : mais ceux qui retranchant celle-ci, ne comptent que la protase, l'épitase, & la catastrophe, appellent cette derniere la troisieme. Voyez CATASTASE.

La catastrophe est ou simple ou compliquée : ce qui fait donner aussi à l'action l'une ou l'autre de ces dénominations. Voyez FABLE.

Dans la premiere, on ne suppose ni changement dans l'état des principaux personnages, ni reconnoissance, ni dénouement proprement dit ; l'intrigue qui y regne n'étant qu'un simple passage du trouble & de l'agitation à la tranquillité. Cette espece de catastrophe convient plus au poëme épique qu'à la tragédie, quoiqu'on en trouve quelques exemples dans les anciens tragiques : mais les modernes ne l'ont pas crue assez frappante, & l'ont abandonnée. Dans la seconde, le principal personnage éprouve un changement de fortune, quelquefois au moyen d'une reconnoissance, & quelquefois sans que le poëte ait recours à cette situation.

Ce changement s'appelle autrement péripétie ; & les qualités qu'il doit avoir, sont d'être probable & nécessaire. Pour être probable, il faut qu'il résulte de tous les effets précédens ; qu'il naisse du fond même du sujet, ou prenne sa source dans les incidens, & ne paroisse pas mené ou introduit à dessein, encore moins forcément. La reconnoissance sur laquelle une catastrophe est fondée, doit avoir les mêmes qualités que la catastrophe ; & par conséquent pour être probable, il faut qu'elle naisse du sujet même ; qu'elle ne soit point produite par des marques équivoques, comme bagues, brasselets, &c. ou par une simple réflexion, comme on en voit plusieurs exemples dans les anciens & dans les modernes.

La catastrophe, pour être nécessaire, ne doit jamais laisser les personnages introduits dans les mêmes sentimens, mais les faire passer à des sentimens contraires, comme de l'amour à la haine, de la colere à la clémence, &c. Quelquefois toute la catastrophe ou révolution consiste dans une reconnoissance : tantôt elle en est une suite un peu éloignée, & tantôt l'effet le plus immédiat & le plus prochain ; & c'est, dit-on, là, la plus belle espece de catastrophe, telle qu'est celle d'Oedipe. Voyez PERIPETIE & RECONNOISSANCE

Dryden pense qu'une catastrophe qui résulteroit du simple changement de sentimens & de résolutions d'un personnage, pourroit être assez bien maniée pour devenir extrèmement belle, & même préférable à toute autre. Le dénouement du Cinna de Corneille, est à-peu-près dans ce genre. Auguste avoit toutes les raisons du monde pour se venger, il le pouvoit ; il pardonne ; & c'est ce qu'on admire : mais cette facilité de dénoüer les pieces, favorable au poëte, ne plairoit pas toûjours au spectateur, qui veut être remué par des évenemens surprenans & inattendus.

Les auteurs qui ont traité de la poétique ont mis en question, si la catastrophe doit toûjours tourner à l'avantage de la vertu, ou non ; c'est-à-dire s'il est toûjours nécessaire qu'à la fin de la piece la vertu soit récompensée, & le vice ou le crime puni. La raison & l'intérêt des bonnes moeurs semblent demander qu'un auteur tâche de ne présenter aux spectateurs que la punition du vice & le triomphe de la vertu : cependant le sentiment contraire a ses défenseurs ; & Aristote préfere une catastrophe qui révolte à une catastrophe heureuse ; parce que l'une, selon lui, est plus propre que l'autre à exciter la terreur & la pitié, qui sont les deux fins de la tragédie. Voyez PASSIONS & TRAGEDIE.

Le P. le Bossu, dans son traité du Poëme épique, divise la catastrophe, (au moins dans l'épopée) en dénouement & fin, & fait résulter cette derniere partie de la premiere. Il la fait consister dans le passage du héros d'un état de trouble & d'agitation en un état de tranquillité : cette révolution, selon lui, n'est qu'un point sans étendue ou durée, en quoi elle differe du dénouement, qui comprend tout ce qui se trouve après le noeud ou l'intrigue formée. Il ajoûte que dans un même poëme il y a plusieurs dénouemens, parce qu'il y a plusieurs noeuds qui naissent les uns des autres. Ce qu'il appelle fin, est le point où se termine le dernier dénouement. Voyez NOEUD, INTRIGUE, FABLE. (G)


CATAYCATHAY, ou KATAY ; voyez l'article CHINE.


CATÉ(Hist. mod. Comm.) espece de gâteaux ou de tablettes, que les Indiens préparent avec le suc qu'ils savent tirer d'un arbre épineux qu'ils nomment hacchic, dont le bois est dur, compact & pesant. Il porte des feuilles qui ressemblent à celles de la bruyere. Lorsqu'on a tiré ce suc, on le mêle avec une graine réduite en farine, qu'on appelle nachani, qui a à-peu-près le même goût que l'orge, & dont on peut aussi faire de fort bon pain : on y joint encore d'un bois noir réduit en une poudre très-fine. On fait de ce mélange des petits gâteaux ou tablettes que l'on seche au soleil ; ils sont amers & astringens : on les regarde comme un moyen sûr pour affermir les gencives ; on l'employe aussi dans la diarrhée, & pour sécher les humeurs.


CATEADERESS. m. pl. (Chimie) c'est le nom qu'on donne au Potosi, à ceux qui vont à la découverte des minéraux : ce sont des gens qui parcourent les terres d'un pays pour y trouver les indices des mines. (M)


CATEAU-CAMBRESIS(Géog.) petite ville de France dans les Pays-Bas, au Cambrésis.


CATECHESES. f. mot tiré du Grec , qui signifie instruction de vive voix ; c'est une courte & méthodique instruction des mysteres de la religion, laquelle se fait de bouche ; car on n'enseignoit pas anciennement ces mysteres par écrit, de peur que ces écrits ne vinssent à tomber entre les mains des infideles, qui les auroient tournés en risée, faute de les bien entendre. C'est d'où est venu le nom de catéchiste, pour marquer celui qui enseigne ces mysteres ; & celui de catéchisme, pour signifier aussi cette instruction. L'origine des catécheses vient de Jesus-Christ même, lorsqu'il envoya ses disciples pour enseigner & baptiser toutes les nations, joignant la doctrine au baptême, comme en effet elle l'a toûjours précédé dans la primitive église : il nous a aussi donné l'exemple de cette sainte instruction, lorsqu'entre ses disciples il examina & instruisit Philippe ; entre ses auditeurs, Marthe & la Samaritaine ; entre les affligés, l'aveugle né ; entre les étrangers, le samaritain ; entre les grands du monde, Nicodeme (pour faire connoître le progrès qu'ils avoient fait dans la foi, & les y instruire davantage). Les apôtres ont suivi l'exemple de leur maître, comme on voit en divers endroits du livre des actes, S. Pierre ayant été envoyé à Corneille pour ce sujet, ch. x. & Philippe à l'eunuque de la reine de Candace, ch. xvij. L'apôtre des Gentils, I. cor. ch. xjv. parlant d'instruire les autres, se sert du mot catéchiser, comme le porte l'original. Les peres ont de même imité les apôtres, comme saint Cyrille de Jérusalem, dont nous avons un ouvrage intitulé catéchese. Saint Augustin a écrit un traité de la maniere de catéchiser les ignorans ; saint Grégoire de Nysse a composé un discours catéchétique ; & plusieurs autres nous ont laissé de semblables instructions. Et afin qu'on ne s'imagine pas que quelque tems après la mort des apôtres & de leurs disciples, cette loüable coûtume de catéchiser ait été négligée ou interrompue, Eusebe, lib. VI. ch. iij. témoigne que Demetrius évêque d'Alexandrie, avoit commis Origene pour cette fonction, de laquelle Pantenus & Clément s'étoient acquités avant lui. Au reste la charge de catéchiste étoit une des plus importantes & des plus honorables dans l'Eglise. Jean Gerson, chancelier de l'université de Paris, faisoit gloire parmi ses grandes occupations, d'instruire les enfans, & de les catéchiser, répondant à ceux qui lui conseilloient de s'appliquer à des emplois plus considérables, qu'il ne croyoit pas qu'il y en eût de plus nécessaire & de plus glorieux que celui-là. Gerson, I. partie de ses oeuvres.


CATÉCHISTES. f. , officier ecclésiastique, dont la fonction étoit d'enseigner aux Catéchumenes le symbole & les premiers élémens de la religion. Voyez CATECHESE & CATECHUMENE.

On choisissoit quelquefois les catéchistes parmi les lecteurs ; on les appelloit quelquefois , nautologi, par allusion à ceux qui dans les vaisseaux recevoient des passagers le prix du transport, & leur expliquoient les conditions du péage, parce que les catéchistes enseignoient aux catéchumenes les conditions nécessaires pour entrer dans l'Eglise, que les peres & les écrivains ecclésiastiques comparent souvent à une barque ou un navire. Leur fonction étoit donc de préparer les catéchumenes au baptême par de fréquentes instructions qu'ils leur faisoient, non pas publiquement, ni dans les églises, du moins dans les premiers siecles à cause des persécutions, mais dans des écoles particulieres, qu'on bâtit ensuite à côté des églises. La plus célebre de ces écoles a été celle d'Alexandrie, & l'on y trouve une suite de catéchistes célebres dans l'antiquité ecclésiastique ; savoir, Pantene établi par l'apôtre S. Marc ; à Pantene succéda Clément d'Alexandrie ; à Clément, Origene ; à Origene, Heraclas ; à celui-ci Denys : quelques-uns ajoûtent Athenodore, Malchion, saint Athanase & Didyme : d'autres rapportent qu'Arius, avant que de tomber dans l'hérésie, étoit chef de cette école. Il y en avoit de semblables à Rome, à Césarée, à Antioche, & dans toutes les grandes églises. Bingham, orig. ecclés. tome II. liv. III. ch. xj.

On donne encore aujourd'hui le nom de catéchistes aux clercs & aux prêtres chargés dans chaque paroisse par le curé, de faire les instructions publiques aux enfans, pour leur enseigner les principaux points du dogme & de la morale chrétienne, & les préparer à la premiere communion.


CATÉCHUMENATS. m. catechumenatus, état des catéchumenes pendant qu'ils aspiroient au baptême ; ce qui comprend la conduite que l'Eglise tenoit avec eux depuis leur premiere réception jusqu'à leur baptême, & celle qu'ils étoient eux-mêmes obligés de tenir dans les divers degrés par lesquels on les faisoit passer. Voyez CATECHUMENE.

La durée du catéchumenat n'a jamais eu de regles fixes & universelles ; on voit par les actes des apôtres, que l'administration du baptême suivoit de près l'instruction : mais quand le nombre des fideles se fût accrû, l'on craignit & avec raison qu'un peu trop d'empressement ne fit entrer dans l'Eglise des sujets vicieux ou mal affermis, qui l'abandonneroient au moindre péril. C'est pourquoi le concile d'Elvire fixa à deux ans le tems d'épreuve des catéchumenes. Justinien en ordonna autant pour les Juifs qui voudroient se convertir. Cependant le concile d'Agde n'exige d'eux que huit mois. Les constitutions apostoliques demandent trois années de préparation avant le baptême : quelques auteurs ont crû que le tems du carême suffisoit. Dans des circonstances pressantes on abrégeoit encore ce terme ; car Socrate, parlant de la conversion des Bourguignons, dit qu'un évêque des Gaules se contenta de les instruire pendant sept jours. Si un catéchumene se trouvoit subitement en danger de mort, on le baptisoit sur le champ. Il est facile de sentir que quelque séveres que fussent communément les régles, les évêques en dispensoient suivant leur prudence, les circonstances, le zele ou le besoin urgent des catéchumenes. Bingham, orig. ecclés. tome IV. lib. X. chap. j. §. 5. (G)


CATÉCHUMENE, s. m. (Hist. eccl.) aspirant au baptême, ou qui se dispose à recevoir ce sacrement.

Dans la primitive église on donnoit ce nom à ceux des Juifs ou des Gentils que l'on instruisoit pour recevoir le baptême. Car en grec signifie enseigner de vive voix, & , celui qu'on instruit de vive voix. D'autres prétendent que ce nom vient de , prêter une oreille attentive à des discours, les catéchumenes étant censés donner une attention particuliere aux instructions que leur faisoient les catéchistes. Voyez CATECHISTE.

" Celui qui étoit jugé capable de devenir chrétien, dit M. Fleury, étoit fait catéchumene par l'imposition des mains de l'évêque ou du prêtre, qui le marquoit au front du signe de la croix, en priant Dieu qu'il profitât des instructions qu'il recevroit, & qu'il se rendit digne de parvenir au saint baptême. Il assistoit aux sermons publics où les infideles mêmes étoient admis. Le tems du catéchumenat étoit ordinairement de deux ans : mais on l'allongeoit ou on l'abrégeoit suivant le progrès du catéchumene. On ne regardoit pas seulement s'il apprenoit la doctrine, mais s'il corrigeoit ses moeurs ; & on le laissoit en cet état jusqu'à ce qu'il fut entierement converti ". Moeurs des Chrét. tit. v.

Les catéchumenes étoient distingués des fideles non-seulement par le nom, mais encore par la place qu'ils occupoient dans l'église : ils étoient avec les pénitens sous le portique, ou dans la galerie antérieure de la basilique. On ne leur permettoit point d'assister à la célébration des saints mysteres ; mais immédiatement après l'évangile, le diacre leur crioit à haute voix : ite catechumeni, missa est : retirez-vous, catéchumenes ; on vous ordonne de sortir. Cette partie même de la messe s'appelloit la messe des catéchumenes. Il paroît par un canon du concile d'Orange, qu'on ne leur permettoit pas de faire la priere avec les fideles, quoiqu'on leur donnât du pain beni qu'on nommoit le pain des catéchumenes, & qui étoit comme un symbole de la communion à laquelle ils pourroient être un jour admis.

Il y avoit plusieurs ordres ou degrés de catéchumenes : mais on n'a rien de bien précis sur le nombre de ces ordres, ni sur les noms par lesquels on les distinguoit. Les auteurs grecs qui nous ont transmis les anciens canons, n'en font ordinairement que deux classes, l'une des catéchumenes imparfaits, & l'autre des catéchumenes parfaits ; c'est-à-dire de ceux qui ne faisoient que d'entrer dans le rang des catéchumenes, & de ceux qui étoient en état d'être admis au baptême, à quoi quelques-uns ajoûtent que les premiers étoient encore regardés comme payens. D'autres désignent ces deux classes de catéchumenes par les noms d'écoutans, audientes, & d'agenouillés, genuflectentes ; les premiers, disent-ils, ne restoient dans l'église que pour assister au sermon & à la lecture des écritures ; les autres assistoient aux prieres, & fléchissoient les genoux avec les fideles. M. de l'Aubépine, évêque d'Orléans, dans son II. livre d'observations sur les anciens rits de l'Eglise, en ajoûte un troisieme ordre qu'il appelle orantes, prians, mais qui paroit être le même que celui des agenouillés ; d'autres enfin y ajoûtent les compétens, competentes ; c'est-à-dire ceux qui demandoient le baptême. Maldonat fait encore une classe à part de ceux qu'il appelle pénitens, pænitentes, parce que, dit-il, ils étoient sous la correction & la censure de l'Eglise. Le cardinal Bona ne reconnoît point de catéchumenes de cette espece : mais il en marque quatre autres degrés, les écoutans, les agenouillés, les compétens & les élûs, audientes, genuflectentes, competentes & electi. Bingham, dans ses antiquités ecclésiastiques, distingue aussi quatre classes de catéchumenes. Sa division est différente de celle du cardinal Bona, en ce qu'il ne fait des compétens & des élus qu'une seule & même classe, & qu'il compte pour les premieres les catéchumenes qu'on instruisoit hors de l'église, tandis qu'on permettoit aux autres d'y entrer, distinction qui paroît sans fondement. M. Fleury n'en distingue que deux, les auditeurs & les compétens. D'autres les réduisent à trois degrés : le premier étoit celui des écoutans, qui n'étoient reçus qu'à entendre les instructions sur la foi & sur les moeurs : le second, celui des élus qui étoient admis pour recevoir le baptême : le troisieme comprenoit les compétens, ou ceux, qui parfaitement instruits du symbole & de la doctrine chrétienne, étoient en état d'être baptisés.

Quoi qu'il en soit de ces divers sentimens, on recevoit les catéchumenes par l'imposition des mains & par le signe de la croix. On y joignoit dans plusieurs églises les exorcismes, le souffle sur le visage ; la salive appliquée aux oreilles & aux narines, & l'onction sur les épaules & à la poitrine : on leur mettoit du sel dans la bouche : cérémonies qui se pratiquent encore aujourd'hui dans l'administration du baptême, & qui le précédoient autrefois de quelques jours, quand on ne baptisoit qu'aux fêtes les plus solemnelles. On donnoit aussi du lait & du miel aux catéchumenes lorsqu'ils étoient prêts d'être baptisés, comme des symboles de leur renaissance en Jesus-Christ, & de leur enfance dans la foi ; ce n'est qu'en ce sens général que saint Augustin donne à cette cérémonie le nom de sacrement. Le catéchumenat a été pratiqué dans l'église d'Orient & d'Occident, tant qu'il y a eu des infideles qui se sont convertis à la religion, c'est-à-dire en Occident jusqu'au viij. siecle. Depuis ce tems on n'en a plus observé si exactement les cérémonies à l'égard des adultes qui demandoient le baptême. Morin, de pænit. L'Aubépine, observ. sur les anciens rits de l'Eglise. Bingham, antiq. ecclés. Fleury, moeurs des Chrét. & Hist. ecclés. (G)


CATÉGORIES. f. (Logique) ce mot signifie une classe d'êtres, ou de manieres d'être. Quoique l'on pût fort commodément distinguer toutes nos idées, en idées de substances, idées de modes, & idées de relations, Aristote jugea à-propos de former dix classes, dont la premiere exprime la substance, & les autres les accidens ; savoir, la quantité, la qualité, la relation, l'action, la passion, le lieu, le tems, la situation, & enfin l'habillement. Toute cette nomenclature a été tirée par Aristote du tour & du génie de la langue greque ; & ce philosophe a sacrifié ici la justesse de son génie à l'envie de rendre sa doctrine agréable à ses compatriotes, en leur indiquant de quoi fournir à leur babil. C'est à cette complaisance que l'on doit le livre où il explique fort au long ces dix classes, & les diverses distinctions dont elles sont susceptibles. Cette division de termes plûtôt que d'idées, a trop long tems occupé les philosophes qui l'ont enrichie de leurs éclaircissemens. Porphyre surtout s'est signalé dans cette futile carriere par son traité de prædicabilibus sive universalibus. Il y parle aussi des idées des genres & des especes, sur lesquelles on ne trouve rien aujourd'hui dans Aristote. Diogene Laerce témoigne pourtant qu'il avoit écrit sur cette matiere. Le P. Rapin fait à cette occasion la remarque suivante ; savoir, que Gassendi n'auroit peut-être pas jugé la logique d'Aristote imparfaite, par le supplément de Porphyre, qu'il a cru nécessaire pour y servir d'introduction, s'il eût fait réflexion que ce traité qui a été mis à la tête de la logique d'Aristote, est pris de sa métaphysique, d'où Porphyre l'a tiré ; & qu'il y a apparence que ce supplément eût été inutile, s'il ne se fût rien perdu des livres de la logique d'Aristote, dont Diogene Laerce fait mention.

Il n'y a pas long-tems qu'on est revenu de ces sottises : encore a-t-il bien fallu combattre pour les détruire. On a représenté d'abord qu'elles n'étoient pas à leur place dans la Logique, puisqu'il s'y agit des relations des êtres universels, qui sont du ressort de l'Ontologie. On a ajoûté que les distinctions exprimées dans les catégories étoient frivoles, & qu'on y discernoit la différence du propre, tandis qu'on omettoit la distinction entre l'essence & l'accident. M. le Clerc a fort bien remarqué que les catégories ne nous apprennent autre chose, sinon qu'elles étoient les classes d'idées dans la tête d'Aristote, & non ce qu'elles sont dans la nature des choses, & qu'ainsi ce n'est pas la peine de donner tant de tems à les étudier. Si pourtant quelqu'un desire une conviction pleine & entiere de l'utilité des catégories, il peut encore recourir à l'Art de penser, premiere partie, ch. iij. & à M. Crouzaz dans la deuxieme partie de sa Logique. (X)


CATEIA(Antiquité) espece de trait ou de javelot fort pesant dont les anciens gaulois & germains se servoient à la guerre ; son poids le rendoit difficile à lancer, mais le faisoit pénétrer plus profondément. Il étoit garni d'une chaîne avec laquelle on le retiroit pour le darder une seconde fois. Il y en a qui le regardent comme une espece de coin missil.


CATERGIS. m. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne aux voituriers dans les états du grand-seigneur. Ils ont cela de singulier, qu'au lieu qu'en France, & presque par-tout ailleurs, ce sont les marchands ou voyageurs qui donnent des arrhes à ceux qui doivent conduire eux, leurs hardes & marchandises, les voituriers turcs en donnent au contraire aux marchands & autres, comme pour leur répondre qu'ils feront leurs voitures, ou qu'ils ne partiront point sans eux. Dict. de Comm. tom. II. p. 131. (G)


CATERLAGH(Géog.) ville d'Irlande, capitale du comté de même nom, dans la province de Leinster, sur le Barrow.


CATEUXadj. terme de Droit coûtumier, usité singulierement en Picardie, se dit de certains biens, qui, selon l'état où ils se trouvent, sont meubles ou immeubles. Par exemple, on y appelle les blés biens cateux, parce que jusqu'à la mi-Mai, n'étant point comptés entre les fruits, on les met au rang des immeubles ; & depuis ce tems-là ils sont réputés meubles. (H)


CATHARESS. m. pl. (Hist. eccles.) nom fameux qu'ont usurpé plusieurs sectes d'hérétiques en différens tems : ce mot signifie purs ; & les premiers qui commencerent à se l'appliquer furent les Apotactiques ou Renonçans, branche des Encratites, dont le chef étoit Tatien. Voyez ENCRATITES. Quelques montanistes se firent ensuite appeller cathares, pour exprimer par un terme qui signifie pureté, qu'ils n'avoient point de part au crime de ces malheureux qui renioient la foi dans les tourmens, mais qu'au contraire ils refusoient de les recevoir à faire pénitence. Ils portoient pour cela des robes blanches, afin, disoient-ils, que leur vêtement convint à la pureté de leurs consciences : ils nioient aussi que l'Eglise eût le pouvoir de remettre les péchés. Sur quoi S. Augustin faisant allusion au mot latin mundus, qui signifie pur, dit qu'ils devoient plûtôt prendre le nom de mondains, que de purs ; si nomen suum voluissent agnoscere, mundanos potius quam mundos vocassent. Eusebe parle aussi de ces hérétiques. Novatien donna le même nom de cathares à sa secte, & souvent les anciens ne la designent point autrement. Enfin, on a donné par ironie le nom de cathares aux Paretans, Patarins, ou Patrins, aux Albigeois, & aux Cotteraux, diverses sectes d'errans, qui s'éleverent dans le xij. siecle, & qui s'étoient formées de celles des Henriciens, de Marsille, de Tendeme, & de diverses autres. Le troisieme concile de Latran, tenu l'an 1179, sous Alexandre III. les condamna. Les Puritains d'Angleterre ont renouvellé ce nom magnifique, par celui qu'ils ont pris. Eusebe, lib. VI. cap. xxxv. Socrate, l. VI. c. xx. S. Augustin, de Agon. christ. c. xxj. S. Epiph. LXI. c. j. Baronius, A. C. 254. n°. 106. 107. Troisieme concile de Latran, au c. xxvij. Sanderus, haer : 147. Baronius, A. C. 119. Turrecremata, lib. IV. somm. part. II. c. xxxv. Reinaldi & Sponde, &c. (G)


CATHARINENBERG(Géog.) petite ville du royaume de Boheme, près les frontieres de la Saxe.

CATHARINENBERG, (Géog.) petite ville d'Allemagne, en Misnie, appartenante à l'électeur de Saxe.


CATHARISTEou PURIFICATEURS, s. m. pl. (Hist. eccles.) secte de Manichéens, sur laquelle ces hérétiques tâchoient de rejetter les ordures abominables & les horribles impiétés qui entroient dans la prétendue consécration de leur Eucharistie. S. Augustin, haer. cap. xlvj. S. Leon, epist. viij.


CATHARREvoyez CATARRHE.


CATHARTIQUEvoyez CATARTHIQUE.


CATHEDRALEsub. f. (Hist. eccles.) On entend par ce mot l'église épiscopale d'un lieu. Ce nom lui a été donné du mot cathedra, ou siége épiscopal. On tire l'origine de ce nom, de ce que les prêtres, qui composoient l'ancien presbyterium avec leur évêque, étoient assis dans des chaires à la maniere des Juifs dans leurs consistoires, & que l'évêque présidoit dans un siége plus élevé ; d'où vient qu'on célebre encore présentement les fêtes de la chaire de saint Pierre à Rome & à Antioche. Il ne faut pas confondre ces anciennes cathédrales avec les églises qu'on nomme aujourd'hui cathédrales, parce que ce mot d'église ne signifioit en ce tems-là qu'une assemblée de chrétiens & non des temples, comme ils sont bâtis aujourd'hui, & que les Chrétiens n'ont point eu la liberté de bâtir des temples avant l'empereur Constantin. Néanmoins plusieurs auteurs espagnols qui ont écrit de l'antiquité de leurs églises cathédrales, assûrent qu'il y en a eu de bâties dès le tems des apôtres : mais tout ce qu'on dit de ces anciennes cathédrales est fabuleux. Quant au nom d'église cathédrale, il n'est pas fort ancien. On appelloit l'église principale, celle où l'évêque célebroit ordinairement, la grande église, l'église épiscopale, l'église de la ville. Le nom de cathédrale n'a été en usage que dans l'église latine, & depuis le x. siecle.


CATHEDRATIQUEadj. (Hist. ecclés.) droit qu'avoient les évêques d'exiger une certaine somme d'argent en visitant les paroisses de leur diocèse, & cela à cause de leur dignité épiscopale, propter cathedram episcopalem. Il en est fait mention d'abord dans le concile de Brague, puis dans le vij. concile de Tolede. Cette somme étoit de deux sous d'or ; & les évêques de France la percevoient sous le regne de Charlemagne, & des autres rois de la seconde race. On appelloit encore ce droit synodatique, parce qu'on le payoit au synode. Depuis, le nom de cathédratique a été étendu aux droits affectés aux archidiacres & aux doyens ruraux dans leurs visites. Thomassin, disciplin. de l'églis. part. III. liv. II. ch. xv. & ch. xxxij. & xxxjv. (G)


CATHERETIQUESadj. (Medec.) se dit de remedes qui rongent & consument les chairs fongueuses ou baveuses des plaies, des ulceres, ou autres semblables.

Ce mot est tiré du grec , dérivé de , qui signifie purger, émonder ; ou de & , enlever, emporter.

On appelle aussi ces mêmes remedes sarcophages, c'est-à-dire qui mangent les chairs : tels sont le précipité rouge, l'alun brûlé, le cuivre brûlé, le vitriol bleu, &c. (N)


CATHERIN(L'ORDRE DE STE.), Hist. modern. c'est un ordre de Russie, qui ne se donne qu'à des dames de la premiere qualité de la cour ; il fut fondé en 1714 par la czarine Catherine, épouse de Pierre le grand, en mémoire du bonheur signalé qu'eut ce prince d'échapper aux Turcs en 1711, sur les bords du Pruth. Cette princesse, pleine de tendresse pour son époux, eut le courage de le suivre dans cette expédition, où toute l'armée russienne se trouva dans un péril imminent ; dans une conjoncture si fâcheuse, la czarine prit le parti d'envoyer un courier au grand-visir qui commandoit l'armée ottomane, lui promettant une somme très-considérable s'il vouloit entrer en négociation avec le czar ; le visir y consentit : en conséquence il envoya des députés dans le camp des Russiens, leur recommandant sur-tout de ne pas manquer de voir la czarine, parce qu'il ne pouvoit se persuader qu'une femme eût eu assez de courage & de tendresse conjugale, pour s'exposer à un danger aussi grand. Ce fut afin de conserver le souvenir d'un évenement si remarquable, que le czar voulut que cette princesse fondât un ordre qui portât son nom, & dont elle fût grande maîtresse. Les marques de cet ordre sont une croix rouge, tenue par une figure de sainte Catherine ; on la porte attachée à un cordon ponceau, bordé des deux côtés d'un petit liseré d'argent, sur lequel on voit le nom de sainte Catherine & la devise PRO FIDE ET PATRIA.

Dans la fondation il ne doit y avoir que sept dames aggrégées à cet ordre : mais la czarine en augmente le nombre suivant sa volonté. (-)

CATHERINE (chevaliers de sainte Catherine du mont Sinaï), Hist. modern. ancien ordre militaire, formé pour assister & protéger les pélerins qui alloient visiter par dévotion le corps de Ste Catherine, vierge d'Alexandrie, distinguée par son savoir, & qu'on dit avoir souffert le martyre sous Maximien.

Le corps de cette vierge ayant été trouvé sur le mont Sinaï il s'y fit un fort grand concours de pélerins ; & ce pélerinage étant devenu dangereux par les courses des Arabes, on établit en 1063 un ordre de chevalerie, à l'imitation de celui du S. Sepulchre & sous la protection de Ste. Catherine. Les chevaliers s'engageoient par serment à garder le corps de cette sainte, à pourvoir à la sûreté des chemins en faveur des pélerins, à suivre la regle de S. Basile, & à obéir à leur grand-maître. Ils portoient un habit blanc, sur lequel étoient représentés les instrumens du martyre de leur patrone, c'est-à-dire une demi-roue armée de pointes tranchantes, & traversée par une épée teinte de sang. (G)


CATHETES. f. (Architect.) c'est une ligne perpendiculaire qu'on suppose passer au milieu d'un corps cylindrique, comme une colonne, un pilier, &c. mais communément cette ligne s'appelle axe, ou essieu. On entend aussi par cathete, la ligne perpendiculaire qui passe dans l'oeil de la volute ionique, à plomb du fût inférieur de la colonne, & du bas du tailloir du chapiteau ; cette ligne ainsi appellée fait donner à l'oeil de cette volute le nom de cathete. Voyez CHAPITEAU, IONIQUE.

CATHETE, en Géométrie, se prend plus généralement qu'en Architecture ; & c'est une ligne qui tombe perpendiculairement sur une autre ligne, ou sur une surface. Voyez PERPENDICULAIRE.

Les deux petits côtés d'un triangle rectangle sont deux cathetes. Voyez RECTANGLE.

Ce mot est principalement en usage dans la Catoptrique, ou dans la partie de l'Optique qui considere les propriétés des rayons de lumiere réfléchis. Ainsi,

CATHETE d'incidence, en Catoptrique, est une ligne droite tirée du point radieux, ou de l'objet, perpendiculairement au miroir. Si le miroir est sphérique, la cathete d'incidence est une ligne droite tirée de l'objet au centre du miroir ; car cette ligne est perpendiculaire au miroir. Voyez INCIDENCE.

CATHETE de reflexion ; c'est une ligne droite tirée de l'oeil, ou de tout autre point d'un rayon réfléchi, perpendiculairement au miroir. Cette ligne passe par le centre du miroir, si le miroir est sphérique. Voyez REFLEXION.

CATHETE d'obliquité, est une ligne droite tirée du point d'incidence perpendiculairement au miroir ; dans la fig. 54. de l'Optique, si on suppose que G F soit un miroir plan, D l'objet, E l'oeil & C le point d'incidence, c'est-à-dire le point où le rayon D C tombe pour se réfléchir suivant C E, la ligne D G sera la cathete d'incidence, la ligne E F la cathete de réflexion, & la ligne C H la cathete d'obliquité.

Dans les miroirs plans, l'image de l'objet est vûe dans le concours du rayon réfléchi avec la cathete d'incidence. Plusieurs auteurs, entr'autres le P. Tacquet, fondés sur cette expérience, en ont fait une regle générale de Catoptrique & de Dioptrique sur le lieu de l'image vûe dans un miroir courbe, ou par un verre : mais ces auteurs sont dans l'erreur. Voyez APPARENT, MIROIR, DIOPTRIQUE. (O)


CATHETERS. m. terme de Chirurgie, est une sonde creuse & courbe qui est ordinairement d'argent, qu'on introduit par l'urethre dans la vessie, pour faciliter l'écoulement de l'urine, quand le passage est bouché par une pierre, par du gravier, des caroncules ou autre chose.

Ce mot vient de ou , mettre dedans ; on l'appelle aussi algalie ou sonde creuse. V. ALGALIE.

Quelques auteurs sont dans l'usage de donner plus particulierement le nom de catheter à une sonde cannelée, qui a la même configuration que l'algalie à long bec. Cette sonde doit être d'acier ; son corps est solide & cannelé comme les algalies. Elle a sur toute la convexité de sa courbure une rainure d'une bonne ligne de large, qui doit être fermée à son extrémité le plus quarrément qu'il est possible. Cette sonde sert à conduire le lithotome dans l'opération de la taille. Voyez LITHOTOMIE.

Ce catheter est représenté Planche VIII. fig. 2. & la fig. 8. montre la cannelure & la construction ordinaire de la tête de cet instrument. La maniere de s'en servir est expliquée au mot CATHETERISME.


CATHETÉRISMES. m. opération de Chirurgie, qui consiste à introduire une sonde dans la vessie, pour s'informer de l'état de ce viscere, tirer l'urine ou le pus qui y séjourne, ou pour y injecter quelque liqueur.

Les sondes avec lesquelles on pénetre dans la vessie se nomment algalies. Voyez ALGALIE.

Quand on sonde un malade pour la rétention d'urine, il faut le sonder dans son lit couché sur le dos, la pointe un peu élevée, les genoux un peu fléchis & écartés. Si on le sonde pour connoître s'il a la pierre, il faut autant qu'il est possible, le sonder debout, afin que la pierre qui dans cette attitude tombe presque toujours sur l'orifice de la vessie, étant entraînée avec l'urine, soit plus facilement rencontrée par le bout de l'algalie. Souvent on n'a pas reconnu la pierre faute de cette précaution. Si l'on n'a pû se dispenser de sonder le malade dans son lit, il faut quand la sonde sera dans la vessie, le faire tourner & asseoir sur le bord du lit, si son état lui permet de faire ces mouvemens.

La principale condition pour bien sonder est d'avoir une parfaite connoissance de la figure & de la courbure du canal de l'urethre ; il faut en outre de l'adresse & de l'habitude pour y réussir.

Il y a deux manieres de sonder les hommes ; l'une qu'on appelle par-dessus le ventre ; & l'autre par le tour de maître. Pour sonder par-dessus le ventre, le chirurgien placé au côté gauche du malade, tenant le manche de l'algalie avec la main droite, introduit le bec de cet instrument dans l'urethre, la verge étant renversée sur le ventre, & tenue par la main gauche du chirurgien. Dans ce cas, il ne s'agit que de suivre doucement la route du canal pour entrer dans la vessie en relevant le manche de la sonde, & baissant la verge lorsque l'extrémité antérieure, ou bec de l'instrument, doit passer sous l'os pubis : l'algalie doit être graissée d'huile, afin de couler plus aisément dans l'urethre.

Pour sonder par le tour de maître, le dos de la sonde regarde le ventre, & son manche est tourné du côté des genoux du malade ; le chirurgien doit être placé à droite ; il soûtient la verge avec trois doigts de la main gauche à l'endroit de la couronne du gland, évitant de comprimer l'urethre, qui est placé sous le corps caverneux. Il prend sa sonde bien graissée, & l'ayant conduite doucement jusqu'à la racine de la verge, il fait faire un demi-tour en la penchant conjointement avec la verge vers l'aine droite, & en conduisant le manche sur le ventre, il le baisse ensuite pour que le bec puisse passer sous l'os pubis & pénétrer dans la vessie. Dans ces différens mouvemens, l'algalie doit être poussée dans la verge, & la verge doit être tirée sur l'algalie ; il faut qu'il y ait un concert entre les deux mains du chirurgien pour réussir à cette opération.

Si la sonde étant prête d'entrer dans la vessie, on sent quelqu'obstacle, il ne faut rien forcer de crainte de faire de fausses routes, qui rendent ensuite l'introduction de la sonde fort difficile, & quelquefois même impossible : mais il faut retirer la sonde de la largeur d'un travers de doigt, & la repousser ensuite doucement pour tâcher de trouver la vraie route.

Si la difficulté de sonder venoit de l'inflammation, une ou deux saignées prépareroient efficacement à cette opération ; je n'ai souvent réussi à sonder qu'après avoir usé de ce moyen. Si les obstacles sont insurmontables, on fait la ponction à la vessie. Voyez PONCTION.

La difficulté d'introduire la sonde dans toute la continuité du canal de l'urethre est un signe d'obstacle dans ce conduit. Voyez CARNOSITE.

Il est plus facile de sonder les femmes, que les hommes, parce que le conduit de l'urine est plus large, fort court & presque droit ; il faut écarter les levres & les nymphes, & introduire la sonde à femme dans l'orifice de l'urethre ; le bout qui est legerement recourbé étant tourné du côté du pubis, on la pousse doucement dans la vessie. J'ai eu occasion pendant mon séjour à l'hôpital de la Salpêtriere, de sonder un grand nombre de femmes, où j'ai observé quelques difficultés. La plus commune vient de la descente de matrice : pour peu que cet organe soit un peu plus bas qu'il ne doit être naturellement, la vessie entraînée par son adhérence au vagin, forme un pli qui empêche l'introduction de la sonde ; il ne faut dans ce cas qu'étendre un peu les parties en introduisant le doigt index de la main gauche dans le vagin ; la sonde entre alors avec facilité, C'est une petite attention sans laquelle néanmoins on peut se trouver dans l'impossibilité de ne soulager une personne qui souffre cruellement, qu'en employant des moyens douloureux, tels que la ponction. (Y)


CATHOLICITÉS. f. (Théologie) est un des caracteres de la vraie Eglise, c'est-à-dire son universalité à tous les tems, à tous les lieux, & à toutes sortes de personnes.

La catholicité de l'Eglise se tire, selon nos Théologiens, de quatre chefs principaux : 1°. de l'universalité des liens dans lesquels l'Eglise est répandue : 2°. de l'université des tems, dans lesquels elle a subsisté, & de ceux où elle subsistera : 3°. de l'universalité de la doctrine qu'elle a enseignée sans mélange & sans altération : 4°. enfin de l'universalité des personnes de tout sexe, de tout âge, de toute condition, qui sont entrées dans son sein.

On a prouvé contre les Protestans, que l'Eglise romaine avoit toûjours eu ces quatre marques. Cependant lorsqu'on parle de sa catholicité ou de son universalité en tous lieux & à toutes sortes de personnes, on convient que ce terme ne doit pas s'entendre d'une universalité physique & absolue, mais d'une universalité morale & relative ; ensorte que la société des Catholiques romains a toûjours contenu & contient encore infiniment plus de personnes, & s'étend en beaucoup plus de lieux qu'aucune des sectes qui se sont séparées d'elle.

CATHOLICITE se prend aussi quelquefois pour la doctrine catholique & l'attachement d'une personne à cette doctrine. Un véritable fidele doit toûjours être prêt à donner des preuves non-suspectes de sa catholicité. Voyez ORTHODOXIE. (G)


CATHOLICON(Pharmacie) épithete de certains électuaires anciens qu'on regardoit comme universels, ou comme purgeant toutes les humeurs. Voy. ELECTUAIRE.

On trouve dans les auteurs différentes descriptions de ces électuaires : voici celui dont on donne la description dans la Pharmacopée de Paris, sous le nom de catholicon double de rhubarbe, qu'on appelle ordinairement de Nicolas. Prenez racine de polypode de chêne coupée par petits morceaux, une demi-livre ; racine de chicorée, deux onces ; semence de fenouil, une once & demie ; feuilles d'aigremoine & de scolopendre, de chacune trois onces.

Faites bouillir à petit feu dans huit livres d'eau commune réduites à moitié, passez en pressant, & faites cuire le tout en consistance d'électuaire : retirez-le du feu, & y ajoûtez ensuite pulpe de casse & de tamarins, de chacune quatre onces. Joignez ensuite peu-à-peu la poudre de rhubarbe à la quantité de quatre onces ; de feuilles de sené mondé, de semences de violette, de chacune deux onces ; de racine de réglisse ratissée, une once ; des quatre semences froides, une demi-once. Faites du tout un électuaire selon l'art.

La dose de cet électuaire est d'une demi-once dans quelque véhicule approprié.

On s'en sert sur-tout dans les diarrhées, & après les dyssenteries, lorsque l'inflammation des visceres est calmée.

Nota. Que les anciens nommoient ainsi les médicamens purgatifs, qu'ils croyoient capables de purger toutes les humeurs ensemble ; parce qu'ils pensoient que les uns purgeoient le phlegme, les autres la bile, d'autres enfin l'humeur mélancholique, &c. ce qu'ils jugeoient par la couleur des selles du malade : mais on est, avec raison, revenu de ces sortes de préjugés.

Le catholicon qu'on employe pour les clysteres, differe de celui dont j'ai donné ci-dessus la description, en ce qu'il n'y entre point de rhubarbe, & qu'au lieu de sucre, on se sert de miel commun. (N)

CATHOLICON, s. m. c'est, en termes de Layetier, en général une boîte de quinze pouces de long, dix de large, & huit à neuf de haut.


CATHOLIQUEadj. universel. (Théologie) On attribue à l'Eglise le nom de catholique, pour marquer qu'elle est répandue par toute la terre ; & c'est un de ses caracteres distinctifs pour la discerner des sectes qui se sont séparées d'elle. V. CATHOLICITE.

Quelques auteurs ont prétendu que Théodose le grand avoit le premier introduit ce terme dans l'Eglise, ordonnant par un édit qu'on attribuât par prééminence le titre de catholiques aux églises qui adhéroient au concile de Nicée. Vossius pense que ce mot n'a été ajoûté au symbole, que dans le troisieme siecle : mais l'une & l'autre prétention est également insoûtenable ; car dans la lettre des fideles de Smyrne rapportée par Eusebe, liv. IV. chap. xv. il est fait mention de l'Eglise catholique, & des prieres que fit S. Polycarpe pour toute l'Eglise catholique. Et M. de Valois, dans ses notes sur le VII. livre de l'histoire ecclésiastique d'Eusebe, remarque que le nom de catholique a été donné à l'Eglise dès les tems les plus voisins de ceux des apôtres, pour la distinguer des sociétés hérétiques qui s'étoient séparées d'elle. Avant même S. Polycarpe, S. Ignace avoit dit dans son épître à ceux de Smyrne ; ubi fuerit Jesus Christus, ibi est Ecclesia catholica. Théodose a pû désigner avec raison les églises attachées à la foi de Nicée par le nom de catholiques, sans avoir été l'inventeur de ce titre déjà usité près de 200 ans avant lui. S. Cyrille & S. Augustin observent que les hérétiques & les schismatiques même donnoient ce nom à la véritable Eglise dont ils s'étoient séparés, & les orthodoxes ne la distinguoient que par le nom de catholique tout seul, catholica.

On a aussi anciennement donné le nom de catholiques à des magistrats ou officiers qui avoient soin de faire payer & de recevoir les tributs dans les provinces de l'empire, comme il paroît par Eusebe, Théodoret, & l'histoire byzantine. Les patriarches ou primats d'orient ont encore pris le titre de catholiques ; on disoit les catholiques d'Arménie, pour désigner le patriarche d'Arménie ; titre qui revenoit à celui d'oecuménique qu'avoient pris les patriarches de Constantinople. Voyez OECUMENIQUE.

Les rois d'Espagne ont pris le titre de Rois catholiques ou Majestés catholiques. Mariana prétend que le roi Reccarede après avoir détruit l'Arianisme dans son royaume, reçut ce titre, & qu'il se trouve dans le concile de Tolede de l'an 589. Vascé en fixe l'origine à Alphonse en 738, & les Bollandistes prétendent qu'Alexandre VI. en le donnant à Ferdinand & Isabelle, ne fit que renouveller une prérogative acquise aux anciens rois Visigoths qui avoient dominé en Espagne. L'opinion commune est que les souverains de cette partie de l'Europe n'ont commencé à le porter que sur la fin du xv. siecle, après que Ferdinand & Isabelle en eurent entierement chassé les Maures. Froissart rapporte que les ecclésiastiques donnerent le même titre à Philippe-de-Valois pour avoir défendu les droits de l'Eglise. (G)


CATHURSS. m. (Marine) ce sont des vaisseaux de guerre de Bantam, qui sont courbés & aigus par les bouts, & qui portent une voile tissue d'herbes & de feuilles d'arbres. (Z)


CATou CATTI, s. m. (commerce) poids de la Chine, particulierement en usage du côté de Canton.

Le cati se divise en seize taels, chaque tael faisant une once deux gros de France ; de maniere que le cati revient à une livre quatre onces poids de marc. Il faut cent catis pour faire un pic, qui est un gros poids de la Chine, semblable à cent vingt livres de Paris, d'Amsterdam, de Strasbourg, & de Besançon. Voyez PIC, Dictionnaire du Commerce, Tom. II. pag. 132.

Cati est aussi le seul poids du Japon. On s'en sert pourtant à Batavia & dans d'autres endroits des Indes, où il pese plus ou moins selon qu'il contient plus ou moins de taels ; le cati par exemple de Java, valant jusqu'à vingt taels, & celui de Cambaye jusqu'à vingt-sept. Dict. du Comm. ibid. Voyez TAEL.

Cati est encore un petit poids dont les Lapidaires de l'Orient se servent pour peser les émeraudes : ce cati ne pese que trois grains. Idem ibid. (G)


CATICHES. f. (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on appelle les cavernes ou trous pratiqués, soit dans les eaux, soit au bord des rivieres & étangs, par des animaux amphibies : ainsi on dit les catiches du loutre. Voyez LOUTRE. Cet animal les établit sous les crones où il a occasion de faire un grand dégât de poissons. Voyez CRONES.


CATIF(Géog.) ville d'Asie dans l'Arabie heureuse, près du golfe Persique.


CATILINETTESS. f. (Jard.) leucanthemum, fleurs qu'on appelle aussi marguerites d'Espagne ; elles jettent une tige qui se partage en plusieurs branches chargées de boutons marquetés, qui étant ouverts présentent de petites boules rouges. Ces fleurs demandent un grand soleil, une bonne terre, & beaucoup d'eau. (K)


CATIMARONVoyez CANTIMARON.


CATINS. m. (Chimie) est une espece de bassin situé au pié du fourneau où l'on fond les mines.

Il y a le grand & le petit catin. Le grand est un peu plus élevé que le petit. Le grand catin sert à recevoir d'abord la mine fondue qui coule du fourneau ; & le petit catin qui communique avec le grand par une rigole, reçoit le métal fondu qui coule du grand catin dans lequel restent les scories.

Ces catins sont garnis en-dedans d'une espece de mortier composé de terre à four & de charbon en poudre délayés ensemble avec de l'eau. (M)


CATIRv. act. Les Tondeurs se servent de ce terme pour signifier une sorte d'apprêt qu'ils donnent aux étoffes de laine sous une presse, pour les rendre plus fermes & leur donner un plus bel oeil.

Il y a deux manieres de catir les étoffes ; l'une à froid & l'autre à chaud.

La premiere maniere de catir les étoffes qu'on appelle à froid, se fait de cette sorte. Après que l'étoffe a eu toutes ses façons, on la plie quarrément par plis égaux, en observant de mettre entre chaque pli une feuille de vélin ou de carton bien fin ou bien lisse, & par-dessus le tout un plateau ou une planche quarrée ; puis on la place sous une presse que l'on serre bien fort par le moyen d'une vis que l'on fait descendre perpendiculairement sur le milieu du plateau à force de bras & de leviers. Lorsque l'étoffe est restée un tems suffisant sous la presse, & qu'on en a ôté les cartons ou vélins, l'on y fait quelques points d'aiguille avec de la menue si celle ou de gros fil pour arrêter le manteau, c'est-à-dire le côté du chef qui sert comme d'enveloppe ou de couverture à toute la piece pour empêcher qu'elle ne se déplie.

Il faut remarquer que quelques-uns ne se servent point de presse à vis pour catir à froid, se contentant seulement de mettre l'étoffe sur une table solide après l'avoir pliée & cartonnée ; ensuite ils mettent dessus le tout un plateau qu'ils chargent d'un poids plus ou moins fort.

Pour catir à chaud, quand l'étoffe a reçu toutes ses façons, on la mouille, ce qui s'appelle donner une eau en Languedoc & dans quelques autres provinces ; on l'arrose avec de l'eau un peu gommée que l'on souffle dessus avec la bouche du côté de l'endroit ; ensuite on la plie & on la cartonne comme pour catir à froid ; & de six en six plis, & au-dessus du tout, on met une plaque de fer ou d'airain que l'on a bien fait chauffer dans un fourneau fait exprès ; après cette opération, on met l'étoffe sous une presse, & l'on fait descendre dessus avec violence par le moyen d'une longue barre de bois une vis semblable à celle d'un pressoir à vin. On met sous cette presse jusqu'à cinq ou six pieces d'étoffe à la fois toutes cartonnées, & garnies de plaques de fer ou d'airain chaudes. Lorsque ces plaques sont refroidies, on retire les pieces de dessous la presse pour en ôter le carton, les plaquer & les pointer, ce qui se fait de la même maniere qu'en catissant à froid.

Cette derniere maniere de catir les étoffes est tout-à-fait mauvaise & pernicieuse, n'ayant été inventée par les Manufacturiers & ouvriers que pour couvrir les défauts de leurs étoffes, & s'exempter de leur donner tous les lainages & les teintures qui leur seroient nécessaires pour les rendre parfaites & d'une bonne qualité : aussi a-t-elle toûjours été défendue par les ordonnances de nos rois.

Celle de Louis XII. donnée à Roüen le 20 Octobre 1508, art. 6. porte que les draps ne seront pressés ni à fer, ni airain.

Celle de Charles IX. donnée aux états d'Orléans en 1560, art. 147, défend de presser à fer d'airain.

Celle de Henry IV. donnée à Fontainebleau le 8 Juin 1601, fait défense de se servir de presse à fer.

Enfin l'arrêt du conseil d'état du 3 Décembre 1697, sur ce que le reglement général des manufactures du mois d'Août 1669, ne rappelloit pas l'exécution de ces anciens reglemens, a ordonné qu'ils seroient exécutés, & fait défense aux manufacturiers, tondeurs, &c. d'avoir chez eux aucunes presses à fer, airain, & à feu, & de s'en servir pour presser aucune étoffe de laine ; & aux marchands de commander & d'exposer en vente aucunes étoffes pressées à chaud, sous les peines portées par ledit arrêt. Voyez l'article DRAPERIE.

L'opération de catir est d'usage chez les Bonnetiers & chez d'autres ouvriers en laine.

CATIR, en terme de Doreur, c'est appliquer l'or dans les filets comme ailleurs, au moyen du catissoir qu'on appuie sur du coton ou du linge très-fin.


CATISSOIRS. m en terme de Doreur, c'est un petit couteau sans tranche, qui sert à enfoncer l'or dans les filets avec du coton ou du linge très-fin. Voyez CATIR, & la fig. 12. P. du Doreur.

CATISSOIRE, s. f. se dit d'une petite poesle à mettre du feu, qui est à l'usage des Bonnetiers & autres ouvriers en laine, & qui n'a rien de particulier que son nom. Voy. BONNETTERIE & DRAPERIE.


CATIUSou CAUTUS, (Myth.) dieu qui rendoit les hommes fins & prudens : on l'invoquoit chez les Romains pour en obtenir ces qualités.


CATON-BELLE(Géog.) riviere d'Afrique dans la basse Ethiopie, au royaume de Benguele, qui prend sa source près du royaume d'Angola.


CATOPTRIQUES. f. (Ordre encyclop. Entendement. Raison. Philosophie ou Science. Science de la Nature. Mathématiques. Mathématiques mixtes. Optique. Catoptrique) la science de la vision refléchie, ou la partie de l'Optique, qui enseigne les lois que suit la lumiere refléchie par les miroirs. Voy. MIROIR & REFLEXION ; voyez aussi VISION, LUMIERE, & OPTIQUE : vous trouverez à ces articles les principes & les lois de la Catoptrique. Ce mot vient du grec , speculum ; formé de & , video, je vois.

La Catoptrique traite non-seulement de la réflexion des rayons de lumiere & des lois que suit cette réflexion ; elle traite aussi des phénomenes qui en résultent par rapport à la vision, & cette partie est extrèmement curieuse. Cependant les principes n'en sont pas encore bien développés, sur-tout par rapport à ce qui concerne le lieu de l'image, & sa grandeur apparente. Sur quoi voyez l'article APPARENT.

Les principaux auteurs qui ont traité de la Catoptrique, sont parmi les anciens, Euclide avant J. C. Alhazen & Vitellion dans le xj. & xij. siecles ; & parmi les modernes, le P. Tacquet, le P. Fabri, dans son livre intitulé Synopsis Optica ; Jacques Gregory, dans son Optica promota, & sur-tout le célebre Isaac Barrow dans ses Leçons optiques : ce dernier ouvrage est sans contredit le meilleur ; l'auteur semble y avoir démontré les lois de la Catoptrique par des principes plus exacts & plus lumineux que les auteurs qui l'ont précédé ; cependant il ne traite que des propriétés des miroirs sphériques, soit concaves, soit convexes ; & il ne dit rien des miroirs plans. Les propriétés de ces derniers miroirs sont démontrées fort au long dans le I. livre de la Catoptrique du P. Tacquet, imprimé dans le recueil de ses oeuvres, in-folio M. Smith dans son Optique, a aussi traité avec beaucoup d'étendue des lois de la Catoptrique.

Catoptrique se prend aussi adjectivement pour ce qui a rapport à la Catoptrique, ou ce qui s'exécute par des rayons refléchis : ainsi,

Cadran CATOPTRIQUE, c'est un cadran qui représente les heures par des rayons refléchis. Voyez CADRAN.

Télescope CATOPTRIQUE, c'est un télescope qui représente les objets par réflexion. Voyez l'article TELESCOPE.

Boîte ou caisse CATOPTRIQUE, est une machine qui représente les petits corps comme très-gros, & ceux qui sont proches comme très-grands, & répandus dans un grand espace. On y voit aussi beaucoup de phénomenes amusans, par le moyen de divers miroirs qui sont disposés suivant les regles de la Catoptrique, dans une espece de caisse.

Il y en a de différentes especes, suivant les différentes intentions de celui qui les construit ; les unes multiplient les objets ; d'autres les rendent difformes ; d'autres les grossissent, &c. Nous allons donner la construction de deux, ce qui suffira pour faire voir comme il faudroit s'y prendre pour en faire une infinité d'autres.

Maniere de faire une caisse catoptrique qui représente les objets en différente situation. Ayez une boîte ou caisse polygone de la figure du prisme multilatere A B C D E F, (Pl. Opt. fig. 19. n°. 1. & 2.) & divisez sa cavité par les plans diagonaux E B, FC, D A, qui se coupent les uns les autres dans l'axe, & forment par-là autant de petites loges triangulaires que le polygone a de côtés. Doublez les plans diagonaux avec des miroirs plans, & pratiquez dans les plans latéraux des trous ronds, à-travers lesquels vous puissiez regarder dans les cellules de la caisse ; remplissez ces trous de verres plans ; placez dans les cellules les différens objets dont vous voulez voir les images ; & enfin couvrez le dessus de la caisse de quelque membrane fine ou transparente, ou de parchemin qui donne passage à la lumiere, & la machine sera achevée.

Car les lois de la réflexion enseignent que les images placées dans les angles d'un miroir sont multipliées, & devoient paroître les unes plus éloignées que les autres ; d'où il s'ensuivra que les objets placés dans une cellule, paroîtront remplir plus d'espace que la caisse entiere : ainsi regardant par un des trous, on verra les objets de la cellule correspondante multipliés & répandus dans un espace beaucoup plus grand que la boîte entiere ; & par conséquent chaque trou donnera un nouveau spectacle. Voyez ANAMORPHOSE & MIROIR.

On rendra transparent le parchemin dont on doit couvrir la machine, en le lavant plusieurs fois dans une lessive fort claire, puis dans de belle eau, & en l'attachant bien serré, & l'exposant à l'air pour sécher. Si on vouloit jetter quelque couleur sur les objets, on en viendroit à bout en donnant cette couleur au parchemin. Zhan conseille le verd-de-gris mêlé dans du vinaigre, pour le verd ; la décoction de bois de Bresil, pour le rouge : il ajoûte qu'il faut vernir le parchemin, si on veut donner de l'éclat aux objets. Wolf, élémens de Catoptrique.

Maniere de faire une caisse catoptrique, qui représente les objets qu'on y aura placés, fort multipliés, & répandus dans un grand espace. Faites une boîte ou caisse polygone comme ci-dessus, mais sans diviser la cavité interne en plans, Planches d'Optiq. fig. 19. n°. 2. doublez les plans latéraux C B H I, B HL A, A L M F, de miroirs plans, &c. & dans les trous ou ouvertures enlevez l'étain & le vif-argent qui couvre la surface intérieure du miroir, de façon que l'oeil puisse voir au-travers ; mettez ensuite dans la caisse un objet, par exemple, un oiseau en cage, &c.

L'oeil regardant par le trou h i, verra l'objet au fond prodigieusement multiplié, & ses images placées à une distance égale les unes des autres. Si on pratiquoit donc dans le palais d'un prince une grande chambre polygone, qu'on tapissât de grandes glaces qui fussent ouvertes en quelques endroits, où on adapteroit des verres plans transparens pour lui donner du jour il est évident que ces glaces y feroient voir une grande variété d'objets. Voyez MIROIR, REFLEXION, &c.

Comme les miroirs paralleles sont ceux de tous qui multiplient davantage les objets, la forme qui convient le plus à ces sortes d'appartemens, est la forme exagone ; parce que les miroirs y seront tous paralleles deux à deux, & en assez grand nombre pour donner un spectacle agréable sans confusion : mais il faut avoir soin que les miroirs soient bien paralleles, & de plus que leur surface soit bien plane & bien unie ; autrement le nombre réitéré de réflexions pourroit rendre les images difformes. On voit encore aujourd'hui dans plusieurs châteaux des salles ainsi remplies de glaces, qui produisent un très-bel effet : c'est sur-tout la nuit aux lumieres, que ces sortes de spectacles forment le plus beau coup-d'oeil. Tous ces phénomenes s'expliquent par les propriétés des miroirs plans combinés, que l'on peut voir à l'article MIROIR. Wolf, ibid. (O)


CATOPTROMANCIES. f. divination dans laquelle on se servoit d'un miroir pour y lire les évenemens à venir.

Ce mot est formé de , speculum, miroir, & de , divination.

Il paroît par les anciens, qu'il y avoit diverses sortes de catoptromancie. Spartien rapporte de Didius Julianus, qui ayant succédé à Pertinax par la brigue des prétoriens, de qui il acheta l'empire, ne regna que deux mois & cinq jours ; que dans toutes les occasions importantes il consultoit les magiciens ; & qu'une fois entr'autres, après des enchantemens & des sacrifices magiques, il usa de la divination où l'on se sert d'un miroir, qu'on présente, non pas devant les yeux, mais derriere la tête d'un enfant à qui l'on a bandé les yeux ; & l'on raconte, ajoûte-t-il, que l'enfant vit dans le miroir que Julien descendoit du throne, & que Severe y montoit.

Pausanias, dans ses Achaïques, parle d'une autre espece de catoptromancie. Il y avoit, dit-il, à Patras devant le temple de Cerès, une fontaine séparée du temple par une muraille ; & là étoit un oracle véridique, non pour tous les évenemens, mais seulement pour les maladies. Ceux qui en étoient attaqués & en péril, faisoient descendre dans la fontaine un miroir suspendu à un fil, ensorte qu'il ne touchât que par la base la surface de l'eau. Après avoir prié la déesse & brûlé des parfums, ils se regardoient dans ce miroir ; & selon qu'ils se trouvoient le visage have & défiguré, ou de l'embonpoint, ils en concluoient que la maladie étoit mortelle, ou qu'ils en réchapperoient.

On se servoit encore des verres & des miroirs pour connoître l'avenir, mais d'une autre maniere, qu'on nommoit gastromancie. Voyez GASTROMANCIE. (G)


CATOTÉRIQUESadj. (Med.) c'est ainsi qu'on appelle les remedes évacuans, destinés à purger les reins, le foie, la vessie : tels sont le sirop de pomme composé, & le sirop de rose pâle. Lemery, Pharmacop. (N)


CATRACA(Hist. nat. Zoologie) oiseau de l'Amérique, très-commun sur-tout dans les petites îles desertes du golfe du Mexique. Il est de la grosseur d'une poule, mais beaucoup plus élevé sur ses pattes : son cou est long, sa tête petite, son bec de moyenne grandeur, & l'oeil vif ; le plumage du cou est d'un bleu tirant sur l'ardoise ; celui du reste du corps est gris mêlé d'un peu de plumes noires. Cet oiseau se tient sur les bords de la mer & dans des rochers escarpés, d'où on l'entend faire son cri de catraca, qui lui a fait donner son nom. Sa chair est délicate & très-bonne à manger à différentes sauces : elle a beaucoup de rapport avec celle du faisan.


CATRUMNA(Géog.) ville d'Asie dans l'île de Ceylan.


CATTARO(Géog.) ville de Dalmatie sur le golfe de même nom, près des frontieres de l'Albanie aux Vénitiens.


CATTEGAT(LA) Géog.) golfe de la mer Baltique, entre les côtes orientales du Jutland & la côte de Suede. On l'appelle aussi Schager-Rack.


CATTEROLLESS. f. (Chasse) c'est ainsi qu'on appelle les lieux soûterrains où les lapines font leurs petits, & qu'on dit qu'elles rebouchent tous les jours jusqu'à leur premiere sortie.


CATTU-SCHIRAGAM(Hist. nat. bot.) arbrisseau qui croît au Malabar ; il est de la hauteur de l'homme. On le trouve dans les lieux brûlés du soleil. Sa racine est courte, petite & amere au goût ; son tronc rond & d'un pouce de diametre : son écorce d'un verd d'eau ; son bois rouge ; sa feuille longue, étroite, très-pointue, & amere au goût ; sa fleur petite, serrée en bouquet, d'une couleur de pourpre pâle sans odeur ; & sa semence contenue en grande quantité dans des têtes feuillues, oblongue, cannelée, & pointue par sa partie inférieure qui s'insere dans la base de sa tête, garnie au sommet d'une touffe de filamens blanchâtres, jaunâtres & longs, du milieu desquels sort une petite fleur sur un pédicule verdâtre. Cet arbrisseau porte du fruit une fois l'an. On lui attribue beaucoup de propriétés médicinales. On dit que broyé & bouilli dans l'huile, il est bon en fomentation pour les pustules : que son suc exprimé calme les fievres bilieuses de ceux à qui on en frotte la tête ; & que sa graine pulvérisée & prise dans l'eau chaude, guérit la toux, chasse les vents, tue les vers, provoque les urines, appaise la colique ; & que les fomentations qu'on en fait, soulagent dans les rhumatismes & la goutte.


CATURICATHURI, (Marine) voyez ALMADIE.


CATURS(Hist. mod.) nom que les habitans du royaume de Bantam en Asie donnent à leurs vaisseaux de guerre, dont la proue est recourbée & pointue, & les voiles sont faites d'herbes & de feuillages entrelacés.


CATZENELLEBOGEN(Géogr.) comté d'Allemagne dans le pays de Hesse ; il se divise en haut & bas, & est partagé par l'électorat de Mayence. Sa capitale porte le même nom, & est située sur la Lohn.


CAUB(Géog.) petite ville d'Allemagne, sur le Rhin, vis-à-vis de Bacharach, dans le duché de Simmern.


CAUCALISCAUCALIS


CAUCASES. m. (Myth. & Geog.) chaine de montagnes, qui commence au-dessus de la Colchide & finit à la mer Caspienne. C'est-là que Promethée enchaîné eut le foie déchiré par un vautour ou par un aigle. Les habitans de cette contrée prenant, si l'on en croit Philostrate, cette fable à la lettre, faisoient la guerre aux aigles, dénichoient leurs petits, & les perçoient avec des fleches ardentes ; ou l'interprétant, selon Strabon, de la condition malheureuse des humains, ils se mettoient en deuil à la naissance des enfans, & se réjoüissoient à leurs funérailles. Il n'y a point de chrétien vraiment pénétré des vérités de sa religion, qui ne dût imiter l'habitant du caucase, & se féliciter de la mort de ses enfans. La mort assûre à l'enfant qui vient de naître une félicité éternelle, & le sort de l'homme qui paroît avoir vécu le plus saintement est encore incertain. Que notre religion est tout-à-la-fois terrible & consolante !


CAUCAUBARDITESsub. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'hérétiques dans le vj. siecle, ainsi nommés d'un certain lieu où ils firent leurs premieres assemblées ; ils suivoient les erreurs de Severe d'Antioche. & des Acéphales. Nicephore, liv. XVIII. ch. xljx. Baronius, A. C. 535. (G)


CAUCHEMARS. m. (Med.) nom populaire que l'on a donné à une incommodité nommée par les medecins grecs éphialtes, & par les latins incubus.

Ceux qui ont coûtume de dormir sur le dos, & de charger leur estomac d'alimens lourds & difficiles à digérer, sont fort sujets à cette incommodité.

Pendant le sommeil ils croyent avoir la poitrine chargée d'un poids considérable, & ils ont souvent l'imagination frappée d'un spectre ou d'un phantôme qui leur coupe la respiration.

Cette incommodité ne vient point, comme on se l'étoit imaginé autrefois, des vapeurs épaisses qui remplissent les ventricules du cerveau, mais plûtôt d'une trop grande plénitude de l'estomac, qui s'oppose au mouvement du diaphragme, & par conséquent à la dilatation de la poitrine, sans laquelle on ne peut respirer que difficilement. Cependant d'autres prétendent que cette incommodité si pénible est occasionnée par une convulsion des muscles de la respiration.

Etmuller observe que les Arabes appellent cette incommodité une épilepsie nocturne ; parce qu'étant porté à un certain degré, elle dégénere en épilepsie ; & en effet le cauchemar est le prodrome de l'épilepsie dans les jeunes gens, comme il est l'avant-coureur de l'apoplexie dans les personnes d'un âge avancé. (N)


CAUDALUCIDA(Astron.) la queue du lion, est une étoile de la premiere grandeur. Sa longitude est de 167d 53'. sa latitude de 12d. 16'. son ascension droite 173d 9'. Voyez LION. (O)


CAUDATAIRES. m. (Hist. ecclés.) est un clerc ou aumônier qui porte le bas de la cappe du pape ou d'un cardinal. (H)


CAUDÉ adjen terme de Blason, se dit des étoiles & des cometes qui ont une queue. (V)


CAUDEBECS. m. sorte de chapeau fait de laine d'agnelin, de poil, ou de duvet d'autruche, ou de poil de chameau. On les nomme ainsi du nom de la ville de Caudebec en Normandie ; où il s'en fabrique une grande quantité. Voyez CHAPEAU.

CAUDEBEC, (Géog.) ville de France en Normandie, capitale du pays de Caux, remarquable par ses manufactures de chapeaux.


CAUDES-COSTES(Géog.) petite ville de France dans l'Armagnac, à une lieue de la Garonne.


CAUDETE(Géog.) petite riviere d'Espagne, dans la nouvelle Castille, qui se jette dans le Xucar.


CAUDICAIRESsub. m. pl. (Hist. anc.) c'est ainsi que les Romains avoient nommé les bateliers de la communauté instituée par la navigation du Tibre. Ce mot vient de codices, assemblages de plusieurs planches de bois. Parmi les caudicaires il y en avoit un certain nombre d'employés à charger les grains au port d'Ostie & à les conduire à Rome. Voy. l'article BOULANGER.


CAUDIEZ(Géog.) petite ville de France, en Languedoc, au pié des Pyrenées, sur les frontieres du Roussillon.


CAUDROou COUDROT, (Géog.) petite ville de France en Guienne, dans le Bazadois, à l'endroit où le Drot se jette dans la Garonne.


CAULET(Géog.) riviere de France dans le Languedoc, qui prend sa source au diocèse de Castres.


CAULICOLESS. f. pl. (Architect.) en latin cauliculi, ornement d'architecture. Ce mot vient du latin caulis, qui signifie tige d'herbes. Les caulicoles sont des especes de petites tiges qui semblent soutenir les volutes du chapiteau corinthien. Ces petites tiges sont ordinairement cannelées, & quelquefois torses à l'endroit où elles commencent à jetter les feuilles. Elles ont aussi un lien en forme de double couronne. (D.J.)


CAUMONT(Géog.) petite ville de France en Guienne, dans le Bazadois, sur la Garonne.


CAUNE(LA) Géog. petite ville de France au haut Languedoc, au diocèse de Castres, sur les confins du Roüergue. Il y a dans cette province une autre ville de ce nom, au diocèse de Carcassonne.


CAURIS(Hist. mod. Commerce) espece de petites coquilles, qui tient lieu de monnoie dans quelques endroits des Indes orientales.


CAURZIM(Géog.) ville de Bohème, dans le cercle de même nom, entre Prague & Czaslaw.


CAUSES. f. (Métaphysiq.) En voyant tous les jours changer les choses, & en considérant qu'elles ont eu un commencement, nous acquérons l'idée de ce qu'on nomme cause & effet. La cause est tout ce par l'efficace de quoi une chose est ; & effet, tout ce qui est par l'efficace d'une cause. Toute cause, par cela même qu'elle produit un effet, peut être appellée efficiente : mais comme il y a différentes manieres de produire un effet, on distingue diverses sortes de causes. Il y a des causes physiques, des causes morales, & des causes instrumentales. J'appelle causes physiques, toutes celles qui produisent immédiatement par elles-mêmes leur effet. Je nomme causes morales, celles qui ne le produisent que dépendamment d'une cause physique, de laquelle il émane immédiatement. Les causes instrumentales ont cela de commun avec les causes morales, qu'elles ne produisent pas par elles-mêmes leur effet, mais seulement par l'intervention d'une cause physique ; & c'est pourquoi on donne aux unes & aux autres le nom de causes occasionnelles : mais ce qui met entr'elles beaucoup de différence, c'est que si les premieres ne sont que causes morales dans les effets qu'elles produisent occasionnellement, du moins elles sont causes physiques de l'effet par lequel elles deviennent causes occasionnelles d'un autre effet ; au lieu que les causes purement instrumentales n'étant doüées d'aucune force ni d'aucune activité, demeurent toûjours renfermées dans la sphere de causes purement occasionnelles : telle est, par exemple, la matiere, qui d'elle-même est brute, insensible & inactive. Il n'en est pas de même des esprits, dont la nature est d'être actifs, & par consequent d'être causes physiques : si mon ame n'est que cause occasionnelle des divers mouvemens qu'elle fait naître dans l'ame de ceux avec qui je m'entretiens, du moins elle est cause physique de ses déterminations particulieres.

C'est ici le lieu d'examiner de quelle maniere l'ame agit sur le corps : est-elle cause physique, ou n'est-elle que cause occasionnelle des divers mouvemens qu'elle lui imprime ? Ici les sentimens des philosophes sont partagés ; & l'on peut dire que dans cette question les derniers efforts de la philosophie pourroient bien s'épuiser inutilement pour la résoudre. Le système de L'HARMONIE PREETABLIE, dont M. Leibnitz est auteur, tranche tout d'un coup la difficulté : c'est dommage que ce système détruise la liberté, & qu'il rende douteuse l'existence du monde corporel. Voyez cet article, où nous avons démontré l'un & l'autre. Le système ancien de l'influence réelle de l'ame sur le corps, détruit par notre Descartes & par le P. Malebranche son fidele disciple, se trouve remis en honneur par le puissant appui que lui prêtent aujourd'hui les philosophes anglois. Dieu, selon ce système, a renfermé l'efficace qu'il communique à l'ame en la créant, dans les bornes du corps organisé auquel il l'unit ; son pouvoir est limité à cette petite portion de matiere, & même elle n'en jouit qu'avec certaines restrictions qui sont les lois de l'union. Ce système moins subtil, moins raffiné que celui des causes occasionnelles, plaît d'autant plus à la plûpart des esprits, qu'il s'accorde assez bien avec le sentiment naturel, qui admet dans l'ame une efficace réelle pour mouvoir la matiere : mais ce système qu'on nous donne ici sous le nom radouci de sentiment naturel, ne seroit-il point plûtôt l'effet du préjugé ? En effet, ce pouvoir d'un esprit fini sur la matiere, cette influence qu'on lui suppose sur une substance si dissemblable à la sienne, & qui naturellement est indépendante de lui, est quelque chose de bien obscur. Les esprits étant des substances actives, & ayant incontestablement le pouvoir de se mouvoir ou de se modifier eux-mêmes, il est sans-doute plus raisonnable de leur attribuer une pareille influence sur la matiere, que d'attribuer à la matiere, être passif & incapable d'agir sur lui-même, un vrai pouvoir d'agir sur l'esprit, & de la modifier. Mais cela même que je viens d'observer est un fâcheux inconvénient pour ce système ; il ne peut dès-lors être vrai qu'à moitié. S'il explique en quelque sorte comment le corps obéit aux volontés de l'ame par ses mouvemens, il n'explique point comment l'ame obéit fidélement à son tour aux impressions du corps : il rend raison de l'action ; il n'en rend aucune de la sensation. Sur ce dernier point on est réduit à recourir aux causes occasionnelles, & à l'opération immédiate de Dieu sur l'ame. Qu'en coûte-t-il d'y avoir aussi recours pour expliquer l'efficace des desirs de l'ame ? le système entier n'en sera que plus simple & mieux assorti.

Ce système, dit-on, n'est nullement philosophique, parce qu'il remonte droit à la premiere cause ; & que sans apporter de raisons naturelles des phénomenes qui nous embarrassent, il donne d'abord la volonté de Dieu pour tout dénoüement. Autant nous en apprendra, dit-on, l'homme le plus ignorant, s'il est consulté ; car qui ne sait que la volonté divine est la premiere cause de tout ? Mais c'est une cause universelle : or ce n'est pas de cette cause qu'il s'agit. On demande d'un philosophe qu'il assigne la cause particuliere de chaque effet. Jamais objection ne fut plus méprisable. Voulez-vous, disoit le P. Malebranche, qu'un philosophe trouve des causes qui ne sont point ? Le vrai usage de la Philosophie, c'est de nous conduire à Dieu, & de nous montrer par les effets mêmes de la nature, la nécessité d'une premiere cause. Quand les effets sont subordonnés les uns aux autres, & soûmis à certaines lois, la tâche du philosophe est de découvrir ces lois, & de remonter par degrés au premier principe, en suivant la chaîne des causes secondes. Il n'y a point de progrès de causes à l'infini ; & c'est ce qui prouve l'existence d'un Dieu, la plus importante & la premiere des vérités. La différence du paysan au philosophe, qui tous deux sont également convaincus que la volonté de Dieu fait tout, c'est que le philosophe voit pourquoi elle fait tout, ce que le paysan ne voit pas ; c'est qu'il sait discerner les effets dont cette volonté est cause immédiate, d'avec les effets qu'elle produit par l'intervention des causes secondes, & des lois générales auxquelles ces causes secondes sont soûmises.

On fait une seconde objection plus considérable que la premiere : c'est, dit-on, réduire l'action de la divinité à un pur jeu tout-à-fait indigne d'elle, que d'établir des causes occasionnelles. Ces causes seront en même tems l'effet & la regle de l'opération divine ; l'action qui les produit leur sera soûmise. Tant que cette objection roulera sur les lois qui reglent la communication des mouvemens entre les différentes parties de la matiere, on ne peut nier qu'elle ne soit plausible. En effet, si les corps n'ont aucune activité par eux-mêmes, les lois du mouvement, dans le système du P. Malebranche, semblent n'être qu'un jeu : mais cet inconvénient ne subsiste plus dès qu'on applique le système à l'union du corps & de l'ame. Quoique l'ame n'ait aucune efficace réelle sur les corps, il suffit qu'elle ait le pouvoir de se modifier, qu'elle soit cause physique de ses propres volontés, pour rendre très-sage l'établissement d'une telle ame comme cause occasionnelle de certains mouvemens du corps. Ici, comme l'utilité de l'ame est le but, la volonté de l'ame est la regle. Cette volonté étant une cause physique de ses propres actes, est par-là distincte de la volonté de Dieu même, & peut devenir une regle & un principe dont la sagesse divine fait dépendre les changemens de la matiere. Les volontés d'un esprit créé, dès-là qu'elles sont produites par cet esprit, sont une cause mitoyenne entre la volonté de Dieu & les mouvemens des corps, qui rend raison de l'ordre de ces mouvemens, & qui nous dispense de recourir, pour les expliquer, à la volonté immédiate de Dieu ; & c'est, ce semble, le seul moyen de distinguer les volontés générales d'avec les particulieres. Les unes & les autres produisent bien immédiatement l'effet : mais dans celles-ci la volonté n'a de rapport qu'à cet effet singulier qu'elle veut produire ; au lieu que dans celle-là on peut dire que Dieu n'a voulu produire cet effet, que parce qu'il a voulu quelqu'autre chose dont cet effet est la conséquence. C'est bien une volonté efficace de Dieu qui me fait marcher : mais il ne veut me faire marcher qu'en conséquence de ce qu'il a voulu une fois pour toutes, que les mouvemens de mon corps suivissent les desirs de mon ame. La volonté que j'ai de marcher, est une cause mitoyenne entre le mouvement de mon corps & la volonté de Dieu. Je marche en vertu d'une loi générale. Mon ame est vraie cause des mouvemens de mon corps, parce qu'elle est cause de ses propres volontés, auxquelles il a plû au Créateur d'attacher ces mouvemens. Ainsi les actions corporelles avec toutes leurs suites bonnes ou mauvaises, lui sont justement imputées ; elle en est vraie cause, selon l'usage le plus commun de ce terme. Cause, dans le langage ordinaire, signifie une raison par laquelle un effet est distingué d'un autre effet, & non cette efficace générale qui influe dans tous les effets. Pour rendre les hommes responsables de leurs actions, il importe fort peu qu'ils les produisent ou non par une efficacité naturelle, par un pouvoir physique que le Créateur ait donné à leur ame en la formant, de mouvoir le corps qui lui est uni : mais il importe beaucoup qu'ils soient causes morales ou libres ; il importe beaucoup que l'ame ait un tel empire sur ses propres actes, qu'elle puisse à son gré vouloir ou ne vouloir pas ces mouvemens corporels qui suivent nécessairement sa volonté. Otez toute action aux corps, & faites mouvoir l'univers par l'efficace des volontés divines, toûjours appliquées à remuer la matiere, les lois du mouvement ne seront point un jeu, dès que vous conserverez aux esprits une véritable efficace, un pouvoir réel de se modifier eux-mêmes ; & dès que vous reconnoîtrez qu'un certain arrangement de la matiere à laquelle Dieu les unit, devient pour eux, par les diverses sensations qu'il y excite, une occasion de déployer leur activité.

Outre les causes physiques, morales, & instrumentales, on en distingue encore de plusieurs sortes ; savoir, la cause matérielle, la cause formelle, la cause exemplaire, la cause finale. La cause matérielle est le sujet sur lequel l'agent travaille, ou ce dont la chose est formée ; le marbre par exemple, est la cause matérielle d'une statue. La cause formelle, c'est ce qui détermine une chose à être ce qu'elle est, & qui la distingue de toute autre : la cause formelle s'unissant à la matérielle, produit le corps ou le composé. La cause exemplaire, c'est le modele que se propose l'agent, & qui le dirige dans son action : ce modele est ou intrinseque ou extrinseque à l'agent : dans le premier cas, il se confond avec les idées-archetypes, voyez IDEE ; dans le second cas, il se prend pour toutes les riches productions de la nature, & pour tous les ouvrages exquis de l'ART. Voyez ces deux articles. Pour ce qui regarde les causes finales, consultez l'article suivant. (X)

CAUSES FINALES, (Métaphys.) Le principe des causes finales consiste à chercher les causes des effets de la nature par la fin que son auteur a dû se proposer en produisant ces effets. On peut dire plus généralement, que le principe des causes finales consiste à trouver les lois des phénomenes par des principes métaphysiques.

Ce mot a été fort en usage dans la Philosophie ancienne, où l'on rendoit raison de plusieurs phénomenes, tant bien que mal, par les principes métaphysiques aussi tant bons que mauvais. Par exemple on disoit : l'eau monte dans les pompes, parce que la nature a horreur du vuide ; voilà le principe métaphysique absurde par lequel on expliquoit ce phénomene. Aussi le chancelier Bacon,ce génie sublime, ne paroît pas faire grand cas de l'usage des causes finales dans la Physique. Causarum finalium, dit-il, investigatio sterilis est, & tanquam virgo Deo consecrata, nil parit. De augm. scient. lib. III. chap. v. Quand ce grand génie parloit ainsi, il avoit sans doute en vûe le principe des causes finales, employé même d'une maniere plus raisonnable que ne l'employoient les scholastiques. Car l'horreur du vuide, par exemple, est un principe plus que stérile, puisqu'il est absurde. Bacon avoit bien senti que nous voyons la nature trop en petit pour pouvoir nous mettre à la place de son auteur ; que nous ne voyons que quelques effets qui tiennent à d'autres, & dont nous n'appercevons pas la chaîne ; que la fin du Créateur doit presque toûjours nous échapper, & que c'est s'exposer à bien des erreurs que de vouloir la démêler, & sur-tout expliquer par-là les phénomenes. Descartes a suivi la même route que Bacon,& sa philosophie a proscrit les causes finales, avec la scholastique. Cependant un grand philosophe moderne, M. Leibnitz, a essayé de ressusciter les causes finales, dans un écrit imprimé Act. erud. 1682, sous le titre de Unicum Opticæ, Catoptricæ, & Dioptricæ principium. Dans cet ouvrage M. Léibnitz se déclare hautement pour cette maniere de philosopher, & il en donne un essai en déterminant les lois que suit la lumiere.

La nature, dit-il, agit toûjours par les voies les plus simples & les plus courtes ; c'est pour cela qu'un rayon de lumiere dans un même milieu va toûjours en ligne droite tant qu'il ne rencontre point d'obstacle : s'il rencontre une surface solide, il doit se refléchir de maniere que les angles d'incidence & de reflexion soient égaux ; parce que le rayon obligé de se refléchir, va dans ce cas d'un point à un autre par le chemin le plus court qu'il est possible. Cela se trouve démontré par-tout. Voyez MIROIR & REFRACTION. Enfin si le globule lumineux rencontre une surface transparente, il doit se rompre de maniere que les sinus d'incidence & de réfraction soient en raison directe des vîtesses dans les deux milieux ; parce que dans ce cas il ira d'un point à un autre, dans le tems le plus court qu'il est possible.

M. de Fermat avant M. Leibnitz, s'étoit servi de ce même principe pour déterminer les lois de la réfraction ; & il ne faudroit peut-être que ce que nous venons de dire, pour démontrer combien l'usage des causes finales est dangereux.

En effet, il est vrai que dans la réflexion sur les miroirs plans & convexes, le chemin du rayon est le plus court qu'il est possible : mais il n'en est pas de même dans les miroirs concaves ; & il est aisé de démontrer que souvent ce chemin, au lieu d'être le plus court, est le plus long. J'avoüe que le pere Taquet, qui a adopté dans sa catoptrique ce principe du plus court chemin, pour expliquer la réflexion, n'est pas embarrassé de la difficulté des miroirs concaves. Lorsque la nature, dit-il, ne peut pas prendre ce chemin le plus court, elle prend le plus long ; parce que le chemin le plus long est unique & déterminé, comme le chemin le plus court. On peut bien appliquer ici ce mot de Cicéron : nihil tam absurdum excogitari potest, quod dictum non sit ab aliquo philosophorum.

Voilà donc le principe des causes finales en défaut sur la réflexion. C'est bien pis sur la réfraction ; car en premier lieu pourquoi dans le cas de la réflexion, la nature suit-elle tout-à-la-fois le plus court chemin & le plus court tems ; au lieu que dans la réfraction, elle ne prend que le plus court tems, & laisse le plus court chemin ? On dira qu'il a fallu choisir ; parce que dans le cas de la réfraction, le plus court tems & le plus court chemin ne peuvent s'accorder ensemble. A la bonne heure : mais pourquoi préférer le tems au chemin ? En second lieu, suivant MM. Fermat & Leibnitz, les sinus sont en raison directe des vîtesses, au lieu qu'ils doivent être en raison inverse. Voyez REFRACTION & ACTION. Reconnoissons donc l'abus des causes finales par le phénomene même que leurs partisans se proposent d'expliquer à l'aide de ce principe.

Mais s'il est dangereux de se servir des causes finales à priori pour trouver les lois des phénomenes ; il peut être utile, & il est au moins curieux de faire voir comment le principe des causes finales s'accorde avec les lois des phénomenes, pourvû qu'on ait commencé par déterminer ces lois d'après des principes de méchanique clairs & incontestables. C'est ce que M. de Maupertuis s'est proposé de faire à l'égard de la réfraction en particulier, dans un mémoire imprimé parmi ceux de l'academie des Sciences, 1744. Nous en avons parlé au mot ACTION. Il fait à la fin & au commencement de ce mémoire, des réflexions très-judicieuses & très-philosophiques sur les causes finales. Il a depuis étendu ces réflexions, & porté plus loin leur usage dans les mémoires de l'académie de Berlin, 1746, & dans sa cosmologie. Il montre dans ces ouvrages l'abus qu'on a fait du principe des causes finales, pour donner des preuves de l'existence de Dieu par les effets les moins importans de la nature ; au lieu de chercher en grand des preuves de cette vérité si incontestable. Voyez l'article COSMOLOGIE. Ce qui appartient à la sagesse du Créateur, dit M. de Fontenelle, semble être encore plus au-dessus de notre foible portée, que ce qui appartient à sa puissance, Eloge de M. Leibnitz. Voyez aussi des réflexions très-sages de M. de Mairan sur le principe des causes finales, dans les mém. acad. 1723. (O)

CAUSE, en Méchanique & en Physique, se dit de tout ce qui produit du changement dans l'état d'un corps, c'est-à-dire, qui le met en mouvement ou qui l'arrête, ou qui altere le mouvement.

C'est une loi générale de la nature, que tout corps persiste dans son état de repos ou de mouvement, jusqu'à ce qu'il survienne quelque cause qui change cet état. Voyez PROJECTILE, IS DE LA NATURETURE.

Nous ne connoissons que deux sortes de causes capables de produire ou d'altérer le mouvement dans les corps ; les unes viennent de l'action mutuelle que les corps exercent les uns sur les autres, à raison de leur impénétrabilité : telles sont l'impulsion & les actions qui s'en dérivent, comme la traduction. Voyez ces deux mots. En effet, lorsqu'un corps en pousse un autre, cela vient de ce que l'un & l'autre corps sont impénétrables ; il en est de même lorsqu'un corps en tire un autre : car la traction, comme celle d'un cheval attaché à une voiture, n'est proprement qu'une impulsion. Le cheval pousse la courroie attachée à son poitrail ; & cette courroie étant attachée au char, le char doit suivre.

On peut donc regarder l'impénétrabilité des corps comme une des causes principales des effets que nous observons dans la nature ; mais il est d'autres effets dont nous ne voyons pas aussi clairement que l'impénétrabilité soit la cause ; parce que nous ne pouvons démontrer par quelle impulsion méchanique ces effets sont produits ; & que toutes les explications qu'on en a données par l'impulsion, sont contraires aux lois de la méchanique, ou démenties par les phénomenes. Tels sont la pesanteur des corps, la force qui retient les planetes dans leurs orbites, &c. Voyez PESANTEUR, GRAVITATION, ATTRACTION, &c.

C'est pourquoi, si on ne veut pas décider absolument que ces phénomenes ayent une autre cause que l'impulsion, il faut au moins se garder de croire & de soûtenir qu'ils ayent l'impulsion pour cause : il est donc nécessaire de reconnoître une classe d'effets, & par conséquent de causes dans lesquelles l'impulsion ou n'agit point, ou ne se manifeste pas.

Les causes de la premiere espece, savoir celles qui viennent de l'impulsion, ont des lois très-connues ; & c'est sur ces lois que sont fondées celles de la percussion, celles de la dynamique, &c. Voyez ces mots.

Il n'en est pas de même des causes de la seconde espece. Nous ne les connoissons pas ; nous ne savons donc ce qu'elles sont que par leurs effets : leur effet seul nous est connu, & la loi de cet effet ne peut être donnée que par l'expérience, puisqu'elle ne sauroit l'être à priori, la cause étant inconnue. Nous voyons l'effet, nous concluons qu'il a une cause : mais voilà jusqu'où il nous est permis d'aller. C'est ainsi qu'on a découvert par l'expérience la loi que suivent les corps pesans dans leur chûte, sans connoitre la cause de la pesanteur.

C'est un principe communément reçu en Méchanique, & très-usité, que les effets sont proportionnels à leurs causes. Ce principe pourtant n'est guere plus utile & plus fécond que les axiomes. Voyez AXIOME. En effet je voudrois bien savoir de quel avantage il peut être.

1°. S'il s'agit des causes de la seconde espece, qui ne sont connues que par leurs effets, il ne peut jamais servir de rien. Car si on ne connoît pas l'effet, on ne connoîtra rien du tout ; & si on connoît l'effet, on n'a plus besoin du principe ; puisque deux effets différens étant donnés, on n'a qu'à les comparer immédiatement, sans s'embarrasser s'ils sont proportionnés ou non à leurs causes.

2°. S'il s'agit des causes de la premiere espece, c'est-à-dire des causes qui viennent de l'impulsion, ces causes ne peuvent jamais être autre chose qu'un corps qui est en mouvement, & qui en pousse un autre. Or, non-seulement on a des lois de l'impulsion & de la percussion, indépendamment de ce principe : mais il seroit même possible, si on s'en servoit, de tomber dans l'erreur. Je l'ai fait voir, article 119 de mon traité de dynamique, je vais le répéter ici en peu de mots.

Soit un corps M qui choque avec la vîtesse u un autre corps en repos m ; il est démontré, voyez PERCUSSION, que la vîtesse commune aux deux corps après le choc sera Mu/(M + m.) Voilà ; si l'on veut, l'effet ; la cause est dans la masse M, animée de la vîtesse u. Mais quelle fonction de M & de u prendra-t-on pour exprimer cette cause ? sera-ce M u, ou M u u, ou M 2 u, ou M u 3, &c. & ainsi à l'infini ? D'ailleurs, laquelle de ces fonctions qu'on prenne pour exprimer la cause, la vîtesse produite dans le corps m variera à mesure que m variera, & ne sera point par conséquent proportionnelle à la cause, puisque M & u restant constans, la cause reste la même. On dira peut-être que je ne prens ici qu'une partie de l'effet, savoir la vîtesse produite dans le corps m, & que l'effet total est (M M u)/(M + m) + (M m u)/(M + m), c'est-à-dire la somme des deux qualités de mouvement, laquelle est égale & proportionnelle à la cause M u. A la bonne-heure : mais l'effet total dont il s'agit, est composé de deux qualités de mouvement, qu'il faut que je connoisse séparément ; & comment les connoîtrai-je avec ce principe, que l'effet est proportionnel à sa cause ? Il faudroit donc diviser la cause en deux parties pour chacun des deux effets partiels : comment se tirer de cet embarras ?

Il seroit à souhaiter que les Méchaniciens reconnussent enfin bien distinctement que nous ne connoissons rien dans le mouvement que le mouvement même, c'est-à-dire l'espace parcouru & le tems employé à le parcourir, & que les causes métaphysiques nous sont inconnues ; que ce que nous appellons causes, même de la premiere espece, n'est tel qu'improprement ; ce sont des effets desquels il résulte d'autres effets. Un corps en pousse un autre, c'est-à-dire ce corps est en mouvement, il en rencontre un autre, il doit nécessairement arriver du changement à cette occasion dans l'état des deux corps, à cause de leur impénétrabilité ; l'on détermine les lois de ce changement par des principes certains, & l'on regarde en conséquence le corps choquant comme la cause du mouvement du corps choqué. Mais cette façon de parler est impropre. La cause métaphysique, la vraie cause nous est inconnue. Voyez IMPULSION.

D'ailleurs quand on dit que les effets sont proportionnels à leurs causes ; ou on n'a point d'idée claire de ce que l'on dit, ou on veut dire que deux causes, par exemple, sont entr'elles comme leurs effets. Or, si ce sont deux causes métaphysiques dont on veut parler, comment peut-on avancer pareille assertion ? Les effets peuvent se comparer, parce qu'on peut trouver qu'un espace est double ou triple, &c. d'un autre parcouru dans le même tems : mais peut-on dire qu'une cause métaphysique, c'est-à-dire qui n'est pas elle-même un effet matériel, & pour ainsi dire palpable, soit double d'une autre cause métaphysique ? C'est comme si on disoit qu'une sensation est double d'une autre ; que le blanc est double du rouge, &c. Je vois deux objets dont l'un est double de l'autre : peut-on dire que mes deux sensations sont proportionnelles à leurs objets ?

Un autre inconvénient du principe dont il s'agit, c'est le grand nombre de parallogismes dans lequel il peut entraîner, lorsqu'on sait mal démêler les causes qui se compliquent quelquefois plusieurs ensemble, pour produire un effet qui paroît unique. Rien n'est si commun que cette mauvaise maniere de raisonner. Concluons donc que le principe dont nous parlons est utile, & même dangereux. Il y a beaucoup d'apparence que si on ne s'étoit jamais avisé de dire que les effets sont proportionnels à leurs causes, on n'eût jamais disputé sur les forces vives. Voy. FORCE. Car tout le monde convient des effets. Que n'en restoit-on là ? Mais on a voulu subtiliser, & on a tout brouillé au lieu d'éclaircir tout. (O)

CAUSE PROCATARCTIQUE, en Medecine, signifie la cause ou l'occasion originale primitive, ou préexistante d'un effet.

Ce mot vient du grec , qui est formé du verbe , je préexiste, je vais devant.

Telle est, par exemple, une maladie qui s'unit & coopere avec quelqu'autre maladie dont elle est suivie. Ainsi lorsque la colere ou la chaleur du climat dans lequel on vit, donne aux humeurs une disposition qui produit la fievre, cette disposition est la cause immédiate de la fievre ; & la colere ou la chaleur en est la cause procatarctique.

CAUSE CONTINENTE, en Medecine, se dit de celle dont la maladie dépend si immédiatement, qu'elle ne sauroit cesser tant qu'elle subsiste. Voyez MALADIE.

Une cause continente de la suppression d'urine, est le calcul qui se trouve dans la vessie. Voyez CALCUL.

Fievre continente ou continue, est celle dont la crise se fait sans intermission ou rémission. V. FIEVRE. (N)

CAUSE, en terme de Pratique, est la contestation qui fait l'objet d'un plaidoyer ; & quelquefois le plaidoyer même. On dit plûtôt procès, quand il s'agit d'une affaire qui s'instruit par écritures.

On appelle causes d'appel, les moyens que l'appellant entend alléguer pour soûtenir la légitimité de son appel. (H)

CAUSES MAJEURES, dans la discipline ecclésiastique, sont toutes les questions importantes qui concernent soit le dogme, soit la discipline, & particulierement les actions intentées contre les évêques, dans des cas où il peut y avoir lieu à la déposition.

Suivant l'ancien droit, ces causes étoient jugées dans le concile de la province, du jugement duquel le septieme canon du concile de Sardique, tenu en 347, permet d'appeller au pape, pour examiner de nouveau l'affaire : mais il en réserve toûjours le jugement aux évêques de la province voisine.

Suivant le droit nouveau, c'est-à-dire l'introduction des Decrétales, comprises dans le recueil d'Isidore, c'est-à-dire depuis le jx. siecle, le concile de la province peut bien instruire & examiner le procès : mais la décision doit être reservée au saint siége. Toutes les causes majeures depuis ce tems ont été censées appartenir au pape seul en premiere instance : & voici ce que les canonistes lui attribuent. Déclarer les articles de foi : convoquer le concile général : approuver les conciles & les écrits des autres docteurs : diviser & unir les évêchés, ou en transférer le siége ; exempter les évêques & les abbés de la jurisdiction de leurs ordinaires : transférer les évêques : les déposer, les rétablir : juger souverainement, ensorte qu'il n'y ait point d'appel de ses jugemens.

Voilà ce qu'on entend communément par causes majeures. La pragmatique-sanction a reconnu que les causes majeures, dont l'énumération expresse se trouve dans le droit, doivent être portées immédiatement au saint-siége, & qu'il y a des personnes dont la déposition appartient au pape : ensorte que s'ils sont trouvés mériter cette peine, ils doivent lui être renvoyés avec leur procès instruit.

Le concile de Trente, sess. XXIV. c. v. ordonne que les causes criminelles contre les évêques, si elles sont assez graves pour mériter déposition ou privation, ne seront examinées & terminées que par le pape ; que s'il est nécessaire de les commettre hors de la cour de Rome, ce sera aux évêques ou au métropolitain que le pape choisira par commission spéciale signée de sa main ; qu'il ne leur commettra que la seule connoissance du fait, & qu'ils seront obligés d'en renvoyer l'instruction au pape, à qui le jugement définitif est réservé. On laisse au concile provincial les moindres causes.

Mais l'église gallicane a conservé l'ancien droit, suivant lequel les évêques ne doivent être jugés que par les évêques de la province assemblés en concile, en y appellant ceux des provinces voisines jusqu'au nombre de douze, sauf l'appel au pape suivant le concile de Sardique. C'est ce que le clergé de France a arrêté, tant par sa protestation faite dans le tems contre le decret du concile de Trente, que par celle qu'il fit en 1650, au sujet de ce qui s'étoit passé d'irrégulier & de contraire à ses droits dans l'instruction du procès de l'évêque de Léon ; en 1632 Fleuri, Instit. au Droit ecclés. tom. II. Part. III. ch. xviij. pag. 169. & suiv. (G)


CAUSIES. f. (Littérat.) en grec , coëffure ou armure de tête, qui étoit commune à tous les Macédoniens ; Pausanias, Athénée, Plutarque & Hérodien en ont parlé. Il en est aussi fait mention dans l'anthologie. Cette espece de chapeau étoit fait de poil ou de laine, si bien tissue & apprêtée, que nonseulement il servoit d'abri contre le mauvais tems ; mais qu'il pouvoit même tenir lieu de casque. Eustachius en fait la description dans ses commentaires sur Homere, où il cite un passage de Pausanias, qui pourroit faire croire que la coëffure de tête que l'on nommoit causia, étoit particuliere aux rois de Macédoine. Peut-être que cette armure devint dans la suite du tems un ornement royal. (D.J.)


CAUSSADE(Géog.) petite ville de France dans le bas Quercy, près de l'Aveyrou.


CAUSTIQUEadj. pris subst. (Chimie) Ce nom a été donné à certains dissolvans, dont on a évalué l'action par leur effet sur le corps animal, qu'ils affectent à-peu-près de la même façon que le feu, ou les corps actuellement ignés ou brûlans. Cette action est une vraie dissolution. (Voyez MENSTRUE) ; car les caustiques proprement dits, sont de vrais dissolvans des substances animales. Les alkalis fixes, sur-tout animés par la chaux (Voyez PIERRE A CAUTERE), les alkalis volatils, la chaux vive, attaquent ces substances très-efficacement, & se combinent avec elles. Les acides minéraux concentrés, & les sels métalliques surchargés d'acide, comme le sublimé corrosif, le beurre d'antimoine, le vitriol, les crystaux de lune, &c. les attaquent & les décomposent. Voyez LYMPHE.

Quelques sucs résineux, comme ceux de quelques convolvulus, du toxicodendron, des tithymales, & quelques baumes très-visqueux, comme la poix de Bourgogne, les huiles essentielles vives, ne sont pas des caustiques proprement dits. Ces substances n'agissent sur l'animal vivant que par irritation ; elles peuvent enflammer les parties, les mortifier même assez rapidement ; mais c'est comme sensibles que ces parties sont alors affectées, & non pas comme solubles.

C'est appliquer un cautere sur une jambe de bois, dit-on communément pour exprimer l'inutilité d'un secours dont on essaye. Un medecin diroit tout aussi volontiers, & plus savamment, sur la jambe d'un cadavre, puisque la bonne doctrine sur l'action des remedes est fondée sur le jeu des parties, sur leur mobilité, leur sensibilité, leur vie ; les remedes n'opéreroient rien sur le cadavre, disent la plûpart des auteurs de matiere médicale. Ces auteurs ont raison pour plusieurs remedes, pour la plûpart même : mais ils se trompent pour les vrais caustiques. On feroit aussi-bien une escare sur un cadavre que sur un corps vivant.

L'opération par laquelle on prépare ou tane les cuirs, n'est autre chose que l'application d'un caustique leger à une partie morte, dont il dissout & enleve les sucs lymphatiques, les humeurs, en épargnant les fibres ou parties solides ; mais qui détruiroit ces solides même à la longue, si on augmentoit la dose ou l'intensité du dissolvant.

La préparation des mumies d'Egypte ne différoit de celle de nos cuirs, que par le dissolvant que les embaumeurs Egyptiens employoient. Nos Tanneurs se servent de la chaux ; c'étoit le natron qui étoit en usage chez les Egyptiens. Voyez l'extrait du Mémoire de M. Roüelle sur les mumies, lû à l'assemblée publique de l'académie des Sciences du mois de Novembre 1750, dans le Mercure de Janvier 1751. Cet article est de M. Venel.

L'usage des caustiques, en Medecine, est de manger les chairs fongueuses & baveuses ; ils pénetrent même dans les corps durs & calleux, fondent les humeurs, & sont d'un usage particulier dans les abcès & les apostumes, pour consumer la matiere qui est en suppuration, & y donner une issue ; & servent aussi quelquefois à faire une ouverture aux parties, dans le cas où l'incision seroit difficile à pratiquer ou dangereuse.

Les principaux médicamens de cette classe sont l'alun brûlé, l'éponge, les cantharides & autres vésicatoires, l'orpiment, la chaux-vive, le vitriol, les cendres de figuier, le frêne, la lie de vin, le sel de la lessive dont on fait le savon, le mercure sublimé, le précipité rouge, &c. Voyez chacune de ces substances à leur article propre.

Les crystaux de la lune & la pierre infernale, composés d'argent & d'esprit de nitre, deviennent caustiques par ce mélange. Voyez CRYSTAL, ARGENT, &c. (N)

CAUSTIQUE, s. f. dans la Géométrie transcendante, est le nom que l'on donne à la courbe que touchent les rayons réfléchis ou réfractés par quelqu'autre courbe. Voyez COURBE. Si une infinité de rayons de lumiere infiniment proches tombent sur toute l'étendue d'une surface courbe, & que ses rayons soient supposés réflechis ou rompus suivant les lois de la réflexion & de la réfraction, la suite des points de concours des rayons réfléchis ou rompus infiniment proches, formera un polygone d'une infinité de côtés ou une courbe qu'on appelle caustique ; cette courbe est touchée par les rayons réfléchis ou rompus, puisque ces rayons ne sont que le prolongement des petits côtés de la caustique.

Chaque courbe a ses deux caustiques, ce qui fait diviser les caustiques en catacaustiques & diacaustiques ; les premieres sont formées par réflexion, & les autres par réfraction.

On attribue ordinairement l'invention des caustiques à M. Tschirnhausen ; il les proposa à l'académie des Sciences en l'année 1682 ; elles ont cette propriété remarquable, que lorsque les courbes qui les produisent sont géométriques, elles sont toûjours rectifiables.

Ainsi la caustique formée des rayons réfléchis par un quart de cercle, est égale aux 3/4 du diametre. Cette rectification des caustiques a été antérieure au calcul de l'infini, qui nous a fourni celle de plusieurs autres courbes. Voyez RECTIFICATION. L'académie nomma un comité pour examiner ces nouvelles courbes ; il étoit composé de MM. Cassini, Mariotte, & de la Hire, qui révoquerent en doute la description ou génération que M. Tschirnhausen avoit donnée de la caustique par réflexion du quart de cercle : l'auteur refusa de leur découvrir sa methode, & M. de la Hire persista à soûtenir qu'on pouvoit en soupçonner la génération de fausseté. Quoi qu'il en soit, M. Tschirnhausen la proposoit avec tant de confiance, qu'il l'envoya aux actes de Leipsic, mais sans démonstration. M. de la Hire a fait voir depuis dans son traité des Epicycloïdes, que M. Tschirnhausen s'étoit effectivement trompé dans la description de cette caustique. On trouve dans l'Analyse des infiniment petits de M. le marquis de l'Hopital, une méthode pour déterminer les caustiques de réflexion & de réfraction d'une courbe quelconque, avec les propriétés générales de ces sortes de courbes, que le calcul des infiniment petits rend très-aisées à découvrir & à entendre.

Le mot caustique vient du Grec , je brûle ; parce que les rayons étant ramassés sur la caustique en plus grande quantité qu'ailleurs, peuvent y brûler, si la caustique est d'une fort petite étendue. Dans les miroirs paraboliques, la caustique des rayons paralleles à l'axe est un point qu'on nomme le foyer de la parabole.

Dans les miroirs sphériques d'une étendue de 20 à 30 degrés, la caustique des rayons paralleles à l'axe est d'une très-petite étendue, ce qui rend les miroirs sphériques & paraboliques capables de brûler. Voyez ARDENT, PARABOLE, FOYER, &c.

Si plusieurs rayons partent d'un point, & tombent sur une surface plane, les rayons réfléchis prolongés se réuniront en un point ; & pour trouver ce point, il n'y a qu'à mener du point d'où les rayons partent, une perpendiculaire à la surface plane, prolonger cette perpendiculaire jusqu'à ce que la partie prolongée lui soit égale, & le point cherché sera à l'extrémité de cette partie prolongée. Voyez MIROIR.

Cette proposition peut faire naître sur les caustiques une difficulté capable d'arrêter les commençans & qu'il est bon de lever ici. On sait que dans la Géométrie des infiniment petits, une portion de courbe infiniment petite est regardée comme une ligne droite dont la tangente est le prolongement. Supposons donc un petit côté de courbe prolongé en tangente, & imaginons deux rayons infiniment proches, qui tombent sur ce petit côté ; il semble, d'après ce que nous venons de dire, que pour trouver le point de concours des rayons réfléchis, il suffise de mener du point d'où les rayons partent, une perpendiculaire à cette tangente, & de prolonger cette perpendiculaire d'une quantité égale. Cependant le calcul & la méthode de M. de l'Hopital font voir que l'extrémité de cette perpendiculaire n'est pas un point de la caustique. Comment donc accorder tout cela ? Le voici. En considérant la petite portion de courbe comme une ligne droite, il faudroit que les perpendiculaires à la courbe, tirées aux deux extrémités du petit côté fussent exactement paralleles, comme elles le seroient si la surface totale au lieu d'être courbe étoit droite ; or cela n'est pas : les perpendiculaires concourent à une certaine distance, & forment par leur concours ce qu'on appelle le rayon de la développée. Voyez DEVELOPPEE. Ainsi il faut avoir égard à la position de ces perpendiculaires concourantes pour déterminer la position des rayons réfléchis, & par conséquent leur point de concours, qui est tout autre que si la surface étoit droite. En considérant une courbe comme un polygone, les perpendiculaires à la courbe ne doivent pas être les perpendiculaires aux côtés de la courbe ; ce sont les lignes qui divisent en deux également l'angle infiniment obtus que forment les petits côtés ; autrement au point de concours de deux petits côtés il y auroit deux perpendiculaires, une pour chaque côté. Or cela ne se peut, puisqu'à chaque point d'une courbe il n'y a qu'une perpendiculaire possible. Les rayons incidens & réfléchis doivent faire avec la perpendiculaire des angles égaux. D'après cette remarque sur les perpendiculaires, on peut déterminer les caustiques en regardant les courbes comme polygones ; & on ne trouvera plus aucune absurdité ni contradiction apparente entre les principes de la Géométrie de l'infini. Voyez DIFFERENTIEL, INFINI, &c. (O)


CAUTE(Géog.) riviere considérable de l'Amérique, dans l'île de Cuba, où il se trouve beaucoup de crocodiles.


CAUTELES. f. dans quelques anciens Jurisconsultes, est synonyme à ruse ou finesse : mais il est vieilli en ce sens ; on ne l'employe plus qu'en Droit canonique, où il est synonyme à précaution ; c'est en ce sens qu'on dit une absolution à cautele, pour signifier une absolution provisoire qu'on donne à un prêtre appellant d'une sentence qui l'excommunie ou l'interdit, afin qu'il lui soit permis d'ester en jugement pour la poursuite de l'appel ; encore conserve-t-on souvent l'expression latine ad cautelam, sans la franciser : & l'on dit une absolution ad cautelam. (H)


CAUTEN(Géog.) cap & riviere de l'Amérique méridionale.


CAUTERES. m. (Chirurgie) médicament qui brûle, mange ou corrode quelque partie solide du corps.

Ce mot vient du grec , ou , qui signifie la même chose, & est dérivé du verbe , brûler.

Il y en a deux sortes ; le cautere actuel, & le cautere potentiel.

Le cautere actuel est celui qui produit son effet en un moment, comme le feu, ou un fer rougi au feu. On se servoit anciennement de cette espece de cauteres dans les fistules lacrymales, après l'extirpation du cancer, l'amputation d'une jambe ou d'un bras, &c. pour arrêter l'hémorrhagie, & produire une suppuration loüable. On en applique encore quelquefois sur des os cariés, sur des abcès & des ulceres malins.

Les cauteres actuels sont des instrumens composés d'une tige de fer dont l'extrémité postérieure est une mitte, du milieu de laquelle s'éleve une soie tournée en vis, afin qu'un même manche de bois garni d'un écrou puisse servir à monter des cauteres de différente figure. Il y en a qui par leur partie antérieure forment un bouton sphérique ; d'autres l'ont olivâtre ; les uns se terminent par une plaque quarrée, &c. Voyez les fig. 5. C. 7. 8. 9. 10. & 11. Pl. XVII. On peut changer les cauteres, & leur faire donner telle configuration qu'on voudra, selon le besoin qu'on en aura, afin de les rendre conformes aux endroits où on doit les appliquer. Voyez CAUTERISATION.

M. Homberg dit que la medecine des habitans de Java & de la plûpart des autres peuples orientaux, consiste en grande partie à brûler les chairs, ou à y appliquer des cauteres actuels ; & qu'il y a peu de maladies que ces différens peuples ne guérissent par cette méthode.

Le cautere potentiel est une composition de remedes caustiques, où entrent ordinairement de la chaux vive, du savon & de la suie de cheminée. Voyez CAUSTIQUE. On s'en sert pour l'ouverture des abcès. Voyez ABCES.

Ambroise Paré enseigne la composition d'un caustique qu'il nomme cautere de velours, ainsi appellé parce que ce remede ne cause point de douleur, ou parce qu'il avoit acheté le secret fort cher d'un chimiste. L'auteur dit :... " à iceux je donnerai le nom de cauteres de velours, à raison qu'ils ne font douleur, principalement lorsqu'ils seront appliqués sur les parties exemptes d'inflammation & de douleur ; & aussi parce que je les ai recouvrés par du velours ". Le cautere est aussi un ulcere qu'on procure exprès dans quelque partie saine du corps, pour servir d'égout aux mauvaises humeurs. Voyez FONTICULE & SETON.

Les cauteres se font communément à la nuque, entre la premiere & la seconde vertebre du cou ; à la partie supérieure du bras, dans une petite cavité qui se forme entre le muscle deltoïde & le biceps ; & à la partie interne du genou, un peu au-dessous de l'attache des fléchisseurs de la jambe.

Pour bien appliquer un cautere, on commence par faire un emplâtre rond de la grandeur d'un écu, & troué par le milieu : il doit être fort emplastique, afin qu'il s'attache fortement à la peau, pour empêcher que l'escare ne fasse plus de progrès qu'on ne le desire. On met cet emplâtre sur l'endroit destiné au cautere : on applique une pierre à cautere sur la peau qui est découverte au centre de l'emplâtre ; on la recouvre d'un autre emplâtre plus grand que celui qui est percé : on applique ensuite une compresse & un bandage circulaire qu'on serre un peu, afin que l'appareil ne change pas de place.

Il faut que le chirurgien connoisse l'activité du caustique dont il se sert, pour ne le laisser qu'un tems suffisant pour faire escare à la peau : on panse l'escare, on en procure la chûte par l'usage des remedes suppuratifs ; & on entretient ensuite la suppuration de l'ulcere en tenant un pois dedans, qu'on a soin de renouveller tous les jours.

Les cauteres sont d'une grande utilité dans nombre de maladies : il y en a même plusieurs qu'on ne sauroit guérir sans cautere, lorsqu'elles sont enracinées ou obstinées ; telles sont l'ophthalmie, les anciens maux de tête, les fluxions fréquentes, les ulceres invétérés, &c. Voyez SETON. (Y)


CAUTÉRISATIONS. f. terme de Chirurgie, application d'un fer rougi au feu, sur les parties du corps. On appelle cauteres actuels les instrumens qui y servent. Voyez CAUTERE.

L'usage des cauteres actuels est de consumer la carie des os, d'empêcher la vermoulure que cette maladie peut occasionner en faisant des progrès. L'application des cauteres, en desséchant l'humidité ou la sanie qui exude des os cariés, procure l'exfoliation, & fait obtenir une guérison solide de l'ulcere, par une bonne cicatrice. Voyez EXFOLIATION.

Pour faire l'application des cauteres actuels, on fait rougir leur extrémité antérieure dans un feu ardent. Pour garantir les levres de la plaie de l'action du feu, quelques auteurs conseillent de les cacher avec deux petites plaques de fer fort mince qu'on fait tenir par deux serviteurs. Je crois qu'on doit préférer la méthode que décrit M. Petit dans son traité des maladies des os, à l'article de la carie. Il conseille de garnir les chairs voisines de la carie avec des linges mouillés, pour les garantir du feu. Il faut que ces linges soient bien exprimés, parce que l'eau qui en découleroit, refroidiroit les cauteres, qui doivent être les plus rouges qu'on pourra, afin qu'ils puissent brûler, quoiqu'on les applique legerement.

Lorsqu'on a cautérisé tout ce qu'on se proposoit, ce qu'il est expédient de faire quelquefois à plusieurs reprises, on panse la carie avec la charpie seche. Si le malade sentoit beaucoup de chaleur, on imbiberoit la charpie d'esprit-de-vin : le reste de l'ulcere se panse à l'ordinaire.

La carie profonde demande une application plus forte des cauteres qu'une carie superficielle ; parce que pour en tirer le fruit qu'on en attend, il faut brûler jusqu'aux parties saines, afin de dessécher & tarir les vaisseaux d'où viennent les sérosités rongeantes. Voyez CARIE.

Les anciens cautérisoient les parties molles pour les fortifier ou pour procurer un égout aux matieres impures de la masse du sang ; mais l'horreur que fait cette opération, l'a fait rejetter depuis long-tems. Voyez CAUTERE & SETON.


CAUTIONS. f. en Droit, sûreté que l'on donne pour l'exécution de quelqu'engagement ; en ce sens il est synonyme à cautionnement. Voyez CAUTIONNEMENT.

Caution signifie aussi la personne même qui cautionne ; & en ce second sens il est synonyme à pleige, qui est moins usité. Voyez PLEIGE.

Par l'ancien droit romain, le créancier pouvoit s'adresser directement à la caution, & lui faire payer le total de la dette, sans être obligé à faire aucunes poursuites contre le débiteur ; & s'il y avoit plusieurs cautions, elles étoient toutes obligées solidairement. Mais l'empereur Adrien leur accorda premierement le bénéfice de division, & dans la suite Justinien leur accorda celui d'ordre ou de discussion. Voyez DIVISION & DISCUSSION.

La caution ne peut pas être obligée à plus que le principal obligé ou débiteur, mais elle peut être obligée plus étroitement ; ainsi l'obligation de la caution subsiste, quoique celle du principal obligé, mineur, soit éteinte par la restitution en entier. De même la caution peut hypothéquer ses immeubles, quoique le débiteur n'ait pas obligé les siens.

Les cautions entr'elles n'ont aucune action l'une contre l'autre ; desorte que s'il y avoit plusieurs cautions, & que l'autre, en conséquence de l'insolvabilité du débiteur, paye le tout, la caution qui a été obligée de payer n'a aucun recours contre les autres, si elle n'a pas eu la précaution d'obliger le créancier à lui céder ses droits, parce que les cautions n'ont pas contracté l'une avec l'autre, mais seulement avec le principal débiteur.

CAUTION judiciaire, voyez JUDICIAIRE.

CAUTION juratoire, voyez JURATOIRE. (H)

CAUTION bourgeoise, répondant qui a son domicile, qui est établi, qui a des biens apparens dans un lieu, dans une ville.

CAUTION banale se dit au contraire d'un homme sans bien, qui n'ayant rien à perdre, est toûjours prêt à cautionner telles personnes qui se présentent, & pour telles sommes qu'on veut.

Il y a une espece de caution de cette sorte aux consuls de la ville de Paris, qui pour une somme très-modique s'oblige pour l'exécution de toutes les sentences qui portent cette clause si ordinaire, en donnant caution. Dictionnaire du Commerce, tome II. pag. 136. (G)


CAUTIONNEMENTaction de celui qui cautionne. Il signifie aussi l'acte qu'on dresse chez le notaire ou au greffe.


CAUTIONNERse rendre caution, répondre pour quelqu'un, soit par acte public, soit sous seing privé, soit par un simple engagement verbal. Idem, ibid. (G)


CAUWou COUWA, (Géog.) riviere de l'Amérique.


CAUX(le pays de) contrée de France ; située entre la Seine & l'Océan, la Picardie, le pays de Bray & le Vexin-Normand. La capitale est Caudebec, où l'on fabrique des chapeaux de ce nom. Voyez CHAPEAU. Ce pays produit du chanvre, du lin, & est très-fertile.


CAVA(Geog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la principauté citérieure.


CAVACHI(Géog.) province du Japon dans l'ile de Niphon, entre le golfe de Méaco & les provinces de Jamato, Idumi & Vomi. La capitale porte le même nom.


CAVADA(Comm.) mesure usitée en Portugal. La cavada contient quatre quartas ou livres, & fait la douzieme partie d'un almuda. Six cavada font un alquier ou un cantaro.


CAVADO(LE) Géog. riviere de Portugal qui a sa source aux frontieres de Galice.


CAVAILLON(Géog.) petite ville de France au comtat Venaissin, sur la Durance, à quatre lieues d'Avignon.


CAVALCADES. m. (Hist. mod.) marche pompeuse de cavaliers, d'équipages, &c. qu'on fait ou pour se montrer, ou dans une cérémonie, ou pour orner un triomphe, dans une entrée publique, ou dans d'autres occasions semblables. Voyez CARROUSEL, TOURNOI, QUADRILLE, &c. (G)


CAVALCADOURvoyez ECUYER.


CAVALERIES. f. (Art milit.) corps de gens de guerre destinés à combattre à cheval, equitatus.

La cavalerie françoise est distinguée en compagnies d'ordonnance, comme gardes du corps, gendarmes, chevau-legers, &c. & en régimens qui sont commandés par des mestres de camp. Ce sont ces régimens qui forment ce qu'on appelle la cavalerie-legere.

Les compagnies d'ordonnance tiennent lieu de ce qu'on appelloit autrefois en France la gendarmerie, qui étoit composée du corps de la noblesse armée de pié-en-cap ; & les régimens de cavalerie des gens de cheval armés à la legere, dont on se servoit pour poursuivre l'ennemi lorsqu'il avoit été rompu par les gendarmes, & l'empêcher de se rallier. Cette distinction ne peut aujourd'hui avoir lieu ; les compagnies d'ordonnance & les régimens sont armés, & combattent de la même maniere.

La cavalerie-legere françoise n'étoit guere estimée ; c'étoit la gendarmerie qui faisoit toute la force de l'armée, tant par la bonté de ses armes que par la force de ses chevaux, qui étoient des destriers, dextrarii, c'est-à-dire des chevaux de bataille. Une ancienne chronique dit que cent hommes de gendarmerie suffisoient pour battre mille autres cavaliers non-armés, c'est-à-dire armés à la legere, parce que les armes des gendarmes étoient presqu'impénétrables, & que leurs grands & forts chevaux culbutoient dès le premier choc ceux de cette cavalerie-legere.

La cavalerie-legere de France a été composée de différentes especes de troupes qu'on n'y trouve plus aujourd'hui, comme des estradiots ou stradiots, des argoulets, des carabins, &c.

Les estradiots furent une milice dont les François n'eurent connoissance que durant les guerres d'Italie sous Charles VIII. comme Comines le remarque. Leur nom est grec, & stradiot vient de , qui signifie soldat : aussi étoient-ils Grecs ou des environs de la Grece. On les appelloit aussi cavalerie albanoise, la plûpart étant de l'Albanie, & des places que les Vénitiens possédoient dans la Morée. Ils combattoient à pié & à cheval ; & leur principale arme offensive étoit l'arzegaye, sorte de long bâton ferré par les deux bouts, & qui avoit environ 10 à 12 piés de long. Un de leurs principaux exercices étoit de bien se servir de cette arme, & à toutes mains, en donnant tantôt d'une pointe & tantôt d'une autre.

Pour les argoulets, voici comment en parle M. de Montgommery : " Les argoulets, dit-il, étoient armés de même que les estradiots, excepté la tête, où ils mettoient un cabazet qui ne les empêchoit point de coucher en joue. Leurs armes offensives étoient l'épée au côté, la masse à l'arçon gauche, & à droite une arquebuse de deux piés & demi de long dans un fourreau de cuir bouilli, &c. ". On regardoit ces troupes comme la partie la moins considérable de la cavalerie-legere.

Les carabins ne faisoient point un corps séparé dans les troupes de France sous le regne d'Henri IV. un certain nombre étoit comme incorporé dans une compagnie de chevau-legers, ou plûtôt y étoit joint sans être du corps. Leurs armes défensives étoient une cuirasse échancrée à l'épaule droite, afin de mieux coucher en joue ; un gantelet à coude pour la main de la bride ; un cabazet en tête : & pour armes offensives, une longue escopette de trois piés & demi pour le moins, & un pistolet.

Leur maniere de combattre étoit de former un petit escadron plus profond que large, à la gauche de l'escadron de la compagnie des chevau-legers ; d'avancer au signal du capitaine jusqu'à deux cent pas d'un escadron des lances de l'ennemi ; & à cent, si c'étoit un escadron de cuirassiers ; de faire leur décharge rang à rang l'un après l'autre, & de se retirer à la queue de leur escadron. Si les ennemis avoient aussi des carabins, ils devoient les attaquer, non pas en gros, mais en les escarmouchant, pour les empêcher de faire feu sur les chevau-legers dans le tems que ceux-ci marchoient pour charger. Ils étoient institués, ajoûte l'auteur, pour entamer le combat, pour les retraites & pour les escarmouches.

Il en est souvent parlé dans l'histoire du regne d'Henri IV. mais il y en avoit avant le regne de ce prince.

Il en est parlé dans l'extraordinaire des guerres dès le tems d'Henri II. L'historien Dupleix prétend que ceux qu'on appelloit carabins de son tems, étoient ceux-là mêmes auxquels sous le regne d'Henri II. on donnoit le nom d'argoulets ; & Daubigné dit que ce ne fut que sous Henri III. que le nom de carabin commença à être bien en usage pour cette espece de milice : Missar, dit-il, commandoit dans les carabins de Mets, desquels le nom a été depuis plus familier. Ce qu'il y a de certain, c'est que le service des argoulets & des carabins étoit fort semblable.

Cette milice subsistoit du tems de Louis XIII. comme nous l'appellons du sieur de Belon, qui écrivoit sous le regne de ce prince, Il décrit ainsi l'armure des carabins : " Ils auront la cuirasse ou un pot de salade, sans autres armes défensives ; & pour armes offensives, une grosse arquebuse à roüet, de trois piés ou un peu plus, ayant gros calibre, & l'épée au pistolet court. C'est, ajoûte-t-il, comme le roi lui-même les a institués ".

Il se trompe, s'il entend par-là que le roi Louis XIII. eût créé cette milice ; mais il veut dire apparemment que ce prince avoit ainsi réglé son armure.

Il continue : " Ils porteroient, si l'on vouloit, les casaques & les gamaches, pour mettre mieux pié à terre au besoin : étant ainsi armés & montés, ils peuvent combattre à pié & à cheval, & se mêler avec la cavalerie ".

Les carabins qui sous le regne d'Henri VI. ne faisoient point un corps séparé, mais étoient joints aux compagnies de cavalerie-legere, sous le commandement des capitaines de ces compagnies, ne formerent des régimens entiers que sous Louis XIII. Il s'en trouve dans l'état de l'armée de l'an 1643, jusqu'à douze régimens étrangers. On fit sous ce regne pour les carabins ce qu'on fit sous celui de Louis-le-Grand pour les carabiniers on les sépara de la cavalerie-légere pour les mettre en corps, de même que de toutes les compagnies de carabiniers qui étoient dans les régimens de cavalerie-legere, on forma le régiment des carabiniers, commandé aujourd'hui par M. le prince de Dombes. Voyez CARABINIERS.

Les plus fameux carabins du regne de Louis XIII. furent les carabins d'Arnaut, qui étoit mestre de camp d'un de ces régimens. Ce régiment étoit de 11 compagnies, gens déterminés, comme le furent depuis les dragons de la Ferté. Alors, selon le même état de 1643, la garde des généraux d'armées étoit ordinairement de carabins. Il est marqué que le maréchal de la Meilleraye avoit pour sa garde trente carabins ; le maréchal de Chatillon autant ; le duc d'Angoulême, qui commandoit en Picardie, autant ; M. du Hallier, lieutenant général, en avoit vingt ; le duc d'Enguien en avoit aussi.

Il y avoit une charge de général de carabins, elle subsista même depuis la suppression des carabins, qui ne se fit que plusieurs années après la paix des Pyrénées ; car il est fait encore mention de carabins dans une ordonnance de Louis XIV. du mois de Novembre de l'an 1665.

M. le comte de Tessé, depuis maréchal de France, acheta cette charge du comte de Quincé, l'an 1684, la fit supprimer par le roi, & obtint en même tems pour lui la charge de mestre de camp général des dragons.

La charge de général des carabins étoit la même que celle de mestre de camp général des carabins, dont il est parlé dans l'ordonnance de Louis XIII. du 26 de Mars 1626. Il prenoit son attache du colonel général de la cavalerie, & étoit de sa dépendance ; c'est pourquoi M. de Bassompierre, dans sa critique de l'histoire de Dupleix, le reprend aigrement, à son ordinaire, de ce qu'il avoit appellé le sieur de Gié colonel général des carabins. " Cet ignorant, dit-il ne sait pas que les carabins sont du corps de la cavalerie, & que ce n'étoit que leur mestre de camp ". Art. tiré de l'hist. de la mil. franç. du P. Daniel.

La cavalerie dans une armée rangée en bataille, se place ordinairement sur les ailes, & l'infanterie au centre ; elle y forme toûjours différens corps appellés escadrons. Voyez ESCADRON.

La cavalerie est absolument utile à la guerre, pour les détachemens, les escortes, & pour combattre en plaine ; mais le trop grand nombre peut être nuisible : car la grande consommation de fourrage qu'il exige, peut souvent obliger un général de changer de camp ou de position, lorsqu'il est dans un poste avantageux, pour trouver le moyen de faire subsister sa cavalerie. M. Folard prétend que le grand nombre de cavalerie ne vient que du défaut de discipline & d'intelligence militaire. (Q)


CAVALERISSES. f. (Manege) Ce mot est dérivé de l'italien : il fut employé en françois pour signifier une personne savante dans l'art de dresser & de gouverner les chevaux. Il fut d'autant plus expressif, que le mot écuyer a une signification toute différente en France ; mais il n'est plus d'usage. (V)


CAVALIERS. m. dans l'Art. milit. est un soldat qui combat à cheval : on l'appelle aussi maître. On dit indifféremment, une telle compagnie étoit de quarante cavaliers ou de quarante maîtres.

Ce mot vient du latin caballus : on trouve caballarius & cavallarius dans la basse latinité.

Un bon cavalier est celui qui a bien soin de son cheval & de son équipage, qui se tient propre, & qui observe exactement les ordres qu'on lui prescrit. Il doit avoir toûjours dans ses besaces du crin pour rembourrer sa selle, qu'il doit visiter toutes les fois qu'il descend de cheval, & voir si rien n'y manque.

Quand il est commandé, il ne doit jamais quitter sa troupe sans la permission de son officier : il doit aussi toûjours avoir de quoi tirer, & ses armes en bon état.

Quand il est dans un poste & qu'on lui a consigné un ordre, il ne doit point faire difficulté de tirer sur ceux qui y contreviennent, même sur un géneral, tout comme sur un autre ; & il doit avertir les officiers de ce qui se passe aux environs de son poste.

Un cavalier qui va au fourrage, ne doit jamais outrer son cheval à force de courir ; il doit s'en tenir à celui qu'il peut prendre le plus aisément, & ne pas s'imaginer que le fourrage le plus éloigné soit le meilleur.

CAVALIER, en terme de Fortification, est une élévation de terre qu'on pratique sur le terre-plein du rempart, pour y placer des batteries qui découvrent au loin dans la campagne, & qui incommodent l'ennemi dans ses approches.

Ils se construisent le plus ordinairement dans le milieu des bastions pleins : en ce cas ils ont la même figure que le bastion. On observe que le côté extérieur de leur rempart soit éloigné de trois ou quatre toises du côté intérieur du parapet ou faces du bastion, & de quatre ou cinq toises de celui de ses flancs. On place aussi des cavaliers sur les courtines ; mais alors ils sont ronds ou quarrés. Il y a plusieurs villes, comme Landau & Luxembourg, où l'on en trouve en-dedans la place dans le voisinage du rempart ; mais ces sortes de cavaliers ne peuvent être d'usage que dans les premiers jours de siége.

Lorsqu'une place se trouve commandée, on y éleve aussi quelquefois des cavaliers, comme M. de Vauban l'a fait à Maubeuge, pour séparer des commandemens. Les cavaliers tiennent lieu, dans ce cas, de traverses. Voyez TRAVERSE.

Les avantages qu'on tire des cavaliers peuvent se réduire à quatre principaux.

1°. A garantir, comme on vient de le dire, de l'enfilade.

2°. A obliger l'assiégeant d'ouvrir la tranchée à une plus grande distance de la place, pour ne pas se trouver sous le feu du cavalier.

3°. A découvrir le dedans ou l'intérieur des tranchées, & à les enfiler par des coups plongés.

4°. A doubler le feu des bastions sur lesquels les cavaliers sont construits.

CAVALIER DE TRANCHEE, est dans l'attaque des places, une élévation de gabions, de fascines & de terre, que l'assiégeant pratique à la moitié ou aux deux tiers du glacis, vers ses angles saillans, pour découvrir & enfiler le chemin couvert.

Le parapet des cavaliers de tranchée est de 8 ou 9 piés plus élevé que le glacis : on y pratique trois banquettes ; le soldat placé sur la supérieure, se trouve suffisamment élevé pour plonger dans le chemin couvert. Lorsque cet ouvrage a toute sa perfection, il est bien difficile que l'ennemi puisse se montrer dans le chemin couvert ; il s'y trouve trop exposé au feu des cavaliers ; mais ils ne peuvent se construire qu'autant qu'ils sont protégés de batteries à ricochet qui enfilent exactement le chemin couvert. Le Blond, Attaque des places. Voyez le plan & le profil d'un cavalier de tranchée, Pl. XVI. de l'Art milit. fig. 3. (Q)

CAVALIER, s. m. en termes de Manége, signifie un homme qui est bien à cheval, qui le manie bien, qui entend les chevaux. On dit aussi un bel homme de cheval.

CAVALIER, s. m. (Commerce) monnoie d'argent qui se fabriquoit autrefois en Flandre dans la forme des bajoirs ? voyez BAJOIR, du titre de neuf deniers onze grains ; le cavalier vaut argent de France, une livre sept sous deux deniers.


CAVALL(LA) Géog. ville de Grece en Macédoine, au bord de l'Archipel.

CAVALLE, on appelle ainsi la femelle du cheval. Voyez JUMENT & CHEVAL.


CAVALLERI(LA) Géog. petite ville de France en Roüergue, vers les frontieres des Cévennes.


CAVALLOSS. m. (Commerce) monnoie de billon, frappée en Piémont en 1616, à un denier vingt-un grains de fin. Ce nom lui vient d'un cheval qu'elle avoit pour écusson ; une croix étoit son effigie : le cavallos vaut neuf deniers un huitieme.


CAVAou CAVON, (Géog.) contrée d'Irlande, avec titre de comté, dans la province d'Ulster, dont la capitale porte le même nom.


CAVAN(Commer.) mesure dont on se sert dans quelques-unes des îles Philippines, & sur-tout à Manille, pour mesurer les grains & les légumes, & entr'autres le riz. Le cavan de riz pese cinquante livres poids d'Espagne. Dictionn. de Commerce, tome II. pag. 134. (G)


CAVEsub. f. en Architecture, est un lieu voûté dans l'étage soûterrain, qui sert à mettre du vin, du bois, & autres choses pour la provision d'une maison, d'un hôtel, &c. du latin cavea. Vitruve appelle hypogæa, tous les lieux voûtés sous terre.

CAVE, dans une église, est un lieu soûterrain, voûté & destiné à la sépulture. (P)

CAVES. On a cru long-tems que les caves & les autres lieux soûterrains étoient plus froids en été qu'en hyver, parce qu'en effet en hyver l'air y paroît beaucoup plus chaud que l'air extérieur, & qu'en été il y paroit plus froid. De grands physiciens avoient même trouvé des raisons assez plausibles de ce phénomene ; car rien n'est plus facile que de rendre raison de tout avec des explications vagues. Mais de plus grands physiciens ont trouvé depuis que le fait n'étoit pas vrai. Le moyen de s'en assûrer est de suspendre un thermometre dans une cave pendant toute une année, on trouvera que la cave est plus chaude en été qu'en hyver, mais qu'il n'y a pas une grande différence entre le plus grand chaud & le plus grand froid. Il s'ensuit de-là que quoique les caves nous semblent être plus froides en été, elles ne le sont pourtant pas, & que cette apparence est trompeuse. Voici la raison qu'en donne M. Musschenbroeck. En été notre corps se trouvant exposé au grand air devient fort chaud, le sang acquiert une chaleur de 92 ou 94 degrés ; la chaleur du grand air est aussi alors de 70 à 80 degrés, au lieu que l'air qui se trouve dans ce tems-là renfermé dans les caves n'a qu'une chaleur de 45 à 50 degrés, desorte qu'il est beaucoup plus froid que notre corps & que l'air extérieur : ainsi, dès qu'on entre dans une cave lorsqu'on a fort chaud, on y rencontre un air beaucoup plus froid que l'air extérieur, ce qui fait que la cave nous paroît alors froide. En hyver au contraire lorsqu'il gele, le froid de l'air extérieur est depuis 30 jusqu'à 32 degrés, au lieu que la chaleur de l'air de la cave se trouve encore de 45 degrés ; ainsi nous trouvant d'abord exposés à l'air froid extérieur, qui fait impression sur notre corps & qui le refroidit en effet, nous n'entrons pas plûtôt dans une cave, que nous y sentons un air beaucoup plus chaud, qui ne manque pas de réchauffer aussi notre corps ; ce qui est cause que l'air de la cave nous paroît alors chaud. Cependant nous ne pouvons pas savoir, ni juger par la seule impression que l'air fait sur nous, s'il est effectivement alors plus chaud qu'en été ; ce n'est qu'à l'aide du thermometre, que nous pouvons être assûrés si l'air est plus chaud en été qu'en hyver. Mussch. Ess. de Physique. (O)

CAVE, adj. (Lune) Chronol. On appelle lune cave un mois lunaire de 29 jours. V. MOIS & LUNE. (O)

CAVE, en Anatomie, est le nom de deux grosses veines qui se déchargent dans l'oreillette droite du coeur ; on dit ordinairement la veine-cave en général : alors on considere la réunion de ces deux veines comme une seule veine. Voyez COEUR & OREILLETTE.

La veine-cave se divise en ascendante & descendante : l'ascendante est celle qui vient des parties inférieures ; elle est ainsi appellée, parce que le sang qui vient au coeur par cette veine, monte : la descendante est celle qui vient des parties supérieures ; elle est ainsi appellée, parce que le sang qu'elle apporte de la tête & autres parties supérieures, descend. Voyez SANG & CIRCULATION.

Il y a des auteurs qui donnent le nom de veine-cave supérieure à la descendante, & de veine-cave inférieure à l'ascendante.

La veine-cave supérieure est formée par la réunion des deux veines soûclavieres, environ vis-à-vis & derriere le cartilage de la premiere vraie côte du côté droit. Elle se porte ensuite obliquement vers la gauche, & entre dans le péricarde où elle est placée au côté droit de l'aorte, & occupe la longueur de deux doigts environ ; après quoi, elle entre dans l'oreillette droite. Voyez SOUCLAVIERE, PERICARDE, &c.

La veine-cave inférieure, est cette grosse veine qui paroît formée de la réunion des deux veines iliaques ; elle monte de la partie supérieure de l'os sacrum sur les vertebres des lombes ; elle s'incline un peu à droite, vient passer derriere le foie par sa grande échancrure ; elle perce le diaphragme, entre dans le péricarde, & après un trajet d'environ trois à quatre lignes, elle entre dans l'oreillette droite du coeur. Voyez ILIAQUE, DIAPHRAGME, OREILLETTE, &c.

Elle reçoit dans tout ce trajet les veines sacrées, les veines lombaires, les veines spermatiques, les veines rénales, les veines adipeuses, les veines hépatiques, les veines diaphragmatiques inférieures, ou veines phréniques. Voyez SPERMATIQUE, ADIPEUX, HEPATIQUE, &c. (L)

CAVE, (parmi les Confiseurs) est une piece portative en maniere de caisse, faite de fer blanc, avec quatre ou six pots de même métal, tenant chacun une pinte, & qui s'emboîtent toûjours dans la caisse ; ils sont retenus par un petit rebord qui est au fond. On s'en sert pour glacer toutes sortes d'eaux & de crêmes. Voyez GLACE, & la Pl. du Confiseur. La fig. 4. représente le corps de la cave qui contient les pots ; 3. est le couvercle général ; 2. est le couvercle d'un des pots qui sont dans la cave. On entoure les pots de glace pêle-mêle avec du sel ammoniac, au défaut de sel ordinaire : on couvre aussi de ce mélange les couvercles des pots & le couvercle de la cave ; ce qui produit un froid si grand, que les liqueurs contenues dans les pots sont glacées en peu de tems.

On donne le même nom de cave, à un coffret au-dedans duquel on a pratiqué, soit en marqueterie, soit en carton & velours, ou autrement, des loges où sont placés des flacons pleins de différentes eaux odoriférantes.

CAVE, (Géog.) une des îles Orcades, au nord de l'Ecosse.


CAVEAS. f. (Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit les loges soûterraines où l'on gardoit les bêtes de l'amphithéatre ; l'amphithéatre même s'appella cavea ; & l'on désigna aussi par le même terme les plus hauts degrés du théatre que le peuple occupoit. Voyez AMPHITHEATRE & THEATRE.


CAVEAUcrypta, s. m. (Hist. anc. & mod.) espece de voûte soûterraine, construite principalement sous une église, & destinée à la sépulture de quelques familles ou personnes particulieres. Voyez TOMBE.

Ce mot se dit en latin crypta, qui est formé du grec , abscondo, je cache ; d'où est venu le mot , crypta.

Saint-Ciampini, dans la description qu'il nous a donnée des dehors du vatican, parle des caveaux ou catacombes de S. André, de S. Paul. Voyez CATACOMBE.

Vitruve se sert du mot crypta, pour exprimer la partie d'un bâtiment qui répond à notre cellier : Juvenal s'en sert pour exprimer un cloaque.

De-là est venu crypto-porticus, qui signifie un lieu soûterrain voûté, qui sert comme d'une espece de mine ou de passage dans les vieux murs. Le même mot se dit encore d'une décoration mise à l'entrée d'une grotte. Voyez GROTTE.

Crypta, est aussi en usage chez quelques-uns de nos anciens écrivains, pour signifier une chapelle, ou un oratoire sous terre. (P)


CAVEÇONS. m. terme de Manége, espece de bride ou de muserole qu'on met sur le nez du cheval, qui le serre, le contraint, & sert à le dompter, le dresser, & le gouverner. Ce mot vient de l'espagnol cabeca, tête.

Les caveçons qui servent à dresser les jeunes chevaux, sont ordinairement de fer, & faits en demi-cercle de deux ou trois pieces assemblées par des charnieres. Il y en a de tors & de plats, d'autres creux dans le milieu & dentelés comme des scies, qu'on appelle mordans : mais ces derniers sont aujourd'hui absolument bannis des académies. Les caveçon de corde & de cuir, servent à faire passer les chevaux entre deux piliers.


CAVELAN(Géog.) royaume d'Asie dans les Indes tributaire de celui de Pégu.


CAVELINS. m. (Commerce) on nomme ainsi à Amsterdam ce que nous appellons en France un lot en termes de commerce.

Dans les ventes au bassin qui se font à Amsterdam, c'est-à-dire dans les ventes publiques où les marchandises se crient en présence des vendus-meesters ou commissaires députés des bourguemestres ; il y a certaines sortes de marchandises dont le vendeur fait les cavelins aussi grands ou aussi petits qu'il le juge à propos, par rapport ou à leur valeur ou à la quantité qu'il en veut vendre ; & d'autres dont les cavelins sont reglés par l'ordonnance du bourguemestre.

De la premiere sorte sont la cochenille, les soies, l'indigo, le poivre, le caffé, le sucre de Bresil, les prunes, & plusieurs autres : de la seconde sont les vins, les eaux-de-vie, le vinaigre. Ces cavelins se reglent par balles, caisses, serons, pieces, demi-pieces ; & ceux des liqueurs, par tonneaux, barriques, bottes, pipes, aams, avec tant de plokpenin, c'est-à-dire de denier à Dieu, par cavelin. Voyez en le détail dans le dictionn. du Commerce, tome II. page 135. (G)


CAVENTENIERS. m. (terme de Corderie) est une petite corde composée de six, neuf, douze, ou dix-huit fils : cette sorte de aussiere se fabrique à trois torons ; par exemple, si on veut faire un caventenier de douze fils, on en forme trois torons de quatre fils chacun ; on leur donne au moyen du rouet le tors convenable, & ensuite on commet ensemble les trois torons.


CAVERverb. neut. (en Escrime) est le contraire d'opposer. Voyez OPPOSITION. C'est par conséquent s'exposer à recevoir un coup d'épée dans le même tems qu'on le porte.

On appelle improprement quarte sur les armes, l'action de caver dehors & sur les armes ; car pour caver, il faut porter une estocade de tierce, ayant le bras & la main droite placés & tournés comme pour parer en quarte, ou porter une estocade de quarte, ayant le bras & la main droite placés & tournés comme pour parer en tierce.


CAVERNES. f. (Hist. nat. & Physiq.) réduit obscur & soûterrain d'une certaine étendue.

Les cavernes se trouvent dans les montagnes, & peu ou point-du-tout dans les plaines : il y en a beaucoup dans les îles de l'Archipel, & dans plusieurs autres îles ; & cela parce que les îles ne sont en général que des dessus de montagnes. Les cavernes se forment comme les précipices, par l'affaissement des rochers, ou comme les abysmes, par l'action du feu ; car pour faire d'un précipice ou d'un abysme une caverne, il ne faut qu'imaginer des rochers contre-butés & faisant voûte par-dessus ; ce qui doit arriver très-souvent lorsqu'ils viennent à être ébranlés & déracinés. Les cavernes peuvent être produites par les mêmes causes qui produisent les ouvertures, les ébranlemens, & les affaissemens des terres ; & ces causes sont les explosions des volcans, l'action des vapeurs soûterraines, & les tremblemens de terre ; car ils font des bouleversemens & des éboulemens qui doivent nécessairement former des cavernes & des ouvertures de toute espece. Voyez VOLCAN, &c.

La caverne de saint Patrice en Irlande n'est pas aussi considérable qu'elle est fameuse ; il en est de même de la grotte du Chien près de Naples, & de celle qui jette du feu dans la montagne de Beni-guazeval, au royaume de Fez. Dans la province de Darby en Angleterre, il y a une grande caverne fort considérable, & beaucoup plus grande que la fameuse caverne de Bauman auprès de la forêt noire, dans le pays de Brunswick. On a appris par une personne aussi respectable par son mérite que par son nom (Mylord comte de Morton) que cette grande caverne, appellée Devil's-hole (trou du diable) présente d'abord une ouverture fort considerable, comme celle d'une très-grande porte d'église ; que par cette ouverture il coule un gros ruisseau ; qu'en avançant, la voûte de la caverne se rabaisse si fort, qu'en un certain endroit on est obligé, pour continuer sa route, de se mettre sur l'eau du ruisseau dans des bacquets fort plats, où on se couche pour passer sous la voûte de la caverne, qui est abaissée dans cet endroit au point, que l'eau touche jusqu'à la voûte : mais, après avoir passé cet endroit, la voûte se releve, & on voyage encore sur la riviere jusqu'à ce que la voûte se rabaisse de nouveau, & touche à la superficie de l'eau ; & c'est-là le fond de la caverne, & la source du ruisseau qui en sort. Il grossit considérablement dans de certains tems, & il amene & amoncelle beaucoup de sable dans un endroit de la caverne qui forme comme un cul-de-sac, dont la direction est fort différente de celle de la caverne principale.

Dans la Carniole, il y a une Caverne auprès de Potpechio, qui est fort spacieuse, & dans laquelle on trouve un grand lac soûterrain. Près d'Adelsperg, il y a une caverne dans laquelle on peut faire deux milles d'Allemagne de chemin, & où on trouve des précipices très-profonds. Voyez Act. erud. Lips. an. 1689. page 558. Il y a aussi de grandes cavernes & de belles grottes sous les montagnes de Mendipp, dans la principauté de Galles ; on trouve des mines de plomb auprès de ces cavernes, & des chênes enterrés à 15 brasses de profondeur. Dans la province de Glocester, il y a une très grande caverne qu'on appelle Penpark-hole, au fond de laquelle on trouve de l'eau à 32 brasses de profondeur ; on y trouve aussi des filons de mine de plomb.

On voit bien que la caverne de Devil's-hole, & les autres dont il sort de grosses fontaines ou des ruisseaux, ont été creusées & formées par les eaux qui ont emporté les sables & les matieres divisées, qu'on trouve entre les roches & les pierres ; & on auroit tort de rapporter l'origine de ces cavernes aux éboulemens & aux tremblemens de terre.

Une des plus singulieres & des plus grandes cavernes que l'on connoisse, est celle d'Antiparos, dont M. de Tournefort nous a donné une ample description. On trouve d'abord une caverne rustique d'environ 30 pas de largeur, partagée par quelques piliers naturels ; entre les deux piliers qui sont sur la droite, il y a un terrein en pente douce, & ensuite jusqu'au fond de la même caverne une pente plus rude d'environ 20 pas de longueur : c'est le passage pour aller à la grotte ou caverne intérieure ; & ce passage n'est qu'un trou fort obscur, par lequel on ne sauroit entrer qu'en se baissant, & au secours des flambeaux. On descend d'abord dans un précipice horrible, à l'aide d'un cable que l'on prend la précaution d'attacher tout à l'entrée ; on se coule dans un autre bien plus effroyable, dont les bords sont fort glissans, & répondent sur la gauche à des abysmes profonds. On place sur les bords de ces gouffres une échelle, au moyen de laquelle on franchit, en tremblant, un rocher tout-à-fait coupé à-plomb ; on continue à glisser par des endroits un peu moins dangereux : mais dans le tems qu'on se croit en pays praticable, le pas le plus affreux vous arrête tout court, & on s'y casseroit la tête, si on n'étoit averti ou arrêté par ses guides. Pour le franchir, il faut se couler sur le dos le long d'un rocher, & descendre une échelle qu'il faut porter exprès ; quand on est arrivé au bas de l'échelle, on se roule quelque tems encore sur des rochers, & enfin on arrive dans la grotte. On compte trois cent brasses de profondeur depuis la surface de la terre ; la grotte paroît avoir 40 brasses de hauteur sur 50 de large ; elle est remplie de belles & grandes stalactites de différentes formes, tant au-dessus de la voûte, que sur le terrein d'en-bas. Voyez le Voyage du Levant, pag. 188. & suiv.

Dans la partie de la Grece appellée Livadie (Achaia des anciens) il y a une grande caverne dans une montagne qui étoit autrefois fort fameuse par les oracles de Trophonius, entre le lac de Livadie & la mer voisine, qui dans l'endroit le plus près, en est à quatre milles : il y a 40 passages soûterrains à-travers le rocher, sous une haute montagne par où les eaux du lac s'écoulent. Voyez Géographie de Gordon, édition de Londres 1733. page 179.

Dans tous les volcans, dans tous les pays qui produisent le soufre, dans toutes les contrées qui sont sujettes aux tremblemens de terre, il y a des cavernes. Le terrein de la plûpart des îles de l'Archipel est caverneux presque par-tout ; celui des îles de l'Océan indien, principalement celui des îles Moluques, ne paroît être soûtenu que sur des voûtes & des concavités ; celui des îles Açores, celui des îles Canaries, celui des îles du cap Verd, & en général le terrein de presque toutes les petites îles, est à l'intérieur creux & caverneux en plusieurs endroits ; parce que ces îles ne sont, comme nous l'avons dit, que des pointes de montagnes où il s'est fait des éboulemens considérables, soit par l'action des volcans, soit par celle des eaux, des gelées, & des autres injures de l'air. Dans les Cordelieres au Pérou, où il y a plusieurs volcans, & où les tremblemens de terre sont fréquens, il y a aussi un grand nombre de cavernes, de même que dans le volcan de l'ile de Banda, dans le mont Ararat, qui est un ancien volcan, &c.

Le fameux labyrinthe de l'île de Candie n'est pas l'ouvrage de la nature toute seule. M. de Tournefort assûre que les hommes y ont beaucoup travaillé, & on doit croire que cette caverne n'est pas la seule que les hommes ayent augmentée, ils en forment tous les jours de nouvelles, en fouillant les mines & les carrieres ; & lorsqu'elles sont abandonnées pendant un très-long espace de tems, il n'est pas fort aisé de reconnoître si ces excavations ont été produites par la nature, ou faites de la main des hommes. On connoît des carrieres qui sont d'une étendue très-considérable : celle de Mastricht, par exemple, où l'on dit que 50000 personnes peuvent se réfugier, & qui est soûtenue par plus de 1000 piliers, qui ont 20 ou 24 piés de hauteur ; l'épaisseur de terre & de rocher qui est au-dessus, est de plus de 25 brasses : il y a dans plusieurs endroits de cette carriere de l'eau & des petits étangs, où l'on peut abreuver du bétail. &c. V. Tr. Phil. abr. vol. II. page 463. Les mines de sel de Pologne forment des excavations encore plus grandes que celle-ci. Il y a ordinairement de vastes carrieres auprès de toutes les grandes villes : mais nous n'en parlerons pas ici en détail ; d'ailleurs les ouvrages des hommes, quelque grands qu'ils puissent être, ne tiendroient jamais qu'une bien petite place dans l'histoire de la Nature.

Les volcans & les eaux qui produisent des cavernes dans l'intérieur, forment aussi à l'extérieur des fentes, des précipices & des abysmes. A Cajétan en Italie, il y a une montagne qui autrefois a été séparée par un tremblement de terre, de façon qu'il semble que la division en a été faite par la main des hommes. Les eaux produisent, aussi-bien que les feux soûterrains, des affaissemens de terre considérables, des éboulemens, des chûtes de rochers, des renversemens de montagnes dont nous pouvons donner plusieurs exemples.

" Au mois de Juin 1714, une partie de la montagne de Diableret, en Vallais, tomba subitement & tout-à-la-fois entre deux & trois heures après-midi, le ciel étant fort serein ; elle étoit de figure conique ; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans, écrasa quinze personnes, & plus de cent boeufs & vaches, & beaucoup plus de menu bétail, & couvrit de ses débris une bonne lieue quarrée ; il y eut une profonde obscurité causée par la poussiere ; les tas de pierres amassées en bas sont hauts de plus de trente perches, qui sont apparemment des perches du Rhin, de dix piés ; ces amas ont arrêté des eaux qui forment de nouveaux lacs fort profonds. Il n'y a dans tout cela aucun vestige de matiere bitumeuse, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu soûterrain : apparemment la base de ce grand rocher s'étoit pourrie d'elle-même & réduite en poussiere " Hist. de l'Acad. des Scienc. pag. 4. ann. 1715.

On a vû un exemple remarquable de ces affaissemens dans la province de Kent, auprès de Folkstone : les collines des environs ont baissé de distance en distance par un mouvement insensible & sans aucun tremblement de terre. Ces collines sont à l'intérieur des rochers de pierre & de craie ; par cet affaissement elles ont jetté dans la mer des rochers & des terres qui en étoient éloignés : on peut voir la relation de ce fait dans les Transactions philosophiques, abreg. vol. IV. pag. 259.

En 1618, la ville de Pleurs, en Valteline, fut enterrée sous les rochers au pié desquels elle étoit située. En 1678, il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l'affaissement de quelques morceaux de montagnes dans les Pyrénées, qui firent sortir les eaux qui étoient contenues dans les cavernes soûterraines de ces montagnes. En 1680, il en arriva encore une plus grande en Irlande, qui avoit aussi pour cause l'affaissement d'une montagne dans des cavernes remplies d'eau. On peut concevoir aisément la cause de tous ces effets ; on sait qu'il y a des eaux soûterraines en une infinité d'endroits ; ces eaux entraînent peu-à-peu les sables & les terres à-travers lesquels elles passent, & par conséquent elles peuvent détruire peu-à-peu la couche de terre sur laquelle porte cette montagne ; & cette couche de terre qui lui sert de base venant à manquer plûtôt d'un côté que de l'autre, il faut que la montagne se renverse : ou si cette base manque à-peu-près également par-tout, la montagne s'affaisse sans se renverser. Cet article appartient tout entier à M. de Buffon, Histoire naturelle, tome I. page 544, &c.


CAVERNEUX(corps) terme d'Anatomie, qui signifie la même chose que corps nerveux & corps spongieux, sont deux corps plus ou moins longs & gros, dont la partie la plus considérable de la verge est composée. Voyez Planche anat. Splanch. fig. 8. lett. aa, bb & tt.

Leur substance interne est rare & spongieuse ; & lorsqu'elle vient à s'emplir de sang & d'esprits, elle s'enfle & se dilate, & c'est ce qui fait la tension ou érection de la verge. Voyez ÉRECTION.

Ils sont attachés à la branche des os pubis, & à celle des os ischion ; ils vont en augmentant de grosseur jusqu'à ce qu'ils rencontrent les corps caverneux de l'urethre, où ils se joignent en un, & sont retenus par le moyen de la cloison composée de leurs tuniques externes, & recouverts à l'extrémité par le gland. Voyez GLAND.

Le corps caverneux de l'urethre est un troisieme corps spongieux de la verge, ainsi appellé parce qu'il enferme l'urethre, c'est-à-dire le canal qui sert au passage de l'urine.

Sa figure, contraire de celle des deux corps caverneux, a plus de grosseur aux extrémités, & moins au milieu ; sa partie supérieure est au périnée, & s'appelle bulbe à cause de sa figure. La membrane externe est mince, & divisée en longueur par une cloison. Le milieu de ce corps est à-peu-près cylindrique. Le passage de l'urine n'est pas situé précisément au centre, mais un peu incliné vers sa partie supérieure, près du corps du penis ; son extrémité inférieure forme en se dilatant ce qu'on appelle le gland. Voyez GLAND.

Les corps caverneux du clitoris sont deux corps nerveux ou spongieux, semblables à ceux du pénis, qui prennent leur origine des deux côtés de la partie inférieure de l'os pubis, & s'unissant ensemble, forment le corps du clitoris comme dans l'homme ils forment celui de la verge. Voyez CLITORIS.

Il est vrai que le clitoris n'est pas percé au milieu comme le pénis ; mais les corps caverneux ont une cloison ou séparation membraneuse qui regne tout du long entre deux, & qui les divise depuis le gland jusqu'à l'endroit voisin de l'os pubis, où ils se partagent en deux branches qu'on appelle branches du clitoris, crura clitoridis.

Les sinus caverneux de la dure-mere, ou sinus latéraux de l'os sphénoïde, sont des réservoirs situés aux parties latérales de la selle sphénoïdale, qui, outre le sang qu'ils contiennent, renferment encore des vaisseaux & des nerfs. Voyez VAISSEAU & NERF. (L)


CAVERNIECK(Géog.) petite ville de la Prusse polonoise, dans la province de Michelow ; près de la riviere de Dribentz.


CAVESCO(Commerce) mesure dont on se sert en Espagne, qui répond aux environs de dix-sept de nos livres.


CAVESSECAVESSE


CAVETsub. m. (Architecture) du latin cavus, creux, c'est une moulure concave faisant l'effet contraire du quart de rond : cette moulure a meilleure grace dans les cimaises inférieures des corniches que dans les supérieures, malgré l'exemple du théatre de Marcellus où on l'a employée dans l'ordre dorique : quelquefois on prend pour cette moulure, l'arc qui est soûtenu par un côté du triangle équilatéral inscrit, quand on veut qu'elle soit moins ressentie que le quart du rond : au reste le goût fait varier sa profondeur à discrétion.


CAVIAR(Antiquité) L'on nommoit ainsi une longe de cheval que l'on offroit tous les cinq ans pour le collège des prêtres. On ne nous dit point à quelle divinité. On faisoit un pareil sacrifice tous les ans au mois d'Octobre au dieu Mars ; la victime étoit un cheval que l'on nommoit October equus. Le rit exigeoit que la queue de ce cheval fût transportée avec tant de vitesse du champ de Mars, où on la coupoit jusqu'au temple du dieu, qu'il en tombât encore des gouttes de sang dans le feu, quand on y arrivoit. Voyez Festus, Caviares hostiæ.


CAVIARISCKARI(Commerce) c'est le nom que l'on donne en Russie à des oeufs d'esturgeon, que l'on y prépare de la maniere suivante : on ôte de dessus la pellicule qui les enveloppe, on les saupoudre de sel, & on les laisse pendant huit jours dans cet état, au bout de ce tems, on y mêle du poivre & des oignons coupés en petits morceaux : on laisse fermenter ce mélange. Les Italiens en font venir une grande quantité ; ils le regardent comme un manger fort délicat : mais on prétend qu'il est très-mal sain & fiévreux.


CAVILLONEpoisson. Voyez SURMULET.


CAVINS. m. (Fortification) est un lieu creux propre à couvrir un corps de troupes, & à favoriser les approches d'une place.

Les cavins qui se trouvent auprès d'une place assiégée sont un grand avantage aux assiégeans ; puisque par leur moyen ils peuvent ouvrir la tranchée, construire des places d'armes, mettre à couvert la cavalerie, sans être exposés au feu des assiégés. (Q)


CAVINAS(LES) Géog. peuple de l'Amérique méridionale, dans la province de Charcas.


CAVOLA(Géog.) forteresse d'Italie, dans l'état de la république de Venise, sur la riviere de Brente.


CAWROORou COURWO, (Géogr.) riviere de l'Amérique, à huit lieues de Cayane.


CAXAS. m. (Comm.) petite monnoie des Indes fabriquée à Chinceo, ville de Chine, qui n'a cours que depuis 1590. Cette monnoie est très-mince & fort casuelle : c'est un mélange de plomb & d'écume de cuivre ; elle a un trou au centre, pour pouvoir être enfilée dans un cordon appellé scanta. Quand on est obligé d'en recevoir, il ne les faut compter que pour un seizieme de denier.


CAXAMALCA(Géog.) ville & petit pays de l'Amérique méridionale, au Pérou, fertile en mines d'or & d'argent, & qui produit beaucoup de laine.


CAXEou CAYEM, (Géog.) ville d'Asie dans l'Arabie heureuse, avec un bon port.


CAYA(Géogr.) petite riviere d'Espagne dans l'Estramadure, sur les frontieres de Portugal, qui se jette dans la Guadiane à Badajoz.


CAYAKA(Géogr.) petit pays d'Afrique dans la Nigritie, au nord de la riviere de Gambie.


CAYASS. m. (Comm.) petite monnoie de cuivre qui a cours dans les Indes ; elle est empreinte d'une espece de griffon : elle vaut les cinq sixiemes d'un denier argent de France.


CAYEMITES(Géog.) petites îles de l'Amérique, à l'occident de l'île espagnole.


CAYES(Navigation) On appelle ainsi des roches sous l'eau, peu éloignées des côtes, & souvent sur des hauts fonds de sable. Lorsqu'il se rencontre des cayes dans les rades ou dans les ports, les vaisseaux sont obligés de prendre des précautions pour éviter d'en être endommagés.


CAYEU(Hist. nat. Zool.) petit poisson qui se trouve abondamment dans les mers de l'Amérique : quelques-uns l'appellent sardine, à cause de la ressemblance qu'il a avec ce poisson.


CAYEUXS. m. (Jardinage) ce sont de petits oignons qui naissent autour des gros ; ils se fortifient quand ils restent trois ans de suite en terre, & ils portent dans l'année qu'on les replante. Lorsque l'on tire les oignons tous les ans, les cayeux ne sont point assez forts, & ils se mettent dans une planche en pépiniere, dont on leve de tems en tems des oignons qui sont en état de fleurir. Les cayeux dans les anemones changent de nom, ils s'appellent pattes : dans les renoncules ce sont des griffes. Les cayeux conservent seuls les plus belles especes de fleurs, sans dégénérer. (K)


CAYLAR(LE) Géog. petite ville de France dans la province de Languedoc.


CAYLUS(Géog.) petite ville de France dans le bas Quercy, sur les frontieres du Roüergue.


CAYMAN(Géogr.) Il y a trois îles de ce nom dans l'Amérique septentrionale, au midi de l'île de Cuba, & à l'occident septentrional de la Jamaïque : elles sont inhabitées.


CAYMITTE(Hist. nat. bot.) fruit de l'Amérique, qui a à-peu-près la forme & la grosseur d'une pomme de rambour ; il renferme une substance blanche, molle & un peu visqueuse ; d'un goût sucré, mais fade. L'arbre qui le produit est grand, bien garni de feuilles qui ressemblent assez à celles de l'oranger, hormis qu'elles sont moins grandes. Leur forme est ovale ; elles sont lisses & polies, d'un beau verd par-dedans, & le dehors satiné, & d'une couleur d'un brun rougeâtre, comme la canelle.


CAYNou CANO, (Géog.) petite île de l'Amérique méridionale dans la mer du Sud, à l'extrémité de la province Costa-Rica.


CAYONNE(Géog.) riviere de l'Amérique dans l'île de Saint-Christophle.


CAYOou CAHIOR, (Géogr.) petit royaume d'Afrique en Nigritie, entre le Sénégal & le Cap-verd.


CAYPUMO(Géog.) riviere de l'Asie dans l'Inde, au-delà du Gange.


CAYRAC(Géogr.) petite ville de France en Guyenne dans le Quercy, sur la riviere du Lot.


CAZS. m. (Commerce) monnoie des Indes ; c'est ainsi qu'en langue Malaye on appelle le caxa. Voyez CAXA.


CAZALLA(Géogr.) petite ville d'Espagne en Andalousie, dans la Sierra-Morena.


CAZAou, comme d'autres l'écrivent, HAZAN, s. m. (Hist. mod.) officier des synagogues juives, établi pour entonner les prieres que chantent ceux qui s'y assemblent, à-peu-près comme les chantres ou choristes dans l'Eglise romaine. Le cazan est placé sur un siége plus élevé que les autres, & qui sert aussi de chaire au rabbin quand il prêche. Ce nom se trouve dans S. Epiphane, pour signifier un officier de la synagogue ; mais ce pere n'explique point quelle étoit alors sa fonction. Les Juifs modernes l'ont établi pour avoir inspection sur tout ce qui se passe dans leurs lieux d'assemblée, & sur-tout pour veiller à la décence dans la lecture de la loi & la récitation des offices ; mais malgré les précautions qu'il prend, il y regne toûjours beaucoup de précipitation & de cacophonie. (G)


CAZBAT(Géog.) ville ancienne d'Afrique, au royaume de Tunis.


CAZELLESS. f. (Fileur d'or) sont des especes de bobines sur lesquelles l'ouvrage se dévide après avoir été filé ; elles ont des crans au bout qui vont toûjours en diminuant, comme ceux de la fusée ; pour augmenter le mouvement quand les cazelles sont vuides, & pour le diminuer quand elles sont presque pleines. Voyez FILEUR D'OR.


CAZEMATES. f. en terme de Fortification, est une espece de voûte de maçonnerie pratiquée dans la partie du flanc du bastion proche la courtine, & qui fait une petite retraite ou un enfoncement vers la capitale du bastion. On y place le canon qui sert à défendre la face du bastion opposé, & à balayer le fond du fossé. Voyez BASTION.

Ce nom vient d'une voûte qui servoit autrefois à séparer les plate-formes des batteries hautes & basses que les Italiens appellent casa armata, & les Espagnols casamata : mais d'autres dérivent ce mot de casa à matti, maison à fous : Covarruvias de casa & mata, maison basse.

La cazemate est quelquefois composée de trois plate-formes l'une au-dessus de l'autre, le terre-plain du bastion étant la partie la plus élevée : mais l'on se contente quelquefois de placer la derniere au-dedans du bastion,

On donne aussi à la cazemate le nom de place basse ou de flanc bas, parce qu'elle est placée au pié du rempart près du fossé, quelquefois celui de flanc retiré, parce qu'elle est la partie du flanc qui est la plus proche de la courtine, & qui forme le centre du bastion : on la couvroit autrefois d'un épaulement ou d'un corps de maçonnerie rond ou quarré qui mettoit à couvert les batteries, ce qui l'a fait appeller flanc couvert.

On met aujourd'hui rarement les cazemates en usage, parce que les batteries de l'ennemi peuvent ensevelir les pieces de canon qu'elles contiennent, sous les ruines de leurs voûtes, outre que la fumée dont elles se remplissent les rend insupportables à ceux qui servent à l'Artillerie. C'est ce qui fait que les Ingénieurs modernes les font à découvert, & se contentent de les munir d'un parapet.

Les places basses & hautes doivent avoir au moins huit toises d'enfoncement ; savoir trois pour le parapet, & cinq pour le terrein ; desorte que s'il y a deux places l'une devant l'autre, elles doivent avoir seize toises d'enfoncement.

Les places basses ont les desavantages suivans.

1°. Qu'il est très-difficile de se servir en même tems des unes & des autres, à cause des éclats & des débris qui tombent continuellement.

2°. Qu'elles deviennent presque inutiles quand la demi-lune est prise, par le commandement qu'elle a sur elles.

3°. Que la quantité des débris qui tombent des places hautes, prépare une montée fort douce à l'ennemi pour monter à l'assaut.

Lorsqu'on a des places basses, il est important que le flanc soit couvert par un orillon qui les mette à l'abri du commandement de la demi-lune. Les meilleurs flancs bas sont ceux qui forment une espece de fausse craie au flanc, à la distance de dix ou douze toises ; ou si l'on veut les tenailles du fossé de M. de Vauban qui en tiennent lieu. Voyez TENAILLE, &c. (Q)


CAZERES(Géog.) petite ville de France en Gascogne, sur la Garonne. Il y a une autre ville de même nom en Gascogne, sur l'Adour.


CAZERN(Géog.) ville & forteresse de Pologne, dans la basse Podolie, sur le Niester.


CAZERNESS. f. (Art milit.) sont de grands corps de logis construits entre le rempart & les maisons d'une ville fortifiée, ou même sur le rempart, pour loger les soldats, à la décharge & au soulagement des habitans. Voyez GARNISON.

Il y a pour l'ordinaire deux lits dans chaque chambre, & trois soldats couchent dans le même lit. (Q)


CAZEROou CAZERON, (Géog.) ville d'Asie, au royaume de Perse, capitale de la province de Sapour, qui fait partie de la Perse proprement dite, entre les rivieres de Boschavir & de Bendemir.


CAZIMI(Astronom.) ce mot arabe est employé par les astronomes de ce pays pour marquer le disque du Soleil ; lorsqu'ils disent qu'une telle planete est en cazimi, c'est comme s'ils vouloient dire qu'elle ne paroît point éloignée de seize minutes du centre du Soleil, le demi-diametre de cet astre étant de 16'.


CAZMA(Géog.) bon port de l'Amérique méridionale, au Pérou.


CAZZICHI(Géog.) petite riviere de l'île de Candie, qui se jette dans la mer près de Spinalonga.

Ce, ces ; cet, cette ; ceci, cela ; celui, celle ; ceux, celles ; celui-ci, celui-là ; celles-ci, celles-là.

Ces mots répondent à la situation momentanée où se trouve l'esprit, lorsque la main montre un objet que la parole va nommer ; ces mots ne font donc qu'indiquer la personne ou la chose dont il s'agit, sans que par eux-mêmes ils en excitent l'idée. Ainsi la propre valeur de ces mots ne consiste que dans la désignation ou indication, & n'emporte point avec elle l'idée précise de la personne ou de la chose indiquée. C'est ainsi qu'il arrive souvent que l'on sait que quelqu'un a fait une telle action, sans qu'on sache qui est ce quelqu'un-là. Ainsi les mots dont nous parlons n'excitent que l'idée de l'existence de quelque substance ou mode, soit réel, soit idéal : mais ils ne donnent par eux-mêmes aucune notion décidée & précise de cette substance ou de ce mode.

Ils ne doivent donc pas être regardés comme des vice-gerens, dont le devoir consiste à figurer à la place d'un autre, & à remplir les fonctions de substitut.

Ainsi au lieu de les appeller pronoms, j'aimerois mieux, les nommer termes métaphysiques, c'est-à-dire mots qui par eux-mêmes n'excitent que de simples concepts ou vûes de l'esprit, sans indiquer aucun individu réel ou être physique. Or on ne doit donner à chaque mot que la valeur précise qu'il a ; & c'est à pouvoir faire & à sentir ces précisions métaphysiques, que consiste une certaine justesse d'esprit où peu de personnes peuvent atteindre.

Ce, ceci, cela, sont donc des termes métaphysiques, qui ne font qu'indiquer l'existence d'un objet que les circonstances ou d'autres mots déterminent ensuite singulierement & individuellement.

Ce, cet, cette, sont des adjectifs métaphysiques qui indiquent l'existence, & montrent l'objet : ce livre, cet homme, cette femme, voilà des objets présens ou présentés. " Ce, adjectif, ne se met que devant les noms masculins qui commencent par une consonne, au lieu que devant les noms masculins qui commencent par une voyelle, on met cet, mais devant les noms féminins, on met cette ", soit que le nom commence ou par une voyelle ou par une consonne. Grammaire de Buffier, page 189.

Ce, désigne un objet dont on vient de parler, ou un objet dont on va parler.

Quelquefois pour plus d'énergie on ajoûte les particules ci ou là aux substantifs précédés de l'adjectif ce ou cet ; cet état-ci, ce royaume-là ; alors ci fait connoître que l'objet est proche, & là plus éloigné ou moins proche.

Ce est souvent substantif ; c'est le hoc des Latins ; alors quoi qu'en disent nos Grammairiens, ce est du genre neutre ; car on ne peut pas dire qu'il soit masculin, ni qu'il soit féminin. J'entens ce que vous dites, istud quod. Ce fut après un solemnel & magnifique sacrifice, que, &c. Flechier, or, fun. Ce, c'est-à-dire la chose que je vais dire arriva après, &c.

Dans les interrogations, ce substantif est mis après le verbe est. Qui est-ce qui vous l'a dit, dont la construction est ce, c'est-à-dire celui ou celle qui vous l'a dit est quelle personne ?

Ce substantif se joint à tout genre & à tout nombre. Ce sont des Philosophes &c. ce sont les passions ; c'est l'amour ; c'est la haine.

La particule ci & la particule là ajoûtées au substantif ce, ont formé ceci & cela. Ces mots indiquent ou un objet simple, comme quand on dit cela est bon, ceci est mauvais : ou bien ils se rapportent à un sens total, à une action entiere ; comme quand on dit ceci va vous surprendre, cela mérite attention, cela est fâcheux.

Au reste ceci indique quelque chose de plus immédiatement présent que cela. Ecoutez ceci, avez-vous vû cela ? Vous êtes-vous apperçu de cela ? Venez voir ceci.

Ceci, cela, sont aussi des substantifs neutres ; ces mots ne donnent que l'idée métaphysique d'une substance qui est ensuite déterminée par les circonstances ou idées accessoires ; l'esprit ne s'arrête pas à la signification précise qui répond au mot ceci ou au mot cela, parce que cette signification est trop générale ; mais elle donne occasion à l'esprit de considérer ensuite d'une maniere plus distincte & plus décidée l'objet indiqué.

Ceci veut dire chose présente ou qui demeure ; cela signifie chose présente & déjà connue. Vos isthæc intro auferte. Emportez cela au logis, dit Mde Dacier, Ter. And. act. I. sc. j. vers 1. Ainsi il faut bien distinguer en ces occasions la propre signification du mot, & les idées accessoires qui s'y joignent & qui le déterminent d'une maniere individuelle.

Il en est de même de il m'a dit ; la valeur de il est seulement de marquer une personne qui a dit, voilà l'idée présentée, mais les circonstances ou idées accessoires me font connoître que cette personne ou ce il est Pierre ; voilà l'idée ajoûtée à il, idée qui n'est pas précisément signifiée par il.

Celui & celle sont des substantifs qui ont besoin d'être déterminés par qui ou par de ; ils sont substantifs puisqu'ils subsistent dans la phrase sans le secours d'un substantif, & qu'ils indiquent ou une personne ou une chose. Celui qui me suit, &c. c'est-à-dire l'homme, la personne, le disciple qui, &c. D. Quel est le meilleur acier dont on se serve communément en France ? R. C'est celui d'Allemagne, c'est-à-dire c'est l'acier d'Allemagne : ainsi ces mots indiquent ou un objet dont on a déjà parlé, ou un objet dont on va parler.

On ajoute quelquefois les particules ci ou là à celui & à celle, & au pluriel à ceux & à celles ; ces particules produisent à l'égard de ces mots-là le même effet que nous venons d'observer à l'égard de cet.

Ceux est le pluriel de celui, & en ajoûtant un s à celle, on en a le pluriel. Voyez PRONOM. (F)


CE(Géog.) ville de la Chine dans la province de Xansi, où elle est la troisieme entre les grandes cités.


CEA(Géog.) riviere d'Espagne, au royaume de Léon, qui prend sa source près des Asturies, & se jette dans le Carrion.


CEAUX(Géog.) riviere de France dans le Gatinois, qui se jette dans le Loing.


CEBI-PIRA(Hist. nat. bot.) arbre du Bresil dont l'écorce amere & astringente entre dans les bains, & les fomentations ordonnées dans les maladies causées par le froid, les tumeurs du ventre & des piés, & les douleurs de reins, que les Portugais appellent curi-mentos. Au reste on ne nous donne point d'autre description de cet arbre, que la phrase botanique suivante : arbor brasiliensis, floribus speciosis, spicatis, pericarpio sicco, sur laquelle on ne connoîtra sûrement pas le cebi-pira.


CEBou ZEBU, (Géog.) île d'Asie, l'une des Philippines, dans la mer des Indes.


CECERIGou CERIGOTTO, (Géog.) petite île de l'Archipel, entre celles de Cerigo & de Candie.


CECHINS. m. (Commerce) c'est ainsi que dans le Levant on appelle le sequin d'or, qui a cours à Venise. Voyez SEQUIN.


CECIMBRou CERIMBRA, (Géog.) petite ville de Portugal, dans l'Estramadure, sur le bord de l'Océan.


CECINA(Géog.) riviere d'Italie, dans la Toscane, entre Livourne & Piombino. Elle a sa source dans le Siennois, & se jette dans la Méditerranée.


CECRYPHALES. f. (Hist. anc.) sorte de vêtement à l'usage des femmes grecques, dont nous n'avons aucune connoissance.


CEDANTadj. pris subst. dans le Commerce, celui qui cede, qui transporte quelque somme, quelque droit, quelqu'effet à un autre.

Un cédant peut quelquefois, & suivant ses conventions, céder sans garantie ; cependant il est toûjours garant de ses faits, c'est-à-dire que la chose cédée existe, qu'elle lui appartienne, ou du moins qu'il ait été en droit d'en disposer.

Appeller un cédant en garantie, c'est l'assigner pardevant les juges pour se voir condamner à garantir ce qu'il a cédé, conformément aux clauses de son acte de cession. Dictionn. de Commerce. (G)


CEDATAIRES. m. terme de Droit synonyme à cédant. Voyez CEDANT. (H)


CEDERverbe actif, (Commerce) transporter une chose à une autre personne, lui en donner la propriété, l'en rendre le maître. Ainsi un marchand cede sa boutique, son magasin, son fonds. Un actionnaire cede ou quelques-unes des actions, ou toutes les actions qu'il a dans une compagnie. Dict. du Commerce. (G)


CEDILLES. f. terme de Grammaire ; la cedille est une espece de petit c, que l'on met sous le C, lorsque par la raison de l'étymologie on conserve le c devant un a, un o, ou un u, & que cependant le c ne doit point prendre alors la prononciation dure, qu'il a coûtume d'avoir devant ces trois lettres a, o, u ; ainsi de glace, glacer, on écrit glaçant, glaçon ; de menace, menaçant ; de France, François ; de recevoir, reçû, &c. En ces occasions, la cedille marque que le c doit avoir la même prononciation douce qu'il a dans le mot primitif. Par cette pratique le dérivé ne perd point la lettre caractéristique, & conserve ainsi la marque de son origine.

Au reste, ce terme cedille vient de l'espagnol cedilla, qui signifie petit c ; car les Espagnols ont aussi, comme nous, le c sans cedille, qui alors a un son dur devant les trois lettres a, o, u ; & quand ils veulent donner le son doux au c qui précede l'une de ces trois lettres ; ils y souscrivent la cedille, c'est ce qu'ils appellent c con cedilla, c'est-à-dire c avec cedille.

Au reste, ce caractere pourroit bien venir du sigma des Grecs figuré ainsi , comme nous l'avons remarqué à la lettre c ; car le c avec cedille se prononce comme l's, au commencement des mots, sage, second, si, sucre. (F)

* Le c avec cedille s'appelle, soit en Fonderie de caracteres, soit en Imprimerie, c à queue.


CEDMONEENadj. (Géog.) est synonyme dans l'écriture à oriental. C'est ainsi qu'elle appelle les habitans de l'Arabie deserte, que la Terre-sainte avoit à l'orient.


CEDOGNA(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure au pié de l'Apennin. Long. 33. 8. lat. 41. 5.


CEDRAS. m. (Hist. nat. & Distill.) espece de citronnier. Voyez CITRONNIER. On donne le même nom aux fruits de cet arbre. On fait de ces fruits une confiture liquide & une confiture seche ; ils sont entiers dans la liquide, & par quartiers dans la seche. On en tire une liqueur très-estimée : pour cet effet, on les cueille avant leur entiere maturité ; on en enleve des zestes ; on presse ces zestes, & l'on en reçoit l'écoulement sur un morceau de verre, d'où il descend dans un vaisseau. On a de l'eau-de-vie camfrée ; on la coupe avec le jus des zestes de cedra, & on distille le tout. L'eau de cedra entre, à ce qu'on dit, dans la composition de celle des barbades.


CEDREcedrus, s. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante qui porte des chatons composés de plusieurs petites feuilles qui ont des sommets. Ces chatons sont stériles. Les fruits ou les baies renferment des noyaux anguleux, dans chacun desquels il y a une semence oblongue. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles de ces especes sont semblables à celles du cyprès. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

* Le cedre est un arbre très-fameux. On en compte plusieurs especes. Les sentimens des Botanistes sont assez partagés à son sujet ; cependant tous s'accordent à donner le premier rang au cedre du Liban, que l'on nomme aussi grand cedre. Les relations des voyageurs portent qu'il ne s'en trouve plus guere sur le Liban ; elles varient sur leur grandeur : les uns disent que les cedres du Liban sont les plus grands arbres que l'on connoisse, & prétendent qu'il y en a qui s'élevent jusqu'à 120 ou 130 piés de hauteur, & que leur grosseur y est proportionnée ; d'autres se contentent de dire que les cedres du Liban sont de la taille des plus grands chênes : les uns disent que ses feuilles ressemblent à celles du pin, hormis qu'elles sont moins piquantes que celles de cet arbre ; d'autres prétendent qu'elles sont semblables à celles du romarin. Son écorce est polie & lisse. Les branches les plus proches de la terre s'étendent considérablement, & elles diminuent à mesure qu'elles approchent du sommet ; ce qui donne à cet arbre une figure pyramidale. Ses feuilles demeurent toûjours vertes ; elles sont petites & étroites. Son bois est rougeâtre & très-odoriférant, & plus dur que celui de toutes les autres especes de cedres ; il produit des pommes semblables aux pommes de pin, qui contiennent de la semence. On dit que dans les grandes chaleurs il en coule, sans incision, une gomme ou résine blanche que l'on nomme cedria. Voyez cet article.

Au reste, le cedre du Liban doit être rangé dans la classe du meleze. Voyez MELEZE. Son bois passe pour incorruptible, & l'on prétend que les vers ne s'y mettent jamais ; c'est un fait qui est cependant démenti par quelques voyageurs. On sait que le temple de Salomon étoit bâti de bois de cedre, qui lui fut fourni par le roi Hiram.

Il croît dans toutes les parties de l'Amérique une grande quantité de cedres, qui s'élevent aussi à une hauteur prodigieuse : mais on prétend que le bois n'en est point si dur ni si serré que celui des cedres du Liban. M. Lawrence savant anglois, qui a donné un traité sur la culture des arbres, se plaint de la négligence des Européens, de ne point rendre plus communs parmi eux des arbres que la nature semble avoir voulu rendre presque immortels, d'autant plus qu'il n'y a point d'arbre, selon lui, qui croisse avec plus de facilité que le cedre : en effet on le trouve sur les plus hautes montagnes du nouveau monde, aussi-bien que dans des endroits bas & marécageux ; on le rencontre dans les provinces les plus froides, aussi-bien que dans celles où la chaleur est la plus forte.

Il cite, outre cela, l'exemple d'un curieux qui avoit planté une allée de cedres près de sa maison de campagne en Angleterre, qui en peu d'années étoient parvenus à une grosseur très-considérable. On dit qu'il se trouve aussi beaucoup de cedres en Sibérie. L'on fait plusieurs ouvrages de tabletterie & de marqueterie avec le bois de cedre ; dans les pays où il est commun l'on en fait de la charpente. Les Espagnols, dans le tems de la découverte de l'Amérique, s'en sont servis avec succès pour la construction de leurs vaisseaux. On fait en Angleterre des especes de petits barrils dont les douves sont moitié de bois de cedre, & moitié de bois blanc fort artistement travaillés ; on y laisse séjourner pendant quelque tems du punch, ou d'autres liqueurs fortes ; elles acquierent par-là une odeur très-agréable, & qui en releve le goût. Il y a encore une espece de cedre, que l'on nomme cedre de Phénicie ou de Lycie, qui ressemble beaucoup au genevrier, & porte des grains ou baies rouges. Voyez OXYCEDRE.


CEDRIAS. f. (Hist. nat. bot.) c'est ainsi qu'on appelle tantôt la poix, tantôt la résine du grand cedre. Il y en a qui distinguent le cedrium de la cedria : selon eux, la cedria est la larme crue de l'arbre, & le cedrium en est une huile de consistance plus fluide ; cependant on se sert indistinctement des deux termes cedrium & cedria, pour désigner la résine ou l'huile. On nomme aussi la résine cedræleum & l'huile de cade. On dit que la meilleure est épaisse, blanche, transparente, d'une odeur forte : on lui attribue la propriété de corrompre les corps vivans, & de conserver les corps morts. Quoi qu'il en soit, il est constant que c'étoit un des principaux ingrédiens des embaumemens égyptiens ; c'est, selon Dioscoride, un remede souverain pour les maux d'yeux, de dents, & la morsure des serpens & animaux venimeux.


CEDRINoiseau. Voyez SERIN.


CEDRO(Géog.) riviere de l'île de Sardaigne, qui se jette dans la mer, près d'un petit golfe de même nom.


CEDULES. f. (Jurispr.) signifie en général toute sorte d'actes ou d'obligations faites sous signature privée, & même les brevets d'actes passés pardevant notaires, qu'on garde pardevers soi.

CEDULE évocatoire. Voyez EVOCATOIRE. (H)

CEDULE, s. f. (Commerce) parmi les marchands, banquiers, négocians, signifie souvent le morceau de papier sur lequel ils écrivent leurs promesses, lettres de change, billets payables au porteur, rescriptions & autres engagemens semblables qu'ils prennent entr'eux par actes sous seing privé, pour le fait de leur négoce, & particulierement pour le payement de l'argent. Ils appellent aussi porte-cédule, le porte-feuille dans lequel ils renferment ces sortes de papiers. Dictionnaire de Commerce.

CEDULES détachées, est le nom qu'on donne en Hollande, dans le bureau du convoi & licenten, aux expéditions qu'on délivre aux marchands pour justifier du contenu aux déclarations qu'ils ont faites de leurs marchandises, ou du payement des droits. C'est sur ces cedules, que les commis aux recherches doivent faire leurs visites. Idem, ibid.


CEERS. m. (Commerce) poids tout ensemble & mesure dont on se sert sur la côte de Coromandel. Cinq céers font le bisi, huit bisis un man, & deux mans un candi.

Comme le candi est inégal, & qu'en quelques endroits il n'est que de trois cent vingt livres de Hollande, & en d'autres de cinq cent, le céer est à proportion plus ou moins pesant, suivant les lieux. Le céer contient vingt-quatre tols. Voyez TOL. Diction. du Commerce. (G)


CEFALONIou CEPHALONIE, (Géog.) île considérable de la Grece, au sud de l'Albanie, fort abondante. La capitale porte le même nom. Long. 38. 20. lat. 38. 30.


CEFALou CEFALEDI, (Géog.) ville de Sicile, dans la vallée de Demone. Long. 31. 35. lat. 38. 5.


CEGA(Géog.) petite riviere d'Espagne, au royaume de Léon, qui se jette dans le Duéro.


CEGINUSS. m. (Astr.) est une étoile fixe de la troisieme grandeur, dans l'épaule gauche du Bouvier ; sa latitude est 49d. 33'. sa déclinaison de 39d. 27'. (O)


CEIBAS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est en rose, quelquefois composée de plusieurs pétales disposés en rond, quelquefois monopétale campaniforme. Il s'éleve du calice un pistil, qui devient dans la suite un fruit en forme de flacon, qui s'ouvre d'un bout à l'autre en cinq parties, & qui est rempli de semences rondes revêtues d'un duvet fort doux, & adhérentes à un placenta de figure pyramidale à cinq côtés. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


CEILANZEYLAN, ou CEYLON, (Géog.) île très-considérable d'Asie, dans la mer des Indes ; les Hollandois en possedent presque toutes les côtes, & le roi de Candi est maître de l'intérieur du pays, qui contient sept royaumes ; les insulaires se nomment Chingulais ; ils sont idolâtres. Leurs mariages se font d'une maniere assez extraordinaire ; c'est la fille qui choisit un mari, & qui fait ensuite part de son choix à ses parens, qui, lorsqu'ils l'approuvent, préparent un grand repas. Le fiancé va avec ses amis chez sa fiancée ; ils se lient les pouces ensemble, & vont ensuite se coucher ; ou l'homme tient un bout du linge de la femme, & le met autour de ses reins, la femme tient l'autre bout, on leur verse de l'eau sur la tête & sur le corps ; cela fait, ils vivent ensemble aussi long-tems qu'ils s'accordent. La premiere nuit des noces est au mari, la seconde est pour son frere, & s'il a un troisieme ou quatrieme frere, jusqu'au septieme, chacun a sa nuit ; de cette maniere une femme suffit pour une famille entiere. Les Chingulais ont un soin extrème de ne jamais se mésallier, & ils poussent le scrupule si loin sur leur noblesse, qu'ils ne prendroient point la moindre chose, pas même un verre d'eau, chez un homme d'un rang inférieur au leur ; un homme du commun n'a pas la permission même de frapper à la porte de son supérieur. Les femmes qui sont convaincues d'avoir eu commerce avec quelqu'un au-dessous d'elles, sont punies de mort. L'île de Ceilan est fort abondante en canelle, gingembre, ivoire, pierres précieuses, camphre, &c. c'est la Taprobane des anciens.


CEINTESPRECEINTES, PERCEINTES, CARREAUX, LISSES, (Marine) ce sont de longues pieces de bois qu'on met bout à bout l'une de l'autre, en maniere de ceinture, dans le corps du bordage d'un vaisseau, pour faire la liaison des membres & pieces de charpente dont le corps du bâtiment est formé. Les ceintes sont posées les unes paralleles aux autres. Les matelots y trouvent une commodité, lorsqu'ils veulent monter dans le vaisseau, ou le nettoyer. Voyez Planche I. la lettre o, dont on marque les ceintes telles qu'elles paroissent sur le corps du vaisseau.

Il y a des charpentiers qui mettent quelque distinction entre ces différens cordons ou ceintes ; car ils appellent préceintes les trois plus basses ceintes, & nomment carreaux ou lisses, celles qui sont au-dessus, & la lisse de vibord est la plus élevée.

Les ceintes sont ordinairement de trois ou quatre pieces assemblées en écarts. Voyez, Pl. VI. fig. 38. la forme de cette piece de bois. Le plus souvent il y a deux préceintes au-dessous des sabords, & deux au-dessus. Quelquefois il y en a deux au-dessous, sans qu'il y en ait au-dessus.

Les ceintes font le même effet en-dehors du vaisseau, que les serre-gouttieres font en-dedans : les unes & les autres servent à lier & affermir le bâtiment : les vaisseaux qui ont beaucoup d'acastillage, ont plus de ceintes que les autres ; en général le nombre des ceintes se regle sur la grandeur du bâtiment. Voyez dans la figure qui représente la coupe d'un vaisseau, la disposition des ceintes, Planche V. figure premiere, premiere préceinte cotée 163 ; seconde préceinte, n°. 164 ; troisieme préceinte, n°. 165 ; quatrieme préceinte. n°. 166.

La plus basse préceinte doit avoir d'épaisseur la moitié de l'étrave, & de largeur, l'épaisseur entiere de l'étrave. Les ceintes qui sont posées plus haut diminuent un peu par proportion : mais lorsque les vaisseaux ont 170 piés de long de l'étrave à l'étambord, & au-dessus de 170 piés, on tient les préceintes de deux pouces plus minces que la moitié de l'étrave.

D'autres charpentiers proportionnent les ceintes suivant la longueur du vaisseau, en leur donnant douze pouces de large quand le vaisseau a cent piés de long. Par chaque dix piés que le bâtiment a au-dessous de cent piés, ils ôtent aux ceintes un pouce & demi de largeur ; & par chaque dix piés que le bâtiment a au-dessus de cent piés, ils ajoûtent aux ceintes un demi-pouce de largeur.

Pour leur épaisseur, ils la font de la moitié de la largeur, ou un peu moins.

Ces dimensions ne sont point invariables ; chaque constructeur peut les changer, suivant ses lumieres ou ses principes : mais celles que nous venons de rapporter sont en général assez suivies.

Presque tous les grands vaisseaux ont deux couples, ou quatre préceintes au-dessous des sabords, sous la belle, c'est-à-dire à l'endroit où le vaisseau est le plus bas. La plus basse préceinte se doit trouver autant au-dessous du gros du vaisseau, qu'elle a de largeur (selon le sentiment de quelques-uns) ; & la seconde doit être placée au-dessus de cette premiere à la distance d'une ceinte & demie. Les fermures qui sont entre ces préceintes, & dans lesquelles les dalots sont presque toûjours percés, doivent avoir la même épaisseur que le franc bordage qui est au-dessous. Que si le vaisseau a trois basses préceintes, comme cela se pratique quelquefois, la troisieme doit descendre aussi bas sous la seconde, que la premiere est élevée au-dessus, & la premiere peut bien être un peu moins épaisse que la seconde. Quand on laisse trop de distance entre les préceintes, & que les couples sont fort larges, cela fait un effet désagréable. (Z)


CEINTRou CINTRE, s. m. (Architect. & Coupe des pierres) du mot cinctus, a deux significations, l'une pour la charpente, l'autre pour le contour de la voûte qui a été formée sur la charpente. Dans la Charpenterie il signifie un assemblage de pieces de bois qui soûtiennent les ais & dosses, sur lesquels on construit une voûte avec des briques, ou du moilon, ou des pierres de taille, jusqu'à ce qu'étant fermée elle puisse se soûtenir sans ce secours. Dans la Coupe des pierres, il signifie le contour arrondi de la surface intérieure d'une voûte. Les ceintres considérés par rapport à leurs figures, sont de trois sortes : plein-ceintre, c'est un demi-cercle entier ; anse de panier ou sur-baissé, voyez SUR-BAISSE ; & sur-haussé, voyez SUR-HAUSSE. (D)

CEINTRE, outil de Charron, c'est une regle ou une barre de bois plate, qui sert aux Charrons pour mettre les roues à la hauteur qu'elles leur sont commandées. Cet outil n'ayant rien de particulier, il n'est pas nécessaire d'en faire la description.


CEINTREadj. en termes de Blason, se dit du globe ou monde impérial, entouré d'un cercle & d'un demi-cercle en forme de ceintre.

Regard en Savoie, d'azur au globe d'or ceintré & croisé en gueules. (Y)


CEINTURES. f. (Hist. anc. & mod.) lisiere de soie, de laine, de cuir ou d'autres matieres, que l'on attache autour des reins. L'usage en est ancien. Chez les Juifs, Dieu ordonna au grand-prêtre d'en porter une. Les Juifs étoient ceints lorsqu'ils célébroient la pâque, suivant l'ordre qu'ils en avoient reçû. Dès ce tems la ceinture servoit aussi de bourse. L'amplitude des habits grecs & romains en rendit l'usage nécessaire chez ces peuples. Ceux qui disputoient dans les jeux olympiques se ceignoient : mais vers la trente-quatrieme olympiade la ceinture leur fut interdite, & ils se dépouillerent pour courir. La défense de porter la ceinture fut quelquefois chez les anciens une tache d'ignominie & la punition de quelque faute ; d'où il s'ensuit que cette partie du vêtement marquoit quelque dignité parmi eux. La ceinture n'étoit pas moins à l'usage des femmes que des hommes ; elles s'en servoient soit pour relever leurs robes, soit pour en fixer les plis. Il y avoit de la grace à soûtenir à la hauteur de la main le lais du côté droit, ce qui laissoit le bas de la jambe à découvert ; & une négligence outrée à n'avoir point de ceinture & à laisser tomber sa tunique : de-là les expressions latines discincti, altè cincti, pour désigner un homme indolent ou alerte. Mecene ayant témoigné peu d'inquiétude sur les derniers devoirs de la vie, persuadé que la nature prend soin elle-même de notre sépulture, Seneque dit de lui, altè cinctum dixisse putes, " vous croiriez que celui qui a dit ce mot, portoit sa ceinture bien haut ". Gardez-vous, dit Sylla en parlant de César, d'un homme dont la ceinture est trop lâche. Il y avoit chez les Celtes une ceinture qui servoit pour ainsi dire de mesure publique de la taille parmi les hommes. Comme l'état veilloit à ce qu'ils fussent alertes, il punissoit ceux qui ne pouvoient la porter. L'usage des ceintures a été fort commun dans nos contrées ; mais les hommes ayant cessé de s'habiller en long, & pris le juste-au-corps & le manteau court, l'usage s'en est restraint peu-à-peu aux premiers magistrats, aux gens d'église, aux religieux & aux femmes ; encore les femmes n'en portent-elles presque plus aujourd'hui, que les paniers & les robes lâches sont devenues communes, malgré les ecclésiastiques, qui se recrierent beaucoup contre cette mode, qui laissant aux femmes, à ce qu'ils croyoient, la liberté de cacher les suites de leurs fautes, prognostiquoit un accroissement de dissolution. Nous avons jadis attaché, ainsi que les anciens, une marque d'infamie à la privation de la ceinture ; les banqueroutiers & autres débiteurs insolvables étoient contraints de la quitter. La raison de cet usage est que nos ancêtres attachant à leur ceinture une bourse, des clés, &c. la ceinture étoit un symbole d'état ou de condition, dont la privation de cette partie du vêtement indiquoit qu'on étoit déchû. L'histoire rapporte que la veuve de Philippe I. duc de Bourgogne, renonça au droit qu'elle avoit à sa succession, en quittant sa ceinture sur le tombeau du duc. Voyez INVESTITURE.

La distinction des étoffes & des habits subsista en France jusqu'au commencement du xv. siecle. On a un arrêt du parlement de 1420, qui défend aux femmes prostituées la robe à collet renversé, la queue, les boutonnieres, & la ceinture dorée ; mais les femmes galantes ne se soûmirent pas long-tems à cette défense, l'uniformité de leur habillement les confondit bientôt avec les femmes sages ; & la privation ou l'usage de la ceinture n'étant plus une marque de distinction, on fit le proverbe, bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.

L'usage des ceintures parmi nous n'étant point passé, mais seulement restreint, comme nous l'avons dit, nous avons une communauté de Ceinturiers. Les Ceinturiers s'appelloient autrefois Courroyers. Voyez CEINTURIERS.

CEINTURE DE VIRGINITE des anciens. C'étoit la coûtume chez les Grecs & les Romains, que le mari dénoüoit la ceinture de sa femme le premier soir de ses nôces.

Homere, liv. XI. de son Odyssée, appelle cette ceinture, , ceinture virginale.

Festus rapporte qu'elle étoit de laine de brebis, & que le mari la délioit lorsqu'il étoit dans le lit avec sa femme. Il ajoûte qu'elle étoit noüée d'un noeud singulier, qu'on appelloit le noeud d'Hercule, & que le mari le défaisoit, comme un présage qui lui promettoit autant d'enfans qu'Hercule en avoit laissé en mourant.

Les Poëtes donnent à Venus une espece de ceinture appellée cestus, à laquelle ils attribuent le pouvoir d'inspirer de l'amour. Voyez CESTE. (G)

* CEINTURE DE VIRGINITE des modernes ; elle n'a rien de commun avec celle des anciens. Chez les anciens, l'époux ôtoit à sa femme la ceinture virginale la premiere nuit de ses nôces ; & chez les modernes, c'est un présent qu'un mari jaloux lui fait quelquefois dès le lendemain. Cette ceinture est composée de deux lames de fer très-flexibles, assemblées en croix, ces lames sont couvertes de velours. L'une de ces lames fait le tour du corps au-dessus des reins ; l'autre passe entre les cuisses, & son extrémité vient rencontrer les deux extrémités de la premiere lame ; elles sont toutes trois tenues réunies par un cadenat dont le mari seul a le secret. Voyez CADENAT. La lame qui passe entre les cuisses, est percée de maniere à assûrer un mari de la sagesse de sa femme, sans géner les autres fonctions naturelles. On dit que cet instrument si infame, si injurieux au sexe, a pris naissance en Italie ; c'est peut-être une calomnie : ce qu'il y a de certain, c'est que l'Italie n'est pas le seul pays où l'on en ait fait usage.

Chrétien de la ceinture, Molaraekkel, dixieme calife de la famille des Abassides, ordonna l'an 235 de l'hégyre de Jesus-Christ 856, aux Juifs & aux Chrétiens de porter une grande ceinture de cuir pour marquer leur profession, ce qu'ils pratiquent encore aujourd'hui dans tout l'Orient. Depuis ce tems-là les chrétiens d'Asie, & sur-tout ceux de Syrie & de la Mésopotamie, qui sont presque tous Nestoriens ou Jacobites, sont appellés chrétiens de la ceinture. (G)

CEINTURE DE LA REINE, (Hist. mod.) ancien impôt ou taxe qu'on leve à Paris de trois ans en trois ans, sur le pié de trois deniers par chaque muid de vin, & de six pour chaque queue, pour l'entretien de la maison de la reine. On l'a depuis augmenté, & mis sur quelques autres denrées ou provisions, comme le charbon, &c. On l'appelloit aussi la taille du pain & du vin, comme il paroît par des registres de la chambre des comptes. Vigenere suppose que le nom de ceinture a été donné à cet impôt, parce qu'autrefois la ceinture servoit de bourse ; mais il ajoûte qu'on levoit il y a deux mille ans en Perse une pareille taxe, & sous le même nom, & cite pour le prouver l'Alcibiade de Platon, Cicéron & Athenée.

Il y a en Angleterre, pour la même destination, un impôt à-peu-près semblable, qu'on appelle aurum reginæ, or de la reine (queen-gold) ; c'étoit originairement un don qui se faisoit librement & sans être exigible. On en a fait depuis une dette, au payement de laquelle les particuliers sont contraints. (H)

CEINTURE DE VIF ARGENT, terme de Medecine ; c'est une espece de ceinture couverte & remplie de mercure. Voyez MERCURE.

Elle est de cuir, de linge, de drap, de coton, ou d'autre étoffe, qui enveloppe du mercure préparé ou éteint avec la salive d'une personne à jeun, de la graisse ou autre matiere, qui en amortit la trop grande vivacité. On l'attache en forme de topique autour des reins, quelquefois avec succès, quelquefois aussi au préjudice du malade ; car elle est souvent dangereuse aux personnes qui sont d'un tempérament foible ou sujettes aux convulsions : on s'en sert pour guérir la gale, pour tuer la vermine, &c. (N)

CEINTURE du four, en terme de Boulanger & d'autres ouvriers ; c'est le tour intérieur du four, ou la partie du mur qui le forme, & sur laquelle la voûte est appuyée.

CEINTURE OU PEIGNON, voyez PEIGNON & CORDERIE.


CEINTURIERS. m. (Art méchan.) On appelle ainsi celui qui fait ou qui vend des ceintures.

La communauté des marchands Ceinturiers de la ville de Paris est d'un très-ancien établissement, & étoit autrefois une des plus considérables de cette capitale.

Le nom de Ceinturiers que les maîtres prennent aujourd'hui, est assez moderne ; avant le milieu du xv. siecle ils se nommoient maîtres Courroyers, du mot courroie, parce qu'on faisoit alors les ceintures avec du cuir, à la reserve de ceux de mouton & de bazane, qu'il étoit défendu d'y employer.

Cette communauté s'est soûtenue tant que les robes & les habillemens longs ont été en usage en France ; mais la mode des habits courts que les hommes prirent après le regne d'Henri III. ne la fit pas pourtant tout-à-fait tomber. Cet étalage assez bizarre de demi-ceints chargés de tant de bourses, demis, & d'autres bagatelles dont les femmes, sur-tout parmi la bourgeoisie, se sont parées jusqu'assez avant dans le xvj. siecle, suffit assez long-tems pour occuper près de deux cent maîtres de cette communauté.

Toutes ces modes étant à-la-fin passées, les baudriers & les ceinturons de toutes sortes, soit de velours ou d'autres étoffes, soit de diverses especes de cuirs piqués d'or, d'argent & de soie ; les ceintures & gibecieres pour les grenadiers, les porte-carabines pour la cavalerie, les fournimens & les pendans à bayonnette pour l'infanterie ; enfin les ceintures d'étoffe ou de cuir brodées, sont restés le partage des maîtres de cette communauté.

Chaque maître ne peut avoir qu'une boutique, & qu'un apprenti obligé au moins pour quatre ans.

Les enfans de maîtres font apprentissage chez leur pere, & ne tiennent point lieu d'apprentis.

Aucun n'est reçû à la maîtrise qu'il n'ait fait chef-d'oeuvre, qui anciennement étoit une ceinture de velours à deux pendans, à huit boucles par le bas des pendans ; la ferrure de fer à crochet, limée & percée à jour, à feuillages encloüés, & reparée dessus & dessous ; les clous avec leur contre-rivet, le tout bien poli. Mais depuis que ces ceintures ne sont plus d'usage, le chef-d'oeuvre est de quelqu'un des ouvrages que font les Ceinturiers modernes. Voyez le dictionn. du Commerce.


CEINTURONS. m. (Art milit.) ceinture de bufle avec une boucle, des barres & des pendans. Le soldat se l'attache sur les reins, & l'épée est suspendue aux barres & aux pendans. La partie des pendans dans laquelle elle passe, s'appelle le baudrier. On a pratiqué au bouclier une espece de boutonniere, dans laquelle entre le crochet du fourreau de l'épée. Il y a des ceinturons de soie, il y en a de maroquin, de veau, &c. pour les officiers & autres personnes qui portent l'épée. Les Ceinturiers font les ceinturons de bufle, de maroquin & de veau ; mais ils font faire ceux de soie, qui ne peuvent être vendus que par eux. Voyez CEINTURIER.


CELADONadjectif qu'on prend quelquefois substantivement, (Teinture) couleur verte tirant sur le blanc. Il est ordonné par les réglemens de la Teinture & les statuts des Teinturiers, que les soies teintes en celadon seront alunées, voyez ALUNER, puis gaudées, voyez GAUDER, ensuite passées sur la cuve d'inde ; que les laines de cette couleur seront gaudées & passées en cuve, sans être brunies avec le bois d'inde, voyez BRUNIR ; & que les fils celadons seront d'abord teints bleus, puis rabattus avec le bois de campeche & le verdet, & achevés avec la gaude. Voyez l'article TEINTURE.


CELAMA(Géog.) ville d'Asie aux Indes, dans l'île de Banda, l'une des Molucques.


CELANO(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure. Long. 31. 35. lat. 42.


CELEBES(ISLE DES) grande île de l'Asie dans la mer des Indes, sous l'équateur, au midi des Philippines, & à l'orient de celle de Bornéo ; on la nomme Macassar : la capitale se nomme Celebes. On prétend que le hasard seul a décidé de la religion que professent les Celebes : ennuyés d'être idolâtres, ils envoyerent des députés aux Chrétiens qui demeuroient dans leur voisinage, & ils en envoyerent en même tems d'autres au roi d'Achem, qui étoit mahométan, dans la résolution de prendre la religion de ceux qui leur envoyeroient les premiers des apôtres. Les Chrétiens furent prévenus par les Mahométans, dont en conséquence ils embrasserent la secte.


CELEBREILLUSTRE, FAMEUX, RENOMMé, synonymes. (Gramm.) termes relatifs à l'opinion que les hommes ont conçûe de nous, sur ce qu'ils en ont entendu raconter d'extraordinaire. Fameux ne désigne que l'étendue de la réputation, soit que cette réputation soit fondée sur de bonnes ou de mauvaises actions, & se prend en bonne & en mauvaise part : on dit un fameux capitaine & un fameux voleur. Illustre marque une réputation fondée sur un mérite accompagné de dignité & d'éclat. On dit les hommes illustres de la France, & l'on comprend sous cette dénomination & les grands capitaines & les magistrats distingués, & les auteurs qui joignent des dignités au mérite littéraire. Célebre offre l'idée d'une réputation acquise par des talens littéraires, réels ou supposés, & n'emporte point celle de dignité. Renommé seroit tout-à-fait synonyme à fameux, s'il se prenoit en bonne & en mauvaise part ; mais il ne se prend qu'en bonne, & n'est relatif qu'à l'étendue de la réputation. Peut-être marque-t-il une réputation un peu moins étendue que fameux. Fameux, célebre, renommé, se disent des personnes & des choses. Illustre ne se dit que des personnes. Erostrate & Alexandre se sont rendus fameux, l'un par l'incendie du temple d'Ephese, l'autre par le ravage de l'Asie. La bataille de Canne illustra les Carthaginois. Horace est célebre entre les auteurs latins. La pourpre de Sidon étoit aussi renommée chez les anciens, que la teinture des Gobelins parmi nous. Voy. les synonymes de M. l'abbé Girard.


CELEF(Géogr.) riviere d'Afrique au royaume d'Alger, qui tombe dans la mer à trois lieues d'Alger.


CELENO(Mytholog.) c'est le nom d'une des Pleyades. Voyez PLEYADES. C'est aussi celui de la principale des harpies. Elle prédit aux Troyens dans les îles Strophades, qu'en punition du mauvais traitement qu'elle en avoit reçû, ils ne s'établiroient en Italie qu'après que la faim les auroit contraints à manger leurs tables. Qu'on me permette d'observer en passant, que quelqu'intéressant que pût être pour les Romains l'épisode des harpies, il est assez ridicule ; & que la prédiction des tables mangées est une puérilité sans esprit, sans agrément, & fort au-dessous même du cheval de Troye. Quelle différence entre cette partie de la machine de l'Enéide, & l'amour substitué au petit Ascagne entre les bras de Didon !


CELERESS. m. pl. (Hist. anc.) c'étoit chez les Romains une troupe choisie, ou régiment destiné à la garde du roi. Romulus institua ce corps, composé de trois cent jeunes gens tirés des plus illustres familles de Rome, & approuvés par les suffrages des curies de Rome, dont chacune en fournissoit dix. Leur nom vient de celer, promt, actif, parce que cette troupe exécutoit avec promtitude les ordres du prince : d'autres prétendent qu'ils le tiennent de leur premier tribun nommé Celer, qui fut d'un grand secours à Romulus dans le combat contre son frere Remus, tué, dit-on, par ce même Celer. On confond encore les celeres avec les soldats nommés trossuli, parce qu'ils emporterent d'emblée la ville de Trossulum en Etrurie.

Outre l'honneur de garder à Rome la personne du roi quand on étoit en campagne, les celeres faisoient l'avant-garde de l'armée, chargeoient les premiers, & formoient l'arriere-garde dans les retraites. Ils ressembloient à nos dragons, puisqu'ils combattoient quelquefois à pié, quoiqu'ils fussent d'ailleurs montés & compris dans la cavalerie. Ils étoient divisés en trois escadrons de cent maîtres chacun, sous un capitaine ou centurion ; & leur commandant en chef se nommoit tribunus ou praefectus celerum. On le regardoit comme la seconde personne de l'état.

Plutarque assûre que Numa supprima ce corps : mais il fut rétabli sous les rois ses successeurs ; puisqu'il est certain que le fameux Brutus qui chassa de Rome Tarquin le superbe, avoit été tribun des celeres. (G)


CÉLERIS. m. apium dulce, (Jard.) est une espece d'ache, dont les feuilles sont déchiquetées, dentelées, & d'un verd luisant, mais dont les tiges sont d'un goût moins fort, & plus agréable que l'ache des marais. Ces tiges se blanchissent, & deviennent tendres en les butant de terre & de fumier jusqu'au haut des feuilles, dont on coupe l'extrémité. Le céleri se mange en salade, & sert à plusieurs ragoûts. Cette plante se multiplie de graine qui est fort menue, & que l'on seme sur couche au mois d'Avril. On la replante ensuite en pleine terre au mois de Juin sur une planche terrotée de quatre piés de large, & à trois pouces l'une de l'autre sur cinq rayons, ayant soin de l'arroser souvent, & toûjours de la buter. Voyez ACHE. (K)


CELERINS. m. membradas, (Hist. nat. Ichth.) poisson de mer du genre des aphyes. Il a le corps blanc & la tête de couleur d'or, & il ressemble aux sardines.

Célerin erica, poisson qui se trouve souvent dans les lacs de Savoie. On lui a donné le nom de célerin, parce qu'il ressemble beaucoup aux célerins de mer. Il est aussi fort ressemblant à la sardine : c'est pourquoi on l'appelle en Italie sardanella. Ses écailles sont fort menues & luisantes comme de l'argent : elles tombent aisément. La bouche est grande ; les ouvertures des ouies sont découpées. Ce poisson est fort gras. On en prend une grande quantité au printems. On sale les petits, parce qu'ils se gardent mieux que les grands. Rondelet. Voyez POISSON. (I)


CELERITÉS. f. (Méchanique) est proprement la vîtesse d'un corps en mouvement, ou cette affection du corps en mouvement, par laquelle il est mis en état de parcourir un certain espace dans un certain tems. Voyez VITESSE, ESPACE ; voyez aussi MOUVEMENT.

Ce mot s'employe presque toûjours dans un sens figuré. On se sert rarement du mot de célérité pour exprimer la vîtesse d'un corps en mouvement : mais on s'en sert souvent dans l'usage ordinaire ; lorsqu'on dit, par exemple, qu'une telle affaire demande expédition & célérité, &c. ce mot vient du latin celeritas, qui signifie la même chose. (O)


CELESTES. f. (Myth.) déesse adorée à Carthage & dans toutes les contrées septentrionales de l'Afrique. Elle étoit représentée assise sur un lion, & surnommée la reine du ciel. Eliogabale qui avoit pris le titre de prêtre du soleil, enleva l'idole de Céleste de Carthage, avec toutes les richesses de son temple ; la maria avec son dieu, & contraignit les sujets de l'empire à célébrer ses noces, & à lui faire des présens. Constantin détruisit le temple que Céleste avoit à Carthage.


CELESTINSS. m. pl. (Hist. ecclés.) ordre religieux, ainsi nommé du pape Célestin V. qui avant que d'être élevé sur la chaire de saint Pierre, & ne portant encore que le nom de Pierre de Moron, établit une congrégation de religieux réformés de l'ordre de Saint-Bernard. Il commença en 1244 ; fut approuvé par Urbain IV. en 1264, & confirmé dix ans après par Grégoire X. au II. concile général de Lyon. D'Italie il passa en France l'an 1300, sous le regne de Philippe-le-Bel ; & en 1318, selon du Breuil dans ses Antiquités de Paris, fut fondée la maison qu'ont en cette capitale les Célestins. Elle est en France le chef de l'ordre, qui consiste en vingt-trois monasteres ; ils sont gouvernés par un provincial, qui a pouvoir de général en France, & qui est élû tous les trois ans. (G)


CÉLEUSMES. m. (Hist. anc.) c'est le nom du cri par lequel on exhortoit chez les Grecs les rameurs à redoubler leurs efforts. Ce cri étoit, selon Aristophane, rhippapé ou oop. Voyez CRI. Le celeusme étoit aussi à l'usage des gens de mer, chez les Romains. Les commandans avec leurs celeusmes, dit Arrien, ordonnoient aux rameurs de commencer ou de cesser ; & les rameurs répondant par un cri, plongeoient tous à la fois leurs rames dans le fleuve.


CELEUSTES. f. (Hist. anc.) nom d'une des danses boufonnes des Grecs. On n'en sait rien de plus.


CÉLIBATS. m. (Hist. anc. & mod. & Morale) est l'état d'une personne qui vit sans s'engager dans le mariage. Cet état peut être considéré en lui-même sous trois aspects différens : 1°. eu égard à l'espece humaine ; 2°. à la société ; 3°. à la société chrétienne. Mais avant que de considérer le célibat en lui-même, nous allons exposer en peu de mots sa fortune, & ses révolutions parmi les hommes. M. Morin, de l'académie des Belles-lettres, en réduit l'histoire aux propositions suivantes. Le célibat est aussi ancien que le monde ; il est aussi étendu que le monde : il durera autant & infiniment plus que le monde.

Histoire abrégée du célibat. Le célibat est aussi ancien que le monde, s'il est vrai, ainsi que le prétendent quelques auteurs de l'ancienne & de la nouvelle loi, que nos premiers parens ne perdirent leur innocence qu'en cessant de garder le célibat ; & qu'ils n'auroient jamais été chassés du paradis, s'ils n'eussent mangé le fruit défendu ; action qui dans le style modeste & figuré de l'Ecriture, ne désigne autre chose, selon eux, que l'infraction du célibat. Ils tirent les preuves de cette interprétation grammaticale, du sentiment de nudité qui suivit immédiatement le péché d'Eve & d'Adam ; de l'idée d'irrégularité attachée presque par toute la terre à l'acte charnel ; de la honte qui l'accompagne ; du remors qu'il cause ; du péché originel qui se communique par cette voie : enfin de l'état où nous retournerons au sortir de cette vie, où il ne sera question ni de maris ni de femmes, & qui sera un célibat éternel.

Il ne m'appartient pas, dit M. Morin, de donner à cette opinion les qualifications qui lui conviennent ; elle est singuliere ; elle paroit opposée à la lettre de l'Ecriture ; c'en est assez pour la rejetter. L'Ecriture nous apprend qu'Adam & Eve vécurent dans le paradis, comme frere & soeur ; comme les anges vivent dans le ciel ; comme nous y vivrons un jour : cela suffit ; & voilà le premier & le parfait célibat. Savoir combien il dura, c'est une question purement curieuse. Les uns disent quelques heures ; d'autres quelques jours : il y en a qui, fondés sur des raisons mystiques, sur je ne sai quelles traditions de l'église Grecque, sur l'époque de la naissance de Caïn, poussent cet intervalle jusqu'à trente ans.

A ce premier célibat, les docteurs Juifs en font succéder un autre qui dura bien davantage ; car ils prétendent qu'Adam & Eve, confus de leur crime, en firent pénitence pendant cent ans, sans avoir aucun commerce ensemble ; conjecture qu'ils établissent sur la naissance de Seth, leur troisieme fils, que Moyse ne leur donne qu'à l'âge de cent trente ans. Mais à parler juste, il n'y a qu'Abel à qui l'on puisse attribuer l'honneur d'avoir gardé le célibat pendant toute la vie. Savoir si son exemple fut imité dans les générations suivantes ; si les fils de Dieu qui se laisserent corrompre par les filles des hommes, n'étoient point une espece de religieux, qui tomberent dans le desordre, c'est ce que l'on ne sauroit dire ; la chose n'est pas impossible. S'il est vrai qu'il y eût alors des femmes qui affectoient la stérilité, comme il paroît par un fragment du prétendu livre d'Enoch, il pouvoit bien y avoir eu aussi des hommes qui en fissent profession : mais les apparences n'y sont pas favorables. Il étoit question alors de peupler le monde ; la loi de Dieu & celle de la nature imposoient à toutes sortes de personnes une espece de nécessité de travailler à l'augmentation du genre humain ; & il est à présumer que ceux qui vivoient dans ce tems-là, se faisoient une affaire principale d'obéir à ce précepte. Tout ce que l'histoire nous apprend dit M. Morin, des Patriarches de ces tems-là, c'est qu'ils prenoient & donnoient des femmes ; c'est qu'ils mirent au monde des fils & des filles, & puis moururent, comme s'ils n'avoient eu rien de plus important à faire.

Ce fut à-peu près la même chose dans les premiers siecles qui suivirent le déluge. Il y avoit beaucoup à défricher, & peu d'ouvriers ; c'étoit à qui engendreroit le plus. Alors l'honneur, la noblesse, la puissance des hommes consistoient dans le nombre des enfans ; on étoit sûr par-là de s'attirer une grande considération, de se faire respecter de ses voisins, & d'avoir une place dans l'histoire. Celle des Juifs n'a pas oublié le nom de Jaïr, qui avoit trente fils dans le service ; ni celle des Grecs, les noms de Danaüs & d'Egyptus, dont l'un avoit cinquante fils, & l'autre cinquante filles. La stérilité passoit alors pour une espece d'infamie dans les deux sexes, & pour une marque non équivoque de la malédiction de Dieu ; au contraire, on regardoit comme un témoignage authentique de sa bénédiction, d'avoir autour de sa table un grand nombre d'enfans. Le célibat étoit une espece de péché contre nature : aujourd'hui, ce n'est plus la même chose.

Moyse ne laissa guere aux hommes la liberté de se marier ou non. Lycurgue nota d'infamie les célibataires. Il y avoit même une solennité particuliere à Lacédémone, où les femmes les produisoient tous nuds aux piés des autels, & leur faisoient faire à la nature une amende honorable, qu'elles accompagnoient d'une correction très-severe. Ces républicains pousserent encore les précautions plus loin, en publiant des reglemens contre ceux qui se marioient trop tard, , & contre les maris qui n'en usoient pas bien avec leurs femmes, .

Dans la suite des tems, les hommes étant moins rares, on mitigea ces lois pénales. Platon tolere dans sa république le célibat jusqu'à trente-cinq ans : mais passé cet âge, il interdit seulement les célibataires des emplois, & leur marque le dernier rang dans les cérémonies publiques. Les lois Romaines qui succéderent aux greques, furent aussi moins rigoureuses contre le célibat : cependant les censeurs étoient chargés d'empêcher ce genre de vie solitaire, préjudiciable à l'état, caelibes esse prohibento. Pour le rendre odieux, ils ne recevoient les célibataires ni à tester, ni à rendre témoignage ; & voici la premiere question que l'on faisoit à ceux qui se présentoient pour prêter serment : ex animi tui sententiâ, tu équum habes tu uxorem habes ? à votre ame & conscience, avez-vous un cheval, avez-vous une femme ? mais les Romains ne se contentoient pas de les affliger dans ce monde, leurs Théologiens les menaçoient aussi de peines extraordinaires dans les enfers. Extrema omnium calamitas & impietas accidit illi qui absque filiis à vita discedit, & daemonibus maximas dat poenas post obitum. C'est la plus grande des impiétés, & le dernier des malheurs, de sortir du monde sans y laisser des enfans ; les démons font souffrir à ces gens-là de cruelles peines après leur mort.

Malgré toutes ces précautions temporelles & spirituelles, le célibat ne laissoit pas de faire son chemin ; les lois mêmes en sont une preuve. On ne s'avise pas d'en faire contre des desordres qui ne subsistent qu'en idée ; savoir par où & comment celui-ci commença, l'histoire n'en dit rien : il est à présumer que de simples raisons morales, & des goûts particuliers, l'emportent sur tant de lois pénales, bursales, infamantes, & sur les inquiétudes de la conscience. Il fallut sans-doute dans les commencemens des motifs plus pressans, de bonnes raisons physiques ; telles étoient celles de ces tempéramens heureux & sages que la nature dispense de réduire en pratique la grande regle de la multiplication : il y en a eu dans tous les tems. Nos auteurs leur donnent des titres flétrissans : les Orientaux au contraire les appellent eunuques du soleil ; eunuques du ciel, faits par la main de Dieu, qualités honorables, qui doivent non-seulement les consoler du malheur de leur état, mais encore les autoriser devant Dieu & devant les hommes à s'en glorifier, comme d'une grace spéciale, qui les décharge d'une bonne partie des sollicitudes de la vie, & les transporte tout d'un coup au milieu du chemin de la vertu.

Mais sans examiner sérieusement si c'est un avantage ou un desavantage, il est fort apparent que ces béats ont été les premiers à prendre le parti du célibat : ce genre de vie leur doit sans-doute son origine, & peut-être sa dénomination ; car les Grecs appelloient les invalides dont il s'agit , qui n'est pas éloigné de caelibes. En effet le célibat étoit le seul parti que les eussent à prendre pour obéir aux ordres de la nature, pour leur repos, pour leur honneur, & dans les regles de la bonne foi : s'ils ne s'y déterminoient pas d'eux-mêmes, les lois leur en imposoient la nécessité : celle de Moyse y étoit expresse. Les lois des autres nations ne leur étoient guere plus favorables : si elles leur permettoient d'avoir des femmes, il étoit aussi permis aux femmes de les abandonner.

Les hommes de cet état équivoque & rare dans les commencemens, également méprisés des deux sexes, se trouverent exposés à plusieurs mortifications, qui les réduisirent à une vie obscure & retirée : mais la nécessité leur suggéra bientôt différens moyens d'en sortir, & de se rendre recommandables : dégagés des mouvemens inquiets de l'amour étranger & de l'amour-propre, ils s'assujettirent aux volontés des autres avec un dévouement singulier ; & ils furent trouvés si commodes, que tout le monde en voulut avoir : ceux qui n'en avoient point, en firent par une opération hardie & des plus inhumaines : les peres, les maîtres, les souverains, s'arrogerent le droit de réduire leurs enfans, leurs esclaves, leurs sujets, dans cet état ambigu ; & le monde entier qui ne connoissoit dans le commencement que deux sexes, fut étonné de se trouver insensiblement partagé en trois portions à peu près égales.

A ces célibats peu volontaires il en succéda de libres, qui augmenterent considérablement le nombre des premiers. Les gens lettrés & les philosophes par goût, les athletes, les gladiateurs, les musiciens, par raison d'état, une infinité d'autres par libertinage, quelques-uns par vertu, prirent un parti que Diogene trouvoit si doux, qu'il s'étonnoit que sa ressource ne devînt pas plus à la mode. Quelques professions y étoient obligées, telles que celle de teindre en écarlate, baphiarii. L'ambition & la politique grossirent encore le corps des célibat aires : ces hommes bisarres furent ménagés par les grands mêmes, avides d'avoir place dans leur testament ; & par la raison contraire, les peres de famille dont on n'espéroit rien, furent oubliés, négligés, méprisés.

Nous avons vû jusqu'à présent le célibat interdit, ensuite toléré, puis approuvé, enfin préconisé : il ne tarda pas à devenir une condition essentielle dans la plûpart de ceux qui s'attacherent au service des autels. Melchisedech fut un homme sans famille & sans généalogie. Ceux qui se destinerent au service du temple & au culte de la loi, furent dispensés du mariage. Les filles eurent la même liberté. On assûre que Moyse congédia sa femme quand il eut reçû la loi des mains de Dieu. Il ordonna aux sacrificateurs dont le tour d'officier à l'autel approcheroit, de se séquestrer de leurs femmes pendant quelques jours. Après lui les prophetes Elie, Elisée, Daniel & ses trois compagnons, vécurent dans la continence. Les Nazaréens, la plus saine partie des Esseniens, nous sont représentés par Josephe comme une nation merveilleuse, qui avoit trouvé le secret que Metellus Numidicus ambitionnoit, de se perpétuer sans mariage, sans accouchement, & sans aucun commerce avec les femmes.

Chez les Egyptiens les prêtres d'Isis, & la plûpart de ceux qui s'attachoient au service de leurs divinités, faisoient profession de chasteté ; & pour plus de sûreté ils y étoient préparés dès leur enfance par des chirurgiens. Les Gymnosophistes, les Brachmanes, les Hiérophantes des Athéniens, une bonne partie des disciples de Pythagore, ceux de Diogene, les vrais Cyniques, & en général tous ceux & toutes celles qui se dévoüoient au service des déesses, en usoient de la même maniere. Il y avoit dans la Thrace une société considérable de religieux célibataires, appellés ou créateurs, de la faculté de se produire sans le secours des femmes. L'obligation du célibat étoit imposée chez les Perses aux filles destinées au service du soleil. Les Athéniens ont eu une maison de vierges. Tout le monde connoît les vestales Romaines. Chez nos anciens Gaulois, neuf vierges qui passoient pour avoir reçû du ciel des lumieres & des graces extraordinaires, gardoient un oracle fameux dans une petite île nommée Sené, sur les côtes de l'Armorique. Il y a des auteurs qui prétendent même que l'île entiere n'étoit habitée que par des filles, dont quelques-unes faisoient de tems en tems des voyages sur les côtes voisines, d'où elles rapportoient des petits embryons pour conserver l'espece. Toutes n'y alloient pas : il est à présumer, dit M. Morin, que le sort en décidoit, & que celles qui avoient le malheur de tirer un billet noir, étoient forcées de descendre dans la barque fatale qui les exposoit sur le continent. Ces filles consacrées étoient en grande vénération : leur maison avoit des priviléges singuliers, entre lesquels on peut compter celui de ne pouvoir être châtiées pour un crime, sans avoir avant toute chose perdu la qualité de fille.

Le célibat a eu ses martyrs chez les payens, & leurs histoires & leurs fables sont pleines de filles qui ont généreusement préféré la mort à la perte de l'honneur. L'aventure d'Hippolite est connue, ainsi que sa résurrection par Diane, patrone des célibat aires. Tous ces faits, & une infinité d'autres, étoient soûtenus par les principes de la croyance. Les Grecs regardoient la chasteté comme une grace si naturelle ; les sacrifices n'étoient point censés complets, sans l'intervention d'une vierge : ils pouvoient bien être commencés, libare : mais ils ne pouvoient être consommés sans elles, litare. Ils avoient sur la virginité des propos magnifiques, des idées sublimes, des spéculations d'une grande beauté : mais en approfondissant la conduite secrette de tous ces célibataires, & de tous ces virtuoses du paganisme, on n'y découvre, dit M. Morin, que desordres, que forfanterie, & qu'hypocrisie. A commencer par leurs déesses, Vesta la plus ancienne étoit représentée avec un enfant ; où l'avoit-elle pris ? Minerve avoit par-devers elle Erichtonius, une aventure avec Vulcain, & des temples en qualité de mere. Diane avoit son chevalier Virbius, & son Endimion : le plaisir qu'elle prenoit à contempler celui-ci endormi, en dit beaucoup, & trop pour une vierge. Myrtilus accuse les muses de complaisances fortes pour un certain Mégalion, & leur donne à toutes des enfans qu'il nomme nom par nom ; c'est peut-être pour cette raison que l'abbé Cartaud les appelle les filles de l'opéra de Jupiter. Les dieux vierges ne valoient guere mieux que les déesses, témoins Apollon & Mercure.

Les prêtres, sans en excepter ceux de Cybele, ne passoient pas dans le monde pour des gens d'une conduite bien réguliere : on n'enterroit pas vives toutes les vestales qui péchoient. Pour l'honneur de leurs philosophes, M. Morin s'en taît, & finit ainsi l'histoire du célibat, tel qu'il étoit au berceau, dans l'enfance, entre les bras de la nature ; état bien différent du haut degré de perfection où nous le voyons aujourd'hui : changement qui n'est pas étonnant ; celui-ci est l'ouvrage de la grace & du Saint-Esprit ; celui-là n'étoit que l'avorton imparfait d'une nature déréglée, dépravée, débauchée, triste rebut du mariage & de la virginité. Voyez les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tom. IV. page 308. Hist. critiq. du célibat. Tout ce qui précede n'est absolument que l'analyse de ce mémoire : nous en avons retranché quelques endroits longs ; mais à peine nous sommes-nous accordé la liberté de changer une seule expression dans ce que nous en avons employé : il en sera de même dans la suite de cet article : nous ne prenons rien sur nous ; nous nous contentons seulement de rapporter fidelement, non-seulement les opinions, mais les discours même des auteurs, & de ne puiser ici que dans des sources approuvées de tous les honnêtes gens. Après avoir montré ce que l'histoire nous apprend du célibat, nous allons maintenant envisager cet état avec les yeux de la Philosophie, & exposer ce que différens écrivains ont pensé sur ce sujet.

Du célibat considéré en lui-même : 1°. eû égard à l'espece humaine. Si un historien ou quelque voyageur nous faisoit la description d'un être pensant, parfaitement isolé, sans supérieur, sans égal, sans inférieur, à l'abri de tout ce qui pourroit émouvoir les passions, seul en un mot de son espece ; nous dirions sans hésiter que cet être singulier doit être plongé dans la mélancolie : car quelle consolation pourroit-il rencontrer dans un monde qui ne seroit pour lui qu'une vaste solitude ? Si l'on ajoûtoit que malgré les apparences il joüit de la vie, sent le bonheur d'exister, & trouve en lui-même quelque félicité, alors nous pourrions convenir que ce n'est pas tout-à-fait un monstre, & que relativement à lui-même sa constitution n'est pas entierement absurde : mais nous n'irions jamais jusqu'à dire qu'il est bon. Cependant si l'on insistoit, & qu'on objectât qu'il est parfait dans son genre, & conséquemment que nous lui refusons à tort l'épithete de bon (car qu'importe qu'il ait quelque chose ou qu'il n'ait rien à démêler avec d'autres) ; il faudroit bien franchir le mot, & reconnoître que cet être est bon, s'il est possible toutefois qu'il soit parfait en lui-même, sans avoir aucun rapport, aucune liaison avec l'univers dans lequel il est placé.

Mais si l'on venoit à découvrir à la longue quelque systeme dans la nature dont l'espece d'automate en question pût être considéré comme faisant partie ; si l'on entrevoyoit dans sa structure des liens qui l'attachassent à des êtres semblables à lui ; si sa conformation indiquoit une chaîne de créatures utiles, qui ne pût s'accroître & s'éterniser que par l'emploi des facultés qu'il auroit reçûes de la nature ; il perdroit incontinent le titre de bon dont nous l'avons décoré : car comment ce titre conviendroit-il à un individu, qui par son inaction & sa solitude tendroit aussi directement à la ruine de son espece ? La conservation de l'espece n'est-elle pas un des devoirs essentiels de l'individu ? & tout individu qui raisonne & qui est bien conformé, ne se rend-il pas coupable en manquant à ce devoir, à moins qu'il n'en ait été dispensé par quelqu'autorité supérieure à celle de la nature ? Voyez l'Essai sur le mérite & sur la vertu.

J'ajoûte, à moins qu'il n'en ait été dispensé par quelqu'autorité supérieure à celle de la nature, afin qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit nullement ici du célibat consacré par la religion ; mais de celui que l'imprudence, la misanthropie, la legereté, le libertinage, forment tous les jours ; de celui où les deux sexes se corrompant par les sentimens naturels mêmes, ou étouffant en eux ces sentimens sans aucune nécessité, fuient une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre, soit dans un éloignement stérile, soit dans des unions qui les rendent toujours pires. Nous n'ignorons pas que celui qui a donné à l'homme tous ses membres, peut le dispenser de l'usage de quelques-uns, ou même lui défendre cet usage, & témoigner que ce sacrifice lui est agréable. Nous ne nions point qu'il n'y ait une certaine pureté corporelle, dont la nature abandonnée à elle-même ne se seroit jamais avisée, mais que Dieu a jugée nécessaire pour approcher plus dignement des lieux saints qu'il habite, & vaquer d'une maniere plus spirituelle au ministere de ses autels. Si nous ne trouvons point en nous le germe de cette pureté, c'est qu'elle est, pour ainsi dire, une vertu révélée & de foi.

Du célibat considéré 2°. eu égard à la société. Le célibat que la religion n'a point sanctifié, ne peut pas être contraire à la propagation de l'espece humaine, ainsi que nous venons de le démontrer, sans être nuisible à la société. Il nuit à la société en l'appauvrissant & en la corrompant. En l'appauvrissant, s'il est vrai, comme on n'en peut guere douter, que la plus grande richesse d'un état consiste dans le nombre des sujets ; qu'il faut compter la multitude des mains entre les objets de premiere nécessité dans le commerce ; & que de nouveaux citoyens ne pouvant devenir tous soldats, par la balance de paix de l'Europe, & ne pouvant par la bonne police, croupir dans l'oisiveté, travailleroient les terres, peupleroient les manufactures, ou deviendroient navigateurs. En la corrompant, parce que c'est une regle tirée de la nature, ainsi que l'illustre auteur de l'esprit des lois l'a bien remarqué, que plus on diminue le nombre des mariages qui pourroient se faire, plus on nuit à ceux qui sont faits ; & que moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages, comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols. Les anciens connoissoient si bien ces avantages, & mettoient un si haut prix à la faculté naturelle de se marier & d'avoir des enfans, que leurs lois avoient pourvû à ce qu'elle ne fût point ôtée. Ils regardoient cette privation comme un moyen certain de diminuer les ressources d'un peuple, & d'y accroître la débauche. Aussi quand on recevoit un legs à condition de garder le célibat ; lorsqu'un patron faisoit jurer son affranchi qu'il ne se marieroit point, & qu'il n'auroit point d'enfant, la loi Pappienne annulloit chez les Romains & la condition & le serment. Ils avoient conçû que là où le célibat auroit la prééminence, il ne pouvoit guere y avoir d'honneur pour l'état du mariage ; & conséquemment parmi leurs lois, on n'en rencontre aucune qui contienne une abrogation expresse des priviléges & des honneurs qu'ils avoient accordés aux mariages & au nombre des enfans.

Du célibat considéré 3°. eû égard à la société chrétienne. Le culte des dieux demandant une attention continuelle & une pureté de corps & d'ame singuliere, la plûpart des peuples ont été portés à faire du clergé un corps séparé ; ainsi chez les Egyptiens, les Juifs & les Perses, il y eut des familles consacrées au service de la divinité & des temples. Mais on ne pensa pas seulement à éloigner les ecclésiastiques des affaires & du commerce des mondains ; il y eut des religions où l'on prit encore le parti de leur ôter l'embarras d'une famille. On prétend que tel a été particulierement l'esprit du Christianisme, même dans son origine. Nous allons donner une exposition abrégée de sa discipline, afin que le lecteur en puisse juger par lui-même.

Il faut avoüer que la loi du célibat pour les évêques, les prêtres, & les diacres, est aussi ancienne que l'Eglise. Cependant il n'y a point de loi divine écrite qui défende d'ordonner prêtres des personnes mariées, ni aux prêtres de se marier. Jesus-Christ n'en a fait aucun précepte ; ce que S. Paul dit dans ses épîtres à Timothée & à Tite sur la continence des évêques & des diacres, tend seulement à défendre à l'évêque d'avoir plusieurs femmes en même tems ou successivement ; oportet episcopum esse unius uxoris virum. La pratique même des premiers siecles de l'Eglise y est formelle : on ne faisoit nulle difficulté d'ordonner prêtres & évêques des hommes mariés ; il étoit seulement défendu de se marier après la promotion aux ordres, ou de passer à d'autres nôces, après la mort d'une premiere femme. Il y avoit une exception particuliere pour les veuves. On ne peut nier que l'esprit & le voeu de l'Eglise n'ayent été que ses principaux ministres vécussent dans une grande continence, & qu'elle a toûjours travaillé à en établir la loi ; cependant l'usage d'ordonner prêtres des personnes mariées a subsisté & subsiste encore dans l'Eglise Greque, & n'a jamais été positivement improuvé par l'Eglise Latine.

Quelques-uns croyent que le troisieme canon du premier concile de Nicée, impose aux clercs majeurs, c'est-à-dire aux évêques, aux prêtres, & aux diacres, l'obligation du célibat. Mais le P. Alexandre prouve dans une dissertation particuliere, que le concile n'a point prétendu interdire aux clercs le commerce avec les femmes qu'ils avoient épousées avant leur ordination ; qu'il ne s'agit dans le canon objecté que des femmes nommées subintroductae & agapetae, & non des femmes légitimes ; & que ce n'est pas seulement aux clercs majeurs, mais aussi aux clercs inférieurs, que le concile interdit la cohabitation avec les agapetes : d'où ce savant Théologien conclut que c'est le concubinage qu'il leur défend, & non l'usage du mariage légitimement contracté avant l'ordination. Il tire même avantage de l'histoire de Paphenuce si connue, & que d'autres auteurs ne paroissent avoir rejettée comme une fable, que parce qu'elle n'est aucunement favorable au célibat du clergé.

Le concile de Nicée n'a donc, selon toute apparence, parlé que des mariages contractés depuis l'ordination, & du concubinage : mais le neuvieme canon du concile d'Ancyre permet expressément à ceux qu'on ordonneroit diacres, & qui ne seroient pas mariés, de contracter mariage dans la suite, pourvû qu'ils eussent protesté dans le tems de l'ordination, contre l'obligation du célibat. Il est vrai que cette indulgence ne fut étendue ni aux évêques ni aux prêtres, & que le concile de Neocaesarée tenu peu de tems après celui d'Ancyre, prononce formellement, presbyterum, si uxorem acceperit, ab ordine deponendum, quoique le mariage ne fût pas nul, selon la remarque du P. Thomassin. Le concile in Trullo tenu l'an 692, confirma dans son xiij. canon l'usage de l'église greque, & l'église latine n'exigea point au concile de Florence qu'elle y renonçât. Cependant il ne faut pes celer que plusieurs des prêtres Grecs sont moines, & gardent le célibat ; & que l'on oblige ordinairement les patriarches & les évêques de faire profession de la vie monastique, avant que d'être ordonnés. Il est encore à propos de dire qu'en Occident le célibat fut prescrit aux clercs par les decrets des papes Sirice & Innocent ; que celui du premier est de l'an 385, que S. Léon étendit cette loi aux soûdiacres ; que S. Grégoire l'avoit imposée aux diacres de Sicile ; & qu'elle fut confirmée par les conciles d'Elvire sur la fin du IIIe siecle, canon xxxiij. de Tolede, en l'an 400 ; de Carthage, en 419, canon iij. & jv. d'Orange, en 441, canon xxij. & xxiij. d'Arles, en 452 ; de Tours, en 461 ; d'Agde, en 506 ; d'Orléans, en 538 ; par les capitulaires de nos rois, & divers conciles tenus en Occident ; mais principalement par le concile de Trente ; quoique sur les représentations de l'Empereur, du duc de Baviere, des Allemands, & même du roi de France, on n'ait pas laissé d'y proposer le mariage des prêtres, & de le solliciter auprès du pape, après la tenue du concile. Leur célibat avoit eu long-tems auparavant des adversaires : Vigilance & Jovien s'étoient élevés contre sous S. Jérome : Wiclef, les Hussites, les Bohémiens, Luther, Calvin, & les Anglicans, en ont secoüé le joug ; & dans le tems de nos guerres de religion, le cardinal de Chatillon, Spifame évêque de Nevers, & quelques ecclésiastiques du second ordre, oserent se marier publiquement ; mais ces exemples n'eurent point de suite.

Lorsque l'obligation du célibat fut générale dans l'Eglise catholique, ceux d'entre les ecclésiastiques qui la violerent, furent d'abord interdits pour la vie des fonctions de leur ordre, & mis au rang des laïques. Justinien, leg. 45. cod. de episcop. & cler. voulut ensuite que leurs enfans fussent illégitimes, & incapables de succéder & recevoir des legs : enfin il fut ordonné que ces mariages seroient cassés, & les parties mises en pénitence ; d'où l'on voit comment l'infraction est devenue plus grave, à mesure que la loi s'est invétérée. Dans le commencement, s'il arrivoit qu'un prêtre se mariât, il étoit déposé, & le mariage subsistoit ; à la longue, les ordres furent considérés comme un empêchement dirimant au mariage : aujourd'hui un clerc simple tonsuré qui se marie, ne joüit plus des priviléges des ecclésiastiques, pour la jurisdiction & l'exemption des charges publiques. Il est censé avoir renoncé par le mariage à la cléricature & à ses droits. Fleury, Inst. au Droit eccles. tom. I. Anc. & nouv. discipline de l'Eglise du P. Thomassin.

Il s'ensuit de cet historique, dit feu M. l'abbé de S. Pierre, pour parler non en controversiste, mais en simple politique chrétien, & en simple citoyen d'une société chrétienne, que le célibat des prêtres n'est qu'un point de discipline ; qu'il n'est point essentiel à la religion chrétienne ; qu'il n'a jamais été regardé comme un des fondemens du schisme que nous avons avec les Grecs & les Protestans ; qu'il a été libre dans l'Eglise latine : que l'Eglise ayant le pouvoir de changer tous les points de discipline d'institution humaine, si les états de l'église catholique recevoient de grands avantages de rentrer dans cette ancienne liberté, sans en recevoir aucun dommage effectif, il seroit à souhaiter que cela fût ; & que la question de ces avantages est moins théologique que politique, regarde plus les souverains que l'Eglise, qui n'aura plus qu'à prononcer.

Mais y a-t-il des avantages à restituer les ecclésiastiques dans l'ancienne liberté du mariage ? C'est un fait dont le Czar fut tellement frappé, lorsqu'il parcourut la France incognito, qu'il ne concevoit pas que dans un état où il rencontroit de si bonnes lois & de si sages établissemens, on y eût laissé subsister depuis tant de siecles une pratique, qui d'un côté n'importoit en rien à la religion, & qui de l'autre préjudicioit si fort à la société chrétienne. Nous ne déciderons point si l'étonnement du Czar étoit bien fondé ; mais il n'est pas inutile d'analyser les mémoires de M. l'abbé de S. Pierre, & o'est ce que nous allons faire.

Avantages du mariage des prêtres, 1°. Si quarante mille curés avoient en France quatre-vingt mille enfans, ces enfans étant sans contredit mieux élevés, l'état y gagneroit des sujets & d'honnêtes gens, & l'Eglise des fideles. 2°. Les ecclésiastiques étant par leur état meilleurs maris que les autres hommes, il y auroit quarante mille femmes plus heureuses & plus vertueuses. 3°. Il n'y a guere d'hommes pour qui le célibat ne soit difficile à observer ; d'où il peut arriver que l'Eglise souffre un grand scandale par un prêtre qui manque à la continence, tandis qu'il ne revient aucune utilité aux autres Chrétiens de celui qui vit continent. 4°. Un prêtre ne mériteroit guere moins devant Dieu en supportant les défauts de sa femme & de ses enfans, qu'en résistant aux tentations de la chair. 5°. Les embarras du mariage sont utiles à celui qui les supporte ; & les difficultés du célibat ne le sont à personne. 6°. Le curé pere de famille vertueux, seroit utile à plus de monde que celui qui pratique le célibat. 7°. Quelques ecclésiastiques pour qui l'observation du célibat est très-pénible, ne croiroient pas avoir satisfait à tout, quand ils n'ont rien à se reprocher de ce côté. 8°. Cent mille prêtres mariés formeroient cent mille familles ; ce qui donneroit plus de dix mille habitans de plus par an ; quand on n'en compteroit que cinq mille, ce calcul produiroit encore un million de François en deux cent ans. D'où il s'ensuit que sans le célibat des prêtres, on auroit aujourd'hui quatre millions de Catholiques de plus, à prendre seulement depuis François I. ce qui formeroit une somme considérable d'argent ; s'il est vrai, ainsi qu'un Anglois l'a supputé, qu'un homme vaut à l'état plus de neuf livres sterlins. 9°. Les maisons nobles trouveroient dans les familles des évêques, des rejettons qui prolongeroient leur durée, &c. Voyez les ouvrages politiq. de M. l'abbé de S. Pierre, tom. II. p. 146.

Moyens de rendre aux ecclésiastiques la liberté du mariage. Il faudroit 1°. former une compagnie qui méditât sur les obstacles & qui travaillât à les lever. 2°. Négocier avec les princes de la communion Romaine, & former avec eux une confédération. 3°. Négocier avec la cour de Rome ; car M. l'abbé de S. Pierre prétend qu'il vaut mieux user de l'intervention du pape, que de l'autorité d'un concile national ; quoique, selon lui, le concile national abrégeât sans-doute les procédures, & que selon bien des théologiens, ce tribunal fût suffisant pour une affaire de cette nature. Voici maintenant les objections que M. l'abbé de S. Pierre se propose lui-même contre son projet, avec les réponses qu'il y fait.

Premiere objection. Les évêques d'Italie pourroient donc être mariés, comme S. Ambroise ; & les cardinaux & le pape, comme S. Pierre.

REPONSE. Assûrément : M. l'abbé de S. Pierre ne voit ni mal à suivre ces exemples, ni inconvénient à ce que le pape & les cardinaux ayent d'honnêtes femmes, des enfans vertueux, & une famille bien reglée.

Seconde objection. Le peuple a une vénération d'habitude pour ceux qui gardent le célibat, & qu'il est à propos qu'il conserve.

REPONSE. Ceux d'entre les pasteurs Hollandois & Anglois qui sont vertueux, n'en sont pas moins respectés du peuple, pour être mariés.

Troisieme objection. Les prêtres ont dans le célibat plus de tems à donner aux fonctions de leur état, qu'ils n'en auroient sous le mariage.

REPONSE. Les ministres Protestans trouvent fort bien le tems d'avoir des enfans, de les élever, de gouverner leur famille, & de veiller sur leur paroisse. Ce seroit offenser nos ecclésiastiques, que de n'en pas présumer autant d'eux.

Quatrieme objection. De jeunes curés de trente ans auront cinq à six enfans ; quelquefois peu d'acquit pour leur état, peu de fortune, & par conséquent beaucoup d'embarras.

REPONSE. Celui qui se présente aux ordres, est reconnu pour homme sage & habile ; il est obligé d'avoir un patrimoine ; il aura son bénéfice, la dot de sa femme peut être honnête. Il est d'expérience que ceux d'entre les curés qui retirent des parens pauvres, n'en sont pas pour cela plus à charge à l'Eglise ou à leur paroisse. D'ailleurs quelle nécessité qu'une partie des ecclésiastiques vive dans l'opulence, tandis que l'autre languit dans la misere ? Ne seroit-il pas possible d'imaginer une meilleure distribution des revenus ecclésiastiques ?

Cinquieme objection. Le concile de Trente regarde le célibat comme un état plus parfait que le mariage.

REPONSE. Il y a des équivoques à éviter dans les mots d'état, de parfait, d'obligation : pourquoi vouloir qu'un prêtre soit plus parfait que S. Pierre ? l'objection prouve trop, & par conséquent ne prouve rien. La these, dit M. l'abbé de S. Pierre, est purement politique, & consiste en trois propositions : 1°. Le célibat est de pure discipline ecclésiastique que l'Eglise peut changer ; 2°. Il seroit avantageux aux états Catholiques Romains que cette discipline fût changée ; 3°. En attendant un concile national ou général, il est convenable que la cour de Rome reçoive pour l'expédition de la dispense du célibat, une somme marquée payable par ceux qui la demanderont.

Tel est le système de M. l'abbé de S. Pierre que nous exposons, parce que le plan de notre ouvrage l'exige, & dont nous abandonnons le jugement à ceux à qui il appartient de juger de ces objets importans. Mais nous ne pouvons nous dispenser de remarquer en passant, que ce philosophe citoyen ne s'est proposé que dans une édition de Hollande faite sur une mauvaise copie, une objection qui se présente très-naturellement, & qui n'est pas une des moins importantes : c'est l'inconvénient des bénéfices rendus héréditaires ; inconvénient qui ne se fait déjà que trop sentir, & qui deviendroit bien plus général. Quoi donc faudra-t-il anéantir toute résignation & coadjutorerie, & renvoyer aux supérieurs la collation de tous les bénéfices ? Cela ne seroit peut-être pas plus mal ; & un évêque qui connoît son diocese & les bons sujets, est bien autant en état de nommer à une place vacante, qu'un ecclésiastique moribond, obsédé par une foule de parens ou d'amis intéressés : combien de simonies & de procès scandaleux prévenus !

Il nous resteroit pour complete r cet article, à parler du célibat monastique : mais nous nous contenterons d'observer avec le célebre M. Melon, 1°. qu'il y auroit un avantage infini pour la société & pour les particuliers, que le prince usât strictement du pouvoir qu'il a de faire observer la loi qui défendroit l'état monastique avant l'âge de vingt-cinq ans ; ou, pour me servir de l'idée & de l'expression de M. Melon, qui ne permettroit pas d'aliéner sa liberté avant l'âge où l'on peut aliéner son bien. Voyez le reste aux articles MARIAGE, MOINE, VIRGINITE, VOEUX, &c. 2°. Nous ajoûterons avec un auteur moderne, qu'on ne peut ni trop lire, ni trop loüer, que le célibat pourroit devenir nuisible à proportion que le corps des célibataires seroit trop étendu, & que par conséquent celui des laïques ne le seroit pas assez. 3°. Que les lois humaines faites pour parler à l'esprit, doivent donner des préceptes & point de conseils, & que la religion faite pour parler au coeur, doit donner beaucoup de conseils, & peu de préceptes : que quand, par exemple, elle donne des regles, non pour le bien, mais pour le meilleur ; non pour ce qui est bon, mais pour ce qui est parfait ; il est convenable que ce soient des conseils, & non pas des lois ; car la perfection ne regarde pas l'universalité des hommes ni des choses : que de plus, si ce sont des lois, il en faudra une infinité d'autres pour faire observer les premieres : que l'expérience a confirmé ces principes ; que quand le célibat qui n'étoit qu'un conseil dans le Christianisme y devint une loi expresse pour un certain ordre de citoyens, il en fallut chaque jour de nouvelles pour reduire les hommes à l'observation de celles-ci ; & conséquemment, que le législateur se fatigua & fatigua la société, pour faire exécuter aux hommes par précepte, ce que ceux qui aiment la perfection auroient exécuté d'eux-mêmes comme conseil. 4°. Que par la nature de l'entendement humain, nous aimons en fait de religion tout ce qui suppose un effort, comme en matiere de morale nous aimons spéculativement tout ce qui porte le caractere de sévérité ; & qu'ainsi le célibat a dû être, comme il est arrivé, plus agréable aux peuples à qui il sembloit convenir le moins, & pour qui il pouvoit avoir de plus fâcheuses suites ; être retenu dans les contrées méridionales de l'Europe, où par la nature du climat, il étoit plus difficile à observer ; être prescrit dans les pays du Nord, où les passions sont moins vives ; être admis où il y a peu d'habitans, & être rejetté dans les endroits où il y en a beaucoup.

Ces observations sont si belles & si vraies, qu'elles ne peuvent se répéter en trop d'endroits. Je les ai tirées de l'excellent ouvrage de M. le président de M.... ; ce qui précéde est ou de M. Fleuri, ou du pere Alexandre, ou du pere Thomassin ; ajoûtez à cela ce que les Mémoires de l'académie des Inscriptions & les ouvrages politiques de M. l'abbé de S. Pierre & de M. Melon m'ont fourni, & à peine me restera-t-il de cet article que quelques phrases, encore sont-elles tirées d'un ouvrage dont on peut voir l'éloge dans le Journal de Trévoux, an. 1746. Fév. Malgré ces autorités, je ne serois pas étonné qu'il trouvât des critiques & des contradicteurs : mais il pourroit arriver aussi que de même qu'au concile de Trente, ce furent, à ce qu'on dit, les jeunes ecclésiastiques qui rejetterent le plus opiniâtrement la proposition du mariage des prêtres, ce soient ceux d'entre les célibat aires qui ont le plus besoin de femmes, & qui ont le moins lû les auteurs que je viens de citer, qui en blâmeront le plus hautement les principes.


CELICOLESS. m. pl. c'est-à-dire adorateurs du ciel ; (Hist. ecclés.) certains hérétiques que l'empereur Honorius, par des rescrits particuliers, condamna vers l'an 408 avec les payens & les hérétiques. Comme ils sont mis dans le code Théodosien sous le titre des Juifs, on croit qu'ils étoient des apostats, lesquels de la religion Chrétienne étoient passés dans le Judaïsme, sans en prendre le nom, qu'ils savoient être odieux à tout le monde. Ils n'étoient pas pourtant soûmis au pontife des Juifs : mais ils avoient des supérieurs qu'ils nommoient majeurs ; & sans-doute ils devoient avoir aussi des erreurs particulieres. Les Juifs avoient aussi été appellés célicoles, parce que quelques-uns d'entr'eux étant tombés dans l'idolatrie du tems des prophetes, ils adoroient les astres du ciel & les anges. C'est pour cela que S. Jérôme donne dans ce sentiment, étant consulté par Algasie sur le passage de S. Paul aux Colossiens, c. ij. v. 18, Que personne ne nous séduise, en affectant de paroître humble, par un culte superstitieux des anges. Il répond que l'apôtre veut parler de cette erreur des Juifs, & prouve qu'elle étoit ancienne parmi eux, & que les prophetes l'avoient condamnée. Clément Alexandrin reproche les mêmes erreurs aux Juifs, & S. Epiphane dit que les Pharisiens croyent que les cieux étoient animés, & les considéroient comme le corps des anges. l. XII. cod. Theod. v. 16. c. Just. de just. & coelic. Baronius ; A. C. 408. Deuteronom. c. xvj. v. 3. IV. Liv. des Rois, c. xvij. v. 16. c. xxj. v. 3. & 5. &c. S. Jérôme, ep. 151. qu. 10. Clément Alexandrin, lib. VI. des Tapiss. S. Epiphane, lib. I. paneg. c. xvj. (G)


CELL(Géog.) petite riviere d'Allemagne, en Soüabe, qui se jette dans le Danube.

CELL, (Géog.) petite ville d'Allemagne, dans l'électorat de Treves, sur la Moselle.


CELLAMARE(Géog.) petit pays d'Italie, au royaume de Naples.


CELLERAGES. m. (Jurisprud.) droit seigneurial qui se leve sur le vin lorsqu'il est dans le cellier. En quelques endroits on l'appelle chantelage, à cause des chantiers sur lesquels on place les tonneaux & pieces de vin dans les caves & celliers. Dictionn. de Commerce. (G)


CELLERFELD(Géog.) ville d'Allemagne, dans le Hartz, sur la riviere d'Inner, près de Goslar, remarquable par ses fonderies & ses mines.


CELLERIERS. m. (terme d'office dans les ordres monastiques) c'est un religieux qui prend soin du temporel de l'abbaye, & qui a sous lui d'autres officiers qui partagent ses fonctions. Voyez DISH.


CELLEou SELLES en Berry, (Géog.) ville & abbaye de France, aux confins du Blaisois, sur le Cher. Long. 19. 15. lat. 47. 15.


CELLIERsub. m. (en Architecture) c'est un lieu voûté dans l'étage soûterrain, composé de plusieurs caves, qui étant destinées à serrer le vin, se nomme cellier, du Latin cella vinaria.

On entend par cellier plus communément un lieu moitié sous terre & moitié hors de terre, qui n'est point voûté, mais qui est formé par un plancher avec solives apparentes, & sert indistinctement à divers usages ; en Latin cellarium. (P)


CELLITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que l'on donne aux religieux d'un ordre dont il y a des maisons, sur-tout en Allemagne & dans les Pays-Bas. Leur fondateur étoit un Romain nommé Meccio, c'est pourquoi les Italiens les appellent Mecciens. Ils suivent la regle de S. Augustin, & leur institut fut approuvé par le pape Pie II. qui leur accorda une bulle. Ils s'occupent à soigner les infirmes, sur tout ceux qui sont attaqués des maladies contagieuses, comme la peste, &c. à enterrer les morts, & à servir les fous : ils ont beaucoup de rapport à nos Freres de la Charité.


CELLULAIREadj. (en Anatomie) se dit d'un tissu composé de plusieurs loges plus ou moins distinctes, qui paroît séparer toutes les parties du corps humain jusque dans leurs plus petits élémens. Voyez ÉLEMENT.

Le tissu cellulaire est composé de fibres & de lames toutes solides, sans cavité, & qui ne sont point vasculeuses, quoiqu'il soit coloré par les vaisseaux qui s'y distribuent. Voici quelles sont ses variétés principales : dans un endroit il est lâche, composé de lames longues & distinctes les unes des autres ; dans un autre il est mince, composé de fibres courtes ; il est très-court entre la sclérotique & la choroïde ; entre la membrane arachnoïde du cerveau & la pie-mere, il est délicat, mais cependant plus sensible entre chacune des deux membranes voisines des intestins, de l'estomac, de la vessie, des ureteres, sous la peau de la verge, du front, dans le poumon où on l'appelle vésicule. Celui qui sous le nom de gaîne suit la distribution des vaisseaux dans les visceres, & sur-tout dans le foie & dans les poumons, est encore composé de fibres plus longues ; son usage principal est de réunir les membranes & les fibres voisines, en leur laissant toutefois la liberté de se mouvoir suivant leur destination. Ce tissu cellulaire ne contient presque jamais de graisse : mais il est arrosé par une vapeur aqueuse, gélatineuse, & graisseuse, qui s'exhale des arteres, & qui est reprise par les veines. On s'assûre de ce fait par une injection faite avec l'eau, la colle de poisson, & l'huile, dans toutes les parties du corps. Cette vapeur étant détruite, les fibrilles se réunissent ; les membranes voisines s'irritent avec perte de mouvement. Le tissu cellulaire qui sépare les fibres musculaires & les distingue jusque dans leurs derniers élémens, est lâche & paroît plûtôt composé de petites lames que de fibres. Le tissu cellulaire qui accompagne librement les vaisseaux & les enchaîne, & celui qui se trouve dans les cavités des os, & qui est composé pareillement de lames osseuses & membraneuses, sont un peu plus lâches ; & enfin le tissu cellulaire placé sur la superficie du corps entre les muscles & la peau, est le plus lâche de tous. Les petites aires vuides de ce tissu sont d'abord presque toutes remplies dans le foetus d'une humeur gélatineuse, & à mesure que le corps croît, elles se remplissent d'une graisse grumeleuse, qui enfin se réunit en masse liquide, insipide, inflammable, qui exposée à l'air froid prend quelque consistance, & se coagule. Elle se trouve sur-tout aux environs des reins des animaux qui vivent des végétaux ; & elle est en moindre quantité dans d'autres parties, dans les animaux qui vivent de chair, pendant la vie desquels ce liquide approche plus de la nature du fluide.

Les vaisseaux sanguins rampent & se divisent partout dans le tissu cellulaire, & les extrémités des artérioles y déposent de la graisse, qui est repompée par les veines ; le chemin des arteres aux cellules adipeuses est si proche & si facile, qu'il est nécessaire qu'il y ait de plus grandes ouvertures par où puissent être introduits le mercure, l'air, l'eau, l'humeur gélatineuse & l'huile, qui dans l'animal vivant est toûjours dans l'inaction. Cette graisse n'est pas séparée par quelque long conduit particulier : mais elle découle de toute part dans toute l'étendue de l'artere, desorte qu'il ne se trouve aucune partie du tissu cellulaire qui l'environne, qui ne soit humectée. Lorsqu'on remplit l'artere d'eau, il s'en sait promtement un amas, comme on peut l'observer dans l'embonpoint que l'on reprend en peu de tems après les maladies aiguës : mais nous savons qu'elle est repompée par les veines au moyen du mouvement musculaire, qui est si propre à diminuer la graisse, sur-tout dans les animaux dans lesquels elle se trouve en trop grande quantité, comme on le voit par les fievres qui consument la graisse, par la guérison de l'hydropisie, dans laquelle l'eau est répandue dans le tissu cellulaire & par le canal des intestins, comme si elle en avoit été repompée ; & enfin, par l'écoulement qui se fait à-travers la veine, après qu'on l'a remplie d'une injection d'huile ou d'eau. Les nerfs se distribuent-ils dans les cellules adipeuses ? Il est certain qu'ils y passent & qu'ils s'y distribuent partout en des filamens si petits, qu'il n'est pas possible de les suivre plus loin par la dissection. Mais pourquoi, demande-t-on, la graisse est-elle insensible ?

Les intervalles des lames du tissu cellulaire sont ouverts de tous côtés, & les cellules communiquent toutes les unes avec les autres, dans toutes les parties du corps : c'est ce que nous font voir les Bouchers qui, en insinuant de l'air par une ouverture faite à la peau, la boursoufflent dans toute l'étendue du corps ; l'emphysème par lequel l'air s'introduit par les crevasses de la peau, & après s'y être arrêté, occasionne un boursoufflement général dans toute la circonférence du corps, & enfin les maladies dans lesquelles tout ce tissu cellulaire est rempli d'eau ; le hasard, qui nous a fait voir que l'air s'est introduit dans l'humeur vitiée, même à la suite d'un emphysème. La maladie dans laquelle l'humeur gélatineuse de l'hydropisie s'est répandue dans les corps caverneux de la verge, démontre qu'aucune partie de ce tissu n'en est exceptée. On reconnoîtra l'importance de ce tissu, si l'on fait attention que c'est de lui que dépend la fermeté & la solidité naturelle de toutes les arteres, des nerfs, des fibres musculaires, & par conséquent celles des chairs & des visceres qui en sont composés ; & de plus la configuration des parties & les plis, les cellules, les courbures, viennent du seul tissu cellulaire, plus lâche dans certaines parties, & plus serré dans d'autres ; il compose tous les visceres, tous les muscles, les glandes, les ligamens & les capsules de concert avec les vaisseaux, les nerfs, les fibres musculaires & tendineuses, dans la composition desquelles il entre néanmoins en grande partie, puisqu'il est certain que c'est à lui seul, c'est-à-dire à sa différente longueur, à son plus ou moins de tension, à sa plus ou moins grande quantité, & à proportion, qu'on doit rapporter la diversité des glandes & des visceres : enfin la plus grande partie du corps en émane ; car le corps n'est pas entierement composé de filamens cellulaires. La graisse a différens usages ; elle facilite le mouvement des muscles, en diminue le frottement, les empêche de devenir roides ; elle remplit l'espace qui se trouve entre les muscles, & les parties voisines des visceres, desorte qu'elle cede lorsqu'ils sont en mouvement, & qu'elle soûtient les parties qui sont dans l'inaction ; elle accompagne les vaisseaux & les garantit ; elle étend également la peau, lui sert de coussin, & pare sa beauté ; peut-être même se mêle-t-elle avec les autres liqueurs pour tremper leur acrimonie ; elle est la principale matiere de la bile ; elle suinte des os au-travers les couches cartilagineuses, & se mêle avec la synovie ; elle s'exhale du mésentere, du mesocolon, de l'épiploon, autour des reins ; elle enduit pendant la vie la superficie des visceres d'une vapeur molle : & enfin, se plaçant entre les parties, elle s'oppose à leur concrétion. Haller, Physiol. Voyez GRAISSE. (L)


CELLULES. f. (Hist. ecclés.) petite maison, chambre ou appartement qu'habitent les moines & les religieux : ce mot ne se dit proprement que des chambres des monasteres.

Quelques auteurs le dérivent du mot Hébreu , prison, ou lieu destiné à renfermer quelque chose. On dit qu'un dortoir est divisé en vingt, trente, quarante cellules. Voyez DORTOIR.

Les chartreux ont pour cellule chacun une maison séparée, composée de plusieurs pieces, & accompagnée d'un jardin. Voyez CHARTREUX.

La salle où se tient le conclave est divisée par des cloisons en plusieurs cellules occupées par les cardinaux. Voyez CONCLAVE. (G)

CELLULES adipeuses, terme d'Anatomie, sont les petites loges ou capsules qui contiennent la graisse dans un corps qui a de l'embonpoint. Voyez GRAISSE & ADIPEUX.

Elles s'observent dans toutes les parties du corps, dans ceux qui sont amaigris : ces cellules, n'étant point remplies de graisse ressemblent à une membrane flasque & transparente. V. GRAISSE & CELLULAIRE. (L)


CELOCESS. m. (Hist. anc.) vaisseaux sans pont, ou plûtôt petites barques qui n'ont point à la proue ces éperons appellés rostra, dont on frappoit dans le combat les vaisseaux ennemis pour les percer & les couler à fond. Elles alloient à deux rames ou plus. On apperçut, dit Tite-live, xxxvij. 27. que c'étoient des bâtimens propres à la piraterie, des celoces & des lembes, voyez LEMBE, qui voyant de loin la flotte, prirent la fuite. Ils la surpasserent en vîtesse, parce qu'ils étoient legers, & faits exprès pour la course. Le celoce passe pour être de l'invention des Rhodiens.


CELORICou SELERICO, (Géog.) petite ville du royaume de Portugal, dans la province de Beira, sur le Mondego.


CELTE(Philosophie des). Sous ce nom il faut comprendre non-seulement les philosophes Gaulois, mais encore tous ceux qui ont anciennement fleuri en Europe, soit dans les îles Britanniques, soit parmi les Germains & les Iberes, soit dans l'Italie. Burnet, dans ses Origines philosophiques, dit qu'il est fort vraisemblable que les Germains & les Bretons insulaires, ont eu des druides, moins savans peut-être, & moins respectés que ceux des Gaulois, mais au fond imbus de la même doctrine, & se servant de la même méthode pour la faire connoître.

L'histoire de la philosophie des Celtes ne nous offre rien de certain ; & cette obscurité qui la couvre, n'a rien de surprenant ; tant les tems où elle se cache sont éloignés de notre âge, & de celui même des anciens Romains. Nous ne trouvons rien, soit dans nos moeurs & nos usages, soit dans le témoignage des auteurs Latins, qui puisse fixer nos doutes sur ce qui regarde ces peuples. Ce qui pourroit nous procurer des connoissances certaines, & nous instruire de leur religion, ce seroit les écrits ou autres monumens domestiques qu'ils nous auroient laissés : mais tout cela nous manque, soit que le tems les ait détruits entierement, soit qu'ils ayent voulu les dérober à ceux qui n'étoient pas initiés dans leurs mysteres, soit enfin, ce qui est le plus vraisemblable, qu'ils n'écrivissent point leurs dogmes, & qu'ils fussent dans l'usage de les transmettre par le canal de la tradition orale & vivante. Les fables qui défigurent leur histoire, & qui ont été compilées par Solin, Pline, Pomponius Mela, Aulu-gelle, Hérodote, & Strabon, montrent assez quel fond nous devons faire sur les écrivains, tant Grecs que Latins, qui se sont mêlés de l'écrire. César lui-même, vainqueur des Gaules, tout curieux observateur qu'il étoit des moeurs & des usages des nations qu'il avoit vaincues, ne nous dit que très-peu de choses des Celtes, & encore le peu qu'il en dit est-il noyé dans un amas de fables. D'ailleurs, ce qui a contribué beaucoup à répandre de l'obscurité sur cette histoire, c'est le mêlange de tous ces peuples, auxquels on donnoit le nom de Celtes, avec les différentes nations qu'ils étoient à portée de connoître ; par-là s'introduisit nécessairement dans leurs moeurs & dans leurs dogmes, une variété étonnante. Par exemple, du tems de César & de Tacite, les Gaulois différoient beaucoup des Germains, quoiqu'ils eussent une même origine. Les Germains étoient extrèmement grossiers en comparaison des Gaulois, qui, au rapport de Justin, avoient adouci leurs moeurs par le commerce des Grecs, qui étoient venus s'établir à Marseille, & avoient versé chez eux quelque teinture de cette politesse qui leur étoit comme naturelle. Les Grecs & les Latins n'ont bien connu que les derniers tems de l'histoire des Celtes ; & l'on peut dire que les premiers ont été pour eux couverts de nuages.

Quand nous parlons des Celtes, il ne faut pas se représenter des peuples polis à la maniere des Grecs & des Romains, & cultivant avec le même soin les Arts & les Sciences. Cette nation étoit plus guerriere que savante, & plus exercée à chasser dans ses vastes forêts ; qu'à disserter avec subtilité sur des questions métaphysiques. Ce qui caractérise principalement cette nation, c'est qu'elle avoit une excellente morale, & que par-là du-moins elle étoit préférable aux Grecs & aux Latins, dont le talent dangereux étoit d'obscurcir les choses les plus claires à force de subtilités. Son mépris pour les Sciences n'étoit pourtant pas si exclusif, qu'elle n'eût aussi des savans & des sages, qui étoient jaloux de répandre au loin leur philosophie, quoique sous une forme différente de celle des Grecs & des Romains. Ces savans & ces sages s'appelloient druides, nom fameux dans l'antiquité, mais très-obscur quant à son origine. L'opinion la plus probable dérive ce nom du mot chêne ; parce que, selon la tradition constante, les druides tenoient leurs assemblées dans un lieu planté de chênes, & qu'ils avoient beaucoup de vénération pour cette espece d'arbre qu'ils regardoient comme sacré. La conformité de leur doctrine avec celle des Mages & des Perses, des Chaldéens de Babylone, des Gymnosophistes des Indes, prouve qu'ils ont été en relation avec ces philosophes.

On ne peut mieux connoître quelles étoient les fonctions, l'autorité, & la maniere d'enseigner des druides, que par ce qu'on en lit dans les commentaires de Jules César. " Les druides, nous dit ce général instruit, président aux choses divines, reglent les sacrifices tant publics que particuliers, interpretent les augures & les aruspices. Le concours des jeunes gens qui se rendent auprès d'eux pour s'instruire, est prodigieux ; rien n'égale le respect qu'ils ont pour leurs maîtres. Ils se rendent arbitres dans presque toutes les affaires soit publiques, soit privées ; & si quelque meurtre a été commis, s'il s'éleve quelque dispute sur un héritage, sur les bornes des terres, ce sont eux qui reglent tout ; ils décernent les peines & les récompenses. Ils interdisent les sacrifices, tant aux particuliers qu'aux personnes publiques, lorsqu'ils ont la témérité de s'élever contre leurs decrets : cette interdiction passe chez ces peuples pour une peine très-grave ; ceux sur qui elle tombe sont mis au nombre des impies & des scélérats. Tout le monde les fuit & évite leur rencontre avec autant de soin que s'ils étoient des pestiférés. Tout accès aux honneurs leur est fermé, & ils sont dépouillés de tous les droits de citoyens. Tous les druides reconnoissent un chef, qui exerce sur eux une grande autorité. Si après sa mort il se trouve quelqu'un parmi eux qui ait un mérite éminent, il lui succede : mais s'il y a plusieurs contendans, c'est le suffrage des druides qui décide de l'élection ; il arrive même que les brigues sont quelquefois si violentes & si impétueuses, qu'on a recours à la voie des armes. Dans un certain tems de l'année, ils s'assemblent près des confins du pays chartrain situé au milieu de la Gaule, dans un lieu consacré, où se rendent de toutes parts ceux qui sont en litige ; & là leurs décisions sont écoutées avec respect. Les druides sont exempts d'aller à la guerre, de payer aucun tribut : en un mot ils joüissent de tous les droits du peuple sans partager avec lui les charges de l'état. Ce sont des priviléges qui engagent un grand nombre de personnes à se mettre sous leur discipline, & les parens à y soûmettre leurs enfans. On dit qu'on charge leur mémoire d'un grand nombre de vers qu'ils sont obligés d'apprendre avant d'être incorporés au corps des druides ; c'est ce qui fait que quelques-uns, avant que d'être initiés, demeurent vingt ans sous la discipline. Quoiqu'ils soient dans l'usage de se servir de l'écriture qu'ils ont apprise des Grecs, tant dans les affaires civiles que politiques, ils croiroient faire un grand crime s'ils l'employent dans les choses de religion ". On voit par ce long morceau que je viens de transcrire, que les druides avoient une grande influence dans toutes les délibérations de l'état ; qu'ils avoient trouvé le moyen d'attirer à eux la plus grande partie du gouvernement, laissant au prince qui vivoit sous leur tutele, le seul droit de commander à la guerre. La tyrannie de ces prêtres ne pouvoit être que funeste à la puissance royale : car je suppose qu'un roi s'échappant de leur tutele, eût eu assez de force dans l'esprit pour gouverner par lui-même sans daigner les consulter ; il est évident qu'ils pouvoient lui interdire les sacrifices, lancer contre lui l'anathème de la religion, soûlever l'esprit de leurs disciples aveuglément dociles à leurs leçons, les menacer du courroux de leurs dieux, s'ils ne respectoient pas l'excommunication dont ils l'avoient frappé. Dans les druides je ne vois pas des philosophes, mais des imposteurs, qui uniquement occupés de leur intérêt, de leur gloire, & de leur réputation, travailloient à asservir leur imbécille nation sous le joug d'une honteuse ignorance. Si l'on en croit les anciens écrivains, ces prétendus philosophes étoient vêtus magnifiquement, & portoient des colliers d'or. Le luxe dans lequel ils vivoient faisoit tout leur mérite, & leur avoit acquis parmi les Gaulois une grande autorité.

Les druides étoient partagés en plusieurs classes : il y avoit parmi eux, selon Ammien Marcellin, les Bardes, les Eubages, & ceux qui retenoient proprement le nom de Druides. Les Bardes s'occupoient à mettre en vers les grandes actions de leurs héros, & les chantoient sur des instrumens de musique. Les Eubages abysmés dans la contemplation de la nature, s'occupoient à en découvrir les secrets. Mais ceux qu'on appelloit druides par excellence ; joignoient à l'étude de la nature la science de la morale, & l'art de gouverner les hommes. Ils avoient une double doctrine ; l'une pour le peuple, & qui étoit par conséquent publique ; l'autre pour ceux qu'ils instruisoient en particulier, & qui étoit secrette. Dans la premiere, ils exposoient au peuple ce qui concernoit les sacrifices, le culte de la religion, les augures, & toutes les especes de divinations : ils avoient soin de ne publier de leur doctrine que ce qui pouvoit exciter à la vertu, & fortifier contre la crainte de la mort. Pour la doctrine qu'ils enseignoient à ceux qu'ils initioient dans leurs mysteres, il n'est pas possible de la deviner : c'eût été la profaner que de la rendre intelligible à ceux qui n'avoient pas l'honneur d'être adeptes ; & pour inspirer à leurs disciples je ne sai quelle horreur sacrée pour leurs dogmes, ce n'étoit pas dans les villes ni en pleine campagne qu'ils tenoient leurs assemblées savantes, mais dans le silence de la solitude, & dans l'endroit le plus caché de leurs sombres forêts : aussi leurs dogmes étoient-ils des mysteres impénétrables pour tous ceux qui n'y étoient pas admis. C'est ce que Lucain a exprimé d'une maniere si énergique par ces vers :

Solis nosse deos, & coeli numina vobis,

Aut solis nescire datum : nemora alta remotis

Incolitis lucis.

Après cela est-il surprenant que les Grecs & les Romains ayent avoüé leur ignorance profonde sur les dogmes cachés des druides ? Le seul de ces dogmes qui ait transpiré, & qui ait percé les sombres voiles sous lesquels ils enveloppoient leur doctrine, c'est celui de l'immortalité de l'ame. On savoit bien en général que leurs instructions secrettes rouloient sur l'origine & la grandeur du monde, sur la nature des choses, sur l'immortalité & la puissance des dieux : mais ce qu'ils pensoient sur tous ces points, étoit absolument ignoré. En divulgant le dogme de l'immortalité des esprits, leur intention étoit, selon Pomponius Mela, d'animer le courage de leurs compatriotes, & de leur inspirer le mépris de la mort, quand il s'agiroit de remplir leur devoir.

Les Celtes étoient plongés dans l'idolatrie ainsi que les autres peuples de la terre. Les druides leurs prêtres, dont les idées sur la divinité étoient sans-doute plus épurées que celles du peuple, les nourrissoient dans cette folle superstition. C'est un reproche qu'on peut faire à tous les législateurs. Au lieu de détromper le peuple sur cette multitude de dieux qui s'accorde si mal avec la saine raison, ils s'appliquoient au contraire à fortifier cette erreur dans les esprits grossiers, prévenus de cette fausse maxime, qu'on ne peut introduire le changement dans la religion d'un pays, quand même ce seroit pour la réformer, qu'on n'y excite des séditions capables d'ébranler l'état jusque dans ses plus fermes fondemens. Les dieux qu'adoroient les Celtes étoient Theutates, Hesus, & Taranès. Si l'on en croit les Romains, c'étoit Mercure qu'ils adoroient sous le nom de Theutates, Mars sous celui d'Hesus, & Jupiter sous celui de Taranès. Ce sentiment est combattu par de savans modernes, les uns voulant que Theutates ait été la premiere divinité des Celtes ; les autres attribuant cet honneur à Hesus ; dans lequel cas Theutates ne seroit plus le Mercure des Romains ; ni Hesus leur dieu Mars, puisque ni l'un ni l'autre n'a été chez les Romains la principale divinité. Quoi qu'il en soit de cette diversité d'opinions, qui par elles-mêmes n'intéressent guere, nous sommes assûrés par le témoignage de toute l'antiquité, que la barbare coûtume de teindre de sang humain les autels de ces trois dieux, s'étoit introduite de tout tems chez les Celtes, & que les druides étoient les prêtres qui égorgeoient en l'honneur de ces dieux infames des victimes humaines. Voici comme Lucain parle de ces sacrifices.

Quibus immitis placatur sanguine diro

Theutates, horrensque feris altaribus Hesus,

Et Tanaris Scythicae non mitior ara Dianae.

S'il est permis de se livrer à des conjectures où la certitude manque, nous croyons pouvoir avancer que l'opinion de cette ame universelle qui se répand dans toutes les parties du monde & qui en est la divinité (opinion qui a infecté presque tout l'univers), avoit pénétré jusque chez les Gaulois. En effet, le culte qu'ils rendoient aux astres, aux arbres, aux pierres, aux fontaines, en un mot à toutes les parties de cet univers ; l'opinion ridicule où ils étoient que les pierres mêmes rendoient des oracles ; le mépris & l'horreur qu'ils avoient pour les images & les statues des dieux : toutes ces choses réunies prouvent évidemment qu'ils regardoient le monde comme étant animé par la divinité dans toutes ses parties. C'est donc bien inutilement que quelques modernes ont voulu nous persuader, après se l'être persuadé à eux-mêmes, que les premiers Gaulois avoient une idée saine de la divinité ; idée qui ne s'étoit altérée & corrompue que par leur commerce avec les autres nations. Après cela je ne vois pas surquoi tombe le reproche injurieux qu'on fait aux anciens Celtes d'avoir été des athées : ils ont été bien plûtôt superstitieux qu'athées. Si les Romains les ont regardés comme les ennemis des dieux ; ce n'est que parce qu'ils refusoient d'adorer la divinité dans des statues fabriquées de la main des hommes. Ils n'avoient point des temples comme les Romains, parce qu'ils ne croyoient pas qu'on pût y renfermer la divinité. Tout l'univers étoit pour eux un temple, ou plûtôt la divinité se peignoit à eux dans tous les êtres qui le composent. Ce n'est pas qu'ils n'eussent des lieux affectés, comme les bois les plus sombres & les plus reculés, pour y adorer d'une maniere particuliere la divinité. Ces lieux étoient propres à frapper d'une sainte horreur les peuples, qui se représentoient quelque chose de terrible, appellant Dieu ce qu'ils ne voyoient point, ce qu'ils ne pouvoient voir.

Tant aux foibles mortels, il est bon d'ignorer

Les dieux qu'il leur faut craindre, & qu'il faut adorer.

Brebœuf.

Ou comme le dit plus énergiquement l'original :

Tantùm terroribus addit,

Quos timeant, non nosse deos.

Les Gaules ayant été subjuguées par les Romains qui vouloient tout envahir, & qui opprimoient au lieu de vaincre, ce fut une nécessité pour les peuples qui les habitoient, de se soûmettre à la religion de leurs vainqueurs. Ce n'est que depuis ce tems qu'on vit chez eux des temples & des autels consacrés aux dieux à l'imitation des Romains. Les druides perdirent insensiblement leur crédit, ils furent enfin tous abattus sous les regnes de Tibere & de Claude. Il y eut même un decret du sénat qui ordonnoit leur entiere abolition, soit parce qu'ils vouloient perpétuer parmi les peuples qui leur étoient soûmis l'usage cruel des victimes humaines, soit parce qu'ils ne cessoient de les exciter à conspirer contre les tirans de Rome, à rentrer dans leurs priviléges injustement perdus, & à se choisir des rois de leur nation.

Les druides se rendirent sur-tout recommandables par la divination, soit chez les Gaulois, soit chez les Germains. Mais ce qu'il y a ici de remarquable, c'est que la divination étoit principalement affectée aux femmes : de-là le respect extrème qu'on avoit pour elles ; respect qui quelquefois alloit jusqu'à l'adoration ; témoin l'exemple de Velleda & d'Aurinia qui furent mises au nombre des déesses, selon le rapport de Tacite.

C'est assez l'usage des anciens de ne parler de l'origine des choses qu'en les personnifiant. Voilà pourquoi leur cosmogonie n'est autre chose qu'une théogonie. C'est aussi ce que nous voyons chez les anciens Celtes. Au travers les fables, dont ils ont défiguré la tradition qui leur étoit venue de la plus haute antiquité, il est aisé de reconnoître quelques traces de la création & du déluge de Moyse. Ils reconnoissoient un être qui existoit avant que rien de ce qui existe aujourd'hui eût été créé. Qu'il me soit permis de passer sous silence toutes les fables qui s'étoient mêlées à leur cosmogonie : elles ne sont par elles-mêmes ni assez curieuses, ni assez instructives pour mériter de trouver ici leur place. Il ne paroît pas que la métempsycose ait une opinion universellement reçue chez les druides. Si les uns faisoient rouler perpétuellement les ames d'un corps dans un autre, il y en avoit d'autres qui leur assignoient une demeure fixe parmi les manes ; soit dans le tartare, où elles étoient précipitées lorsqu'elles s'étoient souillées par des parjures, des assassinats, & des adulteres ; soit dans un séjour bienheureux, lorsqu'elles étoient exemptes de ces crimes. Ils n'avoient point imaginé d'autre supplice pour ceux qui étoient dans le tartare, que celui d'être plongés dans un fleuve dont les eaux étoient empoisonnées, & de renaître sans-cesse pour être éternellement en proie aux cruelles morsures d'un serpent. Ils distinguoient deux séjours de félicité. Ceux qui n'avoient que bien vécu, c'est-à-dire ceux qui n'avoient été que justes & tempérans pendant cette vie, habitoient un palais plus brillant que le soleil ; où ils nageoient dans un torrent de voluptés : mais ceux qui étoient morts généreusement, les armes à la main, pour défendre leur patrie, ceux-là avoient une place dans le valhalla avec Odin, auquel ils donnoient le nom d'Hésus, & qui étoit pour eux ce que le dieu Mars étoit pour les Latins. On diroit que Mahomet a imaginé son paradis d'après le valhalla des Celtes septentrionaux, tant il a de ressemblance avec lui. Solin, Mela, & d'autres auteurs rapportent que les nations hyperborées se précipitoient du haut du rocher pour éviter une honteuse captivité, & pour ne pas languir dans les infirmités de la vieillesse. Ceux qui se donnoient ainsi librement la mort, avoient une place distinguée dans le valhalla. De-là cette audace que les Celtes portoient dans les combats, cette ardeur qui les précipitoit dans les bataillons les plus épais, cette fermeté avec laquelle ils bravoient les plus grands dangers, ce mépris qu'ils avoient pour la mort. Nous finirons cet article, en remarquant que les Celtes ne s'étoient endurcis & accoûtumés à mener dans leurs forêts une vie si dure & si ennemie de tous plaisirs, que parce qu'ils étoient intimement persuadés du dogme de l'immortalité des esprits. De-là naissoit en eux ce courage, que les Romains ont si souvent admiré dans ces peuples ; ce mépris de la mort qui les rendoit si redoutables à leurs ennemis ; cette passion qu'ils avoient pour la guerre, & qu'ils inspiroient à leurs enfans ; cette chasteté, cette si délité dans les mariages si recommandée parmi eux ; cet éloignement qu'ils avoient pour le faste des habits & le luxe de la table : tant l'espoir d'une recompense dans une autre vie a de pouvoir sur l'esprit des hommes ! Il est fâcheux qu'une nation aussi respectable par ses moeurs & par ses sentimens que l'étoit celle des Celtes ait eu des druides pour ministres de sa religion. (X)


CELTIBERIENSS. m. pl. (Géog. & Hist.) peuples de l'ancienne Gaule qui s'établirent en Espagne le long de l'Iber : leur nom est composé de Celte, celui de leur origine, & d'Ibériens, celui des peuples avec lesquels ils s'allierent. Ils se répandirent dans l'Aragon & la Castille. Florus les appelle la force de l'Espagne.


CELTIQUE(Géog.) c'est ainsi qu'on appella la colonie des Celtes ou des Celtiberes, qui s'établirent en Espagne depuis le Douron jusqu'au promontoire Celtique, qu'on présume être le cap Finisterre. Voyez CELTES & CELTIBERES. On donna aussi le nom de Celtique à la partie de la Gaule qu'occupoient les Celtes.


CEMENTS. m. (Chimie) c'est une composition ou un mélange de différentes matieres salines, terreuses, ou phlogistiques, en forme de poudre ou de pâte, avec lesquels on stratifie, ou dont on entoure certains métaux dans la cémentation. Voyez CEMENTATION. Cet article est de M. VENEL.

CEMENT ROYAL, (Chimie) c'est le cément destiné à la purification de l'or : il tire son nom de la qualité de roi des métaux, par laquelle les Chimistes désignent souvent l'or. Le cément royal le plus simple, & qui est décrit dans de très-anciens ouvrages, étoit composé de deux parties de sel commun, & d'une partie de poudre de brique, farinae laterum, empâtées avec de l'urine.

On trouve beaucoup d'autres recettes de cément, qui portent aussi le titre de royal : c'est toûjours du nitre ou du sel commun, avec du vitriol calciné, de la brique pulvérisée, des bols, quelquefois de la pierre haematite, & du verd-de-gris. On a trouvé un usage à ces deux dernieres matieres : on prétend qu'elles exaltent la couleur de l'or. Article de M. VENEL.


CEMENTATIONS. f. (Chimie) la cémentation prise dans le sens le plus étendu, est l'opération chimique par laquelle on applique à des métaux enfermés dans un creuset, dans une boîte de fer, ou même dans une cornue & stratifiés avec des sels fixes, avec différentes matieres terrestres, & quelquefois phlogistiques, un feu tel, que ces métaux rougissent plus ou moins, mais sans entrer aucunement en fusion.

On voit d'abord par cette définition, que les métaux qui coulent avant de rougir, l'étain & le plomb, ne sauroient être comptés parmi les sujets de cette opération.

La cémentation est un des moyens employés, surtout par les ouvriers qui travaillent l'or & l'argent, pour vérifier la pureté de ces métaux, ou pour l'obtenir ; & c'est-là même le principal usage de cette opération. Mais des observations répétées ont appris qu'elle étoit insuffisante pour l'un & pour l'autre objet ; c'est-à-dire que les cémens ordinaires n'enlevoient pas exactement à l'or & l'argent les métaux étrangers qui constituoient leur impureté, & qu'ils enlevoient une partie du fin. Kunckel a observé que le sel commun employé aux cémentations répétées de l'argent, se chargeoit d'une quantité assez considérable de ce métal, qu'on en retiroit facilement par la fusion.

Geber compte la cémentation parmi les épreuves que devoit soûtenir son magistere, pour être réputé parfait.

L'usage des cémentations est très-familier aux Alchimistes, soit comme opération simplement préparatoire, ou entrant dans la suite de celles qui composent un procédé ; soit comme produisant immédiatement une amélioration, nobilitatio. C'est l'argent pur ou les chaux d'argent, c'est à-dire, l'argent ouvert ou divisé par des menstrues, sur lequel ils ont principalement opéré. Voyez PARTICULIER.

Becker décrit plusieurs de ces particuliers ou procédés, dans sa concordance chimique ; & il n'est presqu'aucun des six mille auteurs d'Alchimie qui n'en célebre quelqu'un.

La trempe en paquet, ou cette opération par laquelle les Arquebusiers, les Taillandiers, & quelques autres ouvriers durcissent ou convertissent plus ou moins profondément les lames en acier ou couches extérieures de certains ouvrages, comme de presque toutes les pieces des platines des armes à feu, les lames d'épée, les bonnes cuirasses, les haches, les limes, les boucles appellées d'acier, &c. cette opération, dis-je, est une espece de cémentation. Voyez FER.

Les matieres des cémens pour l'or & pour l'argent, sont premierement le nitre, la plûpart des sels neutres marins, le sel commun, le sel gemme, le sel ammoniac, le sublimé corrosif, & même une substance saline qui contient l'acide végétal, le verdet ; secondement les vitriols calcinés, les bols, la farine ou poudre de brique, &c.

On prend une ou plusieurs matieres de la premiere classe, & quelques-unes de celles de la seconde, dans des proportions convenables : par exemple, prenez du sel marin décrépité, une once : de la poudre de brique, demi-once ; du vitriol calciné au rouge, une once : ou de nitre, de sel ammoniac, de verdet, de bol d'Arménie, de poudre ou farine de brique, de chacun parties égales : séchez & pulvérisez toutes vos matieres, & mêlez-les exactement. Quelques auteurs, principalement les anciens, les empâtent avec l'urine.

On cémente aussi l'argent avec le sel commun seul. Voyez ARGENT.

Le modus ou manuel de l'opération, est celui-ci : prenez un creuset de grandeur convenable ; mettez au fond, de votre cément environ la hauteur d'un pouce ; placez dessus une couche de votre métal réduit en petites plaques très-minces ; couvrez ces plaques d'une seconde couche de cément, à peu-près de la même hauteur que la premiere, & remplissez alternativement votre creuset de cément & de lames de métal ; finissez par une couche de cément, sur laquelle vous pouvez en mettre une autre de chaux vive en poudre, selon l'usage de quelques Chimistes ; fermez votre creuset avec un couvercle exactement luté, mais percé d'un petit trou à passer une aiguille ; placez-le dans un fourneau à grille ordinaire ; donnez le feu peu-à-peu, afin que vos matieres s'échauffent lentement ; poussez-le ensuite jusqu'à les rougir médiocrement ; soûtenez ce dernier degré de feu pendant environ trois heures, & votre opération est finie. Les anciens chimistes, les philosophes que les longs travaux n'effrayoient pas, soutenoient le dernier degré de feu pendant vingt-quatre heures, & même pendant trois jours entiers. Il devoit leur en coûter beaucoup, sans-doute, pour tenir pendant si long-tems leur métal dans un dégré d'ignition si voisin de la fusion, sans le laisser tomber dans ce dernier état ; circonstance essentielle, & toûjours recommandée par les plus anciens maîtres de l'art, par Geber lui-même. Les cémentations alchimiques sont continuées pendant des mois entiers : mais elles se font à un degré de feu un peu moindre.

La théorie de la cémentation de l'or & de l'argent dans les vûes ordinaires de purification, paroît assez simple : tous les cémens employés à cet usage contiennent des sels neutres, & des précipitans de leur acide, c'est-à-dire des intermedes qui procurent le dégagement : ainsi le mélange du nitre ou du sel commun avec le vitriol, doit laisser échapper les acides des premiers sels. Les terres bolaires ou argilleuses dégagent aussi les mêmes acides, selon un fait anciennement connu, mais peu ou point expliqué. La poudre de brique peut être inutile au dégagement des acides nitreux & marins : elle peut fort bien aussi avoir retenu, malgré l'altération que la terre argilleuse dont elle est formée a essuyée dans le feu ; elle peut avoir retenu, dis-je, la propriété de les dégager, dont joüit l'argille crue. Ce fait n'a pas été examiné, que je sache. Ainsi selon qu'on employe l'un ou l'autre de ces premiers sels, ou les deux ensemble, avec une ou plusieurs des dernieres matieres, on a un esprit de nitre, un esprit de sel, ou une eau régale, qui selon le degré de rapport de chacun de ces menstrues avec l'or, avec l'argent, & avec les différens métaux qui leur sont mêlés, peuvent attaquer quelques-uns de ces métaux, & épargner les autres. Ainsi de l'acide nitreux dégagé dans une cémentation d'or, est censé attaquer l'argent & le cuivre qu'il peut contenir, & ne pas toucher à l'or même : l'esprit de sel produiroit apparemment le même effet. L'eau régale dégagée dans une cémentation d'argent, doit agir sur les métaux imparfaits, sans entamer le métal parfait, comme l'acide nitreux ou le marin dans le cas précédent.

Mais nous n'avons pas assez d'observations pour évaluer exactement l'action des menstrues dans la cémentation : la circonstance d'être divisés, de n'être point en aggrégation ou en masse, & celle d'être appliqués à des métaux actuellement ignés, & avec le degré de feu que suppose cet état, porte sans doute des différences essentielles dans leur action.

Des analogies exactement déduites de plusieurs faits connus, justifient au moins le doute, la vûe de recherche. D'ailleurs nous ne connoissons pas assez les sels neutres comme menstrues ; & peut-être pensons-nous trop généralement qu'ils ne peuvent agir que par un de leurs principes, soit dégagé, soit surabondant.

Il est au moins sûr que cette cémentation est une espece de dissolution. Voyez MENSTRUE.

Les Alchimistes peuvent bien ne pas retirer de leurs longues cémentations tout l'avantage que leurs oracles leur annoncent ; au moins doit-on leur accorder que cette opération est dans les bons principes de l'art, & qu'elle a tout le mérite de la digestion tant célébrée, avec tant de raison, par les plus grands maîtres. Voyez DIGESTION.

La cémentation du fer, ou la trempe en paquet, differe beaucoup par son effet de la cémentation purificative de l'or & de l'argent dont nous venons de parler ; elle ressemble beaucoup plus à la cémentation améliorative, transmutative, ou augmentative, en un mot alchimique, si cette derniere produisoit l'effet attendu, qui est de porter dans son sujet la terre mercurielle, ou même le soufre solaire ou lunaire. On regarde l'effet de la cémentation sur le fer comme une espece de réduction, ou plûtôt de surréduction, s'il est permis de s'exprimer ainsi ; c'est-à-dire, d'introduction surabondante de phlogistique. Voyez FER. Cet article est de M. VENEL.


CEMENTATOIRE(EAU) Hist. nat. & Minéralogie, aqua caementatoria, en allemand cement Wasser. L'on nomme ainsi des sources d'eau très-chargées de vitriol de Vénus, que l'on trouve au fond de plusieurs mines de cuivre ; on en voit sur-tout en Hongrie, près de la ville de Neusol, au pié des monts Krapacks. On leur attribue vulgairement la propriété de convertir le fer en cuivre, quoique pour peu que l'on ait de connoissance de la Chimie, il soit facile de voir qu'il ne se fait point de transmutation, mais seulement une simple précipitation causée par le fer que l'on trempe dans cette eau. Voici comment on s'y prend pour faire cette prétendue transmutation.

L'eau cémentatoire est très-claire & très-limpide dans sa source ; l'on fait des reservoirs pour la recevoir, afin qu'elle puisse s'y rassembler : l'on fait entrer l'eau de ces réservoirs dans des auges ou canaux de bois, qui ont environ un pié de large & autant de profondeur. Quant à leur longueur elle n'est point déterminée ; on la pousse aussi loin que l'on peut, quelquefois même jusqu'à 100 ou 150 piés ; on appelle ces auges ou canaux cementers, suivant M. Schlutter, on les remplit de vieille ferraille autant qu'il y en peut tenir ; l'on fait ensuite entrer l'eau cémentatoire dans ces auges ; elle couvre le fer, le dissout, & le détruit, & met en sa place le cuivre dont elle est chargée ; il prend la figure & la forme que la ferraille avoit auparavant, de sorte qu'en trois mois de tems, plus ou moins, suivant la force de l'eau vitriolique, tout le fer se trouve consommé & détruit, & le cuivre est entierement précipité. La raison pour laquelle le cuivre précipité prend la même figure qu'avoit le fer, c'est que l'acide vitriolique ayant plus d'affinité avec le fer, lâche le cuivre qu'il tenoit en dissolution pour s'y attacher ; il arrive de-là qu'il se précipite précisément autant de cuivre qu'il se dissout de fer ; de façon que l'un prend la place de l'autre, & qu'il se met toûjours une particule de cuivre à la place de celle de fer, qui a été mise en dissolution. Voyez Wallerius, Hydrologie, p. 62. §. 23.

Voilà la maniere dont on s'y prend pour obtenir à peu de frais & sans grande peine, une quantité quelquefois très-considérable de cuivre très-bon, & que l'on dit même plus ductile & plus malléable que celui qui par des fontes réitérées a été tiré de sa mine. Ce cuivre est mou & semblable à du limon tant qu'il est sous l'eau ; mais il prend de la consistance, & se durcit aussi-tôt qu'il vient à l'air.

Les deux plus fameuses sources d'eau de cémentation de la Hongrie, sont celle de Smolnitz & des Heregrund ; l'on assûre que la premiere peut fournir tous les ans jusqu'à 600 quintaux de cuivre précipité de la maniere qui vient d'être décrite ; ce qui vient de la grande abondance de cette source, & de la prodigieuse quantité de vitriol de Venus dont elle est chargée : outre cela le fer que l'on y met tremper, se trouve entierement dissous en trois semaines de tems, & le cuivre a pris sa place, au lieu que dans d'autres sources, il faut trois mois & même quelquefois un an, pour que cette opération se fasse.

L'on trouve en Hongrie plusieurs autres sources qui ont les mêmes propriétés ; il y en a de pareilles en Allemagne, près de Goslar, en Suede ; &c. L'on attribue la même qualité à une source que l'on voit à Chiessy, dans le Lyonnois. Voyez E. Schwedenborg. tom. III. pag. 49. & suiv. Henckel nous explique, dans sa Pyritologie, pag. 674, la cause de ces phénomenes, savoir, que les eaux qui composent ces sources, venant à passer sur des pyrites cuivreuses, qui ont été décomposées dans les entrailles de la terre, en détachent les parties vitrioliques qui s'y sont formées, & les entraînent avec elles.

C'étoit une transmutation semblable à celle qui vient d'être décrite, que produisirent il y a quelques années, des personnes qui avoient trouvé le secret d'obtenir un privilege exclusif, pour convertir le fer en cuivre dans toute l'étendue du royaume ; l'on fut très-flaté de l'idée de pouvoir se passer de cuivre de l'étranger, & de pouvoir en produire autant que l'on voudroit. Tout le secret consistoit dans une eau vitriolique, où en faisant tremper du fer, il se faisoit une précipitation du cuivre tout-à-fait semblable à celle que nous venons d'expliquer dans cet article : mais comme ces convertisseurs de métaux n'avoient point à leur disposition, une source d'eau vitriolique aussi abondante que celle de Smolnitz, qui pût fournir long-tems à faire leur prétendue transmutation, la fraude se découvrit, & le public fut en peu de tems desabusé. (-)


CÉNACLES. m. (Architecture) du latin cænaculum, lieu où l'on mange ; c'étoit chez les anciens une salle à manger : elle étoit appellée triclinium, c'est-à-dire lieu à trois lits ; parce que, comme les anciens avoient coûtume de manger couchés, il y avoit au milieu de cette salle une table quarrée longue, avec trois lits en maniere de larges formes, au devant des trois côtés ; le quatrieme côté restant vuide, à cause du jour & du service. Ce lieu chez les grands, étoit dans le logement des étrangers, pour leur donner à manger gratuitement. Il se voit à Rome, près de Saint-Jean de Latran, les restes d'un triclinium ou cénacle, orné de quelques mosaïques, que l'empereur Constantin avoit fait bâtir pour y nourrir des pauvres. (P)

CENACLE, (Théolog.) Notre Sauveur, la veille de sa passion, dit à ses disciples de lui aller préparer à souper dans Jérusalem, & qu'ils y trouveroient un grand cénacle tout disposé, cænaculum grande stratum, une salle à manger, avec les lits de table à l'ordinaire. On a montré à Jérusalem, dans les siecles postérieurs, une salle, qui fut ensuite convertie en église par l'impératrice Hélene, où l'on prétendoit que notre Sauveur avoit fait son dernier souper, & avoit institué l'Eucharistie ; mais on a raison de douter que cette salle se soit garantie de la ruine de Jérusalem par les Romains. Calmet, Diction. de la Bibl. (G)


CENCHRUS(Hist. nat. Zoolog.) espece de serpent dont il se trouve une grande quantité dans les îles de Samos & de Lemnos ; il a ordinairement trois piés de long, est d'une couleur jaune tirant sur le verd, & moucheté de taches de différentes couleurs. Ce serpent est très-dangereux ; il s'attache au bétail, à qui il ouvre la jugulaire pour en sucer le sang : sa morsure est mortelle. On peut le préparer de même que l'on fait les viperes ; cet animal contient beaucoup de sel volatil, & sa chair excite la transpiration.


CENDREau sing. ou CENDRES au plur. s. f. (Chimie) Ce corps terreux, sec, & pulvérulent, que tout le monde connoît sous le nom de cendre, est le résidu, ou la partie fixe des matieres détruites par la combustion à l'air libre, ou par l'inflammation. Voyez CALCINATION.

Les cendres sont donc toujours des débris d'une substance à la formation de laquelle concouroit le phlogistique, ou le feu, & ordinairement d'un corps organisé, ou de ceux que nous connoissons, dans la doctrine de Stahl, sous le nom de tissu, textum, c'est-à-dire d'un végétal, ou d'un animal. Voyez TISSU.

On a rangé aussi sous le nom générique de cendre ; les substances métalliques privées de phlogistique, c'est ainsi qu'on a dit cendre d'étain, cendre de plomb, &c. & qu'on trouve, sur-tout dans les anciens auteurs, diverses calcinations de substances métalliques désignées par le nom d'incinération ou cinération : mais les chaux métalliques different assez essentiellement des cendres végétales & animales, pour qu'il soit plus exact de ne pas confondre les unes & les autres sous la même dénomination. Voyez CHAUX METALLIQUE.

Un végétal ou un animal n'est, pour un chimiste, qu'une espece d'édifice terreux cimenté par un mastic ou gluten inflammable, & distribué en différentes loges ou vaisseaux de diverses capacités, qui contiennent des composés de plusieurs especes, tous inflammables : car nous ne considérons ni dans les végétaux, ni dans les animaux, relativement à leur analyse ou décomposition réelle ; nous ne considérons point, dis-je, le véhicule aqueux, qui étend & distribue (dans le vivant) la matiere de la nutrition & des secrétions. Voyez VEGETALE. (Analyse)

C'est aux ruines de cet édifice, de la base terreuse, du soûtien (hypostasis) de nos tissus, qu'est dûe la portion la plus considérable de la matiere propre, de la terre de leurs cendres. L'autre portion (infiniment moindre) de cette terre, est fournie par les composés terreux détruits par l'inflammation, & même par quelques mixtes qui n'ont pû échapper à son action. Voyez VEGETALE. (Analyse)

Outre la terre dont nous venons de parler, les cendres végétales contiennent presque toutes (on a dit toutes, mais on peut raisonnablement douter que ce produit de l'analyse des végétaux soit absolument général, je dis des végétaux même non épuisés par des extractions) du sel fixe, alkali fixe ou lixiviel, & ordinairement des sels neutres. Le tartre vitriolé & le sel marin sont les seuls que l'on ait observés jusqu'à présent.

Les sels fixes des cendres animales ne sont point encore, malgré l'autorité de plusieurs chimistes respectables, des êtres dont l'existence soit généralement admise en chimie. Ces sels, s'ils existoient, seroient sans-doute fort analogues à ceux qu'on a tant cherchés dans la chaux ; ou, pour mieux dire, seroient de vrais sels de chaux, sur lesquels il s'en faut bien qu'on ait jusqu'à présent des notions assez claires.

Les cendres, tant les végétales que les animales, contiennent assez généralement du fer. M. Geoffroi a proposé dans les Mém. de l'acad. royale des Sc. en 1705 le problème suivant : trouver des cendres qui ne contiennent aucunes parcelles de fer ; ce n'est que des cendres végétales dont il parle. Ce problème n'a pas encore été résolu, que je sache ; plusieurs Chimistes illustres, entr'autres M. Henckel, & M. Lemery le fils, ont confirmé, au contraire, le sentiment qui en suppose dans tous les végétaux. Le bleu de Prusse, qu'on peut retirer de presque toutes les cendres, que les soudes sur-tout fournissent ordinairement en très-grande abondance, est un signe certain de la présence de ce métal, du fer dans les cendres.

La cendre ne differe du charbon que par le phlogistique qui lie les parties de ce dernier, au lieu du gluten dont nous avons parlé plus haut. Voyez CHARBON. Les cendres paroissent avoir toûjours passé par l'état de charbon, ensorte que tout composé qui ne donnera que peu ou point de charbon dans les vaisseaux fermés, comme la résine pure, ne donnera que peu ou point de cendres par l'ustion à l'air libre.

La cendre ou la terre qui reste de la destruction des végétaux & des animaux, est une portion peu considérable de leur tout. Cent livres de différens bois neufs, très-secs, brûlés avec le soin nécessaire, pour ne perdre que la terre qui est inévitablement entraînée dans la fumée, n'ont laissé que trois livres dix onces de cendres calcinées, à peu-près un trentieme de leur poids. Ce produit doit varier considérablement selon que le corps qui le fournit est plus ou moins terreux, plus ou moins dense, plus ou moins épuisé de ses sucs, &c. C'est ainsi que les écorces en général, & sur-tout les écorces des vieux troncs, doivent en fournir beaucoup plus qu'une plante aqueuse ou un fruit pulpeux ; les plantes abondantes en extrait amer, beaucoup plus que les plantes résineuses ; un os beaucoup plus qu'un viscere, &c. Il est telle plante aqueuse dont on peut séparer par la simple dessication, jusqu'à 98/100 de son poids, qui par conséquent dans cet état de sécheresse, étant supposée, toutes choses d'ailleurs égales, d'une densité pareille à celle du bois dont nous avons parlé, ne donneroit que le 1/1500 de son poids de cendre. Ceux qui seront curieux de connoître avec le détail le rapport du produit dont il s'agit, au corps dont il faisoit partie, peuvent consulter les analyses des premiers chimistes de l'académie royale des sciences, & celles de la matiere médicale de M. Geoffroy.

La cendre ou la terre végétale & la terre animale conservent chacune inaltérablement un caractere, & comme le sceau de leur regne respectif. La terre végétale, selon l'observation de Becker, porte toûjours dans le verre à la composition duquel on l'employe, une couleur verte, ou tirant foiblement sur le bleu. " Viridis vel subcoeruleus, indelebilem sui regni asteriscum servans, nempè vegetabilem viriditatem exprimens ". Et la terre animale une couleur de blanc de lait. C'est à la suite de cette observation que le même Becker forme très-sérieusement ce souhait singulier : " O utinam it a consuetum foret, & amicos haberem qui ultimam istam opellam, siccis & multis laboribus exhaustis ossibus meis, aliquando praestarent ; qui, inquam, eam in diaphanam illam, nullis saeculis corruptibilem substantiam redigerent, suavissimum sui generis colorem, non quidem vegetabilium virorem, tremuli tamen narcissuli ideam lacteam praesentantem ; quod paucis quidem horis fieri posset... Plût à Dieu que ce fût un usage reçû, & que j'eusse des amis qui me rendissent ce dernier devoir ; qui, dis-je, convertissent un jour mes os secs, & épuisés par de longs travaux, en cette substance diaphane, que la plus longue suite de siecles ne sauroit altérer, & qui conserve sa couleur générique, non la verdure des végétaux, mais cependant la couleur de lait du tremblant narcisse ; ce qui pourroit être exécuté en peu d'heures ".

M. Pott observe dans sa Lithogeognosie, des différences réelles & caractéristiques dans les terres calcaires & alkalines tirées des trois regnes, & même parmi les différentes terres du même regne, comme entre la craie & la marne, entre l'ivoire, la corne de cerf, les écailles d'huîtres, &c. soit pour le degré de fusibilité, soit pour le plus ou le moins de facilité à être portées à la transparence. Apparemment qu'on trouveroit aussi des différences essentielles entre les cendres lessivées de divers végétaux.

Ces observations prouvent suffisamment que les terres des cendres végétales ou animales ne sont pas des corps simples, ou qu'on n'est pas encore parvenu à les réduire à la simplicité élémentaire, pas même à la simplicité générique des terres alkalines ou calcaires, dans la classe desquelles on les range ; classe dont, pour le dire en passant, le caractere propre n'existe seul dans aucun sujet connu, ou qui est toûjours modifié dans chacun de ces sujets par des qualités particulieres ; qualités qui, dans la doctrine chimique, sont toûjours des substances ou des êtres physiques (Voyez CHIMIE) si intimément inhérentes, qu'on n'a jamais pû jusqu'à present simplifier les différentes terres calcaires, au point de les rendre exactement semblables, comme on peut amener à cette ressemblance parfaite les eaux tirées de différentes plantes, ou même celles qu'on tire de différens regnes, les phlogistiques des trois regnes, &c. Voyez TERRE.

La fameuse opinion de la résurrection des plantes & des animaux de leurs cendres, qui a tant exercé les savans sur la fin du dernier siecle, & au commencement de celui-ci, ne trouveroit à present sans-doute des partisans que très-difficilement. Voyez PALINGENESIE.

La terre des cendres entre très-bien en fusion, & se vitrifie avec différens mélanges, mais sur-tout avec les terres vitrifiables & les alkalis fixes. C'est par cette propriété que les cendres végétales non lessivées, comme les cendres de fougere, les cendres de Moscovie, celles du varec, la soude, &c. sont propres aux travaux de la Verrerie. Voyez VERRE.

Les cendres lessivées fournissent aux Chimistes des intermedes & des instrumens, tels que le bain de cendre, & la matiere la plus usitée des coupelles. Voyez INTER MEDE & COUPELLE.

Le sel lixiviel ou alkali fixe retiré des cendres des végétaux, est d'un usage très-étendu dans la Chimie physique, & dans différens arts chimiques. Voyez SEL LIXIVIEL.

C'est à ce dernier sel que les cendres doivent leur propriété de blanchir le linge, de dégraisser les étoffes, les laines, &c. Voyez BLANCHISSAGE, SEL LIXIVIEL, NSTRUETRUE. C'est parce que la plus grande partie, ou au moins la partie la plus saline de la matiere qui fournit ce sel dans l'ustion, a été enlevée par l'eau, au bois flotté, que les cendres de ce bois sont presque inutiles aux blanchisseuses. Voyez EXTRAIT.

Les cendres non lessivées sont employées aussi dans la fabrication du nitre, mais apparemment ne lui fournissent rien le plus souvent, contre l'opinion commune. Voyez NITRE. Cet article est de M. VENEL.

* CENDRES, (Agriculture) les cendres sont un fort bon amendement, de quelque matiere & de quelque endroit qu'elles viennent, soit du foyer, soit de lessive, du four à pain, à charbon, à tuile, à chaux, & d'étain ; elles conviennent assez à toutes sortes de terre. On les mêle avec le fumier, pour qu'il s'en perde moins. Quand un champ est maigre, il est assez ordinaire d'y mettre le feu, & de l'engraisser des cendres mêmes des mauvaises herbes qu'il produit, si elles sont abondantes ; on le laboure aussi-tôt. On en use de même quand on a des prés stériles & usés ; ou bien on en enleve la surface qu'on transporte par pieces de gasons dans d'autres terres, où on les brûle. Voyez ENGRAIS DES TERRES & AGRICULTURE.

CENDRE, pluie de cendres, (Physique) Dans les Transactions philosophiques il est fait mention d'une ondée ou pluie de cendres dans l'Archipel, qui dura plusieurs heures, & qui s'étendit à plus de cent lieues. Voyez PLUIE. Ce phénomene n'a rien de surprenant, puisqu'il est très-possible que lorsqu'il y a quelque part un grand incendie, ou un volcan, le vent pousse les cendres ou peut-être la poussiere de cet endroit, dans un autre, même assez éloigné. (O)

* CENDRE de cuivre, (Métallurgie) c'est une espece de vapeur de grains menus que le cuivre jette en l'air dans l'opération du raffinage. On peut recevoir cette vapeur en retombant, en passant une pelle de fer, à un pié ou environ au-dessus de la surface du cuivre qui est alors dans un état de fluidité très-subtile. Voyez l'article CUIVRE.

CENDRES GRAVELEES, (Chimie) elles se font avec de la lie de vin : voici suivant M. Lemery la façon dont on s'y prend. Les Vinaigriers séparent par expression la partie la plus liquide de la lie de vin, dont ils se servent pour faire le vinaigre ; du marc qui leur reste, ils forment des pains ou gâteaux qu'ils font sécher, cette lie ainsi séchée se nomme gravelle ou gravelée : ils la brûlent ou calcinent à feu découvert dans des creux qu'ils font en terre, & pour lors on lui donne le nom de cendres gravelées. Pour qu'elles soient bonnes, elles doivent être d'un blanc verdâtre, en morceaux, avoir été nouvellement faites, & être d'un goût fort acre & fort caustique. L'on s'en sert dans les teintures pour préparer les laines ou les étoffes à recevoir la couleur qu'on veut leur donner. Voyez TEINTURE. On les employe aussi à cause de leur causticité dans la composition de la pierre à cautere, qui se fait avec une partie de chaux vive, & deux parties de cendres gravelées. Voyez CAUTERE.

Suivant M. Lemery, la cendre gravelée contient un sel alkali qui ressemble fort au tartre calciné : mais il est chargé de plus de parties terrestres que le tartre, & ne contient point autant de sel volatil que lui ; ce qui ne paroît point s'accorder avec ce que le même auteur dit dans un autre endroit, que le sel qui se tire des cendres gravelées, est beaucoup plus pénétrant que l'autre tartre, & par conséquent plus propre à faire des caustiques.

La plûpart des auteurs s'accordent à dire que les cendres gravelées s'appellent en latin cineres clavellati ; sur quoi l'on a cru devoir avertir que le célebre Stahl, & généralement tous les Chimistes Allemands, par cineres clavellati, ont voulu désigner la potasse, qui n'est point de la lie de vin brûlée comme les cendres gravelées que l'on vient de décrire dans cet article. Il est vrai que la potasse & la cendre gravelée ont beaucoup de propriétés qui leur sont communes ; l'une & l'autre contiennent du sel alkali, & peuvent s'employer à peu de chose près aux mêmes usages ; mais ces raisons ne paroissent point suffisantes pour autoriser à confondre ces deux substances.

Si l'on a raison de distinguer la cendre gravelée, qui est produite par l'ustion de la lie de vin, d'avec le vrai tartre calciné ; doit-on mettre moins de différence entre cette même lie de vin brûlée, & des cendres d'arbres telle qu'est la potasse ? Voyez POTASSE. Le Miscellanea chimica leydensia appelle cineres clavellati, les cendres de serments de vigne brûlés en plein air. Autrefois l'on donnoit aussi ce nom aux cendres de barrils ou tonneaux que l'on brûloit : mais comme il étoit difficile d'en retirer de cette maniere autant que l'on en avoit besoin, on a préféré de se servir de la potasse que l'on pouvoit avoir en plus grande abondance. (-)

CENDRE BLEUE. Voyez BLEU.

CENDRES VERTES, (Hist. nat. & Minéralogie) le nom de cendres a été donné fort improprement à cette substance, qui est une vraie mine de cuivre, d'une consistance terreuse, dont la couleur est d'un verd tantôt clair, tantôt foncé ; on l'appelle en latin aerugo nativa terrea. Voyez l'article VERD DE MONTAGNE. (-)

CENDRES de roquette, (Chimie & Art de la Verrerie) on les nomme aussi poudre de roquette, cendres de Sirie ou du Levant. Neri dit dans son Art de la Verrerie, que la roquette est la cendre d'une plante qui croit abondamment en Egypte & en Syrie, surtout près des bords de la mer. Cette plante n'est autre chose que le kali ; on la coupe vers le milieu de l'été lorsqu'elle est dans sa plus grande force ; on la fait sécher au soleil ; on la met en gerbes que l'on entasse les unes sur les autres, & que l'on brûle ensuite pour en avoir les cendres : ce sont ces cendres que l'on nous envoye du Levant, & sur-tout de S. Jean d'Acre & de Tripoli ; les Verriers & les Savonniers s'en servent, elles sont chargées d'un sel très-acre & très-fixe que l'on en retire par la méthode ordinaire des lessives & des crystallisations, ou en en faisant évaporer la lessive à siccité. On faisoit autrefois un très-grand cas du sel tiré de ces cendres ; soit qu'on lui attribuât plus de force qu'à d'autre, à cause du climat chaud qui le produit, soit que l'éloignement du pays d'où l'on tiroit cette marchandise contribuât à en rehausser le prix : mais Kunckel nous avertit dans ses notes sur l'Art de la Verrerie de Neri, que la soude, la potasse, ou toutes sortes de cendres fournissent un sel aussi bon pour les usages de l'art de la Verrerie, que celui que l'on peut tirer de la roquette, pourvû que ce sel ait été convenablement purifié par de fréquentes solutions, évaporations, & calcinations. (-)

* CENDRES, (Hist. anc.) reste des corps morts brûlés, selon l'usage des anciens Grecs & Romains : on comprend aisément qu'ils pouvoient reconnoître les ossemens ; mais comment séparoient-ils les cendres du corps d'avec celles du bûcher ? Ils avoient dit le savant pere Montfaucon, plusieurs manieres d'empêcher qu'elles ne se confondissent ; l'une desquelles étoit d'envelopper le cadavre dans la toile d'amiante ou lin incombustible, que les Grecs appellent asbestos. On découvrit à Rome en 1702 dans une vigne, à un mille de la porte majeure, une grande urne de marbre, dans laquelle étoit une toile d'amiante : cette toile avoit neuf palmes romaines de longueur, & sept palmes de largeur ; c'est environ cinq piés de large, sur plus de six & demi de long. Elle étoit tissue comme nos toiles, ses fils étoient gros comme ceux de la toile de chanvre ; elle étoit usée & sale comme une vieille nappe de cuisine ; mais plus douce à manier & plus pliable qu'une étoffe de soie. On trouva dans cette toile des ossemens, avec un crane à demi-brûlé. On avoit mis sans-doute dans cette toile le corps du défunt, afin que ses cendres ne s'écartassent point, & ne se mêlassent pas avec celles du bûcher, d'où on les retira pour les transporter dans la grande tombe. On jetta cette toile dans le feu, où elle resta long-tems sans être brûlée ni endommagée. Le Pere Montfaucon qui semble promettre plusieurs manieres de séparer les cendres du mort de celles du bûcher, n'indique pourtant que celle-ci. On rapportoit les cendres de ceux qui mouroient au loin, dans leur pays ; & il n'étoit pas rare d'enfermer les cendres de plusieurs personnes dans une même urne. Voyez BUCHER, FUNERAILLES, URNE, TOMBEAU, &c.


CENDRÉadj. terme qui se dit des choses qui ressemblent à des cendres, sur-tout par rapport à la couleur & à la consistance ; ainsi la substance corticale du cerveau s'appelle aussi la substance cendrée Voyez CORTICAL & CERVEAU.

Ce terme se dit des déjections ou selles dans la lienterie, dans les crudités acides. Voyez LIENTERIE & CRUDITE.


CENDRÉES. f. (Chimie & Docimasie) c'est ainsi que l'on nomme la cendre que l'on employe pour la formation des coupelles. L'on en distingue deux especes ; la grande cendrée, cineritium majus, & la petite cendrée, cineritium minus : la premiere s'employe pour les essais en grand, lorsqu'il est question de passer une grande quantité de métal à la coupelle ; pour la faire, on se sert de cendres de bois, que l'on ne prend pas la peine de lessiver ou de préparer avec tant de soin que pour la petite cendrée ; l'on y joint un peu de briques réduites en poudre ; on lui donne ensuite la forme dans les moules de terre, ou avec un anneau de fer, ou l'on s'en sert pour garnir le fourneau à raffiner. Voyez COUPELLE.

La petite cendrée demande beaucoup plus de préparation ; l'on prend pour cela des matieres qui puissent résister au feu le plus violent sans le vitrifier & sans entrer en fusion avec les matieres que le verre de plomb met dans cet état ; l'on n'a rien trouvé qui répondit mieux à ce dessein, que les os des animaux calcinés ; les meilleurs sont ceux de veau, de mouton, de boeuf, &c. aussi-bien que les arêtes de poisson. Avant de les calciner, il est à propos de les faire bien bouillir, afin d'en séparer toute partie grasse & onctueuse ; on les calcine ensuite à un feu découvert très-violent, & l'on fait durer la calcination pendant plusieurs heures, en prenant garde qu'il n'entre ni cendres ni charbons dans le creuset où sont les os que l'on veut calciner. La marque que l'opération est bien faite, c'est lorsqu'en cassant les os, l'on n'y remarque rien de noir. Quand ils sont à ce point, on les pile dans un mortier, & l'on verse par-dessus de l'eau chaude ; on a soin de bien remuer le tout, afin que l'eau emporte toutes les parties salines qui pourroient s'y trouver ; l'on réitere plusieurs fois ces édulcorations ; l'on fait ensuite sécher la poudre qui reste ; on la réduit en une poudre très-fine ; on la passe par un tamis serré ; on la rebroye de nouveau sur un porphyre, jusqu'à ce qu'elle devienne impalpable. M. Cramer préfere aux os & aux arêtes calcinés une espece de spath particulier qui, lorsqu'on l'a calciné dans un creuset fermé, devient mou & friable, & ne demande point de préparation ultérieure ; mais toute sorte de spath n'est point propre à cet usage. Celui dont M. Cramer parle, est sans-doute l'espece de spath que M. Pott appelle alkalin, pour le distinguer du spath fusible.

Lorsqu'on a besoin de beaucoup de coupelles, l'on a recours aux cendres des végétaux pour faire la cendrée : mais de peur que le sel dont ces cendres sont chargées ne fasse vitrifier les coupelles, l'on a soin de les préparer de la maniere suivante. On prend une cendre de bois, blanche, legere, & tendre : on la passe par un tamis, en versant de l'eau par-dessus pour en séparer la poussiere de charbon qui pourroit y être mêlée ; sur la cendre qui a passé, l'on verse de l'eau chaude, on remue la cendre avec un bâton : on lui donne un peu de tems pour retomber au fond, & l'on décante cette premiere eau, qui est toûjours trouble ; on reverse de nouvelle eau chaude sur la cendre, que l'on décante encore après avoir remué & laissé retomber la cendre ; on continue la même chose jusqu'à ce que l'eau ne contracte plus ni couleur ni goût. Quand les choses en sont à ce point, l'on verse de nouvelle eau sur les cendres, on la remue, & l'on décante l'eau toute trouble, en donnant cependant le tems au sable & aux parties terrestres qui y sont mêlées de retomber au fond : l'on fait la même chose tant qu'il reste des cendres dans le vaisseau où s'est fait l'édulcoration. Quand toute la cendre sera passée, on la laissera reposer & tomber au fond du nouveau vaisseau où on l'aura mise ; l'on en décante l'eau, & la cendre qui restera sera dégagée de tout sel & de toute partie grasse, & invariable au feu. Pour la rendre encore meilleure, l'on en formera des boules que l'on fera calciner au fourneau ; on la lave ensuite de nouveau, & pour lors elle devient d'une blancheur égale à celle des os calcinés. L'on mêle cette cendre, ainsi préparée, avec les os calcinés, pour en faire les coupelles. Voyez l'article COUPELLE. (-)

CENDREE, en terme de Fondeur de petit plomb, est la plus petite espece de plomb qui se fasse, c'est pour cela qu'on n'en fait qu'à l'eau. Voyez à l'art. PLOMB, fonte de petit plomb.


CENDRIERS. m. (Chimie & Métallurgie) l'on nomme ainsi l'endroit du fourneau, qui est immédiatement sous le foyer, dont il n'est séparé que par une grille. Il est destiné à recevoir les cendres qui en tombent ; il a une ouverture qui communique à l'intérieur, faite non-seulement pour retirer les cendres, mais encore pour que l'air extérieur puisse y entrer & faire aller le feu lorsque cela est nécessaire ; cette ouverture est garnie d'une porte, qui se ferme lorsque l'air ne doit point y être admis. La grandeur & les differentes dimensions du cendrier varient à proportion de la grandeur du fourneau, ou plûtôt à proportion de la quantité de cendres que donne la matiere dont le feu est composé. (-)


CENDRURESS. f. pl. mauvaise qualité de l'acier, voyez l'article ACIER ; elle consiste dans de petites veines, qui, quand elles se trouvent au tranchant d'un instrument, ne lui permettent pas d'être fin, mais le mettent en grosse scie. Voyez VEINE.


CENES. f. (Hist. ecclés.) cérémonie usitée dans l'église pour renouveller & perpétuer le souvenir de celle où Jesus-Christ institua le sacrement adorable de l'Eucharistie. C'est une grande question parmi les théologiens, de savoir si dans cette derniere cêne Jesus-Christ célébra la pâque ; sur cela les sentimens sont partagés : nous renvoyons à l'article PAQUES la décision de cette célebre dispute ; nous discuterons les divers sentimens des théologiens ; & nous prouverons, conformément à l'Ecriture, que Jesus-Christ a, suivant la loi de Moyse, célebré la pâque la derniere année de sa vie. Voyez PASQUE.


CENEDA(Géog.) ville d'Italie, dans l'état de la république de Venise, dans la Marche Trévisane. Long. 29. 50. lat. 46.


CENEUS(Myth.) surnom de Jupiter ; il fut ainsi appellé du temple qu'Hercule lui éleva dans l'Eubée, sur le promontoire de Cenie, après avoir ravagé l'Oechalie.


CENIS(LE MONT) Géog. montagne la plus haute des Alpes, sur la route de France en Italie.

CENIS, (Géog.) riviere de l'Amérique septentrionale, dans la Loüisiane, qui se jette dans le golfe de Mexique.

CENIS (les), peuples sauvages de l'Amérique septentrionale, dans la Loüisiane, vers la source de la riviere de Cenis.


CENOBITES. m. (Hist. ecclés.) religieux qui vit dans un couvent ou en communauté sous une certaine regle, différent en cela de l'hermite ou anachorete, qui vit dans la solitude. Voyez HERMITE & ANACHORETE.

Ce mot vient du grec , communis, & , vita, vie.

Cassien prétend que le couvent est différent du monastere, en ce que ce dernier est l'habitation d'un seul religieux ; au lieu que couvent ne se peut dire que de plusieurs religieux qui habitent ensemble & qui vivent en communauté : mais on confond assez ces deux mots. Voyez COUVENT & MONASTERE.

L'abbé Piammon parle de trois différentes sortes de moines qui se trouvoient en Egypte : les Cénobites, qui vivoient en communauté ; les Anachorettes, qui vivoient dans la solitude, & les Sabaraïtes, qui n'étoient que de faux moines & des coureurs. Voyez ANACHORETE.

Il rapporte au tems des apôtres l'institution des Cénobites, comme un reste ou une imitation de la vie commune des premiers fideles de Jérusalem : S. Pacome passe cependant pour l'instituteur de la vie cénobitique, parce que c'est le premier qui forma des communautés reglées, Voyez REGLE & MOINE.

Dans le code théodosien, Lib. XI. tit. xxx. de Appellat. leg. 57. les Cénobites sont appellés synoditae terme qui signifie proprement des hommes vivans en communauté, & non les domestiques des moines, comme l'ont imaginé faussement quelques glossateurs. Bingham, orig. ecclés. tom. III. lib. VII. c. ij. §. 3. (G)


CENOMANSS. m. pl. (Géog. & Hist. anc.) peuples de la Gaule Celtique, qui habitoient le Maine, & dont il passa en Italie une colonie qui conserva le même nom.


CENOTAPHES. m. tombeau vuide ou monument qui ne contient point de corps ni d'ossemens, & dressé seulement pour honorer la mémoire de quelque mort. Voyez TOMBEAU & MONUMENT.

Ce mot est formé du grec , vuide, & , tombeau. (G)


CENScensus, s. m. (Hist. anc. & mod.) parmi les Romains, c'étoit une déclaration authentique que les citoyens faisoient de leurs noms, biens, résidence, &c. pardevant des magistrats préposés pour les enregistrer, & qu'on nommoit à Rome censeurs, & censiteurs dans les provinces & les colonies.

Cette déclaration étoit accompagnée d'une énumération par écrit de tous les biens, terres, héritages qu'on possédoit ; de leur étendue, situation, quantité, qualité ; des femmes, enfans, métayers, domestiques, bestiaux, esclaves, &c. qui s'y trouvoient. Par un dénombrement si exact, l'état pouvoit connoître aisément ses forces & ses ressources.

Ce fut dans cette vûe que le roi Servius institua le cens, qui se perpétua sous le gouvernement républicain. On le renouvelloit tous les cinq ans, & il embrassoit tous les ordres de l'état sous des noms différens ; celui du sénat, sous le titre de lectio ou recollectio ; celui des chevaliers, qu'on appelloit recensio & recognitio. A celui du peuple demeura le nom de census ou de lustrum, parce qu'on terminoit ce dénombrement par un sacrifice nommé lustrum, d'où la révolution de cinq ans fut aussi nommée lustre.

De-là le mot de census a été aussi en usage pour marquer une personne qui avoit fait sa déclaration aux censeurs, par opposition à incensus, c'est-à-dire un citoyen qui n'a fait enregistrer ni son nom ni ses biens. Dans la loi Voconia, census signifie un homme dont les biens sont portés sur le registre des censeurs jusqu'à la valeur de cent mille sesterces. (G)

Quoique dans la démocratie, dit l'illustre auteur de l'esprit des lois, l'égalité soit l'ame de l'état, cependant comme il est presqu'impossible de l'établir, il suffit qu'on établisse un cens qui réduise ou fixe les différences à un certain point ; après quoi c'est à des lois particulieres à tempérer cette inégalité, en chargeant les riches & soulageant les pauvres.

Le même auteur prouve, liv. XXX. ch. xv. qu'il n'y a jamais eu de cens général dans l'ancienne monarchie françoise ; & que ce qu'on appelloit cens, étoit un droit particulier levé sur les serfs par les maîtres. (O)

CENS, (Jurisp.) est une rente fonciere dûe en argent ou en grain, ou en autre chose, par un héritage, tenu en roture, au seigneur du fief dont il releve. C'est un hommage & une reconnoissance de la propriété directe du seigneur. Le cens est imprescriptible & non rachetable, seulement on en peut prescrire la quotité ou les arrérages par 30 ou 40 ans.

Le cens, dans les premiers tems, égaloit presque la valeur des fruits de l'héritage donné à cens, comme font aujourd'hui nos rentes foncieres ; desorte que les censitaires n'étoient guere que les fermiers perpétuels des seigneurs, dont les revenus les plus considérables consistoient dans leurs censives. Ce qui en fait à-présent la modicité, c'est l'altération des monnoies, qui, lors de l'établissement des censives, étoient d'une valeur toute autre.

Le cens est la premiere redevance qui est imposée par le seigneur direct, dans la concession qu'il fait de son héritage ; toutes les autres charges imposées depuis, n'ont pas le privilége du cens.

Le cens reçoit diverses dénominations, comme de champart, terrage, agrier, avenage, carpot, complant, & autres ; droits qui tous, quelque nom qu'ils portent, entraînent avec eux celui de lods & ventes, s'ils ont été imposés lors de la premiere concession, & qu'il n'y ait point d'autre charge imposée spécialement à titre de cens.

La plûpart des coûtumes prononcent une amende faute de payement du cens au jour & lieu qu'il est dû, sans préjudice de la saisie que le seigneur peut faire des fruits pendans sur l'héritage redevable du cens, qu'on appelle arrêt ou brandon. Voyez ARRET & BRANDON.

Les héritages situés dans la ville & banlieue de Paris, sont exempts de cette amende ; mais le seigneur, faute de payement du cens, peut procéder sur les meubles étant en iceux par voie de saisie-gagerie, pour trois années au moins ; car s'il a laissé amasser plus de trois années, il n'a que la voie ordinaire de l'action. Voyez GAGERIE. (H)


CENSALS. m. (Comm.) terme en usage sur les côtes de Provence & dans les échelles du Levant : il signifie la même chose que courtier. V. COURTIER.

Les marchands & négocians payent ordinairement un demi pour cent au censal pour son droit de censerie ou de courtage. Voyez COURTAGE.

La plûpart des censals du Levant, mais particulierement ceux qui font la censerie ou courtage au grand Caire, sont arabes de nation. Dans les négociations qui se font entre les marchands européens & ceux du pays, ou pour l'achat ou la vente des marchandises, tout se passe en mines & en grimaces ; & c'est sur-tout une comédie quand le censal veut obliger le marchand européen de payer la marchandise de son compatriote à son premier mot, ou du moins de n'en guere rabattre.

Lorsque l'européen a fait son offre, toûjours au-dessous de ce que le vendeur en demande, le censal arabe fait semblant de se mettre en colere, hurle & crie comme un furieux ; s'avance comme pour étrangler le marchand étranger, sans pourtant le toucher. Si cette premiere scene ne réussit pas, il s'en prend à lui-même, déchire ses habits, se frappe la poitrine à grands coups de poing, se roule à terre, & crie comme un desespéré qu'on insulte un marchand d'honneur ; que sa marchandise n'a point été volée, pour en mésoffrir si extraordinairement. Enfin le négociant d'Europe, accoûtumé à cette burlesque négociation, restant tranquille & n'offrant rien de plus, le censal reprend aussi sa tranquillité, lui tend la main, & l'embrasse étroitement en signe de marché conclu, & finit la piece par ces mots, halla quebar, halla quebir, Dieu est grand & très-grand, qu'il prononce avec autant de sens-froid qu'il a marqué auparavant de véhémence & d'agitation. Dictionn. du Comm. (G)


CENSES. f. (Jurisprud.) est une petite métairie qu'on donne à ferme, & quelquefois à rente ; ce qui s'appelle accenser une métairie. (H)


CENSERIES. f. (Comm.) se dit de tout ce qui signifie courtage, & quelquefois de la profession même du censal, & du droit qui lui est dû. Voyez CENSAL & COURTAGE. (G)


CENSEURS. m. (Hist. anc.) l'un des premiers magistrats de l'ancienne Rome, qui étoit chargé de faire le dénombrement du peuple, & la répartition des taxes pour chaque citoyen. Ses fonctions avoient encore pour objet la police, & la réformation des moeurs dans tous les ordres de la république.

Le nom de censeur vient de censere, estimer, évaluer, parce que cet officier évaluoit les biens de chacun, enregistroit leurs noms, & distribuoit le peuple par centuries. Selon quelques auteurs, ce terme est dérivé de l'inspection que les censeurs avoient sur les moeurs & sur la police.

Il y avoit à Rome deux censeurs. Les premiers furent créés en 311 : c'étoient Papirius & Sempronius. Le sénat qui voyoit que les consuls étoient assez occupés du militaire & des affaires du dehors, imagina cette nouvelle dignité pour veiller à celles du dedans, & tira de son corps ceux qui en furent revêtus ; mais depuis que les plébéïens eurent été admis au consulat, ils aspirerent aussi à la censure, & parvinrent au moins à faire remplir une des deux places de censeur par un sujet tiré du corps du peuple. Il y eut sur cela une loi de portée en 414, & elle fut en vigueur jusqu'en 622, qu'on nomma deux censeurs plébéïens ; ils partagerent toûjours cette charge avec les patriciens jusqu'au tems des empereurs, qui la réunirent en leur personne.

L'autorité des censeurs étoit fort étendue, puisqu'ils avoient droit de reprendre les citoyens les plus élevés en dignité : aussi cette charge ne s'obtenoit-elle qu'après qu'on avoit passé par toutes les autres. On trouva étrange que Crassus en eût été pourvû avant que d'avoit été ni consul ni préteur. L'exercice de la censure duroit d'abord cinq ans ; mais cet usage ne dura que neuf ans, le dictateur Mamercus ayant porté, l'an de Rome 420, une loi qui réduisit le tems de la censure à dix-huit mois ; ce qui fut dans la suite observé à la rigueur.

Outre les fonctions des censeurs, dont on a déjà parlé, ils étoient spécialement chargés de la sur-intendance des tributs, de la défense des temples, du soin des édifices publics ; de réprimer le libertinage, & de veiller à la bonne éducation de la jeunesse. Si quelque sénateur deshonoroit par ses débauches l'éclat de cet illustre corps, ils avoient droit de l'en chasser ; & l'histoire fournit des exemples de cette sévérité. Ils ôtoient aux chevaliers leur cheval, & la pension que leur faisoit l'état, s'ils se comportoient d'une maniere indigne de leur rang ; & quant au menu peuple, ils en faisoient descendre les membres d'une tribu distinguée dans une plus basse, les privoient du droit de suffrage, ou les condamnoient à des taxes & des amendes.

Cette autorité n'étoit pourtant pas sans bornes, puisque les censeurs eux-mêmes étoient obligés de rendre compte de leur conduite aux tribuns du peuple & aux grands édiles. Un tribun fit mettre en prison les deux censeurs M. Furius Philus & M. Attilius Regulus. Enfin ils ne pouvoient pas dégrader un citoyen sans avoir préalablement exposé leurs motifs, & c'étoit au sénat & au peuple à décider de leur validité. (G)

A Lacédémone, dit l'illustre auteur de l'esprit des lois, tous les vieillards étoient censeurs. Le même auteur observe que ces magistrats sont plus nécessaires dans les républiques que dans les monarchies & dans les états despotiques : la raison en est facile à appercevoir.

La corruption des moeurs détruisit la censure chez les Romains ; cependant César & Auguste voyant que les citoyens ne se marioient pas, rétablirent les censeurs, qui avoient l'oeil sur les mariages. (O)

CENSEURS de livres, (Littér.) nom que l'on donne aux gens de Lettres chargés du soin d'examiner les livres qui s'impriment. Ce nom est emprunté des censeurs de l'ancienne Rome, dont une des fonctions étoit de réformer la police & les moeurs.

Ces censeurs ont été établis dans les différens états pour examiner les ouvrages littéraires, & porter leur jugement sur les livres qu'on se propose d'imprimer, afin que rien ne soit rendu public, qui puisse séduire les esprits par une fausse doctrine, ou corrompre les moeurs par des maximes dangereuses. Le droit de juger des livres concernant la religion & la police ecclésiastique, a toûjours été attaché en France à l'autorité épiscopale ; mais depuis l'établissement de la faculté de Théologie, il semble que les évêques ayent bien voulu se décharger de ce soin sur les docteurs, sans néanmoins rien diminuer de leur autorité sur ce point. Ce droit de juger les livres concernant la foi & l'Ecriture-sainte, a été plusieurs fois confirmé à la faculté de Théologie par arrêt du parlement de Paris, & singulierement à l'occasion des hérésies de Luther & de Calvin, qui produisirent une quantité prodigieuse de livres contraires à la religion catholique. Ce jugement devoit être porté, non par quelques docteurs en particulier, mais par la faculté assemblée. L'usage étoit de présenter à la faculté ce qu'on vouloit rendre public : elle nommoit deux docteurs pour l'examiner ; & sur le rapport qu'ils en faisoient dans une assemblée, la faculté, après un mûr examen des raisons pour & contre, donnoit son approbation à l'ouvrage, ou le rejettoit. Les prélats même n'étoient point dispensés de soûmettre leurs ouvrages à l'examen de la faculté de Théologie, qui en 1534 refusa son approbation au commentaire du cardinal Sadolet, évêque de Carpentras, sur l'épître de S. Paul aux Romains ; & qui en 1542 censura le bréviaire du cardinal Sanguin, évêque d'Orléans. Le parlement de Paris, toûjours attentif à la conservation de la religion catholique dans toute sa pureté, autorisa par arrêt de la même année 1542, la faculté de Théologie à examiner les livres qui venoient des pays étrangers. Cet arrêt fut occasionné par le livre de l'institution chrétienne, que Calvin avoit fait imprimer à Bâle.

Les livres s'étant considérablement multipliés au commencement de l'année 1600, le nombre des docteurs chargé de les examiner, fut augmenté. Il en résulta différens abus ; ces docteurs se dispenserent du rapport qu'ils étoient obligés de faire à la faculté assemblée, & approuverent des livres qu'elle trouva repréhensibles. Pour remédier à cette espece de desordre, la faculté publia un decret par lequel elle défendit à tous docteurs de donner inconsidérément leur approbation, sous peine de perdre pendant six mois l'honoraire & les priviléges attachés au doctorat, & pendant quatre ans le droit d'approuver les livres. Elle fit encore plusieurs autres reglemens, mais qui ne firent qu'aigrir les esprits. Enfin en 1623 l'harmonie cessa tout-à-fait dans la faculté, à l'occasion d'une question de Théologie qui partagea tous les docteurs : il s'agissoit de décider si l'autorité du pape est supérieure ou inférieure à celle des conciles. Chacun prit parti dans cette affaire, chacun écrivit pour soûtenir son opinion. Le docteur Duval, chef de l'un des deux partis, craignant de se voir accabler par les écrits multipliés de ses adversaires, obtint du roi des lettres patentes en 1624, qui lui attribuerent, & à trois de ses confreres, à l'exclusion de tous autres, le droit d'approuver les livres, avec une pension de 200 liv. à partager entr'eux. Ces lettres de création chagrinerent la faculté, qui se voyoit dépouiller d'un droit qu'elle croyoit devoir lui appartenir toûjours. La pension d'ailleurs accordée aux quatre nouveaux censeurs, lui parut deshonorante pour des gens consacrés par état au maintien de la saine doctrine. Elle fit remontrances sur remontrances, & ne cessa de demander avec instance la révocation de ces lettres ; mais elle ne put l'obtenir ; le roi au contraire les confirma par de nouvelles, dans lesquelles il étoit dit que par la suite ces quatre censeurs créés par lettres patentes, seroient pris dans la maison de Sorbonne, & élûs à la pluralité des voix dans une assemblée, à laquelle seroient appellés deux docteurs de la maison de Navarre. Cette espece d'adoucissement ne satisfit point encore la faculté ; elle continua, mais inutilement, les sollicitations. La discorde régna plus que jamais parmi les docteurs ; & pendant plus de trois ans les nouveaux censeurs essuyerent tant de desagrémens de la part de leurs confreres, que Duval, en 1626, prit enfin le parti de se démettre en pleine assemblée de ses fonctions de censeur. On ne sait pas bien positivement si après cette démission de Duval, les lettres-patentes qui avoient été données singulierement en sa faveur, furent supprimées ou non : mais il paroît par différens decrets des années 1628, 1631 & 1642, que la faculté recommença, comme par le passé, à charger des docteurs de l'examen des livres, & qu'elle prit les précautions les plus sages pour empêcher les approbations inconsidérées. Son honneur & ses intérêts le demandoient : cependant tous ses soins furent inutiles ; il s'éleva dans l'Eglise des disputes sur la grace, qui donnerent naissance à une prodigieuse quantité d'écrits de part & d'autre : chacun des deux partis fit approuver ses livres par les docteurs qui lui étoient favorables, & ces docteurs donnerent leurs approbations sans avoir été commis par la faculté. Ces irrégularités durerent jusqu'en 1653. Pour y mettre fin, M. le chancelier Seguier se détermina à ôter encore une fois à la faculté le droit d'approuver les livres ; il créa quatre nouveaux censeurs ; mais sans lettres-patentes, & sans autre titre que la seule volonté du roi, avec chacun 600 livres de pension. Depuis ce tems, le nombre des censeurs a été considérablement augmenté ; il y en a pour les différentes matieres que l'on peut traiter : le droit de les nommer appartient à M. le chancelier, à qui ils rendent compte des livres dont il leur confie l'examen, & sur leur approbation est accordé le privilége de les imprimer. Il arrive quelquefois que le grand nombre de livres qu'ils sont chargés d'examiner, ou d'autres raisons, les mettent dans la désagréable nécessité de réduire les auteurs ou les libraires qui attendent leur jugement, à l'état de ces pauvres ames errantes sur les bords du Styx, qui prioient long-tems Caron de les passer.

Stabant orantes primi transmittere cursum,

Tendebantque manus ripae ulterioris amore.

Navita sed tristis nunc hos nunc accipit illos :

Ast alios longe summotos arcet arena.


CENSIERS. m. (Jurisprud.) se dit d'un seigneur qui a droit de cens sur les héritages tenus en roture dans l'étendue de sa seigneurie. Voyez CENS, CENSITAIRE, CENSIVE.

CENSIER, est aussi quelquefois synonyme à censitaire ; ainsi on dit en ce sens, il est le censier d'un tel seigneur. (H)


CENSITAIRES. m. (Jurisprud.) est un vassal qui possede en roture un ou plusieurs héritages dans l'étendue de la censive d'un seigneur, à la charge du cens. Voyez CENS.

Dans les commencemens de l'établissement des censives, il n'étoit pas permis au censitaire de vendre l'héritage qui lui avoit été baillé à cens, sans avoir le consentement du seigneur ; & pour avoir son consentement, on lui payoit une certaine somme : ce qui a depuis passé en droit commun. Il est aujourd'hui permis au censitaire de vendre l'héritage chargé de cens, en payant au seigneur un droit qui est reglé par les coûtumes, & qu'on appelle communément lods & ventes. Voyez LODS & VENTES. (H)


CENSITES. f. (Jurisprud.) terme de droit coûtumier peu usité, synonyme à censitaire. Colombet a donné un traité des personnes de main-morte, censites & taillables, qu'il a intitulé, Colonia Celtica lucrosa. (H)


CENSIVES. f. (Jurisprud.) est l'étendue du fief d'un seigneur censier, c'est-à-dire à qui il est dû un cens ou redevance fonciere par les propriétaires qui possedent des terres dans l'étendue de son fief. C'est aussi le droit même de percevoir le cens.

L'origine des censives est aussi ancienne que celle des fiefs. Les seigneurs qui avoient une trop grande étendue de domaine, en donnoient une partie en fief, à la charge du service militaire ; & une autre partie à cens, avec amende faute de payer le cens au jour de l'échéance. Voyez CENS. (H)


CENSURES. f. (Droit canoniq.) se prend ordinairement pour un jugement, par lequel on condamne quelque livre, quelque personne ; & plus particulierement pour une réprimande faite par un supérieur ou une personne en autorité. (H)

CENSURES ECCLESIASTIQUES, sont des menaces publiques que l'Eglise fait, d'infliger les peines qu'on a encourues, pour avoir desobéi à ses ordres, ou plûtôt encore ces peines ou ces punitions elles-mêmes. Le Droit canonique en reconnoît de trois sortes, qui sont l'excommunication, la suspense, & l'interdit. Voyez chacun de ces mots à leur rang.

Jusqu'au tems de la prétendue réforme, les rois d'Angleterre ont été soûmis aux censures de l'église de Rome : mais les François s'en sont toûjours maintenus exempts. En effet il n'y a point d'exemple d'excommunication d'aucun roi de la premiere race, jusqu'à celle de Lothaire, par le pape Nicolas I. pour avoir répudié sa femme Tetberge ; c'est la premiere breche qui fut faite aux libertés de l'église Gallicane : cependant le pape n'osa hazarder son excommunication de sa propre autorité ; il la fit confirmer par l'assemblée des évêques de France.

Les autres papes ont pris dans la suite les mêmes précautions : mais depuis ce tems-là, les rois ont mieux soûtenu leur privilége : car l'anti-pape Benoît XIII. ayant prononcé des censures contre le roi Charles VI. & mis le royaume en interdit, le parlement de Paris, par arrêt de 1408, ordonna que la bulle fût lacérée. Jules II. ayant aussi lancé l'excommunication contre Louis XII. l'assemblée générale tenue à Tours censura les censures du pape. Voyez EXCOMMUNICATION.

Les Canonistes distinguent deux sortes de censures : l'une de droit, à jure, l'autre de fait ou par sentence, qu'ils appellent ab homine.

Les premieres sont générales & perpétuelles : il n'en est pas de même des secondes ; mais aussi elles sont toûjours réservées.

On divise les censures par rapport à l'effet qu'elles produisent, en celles qu'on appelle latae sententiae, & celles qu'on nomme ferendae sententiae ; c'est-à-dire en censures encourues par le seul fait, ipso facto, par vertu du jugement qui les a prononcées, sans qu'il soit besoin d'un nouveau ; & en censures comminatoires, qui ne s'encourent pas sans une nouvelle sentence du juge.

Il n'y a que les supérieurs ecclésiastiques qui joüissent de la jurisdiction extérieure, qui puissent porter des censures ; ainsi les curés n'ont pas ce droit. (H)

CENSURE de livres ou de propositions, c'est une note ou une qualification, qu'on donne à tout ce qui blesse la vérité, soit dans un livre, soit dans une proposition. La vérité, si on en peut parler ainsi, est une fleur tendre ; on n'y peut toucher qu'on ne l'altere & qu'on n'en ternisse l'éclat. La note dont on marque un livre ou une proposition, est d'autant plus flétrissante, que l'une ou l'autre s'éloigne plus de la vérité ; car il y a différentes nuances dans l'erreur. La note de l'hérésie est la plus infamante de toutes ; parce que l'hérésie est de toutes les erreurs celle qui s'éloigne le plus de la vérité. En effet, elle contredit formellement l'expresse parole de Dieu, & se révolte contre l'autorité de l'Eglise qui l'interprete ; la flétrissure de l'erreur est moins forte que celle qui lance l'anathème contre l'hérésie. Comme la vérité que l'erreur attaque est en partie fondée sur l'Ecriture, & en partie sur la raison, son crime est moindre, parce qu'elle se révolte moins directement contre l'autorité de Dieu. On note comme sentant l'hérésie, tout livre ou toute proposition qui présente d'abord à l'esprit un sens hérétique, quoique l'un ou l'autre ait un sens plus caché qui renferme la vérité. Il y a beaucoup d'analogie entre ce qui sent l'hérésie, & ce qui est captieux ; elle est la même que celle qui se trouve entre l'hérésie & l'erreur. Ainsi toute proposition chargée de termes compliqués, obscurs & embarrassés, est ou captieuse ou sentant l'hérésie ; captieuse, si c'est seulement une erreur qu'elle insinue ; sentant l'hérésie, si c'est une hérésie qu'elle présente d'une maniere indirecte. Il n'est pas aisé d'assigner les limites qui séparent une proposition mal sonnante dans la foi d'avec celle qui sent l'hérésie : peut-être que toute la malignité de l'une consiste dans les termes durs qui énoncent une vérité, & qui la rendent odieuse à ceux qui l'écoutent ; tandis que la malignité de l'autre en veut à la vérité, quoique sous des termes plus doux & plus mitigés. Ainsi la note d'une proposition mal sonnante dans la foi, n'est pas si forte que la note d'une proposition sentant l'hérésie. On qualifie d'opinion dangereuse celle qui embarrasse si fort le dogme catholique dans les incertitudes des systèmes théologiques, que cette opinion entraîneroit la ruine du dogme avec celle des systèmes. Rien n'est sans-doute plus dangereux, pour la foi, que de la faire dépendre d'une opinion humaine, sujette par sa nature à l'examen critique de tout homme qui voudra l'attaquer. La note de témérité tombe sur une proposition qui seroit balancée par une grande autorité ; ce n'est pas tant le nombre des scolastiques que leurs raisons, qui doivent faire autorité sur l'esprit d'un théologien. Il y a eu un tems où toutes les écoles, & même toutes les universités de Théologie, soûtenoient avec chaleur le probabilisme ; cette nuée de théologiens, qui formoient pour lui un puissant parti, lui donnoit-elle plus de poids & d'autorité ? non sans-doute. Il y a eu aussi un tems où c'eût été un crime en Théologie, de soûtenir l'intention extérieure ; c'est aujourd'hui une opinion soûtenue publiquement sur les bancs : tel est le sort des opinions théologiques. Ce que de graves docteurs ont proscrit comme téméraire dans leur jeunesse, ils le voyent quelquefois soûtenir sur leurs vieux ans, comme une opinion très-vraisemblable : témoin la fameuse question des ordinations anglicanes, sur laquelle on a fait autrefois tant de bruit. L'exemple du concile de Trente, qui a laissé tant de questions indécises, ne voulant point interposer son autorité où il voyoit différentes opinions, nous apprend combien on doit être circonspect, quand il est question de flétrir un livre ou quelques propositions extraites. Ce qui a été une fois censuré par l'Eglise, soit dispersée, soit assemblée dans un concile, l'est irrévocablement ; aussi la censure ne tombe pas sur toute expression ou toute proposition qui se reproduit dans l'Eglise, après y avoir été défendue quelque tems, à cause de l'abus qui pouvoit en naître. Tels sont, par exemple, le terme d'omousios ; & cette proposition, unus è trinitate passus est. Il y a donc cette différence entre les propositions que l'Eglise censure, & celles qu'elle défend seulement, que les premieres contenant en elles-mêmes quelque fausseté, blesseront toûjours par quelque endroit la vérité, qui est la même dans tous les tems ; au lieu que les secondes n'étant mauvaises que par l'abus qu'en fait l'erreur, reprendront leur premier sens avoüé par la vérité, quand l'erreur qui lui en donnoit un forcé & mauvais, le précipitera dans l'oubli. Voyez NOTE & QUALIFICATION. (X)


CENT(Commerce) nous exprimons communément les quantités, la proportion des choses, & les profits qui se font par le commerce, par cent ; ils exigent deux & demi par ou pour cent, pour remettre de l'argent en telle ville : l'intérêt légitime de l'argent est cinq pour cent. Voyez CHANGE, REMISE, INTERET.

Cent est aussi en usage en fait de mesure, pour signifier certaine quantité ou nombre.

Les planches de sapin sont à six vingt le cent ou le grand cent, qui est de 112 livres.

Les lattes & les pieux de cinq piés sont à cinq fois vingt, & ceux de trois à six fois vingt le cent, le poids de cent ou le grand cent. Voyez QUINTAL.

Cent signifie aussi la perte ou le profit qui se rencontre sur la vente de quelque marchandise : ainsi quand on dit qu'il y a dix pour cent de gain, ou dix pour cent de perte sur une marchandise, c'est-à-dire que l'on y a profité ou perdu dix francs chaque fois.

Cent se dit encore par rapport aux traites & remises d'argent que l'on fait d'une place sur une autre place : ainsi on dit, il en coûtera deux & demi pour cent pour remettre en une telle ville.

Le tant pour cent qu'il en coûte pour les traites & remises d'argent, est ce que l'on appelle le prix du change. Voyez CHANGE.

Dans les écritures de marchands le tant pour cent se met ainsi en abregé (2 p. %) c'est-à-dire deux pour cent. Dict. du Comm. (G)


CENT-SUISSES. m. pl. (Hist. mod.) partie de la garde du Roi commandée par un capitaine qui a sous lui deux lieutenans, l'un françois, & l'autre suisse. Dans les jours de cérémonie leur capitaine marche devant le Roi ; le capitaine des gardes du corps derriere. Au sacre le capitaine & les lieutenans sont vêtus de satin blanc, avec de la toile d'argent dans les entaillures, & les suisses ont des casaques de velours. Cette milice a des juges de sa nation, & joüit des mêmes priviléges que les sujets nés du royaume : elle est exempte de toute imposition ; & ce privilége s'étend aux enfans & aux veuves : Voici l'ordre de sa marche. 1. Le capitaine ; 2. les deux lieutenans ; 3. le premier sergent ; 4 quatre trabans pour la défense particuliere du capitaine ; 5. les caporaux ; 6. les anspessades ; 7. les tambours ; 8. les mousquetaires ; 9, deux trabans pour la défense de l'enseigne ; 10. deux tambours ; 11. l'enseigne ; 12. les piquiers ; 13. les mousquetaires de la seconde marche ; 14. les sous-lieutenans à la queue de la compagnie ; les autres sergens sur les ailes. Ils sont appellés cent-suisses, parce qu'ils forment une compagnie de cent hommes. Le P. Daniel prétend que cette compagnie est une garde militaire du Roi. En effet, les cent-suisses vont à la tranchée dans les siéges que le Roi fait en personne : alors au lieu de la halebarde, leur arme ordinaire, ils prennent le fusil. Les Suisses commencerent en 1481 à être à la solde du Roi, à la place des francs-archers établis par Charles VII. Louis XI. les retint à la recommandation de son pere, & en prit une compagnie pour la garde ordinaire de sa personne. Cette compagnie fut confirmée dans cette fonction par Charles VIII. en 1496 ; le capitaine qui la commande a le titre de capitaine-lieutenant. Voyez l'Etat de la France, l'Histoire de la Milice Françoise par le P. Daniel, & l'Abrégé chronologique de M. le président Hénault.


CENTAURÉE(Grande) s. f. Hist. nat. bot. centaurium majus, genre de plante dont la fleur est un bouquet à plusieurs fleurons découpés, portés chacun par un embryon, & soûtenus par un calice écailleux & sans épine : les embryons deviennent dans la suite des semences garnies d'aigrettes. Ajoûtez aux caracteres de ce genre la grandeur des fleurs qui le rend différent de la jacée. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le centaurium majus folio helenii incano, Tournef. inst. 443. a la racine dessicative, astringente, apéritive, fortifiante : on en fait usage dans la cure des plaies. Elle doit son nom, selon Pline, au centaure Chiron, qui se guérit par son usage d'une blessure qu'il avoit reçûe d'une des fleches d'Hercule. On en fait peu d'usage. (N)

CENTAUREE, (petite) s. f. Hist. nat. bot. centaurium minus, genre de plante à fleur monopétale faite en forme d'entonnoir, & découpée : il sort du calice un pistil qui perce le fond de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit presque cylindrique ou oval, qui s'ouvre en deux parties, qui est partagé en deux loges, & qui renferme des semences ordinairement assez menues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La petite centaurée est très-amere au goût ; elle est apéritive, détersive ; elle leve les obstructions du foie & de la rate, provoque les regles & les urines, soulage dans la jaunisse & dans les fievres intermittentes, fortifie l'estomac, & tue les vers. On s'en sert à l'extérieur en fomentation dans les enflures.

L'extrait que l'on en tire est la seule préparation officinale qu'elle fournisse.

La vertu fébrifuge de cette plante vient d'un sel amer, analogue à celui de la terre ; il est mêlé avec du soufre & de la terre, de façon que le sel ammoniac y est plus dégagé que les autres principes ; ainsi la petite centaurée a beaucoup de rapport avec l'aloès, le quinquina, & l'ipécacuanha.

Dans les fievres on peut ordonner son infusion dans du vin blanc : mais comme elle est fort amere, il est plus à propos de joindre l'extrait de petite centaurée avec autant de quinquina en poudre. L'usage de l'infusion de fleurs de petite centaurée prise en guise de thé le matin à jeun, soulage la migraine. (N)


CENTAURESS. m. pl. (Myth.) monstres de la fable moitié hommes & moitié chevaux : elle les a fait naître d'Ixion & d'une nuée. Ceux qui prétendent trouver un sens à toutes les visions de la crédule antiquité, disent que les centaures étoient des peuples qui habitoient la contrée de la Thessalie voisine du mont Pélion, qu'ils dompterent les premiers chevaux ; & que comme avant eux l'on n'avoit point encore vû d'hommes à cheval, on prit l'homme & le cheval sur lequel il étoit monté, pour un seul & même animal. Quoi qu'il en soit de cette explication, il est certain que le centaure Chiron, précepteur d'Achille, n'étoit qu'un excellent écuyer. Ceux des centaures qui assisterent aux noces de Pirithoüs & de Déidamie s'y querellerent avec les Lapithes, qu'Hercule vengea en chassant les centaures de la Thessalie. Y a-t-il eu vraiment des centaures, ou ces monstres sont-ils fabuleux ? c'est ce qu'il n'est point facile de décider. Plutarque dit qu'on en présenta un qui venoit de naître d'une cavale, aux sept sages ; Pline, qu'il en a vû un qu'on avoit apporté d'Egypte à Rome, embaumé à la maniere du pays ; S. Jérome, que S. Antoine rencontra un hippocentaure dans le desert, &c. Si l'on veut décider la question par l'histoire naturelle, on trouvera dans un grand nombre d'animaux qui proviennent du mélange de deux especes, des raisons suffisantes pour admettre la possibilité des centaures, des faunes, &c. Quand à la maniere fabuleuse dont il naquirent d'Ixion & de la nuée, on la raconte de plusieurs manieres différentes : les uns prétendent qu'Ixion devenu amoureux de Junon à la table de Jupiter, osa déclarer sa passion à la déesse ; & que Jupiter loin de s'offenser de cette témérité, offrit aux embrassemens d'Ixion une nuée formée à la ressemblance de Junon, de laquelle naquit un centaure : d'autres disent qu'Ixion ayant engagé par l'espoir de la recompense, de jeunes Thessaliens d'un village voisin de la montagne appellée Nephelé ou Nuée, à combattre des taureaux qui ravageoient la campagne autour du mont Pélion, le nom de la montagne, & le succès des jeunes gens contre les taureaux, donnerent lieu à la fable d'Ixion & des centaures : enfin Tzetzes assûre que le Jupiter dont Ixion aima la femme, étoit un roi de Thessalie qui eut la condescendance pour la passion d'Ixion, non de lui ceder sa femme, mais de lui substituer une de ses filles d'honneur appellée Nephelé, de laquelle naquit un fils appellé Imbrus, & surnommé dans la suite centaure, de , piquant, & de , queue. D'autres donnent pour étymologie , pungere tauros ; parce que, dit-on, les centaures étoient des gardes du Roi de Thessalie, qui ramenerent à l'étable des taureaux qui s'étoient enfuis & effarouchés.

CENTAURE, centaurus, en Astronomie, constellation de l'hémisphere méridional, représentée par une figure moitié homme & moitié cheval, & qui d'ordinaire se joint au loup. Voyez LOUP. (O)

Les étoiles de cette constellation sont au nombre de dix-neuf dans le catalogue de Ptolemée ; au nombre de quatre dans celui de Tycho, & au nombre de treize dans le catalogue anglois.


CENTENIERSS. m. pl. (Hist. mod.) officiers de l'ancienne monarchie françoise subordonnés aux comtes, & chargés de mener à la guerre des hommes libres du bourg, ou leurs centaines. Voyez Esp. des lois, liv. XXX. chap. xvij. (O)


CENTIEME-DENIERest un droit que le Roi s'est attribué par l'édit du mois de Décembre 1703, sur tous acquéreurs d'immeubles à quelque titre que ce soit : c'est la centieme partie du prix de l'acquisition. (H)


CENTOBRIGUESS. m. pl. (Géog.) ancienne ville des Celtibériens en Espagne. Les machines de Metellus qui l'assiégeoient ayant renversé un pan de muraille, les habitans exposerent sur la breche les enfans de Réthogene qui s'étoit rendu dans son camp : Metellus aima mieux lever le siége, que de faire périr la famille du brave Celtibérien, qui exhortoit à continuer l'attaque. Cette action toucha tellement les assiégés, qu'ils ouvrirent leurs portes aux Romains.


CENTONS. m. en Poésie, piece de vers composée en entier de vers ou de passages pris de côtés & d'autres, soit dans le même auteur, soit dans différens écrivains, & disposés seulement dans une nouvelle forme ou un nouvel ordre qui compose un ouvrage, & donne à ces lambeaux un sens tout différent de celui qu'ils ont dans l'original.

Ce mot est latin, cento, & signifie à la lettre un manteau fait de pieces rapportées : il vient du grec , qui veut dire la même chose. Les soldats romains dans les siéges se servoient de centons, ou de vieilles étoffes rapetassées, pour se garantir des traits de l'ennemi ; & l'on couvroit aussi au même dessein les machines de guerre, les galeries, & autres choses nécessaires aux approches, de peaux de bêtes fraîchement écorchées, que les auteurs appellent centons. Voyez CENTONAIRES.

Ausone a donné des regles de la composition des centons ; & lui-même en a fait un très-obscene tiré des vers de Virgile : il faut prendre, dit-il, des morceaux détachés du même poëte, ou de plusieurs : on peut prendre les vers entiers ou les partager en deux, & lier une moitié empruntée d'un poëte à la moitié qu'un autre aura fournie : mais il n'est pas permis d'insérer deux vers de suite, ni d'en prendre moins que la moitié d'un.

Proba Falconia a écrit la vie de Jésus-Christ en centons tirés de Virgile, aussi-bien qu'Alexandre Rosso, & Etienne de Pleurre chanoine régulier de S. Victor de Paris. Voici un exemple de ces centons dans l'adoration des Mages. Voyez Chambers & le dict. de Trév.

CENTONAIRES, s. m. pl. (Hist. anc.) officiers dans les armées romaines, qui avoient soin de fournir les étoffes que l'on appelloit centones, & qui servoient à couvrir les tours & les autres machines de guerre dans les siéges, pour les défendre des traits ou du feu des ennemis. Vegece, liv. IV. parlant d'une galerie couverte qui servoit à faire les approches, dit que par-dehors, de peur qu'on n'y mît le feu, elle étoit revêtue de cuirs fraîchement écorchés, & de centons, centonibus ; c'est-à-dire de quelques vieilles étoffes, qui étant mouillées pouvoient ou résister au feu, ou amortir les armes de trait. César, dans ses commentaires & dans le livre de la guerre civile, chap. xljv. rapporte que les soldats se servoient aussi de centons pour se garantir des traits de l'ennemi, comme on fait encore aujourd'hui de gabions & de sacs à laine. Les centonaires étoient souvent joints aux dendrophores ou charpentiers, & autres ouvriers suivans les armées, comme il paroît par d'anciennes inscriptions. Rosin, antiquités romaines. (G)


CENTRALadj. (Méchanique) se dit de ce qui a rapport à un centre. Voyez CENTRE.

C'est ainsi que nous disons éclipse centrale, feu central, force centrale, regle centrale, &c. Voyez les articles FEU, ÉCLIPSE, &c.

Forces centrales, sont des forces ou puissances par lesquelles un corps mû tend vers un centre de mouvement, ou s'en éloigne.

C'est une loi générale de la nature, que tout corps tend à se mouvoir en ligne droite ; par conséquent un corps qui se meut sur une ligne courbe, tend à chaque instant à s'échapper par la tangente de cette courbe : ainsi pour l'empêcher de s'échapper suivant cette tangente, il faut nécessairement une force qui l'en détourne & qui le retienne sur la courbe. Or c'est cette force qu'on appelle force centrale. Par exemple un corps A (fig. 24. Méchan.) qui se meut sur le cercle B E A, tend à se mouvoir au point A suivant la tangente A G, & il se mouvroit effectivement suivant cette tangente, s'il n'avoit pas une force centrale qui le pousse vers le point C, & qui lui feroit parcourir la ligne A M dans le même tems qu'il parcouroit A D ; desorte qu'il décrit la petite portion de courbe A E.

Remarquez qu'il n'est pas nécessaire que la force centrale soit toûjours dirigée vers un même point : elle peut changer de direction à chaque instant, il suffit que sa direction soit différente de celle de la tangente, pour qu'elle oblige le corps à décrire une courbe. Voyez CENTRE DE MOUVEMENT ; voyez aussi FORCE.

Les forces centrales se divisent en deux especes, eu égard aux différentes manieres dont elles sont dirigées par rapport au centre, savoir en centripetes & en centrifuges. Voyez ces mots.

Lois des forces centrales. Le célebre M. Huyghens est le premier qui ait découvert ces lois. Mais outre qu'il les a données sans démonstration, il ne s'est appliqué qu'à déterminer les lois des forces centrales dans le cas où le corps décrit un cercle. Plusieurs auteurs ont démontré depuis les lois données par M. Huyghens, & le célebre M. Newton a étendu la théorie des forces centrales à toutes les courbes possibles.

Parmi les auteurs qui ont démontré les propositions de M. Huyghens, personne ne l'a fait plus clairement & d'une maniere plus simple, que le marquis de l'Hôpital dans les mémoires de l'académie de 1701. 1°. Il commence par enseigner la maniere de comparer la force centrale avec la pesanteur ; & il donne là-dessus la regle générale suivante, qui renferme toute la théorie des forces centrales.

Supposons qu'un corps d'un poids déterminé se meuve uniformément autour d'un centre avec une certaine vîtesse, il faudra trouver de quelle hauteur il devroit être tombé pour acquérir cette vîtesse ; après quoi on fera cette proposition : comme le rayon du cercle que le corps décrit est au double de cette hauteur, ainsi son poids est à sa force centrifuge. Il est visible que par cette proposition on peut toûjours trouver le rapport de la force centrale d'un corps à son poids ; & que par conséquent on pourra facilement comparer les forces centrales entre elles. Mais si on veut se contenter de comparer les forces centrales entre elles sans les comparer avec la pesanteur, on peut se servir de ce théorème, que les forces centrales de deux corps sont entre elles comme les produits de leurs masses multipliés par les quarrés de leurs vitesses, & divisés par les rayons ou par les diametres des cercles qu'ils décrivent. On peut démontrer cette proposition sans calcul, d'après M. Newton, de la maniere suivante. Imaginons les cercles que ces corps décrivent comme des polygones réguliers semblables, d'une infinité de côtés ; il est certain que les forces avec lesquelles chacun des corps frappe un des angles de ces polygones, sont comme des produits de leurs masses par leurs vîtesses. Or dans un même tems ils rencontrent d'autant plus d'angles qu'ils vont plus vîte, & que le cercle est d'un rayon plus petit : donc le nombre des coups dans un même tems, est comme la vîtesse divisée par le rayon, donc le produit du nombre des coups par un seul coup, c'est-à-dire la force centrale, sera comme le produit de la masse multiplié par le quarré de la vîtesse, & divisé par le rayon.

Donc si deux corps M, m, décrivent les circonférences du cercle C, c avec des vitesses V, u pendant les tems T, t, & que les forces centrales de ces corps soient F, f, & les rayons des cercles qu'ils décrivent R, r, on aura F : f : : (M x V V)/R : (m u u)/r ; de plus, on a V : u : : C/T : c/t : : R/T : r/t ; donc on aura encore F : f : : MR/TT : (m r)/(t t).

2°. Il est aisé de conclure de-là, que si deux corps de poids égal décrivent des circonférences de cercles inégaux dans des tems égaux, leurs forces centrales seront comme les diametres A B & H L (Planc. de Méchan. fig. 24.) car si m = M & t = T, on aura F : f : : R : r ; & par conséquent si les forces centrales de deux corps qui décrivent des circonférences de deux cercles inégaux, sont comme leurs diametres, ces corps feront leurs révolutions dans des tems égaux.

3°. La force centrale d'un corps qui se meut dans une circonférence de cercle, est comme le quarré de l'arc infiniment petit A E, divisé par le diametre A B ; car cet arc infiniment petit décrit dans un instant, peut représenter la vîtesse, puisqu'il lui est proportionnel. Ainsi puisqu'un corps décrit dans des tems égaux, par un mouvement uniforme, des arcs égaux A E, la force centrale par laquelle le corps est poussé dans la circonférence du cercle, doit être constamment la même.

4°. Si deux corps décrivent par un mouvement uniforme différentes circonférences, leurs forces centrales seront en raison composée de la doublée de leur vîtesse, & de la réciproque de leur diametre ; d'où il s'ensuit que si les vîtesses sont égales, les forces centrales seront réciproquement comme les diametres ; & si les diametres A B & H L sont égaux, c'est-à-dire si les mobiles se meuvent dans la même circonférence, mais avec des vîtesses inégales, les forces centrales seront en raison doublée des vîtesses.

Si les forces centrales de deux corps qui se meuvent dans des circonférences différentes, sont égales, les diametres A B & H L seront en raison doublée des vîtesses.

5°. Si deux corps qui se meuvent dans des circonférences inégales sont animés par des forces centrales égales, le tems employé à parcourir la plus grande circonférence sera au tems employé à parcourir la plus petite, en raison soûdoublée du plus grand diametre A B, au moindre H L : c'est pourquoi on aura T2 : t2 : : D : d ; c'est-à-dire que les diametres des cercles dans les circonférences desquels ces corps sont emportés par une même force centrale, sont en raison doublée des tems.

Il s'ensuit aussi de là, que le tems que des corps poussés par des forces centrales égales employent à parcourir des circonférences inégales, sont proportionnels à leurs vîtesses.

Les forces centrales sont en raison composée de la directe des diametres & de la réciproque des quarrés des tems employés à parcourir les circonférences entieres.

6°. Si les tems dans lesquels les corps parcourent les circonférences entieres ou des arcs semblables, sont comme les diametres des cercles, les forces centrales seront alors réciproquement comme ces mêmes diametres.

7°. Si un corps se meut uniformément dans la circonférence d'un cercle avec la vîtesse qu'il acquiert en tombant de la hauteur A F, nous avons dit que la force centrale sera à la gravité comme le double de la hauteur A F est au rayon C A ; & par conséquent si on nomme G la gravité du corps, la force centrifuge sera (2 A F x G)/(C A). Par-là on connoîtra quelle doit être la force centrifuge & la vîtesse d'un corps attaché à un fil, pour qu'il ne rompe point ce fil en circulant horisontalement : car supposons qu'un poids de trois livres, par exemple, rompe le fil, & que le poids du corps soit de deux livres, on aura G égal à deux livres, & (2 A F x 2)/(C A) devra être plus petit que trois livres, d'où l'on tire A F < (3 C A)/4 : ainsi la vîtesse que le corps doit avoir pour ne point rompre le fil, doit être plus petite que celle qu'il acquerroit en tombant d'une hauteur égale aux 3/4 du rayon. Si le corps circuloit verticalement, il faudroit que (2 A F x G)/(C A) + G fût < trois livres.

8°. Si un corps grave se meut uniformément dans la circonférence d'un cercle, & avec la vîtesse qu'il peut acquérir en tombant d'une hauteur égale à la moitié du rayon : la force centrale sera alors égale à la gravité ; réciproquement si la force centrale est égale à la gravité, le corps se mouvra dans la circonférence du cercle avec la même vîtesse qu'il auroit acquise en tombant d'une hauteur égale à la moitié du rayon.

9°. Si la force centrale est égale à la gravité, le tems qu'elle employera à faire parcourir la circonférence entiere, sera au tems dans lequel un corps grave tomberoit de la moitié du rayon, comme la circonférence est au rayon.

10°. Si deux corps se meuvent dans des circonférences inégales & avec des vîtesses inégales, desorte que les vîtesses soient entr'elles en raison réciproque de la soûdoublée des diametres, les forces centrales seront en raison réciproque de la doublée des distances au centre des forces.

11°. Si deux corps se meuvent dans des circonférences inégales avec des vîtesses qui soient entr'elles réciproquement comme les diametres, les forces centrales seront en raison inverse des cubes de leur distance au centre des forces.

12°. Si les vîtesses de deux corps qui se meuvent dans des circonférences inégales, sont en raison inverse de la soûdoublée des diametres, les tems qu'ils employeront à faire leur révolution entiere ou à parcourir des arcs semblables, seront en raison inverse de la triplée des distances du centre des forces : c'est pourquoi si les forces centrales sont en raison inverse de la doublée des distances du centre, les tems que les corps employeront à faire leur révolution entiere ou à parcourir des arcs semblables, seront en raison inverse de la triplée des distances.

13°. Ces différentes lois sont aisées à déduire de la formule que nous avons donnée dans l'art. 1. pour la comparaison des forces centrales entr'elles. Or pour comparer les forces centrales sur des courbes autres que des cercles, il faut prendre au lieu des rayons des cercles, les rayons de la développée de ces courbes qui changent à chaque point, & qu'on trouve par des méthodes géométriques : d'où l'on voit que quand un corps décrit une courbe autre qu'un cercle, la valeur de la force centrale change à chaque instant ; au lieu qu'elle est toûjours la même quand le corps décrit un cercle. Il faudra de plus diviser la quantité trouvée par le rapport du sinus total au cosinus de l'angle que la direction de la force centrale fait avec la tangente.

14°. Si un corps tend à se mouvoir suivant A D (fig. 25.), & qu'il soit en même tems sollicité par une force centripete vers un point fixe C, placé dans le même plan, il décrira alors une courbe dont la concavité sera tournée vers C, & dont les différentes aires comprises entre deux rayons quelconques A C & C B, seront proportionnels aux tems employés à parcourir ces aires, c'est-à-dire à parvenir de l'extrémité d'un de ces rayons à l'extrémité de l'autre. Car sans la force centrale qui pousse suivant B F, le corps parcouroit dans des tems égaux B D = A B : mais à cause de la force centrale, il décrira la diagonale B E du parallelogramme F B D E dans le même tems qu'il a décrit A B. Or le triangle C B A = C B D, à cause de B D = A B ; & à cause des paralleles D E, F B, on a C B E = C B D. Donc C B E = C A B. Donc, &c.

15°. Quelque différentes que soient des forces centrales dans des cercles, on pourra toûjours les comparer ensemble : car elles seront toûjours en raison composée de celle des quantités de matiere que contiennent les mobiles, de celles de leur distance au centre, & enfin de l'inverse de la doublée des tems périodiques. Si l'on multiplie donc la quantité de matiere de chaque mobile par sa distance du centre, & qu'on divise le produit par le quarré du tems périodique, les quotiens qui résulteront de ces opérations seront entr'eux dans la raison des forces centrales : c'est une suite de l'article 1.

16°. Si les quantités de matieres sont égales, il faudra diviser les distances par les quarrés des tems périodiques, pour déterminer le rapport des forces centrales.

17°. Lorsque la force par laquelle un corps est sollicité vers un point, n'est pas par-tout la même, mais qu'elle augmente ou diminue à proportion de la distance du centre ; cette nouvelle condition fait décrire alors au mobile différentes courbes plus ou moins composées. Si la force décroît en raison inverse des quarrés des distances à ce point, le mobile décrira alors une ellipse, qui est une courbe ovale, dans laquelle se trouvent deux points qu'on nomme foyers, dont l'un est alors occupé par le point T, vers lequel se dirige la force dont nous parlons ; de façon qu'à chaque révolution le corps s'approche une fois de ce point, & s'en éloigne une fois. Le cercle appartient aussi à cette espece de courbe ; desorte que dans ce cas le mobile peut aussi décrire un cercle. Le mobile peut aussi, en lui supposant une plus grande vîtesse, décrire les deux autres sections coniques, la parabole, & l'hyperbole ; lesquelles ne retournent point sur elles-mêmes. Si la force croît en même tems que la distance, & en raison de la distance même, le corps décrira encore une ellipse : mais le point vers lequel se dirigera la force, sera alors le centre de l'ellipse, & le mobile à chaque révolution s'approchera deux fois & s'éloignera deux fois de ce point. Il peut arriver encore en ce cas, que le corps se meuve dans un cercle. Voyez ORBITE, PLANETE, TRAJECTOIRE & PROJECTILE. Voyez aussi les principes mathém. de M. Newton, liv. I. & les élémens de méchan. de Wolf.

Les courbes peuvent être considérées, ou comme courbes rigoureuses, ou comme polygones infinis ; or l'expression de la force centrale est différente dans les deux cas : ce paradoxe singulier sera expliqué à l'article COURBE.

Regle centrale ; c'est une regle ou une méthode qui a été découverte par Thomas Baker, géometre anglois ; au moyen de laquelle on trouve le centre & le rayon du cercle qui peut compter une parabole donnée dans des points, dont les abscisses représentent les racines réelles d'une équation du troisieme ou du quatrieme degré qu'on se propose de construire. Voyez CONSTRUCTION.

La regle centrale est sur-tout fondée sur cette propriété de la parabole ; que si on tire dans cette courbe une perpendiculaire à un diametre quelconque, le rectangle formé des segmens de cette ligne, est égal au rectangle fait de la portion correspondante du diametre, & du parametre de l'axe.

La regle centrale est préférable, selon Baker, aux méthodes de Descartes pour construire les équations, en ce que dans cette derniere on a besoin de préparer l'équation, en lui ôtant le second terme ; au lieu que dans celle de Baker on n'a point cet embarras, puisqu'elle donne le moyen de construire, par l'intersection d'un cercle & d'une parabole, toute équation qui ne passe pas le quatrieme degré, sans en faire évanoüir ni changer aucun terme. Voyez Transactions philosophiq. n °. 157. Mais il est très-facile, en suivant l'esprit de la méthode de Descartes, de construire par le moyen du cercle & de la parabole, toutes les équations du troisieme & du quatrieme degré, sans en faire évanoüir le second terme. Voyez la solution de ce problème dans l'article 386. des sections coniques de M. de l'Hôpital. (O)


CENTRES. m. (Géométrie) dans un sens général marque un point également éloigné des extrémités d'une ligne, d'une figure, d'un corps, ou le milieu d'une ligne, ou un plan par lequel un corps est divisé en deux parties égales.

Ce mot est grec, , qui signifie originairement un point, qui est formé du verbe , pungere, piquer.

CENTRE d'un cercle, c'est le point du milieu du cercle, situé de façon que toutes les lignées delà à la circonférence, sont égales. Voyez CERCLE. Euclide démontre que l'angle au centre est double de celui de la circonférence, c'est-à-dire que l'angle qui est fait de deux lignes qui sont tirées des deux extrémités d'un arc de cercle au centre, est double de l'angle que font deux lignes tirées des extrémités d'un même arc, & qui aboutissent à la circonférence, Voyez CIRCONFERENCE & ANGLE. (E)

CENTRE d'une section conique, c'est le point où concourent tous les diametres. Voyez DIAMETRE, voyez aussi SECTIONS CONIQUES. Ce point est dans l'ellipse en-dedans de la figure, & dans l'hyperbole au-dehors. Voyez ELLIPSE & HYPERBOLE.

CENTRE d'une courbe d'un genre plus élevé, c'est le point où deux diametres concourent V. DIAMETRE.

Lorsque tous les diametres concourent en un même point, M. Newton appelle ce point centre général. Voyez COURBE. M. l'abbé de Gua, dans ses usages de l'analyse de Descartes, a donné une méthode pour trouver les centres généraux des courbes, & des remarques importantes sur la définition des centres généraux donnée par M. Newton.

M. l'abbé de Gua appelle centre général d'une courbe un point de son plan, tel que toutes les droites qui y passent ayent de part & d'autre de ce point des portions égales terminées à la courbe ; & il observe, 1°, que cette définition convient assez à l'acception ordinaire du mot centre. 2°. Que la définition de M. Newton est comprise dans la sienne. 3°. Que ce n'est qu'en se servant de sa définition, qu'on peut parvenir aux conditions que M. Newton a assignées pour les courbes, qui ont, selon ce grand géometre, un centre général ; d'où il paroît s'ensuivre que M. Newton a eu en vûe plûtôt la définition de M. l'abbé de Gua, que la sienne propre, lorsqu'il a déterminé ces centres. Voyez l'ouvrage cité de M. l'abbé de Gua, pag. 17. & suiv.

M. Cramer, dans son introduction à l'analyse des lignes courbes, donne une méthode très-exacte pour déterminer les centres généraux. Dans l'extrait que le journal des savans de 1740 a donné de l'ouvrage de M. l'abbé de Gua, on trouve à la fin une remarque assez importante sur la méthode de cet habile géometre pour trouver les centres généraux.

CENTRE d'un cadran, c'est le point dans lequel le gnomon ou stile qui est placé parallelement à l'axe de la terre, coupe le plan du cadran, & d'où toutes les lignes horaires sont tirées : si le plan du cadran étoit parallele à l'axe de la terre, il n'auroit point du tout de centre, mais toutes les lignes des heures deviendroient paralleles au stile, & les unes aux autres. Voyez CADRAN.

CENTRE de gravitation ou d'attraction, en Physique, c'est le point vers lequel une planete ou une comete est continuellement poussée ou attirée dans sa révolution par la force de la gravité. Voyez GRAVITATION & ATTRACTION.

CENTRE de gravité, en Méchanique, c'est un point situé dans l'intérieur du corps, de maniere que tout plan qui y passe, partage le corps en deux segmens qui se font équilibre, c'est-à-dire dont l'un ne peut pas faire mouvoir l'autre.

D'où il s'ensuit que si on empêche la descente du centre de gravité, c'est-à-dire si on suspend un corps par son centre de gravité, il restera en repos. Voyez MOUVEMENT & REPOS.

La gravité totale d'un corps peut être conçûe réunie à son centre de gravité ; c'est pourquoi on substitue ordinairement dans les démonstrations le centre de gravité au corps.

Les droites qui passent par le centre de gravité s'appellent diametre de gravité ; ainsi l'intersection de deux diametres de gravité détermine le centre. Voyez DIAMETRE.

Tout plan qui passe par le centre de gravité, ou ce qui est la même chose, dans lequel ce centre se trouve, s'appelle plan de gravité ; & ainsi l'intersection commune de deux plans de gravité, est un diametre de gravité.

Dans les corps homogenes qui peuvent se diviser en parties égales & semblables, le centre de gravité est la même chose que le centre de figure, ou le point de milieu du corps ; c'est pourquoi si on coupe une droite en deux parties égales, le point de section sera le centre de gravité.

Centre commun de gravité de deux corps, c'est un point situé dans la ligne droite qui joint les centres de gravité de ces deux corps, de maniere que s'il étoit soûtenu, le système des deux corps resteroit en repos, & la gravité de l'un de ces deux corps ne pourroit prévaloir sur celle de l'autre ; ainsi le point de suspension dans la balance ordinaire ou dans la romaine, c'est-à-dire le point sur lequel les deux poids font équilibre, est le centre commun de gravité des deux poids. Voyez ROMAINE.

Lois du centre de gravité : 1°. Si on joint, (Pl. Méchaniq. fig. 13. n °. 3.) les centres de gravité de deux corps A & C, par une droite A B, les distances B C & C A du centre commun de gravité C aux centres particuliers de gravité B & A, seront entr'elles en raison réciproque des poids. Voyez BALANCE & LEVIER.

Et par conséquent si les poids A & B sont égaux, le centre commun de gravité C sera dans le milieu de la droite A B. De plus puisque A est à B comme B C est à A C, il s'ensuit que A x A C = B x B C, ce qui fait voir que les forces des corps en équilibre, doivent être estimées par le produit de la masse & de la distance du centre de gravité, ce qu'on appelle ordinairement moment des corps. Voyez MOMENT.

De plus, puisque A : B : : B C : A C, on en peut conclure que A + B : A : : B C + A C : B C ; ce qui fait voir que pour trouver le centre commun de gravité C de deux corps, il n'y aura qu'à prendre le produit de l'un de ces poids par la distance A B des centres particuliers de gravité A B, & le diviser par la somme des poids A & B. Supposons, par exemple, A = 12, B = 4, A B = 24, on aura donc B C = (24 x 12)/16 = 18 : si le poids A est donné, ainsi que la distance A B des centres particuliers de gravité, & le centre commun de gravité C, on aura le poids de B = (A x A C)/(B C,) c'est-à-dire qu'on le trouvera, en divisant le moment du poids donné par la distance du poids qu'on cherche, au centre commun de gravité : supposant A = 12, B C = 18, A C = 6, & on aura B = (6 x 12)/18 = 12/3 = 4.

2°. Pour déterminer le centre commun de gravité de plusieurs corps donnés a, b, c, d, (fig. 13. n. 3.) trouvez dans la ligne A B le centre commun de gravité des deux premiers corps a & b que je supposerai en P ; concevez ensuite un poids a + b appliqué en P, & trouvez dans la ligne P E le centre commun de gravité des deux poids a + b, & c que je supposerai en G ; enfin supposez un poids a + b + c appliqué en G, égal aux deux poids a + b & c, & trouvez le centre commun de gravité de ce poids a + b + c & de d, lequel je supposerai en H, & ce point H sera le centre commun de gravité de tout le système des corps a + b + c + d ; & on peut trouver de la même maniere le centre de gravité d'un plus grand nombre de corps tel qu'on voudra.

3°. Deux poids D & E (fig. 14.) étant suspendus par une ligne CO qui ne passe point par leur centre commun de gravité, trouver lequel des deux corps doit emporter l'autre.

Il faudra pour cela multiplier chaque poids par sa distance du centre de suspension, celui du côté duquel se trouvera le plus grand produit, sera le prépondérant ; & la différence entre les deux sera la quantité dont il l'emportera sur l'autre.

Les momens des poids D & E, suspendus par une ligne qui ne passe point par le centre de gravité, étant en raison composée des poids D & E, & des distances du point de suspension, il s'ensuit encore que le moment d'un poids suspendu précisément au point C, n'aura aucun effet par rapport aux autres poids D & E.

4°. Soient plusieurs corps a, b, c, d, (fig. 15.) suspendus en C par une droite CO qui ne passe point par leur centre de gravité, on propose de déterminer de quel côté sera la prépondérance, & quelle en sera la quantité.

On multipliera pour cela les poids c & d par leur distance C E & C B du point de suspension, & la somme sera le moment de leur poids ou leur moment vers la droite : on multipliera ensuite leur poids a & b par leurs distances A C & C D, & la somme sera le moment vers la gauche ; on soustraira l'un de ces momens de l'autre, & le reste donnera la prépondérance cherchée.

5°. Un nombre quelconque de poids a, b, c, d, étant suspendus en C par une ligne C O qui ne passe point par leur centre commun de gravité, & la prépondérance étant vers la droite, déterminer un point F, où la somme de tous les poids étant suspendue, la prépondérance continueroit à être la même que dans la premiere situation.

Trouvez le moment des poids c & d, c'est-à-dire e x C E & d x C B ; & puisque le moment des poids suspendus en F doit être précisément le même, le moment trouvé des poids c & d sera donc le produit de C F par la somme des poids ; & ainsi ce moment étant divisé par la somme des poids, le quotient donnera la distance C F, à laquelle la somme des poids doit être suspendue, pour que la prépondérance continue à être la même qu'auparavant.

6°. Trouver le centre de gravité d'un parallélogramme & d'un parallelépipede.

Tirez la diagonale A D & E G (fig. 16.) ainsi que C B & H F ; & puisque chacune des diagonales A D & C B divisent le parallélogramme A C D B en deux parties égales & semblables, chacune d'elles passe donc par le centre de gravité : donc le point d'intersection I est le centre de gravité du parallélogramme.

De même puisque les plans C B F H & A D G E divisent le parallelépipede en deux parties égales & semblables, ils passent l'un & l'autre par son centre de gravité ; & ainsi leur intersection I K est le diametre de gravité, & le milieu en est le centre.

On pourra trouver de la même maniere le centre de gravité dans les prismes & les cylindres, en prenant le milieu de la droite qui joint leurs bases opposées.

Dans les polygones réguliers, le centre de gravité est le même que celui du cercle circonscrit ou inscrit à ces polygones.

7°. Trouver le centre de gravité d'un cone & d'une pyramide. Le centre de gravité d'un cone est dans son axe A C (fig. 17.) ; si l'on fait donc A C = a, C D = r, p la circonférence dont le rayon est r, A P = x, P p = d x, le poids de l'élément du cone sera p r x2 d x /2 a2 & son moment sera p r x3 d x /2 a2 ; & par conséquent l'intégrale des momens p r x4/8 a2, laquelle divisée par l'intégrale des poids p r x3/6 a2, donne la distance du centre de gravité de la portion A M N au sommet A, = 6 a2 p r x4/8 a2 p r x3 = 3/4 x = 3/4 AP ; d'où il s'ensuit que le centre de gravité du cone entier est éloigné du sommet des 3/4 de A C ; & on trouve de la même maniere la distance du centre de gravité de la pyramide au sommet de cette pyramide = 3/4 A C.

8°. Déterminer le centre de gravité d'un triangle BAC (fig. 18.). Tirez la droite A D au point milieu D de B C ; & puisque le triangle B A D est égal au triangle B A C, on pourra donc diviser chacun de ces triangles en un même nombre de petits poids, appliqués de la même maniere à l'axe commun AD, de façon que le centre de gravité du triangle B A C sera situé dans A D. Pour déterminer le point précis, soit AD = a, BC = b, AP = x, MN = y, & on aura A p : M N : : A B : B C,

x : y : : a : b

ce qui donnera y = bx/a ; d'où il s'ensuit que le moment y x d x = b x2 d x/a & . y x d x = b x3/3 a, intégrale qui étant divisée par l'aire A M N du triangle, c'est-à-dire par b x2/2 a donne la distance du centre de gravité au sommet = (2 a b x3)/(3 a2 x2) = 2/3 x ; & ainsi substituant a pour x, la distance du centre total de gravité au sommet sera = 2/3 a.

9°. Trouver le centre de gravité de la portion de parabole S A H (fig. 19.) : sa distance du sommet A se trouve être 3/5 = A E par les méthodes précédentes.

10°. Le centre de gravité d'un arc de cercle, est éloigné du centre de cet arc, d'une droite qui est troisieme proportionnelle à cet arc, à sa corde, & au rayon. La distance du centre de gravité d'un secteur de cercle au centre de ce cercle, est à la distance du centre de gravité de l'arc au même centre, comme 2 est à 3.

Pour trouver les centres de gravité des segmens des conoïdes, des paraboloïdes, des sphéroïdes, des cones tronqués, &c. comme ce sont des cas plus difficiles, & qui en même tems ne se présentent que plus rarement, nous renvoyons là-dessus au traité de Wolf, d'où Chambers a tiré une partie de cet article.

11°. Déterminer méchaniquement le centre de gravité d'un corps. Placez le corps donné H I (fig. 20.) sur une corde tendue ou sur le bord d'un prisme triangulaire FG, & avancez-le plus ou moins, jusqu'à ce que les parties des deux côtés soient en équilibre ; le plan vertical passant par K L, passera par le centre de gravité : changez la situation du corps & avancez-le encore plus ou moins sur la corde ou sur le bord du prisme, jusqu'à ce qu'il reste en équilibre sur quelques lignes M N ; & l'intersection des deux lignes M N & K L déterminera sur la base du corps le point O correspondant au centre de gravité.

On peut faire la même chose en plaçant le corps sur une table horisontale, & le faisant déborder hors de la table le plus qu'il sera possible sans qu'il tombe, & cela dans deux positions différentes en longueur & en largeur : la commune intersection des lignes, qui dans les deux situations correspondront au bord de la table, déterminera le centre de gravité ; on peut aussi en venir à bout, en plaçant le corps sur la pointe d'un stile, jusqu'à ce qu'il reste en équilibre. On a trouvé dans le corps humain que le centre de gravité est situé entre les fesses & le pubis, de façon que la gravité du corps est ramassée en entier dans l'endroit où la nature a placé les parties de la génération ; d'où M. Wolf prend occasion d'admirer la sagesse du Créateur, qui a placé le membre viril dans l'endroit qui est le plus propre de tous à la copulation ; réflexion aussi fausse qu'indécente, puisque cette loi n'a point lieu dans la plûpart des animaux.

12°. Toute figure superficielle ou solide, produite par le mouvement d'une ligne ou d'une surface, est égale au produit de la quantité qui l'engendre, par la ligne que décrit son centre de gravité. Voyez l'art. CENTROBARIQUE.

Ce théorème est regardé comme une des plus belles découvertes qu'on ait faites dans les derniers tems, & il est le fondement de la méthode centrobarique ; Pappus en eut, à la vérité, la premiere idée : mais c'est le pere Guldin, jésuite, qui l'a portée à sa perfection. Leibnitz a prouvé que cette proposition a encore lieu, si l'axe ou le centre changeoient continuellement durant le mouvement. On en tire trop de corollaires, pour qu'il soit possible de les rapporter tous ici en détail. Voyez dans les Mémoires de l'Académie de 1714, un écrit de M. Varignon sur ce sujet.

Lorsque plusieurs corps se meuvent uniformément en ligne droite, soit dans un même plan, soit dans des plans différens, leur centre de gravité commun le meut toûjours uniformément en ligne droite, ou demeure en repos ; & cet état de mouvement ou de repos du centre de gravité, n'est point changé par l'action mutuelle que ces corps exercent les uns sur les autres. On peut voir la démonstration de cette proposition dans le traité de Dynamique, à Paris 1743, part. II. ch. ij. L'auteur de cet ouvrage paroît être le premier qui ait donné cette démonstration d'une maniere générale & rigoureuse. Jusqu'alors on ne connoissoit cette vérité que par une espece d'induction ; c'est principalement dans le cas où les corps agissent les uns sur les autres, & décrivent des courbes, que la proposition est difficile à démontrer : car quand ils se meuvent ordinairement en ligne droite dans un même plan, ce cas a été démontré par M. Newton, dans le premier livre de ses principes ; & quand ils se meuvent uniformément en ligne droite dans des plans différens, ce cas a été démontré par les peres le Sueur & Jacquier dans leur Commentaire sur les principes de Newton. Au reste la démonstration donnée dans le traité de Dynamique déjà cité, est générale pour tous ces cas, ou peut très-facilement y être appliquée.

CENTRE de mouvement ; c'est un point autour duquel tournent un ou plusieurs corps pesans, qui ont un même centre de gravité. Par exemple, si les poids p & q (Table de la Méchan. fig. 21.) tournent autour du point N, de façon que quand p descend, q monte, N sera dit alors le centre du mouvement. Voyez MOUVEMENT.

CENTRE d'oscillation ; c'est un point dans la ligne de suspension d'un pendule composé, tel que si toute la gravité du pendule s'y trouvoit ramassée, les oscillations s'y feroient dans le même tems qu'auparavant. Voyez OSCILLATION.

Sa distance du point de suspension est donc égale à la longueur d'un pendule simple, dont les oscillations seroient isochrones à celles du pendule composé. Voyez PENDULE & ISOCHRONE.

Lois du centre d'oscillation. Si plusieurs poids B, F, H, D (Planche de Méchan. fig. 22.) dont la gravité est supposée ramassée aux points D, F, H, B, conservent constamment la même distance entr'eux & la même distance du point de suspension A, & que le pendule ainsi composé fasse ses oscillations autour du point A ; la distance O A du centre d'oscillation O au point de suspension, se trouvera en multipliant les différens poids par les quarrés des distances, & divisant la somme par la somme des momens des poids.

Pour déterminer le centre d'oscillation dans une droite A B (fig. 23.) soit A B = a, A D = x, la particule infiniment petite D P sera égale d x, & le moment de son poids x d x, par conséquent la distance du centre d'oscillation dans la partie A D au point de suspension A, sera = . x2 d x/x d x = = 2/3 x : qu'on substitue maintenant a au lieu de x, & la distance du centre d'oscillation dans la droite totale A B sera = 2/3 a ; c'est ainsi qu'on trouve le centre d'oscillation d'un fil de métal qui oscille sur l'une de ses extrémités.

Pour le centre d'oscillation dans un triangle équilatéral C A B (fig. 18.) qui oscille autour d'un axe parallele à sa base C B, sa distance du sommet A se trouve égale au 3/4 A D, hauteur du triangle.

Pour celui d'un triangle équilatéral C A B, oscillant autour de sa base C B, sa distance du sommet A se trouve = 1/2 A D, hauteur du triangle.

Dans les Mém. de l'Acad. 1735. M. de Mairan remarque que plusieurs auteurs se sont mépris dans les formules des centres d'oscillation, entr'autres M. Carré, dans son livre sur le calcul intégral. Voyez OSCILLATION.

CENTRE de percussion dans un mobile, est le point dans lequel la percussion est la plus grande, ou bien dans lequel toute la force de percussion du corps est supposée ramassée. Voyez PERCUSSION. En voici les principales lois.

Lois du centre de percussion. 1°. Lorsque le corps frappant tourne autour d'un point fixe, le centre de percussion est alors le même que celui d'oscillation, & il se détermine de la même maniere, en considérant les efforts des parties comme autant de poids appliqués à une droite inflexible, destituée de gravité, c'est-à-dire en prenant la somme des produits des momens des parties, par leur distance du point de suspension, & divisant cette somme par celle des momens ; desorte que tout ce que nous avons démontré sur les centres d'oscillation, a lieu aussi pour les centres de percussion, lorsque le corps frappant tourne autour d'un point fixe. 2°. Lorsque toutes les parties du corps frappant se meuvent parallelement & avec une égale vîtesse, le centre de percussion est alors le même que celui de gravité.

CENTRE de conversion, en Méchanique, est le centre ou point autour duquel un corps tourne ou tend à tourner lorsqu'il est poussé inégalement dans ses différens points, ou par une puissance dont la direction ne passe pas par le centre de gravité de ce corps. Si, par exemple, on frappe un bâton par ses deux extrémités avec des forces égales, & en sens contraire, ce bâton tournera sur son centre ou point de milieu, qui sera alors le centre de conversion. Voyez CENTRE SPONTANEE de rotation, qui suit.

CENTRE SPONTANEE de rotation, est le nom que M. Jean Bernoulli donne au point, autour duquel tourne un corps qui a été en liberté, & qui a été frappé suivant une direction qui ne passe pas par son centre de gravité. Ce terme est employé par M. Bernoulli, dans le tome IV. du recueil de ses oeuvres imprimé en 1743 à Lausanne.

Pour faire entendre bien clairement ce que c'est que le centre spontanée de rotation, imaginons un corps G A D F, (fig. 43. Méchan.) dont le centre de gravité soit C, & qui soit poussé par une force quelconque suivant une direction A B, qui ne passe pas par son centre de gravité. On démontre dans la Dynamique que le centre de gravité C doit en vertu de cette impulsion se mouvoir suivant C O, parallele à A B, avec la même vîtesse que si la direction A B de la force impulsive eût passé par le centre de gravité C ; & on démontre de plus, qu'en même tems que le centre de gravité C avance en ligne droite suivant C O, tous les autres points du corps G A D F, doivent tourner autour du centre C, avec la même vîtesse & dans le même sens qu'ils tourneroient autour de ce centre, si ce centre étoit fixement attaché, & que la puissance ou force impulsive conservât la même valeur & la même direction A B. La démonstration de ces propositions seroit trop longue & trop difficile, pour être insérée dans un ouvrage tel que celui-ci : ceux qui en seront curieux pourront la trouver dans le Traité de Dynamique, imprimé à Paris en 1743, art. 138. & dans les Recherches sur la précession des équinoxes du même auteur, Paris 1749. Cela posé, il est certain que tandis que le centre C avancera suivant C O, les différens points H, I, &c. du corps G A D F, décriront autour du centre C des arcs de cercle Hh, Ii, d'autant plus grands, que ces points H, I, &c. seront plus loin du centre ; ensorte que le mouvement de chaque point du corps sera composé de son mouvement circulaire autour de C, & d'un mouvement égal & parallele à celui du centre C suivant C O ; car le centre C en se mouvant suivant C O, emporte dans cette direction tous les autres points, & les force, pour ainsi dire, de le suivre : donc le point Y, par exemple, tend à se mouvoir suivant I M, avec une vîtesse égale & parallele à celle du centre C suivant C O ; & ce même point I tend en même tems à décrire l'arc circulaire Ii avec une certaine vîtesse plus ou moins grande, selon que ce point I est plus ou moins près du centre C : d'où il s'ensuit qu'il y a un point I dont la vitesse pour tourner dans le sens Ii, est égale & contraire à celle de ce même point pour aller suivant I M. Ce point restera donc en repos, & par conséquent il sera le centre de rotation du corps G A D F. M. Bernoulli l'appelle spontanée, comme qui diroit centre volontaire de rotation, pour le distinguer du centre de rotation forcé. Le point de suspension d'une pendule, par exemple, est un centre de rotation forcé, parce que toutes les parties du pendule sont forcées de tourner autour de ce point, autour duquel elles ne tourneroient pas, si ce point n'étoit pas fixe & immobile. Au contraire le centre de rotation I est un centre spontanée, parce que le corps tourne autour de ce point, quoiqu'il n'y soit point attaché. Au reste il est bon de remarquer que le centre spontanée de rotation change à chaque instant : car ce point est toûjours celui qui se trouve, 1° sur la ligne G D perpendiculaire à A B, 2° à la distance C I du centre C ; c'est pourquoi le centre spontanée de rotation se trouve successivement sur tous les points de la circonférence d'un cercle décrit du centre C, & du rayon C I.

Il n'y a qu'un cas où le centre spontanée de rotation ne change point : c'est celui où ce centre est le même que le centre de gravité du corps : par exemple, une ligne inflexible chargée de deux poids inégaux, à qui on imprime en sens contraire des vîtesses en raison inverse de leurs masses, doit tourner autour de son centre de gravité, qui demeurera toûjours sans mouvement.

On peut remarquer aussi qu'il y a des cas où le centre I de rotation doit se trouver hors du corps G A D F ; cela arrivera lorsque le point I, dont la vîtesse suivant Ii doit être égale à la vîtesse suivant I M, se trouvera à une distance du point C plus grande que C G ; en ce cas le corps G A D F tournera autour d'un point placé hors de lui.

CENTRE des corps pesans, est dans notre globe le même que le centre de la terre, vers lequel tous les corps graves ont une espece de tendance. Il est cependant bon de remarquer que les corps graves ne tendroient véritablement vers un centre, que dans le cas où la terre seroit parfaitement sphérique : mais comme elle est un sphéroïde applati vers les poles, ainsi que la théorie & les observations le démontrent, les corps pesans ne sauroient tendre vers un même point à la rigueur ; il n'y a donc point à la rigueur de centre des corps pesans : cependant comme la terre differe peu de la figure sphérique, il s'en faut peu que les corps pesans ne tendent tous vers un même point ; & on prend dans le discours ordinaire le centre de la terre, pour le centre commun de tendance des graves. Voyez ANTIPODES & TERRE.

CENTRE d'équilibre, dans un système de corps, est le point autour duquel ces corps seroient en équilibre ; ou, ce qui est la même chose, un point tel que si le système étoit suspendu ou soûtenu par ce seul point, il resteroit en équilibre. Le point d'appui d'un levier est son centre d'équilibre. Voyez APPUI & LEVIER.

A cette occasion nous croyons devoir annoncer ici un principe d'équilibre trouvé par M. le marquis de Courtivron, de l'académie des Sciences, & dont la démonstration a été lûe à l'académie le 13 Juin 1750. Voici ce principe. De toutes les situations que prend successivement un système de corps animés par des forces quelconques, & liés les uns aux autres par des fils, des leviers, ou par tel autre moyen qu'on voudra supposer ; la situation où le système a la plus grande somme de produits des masses par le quarré des vîtesses, est la même que celle où il auroit fallu d'abord le placer pour qu'il restât en équilibre. En effet, une quantité variable devient la plus grande, lorsque son accroissement, & par conséquent la cause de son accroissement = 0 : or un système de corps dont la force augmente continuellement, parce que le résultat des pressions agissantes fait accélération, aura atteint son maximum de forces lorsque la somme des pressions sera nulle ; & c'est ce qui arrive lorsqu'il a pris la situation que demande l'équilibre.

L'auteur ne s'est pas borné à cette démonstration, qui, quoique vraie & exacte, est un peu métaphysique, & pourroit être chicanée par les adversaires des forces vives. Voy. FORCE. Il en donne une autre plus géométrique & absolument rigoureuse : mais il faut renvoyer ce détail important à son mémoire même, qui nous paroît digne de l'attention des Géometres.

CENTRE de l'équant, dans l'Astronomie ancienne, est un point dans la ligne de l'aphélie, qui est aussi loin du centre de l'excentrique vers l'aphélie, que le soleil l'est du centre de l'excentrique vers le périhélie. Ce terme est presque oublié depuis que les excentriques, les équans, & tous ces fatras de cercles différens, sont bannis de l'Astronomie.

CENTRE phonique, dans l'Acoustique, c'est le lieu où celui qui parle doit se placer dans les échos articulés qui répetent plusieurs syllabes. Voyez ECHO.

CENTRE phonocamptique, c'est le lieu ou l'objet qui renvoye la voix dans un écho. Voyez ECHO. (O)

CENTRE D'UN BASTION est le point où les courtines se rencontreroient, si elles étoient prolongées dans le bastion ; ou, ce qui est la même chose, le sommet de l'angle du centre du bastion. Voyez ANGLE DU CENTRE DU BASTION. (Q)

CENTRE D'UN BATAILLON, c'est le milieu d'un bataillon quarré. C'est aussi quelquefois un grand espace vuide qu'on laisse dans le bataillon. Voyez BATAILLON A CENTRE VUIDE. (Q)

CENTRE OVALE, en Anatomie, nom d'une convexité médullaire beaucoup plus petite que la convexité générale ou commune de tout le cerveau, mais conforme à cette grande convexité. On la trouve en emportant adroitement par plusieurs coupes, selon la convexité du cerveau, toute la substance corticale avec les lames médullaires dont elle est entremêlée. (L)

CENTRE TENDINEUX, (Anatomie) est la partie dans laquelle les queues des muscles du diaphragme se rencontrent : ce centre est troüé vers sa droite pour donner passage à la veine-cave ; & vers sa gauche en arriere, sa partie charnue donne passage à l'oesophage, au tronc descendant de l'aorte, au canal thorachique, & à la veine azygos entre ces deux piliers. Voyez DIAPHRAGME. (L)


CENTRERCENTRER

Pour cet effet, on commencera à former le verre suivant la figure qu'on veut lui donner ; diminuant peu-à-peu une partie, suivant qu'on juge qu'elle est plus épaisse qu'une autre. Lorsqu'un côté du verre sera entierement achevé & poli, on le démastiquera & on l'examinera pour connoître l'endroit le plus épais, si le verre ne l'est pas également par-tout. On connoîtra cet endroit, en y traçant d'abord un diametre, dans lequel une ligne claire ou noire ne paroisse point multipliée ; ce qui se peut toûjours trouver. Si dans tous les diametres, cette ligne ne paroît point doublée, on est assûré que le verre est bien centré, & qu'on le peut travailler également de l'autre côté, pour lui donner son entiere perfection.

Cette méthode de M. de la Hire est fondée sur un phénomene assez fréquemment observé ; c'est que des glaces multiplient les objets d'autant plus, que leurs surfaces antérieures & postérieures sont moins paralleles, & d'autant moins que les épaisseurs correspondantes en sont plus égales en tout sens ; ce qui donne une maniere sûre de reconnoître la moindre inégalité dans l'épaisseur, & de déterminer en quel sens & de quel côté elle y est. Pour cet effet, il ne s'agit que d'exposer au verre un objet linéaire, si on peut s'exprimer ainsi, c'est-à-dire long & menu : cet objet linéaire sera représenté dans le verre taillé, & sa représentation en pourra être le diametre ; si ce diametre ne paroît point multiplié sur le verre ; & si en tournant le verre, tous les autres diametres ne se multiplient point, le verre sera bien centré.

M. Cassini, dans les Mémoires de l'académie des Sciences de 1710, fait voir la nécessité de bien centrer les verres des lunettes ; l'inconvénient qui résulteroit d'un verre de lunette mal centré, est facile à démontrer. Quand l'objectif & l'oculaire d'un télescope sont bien centrés, c'est-à-dire quand l'axe de ces deux verres & leurs foyers sont dans la même ligne, l'oeil placé dans l'axe de la lunette, verra les objets dans cet axe : il en sera tout autrement si l'un des deux verres est mal centré ; car alors l'image ne sera plus vûe dans l'axe ; desorte que la distance apparente entre deux astres, observée avec deux lunettes, dont l'une a son objectif bien centré, & l'autre a son objectif mal centré, ne sera pas leur distance véritable.


CENTRIFUGEadj. (Méchan.) Force centrifuge, c'est celle par laquelle un corps qui tourne autour d'un centre, fait effort pour s'éloigner de ce centre.

C'est une des lois constantes de la nature, que tout mouvement est par lui-même rectiligne (voyez MOUVEMENT), & qu'un mobile ne s'éloignera jamais de la direction rectiligne de son premier mouvement, tant qu'il n'y sera pas obligé par quelque nouvelle force imprimée dans une direction différente : après cette nouvelle impulsion, le mouvement devient composé ; mais il continue toûjours en ligne droite, quoique la direction de la ligne ait changé. Voyez COMPOSITION.

Pour qu'un corps se meuve dans une courbe, il faut qu'il reçoive à chaque moment une nouvelle impulsion, & dans une direction différente de la sienne, parce qu'une courbe ne peut se réduire à des lignes droites, à moins qu'elles ne soient infiniment petites ; par conséquent si un corps attiré continuellement vers un centre, est lancé outre cela dans une direction qui ne passe point par ce centre, il décrira alors une courbe, dans chaque point A de laquelle (Pl. de Méch. fig. 24.) il tâchera de s'éloigner de la courbe, & de continuer son mouvement dans la tangente A D ; ce qu'il feroit en effet si rien ne l'en empêchoit : ensorte que dans le même tems qu'il décrit l'arc A E, il s'éloigneroit par sa force centrifuge de la longueur de la ligne D E perpendiculaire à A D ; ainsi en supposant l'arc A E infiniment petit, la force centrifuge est proportionnelle à la ligne D E perpendiculaire à la ligne A D.

Un corps obligé à décrire un cercle, le décrit le plus grand qu'il peut ; un plus grand cercle étant en quelque sorte moins circulaire, moins courbe, ou moins différent de la droite qu'un plus petit. Voyez COURBURE. Un corps souffre donc plus d'altération dans son mouvement, & exerce plus vivement sa force centrifuge lorsqu'il décrit un petit cercle, que lorsqu'il en décrit un grand, c'est-à-dire que la force centrifuge est toûjours proportionnelle, toutes choses d'ailleurs égales, à la courbure du cercle dans laquelle le corps est emporté.

Il en est des autres courbes comme des cercles ; car une courbe quelle qu'elle puisse être, peut être regardée comme formée d'une infinité d'arcs de cercle infiniment petits, décrits de différents rayons, de façon que les endroits où la courbe est le plus courbe, sont ceux où la force centrifuge est plus grande, tout le reste d'ailleurs égal ; & ainsi dans une même courbe la force centrifuge du corps qui la décrit, varie suivant les différens points où il se trouve.

On peut voir les lois & la théorie des forces centrifuges exposées plus en détail dans l'article des FORCES CENTRALES, au mot CENTRAL.


CENTRINEpoisson ; voyez PORC.


CENTRIPETEadj. (Méch.) Force centripete, c'est celle par laquelle un mobile poussé dans une droite A G (fig. 24.), est continuellement détourné de son mouvement rectiligne, & sollicité à se mouvoir dans une courbe.

Ainsi en supposant l'arc A E infiniment petit, la force centripete est proportionnelle à la droite D E, perpendiculaire à A D ; d'où il s'ensuit que la force centripete ou centrale & la force centrifuge sont égales. Voyez l'article CENTRAL.


CENTROBARIQUEméthode centrobarique, (en Méchanique) c'est une méthode pour mesurer ou déterminer la quantité d'une surface ou d'un solide, en les considérant comme formés par le mouvement d'une ligne ou d'une surface, & multipliant la ligne ou la surface génératrice par le chemin parcouru par son centre de gravité. Cette méthode est renfermée dans le théorème suivant, & ses corollaires.

Toute surface plane ou courbe, ou tout solide produit par le mouvement ou d'une ligne ou d'une surface, est égal au produit de cette ligne ou surface, par le chemin du centre de gravité, c'est-à-dire par la ligne que ce centre de gravité décrit. Voyez CENTRE DE GRAVITE. Voici la démonstration générale que certains auteurs ont crû pouvoir donner de ce théorême.

Supposons le poids de la ligne ou surface génératrice ramassé dans son centre de gravité ; le poids total produit par son mouvement, sera égal au produit du poids mû par le chemin du centre de gravité : mais lorsque les lignes & les figures sont regardées comme des corps pesans homogenes, leurs poids sont alors entr'eux comme leur volume ; & par conséquent le poids mû devient alors la ligne ou figure génératrice, & le poids produit est la grandeur engendrée : la figure engendrée est donc égale au produit de la ligne ou de la figure qui l'engendre par le chemin de son centre de gravité. Il ne faut pas être bien difficile à satisfaire en démonstration, pour se payer d'une preuve si insuffisante & si vague, qu'on trouve néanmoins dans M. Wolf, d'où Chambers a tiré une partie de cet article.

Pour mettre nos lecteurs à portée d'en trouver une meilleure preuve, considérons un levier chargé de deux poids, & imaginons un point fixe dans ce levier prolongé ou non : on sait (Voyez CENTRE & LEVIER) que la somme des produits fait de chaque poids par sa distance à ce point, est égale au produit de la somme des poids par la distance de leur centre de gravité à ce point ; donc si on fait tourner le levier autour de ce point fixe, il s'ensuit que les circonférences étant proportionnelles aux rayons, la somme des produits de chaque poids par le chemin ou circonférence qu'il décrit, est égale au produit de la somme des poids par la circonférence décrite par le centre de gravité. Cette démonstration faite par deux poids, s'applique également & facilement à tel nombre qu'on voudra.

Corollaire I. Puisqu'un parallélogramme A B C D (Pl. de Méch. fig. 26.) peut être regardé comme produit par le mouvement de la droite A B toûjours parallelement à elle-même le long d'une autre droite A C, & dans la direction de celle-ci, & que dans ce mouvement le chemin du centre de gravité est égal à la droite E F, perpendiculaire à C D, c'est-à-dire à la hauteur du parallélogramme ; son aire est donc égale au produit de la base C D, ou de la ligne qui décrit le parallélogramme par la hauteur E F. Voyez PARALLELOGRAMME.

Ce corollaire pourroit faire naître quelque soupçon sur la vérité & la généralité de la regle précédente ; car on pourroit dire que la ligne C D se mouvant le long de A C, le centre de gravité de cette ligne, qui est son point de milieu, décrit une ligne égale & parallele à A C ; & qu'ainsi l'aire du parallélogramme A C D B est le produit de C D par A C : ce qui seroit faux. Mais on peut répondre que A C n'est point proprement la directrice de C D, quoique C D se meuve le long de A C ; que cette directrice est proprement la ligne E F, qui mesure la distance de A B à C D : & que le chemin du centre de gravité par lequel il faut multiplier la ligne décrivante C D, n'est point le chemin absolu de ce centre, mais son chemin estimé dans le sens de la directrice, ou le chemin qu'il fait dans un sens perpendiculaire à la ligne décrivante. Cette remarque est nécessaire pour prévenir les parallogismes dans lesquels on pourroit tomber, en appliquant sans précaution la regle précédente à la mesure des surfaces & des solides.

Coroll. II. On prouvera de la même maniere que la solidité de tout corps décrit par un plan qui descend toûjours parallelement à lui-même le long de la droite A C, & suivant la direction de cette droite, doit se trouver en multipliant le plan décrivant par sa hauteur. Voyez PRISME & CYLINDRE.

Coroll. III. Puisque le cercle se décrit par la révolution du rayon C L (fig. 27.) autour du centre C, & que le centre de gravité du rayon C L est dans son milieu F, le chemin du centre de gravité est donc ici une circonférence d'un cercle X décrit par un rayon soûdouble ; & par conséquent l'aire du cercle est égale au produit du rayon C L, par la circonférence que décriroit un rayon soûdouble de C F ; ce qu'on sait d'ailleurs. Voyez CERCLE.

Coroll. IV. Si un rectangle A B C D (Pl. de Méch. fig. 28.) tourne autour de son axe A D, le rectangle décrira par ce mouvement un cylindre, & le côté B C la surface de ce cylindre : mais le centre de gravité de la droite B C, est dans son milieu F ; & le centre de gravité du plan qui engendre le cylindre, est dans le milieu G de la droite E F. Ainsi le chemin de ce dernier centre de gravité est la circonférence d'un cercle décrit du rayon E G ; & celui du premier, la circonférence d'un cercle décrit du rayon E F : donc la surface du cylindre est le produit de la hauteur B C, par la circonférence d'un cercle décrit du rayon E F : & la solidité du cylindre est le produit du rectangle A B C D, qui sert à sa génération, par la circonférence d'un cercle décrit du rayon E G soûdouble de E F, demi-diametre du cylindre. Supposons, par exemple, la hauteur du plan qui engendre le cylindre, par conséquent celle du cylindre B C = a, le diametre de la base D C = r, on aura donc E G = 1/2 r ; & supposant que le demi-diametre soit à la circonférence comme z est à m, la circonférence décrite par le rayon 1/2 r sera = 1/2 m r ; d'où il s'ensuit que multipliant 1/2 m r par l'aire du rectangle A C = a r, on aura la solidité du cylindre = 1/2 m a r2 ; mais 1/2 m a r2 = 1/2 r x m r x a : or 1/2 m r r = l'aire du cercle décrite par le rayon E G. Il est donc évident que le cylindre est égal au produit de sa base par sa hauteur, ce qu'on sait d'ailleurs.

De même puisque le centre de gravité de la droite A B (Pl. de Méch. fig. 17.) est dans son milieu M, & qu'on décrit la surface du cone en faisant mouvoir le triangle A B C autour d'un de ses côtés A B pris pour axe, on en peut conclure que si P M = 1/2 B C, la surface du cone sera égale au produit de son côté A B par la circonférence du cercle décrit du rayon P M, c'est-à-dire d'un rayon soûdouble du demi-diametre de la base B C.

Supposons, par exemple, B C = r, A B = a, le rayon étant à la circonférence, comme z est à m ; on aura donc P M = 1/2 r, & la circonférence décrite de ce rayon = 1/2 m r ; & ainsi multipliant 1/2 m r par le côté A B du cone, le produit qui sera 1/2 a m r devra représenter la surface du cone : mais 1/2 a m r est le produit de 1/2 a par m r ; donc la surface du cone est le produit de la circonférence de sa base par la moitié de son côté, ce qu'on sait d'ailleurs.

Coroll. V. Si le triangle A C B (Pl. de Méchan. fig. 29.) tourne autour d'un axe, il décrit un cone : mais si on coupe C B en deux également au point D, qu'on tire la droite A D, & que A O, = 2/3 A D, il est démontré que le centre de gravité sera alors situé en O ; donc la solidité du cone est égale au produit du triangle C A B par la circonférence du cercle décrit du rayon P O. Or A D est à A O, comme B D est à O P : d'ailleurs A O = 2/3 A D, & D B = 1/2 C B, donc O P = 2/3 D B = 1/3 C B. Supposons, par exemple, C B = r, A B = a, & la raison du rayon à la circonférence celle de z à m, on aura donc O P = 1/3 r, la circonférence décrite de ce rayon = 1/3 m r, le triangle A C B = 1/2 a r, & par conséquent la solidité du cone = 1/2 r x a x 1/3 m = 1/6 a m r2, mais 1/6 a m r2 = 1/2 r x m r x 1/3 a, ou le produit de la base du cone par le tiers de sa hauteur, ce qu'on sait d'ailleurs.

Ce théorème si général & si beau sur le centre de gravité, peut être mis au nombre des plus curieuses découvertes qu'on ait faites en Géométrie. Il avoit été apperçû il y a long-tems par Pappus : mais le P. Guldin, jésuite, est le premier qui l'ait mis dans tout son jour, & qui en ait montré l'usage dans un grand nombre d'exemples.

Plusieurs autres Géometres s'en sont servis aussi après Pappus & Guldin, pour mesurer les solides & les surfaces produites par une rotation autour d'un axe fixe, sur-tout avant qu'on eût les secours que le calcul intégral a fournis pour cela ; & on peut l'employer encore à présent dans certains cas où le calcul intégral seroit plus difficile.

M. Leibniz a observé que cette méthode seroit encore bonne, quand même l'axe ou le centre changeroit continuellement durant le mouvement.

M. Varignon a donné dans le volume de l'Académie de 1714. un mémoire qui a pour titre, Réflexion sur l'usage que la Mécanique peut avoir en Géométrie. Il y démontre la propriété du centre de gravité, dont nous avons parlé dans cet article, & plusieurs autres propriétés encore plus générales & aussi curieuses. On peut se servir utilement de ces propriétés pour résoudre avec plus de facilité certains problèmes de Méchanique. Par exemple, si on demande quelle figure doit avoir une courbe G A H (fig. 25. Géom. n°. 2) pour qu'en tournant autour de l'axe G H elle produise une surface courbe plus grande que celle que produiroit en tournant autour de G H toute autre ligne courbe qui passeroit par les mêmes points G H, & qui seroit de la même longueur que la courbe qu'on cherche ; on trouveroit sans aucun calcul, en se servant du théorème-précédent, que la courbe G A H qu'on demande doit être celle que prendroit une chaîne chargée d'une infinité de petits poids, & qu'on attacheroit aux points G & H : car une chaîne qui est ainsi attachée, doit se disposer de maniere que le centre de gravité des poids qui la composent, c'est-à-dire le centre de gravité de la courbe même, descende le plus bas qu'il est possible ; d'où il s'ensuit que la courbe formée par cette chaîne aura son centre de gravité plus éloigné de l'horisontale G H que toute autre ligne courbe de la même longueur, & passant par les mêmes points : par conséquent le cercle décrit par le centre de gravité de la courbe formée par la chaîne, lorsque cette courbe tourne autour de G H, est plus grand que le cercle décrit par le centre de gravité de toute autre courbe de même longueur, & passant par les mêmes points G H ; donc la surface du solide produit par la premiere courbe, est plus grande que toute autre. On voit donc que le problème se réduit à trouver la courbe formée par la chaîne ; courbe connue par les Géometres sous le nom de chaînette, & dont ils ont donné la construction il y a long-tems. Voyez CHAINETTE.

Le mot centrobarique est formé des mots , centrum, centre, & , poids, pesanteur. (O)


CENTUMVIRATS. m. (Hist. anc.) tribunal ou cour chez les Romains, ainsi nommée du nombre des cent magistrats qui la composoient, & qui décidoient les différends des particuliers. On les nommoit centumvirs, & leur dignité centumvirat. (G)


CENTURIATEURSCENTURIATEURS


CENTURIES. f. (Hist. anc.) ce mot signifie en général une distribution des parties d'un tout par centaine. Voyez CENT.

Dans les tems que le peuple romain s'assembloit pour créer des magistrats, ou pour établir des lois, ou pour délibérer des affaires publiques, il étoit divisé par centuries ; & afin que l'on pût recueillir plus facilement les suffrages, on opinoit par centuries : ces assemblées se faisoient dans le champ de Mars, & elles s'appelloient comitia centurialia.

Les cohortes de Rome étoient divisées par décuries commandées par des décurions, & par centuries commandées par des centurions : chaque cohorte étoit composée de six centuries ; & une légion, de soixante centuries. Voyez COHORTE, DECURION, NTURIONRION. (G)

CENTURIE ou siecle, en Chronologie, c'est l'espace de cent ans. L'histoire ecclésiastique compte principalement par siecles, à commencer de l'incarnation de notre Seigneur. Voyez SIECLE.

On dit dans ce sens la premiere centurie ou premier siecle. Mais ce mot, beaucoup plus usité en Anglois qu'en François, ne s'employe guere que dans le cas suivant.

CENTURIES de Magdebourg, (Hist. ecclés.) c'est un corps d'histoire ecclésiastique que quatre ministres de Magdebourg commencerent en l'année 1560. Ces quatre ministres sont Matthias Flaccius surnommé Illyricus, Jean Wigand, Mattieu Lejudin, Basile Fabert, & auxquels quelques-uns ajoûtent Nicolas Gallus, & d'autres André Corvin. Illyricus étoit celui qui conduisoit l'ouvrage, & les autres travailloient sous lui. Il a été continué jusqu'au XII. siecle. Chaque centurie contient toutes les choses remarquables dans un siecle, & est partagée en seize chapitres. Le premier est un sommaire de ce qui va être dit ; le second est du lieu & de l'étendue de l'Eglise ; le troisieme, de la persécution & de la paix de l'Eglise ; le quatrieme, de la doctrine ; le cinquieme, des hérésies ; le sixieme, des cérémonies & des rits ; le septieme, de la police & du gouvernement ; le huitieme, du schisme ; le neuvieme, des synodes ; le dixieme, des vies des évêques des grands siéges ; le onzieme, des hérétiques ; le douzieme, des martyrs ; le treizieme, des miracles ; le quatorzieme, de ce qui regarde les Juifs ; le quinzieme, des religions séparées de l'Eglise ; le seizieme, des monumens & changemens politiques des états. Cet ouvrage est une compilation qui a demandé beaucoup de travail, mais qui ne peut point passer pour une histoire bien écrite, exacte, & parfaite. Le but que les centuriateurs semblent s'être proposé, étoit d'attaquer l'Eglise romaine, & d'établir la réforme ; & le cardinal Baronius entreprit ses annales ecclésiastiques, pour les opposer aux centuries.


CENTURIONS. m. (Hist. anc.) parmi les Romains, officier d'infanterie qui commandoit une centurie ou cent hommes. Voyez CENTURIE.

Le premier centurion de la premiere cohorte de chaque légion s'appelloit primipilus, primopilus, ou primi-pili-centurio, & quelquefois primus centurio. Il n'étoit sous le commandement d'aucun tribun, à la différence des autres, & il commandoit quatre centuries. Il gardoit l'étendart & l'aigle de la légion. C'est de-là qu'on l'appelloit primi-pilus.


CENTUSSIS(Antiquité) c'étoit d'abord autant que centum asses : mais as & libra étant synonymes, le centussis valoit cent livres de cuivre, évaluées en argent à dix deniers. Dans la suite le centussis ne fut plus compté que pour cent sextans, puis pour cent onces, & enfin pour cent demi-onces. Voy. MONNOIES ANCIENNES.


CEPS. m. (Agricult.) se dit d'un pié de vigne. Voyez VIGNE.

CEP ou CEB, (Hist. nat. Zoolog.) on appelle de ce nom les singes qui ont des queues, & qui sont de plusieurs couleurs. Voyez SINGE. (I)


CEPEAUS. m. (Monnoyage) c'étoit le billot dans lequel étoit arrêtée la pelle ou matrice d'écusson, lorsqu'on frappoit les monnoies au marteau. Voyez MONNOYAGE.


CEPÉESS. f. pl. (Commerce & explication des bois) ce terme désigne quelquefois une certaine étendue de buissons, mais plus souvent ce qui repousse des souches d'un bois taillis : l'ordonnance défend de les abattre, soit à la serpe soit à la scie, mais seulement à la coignée. Cepées se dit aussi des souches mêmes. La coupe des têtes & des cepées des saules, marsaux, frênes, aulnes, appartient au fermier actuel, lorsque c'étoient des fruits reglés dont le fermier précédent joüissoit, à moins que le propriétaire ne se la soit reservée.


CEPENDANTPOURTANT, NÉANMOINS, TOUTEFOIS, synonymes, (Gramm.) M. L'abbé Girard dit que pourtant a plus d'énergie, affirme avec plus de fermeté ; que cependant est moins absolu, & affirme seulement contre les apparences ; que néanmoins indique deux choses opposées, dont l'on affirme l'une sans nier l'autre ; & que toutefois marque une exception à une regle assez générale : ce qu'il confirme par les exemples suivans, ou d'autres semblables. Que tous les critiques s'élevent contre un ouvrage, qu'ils le poursuivent avec toute l'injustice & la mauvaise volonté possible, ils n'empêcheront pourtant pas le public d'être équitable, & de l'acheter s'il est bon. Quelques écrivains ont répandu dans leurs ouvrages les maximes les plus opposées à la morale chrétienne ; d'autres ont publié les systèmes les plus contraires à ses dogmes ; cependant les uns & les autres ont été bons parens, bons amis, bons citoyens même, si on leur pardonne la faute qu'ils ont commise en qualité d'auteurs. Bourdaloue a de la sécheresse ; néanmoins il fut célebre parmi les orateurs de son tems. On dit que certains journalistes ne louent que ce qu'ils font ; toutefois ils ont loué l'Histoire naturelle, & d'autres excellens ouvrages qu'ils n'ont pas faits.


CEPHALALGIES. f. (Medecine) douleur de tête violente. Ce mot vient du grec , tête & d'.

Cette espece de douleur a des causes différentes dans différens sujets : les dissections de personnes mortes à la suite de cette maladie, nous en indiquent deux principales ; savoir, 1°. l'engorgement des vaisseaux des membranes qui servent d'enveloppes au cerveau, que l'on nomme la dure & la pie-mere ; 2°. le dépôt d'une lymphe acre épanchée sur la substance même du cerveau, ou sur les parties nerveuses de la tête, qui y occasionnent une irritation & une douleur violente. Lorsque cette douleur est permanente & sans interruption, elle prend un autre nom, & on l'appelle céphalée : alors les symptomes sont bien plus violens ; ce n'est plus, comme dans la céphalalgie, un mal leger, & qui n'occupe qu'une partie de la tête ; il devient durable, & difficile à guérir ; le malade a peine à supporter le moindre bruit ; la lumiere lui devient insupportable ; toutes les membranes & les parties nerveuses sont dans une tension si violente, que la douleur occupe toute la tête.

On peut encore diviser la céphalalgie en migraine, que les Latins ont appellée hemicrania, parce qu'il n'y a qu'un côté de la tête d'affecté ; & en clou, clavus, état dans lequel le mal n'excede pas la largeur de la tête d'un clou, & où il semble à la personne malade que ce soit un clou qu'on lui ait planté dans quelque partie, mais sur-tout au sommet de la tête : cet accident arrive particulierement aux femmes hystériques. Voyez PASSION HYSTERIQUE.

Les causes éloignées de la céphalalgie sont, comme on le peut voir par les symptomes qui l'accompagnent, la trop grande abondance du sang, qui ne pouvant par cette raison circuler avec facilité dans les vaisseaux, s'arrête dans les capillaires du cerveau, distend & occasionne une sensation douloureuse dans toute l'étendue de la tête, ou dans certaines parties seulement.

Le sang qui abondera en sérosité acre, occasionnera aussi par l'irritation des parties nerveuses la céphalalgie : enfin tout ce qui peut altérer la lymphe, comme la vérole, le scorbut, & autres maladies de cette espece, sont autant de causes de cet accident, qu'on vient à bout de détruire en corrigeant la cause : elle cedera donc aux remedes mercuriels, lorsqu'elle sera produite par la vérole, & aux antiscorbutiques, lorsque le scorbut y aura donné lieu.

L'excès dans le commerce des femmes, dans l'étude & le travail, dans les évacuations, soit par les saignées, les vomissemens, les purgations, sont autant de causes de la céphalalgie, qui est aussi produite assez souvent par un amas de crudités dans l'estomac, d'où provient un chyle de mauvaise qualité, par des sueurs trop abondantes ; enfin par une trop grande transpiration, ou par la transpiration même supprimée tout-à-coup.

Le prognostic que l'on peut tirer de la céphalalgie, c'est qu'elle n'est jamais sans danger ; si les membranes du cerveau sont le siége de cette maladie, il y a lieu de craindre la frénésie ; lorsqu'elle est occasionnée par un embarras dans les parties internes, qu'elle est accompagnée de tintemens d'oreille, de fievre, de perte d'appétit, & d'une pulsation violente dans les vaisseaux de la tête, elle dégénere facilement en manie, sur-tout dans les hypocondriaques : lorsque la céphalalgie est suivie de foiblesse dans les articulations, d'étourdissemens, d'embarras dans la langue & dans la prononciation, on doit la regarder comme l'avant-coureur de l'apoplexie & la paralysie : enfin lorsque les jeunes gens sont sujets à la céphalalgie, ils sont menacés d'accès de goutte.

Il est aisé de voir par la différence des causes de la céphalalgie, qu'elle doit être traitée de diverses manieres ; les saignées doivent être employées dans certains cas ; dans d'autres les délayans, les sudorifiques legers, enfin les émétiques ; le tout dirigé par les conseils d'un medecin, qui connoissant la cause, y approprie le traitement, sur lequel il n'est point possible de donner de regles générales.

Une observation faite par Cowper sur une céphalalgie, prouvera la vérité de ce que j'avance. Ce savant medecin guérit un malade attaqué de céphalalgie, en perçant par l'alvéole d'une dent molaire le sinus maxillaire ; cette opération procura l'évacuation d'une quantité de pus qui occasionnoit ce mal.

Drak rapporte deux faits semblables. Sans être medecin ; on ne peut pas parvenir à la connoissance de causes aussi singulieres. (N)


CÉPHALIQUEadj. en Anatomie, se dit d'une veine située à la partie externe du bras. Voyez BRAS.

La veine céphalique est une branche de l'axillaire ; elle s'unit peu après sa naissance avec la petite céphalique qui descend de la veine soûclaviere ou de la jugulaire externe ; elle passe entre les tendons du muscle deltoïde & grand pectoral, & descend tout le long du bord externe de la portion externe du biceps. Voyez JUGULAIRE, DELTOÏDE, &c. (L)

CEPHALIQUE, adj. (Medecine) remede propre pour les maladies de la tête. Ce mot est tiré du grec , tête.

On donne ordinairement ce nom aux remedes qui sont propres à calmer la trop grande vivacité du sang, l'irritation & la tension des fibres, d'où proviennent l'irrégularité dans la distribution des esprits, le délire, les spasmes, les convulsions, la frénésie, & autres accidens de cette espece.

On met au rang des céphaliques tous les remedes qui temperent l'agitation des esprits par leurs exhalaisons agréables ; tels sont les fleurs de primevere, de tilleul, de sureau, de violette, de lis des vallées ; enfin les substances balsamiques dont on a donné l'usage en infusion, en décoction, ou en poudre.

Lorsque l'on fait prendre les céphaliques en sternutatoires, on a dessein d'irriter legerement une branche de la cinquieme paire des nerfs, qui unie avec une pareille branche de la sixieme, se répandent dans toutes les cavités de la face, & sont humectées par la membrane pituitaire ; cette espece de convulsion excite l'évacuation de la mucosité qui s'y sépare, & soulage par ce moyen dans les cas où son trop grand épaississement ou sa trop grande quantité est nuisible. Voyez STERNUTATOIRE. (N)


CÉPHALOPHARINGIENterme d'Anatomie, est le nom de deux muscles de l'orifice de l'oesophage, qu'on appelle pharynx. Voyez MUSCLE.

Ils viennent de la face inférieure de l'apophyse basilaire de l'occipital vers sa partie moyenne, & s'épanoüissent sur la partie supérieure & postérieure du pharynx, qu'ils tirent en-haut & en-arriere. Voyez PHARYNX. (H)


CÉPHÉESm. en Astronomie, c'est une des constellations de l'hémisphere septentrional : elle a treize étoiles dans le catalogue de Ptolomée ; onze dans celui de Ticho ; quarante dans Hevelius ; & dans le catalogue britannique cinquante-cinq. (O)


CEPHISES. m. (Géog. & Mythol.) fleuve de la Phocide, qui prend sa source dans la Doride, passe dans le voisinage du Parnasse, traverse la Béotie & le lac de Copaïs appellé aujourd'hui Lago di stivo, & se jette dans l'Euripe, ou le détroit de Negrepont. Ce fleuve est aujourd'hui connu sous le nom de Ceffisso. L'oracle de Themis que Deucalion & Pyrrha consulterent, avoit son temple sur ses bords.


CEPITES(Hist. anc.) espece d'agate, qui selon toute apparence, a été nommée à cause du grand nombre de raies que l'on y remarque, qui la font ressembler à un oignon, (en latin cepe) que l'on auroit coupé en deux. Voyez l'article AGATE.


CERAou CEIRAM, (Géog.) île considérable d'Asie, dans la mer des Indes, l'une des Moluques, dont la plus grande partie est aux Hollandois, le reste dépend du roi de Ternate.


CERAMESS. m. pl. (Hist. anc.) vases de terre cuite dont on se servoit dans les repas. Jusqu'au tems des Macédoniens, dit Athénée, on se servoit de vases de terre cuite ; le luxe s'étant fort accrû parmi les Romains, Cleopatre, la derniere des reines d'Egypte, voulut les imiter : mais pour ne pas changer l'ancien nom, elle appella cerames ou vases de terre cuite, les coupes d'or & d'argent qu'elle faisoit distribuer aux convives lorsqu'ils se retiroient. Ces présens qu'on faisoit aux convives s'appelloient aussi apophoretes, voyez APOPHORETES. C'étoit un usage établi dont on trouve plusieurs exemples ; celui de donner des coupes d'or & d'argent étoit une dépense excessive, qu'apparemment on ne répétoit pas souvent, & n'étoit pas assûrément du tems où l'or étoit si rare, que Philippe de Macédoine, pere d'Alexandre, cachoit toutes les nuits sous son chevet, une petite phiole d'or qu'il avoit, de peur qu'on ne la lui volât.


CERAMICIESS. f. pl. (Hist. anc.) fêtes athéniennes, dont on ne sait autre chose, sinon qu'elles étoient ainsi nommées du céramique ou de l'endroit où elles se célébroient. Voyez CERAMIQUE & FETES.


CÉRAMIQUES. m. (Hist. anc.) Il y avoit dans Athenes deux lieux célebres qui portoient ce nom, qui signifie en grec tuileries. L'un s'appelloit le céramique du dedans ; c'étoit une partie de la ville, ornée de portiques, & une des principales promenades. L'autre, le céramique du dehors ; c'étoit un fauxbourg où l'on faisoit des tuiles, & où Platon avoit son académie. Meursius prétend que ce dernier étoit aussi le lieu de la sépulture de ceux qui étoient morts pour la patrie ; qu'on y faisoit des oraisons funebres à leurs loüanges, & qu'on leur y élevoit des statues ; au lieu que le premier étoit un quartier de la ville bâti de briques ou de tuiles, ce qui le fit appeller céramique, habité par les courtisannes.


CERASTEcerastes, sub. m. (Hist. nat. Zoolog.) serpent ainsi nommé, parce qu'il a sur la tête deux éminences en forme de cornes pareilles à celles du limaçon, quoique plus dures ; ils ont aussi deux tubercules qui sont semblables à des grains d'orge, & que l'on prendroit pour des cornes plus petites que les deux autres : ce serpent a les dents comme la vipere, il est vivipare ; il se passe de boire plus longtems que les autres serpens. On le trouve en Lybie & en Arabie, près de la ville de Suez. Belon, Obs. liv. II. ch. ljv. Voyez SERPENT. (I)

La morsure de ce serpent cause une tumeur semblable à la tête d'un clou ; il en sort une sanie rougeâtre de la couleur du vin, ou noirâtre, sur-tout par les bords ; ainsi qu'il arrive dans les blessures qui ont pour cause des coups ou contusions.

Elle est suivie d'accidens pareils, demande des remedes semblables à ceux dont on use contre la morsure de la vipere ; le malade n'en meurt qu'au bout de neuf jours, mais il est plus cruellement tourmenté que s'il avoit été mordu par une vipere.

Lemery qui a tiré d'Aétius ce qu'il dit du cerastes, ajoûte qu'il peut fournir les mêmes préparations médicinales que la vipere ; qu'il contient beaucoup de sel volatil & d'huile ; qu'il est sudorifique ; qu'il résiste au poison ; qu'il purifie le sang, & qu'il est bon dans la petite vérole, la peste, & la gratelle. (N)


CERASTIS(Géog. anc.) nom que portoit anciennement l'île de Chypre ; il lui vient du grand nombre de ses montagnes, dont les pointes ressemblent à des cornes, ou, ainsi que les Mythologistes le prétendent, de peuples cruels appellés cerastes ou porte-cornes, que Venus changea en taureaux.


CERASUS(Géog. anc. & mod.) aujourd'hui Chirissonda ou Emid, ou Omidi, ancienne ville de Cappadoce, d'où l'on prétend que Lucullus apporta les cerises en Italie ; soit que le cerisier ait donné le nom à la ville, ou l'en ait reçu.


CERATS. m. (Pharmacie) onguent dont la cire fait la base. Les modernes préparent leur cérat avec des substances grasses & huileuses, des gommes, des résines, des baumes & des poudres, unis ensemble par une quantité suffisante de cire, à laquelle ils ajoûtent quelquefois des mucilages & différentes sortes de sucs ; ensorte que la composition soit plus épaisse qu'un onguent, & plus molle qu'un emplâtre.

La regle prescrite par les auteurs, est de prendre huit parties d'huile, de graisse ou de suc, quatre de cire, & deux de poudre, d'autres prennent trois onces d'huile, une demi-once de cire, & trois dragmes de poudre.

Mais comme les substances huileuses & onctueuses sont plus fluides dans les tems chauds que dans les tems froids, c'est une circonstance à laquelle il faut avoir égard.

CERAT blanc : prenez huile d'amandes douces, cinq onces ; cire blanche, deux onces ; blanc de baleine le plus fin, une once ; céruse lavée dans l'eau-rose, une once & demie ; camphre, une demi-once : faites fondre sur le feu les ingrédiens fusibles ; remuez-les tandis que vous y répandrez les poudres, jusqu'à ce que le mêlange soit froid.

Quelquefois on prépare un cérat avec huit parties d'un onguent sur deux ou trois parties de cire ; d'autres fois, c'est en amollissant la matiere d'un emplâtre par une addition d'une quantité suffisante d'huile.

On étend le cérat sur une ligne, & on l'applique sur la partie affligée.

On se propose de produire avec les cérats un grand nombre d'effets différens, comme de relâcher, amollir, digérer, cicatriser, attirer, &c.

Ainsi on peut faire des cérats dessicatifs, détersifs, fondans ; on les applique sur les différentes parties du corps, & dans différentes occasions. On employe les remedes en consistance de cérat, pour ne pas offenser les parties, & occuper moins de place.

Cérat jaune dessicatif : prenez résine jaune, une demi-livre ; suif de mouton, quatre onces ; huile d'olive, cinq onces ; terebenthine de Venise, trois onces ; turbith minéral, quatre gros : faites-en un cérat selon les regles ci-dessus.

Cérat de Galien : prenez cire blanche, deux onces ; huile rosat, cinq onces : mêlez-les selon l'art, & faites-en un cérat. (N)


CERATIASS. m. (Astronom.) selon certains auteurs, est une comete cornue, qui paroît souvent barbue, & quelquefois avec une queue. Ils prétendent que quelques-unes de ces cometes ressemblent à la figure de la nouvelle lune : celles qui ont des queues, les ont crochues & recourbées ou vers le haut ou vers le bas ; d'autres ont des queues d'une égale largeur ou épaisseur, &c. Harris.


CÉRATIONS. f. (Chimie) ce mot signifie deux choses différentes : il a une signification figurée, & il en a une naturelle ; il a aussi deux étymologies différentes.

Dans le sens figuré, cération, en Grec , de , cera, cire, signifie l'action par laquelle on rend un corps naturellement difficile à fondre, comme est l'argent, fusible comme de la cire, tel qu'est l'argent pénétré de l'acide du sel commun & qui dans cet état est nommé lune cornée. Ce changement des corps qui de difficiles qu'ils étoient à fondre, deviennent fusibles comme de la cire, est selon les Alchimistes depuis Geber, une propriété essentielle de la pierre philosophale.

Cération, veut aussi dire l'action d'envelopper ou de pénétrer de cire un corps, comme la toile ; c'est incération, inceratio, .

Cération dans une signification naturelle, veut dire manipulation, , incheratio, inchération ou inkération, , cheratio, chération ou kération & improprement cération, de , manus, main. (M)


CERATIUM(Antiquité) c'étoit une petite monnoie de cours parmi les Grecs ; elle valoit le tiers d'une obole ; on prétend qu'elle répondoit au siliqua des Latins. Voyez OBOLE & SILIQUA.


CERATO-SPERUM(Hist. nat. bot.) genre de plante qui differe de l'agaric, en ce que ses semences sont en forme de croissant. Micheli, Nov. pl. gen. Voyez PLANTE. (I)


CERATOGLOSSEadj. m. pris subst. (en Anatomie) nom d'une paire de muscles de la langue qui viennent de la partie supérieure de la grande corne de l'os hyoïde, & se terminent à la partie postérieure & latérale de la langue. (L)


CERATOIDESS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur sans pétales & stérile ; les fruits naissent sur la même plante séparément des fleurs ; ils sont applatis, divisés en deux capsules, & terminés par des prolongemens en forme de cornes, & ils renferment des semences. Tournefort, Inst. rei herb. corol. Voyez PLANTE. (I)


CERAUNES. m. (Hist. anc.) surnom qu'on a donné à quelques princes qui se sont distingués par leur valeur : ainsi l'on dit Ptolomée Ceraune : Seleucus Ceraune, &c. comme nous disons foudre de guerre.


CERAUNIENS(MONTS) Les Grecs ont donné ce nom à plusieurs chaînes de montagnes ; les unes étoient situées sur les confins de l'Epire, où la mer Ionienne commence à s'appeller mer Adriatique, d'autres faisoient partie du Caucase : il y avoit aussi des monts Cérauniens en Afrique. On pourroit même dire en général qu'on a donné ce nom à la plûpart des montagnes que leur hauteur exposoit à la foudre.


CERAUNOSCOPIONS. m. (Hist. anc.) partie du théâtre des anciens : c'étoit une machine élevée & versatile de la forme d'une guérite, d'où Jupiter lançoit la foudre, dans les pieces où ce spectacle étoit nécessaire. Voyez THEATRE.


CERBERES. m. (Mythologie) nom que les Poëtes ont donné à un chien à trois têtes & à trois gueules, qu'ils ont fait naître de Tiphon & d'Echidna, & qu'ils ont placé à la porte des enfers ; ils racontent qu'il caresse les ames qui y descendent ; qu'il empêche d'en sortir celles qui y sont descendues, & qu'il en éloigne les vivans ; ils prétendent qu'Hercule l'enchaîna & s'en fit suivre. Ceux qui se piquent de trouver du sens à toutes les fables disent que Cerbere est un symbole de la terre qui absorbe tout, ou du tems à qui rien ne résiste ; ses trois gueules sont, le présent, le passé, & l'avenir. D'autres font de Cerbere un serpent habitant du Tenare, promontoire de la Laconie qu'il ravageoit ; & comme il y avoit dans le même endroit une caverne dont l'entrée passoit pour une des portes de l'enfer, ils ajoûterent que ce monstre étoit le chien de Pluton. La victoire qu'Hercule remporta sur lui, est suivant d'autres une allégorie de l'empire que ce héros avoit sur ses passions ; Omphale & Déjanire le prouvent.


CERCAR(LE) Géog. petite île d'Afrique, dans la mer Méditerranée, sur la côte du royaume de Tunis.


CERCE(en Architecture) Voyez CHERCHE.


CERCEAUS. m. (Fauconnerie) c'est ainsi qu'on appelle les pennes du bout de l'aîle des oiseaux de proie ; les faucons, les sacres, & les laniers n'en ont qu'un, & les éperviers trois.

CERCEAU, (en terme de Boutonnier) c'est un fil d'or rond plié en cercle, dont les bouts sont rapprochés l'un de l'autre, mais ne sont point soudés. Ce fil s'applatit au marteau sur un tas ; & ainsi applati, on lui fait prendre à la main la forme extérieure du bouton sur lequel il se jette. Voyez JETTER. Il y a des cerceaux unis, découpés, & de gravés. V. BATTRE, DECOUPER, AVERAVER. Les cerceaux ne sont d'usage parmi les Boutonniers que dans les boutons façonnés.

CERCEAU, (en terme de Cirier) c'est un cercle garni de petits crochets ou de cordons de distance en distance, auxquels on suspend la bougie, &c. soit en l'accrochant, soit en la collant aux cordes ; ce qui ne se fait que pour les bougies de table qui ne sont pas encore couvertes. Voyez COUVRIR. Voyez aussi la Planche du Cirier, fig. 2.

CERCEAU, c'est un lien de bois qui se plie facilement, & dont les Tonneliers se servent pour relier les tonneaux, cuves, cuviers, baignoires, &c. Les meilleurs cerceaux sont ceux de châtaignier, parce qu'ils pourrissent moins vîte : on en fait aussi d'autres bois, comme de coudre, de frêne, de bouleau, dont on fend les branches par le milieu. On les apporte en moles ou bottes composées de plus ou moins de cerceaux, suivant leur espece. Voyez MOLE.

Lorsque les cerceaux sont reliés, on leur donne différens noms, suivant l'endroit de la futaille auquel on les place. Le premier du côté du bord se nomme le talus ; le second est double & s'appelle le sommier ; le troisieme & le quatrieme sont connus sous les noms de collet & sous collet, ou de premier & second collet. Après ces quatre cerceaux, il y en a d'autres qui n'ont pas de nom particulier, à l'exception du dernier, c'est-à-dire de celui qui est le plus proche du bouton, qu'on appelle le premier en bouge.


CERCELLEoiseau, voyez SARCELLE.


CERCIFou SALSIFI, s. m. (Jardinage) scorzonera : cette plante a des feuilles comme les poireaux, la fleur de couleur purpurine, & la racine, sont très-estimées pour la cuisine ; elles rendent un suc laiteux.

Elle est une espece du tragopogon, en François barbe-de-bouc.

Les salsifis communs se cultivent comme ceux d'Espagne, à l'exception qu'on ne les seme qu'au printems, & qu'ils se cueillent au carême. (K)


CERCIO(Hist. nat.) espece d'oiseau des Indes de la grandeur d'un étourneau, dont le plumage est de différentes couleurs fort vives ; il remue continuellement la queue ; l'on dit qu'il apprend à parler avec plus de facilité qu'un perroquet : il n'est point bon à manger.


CERCLEsub. m. (en Géométrie) figure plane, renfermée par une seule ligne qui retourne sur elle-même, & au milieu de laquelle est un point situé de maniere que les lignes qu'on en peut tirer à la circonférence sont toutes égales. Voyez CENTRE.

A proprement parler, le cercle est l'espace renfermé par la circonférence, quoique dans l'usage vulgaire on entende par ce mot la circonférence seule. Voyez CIRCONFERENCE.

Tout cercle est supposé divisé en 360 degrés, que l'on marque ainsi 360° ; chaque degré se divise en 60 minutes ainsi marquées ', chaque minute en 60 secondes marquées par ", chaque seconde en 60 tiers ainsi marquées '''. On a divisé le cercle en 360 parties, à cause du grand nombre de diviseurs dont le nombre 360 est susceptible. Voy. DEGRE, MINUTE, &c. DIVISEUR.

On trouve l'aire d'un cercle en multipliant la circonférence par le quart du diametre, ou la moitié de la circonférence par la moitié du diametre. On peut avoir l'aire, à-peu-près, en tournant une quatrieme proportionnelle à 1000, à 785, & au quarré du diametre. Voyez AIRE.

Les cercles & les figures semblables qu'on peut y inscrire, sont toûjours entr'elles comme les quarrés des diametres ; ou, comme les Géometres s'expriment, les cercles sont entr'eux en raison doublée des diametres, & par conséquent aussi des rayons.

Le cercle est égal à un triangle ; donc la base est la circonférence, & la hauteur le rayon. Les cercles sont donc en raison composée de celle des circonférences & de celle des rayons.

Trouver la proportion du diametre du cercle à sa circonférence. Trouvez en coupant continuellement les arcs en deux, les côtés des polygones inscrits, jusqu'à ce que vous arriviez à un côté qui soûtende un arc si petit que vous voudrez choisir. Ce côté étant trouvé, cherchez le côté du polygone circonscrit semblable ; multipliez ensuite chacun de ces polygones par le nombre de ses côtés, ce qui vous donnera le périmetre de chacun d'eux : la raison du diametre à la circonférence du cercle sera plus grande que celle du diametre à la circonférence du polygone circonscrit, mais moindre que celle du diametre ou polygone inscrit.

La différence des deux étant connue, on aura aisément en nombres très-approchés, mais cependant non exacts, la raison du diametre à la circonférence.

Ainsi, Wolfius la trouve la même que celle de 100 000 000 000 000 00 à 3 : 141 592 653 689 7932. Archimede a donné pour raison approchée celle de 7 à 22 ; Ludolphe de Ceulen a porté cette recherche à une plus grande exactitude, & il trouve qu'en prenant l'unité pour diametre, la circonférence doit être plus grande que 3. 141 592 653 589 793 238 462 643 383 879 50, mais moindre que ne deviendroit ce même nombre si l'on changeoit seulement le zéro qui le termine en l'unité.

Metius nous a donné la proportion la meilleure de toutes celles qui ont paru jusqu'à présent exprimées en petits nombres. Il suppose le diametre de 113 parties, & la circonférence doit être à moins d'une unité près 355, suivant son calcul.

Circonscrire un cercle à un polygone régulier donné. Coupez deux des angles du polygone E & D. (Pl. de Géom. fig. 28.) en deux également : du point de concours F des lignes E F, D F, pris pour centre, & du rayon E F décrivez un cercle ; ce sera celui que vous cherchez.

Inscrire un polygone régulier donné dans un cercle : Divisez d'abord 360 par le nombre des côtés, pour parvenir par-là à connoître la quantité de l'angle E F D ; cela étant fait appliquez la corde E D de cet angle à la circonférence autant de fois que vous le pourrez, & vous aurez par-là inscrit le polygone dans le cercle.

Par trois points donnés A, B, C, qui ne sont point en ligne droite (fig. 7.) décrire un cercle.

Des points A & C, & d'un même intervalle pris à volonté, décrivez deux arcs de cercle qui se coupent en D & E ; & pareillement des points C & B, décrivez-en deux autres qui se coupent en G & H ; tirez ensuite les droites D E, G H : le point de leur intersection I sera le centre du cercle : par-là on peut venir à bout, en prenant trois points dans la circonférence d'un cercle ou d'un arc donné, de trouver le centre de ce cercle ou de cet arc, & de continuer l'arc si ce n'est pas un cercle entier. Voyez CENTRE.

Donc si trois points d'une circonférence conviennent ou co-incident avec trois points d'une autre circonférence, les deux circonférences co-incideront en entier, & les cercles seront égaux.

Donc aussi tout triangle peut être inscrit dans un cercle. Voyez TRIANGLE.

On démontre en Optique qu'un cercle, s'il est fort éloigné de l'oeil, ne peut jamais paroître véritablement cercle, à moins que le rayon visuel ne lui soit perpendiculaire & ne passe par son centre. Dans tous les autres cas le cercle paroît oblong ; & pour qu'il paroisse au contraire véritablement circulaire, il faut qu'il soit en effet oblong. Voyez PERSPECTIVE.

Les cercles paralleles ou concentriques sont ceux qui sont également éloignés les uns des autres dans toutes leurs parties, ou qui sont décrits d'un même centre ; & par opposition, ceux qui sont décrits de centres differens sont dits excentriques l'un par rapport à l'autre. Voy. CONCENTRIQUE, EXCENTRIQUE, &c.

La quadrature du cercle ou la maniere de faire un quarré dont la surface soit parfaitement & géométriquement égale à celle d'un cercle, est un problème qui a occupé les mathématiciens de tous les siecles. Voyez QUADRATURE.

Plusieurs soûtiennent qu'elle est impossible ; elle est du-moins d'une difficulté qui l'a fait passer pour telle jusqu'à-présent. Archimede est celui des anciens géometres qui a approché le plus près de la quadrature du cercle.

Cercles des degrés supérieurs ; ce sont des courbes dans lesquelles A m : P Nm : : P N : P B, ou A Pm : P Nm :: P Nn : P Bn (Planche d'Analyse, fig. 9.)

Au reste, ce n'est que fort improprement que ces courbes ont été appellées cercles ; car on est convenu d'appeller cercle, la seule figure dont l'équation est A P x P B = P N2 : mais on peut imaginer des cercles de plusieurs degrés comme des paraboles de plusieurs degrés, quoique le nom de parabole ne convienne rigoureusement qu'à la parabole d'Apollonius. Voyez PARABOLE.

Coroll. I. Supposons A P = x, P N = y, A B = a, & nous aurons B P = a - x, & par conséquent xm : ym : : y : a - x, ce qui nous donne une équation qui détermine les cercles des degrés supérieurs à l'infini ; savoir, y(m + 1) = a xm - x(m + 1), & on pourroit avoir d'une maniere à-peu-près semblable cette autre équation y(m + n) = (a - x)n xm.

Coroll. II. Si m = 1, nous aurons y2 = a x - x x, & par conséquent il n'y aura plus que le cercle ordinaire ou celui du premier degré qui soit alors compris sous l'équation.

Si m = 2, on aura y3 = a x2 - x3, équation qui appartient au cercle du second degré ou du second ordre.

Cercles de la sphere ; ce sont ceux qui coupent la sphere du monde, & qui ont leur circonférence dans sa surface. Voyez SPHERE.

On peut distinguer les cercles en mobiles & immobiles. Les premiers sont ceux qui tournent, ou sont censés tourner par le mouvement diurne, de maniere que leur plan change de situation à chaque instant ; tels sont les méridiens, &c. Voyez MERIDIEN, &c.

Les autres ne tournent pas, ou tournent en restant toûjours dans le même plan ; tels sont l'écliptique, l'équateur, & ses paralleles. Voyez ECLIPTIQUE.

De quelque maniere qu'on coupe une sphere, la section est toujours un cercle dont le centre est dans le diametre de la sphere, qui est perpendiculaire au plan de section.

Donc 1°. le diametre d'un cercle qui passe par le centre de la sphere est égal à celui du cercle par la révolution duquel on peut concevoir que la sphere a été formée : 2°. le diametre d'un cercle qui ne passe pas par le centre de la sphere, est seulement égal à une des cordes du cercle générateur ; & comme le diametre est d'ailleurs la plus grande de toutes les cordes, ces considérations fournissent une autre division des cercles de la sphere en grands & petits.

Grand cercle de la sphere ; c'est celui qui divise la sphere en deux parties égales ou en deux hémispheres, & dont le centre co-incide avec celui de la sphere. Il s'ensuit delà que tous les grands cercles sont égaux, & qu'ils se coupent tous en portions égales, ou en demi- cercles.

Les grands cercles de la sphere sont l'horison, l'équateur, le méridien, l'écliptique, les deux colures, & les azimuts. Voyez chacun en son lieu, HORISON, MERIDIEN, ECLIPTIQUE, &c.

Petits cercles de la sphere ; ce sont ceux qui ne divisant pas la sphere également, n'ont leur centre que dans l'axe, & non pas dans le centre même de la sphere ; on les désigne d'ordinaire par l'analogie qu'ils ont avec les grands cercles auxquels ils sont paralleles ; ainsi l'on dit les paralleles à l'équateur. Voyez PARALLELE.

Les cercles de hauteur, qu'on nomme autrement almucantaraths, sont des cercles paralleles à l'horison, qui ont le zénith pour pole commun, & qui diminuent à mesure qu'ils approchent du zénith. Voyez ALMUCANTARATH.

On les appelle de la sorte par rapport à leur usage, ou parce qu'ils servent à marquer la hauteur d'un astre sur l'horison. Voyez HAUTEUR.

Cercles de déclinaison ; ce sont de grands cercles qui se coupent dans les poles du monde. Voyez DECLINAISON.

Les cercles diurnes sont des cercles immobiles qu'on suppose que les différentes étoiles & les autres points des cieux décrivent dans leur mouvement diurne autour de la terre, ou plûtôt qu'ils paroissent décrire dans la rotation de la terre autour de son axe. Voyez DIURNE.

Les cercles diurnes sont tous inégaux, l'équateur est le plus grand. Voyez EQUATEUR.

Cercles d'excursion ; ce sont des cercles paralleles à l'écliptique, & qui ne s'étendent qu'à une distance suffisante pour renfermer toutes les excursions des planetes vers les poles de l'écliptique ; excursions qu'on fixe ordinairement à dix degrés au plus. Voyez SPHERE SPHERIQUE.

On peut ajoûter ici que tous les cercles de la sphere dont nous venons de faire mention, se transportent des cieux à la terre, & trouvent par là leur place dans la Géographie, aussi-bien que dans l'Astronomie : on conçoit pour cela que tous les points de chaque cercle s'abaissent perpendiculairement sur la surface du globe terrestre, & qu'ils y tracent des cercles qui conservent entr'eux la même position & la même proportion que les premiers. Ainsi l'équateur terrestre est un cercle tracé sur la surface de la terre, & qui répond précisément à la ligne équinoctiale, que le soleil paroît tracer dans les cieux ; & ainsi du reste. Voyez EQUATEUR, &c.

Les cercles horaires, dans la Gnomonique, sont des lignes qui marquent les heures sur des cadrans, & qu'on nomme de la sorte, quoique ce ne soient point des cercles, mais des droites qui sont la projection des méridiens. Voyez CADRAN & HORAIRE.

Les cercles de latitude, ou les cercles secondaires de l'écliptique, font des grands cercles perpendiculaires au plan de l'écliptique, & qui passent par les poles, ainsi que par l'étoile ou planete dont ils manquent la latitude.

On les nomme de la sorte, parce qu'ils servent à mesurer la latitude des étoiles, laquelle n'est autre chose que l'arc de ces cercles intercepté entre l'étoile & l'écliptique. Voyez LATITUDE.

Les cercles de longitude sont plusieurs petits cercles paralleles à l'écliptique, lesquels diminuent à proportion qu'ils s'en éloignent.

C'est sur les degrés des cercles de longitude que se compte la longitude des étoiles. Voyez LONGITUDE.

Cercle d'apparition perpétuelle ; c'est un petit cercle parallele à l'équateur, décrit du point le plus septentrional de l'horison, & que le mouvement diurne emporte avec lui.

Toutes les étoiles renfermées dans ce cercle, ne se couchent jamais, mais sont toûjours présentes sur l'horison.

Cercle d'occultation perpétuelle ; c'est un autre cercle à pareille distance de l'équateur, décrit du point le plus méridional de l'horison, & qui ne contient que des étoiles qui ne sont jamais visibles sur notre hémisphere. Voyez OCCULTATION.

Les étoiles situées entre ces deux cercles se levent & se couchent alternativement à certains momens de la révolution diurne. Voyez ETOILE, LEVER, COUCHER, &c.

Cercles polaires ; ce sont des cercles immobiles paralleles à l'équateur, & situés à une distance des poles, égale à la plus grande déclinaison de l'écliptique. Voyez POLAIRE.

Celui qui est proche du pole boréal s'appelle arctique, & celui qui est près du pole méridional s'appelle antarctique. Voyez ARCTIQUE & ANTARCTIQUE.

Cercles de position ; ce sont des cercles qui passent par les intersections communes de l'horison & du méridien, & par un certain degré de l'écliptique, ou par le centre de quelqu'étoile, ou par un autre point quelconque des cieux. Les astrologues s'en servent pour découvrir la situation ou la position des étoiles, &c. Voyez POSITION.

On en trace ordinairement six, qui partagent l'équateur en douze parties égales. Les Astrologues nomment ces parties de l'équateur maisons célestes ; ce qui a fait appeller aussi ces cercles, cercles des maisons célestes. Ils ont été proscrits avec l'astrologie. (O)

Cercles d'ascension droite, & cercles d'ascension oblique ; les premiers passent par les poles du monde, & coupant l'équateur à angles droits, déterminent l'ascension droite des astres. On les nomme cercles d'ascension droite, parce que passant par les poles du monde, ils servent d'horison à la sphere droite, à laquelle les ascensions droites des astres se rapportent. Le premier de ces cercles est le colure des équinoxes, où un astre se trouvant, n'a point d'ascension droite. Voyez ASCENSION DROITE.

Le cercle d'ascension oblique est unique, c'est-à-dire qu'on n'en peut concevoir plus d'un pour chaque élévation de pole, puisqu'il n'est autre chose que l'horison de la sphere oblique ; lequel ne passant pas les poles du monde, & étant déterminé par rapport à une élévation particuliere du pole, ne peut être que seul ; au lieu qu'on peut s'imaginer une infinité de cercles d'ascension droite, à cause qu'ils passent tous par les mêmes poles qui sont ceux du monde, & qu'ainsi on peut les prendre pour des méridiens. En effet, les ascensions & descensions des astres ou des degrés de l'écliptique qui se font dans ce cercle, sont nommées obliques, à cause qu'elles sont faites dans la sphere oblique ; de même que les ascensions droites sont ainsi appellées parce qu'elles se font en la sphere droite ; c'est pourquoi l'horison dans la sphere oblique peut être nommé cercle d'ascension oblique. Voyez ASCENSION OBLIQUE.

Nous devons à M. Formey cet article sur les cercles d'ascension droite.

CERCLE d'arpenteur, instrument dont on se sert dans l'arpentage pour prendre des angles. Voyez ANGLE & ARPENTAGE.

Ce cercle est un instrument très-simple, & cependant fort expéditif dans la pratique. Il consiste en un cercle de cuivre & un index, le tout d'une même piece. Voyez sa figure à la Pl. d'Arpentage, fig. 19.

Ce cercle est garni d'une boussole, divisé en 360 degrés, dont la méridienne répond au milieu de la largeur de l'index. Sur le limbe ou la circonférence du cercle est soudé un anneau de cuivre, lequel avec un autre qui est garni d'un verre, fait une espece de boîte pour mettre l'aiguille aimantée. Cette aiguille est suspendue sur un pivot au centre du cercle. Chaque extrémité de l'index porte une pinule. Voyez PINULE & BOUSSOLE.

Le tout est monté sur un pié avec un genou, afin de le mouvoir ou de le tourner avec facilité. Voyez GENOU.

Prendre un angle avec cet instrument. Supposons qu'on demande l'angle E K G, Planche d'Arpentage, fig. 20. placez l'instrument quelque part en K, la fleur-de-lis de la boussole tournée vers vous ; dirigez ensuite les pinnules jusqu'à ce que vous apperceviez le point E à-travers, & observez à quel degré répond l'extrémité méridionale de l'aiguille : supposons que ce soit 296 degrés, vous tournerez alors l'instrument, la fleur-de-lis restant toûjours vers vous, & vous dirigerez les pinnules vers G, marquant encore le degré auquel répondra l'extrémité australe de l'aiguille que nous supposons être 182.

Après cela soustrayez le plus petit nombre 182 du plus grand 296, le reste 114 sera le nombre de degrés de l'angle E K G.

Si ce reste se trouvoit plus grand que 180 degrés, il faudroit le soustraire de nouveau de 360 ; & le dernier reste qui proviendroit de cette seconde opération, seroit la quantité de l'angle cherché.

Maniere de lever avec cet instrument le plan d'un champ, d'un bois, d'un parc, &c. Soit ABCDEFGK fig. 21. un enclos dont on veut lever le plan.

1°. Placez l'instrument en A ; & la fleur-de-lis étant tournée vers vous, dirigez les pinnules vers B ; supposons que l'extrémité australe de l'aiguille tombe alors sur 191 degrés, & que le fossé, la muraille, ou la haie mesurée à la chaîne, contienne dix chaînes 75 chaînons, ce que vous écrirez, afin de vous en ressouvenir. Voyez CHAINE.

2°. Placez l'instrument en B, & dirigez comme ci-dessus les pinnules vers C, supposant que l'extrémité australe de l'aiguille tombe, par exemple, à 279 degrés, & que la ligne B C contienne six chaînes 83 chaînons, vous les marquerez comme ci-dessus : transportez ensuite l'instrument en C ; tournez les pinnules vers D, & mesurez C D.

Procédez de la même maniere aux points D E ; F, G, H, & enfin au point K, marquant toûjours les degrés de chaque station ou angle, & les longueurs de chacun des côtés.

Ayant ainsi fait le tour du champ, vous aurez la table suivante.

Au moyen de cette table, vous leverez ou tracerez le plan du terrein proposé, suivant la méthode enseignée aux mots LEVER UN PLAN, RAPPORTEUR, &c.

Comme dans ces sortes d'opérations il est presque toûjours plus important d'être exact qu'expéditif, il est à propos, pour vérifier son travail, de voir si l'instrument transporté, par exemple en B, la pinule dirigée vers A, donnera le même angle qu'étant en A, la pinule dirigée vers B ; & ainsi des autres stations. Voyez GRAPHOMETRE & PLANCHETTE. (E)

CERCLE ou ANNEAU MAGIQUE, est un phénomene qu'on voit assez souvent dans les campagnes, &c. qui est une espece de rond que le peuple supposoit autrefois avoir été tracé par les fées dans leurs danses.

Il y en a de deux sortes ; les uns ont sept ou huit toises de diametre, & contiennent un gason pelé à la ronde de la largeur d'un pié, avec un gason verd au milieu ; les autres sont de différentes grandeurs, & sont entourés d'une circonférence de gason beaucoup plus frais & plus verd que celui qui est dans le milieu.

M. Jessop & M. Walker, dans les Transactions philosophiques, attribuent ce phénomene au tonnerre : ils en donnent pour raison, que c'est le plus souvent après des orages qu'on apperçoit ces cercles.

D'autres auteurs ont prétendu que ces cercles magiques étoient formés par les fourmis ; parce qu'on trouve quelquefois ces insectes qui y travaillent en troupes : mais quelle qu'en soit la cause, il est certain qu'elle est naturelle & non magique, comme le peuple se l'imagine. Chambers.

CERCLE, (Chimie). Les artistes en Chimie se servent d'un cercle de fer pour couper les cous de certains vaisseaux de verre ; ce qu'on fait de cette sorte.

Cet instrument étant échauffé, on l'applique à la partie du vaisseau de verre qu'on veut couper, & on l'y tient jusqu'à ce que le verre soit échauffé : on jette ensuite dessus quelques gouttes d'eau froide, ou on souffle dessus à froid ; & cette partie du vaisseau s'en sépare : c'est ainsi qu'on coupe les cous des cornues, des cucurbites.

Les Chimistes employent encore une autre maniere de couper le verre : elle consiste à lier une corde imbibée d'huile de térébenthine, ou une meche de soufre, autour de l'endroit ou on veut faire la fracture ; ensuite on met le feu à la corde ; & lorsqu'après cela on jette un peu d'eau froide sur le même endroit, le verre se fêle précisément à l'endroit où la corde avoit été liée & brûlée.

On peut aussi avec une pierre à fusil tracer un anneau sur la partie du verre qu'on veut couper ; ensuite approcher doucement la lumiere d'une chandelle de la partie tracée, & lorsqu'elle est chaude, y porter avec le bout du doigt un peu d'eau froide, qui fera casser le verre dans la partie du vaisseau, qu'on a tracée avec la pierre à fusil. Il faut pour bien opérer, mettre la lumiere entre le vaisseau & soi, & avoir à un de ses côtés de l'eau froide dans un vaisseau. (M)

CERCLES GOUDRONNES ; ce sont dans l'Artillerie, de vieilles meches ou de vieux cordages poissés & trempés dans le gaudron ou goudron, comme disent quelques-uns, qui sont pliés & tournés en cercles. On les met dans des réchaux pour éclairer dans une ville assiégée. (Q)

CERCLES de hune, (Marine) ce sont de grands cercles de bois qui font le tour des hunes par en-haut ; autour des hunes on voit des cercles qui servent à assûrer les matelots pendant qu'ils font leurs manoeuvres sur les hunes, où ils en ont beaucoup affaire ; & sans ces cercles ils pourroient facilement tomber. On tient les cercles plus bas vers l'avant qu'aux autres endroits, afin qu'ils ne vaguent pas les cordages, & n'usent pas les voiles ; & pour empêcher cela, on met encore des sangles, ou tissus de bitord tout-autour. Dans la Planche I. qui représente un vaisseau, les hunes cotées 14. sont représentées de façon qu'on peut y distinguer assez aisément les cercles de hune. Voyez HUNE.

CERCLES de boute-hors, (Marine) ce sont des cercles doubles de fer, qu'on met à l'endroit des vergues où l'on passe les boute-hors, qui servent à mettre les voiles d'étai.

CERCLES d'étambraie de cabestan, (Marine) c'est un cercle de fer autour du trou de l'étambraie, par où le cabestan passe & tourne. (Z)

CERCLE à la corne, (Maréchallerie) c'est ou une avalure, voyez AVALURE, ou bien des bourrelets de corne qui entourent le sabot, & qui marquent que le cheval a le pié trop sec, & que la corne se desséchant, se retire & serre le petit pié. Cercle ou rond signifie la même chose que volte. V. VOLTE. (V)

CERCLES, especes de cerceaux dont se servent les Tonneliers. Ils ne different des cerceaux ordinaires que par leur grandeur. C'est avec les cercles qu'on relie les cuves, cuviers, & les baignoires. Les cerceaux ordinaires ne servent que pour les muids, futailles, barrils, &c. Les cercles se vendent à la mole comme les cerceaux ; mais la mole en contient moins. Voyez MOLE.

CERCLES, (Hist. mod.) dans l'empire d'Allemagne ; ce sont des especes de généralités ou districts, qui comprennent chacune les princes, les abbés, les comtes, & les villes, qui peuvent par leur voisinage s'assembler commodément pour les affaires communes de leurs districts ou provinces.

Ce fut Maximilien I. qui en 1500 établit cette division générale des états de l'empire en six parties, sous le nom de cercles : savoir, en ceux de Franconie, de Baviere, de Suabe, du Rhin, de Westphalie, & de basse Saxe ; il y ajoûta en 1512 ceux d'Autriche, de Bourgogne, du bas-Rhin, & celui de la haute-Saxe ; dispositions que Charles X. confirma à la diete de Nuremberg tenue en 1522. La Bourgogne n'avoit pourtant pas fait jusque-là partie de l'Empire : mais les empereurs de la maison d'Autriche, qui étoient alors en possession des états de celle de Bourgogne, furent bien-aises de l'y annexer, afin d'intéresser tout l'Empire à leur défense & conservation. Charles V. fit même pour ce sujet une bulle en 1548 : mais Conringius remarque que la branche d'Autriche établie en Espagne, n'ayant jamais accepté cette bulle, le cercle de Bourgogne n'a jamais été non plus véritablement de l'Empire, & qu'il ne fournissoit ni ne payoit aucun contingent. On ne laisse pas que de le compter parmi les cercles, dont voici les noms tels qu'ils sont écrits dans la matricule de l'Empire, quoique le rang qu'ils y tiennent n'ait jamais été bien reglé, & que la plûpart d'entr'eux, sur-tout celui du bas-Rhin qui comprend quatre électeurs, ne conviennent pas de l'ordre que leur assigne cette matricule : Autriche, Bourgogne, Baviere, bas-Rhin, haute-Saxe, Franconie, Suabe, haut-Rhin, Westphalie, basse-Saxe.

Dès la premiere institution des cercles, pour y maintenir une police uniforme, on établit dans chacun, des directeurs ou chefs choisis entre les plus puissans princes, soit ecclésiastiques, soit séculiers, membres de ce cercle, auxquels on attribua le droit de convoquer, quand la nécessité le requerroit, l'assemblée des états de leur cercle ou province ; on établit aussi un colonel, des capitaines, & des assesseurs, afin que de concert avec eux, les directeurs pussent regler les affaires du cercle ; ordonner des impositions, & les repartir ; veiller à la tranquillité commune & particuliere ; mettre à exécution les constitutions des dietes, les décrets de l'Empereur, & ceux du conseil aulique & de la chambre imperiale ; avoir inspection sur les tribunaux, les monnoies, les péages, & d'autres parties du gouvernement. Outre ces réglemens généraux, & qui regardoient le bien de tout l'Empire, on en fit de particuliers pour chaque cercle, & principalement pour la maniere dont les colonels & les assesseurs, de la participation & de l'aveu des directeurs, auroient à en user dans chaque cercle, & même à l'égard les uns des autres pour leur commune conservation.

Les cercles font ensemble des associations pour leur sûreté, & les princes étrangers envoyent à leurs assemblées des ministres, avec le titre de résident ou d'envoyé. En qualité de membre de l'Empire, ils payent deux sortes de taxe : l'une ordinaire, que chaque cercle fournit en deux termes égaux tous les ans pour l'entretien de la chambre impériale ; & l'autre extraordinaire, qui se paye par mois, & qu'on nomme mois romains. Voyez MOIS & CONTINGENT. (G)


CERCLÉadj. en terme de Blason, se dit des tonneaux reliés de cercles.

Barillon en Anjou, de gueules à trois barillets couchés d'or, cerclés de sable. (V)


CERCLERv. act. c'est mettre les cercles ou cerceaux à un tonneau, une cuve. Voyez CERCLE & CERCEAU.


CERCOPESS. m. pl. (Mythologie) peuples de l'île Pithecuse, qu'Ovide dit avoir été transformés en singes par Jupiter, pour les punir de leurs débauches.


CERCOPITHIQUE(Myth.) espece de singe auquel les Egyptiens rendoient les honneurs divins : on le représentoit avec un croissant sur la tête, & un gobelet à la main.


CERCURES. m. (Hist. anc.) petit vaisseau de pirate, inventé par les Cypriots : on croit que c'étoit la même chose que ce qu'on appelloit l'hemioli. Voyez HEMIOLI.


CERDAGNE(LA) Géog. petite province d'Espagne, dans la Catalogne, séparée du Roussillon par les Pyrénées ; une partie appartient à la France.


CERDEMPORUS(Myth.) surnom de Mercure ; il fut ainsi appellé de , commerçant, parce qu'il étoit le dieu des commerçans.


CERDONIENSsub. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui parurent dans le second siecle, & qui soûtenoient les erreurs de Cerdon leur maître, qui les avoit empruntées de Simon le magicien.

Ce Cerdon, natif de Syrie, vint à Rome sous le pape Hygin, & y séjourna long-tems, enseignant ses erreurs tantôt en cachette, tantôt ouvertement. Il feignit même de se réunir à l'Eglise, & de faire pénitence : mais il fut enfin absolument chassé. Il admettoit deux principes, l'un bon, & l'autre mauvais : ce dernier selon lui avoit créé le monde, & étoit l'auteur de l'ancienne loi : l'autre qu'il appelloit le principe inconnu étoit le pere de Jesus-Christ. Cerdon ajoûtoit que Jesus-Christ n'étoit point né d'une vierge, & qu'il n'avoit pas souffert réellement. Il admettoit la résurrection de l'ame, & non celle de la chair ; rejettoit tous les livres de l'ancien Testament, & ceux du nouveau ; il ne recevoit qu'une partie de l'évangile de S. Luc. Tel étoit le patriarche des Cerdoniens, dont les dogmes furent adoptés par son disciple Marcion. Voyez MARCIONITES. (C)


CEREALIA(Hist. anc.) fêtes de Cerès, instituées par Triptoleme, fils de Celéus, roi d'Eleusine, dans l'Attique, en reconnoissance de ce que Cerès, qu'on croyoit avoir été sa nourrice, lui avoit appris l'art de cultiver le blé & d'en faire du pain.

On célebroit à Athenes deux fêtes de cette déesse ; l'une nommée Eleusines, & l'autre Thesmophories. Voyez ELEUSINES & THESMOPHORIES.

Toutes deux, & en général toutes les solennités de Cerès avoient cela de commun, qu'on les célébroit avec beaucoup de religion & de tempérance, jusqu-là qu'on s'abstenoit du vin & de tout commerce avec les femmes pendant ce tems-là pour honorer une divinité qui s'étoit distinguée par sa chasteté & sa sobriété. Quelques critiques ont même prétendu qu'en mémoire de ces deux vertus ; on n'offroit point de vin à la déesse dans ses sacrifices, & que les libations s'y faisoient seulement avec du mulsum, sorte de mixtion de vin & de miel bouillis ensemble ; & que c'est ce que Virgile appelle miti baccho, du vin adouci : cependant Caton assûre expressément qu'on s'y servoit de vin : d'autres croyent que Cerès seule n'étoit pas honorée dans ces fêtes, qu'on y révéroit encore Bacchus & Hercule, en leur sacrifiant des porcs ou des truies avec du mulsum, à cause que ces animaux causent beaucoup de degât aux biens de la terre, dont Cerès & Bacchus étoient regardés comme les divinités tutélaires.

Ces fêtes passerent des Grecs aux Romains, qui les célébroient pendant huit jours, à compter depuis le cinquieme des ides d'Avril. Les dames seules vêtues de blanc, y faisoient l'office de prêtresses ; & les hommes habillés de la même couleur, celui de simples spectateurs. Toute personne en deuil ou qui avoit assisté à des funérailles, étoit exclus de cette solennité : & après la bataille de Cannes, comme toute la ville étoit dans un deuil universel, on fut obligé de remettre à une autre année les fêtes de Cerès. Entre les autres cérémonies, celle-ci étoit remarquable ; on ne mangeoit que le soir après le soleil couché, parce que Cerès en avoit fait de même en cherchant sa fille Proserpine enlevée par Pluton. On y couroit encore çà & là avec des flambeaux, pour représenter les courses inquietes de cette mere allarmée. On y portoit en pompe selon Macrobe, un oeuf, ovule in cerealis pompae apparatu numerabatur primum ; & cet oeuf, dit-on, représentoit le monde ou la terre, que Cerès avoit enrichie par le blé. Au sacrifice succédoient des festins, suivis de combats de gladiateurs, & de courses de chariots dans le cirque. Les prêtres de Cerès chez les Grecs étoient nommés Eumolpides, d'Eumolpe fils de Triptoleme ; on les appelloit encore taciti mystae, parce qu'il ne leur étoit pas permis de divulguer les mysteres de la déesse. (G)


CEREIBA(Hist. nat. bot.) petit arbre du Brésil semblable au saule : on dit que quand le soleil donne sur ses feuilles, il s'y amasse un sel qui se dissout en rosée pendant la nuit, ou lorsqu'il y a du brouillard. Si cette proprieté est particuliere au cereiba, & qu'elle soit bien réelle, voilà un arbrisseau suffisamment désigné. On n'attribue au cereiba aucune proprieté médicinale.


CEREMONIALS. m. (Police) c'est l'assemblage des regles introduites dans l'usage de la vie, & auxquelles l'on est obligé de se conformer pour l'extérieur, le maintien, les discours, les habillemens, &c.

On peut prendre ce mot dans un sens plus étroit, & entendre par là les usages introduits, ou par des ordres des supérieurs, ou tellement établi par une longue coûtume que l'on est obligé de les regarder comme des lois, & de les respecter : dans ce sens l'on trouve que dans toutes les nations du monde on a pratiqué de certaines cérémonies, tant pour le culte de la divinité que pour les affaires civiles, dans les mariages, enterremens, &c. Voyez CEREMONIE.

L'on entend en troisieme lieu par cérémonial, la maniere dont les souverains ou leurs ambassadeurs ont coûtume d'en user les uns avec les autres ; ce qui n'est qu'une convention où reglement établi entre les princes, ex pacto, consuetudine & possessione, suivant lequel ces princes, ou leurs représentans, doivent se conduire les uns envers les autres lorsqu'ils se trouvent ensemble, afin que l'on ne donne à chacun ni trop ni trop peu.

Il y a des gens qui prennent le cérémonial dans un sens encore plus étendu, & comptent trois occasions où le cérémonial est nécessaire ; 1°. lorsque les souverains s'assemblent en personne ; 2°. lorsqu'ils s'écrivent ; 3°. lorsqu'ils s'envoyent des ambassadeurs les uns aux autres. Cette espece de cérémonial vient de l'ambition, & de la supériorité que l'un a crû avoir sur un autre ; on lui a donné le nom de prérogative ou de préséance : c'est une source inépuisable de disputes entre les souverains, qui ne sont point dans la disposition de céder les uns aux autres ; & quoique souvent on ait travaillé à assigner à chacun un rang dont il pût être content, l'on n'a jamais pû y parvenir, sur-tout en Allemagne.

Les moyens d'accommodement qui ont été proposés, sont l'arbitrage & les compromis : mais ils ont été souvent inutiles : la possession & la force ont toujours prévalu. (-)


CEREMONIESS. f. pl. (Hist. civ. & ecclés.) les cérémonies sont en général des démonstrations extérieures & symboliques, qui font partie des usages de la politique & du culte d'une société. Voyez POLICE & CULTE. Laissant à d'autres le soin de chercher la véritable étymologie du mot ceremonia, & de décider s'il vient de Cereris munia, ou de Coere munia, ou du verbe Grec , nous observerons d'abord qu'il y a, selon notre définition, trois sortes de cérémonies : des cérémonies politiques, telles que le couronnement d'un prince, l'introduction d'un ambassadeur, &c. des cérémonies religieuses, telles que l'ordination d'un prêtre, le sacre d'un évêque, le baptême ou la bénédiction d'une cloche, &c. des cérémonies politico-religieuses, c'est-à-dire, où les usages du peuple se trouvent mêlés avec la discipline de l'Eglise, telles que la cérémonie du mariage prise dans toute son étendue.

Il y a deux choses principales à examiner sur les cérémonies ; leur origine, soit dans la société, soit dans la religion, & leur nécessité dans la religion : quant au premier point, il paroît que chaque cérémonie dans la société a son origine particuliere, relative à quelque fait primitif & aux circonstances de ce fait, & qu'il en est de même de l'origine de chaque cérémonie dans la religion ; avec cette différence qu'on peut rechercher ce qui a donné lieu à celles-ci, qui forment tantôt un système sage & raisonné, ou qui ne sont d'autres fois qu'un assemblage d'extravagances, d'absurdités & de petitesses, sans motif, sans liaison, sans autorité.

Il est donc à propos dans cette recherche de distribuer les cérémonies religieuses en des classes ; en cérémonies pieuses & saintes, & en cérémonies superstitieuses & abominables.

Il n'y a eu de cérémonies religieuses pieuses & saintes sur la surface de la terre, 1°. que le petit nombre de celles qui accompagnerent le culte naturel que les premiers hommes rendirent à Dieu en pleine campagne, dans la simplicité de leur coeur & l'innocence de leurs moeurs, n'ayant d'autre temple que l'univers, d'autre autel qu'une touffe de gason, d'autre offrande qu'une gerbe, d'autre victime qu'un agneau, & d'autres sacrificateurs qu'eux-mêmes, & qui ont duré depuis Adam jusqu'à Moyse ; 2°. les cérémonies qu'il plut à Dieu de prescrire au peuple Juif, par sa propre bouche ou par celle de ses pontifes & de ses prophetes, qui commencerent à Moyse, & que Jesus-Christ a abolies ; 3°. les cérémonies de la religion Chrétienne, que son divin instituteur a indiquées, que ses apôtres & leurs successeurs ont instituées, qui sont toûjours sanctifiées par l'esprit des ministres qui les exécutent, & des fideles qui y assistent, & qui dureront jusqu'à la fin des siecles.

L'origine de ces cérémonies est fondée sur l'Histoire, & nous est transmise par des livres sur l'authenticité desquels il n'y a point de doute. Elles furent chez les premiers hommes des mouvemens de la nature inspirée ; chez les Juifs, une portion des lois d'un gouvernement théocratique ; chez les Chrétiens, des symboles de foi, d'espérance, & de charité ; & il ne peut y avoir sur elles deux sentimens. Loin donc de nous les idées de Marsham & de Spencer ; c'est presque un blasphème que de déduire les cérémonies du Lévitique, des rites Egyptiens.

Mais il n'en est pas de même des cérémonies superstitieuses : il semble qu'à l'exception de ce que les saintes Ecritures nous en apprennent, le reste soit entierement abandonné aux disputes de la Philosophie ; & voici en peu de mots ce qu'elle nous suggere de plus raisonnable. Elle réduit les causes de l'idolatrie à la flatterie, à l'admiration, à la tendresse, à la crainte, à l'espérance, mal entendues ; voyez IDOLATRIE : conséquemment il paroît que toutes les cérémonies superstitieuses ne sont que des expressions de ces différens sentimens, variées selon l'intérêt, le caprice, & la méchanceté des prêtres idolâtres. Faites une combinaison des passions qui ont donné naissance aux idoles, avec celles de leurs ministres, & tous les monstres d'abomination & de cruauté qui noircissent les volumes de nos historiens & de nos voyageurs ; vous les en verrez sortir, sans avoir recours aux conjectures d'Huet, de Bochart, de Vossius, & de Dickinson, où l'on remarque quelquefois plus de zele que de vraisemblance.

Quant à la question de la nécessité des cérémonies pour un culte, sa solution dépend d'une autre ; savoir, si la religion est faite pour le seul philosophe, ou pour le philosophe & le peuple : dans le premier cas, on pourroit peut-être soutenir que les cérémonies sont superflues, puisqu'elles n'ont d'autre but que nous rappeller les objets de notre foi & de nos devoirs, dont le philosophe se souvient bien sans le secours des signes sensibles : mais la religion est faite indistinctement pour tous les hommes, comme il en faut convenir ; donc, comme les prodiges de la nature ramenent sans-cesse le philosophe à l'existence d'un Dieu créateur ; dans la religion Chrétienne, par exemple, les cérémonies rameneront sans-cesse le chrétien à la loi d'un Dieu crucifié. Les représentations sensibles, de quelque nature qu'elles soient, ont une force prodigieuse sur l'imagination du commun des hommes : jamais l'éloquence d'Antoine n'eût fait ce que fit la robe de César. Quod litteratis est scriptura, hoc idiotis praestat pictura, dit saint Grégoire le grand, liv. IX. épît. jx.


CERENZA(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure. Long. 34. 50. lat. 39. 23.


CERES(Myth.) fille de Saturne & de Cybele, & déesse de l'agriculture. Lorsque Pluton eut enlevé sa fille Proserpine, elle se mit à la chercher nuit & jour : cependant la disette des grains désoloit la terre privée de ses dons. Les dieux étoient très-inquiets de son absence, lorsque Pan la découvrit. Les Parques députées par Jupiter l'attendrirent, & la ramenerent en Sicile, où elle rendit à la terre sa fertilité. On la représente avec beaucoup de gorge, la tête couronnée d'épis, & des pavots dans la main, ou entre deux petits enfans tenant chacun une corne d'abondance. On lui donne un char attelé de serpens ailés, avec une torche allumée. Le myrte & le narcisse étoient les seules fleurs dont on se couronnât dans ses fêtes. On lui attribue une aventure dont la fin est assez scandaleuse. On dit que pour éviter les poursuites amoureuses de Neptune son frere, elle se métamorphosa en jument ; ce qui n'empêcha pas le dieu de se satisfaire sous la forme d'un cheval ; il en eut Arion & un cheval. Les Phigaliens adorerent une Cerès à tête & criniere de jument, d'où sortoient des dragons & d'autres monstres. Cette statue ayant été incendiée par accident, les Phigaliens oublierent le culte de la déesse, qui s'en vangea par une grande secheresse qui les auroit conduits jusqu'à manger leurs propres enfans, s'ils ne l'avoient arrêtée en rétablissant le culte de Cerès la noire, car c'est ainsi que leur Cerès s'appelloit. Quoi qu'il en soit de toutes ces extravagances, les Mythologistes prétendent que Cerès fut une reine de Sicile qui mérita des autels, par l'invention de l'agriculture qu'elle communiqua à ses peuples. Voyez le Dict. de Myth.


CERET(Géog.) petite ville de France dans le Roussillon, sur la riviere de Tec. Long. 20. 21. lat. 42. 23.


CERFcervulus, (Hist. anc. & mod.) espece de jeu usité parmi les payens, & dont l'usage s'étoit autrefois introduit parmi les Chrétiens : il consistoit à se travestir au nouvel an sous la forme de divers animaux. Les ecclésiastiques se déchaînerent avec raison contre un abus si indigne du Christianisme ; & ce ne fut point sans peine qu'ils parvinrent à le déraciner. Voyez le gloss. de Ducange.

* CERF, s. m. (Hist. nat. & Ven.) cervus, animal quadrupede, ruminant, qui a le pié fourchu, les cornes branchues, non creuses, & tombant chaque année : voilà les caracteres généraux sur lesquels on a établi le genre d'animaux qui porte le nom de cerf, cervinum genus : ce genre comprend le cerf, le dain, l'élan, le renne, le chevreuil, la giraffe, &c. Voyez ces derniers à leurs articles.

Le cerf proprement dit est de la grandeur d'un petit cheval ; son poil est de couleur fauve rougeâtre ; ses cornes sont longues, & d'une consistance très-dure ; le devant de sa tête est plat ; les yeux sont grands ; les jambes longues & menues, & la queue courte.

On prétend que les cerfs vivent très-long-tems : on a dit que la durée de leur vie s'étendoit à plusieurs siecles : on a même avancé jadis qu'ils vivoient quatre fois aussi long-tems que les corneilles, a qui l'on donnoit neuf fois la durée de la vie de l'homme. On peut juger de cette fable par le résultat, qui assigneroit aux cerfs trois mille six cent ans de vie.

Pline a assuré qu'on en avoit pris un plus de cent ans après la mort d'Alexandre, avec un collier d'or chargé d'une inscription, qui marquoit que ce collier lui avoit été donné par ce prince. On en raconte autant de César. On dit aussi que l'on trouva la biche d'Auguste plus de deux siecles après sa mort. On sait l'histoire du cerf chassé par Charles VI.

On connoît la vieillesse, mais non l'âge des cerfs, aux piés & à la tête, ainsi qu'aux allures. Ils ont à sept ans leur entiere hauteur de corps & de tête. On raconte de leurs courses, de leurs reposées, de leur pâture, ressui, diete, jeûnes, purgations, circonspection, maniere de vivre, sur-tout lorsqu'ils ont atteint l'âge de raison, une infinité de choses merveilleuses, qu'on trouvera dans Fouilloux, Salnove, &c. qui ont écrit de la chasse du cerf en enthousiastes, &c.

Age & distinction des cerfs. Depuis qu'un cerf est né jusqu'à un an passé, il ne porte point de bois, & s'appelle faon. En entrant dans la seconde année, il pousse deux petites perches qui excedent un peu les oreilles ; on appelle ces perches dagues, & ces jeunes cerfs, daguets. La troisieme année les perches qu'ils poussent se sement de petits andouillers, au nombre de deux à chaque perche. Les quatrieme & cinquieme années, la tête prend 8, 10, 12 pouces de long. La sixieme, dans laquelle le cerf s'appelle cerf dix cors jeunement, la tête prend 12 à 14 pouces. La septieme, dans laquelle il s'appelle cerf de dix cors, elle prend 16, 18, 20, & 24 pouces. La huitieme année, il prend le nom de grand cerf ; & la neuvieme, celui de grand vieux cerf.

Du rut des cerfs. Les vieux cerfs, les cerfs de dix cors, & ceux de dix cors jeunement, entrent en chaleur au commencement du mois de Septembre, quelquefois plûtôt ou plus tard de sept à huit jours : il leur prend alors une mélancolie qui dérange considérablement la sagesse de leur conduite. Ils ont la tête basse ; ils marchent jour & nuit, ce qui s'appelle muser ; ils deviennent furieux ; ils attaquent l'homme, &c. cet état dure cinq ou six jours, au bout desquels ils entrent dans la forte chaleur du rut, beuglent, ce qui s'appelle raire, ou réer, cherchent les biches, les poursuivent, & les tourmentent. Après le rut de ces cerfs, commence celui des jeunes, qui s'emparent des biches en l'absence des vieux, & se contentent de leurs restes.

Le fort du rut est depuis quatre heures du soir jusqu'à neuf heures du matin : ils ont alors entr'eux des combats où il y en a de blessés, & même de tués : leurs cornes s'entrelacent ; ils restent pris tête contre tête, & sont dévorés des loups. Ceux qui voudront lire des merveilles de leurs combats amoureux pourront consulter les auteurs que nous avons cités plus haut.

Le rut des grands cerfs dure trois semaines, dans lesquelles ils ont quinze à seize jours de forte chaleur ; le rut des jeunes cerfs dure douze à quinze jours : ainsi le tems du rut en général est d'environ cinq semaines. Alors la chasse en est dangereuse, & pour les chasseurs & pour les chiens : le cerf répand, dit-on, dans le rut une odeur si forte & si puante, que les chiens refusent quelquefois de les chasser.

Le rut de la biche est plus tardif que celui des cerfs ; un cerf en saillit jusqu'à quinze ou seize.

La biche est plus petite que le cerf ; elle n'a point de cornes ; ses mammelles sont au nombre de quatre, comme celles de la vache ; elle porte pendant huit mois, & n'a qu'un faon, qu'elle garde jusqu'au tems du rut.

Charles I. roi d'Angleterre, dont Harvey étoit medecin, lui abandonna toutes les biches de ses parcs ; ce fut au-dedans de ces animaux qu'il chercha à découvrir le mystere de la génération. Harvey, dit M. de Maupertuis, dans sa vénus physique, opuscule où l'esprit & les connoissances se font remarquer également, immolant tous les jours quelque biche dans le tems où elles reçoivent le mâle, & disséquant leurs matrices, n'y trouva jamais de liqueur séminale du mâle, jamais d'oeuf dans les trompes, jamais d'altération à l'ovaire prétendu, qu'il appelle comme d'autres anatomistes, le testicule de la femelle. Les premiers changemens qu'il apperçut dans les organes de la génération furent à la matrice ; il trouva cette partie enflée & plus molle qu'à l'ordinaire. Dans les quadrupedes elle paroît double, quoiqu'elle n'ait qu'une seule cavité ; son fond forme comme deux réduits qu'on appelle cornes, dans lesquelles se trouve le foetus. Ce furent ces endroits qui lui parurent les plus altérés ; Harvey y observa plusieurs excroissances spongieuses, qu'il compare au bout des tétons des femmes. Il en coupa quelques-unes qu'il trouva parsemées de petits points blancs enduits d'une matiere visqueuse ; le fond de la matrice qui formoit leurs parois, étoit gonflé & tuméfié, comme les levres des enfans, lorsqu'elles ont été piquées par des abeilles & tellement mollasse, qu'il paroissoit d'une consistance semblable à celle du cerveau.

Pendant les mois de Septembre & d'Octobre, tems auquel les biches reçoivent le cerf tous les jours, & par des expériences de plusieurs années, Harvey ne parvint jamais à découvrir dans toutes les matrices des biches une seule goutte de liqueur séminale.

Au mois de Novembre, la tumeur de la matrice étoit diminuée, & les caroncules fongueuses devenues flasques : mais ce qui fut un nouveau spectacle pour l'observateur, des filets déliés, étendus d'une corne à l'autre de la matrice, formoient une espece de réseau semblable aux toiles d'araignée, & s'insinuant entre les rides de la membrane intérieure de la matrice, ils s'entrelaçoient autour des caroncules à-peu-près comme on voit la pie-mere suivre & embrasser les contours du cerveau.

Ce réseau forma bien-tôt une poche dont les dehors étoient enduits d'une matiere fétide, le dedans lisse & poli contenant une liqueur semblable au blanc d'oeuf, dans laquelle nageoit une autre enveloppe sphérique, remplie d'une liqueur plus claire & crystalline ; ce fut dans cette liqueur qu'il apperçut un nouveau prodige. Ce ne fut point un animal tout organisé, comme on le devoit attendre ; ce fut le principe d'un animal, un point vivant, punctum saliens. On le vit dans la liqueur crystalline sauter & battre, tirant son accroissement d'une veine qui se perd dans la liqueur où il nage.

Les parties du corps viennent bien-tôt s'y joindre mais en différent ordre & en différens tems ; ce n'est d'abord qu'un mucilage divisé en deux petites masses, dont l'une forme la tête, l'autre le tronc. Vers la fin de Novembre le foetus est formé ; & tout cet admirable ouvrage, lorsqu'il paroît une fois commencé, s'acheve promtement : huit jours après la premiere apparence du point vivant, l'animal est tellement avancé, qu'on peut distinguer son sexe. Mais cet ouvrage ne se fait que par parties ; celles du dedans sont formées avant celles du dehors ; les visceres & les intestins, avant que d'être couverts du thorax & de l'abdomen ; & ces dernieres parties destinées à mettre les autres à couvert, ne paroissent ajoûtées que comme un toît à l'édifice. Voyez la Vénus physique de M. de Maupertuis.

Nous avons rapporté ici toutes ces particularités sur la formation du faon ; parce que la génération pourroit bien s'exécuter autrement dans un autre animal, quoique Harvey ait voulu généraliser ses expériences sur les biches : & les étendre à tous les autres quadrupedes.

Retraite. Après le rut, le cerf maigre, décharné, &c. se retire au fond des forêts où il vit de gland, de feuilles, de ronces, de la pointe des bruyeres, de cresson, &c.

Attroupement. Au mois de Décembre les cerfs s'attroupent ; les vieux cerfs, ceux de dix cors, quelques-uns de dix cors jeunement, se mettent ensemble. Ceux qui sont un peu au-dessous de cet âge, forment une autre troupe ; les daguets & ceux du second bois, restent avec les biches. Il n'est pas donné à tout le monde d'appercevoir l'exactitude de ces distributions : mais quoi qu'il en soit, il est constant que plus l'hyver est rude, plus les troupes sont grandes. Ces animaux se placent fort près les uns des autres à la reposée afin de s'échauffer.

Changement de pays & de viandis. Les cerfs changent plusieurs fois l'an de pays & de viandis ; ils gardent le fond des bois en hyver, & y vivent, comme on a dit plus haut ; au printems ils vont aux buissons, bois coupés d'un an, seigle, blé, pois, feves, &c. Ils gardent les buissons tout l'été, & viandent aux mêmes endroits : en automne, ils se rapprochent des grands bois, & vivent de grain, des chaumes, des avoines, des prés.

Séparation, mue, & chûte des têtes. Vers la mi-Février, ou au commencement de Mars, les cerfs se séparent ; ils ne restent que deux ou trois ensemble pour aller aux buissons mettre bas leur tête. Il ne s'agit ici que des cerfs de dix cors, de dix corps jeunement, & vieux cerfs ; les autres se contentent de s'éloigner seulement du milieu de la forêt.

Au printems ils muent ; & il s'engendre sur eux entre cuir & chair des pustules ou ulceres, dans lesquels il se forme des vers qui leur sortent par le gosier, la gueule, les narines ; quelquefois ils en meurent : on dit que leur sang se purifie par cette voie.

C'est encore à des vers qu'on attribue la chûte de leur tête ; on dit que cette vermine se glissant le long du cou entre cuir & chair ; se place entre le massacre & la tête, cernent tout cet endroit, chagrinent le cerf, & lui font agiter les cornes si violemment, qu'elles se détachent : les deux cornes ne tombent point toûjours en même tems ; ce qui fait qu'on n'en trouve assez souvent qu'une dans un même endroit.

Il y en a qui prétendent que lorsqu'un cerf a perdu son bois, il s'enfonce dans la forêt, s'y cache, & n'ose paroître. Quoi qu'il en soit, peu de tems après cette chûte, il se forme sur le massacre, ou l'endroit que les cornes de la tête couvroient, une peau déliée garnie de poils gris de souris, sous laquelle les meules croissent & se gonflent. On entend par meules la tige des cornes. L'accroissement & le gonflement des meules se font en cinq ou six jours. Les vieux cerfs, cerfs de dix cors, & cerfs de dix cors jeunement, mettent bas les premiers, & presque tous en même tems. Quand la peau a couvert les meules, la tête pousse ; & quinze jours après elle a un demi-pié, & les premiers andouillers ont quatre doigts : au bout de quinze autres jours, elle croît d'un autre demi-pié & davantage, & les seconds andouillers ont trois doigts : les premiers sont augmentés d'autant ; l'accroissement continue : à la mi-Mai, les cerfs de dix cors, & de dix cors jeunement, ont poussé leur tête à demi, & toutes entieres à la fin du mois de Juillet. Les jeunes au huitieme & dixieme d'Août seulement, quoiqu'ils ne mettent bas que trois semaines après les cerfs de dix cors : quand les cerfs ont poussé leur tête, & qu'elle est dure, ils en ôtent la peau velue qui la couvre en se frottant au bois ; on nomme cette peau mousse, & frayoir la trace qu'ils font au bois ; elle sert aux chasseurs à reconnoître non-seulement la présence du cerf, mais encore son âge. On dit que le cerf mange avidement toutes ces particules de peau, dont il débarrasse sa tête nouvelle.

Connoissance de la tête. Les meules sont adhérentes au massacre : cette fraise en forme de petit rocher, qui est plus haut & qui les entoure, s'appelle pierrure : ce qui s'éleve du rocher, perche ou mairin ; ce qui part des perches, andouillers. Les audouillers les plus près des meules se nomment maîtres andouillers, les suivans s'appellent seconds, troisiemes, & quatriemes andouillers & sur-andouillers. Les sur-andouillers partent de l'empaumûre. On entend par une empaumûre, une largeur placée à l'extrémité de la tête aux cerfs de dix cors ; car les jeunes n'en ont point. Cette largeur a la forme de la paume de la main, & les sur-andouillers en partent comme des doigts ; le grain du bois s'appelle perlure, & les deux maîtresses rainures, dont le fond est lisse, & qu'on voit pratiquées entre la pelure, s'appellent gouttieres.

Connoissance de l'âge du cerf par le pié & l'allure. Il est aisé de confondre les grosses biches brehaines & les biches pleines avec les cerfs, sur-tout jeunes, cependant les pinces de la biche sont plus oblongues & moins rondes. Plus un cerf est jeune, plus il a l'ongle petit & coupant. Quant aux allures, le jeune cerf met son pié de derriere dans celui de devant, n'en rompant que la moitié ; celui de dix cors jeunement, met le pié de derriere sur le bord du talon du pié de devant ; celui de dix cors, à un doigt près de celui de devant ; & le vieux cerf, à quatre doigts. Il n'y a point de regles pour les biches. Cet article est beaucoup plus étendu dans les traités de Chasse. Voyez Salnove, Fouilloux, & les dons de Latone.

Des fientes ou fumées. Les fumées peuvent aussi servir à distinguer le cerf d'avec la biche, & le jeune cerf du vieux cerf ; elles changent selon les saisons : en hyver elles sont dures, seches, & en crottes de chevre ; en Mai elles deviennent molles, en bou ses plates, rondes & liées : en Juin, rondes, en masses, mais en commençant à se détacher : sur la fin de Juin ou au commencement de Juillet, en torches, ou demi formées & séparées : sur la fin de Juillet, longues, dures, aiguillonées ou martelées. Quand les cerfs les ont en bouses, les biches brehaines les ont massives, aiguillonées, martelées, ridées, ce qui leur dure tout l'été.

Des portées. On entend par portées, l'effet que le cerf produit contre les branches des arbres, par le frottement de son corps & le choc de son bois. Les cerfs de dix cors commencent à faire des portées à la mi-Mai, & les jeunes cerfs en Juin, leur tête étant alors à demi poussée & assez haute. Il faut que les portées soient à la hauteur de six piés, pour être d'un cerf de dix cors. La largeur y fait peu de chose.

De la chasse du cerf. Cette partie de notre article seroit immense, si nous voulions l'épuiser. Nous allons seulement en parcourir succinctement les points principaux : tels sont la quête, le rendez-vous, le choix du cerf, la meute, les relais, le laissé-courre, le lancer, la chasse proprement dite, les ruses, le forcer, la mort, la curée, & la retraite.

Des quêtes. Après ce que nous avons dit des changemens de pays & de viandis, on sait en quel lieu les quêtes doivent être faites, selon les différentes saisons. Lorsque l'on se propose de courre le cerf, on va au bois les uns à cheval sans limiers, les autres à pié avec les limiers. On sépare les cantons, on distribue les quêtes ou les lieux dans lesquels chacun doit s'assûrer s'il y a un cerf ou s'il n'y en a point, ce qui se fait à l'aide d'un limier qu'on conduit au trait. Lorsque le limier rencontre, on l'arrête par le trait, on examine si c'est un cerf, sans l'effrayer ni le lancer ; ce qui le feroit passer d'une quête dans une autre. Quand on s'est bien assûré de sa présence, on fait des brisées. On en distingue de deux sortes ; les hautes & les basses. Faire des brisées hautes, c'est rompre des branches & les laisser pendantes : faire des brisées basses, c'est les répandre sur sa route, la pointe tournée vers l'endroit d'où le cerf vient, & le gros bout tourné où le cerf va. Alors le cerf est ce qu'on appelle détourné, & les brisées basses servent à conduire le chasseur à la réposée du cerf le jour destiné pour le courre.

Du rendez-vous. C'est ainsi qu'on appelle un lieu indiqué dans la forêt, où tous les chasseurs se rassemblent & d'où ils se séparent pour la chasse. Il faut le choisir le plus commode qu'il est possible.

Du choix du cerf. Lorsqu'il se trouve du cerf dans plusieurs quêtes, il faut préférer celle qui n'a qu'une refuite à celle qui en a deux (on entend par refuite, le lieu par lequel le cerf a coûtume de sortir) ; celle où il n'y a qu'un seul cerf, à celle où il y en a plusieurs ; attaquer au buisson plûtôt qu'au grand bois, & préférer le cerf de dix cors au jeune cerf.

Il y en a qui distinguent trois especes de cerfs, les bruns, les fauves, & les rougeâtres. Les bruns passent pour les plus forts & les plus vîtes ; les fauves pour avoir la tête haute & le bois foible ; les rougeâtres pour jeunes & vigoureux. On estime sur-tout ceux qui ont sur le dos une raie d'un brun noir. La regle est de n'attaquer que les cerfs de dix cors.

De la meute. Une meute est au moins de cent chiens ; alors on la divise en cinq parties. Les vingt qui donneront les premiers, s'appellent chiens de meute ; les vingt du premier relais, vieille meute ; les vingt du second relais, seconde vieille meute ; le dernier relais, relais de six chiens ; le nombre en est cependant beaucoup plus grand, & il est à propos de réserver les meilleurs. On a encore quelquefois un relais volant. Ce relais se transporte & suit la chasse, au lieu que les autres l'attendent.

Des relais. C'est un proverbe parmi les chasseurs, qu'un cerf bien donné aux chiens est à demi-pris. Il est donc à propos que ceux qui ont la conduite des relais connoissent les lieux & soient entendus dans la chasse, soit pour les placer convenablement, soit pour les donner à tems. Il faut aussi des relais de chevaux ; il faut placer les meilleurs coureurs au premier relais.

Du laissé-courre. On donne ce nom au moment & au lieu où on lâche les chiens, quand on est arrivé à l'endroit où le cerf a été détourné. Lorsque les relais sont placés, on suit les brisées & l'on s'avance jusqu'aux environs de cet endroit ; ensuite on lâche quelques-uns des meilleurs chiens. Ceux qui doivent faire chasser les chiens, se nomment piqueurs ; il est essentiel de les avoir excellens. Leur talent principal est de savoir animer les chiens du cor & de la voix, & avertir exactement les chasseurs des mouvemens du cerf.

Du lancer. On lançoit jadis avec les limiers, aujourd'hui on découple dans l'enceinte ; & le lancer est proprement le premier bond du cerf hors de sa reposée. Le piqueur l'annonce en criant gare ; il crie vauceletz s'il voit la réposée, & tayau s'il voit l'animal.

De la chasse proprement dite : elle commence à ce moment, & consiste à suivre le même cerf sans relâche, malgré les ruses, & à le forcer.

Des ruses : on en raconte une infinité ; tantôt le cerf chassé en substitue un autre à sa place, tantôt il se jette dans la harde ou troupe des biches, se mêle à des bestiaux, revient sur ses pas, tâche à dérouter les chiens par des bonds, suit un courant, &c. mais il y a des chiens auxquels il ne donne jamais le change. Le piqueur doit les connoître, & s'en tenir à ce qu'ils indiquent.

On a remarqué qu'un cerf blessé aux parties génitales ou châtré dans sa jeunesse, ne porte point de bois, reste comme une biche, & devient seulement plus fort de corps ; que si l'accident lui est arrivé après avoir déjà porté son bois, il continue de pousser mais avec peine, & ne parvient jamais à sa perfection ; & que si son bois étoit à sa perfection il ne le perd plus.

Mort du cerf. Lorsque le cerf est forcé, le piqueur crie halali, lui coupe le jarret & sonne la mort. Cependant un autre lui enleve le pié droit de devant, & va le présenter au grand-veneur. On met le reste sur un chariot, & on le porte au lieu destiné pour la curée.

De la curée. Les valets de chiens mettent le cerf sur le dos & le dépecent. Ils commencent par couper les daintiers, puis ils ouvrent la nappe ou peau, la fendant sous la gorge jusqu'où étoient les daintiers. Ils prennent le pié droit, dont ils coupent la peau à l'entour de la jambe, & l'ouvrent jusqu'au milieu de la poitrine ; ils en font autant aux autres piés, & ils achevent la dépouille. Cela fait, ils ouvrent le ventre, & l'on distribue l'animal par morceaux. On enlevera la panse, qui sera vuidée & lavée ; le membre génital ; l'os ou cartilage du coeur ; une partie du coeur, du foie, & de la ratte, que les valets de limiers distribueront à leurs chiens ; les épaules, les petits filets, le cimier, les grands filets, les feuillets, & les nombres. On a conservé le sang ; on a deux ou trois seaux de lait : on coupe la panse & les boyaux nettoyés avec le reste de la ratte & du foie ; on mêle le tout avec le sang, le lait, & du pain : en hyver qu'on a peu de lait, on y substitue du saint-doux. On verse la moüée sur la nappe, on la remue, alors la curée est prête. Reste le coffre du cerf & les petits boyaux qu'on appelle le forhu. On met le coffre sur une place herbue à quelque distance de la moüée, & le forhu sur une fourche de bois émoussée. Enfin on abandonne les chiens à la moüée, & ensuite au coffre, puis au forhu, non sans avoir sonné toutes ces manoeuvres. On sonne en dernier lieu la retraite. Nos ayeux exécutoient toutes les parties, tant de la chasse que de la curée, avec autant & plus de cérémonies qu'on n'en fait dans aucune occasion importante. Ils chassoient un cerf à-peu-près comme ils attaquoient une femme, il étoit presqu'aussi humiliant pour eux d'échouer dans l'une de ces entreprises que dans l'autre. Le goût de la chasse du cerf s'est augmenté parmi nous ; quant au cérémonial qui l'accompagnoit, il a presqu'entierement disparu, & la chasse ne s'en fait pas plus mal.

La partie la meilleure à manger du cerf, est le cou avec les trois côtes qui en sont les plus proches ; le reste est dur & indigeste. Les petits cerfs, lactantes, sont les meilleurs ; puis ceux d'un an, adolescentes ; ensuite ceux de deux ans, juvenes ; passé ce tems ils sont durs & mal-sains. On dit aussi que leur chair est un mauvais aliment pendant l'été, parce qu'ils se nourrissent de serpens & de reptiles, ce que peu de gens croyent.

Propriétés médicinales. Le cerf contient dans toutes ses parties beaucoup de sel volatil & d'huile : les meules & cornes nouvelles prises en gelée, facilitent l'accouchement : ses grandes cornes se rapent ; cette rapure entre dans les tisanes, les gelées, les bouillons, & plusieurs poudres & électuaires. Elle est bonne pour arrêter le cours de ventre & le flux hémorrhoïdal, elle fortifie & restaure ; on la distille, & on en tire un sel & une huile volatile : on la prépare philosophiquement.

L'os ou cartilage du coeur a passé pour un cordial alexitere, & bon dans les crachemens du sang. On employe la moëlle de cerf en liniment dans les rhumatismes, la goutte sciatique & les fractures : sa graisse est émolliente, nervale & résolutive : son sang est sudorifique ; on le donne desséché & en poudre à la dose d'un demi-scrupule. Le priape excite, dit-on, la semence & soulage dans la dyssenterie ; on l'ordonne dans l'un & l'autre cas depuis un demi-scrupule jusqu'à une drachme. La vessie appliquée guérit la teigne. Au reste, si ces remedes ont quelqu'efficacité, elle dépend uniquement du sel volatil & de l'huile.

L'huile volatile de corne de cerf est fétide : on la rectifie par plusieurs cohobations ; & lorsqu'elle est claire & sans mauvaise odeur, on l'employe dans les affections nerveuses, les foulures, les paralysies ; en liniment sur l'épine & l'origine des nerfs. On fait entrer le sel volatil dans les potions cordiales, sudorifiques & anti-épileptiques, à la dose d'un scrupule. Il passe pour anti-spasmodique, & on l'applique sur le nez dans la catalepsie, le carus & autres maladies, tant soporeuses que convulsives.

Ettmuller & Ludovic vantent l'esprit volatil de corne de cerf, comme un grand alexipharmaque, & le recommandent dans les affections malignes.

Usages de quelques parties du cerf dans les Arts. On travaille sa peau, & au sortir des mains du Chamoiseur & du Mégissier, après qu'elle a été passée en huile, on en fait des gants, des ceinturons, &c. Les Fourreurs en font aussi des manchons. Les Selliers se servent de sa bourre, ou du poil que les Mégissiers & Chamoiseurs ont fait tomber de sa peau, pour en rembourrer en partie des selles & des bâts. Les Couteliers refendent sa corne à la scie, & en tirent des manches de couteau. On fait beaucoup plus de cas du bois de cerf enlevé de dessus la tête de cet animal tué, que de celui qu'il met bas quand il est vivant, & qu'on ramasse sur la terre.

On trouve dans les forêts de Bohème des cerfs qui ont au cou de longues touffes ou flocons noirs : ils passent pour plus vigoureux que les autres.

On dit qu'il ne se trouve point de fiel à son foie ; & l'on présume à la couleur & à l'amertume de sa queue, que c'est-là qu'il le porte.

Il y a un si grand nombre de cerfs au royaume de Siam, qu'on en tue plus de 150 mille par an, dont on envoye les peaux au Japon.

Il y a aux Indes occidentales des troupeaux de cerfs privés, que des bergers menent paître dans les champs comme des moutons. Les habitans de ces contrées font des fromages de lait de biche.

Il y a plusieurs especes de cerfs. Celle qui mérite le plus d'être remarquée, à cause de sa petitesse, est désignée chez les Naturalistes par ces mots, cervus perpusillus, juvencus, guineensis, & se trouve en Guinée, ainsi que la phrase l'indique. Voyez Seba, tome I. p. 70. & nos Planches d'Histoire naturelle, Pl. VII. fig. 3. Voyez aussi sa corne en A, même Planche. Il n'a pas plus d'un demi-pié de hauteur, prise depuis l'extrémité de son pié de devant jusqu'au-dessus de sa tête. Cette hauteur prise du pié de derriere jusqu'au-dessus de la croupe, n'a guere plus de quatre pouces ; & il n'en a pas cinq de la queue au poitrail. Il a la tête fort grosse & les oreilles fort larges, relativement au reste de son corps : ses jambes sont très-menues. Sa corne a plus de deux pouces de long sur un demi-pouce de large à la base ; elle va toûjours en diminuant & en se recourbant un peu. Elle paroît creuse, & porter cinq à six rainures circulaires placées les unes au-dessus des autres, qu'une longue gouttiere qui part presque du bout de la corne, vient traverser. Il a l'oeil grand, & à en juger par la figure de Seba, le poil un peu hérissé. Il a deux moustaches, & quelques poils de barbe sous la mâchoire inférieure. Voilà tout ce que sa figure indique, & l'histoire ne nous en apprend pas davantage. On voit dans Seba la patte d'un cerf plus petit encore que celui que nous venons de décrire.

CERF de Canada, (Hist. nat. Zoolog.) Celui qui a été décrit dans les mém. de l'acad. royale des Sciences, étoit fort grand ; il avoit quatre piés depuis le haut du dos jusqu'à terre. La longueur de son bois étoit de trois piés : les premieres branches, que l'on appelle andouillers, avoient un pié ; les secondes branches dix pouces, & les autres à proportion. Ces branches étoient au nombre de six à chaque bois, c'est-à-dire à chaque corne. Les cornes étoient recouvertes d'une peau fort dure, & garnie d'un poil épais & court, de couleur fauve un peu obscure, comme le poil du corps : celui des cornes étoit détourné en forme d'épi en plusieurs endroits, & la peau avoit une grande quantité de veines & d'arteres remplies de beaucoup de sang ; & la corne étoit creusée en sillons, dans lesquels ces vaisseaux rampoient. On n'observa dans ce cerf de Canada rien de différent de nos cerfs ordinaires.

On a joint à cette description celle de deux biches de Sardaigne. Leur hauteur étoit de deux piés huit pouces, depuis le haut du dos jusqu'à terre. Le cou avoit un pié de longueur ; la jambe de derriere, depuis le genou jusqu'à l'extremité du pié, deux piés de longueur, & un pié jusqu'au talon. Le poil étoit de quatre couleurs, fauve, blanc, noir & gris ; blanc sous le ventre & au-dedans des cuisses & des jambes ; fauve-brun sur le dos ; fauve-isabelle sur les flancs : l'un & l'autre fauve au tronc du corps, étoit marqué de taches blanches de différentes figures. Il y avoit le long du dos deux rangs de ces taches en ligne droite, les autres étoient parsemées sans ordre. On voyoit de chaque côté une ligne blanche sur les flancs. Le cou & la tête étoient gris. La queue étoit blanche par-dessous & noire par-dessus, le poil ayant six pouces de longueur. Tome III. part. II. Voyez QUADRUPEDE.

CERF-VOLANT, lucanus, (Hist. nat.) insecte du genre des scarabées. On lui a donné le nom de cerf-volant, parce qu'il a deux grosses cornes longues, branchues, & faites en quelque façon comme celles du cerf. On l'appelle aussi taureau volant, parce qu'il est très-gros en comparaison des autres insectes de son genre. Il est noir, ou d'un noir rougeâtre, principalement sur les fausses ailes & sur la poitrine. Ses deux cornes sont quelquefois aussi longues que le petit doigt : elles sont égales, semblables l'une à l'autre, & mobiles ; leur extrémité est divisée en deux branches ; elles ont un rameau & des dentelures sur leur côté intérieur. Les yeux sont durs, prééminens, blanchâtres, & placés à côté des cornes : il y a entre elles deux autres petites cornes ou antennes faites en forme de massue, & placées an milieu du front, & les deux autres plus longues entre les deux cornes & les yeux. Il a six pattes, dont les deux premieres sont les plus longues & les plus grosses : la tête est plus large que la poitrine. Ces insectes serrent assez fortement ce qu'ils ont saisi avec leurs grosses cornes : ils vivent encore long-tems après qu'on a séparé la tête du reste du corps. Il y a d'autres cerfs-volans semblables aux précédens, quoique plus petits. Leonicerus a crû que les plus grands étoient les mâles, & Mouffet assûre au contraire que ce sont les femelles Theat. insect. Aldrovande, de Insectis. Voyez SCARABEE, INSECTE. (I)

CERF-VOLANT : c'est un nom que les Tanneurs & autres artisans qui travaillent aux gros cuirs, donnent aux cuirs tannés à-fort-fait, & dont ils ont ôté le ventre. Voyez CUIR.

CERF, mal de cerf, en terme de Maréchal, est un rhumatisme qui tombe sur les mâchoires & les parties du train de devant d'un cheval : ce mal l'empêche de manger, & se jette quelquefois sur les parties du train de derriere. Jambes de cerf. Voyez JAMBE. (V)


CERFEUILS. m. chaerophyllum, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelle, & composées de plusieurs pétales inégaux, soûtenues par le calice, qui devient un fruit composé de deux semences ressemblantes à des becs d'oiseaux, renflées d'un côté & plates de l'autre. Ces semences sont lisses dans quelques especes, & rudes dans d'autres ; mais elles ne sont jamais cannelées. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le chaerophyllum sativum, C. B. Pitt. 152. est bon pour résoudre le sang coagulé : on l'employe avec succès dans les bouillons pour aider l'expectoration dans l'asthme. Il est vulnéraire, résolutif, diurétique, emménagogue, apéritif, atténuant ; il entre dans les bouillons & aposemes altérans.

Le cerfeuil musqué, ou myrrhis perennis semine striato, alba, major, odorata, Boer. Ind. bot. 69. ressemble à la fougere, d'où lui est venu le nom de fougere musquée ; est plus connu dans les cuisines que dans les boutiques ; approche beaucoup de la nature du cerfeuil ; est composé de parties ténues & chaudes, & bon pour les personnes qui ont l'estomac froid & rempli de vents ; pour lever les obstructions du foie & de la rate, & pour exciter l'urine. Miller, Bot. off. (N)


CERICO(Géog.) île de l'Archipel au midi de la Morée, & au nord occidental de celle de Candie ; c'est la même que celle qui a été tant chantée par les Poëtes sous le nom de Cythere.


CERINoiseau, voyez SERIN.


CERINES(Géog.) ville de l'île de Chypre, avec un bon port. Long. 51. 10. lat. 35. 22.


CERINTHIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) anciens hérétiques qui nioient la divinité de Jesus-Christ, & qui tirerent leur nom de Cerinthe leur chef, fameux hérésiarque du premier siecle, & contemporain de l'apôtre S. Jean.

Cerinthe étoit extrèmement zélé pour la circoncision & autres observances légales ; & S. Epiphane assûre qu'il fut chef du parti qui s'éleva à Jerusalem contre S. Pierre, parce qu'il avoit communiqué avec les Gentils. Son hérésie approchoit fort de celle des Ebionites. Voyez EBIONITES.

Il avançoit entr'autres choses, que ce n'étoit pas Dieu qui avoit fait le monde, mais une certaine vertu séparée & très-éloignée de la vertu souveraine, & qu'elle l'avoit fait à son insû : que le Dieu des Hébreux n'étoit pas le Seigneur, mais un ange : que Jesus étoit né de Joseph & de Marie, comme les autres hommes ; mais que comme il les surpassoit tous en vertu & en sagesse, le Christ (c'est-à-dire une vertu particuliere) envoyé par le Dieu souverain, étoit descendu en lui après son baptême en figure de colombe ; qu'il lui avoit manifesté le Pere inconnu jusque-là & fait opérer des miracles. A la fin, selon lui, le Christ s'étoit envolé, & s'étoit retiré de Jesus-Christ dans le tems de sa passion ; ensorte qu'il n'y avoit que Jesus qui avoit souffert & qui étoit ressuscité : mais le Christ étant spirituel, étoit demeuré immortel & impassible. Cerinthe publioit une prétendue révélation contenant des images monstrueuses, qu'il disoit lui avoir été montrées par des anges ; & assûroit qu'après la résurrection générale il y auroit un regne de Jesus-Christ sur la terre pendant mille ans, & qu'alors dans Jérusalem les hommes joüiroient pendant ce tems de tous les plaisirs de la chair. On croit que Cerinthe bornoit la béatitude à ce regne terrestre. Ses disciples soûtenoient toutes ces visions ; quelques-uns d'entr'eux nioient la résurrection, & plusieurs avançoient que Jesus-Christ n'étoit pas encore ressuscité. Ils rejettoient tout le nouveau Testament, à l'exception de l'évangile de S. Matthieu, où l'histoire de la circoncision de Jesus-Christ leur paroissoit une preuve démonstrative de la nécessité de cette cérémonie dans le Christianisme. Quelques anciens ont attribué à Cerinthe l'Apocalypse de S. Jean, & sous ce prétexte l'ont rejetté comme un livre apocryphe, trompés par la ressemblance du titre que Cerinthe avoit donné à un de ses ouvrages. Voyez APOCALYPSE & APOCRYPHE. (G)


CERISAYES. f. (Jardinage) est un lieu planté en cerisiers. Voyez CERISIER.


CERISES. f. fruit du cerisier. Voyez CERISIER. Ce fruit est très-bon : on le mange crud quand il est mûr ; ou on le cueille un peu avant sa maturité, & on le met en compote. Pour faire la compote, on en coupe la queue par la moitié : on fait bouillir du sucre dans une poele : on prend une demi-livre de sucre pour une livre de fruit. Quand le sucre boût, on y jette les cerises ; on remue, on écume ; on pousse l'ébullition jusqu'à ce que le sucre soit en sirop : après quoi on laisse refroidir, & la compote est prête.

La confiture de cerise n'a rien de particulier : voyez celle d'ABRICOT. On tire à l'alembic une eau-de-vie de cerise qui est très-violente.


CERISIERS. m. cerasus, (Hist. nat. bot.) genre d'arbre à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit charnu presque rond, ou en coeur, qui renferme un noyau de la même forme, dans lequel il y a une semence. Ajoûtez au caractere de ce genre le port de ses especes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le cerisier se distingue en bigarreautier & en merisier.

Le bigarreautier a les mêmes feuilles & le même bois que le cerisier. Son fruit est quarré, plus ferme, plus croquant, & d'un goût plus agréable, mais moins fondant que la cerise. Il est presque blanc, mêlé d'un peu de rouge.

Le guinier a aussi le même bois & la même feuille que le cerisier, c'est un fruit précoce qui vient avant les autres especes. La guine est rouge, blanche, cendrée, moins ronde que la cerise, la chair moins ferme & plus fade.

Le merisier est un arbre sauvage. Voyez MERISIER.

Le griottier a de plus beau fruit que les autres. Voyez GRIOTTIER.

On appelle tous ces fruits des fruits rouges.

Les belles cerises à courte queue sont bonnes à confire, & elles croissent dans la vallée de Montmorency, où on les appelle cerises coulardes.

Il y a encore une cerise appellée royale ou d'Angleterre, qui revient à celle de Montmorency ou à la griotte.

Les cerisiers se multiplient par leurs noyaux germés & par des rejettons à leur pié ; mais on les greffe ordinairement sur le merisier rouge, qui est le plus abondant en seve. Quand ces rejettons sont grands, on greffe dessus de grosses griottes, qui réussissent mieux que sur merisier. (K)

Il y a deux especes de cerisiers dont le fruit est d'usage en Medecine ; le cerasus sativa, fructu rotundo, rubro & acido. Tourn. inst. Sa gomme passe pour lithontriptique, & les cerises pour plus rafraîchissantes que les poires ; elles calment la soif ; elles sont bienfaisantes à l'estomac, & aiguisent l'appétit. La gomme du cerisier passe pour lithontriptique.

Leur suc est très-résolutif ; lorsqu'on les a fait bouillir, & qu'on en fait un usage fréquent, elles peuvent guérir plusieurs maladies chroniques, & emporter par la diarrhée la matiere qui faisoit obstruction.

Le cerasus nigra, offic. germ. 1323. Ses cerises sont cordiales, céphaliques, & salutaires dans toutes les maladies de la tête & des nerfs, comme les épilepsies, les convulsions, les paralysies, & autres maladies semblables.

L'eau distillée est d'un grand usage dans les affections spasmodiques. (N)


CERISINoiseau ; voyez SERIN.


CERITESS. m. pl. (Hist.) peuples d'Italie, habitans de Ceré, à qui les Romains accorderent le droit de bourgeoisie, en reconnoissance de l'asyle qu'ils avoient accordé aux Vestales à l'arrivée des Gaulois. Comme ils n'avoient point le droit de suffrage dans les assemblées, on disoit d'un citoyen romain privé de ce suffrage, qu'il étoit in ceritum tabulas relatus.


CERNAYCERNAY


CERNIN(SAINT) Géog. petite ville de France, dans le Roüergue.


CERNINUMS. f. (Hist. anc.) habit de femme dont il est fait mention dans Plaute, mais dont on ne connoît que le nom.


CERNOPHOROSS. f. (Hist. anc.) nom d'une des danses furieuses des Grecs.


CERNU(Géog.) petite ville d'Afrique au royaume de Maroc, dans la province de Duquela.


CERNY(Géog.) petite ville de l'île de France, dans la généralité de Paris.


CEROS. m. (Hist. nat. Ichth.) poisson de mer du genre des tourds ; on le nomme cero en Provence & principalement à Antibe. Il a en Languedoc jusqu'à une coudée de longueur, & il est marqué de diverses couleurs : le dos est de couleur d'or & moucheté de verd ; le ventre est blanc & parsemé de traits courbes de couleur rousse ; les levres sont vertes ; les couvercles des oüies de couleur de pourpre ; enfin la queue & les nageoires sont bleues pour la plus grande partie. Rondelet. Voyez POISSON. (I)


CEROMA(Hist. ancienne) lieu des anciens thermes ou bains dans lequel les athletes se faisoient oindre : Pline, liv. XXXV. ch. ij. s'est servi de ce terme en ce sens : iidem palaestras athletarum imaginibus & ceromata sua exornant ; mais on prend plus communément ce nom pour un onguent dont les athletes se faisoient frotter, & que nous appellons cérat. On le composoit d'une certaine quantité d'huile & de cire mêlées & fondues ensemble. Il servoit non-seulement à rendre les membres des lutteurs glissans, & moins sujets à donner prise à leurs adversaires ; mais encore à leur procurer plus de souplesse & d'agilité dans leurs mouvemens. (G)


CEROMANTIES. f. divination qui se faisoit par le moyen de la cire, & qui étoit en usage chez les Turcs, au rapport de Delrio : elle consistoit à faire fondre de la cire, & à la verser goutte-à-goutte dans un vase plein d'eau ; & selon la figure que formoient les gouttes, on en tiroit des présages heureux ou malheureux.

Le même auteur comprend sous le titre de ceromantie, une superstition usitée de son tems en Alsace. " Lorsque quelqu'un est malade, dit-il, & que les bonnes femmes veulent découvrir quel saint lui a envoyé sa maladie, elles prennent autant de cierges du même poids qu'elles soupçonnent de saints, en allument un en l'honneur de chaque saint ; & celui dont le cierge est le premier consumé, passe dans leur esprit pour l'auteur du mal. Delrio, lib. IV. pag. 553 ". Ce mot est formé du grec , cire, & de , divination. (G)


CERONS. m. (Commerce) que l'on nomme plus communément suron, sorte de ballot de marchandise, couvert de peau de boeuf fraîche, dont le poil est en-dedans. Voyez SURON. Dictionn. de Comm. (G)


CEROUENou CIROUENE, (Chirurgie) nom que le vulgaire donne à des emplâtres résolutives & fortifiantes, qu'on applique sur la peau à la suite des chûtes, pour les douleurs & contusions qu'elles causent. On fait communément ces emplâtres avec de la térébenthine & du bol d'Arménie. (Y)


CERQUEMANNEURS. m. (Jurisprud.) c'est ainsi qu'on appelle dans la Flandre & dans la Picardie, des experts & maîtres jurés qu'on appelle, soit pour planter, soit pour rasseoir les bornes. Ils ont une espece de jurisdiction sommaire pour ces sortes de différends qui sont très-fréquens, & qui seroient ruineux en justice reglée.


CERRITO(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la province de Labour.


CERS(Géog.) petite île de l'Océan, sur les côtes de France, à l'orient de celles de Gernezey.


CERTIFICATS. m. témoignage qu'on donne par écrit pour certifier la vérité d'une chose.

CERTIFICAT de franchise ; c'est un acte qui déclare certaines marchandises franches & exemptes des droits de sortie du royaume, pour avoir été achetées & enlevées pendant le tems de la franchise des foires. Voyez ACQUIT DE FRANCHISE. Dictionn. du Commerce. tome II. p. 150. (G)


CERTIFICATEURS. m. terme de Pratique, est celui qui repond en justice de la solvabilité d'une caution judiciaire, & en même tems subsidiairement de la somme pour raison de quoi la caution a été exigée, au cas que par l'évenement la caution se trouve insolvable. Or pour constater son insolvabilité, il faut la discuter avant d'attaquer le certificateur. Voy. CAUTION.


CERTIFICATIONS. f. terme de Palais, est l'attestation que donne le juge du lieu, que des criées ont été faites avec les solennités & les formalités requises par les ordonnances.

Il signifie aussi l'attestation que quelqu'un donne en justice, qu'une caution est solvable ; & par cette attestation, le certificateur devient lui-même caution de la caution. Voyez ci-devant CERTIFICATEUR. (H)


CERTIFIERv. act. signifie répondre d'une caution après avoir attesté sa solvabilité. (G)


CERTITUDES. f. (Logique, Métaphysique, & Morale) c'est proprement une qualité du jugement qui emporte l'adhésion forte & invincible de notre esprit à la proposition que nous affirmons.

On peut prendre le mot de certitude en différens sens : ce mot s'applique quelquefois à la vérité ou à la proposition même à laquelle l'esprit adhere ; comme quand on dit la certitude de telle proposition, &c. Quelquefois il se prend, comme dans la définition que nous en avons donnée, pour l'adhésion même de l'esprit à la proposition qu'il regarde comme certaine.

On peut encore distinguer, comme M. d'Alembert l'a fait dans le Discours préliminaire, l'évidence de la certitude, en disant que l'évidence appartient proprement aux idées dont l'esprit apperçoit la liaison tout d'un coup, & la certitude à celles dont il n'apperçoit la liaison que par le secours d'un certain nombre d'idées intermédiaires. Ainsi, par exemple le tout est plus grand que sa partie, est une proposition évidente par elle-même, parce que l'esprit apperçoit tout-d'un-coup & sans aucune idée intermédiaire la liaison qui est entre les idées de tout & de plus grand, de partie & de plus petit ; mais cette proposition, le quarré de l'hypoténuse d'un triangle rectangle est à la somme des quarrés des deux côtés, est une proposition certaine & non évidente par elle-même, parce qu'il faut plusieurs propositions intermédiaires & consécutives pour en appercevoir la vérité. Dans ce cas, on peut dire que la certitude résulte d'un nombre plus ou moins grand de propositions évidentes qui se suivent immédiatement, mais que l'esprit ne peut embrasser toutes à-la-fois, & qu'il est obligé d'envisager & de détailler successivement.

D'où il s'ensuit 1°. que le nombre des propositions pourroit être si grand, même en une démonstration géométrique, qu'elles en feroient un labyrinthe, dans lequel le meilleur esprit venant à s'égarer, ne seroit point conduit à la certitude. Si les propriétés de la spirale n'avoient pû se démontrer autrement que par la voie tortueuse qu'Archimede a suivie, un des meilleurs Géometres du siecle passé n'eût jamais été certain de la découverte de ces propriétés. J'ai lû plusieurs fois, disoit-il, cet endroit d'Archimede, & je n'ai pas mémoire d'en avoir jamais senti toute la force : Et memini me nunquam vim illius percepisse totam.

2°. De-là il s'ensuit encore que la certitude en Mathématique, naît toûjours de l'évidence, puisqu'elle vient de la liaison apperçûe successivement entre plusieurs idées consécutives & voisines.

Chambers dit que l'évidence est proprement dans la liaison que l'esprit apperçoit entre les idées, & la certitude dans le jugement qu'il porte sur ces idées : mais il me semble que c'est là se joüer un peu des mots ; car voir la liaison de deux idées, & juger, c'est la même chose.

On pourroit encore, comme on l'a fait dans le Discours préliminaire, distinguer l'évidence de la certitude, en disant que l'évidence appartient aux vérités purement spéculatives de Métaphysique & de Mathématique ; & la certitude aux objets physiques, & aux faits que l'on observe dans la nature, & dont la connoissance nous vient par les sens. Dans ce sens, il seroit évident que le quarré de l'hypothénuse est égal aux quarrés des deux côtés dans un triangle rectangle ; & il seroit certain que l'aimant attire le fer.

On distingue dans l'Ecole deux sortes de certitude ; l'une de spéculation, laquelle naît de l'évidence de la chose ; l'autre d'adhésion, qui naît de l'importance de la chose. Les Scholastiques appliquent cette derniere aux matieres de foi. Cette distinction paroît assez frivole : car l'adhésion ne naît point de l'importance de la chose, mais de l'évidence ; d'ailleurs la certitude de spéculation & l'adhésion sont proprement un seul & même acte de l'esprit.

On distingue encore, mais avec plus de raison, les trois especes suivantes de certitude, par rapport aux trois degrés de l'évidence qui la font naître.

La certitude métaphysique est celle qui vient de l'évidence métaphysique : telle est celle qu'un géometre a de cette proposition, que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, parce qu'il est métaphysiquement, c'est-à-dire absolument aussi impossible que cela ne soit pas, qu'il l'est qu'un triangle soit quarré.

La certitude physique est celle qui vient de l'évidence physique : telle est celle qu'a une personne, qu'il y a du feu sur sa main, quand elle le voit & qu'elle se sent brûler ; parce qu'il est physiquement impossible que cela ne soit pas, quoiqu'absolument & rigoureusement parlant, cela pût ne pas être.

La certitude morale est celle qui est fondée sur l'évidence morale : telle est celle qu'une personne a du gain ou de la perte de son procès, quand son procureur ou ses amis le lui mandent, ou qu'on lui donne copie du jugement ; parce qu'il est moralement impossible que tant de personnes se réunissent pour en tromper une autre à qui elles prennent intérêt, quoique cela ne soit pas rigoureusement & absolument impossible.

On trouve dans les Transactions philosophiques un calcul algébrique des degrés de la certitude morale, qui provient des témoignages des hommes dans tous les cas possibles

L'auteur prétend que si un récit passe avant que de parvenir jusqu'à nous par douze personnes successives, dont chacune lui donne 5/6 de certitude, il n'aura plus que 1/2 de certitude après ces douze récits ; de façon qu'il y aura autant à parier pour la vérité que pour la fausseté de la chose en question : que si la proportion de la certitude est de 100/106, elle ne tombera alors à 1/2 qu'au soixante-dixieme rapport ; & que si elle n'est que 100/1001, elle ne tombera alors à 1/2 qu'au six cent quatre-vingt-quinzieme rapport.

En général, soit a/b la fraction qui exprime la certitude que chacun donne au recit, ce récit passant par deux témoins, n'aura plus, selon l'auteur dont nous parlons, que (a a)/(b b) de certitude ; & passant par n témoins, la certitude sera an/bn. Cela est aisé à prouver par les regles des combinaisons. Supposons, comme ci-dessus, la certitude = 5/6 & deux témoins successifs ; il y a donc, pour ainsi dire, un cas où le premier trompera, cinq où il dira vrai ; un cas où le second trompera, & cinq où il dira vrai. Il y a donc trente-six cas en tout, & vingt-cinq cas où ils diront vrai tous deux : donc la certitude est de 25/30 = (5/6)2, & ainsi des autres. Voyez COMBINAISON & DES.

Quant aux témoignages qui concourent, si deux personnes rapportent un fait, & qu'ils lui donnent chacun en particulier 5/6 de certitude, le fait aura alors par ce double témoignage 35/36 de certitude, c'est-à-dire sa probabilité sera à sa non-probabilité dans le rapport de trente-cinq à un. Si trois témoignages se réunissent, la certitude sera de 215/216. Le concours du témoignage de dix personnes qui donnent chacune 1/2 de certitude, produira 1023/1024 de certitude par la même raison. Cela est évident : car il y a trente-six cas en tout, & il n'y a qu'un cas où elles trompent toutes les deux. Les cas où l'une des deux tromperoit, doivent être comptés pour ceux qui donnent la certitude : car il n'en est pas ici comme du cas précédent, où les deux témoins sont successifs, & où l'un reçoit la tradition de l'autre. Ici les deux témoins sont supposés voir le fait & le connoître indépendamment l'un de l'autre : il suffit donc que l'un des deux ne trompe pas ; au lieu que dans le premier cas, la tromperie du premier rend le second trompeur, même quand il croit ne tromper pas, & qu'il a intention de dire la vérité.

L'auteur calcule ensuite la certitude de la tradition orale, écrite & transmise successivement, & confirmée par plusieurs rapports successifs. V. l'art. PROBABILITE, & sur-tout la suite de celui-ci, où la valeur de ces calculs & des raisonnemens absurdes sur lesquels ils sont fondés, est appréciée ce qu'elle vaut. C'est une dissertation de M. l'abbé de Prades, destinée à servir de discours préliminaire à un ouvrage important sur la vérité de la religion. Nous l'eussions peut-être analysée, si nous n'avions craint d'en altérer la force. L'objet d'ailleurs en est si grand ; les idées si neuves & si belles ; le ton si noble ; les preuves si bien exposées, que nous avions mieux aimé la rapporter toute entiere. Nous espérons que ceux à qui l'intérêt de la religion est à coeur nous en sauront gré, & qu'elle sera très-utile aux autres. Au reste, nous pouvons assûrer que si la fonction d'éditeurs de l'Encyclopédie nous a jamais été agréable, c'est particulierement dans ce moment. Mais il est tems de laisser parler l'auteur lui-même : son ouvrage le loüera mieux que tout ce que nous pourrions ajoûter.

Le pyrrhonisme a eu ses révolutions, ainsi que toutes les erreurs : d'abord plus hardi & plus téméraire, il prétendit tout renverser ; il poussoit l'incrédulité jusqu'à se refuser aux vérités que l'évidence lui présentoit. La religion de ces premiers tems étoit trop absurde pour occuper l'esprit des philosophes : on ne s'obstine point à détruire ce qui ne paroît pas fondé ; & la foiblesse de l'ennemie a souvent arrêté la vivacité des poursuites. Les faits que la religion des payens proposoit à croire, pouvoient bien satisfaire l'avide crédulité du peuple : mais ils n'étoient point dignes de l'examen sérieux des Philosophes. La religion chrétienne parut : par les lumieres qu'elle répandit, elle fit bien-tôt évanoüir tous ces phantômes que la superstition avoit jusque-là réalisés : ce fut sans-doute un spectacle bien surprenant pour le monde entier, que la multitude des dieux qui en étoient la terreur ou l'espérance, devenus tout-à-coup son joüet & son mépris. La face de l'univers changée dans un si court espace de tems, attira l'attention des Philosophes : tous porterent leurs regards sur cette religion nouvelle, qui n'exigeoit pas moins leur soûmission que celle du peuple.

Ils ne furent pas long-tems à s'appercevoir qu'elle étoit principalement appuyée sur des faits, extraordinaires à la vérité, mais qui méritoient bien d'être discutés par les preuves dont ils étoient soûtenus. La dispute changea donc ; les Sceptiques reconnurent les droits des vérités métaphysiques & géométriques sur notre esprit, & les Philosophes incrédules tournerent leurs armes contre les faits. Cette matiere depuis si long-tems agitée, auroit été plus éclaircie, si avant que de plaider de part & d'autre, l'on fut convenu d'un tribunal où l'on pût être jugé. Pour ne pas tomber dans cet inconvénient, nous disons aux Sceptiques : vous reconnoissez certains faits pour vrais ; l'existence de la ville de Rome dont vous ne sauriez douter, suffiroit pour vous convaincre, si votre bonne foi ne nous assûroit cet aveu : il y a donc des marques qui vous font connoître la vérité d'un fait ; & s'il n'y en avoit point, que seroit la société ? tout y roule, pour ainsi dire, sur des faits : parcourez toutes les sciences, & vous verrez du premier coup-d'oeil, qu'elles exigent qu'on puisse s'assûrer de certains faits : vous ne seriez jamais guidé par la prudence dans l'exécution de vos desseins ; car qu'est-ce que la prudence, sinon cette prévoyance qui éclairant l'homme sur tout ce qui s'est passé & se passe actuellement, lui suggere les moyens les plus propres pour le succès de son entreprise, & lui fait éviter les écueils où il pourroit échoüer ? La prudence, s'il est permis de parler ainsi, n'est qu'une conséquence dont le présent & le passé sont les prémices : elle est donc appuyée sur des faits. Je ne dois point insister davantage sur une vérité que tout le monde avoue ; je m'attache uniquement à fixer aux incrédules ces marques qui caractérisent un fait vrai ; je dois leur faire voir qu'il y en a non-seulement pour ceux qui arrivent de nos jours, &, pour ainsi dire, sous nos yeux ; mais encore pour ceux qui se passent dans les pays très éloignés, ou qui par leur antiquité traversent l'espace immense des siecles : voilà le tribunal que nous cherchons, & qui doit décider sur tous les faits que nous présenterons.

Les faits se passent à la vûe d'une ou de plusieurs personnes : ce qui est à l'extérieur, & qui frappe les sens, appartient au fait ; les conséquences qu'on en peut tirer sont du ressort du philosophe qui le suppose certain. Les yeux sont pour les témoins oculaires des juges irréprochables, dont on ne manque jamais de suivre la décision : mais si les faits se passent à mille lieues de nous, ou si ce sont des événemens arrivés il y a plusieurs siecles, de quels moyens nous servirons-nous pour y atteindre ? D'un côté, parce qu'ils ne tiennent à aucune vérité nécessaire, ils se dérobent à notre esprit ; & de l'autre, soit qu'ils n'existent plus, ou qu'ils arrivent dans des contrées fort éloignées de nous, ils échappent à nos sens.

Quatre choses se présentent à nous ; la disposition des témoins oculaires ou contemporains ; la tradition orale, l'histoire, & les monumens : les témoins oculaires ou contemporains parlent dans l'histoire ; la tradition orale doit nous faire remonter jusqu'à eux, & les monumens enchaînent, s'il est permis de parler ainsi, leur témoignage. Ce sont les fondemens inébranlables de la certitude morale : par-là nous pouvons rapprocher les objets les plus éloignés, peindre, & donner une espece de corps à ce qui n'est plus visible, réaliser enfin ce qui n'existe plus.

On doit distinguer soigneusement dans la recherche de la vérité sur les faits, la probabilité d'avec le souverain degré de la certitude, & ne pas s'imaginer en ignorant, que celui qui renferme la probabilité dans sa sphere, conduise au Pyrrhonisme. J'ai même donné la plus legere atteinte à la certitude, ou toûjours crû, après une mûre réflexion, que ces deux choses étoient tellement séparées, que l'une ne menoit point à l'autre. Si certains auteurs n'avoient travaillé sur cette matiere qu'après y avoir bien refléchi, ils n'auroient pas dégradé par leurs calculs la certitude morale. Le témoignage des hommes est la seule source d'où naissent les preuves pour les faits éloignés ; les différens rapports d'après lesquels vous le considérez, vous donnent ou la probabilité ou la certitude. Si vous examinez le témoin en particulier pour vous assûrer de sa probité, le fait ne vous deviendra que probable ; & si vous le combinez avec plusieurs autres, avec lesquels vous le trouviez d'accord, vous parviendrez bien-tôt à la certitude. Vous me proposez à croire un fait éclatant & intéressant ; vous avez plusieurs témoins qui déposent en sa faveur : vous me parlez de leur probité & de leur sincérité ; vous cherchez à descendre dans leurs coeurs, pour y voir à découvert les mouvemens qui les agitent ; j'approuve cet examen : mais si j'assûrois avec vous quelque chose sur ce seul fondement, je craindrois que ce fût plûtôt une conjecture de mon esprit, qu'une découverte réelle. Je ne crois point qu'on doive appuyer une démonstration sur la seule connoissance du coeur de tel & tel homme en particulier : j'ose dire qu'il est impossible de prouver d'une démonstration morale qui puisse équivaloir à la certitude métaphysique, que Caton eût la probité que son siecle & la postérité lui accordent : sa réputation est un fait qu'on peut démontrer ; mais sur sa probité, il faut malgré nous nous livrer à nos conjectures, parce que n'étant que dans l'intérieur de son coeur, elle fuit nos sens, & nos regards ne sauroient y atteindre. Tant qu'un homme sera enveloppé dans la sphere de l'humanité, quelque véridique qu'il ait été dans tout le cours de sa vie, il ne sera que probable qu'il ne m'en impose point sur le fait qu'il rapporte. Le tableau de Caton ne vous présente donc rien qui puisse vous fixer avec une entiere certitude. Mais jettez les yeux, s'il m'est permis de parler ainsi, sur celui qui représente l'humanité en grand, voyez-y les différentes passions dont les hommes sont agités, examinez ce contraste frappant : chaque passion a son but, & présente des vûes qui lui sont propres : vous ignorez quelle est la passion qui domine celui qui vous parle ; & c'est ce qui rend votre foi chancelante : mais sur un grand nombre d'hommes vous ne sauriez douter de la diversité des passions qui les animent ; leurs foibles mêmes & leurs vices servent à rendre inébranlable le fondement où vous devez asseoir votre jugement. Je sai que les apologistes de la religion chrétienne ont principalement insisté sur les caracteres de sincérité & de probité des apôtres ; & je suis bien éloigné de faire ici le procès à ceux qui se contentent de cette preuve ; mais comme les sceptiques de nos jours sont très-difficiles sur ce qui constitue la certitude des faits, j'ai cru que je ne risquois rien d'être encore plus difficile qu'eux sur ce point, persuadé que les faits évangéliques sont portés à un degré de certitude qui brave les efforts du Pyrrhonisme le plus outré.

Si je pouvois m'assûrer qu'un témoin a bien vû, & qu'il a voulu me dire vrai, son témoignage pour moi deviendroit infaillible : ce n'est qu'à proportion des degrés de cette double assûrance que croît ma persuasion ; elle ne s'élevera jamais jusqu'à une pleine démonstration, tant que le témoignage sera unique, & que je considérerai le témoin en particulier ; parce que quelque connoissance que j'aye du coeur humain, je ne le connoîtrai jamais assez parfaitement pour en deviner les divers caprices, & tous les ressorts mystérieux qui le font mouvoir. Mais ce que je chercherois envain dans un témoignage, je le trouve dans le concours de plusieurs témoignages, parce que l'humanité s'y peint ; je puis, en conséquence des lois que suivent les esprits, assûrer que la seule vérité a pû réunir tant de personnes, dont les intérêts sont si divers & les passions si opposées. L'erreur a différentes formes, selon le tour d'esprit des hommes, selon les préjugés de religion & d'éducation dans lesquels ils sont nourris : si donc je les vois, malgré cette prodigieuse variété de préjugés qui différencient si fort les nations, se réunir dans la déposition d'un même fait, je ne dois nullement douter de sa réalité. Plus vous me prouverez que les passions qui gouvernent les hommes sont bisarres, capricieuses, & déraisonnables, plus vous serez éloquent à m'exagérer la multiplicité d'erreurs qui font naître tant de préjugés différens, & plus vous me confirmerez, à votre grand étonnement, dans la persuasion où je suis, qu'il n'y a que la vérité qui puisse faire parler de la même maniere tant d'hommes d'un caractere opposé. Nous ne saurions donner l'être à la vérité ; elle existe indépendamment de l'homme : elle n'est donc sujette ni de nos passions ni de nos préjugés : l'erreur au contraire qui n'a d'autre réalité que celle que nous lui donnons, se trouve par sa dépendance obligée de prendre la forme que nous voulons lui donner : elle doit donc être toûjours par sa nature marquée au coin de celui qui l'a inventée ; aussi est-il facile de connoître la trempe de l'esprit d'un homme aux erreurs qu'il débite. Si les livres de morale, au lieu de contenir les idées de leur auteur, n'étoient, comme ils doivent être, qu'un recueil d'expériences sur l'esprit de l'homme, je vous y renvoyerois pour vous convaincre du principe que j'avance. Choisissez un fait éclatant & qui intéresse, & vous verrez s'il est possible que le concours des témoins qui l'attestent puisse vous tromper. Rappellez-vous la glorieuse journée de Fontenoi ; putes-vous douter de la victoire signalée remportée par les François, après la déposition d'un certain nombre de témoins ? vous ne vous occupâtes dans cet instant ni de la probité ni de la sincérité des témoins ; le concours vous entraîna, & votre foi ne put s'y refuser. Un fait éclatant & intéressant entraîne des suites après lui : ces suites servent merveilleusement à confirmer la déposition des témoins ; elles sont aux contemporains ce que les monumens sont à la postérité : comme des tableaux répandus dans tout le pays que vous habitez, elles représentent sans-cesse à vos yeux le fait qui vous intéresse : faites-les entrer dans la combinaison que vous ferez des témoins ensemble, & du fait avec les témoins ; il en résultera une preuve d'autant plus forte, que toute entrée sera fermée à l'erreur ; car ces faits ne sauroient se prêter aux passions & aux intérêts des témoins.

Vous demandez, me dira-t-on, pour être assûré d'un fait invariablement, que les témoins qui vous le rapportent ayent des passions opposées & des intérêts divers : mais si ces caracteres de vérité, que je ne desavoue point, étoient uniques, on pourroit douter de certains faits qui tiennent non-seulement à la religion, mais qui même en sont la base. Les apôtres n'avoient ni des passions opposées ni des intérêts divers : votre combinaison, continuera-t-on devenant par-là impossible, nous ne pourrons point nous assûrer des faits qu'ils attestent.

Cette difficulté seroit sans-doute mieux placée ailleurs, où je discuterai les faits de l'évangile, mais il faut arrêter des soupçons injustes ou ignorans. De tous les faits que nous croyons, je n'en connois aucun qui soit plus susceptible de la combinaison dont je parle, que les faits de l'évangile. Cette combinaison est même ici plus frappante, & je crois qu'elle acquiert un degré de force, parce qu'on peut combiner les témoins entr'eux, & encore avec les faits. Que veut-on dire lorsqu'on avance que les apôtres n'avoient ni des passions opposées ni des intérêts divers, & que toute combinaison par rapport à eux est impossible ? A Dieu ne plaise que je veuille prêter ici des passions à ces premiers fondateurs d'une religion certainement divine ; je sai qu'ils n'avoient d'autre intérêt que celui de la vérité : mais je ne le sai que parce que je suis convaincu de la vérité de la religion chrétienne ; & un homme qui fait les premiers pas vers cette religion peut, sans que le chrétien qui travaille à sa conversion doive le trouver mauvais, raisonner sur les apôtres comme sur le reste des hommes. Pourquoi les apôtres n'étoient-ils conduits ni par la passion ni par l'intérêt ? c'est parce qu'ils défendoient une vérité, qui écartoit loin d'elle & la passion & l'intérêt. Un Chrétien instruit dira donc à celui qu'il veut convaincre de la religion qu'il professe : si les faits que les apôtres rapportent n'étoient point vrais, quelqu'intérêt particulier ou quelque passion favorite les auroient portés à défendre si opiniâtrément l'imposture, parce que le mensonge ne peut devoir son origine qu'à la passion & à l'intérêt : mais, continuera ce chrétien, personne n'ignore que sur un certain nombre d'hommes il doit s'y trouver des passions opposées & des intérêts divers ; ils ne s'accorderoient donc point s'ils avoient été guidés par la passion & par l'intérêt : on est donc forcé d'avoüer que la seule vérité forme cet accord. Son raisonnement recevra une nouvelle force, lorsqu'après avoir comparé les personnes entr'elles, il les rapprochera des faits. Il s'appercevra d'abord qu'ils sont d'une nature à ne favoriser aucune passion, & qu'ils ne sauroit y avoir d'autre intérêt que celui de la vérité qui eût pû les engager à les attester. Je ne dois pas étendre davantage ce raisonnement ; il suffit qu'on voie que les faits de la religion chrétienne sont susceptibles des caracteres de vérité que nous assignons.

Quelqu'un me dira peut-être encore : pourquoi vous obstinez-vous à séparer la probabilité de la certitude ? pourquoi ne convenez-vous point avec tous ceux qui ont écrit sur l'évidence morale, qu'elle n'est qu'un amas de probabilités ?

Ceux qui me font cette difficulté, n'ont jamais examiné de bien près cette matiere. La certitude est par elle-même indivisible : on ne sauroit la diviser sans la détruire. On l'apperçoit dans un certain point fixe de combinaison, & c'est celui où vous avez assez de témoins pour pouvoir assûrer qu'il y a des passions opposées ou des intérêts divers, ou si l'on veut encore, lorsque les faits ne peuvent s'accorder ni avec les passions ni avec les intérêts de ceux qui les rapportent ; en un mot, lorsque du côté des témoins ou du côté du fait on voit évidemment qu'il ne sauroit y avoir d'unité de motif. Si vous ôtez quelque circonstance nécessaire à cette combinaison, la certitude du fait disparoîtra pour vous. Vous serez obligés de vous rejetter sur l'examen des témoins qui restent, parce que n'en ayant pas assez pour qu'ils puissent représenter le caractere de l'humanité, vous êtes obligés d'examiner chacun en particulier. Or voilà la différence essentielle entre la probabilité & la certitude ; celle-ci prend sa source dans les lois générales que tous les hommes suivent, & l'autre dans l'étude du coeur de celui qui vous parle ; l'une est susceptible d'accroissement, & l'autre ne l'est point. Vous ne seriez pas plus certain de l'existence de Rome, quand même vous l'auriez sous vos yeux ; votre certitude changeroit de nature, puisqu'elle seroit physique : mais votre croyance n'en deviendroit pas plus inébranlable. Vous me présentez plusieurs témoins, & vous me faites part de l'examen réfléchi que vous avez fait de chacun en particulier ; la probabilité sera plus ou moins grande selon le degré d'habileté que je vous connois à pénétrer les hommes. Il est évident que ces examens particuliers tiennent toûjours de la conjecture ; c'est une tache dont on ne peut les laver. Multipliez tant que vous voudrez ces examens ; si votre tête retrécie ne saisit pas la loi que suivent les esprits, vous augmenterez, il est vrai, le nombre de vos probabilités : mais vous n'acquerrez jamais la certitude. Je sens bien ce qui fait dire que la certitude n'est qu'un amas de probabilités ; c'est parce qu'on peut passer des probabilités à la certitude ; non qu'elle en soit, pour ainsi dire, composée, mais parce qu'un grand nombre de probabilités demandant plusieurs témoins, vous met à portée, en laissant les idées particulieres, de porter vos vûes sur l'homme tout entier. Bien loin que la certitude résulte de ces probabilités, vous êtes obligé, comme vous voyez, de changer d'objet pour y atteindre. En un mot, les probabilités ne servent à la certitude, que parce que par les idées particulieres vous passez aux idées générales. Après ces réflexions il ne sera pas difficile de sentir la vanité des calculs d'un Géometre Anglois, qui a prétendu supputer les différens degrés de certitude que peuvent procurer plusieurs témoins : il suffira de mettre cette difficulté sous les yeux pour la faire évanoüir.

Selon cet auteur, les divers degrés de probabilité nécessaires pour rendre un fait certain, sont comme un chemin dont la certitude seroit le terme. Le premier témoin, dont l'autorité est assez grande pour m'assûrer le fait à demi, ensorte qu'il y ait égal parti à faire pour & contre la vérité de ce qu'il m'annonce, me fait parcourir la moitié du chemin. Un témoin aussi croyable que le premier, qui m'a fait parcourir la moitié de tout le chemin, par cela même que son témoignage est du même poids, ne me fera parcourir que la moitié de cette moitié, ensorte que ces deux témoins me feront parcourir les trois quarts du chemin. Un troisieme qui surviendra ne me fera avancer que de la moitié sur l'espace restant, que les deux autres m'ont laissé à parcourir ; son témoignage n'excédant point celui des deux premiers, pris séparément, il ne doit comme eux me faire parcourir que la moitié du chemin quelle qu'en soit l'étendue. En voici la raison sans-doute, c'est que chaque témoin peut seulement détruire dans mon esprit la moitié des raisons qui s'opposent à l'entiere certitude du fait.

Le Géometre Anglois, comme on voit, examine chaque témoin en particulier, puisqu'il évalue le témoignage de chacun pris séparément ; il ne suit donc pas le chemin que j'ai tracé pour arriver à la certitude. Le premier témoin me fera parcourir tout le chemin, si je puis m'assûrer qu'il ne s'est point trompé, & qu'il n'a pas voulu m'en imposer sur le fait qu'il me rapporte. Je ne saurois, je l'avoüe, avoir cette assûrance : mais examinez-en la raison, & vous vous convaincrez que ce n'est que parce que vous ne pouvez pas connoître les passions qui l'agitent, ou l'intérêt qui le fait agir. Toutes vos vûes doivent donc se tourner du côté de cet inconvénient. Vous passez à l'examen du second témoin, ne deviez-vous pas vous appercevoir qu'avant de raisonner sur ce second témoin comme vous avez fait sur le premier, la même difficulté reste toûjours ? Aurez-vous recours à l'examen d'un troisieme, ce ne seront jamais que des idées particulieres : ce qui s'oppose à votre certitude, c'est le coeur des témoins que vous ne connoissez pas : cherchez donc un moyen de le faire paroître, pour ainsi dire à vos yeux ; or c'est ce que procure un grand nombre de témoins. Vous n'en connoissez aucun en particulier ; vous pouvez pourtant assurer qu'aucun complot ne les a réunis pour vous tromper. L'inégalité des conditions, la distance des lieux, la nature du fait, le nombre des témoins, vous font connoître, sans que vous puissiez en douter, qu'il y a parmi eux des passions opposées & des intérêts divers. Ce n'est que lorsque vous êtes parvenu à ce point, que la certitude se présente à vous ; ce qui est, comme on voit, totalement soustrait au calcul.

Prétendez-vous, m'a-t-on dit, vous servir de ces marques de vérité pour les miracles comme pour les faits naturels ? Cette question m'a toûjours surpris. Je répons à mon tour : est-ce qu'un miracle n'est pas un fait ? Si c'est un fait, pourquoi ne puis-je pas me servir des mêmes marques de vérité pour les uns comme pour les autres ? Seroit-ce parce que le miracle n'est pas compris dans l'enchaînement du cours ordinaire des choses ? Il faudroit que ce en quoi les miracles different des faits naturels, ne leur permit pas d'être susceptibles des mêmes marques de vérité, ou que du moins elles ne pussent pas faire la même impression. En quoi different-ils donc ? Les uns sont produits par des agens naturels, tant libres que nécessaires ; les autres par une force qui n'est point renfermée dans l'ordre de la nature. Je vois donc Dieu qui produit l'un, & la créature qui produit l'autre (je ne traite point ici la question des miracles) ; qui ne voit que cette différence dans les causes ne suffit pas pour que les mêmes caracteres de vérité ne puissent leur convenir également ? La regle invariable que j'ai assignée pour s'assûrer d'un fait, ne regarde ni leur nature, c'est-à-dire s'ils sont naturels ou surnaturels, ni les causes qui les produisent. Quelque différence que vous trouviez donc de ce côté-là, elle ne sauroit s'étendre jusqu'à la regle qui n'y touche point. Une simple supposition fera sentir combien ce que je dis est vrai : qu'on se représente un monde où tous les évenemens miraculeux qu'on voit dans celui-ci, ne soient que des suites de l'ordre établi dans celui-là. Fixons nos regards sur le cours du soleil pour nous servir d'exemple : supposons que dans ce monde imaginaire le soleil suspendant sa course au commencement des quatre différentes saisons de l'année, le premier jour en soit quatre fois plus long qu'à l'ordinaire. Continuez à faire joüer votre imagination, & transportez-y les hommes tels qu'ils sont, ils seront témoins de ce spectacle bien nouveau pour eux. Peut-on nier que sans changer leurs organes ils fussent en état de s'assurer de la longueur de ce jour ? Il ne s'agit encore, comme on voit, que des témoins oculaires, c'est-à-dire si un homme peut voir aussi facilement un miracle qu'un fait naturel ; il tombe également sous les sens : la difficulté est donc levée quant aux témoins oculaires. Or ces témoins qui nous rapportent un fait miraculeux, ont-ils plus de facilité pour nous en imposer que sur tout autre fait ? & les marques de vérité que nous avons assignées ne reviennent-elles point avec toute leur force ? Je pourrai combiner également les témoins ensemble ; je pourrai connoître si quelque passion ou quelque intérêt commun les fait agir ; il ne faudra, en un mot, qu'examiner l'homme, & consulter les lois générales qu'il suit ; tout est égal de part & d'autre.

Vous allez trop loin, me dira-t-on, tout n'est point égal ; je sai que les caracteres de vérité que vous avez assignés ne sont point inutiles pour les faits miraculeux : mais ils ne sauroient faire la même impression sur notre esprit. On vient m'apprendre qu'un homme célebre vient d'opérer un prodige ; ce récit se trouve revêtu de toutes les marques de vérité les plus frappantes, telles, en un mot, que je n'hésiterois pas un instant à y ajoûter foi si c'étoit un fait naturel ; elles ne peuvent pourtant servir qu'à me faire douter de la réalité du prodige. Prétendre, continuera-t-on, que par-là je dépouille ces marques de vérité de toute la force qu'elles doivent avoir sur notre esprit, ce seroit dire que de deux poids égaux mis dans deux balances différentes, l'un ne peseroit pas autant que l'autre, parce qu'il n'emporteroit pas également le côté qui lui est opposé, sans examiner si tous les deux n'ont que les mêmes obstacles à vaincre. Ce qui vous paroît être un paradoxe va se développer clairement à vos yeux. Les marques de vérité ont la même force pour les deux faits : mais dans l'un il y a un obstacle à surmonter, & dans l'autre il n'y en a point ; dans le fait surnaturel je vois l'impossibilité physique qui s'oppose à l'impression que feroient sur moi ces marques de vérité ; elle agit si fortement sur mon esprit qu'elle le laisse en suspens ; il se trouve comme entre deux forces qui se combattent : il ne peut le nier, les marques de vérité dont il est revêtu ne le lui permettent pas ; il ne peut y ajoûter foi, l'impossibilité physique qu'il voit l'arrête. Ainsi, en accordant aux caracteres de vérité que vous avez assignés, toute la force que vous leur donnez, ils ne suffisent pas pour me déterminer à croire un miracle.

Ce raisonnement frappera sans-doute tout homme qui le lira rapidement sans l'approfondir : mais le plus leger examen suffit pour en faire appercevoir tout le faux ; semblable à ces phantômes qui paroissent durant la nuit, & se dissipent à notre approche. Descendez jusque dans les abysmes du néant, vous y verrez les faits naturels & surnaturels confondus ensemble, ne tenir pas plus à l'être les uns que les autres. Leur degré de possibilité, pour sortir de ce gouffre & reparoître au jour, est précisément le même ; car il est aussi facile à Dieu de rendre la vie à un mort, que de la conserver à un vivant. Profitons maintenant de tout ce qu'on nous accorde. Les marques de vérité que nous avons assignées sont, dit-on, bonnes, & ne permettent pas de douter d'un fait naturel qui s'en trouve revêtu. Ces caracteres de vérité peuvent même convenir aux faits surnaturels ; desorte que s'il n'y avoit aucun obstacle à surmonter, point de raisons à combattre, nous serions aussi assurés d'un fait miraculeux que d'un fait naturel. Il ne s'agit donc plus que de savoir, s'il y a des raisons dans un fait surnaturel qui s'opposent à l'impression que ces marques devroient faire. Or j'ose avancer qu'il en est précisément de même d'un fait surnaturel que d'un fait naturel ; c'est à tort qu'on s'imagine toûjours voir l'impossibilité physique d'un fait miraculeux combattre toutes les raisons qui concourent à nous en démontrer la réalité. Car qu'est-ce que l'impossibilité physique ? C'est l'impuissance des causes naturelles à produire un tel effet ; cette impossibilité ne vient point du côté du fait même, qui n'est pas plus impossible que le fait naturel le plus simple. Lorsqu'on vient vous apprendre un fait miraculeux, on ne prétend pas vous dire qu'il a été produit par les seules forces des causes naturelles ; j'avoue qu'alors les raisons qui prouveroient ce fait, seroient non-seulement combattues, mais même détruites ; non par l'impossibilité physique, mais par une impossibilité absolue : car il est absolument impossible qu'une cause naturelle avec ses seules forces produise un fait surnaturel. Vous devez donc, lorsqu'on vous apprend un fait miraculeux, joindre la cause qui peut le produire avec le même fait ; & alors l'impossibilité physique ne pourra nullement s'opposer aux raisons que vous aurez de croire ce fait. Si plusieurs personnes vous disent qu'elles viennent de voir une pendule remarquable par l'exactitude avec laquelle elle marque jusques aux tierces ; douterez-vous du fait, parce que tous les serruriers que vous connoissez ne sauroient l'avoir faite, & qu'ils sont dans une espece d'impossibilité physique d'exécuter un tel ouvrage ? Cette question vous surprend sans-doute, & avec raison : pourquoi donc, quand on vous apprend un fait miraculeux, voulez-vous en douter, parce qu'une cause naturelle n'a pû le produire ? L'impossibilité physique où se trouve la créature pour un fait surnaturel, doit-elle faire plus d'impression que l'impossibilité physique où se trouve ce serrurier d'exécuter cette admirable pendule ? Je ne vois d'autres raisons que celles qui naissent d'une impossibilité métaphysique, qui puissent s'opposer à la preuve d'un fait ; ce raisonnement sera toûjours invincible. Le fait que je vous propose à croire ne présente rien à l'esprit d'absurde & de contradictoire : cessez donc de parler avec moi de sa possibilité ou de son impossibilité, & venons à la preuve du fait.

L'expérience, dira quelqu'un, dément votre réponse ; il n'est personne qui ne croye plus facilement un fait naturel qu'un miracle. Il y a donc quelque chose de plus dans le miracle que dans le fait naturel ; cette difficulté à croire un fait miraculeux prouve très-bien, que la regle des faits ne sauroit faire la même impression pour le miracle que pour un fait naturel.

Si l'on vouloit ne pas confondre la probabilité avec la certitude, cette difficulté n'auroit pas lieu. J'avoue que ceux qui peu scrupuleux sur ce qu'on leur dit n'approfondissent rien, éprouvent une certaine résistance de leur esprit à croire un fait miraculeux, ils se contentent de la plus legere probabilité pour un fait naturel ; comme un miracle est toûjours un fait intéressant, leur esprit en demande davantage. Le miracle est d'ailleurs un fait beaucoup plus rare que les faits naturels : le plus grand nombre de probabilités doit donc y suppléer ; en un mot, on n'est plus difficile à croire un fait miraculeux qu'un fait naturel, que lorsqu'on se tient précisément dans la sphere des probabilités. Il a moins de vraisemblance, je l'avoue ; il faut donc plus de probabilités, c'est-à-dire, que si quelqu'un ordinairement peut ajoûter foi à un fait naturel, qui demande six degrés de probabilités ; il lui en faudra peut-être dix pour croire un fait miraculeux. Je ne prétens point déterminer ici exactement la proportion : mais si quittant les probabilités, vous passez dans le chemin qui mene à la certitude, tout sera égal. Je ne vois qu'une différence entre les faits naturels & les miracles : pour ceux-ci on pousse les choses à la rigueur, & on demande qu'ils puissent soutenir l'examen le plus sévere ; pour ceux-là, au contraire, on ne va pas à beaucoup près si loin. Cela est fondé en raison, parce que, comme je l'ai déjà remarqué, un miracle est toûjours un fait très-intéressant : mais cela n'empêche nullement que la regle des faits ne puisse servir pour les miracles, aussi-bien que pour les faits naturels ; & si on veut examiner la difficulté présente de bien près, on verra qu'elle n'est fondée que sur ce qu'on se sert de la regle des faits pour examiner un miracle, & qu'on ne s'en sert pas ordinairement pour un fait naturel. S'il étoit arrivé un miracle dans les champs de Fontenoi, le jour que se donna la bataille de ce nom ; si les deux armées avoient pû l'appercevoir aisément ; si en conséquence les mêmes bouches qui publierent la nouvelle de la bataille l'avoient publié ; s'il avoit été accompagné des mêmes circonstances que cette bataille, & qu'il eût eu des suites, quel seroit celui qui ajoûteroit foi à la nouvelle de la bataille, & qui douteroit du miracle ? ici les deux faits marchent de niveau, parce qu'ils sont arrivés tous les deux à la certitude.

Ce que j'ai dit jusqu'ici suffit sans-doute pour repousser aisément tous les traits que lance l'auteur des Pensées philosophiques, contre la certitude des faits surnaturels : mais le tour qu'il donne à ses pensées, les présente de maniere que je crois nécessaire de nous y arrêter. Ecoutons-le donc parler lui-même, & voyons comme il prouve qu'on ne doit point ajoûter la même foi à un fait surnaturel, qu'à un fait naturel : " Je croirois sans peine, dit-il un seul honnête homme qui m'annonceroit que Sa Majesté vient de remporter une victoire complete sur les alliés : mais tout Paris m'assûreroit qu'un mort vient de ressusciter à Passy, que je n'en croirois rien. Qu'un historien nous en impose, ou que tout un peuple se trompe, ce ne sont pas des prodiges ". Détaillons ce fait ; donnons-lui toutes les circonstances dont un fait de cette nature peut être susceptible ; parce que, quelques circonstances que nous supposions, le fait demeurera toûjours dans l'ordre des faits surnaturels, & par conséquent le raisonnement doit toûjours valoir, ou ne pas être bon en lui-même. C'étoit une personne publique dont la vie intéressoit une infinité de particuliers, & à laquelle étoit en quelque façon attaché le sort du royaume. Sa maladie avoit jetté la consternation dans tous les esprits, & sa mort avoit achevé de les abattre ; sa pompe funebre fut accompagnée des cris lamentables de tout un peuple, qui retrouvoit en lui un pere. Il fut mis en terre, à la face du peuple, en présence de tous ceux qui le pleuroient ; il avoit le visage découvert & déjà défiguré par les horreurs de la mort. Le roi nomme à tous ses emplois, & les donne à un homme, qui de tout tems a été l'ennemi implacable de la famille de l'illustre mort ; quelques jours s'écoulent, & toutes les affaires prennent le train que cette mort devoit naturellement occasionner. Voilà la premiere époque du fait. Tout Paris va l'apprendre à l'auteur des Pensées philosophiques, & il n'en doute point ; c'est un fait naturel. Quelques jours après, un homme qui se dit envoyé de Dieu, se présente, annonce quelque vérité ; & pour prouver la divinité de sa légation, il assemble un peuple nombreux au tombeau de cet homme, dont ils pleurent la mort si amerement. A sa voix, le tombeau s'ouvre, la puanteur horrible qui s'exhale du cadavre, infecte les airs : le cadavre hideux, ce même cadavre, dont la vûe les fait pâlir tous, ranime ses cendres froides, à la vûe de tout Paris, qui, surpris du prodige, reconnoît l'envoyé de Dieu. Une foule de témoins oculaires, qui ont manié le mort ressuscité, qui lui ont parlé plusieurs fois attestent ce fait à notre sceptique, & lui disent que l'homme dont on lui avoit appris la mort peu de jours avant, est plein de vie. Que répond à cela notre sceptique, qui est déjà assûré de sa mort ? Je ne puis ajoûter foi à cette résurrection ; parce qu'il est plus possible que tout Paris se soit trompé, ou qu'il ait voulu me tromper, qu'il n'est possible que cet homme soit ressuscité.

Il y a deux choses à remarquer dans la réponse de notre sceptique : 1°. la possibilité que tout Paris se soit trompé : 2°. qu'il ait voulu tromper. Quant au premier membre de la réponse, il est évident que la résurrection de ce mort n'est pas plus impossible, qu'il l'est que tout Paris se soit trompé ; car l'une & l'autre impossibilités sont renfermées dans l'ordre physique. En effet, il n'est pas moins contre les lois de la nature, que tout Paris croye voir un homme qu'il ne voit point ; qu'il croye l'entendre parler, & ne l'entende point ; qu'il croye le toucher, & ne le touche point, qu'il l'est qu'un mort ressuscite. Oseroit-on nous dire que dans la nature il n'y a pas des lois pour les sens ? & s'il y en a, comme on n'en peut douter, n'en est-ce point une pour la vûe, de voir un objet qui est à portée d'être vû ? Je sai que la vûe, comme le remarque très-bien l'auteur que nous combattons, est un sens superficiel ; aussi ne l'employons-nous que pour la superficie des corps, qui seule suffit pour les faire distinguer. Mais si à la vûe & à l'oüie nous joignons le toucher, ce sens philosophe & profond, comme le remarque encore le même auteur, pouvons-nous craindre de nous tromper ? Ne faudroit-il pas pour cela renverser les lois de la nature, relatives à ce sens ? Tout Paris a pû s'assûrer de la mort de cet homme, le sceptique l'avoue ; il peut donc de même s'assûrer de sa vie, & par conséquent de sa résurrection. Je puis donc conclure contre l'auteur des Pensées philosophiques, que la résurrection de ce mort n'est pas plus impossible, que l'erreur de tout Paris, sur cette résurrection. Est-ce un moindre miracle d'animer un phantôme, de lui donner une ressemblance qui puisse tromper tout un peuple, que de rendre la vie à un mort ? Le sceptique doit donc être certain que tout Paris n'a pu se tromper. Son doute, s'il lui en reste encore, ne peut donc être fondé que sur ce que tout Paris aura pû vouloir le tromper. Or il ne sera pas plus heureux dans cette seconde supposition.

En effet, qu'il me soit permis de lui dire : " n'avez-vous point ajoûté foi à la mort de cet homme, sur le témoignage de tout Paris qui vous l'a apprise ? Il étoit pourtant possible que tout Paris voulût vous tromper (du moins dans votre sentiment) ; cette possibilité n'a pas été capable de vous ébranler ". Je le vois, c'est moins le canal de la tradition, par où un fait passe jusqu'à nous, qui rend les déistes si défians & si soupçonneux, que le merveilleux qui y est empreint. Mais du moment que ce merveilleux est possible, leur doute ne doit point s'y arrêter, mais seulement aux apparences & aux phénomenes qui, s'incorporant avec lui, en attestent la réalité. Car voici comme je raisonne contr'eux en la personne de notre sceptique : " Il est aussi impossible que tout Paris ait voulu le tromper sur un fait miraculeux, que sur un fait naturel ". Donc une possibilité ne doit pas faire plus d'impression sur lui que l'autre. Il est donc aussi mal-fondé à vouloir douter de la résurrection que tout Paris lui confirme, sous prétexte que tout Paris auroit pû vouloir le tromper, qu'il le seroit à douter de la mort d'un homme, sur le témoignage unanime de cette grande ville. Il nous dira peut-être, le dernier fait n'est point impossible physiquement ; qu'un homme soit mort, il n'y a rien-là qui m'étonne ; mais qu'un homme ait été ressuscité, voilà ce qui révolte & ce qui effarouche ma raison ; en un mot voilà pourquoi la possibilité que tout Paris ait voulu me tromper sur la résurrection de cet homme, me fait une impression dont je ne saurois me défendre : au lieu que la possibilité que tout Paris ait voulu m'en imposer sur sa mort, ne me frappe nullement. Je ne lui répéterai point ce que je lui ai déjà dit, que ces deux faits étant également possibles, il ne doit s'arrêter qu'aux marques extérieures qui l'accompagnent, & qui nous guident dans la connoissance des évenemens ; ensorte que si un fait surnaturel a plus de ces marques extérieures qu'un fait naturel, il me deviendra dès-lors plus probable. Mais examinons le merveilleux qui effarouche sa raison, & faisons-le disparoître à ses yeux. Ce n'est en effet qu'un fait naturel que tout Paris lui propose à croire : savoir, que cet homme est plein de vie. Il est vrai qu'étant déjà assûré de sa mort, sa vie présente suppose une résurrection. Mais s'il ne peut douter de la vie de cet homme sur le témoignage de tout Paris, puisque c'est un fait naturel, il ne sauroit donc douter de sa résurrection, l'un est lié nécessairement avec l'autre. Le miracle se trouve enfermé entre deux faits naturels ; savoir la mort de cet homme, & sa vie présente. Les témoins ne sont assûrés du miracle de la résurrection, que parce qu'ils sont assûrés du fait naturel. Ainsi je puis dire que le miracle n'est qu'une conclusion des deux faits naturels. On peut s'assûrer des faits naturels, le sceptique l'avoue : le miracle est une simple conséquence des deux faits dont on est sûr : ainsi le miracle que le sceptique me conteste se trouve, pour ainsi dire, composé de trois choses, qu'il ne prétend point me disputer ; savoir, la certitude de deux faits naturels, la mort de cet homme, & sa vie présente, & d'une conclusion métaphysique, que le sceptique ne me conteste point. Elle consiste à dire : cet homme qui vit maintenant étoit mort il y a trois jours ; il a donc été rendu de la mort à la vie. Pourquoi le sceptique veut-il plûtôt s'en rapporter à son jugement qu'à tous ses sens ? Ne voyons-nous pas tous les jours que sur dix hommes, il n'y en a pas un qui envisage une opinion de la même façon ? Cela vient, me dira-t-on, de la bisarrerie de ces hommes, & du différent tour de leur esprit. Je l'avoue ; mais qu'on me fasse voir une telle bisarrerie dans les sens. Si ces dix hommes sont à portée de voir un même objet, ils le verront tous de la même façon, & on peut assûrer qu'aucune dispute ne s'élevera entr'eux sur la réalité de cet objet. Qu'on me montre quelqu'un qui puisse disputer sur la possibilité d'une chose quand il la voit. Je le veux, qu'il s'en rapporte plûtôt à son jugement qu'à ses sens : que lui dit son jugement sur la résurrection de ce mort ? Que cela est possible : son jugement ne va pas plus loin ; il ne contredit nullement le rapport de ses sens, pourquoi veut-il donc les opposer ensemble ?

Un autre raisonnement propre à faire sentir le foible de celui de l'auteur des Pensées philosophiques, c'est qu'il compare la possibilité que tout Paris ait voulu le tromper, à l'impossibilité de la résurrection. Entre le fait & lui il y a un vuide à remplir, parce qu'il n'est pas témoin oculaire : ce vuide, ce milieu est rempli par les témoins oculaires. Il doit donc comparer d'abord la possibilité que tout Paris se soit trompé avec la possibilité de la résurrection. Il verra que ces deux possibilités sont du même ordre, comme je l'ai déjà dit. Il n'a point ensuite à raisonner sur la résurrection, mais seulement à examiner le milieu par où elle parvient jusqu'à lui. Or l'examen ne peut être autre que l'application des regles que j'ai données, moyennant lesquelles on peut s'assûrer que ceux qui vous rapportent un fait, ne vous en imposent point ; car il ne s'agit ici que de vérifier le témoignage de tout Paris. On pourra donc se dire comme pour les faits naturels : les témoins n'ont ni les mêmes passions, ni les mêmes intérêts : ils ne se connoissent pas ; il y en a même beaucoup qui ne se sont jamais vûs : donc il ne sauroit y avoir entr'eux aucune collusion. D'ailleurs concevra-t-on aisément comment Paris se détermineroit, supposé le complot possible, à en imposer à un homme sur un tel fait ; & seroit-il possible qu'il ne transpirât rien d'un tel complot ? Tous les raisonnemens que nous avons faits sur les faits naturels reviennent comme d'eux-mêmes se présenter ici, pour nous faire sentir qu'une telle imposture est impossible. J'avoue au sceptique que nous combattons, que la possibilité que tout Paris veuille le tromper, est d'un ordre différent de la possibilité de la résurrection. Mais je lui soûtiens que le complot d'une aussi grande ville que Paris, formé sans raison, sans intérêt, sans motif, entre des gens qui ne se connoissent pas, faits même par leur naissance pour ne pas se connoître, ne soit plus difficile à croire que la résurrection d'un mort. La résurrection est contre les lois du monde physique ; ce complot est contre les lois du monde moral. Il faut un prodige pour l'un comme pour l'autre, avec cette différence que l'un seroit beaucoup plus grand que l'autre. Que dis-je, l'un, parce qu'il n'est établi que sur des lois arbitraires, & dès-là soumises à un pouvoir souverain, ne répugne pas à la sagesse de Dieu ; l'autre, parce qu'il est fondé sur des lois moins arbitraires, je veux dire celles par lesquelles il gouverne le monde moral, ne sauroit s'allier avec les vûes de cette sagesse suprème ; & par conséquent il est impossible. Que Dieu ressuscite un mort pour manifester sa bonté, ou pour sceller quelque grande vérité ; là je reconnois une puissance infinie, dirigée par une sagesse comme elle infinie : mais que Dieu bouleverse l'ordre de la société ; qu'il suspende l'action des causes morales ; qu'il force les hommes, par une impression miraculeuse, à violer toutes les regles de leur conduite ordinaire, & cela pour en imposer à un simple particulier, j'y reconnois à la vérité sa puissance infinie, mais je n'y vois point de sagesse qui la guide dans ses opérations : donc il est plus possible qu'un mort ressuscite, qu'il n'est possible que tout Paris m'en impose sur ce prodige.

Nous connoissons à-présent la regle de vérité qui peut servir aux contemporains, pour s'assurer des faits qu'ils se communiquent entr'eux de quelque nature qu'ils soient, ou naturels, ou surnaturels. Cela ne suffit pas : il faut encore que tout abysmés qu'ils sont dans la profondeur des âges, ils soient présens aux yeux de la postérité même la plus reculée. C'est ce que nous allons maintenant examiner.

Ce que nous avons dit jusqu'ici, tend à prouver qu'un fait a toute la certitude dont il est susceptible, lorsqu'il se trouve attesté par un grand nombre de témoins, & en même tems lié avec un certain concours d'apparences & de phénomenes qui le supposent comme la seule cause qui les explique. Mais si ce fait est ancien, & qu'il se perde pour ainsi dire, dans l'éloignement des siecles, qui nous assurera qu'il soit revêtu des deux caracteres ci-dessus énoncés, lesquels par leur union portent un fait au plus haut degré de certitude ? Comment saurons-nous qu'il fut autrefois attesté par une foule de témoins oculaires, & que ces monumens qui subsistent encore aujourd'hui, ainsi que ces autres traces répandues dans la suite des siecles, s'incorporent avec lui plûtôt qu'avec tout autre ? L'histoire & la tradition nous tiennent lieu de ces témoins oculaires, qu'on paroît regretter. Ce sont ces deux canaux qui nous transmettent une connoissance certaine des faits les plus reculés ; c'est par eux que les témoins oculaires sont comme reproduits à nos yeux, & nous rendent en quelque sorte contemporains de ces faits. Ces marbres, ces médailles, ces colonnes, ces pyramides, ces arcs de triomphe, sont comme animés par l'histoire & la tradition, & nous confirment comme à l'envi ce que celles-là nous ont déjà appris. Comment, nous dit le sceptique, l'histoire & la tradition peuvent-elles nous transmettre un fait dans toute sa pureté ? Ne sont-elles point comme ces fleuves qui grossissent & perdent jusqu'à leur nom, à mesure qu'ils s'éloignent de leur source ? Nous allons satisfaire à ce qu'on nous demande ici : nous commencerons d'abord par la tradition orale ; de-là nous passerons à la tradition écrite ou à l'histoire, & nous finirons par la tradition des monumens. Il n'est pas possible qu'un fait qui se trouve comme lié & enchaîné par ces trois sortes de traditions, puisse jamais se perdre, & même souffrir quelque altération dans l'immensité des siecles.

La tradition orale consiste dans une chaîne de témoignages rendus par des personnes qui se sont succédées les unes aux autres dans toute la durée des siecles, à commencer au tems où un fait s'est passé. Cette tradition n'est sûre & fidele que lorsqu'on peut remonter facilement à sa source, & qu'à-travers une suite non interrompue de témoins irréprochables, on arrive aux premiers témoins qui sont contemporains des faits : car si l'on ne peut s'assurer que cette tradition, dont nous tenons un bout, remonte effectivement jusqu'à l'époque assignée à de certains faits, & qu'il n'y a point eu, fort en-deçà de cette époque, quelqu'imposteur qui se soit plû à les inventer pour abuser la postérité ; la chaîne des témoignages, quelque bien liée qu'elle soit, ne tenant à rien, ne nous conduira qu'au mensonge. Or comment parvenir à cette assurance ? Voilà ce que les Pyrrhoniens ne peuvent concevoir, & surquoi ils ne croyent pas qu'il soit possible d'établir des regles, à l'aide desquelles on puisse discerner les vraies traditions d'avec les fausses. Je ne veux que leur exposer la suivante.

On m'avouera d'abord que la déposition d'un grand nombre de témoins oculaires, ne peut avoir que la vérité pour centre : nous en avons déjà exposé les raisons. Or je dis que la tradition, dont je touche actuellement un des bouts, peut me conduire infailliblement à ce cercle de témoignages rendus par une foule de témoins oculaires. Voici comment : plusieurs de ceux qui ont vécu du tems que ce fait est arrivé, & qui l'ayant appris de la bouche des témoins oculaires, ne peuvent en douter, passent dans l'âge suivant, & portent avec eux cette certitude. Ils racontent ce fait à ceux de ce second âge, qui peuvent faire le même raisonnement que firent ces contemporains, lorsqu'ils examinerent s'ils devoient ajoûter foi aux témoins oculaires, qui le leur rapportoient. Tous ces témoins, peuvent-ils se dire, étant contemporains d'un tel fait, n'ont pû être trompés sur ce fait. Mais peut-être ont-ils voulu nous tromper : c'est ce qu'il faut maintenant examiner, dira quelqu'un des hommes du second âge, ainsi nommé relativement au fait en question. J'observe d'abord, doit dire notre contemplatif, que le complot de ces contemporains pour nous en imposer, auroit trouvé mille obstacles dans la diversité de passions, de préjugés, & d'intérêts qui partagent l'esprit des peuples & les particuliers d'une même nation. Les hommes du second âge s'assureront en un mot que les contemporains ne leur en imposent point, comme ceux-ci s'étoient assurés de la fidélité des témoins oculaires : car par-tout où l'on suppose une grande multitude d'hommes, on trouvera une diversité prodigieuse de génies & de caracteres, de passions & d'intérêts ; & par conséquent on pourra s'assurer aisément que tout complot parmi eux est impossible. Et si les hommes sont séparés les uns des autres par l'interposition des mers & des montagnes, pourront-ils se rencontrer à imaginer un même fait, & à le faire servir de fondement à la fable dont ils veulent amuser la postérité ? Les hommes d'autrefois étoient ce que nous sommes aujourd'hui. En jugeant d'eux par nous-mêmes, nous imitons la nature, qui agit d'une maniere uniforme dans la production des hommes de tous les tems. Je sai qu'on distingue un siecle de l'autre à une certaine tournure d'esprit, & à des moeurs même différentes ; ensorte que si on pouvoit faire reparoître un homme de chaque siecle, ceux qui seroient au fait de l'histoire, en les voyant, les rangeroient dans une ligne, chacun tenant la place de son siecle sans se tromper. Mais une chose en quoi tous les siecles sont uniformes, c'est la diversité qui regne entre les hommes du même tems : ce qui suffit pour ce que nous demandons, & pour assurer ceux du second âge, que les contemporains n'ont pû convenir entr'eux pour leur en imposer. Or ceux du troisieme âge pourront faire, par rapport à ceux du second âge qui leur rapporteront ce fait, le même raisonnement que ceux-ci ont fait par rapport aux contemporains qui le leur ont appris : ainsi on traversera facilement tous les siecles.

Pour faire sentir de plus en plus combien est pur le canal d'une tradition qui nous transmet un fait public & éclatant (car je déclare que c'est de celui-là seul dont j'entends parler, convenant d'ailleurs que sur un fait secret & nullement intéressant, une tradition ancienne & étendue peut être fausse), je n'ai que ce seul raisonnement à faire : c'est que je défie qu'on m'assigne dans cette longue suite d'âges un tems où ce fait auroit pû être supposé, & avoir par conséquent une fausse origine. Car où la trouver cette source erronée d'une tradition revêtue de pareils caracteres ? sera-ce parmi les contemporains ? il n'y a nulle apparence. En effet, quand auroient-ils pû tramer le complot d'en imposer aux âges suivans sur ce fait ? Qu'on y prenne garde : on passe d'une maniere insensible d'un siecle à l'autre. Les âges se succedent sans qu'on puisse s'en appercevoir. Les contemporains dont il est ici question, se trouvent dans l'âge qui suit celui où ils ont appris ce fait, qu'ils pensent toûjours être au milieu des témoins oculaires qui le leur avoient raconté. On ne passe pas d'un âge à l'autre, comme on feroit d'une place publique dans un palais. On peut, par exemple, tramer dans un palais le complot d'en imposer sur un prétendu fait, à tout un peuple rassemblé dans une place publique ; parce qu'entre le palais & la place publique il y a comme un mur de séparation, qui rompt toute communication entre les uns & les autres. Mais on ne trouve rien dans le passage d'un âge à l'autre, qui coupe tous les canaux par où ils pourroient communiquer ensemble. Si donc dans le premier âge il se fait quelque fraude, il faut nécessairement que le second âge en soit instruit. La raison de cela, c'est qu'un grand nombre de ceux qui composent le premier âge entrent dans la composition du second âge, & de plusieurs autres suivans, & que presque tous ceux du second âge ont vû ceux du premier ; par conséquent plusieurs de ceux qui seroient complices de la fraude forment le second âge. Or il n'est pas vraisemblable que ces hommes qu'on suppose être en grand nombre, & en même tems être gouvernés par des passions différentes, s'accordent tous à débiter le même mensonge, & à taire la fraude à tous ceux qui sont seulement du second âge. Si quelques-uns du premier âge, mais contemporains de ceux du second, se plaisent à entretenir chez eux l'illusion, croit-on que tous les autres qui auront vêcu dans le premier âge, & qui vivent actuellement dans le second, ne reclameront pas contre la fraude ? Il faudroit pour cela supposer qu'un même intérêt les réunit tous pour le même mensonge. Or il est certain qu'un grand nombre d'hommes ne sauroient avoir le même intérêt à déguiser la vérité : donc il n'est pas possible que la fraude du premier âge passe d'une voix unanime dans le second, sans éprouver aucune contradiction. Or si le second âge est instruit de la fraude, il en instruira le troisieme, & ainsi de suite, dans toute l'étendue des siecles. Dès-là qu'aucune barriere ne sépare les âges les uns des autres, il faut nécessairement qu'ils se la transmettent tour-à-tour. Nul âge ne sera donc la dupe des autres, & par conséquent nulle fausse tradition ne pourra s'établir sur un fait public éclatant.

Il n'y a pas de point fixe dans le tems qui ne renferme pour le moins soixante ou quatre-vingt générations à la fois, à commencer depuis la premiere enfance jusqu'à la vieillesse la plus avancée. Or ce mélange perpétuel de tant de générations enchaînées les unes dans les autres, tend la fraude impossible sur un fait public & intéressant. Voulez-vous pour vous en convaincre supposer que tous les hommes âgés de quarante ans, & qui répondent à un point déterminé du tems, conspirent contre la postérité pour la séduire sur un fait ? Je veux bien vous accorder ce complot possible, quoique tout m'autorise à le rejetter. Pensez-vous qu'en ce cas tous les hommes qui composent les générations depuis quarante ans jusqu'à quatre-vingt, & qui répondent au même point du tems, ne reclameront pas, qu'ils ne feront pas connoître l'imposture ? Choisissez si vous voulez la derniere génération, & supposez que tous les hommes âgés de quatre-vingt ans forment le complot d'en imposer sur un fait à la postérité. Dans cette supposition même, qui est certainement la plus avantageuse qu'on puisse faire, l'imposture ne sauroit si bien se cacher qu'elle ne soit dévoilée ; car les hommes qui composent les générations qui les suivent immédiatement, pourroient leur dire : Nous avons vêcu longtems avec vos contemporains ; & voilà pourtant la premiere fois que nous entendons parler de ce fait : il est trop intéressant, & il doit avoir fait trop de bruit pour que nous n'en ayons pas été instruits plûtôt. Et s'ils ajoûtoient à cela qu'on n'apperçoit aucune des suites qu'auroit dû entraîner ce fait, & plusieurs autres choses que nous développerons dans la suite, seroit-il possible que le mensonge ne fût point découvert ? & ces vieillards pourroient-ils espérer de persuader les autres hommes de ce mensonge qu'ils auroient inventé ? Or tous les âges se ressemblent du côté du nombre des générations ; on ne peut donc en supposer aucun où la fraude puisse prendre. Mais si la fraude ne peut s'établir dans aucun des âges qui composent la tradition, il s'ensuit que tout fait que nous amenera la tradition, pourvû qu'il soit public & intéressant, nous sera transmis dans toute sa pureté.

Me voilà donc certain que les contemporains d'un fait n'ont pas pû davantage en imposer sur la réalité aux âges suivans, qu'ils n'ont pû être dupés eux-mêmes sur cela par les témoins oculaires. En effet (qu'on me permette d'insister là-dessus), je regarde la tradition comme une chaîne, dont tous les anneaux sont d'égale force ; & au moyen de laquelle, lorsque j'en saisis le dernier chaînon, je tiens à un point fixe qui est la vérité, de toute la force dont le premier chaînon tient lui-même à ce point fixe. Voici sur cela quelle est ma preuve : la déposition des témoins oculaires est le premier chaînon ; celui des contemporains est le second ; ceux qui viennent immédiatement après, forment le troisieme par le témoignage, & ainsi de suite, en descendant jusqu'au dernier, que je saisis. Si le témoignage des contemporains est d'une force égale à celui des témoins oculaires, il en sera de même de tous ceux qui se suivront, & qui par leur étroit entrelacement, formeront cette chaîne continue de tradition. S'il y avoit quelque décroissement dans cette gradation de témoignages qui naissent les uns des autres, cette raison auroit aussi lieu par rapport au témoignage des contemporains, considéré respectivement à celui des témoins oculaires, puisque l'un des deux est fondé sur l'autre. Or que le témoignage des contemporains ait par rapport à moi autant de force que celui des témoins oculaires, c'est une chose dont je ne puis douter. Je serois aussi certain qu'Henri IV. a fait la conquête de la France, quand même je ne le saurois que des contemporains de ceux qui ont pû voir ce grand & bon roi, que je le suis que son throne a été occupé par Louis-le-Grand, quoique ce fait me soit attesté par des témoins oculaires. En voulez-vous savoir la raison ? c'est qu'il n'est pas moins impossible, que des hommes se réunissent tous, malgré la distance des lieux, la différence des esprits, la variété des passions, le choc des intérêts, la diversité des religions, à soûtenir une même fausseté, qu'il l'est que plusieurs personnes s'imaginent voir un fait, que pourtant elles ne voyent pas. Les hommes peuvent bien mentir, comme je l'ai déjà dit ; mais je les défie de le faire tous de la même maniere. Ce seroit exiger que plusieurs personnes, qui écriroient sur les mêmes sujets, pensassent & s'exprimassent de la même façon. Que mille auteurs traitent la même matiere, ils le feront tous différemment, chacun selon le tour d'esprit qui lui est propre. On les distinguera toûjours à l'air, au tour, au coloris de leurs pensées. Comme tous les hommes ont un même fonds d'idées, ils pourront rencontrer sur leur route les mêmes vérités : mais chacun d'eux les voyant d'une maniere qui lui est propre, vous les représentera sous un jour différent. Si la variété des esprits suffit pour mettre tant de différence dans les écrits qui roulent sur les mêmes matieres ; croyons que la diversité des passions n'en mettra pas moins dans les erreurs sur les faits. Il paroît par ce que j'ai dit jusqu'ici, qu'on doit raisonner sur la tradition comme sur les témoins oculaires. Un fait transmis par une seule ligne traditionnelle, ne mérite pas plus notre foi, que la déposition d'un seul témoin oculaire ; car une ligne traditionnelle ne représente qu'un témoin oculaire ; elle ne peut donc équivaloir qu'à un seul témoin. Par où en effet pourriez-vous vous assurer de la vérité d'un fait qui ne vous seroit transmis que par une seule ligne traditionnelle ? Ce ne seroit qu'en examinant la probité & la sincérité des hommes qui composeroient cette ligne ; discussion, comme je l'ai déjà dit, très-difficile, qui expose à mille erreurs, & qui ne produira jamais qu'une simple probabilité. Mais si un fait, comme une source abondante, forme différens canaux, je puis facilement m'assurer de la réalité. Ici, je me sers de la regle que suivent les esprits, comme je m'en suis servi pour les témoins oculaires. Je combine les différens témoignages de chaque personne qui représente sa ligne ; leurs moeurs différentes, leurs passions opposées, leurs intérêts divers, me démontrent qu'il n'y a point eu de conclusion entr'elles pour m'en imposer. Cet examen me suffit, parceque par-là je suis assûré qu'elles tiennent le fait qu'elles me rapportent de celui qui les précede immédiatement dans leur ligne. Si je remonte donc jusqu'au fait sur le même nombre de lignes traditionnelles, je ne saurois douter de la réalité du fait, auquel toutes ces lignes m'ont conduit ; parceque je ferai toûjours le même raisonnement sur tous les hommes qui représentent leur ligne dans quelque point du tems que je la prenne.

Il y a dans le monde, me dira quelqu'un, un si grand nombre de fausses traditions, que je ne saurois me rendre à vos preuves. Je suis comme investi par une infinité d'erreurs, qui empêchent qu'elles puissent venir jusqu'à moi ; & ne croyez pas, continuera toûjours ce pyrrhonien, que je prétende parler de ces fables, dont la plûpart des nobles flattent leur orgueil ; je sai qu'étant renfermées dans une seule famille, vous les rejettez avec moi. Mais je veux vous parler de ces faits qui nous sont transmis par un grand nombre de lignes traditionnelles, & dont vous reconnoissez pourtant la fausseté. Telles sont par exemple, les fabuleuses dynasties des Egyptiens, les histoires des dieux & demi-dieux des Grecs ; le conte de la louve qui nourrit Remus & Romulus : tel est le fameux fait de la papesse Jeanne, qu'on a cru presque universellement pendant très-long-tems, quoi qu'il fût très-récent ; si on avoit pû lui donner deux mille ans d'antiquités, qui est-ce qui auroit osé seulement l'examiner ? Telle est encore l'histoire de la sainte ampoule, qu'un pigeon apporta du ciel pour servir au sacre de nos rois ; ce fait n'est-il pas universellement répandu en France, ainsi que tant d'autres que je pourrois citer ? Tous ces faits suffisent pour faire voir que l'erreur peut nous venir par plusieurs lignes traditionnelles. On ne sauroit donc en faire un caractere de vérité pour les faits qui nous sont ainsi transmis.

Je ne vois pas que cette difficulté rende inutile ce que j'ai dit : elle n'attaque nullement mes preuves, parce qu'elle ne les prend qu'en partie. Car j'avoue qu'un fait quoique faux, peut m'être attesté par un grand nombre de personnes qui représenteront differentes lignes traditionnelles. Mais voici la différence que je mets entre l'erreur & la vérité : celle-ci, dans quelque point du tems que vous la preniez, se soûtient ; elle est toûjours défendue par un grand nombre de lignes traditionnelles qui la mettent à l'abri du Pyrrhonisme, & qui vous conduisent dans des sentiers clairs jusqu'au fait même. Les lignes, au contraire, qui nous transmettent une erreur, sont toûjours couvertes d'un certain voile qui les fait aisément reconnoître. Plus vous les suivez en remontant, & plus leur nombre diminue ; &, ce qui est le caractere de l'erreur, vous en atteignez le bout sans que vous soyez arrivé au fait qu'elles vous transmettent. Quel fait que les dynasties des Egyptiens ! Elles remontoient à plusieurs milliers d'années : mais il s'en faut bien que les lignes traditionnelles les conduisissent jusque-là. Si on y prenoit garde, on verroit que ce n'est point un fait qu'on nous objecte ici, mais une opinion, à laquelle l'orgueil des Egyptiens avoit donné naissance. Il ne faut point confondre ce que nous appellons fait, & dont nous parlons ici, avec ce que les différentes nations croyent sur leur origine. Il ne faut qu'un savant, quelquefois un visionnaire, qui prétende après bien des recherches avoir découvert les vrais fondateurs d'une monarchie ou d'une république, pour que tout un pays y ajoûte foi : surtout si cette origine flatte quelqu'une des passions des peuples que cela intéresse : mais alors c'est la découverte d'un savant ou la rêverie d'un visionnaire, & non un fait. Cela sera toûjours problématique, à moins que ce savant ne trouve le moyen de rejoindre tous les différens fils de la tradition, par la découverte de certaines histoires ou de quelques inscriptions qui feront parler une infinité de monumens, qui avant cela ne nous disoient rien. Aucun des faits qu'on cite, n'a les deux conditions que je demande ; savoir un grand nombre de lignes traditionnelles qui nous les transmettent ; ensorte qu'en remontant au moins par la plus grande partie de ces lignes, nous puissions arriver au fait. Quels sont les témoins oculaires qui ont déposé pour le fait de Remus & de Romulus ? y en a-t-il un grand nombre, & ce fait nous a-t-il été transmis sur des lignes fermes, qu'on me permette ce terme ? On voit que tous ceux qui en ont parlé, l'ont fait d'une maniere douteuse. Qu'on voye si les Romains ne croyoient pas différemment les actions mémorables des Scipions ? C'étoit donc plutôt une opinion chez eux qu'un fait. On a tant écrit sur la papesse Jeanne, qu'il seroit plus que superflu de m'y arrêter. Il me suffit d'observer que cette fable doit plûtôt son origine à l'esprit de parti, qu'à des lignes traditionnelles. Et qui est-ce qui a crû l'histoire de la sainte ampoule ? Je puis dire au moins que si ce fait a été transmis comme vrai, il a été transmis en même tems comme faux ; desorte qu'il n'y a qu'une ignorance grossiere, qui puisse faire donner dans une pareille superstition.

Mais je voudrois bien savoir sur quelle preuve le Sceptique que je combats regarde les dynasties des Egyptiens, comme fabuleuses, & tous les autres faits qu'il a cités ; car il faut qu'il puisse se transporter dans les tems où ces différentes erreurs occupoient l'esprit des peuples, il faut qu'il se rende, pour ainsi dire, leur contemporain, afin que partant de ce point avec eux, il puisse voir qu'ils suivent un chemin qui les conduit infailliblement à l'erreur, & que toutes leurs traditions sont fausses : or je le défie d'y parvenir sans le secours de la tradition ; je le défie encore bien plus de faire cet examen, & de porter ce jugement, s'il n'a aucune regle qui puisse lui faire discerner les vraies traditions d'avec les fausses. Qu'il nous dise donc la raison qui lui fait prendre tous ces faits pour apocryphes ; & il se trouvera que contre son intention il établira ce qu'il prétend attaquer. Me direz-vous que tout ce que j'ai dit peut être bon, lorsqu'il s'agira de faits naturels, mais que cela ne sauroit démontrer la vérité des faits miraculeux ; qu'un grand nombre de ces faits, quoique faux, passent à la postérité sur je ne sai combien de lignes traditionnelles ? Fortifiez si vous voulez votre difficulté par toutes les folies qu'on lit dans l'Alcoran, & que le crédule Mahométan respecte ; décorez-la de l'enlevement de Romulus qu'on a tant fait valoir ; distillez votre fiel sur toutes ces fables pieuses, qu'on croit moins qu'on ne les tolere par pur ménagement : que conclurrez-vous de là ? qu'on ne sauroit avoir des regles qui puissent faire discerner les vraies traditions d'avec les fausses sur les miracles ?

Je vous réponds que les regles sont les mêmes pour les faits naturels & miraculeux : vous m'opposez des faits, & aucun de ceux que vous citez n'a les conditions que j'exige. Ce n'est point ici le lieu d'examiner les miracles de Mahomet, ni d'en faire le parallele avec ceux qui démontrent la religion Chrétienne. Tout le monde sait que cet imposteur a toûjours opéré ses miracles en secret : s'il a eu des visions, personne n'en a été témoin : si les arbres par respect devenus sensibles s'inclinent en sa présence, s'il fait descendre la lune en terre, & la renvoye dans son orbite ; seul présent à ces prodiges, il n'a point éprouvé de contradicteurs : tous les témoignages de ce fait se réduisent donc à celui de l'auteur même de la fourberie ; c'est-là que vont aboutir toutes ces lignes traditionnelles dont on nous parle : je ne vois point là de foi raisonnée, mais la plus superstitieuse crédulité. Peut-on nous opposer des faits si mal prouvés, & dont l'imposture se découvre par les regles que nous avons nous-mêmes établies ? Je ne pense pas qu'on nous oppose sérieusement l'enlevement de Romulus au ciel, & son apparition à Proculus : cette apparition n'est appuyée que sur la déposition d'un seul témoin, déposition dont le seul peuple fut la dupe ; les sénateurs firent à cet égard ce que leur politique demandoit : en un mot je défie qu'on me cite un fait qui dans son origine se trouve revêtu des caracteres que j'ai assignés, qui soit transmis à la postérité sur plusieurs lignes collatérales qui commenceront au fait même, & qu'il se trouve pourtant faux.

Vous avez raison, dit M. Craig ; il est impossible qu'on ne connoisse la vérité de certains faits, dès qu'on est voisin des tems où ils sont arrivés ; les caracteres dont ils sont empreints sont si frappans & si clairs, qu'on ne sauroit s'y méprendre. Mais la durée des tems obscurcit & efface, pour ainsi dire, ces caracteres : les faits les mieux constatés dans certains tems, se trouvent dans la suite réduits au niveau de l'imposture & du mensonge ; & cela parce que la force des témoignages va toûjours en décroissant ; ensorte que le plus haut degré de certitude est produit par la vûe même des faits ; le second, par le rapport de ceux qui les ont vûs ; le troisieme, par la simple déposition de ceux qui les ont seulement oüis raconter aux témoins des témoins ; & ainsi de suite à l'infini.

Les faits de César & d'Alexandre suffisent pour démontrer la vanité des calculs du géometre Anglois : car nous sommes aussi convaincus actuellement de l'existence de ces deux grands capitaines, qu'on l'étoit il y a quatre cent ans ; & la raison en est bien simple ; c'est que nous avons les mêmes preuves de ces faits qu'on avoit en ce tems-là. La succession qui se fait dans les différentes générations de tous les siecles, ressemble à celle du corps humain, qui possede toûjours la même essence, la même forme, quoique la matiere qui le compose à chaque instant se dissipe en partie, & à chaque instant soit renouvellée par celle qui prend sa place. Un homme est toûjours un tel homme, quelque renouvellement imperceptible qui se soit fait dans la substance de son corps, parce qu'il n'éprouve point tout à la fois de changement total : de même les différentes générations qui se succedent doivent être regardées comme étant les mêmes, parce que le passage des unes aux autres est imperceptible. C'est toûjours la même société d'hommes qui conserve la mémoire de certains faits ; comme un homme est aussi certain dans sa vieillesse de ce qu'il a vû d'éclatant dans sa jeunesse, qu'il l'étoit deux ou trois ans après cette action. Ainsi il n'y a pas plus de différence entre les hommes qui forment la société de tel & tel tems, qu'il y a entre une personne âgée de vingt ans, & cette même personne âgée de soixante : par conséquent le témoignage des différentes générations est aussi digne de foi, & ne perd pas plus de sa force, que celui d'un homme qui à vingt ans raconteroit un fait qu'il vient de voir, & à soixante, le même fait qu'il auroit vû quarante ans auparavant. Si l'auteur Anglois avoit voulu dire seulement que l'impression que fait un évenement sur les esprits, est d'autant plus vive & plus profonde, que le fait est plus récent, il n'auroit rien dit que de très-vrai. Qui ne sait qu'on est bien moins touché de ce qui se passe en récit, que de ce qui est exposé sur la scene aux yeux des spectateurs ? L'homme que son imagination servira le mieux à aider les acteurs à le tromper, sur la réalité de l'action qu'on lui représente, sera le plus touché & le plus vivement émû. La sanglante journée de la saint Barthélemy, ainsi que l'assassinat d'un de nos meilleurs rois, ne fait pas à beaucoup près sur nous la même impression, que ces deux évenemens en firent autrefois sur nos ancêtres. Tout ce qui n'est que de sentiment passe avec l'objet qui l'excite ; & s'il lui survit, c'est toûjours en s'affoiblissant, jusqu'à ce qu'il vienne à s'épuiser tout entier : mais pour la conviction qui naît de la force des preuves, elle subsiste universellement. Un fait bien prouvé passe à travers l'espace immense des siecles, sans que la conviction perde l'empire qu'elle a sur notre esprit, quelque décroissement qu'il éprouve dans l'impression qu'il fait sur le coeur. Nous sommes en effet aussi certains du meurtre de Henri le grand, que l'étoient ceux qui vivoient dans ce tems-là : mais nous n'en sommes pas si touchés.

Ce que nous venons de dire en faveur de la tradition, ne doit point nous empêcher d'avoüer que nous saurions fort peu de faits, si nous n'étions instruits que par elle ; parce que cette espece de tradition ne peut être fidele dépositaire, que lorsqu'un évenement est assez important pour faire dans l'esprit de profondes impressions, & qu'il est assez simple pour s'y conserver aisément ; ce n'est pas que sur un fait chargé de circonstances, & d'ailleurs peu intéressant, elle puisse nous induire en erreur ; car alors le peu d'accord qu'on trouveroit dans les témoignages nous en mettroit à couvert : seule elle peut nous apprendre des faits simples & éclatans ; & si elle nous transmet un fait avec la tradition écrite, elle sert à la confirmer : celle-ci fixe la mémoire des hommes, & conserve jusqu'au plus petit détail, qui sans elle nous échapperoit. C'est le second monument propre à transmettre les faits, & que nous allons maintenant développer.

On diroit que la nature, en apprenant aux hommes l'art de conserver leurs pensées par le moyen de diverses figures, a pris plaisir à faire passer dans tous les siecles des témoins oculaires des faits qui sont les plus cachés dans la profondeur des âges afin qu'on n'en puisse douter. Que diroient les Sceptiques, si par une espece d'enchantement, des témoins oculaires étoient comme détachés de leurs siecles, pour parcourir ceux où ils ne vécurent pas, afin de sceller de vive voix la vérité de certains faits ? Quel respect n'auroient-ils point pour le témoignage de ces vénérables vieillards ! pourroient-ils douter de ce qu'ils leur diroient ? Telle est l'innocente magie que l'histoire se propose parmi nous : par elle les témoins eux-mêmes semblent franchir l'espace immense qui les sépare de nous ; ils traversent les siecles, & attestent dans tous les tems la vérité de ce qu'ils ont écrit. Il y a plus ; j'aime mieux lire un fait dans plusieurs historiens qui s'accordent, que de l'apprendre de la bouche même de ces vénérables vieillards dont j'ai parlé : je pourrois faire mille conjectures sur leurs passions, sur leur pente naturelle à dire des choses extraordinaires. Ce petit nombre de vieillards, qui seroient doüés du privilége des premiers patriarches pour vivre si long-tems, se trouvant nécessairement unis de la plus étroite amitié, & ne craignant point d'un autre côté d'être démentis par des témoins oculaires ou contemporains, pourroient s'entendre facilement pour se joüer du genre humain, ils pourroient se plaire à raconter grand nombre de prodiges faux, dont ils se diroient les témoins, s'imaginant partager avec les fausses merveilles qu'ils débiteroient, l'admiration qu'elles font naître dans l'ame du vulgaire crédule. Ils ne pourroient trouver de contradiction que dans la tradition qui auroit passé de bouche en bouche. Mais quels sont les hommes qui n'ayant appris ces faits que par le canal de la tradition, oseroient disputer contre une troupe de témoins oculaires, dont les rides d'ailleurs vénérables feroient une si grande impression sur les esprits ? On sent bien que peu-à-peu ces vieillards pourroient faire changer les traditions : mais ont-ils une fois parlé dans des écrits, ils ne sont plus libres de parler autrement : les faits qu'ils ont, pour ainsi dire, enchaînés dans les différentes figures qu'ils ont tracées, passent à la postérité la plus reculée. Et ce qui les justifie, ces faits, & met en même tems l'histoire au-dessus du témoignage qu'ils rendroient actuellement de bouche, c'est que dans le tems qu'ils les écrivirent ils étoient entourés de témoins oculaires & contemporains, qui auroient pû les démentir facilement s'ils avoient altéré la vérité. Nous joüissons, eu égard aux historiens, des mêmes priviléges dont joüissoient les témoins oculaires des faits qu'ils racontent : or il est certain qu'un historien ne sauroit en imposer aux témoins oculaires & contemporains. Si quelqu'un faisoit paroître aujourd'hui une histoire remplie de faits éclatans & intéressans arrivés de nos jours, & dont personne n'eût entendu parler avant cette histoire ; pensez-vous qu'elle passât à la postérité sans contradiction ? le mépris dans lequel elle tomberoit suffiroit seul pour préserver la postérité des impostures qu'elle contiendroit.

L'histoire a de grands avantages, même sur les témoins oculaires : qu'un seul témoin vous apprenne un fait : quelque connoissance que vous ayez de ce témoin, comme elle ne sera jamais parfaite, ce fait ne deviendra pour vous que plus ou moins probable ; vous n'en serez assûré que lorsque plusieurs témoins déposeront en sa faveur, & que vous pourrez, comme je l'ai dit, combiner leurs passions & leurs intérêts ensemble. L'histoire vous fait marcher d'un pas plus assûré : lorsqu'elle vous rapporte un fait éclatant & intéressant, ce n'est pas l'historien seul qui vous l'atteste, mais une infinité de témoins qui se joignent à lui. En effet, l'histoire parle à tout son siecle : ce n'est pas pour apprendre les faits intéressans que les contemporains la lisent, puisque plusieurs d'entr'eux sont les auteurs de ces faits ; c'est pour admirer la liaison des faits, la profondeur des réflexions, les coloris des portraits, & sur-tout son exactitude. Les histoires de Mainbourg sont moins tombées dans le mépris par la longueur de leurs périodes, que par leur peu de fidélité. Un historien ne sauroit donc en imposer à la postérité, que son siecle ne s'entende, pour ainsi dire, avec lui. Or quelle apparence ? ce complot n'est-il pas aussi chimérique que celui de plusieurs témoins oculaires ? c'est précisément la même chose. Je trouve donc les mêmes combinaisons à faire avec un seul historien qui me rapporte un fait intéressant, que si plusieurs témoins oculaires me l'attestoient. Si plusieurs personnes pendant la derniere guerre étoient arrivées dans une ville neutre, à Liége, par exemple, & qu'elles eussent vû une foule d'officiers François, Anglois, Allemands, & Hollandois, tous pêle-mêle confondus ensemble ; si à leur approche elles avoient demandé chacune à leur voisin de quoi on parloit, & qu'un officier François leur eût répondu, on parle de la victoire que nous remportâmes hier sur les ennemis, ou les Anglois sur-tout furent entierement défaits ; ce fait sera sans-doute probable pour ces étrangers qui arrivent : mais ils n'en seront absolument assûrés que lorsque plusieurs officiers se seront joints ensemble pour le leur confirmer. Si au contraire à leur arrivée un officier François élevant la voix de façon à se faire entendre de fort loin, leur apprend cette nouvelle avec de grandes démonstrations de joie, ce fait deviendra pour eux certain ; ils ne sauroient en douter, parce que les Anglois, les Allemands, & les Hollandois qui sont présens, déposent en faveur de ce fait, dès qu'ils ne reclament pas. C'est ce que fait un historien lorsqu'il écrit ; il éleve la voix, & se fait entendre de tout son siecle, qui dépose en faveur de ce qu'il raconte d'intéressant s'il ne reclame pas : ce n'est pas un seul homme qui parle à l'oreille d'un autre, & qui peut le tromper ; c'est un homme qui parle au monde entier, & qui ne sauroit par conséquent tromper. Le silence de tous les hommes dans cette circonstance les fait parler comme cet historien : il n'est pas nécessaire que ceux qui sont intéressés à ne pas croire un fait, & même à ce qu'on ne le croye pas, avouent qu'on doit y ajoûter foi, & déposent formellement en sa faveur ; il suffit qu'ils ne disent rien, & ne laissent rien qui puisse prouver la fausseté de ce fait : car si je ne vois que des raisonnemens contre un fait, quand on auroit pû dire ou laisser des preuves invincibles de l'imposture, je dois invariablement m'en tenir à l'historien qui me l'atteste. Et croit-on, pour en revenir à l'exemple que j'ai déjà cité, que ces étrangers se fussent contentés des discours vagues des Anglois sur la supériorité de leur nation au-dessus des François, pour ne pas ajoûter foi à la nouvelle que leur disoit d'une voix élevée & ferme l'officier François, qui paroissoit bien ne pas craindre des contradicteurs ? non sans-doute ; ils auroient trouvé les discours déplacés, & leur auroient demandé si ce que disoit ce François étoit vrai ou faux, qu'il ne falloit que cela à présent.

Puisqu'un seul historien est d'un si grand poids sur des faits intéressans, que doit-on penser lorsque plusieurs historiens nous rapportent les mêmes faits ? pourra-t-on croire que plusieurs personnes se soient données le mot pour attester un même mensonge & se faire mépriser de leurs contemporains ? Ici on pourra combiner & les historiens ensemble, & ces mêmes historiens avec les contemporains qui n'ont pas réclamé.

Un livre, dites-vous, ne sauroit avoir aucune autorité, à moins que l'on ne soit sûr qu'il est authentique : or qui nous assûrera que ces histoires qu'on nous met en main ne sont point supposées, & qu'elles appartiennent véritablement aux auteurs à qui on les attribue ? Ne sait-on pas que l'imposture s'est occupée dans tous les tems à forger des monumens, à fabriquer des écrits sous d'anciens noms, pour colorer par cet artifice, d'une apparence d'antiquité, aux yeux d'un peuple idiot & imbécille, les traditions les plus fausses & les plus modernes ?

Tous ces reproches que l'on fait contre la supposition des livres sont vrais, on en a sans-doute supposé beaucoup. La critique sévere & éclairée des derniers tems à découvert l'imposture ; & à-travers ces rides antiques dont on affectoit de les défigurer, elle a apperçû cet air de jeunesse qui les a trahis Mais malgré la sévérité qu'elle a exercée, a-t-elle touché aux commentaires de César, aux poésies de Virgile & d'Horace ? Comment a-t-on reçû le sentiment du P. Hardouin, lorsqu'il a voulu enlever à ces deux grands hommes ces chefs-d'œuvre qui immortalisent le siecle d'Auguste ? qui n'a point senti que le silence du cloître n'étoit pas propre à ces tours fins & délicats qui décelent l'homme du grand monde ? La critique, en faisant disparoître plusieurs ouvrages apocryphes & en les précipitant dans l'oubli, a confirmé dans leur antique possession ceux qui sont légitimes, & a répandu sur eux un nouveau jour. Si d'une main elle a renversé, on peut dire que de l'autre elle a bâti. A la lueur de son flambeau, nous pouvons pénétrer jusque dans les sombres profondeurs de l'antiquité, & discerner par ses propres regles les ouvrages supposés d'avec les ouvrages authentiques. Quelles regles nous donne-t-elle pour cela ?

1°. Si un ouvrage n'a point été cité par les contemporains de celui dont il porte le nom, qu'on n'y apperçoive pas même son caractere, & qu'on ait eu quelque intérêt, soit réel, soit apparent à sa supposition, il doit alors nous paroître suspect : ainsi un Artapan, un Mercure Trismégiste, & quelques autres auteurs de cette trempe, cités par Josephe, par Eusebe, & par George Syncelle, ne portent point le caractere de payens, & dès-là ils portent sur leur front leur propre condamnation. On a eu le même intérêt à les supposer, qu'à supposer Aristée & les Sibylles ; lesquelles, pour me servir des termes d'un homme d'esprit, ont parlé si clairement de nos mysteres que, les prophetes des Hébreux, en comparaison d'elles, n'y entendoient rien. 2°. Un ouvrage porte avec lui des marques de sa supposition, lorsqu'on n'y voit pas empreint le caractere du siecle où il passe pour avoir été écrit. Quelque différence qu'il y ait dans tous les esprits qui composent un même siecle, on peut pourtant dire qu'ils ont quelque chose de plus propre que les esprits des autres siecles, dans l'air, dans le tour, dans le coloris de la pensée, dans certaines comparaisons dont on se sert plus fréquemment, & dans mille autres petites choses qu'on remarque aisément lorsqu'on examine de près les ouvrages. 3°. Une autre marque de supposition, c'est quand un livre fait allusion à des usages qui n'étoient pas encore connus au tems où l'on dit qu'il a été écrit ; ou qu'on y remarque quelques traits de systèmes postérieurement inventés, quoique cachés, &, pour ainsi dire, déguisés sous un style plus ancien. Ainsi les ouvrages de Mercure Trismégiste (je ne parle pas de ceux qui furent supposés par les Chrétiens, j'en ai fait mention plus haut, mais de ceux qui le furent par les payens eux-mêmes, pour se défendre contre les attaques de ces premiers), par cela même qu'ils sont teints de la doctrine subtile & raffinée des Grecs, ne sont point authentiques.

S'il est des marques auxquelles une critique judicieuse reconnoît la supposition de certains ouvrages, il en est d'autres aussi qui lui servent, pour ainsi dire, de boussole, & qui la guident dans le discernement de ceux qui sont authentiques. En effet, comment pouvoir soupçonner qu'un livre a été supposé, lorsque nous le voyons cité par des anciens écrivains, & fondé sur une chaîne non-interrompue de témoins conformes les uns aux autres, sur-tout si cette chaîne commence au tems où l'on dit que ce livre a été écrit & ne finit qu'à nous ? D'ailleurs, n'y eût-il point d'ouvrages qui en citassent un autre comme appartenant à tel auteur, pour en reconnoître l'authenticité, il me suffiroit qu'il m'eût été apporté comme étant d'un tel auteur, par une tradition orale, soûtenue, sans interruption depuis son époque jusqu'à moi, sur plusieurs lignes collatérales. Il y a outre cela des ouvrages qui tiennent à tant de choses, qu'il seroit fou de douter de leur authenticité. Mais, selon moi la plus grande marque de l'authenticité d'un livre, c'est lorsque depuis long-tems on travaille à sapper son antiquité pour l'enlever à l'auteur à qui on l'attribue, & qu'on n'a pû trouver pour cela que des raisons si frivoles, que ceux même qui sont ses ennemis déclarés, à peine daignent s'y arrêter. Il y a des ouvrages qui intéressent plusieurs royaumes, des nations entieres, le monde même, qui par cela même ne sauroient être supposés. Les uns contiennent les annales de la nation & ses titres ; les autres, ses lois & ses coûtumes ; enfin il y en a qui contiennent leur religion. Plus on accuse les hommes en général d'être superstitieux & peureux, pour me servir de l'expression à la mode, & plus on doit avoüer qu'ils ont toûjours les yeux ouverts sur ce qui intéresse leur religion. L'Alcoran n'auroit jamais été transporté au tems de Mahomet, s'il avoit été écrit long-tems après sa mort. C'est que tout un peuple ne sauroit ignorer l'époque d'un livre qui regle sa croyance, & fixe toutes ses espérances. Allons plus loin : en quel tems voudroit-on qu'on puisse supposer une histoire qui contiendroit des faits très-intéressans, mais apocryphes ? ce n'est point sans-doute du vivant de l'auteur à qui on l'attribue, & qui démasqueroit le fourbe ; & si l'on veut qu'une telle imposture puisse ne lui être pas connue, ce qui comme on voit est presque impossible, tout le monde ne s'inscriroit-il pas en faux contre les faits que cette histoire contiendroit ? Nous avons démontré plus haut, qu'un historien ne sauroit en imposer à son siecle. Ainsi un imposteur, sous quelque nom qu'il mette son histoire, ne sauroit induire en erreur les témoins oculaires ou contemporains ; sa fourberie passeroit à la postérité. Il faut donc qu'on dise que long-tems après la mort de l'auteur prétendu, on lui a supposé cette histoire. Il sera nécessaire pour cela qu'on dise aussi, que cette histoire a été long-tems inconnue, auquel cas elle devient suspecte si elle contient des faits intéressans, & qu'elle soit l'unique qui les rapporte : car si les mêmes faits qu'elle rapporte sont contenus dans d'autres histoires, la supposition est dès-lors inutile. Je n'imagine pas qu'on prétende qu'il soit possible de persuader à tous les hommes qu'ils ont vû ce livre-là de tout tems, & qu'il ne paroît pas nouvellement. Ne sait-on point avec quelle exactitude on examine un manuscrit nouvellement découvert, quoique ce manuscrit ne soit souvent qu'une copie de plusieurs autres qu'on a déjà ? Que feroit-on s'il étoit unique dans son genre ? Il n'est donc pas possible de fixer un tems où certains livres trop intéressans par leur nature ayent pû être supposés.

Ce n'est pas tout, me direz-vous : il ne suffit pas qu'on puisse s'assûrer de l'authenticité d'un livre, il faut encore qu'on soit certain qu'il est parvenu à nous sans altération. Or qui me garantira que l'histoire dont vous vous servez pour prouver tel fait, soit venue jusqu'à moi dans toute sa pureté ? la diversité des manuscrits ne semble-t-elle pas nous indiquer les changemens qui lui sont arrivés : après cela quel fonds voulez-vous que je fasse sur les faits que cette histoire me rapporte ?

Il n'y a que la longueur des tems & la multiplicité des copies qui puissent occasionner de l'altération dans les manuscrits. Je ne crois pas qu'on me conteste cela. Or ce qui procure le mal, nous donne en même tems le remede : car s'il y a une infinité de manuscrits, il est évident qu'en tout ce qu'ils s'accordent, c'est le texte original. Vous ne pourrez donc refuser d'ajoûter foi à ce que tous ces manuscrits rapporteront d'un concert unanime. Sur les variantes vous êtes libre, & personne ne vous dira jamais que vous êtes obligé de vous conformer à tel manuscrit plûtôt qu'à tel autre, dès qu'ils ont tous les deux la même autorité. Prétendrez-vous qu'un fourbe peut altérer tous les manuscrits ? Il faudroit pour cela pouvoir marquer l'époque de cette altération : mais peut-être que personne ne se sera apperçû de la fraude ? Quelle apparence, sur-tout si ce livre est extrèmement répandu, s'il intéresse des nations entieres, si ce livre se trouve la regle de leur conduite, ou si par le goût exquis qui y regne, il fait les délices des honnêtes gens ? Seroit-il possible à un homme, quelque puissance qu'on lui suppose, de défigurer les vers de Virgile, ou de changer les faits intéressans de l'histoire Romaine que nous lisons dans Tite-Live & dans les autres historiens ? Fût-on assez adroit pour altérer en secret toutes les éditions & tous les manuscrits, ce qui est impossible ; on découvriroit toûjours l'imposture, parce qu'il faudroit de plus altérer toutes les mémoires : ici la tradition orale défendroit la véritable histoire. On ne sauroit tout d'un coup faire changer les hommes de croyance sur certains faits. Il faudroit encore de plus renverser tous les monumens, comme on verra bientôt : les monumens assûrent la vérité de l'histoire, ainsi que la tradition orale. Arrêtez vos yeux sur l'Alcoran, & cherchez un tems où ce livre auroit pû être altéré depuis Mahomet jusqu'à nous. Ne croyez-vous pas que nous l'avons tel, au moins quant à la substance, qu'il a été donné par cet imposteur ? Si ce livre avoit été totalement bouleversé, & que l'altération en eût fait un tout différent de celui que Mahomet a écrit, nous devrions voir aussi une autre religion chez les Turcs, d'autres usages, & même d'autres moeurs ; car tout le monde sait combien la religion influe sur les moeurs. On est surpris quand on développe ces choses-là, comment quelqu'un peut les avancer. Mais comment ose-t-on nous faire tant valoir ces prétendues altérations ? Je défie qu'on nous fasse voir un livre connu & intéressant qui soit altéré de façon que les différentes copies se contredisent dans les faits qu'elles rapportent, sur-tout s'ils sont essentiels. Tous les manuscrits & toutes les éditions de Virgile, d'Horace, ou de Ciceron, se ressemblent à quelque legere différence près. On peut dire de même de tous les livres. On verra dans le premier livre de cet ouvrage, en quoi consiste l'altération qu'on reproche au Pentateuque, & dont on a prétendu pouvoir par-là renverser l'autorité. Tout se réduit à des changemens de certains mots qui ne détruisent point le fait, & à des explications différentes des mêmes mots : tant il est vrai que l'altération essentielle est difficile dans un livre intéressant ; car de l'aveu de tout le monde, le Pentateuque est un des livres les plus anciens que nous connoissions.

Les regles que la critique nous fournit pour connoître la supposition & l'altération des livres, ne suffisent point, dira quelqu'un ; elle doit encore nous en fournir pour nous prémunir contre le mensonge si ordinaire aux historiens. L'histoire, en effet, que nous regardons comme le registre des évenemens des siecles passés, n'est le plus souvent rien moins que cela Au lieu de faits véritables, elle repaît de fables notre folle curiosité. Celle des premiers siecles est couverte de nuages ; ce sont pour nous des terres inconnues où nous ne pouvons marcher qu'en tremblant. On se tromperoit, si l'on croyoit que les histoires qui se rapprochent de nous, sont pour cela plus certaines. Les préjugés, l'esprit de parti, la vanité nationale, la différence des religions, l'amour du merveilleux ; voilà autant de sources ouvertes, d'où la fable se répand dans les annales de tous les peuples. Les historiens, à force de vouloir embellir leur histoire & y jetter de l'agrément, changent très souvent les faits ; en y ajoûtant certaines circonstances, ils les défigurent de façon à ne pouvoir pas les reconnoître. Je ne m'étonne plus que plusieurs, sur la foi de Cicéron & de Quintilien, nous disent que l'histoire est une poésie libre de la versification. La différence de religion & les divers sentimens, qui dans les derniers siecles ont divisé l'Europe, ont jetté dans l'histoire moderne autant de confusion, que l'antiquité en a apportée dans l'ancienne. Les mêmes faits, les mêmes évenemens deviennent tous différens, suivant les plumes qui les ont écrits. Le même homme ne se ressemble point dans les différentes vies qu'on a écrites de lui. Il suffit qu'un fait soit avancé par un Catholique, pour qu'il soit aussitôt démenti par un Luthérien ou par un Calviniste. Ce n'est pas sans raison que Bayle dit de lui, qu'il ne lisoit jamais les historiens dans la vûe de s'instruire des choses qui se sont passées, mais seulement pour savoir ce que l'on disoit dans chaque nation & dans chaque parti. Je ne crois pas après cela qu'on puisse exiger la foi de personne sur de tels garants.

On auroit dû encore grossir la difficulté de toutes les fausses anecdotes & de toutes ces historiettes du tems qui courent, & conclure de-là que tous les faits qu'on lit dans l'Histoire Romaine sont pour le moins douteux.

Je ne comprends pas comment on peut s'imaginer renverser la foi historique avec de pareils raisonnemens. Les passions qu'on nous oppose sont précisément le plus puissant motif que nous ayons pour ajoûter foi à certains faits. Les Protestans sont extrèmement envenimés contre Louis XIV : y en a-t-il un qui, malgré cela, ait osé desavoüer le célebre passage du Rhin ? Ne sont-ils point d'accord avec les Catholiques sur les victoires de ce grand roi ? Ni les préjugés, ni l'esprit de parti, ni la vanité nationale, n'operent rien sur des faits éclatans & intéressans. Les Anglois pourront bien dire qu'ils n'ont pas été secourus à la journée de Fontenoi ; la vanité nationale pourra leur faire diminuer le prix de la victoire, & la compenser, pour ainsi dire, par le nombre : mais ils ne desavoüeront jamais que les François soient restés victorieux. Il faut donc bien distinguer les faits que l'Histoire rapporte d'avec les réflexions de l'historien : celles-ci varient selon ses passions & ses intérêts ; ceux-là demeurent invariablement les mêmes. Jamais personne n'a été peint si différemment que l'amiral de Coligni & le duc de Guise : les Protestans ont chargé le portrait de celui-ci de mille traits qui ne lui convenoient pas ; & les Catholiques, de leur côté, ont refusé à celui-là des coups de pinceau qu'il méritoit. Les deux partis se sont pourtant servis des mêmes faits pour les peindre ; car quoique les Calvinistes disent que l'amiral de Coligni étoit plus grand homme de guerre que le duc de Guise, ils avoüent pourtant que Saint-Quentin, que l'amiral défendoit, fut pris d'assaut, & qu'il y fut lui-même fait prisonnier ; & qu'au contraire le duc de Guise sauva Metz contre les efforts d'une armée nombreuse qui l'assiégeoit, animée de plus par la présence de Charles-Quint : mais, selon eux, l'amiral fit plus de coups de maitre, plus d'actions de coeur, d'esprit, & de vigilance, pour défendre Saint-Quentin, que le duc de Guise pour défendre Metz. On voit donc que les deux partis ne se séparent que lorsqu'il s'agit de raisonner sur les faits, & non sur les faits mêmes. Ceux qui nous font cette difficulté, n'ont qu'à jetter les yeux sur une réflexion de l'illustre Monsieur de Fontenelle, qui, en parlant des motifs que les historiens prêtent à leurs héros, nous dit : " Nous savons fort bien que les historiens les ont devinés, comme ils ont pû, & qu'il est presque impossible qu'ils ayent deviné tout-à-fait juste. Cependant nous ne trouvons point mauvais que les historiens ayent recherché cet embellissement, qui ne sort point de la vraisemblance ; & c'est à cause de cette vraisemblance, que ce mélange de faux que nous reconnoissons, qui peut être dans nos histoires, ne nous les fait pas regarder comme des fables ". Tacite prête des vûes politiques & profondes à ses personnages, où Tite-Live ne verroit rien que de simple & de naturel. Croyez les faits qu'il rapporte, & examinez sa politique ; il est toûjours aisé de distinguer ce qui est de l'historien d'avec ce qui lui est étranger. Si quelque passion le fait agir, elle se montre, & aussi-tôt que vous la voyez, elle n'est plus à craindre. Vous pouvez donc ajoûter foi aux faits que vous lisez dans une histoire, sur-tout si ce même fait est rapporté par d'autres historiens, quoique sur d'autres choses ils ne s'accordent point. Cette pente qu'ils ont à se contredire les uns les autres, vous assûre de la vérité des faits sur lesquels ils s'accordent.

Les historiens, me direz-vous, mêlent quelquefois si adroitement les faits avec leurs propres réflexions auxquelles ils donnent l'air de faits, qu'il est très-difficile de les distinguer. Il ne sauroit jamais être difficile de distinguer un fait éclatant & intéressant des propres réflexions de l'historien ; & d'abord ce qui est précisément rapporté de même par plusieurs historiens, est évidemment un fait ; parce que plusieurs historiens ne sauroient faire précisément la même réflexion. Il faut donc que ce en quoi ils se rencontrent ne dépende pas d'eux, & leur soit totalement étranger : il est donc facile de distinguer les faits d'avec les réflexions de l'historien, dès que plusieurs historiens rapportent le même fait. Si vous lisez ce fait dans une seule histoire, consultez la tradition orale ; ce qui vous viendra par elle ne sauroit être à l'historien ; car il n'auroit pas pû confier à la tradition qui le précede, ce qu'il n'a pensé que longtems après. Voulez-vous vous assûrer encore davantage ? Consultez les monumens, troisieme espece de tradition propre à faire passer les faits à la postérité.

Un fait éclatant & qui intéresse, entraîne toûjours des suites après lui ; souvent il fait changer la face de toutes les affaires d'un très grand pays : les peuples jaloux de transmettre ces faits à la postérité, employent le marbre & l'airain pour en perpétuer la mémoire. On peut dire d'Athenes & de Rome, qu'on y marche encore aujourd'hui sur des monumens qui confirment leur histoire : cette espece de tradition, après la tradition orale, est la plus ancienne ; les peuples de tous les tems ont été très-attentifs à conserver la mémoire de certains faits. Dans ces premiers tems voisins du cahos, un monceau de pierres brutes avertissoit qu'en cet endroit il s'étoit passé quelque chose d'intéressant. Après la découverte des Arts, on vit élever des colonnes & des pyramides pour immortaliser certaines actions ; dans la suite les hiérogliphes les désignerent plus particulierement : l'invention des lettres soulagea la mémoire, & l'aida à porter le poids de tant de faits qui l'auroient enfin accablée. On ne cessa pourtant point d'ériger des monumens ; car les tems où l'on a le plus écrit, sont ceux où l'on a fait les plus beaux monumens de toute espece. Un évenement intéressant qui fait prendre la plume à l'historien, met le ciseau à la main du Sculpteur, le pinceau à la main du Peintre ; en un mot, échauffe le génie de presque tous les Artistes. Si l'on doit interroger l'histoire pour savoir ce que les monumens représentent, on doit aussi consulter les monumens pour savoir s'ils confirment l'histoire. Si quelqu'un voyoit les tableaux du célebre Rubens, qui font l'ornement de la galerie du palais du Luxembourg ; il n'y apprendroit, je l'avoue, aucun fait distinct ; ces tableaux l'avertiroient seulement d'admirer les chefs-d'œuvre d'un des plus grands Peintres : mais si après avoir lû l'histoire de Marie de Médicis, il se transportoit dans cette galerie, ce ne seroient plus de simples tableaux pour lui : ici il verroit la cérémonie du mariage de Henri le Grand avec cette princesse : là cette reine pleurer avec la France la mort de ce grand roi. Les monumens muets attendent que l'histoire ait parlé pour nous apprendre quelque chose ; l'histoire détermine le héros des exploits qu'on raconte, & les monumens les confirment. Quelquefois tout ce qu'on voit sous ses yeux sert à attester une histoire qu'on a entre les mains : passez en orient, & prenez la vie de Mahomet ; ce que vous verrez & ce que vous lirez, vous instruiront également de la révolution étonnante qu'a souffert cette partie du monde ; les églises changées en mosquées vous apprendront la nouveauté de la religion Mahométane ; vous y distinguerez les restes de l'ancien peuple de ceux qui les ont asservis ; aux beaux morceaux que vous y trouverez, vous reconnoîtrez aisément que ce pays n'a pas toûjours été dans la barbarie où il est plongé : chaque turban, pour ainsi dire, servira à vous confirmer l'histoire de cet imposteur.

Nous direz-vous que les erreurs les plus grossieres ont leurs monumens, ainsi que les faits les plus avérés, & que le monde entier étoit autrefois rempli de temples, de statues érigées en mémoire de quelque action éclatante des dieux que la superstition adoroit ? Nous opposerez-vous encore certains faits de l'histoire Romaine, comme ceux d'Attius Navius, & de Curtius ? Voici comme Tite-Live raconte ces deux faits. Attius Navius étant augure, Tarquinius Priscus voulut faire une augmentation à la cavalerie Romaine ; il n'avoit point consulté le vol des oiseaux, persuadé que la foiblesse de sa cavalerie qui venoit de paroître au dernier combat contre les Sabins, l'instruisoit beaucoup mieux sur la nécessité de son augmentation que tous les augures du monde. Attius Navius, augure zélé, l'arrêta & lui dit, qu'il n'étoit point permis de faire aucune innovation dans l'état, qu'elle n'eût été désignée par les oiseaux. Tarquin, outré de dépit, parce que, comme on dit, il n'ajoûtoit pas beaucoup de foi à ces sortes de choses : eh bien, dit-il à l'augure, vous qui connoissez l'avenir, ce que je pense est-il possible ? Celui-ci après avoir interrogé son art, lui répondit que ce qu'il pensoit étoit possible. Or, dit Tarquin, coupez cette pierre avec votre rasoir ; car c'étoit-là ce que je pensois. L'augure exécuta sur le champ ce que Tarquin desiroit de lui : en mémoire de cette action, on érigea sur le lieu même où elle s'étoit passée, à Attius Navius une statue, dont la tête étoit couverte d'un voile, & qui avoit à ses piés le rasoir & la pierre, afin que ce monument fît passer le fait à la postérité. Le fait de Curtius étoit aussi très-célebre : un tremblement de terre, ou je ne sai quelle autre cause, fit entr'ouvrir le milieu de la place publique, & y forma un gouffre d'une profondeur immense. On consulta les dieux sur cet évenement extraordinaire, & ils répondirent, qu'inutilement on entreprendroit de le combler ; qu'il falloit y jetter ce que l'on avoit de plus précieux dans Rome, & qu'à ce prix ce gouffre se refermeroit de lui-même. Curtius, jeune guerrier, plein d'audace & de fermeté, crut devoir ce sacrifice à sa patrie, & s'y précipita ; le gouffre se referma à l'instant, & cet endroit a retenu depuis le nom du lac Curtius, monument bien propre à le faire passer à la postérité. Voilà les faits qu'on nous oppose pour détruire ce que nous avons dit sur les monumens.

Un monument, je l'avoue, n'est pas un bon garant pour la vérité d'un fait, à moins qu'il n'ait été érigé dans le tems même où le fait est arrivé, pour en perpétuer le souvenir : si ce n'est que long-tems après, il perd toute son autorité par rapport à la vérité du fait, tout ce qu'il prouve, c'est que du tems où il fut érigé, la créance de ce fait étoit publique : mais comme un fait, quelque notoriété qu'il ait, peut avoir pour origine une tradition erronée, il s'ensuit que le monument qu'on élevera long-tems après ne peut le rendre plus croyable qu'il l'est alors. Or tels sont les monumens qui remplissoient le monde entier, lorsque les ténebres du paganisme couvroient toute la face de la terre. Ni l'histoire, ni la tradition, ni ces monumens ne remontoient jusqu'à l'origine des faits qu'ils représentoient ; ils n'étoient donc pas propres à prouver la vérité du fait en lui-même ; car le monument ne commence à servir de preuve que du jour qu'il est érigé : l'est-il dans le tems même du fait, il prouve alors sa réalité, parce qu'en quelque tems qu'il soit élevé, on ne sauroit douter qu'alors le fait ne passât pour constant : or un fait qui passe pour vrai dans le tems même qu'on dit qu'il est arrivé, porte par-là un caractere de vérité auquel on ne sauroit se méprendre, puisqu'il ne sauroit être faux, que les contemporains de ce fait n'ayent été trompés, ce qui est impossible sur un fait public & intéressant. Tous les monumens qu'on cite de l'ancienne Grece & des autres pays ne peuvent donc servir qu'à prouver que dans le tems qu'on les érigea on croyoit ces faits, ce qui est très-vrai ; & c'est ce qui démontre ce que nous disons, que la tradition des monumens est infaillible lorsque vous ne lui demandez que ce qu'elle doit rapporter, savoir la vérité du fait, lorsqu'ils remontent jusqu'au fait même, & la croyance publique sur un fait, lorsqu'ils n'ont été érigés que long-tems après ce fait. On trouve, il est vrai, les faits d'Attius Navius & de Curtius dans Tite-Live ; mais il ne faut que lire cet historien, pour être convaincu qu'ils ne nous sont point contraires. Tite-Live n'a jamais vû la statue d'Attius Navius, il n'en parle que sur un bruit populaire ; ce n'est donc pas un monument qu'on puisse nous opposer, il faudroit qu'il eût subsisté du tems de Tite-Live : & d'ailleurs qu'on compare ce fait avec celui de la mort de Lucrece, & les autres faits incontestables de l'histoire Romaine ; on verra que dans ceux-ci la plume de l'historien est ferme, assûrée, au lieu que dans celui-là elle chancelle, & le doute est comme peint dans sa narration (Id quia inauguratò Romulus fecerat, negavit Attius Navius, inclitus eâ tempestate augur, neque mutari neque novum constitui, nisi aves addixissent, posse. Ex eo irâ regi motâ eludereque artem (ut ferunt) agendum, inquit, divine tu, inaugura, fieri ne possit quod nunc ego mente concipio ? cum ille in augurio rem expertus profecto futuram dixisset ; at qui haec animo agitavi, te novaculâ cotem discissurum : cape haec & perage quod aves tuae fieri posse portendunt. Tum illum haud cunctanter discidisse cotem ferunt. Statua Attii posita capite velato, quo in loco res acta est, in comitio, in gradibus ipsis ad laevam curiae fuit ; cotem quoque eodem loco sitam fuisse memorant, ut esset ad posteros miraculi ejus monumentum. Titus Liv. I. Tarq. Prisc. reg.). Il y a plus, je crois que cette statue n'a jamais existé ; car enfin y a-t-il apparence que les prêtres & les augures, qui étoient si puissans à Rome, eussent souffert la ruine d'un monument qui leur étoit si favorable ? & si dans les orages qui faillirent à engloutir Rome, ce monument avoit été détruit, n'auroient-ils pas eu grand soin de le remettre sur pié dans un tems plus calme & plus serein ? Le peuple lui-même, superstitieux comme il étoit, l'auroit demandé. Cicéron qui rapporte le même fait, ne parle point de la statue, ni du rasoir, ni de la pierre qu'on voyoit à ses piés, il dit au contraire que la pierre & le rasoir furent enfoüis dans la place où le peuple Romain s'assembloit. Il y a plus, ce fait est d'une autre nature dans Cicéron que dans Tite-Live : dans celui-ci Attius Navius déplait à Tarquin, qui cherche à le rendre ridicule aux yeux du peuple, par une question captieuse qu'il lui fait : mais l'augure, en exécutant ce que Tarquin demande de lui, fait servir la subtilité même de ce roi philosophe à lui faire respecter le vol des oiseaux qu'il paroissoit mépriser. [ Ex quo factum est, ut eum (Attium Navium) ad se rex Priscus accerseret. Cujus cum tentaret scientiam auguratûs, dixit ei se cogitare quidam : id posset ne fieri consuluit. Ille, inaugurio acto, posse respondit : Tarquinius autem dixit se cogitasse cotem novaculâ posse præsidium. Tum Attium jussisse experiri, ita cotem in comitium allatam, inspectante & rege & populo, novaculâ esse discissam. In eo evenit ut & Tarquinius augure Attio Navio uteretur, & populus de suis rebus ad eum referret. Cotem autem illam & novaculam defossam in comitio, supraque impositum puteal accepimus. Cicer. de Divinit. lib. I.] Dans celui-là Attius Navius est une créature de Tarquin, & l'instrument dont il se sert pour tirer parti de la superstition des Romains. Bien loin de lui déplaire en s'ingérant dans les affaires d'état, c'étoit ce roi lui-même qui l'avoit appellé auprès de sa personne sans-doute pour l'y faire entrer. Dans Ciceron, la question que Tarquin fait à l'augure n'est point captieuse, elle paroît au contraire préparée pour nourrir & fomenter le superstition du peuple. Il la propose chez lui à Attius Navius, & non dans la place publique en présence du peuple, sans que l'augure s'y attendît. Ce n'est point la premiere pierre qui tombe sous la main dont on se sert pour satisfaire à la demande du roi, l'augure a soin de l'apporter avec lui : on voit en un mot dans Cicéron, Attius Navius d'intelligence avec Tarquin pour joüer le peuple ; l'augure & le roi paroissent penser de même sur le vol des oiseaux. Dans Tite-Live au contraire, Attius Navius est un payen dévot qui s'oppose avec zele à l'incrédulité d'un roi, dont la philosophie auroit pû porter coup aux superstitions du paganisme. Quel fond peut-on faire sur un fait sur lequel on varie tant, & quels monumens nous oppose-t-on ? ceux dont les auteurs qui en parlent ne conviennent pas. Si on écoute l'un, c'est une statue ; si on écoute l'autre, c'est une couverture. Selon Tite-Live le rasoir & la pierre se virent long-tems, & selon Cicéron on les enfoüit dans la place [ Cura non deesset si qua ad rerum via inquirentem ferret, nunc famâ rerum standum est, ubi certam derogat vetustas fidem ; & lacus nomen ab hac recentiore insignitiùs fabula est. Tit. Liv. lib. VII. q. serv. L.] Le fait de Curtius ne favorise pas davantage les Sceptiques ; Tite-Live lui-même qui le rapporte, nous fournit la réponse. Selon cet historien, il seroit difficile de s'assûrer de la vérité de ce fait si on vouloit la rechercher ; il sent qu'il n'a point assez dit, car bien-tôt après il le traite de fable. C'est donc avec la plus grande injustice qu'on nous l'oppose, puisque du tems de Tite-Live, par qui on le sait, il n'y en avoit aucune preuve ; je dis plus, puisque du tems de cet historien il passoit pour fabuleux.

Que le Pyrrhonien ouvre donc enfin les yeux à la lumiere, & qu'il reconnoisse avec nous une regle de vérité pour les faits. Peut-il en nier l'existence, lui qui est forcé de reconnoître pour vrais certains faits, quoique sa vanité, son intérêt, toutes ses passions en un mot paroissent conspirer ensemble pour lui en déguiser la vérité ? je ne demande pour juge entre lui & moi, que son sentiment intime. S'il essaye de douter de la vérité de certains faits, n'éprouve-t-il pas de la part de sa raison la même résistance que s'il tentoit de douter des propositions les plus évidentes : & s'il jette les yeux sur la société, il achevera de se convaincre, puisque sans une regle de vérité pour les faits elle ne sauroit subsister.

Est-il assûré de la réalité de la regle, il ne sera pas long-tems à s'appercevoir en quoi elle consiste. Ses yeux toûjours ouverts sur quelqu'objet, & son jugement toûjours conforme à ce que ses yeux lui rapportent, lui feront connoître que les sens sont pour les témoins oculaires la regle infaillible qu'ils doivent suivre sur les faits. Ce jour mémorable se présentera d'abord à son esprit, où le monarque François, dans les champs de Fontenoi, étonna par son intrépidité & ses sujets & ses ennemis. Témoin oculaire de cette bonté paternelle qui fit chérir Louis aux soldats Anglois même, encore tout fumans du sang qu'ils avoient versé pour sa gloire, ses entrailles s'émûrent & son amour redoubla pour un roi, qui, non content de veiller au salut de l'état, veut bien descendre jusqu'à veiller sur celui de chaque particulier. Ce qu'il sent depuis pour son roi, lui rappelle à chaque instant que ces sentimens sont entrés dans son coeur sur le rapport de ses sens.

Toutes les bouches s'ouvrent pour annoncer aux contemporains des faits si éclatans. Tous ces différens peuples, qui malgré leurs intérêts divers, leurs passions opposées, mêlerent leur voix au concert de loüanges que les vainqueurs donnoient à la valeur, à la sagesse, & à la modération de notre monarque, ne permirent pas aux contemporains de douter des faits qu'on leur apprenoit. C'est moins le nombre des témoins qui nous assûre ces faits, que la combinaison de leurs caracteres & de leurs intérêts, tant entr'eux qu'avec les faits mêmes. Le témoignage de six Anglois, sur les victoires de Melle & de Lauffeld, me fera plus d'impression que celui de douze François. Des faits ainsi constatés dans leur origine, ne peuvent manquer d'aller à la postérité : ce point d'appui est trop ferme, pour qu'on doive craindre que la chaîne de la tradition en soit jamais détachée. Les âges ont beau se succéder, la société reste toûjours la même, parce qu'on ne sauroit fixer un tems où tous les hommes puissent changer. Dans la suite des siecles, quelque distance qu'on suppose, il sera toûjours aisé de remonter à cette époque, où le nom flateur de Bien-aimé fut donné à ce roi, qui porte la couronne, non pour enorgueillir sa tête, mais pour mettre à l'abri celle de ses sujets. La tradition orale conserve ces grands traits de la vie d'un homme, trop frappans pour être jamais oubliés : mais elle laisse échapper à-travers l'espace immense des siecles mille petits détails & mille circonstances, toûjours intéressantes lorsqu'elles tiennent à des faits éclatans. Les victoires de Melle, de Raucoux & de Lauffeld passeront de bouche de bouche à la postérité : mais si l'histoire ne se joignoit à cette tradition, combien de circonstances, glorieuses au grand genéral que le roi chargea du destin de la France, se précipiteroient dans l'oubli ! On se souviendra toûjours que Bruxelles fut emportée au plus fort de l'hyver ; que Berg-op-zoom, ce fatal écueil de la gloire des Requesens, des Parmes & des Spinolas. ces héros de leur siecle, fut pris d'assaut ; que le siége de Mastreich ter mina la guerre : mais on ignoreroit sans le secours de l'histoire, quels nouveaux secrets de l'art de la guerre furent déployés devant Bruxelles & Berg-op-zoom, & quelle intelligence sublime dispersa les ennemis rangés autour des murailles de Mastreich, pour ouvrir à-travers leur armée un passage à la nôtre, afin d'en faire le siége en sa présence.

La postérité aura sans-doute peine à croire tous ces hauts faits ; & les monumens qu'elle verra, seront bien nécessaires pour la rassûrer. Tous les traits que l'histoire lui présentera se trouveront comme animés dans le marbre, dans l'airain & dans le bronze. L'école militaire lui fera connoître comment dans une grande ame, les vûes les plus étendues & la plus profonde politique se lient naturellement avec un amour simple & vraiment paternel. Les titres de noblesse, accordés aux officiers qui n'en avoient encore que les sentimens, seront à jamais un monument authentique de son estime pour la valeur militaire. Ce seront comme les preuves que les historiens traîneront après eux, pour déposer en faveur de leur sincérité, dans les grands traits dont ils orneront le tableau de leur roi. Les témoins oculaires sont assûrés par leurs sens de ces faits qui caractérisent ce grand monarque ; les contemporains ne peuvent en douter, à cause de la déposition unanime de plusieurs temoins oculaires, entre lesquels toute collusion est impossible, tant par leurs intérêts divers, que par leurs passions opposées ; & la postérité qui verra venir à elle tous ces faits par la tradition orale, par l'histoire & par les monumens, connoîtra aisément que la seule vérité peut réunir ces trois caracteres.

* C'est ainsi qu'il convient de défendre la religion. Voilà ce qu'on peut appeller prendre son ennemi corps à corps, & l'attaquer par les endroits les plus inaccessibles. Ici tout est rempli de sens & d'énergie, & il n'y a pas la moindre teinture de fiel. On n'a pas craint de laisser à son antagoniste ce qu'il pouvoit avoir d'adresse & d'esprit, parce qu'on étoit sûr d'en avoir plus que lui. On l'a fait paroître sur le champ de bataille avec tout l'art dont il étoit capable, & on ne l'a point surpris lâchement, parce qu'il falloit qu'il se confessât lui-même vaincu, & qu'on pouvoit se promettre cet avantage. Qu'on compare cette dissertation avec ce qu'on a publié jusqu'à présent de plus fort sur la même matiere, & l'on conviendra que si quelqu'un avoit donné lieu à un si bel écrit, par les objections qu'on y résout, il auroit rendu un service important à la religion, quoiqu'il y eût eu peut-être de la témerité à les proposer, sur-tout en langue vulgaire. Je dis peut-être, parce que l'évidence est sûre d'obtenir tôt ou tard un pareil triomphe sur les prestiges du sophisme. Le mensonge a beau souffler sur le flambeau de la vérité, loin de l'éteindre, tous ses efforts ne font qu'en redoubler l'éclat. Si l'auteur des Pensées philosophiques aimoit un peu son ouvrage, il seroit bien content de trois ou quatre auteurs que nous ne nommerons point ici par égard pour leur zele & par respect pour leur cause : mais en revanche, qu'il seroit mécontent de M. l'abbé de Prades, s'il n'aimoit infiniment la vérité ! Nous invitons ce dernier à suivre sa carriere avec courage, & à employer ses grands talens à la défense du seul culte sur la terre qui mérite un défenseur tel que lui. Nous disons aux autres & à ceux qui seroient tentés de les imiter : sachez qu'il n'y a point d'objections qui puissent faire à la religion autant de mal que les mauvaises réponses : sachez que telle est la méchanceté des hommes, que si vous n'avez rien dit qui vaille, on avilira votre cause, en vous faisant l'honneur de croire qu'il n'y avoit rien de mieux à dire.


CERUMENen Anatomie ; voyez CIRE DES OREILLES.


CERUMINEUSEadject. (en Anatomie.) se dit des glandes jaunes presque rondes ou ovales, suivant Duverney & Vieussens, qui percent de petits trous la peau du conduit auditif dans la partie de ce conduit collée aux tempes, & dans les fissures, & depuis la partie qui est couverte d'un cartilage, jusqu'à la moitié du canal, selon Morgagni, sur la convexité supérieure de la membrane où rampe un réseau réticulaire, celluleux, fort, fait d'aréoles qui les renferment. C'est par ces orifices que sort cette espece de cire jaune, huileuse, amere, & qui prend feu lorsqu'elle est pure & fort épaisse. Faute de ce suc, dont l'abondance peut cependant nuire, on devient sourd, ce qui arrive souvent pour cette raison dans la vieillesse, comme le racontent Valsalva, Morgagni & Duverney ; & à dire vrai, les Chirurgiens empiriques qui ignorent combien les causes de la vraie surdité sont profondément cachées dans cet organe, ne guérissent que celle-là. Haller, Comment. Boerhaav. (L)


CERUSS. m. (Mythol.) dieu du tems favorable chez les Grecs, ou de l'occasion chez les Romains. Callistrate l'avoit représenté sous la figure d'un jeune homme, beau, ayant les cheveux épars & flottans au gré du vent, & tenant un rasoir à la main. Phedre l'a décrit dans ses fables, avec des ailes, des cheveux par-devant, & chauve par-derriere. L'allégorie de la figure de Callistrate, est que l'occasion s'échappe avec tant de rapidité, qu'elle pourroit marcher sur le tranchant d'un rasoir ; & celle de la fable de Phedre, que l'on ne retrouve plus l'occasion quand elle est une fois échappée. L'idée d'un poëte qui a appellé l'occasion le plus jeune des enfans de Saturne, est belle. Les Eléens avoient consacré un autel à Cerus.


CERUSEvoyez l'article BLANC DE PLOMB.


CERVAISONsubst. f. (Venerie) on appelle de ce nom le tems où le cerf est en embonpoint.


CERVARO(Géog.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Capitanate.


CERVEAUS. m. (Anatom.) ou ce qu'on appelle vulgairement la cervelle, est le nom qu'on a donné en général à toute la masse molle, en partie grisâtre, en partie blanchâtre, qui est renfermée dans le crane, laquelle est la source de nos sens, & où l'on prétend que l'ame réside d'une maniere particuliere. Voyez CRANE & AME.

Quand on a ouvert le crane, on trouve une masse qui en occupe toute la cavité, & qui est enveloppée de différentes membranes : la premiere qui se présente c'est la dure-mere, qui revêt les os en-dedans, & leur sert de périoste : elle divise le cerveau en différentes parties au moyen de ses différens replis, dont les principaux sont la faux & la tente, &c. Sous cette membrane il s'en trouve une autre qui s'enfonce dans les anfractuosités du cerveau, & qu'on appelle pie-mere. C'est dans les duplicatures qu'elle forme, en s'enfonçant dans les anfractuosités, que sont renfermés les vaisseaux du cerveau. Voyez MEMBRANE, DURE-MERE, voyez aussi nos Pl. d'Anatomie.

Ces membranes levées, on voit la substance du cerveau, qui forme une infinité de plis profonds, dont les circonvolutions imitent à-peu-près celles des intestins : si on coupe assez profondément quelques-uns de ces plis, on observe qu'ils sont composés d'une substance de deux couleurs différentes, dont la partie externe est de couleur de cendre, & a été en conséquence appellée substance cendrée ou substance corticale ; elle est glanduleuse suivant quelques auteurs ; mais l'analyse de ses parties est si difficile, qu'on ne peut rien avancer là-dessus que de conjectural. La partie interne des différens replis est blanchâtre, & se nomme substance médullaire. Voyez l'article CENDREE.

On divise le cerveau en trois parties principales, savoir, le cerveau strictement pris, le cervelet, & la moelle allongée. Voyez CERVELET & MOELLE, voyez aussi nos Planches.

Le mot cerveau pris dans un sens plus particulier, signifie donc cette partie superficiellement grisâtre, qui occupe toute la portion supérieure de la cavité du crane, & dont la figure est une convexité ovalaire assez approchante de la moitié d'un oeuf qu'on auroit coupé en deux parties égales par le même diametre, sans les éloigner l'une de l'autre ; la grosse extrémité de la convexité ovalaire est située postérieurement ; la petite antérieurement.

La fissure dans laquelle rampent les arteres, longue, plus profonde que les autres sillons du cerveau, & qui s'appelle fissure de Sylvius, sépare le cerveau en lobes antérieurs & postérieurs ; mais comme le cerveau considéré dans sa partie inférieure, paroît de chaque côté distingué en trois parties, on leur a donné à chacune le nom de lobe. Voyez LOBE.

En éloignant un peu ces deux portions du cerveau l'une de l'autre, on observe la surface d'un corps blanc nommé corps calleux. Voyez CORPS CALLEUX.

Si on enleve adroitement de chaque portion tous les sillons mêlangés de la substance tant cendrée que médullaire, jusqu'à ce qu'on n'observe plus que la médullaire, on formera sur les parties latérales du corps calleux deux convexités médullaires de figure ovalaire, qu'on nomme centre ovale : en coupant ces convexités tout le long du corps calleux, & à quatre ou cinq lignes de distance de ce même corps, on découvre deux cavités, une de chaque côté, nommées ventricules antérieurs, séparées l'une de l'autre par une membrane médullaire qui regne tout le long de la partie moyenne de la face inférieure du corps calleux, & à laquelle on a donné le nom de septum lucidum. Voyez CENTRE, VENTRICULE, &c.

Les deux lames médullaires dont le septum lucidum est formé, finissent antérieurement par deux productions qui sont fort près l'une de l'autre, & en arriere par deux autres plus sensibles qui s'écartent vers les côtés, en formant de petites bandelettes sur un corps qui a la figure d'un ver à soie en nymphe, & qui suit la corne inférieure des ventricules ; on les nomme cornes d'ammon, & la partie du ventricule dans laquelle ils se rencontrent, sinus bonbycinus ou sinus du vers à soie. Voyez CORNE & SINUS.

Toute l'étendue du bord inférieur du septum lucidum, porte le nom de voûte à trois piliers. Voyez VOUTE.

La surface inférieure du plancher triangulaire formé par la voûte à trois piliers, est toute remplie de lignes médullaires, transverses & saillantes. Les anciens ont donné le nom de psalloïdes & de lyre à cet espace, à cause de ces fibres. Le plexus choroïde est sous la lyre, & suit les cornes d'ammon.

Cette voûte étant levée avec le plexus choroïde, on trouve quatre éminences dans les ventricules latéraux ; antérieurement on en voit deux en forme de cone ou de larme de Hollande, on les nomme les corps cannelés ; les deux autres éminences sont les couches des nerfs optiques : ces couches se touchent, mais de façon qu'elles laissent un trou antérieurement & postérieurement ; l'antérieur a été appellé vulva, & le postérieur l'anus : en écartant les couches des nerfs optiques, l'un & l'autre de ces deux trous disparoissent, & on apperçoit dans le fond le troisieme ventricule. Voyez CORPS CANNELES, VULVA, &c.

Derriere le troisieme ventricule se trouve un petit corps glanduleux, nommé glande pinéale ; & au-dessous de cette glande les tubercules quadri-jumeaux, dont les supérieurs ont été appellés nattes, & les inférieurs testes. Voyez GLANDE PINEALE, NATTES, &c.

Dans le troisieme ventricule est l'ouverture de l'infundibulum, ou de l'entonnoir qui va à la glande pituitaire ; postérieurement l'aquéduc de Sylvius, qui aboutit au quatrieme ventricule, dans la partie inférieure duquel est une scissure parallele à l'axe : sous les nattes & testes est la grande valvule du cerveau, qui est de substance médullaire. Voyez INFUNDIBULUM, AQUEDUC, &c.

Quatre gros troncs d'arteres, les deux carotides internes & les deux vertébrales, se distribuent au cerveau, & font voir dans leurs distributions, dans leur direction, & par leurs fréquentes communications, combien la nature a pris de mesures pour que rien ne s'opposât à la séparation d'un fluide, que les fonctions nobles auxquelles il est destiné font regarder comme le plus subtil ; c'est le suc nerveux. Voyez CAROTIDE, VERTEBRALE, RVEUXVEUX. Voyez aussi nos Planches d Anatomie.

Le sang est rapporté du cerveau par des veines qui prennent naissance de plusieurs petites artérioles rouges du cerveau, & se réunissant en de plus gros rameaux enveloppés par la pie-mere, viennent s'ouvrir de différentes façons dans les sinus de la dure-mere, pour passer dans les jugulaires, & dans beaucoup d'autres petites veines qui s'y rendent de même.

Tous les Anatomistes en général conviennent que l'homme a plus de cerveau, proportion gardée, que tous les autres animaux, que le boeuf, le cheval, &c.

L'imagination voulant suppléer à ce qu'on ne pouvoit appercevoir, a enfanté divers systèmes sur la structure du cerveau, sur-tout celui de Malpighi & celui de Ruisch.

Malpighi croyoit que la substance corticale étoit composée de glandes, que la petitesse & la nature muqueuse & transparente du cerveau ont dérobées aux microscopes mêmes de Marthall, qu'il préféroit à tous ceux de Leuwenhoeck ; & c'est par leur secours qu'il voyoit cette substance élevée en petites éminences. Quand on fait cuire un cerveau, sa substance s'éleve en molécules semblables à des glandes : on découvre par le moyen de l'encre qu'on jette sur la substance corticale, de petites élévations séparées par de petites fentes. Le cerveau pétrifié présente une surface couverte de petits globules ; il sort par les ouvertures qu'on fait au crane une matiere fongueuse, qui a quelque chose de la glande : les parties externes du cerveau se changent par une hydropisie en de petites spheres ; toutes ces raisons ne prouveroient-elles pas que la substance du cerveau est glanduleuse ?

Ruisch n'a cependant pas été convaincu par ces preuves, que la substance corticale soit glanduleuse ; il a cru au contraire que tout le cerveau n'est qu'une continuation des arteres qui se replient diversement, & qui vont ensuite former les nerfs par leurs extrémités.

Ces deux auteurs different donc en ceci : Malpighi admet entre l'extrémité des vaisseaux qui forment la substance corticale, & l'extrémité de ceux qui forment la médullaire, des follicules glanduleux : Ruisch au contraire prétend que les extrémités des vaisseaux de la substance corticale sont continues aux extrémités des vaisseaux de la médullaire : mais ni l'un ni l'autre système n'est appuyé d'assez fortes raisons pour nous faire décider en faveur de l'un plûtôt que de l'autre : nous renvoyons à l'article DURE-MERE, la fameuse question sur son mouvement & sur celui du cerveau ; & à l'article ESPRIT, celle des esprits animaux.

Quoi qu'il en soit, les Philosophes regardent le cerveau comme l'organe de nos pensées. M. Astruc va plus loin : il prétend rendre raison des phénomenes du raisonnement & du jugement, par l'analogie qu'il suppose entre les fibres du cerveau & celles des instrumens de musique. Selon lui, c'est un axiome que chaque idée simple est produite par l'ébranlement d'une fibre déterminée ; & que chaque idée composée est produite par des vibrations isochrones de plusieurs fibres ; que le plus grand ou le moindre degré d'évidence fait le plus grand ou le moindre degré de force de l'ébranlement des fibres.

Mais toutes ces choses sont si peu démontrées, qu'il paroît inutile de s'y arrêter : il n'en est cependant pas moins vrai que ce qu'on peut entrevoir dans les nerfs & dans la structure du cerveau, nous présente par-tout une industrie merveilleuse. Je ne craindrai donc point de déplaire à mon lecteur, en ajoûtant ici l'explication des différens phénomenes qui sont liés au détail que nous allons donner sur les vûes de la nature.

1°. Le cerveau & le cervelet sont les reservoirs où se filtre la matiere qui porte le mouvement par tous nos membres ; & voici des expériences qui prouvent que le sentiment & le mouvement ont leur principe dans la substance médullaire.

1°. La moelle du cerveau comprimée par quelque cause que ce puisse être, par le sang, par la sérosité, par des hydatides, par l'applatissement méchanique des os du crane, par la concussion, par la commotion, &c. on tombe en apoplexie : la moelle du cerveau piquée, déchirée, donne des convulsions horribles : 3°. la moelle du cerveau & celle de l'épine produisent la paralysie des parties qui leur sont inférieures, soit que ces substances soient blessées, coupées ou comprimées ; par conséquent il étoit de nécessité absolue qu'il n'arrivât point de compression dans ces endroits ; c'est pour cela que le cerveau est divisé en deux parties, qui sont soutenues par la faux, quand nous sommes couchés, & quand la tête reçoit quelque mouvement latéral ; de même les lobes postérieurs sont soutenus par la fente, afin qu'ils ne tombent point sur le cervelet. Les ventricules servent encore à empêcher les compressions ; le cerveau pressé d'un côté, peut céder du côté de ces cavités qui sont toûjours arrosées d'une liqueur qui se filtre dans le plexus coroïde : la nature, dans cette vûe, a formé une boîte ronde pour enfermer le cerveau ; cette figure fait que le crane ne peut s'enfoncer que difficilement, quant à la molesse de l'épine, elle a un rempart dans le canal des vertebres.

2°. Les veines n'accompagnent point les arteres, de peur qu'elles ne soient comprimées par ces arteres lorsqu'elles se gonflent dans les grands mouvemens. Les réservoirs veineux sont d'une structure singuliere, & leur section présente en général une figure curviligne : ils sont formés & creusés entre les deux lames de la dure-mere, qui leur donne une forte gaine ; ils sont outre cela renforcés par différens moyens : c'est ainsi qu'il y a dans leur cavité des fibres transversales qui font l'office de poutres, joignent les parties opposées, & résistent à leur distension. Voyez combien de précautions la nature a prises pour que les veines du cerveau ne se rompissent point toutes les fois que le sang s'arrête, comme en retenant son haleine, en faisant de grands efforts, en toussant, en éternuant, en riant, &c. Les arteres & les veines du cerveau ont des directions différentes, & communiquent toutes les unes avec les autres, les arteres avec les arteres : les veines avec les veines, un nombre infini de fois ; parce que dans le premier cas il eût été dangereux qu'elles ne se formassent un obstacle mutuel en passant par le même trou ; & dans le second, que le sang ne pût trouver d'issue, sa route directe étant embarrassée.

3°. Les nerfs qui sortent du côté gauche, vont ou paroissent aller du côté droit, & ceux qui sortent du côté droit, se distribuent ou paroissent se distribuer au côté gauche ; & ce n'est que par ce moyen qu'on peut expliquer pourquoi le cerveau étant vivement affecté d'un côté, les parties de l'autre côté correspondantes à celles auxquelles les nerfs de cette partie affectée du cerveau se distribuent, se trouvent paralytiques.

4°. Si l'on comprime le cerveau, ou qu'on le coupe jusqu'à la substance médullaire, l'action volontaire des muscles est interrompue, la mémoire & le sentiment s'éteignent, mais la respiration & le mouvement du coeur subsistent. Quant au cervelet, si l'on fait la même chose, la respiration & le mouvement du coeur cessent : de-là il s'ensuit que les nerf destinés au mouvement volontaire partent du cerveau, & que les nerfs d'où dépendent les mouvemens spontanés sortent du cervelet : il est donc en sûreté de toutes parts, de même que les arteres vertébrales qui lui fournissent du sang, parce qu'elles montent par les trous des apophyses transverses du cou.

5°. Les maladies de la tête dépendent toutes de la compression & de l'irritation : la douleur de la tête est causée par le sang qui ne peut passer librement, & qui par-là cause un grand battement dans les arteres ; aussi trouve-t-on dans les dissections des cadavres de ceux qui ont été sujets à ces maux, les vaisseaux extrêmement distendus & remplis d'un sang noirâtre : si le gonflement s'augmente jusqu'à causer une grande compression, l'apoplexie surviendra ; car alors le suc nerveux ne pourra plus être poussé dans les nerfs qui servent au mouvement volontaire ; tandis que cette pression ne s'étendra plus jusqu'au cervelet, la respiration & le mouvement du coeur subsisteront. Pour l'épilepsie, elle ne differe dans sa cause de l'apoplexie, qu'en ce que la pression ne se fait pas de même : supposons qu'une artere forme un anévrisme, cette artere gonflée battra extraordinairement, & par ses battemens fera couler avec force le suc dans les nerfs ; il surviendra donc des convulsions extraordinaires. La même chose peut arriver par des varices ; car ces varices comprimeront les arteres voisines, qui par-là se gonfleront, & battront fortement. On voit de-là que l'apoplexie pourra succéder à l'épilepsie. La paralysie suit souvent les maladies dont nous venons de parler : mais elle peut avoir encore d'autres causes, comme on le peut voir à l'article PARALYSIE.

6°. Dans ceux qui sont morts de ces maladies, on trouve beaucoup de sérosité extravasée dans le cerveau.

7°. On voit que les nerfs qui sont les canaux du cerveau, se distribuent dans les muscles pour y porter le mouvement ; mais il y a plus de branches à proportion dans les plexus qui suivent les arteres, parce qu'ils ont besoin d'un grand mouvement pour pousser le sang.

8°. Enfin, les nerfs sont les seuls corps sensibles : mais d'où vient que le cerveau dont ils sortent ne l'est point, ou ne l'est que très-peu ? Comme cela dépend des lois de l'union de l'ame avec le corps, on n'en peut donner aucune raison. Voyez NERF, Anatomie d'Heist. avec des Ess. de Phys. &c.

Quant au siége de l'ame, les auteurs se sont accordés à la placer dans une seule partie du cerveau, de peur qu'un siége à chaque lobe ne supposât une double sensation : ainsi les uns ont mis l'ame, c'est-à-dire le premier principe de nos sensations & de nos pensées, dans la cloison transparente ; Descartes & ses sectateurs ont voulu qu'elle habitât la glande pinéale ; Lancisi l'a placée dans le corps calleux ; Vieussens a adopté cette opinion ; Possidonius parmi les anciens, Willis chez les modernes, ont distribué les diverses facultés de l'ame en différentes parties du cerveau propres à chacune : mais rien jusqu'ici n'a pû nous découvrir où sont ces prétendus départemens. Le cerveau qui peut être considérablement blessé sans beaucoup perdre de l'usage des sens, montre bien quelle est l'étendue du sensorium commune.

Certaines observations semblent laisser en doute si le cerveau est une partie absolument nécessaire à la vie. Il y a plusieurs exemples anatomiques d'animaux qui ont survécu à la perte de cette partie. Nous avons l'histoire d'un enfant qui naquit à terme dans la ville de Paris, qui n'avoit ni cerveau ni tête, & au lieu de ces deux parties il avoit une masse de chair de couleur semblable au foie. M. Denys rapporte un autre exemple d'un enfant qui naquit en 1573, qui étoit assez bien formé, à l'exception de la tête qui n'avoit ni cervelle, ni cervelet, ni moelle allongée, ni aucune cavité propre à les contenir : le crane, si on peut l'appeller ainsi, étoit solide, & n'avoit aucune liaison avec les vertebres ; desorte que la moelle de l'épine n'avoit aucune communication avec la tête. M. Le duc donne un troisieme exemple en 1695, d'un sujet qui fut trouvé sans cerveau, sans cervelet, sans moelle allongée, & même sans moelle de l'épine ; la cavité qui auroit dû les contenir étant extrèmement petite & remplie d'une substance livide, blanchâtre, & semblable à du sang coagulé : il ajoûte que c'est le troisieme sujet qu'il avoit trouvé de cette façon. M. Duverney croit que cette substance étoit une moelle de l'épine, quoiqu'elle n'en eût point la consistance : en un mot il la regarde comme un cerveau même, semblable à celui qui est dans le crane, plus nécessaire à la vie, & plus sensible que le cerveau & le cervelet ; puisqu'une blessure ou une compression dans la moelle épiniere est toûjours mortelle, & qu'il n'en est pas de même du cerveau, comme il paroît par les observations rapportées par MM. Duverney & Chirac, le premier desquels ôta le cerveau & le cervelet d'un pigeon, qui malgré cela vécut, chercha sa nourriture, & s'acquitta de toutes ses fonctions. M. Chirac a ôté la cervelle de la tête d'un chien, qui vécut, mais qui mourut dès qu'on lui eut ôté le cervelet : cependant il remarque qu'en soufflant dans les poumons de l'animal, il le fit vivre pendant une heure après la perte de cette derniere partie. Le même observe qu'après avoir séparé la moelle allongée de la moelle épiniere d'un autre chien, & après lui avoir ôté la cervelle & le cervelet, l'animal vécut en lui soufflant dans les poumons. On peut ajoûter à cela divers exemples rapportés par M. Boyle, non-seulement d'animaux qui ont vécu après la séparation de leurs têtes d'avec leurs corps, mais même de la copulation & de l'imprégnation de plusieurs insectes après ces différentes circonstances : d'où il s'ensuivroit que la moelle épiniere seroit suffisante pour la sensation, le mouvement, & la secrétion des esprits animaux, &c.

Le cerveau a différentes proportions dans divers animaux. Il n'est pas grand dans les oiseaux à proportion du corps : cette proportion est beaucoup plus petite dans le boeuf & dans le cheval. Le singe, animal rusé & adroit, a un grand cerveau. Les animaux ruminans en ont moins que l'homme, mais plus que les autres brutes ; comme on le voit, en comparant les cerveaux de la chevre, de l'élan, avec ceux du lion & du linx. Il est petit dans les animaux qui se battent ; car ils ont des muscles temporaux fort épais qui étrécissent leur crane, en comprimant sous la forme d'un plan incliné & cave, les côtés que nous avons ronds & saillans en-dehors. On a donc raison de dire qu'un petit cerveau est la marque non de l'imbécillité, mais de la férocité. Ce viscere est beaucoup plus petit dans les poissons que dans les quadrupedes ; le requin qui pese trois cens livres, n'a pas trois onces de cervelle : elle est copieuse dans les especes qui paroissent plus rusées, telle que le veau marin. C'est si peu de chose dans les insectes, qu'on ne peut savoir ce qui fait le cerveau : on ne voit que la moelle de l'épine seule, qui paroît dégénérer uniquement dans les nerfs optiques : dans l'éphémere, l'escarbot, l'abeille, le cerveau n'est au plus qu'une petite particule pas plus grosse qu'un ganglion de la moelle épiniere, comme dans la chenille, dans l'hermite, dans les vers à soie. L'homme le plus prudent des animaux a le plus grand cerveau ; ensuite les animaux que l'homme peut instruire ; & enfin ceux qui ont très-peu d'idées & des actions de la plus grande simplicité, ont le plus petit cerveau. Mais est-on robuste, eu égard à la quantité du cervelet ? cela est vraisemblable : l'expérience nous manque cependant ici ; ce qu'il y a de certain, c'est que l'homme fait pour avoir tant d'idées, n'eût pû les contenir dans un plus petit cerveau. (L)

CERVEAU, terme de Fondeur de cloches. Le cerveau d'une cloche est la partie supérieure à laquelle tiennent les anses en-dehors, & l'anneau du battant en-dedans. Cette partie de la cloche a la forme à-peu-près semblable à celle de la partie de la tête des animaux qui renferme la cervelle. C'est la raison pour laquelle on lui a donné le nom de cerveau.

La largeur du cerveau dépend de la longueur du diametre de la cloche. La regle est de lui donner sept bords & demi de diametre, c'est-à-dire la moitié du diametre de l'ouverture inférieure de la cloche. A l'égard de son épaisseur, elle est ordinairement d'un corps ou d'un tiers de l'épaisseur du bord. Mais afin que les anses soient plus solides, on fortifie le cerveau par une augmentation de matiere, qui a aussi un corps d'épaisseur, & qu'on appelle l'onde ou la calotte. Voyez la figure 1. de la Fonderie des cloches, & l'article FONTE DES CLOCHES.


CERVELATS. m. (Chaircuiterie.) Le cervelat ordinaire se fait avec du porc maigre, du veau, du lard, force épices, hachés ensemble & entassés dans un boyau de porc, qu'on divise ensuite avec des ficelles en plusieurs portions, selon la longueur qu'on veut donner à chaque cervelat. Le boyau est étranglé en deux endroits par la ficelle ou le fil ; & cet intervalle est un cervelat. On fait cuire ce boyau rempli avant que de le manger, ou même de le vendre. Les cervelats de Milan sont fort vantés : on les fait, à ce qu'on dit, avec le porc maigre, le lard, le sel, & le poivre. On met sur six livres de porc une livre de lard, quatre once de sel, une once de poivre. On hache bien le tout ensemble ; on arrose le mêlange avec une pinte de vin blanc, & une livre de sang de porc ; on ajoûte une demi-once de canelle & de girofle pilés ensemble ; on tire de la tête du porc de gros lardons, qu'on saupoudre bien d'épices. On répand ces lardons dans le mêlange précédent qu'on entasse dans le boyau du porc ; on lie le boyau par les deux bouts quand il est bien plein, & on le fait cuire : quand il est cuit, on le laisse sécher à la fumée jusqu'à ce qu'il soit extrèmement ferme & dur.


CERVELETS. m. terme d'Anatomie, est la partie postérieure du cerveau. Voyez nos Planch. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi l'article CERVEAU.

Le cervelet est en quelque façon une sorte de petit cerveau lui-même, comme l'exprime son nom, qui est un diminutif du mot cerveau.

Il est logé dans la partie postérieure & inférieure du crane, au-dessous de la partie postérieure du cerveau. Il y communique par en-bas : mais par en-haut il en est séparé par le replis de la dure-mere. Sa figure ressemble à une boule applatie, plus large que longue.

Sa substance est plus dure, plus seche, & plus solide que celle du cerveau : mais elle est cependant de même nature, étant composée de même d'une substance corticale & glanduleuse, & d'une médullaire ; les branches de cette derniere substance sont disposées à-peu-près comme celles d'un arbre, se rencontrant au milieu, & formant une espece de tige qui regne tout du long. La couleur du cervelet est jaunâtre, au lieu que celle du cerveau est plus blanche.

Sa surface est inégale & sillonnée, mais moins que celle du cerveau : il semble plûtôt qu'elle soit divisée par lames ou par écailles. Les cercles du milieu sont plus larges & plus profonds ; & dans les entre-deux des lames, entrent les replis de la pie-mere. Le devant & le derriere du cervelet sont terminés par des apophyses qu'on appelle vermiformes, parce qu'elles ont la figure d'un ver. Il se joint à la moelle allongée par deux procès, que Willis appelle peduncules ou cuisses du cervelet. Voyez PEDUNCULES & CUISSES.

Outre ces deux peduncules, il y a deux ou trois autres avances médullaires, qui passant en travers de la moelle allongée, forment une arche ou arcade, qu'on a appellée du nom de celui qui l'a découverte, pont de Varole. Voyez PONT de VAROLE.

Les vaisseaux sanguins du cerveau sont les mêmes que ceux du cervelet ; & son usage est le même aussi, savoir de séparer le suc nerveux du sang, & de le porter dans les différentes parties du corps.

Willis met cependant de la différence entre les fonctions du cerveau & celles du cervelet ; voulant que le premier soit le principe des mouvemens & des actions volontaires ; & l'autre, le principe des actions involontaires, telles que sont la respiration, le mouvement du coeur, &c. Voyez MOUVEMENT.

Il passe pour constant que la moindre lésion à la substance corticale ou à la moelle du cervelet, est mortelle ; ce qui n'est pas de même au cerveau, dont on a quelquefois retranché une partie sans qu'il en soit arrivé d'accident. Il est pourtant vrai qu'il y a des exemples de gens qui ont vécu non-seulement sans cerveau, mais même sans cervelet. Voyez CERVEAU. (L)


CERVERA(Géog.) petite ville du Portugal, dans la province de Tra-los-montes, près du Minho.


CERVI(Géog.) île de l'Archipel au midi de la Morée, près de l'île de Cerigo.


CERVIA(Géog.) ville d'Italie dans la Romagne, sur le golfe de Venise, entre les rivieres de Savio & de Pisatello. Long. 30. lat. 44. 16.


CERVICALadj. en Anatomie, se dit de quelques parties relatives à la partie postérieure du cou, qu'on appelle en latin cervix. Voyez CERVIX.

Ligament cervical. Voyez LIGAMENT.

Les arteres cervicales sont des rameaux de la soûclaviere qui rampent en-devant & en-arriere du cou. Voyez SOUCLAVIERE.

CERVICAUX descendans, de Diemerbroek, sont une paire de muscles antagonistes aux sacrolombaires, qui prennent leur origine de la troisieme, quatrieme, cinquieme, & sixieme vertebre du cou.

La plûpart des auteurs, mais mal-à-propos, les regardent comme une production & une partie du sacrolumbus. Voyez SACROLUMBAIRE ; c'est le petit transversaire du cou, ainsi nommé par M. Winslow.

Les nerfs cervicaux sont au nombre de sept paires.

La premiere passe entre la premiere & la seconde vertebre du cou : elle communique avec le nerf sous-occipital, avec le nerf intercostal, avec la seconde paire cervicale, & se distribue aux muscles postérieurs de la tête : elle jette antérieurement un filet, qui après avoir communiqué avec le nerf intercostal, avec la seconde paire cervicale, avec le nerf lingual, va se distribuer aux muscles sterno-hyoïdien, thyro-hyoïdien, &c.

La seconde paire cervicale passe entre la seconde & la troisieme vertebre du cou : elle communique en devant avec le premier ganglion cervical du nerf intercostal ; en-haut avec la premiere paire cervicale ; en-bas avec la troisieme : elle jette différens rameaux dont les uns communiquent avec le grand hypoglosse, d'autres avec la portion dure du nerf auditif. Un de ses rameaux s'unissant avec un autre de la troisieme paire cervicale, concourt à la formation du nerf diaphragmatique. Voyez DIAPHRAGMATIQUE.

La troisieme paire cervicale passe contre la troisieme & la quatrieme vertebre du cou, & communique en-haut avec la seconde paire, en-bas avec la quatrieme, en-devant avec le nerf intercostal, le grand hypoglosse, & la paire vague. Elle communique encore avec le nerf accessoire : après cela elle jette plusieurs branches. Parmi les branches antérieures, il y en a une qui en s'unissant avec un rameau de la seconde paire verticale, forme une partie du nerf diaphragmatique.

Tous les nerfs cervicaux envoyent une infinité de branches aux muscles & aux autres parties de la tête, du cou, & des épaules.

Les quatre dernieres paires cervicales passent entre les portions du muscle scalene, & sont en général plus grosses que les trois premieres, & forment avec une partie de la troisieme paire cervicale, & la premiere paire dorsale, les nerfs bronchiaux. Voyez BRONCHIAL. (L)


CERVIERvoyez LOUP CERVIER.


CERVIXterme d'Anatomie, est un mot latin qui signifie la partie postérieure du cou, auquel nous n'avons aucun mot en françois qui réponde parfaitement. Il est opposé à la partie antérieure qu'on appelle la gorge ou le gosier. Voyez COU.

Le cervix ou cou de la matrice est ce canal ou passage oblong, situé entre les orifices internes & externes de la matrice, qui reçoit & emboîte la verge comme une gaîne ou un fourreau, ce qui fait qu'on lui a donné le nom de vagin. Voyez MATRICE & VAGIN.

Le cervix ou cou de la matrice dans les filles est fort étroit, si ce n'est dans le tems de leurs regles ; car dans les tems ordinaires à peine est-il assez large pour qu'on y puisse introduire une plume d'oie. Son extrémité intérieure s'appelle orifice interne : & il est comme scellé par une sorte de matiere glutineuse qui sort des glandes circonvoisines. Voyez MATRICE. (L)


CERVOISES. f. vieux mot qui signifie la biere. Voyez BIERE.


CERVOISIERSS. m. pl. marchands de biere ou Brasseurs. Voyez BRASSEURS.


CERYCESS. m. pl. (Hist. anc.) gens occupés chez les Athéniens, à servir dans les sacrifices. C'étoient des especes de crieurs publics qui annonçoient au peuple les choses civiles & sacrées ; on en faisoit deux, l'un pour l'aréopage, l'autre pour l'archonte ; leur fonction étoit encore d'assommer les taureaux, & de préparer les victimes. Ils étoient appellés ceryces, d'un certain Ceryx fils de Mercure & de Pandrose, & le premier de la famille Athénienne de laquelle ces desservans devoient être tirés.


CÉRYCESLES, (Littér. grecq.) en grec , famille sacerdotale, ainsi nommée, parce qu'elle descendoit de Céryx. Elle avoit, comme les Eumolpides, ses fonctions réglées à la fête d'Eleusis, c'est-à-dire, aux mysteres de Cérès. Ce ne sont point des hérauts, praecones, quoique le grand nombre des interprêtes d'Eschine aient concerté de traduire ainsi le mot . La raison toujours supérieure à l'autorité, doit faire rejetter leur interprétation, parce qu'il n'est pas vraisemblable qu'Eschine ait voulu placer les hérauts dans une énumération de prêtres, de prêtresses, & de familles sacerdotales. Ce qui a le plus contribué à induire en erreur sur ce point, c'est qu'outre que le mot signifie à-la-fois héraut & céryce, ce nom n'a pas la terminaison patronimique. Cérycide tromperoit moins de monde. Tourreil. (D.J.)


CESANO(LE) Géog. riviere d'Italie, dans l'état de l'Eglise, au duché d'Urbin, qui se jette dans le golfe de Venise.


CESARS. m. (Hist. anc.) a été long-tems employé chez les Romains, pour signifier l'héritier présomptif ou désigné à l'empire, comme l'est aujourd'hui le titre de roi des Romains dans l'empire d'Allemagne. Voyez HERITIER.

Ainsi Constance Chlore & Galere furent proclamés césars par Dioclétien & Maximien ; Licinus, par Galerius ; Constantin le grand, par Constantius ; Constantin le jeune, Constantius & Constans, par Constantin leur pere ; Junius Gallus & Julien, par Constantius.

Les césars étoient des especes d'adjoints ou associés à l'empire, participes imperii : ils portoient le manteau impérial, la pourpre & le diadème, & marchoient avec toutes les autres marques de la dignité souveraine. Ils étoient créés césars comme les empereurs, par l'endossement de la robe de pourpre.

La dignité de césar fut toûjours la seconde de l'empire, jusqu'au tems d'Alexis Comnene, qui en investit Nicéphore de Melise en conséquence de la convention faite entr'eux ; & comme il falloit nécessairement qu'il conférât une dignité supérieure à son frere Isaac, il le créa sebastocrator, lui donnant en cette qualité la presséance sur Nicéphore, & ordonna que dans toutes les acclamations Isaac seroit nommé le second, & Nicéphore le troisieme.

L'origine de ce titre fut le surnom du premier empereur, C. Julius César, que le sénat ordonna par un decret exprès que tous les empereurs porteroient dans la suite : mais sous ses successeurs le nom d'Auguste étant devenu propre aux empereurs, celui de césar fut communiqué à la seconde personne de l'empire, sans que l'empereur cessat pour cela de le porter. On voit par-là quelle est la différence entre césar purement & simplement, & césar avec l'addition d'empereur auguste.

Les auteurs sont partagés sur l'origine du mot césar, surnom de la maison Julia. Quelques-uns d'après Servius le font venir de caesaries, cheveux, chevelure, prétendant que celui qui le porta le premier étoit remarquable par la beauté de sa chevelure, & que ce fut pour cela qu'on lui donna ce surnom. L'opinion la plus commune est que le mot césar vient à caeso matris utero ; de ce qu'on ouvrit le flanc de sa mere pour lui procurer la naissance. Voyez CESARIENNE.

D'autres font venir ce nom de ce que celui qui le porta le premier avoit tué à la guerre un éléphant, animal qui se nomme césar dans la Mauritanie. Bircherodius confirme cette opinion par l'autorité d'une ancienne médaille sur laquelle est représenté un éléphant avec le mot césar.

Depuis Philippe le fils, les césars ajoûtoient à leur titre de césar, celui de nobilissime, comme il paroît par plusieurs médailles anciennes ; & les femmes des césars partageoient avec eux ce dernier titre, comme celles des empereurs portoient le nom d'augustes. (G)


CÉSARÉES. f. (Géog. anc. & mod.) ville de Palestine, d'une situation très-avantageuse le long de la mer, auparavant appellée la tour de Straton ; dans la suite Flavie Auguste Césarée. Long. 66. 15. lat. 32. 20.

CESAREE, ville de Cappadoce, anciennement Mazaca, & antérieurement Edesse la Parthienne ; selon quelques-uns Apamia ; selon d'autres ou l'Erseron, ou le Tissaria, ou le Caisaire d'aujourd'hui.

CESAREE de Philippe, auparavant Paneas, au pié du mont Liban, vers les sources du Jourdain, & les confins de la Coelesyrie, aujourd'hui Beline, ou Bolbec.

CESAREE sur la mer, ancienne capitale de Mauritanie ; il en reste des ruines fort étendues : on croit que c'est la Jol de Pline, de Ptolomée, & de Pomponius Mela.


CÉSARIENN(OPERATION) ou SECTION, est une opération de Chirurgie, qui consiste à tirer le foetus de la matrice par une ouverture faite à l'abdomen de la mere, morte ou vivante. Voyez ACCOUCHEMENT. Les Grecs appellent cette opération ou . Voyez NAISSANCE, UTERUS, &c.

Il est constaté par l'expérience, que les plaies des muscles de l'épigastre du péritoine, & celles de la matrice, ne sont pas mortelles ; ensorte qu'il y a des cas où l'on peut hazarder d'ouvrir l'abdomen de la mere, pour donner passage à l'enfant. Ceux qui naissent de cette maniere sont appellés caesares ou caesones, à caeso matris utero, tels qu'ont été C. Julius César, Scipion l'Africain, Manlius, & Edouard VI. roi d'Angleterre. Voyez CESAR.

Cette opération se pratique dans deux circonstances différentes : 1°. lorsqu'une femme meurt par quelqu'accident dans le cours de sa grossesse ; il n'y a point alors d'inconvénient à la mettre en usage, puisque c'est la seule voie de sauver l'enfant. Il n'y a point de contestation sur ce point ; tous les auteurs en en convenant, assurent qu'il ne faut pas perdre de tems, & que l'on ne peut trop se hâter de faire l'opération césarienne.

2°. Lorsque la femme est vivante, on ne doit dans ce cas se déterminer à lui faire cette opération, que lorsqu'on est sûr de l'impossibilité absolue de l'accouchement par les voies ordinaires avec les secours auxiliaires qu'on peut employer dans différens cas. Voyez ACCOUCHEMENT.

Les causes de cette impossibilité viennent de la mauvaise conformation des os du bassin de la mere, qui rend le passage trop étroit ; les tumeurs skirrheuses du vagin, & les exostoses des ischions peuvent produire le même effet. Quelques auteurs y joignent la grosseur extraordinaire du foetus & sa conformation monstrueuse. Quand l'impossibilité de l'accouchement vient du défaut naturel ou contre nature des organes de la mere, il faut nécessairement, pour lui sauver la vie & à son enfant, faire une incision à la matrice pour tirer celui-ci. Les mauvaises raisons de quelques auteurs contre une opération si utile, tombent par les faits qui en assurent la possibilité. On trouve dans le premier volume des Mémoires de l'académie royale de Chirurgie, des recherches de M. Simon sur l'origine de l'opération césarienne, il rapporte les différentes disputes qu'elle a occasionnées, & les autorités & les faits qui font juger du succès qu'on peut en attendre. Il n'oublie pas de faire usage d'une observation de M. Soumain qui a fait cette opération en 1740, en présence des plus habiles accoucheurs de Paris, à une femme âgée de trente-sept ans, qui n'a que trois piés & un pouce de hauteur. L'étroitesse du bassin & sa conformation irréguliere ont déterminé tous les consultans à proposer l'opération qui a eu tout le succès possible.

L'opération césarienne est nécessaire dans un cas particulier dont on a quelques exemples ; c'est la chûte de l'enfant dans le ventre par la rupture de la matrice. Un Chirurgien certain de la grossesse d'une femme, se décidera fort aisément sur ce cas lorsqu'il se sera assuré que l'enfant n'est plus dans la matrice. Saviard, Chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu de Paris, donne un exemple de cet accident ; voyez son observation vingt-cinquieme. On en trouve de pareilles dans les Mémoires de l'académie royale des Sciences.

Les succès démontrés de l'opération césarienne, ont fait croire qu'il falloit la mettre en usage dans toutes les circonstances où l'enfant ne pouvoit sortir ; cependant si la difficulté vient de son volume extraordinaire ou de sa conformation monstrueuse bien reconnue, il semble qu'il seroit plus à propos, lorsqu'on est assuré de sa mort, de faire usage des crochets, qui bien dirigés, mettent moins en danger la vie de la mere, que l'opération césarienne. C'est la pratique la plus suivie. Voyez CROCHET.

Pour faire l'opération césarienne, il faut coucher la femme sur le dos, la tête & la poitrine plus élevées que le reste du corps ; elle sera sur le bord de son lit. On préferera d'opérer sur le côté qui paroîtra le plus éminent ; il faut faire l'incision longitudinalement le long du bord extérieur du muscle droit, ou ce qui est plus facile à fixer, entre l'ombilic & l'épine antérieure & supérieure de l'os des îles ; l'incision doit être d'environ six à sept pouces de longueur suivant les sujets. On recommande un bistouri droit ; je préfere un bistouri courbe tranchant sur sa convexité : nous en avons fait remarquer les avantages au mot BISTOURI.

L'incision intéresse la peau, la graisse, les muscles obliques & transverses du bas-ventre, & le péritoine. Il faut inciser avec précaution lorsqu'on coupe lo péritoine, de crainte de blesser les intestins, que les cris de la souffrante poussent vers la plaie : si les intestins se présentent, on a soin de les faire contenir par un aide avec une compresse trempée dans du vin chaud. L'opérateur incise alors la matrice antérieurement au milieu de sa partie latérale. Dès qu'il a pénétré dans sa cavité, il aggrandit suffisamment la plaie avec un bistouri, ou des ciseaux conduits par le doigt, ou une sonde cannelée ; il ouvre ensuite les membranes, dont il tire l'enfant, & détache l'arriere-faix. Il fait ouvrir la matrice avec beaucoup de précaution s'il y a long-tems que les eaux soient écoulées ; parce que dans ce cas la matrice & les membranes sont exactement collées sur le foetus, qu'on risqueroit de blesser, si l'on prenoit peu de mesure.

Lorsqu'on a fait l'extraction de l'enfant & du placenta, on se sert d'une éponge fine trempée dans du vin tiede & suffisamment exprimée, pour pouvoir enlever le sang & les humeurs épanchées. On abandonne la matrice, qui par sa contraction diminue considérablement de volume.

L'appareil consiste en compresses & en un bandage unissant ; les auteurs conseillent la gastroraphie ou suture du ventre ; mais ce moyen est très-douloureux ; le bandage peut suffire pour la réunion des levres de la plaie ; l'affaissement du ventre contribue à la facilité de cette approximation. On fait sur le ventre des fomentations émollientes & anodynes, & on employe tous les moyens capables de prévenir l'inflammation.

L'opération, comme nous venons de le rapporter, est dans un lieu d'élection ; elle se peut faire dans un lieu de nécessité : nous avons des exemples de foetus conçus hors de la matrice, ou qui en sont sortis, & qui ont produit des abcès qu'on a ouverts dans le lieu où ils se sont manifestés, & dont on a tiré heureusement & sans mauvaise suite les débris d'un enfant. Voyez Bartholin, de insolitis partus vitiis. (Y)


CESENE(Géog.) ville d'Italie de l'état de l'Eglise, dans la Romagne, sur le Savio. Long. 29. 46. lat. 44. 8.


CESSARES(Géog.) peuple de l'Amérique méridionale, dans la terre Magellanique, à l'orient de la Cordillera de los Andes.


CESSE(Géogr.) riviere du duché de Luxembourg, qui se précipite dans un abîme près de Ham ; & après avoir coulé une lieue sous la terre, reparoît de nouveau, ce qui mérite d'être confirmé.

CESSE, (Géog.) petite riviere de France dans le Languedoc, qui se perd dans l'Aude.


CESSENON(Géog.) petite ville de France dans le bas Languedoc.


CESSERDISCONTINUER, FINIR, (Gram. Synon.) termes relatifs à la durée successive d'une action. On finit en achevant ; on cesse en abandonnant ; on discontinue en interrompant. Pour finir son discours à propos, il faut prévenir le moment où l'on ennuyeroit : on doit cesser sa poursuite, quand on s'apperçoit qu'elle est inutile ; il faut discontinuer le travail, quand on est fatigué. Voyez les Syn. Franç.


CESSIBLEadj. terme de Droit ; se dit de tout ce qui peut être cédé ou transporté d'une personne à une autre. Ainsi l'on dit que le droit de retraire féodalement est cessible, &c.


CESSIONS. f. en Droit, se dit en général de tout acte par lequel quelqu'un, propriétaire d'un effet ou d'un droit, le transporte à un autre. Dans l'usage ordinaire il signifie la même chose que transport. Voyez TRANSPORT.

Pour les autres manieres de transporter à quelqu'un la propriété d'un bien, d'un effet, ou d'un droit, voyez VENTE, ECHANGE, DONATION, LEGS, SUBROGATION, &c.

CESSION, dans un sens plus particulier, est un abandonnement qu'on fait de tous ses biens en justice à ses créanciers pour éviter la contrainte par corps.

Le débiteur ne peut être admis au bénéfice de cession, qu'en vertu de lettres du Prince, entérinées en justice contradictoirement avec les créanciers ; & pour l'obtenir, il faut qu'il ne lui reste aucune ressource pour payer, & qu'on ne puisse pas lui reprocher de friponnerie ou de fraude.

La cession emporte note d'infamie, & obligeoit à porter un bonnet verd en tout tems, faute de quoi, le débiteur pris sans son bonnet, pouvoit être constitué prisonnier. Ce bonnet étoit un emblème qui signifioit que celui qui avoit fait cession de biens étoit devenu pauvre par sa folie : cet usage ne s'observe plus. Voyez BONNET.

Il faut seulement afin que la cession soit notoire, si c'est un marchand qui est cessionnaire, qu'elle soit publiée à la jurisdiction consulaire ou à l'hôtel-de-ville, s'il n'y a pas de juges-consuls dans le lieu de son domicile, & insérée dans un tableau public. Quelques coûtumes même veulent qu'elle soit publiée dans la paroisse du cessionnaire.

A Lucque, c'est un bonnet jaune qu'on porte après avoir fait cession, au lieu d'un verd.

Les jurisconsultes italiens nous ont conservé une maniere de faire cession, instituée par César, qui consistoit à se frapper trois fois le derniere à cul nud en présence du juge sur une pierre qu'on appelloit lapis vituperii ; parce qu'après cette cérémonie, le cessionnaire étoit intestable & incapable de rendre témoignage.

Autrefois on faisoit quitter en justice la ceinture & les clés à ceux qui faisoient cession ; les anciens ayant coûtume de porter à leur ceinture les principaux instrumens avec lesquels ils gagnoient leur vie : comme un homme de plume, son écritoire ; un marchand, son escarcelle, &c. Voyez BANQUEROUTIER & CEINTURE.

Voici encore une maniere dont se faisoit la cession chez les Romains & les anciens Gaulois : celui qui faisoit cession, ramassoit dans sa main gauche de la poussiere des quatre coins de sa maison ; après quoi, se plantant sur le seuil de la porte, dont il tenoit le poteau de la main droite, il jettoit la poussiere qu'il avoit ramassée par-dessus ses épaules ; puis se dépouillant nud en chemise, & ayant quitté sa ceinture & ses houseaux, il sautoit avec un bâton par-dessus une haie, donnant à entendre par-là à tous les assistans, qu'il n'avoit plus rien au monde, & que quand il sautoit, tout son bien étoit en l'air. Voilà comment se faisoit la cession en matiere criminelle : mais en matiere civile, celui qui faisoit cession, mettoit seulement une houssine d'aune, ou bien un fétu, ou une paille rompue sur le seuil de sa porte, pour marque qu'il abandonnoit ses biens. Cette cession s'appelloit chrenecruda per durpillum & festucam, cession par le seuil & par le fétu. Voyez INVESTITURE.

Il y a plusieurs dettes pour lesquelles on ne peut pas être reçû à faire cession de biens ; telles sont celles qui ont pour cause un dépôt de deniers, soit publics ou particuliers, & généralement toutes celles qui sont accompagnées de dol & de perfidie de la part du débiteur. On exclud aussi du bénéfice de cession celui qui est condamné en une amende, ou des dommages & intérêts pour crime de délit ; les marchands qui achetent en gros pour vendre en détail ; les étrangers, les maîtres pour les salaires de leurs serviteurs, les proxenetes, les stellionataires, les débiteurs de fermages ou de deniers royaux, & plusieurs autres ; ensorte que le bénéfice de cession est devenu presque inutile depuis l'ordonnance qui a déchargé des contraintes par corps.

La cession de biens ne libere pas le débiteur ; desorte que s'il acquiert de nouveaux biens, ses créanciers les peuvent faire saisir pour être payés ; seulement ils sont obligés de lui laisser de quoi vivre. (H)

CESSION, (en Droit canon) est la vacance d'un bénéfice provenant d'une sorte de résignation tacite, & qui se présume lorsque le bénéficier fait quelque action ou entreprend quelque charge incompatible avec le bénéfice dont il étoit pourvû, & cela sans dispense.

La vacance d'un bénéfice par l'élévation du bénéficier à l'épiscopat, au lieu de s'appeller cession, s'appelle création : ainsi dans ce cas, on dit que tel bénéfice est vacant par création. Voyez CREATION. (H)

CESSION, terme de Libraire : Quand un Libraire ou tout autre particulier a obtenu le privilége du Roi pour l'impression d'un ouvrage, il peut transporter ses droits en tout ou en partie sur ce privilége, & ce transport s'appelle cession. Une cession pour avoir la même authenticité qu'un privilége, doit suivre les mêmes lois, & être enregistrée à la chambre royale & syndicale des Libraires.

Le droit que l'on acquiert par une telle cession est absolument le même que celui donné par le privilége, & par lui-même être transporté & soûdivisé à l'infini.

Il est de loi ou d'usage que les cessions soient imprimées dans les livres à la suite du privilége.


CESSIONNAIRES. m. (Commerce) celui qui accepte & à qui on fait une cession ou transport de quelque chose. Voyez CESSION & TRANSPORT.

Cessionnaire se dit encore d'un marchand ou autre personne qui a fait cession ou un abandonnement de tous ses biens, soit volontairement, soit en justice. Voyez CESSION.

Les biens acquis par un cessionnaire judiciaire depuis sa cession, soit par succession, donation, ou autrement, sont toûjours affectés & obligés à ses créanciers jusqu'à concurrence de ce qui peut leur être dû de reste, sans toutefois qu'ils puissent exercer aucune contrainte par corps contre lui.

Lorsqu'un cessionnaire a entierement payé ses dettes, il peut être réhabilité par des lettres du prince. Mais jusque-là il est inhabile à posséder ou exercer aucune charge publique. Dictionnaire de Commerce, tom. II. pag. 153. (G)


CESTES. m. (Hist. anc.) étoit un gros gantelet de cuir, garni de plomb, dont les anciens athletes se servoient dans leurs exercices. Voyez ATHLETES, & nos Planches d'Antiquités, avec leur explication. On l'appelloit ainsi à caedendo, je bats, je frappe.

Calepin a cru que c'étoit une massue, de laquelle pendoient des balles de plomb attachées par des morceaux de cuir. Il se trompe, car c'étoit seulement une longe de cuir garnie de clous, de plomb, ou de fer, dont on entouroit la main, en forme de liens croisés & même le poignet & une partie du bras, pour empêcher qu'ils ne fussent rompus ou démis, ou plûtôt afin de porter des coups plus violens. Scaliger fondé sur l'autorité de Servius, a prétendu que le ceste couvroit une partie des épaules : mais dans tous les anciens monumens, les différens contours des courroies dont la main des lutteurs est armée, ne paroissent pas monter plus haut que le coude.

Les Grecs désignoient cette sorte d'armes par quatre noms différens ; savoir , & . Le plus ordinaire étoit celui d', qui signifie à la lettre des courroies ; ils étoient faits de cuir de boeuf non corroyé, desséché, & par conséquent très-dur. On avoit donné au ceste le nom de , non que les armes eussent aucune ressemblance avec la figure des fourmis (), mais parce qu'on sentoit dans les parties qui en étoient frappées des picotemens tous pareils à ceux que causent ces insectes. La troisieme espece, ou les meiliques, étoit la plus ancienne chez les Grecs : c'étoit un simple lacis de courroies très-déliées, qui enveloppant uniquement la main dans le creux de laquelle on les attachoit, laissoient le poignet & les doigts à découvert. On conjecture que la quatrieme espece étoit moins un gantelet, qu'une pelote que les athletes serroient dans leurs mains, & qui n'étoit en usage que dans les gymnases, pour tenir lieu du ceste qu'on employoit dans les combats, à peu-près comme dans nos salles d'armes on se sert de fleurets au lieu d'épées. Mém. de l'Ac. des B. L. t. III. (G)

* CESTE, (Myth.) ceinture mystérieuse dont l'imagination d'Homere a fait présent à Venus. Ses deux effets les plus merveilleux étoient de rendre aimable la personne qui la portoit aux yeux de ceux mêmes qui n'aimoient plus. L'hymen, le plus grand ennemi de la tendresse, n'étoit pas à l'abri de son prestige ; ainsi que Jupiter s'en apperçut bien sur le mont Ida. Mercure fut accusé de l'avoir volée. Le mot ceste vient du Grec , ceinture, ou autre ouvrage fait à l'aiguille ; & de ceste on fait inceste, qui signifie au simple ceinture déliée ; & au figuré, concubinage ou fornication en général. On a restreint depuis ce terme à la fornication entre personnes alliées par le sang. Voyez INCESTE.


CESTROSPHENDONUS(Hist. anc.) espece de trait fort semblable à une fleche, composé d'un fer pointu, mais au bout d'un manche de bois d'une demi-coudée de longueur. Les premiers furent inventés par les Macédoniens, qui s'en servirent avec succès dans la guerre de Persée contre les Romains, & les incommoderent considérablement.


CESURES. f. (Gram.) ce mot vient du Latin caesura, qui dans le sens propre signifie incision, coupure, entaille, R. caedere, couper, tailler ; au supin caesum, d'où vient césure. Ce mot n'est en usage parmi nous que par allusion & par figure, quand on parle de la méchanique du vers.

La césure est un repos que l'on prend dans la prononciation d'un vers après un certain nombre de syllabes. Ce repos soulage la respiration, & produit une cadence agréable à l'oreille : ce sont ces deux motifs qui ont introduit la césure dans les vers, facilité pour la prononciation, cadence ou harmonie pour l'oreille.

La césure sépare le vers en deux parties, dont chacune est appellée hémistiche, c'est-à-dire demi-vers, moitié de vers : ce mot est Grec. Voyez HEMISTICHE & ALEXANDRIN.

En Latin on donne aussi le nom de césure à la syllabe après laquelle est le repos, & cette syllabe est la premiere du pié suivant :

Arma vaerumque cano.. Trojae qui primus ab oris.

La syllabe no est la césure, & commence le troisieme pié.

En François la césure ou repos est mal placée entre certains mots qui doivent être dits tout de suite, & qui font ensemble un sens inséparable, selon la maniere ordinaire de parler & de lire ; tels sont la préposition & son complément : ainsi le vers suivant est défectueux.

Adieu, je m'en vais à.... Paris pour mes affaires.

Il en est de même du verbe est qui joint l'attribut & le sujet, comme dans ces vers.

On sait que la chair est... fragile quelquefois

Par la même raison, on ne doit jamais disposer le substantif & l'adjectif de façon que l'un finisse le premier hémistiche, & que l'autre commence le second, comme dans ce vers.

Iris dont la beauté... charmante nous attire.

Cependant si le substantif faisoit le repos du premier hémistiche, & qu'il fût suivi de deux adjectifs qui achevassent le sens, le vers seroit bon, comme :

Il est une ignorance... & sainte & salutaire. Sacy.

Ce qui fait voir qu'en toutes ces occasions la grande regle, c'est de consulter l'oreille, & de s'en rapporter à son jugement.

Dans les grands vers, c'est-à-dire dans ceux de douze syllabes, la césure doit être après la sixieme syllabe.

Jeune & vaillant héros... dont la haute sagesse.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Observez que cette sixieme syllabe doit être une syllabe pleine ; qu'ainsi le repos ne peut se faire sur une syllabe qui finiroit par un e muet : il faut alors que cet e muet se trouve à la septieme syllabe, & s'élide avec le mot qui le suit.

Et qui seul sans ministre... à l'exemple des dieux

1 2 3 4 5 6 7

Soûtiens tout par toi-même... & vois tout par tes yeux.

1 2 3 4 5 6 7

Dans les vers de dix syllabes, la césure doit être après la quatrieme syllabe.

Ce monde-ci... n'est qu'une oeuvre comique

1 2 3 4

Où chacun fait... ses rôles différens. Rousseau.

1 2 3 4

Il n'y a point de césure prescrite pour les vers de huit syllabes, ni pour ceux de sept ; cependant on peut observer que ces sortes de vers sont bien plus harmonieux quand il y a une césure après la troisieme ou la quatrieme syllabe dans les vers de huit syllabes, & après la troisieme dans ceux de sept.

Au sortir... de ta main puissante,

Grand Dieu que l'homme étoit heureux !

La vérité toûjours présente

1 2 3 4

Te livroit à ses premiers voeux.

1 2 3

Voici des exemples de vers de sept syllabes.

Qu'on doit plaindre une bergere

1 2 3

Si facile à s'allarmer :

1 2 3

Pourquoi du plaisir d'aimer

Faut-il se faire une affaire ?

Quels bergers... en font autant

Dans l'ingrat... siecle où nous sommes ?

Achante qu'elle aime tant

Est peut-être un inconstant

Comme tous les autres hommes. Deshoulieres.

C'est ce que l'on pourra encore observer dans la premiere fable de M. de la Fontaine.

La cigale... ayant chanté

Tout l'été,

Se trouva fort dépourvûe.


CETACÉEadj. (Hist. nat. Ichth.) on donne ce nom aux poissons qui respirent par le moyen du poumon, qui s'accouplent, qui conçoivent, qui mettent bas leurs petits, & qui les alaitent comme les animaux quadrupedes. Tels sont le dauphin, le veau-marin, la baleine, &c. Willughby, Hist. pisc. Voyez POISSON.


CETERACS. m. asplenium, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le caractere est déterminé par la figure des feuilles qui sont découpées en ondes. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

* Le ceterac adoucit les humeurs acres par son mucilage ; fortifie les parties par son astriction, & rétablit le ton des visceres relâchés, c'est pourquoi il passe pour pectoral & apéritif. Il est bon dans la toux, l'asthme, la jaunisse, le gonflement de la rate, la suppression des urines ; maceré dans le vin, ou bouilli soit dans de l'eau, soit dans du bouillon. Mathiol dit que la poussiere dorée sur le revers de ses feuilles, prise avec le succin blanc réduit en farine, dans le suc de pourpier ou de plantain, soulage dans la gonorrhée. On fait fréquemment usage de cette plante avec les autres capillaires, dans les décoctions & les bouillons.


CETINA(Géograph.) riviere de Dalmatie, qui prend sa source dans la Bosnie, & se jette dans le golfe de Venise.


CETONA(Géog.) ville d'Italie, dans le territoire de Sienne.


CETRA(Hist. anc.) c'étoit le nom qu'on donnoit à une espece de petits boucliers ronds de cuir, dont les espagnols, & les anciens Africains, se servoient à la guerre. On employoit pour les faire la peau de l'animal appellé orix, ou suivant d'autres celle de l'éléphant ; ces boucliers étoient fort legers ; ils étoient d'usage tant dans la cavalerie que dans l'infanterie.


CETRARO(Géog.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure.


CEU(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Channton ou Xantung.


CEURAWATHS. m. (Hist. mod.) nom d'une secte de Benjans, dans les Indes, si infatués de l'opinion de la métempsycose, qu'ils respectent les moindres insectes. Leurs bramines ou prêtres ont toûjours la bouche couverte d'un voile, de peur d'avaler quelque mouche ; & ils ont également soin en allumant de la chandelle ou du feu dans leurs maisons, que nul papillon ou moucheron ne vienne s'y brûler, & de faire bouillir l'eau, avant que de la boire, de peur qu'elle ne contienne quelques insectes. Du reste, ils n'admettent ni peines, ni récompenses après cette vie, dont les évenemens, selon eux, ne dépendent point de Dieu. Ils brûlent les corps des vieil lards, & enterrent ceux des enfans décédés au-dessous de trois ans. Leurs veuves ne sont point obligées de se brûler avec leurs maris, suivant l'usage du pays, pourvû qu'elles gardent une viduité perpétuelle. Tous ceux qui font profession des sentimens de cette secte, peuvent être admis à la prêtrise, même les femmes, pourvû qu'elles ayent atteint l'âge de vingt ans ; car pour les hommes on les y reçoit dès celui de neuf. Ceux qui sont ainsi engagés dans le sacerdoce, doivent faire voeu de chasteté, porter un habit particulier, & pratiquer des austérités incroyables. Tous les autres docteurs Indiens ont beaucoup de mépris & d'aversion pour cette secte, qui ne demeure pas apparemment en reste avec eux, & défendent à leurs auditeurs d'avoir communication avec les Ceurawath, qui ne donnent pas sans doute à ceux qui les écoutent bonne opinion du commerce de leurs adversaires. Les mêmes passions produisent par-tout les mêmes effets. (G)


CEUTA(Géog.) ville forte d'Afrique, sur la côte de Barbarie, au royaume de Fez, dans la province de Hasbate, appartenante aux Espagnols ; elle a soûtenu un siége de plus de cinquante ans contre les Maures. Long. 17. 10. lat. 33. 36.


CEVA(Géog.) ville forte d'Italie, dans le Piémont, au comté d'Asti, sur le Tanaro. Long. 25. 40. lat. 45. 20.


CEVADILLA(Hist. nat.) les Espagnols donnent ce nom à une espece de graine qui croît en Amérique, dans la nouvelle Espagne ; elle ressemble beaucoup à de l'orge, hormis qu'elle n'est que de la grandeur de la graine de lin. La cevadilla vient sur un épi qui est tout semblable à celui de l'orge ; on la regarde comme très-échauffante & caustique, aussi ne la prend-t-on point intérieurement ; on l'applique extérieurement sur les plaies & ulceres gangréneux, afin de ronger & brûler les chairs mortes. On dit qu'elle produit cet effet aussi-bien que feroit du sublimé.


CEZAR(Géog.) riviere de l'Amérique méridionale, dans le gouvernement de Sainte-Marthe, qui se perd dans celle de Sainte Madeleine : on la nomme aussi Pompatas.


CEZE(LA) Géogr. petite riviere de France en Languedoc, qui roule des paillettes d'or avec son sable.


CEZIMBRA(Géog.) ville & port de Portugal, dans la province d'Estramadure, à l'embouchure de la riviere de Zedaon.


CHAS. m. (Manuf. en soie) espece de taffetas très-leger & très-moëlleux, dont les Chinois s'habillent en été. Il y en a d'uni ; il y en a à fleurs. S'il est vrai que les fleurs de ces derniers soient à jour & vuidées comme nos dentelles d'Angleterre, ensorte qu'on ne discerne pas le corps de l'étoffe, ainsi qu'on le lit dans le Dictionnaire du Commerce ; il faut, ou que ces fleurs s'exécutent comme notre marli, si elles se font sur le métier (voyez MARLI, espece de gaze), ou qu'elles se brodent après coup : c'est ce qu'il seroit facile de reconnoître à l'inspection de l'étoffe. Au reste, cette étoffe étant beaucoup moins serrée que nos taffetas, il est facile de concevoir comment on peut y pratiquer différens points à l'aiguille, la travailler précisément comme nous travaillons la mousseline, & à l'aide des fils comptés, pris & laissés, y exécuter toutes sortes de desseins ; avec cette seule différence, que si le cha n'est pas assez clair pour qu'on puisse appercevoir un patron au-travers & bâti dessous, il faudra ou tracer le dessein sur l'étoffe même, ou que l'ouvrier sache dessiner. Voilà une sorte d'ouvrage qu'il me semble que nous pourrions faire aussi-bien que les Chinois ; je veux dire une broderie à jour sur un taffetas très-leger, telle qu'elle se fait sur la mousseline & sur d'autres toiles plus fortes. Voyez TAFFETAS, BRODERIE, MOUSSELINE, POINTS, &c.


CHA-HUANou CHAT-HUANT, s. m. (Hist. nat. Ornith.) On a donné ce nom à plusieurs oiseaux de nuit, comme le duc, le hibou, &c. parce qu'ils prennent des rats comme des chats, & parce qu'ils ont un cri assez semblable à celui qu'on fait en huant. On appelle chat-huants cornus, ceux de ces oiseaux qui ont sur la tête des plumes qui s'élevent en forme de cornes ; tels sont les ducs. Voyez DUC, HIBOU. (I)


CHAALONou CHASLONS sur Marne, (Géog. mod.) grande ville de France, en Champagne, sur les rivieres de Marne, de Mau & de Nau. Long. 22d 2' 12". lat. 48d 57' 12".


CHABAR(Mythol.) nom d'une fausse divinité que les Arabes adorerent jusqu'au tems de Mahomet. On dit que les Musulmans renoncent à son culte par une formule particuliere. Le pere Kircher, qui rapporte la formule d'abjuration, conjecture que c'est la Lune qu'on adoroit sous le nom de chabar, & que la Lune étoit prise pour Vénus, parce qu'elles ont à-peu-près les mêmes influences : le sens de cette conjecture n'est pas d'une clarté bien satisfaisante.


CHABBAou CHAHBAN ou CHAVAN, (Hist. anc. & mod.) c'étoit chez les anciens arabes le nom du troisieme mois de leur année, celui qui répondoit à notre mois de Mai ; le même terme est encore d'usage parmi les Orientaux mahométans. La Lune de chabban est une des trois pendant lesquelles les mosquées sont ouvertes pour le temgid ou la priere de minuit. Voyez TEMGID.


CHABEUIL(Géog. mod.) Il y a deux petites villes de ce nom en France, en Dauphiné & dans le Valentinois.


CHABLAGES. m. terme de Riviere, qui signifie tout-à-la-fois l'office & fonction de chableur, & la manoeuvre qu'il fait pour faciliter aux gros bateaux le passage sous les ponts par les pertuis & autres endroits difficiles, en tirant ces bateaux par le moyen d'un gros chable ou cable que le chableur y attache. Il est parlé du chablage dans les anciennes ordonnances de la Ville & dans celle de 1672. Voyez ci-après l'article CHABLEUR. (A)


CHABLAI(LE), Géog. mod. province du duché de Savoie avec titre de duché, borné par le lac de Geneve, par le Vallais, par le Faussigni & la république de Genève ; la capitale est Thonon.


CHABLES. m. (Art méchaniq.) grosse corde qui se passe sur une poulie placée au sommet des machines dont se servent les Charpentiers pour lever leurs bois, & les Architectes pour enlever leurs pierres & les mettre en place : ces machines sont la chevre, la grue, l'engin, &c. Voyez CABLE, CHEVRE, ENGIN, GRUE, &c.


CHABLou ARBRES-CHABLES, CAABLES ou CHABLIS, adj. m. pris subst. (Eaux & Forêts) sont des arbres de haute futaie abattus ou brisés par les vents. Boucheul, sur la coûtume de Poitou, art. 159, n. 31, se sert du terme d'arbres-chables. On dit communément chablis. Voyez ci-après CHABLIS. (A)


CHABLEAUsub. m. terme de Riviere, longue corde qui sert à tirer, à monter, & à descendre les bateaux sur la riviere.


CHABLERverbe act. & neut. terme de Riviere & de Marine ; c'est attacher un fardeau à un cable, le haler & l'enlever, comme on l'exécute dans les atteliers des charpentiers, & autres ouvriers, à l'aide des machines. Voyez CHABLE.


CHABLEURsub. masc. terme de Riviere ; c'est un officier préposé sur certaines rivieres pour faciliter aux gros bateaux le passage sous les ponts par les pertuis & autres endroits difficiles.

Ce nom vient de chable ou cable, qui signifie un gros cordage, parce que les chableurs ont de grands cables auxquels ils attachent les bateaux pour les tirer en montant ou en descendant.

Les fonctions des chableurs ont quelque rapport avec celles des maîtres des ponts, de leurs aides, & des maîtres des pertuis ; elles sont cependant différentes : les uns & les autres ont été établis en divers endroits sur la Seine, & autres rivieres affluentes, pour en faciliter la navigation & procurer l'abondance dans Paris. Anciennement ils étoient choisis par les prévôt des marchands & échevins de cette ville ; l'ordonnance de Charles VI. du mois de Février 1415, concernant la jurisdiction de la prévôté des marchands & échevinage de Paris, contient plusieurs dispositions sur les offices & fonctions des maîtres des ponts & pertuis & sur celles des chableurs ; le chap. 34 ordonne qu'il y aura à Paris deux maîtres des ponts & des aides ; il n'y est point parlé de chableurs pour cette ville, non plus que pour divers autres endroits où il y avoit des maîtres des ponts & pertuis. Les chapitres 53 & suivans, jusques & compris le 53, traitent de l'office de chableur des ponts de Corbeil, Melun, Montereau-faut-Yonne, des pertuis d'Auferne, Pont-sur-Yonne, Sens, & Villeneuve-le-Roi : il est dit que les chableurs seront pour monter & avaler les bateaux par-dessous les ponts, sans qu'aucun autre se puisse entre-mettre de leur office, à peine d'amende arbitraire ; que quand l'office de chableur sera vacant, les prévôt des marchands & échevins le donneront après information à un homme idoine, élû par les bons marchands, voituriers & mariniers du pays d'aval-l'eau. La forme de leur serment & installation y est réglée : il leur est enjoint de résider dans le lieu de leur office ; la maniere dont ils doivent faire le chablage y est expliquée ; & leur salaire pour chaque bateau qu'ils remontent ou descendent y est réglé pour certains endroits à huit deniers, & pour d'autres à trois.

L'ordonnance de Louis XIV. du mois de Décembre 1672, concernant la jurisdiction des prévôt des marchands & échevins de Paris, ch. 4, art. 1, enjoint aux maîtres des ponts & pertuis & aux chableurs de résider sur les lieux, de travailler en personne, d'avoir à cet effet flottes, cordes, & autres équipages nécessaires pour passer les bateaux sous les ponts & par les pertuis avec la diligence requise ; qu'en cas de retard, ils seront tenus des dommages & intérêts des marchands & voituriers, même responsables de la perte des bateaux & marchandises, en cas de naufrage faute de bon travail.

L'article 2 ordonne aux marchands & voituriers de se servir des maîtres des ponts & pertuis où il y en a d'établis : il n'est pas parlé en cet endroit des chableurs.

L'article 3 défend aux maîtres des ponts & pertuis ou chableurs, de faire commerce sur la riviere, d'entreprendre voiture, tenir taverne, cabaret ou hôtellerie sur les lieux, à peine d'amende, même d'interdiction, en cas de récidive.

L'article 4 porte que les droits de tous ces officiers seront inscrits sur une plaque de fer-blanc qui sera posée au lieu le plus éminent des ports & garrets ordinaires.

Le 5 leur enjoint de dénoncer aux prévôt des marchands & échevins les entreprises qui seroient faites sur les rivieres par des constructions de moulins, pertuis, gors, & autres ouvrages qui pourroient empêcher la navigation.

Par édit du mois d'Avril 1704, il fut créé des maîtres chableurs des ponts & pertuis des rivieres de Seine, Oyse, Yonne, Marne, & autres affluentes ; ils furent confirmés en la propriété de leurs offices par édit du mois de Mars 1711. Au mois d'Août 1716, les offices créés par édit de 1704 furent supprimés, & la moitié de leurs droits éteints, à commencer du premier Janvier 1717. Un arrêt du conseil d'état du 19 Décembre 1719, supprima ces droits réservés ; on ne comprit pas dans cette suppression les offices établis avant l'édit de 1704, ni ceux de Paris, l'Isle-Adam, Beaumont-sur-Oyse, Creil, & Compiegne, rétablis par déclaration du 24 Juillet 1717.

Il y a actuellement à Paris des maîtres des ponts en titre d'office ; il y a aussi des chableurs ; la fonction de ces derniers est de faire partir les coches & gros bateaux du port où ils sont, & de les conduire jusqu'au-dehors des barrieres de Paris ; ils font la même chose pour les coches & bateaux qui arrivent à Paris. Voyez le Recueil des anciennes ordonnances de la ville ; l'Ordonnance du mois de Décembre 1672 ; Compilation chronologique de Blanchard en Août 1716 ; dictionn. des Arrêts au mot PONT ; & celui du Commerce au mot CHABLEUR ; & les mots FLEUVE, RIVIERE, PONT, PERTUIS, MAITRES DES PONTS. (A)


CHABLIS(Géog. mod.) petite ville de France dans l'Auxerrois, sur les confins de la Champagne. Long 21. 20. lat. 47. 47.


CHABLIou CHABLES, arbres chables, caables, ou arbres caablés, terme usité dans les forêts, dans les jurisdictions des eaux & forêts, & autres tribunaux en matiere de bois & de forêts, pour exprimer des arbres de haute futaie abattus, renversés, ou déracinés par les vents & orages, ou autres accidens ; soit que ces arbres aient été rompus par le pié ou ailleurs, au corps ou aux branches.

Dans les anciens titres latins ils sont appellés chablitia. En françois le terme de chablis est le plus usité.

Les anciennes ordonnances les nomment caables ou chables : il en est parlé dans celle de Charles V. du mois de Juillet 1376, article 22, celle de Charles VI. du mois de Septembre 1402, art. 21 ; & celle de François premier du mois de Mars 1515, article 38, qui défendent de vendre des arbres sur lesquels des arbres caables ou autres seroient encroüés.

L'ordonnance des eaux & forêts, tit. x. art. 7. les appelle arbres chablis ou encroüés. Ce terme encroüé signifie que l'arbre est tombé sur un autre, & s'est engagé dans ses branches ; ce qui arrive souvent aux chablis qui sont abattus sans précaution. Voyez ENCROUES. Voyez BOIS.

Cette même ordonnance contient plusieurs dispositions au sujet des chablis qui se trouvent dans les bois & forêts du Roi.

Ces dispositions sont en substance, que les maîtres particuliers des eaux & forêts, en faisant leurs visites, doivent faire le recolement des chablis & des arbres délits, c'est-à-dire de ceux qui sont coupés ou rompus par des gens qui n'ont aucun droit de le faire. Ces arbres de délit sont par-tout distingués des chablis.

L'ordonnance veut aussi que les gardes-marteau & les gruyers ayent un marteau pour marquer les chablis. Elle enjoint aux gardes d'en tenir un registre paraphé, & aux maîtres particuliers d'en faire la vente, & d'en tenir un état qui doit être délivré au receveur de la maîtrise aussi-tôt après la vente.

Les marchands ou leurs facteurs, doivent laisser sur la place les chablis, & en donner avis au sergent-à-garde, & celui-ci dresser procès-verbal de leur qualité, nature, & grosseur.

Le garde-marteau & le sergent-à-garde doivent veiller à la conservation des chablis, empêcher qu'ils ne soient pris, enlevés ou ébranchés par les usagers, ou en tout cas en faire leur rapport ; & dès que les officiers sont avertis du délit, ils doivent se transporter sur les lieux, accompagnés du garde-marteau & du sergent, pour vérifier son procès-verbal, reconnoître & marquer les chablis.

Ces arbres ne peuvent être réservés ni façonnés, mais doivent être vendus en l'état qu'ils se trouvent, à peine de nullité & de confiscation.

Les doüairieres, donataires, usufruitiers, & engagistes, ne peuvent disposer des chablis ; ils sont réservés au profit du Roi.

Dans les bois sujets aux droits de grurie, grairie, tiers, & danger, il est dû au Roi pour la vente des chablis, la même part qui lui appartient dans les ventes ordinaires. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts, tit. jv. art. 10. tit. vij. art. 3. tit. jx. art. 2. tit. x. art. 7. tit. xv. art. 46. tit. xvij. art. 1. 3. 4. & 6. & tit. xxj. art. 4. & 5. tit. xxij. art. 5. & tit. xxiij. art. 11.

Dans les forêts coûtumieres & non en défense, les chablis sont laissés aux coûtumiers & usagers. Un arrêt du parlement de Roüen ordonna que des chablis qui étoient en abondance, & formoient une diminution de la forêt coûtumiere, la tierce partie étoit dûe aux coûtumiers aux charges de la coûtume. Voyez la conférence des ordonnances de Guênois, tit. des eaux & forêts. Boucheul sur Poitou, art. 159. n. 31. (A)


CHABNAMS. m. (Manufact. & Comm.) mousseline très-fine, ou toile de coton claire, qui vient particulierement de Bengale. Voyez l'article MOUSSELINE.


CHABNO(Géog. mod.) ville de Pologne dans la haute Volhinie, sur la riviere d'Usza.


CHABOTS. m. (Hist. nat. Ichtiolog.) gobio fluviatilis, Gesn. cottus. Rond. petit poisson de riviere qui a quatre ou cinq pouces de longueur, & quelquefois six. La tête est grande, large, applatie par le dessus, & arrondie dans sa circonférence. C'est à cause de la grosseur de la tête de ce poisson qu'on l'a aussi appellé tête-d'âne, & âne. Il n'a point d'écailles : son dos est jaunâtre, & marqué de trois ou quatre petites bandes transversales : ses yeux sont petits, placés au milieu de la tête, & disposés de façon qu'ils ne regardent point en haut, mais à côté : l'iris est de couleur d'or ; la levre supérieure est recourbée en-dessus : la bouche est grande, arrondie, & toute hérissée de petites dents. Le chabot a deux nageoires auprès des oüies ; elles ont chacune environ treize piquans : elles sont arrondies & crénelées tout-au-tour. Il y a deux autres nageoires plus bas sur le milieu du ventre : elles sont petites, un peu longues, blanchâtres, & garnies de quatre piquans. Il y en a une autre qui s'étend depuis l'anus jusqu'à la queue, & qui est composée de douze piquans, & deux autres sur le dos : la plus courte est auprès de la tête ; elle est garnie de cinq piquans, & ordinairement de couleur noire, à l'exception du bord supérieur qui est roux : la plus longue n'est pas éloignée de l'autre ; elle s'étend presque jusqu'à la queue, & elle est composée de dix-sept piquans. Il y a de chaque côté, auprès du couvercle des oüies, un petit piquant crochu, & recourbé en-dessus. La queue est arrondie, & composée de onze ou douze piquans branchus : les piquans de toutes les autres nageoires sont simples. Les oeufs de la femelle la font paroître enflée. On trouve le chabot dans les ruisseaux & dans les fleuves pierreux : il se tient presque toûjours au fond ; il se cache sous les pierres, & il se nourrit d'insectes aquatiques. Willughby. Rondelet. Voyez POISSON. (I)

* Pêche du chabot. Le chabot ne se prend point à l'hameçon, parce qu'il ne donne point à l'appât : il se pêche avec des nasses & autres filets semblables. Voyez NASSES.


CHABRATES. f. (Hist. nat. Litholog.) Boece de Boot dit que c'est une pierre transparente semblable à du crystal de roche, à qui la trop crédule antiquité attribuoit mille vertus singulieres. (-)


CHABREvoyez CRABE.


CHABRIA(Géog. mod.) riviere de Macédoine dans la province d'Emboli, qui se jette dans la Méditerranée à Salonique.


CHABUR(Géog. mod.) riviere d'Asie dans le Diarbek, qui se jette dans l'Euphrate à Alchabur.


CHACABOUTou XACABOUT, comme on l'écrit dans les Indes, sub. m. (Hist. mod.) est une sorte de religion qui s'est répandu dans le Tunquin, à la Chine, au Japon, & à Siam. Xaca, qui en est l'auteur, y enseigna pour l'un de ses principes la transmigration des ames, & assûra qu'après cette vie il y avoit des lieux différens pour punir les divers degrés de coupables, jusqu'à ce qu'après avoir satisfait chacun selon l'énormité de ses péchés, ils retournoient en vie, sans finir jamais de mourir ou de vivre : mais que ceux qui suivoient sa doctrine, après un certain nombre de résurrections, ne revenoient plus, & n'étoient plus sujets à ce changement. Pour lui il avoüoit qu'il avoit été obligé de renaître dix fois, pour acquérir la gloire à laquelle il étoit parvenu ; après quoi les Indiens sont persuadés qu'il fut métamorphosé en éléphant blanc. C'est de-là que vient le respect que les peuples du Tunquin & de Siam ont pour cet animal, dont la possession même a causé une guerre cruelle dans les Indes. Quelques-uns croyent que Xaca étoit juif, ou du moins qu'il s'étoit servi de leurs livres. Aussi dans les dix commandemens qu'il avoit prescrits, il s'en trouve plusieurs conformes à ceux du Décalogue, comme d'interdire le meurtre, le larcin, les desirs déréglés, & autres.

Quant au tems où il a vécu, on le fait remonter jusqu'au regne de Salomon : on a même conjecturé que ce pouvoit bien être quelqu'un de ces misérables que ce grand roi chassa de ses états, & qu'il exila dans le royaume de Pégu pour y travailler aux mines ; c'est du moins une ancienne tradition du pays. La doctrine de cet imposteur fit d'abord de grands progrès dans le royaume de Siam ; & delà elle s'étendit à la Chine, au Japon, & aux autres états, où les bonzes se vantent d'être les disciples des Talapoins, sectateurs de Xaca. Mais le royaume de Siam n'est plus aujourd'hui la source de toutes leurs fausses doctrines, puisque les Siamois mêmes vont s'instruire de la doctrine de Xaca dans le royaume de Locos, comme dans une université. Sur quoi voyez le pere Tissanier, jésuite françois, qui étoit au Tunquin en 1658, 1659, & 1660, dans la relation qu'il a faite de son voyage. Voyez aussi Tavernier, dans ses voyages des Indes. (a)


CHACAINGA(Géog. mod.) contrée de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans l'audience de Lima.


CHACAL(Hist. nat. Zoolog.) animal dont quelques voyageurs racontent les particularités, & donnent la description suivante. Ils lui attribuent beaucoup de ressemblance avec le renard ; ils prétendent seulement que le chacal est plus gros, & qu'il a le poil plus rude & plus épais ; qu'il est commun dans les pays orientaux, mais sur-tout en Mingrelie & dans les deserts de l'Arabie & de l'Assyrie ; qu'il est si carnassier qu'il déterre les morts, dévore les autres animaux, & mange les petits enfans : qu'il a le cri perçant & traînant comme le chat ; & que c'est l'hyene des anciens, & le dabuh des Africains. Chardin ajoûte qu'on l'appelle en latin crocuta, & en grec . Les voyageurs chargent encore leurs descriptions d'autres particularités si puériles, qu'on a cru devoir les omettre : telle est celle-ci, que quand ces animaux hurlent, ils s'entre-répondent en duo, l'un faisant la basse, & l'autre le dessus. Le chacal est, selon toute apparence, du nombre des animaux, ou qui sont désignés en histoire naturelle sous différens noms, ou qui n'étant connus que sur le récit des voyageurs, ordinairement assez mauvais naturalistes, ne mériteroient guere de place dans un ouvrage où l'on ne voudroit insérer que des choses bien sûres.


CHACARTS. m. (Manufact. & Comm.) toiles de coton à carreaux. Elles viennent particulierement de Surate. Il y en a de différentes couleurs.


CHACHAPOYASou SAINT JEAN DE LA FRONTERA, (Géog. mod.) petite ville de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans l'audience de Lima.


CHACK(Géog. mod.) petite ville forte de la basse Hongrie, près de la Draw.


CHACO(Géog. mod.) grand pays de l'Amérique méridionale, sur la riviere du Paraguai, borné par le Pérou, la province de la Plata, le pays des Amazones. Il est habité par des nations sauvages, peu connues des Européens.


CHACONNES. m. (Musique) est une sorte de piece de musique faite pour la danse, dont le mouvement est modéré, & la mesure bien marquée. Autrefois il y avoit des chaconnes à deux tems & à trois : on n'en fait plus aujourd'hui qu'à cette derniere mesure. Ce sont pour l'ordinaire des chants qu'on appelle couplets, composés & variés de toutes les manieres, sur une basse contrainte de quatre en quatre mesures, commençant presque toûjours par le second tems. On s'affranchit insensiblement de cette contrainte de la basse, & l'on n'y a presque plus aucun égard. La beauté de la chaconne consiste à trouver des chants qui marquent bien la mesure, & comme elle est d'ordinaire fort longue, à varier tellement les couplets, qu'ils contrastent bien ensemble, & qu'ils réveillent sans-cesse l'attention de l'auditeur. Pour cela on passe & repasse à volonté du majeur au mineur, sans quitter pourtant le ton par où l'on a commencé ; & du grave au gai, ou du tendre au vif, sans presser ni ralentir jamais la mesure.

La chaconne est née en Italie, & elle y étoit autrefois fort en usage, de même qu'en Espagne : on ne la connoît plus aujourd'hui qu'en France, dans nos opéra. (S)

Les chaconnes de Lulli ont eu autrefois & ont encore beaucoup de réputation. Nous en avons dans d'autres opéra plusieurs qui sont estimées : celle de Sémélé de Marais, & celle de Pyrame & Thisbé de MM. Rebel & Francoeur. Nous en avons trois admirables de M. Rameau ; celle des Sauvages dans les Indes galantes, celle des Fêtes de Polymnie, & celle de Naïs, dont nous parlerons tout-à-l'heure. (O)

CHACONNE, s. f. (Danse) elle tient de la danse haute, & de la danse terre-à-terre, & s'exécute sur une chaconne, ou sur un air de ce mouvement. Voyez CHACONNE en Musique.

On a porté fort loin de nos jours ce genre de danse. Le fameux M. Dupré n'en a guere exécuté d'autre.

Comme les chaconnes sont composées de divers couplets ; que dans ceux du majeur on met ordinairement des traits de symphonie forts & fiers, & dans ceux du mineur, des traits doux, tendres, & voluptueux, ce danseur trouvoit dans cette variété les moyens de développer sa précision & ses graces.

Il y a une chaconne en action dans le premier acte de Naïs. Sur ce grand air de violons, on dispute les prix de la lutte, du ceste, & de la course. M. Dupré joüoit dans ce ballet le rôle principal : il recevoit des mains de Naïs le prix du vainqueur, & de celles du parterre les applaudissemens que mérite le plus grand talent en ce genre qu'on ait encore vû en Europe. (B)


CHACOS(Hist. nat. bot.) arbrisseau du Pérou, dont la feuille est ronde, mince, & d'un beau verd ; & le fruit rond d'un côté, applati de l'autre, d'une couleur cendrée, & contenant une graine fort menue, à laquelle on attribue la propriété lythontriptique & diurétique.


CHACRILLEvoyez CASCARILLE.


CHADER(Géog. mod.) île considérable d'Asie, formée par le Tigre & l'Euphrate, au-dessus de leur confluent.


CHAFAUDIERS. m. (Pêche) c'est ainsi qu'on appelle sur les vaisseaux bretons qui vont à la pêche de la morue, ceux de l'équipage dont la fonction est de dresser les échafauds sur lesquels on met sécher le poisson. MS. de M. Masson du Parc.


CHAFERCONNÉESS. m. pl. (Manuf. Com.) toiles peintes qui se fabriquent dans le Mogol. Voyez TOILES PEINTES.


CHAFFES. f. terme d'Amydonniers ; c'est ainsi que ces ouvriers appellent le son ou l'écorce du grain qui reste dans leurs sacs, après qu'ils en ont exprimé avec de l'eau toute la fleur du froment. Voyez AMYDON, AMYDONNIERS.


CHAGNI(Géog. mod.) petite ville de France en Bourgogne, au Châlonnois, sur la Duesne.


CHAGRA(Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, qui la sépare d'avec la septentrionale, & qui tombe dans la mer près de Porto-belo.


CHAGRINS. m. (Morale) c'est un mouvement desagréable de l'ame, occasionné par l'attention qu'elle donne à l'absence d'un bien dont elle auroit pû joüir pendant plus long-tems, ou à la présence d'un mal dont elle desire l'absence. Si la perte du bien que vous regrettez étoit indépendante de vous, disoient les Stoïciens, le chagrin que vous en ressentez est une opposition extravagante au cours général des évenemens : si vous pouviez la prévenir, & que vous ne l'ayez pas fait, votre chagrin n'en est pas plus raisonnable, puisque toute la douleur possible ne réparera rien. En un mot, le bien qui vous manque, le mal qui vous est présent, sont-ils dans l'ordre physique ? cet ordre est antérieur à vous ; il est au-dessus de vous ; il est indépendant de vous ; il sera postérieur à vous : laissez-le donc aller sans vous en embarrasser : sont-ils dans l'ordre moral ? le passé n'étant plus, & le présent étant la seule chose qui soit en votre puissance, pourquoi vous affliger sur un tems où vous n'êtes plus, au lieu de vous rendre meilleur pour le tems où vous êtes, & pour celui où vous pourrez être ? Il n'y a aucune philosophie, disoit Epictete, à accuser les autres d'un mal qu'on a fait ; c'est en être au premier pas de la philosophie, que de s'en accuser soi-même ; c'est avoir fait le dernier pas, que de ne s'en accuser ni soi-même ni les autres. Il faut convenir que cette insensibilité est assez conforme au bonheur d'une vie telle que nous sommes condamnés à la mener, où la somme des biens ne compense pas à beaucoup près celle des maux : mais dépend-elle beaucoup de nous ? & est-il permis au moraliste de supposer le coeur de l'homme tel qu'il n'est pas ? Ne nous arrive-t-il pas à tout moment de n'avoir rien à répondre à tous les argumens que nous opposons à nos peines même d'esprit ou de coeur, & de n'en souffrir ni plus ni moins ? Si c'est la perte d'un bien qu'on regrette,

Une si douce fantaisie

Toûjours revient ;

En songeant qu'il faut qu'on l'oublie,

On s'en souvient. M. Mongrif.

S'il s'agit d'émousser la pointe d'un mal, c'est en vain que j'appelle à mon secours, dit Chaulieu,

Raison, philosophie ;

Je n'en conçois, hélas, aucun soulagement !

A leurs belles leçons, insensé qui se fie ;

Elles ne peuvent rien contre le sentiment.

Raison me dit que vainement

Je m'afflige d'un mal qui n'a point de remede :

Mais je verse des pleurs dans ce même moment,

Et sens qu'à ma douleur il vaut mieux que je cede.

* CHAGRIN, s. m. (Manuf. & Comm.) espece de cuir grainé ou couvert de papilles rondes, serré, solide, qu'on tire de Constantinople, de Tauris, d'Alger, de Tripoli, de quelques endroits de la Syrie, & même de quelques cantons de la Pologne, & que les Gaîniers particulierement employent à couvrir leurs ouvrages les plus précieux.

Il n'y a point d'animal appellé chagrin, comme quelques-uns l'ont crû : les cuirs qui portent ce nom se font avec les peaux de la croupe des chevaux & des mulets. On les tanne & passe bien ; on les rend le plus mince qu'il est possible ; on les expose à l'air ; on les amollit ensuite ; on les étend fortement ; puis on répand dessus de la graine de moutarde la plus fine ; on les laisse encore exposées à l'air pendant quelque tems ; & on finit par les tenir serrées fortement dans une presse : quand la graine prend bien, les peaux sont belles ; sinon il reste des endroits unis, qu'on appelle miroirs : ces miroirs sont un grand défaut. Voilà tout ce que nous savons de la fabrique du chagrin. Nous devons ce petit détail, selon toute apparence assez inexact, à M. Jaugeon. Voyez les mémoires de l'académie des Sciences, année 1709.

Le chagrin est très-dur, quand il est sec ; mais il s'amollit dans l'eau ; ce qui en facilite l'emploi aux ouvriers. On lui donne par la teinture toute sorte de couleur. On distingue le vrai chagrin de celui qui se contrefait avec le maroquin, en ce que celui-ci s'écorche, ce qui n'arrive pas à l'autre. Le gris passe pour le meilleur ; & le blanc ou sale, pour le moins bon.

* CHAGRIN, s. m. (Manuf. & Comm.) espece de taffetas moucheté, appellé chagrin, parce que les mouches exécutées à la surface de ce chagrin taffetas ont une ressemblance éloignée avec les grains ou papilles du chagrin cuir. Voyez plus haut.


CHAIBAR(Géog. mod.) riviere de l'Arabie heureuse, dans le territoire de la Mecque, qui se jette dans la mer Rouge.


CHAIDEURS. m. (Minéralog.) nom que l'on donne dans les mines aux ouvriers qui pilent la mine à bras.


CHAIou BELANDRE, (Marine) voyez BELANDRE. (Z)


CHAIERS. m. (Commer.) petite monnoie d'argent qui se fabrique & qui a cours en Perse : elle est ronde, & porte pour écusson le nom des douze imans révérés dans la secte d'Ali, & pour effigie celle du prince regnant, avec des légendes & autres marques relatives à la ville où elle a été fabriquée, & à la croyance du pays. Le chaïer vaut quatre sous sept deniers un tiers argent de France.


CHAIFUNG(Géog. mod.) ville de la Chine, capitale de la province de Honnang.


CHAINES. f. (Art méchan.) c'est un assemblage de plusieurs pieces de métal appellées chaînons ou anneaux (Voyez CHAINONS), engagés les uns dans les autres, de maniere que l'assemblage entier en est flexible dans toute sa longueur, comme une corde dont il a les mêmes usages en plusieurs occasions, & que les chaînons qui en forment les différentes parties ne peuvent se séparer que par la rupture. On fait de ces assemblages de chaînons, appellés chaînes, avec l'or, l'argent, l'étain, le cuivre, &c. il y en a de ronds, de plats, de quarrés, de doubles, de simples, &c. Ils prennent différens noms, selon les différens usages auxquels on les employe. C'étoit aux maîtres Chaînetiers à qui il appartenoit, privativement à tous autres ouvriers, de les travailler & de les vendre : mais les Orfévres, Metteurs en oeuvre, Jouailliers, se sont arrogé le droit de faire celles d'or & d'argent ; ils ont été imités par d'autres ouvriers, & la communauté des Chaînetiers s'est presqu'éteinte. Voyez CHAINETIERS.

L'art de faire des chaînes est assez peu de chose en lui-même ; mais il suppose d'autres arts très-importans, tels que celui de tirer des métaux en fils ronds de toute sorte de grosseur. Nous n'expliquerons pas la maniere de fabriquer toutes sortes de chaînes ; nous en allons seulement parcourir quelques especes, d'après lesquelles on pourra juger du travail & du tissu des autres.

Entre les différentes especes de chaînes, une des principales & des plus anciennes est celle qu'on appelle chaîne à la Catalogne : elle est composée de différens anneaux ronds ou elliptiques, enfermés les uns dans les autres, de maniere que chaque anneau en enferme deux, dont les plans sont nécessairement perpendiculaires au sien, si l'on prend la portion de chaîne composée de trois anneaux, & qu'on la laisse pendre librement. Ces anneaux sont soudés, & paroissent d'une seule piece : ce sont eux qui constituent la grosseur de la chaîne. On les appelle mailles ou maillons. On fait ces chaînes plus ou moins grosses, selon l'usage auquel on les destine. Si les maillons sont ronds, la chaîne s'appelle chaîne de la Catalogne ronde ; s'ils sont elliptiques, elle s'appelle chaîne à la Catalogne longue. Voyez Pl. du chaînetier, fig. 1. & 2.

Une autre sorte de chaîne composée aussi d'anneaux soudés, & dont on s'est beaucoup servi autrefois pour suspendre les clés des montres à la boîte, est un tissu auquel on a donné le nom de chaîne quarrée. Les anneaux de cette chaîne ne sont point enlacés les uns dans les autres avant que d'être soudés : on commence par les former d'une figure elliptique ; on les ploye en deux ; & dans l'anse que fait un anneau ployé en cet état, on en fait passer un autre ployé de même, dans ce second un troisieme, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on ait donné à la chaîne la longueur qu'on desire. Voyez même Planche, figure 3.

On fabrique de cette maniere des chaînes à six & à huit faces, qu'on appelle cordons, à cause de leur rondeur, par laquelle elles ne different guere d'une corde : celles qui ont moins de faces, prennent leurs noms du nombre de leurs faces : ainsi il y a des chaînes à trois faces, d'autres à quatre, à cinq, &c.

Il y a des chaînes en S de plusieurs sortes & grandeurs : les plus simples sont composées d'S dont les deux bouclettes sont dans le même plan. Après avoir formé, soit au marteau, soit avec la pince, selon la grosseur de la chaîne, un grand nombre d'S, on passe la bouclette de l'une dans l'autre ; puis avec la pince plate ou le marteau, on ferme cette bouclette : on passe la bouclette d'une seconde dans une troisieme, celle d'une troisieme dans une quatrieme, ainsi de suite ; & on a une chaîne d'S toutes attachées les unes aux autres ; de maniere que le plan d'une S quelconque est perpendiculaire au plan des deux S qui lui sont attachées & contiguës, & ainsi alternativement : ce qui a fait donner à cette chaîne le nom de chaînes à S plates. Voyez même Planche, fig. 4.

Une autre espece de chaînes, appellée chaîne à quatre faces, ne differe de celle que nous venons de décrire, qu'en ce que les deux bouclettes qui sont pratiquées à l'extrémité de chaque S, sont dans des plans perpendiculaires les uns aux autres ; au lieu que dans la chaîne précédente les deux bouclettes étoient dans le même plan. Fig. 5.

On fait avec du fil-de-fer recuit des chaînes qui ont une très-grande force : pour cet effet on ploye avec la pince le même fil-de-fer plusieurs fois en forme de 8 de chiffre, & on ficelle le milieu avec le même fil-de-fer contourné plusieurs fois. On nomme ces chaînes, chaînes en gerbes. Voyez la fig. 6. Pour ployer le fil-de-fer en 8 avec plus de célérité, on a un autre outil qu'on appelle fourchette : ce sont deux pointes rondes fichées profondément & parallelement dans le bout d'un manche : il est évident qu'en supposant le fil-de-fer placé entre ces deux pointes, si on meut le manche circulairement, le fil-de-fer prendra nécessairement la forme d'un 8, chaque pointe se trouvant enfermée dans chaque bouclette du 8, & le fil-de-fer se croisant entre les deux pointes à chaque tour du manche sur lui-même (voyez fig. 7.) la fourchette avec le fil-de-fer croisé en 8 sur les pointes. A le manche. B, C, les pointes. D, E, le fil-de-fer. On voit encore qu'il faut passer les mailles les unes dans les autres à mesure qu'on les fabrique.

Les chaînes à trois faces sont de la même espece que celles qu'on appelle chaînes à quatre faces, dont elles ne different qu'en ce que les plans des bouclettes de l'S, au lieu d'être à angles droits, forment ensemble un angle de 120 degrés ; d'où il s'ensuit que la chaîne pourroit être inscrite à un prisme triangulaire ; d'où lui vient sa dénomination de chaîne à trois faces. Voyez la fig. 8.

Il y en a de cette derniere espece qu'on appelle à bouts renfoncés : ce sont celles où les extrémités des bouclettes sont recourbées en crochets, de maniere que le bout de la bouclette d'en-bas rentre dans la bouclette d'en-haut, & le bout de la bouclette d'en-haut rentre dans la bouclette d'em-bas. Voyez la fig. 9. Cette chaîne a beaucoup de force.

La chaîne qu'on appelle catalogne double, doit se rapporter à l'espece des chaînes à quatre faces composées d'anneaux soudés avant que d'être passés les uns dans les autres. Voyez la fig. 10.

On voit qu'il est possible de faire les maillons de la fig. 3. si petits qu'on veut, & qu'on en formera des chaînes très-délicates. L'invention de ces sortes de chaînes qui servent à pendre des montres, des étuits d'or & d'autres bijoux, nous vient d'Angleterre ; ce qui les a fait nommer chaînes d'Angleterre. Nos ouvriers sont enfin parvenus à les imiter avec beaucoup de succès. On les fabrique d'or, mais plus souvent de cuivre doré. Les maillons ont environ trois lignes de longueur, sur une ligne de largeur : quand ils sont repliés & passés les uns dans les autres, ils forment un tissu si serré, qu'on les prendroit non pour de la toile, mais pour ces ornemens de broderie qu'on pratique sur de la toile, & qu'on appelle chaînette. Voyez CHAINETTE. Il y a jusqu'à quatre mille petits maillons dans une chaîne à quatre pendans ; mais l'assemblage en est si parfait, que l'on prendroit le tout pour une quantité continue & flexible.

Dans le commerce des chaînes, les grosses chaînes de fer se vendent à la piece ; les médiocres de fer, & celles de cuivre de toute grosseur, se vendent au pié : ces dernieres, quand elles sont fines, s'achetent au poids. Il en est de même de celles d'or & d'argent, dont la façon se paye encore à part.

Il se fait en Allemagne des petites chaînes d'un travail si délicat, qu'on en peut effectivement enchaîner les plus petits insectes ; telles sont celles qu'on apporte de Nuremberg, & de quelques autres villes d'Allemagne. La maniere dont ces ouvrages s'exécutent, ne differe pas de celle dont on fait les chaînes de montre : les chaînons s'en frappent avec un poinçon qui les forme & les perce en même tems. Voyez CHAINE, Horlog. CHAINE, Marine. CHAINE, Agricult. &c.

Les Romains portoient avec eux des chaînes quand ils alloient en guerre ; elles étoient destinées pour les prisonniers qu'on feroit : ils en avoient de fer, d'argent, & même quelquefois d'or ; ils les distribuoient suivant le rang & la dignité du prisonnier. Pour accorder la liberté, on n'ouvroit pas la chaîne, on la brisoit ; c'étoit même l'usage de la couper avec une hache ; les débris en étoient ensuite consacrés aux dieux Lares. Voyez AFFRANCHI, PRISONNIER, ESCLAVE.

La chaîne étoit chez les Gaulois un des principaux ornemens des hommes d'autorité ; ils la portoient en toute occasion : dans les combats, elle les distinguoit des simples soldats.

C'est aujourd'hui une des marques de la dignité du lord maire à Londres : elle reste à ce magistrat lorsqu'il sort de fonction, comme une marque qu'il a possédé cette dignité.

La chaîne entre dans le blason, & forme quelquefois une partie des armoiries. Les armes de Navarre sont des chaînes d'or, sur un champ de gueules.

CHAINE, en terme de Justice, se prend non-seulement pour les liens de fer avec lesquels on attache les criminels qui sont condamnés aux galeres, mais se prend aussi quelquefois pour la peine même des galeres, & quelquefois pour la troupe des criminels que l'on conduit aux galeres.

On forme à Paris une chaîne de tous ceux qui sont condamnés aux galeres. Il y a une chaîne particuliere pour la Bretagne, & une autre pour le parlement de Bordeaux. Il y a un commissaire de Marine & un capitaine pour chaque chaîne. (A)

CHAINE, dans l'Arpentage, signifie une mesure composée de plusieurs pieces de gros fil-de-fer ou de laiton recourbées par les deux bouts : chacune de ces pieces a un pié de long, y compris les petits anneaux qui les joignent ensemble.

Les chaînes se font ordinairement de la longueur de la perche du lieu où l'on veut s'en servir, ou bien de quatre à cinq toises de long, & même plus longues, si l'on a des grandes stations à mesurer, comme de huit ou dix toises. On les distingue quelquefois par un plus grand anneau de toise en toise : ces sortes de chaînes sont fort commodes, en ce qu'elles ne se noüent point comme celles qui sont faites de petites mailles de fer. Voyez les articles PERCHE, VERGE, &c.

En 1668 on a placé un nouvel étalon ou modele de la toise fort juste, au bas de l'escalier du grand Châtelet de Paris, pour y avoir recours en cas de besoin.

La chaîne sert à prendre les dimensions des terreins. C'est ce que le pere Mersenne appelle l'arvipendium des anciens. Voyez ACRE.

On employe aussi au lieu de chaînes des cordes ; mais elles sont sujettes à beaucoup d'inconvéniens, qui proviennent soit des différens degrés d'humidité, soit de la force qui les tend.

Schwenterus, dans sa Géométrie pratique, nous dit qu'il a vû une corde de seize piés de long, réduite en une heure de tems à quinze, par la seule chûte d'une gelée blanche. Pour prévenir ces inconvéniens, Wolf conseille de tortiller en sens contraire les petits cordons dont la corde est composée, de tremper la corde dans de l'huile bouillante, & quand elle sera seche, de la faire passer à-travers de la cire fondue, afin qu'elle s'en imbibe : une corde ainsi préparée ne se rallongera ni ne se raccourcira point-du-tout, quand même on la garderoit un jour entier sous l'eau.

Usage de la chaîne dans l'arpentage. La maniere d'appliquer la chaîne à la mesure des longueurs est trop connue, pour avoir besoin d'être décrite. Lorsqu'on enregistre les dimensions prises par la chaîne, il faut séparer la chaîne & les chaînons par des virgules ; ainsi une ligne longue de soixante-trois chaînes & cinquante-cinq chaînons, s'écrit en cette sorte, 63, 55. Si le nombre des chaînons n'est exprimé que par un seul caractere, on met alors un zéro au-devant : ainsi dix chaînes, huit chaînons, s'écrivent en cette sorte, 10, 08.

Pour trouver l'aire d'un champ dont les dimensions sont données en chaînes & chaînons, voyez AIRE, TRIANGLE, QUARRE.

Pour prendre avec la chaîne un angle D A E, Pl. d'Arpent. fig. 1. vous mesurerez en partant du sommet A, une petite distance jusqu'en d & en c ; ensuite vous mesurerez la distance d c. Pour tracer cela sur le papier, vous prendrez à volonté la ligne A E, & vous y rapporterez, au moyen de votre échelle, la distance mesurée sur le côté qu'elle représente. Voyez ECHELLE.

Ensuite prenant avec votre compas la longueur mesurée sur l'autre côté, du sommet A, comme centre, décrivez un arc d c ; & du point c, comme centre, avec la distance mesurée c d, décrivez un autre arc a b : par le point où cet arc coupe le premier, tirez la ligne A D : par ce moyen l'angle est rapporté sur le papier ; & l'on pourra, si l'on veut, en prendre la quantité sur une ligne des cordes. Voyez CORDE & COMPAS DE PROPORTION.

Pour lever le plan, ou pour faire le dessein d'un lieu, comme A B C D E (fig. 2.), en se servant de la chaîne, on en fera d'abord une esquisse grossiere ; & mesurant les différens côtés A B, B C, C D, D E, on écrira la longueur de chaque côté le long de son côté correspondant dans l'esquisse ; ensuite si on leve le plan en-dedans du lieu proposé, au lieu de mesurer les angles comme ci-dessus, on mesurera les diagonales A D, B D, & la figure se trouvera de la sorte réduite en trois triangles, dont tous les côtés seront connus, comme dans le premier cas, & pourront être rapportés sur le papier suivant la méthode ci-dessus.

Si on leve le plan en-dehors du lieu proposé, il faudra prendre en ce cas les angles de la maniere suivante. Pour prendre, par exemple, l'angle B C D, on prolongera les lignes B C, C D, à des distances égales en a b (par exemple de la longueur de cinq chaînes), & on mesurera la distance a b ; on aura par-là un triangle isocele c a b, dans lequel l'angle a b c = B C D son opposé, est connu : ainsi l'on connoîtra l'angle B C D, & l'on pourra le tracer comme ci-dessus.

Trouver avec la chaîne la distance entre deux objets inaccessibles l'un par rapport à l'autre de quelque point, comme C (fig. 3.), dont la distance à chaque objet A & B, soit accessible en ligne droite. Mesurez la distance C A, que je suppose de cinquante chaînes, & prolongez-la jusqu'en D, c'est-à-dire, cinquante chaînes encore plus loin ; mesurez de même B C, que je suppose de trente chaînes, & prolongez-la jusqu'en E, trente chaînes encore plus loin : vous formerez de la sorte le triangle C D E, semblable & égal au triangle A B C ; & ainsi mesurant la distance D E, vous aurez la distance inaccessible cherchée.

Trouver la distance d'un objet inaccessible, comme la largeur d'une riviere, par le moyen de là chaîne. Sur l'une des rives plantez bien perpendiculairement une perche haute de quatre ou cinq piés, où il y ait dans une fente pratiquée en-haut, une petite piece de fil-de-fer, ou d'autre matiere semblable, bien droite ; & longue de deux ou trois pouces ; vous ferez ensuite glisser cette petite piece en-haut ou em-bas, jusqu'à ce que votre oeil apperçoive ou rencontre l'autre rive, en regardant le long de ce fil-de-fer : vous tournerez ensuite la perche, en laissant toûjours le fil-de-fer dans la même direction ; & regardant le long de ce fil, comme ci-dessus, remarquez sur le terrein où vous pouvez opérer, l'endroit où aboutit votre rayon visuel : enfin mesurez la distance qu'il y a de votre perche à ce dernier point ; ce sera la largeur de la riviere proposée. Voyez ARPENTEUR, RAPPORTEUR, &c. (E)

* CHAINE sans fin, (Art méchan.) c'est ainsi qu'on appelle la chaîne où les chaînons se tiennent tous, & où il n'y en a par conséquent aucun qu'on ne puisse regarder comme le premier & le dernier de la chaîne. Voyez CHAPELET.

CHAINES, en Architecture, se dit dans la construction des murs de moilon, des jambes de pierre élevées à-plomb, ou faites d'un carcan ou d'une pierre posée alternativement entre deux harpes (Voyez HARPES), ou deux autres pierres plus longues, pour former liaison dans le mur : elles servent à porter les principales pieces de bois d'un plancher, comme poutres, solives d'enchevêtrure, & sablieres ; & à entretenir les murs, qui n'auroient pas assez de solidité n'étant que de moilon, s'il n'y avoit point de chaînes. (P)

* CHAINES de fer, (Architect. & Serrur.) assemblage de plusieurs barres de fer plat, liées bout-à-bout par des clavettes ou crochets. On pose cet assemblage sur le plat dans l'épaisseur des murs, avec des ancres à chaque extrémité : son effet est d'entretenir les murs, & d'en empêcher l'écartement. Voyez SERRURERIE, Pl. XII. fig. 1. le tirant d'une chaîne. K le crochet. L le coin ou la clavette. N, N, une moufle double. K une moufle simple. R, P, Q, ces pieces assemblées, & telles qu'elles sont posées en ouvrage. V, T, S, autre maniere de faire les mouffles des chaînes. Cette construction est plus simple. V la barre qui porte la moufle simple, & qui est soudée avec l'oeil du tirant. S la moufle double. T, T, la clavette qui tient les trois mouffles réunies. R, R, partie de la chaîne avec un crochet.

CHAINE de port, (Marine) ce sont plusieurs chaînes de fer, ou quelquefois une seule, tendues à l'entrée du port, pour empêcher qu'on puisse y entrer. Lorsque la bouche du port est grande, elles portent sur des piles placées d'espace en espace.

CHAINE de vergues, (Marine) ce sont de certaines chaînes de fer qu'on tient dans la hune d'un vaisseau, & dont on se sert dans le combat pour tenir les vergues, lorsqu'il arrive que le canon en coupe les cordes ou manoeuvres.

CHAINES de chaudiere, (Marine) ce sont des chaînes de fer qui servent à tenir la chaudiere où cuisent les vivres de l'équipage lorsqu'elle est sur le feu. (Z)

* CHAINE, (Commerce) mesure qui s'applique à différentes sortes de marchandises, telles que le bois, le grain en gerbes, le foin, & même aux chevaux dont on veut prendre la hauteur. Cette mesure est faite d'une petite chaîne de fer ou de laiton divisée en différentes parties égales par des petits fils de laiton ou de fer fixés sur sa longueur. Ces divisions sont ou par piés & par pouces, ou par palmes, selon l'usage des pays. La chaîne s'applique à Paris, particulierement à la mesure du bois de compte : l'étalon en est gardé au greffe du châtelet : il a quatre piés de longueur ; à l'un des bouts est un petit anneau dans lequel peut être reçû un crochet qui est à l'autre bout, & qu'on peut encore arrêter en d'autres points de la chaîne. Comme il y a trois sortes de bois de compte, dont la grosseur excede celle du bois qui se mesure dans la membrure, il y a sur la longueur de la chaîne, depuis le crochet, trois divisions différentes distinguées par des S de fer, & chacune de ces divisions marque la circonférence du bois qui doit être admis ou rejetté de la mesure de la chaîne. Pour savoir si une piece de bois doit être membrée, ou mesurée à la chaîne, on lui applique la portion de la chaîne comprise depuis le crochet jusqu'à l'S, qui termine la longueur qui doit lui servir de mesure : si cette portion est précisément la mesure de la circonférence de la piece de bois, cette piece est réputée de l'espece de bois de compte désignée par la portion de chaîne qui lui a été appliquée : si elle est lâche sur cette piece de bois, cette piece est renvoyée à l'espece de bois de compte qui est au-dessous de la mesure employée, ou même elle est entierement rejettée. Au contraire elle est réservée pour l'espece de bois de compte qui est au-dessus, si la portion de chaîne qui lui est appliquée étant trop petite pour l'embrasser, le crochet ne peut pas entrer dans la bouclette de fer de l'S qui termine cette portion de la chaîne. On a donné quatre piés à la longueur de la chaîne, parce qu'on peut l'appliquer par ce moyen à toute autre mesure de bois, soit neuf soit flotté ; ces mesures ou membrures devant porter quatre piés en quarré. Voyez BOIS, MEMBRURE.

* CHAINE, s. f. (Agricult.) c'est dans une charrue un gros anneau de fer qui tient le timon avec le paumillon. Le timon passe dans cet anneau, & y est arrêté par une cheville. On avance ou on recule la chaîne, en faisant monter ou descendre l'anneau sur le timon, & en le fixant avec la cheville qu'on place alors dans un trou plus haut ou plus bas, selon qu'on se propose de tracer des sillons plus ou moins profonds. Il est évident que selon qu'on descend l'anneau plus ou moins bas sur le timon, le timon se trouve plus ou moins parallele à l'horison ; & que formant avec le terrein un plus grand ou un plus petit angle, le soc poussé par le laboureur enfonce en terre plus ou moins facilement, plus ou moins profondément.

* CHAINES, mettre en chaînes, (Agricult.) se dit dans la récolte du chanvre ou du lin, de la maniere d'exposer à l'air & de faire sécher ces plantes. Ainsi les chaînes de chanvre ou de lin sont de longues files de poignées assez grosses de ces plantes, dressées en chevron les unes contre les autres, de maniere que les têtes se croisent, & que les tiges soient écartées en cone, & puissent recevoir de l'air par le bas. Voyez les articles CHANVRE & LIN.

CHAINES. On dit de plusieurs tas ou meules de foin, des chaines de foin. (K)

* CHAINE, (Pêche) la pêche à la chaîne se fait de la maniere suivante. On cherche une greve un peu spacieuse, où il n'y ait que trois ou quatre piés d'eau : on prend une longue chaîne ; on y attache d'espace en espace des fagots d'épines avec des ficelles longues d'un demi-pié ou environ, de maniere que ces fagots soient suspendus entre deux eaux : cela fait, on étend au bas de la greve deux filets tout proches l'un de l'autre ; puis sans faire de bruit on descend du haut de la greve em-bas, en entraînant la chaîne tendue avec les fagots qui lui sont attachés. Ces fagots chassent le poisson devant eux jusqu'à l'endroit où sont les filets. Lorsqu'on est parvenu à cet endroit, les tireurs de chaîne la levent de toute leur force : le poisson effrayé veut plonger ; mais ceux qui veillent aux filets venant à les lever en même tems, ils vont au-devant du poisson, qui se précipite & qui se prend.

* CHAINES, (Salines) se dit des barres de fer dont le bout est rivé par-dessous la chaudiere avec une clavette de fer, & dont l'extrémité supérieure est rabattue de façon à entrer dans des anneaux attachés à de grosses pieces de bois de sapin, appellées traversiers. Voyez TRAVERSIERS.

* CHAINE, outil de Charron. Cet outil est composé de plusieurs gros chaînons quarrés, longs, & soudés ; à un de ses bouts est une grosse vis de fer retenue au dernier chaînon par un anneau ; à l'autre bout est un morceau de fer quarré, creusé en long, & fait en écrou, propre à recevoir la vis dont on vient de parler. Les Charrons s'en servent pour approcher les raies d'une roue, & pour les faire entrer dans les mortaises des jantes : ce qu'ils exécutent en entourant deux raies avec cette chaîne, & les forçant de s'approcher par le moyen de l'écrou & de la vis, qu'ils assemblent & qu'ils serrent avec une clé à vis. Voyez les fig. 16. & 16 n°. 2. Pl. du Charron. Voyez les articles ROUE, RAIE, JANTE.

CHAINE de montre, (Horloger.) petite chaîne d'acier fort ingénieusement construite, qui sert à communiquer le mouvement du tambour ou barillet à la fusée. Elle est composée de petites pieces ou maillons tous semblables, & percés à leurs extrémités. On en voit le plan dans la fig. 54 Pl. X. de l'Horlogerie. Pour les assembler, on en prend deux, A & B ; entr'eux on fait entrer par chaque bout les extrémités des deux autres D & E, en telle sorte que leurs trous se répondent ; ensuite on les fait tenir ensemble par des goupilles, qui passant à-travers ces trous, sont rivées sur le maillon de dessus & sur celui de dessous ; ce qui forme l'assemblage L S, fig. 42. dont la répétition compose la chaîne entiere. Ces maillons se font avec un poinçon, qui les coupe & les perce d'un seul coup : à chaque bout de la chaîne il y a un crochet ; l'un, T, sert pour le barillet ; l'autre, F, pour la fusée.

On attribue communément l'invention de la chaîne à un nommé Gruet, genevois, qui demeuroit à Londres : ce qu'il y a de certain, c'est que les premieres ont été faites en Angleterre, & que les meilleures viennent encore aujourd'hui de ce pays-là. Au reste celui qui l'a imaginée, remédiant par-là aux inconvéniens de la corde à boyau, a rendu un très-grand service à l'Horlogerie. Voyez là-dessus l'article MONTRE. Voyez FUSEE, BARILLET, &c. (T)

CHAINE, (Maréchall.) voyez MESURE.

* CHAINES d'étuis de pieces, &c. en termes de Metteur en oeuvre, est une chaîne couverte de diamans ; moins longue que celle d'une montre, ayant à ses côtés deux oeufs. Voyez OEUFS & ETUI DE PIECES. C'est à cette chaîne que l'étui est suspendu.

* CHAINE, s. f. terme commun à tous les ouvriers qui ourdissent le fil, la laine, le lin, le coton, le crin, la soie, &c. C'est des matieres qui entrent dans la fabrique des ouvrages d'ourdissage, la partie qui est tendue sur les ensuples, ou ce qui en tient lieu, distribuée entre les dents du peigne, & divisée en portions qui se baissent, se levent, se croisent, & embrassent une autre partie de matieres qui entrent dans la fabrique des mêmes ouvrages, & qu'on appelle la trame. Voyez TRAME.

D'où il s'ensuit que les chaînes varient, soit chez le Tisserand, le Rubanier, le Manufacturier en soie ; soit chez le Drapier, le Gazier, & les autres ouvriers de la même espece, relativement à la matiere, qui peut être ou fil, ou laine, ou coton, ou soie, ou fil & laine, ou fil & coton, ou fil & soie, & ainsi des autres matieres & des combinaisons qu'on en peut faire ; à la quantité des fils, qui peut être plus ou moins grande en total ; au nombre des parties dans lesquelles on peut la diviser, & qu'on appelle portées ; ces portées pouvant être en plus ou moins grand nombre, & chacune pouvant contenir un nombre de fils plus ou moins grand (voyez PORTEE) à la longueur, qui peut aussi varier. Toutes ces différences influent sur la nature des étoffes, leur qualité, leur largeur & leur longueur. Je dis toutes ces différences, sans en excepter le nombre des lisses, & leur jeu. Voyez LISSES.

Les réglemens ont statué sur toutes : par exemple, ils ont ordonné que dans certaines provinces les burats grenés à petits grains auroient à la chaîne trente portées ; que chaque portée seroit de vingt-huit fils ; que les fils seroient distribués dans des rots ou peignes de deux pans & trois quarts de largeur, pour revenir après la foule à deux pans un tiers, & que les pieces auroient quarante cannes de longueur ; que les burats doubles auroient à la chaîne trente-sept portées ; que chaque portée seroit de seize fils, y compris les lisieres ; qu'ils seroient travaillés sur des rots ou peignes de trois pans de large, pour revenir du foulon à deux pans & demi ; & que les pieces auroient de longueur trente-deux à trente-trois cannes ; ainsi des burats grenés à petits grains, des burats demi-doubles & communs, des cordelats à fil fin, des cordelats à gros fil, des cadis, des serges, des razes passe-communes & communes, des draps de toute espece, & de toutes les étoffes en soie. Voyez ces étoffes à leurs articles. Voyez aussi les réglemens pour les Manufactures.

Comme il est difficile de discerner, quand l'étoffe est foulée, si la chaîne a le nombre de fils prescrits, il est aussi enjoint par les réglemens sur plusieurs étoffes, de laisser à la tête de chaque piece un bout de chaîne non tramé, dont on puisse connoître les portées & compter les fils.

Les chaînes se préparent sur l'ourdissoir. Voyez à l'article OURDIR, la maniere dont ce préliminaire s'exécute. Il faut que la matiere en soit bonne : les jurés ont droit de les visiter ; il faut qu'elles soient bandées convenablement sur les ensuples. Il est ordonné pour toutes les étoffes de laine, que les fils de la chaîne soient de même qualité & de même filure ; & qu'ils soient bien collés ou empesés, soit avec de la colle de Flandre, soit avec de la raclure de parchemin bien apprêtée. Voyez dans les régl. génér. des Manufact. celui du mois d'Août 1669. Il est défendu aux manufacturiers de Lyon & de Tours, de faire ourdir leurs chaînes ailleurs que chez eux, ou chez les maîtres ou veuves de leur communauté. Voyez les régl. pour ces manufactures, de 1667.

Voilà ce qu'il y a de plus général sur les chaînes : on trouvera les particularités aux différens articles des étoffes.


CHAINETIERS. m. ouvrier qui sait faire des chaînes, & qui a acquis le droit de les vendre. Les chaînes ne sont pas les seuls ouvrages des Chaînetiers ; ils font encore, en concurrence avec les Epingliers, des hameçons, des couvres-poëles, des sourricieres, des instrumens de pénitence, & toutes sortes de tissus de fil-de-fer & de laiton. Leur communauté, autrefois nombreuse, n'est presque plus rien. Elle avoit des statuts avant Charles IX. Ils s'appelloient sous le regne de ce prince, Haubergeniers, du haubert ou de la cotte de maille ; Tréfliers, d'un ornement en treffle placé au bas des demi-ceints ; & demi-Ceintiers, des demi-ceints. Il n'y a plus de chef-d'oeuvre parmi eux ; le consentement des maîtres suffit à un aspirant pour être reçu, présenté au procureur du roi du châtelet, & muni de lettres. Il ne leur reste de leur discipline ancienne, qui consistoit en une élection annuelle de quatre jurés, un apprentissage de quatre années, un chef-d'oeuvre, le droit de lottissage dans les affaires communes avec les maîtres Epingliers, & celui de quinze sous par botte de fil-de-fer entrant dans Paris ; que l'élection d'un juré de deux en deux ans, qui présente l'aspirant au procureur du roi du châtelet, quand il s'agit d'obtenir des lettres de maîtrise. Voyez les anciens réglemens de la communauté des Chaînetiers.


CHAINETTES. f. diminutif de chaîne. Voyez CHAINE. Voyez aussi dans les articles suivans, les différentes acceptions que ce terme a dans les Sciences & dans les Arts.

CHAINETTE, dans la Géométrie transcendante, ligne courbe dont une chaîne ou une corde prend la figure par son propre poids, lorsqu'elle est suspendue librement par ses deux extrémités ; soit que ces deux extrémités soient de niveau dans une même ligne horisontale, ou qu'elles soient placées dans une ligne oblique à l'horison.

Pour concevoir la nature de cette courbe, supposons une ligne pesante & flexible (Voyez Pl. de Géométrie, fig. 25 n°. 2.) dont les extrémités soient fixées aux points G, H, elle se fléchira par son propre poids en une courbe G A H, qu'on nomme la chaînette ou catenaria.

Voici comment le pere Reyneau, dans son Analyse démontrée, trouve l'équation de cette courbe. Soit A le sommet de la courbe, ou son point le plus bas ; que B D & b d soient paralleles à l'horison, f D perpendiculaire à B D, B D, perpendiculaire à A B ; & soient les points B, b, & les lignes B D, b d, infiniment près l'un de l'autre ; les lois de la méchanique nous apprennent que trois puissances qui se font mutuellement équilibre, sont entr'elles comme des paralleles aux lignes de leurs directions, terminées par leur concours mutuel ; par conséquent les lignes D f & d f seront entr'elles comme les forces verticales & horisontales, qui tendent à mettre la particule D d dans la situation D d : or la premiere de ces forces est le poids de la portion A D de la chaîne, & elle est représentée par A D. L'autre force est une force constante, n'étant autre chose que la résistance du point A : nommant donc A B, x, B D, y, l'arc A D ou son point c, & la force constante a, on aura d x . d y : : c . a, & d y = a d x/c . Donc d y/d x = a/( (d x2 + d y2)), & (d x2 + d y2) = a d (d x/d y).

Il semble que cette solution, quoiqu'assez simple, laisse encore de l'obscurité dans l'esprit ; mais ce même problème a été résolu de différentes manieres : les plus élégantes sont celles que l'on trouve dans l'essai de M. Bernoulli sur la manoeuvre des vaisseaux, imprimé à Bâle, 1714 ; & dans un écrit de M. Daniel Bernoulli le fils, tome III. des mémoires de l'académie de Petersbourg.

Pour parvenir à l'équation de la chaînette, il faut d'abord décomposer toutes les puissances qui agissent sur un point quelconque, en deux autres, tout au plus, dont l'une soit parallele à l'axe, & l'autre perpendiculaire à cet axe ; ce qui est toûjours possible, puisqu'il n'y a point de puissance qui ne puisse se réduire à deux autres de position donnée ; ensuite on regardera la chaînette comme un polygone d'une infinité de côtés ; & supposant chaque puissance appliquée au point de concours des deux côtés, on décomposera, ce qui est toûjours possible, chaque puissance en deux autres, qui soient dans la direction de deux côtés contigus : de cette maniere on trouvera que chaque côté de la courbe est tiré à chacune de ses extrémités en sens contraire, par deux puissances qui agissent suivant la direction de ce côté. Or pour qu'il y ait équilibre, il faut que les deux puissances soient égales : égalant donc ces deux puissances ensemble, on aura l'équation de la chaînette. Voyez un plus long détail dans les ouvrages cités. Il nous suffit ici d'avoir exposé le principe. Si une courbe est pressée en chaque point par une puissance qui soit perpendiculaire à la courbe, on trouvera par ce principe que pour qu'il y ait équilibre, il faut que chaque puissance soit en raison inverse du rayon de la développée de la courbe, au point où la puissance agit.

Plusieurs auteurs ont trouvé qu'une voûte, pour être en équilibre, devoit avoir la même figure que la chaînette. En effet, imaginons cette voûte en équilibre, comme composée de petites spheres solides qui se touchent, & joignons les centres de ces spheres par des lignes droites ; imaginons ensuite que la direction de la pesanteur de ces spheres change tout-à-coup, & se fasse en sens contraire ; & que les spheres soient liées ensemble par des fils ou autrement, de maniere qu'elles ne puissent pas obéir à l'impulsion verticale de la pesanteur : il est visible que l'équilibre ne sera point troublé, puisque des puissances qui sont en équilibre continuent d'y être, lorsque sans changer ces puissances, on ne fait que leur donner à toutes des directions contraires. Il est visible de plus que dans ce cas la voûte deviendra une chaînette dont les piés droits de la voûte seront les points fixes, & qu'il n'y aura d'autre différence que dans le renversement de la figure : donc la courbe de la chaînette est la même que celle de la voûte. Voyez VOUTE. (O)

* CHAINETTE se dit, chez les Bourreliers, d'une partie du harnois des chevaux de carrosse, qui consiste en une bande de cuir double, assez étroite, dont on joint les deux extrémités ensemble par une boucle. La chaînette se passe dans le poitrail, & est assujettie au timon : elle a trois usages, le premier est de servir à reculer le carrosse, le second est d'empêcher les chevaux de s'écarter du timon, & le troisieme est de soûtenir le timon. Voyez A, figure premiere du Bourrelier. Voyez HARNOIS, POITRAIL, TIMON.

* CHAINETTE, (point de) en terme de Brodeur, soit à l'aiguille, soit au métier, est une espece d'ornement courant, qui forme une sorte de lac continu, & s'exécute de la maniere suivante. 1°. Au métier (voyez Pl. du Chaînetier) : fichez votre aiguille de la main droite de dessous en-dessus en a ; arrêtez en-dessus avec les doigts de la main gauche une longueur quelconque a b du fil ; refichez votre aiguille dans le même point a de dessus en-dessous, & ramenez-la de dessous en-dessus au point c, entre les deux côtés & en-dedans de la boucle b a b, & vous aurez fait un premier point de chaînette au métier. Vous ferez le second précisément de la même maniere. Arrêtez en-dessus avec les doigts de la main gauche, une portion b d du fil égale à la portion a b ; fichez votre aiguille de dessus en-dessous au point c ; ramenez-la de dessous en-dessus au point e, de maniere que la distance c e soit égale à la distance a c, & que le point e soit entre les deux côtés & en-dedans de la boucle d c d, & vous aurez un second point de chaînette. Arrêtez avec les doigts de la main gauche une portion d f du fil égale à la portion b d ; fichez votre aiguille de dessus en-dessous au point e ; ramenez-la de dessous en-dessus au point g, de maniere que la distance e g soit égale à la distance c e, & que le point g soit entre les deux côtés & en-dedans de la boucle f e f, & vous aurez un troisieme point de chaînette ; & ainsi de suite.

2°. A l'aiguille. Le point de chaînette ne se fait guere autrement à l'aiguille. Tenez votre étoffe ou toile de la main gauche ; fichez de la droite votre aiguille en a de dessous en-dessus ; arrêtez avec le pouce de la main gauche une portion a b du fil, & la tenez serrée contre l'étoffe ; fichez votre aiguille de dessus en-dessous au même point a ; ramenez-la de dessous en-dessus au point c, entre les côtés & en-dedans de la boucle a b c d e, & vous aurez un premier point. Arrêtez avec le pouce contre votre étoffe une portion c e du fil ; fichez votre aiguille de dessus en-dessous, soit au point c, soit au point d, un peu au-dessus du point c, mais pareillement entre les côtés & en-dedans de la boucle a b c d a, & ramenez-la de dessous en-dessus au point f, de maniere que c f soit égal à c a entre les côtés & en-dedans de la boucle c a f d, & ainsi de suite, vous aurez un second point, un troisieme, &c.

Nous avons fait nos points très-grands dans la figure, afin qu'on conçût distinctement la maniere dont ils s'exécutent ; mais en broderie ils sont très-petits. La beauté du point de chaînette, le seul presque qui se pratique dans la broderie en laine, consiste à faire ses boucles a b c b, c d e d, e f g f, &c. bien égales, & ni trop lâches ou grandes, ni trop serrées ou petites. Il faut proportionner son travail au dessein qu'on exécute, & à la matiere qu'on employe. Ce point se fait en laine, en soie, en fil, en fils d'argent & d'or, & on en conduit la suite à discrétion.

* CHAINETTE, en terme d'Eperonnier, se dit des petites chaînes qu'on place au nombre de deux dans le bas d'un mords pour en contenir les branches, & les empêcher de s'écarter l'une de l'autre. Voyez I, fig. 22. Planche de l'Eperonnier.

CHAINETTE, terme de Rubanier ; c'est une espece de petit tissu de soie qu'on fait courir sur toute la tête de la frange. Voyez les dictionn. de Commerce & de Trévoux.


CHAINONS. m. c'est ainsi qu'on appelle les parties dont une chaîne est composée, celles à l'extrémité desquelles seulement elle a de la flexibilité ; ensorte que si l'on disposoit une chaîne sur la circonférence d'un grand cercle inscrit ou circonscrit, la chaîne formeroit dedans ou hors de ce cercle un polygone d'autant de côtés que la chaîne auroit de chaînons ; & chacun de ces chaînons seroit un côté du polygone, & tangente ou corde du cercle.


CHAINOUQUAS(Géog. mod.) peuple d'Afrique, dans la Cafrerie.


CHAIR & VIANDEsyn. (Gram.) s'employent l'un & l'autre pour désigner une certaine portion de substance animale ; mais le mot viande, dit M. l'abbé Girard, porte avec lui l'idée d'aliment, & le mot chair désigne un rapport à la composition physique d'une partie de l'animal. Nous ajoûterons que chair ne se dit que des parties molles (voyez CHAIR, article d'Anatomie) ; & que viande au contraire se dit d'une portion de substance animale mêlée de parties solides & de parties dures, comme il paroît par le proverbe, il n'y a point de viande sans os. Viande se prend encore d'une façon plus générale & plus abstraite que chair ; car on dit de la chair de poulet, de perdrix, de lievre, &c. & de toutes ces chairs, que ce sont des viandes : mais on ne dit pas de la viande de poulet, de perdrix, &c. ce qui vient peut-être de ce qu'anciennement viande & aliment étoient synonymes. En effet, toute viande se mange, & il y a des chairs qui ne se mangent pas. On dit viande de boucherie, & non chair de boucherie. Voyez VIANDE, voyez BOUCHER. Et quand on dit, voilà de belles chairs, & voilà de belles viandes, on entend encore deux choses fort différentes : la premiere de ces expressions peut être l'éloge d'une jolie femme ; & l'autre est celle d'un bon morceau de boeuf ou de veau non cuit.

CHAIR, s. f. en Anatomie, est la partie du corps animal, uniforme, fibreuse, molle, & pleine de sang ; celle qu'on peut regarder comme la composition & la liaison de la plupart des autres parties du corps.

Par le mot chair, on entend proprement les parties du corps où les vaisseaux sanguins sont si petits, qu'ils ne retiennent que la quantité de sang nécessaire pour conserver leur couleur rouge.

Les anciens distinguoient cinq différentes sortes de chair : la premiere, musculeuse, fibreuse, ou fistulaire, telle qu'est la substance du coeur, & celle des autres muscles. Voyez MUSCLE, FIBRE, &c. La seconde, parenchymateuse, comme la chair des poumons, du foie, & de la rate. Voyez PARENCHYME, RATE, &c. La troisieme, la chair des visceres, comme celle de l'estomac & des intestins. Voyez INTESTINS. La quatrieme, glanduleuse, comme celle des mammelles, du pancréas, &c. Voyez MAMMELLES, PANCREAS, &c. Et la cinquieme, spongieuse, comme la chair des gencives, du gland, des levres, &c. Voyez SPONGIEUX, GLAND, &c.

Les modernes n'admettent qu'une sorte de chair, celle qui forme les muscles, & qui est composée de petits tuyaux ou vaisseaux qui contiennent du sang : ainsi les parties charnues & les parties musculeuses du corps sont la même chose, selon eux. Voyez MUSCLE.

Quelquefois cependant ils donnent le nom de chair aux glandes : en ce cas, pour la distinguer, ils l'appellent chair glanduleuse. Voyez GLANDE.

A l'égard des parenchymes, on a trouvé qu'ils sont toute autre chose que ce que les anciens pensoient. Les poumons ne sont qu'un assemblage de vésicules membraneuses, que l'air dilate & gonfle. Voyez POUMONS. Le coeur est un véritable muscle composé des mêmes parties que les autres. Voyez COEUR. Le foie est un assemblage de glandes où la bile se sépare. Voyez FOIE. La rate est un amas de vésicules remplies de sang ; & les reins sont comme le foie un assemblage de glandes qui servent à la secrétion de l'urine. Voyez RATE & REIN. (L)

* La chair peut être de l'objet du chimiste & du medecin : mais alors elle est moins considérée comme une partie animale, que comme un aliment de l'homme ; comme chair, que comme viande. Voyez VIANDE.

CHAIR musculeuse quarrée, caro musculosa quadrata, en Anatomie, est le nom que Fallope & Spigelius donnent à un muscle qu'on appelle plus communément le court palmaire. Voyez PALMAIRE. (L)

* CHAIR, (Hist. anc. & mod.) les Pythagoriciens n'en mangeoient point : le seul doute qu'il y ait sur ce fait, ne concerne que le plus ou le moins de généralité de cette défense. Il y en a qui prétendent qu'elle n'étoit que pour les parfaits ; ceux qui s'étant élevés au plus sublime degré de la théorie, étoient comptés au nombre des disciples ésotériques. D'autres ajoûtent qu'il étoit même permis en sûreté de conscience à ces derniers de toucher quelquefois à la chair des animaux sacrifiés. Voici la raison qu'on lit dans Séneque, du scrupule des Pythagoriciens. Omnium inter omnia cognationem esse, & aliorum commercium in alias atque alias formas transeuntium ; nullam animam interire, nec cessare quidem, nisi tempore exiguo, dum in aliud corpus transfunditur. Interim sceleris hominibus & parricidii metum fecisse, cum possint in parentis animam inscii incurrere, & ferro morsuve violare in quo cognatus aliquis spiritus hospitaretur. C'est-à-dire, à-peu-près, que les ames circulant sans-cesse d'un corps dans un autre, ces philosophes craignoient que l'ame de quelques-uns de leurs parens ne leur tombât sous la dent, s'ils se hasardoient à manger de la chair des animaux. Voyez l'article ABSTINENCE.

Les Hébreux s'abstenoient de la chair de certains animaux, parce qu'ils la croyoient impure. S. Paul dit que plusieurs fideles se faisoient un crime de manger de la chair des animaux consacrés aux idoles ; mais il ajoûte que tout est pur pour ceux qui sont purs.

On raconte de certains peuples sauvages, qu'ils n'ont aucune répugnance pour la chair humaine ; qu'ils mangent leurs ennemis ; qu'ils mangent leurs amis même tués à la guerre ; qu'ils se nourrissent des criminels condamnés à la mort ; & qu'ils croyent, en mangeant leurs peres quand ils sont vieux, les respecter beaucoup mieux, qu'en les laissant mourir & qu'en les inhumant : ces barbares s'imaginent que leur corps est un tombeau beaucoup plus honorable pour eux, que le sein de la terre ; & qu'il vaut mieux que la chair des peres serve d'aliment aux enfans, que d'être la pâture des vers.

* CHAIR, se dit, dans l'Ecriture-sainte, de l'homme vivant, ou même de tous les animaux vivans ; la fin de toute chair est arrivée en ma présence : des parties destinées à la génération ; que l'homme sage sépare de ses chairs la femme libertine : du péché pour lequel Dieu fit pleuvoir le feu du ciel ; ils ont suivi une chair étrangere.

CHAIR s'emploie aussi, en Théologie, en parlant des mysteres de l'incarnation & de l'eucharistie.

Le Verbe s'est fait chair, Verbum caro factum est. Voyez INCARNATION.

L'Eglise catholique croit que dans le sacrement de l'eucharistie, le pain est réellement changé en la chair de Jesus-Christ, & que c'est la même chair ou le même corps qui est né de la Vierge Marie, qui a souffert sur la croix. Voyez TRANSUBSTANTIATION.

La résurrection de la chair est un article de foi. Voyez RESURRECTION.

CHAIR, dans un sens moral, se dit de la concupiscence qui se souleve & se révolte contre la raison : caro concupiscit adversus spiritum : en ce sens elle est opposée à l'esprit ou à la grace ; & ces deux mots, esprit & chair, sont très-usités dans les épîtres des apôtres, pour signifier la grace & la concupiscence.

CHAIR désigne encore, en Théologie morale, le péché de luxure : on dit l'oeuvre de chair, pour les péchés opposés à la chasteté. (G)

CHAIR, couleur de chair, (en Peinture) est une teinte faite avec du blanc & du rouge. Il se prend aussi pour carnation. L'on dit : voilà de belles chairs, le peintre fait de la chair, les chairs sont maltraitées dans le tableau : toutes ces façons de parler s'entendent des carnations, qui ne sont en effet que l'expression de la chair. (R)

CHAIR, en Fauconnerie ; être bien à la chair, est synonyme à chasser avec ardeur. Ainsi on dit de l'oiseau, qu'il est bien à la chair, pour faire entendre qu'il chasse bien.

CHAIR, (Maréchallerie), bouillon de chair, voyez BOUILLON. Se charger de chair, voyez Se CHARGER.

* CHAIR, (Jardin.) se dit de la partie du fruit qui est couverte de la peau, qui forme sa substance & qui se mange : cette partie reçoit différens noms selon ses qualités ; celle de la poire d'Angleterre est fondante ; celle de la pomme de rainette est cassante, &c. celle du melon est rouge, &c.

* CHAIR, (Art méchan.) Les Tanneurs, Corroyeurs, Chamoiseurs, Mégissiers entendent par la chair, le côté de la peau qui touchoit à la chair de l'animal, quand il étoit vivant ; l'autre côté s'appelle la fleur : comme dans la préparation des peaux par ces ouvriers, elles se travaillent des deux côtés, ils disent, au lieu de travailler la peau du côté de la chair, donner une façon de chair ; au lieu de travailler la peau du côté du poil, donner une façon de fleur : la chair ne s'unit jamais aussi parfaitement que la fleur, & par conséquent elle forme l'envers de la peau. Il semble donc que la fleur devroit toûjours être à l'extérieur des ouvrages en peau ; cependant on y met quelquefois la chair : mais c'est une bisarrerie. Voyez CHAMOISEUR, TANNEUR, CORROYEUR, MEGISSIER, &c. Les Corroyeurs appellent vaches, veaux à chair grasse, les peaux auxquelles ils ont donné le suif, tant de fleur que de chair ; & vaches & veaux à chair douce, les peaux auxquelles ils ont donné du suif de fleur, & de l'huile de chair. Voyez CORROYEUR. Les Chamoiseurs disent tenir de chair, pour désigner l'opération par laquelle avec le couteau ils enlevent, sur le chevalet, du côté de la chair, tout ce qui peut en être détaché, afin de rendre les peaux plus douces & plus maniables ; ils tiennent de chair, après avoir effleuré & immédiatement avant que de faire boire. Voyez l'article CHAMOISEUR.

CHAIR fossile, (Hist. nat. Minéral.) Voyez l'article CARO FOSSILIS. On la nomme aussi en latin caro montana. C'est une espece d'amiante très-compacte, très-pesante, & qui devient si dure dans le feu, qu'elle donne des étincelles lorsqu'on la frappe avec l'acier. Cette pierre est composée de feuillets épais & solides, qui sont formés par un assemblage de fibres ou filets très-durs. Wallerius, dans sa Minéralogie, en distingue deux especes : la premiere est composée de feuilles posées parallélement les unes sur les autres ; la seconde est un assemblage de feuilles recourbées. (-)


CHAIRCUITIERS. m. (Arts & Métiers) c'est un des membres de la communauté, dont les maîtres ont seuls le droit de vendre de la chair de pourceau, soit crue, soit cuite, soit apprêtée en cervelas, saucisses, boudins, ou autrement. Ce sont aussi les Chaircuitiers qui préparent & vendent les langues de boeuf & de mouton. Le commerce des Chaircuitiers est beaucoup plus ancien que la communauté. Ses premiers statuts sont datés du regne de Louis XI. mais il y avoit long-tems auparavant des Saucisseurs & Chaircuitiers. On conçoit qu'il devoit se commettre bien de l'abus dans le débit d'une viande aussi mal-saine que celle du cochon. Ce fut à ces abus qu'on se proposa de remédier par des réglemens. Ces réglemens sont très-sages & très-étendus. Les Bouchers faisoient auparavant le commerce de la viande de porc ; & ce fut la méfiance qu'on prit de leurs visites, qui donna lieu à la création de trois sortes d'inspecteurs : les Langayeurs, ou visitans les porcs à la langue, où l'on dit que leur ladrerie se remarque à des pustules blanches ; les Tueurs ou gens s'assûrant par l'examen des parties internes du corps de ces animaux, s'ils sont sains ou non ; les Courtiers ou Visiteurs de chairs, dont la fonction est de chercher dans les chairs dépecées & coupées par morceaux, s'ils n'y remarqueront point des signes d'une maladie qui ne se manifeste pas toûjours soit à la langue, soit aux parties intérieures. Les marchands évitent le plus qu'ils peuvent toutes ces précautions de la police, & il se débite souvent encore du porc mal-sain sur les étales. C'est donc aux particuliers à se pourvoir contre cette fraude, en examinant eux-mêmes cette marchandise, dont la mauvaise qualité se connoît presque sans peine, à des grains semblables à ceux du millet, répandus en abondance dans toute sa substance. Mais si par hasard on est trompé malgré cette attention, on n'a qu'à reporter la viande à celui qui l'a vendue, & le menacer du commissaire ; il ne se fera pas presser pour la reprendre.


CHAIREsub. f. en Architect., est un siége élevé, avec devanture & dossier ou lambris, orné d'architecture & de sculpture, de figure ronde, quarrée ou à pans, de pierre, de marbre, de bois ou de fer, couvert d'un dais, & soûtenu d'un cul-de-lampe ou d'un pié, en ornemens ; où l'on monte par une rampe qui prend la forme du pilier auquel la chaire est adossée : telles sont celles de Saint Nicolas-des-Champs & de Saint Etienne-du-Mont, les plus estimées de Paris. (P)

* C'est dans cette espece de tribune que montent les prédicateurs dans nos églises, pour annoncer au peuple les vérités de la religion. C'est ce qui a fait prendre le terme chaire, comme le terme théatre, métaphoriquement ; l'un pour l'éloquence sacrée & qui s'occupe des matieres de la religion, l'autre pour la poésie dramatique. Ainsi l'on dit d'un auteur : il a du talent pour le théatre ; & d'un autre, il a du talent pour la chaire.

Les chaires des Catholiques sont ordinairement placées dans les nefs des églises. Les Italiens les ont oblongues, & les Prédicateurs y ont plus de commodité pour se livrer à toute l'ardeur de leur zele. Les Protestans ont aussi des chaires, mais moins ornées & plus étroites que les nôtres. Les rabbins dans leurs synagogues n'ont pour chaire qu'un banc plus éminent que les autres, & devant ce banc une espece de bureau sur lequel ils placent les livres saints qu'ils expliquent, & des lumieres, quand le tems le demande. La chaire de Moyse se prend aussi métaphoriquement pour la fonction d'enseigner & pour l'autorité des docteurs de la loi ; écoutez ceux qui s'asseyent sur la chaire de Moyse, mais ne les imitez pas. C'est selon la même métaphore qu'on dit, la chaire de pestilence ; comme si les impies avoient leurs tribunes d'où ils annonçassent leurs erreurs, ainsi que les prêtres du vrai Dieu ont les leurs, d'où ils annoncent la vérité. Il y avoit encore chez les Juifs des chaires d'honneur, que les Pharisiens affectoient d'occuper dans les synagogues, & nous avons aussi des places d'honneur dans nos temples.

CHAIRE, se dit non-seulement du lieu d'où les professeurs ou régens dans les universités donnent leurs leçons & enseignent les sciences à leurs disciples, mais il s'attribue encore à leur état ou profession : ainsi nous disons que feu monseigneur le duc d'Orléans a fondé en Sorbonne une chaire de professeur en langue hébraïque, pour expliquer le texte hébreu de l'Ecriture-sainte. On dit également disputer une chaire en Droit, parce qu'elles se donnent au concours ; & obtenir une chaire en Sorbonne ou à Navarre, pour être admis à faire la fonction de professeur en Théologie. Voyez PROFESSEUR, UNIVERSITE. (G)

CHAIRE DE SAINT PIERRE, nom d'une fête qu'on célebre dans l'Eglise catholique tous les ans le 18 de Janvier : c'est en mémoire de la translation que fit le prince des apôtres de son siége patriarchal d'Antioche, où il fut environ sept ans, dans la ville de Rome, qui étoit la capitale de l'empire romain, & qui l'est devenue ensuite de tout le monde chrétien. Cette chaire, ou le siége patriarchal de Rome, a toûjours été regardé comme le centre de l'unité catholique ; & c'est en ce sens que dès le second siecle de l'Eglise saint Irenée a dit que toutes les églises particulieres devoient pour la foi se rapporter à l'Eglise de Rome : Ad hanc Ecclesiam, tanquam principaliorem potestatem, necesse est omnes convenire ecclesias. Sanctus Irenaeus adversus haereses, lib.... (a)


CHAISES. f. (Art méch.) espece de meuble sur lequel on s'assied. Les parties sont le siége, le dossier, les bras, lorsque la chaise s'appelle fauteuil, & les piés. Les chaises qui étoient toutes de bois, telles que celles dont on se servoit autrefois dans les maisons bourgeoises, & qu'on a, pour ainsi dire, reléguées dans les jardins, n'étoient qu'un assemblage de menuiserie. Dans cet assemblage, le dossier étoit la partie sur laquelle la personne assise pouvoit se renverser en-arriere ; le siége, celle sur laquelle on s'asseyoit ; les piés, des piliers au nombre de quatre, sur lesquels le siége étoit soûtenu ; le siége, un assemblage de planches, ou une seule planche emmortoisée par-derriere avec les montans ou côtés du dossier, & par-devant avec les deux piés de devant. Des quatre piés, deux soûtenoient en-devant la partie antérieure du siége, comme nous venons de dire ; & sa partie postérieure étoit soûtenue par les deux piés de derriere, qui n'étoient qu'un prolongement des montans ou côtés du dossier. Ces quatre piés étoient encore tenus dans leur situation perpendiculaire par des traverses emmortoisées en sautoir avec eux par em-bas, & par en-haut par des morceaux de planches emmortoisés de champ ; l'un avec les deux piés de devant, & placé immédiatement sous l'assemblage du siége ; les deux autres placés de côté, & emmortoisés chacun avec un des montans du dossier & avec un des piés, & tous trois formant avec une pareille traverse emmortoisée à la même hauteur avec les deux montans, comme une espece de boîte sans fond, dont l'assemblage du siége auroit formé le dessus. Le bâti en bois des plus belles chaises d'aujourd'hui differe peu de celui de ces chaises en bois. Le luxe a varié ces meubles à l'infini. La charpente en est maintenant ceintrée au dossier, bombée par-devant, sculptée, peinte, vernie, dorée, à moulures, dorure, cannelures, filets ; les piés tournés en piés de biche ; les dossiers & siéges rembourrés de crin, & couverts de velours, de damas & autres étoffes précieuses, brodées, brochées, ou en tapisseries les plus riches en dessein : les bras assemblés d'un bout avec les montans de derriere ou côtés du dossier, & soûtenus de l'autre bout sur des pieces qui vont s'emmortoiser avec les parties de l'assemblage qui forme le quarré du siége, sont aussi en partie rembourrés de crin, & couverts. L'étoffe est attachée sur le bois avec des clous dorés. Il y a des chaises plus simples, dont le dossier & le siége sont remplis de canne nattée à jour, & retenue dans des trous pratiqués sur les contours du siége & du dossier. Il y en a de paille, de la paille nattée forme le siége ; le dossier est composé de deux montans, & de voliches ceintrées & assemblées de champ par intervalles entre ces deux montans. Il y a des chaises couvertes de maroquin, à l'usage des personnes de cabinet. Les Tourneurs font les bois des chaises de paille, autrement appellées à la capucine ; & les Menuisiers ceux des chaises plus précieuses, & ce sont les Tapissiers qui rembourrent & couvrent ces dernieres.

La dénomination du mot chaise s'est transportée à un grand nombre d'autres ouvrages, par analogie avec l'usage de la chaise des appartemens ; ainsi en Méchanique on dit la chaise d'une machine, de l'assemblage sur lequel elle est portée ou assise ; la chaise d'une roue de Coutelier ou de Taillandier, du bâti de bois qui porte cette roue ; la chaise d'un moulin-à-vent, des quatre pieces de bois qui soûtiennent la cage d'un moulin, d'un clocher, & sur lesquelles elle se meut. Voyez ROUE ; voyez MOULIN.

CHAISE, (la) cathedra, des Romains, étoit un siége sur lequel les femmes s'asseyoient & se faisoient porter ; il étoit rembourré & mou comme les nôtres. Les valets destinés à porter ces chaises, s'appelloient cathedrarii. On donnoit encore à Rome le nom de cathedra, chaise, aux siéges qui servoient aux maîtres d'école. C'est de-là qu'a passé dans l'Eglise le mot cathedra, qui se dit du siége de l'évêque ; & le mot cathédrale, qui désigne une puissance ou jurisdiction. Voyez CATHEDRALE.

CHAISE PERCEE, (Architecture). Voyez AISANCE.

CHAISE PERCEE, (Hist. mod.) chaise sur laquelle on éleve le pape nouvellement élu. Les Protestans ont fait sur cette cérémonie beaucoup de froides railleries & de satyres pitoyables, toutes fondées sur l'histoire prétendue de la papesse Jeanne ; mais depuis que David Blondel, un de leurs plus fameux écrivains, Bayle, & même Jurieu, ont fait voir eux-mêmes à leurs confreres la vanité & l'inutilité de cette historiette, qui n'avoit pris naissance que dans des tems d'ignorance, où l'on n'examinoit pas les faits avec l'exactitude scrupuleuse que l'on a employée depuis près de deux siecles dans la discussion de l'histoire, ils sont plus réservés sur la chaise percée dont il s'agit. Le P. Mabillon a donné de cette cérémonie une raison mystérieuse, & qui n'est pas dénuée de vraisemblance. On place, dit-il, le nouveau pape sur ce siége, pour le faire souvenir du néant des grandeurs, en lui appliquant ces paroles du ps. cxij. Suscitans à terra inopem, & de stercore erigens pauperem ; ut collocet eum cum principibus, cum principibus populi sui ; ce qui est fort différent de l'origine burlesque & indécente que lui donnoient les Protestans. (G) (a)

* CHAISE, terme de Jurisprudence féodale, se dit dans le partage d'un fief noble, de quatre arpens environnant un château pris hors les fossés, & appartenant à l'aîné par préciput ; espace qu'on appelle dans la coûtume de Paris, le vol du chapon. Voyez VOL DU CHAPON.

* CHAISE DE SANCTORIUS, (Med. Statiq.) machine inventée par Sanctorius pour connoître la quantité d'alimens qu'on a pris dans un repas, & indiquer le moment où il convient de mettre des bornes à son appétit.

Cet auteur ayant observé avec plusieurs autres médecins, qu'une grande partie de nos maladies venoit plûtôt de la quantité des choses que l'on mange, que de leurs qualités ; & s'étant persuadé qu'il étoit important pour la santé de prendre régulierement la même quantité de nourriture, construisit une machine ou chaise attachée au bras d'une balance, dont l'effet étoit tel, qu'aussi-tôt que la personne qui y étoit placée avoit mangé la quantité prescrite, la chaise rompoit l'équilibre, & en descendant ne permettoit plus d'atteindre à ce qui étoit sur la table. Voyez TRANSPIRATION.

S'il m'est permis de dire ce qu'il me semble de cette invention de Sanctorius, j'oserai assûrer que celui qui s'en tenoit à sa décision plûtôt qu'à son besoin & à son appétit, sur la quantité d'alimens qu'il devoit prendre, étoit très-souvent exposé à manger trop ou trop peu ; la température de l'air, les exercices, la disposition de l'animal, & une infinité d'autres causes, étant autant de quantités variables dont il n'est guere possible d'apprécier le rapport avec la quantité nécessaire des alimens, autrement que par l'instigation de la nature, qui nous trompe à la vérité quelquefois, mais qui est encore plus sûre qu'un instrument de Méchanique.

CHAISE, (Chirurgie) pour l'opération de la taille. Voyez la figure 1. Pl. XII. Il y a au-derriere deux tringles de fer en forme d'arc-boutans : elles sont crochues, pour entrer dans les anneaux de la chaise ; & pointues par les autres bouts, pour tenir plus ferme contre le plancher. On doit situer la chaise un peu obliquement au jour, afin qu'il frappe sur la main droite du chirurgien, & qu'il en soit bien éclairé lorsqu'il opere.

Au lieu de chaise on peut se servir d'une table sur laquelle on attache le dossier. Fig. 2.

Dans l'un & l'autre cas il faut assujettir le malade avec des liens. Voyez LIENS. (Y)

* CHAISE DE POSTE, (Sellier) c'est une voiture commode, legere & difficile à renverser, dans laquelle on peut faire en diligence de très-grands voyages. On l'appelle chaise, parce que le voyageur y est assis, & que d'ailleurs elle n'a guere plus de largeur qu'un fauteuil ordinaire : elle est montée sur deux roues seulement, & n'est communément tirée que par deux chevaux qu'un postillon gouverne. La chaise de poste considérée comme une machine, est certainement une des plus utiles & des plus composées que nous ayons ; le tems & l'industrie des ouvriers l'ont portée à un degré de perfection auquel il n'est presque plus possible d'ajoûter.

Les premieres chaises de poste parurent en 1664 ; c'étoit un fauteuil soûtenu sur le milieu d'un chassis, porté par-derriere sur deux roues, & appuyé pardevant sur le cheval. On en attribue l'invention à un nommé de la Grugere. Le privilége exclusif en fut accordé au marquis de Crenan, ce qui les fit appeller chaises de Crenan. Les chaises de Crenan ne furent pas long-tems en usage ; on les trouva trop pesantes, & on leur préféra une autre espece de voiture roulante qu'on fit sur le modele de celles dont on se servoit en Allemagne long-tems auparavant, & qui subsistent encore aujourd'hui parmi nous sous le nom de soufflets. Voyez SOUFFLET. Ce fut, selon toute apparence, l'invention des soufflets qui conduisit à celle des chaises de poste. Celles-ci furent d'abord faites pour une personne seule ; on pensa dans la suite à ajoûter à la commodité, en construisant des chaises à deux ; mais ces voitures occasionnant la destruction des chevaux & la ruine des postes, on les supprima en 1680. L'arrêt qui les supprime, fixe en même tems à cent livres le poids des hardes dont il sera permis de charger une chaise, & défend de placer des malles ou valises sur le devant. Mais la défense de courir en chaises à deux fut révoquée en 1726, à condition que les voyageurs payeroient les postes sur le pié de trois chevaux. Voyez POSTES. Les chaises de poste font maintenant une partie considérable non-seulement de la commodité, comme nous l'avons dit plus haut, mais encore du luxe, comme on va le voir par la description suivante.

Quoique la chaise de poste soit, ainsi que le carrosse, la berline & les autres voitures d'appareil, l'ouvrage du Sellier, plusieurs autres artistes concourent cependant à sa construction. Il faut distinguer dans la chaise de poste deux parties principales ; le train ou brancard, qui est l'ouvrage du Charron ; & le corps, le coffre ou la caisse dans laquelle le voyageur se place. Ces deux parties sont elles-mêmes composées d'un grand nombre d'autres dont nous allons parler. Voyez la Pl. II. fig. 4. A A B B est le train, C C D D est la caisse.

Du brancard. Le brancard est, comme on voit, un chassis de bois dans le vuide duquel le corps ou la caisse est suspendue, comme il sera expliqué plus bas. Il est composé de deux longues barres de bois de frêne A B, A B, de dix-huit à vingt piés de longueur, assujetties parallélement l'une à l'autre par quatre traverses ; ensorte que la distance d'entre les bras du brancard est d'environ trois piés & demi. Ces traverses & ces bras de brancard A B, A B, forment un chassis soûtenu par deux roues E, E, faites comme celles des carrosses ; mais les roues de la chaise & du carrosse sont dans la proportion de la grandeur & de la pesanteur de ces voitures. L'aissieu qui les joint traverse le brancard en-dessous, comme on voit, même figure, en 1, 1, & y est assujetti par deux pieces de bois entaillées pour le recevoir. Ces pieces de bois s'appellent échantignoles. La piece 2 est une échantignole. Les échantignoles sont attachées aux barres du brancard par plusieurs chevilles de fer garnies de leurs écrous. L'aissieu est immobile entre les échantignoles. Ce sont les roues seules qui tournent sur les extrémités de l'aissieu. L'aissieu est élevé à environ deux piés sept à huit pouces de terre, & les roues ont environ cinq piés trois pouces de diametre.

La premiere traverse du côté du cheval est une barre de bois plate, 3, 3, qui sert de soûtien au cerceau 4, qui est quarré du côté du palonier en x, & arrondi de l'autre en y. Le cerceau 4 est encore soûtenu par une piece qu'on appelle le tasseau, 5, & est garni d'un aileron de cuir 6 du côté du palonier, pour empêcher que le cheval ne jette de la terre ou des boues sur le devant de la chaise. Le cerceau 4, & son fond qui est de cuir tendu sur des courroies depuis la traverse du cerceau jusqu'à celle des soûpentes, sert au même usage pour le cheval de brancard, & c'est aussi là qu'on dépose une partie des équipages que l'on emporte en voyage. Les courroies 37, 37, qui vont, après avoir passé dans des anneaux fixés sur les brancards, se rendre au haut du cerceau, s'appellent courroies de cerceau, & sont destinées à le contenir. On voit encore en z un grand cuir de vache attaché à la traverse de la soûpente ; il s'appelle tablier, garde-crotte, nom qui désigne assez son usage : & en l, sur le cerceau, un autre cuir de vache qui couvre les équipages.

La seconde traverse est celle des soûpentes 7, 7, de devant ; elle doit être bien affermie sur les brancards par des boulons ou chevilles de fer terminées en vis, pour recevoir un écrou après avoir traversé l'épaisseur de la traverse & du brancard. La partie supérieure de ces boulons au-dessus de la tête, est prolongée d'environ un pié, & terminée par une boucle qui reçoit une courroie attachée par l'autre extrémité à la pareille piece qui est sur l'autre brancard ; c'est sur cette courroie 8, 8, qu'on appelle courroie de porte, que vient tomber la porte de la chaise. Depuis la traverse de soûpente jusqu'à l'aissieu, on ne trouve sur le brancard que deux anneaux de fer qui reçoivent des courroies, dont l'usage est d'empêcher le corps de la chaise de renverser. Voyez en 9 un de ces anneaux.

Au-delà de l'aissieu est placée, comme une traverse, la planche des malles 10. Cette planche est ainsi nommée, parce que c'est-là qu'on pose les malles ou coffres du voyageur. Cette planche est portée sur deux tasseaux 12, 12, qui s'élevent au-dessus des brancards d'environ quatre à cinq pouces. Elle y est affermie par des boulons à vis qui traversent & la planche & les tasseaux, & les barres de brancard & les échantignoles.

Au-delà de cette planche sont les consoles 13, 13, 13, 13, au nombre de deux sur chaque brancard ; ce sont des barres de fer qui se réunissent par le haut 13, 13, pour former une espece de tête, dans laquelle est un rouleau, sur lequel passe la courroie de guindage 14, 14, ainsi qu'il sera expliqué : ces deux consoles sur chaque barre de brancard le traversent à environ un pié de distance l'une de l'autre, & y sont assujetties par des écrous qui prennent la partie taraudée de ces consoles qui déborde la face inférieure du brancard. On noye quelquefois ces écrous dans le bois & on les y affleure. Les consoles sont assujetties par le haut à une distance l'une de l'autre, toûjours moindre que la largeur du brancard, & même que celle de la chaise, par une piece de bois qu'on appelle entretoise, dont le milieu est garni d'un coussin 15 de cuir rembourré de crin pour servir de siége au domestique, quand on en fait monter un derriere la chaise, ce qui ne se pratique pas ordinairement. Cette entretoise 13, 15, 31, est fourchue par ses extrémités où passent les consoles réunies, qui forment en cet endroit une espece de collier, qui est reçu par la fourchette de l'entretoise.

Entre les piés des consoles passe une forte traverse 13, 16, que l'on appelle la planche des ressorts. Le milieu en est plus large que les extrémités, & forme un disque ou rond d'environ un pié de diametre. C'est sur cette partie de la planche que sont fixés les ressorts par des pivots qui en traversent toute l'épaisseur. Ces ressorts, au nombre de deux, forment chacun à-peu-près avec la boîte qui les contient un V consonne ; & ils sont disposés de maniere que les sommets des angles qu'ils forment sont opposés l'un à l'autre. Chaque ressort est composé de deux parties, & chaque partie est composée de plusieurs autres. La partie A E (Voy. même Pl. la figure de ces ressorts) est un assemblage de dix-huit à vingt ressorts, faits d'acier de Hongrie ; la partie inférieure B E a le même nombre de feuilles. Toutes ces feuilles, appliquées les unes sur les autres selon leur longueur, sont renfermées dans des boîtes F, & traversées par des chevilles ou boulons terminés en vis & retenus par des écrous qui assujettissent toutes les feuilles dans chaque boîte ; car chaque ressort a la sienne. A E, B E assemblage de feuillets plats. F boîte. G cordon de la boîte. H H, crochets pour les soûpentes. I pivots à crosse. Chaque boîte est assujettie sur le disque de la planche des ressorts P P P P, par deux pivots que l'on nomme pivots à crosse. Ces pivots tiennent à la boîte par des boulons qui la traversent horisontalement, & qui passent aussi par les anneaux des crosses des pivots. Ces derniers sont assujettis sur la planche par des écrous, après qu'ils l'ont entierement traversée. Les feuilles qui composent un ressort ne sont pas toutes de même longueur ; les extérieures sont les plus longues ; les autres vont en diminuant jusqu'à la derniere. Elles sont toutes un peu repliées sur les côtés à leurs extrémités, afin qu'en s'embrassant elles ne puissent s'écarter les unes de dessus les autres, mais glisser toûjours parallélement, & se restituer de même. Il est évident que si elles avoient été toutes de même longueur, elles n'auroient presque pas pû plier. Chaque ressort doit être considéré comme divisé en deux 12, 12, dans toute sa largeur. Chacune de ces parties est parfaitement semblable à l'autre, lui est appliquée côte à côte, est renfermée dans la même boîte, est composée de même nombre de feuillets, & chaque feuillet, soit dans la partie supérieure, soit dans la partie inférieure, est précisément semblable dans une des moitiés qu'on appelle coins, a sa correspondante dans l'autre coin. Les deux coins séparés sont comme deux ressorts distincts ; mais appliqués dans la chaise de poste, ou plûtôt dans les boîtes à côté l'un de l'autre ; ils ne font qu'un ressort, ensorte qu'il faut quatre coins pour une chaise de poste, deux dans chaque boîte, quoiqu'il n'y ait que deux ressorts. Aux extrémités supérieures sont des doubles crochets H H, qui reçoivent les anneaux, dont sont garnies les soûpentes de derriere. Les extrémités inférieures des ressorts entrent dans des boîtes dormantes, qui sont fixées sur les extrémités de la planche des ressorts, & dans lesquelles ils peuvent se mouvoir pour se prêter à l'action du poids de la chaise qui les fait fléchir. Leur élasticité naturelle les rétablit aussi-tôt. Cette derniere boîte, ainsi que toutes les parties où il y a frottement, doivent être enduites de vieux-oing.

Il est à-propos de remarquer que le plan de la planche des ressorts P P P P n'est point parallele à celui du brancard ; mais qu'il est au contraire panché en-arriere, afin que les ressorts ayent la même inclinaison que les soûpentes de derriere, & qu'ainsi elles ne puissent frapper contre la planche des ressorts, quand la roue de la chaise venant à rencontrer quelques pierres, elle est contrainte de balancer. C'est par la même raison que la planche est plus étroite par ses extrémités que dans le milieu où les ressorts sont attachés, & que ces ressorts portent en-haut un double crochet H H long d'un pié, qui tient les courroies de la soûpente écartées l'une de l'autre de la même distance.

Pour empêcher toute cette ferrure de se rouiller à la pluie & autres rigueurs du tems, on la couvre de sacs de cuir. Ceux des ressorts s'appellent étuis ; ceux des crochets & des extrémités supérieures des soûpentes s'appellent calottes. Voyez (même Pl. en 17, 17) les calottes, & les étuis des courroies de guindage & de ceinture, appellés fourreaux.

Au-delà de la traverse des ressorts & vers l'extrémité du brancard, est la derniere traverse qu'on appelle traverse de ferriere. La ferriere 18 est une espece de malle dans laquelle le postillon met les divers instrumens propres à réparer les accidens legers qui peuvent arriver à la voiture pendant la route. Ainsi il doit avoir du vieux-oing, un marteau à ferrer, une clé à cric, &c. La traverse de ferriere est affermie sous le brancard par des boulons qui la traversent & le brancard. L'extrémité supérieure de ces boulons est terminée par un cric 19, dont la fonction est de bander à discrétion la courroie de guindage, ainsi qu'il sera dit ailleurs. Les crics sont entierement semblables à ceux qui servent pour les soûpentes des carrosses. Voyez l'article VOITURE.

Le derriere du brancard est terminé par un cerceau de fer dont l'usage est de garantir les ressorts du choc des murs, dans les reculs qu'on fait faire à la voiture, & ce cerceau s'appelle cerceau de reculement.

Toutes les parties dont nous venons de parler sont enrichies d'ornemens de sculpture, qui donnent à la chaise entiere un air d'élégance & de magnificence, qui dépend beaucoup du goût du sculpteur & de l'opulence de celui qui met les ouvriers en oeuvre. Voyez une pareille voiture dans la Planche que nous avons citée.

Tout ce que nous avons dit de la chaise de poste jusqu'à-présent, est à proprement parler l'ouvrage du charron. Passons maintenant à celui du sellier, quoiqu'il soit aidé par différens autres artisans, comme menuisiers, serruriers, peintres, doreurs, vernisseurs.

Du corps de la chaise. Le corps de la chaise est suspendu dans le vuide des barres du brancard. Il est composé d'un fond qui consiste en un chassis 20 de bois d'orme, qu'on appelle brancard de chaise. Aux angles de ce chassis sont élevés des montans de même bois d'environ quatre piés & demi de haut. L'impériale 21 est posée sur ces montans. L'impériale est une espece de toît ou carcasse de menuiserie couverte de cuir, & ornée de clous & de pomettes dorées, selon le goût de l'ouvrier. Elle est un peu convexe pour rejetter les eaux de la pluie. Elle est composée d'un chassis qui assemble tous les montans, & de plusieurs barreaux courbes de bois de hêtre, qui se réunissent à son centre, où ils sont assemblés sur un disque de bois qui en occupe le milieu & qu'on appelle l'ovale. Ces barreaux sont recouverts de voliches fort menues & bien collées de colle-forte ; ensorte que le tout ne forme, pour ainsi dire, qu'une seule piece. C'est sur cet appareil que le cuir est tendu.

La hauteur de ce coffre est comme divisée en deux par des traverses 22, 22, 22, qui en font tout le tour, excepté par-devant. On appelle ces traverses, ceintures. Elles sont assemblées avec les montans à tenons & à mortaises, & sont ornées de diverses moulures. La partie inférieure de la chaise est fermée par des panneaux 23, 23, enrichis de peintures, ou chargés des armes du propriétaire. Ces panneaux sont de bois de noyer, & ont deux lignes d'épaisseur au plus. Il faut qu'ils soient d'une seule piece pour être solides. On les garnit intérieurement de nerfs ou ligamens de boeuf, battus, peignés, & appliqués avec de la bonne colle-forte, de maniere que les filets de ligamens traversent le fil du bois. On unit cet apprêt par le moyen d'une lissette. Voyez l'article LISSETTE. On se sert de la lissette pendant que la colle est encore chaude ; le tout est ensuite couvert avec de bonne toile forte, neuve, & pareillement lissée & collée. Les bandes de toile qu'on employe à cet usage, ont quatre à cinq pouces de large ; on les trempe dans la colle chaude, & on les applique sur les panneaux, de maniere que les fils de la chaîne soient perpendiculaires aux fils du bois. Ces bandes sont écartées les unes des autres de deux pouces ou environ. Mais les panneaux ne sont pas les seules parties qu'on fortifie de cette maniere. On couvre de pareilles bandes tous les assemblages en général, & on en étend dans tous les endroits qui doivent être garnis de clous. Cette opération faite, & la colle séchée, on fait imprimer la caisse de la chaise d'une couleur à l'huile ; ensuite on la fait ferrer, c'est-à-dire garnir de plaques de taule, fortes, & capables d'affermir les assemblages. On y place encore différentes pieces de fer dont nous parlerons dans la suite.

Le dessus des panneaux de côtés est quelquefois tout d'une piece, & d'autres fois il est divisé en deux parties par un montant qui s'assemble dans la ceinture & dans le chassis de l'impériale : si le côté n'est pas divisé en deux panneaux, la chaise en sera plus solide. La partie du côté de devant, qu'on appelle fenêtre 24, est occupée par une glace qui se leve & se baisse dans des coulisses pratiquées aux montans ; ensorte que quand la glace est baissée, elle est entierement renfermée dans un espace pratiqué derriere le panneau qu'on appelle la coulisse. Il y a à ces glaces, ainsi qu'à celle de devant, en-dedans de la chaise, un store de taffetas, & en-dehors un store de toile cirée 25, 25 placés sous la gouttiere de la corniche de l'impériale. Le store du dedans garantit du soleil ; celui de dehors, de la pluie, de la grêle, & autres injures du tems. La partie 26 de la chaise au-dessus de la ceinture & à côté de la fenêtre s'appelle custode. Elle est fermée à demeure, ainsi que le dossier, & couverte de cuir tendu sur les montans, & entouré de clous de cuivre doré ; il n'y a point-là de panneaux. Le cuir bien tendu est seulement matelassé de crin, & les matelas soutenus par des sangles, qui empêchent que le cuir ne soit enfoncé. Les sangles sont placées en travers & fixées sur les montans.

Le siége est appuyé au dossier, un peu au-dessous de la ceinture. C'est un véritable coffret dont le couvercle se leve à charniere, & est recouvert d'un coussin, sur lequel on s'assied. Tout l'intérieur de la chaise est matelassé de crin, & tendu de quelque étoffe précieuse, mais de résistance, comme velours, damas, &c.

La porte 27 est sur le devant. Cette porte qu'on appelle porte à la Toulouse, a ses couplets à charniere dans une ligne horisontale, & s'ouvre par le haut en se renversant du côté du cheval de brancard sur la courroie qu'on appelle support de porte, & qui est tendue au travers du brancard, à un pié environ au-dessus de la traverse des soûpentes. Cette porte differe principalement des portes ordinaires, en ce que celles-ci ont leurs gonds & sont mobiles dans une ligne verticale.

Les panneaux 28 du côté de cette porte sont des especes de triangles, séparés en deux parties par un joint. La partie inférieure qui est adhérente au brancard de chaise s'appelle gousset. C'est vis-à-vis un de ces goussets que le brancard dérobe dans notre figure, que doit être le marche-pié 29. Ce marchepié est de cuir ; il est fixé sur le brancard qu'il entoure. C'est-là, ainsi que le mot l'indique assez, que le propriétaire met le pié pour entrer dans sa chaise.

La porte à la Toulouse ne monte guere plus haut que la ceinture de la chaise. Elle s'applique contre les montans de devant. Ces montans sont renforcés au-dessus de la porte, d'une piece de bois où l'on a pratiqué une rainure appellée apsiché, dans laquelle la glace du devant peut glisser : lorsque cette glace est baissée, elle est entiérement renfermée dans la porte. La porte est composée extérieurement d'un panneau semblable à ceux de côté & de derriere, & intérieurement d'une planche matelassée de crin & recouverte de la même étoffe que le reste du dedans de la chaise. On voit évidemment qu'il n'est pas possible d'entrer dans la chaise, sans avoir abaissé la glace dans la portiere. Il y a encore dans la portiere sur le milieu, une serrure à deux pêles, avec un bouton à olive ; ces deux pêles vont se cacher dans un des montans. On peut aussi remarquer au-dessus de la ceinture, dans le montant de devant, contre lequel la porte s'applique en se fermant, une poignée M, que celui qui veut entrer dans la chaise saisit, & qui l'aide à s'élever sur le brancard.

Le dessus de l'impériale, outre les clous dorés dont il est enrichi, & qui attachent sur la carcasse de menuiserie dont nous avons parlé, le cuir qui la couvre, est encore orné de quatre ou six pommettes, 30, 30, 30, de cuivre, ciselées & dorées. Ces pommettes sont fixées à plomb au-dessus des montans des angles, quand il n'y en a que quatre. Quand il y en a six, les deux autres sont au-dessus des montans qui séparent les glaces des côtés, des custodes : mais dans ce cas la corniche de l'impériale est ceintrée au-dessus des glaces.

Le fond ou le dessous de la chaise est occupé par un coffre qu'on appelle cave Ce coffre 31 a environ six pouces de profondeur ; il est fortement uni au chassis de la chaise par plusieurs bandes de fer ; il est revêtu extérieurement de cuir cloué avec des clous dorés, & intérieurement d'une peau blanche ; il s'ouvre en-dedans de la chaise ; & c'est sur son couvercle pareillement revêtu de cuir, que sont posés les piés du voyageur.

Il ne nous reste plus maintenant qu'à expliquer comment la chaise est suspendue dans le brancard du train, & comment elle y est tenue dans une liberté telle qu'elle ne se ressent presque pas des chocs ou cahos que les roues peuvent éprouver dans les chemins pierreux.

On commence par placer deux ressorts sous le devant de la chaise ; ils y sont fixés par des boulons qui traversent le brancard de chaise ; ces ressorts ont aussi 12, 13, 14, feuilles ; ils s'appellent ressorts de devant ; ils ont leurs boîtes. Nous pouvons remarquer ici, à propos de ces ressorts & des ressorts de derriere, qu'il y a d'autant plus de feuilles, que chaque feuille a été forgée mince, & qu'ils sont d'autant meilleurs & plus doux, tout étant égal d'ailleurs, qu'il y a plus de feuilles.

Ces boulons dont la queue est applatie sont arrêtés par plusieurs clous-à-vis sur la face extérieure des montans de devant, ensorte qu'ils soient bien affermis de ce côté ; l'autre extrémité en est terminée par une fourchette appellé menotte, qui contient un rouleau. Les courroies sans fin appellées soûpentes, passent sur ce rouleau & sur la traverse de soûpente.

A l'arriere de la chaise, depuis les extrémités des ressorts dont nous venons de parler, jusqu'à environ trois piés au-delà de la chaise, sont des pieces de bois fortement arrêtées au-dessous du brancard de chaise par plusieurs boulons-à-vis & écrous. Ces pieces de bois qu'on nomme apremonts, sont aussi terminées par des menottes qui contiennent un rouleau un peu conique. C'est sous ces rouleaux que passent les courroies ou soûpentes de derriere, qui vont s'accrocher aux extrémités supérieures des ressorts de derriere, que nous avons décrits ci-dessus ; elles s'y accrochent tout simplement par un trou qu'on a pratiqué sur la largeur de la soûpente ; le crochet du ressort est reçû dans ce trou.

Il est à propos de remarquer que les soûpentes sont de deux pieces réunies par une forte boucle vis-à-vis du panneau de derriere de la chaise, & qu'elles embrassent la planche des ressorts, afin que l'effort qu'ils font soit perpendiculaire à leur point d'appui ; c'est aussi par la même raison que la planche des ressorts est inclinée, ensorte que son plan soit perpendiculaire aux courroies.

Il est évident par cette disposition, que la chaise est suspendue par les quatre coins : mais comme les points de suspension, loin d'être solides & immobiles, sont au contraire souples, lians, élastiques, & rendent la chaise capable d'un mouvement d'oscillation fort doux dans la direction de l'inflexion des ressorts, c'est-à-dire de haut em-bas & de bas en-haut & en même tems d'un autre mouvement d'oscillation non moins doux, selon la longueur de la voiture, dans la direction des brancards, ou de l'avant à l'arriere & de l'arriere à l'avant ; les chocs que les roues éprouvent sur les chemins sont amortis par défaut de résistance, & ne se font presque point sentir à celui qui est dans la chaise.

Mais comme le centre de gravité de toutes les parties de la chaise est au-dessus des bandes ou liens qui l'embrassent par-dessous, & qui la tiennent suspendue, il pourroit arriver par l'inégalité perpétuelle des cahos qui se font tant à droite qu'à gauche, qu'elle fût renversée de l'un ou de l'autre côté. C'est pour remédier à cet inconvénient, qu'on a placé de part & d'autre les deux courroies de guindage, 9, 14, fixées d'un bout sur les brancards vers le marche-pié, passant dans les cramailleres de la chaise, ou guides de fer placés sur les faces latérales des montans de derriere, à la hauteur de la ceinture, & se rendant de l'autre bout sur les rouleaux de la tête des consoles, d'où elles vont s'envelopper sur les axes ou rouleaux des crics 19, qu'on voit aux extrémités, en-dessus de la traverse de ferriere 18, & qui servent à bander ou à relâcher à discrétion ces courroies.

La chaise ainsi assûrée contre les renversemens, soit en-devant, soit en-arriere, soit à droite, soit à gauche, n'étoit pas encore à couvert d'un certain ballotage, dans lequel les faces extérieures des brancards du train auroient été frappées par les côtés du brancard de la chaise. On a remédié à cet inconvénient par le moyen d'une courroie de cuir attachée aux faces latérales intérieures des brancards de train 32, 32, & au milieu de la planche de malle, à laquelle on a mis pour cet effet deux rouleaux sur lesquels cette courroie va passer : cette courroie 32, 32, s'appelle courroie de ceinture.

La chaise ainsi construite, il ne reste plus pour en faire usage, que d'y atteler un ou plusieurs chevaux. Le cheval de brancard se place devant la chaise entre les brancards, comme le limonier entre les limons d'une charrette. Voyez CHARRETTE. Les extrémités des brancards ou limons sont pour cet effet garnis de ferrures où l'on assujettit les harnois du cheval, 32, 32 : comme par exemple, d'un anneau de reculement, 34, 34 ; d'un crampon pour passer le dossier, 35, 35 ; d'un crochet, 37, 37, pour un troisieme cheval qu'on est quelquefois forcé de mettre à la chaise, soit pour la tirer des mauvais pas, soit pour l'empêcher d'y rester arrêtée. Mais il y a cette différence entre les traits du cheval de poste & du cheval de charrette, que pour les premiers, les traits de tirage r, s, t, q, sont attachés à un anneau pratiqué à un des boulons qui assujettissent l'échantignole au brancard le long de la face inférieure duquel les traits s'étendent, & vont saisir par une forte boucle r, le harnois du cheval vers le milieu, à-peu-près où correspond la cuisse ; au lieu que pour l'ordinaire les traits des limoniers sont attachés aux limons mêmes, & sont par conséquent beaucoup plus courts que ceux des chevaux de poste. Les traits de tirage, r, s, t, q, sont tenus appliqués à la face inférieure du bras de brancard par des morceaux de cuir q, au nombre de deux ou trois, appellés de leurs fonctions trousse-traits.

Au côté gauche du cheval de brancard, on en attelle un autre qu'on nomme palonier, parce qu'il est attelé à un palonier 34, semblable à ceux des carrosses, avec cette différence qu'il est de deux pouces plus long du côté de la courroie qui l'embrasse, que de l'autre côté ; le côté long du palonier est en-dehors du brancard. Cet excès est occasionné par la facilité qu'il donne au cheval pour tirer. Le palonier est, comme on voit dans la figure, fixé au brancard du côté du montoir par une courroie qui prend le palonier à-peu-près dans le milieu, & passe dans une menotte 35 fixée à la place inférieure du brancard ; ou bien il y a deux courroies qui vont se rendre aux échantignoles de chaque côté de la voiture, où elles sont arrêtées de la même maniere que les traits du cheval de brancard. On doit préférer cette derniere construction, parce que le palonier tire également sur les deux brancards.

Au derriere de la chaise, à la derniere des quatre traverses qu'on appelle la gueule de loup, il y a un marche-pié de cuir placé sur le côté de cette traverse ; il sert au domestique à monter derriere la chaise ; & les extrémités antérieures du bras des brancards sont garnis de côté d'un morceau de cuir rembourré de crin, & attachés avec des clous dorés. Cette espece de petit matelas s'appelle feuture de brancard, & sert à garantir la jambe du postillon d'un choc contre le bras du brancard dont il seroit blessé, si l'endroit de ce bras où il choqueroit étoit nud.

Cette chaise de poste, que nous venons de décrire, s'appelle chaise à ressorts en écrevisse, pour la distinguer d'une autre espece de chaise de poste appellée chaise à la Dalaine ; la chaise de poste à ressorts en écrevisse est la plus ordinaire : les ressorts appellés à la Dalaine, apparemment du nom de leur inventeur, s'appliquent plus souvent aux carrosses qu'aux chaises de poste.

Quoique nous ayons dit que la chaise de poste étoit une voiture legere, c'est relativement aux autres voitures ; car, en elle-même, elle ne peut être que très-pesante, sur-tout si on la compare avec la vîtesse qu'on se propose, quand on voyage en poste. Ce qui la rend sur-tout pesante, ce sont ces énormes ressorts appliqués tant au derriere de la chaise qu'au devant. Cette ferrure est très-lourde. Pour avoir de l'élasticité, & par conséquent de la commodité dans la voiture, qu'on est parvenu à rendre très-douce, malgré les cahos & la célérité de la marche, il a fallu multiplier les feuillets aux ressorts : mais on n'a pû multiplier ces parties en fer, sans augmenter le poids ; ensorte qu'on a nécessairement perdu du côté de la legereté, ce qu'on s'est procuré du côté de la commodité.

Il s'est apparemment trouvé un ouvrier qui a senti cette espece de compensation ; & qui, songeant à conserver un des avantages sans renoncer à l'autre, a imaginé les ressorts appellés à la Dalaine. Que les ressorts à la Dalaine soient plus legers que les ressorts en écrevisse, c'est, je crois, un point qu'on ne peut guere contester, n'étant à-peu-près que la moitié des autres : quant à leur élasticité, il n'est pas de la même évidence qu'ils en ayent autant que les ressorts en écrevisse, & que par conséquent ils soient aussi doux. Ces ressorts sont à-peu-près en S renversée, comme on voit, Planche du Sellier : ils ont aussi 17, 18 feuilles, dont les antérieures sont plus courtes que les autres. Ils se placent droits au derriere de la chaise ; il y en a deux A B ; ils sont chacun fixés sur une traverse D D, qui s'emmortoise avec les deux brancards de train : cette traverse s'appelle une lissoire ; sur la lissoire s'élevent deux montans C C sculptés, au-travers desquels passent les ressorts ; ces montans s'appellent moutons. Les moutons sont soûtenus chacun par des arcs-boutans de fer E E. Ces arcs-boutans sont fixés sur les brancards. Il y a à chaque ressort vers le milieu un collier F F, qui embrasse le ressort, & qui l'empêche de vaciller. Ce collier est de fer & doublé de cuir. Les soûpentes se rendent en A, & s'y fixent. Il n'y a, comme on voit, qu'un principe d'élasticité dans les ressorts à la Dalaine qui sont en S ; au lieu qu'il y en a deux dans les ressorts en écrevisse, qui sont en couché ; car la partie inférieure représentée par une des jambes de l'V, est composée de ressorts précisément comme la partie supérieure, & elles réagissent également toutes deux.

Il y a quelque différence dans la construction des chaises à la Dalaine, introduite par l'application différente des ressorts : la partie inférieure du derriere de la chaise s'arrondit, afin que les soûpentes qui partent de-là, ne portent pas sur l'essieu, avant que de se rendre à l'extrémité des ressorts. Il y a à-peu-près à la hauteur de l'essieu, au-derriere arrondi de la chaise à la Dalaine, deux menottes, une de chaque côté de la chaise, dans lesquelles passent les soûpentes qui vont se rendre à l'extrémité supérieure des ressorts. Ces chaises sont arrondies, disent les ouvriers, en cul de singe. Les ressorts de devant de la chaise à la Dalaine ne different pas des ressorts de devant de la chaise ordinaire.

D'où il s'ensuit, qu'en supposant que la chaise à la Dalaine soit moins pesante que la chaise en écrevisse, & même qu'elle soit aussi douce ; peut-être pourroit-on encore ajouter à la perfection de cette voiture, en en bannissant tout ressort, & en substituant les cordes des anciens faites avec des ligamens d'animaux vigoureux, à toute cette ferrure. On a fait tout récemment des essais de ces cordes que les anciens employoient à leur catapulte, à leurs balistes, & qui y produisoient par leur grand ressort & par leur force des effets si surprenans. C'est à M. le Comte d'Erouville qu'on en doit la recherche & la découverte ; nous en parlerons à l'article CORDE. Voyez cet article.

* CHAISE, c'est ainsi que les Charpentiers, & autres ouvriers qui se servent de la grue & des autres machines destinées à élever des fardeaux pesans, appellent l'élévation ou bâti en bois, qu'ils construisent sous ces machines, & sur lequel ils les exhaussent, lorsqu'elles ne sont pas assez hautes par elles-mêmes pour porter les poutres, les pierres & autres fardeaux, aux endroits qui leur sont marqués.


CHAISE-DIEU(LA) Géog. mod. petite ville de France en Auvergne, avec une abbaye. Long. 21. 22. lat. 45. 15.


CHAKTOWS(LES) Geog. mod. nation sauvage de l'Amérique septentrionale, dans la Caroline méridionale.


CHALABRE(Géog. mod.) petite ville de France au pays de Foix, sur la riviere de Lers.


CHALANÇON(Géog. mod.) petite ville de France au bas Languedoc, près de Viviers.


CHALANDS. m. (Comm.) celui qui se sert d'habitude dans une boutique ; ou plus généralement un acheteur. On a fait de-là l'adjectif achalandé. Le marchand a ses chalands ; l'ouvrier a ses pratiques. On a fait aussi de chaland, chalandise, qui n'est plus guere d'usage ; il se prenoit pour un concours de chalands dans la même boutique, ou pour l'habitude de se servir chez un même marchand.

CHALAND, s. m. terme de Riviere, bateau plat de grandeur médiocre, dont on se sert pour amener à Paris les marchandises qui descendent par la riviere. Il y en a sur la Marne ; il y en a sur la Loire. Ceux qui sont sur cette riviere viennent par le canal de Briarre. Plusieurs de ces bateaux ont douze toises de long sur dix piés de large, & quatre piés de bord, suivant le dictionnaire du Commerce. Comme leur construction n'est pas solide, ils ne remontent jamais cette riviere ; on les dépece à Paris, & on en vend les matériaux.


CHALANT(Géog. mod.) ville & comté d'Italie en Piémont, entre Aoste & Bardo.


CHALAOUR(Géog.) ville d'Asie dans l'Indostan, sur la route de Surate à Agra.


CHALASTIQUEadj. (Médecine) épithete par laquelle on désigne les médicamens qui ont la vertu de ramollir & de relâcher les parties, lorsqu'elles sont devenues douloureuses par leur tension ou leur enflure extraordinaire.

Ce mot vient du grec , je relâche. Voyez EMOLLIENT.


CHALAXIAou CHALAZIAS, (Hist. nat. Litholog.) c'est le nom que Pline donne à une pierre qu'il dit avoir la couleur & la forme de la grêle & la dureté du diamant : on croyoit anciennement que quand on la mettoit dans le feu, elle y conservoit sa fraîcheur naturelle. On l'appelloit aussi gelosia. Voyez Pline, Hist. nat. lib. XXXVII. cap. j. Wallerius ne regarde cette pierre que comme un caillou blanc, & demi-transparent. (-)


CHALAZIAS. f. (Chirurgie) est une petite tumeur dans les paupieres, qui ressemble à un petit grain de grêle. On l'appelle en latin grando, & grêle en françois. Cette tumeur est ronde, mobile, dure, blanche, & en quelque façon transparente.

On a proposé des remedes pour fondre & amollir la grêle ; mais ils sont inutiles : on a recours à l'opération, qui consiste à faire une ouverture sur la tumeur avec la pointe d'une lancette, & à faire sortir le grain avec une petite curete faite comme un cure-oreille : on met dans l'ouverture un peu de miel rosat, & on couvre l'oeil avec un collyre anodyn. (Y)


CHALAZZOPHYLACESvoyez CALAZZOPHYLACES.


CHALCANTHAM(Hist. nat. Minéralog.) c'est le nom que les anciens auteurs donnoient au vitriol, soit parce que tout vitriol contient du cuivre qui se nomme en grec , soit parce que c'est le cuivre qui en est la partie la plus remarquable, ou la plus aisée à distinguer. Voyez l'article VITRIOL. (-)


CHALCÉDOINEvoyez CALCEDOINE.

CHALCEDOINE, (Géog. anc. & mod.) ville d'Asie, dans la Bythinie, sur le Bosphore. Elle tire son nom d'une riviere appellée Chalcis, qui coule auprès. On dit que les Chalcédoniens ayant négligé le culte de Vénus, cette déesse les affligea d'une maladie qui a quelque rapport avec celle à laquelle on s'expose aujourd'hui, non par le culte qu'on lui refuse, mais par celui qu'on lui rend. Arien ajoûte que les Chalcédoniens ne trouvant point de remede à leur mal, crurent que le plus court étoit de retrancher la partie malade, quelque importante qu'elle pût être pour la conservation du tout. Autre fait merveilleux. Les Perses ayant ruiné Chalcédoine, Constantin entreprit de la rebâtir, & l'eût sans-doute préférée à Bysance : mais les aigles vinrent enlever avec leurs serres les pierres d'entre les mains des ouvriers. Ce prodige fut répété plusieurs fois, & toute la cour en fut frappée. Il faut bien se garder de comparer ce fait rapporté par le crédule Cedrene, avec celui qu'on lit dans Ammien Marcellin. Cet historien dit que Julien (quoique payen) voulant relever les murs de Jérusalem, il s'éleva des fondemens des tourbillons de flammes qui dévorerent les ouvriers, & firent échoüer cette entreprise. Chalcédoine a éprouvé beaucoup de révolutions : ce n'est plus aujourd'hui qu'un village.


CHALCÉEou CHALCIES, s. f. pl. (Myth.) fêtes que les habitans de la ville d'Athenes, mais sur-tout les ouvriers en métaux, célébroient en l'honneur de Vulcain, & en mémoire de ce que l'art de mettre le cuivre en oeuvre avoit été inventé dans leur contrée, à ce qu'ils prétendoient. Quelques auteurs disent qu'on les appelloit aussi athénées. Voyez ATHENEES. Les anciens ne dérivoient pas toûjours les surnoms qu'ils donnoient à leurs divinités, de faits relatifs soit aux lieux, soit aux temples où elles étoient adorées dans leur propre contrée. Le surnom étoit quelquefois emprunté d'un culte, d'une cérémonie, d'un fait très-étranger. Ainsi il y avoit en Lybie un endroit qui n'étoit habité que par des ouvriers en cuivre. Cet endroit s'appelloit Chalcée ; d'où les fêtes célébrées en l'honneur de Vulcain, le patron de tous les ouvriers en métaux, auroient pû s'appeller chalcées ou chalcies ; chalcoea.


CHALCIAECIESS. f. pl. (Myth.) fêtes instituées à Lacédémone en l'honneur de Minerve chalciaecos. Nous ne savons d'autres particularités de ces fêtes, sinon qu'elles étoient célébrées particulierement par la jeunesse, qui sacrifioit à la déesse en habit de combat. Voyez CHALCIAECOS.


CHALCIAECOSadj. (Myth.) surnom que Minerve avoit à Lacédémone, soit parce que son temple, ou plus vraisemblablement sa statue y étoit d'airain, soit parce que ces vilains habitans de Chalcis dans l'Eubée, qui donnerent lieu à l'expression , furent employés ou à construire l'un, ou à fondre l'autre. Les fêtes célébrées en l'honneur de Minerve Chalciaecos, s'appellerent chalciaecies. Voyez CHALCIAECIES.


CHALCIDIQUEadj. f. (Myth.) surnom que l'on donnoit à Rome à la déesse Minerve, à qui Auguste fit bâtir un temple dans la neuvieme région de la ville, sur le modele de celui que cette divinité avoit à Sparte. Voyez CHALCIAECOS.

* CHALCIDIQUE, (Hist. anc.) salle spacieuse sur laquelle les auteurs s'expriment très-diversement. Elle fut appellée chalcidique, de la ville de Chalcis, selon Festus, qui n'ajoûte rien de plus sur cette étymologie. Philandre dérive le mot chalcidique de , airain, & de , justice, & fait de la salle chalcidique une chambre des monnoies : d'autres le composent de , airain, & de , j'habite, & prétendent que c'étoit l'endroit même où se frappoient les monnoies. La salle chalcidique est dans Vitruve l'auditoire d'un basilique, & dans d'autres une portion du temple où le petit peuple d'entre les payens supposoit que les dieux prenoient leurs repas, la salle à manger des dieux.

* CHALCIDIQUE, s. f. (Géog. anc.) contrée de la Macédoine, selon Ptolomée. C'est aujourd'hui la partie du midi oriental de la province d'Iamboli. Le mont Athos occupoit une partie de la Chalcidique.


CHALCIS(Géog. anc. & mod.) Il y a dans la géographie ancienne une multitude de lieux de ce nom. Voici les principaux. Il y avoit en Eubée une Chalcis, qu'on appelle aujourd'hui Négrepont ; une autre en Macédoine, qui donnoit son nom à la Chalcidique ; une montagne Chalcis, dans l'Aetolie, le long de la rive orientale de l'Erenus ; sur cette montagne une ville Chalcis ; dans la Syrie une ancienne ville appellée Chalcis ad Bellum ; un royaume de Chalcis ou Chalcide, au pié du mont Liban, du côté de la Syrie ; un desert de Chalcis ou Chalcide, entre la Mésopotamie, la Palestine, & la Phénicie ; d'autres villes du même nom, dans l'Arabie heureuse & dans la Scythie ; une île Chalcis sur la côte de l'Aetolie, & l'une des Echinades ; dans la Grece, en Béotie, une ville Chalcis.


CHALCITIS(Hist. nat. Minéral.) substance minérale dont parlent Pline, Dioscoride, Galien, & les anciens auteurs arabes, qui lui ont donné les noms d'alcabrusy & d'alcalcadim. Elle est très-peu connue des modernes, grace aux mauvaises description qu'on nous en a données : cependant il paroît qu'on entendoit par-là une pierre vitriolique, rougeâtre, traversée de veines brillantes, & enveloppée d'une matiere terreuse, jaune, qui ne paroît avoir été qu'une ochre martiale produite par la décomposition de la partie vitriolique du chalcitis. C'est cette matiere terreuse, ou cette efflorescence, que quelques auteurs ont nommée misy. On dit qu'au-dessous du chalcitis il se trouve une autre substance terreuse, d'un gris clair, à laquelle on donnoit le nom de sory. On tiroit autrefois le chalcitis de l'île de Chypre. On dit qu'il se trouve en Auvergne, près du mont d'Or, une substance minérale qui s'accorde assez bien avec la description que les anciens nous ont laissée de leur chalcitis. Caneparius prétend, contre Agricola, que cette matiere n'étoit point rouge, mais blanche ; & M. Henckel, dans sa Pyritologie, cite précisément l'exemple du chalcitis, pour faire voir combien les auteurs ont pris plaisir à embrouiller des matieres, qu'il étoit d'ailleurs assez peu important de connoître. Le chalcitis est dans ce cas. On le fait entrer dans la composition de la thériaque : sur quoi Henckel observe, avec raison, que sa couleur, telle qu'elle puisse être, ne peut donner des vertus extraordinaires ; & qu'un vitriol ordinaire calciné à blancheur doit remplit, pour le moins, aussi-bien les vûes qu'on se propose. (-)

* CHALCITIS ou CHALCITIDE, s. f. (Géog. anc.) île située vis-à-vis de Chalcédoine. Voyez CHALCEDOINE. Les grecs modernes la nomment Chalcis. Il y a eu du même nom une contrée de la Mésopotamie ; une contrée de l'Inde, au-delà du Gange ; & un pays proche d'Erythris en Asie, dans l'Ionie.


CHALCOPHONUS(Hist. nat. Litholog.) pierre connue des anciens. Boece de Boot dit qu'ils désignoient par ce nom une pierre noire, qui quand on la frappoit rendoit le même son que l'airain, comme son nom semble l'indiquer. M. Anderson, dans son histoire naturelle de Groenland, parle d'une pierre qu'on lui a dit avoir la même propriété, & qui étant frappée, rendoit un son semblable à celui d'une cloche. Cet auteur soupçonne que cela vient du cuivre & de l'argent qu'elles contiennent, parce que les pierres paroissent teintes de verd & de bleu en certains endroits. Mais en supposant le fait incontestable, cette conjecture n'en paroîtroit pas mieux fondée. On dit aussi qu'il se trouve une pierre de cette espece en Canada, à qui quelques gens pour cette raison ont donné le nom de pierre de cloche. (-)


CHALCOPYRITES(Hist. nat. Minéral.) nom que quelques auteurs donnent à l'espece de pyrite où il se trouve des parties cuivreuses, pour la distinguer de la pyrite ferrugineuse, que l'on trouve nommée quelquefois syderopyrite, & de la pyrite blanche, qui est une pyrite purement arsenicale. Voyez l'article PYRITE. (-)


CHALDÉES. f. (Géog. anc.) contrée d'Asie, dont l'étendue varie selon les tems & selon les écrivains qui en ont parlé. Il y a eu un tems où elle faisoit partie de l'Assyrie, & un autre où l'Assyrie n'étoit qu'une de ses contrées : Babylone en étoit la capitale ; ainsi la Chaldée & la Babylonie sont la même chose. Voyez l'article CHALDEENS. Xénophon donne encore le nom de Chaldée à un pays situé dans les montagnes voisines de l'Arménie.


CHALDÉENS(Philosophie des) Les Chaldéens sont les plus anciens peuples de l'Orient qui se soient appliqués à la Philosophie. Le titre de premiers philosophes leur a été contesté par les Egyptiens. Cette nation aussi jalouse de l'honneur des inventions, qu'entêtée de l'antiquité de son origine, se croyoit non-seulement la plus vieille de toutes les nations, mais se regardoit encore comme le berceau où les Arts & les Sciences avoient pris naissance. Ainsi les Chaldéens n'étoient, selon les Egyptiens, qu'une colonie venue d'Egypte ; & c'est d'eux qu'ils avoient appris tout ce qu'ils savoient. Comme la vanité nationale est toûjours un mauvais garant des faits qui n'ont d'autre appui qu'elle, cette supériorité que les Egyptiens s'arrogeoient en tout genre sur les autres nations, est encore aujourd'hui un problème parmi les savans.

Si les inondations du Nil, qui confondoient les bornes des champs, donnerent aux Egyptiens les premieres idées de la Géométrie, par la nécessité où elles mettoient chacun d'inventer des mesures exactes pour reconnoître son champ d'avec celui de son voisin ; on peut dire que le grand loisir dont joüissoient les anciens bergers de Chaldée, joint à l'air pur & serein qu'ils respiroient sous un ciel qui n'étoit jamais couvert de nuages, produisit les premieres observations qui ont été le fondement de l'Astronomie. D'ailleurs, comme la Chaldée a servi de séjour aux premiers hommes du monde nouveau, il est naturel de s'imaginer que l'empire de Babylone a précédé les commencemens de la monarchie d'Egypte, & que par conséquent la Chaldée, qui étoit un certain canton compris dans cet empire, & qui reçut son nom des Chaldéens, philosophes étrangers auxquels elle fut accordée pour y fixer leur demeure, est le premier pays qui ait été éclairé des lumieres de la Philosophie. Voyez ASTRONOMIE.

Il n'est pas facile de donner une juste idée de la philosophie des Chaldéens. Les monumens, qui pourroient nous servir ici de mémoires pour cette histoire, ne remontent pas, à beaucoup près, aussi haut que cette secte : encore ces mémoires nous viennent-ils des Grecs ; ce qui suffit pour leur faire perdre toute l'autorité qu'ils pourroient avoir. Car on sait que les Grecs avoient un tour d'esprit très-différent de celui des Orientaux, & qu'ils défiguroient tout ce qu'ils touchoient & qui leur venoit des nations barbares ; car c'est ainsi qu'ils appelloient ceux qui n'étoient pas nés grecs. Les dogmes des autres nations, en passant par leur imagination, y prenoient une teinture de leur maniere de penser, & n'entroient jamais dans leurs écrits, sans avoir éprouvé une grande altération. Une autre raison, qui doit nous rendre soupçonneux sur les véritables sentimens des Chaldéens, c'est que, selon l'usage reçu dans tout l'Orient, ils renfermoient dans l'enceinte de leurs écoles, où même ils n'admettoient que des disciples privilégiés, les dogmes de leur secte, & qu'ils ne les produisoient en public que sous le voile des symboles & des allégories. Ainsi nous ne pouvons former que des conjectures sur ce que les Grecs & même les Arabes en ont fait parvenir jusqu'à nous. De-là aussi cette diversité d'opinions qui partagent les savans, qui ont tenté de percer l'enveloppe de ces ténebres mystérieuses. En prétendant les éclaircir, ils n'ont fait qu'épaissir davantage la nuit qui nous les cache : témoin cette secte de philosophes, qui s'éleva en Asie vers les tems où Jesus-Christ parut sur la terre. Pour donner plus de poids aux rêveries qu'enfantoit leur imagination déréglée, ils s'aviserent de les colorer d'un air de grande antiquité, & de les faire passer, sous le nom des Chaldéens & des Perses pour les restes précieux de la doctrine de ces philosophes. Ils forgerent en conséquence grand nombre d'ouvrages sous le nom du fameux Zoroastre, regardé alors dans l'Asie comme le chef & le maître de tous les mages de la Perse & de la Chaldée.

Plusieurs savans, tant anciens que modernes, se sont exercés à découvrir quel pouvoit être ce Zoroastre si vanté dans tout l'Orient : mais après bien des veilles consumées dans ce travail ingrat, ils ont été forcés d'avoüer l'inutilité de leurs efforts. Voyez l'article de la philosophie des PERSES.

D'autres philosophes, non moins ignorans dans les mysteres sacrés de l'ancienne doctrine des Chaldéens, voulurent partager avec les premiers l'honneur de composer une secte à part. Ils prirent donc le parti de faire naître Zoroastre en Egypte ; & ils ne furent pas moins hardis à lui supposer des ouvrages, dont ils se servirent pour les combattre plus commodément. Comme Pythagore & Platon étoient allés en Egypte pour s'instruire dans les Sciences, que cette nation avoit la réputation d'avoir extrèmement perfectionnées, ils imaginerent que les systèmes de ces deux philosophes grecs n'étoient qu'un fidele extrait de la doctrine de Zoroastre. Cette hardiesse à supposer des livres, qui fait le caractere de ces deux sectes de philosophes, nous apprend jusqu'à quel point nous devons leur donner notre confiance.

Les Chaldéens étoient en grande considération parmi les Babyloniens. C'étoient les prêtres de la nation ; ils y remplissoient les mêmes fonctions que les mages chez les Perses, en instruisant le peuple de tout ce qui avoit rapport aux choses de la religion, comme les cérémonies & les sacrifices. Voilà pourquoi il est arrivé souvent aux historiens grecs de les confondre les uns avec les autres ; en quoi ils ont marqué leur peu d'exactitude, ne distinguant pas, comme ils le devoient, l'état où se trouvoit la Philosophie chez les anciens Babyloniens, de celui où elle fut réduite, lorsque ces peuples passerent sous la domination des Perses.

On peut remarquer en passant, que chez tous les anciens peuples, tels que les Assyriens, les Perses, les Egyptiens, les Ethiopiens, les Gaulois, les Bretons, les Germains, les Scythes, les Etruriens, ceux-là seuls étoient regardés comme les sages & les Philosophes de la nation, qui avoient usurpé la qualité de prêtres & de ministres de la religion. C'étoient des hommes souples & adroits, qui faisoient servir la religion aux vûes intéressées & politiques de ceux qui gouvernoient. Voici quelle étoit la doctrine des Chaldéens sur la divinité.

Ils reconnoissoient un Dieu souverain, auteur de toutes choses, lequel avoit établi cette belle harmonie qui lie toutes les parties de l'univers. Quoiqu'ils crussent la matiere éternelle & préexistante à l'opération de Dieu, ils ne s'imaginoient pourtant pas que le monde fût éternel ; car leur cosmogonie nous réprésente notre terre comme ayant été un chaos ténébreux, où tous les élémens étoient confondus pêle-mêle, avant qu'elle eût reçu cet ordre & cet arrangement qui la rendent un séjour habitable. Ils supposoient que des animaux monstrueux & de diverses figures avoient pris naissance dans le sein informe de ce chaos, & qu'ils avoient été soûmis à une femme nommée Omerca ; que le dieu Belus avoit coupé cette femme en deux parties, de l'une desquelles il avoit formé le ciel & de l'autre la terre, & que la mort de cette femme avoit causé celle de tous ces animaux ; que Belus après avoir formé le monde & produit les animaux qui le remplissent, c'étoit fait couper la tête ; que les hommes & les animaux étoient sortis de la terre que les autres dieux avoient détrempée dans le sang qui couloit de la blessure du dieu Belus, & que c'étoit-là la raison pour laquelle les hommes étoient doués d'intelligence, & avoient reçus une portion de la divinité. Berose, qui rapporte ceci dans les fragmens que nous avons de lui, & qui nous ont été conservés par Syncelle, observe que toute cette cosmogonie n'est qu'une allégorie mystérieuse, par laquelle les Chaldéens expliquoient de quelle maniere le Dieu créateur avoit débrouillé le chaos & introduit l'ordre parmi la confusion des élémens. Du-moins, ce que l'on voit à-travers les voiles de cette surprenante allégorie, c'est que l'homme doit sa naissance à Dieu, & que le Dieu suprème s'étoit servi d'un autre dieu pour former ce monde. Cette doctrine n'étoit point particuliere aux Chaldéens. C'étoit même une opinion universellement reçue dans tout l'Orient, qu'il y avoit des génies, dieux subalternes & dépendans de l'Etre suprème, qui étoient distribués & répandus dans toutes les parties de ce vaste univers. On croyoit qu'il n'étoit pas digne de la majesté du Dieu souverain de présider directement au sort des nations. Renfermé dans lui-même, il ne lui convenoit pas de s'occuper des pensées & des actions des simples mortels, mais il en laissoit le soin à des divinités locales & tutélaires. Ce n'étoit aussi qu'en leur honneur que fumoit l'encens dans les temples, & que couloit sur les autels le sang des victimes. Mais outre les bons génies qui s'appliquoient à faire du bien aux hommes, les Chaldéens admettoient aussi des génies mal-faisans. Ceux-là étoient formés d'une maniere plus grossiere que les bons, avec lesquels ils étoient perpétuellement en guerre. Les premiers étoient l'ouvrage du mauvais principe, comme les autres l'étoient du bon ; car il paroît que la doctrine des deux principes avoit pris naissance en Chaldée, d'où elle a passé chez les Perses. Cette croyance des mauvais démons, qui non seulement avoit cours chez les Chaldéens, mais encore chez les Perses, les Egyptiens & les autres nations Orientales, paroît avoir sa source dans la tradition respectable de la séduction du premier homme par un mauvais démon. Ils prenoient toutes sortes de formes, pour mieux tromper ceux qui avoient l'imprudence de se confier à eux.

Tels étoient vraisemblablement les mysteres, auxquels les Chaldéens avoient soin de n'initier qu'un petit nombre d'adeptes qui devoient leur succéder, pour en faire passer la tradition d'âge en âge jusqu'à la postérité la plus reculée. Il n'étoit pas permis aux disciples de penser au-delà de ce que leurs maîtres leur avoient appris. Ils plioient servilement sous le joug que leur imposoit le respect aveugle qu'ils avoient pour eux. Diodore de Sicile leur en fait un mérite, & les éleve en cela beaucoup au-dessus des Grecs, qui, selon lui, devenoient le joüet éternel de mille opinions diverses, entre lesquelles flottoit leur esprit indécis ; parce que dans leur maniere de penser, ils ne vouloient être maîtrisés que par leur génie. Mais il faut être bien peu philosophe soi-même, pour ne pas sentir que le plus beau privilége de notre raison consiste à ne rien croire par l'impulsion d'un instinct aveugle & méchanique, & que c'est deshonorer la raison, que de la mettre dans des entraves ainsi que le faisoient les Chaldéens. L'homme est né pour penser de lui-même. Dieu seul mérite le sacrifice de nos lumieres, parce qu'il est le seul qui ne puisse pas nous tromper, soit qu'il parle par lui-même, soit qu'il le fasse par l'organe de ceux auxquels il a confié le sacré dépôt de ses révélations. La philosophie des Chaldéens n'étant autre chose qu'un amas de maximes & de dogmes, qu'ils transmettoient par le canal de la tradition, ils ne méritent nullement le nom de philosophes. Ce titre, dans toute la rigueur du terme, ne convient qu'aux Grecs & aux Romains, qui les ont imités en marchant sur leurs traces. Car pour les autres nations, on doit en porter le même jugement que les Chaldéens, puisque le même esprit de servitude régnoit parmi elles ; au lieu que les Grecs & les Romains osoient penser d'après eux-mêmes. Ils ne croyoient que ce qu'ils voyoient, ou du-moins que ce qu'ils s'imaginoient voir. Si l'esprit systématique les a précipités dans un grand nombre d'erreurs, c'est parce qu'il ne nous est pas donné de découvrir subitement & comme par une espece d'instinct la vérité. Nous ne pouvons y parvenir, qu'en passant par bien des impertinences & des extravagances ; c'est une loi à laquelle la nature nous a assujettis. Mais en épuisant toutes les sottises qu'on peut dire sur chaque chose, les Grecs nous ont rendu un service important, parce qu'ils nous ont comme forcés de prendre presqu'à l'entrée de notre carriere le chemin de la vérité.

Pour revenir aux Chaldéens, voici la doctrine qu'ils enseignoient publiquement ; savoir, que le soleil, la lune, & les autres astres, & sur-tout les planetes, étoient des divinités qu'il falloit adorer. Hérodote & Diodore sont ici nos garans. Les étoiles qui forment le zodiaque, étoient principalement en grande vénération parmi eux, sans préjudice du soleil & de la lune, qu'ils ont toûjours regardés comme leurs premieres divinités. Ils appelloient le soleil Belus, & donnoient à la lune le nom de Nebo ; quelquefois aussi ils l'appelloient Nergal. Le peuple, qui est fait pour être la dupe de tous ceux qui ont assez d'esprit pour prendre sur lui de l'ascendant, croyoit bonnement que la divinité résidoit dans les astres, & par conséquent qu'ils étoient autant de dieux qui méritoient ses hommages. Pour les sages & les philosophes du pays, ils se contentoient d'y placer des esprits ou des dieux du second ordre, qui en dirigeoient les divers mouvemens.

Ce principe une fois établi, que les astres étoient des divinités, il n'en fallut pas davantage aux Chaldéens pour persuader au peuple qu'ils avoient une grande influence sur le bonheur ou le malheur des humains. De-là est née l'Astrologie judiciaire, dans laquelle les Chaldéens avoient la réputation d'exceller si fort entre les autres nations, que tous ceux qui s'y distinguoient, s'appelloient Chaldéens, quelle que fût leur patrie. Ces charlatans s'étoient fait un art de prédire l'avenir par l'inspection du cours des astres, où ils feignoient de lire l'enchaînement des destinées humaines. La crédulité des peuples faisoit toute leur science ; car quelle liaison pouvoient-ils appercevoir entre les mouvemens réglés des astres & les événemens libres de la volonté ? L'avide curiosité des hommes pour percer dans l'avenir & pour prévoir ce qui doit leur arriver, est une maladie aussi ancienne que le monde même. Mais elle a exercé principalement son empire chez tous les peuples de l'Orient, dont on sait que l'imagination s'allume aisément. On ne sauroit croire jusqu'à quel excès elle y a été portée par les ruses & les artifices des prêtres. L'Astrologie judiciaire est le puissant frein avec lequel on a de tout tems gouverné l'esprit des Orientaux. Sextus Empiricus déclame avec beaucoup de force & d'éloquence contre cet art frivole, si funeste au bonheur du genre humain, par les maux qu'il produit nécessairement. En effet, les Chaldéens retrécissoient l'esprit des peuples, & les tenoient indignement courbés sous un joug de fer, que leur imposoit leur superstition ; il ne leur étoit pas permis de faire la moindre démarche, sans avoir auparavant consulté les augures & les aruspices. Quelque crédules que fussent les peuples, il n'étoit pas possible que l'imposture de ces charlatans de Chaldée ne trahît & ne décelât très-souvent la vanité de l'Astrologie judiciaire. Sous le consulat de M. Popillius, & de Cneius Calpurnius, il fut ordonné aux Chaldéens, par un édit du préteur Cor. Hispallus, de sortir de Rome & de toute l'Italie dans l'espace de dix jours ; & la raison qu'on en donnoit, c'est qu'ils abusoient de la prétendue connoissance qu'ils se vantoient d'avoir du cours des astres, pour tromper des esprits foibles & crédules, en leur persuadant que tels & tels évenemens de leur vie étoient écrits dans le ciel. Alexandre lui-même, qui d'abord avoit été prévenu d'une grande estime pour les Chaldéens, la leur vendit bien cher par le grand mépris qu'il leur porta, depuis que le philosophe Anaxarque lui eut fait connoître toute la vanité de l'Astrologie judiciaire.

Quoique l'Astronomie ait été fort en honneur chez les Chaldéens, & qu'ils l'ayent cultivée avec beaucoup de soin, il ne paroît pourtant pas qu'elle eût fait parmi eux des progrès considérables. Quels Astronomes, que des gens qui croyoient que les éclipses de lune provenoient de ce que cet astre tournoit vers nous la partie de son disque qui étoit opaque ? car ils croyoient l'autre lumineuse par elle-même, indépendamment du soleil : où avoient-ils pris aussi que le globe terrestre seroit consumé par les flammes, lors de la conjonction des astres dans le signe de l'Ecrevisse, & qu'il seroit inondé si cette conjonction arrivoit dans le signe du Capricorne ? Cependant ces Chaldéens ont été estimés comme de grands astronomes ; & il n'y a pas même long-tems qu'on est revenu de cette admiration prodigieuse qu'on avoit conçue pour leur grand savoir dans l'Astronomie ; admiration qui n'étoit fondée que sur ce qu'ils sont séparés de nous par une longue suite de siecles. Tout éloignement est en droit de nous en imposer.

L'envie de passer pour les plus anciens peuples du monde, est une manie qui a été commune à toutes les nations. On diroit qu'elles s'imaginent valoir d'autant mieux, qu'elles peuvent remonter plus haut dans l'antiquité. On ne sauroit croire combien de rêveries & d'absurdités ont été débitées à ce sujet. Les Chaldéens, par exemple, prétendoient qu'au tems où Alexandre vainqueur de Darius prit Babylone, il s'étoit coulé quatre cent soixante & dix mille années, à compter depuis le tems où l'Astronomie fleurissoit dans la Chaldée. Cette longue supputation d'années n'a point sa preuve dans l'histoire, mais seulement dans l'imagination échauffée des Chaldéens. En effet, Callisthène, à qui le précepteur d'Alexandre avoit ménagé une entrée à la cour de ce prince, & qui suivoit ce conquérant dans ses expéditions militaires, envoya à ce même Aristote des observations qu'il avoit trouvées à Babylone. Or ces observations ne remontoient pas au-delà de mille neuf cent trois ans ; & ces mille neuf cent trois ans, si on les fait commencer à l'année 4383 de la période Julienne, où Babylone fut prise, iront, en rétrogradant, se terminer à l'année 2480 de la même période. Il s'en faut bien que le tems marqué par ces observations remonte jusqu'au déluge, si l'on s'attache au système chronologique de Moyse, tel qu'il se trouve dans la version des Septante. Si les Chaldéens avoient eu des observations plus anciennes, comment se peut-il faire que Ptolomée, cet Astronome si exact, n'en ait point fait mention, & que la premiere dont il parle tombe à la premiere année de Merdochai roi de Babylone, laquelle se trouve être dans la vingt-septieme année de l'ere de Nabonassar ? Il résulte de-là que cette prétendue antiquité, que les Chaldéens donnoient à leurs observations, ne mérite pas plus notre croyance que le témoignage de Porphyre, qui lui sert de fondement. Il y a plus, Epigene ne craint point d'avancer que les observations astronomiques, qui se trouvoient inscrites sur des briques cuites qu'on voyoit à Babylone, ne remontoient pas au-delà de 720 ans ; & comme si ce tems eût été encore trop long, Bérose & Critodème renferment tout ce tems dans l'espace de 480 ans.

Après cela, qui ne riroit de voir les Chaldéens nous présenter gravement leurs observations astronomiques, & nous les apporter en preuve de leur grande antiquité ; tandis que leurs propres auteurs leur donnent le démenti, en les renfermant dans un si court espace de tems ? Ils ont apparemment cru, suivant la remarque de Lactance, qu'il leur étoit libre de mentir, en imaginant des observations de 470000 ans ; parce qu'ils étoient bien sûrs qu'en s'enfonçant si fort dans l'antiquité, il ne seroit pas possible de les atteindre. Mais ils n'ont pas fait attention que tous ces calculs n'operent dans les esprits une vraie persuasion, qu'autant qu'on y attache des faits dont la réalité ne soit point suspecte.

Toute chronologie qui ne tient point à des faits, n'est point historique, & par conséquent ne prouve rien en faveur de l'antiquité d'une nation. Quand une fois le cours des astres m'est connu, je puis prévoir, en conséquence de leur marche assujettie à des mouvemens uniformes & réguliers, dans quel tems & de quelle maniere ils figureront ensemble, soit dans leur opposition, soit dans leur conjonction. Je puis également me replier sur les tems passés, ou m'avancer sur ceux qui ne sont pas encore arrivés ; & franchissant les bornes du tems où le Créateur a renfermé le monde, marquer dans un tems imaginaire les instans précis où tels & tels astres seroient éclipsés. Je puis, à l'aide d'un calcul qui ne s'épuisera jamais, tant que mon esprit voudra le continuer, faire un système d'observations pour des tems qui n'ont jamais existé ou même qui n'existeront jamais. Mais de ce système d'observations, purement arbitraire, il n'en résultera jamais que le monde ait toûjours existé, ou qu'il doive toûjours durer. Tel est le cas où se trouvent par rapport à nous les anciens Chaldéens, touchant ces observations qui ne comprenoient pas moins que 470000 ans. Si je voyois une suite de faits attachés à ces observations, & qu'ils remplissent tout ce long espace de tems, je ne pourrois m'empêcher de reconnoître un monde réellement subsistant dans toute cette longue durée de siecles ; mais parce que je n'y vois que des calculs qui ne traînent après eux aucune révolution dans les choses humaines, je ne puis les regarder que comme les rêveries d'un calculateur. Voyez CHRONOLOGIE, HistHist. philos. de Brucker.


CHALDROou CHAUDRON, s. m. (Comm.) mesure seche d'Angleterre, qui sert pour le charbon, & qui contient trente-six boisseaux en monceau, suivant l'étalon du boisseau qui est déposé à la place de Guildhall à Londres. Voyez MESURE.

Le chaldron doit peser 2000 à bord des vaisseaux. Vingt-un chaldrons de charbon passent pour la vingtaine. Voyez CHARBON.


CHALETS. m. (Economie) bâtiment plat répandu dans les montagnes de Griers, uniquement destiné à faire des fromages. Voyez Dictionnaire de Trévoux & du Commerce.


CHALEURS. f. (Physiq.) est une des qualités premieres des corps, & celle qui est opposée au froid. Voyez QUALITE & FROID.

Quelques auteurs définissent la chaleur, un être physique dont on connoît la présence & dont on mesure le degré par la raréfaction de l'air, ou de quelque liqueur renfermée dans un thermometre.

La chaleur est proprement une sensation excitée en nous par l'action du feu, ou bien c'est l'effet que fait le feu sur nos organes. Voyez SENSATION & FEU.

D'où il s'ensuit que ce que nous appellons chaleur est une perception particuliere, ou une modification de notre ame, & non pas une chose qui existe formellement dans le corps qui donne lieu à cette sensation. La chaleur n'est pas plus dans le feu qui brûle le doigt, que la douleur n'est dans l'aiguille qui le pique : en effet, la chaleur dans le corps qui la donne, n'est autre chose que le mouvement ; la chaleur dans l'ame qui la sent, n'est qu'une sensation particuliere ou une disposition de l'ame. Voyez PERCEPTION.

La chaleur, en tant qu'elle est la sensation ou l'effet que produit en nous un corps chaud, ne doit être considérée que relativement à l'organe du toucher, puisqu'il n'y a point d'objet qui nous paroisse chaud, à moins que sa chaleur n'excede celle de notre corps ; desorte qu'une même chose peut paroître chaude & froide à différentes personnes, ou à la même personne en différens tems. Ainsi la sensation de chaleur est proprement une sensation relative.

Les Philosophes ne sont pas d'accord sur la chaleur telle qu'elle existe dans le corps chaud ; c'est-à-dire en tant qu'elle constitue & fait appeller un corps chaud, & qu'elle le met en état de nous faire sentir la sensation de chaleur. Les uns prétendent que c'est une qualité ; d'autres, que c'est une substance ; & quelques-uns, que c'est une affection méchanique.

Aristote & les Péripatéticiens définissent la chaleur, une qualité ou un accident qui réunit ou rassemble des choses homogenes, c'est-à-dire de la même nature & espece, & qui desunit ou sépare des choses hétérogenes, ou de différente nature : c'est ainsi, dit Aristote, que la même chaleur qui unit & réduit dans une seule masse différentes particules d'or, qui étoient auparavant séparées les unes des autres, desunit & sépare les particules de deux métaux différens, qui étoient auparavant unis & mêlés ensemble. Il y a de l'erreur non-seulement dans cette doctrine, mais aussi dans l'exemple qu'on apporte pour la confirmer ; car la chaleur quand on la supposeroit perpétuelle, ne séparera jamais une masse composée, par exemple, d'or, d'argent, & de cuivre ; au contraire, si l'on met dans un vaisseau, sur le feu, des corps de nature différente, comme de l'or, de l'argent, & du cuivre, quelque hétérogenes qu'ils soient, la chaleur du feu les mêlera & n'en fera qu'une masse.

Pour produire le même effet sur différens corps, il faut différens dégrés de chaleur : pour mêler de l'or & de l'argent, il faut un degré médiocre de chaleur ; mais pour mêler du mercure & du soufre, il faut le plus haut degré de chaleur qu'on puisse donner au feu. Voyez OR, ARGENT, &c. A quoi il faut ajoûter que le même dégré de chaleur produit des effets contraires : ainsi un feu violent rendra volatiles les eaux, les huiles, les sels, &c. & le même feu vitrifiera le sable & le sel fixe alkali. Voyez VERRE.

Les Epicuriens & autres Corpusculaires ne regardent point la chaleur comme un accident du feu, mais comme un pouvoir essentiel ou une propriété du feu, qui dans le fond est le feu même, & n'en est distinguée que relativement à notre façon de concevoir. Suivant ces philosophes, la chaleur n'est autre chose que la substance volatile du feu même, réduite en atomes & émanée des corps ignés par un écoulement continuel ; desorte que non-seulement elle échauffe les objets qui sont à sa portée, mais aussi qu'elle les allume quand ils sont de nature combustible ; & qu'après les avoir réduits en feu, elle s'en sert à exciter la flamme.

En effet, disent-ils, ces corpuscules s'échappant du corps ignée, & restant quelque tems enfermés dans la sphere de sa flamme, constituent le feu par leur mouvement ; mais après qu'ils sont sortis de cette sphere & dispersés en différens endroits, desorte qu'ils ne tombent plus sous les yeux, & ne sont plus perceptibles qu'au tact, ils acquierent le nom de chaleur en tant qu'ils excitent encore en nous cette sensation.

Nos derniers & meilleurs auteurs en Philosophie méchanique, expérimentale, & chimique, pensent fort diversement sur la chaleur. La principale question qu'ils se proposent, consiste à savoir si la chaleur est une propriété particuliere d'un certain corps immuable appellé feu ; ou si elle peut être produite méchaniquement dans d'autres corps, en altérant leurs parties.

La premiere opinion, qui est aussi ancienne que Démocrite & le système des atomes, & qui a frayé le chemin à celle des Cartésiens & autres Méchanistes, a été renouvellée avec succès, & expliquée par quelques auteurs modernes, & en particulier par MM. Homberg, Lémery, Gravesande, & surtout par le savant & ingénieux Boerhaave, dans un cours de leçons qu'il a données sur le feu, & dont on trouvera le résultat à l'article FEU.

Selon cet auteur, ce que nous appellons feu est un corps par lui-même, sui generis, qui a été créé tel dès le commencement, qui ne peut être altéré en sa nature ni en ses propriétés, qui ne peut être produit de nouveau par aucun autre corps, & qui ne peut être changé en aucun autre, ni cesser d'être feu.

Il prétend que ce feu est répandu également partout, & qu'il existe en quantité égale dans toutes les parties de l'espace : mais qu'il est parfaitement caché & imperceptible, & ne se découvre que par certains effets qu'il produit, & qui tombent sous nos sens.

Ces effets sont la chaleur, la lumiere, les couleurs, la raréfaction, & la brûlure, qui sont autant de signes de feu dont aucun ne peut être produit par quelque autre cause que ce soit ; desorte qu'en quelque lieu & en quelque tems que nous remarquions quelques-uns de ces signes, nous en pouvons inférer l'action & la présence du feu.

Mais quoique l'effet ne puisse être sans cause, cependant le feu peut exister & demeurer caché sans produire aucun effet, c'est-à-dire aucun de ces effets qui soient assez considérables pour affecter nos sens, ou pour en devenir les objets. Boerhaave ajoûte que c'est le cas ordinaire où se trouve le feu, qui ne peut produire de ces effets sensibles sans le concours de plusieurs circonstances nécessaires qui manquent souvent. C'est particulierement pour cela que nous voyons quelquefois plusieurs, & quelquefois tous les effets du feu en même tems, & d'autres fois un effet du feu accompagné de quelques autres, suivant les circonstances & les dispositions où se trouvent les corps : ainsi nous voyons quelquefois de la lumiere sans sentir de la chaleur, comme dans les bois & les poissons pourris, ou dans le phosphore hermétique. Il se peut même que l'une des deux soit au plus haut degré, & que l'autre ne soit pas sensible, comme dans le foyer d'un grand miroir ardent exposé à la lune ; ou, selon l'expérience qu'en fit le docteur Hooke, la lumiere étoit assez éclatante pour aveugler la meilleure vûe du monde, tandis que la chaleur y étoit imperceptible, & ne pouvoit opérer la moindre raréfaction sur un thermometre excellent. Voyez LUMIERE.

D'un autre côté, il peut y avoir de la chaleur sans lumiere, comme nous le voyons dans les fluides, qui ne jettent point de lumiere quoiqu'ils bouillent, & qui non-seulement échauffent & raréfient, mais aussi brûlent & consument les parties des corps. Il y a aussi des métaux, des pierres, &c. qui reçoivent une chaleur excessive avant de luire ou de devenir ignées : bien plus, la plus grande chaleur imaginable peut exister sans lumiere ; ainsi dans le foyer d'un grand miroir ardent concave, où les métaux se fondent, & où les corps les plus durs se vitrifient, l'oeil n'apperçoit aucune lumiere lorsqu'il n'y a point de ces corps à ce foyer ; & si l'on y posoit la main, elle seroit à l'instant réduite en cendre.

De même on a remarqué souvent de la raréfaction dans les thermometres pendant la nuit, sans voir de lumiere, & sans sentir de chaleur, &c.

Il paroît donc que les effets du feu dépendent de certaines circonstances qui concourent ensemble, & que certains effets demandent un plus grand ou un plus petit nombre de ces circonstances. Il n'y a qu'une chose que tous ces effets demandent en général ; savoir que le feu soit amassé ou réduit dans un espace plus étroit : autrement, comme le feu est répandu par-tout également, il n'auroit pas plus d'effet dans un lieu que dans un autre : d'un autre côté cependant il faut qu'il soit en état par sa nature d'échauffer, de brûler, & de luire par-tout ; & l'on peut dire en effet qu'il échauffe, brûle, & luit actuellement par-tout ; & dans un autre sens, qu'il n'échauffe, ne brûle, & ne luit nulle part. Ces expressions, par-tout, & nulle part, reviennent ici au même ; car sentir la même chaleur par-tout, signifie que l'on n'en sent point : il n'y a que le changement qui nous soit sensible ; c'est le changement seul qui nous fait juger de l'état où nous sommes, & qui nous fait connoître ce qui opere ce changement. Ainsi nos corps étant comprimés également de tous les côtés par l'air qui nous environne, nous ne sentons aucune compression nulle part ; mais dès que cette compression vient à cesser dans quelque partie de notre corps, comme lorsque nous posons la main sur la platine d'une machine pneumatique & que nous pompons, nous devenons sensibles au poids de l'air.

L'amas ou la collection du feu se fait de deux façons : la premiere, en dirigeant & déterminant les corpuscules flottans du feu en lignes, ou traînées, que l'on appelle rayons, & poussant ainsi une suite infinie d'atomes ignés vers le même en droit, ou sur le même corps ; desorte que chaque atome porte son coup, & seconde l'effort de ceux qui l'ont précédé, jusqu'à ce que tous ces efforts successifs ayent produit un effet sensible. Tel est l'effet que produisent les corps que nous appellons lumineux, comme le soleil & les autres corps célestes, le feu ordinaire, les lampes, &c. qui, selon plusieurs de nos physiciens, ne lancent point de feu tiré de leur propre substance ; mais qui par leur mouvement circulaire dirigent & déterminent les corpuscules de feu qui les environnent, à se former en rayons paralleles. Cet effet peut être rendu plus sensible encore par une seconde collection de ces rayons paralleles, en rayons convergens, comme on le fait par le moyen d'un miroir concave ou d'un verre convexe, qui réunit tous ces rayons dans un point, & produit des effets surprenans. Voyez MIROIR ARDENT, &c.

La seconde maniere de faire cette collection de feu ne consiste point à déterminer le feu vague, ou à lui donner une direction nouvelle, mais à l'amasser purement & simplement dans un espace plus étroit ; ce qui se fait en frottant avec vîtesse un corps contre un autre : à la vérité il faut que ce frottement se fasse avec tant de vîtesse, qu'il n'y ait rien dans l'air, excepté les particules flottantes du feu, dont l'activité soit assez grande pour se mouvoir avec la même promtitude, ou pour remplir à mesure les places vuides : par ce moyen le feu, le plus agile de tous les corps qu'il y ait dans la nature, se glissant successivement dans ces places vuides, s'amasse autour du corps mû, & y forme une espece d'atmosphere de feu.

C'est ainsi que les essieux des roues de charrettes & des meules, les cordages des vaisseaux, &c. reçoivent de la chaleur par le frottement, prennent feu, & jettent souvent de la flamme.

Ce que nous venons de dire suffit pour expliquer la circonstance commune à tous les effets du feu, savoir la collection des particules. Il y a aussi plusieurs autres circonstances particulieres qui concourent avec celle-là : ainsi pour échauffer ou faire sentir la chaleur, il faut qu'il y ait plus de feu dans le corps chaud, que dans l'organe qui doit le sentir ; autrement l'ame ne peut être mise dans un nouvel état, ni se former une sensation nouvelle : & dans un cas contraire, savoir quand il y a moins de feu dans l'objet intérieur que dans l'organe de notre corps, cet objet produit sa sensation du froid.

C'est pour cela qu'un homme sortant d'un bain chaud, pour entrer dans un air médiocrement chaud, croit se trouver dans un lieu excessivement froid ; & qu'un autre sortant d'un air excessivement froid, pour entrer dans une chambre médiocrement chaude, croit se trouver d'abord dans une étuve : ce qui fait connoître que la sensation de la chaleur ne détermine en aucune façon le degré du feu ; la chaleur n'étant que la proportion ou la différence qu'il y a entre le feu de l'objet extérieur, & celui de l'organe.

A l'égard des circonstances qui sont nécessaires pour que le feu produise la lumiere, la raréfaction &c. Consultez les articles LUMIERE, &c.

Les philosophes méchaniciens, & en particulier Bacon,Boyle, & Newton, considerent la chaleur sous un autre point de vûe ; ils ne la conçoivent point comme une propriété originaire ment inhérente à quelque espece particuliere de corps, mais comme une propriété que l'on peut produire méchaniquement dans un corps.

Bacon,dans un traité exprès, intitulé de forma calidi, où il entre dans le détail des différens phénomenes & effets de la chaleur, soûtient, 1°. que la chaleur est une sorte de mouvement ; non que le mouvement produise la chaleur, ou la chaleur le mouvement, quoique l'un & l'autre arrivent en plusieurs cas : mais, selon lui, ce qu'on appelle chaleur n'est autre chose qu'une espece de mouvement accompagné de plusieurs circonstances particulieres.

2°. Que c'est un mouvement d'extension par lequel un corps s'efforce de se dilater, ou de se donner une plus grande dimension qu'il n'avoit auparavant.

3°. Que ce mouvement d'extension est dirigé du centre vers la circonférence, & en même tems de bas en-haut ; ce qui paroît par l'expérience d'une baguette de fer, laquelle étant posée perpendiculairement dans le feu, brûlera la main qui la tient beaucoup plus vîte que si elle y étoit posée horisontalement.

4°. Que ce mouvement d'extension n'est point égal ou uniforme, ni dans tout le corps ; mais qu'il existe dans ses plus petites parties seulement, comme il paroît par le tremblotement ou la trépidation alternative des particules des liqueurs chaudes, du fer rouge, &c. & enfin que ce mouvement est extrèmement rapide. C'est ce qui le porte à définir la chaleur un mouvement d'extension & d'ondulation dans les petites parties d'un corps, qui les oblige de tendre avec une certaine rapidité vers la circonférence, & de s'élever un peu en même tems.

A quoi il ajoûte que si vous pouvez exciter dans quelque corps naturel un mouvement qui l'oblige de s'étendre & de se dilater, ou donner à ce mouvement une telle direction dans ce même corps, que la dilatation ne s'y fasse point d'une maniere uniforme, mais qu'elle n'en affecte que certaines parties sans agir sur les autres, vous y produirez de la chaleur. Toute cette doctrine est bien vague.

Descartes & ses sectateurs adherent à cette doctrine, à quelques changemens près. Selon eux, la chaleur consiste dans un certain mouvement ou agitation des parties d'un corps, semblable au mouvement dont les diverses parties de notre corps sont agitées par le mouvement du coeur & du sang. Voyez les principes de Descartes.

M. Boyle, dans son Traité de l'origine méchanique du chaud & du froid, soûtient avec force l'opinion de la producibilité du chaud ; & il la confirme par des réflexions & des expériences : nous en insérerons ici une ou deux.

Il dit que dans la production du chaud, l'agent ni le patient ne mettent rien du leur, si ce n'est le mouvement & ses effets naturels. Quand un maréchal bat vivement un morceau de fer, le métal devient excessivement chaud ; cependant il n'y a là rien qui puisse le rendre tel, si ce n'est la force du mouvement du marteau, qui imprime dans les petites parties du fer une agitation violente & diversement déterminée : desorte que ce fer, qui étoit d'abord un corps froid, reçoit de la chaleur par l'agitation imprimée dans ses petites parties. Ce fer devient chaud d'abord relativement à quelques autres corps, en comparaison desquels il étoit froid auparavant : ensuite il devient chaud d'une maniere sensible, parce que cette agitation est plus forte que celle des parties de nos doigts ; & dans ce cas il arrive souvent que le marteau & l'enclume continuent d'être froids après l'opération. Ce qui fait voir, selon Boyle, que la chaleur acquise par le fer ne lui étoit point communiquée par aucun de ces deux instrumens comme chauds ; mais que la chaleur est produite en lui par un mouvement assez considérable pour agiter violemment les parties d'un corps aussi petit que la piece de fer en question, sans que ce mouvement soit capable de faire le même effet sur des masses de métal aussi considérables que celles du marteau & de l'enclume. Cependant si l'on répétoit souvent & promtement les coups, & que le marteau fût petit, celui-ci pourroit s'échauffer également ; d'où il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire qu'un corps, pour donner de la chaleur, soit chaud lui-même.

Si l'on enfonce avec un marteau un gros clou dans une planche de bois, on donnera plusieurs coups sur la tête avant qu'elle s'échauffe ; mais dès que le clou est une fois enfoncé jusqu'à sa tête, un petit nombre de coups suffiroit pour lui donner une chaleur considérable : car pendant qu'à chaque coup de marteau le clou s'enfonce de plus en plus dans le bois, le mouvement produit dans le bois est principalement progressif, & agit sur le clou entier dirigé vers un seul & même côté ; mais quand ce mouvement progressif vient à cesser, la secousse imprimée par les coups de marteau étant incapable de chasser le clou plus avant, ou de le casser, il faut qu'elle produise son effet, en imprimant aux parties du clou une agitation violente & intérieure, dans laquelle consiste la nature de la chaleur.

Une preuve, dit le même auteur, que la chaleur peut être produite méchaniquement, c'est qu'il n'y a qu'à refléchir sur sa nature, qui semble consister principalement dans cette propriété méchanique de la matiere que l'on appelle mouvement ; mais il faut pour cela que le mouvement soit accompagné de plusieurs conditions ou modifications.

En premier lieu, il faut que l'agitation des parties du corps soit violente ; car c'est-là ce qui distingue les corps qu'on appelle chauds, de ceux qui sont simplement fluides : ainsi les particules d'eau qui sont dans leur état naturel, se meuvent si lentement qu'elles nous paroissent destituées de toute chaleur ; & cependant l'eau ne seroit point une liqueur, si ses parties n'étoient point dans un mouvement continuel : mais quand l'eau devient chaude, on voit clairement que son mouvement augmente à proportion, puisque non-seulement elle frappe vivement nos organes, mais qu'elle produit aussi une quantité de petites bouteilles, qu'elle fond l'huile coagulée qu'on fait tomber sur elle, & qu'elle exhale des vapeurs qui montent en l'air. Et si le degré de chaleur peut faire bouillir l'eau, l'agitation devient encore plus visible par les mouvemens confus, par les ondulations, par le bruit, & par d'autres effets qui tombent sous les sens : ainsi le mouvement & sifflement des gouttes d'eau qui tombent sur un fer rouge, nous permettent de conclure que les parties de ce fer sont dans une agitation très-violente. Mais outre l'agitation violente, il faut encore pour rendre un corps chaud, que toutes les particules agitées, ou du moins la plûpart, soient assez petites, dit M. Boyle, pour qu'aucune d'elles ne puisse tomber sous les sens.

Une autre condition est que la détermination du mouvement soit diversifiée, & qu'elle soit dirigée en tout sens. Il paroît que cette variété de direction se trouve dans les corps chauds, tant par quelques-uns des exemples ci-dessus rapportés, que par la flamme que jettent ces corps, & qui est un corps elle-même par la dilatation des métaux, quand ils sont fondus, & par les effets que les corps chauds font sur les autres corps, en quelque maniere que se puisse faire l'application du corps chaud au corps que l'on veut échauffer : ainsi un charbon bien allumé paroîtra rouge de tous côtés, fondra la cire, & allumera du soufre quelque part qu'on l'applique, soit-en haut, soit em-bas, soit aux côtés du charbon ; c'est pourquoi en suivant cette notion de la nature de la chaleur, il est aisé de comprendre comment la chaleur peut être produite méchaniquement & de diverses manieres : car, si l'on en excepte certains cas particuliers, de quelques moyens qu'on se serve pour imprimer aux parties insensibles d'un corps une agitation violente & confuse, on produira la chaleur dans ce corps ; & comme il y a plusieurs agens & opérations par lesquelles cette agitation peut être effectuée, il faut qu'il y ait aussi plusieurs voies méchaniques de produire la chaleur. On peut confirmer par des expériences la plûpart des propositions ci-dessus, & dans les laboratoires des Chimistes le hasard a produit un grand nombre de phénomenes applicables à la these présente. Voyez les oeuvres de Boyle.

Ce système est poussé plus loin par Newton. Il ne regarde pas le feu comme une espece particuliere de corps doüée originairement de telle & telle propriété ; mais, selon lui, le feu n'est qu'un corps fortement igné, c'est-à-dire chaud, & échauffé au point de jetter une lumiere abondante. Un fer rouge est-il autre chose, dit-il, que du feu ? Un charbon ardent est-il autre chose que du bois rouge & brûlant ? & la flamme elle-même est-elle autre chose que de la fumée rouge & ignée ? Il est certain que la flamme n'est que la partie volatile de la matiere combustible, échauffée, ignée & ardente ; c'est pourquoi il n'y a que les corps volatils, c'est-à-dire ceux dont il sort beaucoup de fumée, qui jettent de la flamme ; & ces corps ne jetteront de la flamme qu'aussi long-tems qu'ils ont de la fumée à fournir. En distillant des esprits chauds, quand on leve le chapiteau de l'alembic, les vapeurs qui montent prendront feu à une chandelle allumée, & se convertiront en flamme ; de même différens corps échauffés à un certain point par le mouvement, par l'attrition, par la fermentation ou par d'autres moyens, jettent des fumées brillantes, lesquelles étant assez abondantes & ayant un degré suffisant de chaleur, éclatent en flamme. La raison pour laquelle un métal fondu ne jette point de flamme, c'est qu'il ne contient qu'une petite quantité de fumée ; car le zinck, qui fume abondamment, jette aussi de la flamme. Ajoûtez à cela que tous les corps qui s'enflamment, comme l'huile, le suif, la cire, le bois, la poix, le soufre, &c. se consument par la flamme, s'évanoüissent en fumée ardente. Voyez l'Optique de Newton.

Tous les corps fixes, continue-t-il, lorsqu'ils sont échauffés à un degré considérable, ne jettent-ils point une lumiere, ou au moins une lueur ? cette émission ne se fait-elle point par le mouvement de vibration de leurs parties ? & tous les corps qui abondent en parties terrestres & sulphureuses, ne jettent-ils point de lumiere toutes les fois que ces parties se trouvent suffisamment agitées, soit que cette agitation ait été occasionnée par un feu extérieur, par une friction, par une percussion, par une putréfaction, ou par quelqu'autre cause ? Ainsi l'eau de la mer dans une tempête, le vif-argent agité dans le vuide, le dos d'un chat ou le cou d'un cheval frottés à contre-poil dans un lieu obscur ; du bois, de la chair & du poisson, pendant qu'ils se putréfient ; les vapeurs qui s'élevent des eaux corrompues, & qu'on appelle communément feux follets ; les tas de foin & de blé moites ; les vers luisans, l'ambre & le diamant, quand on les frotte ; l'acier battu avec un caillou, &c. jettent de la lumiere. Idem, ibidem.

Un corps grossier & la lumiere ne peuvent-ils point se convertir l'un dans l'autre, & les corps ne peuvent-ils point recevoir la plus grande partie de leur activité des particules de lumiere qui entrent dans leur composition ? On ne connoît point de corps moins propre à luire que l'eau ; & cependant l'eau par de fréquentes distillations se change en terre solide, qui par un degré suffisant de chaleur peut être mise en état de luire comme les autres corps. Idem, ibidem.

Suivant la conjecture de Newton, le soleil & les étoiles ne sont que des corps de terre excessivement échauffés. Il observe que plus les corps sont gros, plus long-tems ils conservent leur chaleur, parce que leurs parties s'échauffent mutuellement les unes les autres. Et pourquoi, ajoûte-t-il, des corps vastes, denses & fixes, lorsqu'ils sont échauffés à un certain degré, ne pourroient-ils point jetter de la lumiere en grande quantité, & s'échauffer de plus en plus par l'émission & la réaction de cette lumiere, & par les réflexions & les réfractions des rayons dans leurs pores, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus au même degré de chaleur où est le corps du soleil ? Leurs parties pourroient être garanties de l'évaporation en fumée, non-seulement par leur solidité, mais aussi par le poids considérable & par la densité des atmospheres, qui les compriment fortement, & qui condensent les vapeurs & les exhalaisons qui s'en élevent : ainsi nous voyons que l'eau chaude bout dans une machine pneumatique, aussi fort que l'eau bouillante exposée à l'air, parce que dans ce dernier cas le poids de l'atmosphere comprime les vapeurs, & empêche l'ébullition jusqu'à ce que l'eau ait reçu son dernier degré de chaleur. De même un mélange d'étain & de plomb mis sur un fer rouge dans un lieu dont on a pompé l'air, jette de la fumée & de la flamme, tandis que le même mélange mis en plein air sur un fer rouge, ne jette pas la moindre flamme qui soit visible, parce qu'il en est empêché par la compression de l'atmosphere. Mais en voilà assez sur le système de la producibilité de la chaleur.

D'un autre côté, M. Homberg, dans son essai sur le soufre principe, soûtient que le principe ou élement chimique qu'on appelle soufre, & qui passe pour un des ingrédiens simples, premiers & préexistans de tous les corps, est du feu réel ; & par conséquent que le fer est un corps particulier aussi ancien que les autres. Mém. de l'acad. an. 1705. Voyez SOUFRE & FEU.

Le docteur Gravesande est à-peu-près dans le même sentiment : selon lui, le feu entre dans la composition de tous les corps, se trouve enfermé dans tous les corps, & peut être séparé & exprimé de tous les corps en les frottant les uns contre les autres, & mettant ainsi leur feu en mouvement. Elem. phys. tom. II. cap. j.

Un corps n'est sensiblement chaud, continue-t-il, que lorsque son degré de chaleur excede celui des organes de nos sens ; desorte qu'il peut y avoir un corps lumineux sans qu'il ait aucune chaleur sensible : & comme la chaleur n'est qu'une qualité sensible, pourquoi ne pourroit-il pas y avoir un corps qui n'eût point de chaleur du tout ?

La chaleur dans le corps chaud, dit le même auteur, est une agitation des parties du corps effectuée par le moyen du feu contenu dans ce corps. C'est par une telle agitation que se produit dans nos corps un mouvement qui excite dans notre ame l'idée du chaud ; desorte qu'à notre égard la chaleur n'est autre chose que cette idée, & que dans le corps elle n'est autre chose que le mouvement. Si un tel mouvement chasse le feu du corps en lignes droites, il peut faire naître en nous l'idée de lumiere ; & s'il ne le chasse que d'une maniere irréguliere, il ne fera naître en nous que l'idée du chaud.

Feu M. Lemery, mort en 1743, s'accorde avec ces deux auteurs, en soûtenant que le feu est une matiere particuliere, & qu'elle ne peut être produite : mais il étend ce principe plus loin. Il ne se contente point de placer le feu dans les corps comme un élément ; il se propose même de prouver qu'il est répandu également par-tout, qu'il est présent en tous lieux, & dans les espaces vuides aussi-bien que dans les intervalles insensibles qui se trouvent entre les parties des corps. Mém. de l'acad. an. 1713. Ce sentiment sera exposé ci-dessous plus au long.

Il semble qu'il y a de l'absurdité à dire que l'on peut échauffer des liqueurs froides avec de la glace ; cependant M. Boyle nous assûre que la chose est très-aisée, en ôtant d'un bassin d'eau froide où nagent plusieurs morceaux de glace, un ou deux de ces morceaux bien imbibés de la liqueur, & en les plongeant tout-à-coup dans un verre dont l'ouverture soit fort large & où il y ait de l'huile de vitriol ; car le menstrue venant à se mêler d'abord avec l'eau qui adhere à la glace, produit dans cette u une chaleur très-vive accompagnée quelquefois d'une fumée visible ; cette fumée venant à dissoudre promtement les parties contiguës de la glace, & celles-ci les parties voisines, toute la glace se trouve bientôt réduite en liqueur ; & le menstrue corrosif ayant été mêlé avec le tout par le moyen de deux ou trois secousses, tout le mélange s'échauffe quelquefois au point que l'on ne sauroit tenir dans la main le vase qui le contient.

Il y a une grande variété dans la chaleur des différens lieux & des différentes saisons. Les Naturalistes soûtiennent communément que la chaleur augmente à mesure qu'on approche du centre de la terre ; mais cela n'est point exactement vrai. En creusant dans les mines, puits, &c. on trouve qu'à peu de distance de la surface de la terre, on commence à sentir de la fraîcheur : un peu plus bas, on en sent davantage ; & lorsqu'on est parvenu au point où les rayons du soleil ne peuvent répandre leur chaleur, l'eau s'y glace ou s'y maintient glacée ; c'est cette expérience qui a fait inventer les glacieres, &c. Mais quand on va encore plus bas, savoir à 40 ou 50 piés de profondeur, on commence à sentir de la chaleur, desorte que la glace s'y fond ; & plus on creuse au-delà, plus la chaleur augmente jusqu'à ce qu'enfin la respiration y devient difficile, & que la lumiere s'y éteint.

C'est pourquoi quelques-uns ont recours à la supposition d'une masse de feu, placée au centre de la terre, qu'ils regardent comme un soleil central, & comme le grand principe de la génération, végétation, nutrition, &c. des fossiles & des végétaux. Voyez FEU CENTRAL, TERRE, TREMBLEMENT DE TERRE, &c.

Mais M. Boyle qui a été lui-même au fond de quelques mines, croit que ce degré de chaleur que l'on sent dans ces mines, ou du moins dans quelques-unes, doit être attribué à la nature particuliere des minéraux qui s'y trouvent ; ce qu'il confirme par l'exemple d'un minéral d'espece vitriolique, qu'on tire de la terre en grande quantité en plusieurs contrées d'Angleterre, & qui étant arrosé simplement d'eau commune, s'échauffe presque au point de prendre feu.

D'un autre côté, à mesure que l'on monte de hautes montagnes l'air devient froid & perçant ; ainsi les sommets des montagnes de Bohême nommées Pico de Theide, le Pic de Ténériffe, & de plusieurs autres montagnes, même de celles des climats les plus chauds, se trouvent toûjours couverts & environnés de neige & de glace que la chaleur du soleil n'est jamais capable de fondre. Sur quelques montagnes du Pérou, au centre de la zone torride, on ne trouve que de la glace. Les plantes croissent au pié de ces montagnes ; mais vers le sommet il n'y a point de végétaux qui puissent croître à cause du froid excessif. On attribue cet effet à la subtilité de l'air dont les parties sont trop écartées les unes des autres à une si grande hauteur, pour refléchir une assez grande quantité de rayons du soleil ; car la chaleur du soleil refléchie par les particules de l'air, échauffe beaucoup plus que la chaleur directe.

CHALEUR des différens climats de la terre. La diversité de la chaleur des différens climats & des différentes saisons, naît en grande partie des différens angles sous lesquels les rayons du soleil viennent frapper la surface de la terre. Voyez CLIMAT, &c.

On démontre en Méchanique qu'un corps qui en frappe perpendiculairement un autre, agit avec toute sa force ; & qu'un corps qui frappe obliquement, agit avec d'autant moins de force, que sa direction s'éloigne davantage de la perpendiculaire. Le feu étant lancé en ligne directe, doit suivre la même loi méchanique que les autres corps ; & par conséquent son action doit être mesurée par le sinus de l'angle d'incidence : c'est pourquoi le feu venant à frapper un objet dans une direction parallele à cet objet, ne produit point d'effet sensible ; parce que l'angle d'incidence étant nul, le rapport du sinus de cet angle au sinus total est comme zéro à un, c'est-à-dire nul ; par conséquent le soleil n'a encore aucune chaleur, lorsqu'il commence à répandre ses rayons sur la terre. Voyez PERCUSSION & COMPOSITION DE MOUVEMENT.

Un auteur célebre a fait en conséquence de ce principe, un calcul mathématique de l'effet du soleil en différentes saisons & sous différens climats. Voici une idée de ce calcul, sur lequel nous ferons ensuite quelques réflexions. M. Halley part de ce principe, que l'action simple du soleil, comme toute autre impulsion ou percussion, a plus ou moins de force en raison des sinus des angles d'incidence ; d'où il s'ensuit que la force du soleil frappant la surface de la terre à une hauteur quelconque, sera à la force perpendiculaire des mêmes rayons, comme ce sinus de la hauteur du soleil est au sinus total.

De-là il conclut, que le tems pendant lequel le soleil continue d'éclairer la terre, étant pris pour base, & les sinus de la hauteur du soleil étant élevés sur cette base comme des perpendiculaires ; si on décrit une ligne courbe par les extrémités de ces perpendiculaires, l'aire de cette courbe sera proportionnelle à la somme ou totalité de la chaleur de tous les rayons du soleil dans cet espace de tems.

Il conclut de-là aussi que sous le pole arctique, la somme de toute la chaleur d'un jour de solstice d'été est proportionnelle à un rectangle du sinus de 23 1/2 degrés par la circonférence d'un cercle : or le sinus de 23 1/2 degrés fait à-peu-près les 4/10 du rayon ; & les 8/10 du rayon qui en sont le double, sont à-peu-près le sinus de 53 degrés, dont le produit, par la demi-circonférence ou par douze heures, sera égal au produit ci-dessus. D'où il infere que la chaleur polaire, le jour du solstice, est égale à celle du soleil, échauffant l'horison pendant 12 heures, à 53 degrés constans d'élévation. Comme il est de la nature de la chaleur de rester dans le sujet après la retraite du corps qui l'a occasionnée, & sur-tout de continuer dans l'air, l'absence de 12 heures que fait le soleil sous l'équateur, ne diminue que fort peu la chaleur ou le mouvement imprimé par l'action précédente de ses rayons : mais sous le pole, l'absence de six mois que fait le soleil, y laisse régner un froid extrème ; desorte que l'air y étant comme gelé & couvert de nuages épais & de brouillards continuels, les rayons du soleil ne peuvent produire sur cet air aucun effet sensible avant que cet astre se soit rapproché considérablement du pole.

A quoi il faut ajoûter, que les différens degrés de chaud & de froid qu'il fait en différens endroits de la terre ; dépendent beaucoup de leur situation, des montagnes dont ils sont environnés, & de la nature du sol ; les montagnes contribuant beaucoup à refroidir l'air par les vents qui passent sur leur sommet, & qui se font ensuite sentir dans les plaines. Voyez VENT.

Les montagnes qui présentent au soleil un côté concave, font quelquefois l'effet d'un miroir ardent sur la plaine qui est au bas. Les nuées qui ont des parties concaves ou convexes, produisent quelquefois le même effet par réflexion ou par réfraction : il y a même des auteurs qui prétendent que cette forme de nuages suffit pour allumer les exhalaisons qui se sont élevées dans l'air, & pour produire la foudre, le tonnerre, & les éclairs. Voyez MONTAGNE, MIROIR ARDENT, &c.

Pour ce qui est de la nature des sols, on sait qu'un terrein pierreux, sablonneux, plein de craie, refléchit la plûpart des rayons, & les renvoie dans l'air, tandis qu'un terrein gras & noir absorbe la plûpart des rayons, & n'en renvoye que fort peu ; ce qui fait que la chaleur s'y conserve long-tems. Voyez BLANCHEUR, &c.

Ce qu'on vient de dire est confirmé par l'expérience qu'en font les paysans qui habitent les marais à tourbes ; car en s'y promenant, ils sentent que les piés leur brûlent sans avoir chaud au visage : au contraire dans quelques terreins sablonneux, à peine sent-on de la chaleur aux piés, tandis que le visage est brûlé par la force de la réflexion.

Une table construite par l'auteur dont nous avons parlé, donne la chaleur pour chaque dixieme degré de latitude aux jours tropiques & équinoxiaux, & par ce moyen on peut estimer la chaleur des degrés intermédiaires : d'où l'auteur déduit les corollaires suivans.

1°. Que sous la ligne équinoxiale, la chaleur est comme le sinus de la déclinaison du soleil.

2°. Que dans les zones glaciales, lorsque le soleil ne se couche point, la chaleur est à-peu-près comme la circonférence d'un grand cercle multipliée par le sinus de la hauteur moyenne ; & par conséquent dans la même latitude, la chaleur est comme le sinus de la déclinaison moyenne du soleil à midi ; & qu'à la même déclinaison du soleil, elle est comme le co-sinus de la distance du soleil au zénith.

3°. Que la chaleur des jours équinoxiaux est partout comme le co-sinus de la latitude.

4°. Que dans tous les lieux où le soleil se couche, la différence entre les chaleurs d'été & d'hyver, lorsque les déclinaisons sont contraires, est à-peu-près proportionnelle à la différence des sinus des hauteurs méridiennes du soleil. Chambers.

Voilà le précis de la théorie de l'auteur dont il s'agit sur la chaleur. Cependant il semble qu'on pourroit lui faire plusieurs objections. En premier lieu, l'effet de la chaleur n'est pas simplement comme le sinus de l'angle d'incidence des rayons, mais comme le quarré de ce sinus, suivant les lois de l'impulsion des fluides. Pour faire bien concevoir ce principe, imaginons un faisceau de rayons paralleles qui tombent sur un pié quarré de la surface de la terre perpendiculairement ; il est certain que la chaleur sera proportionnelle au produit de la quantité de ces rayons par le sinus total, puisque chaque rayon en particulier agit sur le point qu'il frappe. Supposons ensuite que ce même faisceau de rayons vienne à tomber obliquement sur le même plan d'un pié en quarré ; il est aisé de voir qu'il y aura une partie de ce faisceau qui tombera hors du plan, & que la quantité des rayons qui le frappent, sera proportionnelle au sinus de l'angle d'incidence. Mais de plus, l'action de chaque rayon en particulier est comme le sinus de l'angle d'incidence : donc l'action de la chaleur sera comme le quarré du sinus. C'est pourquoi il seroit bon de corriger à ce premier égard la table, & au lieu des sinus d'incidence, de substituer leurs quarrés.

D'un autre côté il s'en faut beaucoup, comme l'observe l'auteur lui-même, que la chaleur des différens climats suive les lois que cette table lui prescrit pour ainsi dire : 1°. parce qu'il y a une infinité de causes accidentelles qui font varier le chaud & le froid, causes dont l'action ne peut être soûmise à aucun calcul ; 2°. parce qu'il s'en faut beaucoup que l'auteur n'ait fait entrer dans le sien toutes les causes même qui ont un effet réglé & une loi uniforme, mais dont la maniere d'agir est trop peu connue. L'obliquité plus ou moins grande des rayons du soleil, est sans-doute une des causes de la différence de la chaleur dans les différens jours & dans les différens climats, & peut-être en est-elle la cause principale. Mais, de plus, les rayons du soleil traversent fort obliquement notre atmosphere en hyver ; & par conséquent ils occupent alors dans l'air grossier qui nous environne, un plus grand espace qu'ils ne font pendant l'été, lorsqu'ils tombent assez directement. Or il suit de-là que la force de ces rayons est jusqu'à un certain point amortie, à cause des différentes réfractions qu'ils sont obligés de souffrir. Ces rayons sont plus brisés à midi pendant l'hyver, que pendant l'été ; & c'est pour cette raison que lorsqu'ils tombent le plus obliquement qu'il est possible, comme il arrive toutes les fois que le soleil parvient à l'horison, alors on peut sans aucun risque regarder cet astre, soit dans la lunette, soit à la vûe simple ; ce qui n'arrive pas à beaucoup près, lorsque le soleil est à de plus hauts degrés d'élévation, & sur-tout dans les grands jours d'été vers le midi. Or cet affoiblissement des rayons causé par leur passage dans l'atmosphere, est jusqu'à présent hors de la portée de nos calculs. Il y a une cause beaucoup plus considérable, qui influe bien plus que toutes les autres sur la vicissitude des saisons & sur la chaleur des différens climats. L'on sait communément qu'un corps dur & compact s'échauffe d'autant plus, qu'il demeure exposé à un feu plus violent. Or en été la terre est échauffée par les rayons du soleil pendant seize heures continuelles, & ne cesse de l'être que pendant huit heures. On peut aussi remarquer que c'est tout le contraire pour l'hyver : d'où on voit clairement pourquoi il doit y avoir une grande différence de chaleur entre ces deux saisons. Il est vrai que l'auteur fait entrer cette considération dans le calcul de sa table, mais il suppose que la chaleur instantanée d'un moment quelconque, s'ajoûte toûjours à la chaleur du moment précédent ; d'où il paroîtroit s'ensuivre que tant en été qu'en hyver, la chaleur la plus grande seroit à la fin du jour ; ce qui est contre l'expérience : & d'ailleurs on sait que la chaleur imprimée à un corps ne se conserve que quelque tems : ainsi sur le soir d'un grand jour d'été, la chaleur que le soleil a excitée dans les premieres heures du matin est ou totalement éteinte, ou au moins en partie. Or comme on ne sait suivant quelle loi la chaleur se conserve, il est impossible de calculer d'une maniere assez précise l'augmentation de chaleur à chaque heure du jour, quoiqu'on ne puisse douter que la longueur des jours n'entre pour beaucoup dans l'intensité de la chaleur.

On pourroit faire ici l'objection suivante. Puisque la force des rayons du soleil est la plus grande lorsqu'ils tombent le plus directement qu'il est possible, & lorsque cet astre reste le plus long-tems sur l'horison, la plus grande chaleur devroit toujours se faire sentir le jour du solstice d'été ; & le plus grand froid, par la même raison, le jour du solstice d'hyver ; ce qui est contraire à l'expérience : car les plus grands chauds & les plus grands froids arrivent d'ordinaire un mois environ après le solstice.

Pour répondre à cette objection, il faut se rappeller ce qui a été déjà remarqué plus haut, que l'action du soleil sur les corps terrestres qu'il échauffe, n'est pas passagere comme celle de la lumiere ; mais qu'elle a un effet permanent, & qui dure encore même lorsque le soleil s'est retiré. Un corps qui est une fois échauffé par le soleil, demeure encore échauffé fort long-tems, quoiqu'il n'y soit plus exposé. La raison en est fort simple. Les rayons ou particules échauffées qui viennent du soleil ou que le soleil met en mouvement, pénetrent ou sont absorbées du moins en partie par les corps qui leur sont exposés : ils s'y introduisent peu-à-peu : ils y restent même assez pour exciter une grande chaleur ; & les corps ne commencent à se refroidir que lorsque cette chaleur s'évapore, ou se communique à l'air qui l'environne : mais si un corps est toujours plus échauffé qu'il ne perd de sa chaleur ; si les intervalles de tems sont inégaux, ensorte qu'il perde bien moins de chaleur qu'il n'en a acquis, il est certain qu'il doit recevoir continuellement de nouveaux degrés d'augmentation de chaleur : or c'est précisément le cas qui arrive à la terre. Car lorsque le soleil paroît au tropique du cancer, c'est-à-dire vers le solstice d'été, les degrés de chaleur qui se répandent chaque jour, tant dans notre air que sur la terre, augmentent presque continuellement. Il n'est donc pas surprenant que la terre s'échauffe de plus en plus, & même fort au-delà du tems de solstice. Supposons, par exemple, qu'en été dans l'espace du jour, c'est-à-dire pendant tout l'intervalle de tems que le soleil paroît sur notre horison, la terre & l'air qui nous environnent reçoivent cent degrés de chaleur ; mais que pendant la nuit, qui est alors beaucoup plus courte que le jour, il s'en évapore cinquante ; il restera encore cinquante degrés de chaleur : le jour suivant le soleil agissant presque avec la même force, en communiquera à-peu-près cent autres, dont il se perdra encore environ cinquante pendant la nuit. Ainsi au commencement du troisieme jour, la terre aura 100 ou presque 100 degrés de chaleur ; d'où il suit, que puisqu'elle acquiert alors beaucoup plus de chaleur pendant le jour, qu'elle n'en perd pendant la nuit, il se doit faire en ce cas une augmentation très-considérable. Mais après l'équinoxe les jours venant à diminuer, & les nuits devenant beaucoup plus longues, il se doit faire une compensation : desorte que lorsqu'on est en hyver, il s'évapore une plus grande quantité de chaleur de dessus la terre pendant la nuit, qu'elle n'en reçoit pendant le jour ; ainsi le froid doit à son tour se faire sentir. Voyez Keill, Introd. ad veram Astr. ch. viij. Voyez aussi dans les Mém. de l'Acad. 1719. les recherches de M. de Mairan, sur les causes de la chaleur de l'été, & du froid de l'hyver. M. de Mairan après avoir calculé, autant que la difficulté de la matiere le permet, les différentes causes qui produisent la chaleur de l'été, trouve que la chaleur de l'été est à celle de l'hyver dans le rapport de 66 à 1 : voici comment il concilie ce calcul avec les expériences de M. Amontons, qui ne donne pour ces deux chaleurs que le rapport de 60 à 51 1/2. Il conçoit qu'il y a dans la masse de la terre & dans l'air qui l'environne, un fond de chaleur permanent d'un nombre constant de degrés, auxquels le soleil ajoûte 66 degrés en été, & 1 seulement en hyver, pour trouver ce nombre de degrés, il fait la proportion suivante, x + 66 est à x + 1, comme 60 à 51 1/2.

Ce nombre trouvé par M. de Mairan, est 393 à-peu-près ; desorte qu'il y a, selon lui, une chaleur permanente de 393 degrés, auxquels le soleil en ajoûte 66 en été, & un en hyver. M. de Mairan laisse aux Physiciens la liberté de juger quelle peut être la source de cette chaleur, soit une fermentation des acides & des sucs terrestres intérieurs, soit les matieres enflammées ou inflammables que le sein de la terre renferme, soit une chaleur acquise depuis plusieurs siecles, & qui tire son origine du soleil, &c.

A l'égard de la méthode par laquelle M. de Mairan parvient à trouver le rapport de 66 à 1, il faut en voir le détail curieux dans son mémoire même. Nous nous contenterons de dire 1°. que les sinus des hauteurs méridiennes du soleil aux solstices d'été & d'hyver, étant à-peu-près comme 3 à 1, on trouve qu'en vertu de cette cause le rapport des chaleurs doit être comme 9 à 1. 2°. Que les rayons ayant moins d'espace à traverser dans l'atmosphere en été qu'en hyver, parce que le soleil est plus haut, ils en sont moins affoiblis ; & M. de Mairan juge d'après plusieurs circonstances qu'il sait démêler, que la chaleur de l'été doit être augmentée du double sur ce rapport ; ce qui multiplie par le rapport de 9 à 1, donne le rapport de 18 à 1. 3°. M. de Mairan, en mettant tout sur le plus bas pié, estime que la longueur des jours beaucoup plus grande en été qu'en hyver, doit quadrupler le rapport précédent ; ce qui donne le rapport de 72 à 1 ; rapport qu'il réduit encore à celui de 66 à 1, ayant égard à quelques circonstances qu'il indique, & observant de caver en tout au plus foible. Voyez son mémoire.

Parmi ces dernieres circonstances est celle de la plus grande proximité du soleil en été qu'en hyver, du moins par rapport à nous. On sait que cet astre est en effet moins éloigné de nous en hyver qu'en été : ce qu'on observe parce que son diametre apparemment est plus grand en hyver qu'en été. Il suit de-là que les peuples qui habitent l'hémisphere opposé au nôtre, ou plutôt l'hémisphere austral, doivent avoir, toutes choses d'ailleurs égales, une plus grande chaleur pendant leur été que nous, & plus de froid pendant leur hyver : car le soleil dans leur été est plus près d'eux, & darde ses rayons plus à plomb ; & dans leur hyver il est plus éloigné, & les rayons sont plus obliques : au lieu que dans notre été, qui est le tems de leur hyver, le soleil darde à la vérité ses rayons plus à plomb sur nous, mais est plus éloigné ; ce qui doit diminuer un peu de la chaleur, & réciproquement. Voyez QUALITE. Il est vrai qu'il y a encore ici une compensation ; car si le soleil est plus loin de nous dans notre été, en récompense il y a plusieurs jours de plus de l'équinoxe du printems à celui d'automne, que de l'équinoxe d'automne à celui du printems ; ce qui fait en un autre sens une compensation. Cependant il paroît, malgré cette circonstance, qu'en général le froid est plus grand dans l'autre hémisphere que dans le nôtre, puisqu'on trouve dans l'hémisphere austral des glaces à une distance beaucoup moindre de l'équateur, que dans celui-ci. (O)

CHALEUR, en Philosophie scholastique, se distingue ordinairement en actuelle & potentielle.

La chaleur actuelle est celle dont nous avons parlé jusqu'à présent, & qui est un effet du feu réel & actuel, quelle qu'en soit la matiere.

La chaleur potentielle est celle qui se trouve dans le poivre, dans le vin, & dans certaines préparations chimiques, comme l'huile de térébenthine, l'eau-de-vie, la chaux vive, &c.

Les Péripatéticiens expliquent la chaleur de la chaux vive par antipéristase. Voyez ANTIPERISTASE.

Les Epicuriens & autres corpusculaires attribuent la chaleur potentielle aux atomes ou particules de feu comprises & renfermées dans les pores de ces corps, desorte qu'elle s'y conserve tant que ces corps sont en repos ; mais qu'aussi-tôt qu'ils sont mis en mouvement par la chaleur & l'humidité de la bouche, ou par leur chûte dans l'eau froide, ou par d'autres causes semblables, ils brisent leur prison, & se manifestent par leurs effets.

Cette opinion a été mise dans un plus grand jour par les expériences de M. Lemery faites sur la chaux vive, sur le régule d'antimoine, sur l'étain, &c. dans la calcination desquels il observe 1°. que le feu dont ils s'imbibent dans l'opération, fait une addition sensible au poids du corps, & que ce feu monte quelquefois à un dixieme du poids ; que pendant cet emprisonnement ce même feu conserve toutes les propriétés particulieres ou caracteres du feu, comme il paroît, parce qu'étant remis une fois en liberté, il produit tous les effets du feu naturel. Ainsi lorsqu'on calcine un corps pierreux & salin, & qu'on verse de l'eau sur ce corps, ce fluide, par son impression extérieure, suffit pour rompre les cellules, & pour en faire sortir le feu : l'éruption de ce feu échauffe l'eau plus ou moins, à proportion de la quantité de feu qui étoit logée dans ces cellules. C'est pour cela aussi que certains corps de cette nature contiennent visiblement une partie du feu actuel ; & la moindre cause suffit pour le dégager : en les appliquant à la peau de la main, ils la brûlent, & y font une escare qui ressemble assez à celle que produiroit un charbon vif.

L'on objecte que les particules de feu ne sont telles qu'en vertu du mouvement rapide dont elles sont agitées ; desorte que si on veut les supposer fixes dans les pores d'un corps, c'est vouloir les dépouiller absolument de leur essence, ou de ce qui fait qu'elles sont du feu, & par conséquent les mettre hors d'état de produire les effets qu'on leur attribue.

M. Lemery répond que quoique le mouvement rapide du feu contribue infiniment à ses effets, cependant il faut avoir égard en même-tems à la figure singuliere de ses particules ; & que quoique le feu soit renfermé & fixe dans la substance des corps, il ne doit point perdre son essence pour être en repos, non plus que les autres fluides ne la perdent dans les mêmes circonstances. L'eau, par exemple, est un fluide dont la fluidité dépend du feu, comme il a été déjà observé, & par conséquent elle est moins fluide que lui : cependant on voit tous les jours que l'eau est enfermée dans des corps de toute espece, sans perdre la fluidité, ni aucune des propriétés qui la caractérisent. Ajoûtez à cela que l'eau étant gelée, le mouvement de ses parties est indubitablement arrêté : cependant comme la figure de ses particules demeure la même, elle est prête à redevenir fluide par la moindre chaleur. Voyez CHALEUR ci-dessus, ERMOMETREETRE.

Enfin quoique l'on convienne que le sel est la matiere du goût, & qu'il a certaines propriétés qui dépendent principalement de la figure de ses parties ; cependant le sel n'agit qu'autant qu'il est dissous, ou, ce qui revient au même, lorsqu'il nage dans un fluide propre à tenir ses parties en mouvement. Le sel, pour n'être point fondu, n'en est pas moins du sel, ou la matiere du goût ; & pour le dépouiller de cette qualité, il faut altérer la figure de ses parties. Voyez SEL.

On objecte encore qu'il seroit impossible de fixer une matiere aussi fine, subtile, pénétrante, & active, que celle du feu, dans la substance spongieuse d'un corps poreux & grossier. Mais cette objection, selon M. Lemery, n'est pas d'un grand poids ; car quoique les corps soient tous fort poreux, rien ne prouve qu'il y ait aucun corps dont les pores soient trop grands pour pouvoir recevoir la matiere du feu. On objecte outre cela qu'un corps qui pourroit entrer dans un autre corps solide, pourroit en sortir avec la même facilité ; & que s'il ne pénétroit dans ce corps que parce que ses propres corpuscules seroient plus petits que les pores de celui où ils iroient se loger, la même raison leur en devroit faciliter la sortie : on répond que les pores ne sont plus dans le même état qu'auparavant ; parce que le feu en calcinant un corps, en ouvre & dilate les pores, qui après que le feu a cessé d'agir, doivent se renfermer & se serrer de nouveau. Nous ne sommes ici qu'historiens. Mém. de l'Acad. 1713.

M. Boyle, comme nous avons déjà dit, a substitué au feu substance une propriété méchanique ; savoir, une texture particuliere des parties. Quoique l'on puisse supposer une grande ressemblance entre les particules de feu qui adherent à la chaux vive, & celles d'esprit de vin bien rectifié, cependant il dit qu'il n'a pas trouvé que l'esprit-de-vin versé sur la chaux vive ait produit aucune chaleur sensible, ni aucune dissolution visible de la chaux ; & que néanmoins elle a paru s'en imbiber aussi avidement qu'elle a coûtume de faire l'eau commune. Il a trouvé aussi qu'en versant de l'eau froide sur la même chaux ainsi imbibée, elle ne produit aucune chaleur sensible, & même que la masse de chaux ne s'enfle & ne se casse qu'au bout de quelques heures : ce qui prouve, dit-il, que la texture de la chaux admet quelques particules de l'esprit-de-vin dans quelques-uns de ses pores qui sont les plus larges ou les plus propres pour sa réception, & qu'elle leur refuse l'entrée dans le plus grand nombre de ses pores, où la liqueur devroit être reçue pour être en état de détruire promtement les corpuscules de chaux jusque dans ses parties insensibles.

Ces phénomenes, selon M. Boyle, semblent prouver que la disposition qu'a la chaux vive de s'échauffer dans l'eau, dépend en partie de quelque texture particuliere, puisque les parties aqueuses qu'on pourroit croire capables d'éteindre la plûpart des atomes ignés qu'on suppose adhérer à la chaux vive, n'affoiblissent point à beaucoup près sa disposition à la chaleur ; au lieu que le grand nombre de corpuscules spiritueux, & leur texture conforme à celle de la chaux, ne semble pas augmenter cette disposition.

Cependant il paroît que le même auteur, en d'autres endroits, retombe dans l'opinion des corpusculaires, en avançant que si au lieu d'éteindre la chaux vive avec de l'eau froide, on se sert d'eau bouillante, l'ébullition sera infiniment plus considérable ; ce qui assurément n'est pas difficile à croire, puisque l'eau bouillante est beaucoup plus propre à pénétrer promtement le corps de la chaux, à se dissoudre sur le champ, & à mettre en liberté les parties salines & ignées dont elle abonde.

Il a essayé aussi de déterminer pourquoi les sels produisent plus promtement les mêmes effets que ne fait l'eau chaude, en versant des esprits acides, & en particulier de l'esprit de sel, sur de bonne chaux vive : par ce moyen on excite une chaleur beaucoup plus considérable que si on se servoit d'eau commune, soit qu'on employe ces esprits froids ou chauds.

Il n'est point aisé, dit le même auteur, de comprendre pourquoi des corps si légers & si petits seroient retenus dans la chaux aussi long-tems qu'ils doivent l'être suivant cette hypothese, puisque l'eau versée sur le minium ou sur le crocus martis, ne les échauffe pas beaucoup, quoiqu'ils ayent été calcinés par un feu violent, dont les corpuscules ou atomes semblent adhérer à leurs parties, comme on en juge par l'augmentation de poids que donne visiblement cette opération au plomb & au fer. Origine méch. du chaud. Voilà les principales opinions des Philosophes sur la chaleur. L'opinion de M. Lemery paroît être la plus suivie. Chambers.

CHALEUR, (Chimie) degrés de chaleur employés dans les différentes opérations chimiques, &c. Voyez FEU.

CHALEUR, (Oeconomie animale) chaleur animale. Quelques Zoologistes ont divisé les animaux en chauds & en froids : les derniers, s'il en existe réellement d'absolument tels, sont ceux qui, comme les plantes & la matiere la plus inactive, participent exactement à tous les changemens qui arrivent dans la température du milieu qui les environne. Les animaux chauds au contraire, tels que l'homme, chez qui nous avons à considérer plus particulierement ce phénomene, sont ceux qui jouissent ordinairement d'un degré de chaleur très-supérieur à celui du milieu dans lequel ils vivent, & qui peuvent conserver une température uniforme dans les différens degrés de froid & de chaud de ce milieu.

La chaleur absolue de l'homme dans l'état de santé, est au moins de 97 à 98d du thermometre de Fahrenheit, selon les expériences réitérées du dr. Martine ; & la température la plus commune de l'air n'excede guere, dans les contrées & dans les saisons les plus chaudes, ce terme ordinaire de la chaleur animale, tandis qu'elle peut descendre jusqu'au 216 degré au-dessous du même terme, c'est-à-dire 150 au-dessous du point de la congélation, &c. du ther. de Fahr. selon l'observation que M. Delisle en a faite à Kirenga en Sibérie, dont les habitans ont éprouvé ce froid rigoureux en 1738. On en a essuyé un plus terrible encore à Yeniseik en 1735, selon le même observateur. Mais sans faire entrer en considération ces degrés extrèmes, l'homme est exposé en général, dans ces climats tempérés, sans en être incommodé, à des vicissitudes de chaleur qui varient dans une latitude d'à-peu-près 60 degrés, c'est-à-dire depuis le 48e ou 50e au-dessus du point de la congélation du thermometre de Fahrenheit, jusqu'au douzieme ou quinzieme au-dessous de ce point ; ou selon la graduation de M. de Réaumur, qui nous est beaucoup plus familiere, depuis le vingt-cinquieme ou vingt-sixieme degré au-dessus de o, ou du terme de la glace, jusqu'au sixieme ou septieme au-dessous. La température ou le dégré spécifique de la chaleur de l'homme est uniforme dans ces différens degrés de chaleur ou de froid extérieur, du moins jusqu'à une certaine latitude. Ce fait est établi par les observations exactes de Derham, & de plusieurs autres physiciens.

La loi de la propagation de la chaleur, selon laquelle un corps doit prendre, au bout d'un certain tems, la température du milieu qui l'environne, est connue de tous les Physiciens. Donc un corps qui jouit constamment d'un degré de chaleur uniforme, malgré les changemens arrivés dans la température de ce milieu, & dont le degré de chaleur naturelle ordinaire est toujours supérieur à celui du même milieu ; un pareil corps, dis-je, doit engendrer continuellement une quantité de chaleur qui répare celle qu'il perd par son contact immédiat & continu avec le corps environnant, & en engendrer d'autant plus que ce corps est plus froid, plus dense, ou plus souvent renouvellé. C'est cette chaleur continuellement engendrée, & à-peu-près proportionnelle à l'excès dont la chaleur absolue d'un animal chaud surpasse celle du milieu qui l'environne, qui est proprement la chaleur animale : car un animal mort, privé de toute cause intrinseque de chaleur, & ne participant plus de celle dont il jouissoit pendant la vie, en un mot un cadavre froid, est exactement dans la même température que le milieu ambient. Ainsi donc si la chaleur absolue d'un animal est de 98d, comme celle de l'homme, par exemple, & que celle de l'athmosphere, &c. soit de 40d, sa chaleur propre ou naturelle est de 58d.

Le docteur Douglas, essai sur la génération de la chaleur des animaux, trad. de l'anglois, Paris 1751, reproche avec raison à quelques physiologistes modernes, de n'avoir pas distingué cette chaleur animale, qu'il appelle innée ; (expression peu exacte employée dans ce sens, qui n'est pas celui que lui donnoient les anciens,) de la chaleur commune, ou dépendante d'une cause externe, savoir de la température du milieu dans lequel l'animal vit ; car la seule maniere d'évaluer exactement la chaleur animale, dépend de cette distinction ; distinction qui n'avoit pas échappé aux anciens médecins ; car ils faisoient abstraction, dans l'évaluation de la chaleur animale, de la chaleur qu'ils appelloient primitive, qui avoit précédé la formation de l'animal, & qui ne cessoit pas à sa mort ; au lieu que sa chaleur naturelle ou vitale dépendoit essentiellement de la vie de l'animal ; observation très-fine & très-ingénieuse pour ces tems-là.

L'idée précise & déterminée que nous devons nous former de la chaleur animale, étant ainsi établie, je passe à l'exposition de ses principaux phénomenes. Les voici.

Il y a un certain degré de chaleur extérieure, dans lequel la chaleur innée d'un animal, quoique vivant & en bonne santé, est totalement détruite. Ce degré, dans les animaux chauds, répond à celui de la température naturelle de leur sang. Si de ce terme nous supposons qu'un animal chaud passe dans une suite indéfinie de degrés de froid qui aillent en croissant, sa chaleur innée augmentera dans la même proportion que les degrés de froid, jusqu'à une certaine limite ; ensuite de quoi elle diminuera par degrés à mesure que le froid augmentera, jusqu'à ce que l'animal meure, & que sa chaleur soit totalement détruite. Douglas.

On peut se convaincre aisément qu'un animal chaud, dans un milieu de même température que son sang, n'engendre point de chaleur. Si on entre dans un bain qui soit échauffé précisément à ce degré, on trouvera alors par le thermometre, qu'il n'y a point de différence sensible entre la température de son corps, & celle du milieu ambient ; par conséquent on n'engendre point de chaleur, quoique non-seulement on vive, mais qu'on jouisse pendant un tems considérable d'une bonne santé, & que la circulation se fasse avec beaucoup de vigueur. On peut faire cette expérience plus aisément, en tenant dans sa main la boule d'un thermometre plongée dans un bassin rempli d'eau chaude, au 96e ou 98e degré. Id. ibid.

De plus, depuis ce terme de la chaleur innée d'un animal, qui dans l'homme est d'environ 98 degrés, dans les quadrupedes & les oiseaux à 100, 102, 104 & 106 degrés, son accroissement est proportionnel à celui du froid, jusqu'à une certaine limite. Ainsi ; par exemple, un homme n'engendre pas de chaleur dans un milieu qui est au 98d ; dans celui qui est au 90d, il en produit 8d ; dans celui qui a 80d de chaleur, il en engendre 18d ; dans un milieu qui n'est qu'à 70d, sa chaleur innée est égale à 28d, &c. Ainsi tant qu'il conserve son point naturel de chaleur, qui peut subsister au moins dans le tronc sous un accroissement considérable du froid extérieur, il engendre des degrés de chaleur égaux aux augmentations du froid : mais on sait que dans la suite il perd sa température naturelle ; & le froid augmentant toujours, les accroissemens de sa chaleur innée sont de plus en plus en moindre raison que ceux du froid, jusqu'à ce qu'à un certain période elle devienne incapable de recevoir de nouvelles augmentations. Enfin si on suppose que le froid continue encore à augmenter depuis ce période, il est aisé de voir que sa chaleur innée doit diminuer par degrés jusqu'à ce qu'elle se termine enfin avec la vie. Id. ibid.

La latitude de la chaleur differe dans les différentes parties d'un animal, & dans les différens animaux, suivant les vîtesses respectives de leur circulation : & de plus, le même animal peut fixer, à sa volonté, cette latitude à différens degrés de froid, suivant qu'il retarde ou accélere le mouvement de son sang par le repos & l'exercice, ou par d'autres causes. D'ailleurs, la température d'un animal chaud ne descend jamais au-dessous de son point naturel, que lorsque la vîtesse de la circulation est en même tems proportionnellement diminuée ; & plus sa température s'éloigne de ce point, plus grande est la diminution de cette vîtesse. En un mot, on peut conclure certainement que depuis ce degré de froid extérieur, où la chaleur innée d'un animal parvient à sa plus grande vigueur, elle diminue ensuite dans la même proportion que la vîtesse du sang, jusqu'à ce qu'elles se terminent l'une & l'autre avec la vie de l'animal. Id. ibid.

Les grands animaux éprouvent une moindre perte de chaleur, que les petits de la même température ; & cela exactement en raison de leurs diametres, caeteris paribus. Maintenant puisque la densité des corps des animaux est à-peu-près la même, nous pouvons donc, malgré quelque différence qu'il peut y avoir dans les figures particulieres, & qu'on peut négliger ici en toute sûreté, comme étant de peu de conséquence dans l'argument général ; nous pouvons, dis-je, avancer que les animaux de la même température perdent de leur chaleur en raison inverse de leurs diametres. Mais comme dans les animaux vivans la chaleur qu'ils acquierent doit être égale à la perte qu'ils éprouvent, il suit évidemment que les quantités de chaleur produites par des animaux de la même température, sont, volume pour volume, réciproquement comme le diametre de ces animaux.

Ainsi, par exemple, si nous supposons que le diametre d'un éléphant soit à celui d'un petit oiseau comme 110 à 1, il suit que leurs pertes respectives de chaleur étant en cette proportion, la cause qui produit la chaleur dans l'oiseau doit agir avec cent fois plus d'énergie que dans l'éléphant, pour compenser sa perte cent fois plus grande.

De plus, si nous faisons la comparaison entre l'éléphant & l'abeille (insecte que le docteur Martine a trouvé d'une température égale à celle des animaux chauds), la différence entre la quantité de chaleur que perdent ces deux êtres si disproportionnés, & qu'ils acquierent de nouveau, est encore beaucoup plus grande, & se trouve peut-être comme 1000 à 1. Id. ibid.

Un animal, depuis les limites de sa chaleur innée jusqu'à une certaine latitude de froid, conserve sa température naturelle égale & uniforme, comme nous l'avons déjà vû : mais cette latitude n'est pas à beaucoup près la même dans les différentes parties du corps ; en général elle est plus grande dans le tronc, & elle diminue dans les autres parties, à-peu-près à raison de leurs distances du tronc : mais elle est fort petite, sur-tout dans les mains, les piés, les talons, les oreilles, & le visage, &c. la raison en est évidente : la circulation du sang se fait plus vîte, caeteris paribus, dans les parties proches du coeur, & diminue de sa vîtesse en s'éloignant de ce centre ; ensorte que dans les parties les plus éloignées elle doit être fort lente.

La chaleur de la fiévre est dans l'homme d'environ 105, 106 ou 108d du thermometre de Fahrenheit, selon l'estimation du docteur Martine.

Le même docteur Martine a observé qu'on pouvoit rester quelque tems dans un bain dont la chaleur est d'environ 110 degrés ; mais que l'eau échauffée jusqu'au 112e ou 114e étoit trop chaude, pour que le commun des hommes pût tenir dedans pendant un certain tems les piés & les mains, quoique les mains calleuses ou endurcies par le travail de quelques ouvriers, ne soient pas offensées par un degré supérieur.

Il n'est pas inutile d'observer sur cela qu'il ne faut qu'une certaine habitude pour pouvoir se laver impunément les mains avec du plomb fondu, comme le pratiquent certains charlatans, pourvû qu'on ait soin de ne faire fondre ce métal qu'au point précis de chaleur qui peut produire la fusion. Ce degré n'est pas très-considérable : il n'est pas capable de brûler les mains, sur-tout si l'on a soin de ne retenir le plomb que très-peu de tems ; précaution qui n'est pas négligée dans l'épreuve dont nous parlons : car on peut toucher à des corps brûlans moyennant cette derniere circonstance, c'est-à-dire pourvû que ce contact ne soit que momentané. C'est ainsi que les Confiseurs trempent leurs doigts dans du sucre bouillant, les Cuisiniers dans des sauces assez épaisses aussi bouillantes, &c.

Trois animaux, un moineau, un chien, & un chat, que Boerhaave exposa à un air chaud de 146 degrés, moururent tous en quelques minutes. Le thermometre mis dans la gueule du chien quelques instans après sa mort, marqua le 110e degré de chaleur.

Enfin il faut encore se souvenir que les parties des animaux dans lesquelles le mouvement des humeurs est intercepté, ou considérablement diminué, comme dans certains cas de paralysie, après la ligature d'un artere, &c. que ces parties, dis-je, sont froides, ou ne joüissent presque que de la chaleur étrangere, ou communiquée par le milieu ambient.

Voilà une histoire exacte du phénomene que nous examinons ; histoire qui dans la question présente, comme dans toute question physiologique, constitue d'abord en soi l'avantage le plus clair & le plus solide qu'on en puisse retirer, & qui doit être d'ailleurs regardée comme l'unique source des raisonnemens, des explications & de la saine théorie. Nous allons donc nous appuyer de la considération de ces faits, pour peser le degré de confiance que nous pouvons raisonnablement accorder aux systèmes que les Physiologistes nous ont proposés jusqu'à-présent sur cette matiere.

Depuis que notre façon d'envisager les objets physiques est devenue si éloignée de celle qui faisoit considérer la chaleur animale à Hyppocrate, comme un souffle divin, comme le principe de la vie, comme la nature même ; & que l'air de sagesse, le ton de démonstration, & le relief des connoissances physiques & mathématiques, ont établi la doctrine des médecins méchaniciens sur le débris de l'ingénieux système de Galien, & des dogmes hardis des Chimistes, la chaleur animale a été expliquée par les plus célebres physiologistes, par les différens chocs, frottemens, agitations, &c. que les parties du sang éprouvoient dans ses vaisseaux, soit en se heurtant les unes contre les autres, soit par l'action & la réaction mutuelle de ce fluide & des vaisseaux élastiques & oscillans dans lesquels il circule. Le mouvement intestin auquel les Chimistes avoient eu recours, & qu'ils regardoient comme une fermentation ou comme une effervescence, n'a pourtant pas été absolument abandonné encore ; mais ce mouvement a été ramené par les physiologistes qui l'ont retenu, aux causes méchaniques de la production de la chaleur, entendues par chaque auteur selon le système de philosophie qu'il a adopté.

Le docteur Mortimer même a proposé en 1745 à la société royale de Londres, une explication de la chaleur animale, fondée sur une espece d'effervescence excitée entre les parties d'un soufre animal ou phosphore, qu'il suppose tout formé dans les humeurs des animaux, & les particules aériennes contenues dans ces humeurs : mais l'existence de ce soufre, & l'état de liberté de l'air contenu dans nos humeurs, du-moins dans l'état de santé, ne sont établis que sur deux suppositions également contraires à l'expérience.

Mais toutes ces opinions qui ont regné dans l'école pendant les plus beaux jours de la Physiologie, qui peuvent compter parmi leurs partisans un Bergerus, un Boerhaave, un Stahl ; ces opinions, dis-je, ont été enfin très-solidement réfutées par le docteur Douglas (essai déjà cité) qui leur oppose entre autres argumens invincibles, l'impossibilité d'expliquer le phénomene essentiel, savoir, l'uniformité de la chaleur des animaux sous les différentes températures de leur milieu ; & c'est précisément à ce phénomene, qui fait effectivement le vrai fond de la question, que le système du docteur Douglas satisfait par la solution la plus naturelle & la plus séduisante. Cet ingénieux système, qui a été orné, étendu, & soûtenu avec éclat dans les écoles de Paris par M. de la Virotte, n'est cependant encore qu'une hypothèse, à prendre cette expression dans son sens desavantageux, comme je vais tâcher de le démontrer : je dis démontrer ; car en Physique même nous pouvons atteindre jusqu'à la démonstration, quand nous n'avons qu'à détruire, & sur-tout lorsqu'il ne s'agit que d'une explication physiologique, appuyée sur les lois méchaniques & sur le calcul.

Le système du docteur Douglas est exposé & prétendu démontré dans le théorème suivant, qui est précédé de quatre lemmes mentionnés dans sa démonstration que nous allons aussi rapporter, & de l'énumération des phénomenes que nous venons d'exposer d'après cet auteur.

Théorème. " La chaleur animale est produite par le frottement des globules du sang dans les vaisseaux capillaires.

Cette proposition est un corollaire qui suit naturellement des quatre lemmes (que nous pouvons regarder avec l'auteur comme démontrés) ; car il est évident que la chaleur animale doit être l'effet ou du frottement des fluides sur les solides, ou de celui des solides entr'eux, ou enfin d'un mouvement intestin. Par le lemme premier, elle ne peut pas être produite par le frottement des fluides sur les solides : par le lemme second, elle ne peut être l'effet d'aucun mouvement intestin du sang : par le lemme troisieme, elle n'est produite en aucune maniere par le frottement des solides entr'eux, excepté seulement celui des globules dans les vaisseaux capillaires : par le lemme quatrieme, les quantités de ce frottement sont proportionnelles aux degrés de la chaleur engendrée. Ce frottement des globules dans les vaisseaux capillaires, doit donc être regardé comme la seule cause de la chaleur animale ". C. Q. F. D.

Le théorème établi, M. le docteur Douglas en déduit avec beaucoup d'avantage l'explication de tous les phénomenes que nous venons de rapporter. Le principal phénomene sur-tout, savoir l'uniformité de la chaleur animale dans les différens degrés de température du milieu environnant, en découle comme de lui-même. En voici la preuve. Les vaisseaux capillaires sont resserrés par le froid, personne n'en peut disconvenir ; des vaisseaux capillaires resserrés embrasseront un globule étroitement, le toucheront dans un grand cercle entier au-moins ; puisqu'il est tel degré de constriction où le diametre du globule sera plus grand que celui du vaisseau capillaire, & où par conséquent ce globule sera forcé de changer sa figure sphérique, & de s'allonger en ovale ; ce qui augmentera considérablement le frottement, tant à raison de l'augmentation de la pression mutuelle, que de celle de la surface du contact, qui s'exercera alors dans une zone au lieu d'une simple circonférence : donc des vaisseaux ainsi resserrés sont le plus favorablement disposés qu'il est possible pour la génération de la chaleur. Au contraire, dans un vaisseau capillaire relâché par la chaleur, un globule touche à peine à ce vaisseau par un seul point : donc le frottement & par conséquent la génération de la chaleur sont nuls ou à-peu-près nuls dans ce dernier cas. Rien ne paroît si simple que l'action absolue de ces causes, & que leur rapport exactement proportionnel avec les effets qu'on leur assigne.

Mais d'abord, lorsque M. Douglas avance qu'il est évident que la chaleur animale doit être l'effet ou du frottement des fluides sur les solides, ou de celui des solides entr'eux, ou enfin d'un mouvement intestin, il suppose sans-doute que le système de Galien & des Arabes, qui a si long-tems régné dans l'école, est suffisamment réfuté, & qu'il a été abandonné avec raison. Je suis bien éloigné assûrément de vouloir reclamer la chaleur innée, ou plûtôt le feu ou le foyer inné, allumé par l'esprit implanté, alimenté par l'humide radical, ventillé par l'air respiré, &c. Cependant je ne crois pas que ce feu présenté, sur-tout comme ses partisans les plus éclairés l'ont fait, comme un agent physique & réel, & non pas comme une vaine qualité (Calidi nomen concretum est, quod non solum accidens denotat, sed etiam subjectum cui illud inhaeret. Laz. Riverii J. Med.) ; que ce foyer, dis-je, doive être exclus de l'énumération des formes possibles, sous lesquelles on peut concevoir la chaleur animale : sur-tout le grand argument du docteur Douglas ne portant pas contre ce système, selon lequel rien n'est si simple que d'expliquer l'uniformité de la chaleur animale dans les différens degrés de température de leur milieu environnant ; car l'air respiré étant regardé par les Galénistes comme excitant le feu animal par un méchanisme semblable à celui de son jeu dans nos fourneaux à vent, & l'intensité de cet effet de l'air étant exactement comme sa densité ou sa froideur, la génération de la chaleur par cette cause sera proportionnée à la perte que l'animal en fera par le même degré de froid, & par conséquent il persistera dans sa température uniforme.

Mais le sentiment de l'ancienne école peut être défendu par des considérations qui le rendent plus digne encore, ce semble, d'être mis au-moins à côté des théories modernes. En effet toutes les parties des animaux, & leurs humeurs sur-tout, sont composées de substances inflammables ; elles contiennent le véritable aliment du feu ; & les causes qui excitent la chaleur dans ce foyer, quelles qu'elles soient, l'ont portée quelquefois jusqu'à dégager le principe inflammable, jusqu'à le mettre manifestement en jeu, en un mot jusqu'à exciter dans les animaux un véritable incendie, comme il est prouvé par un grand nombre de faits rapportés par différens auteurs dignes de foi, & recueillis par M. Rolli, dans un écrit lû à la société royale de Londres en 1745. Cet ouvrage se trouve traduit en françois à la suite des dissertations sur la chaleur animale, &c. traduites de l'anglois, à Paris chez Hérissant, 1751.

Des humeurs ainsi constituées paroissent pouvoir au-moins être très-raisonnablement soupçonnées d'être échauffées dans l'état naturel par un vrai feu d'embrasement, tel que le supposoient les anciens. Les phénomenes de l'électricité paroissent encore favorables à cette opinion, la rendent du moins digne d'être discutée ; en un mot il n'est point du tout décidé que la chaleur animale ne dépende que du feu libre répandu uniformément dans les corps des animaux comme dans les corps inanimés, & même dans le vuide ; feu excité par des frottemens, &c. & non pas d'une certaine quantité de feu combiné dans les différentes substances animales, & dégagé par les mouvemens vitaux. C'est donc faire, je le répete, une énumération très-incomplete des causes possibles de la génération de la chaleur animale, que de négliger celle-ci pour n'avoir recours qu'aux causes méchaniques de la chaleur, aux frottemens, qui l'engendrent indifféremment dans tous les corps inflammables ou non inflammables, mais qui ne peuvent jamais exciter d'incendie vrai, c'est-à-dire de dégagement du feu combiné, que dans les premiers. Or, en bonne logique, pour être en droit d'établir une opinion sur la réfutation de toutes les autres explications possibles, au-moins faut-il que l'exclusion de ces autres explications soit absolue.

J'en viens à-présent au fond même du système du docteur Douglas, & j'observe 1°. qu'il est impossible de concevoir le méchanisme sur lequel il l'appuie, si on ne fait plier son imagination à l'idée d'un organe, d'un vaisseau capillaire représenté comme chaud & froid, relâché & resserré, & cela exactement dans les mêmes tems ; car à un degré de froid donné, à celui de la congélation de l'eau, par exemple, un vaisseau capillaire exposé à toute l'énergie de ce froid, sera resserré au point de pouvoir exercer avec la file de globules qui le parcourra dans cet état, un frottement capable d'engendrer une certaine chaleur, celle de 66 degrés, sous la température supposée ; mais l'instant même du frottement est celui de la génération de cette chaleur, tant dans le globule que dans le vaisseau capillaire, & par conséquent celui du relâchement de ce dernier.

C'est à ce dernier effet que le docteur Douglas paroît n'avoir pas fait attention ; car il suppose son vaisseau capillaire constamment resserré ou froid : & ce n'est même que par cette contraction qu'il est disposé à la génération de la chaleur. Mais il est impossible de saisir même par l'imagination la plus accoûtumée aux idées abstraites, aux concepts métaphysiques, de saisir, dis-je, un intervalle entre la génération de la chaleur dans ce vaisseau & le relâchement de ce même vaisseau ; effet nécessaire & immédiat de son échauffement. Ce vaisseau est si délié, & il embrasse si étroitement la colonne de globules échauffés selon la supposition, que quand même ce ne seroit que par communication qu'il s'échaufferoit, cette communication devroit être instantanée : mais le cas est bien plus favorable à la rapidité de sa caléfaction, puisque ce vaisseau est en même tems l'instrument de la génération & la matiere de la susception de la chaleur : donc, selon le méchanisme proposé par le docteur Douglas, un vaisseau capillaire, contenant une file de globules engendrant actuellement de la chaleur par le frottement dans ce vaisseau, doit être chaud, & par conséquent relâché ; mais par la supposition du docteur Douglas, il n'est propre à engendrer de la chaleur qu'autant qu'il est froid & resserré : donc, dans le système de cet auteur, un même vaisseau doit être conçu en même tems, relâché & resserré, froid & chaud. C. Q. F. D.

Mais en renonçant à cette démonstration, & en accordant qu'il est possible que des vaisseaux extrèmement déliés soient parcourus pendant un tems souvent très-considérable (un animal peut vivre long-tems exposé au degré de la congelation de la glace, sans que sa température varie) par une colonne des globules chauds, comme 66 degrés au dessus du terme de la glace du therm. de Fahr. sans que ces vaisseaux cessent d'être froids comme ce terme de la glace : j'observe 2°. que dans le cas le plus favorable au frottement des globules dans les vaisseaux capillaires, on ne voit nulle proportion entre la grandeur de l'effet & celle de la cause : en premier lieu, parce que le mouvement des humeurs est très-lent dans les capillaires, de l'aveu de tous les Physiologistes ; & en second lieu, parce que les instrumens générateurs de la chaleur font une partie bien peu considérable de la masse, qui doit être échauffée par cette cause.

Le docteur Douglas convient de la difficulté tirée de la lenteur des humeurs dans les capillaires : Il est vrai (dit-il pag. 334.) que la vîtesse du frottement doit être petite dans les capillaires ; mais ce défaut est amplement compensé par la grande étendue de sa surface, comme on le voit évidemment par le nombre immense des vaisseaux capillaires, & la petitesse excessive des globules. Mais cette compensation est supposée gratis, & l'expérience lui est absolument contraire. La chaleur excitée par le frottement lent d'une surface mille fois plus grande, ne peut jamais équivaloir à celle qui s'excite par le frottement rapide d'une surface mille fois moindre : je ne dis pas quand même la vélocité du mouvement seroit dans les deux cas réciproquement proportionnelle aux surfaces ; mais si le mouvement de la petite surface étoit seulement tant soit peu plus rapide que celui de la surface mille fois plus grande : en un mot, caeteris paribus (c'est-à-dire la densité, la roideur ou la dureté des corps, leur contiguité, les tems du frottement, &c. étant égaux), le degré de chaleur excité par le frottement est comme sa rapidité, & la quantité de surface frottée ne fait rien du tout à la production de ce degré (abstraction faite de la perte de chaleur par la communication) : tout comme cent pintes d'eau bouillante mises ensemble, n'ont pas un degré de chaleur centuple de celui de l'eau bouillante, mais au contraire un degré exactement le même. M. Douglas paroît avoir confondu ici la quantité de chaleur avec le degré : mais ce sont deux choses bien différentes. Cent globules frottés, ou cent pintes d'eau contiennent une quantité de chaleur, comme cent, où sont cent corps chauds ; un seul globule, ou une seule pinte, ne sont que la centieme partie de cette masse chaude : mais le degré de chaleur est le même dans le globule seul & dans les cent globules, ou dans un million de globules. Ainsi si chaque globule ne peut dans son trajet dans un vaisseau capillaire produire sous la température supposée une chaleur de 66 degrés, il est impossible que tel nombre de globules qu'on voudra imaginer produise ce degré de chaleur. C. Q. F. D.

J'ai dit en deuxieme lieu, que les instrumens générateurs de la chaleur font une partie bien peu considérable de la masse qui doit être échauffée par cette cause ; & en effet quelque multipliés qu'on suppose les vaisseaux capillaires, & quelque grande qu'on suppose la somme de leurs capacités & de la masse de leurs parois, on ne les poussera pas, je crois, jusqu'à les faire monter à la moitié de la capacité totale du système vasculeux, & de la masse générale des solides d'un animal. Mais supposons qu'elles en fassent réellement la moitié : dans cette hypothèse, la chaleur engendrée dans ces vaisseaux doit être exactement double de la chaleur spécifique de l'animal, pour qu'il résulte de l'influence de cette chaleur dans un corps supposé absolument froid, ce degré de chaleur spécifique moyen entre la privation absolue & la chaleur double du foyer dont il emprunte cette chaleur. Or oseroit-on dire que la chaleur dans les vaisseaux capillaires est une fois plus grande que dans les gros vaisseaux & dans le coeur ? On ne sauroit répondre à cette difficulté, que les organes générateurs de la chaleur sont si exactement répandus parmi toutes les parties inutiles à cette génération, que la distribution égale de cette chaleur à toutes les parties, s'opere par une influence ou communication soudaine : car il est tel organe qui par sa constitution est le plus favorablement disposé à la génération de la chaleur, & qui n'est pas à portée de la partager avec aucune partie froide. La peau, par exemple, n'est presque formée que par un tissu de vaisseaux capillaires ; elle n'embrasse & n'avoisine même aucune partie inutile à la génération de la chaleur : les grandes cavités du corps au contraire, le bas-ventre, par exemple, contiennent un grand nombre de parties, non-seulement inutiles à la génération de la chaleur, mais même nécessairement disposées à partager celle qui s'excite dans les vaisseaux capillaires des ces visceres (s'il est vrai qu'ils se trouvent jamais dans le cas d'en engendrer), & par conséquent à la diminuer : ces parties sont le volume vuide ou rempli de matiere inactive des intestins, la vessie de l'urine, celle de la bile, les gros vaisseaux sanguins, les différens conduits excrétoires, &c. Ce seroit donc la peau qu'il faudroit regarder comme le foyer principal de la chaleur animale, & comme joüissant dans tous les cas de la génération de la chaleur (qui font l'état ordinaire de l'animal) d'un degré de chaleur très-supérieur à celui de l'intérieur de nos corps ; & par conséquent on devroit observer dans la peau, dans l'état naturel & ordinaire d'un animal, une chaleur à-peu-près double de celle de la cavité du bas-ventre. Or tout le monde sait combien ce fait est contraire à l'expérience.

Nous nous contenterons de ce petit nombre d'objections principales ; elles suffisent pour nous prouver que nous sommes aussi peu avancés sur la détermination des sources de la chaleur animale, que les différens auteurs dont nous avons successivement adopté & abandonné les systèmes ; que Galien lui-même, qui a avancé formellement qu'elle ne dépendoit point d'un mouvement d'attrition. Cette découverte n'est pas flateuse assûrément ; mais dans notre maniere de philosopher, la proscription d'un préjugé, d'une erreur, passe pour une acquisition réelle. Au reste, elle nous fournira cependant un avantage plus positif & plus général : elle pourra servir à nous convaincre de plus en plus, par l'exemple d'un des plus jolis systèmes que la théorie méchanicienne ait fourni à la Médecine, combien l'application des lois méchaniques aux phénomenes de l'oeconomie animale sera toûjours malheureuse. Voyez OECONOMIE ANIMALE.

Les anciens ont appellé coctions les élaborations des humeurs, parce qu'ils les regardoient comme des especes d'élixations. Voyez COCTION.

Le sang est-il rafraîchi, ou au contraire échauffé par les jeux des poumons ? c'est un problème qui partage les Physiologistes depuis que Stahl a proposé sur la fin du dernier siecle ce paradoxe physiologique : savoir que le poumon étoit le principal instrument de la conservation, & par conséquent de la génération de la chaleur animale. V. RESPIRATION. (b)

CHALEUR des sexes, des tempéramens. Voyez SEXE, TEMPERAMENT.

CHALEUR ANIMALE contre nature, (Médecine pratique) La chaleur animale s'éloigne de son état naturel, principalement par l'augmentation & par la diminution de son intensité ou de son degré.

Il faut se rappeller d'abord que nous avons observé, en exposant les phénomenes de la chaleur animale, que son degré, tout inaltérable qu'il est par les différens changemens de température des corps environnans, pouvoit cependant varier dans une certaine latitude, sans que le sujet qui éprouvoit ces variations cessât de joüir d'une santé parfaite.

Il faut donc, pour que la chaleur animale soit réputée maladive ou contre nature par l'augmentation ou la diminution de son degré, que le phénomene soit accompagné de la lésion des fonctions, ou au moins de douleur, de malaise, d'incommodité.

La diminution contre nature de la chaleur animale est désignée dans le langage ordinaire de la Médecine par le nom de froid. Voyez FROID.

La chaleur augmentée contre nature, ou se fait ressentir dans tout le corps, ou seulement dans quelques parties. Dans les deux cas elle est idiopatique ou symptomatique.

La chaleur générale idiopatique est celle qui dépend immédiatement d'une cause évidente, savoir de quelques-unes des six choses non naturelles, ou de l'action d'un corps extérieur ; telle est celle qui est produite dans nos corps par un exercice excessif, ou par la fatigue, par la boisson continuée & inaccoutumée des liqueurs spiritueuses, par la chaleur soûtenue de l'atmosphere, par les excès avec les femmes, &c.

La chaleur générale symptomatique est celle qui dépend d'une disposition contre nature déjà établie dans le corps & ayant un siége déterminé ; telle est la chaleur de la fievre qui accompagne les maladies aiguës, &c.

L'augmentation idiopatique de la chaleur générale ne peut jamais être regardée que comme une incommodité ; car la chaleur simplement excessive n'est jamais en soi une maladie, malgré le préjugé qui la rend si redoutable même aux Médecins.

Il est bien vrai que cet état peut devenir cause de maladie, s'il se soûtient un certain tems ; mais ce ne sera jamais qu'en détruisant l'équilibre ou l'ordre & la succession des fonctions, en un mot en affectant quelqu'organe particulier qui deviendra le noyau ou le siége de la maladie : car les effets généraux de la chaleur comme telle sur le système général des solides & sur la masse entiere des humeurs, ne sont assûrément rien moins qu'évidens, comme nous l'observerons dans un instant, en parlant du plus haut degré de chaleur fébrile.

Cette incommodité ne mérite dans la plûpart des cas aucun traitement vraiment médicinal, & on peut se contenter de prescrire à ceux qui l'éprouvent, de cesser de s'exposer à l'action des causes qui la leur ont procurée. Si cependant on pouvoit en craindre quelques suites fâcheuses, comme ces suites sont à craindre en effet dans les tempéramens ardens, vifs, mobiles, sensibles, on les prévient très-sûrement par le repos du corps, le silence des passions, la boisson abondante des liqueurs aqueuses legerement acides & spiritueuses ; celle des émulsions, des legeres décoctions de plantes nitreuses ; les alimens de facile digestion & peu nourrissans, tels que les fruits aqueux, acidules ; les légumes d'un goût fade, les farineux fermentés, les bains tempérés ; la saignée, lorsque la chaleur n'est pas accompagnée d'épuisement, &c.

Le symptome le mieux caractérisé de l'état du corps, qu'on appelle communément échauffement, c'est la constipation. Ces deux termes même ne désignent presque qu'une même chose dans le langage ordinaire : lorsque la chaleur augmentée est accompagnée de la disposition du ventre que la constipation annonce, elle approche un peu plus de l'état de maladie. Mais cet état-là même est le plus souvent d'une bien moindre conséquence qu'on ne l'imagine. Voyez CONSTIPATION.

La chaleur augmentée symptomatique générale est précisément la même chose que la chaleur fébrile ; car la chaleur n'est jamais augmentée dans tout le corps en conséquence d'un vice fixé dans un siége particulier plus ou moins étendu, que les autres phénomenes de la fievre ne se fassent en même tems remarquer ; ou pour exprimer plus précisément cette proposition, la chaleur générale symptomatique est toûjours fébrile, & réciproquement la fievre, & par conséquent la chaleur fébrile & vraiment maladive, est toûjours symptomatique ; car la fievre n'est jamais produite immédiatement par les causes évidentes, mais suppose toûjours un vice particulier, un desordre dans l'exercice & la succession des fonctions, en un mot un inéquilibre, un noyau ou un noeud à résoudre, une matiere à évacuer, &c. Voyez FIEVRE.

Nous avons rapporté dans l'exposition des phénomenes de la chaleur animale, d'après le d. Martine, que le terme extrème de la chaleur des animaux dans les plus fortes fievres n'excédoit pas de beaucoup leur température ordinaire ; qu'il n'étoit guere porté au-delà du 107 ou 108e degré du thermometre de Fahrenheit.

Ce même savant a aussi observé sur lui-même qu'au commencement d'un accès de fievre, lorsqu'il étoit tout tremblant & qu'il essuyoit le plus grand froid, sa peau étoit cependant de 2 ou 3 degrés plus chaude que dans l'état naturel, ce qui est fort remarquable.

Le d. Martine nous a aussi rassurés par une expérience bien simple contre la crainte des suites funestes de la chaleur fébrile, que le célebre Boerhaave regardoit comme très-capable de coaguler la sérosité du sang, fort persuadé que cet effet peut être produit par un degré de chaleur fort peu supérieur au 100e, opinion qui a autorisé le d. Arbuthnot & le d. Stales à soûtenir que la chaleur naturelle du sang humain approchoit de fort près du degré de coagulation. L'expérience ou les faits par lesquels le d. Martine a détruit ces prétentions, sont ceux-ci : il a trouvé que pour coaguler la sérosité du sang ou le blanc d'oeuf, il falloit une chaleur bien supérieure à celle que peut supporter un animal vivant, ces substances restent fluides jusqu'au 156e degré ou environ.

Les autres effets généraux attribués communément à la chaleur fébrile ne sont pas plus réels, du moins plus prouvés que celui dont nous venons de parler. On imagine communément, & ce préjugé est fort ancien dans l'art, que la chaleur augmentée (l'énumération de ces redoutables effets est du savant Boerhaave) dissipe la partie la plus liquide de notre sang, c'est-à-dire l'eau, les esprits, les sels, les huiles les plus subtiles ; qu'elle seche le reste de la masse, la condense, la réduit en une matiere concrete, incapable de transport & de résolution ; qu'elle dégage les sels & les huiles, les atténue, les rend plus acres, les exalte, & les dispose à user les petits vaisseaux & à les rompre ; qu'elle seche les fibres, les roidit, & les contracte.

Mais premierement cette prétendue dissipation de la partie la plus liquide de nos humeurs par la chaleur fébrile, ne demande que la plus legere considération des symptomes qui l'accompagnent, pour être absolument démentie.

En effet quel est le praticien qui ne doit pas s'appercevoir, dès qu'il renoncera aux illusions de la Médecine rationnelle, que les secrétions sont ordinairement suspendues dans la plus grande ardeur de la fievre ; que la peau sur-tout & la membrane interne du poumon sont dans un état de constriction, de sécheresse fort propre à supprimer ou à diminuer la transpiration, & qui la diminue en effet ; & que lorsque la peau & les autres organes excrétoires viennent à se détendre sur le déclin d'une maladie, les sueurs & les autres évacuations qui suivent ce relâchement annoncent ordinairement la plus favorable terminaison de la maladie, & non pas une foule de maladies promtes, dangereuses, mortelles, &c. en un mot que tant que la chaleur de la fievre est dangereuse, elle est seche ou ne dissipe pas assez, bien loin de dissiper des parties utiles, & qu'elle ne doit être au contraire regardée comme de bon augure que lorsqu'elle est accompagnée de dissipation.

Quant à la prétendue altération des humeurs, qui dépend du dégagement des sels, de l'exaltation des huiles, de la vergence à l'alkali, au rance, au muriatique, aux acrimonies, en un mot à l'érosion & à la rupture des petits vaisseaux, & aux autres effets de ces acrimonies ; ces prétentions tiennent trop au fond même de la doctrine pathologique moderne pour être discutées dans cet endroit. Voyez FIEVRE, PATHOLOGIE, VICE des humeurs, au mot HUMEUR.

Mais si le danger de la chaleur excessive, comme telle, n'est prouvé par aucun effet sensible, il est établi au contraire par de fréquentes observations, que ce symptome peut accompagner un grand nombre des maladies ordinairement peu funestes. Voyez FIEVRE.

Van-Helmont a combattu avec sa véhémence ordinaire les préjugés des écoles qui reconnoissoient la chaleur pour l'essence de la fievre, en abusant manifestement de la doctrine des anciens qui définissoient la fievre par l'augmentation de la chaleur, & qui ne la reconnoissoient presque qu'à ce signe, avant que l'usage de déterminer sa présence & ses degrés par l'exploration du pouls se fût introduit dans l'art. Voyez FIEVRE. L'ingénieux réformateur dont nous venons de parler observe très-judicieusement d'après Hyppocrate, dont il reclame l'autorité, que la chaleur n'est jamais en soi une maladie, ni même cause de maladie ; axiome qui étant bien entendu doit être regardé comme vraiment fondamental, & qui mérite la plus grande considération par son application immédiate à la pratique de la Médecine, d'où il fut sans-doute important d'exclure alors cette foule d'indications précaires tirées de la vûe d'éteindre l'ardeur de la fievre, de prévenir l'incendie général, la consommation de l'humide radical, la dissipation des esprits, &c. axiome qu'il seroit peut-être essentiel de renouveller aujourd'hui pour modérer du moins, s'il étoit possible, ce goût peut-être trop dominant de rafraîchir & de tempérer, qu'un reste d'Hequétisme, la doctrine des acrimonies, & quelques autres dogmes aussi hypothétiques, paroissent avoir répandu dans la Médecine pratique la plus suivie, & dans le traitement domestique des incommodités ; goût que nous devons originairement au fameux Sydenham, mais à Sydenham rationnel, qui ne mérite assûrément pas à ce titre la salutation respectueuse dont Boerhaave honoroit en lui l'observateur attentif, le sage empyrique.

On peut donc avancer assez généralement, que ce n'est pas proprement la chaleur que le Medecin a à combattre dans le traitement des fievres ; & que s'il lui est permis quelquefois de redouter cette chaleur, ce n'est que comme signe d'un vice plus à craindre, & non pas comme pouvant elle-même produire des effets funestes.

Il ne faudroit pas cependant conclure de cette assertion, que ce seroit une pratique blâmable que celle de diminuer la violence de la fievre commençante, par les saignées & par la boisson abondante des liqueurs aqueuses ; nous prétendons seulement établir que ces secours ne doivent être regardés dans les maladies bien décidées, que comme simplement préparatoires ; car si on les regarde comme curatifs ou comme remplissant l'indication principale, & qu'on agisse conséquemment, on voudra emporter le fond d'une maladie par leur seul moyen ; c'est-à-dire qu'on embrassera, dans la vûe sage & timide, ce semble, d'adoucir, de relâcher, de calmer, la méthode la plus hardie de toutes celles qu'ont adoptées les Médecins depuis qu'ils ont cessé d'être les simples ministres de la nature, puisqu'on peut avancer cet effet que la médecine antiphlogistique est de toutes les méthodes curatives la plus violente à la nature, quoiqu'on ne puisse pas décider jusqu'à quel point elle est dangereuse. Voyez METHODE CURATIVE, RAFRAICHISSANT, TEMPERANT, SAIGNEE.

La considération de la chaleur comme signe, doit entrer dans l'établissement régulier du diagnostic & du prognostic des maladies aigues. Outre ce que nous venons d'en remarquer, comme annonçant la fievre en général, les praticiens la distinguent par quelques différences essentielles, indépendantes de son degré. Ils observent une chaleur humide ou accompagnée de la moiteur de la peau, & une chaleur seche, & qui est accompagnée ordinairement de l'aspérité de la peau : la premiere est la chaleur ordinaire du commencement & de l'état des maladies aigues ; la seconde est propre au déclin des maladies bien jugées.

Les praticiens distinguent encore la chaleur symptomatique en chaleur douce & en chaleur acre ; la premiere approche beaucoup de la chaleur saine ou naturelle ; la seconde differe de la chaleur purement excessive, & même de la chaleur seche. Les Médecins l'observent sur-tout dans les fievres malignes ou de mauvaise espece, mali moris. Elle est en général un signe fâcheux. Au reste il est très-difficile ou même impossible d'exprimer ce que les Médecins entendent par chaleur acre ; c'est-là un de ces signes qui n'existent que pour le praticien formé par l'habitude, par l'exercice, par les actes répétés, que les thermometres & les autres secours de la Physique ne peuvent pas déterminer ; qui échappent au calcul, &c. & c'est précisément la faculté de saisir les signes de cette espece, & de les évaluer par le seul secours d'un sentiment presque confus, qui constitue cette heureuse routine qui ne caractérise pas moins le praticien consommé que la science & la réflexion.

L'augmentation particuliere de la chaleur est regardée par la saine partie des Médecins, comme une espece de fievre locale, febris in parte. Cette chaleur est un symptome concomitant de toutes les affections inflammatoires, soit confirmées, soit passageres, comme celles qui sont occasionnées par les ligatures, par les corps irritans ou comprimans appliqués extérieurement, &c. Cette fievre peut subsister un certain tems, lorsque la partie affectée n'est pas bien étendue, qu'elle est peu sensible, ou qu'elle n'exerce pas une fonction très-essentielle à l'économie de la vie, telle que les parties extérieures. Cette fievre particuliere, dis-je, peut subsister un certain tems sans exciter, du moins sensiblement, la fievre générale, lors même que ces affections dépendent d'une cause interne, comme dans certains paroxysmes de goutte, d'ophthalmie, dans les petits phlegmons, des érésipeles legers, &c. Les fievres locales doivent être regardées dans tous ces cas comme des incommodités de peu de conséquence. Voyez INFLAMMATION & MALADIES EXTERNES. On ne doit en excepter à cet égard que l'inflammation des yeux, qui peut devenir funeste à l'organe affecté, quoiqu'elle ne soit pas accompagnée de la fievre générale. Voyez OPHTHALMIE.

Certaines chaleurs particulieres, passageres, comme ces feux qu'on sent au visage, aux mains & dans quelques autres parties du corps, à l'occasion de ce qu'on appelle communément des digestions fougueuses, dans les accès de certaines passions, dans des attaques de vapeurs, &c. n'exigent pas non plus communément les secours de l'art, & n'annoncent rien de funeste.

La chaleur spontanée passagere du visage, du creux de la main, & quelquefois des piés, est un des signes de la fievre hectique commençante. Voyez FIEVRE HECTIQUE, au mot HECTIQUE.

Les paroxysmes violens de passion hystérique sont accompagnés quelquefois d'une chaleur brûlante, & plus durable que celle dont nous venons de parler, que les malades ressentent dans différentes parties du corps & principalement dans le ventre & dans la poitrine, & cela sans fievre générale. Mais ce symptome n'indique aucun secours particulier : il ne doit pas faire craindre l'inflammation des visceres ; le paroxysme qui en est accompagné, n'exige que le traitement général. Voyez PASSION HYSTERIQUE.

Le cas le plus grave de chaleur augmentée particuliere, est sans contredit celui de la fievre lipirie, Voyez LIPIRIE.

Au reste il est essentiel de savoir que le rapport des malades n'est pas toûjours un moyen suffisant pour s'assûrer d'une augmentation réelle de chaleur ; & que comme ils peuvent éprouver un sentiment de froid, quoique leur chaleur soit réellement augmentée, comme nous l'avons observé plus haut à propos de l'état appellé le froid de la fievre, ils ressentent aussi dans d'autres cas une ardeur brûlante dans une partie dont la chaleur est réellement & très-considérablement diminuée, comme dans certaines gangrenes seches, &c. Voyez GANGRENE.

On ne peut regarder que comme une expression figurée, le nom d'intemperie chaude que les anciens donnoient à certaines dispositions des visceres. Voyez INTEMPERIE. (b)

CHALEUR, considérée médicinalement comme cause non naturelle & externe ; CHALEUR de l'atmosphere, du climat, des saisons, des bains, voyez AIR, ATMOSPHERE, CLIMAT, SAISON, MALADIES ENDEMIQUES, au mot ENDEMIQUE ; EAU THERMALE, FOMENTATION.

CHALEUR des médicamens, des alimens, des poisons, voyez MEDICAMENT, ALIMENT, POISON ECHAUFFANT, QUALITE.

CHALEUR (degrés de) des différens animaux. (Hist. nat. Zoolog.) Ce que nous allons dire de la chaleur considérée sous ce point de vûe, est tiré d'une dissertation du docteur Martine, intitulée, Essai sur l'histoire naturelle & expérimentale des différens degrés de chaleur des corps.

La chaleur des animaux est fort différente, suivant la variété de leurs especes & celle des saisons. Les Zoologistes les ont divisés, avec assez de fondement, en chauds & en froids, c'est-à-dire respectivement à nos sens. Nous appellons chauds ceux qui approchent de notre propre température, tandis que nous regardons comme froids tous ceux dont la chaleur est fort au-dessous de la nôtre, & qui par conséquent affectent notre toucher de la sensation de froid, quoique, suivant les expériences que j'ai eu occasion de faire, ils soient tous un peu plus chauds que le milieu dans lequel ils vivent : il y a même plusieurs especes d'animaux dont la chaleur ne surpasse que fort peu celle de l'air ou de l'eau. Les insectes sont un sujet d'étonnement pour nous ; car quoiqu'ils paroissent les plus tendres & les plus délicats de tous les animaux, ils sont cependant ceux qui peuvent supporter les plus grands froids sans en être incommodés : ils se conservent dans les saisons les plus froides, sans autres défenses que la feuille & l'écorce des arbrisseaux & des arbres, & en se tenant dans les trous des murailles, ou bien couverts d'un peu de terre ; & il y en a quelques-uns qui s'y exposent entierement nuds. Dans les rudes hyvers de 1709 & 1729, les oeufs des insectes & les chrysalides échapperent à la violence du froid, qui fut insupportable aux animaux les plus vigoureux. On sait combien la liqueur descendit alors dans les thermometres. M. de Reaumur a trouvé quelques chrysalides très-jeunes, qui étoient capables de supporter un froid au-dessous du 4e. degré. Et ce qui est encore plus, les Mathématiciens françois furent fort incommodés en Laponie d'un grand nombre d'essains de mouches de différentes especes, dont les oeufs & les chrysalides devoient avoir supporté des froids encore plus grands. Je trouve que les chrysalides n'ont qu'un fort petit degré de chaleur, une division ou deux au-dessus de l'air ambient.

Tous les insectes sont placés communément parmi les animaux froids ; mais il y a à cet égard une exception fort singuliere dans la chaleur des abeilles, qui tiennent un rang distingué parmi ces sortes d'animaux. Comme, suivant les curieuses observations des Naturalistes, elles ont quelque chose de particulier dans leur économie, leur structure & leur génération, de même j'ai observé qu'elles avoient une prérogative très-singuliere par rapport à la chaleur de leur corps. J'en ai fait souvent l'expérience, & je trouve que la chaleur d'un essain d'abeilles fait monter le thermometre au-dessus de 97 degrés ; chaleur qui n'est pas inférieure à celle dont nous joüissons.

Les autres animaux qui sont plus vigoureux, ainsi que je l'ai observé des insectes ordinaires, ont très-peu de chaleur au-dessus de celle du milieu qui les environne. On a peine à en trouver dans les huîtres & dans les moules ; il y en a fort peu dans les poissons qui ont des oüies, dans les carrelets, les merlans & les merlus : il se trouva à peine un degré de chaleur de plus que dans l'eau salée où ils nageoient, lors même qu'elles n'étoient qu'au quatrieme degré. Les poissons rouges ne sont guere plus chauds. Quelques truites dont j'ai examiné la chaleur, n'étoient qu'au 62e degré, lorsque l'eau de la riviere où elles nageoient étoit au 61e degré. Et dernierement à Paris je trouvai que la chaleur d'une carpe surpassoit à peine le 54e degré, chaleur de l'eau dans laquelle je l'examinois. La chaleur d'une anguille est la même. Les poissons peuvent vivre dans l'eau qui n'est qu'un peu plus chaude que le degré de la congélation, c'est-à-dire un peu au-dessus du trente-deuxieme degré.

Les serpens ne sont, suivant le résultat des différentes expériences que j'ai faites, que de deux degrés plus chauds que l'air. Les grenouilles & les tortues de terre me parurent avoir un principe de chaleur un peu plus fort, c'est-à-dire supérieur d'environ cinq degrés à l'air où elles respirent ; & je crois que c'est-là le cas de ces sortes d'animaux respirans qui ont à la vérité des poumons, mais des poumons en forme de vessie, & qui n'ont pas leur sang plus chaud que les poissons qui ont des oüies : tels sont les tortues de mer, les crapauds, les viperes, & toute la classe des serpens qui ont leurs poumons de la même structure, & le sang aussi froid que ces poissons. Mais la plûpart de ces sortes d'animaux ne sont pas capables de supporter de fort grands froids ; ils se retirent durant la rigueur des hyvers dans des trous, où ils sont assez à l'abri du froid, souvent peut-être à la température moyenne de quarante-huit degrés ou environ. Ils sont à la vérité comme engourdis dans cette saison (voyez Harc. de motu card.) & ne perdent que très-peu de substance ; & je crois qu'on peut dire la même chose des hirondelles & des autres oiseaux, & enfin de toutes les sortes d'animaux sujets à cette espece de sommeil ; lesquels, quoique naturellement chauds, & même à un plus haut degré que ceux dont nous avons parlé ci-devant, sont cependant probablement plus froids dans cet état inactif, que lorsqu'ils joüissent de toute leur vigueur.

La chaleur des animaux chauds n'est pas uniformément la même dans tous les animaux, & dans tous les tems : elle est susceptible d'une très-grande latitude ; elle varie suivant leurs différentes especes, & suivant les circonstances où se trouve chaque individu. La surface de leur corps est considérablement affectée par la chaleur & le froid du milieu ambient, & par conséquent par toutes les variétés des saisons & des climats, s'ils ne se garantissent pas assez de leurs influences. Lorsqu'ils prennent cette précaution, leur chaleur interne & externe est à-peu-près la même, mais toûjours un peu différente dans différens animaux.

Le docteur Boerhaave regardoit à la vérité la chaleur des animaux chauds comme uniforme, ou comme étant la même dans tous ; & il la croyoit communément capable de faire monter le mercure dans le thermometre au 92e degré, ou au plus au 94e. Pareillement, suivant le docteur Pitcarne, la chaleur du corps humain est au 17e degré ; ce qui revient au 92e de notre thermometre. M. Amontons trouva par différentes expériences, que la chaleur communiquée par le corps humain à son thermometre, étoit de 58 2/12, 58 5/12, 58 6/12, 58 7/12, 58 9/12 doigts, qui se trouvent par le calcul correspondre au 91e, 92e, 93e degré de celui de Fahrenheit, ou environ. Le 12e degré du chevalier Newton, qu'il fait équivalent à la chaleur externe du corps humain, & à celle d'un oiseau qui couve ses oeufs, répond au degré 95 1/2 du nôtre. Fahrenheit place lui-même la chaleur du corps & du sang humain au 96e degré ; & le docteur Musschenbroeck dit que le thermometre s'arrête à ce point, lorsqu'il est plongé dans le sang qui coule d'un animal ; quoique dans un autre endroit il parle du 92e ou 94e degré, comme un des plus hauts degrés de chaleur du sang humain.

J'ai fait avec beaucoup d'exactitude un très-grand nombre d'observations sur la chaleur des animaux, & en conséquence je me trouve fondé à avancer que toutes ces estimations sont très-générales, & la plûpart fort au-dessous du vrai. Je conjecture que le plus souvent on ne laissoit pas le tems aux boules des thermometres de s'échauffer entierement ; ou peut-être que dans le tems de l'expérience, les mains qu'on appliquoit à la boule n'avoient pas toute leur chaleur naturelle, faute de les avoir munies contre le froid.

Les hommes sont presque les derniers de la classe des animaux chauds ; & cependant par la chaleur de ma peau bien couverte de toutes parts, je fais monter le thermometre au 97e ou 98e degré, en prenant un terme moyen, d'après un grand nombre d'expérience. Dans quelques personnes la chaleur est un peu plus considérable, dans d'autres elle est un peu moindre. L'urine nouvellement rendue, & cela dans un vaisseau de la même température que ce fluide, est à peine d'un degré plus chaude que la peau, ainsi que je l'ai trouvé par plusieurs observations répétées ; & nous pouvons regarder cette chaleur de l'urine comme à-peu-près égale à celle des visceres voisins. Le docteur Halles trouva que la chaleur de sa peau étoit de 54, & celle de l'urine récente de 58 degrés de son thermometre ; ce qui répond au 99e & 103e degrés du nôtre, si le calcul qui a été fait du rapport de son thermometre avec celui de Fahrenheit, est bien exact.

Cependant l'espece humaine, comme je le disois ci-devant, est presque la derniere de la classe des animaux chauds ; les quadrupedes ordinaires, comme les chiens, les chats, les moutons, les boeufs, les cochons, font monter le thermometre par la chaleur de leur peau, quatre ou six divisions plus haut que nous, comme aux degrés 100, 101, 102, & quelques-uns à 103 ou un peu plus.

Et les poissons respirans ou cétacés, sont aussi chauds que ces derniers animaux ; comme le docteur Boerhaave le pensoit avec justice, quoiqu'il leur attribue trop peu de chaleur, & à tous les autres animaux respirans, lorsqu'il la restreint aux limites étroites de 92 ou 93 degrés. Ceux qui ont eu occasion de voyager dans les Indes orientales, nous disent que le sang du veau-marin est sensiblement chaud au toucher ; & M. Richer, curieux observateur des choses naturelles, trouva le sang du marsouin aussi chaud que celui des animaux terrestres. J'ai éprouvé moi-même que la chaleur de la peau de cet animal amphibie, appellé veau-marin, étoit à-peu-près à 102 degrés. Dans la cavité de l'abdomen, le thermometre montoit d'environ une division : ces animaux ayant cela de commun avec nos quadrupedes terrestres, qui dans la structure & la forme de leurs visceres, ressemblent beaucoup aux poissons qui respirent.

Le chancelier Bacon donne comme une opinion reçue, que les oiseaux sont très-chauds. Ils sont effectivement les plus chauds de tous les animaux, plus chauds encore que tous les quadrupedes de ; ou 4 degrés, ainsi que je l'ai trouvé par des expériences sur des canards, des oies, des poules, des pigeons, des perdrix, des hirondelles, &c. La boule du thermometre étant placée dans leurs cuisses, le mercure monta au 103e, 104e, 105e, 106e, 107e degré ; & dans une poule qui couvoit des oeufs, j'ai trouvé une fois la chaleur au 108e degré : mais elle n'est pas toûjours si considérable. (b)

* CHALEUR se prend encore pour cette révolution naturelle qui arrive dans l'animal, en conséquence de laquelle il est porté à s'approcher par préférence, d'un animal de la même espece & d'un autre sexe, & à s'occuper de la génération d'individus semblables à lui. Il y a dans cette révolution une variété surprenante : l'âge, la conformation, le climat, la saison, & une multitude infinie de causes semblent contribuer, soit à l'accélérer, soit à l'éloigner. On ne sait si elle est périodique dans tous les animaux, & bien moins encore quels sont le commencement, la durée, & la fin de son période dans chaque animal. On ne sait par conséquent non plus, ni si ce mouvement a une même cause générale dans toutes les especes d'animaux, ni si cette cause varie dans chaque espece. Voyez à l'article GENERATION, ce que la Physique, l'Histoire naturelle, & la Physiologie nous apprennent ou nous suggerent sur cet objet important. Observons seulement ici, que par une bénédiction particuliere de la providence, qui distinguant en tout l'homme de la bête, a voulu que l'espece destinée à connoître ses oeuvres & à la loüer de ses bienfaits fût la plus nombreuse ; l'homme sain, bien constitué, dans l'état de santé & dans un âge requis, n'a besoin que de la présence de l'objet pour ressentir l'espece de chaleur dont il s'agit ici, qui le meut fortement, mais qu'il peut toûjours soûmettre aux lois qu'il a reçûes pour la regler. Il paroît que la fréquence de ses accès, qui commencent avec son adolescence, & qui durent autant & plus que ses forces, est une des suites de sa faculté de penser, & de se rappeller subitement certaines sensations agréables à la seule inspection des objets qui les lui ont fait éprouver. Si cela est, celle qui disoit que si les animaux ne faisoient l'amour que par intervalles, c'est qu'ils étoient des bêtes, disoit un mot bien plus philosophique qu'elle ne le pensoit. V. GENERATION.

CHALEUR, jumens en chaleur. Voyez JUMENT. Couteau de chaleur. Voyez COUTEAU.

CHALEUR, (Maréch.) se dit, en fait de chevaux de course, des exercices par lesquels les Anglois les préparent à la course pour les prix ou gageures. Voyez CHEVAL. (V)


CHALINGUES. f. (Marine) c'est un petit bâtiment dont on se sert dans les Indes, qui n'a des membres (le dict. de Trévoux dit membranes) que dans le fond, & qui n'est guere plus long que large. Il n'entre point de fer dans sa construction, pas même des clous. Les bordages de ses hauts ne sont cousus qu'avec du fil de carret fait de coco. Ils sont fort legers & hauts de bord : ils obéissent à la rame. On s'en sert à la côte de Malabar & de Coromandel. (Z)


CHALINISTEadj. f. (Myth.) surnom que l'on donnoit à la déesse Minerve à Corinthe où elle avoit un temple, & où elle étoit adorée en mémoire de la bride qu'elle avoit mise à Pégase, en faveur de Bellérophon. Ce surnom vient de , frein ; d'où cette déesse fut aussi appellée fraenalis ou fraenatrix. Le corps de sa statue étoit de bois ; le visage, les piés & les mains de pierre blanche. Voyez Pausanias, Corinthiac. c. jv.


CHALLON-SUR-SAONE(Géog. mod.) ville de France, capitale du Challonois dans la Bourgogne, sur la Saone. Long. 22d. 3'. 35". lat. 46d. 46'. 50".


CHALLONNE(Géog. mod.) petite ville de France en Anjou, sur le bord de la Loire.


CHALLULAS. m. (Hist. nat. Ichtyol.) poisson sans écailles, à tête longue & plate comme le crapaud, dont la gueule est fort grande, qu'on pêche dans plusieurs rivieres du Pérou, & dont la chair est, dit-on, très-bonne à manger. Le challula est peut-être, comme nous l'avons déjà dit, & comme nous le dirons d'une infinité d'autres, de ces poissons entierement inconnus des Naturalistes, ou qui leur est connu sous un autre nom. Nous ne nous lasserons point d'observer que les voyageurs nuisent à l'histoire naturelle de deux manieres ; soit en la chargeant d'êtres dont ils ne donnent aucune description un peu complete , soit en embrouillant sa nomenclature, qui n'est déjà que trop difficile.


CHALON(Géog. mod.) riviere d'Asie, au royaume de Tonquin, qui se perd dans le golfe de Cochinchine.


CHALOSSE(Géog. mod.) petit pays de France en Gascogne, près de la riviere d'Adour.


CHALOUPES. f. (Marine) c'est un petit bâtiment leger fait pour le service des vaisseaux. On s'en sert aussi pour des traversées ; alors on y met un petit mât de mestre avec sa vergue, & un petit mât de misene.

Quoique l'on se serve souvent d'avirons pour les faire voguer, elles vont cependant très-bien à la voile ; ce qui rend leur service très-utile aux vaisseaux de guerre.

Dans le cours du voyage, la chaloupe se hale dans le vaisseau & s'embarque : on la met à la mer dans les rades, & lorsqu'on en a besoin. Elle sert à différens usages, comme de porter à bord les munitions, le leste, & les autres choses pesantes : on l'envoye faire de l'eau & du bois dans les relâches ; elle sert à porter les ancres de toue.

La grandeur de la chaloupe se proportionne sur celle du vaisseau auquel elle doit servir ; & même ces proportions varient suivant la méthode de chaque constructeur : mais en général on lui donne autant de longueur que le vaisseau pour lequel elle est destinée a de largeur ; on lui donne pour sa largeur un peu plus que le quart de sa longueur ; & sa profondeur doit être un peu moindre que la moitié de sa largeur.

Mais pour se former une idée nette & distincte d'une chaloupe, des ses dimensions, & des parties qui la composent, il faut voir la Plan. XVI. de la Marine, où l'on trouve, fig. 1. une chaloupe renversée pour voir les parties internes ; fig. 2. la coupe perpendiculaire sur sa longueur de la poupe à la proue ; fig. 3. une vûe de la chaloupe par l'avant, & une par l'arriere ; fig. 4. une vûe de la chaloupe armée de ses avirons.

Lorsqu'on met la chaloupe à la mer, elle est équipée de trois ou cinq matelots : celui qui la gouverne s'appelle maître ; celui qui tire la rame de devant s'appelle le têtier, & celui qui tire au milieu, arimier.

Chaloupe borme de nage, c'est-à-dire legere, aisée à manoeuvrer, & qui va très-bien avec les avirons.

Chaloupe bien armée, c'est lorsqu'elle a des matelots suffisamment pour aller plus vîte, & qu'on la charge de troupes pour faire une descente, ou quelqu'autre expédition.

Chaloupe à la toue, c'est lorsque le vaisseau est à la voile : on se contente d'amarrer la chaloupe à son bord, & alors elle en est tirée ; ce qui ne se fait que dans un beau tems.

Chaloupe en fagot. Voyez FAGOT. (Z)


CHALUCS. m. labeo, labrus, (Hist. nat. Ichtiol.) poisson de mer semblable au chabot. Voyez CHABOT. Cependant se tête n'est pas si grosse : ses yeux sont saillans & découverts. Il a des traits de couleur noirâtre, qui s'étendent depuis les oüies jusqu'à la queue ; & qui sont également éloignés les uns des autres : c'est à cause de ces traits que l'on a donné à ce poisson le nom de vergadelle. Ses levres sont grosses, épaisses, & avancées ; c'est pourquoi on l'a appellé labeo & labrus. Le chaluc ne devient pas gras, & n'est pas trop bon à manger. Rondelet. Voyez POISSON. (I)


CHALUMEAUS. m. (Musique & Lutherie) cet instrument passe pour le premier instrument à vent dont on ait fait usage. C'étoit un roseau percé à différentes distances. On en attribue l'invention aux Phrygiens, aux Lybiens, aux Egyptiens, aux Arcadiens, & aux Siciliens : ces origines différentes viennent de ce que celui qui perfectionnoit, passoit à la longue pour celui qui avoit inventé. C'est en conséquence qu'on lit dans Pline, que le chalumeau fut trouvé par Pan, la flûte courbe par Midas, & la flûte double par Marsias.

Notre chalumeau est fort différent de celui des anciens : c'est un instrument à vent & à anche, comme le hautbois. Il est composé de deux parties ; de la tête, dans laquelle est montée l'anche semblable à celle des orgues : excepté que la languette est de roseau, & que le corps est de bouis ; du corps de l'instrument, où sont les trous au nombre de neuf, marqués dans la figure, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. Le premier trou 1, placé à l'opposite des autres, est tenu fermé par le pouce de la main gauche ; les trois suivans 2, 3, 4, le sont par les doigts index, moyen, & annulaire de la même main ; les trous 5, 6, 7, 8, sont fermés par les quatre doigts de la main droite. Il faut remarquer que le huitieme trou est double, c'est-à-dire que le corps de l'instrument est percé dans cet endroit de deux petits trous, placés à côté l'un de l'autre. Celui qui joüe de cet instrument, qui se tient & s'embouche comme la flûte-à-bec (voyez FLUTE-A-BEC), ferme à-la-fois ou séparément les deux trous, comme il convient, & tire un ton ou un semi-ton, ainsi qu'on le pratique sur divers autres instrumens.

Ce chalumeau a le son desagréable & sauvage : j'entends quand il est joüé par un musicien ordinaire ; car il n'y a aucun instrument qui ne puisse plaire sous les doigts d'un homme supérieur ; & nous avons parmi nous des maîtres qui tirent du violoncelle même des sons aussi justes & aussi touchans que d'aucun autre instrument. Il paroît que le chalumeau, dont la longueur est moindre que d'un pié, peut sonner l'unisson des tailles & des dessus du clavecin. Il n'est plus en usage en France. Voyez la Pl. de Lutherie, figures 20, 21, & 22. La figure 20. représente l'instrument entier vû en-dessous ; la figure 21, le corps de l'instrument vû en-dessus ; & la figure 22, l'anche séparée.

* CHALUMEAU, chez les Orfévres, Emailleurs, Metteurs-en-oeuvre ; c'est un tuyau de cuivre assez long, plus gros à son embouchure qu'à l'autre bout, qui est recourbé, & va en diminuant toûjours jusqu'à son extrémité : on en met l'ouverture la plus grande dans sa bouche ; l'ouverture la plus petite correspond à la flamme de la lampe ; & l'air qui s'en échappe, dirige cette flamme en cone sur la piece qu'on veut souder. Voyez Planc. de Joaillier & Metteur-en-oeuvre, C D, figure premiere.


CHALUS(Géog. mod.) petite ville de France, avec titre de comté, dans le Limosin. Long. 19. 2. lat. 45. 16.


CHALUTS. m. (Pêche) drague ou rets traversier ; sorte de chausse dont le sac a quatre brasses de goule ou d'ouverture, cinq brasses & demie de long, & une demi-brasse au plus de large par le bout.

Les pêcheurs pêchent quelquefois avec ce filet sur huit à dix brasses de fond : ils doublent alors ou tiercent au moins leurs cablots ou petits horrins qui sont amarrés sur le boute-hors & sur l'échallon du chalut, pour faire courir le rets sur le fond, & en faire sortir les poissons plats : ils battent l'eau & même le fond, quand ils le peuvent, comme c'est la pratique des pêcheurs qui se servent des rets nommés picots. Voyez DRAGUE & PICOTS.

Autrefois les pêcheurs chargeoient le bas de leurs chaluts de vieilles savattes ou faisceaux, avec une petite pierre dans chaque savatte ; ce qui convenoit beaucoup mieux que le plomb qu'on leur a fait mettre depuis à la quantité d'une livre par brasse. La tête du rets est garnie de flottes de liége. Ce filet est en usage dans le ressort de l'amirauté de Carentan & Isigny, où le Masson du Parc, commissaire ordinaire de la Marine, & inspecteur général des pêches en mer, en a laissé un modele.

Ce chalut est différent de celui qui est en usage dans les provinces de Bretagne, de Poitou, de Saintonge & d'Aunis, dont les genouillets sont formés d'un morceau de bois fourchu, entre les branches duquel les pêcheurs mettent une ou plusieurs pierres pour le faire caler sur le fond ; celui des pêcheurs de Saint-Brieux, amirauté de Saint-Malo, en approche le plus.

Les genouillets ou chandeliers de bois sont formés d'une ou plusieurs pieces ; la traverse ou esparre passe dans une mortaise de bois au haut du genouillet, & on l'arrête avec une cheville de bois ou de fer qui se passe dans le bout de la traverse, & qui s'amarre sur le genouillet avec un cordage : on y peur aussi substituer du plomb à proportion de la longueur & grandeur du filet.

A la pointe du genouillet est un autre trou où l'on passe un des bras, ou halles, ou petits funins, avec lequel le bateau traîne le chalut qui est amarré, comme les autres chaluts, à bas-bords & stribords, c'est-à-dire de côté & d'autre du bateau.

Le bas du genouillet est arrondi pour le faire couler plus aisément sur le fond ; il évite ainsi beaucoup plus facilement les petites roches & fonds inégaux, que le chalut peut trouver dans son passage : construit de cette maniere, c'est de tous les instrumens de cette espece, celui que les Pêcheurs peuvent manoeuvrer avec moins de peine & de risque pour le sac qui se déchire en pieces quand les genouillets ne cedent pas facilement. Comme le haut du filet garni de flottes de liége est soulevé, on y pêche également & le poisson rond & le poisson plat.

Pour retenir dans le sac le poisson de cette derniere espece, on jette un surfil des deux côtés de la longueur du sac, qui prend du bas du genouillet en se rapprochant à mesure qu'il va vers le fond du sac. Le surfil joint de cette maniere le dessus & le dessous du sac, au milieu duquel reste une ouverture de cinq à six piés de large, par laquelle les poissons que le chalut trouve en son passage, entrent dans le fond du sac & retombent dans les côtés, qui forment de cette maniere chacun un autre sac, dont le fond finit aux genouillets ; ensorte qu'il est impossible aux poissons d'en sortir, lorsqu'ils y sont une fois entrés. Le sac est long & quarré ; c'est une triple chausse qui a un avantage pour faire la pêche, que les sacs pointus ne peuvent avoir.

Pour faire caler le fond du sac & le retenir en état, on amarre à chaque coin une petite pierre avec un petit cordage long au plus d'une demi brasse, pour empêcher que la pierre ne tombe sur le sac qu'elle couperoit, & pour donner la facilité aux pêcheurs de retirer le poisson qui y est entré. On laisse une ouverture à l'un des coins d'environ une brasse que l'on ferme avec une moyenne corde, comme on feroit une bourse, & que l'on ouvre de même, lorsqu'on veut faire sortir ce qui est dans le sac du chalut. Voyez les figures & Planches de Pêche.

CHALUT à l'Angloise. La manoeuvre pour se servir de ce filet est la même que ci-dessus. Les Anglois appellent ce filet, drague ; les pêcheurs Normans, chausse. Il est composé d'une traverse de bois de la longueur de douze à quinze piés à volonté, suivant la grandeur du bateau que montent les Pêcheurs qui s'en doivent servir. La traverse est ronde dans le milieu ; & les deux bouts qui sont quarrés, se placent avec une rosture sur le haut de deux chandeliers de fer qui sont faits en demi-cercle. Le convexe en-haut est arrêté par le bas d'une lame aussi de fer, large d'environ trois pouces : les bouts de cette lame relevent un peu, pour ne point embecquer le fond sur lequel la drague traîne, ce qui l'arrêteroit & la romproit aussi-tôt. Les dragues armées de fer des pêcheurs de Cancale, dont la lame est en biseau, grattent & embecquent le fond, mais c'est sans inconvénient ; cette lame donne au contraire à cette drague le poids nécessaire pour faire caler la traverse plus aisément. On met encore au milieu de chaque chandelier un boulet de fer, arrêté au haut du demi-cercle. Ces échallons de fer sont représentés dans nos Planches de Pêche. Voyez ces Planches & leur explication.

Le sac dont les mailles ont dix-huit à vingt lignes en quarré, est formé en pointe, & on amarre à cette pointe un autre boulet au bout d'une petite corde, pour faire le même effet que les pierres qu'on place aux coins du sac quarré. Le haut du sac est arrêté sur la traverse ; & le bas qu'on laisse un peu libre, est garni de boules ou de plaques de plomb, ainsi qu'on le pratique à tous les autres chaluts.

Sur chaque bout de la traverse est frappé un cordage de la longueur de quelques brasses ; ces cordages en se réunissant font une espece de four, sur lequel est amarré le cordage du petit cablot, qui traîne le chalut par l'arriere du bateau, soit à la voile, soit à la rame ; & comme du bas du rets garni de plomb jusqu'à la traverse, à peine peut-il y avoir dix-huit à vingt pouces de hauteur, les Pêcheurs ne peuvent jamais prendre avec cet instrument que du poisson plat ; au lieu qu'étant établi comme celui que l'ordonnance a permis, on y prend, comme on l'a observé, toutes les especes de poisson qui se trouvent dans le passage du chalut.

La pêche de la drague ou du chalut se fait un peu différemment dans l'île de Bouin, dans le ressort de l'amirauté de Poitou ou des sables d'Olone, que dans les autres lieux dont on a parlé plus haut. Le sac du chalut a à l'entrée une ouverture de gueule de cinq brasses de large & de six brasses de long, & pour le fond une brasse & demie, où le rets est lacé pour en pouvoir retirer le poisson sans le faire venir par l'ouverture : c'est au surplus le même instrument que celui dont se servent les pêcheurs de la Rochelle, de Fouran, & du port des Barques, sinon qu'il n'a point de perche, & qu'il opere un peu différemment. Le haut du rets est garni de flottes de liége ; & sur la corde du pié sont amarrées de chaque côté quatre vieilles savattes. L'ouverture embas est garnie en-dedans d'une petite pierre, & de deux grosses à chaque bout du sac pour le faire caler ; ensorte que le rets ne puisse entrer dans la vase, mais courir dessus. Ces pierres étoient les cablieres des dragues, autrefois d'usage dans la Manche, & maintenant défendues par la déclaration du 23 Avril 1726.

Le sac ou chalut est amarré à deux bouts dehors, chacun de vingt-deux piés de long, dont six piés au-moins sont dans le bateau à l'avant & à l'arriere ; ensorte qu'ils saillent environ de seize piés en-dehors. Le chalut est amarré sur un grelin ou cablot de quelques brasses de long, sur lequel en est amarré un autre sur le coin de l'ouverture du sac, de six à huit brasses de long, aussi amarré au bout-dehors. Les Pêcheurs le nomment balissoire, & il sert à amener le sac du chalut, lorsque les Pêcheurs le veulent relever.

Les vents de S. & d'O. sont à cette côte les meilleurs pour cette pêche, un peu différente de celle dont nous avons parlé ci-devant. Il n'y a pas de meilleure saison & de tems plus convenable pour la faire avec succès, que les mois d'Octobre, Novembre, & Décembre. Les Pêcheurs travaillent de jour & de nuit : en hyver ils vont au large & loin de chez eux ; en été, ils font ordinairement la pêche entre Noirmoutier & Bouin. Ils prennent également des poissons plats & des poissons ronds.

Les Pêcheurs sont de sentimens opposés sur les moyens de faire avantageusement la pêche avec le chalut ; les uns estiment qu'il ne faut pas que le rets ou le pié du chalut traîne sur le fond, mais qu'il le batte seulement pour faire saillir les poissons plats qui s'ensablent ou s'envasent ; le bateau en pêchant est à la voile & dérivant à la marée, & les Pêcheurs font servir la voile suivant la force du vent. Quand on veut relever le chalut, on amene la voile ; on tire les balissoires, ensuite les flottes du sac, & le pié où sont les savattes au lieu de plomb ; & on fait tomber de cette maniere tout ce qui se trouve dans le sac jusqu'au fond, que l'on délace pour l'en tirer.

Un land ou un trait de la pêche dure quelquefois deux heures, suivant les marques ou signaux & hamets qu'ils connoissent, & sur lesquels les Pêcheurs se gouvernent.

Les mailles des sacs des chaluts de l'Espois sont de quatre grandeurs différentes ; celles de l'entrée ou de l'embouchure ont dix-huit lignes & dix-sept lignes en quarré, & les suivantes dix-sept lignes : ces mailles se rétrécissent en approchant du fond du chalut, où elles ont treize & quatorze lignes au plus en quarré.


CHALYBESS. m. pl. (Géog. anc.) peuples qui habitoient une contrée d'Asie, située entre la Colchide & l'Arménie. Il y avoit encore un peuple du même nom dans la partie orientale de la Paphlagonie, sur le rivage méridional du Pont-Euxin ; & un troisieme dans le Pont, entre les Moisynoeciens & les Tibériens. Les auteurs ne sont point d'accord sur ces peuples : les uns les confondent ; d'autres prétendent être bien fondés à les distinguer. Pline donne encore le nom de Chalybes à un ancien peuple d'Afrique, habitant de la Troglodite ; & Justin, à un ancien peuple d'Espagne, habitant des rives du fleuve Chalybs. Voyez CHALYBS.


CHALYBS(Géog. anc. & mod.) riviere d'Espagne, dont les eaux avoient la réputation de donner une trempe si excellente à l'acier, que les Latins désignoient l'acier du nom de cette riviere, qui s'appellent aujourd'hui cabe.


CHAMou CHAN, ou KAN, s. m. (Hist. mod.) ce nom qui signifie prince ou souverain, n'est guere en usage que chez les Tartares, qui le donnent indifféremment à leurs princes régnans, de quelque médiocre étendue que soient leurs états. Quelques écrivains cependant ont voulu mettre de la distinction entre le titre de chaam & celui de cham, & ont prétendu que le premier marque une grande supériorité sur l'autre : mais l'on sait aujourd'hui que les Tartares ne connoissent point d'autre titre de souveraineté que celui de cham. Ainsi le prince de Calcha-Moungales, qui est sous la protection de l'empereur de la Chine, ne porte pas moins que lui le titre de cham ; ce qui prouve évidemment que cette distinction est imaginaire.

Au reste, il n'est permis chez les Tartares qu'au légitime successeur de prendre le nom de cham ; & tous les princes de sa maison sont obligés de se contenter de celui de sultan qui leur est affecté. Leur état même & leurs apanages sont si sagement réglés, que si d'un côté on les met dans l'impuissance de cabaler & de troubler le repos public, de l'autre ils n'ont rien à craindre, ni pour leur vie, ni pour leur bien, de la part du gouvernement ; & cette raison fait qu'on ne voit jamais chez les habitans du nord de l'Asie, ces sortes de catastrophes d'une politique barbare, si ordinaires dans les autres cours de l'orient, où un prince n'est pas plutôt monté sur le trône, que pour sa sûreté il commence par sacrifier ses freres & ses parens.

Le grand cham, ou le contaisch des Kalmoucs, est indépendant de tout autre prince, & il a sous lui beaucoup d'autres chams, qui sont ses vassaux ou ses tributaires. Il habite entre les 43 & 55e degrés de latitude septentrionale : tous les autres sont vassaux de quelques autres grands princes.

Le cham de la petite Tartarie ou de Crimée est soumis au grand-seigneur, qui le dépose & l'exile quand il juge à propos. Cette supériorité oblige le cham de Crimée de se trouver avec un corps de troupes nationales, lorsque le grand-seigneur commande les armées en personne : leurs troupes, comme celles de tous les autres Tartares, ne consistent qu'en cavalerie. Mais lorsque le cham est à la tête de son armée, il est obligé d'envoyer son fils aîné à Constantinople, plus pour servir d'ôtage à la fidélité de son pere, que pour assurer l'empire Ottoman dans la famille du cham ; parce que dans les conventions faites entre la Porte & le cham des Tartares, ce dernier est appellé à la succession du grand-seigneur, au cas que la maison des Ottomans vienne à manquer d'héritiers mâles.

On donne aussi en Perse le titre de cham, kan, ou chan, aux principaux seigneurs & aux gouverneurs de provinces, qui sont obligés d'entretenir un certain nombre de troupes pour le service du sophi.

Sperlingius, dans sa Dissertation sur le titre de koning, qui dans la langue allemande & dans celles du nord signifie roi, croit que le nom de kan est dérivé de celui de koning ou koing : mais ne pourroit-on pas dire au contraire, que comme les Tartares sont plus anciens que les peuples du nord, c'est de leur langue qu'on a tiré le titre de koing, c'est-à-dire roi sur les Tartares. Voyez la relation fort curieuse qui en a été imprimée à Amsterdam en 1737. (a)

CHAM, (Géog. mod.) contrée maritime d'Asie, du royaume de la Cochinchine.


CHAMADES. f. terme d'Art milit. maniere de battre un tambour, ou espece de son de trompette que donne un ennemi pour signal qu'il a quelque proposition à faire au commandant, soit pour capituler, soit pour avoir permission de retirer des morts, faire une treve, ou quelque chose de semblable.

Ce terme ne s'employe guere que pour exprimer la demande que fait le commandant d'une place de traiter des conditions qu'il veut obtenir pour se rendre.

Ménage le dérive de l'italien chiamata, qui a été fait de clamare, crier.

On éleve aussi pour capituler un drapeau blanc sur le rempart : ainsi, dire qu'une place a arboré le drapeau blanc, c'est dire qu'elle a demandé à capituler. Voyez CAPITULATION. (Q)


CHAMAEBUXUSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur irréguliere, qui a toute l'apparence d'une fleur légumineuse : cependant elle n'est composée que de trois feuilles, dont les deux supérieures sont relevées, & représentent l'étendart : l'inférieure est creusée en gouttiere, terminée par une espece de cuilleron. Le pistil qui est renfermé dans cette gouttiere, devient un fruit plat, assez rond, tout semblable à celui de la polygala ; car il est partagé en deux loges dans sa longueur, lesquelles s'ouvrent sur les bords, & renferment des graines oblongues. Tournefort, mém. de l'acad. royale des Scienc. ann. 1725. Voyez PLANTE. (I)


CHAMAECERASUSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs monopétales, soutenues sur le calice. Ces fleurs naissent deux à deux sur le même pédicule : elles sont en forme de tuyau découpé à son ouverture en deux levres, dont la supérieure est recoupée en quelques parties. L'inférieure est taillée en forme de languette. Le calice devient dans la suite un fruit composé de deux baies molles, dans lesquelles sont contenues des semences applaties & arrondies. Tournefort, Inst. rei herbar. Voyez PLANTE. (I)


CHAMAEDRISvoyez GERMANDREE.


CHAMAEMELUM(Hist. nat. bot.) genre de plante qui ne differe de l'anthemis, qu'en ce que ses fleurons ou ses semences ne sont point séparées par de petites feuilles écailleuses. Micheli, nov. plant. gen. Voyez PLANTE & ANTHEMIS. (I)


CHAMAERODODENDRO(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale, tubulée, & presque en forme d'entonnoir. Le pistil sort du calice, & est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur. Il devient dans la suite un fruit oblong, qui est divisé en cinq loges, & qui s'ouvre en cinq capsules assemblées contre un pivot : chacune de ces capsules renferme de petites semences. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CHAMARESS. m. plur. (Géog. anc.) peuples anciens de la Germanie inférieure. Ils posséderent le pays que les Tubantes & les Usipiens habiterent après eux. On les trouve ensuite unis & contigus aux Angrivariens. Ils n'étoient séparés des Bructeres que par l'Ems. Ils se rapprocherent dans la suite du Rhin dont ils s'étoient écartés : alors ils se joignirent aux Francs, & il n'en fut plus question.


CHAMARIERS. m. (Hist. eccl.) du latin camerarius, est le nom que l'on donne dans certains chapitres à une dignité ou office, que l'on appelle plus communément ailleurs, chambrier. Le chamarier est la premiere dignité de l'église collégiale de S. Paul de Lyon. Le chamarier ou chambrier a été ainsi nommé, parce que dans l'origine c'étoit lui qui présidoit à une chambre ou chapitre particulier, dans lequel on régloit la dépense & autres menues affaires de la maison. Voyez ci-après. CHAMBRIER. (A)


CHAMB(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne au cercle de Baviere, capitale d'un comté de même nom, sur la riviere de Chamb. Long. 30. 30. latit. 49. 14.


CHAMBELLAGECHAMBELLENAGE, ou CHAMBRELAGE, s. m. (Jurisprud.) terme usité dans plusieurs coûtumes. C'est un droit ou profit de fief dû au seigneur dominant, pour chaque mutation de vassal.

Le terme de chambellage vient de ce qu'autrefois le chambellan, dont l'office est de veiller sur ce qui se passe dans la chambre du roi, assistoit à la cérémonie de la foi & hommage des vassaux du roi, & recevoit d'eux à cette occasion quelque libéralité ; ce qui fut depuis converti en un droit ; tellement que par arrêt de l'année 1262, il fut ordonné que les chambellans auroient droit de prendre de tous vassaux qui relevoient du roi, vingt sous pour un fief de cinquante livres de rente & au-dessous ; cinquante sous pour un fief de cent livres de revenu ; & cinq livres, le tout parisis, pour un fief de cinq cent livres de revenu & au-dessus ; ce que l'on trouve rapporté dans le registre de S. Just. Voyez aussi Pasquier, en ses Recherches, liv. IV. ch. xxxiij.

Les seigneurs particuliers avoient aussi autrefois la plûpart leurs chambellans, lesquels, à l'imitation du chambellan du roi, exigeoient un droit des vassaux du seigneur, pour les introduire dans sa chambre lorsqu'ils venoient faire la foi & hommage ; droit que les seigneurs ont appliqué à leur profit, depuis qu'ils ont cessé d'avoir des chambellans en titre.

Les coûtumes de Hainaut & de Cambrai appellent ce droit chambrelage ; & celle de Bretagne chambellenage.

Le chambellage n'est pas de droit commun : il n'a pas lieu dans la coûtume de Paris, ni dans la plûpart des coûtumes : celles où il est usité sont, Meaux, Mantes, Senlis, Clermont, Châlons, Saint-Omer, Chauni, Saint-Quentin, Ribemont, Doulenois, Artois, Amiens, Montreuil, Beauquesne, Saint-Riquier, Péronne, Saint-Paul, Poitou, Valois, Noyon, Laon, Ponthieu, Cambrai, Aire, Hesdin, Hainaut, Tournai, Bretagne, & quelques autres villes.

Le droit de chambellage est réglé différemment par les coûtumes, tant pour la quotité du droit, que pour la qualité de ceux qui le doivent & les cas où il est dû.

Dans la coûtume de Mantes il est d'un écu-sol, qui est dû au seigneur par le fils ou autre ascendant en ligne directe, auquel le fief est avenu par succession, quand il vaut cinquante livres de revenu & plus.

Dans la coûtume de Poitou il est de dix sous pour chaque hommage lige, & de cinq sous pour des hommages pleins.

Celles de Senlis, Valois, le fixent à vingt sous.

La coûtume de Noyon donne le choix de payer vingt sous ou une piece d'or, à la volonté du vassal. Celle de Saint-Quentin veut que cette piece d'or vaille un demi-écu ou au-dessus, à la discrétion du vassal, pourvû que le fief soit de vingt livres de rente ; car s'il vaut moins, il n'est dû que cinq sous.

Dans la coûtume de Montdidier, Roye, & Péronne, l'origine de ce droit est de douze livres dix sous, si le fief vaut cent livres par an & au-dessus : s'il vaut moins, il n'est dû que vingt-cinq sous.

Il y a encore plusieurs autres différences entre les coûtumes par rapport à ce droit, mais qu'il seroit trop long de rapporter. Voyez le Glossaire de M. de Lauriere, au mot Chambellage, & les commentateurs des coûtumes où ce droit est usité. (A)

CHAMBELLAGE étoit aussi un droit que les évêques, archevêques, abbés, & autres prélats du royaume, payoient au roi en lui prêtant serment de fidélité. Ce droit dû à cause des offices de grand-maître, de grand-sénéchal de France, que le roi tenoit en ses mains, dénote qu'il étoit dû anciennement à ceux qui possédoient ces offices. Philippe IV. dit le Bel, ordonna au mois de Mars 1309 que tout l'argent qui proviendroit du droit de chambellage payé par les évêques, abbés, abbesses, & autres prélats, seroit mis entre les mains du grand-aumônier, pour être employé à marier de pauvres filles nobles. Ce droit étoit alors de la somme de dix livres. Présentement les évêques & archevêques, avant de prêter leur serment de fidélité, sont obligés de payer la somme de trente-trois livres entre les mains du trésorier des aumônes & bonnes oeuvres du roi. (A)

CHAMBELLAGE, s. m. (Jurisprud.) est encore un droit que la chambre des comptes taxe à la réception d'un vassal en foi & hommage. Il tire son origine des libéralités que l'on faisoit anciennement au grand chambellan pour être introduit dans la chambre du roi, lorsqu'il recevoit lui-même la foi & hommage de ses vassaux. Ces libéralités passerent tellement en coûtume, qu'elles devinrent un droit autorisé par le prince. En effet, au registre de S. Just, fol. 15. verso, il y a une ordonnance de Philippe-le-Hardi, de 1272, que quiconque fera hommage, payera au chambellan, savoir, le plus pauvre homme, vingt sous parisis ; ceux de cent livres de terre, cinquante sous parisis ; ceux de six cent livres de terre, cent sous parisis ; les barons, évêques ou archevêques, dix livres parisis. Le roi s'étant déchargé sur la chambre des comptes du soin de recevoir la foi & hommage de ses vassaux, le premier huissier qui les introduit en la chambre, & qui représente en cette partie le chambellan, joüit du même droit, qui est d'un ou plusieurs écus d'or, selon le revenu du fief. Voyez les recherches de Pasquier, l. IV. c. xxxiij. le glossaire de Lauriere, au mot Chambellage ; & ce qui est dit du chambellage en l'article précédent pour les évêques. (A)


CHAMBELLANS. m. (Hist.) officier de la cour d'un souverain, dont la charge concerne principalement la chambre du prince, mais dont les fonctions varient suivant l'étiquette & le cérémonial des différentes cours. Il y en avoit autrefois plusieurs à la cour de nos rois, & dans les cours étrangeres ; mais on leur a substitué les gentilshommes ordinaires de la chambre, ou simplement gentilshommes ordinaires. Ce fut François I. qui les établit. Voyez GENTILSHOMMES ORDINAIRES.

Les rois de Perse avoient leur chambellan ; & il est mention dans les actes des apôtres d'un chambellan d'Hérode. Les empereurs romains du haut & du bas empire, avoient aussi de semblables officiers, sous le titre de praepositi cubiculi ; & les derniers empereurs grecs de Trébisonde ont conservé ce titre dans leur cour. Voyez ci-après GRAND-CHAMBELLAN.

CHAMBELLAN, (grand) s. m. Hist. mod. en France est un des grands officiers de la couronne, qui a la surintendance sur tous les officiers de la chambre du roi.

Sa principale fonction étoit, dit-on, de coucher dans la chambre du roi, au pié du lit de sa majesté, lorsque la reine n'y étoit pas, comme on le remarque aux états des rois Philippe-le-Bel & Philippe-le-Long : c'est pourquoi aux lits de justice & à l'assemblée des états, le grand chambellan devoit gésir (c'est l'ancien terme), c'est-à-dire être couché aux piés du trône de nos rois.

Le grand chambellan ou premier chambellan (car on a appellé aussi les valets-de-chambre du roi chambellans), étoit inférieur au grand chambrier : mais l'office de grand chambrier, après avoir beaucoup perdu de ses anciennes prérogatives, a enfin été supprimé par François I. en 1545. Voyez CHAMBRIER.

Quand le roi s'habille, le grand chambellan lui donne sa chemise ; honneur qu'il ne cede qu'aux princes du sang & aux fils de France. Au sacre du roi, il lui chausse ses bottines, & le revêt de la dalmatique & du manteau royal. Dans les autres cérémonies il a son siége derriere le trône ou fauteuil du roi, excepté au lit de justice, où il est assis aux piés de sa majesté sur un carreau de velours violet, couvert de fleurs-de-lis d'or. Lorsque le roi est décédé, il ensevelit le corps, étant accompagné des gentilshommes de la chambre. Les marques de sa dignité sont deux clés d'or, dont l'anneau se termine en couronne royale ; passées en sautoir derriere l'écu de ses armes. On croit que cette charge est en France la plus ancienne charge de la couronne. Grégoire de Tours, & plusieurs autres historiens, parlent des chambellans & grands chambellans de nos rois sous la premiere & la seconde race. Mais on en a une suite bien complete depuis Gautier, seigneur de la Chapelle & de Nemours, qui remplissoit cette charge sous Louis-le-Jeune & Philippe-Auguste en 1200, jusqu'à Charles Godefroi de la Tour duc de Bouillon, qui la possede aujourd'hui. On compte quarante-deux grands chambellans. Le duc de Bouillon est le quatrieme de sa maison, dans laquelle cette charge est depuis 90 ans. C'est ce qu'on peut voir dans l'histoire des grands officiers de la couronne.

Cette charge avoit autrefois beaucoup plus de prérogatives qu'elle n'en a aujourd'hui : le grand chambellan étoit du conseil privé ; il portoit le scel secret du roi ; & par ordonnance du roi Philippe-le-Long, régent du royaume en 1316, il est dit que le grand chambellan ne pourra sceller ni signer lettres de justice, ni de bénéfice, ni aucune autre chose, sinon lettres d'état, ou mandement de venir. Il étoit exempt de payer les droits du scel royal, comme on le remarque dans une ordonnance du roi Charles VI. de l'an 1386. Il tenoit la clé du trésor particulier, c'est-à-dire de la cassette. Tout vassal tenant son fief en hommage du roi, aussi-bien que les évêques & abbés nouvellement pourvûs, devoient une certaine somme d'argent au grand chambellan, & autres chambellans, comme il est porté dans l'ordonnance de Philippe III. ou le Hardi, de l'an 1272 : aux hommages qui se faisoient à la personne du roi, le grand chambellan étoit à son côté, & avoit pouvoir de dire par écrit ou de bouche au vassal, ce qu'il devoit au roi comme son seigneur ; & après que le vassal avoit dit VOIRE, oüi, le grand chambellan parloit pour le roi, & marquoit que le roi le recevoit ; ce que le roi approuvoit. C'est ce que fit le vicomte de Melun, grand chambellan, à l'hommage du duché de Guienne, fait à Amiens en 1330 par le roi d'Angleterre Edoüard III. au roi Philippe de Valois. Jean de Melun, comte de Tancarville, grand chambellan, fit la même chose lorsque Jean de Montfort, duc de Bretagne, fit hommage de son duché au roi Charles V. Jean bâtard d'Orléans, comte de Dunois, grand chambellan, continua la même fonction, lorsque Pierre duc de Bretagne fit hommage au roi Charles VII. de son duché.

Le grand chambellan a long-tems prétendu avoir jurisdiction, mais elle lui fut ôtée par arrêt. Seul, il avoit droit de porter manteau & chapeau ; l'un & l'autre lui étoient donnés chaque année aux dépens du roi ; au lieu que les autres chambellans n'en portoient pas. Les comtes de Tancarville, & après eux les ducs de Longueville issus du bâtard d'Orléans, ont prétendu que la charge de grand chambellan étoit héréditaire dans leur postérité ; mais ce fut une simple prétention sans titre. Cet article est de M. l'abbé LENGLET DUFRENOY & de M. l'abbé MALLET.


CHAMBELLENAGEdroit seigneurial ; c'est la même chose que chambellage. Voyez CHAMBELLAGE. (A)


CHAMBERLAINS. m. (Hist. mod.) en Angleterre est précisément la même chose que ce que nous appellons chambellan en France. Voyez CHAMBELLAN.

Le lord grand chamberlain d'Angleterre est le sixieme des grands officiers de la couronne. Il est un des plus employés au couronnement du roi : c'est lui qui l'habille pour cette cérémonie, qui le deshabille après qu'elle est finie, & qui porte la plûpart des ornemens pour le couronnement. C'est à lui qu'appartient le lit du roi, tout l'emmeublement de sa chambre, tout l'habillement de nuit, & le bassin d'argent dans lequel il se lavoit, avec les serviettes.

Il est gouverneur du palais royal de Westminster où s'assemble le parlement, & a la charge de fournir la chambre des seigneurs de tout ce qui est nécessaire pour la tenue du parlement.

Les évêques & les pairs du royaume lui payent un droit quand ils prêtent le serment de fidélité au roi. On voit que les droits de ce grand officier ont été formés sur ceux qu'avoit autrefois le grand chambellan de France, & même sur ceux du grand chambrier.

Cet office a été long-tems possédé par la maison des comtes d'Oxford ; mais aux trois derniers couronnemens il a été exercé par le marquis de Lindsey, à-présent duc de Lancastre. L'état d'Angleterre de 1729 marque pour possesseur de cette charge le duc de Grafton.

Il y a aussi des chamberlains dans la plûpart des cours d'Angleterre, dont ils sont les receveurs ou les trésoriers.

Cette charge est en Angleterre beaucoup plus étendue que ne l'est en France celle de grand chambellan. Il a sous lui plus de 500 officiers, seigneurs, gentilshommes & autres, de toutes sortes de sciences, arts & métiers. (G)


CHAMBÉRY(Géog. mod.) ville considérable & capitale du duché de Savoie, sur les ruisseaux de Laisse & d'Albans. Long. 23. 30. lat. 45. 35.


CHAMBLY(Géog. mod.) petite ville de France en Picardie, dans le Beauvoisis, à quelque distance de la riviere d'Oise.


CHAMBON(Géog. mod.) petite ville de France dans le petit pays de Combrailles, aux confins de la basse-Auvergne, sur la Voile.


CHAMBRANLES. m. (Architecture) espece de cadre de pierre composé de deux montans & d'une traverse supérieure, qui sert à orner les portes & croisées des façades extérieures des bâtimens. Il faut les enrichir de moulures en plus ou moins grande quantité, selon la magnificence de l'édifice, & selon le caractere des ordres qui y sont employés ; ils doivent, ainsi que les bandeaux, avoir de largeur la sixieme partie de celle des croisées. Voyez BANDEAU.

On appelle aussi chambranle ceux de menuiserie qu'on place dans les appartemens autour des portes à placages sur lesquels ceux-ci sont ferrés.

On donne le même nom aux revétissemens de marbre, de pierre de liais, ou de bois, qui servent à décorer les cheminées dans les appartemens. (P)


CHAMBRES. f. (Architecture) Ce mot désigne un lieu destiné à plusieurs usages dans l'Architecture : car on dit chambre d'écluse pour signifier l'espace du canal qui se trouve compris entre les deux portes d'une écluse ; chambre de port pour désigner la partie du bassin d'un port de mer la plus retirée & la moins profonde, où l'on tient les vaisseaux desarmés pour les réparer ; chambre civile ou criminelle, pour parler d'un lieu où est placé un tribunal destiné pour rendre la justice, comme au Palais, au Châtelet ; chambre du trône, celle où le prince reçoit avec magnificence les ambassadeurs des cours étrangeres, & dans laquelle est pratiquée une estrade couverte d'un dais, comme celle des appartemens du Roi à Versailles ; chambres du dais, celles qui précédent ordinairement les salles d'assemblée se nomment ainsi, parce que dans l'un des côtés est placé un dais fort élevé sous lequel un grand seigneur donne ses audiences par cérémonies & par distinction.

CHAMBRE du conseil, celle où dans une maison royale, comme à Versailles ou Fontainebleau, s'assemblent les conseillers d'état, par ordre de Sa Majesté, pour y conférer ensemble des intérêts publics, du bien de l'état, de la marine, du commerce, &c. On appelle cabinet du conseil le lieu où l'on traite des affaires particulieres.

On appelle aussi chambre du conseil dans une ville de guerre, le lieu où les principaux officiers s'assemblent pour y conférer ou juger des affaires militaires ; ainsi qu'on appelle à Paris chambre du conseil, aux Invalides, celle où le gouverneur & autres officiers s'assemblent pour mettre ordre & juger les différends qui surviennent dans la maison : & chambre de communauté, pour indiquer une salle où les syndics de chaque profession s'assemblent pour recevoir maîtres des artisans qui font chef-d'oeuvre, &c. Mais en général le mot de chambre exprime la piece d'un appartement destiné au sommeil, & alors on l'appelle, selon la dignité des personnes qui l'habitent, & la décoration dont elle est revêtue, chambre de parade, chambre à coucher, à alcove, en niche, en entresolles, en galetas, &c.

Celles de parade font partie des appartemens d'une maison considérable, & ne servent extraordinairement que pour coucher par distinction des étrangers du premier ordre, ce lieu contenant ordinairement les meubles les plus précieux.

Les chambres à coucher sont aussi dans de grands bâtimens des pieces considérables, destinées pour le maître ou la maîtresse du logis. Pour plus de magnificence, on pratique dans ces chambres des estrades, sur lesquelles s'élevent des colonnes qui séparent le lieu où est placé le lit d'avec le reste de la piece : ces colonnes y sont d'autant mieux placées aujourd'hui qu'elles en divisent la décoration en deux especes, c'est-à-dire que le lieu où est placé la cheminée peut être revêtu tout de menuiserie, pendant que celui où est le lit est garni d'étoffe, ce qui rend cet espace plus du ressort d'une chambre destinée au repos : aussi ne fait-on plus guere d'usage des tapisseries que dans le cas dont il s'agit, & pour les premieres, secondes antichambres, & salles d'assemblée, ou bien dans les cabinets de tableaux, de toilette, &c. toutes les autres pieces d'un appartement se décorant pour la plûpart de menuiserie, de sculpture, peinture & dorure.

L'usage qui a fait substituer les lambris aux tapisseries, a fait aussi rejetter l'habitude de laisser cette même menuiserie dans sa couleur naturelle ; de maniere qu'on colore presque tous les lambris en blanc, en couleur d'eau, en jonquille, lilas, &c. dont on dore les moulures & les ornemens : ou bien l'on peint seulement tous les fonds d'une de ces couleurs, & la sculpture & les cadres d'une teinte plus pâle que le reste ; ce qui par économie tient lieu de dorure, & ne laisse pas de faire un bel effet. De toutes ces couleurs le blanc a le plus d'éclat, mais l'expérience a fait connoître que les lumieres gâtoient en fort peu de tems ces lambris ; ce qui lui fait préférer les autres couleurs dont nous venons de parler, sur-tout dans les chambres à coucher, où cette couleur semble être hors de convenance, non seulement à cause de l'usage auquel elle est destinée, mais encore parce qu'elle ressemble trop au plâtre ou à la pierre, qui ne paroît pas être faite pour rendre un lieu sain & salubre. Il est vrai que l'or a plus d'éclat sur le blanc que sur toutes les autres couleurs, mais la vraisemblance doit l'emporter sur les autres considérations ; & d'ailleurs la nécessité où l'on a été presque par rapport à tous nos beaux appartemens en France, soit à Choisy, soit au palais Bourbon à Paris, & aux hôtels de Soubise, de Villars, de Villeroi, & autres, de regratter au bout de quelques années ces lambris, pour les repeindre à neuf, sans avoir joüi de leur éclat que pendant un très-court espace de tems, doit en faire éviter l'usage dans les chambres à coucher, pour les raisons que nous venons de dire, & généralement dans toutes les pieces de grandeur moyenne sujettes à recevoir en hyver nombreuse compagnie, grand feu & grandes lumieres ; telles que sont les salles à manger, salles de société, de jeu, de concert, de bal, &c. Il faut les réserver seulement pour les lieux spacieux qui pourroient être construits de marbre blanc, de stuc, de pierre de liais ou de plâtre, tels que les grands vestibules, comme celui de Clagni, sa grande galerie ; le sallon à double étage de Marli & de Montmorenci, & autres lieux, tels que les péristiles, les porches, colonnades, grands escaliers, &c.

Il est quatre choses également intéressantes à observer dans la disposition d'une chambre à coucher : la premiere, que sa forme en général soit toûjours plus profonde que large ; elle peut être quarrée depuis le devant des croisées jusqu'à l'estrade, mais toute la profondeur de l'alcove doit excéder le quarré ; ou quand il n'y a point d'estrade, le pié du lit doit terminer à-peu-près un des côtés du quarré : la seconde, c'est que les croisées d'une chambre à coucher soient toûjours en face du lit ; toute autre situation est desagréable, sur-tout dans un appartement susceptible de quelque décoration : la troisieme, que les cheminées soient placées de maniere qu'elles marquent le milieu de la piece depuis les croisées jusqu'à l'estrade, & qu'elles soient situées du côté opposé à la principale entrée de la piece : la quatrieme, que les portes, quoiqu'elles soient assujetties à l'enfilade de tout le bâtiment, soient assez distantes du mur de face pour laisser un écoinçon raisonnable entre l'un & l'autre, sans que pour cela elles soient trop près des cheminées, ainsi qu'il s'en voit à l'hôtel de Belleisle, où il n'y a à côté de leur jambage qu'une place suffisante pour recevoir le chambranle de la porte.

Ordinairement on affecte sur les murs de refends, pour plus de symmétrie, des portes feintes opposées à celles d'enfilade, qui par cette affectation mettent les cheminées au milieu de la piece ; mais il en résulte un inconvénient, c'est qu'alors il ne reste plus de place raisonnable pour placer des siéges, à cause de l'espace qu'occupe le lit ou l'estrade quand on en met une : je dis raisonnable, car il ne paroît pas vraisemblable de placer des siéges devant les ventaux des portes qui, quoiqu'elles soient feintes, semblent aux étrangers devoir s'ouvrir ; d'ailleurs leur hauteur en cache la proportion & interrompt l'ordonnance de la piece ; cependant c'est un défaut qu'il est difficile d'éviter. Aussi à l'hôtel de Soubise a-t-on, pour s'en éloigner, affecté seulement le dessus des portes ; mais comme ceux-ci, pour satisfaire à la largeur de ceux qui leur sont opposés, occupent beaucoup d'espace, il en résulte que la partie qui reste depuis le dessus de ce dessous de porte jusqu'au dessus du lambris d'appui, est trop peu élevée par rapport à sa largeur, & fait un panneau de mauvaise forme ; défaut qui doit porter indispensablement à revêtir cette partie du côté opposé aux portes d'un compartiment qui n'ait rien de commun avec leur ordonnance, ou à souffrir peu de siéges dans ces sortes de pieces. Il est vrai que l'usage d'une chambre à coucher semble en exiger moins que toute autre, & qu'il n'y ait que le cas d'une maladie qui puisse attirer une compagnie un peu nombreuse dans une chambre à coucher ; mais il est de la décence qu'une telle piece en contienne un certain nombre.

La hauteur des chambres à coucher, ainsi que toutes celles d'un appartement un peu considérable, doit être tenue d'une certaine élévation : ordinairement l'on prend la longueur du plus grand côté, puis celle du petit, & la moitié de ces deux quantités la détermine, sur-tout lorsque l'on veut former les plafonds en calotte, à l'imitation des voûtes, d'où le mot de chambre dérive, étant fait du latin camera, voûte surbaissée, qui vient de carmurus, courbé ou cambré. Ces voûtes avec les corniches peuvent avoir environ le tiers de la hauteur de la piece, & étoient anciennement presque toutes ornées d'architecture, de peinture & sculpture : aujourd'hui la sculpture y préside ; cependant on ne peut disconvenir que la plûpart de ces beaux plafonds qu'on voit au château des Tuileries, à Versailles, à Meudon, à Vincennes & ailleurs, n'ayent des beautés réelles, quoiqu'un peu pesantes pour la plûpart, & ne soient préférables aux ornemens trop legers & sans liaison qu'on affecte sur-tout dans toutes les décorations intérieures. Presque tous les artistes conviennent de ce que j'avance ; nos Architectes même admirent, disent-ils, ces beaux ouvrages du siecle passé, singulierement celui de la galerie du Louvre ; mais tous se laissent entraîner par le torrent, ou se laissent subjuguer par les Sculpteurs. Il n'y a pas jusque dans nos temples où l'on n'ait travesti les décorations, autrefois nobles, simples & majestueuses, tels que le Val-de-grace, les Invalides, la Sorbonne, & autres lieux sacrés, en des compositions remplies d'ornemens bisarres, chimériques & mal entendus, tels qu'il s'en voit à S. Sulpice, & dans presque toutes nos églises modernes.

Les observations que nous venons de faire ne regardent que la décoration : sans-doute cette partie est très-intéressante dans l'Architecture ; mais toute essentielle qu'elle paroisse, elle est dans le cas dont il s'agit ici, insuffisante sans la commodité. Les pieces de maître les mieux décorées sont imparfaites si elles ne sont accompagnées de celles destinées pour leur commodité personnelle, & de celles capables de leur procurer le service des domestiques, je veux dire des garderobes, des lieux à soûpapes, & enfin des dégagemens assortis à la grandeur du bâtiment, à l'usage des pieces, à l'état & à la différence des deux sexes, qui selon leur âge demandent plus ou moins abondamment de ces garderobes pratiquées, éclairées & dégagées convenablement ; ce qui prouve l'expérience, l'intelligence & la ressource du génie de l'Architecte.

Les chambres à alcoves différent des précédentes en ce qu'elles exigent moins de décorations, de symmétrie & de dépense ; mais leur lit doit toûjours se présenter en face des croisées, & l'intérieur de l'alcove être tapissé, à moins que ce ne soit des chambres de peu d'importance, qui ne tiennent point à de grands appartemens. Ces alcoves sont pratiqués par des cloisons de menuiserie, dans l'intention de resserrer l'espace du lit, le rendre moins grand, & par conséquent lui procurer plus de chaleur par le secours des rideaux qui ferment l'ouverture de cet alcove. Les alcoves étoient anciennement fort en usage, & il y a toute apparence qu'ils ont été imaginés pour corriger la profondeur des pieces, qui dans une chambre à coucher doit être moyenne, & pour pratiquer aux deux côtés de son ouverture des garderobes ou cabinets, lorsque les pieces voisines n'en pourroient contenir d'utiles à la chambre à coucher.

Les chambres en niche portent ce nom, parce que leur lit est niché dans un espace qui ne contient que sa grandeur ; alors il est enfermé de trois côtés, & n'a de libre que le devant. Pour la symmétrie, on y affecte deux chevets, & l'on pratique aux deux côtés de cette niche des garderobes, des cabinets, ou des dégagemens. Ces sortes de chambres sont fort d'usage à la campagne ou à la ville dans de petits appartemens d'hyver, leur lit ne tenant pas grande place, & pouvant être placé à côté & non vis-à-vis des croisées indistinctement. Elles sont encore fort commodes en ce qu'elles n'exigent pas de grande hauteur de plancher ; ce qui les faits placer volontiers dessous ou dans les entresolles.

Les chambres en galetas n'exigent aucune décoration, étant souvent destinées pour les domestiques ou pour les officiers de la maison, qui alors y pratiquent des alcoves, des niches, &c. (P)

* Il y a peu de terme dans la langue qui ait autant d'acceptions figurées que le mot chambre. On a transporté ce mot des endroits appellés chambres, où des personnes s'assembloient pour différentes affaires, aux personnes mêmes assemblées ; & de l'espace renfermé par des murs, & percé d'une porte & de fenêtres qui forment la chambre prise au simple ; on l'a appliqué à tout autre espace qui a dans les Arts quelque analogie, soit avec les usages de cette partie d'un appartement, soit avec sa figure.

CHAMBRE, en matiere de Justice & de Police, s'entend ordinairement du lieu où se tiennent certaines jurisdictions ou assemblées pour le fait de la justice ou police. Quelquefois le mot chambre se prend pour la compagnie même qui s'assemble dans la chambre. Il y a plusieurs jurisdictions & assemblées auxquelles le titre de chambre est commun, & qui ne sont distinguées les unes des autres que par un second titre qui leur est propre à chacune. On va les indiquer toutes ici ; renvoyant néanmoins sous les autres lettres l'explication des jurisdictions dont le nom peut être séparé du mot chambre, ou qui se trouvent liées avec quelqu'autre matiere.

CHAMBRE DES ALIENATIONS faites par les gens de main-morte, étoit une commission souveraine établie par lettres patentes du 4 Novembre 1659, registrées en cette chambre le 24 du même mois, pour connoître des aliénations faites par les gens de mainmorte, & pour la recherche, taxe & liquidation de ce qui devoit être payé par les détenteurs & possesseurs des biens aliénés en conséquence de la déclaration du 20 Décembre 1658.

CHAMBRE D'ANJOU, est une des six divisions que l'on fait des auditeurs de la chambre des comptes de Paris, pour distribuer à chacun d'eux les comptes qu'il doit rapporter. Pour entendre ce que c'est que ces divisions, & pourquoi on les appelle chambres, il faut observer que dans l'ancien bâtiment de la chambre des comptes, qui fut incendié le 28 Octobre 1737, on avoit assigné aux auditeurs sept chambres ou bureaux différens qu'on appella les chambres du trésor de France, de Languedoc, de Champagne, d'Anjou, des Monnoies, & de Normandie. On distribua les comptes dans ces sept chambres, de maniere que l'on assigna à chacune les comptes de certaines généralités. On mit dans celle d'Anjou les comptes de la généralité de Tours, qui comprend l'Anjou & plusieurs autres provinces : les comptes de cette chambre étoient renfermés dans de grandes armoires étiquetées chambre d'Anjou ; & ainsi des autres chambres. On distribua aussi les auditeurs dans ces sept chambres pour les comptes que chacun devoit rapporter ; celle de Normandie fut supprimée, comme on le dira à l'article de cette chambre. Dans le nouveau bâtiment qui a été construit pour la chambre des comptes, on n'a point observé la même disposition que dans l'ancien ; au moyen de quoi les auditeurs au lieu des sept chambres n'en ont que trois ; l'une qu'on appelle la chambre des auditeurs ; les deux autres sont la chambre des fiefs & celle des terriers : mais on a toûjours conservé la division des auditeurs en six chambres, pour la distribution qui leur est faite des comptes ; ensorte que ces chambres ne sont plus des bureaux ou lieux d'assemblée, mais de simples divisions qui changent tous les trois ans. Il n'est pas d'usage de distribuer à chaque auditeur d'autres comptes que ceux qui sont du ressort de la chambre où il est lui-même distribué. Il n'y a point de rang particulier entre ces chambres ou divisions, quoique quelques-uns mettent la chambre du trésor la premiere, à cause que l'on y comprend les comptes les plus considérables dont M. le premier président fait la distribution. De la chambre d'Anjou dépendent toûjours les comptes de la généralité de Tours. Voyez ci-après CHAMBRE DE FRANCE, DE LANGUEDOC, DE CHAMPAGNE, DES MONNOIES, DU TRESOR, DE NORMANDIE, & l'article CHAMBRE DES COMPTES. (A)

CHAMBRE APOSTOLIQUE ; c'est un tribunal ecclésiastique à Rome, que l'on peut appeller le conseil des finances du pape : le cardinal Camerlingue en est le chef ; les autres officiers sont le gouverneur de Rome qui est vice-Camerlingue, le Trésorier, l'auditeur de la chambre, le président, l'avocat des pauvres, l'avocat-fiscal, le fiscal-général de Rome, le commissaire de la chambre, & douze clercs de la chambre : il y a aussi douze notaires qui prennent le titre de secrétaires de la chambre, & quelques autres officiers.

On traite dans cette chambre les affaires qui concernent le trésor ou le domaine de l'église & du pape & ses parties casuelles. On y expédie aussi quelquefois les lettres & bulles apostoliques pour les bénéfices. Cette voie n'est pas la seule pour expédier ces lettres & bulles ; on en expédie aussi, mais rarement, par voie secrette, & plus communément en consistoire & chancellerie. Voyez CONSISTOIRE, CHANCELLERIE, IE SECRETTEETTE.

La voie de la daterie & de la chambre apostolique sert à faire expédier toutes provisions de bénéfices, autres que ceux qu'on appelle consistoriaux ; on y a recours sur-tout dans les cas fâcheux & difficiles, comme quand il manque à l'impétrant quelques-unes des qualités ou capacités requises, ou qu'il s'agit d'obtenir dispense, ou de faire admettre quelque clause délicate.

On peut faire expédier par la chambre, c'est-à-dire par la voie de la chambre apostolique, tout ce qui s'expédie par consistoire & chancellerie ; mais il en coûte un tiers de plus.

Les minutes des bulles sont dressées par un prélat appellé summiste.

Tous les brefs & bulles expédiées par la chambre, sont inscrits dans un registre qui est gardé par un autre officier appellé custos registri.

Les livres de la chambre apostolique contiennent une taxe pour le coût des bulles & provisions de certains bénéfices : on attribue cette taxe à Jean XXII. qui envoya des commissaires par toute la chrétienté, pour s'informer du revenu de chaque bénéfice. L'état fait par ces commissaires, est transcrit dans les livres de la chambre : il sert à exprimer la valeur des bénéfices, & à en régler la taxe ou annate. Voyez ANNATE, BULLES, PROVISIONS, TAXE.

En France, on n'exprime la véritable valeur que des bénéfices taxés dans les livres de la chambre : pour les autres, on expose que la valeur n'excede point vingt-quatre ducats : ceux-ci ne payent point d'annate, Grégoire XIII. les en a déchargés.

La cour de Rome prétend appliquer au profit de la chambre les fruits des bénéfices qui n'ont pas été perçûs légitimement : mais cela n'est point reçu en France. Voyez le commentaire sur les Libertés de l'Eglise Gallicane, article 51.

Sur les fonctions & droits de la chambre apostolique, voyez le traité de l'usage & pratique de cour de Rome par Castel, avec les notes de Noyer.

CHAMBRE APOSTOLIQUE de l'abbé de sainte Genevieve, est une jurisdiction que l'abbé de sainte Genevieve de Paris a en qualité de conservateur né des priviléges apostoliques, & de député par le saint-siége pour connoître & juger de toutes sortes de causes entre les gens d'église. Cette chambre avoit autrefois beaucoup de crédit & un grand ressort : l'appel de ses jugemens étoit porté immédiatement au pape ; mais depuis, le pouvoir de cette chambre a été beaucoup limité. Présentement sa fonction se réduit proprement à décerner des monitoires, lorsque les juges séculiers ordonnent de s'adresser à l'abbé de sainte Genevieve pour cet effet. Cette chambre n'est composée que de l'abbé, du chancelier, & d'un secrétaire. Corroret, D. fol. 14. A. Sauval ; antiq. de Paris, tome III. pag. 239.

CHAMBRE ARDENTE : ce nom fut donné anciennement au lieu dans lequel on jugeoit les criminels d'état qui étoient de grande naissance. Cette chambre fut ainsi appellée, parce qu'elle étoit toute tendue de deuil, & n'étoit éclairée que par des flambeaux : de même qu'on a appellé chapelle ardente, le mausolée garni de flambeaux que l'on dresse aux personnes de qualité le jour des services solemnels qu'on fait pour honorer leur mémoire, la grande obscurité du deuil faisant paroître les lumieres plus ardentes qu'elles ne seroient sans l'opposition de cette nuit artificielle.

Le nom de chambre ardente fut ensuite donné à une chambre particuliere, établie par François II. dans chaque parlement, pour faire le procès aux Luthériens & aux Calvinistes : elles furent ainsi nommées, parce qu'elles faisoient brûler sans miséricorde tous ceux qui se trouvoient convaincus d'hérésie.

On a appellé par la même raison chambre ardente, une chambre de justice qui fut établie en 1679, pour la poursuite de ceux qui étoient accusés d'avoir fait ou donné du poison. Ce qui donna lieu à l'établissement de cette chambre, fut que deux Italiens, dont l'un se nommoit Exili, avoient travaillé long-tems à Paris à chercher la pierre philosophale avec un apoticaire allemand nommé Glaser, connu par un traité de Chimie qu'il donna en 1665. Ces deux Italiens ayant perdu à cette recherche le peu de bien qu'ils avoient, voulurent réparer leur fortune par le crime, & pour cet effet vendirent secrettement des poisons : la marquise de Brinvilliers fut du nombre de ceux qui eurent recours à ce détestable artifice ; & ayant été convaincue d'avoir fait mourir le lieutenant civil d'Aubray son pere, & plusieurs autres personnes de sa famille, ce qui fit donner à ces poisons le nom de poudre de succession, elle fut brûlée à Paris en 1676.

Les suites de cette affaire donnerent lieu en 1679 d'établir une chambre pour la poursuite des empoisonnemens : elle tint d'abord ses séances à Vincennes, & ensuite à l'Arsenal.

Plusieurs personnes de la premiere considération furent impliquées dans cette affaire ; mais il n'y eut de punie que la Voisin, sage-femme à Paris, qui se faisoit passer pour devineresse : ayant été convaincue de poison, elle fut condamnée au feu & brûlée vive, après avoir eu la main coupée & percée auparavant d'un fer chaud. Elle fut exécutée à Paris le 22 Février 1680.

L'instruction ayant été finie contre ses complices, la chambre ardente mit fin à ses séances.

On donne encore quelquefois le nom de chambre ardente, à certaines commissions ou chambres de justice établies pour un tems, soit dans l'Arsenal, soit dans quelque province, pour connoître de certaines affaires de contrebandiers, faussaires, & autres accusés de crimes graves, qui ont plusieurs complices. Voyez le dictionn. de Brillon, au mot chambre ardente ; Mezeray, en 1679 & 1680.

CHAMBRE DE L'ARSENAL ou CHAMBRE ROYALE DE L'ARSENAL, est une commission qui a été établie à Paris dans l'enclos de l'Arsenal en différentes occasions, pour connoître souverainement de certaines matieres : il y en eut une établie en conséquence de l'édit de 1672, concernant les maladreries ; on l'appelloit aussi la chambre souveraine des maladreries.

CHAMBRES ASSEMBLEES, se dit lorsque les différentes chambres qui composent une même cour ou compagnie, se rassemblent pour délibérer de quelques affaires communes : telles que réception d'officiers, enregistrement d'ordonnances ou édits, &c. au parlement. L'assemblée se fait en la grand-chambre.

On entend aussi quelquefois au parlement par chambres assemblées, la réunion qui se fait à la tournelle de tous les présidens & conseillers laïques de la grand-chambre, soit qu'ils fussent alors de service à la grand-chambre ou à la tournelle. Les ecclésiastiques, gentilshommes, & officiers royaux, ont le droit de demander d'être ainsi jugés les chambres assemblées : en ce cas, les conseillers des enquêtes qui se trouvent de service à la tournelle, se retirent.

Les chambres des enquêtes & requêtes s'assemblent quelquefois par députés en la premiere des enquêtes, pour délibérer d'affaires qui doivent être ensuite communiquées à toute la compagnie en la grand-chambre : c'est ce que l'on appelle communément l'assemblée du cabinet.

Enfin quelquefois avant de juger une cause, instance ou procès, la chambre où l'affaire est pendante, ordonne qu'il sera demandé avis aux autres chambres ; & alors le rapporteur & le compartiteur, s'il y en a un, ou un autre conseiller, vont recueillir l'avis de chaque chambre : & l'arrêt qui intervient ensuite, est ce que l'on appelle un arrêt rendu consultis classibus.

Les cas où les chambres peuvent être assemblées sont reglés par diverses ordonnances : entr'autres celle de Charles VII. du mois d'Avril 1453, art. 116 & 117 ; celle de Louis XII. du mois de Juin 1510, art. 36, & plusieurs autres.

CHAMBRE BASSE ou CHAMBRE DES COMMUNES, est une des deux chambres qui composent le parlement d'Angleterre : l'autre s'appelle la chambre haute. Voyez ci-après CHAMBRE HAUTE.

Celle-ci est appellée chambre basse par opposition à la chambre haute, qui a le premier rang étant composée des seigneurs ou pairs du royaume ; au lieu que la chambre basse n'est composée que des députés des villes, & représente le tiers état.

On l'appelle aussi chambre des communes, parce qu'elle est composée des députés des communes, c'est-à-dire des villes & bourgs qui ont des lettres de commune.

Pour bien entendre de quelle maniere la chambre basse ou des communes a commencé à faire partie du parlement, il faut observer que le parlement d'Angleterre, qui est proprement l'assemblée des états de la nation, ne commença à se former sur ce pié qu'en 1248 : mais il n'étoit encore composé que du haut clergé & de la haute noblesse. Ce n'est qu'en 1264 qu'il est fait mention pour la premiere fois des communes dans les archives de la nation.

Les députés des communes furent d'abord choisis par le roi : mais après la mort d'Henri III, Edouard I. son fils, étant dans ce moment dans la Palestine où il portoit les armes contre les infideles, il trouva à son retour que les villes & les provinces avoient élu elles-mêmes ceux qui devoient les représenter, & qui dans les regles auroient dû être choisis par le régent du royaume, attendu l'absence du roi : le parlement néanmoins les reçut, & depuis ce tems les communes ont toûjours joüi de ce privilége.

Edoüard ayant tenté inutilement de détruire le pouvoir des communes, fut obligé pour appaiser la nation de convoquer une assemblée, où il assûra lui-même aux communes l'entrée au parlement.

Il ordonna à tous les cherifs d'Angleterre, que chaque comté ou province députât au parlement qui devoit s'assembler, deux chevaliers, chaque cité deux citoyens, & chaque bourg deux bourgeois ; afin de consentir à ce que les pairs du royaume jugeroient à-propos d'ordonner, & de l'approuver.

On voit par-là que les communes n'avoient point alors voix délibérative, mais seulement représentative. Et en effet, dans les actes authentiques de tous les parlemens convoqués sous ce regne, les députés des communes ne parlent jamais au roi qu'en supplians : ils lui représentent les griefs de la nation, & le prient d'y remédier par l'avis de ses seigneurs spirituels & temporels. Tous les arrêtés sont conçus en ces termes : Accordé par le roi & les seigneurs spirituels & temporels, aux prieres & supplications des communes.

Le peu d'autorité qu'avoient alors les députés des communes dans le parlement, fit peut-être penser à Edoüard qu'il étoit peu essentiel pour lui de les nommer : mais la suite fit bien-tôt connoître le contraire. Le peuple qui auparavant soûtenoit ordinairement le roi contre les seigneurs, commença lui-même à former des prétentions, & voulut avoir ses droits à part ; & avant même qu'il eût droit de suffrage, il dicta souvent des lois au roi, & régla les résolutions des seigneurs.

Sous Edoüard II. le parlement s'arrogea le pouvoir de faire des lois conjointement avec le roi : mais ce ne fut que sous le regne d'Edoüard IV. qui monta sur le trône en 1461, que la chambre basse commença à joüir aussi du pouvoir législatif. On ne sait même pas précisément en quelle année cela fut établi ; parce que les titres qui en font mention sont sans date : on conjecture seulement que ce fut à l'avénement d'Edoüard IV. qui voulut par-là se rendre agréable au peuple. Alors le style des Actes du parlement fut changé : au lieu d'y mettre comme auparavant, accordé aux supplications des communes, on mit : accordé par le roi & les seigneurs, avec le consentement des communes.

Le pouvoir des communes augmenta beaucoup sous Henri VII. par la vente que plusieurs seigneurs firent de leurs fiefs, suivant la permission que le roi leur en avoit donnée.

Jacques I. à sont avénement, en convoquant le parlement, marqua les qualités que devoient avoir les députés des communes : ce que ses prédécesseurs avoient fait quelquefois, mais seulement par forme d'exhortation.

Sous Charles I. le parlement obtint de ne pouvoir être cassé que du consentement des deux chambres, & dès ce moment son pouvoir ne reconnut plus de bornes.

Cromwel voyant que la chambre haute détestoit ses forfaits, fit déclarer dans celle des communes, qu'à elle seule appartenoit le pouvoir législatif, & qu'on n'y avoit pas besoin du consentement des seigneurs, la souveraine puissance résidant originairement dans le peuple. Bien-tôt après la chambre des pairs fut supprimée, & l'autorité souveraine se trouva toute renfermée dans la chambre des communes. Charles II. rétablit la chambre des pairs.

Le parlement d'Ecosse ayant été uni à celui d'Angleterre en 1707, le nombre des députés des communes fut augmenté de quarante-cinq pour le royaume d'Ecosse.

La chambre des communes est présentement composée d'un orateur, qui est le président de la chambre, de cent quatre chevaliers députés pour les cinquante-deux comtés qui partagent l'Angleterre, y compris vingt-quatre chevaliers pour les douze comtés de la principauté de Galles ; cinquante-quatre citoyens, dont quatre sont députés pour la ville de Londres, & deux pour chacune des vingt-cinq autres cités ; seize barons pour les cinq ports ; deux membres de chacune des deux universités ; environ trois cent trente bourgeois pour les bourgs ou petites villes, qui sont au nombre de cent soixante-huit, & qui envoyent chacune deux députés, & quelquefois un seul ; enfin quarante-cinq membres pour le royaume d'Ecosse ; ce qui fait en total cinq cent cinquante-trois députés, lorsqu'ils sont tous présens ; mais communément il ne s'en trouve guere plus de deux cent.

Il n'y a point de jurisconsultes dans la chambre basse, comme il y en a dans la haute, parce que la chambre basse n'a pas de jurisdiction, si ce n'est sur ses propres membres ; encore ne peut-elle prononcer de peine plus grave que l'amende ou la prison.

Lorsque le roi convoque le parlement, il écrit lui-même à chaque seigneur spirituel ou temporel, de se rendre à l'assemblée pour lui donner conseil ; au lieu qu'il fait écrire par la chancellerie au vicomte de chaque comté, & au maire de chaque ville & bourg, d'envoyer au parlement des députés du peuple, pour y consentir à ce qui aura été ordonné. Dès que ces lettres sont arrivées, on procede à l'élection des députés.

Lorsque le parlement est assemblé à Westminster, les deux chambres déliberent séparément : ce qui a été conclu dans l'une est communiqué à l'autre par les députés qu'elles s'envoyent. Si elles s'accordent, elles s'expriment en ces termes : les seigneurs, les communes ont assenti. Si elles sont d'avis différent, les députés de la chambre basse se rendent dans la haute, pour conférer avec les seigneurs ; ou bien les deux chambres nomment des députés qui s'assemblent dans une autre chambre appellée la chambre peinte.

Lorsque les deux chambres s'assemblent ainsi, soit en entier ou par députés, ceux des communes sont toûjours debout & tête nue, au lieu que les seigneurs sont assis & couverts.

Si les deux chambres ne peuvent se concilier, leur délibération est nulle. Il faut aussi le consentement du roi.

Les députés des communes sont considérés dans l'état présent, comme les défenseurs des priviléges de la nation ; c'est pourquoi ils se sont attribué le droit de proposer, d'accorder des subsides au roi, ou de lui en refuser.

Le nombre des députés des communes est fixe ; le roi ou le peuple ne peuvent le diminuer ni l'augmenter : mais il y a beaucoup de députés qui s'absentent ; & en ce cas ils ne peuvent donner leur voix par procureur, comme font les seigneurs. Voyez l'hist. du parl. d'Angleterre, par M. L. Raynal. (A)

CHAMBRE DES BLES, ne fut d'abord qu'une commission donnée à quelques magistrats, par lettres-patentes du 9 Juin 1709, registrées au parlement le 13 du même mois, pour l'exécution des déclarations des 27 Avril, 7 & 14 Mai de la même année, concernant les grains, farines, & légumes : mais par une déclaration du 11 Juin de la même année, il fut établi une chambre au parlement pour juger en dernier ressort les procès criminels, qui seroient instruits par les commissaires nommés pour l'exécution des déclarations des 27 Avril, 7 & 14 Mai 1709, sur les contraventions à ces déclarations. Il y eut encore une autre déclaration le 25 Juin 1709, pour regler la jurisdiction de cette chambre : elle fut supprimée par une derniere déclaration du 4 Avril 1710. Voyez la compilation des ordonnances, par Blanchard, p. 2848. & 2866 ; & le recueil des édits enregistrés au parlement de Dijon.

CHAMBRE DE CHAMPAGNE, est une des six divisions des auditeurs de la chambre des comptes de Paris, pour la distribution que l'on fait à chacun d'eux des comptes de leur département. C'est dans cette division que l'on met tous les comptes de la généralité de Châlons. Voyez ci-devant CHAMBRE D'ANJOU.

CHAMBRE CIVILE DU CHATELET DE PARIS, est une chambre du châtelet où le lieutenant civil tient seul l'audience les mercredi & samedi, depuis midi jusqu'à trois ou quatre heures. Un des avocats du roi assiste à cette audience.

On y porte les affaires sommaires, telles que les demandes en congé de maison, payement de loyers (lorsqu'il n'y a point de bail par écrit), ventes de meubles & oppositions, demandes en payement de frais & salaires de procureurs, chirurgiens, médecins, apoticaires, maçons, ouvriers, & autres où il n'y a point de titre, & qui n'excedent point la somme de mille livres. Les assignations s'y donnent à trois jours : on n'y instruit point la procédure ; la cause est portée à l'audience sur un simple exploit & sur un avenir ; les défauts s'obtiennent tous à l'audience, & non aux ordonnances ; les dépens se liquident par sentence à quatre livres en demandant, & trois livres en défendant, non compris le coût de la sentence. Voyez l'arrêt du conseil d'état du 16 Octobre 1685, & l'édit de Janvier 1685, articles 13 & 14.

CHAMBRE DU COMMERCE, voyez COMMERCE.

CHAMBRE DES COMMISSAIRES DU CHATELET, voyez COMMISSAIRES DU CHATELET.

CHAMBRE DE LA COMMISSION, étoit anciennement une chambre particuliere dans l'enclos & dépendance de la chambre des comptes de Paris, qui étoit située sous le greffe. C'étoit dans cette chambre que s'exécutoient toutes les commissions où il n'y avoit que des commissaires de la chambre des comptes, si ce n'est qu'ils s'assembloient plus souvent dans la chambre du conseil, comme étant plus commode ; ce qui se pratique ainsi aujourd'hui.

CHAMBRE DES COMMUNES, voyez ci-devant CHAMBRE BASSE.

CHAMBRE DES COMPTES, voy. l'art. COMPTES.

CHAMBRE DU CONSEIL, la chambre des comptes, est une chambre particuliere dans l'enceinte de la chambre des comptes de Paris, qui est commune à la chambre des comptes, & aux autres commissaires que le Roi y députe dans des cas particuliers, où il y a toûjours des officiers de la chambre.

Le registre des jugemens rendus en cette chambre commence le 15 Mars 1461 : elle a vraisemblablement été établie en exécution de l'édit de Charles VII. du mois de Décembre 1460, au mémorial L. fol. 203. qui déclare la chambre souveraine, & sans appel de ses arrêts ; mais veut qu'en cas de plainte d'aucun d'iceux, on prenne deux, trois ou quatre du parlement, ou plus, si le cas le requiert, pour avec les gens des comptes y pourvoir : ce qui fut confirmé par des lettres de Louis XI. du 23 Novembre 1461, audit mémorial L. fol. 168. v°.

Elle sert à juger les revisions, qui sont une espece de requête civile, & autres affaires que le Roi y renvoye ; comme il appert au mémorial T. fol. 150. en 1497. au journal 5. fol. 19. mém. 2. C. fol. 158. en 1522. au journal X. fol. 291. en 1525. mém. 4. X. fol. 278. en 1604. mém. 2. B. fol. 3. en 1520. mém. 3. F. fol. 1. en 1566. L'exécution s'en trouve au registre du greffe tenu exprès pour la chambre du conseil.

On tient aussi les chambres de justice, comme appert au cinquieme journal A. R. seconde part. fol. 151. v°. en Juillet 1505. mém. 4. X. 1604. fol. 278. mém. 5. A. 1607. fol. 72. v°. mém. 5. U. 1624. fol. 489. v°. & mém. du 24. Novembre 1661.

On juge aussi les procès criminels par commissaires du parlement & de la chambre, dans le cas de l'ordonnance de 1566. mém. 3. fol. 1.

CHAMBRE DU CONSEIL, dans les autres tribunaux, est le lieu où on délibere des affaires de la compagnie, & où l'on rapporte les instances & procès par écrit. Elle est ordinairement derriere la chambre de l'audience. Il y a des tribunaux qui n'ont point de chambre particuliere pour le conseil. On y délibere & on y rapporte dans la chambre d'audience, mais à huis clos. Quelquefois par les termes de chambre du conseil, on entend ceux qui composent l'assemblée.

Dans quelques tribunaux, une partie des juges est distribuée pour faire le service de la chambre du conseil ; & cette division s'appelle la chambre du conseil.

François I. par un édit du mois de Juin 1544, établit une chambre du conseil au parlement de Paris, pour juger les appellations verbales appointées au conseil. Les conseillers de la grand-chambre devoient être divisés en trois colonnes ; une pour servir à la chambre du plaidoyer, une à la tournelle, & l'autre à la chambre du conseil. Cette distinction de la chambre du conseil ne subsiste plus.

Par édit du mois de Mars 1477, il avoit été aussi établi une chambre du conseil au parlement de Dijon.

Au châtelet de Paris, le service des conseillers est partagé entre quatre chambres différentes ; savoir, le criminel ou la chambre criminelle, le parc civil, le présidial, & la chambre du conseil. C'est dans cette chambre du conseil que l'on rapporte toutes les affaires appointées. Les conseillers qui sont de cette chambre ne font point d'autre service pendant ce tems. Ils sont distribués en quatre colonnes ou divisions, qui changent tous les mois de service ; de maniere que chaque colonne remplit alternativement le service de la chambre du conseil, & y revient tous les trois mois, & ainsi des autres services. Voyez la compilation des ordonnances par Blanchard, & l'art. CHATELET.

CHAMBRE des conseillers généraux sur le fait des aides ; c'étoit la jurisdiction des généraux des aides. Elle est ainsi nommée dans une ordonnance de Charles V. du 6 Décembre 1373, art. 2. Voyez AIDES, COUR DES AIDES, GENERAUX DES AIDES.

CHAMBRE DES CONSULTATIONS, est un lieu dans le palais où les avocats au parlement donnent des consultations, soit verbales ou par écrit. Ceux qui viennent au palais pour consulter, peuvent appeller à cet effet un ou plusieurs avocats ; & comme il se fait souvent dans le même tems plusieurs consultations, il y a aussi, pour la facilité de l'expédition, plusieurs chambres de consultations. On choisit communément les avocats que l'on veut consulter, au pilier des consultations, où il se fait aussi quelquefois des consultations verbales.

Le bâtonnier, les anciens bâtonniers, & autres anciens avocats, s'assemblent quelquefois en la principale chambre des consultations, pour délibérer entr'eux des affaires de l'ordre. Le 14 Mai 1602, les avocats, au nombre de trois cent sept, partirent deux à deux de la chambre des consultations, & allerent poser leur chaperon au greffe, déclarant qu'ils ne vouloient plus faire la profession.

Les avocats des autres parlemens ont aussi leurs chambres des consultations. Voyez AVOCAT, BATONNIER, CONSULTATION, PILIER DES CONSULTATIONS.

CHAMBRE DE LA CORRECTION, voyez CORRECTEUR DES COMPTES.

CHAMBRE DE LA COURONNE DE FRANCE, étoit anciennement une chambre du trésor ou du domaine : une ville étoit appellée chambre du roi, pour dire qu'elle étoit de son domaine. La Rochelle est qualifiée de chambre spéciale de la couronne de France, specialem cameram coronae Franciae, dans des priviléges accordés à cette ville par Charles V. le 8 Janvier 1372. Il y avoit plusieurs de ces chambres du domaine : elles sont aussi appellées tantôt chambre du roi, tantôt chambre royale. Orléans étoit anciennement la chambre spéciale & élue des rois de France, suivant les lettres-patentes de Charles V. du mois de Septembre 1375. Saint-Antonin en Languedoc est aussi appellé notable chambre du roi, dans des lettres de 1370. Voyez les ordonnances de la troisieme race, & au mot DOMAINE.

CHAMBRE CRIMINELLE DU PARLEMENT, ou DE LA TOURNELLE CRIMINELLE, voyez ci-après TOURNELLE CRIMINELLE.

Il y a eu aussi au parlement de Rouen une chambre criminelle créée par François I. le 14 Avril 1545, pour juger les affaires concernant les hérésies de Luther & de Calvin qui commençoient à se répandre. Cette chambre étoit différente de celle de la tournelle du même parlement, qui est destinée à connoître des matieres criminelles en général, comme celles des autres parlemens. Il y a apparence qu'elle fut supprimée en 1599, lorsqu'on établit à Rouen une chambre de l'édit en 1599. Voyez le recueil d'arrêt de réglement par M. Froland, Part. II. c. xv. pag. 369. & ci-après CHAMBRE DE L'ÉDIT.

CHAMBRE CRIMINELLE DU CHATELET DE PARIS, est celle où se jugent les affaires criminelles. Le lieutenant criminel y préside. Il juge seul avec un des avocats du roi les matieres de petit criminel, où il ne s'agit que d'injures, rixes, & autres matieres legeres qui ne méritent point d'instruction. A l'égard des procès du grand criminel, il les juge assisté des conseillers du châtelet qui sont de la colonne du criminel, c'est-à-dire qui sont de service au criminel ; ce qu'ils font quatre mois de l'année, un mois dans chaque trimestre ; étant distribués pour le service en quatre colonnes, qui changent tous les mois, comme il a été dit ci-devant au mot CHAMBRE CIVILE. Voyez ci-après CHATELET & LIEUTENANT CRIMINEL. (A)

CHAMBRE DES DECIMES, voyez DECIMES.

CHAMBRE AUX DENIERS, (Hist. mod.) est la chambre où se reglent & se payent toutes les dépenses de bouche de la maison du Roi. Elle a trois trésoriers, & chacun d'eux a soin dans son année d'exercice de solliciter les fonds pour la dépense de la maison du Roi, & de payer les officiers chargés de cette dépense. Ils ont sous eux deux contrôleurs pour viser les ordonnances de payement ; & ces trésoriers sont subordonnés au grand-maître de France. (a)

CHAMBRE DIOCESAINE DU CLERGE, est la même que la chambre des décimes. On l'appelle aussi bureau diocésain du Clergé. Voyez DECIMES.

CHAMBRE DU DOMAINE, voyez DOMAINE.

CHAMBRE DOREE DU PALAIS, ou GRAND-CHAMBRE DU PARLEMENT : on l'appelloit alors la chambre dorée, à cause de son plafond fait du tems de Louis XII. qui est doré d'or de ducat. Guillaume Poyet, chancelier de France, fut condamné par arrêt de la cour du Parlement de Paris du 23 Avril 1545, en la chambre dorée du palais. Voyez GRAND-CHAMBRE.

CHAMBRE ECCLESIASTIQUE, voyez DECIMES.

CHAMBRE ELUE DU ROI, voyez CHAMBRE DE LA COURONNE.

CHAMBRE DES ÉLUS GENERAUX DES ETATS DE BOURGOGNE, voyez ETATS DE BOURGOGNE.

CHAMBRE DES ENQUETES, Voyez ENQUETES. (A)

CHAMBRE DE L'ETOILE, ou camera stellata, (Hist. mod.) elle tiroit ce nom de ce que le plafond en étoit autrefois parsemé d'étoiles. Elle est fort ancienne ; mais son autorité avoit été sur-tout fort augmentée par les rois Henri VII. & Henri VIII. lesquels ordonnerent par deux statuts différens que le chancelier, assisté des personnes y dénommées, pourroit y recevoir des plaintes ou accusations contre les personnes qu'on auroit gagées pour commettre des crimes, corrompre des juges, maltraiter des sergens, & autres fautes semblables, qui par rapport à l'autorité & au pouvoir de ceux qui les commettent, n'en méritent que plus d'attention, & que des juges inférieurs n'auroient point osé punir, quoique le châtiment en soit très-important pour l'exécution des jugemens.

Cette chambre de l'étoile ne subsiste plus : sa jurisdiction, & tout le pouvoir & l'autorité qui lui appartenoient, ont été abolis le premier d'Août 1641, par le statut xvij. car. 1. chamb.

CHAMBRE DE FRANCE, est l'une des six divisions que l'on fait des auditeurs de la chambre des comptes de Paris, pour leur distribuer les comptes. De cette chambre dépendent les comptes de cinq généralités ; savoir, Paris, Soissons, Orléans, Moulins, & Bourges. Voyez ci-devant CHAMBRE D'ANJOU. Voyez aussi COMPTES.

CHAMBRE DES FRANCS-FIEFS, voyez FRANCS-FIEFS.

CHAMBRE DES FIEFS, à la chambre des comptes de Paris, est le lieu où l'on conserve le dépôt des fois & hommages, & aveux & dénombremens rendus au Roi. Ce sont des auditeurs des comptes qui en délivrent des copies collationnées, en vertu d'arrêt de la chambre des comptes.

GRAND-CHAMBRE, ou CHAMBRE DU PLAIDOYER, est la premiere & la principale chambre de chaque parlement : c'est le lieu où toute la compagnie se rassemble, où le Roi tient son lit de justice. On y fait les enregistremens, on y plaide les appellations verbales, les appels comme d'abus, les requêtes civiles, & autres causes majeures, cette chambre étant destinée principalement pour les audiences.

Quelquefois par le terme de grand-chambre, on entend les magistrats qui y tiennent leurs séances.

La grand-chambre du parlement de Paris, qui est la plus ancienne de toutes, & dont les autres ont emprunté leur dénomination, a été ainsi appellée grand-chambre, par contraction de grande chambre, parce qu'en effet c'est une chambre fort vaste : elle fut aussi nommée la grand-voûte, parce qu'elle est voûtée dessus & dessous, & que la voûte supérieure a beaucoup de portée : elle est aussi appellée quelquefois la chambre dorée, à cause de son ancien plafond qui est doré. Voyez CHAMBRE DOREE.

Elle étoit d'abord nommée la chambre des plaids, camera placitorum, suivant une ordonnance de 1291 ; on ne lui donnoit point encore le surnom de grand-chambre, quoiqu'il y eût dès-lors une ou deux chambres des enquêtes. On l'appelloit aussi quelquefois le parlement simplement, comme étant le lieu d'assemblée de ceux qui composoient principalement le parlement. C'est ainsi que s'explique une ordonnance du 23 Mars 1302, par laquelle, attendu qu'il se présentoit au parlement de grandes causes & entre de notables personnes, il ordonna qu'il y auroit toujours au parlement deux prélats & deux laïcs de son conseil.

Pasquier, liv. II. ch. iij. rapporte aussi une ordonnance ou réglement de 1304 ou 1305, qui fixe le nombre de ceux qui devoient composer le parlement, & ceux qui devoient être aux enquêtes ; savoir, au parlement deux prélats, treize clercs, & treize laïcs.

Une autre ordonnance de Philippe V. dit le long, du 17 Novembre 1318, fait connoître que le roi venoit souvent au parlement, c'est-à-dire en la grand-chambre, pour oüir les causes qu'il s'étoit reservées. Ces causes étoient publiées d'avance ; & pendant qu'on les plaidoit, toutes les autres affaires demeuroient en suspens. On y faisoit aussi des réglemens généraux en présence du roi, & ces réglemens étoient de véritables ordonnances.

Philippe V. ordonna aussi en 1319, qu'il n'y auroit plus de prélats députés en parlement, c'est-à-dire en la grand-chambre ; mais qu'il y auroit un baron ou deux, outre le chancelier & l'abbé de Saint-Denis, & qu'il y auroit huit clercs & douze laïcs.

La premiere fois qu'il est parlé de la grand-chambre est dans une ordonnance de Philippe VI. en 1342.

Dans une autre ordonnance du même roi, du 11 Mars 1344, on trouve un état de ceux qui étoient nommés pour tenir la grand-chambre ; savoir, trois présidens, quinze clercs, & quinze laïcs ; & l'on y remarque une distinction entre les conseillers de la grand-chambre & ceux des enquêtes & des requêtes : c'est que quand les premiers étoient envoyés en commission, on leur passoit en taxe pour leur voyage six chevaux ; au lieu que les autres n'en pouvoient avoir que quatre.

La grand-chambre est nommée simplement camera parlamenti, à la fin d'une ordonnance de 1340, enregistrée le 17 Mai 1345 ; & l'on voit qu'elle étoit composée de trente-quatre clercs, dont étoient deux évêques & vingt-quatre laïcs : elle est encore nommée de même dans les ordonnances de 1363 & de 1370.

Il y avoit en 1359 quatre présidens ; mais il fut arrêté que la premiere place vacante ne seroit point remplie ; qu'il n'y auroit à l'avenir en la grand-chambre que quinze conseillers clercs, & quinze laïcs, sans compter les prélats, princes & barons, dont il y auroit tel nombre qu'il plairoit au roi, parce que ceux-ci n'avoient point de gages.

Charles V. en 1364, nomma pour la chambre du parlement quatre présidens, quinze conseillers clercs, treize conseillers laïcs.

Les ordonnances lûes & publiées en la grand-chambre, étoient ensuite publiées à la porte du parlement, c'est-à-dire de la grand-chambre.

Charles VII. en 1453, ordonna que la grand-chambre seroit composée de quinze conseillers clercs, & quinze laïcs, outre les présidens, qui étoient toûjours au nombre de quatre.

Présentement la grand-chambre est composée du premier président, & de quatre présidens au mortier, de douze conseillers clercs qui se mettent du même côté, c'est-à-dire sur le banc à gauche du premier président : sur le banc à droite sont les princes du sang, les six pairs ecclésiastiques, les pairs laïcs, les conseillers d'honneur, les maîtres des requêtes, qui ne peuvent y entrer qu'au nombre de quatre ; le doyen des conseillers laïcs, les présidens honoraires des enquêtes & requêtes, & le reste des conseillers laïcs, qui sont au nombre de vingt-un.

Les trois avocats généraux assistent aux grandes audiences, & M. le procureur général y vient aussi quelquefois lorsqu'il le juge à propos.

La grand-chambre du parlement de Paris connoît seule dans tout le royaume des causes des pairs & des matieres de régale.

On donne dans cette chambre deux audiences le matin : la premiere, que l'on appelle la petite audience, parce qu'elle est moins solemnelle ; la cour s'y tient sur les bas siéges, & l'on n'y plaide que les affaires les plus sommaires : la seconde, qu'on appelle la grande audience, où l'on plaide les lundi & les mardi les causes des rôles des provinces du ressort : MM. les présidens y sont en robes rouges, de même qu'à la grande audience du jeudi, où l'on plaide d'autres causes de toutes sortes de provinces du ressort du parlement : les autres jours on expédie à la seconde audience de moindres affaires ; les mercredi & samedi on plaide les réglemens de juges, appels de sentence de police, &c.

Les mardi & vendredi il y a audience de relevée en la grand-chambre ; c'est le plus ancien des présidens au mortier qui y préside.

Le vaisseau de la grand-chambre qui avoit été décoré par Louis XI. a été réparé & embelli considérablement en l'état qu'il est présentement en 1722 : on n'a conservé de l'ancienne décoration que le plafond. Pendant cette réparation, la grand-chambre tenoit les séances en la salle saint-Louis, ou chambre de la tournelle. Voyez les ordonnances de la troisieme race ; les recherches de Pasquier. Miraulmont sur l'origine & instit. des cours souver. Joli, des offic. de France, & les articles CHAMBRE DES ENQUETES, PARLEMENT, TOURNELLE, PREMIER PRESIDENT, PRESIDENT AU MORTIER, CONSEILLER DE GRAND-CHAMBRE.

CHAMBRE HAUTE DU PARLEMENT D'ANGLETERRE, est la premiere des deux chambres qui composent ce parlement. C'est la même qu'on appelle aussi chambre des pairs ou des seigneurs. Quelquefois par le terme de chambre haute, on entend la chambre même ou salle en laquelle les seigneurs s'assemblent dans les palais de Westminster : mais par ce terme de chambre haute, on entend plus communément ceux qui composent l'assemblée qui se tient dans cette chambre. On a donné à cette assemblée le nom de chambre haute, parce qu'elle est composée de la haute noblesse, c'est-à-dire des pairs du royaume, qui sont considérés comme les conseillers nés héréditaires du roi dans le parlement. Les historiens d'Angleterre, en parlant du haut clergé & de la haute noblesse, font remonter l'origine du parlement jusqu'aux premiers successeurs de Guillaume le conquérant : mais le nom parlement ne commença à être usité à Oxford qu'en 1248 ; & ce n'est qu'en 1264 qu'il est fait mention pour la premiere fois des communes ; desorte que l'on peut aussi rapporter à cette derniere époque la distinction de la chambre haute & de la chambre basse. L'assemblée des pairs ou seigneurs, composée du haut clergé & de la haute noblesse, fut appellée la chambre haute, pour la distinguer de l'assemblée des communes ou députés des provinces & villes, que l'on appella chambre basse, comme étant d'un rang inférieur à celui de la chambre haute : celle-ci est la premiere par son rang, & l'autre par son crédit.

La chambre haute est composée des deux archevêques & évêques de la grande Bretagne, & des ducs, comtes, vicomtes, & barons du royaume.

Elle eut seule le pouvoir législatif jusqu'au regne d'Edouard IV. en 1461, sous lequel la chambre basse commença à joüir du même pouvoir.

Le parlement obtint sous Charles I. de ne pouvoir être cassé que du consentement des deux chambres.

L'usurpateur Cromwel voyant que sa conduite étoit odieuse à la chambre haute, la supprima, & déclara que le pouvoir législatif appartenoit tout en entier à la chambre des communes ; mais Charles II. rétablit la chambre haute.

Lorsque le parlement d'Ecosse fut uni à celui d'Angleterre, ce qui arriva en 1707, la chambre haute fut augmentée des seize pairs d'Ecosse.

Il n'est cependant pas possible de fixer le nombre des pairs séculiers qui ont entrée à la chambre haute, ce nombre étant arbitraire & dépendant du roi : sous Guillaume III. en 1689, il montoit à 190 personnes.

C'est dans le palais de Westminster que s'assemblent les deux chambres.

Outre les pairs qui composent la chambre haute, on y admet les jurisconsultes, à cause que cette chambre a une jurisdiction ; mais ces jurisconsultes n'y ont que voix consultative. Voyez l'histoire du parlement d'Angleterre par M. l'abbé Raynal, & ci-devant au mot CHAMBRE BASSE. (A)

CHAMBRE DES HOPITAUX, voyez CHAMBRE DES MALADRERIES. (A)

CHAMBRE IMPERIALE, (Jurisprud. & Hist. mod.) en latin judicium camerale. On nomme ainsi le premier tribunal de l'empire germanique. Il fut établi en l'année 1495, dans la diete de Worms, par l'empereur Maximilien I. & par les princes & états, pour rendre en leur nom la justice à tous les sujets de l'Empire. Suivant le traité de Westphalie, ce tribunal devroit être composé d'un grand juge, de quatre présidens, dont deux catholiques romains, & deux protestans ; & de cinquante assesseurs, dont vingt-six catholiques, & vingt-quatre protestans.

Mais le peu d'exactitude que les princes d'Allemagne ont eu de payer les sommes nécessaires pour salarier ces juges, a été cause qu'il n'y a jamais eu au-delà de deux présidens, & de dix-sept assesseurs, qui est leur nombre actuel. Il y a outre cela un fiscal, un avocat du fisc, & beaucoup d'officiers subalternes. L'empereur seul établit le grand juge & les deux présidens ; mais les cercles & états de l'Empire présentent les assesseurs.

Ce tribunal respectable ne connoît en premiere instance que des causes fiscales, & de l'infraction de la paix religieuse ou profane ; pour les autres causes civiles & criminelles, elles n'y sont portées qu'en seconde instance : elles s'y jugent en dernier ressort, sans qu'on puisse appeller de la sentence ; mais on peut en certains cas en obtenir la revision ; & pour lors cette revision se fait par les commissaires établis par l'empereur & les états de l'Empire. Comme l'exécution des sentences de la chambre impériale souffre souvent des difficultés, parce qu'il est quelquefois question de faire entendre raison à des princes puissans, & fort peu disposés à se rendre lorsqu'il est question de leur intérêt ; on a souvent délibéré dans la diete de l'empire sur les moyens de donner de l'efficacité à ces jugemens ; cependant la chambre impériale, après avoir rendu une sentence, a le droit d'enjoindre aux directeurs des cercles, ou aux princes voisins de ceux contre qui il faut qu'elle s'exécute, de les contraindre en cas de résistance, même par la force des armes, sous peine d'une amende de cent, & même de mille marcs d'or, qui est imposée à ceux qui refuseroient de faire exécuter la sentence.

La chambre impériale a une jurisdiction de concours avec le conseil aulique, c'est-à-dire, que les causes peuvent être portées indifféremment & par prévention à l'un ou l'autre de ces tribunaux. Il y a malgré cela une différence entre ces deux tribunaux, c'est que la chambre impériale est établie par l'empereur & tout l'Empire, & son autorité est perpétuelle ; au lieu que le conseil aulique ne reconnoît que l'empereur seul : de-là vient que l'autorité de ce dernier tribunal cesse aussi-tôt que l'empereur vient à mourir.

On nomme en allemand cammer-zieler, les sommes mal payées que les états de l'Empire doivent contribuer pour les appointemens des juges qui composent la chambre impériale, suivant le tarif de la matricule de l'empire.

Dans les commencemens, Francfort sur le Mein fut le lieu où se tenoit la chambre impériale : en 1530 elle fut transférée à Spire ; mais cette derniere ville ayant beaucoup souffert par la guerre de 1693, elle se transporta à Wetzlar, où elle est restée jusqu'à ce jour, quoique cette ville ne réponde aucunement à la dignité d'un tribunal aussi respectable.

Suivant les regles il devroit y avoir tous les ans une visitation de la chambre impériale, pour remédier aux abus qui pourroient s'y être glissés ; veiller à la bonne administration de la justice, & pour en cas de besoin faire la revision des sentences portées par ce tribunal : mais ce réglement ne s'observe que rarement ; & alors l'empereur nomme ses commissaires, & les états nomment les leurs : on les appelle visitateurs. (-)

CHAMBRE DE JUSTICE, dans un sens étendu peut être pris pour toute sorte de tribunal, ou lieu où l'on rend la justice ; mais dans le sens ordinaire le terme de chambre de justice proprement dite, signifie un tribunal souverain, ou commission du conseil établie extraordinairement pour la recherche de ceux qui ont malversé dans les finances.

On a établi en divers tems de ces chambres de justice, dont la fonction a cessé lorsque l'objet pour lequel elles avoient été établies a été rempli.

La plus ancienne dont il soit fait mention dans les ordonnances, est celle qui fut établie en Guienne par déclaration du 26 Novembre 1581 : il y en eut une autre établie, par édit du mois de Mars 1584, composée d'officiers du parlement & de la chambre des comptes ; elle fut revoquée par édit du mois de Mai 1585.

Par des lettres-patentes du 8 Mai 1597, il en fut établi une nouvelle qui fut révoquée par l'édit du mois de Juin de la même année.

Il en fut établi une autre par l'édit du mois de Janvier 1607, qui ne subsista que jusqu'au mois de Septembre suivant.

Mais dès le 8 Avril 1608 on en établit une, par forme de grands jours, dans la ville de Limoges.

Au mois d'Octobre 1624, il en fut créé une qui fut révoquée par l'édit du mois de Mai 1625, portant néanmoins que la recherche des officiers de finance seroit continuée de dix ans en dix ans.

Les financiers obtinrent en 1635 différentes décharges des poursuites de cette chambre, & elle fut révoquée par édit du mois d'Octobre 1643 ; il y eut encore un édit de révocation en 1645.

Au mois de Juillet 1648, on rétablit une chambre de justice, qui fut supprimée le 3 Décembre 1652.

Il y eut au mois de Mars 1655 un édit portant réglement pour l'extinction de la chambre de justice, & la décharge de tous les comptables pour leur exercice, depuis 1652 jusqu'au dernier Décembre 1655.

Depuis ce tems il y a encore eu successivement deux chambres de justice.

L'une établie par édit du mois de Novembre 1661, pour la recherche des financiers depuis 1625 ; elle fut supprimée par édit du mois d'Août 1669.

La derniere est celle qui fut établie par édit du mois de Mars 1716, pour la recherche des financiers depuis le premier Janvier 1689, nonobstant les édits de 1700, 1701, 1710 & 1711, & autres, portant décharge en faveur des comptables. Elle fut révoquée par édit du mois de Mars 1717. Voyez la compilation des ordonnances par Blanchard, le dictionnaire des arrêts de Brillon, au mot chambre de justice.

Dans les articles des conférences de Flex, Coutras, & Nerac, concernant les religionnaires, publiés au parlement le 26 Janvier 1581, il est dit, art. xj. que le roi envoyeroit au pays de Guienne une chambre de justice, composée de deux présidens, quatorze conseillers, tirés des parlemens du royaume & du grand-conseil, pour connoître des contraventions à l'édit de pacification de 1577. Cette chambre devoit servir deux ans entiers dans ce pays, & changer de lieu & séance tous les six mois, en passant d'une sénéchaussée dans une autre, afin de purger les provinces & rendre justice à chacun sur les lieux, au moyen de quoi la chambre mi-partie établie en Guienne devoit être incorporée dès-lors au parlement de Bordeaux ; mais il paroît que cette chambre de justice n'eut pas lieu, & que la chambre mi-partie subsista jusqu'en 1679. Voyez CHAMBRE ROYALE.

Il y eut aussi en 1610 quelques arrangemens pris pour établir en chaque parlement une chambre de justice, composée d'un certain nombre d'officiers qui devoient tous rendre la justice gratuitement aux pauvres, auxquels on donnoit le privilége de plaider en premiere instance dans cette chambre. La mort funeste d'Henri IV. qui arriva dans ce tems-là, fut cause que ce projet demeura sans effet. Voyez le style du parlement de Toulouse, par Cairon, liv. IV. tit. j. p. 433.

CHAMBRE DE LANGUEDOC, est l'une des six divisions que l'on fait des auditeurs de la chambre des comptes de Paris, pour leur distribuer les comptes dont ils doivent faire le rapport. On met dans cette division tous les comptes de huit généralités, de Poitiers, Riom, Lyon, Limoges, Bordeaux, Montauban, la Rochelle, & Ausch. Voyez ci-devant CHAMBRE D'ANJOU.

CHAMBRE DE LA MAÇONNERIE, ou JURISDICTION DE LA MAÇONNERIE. Voyez ci-après MAÇONNERIE.

CHAMBRE DES MALADRERIES, ou CHAMBRE SOUVERAINE DES MALADRERIES, étoit une commission du conseil établie à Paris. Il y en eut une premiere établie par des lettres-patentes en forme de déclaration du 24 Octobre 1612, pour la réformation générale des hôpitaux, maladreries, aumôneries, & autres lieux pitoyables du royaume.

On en établit encore une pour l'exécution de l'édit du mois de Mars 1693, portant desunion des maladreries & autres biens & revenus qui avoient été réunis à l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel & de S. Lazare, & pour la recherche de ces biens. Voyez Joly, des off. tom. I. aux additions sur le second liv. p. 320. le tr. de la police. tom. I. liv. jv. tit. 12. p. 639. & aux mots LEPROSERIES, MALADRERIES.

CHAMBRE DE LA MAREE, est une chambre ou jurisdiction souveraine composée de commissaires du parlement, savoir du doyen des présidens au mortier, & des deux plus anciens conseillers lais de la grand-chambre ; il y a aussi un procureur général de la marée, autre que le procureur général du parlement, & plusieurs autres officiers.

Cette chambre tient sa séance dans la chambre de S. Louis, où se tient aussi la tournelle ; elle a la police générale sur le fait de la marchandise de poisson de mer, frais, sec, salé, & d'eau douce, dans la ville, faubourgs & banlieuë de Paris, & de tout ce qui y a rapport ; & dans toute l'étendue du royaume, pour raison des mêmes marchandises destinées pour la provision de cette ville, & des droits attribués sur ces marchandises aux jurés vendeurs de marée, lesquels ont pour ces objets leurs causes commises en cette chambre.

Anciennement les juges ordinaires avoient chacun dans leur ressort la premiere connoissance de tout ce qui concerne le commerce de marée ; cela s'observoit à Paris comme dans les provinces.

Le parlement ayant connu l'importance de veiller à ce commerce, relativement à la provision de Paris, crut qu'il étoit convenable d'en prendre connoissance par lui-même directement. Il commença par recevoir des marchands de marée à se pourvoir devant lui immédiatement & en premiere instance contre ceux qui les troubloient. On trouve dans les registres du parlement des exemples de pareils arrêts dès l'année 1314. Tout ce qui s'est fait alors concernant la marée pour Paris, jusqu'en 1379, est renfermé dans un registre particulier intitulé registre de la marée.

Par des lettres-patentes du 26 Février 1351, le roi attribua au parlement la connoissance de cette matiere, & assûra les routes des marchands de marée, en les mettant sous sa sauve-garde & protection, & sous celle du parlement.

Mais comme le parlement ne tenoit alors ses séances qu'en certain tems de l'année, le roi Jean voulant pourvoir aux difficultés qui survenoient journellement pour les marchands amenant la marée à Paris, fit expédier une premiere commission le 20 Mars 1352, à quatre conseillers de la cour, deux clercs & deux lais, & au juge auditeur du châtelet, pour faire de nouveau publier les ordonnances concernant ce commerce de poisson, informer des contraventions, & envoyer les informations au parlement ; ils pouvoient aussi corriger par amende & interdiction les vendeurs de marée qu'ils trouvoient en faute.

Par arrêt du parlement du 21 Août 1361, le prévôt de Paris fut rétabli dans sa jurisdiction, comme juge ordinaire en premiere instance dans l'étendue de la prévôté & vicomté de Paris, & par-tout ailleurs, en qualité de commissaire de la cour.

Les marchands de marée pour Paris étant encore troublés dans leurs fonctions, Charles V. fit expédier une commission, le 20 Juin 1369, à deux présidens, sept conseillers au parlement, & au prévôt de Paris, pour procéder à une réformation de cette partie de la police.

Les commissaires firent une ample ordonnance qui fut confirmée par lettres-patentes de Charles V. du mois d'Octobre 1370.

Cette commission finie, Charles V. ordonna en 1379 l'exécution de l'arrêt du parlement de 1361, qui avoit rétabli le prévôt de Paris dans la jurisdiction pour la marée.

Il y eut cependant toûjours un certain nombre de commissaires du parlement, pour interpréter les réglemens généraux, & pourvoir aux cas les plus importans.

Le nombre de ces commissaires fut fixé à deux, par un réglement de la cour de l'an 1414 ; savoir un président & un conseiller : on distingua les matieres dont la connoissance étoit réservée aux commissaires, de celles dont le prévôt de Paris continueroit de connoître.

Ce partage fut ainsi observé pendant près de deux siecles, jusqu'au mois d'Août 1602, que le procureur général de la marée obtint des lettres-patentes portant attribution au parlement en premiere instance de toutes les causes poursuivies à sa requête, & de celles des marchands de poisson de mer. Il ne se servit pourtant pas encore de ce privilége, & continua, tant au châtelet qu'au parlement, d'agir comme partie civile sous la dépendance des conclusions de M. le procureur général au parlement, ou de son substitut au châtelet.

Enfin depuis 1678 toutes les instances civiles ou criminelles, poursuivies par le procureur général de la marée concernant ce commerce, sont portées en premiere instance en la chambre de la marée, qui est présentement composée comme on l'a dit en commençant. Le châtelet n'a retenu de cet objet que les receptions des jurés compteurs & déchargeurs, & des jurés vendeurs de marée. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race ; la compilation de Blanchard ; le tr. de la police, tom. I. liv. V. tit. xxxvij. & aux mots MAREE, VENDEURS DE MAREE.

CHAMBRE MI-PARTIE, étoit une chambre établie dans chaque parlement, composée moitié de magistrats catholiques & moitié de magistrats de la religion prétendue réformée, pour juger les affaires auxquelles les gens de cette religion étoient intéressés.

Le premier des édits de pacification, qui commença à donner quelque privilége aux religionnaires pour le jugement de leurs procès, fut celui de Charles IX. du mois d'Août 1570 ; par lequel, voulant que la justice fût rendue sans aucune suspicion de haine ni de faveur, il ordonna, article 55. que les religionnaires pourroient dans chaque chambre du parlement où ils auroient un procès, requérir que quatre, soit présidens ou conseillers, s'abstinssent du jugement, indépendamment des récusations de droit qu'ils pourroient avoir contr'eux.

Ils pouvoient en récuser le même nombre au parlement de Bordeaux, dans chaque chambre ; dans les autres parlemens ils n'en pouvoient récuser que trois. Pour les procès que les religionnaires avoient au parlement de Toulouse, les parties pouvoient convenir d'un autre parlement, sinon l'affaire étoit renvoyée aux requêtes de l'hôtel, pour y être jugée en dernier ressort.

Les catholiques avoient aussi la liberté de récuser les présidens & conseillers protestans.

L'édit du mois de Mai 1576 établit au parlement de Paris une chambre mi-partie, composée de deux présidens & de seize conseillers, moitié catholiques & moitié de la religion prétendue réformée, pour connoître en dernier ressort de toutes les affaires où les catholiques associés & les gens de la religion prétendue réformée seroient parties. Cette chambre alloit tenir sa séance à Poitiers trois mois de l'année, pour y rendre la justice à ceux des provinces de Poitou, Angoumois, Aunis & la Rochelle.

Il en fut établi une semblable à Montpellier pour le ressort du parlement de Toulouse, & une dans chacun des parlemens de Dauphiné, Bordeaux, Aix, Dijon, Roüen & Bretagne. Celle du parlement de Dauphiné siégeoit les six premiers mois de l'année à Saint-Marcellin, & les six autres mois à Grenoble : celle de Bordeaux étoit une partie de l'année à Nerac.

Les édits suivans apporterent quelques changemens par rapport à ces chambres mi-parties ; en 1598 il fut établi à Paris une chambre appellée de l'édit, où le nombre des catholiques étoit plus fort que celui des religionnaires. On en établit une semblable à Roüen en 1599.

Dans les autres parlemens où il n'y avoit point de chambre de l'édit, les chambres mi-parties continuerent leurs fonctions ; on les qualifioit souvent chambres de l'édit.

Les chambres mi-parties de Toulouse, Grenoble, & Guienne, furent supprimées en 1679 ; les autres furent supprimées après la révocation de l'édit de Nantes, faite par édit du mois d'Octobre 1685. Les présidens & conseillers de ces chambres furent réunis & incorporés chacun dans le parlement où lesdites chambres étoient établies. Voyez le recueil des édits concernant la religion prétendue réformée, qui est à la fin du second tome du recueil de Néron ; & aux mots CHAMBRE DE L'ÉDIT, CHAMBRE TRI-PARTIE, RELIGIONNAIRES, RELIGION PRETENDUE REFORMEE.

CHAMBRE DES MONNOIES, étoit une jurisdiction établie à Paris pour le fait des monnoies ; elle étoit exercée par les généraux des monnoies, auxquels Henri II. donna en 1551 le pouvoir de juger souverainement, tant au civil qu'au criminel, érigeant cette chambre en cour souveraine. Voyez MONNOIE, COUR DES MONNOIES, GENERAUX DES MONNOIES, PREVOT DES MONNOIES.

CHAMBRE DES MONNOIES est aussi une des six divisions que l'on fait des auditeurs de la chambre des comptes, pour leur distribuer les comptes que chacun d'eux doit rapporter. Elle a été ainsi appellée, parce qu'anciennement les généraux des monnoies y tenoient leurs séances & jurisdiction ; depuis on y a substitué les comptes des généralités d'Amiens, Flandre, Hainaut, & Artois. Cette chambre a cependant toûjours retenu le nom de chambre des monnoies. Voyez ci-devant CHAMBRE D'ANJOU, & ci-après CHAMBRE DU TRESOR.

CHAMBRE DE NORMANDIE étoit une des sept chambres dans lesquelles travailloient anciennement les auditeurs de la chambre des comptes de Paris. On y examinoit les comptes de la province de Normandie ; elle fut supprimée lorsqu'on établit une chambre des comptes à Roüen en 1580. Voyez ci-devant CHAMBRE D'ANJOU.

CHAMBRE DES PAIRS, est un des différens noms que l'on donnoit anciennement à la grand-chambre du parlement. Voyez GRAND-CHAMBRE, PAIRS, PARLEMENT, COUR DES PAIRS.

CHAMBRE DES PAIRS en Angleterre, voyez ci-devant CHAMBRE HAUTE.

CHAMBRE DES PAUVRES, voyez ci-dessus CHAMBRE DE JUSTICE, à la fin.

CHAMBRE DU PLAIDOYER, est dans chaque parlement la grand-chambre ou premiere chambre, celle qui est destinée principalement pour les audiences au parlement de Paris. On l'appelloit d'abord la chambre des plaids ; elle a été ensuite appellée la chambre du plaidoyer. Il en est parlé dans l'ordonn. de 1667, tit. xxxv. des requêtes civiles, art. 21.

CHAMBRE DE LA POSTULATION ; voyez POSTULATION.

CHAMBRE DES PRELATS, est la même que la grand-chambre du parlement de Paris. Dans les premiers tems de son établissement on l'appelloit quelquefois la chambre des prélats, parce que suivant l'ordonnance de Philippe-le-Bel, du 23 Mars 1302, il devoit y avoir toûjours deux prélats ou au moins un au parlement ; ils y furent même dans la suite admis en plus grand nombre ; mais Philippe-le-Long, par une ordonnance du 3 Décembre 1319, régla que dorénavant il n'y auroit plus de prélats députés en parlement, se faisant conscience, dit ce prince, de les empêcher de vaquer à leurs spiritualités. L'abbé de saint Denis avoit cependant toûjours entrée à la grand-chambre, & il y avoit dans cette chambre & aux enquêtes des conseillers-clercs, mais non prélats. Le 11 Octobre 1351, le roi Jean confirma l'ordonnance de Philippe-le-Bel de 1302, portant qu'il y auroit toûjours deux prélats au parlement. Il y en avoit encore du tems de Philippe VI. dit de Valois ; puisque par son ordonnance du 11 Mars 1344, il dit que pendant que le parlement est assemblé, il n'est pas permis de se lever, excepté aux prélats & aux barons qui tiennent l'honneur du siége. Charles V. étant régent du royaume, ordonna que les prélats seroient au parlement en tel nombre qu'il plairoit au roi, parce qu'ils n'avoient point de gages : enfin le 28 Janvier 1461, le parlement, les chambres assemblées, arrêta que dorénavant les archevêques & évêques n'entreroient point au conseil de la cour sans le congé d'icelle, ou si mandés n'y étoient, excepté les pairs de France, & ceux qui par privilége ancien y doivent & ont accoûtumé y venir & entrer. Ce privilége a été conservé à l'archevêque de Paris, à cause qu'étant dans le lieu même où se tient le parlement, cela le détourne moins de ses fonctions spirituelles. L'abbé de saint Denis avoit aussi conservé le même privilége ; mais la manse abbatiale ayant été réunie à la maison de saint-Cyr en 1693, les six pairs anciens ecclésiastiques & l'archevêque de Paris sont les seuls prélats qui ayent entrée au parlement. Voyez les ordonnances de la troisieme race. Du Tillet, des rangs des grands de France ; & aux mots GRAND-CHAMBRE, PARLEMENT.

CHAMBRE DE LA POLICE, est une jurisdiction établie pour connoître de toutes les affaires qui concernent la police.

Anciennement l'exercice de la police n'étoit point séparé de celui de la justice civile & criminelle.

Le roi ayant par édit du mois de Mars 1667, créé un lieutenant général de police pour la ville de Paris, ce fut l'origine de la premiere chambre de police. Le lieutenant général de police y siége seul, & y fait deux sortes d'audiences à jours différens : l'une pour les affaires de petite police, telles que les rixes, injures, & autres contestations semblables entre particuliers ; & l'autre pour la grande police, où il entend le rapport des commissaires sur ce qui intéresse le bon ordre & la tranquillité publique.

En 1669, il a été créé de semblables charges de lieutenant de police dans toutes les villes du royaume où il y a jurisdiction royale : ce qui a donné lieu en même tems à établir dans toutes ces villes une chambre ou siége de police. L'appel des sentences rendues dans ces chambres de police, est porté directement au parlement. Voyez l'édit du mois de Mars 1667, & celui du mois d'Octobre 1669. (A)

CHAMBRE PRIVEE, (Hist. mod.) On dit en Angleterre un gentilhomme de la chambre privée : ce sont des domestiques du roi & de la reine, qui les suivent & les accompagnent dans les occasions de divertissemens, en voyages de plaisir, &c.

Le lord chambellan en nomme six avec un pair & un maître de cérémonie, pour se trouver aux assemblées publiques des ambassadeurs des têtes couronnées : ils sont au nombre de quarante-huit.

Ils ont été institués par le roi Henri VII. Ils sont autorisés, par une marque singuliere de faveur à exécuter les commandemens verbaux du roi, sans être obligés de produire aucun ordre par écrit ; & on regarde en cela leurs personnes & leurs caracteres comme une autorité suffisante. Chambers.

CHAMBRE DU PROCUREUR DU ROI au châtelet, est une chambre distincte & séparée du parquet où se tiennent les avocats du roi, & qui est particuliere pour le procureur du roi : il y fait toutes les fonctions que les procureurs du roi des autres jurisdictions font au parquet, comme de donner des conclusions dans les instances appointées & dans les affaires criminelles, recevoir les dénonciations qui lui sont faites : il y connoît en outre de tout ce qui concerne les corps des marchands, arts & métiers, maîtrises, réceptions de maîtres & jurandes : il y donne ses jugemens, qu'il qualifie d'avis ; il faut ensuite les faire confirmer par le lieutenant-général de police, qui les confirme ou infirme. Lorsqu'il y a appel d'un de ces avis, on le releve au parlement. Voyez le Style du châtelet.

CHAMBRE QUARREE ou DE LA TOUR QUARREE, étoit une chambre établie par François I. au parlement, pour l'enregistrement des édits & déclarations. Cette chambre ne subsista pas. Voyez le dictionnaire des arrêts de Brillon, au mot chambre quarrée, & ENREGISTREMENT.

CHAMBRE DE LA QUESTION, est celle où on donne la question ou torture aux accusés de crimes graves. Au parlement de Paris, & dans quelques autres tribunaux, il y a une chambre particuliere destinée pour cet usage. Dans la plûpart des autres tribunaux, on donne la question dans l'auditoire même, ou du moins dans la chambre ordinaire du conseil, s'il y en a une. Voyez QUESTION, TORTURE.

CHAMBRE DE LA REFORMATION, voyez ci-devant CHAMBRE DES MALADRERIES.

CHAMBRE DES REQUETES DU PALAIS, voyez REQUETES DU PALAIS.

CHAMBRE RIGOUREUSE, est une jurisdiction établie dans quelques villes du ressort du parlement de Toulouse, pour connoître de l'exécution des contrats passés sous un certain scel appellé scel rigoureux ; en vertu desquels on a exécution parée, non-seulement pour saisir les biens de son débiteur, mais aussi pour le contraindre par emprisonnement de sa personne.

Le viguier de Toulouse est juge du scel rigoureux. Il y en a aussi un à Nismes.

Il y avoit une chambre rigoureuse à Aix, qui fut supprimée par édit du mois de Septembre 1535. Voyez Joly, tome I. page 539. Fontanon, tome II. pag. 324. Hist. de la chancellerie, tome I. page 90. Gloss. de Lauriere, au mot rigueur.

CHAMBRE DU ROI ou ROYALE, en matiere de Domaine, étoit le nom que l'on donnoit anciennement à certaines villes qui étoient du domaine du roi. On les appelloit aussi chambre de la couronne de France. Voyez ci-devant CHAMBRE DE LA COURONNE.

CHAMBRE ROYALE, étoit aussi une commission établie par lettres-patentes du 25 Août 1601, pour juger en dernier ressort les appellations interjettées des jugemens des commissaires envoyés dans les provinces, pour la recherche des financiers. Elle fut révoquée par édit du mois d'Octobre 1604. Voyez la compilation des ordonnances, par Blanchard.

CHAMBRE ROYALE DE L'ARSENAL, voyez CHAMBRE DE L'ARSENAL.

CHAMBRE ROYALE DES MALADRERIES, voyez ci-devant CHAMBRE DES MALADRERIES.

CHAMBRE ROYALE DE METZ, fut établie en 1633 : elle entraîna la perte du droit de régale, dont l'évêque de Toul avoit jusqu'alors conservé l'exercice dans sa ville épiscopale. Deux conseillers au parlement de Metz se rendirent à Toul, pour y faire publier l'édit de création de la chambre royale de Metz : ils assemblerent les officiers du conseil de l'évêché & de l'hôtel-de-ville, leur signifierent les ordres de sa majesté, & leur déclarerent qu'ils eussent à faire relever tous les appels au parlement de Metz. Le cardinal Nicolas François en porta ses plaintes au conseil du roi, & y obtint le 12 Février 1604 un arrêt, par lequel il fut maintenu dans sa haute, moyenne & basse justice, avec le droit d'y établir comme par le passé, des juges & autres officiers dans toutes les terres du temporel de l'évêché. Voyez l'histoire de Lorraine, par D. Calmet, tome I. pag. 763. Cette chambre royale cessa lorsqu'on établit le bailliage de Metz.

CHAMBRE ROYALE DE VERDUN, étoit un tribunal qui fut établi dans cette ville en 1607, pour juger en dernier ressort les appellations des premiers juges, qui étoient auparavant dévolues à la chambre de Spire. Il y eut beaucoup d'opposition à l'établissement de cette nouvelle chambre, qui fut néanmoins confirmée en 1612 ; & elle subsista jusqu'à l'établissement du parlement de Metz en 1633. Voy. l'histoire de Verdun, part. IV. ch. v. & vj.

CHAMBRE SAINT-LOUIS ou SALLE SAINT-LOUIS, voyez TOURNELLE CRIMINELLE.

CHAMBRE DE LA SANTE, est un bureau établi dans la ville de Lyon, composé d'un certain nombre de juges, appellés commissaires de la santé ; qui dans les tems de contagion, soit déjà formée ou qui se fait craindre, s'assemblent sous les ordres du consulat de cette ville, pour ordonner, même en dernier ressort, de tout ce qui convient pour la guérison ou le soulagement du mal contagieux, ou pour le prévenir & en empêcher la communication.

Le bureau est composé d'un président, de cinq ou six commissaires, un procureur du roi, & autres officiers.

Ces commissaires de la santé sont nommés par le consulat, lequel a été confirmé spécialement dans ce droit par les rois Henri III. & Henri IV.

La maison de la quarantaine, ou hôpital de saint Laurent, située au confluent du Rhone & de la Saone, est sous la direction de ces commissaires : elle sert à faire séjourner pendant quarante jour ceux qui viennent des pays infectés ou soupçonnés de contagion.

A Paris, & dans quelques autres lieux, on établit dans les tems de contagion un capitaine-baillif ou prevôt de la santé : mais cet officier n'a aucune jurisdiction ; ce n'est qu'un préposé qui, assisté de quelques archers, exécute les ordres du lieutenant de police pour l'enlevement des malades, l'inhumation de ceux qui meurent de la contagion, & autres soins nécessaires en pareil cas. Voyez le traité de la Police, tome I. liv. IV. tit. xiij.

CHAMBRES DES SEIGNEURS ou DES PAIRS, voyez ci-devant CHAMBRE HAUTE.

CHAMBRE A SEL, est un lieu établi par le Roi dans certaines petites villes, pour renfermer le sel que l'on distribue au public. Ces sortes de chambres sont établies dans les lieux où il n'y a point de grenier à sel, c'est-à-dire où il n'y a point de grenier à sel en titre, ni de jurisdiction appellée grenier à sel il y a néanmoins dans ces chambres un juge commis & subdélégué par les officiers des greniers à sel, avec un substitut du procureur du roi du grenier dans le ressort duquel est la chambre, pour y juger les affaires de peu de conséquence. Les officiers du grenier à sel s'y transportent quand il y a des affaires plus importantes.

L'établissement des greniers à sel est beaucoup plus ancien que celui des chambres à sel. La premiere dont il soit fait mention dans les mémoriaux de la chambre des comptes, est celle de Château-Villain, qui fut établie par édit du 15 Février 1432 : dans la suite on en a établi beaucoup d'autres. Toutes ces chambres à sel furent érigées en greniers à sel par édit du mois de Novembre 1576, & encore par un autre édit du mois de Mars 1595, depuis lesquels on a encore créé plusieurs chambres à sel qui subsistent présentement. Voyez mém. de la ch. des comptes, coté h. bis, fol. 139. Fontanon, tom. II. pag. 1055. Corbin, recueil de la cour des aides, pag. 567. & aux mots SEL, GRENIER A SEL. (A)

CHAMBRE ROYALE ET SYNDICALE DE LA LIBRAIRIE ET IMPRIMERIE, est le nom que l'on donne au lieu où s'assemblent les syndic & adjoints, autrement dits officiers de la Librairie, pour travailler aux affaires générales de ce corps. C'est à cette chambre que se visitent, par les syndic & adjoints, les livres qui arrivent des pays étrangers ou des provinces du royaume en cette ville : c'est aussi là que doivent s'apporter les priviléges du Roi, permissions du sceau ou de la police, pour être enregistrés.

CHAMBRE SOUVERAINE DES ALIENATIONS, faites par les gens de main-morte ; voyez ci-devant CHAMBRE DES ALIENATIONS.

CHAMBRE SOUVERAINE DU CLERGE, voyez DECIMES.

CHAMBRE SOUVERAINE DES DECIMES, voyez DECIMES.

CHAMBRE SOUVERAINE DES MALADRERIES, voyez ci-devant CHAMBRE DES MALADRERIES.

CHAMBRE SPECIALE DU ROI, voyez CHAMBRE DE LA COURONNE.

CHAMBRE DES TIERS ou DES PROCUREURS-TIERS-REFERENDAIRES, voyez TIERS-REFERENDAIRE.

CHAMBRE DES TERRIERS, à la chambre des comptes de Paris, est le lieu où l'on conserve le dépôt des terriers de tous les héritages qui sont en la censive du Roi : c'est aussi le lieu où l'on dépose les états détaillés de la consistance du domaine, que les receveurs généraux des domaines sont obligés de rapporter tous les cinq ans au jugement de leurs comptes, en conséquence de l'édit de Décembre 1727. Le roi, par édit du mois de Décembre 1691, créa une charge de commissaire au dépôt des terriers ; & par le même édit, il réunit cette charge à l'ordre des auditeurs des comptes : au moyen dequoi, ils en font les fonctions. Ce sont eux qui donnent, en vertu d'arrêt de la chambre, des copies collationnées de terriers. Le dépôt des terriers fut celui qui fut endommagé par l'incendie arrivé en la chambre des comptes le 28 Octobre 1737 : mais par les soins de MM. de la chambre des comptes, & les recherches qu'ils ont fait faire de tous côtés pour rétablir les pieces que le feu avoit détruites, ce dépôt se trouve déjà en partie rétabli.

Il y a toûjours deux des auditeurs commis alternativement, pour vacquer dans cette chambre à délivrer des copies collationnées des terriers, & que l'on nomme commissaires aux terriers.

CHAMBRE DE LA TOURNELLE CIVILE, voyez TOURNELLE CIVILE.

CHAMBRE DE LA TOURNELLE CRIMINELLE, voyez TOURNELLE CRIMINELLE.

CHAMBRE DE LA TOUR QUARREE, voyez ci-devant CHAMBRE QUARREE.

CHAMBRE DU TRESOR ou TRESOR ; voyez TRESOR, TRESORIERS DE FRANCE, DOMAINE.

CHAMBRE DU TRESOR, à la chambre des comptes, est la premiere des six divisions que l'on fait des auditeurs, pour leur distribuer les comptes. C'est dans cette division que l'on met les comptes de tous ceux qui prennent leurs fonds au trésor royal, ou aux fermes générales. Les comptes des monnoies sont aussi de cette chambre ou division. Voyez ci-devant CHAMBRE DES MONNOIES.

CHAMBRE TRI-PARTIE, étoit le nom que l'on donnoit à quelques-unes des chambres établies dans chaque parlement, & même dans quelques autres endroits, par édit du 7 Septembre 1577, & autres édits postérieurs, pour connoître en dernier ressort des affaires où les Catholiques associés, & les gens de la religion prétendue réformée, étoient parties.

On appelloit tri-parties celles de ces chambres qui étoient composées des deux tiers de conseillers catholiques & d'un tiers de conseillers de la R. P. R. à la différence des chambres qui avoient déja été établies pour le même objet, par l'édit du mois de Mai 1576, qu'on appelloit mi-parties ; parce qu'il y avoit moitié de conseillers catholiques, & moitié de la religion prétendue réformée.

Ces chambres tri-parties sont quelquefois confondues avec les chambres mi-parties : on les appelloit aussi les unes & les autres chambres de l'édit, quoiqu'il y eût quelque différence entre ces chambres & celle de l'édit. Voyez Joly, des offices de France, tome I. liv. I. tit. vij. page 39. & aux additions. Voyez aussi CHAMBRE DE L'EDIT & CHAMBRE MI-PARTIE, RELIGION PRETENDUE REFORMEE, RELIGIONNAIRES.

CHAMBRE DES VACATIONS, voyez VACATIONS.

CHAMBRE, (Jurispr.) en latin camera, se prend quelquefois pour la chambrerie ou office de chambrier dans certains monasteres. Voyez monasticum Anglican. tom. I. pag. 148. & ci-après CHAMBRERIE. (A)

CHAMBRE DES ASSURANCES, (Comm.) voyez ASSURANCE : c'est une société de personnes qui entreprennent le commerce des assûrances ; c'est-à-dire qui se rendent propre le risque d'autrui sur tel ou tel objet à des conditions réciproques. Ces conditions sont expliquées dans un contrat mercantil, sous signature privée, qui porte le nom de police d'assûrance. Voyez POLICE D'ASSURANCE. Une de ces conditions, est le prix appellé prime d'assûrance. Voyez PRIME D'ASSURANCE.

Les assûrances se peuvent faire sur tous les objets qui courent quelque risque incertain. En Angleterre on en fait même sur la vie des hommes : en France, on a sagement restraint par les lois la faculté d'être assûré à la liberté & aux biens réels. La vie des hommes ne doit point être un objet de commerce ; elle est trop précieuse à la société pour être la matiere d'une évaluation pécuniaire : indépendamment des abus infinis que cet usage peut occasionner contre la bonne-foi, il seroit encore à craindre que le desespoir ne fût quelquefois encouragé à oublier que cette propriété n'est pas indépendante ; que l'on en doit compte à la Divinité & à la patrie. Il faut que la valeur assûrée soit effective ; parce qu'il ne peut y avoir de risque où la matiere du risque n'existe pas : ainsi le profit à faire sur une marchandise & le fret d'un vaisseau, ne peuvent être assûrés.

Les personnes qui forment une société pour prendre sur elles le péril de la liberté ou des biens d'autrui, peuvent le faire de deux manieres ; par une société générale, ou par une commandite. Voyez SOCIETE DE COMMERCE.

Dans tous les cas la société est conduite par un nombre d'associés appellés directeurs, & d'après le résultat des assemblées générales.

La société est générale, lorsqu'un nombre fixe de particuliers s'engage solidairement par un acte public ou privé, aux risques dont on lui demandera l'assûrance ; mais l'acte de société restraint le risque que l'on peut courir sur un même objet à une somme limitée & proportionnée aux facultés des associés. Ces particuliers ainsi solidairement engagés un seul pour tous, n'ont pas besoin de déposer de fonds, puisque la totalité de chaque fortune particuliere est hypothéquée à l'assûré. Cette forme n'est guere usitée que dans les villes maritimes, parce que les facultés y sont plus connues. Elle inspire plus de confiance ; parce qu'il est à croire que des gens dont tout le bien est engagé dans une opération, la conduiront avec prudence : & tout crédit public dépend entr'autres causes de l'intérêt que le débiteur a de le conserver : l'opinion de la sûreté fait la sûreté même.

Il est une autre forme de société d'assûrance que l'on peut appeller en commandite. Le fonds est formé d'un nombre fixe d'actions d'une valeur certaine, & qui se paye comptant par l'acquéreur de l'action : à moins que ce ne soit dans une ville maritime où les acquéreurs de l'action sont solidaires, par les raisons que l'on vient d'expliquer, & ne font par conséquent aucun dépôt de fonds.

Le crédit de cette chambre ou de cette société dépendra sur-tout de son capital, de l'habileté des directeurs, & de l'emploi des fonds, s'il y en a de déposés. On destine le plus souvent ces fonds à des prêts à la grosse avanture (voyez GROSSE AVANTURE), ou à escompter des papiers publics & de commerce. Un pareil emploi rend ces chambres très-utiles à l'état, dans lequel elles augmentent la circulation de l'espece. Plus le crédit de l'état est établi, plus l'emploi des fonds d'une chambre d'assûrance en papiers publics, donnera de crédit à cette chambre ; & la confiance qu'elle y aura, augmentera réciproquement le crédit des papiers publics. Mais pour que cette confiance soit pleine, elle doit être libre ; sans cette liberté, la confiance n'est pas réelle : il faut encore qu'elle soit prudente & limitée ; car le crédit public consistant en partie dans l'opinion des hommes, il peut survenir des évenemens où cette opinion chancelle & varie. Si dans cette même circonstance une chambre d'assûrance avoit besoin de fondre une partie de ses papiers publics pour un grand remboursement, cette quantité ajoûtée à celle que le discrédit en apporte nécessairement dans le commerce, augmenteroit encore le desordre ; la compagnie tomberoit elle-même dans le discrédit, en proportion de ce qu'elle auroit de fonds employés dans les effets décriés.

L'un des grands avantages que les chambres d'assûrances procurent à l'état, c'est d'établir la concurrence, & dès-lors le bon marché des primes ou du prix des assûrances ; ce qui favorise les entreprises de commerce dans la concurrence avec les étrangers.

Le prix des assûrances dépend du risque effectif & du prix de l'argent.

Dans les ports de mer où l'argent peut sans-cesse être employé utilement, son intérêt est plus cher, & les assûrances y monteroient trop haut, si la concurrence des chambres de l'intérieur n'y remédioit. De ce que le prix de l'argent influe sur celui des assûrances, il s'ensuit que la nation la plus pécunieuse, & chez qui les intérêts seront le plus modiques, fera, toutes choses égales d'ailleurs, les assûrances à meilleur compte. Le commerce maritime de cette nation aura la supériorité dans ce point ; & la balance de son commerce général augmentera de tout l'argent qu'elle gagnera en primes, sur les étrangers qui voudront profiter du bon marché de ses assûrances.

Le risque effectif dépend en tems de paix de la longueur de la navigation entreprise, de la nature des mers & des côtes où elle s'étend, de la nature des saisons qu'elle occupe, du retard des vaisseaux, de leur construction, de leur force, de leur âge, des accidens qui peuvent y survenir, comme celui du feu ; du nombre & de la qualité de l'équipage ; de l'habileté ou de la probité du capitaine.

En tems de guerre, le plus grand péril absorbe le moindre : à peine calcule-t-on celui des mers, & les saisons les plus rudes sont celles qui donnent le plus d'espoir. Le risque effectif est augmenté en proportion des forces navales réciproques, de l'usage de ces forces, & des corsaires qui croisent respectivement : mais ces derniers n'ont d'influence & ne peuvent exister qu'autant qu'ils sont soûtenus par des escadres répandues en divers parages.

Le risque effectif a deux effets : celui de la perte totale, & celui des avaries. Voyez AVARIES. Ce dernier est le plus commun en tems de paix, & se multiplie dans certaines saisons au point qu'il est plus à charge aux assûrances que le premier. Les reglemens qu'il occasionne, sont une des matieres des plus épineuses des assûrances : ils ne peuvent raisonnablement être faits que sur les lieux mêmes, ou au premier port que gagne le vaisseau ; & comme ils sont susceptibles d'une infinité de contestations, la bonne foi réciproque doit en être la base. La facilité que les chambres d'assûrances y apportent, contribue beaucoup à leur réputation.

Par un dépouillement des registres de la marine, on a évalué pendant dix-huit années de paix, la perte par an à un vaisseau sur chaque nombre de cent quatre-vingt. On peut évaluer les avaries à deux pertes sur ce nombre, & le risque général de notre navigation à 1 2/3 pour cent en tems de paix.

Très-peu de particuliers sont en état de courir les risques d'une grande entreprise de commerce, & cette réflexion seule prouve combien celui des assûreurs est recommandable. La loi leur donne par-tout la préférence ; moins cependant pour cette raison, que parce qu'ils sont continuellement exposés à être trompés, sans pouvoir jamais tromper.

La concurrence des chambres d'assûrances est encore à d'autres égards très-précieuse à l'état : elle divise les risques du commerce sur un plus grand nombre de sujets, & rend les pertes insensibles dans les conjonctures dangereuses. Comme tout risque doit être accompagné d'un profit, c'est une voie par laquelle chaque particulier peut sans embarras participer à l'utilité du commerce ; elle retient par conséquent la portion de gain que les étrangers retireroient de celui de la nation : & même dans des circonstances critiques, elle leur dérobe la connoissance, toûjours dangereuse, des expéditions & de la richesse du commerce.

Le commerce des assûrances fut inventé en 1182 par les Juifs chassés de France ; mais son usage n'a été connu un peu généralement parmi nous, qu'au moment où notre industrie sortit des ténebres épaisses qui l'environnoient : aussi se borna-t-elle longtems aux villes maritimes.

J. Loccenius, dans son traité de jure maritime, prétend que les anciens ont connu les assûrances : il se fonde sur un passage de Tite-Live, liv. XXIII. nombr. xljx. On y voit que le trésor public se chargea du risque des vaisseaux qui portoient des blés à l'armée d'Espagne. Ce fut un encouragement accordé par l'état en faveur des circonstances, & non pas un contrat. C'est dans le même sens qu'on doit entendre un autre passage de Suétone, qu'il cite dans la vie de l'empereur Claude, nomb, xjx. On voit que ce prince prit sur lui le risque des blés qui s'apportoient à Rome par mer, afin que le profit de ce commerce étant plus certain, un plus grand nombre de marchands l'entreprît, & que leur concurrence y entretînt l'abondance.

Les Anglois prétendent que c'est chez eux que le commerce des assûrances a pris naissance, ou du moins que son usage courant s'est établi d'abord ; que les habitans d'Oléron en ayant eu connoissance, en firent une loi parmi eux, & que la coûtume s'introduisit de-là dans nos villes maritimes.

Quoi qu'il en soit, un peu avant l'an 1668, il y avoit à Paris quelques assemblées d'assûreurs, qui furent autorisés par un édit du roi du 5 Juin 1668, avec le titre de chambre des assûrances & grosses avantures, établie par le roi. Le réglement ne fut arrêté que le 4 Décembre 1671, dans une assemblée générale tenue rue Quincampoix, & souscrit par quarante-trois associés principaux.

Il paroît par ce réglement, que cette chambre n'étoit proprement qu'une assemblée d'assûreurs particuliers, qui, pour la commodité publique & la leur, étoient convenus de faire leurs assûrances dans le même lieu.

Le nom des assûreurs étoit inscrit sur un tableau, avec le risque que chacun entendoit prendre sur un même vaisseau.

Les particuliers qui vouloient se faire assûrer, étoient libres de choisir les assûreurs qui leur convenoient : un greffier commun écrivoit en conséquence cette police en leur nom, & en donnoit lecture aux parties, ensuite elle étoit enregistrée.

Le greffier tenoit la correspondance générale avec les villes maritimes, & les avis qui en venoient étoient communs : il étoit chargé de tous les frais, moyennant 5/12 de % p %, qui lui étoient adjugés sur la somme assûrée ; & un droit de vingt sous pour chaque police ou copie de police qu'il délivroit. Le droit sur tous les autres actes quelconques, en fait d'assûrance, étoit de cinq sous.

Il est étonnant que l'on ait oublié parmi nous une forme d'association aussi simple, & qui sans exiger de dépôt de fonds, offre au public toute la solidité & la commodité que l'on peut desirer ; supposé que le tableau ne contînt que des noms connus, comme cela devroit être.

Le greffier étoit le seul auquel on s'adressât en cas de perte, sans qu'il fût pour cela garant ; il avertissoit les assûreurs intéressés d'apporter leurs fonds.

Dans ces tems le commerce étoit encore trop foible pour n'être pas timide ; les négocians se contenterent de s'assûrer entr'eux dans les villes maritimes, ou dans l'étranger.

Les assûreurs de Paris crurent à leur inaction qu'il manquoit quelque chose à la forme de leur établissement ; ils convinrent d'un dépôt de fonds en 1686. Le roi accorda un nouvel édit en faveur de cette chambre, qui prenoit la place de l'ancienne. L'édit du 6 Juin fixoit le nombre des associés à trente, & ordonnoit un fonds de 300000 livres en soixante-quinze actions de 4000 livres chacune. Le succès ne devoit pas être plus heureux qu'il ne le fut, parce que les circonstances étoient toujours les mêmes.

Quelque médiocre que fût cet établissement, c'est un monument respectable dont on ne doit juger qu'en se rapprochant du tems où il fut élevé : notre commerce étoit au berceau, & il n'est pas encore à son adolescence.

L'édit n'offre d'ailleurs rien de remarquable, que l'esprit de gêne qui s'étoit alors introduit dans l'administration politique du commerce, & qui l'a longtems effarouché. L'article 25 interdit tout commerce d'assûrances & de grosses avantures dans la ville de Paris, à d'autres qu'aux membres de la compagnie : c'étoit ignorer que la confiance ne peut être forcée, & que la concurrence est toûjours en faveur de l'état.

L'article 27 laisse aux négocians des villes maritimes la liberté de continuer leur commerce d'assûrances, mais seulement sur le pié qu'ils le faisoient avant la date de l'édit. Cette clause étoit contraire à la concurrence & à la liberté : peut-être même a-t-elle retardé dans les ports l'établissement de plusieurs chambres qui, enrichies dans ces tems à la faveur des fortes primes que l'on payoit, seroient devenues plutôt assez puissantes pour se charger de gros risques à moindre prix, & pour nous soustraire à l'empire que les étrangers ont pris sur nous dans cette partie.

Il s'est formé en 1750 une nouvelle chambre des assûrances à Paris, à laquelle le Roi a permis de prendre le titre de chambre royale des assûrances. Son fonds est de six millions, divisés en deux mille actions de trois mille livres chacune. Cet établissement utile, formé par les soins du ministre qui préside si supérieurement à la partie du commerce & des finances, répond par ses succès à la protection qu'il en a reçûe : la richesse de son capital indique les progrès de la nation dans le commerce, & par le commerce.

Dans presque toutes les grandes villes maritimes de France, il y a plusieurs chambres d'assûrances composées de négocians : Roüen en a sept ; Nantes trois ; Bordeaux, Dunkerque, la Rochelle, en ont aussi : mais ce n'est que depuis la derniere paix qu'elles sont formées.

La ville de Saint-Malo, toûjours distinguée dans les grandes entreprises, est la seule de France qui ait eu le courage de former une chambre d'assûrance pendant la derniere guerre ; elle étoit composée de vingt actions de soixante mille livres chacune. Malgré le malheur des tems, elle a produit à sa résiliation à la paix quinze mille livres net par chaque action, sans avoir fait aucune avance de fonds : le profit eût été plus considérable encore, sans la réduction des primes qui fut ordonnée à la paix.

Indépendamment de ces sociétés dans nos villes maritimes, il se fait des assûrances particulieres : un négociant souscrit à un prix une police d'assûrance, pour la somme qu'il prétend assûrer ; d'autres négocians continuent à la remplir aux mêmes conditions.

C'est de cette façon que se font les assûrances en Hollande : les paysans mêmes connus prennent un risque sur la police ouverte ; & sans être au fait du commerce, se reglent sur le principal assûreur.

J'ai déjà parlé de la prétention qu'ont les Anglois de nous avoir enseigné l'usage des assûrances : en la leur accordant, ce ne sera qu'un hommage de plus que nous leur devrons en fait de commerce ; il n'est pas honteux d'apprendre, & il seroit beau d'égaler ses maîtres.

Le quarante-troisieme statut de la reine Elisabeth établissoit à Londres un bureau public, où toutes les polices d'assûrances devoient être enregistrées : mais aujourd'hui elles se font entre particuliers, & sont de la même valeur en justice que si elles étoient enregistrées : la seule différence, c'est qu'en perdant une police non enregistrée, on perd le titre de l'assûrance.

Le même statut porte que le lors chancelier donnera pouvoir à une commission particuliere de juger toutes discussions au sujet des polices d'assûrances enregistrées. Cette commission doit être composée d'un juge de l'amirauté, de deux docteurs en droit, de deux avocats, & de huit négocians, au moins de cinq : elle doit s'assembler au moins une fois la semaine, au greffe des assurances, pour juger sommairement & sans formalités toutes les causes qui seront portées devant elle, ajourner les parties, entendre les témoins sur serment, & punir de prison ceux qui refuseront d'obéir.

On peut appeller de ce tribunal à la chancellerie, en déposant la somme en litige entre les mains des commissaires : si la sentence est confirmée, les dépens sont adjugés doubles à la partie qui gagne son procès.

Ce tribunal est tout-à-la-fois une cour de droit & d'équité, c'est-à-dire où l'on juge suivant l'esprit de la loi & l'apparence de la bonne-foi.

Les assûrances se sont long-tems faites à Londres par des particuliers qui signoient dans chaque police ouverte, jusqu'à la somme que leurs facultés leur permettoient.

En 1720, plusieurs particuliers penserent que leur crédit seroit plus considérable s'il étoit réuni, & qu'une association seroit plus commode pour les assûrés, qui n'auroient affaire qu'à une seule personne au nom des autres.

Deux chambres se formerent, & demanderent la protection de l'état.

Par le sixieme statut de Georges I. on voit que le parlement l'autorisa à accorder sous le grand-sceau deux chartes à ces deux chambres ; l'une connue sous le nom de royal exchange assûrance ; & l'autre, de London assûrance.

Il est permis à ces compagnies de s'assembler, d'avoir respectivement un sceau commun, d'acheter des fonds de terre, pourvû que ce ne soit pas au-dessus de la somme de mille livres par an ; d'exiger de l'argent des intéressés, soit en souscrivant, soit en les faisant seulement contribuer au besoin.

Les mêmes chartes défendent le commerce des assûrances & de prêt à la grosse avanture, à toutes autres chambres ou associations dans la ville de Londres, sous peine de nullité des polices ; mais elles conservent aux particuliers le droit de continuer ce commerce.

Les deux chambres sont tenues par leurs chartes d'avoir un fonds réel en especes, suffisant pour répondre aux obligations qu'elles contractent : en cas de refus ou de retard de payement, l'assûré doit intenter une action pour dette contre la compagnie dont il se plaint, & déclarer la somme qui lui est dûe ; en ce cas les dommages & intérêts seront adjugés au demandeur, & tous les fonds & effets de la chambre y seront hypothéqués.

Le roi se reserve par ces chartes le droit de les révoquer après le terme de trente-un ans, si elles se trouvent préjudiciables à l'intérêt public.

Dans le deuxieme statut du même prince, il est ordonné que dans toute action intentée contre quelqu'une des deux chambres d'assûrance, pour cause de dette ou de validité de contrat en vertu d'une police d'assûrance passée sous son sceau ; elle pourra alléguer en général qu'elle ne doit rien au demandeur, ou qu'elle n'a point contrevenu aux clauses du contrat : mais que si l'on convient de s'en rapporter au jugement des jurés, ceux-ci pourront ordonner le payement du tout ou de partie, & les dommages qu'ils croiront appartenir en toute justice au demandeur.

Le même statut défend, sous peine d'une amende de cent livres, de différer de plus de trois jours la signature d'une police d'assûrance dont on est convenu, & déclare nulle toute promesse d'assûrer.

Les chambres d'assûrance de Londres sont composées de négocians ; elles choisissent pour directeurs les plus connus, afin d'augmenter le crédit de la chambre : leurs appointemens sont de 3600 liv. Elles se sont distinguées l'une & l'autre dans les tems les plus critiques, par leur exactitude & leur bonne foi.

Sur la fin de la derniere guerre il leur fut défendu de faire aucune assûrance sur les vaisseaux ennemis : on a diversement jugé de cette loi ; les uns ont prétendu que c'étoit diminuer le profit de l'Angleterre ; d'autres ont pensé, avec plus de fondement, que dans la position où étoient les choses, ces assûrances faisoient sortir de l'Angleterre la majeure partie du produit des prises.

Cette défense avoit des motifs bien supérieurs : le gouvernement anglois pensoit que c'étoit nous interdire tout commerce avec nos colonies, & s'en faciliter la conquête.

Les lois de l'Angleterre sur les assûrances sont assez semblables aux nôtres, que l'on trouve au titre vj. de l'ordon. de la Marine de 1681 : c'est une de nos plus belles lois. Consultez sur cette matiere le droit maritime des diverses nations. Straccha, de navibus. J. Loxenius. Cet article est de M. V. D. F.

CHAMBRE DE COMMERCE ; c'est une assemblée des principaux négocians d'une place, qui traitent ensemble des affaires de son commerce.

L'établissement général des chambres de commerce dans les principales villes de France, est du 30 Août 1701 ; mais l'exécution particuliere ne suivit l'édit de création que de quelques années, & à des dates inégales.

L'objet de ces chambres est de procurer de tems en tems au conseil du commerce, des mémoires fideles & instructifs sur l'état du commerce de chaque province où il y a de ces chambres, & sur les moyens les plus propre à le rendre florissant : par-là le gouvernement est instruit des parties qui exigent un encouragement ou un promt remede.

Comme la pratique renferme une multitude de circonstances que la théorie ne peut embrasser ni prévoir, les négocians instruits sont seuls en état de connoître les effets de la loi, les restrictions ou les extensions dont elle a besoin. Cette correspondance étoit très-nécessaire à établir dans un grand royaume où l'on vouloit animer le commerce : elle lui assûre toute la protection dont il a besoin, en même tems qu'elle étend les lumieres de ceux qui le protegent.

Cette correspondance passe ordinairement par les mains du député du commerce des villes, qui en fait son rapport. La nature du commerce est de varier sans-cesse ; & les nouveautés les plus simples dans leur principe, ont souvent de grandes conséquences dans leurs suites. Il seroit donc impossible que le député d'une place travaillât utilement, s'il ne recevoit des avis continuels de ce qui se passe.

Marseille, Dunkerque, Lyon, Paris, Roüen, Toulouse, Bordeaux, la Rochelle, Lille, ont des chambres de commerce. Les pareres ou avis des négocians sur une question, tiennent lieu d'acte de notoriété lorsqu'ils sont approuvés de ces chambres.

Bayonne, Nantes & Saint-Malo, n'ont point établi chez elles de chambres ; ce sont les juges-consuls qui y représentent pour le commerce, & qui correspondent avec le député. Dans les grandes occasions le commerce général s'assemble. On peut consulter le dictionnaire de Commerce, sur le détail de chacune de ces chambres. Cet article a été communiqué par M. V. D. F.

CHAMBRE GARNIE, (Police) est celle que l'hôte loue toute meublée. Ce sont ordinairement des personnes de province, ou des étrangers, qui se logent en chambre garnie : on leur loue tant par mois. Outre les meubles dont la chambre est garnie, on leur fournit aussi les ustensiles nécessaires pour leur usage ; ce qui est plus ou moins étendu, selon les conventions. Il y a des hôtels garnis & chambres garnies où on nourrit les hôtes ; d'autres où on ne leur fournit que le logement & quelques ustensiles.

Les chambres garnies tirent leur premiere origine des hôtelleries. Voyez HOTELLERIE.

La police a toûjours eu une attention particuliere sur ceux qui louent des chambres garnies, & sur ceux qui les occupent.

Auguste créa un officier appellé Magister census, dont la fonction étoit de faire, sous les ordres du 1er magistrat de police, la description du peuple romain & de ses revenus : il étoit aussi chargé de tenir un registre de tous les étrangers qui arrivoient à Rome, de leurs noms, qualités & pays, du sujet de leurs voyages ; & lorsqu'ils y vouloient demeurer oisifs après la fin de leurs affaires, il les obligeoit de sortir de Rome, & les renvoyoit en leur pays. Sueton. in August. cap. cj.

En France on est très-attentif sur la police des chambres garnies.

Suivant un réglement de police du châtelet de Paris, du 30 Mars 1635, il est défendu aux taverniers, cabaretiers, loüeurs de chambres garnies, & autres, de loger & de recevoir de jour ni de nuit aucunes personnes suspectes ni de mauvaises moeurs, de leur administrer aucuns vivres ni alimens.

Le même réglement enjoint à cette fin à toutes personnes qui s'entremettent de loüer & reloüer, soit en hôtellerie ou chambre garnie, au mois, à la semaine, ou à la journée, de s'enquérir de ceux qui logeront chez eux, de leurs noms, surnoms, qualités, conditions, & demeure ; du nombre de leurs serviteurs & chevaux ; du sujet de leur arrivée ; du tems qu'ils doivent séjourner ; en faire registre, le porter le même jour au commissaire de leur quartier, lui en laisser autant par écrit ; & s'il y a aucuns de leurs hôtes soupçonnés de mauvaise vie, en donner avis audit commissaire, & donner caution de leur fidélité au greffe de la police ; le tout à peine de 48 livres parisis d'amende.

Suivant les derniers réglemens, ceux qui tiennent chambres garnies doivent avoir un registre paraphé du commissaire du quartier, pour y inscrire ceux qui arrivent chez eux, en faire dans le jour leur déclaration au commissaire, & en outre lui représenter tous les mois leur registre pour être visé ; & lorsqu'ils cessent de loüer en chambres garnies, ils doivent en faire leur déclaration à ce même commissaire, qui en fait mention sur leur registre.

En tems de guerre on renouvelle les réglemens ; l'on redouble les précautions pour la police des auberges & chambres garnies, à cause des gens suspects qui pourroient s'y introduire. Voyez le traité de la police de la Mare, tome I. liv. I. tit. v. p. 36. tit. jx. ch. iij. p. 137. & tit. xij. p. 224. (A)

CHAMBRE DE PORT, (Marine) on appelle ainsi un endroit du port renfermé, & disposé pour recevoir un vaisseau desarmé, pour le réparer avec plus de facilité, ou pour en construire. Voyez Plan. VIII. Marine, un chantier de construction, où l'on trouve une chambre ou bassin coté C D E F G.

Les chambres sont des lieux préparés pour construire des vaisseaux : on en fait le sol beaucoup plus bas que le niveau de la haute mer : elles sont entourées de murs ou digues, & l'entrée en est fermée par des écluses : quand la construction est assez avancée, & le navire en état d'être mis à l'eau, on ouvre les écluses ; la marée remplit la chambre, enleve le vaisseau de dessus son chantier, & il se trouve à flot sans risque & sans peine. Mais cela ne se peut pratiquer que dans des endroits où la mer monte beaucoup. En Angleterre, où le flot monte de plusieurs piés sur les côtes, on se sert de ces sortes de chambres.

CHAMBRE DES VAISSEAUX, (Marine) ce sont des lieux destinés pour le logement du capitaine & des officiers. Elles sont pratiquées à l'arriere du vaisseau.

Dans les vaisseaux du premier rang, la grande chambre située sur le second pont est la chambre du conseil, & au-dessus est celle du capitaine. Voyez leur disposition, Pl. III. Mar. fig. 1. représentant la poupe d'un vaisseau : L, c'est la chambre du conseil ; K, c'est la chambre du capitaine ; & celles des officiers au-dessus.

Dans les moindres vaisseaux, la chambre du capitaine sert de chambre du conseil. Voyez dans la Plan. IV. fig. 1. représentant la coupe du vaisseau dans sa longueur. N°. 137, la grand-chambre ou chambre du conseil, & c'est la chambre du capitaine. N°. 138, la chambre du capitaine en second. N°. 153, chambres pour les officiers. Ainsi la chambre du capitaine se trouve dans ces vaisseaux au-dessus de la sainte-barbe, cotée n°. 107, qui est la chambre des canonniers.

Nous renvoyons ainsi aux figures, parce que c'est le moyen de rendre les choses plus sensibles, & d'épargner au lecteur de longues descriptions, qu'il n'est pas toûjours aisé de rendre bien claires.

On fait deux portes à la grande chambre, quoique l'on ne se serve guere que de celle qui est à bas-bord : mais ces deux portes sont très-utiles dans un combat, & facilitent beaucoup les différentes manoeuvres & le service qu'il convient de faire dans ce cas.

CHAMBRE AUX VOILES, c'est l'endroit où l'on met les voiles, que l'on garde pour les changer ou remplacer en cas de besoin. Voyez Planc. IV. fig. 1. n°. 44. la situation de la chambre aux voiles. (Z)

CHAMBRE GARNIE, ou CHAMBRE TAPISSEE, qu'on appelle aussi chambre, (Jurisprud.) en fait de conventions matrimoniales, est un don de nôces & de survie, qu'on stipule par contrat de mariage en faveur de la femme, au cas qu'elle survive à son mari.

Ce don consiste à reprendre une certaine quantité de meubles à l'usage de la femme. Ces stipulations sont assez ordinaires en Provence, en Dauphiné, & en Bresse. Elles sont aussi usitées dans quelqu'autres provinces ; & on les peut faire par-tout, attendu que les contrats de mariage sont susceptibles de toutes sortes de clauses qui ne sont pas contre les bonnes moeurs, ou prohibées par quelque loi expresse. Cet usage paroît fort ancien, & se pratiquoit même parmi les grands ; puisqu'on trouve dans le contrat de mariage de Louis II. roi de Sicile, avec Yolande fille de Jean roi d'Aragon, de l'an 1399, une clause portant que ladite Yolande auroit sa chambre : Necnon reditus annuos, & quascumque villas, loca & castra pro statu camerae, seu dotalitio ipsius Yolandae, &c. Voy. le glossaire de Ducange au mot camera ; & le traité des gains nupt. ch. j. p. 12.

CHAMBRE TAPISSEE, voyez ci-devant CHAMBRE GARNIE. (A)

CHAMBRE DE L'OEIL, (Anatom.) espace compris entre le crystallin & la cornée, lequel contient l'humeur aqueuse qui remplit l'oeil.

M. Brisseau, médecin des hôpitaux du Roi, & professeur à Douai, est le premier qui au commencement de ce siecle a donné le nom de chambre à l'espace compris entre le crystallin & la cornée qui contient l'humeur aqueuse ; & comme cet espace est divisé en deux parties par l'uvée, il a donné le nom de premiere chambre à la partie antérieure, que tous les Anatomistes appellent aujourd'hui chambre antérieure, comprise entre l'iris & la cornée : & il a nommé seconde chambre l'espace compris entre le crystallin & l'uvée, & que l'on appelle présentement d'une voix unanime, chambre postérieure.

Quand la question de la cataracte membraneuse ou glaucomatique commença d'être agitée dans l'académie des Sciences & dans le public en 1706, M. Brisseau, qui attaquoit l'opinion commune de la membrane, soûtint que de la maniere dont se faisoit l'opération ordinaire de la cataracte, & vû l'endroit où l'on perçoit l'oeil, il n'étoit pas possible que l'aiguille n'allât dans la chambre postérieure, & n'y abattît le crystallin, ou du moins ne le blessât aussi bien que l'uvée, parce que cette chambre est fort petite. Ceux du parti contraire répondirent que cette chambre étoit assez grande, & plus grande même que l'antérieure, trompés peut-être par les figures de Vésale, de Brigs, & d'autres auteurs.

Ces sortes de points de fait délicats & peu sensibles, sont des plus difficiles à décider : il n'est pas possible de connoître la grandeur des chambres de l'humeur aqueuse par la dissection ordinaire : si l'on coupe un oeil en sa partie antérieure, aussi-tôt que la cornée est ouverte, l'humeur aqueuse s'en écoule, & l'on ne sait dans laquelle des deux chambres elle étoit en plus grande quantité : d'ailleurs la cornée ouverte se flétrit, le plus souvent s'affaisse, & ne conserve plus sa convexité ; l'uvée qui est naturellement tendue, & un peu éloignée du crystallin, se trouve relâchée & appliquée sur le crystallin. Il n'est donc plus possible de reconnoître la distance qui est entre la cornée & l'uvée, ni celle qui est entre l'uvée & le crystallin.

Pour remédier à cet inconvénient & pouvoir s'éclaircir du fait, on a imaginé de faire geler des yeux pendant le froid, naturellement ou artificiellement ; car on sait par l'hyver de 1709, que l'humeur aqueuse se gele.

M. Petit le médecin, plus curieux que personne dans ces matieres, a pris des yeux de différens animaux, d'homme, de cheval, de boeuf, de mouton, de chien, de chat, de loup, &c. il faut que le froid soit considérable, afin que l'humeur aqueuse soit bien gelée, & qu'on en puisse exactement mesurer l'étendue en différens espaces.

La glace de la chambre antérieure s'est toujours trouvée beaucoup plus épaisse que celle de la postérieure, & par conséquent la chambre antérieure plus grande que la postérieure. Les différentes proportions se sont aussi trouvées à cet égard dans des yeux d'animaux de différentes especes, & dans ceux d'une même espece, quoiqu'avec moins de différence.

La glace de la chambre postérieure n'est pas même aisée à appercevoir ; comme elle n'est qu'en fort petit volume, elle est noircie par l'uvée qui la termine, & à peine paroît-elle. Quand on coupe l'oeil suivant son axe, c'est-à-dire, selon une ligne qui passe par les centres du crystallin & de la cornée, ce qui est la section la plus propre à cette recherche, la glace se brise par petites parcelles qui s'échappent ; & de plus le scalpel, quelque tranchant qu'il soit, s'émousse, & entraîne avec lui des parties noires de l'uvée, & des processus ciliaires, qui se mêlent avec la glace & la cachent. Il faut de l'art pour la découvrir telle qu'elle est, & pure.

Si l'on ne prend pas les yeux immédiatement après la mort, ils sont déjà flétris, parce que les humeurs se sont évaporées à proportion du tems. L'humeur aqueuse, plus legere & plus volatile que la vitrée, & d'ailleurs plus libre, puisque la vitrée est retenue dans une infinité de petites cellules, s'évapore davantage ; & c'est celle dont on a besoin pour l'expérience.

Quand les yeux sont gelés, ils sont fort tendus, eussent-ils été flétris auparavant ; les humeurs se sont dilatées par la gelée comme fait l'eau, & en se gelant elles s'évaporent assez considérablement. Cette dilatation des humeurs nuit beaucoup à la recherche de la capacité des deux chambres.

Mais malgré ces difficultés, M. Petit est parvenu à la déterminer. Suivant lui, la chambre postérieure dans l'homme contient à-peu-près le tiers de l'humeur aqueuse. Le poids moyen de cette humeur entiere est de quatre grains ; d'où il suit que la chambre postérieure en contient un grain & 1/3 ; & cette quantité est si petite, que la chambre qui a 5 1/2 lignes d'étendue, ne peut être que très-étroite.

D'un autre côté MM. Heister & Morgagni, l'un en Allemagne & l'autre en Italie, ont aussi reconnu par les expériences qu'ils ont faites sur des yeux gelés, que la chambre antérieure est beaucoup plus grande que la postérieure : mais il s'en faut bien qu'ils soient entrés dans des finesses de détail & de précision, comme l'a fait M. Petit, dans les mémoires de l'Acad. ann. 1723. Ce curieux physicien ne s'est pas contenté de la preuve prise de la gelée des yeux, il a trouvé & indiqué trois autres moyens différens pour connoître la grandeur des chambres de l'humeur aqueuse dans les yeux de l'homme. Il y a deux de ces moyens par lesquels il a découvert l'épaisseur de ces chambres, & un troisieme qui en donne la solidité ; & parmi ces moyens est un ophtalmometre ou instrument de son invention, pour mesurer l'épaisseur & la grandeur des chambres. Voyez ann. 1728. Cet article est de M(D.J.)

CHAMBRE OBSCURE, ou CHAMBRE CLOSE, en terme d'Optique, est une chambre fermée avec soin de toutes parts, & dans laquelle les rayons des objets extérieurs étant reçus à travers un verre convexe, ces objets sont représentés distinctement, & avec leurs couleurs naturelles, sur une surface blanche placée en-dedans de la chambre, au foyer du verre. Outre ces expériences que l'on peut faire dans une chambre ainsi fermée, on fait des chambres obscures, ou machines portatives, dans lesquelles on reçoit l'image des objets extérieurs par le moyen d'un verre. Voyez OEIL ARTIFICIEL.

La premiere invention de la chambre obscure est attribuée à Jean-Baptiste Porta.

La chambre obscure sert à beaucoup d'usages différens. Elle jette de grandes lumieres sur la nature de la vision ; elle fournit un spectacle fort amusant, en ce qu'elle présente des images parfaitement semblables aux objets ; qu'elle en imite toutes les couleurs & même les mouvemens, ce qu'aucune autre sorte de représentation ne peut faire. Par le moyen de cet instrument, sur-tout s'il est construit conformément à la derniere des trois manieres de le construire dont on parlera plus bas, quelqu'un qui ne sait pas le dessein pourra néanmoins dessiner les objets avec la derniere justesse & la derniere exactitude ; & celui qui sait dessiner ou même peindre, pourra encore par ce même moyen se perfectionner dans son art.

La théorie de la chambre obscure est contenue dans les propos. suivantes tirées de l'Optique de Wolf.

Si un objet A B, (Pl. d'Opt. fig. 16.) envoye des rayons à travers la petite ouverture C, sur une muraille blanche opposée à cet objet, & que la place où les rayons vont aboutir, derriere l'ouverture b C a, soit sombre ; l'image de l'objet se peindra sur la muraille de haut em-bas.

Car l'ouverture C étant fort petite, les rayons qui viennent du point B, tomberont sur b ; ceux qui viennent des points A & D, tomberont sur a & d ; c'est pourquoi, comme les rayons qui partent des différens points de l'objet, ne sont point confondus lorsque la muraille les réfléchit, ils porteront avec eux les traits de l'objet qu'ils représenteront sur la muraille. Mais comme les rayons A C & B C se coupent l'un l'autre à l'ouverture, & que les rayons qui partent des points d'em-bas vont aboutir en-haut, il faudra nécessairement que l'objet soit représenté dans une figure renversée.

Ainsi, comme les angles en D & en d sont droits, & que les angles en C sont égaux ; B & b, A & a seront aussi égaux : conséquemment si la muraille sur laquelle l'objet est représenté est parallele à l'objet, a b : A B : : d C : D C ; c'est-à-dire que la hauteur de l'image sera à la hauteur de l'objet, comme la distance de l'image à l'ouverture est à la distance de l'objet à cette même ouverture ; il est évident par cette démonstration qu'on peut faire une chambre obscure, en se contentant de faire en c un trou fort petit, sans y mettre de verre. Mais l'image sera beaucoup plus distincte, si on place un verre convexe en C ; car lorsqu'il n'y a en C qu'un simple trou, les points A, D, C, &c. de l'objet ne peuvent se représenter en a, d, c, que par de simples rayons A a, D d, C c ; au lieu que si on place un verre en C, tous les rayons qui viennent du point A, par ex. & qui tombent sur ce verre, sont réunis au foyer a, desorte que le point a est beaucoup plus vif & plus distinct ; & la réunion sera d'autant plus exacte & plus parfaite au foyer a, que le verre sera portion d'une plus grande sphere : ainsi moins le verre sera convexe, plus l'image sera distincte. Il est vrai aussi que le foyer sera d'autant plus éloigné que le verre sera moins convexe, ce qui fait un inconvénient. C'est pourquoi il faut prendre le verre d'une convexité moyenne.

Construction d'une chambre obscure, dans laquelle les objets de dehors seront représentés distinctement & avec leurs couleurs naturelles, ou de haut em-bas, ou dans leur vraie situation. 1°. Bouchez tous les jours d'une chambre dont les fenêtres donnent des vûes sur un certain nombre d'objets variés, & laissez seulement une petite ouverture à une des fenêtres. 2°. Adaptez à cette ouverture un verre lenticulaire, plan, convexe, ou convexe des deux côtés, qui forme une portion de surface d'une assez grande sphere. 3°. Tendez à quelque distance, laquelle sera déterminée par l'expérience même, un papier blanc ou quelques étoffes blanches, à moins que la muraille même ne soit blanche ; au moyen de quoi vous verrez les objets peints sur la muraille de haut embas. 4°. Si vous les voulez voir représentés dans leur situation naturelle, vous n'avez qu'à placer un verre lenticulaire entre le centre & le foyer du premier, ou recevoir les images des objets sur un miroir plan incliné à l'horison sous un angle de 45 degrés ; ou enfermer deux verres lenticulaires, au lieu d'un dans un tuyau de lunette. Si l'ouverture est très-petite, les objets pourront se peindre, même sans qu'il soit besoin de verre lenticulaire.

Pour que les images des objets soient bien visibles & bien distinctes, il faut que le soleil donne sur les objets : on les verra encore beaucoup mieux si l'on a soin de se tenir auparavant un quart-d'heure dans l'obscurité. Il faut aussi avoir grand soin qu'il n'entre de la lumiere par aucune fente, & que la muraille ne soit point trop éclairée.

Construction d'une chambre obscure portative. 1°. Ayez une cassette ou boîte de bois sec (Pl. d'Opt. fig. 17.) de la figure d'un parallelépipede, large d'environ dix pouces, & longue de deux piés ou davantage, à proportion du diametre que vous voudrez donner au verre lenticulaire. 2°. Dans le plan C A O ajustez un tuyau à lunette E F, avec deux verres lenticulaires ; ou bien mettez l'image à une petite distance du tuyau avec trois verres lenticulaires convexes des deux côtés, dont les deux de dehors ou de devant auront de diametre 60/100 de pié, & celui de dedans 40/100. En-dedans de la boîte, à une distance raisonnable du tuyau, mettez un papier huilé G H dans une situation perpendiculaire, ensorte qu'on puisse voir-à-travers, les images qui viendront s'y peindre. Enfin en I faites un trou rond par où une personne puisse regarder commodément.

Alors si le tuyau est tourné vers l'objet, les verres étant arrêtés à une distance convenable, qui sera déterminée par l'expérience, l'objet sera peint sur le papier G H dans sa situation naturelle.

On peut encore faire une chambre obscure portative de cette maniere. 1°. Au milieu d'une cassette ou boîte de même forme (Pl. d'Optique fig. 18.), mettez une petite tourette ronde ou quarrée H I, ouverte du côté de l'objet A B. 2°. Derriere l'ouverture placez un petit miroir a b I à une inclinaison de 45 degrés, pour refléchir les rayons A a & B b, sur le verre convexe des deux côtés G, enfermé dans le tuyau G L. 3°. A la distance de son foyer mettez une planche couverte d'un papier blanc E F, pour recevoir l'image a b : enfin faites en N M une ouverture oblongue pour regarder dans la boîte. (O)

CHAMBRE, dans l'Artillerie, est une concavité qui se trouve quelquefois dans l'épaisseur du métal des pieces, qui les rend foibles & sujettes à crever. C'est pour les découvrir qu'on éprouve les canons & les mortiers. Voyez éPREUVES du canon & du mortier. (Q)

CHAMBRE, dans les canons & mortiers, est la partie de l'ame destinée à contenir la poudre. Voyez CANON & MORTIER.

Il y a des chambres de plusieurs figures. Chambre cylindrique, ou cylindre, est celle qui est également large par-tout, & celle qui s'observe aujourd'hui dans le canon : chambre sphérique est celle qui est faite à-peu-près en forme de sphere ou de boule.

Il est évident que plus il s'enflamme de poudre dans le même instant, & plus l'effort qu'elle produit sur le boulet est grand. Cette considération donna lieu, vers la fin du dernier siecle, de donner une nouvelle disposition à l'intérieur des pieces. On y pratiqua une cavité en forme de sphere un peu applatie ; la lumiere répondant à-peu-près vers le milieu de cette cavité, plus large que le reste de l'ame du canon, faisoit prendre feu dans le même tems à une plus grande quantité de poudre, que si l'ame du canon avoit été par-tout uniforme ; & cette poudre se trouvant, pour ainsi dire, réunie & concentrée dans cette cavité, agissoit ensuite sur le boulet avec plus d'effort & d'impétuosité que dans les pieces ordinaires.

On a dit que l'intérieur du canon étoit par-tout de même diametre ; mais il faut observer que cela n'est exactement vrai aujourd'hui que dans nos pieces de 12, de 8, & de 4, parce que dans celles de 24 & de 16 on pratique au fond de l'ame une petite chambre cylindrique, a b, (V. les Pl. de Fortif. & leur explicat.) qui peut tenir environ deux onces de poudre : dans la piece de 24, cette petite chambre a un pouce & demi de diametre, & deux pouces & demi de profondeur ; & dans celle de 16, elle a un pouce de diametre sur dix lignes de profondeur. Le canal de la lumiere aboutit vers le fond de ces petites chambres, à 9 lignes dans la piece de 24, & à 8 dans celle de 16. Leur objet est de conserver la lumiere, en empêchant que l'effort de la poudre dont le canon est chargé, n'agisse immédiatement sur son canal. Les pieces au-dessous de celles de 16 n'ont point de ces petites chambres.

Les figures qui représentent la coupe d'une piece de 24, font voir celle de la petite chambre a b : une des figures de la même Planche représente le plan de cette chambre.

Les pieces de 12 & au-dessous n'ont point de petites chambres, parce que ces pieces servant aussi à tirer à cartouche, la petite chambre ne permettroit pas de percer les cartouches aussi aisément par la lumiere, que lorsque toute la chambre est de même largeur dans toute son étendue.

M. du Lacq, dans son traité sur le méchanisme de l'artillerie, loue l'invention de ces petites chambres pour la conservation des lumieres ; mais il craint cependant qu'elles n'ayent de grands inconvéniens, par la difficulté de les écouvillonner exactement. C'est à quoi il paroît qu'on pourroit remédier assez aisément, en ajoûtant à l'écouvillon ordinaire une espece de petit boudin, à peu-près de même longueur & de même diametre que la petite chambre. Mais on peut écouvillonner ces sortes de pieces avec l'écouvillon ordinaire ; il est suffisant pour nettoyer l'entrée, & une partie de l'intérieur de la petite chambre ; parce que la disposition de cette chambre ne permet guere qu'il s'y arrête de petites parties de feu, comme il pourroit s'en arrêter dans les chambres sphériques. Celles-ci étoient plus étroites à leur ouverture que dans leur intérieur, & par-là la partie du métal proche de l'ouverture de la chambre, pouvoit souvent arrêter & retenir quelque peu de feu dans l'intérieur de la chambre. Nos nouvelles petites chambres qui forment un petit canal entierement égal & uniforme, ne sont pas dans le cas de produire le même accident.

L'adoption que l'artillerie de France en a faite, est d'ailleurs une preuve de leur bonté ; parce qu'il est à présumer qu'elle ne les a adoptées qu'après en avoir reconnu l'avantage par l'expérience, qui dans ces sortes de matieres doit l'emporter sur les raisonnemens.

Le fond de l'ame de toutes les pieces est arrondi dans toute sa circonférence, par de petits arcs, dont le rayon est d'environ le quart du calibre de la piece. Cet arrondissement donne lieu d'écouvillonner la piece plus exactement, & il augmente encore la force du métal vers la culasse & vers la lumiere. Dans les pieces de 12 & de 4, le canal de la lumiere aboutit à 8 lignes du fond de la premiere, à 7 du fond de la seconde, & à 6 de celui de la troisieme. Traité d'artillerie par M. Leblond.

CHAMBRE ou FOURNEAU, se dit en terme de guerre, de l'endroit où se met la poudre d'une mine. Voyez FOURNEAU.

C'est ordinairement une cavité de 5 à 6 piés cubes, & de forme cubique.

Pour que la poudre agisse avec tout l'effort dont elle est capable, dans la chambre ou le fourneau de la mine, il faut qu'il n'y ait point de vuide, parce qu'alors tout l'effort de sa dilatation fait immédiatement impression sur les terres qui l'environnent.

Il faut, pour déterminer la grandeur du fourneau, savoir la quantité de poudre que peut occuper un pié cube d'espace ; (tout le monde sait qu'un cube est un solide terminé par six quarrés égaux, comme un dez à jouer). L'expérience a fait voir, comme le dit M. de Saint-Remi, qu'il en faut 80 livres. Il suit de-là que 100 livres en occuperont un pié & un quart ; 140 livres, un pié & demi ; & 160 livres, un pié trois quarts, &c.

Il est à remarquer cependant que tout le monde ne convient pas qu'un pié cubique de poudre en contienne 80 liv. car on a des expériences particulieres par lesquelles on a trouvé :

1°. Que la poudre étant mise legerement dans un vase cubique d'un pié, n'en contenoit que 60 liv. 2 onces.

2°. Que la même poudre étant fort affaissée, le vase en contenoit 95 liv. 5 onces ; mais cette pesanteur peut varier suivant le plus ou le moins de salpêtre qu'il y a dans la poudre.

Il est d'usage de faire la chambre de la mine de figure cubique, parce que le feu prenant au milieu, se communique plus également vers tous les parois du fourneau. On pourroit par cette raison la faire sphérique, mais sa construction seroit plus difficile. Il y a cependant des personnes fort habiles dans la science des mines, qui prétendent qu'on pourroit faire le fourneau en espece de coffre, dont la hauteur seroit moindre que la longueur, parce qu'alors la mine donneroit une excavation plus large ; mais comme l'expérience n'a pas encore confirmé suffisamment ces idées, on ne parlera ici que de la chambre ordinaire, c'est-à-dire de la cubique.

Pour faire un cube qui tienne telle quantité de poudre que l'on voudra, comme, par exemple, 100 livres ; voici comment l'on y parviendra.

Le pié cube contient 80 liv. de poudre, par conséquent 100 livres contiennent un pié cube & un quart d'espace. J'observe que cette quantité contient 2160 pouces cubes ; car pour avoir la base d'un pié cube, il faut d'abord commencer par multiplier 12 par 12, dont le produit est 144 ; & pour avoir son solide, il faut multiplier sa base par sa hauteur, c'est-à-dire 144 par 12, qui donne pour produit 1728 pouces cubes. Il faut à cette quantité ajoûter l'espace qu'occupent 20 livres de poudre, c'est-à-dire 432, ce qui fait 2160 pouces cubes pour l'espace total que l'on cherche. Il reste à chercher le côté d'un cube qui contienne cette quantité. C'est ce qu'on trouve en en extrayant la racine cube. On aura pour ce côté environ 13 pouces. Ainsi la base d'une mine dans laquelle on veut mettre 100 livres de poudre, doit être un quarré dont le côté soit de 13 pouces, & la hauteur de cette chambre doit aussi être de 13 pouces.

Il est aisé de faire une table des dimensions que l'on doit donner aux chambres des mines, pour toutes les quantités de poudre dont on veut les charger. Il faut seulement observer qu'elles doivent être un tiers plus grandes que ne le comportent les poudres qu'elles doivent renfermer, afin qu'elles puissent contenir les planches dont on couvre assez ordinairement les côtés, & la paille sur laquelle on met la poudre pour l'empêcher de contracter l'humidité. On joint ici une table de M. de Vauban, que l'on trouve dans son traité de l'attaque des places, laquelle servira à trouver tout-d'un-coup le côté de la chambre, relativement à la quantité de poudre qu'elle doit contenir, ayant égard aux planches & à la paille qu'on y met pour tenir la poudre séchement.

TABLE pour la charge des mines, suivant M. le maréchal DE VAUBAN, dans laquelle on trouve la mesure des chambres ou fourneaux des mines déterminée relativement à la quantité de poudre qu'elles doivent contenir, & à la hauteur des terres du rempart au-dessus des chambres.

(Q)

CHAMBRE CYLINDRE, est aussi dans le mortier un enfoncement cylindrique, pour mettre la poudre de sa charge. Les mortiers qui ont de ces sortes de chambres sont appellés à l'ancienne maniere.

Le mortier a encore des chambres sphériques, à poire, & en cone tronqué. Voyez MORTIER. (Q)

CHAMBRE se dit, en Maréchallerie, du vuide qu'on pratique dans une selle de cheval, d'un bât, ou d'un collier, en retirant un peu de la bourre, lorsque le cheval est blessé ou foulé en quelque endroit, pour empêcher que la selle ne porte dessus.

CHAMBRE ou BANC, (Saline) voyez BANC.

* CHAMBRE, (Manufacture en toiles, coton, soie, &c.) c'est ainsi que les ouvriers appellent l'intervalle vuide compris entre deux lames quelconques du peigne, dans lequel passe un nombre plus ou moins grand de fils de chaîne, selon l'étoffe que l'on travaille. Voyez CHAINE.

* CHAMBRE, (Verrerie) ce sont des ouvertures particulieres pratiquées dans les murailles du four & au niveau des siéges, pour la commodité de manoeuvrer sur les pots, quand il leur arrive de casser. Il y a autant de chambres que de pots. Elles ont communément six pouces de largeur sur huit pouces de hauteur. Voyez LOGE ; voyez aussi les Planches de Verrerie, & leur explication. La manoeuvre qui se fait sur les pots, à l'aide des chambres, s'appelle chambrer. Voyez l'article VERRERIE.

CHAMBRE : les Vitriers appellent ainsi le creux qui est dans la verge de plomb où ils placent le verre, lorsqu'ils font des panneaux de vitre. Voyez VERGE, PANNEAUX, VITRE, &c.

* CHAMBRE, (Chasse & Oeconomie rustique) c'est ainsi qu'on appelle un piége que l'on tend aux loups & autres animaux mal-faisans & capables de résister à l'homme. On prend les pieux a, a, a, b, b, b, de douze à quinze pouces de circonférence, Planc. de Chasse ; on en forme une enceinte R, a, b, S, en les enfonçant fortement en terre, à la distance de deux ou trois pouces les uns des autres ; on les fixe les uns aux autres par quelques perches p p, p p, p p, qu'on y attache en-travers ; on laisse à cette enceinte de pieux un espace vuide, auquel on adapte une porte solide & capable de se fermer d'elle-même en se mouvant librement sur ses gonds S, M, N ; on tient cette porte entr'ouverte par le moyen d'un bâtonnet T, au milieu duquel il y a une corde V, qui va se rendre dans un anneau X attaché à l'un des pieux qui forment le fond de la chambre ; on attache la proie Y, qui doit servir d'appât à l'animal, à l'extrémité de cette corde. Lorsque l'animal est entré dans la chambre, il ne manque pas de se jetter sur la proie, de tirer la corde à laquelle elle est attachée, & d'emporter le bâtonnet au milieu duquel la corde correspond. Le bâtonnet emporté, la porte se ferme, & l'animal se trouve renfermé dans la chambre. Pour que la porte se ferme avec plus de vîtesse, on a coûtume de la charger par-derriere d'une grosse pierre D. On voit encore, sans qu'il soit besoin d'en avertir, qu'il faut que les pieux ayent une certaine hauteur, pour que l'animal ne puisse s'échapper de la chambre en l'escaladant. On a rompu quelques pieux dans la figure, afin qu'on pût voir l'intérieur de la chambre.

* CHAMBRE DU CERF, (Venerie) se dit de l'endroit où le cerf se repose pendant le jour.

CHAMBRE, (la) Géog. mod. petite ville de Savoie au comté de Maurienne, sur la riviere d'Arc.


CHAMBRÉES. f. se dit, sur-tout en langue militaire, de l'assemblée de plusieurs soldats dans le même lieu, soit pour y vivre, soit pour y séjourner. Voyez CHAMBRER. (Q)

* CHAMBREE se dit, dans les carrieres d'ardoises, des différentes profondeurs auxquelles la carriere a été percée ; & l'on appelle bonne chambrée, celle où l'ardoise a la dureté & les autres qualités convenables aux usages qu'on fait de ce fossile. Voyez l'article ARDOISE.


CHAMBRELLAGES. m. terme usité dans quelques coûtumes, qui signifie la même chose que chambellage. Voyez CHAMBELLAGE. (A)


CHAMBRERfaire chambrée ; c'est, en terme militaire, loger dans la même chambre ou la même baraque ou canonniere. (Q)

CHAMBRER, en terme de Verrerie ; voyez CHAMBRE.


CHAMBRERIES. f. étoit une justice attachée à l'office de chambrier de France, & à la maison de Bourbon qui possédoit cet office : elle donnoit le titre de pairie. Cette justice & l'office de chambrier furent supprimés & réunis à la couronne par François I. en 1545, lorsque le connétable de Bourbon ; qui étoit grand-chambrier du roi, sortit du royaume. Voyez CHAMBRIER.

CHAMBRERIE, est un office dans certaines églises collégiales, qui consiste à avoir soin des revenus communs.

C'est aussi un office claustral dans quelques monasteres, où le chambrier a soin des revenus, des greniers, du labourage & des provisions, tant pour la bouche que pour le vestiaire.

En quelques églises, la chambrerie est érigée en titre de bénéfice. Il y en a même où c'est une dignité. Voyez CHAMARIER & CHAMBRIER. (A)


CHAMBRIERCHAMBRIER

CHAMBRIER, dans quelques églises & monasteres, est celui qui a soin des revenus communs. L'office de chambrier est une dignité dans quelques chapitres. A Lyon, on le nomme chamarier ; en quelques endroits on le nomme proviseur ; ce qui convient surtout dans les monasteres où le chambrier a soin des provisions, tant pour la bouche que pour le vestiaire. Voyez CHAMARIER & CHAMBRERIE. (A)


CHAMBRIERES. f. & son martinet ; espece de chandelier à l'usage des Charrons & d'autres ouvriers. Il est fait d'une piece de bois plate & ronde, percée au milieu d'un gros trou où est placé perpendiculairement un bâton long de trois à quatre piés, de la grosseur d'un pouce, qui est aussi percé sur la longueur de plusieurs trous les uns au-dessus des autres, dans lesquels on met un morceau de bois long d'environ un pié & demi, dont un bout est fait en chandelier, & l'autre bout est du calibre desdits trous. Cet instrument sert aux Charrons pour porter leur chandelle quand ils travaillent le soir. Voyez la figure 4. Pl. du Charron.

CHAMBRIERE ; c'est le nom qu'on donne, dans les Maneges, au foüet dont on se sert pour faire aller le cheval. On dit : ce cheval manie par la peur de la chambriere : ayez la chambriere en main : montrez au cheval la chambriere : donnez de la chambriere contre terre : faites-lui sentir la chambriere.


CHAMDENIERS(Géog. mod.) petite ville de France en Poitou, près de Niort.


CHAMou CAME, chama, (Hist. nat. Conchil.) coquillage de mer dont la coquille est composée de deux pieces égales. Il y en a plusieurs especes. Le non de chame vient de ce que les deux pieces de la coquille sont ouvertes. On appelle aussi ces coquillages flammes ou flammettes ; parce que l'animal qui est renfermé dans la coquille, enflamme la bouche comme du poivre lorsqu'on le mange. On leur donne encore les noms de lavignons, polourdes, ou palourdes. Voyez COQUILLAGE, COQUILLE. (I)


CHAMEAUS. m. camelus, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede ruminant, dont il y a plusieurs especes. On les distingue par le nombre des bosses qu'ils ont sur le dos. Suivant Aristote & Pline, celui qui a deux bosses retient le nom de chameau : il se trouve plus ordinairement dans la partie orientale de l'Asie ; c'est pourquoi il est nommé camelus bactrianus : il est le plus grand & le plus fort. Celui qui n'a qu'une bosse est plus petit & plus leger, c'est à cause de sa vîtesse qu'on l'appelle dromadaire. On le trouve plus communément dans la partie occidentale de l'Asie, savoir dans la Syrie & dans l'Arabie. Solin donne au contraire le nom de chameau à ceux de ces animaux qui n'ont qu'une bosse. On distingue trois especes de chameaux en Afrique : ceux de la premiere sont les plus grands & les plus forts ; on les appelle hegins : ils portent jusqu'à mille livres pesant. Ceux de la seconde espece sont nommés bechets ; ils viennent de l'Asie ; ils sont plus petits que les premiers ; ils ont deux bosses, & ils sont également propres à être montés & à être chargés. Les troisiemes portent le nom de raguahil ; ils sont petits & maigres, mais si bons coureurs qu'ils peuvent faire plus de cent milles en un seul jour : on les appelle aussi maihari & dromadaires. On a décrit dans les mém. de l'acad. royale des Sciences, sous le nom de chameau, deux de ces animaux qui n'avoient qu'une bosse. Ils étoient de différente grandeur : le plus petit avoit cinq piés & demi depuis la haute courbure de l'épine du dos, qui est la bosse, jusqu'à terre, quatre piés & demi depuis l'estomac jusqu'à la queue, dont la partie osseuse avoit quatorze pouces de longueur : la longueur de la queue entiere, y compris le crin, étoit de deux piés & demi ; le cou avoit la même longueur, & la tête vingt-un pouces depuis l'occiput jusqu'au museau. Le poil étoit doux au toucher, d'une couleur fauve, un peu cendrée ; il n'étoit guere plus long que celui d'un boeuf sous le ventre & sur la plus grande partie du corps ; il étoit beaucoup plus long sur la tête, au-dessous de la gorge, & au haut de la poitrine, où il avoit cinq ou six pouces : le plus long étoit sur le milieu du dos, il avoit près d'un pié ; & quoiqu'il soit fort doux & fort mou, il se tenoit élevé, desorte qu'il faisoit la plus grande partie de la bosse du dos.

L'autre chameau qui étoit le plus grand, & qu'on voit Pl. II. fig. 1. de l'Hist. nat. avoit le poil frisé & bouchonné, plus long par tout le corps que celui du premier, mais plus court sur la bosse, qui étoit plus relevée à proportion que celle du petit chameau ; le grand n'avoit de poil long ni sur la tête, ni au bas du cou. On a observé à la ménagerie de Versailles, que le poil des chameaux tombe tous les ans, à l'exception de celui de la bosse. On le recueille avec soin, à cause du grand commerce qu'on en fait. On le mêle avec d'autres poils, & il entre pour lors dans la fabrique des chapeaux, particulierement de ceux qu'on appelle caudebecs. Voyez l'article CHAPEAU. Le poil de la queue étoit gris, fort dur, & semblable au crin de la queue d'un cheval.

Ces chameaux avoient la tête petite à proportion du corps ; le museau fendu comme celui d'un lievre, & les oreilles très-courtes. Le grand avoit de chaque côté à la mâchoire supérieure, trois dents canines de grandeurs différentes, & deux aussi de chaque côté à l'inférieure ; il n'avoit point d'incisives en-haut. Les dents du petit chameau étoient comme celles des autres animaux ruminans : chaque pié étoit garni par le bout de deux petits ongles, & le dessous étoit plat, large, fort charnu, & revêtu d'une peau molle, épaisse, & peu calleuse. Le pié étoit fendu par-dessus à quatre ou cinq doigts près de l'extrémité ; & au-dessous de cette fente, qui étoit peu profonde, il étoit solide. Il y avoit deux callosités à chacune des jambes de devant ; la plus haute étoit en-arriere à la jointure du coude, & la seconde en-devant à la jointure qui représente le pli du poignet. Les jambes de derriere avoient aussi une callosité à la jointure du genou, qui étoit dure, & presque aussi solide que la corne du pié des autres animaux. Enfin il y avoit au bas de la poitrine une septieme callosité beaucoup plus grosse que les autres, & attachée au sternum, qui étoit protubérant dans cet endroit : elle avoit huit pouces de longueur, six de largeur, & deux d'épaisseur. Toutes ces callosités viennent de ce que cet animal ne se couche pas sur son côté comme les autres animaux, mais qu'il s'accroupit ; toutes les parties qui portent sur la terre dans cette situation, deviennent calleuses. Le prépuce étoit grand & lâche ; il se recourboit en-arriere après avoir recouvert l'extrémité de la verge ; c'est sans-doute ce qui fait que le chameau jette son urine en-arriere. Mém. de l'acad. roy. des Sciences, tom. III. part. I.

Les chameaux mangent très-peu ; ils broutent des joncs, des orties, des chardons, &c. & le feuillage des arbres : mais lorsqu'ils fatiguent beaucoup & pendant long-tems, on leur fait manger de l'orge, du maïs, ou de la farine d'orge & de froment. On fait ordinairement une pâte avec la farine d'orge, & on leur en donne à chacun un morceau de la grosseur de deux poings. En Perse, la quantité de cette pâte est d'environ trois livres chaque jour pour chacun de ces animaux : on y mêle quelquefois de la graine de coton. On leur donne aussi des dattes & du poisson sec. Si on réduisoit les chameaux à brouter l'herbe qu'ils rencontrent dans leurs voyages, ils maigriroient beaucoup ; & même, quelques précautions que l'on prenne, il y en a qui sont fort maigres au retour, leurs bosses & leurs callosités diminuent de volume. Lorsqu'ils sont fort gras en partant, ils peuvent se passer d'orge pendant quarante ou cinquante jours. On dit qu'il y a des chameaux qui dans la disette passent huit ou dix jours sans manger : mais il est certain qu'ils peuvent être pendant trois, quatre ou cinq jours sans boire. A l'ordinaire, on ne leur donne de l'eau qu'une fois en trois jours lorsqu'ils vivent d'herbes fraîches. On dit qu'il y en a qui ne boivent qu'une fois en quinze jours.

Les pays chauds sont les plus propres aux chameaux : le froid leur est funeste, même celui de nos climats : ainsi cet animal restera toujours en Asie & en Afrique, où il est de la plus grande utilité. Il sert de monture, il porte de grands fardeaux, & il fournit du lait bon à manger. En Perse, on monte les chameaux à deux bosses, & on se place entre les deux bosses qui servent de selle. On dit qu'il y en a de petits en Afrique qui font jusqu'à quatre-vingt lieues par jour, & vont ce train pendant huit ou dix jours de suite : leur allure est le trot. On fait porter les fardeaux aux gros chameaux, & le poids de leur charge est depuis six ou sept cent livres jusqu'à mille & douze cent. Il y en a en Perse qui portent jusqu'à 1500 livres ; mais ils ne font pas plus de deux ou trois lieues par jour sous un si grand poids. En Arabie, ils ne portent que sept cent livres ; mais ils font deux milles & demi par heure, & leur traite est de dix & quelquefois de quinze jours. On charge le chameau sur sa bosse, ou on y suspend des paniers assez grands pour qu'une personne s'y puisse tenir assise les jambes croisées, à la mode des orientaux : c'est dans ces paniers qu'on voiture les femmes. On attelle aussi les chameaux pour traîner des chars. Ces animaux sont fort dociles ; ils obéissent à la voix de leur maître lorsqu'il veut les faire accroupir pour les charger ou les décharger, & ils se relevent au moindre signe ; quelquefois cependant ils se levent d'eux-mêmes lorsqu'ils se sentent surcharger, ou ils donnent des coups de tête à ceux qui les chargent. Mais la plûpart ne jettent qu'un cri sans se remuer. Ces animaux ne donnent des marques de férocité, que lorsqu'ils sont en rut ; alors ils deviennent furieux, ils ne connoissent plus le camelier, ils mordent tous ceux qu'ils rencontrent, ils se battent à coups de piés & de dents contre les autres animaux, même contre les lions ; on est obligé de leur mettre des muselieres. Le tems du rut arrive au printems, & dure quarante jours, pendant lesquels ils maigrissent beaucoup ; aussi mangent-ils moins qu'à l'ordinaire. La femelle s'accroupit pour recevoir le mâle ; elle entre en chaleur au printems ; elle ne porte qu'un petit à la fois, qu'elle met bas au printems suivant ; & elle ne rentre en rut qu'un an ou deux après. On coupe les mâles pour les rendre plus forts, & on n'en laisse qu'un entier pour dix femelles. On prétend que les chameaux ne s'accroupiroient pas d'eux-mêmes pour recevoir leur charge, si on ne leur faisoit prendre cette habitude dans leur jeunesse. On ne les charge qu'à l'âge de trois ou quatre ans. On ne se sert pas d'étrille pour les panser ; on les frappe seulement avec une petite baguette, pour faire tomber la poussiere qui est sur leur corps. En Turquie, leur fumier séché au soleil, leur sert de litiere ; & on le brûle pour faire la cuisine, lorsqu'on se trouve au milieu des deserts. On ne met point de mors aux chameaux que l'on monte ; on passe dans la peau, au-dessus des naseaux, une boucle qui y reste, & on y attache des rênes. On ne frappe pas ces animaux pour les faire avancer, il suffit de chanter ou de siffler : lorsqu'ils sont en grand nombre, on bat des tymbales. On leur attache aussi des sonnettes aux genoux, & une cloche au cou pour les animer & pour avertir dans les défilés. Cet animal est courageux ; on le fait marcher aisément, excepté lorsqu'il se trouve de la terre grasse & glissante, sur laquelle il ne peut pas se soûtenir, à cause de la pelote qu'il a sous les piés. Lorsqu'on rencontre de ces mauvais pas, on est obligé d'étendre des tapis pour faire passer les chameaux, ou d'attendre que le chemin soit sec. On ne sait pas précisément combien de tems vivent les chameaux ; on a dit que leur vie étoit de cinquante ans, & quelquefois de cent : on a même prétendu qu'elle s'étendoit jusqu'à cent soixante. Voyez QUADRUPEDE ; Voyez aussi l'article CHAMOISEUR. (I)

CHAMEAU, (Mat. méd.) les auteurs de matiere médicale ont donné à la graisse, au cerveau, au fiel, à l'urine, & à la fiente de cet animal, toutes les vertus medicinales qu'ils ont observées dans les mêmes matieres tirées des animaux qui ont quelqu'analogie avec celui-ci : mais nous ne leur connoissons aucune vertu particuliere : aussi ne sont-elles d'aucun usage parmi nous.

CHAMEAU MOUCHETE, voyez GIRAFFE.

CHAMEAU, (Marine) est un grand & gros bâtiment inventé à Amsterdam en 1688, par le moyen duquel on enleve un vaisseau jusqu'à la hauteur de cinq à six piés, pour le faire passer sur des endroits où il n'y a pas assez d'eau pour de gros vaisseaux. On a appellé cette espece de machine, chameau, à cause de sa grandeur & de sa force.

Pour entendre sa construction & son usage, il faut avoir sous les yeux la fig. 2. Planc. V. de Mar. où le chameau est représenté enlevant un bâtiment. La description qu'on en va donner, est tirée d'un ouvrage publié à Amsterdam en 1719, sur la construction des vaisseaux.

La construction de ce bâtiment est à plates varangues ; il a cent vingt-sept piés de long, vingt-deux piés de large par un bout, & treize piés par l'autre bout ; un bout a onze piés de creux, & l'autre bout treize piés 1/2 : un des côtés de cette machine a les mêmes façons à l'avant & à l'arriere qu'un autre vaisseau ; mais de l'autre côté, elle est presque droite & tombe un peu en-dehors. Le fond de cale est séparé d'un bout à l'autre par un fronteau bien étanché, & où l'eau ne peut passer. Chaque côté est aussi séparé en quatre parties, par fronteaux aussi étanchés, si bien qu'il y a huit espaces séparés l'un de l'autre, dans une partie desquels on peut laisser entrer l'eau, & on peut la pomper dans les autres, & par ce moyen tenir le chameau en équilibre. Outre cela, il y a en chaque espace un retranchement, une dale bien étanchée, par laquelle on y fait entrer l'eau, & qu'on bouche avec un tampon. Il y a aussi deux pompes pour pomper l'eau qu'on y fait entrer. Il y a dans le bâtiment vingt tremues qui passent du tillac au fond du vaisseau, par où l'on fait passer des cordes de neuf pouces de circonférence, lesquelles sortent par les trous qui sont au bord de ces tremues ; & embrassant la quille, vont passer dans un autre chameau qui est au côté du premier. Ces cordes se virent par le moyen des guindeaux qui sont sur le pont, auprès de chaque tremue, & qui servent à roidir les cordes. Le vaisseau qu'on veut enlever étant passé sur les cordes entre les deux chameaux, on pompe toute l'eau ; & par ce moyen les chameaux étant plus legers, s'élevent sur la surface de l'eau, & flottent plus haut qu'ils ne faisoient lorsqu'ils étoient plus pleins, & ils élevent avec eux le vaisseau qui est sur les cordes, qu'on fait roidir en même tems par les guindeaux ; desorte que le vuide des chameaux qu'on pompe, & la manoeuvre qu'on fait avec les guindeaux, concourent en même tems, & le vaisseau est comme emporté jusqu'au-delà des endroits qui ne sont pas assez profonds. (Z)

* CHAMEAU, ou PORTE-GRILLE, (Art méchaniq.) partie du métier à faire des bas. Voyez l'article BAS AU METIER.


CHAMELY(Géog. mod.) c'est le nom de quelques petites îles de l'Amérique, dans le golfe de Panama, à une lieue de la côte.


CHAMFREINS. m. en Architecture ; c'est l'inclinaison pratiquée au-dessus d'une corniche ou imposte, que les ouvriers appellent biseau ; mais ces deux expressions s'appliquent plutôt à la Menuiserie & à la Charpenterie, qu'à la Maçonnerie, où l'on appelle revers d'eau les pentes que l'on observe sur la saillie des entablemens ou corniches de pierres, dans les façades extérieures des bâtimens. (P)

CHAMFREIN se dit, parmi les Horlogers, d'une petite creusure faite en cone. Voyez CHAMFREIN, (Serrur.) PATINE, &c. (T)

CHAMFREIN, en Jardinage, se dit d'une corniche pratiquée dans une décoration champêtre, dont on a abattu toutes les moulures pour la faire paroître rabattue dans un seul pan ou biais. On l'appelle encore biseau. Voyez BISEAU. (K)

CHAMFREIN, en terme de Manége, est la partie du devant de la tête du cheval, qui va depuis le front jusqu'au nez. Le chamfrein blanc est une raie de poil blanc, qui couvre tout le chamfrein.

* CHAMFREIN, en Serrurerie : si l'on a, par exemple, un morceau de fer quarré, & qu'on en abatte un angle en y pratiquant dans toute sa longueur un pan, de maniere qu'au lieu d'être à quatre faces égales, il n'en reste plus que deux entieres, mais que les deux autres soient altérées par le pan, ce pan s'appelle, en Serrurerie, un chamfrein. Ainsi le chamfrein d'un pesle, c'est le pan pratiqué au pesle, en abattant l'angle qui doit frotter contre la gache : ce pan pratiqué, rend cette partie du pesle arrondie, & facilite la fermeture. Cette idée du chamfrein est très-exacte.


CHAMFREc'est en général, parmi les ouvriers en métaux, former sur l'extrémité d'un trou une espece de biseau, qui se remplit par la tête du rivet qu'on y refoule à coups de marteau.


CHAMFRINERsignifie, parmi les Horlogers & autres ouvriers travaillant les métaux, faire un chamfrein, soit avec le foret, soit avec la fraise. Voyez CHAMFREIN, FORET, FRAISE. (T)


CHAMICO(Hist. nat. bot.) graine qui croît au Pérou, & qui ressemble beaucoup, à ce qu'on dit, à celle des oignons : on ajoute que si on en boit la décoction dans de l'eau ou du vin, on dort pendant vingt-quatre heures ; & qu'on continue long-tems de pleurer ou de rire, quand on l'a prise en pleurant ou en riant. Cette derniere circonstance ne laisse presqu'aucun doute sur ce qu'il faut penser du chamico.


CHAMOISS. m. rupicapra, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede ruminant, du genre des chevres, caprinum genus. Cet animal ressemble beaucoup au cerf pour la forme du corps. Le ventre, le front, l'intérieur des oreilles, & le commencement de la gorge, sont blancs. Il y a de chaque côté au-dessus des yeux, une bande jaunâtre ; le reste du corps est par-tout d'une couleur noirâtre, principalement la queue, dont le noir est plus foncé, & s'étend sur les côtés. Le dessous n'est pas blanc comme dans le daim. Willughby.

Le mâle & la femelle ont des cornes longues d'une palme & demie, ridées, & pour ainsi dire entourées dans le bras par des anneaux prééminens, droites jusqu'à une certaine hauteur, pointues, & recourbées en forme d'hameçon par le haut. Elles sont noires, legerement cannelées sur leur longueur, & creuses : leur cavité est remplie par un os qui sort du crane. Chaque année ces cornes forment un anneau de plus, comme celles des autres animaux de ce genre. Belon, Obs. lib. I. cap. ljv.

Le chamois a deux ouvertures derriere les cornes : on a prétendu que ces trous servoient à la respiration de l'animal ; mais cette opinion ne paroît pas fondée, puisqu'on a observé que le crane se trouve au fond de ces ouvertures, où il n'y a aucune issue. On trouve quantité de chamois sur les montagnes de Suisse. Ray, Synop. anim. quad.

Le chamois, dont on a donné la description dans les mémoires de l'acad. royale des Sciences, étoit un peu plus grand qu'une chevre ; il avoit les jambes plus longues & le poil plus court ; celui du ventre & des cuisses étoit le plus long, & n'avoit que quatre pouces & demi : on trouvoit sur le dos & sur les flancs un petit poil fort court & très-fin, caché autour des racines du grand. La tête, le ventre & les jambes n'avoient que le gros poil ; ce poil étoit un peu ondé, comme celui des chevres, au-dessus de la tête, au cou, au dos, aux flancs, & au ventre. Le dessus du dos, le haut de l'estomac, le bas de la gorge, les flancs, le dessus de la tête, & le dehors des oreilles, étoient de couleur de minime brun ; & il y avoit encore depuis les oreilles jusqu'aux narines, une bande de la même couleur qui enfermoit les yeux : le reste du poil étoit d'un blanc sale & roussâtre. La queue n'avoit que trois pouces de longueur, & les oreilles cinq : elles étoient bordées au-dedans par un poil blanc ; le reste étoit ras & de couleur de châtain brun. Les yeux étoient grands ; il y avoit une paupiere interne de couleur rouge, qui se retiroit vers le petit coin de l'oeil. M. Duverney prétend que la couleur rouge de cette membrane ne doit pas être constante. La levre supérieure étoit un peu fendue, à-peu-près comme celle du lievre : cependant M. Duverney a observé qu'il n'y a qu'une petite gouttiere au milieu de la levre supérieure des chamois, comme à celle des boeufs & des moutons. Les cornes étoient noires, rondes, rayées par des cercles, & non torses, & en vis ; elles étoient tournées en arriere sans être crochues, parce que cet animal étoit encore jeune : on dit qu'elles deviennent avec l'âge si crochues en arriere & si pointues, que les chamois les font entrer dans leur peau lorsqu'ils veulent se gratter, & qu'elles s'y engagent de façon qu'ils ne peuvent plus les retirer, & qu'ils meurent de faim. Le chamois dont nous suivons la description, n'avoit des dents incisives qu'à la mâchoire d'em-bas, comme les animaux ruminans : ces dents étoient au nombre de huit, & inégales ; celles du milieu étoient beaucoup plus larges que celles des côtés. Les piés étoient fourchus & creux par-dessous. Mem. de l'acad. royale des Scien. tom. III. part. I.

Le chamois est un animal timide. Il y en a beaucoup sur les Pyrenées, sur les Alpes, dans les montagnes de Dauphiné, sur-tout dans celle de Donoluy. On les voit souvent par troupe de cinquante & plus. Ils aiment le sel, c'est pourquoi on en répand dans les endroits où on veut les attirer. Ils paissent l'herbe qui croît dans le gravier, ils sautent d'un rocher à l'autre avec autant d'agilité que les bouquetins, & quelquefois ils s'y suspendent par les cornes. Voyez QUADRUPEDE. (I)

CHAMOIS, (Matiere médicale). Les Pharmacologistes recommandent le sang, le suif, le foie, le fiel & la fiente de chamois ; mais toutes les vertus qu'ils leur attribuent leur sont communes avec celles des mêmes matieres que l'on retire de tous les animaux de la même classe, en étendant même cette analogie à deux ordres entiers de quadrupedes, selon la distribution des Zoologistes modernes ; à tous ceux qui sont compris par Linneus dans l'ordre de ses jumenta & dans celui de ses pecora. La seule matiere un peu plus particuliere à cet animal, dont les vertus médicinales soient célébrées, c'est l'aegagropile ou bésoard germanique, qu'on trouve dans son estomac. Voyez AEGAGROPILE. Au reste toutes ces matieres sont très-peu employées en Médecine parmi nous. Voyez PHARMACOLOGIE. (b)

* CHAMOIS. (Art méchanique) La peau du chamois est fort estimée, préparée & passée en huile ou en mégie ; on l'emploie à beaucoup d'ouvrages doux & qu'on peut savonner, gants, bas, culottes, gibecieres, &c. On contrefait le véritable chamois avec les peaux de boucs, de chevres, chevreaux, & de moutons. Voyez l'article CHAMOISEUR. Le chamois est souple & chaud ; il supporte la sueur sans se gâter, & on s'en sert pour purifier le mercure, en le faisant passer à-travers ses pores qui sont serrés. Voyez MERCURE.


CHAMOISERIES. f. (Art méchanique). Ce terme a deux acceptions. Il se dit de l'endroit ou de l'attelier où l'on prépare les peaux de chamois, ou celles qu'on veut faire passer pour telles. Voyez l'article CHAMOISEUR. Il se dit aussi de la marchandise même préparée par le Chamoiseur. Il fait le commerce de chamoiserie.


CHAMOISEURS. m. (Ord. Encyc. entendem. raison, mém. histoire, hist. nat. histoire des arts méchaniques) ouvrier qui sait préparer, & qui a le droit de vendre les peaux de chamois, pour être employées aux différens ouvrages qu'on en fait. On donne le même nom aux ouvriers qui prennent chez le Boucher les peaux de moutons, de brebis, de chevres, de chevreaux & de boucs, couvertes de poil ou de laine, pour en faire le faux chamois. Ils achetent ces peaux par cent.

Voici la maniere exacte de préparer ces peaux ; nous ne séparerons point le travail du Chamoiseur de celui du Mégissier, parce que la manoeuvre de l'un differe très-peu de la manoeuvre de l'autre, sur-tout dans le commencement du travail.

Quand on a acheté les peaux, on peut les garder, en attendant qu'on les travaille, & qu'on en ait une assez grande quantité. Pour cet effet, on les étend sur des perches où elles se sechent ; il faut avoir soin de les battre pour en chasser les insectes appellés artusons, & autres qui les gâteroient. Cette précaution est sur-tout nécessaire dans les mois de Juin, de Juillet & d'Août, les plus chauds de l'année. On en travaille plus ou moins à la fois, selon qu'on a plus ou moins de peaux & d'ouvriers.

Quand on a amassé des peaux, on les met tremper soit dans une riviere, quand on en a une à sa proximité, soit dans des pierres ou des vaisseaux de bois, qu'on appelle en quelques endroits timbres. Si la peau est fraîche, on peut la laver sur le champ ; il ne faut guere qu'un jour à un ouvrier pour laver un cent de peaux. Si au contraire elle est seche, il faut la laisser tremper un jour entier, sans y toucher. On lave les peaux en les agitant dans l'eau, & en les maniant avec les mains, comme on le voit exécuter Planche du Chamoiseur, figure 1. timbre 1. Cette préparation les nettoye.

Au sortir du timbre, on les met sur le chevalet, on les y étend, & on les passe au fer ou couteau à deux manches. Voyez de ces couteaux Pl. du Mégissier, fig. 11. 12. 14. même Pl. On voit en c un chevalet, une peau dessus, & un ouvrier occupé à la travailler. Cette opération s'appelle retaler. Son but est de blanchir la laine & de la nettoyer de toutes ses ordures.

Quand une peau a été retalée une fois, on la jette dans de l'eau nouvelle & dans un nouveau timbre ; ainsi il est à-propos que dans un attelier de Chamoiseur il y en ait plusieurs. Un ouvrier peut retaler en un jour vingt douzaines. Quand sa tâche est faite, il prend toutes ses peaux retalées & mises en un tas, & il les jette toutes dans l'eau nouvelle : il les y laisse passer la nuit, en quelque tems que ce soit ; cependant l'eau étant plus chaude ou moins dure en été, le lavage se fait mieux. Le premier retalage se fait de poil ou de laine. Le second jour, il se fait un second retalage ; à ce second retalage, on les étend sur le chevalet, comme au premier ; on y passe le fer, mais sur le côté de la chair ; cette opération nettoye ce côté & rend la peau molle. Il est à-propos que ce second retalage ait été précédé d'un lavage, & que les peaux ayent été maniées dans l'eau. Il ne faut pas moins de peine & de tems pour ce second retalage que pour le premier.

A mesure que le second retalage s'avance, l'ouvrier remet ses peaux en tas les unes sur les autres ; & au bout de la journée il remplit les timbres de nouvelle eau, y jette ses peaux, les y laisse une nuit, & les retale le lendemain pour la troisieme fois. Ce troisieme retalage ne differe aucunement des précédens ; il se fait sur le chevalet, & se donne du côté de la laine.

Il est à-propos d'observer que ces trois retalages de fleur & de chair ne sont que pour les peaux seches. Lorsque les peaux sont fraîches, on les retale trois fois, à la vérité, mais seulement du côté de la laine ; le côté de la chair étant frais, il n'a besoin d'aucune préparation ; l'ouvrage est alors bien abregé, puisqu'un ouvrier pourroit presque faire en un jour ce qu'il ne fait qu'en trois.

Après le troisieme retalage des peaux, on les rejette dans l'eau nouvelle, dans laquelle on les lave sur le champ ; il faut bien se garder de les laisser en tas, car elles s'échaufferoient, & se gâteroient. Quand elles sont lavées, on les fait égoutter ; pour cet effet, on les étend sur un treteau, toutes les unes sur les autres, & on les y laisse pendant trois heures.

Au bout de ce tems, on les met en chaux. Pour mettre en chaux, on est deux ; on prend une peau, on l'étend à terre, la laine contre la terre, & la chair en-haut ; on étend bien la tête & les pattes d'un côté, la queue & les pattes de l'autre ; on prend une seconde peau qu'on étend sur la premiere, tête sur tête, queue sur queue ; la laine de la seconde est sur la chair de la premiere ; la laine de la troisieme sur la chair de la seconde, & ainsi de suite jusqu'à la concurrence de dix à douze douzaines. Quand elles sont toutes étendues, comme nous venons de le dire, on a à côté de soi un baquet ; il y a dans ce baquet de la chaux, cette chaux est fondue & délayée à la consistance de celle dont les Maçons se servent pour blanchir. Alors on prend une peau sans laine, cette peau s'appelle un cuiret : on saisit ce cuiret avec la tenaille par le milieu, après l'avoir plié en plusieurs doubles, ou on l'attache à l'extrémité d'un bâton, à-peu-près sous la forme d'un torchon, comme on voit Pl. du Mégissier fig. 1. On plonge ce cuiret dans la chaux, on frotte ensuite avec cette peau empreignée de chaux la premiere peau du tas, ce qu'on appelle enchaussener. Il faut que la peau soit enchaussenée par-tout, c'est-à-dire qu'il n'y ait à la peau qu'on enchaussene pas un endroit où le cuiret n'ait passé & n'ait laissé de la chaux. Cette précaution est de conséquence. A mesure qu'on met les peaux en chaux, on les met en pile. Il n'y a plus de danger à les mettre en pile, car les peaux ne s'échauffent plus quand elles sont enchausnées ou enchaussenées ; mais tout ce qui n'a pas été enchaussené se pourrit.

Pour mettre en pile, voici comment on s'y prend. Quand une peau est enchaussenée, on la plie en deux selon sa longueur, c'est-à-dire que les deux parties de la tête sont appliquées l'une sur l'autre, & les deux parties de derriere pareillement l'une sur l'autre, chair contre chair. On met à terre cette peau ainsi pliée ; on en enchaussene une seconde qu'on plie comme la premiere, & qu'on pose sur elle, & ainsi de suite. Une centaine de peaux fournit trois à quatre tas ou piles, selon qu'elles sont plus ou moins fortes de laine. Le ployement des peaux se fait par deux ouvriers. On laisse les peaux en pile ou tas à terre, passer enchaussenées une huitaine entiere, ou même une dixaine de jours, si elles ont été travaillées seches ; il ne faut que deux jours, si elles sont fraîches.

Au bout de ce tems on les déchaussene ; pour cet effet, on les enleve du tas une à une, on les ouvre, on les plie en sens contraire à celui selon lequel elles étoient pliées, c'est-à-dire par le milieu, mais toûjours laine contre laine, de maniere que la laine de la tête soit contre la laine de la queue ; on a de l'eau nouvelle toute prête ; on passe chaque peau pliée comme nous venons de dire, dans cette eau, & on l'y agite jusqu'à ce que la chaux qui n'est pas encore séchée sur elle, en soit entierement détachée.

Quand la chaux a été emportée par l'eau, on plie la peau selon sa longueur, c'est-à-dire de maniere que le pli traverse la tête & la queue, & que la chair soit contre la chair, & on la met sur un treteau pour égoutter. On continue de déchaussener, de plier & de mettre en pile sur le treteau. On ne peut guere déchaussener plus d'un cent dans la même eau ; au reste ceci dépend beaucoup de la grandeur des timbres. On prend ordinairement de l'eau nouvelle à chaque cent ; d'où l'on voit combien il est avantageux à un Chamoiseur de travailler sur une riviere où l'eau change sans-cesse.

Quand les peaux sont toutes déchaussenées, on les laisse égoutter sur les treteaux le tems à-peu-près qu'il faut pour tirer de l'eau nouvelle ; ce tems suffit pour que l'eau qui s'égoutte entraîne avec elle le gros de ce qui reste de chaud. Après cela, on les prend sur les treteaux, on les laisse pliées, & on les met ainsi une à une dans l'eau nouvelle, & on les lave précisément comme le linge, en frottant une partie de la peau contre une autre. Le but de ce lavage est d'ôter de dessus la laine la portion d'eau de chaux dont elle pourroit être chargée.

Quand une peau a été ainsi lavée, on la met étendue sur les treteaux, & ainsi de suite ; on y en forme un tas qu'on laisse égoutter jusqu'au lendemain : le lendemain, s'il fait beau, on prend les peaux dessus les treteaux, & on les expose au soleil à terre, sur des murs, la laine tournée du côté du soleil ; cette manoeuvre n'est pas indifférente, la laine en devient beaucoup plus douce & plus marchande. On ne laisse les peaux exposées au soleil qu'environ une heure, quand il fait chaud.

C'est alors le tems de dépeler : on entend par dépeler, enlever la laine. Pour cet effet on prend une peau, on la place sur le chevalet sur lequel on l'a retalée ; & avec le même fer on en fait retomber toute la laine, qui se détache si facilement qu'un ouvrier peut dépeler vingt douzaines en un jour, & qu'on ne passe le fer qu'une fois pour dépeler.

Quand la laine est abattue, on l'étend sur le grenier pour la faire sécher. Cette laine est appellée laine de plie. Elle reste plus ou moins sur le grenier, selon la saison : il ne faut que huit jours en été ; en hyver il faut quelquefois quinze jours, ou même un mois. L'hyver est cependant la saison où l'on tue le plus de moutons, & où le Chamoiseur dépele davantage. Quand la laine est seche, elle se vend au Drapier, sans recevoir aucune autre préparation.

Quand les peaux ont été dépelées, elles prennent le nom de cuirets, & on les jette en plains. Les plains sont des fosses rondes ou quarrées dont le côté a cinq piés (Voyez de ces fosses en A B D, Pl. du Mégissier) : leur profondeur est de quatre piés. On y met environ un muid de chaux, & on les remplit d'eau environ aux deux tiers. On y jette douze douzaines de cuirets les uns après les autres ; on les y étend ; on les enfonce dans la chaux avec un instrument qu'on voit Pl. du Mégiss. fig. 4. & qu'on appelle un enfonçoir ; c'est un quarré de bois emmanché d'un long bâton. Toute cette manoeuvre s'appelle coucher en plain.

On les laisse dans le plain pendant quatre, cinq à six jours, puis on les en tire ; ce qui s'appelle lever. Plus on leve souvent, mieux on fait. Pour lever, on prend les tenailles, on saisit les peaux (Voyez ces tenailles, même Pl. fig. 8.) ; on les tire, on les jette sur des planches mises sur les bords du plain : on les laisse sur ces planches quatre jours, au bout desquels on les recouche ; on réitere cette opération pendant le cours de deux mois, ou deux mois & demi ; mais on observe au bout de ce tems de les coucher dans un autre plain neuf. Il ne faut pas mettre les peaux dans le plain aussi-tôt qu'il est fait ; c'est une regle générale, la chaleur de la chaux les brûleroit : quand on a préparé un plain, il faut donc attendre toûjours, avant que d'y jetter les peaux, au moins deux jours, tems qui lui suffit pour se refroidir.

Après ce travail de deux mois & demi, les peaux tirées des plains pour n'y plus rentrer, sont mises à l'eau, & rincées de chaux. On a de l'eau fraîche, & on les lave dans cette eau. Il y a des ouvriers qui ne rincent point, mais ils n'en font pas mieux. Après que les peaux ont été rincées de chaux, on les effleure. Cette opération de rincer & d'effleurer se fait sur chaque peau l'une après l'autre : on tire une peau du plain, on la rince & on l'effleure, puis on passe à une autre.

Effleurer, c'est passer le fer sur le côté où étoit la laine : cette opération s'exécute sur le chevalet avec un fer tranchant, & qu'on appelle fer à effleurer : celui dont on s'est servi jusqu'à-présent s'appelle fer à tenir. L'effleurage consiste à enlever la premiere pellicule de la peau. Cette pellicule s'enleve plus ou moins facilement : il y a des cuirets qui se prêtent avec tant de peine au couteau, qu'on est obligé de les raser. Effleurer, c'est passer le couteau sur la peau legerement, & menant le tranchant circulairement & parallélement au corps tout le long de la peau ; raser au contraire, c'est appuyer le couteau fortement, couché de plat sur la peau, & le conduire dans une direction oblique au corps, comme si l'on se proposoit de couper & d'enlever des pieces de la peau. Les ouvriers, pour désigner la qualité des peaux difficiles à effleurer, & qu'ils sont obligés de raser, disent qu'elles sont creuses. Les moutons creux ont le grain gros & la surface raboteuse. Il y en a de si creux, qu'on est obligé de les raser tous ; tels sont les grands moutons. Un ouvrier ne peut guere effleurer que quatre douzaines par jour ; mais s'il étoit obligé de raser toutes les peaux, il n'en finiroit guere que deux douzaines dans sa journée.

Quand les peaux sont effleurées, on les met à l'eau : pour cet effet on a un timbre plein d'eau nouvelle ; on les jette dans cette eau ; on les en tire pour les travailler sur le chevalet avec le fer à écharner. Cette opération s'appelle écharner : elle se donne du côté de la chair, ou côté opposé à celui de la laine ; elle consiste à en détacher des parcelles de chair en assez petite quantité. On écharne jusqu'à dix douzaines par jour.

Après cette façon on leur en donne encore trois autres ; deux consécutives du côté de la fleur, & une du côté de la chair ; observant avant chacune de les passer dans l'eau nouvelle : toutes se donnent sur le chevalet, & toûjours avec le même dernier fer : elles s'appellent façons de fleur, façons de chair, selon les côtés où elles se donnent.

Voici le moment d'aller au foulon. Si on a la quantité nécessaire de peaux pour cet effet, on y va : cette quantité s'appelle une coupe ; la coupe est de vingt douzaines. Ce terme vient de l'espece d'auge du moulin à fouler où l'on met les peaux. Il y a des moulins où il y a jusqu'à quatre coupes : il y a deux maillets dans chaque coupe. Ces maillets sont taillés en dents à la surface qui s'applique sur les peaux : ce sont des pieces de bois très-fortes ou blocs à queue ; une roue à eau fait tourner un arbre garni de camnes ; ces camnes correspondent aux queues des maillets, les accrochent, les élevent, s'en échappent, & les laissent retomber dans la coupe. Voilà toute la construction de ces moulins, qui different très-peu, comme on voit, des moulins à foulon des Drapiers. Voyez l'article DRAP.

Pour faire fouler les peaux, on les met dans la coupe en pelotes de trois ou quatre : pour faire la pelote, on met les peaux les unes sur les autres, on les roule : on les tient roulées en noüant les pattes & les têtes, & en passant les deux autres extrémités de la peau sous ce noeud : on jette ensuite ce noeud dans les coupes qui contiennent jusqu'à 20 douzaines de peaux. On laisse les pelotes sous l'action des pilons pendant deux heures ou environ ; au bout de ce tems on les retire de la coupe : on a des cordes tendues dans un pré à la hauteur de quatre piés ; on disperse les peaux sur ces cordes, & on leur donne un petit évent ou vent blanc ; c'est-à-dire qu'on les y laisse exposées à l'air un peu de tems, un quart-d'heure, un demi-quart-d'heure. Il faut, comme on voit, avoir du beau tems ou des étuves : ces étuves ou chambres chaudes ont au plancher & de tous côtés des clous à crochet, auxquels on suspend les peaux jusqu'au nombre de trente douzaines. Ces chambres sont échauffées par de grands poêles.

Après ce premier petit vent blanc, on leve les peaux de dessus les cordes : tant qu'elles ont de l'eau, on dit qu'elles sont en tripes ; & quand elles commencent à s'en dépouiller, on dit qu'elles se mettent en cuir. Quand on les a levées de dessus les cordes, on les porte dessus une table pour leur donner l'huile. On se sert de l'huile de poisson. On ne la fait point chauffer. On a cette huile fluide dans une chaudiere : on trempe sa main dedans ; puis la tenant élevée au-dessus de la peau, on en laisse dégoutter l'huile dessus : on la promene ainsi par-tout, afin que la peau soit par-tout arrosée de l'huile dégouttante des doigts. Pour mettre bien en huile, il faut environ quatre livres d'huile par chaque douzaine de peau. Il n'y a point d'acception sur le côté de la peau ; on l'arrose d'huile par le côté qui se présente.

A mesure qu'on donne l'huile aux peaux, on les remet en pelotes de quatre peaux chacune, & on jette les pelotes dans la coupe du foulon, où elles restent exposées à l'action des maillets pendant environ trois heures ; au bout de ce tems, on les retire, & on leur donne sur les cordes un second vent un peu plus fort que le premier : il est d'un bon quart-d'heure.

Au bout de ce quart-d'heure, on leve de dessus les cordes, on remet en pelotes, & on jette les pelotes dans la coupe pour la troisieme fois, où elles restent encore deux heures ; puis on les retire, & on leur donne une rosée d'huile sur la même table, & semblable à la premiere qu'elles ont reçûe : après cette rosée, on remet en pelotes, & on les fait fouler pendant trois heures.

Au bout de ces trois heures on les retire encore de la coupe ; on les étend sur des cordes, où on leur donne encore un vent un peu plus fort que le précédent : au sortir de dessus les cordes, & après avoir été remises en pelotes, on les foule encore pendant trois heures ou environ. On continue la foule & les vents alternativement jusqu'à huit vents, observant de donner immédiatement avant le dernier vent la troisieme rosée d'huile. Après le huitieme vent, qui est d'une ou de deux heures, il n'y a plus de foule.

Il faut ménager les vents qui précedent le dernier avec beaucoup d'attention : s'ils étoient trop forts ou trop longs, les peaux se vitreroient ou deviendroient trop dures ; qualité qui les rendroit mauvaises. Les endroits foibles sont plus exposés que le reste à se vitrer ; mais si l'ouvrier étoit négligent, la peau se vitreroit par-tout.

Au sortir de la foule, & après le dernier vent, on met les peaux en échauffe. Mettre les peaux en échauffe, c'est en former des tas de vingt douzaines, & les laisser s'échauffer dans cet état. Pour hâter & conserver cette chaleur, on enveloppe ces tas de couvertures, de façon qu'on n'apperçoit plus de peaux. C'est alors qu'il faut veiller à son ouvrage ; si on le néglige un peu, les peaux se brûleront, & sortiront des tas noires comme charbon. On les laisse plus ou moins en échauffe, selon la qualité de l'huile & la saison. Elles fermentent tantôt très-promtement, tantôt très-lentement. La différence est au point qu'il y en a qui passent le jour en tas sans prendre aucune chaleur ; d'autres qui la prennent si vîte, qu'il faut presque les remuer sur le champ. On s'apperçoit à la main que la chaleur est assez grande pour remuer. Remuer les peaux, c'est en refaire de nouveaux tas en d'autres endroits, retournant les peaux par poignées de huit à dix plus ou moins. Leur chaleur est telle, que c'est tout ce que l'ouvrier peut faire que de la supporter.

On couvre les nouveaux ou le nouveau tas, & on fait jusqu'à sept ou huit remuages. On remue tant qu'il y a lieu de craindre à la force de la chaleur, qu'elle ne soit assez grande pour brûler les peaux. On laisse entre chaque remuage plus ou moins de tems selon la qualité de l'huile : il y en a qui ne permet de repos qu'un quart-d'heure, d'autres davantage. Après cette manoeuvre, les peaux sont ce qu'on appelle passées : pour les passer, on les a débarrassées de leur eau ; il s'agit maintenant pour les finir, de les débarrasser de leur huile.

Pour cet effet, on prépare une lessive avec de l'eau & des cendres gravelées : il faut une livre de cendres gravelées pour chaque douzaine de peaux. On fait chauffer l'eau au point de pouvoir y tenir la main ; trop chaude, elle brûleroit les peaux : quand la lessive a la chaleur convenable, on la met dans un cuvier, & on y trempe les peaux ; on y jette à-la-fois tout ce qu'on en a ; on les y remue ; on les y agite fortement avec les mains, on continue cette manoeuvre le plus long-tems qu'on peut, puis on les tord avec la bille.

La bille est une espece de manivelle, telle qu'on la voit Pl. du Chamoiseur, fig. 5. cette manivelle est de fer : le coude & le bras B C D sont perpendiculaires à la queue A B : A B a environ 2 piés de longueur ; C D un pié & demi ; l'ouverture du coude B, F, 4 pouces : le tout va un peu en diminuant depuis la tête du bras jusqu'au bout de la queue. Pour tordre, l'ouvrier a une perche fixée horisontalement dans deux murs, ou autrement, comme on voit Plan. du Chamoiseur, fig. 2. on prend cinq à six peaux : on les jette sur cette perche ; on les saisit de la main gauche par les bouts qui pendent ; on place entre ces bouts la queue A B de la bille : on prend de la main droite le manche D ; l'excédent des peaux depuis la perche jusqu'à la main gauche se range le long de la queue, & entre dans le coude B C F ; on fait tourner la bille à l'aide de ce manche, le plus fortement qu'on peut ; ou bien on se contente, après avoir saisi les bouts des peaux, de passer entr'elles & au-dessous de la perche un bâton qu'on tourne, & qui fait la même fonction que la bille.

A mesure qu'on tord, la lessive sort & emporte la graisse. Le mélange d'huile & de lessive s'appelle dégras, & l'opération, dégraisser. Quand un premier dégraissage a réussi, il ne faut plus qu'un lavage pour conditionner la peau : ce lavage se fait dans l'eau claire, chaude, & sans cendres. Mais il en faut venir quelquefois jusqu'à trois dégraissages, quand les cendres sont foibles : les ouvriers prétendent qu'il faut alors écarter les femmes de l'attelier, & qu'il y a dans le mois un tems où leur présence fait tourner la lessive. On lave après ces dégraissages : après ce lavage, on tord un peu : cette derniere opération se fait aussi sur la perche & avec la bille.

Quand les peaux ont été suffisamment torses, on les secoue bien, on les détire, on les manie ; on les étend sur des cordes, ou on les suspend à des clous dans les greniers, & on les laisse sécher : il ne faut quelquefois qu'un jour ou deux pour cela.

Quand elles sont seches, on les ouvre sur un instrument appellé palisson : c'est ce que fait l'ouvrier de la Pl. du Chamoiseur, fig. 3. Le palisson simple est un instrument formé de deux planches, dont l'une est perpendiculaire à l'autre : la perpendiculaire porte à son extrémité un fer tranchant, un peu mousse, courbé, dont la corde de la courbure peut avoir six pouces, & la courbure est peu considérable. On passe la peau sur ce fer d'un côté seulement : cette opération n'emporte rien du tout ; elle sert seulement à amollir la peau, & à la rendre souple. On passe au palisson jusqu'à quinze douzaines de peaux par jour : l'opération du palisson se fait du côté de la fleur.

Lorsque les peaux ont été passées au palisson, on les pare à la lunette : c'est ce que fait l'ouvrier, Pl. du Chamoiseur, fig. 4. L'instrument qu'on voit, même fig. même Pl. qui consiste en deux montans verticaux, sur lesquels sont assemblées deux pieces de bois horisontales, dont l'inférieure est fixe sur les montans, & la supérieure peut s'écarter de l'inférieure, & entre lesquelles on peut passer la peau & l'y arrêter par le moyen d'une clé ou morceau de bois en talud qui traverse un des montans immédiatement au-dessus de la piece de bois supérieure ; cet instrument, dis-je, s'appelle un paroir. Il y a encore un autre paroir qu'on peut voir même Pl. fig. 7. ce sont pareillement deux montans avec lesquels est emmortoisée une seule piece de bois : il y a perpendiculairement à cette piece de bois, mais parallelement à l'horison, deux especes de pitons fixés à la même hauteur, & à-peu-près à la distance de la largeur de la plus grande peau : ces pitons reçoivent un rouleau de bois dans leurs anneaux : on jette la peau sur ce rouleau, & on l'y fixe par le moyen de trois especes de valets : ces valets sont composés d'une espece de crochets de bois qui peuvent embrasser la peau & le rouleau ; on en met un à chaque extrémité de la peau ; & un troisieme sur le milieu des poids attachés au bout de ces valets, les empêche de lâcher la peau qu'ils tiennent serrée contre le rouleau de toute la pesanteur du poids. Voyez fig. 7. e g, les montans ; M, la traverse ; o, o, les pitons : n, n, le rouleau ; P q, P q, P q, les valets ; p, p, p, les crochets ; q, q, q, les poids ; m la peau.

L'opération de parer se fait du côté de la chair. La lunette enleve ce qui peut être resté de chair. La lunette est une espece de couteau rond comme un disque, percé dans le milieu, & tranchant sur toute sa circonférence, tel qu'on le voit Pl. du Mégiss. fig. p. La circonférence de l'ouverture inférieure est bordée de peau : l'ouvrier passe sa main dans cette ouverture pour saisir la lunette & la manier. La lunette a cela de commode, que quand elle cesse de couper du côté où l'on s'en sert, le plus leger mouvement du poignet & des doigts la fait tourner, & la présente à la peau par un endroit qui coupe mieux. Il y a des ouvriers qui parent jusqu'à six douzaines de peaux par jour.

Quand les peaux sont parées, on les vend aux Gantiers & à d'autres ouvriers. Il est bon de savoir que s'il reste de l'eau dans les peaux quand on les met en échauffe, si elles sont mal passées, c'est autant de gâté ; elles se brûlent, & deviennent noires & dures. C'est à l'échauffe qu'elles se colorent en chamois. Un ouvrier prudent n'épargnera pas les remuages.

On ne perd pas le dégras ; on le met dans une chaudiere ; on le fait bouillir ; l'eau s'évapore ; & il reste une huile épaisse qu'on vend aux Corroyeurs.

On mettoit jadis de l'ocre au dernier lavage, pour rendre la peau plus jaune ; mais il n'y a plus que les paysans qui les veulent de cette couleur ; on prétend d'ailleurs qu'elle altere la peau, & la rend moins moëlleuse. Pour employer l'ocre, on le détrempoit dans de l'eau ; & au dernier lavage, après le dégraissage, on passoit les peaux dans cette eau.

S'il se trouve quelques chevres & quelques boucs dans un habillage (c'est le nom qu'on donne à la quantité de toutes les peaux qu'on a travaillées, depuis le moment où l'on a commencé jusqu'au sortir du foulon) ; s'il s'y trouve même des chamois, des biches, & des cerfs, le travail sera tel qu'on l'a décrit : mais quand les peaux de boucs, de chevres, de chamois, de biches, de cerfs, &c. sont revenues du foulon, & qu'elles ont souffert l'échauffe, le travail a quelque différence : on les met tremper dans le dégras jusqu'au lendemain, & ensuite on les ramaille.

Le ramaillage est l'opération la plus difficile du Chamoiseur ; elle consiste à remettre les peaux auxquelles cette manoeuvre est destinée, sur le chevalet ; à y passer le fer à écharner ; à enlever l'arriere-fleur ; & à faire par ce moyen cotonner la peau du côté de la fleur. Si le fer n'a pas passé & pris partout, il y aura des endroits où l'arriere-fleur sera restée : ces endroits ne seront point cotonnés, & ne prendront point couleur. Ramailler est un travail dur ; il faut être bon ouvrier pour ramailler par jour, soit une douzaine & demie de boucs, soit deux douzaines de chevres, ou dix peaux de cerfs.

S'il fait soleil, on expose à l'air les peaux immédiatement après les avoir ramaillées, sinon on les dégraisse tout de suite.

Quand il s'agit de donner les vents, lors de la foule, il faut les donner d'autant plus forts que les peaux sont plus fortes. Selon la force des peaux, il faut même & plus de vents & plus de foule ; les cerfs reçoivent alternativement jusqu'à douze vents & douze foules.

Quand on employe en ouvrages les peaux de chevres, de boucs, de cerfs, &c. la fleur est en-dehors & fait l'endroit de l'ouvrage ; la chair est à l'envers. C'est le contraire pour les peaux de mouton.

On effleure les peaux, pour que celui qui les employe puisse facilement les mettre en couleur. La peau effleurée prend plus facilement la couleur que la peau qui ne l'est pas.

Les Chamoiseurs & les Mégissiers doivent prendre garde dans l'emplette des peaux, que celles de mouton ne soient point coutelées, c'est-à-dire qu'au lieu d'avoir été enlevées de dessus l'animal avec la main, elles n'ayent pas été dépouillées avec le couteau. On ne coutele les peaux qu'à leur détriment, & la durée en est moindre.

Quand l'opération de la foule n'a pas été bien faite, le Chamoiseur est quelquefois obligé de broyer ces peaux à la claie. Voyez l'article CORROYEUR.

On paye au foulon quatre francs par coupe de vingt douzaines.

Toutes les opérations du Chamoiseur & du Mégissier se font ordinairement dans des tanneries, où ils ont des eaux de citerne ou de puits, au défaut d'eau de riviere.

Il y a des Chamoiseurs qui ne se donnent pas la peine de préparer les peaux ; ils les achetent des Tanneurs en cuirets, & se contentent d'achever le travail : ils sont même presque dans la nécessité de céder ce profit aux Tanneurs, qui exercent ici une espece de petite tyrannie sur le Boucher. Celui-ci craignant de ne pas vendre bien ses peaux de boeufs & de veaux, s'il les séparoit de celles de mouton, est obligé de les vendre toutes ensemble au tanneur ; ce qui gêne & vexe le Chamoiseur, sur-tout en province. Il seroit à souhaiter qu'on remédiât à cet inconvénient. Il ne doit pas être plus permis au Tanneur d'empiéter sur le travail du Chamoiseur & du Mégissier, qu'à ceux-ci d'empiéter sur le sien.

On apprête aussi en huile des peaux de castor ; mais cela n'est pas ordinaire. Ce travail est le même que celui des peaux de boucs & de chevres. Lorsque ces dernieres sont teintes en différentes couleurs, on les appelle castors, sur-tout employées en gants d'hommes & de femmes. Voyez l'article CASTOR.

On est à présent dans l'usage de passer en huile des peaux de veaux ; on en peut aussi réduire le travail à celui des peaux de boucs & de chevres.

On employe les nappes ou peaux de chamois, cerfs, biches, & bufles pour la cavalerie. On y destine même quelquefois des cuirs de boeufs qu'on passe alors en huile. On fait des culottes avec les peaux de biches, quand elles sont minces : on en fait aussi avec les peaux de moutons quand elles sont fortes. C'est par cette raison, qu'on aura soin dans l'un & l'autre cas de séparer les peaux selon leurs différentes qualités. Les peaux de mouton foibles se mettront en doublures de culottes, bas, chaussettes à étrier, &c.

Plusieurs fabriquans font tort au public, lorsqu'ils s'avisent en appareillant leurs peaux pour les vendre, d'en mettre une forte avec une foible : il seroit mieux, même peut-être pour leur intérêt, de mettre les excellentes avec les excellentes, les bonnes avec les bonnes, les médiocres avec les médiocres, & de vendre les unes & les autres ce qu'elles valent. Par ce moyen l'acheteur useroit sa marchandise en entier, & le marchand n'auroit pas moins gagné.

Les rebuts qui ne manquent jamais de se trouver dans un foulage de peaux de différentes qualités, se vendent ordinairement aux Gantiers.

Les peaux de chamois, cerfs, biches & daims, qu'on passe en huile, ne demandent pas une autre main-d'oeuvre que celle que nous avons expliquée ; il n'y a de différence que dans les doses, les délais, les nourritures, &c. Il est à propos, autant qu'on peut, de ne mettre qu'une sorte de peaux dans un même foulage ; sans quoi les unes seront trop foulées, les autres ne le seront pas assez. Les Chamoiseurs ne s'assujettissent peut-être pas assez à cette regle.

Les peaux de daim sont aujourd'hui les plus recherchées pour les culottes.

La différence seule qu'il y ait entre le Chamoiseur & le Mégissier, c'est que le Chamoiseur passe en huile, & le Mégissier ne passe qu'en blanc. Cette différence se sentira mieux par ce que nous allons dire de ce dernier.

La manoeuvre du Mégissier est la même que celle du Chamoiseur jusqu'aux plains. Quand les peaux sont dépelées, on les jette en plain : on les y laisse trois mois ; & pendant tout ce tems, on les leve de huit en huit jours. Au bout de ces trois mois, on les tire tout-à-fait ; on les met à l'eau, c'est-à-dire qu'on les porte dans l'eau fraîche pour les travailler ; on les échancre sur le chevalet, & on les rogne, c'est-à-dire qu'on en coupe les bouts des pattes & de la tête, & toutes les extrémités dures. Quand elles sont rognées, on les met boire, & on les jette dans l'eau ; puis on les épierre : épierrer, c'est avec une pierre de grais ou à éguiser, montée sur un morceau de bouis ou manche, un peu tranchante, & servant de fer ou de couteau au Mégissier, travailler la peau du côté de la fleur, ce qui s'appelle tenir. Quand les peaux ont été tenues, on les jette dans de l'eau claire ; on les foule & bat bien dans cette eau ; on les en tire pour les travailler du côté de la chair, ce qui s'appelle donner un travers de chair : cette manoeuvre se fait avec le couteau à écharner. On dit donner un travers ; parce que dans cette façon la peau ne se travaille pas en long, ou de la tête à la queue, mais en large.

Quand on a donné le travers aux peaux, on les met dans de la nouvelle eau, & on les foule ; ce qui se fait à bras, avec des pilons ou marteaux de bois, emmanchés & sans dents. La foule dure à chaque fois un quart-d'heure ; puis on rince. Après avoir rincé, on fait reboire dans de nouvelle eau ; on donne ensuite un bon travers de fleur : ces travers n'enlevent rien, ils font seulement sortir la chaux. On remet encore à l'eau nouvelle ; on foule, on rinse, on remet boire ; puis on donne une glissade de fleur avec le couteau rond : donner une glissade, c'est travailler legerement en long, ou de la tête à la queue. On remet dans l'eau, on foule, on rinse, on donne une seconde glissade de fleur, après laquelle on recoule de chair : recouler, c'est passer legerement le couteau à écharner. En général, le couteau rond sert toujours pour la fleur, & le couteau à écharner pour la chair.

Lorsque les peaux sont recoulées, on prépare un confit avec de l'eau claire & du son de froment. Pour dix douzaines de peaux, il faut une carte de son, ou un demi-boisseau comble ; on met le mélange d'eau & de son dans un muid ; on y jette aussi-tôt les peaux ; on les y remue bien, ensorte qu'elles soient couvertes par-tout de son & de confit ; on les y laisse jusqu'à ce qu'elles levent comme la pâte : quand elles sont levées, on les renfonce, ce qui se fait d'un jour à l'autre ; il ne faut pas plus de tems aux peaux pour lever, sur-tout dans les jours chauds. On ne les tire du confit, que quand elles ne levent plus : mais il leur arrive ordinairement de lever & d'être renfoncées jusqu'à sept ou huit fois. Quand elles ne levent plus, on les recoule pour en ôter le son : mais cette opération se fait seulement du côté de la chair. On les met ensuite en presse. Pour cet effet, on les enveloppe dans un drap ; on les couvre d'une claie : on charge cette claie de pierres ; elles ne restent en presse que du jour au lendemain.

Le lendemain, on les secoue & on les passe. Voici la manoeuvre importante du Mégissier à cet effet. Pour dix douzaines de moutons passables & assez beaux, on prend vingt-quatre livres de la plus belle fleur de blé, dix livres d'alun, & trois livres de sel ; on fait fondre l'alun avec le sel en particulier, dans un petit seau d'eau chaude ; on a dix douzaines de jaunes d'oeufs, & trois livres d'huile d'olive : on fait de l'alun fondu avec le sel & de la farine, une pâte ; on répand l'huile d'olive sur cette pâte ; on délaye bien le tout ensemble : quant aux jaunes d'oeufs, il ne faut les mêler à la pâte délayée, que quand elle n'est presque plus chaude, & avoir soin d'en rendre le mélange très-égal. Quant à sa consistance, il ne la lui faut pas si grande que celle du miel ; il lui faut un peu plus de fluidité.

Si l'on a dix douzaines de peaux, on les divisera en cinq parties égales, qu'on appelle passées, de deux douzaines chacune ; & quant à la quantité de pâte ou sauce qu'on aura préparée, on la divisera aussi en cinq parties ou platées. Pour passer, on prendra une des platées, qu'on divisera encore en deux demi-platées ; on aura un cuvier assez grand pour que la peau y puisse être étendue ; on aura près de soi les deux douzaines de peaux ; on aura fait tiédir à-peu près trois fois autant d'eau qu'on aura de sauce, c'est-à-dire la valeur de trois demi-platées : on mêlera cette eau tiede avec la demi-platée de sauce ; on remuera bien le tout ; on mettra alors les deux douzaines de peaux, où l'on aura répandu son mélange ; on les y trempera bien : pour cet effet, on y agitera les peaux jusqu'à ce qu'elles ayent bû toute la sauce. Pendant cette manoeuvre, le cuvier est incliné en-devant ; & la manoeuvre se fait dans la partie basse du cuvier. Quand elle est faite on prend les peaux, & on les repousse à la partie supérieure du fond, qui forme un plan incliné : là elles s'égouttent, & ce qui en sort se rend à la partie inférieure.

Quand elles sont suffisamment égouttées, on prend l'autre demi-platée, on y ajoûte à-peu-près deux fois autant d'eau tiede ; on met le tout dans le même cuvier où sont les peaux ; on remue bien ; puis on prend chacune des peaux déjà passées & qu'on a mises égoutter à la partie supérieure du fond du cuvier, l'une après l'autre ; on tient étendue avec les deux mains celle qu'on a prise, & on la trempe trois ou quatre fois dans la sauce, en l'y frottant bien. On met ensuite cette peau trempée ou passée, dans un autre endroit de la partie supérieure du fond du cuvier : on prend une autre peau ; on l'étend avec les mains : on la trempe trois ou quatre fois en la frottant bien dans la sauce : & on la met sur la premiere ; & ainsi de suite jusqu'à ce que toute la passée soit finie. Quand toute la passée est finie, on ramene toutes les peaux du haut du fond du cuvier, dans le bas, & on leur fait achever de boire toute la sauce.

Quand les cinq passées sont faites, on les met toutes ensemble dans un cuvier, & on les foule, soit avec les piés, soit avec des pilons : cette foule dure environ un quart-d'heure. Quand on a bien foulé les peaux, on les laisse reposer dans le cuvier jusqu'au lendemain. Le lendemain, s'il fait beau, on les étend au soleil ; s'il fait laid, on les laisse dans le cuvier à la sauce, où elles ne souffrent point : elles y peuvent rester jusqu'à quinze jours : si elles ne peuvent pas sécher dans un même jour, on les remet dans la sauce.

Quand elles sont seches, ce qui ne demande qu'un jour quand il fait très-beau, on tire environ une dixaine de seaux d'eau, qu'on met dans un cuvier ; on prend les peaux seches par deux douzaines, & on les plonge dans l'eau, d'où on les retire sur le champ, de peur qu'elles n'en prennent trop. Quand elles n'en ont pas assez pris, on les y replonge une seconde fois ; puis on les broye ou foule aux piés sur une claie qui est à terre : dix douzaines de peaux ne se broyent pas en moins de trois heures.

Quand elles sont broyées, on les laisse reposer jusqu'au lendemain. Le lendemain, on leur donne encore un coup de pié ; puis on les ouvre sur le palisson du côté de la chair : on les fait sécher ensuite, en les étendant dans le grenier. Voyez Pl. du Mégissier, ces peaux étendues dans le grenier. On en ouvre douze douzaines en un jour.

On les laisse étendues dans le grenier jusqu'au lendemain ; puis on les broye encore fortement sur la claie. On les redresse ensuite sur le palisson du côté de la chair ; un ouvrier en peut redresser jusqu'à quinze douzaines en un jour. Quand elles sont redressées, on les pare à la lunette, toûjours du côté de la chair. Ce qui s'en détache à la lunette, s'appelle du parun, & se vend aux Cordonniers, aux Tisserands & aux Cartiers qui en font de la colle. Le parun est blanc comme de la farine, si le pareur est un ouvrier propre ; mais il n'est pas aussi fin.

Nous n'avons pas insisté ici sur ce que c'est que redresser au palisson, ouvrir sur le même instrument, & parer à la lunette, ces opérations se trouvant expliquées plus au long dans la premiere partie de cet article, où nous avons traité de l'art du Chamoiseur.

La police a pris quelques précautions contre la corruption de l'air qui peut être occasionnée par le travail des peaux passées, soit en huile, soit en blanc, ou en mégie. La premiere, c'est d'ordonner à ces ouvriers d'avoir leurs tanneries hors du milieu des villes : la seconde, de suspendre leurs ouvrages dans les tems de contagion ; & la troisieme, qui est particuliere peut-être à la ville de Paris, c'est de ne point infecter la riviere de Seine, en y portant leurs peaux.

Quant à leurs réglemens, il faut y avoir recours, si l'on veut s'instruire des précautions qu'on a prises, soit pour la bonté des chamois vrais ou faux, soit pour le commerce des laines : voyez aussi l'article MEGISSIER. Nous avons exposé l'art de Mégisserie & de Chamoiserie, avec la derniere exactitude : on peut s'en rapporter en sûreté à ce que nous en venons de dire ; le peu qu'on en trouvera ailleurs, sera très-incomplet & très-inexact. Si la manoeuvre varie d'un endroit à un autre, ce ne peut être que dans des circonstances peu essentielles, auxquelles nous n'avons pas crû devoir quelque attention. Il suffit d'avoir décrit exactement un art tel qu'il se pratique dans un lieu, & tel qu'il se peut pratiquer par-tout. Or c'est ce que nous venons d'exécuter dans cet article, qu'on peut regarder comme neuf ; mérite que nous tâcherons de donner à tous ceux qui suivront sur les Arts, dans les troisieme, quatrieme, &c. volumes, comme nous avons fait dans les deux premiers ; ce qui n'étant la partie de ce Dictionnaire ni la moins difficile, ni la moins pénible, ni la moins étendue, devroit être principalement examinée par ceux qui se proposeront de juger de notre travail sans partialité.


CHAMOND(SAINT) Géog. mod. petite ville de France dans le Lyonnois, au bord du Giez. Long. 22. 8. lat. 45. 28.


CHAMOSS. m. (Myth.) nom d'une idole des Moabites ; d'autres l'appellent Chemosh : Vossius dit que c'est le Comus des Grecs & des Romains : Bochard le confond avec leur Mercure, sur des conjectures érudites que nous ne manquerions pas de rapporter, si nous voulions donner un exemple de ce que la multitude des connoissances fournit de combinaisons singulieres à l'imagination, & de ce qu'on ne parviendroit pas à démontrer par cette voie. Ce souverain des Hébreux qui eut une sagesse à l'épreuve de tout, hors des femmes, Salomon, eut la complaisance pour une de ses maîtresses moabite, d'élever des autels à Chamos. Il y en a qui croyent que ce Chamos est le même que Moloch : sentiment qui differe beaucoup de l'opinion de Nicétas, qui prétend que l'idole Chamos étoit une figure de Venus.


CHAMOUZAY(Géog. mod.) petite ville de France en Lorraine.


CHAMPS. m. se dit au simple d'un espace de terre cultivée, plus ou moins grand : plusieurs champs forment la piece de terre ; plusieurs pieces forment un territoire. Comme les terres cultivées sont ordinairement hors de l'enceinte des villes, bourgs, & villages, on entend par aller dans les champs, se promener dans les champs, parcourir par exercice les terres cultivées qui sont aux environs des habitations. On dit aller aux champs, pour mener paître les bestiaux ;

Si le Tasse, Virgile, & Ronsard, sont des ânes,

Sans perdre en vains discours le tems que nous perdons,

Allons aux champs comme eux, & mangeons des chardons.

De cette acception du mot champ ou espace de terre ouvert de tout côté, on en a dérivé un grand nombre d'autres. Exemples.

* CHAMP, (Hist. anc.) c'étoit un lieu ouvert dans la campagne où les jeunes gens s'assembloient pour y faire leurs exercices, & y célébrer certains spectacles, &c. & où les citoyens tenoient aussi leurs comices ou les assemblées dans lesquelles il s'agissoit de délibérer de quelque affaire publique. On comptoit à Rome un grand nombre de champs : il y avoit le champ d'Agrippa, le champ Brutien, le Caudetan, le Lanatarius, le Martius, le Pecuarius, le Setarius, le Viminalis, &c. mais par le nom de champ sans addition, on entendoit toûjours le champ de Mars.

Le campus Agonius étoit situé entre la vallée Martia & le cirque de Flaminius : ce n'étoit qu'un marché.

Le champ d'Agrippa étoit dans la septieme région de la ville, entre le capitole & ce qu'on appelle aujourd'hui le collége romain.

Le champ Brutien ou Brytien étoit dans la quatorzieme région de la ville, au Janicule, près du fauxbourg Brutianus, à peu de distance des murs de la ville. Il avoit été ainsi nommé des Brutiens, ou, comme d'autres le prétendent, d'un Brutus qui l'avoit fait orner.

Le Caudetanus se trouvoit aussi dans la quatorzieme région, & avoit été ainsi nommé d'un petit bouquet de bois, entre lequel on imagina quelque ressemblance avec la forme de la queue d'un cheval.

Le Coelimontanus étoit dans la seconde région ; on en ignore la place, à moins que ce champ n'ait été le même que le campus Martialis.

L'Esquilinus étoit dans la cinquieme région, au haut du mont Esquilin, où l'on étoit dans l'usage d'enterrer la populace & les pauvres : Pantolabum scurram, Nomentanumque nepotem. Le champ Esquilin fut hors de la ville jusqu'au tems de Servius Tullius, sous lequel il y fut réuni : on y éleva dans la suite des édifices, & Mécene finit par en faire ses jardins, ainsi qu'Horace nous l'apprend dans la satyre Olim truncus eram, &c. où l'on voit encore que c'étoit-là que les magiciens alloient faire leurs incantations nocturnes.

Le Figulinus étoit dans la treizieme région, entre le Tibre & le mont Aventin : il a pris son nom des potiers qui habitoient ce quartier.

Le campus Florae ou champ de Flore, étoit dans la neuvieme région : ce fut là qu'on bâtit le théatre de Pompée : on y publioit les lois, les édits, & les réglemens du sénat ; on y célébroit les jeux appellés floralia en l'honneur d'une des affranchies de Pompée, d'où il fut appellé campus florae ; ou d'une courtisanne de l'ancienne Rome qui avoit amassé assez d'argent pour fonder des jeux en sa mémoire. Ces jeux furent institués ; mais dans la suite des tems, la gravité romaine offensée de ces fêtes, tâcha d'en abolir la honte, en les perpétuant non à l'honneur de la courtisanne, mais de la déesse des fleurs ; cependant les jeux continuerent toûjours à se ressentir de leur premiere institution, par la liberté des actions & des paroles qui y regnoient.

Le campus Horatiorum ; on n'en connoît pas la place : c'étoit peut-être l'endroit du combat des Horaces & des Curiaces.

Le campus Jovis ; c'est, selon quelques-uns, le même que le campus Martius major, où Jupiter vangeur avoit en effet son temple : d'autres au contraire, veulent que ce fût le campus Martius minor, où il y avoit une statue colossale de Jupiter.

Le Lanatarius étoit dans la douzieme région ; il fut ainsi nommé, à ce qu'on dit, des marchands de laine qui y étoient établis ou qui s'y assembloient.

Le campus Martialis étoit dans la seconde région sur le mont Coelius. Il fut nommé martialis, de Mars dont on y célébra les equiria lorsque le champ de Mars fut inondé par le Tibre. C'est actuellement la place de devant l'Eglise de S. Jean de Latran.

Le campus Martius, champ de Mars, qui se nommoit par excellence campus ou campus Martius major, pour le distinguer du campus Martius minor, étoit dans la neuvieme région ; il fut consacré à Mars par Romulus même, suivant quelques-uns ; & suivant d'autres, par le peuple après l'expulsion de Tarquin le superbe, qui se l'étoit approprié & qui le faisoit cultiver. Quoi qu'il en soit, ce n'étoit dans les commencemens qu'une prairie où la jeunesse romaine alloit s'exercer, & où l'on faisoit paître les chevaux ; les Romains en firent dans la suite un des principaux lieux de leurs assemblées, & un des endroits de Rome les plus remarquables par les décorations. Il s'étendoit depuis la porte Flaminia jusqu'au Tibre, & comprenoit ce qu'on appelle aujourd'hui la place Borghese, le Panthéon, les places di Carlo Farnese, di Ponti, di Navonne, Nicosea, &c. avec la longue rue di Scrofa, & l'entrée du pont S. Ange. Il étoit hors de la ville ; Jules César eut le dessein de l'y renfermer ; mais Aurélien passe pour l'avoir exécuté, en conduisant les murs de la ville depuis la porte Colline jusqu'au Tibre. Ce champ étoit très-beau par sa situation, c'étoit le lieu des exercices militaires. On y luttoit ; lorsque les jeunes gens étoient couverts de sueur & de poussiere, ils se jettoient dans le Tibre qui l'arrosoit. C'étoit-là que se tenoient les comices ou assemblées générales du peuple. Plusieurs grands hommes y avoient leurs sépultures. Les statues y étoient si nombreuses, que pour en peindre l'effet, les auteurs ont dit qu'on les eût prises de loin pour une armée. L'empereur Auguste y avoit son tombeau ; il étoit encore remarquable par un obélisque surmonté d'une boule dorée qui servoit de gnomon à un cadran solaire. Cet obélisque, après avoir resté pendant plusieurs siecles enseveli sous les ruines de l'ancienne Rome & sous les maisons de la Rome nouvelle, fut relevé par les soins de Benoît XIV. aujourd'hui régnant. Ce pontife acheta toutes les maisons qui le couvroient, & le rétablit dans son ancienne splendeur. Le campus Martius comprenoit différens portiques, la villa publica, le Panthéon, les thermes Néroniens, les termes d'Agrippine, le théatre de Pompée, le cirque Flammien, la colonne d'Antonin, la basilique d'Antonin, le Diribitorium, différens temples, & une infinité de choses remarquables. C'est aujourd'hui un des quartiers de Rome les plus habités.

Le campus Martius minor étoit une partie du campus Martius major, & la même chose que le campus Tiberinus, qui avoit été donné au peuple par Caia Teratia ; il s'étendoit depuis le pont Janicule, ou, suivant le nom moderne, depuis le pont de Sixte, jusqu'au pont S. Ange. Cet endroit est aussi couvert de maisons.

Le campus Octavius. On n'en sait pas la position. On conjecture que ce champ fut ainsi nommé par Auguste, en mémoire de sa soeur Octavie.

Le campus Pecuarius étoit dans la neuvieme région. Il étoit ainsi appellé du commerce de bestiaux qui s'y faisoit.

Le campus Rediculi étoit devant la porte Capene ; ce fut dans cet endroit qu'Annibal campa lorsqu'il se fut approché de Rome avec son armée.

Le campus Sceleratus étoit dans la sixieme région, à peu de distance de la porte Colline. Il y avoit là un soûterrain dans lequel on descendoit les vestales convaincues d'avoir péché contre leurs voeux ; elles y étoient comme enterrées toutes vives : ce soûterrain n'étoit qu'à cet usage.

Le campus Tergeminorum étoit placé, selon quelques-uns, dans la onzieme région, & suivant d'autres dans la treizieme ; il étoit ainsi appellé de la porte Tergemina, au-devant de laquelle il étoit, à l'endroit où les Horaces & les Curiaces avoient combattu. Mais on ne sait précisément en quel endroit étoit la porte Tergemina ; on conjecture que c'étoit entre le Tibre & le mont Aventin, à l'extrémité de la ville, où est actuellement la porte d'Ostie.

Le campus Vaticanus étoit dans la quatorzieme région, entre le mont Vatican & le Tibre, où est aujourd'hui la citta Leonina.

Le campus Viminalis étoit dans la quinzieme région près des remparts de Tarquin ; c'est ce qu'on appelle aujourd'hui villa Peretta.

Tant de places ne doivent pas peu contribuer à nous donner une haute idée de l'étendue & de la magnificence de l'ancienne Rome, sur-tout si nous en faisons la comparaison avec les villes les plus grandes qui soient en Europe. Voyez ant. exp. & hed. lex.

CHAMP DE MARS ou DE MAY. C'étoit ainsi que dans les premiers tems de la monarchie françoise on appelloit les assemblées générales de la nation que les rois convoquoient tous les ans pour y faire de nouvelles lois, pour écouter les plaintes de leurs sujets, décider les démêlés des grands, & faire une revûe générale des troupes.

Quelques auteurs ont tiré ce nom d'un prétendu champ de Mars semblable à celui de Rome, mais sans fondement ; d'autres, avec beaucoup plus de vraisemblance, le font venir du mois de Mars où ces assemblées se tenoient ; & sous le roi Pepin, vers l'an 755, ce prince les remit au mois de Mai, comme à une saison plus douce pour faire la revûe des troupes. Elles conservent néanmoins l'ancien nom de champ de Mars, & on les nomme aussi quelquefois champ de May.

Les rois recevoient alors de leurs sujets ce qu'on appelle les dons annuels ou dons royaux, qui étoient offerts quelquefois volontairement, & quelquefois en conséquence des taxes imposées ; & ces taxes étoient destinées aux besoins du roi & de l'état. Nous avons beaucoup de preuves que les ecclésiastiques n'étoient pas exempts de ce tribut à cause de leurs domaines & de leurs fiefs. Quelques monasteres les devoient aussi, & donnoient outre cela un contingent de troupes dans le besoin : d'autres, qui étoient pauvres, n'étoient obligés qu'à des prieres pour la santé du prince & pour la prospérité du royaume, & c'est de-là que l'on tire l'origine des subventions que le clergé paye au roi. Sous la seconde race on tint ces assemblées deux fois l'an, savoir au commencement de chaque année, & au mois d'Août & de Septembre. Sous la troisieme race elles prirent le nom de parlement & d'états généraux. Voyez PARLEMENT, ETATS GENERAUX. (G) (a)

Ce même usage étoit établi chez les anciens Anglois, qui l'avoient emprunté des François, comme il paroît par les lois d'Edoüard le confesseur, qui portent que le peuple s'assembleroit tous les ans pour renouveller les sermens d'obéissance à son prince. Quelques auteurs anglois parlent encore de cette coûtume vers l'an 1094, & disent que l'assemblée de la nation se fit in campo Martio ; ce qui montre que ces assemblées se tenoient encore sous les premiers rois normands après la conquête ; & qu'encore qu'elles se tinssent au mois de Mai, elles ne laissoient pas de conserver le nom de champ de Mars. Ducange, 4e. dissert. sur l'hist. de S. Louis. (G)

CHAMP CLOS, (Hist. mod.) étoit anciennement un lieu clos ou fermé de barrieres, destiné aux joûtes & aux tournois, divertissemens que prenoient les souverains & qu'ils donnoient à leur cour. Mais on l'a aussi attribué à des combats singuliers qui étoient quelquefois ou permis ou ordonnés par les souverains, pour la vengeance des injures, & pour maintenir l'honneur des chevaliers, ou même celui des dames de la cour. Alors on se battoit en champ clos, & ces combats avoient leurs lois & leurs juges, comme on le verra ci-dessous au mot CHAMPION. Voyez aussi les articles JOUTES, BARRIERE, TOURNOIS. (a)

CHAMP, en terme de guerre, est le lieu où s'est donné une bataille. Le général est resté maître du champ de bataille. A la bataille de Malplaquet les ennemis acheterent le stérile honneur de demeurer maîtres du champ de bataille, par le plus horrible carnage qui fut fait de leurs troupes. (Q)

CHAMP, en terme de Blason, est la face plane ordinairement de l'écu ou écusson. On lui a donné ce nom, parce qu'elle est chargée des armes que l'on prenoit autrefois sur l'ennemi dans un champ de bataille.

C'est le lieu qui porte les couleurs, les pieces, les métaux, les fourrures, &c. On commence par blasonner le champ : il porte de sable, &c.

Les auteurs modernes qui ont écrit sur le blason, se servent plus souvent du terme d'écu & d'écusson, que de celui de champ. Voyez ÉCU & ÉCUSSON.

CHAMP, terme d'Architecture, espace qui reste autour d'un cadre ou chambranle de pierre, & qui dans la Menuiserie s'appelle balie. (P)

CHAMP d'une lunette, (Lunettier) est l'espace que cette lunette embrasse, c'est-à-dire ce que l'on voit en regardant dans la lunette. C'est une perfection dans une lunette d'embrasser beaucoup de champ ; mais cette perfection nuit souvent à une autre, c'est la netteté des objets : car les rayons qui tombent sur les bords du verre objectif, & d'où dépend le champ de la lunette, sont rompus plus inégalement que les autres, ce qui produit des couleurs & de la confusion. On remédie à cet inconvénient par un diaphragme placé au-dedans de la lunette, qui en interceptant ces rayons diminue le champ, mais rend la vision plus distincte. (O)

CHAMP, en terme d'Orfévre en grosserie ; c'est proprement le fond d'une piece où sont disposés en symmétrie les ornemens dont on l'enrichit, mais qui lui-même n'en reçoit point d'autre que le poli. Voyez POLI.

CHAMP, en Menuiserie, se dit de la largeur & longueur de la face d'un battant ou traverse, espace qui reste sans moulure. Voyez CHAMP en Architecture.

* CHAMP, Peinture, Haute-lisse, Marqueterie, &c.) se dit de l'espace entier qui renferme les objets exécutés, soit avec les couleurs, soit avec les soies, soit avec les pieces de rapport ; & en ce sens il est synonyme à étendue. Quelques personnes ont donné à ce terme une acception bien différente ; ils ont dit qu'un corps étoit de champ à un autre, quand celui-ci étoit placé derriere ; ainsi, selon eux, la draperie d'un bras dans une figure est de champ à ce bras. Il ne paroît pas qu'en parlant ainsi ils ayent eu égard à la direction de la draperie, mais qu'ils ont employé l'expression de champ, soit que le corps qu'ils disoient de champ à un autre, fût ou perpendiculaire, ou incliné, ou parallele à celui-ci. Quoi qu'il en soit, M. de Piles a improuvé cette expression, & il prétend qu'il est mieux de dire cette draperie fait fond à ce bras ; cette terrasse fait fond à cette figure. Le terme de champ se restraint quelquefois à une seule partie d'un tableau, d'une tapisserie, &c. & alors il signifie seulement l'espace occupé par cette partie.

Champ a encore quelqu'autre signification en menuiserie & en charpenterie. Un corps y est dit être de champ, quand sa situation est exactement parallele à l'horison ; parallélisme dont on s'assûre à l'équerre : alors de champ est opposé à incliné, & le contraire de debout. Un corps qui est de champ est perpendiculaire à un corps qui est vertical.

Autre signification d'être de champ, relative à la situation du corps & à ses dimensions. Un corps qui a moins d'épaisseur que de hauteur, comme une tuile, est dit être placé de champ, quand il est dressé sur son côté le plus étroit ; en ce cas il est opposé à couché, & synonyme à droit. Une tuile droite & une tuile de champ, c'est la même chose. Le terme de champ est encore d'usage en horlogerie. Une roue est placée de champ, quand son plan est perpendiculaire à la partie qu'on regarde comme la base de la machine. Car remarquez bien que dans une montre, par exemple, la roue qu'on appelle de champ ne peut être ainsi appellée que relativement aux plaques qui servent de base à toute la machine. C'est alors un terme relatif ; & si on le définit, eu égard à des choses extérieures à la machine même, la définition deviendra fausse. Ainsi, dans une machine telle que celle que nous venons de citer, celui qui diroit que la roue de champ est celle qui se meut perpendiculairement à l'horison, ne s'appercevroit pas que cette définition n'est vraie que dans la supposition que quand cette roue est considérée, on a placé la montre horisontalement.

CHAMP BESIALE, (Jurispr.) dans la coûtume d'Acqs, est une terre ou lande sans maisons ni bâtimens, commune entre plusieurs co-propriétaires qui y ont chacun des parts certaines contigues les unes aux autres. Voyez la coûtume d'Acqs, tit. xj. art. 2. & le glossaire de Lauriere, hoc verbo. (A)


CHAMP-LEVERv. act. & neut. en termes de Bijoutier ; c'est surbaisser avec une chape de champ d'une piece, & le réduire à la hauteur précise où il doit rester, soit pour y incruster quelques pierreries, soit pour y placer des émaux. Voyez ÉMAILLER. Dans ce dernier cas, les fonds qu'on a champlevés, doivent être flinqués, c'est-à-dire piqués avec un burin, tel que la rape de Menuisier.

CHAMP-LEVER, en terme de Fourbisseur & de Ciseleur ; c'est l'action de creuser & de découvrir au burin, sur un morceau d'acier, les figures qu'on y a dessinées & tracées, & qu'on doit mettre en bas-relief.


CHAMPACAMS. m. (Bot. exot.) arbre qui croît aux Indes orientales, qui donne deux fois l'année des fleurs très-odoriférantes, mais qui fait attendre son fruit long-tems. Rai qui en fait mention, n'ajoûte rien de plus sur sa description : quant à l'énumération de ses vertus, elle ne finit point. Nous la supprimons, parce qu'il est indifférent d'être instruit des propriétés d'une plante ignorée ; qu'il est étonnant que ces propriétés soient si bien connues, & que la plante le soit si peu ; & qu'il est assez vraisemblable qu'on n'a rien de bien assûré sur un médicament, sur-tout s'il est exotique, quand on en raconte tant de merveilles. Ce qui nous encourage à prononcer si séverement sur les éloges qu'on fait des substances des pays lointains, c'est la vérité avec laquelle les habitans de ce pays porteroient le même jugement des vertus admirables que nous attribuons aux nôtres. On pourroit bien dire de la plûpart des médicamens exotiques, ce qu'on a coûtume de dire de la plûpart des histoires profanes des tems anciens : voulez-vous savoir quel degré de certitude il faut leur accorder, voyez quel degré de foi vous devez à celles de votre tems.


CHAMPADA(Bot. exot.) arbre qui croît au Malaque : il est grand & touffu ; ses branches sont cendrées, noüeuses, & jettent une liqueur gluante & acre comme celle du titimale, quand on y fait une incision. Le fruit naît du tronc & des grosses branches ; il sort d'un bouton qui s'ouvre en plusieurs feuilles entre lesquelles le fruit naît : il prend jusqu'à quatorze pouces de long, sur autant de circonférence : il a la figure de nos melons ; son écorce est verte ; elle est divisée en petits pentagones au centre desquels il y a un point noir : le pédicule en est gros & ligneux ; il pénetre dans la substance du fruit, & s'y disperse en plusieurs gros filamens qui vont se réunir à la pointe, mais desquels il part comme des châtaignes qu'une pulpe blanchâtre enveloppe : si l'on ouvre l'écorce & qu'on écarte la pulpe spongieuse, les châtaignes se dégagent de leurs compartimens, & demeurent attachées à la queue comme les grains du raisin à la grappe. Cette pulpe est sucrée ; on la suce ; le goût en est assez bon ; mais l'odeur en est forte. Les habitans du pays aiment ce fruit parce qu'il échauffe & entête. On en fait cuire les châtaignes dans de l'eau ; mais elles ne valent pas les nôtres. Voyez mém. de l'Acad. page 331. tome IX.


CHAMPAGNES. f. (Géog. & Comm.) province de France qui a environ soixante-cinq lieues de longueur, sur quarante-cinq de largeur. Elle est bornée au septentrion par le Hainaut & le Luxembourg ; à l'orient par la Lorraine & la Franche-Comté ; à l'occident par l'Isle de France & le Soissonnois ; au midi par la Bourgogne. Ses rivieres principales sont la Seine, la Marne, la Meuse, l'Aube, & l'Aîne : on la divise en haute & basse ; Troyes, Châlons, & Rheims, se disputent l'honneur d'en être la capitale. Elle comprend la Champagne propre, le Rémois, le Rételois, le Pertois, le Vallage, le Bassigny, le Senonois, & la Brie champenoise. La partie qui est entre Sésanne & Vitri, s'appelle la Champagne pouilleuse : en effet, elle est pauvre, & ne produit guere que de l'avoine, du seigle, & du sarrasin : mais les terres du reste de la province sont excellentes ; elles donnent des blés ; ses côteaux sont couverts de vignes, dont il est inutile de loüer les vins. Il y a de bons pâturages, des mines de fer en grand nombre, des forges, des fonderies, quelques papeteries, & des tanneries à l'infini. On fabrique à Rheims des étoffes de soie & laine, des chapeaux, des couvertures, des toiles & des cuirs. Il y a des métiers & des manufactures de toutes ces sortes à Rétel, à Mézieres, à Charleville & Sedan, &c. c'est de cette derniere ville que sont originaires les fameux draps de Pagnon. Les villes de Châlons, de Vitri, de Saint-Dizier, de Chaumont, &c. ne sont pas sans commerce : il se fabrique dans cette derniere de gros draps, & on y passe en mégie beaucoup de peaux de boucs & de chevreaux. Langres a été plus fameuse par sa coutellerie, qu'elle ne l'est aujourd'hui ; le nombre des ouvriers en fer y est cependant encore très-grand. Troyes est considérable par ses manufactures en étoffes de laine, en toiles & basins ; & il n'y a peut-être pas une ville en Champagne dont le commerce soit plus étendu. Les Champenois sont laborieux, & passent pour de bonnes gens. Si le proverbe est vrai, la Champagne est en France ce que la Béotie étoit dans la Grece : l'une a donné naissance à Pindare, & l'autre à la Fontaine.

CHAMPAGNE, ou DROIT DE CHAMPAGNE, terme de Finances usité anciennement à la chambre des comptes ; c'étoit un droit ou rétribution que les auditeurs des comptes prenoient sur les baux à ferme des domaines de Champagne, pour être payé aux présidens, maîtres & auditeurs. Ce droit étoit de vingt sous pour chaque ferme de mille livres & au-dessous ; & quarante sous des fermes qui excédoient mille livres. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot CHAMPAGNE. Ce droit ne subsiste plus depuis longtems. (A)

CHAMPAGNE, terme de Blason ; c'est l'espace en bas d'un tiers de l'écu. Le pere Menestrier dit que la champagne est rare en armoiries. (V)

* CHAMPAGNE, s. f. (Teinture) cercle de fer garni de cordes noüées, qui vont en s'enlaçant les unes les autres du centre à la circonférence de ce cercle, passant du centre dessus le cercle, revenant du cercle en-dessous au centre, & formant une espece de réseau : on suspend ce cercle dans la cuve, afin d'empêcher l'étoffe qu'on met en teinture de toucher au marc & à la pâtée. Voyez Pl. de Teinture la figure de ce cercle. Voyez aussi l'article TEINTURE.


CHAMPANES. f. (Marine) cette sorte de bâtiment est en usage au Japon, où il est défendu de construire de grands navires. Les champanes ne sont guere que du port de soixante tonneaux, ou quatre-vingt au plus. On n'employe dans leur construction ni fer ni clous ; les bordages sont emboîtés, & les membres n'en sont cousus ou liés que par des chevilles de bois. Ils ne sont pas pontés ; il y a seulement des coursives à bas-bord & à stribord qui servent de liaison au bâtiment qui est plat comme un bac : ils sont plus larges à l'arriere qu'à l'avant ; mais l'avant est plus élevé : le gouvernail qui est à l'arriere est fort large, & ils y ajoûtent à chaque côté une rame assez grosse qui les aide à gouverner. Ils ne portent qu'une voile, qu'on hisse avec un vindas. Sur le haut du bâtiment il y a une espece de cabane qui sert de cuisine ; & au fond de cale une citerne ou endroit pour contenir l'eau nécessaire à l'équipage. Une pareille sorte de bâtiment ne peut pas naviguer dans la haute mer ; à peine peut-il servir le long des côtes, & dans un très-beau tems. (Z)


CHAMPANELLESS. m. (Hist. nat.) grands singes qui ressemblent si fort à l'homme, qu'on a dit qu'ils n'en différoient que parce qu'ils étoient privés de l'usage de la voix. Dish ajoûte qu'on en trouva quelques-uns dans l'île de Bornéo, d'où ils furent transportés en Angleterre, & que les Indiens les appellent aurang-outang. Voyez l'article SINGE.


CHAMPARTS. m. (Jurispr.) terme usité dans plusieurs coûtumes & provinces, pour exprimer une redevance qui consiste en une certaine portion des fruits de l'héritage pour lequel elle est dûe. Ce mot vient du latin campi pars, ou campi partus, d'où l'on a formé dans les anciens titres latins les noms de campars, campipartum, camparcium, campartum, campardus, campartus, campipertio. Voyez Ducange, au mot campi pars.

En françois il reçoit aussi différens noms : en quelques lieux on l'appelle terrage ou agrier ; en d'autres on l'appelle tasque ou tâche, droit de quart ou de cinquain, neuvieme, vingtain, &c.

Ce droit a lieu en différentes provinces, tant des pays coûtumiers que des pays de droit écrit. En quelques endroits il est fondé sur la coûtume, statuts ou usages du lieu ; en d'autres il dépend des titres.

Les coûtumes qui font mention du champart, sont celles de Châteauneuf, Chartres, Dreux, Dunois, Etampes, Orléans, Mantes, Senlis, Clermont, Amiens, Ponthieu, Saint-Pol, Montargis, Romorantin, Menetou, Nivernois, Péronne, Berri, Bourbonnois, Poitou, Blois, & plusieurs autres où il reçois différens noms.

Dans les parlemens de Toulouse & d'Aix, il est connu sous les noms de champart, agrier, ou tasque ; dans les autres pays de droit écrit, il reçoit aussi différens noms.

Il y en a de trois sortes ; savoir, celui qui est seigneurial & qui tient lieu de cens, & est dû in recognitionem dominii ; quelquefois ce n'est qu'une redevance semblable au surcens ou rente seigneuriale ; enfin il y a une troisieme sorte de champart non seigneurial ; celui-ci n'est qu'une redevance fonciere qui est dûe au propriétaire ou bailleur de fonds, dont l'héritage a été donné à cette condition.

Le plus ancien réglement que l'on trouve sur le droit de champart, sont des lettres de Louis-le-gros de l'an 1119, accordées aux habitans du lieu nommé Angere regis, que M. Secousse croit être Angerville dans l'Orléanois. Ces lettres portent que les habitans de ce lieu payeront au roi un cens annuel en argent pour les terres qu'ils posséderont ; que s'ils y sement du grain, ils en payeront la dixme ou le champart. Elles furent confirmées par Charles VI. le 4 Novembre 1391.

On voit dans les établissemens de S. Louis, faits en 1270, ch. xcjx. que le seigneur direct pouvoit mettre en sa main la terre tenue à champart d'un bâtard, dont on ne lui payoit aucune redevance ; mais que ce bâtard pouvoit la reprendre à la charge du cens.

Il est dit, ch. clxiij. de ces mêmes établissemens, que le seigneur pouvoit mettre en sa main la terre qui ne devoit que le terrage ou champart ; mais qu'il ne pouvoit pas l'ôter au propriétaire pour la donner à un autre ; que si la terre devoit quelques autres droits, le seigneur ne la pouvoit prendre qu'après qu'elle avoit été sept ans en friche ; qu'alors le tenancier qui perdoit sa terre devoit de plus dédommager le seigneur de la perte qu'il avoit faite du champart pendant ce tems.

Philippe VI. dit de Valois, dans un mandement du 10 Juin 1331, adressé au sénéchal de Beaucaire, dit qu'on lui a donné à entendre que par un privilege accordé par les rois ses prédécesseurs, & observé jusqu'alors, ceux qui tenoient du roi un fief ou un arriere-fief, pouvoient posséder des héritages tenus à cens ou à champart ; Philippe VI. ordonne qu'il sera informé de ce privilege ; & que s'il est constant, les possesseurs des terres ainsi tenues à cens ou à champart, ne seront point troublés dans leur possession.

Dans des lettres du roi Jean, du mois d'Octobre 1361, portant confirmation de la charte de bourgeoisie accordée aux habitans de Busency, il est dit, art. 4. que les bourgeois payeront le terrage de treize gerbes une, de toutes les terres que l'on labourera sur le ban & finage de Busency, & pour les vignes à proportion.

Un des articles des priviléges accordés aux habitans de Monchauvette en Beauce, par Amauri comte de Montfort, & Simon comte d'Evreux son fils, confirmés par plusieurs de nos rois, & notamment par Charles VI. au mois de Mars 1393, porte que si ceux qui sont sujets au droit de champart ne veulent pas le payer, on le levera malgré eux.

L'usage qui s'observe présentement par rapport au droit de champart, est que dans les pays coûtumiers il n'est dû communément que sur les grains semés, tels que blé, seigle, orge, avoine, pois de vesce, qui sont pour les chevaux ; blé noir ou sarrasin, blé de Mars, chanvre. Il ne se perçoit point sur le vin ni sur les légumes, non plus que sur le bois, sur les arbres fruitiers, à moins qu'il n'y ait quelque disposition contraire dans la coûtume, ou un titre précis.

En quelques endroits les seigneurs ou propriétaires ont sur les vignes un droit semblable au champart, auquel néanmoins on donne différens noms : on l'appelle teneau à Chartres, complant en Poitou, Angoumois & Xaintonge ; carpot en Bourbonnois. Ces droits dépendent aussi de l'usage & des titres, tant pour la perception en général que pour la quotité.

Dans les pays de droit écrit, le champart ou agrier se leve sur toutes sortes de fruits ; mais on y distingue l'agrier sur les vins & autres fruits, de ceux qui se perçoivent sur les grains : les noms en sont différens, aussi bien que la quotité ; cela dépend ordinairement de la baillette, ou concession de l'héritage.

La dixme, soit ecclésiastique ou inféodée, se perçoit avant le champart ; & le seigneur ne prend le champart que sur ce qui reste après la dixme prélevée, c'est-à-dire que pour fixer le champart on ne compte point les gerbes enlevées pour la dixme.

On tient pour maxime en pays coûtumier, que le champart n'est pas vraiment seigneurial, à moins qu'il ne tienne lieu du cens : quelques coûtumes le décident ainsi. Montargis, art. jv.

Le champart seigneurial a les mêmes prérogatives que le cens ; il produit des lods & ventes, en cas de mutation par vente ou par contrat équipollent à vente, excepté dans les coûtumes d'Orléans & d'Etampes, qui sont singulieres à cet égard.

Le décret ne purge point le droit de champart seigneurial, quoique le seigneur ne s'y soit pas opposé.

A l'égard des pays de droit écrit, l'usage le plus général est que le champart n'y est réputé seigneurial que quand il est joint au cens, cela dépend des titres ou reconnoissances. Cependant au parlement de Bordeaux il est réputé seigneurial de sa nature.

Le champart, même seigneurial, n'est pas portable dans les parlemens de droit écrit ; il est querable sur le champ, excepté au parlement de Bordeaux ; il tombe en arrérages : mais sur ce point l'usage n'est pas uniforme ; au parlement de Toulouse on n'en peut demander que cinq ans, soit que le droit soit seigneurial ou non ; à Bordeaux on en adjuge vingt-neuf quand il est seigneurial, & cinq lorsqu'il ne l'est pas ; au parlement de Provence on en adjuge trente-neuf années, quand il est dû à un seigneur ecclésiastique.

En pays coûtumier il ne tombe point en arrérages, & il est toujours querable, si le titre & la coûtume ne portent le contraire ; comme les coûtumes de Poitou, Saintes, Amiens, Nevers, Montargis, Blois, & Bourbonnois.

La quotité du champart dépend de l'usage du lieu, & plus encore des titres. Les coûtumes de Montargis, de Berri & de Vatan, le fixent à la douzieme gerbe, s'il n'y a convention contraire : celle de Dovine le fixe à la dixieme gerbe. Il y a encore des lieux où il est plus fort : quelques seigneurs en Poitou perçoivent de douze gerbes deux, & même trois ; ce qui fait la quatrieme ou sixieme gerbe. Il y a aussi des endroits où il est moindre : tout cela, encore une fois, dépend de l'usage & des titres.

Dans les provinces de Lyonnois, Forès, Beaujolois, il est ordinairement du quart ou du cinquieme des fruits ; c'est pourquoi on l'appelle droit de quarte ou de cinquain.

En Dauphiné on l'appelle droit de vingtain, parce qu'il est de vingt gerbes une.

On peut intenter complainte pour le terrage. Celui qui possede un héritage sujet au champart ou autre droit équipollent, est obligé de labourer & ensemencer ou planter la terre, de maniere que le droit puisse y être perçû ; il ne peut, en fraude du droit, laisser l'héritage en friche, s'il est propre à être cultivé ; & si le titre spécifie la qualité des fruits qui sont dûs, le tenancier ne peut changer la surface du fonds, pour lui faire produire une autre espece de fruits : les coûtumes de Blois & d'Amiens le défendent expressément ; celle de Montargis le permet, en avertissant le seigneur, & l'indemnisant à dire d'experts.

Il faut néanmoins excepter le cas où la nature du terrein demande ce changement ; alors le seigneur ou propriétaire ne perd pas son droit, il le perçoit sur les fruits que produit l'héritage.

La coûtume de Poitou, art. cjv. veut que celui qui tient des terres à terrage ou champart, en pays de bocage, c'est-à-dire entouré de bois, emblave au moins le tiers des terres ; & si c'est en plaine, qu'il emblave la moitié. L'article lxj. porte qu'à l'égard des vignes, faute de les façonner, le seigneur les peut reprendre, & les donner à d'autres.

Les coûtumes de la Marche, Clermont, Berri, Amiens, ne permettent au seigneur de reprendre les terres qu'au bout de trois ans de cessation de culture : celle d'Amiens permet au tenancier de les reprendre ; la coûtume de Blois veut qu'il y ait neuf ans de cessation.

Le champart se prend chaque année dans le champ, soit pour l'emporter s'il est querable, soit pour le compter & le faire porter par le tenancier s'il est portable. Dans tous les cas il faut que le seigneur ou propriétaire, ou leurs préposés, soient avertis avant que l'on puisse enlever la dépouille du champ. La coûtume de Soesme est la seule qui permette au tenancier d'enlever sa récolte sans appeller le seigneur, en laissant le terrage debout, c'est-à-dire sans le couper ; & vice versâ, au seigneur avant le tenancier.

Quant à la maniere d'avertir le seigneur ou propriétaire qui a droit de champart, la coûtume de Boulenois dit qu'on doit le sommer : celles de Berri & Blois veulent qu'on lui signifie ; mais dans l'usage le tenancier n'est point obligé de faire aucun acte judiciaire ; un avertissement verbal en présence de témoins suffit, comme la coûtume de Blois le dit en un autre endroit.

Lorsque ce droit est commun à plusieurs seigneurs, il suffit d'en avertir un, ou de faire cet avertissement au lieu où le champart doit être porté, comme la coûtume de Blois le donne à entendre, art. cxxxiij.

La coûtume de Mantes veut que le seigneur appellé pour la levée du terrage, comparoisse du soir au matin, & du matin à l'après-dînée. Les coûtumes de Poitou & de Berri veulent qu'on l'attende vingt-quatre heures : celle de Montargis, qu'on l'attende compétemment : cela dépend de l'usage & des titres, & même des circonstances qui peuvent obliger d'enlever la moisson plus promtement ; par exemple, lorsque l'on craint un orage.

Le champart seigneurial, & qui tient lieu du cens, est de sa nature imperceptible ; & par une suite du même principe, le décret ne le purge pas.

En Dauphiné le champart, qu'on y appelle vingtain, se prescrit par cent ans, lorsqu'il est seigneurial ; & par trente ou quarante, lorsqu'il ne l'est pas. Sur le droit de champart ou terrage, voyez le glossaire de Ducange au mot campi pars ; & celui de Lauriere, aux mots champart & terrage. La Rocheflavin, tr. des droits seigneuriaux. Despeisses, tit. du champart. Loysel, instit. liv. IV. tit. ij. Loüet & Brodeau, lett. C. n. 19. & 21. Coquille, tome II. quest. 76. Maynard, liv. X. arrêt iij. Dumoulin sur Paris, ch. ij. tit. prem. Chopin sur la même coûtume, liv. I. tit. iij. n. 20. Bretonnier sur Henrys, tome I. liv. I. ch. iij. quest. 34. Dolive, liv. II. ch. xxjv. Basnage sur la coûtume de Normandie, tit. de jurisdiction. art. iij. Guyot, tr. des fiefs, tome IV. ch. du champart. Tr. du champart par Brunet, qui est la suite du tr. des dixmes de Drapier. Voyez aussi ci-devant au mot AGRIER, & ci-après aux mots CHAMPARTAGE, COMPLANT, NEUME, TASQUE, TENEAU, TERRAGE, QUART, CINQUAIN, VINGTAIN.


CHAMPARTAGES. m. (Jurisp.) appellé dans la basse latinité & dans les anciens titres, campartagium, est un second droit de champart que quelques seigneurs, dans la coûtume de Mantes, sont fondés à percevoir outre le premier champart qui leur est dû. Les héritages chargés de ce droit sont déclarés tenus à champart & champartage. Ce droit dépend des titres. Il consiste ordinairement dans un demi-champart. Il est seigneurial & imprescriptible comme le champart, quand il est dû sans aucun cens. Il en est parlé dans l'histoire de Dourdan, & dans le nouveau Ducange, au mot campartagium. Voyez aussi le tr. des fiefs de Guyot, tome IV. ch. du droit de champart, n. 3. & ses notes sur l'article lv. de la coûtume de Mantes.


CHAMPARTELadj. m. (Jurisp.) terre champartelle, sujette au droit de champart ; c'est ainsi que ces terres sont appellées dans les anciennes coûtumes de Beauvoisis par Beaumanoir, ch. lj. Voyez CHAMPART & CHAMPARTIR.


CHAMPARTERv. n. (Jurisp.) terme usité dans quelques coûtumes, pour dire lever le droit de champart : telles sont celles de Mantes, art. lv. Etampes, ch. iij. art. ljx.


CHAMPARTERESSEadj. (Jurisprud.) grange champarteresse, est une grange seigneuriale où se mettent les fruits levés pour droit de champart. On l'appelle champarteresse, de même qu'on appelle grange dixmeresse celle où l'on met les dixmes inféodées du seigneur. Dans les coûtumes & seigneuries où le champart est seigneurial, & où il est dû in recognitionem dominii, comme le cens, les possesseurs d'héritages chargés de tel droit sont obligés de porter le champart en la grange champarteresse du seigneur. Il est parlé de grange champarteresse dans la coûtume d'Orléans, art. cxxxvij. Voyez Lande sur cet article. Voyez aussi la coûtume d'Etampes, chap. iij. art. ljx. Voyez CHAMPART.

On peut aussi donner la qualité de champarteresse à une dame qui a droit de champart seigneurial, de même qu'on appelle seigneur décimateur celui qui a les dixmes inféodées.


CHAMPARTEURS. m. (Jurisp.) est celui qui perçoit & leve le champart dans le champ. Le seigneur ou autre qui a droit de champart, peut le faire lever pour son compte directement par un commis, ou autre préposé dépendant de lui. Lorsque le champart est affermé, c'est le fermier ou receveur qui le leve pour son compte, soit par lui-même ou par ses domestiques, ouvriers & préposés. On peut aussi quelquefois donner la qualité de champarteur à celui qui a droit de champart, comme on appelle seigneur décimateur celui qui a droit de dixme.


CHAMPARTIterres champarties, voyez ci-après CHAMPARTIR.


CHAMPARTIRv. n. (Jurisprud.) se dit dans quelques coûtumes, pour prendre & lever le champart. Telles sont les coûtumes de Nivernois, tit. xj. art. 2. Montargis, ch. iij. art. 3. c'est la même chose que ce qu'on appelle ailleurs champarter. Dans les anciennes coûtumes de Beauvoisis par Beaumanoir, ch. lj. les terres sujettes à terrage sont nommées terres champarties ou terres champartelles. Voyez ci-devant CHAMPART, CHAMPARTER, CHAMPARTERESSE, CHAMPARTEUR.


CHAMPAYS. m. (Jurisp.) pascage des bestiaux dans les champs ; terme formé des deux mots champ & paître. Les auteurs des notes sur la coûtume d'Orléans s'en servent sur l'article cxlv. pour exprimer le pascage des bestiaux. Voyez PASCAGE.


CHAMPAYERest la même chose que faire paître dans les champs. La coûtume d'Orléans, article cxlviij. dit que nul ne peut mener pâturer & champayer son bestial en l'héritage d'autrui, sans la permission du seigneur d'icelui. Voy. ci-dev. CHAMPAY.


CHAMPÉAGES. m. (Jurisprud.) terme usité en Mâconnois, pour exprimer le droit d'usage qui appartient à certaines personnes dans des bois taillis. Ce terme paroît convenir singulierement au droit de pascage que ces usages ont dans les bois : c'est proprement le droit de faire paître leurs bestiaux dans les champs en général ; & ce droit paroît être le même que les auteurs des notes sur la coûtume d'Orléans, art. cxlv. appellent champay. Voyez PASCAGE & CHAMPAY. (A)


CHAMPERv. n. terme de Salines ; c'est jetter le bois sur la grille dans le travail du sel de fontaine. Voyez SALINE. On donne à l'ouvrier occupé de cette fonction, le nom de champeur. Voyez CHAMPEUR.


CHAMPEURS. m. (Salines) c'est ainsi qu'on appelle ceux des ouvriers qui travaillent dans les salines de Franche-Comté, qu'on employe à mettre le bois sur la grille, & à entretenir le feu sous les poêles.


CHAMPIERsub. m. (Econom. rustiq.) est le nom que l'on donne en Dauphiné au messier, ou garde des moissons qui sont encore dans les champs. Voyez les mémoires pour servir à l'histoire du Dauphiné, par M. de Valbonay, ch. xij. (A)


CHAMPIGNONS. m. (Hist. nat.) fungus, genre de plante dont les especes ont un pédicule qui soûtient un chapiteau convexe en-dessus, concave en-dessous, ordinairement uni, & rarement cannelé sur la face convexe ; feuilleté sur la face concave, ou fistuleux, c'est-à-dire garni de petit tuyaux. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Néron avoit coûtume d'appeller les champignons le ragoût des dieux ; parce que Claude, dont il fut le successeur, empoisonné par des champignons, fut mis après sa mort au nombre des dieux.

C'est un mets dont les anciens gourmands étoient aussi curieux que le sont nos modernes.

L'expérience consécutive, journaliere, & répétée en tous lieux, en tous pays, des accidens arrivés par l'excès des champignons, ou par le mauvais choix qu'on en fait si souvent, ou par le doute dans lequel on se trouve quelquefois touchant la salubrité de ceux qu'on présente sur nos tables, n'ont pû ni nous guérir de notre sensualité pour cette espece d'aliment, ni devenir des motifs suffisans pour engager des physiciens à en examiner sérieusement la nature.

Toutefois, indépendamment de ce motif, ce genre de plante auroit dû intéresser les amateurs de la Botanique en particulier, par son étendue, sa singularité, son caractere, la promtitude de sa végétation, &c.

Sa connoissance, suivant la remarque de M. de Jussieu, ne nous intéresse pas seulement par rapport à ce que ces plantes peuvent, ou nous servir d'aliment, ou flatter notre goût, ou, ce qui vaut mieux, nous procurer des remedes efficaces, comme on l'éprouve de l'agaric, de la vesse-de-loup, &c. mais encore par les avantages que la physique de la Botanique, que la perfection de l'Agriculture, & que les Arts même pourroient en tirer.

Si l'on cherche dans les classes des plantes un genre avec lequel les champignons ayent quelque ressemblance, & auquel on puisse les comparer, il ne s'en trouve guere d'autres que les lichens. Voyez LICHEN. Comme eux, les champignons sont dénués de tiges, de branches, & de feuilles ; comme eux, ils naissent & se nourrissent sur des troncs d'arbres, sur des morceaux de bois pourri, & sur des parties de toutes sortes de plantes réduites en fumier : ils leur ressemblent par la promtitude avec laquelle ils croissent, & par la facilité que la plûpart ont à se sécher, & à reprendre ensuite leur premiere forme lorsqu'on les plonge dans l'eau : il y a enfin entre les uns & les autres, une maniere presque uniforme de produire leur graine.

Cette analogie est d'autant plus importante pour la connoissance de la nature des champignons, que les auteurs anciens ne les ont point mis au rang des plantes, & que plusieurs modernes, parmi lesquels se trouvent MIS le comte de Marsigli & Lancisi, dans leur dissertation latine sur l'origine des champignons, imprimée à Rome en 1714, in 8°. se sont persuadés que ceux que l'on voit sur des troncs ou des branches d'arbres, sont des maladies des plantes auxquelles ils sont attachés ; semblables aux exostoses, dont le volume ne s'augmente que par le dérangement des fibres osseuses, qui donne lieu à une extravasation de leurs sucs nourriciers ; & que ceux qui naissent à terre parmi des feuilles pourries ou sur les fumiers, ne sont que ou des expansions de quelques fibres de plantes pourries dont la terre est parsemée, ou des productions causées par la fermentation de certains sucs que ces auteurs disent être gras & huileux, qui restés dans les parties de ces plantes pourries, & mêlés avec une portion de sel de nitre, prennent la forme de globule, plus ordinaire qu'aucune autre aux champignons naissans.

Mais toutes ces idées sur la nature des champignons se détruisent aisément par un examen un peu attentif de leur substance, de leur organisation, de leur variété, & de leur maniere de se multiplier ; car enfin tous ces noeuds, ces vessies, & ces autres tumeurs qui paroissent sur certaines parties des arbres, de même que sur le corps des animaux, comme des maladies auxquelles ils sont sujets, sont composés d'une matiere qui participe de la substance solide ou liquide de ces plantes & de ces animaux sur lesquels ils se rencontrent ; au lieu que la substance des champignons qui s'attachent aux arbres, est non-seulement toute différente de celle des plantes sur lesquelles ils naissent, mais même est semblable à celle des champignons qui sortent immédiatement de la terre.

Si d'ailleurs la singularité de l'organisation est dans les plantes un de ces caracteres qui les distinguent des autres productions de la nature, ce même caractere se fait reconnoître par une disposition particuliere d'organes dans les champignons.

Les caracteres de l'organisation ne se trouvent pas moins multipliés dans cette plante, qu'ils le sont dans tous les genres de classes de plantes : ils y sont constans, en quelque pays & dans quelque année qu'on les observe ; ce qui doit se faire par le moyen d'une reproduction annuelle d'especes, qui ne peut se comprendre sans la supposition d'une semence qui les perpétue & les multiplie.

Cette supposition de semences n'est point imaginaire ; elles se font sentir au toucher en maniere de farine, dans les champignons dont la tête est feuilletée en-dessous, lors sur-tout qu'ils commencent à se pourrir. On les apperçoit aisément à la faveur de la loupe, dans ceux dont les feuillets sont noirs à leur marge : on les trouve sous la forme d'une poussiere, dans ceux qu'on appelle vesses-de-loup ; elles paroissent en assez gros grains sur le champignon de Malthe ; elles sont placées dans des loges destinées à les contenir dans l'agaric noir digité de Boerhaave.

Quelque peine qu'on ait communément à se convaincre que ce sont de véritables graines, les Botanistes, accoutumés à en voir de pareilles dans d'autres plantes, les reconnoissent aisément dans celle-ci, & ne peuvent plus douter que les champignons ne soient d'une classe particuliere de plantes, lorsqu'en comparant les observations faites en differens pays, avec les figures & les descriptions de ceux qui ont été gravés, ils apperçoivent chacun chez eux les mêmes genres & les mêmes especes.

L'établissement de la classe nouvelle à former pour la perfection de la méthode, doit donc se tirer de quelques caracteres qui ne soient pas moins essentiels que ceux des autres classes, & qui les différencient.

Et quels seront les caracteres de ces sortes de plantes, sinon d'être dans toutes leurs parties d'une substance uniforme ; mollasses lorsqu'elles sont dans un état de fraîcheur, charnues, faciles à se rompre, aussi promtes à venir qu'elles sont de peu de durée, & capables, lorsqu'elles sont seches, de reprendre leur forme & leur volume naturel, si on les trempe dans quelque liqueur dont elles s'imbibent ; caracteres qui tous pourroient se comprendre sous le nom de plantes fongueuses : d'ailleurs elles se font connoître à l'extérieur par une figure si singuliere, que n'ayant ni branches, ni feuilles, ni fleurs pour la plus part, elles ne ressemblent ni à aucune herbe, ni à aucun arbre.

On pourroit diviser les plantes fongueuses en deux sections générales ; l'une renfermeroit le lychen, & l'autre les champignons. La section des champignons seroit susceptible de deux divisions considérables, dont l'une comprendroit les champignons qui ne portent que des graines, & l'autre ceux qui ont des graines & des fleurs.

Les genres de la premiere de ces divisions seroient le champignon proprement dit, le poreux, l'hérissé, la morille, les fongoïdes, la vesse-de-loup, les agarics, les coralle-fungus, & les truffes.

Les genres de la seconde de ces soûdivisions seroient le typhoïdes & l'hypoxylon.

Il ne resteroit plus qu'à faire une application particuliere des caracteres de tous les genres qui se rapportent aux différentes divisions de la classe générale ; à donner le dénombrement des especes, avec une concordance des descriptions des auteurs, conforme aux figures qu'ils en ont fait graver.

Telles sont les remarques & le projet qu'avoit conçû M. de Jussieu en 1728, pour former l'histoire botanique des champignons ; mais comme par malheur il ne l'a point exécuté, personne n'a osé se charger d'une entreprise que cet illustre académicien sembloit s'être réservée, & qu'il pouvoit consommer avec gloire.

Il faut donc nous contenter jusqu'à ce jour des ouvrages que nous avons cités sur cette matiere ; & quoiqu'ils ne remplissent point nos desirs, ils suffisent néanmoins pour nous mettre sur la voie, pour nous fournir une connoissance générale des divers genres de champignons, & pour nous prouver qu'il n'y a guere de plantes qui produisent plus de variétés en grosseur, en hauteur, en étendue, & en différence de couleur des cannelures & du chapiteau, que le fait celle-ci.

Voilà sans-doute l'origine des faussetés qu'on lit dans Clusius, Mathiole, Ferrantes Imperati & autres écrivains, sur la grosseur énorme de quelques champignons. Pour moi, lorsque j'entends Clusius parler d'un champignon qui pouvoit nourrir plus d'un jour toute une famille ; Mathiole prétendre qu'il en a vû du poids de trente livres ; Ferrantes Imperati pousser l'exagération jusqu'à dire qu'il y en a qui pesent plus de cent livres ; enfin d'autres rapporter que sur les confins de la Hongrie & de la Croatie il en croît de si gros, qu'un seul feroit la charge d'un chariot : je ne trouve pour cuire de si monstrueux champignons, que le pot de la fable de la Fontaine, qui étoit aussi grand qu'une église.

Il ne faut pas porter le même jugement sur les faits qui regardent les malheurs causés par des champignons pernicieux ; & c'est la certitude des histoires qu'on en cite, qui a engagé divers auteurs modernes à former, d'après Dioscoride, la division générale de la classe des champignons en nuisibles & en bons à manger. On met au nombre des premiers la vesse-de-loup (voyez ce mot) ; & au rang des derniers le champignon ordinaire qui vient sur couche, champignon dont l'origine & la culture me fourniront plusieurs détails fort intéressans.

Le champignon ordinaire est le fungus sativus equinus, Tournef. Fungus campestris, esculentus, vulgatissimus, Parisiens. Fungus pileolo lato & rotundo, C. B. P. 370. J. R. H. 556. Fungus campestris, albus supernè, infernè rubens, J. B. 3. 824. Fungi vulgatissimi esculenti, Lob. Jeon. 271. IX. Genus esculentorum fungorum, Clus. hist. 268.

Il est rond & en bouton, quand il commence à pousser ; ensuite il se développe, & laisse voir en-dessous plusieurs membranes ou feuillets minces, rougeâtres, fort serrés ; il est lisse, égal, & blanc en-dessus ; d'une chair très-blanche portée sur un pédicule court & gros ; d'une bonne odeur & d'une bonne saveur en sortant de terre : c'est pourquoi il faut le cueillir avant qu'il se développe ; car étant vieux il est dangereux, & acquiert une odeur forte & une couleur brune. Cette espece de champignon est très-commune dans les forêts & dans les pâturages ; elles vient naturellement, & sur-tout après la pluie. On la cultive dans les jardins potagers des fauxbourgs de Paris & de Londres, sur des couches de fumier de cheval mêlé de terre, faites avec beaucoup d'art & de soin ; & elle vient en grande abondance sous le nom de champignon de couches.

La maniere dont on les éleve, prouve le sentiment que nous avons embrassé ci-dessus, qu'ils naissent de graines, comme toutes les autres plantes. M. de Tournefort en fait un récit trop instructif dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1707, pour n'en pas donner ici l'extrait.

Ceux qui sont curieux d'avoir des champignons pendant toute l'année, font pour cela des couches de crotin de cheval qu'on entasse dans le mois de Juin, pour le laisser en berge, comme parlent les Jardiniers, jusqu'au mois d'Août. Dans le mois d'Août on étale ce fumier à la hauteur d'un pié sur le lieu où l'on veut faire les meules ou couches à champignons, qui sont naturellement dans le crotin : c'est pour cette raison qu'on l'humecte pendant cinq ou six jours, suivant la sécheresse de l'été ; prenant soin de le tourner à la fourche après l'avoir mouillé, afin qu'il s'imbibe également d'eau.

Après cette préparation du fumier, on peut commencer les couches à champignons. On les fait à trois lits, que l'on ne dresse que quinze jours ou trois semaines l'un après l'autre. Le premier lit se dresse au cordeau, sans tranchée ; il doit avoir deux piés & demi de largeur sur la longueur que l'on juge à propos. Ce lit est plat, élevé d'un pié & demi ; mais il ne faut pas que le fumier qui déborde sur les côtés soit rendoublé avec la fourche, parce que les couches se dessécheroient trop dans ces endroits-là. Pour rendre les couches plus solides, on mêle avec le vieux fumier un peu de crotin frais sortant de l'écurie. Ce premier lit doit être mouillé tous les deux jours, si le tems est trop sec.

Vers la mi-Août, c'est-à-dire quinze jours après que le premier lit a été fait, on travaille au second lit avec le même crotin que l'on a employé pour le premier, & que l'on a préparé en l'arrosant suivant le besoin. On éléve ce lit en dos d'âne de la hauteur d'un pié par-dessus l'autre ; on le mouille pour entretenir la moelle de la couche, c'est-à-dire pour fournir une humidité raisonnable au milieu de la couche : on prend soin d'en regarnir proprement le haut en maniere de faîte, & cette réparation s'appelle le troisieme lit.

Cela fait, on enfonce à la distance de trois en trois piés des lardons, qui sont des morceaux de fumier préparé dès le mois de Février par entassement. Après cela on couvre la couche de terreau de l'épaisseur d'un pouce seulement, & l'on met sur ce terreau du fumier de litiere fraîche, qu'on renouvelle encore au bout de huit jours, au cas que la couche soit refroidie ; si au contraire les couches sont trop échauffées, on les découvre pour en modérer la chaleur ; c'est la pratique seule qui guide ici le jardinier. On commence à cueillir les champignons en Octobre : ordinairement la récolte s'en fait de trois en trois jours, ou tous les quatriemes jours.

Au commencement du mois d'Août, les crottes de cheval dont la couche a été faite, commencent à blanchir, & sont parsemées de petits cheveux ou filets blancs fort déliés, branchus, attachés & tortillés autour des pailles dont le crotin est formé. Ce crotin alors ne sent plus le fumier, mais il répand une odeur admirable de champignon.

Les filets blancs dont on vient de parler, ne sont selon toute apparence que les graines ou les germes développés des champignons ; & tous ces germes sont renfermés dans les crottes de cheval sous un si petit volume, qu'on ne peut les appercevoir, quelque soin qu'on prenne : qu'après qu'ils se sont éparpillés en petits cheveux ou filets. L'extrémité de ces filets s'arrondit, grossit en bouton, & devient en se développant un champignon dont la partie inférieure est un pédicule barbu dans l'endroit où il est enfoncé dans la terre.

Le champignon crû de cette maniere, vient par grosses touffes qui représentent une petite forêt, dont les piés ne sont pas également avancés. On trouve une infinité de champignons naissans au pié des autres, & de la grosseur seulement de la tête d'une épingle, tandis que les plus gros se passent. Peut-être que chaque touffe de champignon est enfermée dans la même graine ; car les premiers germes du fumier sont branchus, éparpillés par les côtés, & se répandent en tous sens dans le terreau, desorte que l'espace qui est entre les lardons s'en trouve tout garni.

Les germes des champignons, ou ces cheveux blancs qui sont dans le fumier préparé, se conservent long-tems sans se pourrir : si on les met sur des planches dans un grenier, ils se dessechent seulement, & reviennent encore quand on les met sur les couches, c'est-à-dire qu'ils produisent des champignons.

On doit à M. Marchant pere la découverte de l'origine de cette plante ; il fit voir à l'assemblée académique en 1678, suivant le rapport de M. Duhamel (Hist. acad. lib. I. sect. v. cap. j. edit. 1701). la premiere formation des champignons dans des crottes de cheval moisies, & démontra ces petits filets blancs dont les extrémités se grossissent en champignons.

Ceux qui ont écrit qu'il falloit arroser les couches avec la lavure des champignons pour opérer leur production, ont avancé un fait qui est faux, ou, pour mieux dire, ils ont pris pour cause ce qui ne l'est pas ; car ils se sont imaginés que la lavure des champignons étoit chargée de graines de ces sortes de plantes : mais outre que les couches ne produisent pas des champignons par la vertu de cette lavure, il se pourroit faire que si elles en produisoient quelques-uns, ce seroit parce que l'eau auroit fait éclorre les germes qui seroient restés dans le terreau, lequel n'est qu'un fumier de cheval converti en terre.

Les crottes de cheval ne renferment donc pas seulement les graines de champignons, mais elles ont aussi un suc & une chaleur propres à les faire germer, de même que le suc qui se trouve dans la racine du panicaut lorsqu'il se pourrit, fait éclorre le germe du plus délicat de tous les champignons qui naissent en Provence & en Languedoc : ainsi la mousse fait germer la graine des mousserons. C'est par la même raison que certaines especes de champignons, de morilles, d'agarics & d'oreilles de judas, ne viennent qu'aux racines ou aux troncs de certains arbres.

M. Méry a vû à l'hôtel-dieu de petits champignons plats & blanchâtres, sur les bandes & attelles qui avoient été trempées dans l'oxicrat, & ensuite appliquées aux fractures des malades. Le fait étoit bien singulier ; & cependant M. Lémery eut occasion dans le même tems d'être témoin d'un cas semblable, & plus frappant encore dans ses circonstances.

Un jeune enfant de Paris attaqué du rachitis, avoit les jambes tortues ; le chirurgien qui le pansoit, après y avoir mis des éclisses, fut bien étonné de trouver sous les bandes un bon nombre de champignons gros comme le bout du doigt ; il les ôta, & raccommoda les éclisses avec le bandage. Vingt-quatre heures après, il retourna panser l'enfant, & trouva encore à la même place autant de champignons. Enfin ayant continué plusieurs jours de suite le pansement, il retira plusieurs jours de suite des champignons.

Cette production extraordinaire en un lieu où l'on devoit si peu l'attendre, ayant été certifiée aux physiciens qui s'assembloient pour lors chez M. l'abbé Bourdelot, ils en donnerent la véritable raison : c'est que les éclisses qu'on avoit appliquées autour des jambes de l'enfant, étoient d'un bois de pommier, où les champignons naissent facilement, & dans lequel il y avoit sans-doute de la graine de cette plante. Il arrivoit donc que la chaleur de l'enfant qui étoit emmaillotté, & son urine qui abreuvoit souvent les éclisses, développoient les semences de champignon, & les faisoient éclorre en vingt-quatre heures, comme il arrive ordinairement dans la campagne. Il faut adapter le même raisonnement au fait observé par M. Méry ; les graines de champignon se trouvant par hasard sur les bandes & attelles qu'on appliquoit aux malades, germerent, soit par la chaleur du corps des malades, soit par l'effet du vin ou de l'oxicrat dans lequel elles avoient été trempées.

Nous apprenons de Dioscoride, qu'il y avoit des gens qui assûroient que des morceaux de l'écorce du peuplier, tant blanc que noir, enfoncés sur des couches de fumier, il en naissoit des champignons bons à manger. Ruel rapporte, que si l'on découvre le tronc d'un peuplier blanc vers la racine, & qu'on l'arrose avec du levain délayé dans de l'eau, on y voit naître pour ainsi dire des champignons sur le champ ; il ajoûte, que les collines produisent plusieurs sortes de champignons, si dans la saison on en brûle le chaume ou les landes. Il est certain que les landes brûlées en Provence & en Languedoc, poussent beaucoup de pavots noirs aux premieres pluies d'automne ; & cette plante se perd les années suivantes, ensorte qu'on ne la rencontre que sur les terres brûlées.

Tous ces faits prouvent qu'il n'est besoin que d'un suc assaisonné pour faire éclorre & pour rendre sensibles, tant les graines cachées du champignon, que celles de toutes sortes de plantes.

Pour revenir à nos champignons ; non-seulement on les éleve sur couches, mais encore en plaine campagne, & très-avantageusement d'après la même méthode. Leur culture aujourd'hui si perfectionnée, prouve deux choses : la premiere, que leur graine est naturellement contenue dans les crottes de cheval ; la seconde, que notre sensualité raffinée pour cet aliment, ne le cede point à celle des Romains sous le regne d'Auguste. Si de nos jours quelque prétendu gourmet en ce genre venoit débiter la maxime du Catius d'Horace,

Pratensibus optima fungis

Natura est. Sat. IV. lib. II. v. 20.

les champignons des prés sont les meilleurs, nos Aufidius les moins savans lui répondroient qu'il n'y entend rien, & que les bons champignons au goût sont ceux qui se trouvent dans les bois, dans les bruyeres, ou dans les landes.

Il y a plus : les législateurs en cuisine, les maîtres de la science de la gueule, comme s'exprime Montagne, croyent être parvenus à pouvoir distinguer sans méprise les bons champignons d'avec les mauvais.

Ils assûrent que les bons champignons sont ceux qui prennent leur accroissement dans la durée de la nuit, soit naturellement, soit par art sur des couches de fumier ; qu'ils doivent être d'une grosseur médiocre, à-peu-près comme une châtaigne, charnus, bien nourris, blancs en-dessus ; rougeâtres en-dessous, de consistance assez ferme, se rompant facilement, moëlleux en-dedans, d'une odeur & d'un goût agréables : qu'au contraire, les champignons mauvais ou pernicieux sont ceux qui ayant demeuré trop longtems sur la terre, sont devenus bleus, noirâtres, ou rouges, & dont l'odeur est desagréable. Mais ces marques générales ne satisferont pas aisément des physiciens ; ils demandent des marques caractéristiques, qui indiquent dans le grand nombre des variétés d'especes de champignons naturels, les bonnes, les douteuses, les pernicieuses ; & il seroit utile d'avoir cette connoissance.

L'analyse des divers champignons ne porte aucune lumiere sur ce point : nous savons seulement qu'ils paroissent contenir un sel essentiel ammoniacal, dont l'acide est saoulé par beaucoup de sel volatil-urineux, & mêlé avec beaucoup d'huile & peu de terre ; ces principes sont délayés dans une grande quantité de flegme. C'est de ce sel actif, volatil-urineux, ammoniacal, & huileux, que dépendent l'odeur & la saveur des champignons : c'est aussi pour cela qu'ils se corrompent ou se pourrissent facilement : si on les pile, & qu'on les laisse pourrir, ils se fondent & deviennent un mucilage, qui ne donne plus de marque de sel urineux, mais d'un sel salé & acide ; car leur sel volatil se dissipe par leur putréfaction.

Cette analyse rend fort suspecte la nature des champignons ; & l'expérience d'accidens arrivés par ceux de la meilleure qualité, ne tendent pas trop à nous rassûrer sur leur usage bienfaisant.

Je ne parle pas des champignons dont tout le monde connoît le mauvais caractere, mais de ceux qui ont la figure des bons, & qui trompent les personnes qui s'en rapportent au-dehors. C'est pourquoi nous ne sommes pas certains d'en manger toûjours de sûrs, à cause de leur figure trompeuse, de l'ignorance, de la négligence, du manque d'attention des gens qui les cueillent ou qui les apprêtent.

Bien plus, ceux qui ont toutes les marques de sûreté par rapport à leur bonté, deviennent aisément dangereux, ou pour avoir été cueillis trop tard, ou par la nature du lieu où ils croissent, ou par le suc dont ils se nourrissent, ou par le voisinage de ceux qui se pourrissent, ou de ceux qui sont par hasard empoisonnés ; & quand ces inconvéniens ne seroient point à craindre, les médecins les plus habiles avoüent que les meilleurs champignons pris en grande quantité, sont nuisibles, parce qu'ils produisent de mauvais sucs, parce qu'ils tendent à la putréfaction, parce que par leur nature spongieuse ils se digerent difficilement, compriment le diaphragme, empêchent la respiration, suffoquent & excitent des débordemens de bile par haut & par bas.

Les symptômes fâcheux, & même mortels, que les mauvais champignons causent, sont sur-tout le vomissement, l'oppression, la tension de l'estomac & du bas-ventre, l'anxiété, un sentiment de suffocation, des rongemens, des tranchées dans les entrailles, la soif violente, la cardialgie, la diarrhée, la dyssenterie, l'évanouissement, une sueur froide, le hoquet, le tremblement de presque toutes les parties du corps, les convulsions, la gangrene, la mort.

Il y en a dont la seule odeur a produit l'épilepsie, ou une maladie des nerfs qui en approchoit, & même une mort subite, suivant Foreste, dans son traité des poisons, observat. ij. Il rapporte encore qu'une femme étoit tombée dans une cruelle maladie qui dégénéra en folie, pour avoir mangé des champignons venéneux. Rhasis parle d'un champignon de ce genre, dont il dit que la poudre mise sur un bouquet, empoisonne quand on le flaire. Mais je ne trouve pas vraisemblable le récit que fait Hildan, cent. IV. obs. xxxv. des cruels symptomes arrivés à un homme, pour avoir seulement tenu des champignons venimeux. Sans le savoir, il en avoit apparemment avalé la poussiere.

Il paroît que tous ces symptomes, produits si promtement sur les membranes & sur les fibres nerveuses de l'estomac & des intestins, viennent des particules salines, sulphureuses, subtiles, acres, & caustiques des mauvais champignons. Lorsque ceux de bonne espece sont secs & bien lavés dans plusieurs eaux, ils ne sont pas à la vérité nuisibles, parce que leurs particules acres ont été emportées. Quelques-uns prétendent les corriger encore davantage par le vinaigre ou l'huile, qui répriment & qui enveloppent leur sel volatil-urineux ; & c'est-là en effet un des meilleurs correctifs de ce mets délicat. Mais quelqu'apprêt que l'on leur donne, à quelque sauce que nos Apicius les puissent mettre, ils ne sont bons réellement qu'à être renvoyés sur le fumier où ils naissent.

Si toutefois quelqu'un par ignorance, par gourmandise, par témérité, ou par peu de confiance en ces sages préceptes, avoit mangé des champignons empoisonnés, on demande quels remedes il faudroit employer pour le guérir. Ce cas indique sur le champ la nécessité des vomitifs, ensuite des minoratifs, des acides spiritueux, des savonneux, des adoucissans : mais ce malheur peut arriver dans des lieux où le Médecin est éloigné, où les remedes manquent, & néanmoins le mal exige un promt secours qu'on ait sous la main ; quel seroit-il ? De l'eau tiede salée de quelque sel neutre, tel que du nitre pur, de nitre vitriolé, de sel de prunelle, de sel de glauber, & à leur défaut de sel marin : on fera boire au malade coup-sur-coup quantité de cette eau tiede, qui dissout le champignon, irrite l'estomac, & le provoque d'abord au vomissement.

Etant l'année passée dans nos terres, où le cuisinier s'empoisonna lui-même à souper par un champignon fort venéneux, qu'il croyoit de la bonne & délicate espece, de celle qu'on nomme oronge en Guienne, je fus à portée de le secourir assez promtement ; cependant il avoit déjà une partie des symptomes dont j'ai parlé ci-dessus, oppression, suffocation, anxiété, cardialgie, tension du bas-ventre, tremblement, sueur froide : je vis de l'eau tiede toute prête dans un coquemar, avec du sel sur la table que je jettai dedans : le malade vomit à la seconde écuellée de cette eau une partie du champignon réduit en mucilage ; je réitérai cette boisson jusqu'à ce que l'estomac fût entierement vuidé : mais comme le ventre restoit tendu avec douleur, j'employai les fomentations émollientes, & je changeai ma boisson d'eau salée en eau fortement miellée, qui produisit une diarrhée abondante & facile. Je finis la cure sur la fin de la nuit, par un remede adoucissant, quelques verres d'émulsions, & pour conclusion par un grain d'opium. Le lendemain le malade se trouva en aussi bonne santé qu'avant son empoisonnement. Cet article est de M(D.J.)

CHAMPIGNON DE MER, (Hist. nat.) corps marin ainsi nommé parce qu'il ressemble beaucoup à un vrai champignon. Voyez Planche XXIII. fig. 1. Le champignon de mer est fort analogue à l'astroïte & à l'oeillet de mer. Voyez ASTROÏTE, OEILLET de mer. Ainsi il doit être mis au nombre des productions des insectes de mer, comme toutes les fausses plantes marines. M. Peyssonel a reconnu que ces prétendues plantes étoient formées par des insectes de mer, & principalement par des polypes. C'est un assemblage de cellules que l'on pourroit appeller polypier. Les champignons de mer sont de substance pierreuse, comme les madrépores ; ils sont ordinairement applatis & arrondis, convexes d'un côté & concaves de l'autre. Leur face convexe est feuilletée ; leur forme varie ; il y en a qui sont allongés : ils sont aussi de différentes grandeurs ; les plus grands pourroient couvrir la tête : aussi les appelle-t-on bonnets de Neptune. Voyez POLYPIER, PLANTE MARINE. (I)

CHAMPIGNONS D'EAU ; c'est un bouillon qui sortant de sa tige, tombe dans une coupe élevée sur un pié en maniere de gros balustre, d'où il fait nappe dans le bassin d'em-bas. Quand il est composé de plusieurs coupes, il change de nom, & s'appelle pyramide. (K)

* CHAMPIGNON, (Oecon. domest.) c'est ce corps noir & à-peu-près sphérique, qui se forme à l'extrémité du lumignon, soit des lampes, soit des chandelles, quand on a négligé pendant quelque tems de les moucher : c'est proprement un charbon fait de la substance de la meche, de son humidité, de quelques parties du suif qui ne peuvent plus s'enflammer, & peut-être de la vapeur de l'air, s'il est vrai que ce champignon se forme particulierement dans les tems humides ; ce qu'il faudroit observer. Quand les parties de ce champignon viennent à se séparer du lumignon, elles tombent au pié de la meche, font couler la chandelle, & quelquefois l'allument dans une partie de sa longueur ; ce qui peut occasionner des incendies, sur-tout si cela arrive sur la table d'un homme de cabinet pendant son absence. On lui a donné le nom de champignon à cause de sa ressemblance.


CHAMPIGNY(Géog. mod.) petite ville de France en Touraine.


CHAMPIONS. m. (Hist. mod.) signifie proprement une personne qui entreprend un combat pour un autre, quoiqu'on applique aussi ce nom à celui qui combat pour sa propre cause. Voyez COMBAT.

Hottoman définit le champion, certator pro alio datus in duello, à campo dictus, qui circus erat, decertantibus definitus : de-là vient aussi le mot de champ de bataille.

Ducange observe que les champions dans la signification propre, étoient ceux qui se battoient pour d'autres ; lesquels étant obligés selon la coûtume d'accepter le duel, avoient pourtant une excuse légitime pour s'en dispenser, comme de caducité, de jeunesse, ou d'infirmité : il ajoûte que c'étoit le plus souvent des mercenaires qu'on loüoit à prix d'argent, & qui dès-lors passoient pour infames.

Quelquefois cependant le vassal, en vertu de son fief & des conditions de l'hommage, devenoit champion de son seigneur, dès que ce seigneur le demandoit.

Des auteurs soûtiennent que toutes personnes étoient reçûes à servir de champions, excepté les parricides & ceux qui étoient accusés de crimes très-odieux. Les clercs, les chanoines, les religieux, les femmes mêmes, étoient obligés de fournir des champions pour prouver leur innocence.

Cette coûtume de décider les différends par un combat, est venue originairement du nord ; elle passa de-là en Allemagne, les Saxons la porterent en Angleterre, & elle s'établit insensiblement dans le reste de l'Europe, sur-tout chez les nations militaires, & qui faisoient leur principale occupation des armes. Voyez DUEL.

Lorsqu'on avoit choisi deux champions pour décider de la vérité ou de la fausseté d'une accusation, il falloit avant qu'ils en vinssent aux mains, qu'il intervînt sentence pour autoriser le combat. Quand le juge l'avoit prononcée, l'accusé jettoit un gage (d'ordinaire c'étoit un gant) ; ce gage de bataille étoit relevé par l'accusateur : après quoi on les mettoit l'un & l'autre sous une garde sûre jusqu'au jour marqué pour le combat. Voyez GAGE & GANTELET.

Si dans l'intervalle l'un des deux prenoit la fuite, il étoit déclaré infame, & convaincu d'avoir commis le crime qu'on lui imputoit ; l'accusé, non plus que l'accusateur, n'obtenoit la permission de s'en tenir-là, qu'en satisfaisant le seigneur pour la confiscation qu'il auroit dû avoir des effets du vaincu, si le combat avoit eu lieu.

Avant que les champions entrassent dans la lice, on leur rasoit la tête, & ils faisoient serment qu'ils croyoient que les personnes dont ils soûtenoient la cause, avoient raison, & qu'ils les défendroient de toutes leurs forces. Leurs armes étoient une épée & un bouclier. Quelques-uns disent qu'en Angleterre c'étoit le bâton & le bouclier. Lorsque les combats se faisoient à cheval, on armoit les combattans de toutes pieces ; les armes étoient bénites par un prêtre avec beaucoup de cérémonies ; chacun des combattans juroit qu'il n'avoit point de charmes sur lui ; & pour s'animer, l'action commençoit par des injures réciproques ; puis les champions en venoient aux mains au son des trompettes : après qu'ils s'étoient donnés le nombre de coups marqués dans le cartel, les juges du combat jettoient une baguette, pour avertir les champions que le combat étoit fini : s'il duroit jusqu'à la nuit, ou qu'il finit avec un avantage égal des deux côtés, l'accusé étoit alors réputé vainqueur ; la peine du vaincu étoit celle que les lois portoient contre le crime dont il étoit question : si le crime méritoit la mort, le vaincu étoit desarmé, traîné hors du champ, & exécuté aussi-tôt, ainsi que la partie dont il soûtenoit la cause : s'il avoit combattu pour une femme, on la brûloit. Voyez DUEL. (G) (a)

C'est un spectacle curieux, dit l'illustre auteur de l'esprit des lois, de voir ce monstrueux usage du combat judiciaire réduit en principes, & de trouver le corps d'une jurisprudence si singuliere. Les hommes, dans le fond raisonnables, soûmettoient à des regles leurs préjugés même. Rien n'étoit plus contraire au bon sens que le combat judiciaire ; mais ce point une fois posé, l'exécution s'en fit avec une certaine prudence. L'auteur célebre que nous venons de citer, entre à ce sujet dans un détail très-curieux sur les regles de ces combats, qu'on pourroit appeller le code des homicides ; mais ce qui est encore plus précieux, ce sont les réflexions philosophiques qu'il fait sur ce sujet. La loi salique, dit-il, n'admettoit point d'usage des preuves négatives, c'est-à-dire qu'elle obligeoit également l'accusateur & l'accusé de prouver : aussi ne permettoit-elle pas le combat judiciaire. Au contraire, la loi des Francs ripuaires admettant l'usage des preuves négatives, il semble qu'il ne restoit d'autre ressource à un guerrier sur le point d'être confondu par une simple assertion ou négation, que d'offrir le combat à son adversaire pour vanger son honneur.

L'auteur cherche dans les moeurs des anciens Germains la raison de cet usage si bizarre, qui fait dépendre l'innocence du hasard d'un combat. Chez ces peuples indépendans, les familles se faisoient la guerre pour des meurtres, des vols, des injures, comme elles se la font encore chez les peuples libres du nouveau monde. On modifia cette coûtume, en assujettissant cette guerre à des regles. Tacite dit que chez les Germains les nations mêmes vuidoient souvent leurs querelles par des combats singuliers.

Cette preuve par le combat avoit quelque raison fondée sur l'expérience. Dans une nation uniquement guerriere, la poltronnerie suppose d'autres vices qui l'accompagnent ordinairement, comme la fourberie & la fraude.

La jurisprudence du combat judiciaire, & en général des épreuves, ne demandant pas beaucoup d'étude, fut une des causes de l'oubli des lois saliques, des lois romaines, & des lois capitulaires : elle est aussi l'origine du point d'honneur & de la fureur de notre nation pour les duels, de l'ancienne chevalerie, & de la galanterie. Voyez l'ouvrage que nous abrégeons, liv. XXVIII. ch. xiij. & suiv. (O)

CHAMPION du Roi, (Hist. mod. d'Angl.) chevalier qui, après le couronnement du roi d'Angleterre, entre à cheval, armé de toutes pieces, dans la salle de Westminster, jette le gant par terre, & présente un cartel à quiconque oseroit nier que le nouveau prince soit légitime roi d'Angleterre.

C'est en 1377, dans la cérémonie du couronnement de Richard II. ce prince déposé dans la suite pour avoir voulu se mettre au-dessus des lois, que l'histoire d'Angleterre fait mention pour la premiere fois d'un champion qui alla se présenter, armé de toutes pieces, dans la salle de Westminster où le roi mangeoit ; & qui ayant jetté son gantelet à terre, défia tous ceux qui voudroient disputer au roi ses justes droits sur la couronne.

On ignore l'origine de cette coûtume, qui s'est conservée jusqu'à présent ; mais il est certain qu'elle est plus ancienne que le couronnement de Richard II. puisque le chevalier Jean Dimmock, qui fit alors l'office de champion, y fut admis en vertu d'un droit attaché à une terre qu'il possédoit dans le comté de Lincoln, savoir le manoir de Scrivelby, qu'il avoit du chef de sa femme. Voyez Rapin, tom. III. Walsingham, & Froissard. Cet article est de M(D.J.)


CHAMPLITou CHANNITE, (Géog.) petite ville de France en Franche-Comté.


CHAMPLURES. f. (Oecon. rustiq.) c'est le nom qu'on donne à la campagne à une gelée legere qui a endommagé les vignes. Cette gelée est dangereuse. Lorsque la vigne en a souffert, on dit qu'elle est champlée.


CHAMPSAUR(Géog.) petit pays de France, avec titre de duché, dans le Dauphiné ; la capitale est Saint-Bonnet.


CHAMPTOCEAUX(Géog.) petite ville de France en Anjou.


CHAMYNAadj. f. (Mythol.) surnom sous lequel Cérès étoit adorée à Pise. Elle avoit un temple dans cette ville, au même endroit où l'on croyoit que la terre s'étoit entr'ouverte pour donner passage à Pluton, lorsque ce dieu enleva Proserpine. On le dérive de , hio ; d'autres étymologistes veulent qu'il ait été donné à la déesse, parce que son temple avoit été bâti aux dépens d'un nommé Chamynus.


CHANAANCHANAAN


CHANCEBONHEUR, (Syn. & Gramm.) termes relatifs aux évenemens & aux circonstances qui ont rendu & qui rendent un homme content de son existence : mais bonheur est plus général que chance : il embrasse presque tous ces évenemens. Chance n'a guere de rapport qu'à ceux qui dépendent du hasard pur ; ou dont la cause étant tout-à-fait indépendante de nous, a pû & peut agir tout autrement que nous ne le desirons, sans que nous ayons aucun sujet de nous en plaindre. On peut nuire ou contribuer à son bonheur ; la chance est hors de notre portée ; on ne se rend point chanceux ; on l'est ou on ne l'est pas. Un homme qui jouissoit d'une fortune honnête, a pû joüer ou ne pas joüer à pair ou non : mais toutes ses qualités personnelles ne pouvoient augmenter sa chance.

CHANCE, (Jeux de hasard) est encore employé dans plusieurs jeux de cette espece, mais particulierement dans le taupe & tingue. Voyez l'article TAUPE & TINGUE.


CHANCEAUCHANCEL, s. m. (Jurisprud.) comme on dit communément ou cancel, est une enceinte formée par un treillis, ou barreau, ou autre fermeture ; ainsi nommé à cancellis, qui signifie barreaux.

Dans les églises on appelle cancel, le sanctuaire, c'est-à-dire la partie la plus proche du maître autel, & qui est ordinairement séparée du reste du choeur par une balustrade. On comprend quelquefois sous ce terme de cancel, tout le choeur ; parce qu'il est ordinairement séparé de la nef & des bas côtés par des treillis ou barreaux.

Il n'y avoit anciennement que les ecclésiastiques qui eussent entrée & séance dans le choeur ou cancel de l'église.

Dans la suite l'entrée en fut accordée aux empereurs, suivant Balsamon, & aux rois & aux princes ; & enfin on l'a étendue aux patrons & fondateurs des églises, & aux seigneurs hauts-justiciers, lesquels sont en possession d'y avoir leur banc & leur sépulture.

Les gros décimateurs sont tenus des réparations du choeur & cancel. Voyez Duperray, des portions congrues, part. II. ch. xxviij. n°. 22. Fuet, des mat. bénefic. liv. III. ch. v. n°. 5.

Ces deux termes choeur & cancel sont presque toujours joints dans les jugemens & les auteurs qui parlent de cette charge des grosses dixmes.

L'édit de 1695, art. 21. ne parle que du choeur, & non du cancel ; & la raison est sans-doute, que l'on a entendu que le cancel étoit compris sous la dénomination du coeur dont il fait partie.

Pour savoir plus en détail ce que l'on doit entendre sous le terme de choeur & cancel dans les églises, voyez les lois des bâtimens, par Desgodets, & les notes de Goupy, part. II. pag. 66.

On appelloit aussi anciennement chancel ou cancel, le lieu où se tenoit le grand référendaire, ou garde de l'anneau ou scel royal, pour faire ses expéditions : ce lieu étoit fermé d'un grillage ou barreaux, afin que ce magistrat ne fût point incommodé par l'affluence de ceux qui avoient affaire à lui ; & du nom de ce lieu, appellé en latin cancelli, on a formé dans la suite le nom de cancellarius, & en françois chancelier. Voyez ci-après CHANCELIER & REFERENDAIRE. (A)


CHANCELAGUAS. f. (Bot. exot.) plante de la nouvelle Espagne ; elle croît en abondance aux environs de Panama ; son goût est amer, comme celui de la centaurée, & son infusion a l'odeur aromatique du baume du Pérou. Voilà tout ce qu'on trouve de sa description dans les mémoires de l'acad. ann. 1707, pag. 52. & cela ne suffit pas. Quant à ses propriétés, on lui attribue celle de faciliter la transpiration, de soulager dans la pleurésie, les catharres, les rhumatismes, les fievres malignes, la goutte humorale, mais non crétacée, &c. La saignée doit en précéder l'usage, & elle ne doit être prise que sur le déclin de la fievre. Sa dose est au moins d'un gros, & peut aller à deux. On fait bouillir une tasse d'eau, & on y jette la plante coupée en morceaux ; on couvre le vaisseau, & on laisse l'infusion se faire pendant un demi-quart-d'heure ; on fait prendre ensuite en une seule fois l'infusion au malade, la plus chaude qu'il se peut. Quand le malade a pris ce remede, on le couvre bien, & on le fait suer. Les Indiens qui connoissoient, dit-on, les vertus de cette plante, en ont fait long-tems un secret aux Européens : il paroît que ceux-ci n'ont pas tiré grand avantage de l'indiscrétion des premiers, & que la prédiction que l'usage de la chancelagua deviendroit un jour aussi général que celui du quinquina, est encore à s'accomplir ; sur quoi M. de Fontenelle observe que la Médecine paroît un peu trop en garde contre les nouveautés : à quoi l'on peut ajoûter qu'elle n'en est pas plus à blâmer, puisqu'elle ne peut guere faire ses expériences qu'aux dépens de la vie des hommes.


CHANCELIERS. m. (Hist. anc. mod. & Jur.) est un titre commun à plusieurs dignités & offices, qui ont rapport à l'administration de la justice ou à l'ordre politique. La plus éminente de ces dignités est celle de

CHANCELIER DE FRANCE ; c'est le chef de la justice & de tous les conseils du Roi. Il est le premier président né du grand-conseil : il peut aussi, quand il le juge à propos, venir présider dans tous les parlemens & autres cours ; c'est pourquoi ses lettres sont présentées & enregistrées dans toutes les cours souveraines.

Il est la bouche du Roi, & l'interprete de ses volontés : c'est lui qui les expose dans toutes les occasions où il s'agit de l'administration de la justice. Lorsque le Roi vient tenir son lit de justice au parlement, le chancelier est au-dessous de lui dans une chaise à bras, couverte de l'extrémité du tapis semé de fleurs-de-lys, qui est aux piés du Roi : c'est lui qui recueille les suffrages, & qui prononce. Il ne peut être récusé.

Sa principale fonction est de veiller à tout ce qui concerne l'administration de la justice dans tout le royaume, d'en rendre compte au Roi, de prévenir les abus qui pourroient s'y introduire, de remédier à ceux qui auroient déja prévalu, de donner les ordres convenables sur les plaintes qui lui sont adressées par les sujets du Roi contre les juges & autres officiers de justice, & sur les mémoires de compagnies ou de chaque officier en particulier, par rapport à leurs fonctions, prééminences, & droits.

C'est encore une de ses fonctions de dresser, conformément aux intentions du Roi, les nouvelles ordonnances, édits & déclarations, & les lettres patentes, qui ont rapport à l'administration de la justice. L'ordonnance de Charles VII. du mois de Novembre 1441, fait mention qu'elle avoit été faite de l'avis & délibération du chancelier, & autres gens du grand-conseil, &c.

C'est à lui que l'on s'adresse pour obtenir l'agrément de tous les offices de judicature ; & lorsqu'il a la garde du sceau royal, c'est lui qui nomme aux offices de toutes les chancelleries du royaume, & qui donne toutes les provisions des offices, tant de judicature que de finance ou municipaux. Les charges d'avocats au conseil tombent dans ses parties casuelles ; il est le conservateur né des priviléges des secrétaires du roi.

La foi & hommage des fiefs de dignité mouvans immédiatement du roi à cause de sa couronne, peut être faite entre les mains du chancelier ou en la chambre des comptes. Le chancelier, comme représentant la personne du roi, reçut à Arras en 1499 l'hommage de l'archiduc d'Autriche, pour ses pairies & comtés de Flandre, d'Artois, & de Charolois. L'archiduc se mettant en devoir de s'agenouiller, il le releva en lui disant, il suffit de votre bon vouloir, en quoi il en usa de même que Charles VII. avoit fait à l'égard du duc de Bretagne.

Ce fut le chancelier Duprat qui abolit l'usage des hommages que nos rois faisoient par procureur, pour certaines seigneuries qui étoient mouvantes de leurs sujets. Il établit à cette occasion le principe, que tout le monde releve du roi médiatement ou immédiatement, & que le roi ne releve de personne.

Il seroit difficile de détailler ici bien exactement toutes les fonctions & les droits attachés à la dignité de chancelier ; nous rapporterons seulement ce qu'il y a de plus remarquable.

D'abord, pour ce qui est de l'étymologie du nom de chancelier, & de l'origine de cet office, on voit que les empereurs romains avoient une espece de secrétaire ou notaire appellé cancellarius, parce qu'il étoit placé derriere des barreaux appellés cancelli, pour n'être point incommodé par la foule du peuple : Naudé dit que c'étoit l'empereur même qui rendoit la justice dedans cette enceinte de barreaux : que le chancelier étoit à la porte, & que c'est de-là qu'il fut nommé chancelier.

D'autres font venir ce nom de ce que cet officier examinoit toutes les requêtes & suppliques qui étoient présentées au prince, & les cancelloit ou biffoit quand elles n'étoient pas admissibles. D'autres, de ce qu'il signoit avec grille ou paraphe fait en forme de grillage, les lettres patentes, commissions, & brevets accordés par l'empereur. D'autres enfin, de ce qu'il avoit le pouvoir de canceller & annuller les sentences rendues par des juges inférieurs.

Ducange, d'après Jean de la Porte, fait venir le mot chancelier de Palestine, où les faîtes des maisons étoient construits en terrasses, bordées de balustres ou parapets nommés cancelli ; il dit qu'on appella cancellarii ceux qui montoient sur ces terrasses, pour y réciter des harangues ; que cette dénomination passa aussi à ceux qui plaidoient au barreau qu'on appelloit cancelli forenses, ensuite au juge même qui présidoit ; & enfin au premier secrétaire du roi.

L'office de chancelier en France revient à-peu-près à celui qu'on appelloit questeur du sacré palais chez les Romains, & qui fut établi par Constantin le grand : en effet c'étoit ordinairement un jurisconsulte que l'on honoroit de cette place de questeur ; parce qu'il devoit connoître les lois de l'Empire, en dresser de nouvelles quand le cas le requéroit, les faire exécuter : elles n'avoient de force que quand il les avoit signées. Il jugeoit les causes que l'on portoit par appel devant l'empereur, souscrivoit les rescrits & réponses du prince, enfin il avoit l'inspection sur toute l'administration de la justice.

En France, l'office de chancelier est presque aussi ancien que la monarchie ; mais les premiers qui en faisoient les fonctions, ne portoient pas le titre de chancelier ; car on ne doit pas appliquer au chancelier de France ce qui est dit de certains officiers subalternes, que l'on appelloit anciennement chanceliers, tels que ceux qui gardoient l'enceinte du tribunal appellée cancelli, parce qu'elle étoit fermée de barreaux.

On donna aussi en France, à l'imitation des Romains, le nom de chancelier à ceux qui faisoient la fonction de greffiers & de notaires, parce qu'ils travailloient dans une semblable enceinte fermée de barreaux.

Les notaires & secrétaires du roi prirent aussi, par la même raison, le nom de chanceliers.

Le roi avoit en outre un premier secrétaire qui avoit inspection sur tous les autres notaires & secrétaires : le pouvoir de cet officier étoit fort étendu ; il faisoit les fonctions de chancelier de France : mais avant d'en porter le titre, on lui a donné successivement différens noms.

Sous la premiere race de nos rois, ceux qui faisoient les fonctions de chanceliers ont été appellés différemment.

Quelques auteurs modernes font Widiomare chancelier ou référendaire de Childéric, mais sans aucun fondement : Grégoire de Tours ne lui donne point cette qualité.

Le premier qui soit connu pour avoir rempli cette fonction, est Aurélien, sous Clovis I. Hincmar dit qu'il portoit l'anneau ou le sceau de ce prince ; qu'il étoit consiliarius & legatarius regis, c'est-à-dire le député du roi. L'auteur des gestes des François le nomme aussi legatorium & missum Clodovaei : Aymoin le nomme familiarissimum regi, pour exprimer qu'il avoit sa plus intime confiance.

Valentinien est le premier que l'on trouve avoir signé les chartes de nos rois, en qualité de notaire ou secrétaire du roi, notarius & amanuensis : il fit cette fonction sous Childebert I.

Baudin & plusieurs autres, sous Clotaire I. & ses successeurs, sont appellés référendaires par Grégoire de Tours, qui remarque aussi que sous le référendaire qui signoit & scelloit les chartes de nos rois, il y avoit plusieurs secrétaires de la chancellerie, qu'on appelloit notaires ou chanceliers du roi, cancellarii regales.

On trouve une charte de Thierri écrite de la main d'un notaire, & scellée par un autre officier du sceau royal. Sous le même roi, Agrestin se disoit notarius regis.

Sous le regne de Chilperic I. il est fait mention d'un référendaire & d'un secrétaire du palais, palatinus scriptor.

Saint Oüen, en latin Audoenus, & Dado, fut référendaire du roi Dagobert I. & ensuite de Clovis II. Aymoin dit qu'il fut ainsi appellé, parce que c'étoit à lui que l'on apportoit toutes les écritures publiques, & qu'il les scelloit du sceau du roi : il avoit sous lui plusieurs notaires ou secrétaires qui signoient en son absence ad vicem. Dans des chartes de l'abbaye de Saint-Denis, il est nommé regiae dignitatis cancellarius : c'est la premiere fois que le titre de chancelier ait été donné à cet office.

La plûpart de ceux qui firent les fonctions de chancelier sous les autres rois de cette premiere race, sont nommés simplement référendaires, excepté sous Clotaire III. que Robert est nommé garde du sceau royal, gerulus annuli regii ; & Grimaud sous Thierri II. qui signe en qualité de chancelier ; ego, cancellarius, recognovi.

Sous la seconde race de nos rois, ceux qui faisoient la fonction de chanceliers ou référendaires, reçurent dans le même tems différens noms : on les appella archi-chanceliers, ou grands chanceliers, souverains chanceliers, ou archi-notaires, parce qu'ils étoient préposés au-dessus de tous les notaires ou secrétaires du roi, qu'on appelloit encore chanceliers.

On leur donna aussi le nom d'apocrisaires ou apocrisiaires, mot dérivé du grec ; qui signifie celui qui rend les réponses d'un autre, parce que le grand chancelier répondoit pour le roi aux requêtes qui lui étoient présentées.

Hincmar, qui vivoit du tems de Louis le débonnaire, distingue néanmoins l'office d'apocrisaire de celui de grand chancelier ; ce qui vient de ce que le grand aumônier du roi faisoit quelquefois la fonction d'apocrisiaire, & en portoit le nom.

On les appella aussi quelquefois archi-chapelains ; non pas que ce terme exprimât la fonction de chancelier, mais parce que l'archi-chapelain ou grand aumônier du roi étoit souvent en même tems son chancelier, & ne prenoit point d'autre titre que celui d'archi-chapelain. La plûpart de ceux qui firent cette fonction sous la premiere & la seconde race, étoient ecclésiastiques.

Sous la troisieme race, les premiers secrétaires ou référendaires furent appellés grands chanceliers de France, premiers chanceliers ; & depuis Baudoüin premier qui fut chancelier de France sous le roi Robert, il paroît que ceux qui firent cette fonction ne prirent plus d'autre titre que celui de chancelier de France ; & que depuis ce tems ce titre leur fut réservé, à l'exclusion des notaires & secrétaires du roi, greffiers, & autres officiers subalternes, qui prenoient auparavant le titre de chanceliers.

Le chancelier fut d'abord nommé par le roi seul.

Gervais archevêque de Rheims, & chancelier de Philippe I. prétendit que la place de chancelier étoit attachée à celle d'archevêque de Rheims ; ce qu'il obtint, dit-on, pour lui & son église. Il étoit en effet le troisieme depuis Hervé qui avoit possédé la dignité de chancelier : mais depuis lui on ne voit point que cette dignité ait été attachée au siége de Rheims.

Dans la suite le chancelier fut élu en parlement par voie de scrutin, en présence du roi. Guillaume de Dormans fut le premier élu de cette maniere en 1371. Louis XI. changea cet ordre ; & depuis ce tems, c'est le roi seul qui nomme le chancelier ; le parlement n'a aucune jurisdiction sur lui.

Cet office n'est point vénal ni héréditaire, mais à vie seulement. Le chancelier est reçu sans information de vie & moeurs, & prête serment entre les mains du roi ; & ses provisions sont présentées par un avocat dans toutes les cours souveraines, l'audience tenante, & y sont lues, publiées, & enregistrées sur les conclusions des gens du Roi.

Quoique l'office de chancelier ait toûjours été rempli par des personnes distinguées par leur mérite & par leur naissance, dont la plûpart sont qualifiées de chevaliers ; il est cependant certain qu'anciennement cet office n'anoblissoit point. En effet, sous le roi Jean, Pierre de la Forêt chancelier, ayant acquis la terre de Loupelande dans le Maine, obtint du roi des lettres de noblesse pour joüir de l'exemption du droit de franc-fiefs. Les chanceliers nobles se qualifioient messire, & les autres, maître. Présentement le chancelier est toûjours qualifié de chevalier, & de monseigneur. M. le chancelier Seguier fut fait duc de Villemor & pair de France, & conserva toûjours l'office de chancelier, outre celle qu'il avoit toûjours de signer & sceller les lettres du prince. Charlemagne constitua le chancelier dépositaire des lois & ordonnances ; & Charles le chauve lui donna le droit d'annoncer pour lui les ordonnances en présence du peuple.

Sous le regne d'Henri premier & de ses successeurs, jusqu'à celui de Louis VIII. il souscrivoit toutes les lettres & chartes de nos rois, avec le grand-maître, le chambrier, le grand boutillier, & le connétable. Depuis 1320 ils cesserent de signer les lettres, & y apposerent seulement le sceau. Il étoit aussi d'usage dès l'an 1365, qu'ils mettoient de leur main le mot visa au bas des lettres, comme ils font encore présentement.

Le pouvoir du chancelier s'accrut beaucoup sous la troisieme race : on voit que dès le tems d'Henri premier il signoit les chartes de nos rois, avec le connétable, le boutillier, & autres grands officiers de la couronne.

Frere Guerin, évêque de Senlis, fut d'abord garde des sceaux sous Philippe-Auguste, pendant la vacance de la chancellerie ; il fut ensuite chancelier sous le regne de Louis VIII. & releva beaucoup la dignité de cette charge ; il abandonna la fonction du secrétariat aux notaires & secrétaires du roi, se réservant seulement sur eux l'inspection : il assista avec les pairs au jugement qui fut rendu en 1224 contre la comtesse de Flandres. Dutillet rapporte que les pairs voulurent contester ce droit aux chancelier, boutillier, chambrier & connétable ; mais la cour du roi décida en faveur de ces officiers. Au sacre du roi c'est le chancelier qui appelle les pairs chacun en leur rang.

Dès le tems de Philippe-Auguste, le chancelier portoit la parole pour le roi, même en sa présence. On en trouve un exemple dans la harangue que frere Guerin fit à la tête de l'armée, avant la bataille de Bouvines en 1214, & la victoire suivit de près son exhortation.

On voit aussi dans Froissart que dès 1355 le chancelier parloit pour le roi, en sa présence, dans la chambre du parlement ; qu'il exposa l'état des guerres, & requit que l'on délibérât sur les moyens de fournir au roi des secours suffisans.

Le chancelier étoit alors précédé par le connétable & par plusieurs autres grands officiers ; dont les offices ont été dans la suite supprimés ; au moyen de quoi celui de chancelier est présentement le premier office de la couronne ; & le chancelier a rang, séance, & voix délibérative, après les princes du sang.

Dans les états que le roi envoyoit autrefois de ceux qui devoient composer le parlement, le chancelier est ordinairement nommé en tête de la grand'chambre ; il venoit en effet y siéger sort souvent. Le cardinal de Dormans, évêque de Beauvais & chancelier, fit l'ouverture des parlemens des 12 Novembre 1369 & 1370, par de longs discours & remontrances, ce qui ne s'étoit pas encore pratiqué. Arnaud de Corbie fit aussi l'ouverture du parlement en 1405 & 1406, le 12 Novembre, & reçut les sermens des avocats & des procureurs. Pierre de Morvilliers reçut aussi les sermens le 11 Septembre 1461.

Dans la suite les chanceliers se trouvant surchargés de différentes affaires, ne vinrent plus que rarement au parlement, excepté lorsque le roi y vint tenir son lit de justice. Le jeudi 14 Mars 1715, M. le chancelier Voisin prit en cette qualité séance au parlement ; il étoit à la petite audience en robe violette, & vint à la grande audience en robe de velours rouge doublée de satin. On plaida devant lui un appel comme d'abus, & il prononça l'arrêt.

Philippe VI. dit de Valois ordonna en 1342, que quand le parlement seroit fini, le roi manderoit le chancelier, les trois présidens du parlement, & dix personnes du conseil, tant clercs que lais, lesquels, suivant sa volonté, nommeroient des personnes capables pour le parlement à venir. On voit même qu'en 1370 le cardinal de Dormans chancelier institua Guillaume de Sens premier président.

Le chancelier nommoit aussi anciennement les conseillers au châtelet, conjointement avec quatre conseillers du parlement, & avec le prevôt de Paris ; il instituoit les notaires & les examinoit avant qu'ils fussent reçûs.

Son pouvoir s'étendoit aussi autrefois sur les monnoies, suivant un mandement de Philippe VI. en 1346, qui enjoint aux maîtres généraux des monnoies de donner au marc d'argent le prix que bon sembleroit au chancelier & aux trésoriers du roi.

Mais Charles V. étant dauphin de Viennois & lieutenant du roi Jean, ordonna en 1356 que dorénavant le chancelier ne se mêleroit que du fait de la chancellerie, de tout ce qui regarde le fait de la justice, & d'ordonner des offices en tant qu'à lui appartient comme chancelier.

Philippe V. défendit au chancelier de passer aucunes lettres avec la clause nonobstant toutes ordonnances contraires ; il ordonna que si l'on en présentoit de telles au sceau, elles seroient rapportées au roi ou à celui qui seroit établi de sa part ; & par une autre ordonnance de 1318, il ne devoit apposer le grand sceau qu'aux lettres auxquelles le scel du secret avoit été apposé ; c'étoit celui que portoit le chambellan, à la différence du petit signet que le roi portoit sur lui.

Charles V. ordonna aussi en 1356, que le chancelier ne feroit point sceller les lettres passées au conseil qu'elles ne fussent signées au moins de trois de ceux qui y avoient assisté, & de ne sceller aucunes lettres portant aliénation du domaine, ou don de grandes forfaitures & confiscations, qu'il n'eût déclaré au conseil ce que la chose donnée pouvoit valoir de rente par an.

Suivant des lettres du 14 Mars 1401, il pouvoit tenir au lieu du roi les requêtes générales, avec tel nombre de conseillers au grand-conseil qu'il lui plairoit, y donner graces & rémissions, & y expédier toutes autres affaires, comme si le tout étoit fait en présence du roi & de son conseil ; il faisoit serment de ne demander au roi aucun don ou grace pour lui ni pour ses amis, ailleurs que dans le grand-conseil.

Charles VI. ordonna en 1407, qu'en cas de minorité du roi, ou lorsqu'il seroit absent, ou tellement occupé qu'il ne pourroit vaquer aux affaires du gouvernement, elles seroient décidées à la pluralité des voix dans un conseil composé de la reine, des princes du sang, du connétable, du chancelier, & des gens de son conseil : après la mort de ce prince, on expédia quelques lettres au nom du chancelier & du conseil. Louis XIV. en partant de Paris au mois de Février 1678, pour aller en Lorraine, dit aux députés du parlement qu'il laissoit sa puissance entre les mains de M. le chancelier, pour ordonner de tout en son absence suivant qu'il le jugeroit à-propos.

François I. déclara au parlement qu'il n'avoit aucune jurisdiction ni pouvoir sur le chancelier de France. Ce fut aussi sous le regne du même prince qu'il reçut le serment du connétable, & qu'il fut gratifié du droit d'indult, comme étant chef de la justice.

Quoique le chancelier ne soit établi que pour le fait de la justice, on en a vû plusieurs qui étoient en même tems de grands capitaines, & qui commandoient dans les armées. Tel fut S. Oüen, référendaire du roi Dagobert I. tel fut encore pierre Flotte, qui fut tué à la bataille de Courtrai les armes à la main, le 11 Juillet 1302. A l'entrée du roi à Bordeaux en 1451, le chancelier parut à cheval armé d'un corselet d'acier, & par-dessus une robe de velours cramoisi. M. le chancelier Seguier fut envoyé à Roüen en 1639, à l'occasion d'une sédition ; il commandoit les armes, on prenoit le mot de lui. Voyez l'abregé chronol. de M. le président Henault.

L'habit de cérémonie du chancelier est l'épitoge ou robe de velours rouge doublée de satin, avec le mortier comblé d'or & bordé de perles ; il a droit d'avoir chez lui des tapisseries semées de fleurs-de-lis, avec les armes de France, & les marques de sa dignité.

Quand il marche en cérémonie, il est précédé des quatre huissiers de la chancellerie portans leurs masses, & des huissiers du conseil appellés vulgairement huissiers de la chaîne ; il est aussi accompagné d'un lieutenant de robe-courte de la prevôté de l'hôtel, & de deux gardes, ce qui paroît avoir une origine fort ancienne ; car Charles VI. ayant réduit en 1387 le nombre des sergens d'armes, ordonna que l'un d'eux demeureroit auprès du chancelier.

Anciennement le chancelier portoit le deuil & assistoit aux obséques des rois. Guillaume Juvénal des Ursins, chancelier, assista ainsi aux funérailles de Charles VI. VII. & VIII. mais depuis long-tems l'usage est que le chancelier ne porte point le deuil, & n'assiste plus à ces sortes de cérémonies. On a voulu marquer par-là que la justice conserve toûjours la même sérénité.

Suivant une cédule sans date qui se trouve à la chambre des comptes de Paris, Philippe d'Antogni, qui portoit le grand sceau du roi S. Louis, prenoit pour soi, ses chevaux & valets à cheval, sept sous parisis par jour pour l'avoine & pour toute autre chose, excepté son clerc & son valet-de-chambre, qui mangeoient à la cour. Leurs gages étoient doubles aux quatre fêtes annuelles ; le chancelier avoit des manteaux comme les autres clercs du roi, & livrée de chandelle comme il convenoit pour sa chambre & pour les notaires ; quelquefois le roi lui donnoit pour lui un palefroi, pour son clerc un cheval, & pour le registre sommier. Sur 60 sous d'émolument du sceau, il en prenoit dix, & en outre sa portion du surplus, comme les autres clercs du roi, c'est-à-dire les secrétaires du roi ; enfin quand il étoit dans des abbayes ou autres lieux où il ne dépensoit rien pour ses chevaux, cela étoit rabattu sur ses gages.

En 1290 il n'avoit que six sous par jour avec bouche à cour pour lui & les siens ; & 20 sous par jour, lorsqu'il étoit à Paris & mangeoit chez lui.

Deux états de la maison du roi, des années 1316 & 1317, nomment le chancelier comme le premier des grands officiers qui avoient leur chambre, c'est-à-dire leur logement en l'hôtel du roi. Il y est dit que si le chancelier est prélat, il ne prendra rien à la cour ; que s'il est simple clerc, il aura, comme messire de Nogaret avoit, dix soldées de pain par jour, trois septiers de vin pris devers le roi ; & les autres du commun, six pieces de chair, six pieces de poulailles ; & au jour de poisson, qu'il aura à l'avenant ; qu'on ne lui comptera rien pour cuisson qu'il fasse en cuisine ni en autre chose ; qu'on lui fera livraison de certaine quantité de menues chandelles & torches, mais que l'on rendroit le torchon, c'est-à-dire les restes des flambeaux. Ces détails qui alloient jusqu'aux minuties, marquent quel étoit alors le génie de la nation.

Une ordonnance de 1318 porte qu'il devoit compter trois fois l'année en la chambre des comptes, de l'émolument du sceau ; & en 1320 il n'avoit encore que 1000 livres parisis de gages par an, somme qui paroît d'abord bien modique pour un office si considérable : mais alors le marc d'argent ne valoit que trois livres sept sous six deniers, ensorte que 1000 liv. parisis valoient alors environ autant qu'aujourd'hui 22000 liv.

Les anciennes ordonnances ont encore accordé aux chanceliers plusieurs droits & priviléges, tels que l'exemption du ban & arriere-ban, le droit de prise pour les vivres, comme le roi, & à son prix ; l'exemption des péages & travers pour les provisions de sa maison, & de tous droits d'aides ; droit de chauffage, qui ne consistoit qu'en deux moules de buches, c'est-à-dire deux voies de bois, & quatre quand les notaires du roi étoient avec lui ; enfin il a encore plusieurs autres droits & priviléges qu'il seroit trop long de détailler.

Pour connoître à fond toutes les fonctions & prérogatives de cette charge, il faut voir Miraumont, origine de la chancellerie de France ; Pasquier, recherches de la France, liv. II. ch. xij. Le Bret, tr. de la souveraineté, liv. IV. ch. j. Tessereau, hist. de la chancellerie ; Blanchard, compilation chronol. des ordonnances ; Joly, des offices de France, additions au II. liv. tit. j. & ci-après CHANCELLERIE, GARDE DES SCEAUX, & SCEAU.

CHANCELIERS DES ACADEMIES, sont des académiciens qui dans certaines académies de gens de Lettres ont la garde du sceau de l'académie, dont ils scellent les lettres des académiciens, & autres actes émanés de l'académie. Le chancelier de l'académie françoise est le premier officier après le directeur, il préside en son absence. On les élit l'un & l'autre tous les trois mois. Il y a aussi un chancelier dans l'académie royale de Peinture & de Sculpture.

Ces chanceliers des académies sont aussi chargés d'en faire observer les statuts.

Il y a de semblables chanceliers dans plusieurs académies des villes de province, comme à la Rochelle ; & dans quelques sociétés littéraires, comme à Arras.

Dans les universités d'Allemagne, que quelques-uns appellent improprement en notre langue académies, il y a un chancelier qui occupe la premiere place après le recteur ; sa charge est perpétuelle ; c'est lui qui a l'inspection pour empêcher qu'on ne contrevienne aux statuts de l'académie, qu'on ne remplisse les places de professeurs de personnes incapables, & que l'on ne confere les degrés de bachelier, licentié, ou maître-ès-arts, à ceux qui en sont indignes, soit par leur incapacité ou par leurs mauvaises moeurs.

CHANCELIER D'ALENÇON, étoit le chancelier particulier des princes qui tenoient le comté ou duché d'Alençon en apanage. Loysel, dans son dialogue des avocats, parle de Brinon, président à Roüen, lequel faisant auparavant la profession d'avocat, étoit en même tems chancelier d'Alençon. Jacques Olivier, premier président au parlement, mort le 20 Novembre 1519, étoit chancelier de Charles de Valois IV. du nom, duc d'Alençon, comte du Perche.

Guy du Faur, seigneur de Pibrac, président à mortier, fut chancelier de François duc d'Alençon, frere du roi Henri III. qui mourut en Juin 1584. Il avoit pour apanage le duché d'Alençon, l'Anjou & le Brabant.

Le duché d'Alençon fut en dernier lieu donné en apanage, avec plusieurs autres seigneuries, à Charles de France, duc de Berri, par lettres du mois de Juin 1710 ; mais son chancelier ne fut point appellé autrement que chancelier garde des sceaux du duc de Berri, & non plus chancelier d'Alençon.

CHANCELIER D'ANGLETERRE, ou grand chancelier, est celui qui a la garde du grand sceau du roi. Cet office a été établi en Angleterre à l'imitation du chancelier de France. Guillaume de Neubrig, chap. xij. xvj. & xxjv. du livre II. de son histoire d'Angleterre, parle de S. Thomas de Cantorbéry, qu'il qualifie chancelier sage & industrieux du même pays. Froissart, chap. ccxljx. du premier volume de ses chroniques, fait mention de deux évêques de Wincestre qui furent consécutivement chanceliers de cette nation. Et Comines, dans ses mémoires de la vie de Louis XI. introduit le chancelier d'Angleterre parlant pour Edoüard son maître, en présence de Louis XI. Il ajoûte qu'il étoit prélat évêque de Lisle ou Eley, Eliensis, suivant Polidore Virgile.

Le chancelier d'Angleterre est le seul juge de la chancellerie, qui est la cour souveraine du royaume pour les affaires civiles. Il a cependant douze assistans, qu'on appelloit autrefois coadjuteurs, qui ont des appointemens du roi, & doivent être docteurs en droit civil. Le chancelier les consulte dans les cas difficiles, mais il n'est pas obligé de suivre leur avis. Le premier de ces assistans est le maître des rôles ; il juge en l'absence du chancelier, & a séance à côté de lui dans la chambre haute.

Le chancelier doit juger selon les lois & statuts du royaume ; il peut néanmoins aussi juger selon l'équité, & modérer la rigueur de la loi, ce que ne peuvent pas faire les autres juges.

La cour de la chancellerie est au-dessus de toutes les autres, dont elle peut corriger & réformer les jugemens.

On la divise en deux cours ; l'une où l'on juge à la rigueur, & dans celle-là toutes les procédures & actes se font en latin : il y a 24 clercs établis pour cela.

L'autre est celle de l'équité, les procédures s'y font en anglois. Six clercs sont ordonnés pour ces sortes d'actes. Comme celle-ci est une cour de conscience & de miséricorde, la forme de procéder y est beaucoup plus simple.

C'est aussi la cour de chancellerie qui dresse les lettres circulaires du roi pour convoquer le parlement, les édits, proclamations, pardons, &c.

Le chancelier nomme à tous les bénéfices dont le revenu est au-dessous de 20 liv. sterling : c'est pourquoi jusqu'à Henri VIII. c'étoit toûjours un ecclésiastique qui étoit pourvû de cette charge.

La fonction de chancelier & celle de garde des sceaux avoient été long-tems séparées ; présentement elles sont réunies.

Deux des plus illustres chanceliers d'Angleterre, sont Thomas Morus, qui eut la tête tranchée pour n'avoir pas voulu reconnoître Henri VIII. en qualité de chef de l'église anglicane, & François Bacon, auteur de plusieurs ouvrages admirables.

Il y a aussi un chancelier du duché de Lancastre, qui est le président de la cour de ce duché, & un autre à la cour de l'échiquier. Chacun d'eux, dans le tribunal où il préside, est chargé des intérêts de la couronne, & même du recouvrement des revenus du domaine. Voyez Chamberlaine, état d'Angleterre.

Pour ce qui est des chanceliers des universités de Cambridges & d'Oxford, voyez ci-après CHANCELIERS DANS LES UNIVERSITES, vers la fin.

CHANCELIER DU COMTE ou DU DUC D'ANJOU ET DU MAINE, étoit le chancelier particulier que ces seigneurs avoient pour leur apanage. L'abbé de Vendôme étoit chancelier du duc d'Anjou le 21 Mai 1375. On trouve aussi des lettres de Louis duc d'Anjou, du 22 Janvier 1377, données à la relation de son chancelier. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome VI. p. 31 & 32, & p. 673. Philippe Huraut, seigneur de Chiverny, étoit chancelier du duc d'Anjou roi de Pologne, avant d'être chancelier de France. Voyez l'hist. des chanceliers.

CHANCELIER D'APANAGE. Voyez ci-après CHANCELIER DES FILS ET PETITS-FILS DE FRANCE, & CHANCELLERIE D'APANAGE.

CHANCELIER D'AQUITAINE, étoit celui qui gardoit le sceau des ducs d'Aquitaine & scelloit toutes leurs lettres. La fonction de cet officier a été éteinte autant de fois que l'Aquitaine a été réunie à la couronne. Nous nous contenterons de rapporter ici un trait singulier sur Jean de Nesle qui étoit chancelier d'Aquitaine au commencement du XVe siecle, dans le même tems qu'Henri de Marle étoit chancelier de France. Dans un conseil du roi tenu en 1412, où présidoit le duc d'Aquitaine, il y eut quelques paroles entre le chancelier de France & celui d'Aquitaine : ce dernier ayant par plusieurs fois donné à l'autre un démenti formel, Henri de Marle lui dit : " Vous m'injuriez, & l'avez déja fait autrefois, moi qui suis chancelier du roi ; néanmoins je l'ai toujours souffert par respect pour monseigneur d'Aquitaine qui est ici présent, & suis encore prêt de le faire ". De quoi le duc d'Aquitaine tout émû, prit son chancelier par les épaules, & le chassa hors de la chambre, lui disant : " Vous êtes un mauvais ribaut & orgueilleux, nous n'avons plus besoin de votre service, qui avez ainsi injurié en notre présence le chancelier de monseigneur le roi ". Cela fait, de Nesle rendit les sceaux, & un autre fut nommé à sa place.

L'Aquitaine ayant été réunie à la couronne par Charles VII. en 1453, & n'en ayant plus été démembrée, il n'y a plus eu depuis ce tems de chancelier d'Aquitaine. Voyez Bouchel, bibliotheque du droit françois, au mot CHANCELIER.

CHANCELIER D'ARLES, voyez CHANCELIER DE BOURGOGNE.

CHANCELIER DE L'ARCHIDUC D'AUTRICHE, est celui qui porte le sceau de l'archiduc, & qui fait auprès de lui toutes les autres fonctions que font les autres chanceliers des princes souverains. Cet office paroît avoir été institué à-peu-près dans le même tems que l'Autriche fut érigée en archiduché, c'est-à-dire en 1477 : en effet, dès l'an 1499 on trouve que quand l'archiduc vint à Arras pour faire entre les mains du chancelier de France la foi & hommage qu'il devoit au roi pour ses pairies & comtés de Flandres, Artois & Charolois, le chancelier de France étant à une lieue d'Arras, messire Thomas de Pleure, évêque de Cambrai, chancelier de l'Archiduc, accompagné du comte de Nassau & de plusieurs autres seigneurs de marque, vinrent saluer le chancelier de France de la part de leur maître. Voyez le procès verbal de ce voyage, qui est rapporté dans Joly, tr. des offices, tome I. aux additions sur le second livre.

CHANCELIER DES ARTS, est un titre que l'on donnoit anciennement, & que l'on donne encore quelquefois au chancelier de l'église de sainte Génevieve ; ce qui provient de ce qu'au commencement l'université de Paris, dont il étoit alors le seul chancelier, n'étoit composée que de la faculté des arts, & de ce qu'actuellement il ne donne plus la bénédiction de licence que dans la faculté des arts ; cependant le chancelier de Notre-Dame la donne aussi dans cette même faculté. Voyez ci-après CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS, DE SAINTE GENEVIEVE, & DE L'UNIVERSITE.

CHANCELIER DES ARTS, dans l'université de Montpellier, est le chancelier particulier de la faculté des arts. Voyez ci-après CHANCELIER DES FACULTES DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER.

CHANCELIER D'AUTRICHE, voyez ci-devant CHANCELIER DE L'ARCHIDUC.

CHANCELIER D'AUVERGNE étoit un garde des petits sceaux royaux, dont on se servoit en la province d'Auvergne. Il y avoit de semblables chanceliers dans différentes provinces, comme le remarque M. de Marillac dans son traité des chanceliers. Il est parlé des chanceliers ou garde des sceaux d'Auvergne dans des lettres de Philippe-le-Bel, du mois de Mars 1303 ; données en faveur des barons & nobles ayant justice au pays d'Auvergne. Ces lettres parlent de ces chanceliers d'Auvergne au plurier, ce qui annonce qu'il y en avoit plusieurs dans cette même province. Il est dit qu'ils ne pourront, sous prétexte des obligations qu'ils auront scellées, ou sous prétexte de l'exécution de leurs sceaux, saisir ou mettre en la main du roi les fiefs, arriere-fiefs & censives des nobles ayant justice, sans y appeller les parties, ou ceux qui y ont intérêt, & avec connoissance de cause ; que l'on ne procédera sur ces biens par voie d'exécution, en conséquence du mandement des chanceliers, qu'en cas de négligence de la part des nobles ; que si un débiteur oblige un immeuble, & le vend ensuite sans fraude à un tiers, celui-ci ne pourra être poursuivi par-devant les chanceliers, ni l'immeuble être saisi, si le principal débiteur a des biens sur lesquels le créancier puisse se pourvoir ; que lorsqu'il y aura saisie ou apposition de la main du roi sur quelque fief ou censive, de la part des chanceliers, pour l'exécution de leur sceau, cela n'empêchera pas le seigneur d'user de son droit, & de saisir selon le droit & la coûtume.

Dans d'autres lettres du même prince, du mois de Mai 1304, en faveur des barons nobles & habitans de la même province, il est dit que les chanceliers ne mettront nulles lettres passées sous le scel du roi à exécution dans les terres & justices subalternes, sinon au défaut des seigneurs, & en cas de négligence de leur part ; que si quelqu'un obligeoit une chose dont il ne fût pas en possession, les chanceliers n'en auroient pas la connoissance ; que les chanceliers n'auroient aucuns notaires dans les justices des barons & des autres seigneurs, & que leurs notaires ne pourront y recevoir aucuns contrats ; qu'ils ne jugeront ni ne taxeront aucunes amendes pour les appels que l'on interjettoit d'eux & auxquels on auroit succombé ; que ces amendes seroient taxées par les baillis.

Il est parlé du sénéchal du Roüergue en Auvergne, dans des privileges accordés à la ville de Sauveterre en Roüergue par Charles V. au mois d'Avril 1370.

Il paroît aussi que quelques seigneurs particuliers de la province avoient leur chancelier. En effet, dans des lettres de Charles VI. du mois de Mars 1397, portant confirmation d'un accord fait entre l'évêque de Clermont, seigneur du lieu nommé Laudosum, & les habitans de ce lieu, touchant leurs droits respectifs, il est parlé du prevôt de ce même lieu, qui étoit aussi le chancelier de l'évêque.

CHANCELIERS DE BARBARIE, voyez ci-après CHANCELIERS DES CONSULS DE FRANCE.

CHANCELIER DE LA BASOCHE, est le président d'une jurisdiction en dernier ressort appellée la basoche, que les clercs des procureurs au parlement de Paris ont pour juger les contestations qui peuvent survenir entr'eux.

Le roi de la basoche, qui étoit autrefois le chef de cette jurisdiction, avoit son chancelier, qui étoit le second officier du royaume, ou jurisdiction de la basoche ; mais Henri III. ayant défendu qu'aucun de ses sujets prit dorénavant le titre de roi, le chancelier est devenu le premier officier de la basoche.

Sa fonction ne dure qu'un an, à moins qu'il ne soit continué. L'élection se fait au mois de Novembre ; on le choisit entre les quatre plus anciens maîtres des requêtes, avocat & procureur généraux, & leur procureur de communauté. La forme de cette élection a été réglée par un arrêt du 5 Janvier 1636, rendu sur les conclusions de M. l'avocat général Bignon.

Le chancelier ne peut être marié ni bénéficier ; son habit de cérémonie est la robe de palais & le bonnet quarré.

Il préside au tribunal de la basoche, & en son absence le vice-chancelier.

Lorsque les arrêts de la basoche sont attaqués par voie de cassation, l'affaire est portée devant l'ancien conseil, qui se tient par le chancelier assisté des procureurs au parlement.

Le chancelier peut donner des mandemens pour convoquer ses suppôts aux montres, ou autres cérémonies, sous peine d'amende. Voyez Miraumont origine de la basoche, & BASOCHE.

CHANCELIER DU DUC DE BERRI, étoit le chancelier que ce prince avoit pour son apanage. Il en est fait mention au bas des lettres données le 12 Octobre 1401, par Jean fils de France, duc de Berri, où il est désigné par le mot vous, qui dans l'ancien style des lettres royaux, désigne le chancelier. Voyez le recueil des ordonn. de la troisieme race, tom. VIII. pag. 472. Girard de Montaigu, évêque de Poitiers, étoit chancelier du duc de Berri, & avoit son hôtel à Paris rue des Marmousets. Voyez Sauval, antiq. de Paris, tome II. pag. 151. Michel de l'Hôpital, natif d'Aigueperse en Auvergne, fut long-tems chancelier de Marguerite de France duchesse de Berri, & ensuite nommé chancelier de France en 1560. Tessereau, hist. de la chanc.

CHANCELIER DE BOHEME, est celui qui a la garde du sceau du roi de Bohême. La chancellerie est toûjours à la suite de la cour. Il y a aussi un grand-chancelier en Silésie, qui est président du conseil supérieur. En 1368, le chancelier de Bohême avoit un hôtel à Paris. Voyez Sauval, antiq. tom. II. pag. 151.

CHANCELIER DE BOURBON, étoit le chancelier particulier des ducs de Bourbon. Au parlement tenu à Vendôme par la décision du procès de Jean duc d'Alençon, en 1458, le duc de Bourbon siégeoit sur les hauts bancs avec les princes ; & dessous les hauts bancs, après les quatre maîtres des requêtes, étoit le chancelier de Bourbon. Voyez l'Histoire généalog. & chron. d'Anselme, tom. III. pag. 262.

CHANCELIER DE BOURGOGNE, GRAND-CHANCELIER, ou ARCHI-CHANCELIER du royaume de Bourgogne & d'Arles, est un titre que prenoit l'archevêque de Vienne en Dauphiné. Cette dignité fut accordée très-anciennement aux archevêques de Vienne par les empereurs ; puisque dès le tems de Lothaire on trouve un diplôme de l'an 842, où l'archevêque de Vienne est qualifié d'archicancellarium palatii. On en trouve plusieurs autres exemples des années 937, 945, 972, 992.

L'empereur Fréderic I. en 1157, confirma cette dignité à Etienne, archevêque de Vienne, pour lui & ses successeurs, à perpétuité : il veut qu'il soit in regno Burgundiae sacri palatii nostri archicancellarius, & summus notariorum nostrorum. La même chose se trouve repétée dans un diplôme de Fréderic II. de l'an 1214.

Depuis que les royaumes de Bourgogne & d'Arles ne subsistent plus, cette dignité de chancelier est devenue sans objet. Voyez le glossaire de Ducange au mot Archicancellarius ; & ci-après au mot GRAND-CHANCELIER DE L'EMPIRE.

CHANCELIER DES DUCS DE BOURGOGNE, voyez ci-après CHANCELIER DE BOURGOGNE.

CHANCELIER DE BRETAGNE, étoit celui qui avoit la garde du grand sceau des ducs de Bretagne, avant que cette province fut réunie à la couronne. Charles VIII. ayant épousé Anne de Bretagne, donna un édit au mois de Mai 1494, par lequel il abolit le nom de l'office de chancelier de Bretagne, attendu, est-il dit, qu'en la chancellerie de France il n'y a accoûtumé d'avoir qu'un seul & unique chancelier, chef & administrateur de la justice, & régla la chancellerie de cette province à l'instar de celles qui étoient établies près des parlemens de Paris, Toulouse & Bordeaux. voyez ci-après CHANCELLERIE DE BRETAGNE, & CHANCELLERIES PRES LES COURS.

CHANCELIER DE CHAMPAGNE, étoit celui qui avoit la garde du sceau des comtes de Champagne, cet office subsista tant qu'il y eut des comtes de Champagne, c'est-à-dire jusqu'au mariage de Jeanne reine de Navarre, comtesse de Champagne & de Brie avec Philippe IV. dit le Bel, le 6 Août 1284. On conserva pourtant encore la distinction de la chancellerie de Champagne. Voyez ci-après CHANCELLERIE DE CHAMPAGNE.

Dans un procès-verbal qui fut fait en 1328 à la chambre des comptes pour constater l'usage pratiqué anciennement par rapport à l'émolument du sceau, il fut dit qu'il seroit mandé à Troyes ; que l'on vit par les anciens registres, combien les chanceliers de Champagne, de qui le roi avoit maintenant la cause, prenoient pour toutes les lettres de Champagne, & combien les notaires y avoient. Voyez Tessereau, hist. de la chancellerie, liv. I.

CHANCELIER DU CHASTELAIN DU CHASTEL NARBONNOIS, étoit celui qui avoit la garde du scel royal sous le châtelain de Narbonne. Il en est fait mention dans des lettres de Philippe VI. dit de Valois, du 14 Juin 1345, rapportées dans les ordonnances de la troisieme race, tome II. page 230.

CHANCELIER DE CHYPRE, voyez CHANCELIER DU ROI DE JERUSALEM.

CHANCELIER DE CLERMONT, voyez CHANCELIER DE L'EVEQUE DE CLERMONT.

CHANCELIER DE LA COMMUNE DE MEAUX, est ainsi nommé dans la charte commune de la ville de Meaux, de l'an 1179 : c'étoit proprement le greffier de la ville, ou plutôt celui qui gardoit le sceau de la ville ; car il avoit sous lui un écrivain. Voyez le glossaire de Ducange, au mot Cancellarius communiae.

CHANCELIERS DES CONSULS DE FRANCE dans les pays étrangers, sont ceux qui ont la garde du sceau du consulat, & qui scellent tous les jugemens, commissions & autres actes émanés du consulat, ou qui sont passés ou légalisés sous son sceau. Les consuls des échelles du Levant & de Barbarie, ont la plûpart un chancelier : il y en a même auprès de plusieurs vice-consuls. Il y a aussi un chancelier du consulat de France au port de Cadix en Espagne : ces chanceliers font tout-à-la-fois la fonction de secrétaires du consulat, celles de gardes-scel, de greffiers & de notaires.

Dans quelques endroits moins considérables, le consul a lui-même la garde du sceau.

Suivant l'ordonnance de la Marine du mois d'Août 1681, titre jx. des consuls de la nation françoise dans les pays étrangers, ceux qui ont obtenu du roi des lettres de consul dans les villes & places de commerce des états du grand-seigneur, appellés échelles du Levant, & autres lieux de la Méditerranée, doivent les faire enregistrer en la chancellerie de leur consulat.

L'article 16 porte, que les consuls doivent commettre à l'exercice de la chancellerie des personnes capables, & leur faire prêter serment ; & ils en demeurent civilement responsables : en quoi nous avons suivi la disposition des empereurs Honorius, & Théodose, en la loi nullus judicium, cod. de assessoribus domesticis & cancellariis, qui veut que les chanceliers ou greffiers des présidens & autres gouverneurs des provinces, soient élûs par le corps des officiers ordonnés à la suite du gouverneur, à la charge que la compagnie répondroit civilement des fautes de celui qu'elle auroit élu pour chancelier.

La disposition de cet article n'est plus observée depuis l'édit du mois de Juillet 1720, registré au parlement le 6 Mars 1721, portant que les chanceliers dans les échelles du Levant & de Barbarie, seront pourvûs de brevets du roi, nonobstant l'article 16. du titre jx. de l'ordonnance de 1681 ; & qu'en cas de mort ou d'absence, le premier député de la nation en fera les fonctions pendant la vacance.

Les droits des actes & expéditions de la chancellerie doivent être reglés par eux, de l'avis des députés de la nation françoise, & des plus anciens marchands ; & le tableau doit en être mis au lieu le plus apparent de la chancellerie, & l'extrait en être envoyé incessamment par chaque consul au lieutenant de l'amirauté, & aux députés du commerce de Marseille.

Le consul doit faire l'inventaire des biens & effets de ceux qui décedent sans héritiers sur les lieux, ensemble des effets sauvés des naufrages ; & le chancelier doit s'en charger au pié de l'inventaire, en présence de deux notables marchands qui le signent.

Les testamens reçus par le chancelier dans l'étendue du consulat, en présence du consul & de deux témoins, & signés d'eux, sont réputés solemnels.

Les polices d'assûrances, les obligations à grosse avanture ou à retour de voyage, & tous autres contrats maritimes, peuvent être passés en la chancellerie du consulat, en présence de deux témoins qui signent l'acte.

Enfin le chancelier doit avoir un registre côté & paraphé en chaque feuillet par le consul & par le plus ancien des députés de la nation ; sur lequel il écrit toutes les délibérations & les actes du consulat, enregistre les polices d'assûrances, les obligations & contrats qu'il reçoit, les connoissemens ou polices de chargemens qui sont déposés en ses mains par les mariniers & passagers, l'arrêté des comptes des députés de la nation, les testamens & inventaires des effets délaissés par les défunts ou sauvés des naufrages, & généralement les actes & procédures qu'il fait en qualité de chancelier.

CHANCELIER DE DANEMARK, est un des grands officiers de la couronne, qui a la garde du sceau royal. Il est le chef d'un conseil appellé la chancellerie ; & en cette qualité il a entrée au conseil d'état, de même que tous les chefs des autres conseils. Le chancelier particulier du duché d'Holstein y a aussi entrée.

L'appel des juges royaux de Danemark ressortit au conseil de la chancellerie. On appelle ensuite du chancelier au conseil du roi ou d'état, auquel le roi préside. Il y a aussi un autre conseil, appellé le conseil de justice, qui a pour chef le grand-justicier, officier différent du chancelier. Quand il y a quelque plainte contre un juge, on le fait citer par un officier de la chancellerie aux grands jours que le roi tient de tems en tems, pour examiner la conduite des juges subalternes. Voyez la Martiniere, à l'article de Danemark.

CHANCELIER DU DAUPHIN ou DU DAUPHINE, étoit celui qui avoit la garde du sceau du dauphin de Viennois, & qui scelloit toutes les lettres émanées de ce souverain.

Il est à croire que dès qu'il y eut des dauphins de Viennois, lesquels commencerent dès le xj. siecle, ils eurent un chancelier. Il en est parlé dans un réglement fait pour la maison du dauphin en 1336.

C'étoit le plus considérable des officiers du dauphin, & celui en qui résidoient les principales fonctions de la justice. Son ministere lui attiroit beaucoup d'honneur & de considération ; il avoit 200 florins d'or d'appointemens, y compris les gages de son secrétaire & d'un certain nombre de domestiques, que l'état lui entretenoit.

Ses principales fonctions étoient de rendre des ordonnances sur les requêtes des parties, soit qu'elles tendissent à obtenir justice, ou à demander quelque grace. Il ne déterminoit rien sur les premieres, qu'en présence du dauphin ou de quatre conseillers du conseil, & après avoir pris leur avis. A l'égard des autres, il les rapportoit au dauphin pour savoir sa volonté avant de les répondre. Après avoir mis son ordonnance au bas, il les distribuoit à un des greffiers de la chancellerie, pour les expédier en forme de lettres. Le juge de l'hôtel en ordonnoit ensuite la publication à son audience ; & enfin ces lettres étoient revûes par le chancelier, pour les sceller du grand sceau à queue pendante, ou du sceau privé, selon que l'affaire étoit plus ou moins importante.

S'il remarquoit que l'on eût usé de surprise, ou que l'on eût passé trop legerement sur l'intérêt public, il étoit de son devoir d'en faire des remontrances au dauphin, afin qu'il y pourvût comme il convenoit.

Lorsqu'il s'agissoit de dons, de pensions, ou de provisions d'offices, il ordonnoit à ses greffiers de les enregistrer. Il leur faisoit aussi tenir des registres exacts de tous les hommages prêtés au dauphin, ou à ses prédécesseurs ; de même que des traités, quittances, assignations, transports, ventes, & autres actes qui le concernoient ; & des états sommaires de tous les contrats qui se trouvoient dans les protocoles des notaires de la province.

Il avoit la garde du grand sceau & du scel privé, & commettoit à la perception des émolumens qui en provenoient, quelque personne de confiance qui devoit en remettre les deniers tous les mois dans un coffre fermant à deux clés, qui demeuroient l'une entre les mains du chancelier, l'autre entre les mains du juge de l'hôtel. Les appointemens du chancelier étoient pris sur ce fonds.

Outre le chancelier de Dauphiné, il y avoit une garde du scel du conseil delphinal ; lequel, dans une ordonnance de Humbert II. en 1340, est nommé chancelier de ce conseil, mais improprement ; car c'étoit un des conseillers qui avoit seulement le droit de présider au conseil, & la garde des sceaux du conseil.

L'office de chancelier de Dauphiné étoit, comme on a vû, beaucoup plus considérable que celui-ci : aussi voit-on qu'il fut long-tems possédé sous Humbert II. par l'évêque de Tivoli, qui étoit son confesseur.

Humbert II. ayant cédé en 1343 le Dauphiné au roi Philippe VI. dit de Valois, à condition que celui des enfans de France qui auroit cette province, en porteroit le nom & les armes ; Charles V. qui n'étoit encore que petit-fils de France, prit possession du Dauphiné en 1349. Lui & ses successeurs continuerent d'avoir un chancelier, comme les dauphins en avoient toûjours eu.

Il est dit dans une ordonnance du mois d'Octobre 1358, faites par Charles V. fils de France, alors régent du royaume & dauphin de Viennois, que son chancelier scellera cette ordonnance du grand sceau, sans prendre aucun émolument.

Il avoit entrée au conseil du roi, comme il paroît par différentes lettres ; entr'autres celles qui furent données par Charles V. au mois d'Août 1364, pour la confirmation des priviléges de Montpellier, où il est qualifié de chancelier de Dauphiné. Guillaume de Dormans, qui est qualifié de chancelier de Viennois, assista en cette qualité au conseil tenu le 28 Décembre 1366, au sujet de l'excès d'apanage de Philippe de France duc d'Orléans. On trouve encore le chancelier de Dauphiné au nombre de ceux qui composoient le conseil tenu à l'hôtel Saint-Paul le 18 Février 1411.

On trouve aussi que le 29 Juillet 1464, il siégeoit à la chambre des comptes de Paris.

L'arrêt de Me Henri Camus, du 13 Juillet 1409, fait connoître qu'en la chancellerie de Louis de France, dauphin de Viennois, duc de Guienne, fils de Charles VII. il y avoit un audiencier & un trésorier de ses chartes.

Louis XI. n'étant encore que dauphin, avoit son chancelier ; mais on ne voit pas qu'il y en ait eu depuis. Il y a néanmoins toûjours une chancellerie particuliere près le parlement de Grenoble. Voyez du Tillet, des apanages des enfans de France, & les mém. de Valbonay ; du Tillet, des rangs des grands de France.

CHANCELIER DE DOMBES, est le chef de la justice dans la principauté souveraine de Dombes ; il réunit aussi la fonction de garde des sceaux du prince, & préside au conseil souverain que le prince a près de sa personne, où sont portées les requêtes en cassation contre les arrêts du parlement de Dombes, & autres affaires qui sont de nature à être traitées dans ce conseil, ou que le prince juge à-propos d'y évoquer : c'est lui qui donne toutes les provisions des offices, lettres-patentes, & qui rédige les réglemens : il prête serment entre les mains du prince de Dombes, & ses provisions sont présentées par un avocat en l'audience du parlement de Dombes, où elles sont lûes, publiées & enregistrées, & le procureur général en envoye des copies collationnées aux requêtes du palais, & dans tous les bailliages & autres jurisdictions inférieures de la souveraineté. Dans ses provisions & dans toutes les lettres qui lui sont adressées, le prince le traite de notre amé & féal, & lui donne le titre de chevalier.

L'institution de cet office rémonte probablement jusqu'au onzieme siecle, tems auquel la Dombes commença à former une souveraineté particuliere.

Le chancelier de Dombes réunit aussi la fonction de secrétaire d'état, & celle de contrôleur général des finances. Voyez l'hist. de Savoie & celle de Bresse, par Guichenon.

CHANCELIER DE DROIT, voyez ci-devant CHANCELIER DES FACULTES DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER.

CHANCELIER DANS LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE, voyez ci-devant CHANCELIER DES CONSULS DE FRANCE.

CHANCELIER DE L'ÉCHIQUIER ou GRAND-CHANCELIER DE LA COUR DE L'ÉCHIQUIER, est un des juges de la cour des finances d'Angleterre, qu'on appelle aussi cour de l'échiquier. Le chancelier y siége après le grand-trésorier ; mais ces deux officiers s'y trouvent rarement. Voyez ci-devant CHANCELIER D'ANGLETERRE, & ÉCHIQUIER.

CHANCELIER DES ÉGLISES, sont des ecclésiastiques qui, dans certaines églises cathédrales & collégiales, ont l'inspection sur les écoles & études. En quelques Eglises, ils sont érigés en dignité ; dans d'autres, ce n'est qu'un office : en quelques endroits, ils sont en même tems chanceliers de l'université.

Dans l'origine, ces chanceliers étoient les premiers scribes des églises qui étoient dépositaires du sceau particulier de leur église, dont ils scelloient les actes qui en étoient émanés : ils avoient l'inspection sur toutes les écoles & études, comme ils l'ont encore dans quelques endroits en tout ou partie ; par exemple, dans l'église de Paris, le chancelier donne la bénédiction de licence dans l'université : le grand-chantre a l'inspection sur les petites écoles.

L'établissement de ces chanceliers doit être fort ancien, puisque dans le vj. concile général tenu en 680, art. 8. on trouve Etienne & Denis tous deux diacres & chanceliers : c'étoit dans l'église d'Orient, avant eux, qu'est nommé un autre ecclésiastique auquel on donne le titre de defensor navium, c'est-à-dire des nefs des églises ; ce qui pourroit faire croire que l'office de chancelier d'église étoit opposé à celui de defensor navium, & que le chancelier étoit le maître du choeur appellé cancelli, & que l'on appelle encore en françois chancel ou cancel, & qu'il fut appellé de-là cancellarius.

Il paroît néanmoins que l'opinion la plus commune est que les chanceliers d'église ont emprunté ce nom des chanceliers séculiers, qui chez les Romains, du tems du bas-empire, écrivoient intra cancellos ; & que ceux qui écrivoient les actes des églises, furent nommés chanceliers à l'instar des premiers, soit qu'ils écrivissent aussi dans une enceinte fermée de barreaux, soit parce qu'ils faisoient pour les églises la fonction de notaires & de secrétaires, comme les chanceliers séculiers la faisoient pour l'empereur, ou pour différens magistrats.

Ceux qui sont préposés dans les églises pour avoir inspection sur les études, reçoivent différens noms : en quelques endroits on les appelle scholastiques ou maîtres d'école, écolâtres ; en Gascogne, on les appelle capiscol, quasi caput scholae, chef de l'école.

Les écolâtres & chanceliers de plusieurs églises cathédrales, sont chanceliers nés de l'université du lieu ; tels que le chancelier de l'église de Paris, ceux des églises d'Orléans & d'Angers.

En certaines églises, la dignité de chancelier est différente de celle d'écolâtre : comme à Verdun, où l'office de chancelier a été érigé en dignité. Voyez l'hist. de Verdun.

Dans celles où la dignité de chancelier est plus ancienne que le partage des prébendes, le chancelier est ordinairement du corps du chapitre, & chanoine. Dans les églises où cette dignité a été créée depuis le partage des prébendes, il ne peut être du corps du chapitre qu'en possédant une prébende ou canonicat.

On peut appliquer aux chanceliers des églises plusieurs dispositions des conciles qui concernent les scholastiques ou écolâtres, & qui sont communes aux chanceliers.

Le concile de Tours, tenu en 1583, charge nommément les scholastiques & les chanceliers des églises cathédrales, d'instruire ceux qui doivent lire & chanter dans les divins offices, & de leur faire observer les points & les accens.

Il y a encore des chanceliers dans plusieurs églises cathédrales & collégiales : dans quelques-unes cet office a été supprimé.

Il seroit trop long de parler ici en détail de tous les chanceliers des différentes églises ; nous parlerons seulement des plus remarquables dans les articles suivans.

Sur les chanceliers d'église, voyez le P. Thomassin, discip. ecclésiast. le Gloss. de Ducange ; Fuet tr. des mat. bénéf. liv. II. ch. vj. & ce qui est dit ci-après aux articles des CHANCELIERS DE L'EGLISE DE PARIS, DE L'EGLISE ROMAINE, DE SAINTE GENEVIEVE, DE L'EGLISE DE VIENNE, & CHANCELIER DANS LES ORDRES RELIGIEUX.

CHANCELIER DE L'EGLISE DE PARIS, ou DE NOTRE-DAME, & DE L'UNIVERSITE, est une des dignités de l'église cathédrale de Paris, qui réunit l'office de chancelier de cette église, & celui de chancelier de l'université. Sa fonction comme chancelier de l'église de Paris, est d'avoir inspection sur les colléges ; il y a aussi lieu de croire qu'il avoit anciennement la garde du sceau de cette église, & que c'est de-là qu'il a été nommé chancelier. Sa fonction, comme chancelier de l'université, est de donner la bénédiction de licence de l'autorité apostolique, & le pouvoir d'enseigner à Paris & ailleurs ; mais ce n'est point lui qui donne les lettres, ni qui les scelle : elles sont données dans chaque faculté par le greffier, qui est dépositaire du sceau de l'université.

Il y avoit à Paris dès le tems de la premiere & de la seconde race de nos rois, plusieurs écoles publiques ; une entr'autres, qui étoit au parvis de Notre-Dame dans un grand édifice bâti exprès, & attaché à la maison épiscopale : l'évêque avoit l'inspection sur ces écoles, & préposoit quelqu'un pour en avoir sous lui la direction, qui donnoit des lettres à ceux qui étoient reçûs maîtres dans quelque science, & auxquels on donnoit pouvoir d'enseigner. Celui qui scelloit leurs lettres fut appellé chancelier, à l'instar du chancelier de France, qui scelloit les lettres du roi.

L'institution du chancelier de l'église de Paris doit être fort ancienne, puisque dès le tems d'Imbert, évêque de Paris en 1030, un nommé Durand est qualifié cancellarius ecclesiae Parisiensis. Raynald prenoit le même titre en 1032 ; & l'on connoît tous ceux qui ont depuis rempli cette place.

Lorsque les maîtres & régens des différentes écoles de Paris commencerent à former un corps, que l'on appella université, ce qui n'arriva qu'au commencement du xiij siecle ; alors le chancelier de l'église de Paris prit aussi le titre de chancelier de l'université.

Innocent IV. par deux bulles, l'une datée de la seconde année de son pontificat (c'étoit en 1244), l'autre datée de sept ans après, mande au chancelier de l'église de Paris, de faire taxer le loüage des maisons où demeuroient les régens.

Grégoire X. ordonna que le chancelier élû préteroit serment entre les mains de l'évêque & du chapitre.

Suivant une lettre de Nicolas III. qui est au second volume du répertoire des chartes de l'église de Paris, fol. 54. ce pape ayant cassé l'élection qui avoit été faite d'Odon de Saint-Denis, chanoine de Paris, pour évêque de la même église, conféra cet évêché à frere Jean de Allodio, de l'ordre des Freres-Prêcheurs, qui étoit alors chancelier de l'église de Paris ; lequel refusa cet évêché, voulant demeurer ferme dans l'état qu'il avoit embrassé.

La place de chancelier de l'université étoit regardée comme si importante, que Boniface VIII. dans le tems de ses démêlés avec Philippe-le-Bel, réserva pour lui-même cette place, afin d'avoir plus d'autorité dans l'université, & principalement sur les docteurs en Théologie, auxquels le chancelier de l'université donne le degré de docteur & la bénédiction, & commission de prêcher par tout le monde.

Mais après la mort de Boniface, l'université ayant desiré de r'avoir cet office, Benoît XI. le lui rendit ; & l'on tient que ce fut pour éviter à l'avenir une semblable usurpation, que cet office fut attaché à un chanoine de l'église de Paris ; ce que l'on induit d'une bulle de ce pape, qui est dans les registres de l'église de Paris, dans ceux de sainte-Genevieve, & dans le livre du recteur, où il y a encore une autre bulle de Grégoire XI. à ce sujet.

Il est néanmoins certain que présentement il n'y a point de canonicat annexé à la dignité de chancelier ; il est membre de l'église sans être du chapitre, à moins qu'il ne fût déjà chanoine, ou qu'il ne le devienne dans la suite : ce qui est assez ordinaire.

Comme il ne tenoit anciennement son pouvoir que de l'évêque, il ne donnoit la faculté d'exercer & d'enseigner que dans l'étendue de l'évêché. L'abbé de Sainte Genevieve, qui avoit la direction des écoles publiques du territoire particulier dont il étoit seigneur spirituel & temporel, avoit son chancelier qui donnoit des licences pour toutes les facultés ; & comme il relevoit immédiatement du saint-siége, le pape lui accorda le privilége de donner à ceux qu'il licentieroit, la faculté d'enseigner par toute la terre. Le chancelier de Notre-Dame obtint un semblable pouvoir de Benoît XI. dans le xjv. siecle.

Il étoit quelquefois du nombre de ceux que l'on nommoit pour tenir le parlement. On voit qu'il y étoit le 21 Mai 1375, lorsqu'on y publia l'ordonnance de Charles V. qui fixe la majorité des rois à quatorze ans.

Le célebre Gerson, qui fut nommé chancelier de l'université en 1395, fut l'un des plus grands hommes de son tems, & employé dans les négociations les plus importantes.

Le chancelier de l'université fut appellé à sa réformation par les cardinaux de Saint-Mars & de Saint-Martin-aux-Monts, & à celle que fit le cardinal d'Etouteville, légat en France, où il permit au chancelier de l'église de Paris d'absoudre du lien de l'excommunication à l'article de la mort.

Le ministere du chancelier devoit être purement gratuit ; tellement que le 6 Février 1529, l'université vint se plaindre au parlement de ce que son chancelier prenoit de l'argent pour faire des maîtres-ès-arts ou docteurs.

La dignité de chancelier est à la nomination du chapitre.

Le recteur de l'université assiste au chapitre de Notre-Dame à l'installation du chancelier.

Il donne présentement seul la bénédiction de licence dans les facultés de Théologie & de Médecine : par rapport au degré de maître-ès-arts, par un ancien accord fait entre le chancelier de Notre-Dame & celui de sainte Genevieve, les colléges sont divisés en deux lots, qu'on appelle premier & second lot. Le chancelier de Notre-Dame & celui de sainte Genevieve ont chacun leur lot, & chacun d'eux donne la licence aux bacheliers-ès-arts venant des colléges de son lot ; & comme ces lots ne se trouvent plus parfaitement égaux, à cause des révolutions arrivées dans quelques colléges, ils changent de lot tous les deux ans. Ils font entr'eux bourse commune pour les droits de réception.

Lorsque la licence des théologiens & des étudians en Médecine est finie, ils sont présentés au chancelier de Notre-Dame en la salle de l'officialité ; & quelques jours après, il leur donne dans la chapelle de l'archevêché la bénédiction & la démission ou licence d'enseigner. Il donne aussi en même tems le bonnet de docteur aux théologiens ; ce qui est précédé d'une these qu'on nomme aulique, parce qu'elle se soûtient dans la grande salle de l'archevêché. La cérémonie commence par un discours du chancelier à celui qui doit être reçû docteur. A la fin de ce discours, il lui donne le bonnet : aussi-tôt le nouveau docteur préside à l'aulique où il argumente le premier, & ensuite le chancelier, &c. L'aulique étant finie, le chancelier & les docteurs accompagnés des bedeaux, menent le nouveau docteur à Notre-Dame, où il fait serment devant l'autel de saint Denis, autrefois de saint Sébastien, qu'il défendra la vérité jusqu'à l'effusion de son sang. Ce serment se fait à genoux ; la seule distinction que l'on observe pour les princes, est qu'on leur présente un carreau pour s'agenouiller.

A l'égard des licentiés en Médecine, après avoir reçû de lui la bénédiction de licence, ils reçoivent ensuite le bonnet de docteur dans leurs écoles, par les mains d'un médecin.

On trouve des lettres de Philippe VI. dit de Valois, du mois d'Août 1331, par lesquelles, en confirmant quelques usages observés de tems immémorial dans la faculté de Médecine, il ordonne que les écoliers en Médecine qui auront fait leur cours & voudront être maîtres, seront présentés par les maîtres au chancelier de l'église de Paris, qui doit les examiner chacun à part ; & que s'ils se trouvent capables, ils soient licentiés.

Il intervint encore au mois de Juin 1540, un arrêt de réglement à leur sujet ; par lequel, faisant droit sur la requête des licentiandes en la faculté de Médecine, il fut dit que dorénavant, au tems de la mi-carême, la faculté de Médecine s'assembleroit en la salle de l'évêché de Paris, où l'on a accoûtumé de faire les docteurs en Théologie ; que le chancelier de l'université en l'église de Paris s'y trouvera comme principal juge de la licence ; que les docteurs-régens en Médecine feront apporter les rôles particuliers des licentiandes, qu'ils les mettront au chapeau en la maniere accoûtumée, & préteront serment entre les mains du chancelier ; qu'ils ont fait ces rôles selon Dieu & en leur conscience, n'ayant égard qu'à la doctrine, & sans aucunes brigues ni stipulations ; que ce serment fait, les rôles seront tirés du chapeau en présence du chancelier ; que de ces rôles particuliers sera fait le rôle général, auquel seront mis les licentiandes en leur ordre à la pluralité des voix des docteurs ; qu'en cas de partage des suffrages, le droit de gratifier appartiendra au chancelier, qui pourra préférer celui des licentiandes qu'il jugera à-propos, comme il peut faire en la faculté de Théologie : que si au jour assigné le chancelier a quelque empêchement légitime, ou est hors de Paris, on sera tenu de l'attendre trois jours ; passé lequel tems, la faculté pourra faire son rôle commun selon l'ancienne coûtume ; & la cour fit défenses, tant aux chanceliers qu'aux docteurs, de rien prendre ni exiger, etiam ab ultro offerentibus.

Pour ce qui est de la faculté de Droit civil & canon, dans laquelle il donnoit aussi la bénédiction de licence & le bonnet de docteur, comme il n'y a point de cours de licence dans cette faculté, & qu'il étoit incommode de venir présenter au chancelier chaque licentié l'un après l'autre ; par un ancien accord fait entre le chancelier & la faculté de Droit, le chancelier a donné à la faculté le pouvoir de conférer en son lieu & place le degré de licence & le doctorat ; en reconnoissance dequoi, le questeur de la faculté paye au chancelier deux livres pour chaque licentié.

Le chancelier de Notre-Dame joüit encore de plusieurs autres droits, dont nous remarquerons ici les plus considérables.

Il a droit de visite dans les colléges de Sainte-Barbe, Cambrai, Bourgogne, Boissi & Autun, concurremment avec l'université ; mais il fait la visite séparément.

Il a en outre l'inspection sur toutes les principalités, chapelles, bourses & régences des colléges, moeurs & disciplines scholastiques, & tout ce qui en dépend. Il a la disposition des places de tous les colléges ; & s'il s'éleve des contestations à ce sujet, elles sont dévolues à sa jurisdiction contentieuse. Il peut rendre des sentences & ordonnances ; il peut même en procédant à la réformation d'un collége, informer & decreter.

Suivant un réglement fait par le parlement le 6 Août 1538, l'élection du recteur de l'université doit être faite par le chancelier de Notre-Dame & les docteurs-régens, en présence de deux de Messieurs.

Il a droit d'indult, de joyeux avénement, & de serment de fidélité : il est de plus un des exécuteurs de l'indult.

Il ne peut point donner d'absolutions ad cautelam, ni de provisions au refus de l'ordinaire ; l'usage est de renvoyer l'impétrant au supérieur du collateur ordinaire : mais s'il n'en a point dans le royaume, ou qu'il soit dans un pays fort éloigné, ou qu'il y ait quelque autre motif légitime pour ne pas renvoyer devant lui, on renvoye ordinairement devant le chancelier de l'université, pour obtenir de lui des provisions.

Mais en matiere de joyeux avénement & de serment de fidélité, il a seul le droit de donner des provisions au refus des ordinaires, dans toute l'étendue du royaume.

Il a un sous-chancelier. Voyez cap. praesentata extra de testib. specul. tit. de probat. fol. 106. n°. 14. Aufrerius, in quaest. Tholos 13. Tr. de academiâ Parisiensi, aut Claud. Hemeraeo, de cancellario Parisiensi, & ejus offic. aut Rob. de Sorbonâ, oeconomo poenitentiarum D. Ludov. Franc. reg. Tractat. de conscientiâ, tom. VI. Bibliot. sanct. patrum. Du Boulay, hist. de l'université. Bouchel, bibliot. du droit françois, aux mots Chancelier, Abus, Université ; & dans son recueil de plaidoyers & arrêts notables, les plaidoyers & arrêts touchant la confirmation des droits du chancelier de l'université de Paris, le 20 Mai 1545. Le recueil de Decombes, greffier de l'official, part. II. ch. vj. pag. 318. Journal des audiences, tome I. ch. xcjx. & tome VI. liv. V. ch. xxvij. Les mém. du clergé, édit. de 1716, tome I. pag. 929. Plaidoyers & arrêts notables, imprimés en 1645. Bardet, tome II. liv. I. chap. iij. Fuet, des mat. bénéf. liv. IV. ch. x.

CHANCELIER DE L'EGLISE DE SAINTE GENEVIEVE ET DE L'UNIVERSITE, est un chanoine régulier de l'abbaye royale de sainte Genevieve de Paris, qui donne dans la faculté des arts la bénédiction de licence de l'autorité apostolique, & le pouvoir d'enseigner à Paris & par-tout ailleurs.

L'institution de cet office de chancelier est fort ancienne ; elle tire son origine des écoles publiques qui se tenoient à Paris dès le commencement de la troisieme race, sur la montagne & proche l'église de sainte Genevieve, appellée alors l'église de S. Pierre & de S. Paul.

Sous le regne de Louis VII. on substitua aux chanoines séculiers, qui desservoient alors l'église de S. Pierre & S. Paul, douze chanoines tirés de l'abbaye de S. Victor, qui étoit alors une école célebre. Et Philippe-Auguste ayant en 1190 fait commencer une nouvelle clôture de murailles autour de la ville de Paris, l'église de S. Pierre & S. Paul s'y trouva renfermée. Et Pasquier, dans ses recherches de la France dit que quelque tems après on donna à cette église un chancelier, comme étant une nouvelle peuplade de celle de S. Victor, laquelle pourtant ne fut point honorée de cette dignité, parce qu'elle se trouve hors la nouvelle enceinte.

Cette création, dit Pasquier, causa de la jalousie entre le chancelier de l'église de Paris & celui de l'église de S. Pierre & S. Paul ; le premier ne voulant point avoir de compagnon, & l'autre ne voulant point avoir de supérieur.

Les écoles qui se tenoient sous l'autorité de l'abbé de sainte Genevieve, s'étant multipliées par la permission du chapitre de cette église, son chancelier fut chargé de faire observer les ordonnances du chapitre, & d'expédier ses lettres de permission pour enseigner. Il avoit l'intendance sur les écoles, examinoit ceux qui se présentoient pour professer, & ensuite leur donnoit pouvoir d'enseigner.

Lorsque les différentes écoles de Paris commencerent à former un corps sous le nom d'université, ce qui ne commença qu'en 1200, le chancelier de l'église de sainte Genevieve prit aussi le titre de chancelier de l'université, & en fit seul les fonctions jusqu'au tems de Benoit XI. comme l'observe André Duchesne.

Ce que dit cet auteur est justifié par la célebre dispute qui s'éleva en 1240 entre le chancelier de sainte Genevieve & celui de Notre-Dame. Les écoles de Théologie de Notre-Dame n'étant pas alors de l'université, le chancelier de cette église ne devoit point étendre sa jurisdiction au-delà du cloître de son chapitre, où étoient ces écoles de Théologie de l'évêque de Paris. Il entreprit néanmoins d'étendre son autorité sur les écoles de l'université, lesquelles étant toutes en-deçà du petit pont, étoient appellées les écoles de la montagne. L'abbé & le chancelier de sainte Genevieve porterent au pape Grégoire IX. leurs plaintes de cette entreprise ; & ce pape, par deux bulles expresses de 1227, maintint la jurisdiction de l'abbé & du chancelier de sainte Genevieve sur toutes les facultés, & défendit au chancelier de Notre-Dame de les troubler dans cette jurisdiction & dans leurs fonctions : il ajoûte que personne n'a droit d'enseigner dans le territoire de sainte Genevieve sans la permission de l'abbé.

Les prérogatives de l'abbé & du chancelier de sainte Genevieve furent encore confirmées par la bulle d'Alexandre IV. qui défend au chancelier de sainte Genevieve de donner le pouvoir d'enseigner dans aucune faculté à aucun licentié, qu'il n'ait juré d'observer les statuts faits par les papes. Ce qui fait voir que le chancelier de sainte Genevieve étoit alors regardé comme ayant la principale autorité dans l'université, puisque les papes lui adressoient les bulles & les ordonnances qui concernoient l'université. C'est à lui qu'Alexandre IV. adresse une bulle, par laquelle il enjoint l'observation des réglemens qu'il avoit faits pour rétablir le bon ordre dans l'université de Paris.

Grégoire X. en 1271, délégua l'abbé de S. Jean des Vignes & l'archidiacre de Soissons, pour régler les différends des deux chanceliers.

Le chancelier de sainte Genevieve fut le seul chancelier de l'université jusqu'en 1334, que Benoît XI. ayant uni l'école de Théologie de l'évêque de Paris à l'université dont jusqu'alors elle n'étoit point membre, le chancelier de l'église de Paris reçut alors le pouvoir de donner la bénédiction de licence de l'autorité du saint siége, de même que celui de sainte Genevieve, & prit aussi depuis ce tems le titre de chancelier de l'université, concurremment avec celui de sainte Genevieve.

Alors le chancelier de l'église de Paris donnoit la bénédiction aux licentiés des écoles de sainte Genevieve, & le chancelier de sainte Genevieve donnoit la bénédiction aux licentiés des écoles dépendantes de l'évêque de Paris. Ensuite on eut le choix de s'adresser à l'un ou à l'autre ; mais par succession de tems l'usage a introduit que le chancelier de sainte Genevieve ne donne plus la bénédiction de licence que dans la faculté des Arts ; c'est pourquoi on l'appelle quelquefois chancelier des arts, quoiqu'il ne soit pas le seul qui donne la bénédiction de licence dans cette faculté.

Dans le xij. & le xiij. siecles jusqu'en 1230, le chancelier de sainte Genevieve recevoit sans le concours d'aucun examinateur les candidats qui se présentoient pour être membres de l'université. Ce fait est appuyé sur l'autorité d'Alexandre III. au titre de magistris, & sur le témoignage d'Etienne, évêque de Tournai, épître 133.

En 1289, le pape Nicolas III. accorda à l'université de Paris, que tous ceux qui auroient été licentiés par les chanceliers dans les facultés de Théologie, de droit canon, ou des Arts, pourroient enseigner par-tout ailleurs dans les autres universités, sans avoir besoin d'autre examen ni approbation, & qu'ils y seront reçûs sur le pié de docteurs. Voyez du Boulay dans son second tome de l'histoire latine de l'université de Paris, p. 449.

Depuis le xiij. siecle, pour s'assûrer de la capacité des récipiendaires, le chancelier de sainte Genevieve a bien voulu, à la requisition de l'université, choisir quatre examinateurs, un de chaque nation, lesquels conjointement avec lui examinent les candidats avant que de leur accorder la licence.

L'université ayant contesté au chancelier de sainte Genevieve le droit de choisir des examinateurs, l'affaire fut portée au conseil du roi Charles VI. lequel par arrêt de 1381 confirma le chancelier de sainte Genevieve dans le droit & possession où il étoit, & où il est encore, de choisir chaque année quatre examinateurs, un de chaque nation ; droit qu'il exerce aujourd'hui, & reconnu par l'université.

Par une transaction passée entre les chanceliers de Notre-Dame & de sainte Genevieve, homologuée par arrêt du mois de Mars 1687, les deux chanceliers ont fait deux lots de tous les colléges de l'université de Paris ; ils sont convenus que les écoliers des colléges iroient, savoir ceux du premier lot, pendant deux ans, se présenter au chancelier de Notre-Dame, pour être examinés, & recevoir le bonnet de maître-ès-arts ; & ceux des colléges du second lot, au chancelier de sainte Genevieve ; qu'après les deux ans, les écoliers du premier lot se présenteroient à sainte Genevieve, & ceux du second lot à Notre-Dame, & ainsi alternativement de deux en deux ans ; ce qui s'est toujours pratiqué depuis sans aucune difficulté.

Voici l'ordre & la maniere dont les chanceliers de Notre-Dame & de sainte Genevieve ont coûtume de procéder aujourd'hui dans l'exercice de leurs fonctions.

Lorsque les candidats se présentent à l'examen d'un des chanceliers, le bedeau de la nation des candidats lui remet le certificat de leur cours entier de philosophie, signé de leur professeur, avec les attestations du principal du collége où ils ont étudié, du greffier de l'université, du recteur, auquel ils ont prêté serment, & l'acte de leur promotion au degré de baccalauréat ès arts. Le chancelier les examine avec ses quatre examinateurs. Quand ils ont été reçûs à la pluralité des suffrages, il leur fait prêter les sermens accoûtumés, dont le premier & le principal est d'observer fidelement les statuts de l'université : après quoi il leur confere ce que l'on appelloit autrefois le degré de licence dans la faculté des Arts, en leur donnant, au nom & de l'autorité du pape, la bénédiction apostolique, & il couronne le nouveau maître-ès-arts par l'imposition du bonnet.

Un bachelier ès arts d'un lot ne peut s'adresser au chancelier qui a actuellement l'autre lot, sans un licet de l'autre.

Il y a bourse commune entre les deux chanceliers pour les endroits de réception des maîtres-ès-arts.

En 1668, le P. Lallemant, chancelier de l'abbaye de sainte Genevieve, obtint du cardinal de Vendôme ; légat en France, un acte en forme qui confirme le chancelier de sainte Genevieve dans les droits qu'il prétend avoir été accordés par les souverains pontifes aux chanceliers ses prédécesseurs ; de nommer aux bourses & aux régences des colléges, lorsque les nominations sont nulles, & qu'elles ne sont pas conformes aux statuts de l'université. On voit dans cet acte beaucoup d'autres prérogatives prétendues par le chancelier de sainte Genevieve, & confirmées par le cardinal légat, que le chancelier ne fait pas valoir.

Le chancelier de sainte Genevieve prête serment dans l'assemblée générale de l'université.

Suivant l'article 27 des statuts de l'université de Paris, le chancelier de sainte Genevieve doit être maître-ès-arts ; ou s'il n'est pas de cette qualité, il est tenu d'élire un soûchancelier qui soit maître, c'est-à-dire docteur en Théologie. Les chanceliers sont dans l'usage de choisir toujours un docteur en Théologie. Voyez la bibliotheque canonique & celle de droit françois de Bouchel, au mot chancelier.

CHANCELIER DE L'ÉGLISE ROMAINE, étoit un ecclésiastique qui avoit la garde du sceau de cette église, dont il scelloit les actes qui en étoient émanés : c'étoit le chef des notaires ou scribes.

Quelques auteurs prétendent que la chancellerie de l'église romaine ne fut établie qu'après Innocent III. qui siégeoit vers la fin du xij. siecle ; mais cet office paroît beaucoup plus ancien, puisque dans le sixieme concile oeconomique tenu en 680, il est parlé d'Etienne, diacre & chancelier. Sigebert fait mention de Jean, chancelier de l'église romaine, qui fut depuis élevé à la papauté sous le nom de Gelase II. & succéda en 1118 au pape Paschal II. Quelques-uns le nomment cancellarius ecclesiae ; sur son épitaphe il est dit qu'il avoit été cancellarius urbis. S. Bernard qui vivoit à-peu-près dans le même tems, fait mention dans ses épîtres 157 & 160, d'Aimeric, cardinal & chancelier de l'église romaine. Alexandre III. qui fut élu pape en 1156, avoit été chancelier de l'église de Rome, sedis romanae cancellarius. Boniface VIII. donna cet emploi à un cardinal, & son exemple fut suivi par ses successeurs, c'est-à-dire que l'office de chancelier ne fut rempli que par des personnes également distinguées par leur mérite & par leur dignité.

Il est parlé du chancelier de l'église romaine, en plusieurs endroits du droit canon.

Le docteur Tabarelli prétend que Boniface VIII. ôta le chancelier de Rome, retint cet office par-devers lui, & y établit seulement un vice-chancelier ; parce que, dit-il, cancellarius certabat de pari cum papâ : & en effet ce n'est qu'au sexte qu'il est fait mention pour la premiere fois du vice-chancelier, comme le remarque la glosse de la pragmatique-sanction, § Romanae in verbo vice-cancellarius, & Gomez sur les regles de la chancellerie. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce même Boniface VIII. avoit retenu pour lui l'office de chancelier de l'église & université de Paris, & peut-être seroit-ce cela que l'on auroit confondu.

Quoi qu'il en soit, Onuphre, au livre des Pontifes, dit que ce fut du tems d'Honoré III. qu'il n'y eut plus de chancelier à Rome, mais seulement un vice-chancelier.

Le cardinal de Luca prétend que ce changement provint de ce que les cardinaux, auxquels l'office de chancelier étoit ordinairement conféré, regarderent comme au-dessous d'eux de tenir cet office en titre ; que c'est par cette raison que le pape ne le leur donne plus que comme une espece de commission, & qu'ils ne prennent plus que la qualité de vice-chancelier au lieu de celle de chancelier. Voyez le glossaire de Fabrot sur Nicetas Choniates, au mot cancellarios ; Loyseau, des offices de la couronne, liv. IV. chap. ij. n. 35. De Héricourt, lois ecclés. part. I. c. viij. n. 11. & ci-après, CHANCELLERIE ROMAINE, & VICE-CHANCELIER DE L'EGLISE ROMAINE.

CHANCELIER DE L'EGLISE DE VIENNE en Dauphiné, étoit celui qui avoit la garde du sceau de l'évêque ; c'étoit le premier officier après le mistral, qui exerçoit la jurisdiction temporelle de l'évêque dans l'étendue de sa seigneurie. Il en est parlé dans des lettres de Charles V. du mois de Juin 1368, & dans d'autres de Charles VI. du mois de Mai 1391, portant confirmation des priviléges des habitans de la ville de Vienne. On y voit que par un abus très-préjudiciable à la liberté des mariages, les veuves qui se remarioient étoient obligées de payer au mistral de l'église de Vienne deux deniers pour livre de la dot qui étoit constituée, & que tous les hommes qui se marioient étoient obligés de payer au chancelier de la même église un denier pour livre de la dot ; que pour faciliter les mariages, il fut convenu que ces droits seroient supprimés, que les hommes qui se marieroient ne payeroient que 13 deniers qui appartiendroient au curé ; & on dédommagea le chancelier & le mistral sur un fonds qui leur fut assigné. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome VII. p. 434.

GRAND CHANCELIER DE L'EMPIRE, ou ARCHICHANCELIER, est un titre commun aux électeurs de Mayence, de Treves, & de Cologne.

La dignité de chancelier de l'Empire, qui étoit d'abord unique, fut divisée entre ces trois électeurs du tems d'Othon le grand, qui commença à régner en 936. Le motif de ce changement fut que le chancelier de l'Empire étant seul, se trouvoit surchargé d'affaires, au lieu que chacun des trois chanceliers devoit administrer la justice dans sa province, & chacun d'eux avoit droit de sceller les lettres de l'empereur lorsqu'il se trouvoit dans son département.

L'électeur de Mayence est grand chancelier de l'Empire en Allemagne, & c'est le seul qui en fasse les fonctions. Voyez ARCHICHANCELIER.

L'électeur de Treves a le titre de grand chancelier de l'Empire dans les Gaules ; ce qui eut lieu du tems que florissoit le royaume de Lorraine ; & lorsque l'empereur fut en possession du royaume d'Arles, l'électeur de Treves prit aussi le titre de grand chancelier du royaume d'Arles. Bohemond, archevêque de Treves, qui mourut en 1299, fut le premier qui prit ce titre de grand chancelier du royaume d'Arles ; mais l'empereur ne possédant plus rien dans les Gaules, le grand chancelier des Gaules est demeuré sans fonction.

L'archevêque électeur de Cologne, qui prend le titre de chancelier de l'Empire en Italie, est pareillement sans fonction, attendu que l'Italie se trouve divisée entre plusieurs princes qui relevent tous de l'Empire, & ont aussi la qualité de vicaires perpétuels de l'Empire. Voy. Browerus, annal. Trevir. lib. IX. & XVI. Gloss. de Ducange, au mot archicancellarius ; & ci-dev. GRAND CHANCELIER DU ROYAUME DE BOURGOGNE ET D'ARLES, ARCHICHANCELIER.

CHANCELIER DE L'EMPIRE DE GALILEE, est le président d'une jurisdiction en dernier ressort, appellé le haut & souverain empire de Galilée, que les clercs de procureurs de la chambre des comptes ont pour juger les contestations qui peuvent survenir entr'eux.

Le chef de cette jurisdiction prenoit autrefois le titre d'empereur de Galilée ; son chancelier étoit le second officier : mais Henri III. ayant défendu qu'aucun de ses sujets prit le titre de roi, comme faisoient le premier officier de la basoche & les chefs de plusieurs autres communautés le titre d'empereur cessa dans la jurisdiction des clercs de procureurs de la chambre des comptes, qui conserva néanmoins toûjours le titre d'empire ; & le chancelier devint le premier officier de cette jurisdiction. On voit par-là que l'usage de lui donner le titre de chancelier est fort ancien.

Le chancelier est soûmis, de même que tout l'empire, au protecteur, qui est le doyen des maîtres des comptes, protecteur né de l'empire ; lequel fait, lorsqu'il le juge à-propos, des réglemens pour la discipline de l'empire. Ces réglemens sont adressés à nos amés & féaux chancelier & officiers de l'empire, &c.

Lorsque le chancelier actuellement en place donne sa démission, ou que sa place devient autrement vacante, on procede à l'élection d'un nouveau chancelier à la requisition du procureur général de l'empire. Cette élection se fait, tant par les officiers de l'empire, que par les autres clercs actuellement travaillans chez les procureurs de la chambre. Les procureurs qui ont été officiers de l'empire, peuvent aussi assister à cette nomination, & y ont voix délibérative.

Celui qui est élû chancelier prend des provisions du protecteur de l'empire ; & lorsqu'elles sont signées & scellées, il les donne à un maître des requêtes de l'empire, qui en fait le rapport en la forme suivante.

M. le doyen des maîtres des comptes prend place au grand bureau de la chambre des comptes, où il occupe la place de M. le premier président. M. le procureur général de la chambre prend la premiere place à droite sur le banc des maîtres des comptes.

Le maître des requêtes de l'empire chargé des lettres du chancelier, en fait son rapport devant ces deux magistrats, l'empire assemblé & présent, sans siége néanmoins.

Le chancelier se présente, & fait une harangue à la compagnie ; ensuite il prend séance à côté du protecteur, & se couvre d'une toque ou petit chapeau d'une forme assez bizarre.

Le protecteur l'exhorte à faire observer les réglemens ; ensuite il est conduit à l'empire assemblé dans la chambre du conseil, où il prête serment entre les mains du plus ancien des chanceliers de l'empire : il fait aussi un discours à l'empire.

Il en coûte ordinairement quatre ou cinq cent livres pour la réception : plusieurs néanmoins se sont dispensés de faire cette dépense, qui n'est pas d'obligation.

Un des priviléges du chancelier est que, lorsqu'il se fait recevoir procureur en la chambre des comptes, ses provisions sont scellées gratis en la grande chancellerie de France.

Quand la place de chancelier n'est pas remplie, c'est le plus ancien maître des requêtes de l'empire qui préside en la chambre de l'empire.

Il n'y a que le chancelier, les maîtres des requêtes, & les secrétaires des finances, qui ayent voix délibérative dans les assemblées.

On ne peut choisir que parmi les officiers de l'empire pour remplir la charge de chancelier.

Les nominations aux offices vacans se font par le chancelier, les maîtres des requêtes & secrétaires des finances. Les lettres sont visées & scellées par le chancelier.

Le coffre des archives, titres & registres des arrêts & délibérations de l'empire, est fermé à deux clés, dont l'une est entre les mains du chancelier, l'autre entre les mains du greffier. Voyez les réglemens faits par le protecteur : dans les ann. 1608, 1615, 1675 ; le dernier réglement en forme d'édit du mois de Janvier 1705 ; & l'article EMPIRE DE GALILEE.

CHANCELIER DES ENFANS DE FRANCE, voyez CHANCELIER DES FILS DE FRANCE.

CHANCELIER D'ECOSSE, est celui qui a la garde du grand sceau dans le royaume d'Ecosse. Cet office y est fort ancien, puisqu'il en est parlé dans les lois de Malcome roi d'Ecosse, ch. ij. où l'on voit que le chancelier tenoit en fief le revenu du sceau, qui lui tenoit lieu de gages ou appointemens : ordinaverunt cancellario regis feodum magni sigilli, pro quâlibet chartâ centum libratarum terrae & ultra ; pro feodo sigilli decem libras, & clerico pro scripturâ duas marchas.

Lorsque le roi veut convoquer les trois ordres du royaume, c'est le chancelier qui les fait avertir.

Le pouvoir de ce chancelier est à-peu-près le même que celui d'Angleterre. Voyez ci-devant CHANCELIER D'ANGLETERRE, & ci-après CHANCELIER D'IRLANDE.

CHANCELIER D'ESPAGNE, ou GRAND CHANCELIER D'ESPAGNE, est celui qui a la garde du sceau du roi d'Espagne.

Cette dignité a dans ce royaume la même origine qu'en France, & le chancelier d'Espagne joüissoit autrefois des mêmes honneurs & prérogatives, c'est-à-dire qu'il présidoit à tous les tribunaux souverains, dont quelques-uns ont même emprunté le titre de chancellerie qu'ils conservent encore. Voyez ci-après CHANCELLERIE DE CASTILLE ET DE GRENADE.

Sous les rois Goths, qui commencerent à établir leur domination en Espagne vers le milieu du cinquieme siecle, celui qui faisoit la fonction de chancelier, étoit le premier des notaires ou secrétaires de la cour ; c'est pourquoi on l'appelloit comte des notaires, pour dire qu'il en étoit le chef ; c'est ce qu'indiquent divers actes des conciles de Tolede.

Ce même titre de comte des notaires se perpétua dans le royaume de Castille, & dans ceux de Léon & d'Oviede, jusqu'au regne de dom Alphonse surnommé le saint, lequel en 1135 ayant pris le titre d'empereur, appella ses secrétaires chanceliers, à l'instar de ceux des empereurs romains qui étoient ainsi appellés. On en trouve la preuve dans plusieurs anciens priviléges, qui sont scellés par des chanceliers.

Le docteur Salazar de Mendoza, ch. vj. de son traité des dignités séculieres, atteste que les premiers qui prirent ce titre de chancelier étoient des François, & il en nomme plusieurs.

L'office de chancelier étoit autrefois en une telle considération, que le roi dom Alphonse, 2. loi de la I. partie, tit. jx. dit que le chancelier est le second officier de la couronne ; qu'il tient la place immédiate entre le roi & ses sujets, parce que tous les decrets qu'il donne doivent être vûs par le chancelier avant d'être scellés, afin qu'il examine s'ils sont contre le droit & l'honneur du roi, auquel cas il les peut déchirer. Ce même prince l'appelle magister sacri scrinii libellorum.

Les archevêques de Tolede étoient ordinairement chanceliers de Castille, & ceux de S. Jacques l'étoient de Léon.

Le chancelier fut le chef des notaires ou secrétaires jusqu'au regne d'Alphonse le bon, lequel en 1180 sépara l'office de notaire-mayor de celui du chancelier, donnant à celui-ci un sceau de plomb au château d'or en champ de gueules aux actes qu'il scelloit, au lieu du seing & paraphe dont ses prédécesseurs usoient auparavant : il laissa au notaire-mayor le soin d'écrire & de composer les actes ; & depuis ce tems ces deux offices ont toûjours été distingués, quoique quelques historiens ayent avancé le contraire.

Dans la suite des tems, les rois de Castille & de Léon diminuerent peu-à-peu la trop grande autorité de leurs chanceliers, & enfin ils l'éteignirent totalement ; desorte que depuis plusieurs siecles la dignité de ces deux chanceliers n'est plus qu'un titre d'honneur sans aucune fonction. Cependant les archevêques de Tolede continuent toûjours de se qualifier chanceliers nés de Castille. A l'égard des chanceliers des royaumes de Léon & d'Oviede, on n'en fait plus mention, parce que ces deux royaumes ont été unis à celui de Castille. Voyez l'état présent d'Espagne par L. de Vayrac, tome II. liv. III. p. 180.

Le conseil suprème & royal des Indes est composé d'un président, d'un grand-chancelier, de douze conseillers, & autres officiers, & d'un vice-chancelier. Voyez ibid. tome III. p. 335.

CHANCELIER DE L'ETUDE DE MEDECINE DE MONTPELLIER, voyez CHANCELIER DES FACULTES DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER.

CHANCELIER DE L'EVEQUE DE CLERMONT, étoit celui qui avoit la garde du sceau de l'évêque pour sa jurisdiction temporelle. Il en est parlé dans les lettres d'Henri évêque de Clermont, de l'an 1392, contenant un accord entre l'évêque, comme seigneur d'un lieu situé en Auvergne, appellé Laudosum, & les habitans de ce lieu : cet accord est fait en présence du prévôt du lieu, auquel l'évêque donne aussi le titre de son chancelier. Ces lettres sont rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome VIII. p. 199. & suiv.

CHANCELIERS DES FACULTES DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER, sont ceux qui ont la garde du sceau de chaque faculté, & qui scellent toutes les lettres & actes qui en sont émanés. Cette université est composée, comme les autres, des quatre facultés ; mais elles ne sont point unies : chaque faculté forme un corps particulier, & a son chancelier. Voyez la Martiniere, à l'article de Montpellier.

Il est parlé du chancelier de l'étude de Médecine de Montpellier dans des lettres de Philippe VI. du mois d'Août 1331, & dans d'autres lettres du roi Jean du mois de Janvier 1350. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome II. page 71. & tome IV. page 36.

CHANCELIERS DES FILS ET PETITS-FILS DE FRANCE, & autres princes de la maison royale, sont ceux qui sont donnés à ces princes pour leur maison & apanage. Ils sont chanceliers, gardes des sceaux, chefs du conseil, & surintendans des finances.

La chancellerie pour l'apanage est composée, outre le chancelier, d'un contrôleur, de plusieurs secrétaires des finances, d'un audiencier garde de rôles, un chauffe-cire, & quelques huissiers. Cette chancellerie ne se tient point dans le lieu de l'apanage, mais auprès du prince, chez le chancelier.

Le conseil des finances du prince, dont le chancelier est aussi le chef, est composé d'un trésorier général, des secrétaires des commandemens, des secrétaires-intendans des finances, des conseillers, des secrétaires ordinaires, un secrétaire des langues, des secrétaires du conseil, un agent, & un garde des archives.

Les dauphins de France, ni leurs fils & petits-fils aînés, n'ont plus de chancelier comme ils en avoient autrefois ; parce qu'étant destinés à succéder à la couronne, chacun en son rang, on ne leur donne point d'apanage : mais tous les puînés descendans de la maison royale ont chacun leur apanage, & un chancelier garde des sceaux, qui expédie & scelle toutes les provisions des offices de leur maison, & toutes les provisions des offices même royaux dont l'exercice se fait en l'étendue de l'apanage du prince.

On peut voir ce qui est dit de ces chanceliers aux articles des CHANCELIERS DE DAUPHINE, DE NORMANDIE, DE LA MARCHE, DU DUC DE BERRY, & autres.

Les princesses de la maison royale n'ont point d'apanage ni de chancelier. Voyez APANAGE.

La maison de M. le duc d'Orléans, petit-fils de France, étant éteinte, le Roi, par des lettres patentes du mois de Janvier 1724, créa pour le feu duc d'Orléans son fils un chancelier garde des sceaux, un contrôleur, deux secrétaires des finances, un audiencier garde des rôles, un chauffe-cire, & deux huissiers de la chancellerie pour l'apanage du duc d'Orléans ; pour par ceux qu'il en pourvoiroit, expédier, contrôler & enregistrer, & sceller toutes lettres de provisions, commissions & nominations des charges & offices dépendans de son apanage. M. le duc d'Orléans aujourd'hui vivant, a de même un chancelier, & le même nombre d'officiers de chancellerie.

CHANCELIER DES FOIRES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE, qui est aussi appellé chancelier garde-scel de ces foires, étoit celui qui avoit la garde du sceau particulier sous lequel on contractoit dans ces foires, qui tenoient six fois l'année : il n'étoit pas permis d'y contracter sous un autre sceau, à peine de nullité, de punition, & de privation des priviléges de la foire.

Il paroît que le sceau étoit d'abord entre les mains de ceux qu'on appelloit les maîtres des foires, & qui en avoient la police.

Philippe V. dit le Long, ordonna le 18 Juillet 1318, que pour éviter les fraudes & malices qui se faisoient sous les sceaux des foires de Champagne, on établiroit un prudhomme & loyal, qui porteroit & garderoit les sceaux, & suivroit les foires, & y feroit sa résidence ; il recevroit l'émolument de ce sceau, & le remettroit à la fin de chaque foire au receveur de Champagne ; qu'il auroit des gages, & recevroit aussi les amendes & les exploits faits en vertu du même sceau, en rendroit compte au même receveur.

La même chose fut encore ordonnée le 15 Novembre 1318, & le 10 Juillet 1319.

Dans une ordonnance de Philippe VI. dit de Valois, du mois de Juillet 1344, celui qui avoit le sceau de ces foires est qualifié de chancelier garde du sel : il devoit venir à chaque foire la veille des trois jours qu'elle duroit ; & lorsqu'il s'absentoit, il devoit laisser son lieutenant, qui fût bonne & loyale personne, pour percevoir les octrois en la maniere accoûtumée.

Les quarante notaires qui étoient établis pour ces foires, devoient, suivant la même ordonnance, obéir aux gardes ou maîtres des foires, & au chancelier garde-scel, que le roi qualifie de notre chancelier.

Par une autre ordonnance du 6 Août 1349, il régla que les gardes & le chancelier nommeroient aux places de notaires & de sergens de ces foires qui se trouveroient vacantes. Ils ne pouvoient y nommer des étrangers. Les sergens devoient se présenter une fois lors de chaque foire devant les gardes & le chancelier, & ne pouvoient en partir sans avoir obtenu d'eux leur congé.

La même ordonnance portoit que les gardes & le chancelier prêteroient serment devant les gens de la chambre des comptes ; de faire observer les ordonnances concernant les foires, que s'ils n'y faisoient pas une résidence suffisante, ils ne seroient pas payés de leurs gages ; que si l'un des deux gardes étoit absent, l'autre prendroit avec lui le chancelier, pour juger ; & en l'absence du chancelier, une personne suffisante & non suspecte : ce qui fait voir que les gardes étoient au-dessus du chancelier, & que celui-ci n'étoit pas établi principalement pour juger, mais pour sceller les contrats.

Il étoit encore ordonné que les gardes & le chancelier, ou leurs lieutenans, auroient seuls le droit d'établir dans ces foires & aux environs, des commissaires pour le fait des monnoies défendues. Ils devoient chaque année faire le rapport de l'état des foires aux gens du conseil secret du roi, ou en la chambre des comptes : c'étoit en leur présence que les marchands fréquentans ces foires, élisoient quelques-uns d'entre eux pour faire la visite des marchandises ; & ceux-ci en faisoient leur rapport aux gardes & au chancelier, qui condamnoient les délinquans en une amende arbitraire au profit du roi. Enfin il étoit dit que s'il y avoit des déclarations & interprétations à faire sur cette ordonnance, elles seroient faites à la requête des gardes & du chancelier, par les gens du conseil secret du roi à Paris ; & en cas qu'ils ne pussent y vaquer, en la chambre des comptes.

Les lettres du roi Jean, du mois d'Août 1362, portant confirmation des priviléges des sergens des foires de Champagne & de Brie, sont adressées au chancelier de nos foires & au receveur de Champagne ; ce qui suppose que le chancelier étoit alors regardé comme le premier officier de ces foires. Ces lettres font aussi mention qu'il avoit ordonné aux sergens des mêmes foires de faire un certain prêt au roi pour subvenir aux fraix de la guerre.

La fonction de ce chancelier cessa dans la suite des tems, lorsque les foires de Champagne & de Brie furent transférées à Lyon. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, & l'article FOIRES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE.

CHANCELIER DE GALILEE, voyez ci-devant CHANCELIER DE L'EMPIRE DE GALILEE.

GRAND-CHANCELIER ou ARCHICHANCELIER, étoit le titre que l'on donnoit au chancelier de France sous les rois de la seconde race. Voyez ci-dev. CHANCELIER DE FRANCE.

GRAND-CHANCELIER de Bourgogne, de l'Empire, des Gaules, d'Italie ; voyez CHANCELIER DE BOURGOGNE, DE L'EMPIRE, &c.

CHANCELIER DES GRANDS-PRIEURES DE L'ORDRE DE MALTHE, voyez ci-après CHANCELIER DANS LES ORDRES DE CHEVALERIE, à la fin de l'article.

CHANCELIER DU HAUT ET SOUVERAIN EMPIRE DE GALILEE, voyez CHANCELIER DE L'EMPIRE DE GALILEE.

CHANCELIER DU ROI DE JERUSALEM ET DE CHYPRE, étoit celui qui avoit la garde du sceau de ce roi, du tems que Jérusalem & Chypre formoient un royaume particulier. Philippe de Maizieres, un des conseillers d'état de Charles V. étoit aussi chancelier de Pierre de Lusignan, roi de Jérusalem & de Chypre ; ce fut lui qui procura des confesseurs aux criminels condamnés à mort. Voyez Sauval, antiq. de Paris, tome II. p. 151.

CHANCELIER DE L'IMPERATRICE, GRAND-CHANCELIER, ou ARCHICHANCELIER DE L'IMPERATRICE, est un titre que les abbés de Fulde en Allemagne sont en possession de prendre depuis plus de quatre cent ans. Berthous, abbé de Fulde, prenoit ce titre dès le tems de l'empereur Lothaire. Ce droit leur fut confirmé par un diplome de l'empereur Charles IV. de l'an 1358 en faveur de l'abbé Henri, pour lui & ses successeurs, auxquels il donna en outre cette prérogative, que lorsqu'on feroit le couronnement de l'impératrice ou reine des Romains, ou toutes les fois qu'elle paroîtroit revêtue de ses habits impériaux ou royaux, l'abbé de Fulde auroit la fonction de lui ôter & remettre sa couronne, suivant l'exigence des cérémonies.

L'abbaye de Fulde située dans la Franconie, & de l'ordre de S. Benoît, est la plus considérable & la plus riche de toute l'Allemagne. Les religieux de cette abbaye doivent être nobles, & ont le droit d'élire leur abbé, qui est primat des autres abbés de l'Empire, & grand-chancelier de l'impératrice. Voyez Browerus, lib. I. antiq. Fuld. cap. xv. Gloss. de Ducange, au mot archicancellarius imperatricis, & le tableau de l'empire germanique.

CHANCELIER D'IRLANDE, est celui qui a la garde du grand sceau dans le royaume d'Irlande. Il est établi à-peu-près sur le même pié que celui d'Angleterre. Voyez ci-devant CHANCELIER D'ANGLETERRE.

Le lord-lieutenant d'Irlande, qui est proprement un vice-roi, & dont le pouvoir est très-étendu, a pour son conseil le lord- chancelier & le trésorier du royaume, avec quelques comtes, évêques, barons & juges, qui sont membres du conseil privé, formé sur le plan de celui d'Angleterre.

C'est entre les mains du chancelier que le lord-lieutenant prête serment suivant un formulaire prescrit ; on le place ensuite dans un fauteuil de parade, & autour de lui sont le chancelier du royaume, les membres du conseil privé, les seigneurs & pairs du royaume, & autres officiers.

Le chancelier est seul juge de la chancellerie, qui est la cour souveraine du royaume pour les affaires civiles. Cette chancellerie est aussi reglée à-peu-près comme celle d'Angleterre. Voyez la Martiniere, à l'article d'Irlande.

CHANCELIERS DES JURISDICTIONS ROYALES, étoient ceux qui avoient la garde du sceau dans ces jurisdictions : il y en avoit dans les sénéchaussées, vigueries, & autres siéges de Languedoc ; suivant des lettres du 8 Octobre 1363, données par le maréchal Daudencham, lieutenant du roi Jean dans cette province, qui ordonnent que les Juifs seront payés de ce qui leur est dû par les Chrétiens, nonobstant toutes lettres d'état. L'exécution de ces lettres est mandée aux sénéchaux de Toulouse, Carcassonne & Beaucaire, leurs viguiers, juges, gardes des sceaux, baillifs, chanceliers, bayles desdites sénéchaussées, ou leurs lieutenans, & à tous autres justiciers. Ces lettres sont dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. pag. 237.

Il est parlé du receveur royal de la chancellerie de Roüergue dans d'autres lettres du mois d'Avril 1370, qui confirment que le terme de chancellerie est pris en cette occasion pour sceau. Il n'y avoit pourtant point encore de chancelleries particulieres établies près des cours & autres justices royales ; le sceau dont il est parlé ne servoit qu'à sceller les jugemens.

CHANCELIER DE LANCASTRE, voyez ci-devant CHANCELIER D'ANGLETERRE, vers la fin.

CHANCELIERS DE LANGUEDOC, voyez ci-devant CHANCELIERS DES JURISDICTIONS ROYALES ; & ci-après CHANCELIER DE LA MAISON COMMUNE DE TOULOUSE, & CHANCELIER DU SOUS-VIGUIER DE NARBONNE.

CHANCELIER DE LAUGEAC ET DE NONETTE, étoit un officier qui avoit la garde du scel royal dans les justices de Laugeac & de Nonette, dont il étoit en même tems le prevôt. Il en est parlé dans des lettres de Charles-le-Bel, de l'an 1322, rapportées dans les ordonnances de la troisieme race, tome VII. pag. 421.

CHANCELIERS DU LEVANT, voyez ci-devant CHANCELIERS DES CONSULS DE FRANCE.

CHANCELIER DE LITHUANIE, voyez ci-après CHANCELIER DE POLOGNE.

CHANCELIER DE LORRAINE ET BARROIS, est le chef de la justice dans les états de Lorraine & Barrois. Les anciens ducs de Lorraine n'avoient point ordinairement de chancelier ; ils faisoient sceller leurs ordonnances, édits, déclarations & autres lettres patentes, par le secrétaire d'état de service en leur conseil, appellé secrétaire intime. On tient pourtant qu'il y a eu anciennement un chancelier en Lorraine, nommé le Mouleur d'une famille de Bar ; mais il y avoit peut-être plus de deux siecles que l'on n'avoit point vû de chancelier en Lorraine, lorsque la Lorraine & le Barrois ayant été cédés en 1737 au roi Stanislas, & après lui à la France, les sceaux de la cour souveraine de Nanci, ceux des chambres des comptes de Nanci & de Bar, & des autres jurisdictions inférieures, furent remis, par ordre de François II. empereur, lequel quittoit la Lorraine & le Barrois, entre les mains d'un de ses secrétaires intimes : il leur fut ensuite donné d'autres sceaux par ordre du roi Stanislas ; & par sa déclaration donnée à Meudon le 18 Janvier 1737, il créa un état, office & dignité de chancelier garde des sceaux pour les états à lui cédés en exécution des articles préliminaires de la paix de Vienne ; & par la même déclaration, il conféra ledit office & dignité à M. de Chaumont de la Galaisiere, voulant qu'en cette qualité il soit le chef de ses conseils, & qu'il ait la principale administration de ses finances. Cette déclaration a été adressée aux gens du conseil de la chambre des comptes, & y a été enregistrée au mois d'Avril suivant.

En conséquence de cette déclaration, M. de la Galaisiere, qui est en même tems intendant de Lorraine & Barrois, prend les qualités de chancelier garde des sceaux, intendant de justice, police & finances, marine, troupes, fortifications, & frontieres de Lorraine & Barrois. Il est le chef des conseils de Lorraine ; savoir, du conseil d'état ordinaire établi par édit du roi Stanislas, du 27 Mai 1737, composé, outre le chancelier, de deux secrétaires d'état, de six conseillers d'état ordinaires, des premiers présidens & procureurs généraux de la cour souveraine de Lorraine & Barrois, & des chambres des comptes de Lorraine & de Bar. Le chancelier est aussi chef du conseil royal des finances & du commerce, établi par l'édit du premier Juin 1737, composé de quatre conseillers d'état ordinaires.

Avant & depuis la création de l'office de chancelier en Lorraine, le Barrois mouvant a toûjours été du ressort de la grande chancellerie de France.

CHANCELIER DE LYON, ou garde du scel royal de Lyon, étoit anciennement celui qui avoit dans cette ville la garde du scel royal pour les contrats. Il en est fait mention dans des lettres de Philippe VI. dit de Valois, du mois d'Avril 1347, portant réglement pour les officiers royaux de la justice de Lyon. Il avoit coûtume de prendre un droit pour l'ouverture des testamens ; ce qui fut confirmé par ces mêmes lettres, à condition qu'il en useroit modérément.

CHANCELIER DES COMTES DU MAINE, voyez ci-devant CHANCELIER DES COMTES ET DUCS D'ANJOU, &c.

CHANCELIER DE LA MAISON COMMUNE DE TOULOUSE, étoit un officier qui avoit la garde du scel royal dans la maison-de-ville de Toulouse. Il en est fait mention dans des lettres de Philippe VI. dit de Valois, du 14 Juin 1345, rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome II. p. 230.

CHANCELIER DE MALTHE, voyez ci-après CHANCELIER DANS LES ORDRES DE CHEVALERIE, à la fin de l'article.

CHANCELIER DE LA MARCHE, étoit celui qui avoit la garde du sceau des princes qui tenoient le comté de la Marche à titre d'apanage.

CHANCELIER DE MEAUX ou DE LA COMMUNE DE MEAUX, voyez CHANCELIER DE LA COMMUNE.

CHANCELIER DE MEDECINE, voyez ci-devant CHANCELIER DES FACULTES DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER.

CHANCELIER DE MILAN, étoit un chancelier du roi de France, pour l'état de Milan en particulier.

François I. ayant fait en 1515 la conquête du duché de Milan, créa chancelier de cet état Antoine Duprat, qui étoit déjà chancelier de France : il tint en même tems l'office de chancelier de Milan, tant que François I. conserva le Milanès.

CHANCELIER DE NARBONNE, voyez CHANCELIER DU CHASTELAIN DU CHASTEL DE NARBONNE.

CHANCELIER DE NAVARRE, étoit d'abord le chancelier particulier des anciens rois de Navarre. Thibaut VI. roi de Navarre, avoit un vice-chancelier, suivant des lettres de l'an 1259.

Lorsque ce royaume fut joint à la France par le mariage de Philippe III. dit le Hardi, avec Jeanne reine de Navarre & comtesse de Champagne, on conserva la chancellerie de Navarre.

Cette chancellerie étoit distincte & séparée de celle de France ; mais l'émolument qui en provenoit, tournoit également au profit du roi, suivant une ordonnance de Philippe V. dit le Long, du mois de Février 1320 ; & lorsqu'il n'y avoit point de chancelier de Navarre, le chancelier de France recevoit quelquefois l'émolument de la chancellerie de Navarre : témoin un compte du 21 Septembre 1321, suivant lequel Philippe V. dit le Long, étant en son grand-conseil, fit don au chancelier Pierre de Chapes, des émolumens du sceau de Champagne, Navarre, & des Juifs, qu'il avoit reçus sans en avoir rendu compte.

Jeanne, fille de Louis X. dit Hutin, ayant hérité de la Navarre, & l'ayant portée dans la maison d'Evreux, il y eut encore alors des rois particuliers de Navarre qui avoient leurs chanceliers. Philippe, comte d'Evreux & roi de Navarre par Jeanne sa femme, signa des lettres en 1328, à la relation de son chancelier.

La reine Jeanne ayant survécu à son mari, avoit son chancelier : il en est parlé dans des lettres de Charles VI. du mois de Juillet 1388, qui font mention que les francs bourgeois de la tour du château d'Evreux avoient été approchés, c'est-à-dire mandés devant le chancelier de la reine de Navarre & quelques autres personnes, pour les obliger de contribuer aux tailles qui avoient été ordonnées pour la guerre.

Guy du Faur, seigneur de Pibrac, président au parlement de Paris, étoit chancelier de Marguerite de France, reine de Navarre : il avoit son hôtel à Paris.

Il y a apparence que le chancelier de Navarre fut supprimé après l'avénement d'Henri IV. roi de Navarre, à la couronne de France. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome I. pag. 737. & tome VII. pag. 250, 466 & 597. Sauval, antiquités de Paris, tome II. pag. 151. Tessereau, hist. de la chancellerie, liv. I.

CHANCELIER DE NONETTE, voyez ci-devant CHANCELIER DE LAUGEAC.

CHANCELIER DE NORMANDIE ; les ducs de Normandie avoient leur chancelier, de même que tous les autres grands vassaux de la couronne. Mais ce qui est plus remarquable, c'est que quand Philippe-Auguste eut conquis la Normandie, il joüit de cette province comme d'une souveraineté particuliere, & il y avoit un chancelier en Normandie. Le chancelier de France étoit quelquefois en même tems chancelier de Normandie ; & pour ces deux offices, il n'avoit en tout que 2000 liv. parisis de gages.

Jean de Dormans, qui étoit chancelier de Normandie pour Charles V. alors duc de Normandie & dauphin de France, avoit 1000 liv. de gages en cette qualité, outre les bourses, registres & autres droits accoûtumés : il conserva ces mêmes gages & droits, avec les gages & droits de chancelier de France, lorsque Charles V. régent du royaume, le chargea du fait de la chancellerie de France, en l'absence du chancelier.

Le chancelier du duc de Normandie jugeoit certaines affaires avec le conseil du duc, comme il est aisé de le voir par des lettres de Charles V. alors duc de Normandie & dauphin de France ; dans lesquelles il est fait mention d'une contestation mûe entre le maire & les arbalêtriers de Roüen, que le chancelier du duc de Normandie jugea, après en avoir délibéré avec le conseil.

Lorsque Charles V. alors régent du royaume, eut conquis la Normandie, il l'unit à la couronne, & il n'y eut plus de chancelier. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome III. pag. 212. & 213. & tome VI. pag. 538 ; le registre 92 du trésor des chartes du roi, intitulé registre des chartes de la chancellerie de Normandie, commençant au premier Octobre de l'an 1361. Sur les chancelleries de Normandie, voyez ci-après au mot CHANCELLERIES DE NORMANDIE.

CHANCELIER D'OFFICE, voyez ci-après CHANCELIER DANS LES ORDRES RELIGIEUX.

CHANCELIER DANS LES ORDRES DE CHEVALERIE, est celui qui a la garde du sceau de l'ordre, dont il scelle en cire blanche les lettres des chevaliers & officiers de l'ordre, & les commissions & mandemens émanés du chapitre ou assemblée de l'ordre : c'est lui qui tient registres des délibérations, & qui en délivre les actes sous le sceau de l'ordre : c'est le premier des grands officiers de chaque ordre.

Celui de S. Michel avoit autrefois son chancelier particulier, suivant l'article 12 des statuts faits en 1469. Lors de l'institution de cet ordre, le chancelier devoit être archevêque, évêque, ou en dignité notable dans l'église ; & l'article 81 portoit que la messe haute seroit célébrée par le chancelier, s'il étoit présent, ou par un autre ordonné par le roi. Le prieuré de Vincennes, ordre de Grammont, étoit affecté aux chanceliers de l'ordre de saint Michel, qui ont été tous archevêques ou évêques, jusqu'en 1574. Trois cardinaux ont rempli cette place : savoir Georges d'Amboise, archevêque de Roüen : Antoine du Prat, chancelier de France ; mais on croit qu'alors il n'étoit plus chancelier de l'ordre : & le cardinal de Créqui. Louis d'Amboise évêque d'Albi, Georges d'Amboise cardinal, & le cardinal du Prat, se qualifioient de chanceliers de l'ordre du Roi. Philippe Huraut seigneur de Chiverny, maître des requêtes, chancelier du duc d'Anjou roi de Pologne, fut chancelier de l'ordre de saint Michel, après la mort du cardinal de Créqui, en 1574 : c'est le premier séculier qui ait eu cette charge. Il reçut le serment du roi Henri III. pour la dignité de chef & souverain de l'ordre, à son retour de Pologne. Au mois de Décembre 1578, il fut fait chancelier, commandeur & surintendant des deniers de l'ordre du Saint-Esprit, que Henri III. venoit d'instituer. Quelques-uns de ses successeurs prirent des provisions séparées pour les deux charges de chanceliers : les appointemens de chacune de ces charges étoient aussi distingués dans les comptes ; mais dans la suite les deux charges & tous les droits qui y sont attachés, ont été réunis en une seule provision ; c'est pourquoi le chancelier de l'ordre du Saint-Esprit prend le titre de chancelier des ordres du Roi.

Il a aussi le titre de commandeur des ordres du Roi ; il doit faire preuve de noblesse paternelle, y compris le bisayeul pour le moins, & porte le collier comme les chevaliers. Guillaume de l'Aubespine, chancelier des ordres, obtint en 1611 une pension de 3000 liv. pour le dédommager du prieuré de Vincennes, qui avoit été affecté aux chanceliers de saint Michel, & dont ils cesserent de joüir lorsque Philippe Huraut de Chiverny fut pourvû de cette charge en 1574. Cette pension a passé aux chanceliers des ordres sur le pié de 4000 liv. par an, depuis 1663.

L'office de garde des sceaux des ordres du Roi a été plusieurs fois desuni de celui de chancelier ; savoir en 1633 jusqu'en 1645, depuis 1650 jusqu'en 1654, depuis 1656 jusqu'en 1661, & enfin depuis le 25 Août 1691 jusqu'au 16 Août suivant.

Le chancelier des ordres est aussi ordinairement surintendant des deniers ou finances des ordres ; mais cette charge de surintendant a été quelquefois séparée de celle de chancelier.

Pour ce qui est du chancelier de l'ordre royal & militaire de saint Louis, il n'y en avoit point d'abord. Depuis l'institution de l'ordre faite en 1693 jusqu'en 1719, le sceau de l'ordre étoit entre les mains du garde des sceaux de France ; ce ne fut que par édit du mois d'Avril 1719, que le Roi érigea en titre d'office héréditaire un grand-croix chancelier & garde des sceaux de cet ordre : c'est le premier des officiers grands-croix. L'édit porte, que le chancelier & autres grands officiers du même ordre, joüiront des mêmes priviléges que les grands officiers de l'ordre du Saint-Esprit ; que dans les cérémonies & pour la séance, ils se conformeront à ce qui se pratique dans le même ordre du Saint-Esprit ; que le chancelier garde des sceaux de l'ordre de saint Louis portera le grand cordon rouge, & la broderie sur l'habit ; que les lettres ou provisions de chevaliers seront scellées du sceau de l'ordre, qui demeurera entre les mains du chancelier-garde des sceaux de cet ordre ; que le chancelier & autres grands officiers préteront serment entre les mains du Roi ; que les autres officiers préteront serment entre les mains du chancelier de l'ordre ; que le chancelier aura en garde le sceau de l'ordre, & fera sceller en sa présence les lettres de provisions & autres expéditions, & qu'en toutes occasions il fera telles & semblables fonctions que celles qui sont exercées dans l'ordre du Saint-Esprit par le chancelier de cet ordre ; que le garde des archives scellera, en présence du chancelier, les provisions des grands-croix, commandeurs, chevaliers & officiers, & autres expéditions ; que les hérauts d'armes recevront les ordres du chancelier & du grand prevôt. M. d'Argenson, garde des sceaux de France, fut le premier chancelier de cet ordre ; & depuis, cette dignité est toujours demeurée dans sa maison. Voyez l'édit de création de l'ordre de saint Louis, du mois d'Avril 1693, & celui du mois d'Avril 1719.

L'ordre royal, militaire, & hospitalier de Notre-Dame du Mont-Carmel & de saint Lazare de Jérusalem, a aussi son chancelier garde des sceaux.

Dans l'ordre de Malthe, outre le chancelier qui est auprès du grand-maître, il y a encore un chancelier particulier dans chaque grand-prieuré : ainsi comme il y en a cinq en France, il y a autant de chanceliers. Les commissions & mandemens du chapitre ou assemblée des chevaliers, sont scellés par le chancelier : c'est lui qui tient le registre des délibérations, & qui en délivre des extraits sous le sceau de l'ordre. Ceux qui se présentent pour être reçus chevaliers de l'ordre, prennent de lui la commission qui leur est nécessaire pour faire les preuves de leur noblesse ; & après qu'elles ont été admises dans le chapitre, il les clôt & y applique le sceau, pour être ainsi envoyées à Malthe.

CHANCELIERS DES PETITS-FILS DE FRANCE, voyez ci-devant CHANCELIERS DES FILS DE FRANCE.

CHANCELIER DANS LES ORDRES RELIGIEUX, est un religieux qui tient registre des actes & papiers concernant le monastere, & qui est chargé du soin de ces papiers. Il y a apparence qu'il a été ainsi nommé, parce qu'il avoit aussi la garde du sceau de la maison, ou bien parce qu'il avoit la garde de tous les actes qui étoient scellés.

On trouve dans les archives de l'abbaye de saint Germain des Prés-lez-Paris, un acte du xj. siecle qui fait mention d'un chancelier qui étoit alors dans cette abbaye.

Dans le procès-verbal des coûtumes de Lorraine, du premier Mars 1594, comparut Jean Gerardin, chanoine & chancelier d'office en l'église de Remiremont.

Il y a encore présentement un chancelier dans l'église abbatiale de sainte Genevieve. Voyez ci-devant CHANCELIER DE L'EGLISE DE SAINTE GENEVIEVE. Il y en a aussi dans plusieurs congrégations de l'ordre de saint Benoît.

CHANCELIER D'ORLEANS, étoit le chancelier particulier des ducs d'Orléans pour leur apanage. Loysel, en son dialogue des avocats, dit que M. Pierre l'Orfevre étoit chancelier d'Orléans du tems de Charles VI. On dit présentement, chancelier-garde des sceaux du duc d'Orléans, ou chancelier de l'apanage de M. le duc d'Orléans. Voyez ci-devant CHANCELIER DES FILS ET PETITS-FILS DE FRANCE.

CHANCELIER DE POITIERS ou DES COMTES DE POITIERS, étoit celui qui avoit la garde du sceau des princes de la maison royale, qui jouissoient du comté de Poitiers à titre d'apanage. Le comte de Poitiers, fils du roi Jean, avoit son chancelier : il en est fait mention dans des lettres de Jean comte de Poitiers, fils de Charles V. du 2 Juillet 1359, auxquelles fut présent son chancelier, qui est qualifié cancellarius pictaviensis. Ce comte de Poitiers qui étoit aussi lieutenant pour le roi dans le Languedoc, quittant cette province par l'ordre de son pere qui le rappella pour le donner en ôtage au roi d'Angleterre, laissa pour lieutenant dans le pays son chancelier & le sénéchal de Beaucaire. Charles V. alors régent du royaume, leur envoya des lettres de lieutenance, datées du 27 Septembre 1360 ; & le roi Jean, dans d'autres lettres du 2 Octobre suivant, le traite de notre amé & féal chancelier de notredit fils, son lieutenant & le nôtre audit pays. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race.

CHANCELIER DE POLOGNE, est un des grands officiers de la couronne de Pologne & du nombre des sénateurs. Il y a deux chanceliers ; l'un pour la Pologne, qu'on appelle le chancelier de la couronne ; l'autre pour le grand-duché de Lithuanie. Ils ont chacun un vice-chancelier, & ont rang après le grand maréchal de Pologne & le grand maréchal du duché de Lithuanie.

Les chancelier & vice-chancelier de la couronne doivent être alternativement ecclésiastiques ou séculiers, au lieu que ceux de Lithuanie sont toujours tous deux séculiers. Le chancelier & le vice-chancelier ont tous deux le même sceau, & l'on peut indifféremment s'adresser à l'un ou à l'autre. Ils ont tous deux une égale autorité, si ce n'est que le chancelier précede toujours le vice-chancelier, quand même ce dernier seroit un évêque : le vice-chancelier ne juge qu'en l'absence du chancelier. Celui-ci connoît des affaires civiles, de celles des revenus du roi, & de toutes autres affaires concernant la justice royale : c'est lui qui veille à l'observation des lois, à la conservation de la liberté publique, & à prévenir les intrigues que des étrangers pourroient former contre la république.

L'autorité du chancelier & du vice-chancelier est si grande, qu'ils peuvent sceller plusieurs choses sans ordre du roi, & lui refuser de sceller celles qui sont contre les constitutions de l'état.

Le chancelier, ou en son absence le vice-chancelier, répond aux harangues que les ambassadeurs font au roi. Celui des deux qui est ecclésiastique, a droit sur les secrétaires, prêtres & prédicateurs de la cour, & sur les cérémonies de l'église.

Dans les affaires importantes, le roi envoye par son chancelier de Pologne aux archevêques & évêques, & aux palatins, des lettres appellées instructionis litterae, parce qu'elles portent l'état des affaires que le roi veut proposer à l'assemblée, & leur marque le tems de se rendre à la cour.

Lorsque les assemblées provinciales sont finies, les sénateurs & les nonces élûs par la noblesse de chaque palatinat se rendent à la cour, où le roi, suivi du chancelier, leur fait connoître derechef le sujet & la cause pour laquelle ils sont mandés.

Le chancelier & le vice-chancelier assistent tous deux au conseil, comme étant tous deux sénateurs : mais c'est le grand-maréchal qui y préside, & c'est au conseil en corps qu'appartient le pouvoir de faire de nouvelles lois.

On appelle des magistrats des villes au chancelier ; & la diete en décide, quand l'affaire est importante.

Après la mort du chancelier, le vice-chancelier monte à sa place.

Le chancelier & le vice-chancelier de Lithuanie font pour ce duché les mêmes fonctions que ceux de la couronne font pour le royaume de Pologne ; ils sont pareillement sénateurs, & ont rang après le grand-maréchal de Lithuanie.

Dans les cérémonies, le chancelier & le vice-chancelier de la couronne précedent ceux de Lithuanie, Voyez l'hist. de Pologne, édition d'Hollande, en 4 volumes in -12. tome I. pag. 41. & suiv. & le Laboureur, gouvernement de la Pologne.

CHANCELIER EN PORTUGAL, est un magistrat qui a la garde du sceau dont on scelle des arrêts du parlement ou cour souveraine : il y en a deux ; un dans le parlement ou cour souveraine de Lisbonne, l'autre dans le parlement de Porto. Le chancelier a rang immédiatement après le président & avant les conseillers.

CHANCELIER DES PRINCES DE LA MAISON ROYALE, voyez ci-devant CHANCELIER DES FILS ET PETITS-FILS DE FRANCE.

CHANCELIER DE LA REGENCE ou DU REGENT DU ROYAUME, étoit celui qui étoit commis autrefois par le régent pour faire l'office de chancelier pendant la régence.

Anciennement pendant les régences toutes les lettres de chancellerie, tant de justice que de grace, étoient expédiées au nom du régent ou régente du royaume, ainsi que le justifient les registres du parlement, sous la régence de Charles V. & de M. Loys de France, duc d'Anjou, & sous celle de Charles VII.

Charles V. régent du royaume pendant la prison du roi Jean, commit Jean de Dormans, qui étoit déjà son chancelier pour la Normandie, au fait de la chancellerie de France, pour l'exercer au nom du régent du royaume, & lui donna 2000 liv. parisis de gages, & les mêmes droits de bourses, registres, & autres profits qu'avoient accoûtumé de prendre les chanceliers de France. Les lettres de provision de ce chancelier du régent sont rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race.

Lorsqu'elle étoit dévolue à un prince ou une princesse du sang, le chancelier scelloit du sceau du prince au lieu du scel royal. Lorsque le régent n'étoit pas un prince, le chancelier ne scelloit pas du sceau personnel du régent ni du scel royal, mais d'un sceau particulier qui étoit établi exprès pour ce tems, & que l'on appelloit le sceau de la régence. C'est pourquoi, Philippe III. en confirmant les pouvoirs que S. Louis avoit donnés à Matthieu abbé de S. Denis, & à Simon de Nesle, pour la régence, leur ordonna de changer le nom propre dans leur sceau. Lorsque Louise de Savoie fut régente pendant la prison de François I. on fit une distinction : toutes les lettres de justice furent scellées du sceau du roi, pour exprimer que la justice subsiste toujours sans aucun changement, soit que le roi soit mort ou absent ; les lettres de grace & de commandement furent scellées du sceau de la régente. Voyez le recueil des rois de France de du Tillet, & les ordonnances de la troisieme race, & les articles REGENT DU ROYAUME & CHANCELIER DE LA REINE.

CHANCELIER DE LA REINE est un des grands officiers de sa maison, qui a la garde de son sceau particulier, sous lequel il donne toutes les provisions des offices de sa maison, & les commissions & mandemens nécessaires pour son service.

C'est lui qui préside au conseil de la reine, lequel est composé du chancelier, du surintendant des finances, des secrétaires des commandemens, maison & finances ; du procureur général & de l'avocat général, des secrétaires du conseil & autres officiers.

Il est aussi le chef de la chancellerie de la reine, pour laquelle il y a plusieurs officiers.

C'est encore lui qui donne, sous le sceau de la reine, toutes les provisions des offices de justice dans les terres & seigneuries qui sont du domaine particulier de la reine.

Il a le même droit dans les duchés, comtés & autres seigneuries du domaine du roi, dont la jouissance est donnée à la reine par son doüaire en cas de viduité ; il est dans ces terres le chef de la justice, & y institue des juges, lesquels rendent la justice au nom de la reine, & ont le même pouvoir que les juges royaux ; il peut pareillement, au nom de la reine, y établir des grands jours dont l'appel ressortit directement au parlement de Paris, quand même ces terres & seigneuries seroient dans le ressort d'un autre parlement.

C'est encore une des prérogatives de la dignité de chancelier de la reine, qu'il a le droit d'entrée dans toutes les maisons royales, lorsque le roi n'y est pas, ou que la reine y est seule.

Les reines de France ont de tems immémorial toujours eu leur chancelier particulier, différent de celui du roi.

Grégoire de Tours fait mention que Urcissin étoit référendaire de la reine Ultrogothe, femme de Childebert I. Celui qui faisoit alors l'office de chancelier de France étoit aussi appellé référendaire.

Jeanne, femme de Philippe V. dit le Long, avoit en 1319 pour chancelier Pierre Bertrand, qui fut aussi l'un des exécuteurs de son testament.

Isabeau de Baviere, femme de Charles VI. avoit aussi son chancelier, autre que celui du roi, quoiqu'elle n'eût point de terres en propre. Messire Jean de Nielle chevalier, maître Robert le Maçon, & maître Robert Carteau, furent ses chanceliers en divers tems.

Robert Maçon, l'un de ceux que l'on vient de nommer, étoit seigneur de Treves en Anjou ; il fut d'abord chancelier de la reine Isabeau de Baviere, ce qui est justifié par des lettres de Charles VI. de l'an 1415, par lesquelles il commet le comte de Vendôme, & Robert le Maçon qu'il appelle chancelier de la reine sa compagne, pour se transporter à Angers, & faire jurer la paix aux Anglois. Il fit en 1418 la fonction de chancelier de France sous les ordres du dauphin Charles, pour lors lieutenant général du roi.

Le registre du parlement du 22 Mai 1413, parlant de Bonne d'Armagnac, femme du sieur de Montauban, l'appelle cousine & chanceliere de la reine ; ce qui confirme encore qu'elle avoit un chancelier.

Enguerrand de Monstrelet rapporte, dans le chap. lx. de son premier volume, qu'il fut ordonné par le conseil de la reine & du duc de Bourgogne (c'étoit toujours du tems de la même Isabeau de Baviere femme de Charles VI. en 1417) que Me Philippe de Morvilliers iroit en la ville d'Amiens accompagné d'aucuns notables clercs, avec un greffier juré, pour y tenir de par la reine une cour souveraine de justice, au lieu de celle du parlement de Paris ; & afin qu'il ne fût pas besoin de se pourvoir en la chancellerie du roi, pour impétrer des mandemens, ou pour d'autres causes qui pussent intervenir ès bailliages d'Amiens, Vermandois, Tournai, & sénéchaussée de Ponthieu, il fut donné un sceau audit Morvilliers où étoit gravée l'image de la reine, étant droite, ayant les deux bras tendus vers la terre ; & au côté droit étoit un écu des armes de France & de Baviere, & à l'entour du scel étoit écrit : c'est le scel des causes, souverainetés & appellations pour le roi ; qu'on scelleroit de ce scel en cire rouge, & que les lettres & mandemens se feroient au nom de la reine, en cette forme : Isabelle, par la grace de Dieu, reine de France, ayant pour l'occupation de monseigneur le roi le gouvernement & l'administration de ce royaume, par l'octroi irrévocable à nous sur ce fait par mondit seigneur & son conseil. Il fut aussi ordonné un autre chancelier outre la riviere de Seine, pour ceux qui tenoient le parti de la reine & du duc de Bourgogne.

Du tems de M. le marquis de Breteuil, commandeur des ordres du Roi, & ministre & secrétaire d'état au département de la guerre, qui fut chancelier de la reine depuis le 18 Mai 1725, jusqu'à son décès arrivé le 7 Janvier 1743, on se servoit de cire jaune pour le sceau de la reine, quoique l'ancien usage eût toujours été de sceller de ce sceau en cire rouge. M. le comte de S. Florentin, commandeur des ordres du Roi, ministre & secrétaire d'état, qui a succédé à M. de Breteuil en la dignité & office de chancelier de la Reine, qu'il possede encore actuellement, a rétabli l'ancien usage de sceller en cire rouge.

La reine de Navarre avoit aussi son chancelier. François Olivier qui fut chancelier de France, avoit été auparavant chancelier & chef du conseil de Marguerite de Valois, reine de Navarre, soeur de François I.

Guy du Faur seigneur de Pibrac, président au mortier, fut chancelier de Marguerite de France, soeur du roi Henri III. & alors reine de Navarre. Il mourut le 12 Mai 1584.

Jean Berthier, évêque de Rieux, succéda au sieur de Pibrac en cette charge, qui devint encore plus relevée en 1589, lorsque Marguerite devint reine de France. Le mariage de celle-ci ayant été dissous en 1599, l'évêque de Rieux continua d'être le chancelier de la reine Marguerite. Il logeoit au cloître Notre-Dame en 1605 ; & la reine Marguerite ayant eu alors la permission de revenir à Paris, elle alla d'abord descendre chez son chancelier, & ce fut là que la ville vint la saluer. Voyez du Tillet, des rangs des grands de France ; Bouchel, bibliotheque du droit françois, au mot chancelier ; Sauval, antiquités de Paris, tome II. p. 151.

CHANCELIERS DU ROI, étoient des notaires ou secrétaires du roi, que l'on appelloit ainsi sous la premiere race ; c'étoient eux qui écrivoient les chartes & lettres des rois, qui étoient ensuite scellées par le grand référendaire, dont l'office revenoit à celui de chancelier de France. Il est parlé de ces chanceliers royaux dès le tems de Clotaire I. par Grégoire de Tours, lequel en parlant d'un certain Claude, dit qu'il étoit quidam ex cancellariis regalibus. Sous Thierri I. ces mêmes secrétaires sont nommés notarii, regis notarii. Sous Chilpéric I. un de ses secrétaires se qualifie palatinus scriptor. Ces chanceliers ou secrétaires signoient quelquefois ad vicem, c'est-à-dire en l'absence du référendaire. Sous la seconde race de nos rois, celui qui faisoit la fonction de référendaire fut appellé archichancelier, grand chancelier, souverain chancelier, on archinotaire, parce qu'il étoit préposé sur les chanceliers particuliers, ou notaires secrétaires du roi. Du tems de Charles le Chauve, les notaires du roi se qualifioient quelquefois cancellarii regiae dignitatis. Il y avoit encore de ces chancelier particuliers sous Hugues Capet en 987, suivant un titre de l'abbaye de Corbie, à la fin duquel est dit, ego Reginoldus, cancellarius ad vicem summi cancellarii, recognovi ac subterfirmavi. Depuis Baudouin, qui exerça l'office de chancelier les dernieres années du regne de Robert, le titre de chancelier demeura réservé au chancelier de France ; & ceux que l'on appelloit auparavant chanceliers du roi, ne furent plus nommés que notaires ou secrétaires du roi. Voyez Tessereau, hist. de la chancellerie.

CHANCELIERS, chez les Romains du tems des empereurs, étoient des officiers subalternes qui se tenoient dans une enceinte fermée de grilles & de barreaux appellés en latin cancelli, pour copier les sentences des juges & les autres actes judiciaires : ils étoient à-peu-près comme nos greffiers ou commis du greffe. On les payoit par rôles d'écriture, comme l'a remarqué le docte Saumaise sur un passage d'une loi des Lombards : volumus ut nullus cancellarius pro ullo judicio aut scripto aliquid ampliùs accipere audeat, nisi dimidiam libram argenti de majoribus scriptis, de minoribus autem infrà dimidiam libram. Cet emploi étoit alors peu considérable, puisque Vopiscus dit que Carin fit une chose honteuse, en nommant un de ces chanceliers gouverneur de Rome : praefectum urbi unum è cancellariis suis fecit ; quo foedius nec cogitari potuit aliquid, nec dici.

Le terme de suis semble pourtant dénoter que ces officiers étoient attachés à l'empereur d'une maniere particuliere ; qu'ils travailloient dans son palais, faisoient la fonction de secrétaires de l'empereur. Il y a d'autant plus lieu de le croire, que les Romains ayant fait la conquête des Gaules, & y ayant introduit leurs moeurs & les noms des offices usités chez eux, on voit que sous les rois de la premiere race, ceux qui faisoient la fonction de secrétaires du roi étoient pareillement nommés chanceliers.

Il est néanmoins certain que les magistrats des provinces avoient aussi leurs chanceliers, qui faisoient près d'eux la fonction de secrétaires ou de greffiers. Il en est fait mention en plusieurs endroits du code, & notamment au titre de assessoribus, domesticis, & cancellariis judicum ; c'étoient ceux qui mettoient les actes en forme, ou du moins qui souscrivoient les jugemens & autres actes publics, & les délivroient aux parties. Ils furent ainsi appellés, non pas de ce qu'ils pouvoient canceller l'écriture, mais du barreau du juge appellé cancelli, & quia cancellis praeerant, comme dit Agathias, liv. I. & Cassiodore, liv. XII.

Ce dernier l'explique encore bien mieux en l'épître premiere du II. liv. où écrivant à son chancelier, il lui dit : respice quo nomine nuncuperis ; latere non potes, quod intrà cancellos egeris ; tenes quippe lucidas fores, claustra patentia, fenestratas januas ; & quamvis studiosè claudas, necesse est ut cunctis aperias. Nam si fortè steteris, meis emendaris obtutibus ; si intus ingrediaris, observantium non potes declinare conspectus. Vide quò te antiquitas voluerit collocari : undique conspicieris, qui in illâ claritate versaris.

Les principales dispositions des lois romaines par rapport à ces chanceliers, sont qu'on les pouvoit accuser en cas de faux ; que leur emploi n'étoit pas perpétuel ; qu'après l'avoir quitté ils devoient demeurer encore cinquante jours dans la province, afin que chacun eût le tems & la liberté de faire ses plaintes contr'eux, s'il y avoit lieu ; que ceux qui avoient fait cette fonction ne devoient point y rentrer après leur commission finie.

Au commencement les présidens & autres gouverneurs des provinces se servoient de leurs clercs domestiques pour chanceliers ou greffiers, ou bien ils les choisissoient à volonté ; ce qui fut changé par les empereurs Honorius & Théodose en la loi nullus judicum, cod. de assessor. où ces greffiers sont appellés cancellarii. Il est dit que dorénavant ils seront pris par élection solemnelle de l'office, c'est-à-dire du corps & compagnie des officiers ministres ordonnés à la suite du gouverneur, à la charge que ce corps & compagnie répondroit civilement des fautes de celui qu'il auroit élu pour chancelier.

Les chanceliers n'étoient pas les seuls scribes attachés aux juges ; il y avoit avant eux ceux qu'on appelloit exceptores & regerendarii. Les premiers étoient ceux qui recevoient le jugement sous la dictée du juge ; les autres transcrivoient les actes judiciaires dans des registres. Le propre du chancelier étoit de souscrire les jugemens & autres actes, & de les délivrer aux parties. Il y avoit aussi ceux que l'on appelloit ab actis, ou actuarii, qui étoient préposés pour les actes de jurisdiction volontaire, comme émancipations, adoptions, contrats & testamens.

Quoique le chancelier fût d'abord le dernier dans l'ordre de tous les scribes du juge, comme il paroît au liv. de la notice de l'Empire, & au titre du code de assessoribus, domesticis & cancellariis judicum ; il devint néanmoins dans la suite en plus grande considération que les autres, parce que c'étoit le seul auquel les parties eussent affaire : on en peut juger par ce que dit Cassiodore à son chancelier en son épît. j. liv. II. Quamvis statutis gradibus omnis militia peragatur, tuus honor cognoscitur solemni ordine non teneri, qui suis primatibus meruit anteponi. Tibi enim reddunt obsequia qui te praeire noscuntur, & reflexâ conditione justitiae, illis reverendus aspiceris, quos subsequi posse monstraris. Cassiodore ajoûte que l'honneur du juge dépendoit de lui, parce qu'il gardoit, signoit & délivroit aux parties les expéditions ; jussa nostra sine studio venalitatis expedias, omnia sicque geras ut nostram possis commendare justitiam : actus enim tui, judicis opinio est ; & sicut penetrale domus de foribus potest congruenter intelligi, sic mens praesulis de te probatur agnosci.

Dans la premiere épît. du liv. XII. il dit encore à son chancelier : fasces tibi judicum parent ; & dum jussa praetorianae sedis portare crederis, ipsam quoddam modo potestatem reverendus assumis. Cette même épître nous apprend que c'étoit alors le préfet du prétoire qui choisissoit les chanceliers des gouverneurs des provinces, qu'il leur donna comme des contrôleurs de leurs actions, ce qui augmenta beaucoup la considération dans laquelle étoit déjà l'office de chancelier, desorte qu'enfin on entendit sous ce nom ceux qui faisoient toutes les expéditions des grands magistrats. Voyez au code, liv. I. tit, 51. Loyseau, de off. liv. II. ch. v. n. 18 & suiv. & liv. IV. ch. ij. n. 24.

CHANCELIERS DE RUSSIE sont de deux sortes ; il y a le grand chancelier de l'Empire qui a la garde de la couronne, du sceptre, & du sceau impérial. La couronne & le sceptre sont gardés dans une chambre à Moscou, dont il a la clé & le sceau, on n'y entre qu'en sa présence. Il y a des chancelleries particulieres auprès des juges des principales villes de Russie, comme à Petersbourg. Voyez la Martiniere.

CHANCELIER DE LA SOCIETE LITTERAIRE D'ARRAS, voyez CHANCELIERS DES ACADEMIES.

CHANCELIER DU SOUVIGUIER DE NARBONNE, étoit celui qui avoit la garde du scel royal dans la viguerie de Narbonne ; il en est parlé dans des lettres de Philippe VI. dit de Valois, du 14 Juin 1345, rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. II. p. 230.

CHANCELIER DE SUEDE, qu'on appelle grand chancelier, est le quatrieme des cinq grands officiers de la couronne, qui sont les tuteurs du roi, & gouvernent le royaume pendant sa minorité.

Il est le chef du conseil de la chancellerie où il préside, assisté de quatre sénateurs, & des secrétaires d'état, & de la police, en corrige les abus, & fait tous les réglemens nécessaires pour le bien & l'utilité publique. Il est le dépositaire des sceaux de la couronne ; il expédie toutes les affaires d'état, & c'est lui qui expose les volontés du roi aux états généraux, avant la tenue desquels les nobles sont obligés de faire inscrire leurs noms pour être portés à la chancellerie.

Enfin il préside au conseil de police, & c'est en ses mains que le roi dépose la justice pour la distribuer & la faire rendre à ses sujets.

Il y a cependant au-dessus de lui le drossart ou grand justicier, qui est le premier officier de la couronne, qui préside au conseil suprême de justice auquel on appelle de tous les autres.

Il y a un chancelier de la cour différent du chancelier de justice. Voyez la Martiniere à l'article de Suede, & les voyages de Payen.

CHANCELIER DE THEOLOGIE, voyez ci-devant CHANCELIER DES FACULTES DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER.

CHANCELIER DANS LES UNIVERSITES, est celui qui a la garde du sceau de l'université, dont il scelle les lettres des différens grades, provisions & commissions que l'on donne dans les universités. Chaque université a son chancelier ; il y en a même deux dans l'université de Paris ; l'un qu'on appelle communément le chancelier de Notre-Dame, ou chancelier de l'université ; l'autre qui est le chancelier de sainte Genevieve. Comme l'université de Paris est la plus ancienne de toutes, ses deux chanceliers sont aussi les plus anciens ; ils ont chacun un sous-chancelier qui leur sert d'aide dans leurs fonctions.

Il est parlé du chancelier de l'étude de Médecine de Montpellier, dans des lettres de Philippe VI. dit de Valois, du mois d'Août 1331, rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome II. pag. 71. & dans d'autres lettres du roi Jean du mois de Janvier 1350. Ibid. tome IV. pag. 36.

Le pape Eugene IV. à la requête des états de Normandie, donna l'an 1439 une bulle, par laquelle il créa l'université de Caën, & nomma l'évêque de Bayeux pour en être chancelier ; ce qui fait voir que l'office de chancelier dans les universités a toujours été en grande considération.

Le parlement de Paris ordonna par un arrêt du 18 Mars 1543, que les nouveaux docteurs qui veulent prétendre aux régences, doivent préalablement répondre pendant trois jours publiquement sur la loi & le chapitre qui leur sera donné par le chancelier & commissaires à ce députés.

Par un autre arrêt du 18 Avril 1582, il fut défendu, tant au chancelier qu'aux docteurs, de recevoir aucune personne à une régence vacante, sans avoir préalablement répondu publiquement.

Par arrêt du parlement de Toulouse, du 9 Avril 1602, défenses furent faites aux chancelier & docteurs régens de l'université de Cahors, de recevoir aucun docteur régent sans disputes publiques.

Le chancelier de l'université de Valence a droit de régler les gages des docteurs régens, suivant un arrêt du conseil d'état du 2 Décembre 1645.

Dans des lettres de Charles VI. du 17 Octobre 1392, rapportées dans les ordonnances de la troisieme race, le chancelier de l'université de Toulouse est nommé deux fois avant le recteur.

Toutes les commissions de la cour de Rome pour les universités, sont adressées au chancelier. Voyez ci-devant CHANCELIER DE L'EGLISE DE PARIS, & CHANCELIER DE SAINTE GENEVIEVE.

Par rapport aux chanceliers des quatre facultés de l'université de Montpellier, voyez ci-devant CHANCELIERS DES FACULTES, &c.

Le chancelier est le premier officier de l'université de Dijon ; mais il faut observer que cette université n'est composée que d'une seule faculté, qui est celle de droit civil, canonique, & françois. Il a un vice-chancelier. Voyez la descript. de Bourgogne par Garreau.

Le chancelier de l'université de Cambridge ou Cambrige en Angleterre, est à la tête de ce corps ; c'est ordinairement un seigneur du premier rang ; il est élu par l'université ; on peut le changer on le continuer tous les trois ans ; il est le chef d'une cour de justice, & sa fonction est de gouverner l'université, d'en conserver les libertés & les priviléges, de convoquer les assemblées, & de rendre la justice entre les membres de l'université. Cette place n'est proprement qu'un poste d'honneur ; il y a un vice-chancelier qui gouverne l'université en la place du chancelier. Il est élû tous les ans par l'université. Son pouvoir est indépendant de celui de l'université. Ce vice-chancelier a sous lui une espece de magistrat qu'on nomme proctor, & d'autres officiers.

Il en est de même du chancelier de l'université d'Oxford, excepté que sa dignité est à vie ; il est élu par les écoliers mêmes. Il y a aussi un vice-chancelier qui a sous lui quatre substituts. Voyez l'état présent de la Grande-Bretagne ; la Martiniere, dict. & l'article UNIVERSITE.

Le cardinal Ximenes établit un chancelier en l'université d'Alcala, à l'exemple de celle de Paris. Alvarus Gometius, lib. III. de reb. gest. à Francisco Ximeneo.

L'université d'Upsal est composée d'un chancelier qui est toujours ministre d'état, & d'un vice-chancelier qui est toujours archevêque. (A)


CHANCELLERIES. f. (Architecture) du mot latin cancelli ; c'est un hôtel faisant partie de la distribution d'un grand palais, ou un édifice particulier où loge le chancelier d'une tête couronnée : telle qu'est la chancellerie à Paris, place de Vendôme, où indépendamment de la distribution relative à l'habitation personnelle du maître, se trouvent distribuées de grandes salles d'audience, du conseil, cabinets, bureaux, &c. (P)

CHANCELLERIE, s. f. (Jurisprud.) s'entend ordinairement d'un lieu où on scelle certaines lettres, pour les rendre authentiques. Il y a plusieurs sortes de chancelleries ; les unes civiles, les autres ecclésiastiques. Nous commencerons par la chancellerie de France, qui est la plus considérable de toutes les chancelleries civiles ; les autres seront ensuite expliquées par ordre alphabétique.

Le terme de chancellerie se prend aussi quelquefois pour le corps des officiers qui sont nécessaires pour le service de la chancellerie, tels que le chancelier ou garde des sceaux, les grands audienciers, les secrétaires, les trésoriers, contrôleurs, référendaires, chauffes-cire, & autres.

CHANCELLERIE DE FRANCE ou GRANDE CHANCELLERIE, est le lieu où le chancelier de France demeure ordinairement, où il donne audience à ceux qui ont à faire à lui, & où il exerce certaines de ses fonctions : c'est aussi le lieu où l'on scelle les lettres avec le grand sceau du roi, lorsque la garde en est donnée au chancelier. On l'appelle grande chancellerie par excellence, & par opposition aux autres chancelleries établies près les cours & présidiaux, dont le pouvoir est moins étendu.

On entend aussi sous le terme de chancellerie de France, le corps des officiers qui composent la chancellerie ; tels que le chancelier, le garde des sceaux, les grands audienciers, secrétaires du roi du grand collége, les trésoriers, contrôleurs, chauffes-cire & autres officiers.

L'établissement de la chancellerie de France est aussi ancien que la monarchie ; elle n'a point emprunté son nom du titre de chancelier de France : car sous la premiere race de nos rois, ceux qui faisoient les fonctions de chancelier n'en portoient point le nom ; on les appelloit référendaires, gardes de l'anneau ou scel royal ; & c'étoient les notaires ou secrétaires du roi que l'on appelloit alors cancellarii, à cancellis, parce qu'ils travailloient dans une enceinte fermée de barreaux ; & telle fut aussi sans-doute l'origine du nom de chancellerie.

Ce ne fut que sous la seconde race que ceux qui faisoient la fonction de chancelier du roi commencerent à être appellés grand chancelier, archi-chancelier, souverain chancelier ; & alors le terme de chancellerie devint relatif à l'office de chancelier de France.

Lorsque cet office se trouvoit vacant, on disoit que la chancellerie étoit vacante, vacante cancellariâ : cette expression se trouve usitée dès l'an 1179. Pendant la vacance on scelloit les lettres en présence du roi, comme cela se pratique encore aujourd'hui.

Le terme de chancellerie se prenoit aussi pour l'émolument du sceau : on le trouve usité en ce sens dès le tems de S. Louis. Suivant une cédule de la chambre des comptes, qui porte entr'autres choses que des lettres qui devoient soixante sous pour scel, le scelleur prenoit dix sous pour soi & la portion de la commune chancellerie, de même que les autres clercs du roi.

Cette même cédule fait aussi connoître que le chancelier avoit un clerc ou secrétaire particulier, & qu'il y avoit un registre où l'on enregistroit les lettres de chancellerie. On y enregistroit aussi certaines ordonnances, comme cela s'est pratiqué en divers tems pour certains édits qui ont été publiés le sceau tenant.

Guillaume de Crespy, qui fut chancelier en 1293, suspendit aux clercs des comptes leur part de la chancellerie ; parce qu'ils ne suivoient plus la cour comme ils faisoient du tems de S. Louis, sous lequel ils partageoient à la grosse & menue chancellerie.

Il y avoit déjà depuis long-tems plusieurs sortes d'officiers pour l'expédition des lettres que l'on scelloit du grand ou du petit scel.

Les plus anciens étoient les chanceliers royaux, cancellarii regales, appellés depuis notaires, & ensuite secrétaires du roi. Il est parlé de ces chanceliers dès le tems de Clotaire I. Dès le tems de Thierri on trouve des lettres écrites de la main d'un notaire, & scellées par celui qui avoit le sceau, qui étoit le grand référendaire.

Sous Dagobert I. on trouve jusqu'à cinq notaires ou secrétaires ; lesquels en l'absence du référendaire faisoient son office, & signoient en ces termes : ad vicem obtuli, recognovi, subscripsi.

Du tems de Charles-le-Chauve on trouve jusqu'à onze de ces notaires ou secrétaires ; lesquels en certaines lettres sont qualifiés cancellarii regiae dignitatis, & signoient tous ad vicem. Du tems de S. Louis on les appella clercs du roi. On continua cependant d'appeller notaires ceux que le chancelier de France commettoit aux enquêtes du parlement, pour faire les expéditions nécessaires.

Sous la troisieme race l'office de garde des sceaux fut quelquefois séparé de celui de chancelier, soit pendant la vacance de la chancellerie, ou même du vivant du chancelier.

Dans un état de la maison du roi fait en 1285, il est parlé du chauffe-cire, ou valet de chauffe-cire.

Il y avoit aussi dès 1317, un officier préposé pour rendre les lettres lorsqu'elles étoient scellées ; & suivant des lettres de la même année, les notaires-secrétaires du roi (c'est ainsi qu'ils sont appellés) avoient quarante livres parisis à prendre sur l'émolument du sceau pour leur droit de parchemin.

Tous ces différens officiers qui étoient subordonnés au référendaire, appellé depuis chancelier de France, formerent insensiblement un corps que l'on appella la chancellerie, dont le chancelier a toujours été le chef.

Cette chancellerie étoit d'abord la seule pour tout le royaume. Dans la suite on admit trois chancelleries particulieres ; l'une qui avoit été établie par les comtes de Champagne ; une autre par les rois de Navarre, & une chancellerie particuliere pour les actes passés par les Juifs.

Philippe V. dit le Long, fit au mois de Février 1321 un réglement général, tant pour la chancellerie de France que pour les autres chancelleries : il annonce que ce réglement est sur le port & état du grand scel, & sur la recette des émolumens. Les fonctions des notaires du roi y sont réglées ; il est dit qu'il sera établi un receveur de l'émolument du sceau, qui en rendra compte trois fois l'année en la chambre des comptes ; que le chancelier sera tenu d'écrire au dos des lettres la cause pour laquelle il refusera de les sceller, sans les dépecer ; que tous les émolumens de la chancellerie de Champagne, de Navarre, & des Juifs, tourneront au profit du roi comme ceux de la chancellerie de France ; que le chancelier prendra pour ses gages mille livres parisis par an.

On voit par des lettres de Charles V. alors régent du royaume, que dès l'an 1358 il y avoit déjà des registres en la chancellerie, où l'on enregistroit certaines ordonnances & lettres patentes du roi ; & suivant d'autres lettres du même prince alors régnant, du 9 Mars 1365, le lieu où se tenoit le sceau s'appelloit déjà l'audience de la chancellerie, d'où les offices d'audienciers ont pris leur dénomination. En effet l'on trouve un mandement de Charles V. du 21 Juillet 1368, adressé à nos audiencier & contrôleur de notre audience royale à Paris, c'est-à-dire de la chancellerie.

Les clercs-notaires du roi avoient dès 1320 leurs gages, droits de manteaux, & la nourriture de leurs chevaux à prendre sur l'émolument du sceau.

Pour ce qui est de la distribution des bourses, l'usage doit en être aussi fort ancien, puisque le dauphin régent ordonna le 28 Mars 1357, que le chancelier auroit deux mille livres de gages, avec les bourses & autres droits accoûtumés ; & au mois d'Août 1358, il ordonna que l'on feroit tous les mois pour les Célestins de Paris, une bourse semblable à celle que chaque secrétaire du roi avoit droit de prendre tous les mois sur l'émolument du sceau. Voyez ci-après CHANCELLERIE (bourse de).

La chancellerie de France n'a été appellée grande chancellerie, que lorsqu'on a commencé à établir des chancelleries particulieres près les parlemens, c'est-à-dire vers la fin du quinzieme siecle. Voyez CHANCELLERIES PRES LES PARLEMENS.

On a aussi ensuite institué les chancelleries présidiales en 1557.

Toutes ces petites chancelleries des parlemens & des présidiaux, sont des démembremens de la grande chancellerie de France.

Lorsque la garde des sceaux est séparée de l'office de chancelier, c'est le garde des sceaux qui scelle toutes les lettres de la grande chancellerie, & qui est préposé sur toutes les petites chancelleries. Voyez GARDE DES SCEAUX.

Le nombre des secrétaires du roi servant dans les grandes & petites chancelleries, a été augmenté en divers tems. On a aussi créé dans chaque chancellerie des audienciers, contrôleurs, des référendaires, scelleurs, chauffes-cire, des huissiers, des greffiers gardes minutes. On trouvera l'explication de leurs fonctions & de leurs privileges. Voyez Miraumont & Tessereau, hist. de la chancellerie.

CHANCELLERIE DES ACADEMIES, voyez CHANCELIER DES ACADEMIES.

CHANCELLERIE D'AIX ou DE PROVENCE, est celle qui est établie près le parlement d'Aix. La Provence ayant été soûmise pendant quelque tems à des comtes, ne fut réunie à la couronne qu'en 1481, & le parlement d'Aix ne fut établi qu'en l'année 1501. Par édit du mois de Septembre 1535, François premier y créa une chancellerie particuliere, pour l'administration de laquelle il seroit par lui pourvû d'un bon & notable personnage au fait de la justice, qui auroit la garde du scel ordonné pour ladite chancellerie ; sur quoi il faut observer en passant que dans toutes les lettres émanées du roi concernant la Provence, on ne manque point de lui donner le titre de comte de Provence, Forcalquier, & terres adjacentes, après le titre de roi de France & de Navarre. On en trouve un exemple dès 1536, dans le réglement du 18 Avril de ladite année, par lequel on voit que de six secrétaires du roi qu'il y avoit alors, l'un exerçoit le greffe civil, un autre le greffe criminel ; que les quatre autres signoient & servoient en la chancellerie ; que ces secrétaires n'étoient point du collége des notaires & secrétaires du roi, boursiers & gagers, & ne prenoient rien sur les lettres & expéditions qui se faisoient en ladite chancellerie. Néanmoins pour subvenir à l'entretenement des quatre secrétaires servant près ladite chancellerie, & leur conserver les mêmes profits qu'ils avoient coûtume de prendre avant l'établissement de cette chancellerie, il fut ordonné que le collége des notaires & secrétaires du roi prendroit en la chancellerie de Provence la même portion de bourses qu'il a coûtume de prendre dans les autres chancelleries ; à la charge que sur cet émolument & avant d'en faire la répartition entre les boursiers & gagers, il seroit pris un certain émolument au profit des secrétaires qui auroient servi chaque mois près ladite chancellerie, suivant le tarif contenu dans ce réglement.

Le 26 Novembre 1540 ; il y eut un édit pour les priviléges du garde-scel & des autres officiers de la chancellerie. Le 2 Janvier 1576, un autre édit portant création d'offices d'audienciers & de contrôleurs alternatifs en la chancellerie d'Aix & dans celles des autres parlemens ; & le 17 Septembre 1603, une déclaration concernant les référendaires de cette chancellerie. On y créa en 1605 un office de chauffe-cire, comme dans les autres chancelleries. Les audienciers & contrôleurs obtinrent le 18 Mai 1616, une déclaration qui les exempta de tutele, curatelle, caution ; & le 6 Avril 1624, un arrêt du conseil privé, qui leur donna la préséance sur les référendaires.

Il avoit été arrêté au parlement d'Aix le 20 Janvier 1650, que le conseiller garde des sceaux de la chancellerie qui est près de ce parlement, ne pourroit par sa voix former ni rompre aucun partage d'opinions : mais il a depuis été délibéré, les chambres assemblées, que tous les possesseurs de cette charge auroient voix délibérative, qu'ils pourroit faire partage & le rompre, ne leur étant pas permis néanmoins de faire aucun rapport, ni de participer aux droits & émolumens. V. Chorier sur Guypape, p. 72.

On a créé en 1692 des greffiers gardes-minutes dans la chancellerie d'Aix, de même que dans les autres chancelleries des parlemens.

Le nombre des secrétaires du roi servant près la chancellerie d'Aix, a été réglé par différens édits. Voyez SECRETAIRES DU ROI.

Par un édit du mois de Mai 1635, le roi avoit créé une chancellerie particuliere près la cour des comptes, aides & finances d'Aix ; mais cette chancellerie a depuis été supprimée, & réunie à celle du parlement.

CHANCELLERIE D'ALENÇON, voyez CHANCELIER D'ALENÇON.

CHANCELLERIE D'ALSACE, fut d'abord établie près le conseil souverain de cette province par édit du mois de Novembre 1658. Elle fut composée d'un office de garde des sceaux, pour être attaché à celui de président du conseil souverain ; un audiencier, un contrôleur, un référendaire, un chauffe-cire, & un huissier. Ce conseil souverain ayant été révoqué en 1661, & changé en un conseil supérieur, la chancellerie créée en 1658, & les officiers, furent aussi révoqués. En 1679 le conseil provincial qui se tenoit à Brisak, fut rétabli dans le droit de juger souverainement ; & au mois d'Avril 1694, on établit une chancellerie près de ce conseil. Au mois de Décembre 1701, le conseil souverain & la chancellerie ont été transférés à Colmar.

CHANCELLERIE D'ANGLETERRE, voyez ci-devant CHANCELIER D'ANGLETERRE.

CHANCELLERIE D'ANJOU, voyez CHANCELIER D'ANJOU.

CHANCELLERIE D'APANAGE, est celle qui est établie pour la maison & apanage des fils puînés de France, & de leurs descendans mâles qui ont des apanages. Voyez ci-devant CHANCELIERS DES FILS & PETITS-FILS DE FRANCE.

CHANCELLERIE D'AQUITAINE, voyez CHANCELIER D'AQUITAINE.

CHANCELLERIE D'ARLES, voyez CHANCELIER DE BOURGOGNE.

CHANCELLERIE DE L'ARCHIDUC ou D'AUTRICHE, voyez CHANCELIER DE L'ARCHIDUC.

CHANCELLERIE DES ARTS, voyez CHANCELIER DES ARTS.

CHANCELLERIE D'AUVERGNE, voyez CHANCELIER D'AUVERGNE.

CHANCELLERIE DE BARBARIE, voyez CHANCELIER DES CONSULS DE FRANCE.

CHANCELLERIE DE LA BASOCHE, voyez CHANCELIER DE LA BASOCHE.

CHANCELLERIE DE BERRI, voyez CHANCELIER DU DUC DE BERRI.

CHANCELLERIE DE BOHEME, voyez CHANCELIER DE BOHEME.

CHANCELLERIE DE BESANÇON : Louis XIV. rétablit en 1674 le parlement de Franche-Comté à Dole ; il fut ensuite transféré à Besançon, par édit du mois de Mai 1676, & y fut fixé par édit du mois d'Août 1692. On y créa en même tems une chancellerie ; & par une déclaration du 14 Janvier 1693, on attribua aux officiers de cette chancellerie les mêmes droits dont joüissent, tant ceux de la grande chancellerie de France, que des autres chancelleries du royaume.

CHANCELLERIE DE BORDEAUX, est de deux sortes ; l'une qui fut établie en 1462 près le parlement de Bordeaux, qui est aussi appellée chancellerie de Guienne ; l'autre qui est près la cour des aides de la même ville. Voyez CHANCELLERIE PRES LES PARLEMENS & PRES LES COURS DES AIDES.

CHANCELLERIES DE BOURGOGNE, sont de quatre sortes : il y avoit autrefois la chancellerie des ducs de Bourgogne ; il y a encore la chancellerie près le parlement de Dijon, les chancelleries présidiales, & les chancelleries aux contrats.

La chancellerie des ducs de Bourgogne ne subsiste plus depuis 1477 ; c'est en la grande chancellerie de France que l'on obtient les lettres au grand sceau.

La chancellerie près le parlement de Dijon, que l'on appelle aussi chancellerie de Bourgogne, a été établie à l'instar de celles des autres parlemens, pour l'expédition des lettres de justice & de grace, qui se délivrent au petit sceau. Louis XI. créa dès 1477 (nouveau style) un nouveau parlement pour cette province, lequel ne fut néanmoins établi qu'en 1480, à cause des troubles qui survinrent : il ne fut rendu sédentaire qu'en 1494. Il y avoit cependant une chancellerie établie près de ce parlement. En effet l'édit du 11 Décembre 1493, fait mention du sceau qui avoit été ordonné pour sceller en la chancellerie de Dijon. Le roi créa en 1553 un office de conseiller au parlement garde des sceaux de la chancellerie de Dijon. Par une déclaration du 25 Juillet 1557, il fut ordonné que ce conseiller garde des sceaux auroit entrée en la chambre des vacations. Les autres officiers de cette chancellerie sont vingt-un secrétaires du roi, dont quatre audienciers & quatre contrôleurs. Il y a aussi deux scelleurs, trois référendaires, un chauffe-cire, un greffier, un receveur, quatre gardes-minutes, seize huissiers.

Il y a des chancelleries présidiales dans tous les présidiaux du duché de Bourgogne, de même que dans les autres présidiaux du royaume, même dans ceux où il y a une chancellerie aux contrats : ces deux sortes de chancelleries y sont de nom & par leur objet ; l'une s'appelle la chancellerie présidiale, & est établie pour délivrer toutes les lettres de petite chancellerie nécessaires pour les causes présidiales ; l'autre s'appelle la chancellerie aux contrats.

Pour bien entendre ce que c'est que ces chancelleries aux contrats, il faut d'abord observer que du tems des ducs de Bourgogne, le chancelier, outre la garde du grand & du petit scel, avoit aussi la garde du scel aux contrats, & le droit de connoître de l'exécution des contrats passés sous ce scel ; ce qu'il devoit faire en personne au moins deux ou trois fois par an, dans les six siéges dépendans de sa chancellerie.

Il avoit sous lui un officier qui avoit le titre de gouverneur de la chancellerie. Il le nommoit, mais il étoit confirmé par le duc de Bourgogne. Le chancelier mort, cet officier perdoit sa charge, & le duc en nommoit un pendant la vacance, lequel étoit destitué dès qu'il y avoit un nouveau chancelier : en cas de mort ou de destitution du gouverneur de la chancellerie, les sceaux étoient déposés entre les mains des officiers de la chambre des comptes de Bourgogne, qui les donnoient dans un coffret de laiton à celui qui étoit choisi. Ce gouverneur avoit des lieutenans dans tous les bailliages de Bourgogne, & dans quelques villes particulieres du duché : ils gardoient les sceaux des siéges particuliers, & rendoient compte des profits au gouverneur. Un registre de la chambre des comptes de Bourgogne fait mention que le 7 Août 1391, Jacques Paris bailli de Dijon, qui avoit en garde les sceaux du duché de Bourgogne, les remit à Jean de Vesranges institué gouverneur de la chancellerie ; savoir le grand scel & le contre-scel, & le scel aux causes, tous d'argent & enchaînés d'argent, ensemble plusieurs autres vieux scels de cuivre, & un coffret ferré de laiton, auquel on mettoit les petits scels.

Les lieutenans de la chancellerie de chaque bailliage avoient aussi des sceaux, comme il paroît par un mémoire de la chambre des comptes de Dijon, portant que le 7 Septembre 1396, il fut donné à Me Hugues le Vertueux, lieutenant de monseigneur le chancelier au siége de Dijon, un grand scel, un contre-scel, & un petit scel aux causes, pour en sceller les lettres, contrats, & autres choses qui viendroient à sceller audit siége, toutes fois qu'il en seroit requis par les notaires leurs coadjuteurs dudit siége. Dans quelques villes particulieres de Bourgogne, il y avoit un garde des sceaux aux contrats, lequel faisoit serment en la chambre des comptes, où on lui délivroit trois sceaux de cuivre, savoir un grand scel, un contre-scel, & le petit scel. Le chancelier avoit aussi dans chaque bailliage des clercs ou secrétaires, appellés libellenses, qui percevoient certains droits pour leurs écritures. Voyez les mémoires pour servir à l'hist. de France & de Bourgogne.

L'état présent des chancelleries aux contrats, est que le gouverneur est le chef de ces jurisdictions. Son principal siége est à Dijon. Il a rang après le grand bailli, avant tous les lieutenans & présidens du bailliage & présidial. Il a un assesseur pour la chancellerie, qui a le titre de lieutenant civil & criminel, & de premier conseiller au bailliage.

Le ressort de la chancellerie aux contrats séante à Dijon, pour les villes, bourgs, paroisses, & hameaux qui en dépendent, n'est pas précisément le même que celui du bailliage ; il y a quelques lieux dépendans de l'abbaye de Saint-Seine, qui sont de la chancellerie de Dijon pour les affaires de chancellerie, & du bailliage de Châtillon pour les affaires bailliageres, suivant des arrêts du parlement de Dijon, des 30 Décembre 1560, & 4 Janvier 1561.

Il y a aussi des chancelleries aux contrats dans les villes de Beaune, Autun, Châlons, Semur en Auxois, Châtillon-sur-Seine, appellé autrement le bailliage de la montagne. Ces chancelleries sont unies aux bailliages & siéges présidiaux des mêmes villes ; mais on donne toûjours une audience particuliere pour les affaires de chancellerie, où le lieutenant de la chancellerie préside ; au lieu qu'aux audiences du bailliage, il n'a rang qu'après le lieutenant général.

Le gouverneur de la chancellerie nommoit autrefois les lieutenans de ces cinq jurisdictions ; mais il ne les commet plus depuis qu'ils ont été créés en titre d'office.

L'édit de François premier du 8 Janvier 1535, & la déclaration du 15 Mai 1544, contiennent des réglemens entre les officiers des chancelleries & ceux des bailliages royaux. Il résulte de ces réglemens, que les juges des chancelleries doivent connoître privativement aux baillis royaux & à leurs lieutenans, de toutes matieres d'exécution, soit de meubles, noms, dettes, immeubles, héritages, criées, & subhastations qui se font en vertu & sur les lettres reçûes sous le scel aux contrats de la chancellerie, tant contre l'obligé que contre ses héritiers ; qu'ils ont aussi droit de connoître des publications & testamens passés sous ce même scel, & des appels interjettés des sergens ou autres exécuteurs des lettres & mandemens de ces chancelleries ; ensorte que les officiers des bailliages n'ont que le sceau des jugemens, & que celui des contrats appartient aux chancelleries. Il y a dans chacune un garde des sceaux préposé à cet effet.

Les jugemens émanés des chancelleries de Dijon, Beaune, Autun, Châlons, Semur en Auxois, & Châtillon-sur-Seine, & tous les actes passés devant notaires sous le sceau de ces chancelleries, sont intitulés du nom du gouverneur de la chancellerie ; mais les contrats n'ont pas besoin d'être scellés par le gouverneur ; le sceau apposé par le notaire suffit.

La ville de Semur, & les paroisses & villages du Châlonnois qui sont entre la Saone & le Dou, plaident pour les affaires de la chancellerie à celle de Châlons, ou à celle de Beaune, au choix du demandeur, ainsi qu'il fut décidé par un arrêt contradictoire du conseil d'état en 1656.

L'appel des chancelleries de Dijon & des cinq autres qui en dépendent, va directement au parlement de Dijon. Celle de Beaune où il n'y a point de présidial, ressortit au présidial de Dijon, dans les matieres qui sont au premier chef de l'édit.

Il y a aussi à Nuys, à Auxonne, S. Jean-de-Lone, Montcenis, Semur en Brionnois, Avallon, Arnay-le-Duc, Saulieu, & Bourbon-Lanci, des chancelleries aux contrats ; elles sont unies comme les autres aux bailliages des mêmes villes, conformément aux édits des 20 Avril 1542, & Mai 1640.

Ces neuf chancelleries ne reconnoissent point le gouverneur de la chancellerie de Dijon pour supérieur ; c'est pourquoi les jugemens qui s'y rendent ne sont point intitulés du nom du gouverneur, mais de celui du lieutenant de la chancellerie.

L'appel de ces neuf chancelleries va au parlement de Dijon, excepté qu'au premier chef de l'édit les chancelleries de Nuys, Auxonne, & S. Jean-de-Lone, vont par appel au présidial de Dijon ; celles de Montcenis, de Semur en Brionnois, & de Bourbon-Lancy, au présidial d'Autun ; & celles d'Arnay-le-Duc & de Saulieu au présidial de Semur en Auxois.

A l'égard des contrats qui se passent dans toutes ces chancelleries, soit celles qui dépendent en quelque chose du gouverneur, ou celles qui n'en dépendent point, on n'y intitule point le nom du gouverneur, & ils n'ont pas besoin d'être scellés de son sceau ; & néanmoins ils ne laissent pas d'emporter exécution parée, pourvû qu'ils soient scellés par le notaire ; c'est un des priviléges de la province. Sur les chancelleries aux contrats, on peut voir la description de Bourgogne par Garreau ; les mémoires pour servir à l'histoire de France & de Bourgogne, & ce qui est dit ci-devant au mot CHANCELIER DE BOURGOGNE.

CHANCELLERIE DE BOURBONNOIS, voyez CHANCELIER DE BOURBON.

CHANCELLERIE, (bourse de) signifie une portion des émolumens du sceau, qui appartient à certains officiers de la chancellerie. On ne trouve point qu'il soit parlé de bourses de chancellerie avant l'an 1357 ; l'émolument du sceau se partageoit néanmoins, mais sous un titre différent. Une cédule du tems de saint Louis, qui est à la chambre des comptes, porte que des lettres qui devoient 60 sous par scel, le scelleur prenoit 10 sous pour soi, & la portion de la commune chancellerie, de même que les autres clercs du roi ; ce qui suppose que les autres officiers de chancellerie faisoient dès-lors entr'eux bourse commune.

Guillaume de Crespy, qui fut chancelier en 1293, suspendit aux clercs des comptes leur part de la chancellerie, parce qu'ils ne suivoient plus la cour ; comme ils faisoient du tems de S. Louis, sous lequel ils partageoient à la grosse & menue chancellerie. Il paroît néanmoins que dans la suite leur droit avoit été rétabli, comme nous le dirons ci-après en parlant du sciendum.

Le réglement fait en 1320 par Philippe V. sur l'état & port du grand scel, & sur la recette des émolumens, porte, article 10. que tous les émolumens de la chancellerie de Champagne, de Navarre, & des Juifs, viendront au profit du roi comme la chancellerie de France ; que tous les autres émolumens & droits que le chancelier avoit coûtume de prendre sur le scel, viendroient pareillement au profit du roi, & que le chancelier de France prendroit pour gages & droits 1000 liv. parisis par an.

Les clercs-notaires du roi avoient aussi dès-lors des gages & droits de manteaux, qu'on leur payoit sur l'émolument du sceau ; comme il est dit dans des lettres du même roi, du mois d'Avril 1320.

On fit en la chambre des comptes, le 27 Janvier 1328, une information sur la maniere dont on usoit anciennement pour l'émolument du grand sceau. On y voit que le produit de certaines lettres étoit entierement pour le roi ; que pour d'autres on payoit six sous, dont les notaires, c'est-à-dire les secrétaires du roi, avoient douze deniers parisis, & le roi le surplus ; que le produit de certaines lettres étoit entierement pour les notaires ; que des lettres de panage, il y avoit quarante sous pour le roi, dix sous pour le chancelier & les notaires, & douze deniers pour le chauffe-cire ; que de toutes lettres en cire verte, il étoit dû soixante sous parisis, dont le chancelier avoit dix sous parisis ; le notaire qui l'avoit écrite de sa main, cinq sous parisis ; le chauffe-cire autant ; & le commun de tous les notaires, dix sous parisis. Plusieurs autres articles distinguent de même ce que prenoit le chancelier de ce qui restoit au commun des notaires.

Charles V. étant régent du royaume, par les provisions qu'il donna le 18 Mars 1357, à Jean de Dormans de l'office de chancelier du régent, lui attribua 2000 liv. parisis de gages par an, avec les bourses, registres, & autres profits que les chanceliers de France avoient coûtume de prendre ; & en outre avec les gages, bourses, registres, & autres droits qu'il avoit comme son chancelier de Normandie. La même chose se trouve rappellée dans des lettres du 8 Décembre 1358.

Les notaires & secrétaires du roi ayant procuré aux Célestins de Compiegne un établissement à Paris en 1352 ; & ayant établi chez eux leur confrairie, avoient délibéré entr'eux, que pour la subsistance de ces religieux, qui n'étoient alors qu'au nombre de six, ils donneroient chacun quatre sous parisis par mois sur l'émolument de leurs bourses ; mais au mois d'Août 1358, le dauphin régent du royaume ordonna à la requisition des notaires & secrétaires du roi, qu'il seroit fait tous les mois aux prieur & religieux Célestins établis à Paris une bourse semblable à celle que chaque secrétaire avoit droit de prendre tous les mois sur l'émolument du sceau ; ce que le roi Jean ratifia par des lettres du mois d'Octobre 1361.

Le même prince fit une ordonnance pour restraindre le nombre de ses notaires & secrétaires qui prenoient gages & bourses. Elle se trouve au mémorial de la chambre des comptes, commençant en 1359, & finissant en 1381.

Charles V. confirma en 1365 la confrairie des secrétaires du roi, & l'attribution d'une bourse aux Célestins ; & ordonna que le grand audiencier pourroit retenir les bourses des secrétaires du roi, qui n'exécuteroient pas les réglemens portés par ces lettres-patentes.

Dans un autre réglement de 1389, Charles VI. ordonna qu'à la fin de chaque mois les secrétaires du roi donneroient aux receveurs du sceau un billet qui marqueroit s'ils avoient été présens ou absens ; que s'ils ne donnoient pas ce billet, ils seroient privés de la distribution des droits de collation : ainsi que cela se pratique, est-il dit, dans la distribution des bourses ; car la distribution des droits de collation ne se doit faire qu'à ceux qui sont à Paris ou à la cour, à moins qu'un secrétaire du roi n'eût été présent pendant une partie du mois, & absent pendant l'autre ; ce qu'il sera tenu de déclarer dans le billet qu'il donnera aux receveurs.

Le sciendum de la chancellerie, que quelques-uns prétendent avoir été écrit en 1413 ou 1415, d'autres un peu plus anciennement, porte que le secrétaire du roi qui a été absent, doit faire mention dans sa cédule s'il a été malade, qu'autrement il seroit totalement privé de ses bourses ; que s'il a été absent huit jours, on lui rabat la quatrieme partie ; pour dix ou douze jours, la troisieme ; la moitié pour quinze ou environ, & les trois parts pour vingt-deux jours ou environ : que dans la confection des bourses on a coûtume de ne rien rabattre pour quatre, cinq, ou six jours ; si ce n'est que le notaire eût coûtume de s'absenter frauduleusement un peu de tems : que le quatrieme jour de chaque mois on fait les bourses & distribution d'argent à chaque notaire & secrétaire, selon l'exigence du mérite & travail de la personne ; & aux vieux, selon qu'ils ont travaillé en leur jeunesse, & selon les charges qu'ils ont eu à supporter par le commandement du roi ; que le cinq du mois les bourses ont accoûtumé d'être délivrées aux compagnons, en l'audience de la chancellerie : que la bourse reçue, chaque notaire doit mettre la somme qu'il a reçue en certain rôle, où les noms des secrétaires sont écrits par ordre, où il trouvera son nom ; & qu'il doit mettre seulement j'ai reçu, & ensuite son seing, sans mettre la somme qu'il a reçûe, à cause de l'envie & contention que cela pourroit faire naître entre ses compagnons : qu'il arrive souvent de l'erreur à cette distribution de bourses ; & que tel qui devroit avoir beaucoup, trouve peu : que s'il se reconnoît trompé, il peut recourir à l'audiencier & lui dire ; Monsieur, je vous prie de voir si au rôle secret de la distribution des bourses, il ne s'est pas trouvé de faute sur moi, car je n'ai eu en ma bourse que tant : qu'alors l'audiencier verra le rôle secret ; que s'il trouve qu'il y ait eu de l'erreur, il suppléera à l'instant au défaut.

Il est dit à la fin de ce sciendum, qu'en la distribution des bourses desdits confreres, qui étoient alors soixante-sept en nombre, les quatre premiers maîtres clercs de la chambre des comptes ne prennent rien, si ce n'est aux lettres de France, savoir quarante sous parisis pour chaque charte.

Le réglement fait pour les chancelleries en 1599, ordonne que les notaires & secrétaires du roi ne signeront d'autres lettres que celles qu'ils auront écrites, ou qui auront été faites & dressées par leurs compagnons, & écrites par leurs clercs, à peine pour la premiere fois d'être privés de leurs bourses ou gages pour trois mois, pour la seconde de six mois, & pour la troisieme pour toujours.

L'ancien collége des secrétaires du roi, composé de cent-vingt, étoit divisé en deux membres ou classes ; savoir soixante boursiers, c'est-à-dire qui avoient chacun leur bourse tous les mois, & soixante gagers qui avoient des gages.

Il y a aussi des bourses dans les petites chancelleries établies près les cours souveraines. Le réglement du 12 Mars 1599, ordonne qu'elles seront faites le huit de chaque mois, comme il est accoûtumé en la chancellerie de France.

Le réglement du mois de Décembre 1609, défendoit de procéder à aucune confection de bourses, que suivant les anciens réglemens, & qu'il n'y eût pour le moins trois secrétaires boursiers, deux gagers, & un ou deux des cinquante-quatre secrétaires qui formoient le second collége pour la conservation de leurs droits.

Lorsqu'on créa le sixieme collége des quatre-vingt secrétaires du roi en 1655 & 1657, le roi leur attribua pour leurs bourses le droit d'un sous six deniers sur l'émolument du sceau.

Il fut ordonné par arrêt du conseil privé du 17 Juillet 1643, que les droits de bourses des secrétaires du roi ne pourroient être saisis, ni les autres émolumens du sceau, qu'en vertu de l'ordonnance de M. le chancelier.

Au mois de Février 1673, Louis XIV. fit un réglement fort étendu pour les chancelleries, qui ordonne entr'autres choses que les six colléges de secrétaires du roi seroient réunis en un seul ; que les Célestins auront par quartier soixante-quinze livres, au lieu d'une bourse dont ils ont coutume de jouir sur la grande chancellerie ; que l'on donnera pareillement soixante livres par quartier aux quatre maîtres de la chambre des comptes de Paris, secrétaires, pour leur tenir lieu des deux sous huit deniers parisis, qu'ils avoient droit de prendre sur chaque lettre de charte visée. Les distributions qui doivent être faites aux petits officiers, sont ensuite reglées ; & l'article suivant porte, que toutes ces sommes seront réputées bourses, & payées à la fin de chaque quartier, sur un rôle qui en sera fait à la confection des bourses ; que du surplus des droits de la grande chancellerie & des petites, il sera fait deux cent quatre-vingt bourses, dont l'une appartiendra au roi comme chef, souverain & protecteur de ses secrétaires, qui lui sera présentée à la fin de chaque quartier par celui des grands audienciers qui l'aura exercé ; une pour le chancelier ou garde des sceaux de France ; une pour le corps des maîtres des requêtes, lesquels au moyen de ce, n'en auront plus dans les chancelleries près les cours ; une à chacun des gardes des rôles des offices de France ; & une à chacun des deux cent quarante secrétaires du roi, sans qu'ils soient obligés à l'avenir de donner leur servivi, ni à aucune résidence ; & une bourse enfin aux deux trésoriers du sceau, à partager entr'eux. Il est dit aussi que les bourses seront faites un mois au plus tard, après chaque quartier fini, par les grand-audiencier & contrôleur-général, en présence & de l'avis des doyen, sousdoyen, des procureurs, des anciens officiers ou députés, trésorier du marc-d'or, & greffier des secrétaires du roi, & du garde des rôles en quartier ; que les veuves des secrétaires du roi décédés, revêtus de leurs offices, jouïront de tous les droits de bourse appartenans aux offices de leurs maris, jusqu'au premier jour du quartier qu'elles se déferont desdits offices ; & que ceux qui s'y feront recevoir, commenceront à jouïr des bourses du premier jour du quartier, d'après celui de leur réception & immatricule.

Le nombre des secrétaires du roi avoit été augmenté par différens édits jusqu'à 340 ; mais en 1724 le nombre en a été réduit à 240, comme ils étoient anciennement, & on leur a attribué les bourses & autres droits qui appartenoient aux offices supprimés. Voyez les ordonnances de la troisieme race. Tessereau, hist. de la chancellerie. Style de la chancellerie, par Dusault, dans le sciendum.

CHANCELLERIE DE BRETAGNE, étoit anciennement la chancellerie particuliere des ducs de Bretagne qui étoit indépendante de celle de France. Les choses changerent de face lorsque la Bretagne se trouva réunie à la couronne par le mariage de Charles VIII. avec Anne de Bretagne, en 1491. Il n'y avoit alors aucune cour souveraine résidente en Bretagne ; le parlement de Paris y députoit seulement en tems de vacation, & cela s'appelloit les grands jours, ou le parlement de Bretagne. Il y avoit aussi une chambre du conseil. La chancellerie de Bretagne servoit alors près des grands jours & de la chambre du conseil, & n'étoit plus qu'une chancellerie particuliere, comme celle des parlemens. C'est ce qui paroît par un édit de Charles VIII. du 9 Décembre 1493, par lequel il abolit le nom & office de chancelier de Bretagne ; il institua seulement un gouverneur & garde-scel en ladite chancellerie, & ordonna qu'elle seroit réglée en tout comme celles de Paris, Bordeaux & Toulouse ; que les lettres seroient rapportées & examinées par quatre conseillers des grands jours. Il déclare qu'aux maîtres des requêtes, en l'absence du chancelier de France, appartient la garde des sceaux ordonnés pour sceller dans les chancelleries de Paris, Toulouse, Bordeaux, Dijon, de l'échiquier de Normandie, de Bretagne, parlement de Dauphiné, & autres. Le même prince, par édit du mois de Mars 1494, abolit le nom & office de chancelier de Bretagne, & régla la chancellerie de cette province comme on avoit accoûtumé d'en user dans les chancelleries de Paris, Bordeaux & Toulouse.

Henri II. ayant institué un parlement ordinaire en Bretagne, supprima l'ancienne chancellerie de Bretagne, & en créa une nouvelle. Il ordonna que dans cette chancellerie il y auroit un garde-scel qui seroit conseiller dans ce parlement, dix secrétaires du roi, un scelleur, un receveur & payeur des gages, quatre rapporteurs, & un huissier ; enfin qu'elle seroit réglée à l'instar de celle de Paris ; ce qui fut confirmé par une déclaration du 19 Juin 1564.

On peut voir les autres réglemens concernant l'exercice & émolumens de cette chancellerie dans Tessereau.

CHANCELLERIES DES BUREAUX DES FINANCES, étoient des chancelleries particulieres établies près de chaque bureau des finances, pour en sceller tous les jugemens, & aussi pour sceller toutes les lettres, commissions & mandemens émanés de ces tribunaux.

Ce fut en exécution des édits & déclarations des mois de Décembre 1557, Juin 1568, & 8 Février 1571, que le roi créa au mois de Mai 1633 un office de trésorier de France général des finances garde de scel.

Par un autre édit du mois d'Août 1636, qui fut publié au sceau le 13 Octobre suivant, il fut créé des offices de secrétaires du roi audienciers, de secrétaires du roi contrôleurs, & autres offices, en chacune des chancelleries des bureaux des finances, de même que dans les cours souveraines & présidiales.

On trouve aussi que par l'édit du mois de Novembre 1707, il fut encore créé deux offices de secrétaires du roi dans chaque bureau des finances.

Le nombre de ces offices de secrétaires du roi fut augmenté dans certains bureaux de finances ; par exemple dans celui de Lille, où on n'en avoit d'abord créé que deux en 1707, on en créa encore douze en 1708.

Ces offices furent supprimés au mois de Mai 1716, & depuis ce tems il n'est plus fait mention de ces chancelleries. Le tribunal a son sceau pour les jugemens. A l'égard des lettres de chancellerie qui peuvent être nécessaires pour les affaires qui s'y traitent, on les obtient dans la chancellerie établie près le parlement dans le ressort duquel est le bureau des finances. Voyez Descorbiac, page 774. & le dictionn. de Brillon, au mot finances, n°. 8. col. 2. & n°. 13. pag. 338.

CHANCELLERIE DES CHAMBRES DE L'EDIT MI-PARTIES ET TRI-PARTIES, étoit une chancellerie particuliere établie près de ces chambres, lorsqu'elles étoient dans des lieux où il n'y avoit pas de chancellerie, pour expédier & sceller toutes les lettres de petite chancellerie qu'obtenoient ceux qui plaidoient dans ces chambres.

La premiere de ces chancelleries fut établie près la chambre mi-partie de Montpellier, créée par édit du mois de Mai 1576. Il ne fut point établi de semblable chancellerie pour les chambres de Paris, ni pour celles des autres parlemens créées par le même édit. L'établissement de cette chancellerie de Montpellier, qui n'étoit encore qu'annoncé dans l'édit dont on vient de parler, fut formé par un édit du mois de Septembre suivant, portant que cette chancellerie seroit pour sceller tous les arrêts, droits, commissions, & autres expéditions des causes, procès, & matieres, dont la connoissance étoit attribuée à la chambre de Montpellier ; que le sceau de cette chancellerie seroit tenu par le maître des requêtes qui se trouveroit alors sur le lieu, & en son absence par les deux plus anciens conseillers de cette chambre, l'un catholique, l'autre de la religion prétendue réformée, dont l'un garderoit le coffre où le sceau seroit mis, & l'autre en auroit la clé ; qu'en l'absence de ces deux conseillers ou de l'un d'eux, les autres plus anciens conseillers de l'une & de l'autre religion feroient la même charge. On créa aussi tous les autres officiers nécessaires pour le service de cette chancellerie.

Il fut établi de semblables chancelleries près des chambres de l'édit d'Agen & de Castres.

CHANCELLERIE DE CHAMPAGNE, étoit anciennement celle des comtes de Champagne. Lorsque cette province fut réunie à la couronne par le mariage de Philippe IV. dit le Hardi, avec Jeanne derniere comtesse de Champagne, on conserva encore la chancellerie particuliere de Champagne, qui étoit indépendante de celle de France. Cet ordre subsistoit encore en 1320, suivant une ordonnance de Philippe V. dit le Long, portant que tous les émolumens de la chancellerie de Champagne tourneroient au profit du roi, comme ceux de la chancellerie de France.

Le même roi étant en son grand-conseil fit don au chancelier Pierre de Chapes, des émolumens du sceau de Champagne, de Navarre, & des Juifs, qu'il avoit reçûs sans en avoir rendu compte ; comme cela fut certifié en la chambre des comptes en jugeant le compte de ce chancelier, le 21 Septembre 1321.

Philippe VI. dit de Valois, par des lettres du 21 Janvier 1328, ordonna que l'on verroit à Troyes les anciens registres, pour savoir combien les chanceliers, de qui le roi avoit alors la cause, prenoient en toutes lettres de Champagne.

Le sciendum de la chancellerie, qui est une espece d'instruction pour les officiers de la chancellerie, que quelques-uns prétendent avoir été rédigé en 1339, d'autres en 1394, d'autres en 1413, & qui étoit certainement fait au plus tard en 1415, fait connoître que l'on conservoit encore à la grande chancellerie l'usage de la chancellerie de Champagne pour les lettres qui concernoient cette province ; & que le droit de la chancellerie de Champagne étoit beaucoup plus fort que celui qu'on payoit pour les lettres de France, c'est-à-dire des autres provinces : par exemple, que les secrétaires & notaires avoient un droit de collation pour lettres ; savoir, pour rémission soixante sous parisis de France, & dix livres onze sous tournois de Brie & Champagne ; pour manumission bourgeoise, noblesse à volonté, mais du moins double collation de France, six livres parisis ; de Brie & Champagne, vingt-trois livres deux sous tournois : que d'une lettre de France en simple queue pour laquelle il étoit dû six sous, le roi en avoit cinq sous parisis ; au lieu que des lettres de Champagne, par exemple des bailliages de Meaux, Troyes, Vitri, & Clermont, pour lesquelles il étoit dû six sous parisis, le roi en avoit six sous tournois : pour une charte de France ou lettre en lacs de soie & en cire verte, qui devoit soixante sous parisis, le roi en avoit dix sous parisis ; mais si la charte étoit de Champagne, savoir des quatre bailliages ci-dessus nommés, il en étoit dû dix livres neuf sous tournois, & le roi en avoit neuf livres. Les officiers de la chancellerie prenoient dans le surplus, chacun leur droit à proportion.

Les chartes des Juifs pour la province de Champagne, payoient autant que quatre lettres ordinaires de Champagne ; l'émolument de ces chartes ou lettres qui étoient pour les Juifs, & de celles qui étoient pour le royaume de Navarre, se distribuoit comme celui des chartes de Champagne.

Le réglement fait pour le sceau par Charles IX. le 30 Février 1561, conserve encore quelques vestiges de la distinction que l'on faisoit de la chancellerie de Champagne, en ce que l'article 41 de ce réglement ordonne que pour chartes de rémissions des bailliages de Chaumont, Troyes, Vitri, & bailliages qui en ont été distraits, on payera comme de coûtume pour chaque impétrant seize livres dix-huit sous parisis, &c. & l'article 45, que des chartes champenoises le roi prendra sept livres quatre sous parisis, & les officiers de la chancellerie chacun à proportion, &c.

On trouve à la fin du style des lettres de chancellerie par Dusault, une taxe ou tarif des droits du sceau, où les rémissions, dites chartes champenoises, sont encore distinguées des rémissions dites chartes françoises, tant pour la grande chancellerie de France que pour celle du palais.

Mais suivant les derniers reglemens de la chancellerie, on ne connoît plus ces distinctions.

CHANCELLERIE DU CHATELET DE PARIS, étoit une des chancelleries présidiales établies par édit du mois de Décembre 1557. Sa destination étoit de sceller tous les jugemens & lettres de justice émanés du présidial du châtelet de Paris, pour les matieres qui sont de sa compétence : il avoit été créé pour cet effet un conseiller garde des sceaux, un clerc commis de l'audience, & autres officiers.

Mais par l'édit du mois de Juin 1594, le roi en confirmant les priviléges des secrétaires du roi, supprima les offices nouvellement créés, moyennant une finance que les anciens payeroient, & qui serviroit au remboursement des officiers de la chancellerie présidiale du châtelet ; & il fut ordonné que toutes les expéditions présidiales du châtelet seroient scellées du sceau de la chancellerie du palais.

Au mois de Février 1674, le roi ayant partagé le tribunal du châtelet en deux siéges, l'ancien & le nouveau châtelet, il créa au mois d'Août suivant une chancellerie présidiale dans chacun de ces deux châtelets, & entr'autres officiers, deux conseillers gardes-scel, l'un pour l'ancien, l'autre pour le nouveau châtelet ; quatre commis aux audiences, & huit huissiers ; & pour distinguer le sceau de chacune de ces deux chancelleries, il fut ordonné que dans celui dont on usoit à l'ancien châtelet seroient gravés ces mots, scel royal du présidial de l'ancien châtelet, & que dans l'autre on mettroit du nouveau châtelet.

Par un arrêt du conseil du 2 Janvier 1675, les secrétaires du roi du grand collége furent confirmés, moyennant finance, dans la propriété & joüissance des droits & émolumens du sceau des chancelleries présidiales du châtelet.

En 1684 les deux châtelets furent réunis ; & par édits du mois d'Avril 1685, les deux chancelleries présidiales furent supprimées.

Depuis ce tems, toutes les lettres dont on a besoin pour le présidial du châtelet sont expédiées en la chancellerie du palais, de même que celles dont on a besoin pour la prevôté & autres chambres dépendantes du siége du châtelet. Voyez ci-devant PETITES CHANCELLERIES, & ci-après CHANCELLERIES PRESIDIALES & CHANCELLERIES DU PALAIS.

CHANCELLERIE DE COLMAR ou D'ALSACE, voyez ci-devant CHANCELLERIE D'ALSACE, CHANCELLERIE PRES LES CONSEILS SOUVERAINS.

CHANCELLERIE COMMUNE, c'est ainsi que l'on appelloit anciennement les émolumens du sceau qui se partageoient entre tous les notaires, secrétaires du roi, & autres officiers de la grande chancellerie de France. Dans une cédule sans date, qui se trouve à la chambre des comptes de Paris, laquelle fait mention de Philippe d'Antogni, qui porta le grand sceau du roi S. Louis, il est dit que des lettres qui devoient 60 sous pour scel, le scelleur prenoit dix sous pour soi & la portion de la commune chancellerie, ainsi comme les autres clercs du roi. Voyez Tessereau, hist. de la chancellerie, & ci-devant CHANCELLERIE, (bourse de)

CHANCELLERIE DES CONSULS DE FRANCE, voyez CHANCELIER DES CONSULS.

CHANCELLERIES PRES LES CONSEILS SOUVERAINS ET PROVINCIAUX. Elles sont de deux sortes.

Celles qui sont près des conseils souverains ont été établies à l'instar des chancelleries des parlemens & autres cours supérieures ; telles sont les chancelleries d'Alsace ou de Colmar, celle de Roussillon ou de Perpignan. Voyez CHANCELLERIE D'ALSACE.

Les chancelleries près des conseils provinciaux sont à l'instar des chancelleries présidiales ; telle est la chancellerie provinciale d'Artois. Voyez CHANCELLERIE PROVINCIALE.

CHANCELLERIE AUX CONTRATS, voyez ci-devant CHANCELLERIE DE BOURGOGNE.

CHANCELLERIE PRES LA COUR DES AIDES, sont des chancelleries particulieres établies auprès de certaines cours des aides, pour expédier au petit sceau toutes les lettres de justice & de grace qui y sont nécessaires.

La premiere fut établie en 1574, près la cour des aides & chambre des comptes de Montpellier, pour éviter, est-il dit, les fraix & vexations que les sujets du roi seroient contraints de supporter s'ils étoient obligés d'aller de Montpellier à Toulouse pour faire sceller leurs expéditions, attendu la grande distance qu'il y a d'un de ces lieux à l'autre.

Il en fut ensuite établi une à Montferrand, qui est présentement sous le titre de chancellerie de Clermont-Ferrand, & une à Montauban.

Il n'y a pas communément de chancelleries près des cours des aides qui sont établies dans les villes où il y a parlement ; la chancellerie du parlement expédie toutes lettres nécessaires, tant pour le parlement que pour la cour des aides. Il y a cependant une chancellerie particuliere près la cour des aides de Roüen, & une près de celle de Bordeaux.

Les cours des aides d'Agen & de Cahors avoient aussi chacune leur chancellerie, mais le tout a été supprimé.

CHANCELLERIE PRES LA COUR DES MONNOIES DE LYON, est une des petites chancelleries établies près les cours supérieures. Avant qu'il y eût une cour des monnoies dans cette ville, il n'y avoit qu'une chancellerie présidiale qui étoit établie en conséquence de l'édit du mois de Décembre 1557. Le roi ayant créé en 1704 une cour des monnoies dans cette ville, & y ayant uni en 1705 la sénéchaussée & siége présidial, pour ne faire à l'avenir qu'un même corps ; la chancellerie présidiale a aussi été érigée sous le titre de chancellerie près la cour des monnoies, & fait depuis ce tems toutes les fonctions nécessaires, tant pour la cour des monnoies que pour le présidial. Elle est composée d'un garde-scel, de quatre secrétaires du roi audienciers, de quatre contrôleurs, de quinze secrétaires du roi, deux référendaires, un receveur des émolumens du sceau, un chauffe-cire, un trésorier-payeur, & un greffier.

CHANCELLERIES PRES LES COURS SUPERIEURES, c'est-à-dire près les parlemens, conseils supérieurs, chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, sont celles où s'expédient toutes les lettres de justice & de grace ordinaires. Il y en a une près de chacun des douze parlemens, près des chambres des comptes de Nantes, de Dole & de Blois ; près des cours des aides de Roüen, Bordeaux, de Montpellier, Clermont-Ferrand & Montauban ; une près de la cour des monnoies de Lyon, & une près les conseils supérieurs d'Alsace à Colmar, & de Roussillon à Perpignan.

Il y a dans chacune de ces chancelleries un garde des sceaux qui tient le sceau en l'absence des maîtres des requêtes, auxquels, lorsqu'il s'en trouve quelqu'un sur le lieu, le sceau doit être porté, suivant la disposition d'un édit de Charles VIII. du 11 Décembre 1493.

Il y a aussi dans ces chancelleries des secrétaires-audienciers, des contrôleurs, des secrétaires du roi qu'on appelle du petit collége, des référendaires, des greffiers, & autres officiers.

Les gardes des sceaux, audienciers, contrôleurs & secrétaires du roi de ces petites chancelleries, qui sont au nombre de plus de 500, joüissent de la noblesse.

Dans la chancellerie du palais à Paris il n'y a point de garde des sceaux ; ce sont les maîtres des requêtes qui y tiennent le sceau, chacun à son tour pendant un mois. Voyez CHANCELLERIES DU PALAIS & PETITES CHANCELLERIES.

Il y a eu autrefois des chancelleries près les chambres de l'édit d'Agen & de Castres, & près les cours des aides d'Agen & de Cahors ; mais ces cours ne subsistant plus, on a supprimé aussi les chancelleries qui avoient été créées pour elles. Voyez la compilation des ordonnances par Blanchard.

CHANCELLERIE DE DAUPHINE. Cette chancellerie peut être considérée sous trois différens états ; c'étoit d'abord la chancellerie particuliere des dauphins de Viennois, lorsque cette province formoit une souveraineté particuliere. Depuis la réunion de cette province à la France en 1343, la chancellerie de Dauphiné fut regardée comme une chancellerie propre aux fils ou petits-fils de France qui avoient le titre de dauphin. Jusqu'alors cette chancellerie servoit près le conseil delphinal, qui avoit été créé par Humbert II. dauphin de Viennois, dès l'an 1340 ; mais Louis XI. qui n'étoit encore que dauphin de France, ayant érigé en 1453 ce conseil delphinal sous le titre de parlement de Grenoble, la chancellerie de Dauphiné est devenue la chancellerie servant près ce parlement. Elle a toûjours conservé le nom de chancellerie de Dauphiné. Enfin depuis que les dauphins de France ne joüissent plus du Dauphiné, comme cela s'est pratiqué depuis l'avénement de Louis XI. à la couronne, la chancellerie de Dauphiné a été dépendante du roi directement, comme celle des autres parlemens ; & ce n'est que depuis ce tems qu'il en est fait mention dans les ordonnances de nos rois, comme d'une de leurs chancelleries. La premiere qui en parle est un édit de Charles VIII. du 11 Décembre 1493, portant qu'aux huit maîtres des requêtes de l'hôtel, à cause des prérogatives de leurs offices, appartient en l'absence du chancelier de France, la garde des sceaux ordonnés pour sceller en nos chancelleries de Paris, Toulouse, Bordeaux, Dijon, de l'échiquier de Normandie, Bretagne, parlement de Dauphiné, & autres, quand ils se trouveront ou surviendront en lieux où se tiendront lesdites chancelleries.

La chancellerie de Dauphiné ne fut érigée en titre d'offices formés, que par édit du mois de Juillet 1535. Elle fut d'abord composée d'un garde-scel, un audiencier, un contrôleur, deux référendaires, & un chauffe-cire. En 1553, il fut créé un office de conseiller au parlement de Grenoble, pour être uni à celui de garde-scel de la chancellerie. Au mois de Février 1628, le nombre des officiers fut augmenté de trois audienciers, trois contrôleurs, deux référendaires, un chauffe-cire, & un huissier. Il fut dit que les quatre contrôleurs serviroient par quartier ; & en général que, soit pour les fonctions, soit pour le partage des émolumens, cette chancellerie se régleroit à l'instar de celle de Paris. Le 9 Janvier 1646, il fut fait un réglement au conseil privé, à l'occasion de la chancellerie de Dauphiné, portant défenses de sceller aucunes lettres dans cette chancellerie, ni dans aucune autre, que ce ne soit en plein sceau, aux jours & heures accoûtumés dans la chancellerie.

Il fut encore fait un autre réglement pour cette chancellerie, au conseil le 15 Février 1667, qui fut revêtu de lettres patentes, & par lequel on défendit, entr'autres choses, aux officiers du présidial de Valence & de la chancellerie de ce présidial, à leurs greffiers d'appeaux, aux baillifs, vice-baillifs, sénéchaux, vice-sénéchaux, prevôts, juges royaux & subalternes, d'accorder aucunes lettres de debitis ; rescisions, restitutions, requêtes civiles, lettres d'illico, bénéfice d'âge, d'inventaire, répi, & autres semblables.

Au mois de Mars 1692, il fut créé des offices de greffiers, gardes & conservateurs des minutes, & expéditionnaires des lettres & autres expéditions de la chancellerie établie près le parlement de Grenoble ; & par une déclaration du 7 Juillet 1693, ces offices furent unis à la communauté des procureurs du même parlement, comme ils le sont à Paris.

Enfin par une déclaration du 30 Mars 1706, le roi unit l'office de conseiller au parlement de Grenoble, créé par l'édit du mois de Décembre 1553, avec celui de conseiller garde des sceaux de la chancellerie, créé par édit du mois d'Octobre 1704. Cet édit en avoit créé pour toutes les cours.

Pour savoir les autres réglemens qui peuvent convenir à la chancellerie de Dauphiné, & les priviléges de ses offices, voyez CHANCELLERIES PRES LES PARLEMENS, & aux mots AUDIENCIER, CONTROLEURS, SECRETAIRES DU ROI, &c.

CHANCELLERIE DE DIJON, est de deux sortes ; savoir la chancellerie établie près le parlement de Dijon, comme les chancelleries établies près des autres parlemens ; & l'autre est la chancellerie aux contrats, qui est l'une des chancelleries de cette espece établies dans le duché de Bourgogne. Pour connoître plus amplement ce qui concerne l'une & l'autre, voyez ci-devant CHANCELLERIE DE BOURGOGNE.

CHANCELLERIE DE DOLE, est celle qui est établie près la chambre des comptes, cour des aides, du domaine, finances, & grande voirie de Dole. Elle fut créée par édit du mois de Septembre 1696, & composée de plusieurs officiers, dont le nombre fut augmenté par édit du mois de Novembre 1698. Voyez CHANCELLERIES PRES LES CHAMBRES DES COMPTES & COURS DES AIDES.

CHANCELLERIE DE L'ECHIQUIER DE NORMANDIE ou DE ROUEN, voyez CHANCELLERIE DE ROUEN.

CHANCELLERIE D'EGLISE, est la dignité ou office de chancelier d'une église cathédrale ou collégiale. Ce terme de chancellerie se prend aussi quelquefois pour le lieu où le chancelier d'église demeure, ou bien pour le lieu où il fait ses fonctions, c'est-à-dire où il scelle les actes, supposé qu'il soit dépositaire du sceau de l'église, comme il l'est ordinairement.

Bouchel en sa bibliotheque canonique, au mot chancelier, rapporte un arrêt du 6 Février 1606, qui jugea que la chancellerie de l'église de Meaux étoit, non pas une simple chanoinie, mais dignité & personnat sujette à résidence actuelle, & chargée d'enseigner le chant de l'église à ceux qui font le service ordinaire ; que les fruits échus pendant l'absence du chancelier accroissoient au profit des doyen, chanoines, & chapitre de cette église, à l'exception de ceux qui étoient échus pendant l'absence du chancelier pour le service de l'évêque, lesquels devoient être rendus au chancelier. Cela dépend de l'usage du chapitre, & de la qualité de l'office de chancelier. Voyez ci-devant CHANCELIERS DES EGLISES, & ci-après CHANCELLERIE ROMAINE.

CHANCELLERIES D'ESPAGNE, sont des tribunaux souverains, qui connoissent de certaines affaires dans leur ressort.

Elles doivent leur établissement à dom Henri II. lequel voyant que le conseil royal de Castille étoit surchargé d'affaires, & que les parties se consumoient en frais, sans pouvoir parvenir à les faire finir, proposa aux états généraux qui furent convoqués à Toro, d'établir un tribunal souverain à Medina del campo, sous le nom de chancellerie royale, pour décharger le conseil d'une partie des affaires.

Dom Jean I. lors des états par lui convoqués à Ségovie, fit quelques changemens par rapport à cette chancellerie.

Aux états généraux, tenus à Tolede sous Ferdinand le Catholique & Isabelle son épouse, ils perfectionnerent encore ces établissemens. Enfin aux états qu'ils convoquerent à Medina del campo en 1494, ils reglerent la chancellerie comme elle est aujourd'hui, & fixerent le lieu de la séance à Valladolid, comme plus proche du centre de l'Espagne.

Quelque tems après, considérant qu'il y avoit beaucoup de plaideurs éloignés de ce lieu, ils établirent une seconde chancellerie d'abord à Ciudad Real ; & en 1494, ils la transférerent à Grenade dont le ressort s'étend sur tout ce qui est au-delà du Tage ; celle de Valladolid ayant pour territoire tout ce qui est en-deçà, à la réserve de la Navarre où il y a un conseil souverain.

La chancellerie de Valladolid est composée d'un président qui doit être homme de robe, de seize auditeurs, de trois alcades criminels, & de deux autres pour la conservation des priviléges des gentilshommes ; d'un juge conservateur des priviléges de Biscaie, d'un fiscal, un protecteur, deux avocats, un procureur des pauvres, un alguazil mayor, un receveur des gages, quarante écrivains, & quatre portiers. Elle est divisée en quatre salles, qu'on appelle salles des auditeurs.

Celle de Grenade n'est composée que d'un président, seize auditeurs, deux alcades criminels, deux autres pour la conservation des priviléges des gentilshommes, un fiscal, un avocat, un procureur pour les pauvres, six receveurs de l'audience, un receveur des amendes, six écrivains, un alguazil, & deux portiers.

Le pouvoir de ces deux chancelleries est égal : elles connoissent en premiere instance de tous les procès appellés de coste, ce qu'on appelle en France cas royaux (à moins que le roi n'en ordonne autrement), de tous ceux qui sont à cinq lieues de la ville où réside la chancellerie, & de tous ceux qui concernent les corrégidors, les alcades, & autres officiers de justice qui y ont leurs causes commises, de même que les gentilshommes, lorsqu'il s'agit de leurs priviléges.

Elles connoissent par appel des sentences des juges ordinaires & délégués, à la réserve des redditions de compte ; des lettres exécutoires du conseil sur les matieres qui y ont été jugées, soit interlocutoirement ou définitivement ; des informations & enquêtes faites par ordre du roi ; des sentences des alcades de la cour en matiere criminelle, & des affaires commencées au civil, au conseil royal, supposé que la cour soit résidente à 20 lieues de la demeure des parties.

Les juges y donnent leurs suffrages par écrit ; sur un registre, sur lequel le président doit garder le secret.

Ceux qui voudront voir plus au long la maniere dont on procede dans ces tribunaux, peuvent consulter l'état présent de l'Espagne, par M. L. de Vayrac, tome III. pag. 366. & suiv.

CHANCELLERIE (grande), voyez ci-devant CHANCELLERIE DE FRANCE.

CHANCELLERIE DES GRANDS JOURS, étoit une chancellerie particuliere que le roi établissoit près des grands jours ou assises, qui se tenoient de tems en tems dans les provinces éloignées.

Il fut établi une chancellerie de cette espece aux grands jours de Poitiers, par déclaration du 23 Juillet 1634 ; & une autre près les grands jours de Clermont en Auvergne, par déclaration du 12 Septembre 1665.

Ces chancelleries ne subsistoient que pendant la séance des grands jours. Voyez l'histoire de la chancellerie par Tessereau.

CHANCELLERIE DE GRENOBLE, voyez CHANCELIER & CHANCELLERIE DE DAUPHINE.

CHANCELLERIE (grosse), étoit le nom que l'on donnoit anciennement aux lettres de chancellerie les plus importantes, qui étoient expédiées en cire verte, à la différence des autres lettres qui n'étoient scellées qu'en cire jaune, qu'on appelloit menue chancellerie, parce que l'émolument en étoit moindre que celui des lettres en cire verte. Il est dit dans une piece qui est au registre B de la chambre des comptes, feuillet 124, que ceux de la chambre des comptes avant d'être résidens à Paris, comme ils ont été depuis S. Louis, signoient dans l'occasion, comme notaires, les lettres qui devoient être scellées du grand sceau du roi, & qu'ils partageoient à la grosse & menue chancellerie, jusqu'à ce que Guillaume de Crespy, chancelier, suspendit aux clercs des comptes leur part de la chancellerie, parce qu'ils ne suivoient plus la cour.

Philippe VI. dit de Valois, manda au chancelier par ses lettres-chartes, données le 8 Février 1318, en la grosse chancellerie de cire verte, qu'il fît dorénavant une bourse pour chacun de ses cinq clercs maîtres de sa chambre des comptes, au lieu qu'auparavant il n'y en avoit que trois. Voy. Miraumont, orig. de la chancellerie ; & Tessereau, histoire de la chancellerie.

CHANCELLERIE DES JUIFS, étoit le lieu où on scelloit toutes les obligations passées en France au profit des Juifs ; ils ne pouvoient poursuivre leurs débiteurs en conséquence de leurs promesses, qu'elles ne fussent scellées ; & pour cet effet l'on n'usoit ni du scel royal ni de celui des seigneurs sous lesquels les Juifs contractans demeuroient : ils avoient un sceau particulier destiné à sceller leurs obligations, parce que suivant leur loi ils ne pouvoient se servir des figures d'hommes empreintes, gravées ou peintes.

Dans une ordonnance de Philippe-Auguste, du premier Septembre (année incertaine), il étoit dit qu'il y auroit dans chaque ville deux hommes de probité qui garderoient le sceau des Juifs, & feroient serment sur l'évangile de n'apposer le sceau à aucune promesse, qu'ils n'eussent connoissance par eux-mêmes ou par d'autres, que la somme qu'elle contenoit étoit légitime.

Louis VIII. en 1320, ordonna qu'à l'avenir les Juifs n'auroient plus de sceau pour sceller leurs obligations.

Il paroît néanmoins que l'on distingua encore pendant quelque tems la chancellerie particuliere des Juifs de la grande chancellerie de France.

Philippe V. ordonna au mois de Février 1320, que ces émolumens de la chancellerie des Juifs tourneroient au profit du roi, comme ceux de la chancellerie de France.

Mais l'expulsion que ce prince fit des Juifs l'année suivante, dut faire anéantir en même tems leur chancellerie particuliere.

Le sciendum de la chancellerie, que quelques-uns croyent avoir été rédigé en 1415, ne parle pas nommément de cette chancellerie ; mais il en conserve encore quelques vestiges, en ce que les lettres des Juifs y sont distinguées des lettres de France & de Champagne. Voyez Heineccius, de sigillis, part. I. cap. iij. les ordonnan. de la troisieme race, tome I. Tessereau, histoire de la chancellerie.

CHANCELLERIES DES JUSTICES ROYALES, voyez ci-dev. CHANCELIERS DES JURISDICTIONS ROYALES, CHANCELLERIES PRES LES COURS, CHANCELLERIES PRESIDIALES & PROVINCIALES, & CHANCELLERIE DE ROUERGUE.

CHANCELLERIE DE LANGUEDOC, est celle qui est établie près le parlement de Toulouse. Il y avoit anciennement plusieurs chancelleries particulieres dans le Languedoc. Voyez ci-devant CHANCELIER DES JUSTICES ROYALES, CHANCELIER DE LA MAISON COMMUNE DE TOULOUSE, CHANCELIER DU SOUS-VIGUIER DE NARBONNE. Il y a encore présentement en Languedoc, outre la chancellerie qui est près le parlement, plusieurs autres chancelleries près les cours supérieures, & des chancelleries présidiales.

CHANCELLERIE (menue), c'est le nom que l'on donnoit anciennement aux lettres de chancellerie les moins importantes, que l'on scelloit de cire jaune, à la différence des autres que l'on appelloit grosse chancellerie de cire verte. Voyez Miraumont, origine de la chancellerie ; & ci-dev. CHANCELLERIE (grosse).

CHANCELLERIE DE METZ : Le roi ayant par un édit du mois de Janvier 1633, ordonné l'établissement du parlement de Metz ; par un autre édit du même mois il créa une chancellerie près de ce parlement, composée d'un garde des sceaux qui seroit un des conseillers de ce parlement, deux audienciers, deux contrôleurs, deux référendaires, un chauffe-cire, & deux huissiers. Le parlement de Metz ayant été transféré à Toul en 1636, la chancellerie suivit le parlement. Ce même parlement de retour à Metz, ayant été rendu semestre au mois de Mai 1661, la chancellerie fut augmentée d'un office de garde-scel, de deux audienciers, de deux contrôleurs, deux référendaires, un receveur de l'émolument du sceau, un chauffe-cire, & trois huissiers, aux mêmes fonctions & droits dont joüissoient les autres officiers ; & la totalité a été distribuée en deux semestres comme les officiers du parlement.

Au mois de Mai 1691, le nombre des officiers fut encore augmenté de quatre secrétaires du roi & de quatre huissiers. Pour le surplus des fonctions & droits des officiers de cette chancellerie, voyez AUDIENCIERS, CONTROLEURS, SECRETAIRES DU ROI, CHANCELLERIE PRES LES PARLEMENS.

CHANCELLERIE DE MONTPELLIER, est celle qui est établie près la cour des aides de cette ville. Voyez CHANCELLERIE PRES LES COURS DES AIDES.

Il y a eu encore une autre chancellerie établie à Montpellier en 1576, près la chambre de l'édit ; mais cette chambre ni sa chancellerie ne subsistent plus.

CHANCELLERIE DE NAVARRE, voyez CHANCELIER DE NAVARRE.

CHANCELLERIE DU PALAIS, qu'on appelle aussi la petite chancellerie, pour la distinguer de la grande chancellerie de France, est la chancellerie particuliere établie près le parlement de Paris, pour expédier aux parties toutes les lettres de justice & de grace qui sont scellées du petit sceau, tant pour les affaires pendantes au parlement, que pour toutes les autres cours souveraines & autres jurisdictions royales & seigneuriales qui sont dans l'étendue de son ressort, soit à Paris ou dans les provinces.

Cette petite chancellerie est la premiere & la plus ancienne des chancelleries particulieres établies près les parlemens & autres cours souveraines. On l'a appellée chancellerie du palais, parce qu'elle se tient à Paris dans le palais près le parlement, dans le lieu où l'on tient que S. Louis avoit son logement, & singulierement sa chambre ; car sa grande salle étoit où est présentement la tournelle criminelle.

Il est assez difficile de déterminer en quelle année précisément, & de quelle maniere s'est formée la chancellerie du palais.

On conçoit aisément que jusqu'en 1302, que Philippe-le-Bel rendit le parlement sédentaire à Paris, & lui donna le palais pour tenir ses séances, il n'y avoit point de chancellerie particuliere près le parlement.

On trouve bien que dès 1303 il y avoit en Auvergne des chanceliers ou gardes des sceaux, qui gardoient le scel du tribunal ; & qu'il y avoit aussi dès 1320 trois chancelleries particulieres ; savoir, celle de Champagne, celle de Navarre, & celle des Juifs ; mais cela ne prouve point qu'il eût une chancellerie près le parlement.

Dutillet fait mention d'une ordonnance de Philippe-le-Long du mois de Décembre 1316, contenant l'état de son parlement, dans lequel sont nommés trois maîtres des requêtes qui étoient commis pour répondre les requêtes de la langue françoise, & six autres pour répondre les requêtes de Languedoc : c'étoit sur ces requêtes que l'on délivroit des lettres de justice ; ensorte que l'on peut regarder cette ordonnance comme l'origine de la chancellerie du palais & de celle de Languedoc, qui est présentement près le parlement de Toulouse.

Philippe-le-Long, par une autre ordonnance du mois de Novembre 1318, ordonna qu'il y auroit toûjours auprès de lui deux maîtres des requêtes, un clerc & un laïc, lesquels, quand le parlement ne tiendroit point, délivreroient les requêtes de justice, c'est-à-dire les lettres ; & que quand le parlement tiendroit, ils les renvoyeroient au parlement. Ils devoient aussi examiner toutes les lettres qui devoient être scellées du grand sceau, & ces lettres étoient auparavant scellées du scel secret que portoit le chambellan : mais cette ordonnance ne parle point du petit sceau.

Sous Philippe de Valois, le chancelier étant absent pour des affaires d'état, & ayant avec lui le grand sceau, le roi commit deux conseillers pour visiter les lettres que l'on apporteroit à l'audience, & les faire sceller du petit scel du châtelet, & contre-sceller du signet du parlement.

Pendant l'absence du roi Jean, les lettres furent scellées du sceau du châtelet de Paris. Les chanceliers userent du petit sceau en l'absence du grand, depuis l'an 1318 jusqu'en 1380. Ce petit sceau étoit celui du châtelet, excepté néanmoins que pendant le tems de la régence on se servit du sceau particulier du régent.

Cependant en 1357 le chancelier étant de retour d'Angleterre, & y ayant laissé les sceaux par ordre du roi, on voulut user d'autres sceaux que de celui du châtelet ; mais il ne paroît pas que cela eût alors d'exécution.

Il y avoit près du parlement, dès l'an 1318, un certain nombre de notaires-secrétaires du roi qui étoient commis pour les requêtes. Ils assistoient au siége des requêtes, & écrivoient les lettres suivant l'ordre des maîtres des requêtes ; ils ne devoient point signer les lettres qu'ils avoient eu ordre de rédiger, avant qu'elles eussent été lûes au siége, ou du moins devant celui des maîtres qui les avoit commandées ; & suivant des ordonnances de 1320, on voit que ces notaires du roi faisoient au parlement la même fonction qu'à la grande chancellerie. Il étoit encore d'usage en 1344, qu'après avoir expédié les lettres, ils les signoient de leur signet particulier connu au chancelier, & les lui envoyoient pour être scellées.

Au mois de Novembre 1370, Charles V. à la priere du college de ses clercs-secrétaires & notaires, leur accorda une chambre dans le palais, au coin de la grande salle du côté du grand pont, où les maîtres des requêtes de l'hôtel avoient coûtume de tenir, & tenoient quelquefois les requêtes & placets ; il fut dit qu'ils feroient appareiller cette chambre de fenêtres, vitres, bancs, & autres choses nécessaires ; qu'ils pourroient aller & venir dans cette chambre quand il leur plairoit, écrire & faire leurs lettres & écritures, & s'y assembler & parler de leurs affaires. Il paroît que ce fut-là le premier endroit où se tint la chancellerie du palais : mais depuis l'incendie arrivé au palais en 1618, la chancellerie a été transférée dans l'ancien appartement de S. Louis, où elle est présentement.

Le premier article des statuts arrêtés entre les secrétaires du roi le 24 Mai 1389, porte qu'ils feront bourse commune de tous les droits de collation des lettres qu'ils signeroient ou collationneroient, soit qu'elles fussent octroyées par le roi en personne, ou dans son conseil, par le chancelier, ou par le grand-conseil, ou par le parlement, par les maîtres des requêtes de l'hôtel, par la chambre des comptes, par les trésoriers ; ou qu'elles fussent extraites du registre de l'audience, ou autrement.

En 1399 il fut établi une chancellerie près des grands jours tenus à Troyes.

Le sciendum de la chancellerie, que quelques-uns croyent avoir été rédigé en 1415, ne fait point encore mention de la chancellerie du palais.

La premiere fois qu'il soit parlé de chancellerie au plurier, c'est dans l'édit de Louis XI. du mois de Novembre 1482, par lequel en confirmant les priviléges des notaires-secrétaires du roi, il dit qu'ils étoient institués pour être & assister ès chancelleries, quelque part qu'elles fussent tenues.

Enfin on ne peut douter que la chancellerie du palais ne fût établie en 1490, puisqu'il y en avoit dèslors une à Toulouse. Il n'y eut d'abord que ces deux chancelleries particulieres ; mais en 1493 on en établit de semblables à Bordeaux, à Dijon, en Normandie, Bretagne, Dauphiné.

Depuis ce tems il a été fait divers réglemens, qui sont communs à la chancellerie du palais & aux autres petites chancelleries, & singulierement à celles qui sont établies près des parlemens & autres cours supérieures.

La chancellerie du palais a cependant un avantage sur celles des autres cours ; c'est que le sceau y est toûjours tenu par les maîtres des requêtes, chacun à son tour, pendant un mois, suivant l'ordre de réception, dans chaque quartier où ils sont distribués, excepté le premier mois de chaque quartier, où le sceau est toûjours tenu par le doyen des doyens des maîtres des requêtes, qui est conseiller d'état ; au lieu que dans les chancelleries des autres cours, les maîtres des requêtes ont bien également le droit d'y tenir le sceau, mais ils n'y sont pas ordinairement ; c'est un garde-scel qui tient le sceau en leur absence.

Le procureur général des requêtes de l'hôtel, qui a titre & fonction de procureur général de la grande chancellerie de France, & de toutes les autres chancelleries du royaume, a droit d'assister au sceau de la chancellerie du palais, & a inspection sur les lettres qui s'y expédient & sur les officiers du sceau, pour empêcher les clauses vicieuses & les surprises que l'on pourroit commettre dans les lettres, & faire observer la discipline établie entre les officiers de cette chancellerie.

Il y a encore pour cette chancellerie des officiers particuliers, autres que ceux de la grande chancellerie de France ; savoir, quatre secrétaires du roi audienciers, & quatre secrétaires du roi contrôleurs qui servent par quartier : il n'y a point de secrétaire du roi particulier pour cette chancellerie ; ce sont les secrétaires du roi de la grande chancellerie de France, qui font dans l'une & dans l'autre ce qui est de leur ministere.

Les autres officiers particuliers de la chancellerie du palais sont dix conseillers rapporteurs référendaires, un trésorier qui est le même pour la grande & la petite chancellerie, quatre autres receveurs des émolumens du sceau qui servent par quartier, huit greffiers gardes-minutes des lettres de chancellerie, établis par édit du mois de Mars 1692. & réunis au mois d'Avril suivant à la communauté des procureurs, qui fait pourvoir à ces offices ceux de ses membres qu'elle juge à propos. Il y a aussi plusieurs huissiers pour le service de cette chancellerie. Voyez Tessereau, histoire de la chancellerie.

CHANCELLERIES PRES LES PARLEMENS, sont les chancelleries particulieres établies près de chaque parlement, pour expédier toutes les lettres de justice & de grace qui se donnent au petit sceau.

Il n'y avoit anciennement qu'une seule chancellerie en France.

Peu de tems après que le parlement de Paris eut été rendu sédentaire à Paris, la chancellerie du palais commença à se former : on en établit ensuite une près le parlement de Toulouse ; & l'on a fait la même chose à l'égard des autres parlemens, à mesure qu'ils ont été institués. A Paris c'est un maître des requêtes qui tient le sceau : dans les autres parlemens, les maîtres des requêtes ont bien le même droit ; mais comme ils ne s'y trouvent pas ordinairement, le sceau est tenu en leur absence par un conseiller garde des sceaux. Chaque chancellerie est en outre composée de plusieurs audienciers & contrôleurs, d'un certain nombre de secrétaires du roi, de référendaires, scelleurs, un chauffe-cire, des greffiers gardes-minutes, & des huissiers. Le nombre de ces officiers n'est pas égal dans tous ces parlemens. Voyez CHANCELLERIE DU PALAIS, DE TOULOUSE : DIJON, &c.

CHANCELLERIE, (petite) est celle où l'on scelle des lettres avec le petit sceau, à la différence de la grande chancellerie ou chancellerie de France, dont les lettres sont scellées avec le grand sceau. La grande chancellerie est unique en son espece, au lieu qu'il y a grand nombre de petites chancelleries.

Elles sont de deux sortes ; les unes qui sont établies près les parlemens ou autres cours supérieures dans les villes où il n'y a pas de parlement. Il y a néanmoins à Roüen & à Bordeaux deux chancelleries, une près le parlement, l'autre près la cour des aides de la même ville. Il y a en tout vingt-deux petites chancelleries établies près des parlemens ou autres cours supérieures.

Les autres petites chancelleries qu'on appelle aussi chancelleries présidiales, sont établies près des présidiaux dans les villes où il n'y a pas de parlement, ni autres cours supérieures.

On scelle dans ces petites chancelleries toutes les lettres de justice & de grace qui s'accordent au petit sceau : ces lettres de justice sont les reliefs d'appel simple ou comme d'abus, les anticipations, compulsoires, rescisions, les requêtes civiles, commissions pour assigner, & autres semblables.

Les lettres de grace qui s'y expédient sont les bénéfices d'âge ou émancipation de bénéfice d'inventaires, committimus, terrier, d'attribution de jurisdiction pour criées, de main souveraine, d'assiete & autres.

Il y a dans chacune des ces petites chancelleries un garde des sceaux, des audienciers, des secrétaires du roi, des référendaires, chauffes-cire, & autres officiers. Voyez Miraumont, origine de la chancellerie ; Tessereau, hist. de la chancellerie ; & les articles CHANCELLERIES PRES LES COURS, CHANCELLERIES PRESIDIALES, PETIT SCEAU.

CHANCELLERIES DE POITIERS : la premiere fut établie dans cette ville par des lettres données à Niort le 21 Septembre 1418, par le dauphin Charles régent & lieutenant du roi par tout son royaume. Il commit, de l'autorité du roi dont il usoit en cette partie, un président du parlement, trois maîtres des requêtes de l'hôtel du roi & du régent, & deux conseillers au parlement, lors séant à Poitiers, pour tenir les sceaux de la chancellerie à Poitiers en l'absence du chancelier, pour l'expédition de toutes les lettres, tant de la cour de parlement de Poitiers, qu'autres, excepté celles de dons & provisions d'offices des pays de l'obéissance du régent. Il y avoit néanmoins alors un chancelier de France & du régent. Cette chancellerie subsista jusqu'en 1436, que le parlement fut rétabli à Paris.

Louis XIII. ayant ordonné en 1634 la tenue des grands jours en la ville de Poitiers, & étant nécessaire qu'il y eût une chancellerie près la cour des grands jours, afin que l'exécution des arrêts & autres actes de justice qui en émaneroient fût faite avec moins de fraix, il fit expédier au mois de Juillet 1634 une commission qui fut registrée aux grands jours, & publiée en la chancellerie du même lieu, de l'ordonnance d'un maître des requêtes tenant le sceau ; par laquelle S. M. commit le grand-audiencier de France & plusieurs autres officiers de chancellerie, pour chacun en la fonction de leur charge servir le roi en ladite chancellerie, y expédier & signer toutes lettres de justice, arrêts, & autres expéditions de chancellerie, avec le même pouvoir, force, & vertu que celles qui s'expédient en la chancellerie étant près le parlement de Paris, & aux mêmes droits & émolumens du sceau portés par les arrêts & réglemens. Il ne paroît pas que l'on eût établi de chancellerie à Poitiers lors des grands jours, qui y furent tenus en 1454, 1531, 1541, 1567, & 1579.

Il y avoit dès 1557 une chancellerie présidiale à Poitiers, établie en conséquence de l'édit du mois de Décembre 1557, portant création des premieres chancelleries présidiales. Cette chancellerie y est encore subsistante. Voyez CHANCELLERIE PRESIDIALE.

CHANCELLERIES PRESIDIALES, sont celles établies près de chaque présidial, pour y expédier & sceller toutes les lettres de requêtes civiles, restitutions en entier, reliefs d'appel, desertions, anticipations, acquiescemens, & autres semblables, qui sont nécessaires dans toutes les affaires dont la connoissance est attribuée aux présidiaux, soit au premier ou au second chef de l'édit.

Les premieres chancelleries présidiales ont été créées par édit du mois de Décembre 1557. Il en a été créé dans la suite plusieurs autres, à mesure que le nombre des présidiaux a été augmenté. Il y en a eu aussi quelques-unes de supprimées, notamment dans les villes où il y a quelque cour supérieure ; par exemple on a supprimé celles de l'ancien & du nouveau châtelet de Paris.

Pour l'exercice de ces chancelleries présidiales, le roi leur a attribué à chacune un scel particulier aux armes de France, autour duquel sont gravés ces mots, le scel royal du siége présidial de la ville de, &c. Le sceau y est tenu par un conseiller garde des sceaux. Les maîtres des requêtes ont néanmoins droit de le tenir, lorsqu'il s'en trouve quelqu'un sur le lieu.

Par l'édit de 1557, le roi avoit créé pour chaque chancellerie présidiale un office de conseiller garde des sceaux, & un office de clerc commis à l'audience, pour sceller les expéditions & recevoir les émolumens. Ces offices ayant été supprimés par édit du mois de Février 1561, furent rétablis par un autre édit du mois de Février 1675, qui ordonna en outre que les greffiers d'appeaux signeroient les lettres de ces chancelleries en l'absence des secrétaires du roi. En 1692 on créa les greffiers garde-minutes & expéditionnaires des lettres de chancellerie pour les présidiaux ; & par édit de Novembre 1707, le roi créa dans chaque chancellerie présidiale deux audienciers, deux contrôleurs, deux secrétaires du roi, à l'exception des présidiaux des villes où il y a parlement ; mais les offices créés par cet édit furent supprimés au mois de Décembre 1708. Le nombre des officiers des chancelleries présidiales fut fixé par édit de Juin 1715, à un conseiller garde-scel, deux conseillers-secrétaires-audienciers, deux conseillers-secrétaires-contrôleurs, & deux conseillers-secrétaires.

Enfin tous les offices qui avoient été créés pour les chancelleries présidiales, ont été supprimés par un édit du mois de Décembre 1727, qui ordonne que les fonctions du sceau dans ces chancelleries seront faites à l'avenir ; savoir, pour la garde du sceau, par le doyen des conseillers de chaque présidial, ou par telles autres personnes qu'il plaira au garde des sceaux de France de commettre : & à l'égard des fonctions d'audienciers, contrôleurs, & de secrétaires, qu'elles seront faites par les greffiers des appeaux des présidiaux en l'absence des conseillers-secrétaires du roi établis près les cours, conformément aux édits de Décembre 1557, & de Février 1575.

Il y a un arrêt du conseil d'état du roi du 21 Avril 1670, qui contient un ample réglement pour les chancelleries présidiales : il est rapporté par Tessereau, hist. de la chancellerie.

CHANCELLERIE DE PROVENCE, voyez CHANCELLERIE D'AIX.

CHANCELLERIE PROVINCIALE, est celle qui est établie près d'un conseil provincial.

Telle est la chancellerie provinciale d'Artois, qui a été créée par édit du mois de Février 1693.

Il y en a une semblable près le conseil provincial de Hainaut.

Ces chancelleries sont établies à l'instar des chancelleries présidiales. Voyez CHANCELLERIES PRESIDIALES.

CHANCELLERIE ROMAINE, est le lieu où on expédie les actes de toutes les graces que le pape accorde dans le consistoire, & singulierement les bulles des archevêchés, évêchés, abbayes, & autres bénéfices réputés consistoriaux. Voyez BENEFICE, NSISTOIREOIRE.

L'origine de cet établissement est fort ancien ; car l'office de chancelier de l'église romaine, qui étoit autrefois le premier officier de la chancellerie, étoit connu dès le tems du vj. concile oecuménique, tenu en 680. Voyez ci-devant CHANCELIER DE L'ÉGLISE ROMAINE.

On prétend néanmoins que la chancellerie ne fut établie qu'après le pape Innocent III. c'est-à-dire vers le commencement du xiij. siecle.

L'office de chancelier ayant été supprimé, les uns disent par Boniface VIII. les autres par Honoré III. le vice-chancelier est devenu le premier officier de la chancellerie. C'est toûjours un cardinal qui remplit cette place.

Le premier officier après le vice-chancelier, est le régent de la chancellerie ; c'est un des prélats de majori parco : son pouvoir est grand dans la chancellerie. Il est expliqué fort au long dans la derniere des regles de chancellerie de potestate R. vice-cancellarii & cancellariam regentis. C'est lui qui met la main à toutes les résignations & cessions, comme matieres qui doivent être distribuées aux prélats de majori parco. Il met sa marque à la marge du côté gauche de la signature, au-dessus de l'extension de la date, en cette maniere, N. regens. C'est aussi lui qui corrige les erreurs qui peuvent être dans les bulles expédiées & plombées ; & pour marque qu'elles ont été corrigées, il met de sa main en haut au-dessus des lettres majuscules de la premiere ligne, corrigatur in registro prout jacet, & signe son nom.

Les prélats abréviateurs de la chancellerie sont de deux sortes : les uns surnommés de majori parco, c'est-à-dire du grand parquet, qui est le lieu où ils s'assemblent en la chancellerie ; les autres de minori parco, ou petit parquet.

Ceux de majori parco dressent toutes les bulles qui s'expédient en chancellerie, dont ils sont obligés de suivre les regles ; qui ne souffrent point de narrative conditionnelle, ni aucune clause extraordinaire : c'est pourquoi lorsqu'il est besoin de dispense d'âge ou de quelque autre grace semblable, il faut faire expédier les bulles par la chambre apostolique. Le vice-chancelier ayant dressé en peu de mots une minute de ce qui a été réglé, un des prélats de majori parco dresse la bulle ; on l'envoye à un autre prélat qui la revoit, & qui la met ensuite entre les mains d'un des scripteurs des bulles. Les abréviateurs du grand parquet examinent si les bulles sont expédiées selon les formes prescrites par la chancellerie, & si elles peuvent être envoyées au plomb, c'est-à-dire si elles peuvent être scellées ; car l'usage de la cour de Rome est de sceller toutes les bulles en plomb.

Les prélats de minori parco ont peu de fonction ; ce sont eux qui portent les bulles aux abréviateurs de majori parco.

Le distributeur des signatures, qu'on appelle aussi le secrétaire des prélats de la chancellerie, n'est pas en titre d'office comme les autres officiers dont on vient de parler. Il est dans la dépendance du vice-chancelier : sa fonction consiste à retirer du registre toutes les signatures, pour les distribuer aux prélats de majori parco ou de minori parco, selon qu'elles leur doivent être distribuées ; & à cet effet il marque sur un livre le jour de la distribution, le diocèse, & les matieres, en ces termes, resignatio parisiensis. Il se charge des droits qui sont de minori parco, & consigne ceux qui appartiennent aux abréviateurs de majori entre les mains de chacun d'eux ou à leurs substituts, après qu'il a mis au bas de la signature le nom de celui à qui elle est distribuée. Avant de faire la distribution, il présente les signatures au régent ou à quelqu'autre des prélats de la chancellerie, qui y mettent leur nom immédiatement au-dessus de la grande date.

Il n'y a qu'un seul notaire en la chancellerie qui se qualifie député. C'est lui qui reçoit les actes de consens, & les procurations des résignations, révocations, & autres actes semblables, & qui fait l'extension du consens au dos de la signature qu'il date ab anno incarnationis, laquelle année se compte du mois de Mars ; desorte que si la date de la signature se rencontre depuis le mois de Janvier jusqu'au 25 Mars, il semble que la date du consens soit postérieure à celle de la signature.

Les regles de la chancellerie romaine sont des réglemens que font les papes pour les provisions des bénéfices & autres expéditions de la chancellerie, & pour le jugement des procès en matiere bénéficiale. On tient que Jean XXII. est le premier qui ait fait de ces sortes de réglemens. Ses successeurs en ont ajoûté plusieurs : chaque pape après son couronnement renouvelle celle de ces regles qu'il veut maintenir, & en établit, s'il le juge à-propos, de nouvelles. Ce renouvellement est nécessaire à chaque pontificat, d'autant que chaque pape déclare que les regles qu'il établit ne doivent subsister que pendant le tems de son pontificat. Cependant les regles de chancellerie qui ont été reçûes en France, & qui ont été enregistrées dans les cours de parlement, n'expirent point par la mort des papes ; elles subsistent toûjours, étant devenues par leur vérification une loi perpétuelle du royaume.

Ces regles sont de plusieurs sortes : il y en a qui concernent la disposition des bénéfices ; par exemple, les papes se sont réservé par une regle expresse les églises patriarchales, épiscopales, & autres bénéfices vraiment électifs ; par une autre regle ils se sont reservé les bénéfices de leurs familiers ou domestiques, & des familiers des cardinaux, dont ils prétendent disposer au préjudice des collateurs ordinaires.

En France, toutes les réserves sont abolies par la pragmatique & le concordat ; & la regle par laquelle les papes se sont reservé les églises patriarchales & épiscopales, n'est observée dans aucun état de la Chrétienté. Si le pape donne des provisions, c'est ordinairement à la nomination du souverain, ou du moins à des personnes qui leur sont agréables.

Les papes ont aussi ordonné certaines formes pour l'expédition des provisions ; par exemple, qu'il faudroit des bulles en plomb, & que la simple signature ne suffiroit pas, avec défenses aux juges d'y avoir égard. Ce qui n'est point observé en France, où l'on n'obtient des bulles que pour les bénéfices consistoriaux, comme évêchés, abbayes, prieurés conventuels, & dignités majeures : les autres bénéfices s'obtiennent par simple signature.

Il y a aussi une regle qui ordonne d'exprimer la véritable valeur des bénéfices, à peine de nullité des provisions. En France on n'exprime la véritable valeur que des bénéfices qui sont taxés dans les livres de la chambre apostolique ; à l'égard des autres, on se contente d'exprimer que leur valeur n'excede pas vingt-quatre ducats.

La réserve des mois apostoliques, qui n'a lieu que dans les pays d'obédience, cesse à la mort du pape ; & pendant la vacance du saint-siége, la disposition des bénéfices se regle dans ces pays suivant le droit commun.

Nous n'avons reçû en France que trois regles de chancellerie ; on en compte ordinairement quatre.

La premiere est celle de viginti diebus, seu de infirmis resignantibus, qui veut que si un malade résigne un bénéfice ou le permute, & vient à décéder dans les vingt jours après la résignation admise ; le bénéfice vaque par mort & non par résignation.

La seconde est celle de publicandis resignationibus, qui veut que dans six mois pour les résignations faites en cour de Rome, & dans un mois pour celles qui sont faites entre les mains de l'ordinaire, les résignations soient publiées, & que le résignataire prenne possession : que si passé ce tems le résignant meurt en possession du bénéfice, il soit censé vaquer par mort & non par résignation, & que les provisions données sur la résignation soient nulles.

La troisieme regle est celle de verisimili notitia obitus ; elle veut que toutes les provisions de bénéfice obtenues par mort en cour de Rome, soient nulles, s'il n'y a pas assez de tems entre le décès du bénéficier & l'obtention des provisions, pour que la nouvelle du décès ait pû précéder les provisions. L'objet de cette regle est de prévenir les fraudes & les courses ambitieuses de ceux qui pendant les maladies des bénéficiers, faisoient leurs diligences en cour de Rome, ex voto captandae mortis.

Il y a encore quelques autres regles de chancellerie, qui n'ont pas été reçues en France, & que néanmoins l'on y suit, non pas comme regles de chancellerie romaine, mais parce qu'elles ont paru justes, & qu'elles sont conformes à nos ordonnances ou à la jurisprudence des arrêts. Telle est la regle de annali possessore, qui veut que celui qui a la possession d'an & jour, soit maintenu au possessoire ; la regle de triennali possessore, suivant laquelle celui qui a la possession triennale soûtenue d'un titre coloré, ne peut plus être inquiété, même au pétitoire ; la regle de impetrantibus beneficia viventium, qui veut que les provisions d'un bénéfice demandées du vivant du précédent titulaire, soient nulles, quoiqu'elles n'ayent été obtenues que depuis son décès ; la regle de non tollendo jus alteri quaesitum, qui n'est point une regle particuliere à la chancellerie de Rome, mais une maxime tirée du droit naturel & commun, & reçue par-tout. Il y a encore la regle de idiomate, qui déclare nulles toutes provisions des églises paroissiales qui seroient données à des ecclésiastiques qui n'entendroient pas la langue du pays.

Dumolin, Louet & Vaillant, ont fait de savantes notes sur les trois regles de chancellerie reçûes en France, & sur celle de annali possessore & de impetrantibus beneficia viventium. Rebuffe a aussi expliqué ces mêmes regles & plusieurs autres en sa pratique bénéficiale, part. III.

Sur la chancellerie romaine, voyez les lois ecclésiastiques de M. de Héricourt, part. I. pag. 62. 63. & 107. la pratique de cour de Rome, de Castel, tom. I. jurisprudence canonique de la Combe, au mot regles de chancellerie.

CHANCELLERIE DE ROUEN, est celle qui est établie près le parlement de Normandie séant à Rouen.

L'origine de cette chancellerie est presque aussi ancienne que celle de l'échiquier de Normandie, créée par Rolle, souverain de cette province : quoiqu'elle eut été réunie à la couronne dès l'an 1202, on se servoit toûjours d'un sceau particulier pour les échiquiers de Normandie, suivant ce qui est dit dans des lettres de Charles VI. du 19 Octobre 1406 ; ce qui est d'autant plus remarquable, qu'il n'y avoit point encore de chancelleries particulieres établies près des parlemens & autres cours ; il n'y avoit que la grande chancellerie, celles de Dauphiné, des grands jours, de Champagne, de l'échiquier de Normandie, & quelques autres sceaux établis extraordinairement.

Louis XII. ayant érigé l'échiquier de Normandie en cour souveraine, & l'ayant rendu sédentaire à Rouen, établit par l'édit du mois d'Avril 1499 une chancellerie près de l'échiquier, & l'office de garde des sceaux fut donné au cardinal d'Amboise, auquel le roi en fit expédier des lettres-patentes. Georges d'Amboise II. du nom, cardinal & archevêque de Rouen, comme son oncle, lui succéda en cet office de garde des sceaux en 1510.

François I. ayant ordonné en 1615 que l'échiquier porteroit le nom de cour de parlement, la chancellerie de l'échiquier est devenue celle du parlement.

Au mois d'Octobre 1701, Louis XIV. créa une chancellerie particuliere près la cour des aides de Rouen ; mais elle fut réunie à celle du parlement par un autre édit du mois de Juin 1704. Voyez le recueil des ordonn. de la troisieme race ; Tessereau, hist. de la chancellerie, & le recueil des arrêts du parlement de Normandie, par M. Froland, pag. 73.

CHANCELLERIE DE ROUERGUE : il est parlé de cette chancellerie dans des lettres de Charles V. du mois d'Avril 1370, portant confirmation des priviléges accordés à la ville de Sauveterre en Roüergue. Le terme de chancellerie paroît en cet endroit signifier le sceau du bailliage & sénéchaussée ; senescalloque & receptorii regiis dictae cancellariae, necnon & procuratori regio, &c.

CHANCELLERIE, (Sciendum de la) est un mémoire ou instruction pour les notaires & secrétaires du roi, concernant l'exercice de leurs fonctions en la chancellerie. Il a été ainsi appellé, parce que l'original de ce mémoire, qui est en latin, commence par ces mots, sciendum est. Cette piece est une des plus authentiques de la chancellerie. Quelques-uns veulent qu'elle soit de l'an 1339, d'autres de l'an 1394 ; mais les preuves en sont douteuses : ce qui est certain, c'est qu'elle doit avoir été faite au plus tard entre 1413 & 1415, attendu qu'elle se trouve à la chambre des comptes à la fin d'un ancien volume contenant plusieurs comptes de l'audience de France, c'est-à-dire de la chancellerie, entre lesquels est celui du chancelier de Marle, pour le tems échû depuis le 18 Août 1413, jusqu'au dernier Décembre de la même année, clos au bureau le 8 Janvier 1415 ; ce qui a donné lieu à quelques-uns de croire que le sciendum qui est à la fin de ce volume, est de l'année 1415. Cette piece, quoique sans date, ne laisse pas d'être authentique, n'étant qu'une instruction où la date n'étoit pas nécessaire. Tessereau, en son histoire de la chancellerie, donne l'extrait qui fut fait du sciendum en françois, par ordonnance de la chambre du dernier Décembre 1571, sur la requête des quatre chauffes-cire de France.

Cette instruction contient soixante-dix articles ; le premier porte qu'il faut savoir que les gages de notaire & secrétaire du roi sont de six sous par jour, & de cent sous pour chaque manteau ; qu'à chaque quartier le notaire & secrétaire doit donner au maître & contrôleur de la chambre aux deniers, une cédule en cette forme : Mes gages de six sous parisis par jour me sont dûs du premier jour de tel mois inclusivement, & le manteau de cent sous parisis pour le terme de pentecôte ; pendant lequel tems j'ai servi au parlement, ou aux requêtes de l'hôtel, ou en chancellerie, ou à la suite du roi, en faisant continuellement ma charge, &c.

Les autres principaux articles contiennent en substance que, si un notaire-secrétaire a été absent huit jours ou plus, on doit lui rabattre ses gages à proportion : que l'on ne rabat rien pour quatre ou cinq jours, à moins que cela n'arrivât fréquemment, & que celui qui est malade est réputé présent.

Que le quatrieme jour de chaque mois on fait les bourses ou distributions à chaque notaire & secrétaire, selon l'exigence & le mérite du travail de la personne ; & aux vieux, selon qu'ils ont travaillé dans leur jeunesse, selon les charges qu'il leur a fallu supporter, & les emplois à eux donnés par le roi : que le jour suivant on délivre les bourses avec l'argent aux compagnons (c'est-à-dire aux notaires-secrétaires) en l'audience ; que chaque notaire doit mettre sur le rôle, j'ai reçû, & signer, sans marquer la somme, pour éviter la jalousie entre ses compagnons : que s'il y a erreur dans la distribution, l'audiencier verra le rôle secret, & suppléera à l'instant.

Que les notaires & secrétaires ont aussi du parchemin du roi ce qu'ils en peuvent fidelement employer pour la façon des lettres qui concernent S. M. que le trésorier de la sainte-Chapelle ou son chapelain, fait tous les ans préparer ce parchemin, & le fournit aux secrétaires qui lui en donnent leur cédule ou reconnoissance, laquelle doit aussi être enregistrée en la chambre des comptes, sur le livre appellé de par chemin.

Que les notaires & secrétaires ont aussi un droit appellé de collation, pour les lettres qui leur sont commandées, & qui doivent être en forme de chartes : ces lettres sont celles de rémission, de manumission, bourgeoisie, noblesse, légitimation, priviléges des villes ou confirmation, accords faits au parlement ; & le sciendum distingue les lettres de France de celles qui sont pour Brie & Champagne ; ces dernieres payent plus que les autres.

Que les notaires du criminel ont le sceau des lettres criminelles, qu'ils font & signent même les sceaux des arrêts criminels, des remissions de ban.

Que de quelques lettres que ce soit, de qui que ce soit, en quelque nombre qu'elles soient adressées au notaire, il ne doit rien prendre, mais les expédier gratuitement ; qu'il peut seulement recevoir ce qui se peut manger & consommer en peu de jours, comme des épiceries, des bas de chausses, des gants, & autres choses legeres ; mais qu'il ne peut rien demander, à peine d'infraction de son serment, de suspension ou privation de son office, diffamation, & perte de tout honneur.

Le sciendum contient ensuite une longue instruction sur les droits du sceau, & sur la maniere dont ces émolumens se partagent entre le roi, les notaires & secrétaires, le chauffe-cire, selon la nature des lettres à simple ou double queue : on y distingue les lettres de France de celles de Champagne, des lettres pour les Lombards, pour les Juifs, pour le royaume de Navarre ; le tarif & le partage sont différens pour chaque sorte de lettres.

Il est dit que des lettres pour chasseurs, on n'a point accoûtumé de rien prendre ; mais qu'ils font présent de leur chasse aux audiencier & contrôleur ; que cela est toutefois de civilité.

Que pour les priviléges des villes & villages, le sceau est arbitraire ; néanmoins qu'on s'en rapporte à l'avis d'un homme d'honneur & expert, qui juge en conscience.

Qu'il y a plusieurs personnes qui ne payent rien au sceau ; savoir les reines, les enfans de rois, les chanceliers, les chambellans ordinaires, les quatre premiers clercs & maîtres des requêtes de l'hôtel du roi, qu'on appelle suivans ; les quatre premiers maîtres & clercs de la chambre des comptes ; les maîtres de la chambre aux deniers ; tous les secrétaires & notaires ordinaires, à quelque état qu'ils soient parvenus, & les chauffes-cire.

Que le bouteiller & le grand chambellan ne doivent rien au sceau pour le droit du roi ; mais qu'ils payent le droit des compagnons & celui des chauffes-cire.

Enfin que dans la distribution des bourses des compagnons, qui étoient alors au nombre de soixante-sept, les quatre premiers clercs de la chambre des comptes, & les maîtres de la chambre aux deniers, ne prennent rien, si ce n'est pour les chartes de France.

Les choses sont bien changées depuis cette instruction, soit pour les formalités, soit pour le tarif & émolument du sceau, & pour le partage qui s'en fait entre les officiers de la chancellerie, soit enfin par rapport à différentes exemptions. Voyez ci-devant l'art. CHANCELLERIE, & CHANCELLERIE (bourse de) ; & à l'article de chacun des officiers qui peuvent avoir des priviléges, comme CHANCELIER, MAITRE DES REQUETES, SECRETAIRE DU ROI, &c.

CHANCELLERIE, (style de la) est un recueil des formules usitées pour les lettres de chancellerie qui s'expédient, tant au grand qu'au petit sceau.

CHANCELLERIE DE TOULOUSE, qu'on appelle aussi chancellerie de Languedoc, est la seconde des petites chancelleries : il paroît qu'elle étoit établie dès l'an 1482, suivant l'édit de Louis XI. du mois de Novembre de ladite année, où ce prince parle de ses chancelleries au pluriel ; ce qui fait connoître que l'on avoit distribué des notaires-secrétaires du roi pour faire le service près le parlement de Toulouse, de même qu'il y en avoit déjà depuis long-tems au parlement. Cette chancellerie de Toulouse ne put commencer à prendre forme que depuis 1443, tems auquel le parlement de Toulouse fut enfin fixé dans cette ville.

Le premier réglement que l'on trouve concernant la chancellerie de Toulouse, ce sont les lettres-patentes du 21 Juillet 1409, portant pouvoir aux quatre chauffes-cire de France de commettre telle personne capable que bon leur sembleroit, pour exercer en leur nom l'office de chauffe-cire en la chancellerie qui se tenoit ou se tiendroit à Toulouse, ou ailleurs au pays de Languedoc.

Charles VIII. par son ordonnance de Moulins du mois de Décembre 1490, fit quelques réglemens pour cette chancellerie. L'art. 64. porte que pour donner ordre au fait de la chancellerie de Toulouse.... deux conseillers de ce parlement, ou autres notables personnages, si le parlement n'y pouvoit entendre, seront toûjours assistans à ladite chancellerie avec le grand-scel, par le conseil desquels se dépêcheront les lettres ; & qu'il y aura deux clés au coffre de ce scel, dont les conseillers en garderont une, & que le scel ne sera ouvert qu'en leur présence ; que ces conseillers seront commis par le chancelier. Et dans l'art. 65. il est dit que pour pourvoir aux plaintes de la taxe des sceaux, il a été avisé que les ordonnances anciennes touchant le taux dudit scel, seront publiées & gardées entierement ; que si les secrétaires suivant ladite chancellerie arbitroient injustement les sceaux qui sont arbitraires, en ce cas on aura recours auxdits gardes & assistans audit scel, pour faire la taxation modérée, auxquels par le chancelier sera ainsi ordonné de le faire.

Peu de tems après, il fut établi de semblables chancelleries aux parlemens de Bordeaux, Dijon, & l'échiquier de Normandie, en Bretagne, Dauphiné, & ailleurs.

Les réglemens qui concernent cette chancellerie étant la plûpart communs aux chancelleries des autres parlemens, voyez ci-devant CHANCELLERIES PRES LES PARLEMENS.

CHANCELLERIE DE TOURNAI, fut créée par édit du mois de Décembre 1680, près le conseil souverain qui avoit été établi dans cette ville par Louis XIV. en 1668. Il ordonna que la charge de garde-scel seroit pour toûjours attachée à celle de premier président du conseil souverain. Il y a eu plusieurs réglemens pour cette chancellerie, des 17 Mai & 12 Juin 1681, & 19 Juin 1703 : ce dernier accorde aux officiers le droit de survivance. Voyez Tessereau, hist. de la chancellerie, tome II. (A)


CHANCHA(Géog.) ville considérable d'Afrique en Egypte, près du Caire, à l'entrée d'un desert.


CHANCHEU(Géog.) grande ville d'Asie à la Chine, dans la province de Fokien, sur la riviere de Chanes. Long. 131. 39. lat. 24. 42.


CHANCIS. m. (Salines) c'est ainsi qu'on appelle dans les salines de Franche-Comté, les charbons qui s'éteignent sous les poêles ; & qu'on en tire après la salinaison. Voyez l'art. SALINES.


CHANCIRv. n. (Confis.) c'est commencer à moisir : on dit que la confiture est chancie, lorsqu'elle est couverte d'une pellicule blanchâtre ; on dit qu'elle est moisie, quand il s'éleve de cette pellicule blanchâtre une efflorescence en mousse blanchâtre ou verdâtre. La confiture trop cuite candit ; celle qui ne l'est pas assez ou qui manque de sucre, chancit. Voyez CANDIR & MOISIR.

* CHANCIR, (Oeconom. rustiq.) se dit aussi du fumier, lorsqu'après avoir été fort desséché, la surface en commence à blanchir : il prend alors une odeur particuliere, qui ne laisse aucun doute que ce qu'on appelle chancir dans le fumier, ne soit la même chose que moisir. Le même terme chancir se dit aussi des fruits & de la moisissure qui se forme à leur surface ; on en regarde les filamens comme des commencemens de champignons.


CHANCRES. m. terme de Chirurgie, est un ulcere malin qui ronge & mange les chairs : il tient de la nature du carcinome. Voyez CARCINOME.

On appelle communément chancres, des petits ulceres qui viennent au-dedans de la bouche ; ils sont simples, scorbutiques, ou vénériens : les simples ne sont point différens des aphtes. Voyez APHTES.

Les chancres scorbutiques attaquent particulierement les gencives qui sont dures, élevées, gorgées d'un sang noir ; les racines des dents sont déchaussées, &c. Voyez SCORBUT.

Les chancres vénériens qui viennent dans la bouche affectent plus particulierement les glandes amygdales & le voile du palais. Il y a souvent carie de l'os propre du palais & de la voûte palatine. Ces chancres sont des symptomes de la vérole. Voyez VEROLE. La guérison de ces chancres exige, après l'exfoliation des os du palais, l'usage d'un instrument qui supplée aux os. Voyez OBTURATEUR.

Il survient des chancres ou ulceres vénériens aux parties naturelles de l'un & l'autre sexe, à la suite d'un commerce impur : le bon ou le mauvais traitement de ces sortes d'ulceres décide souvent du sort du malade. On peut quelquefois les guérir radicalement par un traitement méthodique, sans que la vérole se manifeste. Quelques praticiens prétendent qu'un chancre vénérien est une preuve de vérole confirmée, & que le traitement du vice local & l'administration de quelques anti-vénériens, ne dispensent pas de passer par les grands remedes. Sur tout cela il faut que le chirurgien se guide par les accidens, & que le malade soit guidé par un habile chirurgien. (Y)

CHANCRE, (Jardinage) est une maladie assez ordinaire aux arbres : c'est un défaut dans la séve, qui se porte dans une partie de la tige avec trop d'abondance, & qui y cause une pourriture qui s'étend, & qui dépouille enfin toute l'écorce.

Le vrai moyen de guérir cette maladie, est de couper jusqu'au vif toute la partie atteinte de ce mal, & de remplir la plaie avec de la bouse de vache, qu'on fait tenir avec du linge lié au corps de l'arbre chancreux. (K)


CHANDEGRI(Géog.) ville d'Asie dans l'Inde, en-deçà du Gange, dans le royaume de Narsing, dont elle est la capitale. Quelques-uns croyent que c'est la même chose que Bisnagar.


CHANDELEURS. f. (Théolog.) fête qu'on célebre dans l'église romaine, le deux de Février, en mémoire de la présentation de Jesus-Christ au temple, & de la purification de la sainte Vierge.

Elle tire son nom des cierges allumés qu'on y benit, & que le clergé & le peuple y portent à la procession, comme des symboles de Jesus-Christ, la véritable lumiere qui venoit éclairer les Gentils, comme il est dit dans le cantique de Siméon, qu'on chante à cette cérémonie.

Les Grecs lui donnoient le nom d', c'est à-dire rencontre, en mémoire de celle que firent le vieillard Siméon & la prophétesse Anne, de Jesus-Christ présenté au temple par sa sainte mere.

Quelques-uns prétendent que cette fête fut instituée par le pape Gelase, qui tenoit le siége de Rome en 492, pour l'opposer aux lupercales des payens ; & qu'en allant processionnellement autour des champs avec des cierges allumés, on y faisoit des exorcismes. Ils se fondent sur ces paroles du vénérable Bede : " L'Eglise a changé heureusement les lustrations des payens, qui se faisoient au mois de Février autour des champs, en des processions où l'on porte des chandelles ardentes, en mémoire de cette divine lumiere dont Jesus-Christ a éclairé le monde, & qui l'a fait nommer par Siméon la lumiere pour la révélation des Gentils ". D'autres en attribuent l'institution au pape Vigile en 536, & veulent qu'elle ait été substituée à la fête de Proserpine, que les payens célébroient avec des torches ardentes au commencement de Février. Mais ces opinions paroissent sans fondement quant à la substitution de la chandeleur à ces cérémonies du paganisme. L'Eglise, en instituant cette fête & d'autres, n'a eu en vûe que d'honorer les mysteres de Jesus-Christ & de la sainte Vierge. (G)


CHANDELIERS. m. (Art. méch.) ustensile qui sert à porter les cierges, bougies, & chandelles destinées à éclairer. Il y a des chandeliers d'église, des chandeliers de ménage, & des chandeliers d'atteliers. Les premiers sont fort grands, ont un pié qui les soûtient, une branche droite qui est solide avec le pié ou qui s'envisse avec lui, une coupe qui forme la partie supérieure du chandelier, & qui est ou envissée ou solide avec la partie supérieure de la branche ou tige ; & au milieu de cette coupe une fiche pointue solide avec la coupe, qui est reçûe dans le trou conique du cierge, & le tient droit & solide. Voyez CIERGE. Ces chandeliers peuvent être tout d'une piece. Les chandeliers de ménage ne different guere de ceux d'église, qu'en ce qu'ils sont moins grands, & qu'au lieu d'être terminés par une coupe & par une fiche, on y a pratiqué une cavité qu'on appelle la bobeche ; c'est dans cette cavité qu'on place la bougie ou la chandelle. L'usage de la coupe dans les chandeliers d'église, c'est de recevoir la cire qui tombe fluide du cierge tandis qu'il brûle. Cette piece est suppléée dans les chandeliers domestiques, qu'on appelle flambeaux, par un instrument appellé binet : le binet n'est autre chose qu'une petite coupe percée dans le milieu, & à l'ouverture de laquelle on a adapté ou soudé en-dessous, ou vers la partie convexe, une douille mince ; cette douille entre dans la bobeche du chandelier ; la bougie ou chandelle dans la douille du binet ; & la cire ou le suif qui tombe fluide de la chandelle ou de la bougie, est reçue dans la partie concave de la coupe du binet. Il y a des chandeliers d'atteliers d'une infinité de façons : la chandelle entiere est renfermée dans quelques-uns ; son extrémité inférieure entre dans un binet caché au fond de la branche du chandelier, & est mobile le long de cette branche, par le moyen d'une queue qui traverse la branche du chandelier, & qui peut glisser de bas en-haut & de haut em-bas, dans une fente pratiquée exprès le long de la branche du chandelier. Celui des Tailleurs, qu'on voit Planche de ces ouvriers, est une branche de bois garnie par un de ses bouts d'une bobeche, & divisée à l'autre bout en quatre entailles, qui reçoivent la croisiere des quatre divisions de la cassette où ils mettent leur fil, & qui lui sert de pié. Les Orfévres, les Fondeurs, les Chauderonniers, les Ferblantiers, & autres ouvriers, font des chandeliers. Il y en a de bois, de terre, de fayence, de verre, de porcelaine, d'étain, de cuivre, d'argent, & d'or. Ceux de métal qui sont de plusieurs pieces qui s'envissent les unes dans les autres, sont de mauvais usage ; la vis & l'écrou s'usent, & l'assemblage cesse d'être solide. La maniere dont on les travaille, soit qu'on les fonde, soit qu'on les construise autrement, n'a rien de particulier. Il n'y a point d'ouvrier en métal, quel qu'il soit, & même en bois, qui ne puisse faire, soit au marteau & à la lime, soit au tour, un chandelier. Les chandeliers des anciens ne différoient en rien des nôtres : on ne sait si nous avons emprunté ceux de nos églises des temples des payens ou des synagogues des Juifs, ce qu'il y a de certain, c'est que dans des tems où le Christianisme récent n'auroit pû avoir sans scandale le moindre ornement commun avec le paganisme, quelques peres de l'Eglise rejetterent l'usage des chandeliers, par la raison seule que les payens s'en servoient.

* CHANDELIER D'OR A SEPT BRANCHES. (Histoire ecclésiast.) Il est fait mention de deux chandeliers de cette espece dans les livres de l'ancien testament ; l'un réel, & l'autre mystérieux : Moyse ordonna le premier pour le tabernacle ; il fut battu d'or ; il pesoit un talent, son pié étoit aussi d'or, & il partoit de sa tige sept branches circulaires, terminées chacune par une lampe à bec. Le Saint, l'autel des parfums, & la table des pains de proposition, n'étoient éclairés que par ces lampes qu'on allumoit le soir & qu'on éteignoit le matin. Le chandelier étoit placé vers le midi : Salomon en fit fondre dix pareils dont on décora le même lieu ; cinq furent placés au midi, & cinq au septentrion. Les pincettes & les mouchettes qui accompagnoient les chandeliers de Moyse & de Salomon étoient d'or. Au retour de la captivité on restitua dans le temple un chandelier d'or, qu'on fit sur le modele du chandelier de Moyse. Le second fut emporté par les Romains avec d'autres richesses qu'ils trouverent dans le temple. Ils le placerent avec la table d'or dans le temple que Vespasien fit élever sous le titre de la paix, & l'on voit encore aujourd'hui sur l'arc de cet empereur, ce chandelier parmi les dépouilles qui ornerent son triomphe.

Le chandelier de la vision du prophete Zacharie étoit aussi à sept branches ; il ne différoit de ceux de Moyse & de Salomon, qu'en ce que l'huile passoit dans les lampes par sept canaux qui sortoient du fond d'une boule élevée à leur hauteur, & qu'elle descendoit dans cette boule par le petit bout de deux conques qui la recevoient latéralement par leurs grandes ouvertures, degouttante des feuilles de deux oliviers placés à chacun de ses côtés.

CHANDELIERS, (LES) Art. milit. dans la guerre des siéges sont composés de deux pieces de bois paralleles, sur lesquelles sont élevées perpendiculairement deux autres pieces ; ensorte qu'ils forment ainsi une espece de coffre qu'on remplit de fascines. Voyez la figure, Pl. XIII. de Fortific.

On se sert quelquefois du chandelier pour se couvrir plus promtement du feu de l'ennemi. Le chevalier de Saint-Julien rapporta dans son livre de la forge de Vulcain, qu'un officier vénitien voyant un sergent qui demandoit des chandeliers pour se couvrir dans un poste avancé, s'écria devant tout le monde : che diavolo vuol ci li far de chandelieri, che fa tanta luce ? " que diable veut-il faire des chandeliers, qu'il fait si clair " ? car c'étoit en plein midi. Ces sottises qui font rire toute une armée, ajoûte cet auteur, font voir aux jeunes officiers qu'ils ne doivent rien négliger pour être instruits des termes de leur profession. (Q)

CHANDELIERS, en terme de Marine, sont des pieces de bois ou de fer faites en forme de fourches, ou percées seulement pour recevoir & soutenir différentes choses : elles varient suivant l'usage auquel on les destine. Voici les divers chandeliers :

Chandeliers de pierriers, ce sont des pieces de bois attachées ensemble & percées en long, sur lesquelles on pose le pivot de fer sur lequel le pierrier tourne.

Chandelier de fer de pierrier ; est une fourche de fer avec deux anneaux qui soûtiennent les deux tourillons du pierrier ; cette fourche de fer tourne sur un pivot dans un chandelier de bois.

Chandeliers de chaloupe, sont deux fourches de fer qui servent à soutenir le mât, lorsqu'on ne s'en sert pas, & que la chaloupe va à la rame.

Chandeliers de petits bâtimens ; ce sont des appuis de bois qu'on voit sur le pont de quelques petits bâtimens, & qui servent à appuyer & soutenir le mât lorsqu'il est amené sur le pont.

Chandeliers d'échelles ; ce sont des chandeliers de fer à têtes rondes, qu'on met des deux côtés de l'échelle ; on y attache des cordes qu'on laisse traîner jusqu'à l'eau, & qui servent à soulager ceux qui montent dans le vaisseau ou qui en descendent.

Chandeliers de fanal, c'est un grand fer avec un pivot sur lequel on pose un fanal à la poupe. (Z)

CHANDELIER, en Hydraulique, differe d'un champignon en ce qu'il ne fait point nappe, & que son eau va former un autre chandelier plus bas. Le jet d'un chandelier est ordinairement plus élevé que celui d'un bouillon, à moins que pour le faire paroître plus gros on ne le noye, & alors l'eau retombe en nappe. Voyez NOYER. (K)

CHANDELIER, (mettre en) Agricult. Jardinage, maniere de tailler les arbres, qu'on prétend être pernicieuse, & qui consiste à n'y laisser que cinq ou six grosses branches nues, & à couper tous les ans les branches nouvelles qui croissent sur les précédentes, sous prétexte qu'elles ôtent de la force à l'arbre, & qu'elles empêchent les fruits d'être gros. Voyez TAILLE.


CHANDELLES. f. (Art. méchaniq.) petit cylindre de suif, dont une meche de fil de coton occupe le centre d'un bout à l'autre, qu'on allume, & qui sert à éclairer.

On fabrique deux sortes de chandelles ; les unes qu'on appelle chandelles plongées, les autres chandelles moulées. Nous en allons expliquer le travail séparément, après avoir fait précéder les opérations qui leur sont communes.

Quelle que soit la sorte de chandelle qu'on veuille fabriquer, on commence par préparer la quantité de meches dont on a besoin, relativement à la quantité de suif qu'on veut employer. Le chandelier achete le coton en écheveaux ; il le dévide & le met en pelotons sur des tournettes. Voyez l'art. TOURNETTE. Il porte son coton en pelotons dans un panier, appellé panier aux pelotes, vers le couteau à meches ou le banc à couper les meches, car le même instrument a ces deux noms. Il est composé d'un dessus a b, monté sur deux piés c d ; ce dessus est divisé en deux parties dont l'une e porte une broche perpendiculaire de fer f, & se meut à coulisse dans l'entaille g h de l'autre partie, sur le bout de laquelle on a placé verticalement le couteau large, tranchant & arrondi par l'extrémité k. Le chandelier s'assied devant ce banc ; il en prend la coulisse par le bouton qu'on appelle noeud l ; il éloigne la broche f du couteau k, de tel intervalle qu'il le desire ; cet intervalle doit être déterminé par la longueur des chandelles qu'il se propose de fabriquer. Il fixe la coulisse à cette distance du couteau, par le moyen d'une vis placée sous le banc. Cela fait, il prend ensemble les bouts de deux, trois, ou quatre pelotons, selon le nombre des brins dont il veut que ses meches soient formées ; & ce nombre dépend du poids & de la grosseur qu'il veut donner à sa meche & à sa chandelle. La meche ne doit être ni trop menue ni trop grosse : trop menue, la flamme ne consumant pas assez de suif, la meche pour ainsi dire étouffée ne donne pas assez de lumiere ; trop grosse, la flamme consumant le suif qui l'entoure avec trop de vîtesse, bien-tôt la meche n'est plus nourrie, & l'on est mal éclairé. Il est donc important à la qualité de la chandelle de bien proportionner la grosseur de la meche à la grosseur de la chandelle. On tire tous les brins des pelotons en même tems ; les pelotons se dévident ; on passe une des portions de la longueur devidée d'un côté de la broche, & l'autre portion de l'autre côté, ensorte que la broche en soit embrassée ; on porte ces deux portions réunies au couteau ; on coupe celle qui est continue aux pelotes, précisément au ras de l'autre, sans lâcher les brins ; on prend les deux portions qui embrassent la broche par leurs extrémités ; on les place entre les paumes des deux mains, & en glissant ces paumes en sens contraire, on roule les deux portions de la meche l'une sur l'autre, & il se forme à son extrémité une boule qu'on appelle le collet, dans laquelle la broche est comprise. Voilà une meche faite ; on en fait de la même maniere tant que la broche en peut contenir, & elle en contient plus ou moins, selon qu'elles sont plus ou moins grosses : il est évident qu'elles sont toutes de la même grosseur & de la même longueur, puisqu'elles sont toutes du même nombre de brins, & coupées toutes sur la même distance de la broche au couteau. Quand la broche est pleine de meches, on prend une de ces baguettes minces qu'on appelle broches à chandelles, & on les passe de dessus la broche du banc sur la broche à chandelle. Il y a des couteaux à couper les meches sans piés ; on les pose sur les genoux, & on s'en sert comme nous venons de dire : il est clair que par la commodité qu'on a de fixer la piece à coulisse du banc à telle distance du couteau qu'on le souhaite, le même banc peut servir à faire des meches de telle grosseur & longueur qu'on voudra.

Lorsqu'on a des baguettes chargées de meches convenablement, je dis convenablement, car on en met plus ou moins sur une baguette, selon le nombre de chandelles qu'on veut à la livre : il y a sur une baguette seize meches des huit à la livre, dix-huit meches des douze à la livre, & ainsi du reste ; alors on met fondre le suif. Le chandelier reçoit le suif du boucher en gros pains qu'on nomme jatte. (Voyez à l'article SUIF comment le suif se met en jatte.) Il suffit de remarquer ici qu'il y en a de deux sortes, l'un de brebis & de mouton, & l'autre de boeuf & de vache ; qu'il n'est pas permis au chandelier d'en employer d'autres, & que la proportion prescrite par les réglemens & exigée pour la bonne qualité de la chandelle, entre ces deux suifs, est de moitié par moitié. Comme la masse d'une jatte est trop considérable pour fondre facilement, & que le suif en restant trop sur le feu pourroit se noircir & se brûler, la premiere opération du chandelier est de dépecer son suif, ce qu'il exécute sur la table qu'on voit fig. 1. du chandelier ; elle est montée à l'ordinaire sur des piés, 1, 2, 3, 4. Ces piés soûtiennent le dessus 5 ; ce dessus est bordé de tout côté par des planches assemblées entr'elles & avec le dessus, & hautes de sept à huit pouces, 6, 7, 8, 9 ; ces planches servent à contenir les morceaux de suif quand on dépece. La planche ou le rebord de devant est coupé dans le milieu pour la commodité de celui qui travaille. Au fond de la table, sur le dessus, en-dedans, contre le rebord du fond, est cloué un petit linteau de bois 11, 12, sur le milieu duquel il y a un crochet 13 qui s'insere dans un anneau pratiqué à l'extrémité de la branche d'un grand couteau, qu'on appelle couteau à dépecer ou dépeçoir ; l'ouvrier prend ce couteau par son manche & hache le suif en morceaux. Quand il est haché, il le jette dans une grande chaudiere de cuivre posée sur un trepier ; il met le feu sous cette chaudiere ; le suif fond ; il l'écume ; & quand il est fondu, pour le clarifier, il y lâche une petite quantité d'eau qu'on appelle le filet. Il survuide le suif de cette chaudiere à-travers un tamis dans une cuve ; cette cuve a une canelle à trois ou quatre doigts du fond ; le suif peut s'y tenir chaud de lui-même pendant vingt-quatre heures en été, & pendant seize en hyver. Il faut l'entretenir fluide par le moyen du feu, quand on ne peut l'employer tout dans cet intervalle. On l'y laisse reposer trois heures avant que de s'en servir, mais au bout de ce tems on en tire par la canelle dans l'abysme pour les chandelles plongées, dans la burette pour les chandelles moulées.

Travail des chandelles plongées. L'abysme, qu'on appelle aussi moule, est un prisme triangulaire creux, fixé, comme on voit fig. 3. par un de ses côtés, sur une table g h e i, de maniere qu'une des faces de ce prisme est parallele à cette table ; cette face parallele, qui a son couvercle mobile, sert d'ouverture à l'abysme dont le côté a b est d'environ dix pouces, & le côté a f d'environ quinze : il y a à chaque bout une anse. La table sur laquelle l'abysme est fixé a des rebords qui forment tout-autour, excepté au côté g h, une rigole qui reçoit le suif fluide qui découle des chandelles tandis qu'on les fabrique, & le renvoye dans un vaisseau placé sous g h. L'ouvrier peut s'asseoir devant ce vaisseau.

Lorsque l'abysme est presque rempli de suif, l'ouvrier prend entre ses doigts deux baguettes chargées de meches ; il tient l'une entre l'index & le doigt du milieu des deux mains, & l'autre entre l'annulaire & le petit doigt. Il en couche les meches sur le suif deux ou trois fois ; les relevant à chaque fois, & les tenant un instant verticales sur l'abysme pour leur donner le tems de prendre suif & d'égoutter. Cette premiere façon s'appelle plingeure ; & la maniere de la donner, plinger. Il porte les meches plingées sur son établi, qu'on voit fig. 4. Ce n'est autre chose qu'une grande & forte table sans dessus, de dix à douze piés de long, de cinq à six de haut, & de deux à deux & demi de large ; les quatre piliers des coins 1, 2, 3, 4, en sont entaillés à la partie supérieure ; les entailles 1, 2, 3, 4, sont toutes quatre dans la même direction, & selon la longueur de la table : elles sont destinées à recevoir les bouts des deux barres qu'on y voit placées, & qu'elles contiennent. C'est sur ces barres que l'ouvrier pose ses brochées de chandelles pour s'essuyer. Il y a sous cette table une espece d'auge de la grandeur de la table même, mais dont la profondeur est à peine de trois ou quatre pouces ; il reçoit les gouttes de suif qui tombent du bout des chandelles qui viennent d'être plingées. Le chandelier plinge tout de suite toutes ses brochées ; observant à mesure qu'il travaille de rafraîchir son abysme avec du suif tiré de la cuve, de l'entretenir à-peu-près plein, de remuer le fond de son abysme avec un bâton qu'on appelle un mouvoir, & d'enlever de ses bords supérieurs, mais sur-tout de celui de devant où il frotte sans-cesse l'extrémité de ses chandelles à mesure qu'il travaille, le suif qui s'y fige en assez grande quantité ; ce qu'il exécute avec sa truelle.

Lorsque ses brochées sont suffisamment essorées, il les remet ; remettre, c'est donner la seconde façon qui s'appelle remise ; à la remise, les chandelles ne se plongent que deux fois : toutes les autres trempées ou couches suivantes se donnent à trois ; mais il n'y a que les dernieres qui ayent des noms. Lorsqu'on les a multipliées au point que les chandelles ont presque la grosseur qu'on leur desire, & qu'il n'en reste plus que trois à donner, on dit de l'antépénultieme qu'elle les met prêtes, de la pénultieme qu'elle les racheve, & de la derniere qu'elle les collete. Colleter, c'est enfoncer la chandelle dans l'abysme jusqu'à ce que le suif soit monté entre les deux portions de la boucle appellée collet, que la meche forme à l'extrémité de la chandelle, & tiennent ces deux portions séparées en s'y figeant.

Lorsque les chandelles sont colletées & froides, on les coupe. Cette opération se fait sur une plaque de cuivre qu'on tient élevée sur un feu modéré, & contre laquelle on applique, quand elle est chaude, le cul d'un grand nombre de chandelles à la fois. Cette partie se fond, s'applatit, & les chandelles sont coupées. Il ne reste plus après cela qu'à les mettre en livres, si on les veut vendre en détail ; ou en caisse, si on veut les envoyer ou les garder.

Il y a des chandelles plongées de quatre, de six, de huit, de dix, de douze, de seize, de vingt, & même de vingt-quatre à la livre.

Travail des chandelles moulées. Les moules dans lesquels se font ces chandelles sont ou d'étain, ou de plomb, ou de cuivre ou de fer-blanc. Ceux d'étain sont les meilleurs & les moins communs. Ceux de plomb, les plus ordinaires & les plus mauvais. On n'y distingue que trois parties ; a b, le collet, fig. 5 ; b c, la tige ; c d, le culot. On donne le nom de collet à l'extrémité percée du moule : ce n'est point une partie qui en soit séparée ; elle est arrondie en-dehors, & concave en-dedans, & ne forme qu'un tout avec la tige, qu'on peut considérer comme un cylindre creux, dont le diametre est d'autant plus grand que les chandelles qu'on veut jetter en moule sont plus grosses. On en moule depuis les quatre jusqu'aux douze à la livre. Le culot est un véritable entonnoir qui s'ajuste à la partie supérieure de la tige, & dirige le suif dans sa cavité. Il a encore un autre usage ; c'est de tendre & tenir la meche droite par le moyen de son crochet, sur le milieu de la tige. On donne le nom de crochet à la petite piece e f soudée au-dedans du culot, & s'avançant jusqu'au milieu de son ouverture.

La premiere opération du chandelier, c'est de garnir tous les moules de meches : pour cet effet, il prend une longue aiguille qu'on appelle aiguille à meche ; son extrémité est en crochet ; il fait passer ce crochet par l'ouverture du collet, ensorte que l'aiguille traverse toute la tige, & sort de dedans en-dehors par le trou du collet. Il y attache la meche par le moyen d'un fil qu'on appelle fil à meche ; il tire l'aiguille, & la meche suit. Quand elle est arrivée au culot, il ôte le fil à meche du crochet de l'aiguille, & le passe sur le crochet du culot ; il tire un peu la meche par em-bas, afin de la tendre bien dans la longueur de la tige, & place le moule dans la table à moules, qu'on voit fig. 6. Il y faut distinguer trois parties ; 1 2, les semelles qui la soûtiennent ; 2 3, deux grandes planches assemblées à tenons avec les semelles, inclinées l'une vers l'autre en gouttiere, & formant une grande auge ; 4 5, le dessus assemblé pareillement avec les semelles, & percé d'un grand nombre de rangées de trous paralleles : ce dessus est épais de deux à trois pouces, large & long à volonté ; c'est dans ces trous qu'on place les moules le plus verticalement qu'on peut : ils y sont retenus par le cordon qu'on a pratiqué à la tige du moule.

Lorsque la table est garnie d'autant de moules qu'elle en peut contenir, on tire du suif de la cuve dans la burette. La burette est un vaisseau tel que celui qu'on voit fig. 7. il est de fer-blanc : il a une anse par laquelle on le porte ; un goulot qui prend d'embas, & s'éleve obliquement jusqu'à la hauteur de ce vaisseau, par lequel on verse ; & une espece de couvercle qui le ferme à moitié, qui empêche que le suif ne se refroidisse si promtement par l'action de l'air, & ne se renverse par-dessus les bords de ce vaisseau, quand on remplit les moules.

On les remplit donc avec ce vaisseau ; on laisse refroidir les moules : quand ils sont bien froids, on tire le culot, & en même tems la chandelle qui y tient, par le moyen du fil à meche. On panche le culot : & quand le suif est bon, & qu'il n'a été versé ni trop chaud ni trop froid, ce que l'on reconnoît à la facilité avec laquelle les chandelles se tirent, la chandelle se rompt si net au ras du culot, qu'on ne la coupe point comme la chandelle plongée.

Ces chandelles se font fort vîte, & sont beaucoup plus belles en apparence que les plongées. On acheve de les embellir en les blanchissant ; pour cet effet on les expose pendant huit à dix jours, enfilées sur des baguettes & suspendues sur des treteaux, dans des jardins à la rosée & au soleil levant. Il faut avoir le soin, lorsque la chaleur du jour commence à devenir grande, lorsque le tems est mauvais & menace de pluie, quand il fait un vent poudreux, de les tenir couvertes avec des toiles. Puisque c'est la rosée qui donne la blancheur à la chandelle, il s'ensuit que le printems est la saison la plus propre pour en mouler.

On distingue encore les chandelles par quelques noms particuliers. On appelle chandelle de Cordonniers, l'assemblage de deux grosses chandelles des quatre à la livre, qu'on fait prendre selon toute leur longueur en les approchant l'une de l'autre, lorsqu'elles viennent d'être plongées & mises prêtes, & que le suif qui les enduit n'est pas encore figé, & en les replongeant, pour qu'elles tiennent mieux, une fois ou deux, après qu'elles sont prises. On appelle chandelle à carrier, de petites chandelles de vingt ou vingt-quatre à la livre, dont les Carriers se servent dans leurs soûterreins : chandelles des rois, des chandelles cannelées en relief que les Chandeliers travaillent dans des moules cannelés en creux, & dont ils font présent en étrennes à leurs pratiques ; elles sont dites des rois du tems où elles se donnent. Des chandelles de noix, c'est une espece de chandelles qui se font au Mirebalais avec le marc de la noix pressurée. Des chandelles de rousine, c'est une autre espece qui est d'usage en Anjou, & qu'on fabrique avec de mauvais suif & de la poix-résine.

Les chandelles étoient d'usage chez les anciens : la meche en étoit de fil, de papier, ou de jonc ; elle étoit revêtue de poix, de suif, ou de cire. Il n'y avoit que les personnes d'un rang distingué qui brûlassent de ces dernieres. On portoit aux funérailles des gens du peuple de petites chandelles de poix ou de suif.

Des couronnes & des iris des chandelles. Quelques personnes apperçoivent autour de la lumiere des chandelles des iris & des couronnes : on attribue ces phénomenes à des irrégularités constantes du crystallin & de la cornée, dans ceux qui les voyent toûjours ; & dans ceux qui ne les voyent qu'en certain tems, à quelque changement instantané des mêmes parties, comme lorsqu'on s'est comprimé long-tems avec la main la partie supérieure de l'oeil.

Lorsque les superficies des humeurs sont irrégulieres, il arrive qu'à certaine distance les deux foyers font qu'il se peint sur la rétine un cercle lumineux & foible autour du point où il se ramasse plus de rayons ; & c'est ce cercle qui produit l'apparence des couronnes autour des objets lumineux pendant la nuit. Si l'irrégularité des superficies des humeurs n'est pas fort considérable, on appercevra seulement un cercle clair sans couleurs ; mais si elle est fort grande, il y aura une réfraction considérable qui donnera des couleurs.

On confirmera cette explication, en faisant passer un objet noir au-devant de la prunelle & proche de l'oeil. Lorsque la moitié de la prunelle en sera couverte, la moitié du cercle lumineux disparoîtra d'un côté ou de l'autre, suivant la disposition & la nature de l'oeil ; & cet effet arrivera toûjours, si l'on met l'objet noir fort proche de l'oeil, quand le corps lumineux est fort grand. Si le corps lumineux est petit, l'objet noir pourra s'interposer à quelque distance ; mais le cercle paroîtra moins lumineux, quand la lumiere sera petite.

Descartes attribuoit les mêmes apparences à des plis ou rides circulaires sur les surfaces des humeurs ; mais il ne paroît pas qu'on ait jamais rien observé de pareil dans aucun oeil. Cependant Descartes expliquant très-bien les iris & couronnes en conséquence des rides circulaires, il ne seroit pas mal fondé à prétendre que ces rides ne sont pas assez considérables pour être observées.

CHANDELLE ETEINTE, (Jurispr.) Les adjudications à l'extinction de la chandelle, qui se pratiquent en certains cas, sont un usage fort ancien. Il en est parlé dans des priviléges accordés à la ville de Caylus-de-Bonnette en Languedoc par Louis duc d'Anjou, lieutenant général pour le roi en ladite province, au mois de Mars 1368, & confirmés par Charles V. par des lettres du mois d'Avril 1370. Ces lettres donnent aux consuls de cette ville les droits d'encan & de ban, qui n'étoient pas affermés ad extinctum candelae, plus de cent sous tournois par an.

Quelques coûtumes ont adopté cet usage pour les adjudications qui se font en justice. La plus ancienne est celle de Ponthieu, article 169. laquelle fut rédigée en 1495. Il en est aussi parlé dans l'article 15. de l'ancien style de la sénéchaussée de Boulenois, qui est à-peu-près du même tems, & dans plusieurs autres coûtumes du xvj. siecle, qui sont les coûtumes de Mons, chap. xij. Lille, art. 160. 164. Cambrai, tit. xxv. art. 16. & 43. Bretagne, 579. 728. la coûtume locale de Seclin sous Lille, & celle de Lannoy. Il en est aussi fait mention dans plusieurs ordonnances ; savoir dans celle de Louis XII. de l'an 1508. art. 20. dans l'édit de 1516, pour les encheres des ventes de forêts du roi ; dans celle d'Henri II. du mois de Décembre 1553, & autres ; & dans les ordonnances du duc de Bouillon, art. 531.

Cette ancienne forme de faire les adjudications en justice à l'extinction de la chandelle, est encore observée dans l'adjudication des fermes du roi & des choses publiques ; mais elle a été défendue pour les ventes & baux des biens des particuliers. Les adjudications doivent en être faites publiquement à l'audience, les plaids tenant, de vive voix. Il y a un arrêt de réglement rendu aux grands jours de Poitiers le 28 Septembre 1579.

Le motif de ce changement est que l'adjudication à l'extinction de la chandelle est sujette à deux fraudes.

L'une, est que les enchérisseurs affectent de faire languir les encheres jusqu'à ce que la chandelle soit beaucoup diminuée ; au moyen de quoi les héritages ne sont jamais vendus ou affermés leur juste valeur.

L'autre fraude est que quand la chandelle est à l'extrémité, & que la flamme en est chancelante, il se trouve quelquefois des gens qui l'éteignent par une toux affectée.

C'est pour éviter ces inconvéniens, que dans le Cambrésis l'adjudication des héritages ne se fait plus à l'extinction de la chandelle, mais à trois coups de bâton, suivant la remarque de M. Desjaunaux. Voy. Hering, de fide juss. cap. vj. n°. 18. & 19. pag. 97. Le Gloss. de Lauriere, au mot chandelle allumée & chandelle éteinte ; Boucheul sur Poitou, article 444. n°. 16.

A Rome & dans quelques autres endroits, les excommunications se prononcent en éteignant une chandelle ou un cierge. Voyez EXCOMMUNICATION.

CHANDELLES DES ROIS, (Jurispr.) Une sentence de police du 29 Décembre 1745, en ordonnant l'exécution de l'article 9 des statuts des Chandeliers de Paris, a défendu aux maîtres Chandeliers d'en faire ou faire fabriquer à peine de vingt livres d'amende ; & aux garçons & autres de les porter, à peine de prison. Ce réglement fut réaffiché au mois de Janvier 1748. (A)

CHANDELLE, (Pharmacie) voyez OISELET DE CHYPRE.

CHANDELLE, c'est ainsi qu'on appelle, en Charpenterie, un poteau qu'on place debout à-plomb sous une poutre ou sous une autre piece, pour la soûtenir horisontale.


CHANÉES. f. (Manufact. en soie) cannelure pratiquée à l'ensuple qui sert au métier de l'étoffe de soie. Voyez ENSUPLE.

Cette cannelure de l'ensuple est de trois quarts de pouce environ de large, de deux piés & demi de long, de la profondeur d'un pouce : elle sert à recevoir dans sa cavité le composteur (voyez COMPOSTEUR), & à fixer & arrêter le commencement de l'étoffe ou de la chaîne, quand on la plie sur l'ensuple.


CHANGANAR(Géog.) royaume de l'Inde dans la presqu'île de Malabar, sur les frontieres de l'état du Naïque de Maduré.


CHANGANOR(Géog.) ville considérable d'Asie dans l'Inde, capitale du pays de même nom dans le Malabar.


CHANGCHEU(Géog.) grande ville de la Chine dans la province de Nankin. Il y a encore deux villes de ce nom à la Chine, l'une dans la province de Kiansi, & l'autre dans celle de Fokien.


CHANGES. m. (Gramm. Synon. & Comm.) action ou convention par laquelle on cede une chose pour une autre : il y a le troc, l'échange, & la permutation. M. l'abbé Girard prétend, dans ses synonymes, que change non-seulement n'exprime pas, mais exclut toute idée de rapport : ce qui ne me paroît pas exact ; car changer est un mot relatif, dont le correlatif est de persister dans la possession. On ne peut entendre le terme change sans avoir l'idée de la chose qu'on a, & celle de la chose pour laquelle on la cede. Il designe l'action de donner & de recevoir. Il y a peu de changes où la bonne-foi soit entiere : il arrive même communément que les deux contractans pensent s'attraper l'un l'autre. S'il y a une inégalité convenue entre les choses qu'on change, la compensation de cette inégalité s'appelle échange. Qu'avez-vous donné en échange ? Echange est cependant aussi synonyme à change ; mais il ne s'applique qu'aux charges, aux terres, & aux personnes : on dit faire un échange d'état, de biens, & de prisonniers. Si le change est de meubles, d'ustensiles, ou d'animaux, il se nomme troc : on troque des bijoux & des chevaux. Quant à la permutation, elle n'a lieu que dans le change des dignités ecclésiastiques : on permute sa cure, son canonicat avec un autre bénéfice. Voyez les synonymes de M. l'abbé Girard.

Le mot change a un grand nombre d'autres acceptions différentes. Il y a celui qu'on appelle menu, ou pur, ou naturel, ou commun : il consiste à prendre des monnoies ou défectueuses, ou étrangeres, ou hors de cours, pour des monnoies du pays & courantes. Cette fonction est exercée dans toutes les villes par des changeurs, moyennant un bénéfice prescrit par le roi. Ce bénéfice s'appelle aussi change. Voyez CHANGEURS. Change se dit de l'intérêt pour trois mois qu'exige un marchand qui prête à un autre : il se dit de l'escompte d'un billet, du profit qu'on retire d'avances faites dans le commerce, de la différence qu'il y a entre l'argent de banque & l'argent courant, du lieu où se fait le commerce du change dans une ville (voyez l'article CHANGE, Architecture), du revenu usuraire qu'on tire d'un argent prété sans aliénation & sans risque du fonds. La suite de cet article, où le mot change est considéré dans son acception la plus importante, la plus étendue, & la plus difficile à examiner, nous a été communiquée par Mr V. D. F.

IL N'Y A que deux especes de changes permis dans le Commerce.

Le premier est l'échange réel, qui se fait sous un certain droit d'une monnoie pour une autre monnoie, chez les changeurs publics. Voyez CHANGEURS.

Le second change est une négociation par laquelle un négociant transporte à un autre les fonds qu'il a dans un pays étranger, à un prix dont ils conviennent.

Il faut distinguer deux objets dans cette négociation ; le transport, & le prix de ce transport.

Le transport se fait par un contrat mercantil appellé lettre de change, qui représente les fonds dont on fait la cession. Voyez LETTRE DE CHANGE.

Le prix de ce transport est une compensation de valeur d'un pays à un autre : on l'appelle prix du change. Il se divise en deux parties : l'une est son pair, l'autre son cours.

L'exacte égalité de la monnoie d'un pays à celle d'un autre pays, est le pair du prix du change.

Lorsque les circonstances du commerce éloignent cette compensation de son pair, les variations qui en résultent sont le cours du prix du change.

Le prix du change peut être défini en général, une compensation momentanée des monnoies de deux pays, en raison des dettes réciproques.

Pour rendre ces définitions plus sensibles, il est à propos de considérer le change sous ses divers aspects, & dans toutes ses parties.

Nous examinerons l'origine du change comme transport qu'un négociant fait à un autre des fonds qu'il a dans un pays étranger quelconque, sa nature, son objet, son effet : nous expliquerons l'origine du prix du change, ou de la compensation des monnoies ; son essence, son pair, son cours, la propriété de ce cours, le commerce qui en résulte.

Le premier commerce entre les hommes se fit par échange : la communication s'accrut, & les besoins réciproques augmenterent avec le nombre des denrées. Bien-tôt une nation se trouva moins de marchandises à échanger, que de besoins ; ou celles qu'elle pouvoit donner, ne convenoient pas à la nation de qui elle en recevoit dans ce moment. Pour payer cette inégalité, l'on eut recours à des signes qui représentassent les marchandises.

Afin que ces signes fussent durables & susceptibles de beaucoup de division sans se détruire, on choisit les métaux, & l'on choisit les plus rares pour en faciliter le transport.

L'or, l'argent & le cuivre, devinrent la mesure des ventes & des achats : leurs portions eurent dans chaque état une valeur proportionnée à la finesse & au poids qu'on leur y donna arbitrairement ; chaque législateur y mit son empreinte, afin que la forme en répondît. Ces portions de métaux d'un certain titre & d'un certain poids furent appellées monnoies. Voyez MONNOIE.

A mesure que le commerce s'étendit, les dettes réciproques se multiplierent, & le transport des métaux représentans la marchandise devint pénible : on chercha des signes des métaux mêmes.

Chaque pays achete des denrées, ainsi qu'il en vend ; & par conséquent se trouve tout-à-la-fois débiteur & créancier. On en conclut que pour payer les dettes réciproques, il suffisoit de se transporter mutuellement les créances réciproques d'un pays à un autre, & même à plusieurs, qui seroient en correspondance entr'eux. Il fut convenu que les métaux seroient représentés par un ordre que le créancier donneroit par écrit à son débiteur, d'en payer le prix au porteur de l'ordre.

La multiplicité des dettes réciproques est donc l'origine du change considéré comme le transport qu'un négociant fait à un autre des fonds qu'il a dans un pays étranger.

Puisqu'il suppose des dettes réciproques, sa nature consiste dans l'échange de ces dettes ou des débiteurs. Si les dettes n'étoient pas réciproques, la négociation du change seroit impossible, le payement de la marchandise se feroit nécessairement par le transport des métaux.

L'objet du change est conséquemment d'épargner le risque & les frais de ce transport.

Son effet est que les contrats qu'il employe ou les lettres de change, représentent tellement les métaux, qu'il n'y a aucune différence quant à l'effet.

Un exemple mettra ces propositions dans un plus grand jour.

Supposons Pierre de Londres débiteur de Paul de Paris, pour des marchandises qu'il lui a demandées ; & qu'en même tems Antoine de Paris en a acheté de Jacques de Londres pour une somme pareille : si les deux créanciers Paul de Paris & Jacques de Londres échangent leurs débiteurs, tout transport de métaux est superflu. Pierre de Londres comptera à Jacques de la même ville, la somme qu'il doit à Paul de Paris ; & pour cette somme, Jacques lui transportera par un ordre écrit, celle qu'il a à Paris entre les mains d'Antoine. Pierre, propriétaire de cet ordre, le transportera à Paul son créancier à Paris ; & Paul, en le représentant à Antoine, en recevra le payement.

Si aucun négociant de Paris n'eût dû à Londres, Pierre eût été obligé de transporter ses métaux à Paris pour acquiter sa dette : ou si Jacques n'avoit vendu à Paris que pour la moitié de la somme que Pierre y devoit, la moitié de la dette de Pierre eût été acquittée par échange, & l'autre moitié par un transport d'especes.

Il est donc évident que le change suppose des dettes réciproques, que sans elles il n'existeroit point, & qu'il consiste dans l'échange des débiteurs.

L'exemple proposé prouve également que l'objet du change est d'épargner le transport des métaux. Supposons les dettes de chacune des deux villes de 10 marcs d'argent, & évaluons le risque avec les fraix du commerce à un demi-marc : on voit que sans l'échange des débiteurs il en eût coûté 10 marcs & demi à chacun d'eux, au lieu de dix marcs.

L'effet du change est aussi parfaitement démontré dans cet exemple, puisque la lettre de change tirée par Jacques de Londres sur Antoine de Paris étoit tellement le signe des métaux, que Paul de Paris, à qui elle a été envoyée, a réellement reçu 10 marcs d'argent en la représentant.

Cette partie du change que nous avons définie, le transport qu'un négociant fait à un autre des fonds qu'il a dans un pays étranger, s'applique à la représentation des métaux : la seconde partie ou le prix du change, s'applique à la chose représentée.

Lorsque l'or, l'argent, & le cuivre, furent introduits dans le Commerce pour y être les signes des marchandises, & qu'ils furent convertis en monnoie d'un certain titre & d'un certain poids, les monnoies prirent leur dénomination du poids qu'on leur donna ; c'est-à-dire qu'une livre pesant d'argent fut appellée une livre.

Les besoins ou la mauvaise foi firent retrancher du poids de chaque piece de monnoie, qui conserva cependant sa dénomination.

Ainsi il y a dans chaque pays une monnoie réelle, & une monnoie idéale.

On a conservé les monnoies idéales dans les comptes pour la commodité : ce sont des noms collectifs, qui comprennent sous eux un certain nombre de monnoies réelles.

Les altérations survenues dans les monnoies, n'ont pas été les mêmes dans tous les pays : le rapport des poids n'est pas égal, non plus que celui du titre ; la dénomination est souvent différente : telle est l'origine de la comparaison qu'il faut faire de ces monnoies pour les échanger l'une contre l'autre, ou les compenser.

Le besoin plus ou moins grand que l'on a de cet échange, sa facilité ou sa difficulté, enfin sa convenance & ses fraix, ont une valeur dans le commerce ; & cette valeur influe sur le prix de la compensation des monnoies.

Ainsi leur compensation ou le prix du change, renferme deux rapports qu'il faut examiner.

Ce sont ces rapports qui font son essence ; car si les monnoies de tous les pays étoient encore réelles, si elles étoient d'un même titre, d'un même poids ; enfin si les convenances particulieres n'étoient point évaluées dans le commerce, il ne pourroit y avoir de différence entre les monnoies ; & dès-lors il n'y auroit point de compensation à faire ; une lettre de change seroit simplement la représentation d'un certain poids d'or ou d'argent.

Une lettre de change sur Londres de 100 livres, représenteroit 100 livres, qui dans cette hypothese seroient réelles & parfaitement égales.

Mais dans l'ordre actuel des choses, la différence entre les monnoies de France & d'Angleterre, & les circonstances du commerce, influeront sur la quantité qu'il faut de l'une de ces monnoies pour payer une quantité de l'autre.

De ces deux rapports, celui qui resulte de la combinaison des monnoies est le plus essentiel, & la base nécessaire de la compensation ou du prix du change.

Pour trouver ce rapport juste de la combinaison des deux monnoies, il faut connoître avec la plus grande précision le poids, le titre, la valeur idéale de chacune, & le rapport des poids dont on se sert dans l'un & l'autre pays pour peser les métaux.

L'argent monnoyé en Angleterre est du même titre que l'argent monnoyé de France ; c'est-à-dire, à 11 deniers de fin, 2 deniers de remede de loi. Voyez REMEDE DE LOI.

La livre sterling est une monnoie idéale, ou un nom collectif qui comprend sous lui plusieurs monnoies réelles, comme les écus ou crowns de 60 sous courans, les demi-crowns, les schelins de 12 s. &c.

Les écus ou crowns pesent chacun une once trois deniers treize grains ; mais l'once de la livre de troy (voyez LIVRE DE TROY) ne pese que 380 grains ; ainsi le crown en pese 565, & il vaut 5 s. ou 60 d. sterling.

En France nous avons deux sortes d'écus ; l'écu de change ou de compte, toûjours estimé trois liv. ou 60 sous tournois, valeurs également idéales.

La seconde espece de nos écus, est celle des pieces réelles d'argent que nous appellons écus : ils sont, comme ceux d'Angleterre, au titre effectif de 10 deniers 22 grains de fin : ils sont à la taille de 16 3/5 au marc ; le marc de huit onces ; l'once de 576 grains : ils passent pour la valeur de 60 s. mais ils n'en valent intrinséquement que 56 1/2, le marc à 46 liv. 18 s.

Cette différence vient du droit de seigneuriage, & des fraix de brassage ou fabrication, évalués à 2 livres 18 sous par marc. Voyez SEIGNEURIAGE & BRASSAGE.

Tout cela posé, pour connoître combien de parties d'un crown ou de 60 deniers sterling acquittera notre écu de la valeur intrinseque de 56 s. 6. den. il faut comparer ensemble les poids & les valeurs ; les titres étant égaux, il n'en résulteroit aucune différence : il est inutile de les comparer.

Le rapport de 29 den. 1/2.

Le nombre trouvé de 29 d. 1/2 sterling, est le rapport juste de la comparaison des deux monnoies, ou le pair du prix du change ; c'est-à-dire que notre écu réel de la valeur intrinseque de 56 s. 6 den. porté à Londres, y vaudra 29 den. 1/2 sterling, ou 29 s. 6 den. courans : or notre écu de compte de 3 liv. ou 60 s. tournois représentant l'écu réel, il s'ensuit que sa valeur est la même.

Si conservant le titre, la France augmentoit sa monnoie du double, c'est-à-dire que le marc d'argent hors d'oeuvre à 46 liv. 18 s. montât à 93 liv. 16 s. nos écus réels qui ont cours pour 3 liv. doubleroient de dénomination ; ils prendroient la place des écus qui ont cours pour 6 liv. & ces derniers auroient cours pour douze : mais leur valeur de poids & de titre n'ayant point augmenté, ils ne vaudroient que le même prix relativement à l'Angleterre ; on substitueroit aux écus de 56 s. 6 den. actuels, d'autres écus qui auroient cours pour 3 liv. de 33 1/5 au marc : ces écus dont le poids seroit diminué de moitié, ne vaudroient à Londres que 14 den. 3/4 sterling, & l'écu de compte représentant toûjours l'écu de 3 liv. réel, la parfaite égalité de la compensation, ou le pair du prix du change, seroit à 14 den. 3/4 sterling.

Si au contraire l'espece diminuoit de moitié, si le marc d'argent hors d'oeuvre baissoit de 46 livres 18 s. à 23 liv. 9 s. le marc, en conservant le titre, nos écus réels qui ont aujourd'hui cours pour 3 liv. ne seroient plus que des pieces de 30 s. valeur numéraire : mais le poids & le titre n'ayant point changé, ces pieces de 30 s. vaudroient toûjours à Londres 29 den. 1/2 sterling ; les écus qui ont aujourd'hui cours pour 6 liv. de la valeur intrinseque de 113 s. & à la taille de 8 3/10 au marc, ne seroient plus que des écus de 3 liv. valeur numéraire, & de 56 s. 6. den. valeur intrinseque : mais le poids de cet écu se trouvant doublé, ils seroient évalués à Londres à 59 den. sterling.

C'est donc le poids & le titre d'une monnoie qui forment évidemment sa valeur relative avec une autre monnoie ; & les valeurs numéraires ne servent qu'à la dénomination de cette valeur relative.

Ce rapport qui indique la quantité précise qu'il faut de l'une pour égaler une quantité de l'autre, est appellé le pair du prix du change : tant qu'il est la mesure de l'échange des monnoies, la compensation est dans une parfaite égalité.

Jusqu'à présent nous n'avons parlé du pair réel du change, que sur la proportion des monnoies d'argent entr'elles ; parce que ce métal étant d'un plus grand usage dans la circulation, c'est lui qu'on a choisi pour faire l'évaluation de l'échange des monnoies. On se tromperoit cependant si l'on jugeoit toûjours sur ce pié-là du bénéfice que fait une nation dans son change avec les étrangers.

On sait qu'outre la proportion générale & uniforme dans tous les pays, entre les degrés de bonté de l'or & de l'argent, il y en a une particuliere dans chaque état entre la valeur de ces métaux : elle est réglée sur la quantité qui circule de l'une & de l'autre, & sur la proportion que gardent les peuples voisins : car si une nation s'en éloignoit trop, elle perdroit bien-tôt la portion de métal dont il y auroit du profit à faire l'extraction.

L'Angleterre nous fournit l'exemple d'un second pair réel du change : on vient de voir que le pair réel de nos écus de la valeur intrinseque de 56 s. 6 den. est 29 1/2 den. sterling ; ainsi les huit valent 236 den. sterling.

La guinée est au même titre que notre loüis d'or à 22 karats : elle pese 2 gros 12 grains, en tout 156 grains, qui valent 21 schelins, ou 252 den. sterling.

Notre loüis d'or pese 2 gros 9 grains, en tout 153 grains, qui valent par conséquent 247 den. 1/5 sterling : ainsi les huit écus qui en argent valent 236 d. sterling, en valent 247 den. 1/5 lorsqu'ils sont représentés par l'or. La différence est de 4 den. 4/5 sterling ; & il est évident qu'étant repartie sur les huit écus représentés par le loüis d'or, le change de chacun est à 30 den. 1/10 sterling, au lieu de 29 den. 1/2.

Le change étant à 30 den. avec l'Angleterre, nous pourrions lui payer une balance considérable, quoique le pair du prix de l'argent indiquât un bénéfice.

Cette différence vient de ce qu'en France on donne 153 grains d'or pour 2216 grains d'argent, poids des huit écus ; ce qui rétablit la proportion entre ces deux métaux, comme de 1 à 14 9/19.

En Angleterre on donne 156 grains d'or pour 21 schelins, qui pesent chacun 113 grains d'argent, & en tout 2373 grains ; ainsi la proportion y est comme de 1 à 15 1/5.

Dès-lors si nous avons à payer en Angleterre en especes, il y a de l'avantage à porter des matieres d'or ; & il y en aura pour l'Angleterre à payer en France avec les monnoies d'argent : car la guinée ne vaut dans nos monnoies que 22 liv. 14 s. 7 den. & les schelins qu'elle représente pesant 2373 grains, y seront payés 24 liv. 2 s. 10 den.

Diverses circonstances éloignent le prix du change de celui du pair réel ; & comme ces accidens se varient à l'infini, l'altération de l'égalité parcourt sans cesse différens degrés : cette altération est appellée le cours du prix du change.

Les causes de l'altération du pair du prix du change, sont l'altération du crédit public, & l'abondance ou la rareté des créances d'un pays sur un autre.

Une variation dans les monnoies est un exemple de l'altération que le discrédit public jette dans le pair du prix du change : quoique l'instant même du changement dans la monnoie donne un nouveau pair réel du prix du change ; la confiance publique disparoissant, à cause de l'incertitude de la propriété, & les especes ne circulant pas, il est nécessaire que le signe qui les représente soit au-dessous de sa valeur.

La seconde cause de l'altération du pair dans le prix du change, est l'abondance ou la rareté des créances d'un pays sur un autre ; & cette abondance ou cette rareté ont elles-mêmes deux sources ordinaires.

L'une est le besoin qui oblige le corps politique d'un état à faire passer de grandes sommes d'argent dans l'étranger, comme la circonstance d'une guerre.

L'autre source est dans la proportion des dettes courantes réciproques entre les particuliers.

Les particuliers de deux nations peuvent contracter entr'eux deux sortes de dettes réciproques.

L'inégalité des ventes réciproques formera une premiere espece de dettes.

Si l'une des deux nations a chez elle beaucoup d'argent, à un intérêt plus foible que l'on n'en paye dans l'autre nation, les particuliers riches de la premiere acheteront les papiers publics de la seconde, qui paye les intérêts de l'argent plus cher : le produit de ces effets qui doit lui être payé tous les ans, forme une seconde espece de dette : elle peut être regardée comme le produit d'un commerce, puisque les fonds publics d'un état se négocient, & que ce placement ne peut être regardé que comme une spéculation : dans ce cas, & dans plusieurs autres, l'argent est marchandise ; ainsi ces deux dettes appartiennent à ce que l'on appelle proprement la balance du commerce ; & elles occasionneront une rareté ou une abondance des créances d'un pays sur un autre. Voyez COMMERCE.

Lorsque deux nations veulent faire la balance de leur commerce, c'est-à-dire payer leurs dettes réciproques, elles ont recours à l'échange des débiteurs : mais si les dettes réciproques ne sont pas égales, l'échange des débiteurs ne payera qu'une partie de ces dettes ; le surplus, qui est ce qu'on appelle la balance du commerce, devra être payé en especes.

L'objet du change est d'épargner le transport des métaux, parce qu'il est coûteux & risquable : par conséquent chaque particulier, avant de s'y déterminer, cherchera des créances sur le pays où il doit.

Ces créances seront cheres à mesure qu'elles seront plus difficiles à acquérir : par conséquent, pour en avoir la préférence, on les payera au-dessus de leur valeur ; si elles sont communes, on les payera au-dessous.

Supposons que les marchands de Paris doivent aux fabriquans de Roüen vingt-mille livres, & que ceux-ci doivent dix mille livres à des banquiers de Paris : pour solder ces dettes, il faudra faire l'échange des dix mille livres de créances réciproques, & voiturer dix mille livres de Paris à Roüen.

Supposons encore les fraix & les risques de ce transport à cinq livres par mille livres.

Chaque marchand de Paris tâchera de s'épargner cette dépense ; il cherchera à acheter une créance de mille livres sur Roüen : mais comme ces créances sont rares & recherchées, il donnera volontiers 1004 liv. pour en avoir la préférence, & il s'épargnera une livre de frais par 1000 liv. ainsi la rareté des lettres de change sur Roüen baissera le prix de ce change au-dessous de son pair de quatre liv. par 1000 livres.

Il est bon d'observer que la hausse ou la baisse du prix du change s'entend toûjours du pays sur lequel on voudroit tirer une lettre de change : le change est bas, quand ce pays paye moins de valeur réelle en acquitant une lettre de change, qu'elle n'en a coûté à l'acquéreur : le change est haut, quand ce pays paye plus de valeur réelle en acquitant une lettre de change, qu'elle n'en a coûté à l'acquéreur.

Le pair du prix du change entre Paris & Londres, étant à 29 den. 1/2 sterling pour un écu de 3 liv. de France ; si le change de Londres baisse à 29 den. Londres payera notre écu au-dessous de sa valeur intrinseque ; si ce change hausse à 30 den. Londres payera notre écu au-dessus de sa valeur réelle.

Pour reprendre l'exemple proposé ci-dessus, on vient de voir qu'à Paris la rareté des créances sur Roüen, fait payer aux acquéreurs des lettres de change 1004 liv. pour recevoir 1000 liv. à Roüen.

Le contraire arrivera dans cette derniere : Paris lui devant beaucoup, les créances sur Paris y seront abondantes : les fabriquans de Roüen qui doivent à Paris, donneront ordre au banquier de tirer sur eux, parce qu'ils savent qu'avec 1000 liv. sur Roüen, ils acquitteront 1004 liv. à Paris ; ou si on leur propose des créances sur Paris, ils les acheteront sous le même bénéfice que les créances sur Roüen sont à Paris ; ce qui haussera ce change au profit de Roüen de quatre liv. par 1000 liv. ainsi d'une lettre de change de 1000 liv. ils ne donneront que 995 liv. Lorsque les dettes réciproques seront acquittées, il faudra que Paris fasse voiturer à Roüen l'excédent en especes. Mais en attendant, il est clair que dans le payement des dettes réciproques, Roüen aura acquité 1000 liv. de dettes avec 996 liv. & que Paris n'a pû acquiter 1000 liv. qu'avec 1004 liv.

Si le change subsiste long-tems sur ce pié entre ces deux villes, il sera évident que Paris doit à Roüen plus que Roüen ne doit à Paris.

D'où l'on peut conclure, que la propriété du cours du prix du change, est d'indiquer de quel côté panche la balance du commerce.

L'on a déjà vû que le pair du prix du change est la compensation des monnoies de deux pays : cette compensation s'éloigne souvent de son égalité, ainsi elle est momentanée ; son cours indique de quel côté panche la balance du commerce, ainsi le prix du change est une compensation momentanée des monnoies de deux pays en raison des dettes réciproques.

La nature des accidens du commerce qui alterent l'égalité de la compensation des monnoies, ou le pair du prix du change, étant de varier sans-cesse, le cours du prix du change doit varier avec ces accidens.

L'instabilité de ce cours a deux effets : l'un de rendre indécise d'un jour à l'autre la quantité de monnoie qu'un état donnera en compensation de telle quantité de monnoie d'un autre état : le second effet de l'instabilité de ce cours est un commerce d'argent par le moyen des représentations d'especes ou des lettres de change.

De ce que la quantité de monnoie qu'un état donnera en compensation d'une telle quantité de monnoie d'un autre état ; est indécise d'une semaine à l'autre, il s'ensuit qu'entre ces deux états, l'un propose un prix certain, & l'autre un prix incertain ; parce que tout rapport suppose une unité qui soit la mesure commune des deux termes de ce rapport, & qui serve à l'évaluer.

Supposons que Londres donne aujourd'hui 30 d. sterling pour un écu à Paris, il est certain que Paris donnera toûjours un écu à Londres, quel que soit le cours du prix du change les jours suivans ; mais il est incertain que Londres continue de donner 30 d. sterling pour la valeur d'un écu : c'est ce qu'en termes de change on appelle donner le certain ou l'incertain.

Si les quantités étoient certaines de part & d'autre, il n'y auroit point de variation dans le pair du prix du change, & par conséquent point de cours.

Cette différence, qui ne tombe que sur l'énoncé du prix du change, s'est introduite dans chaque pays, selon la diversité des monnoies de compte : elle fixe une quantité dont l'évaluation servira de second terme pour évaluer une autre quantité de même espece que la premiere.

Si, par exemple, un écu vaut 30 d. sterling, combien cent écus vaudront-ils de ces deniers ; que l'on réduit ensuite en livres ? Ainsi entre deux places, l'une doit toûjours proposer une quantité certaine de sa monnoie, pour une quantité incertaine que lui donnera l'autre.

Mais tandis qu'une place donne le certain à une autre, elle donne quelquefois l'incertain à une troisieme. Paris donne à Londres le certain, c'est-à-dire un écu, pour avoir de 29 1/2 à 33 den. sterling : mais Paris reçoit de Cadix une piastre, pour une quantité incertaine de sous depuis 75 à 80 par piastres, suivant que les accidens du commerce le déterminent.

Le second effet de l'instabilité du cours dans le prix du change, est un commerce d'argent par le moyen des représentations d'especes ou des lettres de change.

Le négociant ou le banquier veille sans-cesse aux changemens qui surviennent dans le cours du prix du change, entre les diverses places qui ont une correspondance mutuelle : il compare ces changemens entr'eux, & ce qui en résulte ; il en recherche les causes, pour en prévoir les suites : le fruit de cet examen est de faire passer ses créances sur une ville, dans celle qui les payera le plus cher. Mais cet objet seul ne remplit pas les vûes du négociant qui fait ce commerce : avant de vendre ses créances dans un endroit, il doit prévoir le profit ou la perte qu'il y aura à retirer ses fonds de cet endroit ; si le cours du prix du change n'y est pas avantageux avec le lieu de sa résidence, il cherchera des routes écartées : mais plus lucratives ; & ce ne sera qu'après différens circuits que la rentrée de son argent terminera l'opération. La science de ce commerce consiste donc à saisir toutes les inégalités favorables que présentent les prix du change entre deux villes, & entre ces deux villes & les autres : car si cinq places de commerce s'éloignent entr'elles du pair du prix du change dans la même proportion, il n'y aura aucune opération lucrative à faire entr'elles ; l'intérêt de l'argent, & les fraix de commission, tourneroient en pure perte. Cette égalité réciproque entre le cours du prix du change de plusieurs places, s'appelle le pair politique.

Si nous convenons de cette parité,

a = b

b = c

c = a

il est constant que a, b, & c, étant des quantités égales, il n'y aura aucun bénéfice à les échanger l'une contre l'autre ; ce qui répond au pair réel du prix du change. Supposons à présent

a = b

b = c

c = a + d,

la partie sera rompue ; il faudra échanger b contre c, qui lui donnera a + d : or nous avons supposé a = b, ainsi le profit de cet échange sera d. Cette différence répond aux inégalités du cours du prix du change entre deux ou plusieurs places. La parité sera rétablie si ces quantités augmentent entr'elles également :

a + d = b + d

b + d = c + d

e + d = a + d ;

cette partie répond au pair politique du prix du change, ou à l'égalité de son cours entre plusieurs places.

La parité sera de nouveau altérée, si

a + d = b + d

b + d = c + d

e + d = a + d + f ;

dans ce cas l'échange devra se faire comme on vient de le voir ; & le profit de b + d sera f. Si (tout le reste égal) a + d - f = c + d, & que l'on échange ces deux quantités l'une contre l'autre, il est clair que le propriétaire de c + d recevra de moins la quantité f : ainsi pour éviter cette perte, il échangera c + d contre b + d, qui est égal à la quantité a + d.

Il est évident que l'opération du change consiste à échanger des quantités l'une contre l'autre ; que celui qui est forcé d'échanger une quantité contre une autre quantité moindre que la sienne, en cherche une troisieme qui soit égale à la sienne, & qui soit réputée égale à celle qu'il est forcé d'échanger, afin de s'épargner une perte ; que celui qui fait le commerce du change, s'occupe à échanger de moindres quantités contre de plus grandes : par conséquent son profit est l'excédent de la quantité que divers échanges lui ont procuré dans son pays, sur la quantité qu'il a fournie pour le premier.

Ce commerce n'est lucratif, qu'autant qu'il rend un bénéfice plus fort que ne l'eût été l'intérêt de l'argent placé pendant le même tems dans le pays de celui qui fait l'opération : d'où ils s'ensuit que le peuple chez lequel l'argent est à plus bas prix, aura la supériorité dans ce commerce sur celui qui paye l'intérêt de l'argent plus cher ; que si ce peuple qui paye les intérêts de l'argent à plus bas prix, en a abondamment, il nuira beaucoup à l'autre dans la concurrence de ce commerce ; & que ce dernier aura peine à faire entrer chez lui l'argent étranger par cette voie.

Ce commerce n'est pas celui de tous qui augmente le plus la masse d'argent dans un état ; mais il est le plus savant & le plus lié avec les opérations politiques du gouvernement : il résulte des variations continuelles dans le prix du change, à l'occasion de l'inégalité des dettes réciproques entre divers pays, comme le change lui-même doit sa naissance à la multiplicité des dettes réciproques.

De tout ce que nous avons dit sur le change, on peut tirer ces principes généraux.

1°. L'on connoîtra si la balance générale du commerce d'un état pendant un certain espace de tems lui a été avantageuse, par le cours mitoyen de ses changes avec tous les autres états pendant le même espace de tems.

2°. Tout excedent des dettes réciproques de deux nations, ou toute balance du commerce, doit être payée en argent, ou par des créances sur une troisieme nation ; ce qui est toûjours une perte, puisque l'argent qui lui seroit revenu est transporté ailleurs.

3°. Le peuple redevable d'une balance, perd dans l'échange qui se fait des débiteurs une partie du bénéfice qu'il avoit pû faire sur ses ventes, outre l'argent qu'il est obligé de transporter pour l'excédent des dettes réciproques ; & le peuple créancier gagne, outre cet argent, une partie de sa dette réciproque dans l'échange qui se fait des débiteurs.

4°. Dans le cas où une nation doit à une autre, pour quelque raison politique, des sommes capables d'opérer une baisse considérable sur le change, il est plus avantageux de transporter l'argent en nature, que d'augmenter sa perte en la faisant ressentir au commerce.

Les livres françois qui ont le mieux traité du change dans ses principes, sont l'essai politique sur le commerce de M. Melon ; les réflexions politiques de M. Dutot ; l'examen des réflexions politiques.

Pour la pratique, on peut consulter Savary, dans son parfait négociant ; la banque rendue facile, par Pierre Giraudeau de Genève ; la bibliotheque des jeunes négocians par le sieur J. Laure ; la combinaison générale des changes par M. Darius ; le traité des changes étrangers par M. Dernis. Cet article nous a été communiqué par Mr V. D. F.

CHANGE, (Architecture) bâtiment public connu sous différens noms, où les banquiers & négocians d'une capitale s'assemblent certains jours de la semaine pour le commerce & l'escompte des billets & lettres de change. Ces édifices doivent être pourvûs de portiques pour se promener à couvert, de grandes salles, de bureaux, &c. On nomme le change à Paris, place ; à Lyon, loge du change ; à Londres, à Anvers, à Amsterdam, bourse. La place ou change à Paris est situé rue Vivienne, & fait partie de l'hôtel de la compagnie des Indes. Voyez sa distribution dans le troisieme volume de l'Architecture françoise. (P)

CHANGE, (Vénerie & Fauconnerie) Prendre le change, se dit du chien ou de l'oiseau qui abandonne son gibier pour en suivre un autre. Ainsi l'on dit, l'oiseau ou le chien a pris le change.


CHANGEANTS. m. espece de camelot de laine pure, qui se fabrique à Lille, & dont l'aunage est depuis 2/3 jusqu'à 7/16 de large, sur 20 de long. Voyez le dictionn. du Commerce.


CHANGÉE(Géog.) ville de la Chine dans la province de Channsi. Lat. 37. 8.


CHANGEING(Géog.) ville de la Chine dans la province de Xantung. Lat. 36. 56.


CHANGEMENTVARIATION, VARIÉTé, (Gramm. Synon.) termes qui s'appliquent à tout ce qui altere l'identité, soit absolue, soit relative ou des êtres ou des états. Le premier marque le passage d'un état à un autre ; le second, le passage rapide par plusieurs états successifs ; le dernier, l'existence de plusieurs individus d'une même espece, sous des états en partie semblables, en partie différens ; ou d'un même individu, sous plusieurs états différens. Il ne faut qu'avoir passé d'un seul état à un autre, pour avoir changé ; c'est la succession rapide, sous des états différens, qui fait la variation. La variété n'est point dans les actions : elle est dans les êtres ; elle peut être dans un être considéré solitairement ; elle peut être entre plusieurs êtres considérés collectivement. Il n'y a point d'homme si constant dans ses principes, qu'il n'en ait changé quelquefois ; il n'y a point de gouvernement qui n'ait eu ses variations ; il n'y a point d'espece dans la nature qui n'ait une infinité de variétés qui l'approchent ou l'éloignent par des degrés insensibles d'une autre espece. Entre ces êtres, si l'on considere les animaux, quelle que soit l'espece d'animal qu'on prenne, quel que soit l'individu de cette espece qu'on examine, on y remarquera une variété prodigieuse dans leurs parties, leurs fonctions, leur organisation, &c.

CHANGEMENT D'ORDRE, en Arithmétique & en Algebre, est la même chose que permutation. Voyez PERMUTATION.

On demande par exemple combien de changemens d'ordre peuvent avoir six personnes assises à une table : on trouvera 720. Voyez ALTERNATION & COMBINAISON. (O)

CHANGEMENT, se dit quelquefois, en Physique, de l'action de changer, ou quelquefois de l'effet de cette action. Voyez MUTATION.

C'est une des lois de la nature, que le changement qui arrive dans le mouvement, est toûjours proportionnel à la force motrice imprimée. Voyez NATURE, MOUVEMENT, FORCE, CAUSE, &c. (O)

CHANGEMENT D'ETAT DES PERSONNES, (Jurisprud.) voyez ÉTAT DES PERSONNES. (A)

CHANGEMENT, grande machine d'opéra, par le moyen de laquelle toute la décoration change dans le même moment, au coup de sifflet. Cette machine, qui est de l'invention du marquis de Sourdeac, a été adoptée par tous les théatres de Paris. Elle est fort simple, & l'exécution en est aussi sûre que facile. On en trouvera la figure, ainsi que la description des parties qui la composent, dans un des deux volumes de planches gravées. (B)


CHANGERv. act. (Marine). Dans la Marine on applique ce terme à différens usages.

Changer de bord, pour dire virer de bord ; c'est mettre un côté du vaisseau au vent, au lieu de l'autre qui y étoit ; ce qui se fait pour changer de route.

Changer les voiles ; c'est mettre au vent le côté de la voile qui étoit auparavant sous le vent.

Changer les voiles de l'avant & les mettre sur le mât ; c'est brasser entierement les voiles du mât de misene du côté du vent ; ce qui se fait afin qu'il donne dessus, & que le vaisseau étant abattu par-là, on puisse le remettre en route.

Changer l'artimon ; c'est faire passer la voile d'artimon avec sa vergue, d'un côté du mât à l'autre.

Changer la barre ; c'est un commandement qu'on fait au timonnier, de mettre la barre du gouvernail au côté opposé à celui où elle étoit.

Changer le quart ; c'est faire entrer une partie de l'équipage en service, à la place de celle qui étoit de garde, & que cette autre partie doit relever. (Z)

CHANGER UN CHEVAL ou CHANGER DE MAIN, en terme de Manége ; c'est tourner & porter la tête d'un cheval d'une main à l'autre, de droite à gauche, ou de gauche à droite. Il ne faut jamais changer un cheval, qu'on ne le chasse en-avant, en faisant le changement de main ; & après qu'on l'a changé, on le pousse droit pour former un arrêt. Pour laisser échapper un cheval de la main, il faut tourner em-bas les ongles du point de la bride. Pour le changer à droite, il faut les tourner en-haut, portant la main à droite. Pour le changer à gauche, il faut les tourner en-bas & à gauche : & pour arrêter le cheval, il faut tourner les ongles en-haut, & lever la main. Quand on apprend à un cheval à changer de main, que ce soit d'abord au pas, & puis au trot & au galop. Changer de pié, voyez DESUNIR (Se), (V)

CHANGER, en terme de Raffineur du sucre ; c'est transporter les pains d'une place à une autre, en les plaçant sur les mêmes pots que l'on a vuidés. On change pour rassembler les sirops que l'on seroit en danger de répandre, eu égard à leur abondance. Voy. RASSEMBLER.

CHANGER, se dit, en Manufact. de soierie, des cordes de semple, de rame, &c. C'est substituer dans ces parties du métier une corde à une autre, lorsque celle-ci se défile & menace de casser. Voyez RAME, SEMPLE, &c.


CHANGEURSS. m. (Commerce) particuliers établis & autorisés par le roi, pour recevoir dans les différentes villes du royaume des monnoies anciennes, défectueuses, étrangeres, hors de cours ; en donner à ceux qui les leur portent une valeur prescrite en especes courantes ; envoyer aux hôtels des monnoies les especes décriées qu'ils ont reçûes ; s'informer s'il n'y a point de particulier qui en retiennent ; les faire saisir chez ces particuliers ; veiller dans les endroits où ils sont établis, à l'état des monnoies circulantes, & envoyer à leurs supérieurs les observations qu'ils ont occasion de faire sur cet objet : d'où l'on voit que l'état de changeur, pour être bien rempli, demande de la probité, de la vigilance, & quelques connoissances des monnoies. Voyez MONNOIES.


CHANGTÉ(Géog.) grande ville de la Chine, capitale d'un pays de même nom, dans la province de Honnang. Il y a une autre ville de même nom à la Chine, dans la province de Huquang.


CHANLATTES. f. terme d'Architecture, petite piece de bois, semblable à une forte latte, qu'on attache vers les extrémités des chevrons ou coyaux, & qui saillit hors de la corniche supérieure d'un bâtiment. Sa fonction est de soûtenir deux ou trois rangées de tuiles, pratiquées ainsi pour écarter la pluie d'un mur de face. (P)


CHANNEpoisson de mer, voyez SERRAN.


CHANNSou XANSI, (Géog.) province septentrionale de la Chine, qui est très-fertile & très-peuplée. Martini jésuite assûre qu'il y a des puits, qui au lieu d'eau ne contiennent que du feu, & qu'on en tire parti pour cuire le manger. Nous n'obligeons personne à croire ce fait.


CHANNTON(Géog.) province maritime & septentrionale de la Chine, très-peuplée & très-fertile.


CHANOINES. m. (Jurisprud.) dans la signification la plus étendue, signifie celui qui vit selon la regle particuliere du corps ou chapitre dont il est membre.

Quelques-uns tirent l'étymologie du nom de chanoine, canonicus, à canone, qui signifie regle ; d'autres du même mot canon, qui signifie pension, redevance, ou prestation annuelle ; parce que chaque chanoine a ordinairement sa prébende qui lui est assignée pour sa pension.

Dans l'usage ordinaire, quand on parle d'un chanoine simplement, on entend un ecclésiastique qui possede un canonicat ou prébende dans une église cathédrale ou collégiale. Il y a cependant des chanoines laïques. Voyez ci-après CHANOINES LAÏQUES.

Il y a aussi des communautés de religieux & de religieuses, qui portent le titre de chanoines & de chanoinesses ; mais on les distingue des premiers, en ajoûtant à la qualité de chanoines celle de régulier.

Dans la premiere institution, tous les chanoines étoient réguliers ; ou pour parler plus juste, on ne distinguoit point deux sortes de chanoines : tous les clercs-chanoines observoient la regle & la vie commune sans aucune distinction.

Il ne faut cependant pas confondre les religieux avec ces clercs-chanoines ; car quoique chaque ordre religieux eût sa regle particuliere, ils n'étoient point considérés comme chanoines, ni même réputés ecclésiastiques, & ne furent appellés à la cléricature que par le pape Syrice en 383.

Plusieurs prétendent tirer l'origine des chanoines, des apôtres mêmes. Il se fondent sur ce que la tradition de tous les siecles est que depuis l'ascension de Notre-Seigneur, les apôtres vêcurent dans le célibat, & sur ce que l'on tient communément que les apôtres & les disciples donnerent des regles de la vie commune, & vêcurent entr'eux en communauté, autant que les conjonctures où ils se trouvoient pouvoient le leur permettre. On voit dans les actes des apôtres & dans leurs épîtres, qu'ils se traitoient mutuellement de freres.

Les prêtres & les diacres ordonnés par les apôtres dans les différentes églises qu'ils fonderent, vivoient aussi en commun des oblations & aumônes faites à leur église, sous l'obéissance de leur évêque.

Quoique les noms de clerc & de chanoine ne fussent pas usités dans la naissance de l'Eglise, il paroît que les prêtres diacres de chaque église formoient entr'eux un collége. S. Clément, S. Ignace, & les peres qui les ont suivis dans les trois premiers siecles de l'Eglise, se servent souvent de cette expression.

Les persécutions que les Chrétiens souffrirent dans les trois premiers siecles, empêcherent en beaucoup de lieux les clercs de vivre en commun : mais ils mettoient au-moins leurs biens en communauté, & se contentoient chacun de la postule ou portion qu'ils recevoient de leur église tous les mois, ce qu'on appella divisiones mensurnas. On les appella aussi delà, fratres sportulantes.

La distinction que l'on fit en 324 des églises cathédrales d'avec les églises particulieres, peut cependant être regardée comme le véritable commencement des colléges & communautés de clercs appellés chanoines. On voit dans S. Basile & dans S. Cyrille, que l'on se servoit dejà du nom de chanoines & de chanoinesse dans l'église d'Orient. Ces noms furent usités plus tard en Occident.

Le P. Thomassin, en son traité de la discipline ecclésiastique, soûtient que jusqu'au tems de S. Augustin il n'y avoit point encore eu en Occident de communauté de clercs vivant en commun, & que celles qui furent alors instituées ne subsisterent pas long-tems ; que ce ne fut que du tems de Charlemagne que l'on commença à les rétablir. Cependant Chaponel, hist. des chanoines, prouve qu'il y avoit toûjours eu des communautés de clercs qui ne possédoient rien en propre.

Quoi qu'il en soit, S. Augustin qui fut élû évêque d'Hippone en 391, est considéré comme le premier qui ait rétabli la vie commune des clercs en Occident ; mais il ne les qualifie pas de chanoines. Et depuis S. Augustin jusqu'au second concile de Vaison, tenu en 529, on ne trouve point d'exemple que les clercs vivant en commun ayent été appellés chanoines, comme ils le sont par ce concile, & ensuite par celui d'Orléans.

Clovis ayant fondé à Paris l'église de S. Pierre & S. Paul, y établit des clercs qui vivoient en commun sub canonicâ religione.

Grégoire de Tours, liv. X. de son hist. & ch. jx. de la vie des peres, dit que ce fut un nommé Baudin évêque de cette ville, qui institua le premier la vie commune des chanoines, hic instituit mensam canonicorum : c'étoit du tems de Clotaire I. qui regnoit au commencement du vj. siecle.

On trouve cependant plusieurs exemples antérieurs de clercs qui vivoient en commun : ainsi Baudin ne fit que rétablir la vie commune, dont l'usage étoit déjà plus ancien, mais n'avoit pas toûjours été observé dans toutes les églises ; ce qui n'empêchoit pas que depuis l'institution des cathédrales, l'évêque n'eût un clergé attaché à son église, composé de prêtres & de diacres qui formoient le conseil de l'évêque, & que l'on appelloit son presbytere.

Le concile d'Ephese écrivit en 431 au clergé de Constantinople & d'Alexandrie, ad clerum populumque constantinopolitanum, &c. pour leur apprendre la disposition de Nestorius. Tome III. des conc. pag. 571. & 574.

Le pape Syrice condamna Jovinien & ses erreurs dans une assemblée de ses prêtres & diacres, qu'il appelle son presbytere.

Lorsque le pape Félix déposa Pierre Cnaphée faux évêque d'Antioche, il prononça la sentence tant en son nom que de ceux qui gouvernoient avec lui le siége apostolique, c'est-à-dire ses prêtres & ses diacres.

Les conciles de ces premiers siecles sont tous souscrits par le presbytere de l'évêque. C'est ce que l'on peut voir dans les conciles d'Afrique, tome II. des conciles, pag. 1202. Thomassin, discipl. de l'Eglise, part. I. liv. I. ch. xlij.

Le quatrieme concile de Carthage en 398, défendit aux évêques de décider aucune affaire sans la participation de leur clergé : Ut episcopus nullius causam audiat absque praesentiâ clericorum suorum ; alioquin irrita erit sententia episcopi, nisi clericorum praesentiâ confirmetur.

S. Cyprien communiquoit également à son clergé les affaires les plus importantes, & celles qui étoient les plus legeres.

S. Grégoire le grand, pape, qui siégeoit vers la fin du vj. siecle & au commencement du vij. ordonna le partage des biens de l'église en quatre parts, dont une étoit destinée pour la subsistance du clergé de l'évêque : ce qui fait juger que la vie commune n'étoit pas alors observée parmi les chanoines.

Paul diacre prétend que S. Chrodegand évêque de Metz, qui vivoit vers le milieu du vij. siecle sous le regne de Pepin, fut celui qui donna commencement à la vie commune des chanoines : on a vû néanmoins que l'usage en est beaucoup plus ancien ; saint Chrodegand ne fit donc que la rétablir dans son église.

Ce qui a pû le faire regarder comme l'instituteur de la vie canoniale, est qu'il fit une regle pour les chanoines de son église, qui fut approuvée & reçûe par plusieurs conciles de France, & confirmée par l'autorité même des rois.

Cette regle est la plus ancienne que nous ayons de cette espece : elle est tirée pour la plus grande partie de celle de S. Benoît, que S. Chrodegand accommoda à la vie des clercs.

Dans la préface il déplore le mépris des canons, la négligence des pasteurs, du clergé, & du peuple.

La regle est composée de trente-quatre articles dont les principaux portent en substance : que les chanoines devoient tous loger dans un cloître exactement fermé, & couchoient en différens dortoirs communs, où chacun avoit son lit. L'entrée de ce cloître étoit interdite aux femmes, & aux laïques sans permission. Les domestiques qui y servoient, s'ils étoient laïques, étoient obligés de sortir si-tôt qu'ils avoient rendu leur service. Les chanoines avoient la liberté de sortir le jour, mais ils devoient se rendre tous les soirs à l'église pour y chanter complies, après lesquelles ils gardoient un silence exact jusqu'au lendemain à prime. Ils se levoient à deux heures pour dire matines ; l'intervalle entre matines & laudes étoit employé à apprendre les pseaumes par coeur, où à lire & étudier. Le chapitre se tenoit tous les jours après prime : on y faisoit la lecture de quelque livre édifiant ; après quoi l'évêque ou le supérieur donnoit les ordres & faisoit les corrections. Après le chapitre, chacun s'occupoit à quelque ouvrage des mains, suivant ce qui lui étoit prescrit. Les grands crimes étoient soûmis à la pénitence publique ; les autres à des pratiques plus ou moins rudes, selon les circonstances. La peine des moindres fautes étoit arbitraire ; mais on n'en laissoit aucune impunie. Depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte, ils faisoient deux repas & mangeoient de la viande, excepté le vendredi : depuis la Pentecôte jusqu'à la saint-Jean, l'usage de la viande leur étoit interdit ; & depuis la saint-Jean jusqu'à la saint-Martin, ils faisoient deux repas par jour, avec abstinence de viande le mercredi & le vendredi. Ils jeûnoient jusqu'à none pendant l'avent ; & depuis Noël jusqu'au carême, trois jours de la semaine seulement. En carême ils jeûnoient jusqu'à vêpres, & ne pouvoient manger hors du cloître. Il y avoit sept tables dans le réfectoire : la premiere, pour l'évêque qui mangeoit avec les hôtes & les étrangers ; l'archidiacre, & ceux que l'évêque y admettoit ; la seconde, pour les prêtres ; la troisieme, pour les diacres ; la quatrieme, pour les soûdiacres ; la cinquieme, pour les autres clercs ; la sixieme, pour les abbés & ceux que le supérieur jugeoit à propos d'y admettre ; la septieme, pour les clercs de la ville les jours de fêtes. Tous les chanoines devoient faire la cuisine chacun à leur tour, excepté l'archidiacre & quelques autres officiers occupés plus utilement. La communauté étoit gouvernée par l'évêque, & sous lui par l'archidiacre & le primicier, que l'évêque pouvoit corriger & déposer s'ils manquoient à leur devoir. Il y avoit un célérier, un portier, un infirmier : il y avoit aussi des custodes ou gardiens des principales églises de la ville. On avoit soin des chanoines malades, s'ils n'avoient pas dequoi subvenir à leurs besoins. Ils avoient un logement séparé, & un clerc chargé d'en prendre soin. Ceux qui étoient en voyage avec l'évêque ou autrement, gardoient autant qu'il leur étoit possible la regle de la communauté. On fournissoit aux chanoines leur vêtement uniforme : les jeunes portoient les habits des anciens, quand ils les avoient quittés. On leur donnoit de l'argent pour acheter leur bois. La dépense du vestiaire & du chauffage se prenoit sur les rentes que l'église de Metz levoit à la ville & à la campagne. Les clercs qui avoient des bénéfices devoient s'habiller : on appelloit alors bénéfice, la joüissance d'un certain fonds accordée par l'évêque. La regle n'obligeoit pas les clercs à une pauvreté absolue ; mais il leur étoit prescrit de se défaire en faveur de l'église, de la propriété des fonds qui leur appartenoient, & de se contenter de l'usufruit & de la disposition de leurs effets mobiliers. Ils avoient la libre disposition des aumônes qui leur étoient données pour leurs messes, pour la confession, ou pour l'assistance des malades, à moins que l'aumône ne fût donnée pour la communauté. Les clercs qui n'étoient point de la communauté & qui demeuroient dans la ville hors du cloître, devoient venir les dimanches & fêtes aux nocturnes & aux matines dans la cathédrale ; ils assistoient au chapitre & à la messe, & mangeoient au réfectoire à la septieme table qui leur étoit destinée. Les chanoines pouvoient avoir des clercs pour les servir, avec la permission de l'évêque. Ces clercs étoient soûmis à la correction, & devoient assister aux offices en habit de leur ordre, comme des clercs du dehors ; mais ils n'assistoient point au chapitre, & ne mangeoient point au réfectoire. Enfin il étoit ordonné aux clercs de se confesser deux fois l'année à l'évêque, au commencement du carême & depuis la mi-Août jusqu'au premier de Novembre, sauf à se confesser dans les autres tems autant de fois & à qui ils voudroient. Ils devoient communier tous les dimanches & les grandes fêtes, à moins que leurs péchés ne les en empêchassent.

Telle étoit en substance la regle de S. Chrodegand, que tous les chanoines embrasserent depuis, comme les moines celle de S. Benoît.

Charlemagne, dans un capitulaire de 789, ordonne à tous les chanoines de vivre selon leur regle : c'est pourquoi quelques-uns tiennent que leur établissement précéda de peu de tems l'empire de Charlemagne. Il est certain qu'il cimenta leur établissement. Voyez le discours de Frapaolo, page 65. Pasquier prétend que l'on ne connoissoit point le nom de chanoine avant Charlemagne ; mais il est certain qu'en Orient les colléges & communautés de clercs commencerent dès le quatrieme siecle à porter le nom de chanoines. S. Basile & S. Cyrille de Jérusalem sont les premiers qui se sont servis du terme de chanoines & de chanoinesses. Le concile de Laodicée, que quelques-uns croyent avoir été tenu en 314, d'autres en 319, défend, art. 15. à toutes personnes de chanter dans l'église, à l'exception des chanoines-chantres. Le premier concile de Nicée, tenu en 325, fait souvent mention des clercs-chanoines. Pour ce qui est de l'église d'Occident, le nom de chanoine ne commença guere à être usité que vers le vj. siecle.

Le vj. concile d'Arles, en 813, can. 6. distingue les chanoines des réguliers, qui dans cet endroit s'entendent des moines.

Le concile de Tours, tenu en la même année, distingue trois genres de communauté : les chanoines soûmis à l'évêque, d'autres soûmis à des abbés, & les monasteres de religieux. Il paroît par quelques canons de ce concile, que la profession religieuse commençant à s'abolir dans quelques monasteres, les abbés y vivoient plûtôt en chanoines qu'en religieux ; ce qui fit que peu-à-peu ces monasteres se séculariserent, & que les chapitres de chanoines furent substitués à beaucoup de monasteres.

Au concile d'Aix-la-Chapelle, tenu en 816, on rédigea une regle pour les chanoines, & une pour les religieuses. Henault, année 816. Ce même concile défendit aux chanoines de s'approprier les meubles de l'évêque décédé, comme ils avoient fait jusqu'alors.

Dans le x. siecle, outre les chapitres des églises cathédrales, on en établit d'autres dans les villes où il n'y avoit point d'évêque, & ceux-ci furent appellés collégiales. Par succession de tems, on a multiplié les collégiales, même dans plusieurs villes épiscopales.

Les conciles de Rome, en 1019 & en 1063, ordonnerent aux clercs de reprendre la vie commune que la plûpart avoient abandonnée : elle fut en effet rétablie dans plusieurs cathédrales du royaume ; ce qui dura ainsi pendant l'espace d'un siecle environ. Mais avant l'an 1200, on avoit quitté presque partout la vie commune, & l'on autorisa le partage des prébendes entre les chanoines : & tel est l'état présent de tous les chanoines séculiers des églises cathédrales & collégiales.

Suivant la regle 17 de la chancellerie romaine, à laquelle la jurisprudence de plusieurs tribunaux se trouve conforme, il suffit d'avoir 14 ans accomplis pour être chanoine dans une église cathédrale ; au grand conseil on juge qu'il suffit d'avoir dix ans. Pour être chanoine de Paderborn, il faut avoir 21 ans, avoir étudié dans une université fameuse de France ou d'Italie, pendant un an & six semaines, sans avoir découché. Tabl. de l'emp. germ. p. 94.

Il y a plusieurs chapitres dans lesquels on ne peut être reçû sans avoir fait preuve de noblesse, tel que celui des comtes de Lyon, de Strasbourg, & autres. Dans le chapitre noble de Wirtzbourg, le chanoine élû passe entre les chanoines rangés en haie, & reçoit d'eux des coups de verges sur le dos : on tient que cela a été ainsi établi pour empêcher les barons & les comtes d'avoir entrée dans ce chapitre. Tab. de l'emp. germ. p. 91.

Pour ce qui est de l'ordre ecclésiastique que doivent avoir les chanoines, le concile de Trente, sess. 24. ch. xij. laisse ce point à la disposition des évêques ; il ordonne néanmoins que dans les églises cathédrales il y ait au moins la moitié des chanoines qui soient prêtres, & les autres diacres ou soûdiacres ; il recommande l'exécution des statuts particuliers des églises, qui veulent que le plus grand nombre, & même tous les chanoines soient prêtres.

Les conciles provinciaux qui ont suivi ont fait des réglemens à-peu-près semblables ; tels sont celui de Roüen tenu en 1581, & ceux de Rheims, Bordeaux & Tours en 1583.

Ces réglemens ne sont pas observés par-tout d'une maniere uniforme ; mais on les suit dans plusieurs églises, dont le titre de la fondation ou les statuts particuliers l'ordonnent ainsi ; & les arrêts des cours souveraines ont confirmé ces réglemens toutes les fois que l'on a voulu y déroger.

Les chanoines qui ne sont pas au-moins soûdiacres, n'ont point de voix en chapitre, & ne peuvent donner leur suffrage pour l'élection d'aucun bénéficier, ni nommer aux bénéfices ; mais si la nomination est attachée à la prébende d'un chanoine en particulier, il peut nommer au bénéfice, quoiqu'il ne soit pas dans les ordres sacrés.

Les chanoines des églises cathédrales & collégiales sont obligés de résider dans le lieu de leur canonicat, & d'assister au service dans l'église à laquelle il est attaché.

Ils ne peuvent dans chaque année s'absenter pendant l'espace de plus de trois mois, soit de suite, ou en différens tems de l'année ; & si les statuts du chapitre exigent une résidence plus exacte, ils doivent être observés.

Mais si les statuts permettoient aux chanoines de s'absenter pendant plus de trois mois, ils seroient abusifs, quelqu'anciens qu'ils fussent, quand même ils auroient été autorisés par quelque bulle du pape.

On trouve cependant qu'à Hildesheim en Allemagne, évêché fondé par Louis le débonnaire, où le chapitre est composé de vingt-quatre chanoines capitulans, & de six dignités, le prevôt, le doyen, & quatre chore-évêques, chori episcopi ; lorsqu'un chanoine a fait son stage, qui est de trois mois, il lui est permis de s'absenter pendant six ans, sous trois différens prétextes ; savoir deux ans peregrinandi causâ, deux ans devotionis causâ, & deux ans studiorum gratiâ. Voyez le tableau de l'empire germanique, p. 94.

On fait un conte sur les chanoines d'Elgin, ville maritime de la province de Murrai en Ecosse, que l'on suppose avoir été changés en anguilles ; par où l'on a peut-être voulu feindre que l'on ne pouvoit fixer ces chanoines, & leur faire observer la résidence. Journ. de Verdun, Oct. 1751. p. 249.

Les chanoines qui s'absentent pendant plus de trois mois dans le cours d'une année, sont privés des fruits de leur prébende à proportion du tems qu'ils ont été absens ; c'est la peine que les canons prononcent contre tous les bénéficiers absens en général. Cap. consuetudinem de clericis non residentibus in VI°. & conc. Trid. sess. 24. de reform. cap. xij.

Lorsque les statuts du chapitre obligent les chanoines à une résidence & à une assiduité continuelle, on leur accorde cependant quelque tems pour faire leurs affaires. Un arrêt du 29 Mai 1669 régla ce tems à un mois pour un chanoine de Sens.

Les chanoines, pour être réputés présens dans la journée, & avoir leur part des distributions qui se font pour chaque jour d'assistance, doivent assister au-moins aux trois grandes heures canoniales, qui sont matines, la messe, & vêpres.

Les distributions manuelles qui se font aux autres offices, n'appartiennent qu'à ceux qui s'y trouvent réellement présens.

Les statuts qui réputent présens pendant la journée ceux qui ont assisté à l'une des trois grandes heures canoniales, sont abusifs.

On ne tient pour présent aux grandes heures que ceux qui y ont assisté depuis le commencement jusqu'à la fin ; il y a un chanoine pointeur, c'est-à-dire qui est préposé pour marquer les absens, & ceux qui arrivent lorsque l'office est commencé ; savoir à matines, après le Venite exultemus ; à la messe, après le Kyrie eleison ; & à vêpres, après le premier pseaume. Prag. sanct. tit. xj.

Les chanoines malades sont réputés présens & assistans ; desorte qu'ils ont toujours leur part tant des gros fruits que des distributions manuelles, comme s'ils avoient été au choeur.

Ceux qui étudient dans les universités fameuses, ou qui y enseignent, sont réputés présens à l'effet de gagner les gros fruits, mais non pas les distributions manuelles. Cap. licet extr. de praebend. & dignit.

Il en est de même de tous ceux qui sont absens pour le service de leur église, ou de l'état, ou pour quelque autre cause légitime. Concordat. de collationibus.

CHANOINES ATTENDANS ; voyez CHANOINES EXPECTANS.

CHANOINES CAPITULANS, sont ceux qui ont voix délibérative dans l'assemblée du chapitre. Ceux qui ne sont pas au moins soûdiacres ne sont point capitulans.

CHANOINES-CARDINAUX, seu incardinati, étoient des clercs qui non-seulement observoient la regle & la vie commune, mais qui étoient attachés à une certaine église, de même que les prêtres l'étoient à une paroisse. Léon IX. en créa l'an 1051 à S. Etienne de Besançon, & Alexandre III. dans l'église de Cologne. Il y en a encore qui prennent ce titre dans les églises de Magdebourg, de Compostelle, Benevent, Aquilée, Ravenne, Milan, Pise, Naples ; & quelques autres. Ce titre, dont ils se font honneur à cause qu'il est uni avec le titre de cardinal, n'ajoûte rien cependant à leur qualité de chanoine, puisqu'aujourd'hui tous les canonicats étant érigés en bénéfices, les chanoines sont attachés à leur église de même que tous les autres bénéficiers.

CHANOINES DAMOISEAUX ou DOMICELLAIRES. canonici domicellares, est le nom que l'on donnoit autrefois, dans quelques églises, aux jeunes chanoines qui n'étoient pas encore dans les ordres sacrés.

Il y a dix-huit chanoines domicellaires dans l'église de Mayence, dont le plus ancien, pourvû qu'il soit âgé de 24 ans & dans les ordres sacrés, remplit la place de celui des vingt-quatre capitulans qui vient à vaquer. Un de ces domicellaires peut aussi succéder par résignation. Il n'y a que les capitulans qui ayent droit d'élire l'archevêque de Mayence. Tableau de l'empire germ. p. 84.

Il y a aussi des chanoines domicellaires dans l'église de Strasbourg.

CHANOINES DOMICELLAIRES, voyez ci-devant CHANOINES DAMOISEAUX.

CHANOINE ad effectum, est un dignitaire auquel le pape confere le titre nud de chanoine, sans prébende, à l'effet de pouvoir posséder la dignité dont il est pourvû dans une église cathédrale. L'usage de presque toutes les églises cathédrales & collégiales, est que les dignités ne peuvent être possédées que par des chanoines de la même église, ou s'ils ne sont pas chanoines prébendés, ils doivent se faire pourvoir en cour de Rome d'un canonicat ad effectum. La pragmatique sanction, tit. de collationibus, décide que le pape ne peut créer des chanoines surnuméraires dans les églises où le nombre est fixe ; mais qu'il peut créer des chanoines ad effectum : il s'est réservé ce pouvoir par le concordat : une simple signature de la cour de Rome suffit pour créer un de ces chanoines ; mais il faut que la clause ad effectum soit expresse, & qu'il soit dit aussi nonobstante canonicorum numero. Les chanoines ainsi créés peuvent cependant prendre le titre de chanoines, sans ajoûter que c'est ad effectum. Un tel chanoine ne peut, à raison de son canonicat, prendre de sa propre autorité possession de la dignité vacante, & l'on doute s'il est tenu de payer quelque chose pour droit d'entrée. Il n'est astreint ni à la résidence, ni à aucune assistance aux heures canoniales, ni à la promotion aux ordres ; mais aussi il ne jouit point des priviléges des autres chanoines : il n'a aucune part aux distributions quotidiennes, à moins qu'il n'y ait usage contraire ; il n'a point de voix au chapitre ; il ne peut permuter ; & s'il est pourvû d'une prébende ou dignité dont il se démette dans la suite, le canonicat ad effectum n'est point réputé vacant, à moins qu'il ne s'en soit démis nommément. Il ne peut être juge délégué par le pape ou son légat, comme le peuvent être les autres chanoines prébendés des églises cathédrales séculieres, n'étant créé qu'à l'effet de pouvoir obtenir & posséder une dignité qui exige la qualité de chanoine. Voyez Rebuffe sur le concordat, tit. de conservationibus, au mot in cathedralibus. definit. canon. p. 252. Jovet, au mot chanoinies, n. 49. Albert, au mot évêques, art. xiij. Bibliotheq. canon. tome I. pp. 198 & suiv.

CHANOINES EXPECTANS, ou sub expectatione praebendae, étoient ceux qui en attendant une prébende, avoient le titre & la dignité de chanoines, voix en chapitre, & une forme ou place au choeur. C'est une des libertés de l'église gallicane, que le pape ne peut créer de chanoine dans aucune église cathédrale ou collégiale, sub expectatione futurae praebendae, même du consentement du chapitre, si ce n'est à l'effet seulement de pouvoir y posséder des dignités, personnats, ou offices, ce que l'on appelle chanoines ad effectum. C'est ce que décide la pragmat. sanction, tit. de collationib. §. item censuit. Voyez la bibliotheque de Bouchel, au mot chanoine ; Francis. Marc. tome I. quaest. 1042 & 1171. & tome II. quaest. 255. & au mot CHANOINE ad effectum.

CHANOINES FORAINS, forenses, sont ceux qui ne desservent pas en personne la chanoinie dont ils sont pourvûs. Il y avoit autrefois beaucoup de ces chanoines forains qui avoient des vicaires qui faisoient l'office pour eux. On peut encore mettre dans cette classe certains chapitres qui ont une place de chanoine dans la cathédrale, qu'ils font desservir par un vicaire perpétuel ; tels que ceux de S. Victor, de S. Martin-des-champs, de S. Denis-de-la-chartre, de S. Marcel, qui prennent le titre de hauts vicaires. C'est sans-doute aussi de-là que dans certaines églises il y a une bourse foraine différente de la bourse commune du chapitre.

CHANOINES HEREDITAIRES, sont des laïcs auxquels quelques églises cathédrales ou collégiales ont déféré le titre & les honneurs de chanoine honoraire, ou plutôt de chanoine ad honores.

C'est ainsi que dans le cérémonial romain l'empereur est reçu chanoine de S. Pierre de Rome.

Le Roi, par le droit de sa couronne, est le premier chanoine honoraire héréditaire des églises de S. Hilaire de Poitiers, de S. Julien du Mans, de S. Martin de Tours, d'Angers, de Lyon, & de Châlons. Lorsqu'il y fait son entrée, on lui présente l'aumusse & le surplis.

Quelques seigneurs particuliers ont aussi le titre de chanoine héréditaire dans certaines églises.

Les ducs de Berri sont chanoines honoraires de S. Jean de Lyon.

Just, baron de Tournon, étoit chanoine héréditaire de l'église de S. Just de Lyon.

Le sire de Thoire & de Villars l'étoit de S. Jean de Lyon.

Hervé, baron de Donzy, l'étoit de S. Martin de Tours ; les comtes de Nevers ses enfans & descendans y ont succédé. Voyez le traité de la noblesse, par de la Roque, page 69.

Les comtes de Châtelus prennent aussi le titre de premier chanoine héréditaire de l'église cathédrale d'Auxerre. L'origine de ce droit est de l'an 1423, où Claude de Beauvoir, seigneur de Châtelus, chassa des brigands qui occupoient Cravan ville appartenante au chapitre d'Auxerre : il y soutînt ensuite le siege pendant cinq semaines, fit une sortie, aida à défaire les assiégeans, fit prisonnier le connétable d'Ecosse leur général, & remit la ville au chapitre sans aucun dédommagement : en reconnoissance de quoi le chapitre lui accorda, pour lui & sa postérité, la dignité de premier chanoine héréditaire. Le comte de Châtelus en prit possession : après le serment prêté, il vint à la porte du choeur, pendant tierce, en habit militaire, botté, éperonné, revêtu d'un surplis, ayant un baudrier avec l'épée dessus, ganté des deux mains, l'aumusse sur le bras gauche, sur le poing un faucon, à la main droite un chapeau bordé garni d'une plume blanche ; il fut placé à droite dans les hautes chaires, entre le pénitencier & le soûchantre : 84 ans auparavant, son pere avoit été reçu en la même dignité.

Les seigneurs de Chailly, proche Fontainebleau, ont aussi un droit à-peu-près semblable, qui vient de ce qu'en 1475, Jean seigneur de Chailly donna au chapitre de Notre-Dame de Melun toutes les dixmes qu'il avoit à Chailly ; en reconnoissance de quoi, les chanoines de Melun s'obligerent de donner à ce seigneur, & à ses successeurs seigneurs de Chailly, toutes & quantes fois qu'ils seront en la ville de Melun, la distribution de pain, telle & semblable comme à l'un des chanoines de cette église, à toujours, perpétuellement, &c. Par une suite de cet accord, les seigneurs de Chailly sont en possession de prendre place dans la troisieme chaire haute, à droite du choeur de Notre-Dame de Melun. Ils ont occupé cette place en différentes occasions, & les nouveaux seigneurs y ont été installés la premiere fois par le chapitre ; entr'autres, Georges d'Esquidy, auquel, du consentement du chapitre, le chantre fit le 20 Mai 1718 prendre séance dans cette place, revêtu de l'aumusse, pour, lorsqu'il assisteroit au service divin, lui donner la distribution portée par ses titres ; & le chapitre fit chanter l'antienne sub tuum praesidium, & jouer de l'orgue. Extrait du procès-verbal.

CHANOINES HONORAIRES, sont de plusieurs sortes ; il y en a de laïcs & d'ecclésiastiques ; savoir,

1°. Des laïcs, qui sont chanoines honoraires & héréditaires dans certaines églises : on pourroit plutôt les appeller chanoines ad honores. Voyez ci-devant CHANOINES HEREDITAIRES.

2°. Il y a des ecclésiastiques qui par leur dignité sont chanoines honoraires nés de certaines églises, quoique leur dignité soit étrangere au chapitre. Par exemple, dans l'église noble de Brioude, les évêques du Puy & de Mende, avec leurs abbés, sont comtes nés de Brioude ; ce sont des chanoines honoraires.

3°. On peut en quelque sorte regarder comme chanoines honoraires, certaines églises & monasteres qui ont une place de chanoine dans quelqu'autre église cathédrale ou collégiale, comme les chanoines réguliers de S. Victor de Paris, qui ont droit d'entrée & de fonction dans l'église métropolitaine de Paris, & dans l'église collégiale de S. Cloud, parce qu'une prébende de ces chapitres est unie à leur maison. Voyez ci-devant CHANOINES FORAINS.

4°. Les chanoines ad effectum sont encore une autre sorte de chanoines honoraires. Voyez ci-devant CHANOINES ad effectum.

5°. On voit encore quelquefois des chanoines honoraires d'une autre espece, lorsqu'un chapitre confere ce titre à quelque personne distinguée dans l'église par sa naissance, sa dignité, ou par sa piété, sans que cette personne ait jamais été titulaire d'une prébende : c'est une aggrégation spirituelle que les chapitres ne font que pour de grandes considérations. Le cardinal de Fustemberg, quelques années avant sa mort, fut ainsi nommé chanoine honoraire de S. Martin de Tours.

6°. L'espece la plus commune des chanoines honoraires est celle des vétérans, qui ont servi vingt ans & plus leur église, & qui s'étant démis du titre de leur bénéfice, conservent le titre de chanoine honoraire, avec rang, séance, entrée au choeur, & même quelques droits utiles. C'est une récompense qu'il est juste d'accorder à ceux qui ont long-tems servi l'église, & qui continuent à édifier en assistant encore, autant qu'ils peuvent, au service divin. Lettre de M. Cochet de S. Valier, sur le traité des droits des chapitres. Voyez aussi CHANOINES JUBILAIRES.

CHANOINES JUBILAIRES, ou JUBILES, sont ceux qui desservent leurs prébendes depuis 50 ans : ils sont toujours réputés présens, & joüissent des distributions manuelles. Dans l'église cathédrale de Metz, on est jubilaire au bout de quarante ans.

CHANOINES LAÏCS, sont pour la plûpart des chanoines honoraires & héréditaires, dont on a parlé ci-devant aux mots CHANOINES HEREDITAIRES & CHANOINES HONORAIRES. Il y a cependant quelques exemples singuliers de chanoines titulaires qui sont laïcs, & même mariés. A Tirlemont en Flandre, il y a une église collégiale de chanoines fondés par un comte de Barlemont, qui doivent être mariés : ils portent l'habit ecclésiastique, mais ne sont point engagés dans les ordres : les canonicats valent environ 400 liv. monnoie de France. Le doyen doit être ecclésiastique, & non marié.

CHANOINES MAJEURS, sont ceux qui ont les grandes prébendes d'une église : on les appelle ainsi par opposition à ceux qui ont de moindres prébendes, qu'on appelle chanoines mineurs. Il y en a un exemple dans l'église cathédrale de S. Omer, où l'on distingue les prébendes majeures de quelques prébendes mineures qui sont d'une autre fondation.

CHANOINES MANSIONNAIRES ou RESIDENS, sont ceux qui desservent en personne leur église, à la différence des chanoines forains qui ont une place de chanoine qu'ils font desservir par un vicaire. Voyez ci-devant CHANOINE FORAIN.

CHANOINES MINEURS, ou petits chanoines, sont ceux qui ne possedent que les moindres prébendes, à la différence de ceux qui ont les grandes prébendes, qu'on appelle chanoines majeurs. Il y avoit dans l'église de Londres des chanoines mineurs, qui faisoient les fonctions des grands chanoines.

CHANOINE in minoribus, est celui qui n'est pas encore dans les ordres sacrés, n'a point de voix au chapitre, & ne joüit pas de certains honneurs.

CHANOINES MITRES, sont ceux qui par un privilége particulier qui leur a été accordé par les papes, ont le droit de porter la mitre. Les chanoines de la cathédrale & des quatre collégiales de Lyon, sont tous en possession de ce droit. Il y a aussi à Lucques des chanoines mitrés, auxquels ce droit a été confirmé par Grégoire IX.

CHANOINES-MOINES, étoient les mêmes que les chanoines-réguliers ; il en est parlé dans la vie de Grégoire IV. par Anastase le bibliothécaire, & dans un vieux pontifical de S. Prudence évêque de Troyes. Il y a encore quelques cathédrales dont le chapitre est composé de religieux.

CHANOINE-POINTEUR, est celui d'entre les chanoines qui est préposé pour marquer les absens, & ceux qui arrivent au choeur lorsque l'office est déjà commencé ; savoir, à matines, après le Venite exultemus ; à la messe, après le Kyrie eleison ; & à vêpres, après le premier pseaume. On l'appelle pointeur, parce que sur la liste des chanoines il marque un point à côté du nom des absens, ou de ceux qui arrivent trop tard au choeur. Quelquefois le pointeur, au lieu de faire un point, pique avec une épingle les noms de ceux qui sont dans le cas d'être pointés ou piqués, ce qui est la même chose.

CHANOINES-REGULIERS, sont ceux qui vivent en communautés, & qui, comme les religieux, ont ajoûté par succession de tems à la pratique de plusieurs observances régulieres, la profession solemnelle des voeux.

On les appelle réguliers, pour les distinguer des autres chanoines qui ont abandonné la vie commune, & qui ne font point de voeux.

Les clercs-chanoines qui observoient une regle & la vie commune, subsisterent pendant quelque tems sans aucune distinction entr'eux ; les uns disent jusque dans le sixieme siecle ; d'autres reculent cette époque jusqu'au onzieme siecle.

Ce qui est certain, c'est que par succession de tems quelques colléges de chanoines ayant quitté la regle & la vie commune, on les appella simplement chanoines ; & ceux qui retinrent leur premier état, chanoines réguliers. Voyez ce qui a été dit ci-devant au mot CHANOINE, touchant leur origine.

Les chanoines réguliers suivent presque tous la regle de S. Augustin, qui les assujettit à faire des voeux : il y a néanmoins plusieurs autres regles particulieres.

L'état des chanoines est peu différent de celui des moines ; si ce n'est que les chanoines réguliers sont appellés par état au soin des ames ; & qu'en conséquence ils sont en possession de tenir des bénéfices à charge d'ames ; au lieu que les moines n'ont pour objet que leur propre sanctification.

Les chanoines réguliers & les moines ont cela de commun, qu'ils ne peuvent ni hériter ni tester, & que leur communauté leur succede de droit.

Il y a encore quelques églises cathédrales dont les chapitres sont composés de chanoines réguliers, tels que ceux d'Usès & d'Aleth.

Yves de Chartres est regardé comme l'instituteur de l'état des chanoines réguliers en France.

Sur l'origine & l'état des chanoines réguliers, voyez Gabriel Penotus, Hist. canon. regular. Joannes Malegarus, Instituta & progressus clericalis canonicorum ordin. ; le II. tome de l'hist. des ord. monast. & l'hist. des chanoines par Chaponel.

CHANOINES RESIDENS, voyez ci-devant CHANOINES MANSIONNAIRES.

CHANOINES SECULARISES, sont ceux qui étant autrefois religieux ou chanoines réguliers, ont été mis dans le même état que les chanoines séculiers. Chopin, de sacrâ politiâ, liv. I. parle des chanoines sécularisés.

CHANOINE SECULIER, se dit quelquefois par opposition à chanoine régulier. Voyez ci-devant CHANOINE & CHANOINE REGULIER. Il s'entend aussi quelquefois des chanoines laïcs, honoraires, & héréditaires. Voyez ci-devant CHANOINES LAÏCS, CHANOINES HEREDITAIRES, & CHANOINES HONORAIRES.

CHANOINE SEMI-PREBENDE, est celui qui n'a qu'une demi-prébende.

CHANOINE ad succurrendum, étoit le titre que l'on donnoit à ceux qui se faisoient aggréger en qualité de chanoine à l'article de la mort, pour avoir part aux prieres du chapitre.

CHANOINE SURNUMERAIRE, étoit celui auquel on conféroit le titre de chanoine, sub expectatione futurae praebendae ; ce qui n'est point reçû parmi nous. Voyez ci-devant CHANOINE EXPECTANT ; & Francis. Marc. tome I. quaest. 16. & 1043. 1044. 1045. 1371. & tome II. quaest. 476. Voyez aussi CHANOINE ad effectum, qui est une espece de chanoines surnuméraires.

CHANOINE TERTIAIRE, tertiarius, étoit celui qui ne touchoit que la troisieme partie des fruits d'une prébende, de même que l'on voit encore des sémi-prébendés qui ne touchent que moitié du revenu d'une prébende qui est partagée entre deux chanoines.

CHANOINE DE TREIZE MARCS ; il en est parlé dans un ordinaire manuscrit de l'église de Roüen. Il y a apparence que ce surnom leur fut donné parce que le revenu de leurs canonicats étoit alors de treize marcs d'argent. (A)


CHANOINESSES. f. est une fille qui possede une prébende affectée à des filles par la fondation, sans qu'elles soient obligées de renoncer à leur bien, ni de faire aucun voeu.

Leur origine est presque aussi ancienne que celle des chanoines ; car sans remonter aux diaconesses de la primitive église, S. Augustin fonda dans le pourpris de son église d'Hippone un couvent de saintes filles, qui vivoient en communauté sous la regle qu'il leur avoit prescrite.

Plusieurs autres personnes en fonderent aussi en différens endroits.

Il en est parlé dans la novelle 59 de Justinien, & dans les constitutions de Charlemagne.

On n'en voit plus guere qu'en Flandre, en Lorraine, & en Allemagne.

Dans l'église de sainte-Marie du capitole à Cologne, il y a des chanoines & des chanoinesses, qui à certains jours de l'année font l'office dans le même choeur, & psalmodient ensemble. Voyage de Cologne par Joly, pag. 242.

Toutes ces chanoinesses peuvent être reçues en très-bas âge : elles doivent faire preuve de noblesse de plusieurs races, tant du côté paternel que du côté maternel ; ce qui fait que dans ces pays les personnes de qualité ne se mesallient pas, pour ne pas faire perdre à leurs filles le droit d'être admises dans ces chapitres nobles.

Elles chantent tous les jours au choeur l'office canonial avec l'aumusse, revêtues d'un habit ecclésiastique qui leur est particulier : elles peuvent porter le reste du jour un habit séculier pour aller en ville : elles logent chacune en des maisons séparées, mais renfermées dans un même enclos : elles ne sont engagées par aucun voeu solemnel, peuvent résigner leurs prébendes & se marier ; à l'exception de l'abbesse & de la doyenne, parce que celles-ci sont bénites.

Le concile d'Aix-la-Chapelle, en 816, fit une regle pour les chanoinesses, comprises en 28 articles ; elle est dans l'édition des conciles du P. Labbé, tome VII. p. 1406. Voyez capit. dilect. de majorit. & obed. & gl. verbo canoniss. & capitul. indemnitatibus, § supra dicta de elect. in VI°. Clément II. de statu monachor. & Clément I. de relig. domib. Barbosa, de canonic. & dignit. cap. j. n. 61. Defin. canon. p. 135. Pinson, de divis, benef. § 26. n. 62. Jacob. de Vitriaco, in hist. occid. cap. xxxj.

CHANOINESSES REGULIERES, sont une espece particuliere de religieuses qui suivent la regle de S. Augustin, & qui portent le titre de chanoinesses régulieres, au lieu de celui de religieuses.

Il y a plusieurs congrégations différentes de ces sortes de chanoinesses ; elles ne different proprement des autres religieuses que par le titre de chanoinesses qu'elles portent, & par la regle particuliere qu'elles observent. (A)


CHANOINIE(Jurispr.) est le titre du bénéfice d'un chanoine. On distingue la chanoinie d'avec la prébende ; celle-ci peut subsister sans la chanoinie, au lieu que la chanoinie ne peut subsister sans la prébende, si l'on en excepte les chanoinies ou canonicats honoraires. C'est à la chanoinie que le droit de suffrage & les autres droits personnels sont annexés ; les droits utiles sont attachés à la prébende : mais on se sert plus communément du terme de canonicat, que de celui de chanoinie. Voyez ci-devant CANONICAT & CHANOINE. (A)


CHANONRY(Géog.) petite ville de l'Ecosse septentrionale, dans la province de Ross, sur le golfe de Murray.


CHANQUO(Hist. nat.) Boece de Boot dit qu'à Bengale les Indiens nomment ainsi une coquille de mer, qui n'est autre chose que la nacre de perle. On s'en sert pour faire des brasselets, & autres ornemens de bijouterie. Le même auteur nous apprend que c'étoit anciennement un usage établi au royaume de Bengale, de corrompre impunément les jeunes filles quand elles n'avoient point de brasselets de chanquo. (-)


CHANSONS. f. (Litt. & Mus.) est une espece de petit poëme fort court auquel on joint un air, pour être chanté dans des occasions familieres, comme à table, avec ses amis, ou seul pour s'égayer & faire diversion aux peines du travail ; objet qui rend les chansons villageoises préférables à nos plus savantes compositions.

L'usage des chansons est fort naturel à l'homme : il n'a fallu, pour les imaginer, que déployer ses organes, & fixer l'expression dont la voix est capable, par des paroles dont le sens annonçât le sentiment qu'on vouloit rendre, ou l'objet qu'on vouloit imiter. Ainsi les anciens n'avoient point encore l'usage des lettres, qu'ils avoient celui des chansons : leurs lois & leurs histoires, les louanges des dieux & des grands hommes, furent chantées avant que d'être écrites ; & de-là vient, selon Aristote, que le même nom grec fut donné aux lois & aux chansons. (S)

Les vers des chansons doivent être aisés, simples, coulans, & naturels. Orphée, Linus, &c. commencerent par faire des chansons : c'étoient des chansons que chantoit Eriphanis en suivant les traces du chasseur Ménalque : c'étoit une chanson que les femmes de Grece chantoient aussi pour rappeller les malheurs de la jeune Calycé, qui mourut d'amour pour l'insensible Evaltus : Thespis barbouillé de lie, & montée sur des treteaux, célébroit la vendange, Silene & Bacchus, par des chansons à boire : toutes les odes d'Anacréon ne sont que des chansons : celles de Pindare en sont encore dans un style plus élevé ; le premier est presque toujours sublime par les images ; le second ne l'est guere souvent que par l'expression : les poésies de Sapho n'étoient que des chansons vives & passionnées ; le feu de l'amour qui la consumoit, animoit son style & ses vers. (B)

En un mot toute la poésie lyrique n'étoit proprement que des chansons : mais nous devons nous borner ici à parler de celles qui portoient plus particulierement ce nom, & qui en avoient mieux le caractere.

Commençons par les airs de table. Dans les premiers tems, dit M. de la Nauze, tous les convives, au rapport de Dicearque, de Plutarque, & d'Artemon, chantoient ensemble & d'une seule voix les louanges de la divinité : ainsi ces chansons étoient de véritables poeans ou cantiques sacrés.

Dans la suite les convives chantoient successivement, chacun à son tour, tenant une branche de myrthe, qui passoit de la main de celui qui venoit de chanter à celui qui chantoit après lui.

Enfin quand la Musique se perfectionna dans la Grece, & qu'on employa la lyre dans les festins, il n'y eut plus, disent les trois écrivains déjà cités, que les habiles gens qui fussent en état de chanter à table, du moins en s'accompagnant de la lyre ; les autres contraints de s'en tenir à la branche de myrthe, donnerent lieu à un proverbe grec, par lequel on disoit qu'un homme chantoit au myrthe, quand on le vouloit taxer d'ignorance.

Ces chansons accompagnées de la lyre, & dont Terpandre fut l'inventeur, s'appellent scolies, mot qui signifie oblique ou tortueux, pour marquer la difficulté de la chanson, selon Plutarque, ou la situation irréguliere de ceux qui chantoient, comme le veut Artemon : car comme il falloit être habile pour chanter ainsi, chacun ne chantoit pas à son rang, mais seulement ceux qui savoient la musique, lesquels se trouvoient dispersés çà-&-là, placés obliquement l'un par rapport à l'autre.

Les sujets des scolies se tiroient non-seulement de l'amour & du vin, comme aujourd'hui, mais encore de l'histoire, de la guerre, & même de la morale. Telle est cette chanson d'Aristote sur la mort d'Hermias son ami & son allié, laquelle fit accuser son auteur d'impiété.

" O vertu, qui malgré les difficultés que vous présentez aux foibles mortels, êtes l'objet charmant de leurs recherches ! vertu pure & aimable ! ce fut toujours aux Grecs un destin digne d'envie, que de mourir pour vous, & de souffrir sans se rebuter les maux les plus affreux. Telles sont les semences d'immortalité que vous répandez dans tous les coeurs ; les fruits en sont plus précieux que l'or, que l'amitié des parens, que le sommeil le plus tranquille : pour vous le divin Hercule & les fils de Léda essuyerent mille travaux, & le succès de leurs exploits annonça votre puissance. C'est par amour pour vous qu'Achille & Ajax allerent dans l'empire de Pluton ; & c'est en vûe de votre aimable beauté que le prince d'Atarne s'est aussi privé de la lumiere du soleil ; prince à jamais célebre par ses actions ! les filles de mémoire chanteront sa gloire toutes les fois qu'elles chanteront le culte de Jupiter hospitalier, ou le prix d'une amitié durable & sincere "

Toutes leurs chansons morales n'étoient pas si graves que celle-là : en voici une d'un goût différent, tirée d'Athénée.

" Le premier de tous les biens est la santé ; le second, la beauté ; le troisieme, les richesses amassées sans fraude ; & le quatrieme, la jeunesse qu'on passe avec ses amis ".

Quant aux scolies qui roulent sur l'amour & le vin, on en peut juger par les soixante & dix odes d'Anacréon qui nous restent : mais dans ces sortes de chansons même, on voyoit encore briller cet amour de la patrie & de la liberté dont les Grecs étoient transportés.

" Du vin & de la santé, dit une de ces chansons, pour ma Clitagora & pour moi, avec le secours des Thessaliens ". C'est qu'outre que Clitagora étoit thessalienne, les Athéniens avoient autrefois reçu du secours des Thessaliens contre la tyrannie des Pisistratides.

Ils avoient aussi des chansons pour les diverses professions : telles étoient les chansons des bergers, dont une espece appellée bucoliasme, étoit le véritable chant de ceux qui conduisoient le bétail ; & l'autre, qui est proprement la pastorale, en étoit l'agréable imitation : la chanson des moissonneurs, appellée le lytierse, du nom d'un fils de Midas qui s'occupoit par goût à faire la moisson : la chanson des meuniers, appellée hymée ou épiaulie, comme celle-ci tirée de Plutarque : Moulez, meule, moulez ; car Pittacus qui regne dans l'auguste Mytilene, aime à moudre ; parce que Pittacus étoit grand mangeur : la chanson des tisserands, qui s'appelloit éline : la chanson jule des ouvriers en laine : celle des nourrices, qui s'appelloit catabaucalese ou nunnie : la chanson des amans, appellée nomion : celle des femmes, appellée calycé, & harpalyce celle des filles ; ces deux dernieres étoient aussi des chansons d'amour.

Pour des occasions particulieres, ils avoient la chanson des noces, qui s'appelloit hyménée, épithalame : la chanson de Datis, pour des occasions joyeuses : les lamentations, l'ialême & le linos, pour des occasions funebres & tristes : ce linos se chantoit aussi chez les Egyptiens, & s'appelloit par eux maneros, du nom d'un de leurs princes. Par un passage d'Euripide cité par Athénée, on voit que le linos pouvoit aussi marquer la joie.

Enfin il y avoit encore des hymnes ou chansons en l'honneur des dieux & des héros : telles étoient les jules de Cérès & de Proserpine, la philélie d'Apollon, les upinges de Diane, &c. (S)

Ce genre passa des Grecs aux Latins ; plusieurs des odes d'Horace sont des chansons galantes ou bacchiques. (B)

Les modernes ont aussi leurs chansons de différentes especes selon le génie & le caractere de chaque nation : mais les François l'emportent sur tous les peuples de l'Europe, pour le sel & la grace de leurs chansons : ils se sont toujours plûs à cet amusement, & y ont toujours excellé ; témoin les anciens Troubadours. Nous avons encore des chansons de Thibaut comte de Champagne. La Provence & le Languedoc n'ont point dégénéré de leur premier talent : on voit toujours régner dans ces provinces un air de gaieté qui les porte au chant & à la danse : un provençal menace son ennemi d'une chanson, comme un italien menaceroit le sien d'un coup de stilet ; chacun a ses armes. Les autres pays ont aussi leurs provinces chansonnieres : en Angleterre, c'est l'Ecosse ; en Italie, c'est Venise.

L'usage établi en France d'un commerce libre entre les femmes & les hommes, cette galanterie aisée qui regne dans les sociétés, le mélange ordinaire des deux sexes dans tous les repas, le caractere même d'esprit des François, ont dû porter rapidement chez eux ce genre à sa perfection. (B)

Nos chansons sont de plusieurs especes ; mais en général elles roulent ou sur l'amour, ou sur le vin, ou sur la satyre : les chansons d'amour sont les airs tendres, qu'on appelle encore airs sérieux : les romances, dont le caractere est d'émouvoir l'ame par le récit tendre & naïf de quelqu'histoire amoureuse & tragique ; les chansons pastorales, dont plusieurs sont faites pour danser, comme les musettes, les gavottes, les branles, &c. (S)

On ne connoît guere les auteurs des paroles de nos chansons françoises : ce sont des morceaux peu réfléchis, sortis de plusieurs mains, & que pour la plûpart le plaisir du moment a fait naître : les musiciens qui en ont fait les airs sont plus connus, parce qu'ils en ont laissé des recueils complets ; tels sont les livres de Lambert, de Dubousset, &c.

Cette sorte d'ouvrage perpétue dans les repas le plaisir à qui il doit sa naissance. On chante indifféremment à table des chansons tendres, bacchiques, &c. Les étrangers conviennent de notre supériorité en ce genre : le françois débarrassé de soins, hors du tourbillon des affaires qui l'a entraîné toute la journée, se délasse le soir dans des soupers aimables de la fatigue & des embarras du jour : la chanson est son égide contre l'ennui, le vaudeville est son arme offensive contre le ridicule : il s'en sert aussi quelquefois comme d'une espece de soulagement des pertes ou des revers qu'il essuie ; il est satisfait de ce dédommagement : dès qu'il a chanté, sa haine ou sa vengeance expirent. (S)

Les chansons à boire sont assez communément des airs de basse, ou des rondes de table. Nous avons encore une espece de chanson qu'on appelle parodie ; ce sont des paroles qu'on ajuste sur des airs de violon ou d'autres instrumens, & que l'on fait rimer tant bien que mal, sans avoir égard à la mesure des vers.

La vogue des parodies ne peut montrer qu'un très-mauvais goût ; car outre qu'il faut que la voix excede & passe de beaucoup sa juste portée pour chanter des airs faits pour les instrumens, la rapidité avec laquelle on fait passer des syllabes dures & chargées de consonnes sur des doubles croches & des intervalles difficiles, choque l'oreille très-desagréablement. Les Italiens, dont la langue est bien plus douce que la nôtre, prodiguent à la vérité les vîtesses dans les roulades ; mais quand la voix a quelques syllabes à articuler, ils ont grand soin de la faire marcher plus posément, & de maniere à rendre les mots aisés à prononcer & à entendre. (S)


CHANTS. m. (Musique) est en général une sorte de modification de la voix, par laquelle on forme des sons variés & appréciables. Il est très-difficile de déterminer en quoi le son qui forme la parole, differe du son qui forme le chant. Cette différence est certaine ; mais on ne voit pas bien précisément en quoi elle consiste. Il ne manque peut-être que la permanence aux sons qui forment la parole, pour former un véritable chant : il paroît aussi que les diverses inflexions qu'on donne à sa voix en parlant, forment des intervalles qui ne sont point harmoniques, qui ne font point partie de nos systèmes de Musique, & qui par conséquent ne peuvent être exprimés en notes.

Chant, appliqué plus particulierement à la Musique, se dit de toute musique vocale ; & dans celle qui est mêlée d'instrumens, on appelle partie de chant toutes celles qui sont destinées pour les voix. Chant se dit aussi de la maniere de conduire la mélodie dans toutes sortes d'airs & de pieces de musique. Les chants agréables frappent d'abord, ils se gravent facilement dans la mémoire ; mais peu de compositeurs y réussissent. Il y a parmi chaque nation des tours de chant usés, dans lesquels la plûpart des compositeurs retombent toûjours. Inventer des chants nouveaux, n'appartient qu'à l'homme de génie ; trouver de beaux chants, appartient à l'homme de goût. (S)

Le chant est l'une des deux premieres expressions du sentiment, données par la nature. Voyez GESTE.

C'est par les différens sons de la voix que les hommes ont dû exprimer d'abord leurs différentes sensations. La nature leur donna les sons de la voix, pour peindre à l'extérieur les sentimens de douleur, de joie, de plaisir dont ils étoient intérieurement affectés, ainsi que les desirs & les besoins dont ils étoient pressés. La formation des mots succéda à ce premier langage. L'un fut l'ouvrage de l'instinct, l'autre fut une suite des opérations de l'esprit. Tels on voit les enfans exprimer par des sons vifs ou tendres, gais ou tristes, les différentes situations de leur ame. Cette espece de langage, qui est de tous les pays, est aussi entendu de tous les hommes, parce qu'il est celui de la nature. Lorsque les enfans viennent à exprimer leurs sensations par des mots, ils ne sont entendus que des gens d'une même langue ; parce que les mots sont de convention, & que chaque société ou peuple a fait sur ce point des conventions particulieres.

Ce chant naturel dont on vient de parler, s'unit dans tous les pays avec les mots : mais il perd alors une partie de sa force ; le mot peignant seul l'affection qu'on veut exprimer, l'inflexion devient par-là moins nécessaire ; & il semble que sur ce point, comme en beaucoup d'autres, la nature se repose, lorsque l'art agit. On appelle ce chant, accent. Il est plus ou moins marqué, selon les climats. Il est presqu'insensible dans les tempérés ; & on pourroit aisément noter comme une chanson, celui des différens pays méridionaux. Il prend toûjours la teinte, si on peut parler ainsi, du tempérament des diverses nations. Voyez ACCENT.

Lorsque les mots furent trouvés, les hommes qui avoient déjà le chant, s'en servirent pour exprimer d'une façon plus marquée le plaisir & la joie. Ces sentimens qui remuent & agitent l'ame d'une maniere vive, dûrent nécessairement se peindre dans le chant avec plus de vivacité que les sensations ordinaires ; de-là cette différence que l'on trouve entre le chant du langage commun, & le chant musical.

Les regles suivirent long-tems après, & on réduisit en art ce qui avoit été d'abord donné par la nature ; car rien n'est plus naturel à l'homme que le chant, même musical : c'est un soulagement qu'une espece d'instinct lui suggere pour adoucir les peines, les ennuis, les travaux de la vie. Le voyageur dans une longue route, le laboureur au milieu des champs, le matelot sur la mer, le berger en gardant ses troupeaux, l'artisan dans son attelier, chantent tous comme machinalement ; & l'ennui, la fatigue, sont suspendus ou disparoissent.

Le chant consacré par la nature pour nous distraire de nos peines ou pour adoucir le sentiment de nos fatigues, & trouvé pour exprimer la joie, servit bien-tôt après pour célébrer les actions de graces que les hommes rendirent à la Divinité ; & une fois établi pour cet usage, il passa rapidement dans les fêtes publiques, dans les triomphes & dans les festins, &c. La reconnoissance l'avoit employé pour rendre hommage à l'Etre suprême ; la flaterie le fit servir à la louange des chefs des nations, & l'amour à l'expression de la tendresse. Voilà les différentes sources de la Musique & de la Poésie. Les noms de Poëte & de Musicien furent long-tems communs à tous ceux qui chanterent & à tous ceux qui firent des vers.

On trouve l'usage du chant dans l'antiquité la plus reculée. Enos commença le premier à chanter les louanges de Dieu, Genese 4. & Laban se plaint à Jacob son gendre, de ce qu'il lui avoit comme enlevé ses filles, sans lui laisser la consolation de les accompagner au son des chansons & des instrumens. Gen. 31.

Il est naturel de croire que le chant des oiseaux, les sons différens de la voix des animaux, les bruits divers excités dans l'air par les vents, l'agitation des feuilles des arbres, le murmure des eaux, servirent de modele pour régler les différens tons de la voix. Les sons étoient dans l'homme : il entendit chanter ; il fut frappé par des bruits ; toutes ses sensations & son instinct le porterent à l'imitation. Les concerts de voix furent donc les premiers. Ceux des instrumens ne vinrent qu'ensuite, & ils furent une seconde imitation : car dans tous les instrumens connus, c'est la voix qu'on a voulu imiter. Nous en devons l'invention à Jubal fils de Lamech : Ipse fuit pater canentium citharâ & organo. Genes. 4. Dès que le premier pas est fait dans les découvertes utiles ou agréables, la route s'élargit & devient aisée. Un instrument trouvé une fois, a dû fournir l'idée de mille autres. Voyez-en les différens noms à chacun de leurs articles.

Parmi les Juifs, le cantique chanté par Moyse & les enfans d'Israël, après le passage de la mer Rouge, est la plus ancienne composition en chant qu'on connoisse.

Dans l'Egypte & dans la Grece, les premiers chants connus furent des vers en l'honneur des dieux, chantés par les poëtes eux-mêmes. Bien-tôt adoptés par les prêtres, ils passerent jusqu'aux peuples, & de-là prirent naissance les concerts & les choeurs de Musique. Voyez CHOEUR & CONCERT.

Les Grecs n'eurent point de poésie qui ne fût chantée ; la lyrique se chantoit avec un accompagnement d'instrumens, ce qui la fit nommer mélique. Le chant de la poésie épique & dramatique étoit moins chargé d'inflexions, mais il n'en étoit pas moins un vrai chant ; & lorsqu'on examine avec attention tout ce qu'ont écrit les anciens sur leurs poésies, on ne peut pas révoquer en doute cette vérité. Voyez OPERA. C'est donc au propre qu'il faut prendre ce qu'Homere, Hésiode, &c. ont dit au commencement de leurs poëmes. L'un invite sa muse à chanter la fureur d'Achille ; l'autre va chanter les Muses elles-mêmes, parce que leurs ouvrages n'étoient faits que pour être chantés. Cette expression n'est devenue figure que chez les Latins, & depuis parmi nous.

En effet, les Latins ne chanterent point leurs poésies ; à la réserve de quelques odes & de leurs tragédies, tout le reste fut récité. César disoit à un poëte de son tems qui lui faisoit la lecture de quelqu'un de ses ouvrages. Vous chantez mal si vous prétendez chanter ; & si vous prétendez lire, vous lisez mal : vous chantez.

Les inflexions de la voix des animaux sont un vrai chant formé de tons divers, d'intervalles, &c. & il est plus ou moins mélodieux, selon le plus ou le moins d'agrément que la nature a donné à leur organe. Au rapport de Juan Christoval Calvete (qui a fait une relation du voyage de Philippe II. roi d'Espagne, de Madrid à Bruxelles, qu'on va traduire ici mot à mot), dans une procession solemnelle qui se fit dans cette capitale des Pays-Bas en l'année 1549, pendant l'octave de l'Ascension, sur les pas de l'archange S. Michel, couvert d'armes brillantes, portant d'une main une épée, & une balance de l'autre, marchoit un chariot sur lequel on voyoit un ours qui touchoit un orgue : il n'étoit point composé de tuyaux comme tous les autres, mais de plusieurs chats enfermés séparément dans des caisses étroites, dans lesquelles ils ne pouvoient se remuer : leurs queues sortoient en-haut, elles étoient liées par des cordons attachés au registre ; ainsi à mesure que l'ours pressoit les touches, il faisoit lever ces cordons, tiroit les queues des chats, & leur faisoit miauler des tailles, des dessus & des basses, selon les airs qu'il vouloit exécuter. L'arrangement étoit fait de maniere qu'il n'y eût point un faux ton dans l'exécution : y hazien consus aullidos altos y baxos una musica ben entonada, che era cosa nueva y mucho de ver. Des singes, des ours, des loups, des cerfs, &c. dansoient sur un théatre porté dans un char au son de cet orgue bizarre : una gratiosa dansa de monos, ossos, lobos, ciervos, y otros animales salvajes dançando delante y detras de una granjaula che en un carro tirava un quartago. Voyez DANSE.

On a entendu de nos jours un coeur très-harmonieux, qui peint le croassement des grenouilles, & une imitation des différens cris des oiseaux à l'aspect de l'oiseau de proie, qui forme dans Platée un morceau de musique du plus grand genre. Voyez BALLET & OPERA.

Le chant naturel variant dans chaque nation selon les divers caracteres des peuples & la température différente des climats, il étoit indispensable que le chant musical, dont on a fait un art long-tems après que les langues ont été trouvées, suivît ces mêmes différences ; d'autant mieux que les mots qui forment ces mêmes langues n'étant que l'expression des sensations, ont dû nécessairement être plus ou moins forts, doux, lourds, legers, &c. selon que les peuples qui les ont formés ont été diversement affectés, & que leurs organes ont été plus ou moins déliés, roides ou flexibles. En partant de ce point, qui paroît incontestable, il est aisé de concilier les différences qu'on trouve dans la musique vocale des diverses nations. Ainsi disputer sur cet article, & prétendre, par exemple, que le chant italien n'est point dans la nature, parce que plusieurs traits de ce chant paroissent étrangers à l'oreille, c'est comme si l'on disoit que la langue italienne n'est point dans la nature, ou qu'un italien a tort de parler sa langue. Voyez CHANTRE, EXECUTION, OPERA.

Les instrumens d'ailleurs n'ayant été inventés que pour imiter les sons de la voix, il s'ensuit aussi que la musique instrumentale des différentes nations doit avoir nécessairement quelque air du pays où elle est composée : mais il en est de cette espece de productions de l'art, comme de toutes les autres de la nature. Une femme vraiment belle, de quelque nation qu'elle soit, le doit paroître dans tous les pays où elle se trouve ; parce que les belles proportions ne sont point arbitraires. Un concerto bien harmonieux d'un excellent maître d'Italie, un air de violon, une ouverture bien dessinée, un grand choeur de M. Rameau, le Venite exultemus de M. Mondonville, doivent de même affecter tous ceux qui les entendent. Le plus ou le moins d'impression que produisent & la belle femme de tous les pays, & la bonne musique de toutes les nations, ne vient jamais que de la conformation heureuse ou malheureuse des organes de ceux qui voyent & de ceux qui entendent. (B)

CHANT AMBROSIEN, CHANT GREGORIEN ; voyez PLEIN-CHANT. (S)

* CHANT, (Littérat.) c'est une des parties dans lesquelles les Italiens & les François divisent le poëme épique. Le mot chant pris en ce sens, est synonyme à livre. On dit le premier livre de l'Iliade, de l'Enéide, du Paradis perdu, &c. & le premier chant de la Jérusalem délivrée, & de la Henriade. Le poëte épique tend à la fin de son ouvrage, en faisant passer son lecteur ou son héros par un enchaînement d'avantures extraordinaires, pathétiques, terribles, touchantes, merveilleuses. Il établit dans le cours du récit général de ces avantures, comme des points de repos pour son lecteur & pour lui. La partie de son poëme comprise entre un de ces points & un autre qui le suit, s'appelle un chant. Il y a dans un poëme épique des chants plus ou moins longs, plus ou moins intéressans, selon la nature des avantures qui y sont récitées. Il y a plus : il en est d'un chant comme d'un poëme entier ; il peut intéresser davantage une nation qu'une autre, dans un tems que dans un autre, une personne qu'une autre. Il y auroit une grande faute dans la machine, ou construction, ou conduite du poëme, si l'on pouvoit prendre la fin d'un chant, quel qu'il fût, excepté le dernier, pour la fin du poëme ; & il y auroit eu un grand art de la part du poëte, & il en fût résulté une grande perfection dans son poëme, s'il avoit sû le couper de maniere que la fin d'un chant laissât une sorte d'impatience de connoître la suite des choses, & d'en commencer un autre. Le Tasse me paroît avoir singulierement excellé dans cette partie. On peut interrompre la lecture d'Homere, de Virgile, & des autres poëtes épiques, à la fin d'un livre ; le Tasse vous entraîne malgré que vous en ayiez, & l'on ne peut plus quitter son ouvrage quand on en a commencé la lecture. Il n'en faut pas inférer de-là que j'accorde au Tasse la prééminence sur les autres poëtes épiques ; je dis seulement que par rapport à nous il l'emporte du côté de la machine sur Homere & Virgile, qui, au jugement des Grecs & des Romains, l'auroient peut-être emporté sur lui, si la colere d'Achille, l'établissement des restes de Troie en Italie, & la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon, avoient pû être des évenemens chantés en même tems, & occasionner des poëmes jugés par les mêmes juges. Il me semble que les Italiens ont plus de droit que nous d'appeller les parties de leurs poëmes épiques, des chants, ces poëmes étant divisés chez eux par stances qui se chantent. Les Gondoliers de Venise chantent ou plûtôt psalmodient par coeur toute la Jérusalem délivrée, & l'on ne chante point parmi nous la Henriade ou le Lutrin, ni chez les Anglois le Paradis perdu. Il suit de ce qui précede, que les différens chants d'un poëme épique devroient être entr'eux, comme les actes d'un poëme dramatique ; & que, de même que l'intérêt doit croître dans le dramatique de scene en scene, d'acte en acte jusqu'à la catastrophe, il devroit aussi croître dans l'épique d'évenemens en évenemens, de chants en chants, jusqu'à la conclusion. Voyez DRAME, SCENE, ACTE, MACHINE, COUPE, POEME EPIQUE, &c.

* CHANT, (Belles-Lettres) se dit encore dans notre ancienne poésie, de plusieurs sortes de pieces de vers, les unes assujetties à certaines regles, les autres n'en ayant proprement aucune particuliere. Il y a le chant royal, le chant de Mai, le chant nuptial, le chant de joie, le chant pastoral, le chant de folie. Voyez, dans Clément Marot, des exemples de tous ces chants.

Le chant royal suit les mêmes regles que la ballade, la même mesure de vers, le même mélange de rime, & le même nombre de stances, si toutefois il est déterminé dans la ballade ; il a aussi son vers de refrein & son envoi. Il ne differe, dit-on, de la ballade que par le sujet. Le sujet de la ballade est toûjours badin ; celui du chant royal est toûjours sérieux. Cependant il y a dans Marot même un chant royal dont le refrein est, de bander l'arc ne guérit point la plaie, qui fut donné par François I. & dont le sujet est de pure galanterie. Voyez BALLADE. Le chant de Mai est aussi une ballade, mais dont le sujet est donné ; c'est le retour des charmes de la nature, des beaux jours & des plaisirs, avec le retour du mois de Mai. Selon que le poëte traite ce sujet d'une maniere grave ou badine, le chant de Mai est grave ou badin. Il y en a deux dans Marot, & tous les deux dans le genre grave. Le refrein n'est pas exactement le même à toutes les stances du premier ; il est dans une stance en précepte, & dans l'autre en défense : loüez le nom du Créateur ; n'en loüez nulle créature. Cette licence a lieu dans la ballade, sous quelque titre qu'elle soit. Le chant nuptial n'est qu'une épithalame en stances, où quelquefois les stances sont en ballade, dont le refrein est ou varié par quelque opposition agréable, ou le même à chaque stance. Le chant de joie est une ballade ordinaire sur quelque grand sujet d'allégresse, soit publique, soit particuliere. Le chant pastoral, une ballade dont les images & l'allégorie sont champêtres. Le chant de folie n'est qu'une petite piece satyrique en vers de dix syllabes, où l'on chante ironiquement le travers de quelqu'un.

CHANT, (Medecine, Physiologie) voyez VOIX & RESPIRATION ; (Pathologie & Hygiene) voyez EXERCICE.


CHANTABOUN(Géog.) ville maritime d'Asie au royaume de Siam, sur une riviere qui porte son même nom.


CHANTEAUS. m. (Jurispr.) dans quelques coûtumes & anciens auteurs, signifie part ou plûtôt partage : c'est en ce dernier sens qu'il y est dit que le chanteau part le villain. La coûtume de la Marche rédigée en 1521, porte, article 153. qu'entre hommes tenant héritages serfs ou mortaillables, le chanteau part le villain ; c'est-à-dire, continue le même article, que quand deux ou plusieurs desdits hommes, parens, ou autres qui par avant étoient communs, font pain séparé par maniere de déclaration de vouloir partir leurs meubles, ils sont tenus & réputés divis & séparés quant aux meubles, acquêts, conquêts, noms, dettes, & actions.

La coûtume d'Auvergne, chap. xxvij. article 7. porte que par ladite coûtume ne se peut dire ni juger aucun partage, avoir été fait entre le conditionné (c'est l'emphitéote main-mortable) & ses freres au retrait lignager par la seule demeure, séparé dudit conditionné & de ses autres freres ou parens, par quelque laps de tems que ce soit, s'il n'y a partage formel fait entre ledit conditionné & ses freres ou lignagers, ou commencement de partage par le partement du chanteau.

La disposition de cette coûtume fait connoître que le terme de chanteau ne signifie pas toûjours un partage de tous les biens communs, mais que le chanteau, c'est-à-dire une portion de quelque espece de ces biens qui est possédé séparément par un des mortaillables ou autres communiers, fait cesser la communauté qui étoit entr'eux, tant pour ces biens que pour tous les autres qu'ils possedent par indivis.

Le terme de chanteau peut aussi être pris pour pain séparé, car chanteau en général est une portion d'une chose ronde ; & comme les pains sont ordinairement ronds, le vulgaire appelle une piece de pain, chanteau ; & de-là dans le sens figuré, on a dit chanteau pour pain à part ou séparé. En effet, dans plusieurs coûtumes, le feu, le sel, & le pain, partent l'homme de morte-main ; c'est-à-dire, que quand les communiers ont leur feu, leur sel, ou leur pain à part, ils cessent d'être communs, quoiqu'ils n'ayent pas encore partagé les biens communs entr'eux. Voyez la coûtume du duché de Bourgogne, art. 90 ; celle de Comté, article 99 ; celle de Nivernois, tit. viij. art. 13.

Il résulte de ces différentes explications, que cette façon de parler, le chanteau part le villain, signifie que le moindre commencement de partage entre communiers fait cesser la communauté, quoiqu'ils possedent encore d'autres biens par indivis. Voyez la pratique de Masuer, tit. xxxij. art. 20 ; le gloss. de M. de Lauriere, au mot Chanteau. (A)

* CHANTEAU, (Tailleur) c'est ainsi que ces ouvriers appellent les especes de pointes qu'ils sont obligés d'ajoûter sur les côtés d'un manteau ou autre vêtement semblable, entre les deux lés du drap, tant pour lui donner l'ampleur nécessaire que pour l'arrondir.

* CHANTEAU, (Tonnell.) c'est entre les pieces du fond d'un tonneau ou autres vaisseaux ronds, celle du milieu, qui n'a point de semblable, & qui est terminée par deux segmens de cercles égaux.


CHANTEL-LE-CHASTEL(Géog.) petite ville de France dans le Bourbonnois, sur la riviere de Boule. Long. 20. 35. lat. 46. 10.


CHANTELAGES. m. (Jurispr.) est un droit dû au seigneur pour le vin vendu en gros ou à broche sur les chantiers de la cave ou du cellier, situés dans l'étendue de sa seigneurie. Il en est parlé dans les statuts de la prevôté & échevinage de la ville de Paris, & au livre ancien qui enseigne la maniere de procéder en cour laye, où il est dit que le chantelage est un droit que l'on prend pour les chantiers qui sont assis sur les fonds du seigneur. Voyez Chopin, sur le chap. viij. de la coûtume d'Anjou, à la fin. Le droit de chantelage se payoit aussi anciennement, pour avoir la permission d'ôter le chantel du tonneau & en vuider la lie dans les villes ; c'est ce que l'on voit dans le registre des péages de Paris. Chantelage, dit ce registre, est une coûtume assise anciennement, par laquelle il fut établi qu'il loisoit à tous ceux qui le chantelage payent, d'ôter le chantel de leur tonneau, & vuider la lie ; & parce qu'il sembloit que ceux qui demeurent à Paris n'achetoient du vin que pour le revendre, & quand il étoit vendu ôter le chantel de leur tonneau, & ôter leur lie, pour ce fut mis le chantelage sur les demeurans & bourgeois de Paris. Voyez l'indice de Ragueau ; & Lauriere, ibid. au mot chantelage. Dans des lettres du 9 Août 1359, accordées par Charles régent du royaume, les Arbalêtriers de la ville de Paris sont exemptés, pour leurs denrées, vivres, ou marchandises qu'ils font venir à Paris ou ailleurs, de tous droits de gabelles, travers, chantiées, &c. Ce mot chantiées signifie en cet endroit la même chose que chantelage : car dans des lettres du mois de Février 1615, accordées à ces mêmes Arbalêtriers, le terme de chantelage se trouve substitué à celui de chantiées. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome III. pag. 361 & la note de M. Secousse, ibid. (A)


CHANTELLES. f. (Jurisprud.) en quelques provinces est une taille personnelle dûe au seigneur par ses mortaillables à cause de leur servitude. Elle paroît avoir été ainsi nommée de chantel, qui signifie la même chose que lieu ou habitation, parce qu'elle se paye au seigneur par les serfs, pour la permission de demeurer dans sa seigneurie, & d'y posséder certains héritages ; par exemple, suivant une charte de l'an 1279, les habitans de Saint-Palais en Berri payent douze deniers à leur seigneur, de foco, loco, & chantello. Quilibet, est-il dit, per se tenens focum certum, & locum, vel chantellum, in dicta villa.... duodecim denarios parisienses solvet tantummodo annuatim.... On voit qu'en cet endroit locum & chantellum sont synonymes.

La coûtume de Bourbonnois, art. 192. & 203. fait mention d'un droit dû au seigneur par certains serfs, appellé les quatre deniers de chantelle. M. de Lauriere, en son glossaire du Droit François, au mot chantelle, estime que ces derniers sont ainsi appellés, parce qu'ils sont dûs par les serfs de la châtellenie de Chantelle. Il agite ensuite si cette châtellenie n'auroit point été ainsi nommée à cause que les serfs qui y demeurent payent au seigneur quatre deniers de foco, loco, & chantello, comme ceux de Saint-Palais en Berri ; mais il n'adopte pas cette opinion. Il ne paroît pas cependant que le droit de chantelle ait été ainsi nommé de la châtellenie de Chantelle, attendu qu'il se perçoit en bien d'autres endroits ainsi que l'annonce la coûtume de Bourbonnois, qui porte qu'il y a plusieurs serfs audit pays, dont aucuns payent quatre deniers à cause de leur servitude, ce qui s'appelle les quatre deniers de chantelle ; & plus loin il est dit, que tous ceux qui doivent quatre deniers de taille, que l'on appelle les quatre deniers de chantelle, & tous leurs descendans, ainsi qu'ils se trouvent écrits au terrier ou papier du prevôt desdits quatre deniers de chantelle, sont tous serfs & de serve condition, de poursuite, & de morte-main. (A)


CHANTEPLEUREterme d'Architecture, barbacane ou ventouse qu'on fait aux murs de clôture, construits près de quelques eaux courantes, afin que dans leur débordement elles puissent entrer dans le clos & en sortir librement, sans endommager les murs.

* CHANTEPLEURE, s. f (Tonnell.) espece d'entonnoir fabriqué par les Tonneliers, & à l'usage des Marchands de vin. Voyez cet instrument, Planche du Tonn. fig. 18. Il a la forme d'un petit cuvier échancré à sa circonférence ; cette échancrure sert à emboîter les vaisseaux dont on se sert pour le remplir, afin que ce remplissage se fasse sans répandre de liqueur. Son fond est percé d'un trou auquel on a adopté une douille, ou queue de fer-blanc, plus ou moins longue, mais criblée de petits trous sur toute sa longueur ; on passe cette douille dans la bonde d'un tonneau ; elle descend jusque dans la liqueur, & transmet celle qu'on a versée dans le cuvier, & qu'on veut transvaser dans le tonneau, sans troubler celle qui y est déjà. Pour arrêter les ordures qui passeroient avec la liqueur, on a bouché l'ouverture de la douille qui est au-dedans du cuvier, d'un morceau de fer-blanc percé de trous, & cloué sur le fond du cuvier.

* CHANTEPLEURE, (Oecon. rustiq.) On donne ce nom à des canelles aussi simples que de peu de valeur, qu'on adapte à la campagne au-bas des vaisseaux remplis de liqueur, comme les cuves à fouler la vendange, les tonneaux à piquette, les cuviers à couler la lessive, les barrils qui contiennent l'huile de noix, ceux où l'on met le vinaigre, &c. Ce n'est autre chose que l'assemblage de deux morceaux de bois, dont l'un est percé dans toute sa longueur, & dont l'autre s'insere dans le morceau de bois percé, comme une cheville qui rempliroit exactement le trou. Celui-ci est mobile ; l'ouverture où on le place est en-dehors du vaisseau ; l'autre est en-dedans. On le tire ou on le pousse, pour tirer ou arrêter la liqueur.


CHANTERc'est faire différentes inflexions de voix agréables à l'oreille, & toûjours correspondantes aux intervalles admis dans la Musique, & aux notes qui les expriment.

La premiere chose qu'on fait en apprenant à chanter, est de parcourir une gamme en montant par les degrés diatoniques jusqu'à l'octave, & ensuite en descendant par les mêmes notes. Après cela on monte & l'on descend par de plus grands intervalles, comme par tierces, par quartes, par quintes ; & l'on passe de cette maniere par toutes les notes, & par tous les différens intervalles. Voyez ECHELLE, GAMME, OCTAVE.

Quelques-uns prétendent qu'on apprendroit plus facilement à chanter, si au lieu de parcourir d'abord les degrés diatoniques, on commençoit par les consonnances, dont les rapports plus simples sont plus aisés à entonner. C'est ainsi, disent-ils, que les intonations les plus aisées de la trompette & du cor sont d'abord les octaves, les quintes, & les autres consonnances, & qu'elles deviennent plus difficiles pour les tons & sémi-tons. L'expérience ne paroît pas s'accorder à ce raisonnement ; car il est constant qu'un commençant entonne plus aisément l'intervalle d'un ton que celui d'un octave, quoique le rapport en soit bien plus composé : c'est que si d'un côté le rapport est plus simple, de l'autre la modification de l'organe est moins grande. Chacun voit que si l'ouverture de la glotte, la longueur ou la tension des cordes gutturales est comme 8, il s'y fait un moindre changement pour les rendre comme 9, que pour les rendre comme 16.

Mais on ne sauroit disconvenir qu'il n'y ait dans les degrés de l'octave, en commençant par ut, une difficulté d'intonation dans les trois tons de suite, qui se trouvent du fa au si, laquelle donne la torture aux éleves, & retarde la formation de leur oreille. Voyez OCTAVE & SOLFIER. Il seroit aisé de prévenir cet inconvénient en commençant par une autre note, comme seroit sol ou la, ou bien en faisant le fa diéze, ou le si bémol. (S)

On a fait un art du chant ; c'est-à-dire que des observations sur des voix sonores qui chantoient le plus agréablement, on a composé des regles pour faciliter & perfectionner l'usage de ce don naturel (Voyez MAITRE A CHANTER) ; mais il paroît par ce qui précede, qu'il y a encore bien des découvertes à faire sur la maniere la plus facile & la plus sûre d'acquérir cet art.

Sans son secours, tous les hommes chantent, bien ou mal ; & il n'y en a point qui en donnant une suite d'inflexions différentes de la voix, ne chante ; parce que quelque mauvais que soit l'organe, ou quelque peu agréable que soit le chant qu'il forme, l'action qui en résulte alors est toûjours un chant.

On chante sans articuler des mots, sans dessein formé, sans idée fixe, dans une distraction, pour dissiper l'ennui, pour adoucir les fatigues ; c'est de toutes les actions de l'homme celle qui lui est la plus familiere, & à laquelle une volonté déterminée a le moins de part.

Un muet donne des sons, & forme par conséquent des chants : ce qui prouve que le chant est une expression distincte de la parole. Les sons que peut former un muet peuvent exprimer les sensations de douleur ou de plaisir. De-là il est évident que le chant a son expression propre, indépendante de celle de l'articulation des paroles. Voyez EXPRESSION.

La voix d'ailleurs est un instrument musical dont tous les hommes peuvent se servir sans le secours de maîtres, de principes ou de regles. Une voix sans agrément & mal conduite distrait autant de son propre ennui la personne qui chante, qu'une voix sonore & brillante, formée par l'art & le goût. Voyez VOIX. Mais il y a des personnes qui par leur état sont obligées à exceller dans la maniere de se servir de cet organe. Sur ce point, comme dans tous les autres arts agréables, la médiocrité, dont les oreilles peu délicates se contentent, est insupportable à celle que l'expérience & le goût ont formées. Tous les chanteurs & chanteuses qui composent l'académie royale de Musique sont dans cette position.

L'opéra est le lieu d'où la médiocrité, dans la maniere de chanter, devroit être bannie ; parce que c'est le lieu où on ne devroit trouver que des modeles dans les différens genres de l'art. Tel est le but de son établissement, & le motif de son érection en académie royale de Musique.

Tous les sujets qui composent cette académie devroient donc exceller dans le chant, & nous ne devrions trouver entr'eux d'autres différences que celles que la nature a pû répandre sur leurs divers organes. Que l'art est cependant loin encore de cette perfection ! Il n'y a à l'opéra que très-peu de sujets qui chantent d'une maniere parfaite ; tous les autres, par le défaut d'adresse, laissent dans leur maniere de chanter une infinité de choses à desirer & à reprendre. Presque jamais les sons ne sont donnés ni avec la justesse, ni avec l'aisance, ni avec les agrémens dont ils sont susceptibles. On voit par-tout l'effort ; & toutes les fois que l'effort se montre, l'agrément disparoît. Voyez CHANT, CHANTEUR, MAITRE A CHANTER, VOIX.

Le poëme entier d'un opéra doit être chanté ; il faut donc que les vers, le fond, la coupe d'un ouvrage de ce genre, soient lyriques. Voyez COUPE, LYRIQUE, OPERA. (B)


CHANTERELLAS. f. (Bot.) M. Tournefort comprend sous cette dénomination tous les champignons qui ont la tête solide, c'est-à-dire qui ne l'ont ni laminée, ni poreuse, ni treillissée ; qui sont sans piquans, & qui ne se tournent point en poussiere en mûrissant. Voyez CHAMPIGNON.


CHANTERELLES. f. (Luth. & Musiq. inst.) c'est ainsi qu'on appelle la corde la plus aiguë du violon & autres instrumens à corde.

CHANTERELLE, (Chapel.) c'est dans l'arçon des Chapeliers la partie qui sert à faire resonner la corde, dont le son indique à l'ouvrier qu'elle est assez bandée pour battre & voguer. Voyez les articles ARÇON & CHAPEAU.

CHANTERELLE, en terme de Tireur d'or, est une petite bobine sous laquelle passe le battu en sortant des roues du moulin. On la nomme ainsi à cause du bruit qu'elle fait.

* CHANTERELLE, (Chasse) c'est ainsi qu'on appelle les oiseaux qu'on a mis en cage, pour servir d'appeaux à ceux à qui on a tendu quelques piéges. On met la perdrix femelle au bout des sillons où l'on a placé des passées & des lacets, & elle y fait donner les mâles en les appellant par son chant.


CHANTEUREUSE, s. (Musicien) acteur de l'opéra, qui récite, exécute, joue les rôles, ou qui chante dans les choeurs des tragédies & des ballets mis en musique.

Les chanteurs de l'opéra sont donc divisés en récitans & en choristes, & les uns & les autres sont distingués par la partie qu'ils exécutent ; il y a des chanteurs hautes-contre, tailles, basses-tailles ; des chanteuses premiers & seconds-dessus. Voyez tous ces différents mots, & l'article PARTIES.

Parmi ceux qui exécutent les rôles, il y a encore une très-grande différence entre les premiers chanteurs, & ceux qui en leur absence (par maladie ou défaut de zele) les remplacent, & qu'on nomme doubles.

Les chanteurs qui jouent les premiers rôles sont pour l'ordinaire les favoris du public ; les doubles en sont les objets de déplaisance. On dit communément : cet opéra n'ira pas loin, il est en double.

L'opéra de Paris est composé actuellement de dix-sept chanteurs ou chanteuses récitans, & de plus de cinquante chanteurs & chanteuses pour les choeurs. Voyez CHOEURS. On leur donne communément leur nom d'acteurs & d'actrices de l'opéra ; & ils prennent la qualité d'ordinaires de l'académie royale de Musique. Les exécutans dans l'orchestre & dans les choeurs prennent aussi la même qualité. Voyez OPERA & ORCHESTRE.

Nous jouissons de nos jours d'un chanteur & d'une chanteuse qui ont porté le goût, la précision, l'expression & la légereté du chant, à un point de perfection qu'avant eux on n'avoit prévû ni crû possible. L'art leur est redevable de ses plus grands progrès ; car c'est sans-doute aux possibilités que M. Rameaux a pressenties dans leurs voix flexibles & brillantes, que l'opéra doit ces morceaux saillans, dont cet illustre compositeur a enrichi le chant françois. Les petits musiciens se sont d'abord élevés contre ; plusieurs admirateurs du chant ancien, parce qu'ils n'en connoissoient point d'autre, ont été révoltés, en voyant adapter une partie des traits difficiles & brillans des Italiens, à une langue qu'on n'en croyoit pas susceptible : des gens d'un esprit étroit, que toutes les nouveautés allarment, & qui pensent orgueilleusement que l'étendue très-bornée de leurs connoissances est le nec plus ultrà des efforts de l'art, ont tremblé pour le goût de la nation. Elle a ri de leurs craintes, & dédaigné leurs foibles cris : entraînée par le plaisir, elle a écouté avec transport, & son enthousiasme a partagé ses applaudissemens entre le compositeur & les exécutans. Les talens des Rameau, des Jeliote, & des Fel, sont bien dignes en effet d'être unis ensemble. Il y a apparence que la postérité ne s'entretiendra guere du premier, sans parler des deux autres. Voyez EXECUTION.

En conformité des lettres-patentes du 28 Juin 1669, par lesquelles l'académie royale de Musique a été créée, & des nouvelles lettres données le mois de Mars 1671, les chanteurs & chanteuses de l'opéra ne dérogent point : lorsqu'ils sont d'extraction noble, ils continuent à jouir des priviléges & de tous les droits de la noblesse. Voyez DANSER.

Les chanteurs & les chanteuses qui exécutent les concerts chez le Roi & chez la Reine, sont appellés ordinaires de la Musique de la chambre du Roi. Lorsque Louis XIV. donnoit des fêtes sur l'eau, il disoit, avant qu'on commençât le concert : je permets à mes musiciens de se couvrir, mais seulement à ceux qui chantent.

Il y a à la chapelle du Roi plusieurs castrati qu'on tire de bonne heure des écoles d'Italie, & qui chantent dans les motets les parties de dessus. Louis XIV. avoit des bontés particulieres pour eux ; il leur permettoit la chasse dans ses capitaineries, & leur parloit quelquefois avec humanité. Ce grand roi prenoit plaisir à consoler ces malheureux de la barbarie de leurs peres. Voyez CASTRATI, CHANT, CHANTRE, EXECUTION, OPERA. (B)

CHANTEUR, (oiseau) voyez ROITELET.


CHANTIÉES(Jurisprudence) voyez ci-devant CHANTELAGE.


CHANTIERS. m. Ce mot a plusieurs acceptions, dont quelques-unes n'ont aucun rapport avec les autres.

Les Menuisiers, les Charpentiers, les Constructeurs de vaisseaux, les Marchands de bois, les Constructeurs de trains, les Cordiers, les Tonneliers, &c. ont leurs chantiers.

CHANTIER, terme de Marine, est l'endroit où l'on construit un vaisseau. On dit un chantier de construction ; mettre un vaisseau sur le chantier ; l'ôter du chantier, &c.

Le chantier proprement dit, est l'endroit où l'on pose la quille du vaisseau qu'on veut construire, & les pieces de bois qui la soûtiennent, & qu'on appelle tins. Voyez Pl. VIII. de Marine, un chantier sur lequel il y a un bâtiment M, & les tins K qui soûtiennent sa quille. Voyez TINS.

Pour bien mettre la quille sur le chantier, il faut que les tins soient placés à six piés les uns des autres, & avoir attention que le milieu de la quille porte bien sur le milieu de chaque tin ; il faut prendre garde de tenir la quille plus haute à l'arriere, & que cette hauteur soit convenable pour la facilité la plus grande de lancer le navire à l'eau. Voyez cette position dans la figure citée.

Dans un arsenal, le chantier est dans une forme, bassin, ou chambre. Voyez Pl. VIII. le bassin ou la chambre, & son chantier E F G H. (Z)

CHANTIER, (Menuis. Charpent. & autres ouvr.) c'est le lieu où ces ouvriers ont disposé leurs planches & autres bois, soit en plein air, soit à l'abri sous des hangars, & où ils font une partie de leurs ouvrages.

CHANTIER, (Marchand de bois) est un espace sur les quais ou autres endroits voisins de la riviere, où l'on met en pile le bois à brûler, & où les particuliers vont s'en pourvoir.

CHANTIER, (Marchand de vin) ce sont des pieces de bois sur lesquelles les tonneaux sont élevés dans les caves, à environ un pié de terre, pour que l'humidité n'en attaque pas les cerceaux & les douves.

CHANTIER, (Constructeur de trains) bûches ou perches auxquelles on a pratiqué des hoches, dans lesquelles passent les roüettes qui lient ensemble un certain nombre d'autres bûches contenues entr'elles, qu'on appelle chantiers. Les hoches sont pratiquées sur le bout des chantiers (Voyez ROUETTES), & elles empêchent les roüettes de s'échapper de dessus elles, & les différentes parties du train de se dissoudre. Voyez TRAIN.

CHANTIER, (Charpent.) les Charpentiers donnent ce nom aux pieces de bois sur lesquelles ils ont placé leurs ouvrages, pour les travailler & les mettre de niveau ; d'où ils ont fait le verbe chantier. Voyez CHANTIER.

CHANTIER, (Marchand de blé) pieces de bois sur lesquelles les sacs sont placés sur les ports au blé.

CHANTIER A COMMETTRE, (Corderie) est un bâti de deux grosses pieces de bois d'un pié & demi d'équarrissage, & de dix piés de long, maçonné en terre ; les deux pieces éloignées l'une de l'autre de six piés, supportent une forte traverse de bois percée de quatre à cinq trous, dans lesquels passent les manivelles. Voyez MANIVELLES & CORDERIE.

Ces différentes acceptions de chantier ont donné lieu à une façon de parler commune entre les Artistes ; c'est être sur le chantier, pour dire se travailler actuellement ; & elle a passé des boutiques, des atteliers, &c. dans la société, où elle s'applique à d'autres ouvrages qui n'ont rien de méchanique.


CHANTIGNOLES. f. (Charpent.) est une piece de bois coupée quarrément par un bout & en angle par l'autre, mise en embrévement sur l'arbalétrier, au-dessous du tasseau qui soûtient les pannes. Voyez la fig. 17. Pl. du Charpent. n°. 22.

CHANTIGNOLE, en Architect. Voyez BRIQUES. (P)


CHANTOCÉ(Géog.) petite ville de France en Anjou, sur la rive droite de la Loire.


CHANTOURNERv. act. terme d'Archit. de Menuis. & autres Artist. c'est couper en-dehors, ou évider en-dedans, une piece de bois, une plaque de métal, ou même une table de marbre, suivant un profil ou dessein donné. Le même terme a lieu en Peinture, & se dit & des objets représentés sur la toile, & des bordures auxquelles on a pratiqué des éminences ou contours qui font rentrer & saillir quelques-unes de leurs parties.


CHANTRES. m. ecclésiastique ou séculier qui porte alors l'habit ecclésiastique, appointé par les chapitres pour chanter dans les offices, les récits, ou les choeurs de musique, &c. On ne dit jamais chanteur, que lorsqu'il s'agit du chant profane (voyez CHANTEUR) ; & on ne dit jamais chantre, que lorsqu'il s'agit du chant d'église. Les chantres de la musique des chapitres sont soumis au grand-chantre, qui est une dignité ecclésiastique : ils exécutent les motets, & chantent le pleinchant, &c. On donnoit autrefois le nom de chantres aux musiciens de la chapelle du roi : ils s'en offenseroient aujourd'hui ; on les appelle musiciens de la chapelle.

Ceux même des chapitres qui exécutent la musique, ne veulent point qu'on leur donne ce nom ; ils prétendent qu'il ne convient qu'à ceux qui sont pour le pleinchant, & ils se qualifient musiciens de l'église dans laquelle ils servent ; ainsi on dit les musiciens de Notre-Dame, de la sainte Chapelle, &c.

Pendant le séjour de l'empereur Charlemagne à Rome en l'an 789, les chantres de sa chapelle qui le suivoient ayant entendu les chantres romains, trouverent leur façon de chanter risible, parce qu'elle différoit de la leur, & ils s'en moquerent tout haut sans ménagement : ils chanterent à leur tour ; & les chantres romains, aussi adroits qu'eux pour le moins à saisir & à peindre le ridicule, leur rendirent avec usure toutes les plaisanteries qu'ils en avoient reçues.

L'empereur qui voyoit les objets en citoyen du monde, & qui étoit fort loin de croire que tout ce qui étoit bon sur la terre fût à sa cour, les engagea les uns & les autres à une espece de combat de chant, dont il voulut être le juge ; & il prononça en faveur des romains. Le P. Daniel, hist. de Fr. tome I. p. 472.

On voit par-là combien les François datent de loin en fait de préventions & d'erreurs sur certains chapitres : mais un roi tel que Charlemagne n'étoit pas fait pour adopter de pareilles puérilités ; il semble que cette espece de feu divin qui anime les grands hommes, épure aussi leur sentiment, & le rend plus fin, plus délicat, plus sûr que celui des autres hommes. Personne dans le royaume ne l'avoit plus exquis que Louis XIV. le tems a confirmé presque tous les jugemens qu'il a portés en matiere de goût.

On dit chantre, en Poésie, pour dire poëte : ainsi on désigne Orphée sous la qualification de chantre de la Thrace, &c. On ne s'en sert que rarement dans le style figuré, & jamais dans le simple. (B)

CHANTRE, s. m. (Jurispr.) en tant que ce terme signifie un office ou bénéfice, est ordinairement une des premieres dignités d'un chapitre. Le chantre a été ainsi nommé par excellence, parce qu'il est le maître du choeur.

Dans les actes latins il est nommé cantor, praecentor, choraules. Le neuvieme canon du concile de Cologne, tenu en 1620, leur donne le titre de chor-évêques, comme étant proprement les évêques ou intendans du choeur. Voyez tome XI. des conciles, pag. 789. Le concile tenu en la même ville en 1536, canon iij. leur donne le même titre : cantores qui & chorepiscopi, tome XIV. des conciles, p. 510. Dans la plûpart des cathédrales & collégiales, le chantre en dignité est surnommé grand-chantre, pour le distinguer des simples chantres ou choristes à gages.

Le concile de Mexique tenu en 1585, ch. v. regle les fonctions du chantre, & dit qu'il doit faire mettre toutes les semaines dans le choeur un tableau où l'ordre du service divin soit marqué.

Le chantre porte la chape & le bâton cantoral dans les fêtes solemnelles, & donne le ton aux autres en commençant les pseaumes & les antiennes ; tel est l'usage de plusieurs églises ; & Chopin dit que c'est un droit commun, de sacr. polit. lib. I. tit. iij. n. 10.

Il porte dans ses armes un bâton de choeur, pour marque de sa dignité. Dans quelques chapitres où il est le premier dignitaire, on l'appelle en latin primicerius ; & dans quelques autres on lui donne en françois le titre de précenteur, du latin praecentor.

C'étoit lui anciennement qui dirigeoit les diacres & les autres ministres inférieurs, pour le chant & les autres fonctions de leurs emplois.

Dans le chapitre de l'église de Paris, le chantre, qui est la seconde dignité, a une jurisdiction contentieuse sur tous les maîtres & maîtresses d'école de cette ville. Cette jurisdiction est exercée par un juge ; un vicegérent, un promoteur, & autres officiers nécessaires. L'appel des sentences va au parlement. M. le chantre a aussi un jour marqué dans l'année auquel il tient un synode pour tous les maîtres & maîtresses d'école de cette ville.

La jurisdiction contentieuse du chantre de l'église de Paris a été confirmée par plusieurs arrêts, des 4 Mars, 28 Juin 1685, 19 Mai 1628, 10 Juillet 1632, 29 Juillet 1650, 5 Janvier 1665, 31 Mars 1683. Voyez les mém. du clergé, édit. de 1716, tome I. pag. 1049 & suiv.

Les Ursulines ne sont pas soumises à sa jurisdiction. Ibid.

Il y a eu aussi arrêt du 25 Mai 1666 pour les curés de Paris contre M. le chantre, au sujet des écoles de charité. Voyez le recueil de Decombes greffier de l'officialité, part. II. ch. v. p. 805.

Dans quelques églises, le chantre est la premiere dignité ; dans d'autres il n'est que la seconde, troisieme ou quatrieme, &c. cela dépend de l'usage de chaque église. Voyez le traité des mat. bénéfic. de Fuet, liv. II. ch. jv. (A)


CHANTRERIES. f. (Jurisp.) est la dignité, office ou bénéfice de chantre, dans les églises cathédrales ou collégiales. Voyez ci-devant CHANTRE. (A)


CHANVRES. m. (Hist. nat.) cannabis, genre de plante à fleurs sans pétales, composée de plusieurs étamines soutenues sur un calice, & stérile, comme l'a observée Caesalpin. Les embryons sont sur les plants qui ne portent point de fleurs ; ils deviennent des capsules qui renferment une semence arrondie. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On connoît deux sortes de chanvre, le sauvage, & le domestique.

Le sauvage, cannabis erratica, paludosa, sylvestris, Ad. Lobel. est un genre de plante dont les feuilles sont assez semblables à celles du chanvre domestique, hormis qu'elles sont plus petites, plus noires & plus rudes ; du reste cette plante ressemble à la guimauve, quant à ses tiges, sa graine & sa racine.

Le chanvre domestique dont il s'agit ici, est caractérisé par nos Botanistes de la maniere suivante.

Ses feuilles disposées en main ouverte, naissent opposées les unes aux autres : ses fleurs n'ont point de pétales visibles ; la plante est mâle & femelle.

On la distingue donc en deux especes, en mâle & en femelle ; ou en féconde qui porte des fruits, & en stérile qui n'a que des fleurs : l'une & l'autre viennent de la même graine.

Le chanvre à fruit, cannabis fructifera offic. cannabis sativa, Parck. C. B. P. 320. Hist. oxon. 3. 433. Rau, hist. 1. 158. synop. 53. Boerh. Ind. A. 2. 104. Tournef. inst. 535. Buxb. 53. cannabis mas. J. B. 3. P. 2. 447. Ger. emac. 708. cannabina foecunda, Dod. pempt. 535.

Le chanvre à fleurs, cannabis florigera, offic. cannabis erratica, C. B. P. 320. 1. R. H. 535. cannabis foemina, J. B. 32. 447. cannab. sterilis, Dod. pemp. 535.

Sa racine est simple, blanche, ligneuse, fibrée ; sa tige est quadrangulaire, velue, rude au toucher, creuse en-dedans, unique, haute de cinq ou six piés, couverte d'une écorce qui se partage en filets : ses feuilles naissent sur des queues opposées deux à deux, elles sont divisées jusqu'à la queue en quatre, cinq, ou un plus grand nombre de segmens étroits, oblongs, pointus, dentelés, veinés d'un verd foncé, rudes, d'une odeur forte & qui porte à la tête.

Les fleurs & les fruits naissent séparément sur différens piés ; l'espece qui porte les fleurs, s'appelle chanvre à fleurs : quelques-uns la nomment stérile ou femelle, mais improprement ; & l'autre espece qui porte les fruits, est appellée chanvre à fruits, & par quelques-uns, chanvre mâle.

Les fleurs dans le chanvre qu'on nomme improprement stérile, naissent des aisselles des feuilles sur un pédicule chargé de quatre petites grappes placées en sautoir : elles sont sans pétales, composées de cinq étamines, surmontées de sommets jaunâtres, renfermées dans un calice à cinq feuilles purpurines en-dehors, blanchâtres en-dedans.

Les fruits naissent en grand nombre le long des tiges sur l'autre espece, sans aucune fleur qui ait précédé : ils sont composés de pistiles enveloppés dans une capsule membraneuse d'un jaune verdâtre : ces pistiles se changent en une graine arrondie, un peu applatie, lisse, qui contient sous une coque mince, d'un gris brun, luisant, une amande blanche, tendre, douce & huileuse, d'une odeur forte, & qui porte à la tête quand elle est nouvelle : cette amande est renfermée dans une capsule ou pellicule d'une seule piece, qui se termine en pointe. Ces graines produisent l'une & l'autre espece. Article de M(D.J.)

* Le chanvre est une plante annuelle : il ne se plaît pas dans les pays chauds ; les climats tempérés lui conviennent mieux, & il vient fort bien dans les pays assez froids, comme sont le Canada, Riga, &c. qui en fournissent abondamment, & de très-bon ; & tous les ans on employe une assez grande quantité de chanvre de Riga en France, en Angleterre, & sur-tout en Hollande.

Il faut pour le chanvre une terre douce, aisée à labourer, un peu legere, mais bien fertile, bien fumée & amendée. Les terreins secs ne sont pas propres pour le chanvre ; il n'y leve pas bien ; il est toujours bas, & la filasse y est ordinairement trop ligneuse, ce qui la rend dure & élastique ; défauts considérables, même pour les plus gros ouvrages.

Néanmoins dans les années pluvieuses il réussit ordinairement mieux dans les terreins secs dont nous parlons, que dans les terreins humides : mais ces années sont rares ; c'est pourquoi on place ordinairement les chenevieres le long de quelque ruisseau ou de quelque fossé plein d'eau, desorte que l'eau soit très-près, sans jamais produire d'inondation : ces terres s'appellent dans quelques provinces des courties ou courtils, & elles y sont très-recherchées.

Tous les engrais qui rendent la terre legere, sont propres pour les chanvres ; c'est pourquoi le fumier de cheval, de brebis, de pigeon, les curures de poulaillers, la vase qu'on retire des mares des villages, quand elle a mûri du tems, sont préférables au fumier de vache & de boeuf ; & je ne sache pas qu'on y employe la marne.

Pour bien faire il faut fumer tous les ans les chenevieres ; & on le fait avant le labour d'hyver, afin que le fumier ait le tems de se consumer pendant cette saison, & qu'il se mêle plus intimement avec la terre lorsqu'on fait les labours du printems.

Il n'y a que le fumier de pigeon qu'on répand aux derniers labours, pour en tirer plus de profit : cependant quand le printems est sec, il y a à craindre qu'il ne brûle la semence ; ce qui n'arriveroit pas si on l'avoit répandu l'hyver : mais en ce cas il faudroit en mettre davantage, ou en espérer moins de profit.

Le premier & le plus considérable de ces labours se donne dans le mois de Décembre & de Janvier : on le nomme entre-hyver. Il y en a qui le font à la charrue, en labourant par sillons ; d'autres le donnent à la houe ou à la mare, formant aussi des sillons, pour que les gelées d'hyver ameublissent mieux la terre : il y en a aussi qui le font à la bêche ; il est sans contredit meilleur que les autres, mais aussi plus long & plus pénible ; au contraire du labour à la charrue, qui est le plus expéditif, & le moins profitable.

Le printems on prépare la terre à recevoir la semence, par deux ou trois labours qu'on fait à quinze jours ou trois semaines les uns des autres ; les faisant toujours de plus en plus legers, & travaillant la terre à plat.

Il est bon de remarquer que ces labours peuvent, comme celui d'hyver, être faits à la charrue, à la houe, ou à la bêche.

Enfin quand après tous ces labours il reste quelques mottes, on les rompt avec des maillets ; car il faut que toute la cheneviere soit aussi unie & aussi meuble que les planches d'un parterre.

Dans le courant du mois d'Avril on seme le chenevi, les uns quinze jours plutôt que les autres, & tous courent des risques différens : ceux qui sement de bonne heure, ont à craindre les gelées du printems, qui font beaucoup de tort aux chanvres nouvellement levés ; & ceux qui sement trop tard, ont à craindre les sécheresses, qui empêchent quelquefois le chenevi de lever.

Le chenevi doit être semé dru, sans quoi le chanvre deviendroit gros, l'écorce en seroit trop ligneuse, & la filasse trop dure ; ce qui est un grand défaut : cependant quand il est semé trop dru, il reste beaucoup de petits piés qui sont étouffés par les autres, & c'est encore un inconvénient. Il faut donc observer un milieu, qu'on atteint aisément par l'usage ; & ordinairement les chenevieres ne sont trop claires que quand il a péri une partie de la semence, ou par les gelées, ou par la sécheresse, ou par d'autres accidens.

Il est bon de remarquer que le chenevi est une semence huileuse ; car ces sortes de semences rancissent avec le tems, & alors elles ne levent plus ; c'est pourquoi il faut faire ensorte de ne semer que du chenevi de la derniere récolte : quand on en seme qui a deux ans, il y a bien des grains qui ne levent pas ; & de celui qui seroit plus vieux, il en leveroit encore moins.

Lorsque le chenevi est semé, il le faut enterrer ; & cela se fait ou avec une herse, si la terre a été labourée à la charrue ; ou avec un rateau, si elle a été façonnée à bras.

Malgré cette précaution, il faut garder très-soigneusement la cheneviere jusqu'à ce que la semence soit entierement levée, sans quoi quantité d'oiseaux, & sur-tout les pigeons, détruisent tout, sans épargner les semences qui seroient bien enterrées. Il est vrai que les pigeons & les oiseaux qui ne grattent point, ne font aucun tort aux grains de blé qui sont recouverts de terre ; mais la différence qu'il y a entre ces deux semences, c'est que le grain de blé ne sort point de terre avec l'herbe qu'il pousse, au lieu que le chenevi sort tout entier de terre quand il germe ; c'est alors que les pigeons en font un plus grand dégât, parce qu'appercevant le chenevi, ils arrachent la plante & la font périr.

Les chenevieres qui ont coûté beaucoup de peine & de travail jusqu'à ce que le chenevi soit levé, n'en exigent presque plus jusqu'au tems de la récolte ; on se contente ordinairement d'entretenir les fossés, & d'empêcher les bestiaux d'en approcher.

Cependant quand les sécheresses sont grandes, il y a des gens laborieux qui arrosent leurs chenevieres ; mais il faut qu'elles soient petites, & que l'eau en soit à portée ; à moins qu'on ne pût les arroser par immersion, comme on le pratique en quelques endroits.

Nous avons dit qu'il arrivoit quelquefois des accidens au chenevi, qui faisoient que la cheneviere étoit claire, & nous avons remarqué qu'alors le chanvre étoit gros, branchu, & incapable de fournir de belle filasse ; dans ce cas, pour tirer quelque parti de la cheneviere, ne fût-ce que pour le chenevi qui n'en sera que meilleur, il faudra la sarcler, pour empêcher les mauvaises herbes d'étouffer le chanvre.

Vers le commencement d'Août les piés de chanvre qui ne portent point de graine, qu'on appelle mal-à-propos chanvre femelle, & que nous appellerons le mâle, commencent à jaunir à la cime & à blanchir par le pié ; ce qui indique qu'il est en état d'être arraché : alors les femmes entrent dans la cheneviere, & tirent tous les piés mâles dont elles font des poignées qu'elles arrangent au bord du champ, ayant attention de n'endommager le chanvre femelle que le moins qu'il est possible ; car il doit rester encore quelque tems en terre pour achever d'y mûrir sa semence.

Nous avons dit qu'en arrachant le chanvre mâle on en formoit des poignées : on a soin que les brins qui forment une poignée soient à-peu-près d'une égale longueur, & on les arrange de façon que toutes les racines soient égales ; enfin chaque poignée est liée avec un petit brin de chanvre.

On les expose ensuite au soleil pour faire sécher les feuilles & les fleurs ; & quand elles sont bien seches, on les fait tomber en frappant chaque poignée contre un tronc d'arbre ou contré un mur, & on joint plusieurs de ces poignées ensemble, pour former des bottes assez grosses qu'on porte au routoir.

Le lieu qu'on appelle routoir, & où l'on donne au chanvre cette préparation qu'on appelle roüir ou naiser, est une fosse de trois ou quatre toises de longueur, sur deux ou trois toises de largeur, & de trois ou quatre piés de profondeur, remplie d'eau : c'est souvent une source qui remplit ces routoirs ; & quand ils sont pleins, ils se déchargent de superficie par un écoulement qu'on y a ménagé.

Il y a des routoirs qui ne sont qu'un simple fossé fait sur le bord d'une riviere ; quelques-uns même, au mépris des ordonnances, n'ont point d'autres routoirs que le lit même des rivieres : enfin quand on est éloigné des sources & des rivieres, on met roüir le chanvre dans les fossés pleins d'eau & dans les mares. Examinons maintenant ce qu'on se propose en mettant roüir le chanvre.

Pour roüir le chanvre, on l'arrange au fond de l'eau, on le couvre d'un peu de paille, & on l'assujettit sous l'eau en le chargeant avec des morceaux de bois & des pierres, comme on voit Pl. I. premiere division, en q.

On le laisse en cet état jusqu'à ce que l'écorce qui doit fournir la filasse se détache aisément de la chenevotte qui est au milieu, ce qu'on reconnoît en essayant de tems en tems si l'écorce cesse d'être adhérente à la chenevotte ; & quand elle s'en détache sans aucune difficulté, on juge que le chanvre est assez roüi, & on le tire du routoir.

L'opération dont nous parlons fait quelque chose de plus que de disposer la filasse à quitter la chenevotte ; elle affine & attendrit la filasse.

Il est dangereux de tenir trop long-tems le chanvre dans l'eau ; car alors il roüit trop, le chanvre est trop pourri, & en ce cas la filasse n'a plus de force : au contraire, quand le chanvre n'a pas été assez longtems dans l'eau, l'écorce reste adhérente à la chenevotte ; la filasse est dure, élastique, & on ne la peut jamais bien affiner. Il y a donc un milieu à garder ; & ce milieu ne dépend pas seulement du tems qu'on laisse le chanvre dans l'eau, mais encore,

1°. De la qualité de l'eau ; il est plûtôt roüi dans l'eau dormante que dans celle qui coule, dans l'eau qui croupit que dans celle qui est claire.

2°. De la chaleur de l'air ; il se roüit plûtôt quand il fait chaud que quand il fait froid.

3°. De la qualité du chanvre ; celui qui a été élevé dans une terre douce, qui n'a point manqué d'eau, & qu'on a cueilli un peu verd, est plûtôt roüi que celui qui a crû dans une terre forte ou seche, & qu'on a laissé beaucoup mûrir.

En général on croit que quand le chanvre reste peu dans l'eau pour se roüir, la filasse en est meilleure ; c'est pour cela qu'on prétend qu'il ne faut roüir que par les tems chauds : & quand les automnes sont froides, il y en a qui remettent au printems suivant à roüir leur chanvre femelle ; quelques-uns même préférent de roüir leur chanvre dans de l'eau dormante, même dans de l'eau croupissante, plutôt que dans de l'eau vive.

M. Duhamel, auteur du traité de Corderie, d'où nous tirons cet article abregé, mit roüir du chanvre dans différentes eaux, & il lui parut que la filasse du chanvre qui avoit été roüi dans l'eau croupissante, étoit plus douce que celle du chanvre qu'on avoit roüi dans l'eau courante ; mais la filasse contracte dans les eaux qui ne coulent point, une couleur desagréable, qui ne lui cause à la vérité aucun préjudice, car elle n'en blanchit que plus aisément : cependant cette couleur déplaît, & la filasse en est moins marchande ; c'est pourquoi on fait passer, autant qu'on le peut, au travers des routoirs un petit courant d'eau qui renouvelle celle du routoir, & qui empêche qu'elle ne se corrompe.

Il est évident par ce que nous avons dit, qu'on ne peut pas fixer le tems qu'il faut laisser le chanvre dans le routoir, puisque la qualité du chanvre, celle de l'eau & la température de l'air, ralentissent ou précipitent cette opération.

On a coûtume de juger que le chanvre a été suffisamment roüi, en éprouvant si l'écorce se leve aisément & de toute sa longueur de dessus la chenevotte ; outre cela il faut avouer que la grande habitude des paysans qui cultivent le chanvre, les aide beaucoup à ne lui donner que le degré de roüi qui lui convient : cependant ils s'y trompent quelquefois, & il m'a paru qu'il y avoit des provinces où l'on étoit dans l'usage constant de roüir plus que dans d'autres.

Il est bon d'être averti qu'il faut éviter de mettre roüir le chanvre dans certaines eaux où il y a quantité de petites chevrettes ; car ces animaux le coupent, & la filasse est presque perdue.

En parlant de la récolte du chanvre mâle, nous avons dit qu'on laissoit encore quelque tems le chanvre femelle en terre pour lui donner le tems de mûrir sa semence ; mais ce délai fait que le chanvre femelle mûrit trop, son écorce devient trop ligneuse ; & il s'ensuit que la filasse qu'il fournit, est plus grossiere & plus rude que celle du mâle : néanmoins quand on voit que la semence est bien formée, on arrache le chanvre femelle comme on a fait le mâle, & on l'arrange de même par poignées.

Dans certains pays, pour achever la maturité du chenevi, on fait à différens endroits de la cheneviere des fosses rondes de la profondeur d'un pié & de trois à quatre piés de diametre, & on arrange dans le fond de ces fosses les poignées de chanvre bien serrées les unes auprès des autres, de telle sorte que la graine soit em-bas & la racine en-haut ; on les retient ensuite en cette situation avec des liens de paille, & on releve tout autour de cette grosse gerbe la terre qu'on avoit tirée de la fosse, pour que les têtes du chanvre soient bien étouffées.

La tête de ce chanvre s'échauffe à l'aide de l'humidité qui y est contenue, comme s'échauffe un tas de foin verd ou une couche de fumier : cette chaleur acheve de mûrir le chenevi, & le dispose à sortir plus aisément de ses enveloppes.

Quand le chenevi a acquis cette qualité, on retire le chanvre de ces fosses, où il se moisiroit si on l'y laissoit plus long-tems.

Dans d'autres cantons où il y a beaucoup de chanvre, on ne l'enterre point, on se contente de l'arranger par tas tête contre tête ; & quelques jours après on travaille à en retirer le chenevi, comme nous allons l'expliquer.

Ceux qui ne font que de petites récoltes, étendent un drap par terre pour recevoir leur chenevi ; les autres nettoyent & préparent une place bien unie sur laquelle ils étendent leur chanvre, en mettant toutes les têtes du même côté ; ils le battent légerement, ou avec un morceau de bois, ou avec de petits fléaux : cette opération fait tomber la meilleure graine, qu'ils mettent à part pour la semer le printems suivant ; mais il reste encore beaucoup de chenevi dans les têtes. Pour le retirer, ils peignent la tête de leur chanvre sur les dents d'un instrument qu'on appelle un égrugeoir, qu'on voit même Planc. même division, en r ; & par cette opération l'on fait tomber en même-tems & pêle-mêle, les feuilles, les enveloppes des semences, & les semences elles-mêmes : on conserve tout cela en tas pendant quelques jours, puis on l'étend pour le faire sécher ; enfin on le bat, & on nettoye le chenevi en le vannant & en le passant par le crible.

C'est cette seconde graine qui sert à faire l'huile de chenevi & à nourrir les volailles.

A l'égard du chanvre, on le porte au routoir, q, pour y souffrir la même préparation que le chanvre mâle.

Quand on a retiré le chanvre du routoir, on délie les bottes pour les faire sécher ; on les étend au soleil le long d'un mur, ou sur la berge d'un fossé, ou simplement à plat dans un endroit où il n'y ait point d'humidité : on a soin de les retourner de tems en tems ; & quand le chanvre est bien sec, on le remet en bottes pour le porter à la maison, où on le conserve dans un lieu sec jusqu'à ce qu'on veuille le tiller ou le broyer de la maniere suivante.

Il y a des provinces où l'on tille tout le chanvre, & dans d'autres il n'y a que ceux qui en recueillent peu qui le tillent ; les autres le broyent.

La façon de tiller le chanvre est si simple, que les enfans y réussissent aussi-bien que les grandes personnes : elle consiste à prendre les brins de chanvre les uns après les autres, à rompre la chenevotte, & à en détacher la filasse en la faisant couler entre les doigts. On voit même Planche, même division, cette opération, en s.

Ce travail paroît un peu long ; néanmoins comme il s'exécute dans des momens perdus & par les enfans qui gardent les bestiaux, il n'est pas fort à charge aux familles nombreuses : mais il feroit perdre beaucoup de tems aux petites familles, qui ont bien plutôt fait de le broyer.

Avant que de broyer le chanvre, il le faut bien dessécher, ou, comme disent les paysans, le bien hâler ; pour cet effet, on a à une certaine distance de la maison un hâloir, qu'on voit même Planche, même division, en t : car il n'y a rien de si dangereux pour les incendies que de hâler dans les cheminées des maisons, comme quelques paysans le pratiquent : il y en a aussi qui mettent leur chanvre sécher dans leur four ; dans ce cas on n'a rien à craindre pour la maison, mais souvent le feu prend à leur chanvre, & on ne peut pas par ce moyen en dessécher une grande quantité. Le hâloir n'est autre chose qu'une caverne qui a ordinairement six à sept piés de hauteur, cinq à six de largeur, & neuf à dix de profondeur ou de creux ; le dessous d'une roche fait souvent un très-bon hâloir. Il y en a de voûtés à pierres seches ; d'autres qui sont recouverts de grandes pierres plates, ou simplement de morceaux de bois chargés de terre : chacun les fait à sa fantaisie. Mais tout le monde essaye de placer le hâloir à l'abri de la bise & au soleil de midi ; parce que le tems pour broyer est ordinairement par de belles gelées, quand on ne peut pas travailler à la terre.

Environ à quatre piés au-dessus du foyer du hâloir, & à deux piés de son entrée, on place trois barreaux de bois qui ont au plus un pouce de grosseur ; ils traversent le hâloir d'un mur à l'autre, & y sont assujettis : c'est sur ces morceaux de bois qu'on pose le chanvre qu'on veut hâler, environ de l'épaisseur d'un demi-pié.

Tout étant ainsi disposé, une femme attentive entretient dessous un petit feu de chenevottes ; je dis une femme attentive, parce qu'il faut continuellement fournir des chenevottes, qui sont bien-tôt consumées, entretenir le feu dans toutes les parties de l'âtre, & prendre garde que la flamme ne s'éleve & ne mette le feu au chanvre, qui est bien combustible, sur-tout quand il y a quelque tems qu'il est dans le hâloir.

La même femme a encore soin de retourner le chanvre de tems en tems, pour que tout se desseche également ; enfin elle en remet de nouveau à mesure que l'on ôte celui qui est assez sec pour être porté à la broye, qu'on voit même Pl. même division, en u.

La broye ressemble à un banc qui seroit fait d'un soliveau de cinq à six pouces d'équarrissage sur sept à huit piés de longueur, on creuse ce soliveau dans toute sa longueur, de deux grandes mortoises d'un bon pouce de largeur, qui le traversent de toute son épaisseur, & on taille en couteau les trois languettes qui ont été formées par les deux entailles ou grandes mortoises dont je viens de parler.

Sur cette piece de bois on en ajuste une autre qui lui est assemblée à charniere par un bout, qui forme une poignée à l'autre bout, & qui porte dans sa longueur deux couteaux qui entrent dans les rainures de la piece inférieure.

L'homme qui broye, prend de sa main gauche une grosse poignée de chanvre, & de l'autre la poignée de la mâchoire supérieure de la broye ; il engage le chanvre entre les deux mâchoires ; & en élevant & en baissant à plusieurs reprises & fortement la mâchoire, il brise les chenevottes : en tirant le chanvre entre les deux mâchoires, il oblige les chenevottes à quitter la filasse ; & quand la poignée est ainsi broyée jusqu'à la moitié, il la prend par le bout broyé pour donner la même préparation à celui qu'il tenoit dans sa main.

Enfin quand il y a environ deux livres de filasse bien broyée, on la plie en deux, on tord grossierement les deux bouts l'un sur l'autre ; & c'est ce qu'on appelle des queues de chanvre, ou de la filasse brute.

Les deux pratiques, savoir celle de tiller le chanvre, & celle de le broyer, ont chacune des avantages & des défauts particuliers.

On a coûtume de dire qu'il faut plus roüir le chanvre qu'on destine à faire des toiles fines, que celui qu'on ne veut employer qu'à de grosses toiles ; que celui qu'on destine à faire des cordages, doit être le moins roüi.

Nous avons dit que le chanvre qui n'étoit pas assez roüi, étoit dur, grossier, élastique, & restoit chargé de chenevottes : on verra dans la suite que ce sont-là de grands défauts pour faire de bons cordages. Voyez l'article CORDERIE.

Nous conviendrons néanmoins qu'on peut roüir un peu plus les chanvres qu'on destine à des ouvrages fins ; mais il ne faut pas espérer par ce moyen d'affiner beaucoup une filasse qui seroit naturellement grossiere, on la feroit plûtôt pourrir : car il faut pour avoir de la filasse fine, que bien des choses concourent.

1°. Le terrein ; car, comme nous l'avons déjà remarqué, les terres trop fortes ou trop seches ne donnent jamais une filasse bien douce ; elle est trop ligneuse, & par conséquent dure & cassante : au contraire si le terrein de la cheneviere est trop aquatique, l'écorce du chanvre qu'on y aura recueilli, sera herbacée, tendre, & aisée à rompre, ce qui la fait tomber en étoupes. Ce sont donc les terreins doux, substantiels & médiocrement humides, qui donnent de la filasse douce, flexible & forte, qui sont les meilleures qualités qu'on puisse desirer.

2°. L'année ; car quand les années sont hâleuses, la filasse est dure ; au contraire elle est souple & quelquefois tendre, quand les années sont fraîches & humides.

3°. La maturité ; car si le chanvre a trop resté sur pié, les fibres longitudinales de l'écorce sont trop adhérentes les unes aux autres, la filasse brute forme de larges rubans qu'on a bien de la peine à refendre, sur-tout vers le pié ; & c'est ce qu'on exprime en disant qu'une queue de chanvre a beaucoup de pattes : c'est le défaut de tous les chanvres femelles qu'on a été obligé de laisser trop long-tems sur pié pour y mûrir leurs semences ; au contraire si l'on arrache le chanvre trop verd, l'écorce étant encore herbacée, il y a beaucoup de déchet, & la filasse n'a point de force.

4°. La façon dont il a été semé ; car celui qui a été semé trop clair a l'écorce épaisse, dure, noüeuse & ligneuse : au lieu que celui qui a été semé assez dru, a l'écorce fine.

5°. Enfin les préparations qu'on lui donne, qui consistent à le broyer, à l'espader, à le piler, à le ferrer & à le peigner, comme nous le rapporterons dans la suite.

Dans tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, le chanvre a été le fruit de l'industrie des paysans, & il a fait une partie du travail de l'homme des champs ; c'est dans cet état où on l'appelle filasse en brin, ou filasse brute ; & dans les corderies, du chanvre simplement dit.

On apporte les chanvres par gros ballots, on les délie pour voir s'ils ne sont pas mouillés ou fourrés de mauvaises marchandises.

Il est important qu'ils ne soient pas mouillés, 1°. parce qu'ils en peseroient davantage ; & comme on reçoit le chanvre au poids, on trouveroit un déchet considérable quand il seroit sec : 2°. si on l'entassoit humide dans les magasins, il s'échaufferoit & pourriroit. Il faut donc faire étendre & sécher les ballots qui sont humides, & ne les recevoir que quand ils seront secs.

Outre cela il est à-propos d'examiner si ces ballots ne sont pas fourrés : car il y a souvent dans le milieu des ballots de chanvre, des liasses d'étoupes, des bouts de corde, des morceaux de bois, des pierres & des feuilles ; tout cela augmente le poids, & ce sont des matieres inutiles.

Ainsi quand on trouve des ballots fourrés, il faut ôter soigneusement toutes les matieres étrangeres.

Nous avons parlé de ce qu'on appelle queue de chanvre, mais il importe ici de savoir comment ces queues sont faites, puisque leur forme aide à faire mieux connoître si le chanvre est bon, ou s'il ne l'est pas.

Il faut pour cela distinguer deux bouts dans un brin de chanvre ; l'un fort délié qui aboutissoit au haut de la tige de la plante, & l'autre assez épais qui se terminoit à la racine : on appelle ce bout la patte du chanvre.

Lorsqu'on forme une queue de chanvre, on met toutes les pattes d'un côté ; & cette extrémité s'appelle la tête ; l'autre extrémité, qu'on appelle le petit bout ou la pointe, n'étant composée que de brins déliés, ne peut être aussi grosse que la tête.

Or il faut pour qu'une queue de chanvre soit bien conditionnée, qu'elle aille en diminuant uniformément de la tête à la pointe, & qu'elle soit encore bien garnie aux trois quarts de sa longueur ; car quand le chanvre est bien nourri, quand la plante qui l'a fourni, étoit vigoureuse, il diminue insensiblement & uniformément depuis la racine jusqu'au petit bout : au contraire quand la plante a pâti, le chanvre perd tout-d'un-coup sa grosseur un peu au-dessus des racines ; & alors les pattes qu'on sera obligé de retrancher, sont grosses ; & le reste, qui est la partie utile, est maigre. Outre cela, quand les paysans ont beaucoup de chanvre court, au lieu d'en faire des queues séparées, ils mêlent ce chanvre court avec le long ; & alors les queues ne suivent pas non plus une diminution uniforme depuis la tête jusqu'à la pointe : mais il faut sur-tout être en garde contre une autre supercherie des paysans, qui, pour faire croire que leurs queues de chanvre sont bien fournies dans toute leur longueur, ont soin de les fourrer vers le milieu avec de l'étoupe. On reconnoîtra néanmoins cette fourberie, en prenant les queues de chanvre par la tête & en les secoüant, pour voir si tous les brins se plongent dans toute la longueur de la queue.

J'ai déjà fait remarquer que comme les pattes sont inutiles, & qu'elles doivent être retranchées par les peigneurs, il est très-avantageux que les queues de chanvre n'ayent point trop de pattes ; ce qui est le défaut principal de toutes les queues de chanvre qui ne suivent pas une diminution uniforme dans toute leur longueur.

D'ailleurs, tous les brins de chanvre que les paysans mettent pour nourrir les queues, restent sur le peigne, & ne fournissent que du second brin ou de l'étoupe.

Il faut de plus remarquer que quand les pattes sont très-grosses, relativement aux brins de chanvre qui y répondent, ces brins foibles se rompent sur le peigne à cause de la trop grande résistance des pattes ; & alors ils fournissent beaucoup de brin court ou de second brin, ou d'étoupe, & fort peu de brin long ou de premier brin. On verra dans la suite combien il est avantageux d'avoir beaucoup de premier brin, qui est presque la seule partie utile.

Il est aisé de conclure que quand le chanvre a ainsi beaucoup de pattes, ou quand les queues se trouvent fourrées ou nourries de chanvre court, il faudra augmenter la tare de sept, huit, ou dix livres par quintal, en un mot proportionnellement au déchet que ces circonstances doivent produire. Cependant quand ces défauts sont communs à tous les chanvres d'une année, il seroit injuste de s'en prendre au fournisseur, puisqu'il lui auroit été impossible d'en trouver de meilleur.

Nous avons expliqué comment on broyoit & comment on tilloit le chanvre ; mais nous avons remis à expliquer les avantages & les desavantages de ces différentes pratiques.

Le chanvre broyé est plus doux & plus affiné que le tillé ; il a aussi moins de pattes ; & une partie des pointes les plus tendres, & qui n'auroient pas manqué de fournir des étoupes, sont restées dans la broye : ainsi il paroîtroit que ce chanvre devroit moins fournir de déchet que le chanvre tillé ; cependant il en fournit ordinairement davantage, non-seulement parce qu'il n'est jamais si net de chenevottes, mais principalement parce que les brins étant mêlés les uns dans les autres, il s'en rompt un plus grand nombre quand on les passe sur le peigne ; d'où il suit nécessairement que ce chanvre au sortir du peigne est plus doux & plus affiné que le chanvre tillé. Néanmoins l'inconvénient du déchet & celui d'avoir un peu plus de chenevottes que n'en a le chanvre tillé, a déterminé à contraindre les fournisseurs à ne fournir que du chanvre tillé. M. Duhamel croit cependant que les chanvres fort durs en vaudroient mieux s'ils étoient broyés ; car, dit-il, quand nous parlerons dans la suite des préparations qu'on donne au chanvre, on connoîtra que la broye est bien capable de l'affiner & de l'adoucir.

On s'attache quelquefois trop dans les recettes à la couleur du chanvre ; celui qui est de couleur argentine & comme gris-de-perle, est estimé le meilleur ; celui qui tire sur le verd est encore réputé bon ; on fait moins de cas de celui qui est jaunâtre, mais on rebute celui qui est brun.

Nous avons fait voir que la couleur des chanvres dépend principalement des eaux où on les fait roüir ; & que celui qui l'a été dans une eau dormante, est d'une autre couleur que celui qui l'auroit été dans une eau courante, sans que pour cela la qualité du chanvre en soit différente : ainsi nous croyons qu'il ne faut pas beaucoup s'attacher à la couleur des chanvres ; pourvû qu'ils ne soient pas noirs, ils sont recevables : mais la couleur noire ou fort brune indique, ou que les chanvres auroient été trop roüis, ou qu'ils auroient été mouillés étant en balles, & qu'ils se seroient échauffés.

On doit sur-tout examiner si les queues de chanvre sont de différente couleur ; car si elles étoient marquées de taches brunes, ce seroit un indice certain qu'elles auroient été mouillées en balles ; & dans ce cas les endroits plus bruns sont ordinairement pourris.

Il vaut mieux s'attacher à l'odeur du chanvre qu'à sa couleur ; car il faut rebuter séverement celui qui sent le pourri, le moisi, ou simplement l'échauffé, & choisir par préférence celui qui a une odeur forte, parce que cette odeur indique qu'il est de la derniere récolte ; condition que l'on regarde comme importante dans les corderies, parce que le chanvre nouveau produit moins de déchet que le vieux. Il est vrai aussi qu'il ne s'affine pas si parfaitement ; & si l'on y réfléchissoit bien, peut-être mépriseroit-on un peu de déchet pour avoir un chanvre plus affiné.

Il y a des queues de chanvre dont tous les brins depuis la racine jusqu'à la pointe, sont plats comme des rubans, & d'autres ont ces brins ronds comme des cordons. Il est certain que les premiers sont plus aisés à affiner, parce qu'ils se refendent plus aisément sur le peigne, & c'est la seule raison de préférence qu'on y trouve ; aussi ne rebutera-t-on jamais une queue de chanvre, par la seule raison que les brins qui la composent sont ronds.

Il y a des chanvres beaucoup plus longs les uns que les autres, & on donne toûjours la préférence aux chanvres qui sont les plus longs : nous croyons cependant que si les chanvres trop courts font de mauvaises cordes, ceux qui sont trop longs occasionnent un déchet inutile, & qu'ils sont ordinairement plus rudes que les chanvres courts ; & c'est encore un défaut.

Quand le chanvre est fin, moëlleux, souple, doux au toucher, peu élastique, & en même tems difficile à rompre, il est certain qu'il doit être regardé comme le meilleur ; mais si le chanvre est rude, dur, & élastique, on peut être certain qu'il donnera toûjours des cordes foibles.

Il est très-avantageux que les matieres qu'on employe pour faire des cordes, soient souples ; & il n'est pas douteux que c'est la roideur de l'écorce du tilleul & du jonc, qui fait principalement la foiblesse des cordes qui sont faites avec ces matieres.

On verra ailleurs, qu'on peut procurer au chanvre cette souplesse si avantageuse, par l'espade, par le peigne, &c.

Nous avons fait remarquer que les chanvres très-roüis étoient les plus souples : nous avons prouvé aussi que l'opération de roüir étoit un commencement de pourriture, & que si on laissoit trop longtems le chanvre dans les routoirs, il se pourriroit entierement ; d'où on peut conclure que les chanvres qui n'ont acquis leur souplesse qu'à force de roüir, doivent pourrir plûtôt par le service, que ceux qui sont plus durs.

Nous observerons que le chanvre cueilli un peu verd, & dont les fibres de l'écorce n'étoient pas encore devenues très-ligneuses, sont plus souples que les autres ; mais ces chanvres doux, pour être trop herbacés, sont aussi plus aisés à pourrir que les chanvres rudes & très-ligneux. On convient assez généralement de cette proposition dans les corderies : celui de Riga, par exemple, passe pour pourrir plus promtement que les chanvres de Bretagne.

Nous avons dit qu'on mettoit roüir le chanvre principalement pour séparer l'écorce de la chenevotte, à laquelle elle est fort adhérente avant cette opération. Quand donc le chanvre n'est pas assez roüi, l'écorce reste trop adhérente à la chenevotte, on a de la peine à l'en séparer, & il en reste toûjours d'attachée au chanvre, sur-tout quand il a été broyé.

Ce défaut est considérable, parce que les chenevottes rendent le fil d'inégale grosseur, & qu'elles l'affoiblissent dans les endroits où elles se rencontrent ; mais quand les chanvres ont été trop roüis, l'eau qui a agi plus puissamment sur la pointe qui est tendre, l'a souvent entierement pourrie.

Ainsi quand les chanvres sont bien nets de chenevottes, ou qu'on remarque que les chenevottes qui restent sont peu adhérentes à la filasse, il faut examiner si les pointes ont encore de la force ; & cela sur-tout aux chanvres tillés ; car les pointes des chanvres trop roüis restent ordinairement dans la broye ou macque, & ne se trouvent point dans les queues, qui en sont seulement plus courtes ; ce qui n'est pas un défaut, si le chanvre a encore assez de longueur.

Nous observerons que le chanvre femelle qu'on a laissé sur pié pour y mûrir son chenevi, étoit devenu par ce délai plus ligneux, plus dur & plus élastique que le chanvre mâle qu'on avoit arraché plus de trois semaines plûtôt. Nous venons de dire que le chanvre le plus fin & le plus souple est le meilleur ; d'où il faut conclure que le chanvre mâle est de meilleure qualité que le chanvre femelle : les paysans qui le savent bien, essayent de le vendre un peu plus cher, & cela est juste. Une fourniture est réputée bonne quand elle contient autant de chanvre mâle que de femelle ; ce qui sera aisé à distinguer par la dureté & la roideur du chanvre femelle, qui est ordinairement plus brun que le chanvre mâle, qui a une couleur plus brillante & plus argentine.

On verra ailleurs, que le premier brin est presque la seule partie utile dans le chanvre ; d'un autre côté on sait, après ce qui vient d'être dit, que tous les chanvres ne fournissent pas également du premier brin : il est donc nécessaire, quand on fait une recette un peu considérable de chanvre, de s'assûrer de la quantité du premier & second brin, d'étoupes & de déchet que pourra produire le chanvre que présente le fournisseur. Or cela se connoît en faisant espader & peigner, en un mot préparer comme on a coûtume de le faire, un quintal. On pese ensuite le premier, le second & le troisieme brin qu'on a retirés de ce quintal ; & le manque marque le déchet : d'ailleurs le chanvre qu'on reçoit étant destiné à faire des cordes, celui qui fera les cordes les plus fortes, sera meilleur. Il résulte donc de-là une maniere de l'éprouver. Voyez le détail de cette épreuve, dans l'ouvrage de M. Duhamel.

A mesure qu'on fait la recette, on porte les balles de chanvre dans les magasins, où elles doivent rester jusqu'à ce qu'on les délivre aux espadeurs ; & comme les consommations ne sont pas toûjours proportionnelles aux recettes, on est obligé de les laisser quelquefois assez long-tems dans les magasins, où il est important de les conserver avec beaucoup d'attention, sans quoi on couroit risque d'en perdre beaucoup ; il est donc avantageux de rapporter en quoi consistent ces précautions.

1°. Les magasins où l'on conserve le chanvre doivent être des greniers fort élevés & spacieux, plafonnés, percés de fenêtres ou de grandes lucarnes de côté & d'autre ; & ces fenêtres doivent fermer avec de bons contrevents, qu'on tiendra ouverts quand le tems sera frais & sec, & qu'on fermera soigneusement quand l'air sera humide, & du côté du soleil quand il sera fort chaud ; car la chaleur durcit, roidit le chanvre, & le fait à la longue tomber en poussiere : quand au contraire il est humide, il court risque de s'échauffer. Il est important pour la même raison qu'il ne pleuve point sur le chanvre, ainsi il faudra entretenir les couvertures avec tout le soin possible.

2°. Si le chanvre qu'on reçoit est tant-soit-peu humide, on l'étendra, & on ne le mettra en meulons que quand il sera fort sec, sans quoi il s'échaufferoit & seroit bientôt pourri.

3°. Pour que l'air entre dans les meulons de tous côtés, on ne les fera que de quinze à dix-huit milliers, & on ne les élevera pas jusqu'au toît. Comme dans les recettes il se trouve presque toûjours du chanvre de différente qualité, on aura l'attention, autant que faire se pourra, que tout le chanvre d'un même meulon soit de la même qualité, afin qu'on puisse employer aux manoeuvres les plus importantes les chanvres les plus parfaits ; c'est une attention qu'on n'a pas ordinairement, mais qui est des plus essentielles.

4°. On fourrera de tems en tems les bras dans les meulons, pour connoître s'ils ne s'échauffent pas ; & s'il y avoit de la chaleur dans quelques-uns, on les déferoit, leur laisseroit prendre l'air, & les transporteroit dans d'autres endroits.

5°. Une ou deux fois l'année on changera les meulons de place, pour mieux connoître en quel état ils sont intérieurement ; d'ailleurs, par cette opération l'on expose le chanvre à l'air, ce qui lui est toûjours avantageux.

6°. Quelquefois les rats & les souris endommagent beaucoup le chanvre, qu'ils rongent & qu'ils bouchonnent pour y faire leur nid ; c'est à un homme attentif à leur faire la guerre.

Cependant, malgré toutes ces précautions, le chanvre diminue toûjours à mesure qu'on le garde ; & quand on vient à le préparer, on y trouve plus de déchet que quand il est nouveau : il est vrai que le chanvre gardé s'affine mieux, mais il est difficile que cet avantage puisse compenser le déchet.

Il s'agit maintenant de continuer la préparation du chanvre.

Le premier soin de ceux qui occupent l'attelier où nous entrons, celui des espadeurs, est de le débarrasser des petites parcelles de chenevottes qui y restent, ou des corps étrangers, feuilles, herbes, poussiere, &c. & de séparer du principal brin l'étoupe la plus grossiere, c'est-à-dire les brins de chanvre qui ont été rompus en petites parties, ou très-bouchonnés.

Le second avantage qu'on doit avoir en vûe, est de séparer les unes des autres les fibres longitudinales, qui par leur union forment des especes de rubans.

La force des fibres du chanvre, selon leur longueur, est sans contredit fort supérieure à celle des petites fibres qui unissent entr'elles les fibres longitudinales, c'est-à-dire qu'il faut infiniment plus de force pour rompre deux fibres que pour les séparer l'une de l'autre : ainsi en frottant le chanvre, en le pilant, en le fatiguant beaucoup, on contraindra les fibres longitudinales à se séparer les unes des autres, & c'est cette séparation plus ou moins grande qui fait que le chanvre est plus ou moins fin, plus ou moins élastique, & plus ou moins doux au toucher.

Rien n'est si propre à détacher les chenevottes du chanvre, à en ôter la terre, à en séparer les corps étrangers, que de le secouer & le battre comme nous venons de le dire.

Pour donner au chanvre les préparations dont nous venons de parler, il y a différentes pratiques.

Tous les ouvriers qui préparent le chanvre destiné à faire du fil pour de la toile, & la plûpart des cordiers de l'intérieur du royaume pilent leur chanvre, c'est-à-dire qu'ils le mettent dans des especes de mortiers de bois, & qu'il le battent avec de gros maillets : on pourroit abréger cette opération en employant des moulins à-peu-près semblables à ceux des papeteries ou des poudrieres ; cette pratique, quoique très-bonne, n'est point en usage dans les corderies de la marine, peut-être a-t-on appréhendé qu'elle n'occasionnât trop de déchet ; car dans quelques épreuves que M. Duhamel en a faites, il lui a paru effectivement que le déchet étoit considérable.

La seule pratique qui soit en usage dans les ports, encore ne l'est-elle pas par-tout, c'est celle qu'on appelle espader, & que nous allons décrire, en commençant par donner une idée de l'attelier des espadeurs, & des instrumens dont ils se servent.

L'attelier des espadeurs, qu'on voit Pl. I. seconde division, est une salle plus ou moins grande, suivant le nombre des ouvriers qu'on y veut mettre ; mais il est essentiel que le plancher en soit élevé, & que les fenêtres en soient grandes, pour que la poussiere qui sort du chanvre, & qui fatigue beaucoup la poitrine des ouvriers, se puisse dissiper.

Tout-autour de cette salle il y a des chevalets simples X, & quelquefois dans le milieu il y en a une rangée de doubles Y ; nous allons expliquer quelle est la forme de ces chevalets, & quelle différence il y a entre les chevalets simples & les doubles.

Pour cela il faut se représenter une piece de bois de quinze à dix-huit pouces de largeur, & de huit à neuf d'épaisseur ; si le chevalet doit être simple, on ne donne à cette piece que trois piés & demi ou quatre piés de longueur ; mais si le chevalet est double, elle doit avoir quatre piés & demi à cinq piés : à un de ses bouts, si le chevalet est simple, ou à chacun de ses bouts, s'il est double, on doit assembler ou clouer solidement une planche qui aura douze à quatorze lignes d'épaisseur, dix à douze pouces de largeur, & trois piés & demi de hauteur ; ces planches doivent être dans une situation verticale, & assemblées perpendiculairement à la piece de bois qui sert de pié ; enfin elles doivent avoir en-haut une entaille demi-circulaire Y, de quatre à cinq pouces d'ouverture, & de trois & demi à quatre pouces de profondeur.

Un chevalet simple ne peut servir qu'à un seul ouvrier, & deux peuvent travailler ensemble sur un chevalet double.

L'attelier des espadeurs n'est pas embarrassé de beaucoup d'instrumens ; avec les chevalets dont nous venons de parler, il faut seulement des espades, ou espadons, Z, qui ne sont autre chose que des palettes de deux piés de longueur, de quatre ou cinq pouces de largeur, & de six à sept lignes d'épaisseur, qui forment des couteaux à deux tranchans mousses, & qui ont à un de leurs bouts une poignée pour les tenir commodément.

L'espadeur prend de sa main gauche, & vers le milieu de sa longueur, une poignée de chanvre pesant environ une demi-livre, il serre fortement la main ; & ayant appuyé le milieu de cette poignée de chanvre sur l'entaille de la planche perpendiculaire du chevalet, il frappe du tranchant de l'espade sur la portion du chanvre qui pend le long de cette planche M. Quand il a frappé plusieurs coups, il secoue sa poignée de chanvre N, il la retourne sur l'entaille, & il continue de frapper jusqu'à ce que son chanvre soit bien net, & que les brins paroissent bien droits ; alors il change de chanvre bout pour bout, & il travaille la pointe comme il a fait les pattes ; car on commence toûjours à espader le côté des pattes le premier : mais on ne sauroit trop recommander aux espadeurs de donner toute leur attention à ce que le milieu du chanvre soit bien espadé, sans se contenter d'espader les deux extrémités, ce qui est un grand défaut où ils tombent communément.

Quand une poignée est bien espadée dans toute sa longueur, l'ouvrier la pose de travers sur la piece de bois qui forme le pié de son chevalet O, & il en prend une autre à laquelle il donne la même préparation ; enfin quand il y en a une trentaine de livres d'espadées, on en fait des ballots qu'on porte aux peigneurs. Voyez ces ballots en P.

Il faut observer que si le chanvre n'étoit pas bien arrangé dans la main des espadeurs, il s'en détacheroit beaucoup de brins qui se bouchonneroient ; c'est pourquoi les ouvriers attentifs ont soin de bien arranger le chanvre avant que de l'espader ; malgré cela il ne laisse pas de s'en détacher plusieurs brins qui tombent à terre, mais ils ne sont pas perdus pour cela ; car quand il y en a une certaine quantité, les espadeurs les ramassent, les arrangent le mieux qu'ils peuvent en poignées, & les espadent à part ; en prenant cette précaution, il ne reste plus qu'une mauvaise étoupe dont on faisoit autrefois des matelats pour les équipages ; mais les ayant trouvé trop mauvais, on n'employe plus à présent ces grosses étoupes qu'à faire des flambeaux, des tampons pour les mines, des torchons pour l'étuve, &c.

Le chanvre est plus ou moins long à espader, selon qu'il est plus ou moins net, sur-tout de chenevottes, & le déchet que cette préparation occasionne dépend aussi des mêmes circonstances ; cependant un bon espadeur peut préparer soixante à quatre-vingt-livres de chanvre dans sa journée, & le déchet se peut évaluer à cinq, six ou sept livres par quintal.

M. Duhamel regarde cette préparation comme importante, & croit qu'il faut espader tous les chanvres avec le plus grand soin ; si nous n'appréhendions pas, dit-il, d'occasionner trop de déchet, nous voudrions quand les chanvres sont rudes, qu'on les fit passer sous des maillets avant que de les espader.

Le chanvre a commencé à être un peu nettoyé, démêlé, & affiné dans l'attelier des espadeurs ; les coups de maillet ou d'espade qu'il y a reçus, en ont fait sortir beaucoup de poussiere, de petites chenevottes, & en ont séparé quantité de mauvais brins de chanvre : de plus, les fibres longitudinales ont commencé à se desunir ; mais elles ne sont pas entierement séparées, la plûpart tiennent encore les unes aux autres, ce sont les dents des peignes qui doivent achever cette séparation ; elles doivent, comme l'on dit, refendre le chanvre ; mais elles feront plus, elles détacheront encore beaucoup de petites chenevottes qui y sont restées, elles acheveront de séparer tous les corps étrangers qui seront mêlés avec le chanvre, & les brins trop courts ou bouchonnés qui ne peuvent donner que de l'étoupe ; enfin elles arracheront presque toutes les pattes, qui sont toûjours épaisses, dures, & ligneuses. Ainsi les peigneurs doivent perfectionner ce que les espadeurs ont ébauché. Parcourons donc leur attelier ; connoissons les instrumens dont ils se servent ; voyons travailler les peigneurs ; examinons les différens états du chanvre à mesure qu'on le peigne.

L'attelier des peigneurs, qu'on voit Pl. I. troisieme division, est une grande salle dont le plancher doit être élevé, & qui doit, ainsi que celui des espadeurs, être percé de plusieurs grandes fenêtres, afin que la poussiere qui sort du chanvre fatigue moins la poitrine des ouvriers ; car elle est presqu'aussi abondante dans cet attelier que dans celui des espadeurs ; mais les fenêtres doivent être garnies de bons contrevents, pour mettre les ouvriers à l'abri du vent & de la pluie, & même du soleil quand il est trop ardent.

Le tour de cette salle doit être garni de fortes tables R, solidement attachées sur de bons treteaux de deux piés & demi de hauteur, qui doivent être scellés par un bout dans le mur, & soûtenus à l'autre bout par des montans bien solides.

Les peignes sont les seuls outils qu'on trouve dans l'attelier dont nous parlons ; on les appelle dans quelques endroits des serans.

Ils sont composés de six ou sept rangs de dents de fer, à-peu-près semblables à celles d'un rateau ; ces dents sont fortement enfoncées dans une épaisse planche de chêne : il y a des corderies où on ne se sert que de peignes de deux grosseurs ; dans d'autres il y en a de trois, & dans quelques-unes de quatre.

Les dents des plus grands S ont 12 à 13 pouces de longueur ; elles sont quarrées, grosses par le bas de six à sept lignes, & écartées les unes des autres par la pointe, ou en comptant du milieu d'une des dents au milieu d'une autre, de deux pouces.

Ces peignes ne sont pas destinés à peigner le chanvre pour l'affiner, ils ne servent qu'à former les peignons ou ceintures ; c'est-à-dire à réunir ensemble ce qu'il faut de chanvre peigné & affiné pour faire un paquet suffisamment gros, pour que les fileurs puissent le mettre autour d'eux sans en être incommodés, & qu'il y en ait assez pour faire un fil de la longueur de la corderie ; nous appellerons ce grand peigne le peigne pour les peignons.

Le peigne de la seconde grandeur T, que nous appellerons le peigne à dégrossir, doit avoir les dents de sept à huit pouces de longueur, de six lignes de grosseur par le bas, & elles doivent être écartées les unes des autres de quinze lignes, en prenant toûjours du milieu d'une dent au milieu d'une autre, ou en mesurant d'une pointe à l'autre.

C'est sur ce peigne qu'on passe d'abord le chanvre pour ôter la plus grosse étoupe ; & dans quelques corderies on s'en tient à cette seule préparation pour tout le chanvre qu'on prépare, tant pour les cables que pour toutes les manoeuvres courantes : dans d'autres on n'employe ce chanvre dégrossi que pour les cables.

Le peigne de la troisieme grandeur V, que nous appellerons peigne à affiner, a les dents de quatre à cinq pouces de longueur, cinq lignes de grosseur par les bas, & éloignées les unes des autres de dix à douze lignes.

C'est sur ce peigne qu'on passe dans quelques corderies le chanvre qu'on destine à faire les haubans & les autres manoeuvres tant dormantes que courantes.

Enfin il y a des peignes X, qui ont les dents encore plus courtes, plus menues & plus serrées que les précédens ; nous les appellerons des peignes fins.

C'est avec ces peignes qu'on prépare le chanvre le plus fin, qui est destiné à faire de petits ouvrages, comme le fil de voile, les lignes de loc, lignes à tambours, &c. Il est bon d'observer :

1°. Que les dents doivent être rangées en échiquier ou en quinconce, ce qui fait un meilleur effet que si elles étoient rangées quarrément, & vis-à-vis les unes des autres, quand même elles seroient plus serrées. Il y a à la vérité beaucoup de peignes où les dents sont rangées de cette façon : mais il y en a aussi où elles le sont sur une même ligne ; & c'est un grand défaut, puisque plusieurs dents ne font que l'effet d'une seule.

2°. Que les dents doivent être taillées en losange, & posées de façon que la ligne qui passeroit par les deux angles aigus, coupât perpendiculairement le peigne suivant sa longueur : d'où il résulte deux avantages ; savoir, que les dents résistent mieux aux efforts qu'elles ont à souffrir, & qu'elles refendent mieux le chanvre ; c'est pour cette seconde raison qu'il faut avoir grand soin de rafraîchir de tems en tems les angles & les pointes des dents, qui s'émoussent assez vîte, & s'arrondissent enfin en travaillant.

Quand on a espadé une certaine quantité de chanvre, on le porte à l'attelier des peigneurs.

Alors un homme fort & vigoureux prend de sa main droite une poignée de chanvre, vers le milieu de sa longueur : il fait faire au petit bout de cette poignée un tour ou deux autour de cette main, desorte que les pattes & un tiers de la longueur du chanvre pendent em-bas ; alors il serre fortement la main, & faisant décrire aux pattes du chanvre une ligne circulaire, il les fait tomber avec force sur les dents du peigne à dégrossir, & il tire à lui, ce qu'il répete en engageant toûjours de plus en plus le chanvre dans les dents du peigne, jusqu'à ce que ses mains soient prêtes à toucher aux dents.

Par cette opération le chanvre se nettoye des chenevottes & de la poussiere ; il se démêle, se refend, s'affine ; & celui qui étoit bouchonné ou rompu, reste dans le peigne, de même qu'une partie des pattes ; je dis une partie, car il en resteroit encore beaucoup si l'on n'avoit pas soin de le moucher. Voici comment cela se fait :

Le peigneur tenant toûjours le chanvre dans la même situation de la main droite, prend avec sa main gauche quelques-unes des pattes qui restent au bout de sa poignée, il les tortille à l'extrémité d'une des dents du peigne ; & tirant fortement de la main droite, il rompt le chanvre au-dessus des pattes qui restent ainsi dans les dents du peigne, & il réitere cette manoeuvre jusqu'à ce qu'il ne voye plus de pattes au bout de la poignée qu'il prépare ; alors il la repasse deux fois sur le peigne, & cette partie de son chanvre est peignée.

Il s'agit ensuite de donner à la pointe qu'il tenoit dans sa main une préparation pareille à celle qu'il a donnée à la tête ; mais comme ce travail est le même, à la réserve qu'au lieu de la moucher on ne fait que rompre quelques brins qui excedent un peu la longueur des autres, nous ne répeterons point ce que nous venons de dire en parlant de la préparation de la tête, nous nous contenterons de faire les remarques suivantes.

On commence à peigner le gros bout le premier ; parce que les pattes qui s'engagent dans les dents du peigne, ou qu'on tortille autour quand on veut moucher, exigent qu'on fasse un effort auquel ne résisteroit pas le chanvre qui auroit été peigné & affiné auparavant : c'est aussi pour cette raison que les bons peigneurs tiennent leur chanvre assez près des pattes, parce que les brins de chanvre diminuant toûjours de grosseur, deviennent de plus en plus foibles.

Il est important que les peigneurs commencent par n'engager qu'une petite partie de leur chanvre dans le peigne, & qu'à différentes reprises ils en engagent toûjours de plus en plus jusqu'à la partie qui entre dans leur main, en prenant les mêmes précautions qu'on prendroit pour peigner des cheveux. En effet, on peigne le chanvre pour l'affiner & pour le démêler ; cela étant, on conçoit qui si d'abord on engageoit une grande longueur de chanvre dans le peigne, il se feroit des noeuds qui résisteroient aux efforts des peigneurs, jusqu'à ce que les brins qui forment ces noeuds fussent rompus.

On ne démêleroit donc pas le chanvre, on le romproit, & on feroit tomber le premier brin en étoupe, ou on l'accourciroit au point de n'en faire que du second brin, ce qui diminueroit la partie utile, en augmentant celle qui ne l'est pas tant : on prévient cet inconvénient en n'engageant que peu-à-peu le chanvre dans le peigne, & en proportionnant l'effort à la force du brin ; c'est-là où un peigneur habile se peut distinguer, en faisant beaucoup plus de premier brin qu'un mal-adroit.

Il faut que les peigneurs soient forts ; car s'ils ne serroient pas bien la main, ils laisseroient couler le premier brin, qui se bouchonneroit & se convertiroit en étoupe ; d'ailleurs un homme foible ne peut jamais bien engager son chanvre dans les dents du peigne, ni donner en-arriere un coup de foüet, qui est très-avantageux pour détacher les chenevottes : enfin quoique le métier de peigneur paroisse bien simple, il ne laisse pas d'exiger de l'adresse, & une certaine intelligence, qui fait que les bons peigneurs tirent d'un même chanvre beaucoup plus de premier brin que ne font les apprentis.

Le chanvre est quelquefois si long qu'on est obligé de le rompre ; car si on le coupoit, les brins coupés se termineroient par un gros bout qui ne se joindroit pas si bien aux autres brins, quand on en feroit du fil, que quand l'extrémité du chanvre se termine en pointe : il faut donc rompre les chanvres qui sont trop longs, mais il le faut faire avec certaines précautions que nous allons rapporter.

Si l'on pouvoit prolonger dans le fil les brins de chanvre suivant toute leur longueur, assûrément ils ne pourroient jamais être trop longs ; ils se joindroient mieux les uns aux autres, & on seroit dispensé de les tordre beaucoup pour les empêcher de se séparer ; mais quand le chanvre est long de six à sept piés, les fileurs ne peuvent l'étendre dans le fil de toute sa longueur, ils sont obligés de le replier, ce qui nuit beaucoup à la perfection du fil ; d'ailleurs, comme nous le dirons à l'article CORDERIE, il suffit que le premier brin ait trois piés de long.

Quand donc on est obligé de rompre le chanvre, les peigneurs prennent de la main gauche une petite partie de la poignée, ils la tortillent autour d'une des dents du peigne à dégrossir ; & tirant fortement de la main droite, ils rompent le chanvre, en s'y prenant de la même façon que quand ils le mouchent : cette portion étant rompue, ils en prennent une autre qu'ils rompent de même, & ainsi successivement jusqu'à ce que toute la poignée soit rompue.

A l'occasion de cette pratique, on peut remarquer deux choses ; la premiere, qu'il seroit bon, tant pour moucher que pour rompre le chanvre, d'avoir à côté des peignes une espece de rateau qui eût les dents plus fortes que celles des peignes ; ces dents seroient taillées en losange, & ne serviroient qu'à cet usage ; car nous avons remarqué que par ces opérations on force ordinairement les dents des peignes, & on les dérange, ce qui fait qu'ils ne sont plus si bons pour peigner, ou qu'on est obligé de les réparer fréquemment.

En second lieu, si le chanvre n'est pas excessivement long, il faut défendre très-expressément aux peigneurs de le rompre ; il vaut mieux que les fileurs ayent plus de peine à l'employer, que de laisser rogner un pié ou un pié & demi de chanvre qui tomberoit en second brin ou en étoupe.

Mais quelquefois le chanvre est si excessivement long qu'il faut absolument le rompre ; toute l'attention qu'il faut avoir, c'est que les peigneurs le rompent par le milieu : car il est beaucoup plus avantageux de n'avoir qu'un premier brin un peu court, que de convertir en second brin ce qui peut fournir du premier.

A mesure que les peigneurs ont rompu une pincée de chanvre, ils l'engagent dans les dents du peigne, pour la joindre ensuite au chanvre qu'ils tiennent dans leur main, ayant attention que les bouts rompus répondent à la tête de la queue ; & ensuite ils peignent le tout ensemble, afin d'en tirer tout ce qui a assez de longueur pour fournir du premier brin.

Nous avons dit qu'on peignoit le chanvre pour le débarrasser de ses chenevottes, de sa poussiere, & de son étoupe ; pour le démêler, le refendre, & l'affiner ; mais il y a des peigneurs paresseux, timides ou mal-adroits, qui, de crainte de se piquer les doigts, n'approchent jamais la main du peigne ; alors ils ne préparent que les bouts, & le milieu des poignées reste presque brut, ce qui est un grand défaut : ainsi il faut obliger les peigneurs à faire passer sur le peigne toute la longueur du chanvre, & s'attacher à examiner le milieu des poignées.

Malgré cette attention, quelqu'habile que soit un peigneur, jamais le milieu des poignées ne sera aussi-bien affiné que les extrémités, parce qu'il n'est pas possible que le milieu passe aussi fréquemment & aussi parfaitement sur le peigne.

C'est pour remédier à cet inconvénient que M. Duhamel voudroit qu'il y eût dans tous les atteliers des peigneurs quelques fers ou quelques frottoirs.

Nous allons décrire ces instrumens le plus en abregé qu'il nous sera possible, en indiquant la maniere de s'en servir, & leurs avantages.

Le fer A est un morceau de fer plat, large de trois à quatre pouces, épais de deux lignes, long de deux piés & demi, qui est solidement attaché, dans une situation verticale, à un poteau par deux bons barreaux de fer qui sont soudés à ses extrémités ; enfin le bord intérieur du fer plat forme un tranchant mousse.

Le peigneur B tient sa poignée de chanvre comme s'il la vouloit passer sur le peigne, excepté qu'il prend dans sa main le gros bout, & qu'il laisse prendre le plus de chanvre qu'il lui est possible, afin de faire passer le milieu sur le tranchant du fer ; tenant donc la poignée de chanvre comme nous venons de le dire, il la passe dans le fer, & retenant le petit bout de la main gauche, il appuie le chanvre sur le tranchant mousse du fer ; & tirant fortement la main droite, le chanvre frotte sur le tranchant ; ce qui étant répété plusieurs fois (ayant attention que les différentes parties de la poignée portent sur le fer), le chanvre a reçu la préparation qu'on vouloit lui donner, & on l'acheve en le passant legerement sur le peigne à finir.

Le frottoir ; c'est une planche d'un pouce & demi d'épaisseur, solidement attachée sur la même table où sont les peignes. Cette planche est percée dans le milieu, d'un trou qui a trois ou quatre pouces de diametre ; & sa face supérieure est tellement travaillée, qu'elle semble couverte d'éminences taillées en pointe de diamant. Lorsqu'on veut se servir de cet instrument, on passe la poignée de chanvre par le trou qui est au milieu ; on retient avec la main gauche le gros bout de la poignée qui est sous la planche, pendant qu'avec la main droite on frotte le milieu sur les crénelures de la planche, ce qui affine le chanvre plus que le fer dont nous venons de parler ; mais cette opération le mêle davantage & occasionne plus de déchet.

Ces méthodes sont expéditives ; elles n'occasionnent pas un déchet considérable, & elles affinent mieux le chanvre que l'on ne pourroit faire en le peignant beaucoup. Il ne faut pas trop peigner les chanvres doux ; mais un chanvre grossier, dur, rude & ligneux, doit être beaucoup plus peigné & tourmenté pour lui procurer la souplesse & la douceur qu'on desire, qu'un chanvre fin & tendre.

Les peigneurs passent le chanvre brut d'abord sur le peigne a dégrossir, & ensuite sur le peigne à finir ; ce qui reste dans leur main est le chanvre le plus long, le plus beau, & le plus propre à faire de bonnes cordes, & c'est celui-là qu'on appelle premier brin : mais un peigneur mal-habile ne tire jamais une aussi grande quantité de premier brin, & ce brin n'est jamais si beau que celui qui sort d'une bonne main.

Les bons peigneurs peuvent tirer d'un même chanvre une plus grande ou moindre quantité de premier brin, soit en le peignant plus ou moins, soit en le passant sur deux peignes, ou en ne le passant que sur le peigne à dégrossir, ou enfin en tenant leur chanvre plus près ou plus loin de l'extrémité qu'ils passent sur le peigne ; c'est-là ce qu'on appelle tirer plus ou moins au premier brin.

Ce qui reste dans les peignes qui ont servi à préparer le premier brin, contient le second brin & l'étoupe : moins on a retiré du premier brin, meilleur il est, parce qu'il se trouve plus déchargé du second brin ; & en même-tems ce qui reste dans le peigne est aussi meilleur, parce qu'il est plus chargé de second brin, dont une partie est formée aux dépens du premier.

C'est ce qui avoit fait imaginer de recommander aux peigneurs de tirer peu de premier brin, dans la vûe de retirer du chanvre qui resteroit dans le peigne trois especes de brins.

C'est encore une question de savoir s'il convient de suivre cette méthode : mais expliquons comment on prépare le second brin.

Quand il s'est amassé suffisamment de chanvre dans le peigne, le peigneur l'en retire & le met à côté de lui ; un autre ouvrier le prend & le passe sur d'autres peignes, pour en retirer le chanvre le plus long : c'est ce chanvre qu'on appelle le second brin.

Il n'est pas besoin de faire remarquer que le second brin est beaucoup plus court que le premier, n'ayant au plus qu'un pié & demi ou deux piés de longueur : outre cela le second brin n'est véritablement que les épluchures du premier, les pattes, les brins mal tillés, les filamens bouchonnés, &c. d'où l'on doit conclure que le second brin ne peut être aussi parfait que le premier, & qu'il est nécessairement plus court, plus dur, plus gros, plus élastique, plus chargé de pattes & de chenevottes ; c'est pourquoi on est obligé de le filer plus gros, & de le tordre davantage : le fil qu'on en fait est raboteux, inégal, & il se charge d'une plus grande quantité de goudron quand on le destine à faire du cordage noir.

Ce sont autant de défauts essentiels : on ne doit pas compter que la force d'un cordage qui seroit fait du second brin, aille beaucoup au-delà de la moitié de celle d'un cordage qui seroit fait du premier brin, selon les expériences que nous avons faites.

Voilà une différence de force bien considérable néanmoins il nous a paru que cette différence étoit encore plus grande entre le premier & le second brin du chanvre du royaume, qu'entre le premier & le second brin de celui de Riga.

Les cordages qui sont faits avec du second brin, ont encore un défaut qui mérite une attention particuliere. Si l'on coupe en plusieurs bouts un même cordage, il est rare que ces différens bouts ayent une force pareille : cette observation a engagé M. Duhamel à faire rompre, pour ses expériences, six bouts de cordages, afin que le fort compensant le foible, on pût compter sur un résultat moyen ; mais cette différence entre la force de plusieurs cordages de même nature, est plus considérable dans les cordages qui sont faits du second brin, que dans ceux qui le sont du premier.

On voit combien il seroit dangereux de se fier à des cordages qui seroient faits avec du second brin, & quelle imprudence il y auroit à les employer pour la garniture des vaisseaux : la bonne économie exige qu'on les employe à des usages de moindre conséquence.

Comme on ne fait point de cordages avec de l'étoupe, M. Duhamel ne peut marquer quelle en seroit la force en comparaison des cordages qui sont faits avec le second brin ; mais certainement elle seroit beaucoup moindre : on se sert ordinairement des étoupes pour faire des liens, pour amarrer les pieces de cordages quand elles sont roues ; on en fait quelques livardes, & on en porte à l'étuve pour y servir de torchons : peut-être qu'en les passant sur des peignes fins, on pourroit en retirer encore un petit brin qui seroit assez fin pour faire de petits cordages, foibles à la vérité, mais qui ne laisseroient pas d'être employés utilement. Il reste à examiner si la main-d'oeuvre n'excéderoit pas la valeur de la matiere.

Maintenant qu'on sait par des expériences, 1° que le second brin ne peut faire que des cordes très-foibles ; 2°. que quand on laisse le second brin joint au premier, il affoiblit tellement les cordes qu'elles ne sont presque pas plus fortes que si on avoit retranché tout le second brin, & tenu les cordages plus legers de cette quantité : on est en état de juger si l'on doit tendre à tirer beaucoup de premier brin : ainsi nous nous contenterons de faire remarquer que tirer beaucoup de premier brin, affiner peu le chanvre, ou laisser avec le premier brin presque tout le second, ce n'est qu'une même chose.

Mais d'un autre côté, comme le second brin est de peu de valeur en comparaison du premier ; si l'on tire peu en premier brin, on augmentera la qualité & la quantité du second, en occasionnant un déchet considérable qui tombera sur la matiere utile, sans que ce que le premier brin gagnera en qualité, puisse entrer en compensation avec ce qu'on perdra sur la quantité : tout cela a été bien établi ci-dessus, & nous ne le rappellons ici que pour indiquer quelle pratique il faut suivre pour tenir un juste milieu entre ces inconvéniens.

M. Duhamel pense qu'il faut peigner le chanvre à fond, sans songer du-tout à ménager le premier brin ; & que pour éviter la consommation, il faut ensuite retirer le chanvre le plus beau, le plus fin, & le plus long, qui sera resté dans les peignes confondu avec le second brin & l'étoupe ; & après avoir passé ce chanvre sur le peigne à affiner, on le mêlera avec le premier brin.

Cette pratique est bien différente de celle qui est en usage ; car pour retirer beaucoup de premier brin, on peigne peu le chanvre, sur-tout le milieu des poignées, & on ne le travaille que sur le peigne à dégrossir ; c'est pourquoi ce chanvre demeure très-grossier, dur, élastique, & plein de chenevottes, ou de pattes ; au lieu que celui qui aura été peigné comme nous venons de le dire, deviendra doux, fin, & très-net.

Pour terminer ce qui regarde l'attelier des peigneurs, il ne reste plus qu'à parler de la façon de faire ce qu'on appelle les ceintures ou peignons dont on a déjà parlé fort en abregé.

A mesure que les peigneurs ont préparé des poignées de premier ou de second brin, ils les mettent à côté d'eux sur la table qui supporte les peignes, ou quelquefois par terre ; d'autres ouvriers les prennent, & peu-à-peu les engagent dans les dents du grand peigne qui est destiné à faire les peignons : ils ont soin de confondre les différentes qualités de chanvre, de mêler le court avec le long, & d'en rassembler suffisamment pour faire un paquet qui puisse fournir assez de chanvre pour faire un fil de toute la longueur de la filerie, qui a ordinairement 180 à 190 brasses ; c'est ce paquet de chanvre qu'on appelle des ceintures ou des peignons. On sait par expérience que chaque peignon doit peser à-peu-près une livre & demie ou deux livres, si c'est du premier brin ; & deux livres & demie ou trois livres, si c'est du second. Cette différence vient de ce que le fil qu'on fait avec le second brin, est toûjours plus gros que celui qu'on fait avec le premier ; & outre cela, parce qu'il n'y a presque pas de déchet quand on file le premier brin, au lieu qu'il y en a lorsqu'on file le second.

Quand celui qui fait les peignons juge que son grand peigne est assez chargé de chanvre, il l'ôte du peigne sans le déranger ; & si c'est du premier brin, il plie son peignon en deux pour réunir ensemble la tête & la pointe, qu'il tord un peu pour y faire un noeud ; si c'est du second brin, qui étant plus court se sépareroit en deux, il ne le plie pas, mais il tord un peu les extrémités, & il fait un noeud à chaque bout ; alors ce chanvre a reçu toutes les préparations qui sont du ressort des peigneurs.

Un peigneur peut préparer jusqu'à 80 livres de chanvre par jour ; mais il est beaucoup plus important d'examiner s'il prépare bien son chanvre, que de savoir s'il en prépare beaucoup.

Il ne faut peigner le chanvre qu'à mesure qu'on en a besoin pour faire du fil ; car si on le gardoit, il s'empliroit de poussiere, & on seroit obligé de le peigner de nouveau : c'est aussi pour garantir le brin de la poussiere, qui est toûjours très-abondante dans la peignerie, qu'on employe des enfans à transporter les peignons à mesure qu'on les fait, de l'attelier des peigneurs à celui des fileurs. C'est dans cet attelier que commence l'art de Corderie. Voyez CORDERIE, & l'ouvrage de M. Duhamel déjà cité.

CHANVRE, (Mat. médic.) La semence de cette plante est seule usitée en Médecine, & encore l'employe-t-on bien rarement : elle est émulsive. Quelques auteurs ont cru que l'émulsion qu'on en préparoit étoit bonne contre la toux, & préférable en ce cas aux émulsions ordinaires : ils l'ont donnée aussi pour spécifique contre la gonorrhée, sur-tout lorsqu'elle est accompagnée d'érections fréquentes & douloureuses. Voyez GONORRHEE.

La semence & les feuilles écrasées & appliquées en forme de cataplasme sur les tumeurs douloureuses, passent pour puissamment résolutives & stupéfiantes. Cette derniere vertu se manifeste par une odeur forte & inébriante qui s'éleve du chanvre qu'on fait sécher. L'eau dans laquelle on a fait roüir le chanvre, passe pour plus dangereuse encore ; & on prétend que si quelqu'un en bûvoit, il succomberoit sur le champ à son venin, contre lequel tous les antidotes connus ne seroient que des secours le plus souvent insuffisans.

L'huile qu'on retire de ses semences, connue sous le nom d'huile de chenevis, est employée extérieurement comme résolutive ; mais cette vertu lui est commune avec les autres huiles par expression ; elle ne participe pas dans l'usage intérieur de la qualité dangereuse de la plante ; tout comme on n'en doit rien attendre de particulier dans l'usage extérieur à titre de stupéfiante, parce qu'on a reconnu cette qualité dans la plante entiere ou dans ses feuilles.

On trouve dans plusieurs autres différentes émulsions composées, décrites sous le nom d'emulsio cannabina ; telles sont l'emulsio cannabina ad gonorrheam de Doleus, d'Etmuller, de Michaelis, de Minsicht, &c. (b)


CHAO(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Junnan. Lat. 25. 46. Il y en a encore une de ce nom dans la province de Pekeli.


CHAOCHEU(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Quanton. Lat. 23. 30.


CHAOCHING(Géog.) grande ville de la Chine, dans la province de Channton, sur une riviere de même nom. Lat. 36. 44. Il y en a une autre de même nom dans la province de Channsi.


CHAOGAN(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Fokien. Lat. 24.


CHAOHOA(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Soutchouen. Lat. 32d. 10'.


CHAOKING(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Quanton, sur le Ta. Lat. 23. 30.


CHAOLOGIES. f. histoire ou description du chaos. Voyez CHAOS. On dit qu'Orphée avoit marqué dans sa chaologie les différentes altérations, secrétions, & formes par où la terre a passé avant de devenir habitable ; ce qui revient à ce qu'on appelle autrement cosmogonie. Le docteur Burnet a donné aussi une chaologie dans sa théorie de la terre : il représente d'abord le chaos comme non-divisé & absolument brut & informe ; il montre ensuite ou prétend montrer, comment il s'est divisé en ses régions respectives, comment les matieres homogenes se sont rassemblées & séparées de toutes les parties d'une nature différente ; & enfin comment la terre s'est durcie, & est devenue un corps solide & habitable. Voy. CHAOS, ELEMENT, TERRE, &c. Chamb.


CHAONIE(Géog. anc. & mod.) contrée de l'Epire, bornée au nord par les monts Acrocérauniens, & connue aujourd'hui sous le nom de Caneria. Il y avoit dans la Comagene une ville de même nom.


CHAONIES(Myth.) fêtes qui se célébroient dans la Chaonie. Nous n'en savons aucune particularité.


CHAOPING(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Quansi. Lat. 24. 47.


CHAOSS. m. (Philos. & Myth.) Le chaos en Mythologie, est pere de l'Erebe & de la Nuit mere des dieux. Les anciens philosophes ont entendu par ce mot, un mélange confus de particules de toute espece, sans forme ni régularité, auquel ils supposent le mouvement essentiel, lui attribuant en conséquence la formation de l'Univers. Ce système est chez eux un corollaire d'un axiome excellent en lui-même, mais qu'ils généralisent un peu trop ; savoir, que rien ne se fait de rien, ex nihilo nihil fit ; au lieu de restreindre ce principe aux effets, ils l'étendent jusqu'à la cause efficiente, & regardent la création comme une idée chimérique & contradictoire. Voyez CREATION.

Anciennement les Sophistes, les Sages du Paganisme, les Naturalistes, les Théologiens, & les Poëtes, ont embrassé la même opinion. Le chaos est pour eux le plus ancien des êtres, l'Etre éternel, le premier des principes & le berceau de l'Univers. Les Barbares, les Phéniciens, les Egyptiens, les Perses, &c. ont rapporté l'origine du monde à une masse informe & confuse de matieres entassées pêle-mêle, & mûes en tout sens les unes sur les autres. Aristophane, Euripide, &c. les Philosophes ioniques & platoniciens, &c. les Stoïciens même, partent du chaos, & regardent ses périodes & ses révolutions comme des passages successifs d'un chaos dans un autre, jusqu'à ce qu'enfin les lois du mouvement & les différentes combinaisons ayent amené l'ordre des choses qui constituent cet Univers.

Chez les Latins, Ennius, Varron, Ovide, Lucrece, Stace, &c. n'ont point eu d'autre sentiment. L'opinion de l'éternité & de la fécondité du chaos a commencé chez les Barbares, d'où elle a passé aux Grecs, & des Grecs aux Romains & aux autres nations, ensorte qu'il est incertain si elle a été plus ancienne que générale.

Le docteur Burnet assûre avec raison, que si l'on en excepte Aristote & les Pythagoriciens, personne n'a jamais soûtenu que notre monde ait eu de toute éternité la même forme que nous lui voyons ; mais que suivant l'opinion constante des sages de tous les tems, ce que nous appellons maintenant le globe terrestre, n'étoit dans son origine qu'une masse informe, contenant les principes & les matériaux du monde, tel que nous le voyons. Voyez MONDE. Le même auteur conjecture que les théologiens payens qui ont écrit de la Théogonie, ont imité dans leur système celui des Philosophes, en déduisant l'origine des dieux du principe universel d'où les Philosophes déduisoient tous les êtres.

Quoiqu'on puisse assûrer que la premiere idée du chaos ait été très-générale & très-ancienne, il n'est cependant pas impossible de déterminer quel est le premier à qui il faut l'attribuer. Moyse, le plus ancien des écrivains, réprésente au commencement de son histoire, le monde comme n'ayant été d'abord qu'une masse informe, où les élémens étoient sans ordre & confondus ; & c'est vraisemblablement de-là que les Philosophes grecs & barbares ont emprunté la premiere notion de leur chaos. En effet, selon Moyse, cette masse étoit couverte d'eau ; & plusieurs d'entre les philosophes anciens ont prétendu que le chaos n'étoit qu'une masse d'eau ; ce qu'il ne faut entendre ni de l'Océan, ni d'une eau élémentaire & pure, mais d'une espece de bourbier dont la fermentation devoit produire cet Univers dans le tems.

Cudworth, Grotius, Schmid, Dickinson, & d'autres, achevent de confirmer cette prétention, en insistant sur l'analogie qu'il y a entre l'esprit de Dieu que Moyse nous représente porté sur les eaux, & l'amour que les Mythologistes ont occupé à débrouiller le chaos. Ils ajoûtent encore qu'un sentiment très-ancien, soit en Philosophie, soit en Mythologie, c'est qu'il y a un esprit dans les eaux, aqua per spiritum movetur ; d'où ils concluent que les anciens philosophes ont tiré des ouvrages de Moyse & ce sentiment & la notion de chaos, qu'ils ont ensuite altérée comme il leur a plû.

Quoi qu'il en soit du chaos des anciens & de son origine, il est constant que celui de Moyse renfermoit dans son sein toutes les natures déjà déterminées, & que leur assortiment ménagé par la main du Tout-puissant, enfanta bien-tôt cette variété de créatures qui embellissent l'Univers. S'imaginer, à l'exemple de quelques systématiques, que Dieu ne produisit d'abord qu'une matiere vague & indéterminée, d'où le mouvement fit éclorre peu-à-peu par des fermentations intestines, des affaissemens, des attractions, un soleil, une terre, & toute la décoration du monde : prétendre avec Whiston que l'ancien chaos a été l'atmosphere d'une comete ; qu'il y a entre la terre & les cometes des rapports qui démontrent que toute planete n'est autre chose qu'une comete qui a pris une constitution réguliere & durable, qui s'est placée à une distance convenable du soleil, & qui tourne autour de lui dans un orbe presque circulaire ; & qu'une comete n'est qu'une planete qui commence à se détruire ou à se réformer, c'est-à-dire un chaos qui dans son état primordial se meut dans un orbe très-excentrique ; soûtenir toutes ces choses, & beaucoup d'autres dont l'énumération nous meneroit trop loin, c'est abandonner l'histoire pour se repaître de songes ; substituer des opinions sans vraisemblance, aux vérités éternelles que Dieu attestoit par la bouche de Moyse. Selon cet historien, l'eau étoit déjà faite, puisqu'il nous dit que l'esprit de Dieu étoit porté sur les eaux : les spheres célestes, ainsi que notre globe, étoient déjà faites, puisque le ciel qu'elles composent étoit créé.

Cette physique de Moyse qui nous représente la sagesse éternelle, réglant la nature & la fonction de chaque chose par autant de volontés & de commandemens exprès ; cette physique, qui n'a recours à des lois générales, constantes, & uniformes, que pour entretenir le monde dans son premier état, & non pour le former, vaut bien sans doute les imaginations systématiques, soit des matérialistes anciens, qui font naître l'Univers du mouvement fortuit des atomes, soit des physiciens modernes, qui tirent tous les êtres d'une matiere homogene agitée en tout sens. Ces derniers ne font pas attention, qu'attribuer au choc impétueux d'un mouvement aveugle la formation de tous les êtres particuliers, & cette harmonie si parfaite qui les tient dépendans les uns des autres dans leurs fonctions, c'est dérober à Dieu la plus grande gloire qui puisse lui revenir de la fabrique de l'Univers, pour en favoriser une cause, qui sans se connoître & sans avoir idée de ce qu'elle fait, produit néanmoins les ouvrages les plus beaux & les plus réguliers : c'est retomber en quelque façon dans les absurdités d'un Straton & d'un Spinosa. Voyez STRATONISME & SPINOSISME.

On ne peut s'empêcher de remarquer ici combien la Philosophie est peu sûre dans ses principes, & peu constante dans ses démarches ; elle a prétendu autrefois que le mouvement & la matiere étoient les seuls êtres nécessaires ; si elle a persisté dans la suite à soûtenir que la matiere étoit incréée, du moins elle l'a soûmise à un être intelligent pour lui faire prendre mille formes différentes, & pour disposer ses parties dans cet ordre de convenance d'où résulte le monde. Aujourd'hui elle consent que la matiere soit créée, & que Dieu lui imprime le mouvement ; mais elle veut que ce mouvement émané de la main de Dieu, puisse, abandonné à lui-même, opérer tous les phénomènes de ce monde visible. Un philosophe qui ose entreprendre d'expliquer par les seules lois du mouvement, la méchanique & même la premiere formation des choses, & qui dit, donnez-moi de la matiere & du mouvement, & je ferai un monde, doit démontrer auparavant (ce qui est facile) que l'existence & le mouvement ne sont point essentiels à la matiere ; car sans cela, ce philosophe croyant mal-à-propos ne rien voir dans les merveilles de cet Univers que le mouvement seul ait pû produire, est menacé de tomber dans l'athéisme.

Ouvrons donc les yeux sur l'enthousiasme dangereux du système ; & croyons, avec Moyse, que quand Dieu créa la matiere, on ne peut douter que dans cette premiere action par laquelle il tira du néant le ciel & la terre, il n'ait déterminé par autant de volontés particulieres tous les divers matériaux, qui dans le cours des opérations suivantes servirent à la formation du monde. Dans les cinq derniers jours de la création, Dieu ne fit que placer chaque être au lieu qu'il lui avoit destiné pour former le tableau de l'univers ; tout jusqu'à ce tems étoit demeuré muet, stupide, engourdi dans la nature : la scene du monde ne se développa qu'à mesure que la voix toute-puissante du Créateur rangea les êtres dans cet ordre merveilleux qui en fait aujourd'hui la beauté. Voyez les articles COSMOLOGIE, MOUVEMENT, & MATIERE.

Loin d'imaginer que l'idée du chaos ait été particuliere à Moyse, concluons encore de ce qui a été dit ci-dessus, que tous les peuples, soit barbares, soit lettrés, paroissent avoir conservé le souvenir d'un état de ténébres & de confusion antérieur à l'arrangement du monde ; que cette tradition s'est à la vérité fort défigurée par l'ignorance des peuples & les imaginations des poëtes, mais qu'il y a toute apparence que la source où ils l'ont puisée leur est commune avec nous.

A ces corollaires ajoûtons ceux qui suivent : 1°. Qu'il ne faut dans aucun système de Physique contredire les vérités primordiales de la religion que la Genese nous enseigne. 2°. Qu'il ne doit être permis aux Philosophes de faire des hypothèses, que dans les choses sur lesquelles la Genese ne s'explique pas clairement. 3°. Que par conséquent on auroit tort d'accuser d'impiété, comme l'ont fait quelques zélés de nos jours, un physicien qui soûtiendroit que la terre a été couverte autrefois par des eaux différentes de celles du déluge. Il ne faut que lire le premier chapitre de la Genese, pour voir combien cette hypothèse est soûtenable. Moyse semble supposer dans les deux premiers versets de ce livre, que Dieu avoit créé le chaos avant que d'en séparer les diverses parties : il dit qu'alors la terre étoit informe, que les ténébres étoient sur la surface de l'abysme, & que l'esprit de Dieu étoit porté sur les eaux ; d'où il s'ensuit que la masse terrestre a été couverte anciennement d'eaux, qui n'étoient point celles du déluge ; supposition que nos Physiciens font avec lui. Il ajoûte que Dieu sépara les eaux supérieures des inférieures, & qu'il ordonna à celles-ci de s'écouler & de se rassembler pour laisser paroître la terre ; & appareat arida, & factum est ita. Plus on lira ce chapitre, plus on se convaincra que le systême dont nous parlons ne doit point blesser les oreilles pieuses & timorées. 4°. Que les saintes Ecritures ayant été faites, non pour nous instruire des sciences profanes & de la Physique, mais des vérités de foi que nous devons croire, & des vertus que nous devons pratiquer, il n'y a aucun danger à se montrer indulgent sur le reste, sur-tout lorsqu'on ne contredit point la révélation. Exemple. On lit dans le chapitre même dont il s'agit, que Dieu créa la lumiere le premier jour, & le soleil après ; cependant accusera-t-on le cartésien d'impiété, s'il lui arrive de prétendre que la lumiere n'est rien sans le soleil ? Ne suffit-il pas pour mettre ce philosophe à couvert de tout reproche, que Dieu ait créé, selon lui, le premier jour, les globules du second élément, dont la pression devroit ensuite se faire par l'action du soleil ? Les Newtoniens, qui font venir du soleil la lumiere en ligne directe, n'auront pas à la vérité la même réponse à donner ; mais ils n'en sont pas plus impies pour cela : des commentateurs respectables par leurs lumieres & par leur foi, expliquent ce passage : selon ces auteurs, cette lumiere que Dieu créa le premier jour, ce sont les anges ; explication dont on auroit grand tort de n'être pas satisfait, puisque l'Eglise ne l'a jamais desapprouvée, & qu'elle concilie les Ecritures avec la bonne Physique. 5°. Que si quelques savans ont cru & croyent encore, qu'au lieu de creavit dans le premier verset de la Genese, il faut lire, suivant l'hébreu, formavit, disposuit ; cette idée n'a rien d'hétérodoxe, quand même on feroit exister le chaos long-tems avant la formation de l'univers, bien entendu qu'on le regardera toûjours comme créé, & qu'on ne s'avisera pas de conclure du formavit, disposuit de l'hébreu, que Moyse a cru la matiere nécessaire : ce seroit lui faire dire une absurdité, dont il étoit bien éloigné, lui qui ne cesse de nous répéter que Dieu a fait de rien toutes choses : ce seroit supposer que l'Ecriture inspirée toute entiere par l'Esprit-saint, quoiqu'écrite par différentes mains, a contredit grossierement dès le premier verset, ce qu'elle nous enseigne en mille autres endroits avec autant d'élévation que de vérité, qu'il n'y a que Dieu qui soit. 6°. Qu'en prenant les précautions précédentes, on peut dire du chaos tout ce qu'on voudra.


CHAOSIEN(Géog.) île d'Asie près du Japon, dépendante de la Chine.


CHAOURE(Géog.) petite ville de France en Champagne à la source de la riviere d'Armance. Long. 21. 40. lat. 48. 6.


CHAOURYS. m. (Commerce) monnoie d'argent fabriquée à Teslis, capitale de Géorgie. Quatre chaoury valent un abaasi. Le chaoury vaut quatre sous sept deniers argent de France.


CHAOYANG(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Quanton. Lat. 23. 20.


CHAOYUEN(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Channton. Lat. 36. 6.


CHAPS. m. (Jurisp.) est un droit qui s'impose en la ville de Mande en Gevaudan au cadastre ou terrier, sur toutes sortes de personnes, même nobles, outre l'imposition que ces personnes doivent pour leurs biens ruraux. Voyez Galland, franc alleu de Languedoc ; Lauriere, glossaire au mot Chap. En Berri, un chap signifie un espace ou travée. Voyez la rente de seris par M. Caterinot. En Forès, un chapit signifie un bâtiment en appentis, c'est-à-dire dont le toict est appuyé contre quelque muraille, & n'a qu'un seul écoulement. (A)


CHAPANGI(Géog.) ville d'Asie dans la Natolie, sur un lac appellé Chapangipul.


CHAPES. f. (Hist. eccl.) ornement d'église que portent les choristes ou chantres, & même le célébrant, dans certaines parties de l'office.

La chape est un vêtement d'étoffe de soie, ou d'or & d'argent, avec des franges & des galons, de couleur convenable à la fête ou à l'office que l'on fait ; elle couvre les épaules, s'attache sur la poitrine, & descend jusqu'aux piés. Elle est ainsi principalement nommée d'un chaperon qui servoit autrefois à couvrir la tête, mais qui n'est plus aujourd'hui qu'un morceau d'étoffe hémisphérique, souvent plus riche & plus orné que le fond de la chape. Anciennement on appelloit celle-ci pluvial ; & on la trouve ainsi nommée dans les pontificaux & rituels, parce que c'étoit une espece de manteau avec sa capote que mettoient les ecclésiastiques, lorsque par la pluie ils sortoient en corps pour aller dire la messe à quelque station. Voyez PLUVIAL & STATION.

Quelques-uns ont cru que nos rois de la premiere race faisoient porter en guerre la chape de S. Martin, & qu'elle leur servoit de banniere ou de principal étendart. Pour juger de ce qu'on doit penser de cette opinion, voyez ETENDART, ENSEIGNES MILITAIRES. (G)

* CHAPE, en Architecture ; c'est un enduis sur l'extrados d'une voûte, fait de mortier & quelquefois de ciment.

* CHAPE, (Ceinturier) ces ouvriers appellent ainsi les morceaux de cuir qui soutiennent dans un baudrier les boucles de devant, & celles du remontant. Voyez BAUDRIER.

* CHAPE, (Cuisine) couvercle d'argent ou de fer-blanc dont on couvre les plats, pour les transporter des cuisines chaudement & proprement.

* CHAPE, terme de Fondeur en statues équestres, en canon, en cloche, &c. est une composition de terre, de fiente de cheval & de bourre, dont on couvre les cires de moules dans ces ouvrages de Fonderie : c'est la chape qui prend en creux la force des cires, & qui la donne en relief au métal fondu. Voyez les articles BRONZE, CANON, CLOCHE, &c.

* CHAPE, (Fonderie) c'est cette partie faite en T dans certaines boucles, & percée à jour, & armée de pointes dans d'autres, qui se meut sur la goupille qui traverse en même tems l'ardillon, & dans l'ouverture de laquelle on passe d'un côté une courroie qui arrête la boucle dont l'ardillon entre dans une autre courroie, ou dans le bout opposé de la même. Il y a quatre parties dans une boucle ; le tour qui retient le nom de boucle ; l'ardillon, la goupille, & la chape : la goupille traverse le tour, l'ardillon, & la chape ; les pointes de l'ardillon portent sur le tour supérieur de la boucle ; & le tour inférieur de la boucle porte sur la partie inférieure de la chape.

* CHAPE, en terme de Fourbisseur, c'est un morceau de cuivre arrondi sur le fourreau qui en borde l'extrémité supérieure. Voyez les figures 12 & 13. qui représentent, la premiere le mandrin des chapes pour les lames à trois quarts ; & la seconde, le mandrin pour les autres lames.

* CHAPE, en Méchanique, se dit des bandes de fer recourbées en demi-cercle, entre lesquelles sont suspendues & tournent des poulies sur un pivot ou une goupille qui les traverse & leur sert d'axe, & va se placer & rouler dans deux trous pratiqués, l'un à une des aîles de la chape, & l'autre à l'autre aîle : tout cet assemblage de la chape & de la poulie est suspendu par un crochet, soit à une barre de fer, soit à quelqu'autre objet solide qui soûtient le tout. On voit de ces poulies encastrées dans des chapes, au-dessus des puits. Voyez POULIE.

* CHAPE, (à la Monnoie) est le dessous des fourneaux où l'on met les métaux en bain. Il est des chapes en massif & en vuide. Voyez FOURNEAU DE MONNOYAGE.

CHAPE, dans l'Orgue, est la table a, b, c, d, (fig. 9. & 10.) de bois d'Hollande & de Vauge, dans les trous de laquelle les tuyaux sont placés. Voyez l'article SOMMIER de grand orgue.

Chape de plein jeu, représentée figure 13. Pl. Org. est une planche A, B, C, D, de bois d'Hollande, de deux pouces ou environ d'épaisseur, sur le champ de laquelle on perce des trous I, II, III, &c. qui tiennent lieu de gravure : ces trous ne doivent point traverser la planche dans toute sa largeur B C ; on doit laisser environ un demi-pouce de bois. Si cependant on aime mieux percer les trous de part en part, on sera obligé de les reboucher ; ce qui se fera avec une bande de parchemin que l'on collera sur le champ de la chape, après que les trous ou gravures que l'on perce avec une tariere, & que l'on brûle avec des broches de fer ardentes de grosseur convenable, ont été percés. On perce autant de trous, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, sur le plat de la chape, qu'il doit y avoir de tuyaux sur chaque touche ; ces trous doivent déboucher dans les gravures : on les brûle aussi & on les évase par le haut, afin qu'ils puissent recevoir le pié des tuyaux d, e, que l'on fait tenir debout sur la chape par le moyen d'un faux-sommier. Voyez FAUX-SOMMIER.

Lorsque ces pieces sont ainsi achevées & placées en leur lieu, on met des porte-vents de plomb, qui sont des tuyaux cylindriques de grosseur convenable ; ces porte-vents prennent d'un bout dans un trou de la chape du sommier du grand orgue, & vont aboutir de l'autre bout à une des gravures de la chape du plein jeu : ce qui établit la communication. Les porte-vents sont arrêtés dans les trous où ils entrent, par le moyen de la filasse ensuite de la colle-forte dont on entoure leurs extrémités. Il suit de cette construction, que le registre du sommier du grand orgue qui passe sous les trous où les porte-vents prennent, étant ouvert, que si l'on ouvre une soupape, le vent contenu dans la laye entrera dans la gravure ; d'où il passera par les trous de la table du sommier & ceux du registre & de la chape, dans le porte-vent de plomb, qui le conduira dans la gravure correspondante de la chape du plein jeu ; ce qui fera parler tous les tuyaux d, e, qui seront sur cette gravure.

CHAPE, c'est le nom que les Potiers d'étain donnent aux pieces de leurs moules qui enveloppent les noyaux de ces mêmes moules : ainsi, à un moule de vaisselle, la chape qui est creuse, est ce qui forme le dessous qui devient convexe ; il y a une ouverture à cette chape par où on introduit l'étain dans le moule, qu'on appelle le jet. A l'égard des chapes de moules de pots, il y en a deux à chaque moule qui forment le dehors du pot, & les deux noyaux le dedans. Le jet est aussi aux chapes, & le côté opposé s'appelle contre-jet. Elles se joignent aux noyaux par le moyen d'un cran pratiqué à la portée des noyaux. Il faut deux chapes & deux noyaux pour faire un moule de la moitié d'un pot. Voy. FONDRE L'ETAIN, & la premiere figure des Planches du Potier-d'étain.

CHAPE ; on donne ce nom dans les Manufactures de poudre, aux doubles barrils dont on revêtit ceux qu'on remplit de poudre. On employe ces doubles barrils pour empêcher l'humidité de pénétrer au-dedans de celui qui contient la poudre, & de l'éventer. On enchape aussi les vins. Il y a vins emballés, vins enchapés. La chape des vins empêche aussi le vin de s'éventer ; mais elle a encore une autre utilité, c'est d'empêcher le voiturier de voler le vin.

CHAPE, adj. terme de Blason ; il se dit de l'écu, qui s'ouvre en chape ou en pavillon depuis le milieu du chef jusqu'au milieu des flancs. Telles sont les armoiries des Freres-Prêcheurs & des Carmes ; & c'est l'image de leurs habits, de leurs robes, & de leurs chapes.

Brunecost en Suisse, & au comté de Bourgogne, d'argent chapé de gueules. (V)


CHAPEAUS. m. (Art. Méchan.) ce terme a deux acceptions ; il signifie ou une étoffe particuliere, serrée, compacte, qui tient sa consistance de la foule seule, sans le secours de l'ourdissage ; ou la partie de notre vêtement, qui se fait ordinairement avec cette étoffe, & qui sert à nous couvrir la tête. On dit, selon la premiere acception, cette étoffe est du chapeau ; & selon la seconde, mettez votre chapeau.

Les ouvriers qui font le chapeau, s'appellent Chapeliers. Voyez l'article CHAPELIER. Nous allons expliquer en même tems la maniere dont on fabrique l'étoffe & le vêtement, appellé chapeau.

On se sert pour faire le chapeau de poil de castor, de lievre & de lapin, &c. de la laine vigogne & commune. Voyez les articles LAINE & CASTOR. Notre castor vient du Canada en peaux : il nous en vient aussi de Moscovie. La vigogne la plus belle vient d'Espagne, en balle.

On distingue communément deux poils à la peau du castor, le gros & le fin. On commence par enlever de la peau le gros poil ; le fin y reste attaché. Ce travail se fait par une ouvriere appellée arracheuse, & l'on procede à l'arrachement sans aucune préparation de la peau, à moins qu'elle ne soit trop seche ou trop dure ; dans ce cas, on la mouille un peu du côté de la chair : mais les maîtres n'approuvent point cette manoeuvre qui diminue, à ce qu'ils prétendent, la qualité du poil, & ne sert qu'à faciliter le travail de l'arracheuse.

Pour arracher, on pose la peau sur un chevalet tel, à-peu-près, que celui des Chamoiseurs & des Mégissiers ; à cela près, que si l'on travaille debout, le chevalet est en plan incliné ; & qu'au contraire, si l'on travaille assis, comme c'est la coûtume des femmes, les quatre piés du chevalet sont de la même hauteur, & qu'il est horisontal. Voyez les articles CHEVALET, CHAMOISEUR, & MEGISSIER. La surface supérieure de ce chevalet est arrondie. Pour arrêter la peau dessus, on a une corde terminée par deux especes d'étriers, on met les piés dans ces étriers, & la corde serre la peau sur le chevalet ; on appelle cette corde, tire-pié : mais il y a des ouvrieres qui travaillent sans se servir de tire-pié, & qui arrêtent la peau avec les genoux contre les bords supérieurs du chevalet.

Quand la peau est sur le chevalet, on prend un instrument appellé plane : la plane des Chapeliers ne differe pas de la plane ordinaire. Voyez l'article PLANE. C'est un couteau à deux manches, d'environ trois piés de long sur quatre à cinq doigts de large, fort tranchant des deux côtés ; on passe ce couteau sur la peau : mais il y a de l'art à cette manoeuvre ; si on appliquoit la plane fortement & très-perpendiculairement à la peau, & qu'on la conduisît dans cette situation du haut em-bas du chevalet, on enleveroit sûrement & le gros poil & le fin. Pour ne détacher que le premier, l'ouvrier n'appuie son couteau sur la peau que mollement, le meut un peu sur lui-même, & ne le descend du haut em-bas de la peau qu'à plusieurs reprises, observant de faire le petit mouvement circulaire de plane, à chaque reprise. Cette opération se fait à rebrousse poil ; ainsi la queue de la peau est au haut du chevalet, & la tête est au bas. Mais comme la queue est plus difficile à arracher que le reste, on place un peu de biais la peau sur le chevalet, quand on travaille cette partie ; ensorte que l'action de la plane est oblique à la direction, selon laquelle le poil de la queue est naturellement couché.

On achete les peaux de castors par ballots ; le ballot pese cent-vingt livres : on donne un ballot à l'arracheuse, qui le divise en quatre parties ; chaque partie s'appelle une pesée. La pesée varie beaucoup quant au nombre des peaux ; cependant elle en contient ordinairement dix-huit à dix-neuf grandes. Il y a des pesées qui vont jusqu'à trente-cinq.

Quand la peau est planée, ou l'arracheur continue l'ouvrage lui-même, ou il a une ouvriere par qui il le fait continuer : cette ouvriere s'appelle une repasseuse. Pour cet effet, la repasseuse se place contre quelque objet solide, comme un mur ; elle prend un petit couteau à repasser, qu'on voit fig. 20. des Planches du Chapelier, long d'un pié, rond par le bout, tranchant seulement d'un côté ; elle fixe la peau entre son genou & l'objet solide, & exécute à rebrousse poil avec le couteau à repasser, aux extrémités & aux bords de la peau, ce que le planeur n'a pû faire avec la plane. Pour cela, elle saisit le poil entre son pouce & le tranchant du couteau, & d'une secousse elle arrache le gros, sans le couper. L'arracheur & la repasseuse, s'ils sont habiles, pourront donner ces deux façons à deux pesées par jour. La repasseuse étant obligée d'appuyer souvent le pouce de la main dont elle tient le couteau contre son tranchant, elle couvre ce doigt d'un bout de gant qui l'empêche de se couper ; ce bout de gant s'appelle un poucier.

Le gros poil qu'on vient d'arracher tant à la plane qu'au couteau, n'est bon à rien ; on le vend quelquefois aux selliers, à qui l'usage en est défendu. Ce poil ne s'arrache pas si parfaitement, qu'il ne soit mêlé d'un peu de fin : or ce dernier étant sujet aux vers, les ouvrages que les Selliers en rembourrent, en sont promtement piqués.

Les peaux planées & repassées sont livrées à des ouvrieres qu'on appelle coupeuses. Celles-ci commencent par les battre avec des baguettes, pour en faire sortir la poussiere, & même le gravier ; car il ne s'agit dans tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, que des peaux de castor. Après avoir été battues, elles sont données à un ouvrier, qui les rougit. Rougir les peaux, c'est les frotter du côté du poil, avec une brosse rude qu'on a trempée dans de l'eau-forte, coupée à-peu-près moitié par moitié avec de l'eau. Le rapport de la quantité d'eau à la quantité d'eau-forte, dépend de la qualité de celle-ci. Au reste quelque foible qu'elle soit, il y a toujours bien un tiers d'eau. On dit que cette préparation fortifie le poil, & le rend en même tems plus liant ; de maniere que quand il est employé en chapeau, le chapeau n'est pas sujet à se fendre.

Quand les peaux sont rougies, on les porte dans des étuves, où on les pend à des crochets, deux à deux, poil contre poil ; on les y laisse sécher ; plus l'étuve est chaude & bien conduite, mieux les peaux se sechent, & sont bien rougies. Au sortir de l'étuve, elles reviennent entre les mains des coupeuses. Ces ouvrieres commencent par les humecter un peu du côté de la chair, avec un morceau de linge mouillé. Cette manoeuvre se fait la veille de celle qui doit suivre, afin qu'elles ayent le tems de s'amollir. Les maîtres ne l'approuvent pas : mais elles n'en a pas moins lieu pour cela : car elle facilite l'ouvrage en ce que le poil s'en coupe plus aisément, & augmente le gain en ce que l'eau ayant rendu le poil plus pesant, l'ouvriere que le maître paye à la livre, reçoit davantage pour une même quantité de poil coupé. La coupeuse est droite ou assise ; le mieux est d'être debout devant un établi : elle a devant elle un ais ou planche de sapin d'environ trois piés de long, & large d'un pié & demi ; elle étend sa peau sur cette planche, elle prend l'instrument qu'on voit fig. 17. & qu'on appelle un carrelet : c'est une espece de carde quarrée, très-fine ; elle passe cette carde sur la peau pour en démêler le poil, ce qui s'appelle décatir ; car la peau ayant été mouillée quand on l'a rougie, les extrémités des poils sont souvent collés ensemble, ce qui s'appelle être catis. Quand elle a carrelé sa peau, elle se dispose à la couper : pour cet effet, elle a un poids d'environ quatre livres, qu'elle pose sur la peau étendue sur la planche ou ais, à l'endroit où elle va commencer à couper ; ce poids fixe la peau, & l'empêche de lever & de suivre ses doigts, pendant qu'elle travaille ; elle couche le poil sous sa main gauche, selon la direction naturelle, & non à rebrousse poil ; elle tient de la droite le couteau à couper qu'on voit figure 21. large, très-tranchant, emmanché, & ayant le tranchant circulaire ; elle pose verticalement le tranchant de ce couteau sur le poil, elle l'appuie & le meut en oscillant, de maniere que tous les points de l'arc circulaire du tranchant sont appliqués successivement sur le poil, de droite à gauche & de gauche à droite. C'est ainsi que le poil se coupe, le couteau avance à mesure que la main gauche se retire ; le plat du couteau est parallele à l'extrémité des doigts de cette main. Le poil est coupé ras à la peau ; c'est du moins une des attentions que doit avoir une bonne coupeuse, afin qu'il n'y en ait point de perdu : l'autre, c'est de ne point enlever de pieces de la peau ; ces pieces s'appellent chiquettes : ce sont des ordures qui gâtent dans la suite l'ouvrage ; & les défauts qu'elles y occasionnent font des duretés sensibles aux doigts auxquelles on a conservé le même nom de chiquettes. Il faut que la coupe se fasse très-vîte, car les habiles peuvent couper une pesée en deux jours ou deux jours & demi. A mesure que les coupeuses travaillent, elles enlevent le poil coupé & le mettent proprement dans un panier.

On distingue le poil en gros & en fin, avant que la peau soit arrachée ; & quand on la coupe, on distingue le fin en trois sortes, le blanc, le beau noir, & l'anglois. Le blanc est celui de dessous le ventre, qui se trouve placé sur les deux extrémités de la peau, lorsque l'animal en est dépouillé ; car pour le dépouiller, on ouvre l'animal sous le ventre, & on fend sa peau de la tête à la queue. Le beau noir est le poil placé sur le milieu de la peau, & qui couvre le dos de l'animal : & l'anglois est celui qui est entre le blanc & le noir, & qui revêt proprement les flancs du castor. On s'en tient communément à deux divisions, le blanc & le noir : mais la coupeuse aura l'attention de séparer ces trois sortes de poils, si on le lui demande. Le blanc se fabriquera en chapeaux blancs, quoiqu'on en puisse pourtant faire des chapeaux noirs. Quant au noir, on n'en peut faire que des chapeaux noirs ; non plus que de l'anglois dont on se sert pour les chapeaux les plus beaux, parce que ce poil est le plus long, ou qu'on le vend quelquefois aux Faiseurs de bas au métier, qui font filer & en fabriquent des bas moitié soie & moitié castor. Il sert encore pour les chapeaux qu'on appelle à plumet ; on en fait le plumet ou ce poil qui en tient lieu, en s'élevant d'un bon doigt au-dessus des bords du chapeau.

Il y a deux especes de peau de castor, l'une qu'on appelle castor gras, & l'autre castor sec. Le gras est celui qui a servi d'habit, & qu'on a porté sur la peau ; plus il a été porté, meilleur il est pour le Chapelier ; il a reçu de la transpiration une qualité particuliere. On mêle le poil du castor gras avec le poil du castor sec ; le premier donne du liant & du corps au second : on met ordinairement une cinquieme partie de gras sur quatre parties de sec ; aussi ne donne-t-on aux ventes du castor qu'un ballot de gras sur cinq ballots de sec. Mais, dira-t-on, comment fabriquer le poil de castor au défaut de gras ? le voici. On prend le poil le plus court & le plus mauvais du sec, on en remplit un sac ; on met ce sac de poil bouillir à gros bouillons dans de l'eau pendant 12 heures, observant d'entretenir dans le vaisseau toujours assez d'eau, pour que le poil & le sac ne soient point brûlés. Au bout de ce tems, on tire le sac de la chaudiere, on prend le poil, on le tord, & on l'égoutte en le pressant avec les mains ; on l'étend sur une claie, on l'expose à l'air, ou on le fait sécher dans une étuve. On employe ce poil ainsi préparé, quand on manque de gras ; on en met plus qu'on n'auroit mis de gras : ce qui ne supplée pourtant pas à la qualité.

Les peaux de castor sec coupées se vendent aux Boisseliers qui en font des cribles communs, & aux marchands de colle-forte, ou aux Bourreliers-Bâtiers, qui en couvrent des bâts communs pour les chevaux. Celles de castors gras servent aux Bahutiers, qui en revêtent des coffres.

Voilà tout ce qui concerne la préparation du poil de castor. Quant à la vigogne, on l'épluche. L'éplucher, c'est en ôter les poils grossiers, les noeuds, les ordures, &c. ce qui se fait à la main. On distingue deux sortes de vigogne, la fine qu'on appelle carmeline, & la commune.

Ce sont les mêmes ouvriers & ouvrieres qui préparent le poil de lievre. Elles ont un couteau ordinaire à repasser ; elles dressent le poil en passant le couteau sur la peau à rebrousse poil ; puis avec des ciseaux, elles coupent l'extrémité du long poil & l'égalisent au fin : quand elles ont égalisé tout le gros ou long poil d'une peau, elles en font autant à une autre, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elles en ayent préparé une certaine quantité ; alors, ou d'autres ou les mêmes ouvrieres les reprennent ; & avec le couteau à repasser, elles saisissent entre leur pouce & le tranchant du couteau le poil gros & fin, & arrachent seulement ce dernier : le gros reste attaché à la peau. C'est un fait assez singulier, que quoiqu'on tire également l'un & l'autre, ce soit le fin qui soit arraché. Cet arrachement se fait à rebrousse poil ; la queue de la peau est tournée du côté de l'arracheuse, & la tête est étendue sur ses genoux.

On distingue aussi deux poils de lievre, l'arrête & le roux. L'arrête, c'est le dos ; le roux, ce sont les flancs. Il est à propos d'observer qu'il en est des peaux de lievre, comme de celles de castor ; après avoir égalisé les poils, on secrette les peaux, c'est-à-dire qu'avant que d'arracher, on les frotte avec le carrelet de la même eau-forte coupée, & qu'on les fait aussi sécher à l'étuve. On sépare dans l'arrachement qui suit ces deux opérations, l'arrête & le roux.

Les peaux de lapin se préparent par les repasseuses. Elles commencent par les ouvrir par le ventre, ainsi que les peaux de lievre ; elles les étendent ensuite, & les mouillent un peu du côté de la chair, ce qu'elles font aussi au lievre. Ces peaux étant beaucoup plus minces que celles du castor ; il ne faut pas les laisser reposer long-tems, pour qu'elles s'amollissent ; elles se mettent ensuite à les arracher, c'est-à-dire à enlever le gros poil avec le couteau à repasser. Quand le gros poil est arraché, on les secrette, on les seche ; ensuite les coupeuses coupent le fin avec le couteau à couper, précisément comme aux peaux de castor.

Il y a des maîtres qui achetent le poil tout coupé chez des maîtresses coupeuses ; il y en a d'autres qui le font couper chez eux. Celles qui le coupent chez les maîtresses, sont obligées de parer le poil de la peau ; pour cet effet, elles coupent la peau entiere à trois reprises ; à chaque reprise elles ramassent le poil d'une bande avec leur couteau, & le posent sur une planche, & ainsi des deux autres bandes. Quand elles ont placé les trois bandes de poil sur la planche, comme elles étoient sur la peau, elles transportent le poil des extrémités & autres endroits où il est moins bon, en d'autres endroits ; elles en forment un mélange qui est à-peu-près uniforme, & qui est très-propre à surprendre par l'apparence ; elles entourent le tout des bordages de la peau : on appelle de ce nom le poil des extrémités ou bords de la peau. On enleve ce poil avec des ciseaux ; pour cet effet, on plie la peau comme s'il s'agissoit de l'ourler du côté du poil, & avec les ciseaux on enleve la surface convexe de l'ourlet, & en même tems le poil qui la couvre : il est évident que ce poil doit être mêlé de chiquettes ; elles séparent ensuite ces chiquettes du poil, elles placent ce poil sous celui des bandes tout-autour, elles mettent le poil d'une peau entiere sous le poil d'une autre, comme par lits, & elles en remplissent des paniers. Il n'y a point d'autre distinction dans le poil de lapin que l'arrête & les bordages ; encore n'est-ce qu'une distinction de nom, car dans l'usage on employe également tout le poil.

L'année se partage, relativement aux peaux, en deux saisons, l'hyver & l'été. Les peaux d'été ne donnent point d'aussi bonne marchandise que celles d'hyver. Il y a deux conditions de peaux de lievre & de lapin ; celles qui sont blondes sur le dos, grandes & bien fournies, se choisissent entre les autres comme les meilleures, & s'appellent peaux de recette ; les autres s'appellent communes.

Quand on se propose de faire des chapeaux avec du poil seul de lapin, il y a une préparation particuliere à donner aux peaux, au lieu de celle du secret. Cette préparation n'est pas généralement connue, elle a été achetée par quelques maîtres. C'est, ou une distillation d'eau-forte toute simple, ou de quelque ingrédient mêlé à cette eau ; ils appellent ce qui vient de cette distillation, l'eau de composition. L'effet de cette eau est de donner au poil de lapin la facilité de se lier, de donner un tour résistant à la foule, de prendre un corps qui ne se casse point, & ne se résout point à la chaudiere. Cependant, malgré l'eau de composition, les chapeaux de poil de lapin seroient très-mauvais, si on ne mêloit pas ce poil d'un peu de laine & d'autres poils. Les chapeaux de poil de lapin sont d'un verd blanchâtre quand on les porte à la teinture, couleur qu'ils tiennent peut-être de l'eau de composition.

On secrette pareillement les peaux de lievre avec l'eau de composition, quand on se propose de faire des chapeaux de ce poil sans mélange. Mais cette eau ne fait que donner plus de qualité à l'ouvrage & plus de facilité à l'ouvrier dans son travail ; car il n'est pas impossible d'employer le poil de lievre sans cette eau. Les chapeaux faits de ce poil & secrétés avec l'eau de composition, sont, avant que d'être teints, de couleur de feuille morte, tantôt plus, tantôt moins foncée. Il y reste un petit oeil verd jaunâtre.

Quand tous les poils sont préparés, on les met dans des tonneaux ; s'ils y restoient long-tems, ils seroient mangés des vers. Ce sont les différens mélanges de ces poils & des laines qui constituent les différentes qualités de chapeaux. Il y a des castors super-fins, des castors, des demi-castors, des fins, des communs, des laines. Les super-fins sont de poils choisis du castor ; les castors ordinaires, de castor, de vigogne, & de lievre ; les demi-castors, de vigogne commune, de lievre, & de lapin, avec une once de castor, qui sert de dorure ou d'enveloppe aux autres matieres, précisément comme quand une grosse feuille de papier gris est couverte de chaque côté d'une feuille de beau papier blanc. Il y a deux dorures, elles s'appellent les deux pointus, ou les petites capades ; elles se mettent à l'endroit du chapeau. Quant à l'envers ou dedans, ce sont deux travers, ou manchettes, ou bandes, qui occupent la surface des aîles du chapeau ; car il est inutile que le fond soit doré. On appelle ces demi-castors, demi-castors dorés ; mais on fabrique des castors & demi-castors où les différentes matieres de l'étoffe sont mêlées, & où il n'y a point de dorures. Ce détail s'entendra beaucoup mieux par ce qui doit suivre. Il n'y a point de dorure aux fins ; ceux-ci ne different des demi-castors qu'en ce que la matiere principale y est un peu plus ménagée. Les communs sont du plus mauvais poil du lapin & du lievre, avec de la vigogne commune, ou de la petite laine. Les laines sont entierement de laine commune.

Nous ne donnerons point ici la maniere de fabriquer chacun de ces chapeaux séparément, nous tomberions dans une infinité de redites. Nous choisirons seulement celui dont la fabrication demande le plus d'apprêt, & est regardée comme la plus difficile & la plus composée, & dont les autres ne sont que des abrégés : c'est celle du chapeau à plumet. Soit donc proposé de faire un chapeau a plumet. Voilà le problème que nous devons mettre notre lecteur, sinon en état de résoudre, du moins en état de bien entendre la solution que nous allons en donner.

Pour fabriquer ce chapeau, on choisit le plus beau poil de castor tant gras que sec ; sur quatre parties de sec, on en met une cinquieme de gras ; parmi les quatre parties de secs, il n'y en a que les deux tiers de secrété, l'autre tiers ne l'est pas. Le gras ne se secrette point du tout ; on partage le poil non secrété en deux moitiés ; l'une pour le fond, l'autre pour la dorure : on laisse cette derniere moitié à l'écart. Quant à l'autre moitié, & au reste de la matiere qui doit entrer dans la fabrique du fond, on les donne au cardeur. Le cardeur de poil mêle le tout ensemble le plus exactement qu'il peut, avec des baguettes, & carde ensuite. Ses cardes sont extrèmement fines ; sa manoeuvre a deux parties ; l'une s'appelle passer ou carder en premier ; l'autre, repasser en second. Pour cet effet, il prend du poil, le met sur sa carde, & le carde à l'ordinaire ; après quoi il retourne la cardée d'un côté, & continue de carder ; puis il retourne la cardée de l'autre côté, & continue de carder, observant de réïterer toute cette manoeuvre une seconde fois. Après avoir donné cette façon à tout son poil, ou à mesure qu'il la lui donne, un autre ouvrier repasse en second. Le repassage en second ne differe point du passage en premier, & se réïtere pareillement ; on y apporte seulement plus de soin & de précaution.

Le poil se donne & se reprend au poids. On accorde au cardeur six onces de déchet par paquet de 15 à 16 livres ; mais ce déchet est assez ordinairement suppléé par le poids d'huile commune dont les cardeurs arrosent le paquet, quand ils en mêlent les différens poils avec leurs baguettes. Cette aspersion d'huile ménage les cardes & facilite le travail.

Le paquet cardé est rendu au maître, qui le distribue aux compagnons au poids, selon la force des chapeaux qu'il commande. Il y a des chapeaux depuis quinze onces jusqu'à trois ; & le salaire du compagnon est le même depuis trois onces jusqu'à neuf & demie ; depuis neuf & demie jusqu'à onze il a cinq sous de plus ; passé onze onces, les chapeaux étant extraordinaires, ont des prix particuliers.

La matiere distribuée par le maître aux compagnons, au sortir des mains du cardeur, s'appelle l'étoffe. On pese deux chapeaux à un compagnon, c'est sa journée ; on lui donne une once de dorure, depuis quatre onces d'étoffe jusqu'à huit & davantage ; on lui en pese par conséquent deux onces. Le compagnon met cette dorure à l'écart ; quant à l'étoffe de ces deux chapeaux, il la sépare moitié par moitié à la balance ; il met à part une de ces moitiés ; il sépare l'autre en quatre à la balance ; puis il arçonne séparément chacune de ces quatre parties. Voyez les articles ARÇON & ARÇONNER.

L'arçon est une espece de grand archet, tel qu'on le voit fig. 6. il est composé de plusieurs parties. A B est un bâton rond de 7 à 8 piés de longueur, qu'on appelle perche ; près de l'extrémité B est fixée à tenons & mortaise une petite planche de bois chantournée, comme on le voit dans la figure, qu'on appelle bec de corbin. Elle a sur son épaisseur en C une rainure où se loge la corde de boyau c C, qui après avoir passé dans une fente pratiquée à l'extrémité B de la perche, va se rouler & se fixer sur des chevilles de bois, qui sont au côté de la perche, opposées diamétralement au bec de corbin. A l'extrémité A de la perche est aussi fixée à tenons & mortaise une autre planche de bois D, qu'on appelle panneau ; cette planche est évidée, pour être plus legere, & elle est dans le même plan que le bec de corbin C ; elle est aussi plus forte par ses extrémités que dans son milieu ; sa force du côté de la perche fait qu'elle s'y applique plus fermement ; l'épaisseur qu'on lui a réservée de l'autre côté sert à recevoir le cuiret C C, ou un morceau de peau de castor qu'on tend sur l'extrémité E du panneau, au moyen des cordes de boyau, C 2, C 2, attachées à ces extrémités. Ces cordes font le tour de la perche, & sont bandées par les petits tarauts a, a, qui les tordent & les bandent comme les Menuisiers la lame d'une scie. La corde à boyau se fixe par un noeud coulant à l'extrémité 4 de la perche ; de-là elle se rend sur le cuiret ; on la conduit dans la rainure du bec de corbin, d'où on la fait passer par la fente pratiquée à l'extrémité B, de la perche aux chevilles, i, i, i, où elle doit être fixée & suffisamment tendue. On met ensuite une petite piece de bois b d'une ligne ou environ d'épaisseur, qu'on appelle chanterelle, pour éloigner le cuiret du panneau, & y laisser un vuide qui permet à la corde de resonner. Sur le milieu de la perche en O, il y a une courroie de cuir qui sert de poignée, & qui entoure en-dessus la main gauche de l'arçonneur.

On voit, fig. 1. Pl. du Chapel. un ouvrier occupé à arçonner. L L, L L, sont deux treteaux qui portent une claie d'osier W, qui est assemblée avec deux autres H K, H K, placées à ses extrémités, & concave en-dedans, qu'on appelle dossiers ; elles servent à retenir les matieres qu'on arçonne ; deux pieces de peau M, M qui ferment les angles de la claie & des dossiers ont le même usage. L'arçonneur A tient de la main gauche & le bras étendu, la perche de l'arçon qui est suspendue horisontalement par la corde D E qui tient au plancher ; de la main droite, il prend la coche F, représentée séparément, fig. 10. c'est une espece de fuseau tronqué & terminé à chaque bout par un bouton plat & arrondi ; il accroche la corde de l'arçon avec le bouton de la coche ; la corde glisse sur la rondeur du bouton, & va frapper l'étoffe qui lui est exposée en G, ce qui la divise, & la fait aller de la gauche à la droite de l'arçonneur.

L'arçonneur commence par exposer à l'action de la corde, sur la claie, la quatrieme partie de l'étoffe ; & il en forme en arçonnant, comme nous l'expliquerons tout-à-l'heure, une capade ; puis il en forme une seconde, une troisieme, & une quatrieme. Un bon ouvrier arçonne ses quatre capades, avec l'étoupage & les dorures, c'est-à-dire les travers & les pointus, à-peu-près en une heure. On entend par l'étoupage, de petites portions d'étoffes qu'on détache en égale quantité de ce qui doit faire les capades, pour fortifier les endroits foibles du chapeau, quand on le bastit au bassin & à la foule. On verra plus bas ce que c'est que bastir. Ces endroits foibles qu'on étoupe, s'appellent des molieres.

Dans la manoeuvre de l'arçon, après qu'on a placé l'étoffe sur la claie, on commence par la bien battre. Pour cet effet, on place la perche dans l'étoffe ; on y chasse la corde de maniere qu'elle y entre & en ressorte ; on continue jusqu'à ce que l'étoffe soit bien ouverte, & que les cardées soient aussi bien effacées ; pendant cette premiere manoeuvre, l'ouvrier fait tourner un peu la perche de l'arçon sur elle-même, par un mouvement du poignet de la main gauche, ensorte que la corde frappe bas & haut, & que l'étoffe soit éparpillée en tout sens, tant devant que derriere l'arçon. Alors il prend l'outil qu'on voit fig. 7. & qu'on appelle le clayon ; c'est un quarré d'osier dont le côté a un peu plus d'un pié, & qui a deux poignées ; il s'en sert pour ramasser dans le milieu de la claie l'étoffe éparse. Quand elle y est, il la rebat encore un peu, & tâche en ne décochant que des coups modérés, de ne l'éparpiller que le moins qu'il peut. C'est ainsi qu'il la dispose à être voguée. Elle est prête à être voguée, lorsque ce n'est plus qu'un amas de poils si rompus & si fins que le souffle les feroit voler de tous côtés. Pour voguer, il place sa perche à-peu-près dans le milieu de l'étoffe, mais de maniere qu'il y en ait toutefois plus derriere que devant, sans que la corde soit dans l'étoffe ; alors il tire la corde avec la coche dru & doux, & forme l'aîle de la capade, en donnant à l'étoffe la figure d'une pointe peu épaisse & peu large, telle qu'on la voit en a, bout de l'aîle, fig. 23. A mesure qu'il vogue, il rend les coups d'arçon plus forts, & l'étoffe en s'avançant d'a vers b, augmente en largeur & en épaisseur jusque sur la ligne c d ; alors l'ouvrier arçonne moins fort, & diminuant de force depuis la ligne c d jusqu'au point b, dans la même proportion qu'il l'avoit augmentée depuis le point a jusqu'à la ligne c d, la capade diminue de largeur & de force, de maniere que la portion c a d est tout-à-fait semblable à la portion c b d. Il ne faut pas imaginer pour cela qu'elle soit de même épaisseur sur sa largeur entiere ; son épaisseur va en diminuant depuis e jusqu'à c, & depuis e jusqu'à d ; mais sa diminution en épaisseur est beaucoup moindre depuis e jusqu'à d, que depuis e jusqu'à c. Tout l'espace A B C D e est d'ailleurs assez épais pour qu'on ne voye point le jour à-travers, au lieu qu'on voit tout le jour dans tout l'espace a b c d A B C D. a, b s'appellent les aîles de la capade, c la tête, d l'arrête, A B C D le lien, a b c d A B C D le clair.

On travaille ainsi à l'arçon les capades ; c'est avec le clayon qu'on leur donne la forme précise qu'on voit fig. 23. car elles ne la prennent pas exactement à l'arçon : pour cet effet, on approche le clayon de l'étoffe, on en presse legerement les bords, on l'applique aussi doucement dessus ; on l'affaisse, observant de laisser toûjours le fort dans le milieu, & de réduire l'épaisseur d'un demi-pié qu'elle a prise à la vogue, à celle de deux doigts dans le milieu, au centre du lien : c'est alors que les parties commencent à s'unir un peu. Cela fait, on prend la peau de parchemin qu'on voit fig. 8. & qu'on appelle la carte ; on la place sur la capade déjà abaissée par le clayon ; on applique ses deux mains sur la carte, & on marche la capade. Marcher, c'est presser par petites secousses d'une main, de l'autre, parcourant ainsi en pressant des deux mains alternativement & legerement toute la surface de la carte, qu'on tient toûjours en respect avec les mains qu'on ne leve point ; mais qu'on ne fait que glisser par-tout, en donnant les petites secousses, afin d'approcher les parties sans s'exposer à aucun accident. On marche ou sur une des faces de la capade seulement, ou sur les deux ; quand on a marché, on ôte la carte, on plie la capade en deux, ensorte que le bout d'une aîle tombe juste sur le bout de l'autre aîle, puis on l'arrondit. L'arrondir, c'est enlever avec les doigts ce qui déborde d'une des moitiés sur l'autre moitié, tant du côté de la tête que du côté de l'arrête. Ce qui provient d'étoffe dans cette opération, joint à ce qui en reste de la capade sur la claie, servira à l'étoupage. Ce que je viens de dire sur une des capades, se fait de même sur toutes les trois autres.

Quand les capades sont finies, on prend l'once de dorure, & on l'arçonne, c'est-à-dire qu'on la bat, rebat, & vogue ; après quoi on la partage à la balance en deux parties égales, de chacune desquelles on fait deux petites capades. Ces petites capades ont la forme des grandes ; quant à leur consistance, elle est à-peu-près uniforme. On laisse de l'étoffe de chaque petite capade une portion legere qui servira à faire les travers, ou manchettes, ou bandes. Les capades & les travers sont figurés sous l'arçon & au clayon, & marchés comme les grandes ; quand les travers ont été marchés, ils ont la forme d'un parallélogramme : alors on en prend un ; on le plie sur sa longueur par plis égaux ; puis on le plie en deux seulement sur sa hauteur, & on le rompt suivant cette derniere dimension, dans le pli ; ce qui donne deux autres parallélogrammes de même longueur que le premier, & de la moitié de sa hauteur ; ce sont les deux travers ; on les a pliés pour pouvoir les diviser en deux parties égales, sans les déchirer.

Cela fait, on marche les capades au bassin ; pour cet effet, on a une feutriere. La feutriere qu'on voit fig. 9. est un morceau de bonne toile de ménage, d'environ cinq piés de long, sur trois & demi à quatre de large : on la mouille uniment avec un goupillon, après l'avoir étendue sur le bassin, afin de la rendre molle & douce ; mais il ne faut pas qu'elle soit trop humectée, sans quoi l'étoffe des capades prendroit à la feutriere, & seroit déchirée : on pose la capade sur la feutriere, la tête vers le bord supérieur ; on la couvre exactement d'un papier un peu humecté & non ferme ; on met une autre capade sur ce papier qui la sépare de la premiere ; ces deux capades sont tête sur tête, arrête sur arrête. On ramene ensuite le bas de la feutriere sur les deux capades ; on la plie en trois plis égaux selon sa hauteur ; on la plie encore en trois plis égaux selon sa largeur, & l'on marche les capades renfermées dans la feutriere ainsi pliées ; c'est-à-dire qu'on applique les mains dessus, & qu'on les presse par-tout par petites secousses : après quoi, des trois derniers plis, on met en-dehors celui qui étoit en-dedans, & en-dedans celui qui étoit en-dehors ; on acheve de replier, & on remarche. Toutes ces opérations tendent à augmenter peu-à-peu la consistance ; ce marcher des capades est le commencement de ce qu'on appelle le bastissage. Le bassin sur lequel cela se fait est une grande table de bois qu'on voit fig. 2. autrefois concave dans le milieu, maintenant tout-à-fait plane ; cette cavité étoit enduite de plâtre, on y mettoit du feu, on la couvroit d'une plaque de fer, & l'on marchoit sur la plaque ; mais on ne marche plus guere à feu. Ce que nous venons de dire des deux capades se pratique exactement sur les deux autres ; on les enferme de même dans la feutriere séparées par un papier, & on les marche de même.

Après que les capades ont été marchées deux à deux, comme nous venons de le prescrire, on ouvre la feutriere, on enleve une des capades avec le papier qui la séparoit de l'autre qu'on laisse sur la feutriere, & qu'on couvre d'un papier gris qui a à-peu-près la forme d'une hyperbole qui n'auroit pas tout-à-fait tant d'amplitude que la capade sur la même hauteur. On pose sur le sommet de ce papier hyperbolique, qu'on appelle un lambeau, à deux bons doigts de la tête de la capade qui est sur la feutriere ; on mouille un peu le sommet du lambeau & la tête de la capade, & on couche sur le lambeau l'excédent de la tête de la capade sur le sommet de ce papier ; on couche pareillement l'excédent des deux aîles de la capade sur les côtés du lambeau ; d'où il s'ensuit évidemment qu'il s'est formé deux plis au moins à la capade en quelqu'endroit, l'un à droite & l'autre à gauche du sommet du lambeau. Il faut effacer ces plis, & faire ensorte que le lambeau soit embrassé exactement sur toute sa circonférence, par l'excédent de la capade sur lui, sans qu'il y ait de plis nulle part : pour cet effet, on pose le dessous des doigts de la main gauche sur le bord gauche de la capade, en appuyant un peu, pour tenir tout en respect, & l'on détire doucement le pli de ce côté, avec les doigts de la droite, jusqu'à ce qu'on l'ait fait évanouir ; on en fait autant au pli du côté droit, en tenant tout en respect avec le dessous du bout des doigts de la droite, & détirant l'étoffe qui prete, avec les doigts de la gauche. Quand ces plis sont bien effacés, on prend l'autre capade, que j'appellerai b, & on la pose sur le lambeau que la premiere, que j'appellerai a, tient embrassé ; on retourne tout cet appareil ; on couche les bords excédens de la capade b sur la capade a, ensorte que cette capade a soit embrassée par-tout par la capade b, comme la capade b embrasse le lambeau qui les sépare. On efface les plis de cette capade b, comme on a effacé ceux de la capade a ; mais le lambeau n'ayant pas à beaucoup près autant d'amplitude que les capades qui le renferment, il reste ordinairement à droite & à gauche, au-bas des capades, au bord de leurs arêtes ; deux petites places que le lambeau ne couvre point, & où les capades se toucheroient & se prendroient, si on n'y inséroit deux petits morceaux de papier qui servent, pour ainsi dire, de supplément au lambeau ; aussi a-t-on cette attention. Il faut bien se ressouvenir que tout cet appareil est placé sur la feutriere, la tête des capades étant à une petite distance de son bord supérieur.

Cela bien observé, on prend la feutriere par son bord supérieur, & on en couche sur la tête des capades la partie dont elle les excede, & qui est à-peu-près de quatre doigts ; on prend ensuite le bord inférieur de la feutriere, & on le ramene jusqu'en haut de cet appareil, ensorte que l'appareil des capades & du lambeau soit entierement renfermé dans cette grande toile, & que le tout ait à-peu-près la forme quarrée de la fig. 24, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Après quoi prenez l'angle 1, portez le point 1 au point 10, & formez le pli 9, 2. Prenez l'angle 4 ; portez le point 4 au point 11, & formez le pli 5, 3. Prenez l'angle 6, portez le point 6 au point 15, & formez le pli 7, 16, qui prolongé passeroit par l'angle 4. Prenez l'angle 15 ; portez-le au point 14, & formez le pli 13, 12 parallele au pli 9, 2.

Il est évident qu'après ces opérations tout votre appareil aura la figure extérieure 2, 9, 8, 7, 16, 3, 2. Faites trois plis égaux entr'eux & paralleles au pli 7, 16, ensorte que le bord du premier pli tombe sur le pli 9, 2, & que la ligne 17, 14, si on la tiroit, fût partagée en quatre parties égales par le moyen des plis qui la couperoient perpendiculairement en trois endroits. Voilà ce qu'on appelle former ses croisées.

Ces croisées formées, posez vos deux mains dessus & marchez. Cela fait, dépliez & formez les mêmes croisées, mais en commençant par l'angle 4, ensorte que toutes les croisées soient toutes jettées du côté de cet angle, comme on les voit jettées dans la fig. du côté de l'angle 1. Posez vos mains sur ces nouvelles croisées, & marchez ; cela s'appelle marcher sur les côtés.

Dépliez & ne laissez que les deux plis 9, 2 ; & 3, 5. Prenez le bord 8, 7, 6, & formez, les uns sur les autres trois plis paralleles à 8, 7, 6, ensorte que le dernier de ces trois plis tombe sur 2, 3, & que tout l'espace 8, 9, 2, 3, 5, 6, 7, 8, soit partagé en quatre bandes paralleles & de même hauteur. Appliquez vos mains, & marchez. Cela s'appelle marcher sur l'arrête.

Dépliez & ne laissez que les deux plis 9, 2 ; & 3, 5. Prenez le bord 2, 3, & formez les uns sur les autres trois plis paralleles à 2, 3, ensorte que le dernier tombe sur 8, 7, 6, & que tout l'espace 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 2, soit partagé en quatre bandes paralleles & de même hauteur. Appliquez vos mains & marchez. Cela s'appelle marcher sur la tête ; & l'opération entiere, suivre ses croisées.

Quand on a suivi ses croisées, on déplie premierement les trois grands plis paralleles, puis les deux angles 192, 345 ; on abaisse la feutriere ; on ouvre les capades ; on ôte le lambeau d'entr'elles, avec deux papiers des côtés, on les décroise. Pour entendre ce que signifie ce mot décroiser, dont nous nous servirons souvent, il faut se rappeller que l'assemblage des deux capades a à-peu-près la forme d'un cone, sur les deux côtés duquel ces capades commencent à se plier par des portions dont elles sont repliées l'une sur l'autre : or décroiser, c'est déplier ce cone, & le plier ensuite de maniere que ce qui occupoit les côtés occupe le milieu, & que ce qui occupoit le milieu occupe les côtés, sans séparer la liaison qui commence à se faire. Ainsi soient (fig. 24.) les capades représentées avant le décroisement par b a d : après le décroisement elles doivent avoir la même figure, avec cette seule différence que a d soit en a c, a c en a b, & ainsi de suite. Le rendouble des capades l'une sur l'autre se trouvera donc en a c : on donne aussi à ce rendouble le nom de croisée ; on en efface doucement les petits plis, en détirant un peu, & en passant legerement dessus le dos des doigts. On retourne tout l'assemblage des capades, & on en fait autant au redouble qui se trouve sur le milieu de l'autre côté.

Cela fait, on prend les deux autres capades (car il faut se ressouvenir qu'on en a arçonné quatre, & on les pose sur les deux premieres qu'on vient d'assembler, une dessus, l'autre dessous ; il est évident que ces deux secondes capades doivent déborder sur celles qui sont déjà liées) : on couche cet excédent des nouvelles capades sur les deux premieres, comme on avoit couché l'excédent de l'une de celles-ci sur le lambeau, & l'excédent de l'autre sur cette une ; on efface le pli de la tête & des côtés, comme nous l'avons prescrit ; on remet les lambeaux & les papiers des côtés à leur place, c'est-à-dire entre les deux premieres capades, & on a un nouvel appareil ou assemblage de quatre capades, dans lequel, en conséquence du décroisement, le fort répond au foible, & le foible au fort ; c'est-à-dire, que les rendoubles ou croisées des deux premieres répondent au milieu des deux secondes, & les rendoubles ou croisées des deux secondes, au milieu des deux premieres qu'elles enveloppent ; après quoi on plie la feutriere comme quand elle ne renfermoit que deux capades, & l'on suit sur elle toutes les croisées de la fig. 22. marchant d'un côté, de l'autre, de tête & d'arrête.

Quand on a suivi ces croisées, on déplie la feutriere, on ôte les lambeaux, & l'on décroise les quatre capades, de maniere que les deux rendoubles ou plis des deux dernieres capades qui sont sur les côtés en-dehors, se trouvent sur le milieu en-dehors, & que les deux rendoubles ou plis des deux premieres qui sont sur le milieu en-dedans, se trouvent sur les côtés en-dedans de l'appareil ; puis on efface les plis des rendoubles des deux dernieres capades, on arrondit tout l'appareil du côté de l'arrête, arrachant legerement toutes les portions de l'étoffe qui excedent d'une des moitiés de l'arrête sur l'autre, & qui empêchent que l'arrête entiere ne soit bien ronde.

Tout cet appareil des quatre capades s'appelle alors un chapeau bâti au bassin. On le laisse sur la feutriere, on l'ouvre, & on regarde en-dedans au jour les endroits qui paroissent foibles, afin de les étouper. Etouper, c'est placer aux endroits foibles des morceaux d'étoffe qui leur donnent l'épaisseur du reste. On retourne sens-dessus-dessous son chapeau en tout sens, afin d'étouper par-tout, tant en tête qu'en bords. L'étoupage se forme à l'arçon, se bat & vogue comme les capades ; à cela près qu'on ne lui donne aucune figure, & qu'il ne se marche qu'à la carte non plus que la dorure. Quand le chapeau est étoupé d'un côté, on remet le lambeau dedans ; puis on retourne le tout sens-dessus-dessous, & on étoupe l'autre côté : quant à la maniere de placer l'étoupage, la voici. Lorsqu'en regardant au-travers du cone creux des capades on a apperçu un endroit clair, on rompt un morceau d'étoupage de la grandeur convenable, & on le place en-dehors à l'endroit correspondant à celui qu'on a vû foible en regardant en-dedans. Il faut un peu mouiller avec de la salive l'endroit où l'on met l'étoupage, afin de le disposer à prendre : cela fait, on replie la feutriere comme auparavant, & on suit toutes les croisées de la fig. 23. marchant d'un côté, de l'autre ; de tête & d'arrête.

Après quoi on déplie la feutriere, on retire le lambeau, on décroise, plaçant ce qui étoit sur les côtés de l'appareil au milieu, & ce qui étoit au milieu sur les côtés : on examine encore s'il n'y a point d'endroits à étouper ; s'il y en a, on les étoupe ; on remet le lambeau ; on referme la feutriere ; on donne toutes les croisées de la fig. 23. marchant d'un côté, de l'autre, de tête & d'arrête : on déplie, on retire le lambeau, & on décroise encore : puis retournant l'appareil sur la feutriere, de maniere que la tête soit où étoit l'arrête ; on plie la feutriere comme auparavant, & on marche, mais d'une maniere particuliere ; au lieu de presser avec la main par petites secousses, on roule un peu le tout sous les mains contre le bassin, ce qui s'appelle cimousser : cette opération arrondit & égalise l'arrête : cela fait, on déplie la feutriere, on décroise, & on plie le chapeau pour le porter à la foule ; c'est-à-dire qu'on porte le bout de la tête sur le bord de l'arrête, & les deux côtés l'un sur l'autre. Cet appareil s'appelle un bastissage, & l'endroit où il s'exécute, le bastissage.

Nous voici arrivés à la foule : on y porte les bastissages avec les dorures. Voyez la foule, fig. 3. 4. & 5. La fig. 3. est la foule même ; la fig. 4. est la moitié de son plan ; & la fig. 5. en est le profil selon sa longueur, A, fig. 1. la porte de l'étuve. B les ventouses. C la porte du fourneau. E dessous de la chaudiere où l'on fait le feu. F, F, F, grille ou chenets sur lesquels on place le bois. H, H, H, tuyau de la cheminée. I, I, I, chaudiere de cuivre. K, K, K, K, K, K, bancs de foule. L le bureau. M baquet à bourre. N boutons ou de fer ou de bois destinés à arrêter les roulets : remarquez que les bancs sont en pente. O écumoire. P balai.

Pour fouler, on commence par remplir la chaudiere d'eau de riviere ou de puits, il n'importe ; on jette du gros bois sur les chenets, on y met le feu : quand l'eau est prête, on a de la lie de vin ; cette lie a déja servi au vinaigrier, le fluide en est ôté, ce n'est proprement que le marc de la lie ; plus la lie est rougeâtre, meilleure elle est ; il en faut un sceau & demi ordinaire sur une chaudiere à huit ; à mesure que l'eau chauffe, on délaye la lie avec un balai : quand l'eau bout, l'écume ou crasse de la lie paroît à la surface de l'eau ; on l'écume, puis on se met à travailler. On prend un bastissage, on le met sur l'eau, & on l'y tient enfoncé avec un roulet. Voyez fig. 11. Le roulet, c'est une espece de fuseau de bois fort long, assez fort dans le milieu, rond, & allant en diminuant de diametre du milieu vers ses deux extrêmités. Quand le bastissage est trempé, s'il arrive qu'il soit trop chaud, on le plonge dans l'eau froide ; on le déplie seulement par le bout d'un des côtés, on le roule, & on en fait sortir l'eau contre le banc de la foule ; on le roule par l'autre bout, & on en fait pareillement sortir l'eau en le serrant entre ses mains, & le pressant contre le banc de la foule ; ensuite on le déplie, on l'étend sur le banc, l'arrête du côté de l'ouvrier, la tête du côté de la chaudiere ; on la décroise délicatement sur le côté, comme on voit fig. 24. en faisant passer la partie a b en a c : on prend une brosse à poil un peu long, mais serrée ; on la trempe dans la chaudiere, & on frappe avec cette brosse legerement sur la croisée a c, pour en effacer le pli ; on écarte avec le dos de la même brosse la bourre & la crasse qui se forment à la surface de la chaudiere ; on en plonge le poil dans l'eau ; on s'en sert pour asperger le chapeau : quand il est aspergé, on prend le bout de la tête a, on le porte en d (fig. 24.), & l'on forme le pli ou la croisée b c ; on roule le reste à-peu-près dans la direction du pli b c ; on le serre avec les mains, & on le presse en cet état contre le banc ; on le déroule ; on l'asperge : on prend la tête a (fig. 16.) on la porte en d, on roule le reste à-peu-près dans la direction du pli ou de la croisée d c ; on serre avec les mains ce rouleau, & on le presse bien contre le banc : on le déroule ; on asperge : on prend la tête a (fig. 27.), on la porte en d, & l'on forme le pli ou la croisée b c ; puis on roule, en commençant le roulement par le bout de l'aîle : on serre le rouleau entre les mains & contre le banc ; on le déroule, on l'asperge, & l'on forme le pli c d (fig. 28.) en portant le bout de l'aîle ou le point a en b : on roule le reste dans la direction de ce pli ou croisée ; on serre le rouleau entre ses mains & contre le banc ; on déroule, on asperge : on forme le pli d c (fig. 29.) en portant le point a en b ; on roule le reste dans la direction de ce pli ou croisée ; on serre le rouleau entre ses mains & contre le banc. Il faut observer dans toute cette premiere manoeuvre de la foule, qu'on asperge avec la brosse à chaque pli de croisée, qu'on roule bien clos, & qu'on foule mollement, en allongeant les bras, en faisant faire au rouleau ou chapeau roulé beaucoup de chemin sur le banc, en tournant sur lui-même, & en le pressant peu sur chaque point de ce chemin : il n'est pas encore assez compacte pour supporter de grands efforts ; mais la liaison croîtra par des degrés insensibles. On déroule ; on asperge : on prend le point a (fig. 30.), on le porte en d ; on forme le pli b c ; on roule le reste à-peu-près dans la direction de ce pli, bien clos, & l'on foule mollement ; on déroule ; on asperge : on prend le point a (fig. 31.), on le porte en d ; on forme le pli de croisée b c ; on roule le reste bien clos dans la direction de ce pli, & on foule mollement : on déroule, on asperge ; on prend le point A (fig. 32.), on le porte en B, & l'on forme le pli C D ; on prend le point a, on le porte en b, & l'on forme le pli c d : on prend le point e de l'arrête, & on le porte en f, & l'on forme le pli a A : on roule le reste bien clos dans la direction du pli A a, & l'on foule. Voilà toute la suite des croisées de la foule ; on les réitere toutes trois fois consécutives, à commencer par le décroisement de la fig. 24. Ainsi on décroise trois fois, comme on voit dans cette fig. 24. On plie & foule trois fois sur un côté, comme on voit fig. 25. On plie & foule trois fois sur l'autre côté, comme on voit fig. 26. On plie & foule trois fois sur la tête, comme on voit fig. 27. On plie & foule trois fois sur un coin, comme on voit fig. 28. On plie & foule trois fois sur l'autre coin, comme on voit fig. 29. On plie & foule trois fois sur un des bords de l'arrête, comme on voit fig. 30. On plie & foule trois fois sur l'autre bord de l'arrête, comme on voit fig. 31. On plie & foule trois fois sur les bords de l'arrête & sur l'arrête entiere en même tems, comme on voit fig. 32. Quand je dis qu'on plie & foule trois fois sur chacune de ses parties, cela ne signifie pas que ces trois fois se fassent tout de suite & consécutivement sur cette partie : cela signifie que comme on suit trois fois toutes les croisées, & qu'à chaque fois qu'on les suit chacune des parties dont je viens de parler est pliée & foulée une fois ; après qu'on a suivi trois fois toutes les croisées, toutes les parties précédentes ont été aspergées, pliées, foulées trois fois ; je dis aspergées, car on ne plie jamais, ni on ne foule un pli de croisée, sans avoir aspergé auparavant.

Quand on a suivi ses croisées pour la troisieme fois, on étend le chapeau sur le banc, & l'on en frotte circulairement la surface avec la paume de la main, pour en faire sortir le jarre : on appelle jarre, le gros poil qui s'est trouvé mêlé avec le fin quand on a coupé la peau ; cela fait, on retrousse le bord supérieur de l'arrête, on ouvre le chapeau, & l'on tâche, en tâtonnant avec les doigts, de découvrir les endroits foibles ; quand on en trouve, on les marque en traçant un trait avec le bout du doigt ; on prend ensuite des morceaux d'étoupages, on les humecte, & on les met en-dehors aux endroits correspondans aux endroits foibles, qu'on reconnoît aisément à la marque du doigt : pour affermir ces étoupages, on les frappe ou tape un peu avec la brosse mouillée ; on referme le chapeau, on le retourne sans-dessus-dessous, on le r'ouvre, & on cherche les endroits foibles de l'autre moitié, auxquels on remédie comme nous venons de dire.

Après avoir étoupé, on ouvre tout-à-fait le chapeau de la main gauche ; de la droite on en frappe la pointe ou tête d'un petit coup, on la fait rentrer en-dedans ; on lâche le bord qu'on tenoit ; on insere en-dedans les deux mains ; on prend la tête, on l'attire à soi doucement, de peur de déranger l'étoupage ; on repousse les bords, & le chapeau est retourné. Alors on prend des morceaux de tamis de crin simple, on insere ces tamis dans le chapeau en autant d'endroits qu'on a mis de l'étoupage, de peur que cet étoupage ne vînt à se lier avec les parties auxquelles il correspondroit : cela fait, on asperge un peu, on fait un pli sur le côté de la tête, tel que celui de la fig. 25. mais plus petit ; on roule dans la direction de ce pli, mais bien clos ; on foule doucement ; on déroule, on asperge ; on fait un autre petit pli sur l'autre côté de la tête ; en un mot on suit sa croisée toute entiere, à commencer à la fig. 25. & à finir à la fig. 32. inclusivement, exécutant tous les plis indiqués par ces figures, aspergeant, roulant, & foulant à chacun, comme il a été prescrit plus haut.

Cela fait, on déploye le chapeau, dont, pour le dire ici en passant, on a toûjours vis-à-vis de soi, quand on foule, le côté opposé à celui sur lequel on a commencé à rouler le reste : ainsi dans la derniere manoeuvre de la fig. 32. on a vis-à-vis de soi la tête. On retourne donc le chapeau, pour être en face de l'arrête ; on l'ouvre, on décroise, on examine encore s'il n'y a point d'inégalités dans l'épaisseur ; s'il y en a, on étoupe derechef ; on retourne le chapeau sens-dessus-dessous, comme nous avons dit ; on place des tamis aux endroits étoupés, & l'on suit une croisée entiere, à commencer à la fig. 25. jusqu'à la fig. 32. inclusivement.

Voici le moment de placer une des petites capades, que nous avons appellées plus haut pointus : on place un de ces pointus, ou une de ces parties de dorure qui doivent faire l'endroit du chapeau, sur la tête, qu'elle couvre jusqu'à deux doigts de l'arrête ; on prend de l'eau avec la brosse, observant de bien écarter la bourre, on asperge le pointu, & on le tape assez fortement avec le côté des crins : s'il arrive au pointu d'être plus ample que la tête, & de déborder de tous côtés, on ouvre le chapeau, on insere la main jusqu'au fond, on releve la tête, & on abat les excédens du pointu, & on les tape ensuite tant-soit-peu avec la brosse : quant aux excédens des côtés, on décroise un peu, on abat d'un & d'autre côté les excédens à la faveur des décroisemens, on les tape aussi : quand le pointu est ainsi ajusté, on examine s'il n'y a point d'endroits à étouper ; s'il y en a, on les étoupe. On pose sur l'autre côté de la tête le second pointu, précisément avec les mêmes précautions que le premier, se garantissant bien sur-tout de la bourre : on retourne alors le tout de dedans en-dehors, le plus délicatement que l'on peut, de peur de détacher les pointus, qui ne tiennent qu'autant qu'il le faut pour supporter juste cette manoeuvre ; on met entre les pointus, & aux endroits étoupés, des tamis, puis on foule une croisée entiere, à commencer à la fig. 27. Lorsqu'on a exécuté les croisées prescrites par la fig. 32. on remet l'arrête du chapeau de son côté, on le déploye, on l'ouvre, on ôte le tamis, on décroise de côté, comme il est marqué fig. 24. on examine si les pointus sont bien pris ; s'ils ne le sont pas, on asperge, on tape sur leurs bords ou croisées avec la brosse ; on remet les tamis, & on foule une seconde croisée toute entiere, à commencer à la fig. 25.

Lorsque les pointus sont bien pris, on retourne de dedans en-dehors les pointus, on les frotte en rond avec la paume de la main, pour en ôter la bourre ou la jarre qui peut s'y trouver ; on examine s'il n'y a plus d'endroits à étouper ; s'il y en a, on étoupe ; puis on prend un travers qu'on place à un doigt du bord de l'arrête, & qui monte de là à la hauteur de huit doigts, ne laissant à découvert que le bout de la tête, ou la portion qui fera le dedans de la forme quand le chapeau sera achevé : on asperge ce travers, on le tape ; on décroise sur les côtés l'un après l'autre ; on abat l'excédent du travers avec la brosse, & on tape cette espece de rebord ; on retourne le tout sans-dessus-dessous ; on met l'autre travers comme on a mis le premier ; on retourne ensuite le chapeau de dedans en-dehors, de sorte que les pointus soient en-dehors, & les travers en-dedans, & on foule une croisée complete depuis la fig. 25. jusqu'à la fig. 32. inclusivement : on examine ensuite si les rebords ou croisées des travers sont bien pris ; s'ils ne le sont pas, on les tape avec la brosse, & l'on tient des tamis aux endroits non pris, puis on arrose le chapeau avec la jatte, & on foule une croisée complete : si tout est bien pris, alors le chapeau est dit basti à la foule ; sinon on foulera encore une croisée complete .

Lorsque le chapeau est basti à la foule, alors on prend la manique, pour fouler plus chaud & plus clos. Cet instrument qu'on voit fig. 12. est une semelle de cuir doublée de l'empeigne : cette semelle s'attache sur le poignet par une courroie ou une boucle, & elle est terminée à l'extrémité par un anneau de cuir qui reçoit le doigt du milieu, & qu'on appelle doigtier : on a une manique à chaque main ; si l'eau paroît claire, on y remet un peu de lie qu'on délaye : on prend le chapeau, s'il est grand, on le plie des deux côtés ; on a l'arrête de son côté, on le trempe par la tête dans l'eau bouillante de la chaudiere, puis on y fait un pli sur la tête, comme il est fig. 25. seulement plus petit : c'est même une observation générale pour toutes les croisées qui vont suivre, de faire successivement les plis marqués par les figures d'autant plus petits, que le chapeau deviendra plus ferme, & se rapetissera davantage, & de fouler plus fortement : on foule une croisée complete , observant à chaque pli (ou pour parler le jargon que nous nous sommes faits dans cet article afin de nous rendre intelligibles, à chaque figure, car nous avons représenté les plis par des figures) de tremper le chapeau dans la chaudiere avant de le plier ; & dans le cours de la foule, de chaque pli de le tremper deux ou trois fois tout roulé, & de le tenir roulé bien ferme & bien clos.

Le nombre des croisées complete s qu'on est obligé de donner successivement, est plus ou moins grand, selon la nature de l'étoffe, ou la difficulté qu'elle a à rentrer : on en donne au moins quatre ou cinq, bien chaud & bien clos. Les maniques servent dans ces croisées à garantir les mains de l'action de l'eau bouillante, & à pouvoir fouler avec plus de hardiesse & de force. Après ces croisées, on brosse son chapeau avec la brosse qu'on trempe dans l'eau, & on le porte sur une table dans un endroit clair, pour voir s'il n'y a point d'ordure ; si on en apperçoit, on prend des pinces aiguës & courbes, & on arrache les ordures, ce qui s'appelle épinceter à l'endroit. Quand le chapeau est épinceté à l'endroit, on le retourne, on lui donne deux ou trois ou quatre croisées complete s, chaud & clos, comme les précédentes, c'est-à-dire trempant plusieurs fois dans l'eau dans le cours de la foule de chaque pli ; puis on épincette à l'envers ; après quoi on retourne le chapeau, & on le foule chaud & clos, autant de croisées complete s qu'il en faut pour le finir. Ces croisées se foulent au roulet & à la manique, qu'on ne quitte point que le chapeau ne soit fini. On pose le roulet sur le chapeau, on roule le chapeau dessus, & on foule : quand à la maniere de poser le roulet, on suit la direction des différens plis de croisées. Le roulet est de bois de frêne. On ne foule au roulet que deux bonnes heures & demie, quand l'étoffe rentre bien, & que l'ouvrier est habile.

Quand on a conduit le chapeau à ce point, on le décroise en tout sens, pour s'assûrer s'il est à-peu-près rond, s'il n'y a point de lipes. Les lipes, ce sont les excédens des plus longs bords sur les plus petits : quand il y en a, on trempe la lippe dans l'eau bouillante, on met le roulet sur cet endroit excédent de l'arrête, & on le foule jusqu'à ce qu'à force de rentrer, la lippe ait disparu ; cela s'appelle arranger le chapeau : en l'arrangeant, on tâche de l'égoutter d'eau & de lie ; pour cet effet on le foule à sec, une demi-croisée sur l'arrête ; alors les croisées ont cessé d'être réglées ; on suit les plis qu'on croit nécessaires. Quand le chapeau est bien égoutté, on examine si les plis des croisées n'y sont point marqués ; si on les aperçoit, on les efface en frappant un peu dessus avec le roulet.

C'est alors qu'on torque le chapeau, ou qu'on le met en coquille : il est au-moins diminué des trois quarts de la grandeur qu'il avoit quand il a été basti. Pour le torquer, on l'ouvre bien ; on enfonce la tête jusqu'à l'arrête & fort au-delà, puis on la repousse en sens contraire, & ainsi de suite, jusqu'à ce que toute la hauteur du chapeau ait été employée à former dans un même plan des plis en ondes & concentriques à l'arrête, dont la pointe de la tête occupe le centre.

Quand le chapeau est en coquilles ou torqué, on le trempe dans la chaudiere, puis sur le banc de la foule on affaisse, on détire avec le pouce de la main droite, & on fait disparoître, en poussant & élargissant en tout sens, la pointe de la tête, ce qui s'appelle pousser. Lorsque la pointe est étendue, on détorque un pli qu'on pousse, qu'on étend, & qu'on élargit comme la pointe. On continue à détorquer, à pousser, à élargir & à étendre, jusqu'à ce qu'il y ait assez d'espace étendu pour pouvoir travailler du poignet en entier ; alors on se l'enveloppe d'un mauvais bas de laine qu'on appelle un poussoir : ce bas garantit la main de l'eau bouillante dans laquelle on trempe le chapeau durant tout le cours de cette manoeuvre ; & on pousse le chapeau, étendant, élargissant & approfondissant jusqu'à ce qu'on ait pratiqué un espace capable de recevoir la forme fig. 14.

Quand le chapeau est poussé, on le dresse : dresser, c'est mettre sur la forme ; alors il ressemble parfaitement à un bonnet de laine retroussé ; alors les ailes sont presque appliquées contre la forme ; les pointus sont en-dessus, les travers sont devant, & se présentent tout-autour à la surface du chapeau opposée à celle des pointus ; sans quoi le chapeau ne paroîtroit pas doré par-tout.

Quand le chapeau est sur la forme, on prend le choc, fig. 19. c'est une feuille de cuivre de l'épaisseur de deux lignes, recourbée par un bout pour en faire le manche, & ceintrée de l'autre : la partie ceintrée est mousse, & sa courbure est la même que celle de la forme, dont elle peut embrasser une partie assez considérable. L'opération dans laquelle on se sert de cet instrument s'appelle choquer : elle consiste à passer legerement la courbure du choc de haut em-bas sur toute la surface de la tête du chapeau, afin de lui faire prendre exactement la forme, en effaçant les plis & godes. Quand on a choqué, on lie la ficelle sur le chapeau ; elle fait deux tours sur le milieu de la forme ; on l'abaisse jusqu'au bord inférieur de la forme avec le choc : pour cet effet on trempe le chapeau bien chaud. Quant à la partie supérieure de la tête, qui en est la plate-forme, on en efface les plis & godes, & on empêche qu'elle ne fasse le cul avec la piece, figure 18. C'est aussi une feuille de cuivre de la même épaisseur que le choc, mais non ceintrée : on l'applique sur le haut de la tête, & en la faisant aller & venir sur cet endroit, on l'applanit.

On abat ensuite le chapeau : pour cet effet on porte le chapeau en forme sur le banc de la foule, on le trempe ; on pose la forme à plat sur le bord extérieur du banc ; de la main gauche on fixe le bord du chapeau de maniere que le pouce embrasse le bord du banc, & serre le bord du chapeau ; de la main droite on empoigne une partie du bord qui est étendu sur le banc, on la tient bien serrée, on la tire, & on tâche de l'étendre : on fait cette opération tout-au-tour du chapeau, dont on fait tourner la forme sur elle-même. Lorsque le bord du chapeau est à-peu-près plat, on piece : pour cet effet on le trempe, & avec la piece qu'on appuie de son plat sur les bords du chapeau, on la presse d'une main, tandis qu'on fait tourner la forme de l'autre : c'est ainsi qu'on efface les plis fait en abattant ; ces plis s'appellent tirasses. Cette opération ne rend cependant pas encore les aîles tout-à-fait plates ; pour les achever, on les détire une seconde fois, précisément comme la premiere, puis on prend la jatte, on les arrose à la tête de deux jattées d'eau de la chaudiere ; ensuite on passe la piece sur la tête pour l'unir & l'égoutter, & on en conduit le côté, de dessus la tête, tout-autour de la forme : alors on quitte cet instrument, on prend le choc avec lequel on acheve d'abaisser entierement la ficelle ; après quoi avec la piece dont on applique le plat sur les bords du chapeau, & qu'on conduit tout-autour, le côté tranchant du côté de la chaudiere, comme pour y diriger l'eau qui sort du chapeau, on l'unit & on l'égoutte. Quand le chapeau est bien égoutté, on le frotte par-tout legerement avec les mains ; & prenant entre le pouce en-dessus, & l'index en-dessous, l'extrémité de l'arrête, on la releve un peu, & on l'arrondit en gouttiere dont la concavité regarde la tête.

Voilà le chapeau sorti de la foule, & prêt à entrer dans l'étuve pour y être séché. On le laisse sur la forme : elle est percée en-dessous de deux trous ; les murs de l'étuve sont parsemés de clous qui y sont fichés : on place un de ces clous dans un des trous de la forme, & elle y reste suspendue : on laisse passer la nuit au chapeau dans l'étuve ; les compagnons en s'en allant, quand il n'y a plus de bois sous la chaudiere, ni par conséquent de fumée à craindre, ferment la tuile, dont on voit l'ouverture en 1, 2, fig. 3.

Lorsque le chapeau est sec, on le tire des étuves ; mais chaque ouvrier marque son ouvrage pour le reconnoître, l'un avec du blanc, l'autre avec le doigt. Le chapeau étant mouillé, le doigt couche le poil selon une certaine direction qu'il garde, & la trace se reconnoît. Au sortir de l'étuve, on délie la ficelle, on chasse la forme en la pressant par le bout, puis on ponce : pour cet effet on remet la petite gouttiere qu'on avoit formée à l'arrête de dessus en-dessous ; on a une petite ponce legere ; on pose l'aîle du chapeau sur le banc de la foule, la concavité de la forme en-haut ; & on passe la ponce sur l'aîle, jusqu'à ce que toute cette surface soit bien unie, & que tout le poil en soit bien égalisé. Le poil étoit auparavant fort grossier ; la ponce ou le détache, ou le coupe, ou l'affine ; on la mene & on la ramene fermement du bord concave de la tête au bord de l'arrête ; on en fait autant à l'autre surface, observant auparavant de remettre la gouttiere dans son premier sens. On remet ensuite le chapeau en forme, & on acheve de le poncer : on l'a remis en forme, afin que ce solide soûtînt l'action de la ponce, & que la tête du chapeau ne fût pas enfoncée. Après avoir poncé, on prend une brosse seche qu'on passe par-tout, tant pour enlever ce que la brosse a détaché, que pour faire sortir le peu de lie qui reste, & adoucir l'ouvrage. On a ensuite un peloton en quarré oblong, rembourré de gros poil de castor, & couvert d'un côté de drap, de l'autre de panne ; on passe ce peloton par-tout. Le peloton & le frottoir ne sont pas la même chose : le frottoir est une piece de bois unie, d'un doigt d'épaisseur, ou à-peu-près, sur environ six pouces en quarré, qu'on passe sur le chapeau quand on le décroise à la foule, qu'il est chaud, & qu'il faut l'éjarrer. L'ouvrier, au lieu du frottoir, se sert aussi de sa main, comme nous l'avons dit.

Lorsque le chapeau est pelotonné, on marque avec de la craie son poids, & s'il est doré ou non. On se sert de chiffres pour le poids, de lettres pour le reste. L'ouvrier a aussi sa marque, qu'il fait avec des ciseaux au bord de l'arrête ; c'est une hache, un croissant, ou une autre figure : puis il rend son chapeau au maître, qui l'examine avant que de l'envoyer à la teinture, où nous le suivrions sans interruption, si nous n'avions à reprendre de plus haut l'opération que nous venons de décrire, & que nous avons poussée jusqu'ici, pour ne pas couper le fil de la manoeuvre principale par l'explication d'une opération accidentelle, je veux dire celle du plumet. Nous allons maintenant dire comment on fait au chapeau un plumet, quand on y en veut un.

Quand on a foulé au roulet & à la main, au point que le chapeau n'a plus qu'un pouce à rentrer, alors on l'égoutte au roulet comme s'il étoit achevé, & on le flambe du côté du plumet ou à l'endroit : pour cet effet, on a un morceau de bois sec, ou un peu de paille allumée, au-dessus de laquelle on passe la partie qu'on veut flamber ; cette flamme brûle un peu le poil.

Pour former le plumet on choisit de l'anglois non secrété, le plus long qu'on peut trouver ; on l'arçonne comme le reste ; on en fait à l'arçon les uns huit pieces, les autres douze. Ces pieces ont la même hauteur que les travers, & se placent au côté opposé, comme il est évident, mais elles n'ont pas la même forme ; ce sont des ovales formées de deux portions d'un cercle qui excéderoit d'un bon pouce la circonférence du chapeau, & elles sont chacune la huitieme ou la douzieme partie de cette circonférence. Il est à observer qu'elles sont toutes plus minces à la partie qui doit toucher la tête, qu'à celle qui doit déborder l'arrête ; on voit le jour à-travers de l'une, & non à travers de l'autre. En effet, il importe beaucoup davantage que le plumet soit fourni au bord du chapeau, qu'au fond vers la tête ; elles sont aussi plus fortes au centre qu'au bout des aîles : on en verra la raison plus bas. Voyez, figure 32. une piece de plumet ; elle est plus forte en c qu'en i & k, & plus forte en b qu'en h.

Les pieces se marchent seulement à la carte ; pour les faire prendre au chapeau préparé comme nous venons de dire, on a un grand chapeau de vigogne commun, qui n'a été que basti à la foule, ou un sac de toile neuve fait à-peu-près en cone, mais beaucoup plus grand que le chapeau qu'on travaille : que le dedans de ce sac soit garni de tamis de crin ; on place le chapeau dans cette chausse ou dans le vigogne ; on prend la brosse, on l'asperge ; on a une des pieces qu'on place sur le chapeau, de maniere que l'arrête en soit débordée d'un bon pouce ; on tape cette piece avec la brosse : si on se sert d'une chausse, il ne faut point de tamis : si on se sert d'un vigogne, on place des tamis sur la piece pour la séparer du vigogne ; on retourne cet appareil sens-dessus-dessous ; on ouvre le chapeau ; on place en-dedans des tamis, de peur que les bords inférieurs de la piece mise ne prennent avec les bords inférieurs de celle qu'on va mettre ; on ferme le chapeau ; on place une seconde piece ; on sépare cette seconde piece par des tamis du vigogne, si c'est d'un vigogne que l'on se sert ; on fait un pli à la tête, tel que celui de la figure 25. on continue de plier le reste en trois autres plis, dans la direction du premier pli 25 ; on prend les maniques, mais non le roulet ; on arrose avec la jatte, & on foule. Il faut dans ce travail que l'eau de la chaudiere soit moins chargée de lie ; on foule chaud & clos sur la tête & sur les côtés ; on examine ensuite si les deux pieces ont bien pris avec le reste de l'étoffe, ce dont on s'appercevra à une espece de grippure ou grenure qui se formera à la surface des pieces. Quand cela est, on ôte du dedans du chapeau les tamis qui empêchoient les bords des pieces de prendre ; puis on décroise, de maniere que ce qui étoit sur les côtés du cone soit dans le milieu, & que ce qui étoit dans le milieu soit sur les côtés ; & que les côtés du cone après le décroisement, partagent chacun chaque piece en deux parties égales, dont une qui est une des aîles d'une piece soit dessus, & l'autre partie ou aîle dessous ; & dont une qui est une des aîles de l'autre piece, soit pareillement dessus, & l'autre partie ou aîle dessous. On place alors deux autres pieces, comme on a placé les précédentes, les faisant déborder l'arrête du chapeau de la même quantité, leurs aîles sur les aîles des deux premieres ; d'où l'on voit combien il étoit raisonnable de faire à l'arçon ces aîles moins épaisses que le centre, puisque le chapeau doit être égal par-tout d'épaisseur, & que dans la fabrique, une aîle de piece se devoit cependant trouver placée sur l'aîle d'une autre piece ; ce qui ne pouvoit donner la même épaisseur, à moins que le centre de la piece ne fût à-peu-près deux fois plus épais que l'extrémité de son aîle. On met des tamis à ces deux pieces, & on les fait prendre comme les deux autres faisant un pli sur la tête & sur les côtés, foulant à la manique & sans roulet, mais chaud & clos, & arrosant avec la jatte.

Quand on s'est apperçu que ces deux secondes pieces sont prises, on ôte délicatement les tamis pour ne pas offenser les pieces, on décroise sur les points d'intersection des aîles des pieces, c'est-à-dire qu'on amene ces points dans le milieu ; & on en pose deux autres, l'une en-dessus & l'autre en-dessous, de maniere que leur petit axe passe chacun par les deux points d'intersection de deux aîles appliquées l'une sur l'autre ; on met les tamis, on foule fortement, on fait prendre ces deux nouvelles pieces ; & quand elles sont prises, on en place deux autres, après avoir décroisé de maniere que les deux dernieres prises soient amenées sur les côtés du cone, & divisées en deux parties égales par ces côtés, & que les deux qu'on va placer ayent les bouts de leurs aîles sur les bouts des aîles des deux dernieres placées. On suit cet ordre & cette manoeuvre jusqu'à ce qu'on en ait placé douze, deux à deux.

Quand toutes les pieces sont placées & prises, on leur donne encore dans la chausse ou le vigogne une couple de croisées réglées ; puis on retourne le chapeau, & l'on met en-dedans les pieces qui forment le plumet ; on foule chaud avec les maniques, mais sans roulet ; en tête & sur les côtés, mais non sur l'arrête, ce qui gâteroit le plumet, on continue des croisées jusqu'à ce que le cordon du plumet se dénoüe, c'est-à-dire jusqu'à ce que ce pouce excédent des pieces, ne prenant point de nourriture, se casse & vienne à se séparer du feutre. Quand le cordon est séparé, on examine si la séparation s'en est bien faite ; s'il en reste quelque parcelle, on l'arrache doucement avec des pincettes de foule. Puis on retourne le chapeau ; l'on remet le plumet en-dehors, & on le foule bien chaud & bien clos, à la manique & sans roulet. Quand à force de fouler & de travailler il ne reste plus rien du tout de l'excédent des pieces, on suppose que le chapeau est assez foulé ; on le retourne, on l'égoutte avec le roulet, mais doucement ; on le met en coquille, comme s'il étoit sans plumet ; on le pousse, on le met sur la forme, on le dresse, on le ficelle, on exécute tout ce qui suit l'opération, comme s'il étoit sans plumet, avec cette différence seule, qu'ensuite on le déficelle & qu'on le dresse deux fois. Après le second dressage, on le reficelle, on l'unit à la piece, on abat la ficelle, on acheve de l'unir, on l'arrose d'une jattée, on l'égoutte avec la piece, on prend un carrelet, & on peigne le plumet pour le démêler ; ce qui s'exécute singulierement : on tient le carrelet, on le pose sur le plumet en frappant, puis on n'en releve que la partie qui correspond au bas de la paume de la main : le bout du carrelet reste appliqué sur le plumet vers la tête, ses dents dans cette opération sont tournées du côté du talon de la main, & sa longueur est dans une ligne qui partiroit du centre de la forme pour aller au bord de l'arrête ; on tourne la forme sur elle-même à mesure qu'on peigne, & l'action du peigne est de démêler & dresser les poils du plumet : cela fait, on le porte à l'étuve, il y passe la nuit ; le lendemain on le ponce, sans toucher au plumet ; on l'arrondit : pour cet effet, on repousse avec la main legerement le plumet du côté de la tête, puis on rogne l'arrête tout-autour avec des ciseaux, le moins qu'on peut ; on repeigne le plumet sec, précisément comme la premiere fois quand il étoit mouillé ; on éleve à la hauteur de l'oeil, on regarde entre les poils du plumet s'il n'y en a point de noüés ; on sépare à la pincette ceux qui le sont, après quoi on le rend au maître, qui en marque à feu, avec un fer, le poids & la qualité, avec les premieres lettres de son nom, qui de relief sur le fer, viennent en creux sur le chapeau.

Les chapeaux vont maintenant passer dans l'attelier des Teinturiers ; mais avant que de les teindre, on les robe : rober un chapeau, c'est le frotter avec un morceau de peau de chien de mer qu'on tient entre les doigts, & qu'on appuie avec la paume de la main : pour rober la tête, on met le chapeau sur une forme plus haute, puis on le frotte sur les côtés de la tête, & ensuite sur le plat.

Quand les chapeaux sont robés, les Teinturiers s'en emparent & les assortissent. Assortir, c'est chercher entre les formes celle qui convient à chaque chapeau. Quand ils en ont assorti une certaine quantité, ils amassent & les chapeaux & les formes à côté d'une petite foule toute semblable à celle du Chapelier, qu'on appelle dégorgeage. Voyez Planche III. de Chapellerie, fig. 1. la foule de dégorgeage ; 1, 2, 3, 4, poteaux, dont on verra l'usage ; 5, entrée du dessous de la chaudiere ; 6, 7, bancs ; 8, cheminée. Elle est petite, à quatre seulement, & les bancs en sont plus plats. La chaudiere est pleine d'eau claire, on met le feu dessous ; quand elle est sur le point de bouillir, ils prennent les chapeaux par les aîles, & en trempent la tête avec la forme dans la chaudiere ; les retournent sur le banc de la foule, abattent les plis avec la main, font entrer la forme de leur mieux, mettent la ficelle à moitié de la forme, & abaissent cette ficelle avec l'avaloire, ou l'instrument de cuivre qu'on voit fig. 13. avec un manche de bois, & la tête terminée par deux rainures. La ficelle se loge dans ces rainures ; on ne se sert plus du grand côté ; les aîles de la rainure ne sont pas égales, l'une est un peu plus haute que l'autre ; c'est la haute qu'on applique contre la forme, & qu'on insere entre la ficelle & le chapeau. On n'avale pas la ficelle tout-à-fait jusqu'au bas de la forme ; il y a au côté de la foule de dégorgeage 4 billots, 1, 2, 3, 4, sur un desquels on frappe auparavant le plat de la forme, pour faire prêter le feutre & entrer la forme. On acheve d'avaler la ficelle ; on prend le chapeau par le bord, on le trempe dans la chaudiere ; on le piece, on en abat les bords à plat, on l'égoutte avec la piece, on le tire au carrelet en-dessus & en-dessous sans le sortir de dessus la forme : cette opération le rend velu ; alors il est prêt à entrer en teinture.

Voici maintenant la maniere dont on teint : au reste les maîtres varient entr'eux & sur la quantité relative des ingrédiens, & même sur les ingrédiens ; il ne faut donc pas s'imaginer que ce que nous allons dire soit d'un usage aussi général & aussi uniforme que ce que nous avons dit.

On teint un plus grand ou un plus petit nombre de chapeaux, suivant la capacité de la chaudiere ; on teint jusqu'à 240 chapeaux à-la-fois. On les prend au sortir de la foule de dégorgeage : on commence par remplir d'eau claire la chaudiere à teindre, qu'on voit fig. 2. Planc. III. de Chapellerie ; elle tient communément cinq demi-muids. Avant que de la faire chauffer, on y met toutes les drogues suivantes : 1°. cent livres de bois d'inde haché par petits copeaux ; 2°. douze livres ou environ de gomme du pays ; 3°. six livres de noix de galle : on fait bouillir le tout pendant la nuit, environ deux à trois heures ; après quoi on ajoute 4°. six livres ou environ de verdet ou verd-de-gris concassé ; 5°. dix livres de couperose : quand on met ces deux derniers ingrédiens, la chaudiere ne bout plus, elle est seulement chaude & sur son bouillon.

Immédiatement après l'addition, on prend des chapeaux, on en met cinquante à fond de la chaudiere rangés sur tête ; sur ceux ci, on place les autres forme contre forme par rangées, cinq rangées sur le devant, quatre sur le derriere ; le nombre tant de ceux du fond que des rangées, est de 120. On a des perches qu'on étend en-travers sur les formes ; on met des planches sur les extrémités de ces perches, & sur ces planches des billots, qu'on voit fig. 2. Planc. III. en a, b, dont le poids tient les chapeaux enfoncés dans la chaudiere ; on les y laisse une heure & demie sans les remuer ; au bout de ce tems on les releve, & on les disperse sur des planches où ils prennent leur évent. Pendant que ces 120 chapeaux prennent leur évent, on place dans la chaudiere les 120 autres, on les y arrange comme les premiers, on les y laisse le même tems, & on les releve. Avant que d'y faire rentrer ceux qui ont pris leur évent, on rafraîchit la chaudiere de quatre seaux de bois d'inde en copeaux. Remarquez qu'avant de lever les chapeaux, il faut jetter sur la chaudiere trois ou quatre seaux d'eau froide de riviere, pour écarter l'écume qui s'est amassée à la surface : on ajoûte aux quatre seaux de bois d'inde environ trois livres de verd-de-gris, & six livres de couperose ; après quoi on remet dans la chaudiere les 120 premiers chapeaux, pour une heure & demie. Au bout de ce tems, on jette sur la chaudiere trois ou quatre autres seaux d'eau ; on les releve ; on leur donne l'évent sur les planches, & on continue ainsi jusqu'à la quatrieme chaude, qu'on rafraîchit encore la cuve, mais les deux seaux seulement de bois d'inde & de quatre livres de couperose. On donne seize chaudes en tout, c'est huit chaudes & huit évents pour chaque 120 chapeaux.

Quand le teint est fait, on porte les 240 chapeaux au puits, & on les lave dans deux tonneaux d'eau claire, en les prenant l'un après l'autre, les humectant & les brossant ; après quoi on les relave. Quand ils sont relavés, on a une petite chaudiere qu'on appelle chaudiere à retirer ; on la remplit d'eau de riviere qu'on entretient bouillante ; on y met les chapeaux par trente, puis on les retire : les retirer, c'est les prendre par les bords, les manier, & les détirer fortement pour les abattre & les rendre plats. A mesure qu'on en tire une douzaine de la chaudiere à retirer, on en va prendre au puits douze autres qu'on y remet ; & ainsi de suite jusqu'à la fin.

Au sortir de la chaudiere à retirer, on les porte sur une table où on les retire encore, mais c'est pour les rendre velus ; & ce retirage se fait avec le carrelet, & fortement, & en-dessus & en-dessous. Le premier retirage s'appelle retirage à l'eau ; celui-ci s'appelle retirage à poil. Il ne faut guere que six heures pour retirer en cette sorte toute la teinture, tant à l'eau qu'à poil.

Quand les chapeaux ont été retirés à poil, on les porte aux étuves : il y a dans ces étuves un grand bassin rond scellé dans le sol, où l'on allume un brasier ; on y porte les 240 chapeaux par portion, on les y laisse quatre heures ; & à chaque fois qu'on sort & qu'on retire des chapeaux de l'étuve, on jette environ six boisseaux de charbon dans le bassin. Quand ils sont secs, on les met en tas hors des étuves, tête sur tête ; on les brosse à sec avec une brosse rude : cela s'appelle brosser la teinture. Quand ils sont brossés, on les lustre avec de l'eau claire ; puis on les remet aux étuves où ils passent la nuit ; le lendemain on les déforme, & on les rend au maître.

Le maître les remet aux apprêteurs ou approprieurs. L'apprêt est une espece de colle qui se compose de la maniere suivante : au reste, il en est encore de ceci comme de la teinture, chacun a sa composition dont il fait un secret même à son confrere. On prend de gomme du pays quatre à cinq livres, de colle de Flandres trois à quatre livres, de gomme arabique une demi-livre : on fait cuire le tout ensemble à grands bouillons pendant trois à quatre heures. Quand ce mélange est cuit, on le passe au tamis, & l'on s'en sert ensuite pour apprêter. Il y en a qui l'éclaircissent, à ce qu'on dit, avec l'amer de boeuf ; on lui donne la consistance de la bouillie avec l'eau chaude. Voyez fig. 3, 4, 5, 6, 7, l'attelier de l'apprêteur.

L'apprêteur est assis sur une chaise ; il a devant lui un bloc de bois, fig. 5. monté sur quatre piés, & percé dans le milieu d'un trou capable de recevoir la tête, & à côté de lui une pile de chapeaux à apprêter. Il en prend un, met la forme dans le trou 5 du bloc, prend dans sa chaudiere de l'apprêt avec un pinceau à longs poils, tâte son chapeau par-tout, donne un coup de pinceau aux endroits qui lui paroissent foibles, & passe ensuite son pinceau sur tout le reste de la surface du bord, observant de fortifier d'apprêt les endroits qu'il a marqués d'abord comme foibles, Comme l'apprêt ne laisse pas que d'être fluide, il en coule un peu dans la tête du chapeau : l'apprêteur a un pinceau sec avec lequel il ramasse & étend cet apprêt.

Le chapeau dans cet état passe dans les mains d'un autre ouvrier qui tient les bassins ; ces bassins ne sont autre chose que deux fourneaux 3, 3, qui ne different de ceux de cuisine qu'en ce que le foyer en est conique ; la grille est à l'extrémité du cone, & le cendrier est sous la grille. On allume du feu dans le cone ; on a une plaque de cuivre plus grande que la base du cone, qui sert d'entrée au fourneau ; on couvre cette entrée avec cette plaque qu'on tient élevée sur un cerceau qui borde l'ouverture, ou sur quatre morceaux de brique ; on étend sur cette plaque plusieurs doubles de grosse toile d'emballage ; on arrose cette toile d'eau avec un goupillon ; on prend son chapeau dont le bord est apprêté ; on trempe une brosse 6 dans de l'eau ; on frotte avec cette brosse à longs poils la circonférence du chapeau ; on lui fait faire un peu le chapiteau ; & on le pose sur la toile, le côté apprêté tourné vers elle. On le laisse un instant. Pendant cet instant, il y a un autre chapeau sur l'autre bassin ; on va de l'un à l'autre, les retournant à mesure que la vapeur s'éleve de la toile mouillée & les pénetre : cette buée transpire à-travers l'étoffe, emporte avec elle l'apprêt, & le répand uniformément dans le corps de l'étoffe, excepté peut-être aux endroits foibles où l'apprêt est un peu plus fort.

Ceux qui menent les bassins, ont aussi des blocs 4 dans le voisinage de leurs fourneaux ; à mesure qu'un chapeau a reçu assez de buée, & que l'apprêt a suffisamment transpiré, ils en mettent la forme dans le trou de ce bloc, & frottent rapidement avec un torchon le bord qui est encore tout chaud. Pour s'assûrer si l'apprêt est bien rentré, ils passent leur ongle sur la surface qui a été apprêtée ; si ce qu'ils enlevent est humide & aqueux, l'apprêt est bien rentré ; il ne l'est pas assez, si ce qu'ils enlevent est épais & gluant : alors ils le remettent aux bassins & le font suer une seconde fois. Les apprêts sont plus ou moins ingrats, & donnent plus ou moins de peine à l'ouvrier. Quand la buée a été trop forte, l'apprêt a été emporté à-travers l'étoffe avec tant de violence, qu'il paroît quelquefois plus du côté où il n'a pas été donné, que de celui où on l'a mis avec le pinceau. Nous observerons en passant que cette méchanique est assez délicate, & que ce n'étoit pas-là une des conditions les moins embarrassantes du problème que nous nous étions proposé.

Lorsque le chapeau est apprêté des bords : un autre ouvrier apprête le dedans de la tête, en l'enduisant d'apprêt avec un pinceau ; mais on ne le porte plus au bassin ; ce fond étant couvert, il n'est pas nécessaire de faire rentrer l'apprêt.

Quand ils sont entierement apprêtés, on les porte dans les étuves où on les fait sécher. Quand ils sont secs, on les abat avec un fer à repasser, qu'on voit Planc. III. fig. 8. qui a environ deux pouces d'épaisseur, cinq de largeur, & huit de longueur, avec une poignée, comme celui des blanchisseuses. On fait chauffer ce fer sur un fourneau, fig. 9. le dessus de ce fourneau est traversé de verges de fer qui soûtiennent le fer : on a devant soi un établi, on met le chapeau en forme, on prend la brosse à lustrer, on la mouille d'eau froide, on la passe sur un endroit du bord, & sur le champ on repasse cet endroit avec le fer, & ainsi de suite sur toute la surface du bord ; ce qui forme une nouvelle buée qui acheve d'adoucir l'étoffe. Après avoir repassé, on détire, on abat, & on continue la buée, le repassage, le détirage, & l'abatage sur les bords jusqu'à ce qu'ils soient tout-à-fait plats.

Cela fait, on met la tête du chapeau dans un bloc, on arrose la face du bord qui se présente avec la brosse, & on la repasse comme l'autre ; on applique le fer très-fortement, on y employe toute la force du bras, & même le poids du corps. Quand le chapeau est abattu du bord, on abat la tête pour cet effet, on en humecte legerement le dessus avec la lustre, & on y applique fortement le fer qu'on fait glisser par-tout ; on acheve la tête sur ses côtés de la même maniere. On prend ensuite le peloton, ou avec le talon de la main on appuie sur la tête ; on fait tourner la forme, & on couche circulairement tous les poils. Toute cette manoeuvre s'appelle passer en premier.

Le chapeau passé en premier est donné à une ouvriere qu'on appelle une éjarreuse : elle a une petite pince (fig. 10. Pl. III.) courbe, & large par le bout à-peu-près d'un pouce ; elle s'en sert pour arracher tous les poils qu'on appelle jarre. On éjarre quelquefois toute la surface du chapeau, plus ordinairement on n'éjarre que les côtés. Quand ils sont éjarrés, on les donne à garnir, c'est-à-dire à y mettre la coëffe, c'est une toile gommée ; elle est de deux parties, le tour & le fond ; le tour est le développement du cylindre de la forme, le fond est un morceau quarré ; on commence par bâtir ces deux morceaux ensemble, puis on l'ajuste dans le fond du chapeau ; on commence par ourler les bords de la coëffe, & les coudre aux bords de la tête du chapeau, de maniere que le point ne traverse pas l'étoffe du chapeau, mais soit pris dedans son épaisseur, puis on arrête le fond au fond de la tête par un bâti de fil. Quand il est garni, on finit de le repasser au fer : pour cet effet, on le mouille legerement avec la lustre ; on passe le fer chaud sur le bord ; on le brosse ensuite fortement ; on le repasse au fer ; on lui donne un coup de peloton. Il faut seulement observer qu'on ne mouille pas le dessus de l'aîle, l'humidité que le fer a fait transpirer du dessous est suffisante. C'est alors qu'on y met les portes, les agraffes, le bouton & la gance. Après quoi on le repasse en second avec la brosse rude, le fer & le peloton. On le met pour cela sur une forme haute ; on le brosse : on le presse avec le fer ; on le lustre avec la lustre, & on y trace des façons avec le peloton mouillé. On l'ôte de dessus la forme ; on le brosse encore avec la lustre mouillée tout-autour ; on y pratique des façons avec le peloton, & on le pend au plancher où l'on a attaché de petites planches traversées de chevilles, qui peuvent par conséquent soûtenir des chapeaux de l'un & de l'autre côté.

Voilà comment on acheve un chapeau ordinaire après la teinture : il y a quelque différence s'il est à plumet. On le lustre au sortir de la teinture, & on le traite comme les chapeaux communs, excepté qu'on prend la brosse seche, & qu'on la conduit de la forme à l'arrête, ce qui commence à démêler le poil ; puis on le porte aux étuves. Au sortir des étuves, on l'apprête comme les autres, on observe seulement de tenir le bloc très-propre. Quand il est sec, on le passe au fer en-dessous & en tête ; puis avec un carrelet qu'on tire de la tête à l'arrête, on acheve de démêler le plumet. Quand le plumet est bien démêlé, on le finit comme nous l'avons dit plus haut pour ceux qui n'ont point de plumet.

Voilà la maniere dont on fait l'étoffe appellée chapeau, & celle dont on fabrique un chapeau superfin à plumet. C'est la solution du problème que nous nous étions proposé. Si l'on se rappelle la multitude prodigieuse de petites précautions qu'il a fallu prendre pour arracher les poils, les couper, les arçonner, les préparer, pour les lier ensemble lorsque le souffle auroit pû les disperser, & leur donner plus de circonstance par le seul contact, que l'ourdissage n'en donne aux meilleures étoffes : si l'on se rappelle ce qui concerne l'arçonnage, les croisées, la foule, l'assemblage des grandes & petites capades, les travers, la teinture, l'apprêt, &c. on conviendra que ce problème méchanique n'étoit pas facile à résoudre. Aussi n'est-ce pas un seul homme qui l'a résolu ; ce sont les expériences d'une infinité d'hommes. Il y avoit, selon toute apparence, longtems qu'on faisoit des chapeaux & du chapeau, lorsqu'on imagina d'en faire des dorés. L'expression dorés est très-juste ; car en chapellerie comme en Dorure, elle marque l'art de couvrir une matiere commune d'une matiere précieuse.

Les castors dorés qui viennent après les superfins, se travaillent comme les superfins, à l'exclusion de ce qui concerne le plumet.

Les castors non dorés se travaillent comme les précédens, à l'exclusion de ce qui concerne les dorures.

Les demi-castors dorés se fabriquent comme les castors dorés ; la différence n'est ici que dans la matiere & le succès du travail. Voyez plus haut ce qui concerne la matiere. Quant au succès, outre qu'il fatigue quelquefois davantage, parce qu'il est plus ingrat à la rentrée, ce qui multiplie les croisées & la foule, on s'en tire encore avec moins de satisfaction, parce que quand on le bastit trop court, il est sujet à la grigne, défaut, qu'on reconnoît à l'étoffe, quand en passant le doigt dessus, & regardant, on y sent & voit comme un grain qui l'empêche d'être lisse ; & que quand il est basti trop grand & qu'il ne rentre pas assez, il peut être fatigué de croisées & de foule, & s'écailler. Les écailles sont des plaques larges qu'on apperçoit comme séparées les unes des autres ; dans la grigne l'étoffe n'est pas assez fondue, elle est brute ; dans l'écaille elle l'est trop, & commence à dégénérer.

Les demi-castors sans dorure, ou fins, n'ont rien de particulier dans leur travail.

Les croix se travaillent avec moins de précautions que les fins ; cependant ils demandent quelquefois plus de tems, donnent plus de fatigue, & sont moins payés. La différence des matieres occasionne seule ces inconvéniens. Les communs se fabriquent comme les précédens.

Les laines se font à deux capades, & un travers qu'on met sur le défaut des capades ; quant à l'étoupage, il se fait en-dedans & en-dehors : au reste, quelqu'épaisseur qu'on donne à la laine arçonnée & bastie, on voit néanmoins le jour au-travers, le chapeau fût-il de douze à quatorze onces. Ce sont ces jours plus ou moins grands qui dirigent en étoupant ; il faut qu'ils soient les mêmes sur toute une circonférence, & qu'ils augmentent par des degrés insensibles depuis le lien jusqu'à l'arrête. On donne le nom de lien à l'endroit où le travers est uni à la tête ; & on étoupe par-tout où les jours ne paroissent pas suivre l'augmentation réglée par la distance au lien, mais aller trop en croissant. Pour étouper, on a deux fourches ou brins de balais, qui tiennent les bords relevés pendant cette manoeuvre. Au lieu de tamis, on se sert de morceaux de toile ; le lambeau est aussi de toile ; le bastissage s'en fait à feu. Une autre précaution qui a même lieu pour tout autre chapeau, c'est de ne pas trop mouiller la feutriere ; cela pourroit faire bourser l'ouvrage. Bourser se dit des capades, lorsqu'étant placées les unes sur les autres, elles ne prennent pas par-tout. En effet, les endroits non pris forment des especes de bourses. Les plumets sont particulierement sujets à ce défaut, surtout quand le travail des premieres pieces est vicieux. Les laines ne se bastissent pas à la foule, mais au bassin ; & avant que de fouler on fait des paquets de bastis qu'on met bouillir dans de l'urine ou de l'eau chaude, cela les dispose à rentrer. Au sortir de ce bouillon, on les foule à la manique très-rudement & sans précaution. Au lieu du roulet de bois qu'on prend sur la fin de la foule, on se sert d'un roulet de fer à quatre ou six pans ; on les dresse comme les autres, mais on ne les ponce point : le reste du travail est à l'ordinaire.

Les superfins à plumet se payent 5 liv. de façon ; les superfins dorés de dix onces, mais sans carder, 2 liv. 15 s. les superfins dorés & cardés de dix onces, 2 liv. 10 s. au-dessous de dix onces, 2 liv. 5 s. les superfins sans dorure 2 liv. les castors ordinaires dorés 1 liv. 15 s. les mêmes non dorés 1 liv. 10 s. les demi-castors dorés 1 liv. 5 s. les demi-castors sans dorure 1 liv. les autres 1 liv.

Il ne nous reste plus qu'un mot à dire des chapeaux blancs ; ils demandent à être épincetés plus exactement, jusqu'à la teinture exclusivement on les travaille comme les autres. Il est à-propos d'avoir pour eux une foule de dégorgeage à part ; la raison en est évidente ; au défaut de cette foule on se sert de celle de compagnons. On les dégorge bien à l'eau claire ; quand ils sont dégorgés, on les porte dans une étuve particuliere qu'on appelle l'étuve au blanc ; on les apprête avec la gomme la plus legere & la plus blanche ; c'est un mélange de gomme arabique & de colle foible. Cet apprêt se fait à part, après quoi on les abat au fer ; quelques maîtres les passent auparavant à l'eau de savon, avec une brosse à lustrer ; cette eau doit être chaude. On les fait égoutter & sécher ; on les passe au fer en premier ; puis au son sec, dont on les frotte par-tout ; le reste s'acheve à l'ordinaire.

On repasse les vieux chapeaux ; ce repassage consiste à les remettre à la teinture & à l'apprêt, & à leur donner les mêmes façons qu'on donne aux chapeaux neufs après l'apprêt.

On ne teint jamais sur le vieux que des laines, de vieux chapeaux, ou des chapeaux de troupes. Le bois d'Inde se brûle au sortir de la chaudiere, & le noir se vend aux teinturiers en bas.

Les chapeaux dont nous venons de donner la fabrique ne sont pas les seuls d'usage ; on en fait de crin, de paille, de canne, de jonc, &c. Les aîles en sont très grandes, & ils ne se portent guere qu'à la campagne dans les tems chauds. Ceux de paille & de canne se nattent. Voyez NATTES. Ceux de crin s'ourdissent ; ils sont rares. Voyez CRIN.

Voici maintenant les principaux réglemens sur la fabrique des chapeaux, tels qu'on les trouve p. 339. du recueil des réglemens gen. & part. pour les manuf. & fabriq. du royaume, vol. I.

Le roi avoit ordonné d'abord qu'il ne fût fait que de deux sortes de chapeaux, ou castor pur, ou laine pure ; mais cette ordonnance ayant eu des suites préjudiciables, elle fut modifiée, & il fut permis de fabriquer des chapeaux de différentes qualités. Il fut enjoint 1°. que les castors seroient effectivement purs castors : 2°. que les demi-castors seroient de laine de vigogne seulement & de castor : 3°. qu'on pourroit employer les poils de lapin, de chameau, & autres, mêlés avec le vigogne ; mais non le poil de lievre, que les réglemens proscrivirent dans la fabrique de quelque chapeau que ce fût : 4°. qu'on pourroit mêler le vigogne & les poils susdits avec le castor, en telle quantité qu'on voudroit : 5°. qu'à cet effet le castor & les autres matieres seroient mêlés & cardés ensemble, ensorte qu'il n'y eût aucune dorure de castor : 6°. que la qualité du chapeau seroit marquée sur le cordon, d'un C pour le castor, d'un C D pour le demi-castor, d'une M pour les mélangés, & d'une L pour les laines : 7°. que les ouvriers ayant fabriqué, & les maîtres ayant fait fabriquer des chapeaux dorés, seroient punis, ainsi que les cardeurs, coupeurs, & arracheurs, chez qui on trouveroit peau ou poil de lievre : 8°. que pour l'exécution de ces nouveaux réglemens, il seroit fait dans les boutiques & ouvroirs de Chapellerie, des visites par ceux à qui le lieutenant de police en commettroit le soin.

On voit, par ce que nous avons dit ci-dessus de la fabrique des chapeaux, & par l'extrait que nous venons de donner des réglemens, qu'il s'en manque beaucoup que ces réglemens soient en vigueur.

On pense que les chapeaux ne sont en usage que depuis le quinzieme siecle. Le chapeau avec lequel le roi Charles VII. fit son entrée publique à Roüen l'année 1449, est un des premiers chapeaux dont il soit fait mention dans l'histoire. Ce fut sous le regne de ce prince que les chapeaux succéderent aux chaperons & aux capuchons ; & ils firent dans leur tems presqu'autant de bruit que les paniers & les robes sans ceinture en ont fait dans le nôtre. Ils furent défendus aux ecclésiastiques sous des peines très-grieves. Mais lorsqu'on proscrivoit, pour ainsi dire, en France les têtes ecclésiastiques qui osoient se couvrir d'un chapeau, il y avoit deux cent ans qu'on en portoit impunément en Angleterre. Le pere Lobineau dit qu'un évêque de Dole, plein de zele pour le bon ordre & contre les chapeaux, n'en permit l'usage qu'aux chanoines, & voulut que l'office divin fût suspendu à la premiere tête coëffée d'un chapeau qui paroîtroit dans l'église. Il semble cependant que ces chapeaux si scandaleux n'étoient que des especes de bonnets dont les bonnets quarrés de nos ecclésiastiques sont descendus en ligne directe.

La forme du chapeau vêtement, la partie qu'il couvre, sa fonction, &c. ont fait employer par métaphore le nom de chapeau en un grand nombre d'occasions différentes, dont on va donner les principales ci-dessous.

CHAPEAU, terme d'Architecture, c'est la derniere piece qui termine un pan de bois, & qui porte un chamfrain pour le couronner & recevoir une corniche de plâtre. (P)

CHAPEAU de lucarne ; c'est une piece de bois qui fait la fermeture supérieure d'une lucarne, & est assemblée sur les poteaux montans. (P)

CHAPEAU d'étaie, piece de bois horisontale, qu'on met en-haut d'une ou plusieurs étaies. (P)

* CHAPEAU. On donne ce nom dans certains bâtis de charpente à un assemblage de trois pieces de bois, dont deux posées verticalement & emmortoisées avec une troisieme sur ses extrémités, tiennent cette troisieme horisontale. Voyez un pareil assemblage, Planche II. des ardoises, premiere vignette dans l'engin en M M L L. Voyez à l'article ARDOISE la description de cet engin.

CHAPEAU, (Hydraulique) est une piece de bois attachée avec des chevilles de fer sur les couronnes d'un fil de pieux, soit dans un bâtardeau, ou dans une chaussée. (K)

CHAPEAU, (Tireur d'or) est une espece de bobine sur laquelle les Tireurs d'or roulent l'or avant que d'être dégrossi. On l'appelle ainsi parce qu'elle a effectivement beaucoup de ressemblance avec un chapeau dont les bords seroient abattus.

CHAPEAU A SAUTERELLE, (Pêche) voyez GRENADIERE.

CHAPEAU, (Commerce) mesure de dix tonnes (voyez TONNE) sur laquelle on évalue en Hollande les droits d'entrée & de sortie du tan ; mesure de quinze viertels d'Anvers (voyez VIERTELS), sur laquelle on mesure les grains à Delft.

CHAPEAU, se dit du marc qui reste au fond des alembics, après certaines distillations de végétaux, telle que celle des roses.

CHAPEAU ; c'est un présent, ou plus souvent une espece d'exaction qui a lieu dans certains commerces, au-delà des conventions. Ainsi un maître de navire demande tant pour le fret, & tant pour son chapeau.

CHAPEAU ou CHAPEL DE ROSES, (Jurisprud.) est un leger don que le pere fait à sa fille en la mariant, pour lui tenir lieu de ce qui lui reviendroit pour sa part & portion. On a voulu par ce nom faire allusion à cette guirlande ou petite couronne de fleurs, qu'on appelle aussi le chapeau de roses, que les filles portent sur la tête lorsqu'elles vont à l'église pour y recevoir la bénédiction nuptiale. Anciennement ces guirlandes ou guarlandes étoient quelquefois d'or & quelquefois d'argent, comme on le peut voir dans certaines coûtumes locales d'Auvergne, entr'autres dans celles d'Yssat & de la Torrecte, où il est dit que la femme survivante gagne une guarlande d'argent, &c. La coûtume locale de la châtellenie de Proussat dit que la femme survivante recouvre ses lit, robes & joyaux, ensemble une guarlande ou chapel à l'estimation du lit nuptial. Les coûtumes d'Anjou, de Tours, Lodunois & Maine, parlent du chapeau de roses comme d'un leger don de mariage fait à la fille en la mariant. Dupineau, dans ses observations sur la coûtume d'Anjou, p. 22. col. j. remarque que dans les anciens coûtumiers d'Anjou & du Maine, au lieu de chapel de roses, il y a une noix. Dans l'ancienne coûtume de Normandie, les filles n'avoient aussi pour toute légitime qu'un chapeau de roses ; mais par la nouvelle coûtume elles peuvent demander mariage avenant, c'est-à-dire le tiers de tous les biens des successions de leurs pere & mere. Voyez MARIAGE AVENANT.

Dans quelques coûtumes, telles que celles de Tours & d'Auvergne, la fille mariée par ses pere & mere, ne fût-ce qu'avec un chapeau de roses, ne peut plus venir à leur succession.

La même chose a lieu entre nobles dans les coûtumes de Touraine, Anjou & Maine.

On peut cependant rappeller à la succession par forme de legs la fille ainsi mariée. Voyez la coûtume de Normandie, art. 258 & 259. Renusson, tr. des propres, ch. ij. sect. 8. n. 19. & 20.

Sur le chapeau de roses, voyez Bald. lib. 6. consil. cap. v. in princip. Mos. Majemon, de jejunio, cap. v. n. 13. Ducange, gloss. verbo corona, & in graeco, verbo . (A)

CHAPEAU, (Musique) c'est le nom que plusieurs donnent à ce trait circulaire dont on couvre deux ou plusieurs notes, & qu'on appelle plus communément liaison. Voyez LIAISON. (S)

CHAPEAU, (Blason) se prend quelquefois pour le bonnet ou pour la couronne armée d'hermine que portent les ducs, &c.

Le cimier se porte sur le chapeau, & le chapeau sépare le cimier de l'écu, parce que dans le blason c'est une regle que le cimier ne touche jamais immédiatement l'écu. Voyez CIMIER, &c.


CHAPELAIN(Jurisprud.) est celui qui est pourvû d'une chapelle ou chapellenie formant un titre de bénéfice. On appelle aussi chapelain celui qui dessert une chapelle particuliere, soit domestique soit dans quelque église. Enfin il y a dans plusieurs églises cathédrales & collégiales des chapelains ou clercs, qui sont destinés à aider au service divin : ces chapelains sont ordinairement en titre de bénéfice.

Les chapelains des cathédrales & collégiales doivent porter honneur & respect aux chanoines : ordinairement ils n'ont point d'entrée ni de voix au chapitre, & ne peuvent prétendre à tous les honneurs qui sont déférés aux chanoines. Les distinctions qui s'observent entr'eux dépendent de l'usage de chaque église, de même que les distributions auxquelles les chapelains doivent participer. Les chanoines doivent aussi les traiter avec douceur, comme des aides qui leur sont donnés pour le service divin, & non comme des serviteurs. Sur les chapelains, voyez Pinson, de divisione benefic. § 27. Lucius, liv. I. tit. v. art. 4. Biblioth. canon. tome I. p. 220. & 676.

Les chapelains du roi joüissent de plusieurs priviléges ; entr'autres ils sont dispensés de la résidence, & perçoivent les fruits de leurs prébendes pendant le tems de leur service. Mém. du clergé, édit. de 1716. tome II. p. 1007. & suiv. Voyez aussi sur ces chapelains la déclaration du 10 Décemb. 1549. L'édit du mois d'Av. 1554. Les lett. pat. du mois de Janv. 1567 registrées le 15 Mars suiv. La déclaration du 10 Août 1570. celle du 6 Mars 1577. Voyez aussi Vinci Turtureti Madriti, bibliot. La bibliot. canon. p. 219. Dutillet, des grands de France. Bibliot. du droit franç. par Bouchel, lett. C, au mot chapelain, & l'article CHANTRE. L'hist. ecclés. de la chapelle des rois de France, par l'abbé Archon. Tournet, lett. T, arrêt 5. Chopin, de doman. lib. III. tit. xiij. n. 11. (A)

Il y a huit chapelains du roi servant par quartier. Le Roi, la Reine, madame la Dauphine, les princes & princesses du sang, ont aussi leurs chapelains. Ce titre est en usage chez tous les princes & seigneurs catholiques qui ne connoissent pas ce que nous appellons en France aumônier ; ils ne connoissent que les chapelains, soit qu'ils résident à la cour, soit qu'ils suivent les armées. Il est même en usage parmi les protestans : le roi d'Angleterre a ses chapelains, comme on le verra plus bas, & son archichapelain, qui tient lieu de ce que nous appellons en France grand-aumônier.

L'ordre de Malte a aussi ses chapelains, mais qui different de ceux à qui nous donnons communément ce nom.

Les chapelains à Malte sont les ecclésiastiques reçus dans cet ordre. Il y en a de deux sortes, les uns sont in sacris, & les autres non, & se nomment chapelains diacots : ils n'entrent point au conseil de l'ordre, à moins qu'ils ne soient évêques ou prieurs de l'église, décorés de la grand-croix.

En général les chapelains ont toûjours le pas après les chevaliers simplement laïcs ; ils ont néanmoins des commanderies qui leur sont affectées, chacun dans leur langue.

On appelle aussi chapelain un prêtre qui vient dire ordinairement la messe dans les maisons des princes & des particuliers. (a)

Le roi d'Angleterre a quarante-huit chapelains, dont quatre servent & prêchent chaque mois dans la chapelle, & font le service pour la maison du roi, & pour le roi dans son oratoire privé : ils disent aussi les graces dans l'absence du clerc du cabinet.

Lorsqu'ils sont de service, ils ont une table, mais sans appointemens.

Les premiers chapelains n'ont été, à ce que l'on prétend, que ceux que nos rois avoient institués pour garder la chape & les autres reliques de S. Martin, qu'ils conservoient précieusement dans leur palais, & qu'ils portoient avec eux à l'armée : mais cette origine est fort incertaine, & je la donne comme telle.

Le titre de chapelain a été porté postérieurement par les notaires, secrétaires, & chanceliers ; on a même appellé la chancellerie chapelle royale. On croit que le premier chapelain qu'il y ait eu a été Guillaume Demême, chapelain de S. Louis.

CHAPELAIN. Si quelqu'un a des chapelains, on doit croire que c'est le pape ; mais ils ont une autre origine que les précédens : ils étoient ainsi nommés parce qu'ils assistoient le pape dans les audiences qu'il donnoit dans sa chapelle, ou qu'il étoit consulté pour donner sa décision sur les doutes & difficultés qui étoient portés à Rome.

Le pape y appelloit pour assesseurs les plus savans légistes du tems, qui pour cela étoient appellés ses chapelains.

C'est des decrets qu'ils ont donnés autrefois qu'est composé le corps des decrétales : ils ont été réduits au nombre de douze par Sixte IV. Voyez DECRETALES & DROIT CANONIQUE.

Cependant le pape ne laisse pas d'avoir, comme les autres princes, des chapelains, dont la fonction est de faire l'office, c'est-à-dire de dire la messe devant le pape ; & pour cela le saint-pere a quatre chapelains secrets, & huit chapelains ordinaires. Ce sont des charges à vie, mais qui ne laissent pas de s'acheter.

On doit croire aussi que nos rois, comme princes très-religieux, ont aussi leurs chapelains, dont la fonction est de dire la messe devant le roi. Il y a pour Sa Majesté un chapelain ordinaire, & huit chapelains servant deux par quartier. Le chapelain ordinaire est de tous les quartiers, mais il ne fait sa fonction que par l'absence ou incommodité du chapelain de quartier. Anciennement on les appelloit chapelains de l'oratoire, parce qu'ordinairement nos rois entendoient la messe dans leur oratoire particulier : mais depuis Louis XIII. ils entendent la messe publiquement dans la chapelle de leur château. Dans les jours solemnels il y a des chapelains de la chapelle-musique qui la célebrent. La reine a pareillement ses chapelains, mais en moindre nombre, aussi-bien que madame la Dauphine & Mesdames. (a)


CHAPELERv. act. (Boulang.) c'est enlever avec un couteau la surface de la croûte du pain ; ce qui se fait sur une table & avec un couteau, semblable à la table & au couteau à dépecer le suif des Chandeliers. Voyez l'article CHANDELLE. On chapelle le pain, afin que quand on le trempe dans quelque liquide, comme le caffé, il s'en imbibe plus facilement. La partie de croûte enlevée s'appelle chapelure. Le Boulanger la vend au litron aux particuliers, qui en mettent dans leurs potages, & aux Cuisiniers, qui se servent de la plus menue pour épaissir leurs sauces, & sur-tout pour donner de la couleur à celles qu'ils appellent roux. Voyez ROUX.


CHAPELETS. m. (Hist. ecclés.) on donne parmi les chrétiens ce nom à plusieurs grains enfilés qui servent à compter le nombre des Pater & des Ave que l'on dit en l'honneur de Dieu & de la sainte Vierge. On les appelle aussi patenôtres (Voyez PATENOTRES), & patenôtriers les ouvriers qui les font.

Il y a des chapelets de corail, d'ambre, de coco, & d'autres matieres plus précieuses.

Ménage fait venir ce mot chapelet de chapeau, à cause de la ressemblance qu'il trouve entre le chapelet & un chapeau de roses ; ressemblance qui ne frappera certainement pas tout le monde comme elle avoit frappé Ménage. Dans la basse latinité on l'appelle capellina, & les Italiens le nomment encore corona. On lui donna aussi le nom de rosaire : mais le rosaire proprement dit est un chapelet de quinze dixaines de grains ; nombre qu'on a diminué dans les chapelets ordinaires.

Cet usage de réciter le chapelet n'est pas fort ancien : Larrey & le ministre Viret en rapportent l'origine à Pierre l'Hermite, personnage fameux dans l'histoire des croisades, & qui vivoit sur la fin du onzieme siecle. On sait que S. Dominique a été l'instituteur du rosaire. Voyez ROSAIRE.

Il y a aussi un chapelet du Sauveur, qui consiste en trente-trois grains, en l'honneur des trente-trois ans que Notre Seigneur a vécu sur la terre. Il a été imaginé par le pere Michel, de l'ordre des Camaldules.

Les Orientaux ont aussi des especes de chapelets qu'ils appellent chaînes, sur lesquels ils récitent les noms des perfections de Dieu. Le grand-mogol, dit-on, porte jusqu'à dix-huit de ces chaînes, les unes de gros diamans, les autres de perles, de rubis, & autres pierres précieuses. (G)

CHAPELET DES TURCS, (Hist. mod.) Il ne faut pas croire que les Catholiques soient les seuls qui se servent du chapelet dans quelques-unes de leurs prieres particulieres ; les Turcs en ont pareillement, mais différens de ceux des Chrétiens. Le chevalier de la Magdelaine, qui a été long-tems leur esclave, marque que ce chapelet, qu'ils ont toûjours ou le plus souvent, est composé de quatre-vingt-dix-neuf grains, sur lequel ils disent : Alla bismilla, ethemdail illa : Alla hecher ; ce qui veut dire, le nom de Dieu soit loüé à jamais ; Dieu est tout-puissant. Voyez le miroir de l'Empire ottoman, imprimé à Bâle en 1677. Je sais que le pere Dandini jésuite, dans son voyage du Levant, rapporte les paroles un peu différemment ; mais le sens en est le même que de celles qui viennent d'être marquées. Ce pere dit même qu'aux quatre-vingt-dix-neuf grains les Turcs en ont ajoûté un centieme ; mais un grain de plus ou de moins dans un chapelet turc, ne doit point être un sujet de dispute. Je ne puis m'empêcher, au sujet de ce chapelet, de marquer deux singularités : le Titien, dans son admirable tableau des pelerins d'Emmaüs, s'est avisé de mettre un chapelet à la ceinture de l'un d'eux ; & Raphaël, dans un tableau de S. Jean qui prêche au desert, donne un chapelet au saint précurseur : je ne crois pas néanmoins que ç'ait été ni que ce soit l'usage des Juifs de se servir de chapelet pour les faire souvenir de prier Dieu. (a)

CHAPELET, (Jurispr.) est un signe particulier de justice, que les seigneurs des comtés & baronies ont droit de faire mettre aux fourches patibulaires de leur seigneurie. La coûtume d'Angoumois, ch. j. art. 4. dit que le seigneur châtelain peut avoir fourches patibulaires à quatre piliers ; mais qu'en ces fourches il ne peut avoir chapelet, ce que toutefois peut avoir le baron. Voyez Vigier, sur l'article 1. de cette coûtume. (A)

CHAPELET, (Architect.) genre d'ornement en forme de patenôtres sphériques ou elliptiques rallongées que l'on taille ordinairement sur les baguettes des architraves (Voyez ARCHITRAVE), lorsque les entablemens ont leurs moulures enrichies d'ornemens, ainsi que se voyent celles de la cour du vieux Louvre, des Tuileries, &c. (P)

CHAPELET, en terme de Fonderie, est un morceau de fer rond & plat armé de trois tenons, que l'on met à l'extrémité de l'ame d'une piece de canon, lorsqu'on en fait le moule pour assembler la piece avec la masse. Voyez FONDERIE.

CHAPELET, (Hydr.) se dit d'une pompe qui va par le moyen d'une chaîne sans fin garnie de godets ou de clapets qui trempent dans l'eau d'un puits & se remplissent, avant que d'entrer dans un tuyau creux d'où ils sortent par l'autre bout, & se vuident dans le reservoir. Comme il est nécessaire que ces clapets ou godets entrent un peu juste dans le tuyau montant, il se fait plus de frottement dans ces pompes que dans toutes les autres. Cette chaîne doit être écartée dans son chemin, & pour entrer perpendiculairement dans le tuyau montant, & pour se vuider dans le reservoir. Il faut qu'elle tourne & s'accroche sur deux hérissons ou roüets à crocs placés à ses extrémités : son mouvement doit être plus accéléré qu'aux autres pompes, pour ne pas donner le tems à l'eau de descendre.

Cette pompe, ainsi que la vis d'Archimede, n'est propre qu'à dessécher des marais, ou des lieux destinés à bâtir ; rarement s'en sert-on dans les eaux jaillissantes. On verra plusieurs de ces machines exécutées dans nos Planches. (K)

CHAPELET, terme de Manege ; paire d'étrivieres garnies de leurs étriers, & ajustés au point du cavalier qui les attache au pommeau de la selle par une espece de boucle de cuir qui les joint en-haut, & qu'on appelle la tête du chapelet : cela le dispense de les rallonger ou de les raccourcir quand il veut changer de cheval. (V)

CHAPELET, (Jardin.) est une continuité de plusieurs desseins qui s'enfilent l'un l'autre, telles que sont plusieurs salles dans un bosquet.

On le dit encore dans un parterre, lorsque plusieurs petits ronds appellés puits se suivent, & quoique détachés, forment une espece de palmette ou de chaîne imitant les olives, les grelots, ou les grains d'un chapelet. (K)

CHAPELET, machine d'opéra ; on appelle ainsi plusieurs petits chassis de formes différentes, peints en nuages, & enfilés à des cordes les uns après les autres, qu'on descend ou remonte par le moyen du contrepoids. Cette machine est fort simple, & fait illusion.

Le moment où elle remonte, & où elle est prête à se perdre dans les plafonds, est celui où elle paroît le plus agréable. Lorsque la nuit fait place à l'aurore naissante dans le prologue de Zaïs, la machine qui s'éleve insensiblement & qui remonte, est composée de quatre chapelets de nuages.

Cette machine pourroit être fort utile à l'opéra, si elle y étoit employée avec soin, & qu'on eût surtout attention à la façon de peindre les différens petits chassis dont elle est composée. Voyez CHAR. (B)

CHAPELET, fiche à chapelet, (Serrurerie) Voyez FICHE.

CHAPELET, (Distillat.) petit cercle de mousse qui paroît à la surface de l'eau-de-vie quand on la verse, diminue à mesure que l'eau-de-vie séjourne dans le verre, disparoît assez promtement, & marque l'excellence de cette liqueur.


CHAPELIERS. m. (Art méchan.) ce terme a deux acceptions : 1°. il se dit de celui qui a le droit de faire fabriquer, de fabriquer & de vendre des chapeaux, en qualité de membre de la communauté des Chapeliers. Cette communauté date son origine de 1578. Elle est gouvernée par quatre jurés, dont le premier a été pris dans le nombre des anciens jurés, & s'appelle grand-garde, & les trois autres, entre les maîtres de dix ans de réception. Ils n'ont chacun que deux ans d'exercice. Pour être admis à la maîtrise, il faut avoir fait cinq ans d'apprentissage, quatre ans de compagnonage, & chef-d'oeuvre. Il n'y a que les fils de maîtres qui soient exempts de ces épreuves. Ce corps est divisé en marchands & en fabriquans ; les marchands, en marchands en neuf, & marchands en vieux ; & les fabriquans, en Chapeliers proprement dits, & en teinturiers. Les arracheurs, les coupeurs, les apprêteurs, & autres dont il est fait mention à l'article CHAPEAU, sont des ouvriers attachés à la fabrique des chapeaux, & soûmis aux visites des jurés Chapeliers. Voyez à l'article CHAPEAU, sur la fin, l'abregé des réglemens. Chapelier se dit 2°. d'un ouvrier, même compagnon, qui fabrique le chapeau.


CHAPELLEsub. f. terme d'Architect. on entend sous ce nom la partie d'une église consacrée à quelque dévotion particuliere, telles que sont dans nos paroisses les chapelles de la Vierge, &c. décorées avec magnificence, comme celle de S. Sulpice à Paris ; ou dans un palais, un lieu avec un autel où l'on dit la messe ; ou enfin dans un hôtel, une piece destinée à cet usage. Il faut tâcher, autant qu'il est possible, de l'éloigner des appartemens de société, des enfilades principales, & des pieces destinées aux domestiques.

L'on voit en France de ces dernieres placées avec trop de négligence, contre toute idée de bienséance. Dans le nombre de celles qui méritent quelque considération, & qui font partie de la magnificence de nos palais, celles du château de Fresne, de Choisi, & de Sceaux, tiennent le premier rang après celles de Versailles & de Fontainebleau, &c.

Il faut éviter de placer ces chapelles dans des lieux trop écartés ; mais aussi il convient de ne pas faire parade dans l'extérieur, de l'usage intérieur de ces sortes de pieces, comme au Luxembourg à Paris ; du moins il faut se garder, comme on a fait dans ce palais, de le désigner par des symboles relatifs au Christianisme, qui se trouvant confondus avec des ornemens profanes, présentent un ensemble contraire à l'ordonnance qui doit régner dans un édifice de cette espece. (P)

CHAPELLE, (Jurispr.) ce terme a différentes significations, même en matiere ecclésiastique.

Il signifie quelquefois une église particuliere, qui n'est ni cathédrale, ni collégiale, ni paroisse, ni abbaye, ni prieuré : ces sortes de chapelles sont celles que les canonistes appellent sub dio, c'est-à-dire qui sont détachées & séparées de toute autre église.

On appelle aussi chapelle, une partie d'une grande église, soit cathédrale ou collégiale, ou autre, dans laquelle il y a un autel, & où l'on dit la messe. Les canonistes appellent celles-ci des chapelles sub tecto, c'est-à-dire renfermées sous le toit d'une plus grande église. En françois on les appelle ordinairement chapellenies, pour les distinguer des chapelles proprement dites, qui forment seules une église particuliere.

Il y a aussi des chapelles domestiques dans l'intérieur des monasteres, hôpitaux, communautés, dans les palais des princes, châteaux, & autres maisons particulieres ; celles-ci ne sont proprement que des oratoires privés, même celles pour lesquelles on a obtenu permission d'y faire dire la messe. Le canon 21. du concile d'Agde, tenu en 506, permet aux particuliers d'avoir des chapelles dans leurs maisons, avec défenses aux clercs d'y célébrer sans la permission de l'évêque.

Le terme de chapelle se prend encore pour le bénéfice fondé ou attaché à la chapelle : on donne cependant aussi à un tel bénéfice le nom de chapellenie.

Pour posséder une chapelle ou chapellenie formant un titre de bénéfice, il suffit, suivant le droit commun, d'avoir sept ans, & d'avoir la tonsure, à moins que la chapelle ne soit sacerdotale à fundatione, auquel cas il faut avoir vingt-cinq ans commencés, & les autres qualités requises : mais il faut observer que l'obligation de faire célébrer des messes ne rend pas seule une chapelle sacerdotale, parce que le chapelain les peut faire acquiter par un autre. Voyez BENEFICE.

Une chapelle n'est point régulierement réputée bénéfice, si on ne rapporte le titre d'érection faite par l'évêque. Fevret, liv. III. ch. j. n. 2. & Cabassut, liv. II. tit. j. n. 2. Néanmoins comme un titre ancien d'érection peut être perdu, il suffit, suivant Guypape, décis. 187. que la chapelle ait été conférée trois fois par l'évêque en titre de bénéfice. Ferrérius, sur Guypape, prétend même qu'une seule collation suffit ; ce qui paroît avoir été adopté par un arrêt du parlement de Mets, du 4 Mars 1694. Augeard, tome I. ch. xxxiij.

Une chapelle ou chapellenie en titre est différente d'une simple prestimonie, ou commission qui est donnée à un prêtre pour acquiter habituellement des messes dans une chapelle. Voyez PRESTIMONIE.

Une chapelle étant en patronage mixte, ne peut être résignée sans le consentement des patrons mixtes. Arrêt du 27 Mai 1671. Journ. des aud.

Deux chapelles sub eodem tecto, ne peuvent être tenues par une même personne, quelque moderne qu'en soit le revenu. Arrêt du 3 Août 1658. Desmaisons, au mot chapelle, p. 59.

Sur les chapelles des religieux, voyez les décrétales, liv III. tit. xxxvij. Et in sexto, liv. III. tit. xviij. Sur les autres chapelles domestiques, voyez la novel. 58. Les novelles 4. & 15. de Léon Pinson, tit. de fundatione ecclesiarum. Francis. Marc. tome I. qu. 1007. & 1001. La bibliot. canon. tome I. p. 218. & tome II. p. 397. Tournet, lett. C. quest. 25. Praxis beneficior. cap. xx. n. 27. Journ. des aud. tome I. liv. I. ch. xlviij. & lxxj. Bardet, tome I. liv. II. ch. lx.

On appelle saintes chapelles celles qui sont établies dans les palais des rois, comme la sainte chapelle de Paris, celles de Dijon, de Bourges, & autres semblables. Sur les priviléges de ces saintes chapelles, voyez les réglemens indiqués dans le diction. des arrêts, au mot chapelle, n. 13. (A)

CHAPELLE, (droit de) Jurispr. est une rétribution en argent que les magistrats, avocats, procureurs, & autres officiers payent lors de leur réception, pour l'entretien de la chapelle commune qui est dans l'enceinte du tribunal. (A)

CHAPELLE, faire chapelle, (Marine) " c'est un revirement inopiné du vaisseau. Faire chapelle, est virer malgré soi ; ce qui arrive lorsque par le mauvais gouvernement du timonier, le vaisseau est venu trop au vent, ou que le vent saute tout d'un coup & se range de l'avant. Les courans font encore faire chapelle. Quand on a fait chapelle, il faut reprendre le vent, & remettre le vaisseau en route. Supposé que la route soit nord & le vent nord-est, & qu'ayant trop serré le vent & mis le cap au nord quart de nord-est, on ait fait chapelle & viré malgré soi ; alors on cargue l'artimon, on largue un demi-pié du bras du grand hunier sous le vent, & on hale tant-soit-peu sur le bras qui est au vent : ce qui remet le vaisseau & fait porter à route ".

CHAPELLE, (la) est le coffre dans lequel sont gardés les ornemens qui servent pour dire la messe dans les vaisseaux. L'aumônier est chargé du soin de la chapelle.

CHAPELLE DE COMPAS, est un petit cone concave de laiton, qui est placé au milieu de la rose, dans lequel entre un pivot qui supporte la rose de la boussole. Voyez BOUSSOLE. (Z)

CHAPELLE, (Chimie) vaisseau distillatoire, appellé aussi par quelques chimistes, rosaire ; parce qu'ils ne s'en servoient communément qu'à la distillation des roses : c'est une espece d'alembic dont la cucurbite est basse, cylindrique, & à fond exactement plat ou plan, & le chapiteau conique & très-élevé. On chauffe ordinairement cet alembic en le posant sur des cendres chaudes.

CHAPELLE, (Boulang.) c'est ainsi que les Boulangers appellent la voûte de leur four. Il est tems d'enfourner quand la chapelle est blanche. Voyez l'article PAIN.


CHAPELLENIES. f. (Jurispr.) selon Rebuffe & quelques autres canonistes, signifie une chapelle sub tecto, érigée en titre de bénéfice. Panorme est d'avis contraire ; c'est-à-dire que chapellenie, selon lui, signifie une chapelle sub dio. Quelques autres, comme M. Chastelain, disent que chapellenie est le titre du bénéfice, & chapelle, l'autel où il est desservi. Le sens le plus ordinaire dans lequel on employe ce terme, est pour exprimer le titre d'un bénéfice desservi à l'autel d'une chapelle sub tecto. Voyez ci-devant CHAPELLE. (A)


CHAPELLERIES. f. (Comm. & Art méchan.) ce terme a deux acceptions : il se dit du négoce de chapeaux ; il se mêle de la chapellerie : il se dit aussi de l'art de les fabriquer ; il apprend la chapellerie. Voyez CHAPEAU & CHAPELIER.


CHAPERONS. m. (Hist. mod.) ancienne coëffure ordinaire en France, qui a duré jusqu'aux regnes de Charles V. VI. & VII. sous lesquels on portoit des chaperons à queue, que les docteurs & bacheliers ont retenu pour marque de leurs degrés, & les ont fait descendre de la tête sur les épaules.

Le chaperon fut, selon Pasquier ; " un affeublement ordinaire de tête à nos anciens ; chose que l'on peut aisément recueillir par le mot chaperonner, dont nous usons ordinairement encore aujourd'hui pour bonneter, &c. Or, que les anciens usassent de chaperons au lieu de bonnets, nous l'apprenons mêmement de nos annales ; quand Charles V. pendant la prison du roi Jean son pere, étant régent sur la France, à peine put se garantir de la fureur des Parisiens pour un décri des monnoies qu'il fit lors faire ; & eût été en très-grand danger de sa personne, sans un chaperon mi-parti de pers & rouge que Marcel, lors prevôt des marchands, lui mit sur la tête ; & afin que l'on ne fasse point accroire qu'il n'y eût que les grands & puissans qui portassent le chaperon, Me Alain Chartier en donne avertissement en l'histoire de Charles VII. traitant de l'an 1449 ; où il est dit que le roi, après avoir repris la ville de Roüen, fit crier que tous hommes grands & petits portassent la croix blanche sur la robe ou le chaperon. Il finit en disant : depuis petit-à-petit s'abolit cette usance ; premierement entre ceux du menu peuple, & successivement entre les plus grands, lesquels par une forme de mieux séance commencerent de charger petits bonnets ronds, portant lors le chaperon sur les épaules, pour le reprendre toutes & tant de fois que bon leur sembleroit, &c. Et comme toutes choses par traites & successions de tems tombent en non-chaloir, ainsi s'est du tout laissé la coûtume de ce chaperon, & est seulement demeurée par devers les gens du palais & maîtres-ès-arts, qui encore portent leur chaperon sur les épaules, & leurs bonnets ronds sur leurs têtes ". Voilà un passage assez instructif sur les chaperons d'autrefois, pour éviter au lecteur la peine de plus amples recherches. Cet article est de M(D.J.)

On s'en est servi en France jusqu'au regne de Charles VI. où l'on voit que les factions des Armagnacs & des Bourguignons étoient distinguées par le chaperon, & obligeoient même ce foible prince à porter le leur, selon qu'elles prédominoient.

Ce chaperon ancien est resté dans l'ordre monastique ; mais dans la suite des tems on lui a fait changer de forme, & il est resté aux docteurs dans quelque faculté que ce soit, & même aux licentiés : cependant avec quelque différence de ceux des licentiés. On l'a fourré ou doublé d'hermine, pour montrer la dignité du doctorat.

Ce nom a passé de-là à de certains petits écussons & autres ornemens funebres, qu'on met sur le devant de la tête des chevaux qui tirent le cercueil dans les pompes funebres : ceux même qui dans ces sortes de cérémonies représentent les hérauts, ou font d'autres fonctions, ont encore cette sorte de chaperon, mais sans hermine. (a)

CHAPERONS, (Hist. mod.) nom de factieux. Il y a eu deux factions en France, dont les partisans ont été appellés Chaperons, à cause, dit-on, des chaperons qu'ils portoient. Mais comme c'étoit la mode & même une mode qui a subsisté jusqu'à Charles VII. lequel fit un commandement à tout homme de porter une croix sur sa robe ou sur son chaperon, il faut que ce mot ait une autre origine qui est inconnue. Quoi qu'il en soit, les premiers factieux de ce nom se formerent sous le regne du roi Jean en 1358 ; ils portoient un chaperon mi-parti de rouge & de bleu. Les seconds parurent en 1413 sous Charles VI : ceux-ci avoient un chaperon blanc, qu'ils offrirent au duc de Guienne. Jean de Troyes, chirurgien de profession & chef de cette sédition, osa même présenter le chaperon blanc au roi lorsqu'il alloit à Notre-Dame. Voyez Mezeray.

Il s'éleva en Flandres sous le comte Louis, dit de Malle, en 1566, une troisieme faction de chaperons blancs, à cause des impositions excessives qu'on voulut mettre dans le pays, pour rétablir les finances épuisées par les libéralités sans bornes qu'on avoit indistinctement prodiguées. Cet article est de M(D.J.)

CHAPERON, en Architecture ; c'est la couverture d'un mur qui a deux égoûts ou larmiers, lorsqu'il est de clôture ou mitoyen, & qu'il appartient à deux propriétaires ; mais qui n'a qu'un égoût dont la chûte est du côté de la propriété, quand il appartient à un seul propriétaire. On appelle chaperon en bahut, celui dont le contour est bombé : ces sortes de chaperons sont quelquefois faits de dalles de pierre, ou recouverts de plomb, d'ardoise, ou de tuile. On dit chaperonner, pour faire un chaperon. (P)

CHAPERON, outil de Cartier, c'est une espece de boîte de bois qui n'a point de couvercle, & à qui il manque un de ses côtés. Cette boîte est posée sur l'établi des coupeurs, & sert à mettre les cartes à mesure que l'ouvrier les a coupées. Voyez la figure de cette boîte sur l'établi de la figure 4. Pl. du Cartier, qui représente le coupeur.

CHAPERON, (éperonn.) on appelle ainsi le fond qui termine l'embouchure à écache, & toutes les autres qui ne sont pas à canon, & qui assemblent l'embouchure avec la branche du côté du banquet. Le chaperon est rond aux embouchures à écache, & ovale aux autres. Ce qui s'appelle chaperon dans ces sortes d'embouchures, est appellé fonceau dans celles à canon. Voyez FONCEAU, CANON, &c.

Chaperon est aussi le cuir qui couvre les fourreaux des pistolets, pour les garantir de la pluie.

CHAPERON, parmi les Horlogers, signifie en général une plaque ronde qui a un canon, & qui se monte ordinairement sur l'extrémité du pivot d'une roue.

Ils appellent plus particulierement chaperon, ou roue de compte, dans les pendules sonnantes, une plaque ronde, fig. 13. Pl. III. de l'Horlogerie, divisée en onze parties inégales ou dents, 2, 3, 4, &c. qui reçoit dans ses entailles l'extrémité de la détente ; son usage est de faire sonner à la pendule un nombre de coups déterminés. Voyez l'article SONNERIE, où l'on explique comment cela se fait, & comment on divise cette roue.

Cette piece est tantôt portée par l'extrémité du pivot de la seconde roue qui déborde cette platine, & sur laquelle elle entre à quarré ; & tantôt sur une tige ou un pivot fixé sur cette platine : dans le premier cas, elle tourne avec la seconde roue ; dans le second, un pignon porté sur cette même seconde roue, & qui engraine dans une autre roue adaptée & rivée avec cette piece, la fait tourner. (T)

CHAPERON, terme usité dans l'Imprimerie ; c'est un nombre de feuilles ou de mains de papier que l'on ajoûte au nombre que l'on souhaite faire imprimer : elles servent pour les épreuves, la marge, la tierce, & pour remplacer les feuilles défectueuses, celles qui se trouvent de moins sur les rames, & celles qui se gâtent dans le travail de l'impression.

CHAPERON, (Fauconn.) morceau de cuir dont on couvre la tête des oiseaux de leurre, pour les affaiter. Voyez AFFAISSER, & lisez AFFAITER ; c'est une faute d'impression. Il y a différens chaperons pour différens oiseaux : on les distingue par des points, depuis le numéro un jusqu'au numéro quatre. Le premier, d'un point, est pour le tiercelet de faucon. L'oiseau qui souffre sans peine le chaperon, s'appelle bon chaperonnier.


CHAPERONNÉadj. en terme de Blason, se dit des éperviers. Voyez CHAPERON, article précédens.

Mangot, d'azur à trois éperviers d'or, chaperonnés & grilletés, avec leurs louges de même.


CHAPITEAUS. m. terme d'Architecture, du latin capitellum, est le sommet de quelque chose que ce soit. Il en est de cinq especes comme des colonnes, quoiqu'on en puisse composer à l'infini, selon la diversité des occasions qu'on a d'employer le talent de l'architecte dans les pompes funebres, dans les fêtes publiques, & dans les décorations théatrales. Mais sans nous arrêter à ces dernieres, dont la composition par leurs différens symboles semble appartenir plutôt à la sculpture qu'à l'Architecture, nous traiterons en particulier des chapiteaux toscan, dorique, ionique, corinthien, & composite selon les Grecs, comme ceux qui ont été imités le plus universellement par les plus excellens architectes, après avoir observé en général que le chapiteau est une des trois parties essentielles de la colonne (voyez COLONNE), & qu'il sert ordinairement à porter l'entablement. Voyez ENTABLEMENT.

Le chapiteau toscan est composé de trois parties principales, non compris l'astragale ; savoir, le gorgerin, la cimaise, & le tailloir. Voyez ces mots. Toutes ses parties sont circulaires, à l'exception du tailloir qui est quarré, & peu chargées de moulures, à cause de la rusticité de l'ordre. Voyez ORDRE.

Le chapiteau dorique est semblable au toscan, à l'exception de quelques moulures que le fust de la colonne moins rustique semble exiger : il a de hauteur, ainsi que le précédent, un module, non compris l'astragale.

Le chapiteau ionique se fait de trois manieres : la premiere qu'on nomme antique, dont la forme principale consiste dans un tailloir quadrangulaire, au-dessous duquel sont deux volutes (voyez VOLUTE) entre lesquelles regne un membre d'Architecture nommé échigne ou quart de rond. Voyez ÉCHIGNE. Ce chapiteau qui a été imité par les plus célebres architectes françois, au château de Maisons, aux Tuileries, & dernierement à la fontaine de Grenelle, ne laisse pas cependant d'apporter quelques défauts de symmétrie lorsqu'il est vû sur l'angle, ses côtés étant dissemblables, c'est-à-dire le retour de ses faces étant orné d'un coussinet (voyez COUSSINET) ou balustre ; considération qui a porté nos architectes françois à imaginer le second chapiteau ionique nommé moderne, qui differe du précédent en ce que chacune de ses quatre faces sont ornées de deux volutes autorisées par les concavités de son tailloir, semblable en cela aux chapiteaux corinthien & composite.

Le troisieme chapiteau ionique differe des précédens en ce que au-dessous des volutes plusieurs architectes, à l'imitation de Michel-Ange, ont ajouté une astragale (voyez ASTRAGALE), qui en donnant plus de hauteur à ce chapiteau, raccourcit le fust de la colonne & la rend plus propre, quoique d'un genre moyen, à faire partie de la décoration d'un monument, où un ordre viril seroit hors de convenance, & où cependant un ordre ionique régulier ne pourroit convenir.

Le chapiteau corinthien est composé de deux rangs de feuilles distribuées au nombre de seize autour de son tambour (voyez TAMBOUR), & de seize volutes ou hélices, dont huit angulaires portent les carnes du tailloir, & les huit autres le bourrelet du tambour. Ces volutes ou hélices prennent naissance dans des culots soutenus par des tigettes. Voyez CULOTS & TIGETTES. Ce chapiteau, selon Vitruve, ne doit avoir que deux modules de hauteur. Voyez MODULE. Mais les architectes modernes ayant reconnu que ce chapiteau réduit à deux modules, devenoit trop écrasé, lui ont donné deux modules & un tiers : mais comme ce chapiteau pris aux dépens de la hauteur du fust le raccourcit considérablement, plusieurs d'entr'eux, tel que Perraut, ont donné à leur colonne corinthienne vingt-un modules de hauteur au lieu de vingt, ainsi qu'on peut le remarquer au péristile du Louvre. Ordinairement l'on met au chapiteau corinthien des feuilles d'olive, quelquefois l'on y préfere celles d'acanthe ou de persil ; mais comme ces dernieres sont d'un travail plus recherché, il n'en faut faire usage que lorsque le fust des colonnes est orné de cannelures à doubles listeaux, & enrichi de rudentures, d'ornemens, &c.

Vitruve donne à Callimachus, sculpteur grec, l'invention de ce chapiteau ; Villapande au contraire prétend qu'il avoit été exécuté bien avant Callimachus, au temple de Salomon. La seule différence qu'il nous rapporte, c'est que les feuilles étoient de palmier ; desorte qu'il se pourroit bien que ces deux auteurs ayent raison, c'est-à-dire que le chapiteau corinthien ait pris son origine au temple de Salomon, & que Callimachus soit celui qui l'ait perfectionné : ce qui est certain, c'est que ce dernier a été si universellement approuvé, qu'aucun de nos architectes de réputation n'a crû devoir lui apporter aucune altération, si ce n'est dans sa hauteur, ainsi que nous venons de l'observer. Voyez ce que Vitruve dit au sujet du chapiteau corinthien de Callimachus.

Le chapiteau composite a été inventé par les Romains d'après l'imitation des chapiteaux ionique & corinthien ; c'est-à-dire que les deux rangs de feuilles sont distribués autour de son tambour au nombre de seize, comme au précédent, & que son extrémité supérieure est terminée par les volutes & le tailloir du chapiteau ionique moderne, ce qui rend en général ce chapiteau moins leger que le corinthien ; aussi l'ordre composite ne devroit-il jamais être placé sur le corinthien, contre le système néanmoins & l'opinion de la plûpart de nos architectes françois. Ce chapiteau composite est suivi avec moins de sévérité dans l'Architecture que le corinthien, & est quelquefois susceptible d'attributs ou d'allégories relatives aux usages des bâtimens où il est employé : cependant il ne le faut pas confondre avec le chapiteau composé, ce dernier devenant arbitraire, pourvû toutefois qu'on ne tombe pas dans l'abus que la plûpart des architectes romains en ont fait, & singulierement les architectes gothiques ; qui non contens d'en avoir altéré les proportions, l'ont enrichi d'ornemens chimériques, peu convenables à l'Architecture réguliere, & susceptibles d'imitation.

Les cinq chapiteaux dont nous venons de parler, sont également applicables aux colonnes comme aux pilastres, ne différant que dans la forme de leur plan. Voyez PILASTRES ; voyez aussi les cinq desseins de ces chapiteaux dans les Planches d'Architecture. (P)

CHAPITEAU, on appelle ainsi, dans l'Artillerie, deux petites planches de huit ou dix pouces de longueur sur cinq ou six de largeur, qui forment ensemble une espece de petit comble ou de dos d'âne ; on s'en sert pour couvrir la lumiere des pieces, & empêcher que le vent n'emporte l'amorce, ou qu'elle ne soit mouillée par la pluie. Voyez la figure du chapiteau, Pl. VI. de Fortification, fig. 6. (Q)

CHAPITEAU D'ARTIFICE, c'est une espece de cornet ou de couvercle conique qu'on met sur le pot au sommet d'une fusée volante, non-seulement pour le couvrir, mais aussi pour percer plus aisément l'air en s'élevant en pointe.

CHAPITEAU, (Chimie) le chapiteau est la piece supérieure de l'alembic des chimistes modernes, qui est composé d'une cucurbite (voyez CUCURBITE) & de son chapiteau. Ce dernier instrument est un vaisseau le plus ordinairement de verre ou d'étain, dont la meilleure forme est conique, ouvert par sa base & muni intérieurement d'une gouttiere circulaire, tournée vers le sommet du cone environ un ou deux pouces, selon la grandeur du vaisseau, au-dessus de la base du chapiteau. La gouttiere du chapiteau est le plus ordinairement continuée par un tuyau qui perce le paroi de ce vaisseau, & qui est destiné à verser au-dehors une liqueur ramassée dans cette gouttiere.

Le chapiteau pourvû de ce tuyau nommé bec du chapiteau, sert aux distillations proprement dites, ou distillations humides. Voyez DISTILLATION.

Le chapiteau qui n'a point de bec, ou dont le bec est scellé hermétiquement, ou seulement exactement bouché, s'appelle chapiteau aveugle ou borgne ; celui-ci est employé dans les sublimations ou distillations seches. Voyez SUBLIMATION.

Les Chimistes se servent dans plusieurs cas d'un chapiteau d'étain, enfermé dans un vaisseau destiné à contenir une masse considérable d'eau froide, par l'application de laquelle ils cherchent à rafraîchir ce chapiteau. Voyez REFRIGERENT & DISTILLATION.

On a long-tems employé le cuivre étamé à la construction de ces chapiteaux à réfrigérent, mais on ne les fait plus que de l'étain le plus pur, parce qu'on s'est apperçu que plusieurs des matieres qui s'élevoient dans les distillations faites dans cet appareil, se chargeoient de quelques particules de cuivre ; ce qui ne nuisoit pas moins à l'élégance de ces produits qu'à leur salubrité. Voyez CUIVRE.

Le chapiteau de verre muni d'un réfrigérent, est un vaisseau de pur apparat : le meilleur verre ne tient pas long-tems aux fréquentes alternatives de caléfaction & de refroidissement qu'il doit essuyer dans ce genre de distillation, où on employe le chapiteau à réfrigérent.

La tête de more est une espece de chapiteau presque rond & le plus souvent sans gouttiere, muni d'un bec à sa partie latérale, ou quelquefois même à son sommet. Ce vaisseau qui a le défaut essentiel de laisser retomber la plus grande partie des vapeurs qui se sont condensées contre sa voûte, n'est plus en usage que chez les distillateurs d'eau-de-vie : mais comme ces ouvriers ne rafraîchissent pas leur chapiteau, & que cette liqueur passe presque entierement sous la forme d'un torrent de vapeurs qui enfile le bec de la tête de more sans se condenser contre ses parois, dès qu'une fois elles sont échauffées, le manque de gouttiere n'est presque d'aucune importance dans cette opération.

La distillation à l'alembic recouvert d'un chapiteau sans gouttiere, répond exactement à la distillation par la cornue. Voyez CORNUE. (b)

CHAPITEAU, (Papet.) couvercle de cylindres du moulin à papier à cylindres. Voyez-en la description & l'usage à l'art. MOULIN A PAPIER A CYLINDRES, & la fig. Pl. II. de Papeterie.


CHAPITRES. m. terme d'Architecture, du latin capitulum ; c'est une grande piece dans une communauté, où s'assemblent les chefs, pour y traiter des affaires particulieres de la maison, pourvû de stalles, ou de siéges de Menuiserie, d'une grande table, &c. Ces pieces sont ordinairement voûtées & ornées de tableaux. (P)

CHAPITRE, (Jurisprud.) en matiere ecclésiastique a trois significations différentes : dans la plus étendue, il se prend pour une communauté d'ecclésiastiques qui desservent une église cathédrale ou une collégiale, ou pour une communauté de religieux qui forment une abbaye, prieuré ou autre maison conventuelle.

On appelle aussi chapitre l'assemblée que tiennent ces ecclésiastiques ou religieux, pour délibérer de leurs affaires communes. Les chevaliers des ordres réguliers, hospitaliers & militaires tiennent aussi chapitre, tels que les chevaliers de Malthe, de S. Lazare, du S. Esprit, & le résultat de ces assemblées s'appelle aussi chapitre.

Enfin on appelle chapitre dans les églises cathédrales & collégiales, & dans les monasteres, le lieu où s'assemble le clergé ou communauté ; & dans les monasteres, le chapitre fait partie des lieux réguliers.

Le titre de chapitre pris pour un corps ecclésiastique n'a commencé à être en usage que vers le tems de Charlemagne, comme le prouve Marcel Ancyran, dans le traité qu'il a fait sur la decrétale d'Honoré III. super specula de magistris.

Un chapitre de chanoines est ordinairement composé de plusieurs dignités, telles que celles du doyen ou du prévôt, du chantre, de l'archidiacre, & d'un certain nombre de chanoines. Dans quelques églises, le chantre est la premiere dignité du chapitre, cela dépend des titres & de la possession.

On dit communément que tres faciunt capitulum ; on ne connoît cependant point de chapitre où il n'y ait que trois chanoines : mais cela signifie que trois chanoines peuvent tenir le chapitre.

Dans les églises cathédrales, le chapitre jouit de certains droits & priviléges, & exemptions, pendant la vacance du siége épiscopal, & même pendant que le siége est rempli.

Le premier des priviléges dont les chapitres des cathédrales jouissent pendant que le siége est rempli, est qu'ils sont considérés comme le conseil de l'évêque.

Dans la primitive église, les évêques ne faisoient rien sans l'avis de leur clergé, qu'on appelle presbyterium ; le jv. concile de Carthage leur ordonne d'en user ainsi, à peine de nullité.

Lorsqu'on eut séparé la manse de l'évêque de celle de son clergé, celui-ci prit le titre de chapitre, & les intérêts devinrent différens. Le clergé de l'évêque participoit cependant toujours au gouvernement du diocèse, comme ne formant qu'un même corps avec l'évêque.

Les députés des chapitres des églises cathédrales ont toujours assisté aux conciles provinciaux, & les ont souscrits.

Selon l'usage présent du royaume, les chapitres des cathédrales n'ont plus de part dans le gouvernement du diocèse ; les évêques sont en possession d'exercer seuls & sans la participation de leur chapitre, la plûpart des fonctions appellées ordinis, & celles qui sont de la jurisdiction volontaire & contentieuse, comme de faire des statuts & réglemens pour la discipline de leurs diocèses : ils ne sont obligés de requérir le consentement de leur chapitre que pour ce qui concerne l'intérêt commun ou particulier du chapitre, comme lorsqu'il s'agit d'en aliéner le temporel, d'unir ou supprimer quelque dignité ou bénéfice dans la cathédrale, d'y changer l'ordre de l'office divin, de réformer le breviaire, d'instituer ou supprimer des fêtes, & autres choses semblables, qui intéressent singulierement le chapitre en corps ou chaque chanoine en particulier. Il est d'usage dans ces cas que l'évêque concerte ses mandemens avec le chapitre, & qu'il y fasse mention que c'est après en avoir conféré avec ses vénérables freres, les doyen, chanoines & chapitre.

Tant que l'évêque est en place, le chapitre ne peut point s'immiscer dans le gouvernement du diocèse. Si l'évêque tombe en démence, ce sont les vicaires généraux par lui établis qui suppléent à son défaut. Canon. pontifices & gloss. ibid. Voyez deux consultations qui sont dans Duperray, sur l'édit de 1695. tome II. art. 45.

En France, pendant plusieurs siecles, lorsque le siége épiscopal étoit vacant, le métropolitain commettoit l'évêque le plus prochain pour en prendre soin, ou en prenoit soin lui-même ; ce n'est que vers le xij. siecle que les chapitres des cathédrales se sont mis en possession de gouverner le diocèse pendant la vacance. Glos. ad capitul. de concessione. Clement. de rerum permut.

La jurisdiction du chapitre, sede vacante, est la même que celle de l'évêque ; mais il ne peut l'exercer en corps ; il doit nommer à cet effet des grands vicaires & un official, pour exercer la jurisdiction volontaire & contentieuse. Voyez les arrêts rapportés à ce sujet dans la Jurisprud. canon. au mot chapitre.

S'il y a des officiaux & grands-vicaires nommés par l'évêque décédé, le chapitre peut les continuer en leur donnant de nouvelles provisions ; il peut aussi les destituer & en nommer d'autres.

Les grands-vicaires & officiaux nommés par le chapitre, sede vacante, n'ont pas plus de droit que l'évêque : ils ne peuvent par conséquent exercer leur jurisdiction sur ceux qui sont exempts de celle de l'évêque ; du reste ils peuvent faire tout ce que feroient ceux de l'évêque ; mais n'étant que des administrateurs à tems, ils ne peuvent faire aucune innovation considérable dans la discipline du diocèse.

Après l'année de la vacance expirée, ils peuvent donner des dimissoires pour recevoir les ordres, & aussi pour la tonsure & les quatre mineurs ; & ces dimissoires sont valables à-moins que le nouvel évêque ne les révoque, les choses étant encore entieres. Concil. Trid. sess. 7. cap. x. & sess. 23. Rebuff. prax. benef. part. j. p. 10.

Le chapitre ne représente l'évêque décédé que pour la jurisdiction & non pour l'ordre ; ainsi il ne peut, ni ses grands-vicaires, exercer aucune fonction du caractere épiscopal, comme donner la confirmation, les ordres, des indulgences, &c. Thomass. discipl. ecclésiast. part. I. liv. III. ch. x. n. 10.

La disposition des bénéfices qui viennent à vaquer tandis que le siége épiscopal est vacant, n'appartient point au chapitre ; elle est reservée à l'évêque qui doit succéder.

Si l'évêque a droit de nommer conjointement avec le chapitre, le roi nomme un commissaire qui représente l'évêque dans l'assemblée du chapitre. Edit de Janv. 1682 pour la régale.

Si la nomination appartient à l'évêque seul, le bénéfice vacant tombe en régale. Edit du mois de Févr. 1673. édit de Janv. 1682. & déclar. du 30 Août 1735.

A l'égard des bénéfices cures, qui sont à la collation de l'évêque, & qui viennent à vaquer, sede vacante, le chapitre en a la disposition, sans préjudice néanmoins du droit des gradués, qui peuvent le requérir à l'ordinaire. Arrêt du 6 Sept. 1642. journ. des aud.

Le chapitre a encore droit, pendant la vacance du siége épiscopal, de nommer aux bénéfices dépendans d'une prébende qui est en litige. Journ. des aud. arrêt du 8 Août 1687.

Le droit canonique attribue au chapitre, sede vacante, l'administration du temporel ; mais parmi nous le Roi, en vertu du droit de régale, fait administrer ce temporel par des économes.

Quelques chapitres ont prétendu être exempts de la jurisdiction de l'évêque ; mais par la derniere jurisprudence, la plûpart de ces exemptions ont été déclarées abusives. On confirme seulement celles qui sont fondées sur des motifs légitimes, & autorisées par le consentement de l'évêque & l'autorité du Roi. La possession immémoriale ne suffit pas en cette matiere pour tenir lieu de titre ; mais elle sert à fortifier le titre lorsqu'il est légitime.

Les arrêts ont maintenu les chapitres qui étoient fondés dans la jurisdiction correctionnelle, sur les dignités, chanoines, & officiers de leur église, mais à la charge de l'appel devant l'official de l'évêque, lequel a le droit de prévention, si celui du chapitre n'a pas informé dans les trois jours. Arrêts des 2 Septembre 1670. & 4 Septembre 1684. Journ. des aud.

Lorsque le chapitre a seulement droit de correction, & non la jurisdiction contentieuse, il ne peut excommunier ni emprisonner ses bénéficiers, ni les priver de leurs bénéfices ; cela n'appartient qu'à l'évêque.

Le droit que quelques chapitres prétendent avoir de donner aux clercs de leur corps des dimissoires pour les ordres, dépend des titres & de la possession.

Les chanoines exempts, qui acceptent de l'évêque quelque office, comme de grand-vicaire, official, promoteur, &c. deviennent à cet égard justiciables de l'évêque.

Plusieurs chapitres, soit de cathédrales, ou de collégiales, ont des statuts particuliers qui tiennent lieu de loi entr'eux, lorsqu'ils sont autorisés par les supérieurs ecclésiastiques & homologués au parlement. Ces statuts ont ordinairement pour objet l'affectation des prébendes à certaines personnes, l'assistance aux offices, la résidence & les distributions manuelles, le rang & la séance au choeur, l'option des prébendes & des maisons canoniales, & autres objets semblables.

Les droits particuliers dont joüissent certains chapitres, comme droits d'annate, de dépôt, &c. dépendent des titres & de la possession.

Les chapitres de réguliers ne peuvent être sécularisés que par des bulles revêtues de lettres patentes dûment enregistrées ; ils doivent observer les conditions portées dans ces bulles & lettres patentes. V. SECULARISATION. Voyez les articles ABBE, ABBAYE, CHANOINE, & ci-après COUVENT, MONASTERE, PRIEURE.

Les ordres religieux tiennent trois sortes de chapitres ou assemblées ; savoir le chapitre particulier de chaque maison ou communauté ; le chapitre provincial composé des députés de toutes les maisons de l'ordre qui sont dans la même province ; & le chapitre général composé des députés de tout l'ordre & de toutes les maisons des différentes provinces.

Le chapitre général d'un ordre régulier se tient dans la maison qu'on appelle chef d'ordre. Voyez CHEF D'ORDRE.

Les ordres de chevalerie réguliers ou hospitaliers, tiennent aussi de tems en tems chapitre. Dans l'ordre de Malthe on tient des chapitres particuliers dans chaque province ; il y a aussi le chapitre général de l'ordre qui se tient à Malthe.

Sur les droits des chapitres, voyez Jean Bordenave, tr. de l'état des causes ecclésiast. le dictionn. des cas de conscience de Pontas, au mot chapitre ; le tr. des mat. bénéf. de Fuet, liv. II. ch. ij. le traité des droits des chapitres par Ducasse ; mém. du clergé, édition de 1716. tome II. p. 922. & suiv. & p. 1585. & 1603. bibliotheque de Bouchel, au mot chanoines ; add. à la biblioth. de Bouchel, tome I. p. 14. Biblioth. can. tome I. p. 221. & 516. col. j. De Selve, II. part. tract. quaest. 2. Franc. Marc, tome I. quest. 92. & suiv. & quaest. 139. & 1334. Leprêtre, centur. 2. chap. xv. Henris, tome I. liv. I. ch. j. & ch. iij. quest. 2. recueil de de la Ville, au mot bénéfice ; Pinson, de mod. acquir. benef. §. 16. n. 19. de fin. can. p. 126. Filleau, part. I. tit. j. ch. xliij. Chenu, 2. cent. quest. 80. Corbin, suite de patronage, ch. 190. Dolive, liv. I. ch. viij. Boniface, tome I. liv. II. tit. ij. ch. j. tit. v. & ch. v. Peleus, actions forenses. liv. II. act. 39. Tournet, let. c. n. 54. Ferret, liv. IV. ch. iij. n. 38.

Pour ce qui est particulier aux différens chapitres des églises cathédrales & collégiales, voyez les réglemens & autres actes indiqués dans le dictionn. des arrêts, au mot chapitre. (A)

CHAPITRES, (trois) hist. ecclés. termes célebres dans l'histoire ecclésiastique du vj. siecle.

On donna alors le nom de trois chapitres, à trois écrits fameux qui étoient les écrits de Théodore de Mopsueste, un écrit de Théodoret contre les douze anathèmes de S. Cyrille, & la lettre d'Ibas évêque d'Edesse, à Maris hérétique persan.

Ces trois chapitres avoient leurs défenseurs, qui étoient partagés en différentes classes. La premiere étoit celle des Nestoriens, qui les défendoient parce qu'ils croyoient que ces écrits avoient été approuvés dans le concile général de Chalcédoine, & qu'ils contenoient ou favorisoient ouvertement leur doctrine. La seconde étoit celle des Catholiques, qui les défendoient, en soûtenant contre les Nestoriens que leur doctrine impie ne s'y trouvoit pas. La troisieme étoit celle de ceux qui ne vouloient pas les condamner, parce que, selon eux, il n'étoit pas permis de faire le procès aux morts. A quoi il faut ajoûter que par une erreur de fait, plusieurs catholiques croyoient que le concile de Chalcédoine avoit approuvé les trois chapitres. Il est vrai que ce concile avoit admis Théodoret à la communion, après qu'il eut dit anathème à Nestorius, & déclaré Ibas orthodoxe, même après lecture faite de sa lettre à Maris ; mais il n'avoit rien prononcé sur cette lettre, ni pour ni contre les écrits ou la personne de Théodore de Mopsueste ; & par conséquent on ne pouvoit pas dire qu'il les eût approuvés.

Justinien condamna d'abord les trois chapitres par une loi publiée en 546, qu'on obligea tous les évêques de souscrire ; mais plusieurs le refuserent, & entr'autres les évêques d'Afrique. Le pape Vigile les condamna aussi, mais sans préjudice du concile de Chalcédoine, par un décret intitulé judicatum, adressé à Menas patriarche de Constantinople, & rendu en 548. Les troubles continuant, on assembla en 553 le second concile général de Constantinople, qui est le cinquieme oecuménique, dans lequel les trois chapitres furent anathématisés ; & quoique le pape Vigile parût d'abord n'en pas approuver les décisions, parce qu'il avoit retracté son premier decret par un autre qu'on nommoit constitutum, il se rendit enfin à l'avis du concile par un second constitutum, qu'on trouve dans les nouvelles collections de M. Baluze, de l'année 554, qu'il avoit fait précéder dès la fin de 553 par une lettre d'accession, adressée à Eutychius successeur de Menas dans le siége de Constantinople.

La condamnation des trois chapitres causa en Occident un schisme, toûjours fondé sur ce qu'on croyoit que le concile de Chalcédoine les avoit approuvés, & qui ne finit que plus de 70 ans après sous le pape Honorius. Mais la division dura plus long-tems en Orient, où les Nestoriens étoient fort puissans, & soûtenus d'un grand nombre de défenseurs. (G)


CHAPONS. m. (Econom. rust.) poulet mâle à qui on a ôté les testicules. Cette méthode d'avoir des volailles grasses & délicates est très-ancienne : il est parlé dans le Deuteronome de poulets chaponnés par le frottement, par le feu, ou par l'extraction totale ou partielle des testicules. On pratiqua la même opération à Rome sur les poules ; on les engraissoit délicatement, & il y en eut qui pesoient jusqu'à seize livres. Il fut défendu de châtrer les poules ; & ce fut pour éluder cette loi qu'on chaponna de jeunes coqs. Columelle dit qu'outre la maniere ordinaire de chaponner, on y réussit également en coupant jusqu'au vif les ergots avec un fer chaud, & les frottant ensuite avec de la terre à potier.

On chaponne les poulets à trois mois, au mois de Juin, tems où il ne fait ni trop chaud ni trop froid : on leur ouvre le corps à l'endroit où sont les testicules, on les tire dehors avec l'index, on recoud la blessure, on la frotte ensuite avec du beurre ou du baume, & l'opération est faite. L'animal semble sentir pendant quelques jours l'importance de la perte qu'il a faite, car il est triste. Les chapons sont excellens à six & huit mois.

On en tire un service singulier : on les employe à conduire & élever les poussins, quand on ne veut pas laisser perdre de tems aux poules. On choisit un chapon vigoureux ; on lui plume le ventre ; on lui pique la partie plumée avec des orties ; on l'enyvre avec du pain trempé dans du vin ; & l'on réitere cette cérémonie deux ou trois jours de suite, le tenant bien enfermé : le quatrieme on le met sous une cage, & on lui associe deux ou trois poulets un peu grands ; ces poulets, en lui passant sous le ventre, adoucissent la cuisson de ses piquûres : ce soulagement l'habitue à les recevoir ; bientôt il s'y attache, il les aime, il les appelle ; & on lui en donne un plus grand nombre qu'il reçoit & couvre de ses ailes, qu'il conduit, qu'il éleve, & qu'il garde plus longtems que la mere n'auroit fait.

CHAPON, (Diete, Mat. med.) La chair de chapon, soit bouillie, soit rôtie, est très-nourrissante & de facile digestion ; c'est pourquoi elle est très convenable aux convalescens auxquels on commence à accorder un peu d'alimens solides. On prépare aussi avec le chapon, pour le même usage, des consommés qui conviennent non-seulement dans les cas de convalescence, mais encore dans les maladies chroniques, où l'on est obligé de soûtenir le malade par des alimens qui contiennent beaucoup de parties nutritives sous une petite masse, & qui peuvent être digérés sans réveiller que le moins qu'il est possible l'action de l'estomac, comme dans les ulceres internes, sur-tout ceux du poumon.

On trouve dans la plûpart des vieux dispensateurs, des eaux distillées de chapon, soit simples, soit composées, toûjours vantées comme des analeptiques ou des restaurans admirables : mais nous sommes trop instruits aujourd'hui sur la nature des parties alimenteuses, pour pouvoir les regarder comme mobiles, ou capables de s'élever dans la distillation. Zwelfer avoit observé avant Boerhaave, que l'eau distillée de chapon ne participoit point de la vertu restaurante de la viande dont elle étoit tirée. Voyez DISTILLATION & EAU DISTILLEE.

La graisse de chapon récente est adoucissante & relâchante ; mais cette propriété lui est commune avec toutes les matieres de la même espece, c'est-à-dire avec toutes les matieres huileuses, douces, & non rencies, comme le beurre frais, la bonne huile d'olive, &c. (b)

CHAPON, (vol du) Jurispr. voyez VOL DU CHAPON. (A)

* CHAPON, subst. m. (Agric.) sarmens de l'année qu'on détache pour servir de plant, observant d'y laisser un peu de bois de la taille précédente, & de les mettre tremper dans l'eau pendant huit jours, afin que leurs fibres se dilatent & se disposent à la végétation. Voyez l'article VIGNE.

CHAPON, (Serrurerie) patte de chapon, voyez PATTE.


CHAPPARSS. m. (Hist. mod.) couriers persans chargés des dépêches de la cour pour les provinces. S'ils rencontrent un cavalier mieux monté qu'eux, ils ont le droit de s'emparer de son cheval ; le refus exposeroit à perdre la vie : le plus sûr est de céder sa monture, & de courir après comme on peut. Tavernier, qui parle des chappars dans son voyage de Perse, ajoûte qu'il y avoit aussi de ces couriers incommodes en Turquie, mais que le sultan Amurat les supprima, & y établit des postes à son usage, afin que les malédictions dont ses chappars étoient chargés par ceux qu'ils démontoient, ne retombassent point sur sa tête.


CHAPTANGriviere de l'Amérique septentrionale, au Maryland.


CHAPTEL(Jurispr.) voyez CHEPTEL. (A)


CHAPUTS. m. espece de billot cylindrique qui a peu de hauteur, de la surface supérieure duquel on a enlevé une portion ; c'est selon la figure de cette portion enlevée, que l'ouvrier peut donner telle figure qu'il veut à son ardoise ; la section verticale de la tête du chaput dirige le mouvement du doleau, ou de l'instrument tranchant avec lequel on travaille les fendis ou ardoises brutes. Voyez l'art. ARDOISE ; & voyez Pl. I. de la fabrique des ardoises, le chaput, en O O P P Q R.


CHARS. m. (Hist. anc. & mod.) On donnoit anciennement ce nom à presque toutes les voitures d'usage, soit à la ville, soit à la campagne, soit dans les batailles, soit dans les triomphes, &c. nous l'avons restreint à celles qui sont traînées avec magnificence dans les carrousels, les courses de prix, & autres fêtes publiques. Voyez CARROUSEL.

Les chars anciens étoient à deux ou quatre roues ; il y en a de ces deux sortes dans les bas-reliefs, & médailles, les arcs de triomphe, & autres monumens qui nous restent de l'antiquité ; on y voit attelés, tantôt des chevaux, tantôt des lions, des tigres, des éléphans : mais la diversité de ces attelages ne signifie rien par elle-même ; il faut, ainsi que le pere Jobert jésuite l'a remarqué dans son introduction à la science des médailles, des inscriptions ou d'autres caracteres concomitans des précédens, pour désigner ou le triomphe, ou l'apothéose, &c.

On attribue l'invention des chars, les uns à Erichtonius roi d'Athenes, que ses jambes torses empêchoient d'aller à pié ; d'autres à Tlepoleme ou à Trochilus : quelques-uns en font honneur à Pallas ; mais il paroît par le ch. xlj. vers. 40. de la Genes. que l'usage des chars étoit antérieur à tous ces personnages.

Des étymologistes dérivent le mot currus ou carrus, de carr, terme celtique dont il est fait mention dans les commentaires de César. Cette date est ancienne. Le mot carr se dit encore aujourd'hui dans le même sens & avec la même prononciation, dans la langue wallonne.

Les principaux chars des anciens sont les chars pour la course, chez les Grecs, currus chez les Latins ; les chars couverts, currus arcuati ; les chars armés de faux, currus falcati ; les chars de triomphe, currus triumphales.

Les chars de course, , servoient aussi dans d'autres fêtes publiques : c'étoit une espece de coquille montée sur deux roues, plus haute par-devant que par-derriere, & ornée de peintures & de sculptures : on étoit assis dans cette voiture : la différence spécifique qui les distinguoit entr'elles, se tiroit uniquement de la diversité des attelages ; & ces attelages, ou de deux chevaux ou de quatre, ou de jeunes chevaux, ou de chevaux faits, ou de poulains, ou de mules, formoient différentes sortes de courses, différentes sortes de combats.

Un char attelé de deux chevaux, s'appelloit en grec , en latin bigae. L'on prétend que l'un de ces chevaux étoit blanc, l'autre noir, dans les biges des pompes funebres. La course des chars à deux chevaux d'un âge fait, fut introduite aux jeux olympiques en la xciij. olympiade ; & par chevaux d'un âge fait, on entendoit des chevaux de cinq ans. Il n'est point question chez les Grecs de chars à trois chevaux ; les Latins en ont eu qu'ils appelloient trigae ; mais il ne paroît pas qu'ils fussent d'usage dans les fêtes ; ou si l'on s'en servoit dans les pompes, c'étoit seulement dans les pompes funebres ; car on imagina, dit-on, d'atteler trois chevaux de front, parce qu'il y avoit des hommes de trois âges qui descendoient aux enfers. Les chars attelés de quatre chevaux, se nommoient en grec , de , quatre, & de , cheval, & en latin quadrigae, qu'on a rendu par quadriges, terme autorisé seulement en style de lapidaire, & dans la science numismatique. La course à quatre chevaux étoit la plus magnifique & la plus noble de toutes : elle fut instituée ou renouvellée dans les jeux olympiques, dès la xxv. olympiade ; ainsi elle précéda la course à deux chevaux de plus de 278 ans. Le timon des chars étoit fort court, & l'on y atteloit les chevaux de front, à la différence de nos attelages, où quatre & six chevaux rangés sur deux lignes se gênent & s'embarrassent, au lieu que de front ils déployoient leurs mouvemens avec beaucoup plus d'ardeur & de liberté. Les deux du milieu, , jugales, étoient les moins vifs ; les deux autres, , funales ou lorarii, les plus vigoureux & les mieux dressés, étoient l'un à droite & l'autre à gauche ; comme il falloit prendre à gauche pour aller gagner la borne, c'étoit le cheval qui tiroit de ce côté qui dirigeoit les autres. Lorsqu'il falloit tourner autour de cette borne fatale où tant de chars se brisoient, le cocher animant son cheval de la droite, lui lâchoit les renes & les raccourcissoit à celui de la gauche, qui devenoit par ce moyen le centre du mouvement des trois autres, & doubloit la borne de si près, que le moyeu de la roue la rasoit. Avant que de partir, tous les chars s'assembloient à la barriere. On tiroit au sort les places & les rangs ; on se plaçoit ; & le signal donné, tous partoient. Voyez dans Homere les courses célébrées aux funérailles de Patrocle. C'étoit à qui devanceroit son concurrent ; plusieurs étoient renversés en chemin : celui qui ayant doublé le premier la borne, atteignoit le premier la barriere, avoit le premier prix. Il y avoit aussi quelquefois des prix pour le second & pour le troisieme. Les princes & les rois même, étoient jaloux de cette distinction. Le race des chevaux qui avoient vaincu souvent dans ces combats d'honneur, étoit illustrée : leur généalogie étoit connue ; on n'en faisoit des présens que dans les occasions les plus importantes ; c'est des richesses qu'Agamemnon fait proposer à Achille pour appaiser sa colere, une des plus précieuses. A Rome, dans le grand cirque, on donnoit en un jour le spectacle de cent quadriges, & l'on en faisoit partir de la barriere jusqu'à vingt-cinq à la fois. Le départ étoit appellé en grec, , en latin emissio, missus. On ignore combien il s'assembloit de quadriges à la barriere d'Olympie ; il est seulement certain qu'on en lâchoit dans la lice ou dans l'hippodrome plusieurs à la fois. Mém. de l'Académ. des Inscriptions, tomes VIII. & IX. Voyez HIPPODROME, JEUX OLYMPIQUES, CIRQUE, COURSE. On prétend que les attelages de quatre chevaux de front se faisoient en l'honneur du soleil, & marquoient les quatre saisons de l'année. Les Latins avoient des sefiges ou chars à six chevaux de front ; on en voit un au faîte du grand arc de Sévere, Il y a dans Gruter une inscription de Dioclès, où il est parlé de septiges. Néron attela quelquefois au même char jusqu'à sept, & même jusqu'à dix chevaux. Ceux qui conduisoient les chars s'appelloient en général agitateurs, agitatores : si c'étoit une bige, bigarrii ; un quadrige, quadrigarii : on ne rencontre point le nom de trigarii, ce qui prouve que les triges n'étoient qu'emblématiques, ou du moins qu'il n'y avoit point de trige pour la course.

Le char couvert ne différoit des autres qu'en ce qu'il avoit un dome en ceintre : il étoit à l'usage des flamen, prêtres romains. Voyez FLAMEN.

Le char armé de faulx étoit armé ainsi que son nom le désigne : des chevaux vigoureux le traînoient ; il étoit destiné à percer les bataillons, & à trancher tout ce qui se présentoit à sa rencontre. Les uns en attribuent l'invention aux Macédoniens, d'autres à Cyrus ; mais l'origine en est plus ancienne, & il paroît que Ninus en avoit fait courir de pareils contre les Bactriens, & les Chananéens contre les Israélites. Ces chars n'avoient que deux grandes roues, auxquelles les faulx étoient appliquées. Cyrus les perfectionna seulement en fortifiant les roues, & allongeant les essieux, à l'extrémité desquels il adapta encore d'autres faulx de trois piés de long qui coupoient horisontalement, tandis que d'autres tranchant verticalement, mettoient en pieces tout ce qu'elles ramassoient à terre. Dans la suite on ajoûta à l'extrémité du timon deux longues pointes, & l'on garnit le derriere du char de couteaux qui empêchoient qu'on n'y montât. Cette machine terrible en apparence, devenoit inutile lorsqu'on tuoit un des chevaux, ou qu'on parvenoit à en saisir la bride. Plutarque dit qu'à la bataille de Cheronée sous Sylla, les Romains en firent si peu de cas, qu'après avoir dispersé ou renversé ceux qui se présenterent, ils se mirent à crier, comme ils avoient coûtume dans les jeux du cirque, qu'on en fît paroître d'autres.

L'usage des chars dans la guerre est très-ancien : les guerriers, avant l'usage de la cavalerie, étoient tous montés sur des chars : ils y étoient deux ; l'un chargé de conduire les chevaux, l'autre de combattre. C'est ainsi qu'on voit presque tous les héros d'Homere ; ils mettent souvent pié à terre, & Diomede ne combat guere sur son char.

Le char de triomphe étoit attelé de quatre chevaux. On prétend que Romulus entra dans Rome sur un pareil char ; d'autres n'en font remonter l'origine qu'à Tarquin le vieux, & même à Valérius Publicola. On lit dans Plutarque que Camille étant entré triomphant dans Rome sur un char traîné par quatre chevaux blancs, cette magnificence fut regardée comme une innovation blâmable. Le char de triomphe étoit rond, & n'avoit que deux roues ; le triomphateur s'y tenoit debout, & gouvernoit lui-même les chevaux : il n'étoit que doré sous les consuls ; on en fit d'or & d'ivoire sous les empereurs. On lui donnoit un air martial en l'arrosant de sang. On y attela quelquefois des éléphans & des lions. Quand le triomphateur montoit, le cri étoit : Dii, quorum nutu & imperio nata & aucta est res romana, eamdem placati propitiique servate ! Voy. TRIOMPHE.

Nos chars de triomphe sont décorés de peintures, de sculptures, & de pavillons de différentes couleurs : ils ont lieu dans quelques villes du royaume : à Lille en Flandre, dans les processions publiques où l'on porte le saint Sacrement, on fait marcher à la tête, des chars sur lesquels on a placé de jeunes filles : ces chars sont précédés du fou de la ville, qui a le titre de fou, & la fonction de faire mille extravagances, par charge. Cette cérémonie superstitieuse doit être regardée avec plus d'indulgence que de sévérité : ce n'est point une dérision ; les habitans de Lille sont de très-bons chrétiens.

Les payens avoient aussi des processions & des chars de triomphe pour certaines occasions. Il est fait mention dans la pompe de Ptolemée Philadelphe, d'un char à quatre roues de quatorze coudées de long sur huit de large ; il étoit tiré par cent quatre-vingt hommes, il portoit un Bacchus haut de dix coudées, environné de prêtres, de prêtresses, & de tout l'attirail des fêtes de Bacchus. Voyez FETES, PROCESSIONS. Antiq. expl. & heder. lex.

CHAR, machine d'Opéra, espece de trône qui sert pour la descente des dieux, des magiciens, des génies, &c. Il est composé d'un chassis de forme élégante sur le devant, d'un plancher sur lequel est un siége, & d'un chassis plus grand qui sert de dossier. Ces chassis sont couverts de toile peinte en nuages, plus ou moins éclairés selon les occasions. On peint sur la partie du devant, ou un aigle, si c'est le char de Jupiter ; ou des colombes, si c'est celui de Vénus, &c. Ce char est suspendu à quatre cordes qu'on teint en noir, & il descend ou remonte par le moyen du contre-poids.

C'est la machine la plus ordinaire à l'opéra, & par cette raison sans-doute la moins soignée. Pendant le tems qu'on exécute une ritournelle majestueuse, on voit descendre une divinité, l'illusion commence : mais à peine le char a-t-il percé le plafond, que les cordes se montrent, & l'illusion se dissipe.

Il y a plusieurs moyens très-simples de dérober aux yeux du spectateur ces vilaines cordes, qui seules changent en spectacle ridicule le plus agréable merveilleux. Les chapelets de nuages placés avec art, seroient seuls suffisans, & on ne conçoit point pourquoi on ne les y employe pas. Cette partie trop négligée jusqu'ici, suivra sans-doute le sort de toutes les autres, par la sage administration de la ville de Paris, chargée desormais de ce magnifique spectacle. Voyez OPERA & CHAPELET.

Les Grecs se servoient des chars pour introduire leurs divinités sur le théatre ; ils étoient d'un usage très-fréquent dans les grands ballets & dans les carrousels. Voyez MACHINE, DECORATION, BALLET.

On exécute plusieurs vols avec les chars : mais il manque presque toûjours quelque partie essentielle à ces sortes de machines. Voyez VOL. (B)

CHAR, (Géog. mod.) petite riviere de France en Saintonge ; elle a sa source vers Paillé, & se perd dans la Boutonne à S. Jean-d'Angeli.


CHARA(Astronomie) une des constellations informes, figurée sur les globes par un chien, & placée sous la queue de la grande ourse.


CHARACENES. f. (Géog. anc.) c'étoit le territoire de la ville de Charax. Voyez CHARAX.


CHARACINES. f. (Géog. anc.) petite contrée de la Cilicie, dont Flaviopolis étoit le chef-lieu.


CHARACITANIENSS. m. plur. (Géog. anc.) peuples d'Espagne tarragonoise : ils habitoient des cavernes dans des montagnes au-delà du Tage ; c'est de-là qu'ils faisoient des excursions dans les contrées circonvoisines.


CHARADE(Hist. mod.) voyez SOUDRAS.


CHARADRA(Géog. anc.) il y a eu plusieurs villes de ce nom dans la Grece ; l'une dans la Phocide ; une autre dans l'Epire, proche le golfe d'Ambracie ; une troisieme dans la Messynie.


CHARADRUSS. m. (Géog. anc.) Il y a eu trois rivieres de ce nom ; l'une dans la Phocide, qui couloit proche de Charadra & se jettoit dans la Céphise ; une autre dans la Messynie ; une troisieme dans l'Achaïe. Il y avoit encore un torrent de même nom dans la contrée d'Argos.


CHARAou CHARAH, s. m. (Hist. mod.) c'est le tribut que le grand-seigneur fait lever sur les enfans mâles des Juifs, qui payent chaque année un sequin ou ducat, ce qui produit environ onze mille trois cent sequins. Il y a cependant trois cent hébreux exempts de ce tribut. Outre ce droit, les Juifs payent encore trois mille sequins par an, pour conserver le privilége qui leur est accordé de tenir des synagogues : & tous les ans en payant ce droit, ils en font renouveller la confirmation, avec le pouvoir de prendre le titre de rabbin, qui chez eux est leur docteur & le chef de la synagogue : ils sont encore taxés à douze cent sequins, pour avoir la permission d'ensevelir leurs morts.

Les chrétiens grecs qui sont sous la domination du grand-seigneur, dans Constantinople ou Pera, payent tous le charag, qui est d'un sequin par tête de chaque enfant mâle : & ce tribut produit chaque année environ trente-huit mille sequins. Ils payent de plus vingt-cinq mille sequins pour la conservation de leurs églises, & pour le droit d'être gouvernés par un patriarche.

Les chrétiens latins qui sont habitués à Constantinople ou à Pera, mariés ou non mariés, payent pour le charag un sequin par tête, & rien au-delà : mais la plûpart s'en exemptent en se faisant inscrire au nombre des officiers de quelques ambassadeurs des têtes couronnées.

Les voyageurs ou négocians chrétiens, payent le charag en entrant dans la premiere ville soumise à l'Empire ottoman, selon Ricaut, dans son état de cet Empire. Les esclaves qui ont acquis la liberté, soit par grace, soit par rachat, ne payent aucun charag, quoique mariés ; ils sont même exempts de toutes les taxes sur les choses nécessaires à la vie. Les chrétiens ragusiens & les albanois sont aussi exempts de tout tribut. Le chevalier de la Magdelaine, dans son miroir de l'Empire ottoman, ne porte pas le charag aussi haut que nous le mettons ici. (a)


CHARAMEISS. m. (Hist. nat. bot.) arbre exotique dont il est fait mention dans Lémeri. Il en distingue de deux especes, qu'on trouve, dit-il, sur les montagnes & dans les forêts du Canada & du Décan, loin de la mer. Les habitans du pays prennent la décoction de leurs feuilles en fébrifuge. Ces arbres sont de la hauteur du néflier ; l'un a la feuille du poirier, l'autre la racine laiteuse, & la feuille plus petite que le pommier. Cette feuille est d'un verd clair. Leur fruit qui croît en grappe, est une aveline jaune, anguleuse, & d'un goût stiptique, acide & agréable. Le chamareïs à feuille de poirier, a l'aveline plus grosse que le chamareïs à racine laiteuse. Les Indiens mangent l'aveline de celui-là mûre & verte, mais confite au sel ; & ils font de l'écorce de celui-ci broyée avec la moutarde, un purgatif pour l'asthme. Il y a dans la distinction de ces deux plantes, dans leur description, dans le détail de leurs propriétés, bien des choses vagues. Voyez Lémeri.


CHARAN(Géog. anc.) Haran, selon la vulgate ; ville de Mésopotamie, le premier séjour d'Abraham au sortir d'Ur, & le lieu de la mort de son pere.


CHARANTES. f. (Jurispr.) terme usité aux environs de la Rochelle, pour exprimer une chaussée ; ce terme vient sans-doute de charroi, & de ce que les chaussées sont faites principalement pour faciliter le passage des charrois & autres voitures. (A)


CHARAPETIS. m. (Botan.) arbrisseau des Indes occidentales. Sa racine est grosse & longue, par-dedans d'une couleur entre le blanc & le jaune, tirant sur le rouge ; ses feuilles sont semblables à celles de l'oranger, mais plus grandes ; ses fleurs sont jaunes & étoilées : il n'a ni odeur ni saveur considérable. On se sert de son bois, de même que du gayac, contre la vérole, la gale, & autres maux opiniâtres de cette espece. Tel est le rapport également inexact & inutile que divers voyageurs nous font du charapeti, suivant leur coûtume ; c'est-à-dire en ajoûtant aux faits qu'ils n'ont pas vûs, ceux qu'ils ont imaginés. Cet article est de M(D.J.)


CHARAX(Géog. anc.) il y avoit une charax dans la Chersonese taurique, sur la côte méridionale de la mer ; un port de ce nom dans l'Afrique ; une charax dans la Carie en Asie ; une autre en Arménie ; une troisieme dans la Parthie ; une quatrieme en Bythinie ; une cinquieme dans la Pontique ; une sixieme en Crete ; une septieme en Asie, dans la Phrygie ; une huitieme en Asie, au fond du golfe Persique.


CHARBONS. m. (Art. méch. & Hist. nat.) Il y a deux sortes de charbon, le naturel & l'artificiel ; ces deux substances n'ont presque rien de commun que la couleur de l'emploi. Nous allons parler de l'une & de l'autre. 1°. Du charbon artificiel. Le charbon artificiel, à le définir par ses qualités extérieures, est un corps noir, friable, assez leger, provenu de la combustion des végétaux, des animaux, & même de quelques substances minérales ; combustion ménagée, de maniere que ses progrès ne puissent pas s'étendre jusqu'à la destruction de ces substances une fois allumées. On prévient cette destruction, soit en disposant les matieres dès le commencement de l'opération, de sorte qu'elles ne soient pas exposées à l'abord libre de l'air, comme dans la distillation & dans la préparation en grand du charbon de bois ordinaire ; soit en supprimant ce concours de l'air quand le charbon commence à paroître, comme lorsque nous étouffons la braise formée dans nos cheminées ; soit en retirant simplement du foyer un charbon qui n'a pas en soi assez de chaleur pour en être détruit, quoique exposé à l'air libre ; ou enfin en détruisant tout-d'un-coup cette chaleur par l'application d'une masse considérable, d'un corps froid, tel qu'un liquide, & sur-tout un liquide non inflammable, qui puisse s'appliquer immédiatement au charbon embrasé, & l'entourer exactement : car la destruction du charbon dépend nécessairement de deux causes, l'action du feu & celle de l'air libre & humide, ou de la vapeur aqueuse répandue dans l'atmosphere. Voyez FLAMME. C'est parce que la seconde de ces deux causes manque, que le charbon est indestructible dans les vaisseaux fermés, quelque violent & quelque long que soit le feu qu'on lui fait éprouver dans ces vaisseaux. (b)

* CHARBON DE BOIS : ce charbon se fait de plusieurs manieres, qui toutes réussissent également. Voici comment on s'y prend à Aussois, à Pontquarré en Brie, &c. pour construire & conduire les fourneaux à charbon.

Les principaux instrumens nécessaires aux Charbonniers, sont 1°. une serpe grosse & forte pour emmancher leurs haches, pelles, &c. & faire des chevilles : 2°. un hoyau ou une pioche pour applanir leurs aires : 3°. une pelle de fer arrondie par le bout, un peu recourbée vers le milieu, pour que la terre y soit mieux retenue & puisse être lancée facilement & loin : 4°. une herque ou un rateau de fer, pour perfectionner l'aire : 5°. une forte hache à couper du gros bois, pour monter les chaumieres ou loges des Bucherons : 6°. une faulx pour couper l'herbe, dont on a besoin pour couvrir les fourneaux : 7°. un rabot de bois pour unir la terre qui couvre le fourneau, & lui donner de l'air, &c. 8°. une tariere : 9°. un crochet pour ouvrir le fourneau quand il est cuit : 10°. une seconde herque, ou un autre rateau : 11°. des paniers.

Les Charbonniers ne sont point obligés de couper leur bois ; ils le trouvent tout prêt, coupé de longueur & de sorte, & rangé par tas, comme on le voit Planc. I. des Forges en a & b. Ces tas sont contenus par deux gros pieux qu'on enfonce en terre, l'un à une de leurs extrémités, & l'autre à l'autre. Il est distribué par cordes, afin que l'ouvrier sache ce qu'il fait entrer de bois dans la construction de son fourneau. Un fourneau ordinaire en contient jusqu'à 7, 8, 9 cordes. On conduit presque toujours deux fourneaux, ou plutôt deux feux à la fois ; car les Charbonniers entendent par un fourneau, le bois arrangé comme il convient pour être réduit en charbon ; & par un feu, le fourneau quand il est allumé. Deux fourneaux donnent la voiture de charbon.

On se sert pour faire le charbon, de jeune bois, depuis un 1/2 pouce jusqu'à un pouce, un pouce 1/2, deux pouces, deux pouces & demi, &c. de diametre, sur deux piés, deux piés quatre à six pouces de longueur. Les bois blancs ne donnent point de bon charbon. Les chênes, les hêtres, qu'on appelle fouteaux, les charmes, sont propres à cet usage. Il faudroit rejetter le bouleau & le peuplier commun : ce qui ne se fait pas souvent. Il y a cependant quelques honnêtes charbonniers qui séparent le bouleau comme un mauvais bois, & ne s'en servent que pour les planchers du fourneau, regardant le bois employé aux planchers, comme un bois perdu qui ne donne que des fumerons.

Quand on débite le bois, il faut avoir l'attention de le couper le plus égal de grosseur & de longueur, & le plus droit qu'il est possible ; il sera très-bien de séparer le gros du menu, & le droit du tortu : ces précautions ne seront pas inutiles, soit dans la construction du fourneau, soit dans la conduite du feu. Si le bois est pêle-mêle, le charbonnier le prenant & l'employant comme il le trouve, chargera trop ou trop peu un côté de son fourneau, ou de gros bois, ou de petit, ou de bois tortu ; d'où il arrivera qu'un endroit commencera à peine à s'allumer, qu'un autre sera presque consumé : inconvénient qui sera toujours accompagné de quelque perte. Le plus petit bois peut être employé ; c'est une oeconomie qui n'est pas à négliger, comme on verra lorsque nous parlerons de la construction du fourneau.

Il faut que les tas de bois ne soient ni trop près des fourneaux, de peur que dans les grands vents le feu n'y soit porté, ni trop loin, ce qui fatigueroit les Charbonniers à l'aller chercher. C'est aussi pour éviter un incendie, qu'il faut bien nettoyer les environs des fourneaux de tout branchage, & autres menus bois.

Lorsque le bois est prêt, il faut travailler à faire la charbonniere. On entend par une charbonniere, l'endroit où l'on doit construire des fourneaux à charbon. Pour cet effet, on choisira un lieu égal de sa nature, on achevera ensuite de l'applanir avec la pioche ou le hoyau & le rateau ; l'espace circulaire qu'on aura ainsi applani, s'appelle l'aire du fourneau. L'aire d'un fourneau peut avoir 13, 14 à 15 piés de diametre. On prendra une forte bûche, on la fendra en croix par un de ses bouts ; on l'aiguisera par l'autre ; on la plantera par le bout aiguisé au centre de l'aire ; on ajustera dans les fentes de l'autre bout, deux bûches qui formeront quatre angles droits : ces angles serviront à recevoir & à contenir quatre bûches qui porteront d'un bout contre l'aire, & qui seront prises chacune par l'autre bout dans un des angles dont nous venons de parler ; ces quatre premieres bûches seront un peu inclinées sur celles du milieu.

Cela fait, on prendra du bois blanc assez gros & assez droit ; on le couchera par terre, ensorte que les bûches forment un plancher dont chacune soit comme le rayon d'un cercle qui auroit le même centre que l'air ; on répandra sur ce plancher de petites bûches ou plutôt des bâtons de bois de chemise. Les Charbonniers entendent par bois de chemise, du bois très-menu, qui ne feroit tout au plus que du charbon de chauffrette. Lorsqu'on aura couvert la surface des grosses bûches qui forment le plancher & rempli les vuides qu'elles laissent entr'elles avec ce petit bois, on aura achevé ce qu'on appelle un plancher.

Pour contenir les bûches de ce plancher dans l'ordre selon lequel on les aura rangées, on plantera des chevilles à leurs extrémités, sur la circonférence de ce plancher, laissant un pié plus ou moins de distance entre chaque cheville ; car il n'est pas nécessaire que toutes les bûches soient ainsi arrêtées : comme elles sont les plus serrées qu'il est possible les unes contre les autres, il suffit d'en contenir quelques-unes, pour que le plancher soit solide & ne se dérange pas.

Alors l'ouvrier prendra sa broüette, qu'on voit Pl. I. des Forges en II, KK, LL, MM, O, I, I, sont les bras ; O, la roue ; KL, KL, LM. LM, des morceaux de bois courbés un peu en S, assemblés sur les bras, formant un grand V dans l'ouverture duquel les bûches seront placées & retenues : elles poseront en même-tems sur la civiere de la broüette. Il ira au chantier, & chargera sa broüette de bûches. Il pourra apporter une corde de bois en quatre voyages. Il fera entrer la broüette dans l'aire, prendra son bois à brassée, & le dressera sur le plancher contre les bûches droites ou un peu inclinées qui en occupent déjà le centre, & qu'on a mises dans les angles droits de la premiere bûche fichée en terre verticalement ; ces premieres bûches étant un peu inclinées, celles qu'on appuiera d'un bout sur le plancher, & qui porteront selon toute la longueur contre les bûches qu'on avoit déjà dressées au centre de l'aire, seront aussi un peu inclinées. Ce bois ainsi rangé, aura la forme à-peu-près d'un cone tronqué dont la base seroit sur l'aire ; l'ouvrier continuera de dresser du bois jusqu'à ce que ce bois dressé couvre à-peu-près la moitié de la surface de son premier plancher.

Cela fait, il prendra une bûche du plus gros bois dont il se sert dans son fourneau, il l'aiguisera par un bout, & la fichera droite au centre de son cone de bûches ; s'il n'a pas achevé de couvrir tout son premier plancher de bûches dressées, c'est qu'il auroit eu de la peine d'atteindre jusqu'au centre de ces bûches dressées, & d'en dresser d'autres sur elles autour de la bûche pointue qu'il vient de ficher, & qu'il a fixée droite par du petit bois qu'il a mis autour.

Quand il aura fiché cette bûche, il ira chercher du bois qu'il dressera autour de cette bûche, ensorte que ces nouvelles bûches dressées portent d'un bout contre la bûche fichée, & de l'autre sur les premieres bûches dressées sur le premier plancher : ces bûches nouvelles seront aussi un peu inclinées ; & l'étage qu'elles formeront étant, pour ainsi dire, une continuation du premier étage, prolongera le cone tronqué.

Quand on aura formé le second étage, on achevera de couvrir le premier plancher ; ce plancher couvert, on reprendra des bûches de bois blanc, on arrachera les chevilles qui contiennent les bûches du premier plancher ; on formera un second plancher avec ces bûches de bois blanc, concentrique au premier ; on répandra du bois de chemise sur ce nouveau plancher, on en contiendra les bûches avec des chevilles ; on ira chercher du bois, & on le dressera sur ce second plancher, contre le bois dressé qui couvre entierement le premier.

On opérera sur ce nouveau plancher comme sur le premier ; je veux dire que quand il sera à moitié couvert, on continuera de former le second étage de bûches posées verticalement ou un peu inclinées sur le bout des bûches qui couvrent le premier plancher. Quand on aura étendu ce second étage autant qu'il se pourra, on formera autour du second plancher un troisieme plancher concentrique de bois blanc, comme on avoit formé les deux premiers ; on dressera sur ce troisieme des bûches jusqu'à ce qu'il soit à moitié couvert, & alors on continuera à former le second étage, comme nous avons dit. Quand ce second étage aura pris toute l'étendue ou tout le pourtour qu'il convenoit de lui donner, on achevera de couvrir le troisieme plancher & de former le second étage, & l'on s'en tiendra à ces trois planchers ; ensorte qu'on aura 1°. trois planchers, dont le troisieme enferme le second, le second le premier, & le premier la bûche plantée en terre verticalement, fendue par son autre bout en quatre, & armée par ce bout de deux bûches formant quatre angles droits, & ces angles contenant chacun une bûche inclinée ; 2°. sur ces planchers un second étage de bûches pareillement inclinées, ensorte que ce second étage moins étendu que le premier, continue la figure conique que le premier affectoit par l'inclinaison de ses bûches.

Lorsque le fourneau aura été conduit jusque-là, on ôtera les chevilles qui contiennent les bûches du troisieme plancher, pour servir dans la construction d'un autre fourneau, & on jettera tout autour de ce plancher du petit bois de chemise à deux mains, on prendra une échelle un peu convexe, on l'appliquera contre les étages, & on montera au-dessus du second ; on donnera quelques coups à la bûche pointue, placée au centre du second étage, afin de l'ébranler ; on la tirera un peu, on couvrira toute la surface supérieure & plane de ce second étage de bois de chemise, ensorte que cet amas de bois de chemise remplisse bien exactement tous les interstices que les bûches laissent entr'elles, & achevent de former le cone.

Alors le fourneau sera fini, quant à l'arrangement du bois ; & le bûcheron amassera de l'herbe & en jonchera l'extrémité supérieure de son fourneau d'abord, & ensuite la plus grande partie de sa surface. Il tracera un chemin autour, il en bêchera la terre, il ramassera cette terre par tas, il la brisera & divisera le plus qu'il pourra ; cela lui servira de frasin, car il n'en a pas encore, puisque nous supposons qu'il établit une charbonniere nouvelle. Le frasin n'est autre chose que de la poussiere de charbon mêlée avec quelque menue braise & de la terre. Les Charbonniers ramassent cette matiere autour de leurs fourneaux, & ils s'en servent pour leur donner la derniere façon ou le dernier enduit. Comme elle est assez menue, elle remplit exactement les interstices que les bois laissent entr'eux avant qu'on mette le feu, & les crevasses qui se font devant, après, & pendant la cuisson. Ils trouvent le frasin sur l'aire, quand ils en ont tiré le charbon ; & c'est la poussiere même qui couvroit le fourneau, qui s'est augmentée pendant la cuisson, & qui a servi à étouffer le charbon. Au défaut du frasin, ils font usage de la terre tirée du chemin avec la bêche, comme nous venons de le dire.

Quand la terre sera préparée, on prendra une pelle & on en couvrira le fourneau, à l'exception d'un demi-pié par em-bas, sur-tout le pourtour : c'est par-là que l'air se portera au centre quand on y mettra le feu, & le poussera. La couche ou l'enduit de frasin ou de terre (quand on manque de frasin) qui habillera le fourneau, n'aura pas plus d'un pouce & demi d'épaisseur.

Quand le fourneau sera couvert, le charbonnier montera en haut, enlevera la bûche qu'il avoit placée au centre du second étage, & jettera dans le vuide que laissera cette bûche, & qu'on appelle la cheminée, quelques petits bois secs & très-combustibles, & par-dessus, une pelletée de feu ; alors le fourneau s'allumera, & ne s'appellera plus fourneau, mais feu. La fumée sortira très-épaisse par le demi-pié d'em-bas, qu'on aura laissé découvert tout-autour du fourneau ; il en sortira aussi par la cheminée. On laissera les choses en cet état, jusqu'à ce qu'on voye la flamme s'élever au-dessus de la cheminée ; alors le charbonnier prendra une piece de gason, & bouchera la cheminée, mais non si exactement qu'il n'en sorte encore beaucoup de fumée ; il descendra ensuite de dessus son fourneau, & s'il fait un peu de vent, il apportera des claies, les dressera, & empêchera le vent de hâter le feu.

Le charbonnier ne pourra quitter son fourneau de deux heures, quand il y aura mis le feu. Il faudra qu'il veille à ce qui se passe, & qu'il soit attentif à jetter du frasin ou de la terre dans les endroits où la fumée lui paroîtra sortir trop épaisse. S'il arrive que l'air qui s'échappe du bois, mêlé avec la fumée, ne trouve pas une issue facile, cet air se mettra à circuler intérieurement, en faisant un bruit sourd & assez violent ; ce bruit finira ordinairement par un éclat, & par une ouverture qu'on appelle aussi cheminée, mais mieux vent : le charbonnier bouchera cette ouverture avec de la terre ou du frasin. Au bruit qui se fera intérieurement, & à l'éclat qui le suivra, ceux qui n'auront jamais vû faire de charbon, croiront volontiers que le fourneau s'est entr'ouvert & est dispersé ; cependant cela n'arrive jamais. Tout l'effet se réduira à un petit passage où l'on remarquera un cours de fumée considérable, que l'ouvrier arrêtera avec une légere pelletée de terre ou de frasin.

L'ouvrier aura encore une autre attention, ce sera de couvrir peu-à-peu le bas de son fourneau, & de retrécir cet espace que nous avons dit qu'il avoit laissé découvert. Quand il aura fait cet ouvrage, il pourra quitter son feu, & s'en aller travailler à la construction d'un autre fourneau. Il suffira que d'heure en heure, ou de demi-heure en demi-heure, il vienne modérer les torrens de fumée, & qu'il accoure quand il sera averti & appellé par les bruits des vents, ce qui arrivera de tems en tems. Il faudra, pour que le feu brûle également, que la fumée s'exhale également de tout côté, excepté au sommet vers la cheminée, où l'on contiendra le cours de la fumée plus fort qu'ailleurs.

Il arrivera quelquefois dès le premier jour, sur le soir, que le feu ait été plus vite dans un endroit que dans un autre, ce que l'on appercevra par les inégalités qui se feront à la surface du côté où le fourneau aura brûlé trop vîte ; alors le charbonnier prendra le rabot : le rabot est un morceau de bois plat, taillé comme un segment de cercle, & emmanché dans le milieu de la surface d'un long morceau de bois ; les deux angles du segment servent à ouvrir le fourneau ; & le côté rectiligne, à étendre la terre ou le frasin sur le fourneau, & à l'unir. Le charbonnier, avec la corne de cet instrument, découvrira le côté élevé du fourneau, & lui donnera de l'air, jusqu'à ce qu'il paroisse une espece de flamme legere ; si la flamme étoit vive & forte, le bois se consumeroit, & l'on auroit des cendres au lieu de charbon.

La premiere nuit, l'ouvrier ira visiter son feu deux à trois fois, examinera le vent, placera les claies comme il convient, donnera de l'air aux endroits qui en auront besoin, & le supprimera dans ceux où il paroîtra en avoir trop. Le feu n'ira bien, & le fourneau ne sera bien conduit, que quand, par l'attention du charbonnier à étouffer & à donner de l'air à tems & aux endroits convenables, l'affaissement du fourneau se fera à-peu-près uniformément partout.

Le second jour, le travail du charbonnier ne sera pas considérable ; mais à l'approche de la nuit du deuxieme jour, il ne pourra plus le quitter. La cuisson du charbon s'avancera, & le grand feu ne tardera pas à paroître. On appelle l'apparition du grand feu, le moment où toute la chemise se montre rouge & en feu ; ce sera alors le moment de polir le fourneau ; on regardera le charbon comme cuit ; on prendra le rabot & la pelle ; on rechargera le fourneau de terre & de frasin avec la pelle, & on l'unira avec le côté rectiligne du rabot, en tirant le frasin ou la terre de haut-en-bas, ce qui achevera de fermer la partie du contour inférieur qui pourroit être restée découverte. Cette opération étouffera le feu, bouchera toutes les petites ouvertures ou crevasses, & empêchera le charbon de se consumer.

Quand le fourneau sera poli, il ne se fera presque plus de fumée, & le travail se suspendra jusqu'au moment de le rafraîchir. Cette opération se fera dans la journée ; pour rafraîchir, on tournera le rabot du côté circulaire ; on l'appuiera un peu sur la surface du fourneau, & l'on tirera de haut-en-bas le plus de terre ou de frasin qu'on pourra ; après quoi on reprendra cette terre ou ce frasin avec la pelle, & on le répandra par-tout sur le fourneau, y en ajoûtant même un peu de nouveau ; par ce renouvellement d'enduit ou de chemise, on achevera d'interrompre toute communication à l'air extérieur avec l'intérieur du fourneau, & à étouffer entierement le charbon. On rafraîchira jusqu'à deux à trois fois ; mais une fois suffira, quand on aura bien fait.

Le quatrieme jour, le charbon sera censé fait & prêt à être tiré. Il suit de ce qui précede, 1°. qu'en supposant que le bûcheron mette le feu à son fourneau au point du jour, ce feu durera deux jours & deux nuits toûjours en augmentant ; que le troisieme jour, lorsque le grand feu aura paru, le feu étouffé par l'opération qu'ils appellent polir & rafraîchir, commencera à diminuer, & que le quatrieme jour de grand matin on pourra ouvrir le fourneau ; ce qui s'exécutera avec l'instrument appellé crochet. On n'ouvrira le fourneau que d'un côté ; si le charbon n'est que chaud, on le tirera ; s'il paroît embrasé, on le recouvrira bien avec la terre ou le frasin, & l'on remettra l'ouverture du fourneau au soir du même jour, ou au matin du lendemain.

2°. Qu'on pourra faire du charbon en tout tems & en toute saison ; mais que le tems calme sera le plus propre ; que les grands vents seront nuisibles ; qu'il en sera de même des pluies d'orage ; mais qu'il n'en sera pas ainsi du brouillard ou d'une petite pluie ; que l'humidité legere achevera la cuisson ; que cette cause réduira quelquefois les planchers en charbon ; ce qui n'arrivera jamais dans les tems orageux.

3°. Que le feu s'étendant du centre à la circonférence, il sera à-propos, quand on construira les planchers & les étages, de placer le plus gros bois vers le centre de l'aire, des planchers & des étages, & le menu bois à la circonférence.

Le charbon se fait en Bourgogne un peu diversement ; après avoir préparé l'aire à la bêche & au rateau, comme on le voit faire au bûcheron de la Planche I. des Forges, figure 1. on plante au centre de l'aire a b une longue perche c e ; on arrange au pié de cette perche quelques bûches c d d, de maniere qu'il y ait un peu d'intervalle entre la perche & les bûches ; on remplit une partie de cet intervalle que forment les bûches c d d par leur inclinaison, de bois sec & de menu branchage ; on continue d'incliner des bûches sur les bûches c d d ; on forme en grande partie l'étage f, fig. 2. on ménage à-travers les bûches de cet étage, un passage k qui va de la circonférence de cet étage jusqu'au centre, & on le tient ouvert par le moyen de la perche k. On va chercher du bois ; on forme l'étage g en grande partie ; on acheve l'étage f, dont l'extrémité des bûches est contenue par les rebords de l'aire ; on acheve l'étage g ; on forme l'étage h en entier ; on éleve sur cet étage l'étage i ; on termine le fourneau par de menu bois, & on le met en état d'être couvert de sa chemise. C'est ce qu'exécute le bucheron de la fig. 3. avec sa pelle ; il commence par remplir les premiers interstices extérieurs avec de l'herbe ; puis avec de la terre tirée d'un chemin qu'il pratiquera autour de son fourneau, s'il manque de frasin, ou avec le frasin qu'il aura recueilli sur l'aire d'un fourneau ; quand il en aura tiré le charbon, il formera à son fourneau la chemise m, l. Pour cet effet, il prendra avec la partie concave de sa pelle le frasin, & le jettera sur le bois, & avec la partie convexe il l'unira. Lorsqu'en conduisant son travail sur toute la surface du fourneau, il l'aura entierement couverte, il y mettra le feu, non par en-haut, comme dans la premiere maniere de faire le fourneau ; mais par em-bas. On voit, fig. 5. le fourneau en feu ; on laisse la couche de frasin legere en P P, pour que la fumée puisse s'échapper. On voit, fig. 5. un fourneau tout percé de vent ; fig. 6. un bûcheron qui découvre un endroit élevé du fourneau, & lui donne de l'air, afin qu'il aille plus vîte. Les autres bûcherons polissent & rafraîchissent.

Nous n'entrons dans aucun détail sur la maniere de conduire le feu de ces fourneaux ; la maniere différente dont ils sont construits n'influe en rien sur celle d'en mettre le bois en charbon, ce sont les mêmes principes & les mêmes précautions. On voit, fig. 9. un ouvrier qui prépare du bois ou une perche ; fig. 10. le bois coupé & en tas ; en Q N O, la voiture à charbon ; en R S T V X X Y Y, son développement ; en K K L L M M I I, la broüette ; en G, le crochet ; en F, la pelle ; en C D, le rateau. Le crochet est de fer.

On construit encore ailleurs les fourneaux de la maniere suivante : on fait au milieu de l'aire un plancher quarré de gros bâtons de bois blanc ; on répand sur ce plancher du bois de chemise ; sur ce plancher on en forme un second, de maniere que les bûches de ce second traversent & fassent grille sur celles du premier ; on jonche ce second plancher de bois de chemise ; on en forme un troisieme, un quatrieme, un cinquieme, &c. les uns sur les autres, & de la même maniere. On pratique au centre de ces planchers une ouverture d'un demi-pié en quarré ; on en fortifie la construction par quatre perches qu'on plante à chaque angle. On incline ensuite des bûches debout contre cet édifice ; on forme un premier étage de ces bûches ; sur cet étage, on en forme un second, un troisieme, &c. Ces étages vont toûjours en diminuant, ensorte que le fourneau entier a l'air d'une pyramide à quatre faces ; on observe de placer les plus gros bois au centre de chaque étage. On couvre cette pyramide de gason, de terre, ou de frasin ; on y met le feu, soit par en-haut, soit par en-bas, & on conduit le feu comme nous avons dit plus haut. Ce feu se répand fort vîte, parce qu'à mesure qu'on élevoit la pyramide, on remplissoit de matieres faciles à enflammer, le trou quarré des planchers faits les uns sur les autres au centre de cette pyramide, & selon toute sa hauteur, & les interstices des bois qui formoient les planchers.

Le bois neuf est le meilleur pour le charbon ; celui de vieux bois n'a point de corps & ne donne point de chaleur. On en fait avec toutes sortes de bois ; mais il n'est pas également bon à toutes sortes d'usages. On dit que celui de chêne, de saule, de chataigner, d'érable, de frêne & de charme, est excellent pour les ouvriers en fer ou en acier ; celui de hêtre, pour les Poudriers ; celui de bois blanc, pour les Orfévres ; celui de bouleau, pour les Fondeurs ; celui de saule & de troene, pour les Salpétriers : en un mot, il est évident que le charbon doit avoir différentes qualités, selon les bois dont on l'a fait ; & que ses qualités ne sont pas indifférentes aux Artistes, selon qu'ils se proposent, ou d'avoir de l'éclat, ou d'avoir de la chaleur, ou d'avoir du moëlleux & de la douceur. On employera les premiers dans les artifices ; les seconds dans les cuisines, forges, & autres atteliers semblables ; & on polira avec les derniers.

On appelle tue-vents ou brise-vents, les claies dont on entoure les fourneaux dans les tems venteux.

Nous avons dit que le charbon de bois étoit trois jours entiers à se faire ; c'est que nous avons supposé le fourneau construit de bois vert : il ne faut que deux jours & demi au bois sec.

Il est de la derniere importance de bien établir les courans de fumée avant & pendant la cuisson (ce qui s'exécute avec la pointe d'un fourgon, ou avec la corne du rabot), & de bien polir & rafraîchir après la cuisson.

Le charbon de bois se mesure & se vend au boisseau comble. On appelle charbon en banne, celui qui vient par charroi ; & banne, la charrette dans laquelle on le voiture. Voyez l'article BANNE.

Il est aisé d'être trompé à la qualité du charbon. Il est bon d'y faire attention quand on l'achete, & l'acheter plutôt au boisseau qu'en sacs.

Il est défendu de faire du charbon hors les forêts ; il n'est pas permis d'en faire chez soi, quand même on demeureroit dans les forêts.

On n'établit pas de charbonnieres par-tout où l'on veut ; c'est aux officiers des eaux & forêts d'en marquer les places, qu'ils choisissent les plus vuides & les plus éloignées des arbres. Ils en fixent communément le nombre à une par chaque arpent de bois à couper ; & ils peuvent obliger à repeupler les places ravagées par les charbonnieres.

Lorsque le fourneau est découvert, si le propriétaire ne l'enleve pas, mais le laisse sur l'aire, on dit qu'il reste en meule.

CHARBON, (Chimie). Le charbon en général est formé par la combinaison d'une terre & du principe inflammable, ou du feu ; le mixte qui résulte de cette union est mêlé dans la plûpart des charbons avec quelques parties salines, soit alkalines, soit neutres, qu'il enveloppe ou masque d'une façon singuliere ; car les menstrues naturels de ces sels ne les attaquent pas dans ce mélange : au moins la prétention de Borrichius, qui assure en avoir retiré une substance saline par une très-longue décoction avec l'eau distillée, la prétention de ce célebre chimiste, dis-je, n'est pas encore confirmée. L'huile de charbon est aujourd'hui un être dont l'existence est aussi peu soutenable que celle de l'acide du feu, du soufre, des métaux, du nitre aërien, &c. C'est parce que l'ivoire brûlé des boutiques n'est porté que jusqu'à l'état charbonneux, que l'eau-forte ne l'attaque point, & non pas parce qu'un certain gluten particulier empêche l'action de ce menstrue, raison qu'en donne le célebre M. Pott, dans le premier ch. de sa Lithogeognosie. (Trad. franç. p. 15.) ni " parce que ses parties calcaires sont pour ainsi dire enduites d'une terre charbonneuse. " Nouvelle explication du même auteur. (cont. de la Lithogeognosie, p. 236.) Il est essentiel d'observer pour l'exactitude logique, dont l'exposition la plus nue des expériences ne peut même se passer, que cette insolubilité de l'ivoire calciné ordinaire ne peut pas être regardée comme distinguant spécifiquement cette substance des autres matieres alkalines ; car de la comparaison d'un charbon à des chaux ou à des cendres animales, on ne peut rien inférer pour l'analogie ou la différence des matieres comparées. Ce que M. Pott avance du noir ou du charbon d'ivoire, est également vrai de toutes les terres animales combinées avec le phlogistique sous la forme du charbon ; & au contraire, l'ivoire calciné au blanc ou réduit en vraie chaux, est dissous assez promtement par l'acide, selon M. Pott lui-même, dans le dernier endroit cité. Nous observerons sur la derniere explication, qu'un Chimiste ne se représente que fort difficilement des parties calcaires enduites d'une terre charbonneuse ; qu'il ne connoît même pas assez ce dernier être, une terre charbonneuse ; & que la bonne doctrine des combinaisons le conduit au contraire très-naturellement à considérer tout charbon comme un vrai mixte formé par l'union (& non pas par l'enduit) du phlogistique (& non pas d'une terre charbonneuse) à la terre même du corps changé en charbon, ou à celle du débris de ses principes salins ou huileux. M. Pott rapporte, à l'endroit déja cité, de la cont. de sa Lithogeognosie, un fait très-remarquable, & qui a un rapport intime avec la considération qui vient de nous occuper. " Il y a plusieurs substances pierreuses & calcaires, dit ce chimiste, qui après avoir été calcinées, surtout dans un creuset fermé, ne font plus une effervescence aussi marquée, qu'elles faisoient avant la calcination ". Entr'autres causes qui peuvent concourir à ce phénomene, ne peut-on pas très-raisonnablement soupçonner que la principale consiste en ce que la terre calcaire de ces substances, simplement confondue avant la calcination avec quelques matieres inflammables, subit en tout ou en partie, avec le phlogistique de ces matieres, une combinaison charbonneuse ou presque charbonneuse ?

Il est très-vraisemblable que l'air entre aussi dans la mixtion charbonneuse ; mais comme on n'a trouvé jusqu'à présent d'autres moyens de détruire cette mixtion dans les vaisseaux fermés, que celui que fournit sa détonation avec le nitre, il seroit fort difficile de vérifier ce soupçon par tous les procédés connus : il ne paroît pourtant pas impossible de les retourner de façon à pouvoir satisfaire à cet égard la curiosité des Physiciens.

Le charbon parfait brûle sans donner de flamme sensible, à moins qu'on ne l'excite par le vent d'un soufflet, ou qu'il ne soit exposé à un courant rapide d'air dans nos fourneaux à grille. Le sel marin jetté sur des charbons à demi-éteints, les ranime. Voyez FLAMME & CALCINATION.

Le charbon détruit par la combustion à l'air libre, ou par la flamme, fournit la cendre dans laquelle on retrouve la plus grande partie de ses principes fixes, sa terre & ses parties salines. Voyez CENDRES.

C'est par ces principes fixes, ou par la nature de leurs cendres respectives, que les charbons des trois regnes sont spécifiés ; l'autre principe de la mixtion charbonneuse, le phlogistique, est exactement le même dans les trois regnes.

Le charbon est le corps le plus durable de la nature, le seul sur lequel un seul agent ait prise, savoir le feu ; & encore ce destructeur unique a-t-il besoin d'être secondé par l'eau de l'atmosphere, comme nous l'avons déjà remarqué. Les menstrues aqueux, salins, huileux, simples, ou composés, ne peuvent rien sur ce mixte ; cette incorruptibilité absolue a été observée il y a long-tems. C'est sans doute d'après cette observation que les architectes qui bâtirent le fameux temple d'Ephese, en poserent les fondemens sur une couche de charbon de bois, fait historique que les Chimistes n'ont pas manqué de noter ; & qu'au rapport de Maillet, les pauvres égyptiens qui n'étoient pas en état de faire embaumer leurs corps, de la durée desquels ils étoient si jaloux, les faisoient enterrer dans une couche de charbon. Voyez EMBAUMEMENT.

Les usages chimiques du charbon sont très-étendus ; d'abord il fournit au Chimiste l'aliment le plus ordinaire & le plus commode du feu qu'il employe dans la plûpart de ses opérations. Ce charbon doit être choisi dur, compact, sonnant & sec ; il doit être aussi tout charbon parfait, ou, ce qui est la même chose, n'être pas mêlé de fumerons : ce choix importe principalement à la commodité de l'artiste.

Secondement, comme mixte inflammable fixe, il fournit au Chimiste le principe du feu, ou le phlogistique : c'est dans ce mixte qu'il prend ce principe le plus ordinairement, lorsqu'il veut le faire passer dans une combinaison nouvelle ; car il est toujours forcé à enlever ce principe à un corps auquel il étoit déjà uni, lorsqu'il veut le fixer par des liens nouveaux ; le feu libre & en masse ne sauroit être forcé à subir ces mixtions, du moins par les opérations connues & vulgaires ; nous n'opérons donc jamais en Chimie que sur le feu lié ou fixé que nous appellons aujourd'hui phlogistique avec Sthal ; mais nous ne sommes pas en droit de prononcer pour cela, comme quelques chimistes, que ce feu fixe, ce phlogistique, differe essentiellement du feu fluide, de celui qui se meut librement dans tous les corps ; les regles de la bonne induction ne permettent pas même de soupçonner cette différence essentielle. Voyez FEU.

C'est comme fournissant le principe inflammable que le charbon est employé dans les réductions, soit en grand, soit en petit (Voyez REDUCTION & FONTE A TRAVERS LES CHARBONS), dans la composition des phosphores, de plusieurs pyrophores, du soufre artificiel, dans la fixation du nitre, &c.

Les funestes effets de la vapeur du charbon, stagnante dans un lieu fermé ou peu aëré, ne sont connus que par trop d'accidens. La nature de cette vapeur n'est point du tout déterminée ; elle ne s'éleve que du charbon brûlant à l'air libre, ou se détruisant actuellement ; le charbon embrasé dans les vaisseaux fermés ne la laisse point échapper. La considération de cette circonstance ne doit pas être négligée. Les vertus médicinales du charbon (car on lui en a donné, comme à l'éponge brûlée dans les écroüelles commençantes, au charbon de tilleul dans les convulsions, au spode des modernes ou ivoire calciné des boutiques, au spode des Arabes ou charbon de roseaux, &c.) ces vertus médicinales, dis-je, ne sont pas confirmées par l'observation ; & la Médecine rationnelle, qu'on peut écouter lorsque l'observation ne lui est pas contraire, n'est pas plus favorable à ces prétendues vertus. (b)

CHARBON MINERAL, (Hist. nat. Minéral.) c'est une substance inflammable composée d'un mélange de terre, de pierre, de bitume & de soufre : elle est d'un noir foncé, formée par un assemblage de feuillets ou de lames minces étroitement unies les unes aux autres, dont la consistance, les propriétés, les effets, & les accidens, varient suivant les différens endroits d'où elle est tirée. Quand cette matiere est allumée, elle conserve le feu plus long-tems, & produit une chaleur plus vive qu'aucune autre substance inflammable : l'action du feu la réduit ou en cendres, ou en une masse poreuse & spongieuse qui ressemble à des scories ou à de la pierre ponce.

On distingue ordinairement deux especes de charbon minéral : la premiere est grasse, dure & compacte ; sa couleur est d'un noir luisant, comme celle du jayet : il est vrai qu'elle ne s'enflamme pas trop aisément ; mais quand elle est une fois allumée, elle donne une flamme claire & brillante, accompagnée d'une fumée fort épaisse : c'est la meilleure espece.

Les charbons de la seconde espece sont tendres, friables, & sujets à se décomposer à l'air ; ils s'allument assez aisément, mais ils ne donnent qu'une flamme passagere & de peu de durée ; ils sont inférieurs à ceux de la premiere espece : c'est la différence qui se trouve entre ces deux especes de charbons fossiles, qui semble avoir donné lieu à la distinction que quelques auteurs font du charbon de terre & du charbon de pierre. Les charbons fossiles de la premiere espece se trouvent profondément en terre, & ils contiennent une portion de bitume plus considérable que ceux de la seconde : en effet ces derniers se trouvent plus près de la surface de la terre ; ils sont mêlés & confondus avec elle & avec beaucoup de matieres étrangeres, & leur situation est vraisemblablement cause qu'ils ont perdu la partie la plus subtile du bitume qui entre dans leur composition.

Les sentimens des Naturalistes sont partagés sur la formation & sur la nature du charbon minéral, aussi-bien que sur celle du succin & du jayet : il y en a qui croyent que Dieu les a créés dès le commencement, comme toutes les autres substances minérales ; d'autres veulent qu'ils n'ayent pris la forme que nous y remarquons que par la suite des tems, & sur-tout en conséquence du déluge universel : ils croyent que le charbon minéral n'est autre chose que du bois décomposé & changé en limon, qui a été imprégné de parties vitrioliques & sulphureuses.

Scheuchzer, sans avoir recours au déluge universel pour expliquer la formation du charbon de terre, ne le regarde que comme un assemblage de limon, de bitume, de pétrole, de soufre, de vitriol, & de bois, qui après s'être mêlés, se sont durcis avec le tems, & n'ont plus formé qu'une seule & même masse.

Il y a d'autres naturalistes qui regardent cette substance comme du bitume mêlé avec de la terre, qui a été cuit & durci par l'action du feu soûterrain.

Le sentiment de M. Wallerius, savant minéralogiste suédois, est que les charbons fossiles sont produits par une huile de pétrole ou par du naphte, qui après s'être joints avec de la marne ou du limon, se sont durcis par la suite des tems, & ont formé des couches de charbon, après qu'une vapeur sulphureuse passagere est venue à s'y joindre.

Quoi qu'il en soit de tous ces sentimens, il paroît très-probable qu'on doit attribuer au charbon minéral, ainsi qu'aux différens bitumes, au jayet & au succin, une origine végétale ; & il semble qu'en rapprochant toutes les circonstances, on ne trouvera rien de plus plausible que ce sentiment. Les veines & couches de charbon minéral sont ordinairement couvertes d'une espece de pierres feuilletées & écailleuses, semblables à l'ardoise, sur lesquelles on trouve très-souvent des empreintes de plantes des forêts, & sur-tout de fougere & de capillaire, dont les analogues ne sont point de notre continent : c'est ce qu'on peut voir dans l'excellent mémoire que M. de Jussieu a donné sur les empreintes qui se trouvent dans certaines pierres des environs de S. Chaumont en Lyonnois. Voyez les mém. de l'académ. royale des Sciences de Paris, année 1718. Il arrive très-souvent qu'on remarque une texture parfaitement semblable à celle des couches ligneuses, dans les feuilles ou lames dont le charbon minéral est composé ; & Stedler rapporte qu'on a trouvé en Franconie, près de Grunsbourg, une espece de charbon de terre qui étoit composé de fibres ou de filamens paralleles les uns aux autres, comme ceux du bois : le même auteur ajoute que quand on cassoit ce charbon, l'endroit de la fracture étoit luisant comme de la poix. Un autre auteur dit qu'au duché de Wirtemberg, près du couvent de Lorch, dans des lits d'argille vitriolique & grise, on a trouvé du charbon fossile, qui par l'arrangement de ses fibres prouve qu'il doit son origine à du bois de hêtre. Voyez selecta physico-oeconomica, vol. I. p. 442.

Mais ce qui prouve encore d'une maniere plus convaincante que c'est à du bois que le charbon de terre doit son origine, c'est le bois fossile qui a été trouvé depuis quelques années en Allemagne, dans le comté de Nassau : il est arrangé dans la terre, & y forme une couche qui a la même direction que celle du charbon minéral, c'est-à-dire qui est inclinée à l'horison. A la surface de la terre on rencontre un vrai bois résineux, assez semblable à celui du gayac, & qui n'est certainement point de notre continent : plus on enfonce en terre, plus on trouve ce bois décomposé, c'est-à-dire friable, feuilleté, & d'une consistance terreuse ; enfin en fouillant plus bas encore, on trouve un vrai charbon minéral.

Il y a donc tout lieu de croire que par des révolutions arrivées à notre globe dans les tems les plus reculés, des forêts entieres de bois résineux ont été englouties & ensevelies dans le sein de la terre, où peu-à-peu & au bout de plusieurs siecles, le bois, après avoir souffert une décomposition, s'est ou changé en un limon, ou en une pierre, qui ont été pénétrés par la matiere résineuse que le bois lui-même contenoit avant sa décomposition.

On trouve du charbon minéral dans presque toutes les parties de l'Europe, & sur-tout en Angleterre : ceux qui se tirent aux environs de Newcastle sont les plus estimés ; aussi font-ils une branche très-considérable du commerce de la grande Bretagne. Il y en a des mines très-abondantes en Ecosse, où l'on en trouve entr'autres une espece qui a assez de consistance pour prendre le poli à un certain point. Les Anglois le nomment cannel coal : on en fait des boîtes, des tabatieres, des boutons, &c. La Suede & l'Allemagne n'en manquent point, non plus que la France, où il s'en trouve une très-grande quantité de la meilleure espece. Il y en a des mines en Auvergne, en Normandie, en Hainaut, en Lorraine, dans le Forès, & dans le Lyonnois.

Les mines de charbon se rencontrent ordinairement dans des pays montueux & inégaux : on a pour les reconnoître des signes qui leur sont communs avec les autres especes de mines métalliques. Voyez l'art. MINES. Mais ce qui les caractérise plus particulierement, c'est qu'on trouve dans le voisinage des mines de charbon, des pierres chargées d'empreintes de plantes, telles que sont les fougeres, les capillaires, &c. L'air est souvent rempli de vapeurs & d'exhalaisons sulphureuses & bitumineuses, sur-tout pendant les fortes chaleurs de l'été. Les racines des végétaux qui croissent dans la terre qui couvre une pareille mine, sont imprégnées de bitume, comme on peut remarquer à l'odeur forte qu'elles répandent lorsqu'on les brûle ; odeur qui est précisément la même que celle du charbon de terre. Les endroits d'où l'on tire de la terre alumineuse, & de l'alun qu'on nomme alun feuilleté, alumen fissile, indiquent aussi le voisinage d'une mine de charbon. M. Triewald, qui a fourni à l'académie des Sciences de Stockolm des mémoires très-détaillés sur les mines de charbon de terre, donne deux manieres de s'assûrer de leur présence : la premiere consiste à faire l'examen des eaux qui sortent des montagnes, & des endroits où l'on soupçonne qu'il peut y avoir du charbon ; si cette eau est fort chargée d'ochre jaune, qui après avoir été séchée & calcinée, ne soit presque point attirable par l'aimant, on aura raison de fouiller dans ces endroits : la seconde maniere, que les mineurs anglois regardent comme la plus certaine, & dont ils font un très-grand mystere, est fondée sur ce qu'en Angleterre il se trouve très-souvent de la mine de fer mêlée avec le charbon de terre : on prend donc une ou plusieurs pintes de l'eau qui est chargée d'ochre jaune, on la met dans un vaisseau de terre neuf vernissé, & on la fait évaporer peu-à-peu à un feu très-modéré ; si le sédiment qui reste au fond du vaisseau après l'évaporation est d'une couleur noire, il y aura toute apparence, suivant M. Triewald, que l'eau vient d'un endroit où il y a une mine de charbon. Outre les différentes manieres que nous venons de dire, on se sert encore de la sonde ou tariere ; c'est vraisemblablement la méthode la plus sûre : on la trouvera représentée dans la Pl. I. du charbon minéral, & l'on en donnera la description ou l'explication à l'article SONDE DES MINES.

Le charbon minéral se trouve ou par couches ou par veines dans le sein de la terre : ces couches varient dans leur épaisseur, qui n'est quelquefois que de deux ou trois pouces ; pour lors elles ne valent point la peine d'être exploitées : d'autres au contraire ont une épaisseur très-considérable. On dit qu'en Scanie, près de Helsingbourg, il y a des couches de charbon de terre qui ont jusqu'à 45 piés d'épaisseur. Ces couches ou ces filons suivent toujours une direction parallele aux différens lits des pierres ou des différentes especes de terre qui les accompagnent : cette direction est toûjours inclinée à l'horison ; mais cette inclinaison varie au point de ne pouvoir être déterminée : cependant pour s'en former une idée, le lecteur pourra consulter parmi les Planches de Minéralogie, celles du charbon minéral.

On verra aux figures 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, les différentes inclinaisons & directions que l'on a remarquées dans les mines de charbons de terre. La partie qui est plus proche de la surface, se nomme en anglois the cropping of the coal ; le charbon qui s'y trouve est d'une consistance tendre, friable, & se confond avec la terre : au lieu que plus la mine s'enfonce profondément en terre, plus elle est riche & épaisse ; & le charbon qu'on en tire est gras, inflammable, & propre à faire de bon chauffage : aussi arrive-t-il ordinairement qu'on est forcé d'abandonner les mines de charbon lorsqu'elles sont les plus abondantes ; parce que quand on est parvenu à une certaine profondeur, les eaux viennent avec tant de force & en si grande quantité, qu'il est impossible de continuer le travail.

Le charbon fossile se rencontre entre plusieurs lits de terre & de pierres de différentes especes ; telles que l'ardoise, le grais, des pierres plus dures, que les Anglois nomment whin ; des pierres à aiguiser, des pierres à chaux, entre-mêlées d'argile, de marne, de sable, &c. Ces différens lits ont différentes épaisseurs que l'on ne peut point déterminer, parce que cela varie dans tous les pays : ces lits ont la même direction ou la même inclinaison que les couches ou filons de charbon ; à moins que quelque obstacle, que les Anglois nomment trouble, embarras, ou dikes, digues, ne vienne à interrompre leur direction ou leur parallélisme ; ces obstacles ou digues sont des roches formées après-coup, qui viennent couper à angles droits, ou obliquement ou en tout sens, non-seulement les couches de charbon de terre, mais encore tous les lits de terre & de pierre qui sont au-dessus ou en-dessous. On peut voir dans la Planche citée, fig. 8. & 10. les différentes directions que ces digues ou roches font prendre aux couches ou filons ; c'est donc un des plus grands obstacles qui s'oppose à l'exploitation des mines de charbon ; ces roches ne suivent aucun cours déterminé, & sont souvent si dures qu'elles résistent aux outils des ouvriers, qui sont obligés de renoncer à vouloir les percer : le plus court est de chercher de l'autre côté de la digue ce que le filon & la couche de charbon peuvent être devenus, souvent on ne les retrouve qu'à cinq cent pas au-delà : cette recherche demande beaucoup d'habitude & d'expérience. Quelquefois la digue, sans couper la couche de charbon, lui fait prendre la forme d'un chevron. Voyez la figure 10.

M. Triewald nous apprend qu'on connoît la proximité d'une pareille digue ou roche sauvage, lorsque le charbon est d'une couleur de gorge de pigeon, ou orné des différentes couleurs de l'ar-en-ciel.

Par ce qui précede on voit que rien n'est plus avantageux pour les propriétaires d'une mine de charbon de terre, que lorsqu'elle suit une pente douce, & n'est que peu inclinée par rapport à l'horison ; c'est ce que les Anglois nomment flat broad coal : pour lors on n'est point obligé de faire des puits si profonds, ces mines ne sont point si exposées aux eaux, & on peut les travailler pendant beaucoup plus long-tems : celle qui est marquée Pl. II. fig. 1. est de cette espece. Lorsque la couche de charbon de terre descend presque perpendiculairement à l'horison, les Anglois la nomment hanging coal. Les mines de cette espece fournissent un charbon plus gras, plus dur & plus compact que les autres ; mais on ne peut pas les travailler pendant fort long-tems, parce qu'il est très-difficile de se garantir des eaux lorsqu'on est parvenu à une certaine profondeur. La fig. 3. Planc. I. représente une mine de cette espece. Souvent il arrive qu'il y a plusieurs couches de charbon les unes sur les autres ; cependant elles sont séparées par des lits de terre & de pierre intermédiaires : c'est ordinairement la principale couche qui est la plus enfoncée en terre ; on néglige celles qui sont au-dessus, parce qu'elles n'ont quelquefois que cinq ou six pouces d'épaisseur, attendu qu'elles ne dédommageroient point des fraix, & l'on continue à descendre jusqu'à ce que l'on soit parvenu à la couche principale, comme on peut voir dans la fig. 2 de la Planche I. & Planche II. fig. 1.

Quand on s'est assûré de la présence d'une mine de charbon ; pour la travailler, on commence par faire à la surface de la terre une ouverture que l'on nomme puits ou bure ; on fait passer ce puits perpendiculairement au-travers de tous les lits de terre ou de pierre qui couvrent le charbon de terre : il est ordinairement entre deux couches de roc ou de pierre, dont celle qui est en-dessus s'appelle le toict de la mine, & celle qui est en-dessous le sol ; la roche supérieure est feuilletée comme de l'ardoise & d'une couleur claire, l'inférieure est d'une couleur plus foncée. La profondeur des bures varie à proportion du plus ou du moins d'inclinaison de la mine : ordinairement on en perce deux, l'une sert à enlever les eaux, & l'autre le charbon ; elles servent aussi à donner de l'air aux ouvriers, & à fournir une issue aux vapeurs & exhalaisons dangereuses qui ont coûtume d'infecter ces sortes de mines. La bure qui sert à tirer le charbon se nomme bure à charbon, l'autre se nomme bure à pompe : cette derniere est ordinairement étayée depuis le haut jusqu'en bas de poutres ou de madriers qui empêchent les terres de s'ébouler : on peut quelquefois suppléer à cette derniere espece de bure d'une façon moins coûteuse & beaucoup plus avantageuse ; c'est en conduisant une galerie soûterreine qui aille en pente depuis l'endroit le plus bas de la couche de charbon, c'est ce qu'on appelle un percement ; on lui donne pour lors une issue au pié de la montagne où l'on a creusé. Cette galerie est garnie en maçonnerie, c'est par-là que les eaux ont la facilité de s'écouler ; cela épargne les pompes, le travail des hommes, beaucoup de machines ; l'on peut en voir un exemple dans la figure ; mais souvent les circonstances rendent la chose impraticable, & alors on est obligé d'avoir recours aux pompes dont les tuyaux doivent être de plomb, ou ce qui vaut encore mieux de bois d'aune, que l'on a soin de bien goudronner ou d'enduire avec de l'huile cuite, sans quoi les eaux qui sont très-corrosives & très-vitrioliques, les détruiroient en très-peu de tems.

Le principal inconvénient auquel les mines de charbon sont sujettes, est celui qui est causé par des vapeurs & exhalaisons pernicieuses & suffocantes qui y regnent très-fréquemment, sur-tout pendant les grandes chaleurs de l'été ; elles sont pour lors si abondantes, qu'elles obligent quelquefois les ouvriers de cesser entierement leurs travaux. Ces vapeurs sont de deux especes ; la premiere, que les Anglois nomment bad air, mauvais air, & qui en françois s'appelle pousse ou moufette, ressemble à un brouillard épais ; elle a la propriété d'éteindre peu-à-peu les lampes & les charbons ardens que l'on y expose, de la même maniere qu'il arrive dans le récipient de la machine pneumatique lorsqu'on a pompé l'air : c'est par ces effets que les mineurs reconnoissent la présence de cette vapeur ; aussi c'est une maxime parmi eux qu'il faut avoir l'oeil autant à sa lumiere qu'à son ouvrage. Lorsqu'ils s'apperçoivent que la lumiere de leurs lampes s'affoiblit, le parti le plus sûr pour eux est de se faire tirer promtement hors des soûterreins, quand ils peuvent en avoir le tems. La façon d'agir de cette vapeur est d'appesantir & d'endormir ; mais cet effet est quelquefois si promt, que des ouvriers qui en ont été atteints sont tombés de l'échelle en descendant dans la mine, sans avoir le tems de crier à l'aide : quand on les secourt à tems, ils peuvent en rechapper, si on les porte au grand air ; au commencement on ne leur voit donner aucun signe de vie. Mais le remede le plus efficace, c'est d'enlever avec une bêche un morceau de gason : on couche le malade sur le ventre, de façon que sa bouche porte sur le trou qu'on a fait en terre, & l'on pose sur sa tête le morceau de gason qu'on en a enlevé ; par-là il revient peu-à-peu, & se réveille comme d'un sommeil doux & tranquille, pourvû cependant qu'il n'ait pas été trop long-tems exposé à la vapeur dangereuse. C'est, suivant M. Triewald, le remede le plus certain ; il dit en avoir fait l'expérience avec succès : cependant il reste souvent pendant plusieurs jours des pesanteurs de tête au malade. Voyez les mémoires de l'acad. roy. de Stockolm, année 1740. Il y a encore une maniere de secourir ceux qui ont eu le malheur d'être frappés de cette exhalaison dangereuse ; c'est de leur faire avaler promtement de l'eau tiede mêlée avec de l'esprit-de-vin : ce mélange leur procure un vomissement très-abondant de matieres noires. Mais ce remede ne guérit point toûjours radicalement ; il reste souvent aux malades une toux convulsive pour le reste de leurs jours.

M. Triewald conjecture que les funestes effets de cette vapeur, viennent des particules acides sulphureuses dont elle est composée, qui détruisent l'élasticité de l'air, qui d'ailleurs est dans un état de stagnation au fond des mines, faute d'une circulation suffisante : aussi remarque-t-on que ces vapeurs s'y amassent en plus grande abondance, lorsqu'on a été quelques jours sans y travailler ; pour lors les ouvriers ne se hasardent point d'y entrer sans avoir fait descendre par une des bures une chandelle allumée jusqu'au fond du puits ; si elle demeure allumée, ils vont se mettre au travail sans crainte ; si elle s'éteint, il y auroit de la témérité à s'y exposer : ils sont donc obligés d'attendre que cette vapeur soit dissipée.

Outre la vapeur que nous venons de décrire, il y en a encore une autre qui présente des effets aussi terribles, & des phénomenes encore plus singuliers que la précédente. Les Anglois la nomment wild fire, feu sauvage ; peut-être à cause qu'elle ressemble à ce qu'on appelle feux follets. Dans les mines qui sont entre Mons, Namur, & Charleroi, on la nomme terou, & feu brisou dans quelques autres provinces. Cette vapeur sort avec bruit & avec une espece de sifflement par les fentes des soûterreins où l'on travaille, elle se rend même sensible, & se montre sous la forme de toiles d'araignées ou de ces fils blancs qu'on voit voltiger vers la fin de l'été, & que vulgairement on appelle cheveux de la Vierge. Lorsque l'air circule librement dans les soûterreins & qu'il a assez de jeu, on n'y fait point beaucoup d'attention ; mais lorsque cette vapeur ou matiere n'est point assez divisée par l'air, elle s'allume aux lampes des ouvriers, & produits des effets semblables à ceux du tonnerre ou de la poudre à canon. Quand les mines de charbon sont sujettes à des vapeurs de cette espece, il est très-dangereux pour les ouvriers d'y entrer, sur-tout le lendemain d'un dimanche ou d'une fête, parce que la matiere a eu le tems de s'amasser pendant qu'il n'y avoit aucune commotion dans l'air : c'est pour cela qu'avant que d'entrer dans la mine, ils y font descendre un homme vêtu de toile cirée ou de linge mouillé ; il tient une longue perche fendue à l'extrémité, à laquelle est attachée une chandelle allumée ; cet homme se met ventre à terre, & dans cette posture il s'avance & approche sa lumiere de l'endroit d'où part la vapeur ; elle s'enflamme sur le champ avec un bruit effroyable qui ressemble à celui d'une forte décharge d'artillerie ou d'un violent coup de tonnerre, & va sortir par un des puits. Cette opération purifie l'air, & l'on peut ensuite descendre sans crainte dans la mine : il est très-rare qu'il arrive malheur à l'ouvrier qui a allumé la vapeur, pourvû qu'il se tienne étroitement collé contre terre ; parce que toute la violence de l'action de ce tonnerre soûterrain se déploye contre le toît de la mine, ou la partie supérieure des galeries. Voilà, suivant M. Triewald, comment en Angleterre & en Ecosse on se garantit de cette vapeur surprenante. Dans d'autres endroits, les ouvriers en préviennent les effets dangereux d'une autre maniere : ils ont l'oeil à ces fils blancs qu'ils entendent & qu'ils voyent sortir des fentes, ils les saisissent avant qu'ils puissent s'allumer à leurs lampes, & les écrasent entre leurs mains ; lorsqu'ils sont en trop grande quantité, ils éteignent la lumiere qui les éclaire, se jettent ventre à terre, & par leurs cris avertissent leurs camarades d'en faire autant : alors la matiere enflammée passe par-dessus leur dos, & ne fait de mal qu'à ceux qui n'ont pas eu la même précaution ; ceux-là sont exposés à être ou tués ou brûlés. On entend cette matiere sortir avec bruit, & mugir dans les morceaux de charbon même à l'air libre, & après qu'ils ont été tirés hors de la mine : mais alors on n'en doit plus rien craindre.

Les transactions philosophiques, n°. 318. nous fournissent un exemple des effets terribles, causés en 1708 par une vapeur inflammable de la nature de celle dont nous parlons. Un homme appartenant aux mines de charbon, s'étant imprudemment approché avec sa lumiere de l'ouverture d'un des puits pendant que cette vapeur en sortoit, elle s'enflamma sur le champ ; il se fit par trois ouvertures différentes une irruption de feu, accompagnée d'un bruit effroyable : il périt soixante-neuf personnes dans cette occasion. Deux hommes & une femme qui étoient au fond d'un puits de cinquante-sept brasses de profondeur, furent poussés dehors & jettés à une distance considérable ; & la secousse de la terre fut si violente, que l'on trouva un grand nombre de poissons morts qui flottoient à la surface des eaux d'un petit ruisseau qui étoit à quelque distance de l'ouverture de la mine.

Nous trouvons encore dans les mêmes transactions, n°. 429. la relation de plusieurs phénomenes singuliers, opérés par une vapeur inflammable sortie d'une mine de charbon. Le chevalier J. Lowther fit ouvrir un puits pour parvenir à une veine de charbon minéral : quand on eut creusé jusqu'à quarante-deux brasses de profondeur, on arriva sur un lit de pierre noire qui avoit un demi-pié d'épaisseur, & qui étoit rempli de petites crevasses dont les bords étoient garnis de soufre. Quand les ouvriers commencerent à percer ce lit de pierre, il en sortit beaucoup moins d'eau qu'on n'avoit lieu de s'y attendre ; mais il s'échappa une grande quantité d'air infect & corrompu, qui passa en bouillonnant au-travers de l'eau qui s'étoit amassée au fond du puits qu'on creusoit : cet air fit un bruit & un sifflement qui surprit les ouvriers ; ils y présenterent une lumiere qui alluma sur le champ la vapeur, & produisit une flamme très-considérable qui brûla pendant long-tems à la surface de l'eau. On éteignit la flamme, & le chevalier Lowther fit remplir une vessie de boeuf de la vapeur, qu'il envoya à la société royale : on adapta un petit tuyau de pipe à l'ouverture de la vessie ; & en la pressant doucement pour faire passer la vapeur au-travers de la flamme d'une bougie, elle s'enflamma sur le champ comme auroit fait l'esprit-de-vin, & continua à brûler tant qu'il resta de l'air dans la vessie. Cette expérience réussit, quoique la vapeur eût déjà séjourné pendant un mois dans la vessie. M. Maud, de la société royale de Londres, produisit par art une vapeur parfaitement semblable à la précédente, & qui présenta les mêmes phénomenes. Il mêla deux dragmes d'huile de vitriol avec huit dragmes d'eau commune ; il mit ce mélange dans un matras à long cou, & y jetta deux dragmes de limaille de fer : il se fit sur le champ une effervescence très-considérable ; & le mélange répandit des vapeurs très-abondantes qui furent reçûes dans une vessie, dont elles remplirent très-promtement la capacité. Cette vapeur s'enflamma, comme la précédente, à la flamme d'une bougie. Cette expérience est, suivant le mémoire dont nous l'avons tirée, très-propre à nous faire connoître les causes des tremblemens de terre, des volcans, & autres embrasemens soûterrains. Voyez les transactions philosophiques, n°. 442. pag. 282.

Par tout ce qui vient d'être dit, ou voit de quelle importance il est de faire ensorte que l'air soit renouvellé, & puisse avoir un libre cours dans les soûterrains des mines de charbon de terre. De tous les moyens qu'on a imaginés pour produire cet effet, il n'y en a point dont on se soit mieux trouvé que du ventilateur ou de la machine de M. Sutton : on en verra la description à l'article MACHINE A FEU. On vient tout nouvellement, en 1752, d'en faire usage avec le plus grand succès dans les mines de charbon de Balleroi en Normandie.

Ce que nous avons dit de la vapeur inflammable qui sort des mines de charbon, est très-propre à faire connoître pourquoi il arrive quelquefois qu'elles s'embrasent au point qu'il est très-difficile & même impossible de les éteindre : c'est ce qu'on peut voir en plusieurs endroits d'Angleterre, où il y a des mines de charbon qui brûlent depuis un très-grand nombre d'années. L'Allemagne en fournit encore un exemple très-remarquable, dans une mine qui est aux environs de Zwickau en Misnie ; elle prit feu au commencement du siecle passé, & depuis ce tems elle n'a point cessé de brûler : on remarquera cependant que ces embrasemens ne sont point toûjours causés par l'approche d'une flamme, ou par les lampes des ouvriers qui travaillent dans les mines. En effet, il y a des charbons de terre qui s'enflamment au bout d'un certain tems, lorsqu'on les a humectés. Urbanus Hioerne, savant chimiste suédois, parle d'un incendie arrivé à Stokholm ; il fut occasionné par des charbons de terre, qui, après avoir été mouillés dans le vaisseau qui les avoit apportés, furent entassés dans un grenier, & penserent brûler la maison où on les avoit placés.

Si on se rappelle que nous avons dit dans le cours de cet article, qu'il se trouve toûjours de l'alun dans le voisinage du charbon minéral, on devinera aisément la raison de cette inflammation spontanée, à quoi nous joindrons ce que Henckel dit dans sa Pyrithologie. Ce savant naturaliste dit que " la mine d'alun, sur-tout celle qui doit son origine à du bois, & qui est mêlée à des matieres bitumineuses, telle que celle de Commodau en Bohème, s'allume à l'air lorsqu'elle y a été entassée & exposée pendant quelque tems ; & pour lors non-seulement il en part de la fumée, mais elle produit une véritable flamme ". Il n'est pas surprenant que cette flamme venant à rencontrer une matiere aussi inflammable que le charbon de terre, ne l'allume très-aisément. Peut-être, en rapprochant ces circonstances, trouvera-t-on une explication très-naturelle de la formation des volcans, & de la cause de certains tremblemens de terre.

L'analyse chimique du charbon minéral donne, suivant Hoffman 1°. un flegme ; 2°. un esprit acide sulphureux ; 3°. une huile tenue, parfaitement semblable au naphte ; 4°. une huile plus grossiere & plus pesante que la précédente ; 5°. en poussant le feu, il s'attache au cou de la cornue un sel acide, de la nature de celui qu'on tire du succin ; 6°. enfin, il reste après la distillation une terre noire qui n'est plus inflammable, & qui ne donne plus de fumée.

Le charbon de terre est d'une grande utilité dans les usages de la vie. Dans les pays où le bois n'est pas commun, comme en Angleterre & en Ecosse, on s'en sert pour le chauffage & pour cuire les alimens ; & même bien des gens prétendent que les viandes rôties à un pareil feu, sont meilleures ; il est certain qu'elles sont plus succulentes, parce que le jus y est plus concentré. Les habitans du pays de Liége & du comté de Namur donnent le nom de houille au charbon minéral. Pour le ménager, les pauvres gens le réduisent en une poudre grossiere qu'ils mêlent avec de la terre glaise ; ils travaillent ce mélange comme on feroit du mortier ; ils en forment ensuite des boules ou des especes de gâteaux, qu'on fait sécher au soleil pendant l'été. On brûle ces boules avec du charbon de terre ordinaire ; & quand elles sont rougies, elles donnent pendant fort long-tems une chaleur douce & moins âpre que celle du charbon de terre tout seul.

Plusieurs arts & métiers font, outre cela, un très-grand usage du charbon de terre. Les Maréchaux & Serruriers, & tous ceux qui travaillent en fer, lui donnent la préférence sur le charbon de bois ; parce qu'il échauffe plus vivement que ce dernier, & conserve la chaleur plus long-tems. En Angleterre, on s'en sert dans les Verreries de verre ordinaire, & même de crystal ; on en vante sur-tout l'usage pour cuire les briques & les tuiles ; & dans beaucoup d'endroits on s'en sert avec succès pour chauffer les fours à chaux. Les sentimens des Métallurgistes sont partagés sur la question, si l'on peut se servir avec succès du charbon de terre pour la fusion des minerais. M. Henckel en rejette l'usage, & prétend qu'il est plus propre à retarder qu'à faciliter la fusion des métaux ; parce que, suivant le principe de Becher, l'acide du soufre est un obstacle à la fusibilité. Cette autorité doit être sans-doute d'un très-grand poids : cependant, qu'il nous soit permis de distinguer & de faire remarquer que cette raison ne sauroit toûjours avoir lieu, attendu que quelquefois on a à traiter des minérais dont, pour tirer le métal, il est nécessaire de détruire la partie ferrugineuse qui y est souvent jointe ; & dans ce cas l'acide du soufre est très-propre à produire cet effet.

Bien des gens ont regardé la fumée du charbon minéral comme très-pernicieuse à la santé, & se sont imaginé que la consomption n'étoit si commune en Angleterre, qu'à cause que l'air y est continuellement chargé de cette fumée. M. Hoffman n'est point de ce sentiment : au contraire il pense que la fumée des charbons fossiles est très propre à purifier l'air & à lui donner plus de ressort, sur-tout lorsque cet air est humide & épais. Il prouve son sentiment par l'exemple de la ville de Hall en Saxe, où le scorbut, les fievres pourprées & malignes, la phthisie, étoient des maladies très-communes avant qu'on fît usage du charbon de terre dans les salines de cette ville, qui en consomment une très-grande quantité. Cet auteur a remarqué que depuis ce tems, ces maladies ont presque entierement disparu, ou du-moins y sont très-peu fréquentes. Voyez F. Hoffman, observationes physico-chimicae, pag. 207. & ss.

M. Wallerius est aussi du même avis ; il s'appuie sur ce que les habitans de Falun en Suede sont continuellement exposés à la fumée du charbon de terre, sans être plus sujets à la phthisie que ceux des autres pays. Quoi qu'il en soit, il est certain que la fumée du charbon est très-contraire à certaines gens ; & M. Hoffman avoue lui-même que la trop grande abondance en peut nuire : & c'est-là précisément le cas de la ville de Londres, où la grande quantité de charbon qu'on brûle donne une fumée si épaisse, que la ville paroît toûjours comme couverte de nuages ou d'un brouillard épais : ajoûtons encore, qu'il peut se trouver dans les charbons de terre de quelques pays des matieres étrangeres pernicieuses à la santé, qui ne se trouvent point dans d'autres.

Quelques auteurs prétendent que l'huile tenue, tirée par la distillation du charbon minéral, appliquée extérieurement, est un fort bon remede contre les tumeurs, les ulceres invétérés, & les douleurs de la goutte. Il y a toute apparence que cette huile tenue doit avoir les mêmes vertus que l'huile de succin, puisque l'une & l'autre sont composées de mêmes principes, ont la même origine, & ne sont qu'une résine végétale différemment modifiée dans le sein de la terre. Voyez l'article SUCCIN. (-)

CHARBON VEGETAL & FOSSILE. (Hist. natur.) Un auteur allemand, nommé M. Schultz, rapporte dans sa vingt-neuvieme expérience un fait qui mérite d'être connu des Naturalistes ; il dit que près de la ville d'Altorf en Franconie, au pié d'une montagne qui est couverte de pins & de sapins, on voit une fente ou ouverture qui a environ mille pas de profondeur ; ce qui forme une espece d'abysme qui présente un spectacle très-propre à inspirer de l'horreur ; aussi nomme-t-on cet endroit teuffels-kirch, le temple du diable. Dans ce lieu on trouva répandus dans une espece de grais fort dur de grands charbons semblables à du bois d'ébene ; à cette occasion on s'apperçut qu'anciennement on avoit travaillé dans ce même endroit ; car on y remarqua des galeries soûterraines qu'on avoit percées dans le roc, vraisemblablement parce qu'on avoit espéré de trouver, en fouillant plus avant, des couches continues du charbon que l'on n'avoit rencontré qu'épars çà & là ; dans l'espace d'une demi-lieue on vit toûjours des traces de ces charbons, qui étoient tantôt renfermés dans une roche très-dure, tantôt répandus dans de la terre argilleuse. On fit des expériences sur ce charbon, pour voir quelle pourroit être l'utilité qu'on en retireroit, & voici les principaux phénomenes qu'on y remarqua. 1°. Ces charbons étoient disposés horisontalement. 2°. Les morceaux les plus gros qu'on pût détacher étoient des cylindres comprimés, c'est-à-dire présentoient une figure ovale dans leur diametre. 3°. Il y avoit une grande quantité de pyrites sulphureuses auprès de ces charbons. 4°. Il y en avoit plusieurs qui étoient entierement pénétrés de la substance pyriteuse ; ceux-ci se décomposoient & tomboient en efflorescence à l'air, après y avoir été quelque tems exposés, & quand on en faisoit la lixiviation avec de l'eau qu'on faisoit ensuite évaporer, on obtenoit du vitriol de Mars. 5°. Il s'est trouvé dans cet endroit des morceaux de charbon qui avoient un pié & plus de large, 7 à 8 pouces de diametre, & plusieurs aunes de longueur. 6°. Ces charbons étoient très-pesans, très-compactes & très-solides. 7°. On essaya avec succès de s'en servir pour forger du fer, & ils chauffoient très-fortement. 8°. Le feu les réduisoit entierement en une cendre blanche & legere, dont il étoit aisé de tirer du sel alkali fixe, comme des cendres ordinaires. 9°. Ces charbons, après avoir été quelque tems exposés à l'air, se fendoient aisément suivant leur longueur, & pour lors ils ressembloient à du bois fendu. 10°. Il s'est trouvé quelques morceaux qui n'étoient pas entierement réduits en charbon, l'autre moitié n'étoit que du bois pourri.

Voilà les différens phénomenes que l'on a remarqués dans ces charbons ; ils ont paru assez singuliers, tant par eux-mêmes que par leur situation dans une pierre très dure, pour qu'on ait cru devoir proposer aux Naturalistes le problème de leur formation. (-)

CHARBON, terme de Chirurgie, tumeur brûlante qui survient dans différentes parties du corps, accompagnée tout-autour de pustules brûlantes, corrosives, & extrèmement douloureuses. Un des signes pathognomoniques du charbon, est qu'il ne suppure jamais, mais s'étend toûjours & ronge la peau, où il produit une espece d'escare, comme celle qui seroit faite par un caustique, dont la chûte laisse un ulcere profond.

Le charbon est ordinairement un symptome de la peste & des fievres pestilentielles.

Les remedes intérieurs qui doivent combattre le vice des humeurs que produit le charbon, sont les mêmes que ceux qui conviennent aux fievres pestilentielles. Voyez PESTE.

Les secours chirurgicaux consistent dans l'application des remedes les plus capables de résister à la pourriture, & de procurer la chûte de l'escare. Si le charbon résiste à ces remedes, on employe le cautere actuel pour en borner le progrès ; après avoir brûlé jusqu'au vif, il faut scarifier profondément l'escare, & même l'emporter avec l'instrument tranchant, pour peu qu'il soit considérable. On tâche ensuite de déterminer la suppuration par des digestifs animés. L'onguent égyptiac est fort recommandé pour déterger les ulceres avec pourriture qui succedent à la chûte de l'escare du charbon. Charbon est la même chose qu'anthrax. (Y)

CHARBON, s. m. (Maréchall.) On appelle ainsi une petite marque noire qui reste d'une plus grande dans les creux des coins du cheval, pendant environ sept ou huit ans. Lorsque ce creux se remplit, & que la dent devient unie & égale, le cheval s'appelle rasé. (V)


CHARBONIERE(LA) Géog. ville forte d'Italie dans le duché de Savoie, à un mille d'Aiguebelle.


CHARBONNÉadj. (Peinture) il se dit d'un dessein dont les traits ne sont pas nets & distincts, quelle que soit la sorte de crayon qu'on ait employée, quoique ce mot vienne originairement du crayon noir, selon toute apparence. Il est en ce sens synonyme à barbouillé, & ne se prend jamais qu'en mauvaise part.

* CHARBONNE ou NOIR, (Agricult.) épithete qu'on donne à un blé qui s'écrase facilement, qui ne germe pas, & qui répand sa poudre noire sur le bon grain, qui a à son extrémité une petite houppe qui la retient facilement. Ainsi il y a deux sortes de grains charbonnés, celui dont la substance est vraiment corrompue, & celui qui n'est taché qu'à la superficie ; on dit de ce dernier qu'il a le bout. Le blé qui a le bout, employé par le Boulanger, donne au pain un oeil violet ; mais employé par le Laboureur, il donne de bon grain : ce qui n'est pas tout-à-fait l'avis de M. de Tull, auteur anglois, qui a écrit de l'Agriculture, & qui a été traduit en notre langue par M. Duhamel. Il prétend que le blé charbonné par le bout donne du grain noir, à moins que la grande chaleur de la saison ne dissipe ce vice. On ne sait pas encore ce qui charbonne le grain ; on a seulement remarqué qu'il y en a beaucoup lorsqu'il s'est fait des pluies froides pendant la fleur & pendant la formation de l'épi ; ce qui s'accorde fort bien avec le sentiment & l'expérience de M. de Tull, qui, ayant pris quelques piés de blé, les ayant plantés dans un vase plein d'eau, & en ayant trouvé tous les grains noirs, crut conséquemment que cette mauvaise qualité naissoit de l'humidité de la terre. Cependant il faut avoüer que les lieux bas ne donnent pas plus de grains charbonnés, que les lieux hauts. C'est une autre expérience que M. Duhamel de l'académie des Sciences, oppose à celle de M. de Tull ; & il faut convenir que celle de notre académicien est plus générale, & par conséquent plus décisive que celle de l'auteur anglois. Pour prévenir le charbonnage du grain, les uns arrosent leur blé de semence avec une forte saumure de sel marin ; les autres ajoûtent à cette précaution, celle de le saupoudrer ensuite au tamis avec de la chaux vive pulvérisée, arrosant de saumure, remuant, saupoudrant ainsi à plusieurs reprises. Ici on se contente de tremper le grain dans de l'eau de chaux (Voyez les articles SEMAILLE, LABOUR), ou de changer les semences & de les couper, comme on fait les races aux animaux dont on veut avoir de belles especes. Ce dernier expédient est pour ainsi dire général.


CHARBONNÉES. f. (Cuisine) endroits maigres du boeuf, du porc, du veau, coupés par tranches minces, & grillés sur le feu. On donne aussi le même nom à une côte séparée de l'aloyau.


CHARBONNIERS. m. ce terme a plusieurs acceptions différentes. 1°. On appelle ainsi à Paris celui qui porte le charbon du bateau dans les maisons, & qui dans les ordonnances s'appelle plumet. Voyez PLUMET. 2°. On entend par ce mot les ouvriers occupés dans les forêts à construire & conduire les fours à charbon. Voyez l'article CHARBON DE BOIS. C'est un travail dur & qui demande des hommes vigoureux. 3°. On désigne ainsi le lieu destiné dans les maisons à placer le charbon, quand on en fait provision.


CHARBONNIERES. f. (Economie rustique & Commerce) On donne ce nom, 1° aux endroits d'une forêt où l'on a établi des fours à charbon de bois ; 2° à des femmes qui revendent le charbon de bois à petites mesures.

CHARBONNIERE, s. f. (Jurisprud.) prison à l'hôtel-de-ville, où l'on enferme ceux qui ont commis quelques délits sur les rivieres, ports & quais, dont la jurisdiction appartient aux prevôt des marchands & échevins.

CHARBONNIERES, (Vénerie) terres rouges où les cerfs vont frapper leurs têtes après avoir touché aux bois ; ce qu'on appelle brunir. Elles en prennent la couleur. Voyez CERF.


CHARCANASS. m. (Commerce) étoffes & toiles soie & coton, qui viennent des Indes orientales. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév.


CHARCAS(LOS) Géog. province de l'Amérique méridionale au Pérou, sur la mer du Sud, dont la Plata est la capitale. C'est la plus féconde en mines de toute l'Amérique.


CHARCUTIERvoyez CHAIRCUITIER.


CHARDONcarduus, s. m. (Hist. nat.) genre de plante dont la fleur est un bouquet à fleurons découpés, portés chacun par un embryon, & soûtenus par le calice hérissé d'écailles & de piquans. Les embryons deviennent dans la suite des semences garnies d'aigrettes. Tournefort, inst. rei herb. Voy. PLANTE. (I)

CHARDON-BENIT, (Hist. nat.) plante qui doit être rapportée au genre appellé cnicus. V. CNICUS. (I)

CHARDON-BENIT, (Matiere médicale & Pharmacie) De toutes plantes que la Médecine moderne employe, il n'en est pas une qui ait été tant exaltée que le chardon-benit ; il n'est presque pas un auteur célebre qui ne lui ait attribué un grand nombre de propriétés médicinales, depuis qu'on a parlé pour la premiere fois de ses vertus, il y a environ 300 ans, selon une tradition rapportée par Pontedera, qui paroît fort persuadé que les anciens n'avoient pas connu l'usage médicinal de cette plante, puisqu'ils n'avoient pas vanté son utilité dans un grand nombre de maladies, eux qui donnoient si facilement des éloges pompeux à tant de remedes inutiles.

En rapprochant toutes les propriétés que différens auteurs attribuent au chardon-benit, on trouve qu'il est à la lettre un remede polycreste, une médecine universelle ; en effet on l'a loüé comme vomitif, purgatif, diurétique, sudorifique, expectorant, emménagogue, alexitaire, cordial, stomachique, hépatique, anti-apoplectique, anti-épileptique, anti-pleurétique, fébrifuge, vermifuge, & même vulnéraire, employé tant extérieurement qu'intérieurement.

C'est le suc, la décoction, & l'extrait de ses feuilles qu'on a principalement employé : sa semence a passé pour avoir des vertus à-peu-près analogues à celles des feuilles ; & enfin quelques auteurs les ont attribuées aussi, ces vertus, à son eau distillée, à son sel essentiel, & même à son sel lixiviel.

On peut raisonnablement conjecturer que cette grande célébrité du chardon-benit, dont nous venons de parler, ne lui a pas été acquise sans quelque fondement ; son amertume, par exemple, annonce assez bien une vertu fébrifuge, stomachique, apéritive, peut-être même legerement emménagogue. La quantité de sel essentiel (apparemment nitreux) qu'elle contient, & qu'on en retire par le procédé ordinaire (Voyez SEL ESSENTIEL), peut la faire regarder encore comme un bon diurétique, & comme propre dans les maladies inflammatoires de la poitrine ; ce sont aussi ces vertus que confirme l'usage de son extrait, qui est presque la seule préparation utile employée parmi nous. L'expérience n'est pas si favorable à l'usage de son eau distillée, que l'on prépare encore communément dans nos boutiques, & que quelques médecins ordonnent comme cordiale & sudorifique.

L'eau distillée du chardon-benit des Parisiens, cnicus attractilis, que la plûpart des Apoticaires de Paris préparent à la place de celle-ci, lui est infiniment préférable sans-doute, puisque cette derniere plante contient une assez grande quantité de parties mobiles & actives qui s'élevent dans la distillation avec son eau, & qui lui donnent des vertus qu'on chercheroit envain dans l'eau distillée du chardon-benit ordinaire, qui est absolument insipide & sans odeur.

Les feuilles de chardon-benit entrent dans la composition de l'orviétan, dans celle de l'eau de lait alexitaire, dans l'huile de scorpion composée ; les sommités de cette plante sont un des ingrédiens du decoctum amarum de la pharmacopée de Paris ; sa semence entre dans la poudre arthritique purgative de la même pharmacopée, dans l'opiate de Salomon, dans la confection hyacinthe ; son extrait entre dans la thériaque céleste, dans les pilules balsamiques de Stahl, & dans celles de Becher. (b)

CHARDON A BONNETIER, dipsacus, genre de plante dont les fleurs naissent dans des têtes, semblables en quelque maniere à des rayons de miel. Les têtes sont composées de plusieurs feuilles pliées ordinairement en gouttiere, posées par écailles, & attachées à un pivot. Il sort des aisselles de ces feuilles des fleurons découpés & engagés par le bas dans la couronne des embryons, qui deviennent dans la suite des semences ordinairement cannelées. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

* Ce chardon est d'une grande utilité aux manufactures d'étoffes en laine. Voyez sur-tout l'article DRAPIER. Il est défendu par les réglemens généraux & particuliers, d'en sortir du royaume.

CHARDON ETOILE, ou CHAUSSE-TRAPE, (Hist. nat. bot.) plante qui doit être rapportée au genre appellé simplement chardon. Voyez CHARDON. (I)

CHARDON-ROLAND, s. m. (Hist. nat. bot.) panicaut, eryngium, genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelle, & composées de plusieurs pétales, rangées en rond, recourbées pour l'ordinaire vers le centre de la fleur, & soûtenues par le calice qui devient un fruit composé de deux semences garnies de feuilles ; dans quelques especes, plates, & ovales dans d'autres ; quelquefois elles quittent leur enveloppe, & elles ressemblent à des grains de froment. Ajoûtez au caractere de ce genre, qu'il y a une couronne de feuilles placées à la base du bouquet de fleurs. Tournef. inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CHARDON-ROLAND, (Matiere médicale & Pharmacie) La racine de chardon-roland, qui est une des cinq racines apéritives mineures, est la partie de cette plante employée en Médecine ; elle est apéritive & diurétique, incisive, tonique, & emménagogue ; elle passe aussi pour legerement aphrodisiaque. On l'employe fraîche dans les bouillons, les aposemes, & les tisanes apéritives.

La préparation de cette racine consiste à la nettoyer & à la monder de sa corde, ou de la partie ligneuse qui se trouve dans son milieu, & à en faire ensuite un condit ou une conserve. C'est sous l'une de ces deux formes qu'on la garde dans les boutiques ; parce qu'étant séchée elle se gâte très-facilement, & perd ainsi toute sa vertu. Voyez CONDIT & DESSICATION.

Cette racine entre dans le sirop de guimauve composé, le decoctum rubrum de la pharmacopée de Paris ; dans les électuaires de satyrium de plusieurs auteurs, & dans presque toutes les préparations officinales propres à réveiller l'appétit vénérien, qui se trouvent décrites dans les différens dispensaires. (b)

CHARDON, (Architecture & Serrurerie) ce sont des pointes de fer en forme de dards, qu'on met sur le haut d'une grille, ou sur le chaperon d'un mur, pour empêcher de le franchir. (P)

CHARDON, ou NOTRE-DAME DE CHARDON, (Hist. mod.) ordre militaire, institué en 1369 par Louis II. dit le Bon, troisieme duc de Bourbon. Il étoit composé de vingt-six chevaliers sans reproche, renommés en noblesse & en valeur, dont le prince & ses successeurs devoient être chefs, pour la défense du pays. Mais il n'est parlé de cet ordre qui s'est anéanti, que dans quelques-unes de nos histoires : c'est sur quoi on doit voir Favin dans son théatre d'honneur & de chevalerie, aussi-bien que la Colombiere dans un grand ouvrage sous le même titre. (a)

CHARDON, ou SAINT-ANDRE DU CHARDON, ordre de chevalerie en Ecosse, qui a ces mots pour devise : Nemo me impunè lacesset, personne ne m'attaquera impunément. On l'attribue à un roi d'Ecosse nommé Anchaius, qui vivoit sur la fin du huitieme siecle. Mais l'origine de ces sortes d'ordres est apocryphe, dès qu'on la fait remonter à ces anciens tems. Il vaut bien mieux la rapporter au regne de Jacques I. roi d'Ecosse, qui commença l'an 1423. Mais si on en fait honneur à Jacques IV. en suivant l'opinion de quelques auteurs, elle sera de la fin du quinzieme siecle ; car Jacques IV. ne commença son regne qu'en 1488. L'infortuné Jacques VII. d'Ecosse, ou II. d'Angleterre, le voulut remettre en vigueur ; mais son éclat dura peu, & il subsiste foiblement. Ce qu'il en reste de plus considérable, est la dévotion des Ecossois catholiques qui sont en petit nombre, pour l'apôtre saint André, qui est peu fêté par les prétendus Réformés, dont la religion est la dominante d'Ecosse, qui de royaume est devenue province d'Angleterre en 1707. (a)


CHARDONNEou LAINER, (Manuf.) c'est tirer l'étoffe au chardon. Cette opération n'a lieu qu'aux ouvrages en laine. Voyez en quoi elle consiste à l'article DRAP.


CHARDONNERETS. m. carduelis, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau plus petit que le moineau domestique ; il pese une once & demie ; il a environ cinq pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergeure est d'environ neuf pouces ; la tête est assez grosse à proportion du reste du corps. Le cou est court, le bec est blanchâtre, à l'exception de la pointe qui est noire dans quelques oiseaux de ce genre. Il est court, il n'a guere qu'un demi-pouce de longueur ; il est épais à sa racine & terminé en pointe, & fait en forme de cone. La langue est pointue, l'iris des yeux est de couleur de noisette ; la base du bec est entourée d'une belle couleur d'écarlate, à l'exception d'une marque noire qui s'étend de chaque côté depuis l'oeil jusqu'au bec. Les côtés de la tête sont blancs, le dessus est noir, & le derriere est blanc ; il y a une large bande noire qui descend de chaque côté, depuis le sommet de la tête jusqu'au cou, & qui se trouve entre le blanc du derriere de la tête & celui des côtés. Le cou & le dos sont d'une couleur rousse-cendrée ; le croupion, la poitrine, & les côtés sont d'une couleur rousse moins foncée. Le ventre est blanc. Il y a dans chaque aîle dix-huit grandes plumes qui sont noires, & qui ont toutes la pointe blanchâtre, à l'exception de la premiere qui est entierement noire. L'aîle est traversée par une bande d'une belle couleur jaune : cette bande est formée par les barbes extérieures de chaque plume, qui sont d'un beau jaune depuis la base jusqu'à leur milieu, à l'exception de la premiere plume que nous avons dit être entierement noire, & des deux dernieres, dont les bords extérieurs sont noirs comme les bords intérieurs. Toutes les petites plumes de l'aîle qui recouvrent les grandes, sont noires, à l'exception des dernieres du premier rang qui sont jaunes. La queue est composée de douze plumes noires avec des taches blanches. Les deux plumes extérieures de chaque côté ont une large marque blanche un peu au-dessous de la pointe au côté intérieur ; les autres ont seulement la pointe blanche. Les pattes de cet oiseau sont courtes ; le doigt de derriere est fort & garni d'un ongle plus long que ceux des autres doigts. L'extérieur tient à celui du milieu à sa naissance. On distingue la femelle par sa voix, qui est moins forte que celle du mâle, par son chant qui ne dure pas si long-tems, & par les plumes qui couvrent la côte de l'aîle, qui sont cendrées ou brunes ; au lieu que ces mêmes plumes sont d'un beau noir dans le mâle. Aldrovande donne cette marque comme la plus sûre & la plus constante pour distinguer le sexe de cet oiseau.

Les chardonnerets vont en troupe, & vivent plusieurs ensemble. On en fait cas pour la beauté des couleurs de leurs plumes ; & surtout pour leur chant qui est fort agréable. Cet oiseau n'est point farouche. Au moment qu'il vient de perdre sa liberté, il mange & il boit tranquillement. Il ne fait point de vains efforts comme la plûpart des autres oiseaux, pour sortir de sa cage ; au contraire il y en a qui ne veulent plus en sortir, lorsqu'ils y ont été long-tems. Cet oiseau se nourrit pendant l'hyver de semences de chardon ; c'est de-là qu'est venu son nom. Il mange aussi les graines du chardon à Bonnetier, du chanvre, de la bardane, du pavot, de la rue, &c. Il niche dans les épines & sur les arbres. La femelle fait, selon Gesner, sept oeufs ; & selon Belon, huit. Aldrovande fait mention des variations qui se trouvent quelquefois dans les couleurs de cet oiseau, & qui viennent de l'âge ou du sexe, ou qui sont causées par d'autres accidens. Les jeunes chardonnerets n'ont point de rouge sur la tête. Il y en a qui ont les cils blancs. On en a vû qui étoient blancs, & qui avoient la tête rouge ; & d'autres qui étoient blanchâtres, & qui avoient un peu de rouge sur le devant de la tête & à l'endroit du menton. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)


CHARENÇONS. m. curculio, (Hist. nat.) petit insecte auquel on a aussi donné les noms de calendre & de chatepeleuse. M. Linnaeus le met dans la classe des insectes qui ont de fausses ailes, & dont la bouche est formée par des mâchoires : c'est un scarabé qui vient d'un ver ; il a la bouche & le gosier fort grands ; c'est pourquoi on l'a nommé curculio ou gurgulio, & lorsqu'il est sous la forme d'un ver, & lorsqu'il est parvenu à celle de scarabé ; il ronge le froment & les feves. Voyez INSECTE. (I)


CHARENTE(LA) Géog. riviere de France qui prend sa source dans le Limosin, & se jette dans l'Océan vis-à-vis l'île d'Oleron.


CHARGÉCHARGé

Se charger d'épaules, de ganache, de chair, se dit d'un cheval auquel les épaules & la ganache deviennent trop grosses, & de celui qui engraisse trop.

CHARGE, en termes de Blason, se dit de toutes sortes de pieces sur lesquelles il y en a d'autres. Ainsi le chef, la face, le pal, la bande, les chevrons, les croix, les lions, &c. peuvent être chargés de coquilles, de croissans, de roses, &c.

Francheville en Bretagne, d'argent au chevron d'azur, chargé de six billettes d'or dans le sens des jambes du chevron. (V)

* CHARGE (Jeu) se dit des dez dont on a rendu une des faces plus pesante que les autres ; c'est une friponnerie dont le but est d'amener le point foible ou fort à discrétion. On charge le dez en remplissant les points mêmes de quelque matiere plus lourde en pareil volume que la quantité d'ivoire qu'on en a ôtée pour les marquer. On les charge d'une maniere plus fine ; c'est en transposant le centre de gravité hors du centre de masse ; ce qui se peut, ce qui est même très-souvent, contre l'intention du Tabletier & des joüeurs, lorsque la matiere des dez n'est pas d'une consistance uniforme. Alors il est naturel que le dez s'arrête plus souvent sur la face dont le centre de gravité est le moins éloigné. Exemple : Si un dez a été coupé dans une dent, de maniere qu'une de ses faces soit faite de l'ivoire qui touchoit immédiatement à la concavité de la dent, & que la face opposée ait par conséquent été prise dans l'extrémité solide de la dent ; il est clair que cet endroit sera plus compact que l'endroit opposé, & que le dez sera chargé tout naturellement : on peut donc sans fourberie étudier les dez au trictrac, & à tout autre jeu de dez. La petite différence qui se trouve entre l'égalité de pesanteur en tout sens, ou, pour parler plus exactement, entre le sens de pesanteur & celui de masse, se fait sentir à la longue, & donne un avantage certain à celui qui la connoît : or le plus petit avantage certain pour un des joüeurs à l'exclusion des autres, dans un jeu de hasard, est presque le seul qui reste, quand le jeu dure long-tems.

CHARGE, (Monnoie) se dit d'une piece d'or ou d'argent qu'on a affoibli de son métal propre, & dont on a rétabli le poids par une application de métal étranger.


CHARGEFARDEAU, POIDS, FAIX, synon. (Gram.) termes qui sont tous relatifs à l'impression des corps sur nous, & à l'action opposée de nos forces sur eux, soit pour soûtenir, soit pour vaincre leur pesanteur. S'il y a une compensation bien faite entre la pesanteur de la charge & la force du corps, on n'est ni trop ni trop peu chargé : si la charge est grande, & qu'elle employe toutes les forces du corps ; si l'on y fait encore entrer l'idée effrayante du volume, on aura celle du fardeau : si le fardeau excede les forces & qu'on y succombe, on rendra cette circonstance par faix. Le poids a moins de rapport à l'emploi des forces, qu'à la comparaison des corps entr'eux & à l'évaluation que nous faisons ou que nous avons faite de leur pesanteur par plusieurs applications de nos forces à d'autres corps. On dira donc : il en a sa charge : son fardeau est gros & lourd : il sera accablé sous le faix : il ne faut pas estimer cette marchandise au poids.

Le mot charge a été transporté de tout ce qui donnoit lieu à l'exercice des forces du corps, à tout ce qui donne lieu à l'exercice des facultés de l'ame. Voyez dans la suite de cet article différentes acceptions de ce terme, tant au simple qu'au figuré. Le mot charge dans l'un & l'autre cas, emporte presque toûjours avec lui l'idée de contrainte.

CHARGE, s. f. (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs acceptions différentes ; il signifie en général tout ce qui est dû sur une chose mobiliaire ou immobiliaire, ou sur une masse de biens ; quelquefois il signifie condition, servitude, dommage, ou incommodité : c'est en ce dernier sens qu'on dit communément, qu'il faut prendre le bénéfice avec les charges : quem sequuntur commoda, debent sequi & incommoda. Charge se prend aussi quelquefois pour une fonction publique & pour un titre d'office. (A)

* Avant que de passer aux différens articles qui naissent de ces distinctions, nous allons exposer en peu de mots le sentiment de l'auteur de l'esprit des lois, sur la vénalité des charges, prises dans le dernier sens de la division qui précede. L'illustre auteur que nous venons de citer, observe d'abord que Platon ne peut souffrir cette vénalité dans sa république : " c'est, dit ce sage de l'antiquité, comme si dans un vaisseau on faisoit quelqu'un pilote pour son argent : seroit-il possible que la regle fût mauvaise dans quelque emploi que ce fût de la vie, & bonne seulement pour conduire une république " ? 2°. Il prétend que les charges ne doivent point être vénales dans un état despotique : il semble qu'il faudroit distinguer entre un état où l'on se propose d'établir le despotisme, & un état où le despotisme est tout établi. Il est évident que la vénalité des charges seroit contraire aux vûes d'un souverain qui tendroit à la tyrannie ; mais qu'importeroit cette vénalité à un tyran ? sous un gouvernement pareil est-on plus maître d'une charge qu'on a payée à prix d'argent, que de sa vie ? & y a-t-il plus de danger pour un souverain absolu tel que celui de l'empire ottoman, à révoquer un homme en place qui lui déplait, qu'à lui envoyer des muets & un lacet ? Les sujets ne peuvent causer quelque embarras par la propriété des charges qu'ils ont acquises, que quand la tyrannie est commençante & foible, qu'elle ne s'est point annoncée par de grandes injustices, qu'elle ne s'est point fortifiée par des forfaits accumulés, que les lois ne sont point devenues versatiles comme le caprice de celui qui gouverne, qu'il reste dans la langue le mot liberté, que les usages n'ont pas encore été foulés aux piés, & que les peuples n'ont pas tout-à-fait adopté le nom d'esclaves. Mais quand ils sont descendus à cet état de dégradation & d'avilissement, on peut tout impunément avec eux ; il est même utile au tyran de commettre des actes de violence. Le despotisme absolu ne souffre point d'intermission ; c'est un état si contraire à la nature, que pour le faire durer, il ne faut jamais cesser de le faire sentir. L'esprit de la tyrannie est de tenir les hommes dans une oppression continuelle, afin qu'ils s'en fassent un état, & que sous ce poids leur ame perde à la longue toute énergie. 3°. Mais cette vénalité est bonne dans les états monarchiques ; parce que l'on fait comme un métier de famille ce qu'on ne feroit point par d'autres motifs ; qu'elle destine chacun à son devoir, & qu'elle rend les ordres de l'état plus permanens.

CHARGES ANNUELLES, sont celles qui consistent dans l'acquittement de cens, rentes, pensions & autres prestations qui se réiterent tous les ans.

Ces sortes de charges sont ou perpétuelles, ou viageres.

CHARGES DE LA COMMUNAUTE DE BIENS ENTRE CONJOINTS, sont les dépenses & dettes qui doivent être acquittées aux dépens de la communauté, & ne peuvent être prises sur les propres des conjoints.

Du nombre de ces charges sont la dépense du ménage, l'entretien des conjoints, les réparations qui sont à faire tant aux biens de la communauté qu'aux propres des conjoints, l'entretien & l'éducation des enfans.

Les dettes mobiliaires créées avant le mariage, seroient aussi une charge de la communauté ; mais on a soin ordinairement de les en exclure par une clause précise.

Pour ce qui est des dettes mobiliaires ou immobiliaires créées pendant le mariage, elles sont de droit une charge de la communauté.

Les dettes mobiliaires des successions échûes à chacun des conjoints pendant le mariage, sont aussi une charge de communauté.

On peut voir à ce sujet le traité de la communauté par Lebrun, liv. II. ch. iij. où la matiere des charges de la communauté est traitée fort amplement.

CHARGES DES COMPTES ou SUR LES COMPTES, en style de la chambre des comptes, sont les indécisions qui interviennent sur la recette des comptes, les souffrances & supercessions qui interviennent sur la dépense des comptes, & les débats formés par les états finaux des comptes. Au journal 2. B. fol. 146. du 22 Octobre 1537, les auditeurs, après la clôture de leurs comptes, sont tenus de donner un état des charges d'iceux au procureur général pour en faire poursuite ; mais depuis, cette poursuite a passé au solliciteur des restes, & ensuite au contrôleur général des restes. Voyez CONTROLEUR GENERAL DES RESTES, & SOLLICITEUR.

CHARGES FONCIERES, sont les redevances principales des héritages, imposées lors de l'aliénation qui en a été faite, pour être payées & supportées par le détenteur de ces héritages : tels sont le cens & surcens ; les rentes seigneuriales, soit en argent ou en grain, ou autres denrées ; les rentes secondes non seigneuriales, les servitudes & autres prestations dûes sur l'héritage, ou par celui qui en est détenteur.

Quoique le cens soit de sa nature une rente fonciere, néanmoins dans l'usage quand on parle simplement de rentes foncieres sans autre qualification, on n'entend par-là ordinairement que les redevances imposées après le cens.

Toutes charges foncieres, même le cens, ne peuvent être créées que lors de la tradition du fonds, soit par donation, legs, vente, échange, ou autre aliénation. Il en faut seulement excepter les servitudes, lesquelles peuvent être établies par simple convention, même hors la tradition du fonds ; ce qui a été ainsi introduit à cause de la nécessité fréquente que l'on a d'imposer des servitudes sur un héritage en faveur d'un autre. Les servitudes différent encore en un point des autres charges foncieres, savoir que celui qui a droit de servitude, perçoit son droit directement sur la chose ; au lieu que les autres charges foncieres doivent être acquittées par le détenteur. Du reste les servitudes sont de même nature & sujettes aux mêmes regles.

Les charges foncieres une fois établies sont si fortes, qu'elles suivent toûjours la chose en quelques mains qu'elle passe.

L'action que l'on a pour l'acquittement de ces charges, est principalement réelle & considérée comme une espece de vendication sur la chose. Elles produisent néanmoins aussi une action personnelle contre le détenteur de l'héritage, tant pour le payement des arrérages échus de son tems, que pour la réparation de ce qui a été fait au préjudice des clauses de la concession de l'héritage.

Les charges foncieres différent des dettes & obligations personnelles en ce que celles-ci, quoique contractées à l'occasion d'un héritage, ne sont pas cependant une dette de l'héritage, & ne suivent pas le détenteur ; elles sont personnelles à l'obligé & à ses héritiers : au lieu que les charges foncieres suivent l'héritage & le détenteur actuel, mais ne passent point à son héritier, sinon en tant qu'il succéderoit à l'héritage.

Il y a aussi une différence entre les charges foncieres & les simples hypotheques ; en ce que l'hypotheque n'est qu'une obligation accessoire & subsidiaire de la chose, pour plus grande sûreté de l'obligation personnelle qui est la principale : au lieu que la charge fonciere est dûe principalement par l'héritage, & que le détenteur n'en est tenu qu'à cause de l'héritage.

Loyseau dans son traité de déguerpissement, remarque douze différences entre les charges ou rentes foncieres ; & les rentes constituées : ce qui seroit ici trop long à détailler. Voyez CHARGES PERSONNELLES. CHARGES REELLES, RENTES FONCIERES, TIERS DETENTEUR.

CHARGES ET INFORMATIONS, (Jurisprud.) on joint ordinairement ces termes ensemble comme s'ils étoient synonymes ; ils ont cependant chacun une signification différente. Les charges en général sont toutes les pieces secrettes du procès qui tendent à charger l'accusé du crime qu'on lui impute ; telles que les dénonciations, plaintes, procès-verbaux, interrogatoires, déclarations, comme aussi les informations, recollemens & confrontations : au lieu que les informations en particulier ne sont autre chose que le procès-verbal d'audition des témoins en matiere criminelle. Cependant on prend souvent le terme de charges pour les dépositions des témoins entendus en information. On dit : faire lecture des charges, faire apporter les charges & informations à l'avocat général, c'est-à-dire lui faire remettre en communication les informations & autres pieces secrettes du procès. Sous le terme de charges proprement dites en matiere criminelle, on ne devroit entendre que les dépositions qui tendent réellement à charger l'accusé du crime dont il est prévenu ; cependant on comprend quelquefois sous ce terme de charges, les informations en général, soit qu'elles tendent à charge ou à décharge. On dit d'une cause de petit criminel, qu'elle dépend des charges, c'est-à-dire, de ce qui sera prouvé par les informations. Voyez INFORMATIONS.

CHARGES DU MARIAGE, (Jurisp.) sont les choses qui doivent être acquittées pendant que le mariage subsiste, comme l'entretien du ménage, la nourriture & l'éducation des enfans qui en proviennent, l'entretien & les réparations des bâtimens & héritages de chacun des conjoints. C'est au mari, soit comme maître de la communauté, soit comme chef du ménage, à acquiter les charges du mariage ; mais la femme doit y contribuer de sa part. Tous les fruits & revenus des biens dotaux de la femme appartiennent au mari, pour fournir aux charges du mariage : s'il y a communauté entre les conjoints, les charges du mariage se prennent sur la communauté ; si la femme est non commune & séparée de biens d'avec son mari, on stipule ordinairement qu'elle lui payera une certaine pension pour lui aider à supporter les charges du mariage ; & quand cela seroit omis dans le contrat, le mari peut y obliger sa femme.

CHARGES MUNICIPALES, sont celles qui obligent à remplir pendant un tems certaines fonctions publiques, comme à l'administration des affaires de la communauté, à la levée des deniers publics ou communs, & autres choses semblables.

Elles ont été surnommées municipales, du latin munia, qui signifie des ouvrages dûs par la loi, & des fonctions publiques ; ou plûtôt de municipium, qui signifioit chez les Romains une ville qui avoit droit de se gouverner elle-même suivant ses lois, & de nommer ses magistrats & autres officiers.

Ainsi dans l'origine on n'appelloit charges municipales, que celles des villes auxquelles convenoit le nom de municipium.

Mais depuis que les droits de ces villes municipales ont été abolis, & que l'on a donné indifféremment à toutes sortes de villes le titre de municipium, on a aussi appellé municipales toutes les charges & fonctions publiques des villes, bourgs & communautés d'habitans qui ont conservé le droit de nommer leurs officiers.

On comprend dans le nombre des charges municipales, les places de prevôt des marchands, qu'on appelle ailleurs maire, celle d'échevins, qu'on appelle à Toulouse capitouls, à Bordeaux jurats, & dans plusieurs villes de Languedoc, bayles & consuls.

La fonction de ces charges consiste à administrer les affaires de la communauté ; en quelques endroits on y a attaché une certaine jurisdiction plus ou moins étendue.

Il y a encore d'autres charges que l'on peut appeller municipales, telles que celles de syndic d'une communauté d'habitans, & de collecteur des tailles ; celles-ci ne consistent qu'en une simple fonction publique, sans aucune dignité ni jurisdiction.

L'élection pour les places municipales qui sont vacantes, doit se faire suivant les usages & réglemens de chaque pays, & à la pluralité des voix.

Ceux qui sont ainsi élus peuvent être contraints de remplir leurs fonctions, à moins qu'ils n'ayent quelqu'exemption ou excuse légitime.

Il y a des exemptions générales, & d'autres particulieres à certaines personnes & à certaines charges ; par exemple, les gentilshommes sont exempts de la collecte & levée des deniers publics : il y a aussi des offices qui exemptent de ces charges municipales.

Outre les exemptions, il y a plusieurs causes ou excuses pour lesquelles on est dispensé de remplir les charges municipales ; telles sont la minorité & l'âge de soixante-dix ans, les maladies habituelles, le nombre d'enfans prescrit par les lois, le service militaire, une extrème pauvreté, & autres cas extraordinaires qui mettroient un homme hors d'état de remplir la charge à laquelle il seroit nommé.

Les indignes & personnes notées d'infamie, sont exclus des charges municipales, sur-tout de celles auxquelles il y a quelque marque d'honneur attachée. Loyseau, traité des charges municipales sous le titre d'offices des villes, voyez liv. V. ch. vij. A son imitation nous en parlerons aussi au mot OFFICES MUNICIPAUX. Voyez les lois civiles, tr. du droit public, liv. I. tit. xvj. sect. 4.

CHARGES & OFFICES. Ces mots qui dans l'usage vulgaire paroissent synonymes, ne le sont cependant pas à parler exactement ; l'étymologie du mot charge pris pour office, vient de ce que chez les Romains toutes les fonctions publiques étoient appellées d'un nom commun munera publica ; mais il n'y avoit point alors d'offices en titre, toutes ces fonctions n'étoient que par commission, & ces commissions étoient annales. Entre les commissions on distinguoit celles qui attribuoient quelque portion de la puissance publique ou quelque dignité, de celles qui n'attribuoient qu'une simple fonction, sans aucune puissance ni honneur : c'est à ces dernieres que l'on appliquoit singulierement le titre de munera publica, quasi onera ; & c'est en ce sens que nous avons appellé charges en notre langue, toutes les fonctions publiques & privées qui ont paru onéreuses, comme la tutele, les charges de police, les charges municipales. On a aussi donné aux offices le nom de charges, mais improprement : & Loyseau, en son savant traité des offices, n'adopte point cette dénomination. Quelques-uns prétendent que l'on doit distinguer entre les charges & offices ; que les charges sont les places ou commissions vénales, & les offices celles qui ne le sont pas : mais dans l'usage présent on confond presque toûjours ces termes charges & offices, quoique le terme d'office soit le seul propre pour exprimer ce que nous entendons par un état érigé en titre d'office, soit vénal ou non vénal. Voyez ci-après OFFICE.

CHARGES DE POLICE, sont certaines fonctions que chacun est obligé de remplir pour le bon ordre & la police des villes & bourgs, comme de faire balayer & arroser les rues au-devant de sa maison, faire allumer les lanternes, &c. On stipule ordinairement par les baux, que les principaux locataires seront tenus d'acquiter ces sortes de charges.

CHARGES PUBLIQUES : on comprend sous ce terme quatre sortes de charges ; savoir, 1°. les impositions qui sont établies pour les besoins de l'état, & qui se payent par tous les sujets du Roi : ces sortes de charges sont la plûpart annuelles, telles que la taille, la capitation, &c. quelques-unes sont extraordinaires, & seulement pour un tems, telles que le dixieme, vingtieme, cinquantieme : on peut aussi mettre dans cette classe l'obligation de servir au ban ou arriere-ban, ou dans la milice ; le devoir de guet & de garde, &c. 2°. certaines charges locales communes aux habitans d'un certain pays seulement, telles que les réparations d'un pont, d'une chaussée, d'un chemin, de la nef d'une église paroissiale, d'un presbytere, le curage d'une riviere, d'un fossé ou vuidange, nécessaire pour l'écoulement des eaux de tout un canton : 3°. les charges de police, telles que l'obligation de faire balayer les rues, chacun au-devant de sa maison, ou de les arroser dans les chaleurs, d'allumer les lanternes, la fonction de collecteur, celle de commissaire des pauvres, de marguillier, le devoir de guet & de garde, le logement des gens de guerre : on pourroit aussi comprendre dans cette classe la fonction de prevôt des marchands, celle d'échevin, & autres semblables, mais que l'on connoît mieux sous le titre de charges municipales : 4°. on appelle aussi charges publiques, certains engagemens que chacun est obligé de remplir dans sa famille, comme l'acceptation de la tutele ou curatelle de ses parens, voisins, & amis.

Chacun peut être contraint par exécution de ses biens d'acquiter toutes ces différentes charges, lorsqu'il y a lieu, sous peine même d'amende pécuniaire pour certaines charges de police, telles que celles de faire balayer ou arroser les rues, allumer les lanternes.

CHARGES REELLES ou FONCIERES, sont celles qui sont imposées en la tradition d'un fonds, & qui suivent la chose en quelques mains qu'elle passe. Voyez ci-devant CHARGES FONCIERES ; & Loyseau, tr. du déguerpissement.

CHARGES D'UNE SUCCESSION, DONATION ou TESTAMENT, (Jurisp.) sont les obligations imposées à l'héritier, donataire, ou légataire, les sommes ou autres choses dûes sur les biens, & qu'il doit acquiter, comme de payer les dettes, acquiter les fondations faites par le donateur ou testateur, faire délivrance des legs universels ou particuliers ; comme aussi l'obligation de supporter ou acquiter un doüaire, don mutuel, ou autre usufruit, de payer une rente viagere, souffrir une servitude en faveur d'une tierce personne, & autres engagemens de différente nature, plus ou moins étendus, selon les conditions imposées par le donateur ou testateur, ou les droits & actions qui se trouvent à prendre sur les biens de la succession, donation, ou testament. Comme il y a des charges pour la succession en général, il y en a aussi de communes à l'héritier, & au légataire ou donataire universel, telles que les dettes, auxquelles chacun d'eux contribue à proportion de l'émolument. Il y a aussi des charges propres au donataire & légataire particulier ; ce qui dépend des droits qui se trouvent affectés sur les biens donnés ou légués, & des conditions imposées par le donateur ou testateur.

CHARGES UNIVERSELLES, sont celles qui affectent toute une masse de biens, & non pas une certaine chose en particulier ; telles sont les dettes d'une succession, qui affectent toute la masse des biens, de maniere qu'il n'est point censé y avoir aucun bien dans la succession que toutes ces charges ne soient déduites. Loyseau, tr. du déguerpissement, liv. I. ch. xj. & liv. IV. & VI. traite au long de la nature de ces charges universelles, & explique en quoi elles different des rentes foncieres. (A)

* CHARGE, (Arts méchan. Comm. &c.) On donne ce nom à différentes fonctions honorables auxquelles on éleve certains particuliers dans les corps & communautés de marchands & d'artisans. Voyez aux articles GRAND-JUGE, JURE, SYNDIC, DOYEN, CONSUL, &c. les prérogatives de ces charges.

CHARGE, terme d'Architecture ; c'est une maçonnerie d'une épaisseur réglée, qu'on met sur les solives & ais d'entrevous, ou sur le hourdi d'un plancher, pour recevoir l'aire de plâtre ou le carreau. Voyez AIRE. (P)

CHARGE, terme d'Architecture ; c'est, selon la coûtume de Paris, art. 197. l'obligation de payer de la part de celui qui bâtit sur & contre un mur mitoyen pour sa convenance, de six toises une, lorsqu'il éleve le mur de dix piés au-dessus du rez-de-chaussée, & qu'il approfondit les fondations au-dessous de quatre piés du sol. (P)

CHARGE, en terme d'Artillerie, est ordinairement la quantité de poudre que l'on introduit dans un canon, un fusil ou un mortier ; &c. pour en chasser le boulet, la balle ou la bombe. Voyez CANON, MORTIER & FUSIL.

On charge le canon en introduisant d'abord au fond de l'ame de la piece une quantité de poudre du poids du tiers ou de la moitié de la pesanteur du boulet : elle se met avec un instrument appellé lanterne. Voyez LANTERNE. C'est une espece de cuillere de cuivre rouge, montée sur un long bâton, qu'on nomme hampe. On met sur la poudre un bouchon de foin qu'on presse ou refoule fortement avec le refouloir. Sur ce foin on pose immédiatement le boulet ; & pour qu'il y soit arrêté fixement, on le couvre d'un autre bouchon de foin bien bourré, ou refoulé avec le refouloir. On remplit ensuite de poudre la lumiere de la piece, & on en met une petite traînée sur sa partie supérieure, qu'on fait communiquer avec celle de la lumiere. L'objet de cette traînée est d'empêcher que l'effort de la poudre & de la lumiere, en agissant immédiatement sur l'instrument avec lequel on met le feu à la piece, ne le fasse sauter des mains de celui qui est chargé de cette opération : inconvénient que l'on évite en mettant le feu à l'extrémité de la traînée. Dans les nouvelles pieces, pour empêcher que le vent ne chasse ou enleve cette traînée, on pratique une espece de rigole ou petit canal d'une ligne de profondeur & de six de largeur ; il s'étend depuis la lumiere de la piece jusqu'à l'écu des armes du Roi. On prétend que M. du Brocard, tué à la bataille de Fontenoy où il commandoit l'artillerie, est l'auteur de cette petite addition au canon.

Le canon étant dirigé vers l'endroit où on veut faire porter le boulet, on met le feu à la traînée de poudre ; elle le communique à celle de la lumiere, & celle-ci à la poudre dont le canon est chargé : cette poudre, en s'enflammant, fait effort en se raréfiant pour s'échapper ou sortir de la piece ; & comme le boulet lui oppose une moindre résistance que les parois de l'ame du canon, elle le pousse devant elle avec toute la force dont elle est capable, & elle lui donne ainsi ce mouvement violent & promt dont tout le monde connoît les effets.

Nos anciens artilleurs pensoient qu'en chargeant beaucoup les pieces, on faisoit aller le boulet plus loin ; & leur usage étoit de les charger du poids des deux tiers, & même de celui du boulet entier, pour lui donner le mouvement le plus violent.

Mais on a reconnu depuis, du moins en France, que la moitié ou le tiers de la pesanteur du boulet étoit la charge de poudre la plus convenable pour le canon.

Si toute la poudre dont le canon est chargé pouvoit prendre feu dans le même instant, il est clair que plus il y en auroit, & plus elle imprimeroit de force au boulet : mais quoique le tems de son inflammation soit fort court, on peut le concevoir partagé en plusieurs instans : dès le premier la poudre commence à se dilater, & à pousser le boulet devant elle ; & si elle a assez de force pour le chasser du canon avant qu'elle soit entierement enflammée, ce qui s'enflamme ou se brûle ensuite ne produit absolument aucun effet sur le boulet. Ainsi une charge d'une force extraordinaire n'augmente point le mouvement du boulet, & le canon doit seulement être chargé de la quantité de poudre qui peut s'enflammer pendant que le boulet parcourt la longueur de l'ame du canon. On ne peut déterminer cette quantité que par l'expérience ; encore ne peut-elle même la donner avec une exacte précision, à cause de la variation de la force de la poudre, dont les effets, quoique produits avec des quantités égales de la même poudre, ont souvent des différences assez sensibles : c'est pourquoi on ne doit regarder les expériences faites à cette occasion, que comme des moyens de connoître à-peu-près la quantité de poudre qu'on veut fixer. Suivant les expériences des écoles de la Fere, faites au mois d'Octobre 1739, les pieces de vingt-quatre, de seize, de douze, & de huit, doivent seulement être chargées du tiers de la pesanteur du boulet, pour qu'il fasse le plus grand effet dont il est capable ; ou bien des pieces de vingt-quatre, de neuf livres de poudre ; celles de seize, de six livres ; celles de douze, de cinq livres ; & celles de huit, de trois livres ; de plus fortes charges n'ont point augmenté l'étendue des portées. A l'égard de la piece de quatre, sa véritable charge a été trouvée de deux livres, c'est-à-dire la moitié du poids de son boulet. Tr. d'Artill. par M. Leblond.

Pour charger une piece de canon, il faut deux canonniers, dont l'un soit à la droite de la piece, & l'autre à la gauche : il faut de plus six soldats.

Le canonnier porté à la droite de la piece doit avoir un fourniment toûjours rempli de poudre, avec deux dégorgeoirs : c'est à lui d'amorcer la piece, & d'introduire la poudre dans l'ame du canon pour le charger. Celui de la gauche a soin d'avoir de la poudre dans un sac de cuir, qu'il met dans la lanterne que tient son camarade, après quoi il met le sac à l'abri du feu : il a soin que son boutefeu soit toûjours en état de mettre le feu à la piece au premier commandement.

Les six soldats sont aussi partagés à la droite & à la gauche de la piece, c'est-à-dire qu'il y en a trois de chaque côté, dont les deux premiers ont soin de refouler & écouvillonner la piece : le refouloir & l'écouvillon doivent être mis à gauche, & la lanterne à droite. Après avoir refoulé huit ou dix coups sur le fourrage de la poudre, & quatre sur celui du boulet, ils prennent chacun un levier pour passer dans les rais du devant de la roue, les bouts desquels passent sous la tête de l'affut pour faire tourner les roues, en pesant à l'autre bout du levier du côté de l'embrasure.

Le second soldat de la droite doit avoir soin de faire provision de fourrage, & d'en mettre des bouchons sur la poudre & sur le boulet : son camarade de la gauche doit faire provision de boulets, & chaque fois qu'on veut charger la piece, en apporter un dans le tems qu'on refoule la poudre de la charge : ensuite ils prennent ensemble chacun un levier, qu'ils passent sous le derriere de la roue pour la pousser en batterie.

Les deux autres soldats avec leurs leviers doivent être au côté du bout de l'affut, pour le détourner à droite ou à gauche, suivant l'ordre de l'officier pointeur ; & dans cet état ils doivent la pousser tous ensemble en batterie. Le dernier soldat de la gauche doit encore avoir soin de boucher la lumiere avec le doigt pendant qu'on charge la piece.

Le canonnier de la droite doit avoir un levier prêt pour arrêter la piece au bout de son recul, en la traversant sous le devant des roues, pour empêcher qu'elle ne retourne en batterie avant que d'être rechargée.

RECAPITULATION des différentes fonctions des Canonniers & soldats servant une piece de 24.

Mémoires d'Artillerie de Saint-Remy, troisieme édition.

Pour mettre le canon, après qu'il est chargé, dans la situation convenable, afin que le boulet porte dans l'endroit désigné, voyez POINTER. (Q)

* CHARGE, (Forges) c'est la quantité de mines, de charbon & de fondans qu'on jette à chaque fois dans le fourneau. Voyez l'article FORGE.

CHARGE, se dit, en Hydraulique, de l'action entiere d'un volume d'eau considéré eu égard à sa base & à sa hauteur, & renfermé dans un reservoir ou dans un canal, sous une conduite d'eau. Voyez JET-D'EAU. (K)

CHARGE d'un appui, voyez APPUI & LEVIER.

CHARGE, en termes de Maréchallerie, est un cataplasme, appareil, ou onguent fait de miel, de graisse, & de térébenthine ; on l'appelle alors emmiellure : quand on y ajoûte la lie de vin & autres drogues, on l'appelle remolade. Ces deux especes de cataplasmes servent à guérir les foulures, les enflûres, & les autres maladies des chevaux qui proviennent de quelque travail considérable, ou de quelque effort violent. On applique ces cataplasmes sur les parties offensées, ou on les en frotte. Les Maréchaux confondent les noms de charge, d'emmiellure & de remolade, & les prennent l'un pour l'autre.

* CHARGE, (Peinture & Belles-Lettr.) c'est la représentation sur la toile ou le papier, par le moyen des couleurs, d'une personne, d'une action, ou plus généralement d'un sujet, dans laquelle la vérité & la ressemblance exactes ne sont altérées que par l'excès du ridicule. L'art consiste à démêler le vice réel ou d'opinion qui étoit déjà dans quelque partie, & à le porter par l'expression jusqu'à ce point d'exagération où l'on reconnoît encore la chose, & au-delà duquel on ne la reconnoîtroit plus ; alors la charge est la plus forte qu'il soit possible. Depuis Léonard de Vinci jusqu'aujourd'hui, les Peintres se sont livrés à cette espece de peinture satyrique & burlesque ; mais il y en a peu qui y ayent montré plus de talent que le chevalier Guichi, peintre romain, encore aujourd'hui dans sa vigueur.

La Prose & la Poésie ont leurs charges, comme la Peinture ; & il n'est pas moins important dans un écrit que dans un tableau, qu'il soit évident qu'on s'est proposé de faire une charge, & que la charge ne rende pas toutefois l'objet méconnoissable. Il n'est pas nécessaire de justifier la seconde de ces conditions : quant à la premiere, si vous chargez, & qu'il ne soit pas évident que vous en avez eu le dessein, l'être auquel on compare votre description n'étant plus celui que vous avez pris pour modele, votre ouvrage reste sans effet. Le plus court seroit de ne jamais charger, soit en peinture, soit en Littérature. Un objet peint & décrit frappera toûjours assez, si l'on sait le montrer tel qu'il est, & faire sortir tout ce que la nature y a mis.

Je ne sais même si une charge n'est pas plus propre à consoler l'amour propre, qu'à le mortifier. Si vous exagérez mon défaut, vous m'inclinez à croire qu'il faudroit qu'il fût porté en moi jusqu'au point où vous l'avez représenté, soit dans votre écrit, soit dans votre tableau, pour être vraiment repréhensible ; ou je ne me reconnois point aux traits que vous avez employés, ou l'excès que j'y remarque m'excuse à mes yeux. Tel a ri d'une charge dont il étoit le sujet, à qui une peinture de lui-même plus voisine de la nature eût fait détourner la vûe, ou peut-être verser des larmes. Voyez CARICATURE & COMEDIE.

CHARGE, (Rubann.) se dit des pierres qui s'attachent aux cordes des contre-poids. Voyez CONTRE-POIDS.

* CHARGE, (Véner.) c'est la quantité de poudre & de plomb que le chasseur employe pour un coup. Cette quantité doit être proportionnée à la force de l'arme, l'espece de gibier, & à la distance à laquelle on est quelquefois contraint de tirer.

CHARGE, en terme de Blason, se dit de tout ce que l'on rapporte sur l'écusson ; animaux, végétaux ou autre objet. Voyez ÉCUSSON, &c.

Un trop grand nombre de charges n'est pas réputé si honorable qu'un plus petit.

Les charges qui sont propres à l'art du Blason, comme la croix, le chef, la face en pal, s'appellent charges propres, & souvent pieces ordinaires.

Quelques auteurs restraignent le terme de charges aux additions ou récompenses d'honneur ; telles que les cantons, les quartiers, les girons, les flasques, &c.

CHARGE, (Commerce) mesure pour les grains usitée dans la Provence & en Candie. La charge de Marseille, d'Arles & de Candie, qui pese 300 liv. poids de Marseille, d'Arles & de Candie, & 243 liv. poids de marc, est composée de quatre émines qui se divisent en huit sivadieres ; l'émine pese 75. liv. poids du lieu, ou 60 liv. un peu plus, poids du marc ; la sivadiere pese 9 liv. un peu plus, poids de Marseille, ou 7 liv. un peu plus, poids de marc. La charge ou mesure de Toulon fait trois septiers de ce lieu, le septier une mine & demie, & trois de ces mines font le septier de Paris. (A)

CHARGE, mesure d'épiceries à Venise, pese 400 livres du pays, & revient à 240 de Paris, & à 298 liv. & un peu plus de huit onces de Marseille.

CHARGE, mesure des galles, cotons, &c. pese 300 liv. du pays.

Il y a encore des charges mesures de différens poids & de différentes matieres. Exemple : celle d'Anvers est de 242. liv. de Paris ; celle de Nantes, de 300 liv. nantoises, &c. Voyez le dictionn. du Comm. La charge de plomb est de 36 saumons. Voyez SAUMONS & PLOMB.


CHARGEMENTS. m. est synonyme tantôt à charge, tantôt à cargaison, & s'applique indistinctement dans le commerce de mer, soit à tout ce qui est contenu dans un bâtiment, soit aux seules marchandises. Voyez CARGAISON. (Z)

CHARGEMENT, police de chargement, voyez POLICE.


CHARGEOIRS. m. (Manufact. de salpet.) espece de selle à trois piés d'usage dans les atteliers de Salpétrier, sur laquelle on place la hotte quand il s'agit de charger. Voyez les art. CHARGER & SALPETRE. Cette hotte à charger s'appelle bachou ; elle est faite de douves de bois assemblées comme aux tonneaux, plus large par en-haut que par em-bas, arrondie d'un côté, plate de l'autre ; c'est au côté plat que sont les brassieres qui servent à porter cette hotte.

CHARGEOIR, terme de Canonnier. Voyez CHARGE, Art. milit. & CHARGER.


CHARGERv. act. (Gramm.) c'est donner un poids à soûtenir ; & comme les termes poids, charge, &c. se prennent au simple & au figuré, il en est de même du verbe charger. Il a donc une infinité d'acceptions différentes dans les Sciences, les Arts & les Métiers. En voici des exemples dans les articles suivans.

CHARGER, (Jurisp.) en matiere criminelle signifie accuser quelqu'un, ou déposer contre celui qui est déjà accusé. On dit, par exemple, en parlant de l'accusé, qu'il y a plusieurs témoins qui le chargent, c'est-à-dire qui déposent contre lui dans les informations : c'est de-là que les informations sont aussi appellées charges. Voyez CHARGES ET INFORMATIONS. (A)

CHARGER, (Marine) se dit d'un vaisseau ; c'est le remplir d'autant de marchandises qu'il en peut porter. Si ces marchandises sont recueillies de différens marchands, on dit charger à cueillette sur l'Océan, & au quintal sur la Méditerranée ; & sur l'une & l'autre mer, au tonneau. Si les marchandises sont jettées en tas à fond de cale, on dit charger en grenier.

CHARGER A LA COTE, (Marine) vaisseau chargé à la côte, vent qui charge à la côte, se dit d'un vaisseau que le vent ou le gros tems pousse vers la côte, de laquelle il ne peut pas s'éloigner, quoiqu'il fasse ses efforts pour s'élever, c'est-à-dire gagner la pleine mer. (Z)

CHARGER a encore d'autres acceptions dans le Commerce. Se charger de marchandises, c'est en prendre beaucoup dans les magasins ; charger ses livres, c'est y porter la recette & la dépense ; charger d'une affaire, d'un achat, d'une commission, &c. s'entendent assez.

CHARGER un canon ou une autre arme à feu, c'est y mettre la poudre, le boulet ou la cartouche, &c. pour la tirer. Voyez CHARGE. (Q)

CHARGER, en termes d'Argenteur, c'est poser l'argent sur la piece, & l'y appuyer au linge avant de le brunir.

CHARGER, en termes de Blondier, c'est l'action de dévider la soie apprêtée de dessus les bobines sur les fuseaux. Voyez FUSEAU.

CHARGER LA TOURAILLE, chez les Brasseurs, c'est porter le grain germé sur la touraille pour sécher. Voyez BRASSERIE.

CHARGER LES BROCHES, chez les Chandeliers, c'est arranger sur les baguettes à chandelle la quantité de meches nécessaires. Voyez l'article CHANDELIER.

* CHARGER, chez les Mégissiers, les Corroyeurs, &c. c'est appliquer quelques ingrédiens aux cuirs, peaux, dans le cours de leur préparation ; & comme l'ouvrage est ordinairement d'autant meilleur qu'il a pris ou qu'on lui a donné une plus forte dose de l'ingrédient, on dit charger. Ainsi les Corroyeurs chargent de suif ou graisse. Voyez à DOREUR, à TEINTURE, &c. les autres acceptions de ce terme, qu'on n'employe guere quand l'ingrédient dont on charge veut être ménagé pour la meilleure façon de l'ouvrage.

* CHARGER, a deux acceptions chez les Doreurs, soit en bois, soit sur métaux : c'est ou appliquer de l'or aux endroits d'une piece qui en exigent, & où il n'y en a point encore ; ou fortifier celui qu'on y a déjà appliqué, mais qui y est trop foible. Voyez DORER.

* CHARGER, v. act. c'est, dans les grosses forges, jetter à-la-fois dans le fourneau une certaine quantité de mine, de charbon, & de fondans. V. FORGES.

CHARGER, (Jardinage) se dit d'un arbre, lorsqu'il rapporte beaucoup de fruit ; ce qui vient sans-doute de ce que cette production, quand elle est très-abondante, pese sur ses branches au point de les rompre. On dit encore qu'un arbre charge tous les ans, quand il donne du fruit toutes les années. (K)

* CHARGER LA GLACE ; c'est, chez les Miroitiers, placer des poids sur la surface d'une glace nouvellement mise au teint, pour en faire écouler le vif-argent superflu, & occasionner par-tout un contact de parties, soit de la petite couche de vif-argent contre la glace soit de la feuille mince d'étain contre cette couche, en conséquence duquel tout y demeure appliqué. Voyez l'article GLACE.

* CHARGER (Salpetr.) se dit, dans les atteliers de salpetre, de l'action de mettre dans les cuviers le salpetre, la cendre & l'eau, comme il convient, pour la préparation du salpetre.

CHARGER, terme de Serrurier & de Taillandier, c'est, lorsque le fer est trop menu, appliquer dessus des mises d'autre fer, pour le rendre plus fort.

* CHARGER LE MOULIN, (Soierie) c'est disposer la soie sur les fuseaux de cette machine, pour y recevoir les différens apprêts qu'elle est propre à lui donner. Voyez SOIE.

* CHARGER, en Teinture, se dit d'une cuve & d'une couleur ; d'une cuve, c'est y mettre de l'eau & les autres ingrédiens nécessaires à l'art ; d'une couleur, la trouver chargée, c'est l'accuser d'être trop brune, trop foncée, & de manquer d'éclat. Voyez TEINTURE.


CHARGEURS. m. (Commerce) est celui à qui appartiennent les marchandises dont un vaisseau est chargé. (G)

* CHARGEUR, (Commerce de bois) c'est l'officier de ville qui veille sur les chantiers, à ce que le bois soit mesuré, soit dans la membrure, soit à la chaîne, selon la qualité, & qu'il y soit bien mesuré.

CHARGEUR (Artillerie) Voyez CHARGE.

* CHARGEUR, (Architecture, Econom. rust. & art méchan.) c'est un ouvrier dont la fonction est de distribuer à d'autres des charges ou fardeaux.

* CHARGEUR ; c'est le nom qu'on donne dans les grosses forges aux ouvriers dont la fonction est d'entretenir le fourneau toûjours en fonte, en y jettant, dans des tems marqués, les quantités convenables de mine, de charbon, & de fondans. Voyez GROSSES FORGES.


CHARGEURES. f. terme de Blason. On s'en sert pour exprimer des pieces qui sont placées sur d'autres. (V)


CHARIAGES. m. (Commerce) a deux acceptions ; il se dit 1°. de l'action de transporter des marchandises sur un chariot ; ce chariage est long : 2°. du salaire du voiturier ; son chariage lui a valu 50 écus.


CHARIDOTESS. m. (Mythologie) surnom sous lequel Mercure étoit adoré dans l'île de Samos. Voici une anecdote singuliere de son culte. Le jour de sa fête, tandis qu'on étoit occupé à lui faire des sacrifices, les Samiens voloient impunément tout ce qu'ils rencontroient ; & cela en mémoire de ce que leurs ancêtres, vaincus & dispersés par des ennemis, avoient été réduit à ne vivre pendant dix ans que de rapines & de brigandages ; ou plûtôt à l'exemple du dieu, qui passoit pour le patron des voleurs. Ce trait seul suffiroit, si l'antiquité ne nous en offroit pas une infinité d'autres, pour prouver combien il est essentiel que les hommes ayent des idées justes de la divinité. Si la superstition éleve sur des autels un Jupiter vindicatif, jaloux, sophiste, colere, aimant la supercherie, & encourageant les hommes au vol, au parjure, à la trahison, &c. je ne doute point qu'à l'aide des imposteurs & des poëtes, le peuple n'admire bientôt toutes ces imperfections, & n'y prenne du penchant ; car il est aisé de métamorphoser les vices en vertus, quand on croit les reconnoître dans un être sur lequel on ne leve les yeux qu'avec vénération. Tel fut aussi l'effet des histoires scandaleuses que la théologie payenne attribuoit à ses dieux. Dans Térence, un jeune libertin s'excuse d'une action infâme par l'exemple de Jupiter. " Quoi, se dit-il à lui-même, un dieu n'a pas dédaigné de se changer en homme, & de se glisser le long des tuiles dans la chambre d'une jeune fille ? & quel dieu encore ? celui qui ébranle le ciel de son tonnerre ; & moi, mortel chétif, j'aurois des scrupules ? je craindrois d'en faire autant ? ego vero illud feci, & lubens ". Pétrone reproche au sénat qu'en tenant la justice des dieux par des présens, il sembloit annoncer au peuple qu'il n'y avoit rien qu'il ne pût faire pour ce métal précieux. Ipse senatus recti bonique praeceptor, mille pondo auri capitolio promittere solet, ne quis dubitet pecuniam concupiscere, Jovem peculio exorat.

Platon chassoit les poëtes de sa république ; sans-doute parce que l'art de feindre dont ils faisoient profession, ne respectant ni les dieux, ni les hommes, ni la nature, il n'y avoit point d'auteurs plus propres à en imposer aux peuples sur les choses dont la connoissance ne pouvoit être fausse, sans que les moeurs n'en fussent altérées.

C'est le Christianisme qui a banni tous ces faux dieux & tous ces mauvais exemples, pour en présenter un autre aux hommes, qui les rendra d'autant plus saints, qu'ils en seront de plus parfaits imitateurs.


CHARILESS. f. plur. (Mythologie) fêtes instituées en l'honneur d'une jeune delphienne qui se pendit de desespoir d'avoir été séduite par un roi de Delphes. Elle s'appelloit Charile, & les fêtes prirent le même nom ; le roi de Delphes y assistoit, présidoit à toute la cérémonie, dont une des principales consistoit à enterrer la statue de Charile au même endroit où elle avoit été inhumée. Les Thyades, prêtresses de Bacchus, étoient chargées de cette derniere fonction.


CHARIOTS. m. (Hist. mod.) est une sorte de voiture très-connue, & dont l'usage est ordinaire. Voy. CHAR, TIRAGE, TRAINEAU, &c.

Il y a plusieurs sortes de chariots, suivant les usages différens auxquels on les destine.

Plus les roues du chariot sont grandes & ont de circonférence, plus le mouvement en est doux ; & plus elles sont petites & pesantes, plus il est rude & donne des secousses. En effet, on peut regarder la roue d'un chariot comme une espece de levier, dont le point d'appui est sur le terrein. Le moyeu ou centre de la roue décrit à chaque instant un petit arc de cercle autour de ce point d'appui : or ce petit arc, toutes choses d'ailleurs égales, est d'autant plus courbe que le rayon en est plus petit ; donc le chemin du chariot sera d'autant plus courbe & plus inégal que le rayon de la roue sera plus petit. Il y a donc de l'avantage à donner aux roues un grand rayon, lorsqu'on veut que les chariots soient doux & ne cahotent point ; mais d'un autre côté, plus un chariot est élevé, plus il est sujet à verser, parce que le centre de gravité a un espace moins courbe à décrire pour sortir de la base. Voyez CENTRE DE GRAVITE. Delà il résulte qu'il faut donner aux roues des chariots une grandeur moyenne, pour éviter le plus qu'il est possible ces deux inconvéniens. C'est à l'expérience à déterminer cette grandeur.

M. Couplet nous a donné, dans les mém. de l'académie de 1733, des réflexions sur les charrois, les traîneaux, & le tirage des chevaux. Voyez ce mémoire & TIRAGE. Voici, ce me semble, un principe assez simple pour déterminer en général l'effort de la puissance. On peut regarder la roue comme un levier dont le point d'appui est l'extrémité inférieure qui appuie sur le terrein. Le centre ou moyeu de ce levier peut se mouvoir horisontalement en décrivant à chaque instant autour du point d'appui un petit arc circulaire qu'on peut prendre pour une ligne droite. Le chariot participe à ce mouvement progressif, & il a de plus, ou du moins il peut avoir un mouvement de rotation autour de l'axe qui passe par le centre ou moyeu de la roue. La question se réduit donc à celle-ci : soit (fig. 3. Méchan. n°. 4.) un levier ABC, fixe en A, & brisé en B, ensorte que la partie CB puisse tourner autour de C. Il est visible que A B représentera le rayon de la roue, B le moyeu, & B C le chariot : il s'agit de savoir quel mouvement la puissance P, agissant suivant P O, communiquera au corps ABC.

Soit A B = a, B C = b, B O = c, x le mouvement de rotation du point B autour de A, y le mouvement de rotation du point C autour de B : on aura pour la force totale ou quantité de mouvement du chariot BC, (abstraction faite de la quantité de mouvement de la roue, que nous négligeons ici) C B X x + C B X y/2 & cette quantité doit être = à P. De plus, la somme des momens de tous les points du chariot B C, par rapport au point A, doit être égale au moment de la puissance P, par rapport au même point. (Voyez DYNAMIQUE, LEVIER, ÉQUILIBRE, CENTRE DE GRAVITE.) Or, un point quelconque du chariot, dont la distance au point C seroit z, auroit pour quantité de mouvement (x + y z/b) d z ; & pour moment (x + y z/b) d z X (z + a), dont l'intégrale est x b b/2 + x a b + y b3/3 b + y a b2/2 b : faisant donc cette quantité égale au moment P x (B O + BA), on aura les deux équations :

P = b x + b y/2,

P c + P a = b b x/2 + x a b + y b3/3 b + y a b2/2 b

par le moyen desquelles on trouvera facilement les inconnues x & y (O)

* CHARIOT. (Hist. anc.) Les chariots sont d'un tems fort reculé ; les histoires les plus anciennes font mention de cette voiture ; les Romains en avoient un grand nombre de différentes sortes : le chariot à deux roues, appelé birotum ou birota : ceux sur lesquels on promenoit les images des dieux, thensae : le carpentum à l'usage des matrones & des impératrices ; il étoit à deux roues, & étoit tiré par des mules : la carruque, le pilentum, la rheda, le clavulare, le covinus, la benna, le ploxenum, la sirpea stercoraria, le plaustrum, l'essedum, &c. qu'on trouvera à leurs articles, quand on saura sur ces voitures quelque chose de plus que le nom.

La plûpart, telles que les essedes & les petorrita, étoient construites avec magnificence. Pline parlant du point où le luxe avoit été porté de ce côté, dit, On blanchit le cuivre au feu ; on le fait devenir si brillant qu'on a peine à le distinguer de l'argent ; on l'émaille & on en orne les chariots. Voyez CHAR.

CHARIOT, en Astronomie. Le grand chariot est une constellation qu'on appelle aussi la grande ourse. Voy. GRANDE OURSE. (O)

CHARIOT, (PETIT) en Astronomie. Ce sont sept étoiles dans la constellation de la petite ourse. Voyez PETITE OURSE. (O)

CHARIOT, en bâtiment, est une espece de petite charrette, sans aridelles ou élévations aux côtés, montée sur de très-petites roues, avec un timon fort long dans lequel, de distance en distance, sont passés des petits bâtons en maniere d'échelons, pour attacher des bretelles, & tirer à plusieurs hommes les pierres taillées, pour les transporter du chantier au bâtiment. (P)

CHARIOT A CANON, c'est un chariot qui sert uniquement à porter le corps d'une piece de canon. Il consiste en une fleche, deux brancards, deux essieux, quatre roues et deux limonieres. (Q)

CHARIOT ou CARROSSE, (Corderie) assemblage de charpente qui sert à supporter & à conduire le toupin. Il y a des chariots qui ont des roues, & d'autres qui sont en traîneaux. Voyez l'article CORDERIE.


CHARISIESS. f. pl. (Mythologie) fêtes instituées en l'honneur des Graces que les Grecs nommoient Charites. Une des particularités de ces fêtes, c'étoit de danser pendant toute la nuit ; celui qui résistoit le plus long-tems à cette fatigue & au sommeil, obtenoit pour prix un gâteau de miel & d'autres friandises que l'on nommoit charisia.


CHARISTERIESS. m. pl. (Hist. anc. & Mytholog.) c'étoit des fêtes qui se célébroient à Athenes le 12 du mois de Boëdromion, en mémoire de la liberté que Thrasibule avoit rendue aux Athéniens, en chassant les trente tyrans. On nommoit en Grece ces fêtes, , charisteria libertatis.


CHARISTICAIRES. m. (Hist. ecclés.) commendataires ou donataires, à qui on avoit accordé par une formule particuliere que Jean d'Antioche a conservée, la joüissance des revenus des hôpitaux & monasteres, tant d'hommes que de femmes. Ces concessions injustes se sont faites indistinctement à des ecclésiastiques, à des laïcs, & même à des personnes mariées : on les a quelquefois assûrées sur deux têtes. On en transporte l'origine jusqu'au tems de Constantin Copronyme. Il paroît que les empereurs & les patriarches de l'église greque, dans l'intention de réparer & de conserver les monasteres, continuerent une dignité que la haine de Copronyme avoit instituée dans le dessein de les détruire, mais que les successeurs des premiers charisticaires, mieux autorisés dans la perception des revenus monastiques, n'en furent pas toûjours plus équitables dans leur administration. Il est singulier qu'on ait crû que le même moyen pourroit servir à deux fins entierement opposées, & que les revenus des moines seroient mieux entre les mains des étrangers qu'entre les leurs. Voyez Bingh. antiq. Hist. eccles. Eccles. graec. monum. cont.


CHARISTIESS. f. pl. (Mythologie) fêtes que les Romains célébroient le 19 Février en l'honneur de la déesse Concorde. On se visitoit pendant ces fêtes ; on se donnoit des repas ; on se faisoit des présens ; les amis divisés se reconcilioient : une particularité de ces repas, c'est qu'on n'y admettoit aucun étranger. Il semble qu'il se soit conservé quelques vestiges des charisties dans nos repas & festins de familles, qui ne sont jamais si fréquens qu'à-peu-près dans le même tems où ces fêtes étoient célébrées par les Romains.


CHARITATIFadj. (Jurispr.) ce terme de droit canonique, ne se dit point seul, mais est ordinairement joint avec le terme de don ou de subside. Il signifie une contribution modérée que les canons permettent à l'évêque de lever sur ses diocésains en cas d'urgente nécessité ; par exemple si ses revenus ne lui fournissent pas de quoi faire la dépense nécessaire pour assister à un concile auquel il est appellé. (A)


CHARITÉS. f. (Théologie) on la définit une vertu théologale, par laquelle nous aimons Dieu de tout notre coeur, & notre prochain comme nous-mêmes. Ainsi la charité a deux objets matériels, Dieu & le prochain. Voyez OBJET & MATERIEL.

La question de la charité ou de l'amour de Dieu, a excité bien des disputes dans les écoles. Les uns ont prétendu qu'il n'y avoit de véritable amour de Dieu que la charité ; & que toute action qui n'est pas faite par ce motif, est un péché.

D'autres plus catholiques, qui n'admettent pareillement d'amour de Dieu que celui de charité, mais qui ne taxent point de péchés les actions faites par d'autres motifs, demandent si cette charité suppose, ou ne suppose point de retour vers soi. Alors ils se partagent, les uns admettent ce retour, les autres le rejettent.

Ceux qui l'admettent distinguent la charité en parfaite & en imparfaite. La parfaite, selon eux, ne differe de l'imparfaite que par l'intensité des degrés, & non par la diversité des motifs, comme le pensent leurs adversaires. Ils citent en faveur de leurs sentimens ce passage de saint Paul, cupio dissolvi & esse cum Christo, où le desir de la possession est joint à la charité la plus vive.

Les uns & les autres traitent d'erreur le rigorisme de ceux dont nous avons parlé d'abord, qui sont des péchés de toute action qui n'a pas le motif de charité ; & ils enseignent dans l'église, que les actions faites par le motif de la foi, de l'espérance ou de la crainte de Dieu, loin d'être des péchés, sont des oeuvres méritoires : ils vont plus loin ; celles qui n'ont même pour principe que la vertu morale, sont bonnes & loüables selon eux, quoique non méritoires pour le salut. Voyez GRACE, VERTU MORALE, CONTRITION, &c.

Il y a deux excès à éviter également dans cette matiere ; & ce qu'il y a de singulier, c'est que, quoiqu'ils soient directement opposés dans leurs principes, ils-se réunissent dans leurs conséquences. Il y en a qui aiment Dieu en pensant tellement à eux, que Dieu ne tient que le second rang dans leur affection. Cet amour mercenaire ressemble à celui qu'on porte aux personnes, non pour les bonnes qualités qu'elles ont, mais seulement pour le bien qu'on en espere ; c'est celui des faux amis, qui nous abandonnent aussi-tôt que nous cessons de leur être utiles. La créature qui aime ainsi, nourrit dans son coeur une espece d'athéisme : elle est son dieu à elle-même. Cet amour n'est point la charité ; on y trouveroit en le sondant, plus de crainte du diable que d'amour de Dieu.

Il y en a qui ont en horreur tout motif d'intérêt ; ils regardent comme un attentat énorme cet autel qu'on semble élever dans son coeur à soi-même, & où Dieu n'est, pour ainsi dire, que le pontife de l'idole. L'amour de ceux-ci paroît très-pur ; il exclut tout autre bien que le plaisir d'aimer ; ce plaisir leur suffit ; ils n'attendent, ils n'esperent rien au-delà : tout se réduit pour eux à aimer un objet qui leur paroît infiniment aimable ; un regard échappé sur une qualité relative à leur bonheur, souilleroit leur affection ; ils sont prêts à sacrifier même ce sentiment si angélique, en ce qu'il a de sensible & de réfléchi, si les épreuves qui servent à le purifier exigent ce sacrifice. Cette charité n'est qu'un amour chimérique. Ces faux spéculatifs ne s'apperçoivent pas que Dieu n'est plus pour eux le bien essentiel & souverain. Plaçant le sublime de la charité à se détacher de toute espérance, ils se rendent indépendans, & se précipitent à leur tour dans une espece d'athéisme, mais par un chemin opposé.

Le champ est vaste entre ces deux extrèmes. Les Théologiens sont assez d'accord à tempérer & l'amour pur & l'amour mercenaire ; mais les uns prétendent que pour atteindre la vérité, il faut réduire l'amour pur à ses justes bornes ; les autres au contraire, qu'il faut corriger l'amour mercenaire. Ces derniers partent d'un principe incontestable ; savoir que nous cherchons tout naturellement à nous rendre heureux. C'est, selon saint Augustin, la vérité la mieux entendue, la plus constante & la plus éclaircie. Omnes homines beati esse volunt, idquè unum ardentissimo amore appetunt ; & propter hoc caetera quaecumque appetunt. C'est le cri de l'humanité ; c'est la pente de la nature ; & suivant l'observation du savant évêque de Meaux, saint Augustin ne parle pas d'un instinct aveugle ; car on ne peut desirer ce qu'on ne sait point, & on ne peut ignorer ce qu'on sait qu'on veut. L'illustre archevêque de Cambrai écrivant sur cet endroit de saint Augustin, croyoit que ce pere n'avoit en vûe que la béatitude naturelle. Mais qu'importe, lui répliquoit M. Bossuet ? puisqu'il demeure toûjours pour incontestable, selon le principe de saint Augustin, qu'on ne peut se desintéresser au point de perdre dans un seul acte, quel qu'il soit, la volonté d'être heureux, par laquelle on veut toute chose. La distinction de M. de Fenelon doit surprendre. Il est évident que ce principe, l'homme cherche en tout à se rendre heureux, une fois avoüé, il a la même ardeur pour la béatitude surnaturelle que pour la béatitude naturelle : il suffit que la premiere lui soit connue & démontrée. Qu'on interroge en effet son propre coeur, car notre coeur peut ici nous représenter celui de tous les hommes : qu'on écoute le sentiment intérieur, & l'on verra que la vûe du bonheur accompagne les hommes dans les occasions les plus contraires au bonheur même. Le farouche anglois qui se défait, veut être heureux ; le bramine qui se macère, veut être heureux ; le courtisan qui se rend esclave, veut être heureux, la multitude, la diversité & la bisarrerie des voies, ne démontre que mieux l'unité du but.

En effet, comment se détacheroit-on du seul bien qu'on veuille nécessairement ? En y renonçant formellement ? cela est impossible. En en faisant abstraction ? cette abstraction fermera les yeux un moment sur la fin, mais cette fin n'en sera pas moins réelle. L'artiste qui travaille, n'a pas toûjours son but présent, quoique toute sa manoeuvre y soit dirigée. Mais je dis plus, & je prétends que celui qui produit un acte d'amour de Dieu, n'en sauroit séparer le desir de la joüissance : en effet, ce sont les deux objets les plus étroitement unis. La religion ne les sépare jamais ; elle les rassemble dans toutes ses prieres. L'abstraction momentanée sera, si l'on veut, dans l'esprit ; mais elle ne sera jamais dans le coeur. Le coeur ne fait point d'abstraction, & il s'agit ici d'un mouvement du coeur & non d'une opération de l'esprit. S. Thomas qui s'est distingué par son grand sens dans un siecle où ses rivaux, qui ne le sont plus depuis long-tems, avoient mis à la mode des subtilités puériles, disoit : si Dieu n'étoit pas tout le bien de l'homme, il ne lui seroit pas l'unique raison d'aimer. Et ailleurs : il est toute la raison d'aimer, parce qu'il est tout le bien de l'homme. L'amour présent & le bonheur futur sont, comme on voit, toûjours unis chez ce docteur de l'école.

Mais, dira-t-on peut-être, quand nous ignorerions que Dieu peut & veut nous rendre heureux, ne pourrions-nous pas nous élever à son amour par la contemplation seule de ses perfections infinies ? je réponds qu'il est impossible d'aimer un Dieu sans le voir comme un Etre infiniment parfait ; & qu'il est impossible de le voir comme un Etre infiniment parfait, sans être convaincu qu'il peut & veut notre bonheur. N'est-ce pas, dit M. Bossuet, une partie de sa perfection d'être libéral, bienfaisant, miséricordieux, auteur de tout bien ? y a-t-il quelqu'un qui puisse exclure par abstraction ces attributs de l'idée de l'Etre parfait ? Non sans-doute : cependant accordons-le ; convenons qu'on puisse choisir entre les perfections de Dieu pour l'objet de sa contemplation, son immensité, son éternité, sa prescience, &c. celles en un mot qui n'ont rien de commun avec la liaison du Créateur & de la créature ; & se rendre, pour ainsi dire, sous ce point de vûe, l'Etre suprème, étranger à soi-même. Que s'ensuit-il de-là ? de l'admiration, de l'étonnement, mais non de l'amour. L'esprit sera confondu, mais le coeur ne sera point touché. Aussi ce Dieu mutilé par des abstractions n'est-il que la créature de l'imagination, & non le Créateur de l'Univers.

D'où il s'ensuit que Dieu devient l'objet de notre amour ou de notre admiration, selon la nature des attributs infinis dont nous faisons l'objet de notre méditation ; qu'entre ces attributs, il n'y a proprement que ceux qui constituent la liaison du Créateur à la créature, qui excitent en nous des sentimens d'amour. Que ces sentimens sont tellement inséparables de la vûe du bonheur, & la charité tellement unie avec le penchant à la joüissance, qu'on ne peut éloigner ces choses que par des hypotheses chimériques hors de la nature, fausses dans la spéculation, dangereuses dans la pratique. Que le sentiment d'amour peut occasionner en nous de bons desirs, & nous porter à des actions excellentes ; influer en partie & même en tout sur notre conduite ; animer notre vie, sans que nous en ayons sans-cesse une perception distincte & présente ; & cela par une infinité de raisons, dont je me contenterai de rapporter celle-ci, qui est d'expérience : c'est que ne pouvant par la foiblesse de notre nature partager notre entendement, & être à différentes choses à-la-fois, nous perdons nécessairement les motifs de vûe, quand nous sommes un peu fortement occupés des circonstances de l'action. Qu'entre les motifs loüables de nos actions, il y en a de naturels & de surnaturels ; & entre les surnaturels, d'autres que la charité proprement dite. Que les motifs naturels loüables, tels que la commisération, l'amour de la patrie, le courage, l'honneur, &c. consistant dans un légitime exercice des facultés que Dieu a mises en nous, & dont nous faisons alors un bon usage ; ces motifs rendent les actions du payen dignes de récompense dans ce monde, parce qu'il est de la justice de Dieu de ne laisser aucun bien sans récompense, & que le payen ne peut être récompensé dans l'autre monde. Que penser que les actions du chrétien qui n'auront qu'un motif naturel loüable, lui seront méritoires dans l'autre monde, par un privilége particulier à sa condition de chrétien, & que c'est-là un des avantages qui lui reviennent de sa participation aux mérites de J. C. ce seroit s'approcher beaucoup du Sémi-Pélagianisme ; qu'il y aura sûrement des chrétiens qui n'ayant pour eux que de bonnes actions naturelles, telles qu'elles auroient été faites par un honnête payen, ne seront récompensés que dans ce monde, comme s'ils avoient vécu sous le joug du Paganisme. Que les motifs naturels & surnaturels ne s'excluent point ; que nous ne pouvons cependant avoir en même tems la perception nette & claire de plusieurs motifs à-la-fois ; qu'il ne dépend nullement de nous d'établir une priorité d'ordre entre les perceptions de ces motifs ; que, malgré que nous en ayons, tantôt un motif naturel précédera ou sera précédé d'un motif surnaturel, tantôt l'humanité agira la premiere, tantôt ce sera la charité. Que, quoiqu'on ne puisse établir entre les motifs d'une action l'ordre de perception qu'on désireroit, le chrétien peut toûjours passer d'un de ces motifs à un autre, se les rappeller successivement, & les sanctifier. Que c'est cette espece d'exercice intérieur qui constitue l'homme tendre & l'homme religieux ; qu'il ajoûte, quand il est libre & possible, un haut degré de perfection aux actions : mais qu'il y a des occasions où l'action suit si promtement la présence du motif, que cet exercice ne devient presque pas possible. Qu'alors l'action est très-bonne, quel que soit celui d'entre les motifs loüables, naturels, ou surnaturels qu'on ait présent à l'esprit. Que le passage, que l'impulsion de la charité suggere au Chrétien, de la perception d'un motif naturel, présent à l'esprit dans l'instant de l'action, à un motif surnaturel subséquent, ne rend pas, à parler exactement, l'action bonne, mais la rend avantageuse pour l'avenir. Que dans les occasions où l'action est de nature à suivre immédiatement la présence du motif, & dans ceux où il n'y a pas même de motif bien présent, parce que l'urgence du cas ne permet point de réflexion, ou n'en permet qu'une ; savoir qu'il faut sur le champ éviter ou faire : ce qui se passe si rapidement dans notre ame, que le tems en étant, pour ainsi dire, un point indivisible, il n'y a proprement qu'un mouvement qu'on appelle premier : l'action ne devient cependant méritoire, pour le Chrétien même, que par un acte d'amour implicite ou explicite qui la rapporte à Dieu ; cette action fût-elle une de celles qui nous émeuvent si fortement, ou qui nous laissent si occupés ou si abattus, qu'il nous est très-difficile de nous replier sur nous-mêmes, & de la sanctifier par un autre motif. Que pour s'assûrer tout l'avantage de ses bonnes actions, & leur donner tout le mérite possible, il y a des précautions que le Chrétien ne négligera point ; comme de perfectionner par des actes d'amour anticipés, ses pensées subséquentes, & de demander à Dieu par la priere de suppléer ce qui manquera à ses actions, dans les occasions où le motif naturel pourra prévenir le motif surnaturel, & où celui-ci pourra même ne pas succéder ; qu'il suffit à la perfection d'une action, qu'elle ait été faite par une habitude d'amour virtuel, telle que l'habitude d'amour que nous portons à nos parens, quand ils nous sont chers, quoique la nature de ces habitudes soit fort différente. Que cette habitude supplée sans-cesse aux actes d'amour particuliers ; qu'elle est, pour ainsi dire, un acte d'amour continuel par lequel les actions sont rapportées à Dieu implicitement. Que la vie dans cette habitude est une vie d'amour & de charité. Que cette habitude n'a pas la même force & la même énergie dans tous les bons Chrétiens, ni en tout tems dans un même Chrétien ; qu'il faut s'occuper sans-cesse à la fortifier par les bonnes oeuvres, la fréquentation des sacremens, & les actes d'amour explicites ; que nous mourrons certainement pour la plûpart, & peut-être tous, sans qu'elle ait été aussi grande qu'il étoit possible, l'homme le plus juste ayant toûjours quelque reproche à se faire. Que Dieu ne devant remplir toutes nos facultés que quand il se sera communiqué intimement à elles, nous n'aurons le bonheur de l'aimer selon toute la plénitude & l'étendue de nos facultés, que dans la seconde vie ; & que ce sera dans le sein de Dieu que se fera la consommation de la charité du Chrétien, & du bonheur de l'homme.

Charité se prend encore, 1°. pour l'amour que Dieu a porté de tout tems à l'homme ; 2°. pour l'effet d'une commisération, soit chrétienne, soit morale, par laquelle nous secourons notre prochain de notre bien, de nos conseils, &c. La charité des conseils est la plus commune, il faut un peu s'en méfier ; elle ne coûte rien, & ce peut être aisément un des masques de l'amour propre. Hors de la Théologie, notre terme charité n'a presque point d'idées communes avec le charitas des Latins, qui signifie la tendresse qui doit unir les peres & les enfans.

CHARITE, (Hist. ecclés.) est aussi le nom de quelques ordres religieux. Le plus connu & le plus répandu est celui des freres de la Charité, institué par S. Jean-de-Dieu pour le service des malades. Léon X. l'approuva comme une simple société en 1520. Pie V. lui accorda quelques priviléges ; & Paul IV. le confirma en 1617 en qualité d'ordre religieux : dans lequel, outre les voeux d'obéissance, de pauvreté & de chasteté, on fait celui de s'employer au service des pauvres malades. Ces religieux si utiles ne font point d'études, & n'entrent point dans les ordres sacrés. S'il se trouve parmi eux quelque prêtre, il ne peut jamais parvenir à aucune dignité de l'ordre. Le bienheureux Jean-de-Dieu leur fondateur, alloit tous les jours à la quête pour les malades, criant à haute voix : faites bien, mes freres, pour l'amour de Dieu ; c'est pourquoi le nom de fate ben fratelli est demeuré à ces religieux dans l'Italie. (G)

CHARITE de la sainte Vierge, ordre religieux établi dans le diocèse de Châlons-sur-Marne par Gui seigneur de Joinville, sur la fin du xiij. siecle. Cet institut fut approuvé sous la regle de S. Augustin par les papes Boniface VIII. & Clément VI. (G)

CHARITE, (soeurs de la) communauté de filles instituée par S. Vincent-de-Paul, pour assister les malades dans les hôpitaux, visiter les prisonniers, tenir les petites écoles pour les pauvres filles. Elles ne font que des voeux simples, & peuvent quitter la congrégation quand elles le jugent à-propos. (G)

CHARITE, (dames de la) nom qu'on donne dans les paroisses de Paris à des assemblées de dames pieuses qui s'intéressent au soulagement des pauvres, & leur distribuent avec prudence des aumônes qu'elles font elles-mêmes, ou qu'elles recueillent. (G)

CHARITE, (écoles de) en Angleterre : ce sont, dit M. Chambers, des écoles qui ont été formées & qui se soûtiennent dans chaque paroisse par des contributions volontaires des paroissiens, & où l'on montre aux enfans des pauvres à lire, à écrire, les premiers principes de la religion, &c.

Dans la plûpart de ces écoles de charité, les aumônes ou fondations servent encore à habiller un certain nombre d'enfans, à leur faire apprendre des métiers, &c.

Ces écoles ne sont pas fort anciennes ; elles ont commencé à Londres, & se sont ensuite répandues dans la plûpart des grandes villes d'Angleterre & de la principauté de Galles. Voici l'état des écoles de charité dans Londres & aux environs de cette capitale, tel qu'il étoit en 1710.

Remarquez que sur le total il y a eu 967 garçons & 407 filles qu'on a mis en apprentissage.

Il y a eu semblablement à Londres une association charitable pour le soulagement des pauvres industrieux, qui fut instituée sous la reine Anne pour donner moyen à de pauvres manufacturiers ou à de pauvres commerçans, de trouver de l'argent à un intérêt modique & autorisé par les lois. On fit pour cet effet un fonds de 30000 livres sterling.

Nous avons en France dans plusieurs villes, & sur-tout à Paris, grand nombre d'établissemens de la premiere espece ; car outre les écoles pour les enfans des pauvres, conduites par les freres des écoles chrétiennes, combien de maisons, telles que l'hôpital général, la pitié, les enfans-rouges, &c. où l'on éleve des enfans pauvres ou orphelins, auxquels, quand ils sont en âge, on fait apprendre des métiers ? (G)

CHARITE CHRETIENNE, (Hist. ecclés.) Henri III. roi de France & de Pologne, institua pour les soldats hors d'état de le servir dans ses armées, un ordre sous le titre de charité chrétienne. Le manoir de cet ordre étoit en une maison du fauxbourg saint Marceau ; & pour leur subsistance il assigna des fonds sur les hôpitaux & maladreries de France : mais ce ne fut qu'un projet qui n'eut point son exécution. La mort funeste de ce prince fit échoüer cet établissement. Il étoit réservé à Louis XIV. de l'exécuter avec autant de grandeur qu'il l'a fait, par la fondation de l'hôtel royal des Invalides. Favin, liv. III. (G)

CHARITE, (la) Géog. ville de France dans le Nivernois, sur la Loire. Long. 20. 40. lat. 47. 8.


CHARITÉCHARITé


CHARITES(Myth.) voyez GRACES.


CHARIVARIS. m. (Jurisprud.) bruit de dérision qu'on fait la nuit avec des poêles, des bassins, des chauderons, &c. aux portes des personnes qui convolent en secondes, en troisiemes nôces, & même de celles qui épousent des personnes d'un âge fort inégal au leur.

Cet abus s'étoit autrefois étendu si loin, que les reines mêmes qui se remarioient n'étoient pas épargnées. Voyez Sauval, antiq. de Paris. Ces sortes d'insultes ont été prohibées par différens réglemens. Un concile de Tours les défendit sous peine d'excommunication. Il y en a aussi une défense dans les statuts de Provence, p. 309. & 310. La Roche-Flavin, liv. VI. tit. xjx. art. 1. Brodeau, sur Paris, t. I. p. 174. & Brillon, en son dictionn. des arrêts, au mot charivari, rapportent plusieurs arrêts intervenus à ce sujet. Les juges de Beaune ayant condamné de nouveaux remariés à payer au peuple les fraix d'un charivari, leur sentence fut infirmée. Bayle, dict. tome II. au mot Bouchain. A Lyon ce desordre est encore toléré ; on continue le charivari jusqu'à ce que les nouveaux remariés ayent donné un bal aux voisins, & du vin au peuple. Il y a environ trente ans qu'on n'en souffre plus à Paris. Plusieurs particuliers étant contrevenus aux réglemens faits à ce sujet, furent condamnés par sentence de Police du 13 Mai 1735. (A)

CHARIVARI, terme de jeu, se dit à l'hombre à trois, d'un hasard qui consiste à porter les quatre dames. On reçoit pour ce jeu de chacun une fiche, si l'on gagne ; on la paye à chaque joüeur, si l'on perd.


CHARLATANS. m. (Médecine.) Voyez à l'article CHARLATANERIE, la définition générale de ce mot. Nous en allons traiter ici selon l'acception particuliere à la Médecine.

L'usage confond aujourd'hui dans notre langue, de même que dans la langue angloise, l'empyrique & le charlatan.

C'est cette espece d'hommes, qui sans avoir d'études & de principes, & sans avoir pris de degrés dans aucune université, exercent la Médecine & la Chirurgie, sous prétexte de secrets qu'ils possedent, & qu'ils appliquent à tout.

Il faut bien distinguer ces gens-là des Médecins dont l'empyrisme est éclairé. La Médecine fondée sur de vraies expériences, est très-respectable ; celle du charlatan n'est digne que de mépris.

Les faux empyriques sont des protées qui prennent mille formes différentes. La plûpart grossiers & mal-habiles, n'attrapent que la populace ; d'autres plus fins, s'attachent aux grands & les séduisent.

Depuis que les hommes vivent en société, il y a eu des charlatans & des dupes.

Nous croyons facilement ce que nous souhaitons. Le desir de vivre est une passion si naturelle & si forte, qu'il ne faut pas s'étonner que ceux qui dans la santé n'ont que peu ou point de foi dans l'habileté d'un empyrique à secrets, s'adressent cependant à ce faux médecin dans les maladies graves & sérieuses, de même que ceux qui se noyent s'accrochent à la moindre petite branche. Ils se flattent d'en recevoir du secours, toutes les fois que les hommes habiles n'ont pas eu l'effronterie de leur en promettre un certain.

Hippocrate ne guérissoit pas toûjours, ni sûrement : il se trompoit même quelquefois ; & l'aveu ingénu qu'il a fait de ses fautes, rend son nom aussi respectable que ses succès. Ceux au contraire qui ont hérité de leurs peres la médecine pratique, & à qui l'expérience est échûe par succession, assûrent toûjours & avec serment qu'ils guériront le malade, Vous les reconnoîtrez à ce propos de Plaute :

perfacile id quidem est,

Sanum futurum ; meâ ego id promitto fide.

" Rien de plus aisé que de le tirer d'affaire, il guérira ; c'est moi qui vous en donne ma parole d'honneur ".

Quoique l'impudence & le babil soient d'une ressource infinie, il faut encore à la charlatanerie quelque disposition intérieure du malade qui en prépare le succès : mais l'espérance d'une promte santé d'un côté, celle d'une bonne somme d'argent de l'autre, forment une liaison & une correspondance assûrée.

Aussi la charlatanerie est-elle très-ancienne. Parcourez l'histoire médicinale des Egyptiens & des Hébreux, & vous n'y verrez que des imposteurs, qui profitant de la foiblesse & de la crédulité, se vantoient de guérir les maladies les plus invétérées par leurs amuletes, leurs charmes, leurs divinations & leurs spécifiques.

Les Grecs & les Romains furent à leur tour inondés de charlatans en tout genre. Aristophane a célébré un certain Eudamus qui vendoit des anneaux contre la morsure des bêtes venimeuses.

On appelloit , ou simplement agyrtae, du mot , assembler, ceux qui par leurs discours assembloient le peuple autour d'eux ; circulatores, circuitores, circumforanei, ceux qui couroient le monde, & qui montoient sur le théatre pour se procurer la vente de leurs remedes ; cellularii medici, ceux qui se tenoient assis dans leurs boutiques en attendant la chalandise. C'étoit le métier d'un Chariton, de qui Galien a tiré quelques descriptions de médicamens : c'étoit celui d'un Clodius d'Ancone, qui étoit encore empoisonneur, & que Cicéron appelle pharmacopola circumforaneus. Quoique le mot pharmacopola s'appliquât chez les anciens à tous ceux en général qui vendoient des médicamens sans les avoir préparés, on le donnoit néanmoins en particulier à ceux que nous désignons aujourd'hui par le titre de bateleur.

Nos bateleurs, nos Eudamus, nos Charitons, nos Clodius, ne différent point des anciens pour le caractere ; c'est le même génie qui les gouverne, le même esprit qui les domine, le même but auquel ils tendent ; celui de gagner de l'argent & de tromper le public, & toûjours avec des sachets, des peaux divines, des calottes contre l'apoplexie, l'hémiplégie, l'épilepsie, &c.

Voici quelques traits des charlatans qui ont eu le plus de vogue en France sur la fin du dernier siecle.

Nous sommes redevables à M. Dionis de nous les avoir conservés ; la connoissance n'en est pas aussi indifférente à l'humanité qu'on pourroit l'imaginer du premier abord.

Le marquis Caretto, un de ces avanturiers hardis, d'un caractere libre & familier, qui se produisant eux-mêmes, protestent qu'ils ont dans leur art toute l'habileté qui manque aux autres, & qui sont crûs sur leur parole, perça la foule, parvint jusqu'à l'oreille du prince, & en obtint la faveur & des pensions. Il avoit un spécifique qu'il vendoit deux louis la goutte ; le moyen qu'un remede si cher ne fût pas excellent ? Cet homme entreprit M. le maréchal de Luxembourg, l'empêcha d'être saigné dans une fausse pleurésie dont il mourut. Cet accident décria le charlatan, mais le grand capitaine étoit mort.

Deux capucins succéderent à l'avanturier d'Italie ; ils firent publier qu'ils apportoient des pays étrangers des secrets inconnus aux autres hommes. Ils furent logés au Louvre ; on leur donna 1500 liv. par an. Tout Paris accourut vers eux, ils distribuerent beaucoup de remedes qui ne guérirent personne ; on les abandonna, & ils se jetterent dans l'ordre de Clugni. L'un, qui se fit appeller l'abbé Rousseau, fut martyr de la charlatanerie, & aima mieux mourir que de se laisser saigner. L'autre, qui fut connu sous le nom de l'abbé Aignan, ne se réserva qu'un remede contre la petite vérole, mais ce remede étoit infaillible. Deux personnes de la premiere qualité s'en servirent : l'un étoit M. le duc de Roquelaure, qui en réchappa, parce que sa petite vérole se trouva d'une bonne qualité : l'autre, M. le prince d'Epinoi, qui en mourut.

En voici un pour les urines ; on l'appelloit le médecin des boeufs. Il étoit établi à Seignelai, bourg du comté d'Auxerre : il prétendoit connoître toutes sortes de maladies par l'inspection des urines ; charlatanerie facile, usée, & de tout pays. Il passa pendant quelque tems pour un oracle ; mais on l'instruisit mal, il se trompa tant de fois que les urines oublierent le chemin de Seignelai.

Le pere Guiton, cordelier, ayant lû dans un livre de Chimie la préparation de quelques médicamens, obtint de ses supérieurs la liberté de les vendre, & d'en garder le profit, à condition d'en fournir gratis à ceux du couvent qui en auroient besoin. M. le prince d'Isenghien & plusieurs autres personnes éprouverent ses remedes, mais avec un si mauvais succès, que le nouveau chimiste en perdit son crédit.

Un apoticaire du comtat d'Avignon se mit sur les rangs avec une pastille, telle qu'il n'étoit point de maladie qui ne dût céder à sa vertu. Ce remede merveilleux, qui n'étoit qu'un peu de sucre incorporé avec de l'arsenic, produisit les effets les plus funestes. Ce charlatan étoit si stupide, que prenant pour mille pastilles mille grains d'arsenic qu'il mêloit sans aucune précaution avec autant de sucre qu'il en falloit pour former les mille pastilles, la distribution de l'arsenic n'étoit point exacte ; ensorte qu'il y avoit telle pastille chargée de très-peu d'arsenic, & telle autre de deux grains & plus de ce minéral.

Le frere Ange, capucin du couvent du faubourg S. Jacques, avoit été garçon apoticaire ; toute sa science consistoit dans la composition d'un sel végétal, & d'un syrop qu'il appelloit mésentérique, & qu'il donnoit à tout le monde, attribuant à ce syrop la propriété de purger avec choix les humeurs qu'il falloit évacuer. C'étoit, dit-on, un bon homme, qui le croyoit de bonne foi. Madame la Dauphine, qui étoit indisposée, usa de son sel & de son syrop pendant quinze jours ; & n'en recevant aucun soulagement, le frere Ange fut congédié.

L'abbé de Belzé lui succéda à Versailles. C'étoit un prêtre normand qui s'avisa de se dire médecin ; il purgea madame la Dauphine vingt-deux fois en deux mois, & dans le-tems où il est imprudent de faire des remedes aux femmes : la princesse s'en trouva fort mal, & mesdemoiselles Besola & Patrocle, deux de ses femmes-de-chambre, qui avoient aussi fait usage de la médecine de l'abbé, en contracterent un dévoyement continuel, dont elles moururent l'une après l'autre.

Le sieur du Cerf vint ensuite avec une huile de gayac qui rendoit les gens immortels. Un des aumôniers de madame la Dauphine, au lieu de se mêler de son ministere, s'avisa de proposer le sieur du Cerf ; le charlatan vit la princesse, assûra qu'il en avoit guéri de plus malades qu'elle ; courut préparer son remede ; revint, & trouva la princesse morte : & cet homme, qui avoit le secret de l'immortalité, mourut trois mois après.

Qui est-ce qui a fait autant de bruit, qui est-ce qui a été plus à la mode que le médecin de Chaudrais ? Chaudrais est un petit hameau composé de cinq ou six maisons, auprès de Mantes ; là il se trouva un paysan d'assez bon sens, qui conseilloit aux autres de se servir tantôt d'une herbe, tantôt d'une racine ; ils l'honorerent du titre de médecin. Sa réputation se répandit dans sa province, & vola jusqu'à Paris, d'où les malades accoururent en foule à Chaudrais. On fut obligé d'y faire bâtir des maisons pour les y loger ; ceux qui n'avoient que des maladies legeres, guérissoient par l'usage de ses plantes pulvérisées ou racines desséchées : les autres s'en revenoient comme ils y étoient allés. Le torrent de malades dura cependant trois à quatre années.

C'est un phénomene singulier que l'attrait que la cour a pour les charlatans ; c'est-là qu'ils tendent tous. Le sieur Bouret y débarqua avec des pilules merveilleuses dans les coliques inflammatoires ; mais, malheureusement pour la fortune de celui-ci, il fut attaqué lui-même, tout en débarquant, de cette maladie, que son remede augmenta tellement qu'il en mourut en quatre jours.

Voilà l'abrégé historique des plus fameux charlatans. Ce furent, comme on voit, un marquis étranger, des moines, des prêtres, des abbés, des paysans, tous gens d'autant plus assurés du succès, que leur condition étoit plus étrangere à la Médecine.

La charlatanerie médicinale n'est ni moins commune ni moins accréditée en Angleterre ; il est vrai qu'elle ne se montre guere que sur les places publiques, où elle sait bien étaler à son avantage la manie du patriotisme. Tout charlatan est le premier patriote de la nation, & le premier médecin du monde Il guérit toutes les maladies, quelles qu'elles soient, avec ces spécifiques, & la bénédiction de Dieu ; c'est toujours une des conditions de l'affiche.

Je me souviens, dit M. Addisson, d'avoir vû à Hammersmith un de ces patriotes, qui disoit un jour à son auditoire : " Je dois ma naissance & mon éducation à cet endroit, je l'aime tendrement ; & en reconnoissance des bienfaits que j'y ai reçûs, je fais présent d'un écu à tous ceux qui voudront l'accepter ". Chacun s'attendoit, la bouche béante, à recevoir la piece de cinq schelins ; M. le docteur met la main dans un long sac, en tire une poignée de petits paquets, & dit à l'assemblée : Messieurs, " je les vends d'ordinaire cinq schelins six sous, mais en faveur des habitans de cet endroit, que j'aime tendrement, j'en rabattrai cinq schelins ". On accepte son offre généreuse ; ses paquets sont enlevés, les assistans ayant répondu les uns pour les autres qu'il n'y avoit point d'étrangers parmi eux, & qu'ils étoient tous ou natifs, ou du moins habitans d'Hammersmith.

Comme rien n'est plus propre pour en imposer au vulgaire, que d'étonner son imagination & entretenir sa surprise, les charlatans des îles britanniques se font annoncer sous le titre de docteurs nouvellement arrivés de leurs voyages, dans lesquels ils ont exercé la Médecine & la Chirurgie par terre & par mer, en Europe & en Amérique, où ils ont appris des secrets surprenans, & d'où ils apportent des drogues d'une valeur inestimable pour toutes les maladies qui peuvent se présenter.

Les uns suspendent à leurs portes des monstres marins farcis de paille, des os monstrueux d'animaux, &c. ceux-ci instruisent le public qu'ils ont eu des accidens extraordinaires à leur naissance, & qu'il leur est arrivé des desastres surprenans pendant leur vie ; ceux-là donnent avis qu'ils guérissent la cataracte mieux que personne, ayant eu le malheur de perdre un oeil dans telle bataille, au service de la patrie.

Chaque nation a ses charlatans ; & il paroît que par-tout ces hommes mettent autant de soin à étudier le foible des autres hommes, que les véritables Médecins à connoître la nature des remedes & des maladies. Et en quelque lieu du monde qu'on soit, il n'y en a presque pas un qu'on ne puisse reconnoître au passage de Plaute que nous avons cité plus haut, & congédier avec la recette suivante. Elle est d'un seigneur Anglois ; il étoit dans son lit cruellement tourmenté de la goutte, lorsqu'on lui annonça un charlatan qui avoit un remede sûr contre ce mal. Le lord demanda si le docteur étoit venu en carrosse, ou à pié : à pié, lui répondit le domestique. " Eh bien, répliqua le malade, va dire à ce fripon de s'en retourner : car s'il avoit le remede dont il se vante, il rouleroit en carrosse à six chevaux ; & je le serois allé chercher, moi, & lui offrir la moitié de mon bien pour être délivré de mon mal ".

Cet article est l'extrait d'un excellent mémoire de M. le Chevalier DE JAUCOURT, que les bornes de cet ouvrage nous forcent à regret d'abréger.


CHARLATANERIES. f. c'est le titre dont on a décoré ces gens qui élevent des treteaux sur les places publiques, & qui distribuent au petit peuple des remedes auxquels ils attribuent toutes sortes de propriétés. Voyez CHARLATAN. Ce titre s'est généralisé depuis, & l'on a remarqué que tout état avoit ses charlatans ; ensorte que dans cette acception générale la charlatanerie est le vice de celui qui travaille à se faire valoir, ou lui-même, ou les choses qui lui appartiennent, par des qualités simulées. C'est proprement une hypocrisie de talens ou d'état. La différence qu'il y a entre le pédant & le charlatan, c'est que le charlatan connoît le peu de valeur de ce qu'il surfait, au lieu que le pédant surfait des bagatelles qu'il prend sincerement pour des choses admirables. D'où l'on voit que celui-ci est assez souvent un sot, & que l'autre est toujours un fourbe.

Le pédant est dupe des choses & de lui-même ; les autres sont au contraire les dupes du charlatan.


CHARLEMONT(Géog.) ville forte d'Irlande, dans la province d'Ulster, sur la riviere de Blaekwater. Long. 10. 40. lat. 54. 20.

CHARLEMONT, (Géog.) ville forte des Pays-bas, au comté de Namur, sur la Meuse. Long. 22. 24. lat. 50. 5.


CHARLEROI(Géog.) ville forte des Pays-bas autrichiens, au comté de Namur, sur la Sambre. Long. 24. 14. lat. 50. 20.


CHARLESFORT(Géog.) ville & colonie des Anglois, dans l'Amérique septentrionale, à la baye de Hudson.


CHARLESTOWN(Géog.) il y a deux villes de ce nom dans l'Amérique septentrionale ; l'une dans la Caroline, & l'autre dans l'île de la Barbade. La premiere est sur la riviere d'Ashley. Long. 297. 55. lat. 32. 50.


CHARLEVILLE(Géog.) ville de France en Champagne, dans le Rhetelois, sur la Meuse. Long. 22. 10. lat. 49. 50.


CHARLIEU(Géog.) petite ville de France dans le Mâconnois, sur les confins du Beaujolois & de la Bourgogne, près de la Loire. Long. 21. 40. lat. 46. 15.


CHARMEvoyez APPAS.

* CHARME, ENCHANTEMENT, SORT, (Synonymes, Gram.) termes qui marquent tous trois l'effet d'une opération magique que la religion condamne, & que l'ignorance des peuples suppose souvent où elle ne se trouve pas. Si cette opération est appliquée à des êtres insensibles, elle s'appellera charme : on dit qu'un fusil est charmé ; si elle est appliquée à un être intelligent : il sera enchanté, si l'enchantement est long, opiniâtre ; & cruel, on sera ensorcelé.

* CHARME, s. m. (Divinat.) pouvoir, ou caractere magique, avec lequel on suppose que les sorciers font, par le secours du démon, des choses merveilleuses, & fort au-dessus des forces de la nature. Voyez MAGIE & MAGIQUE.

Ce mot vient du latin carmen, vers, poésie ; parce que, dit-on, les conjurations & les formules des magiciens étoient conçûes en vers. C'est en ce sens qu'on a dit :

Carmina vel coelo possunt deducere lunam.

On comprend parmi les charmes, les philacteres, les ligatures, les maléfices, & tout ce que le peuple appelle sorts. Voyez PHILACTERE, LIGATURE, &c.

La crédulité sur cet article a été de tous les tems, ou du moins il y a eu de tout tems une persuasion universellement répandue, que des hommes pervers, en vertu d'un pacte fait avec le démon, pouvoient causer du mal, & la mort même à d'autres hommes, sans employer immédiatement la violence, le fer ou le poison ; mais par certaines compositions accompagnées de paroles, & c'est ce qu'on appelle proprement charme.

Tel étoit, si l'on en croit Ovide, le tison fatal à la durée duquel étoit attachée celle des jours de Méléagre. Tels étoient encore les secrets de Medée, au rapport du même auteur :

Devovet absentes, simulacraque cerea fingit ;

Et miserum tenues in jecur urget acus.

Horace, dans la description des conjurations magiques de Sagane & de Canidie, fait aussi mention des deux figures ; l'une de cire, & l'autre de laine, dont celle-ci, qui représentoit la sorciere, devoit persécuter & faire périr la figure de cire.

Lanea & effigies erat, altera cerea, major

Lanea quae poenis compesceret inferiorem.

Cerea simpliciter stabat, servilibus, utque

Jam peritura, modis.

Tacite, en parlant de la mort de Germanicus, qu'on attribuoit aux maléfices de Pison, dit qu'on trouva sous terre & dans les murs divers charmes : Reperiebantur solo & parietibus eructae humanorum corporum reliquiae, carmina & devotiones, & nomen Germanici plumbeis tabulis insculptum, semi-usti cineres, & tabo obliti, aliaque maleficia, queis creditur animas numinibus infernis sacrari. On sait que du tems de la ligue, les furieux de ce parti, & même des prêtres, avoient poussé la superstition jusqu'à faire faire de petites images de cire qui représentoient Henri III. & le roi de Navarre ; qu'ils les mettoient sur l'autel, & les perçoient pendant la messe quarante jours consécutifs, & le quarantieme jour les perçoient au coeur, imaginant que par-là ils procureroient la mort à ces princes. Nous ne citons que ces exemples, & dans cette seule espece, entre une infinité d'autres de toutes les sortes qu'on rencontre dans les historiens & dans les auteurs qui ont traité de la magie. On peut sur-tout consulter à cet égard Delrio, disquisit. magicar. lib. III. part. j. quaest. iv. sect. 5. en observant toutefois que Delrio adopte tous les faits sur cette matiere avec aussi peu de précaution que Jean Wyer, protestant, médecin du duc de Cleves, qui a beaucoup écrit sur le même sujet, en apporte à les rejetter, ou à les attribuer à des causes naturelles. Ce qui n'empêche pas que Bodin, dans sa démonomanie, ne regarde Wyer comme un insigne magicien. Croire tout ou ne rien croire du tout, sont des extrèmes également dangereux sur cette matiere délicate, que nous nous contentons d'indiquer, & qui demanderoit, pour être approfondie, un tems & des recherches que la nature de cet ouvrage ne comporte pas.

Pour donner un exemple des charmes magiques, nous en rapporterons un par lequel on prétend qu'il s'est exécuté des choses fort singulieres en fait d'empoisonnement de bestiaux, de maladies aiguës, & de douleurs causées à différentes personnes. Le voici tel qu'il a été décrit par un fameux sorcier nommé Bras-de-fer, au moment qu'il alloit subir son supplice en France. Il fut, dit-on, exécuté à Provins il y a 50 ans : ce que nous n'obligeons personne à croire.

On prend une terrine neuve vernissée, qu'il faut n'avoir ni achetée ni marchandée ; on y met du sang de mouton, de la laine, du poil de différens animaux, & des herbes venimeuses, qu'on mêle ensemble, en faisant plusieurs grimaces & cérémonies superstitieuses, en proférant certaines paroles, & en invoquant les démons. On met ce charme caché dans un endroit voisin de celui auquel on veut nuire, & on l'arrose de vinaigre, suivant l'effet qu'il doit produire. Ce charme dure un certain tems, & ne peut être emporté que par celui qui l'a mis, ou quelque puissance supérieure. Voyez SORCIER. (G)

CHARME, (Médec.) voyez MEDECINE MAGIQUE.

CHARME, voyez ENCHANTEMENT.

CHARME, s. f. (Hist. nat.) carpinus, genre d'arbre qui porte des chatons composés de plusieurs petites feuilles qui sont attachées en forme d'écailles à un axe, & qui couvrent chacune plusieurs étamines. Les embryons naissent sur le même arbre séparément des fleurs, & se trouvent entre les petites feuilles d'un épi qui devient dans la suite plus grand & plus beau. Alors au lieu d'embryon il y a des fruits osseux, marqués pour l'ordinaire d'un ombilic applati & cannelé. Ils renferment une semence arrondie & terminée en pointe. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Ce grand arbre est fort commun dans les forêts, mais on en fait peu de cas : dans son état naturel il n'a nulle beauté ; il paroît vieux & chenu dès qu'il a la moitié de son âge, & il devient rarement d'une bonne grosseur. Son tronc court, mal proportionné, est remarquable sur-tout par des especes de cordes qui partent des principales racines, s'étendent le long du tronc, & en interrompent la rondeur. Son écorce blanchâtre & assez unie, est ordinairement chargée d'une mousse brune qui la dépare. La tête de cet arbre, trop grosse pour le tronc, n'est qu'un amas de branches foibles & confuses, parmi lesquelles la principale tige se trouve confondue ; & sa feuille, quoique d'un beau verd, étant petite, ne répond nullement à la grandeur de l'arbre : ensorte que si à cette apparence ingrate on ajoute sa qualité de résister aux expositions les plus froides, de réussir dans les plus mauvais terreins, & d'être d'un bois rebours & des plus durs ; ne pourroit-on pas considérer le charme entre les arbres, comme on regarde un lapon parmi les hommes ? Cependant en ramenant cet arbre à un état mitoyen, & en le soûmettant à l'art du jardinier, on a trouvé moyen d'en tirer le plus grand parti pour la variété, l'embellissement, & la décoration des jardins. Mais avant que d'entrer dans le détail de ce qui dépend de l'art, suivons le charme dans la simple nature.

Terrein, exposition. On met cet arbre au nombre de ceux qui par leur utilité tiennent le second rang parmi les arbres fruitiers. En effet, il ne laisse pas d'avoir quelques qualités avantageuses ; il remplit dans les bois des places où presque tous les autres arbres se refusent, & il s'accommode de tous les terreins : on le voit dans les lieux froids, montagneux, & stériles ; il vient fort bien dans les terreins pierreux, graveleux, & sur-tout dans la craie, qui paroît être même son terrein naturel ; il se plaît souvent dans les terres dures, glaiseuses, humides ; enfin se trouve-t-il dans une bonne terre où les autres arbres le gagnent de vîtesse, il vient dessous, & souffre leur ombrage. Quelque part que soit placé cet arbre, son bois est toujours de mauvaise essence, son accroissement trop lent, & son branchage menu & court : cela peut être néanmoins compensé par la bonne garniture qu'il fait dans un taillis, où il vient épais & plus serré qu'aucune autre espece d'arbre ; & par son tempérament robuste, qui le fait résister aux plus grands froids & aux gelées de printems, même lorsqu'il est en jeune rejetton sur taillis. C'est en cette nature de bois qu'on peut tirer le meilleur parti de cet arbre, qui croît trop lentement & se couronne trop tôt, pour profiter en futaie. On prétend qu'il faut le couper à quinze ans pour le plus grand profit.

Usage du bois. Le bois du charme est blanc, compacte, intraitable à la fente, & le plus dur de tous les bois après le bouis, l'if, le cormier, &c. cependant de tous les bois durs, le charme est celui qui croît le moins lentement. On débite son bois pour le charronnage, & principalement en bois à brûler ; mais on ne l'employe jamais en menuiserie qu'au défaut de tout autre bois, moins parce qu'il est difficile à travailler, qu'à cause de son peu de durée, que la vermoulure interrompt bien-tôt. On s'en sert pour faire des essieux, & quelques autres pieces de charronnage, dans les endroits où l'orme est rare. On en fait des vis de pressoir, des formes & des sabots, des manches d'outils champêtres, des jougs de boeufs, des rouleaux pour les teinturiers : on l'employe aussi pour faire les menues garnitures des moulins, &c. Du reste ce bois n'est nullement propre à être employé à l'air ; il y pourrit en six ans : mais il est excellent à brûler, & il donne beaucoup de chaleur, qu'on dit être saine. C'est aussi l'un des meilleurs bois pour le charbon, qui conserve long-tems un feu vif & brillant, comme celui du charbon de terre ; ce qui le fait rechercher pour les fourneaux de verrerie.

Usages de l'arbre. Des arbres que l'on connoît, le charme est le plus propre de tous à former des palissades, des haies, des portiques, des colonnades, & toutes ces décorations de verdure qui font le premier & le plus grand embellissement d'un jardin bien ordonné. Toutes les formes qu'on donne à cet arbre lui deviennent si propres, qu'il se prête à tout ce qui y a rapport : on peut le transplanter à cet effet, petit ou grand ; il souffre la tonsure en été comme en hyver ; & la souplesse de ses jeunes rameaux favorise la forme qu'on en exige, & qui est complettée par leur multiplicité. Pour faire ces plantations, on tire la charmille des pépinieres, ou même des forêts, si l'on se trouve à portée : la premiere se reconnoît aisément à son écorce claire, & à ce qu'elle est bien fournie de racines ; celle au contraire qui a été prise au bois, est étiolée, crochue & mal enracinée.

Multiplication. Le charme peut se multiplier de graine qu'on recueille ordinairement au mois d'Octobre, & qu'il faut semer aussi-tôt dans un terrein frais & à l'ombre, où il en pourra lever une petite partie au printems suivant ; mais le reste ne levera souvent qu'à l'autre printems. Quand ils ont deux ans on les transplante sans les étêter en pépiniere, où on les laisse au moins trois années pour se fortifier & faire du petit plan de charmille, & jusqu'à six ou sept ans pour être propres à planter les grandes palissades de toute hauteur. Mais l'accroissement de cet arbre étant si lent quand on l'éleve de graine, on a trouvé qu'il étoit plus court & plus facile de le multiplier de branches couchées : si on fait cette opération de bonne heure, en automne elles feront suffisamment racine pour être transplantées au bout d'un an ; & dès-lors on pourra les employer en petit plan, sinon on les met en pépinieres, & on les conduit comme les plants venus de graine. Les uns & les autres n'exigent aucune culture particuliere, si ce n'est qu'on ne les élague jamais, & qu'on accourcit seulement leurs branches latérales, selon les différentes figures auxquelles on les destine.

Plantation des grandes charmilles. Les palissades de charmille, lorsqu'elles se trouveront dans une terre franche & fraîche, s'éleveront à une grande hauteur : elles réussiront même dans un terrein sec & leger, & exposé aux vents froids & impétueux ; mais on ne pourra les amener qu'à une hauteur moyenne dans ces sortes de terreins. La transplantation des charmilles devroit se faire en automne, suivant le principe reçû en Agriculture, s'il n'arrivoit pas souvent que leur tige se trouve desséchée au printems jusqu'à fleur de terre, par les frimats & les vicissitudes de la gelée & du dégel. Pour éviter cet inconvénient, on pourra ne les planter dans ces sortes de places qu'au printems, mais de bonne heure, & dès la fin de Février ; cela exigera seulement quelques arrosemens pendant le premier été, dans les sécheresses. Le mois de Mars sera le tems le plus convenable pour la transplantation des charmilles dans les lieux frais & dans les bonnes terres. Il n'y a pas long-tems que les Jardiniers avoient encore la mauvaise pratique de ne planter aucunes charmilles sans les recéper un peu au-dessus de terre ; ce qui jettoit dans un grand retard pour l'accroissement, & dans l'inconvénient que les branches qui ont peu de disposition à se dresser, se chiffonnent, & contrarient continuellement le redressement de la palissade, & le peu d'épaisseur qu'on cherche à lui laisser autant qu'il est possible. Mais pour arriver bien plus promtement à une grande hauteur, qui est l'objet desiré, & avoir en trois ans ce qu'on n'obtenoit pas en dix, on plante tout de suite les charmilles d'une bonne hauteur, par exemple, de huit à dix piés dans les mauvais terreins, & de douze ou quinze dans les bonnes terres. On a la facilité dans les campagnes de tirer des bois du plant, que l'on peut même, dans quelques terreins, faire enlever avec de petites mottes de terre. Ceux d'un pouce de diametre sont les meilleurs : on leur coupe toutes les branches latérales, en laissant toujours des chicots pour les amener à la garniture, & on réduit toutes les têtes à la hauteur qu'on se propose de donner à la palissade : on fait un fossé profond d'environ un pié & demi, & large d'autant ; on y range à droite ligne les plants, à la distance de douze à quinze pouces, avec de petits plants qu'on réduit à un pié de hauteur, & qu'on place alternativement entre les grands : on les recouvre d'une terre meuble, & on entretient l'alignement de sa palissade avec des perches transversales, & quelques piquets où il en est besoin. Comme les plants pris au bois sont moins bien enracinés & plus difficiles à la reprise que ceux de pépiniere, il faudra avoir la précaution d'en planter à part une provision, qui servira à faire les remplacemens nécessaires pendant les deux ou trois premieres années, qui suffisent pour jouïr des palissades : on les retient alors, si on les trouve au point où on les veut, ou bien on les laisse aller à toute la hauteur qu'elles peuvent atteindre, & qui dépend toujours de la qualité du terrein.

Petites charmilles. Ce même arbre que l'on fait parvenir à une grande hauteur pour certains compartimens de jardin, peut aussi pour d'autres arrangemens être réduit dans un état à rester sous la main : on en fait des haies à hauteur d'appui, qui servent à border des allées, à séparer différens compartimens, & à enclorre un terrein : pour ce dernier cas, on réunit une ligne de plan d'aubepin, qui défend des atteintes du dehors, à une premiere ligne de charmille qui embellit le dedans, sans se nuire l'une à l'autre.

Entretien & culture des charmilles. Le principal entretien des palissades de charmille, est de les tondre régulierement : cette opération se fait après la premiere séve, & ordinairement au commencement de Juillet : la plus grande attention qu'on doit y donner est de les tondre de droit alignement, & de les tenir étroites ; ce qui contribue en même tems à leur durée, & à les faire garnir. Elles n'exigent pour leur culture, que ce qui se pratique à l'ordinaire pour les autres arbres ; c'est sur-tout de ne souffrir ni mauvaises herbes, ni gason au-dessus de leurs racines.

On ne trouve qu'une chose à redire à cet arbre ; c'est qu'il retient pendant l'hyver ses feuilles mortes, qui font dans cette saison un coup-d'oeil desagréable, & une malpropreté continuelle dans un jardin bien tenu. On pourroit répondre que cela peut même avoir son utilité, pour empêcher les vûes qu'on veut éviter, & sur-tout pour défendre un terrein des vents, à la violence desquels le charme résiste mieux qu'aucun autre arbre. Mais ce défaut ne balancera jamais l'agrément que les charmilles donnent dans la belle saison par leur verdure claire & tendre, & par leur figure réguliere & uniforme, dont le noble aspect est connu de tout le monde.

Autres especes. Outre le charme commun, qui est celui dont on vient de parler, il y en a encore sept especes, dont les Botanistes font mention, & qu'on ne trouve guere que dans leurs catalogues. Il y a tout lieu de croire que ces arbres seroient moins rares, s'ils avoient plus d'utilité ou d'agrément que l'espece commune.

Le charme à feuille panachée. C'est une variété de l'espece commune, qui n'a pas grande beauté, & qu'on peut multiplier par la greffe.

Le charme à feuille plus longue & plus étroite. C'est une autre variété qui n'a nul mérite.

Le charme de Virginie à larges feuilles. Ce n'est peut-être aussi qu'une variété de l'espece commune : mais quand la feuille de cet arbre seroit en effet plus grande, cela ne décideroit pas qu'on dût lui donner la préférence, attendu que la feuille du charme commun, quoique plus étroite, est plus convenable pour l'usage qu'on fait de cet arbre dans les jardins. On peut le multiplier de branches couchées.

Le charme à fleur de Virginie. Cet arbre est encore peu connu, & très-rare en France. Quelques auteurs anglois font mention seulement qu'il est aussi robuste que l'espece commune, & qu'on peut le multiplier de branches couchées : mais ils ne rapportent rien des qualités de sa fleur ; ce qui n'en fait rien augurer de beau.

Le charme d'Orient. Il paroît que cet arbre n'est qu'un diminutif de l'espece commune : sa graine & sa feuille sont plus petites ; l'arbre même ne s'éleve pas si haut à beaucoup près : il y a cependant entr'eux quelques différences, qui sont à l'avantage du charme d'Orient ; c'est que ses feuilles sont moins plissées, plus lisses, & qu'elles tombent de l'arbre avant l'hyver : cela fait croire que cet arbre conviendroit mieux que le charme ordinaire pour les petites palissades. On peut le multiplier de graine & de branches couchées.

Le charme à fruit de houblon. Il a la même apparence que l'espece commune ; ses feuilles sont cependant moins plissées ; mais comme il les quitte entierement avant l'hyver, il ne seroit pas dans les jardins au printems, de la malpropreté qu'on reproche au charme ordinaire. C'est aussi, je crois, tout ce qu'il y a d'avantageux dans cet arbre, qui est d'ailleurs plus petit que l'espece commune. Il se trouve fréquemment dans les bois d'Allemagne, où il croît indifféremment avec le charme ordinaire : on peut juger par-là de son tempérament. Il se multiplie de même, & il se tond tout aussi-bien.

Le charme de Virginie à fruit de houblon. Cet arbre qui est très-rare, paroît n'être, sur ce qu'on en sait encore, qu'une variété du précédent, auquel il ressemble parfaitement par ses chatons & sa graine ; mais ses feuilles, quoique flétries, ne tombent qu'aux approches du printems ; circonstance desavantageuse, qui ne fera pas rechercher cet arbre. Il a cependant le mérite de croître sous les autres arbres, dont l'ombrage & le dégouttement ne lui sont point nuisibles. On peut le multiplier de graines, qui ne leveront que la seconde année. Il est très-robuste, mais il ne fait jamais qu'un petit arbre. (c)


CHARMES(Géog.) petite ville de France en Lorraine, sur la Moselle. Long. 24. lat. 48. 18.


CHARMÉSadj. (Jurispr.) en matiere d'Eaux & Forêts, on appelle arbres charmés, ceux auxquels on a fait à mauvais dessein quelque chose pour les faire tomber ou pour les faire mourir. Ce terme paroît tirer son origine d'un tems de simplicité où l'on croyoit que ces sortes de changemens pouvoient s'opérer par des charmes, sorts, ou un pouvoir surnaturel : mais présentement on est convaincu que ces maléfices se font par des secrets naturels, comme en cernant les arbres, ou en les creusant pour y mettre de l'eau-forte ou du vif-argent, &c. Voyez Chauffour, dans son instruction sur le fait des Eaux & Forêts, ch. xv. p. 82. Le glossaire de Lauriere, au mot charmés. (A)


CHARMILLES. f. (Jardins) c'est proprement le nom que l'on donne aux jeunes charmes que l'on tire des pépinieres ou des bois taillis, à dessein de planter des palissades, des portiques, des haies, &c. pour l'ornement ou la clôture des jardins. Mais on appelle aussi du nom de charmille, les palissades même & les haies qui sont plantées de charme. Cet arbre est en effet le plus propre de tous à recevoir & conserver les formes qu'on veut lui donner, & dont on a sû tirer un si grand parti pour l'embellissement & la décoration des jardins de propreté. Sur la plantation & la culture des charmilles. Voyez CHARME. (c)


CHARMOIES. f. (Agricult.) c'est ainsi qu'on appelle un lieu planté de charmes. Voyez CHARME.


CHARMONadj. m. (Myth.) surnom sous lequel Jupiter avoit un culte établi, & étoit adoré chez les Arcadiens.


CHARMOSINE(Myth.) jour de fête & de joie dans Athenes, dont il ne nous est resté que le nom.


CHARNAGES. m. se dit 1°. du tems où l'on fait gras, par opposition au tems de carême où l'on fait maigre ; 2°. des animaux même, par opposition & aux choses appartenantes aux animaux, & aux autres substances naturelles sur lesquelles les dixmes peuvent s'étendre : il a dixme de lainage & charnage.


CHARNAIGRESS. m. (Chasse) voy. les articl. CHIEN & LEVRIER.


CHARNELadj. (Gramm.) terme de consanguinité ; frere charnel, ou du même pere & de la même mere, de la même chair, voyez l'art. suivant : terme de Théologie, juif charnel, ou attaché aux choses de ce monde, c'est l'opposé de spirituel. Voyez SPIRITUEL.

CHARNEL, adject. (Jurisprud.) ami charnel dans les anciens actes, signifie parent. Dans des lettres manuscrites de Louis cardinal-duc de Bar, seigneur de Cassel, administrateur perpétuel de l'évêché & comté de Verdun, du 27 Avril 1420, il est parlé des oncles & amis charnels de Jean seigneur de Watronville. Ce terme d'ami charnel paroît venir du latin amita, qui signifie tante paternelle, & amitinus, amitina, cousin & cousine, enfans du frere & de la soeur. (A)


CHARNELLEMENTadv. (Jurisp.) en style du barreau ; on dit avoir affaire charnellement avec une personne du sexe, pour dire avoir commerce avec elle. (A)


CHARNIERS. m. terme d'Architecture, du latin carnarium. On entend sous ce nom des portiques couverts & percés à jour, qui entourent une grande place destinée à la sépulture des habitans, tel que le cimetiere des saints Innocens à Paris ; on donne aussi ce nom à une galerie fermée de croisées, & située au rez-de-chaussée d'une église paroissiale, où l'on enterre les morts, & où dans les jours solemnels on donne la communion, tels qu'aux paroisses saint Eustache, saint Paul, &c. (P)


CHARNIERES. f. en terme d'Orfévre & de Bijoutier ; c'est la portion d'un bijou en forme de boîte ; par laquelle le dessous & le dessus sont assemblés, de maniere que le dessus peut s'ouvrir & se fermer sans se séparer du dessous. Elle est composée de plusieurs charnons placés à des distances égales, & s'insérant les uns entre les autres ; ceux de la partie de la charniere qui tient au-dessous, dans les vuides de la partie de la charniere du dessus ; & ceux de la partie de la charniere qui tient au-dessus, dans les vuides de la partie de la charniere qui tient au-dessous ; & ils sont contenus dans cet état par une verge de fer, d'acier, ou même d'argent, un peu aisée dans ces trous, mais bien rivée à chaque extrémité. Voyez à l'article TABATIERE, la maniere de faire une charniere dans tout son détail. Voyez aussi CHARNON.

CHARNIERE, en terme de Graveur en pierre, se dit d'une sorte de boule qui se termine en une espece de petit cylindre creux & long, qui entre dans les pierres qu'on veut percer. Voyez la fig. 5. Planche III. de la Gravûre.

CHARNIERE petite, nom que les Horlogers donnent à celle du mouvement d'une montre. Pour qu'elle soit bien faite, il faut, 1° que le mouvement en soit doux, quoique ferme ; 2° qu'elle ne bride pas, afin qu'elle ne jette pas le mouvement à droite, ou à gauche de l'ouverture de la boîte ; 3° que les charnons appartenans à la partie qui tient au mouvement, soient petits & distans l'un de l'autre de l'épaisseur au moins de trois de ces charnons. Par ce dernier moyen, celui du milieu de la boîte devient plus long, & on diminue les inconvéniens qui naîtroient des yeux. Voyez BOITE, BATE, &c. Voyez aussi une CHARNIERE de boîte de montre, représentée Planche XII. d'Horlogerie. (T)

* CHARNIERE. Les faiseurs d'instrumens de Mathématique donnent assez proprement ce nom à l'endroit par lequel les jambes d'un compas, les parties d'une équerre, &c. sont assemblées, soit que l'assemblage soit à une fente, soit qu'il soit à deux fentes ; cependant il ne convient guere qu'au dernier cas : alors deux lames de la tête d'une des jambes de l'instrument s'insérant entre deux lames de la tête de l'autre jambe de l'instrument, & le clou les traversant toutes quatre, les lames sont ici ce que les charnons sont aux charnieres proprement dites, & le clou fait la fonction de la goupille.

CHARNIERE, (Serrurerie) c'est en général une fermeture de fer, dont les branches sont plus longues & plus étroites que celles des couplets, relativement à la longueur. On s'en sert aux portes brisées & fermetures de boutiques en plusieurs feuillets. Il faut autant de charnieres, moins une, qu'il y a de feuillets. Il y a des charnieres simples & des charnieres doubles. Voyez COUPLETS.


CHARNONS. m. en terme de Bijoutier ; c'est une espece d'anneau soudé, ou au-dessus, ou au-dessous d'un bijou en forme de boîte. C'est l'ensemble des charnons qui forme la charniere ; ils sont au-dessus en même nombre qu'au-dessous, du moins pour l'ordinaire. Ils sont soudés de maniere qu'il s'en puisse insérer un du dessus entre deux du dessous, & remplir l'interstice si exactement, que les trois pieces n'en paroissent faire qu'une. Le grand art du Bijoutier, après ce qui dépend du goût, consiste à bien faire une charniere. Voyez l'article CHARNIERE, & à l'article TABATIERE, la maniere de faire le charnon & la charniere.

Le charnon, en Serrurerie, ne se fait pas ainsi qu'en Bijouterie ; il est forgé avec la piece ; on le tient ouvert par le moyen d'une verge de fer, sur laquelle on recourbe la partie de la piece qui doit le former ; & l'on soude l'excédent de cette partie sur le corps de la piece. Mais cette maniere n'est pas la seule.


CHARNUadj. se dit du jarret du cheval. Voyez JARRET. (V)


CHAROLLES(Géog.) petite ville de France en Bourgogne, capitale du Charolois, sur la Réconce. Long. 21. 42. lat. 46. 25.


CHAROLOIS(LE) Géog. pays de France en Bourgogne, avec titre de comté.


CHARONS. m. (Myth.) ce terme vient, à ce qu'on prétend, par antiphrase de , gaudeo, je me réjouis ; parce qu'il n'y a rien de moins réjouissant que d'aller trouver Charon. Il étoit fils de l'Erebe & de la Nuit, & par conséquent frere du Chaos. Voyez CHAOS. On en a fait un dieu, quoique ce ne fût qu'un batelier chargé de passer les morts sur l'Achéron. Voyez ACHERON. On lui avoit assigné une obole pour droit de péage ; cette piece qu'on mettoit dans la bouche des morts, s'appelloit naulé, & ce tribut dinaqué. Les généraux athéniens curieux d'être reconnus jusque sur le Styx pour des hommes de distinction, ordonnoient qu'on leur mît dans la bouche une piece plus considérable que l'obole. Les habitans d'Hermioné voisins de l'entrée des enfers, se prétendoient exemts de ce tribut. Il étoit défendu à Charon de prendre sur sa barque aucun vivant. Ulisse, énée, Orphée, Thésée, Pirithoüs & Hercule furent cependant exceptés de cette loi : mais on dit que Charon fut enchaîné pendant un an & séverement puni pour avoir descendu ce dernier aux enfers, de son autorité privée. Il n'admettoit pas indistinctement tous les morts sur son bord ; il falloit avoir reçû les honneurs de la sépulture ; sans cet avantage on erroit cent ans sur les rives de l'Achéron. Charon écartoit les ames empressées de passer, à grands coups d'aviron. Le vieillard inflexible & sévere laissoit tomber ses coups sur le pauvre & sur le riche, sur le sujet & sur le monarque, sans aucune acception ; il ne reconnoissoit personne : en effet, un homme comme un autre est un prince tout nud. Il paroît aux mumies qu'on tire des sables d'égypte, que les habitans de ce pays étoient très-religieux observateurs de la coûtume de mettre une piece dans la bouche des morts ; c'est aussi à un usage établi dans la même contrée qu'on attribue toute la fable de Charon. On dit que les morts de Memphis étoient transportés autrefois au-delà du Nil dans un petit bateau appellé baris, & par un batelier dont le nom étoit Charon, à qui l'on payoit le passage.


CHAROPSadj. m. (Mythologie) surnom sous lequel Hercule avoit une statue & étoit adoré en Béotie, près de l'endroit où ce héros avoit vaincu Cerbere.


CHAROST(Géog.) petite ville de France en Berry, avec titre de duché-pairie. Long. 19. 45. lat. 46. 56.


CHAROTTES. f. (Chasse) espece de panier en façon de hotte, dont on se sert pour porter les instrumens servans à la chasse aux pluviers, & rapporter ces oiseaux quand on en prend.


CHAROUX(Géog.) petite ville de France dans le Bourbonnois, sur la riviere de Sioulle. Long. 20. 45. lat. 46. 10. Il y a une autre ville de même nom en France dans le Poitou, près de la Charente.


CHARPENTou CHARPENTERIE, s. f. (Art méchan.) on appelle ainsi l'art d'assemble différentes pieces de bois pour la construction des bâtimens élevés dans les lieux où la pierre est peu commune : nous expliquerons succinctement son origine, son application dans l'art de bâtir, & ses défauts.

De toutes les différentes constructions des édifices, celles de charpente sont les plus anciennes, puisque l'origine en remonte jusqu'à celle du monde ; les premiers hommes ignorant les trésors que la terre renfermoit dans son sein, & ne connoissant que ses productions extérieures, couperent des bois dans les forêts pour bâtir leurs premieres cabanes ; ensuite ils en érigerent des bâtimens plus considérables. L'Architecture doit encore aujourd'hui à la Charpenterie dans la maniere de fuseler les colonnes, une des plus belles parties de l'ordonnance des ordres, s'il est vrai qu'elle soit imitée dans la diminution des arbres. La cité de cette capitale montre encore, dans ce siecle, des restes de l'habitude ancienne d'employer le bois de préférence à la pierre ; & l'on peut ajoûter en faveur de cet art, l'usage où l'on est de bâtir ainsi dans les pays du Nord, &c.

L'application de la charpente dans l'art de bâtir, est infiniment utile, principalement en France où l'on n'est presque point en usage de voûter les pieces des appartemens, à la place desquels on construit des planchers de charpente. L'on en fait aussi les combles de nos bâtimens, sans en excepter ceux de nos édifices sacrés & de nos monumens publics ; quelquefois même on fait des pans de bois ou murs de face de charpenterie, dans l'intention de ménager le terrein assez borné des maisons élevées dans les capitales ou principales villes de nos provinces : on en pratique les escaliers de dégagement dans nos grands édifices, & nos principaux dans nos bâtimens à loyer. C'est enfin par son secours que l'on construit des machines capables d'élever les plus grands fardeaux, que l'on éleve des ponts, des digues, des jettées, &c.

Ses défauts consistent dans la nécessité où on se trouve d'éviter ce genre de construction dans les édifices de quelque importance, à cause des incendies auxquels cette matiere est sujette ; & si quelque raison d'économie porte à préférer le bois à la pierre, ce ne doit être que dans des parties de bâtiment dont l'usage particulier paroît exempt des accidens du feu ; car dans toute autre circonstance on devroit essentiellement éviter cet inconvénient dans les édifices érigés dans les villes, bourgs & bourgades. Au reste il faut convenir que l'art de la Charpenterie a fait de très-grands progrès en France, depuis que la plûpart des entrepreneurs & les ouvriers ont sû s'instruire de la partie des Mathématiques qui leur étoit nécessaire ; néanmoins il seroit à desirer que quelques-uns de ces habiles maîtres écrivissent sur cette matiere d'une maniere satisfaisante. Mathurin Jousse, Lemuet, Tiercelet, Daviler & Blanchard, sont les seuls jusqu'à présent qui en ayent dit quelque chose relativement à la pratique. Mais il reste beaucoup à desirer sur l'oeconomie dans cet art, ou sur la méthode d'éviter cette énorme complication de pieces dans les assemblages, qui ôtent aux bois une partie de leur force par la charge mutuelle qu'on leur impose ; sur la maniere d'assembler, de couper le bois, de le placer ; sur la connoissance de la nature des bois, de leur durée, de leurs autres qualités physiques, &c. Il seroit à souhaiter que l'expérience, la Méchanique & la Physique, se réunissent pour s'occuper ensemble de cette matiere importante. Nous avons déjà dans les mémoires de M. de Buffon, dont nous avons donné des extraits à l'article BOIS, d'excellens matériaux. Voyez l'article BOIS. (P)

* CHARPENTE, (bois de) on donne ce nom au bois selon la grosseur dont il est, & la maniere dont on le débite. Il faut qu'il soit équarri ou scié, & qu'il ait plus de six pouces d'équarrissage. On scie les petites solives, les chevrons, les poteaux, &c. on équarrit les sablieres, les grosses solives, les poutres. Voy. SOLIVES, CHEVRONS, POTEAUX, &C. SABLIERES, POUTRES, &c.

Il faut que le bois de charpente soit coupé long-tems avant que d'être employé. S'il est verd, il sera sujet à se gerser & à se fendre. Voyez l'article BOIS. Il ne le faut prendre ni flacheux, ni plein d'aubier, ni roulé : préférez le chêne, soit que vous bâtissiez sur terre, soit que vous bâtissiez dans l'eau ; le châtaignier n'aime pas l'humidité ; le sapin fera de bonnes solives. Prenez garde, quand vous employerez des ouvriers, qu'ils ne mêlent du bois vieux à du bois neuf ; si vous faites marché au cent, ils pourront en employer plus qu'il ne faut ; en bloc, ils tâcheront de gagner sur la grosseur & sur la quantité ; à la toise, ils profiteront de la connoissance des avantages de cette mesure, pour y réduire les bois & s'emparer du surplus. On entend par un cent de bois, cent pieces de bois dont chaque piece a douze piés de long sur six pouces d'équarrissage, ou trois piés-cubiques.


CHARPENTIERterme de Tabletier Cornetier, voyez DOLER.

* CHARPENTIER, s. m. ouvrier qui a le droit par lui-même de faire ou de faire exécuter tous les ouvrages en gros bois qui entrent dans la construction des édifices ; les machines, telles que les grues & autres, &c. en qualité de membre de la communauté des Charpentiers. Il y a deux sortes de maîtres ; les jurés du roi, & les maîtres simples : les uns ne sont distingués des autres, qu'en ce que les premiers ont cinq ans de réception. L'ancien de ceux-ci est doyen de la communauté ; & c'est toujours un d'eux qui est syndic. Ils sont aussi chargés, exclusivement aux autres, de la visite des bois travaillés ou non travaillés, & de leurs toises. Les quatre jurés sont pris de leur nombre ; deux entrent en charge, & deux en sortent tous les ans. Leurs réglemens ne sont pas à beaucoup près aussi étendus qu'on s'y attendroit, l'art de la Charpenterie n'étant pas apparemment porté aussi loin qu'il seroit à souhaiter qu'il le fût. Les expériences sur lesquelles les statuts concernant un art sont toujours formés, ayant manqué ici, les statuts se sont réduits à de petites observations relatives aux intérêts de la communauté, entre lesquelles on en trouve à peine une qui ait du rapport au bien public. On distinguoit autrefois les Charpentiers des Menuisiers, par les noms de charpentiers à la grande coignée, qu'on donnoit aux premiers ; & de charpentiers à la petite coignée, qu'on donnoit aux seconds. Voyez CHARPENTE, IS DE CHARPENTEENTE.

CHARPENTIER, (Marine) on nomme charpentier de navire ou maître charpentier, celui qui travaille à la construction des vaisseaux, soit qu'il conduise l'ouvrage, ou qu'il travaille sous les ordres d'un constructeur.

Il y a dans les ports du Roi des maîtres charpentiers, des contre-maîtres & des charpentiers entretenus. Les fonctions de chacun d'eux sont réglées par l'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de marine, du 15 Avril 1689, liv. XII. tit. jx. " Les maîtres Charpentiers qui auront la conduite des constructions des vaisseaux & autres bâtimens, seront appellés à tous les devis qui s'en feront, lesquels étant arrêtés dans le conseil des constructions, ils en feront des gabarits, plans & modeles, pour s'y conformer & les faire exécuter ".

" Ils distribueront les charpentiers & autres ouvriers au travail, & où ils les jugeront les plus propres ; & soit qu'ils travaillent à la journée du Roi, ou pour l'entrepreneur, ils les choisiront de concert avec le commissaire des constructions, veilleront sur leur travail, les exciteront à n'y apporter aucun retardement, & observeront de n'y employer que le nombre nécessaire.

Ils ménageront avec soin & oeconomie tous les bois, en faisant servir utilement ceux qui auront été apportés dans l'arsenal, & faisant employer les premiers reçus & ceux qui seront le moins en état de se conserver ; ils auront soin que les chevilles & les clous soient de grosseur convenable, & qu'il n'en soit pas employé inutilement.

Un de ces maîtres assistera toujours à la visite en recette des bois, pour donner son avis sur la bonne ou mauvaise qualité, & pour voir si les pieces seront des échantillons ordonnés & propres pour les constructions & radoubs ; tiendra la main qu'elles soient rangées avec ordre ; que les especes en soient séparées ; que les charpentiers ne rompent point l'ordre établi, & ne prennent aucune piece qu'il n'en soit averti, afin d'empêcher qu'ils n'en fassent un mauvais usage.

Le maître préposé aux radoubs, assistera aux visites & devis des vaisseaux à radouber, & aura pour l'exécution la même application & fonction que les maîtres préposés aux constructions, n'épargnant rien pour le rétablissement de ce qui se trouvera gâté ; ayant soin que les liaisons soient bien faites, que rien ne soit rompu mal-à-propos, & qu'on ne s'engage pas à des dépenses superflues.

Il aura une très-grande application dans les carenes, que les vaisseaux soient bien calfatés, faisant parcourir les coutures & changer les étoupes, les chevilles & les clous, lorsqu'il sera jugé nécessaire : les radoubs & carenes étant finis, il signera le procès-verbal qui en sera fait.

Pour recevoir un maître charpentier, il faut qu'il ait travaillé dans les ports, & qu'il fasse chef-d'oeuvre. Il consiste d'ordinaire à dresser une planche de 25 piés de long, sans la présenter, & la poser & la coudre ; à calfater une couture neuve, & à faire un gouvernail dont la ferrure soit de cinq gonds & rotes, ou un cabestan à cinq trous ". (Z)

CHARPENTIER, s. m. (Hist. nat.) herbe à charpentier, plante naturelle aux isles Antilles ; elle pousse plusieurs branches qui s'étendent & rampent sur la terre à-peu-près comme le chiendent. Ses feuilles sont pointues, flexibles, d'une forme approchante de celle d'un fer de pique, d'un verd foncé, & d'une odeur agréable, quoiqu'un peu forte.

La plante porte des fleurs en gueule d'une extrème petitesse & d'une couleur de gris de lin pâle, auxquelles succede la semence.

L'herbe à charpentier est vulnéraire, son suc employé seul guérit les blessures très-promtement ; les feuilles séchées & prises en infusion comme du thé, sont souveraines pour les maladies de la poitrine : on fait un grand usage de cette herbe aux Isles françoises. Article communiqué par M. de S. ROMAIN.


CHARPIou CHARPI, s. f. (Chir.) amas de plusieurs filamens que l'on a tirés de quelques morceaux de linge à demi-usé, qui ne doit être ni gros ni fin.

La charpie se nomme brute, lorsqu'on l'employe sans forme. On préfere avec raison la charpie brute pour les premiers pansemens, à la suite des opérations, telles que l'amputation d'un bras, d'une mammelle, &c. les opérations de fistule à l'anus, ouverture de tumeurs, &c. parce qu'elle se moule mieux aux différentes inégalités des playes, que si on lui eût donné quelque arrangement qui en formât des plumaceaux, des bourdonnets, des tentes, &c. Voyez PLUMACEAU, BOURDONNET, TENTE. (Y)


CHARPYemplâtre de (Pharmacie). on trouve dans presque toutes les pharmacopées un emplâtre agglutinant & résolutif, décrit sous le nom d'emplâtre de charpy : en voici la composition tirée de la pharmacopée de Charas. Prenez du vieux charpy coupé menu, huit onces ; de l'huile commune & de l'eau de fontaine, de chacun huit livres : cuisez-les ensemble sur un feu modéré jusqu'à consomption d'un tiers : coulez-les ensuite & les exprimez fortement : puis cuisez l'expression avec deux livres de céruse bien pulvérisée, en consistance d'emplâtre : fondez-y après cela de la cire jaune, une livre ; & quand la matiere sera à-demi refroidie, vous y mêlerez les poudres suivantes ; savoir de la myrrhe, du mastich, de l'oliban, de chacun trois onces ; de l'aloës, deux onces ; & l'emplâtre sera fait. Cet emplâtre est dans le cas d'un grand nombre de compositions pharmaceutiques, qui tirent leur nom de leur ingrédient le plus inutile. (b)


CHARRÉES. f. phrygamum, Bel. (Hist. nat. ins.) insecte aquatique qui se fait une enveloppe autour du corps avec de petits brins d'herbe & de bois ; il les lie & les colle les uns aux autres au moyen d'un fil qui sort de sa bouche, & qui est semblable au fil des araignées. Cet insecte a six pattes de chaque côté, avec lesquels il marche dans l'eau : il est mince & allongé, & il ressemble à une petite chenille : lorsqu'il grossit, il se fait une enveloppe plus grande. On trouve quantité de ces insectes dans les eaux courantes. Les truites en sont fort avides. Après qu'on les a tirés de leur enveloppe, ils servent d'appât pour attirer les petits poissons. Aldrovande, lib. VII. de insectis, cap. j. Voyez INSECTE. (I)

CHARREE, (Verrerie & Jardinage) ce sont des cendres qui ont servi à la lessive, & dont l'expérience a fait connoître l'utilité ; elles ont perdu le feu qu'elles conservoient en sortant du bois : les plantes desséchées par des cendres ordinaires, ont instruit les Jardiniers que l'emploi en étoit nuisible. Celles qui restent sur le cuvier, après que la lessive est coulée, sont excellentes.

La charrée échauffe doucement la terre, fait mourir les mauvaises herbes, & avancer les végétaux. On appelle lessieu, l'eau qui sort de la lessive. Voyez LESSIEU. (K)


CHARRETÉES. f. (Econ. rust. & Comm.) est la quantité que peut contenir une charrette considérée comme mesure. Je dis considérée comme mesure, parce que nous n'avons point de mesure qui s'appelle & qui soit en charrette. Cependant la capacité de la charrette ou charretée rapportée à la mesure du bois, n'est que la moitié de la corde, ou ne contient que la voie de Paris. Voyez CORDE & VOIE.


CHARRETTES. f. terme de Charron ; c'est une voiture montée sur deux roues, qui sert à transporter des meubles, &c. Elle est composée de deux limons de 14 ou 18 piés de long, de deux ridelles, de deux ranches avec leurs cornes, de deux roues de 5 à 6 piés de diametre, &c. Voyez la fig. 2. Pl. du Charron. Quand on veut la faire servir à transporter des personnes, on la couvre d'une toile portée sur des cerceaux.


CHARRIERv. act. (Comm.) c'est transporter sur une charrette.

CHARRIER, v. n. (Fauc.) il a deux acceptions ; il se dit 1° d'un oiseau qui emporte la proie qu'il a prise, & qui ne revient qu'après qu'on l'a reclamé ; 2° de l'oiseau qui se laisse emporter lui-même dans la poursuite de la proie. (V)

CHARRIER, (Hydrauliq.) entraîner avec soi : les eaux tant de riviere que de fontaine charrient naturellement du sable, du gravier. (K)


CHARROISS. m. (Jurispr.) conduites de voitures à roue en général ; se prennent quelquefois pour des corvées ou autres prestations de charrois & voitures qui sont dûs par les sujets de chaque pays, pour les réparations des villes & chemins, pour le transport des munitions de guerre. Chez les Romains, ces sortes de charrois étoient comptés au nombre des charges publiques. Les corvéables en doivent aussi à leur seigneur, & le fermier au propriétaire, lorsqu'il y en a une clause particuliere dans le bail. Dans la coûtume de Bourbonnois, & dans celle de la Marche, le droit de charroi se peut bailler en assiette. Voy. Salvaing, de l'usage des fiefs. Bibliot. de Bouchel, au mot charroyer. Papon, livre XIII. tit. vj. n°. 2. Henrys, tom. I. liv. III. ch. iij. quest. 33. Guyot, des fiefs, tr. des corvées, pag. 252. & 315. Voyez l'article CORVEES. (A)

CHARROI, (Mar.) on donne ce nom à une grande chaloupe dont on se sert pour porter la morue après la pêche ; cette chaloupe est relevée de deux farges de toile, pour soûtenir une plus grande charge. (Z)


CHARRONS. m. ouvrier autorisé à faire, vendre & faire exécuter tout l'ouvrage en bois qui entre dans les grosses voitures, & leur attirail, en qualité de maître de la communauté des Charrons. Cette communauté ne date ses premiers réglemens que de 1498. Elle a quatre jurés ; deux entrent en charge, & deux en sortent tous les ans. Il faut avoir été quatre ans apprenti & quatre ans compagnon, avant que de se présenter à la maîtrise. Les jurés ont droit de visite dans les atteliers & sur les lieux où se déchargent les bois de charronnage. Les maîtres sont obligés de marquer de leur marque les bois qu'ils ont employés. Il en est encore de ces réglemens, ainsi que de ceux des Charpentiers ; beaucoup de formalités relatives à la conduite de la communauté, presque aucune regle pour le bien du service public.


CHARRONNAGES. m. se dit de la profession, du bois, & de l'ouvrage du Charron. Voyez l'article CHARRON, quant à la profession & à l'ouvrage. Quant au bois, le Charron employe particulierement le frêne, le charme, l'érable & l'orme. Voyez aux articles ROUE, CARROSSE, MOYEU, JAVELES, CHARRETTES, l'emploi de chacun de ces bois. On les prend ou sciés ou en grume. Voyez GRUME & BOIS.


CHARRUAGESS. m. pl. (Jurispr.) carrucagia ; c'est ainsi qu'en certains pays on appelle les terres labourables. La coûtume de Vitri en fait mention, art. 56. 60. & 61. Ces articles ont été tirés d'une ordonnance de Thibaut comte de Champagne, de l'an 1220, qui est au cartulaire de Champagne. Elle est rapportée par M. de Lauriere en son glossaire, au mot charruage : on y trouve ces mots, carrucagia, prata, & vineas, &c. pour exprimer les terres labourables, prés, & vignes.

Le charruage étoit aussi un droit que les seigneurs levoient en Champagne sur leurs hommes ou sujets, à raison des charrues. Voyez Computum bladorum terrae Campaniae, an 1348. des charrues de Sainte-Menehould ; c'est à savoir de chacun bourgeois de ladite ville qui laboure de sa propre bête, un septier d'avoine à la mesure de Troyes, au jour de la saint Remi. Lauriere, ibid. (A)


CHARRUES. f. (Agricult.) machine dont on se sert pour labourer les terres. On conçoit qu'il n'y a guere eu de machine plus ancienne. Celle des Grecs & des Romains étoit extrèmement simple. Voyez-en la figure dans l'Hésiode de le Clerc. La nôtre est composée de deux roues & de l'essieu, sur lequel est dressé le chevalet ou la sellette, & où sont assemblés le timon, le soc, le coutre, les oreilles, & le manche de la charrue. Il faut conserver le même soc, quand on en est content. Il doit être placé de maniere que le laboureur n'en soit point incommodé, & que les sillons soient tracés droits. Il y a un certain angle à donner au coutre, selon lequel il éprouvera de la part du sol la moindre résistance possible : l'expérience le fera connoître. Il faut que le manche ou la queue soit de longueur proportionnée au train & au harnois, & que l'oreille soit disposée de maniere à renverser la terre commodément ; que le coutre soit de gros fer, bon, & non cassant, ni trop étroit, ni trop large. Il y a des charrues de plusieurs façons ; il est bon d'en avoir de toutes, & deux au moins de celles dont on fait le plus d'usage. Les charrues sans roues, où le train de derriere est monté sur une perche, ne sont bonnes que pour les terres très-legeres. Celles à bras servent à labourer les petits jardins : ce n'est autre chose que trois morceaux de bois assemblés en quarré ; le fer tranchant qui a deux piés & demi de long sur quatre à cinq pouces de large, se pose de biais & forme le quarré : il est posé de biais, afin qu'il morde la terre plus facilement. La charrue s'appelle à bras, parce qu'on ne la fait agir qu'à force de bras. Voyez Plan. d'Agriculture, fig. 1. la charrue à labourer les champs ; a, a, les roues ; b, la fleche ; c, le coutre ; d, le soc ; e, l'oreille ; f, f, le manche ou la queue.

L'objet qu'on se propose en labourant les terres (Voy. LABOUR), est de détruire les mauvaises herbes, & de réduire la terre en molécules. La bêche rempliroit à merveille ces deux conditions ; mais le travail à la bêche est long, pénible, & coûteux. On ne bêche que les jardins. La charrue plus expéditive est pour les champs. M. de Tull, dont M. Duhamel a mis l'ouvrage utile en notre langue, ayant remarqué que la charrue ordinaire ne remuoit pas la terre à une assez grande profondeur, & brisoit mal les mottes, le coutre coupant le gason, le soc qui suit l'ouvrant, & l'oreille ou le versoir le renversant tout d'une piece, a songé à perfectionner cette machine, en y adaptant quatre coutres, placés de maniere qu'ils coupent la terre qui doit être ouverte par le soc, en bandes de deux pouces de largeur ; d'où il s'ensuit que le soc ouvrant un sillon de sept à huit pouces de largeur, le versoir retourne une terre bien divisée, & que la terre est meuble dès le second labour. M. de Tull prétend encore qu'il peut avec sa charrue sillonner jusqu'à 10, 12, & 14 pouces de profondeur. Pour qu'on en puisse juger, nous allons donner la description de la charrue commune, & de la charrue de M. de Tull. Voyez les Planc. d'Agriculture.

On voit dans la figure 2. une charrue ordinaire à deux roues, pour toutes terres labourables, excepté les glaises & les bourbeuses ; encore dans ces deux cas, peut-on l'employer en entourant les cercles de fer & les raies des roues, de cordes de paille d'un pouce d'épaisseur : ces cordes pressées par les roues contre la terre, s'applatissent & écartent des roues la glaise & la boue. La charrue est divisée en deux parties, la tête & la queue.

On voit à la tête les deux roues A, B ; leur essieu de fer qui passe le long de la traverse fixe C, dans laquelle il tourne & dans les roues ; les deux montans D, D, assemblés perpendiculairement sur la traverse C, & percés chacun d'un rang de trous, à l'aide desquels & de deux chevilles on peut hausser & baisser la traverse mobile E, & partant la fleche N, selon qu'on veut faire des sillons plus ou moins profonds ; la traverse d'assemblage F ; le chassis G, avec ses anneaux ou crochets, par lesquels la charrue est tirée ; la chaine H qui assemble la queue de la charrue à la tête, par le collier s d'un bout, de l'autre par un anneau qui passe par une ouverture de la traverse C, & qui est arrêté par la tringle K, & de l'autre bout par l'autre extrémité m de la même tringle : on conçoit que ce collier ne peut se déranger, arrêté par un boulon qui traverse la fleche. La tringle K est retenue par un cercle d'osier passé comme on voit.

La queue est composée de la fleche N, du coutre O, du soc P, de la planche Q, de l'étanson R, qui traverse la fleche ; du manche court S attaché par une cheville au haut de l'étanson, & par un autre au haut de la planche ; du montant T qui appartient au côté droit de la queue de la charrue, & auquel la piece d'em-bas V est attachée, comme l'est aussi la planche du dessous ; du long manche X assemblé avec le montant, & dont on voit la partie antérieure en Y ; & du double tenon Z qui supporte la planche en-haut, & est porté à vis & écrous par la fleche.

Dans la charrue de M. de Tull, qu'on voit fig. 3. la fleche est de dix piés quatre pouces ; elle n'est que de huit piés dans l'autre. La figure de cette fleche est aussi différente ; elle n'est droite dans celle de M. de Tull que de a à b ; au lieu qu'elle est droite dans toute la longueur, à la charrue ordinaire. La courbure de la fleche de la charrue de M. de Tull lui fait éviter la trop grande longueur des coutres antérieurs : or un peu de méchanique expérimentale indiquera bien tous les inconvéniens de cette longueur, en considérant ces coutres comme des leviers. L'angle c de la planche ne doit pas avoir plus de 42 à 43 degrés. Les quatre coutres 1, 2, 3, 4, doivent être placés de maniere que les plans tracés dans l'air par leur tranchant, quand la charrue marche, soient tous paralleles. Ils sont chacun à la distance de deux pouces & demi plus à la droite les uns que les autres ; distance comptée du milieu d'une mortaise au milieu de l'autre. La pointe du premier coutre 1 doit incliner à gauche d'environ deux pouces & demi plus que la pointe du soc : l'inspection de la figure suggérera aisément à ceux qui ont quelque habitude des machines, la construction du reste de cette charrue, & la raison de cette construction. Au reste, voyez pour un plus grand détail, l'ouvrage de M. de Tull, traduit par M. Duhamel, & l'explication de nos Planches d'Agriculture ; voyez aussi les articles AGRICULTURE, COUTRE, SOC, &c. LABOUR, TERRE.

Nous n'employons la charrue qu'au labour des terres ; les anciens s'en servoient encore en l'atelant d'un boeuf & d'une vache, à tracer l'enceinte des villes qu'ils bâtissoient. Ils levoient la charrue aux endroits destinés pour les portes : du verbe porto, qui désignoit cette action, on a fait le nom porta. Quand ils détruisoient une ville, ils faisoient aussi passer la charrue sur ses ruines ; & ils répandoient quelquefois du sel dans les sillons, pour empêcher la fertilité.

CHARRUE, (Jurispr.) ne peut être saisie, même pour deniers royaux ou publics. Ce privilége introduit en faveur du labourage, avoit déjà lieu chez les Romains, suivant la loi executores, & la loi pignorum, & l'authentique agricultores, au code quae res pignori obligari possunt. Il a pareillement été adopté dans notre Droit françois, & confirmé par différentes ordonnances ; entr'autres par une ordonnance de Charles VIII. par celle de François I. en 1540, art. 29. par l'édit de Charles IX. du 8 Octobre 1571 ; l'ordonnance d'Henri IV. du 16 Mars 1595, qui est générale, & accorde le privilége même contre les deniers royaux ; au lieu que l'ordonnance de 1571 n'étoit que pour un an, & exceptoit du privilége des laboureurs les deniers royaux. L'ordonnance de 1667, tit. xxxiij. art. 16. a fixé la jurisprudence sur ce point, & défend de saisir les charrues, charrettes, & ustensiles servant à labourer, même pour deniers royaux, à peine de nullité.

En 1358, le seigneur de Mantor, proche Abbeville, comptoit au nombre de ses droits celui de prendre les socs, coutres, & ferremens des charrues, faute de prestation de ses cens & corvées : mais il étoit défendu de donner en gage aux Juifs ces mêmes ustensiles, comme il est dit dans une ordonnance de 1360. Voyez les ordonn. de la troisieme race, tom. III. pp. 294. & 477.

Une charrue, en matiere de privilége & d'exemption de tailles, signifie la quantité de terres que chaque charrue peut labourer.

Par l'édit du mois de Mars 1667, il fut ordonné que les ecclésiastiques, gentilshommes, chevaliers de Malte, officiers, privilégiés, & bourgeois de Paris, ne pourroient tenir qu'une ferme par leurs mains dans une même paroisse, & sans fraude ; savoir les ecclésiastiques, gentilshommes, & chevaliers de Malte, le labour de quatre charrues ; & les officiers, privilégiés, & bourgeois de Paris, deux charrues chacun, sans qu'ils puissent joüir de ce privilége que dans une seule paroisse.

L'art. 15. du réglement de 1673, porte qu'un bourgeois de Paris peut tenir une ferme par ses mains, ou la faire exploiter par ses valets & domestiques, pourvû qu'elle soit située dans l'étendue de l'élection de Paris, & qu'elle ne contienne que la quantité de terre qu'une charrue peut labourer.

Les réglemens ne fixent point le nombre d'arpens de terre dont une charrue doit être composée, par rapport à l'exemption de tailles. Cela dépend de l'usage & de la mesure des terres dans chaque généralité. Dans celle de Paris, on fixe ordinairement chaque charrue à 120 arpens, c'est-à-dire à quarante arpens par solle ; on ne distingue point si c'est à la grande ou à la petite mesure : cela fait pourtant une différence considérable.

Dans l'Orléanois, une charrue n'est communément que de 28 à 30 arpens par solle, & on la fixe à 90 arpens, c'est-à-dire à 30 arpens par solle, par rapport au privilége.

La déclaration du Roi du 22 Janvier 1752, concernant la noblesse militaire, porte, article 1. que ceux qui seront actuellement au service du Roi, & n'auront point encore rempli les conditions prescrites par l'édit de Novembre 1750, pour acquérir l'exemption de taille, n'auront pas le droit qu'ont les nobles ni même les privilégiés, de faire valoir aucune charrue.

L'article 2. dit, que ceux qui auront rempli les conditions portées par l'édit pour acquérir l'exemption de taille, soit qu'ils soient encore au service du Roi, ou qu'ils s'en soient retirés, pourront faire valoir deux charrues seulement. (A)


CHARTES. f. (Jurispr.) du latin carta, ou charta, qui dans le sens littéral signifie le papier ou parchemin, & dans le sens figuré, se prend pour ce qui est écrit sur le papier ou parchemin ; en matiere d'histoire & de jurisprudence, se prend aussi pour lettres ou ancien titre & enseignement. Le terme de charte est employé dans ce sens dans les coûtumes de Meaux, art. 176. Vitry, art. 119. Nivernois, tit. j. art. 7. en l'ancienne coûtume d'Auxerre, art. 76. Hainaut, ch. ij. lxxxjv. & dern. Normandie, ancienne, ch. vj. x. xv. xviij. liij. lxxxjx. cjx. Mais on dit communément chartre, qui n'est cependant venu que par corruption de charte. Sous les deux premieres races de nos rois, & au commencement de la troisieme, jusqu'au tems du roi Jean, on appelloit chartes ou chartres la plûpart des titres, & principalement les coûtumes, priviléges & concessions, & autres actes innommés. Blanchard, en son recueil chronologique, indique plusieurs chartes depuis Hugues Capet jusqu'en 1232 ; & la derniere charte dont Dutillet fait mention, est du roi Jean, pour le sieur de Baigneux, du 23 Décembre 1354, part. I. p. 87. Depuis ce tems on ne s'est plus servi du terme de charte ou chartre pris dans ce sens, que pour désigner les anciens titres antérieurs à-peu-près à l'époque dont on vient de parler, c'est-à-dire au milieu du xjv. siecle. On se sert encore de ce terme dans les chancelleries, pour désigner certaines lettres qui s'y expédient ; mais on dit aussi chartres & non pas chartes. Voyez CHARTRE. (A)

CHARTE-PARTIE, s. f. (Comm.) c'est un contrat mercantil pour le loüage d'un vaisseau.

Ce mot, dans l'ordonnance de la Marine, a deux synonymes, affrettement & nolissement ; le premier est d'usage dans l'Océan ; le second, dans la Méditerranée : mais il sembleroit que la charte-partie est plûtôt le nom de l'acte par lequel on affrette ou l'on nolise, que l'affrettement ou le nolissement même, dont il n'est pas une partie essentielle, puisque tous les jours on affrette un vaisseau, c'est-à-dire que l'on y charge des marchandises à un prix convenu, sans charte-partie, ou sans convention préliminaire par écrit entre les chargeurs & les propriétaires du bâtiment.

La charte-partie n'est guere d'usage que dans le cas d'un affrettement entier, ou assez considérable pour occasionner l'armement d'un vaisseau. On s'en sert encore pour s'assûrer un affrettement dans un pays éloigné, lors du retour d'un vaisseau qu'on y expédie. Un négociant de Bordeaux retient, par exemple, cent milliers de fret sur le retour d'un navire qui part pour Léogane, afin d'être sûr du prix du fret qu'il aura à payer, du tems & de la saison du chargement à-peu-près, du vaisseau, du capitaine, enfin des convenances.

Il est réciproquement avantageux aux propriétaires du bâtiment, d'être certains qu'il sera rempli. Dans les cas d'un chargement fortuit, ou d'une petite partie, l'affrettement est la police du chargement même, ou le connoissement. Voyez CONNOISSEMENT.

Lorsqu'un vaisseau a plusieurs propriétaires ou intéressés, ils conviennent ordinairement de donner pouvoir à l'un d'eux pour prendre soin de l'armement ou des préparatifs du voyage. Cet intéressé, appellé l'armateur, est chargé de tous les comptes & des conventions qui regardent le vaisseau : c'est à lui que s'adressent ceux qui veulent l'affretter ou le loüer. Dans l'absence des propriétaires, le capitaine ou le maître les représente, & son fait est celui des propriétaires. Voyez MAITRE.

Le contrat qui se passe à l'occasion du loüage d'un bâtiment, s'appelle charte-partie. Les propriétaires s'engagent à tenir un vaisseau d'une grandeur spécifiée, en état de naviger dans un tems limité : on a coûtume d'y insérer le nombre des matelots, la qualité des agrès, apparaux, & munitions qui paroissent nécessaires pour conduire sûrement le navire au lieu désigné : on y spécifie toutes les conditions de convenance, réciproques pour les fraix & les secours, tant au chargement qu'au déchargement des marchandises, l'espace de tems dans lequel l'un & l'autre doivent être faits ; & ce terme limité est appellé jours de planche. Si le terme est d'un mois, on dit qu'il est accordé trente jours de planche. Voyez JOURS DE PLANCHE.

Si ce terme expire avant le chargement, il sera dû des dédommagemens par la partie qui a manqué à la convention, & l'on en convient d'avance.

La charte-partie explique si l'affrettement du vaisseau se fait en partie ou en entier ; pour la moitié d'un voyage, c'est-à-dire, pour aller ou pour revenir seulement ; si c'est pour le voyage entier ; si c'est au mois ; enfin si le voyage doit être fait à la droiture dans un lieu désigné, ou s'il doit passer dans plusieurs ; ce qui s'appelle faire escale. Voyez ESCALE.

Le chargeur s'engage par le même acte à payer le fret ou le loüage à un prix fixé, soit par tonneau, soit pour une somme, soit à tant par mois. Voyez FRET.

Les commissionnaires du chargeur le représentent dans son absence, & leur fait est le sien : ils sont dénommés, ou bien le porteur de la charte-partie est reconnu pour le commissionnaire.

Cet acte peut être passé sous signature privée ou devant notaire ; il a la même force sous l'une & l'autre forme.

Il est clair par ce que l'on vient de dire, que cette convention n'est point une police de chargement, comme l'avance le dictionnaire du Commerce, mais une convention préparatoire à la police du chargement, appellée en style de Commerce, connoissement.

Toutes les clauses d'une charte-partie doivent être expliquées avec la derniere précision, pour éviter les discussions.

L'ordonnance de la Marine, & les us & coûtumes de la mer, ont pourvû à presque tous les cas ; nous en rapporterons quelques-uns pour faire connoître l'esprit de cette loi.

Une charte-partie, quoique sous signature privée, a, comme tous les autres contrats du commerce, la même force que les actes publics les plus autentiques : l'on ne peut donc les altérer sans blesser la foi publique : cette foi publique est l'ame du commerce ; ce seroit le détruire dans ses fondemens les plus respectables. Il est d'ailleurs évident que si des circonstances particulieres rendent les clauses de ce contrat onéreuses à l'une des parties, ces clauses dans leur principe ont été réciproques ; car si elles ne l'avoient pas été, le contrat n'eût pas été parfait. C'est donc altérer cette égalité de condition entre les contractans, que d'en soulager un par préférence, & dèslors c'est une extrème injustice : l'effet qui en résulteroit nécessairement, seroit d'arrêter les entreprises du commerce, ou d'introduire dans ses conventions des formalités nouvelles, qui font un art de la bonne-foi. Le commerce est fait pour les simples : il n'est pas sûr, s'il faut être subtil pour y réussir.

L'art. 7. tit. j. liv. III. de l'ordonnance, déclare qu'une charte-partie sera résiliée, si la guerre ou autre interdiction de commerce avec le pays auquel elle est destinée, survient avant le départ du vaisseau, & que le chargeur sera tenu de payer les fraix du chargement & du déchargement de ses marchandises. Ces frais sont peu de chose en comparaison de ceux de l'armement ; mais enfin toutes choses sont compensées dans ce malheur commun, il y a impossibilité d'exécuter la convention.

Le même article ordonne que la charte-partie subsistera malgré la déclaration de guerre, si c'est avec un autre pays que celui pour lequel le vaisseau est destiné : c'est qu'il n'y a point d'impossibilité à exécuter la convention, que les opérations du commerce ne doivent jamais être suspendues, & que le bien général assujettit les motifs particuliers.

Il y a cependant une grande différence entre la position de l'armateur & celle du chargeur : celui-ci augmentera le prix de ses marchandises du risque qu'elles auront couru, au lieu que l'armateur ne peut augmenter le prix de son fret avec les risques de son vaisseau ; l'assûrance qu'il peut faire de son bâtiment, en peut même absorber le capital.

Si la loi n'a rien statué en faveur de l'armateur, elle lui laisse l'espoir d'un dédommagement, lorsqu'une paix inopinée survient. Les chartes-parties faites pendant la guerre subsisteront lorsque ses risques seront passés.

Ce seroit donc une injustice de les résilier dans ce dernier cas, si on ne l'a pas fait dans le premier. Il peut arriver que la marchandise chargée ne suffise pas pour payer le fret ; mais c'est la position où s'est trouvé l'armateur, lorsque son fret n'a pû payer la moitié de ses risques.

La raison d'état égale à celle de la nécessité, mais si souvent mal interpretée, n'a point lieu ici ; & si elle pouvoit être appliquée, ce seroit en faveur de la navigation.

Enfin l'on n'a jamais résilié un contrat de constitution, parce que le prêt qui y a donné lieu, a été employé à l'achat d'une maison que le feu a consumée dès le lendemain. Si une loi actuelle a des inconvéniens particuliers, il est aussi sage que facile de la changer ; mais elle doit conserver son caractere de loi, & maintenir l'égalité entre les contractans.

Une charte-partie ne laisse pas de subsister, quoique le vaisseau soit arrêté dans un port par force majeure, parce que le voyage n'a été entrepris qu'à cause du chargement : la perte est réciproque ; & la circonstance étant imprévûe, doit retomber sur tous les deux.

Si l'affrettement est au mois, il ne sera point dû de fret pendant la détention ; mais les gages & la nourriture de l'équipage pendant ce tems seront réputés avaries, grosses ou communes. Si le navire est loüé au voyage, il ne sera dû par le chargeur, ni avaries, ni augmentation de fret, parce que l'affrettement pour un voyage entier est une entreprise à forfait de la part de l'armateur, qui comprend tous les risques. Le chargeur même a droit de décharger sa marchandise à ses fraix, ou de la vendre, mais en indemnisant l'armateur.

Si l'affrettement d'un navire a été fait pour un voyage entier, & qu'il périsse au retour, il n'est dû aucune partie du fret, parce que le contrat n'est pas rempli : tout est compensé ; l'un perd sa marchandise, l'autre son bâtiment.

La loi ordonne encore qu'en cas de pillage d'une partie du chargement par les ennemis ou par des pirates, la charte-partie sera résiliée respectivement à la portion enlevée, parce que le contrat n'est pas rempli quant à cette portion.

Ces deux pertes sont cependant involontaires, & il semble par les lois civiles que l'acte de Dieu, non plus que celui d'un ennemi, ne peuvent être reprochés dans une action particuliere : mais les lois de la mer ont été obligées de punir ces fautes involontaires, pour prévenir celles qui ne le seroient pas, & à cause de la difficulté qu'il y auroit à les distinguer. Ce n'est pas une injustice pour cela, puisque la perte est partagée entre le vaisseau & la marchandise ; c'en seroit une au contraire, si un risque qui doit être commun, puisqu'il est forcé, retomboit sur une seule partie.

En cas de rachat, la charte-partie a son plein effet, mais le prix du rachat se supporte par la marchandise & par le vaisseau au prorata, comme avarie commune pour le salut de tous. Voyez RACHAT.

C'est dans le même esprit d'égalité que la loi ordonne, que si un vaisseau déjà en route apprend l'interdiction de commerce avec le pays où il va, & qu'il soit obligé de revenir dans le port d'où il est parti, il ne lui sera dû que la moitié du voyage, quand même l'affrettement seroit fait pour le voyage entier.

Si les propriétaires, après s'être obligés par une charte-partie de faire route en droiture à l'endroit designé, donnent ordre au maître de faire une relâche, ou si le maître de lui-même en fait une sans nécessité ; les propriétaires du vaisseau, outre les dédommagemens du retard qu'ils doivent aux chargeurs, leur seront garants de tous les évenemens de la mer. Les accidens du Commerce sont si variables, qu'un espace de tems, même très-court, en change toute la face : le retard n'eût-il porté aucun préjudice, il ne seroit pas moins juste d'en imputer un ; parce qu'une loi doit être générale, & que toute lésion de contrat doit être punie. La même raison applique cette maxime aux risques de la mer.

Réciproquement un chargeur qui fait changer de route au vaisseau, ou qui le retient, est garant sur la simple opposition du capitaine, de tous fraix, risques, dommages & intérêts. Tous contractans y sont assujettis dans le droit & dans le fait ; le souverain même, lorsqu'il fait des conventions avec ses sujets : s'il s'en dispensoit, il se priveroit de ses ressources dans un besoin urgent ; & il perdroit bien-tôt par l'excès des prix que l'on exigeroit de lui, le médiocre profit d'une économie mal entendue. Telle est presque par-tout l'origine du surhaussement du prix des affrettemens pour l'état ; & si malgré ce surhaussement il manque encore à sa convention, le prix augmente avec le discrédit.

Si le maître est obligé en route de faire radouber son vaisseau, & qu'il soit prouvé qu'il étoit hors d'état de naviger avant le départ, les propriétaires sont tenus des risques, dommages & intérêts.

Une charte-partie subsiste, quant au payement, quoique le chargeur n'ait pas rempli la capacité qu'il avoit retenu dans le navire, soit qu'il n'ait pas eu assez de marchandises, soit qu'il ait laissé expirer les jours de planche.

Par nos lois, le maître peut en ce cas prendre les marchandises d'un autre, avec le consentement du chargeur. Par les lois angloises, il peut s'en charger de plein droit, & cette loi est plus favorable au Commerce.

Par les lois rhodiennes, le chargeur étoit obligé, outre le fret en entier, de payer dix jours de la nourriture & des gages de l'équipage.

Lorsqu'une charte-partie porte que le vaisseau partira au premier bon vent ; quoique cela ne s'exécute pas, si le vaisseau arrive à bon port, le fret est dû, parce que l'acte du départ donne au maître un titre pour le fret : mais il est tenu aux évenemens de la mer. Si le retard est trop considérable, il est tenu à des dédommagemens ; & même le chargeur en pourra prendre un autre.

Une charte-partie n'est pas rompue par la saisie de marchandises prohibées que l'on destinoit au chargement : l'armateur n'a point entendu prêter son vaisseau pour contrevenir aux lois, & il l'a armé de bonne foi pour faire son commerce.

Les propriétaires d'un vaisseau doivent un dédommagement au chargeur, si leur navire est déclaré dans la charte-partie de plus d'un quarantieme au-dessus de son port véritable.

Enfin le navire, ses agrès & apparaux, le fret & les marchandises chargées, sont respectivement affectés aux conventions de la charte-partie.

On trouvera au mot FRET ce qui le regarde comme prix du loyer d'un vaisseau. On peut consulter sur les chartes-parties l'ordonn. de la Mar. les lois d'Oleron ; les lois Rhodiennes & leurs commentat. comme Vinnius, Balduinus, Peckius, Straccha, de navibus, Joannes Loccenius, de jure maritimo ; enfin le droit maritime de toutes les nations. Cet article nous a été communiqué par M. V. D. F.


CHARTILS. m. (Econom. rust. & Charron) on appelle ainsi dans une ferme ou maison de campagne, un endroit destiné à mettre les charrettes à couvert des injures du tems. Il signifie aussi le corps de la charrette.


CHARTOPHILAXS. m. (Hist. anc.) c'étoit un officier de la ville & même de l'église de Constantinople ; il étoit le gardien des archives. Voyez ARCHIVES.

Ce mot vient de , & de , custodio ; & il signifie garde-chartre ou gardien des titres originaux, soit de la couronne, soit de la ville, soit de l'église. Il étoit, selon Codin historien de la Byzantine, le juge des grandes causes, & le bras droit du patriarche ; il étoit de son grand-conseil. Outre la garde des titres dont il étoit dépositaire, de ceux même qui regardoient les droits ecclésiastiques, il présidoit à la décision des causes matrimoniales, & il étoit juge des clercs. Il rédigeoit les sentences & les décisions du patriarche, les signoit, & y apposoit le sceau. C'étoit comme le greffier en chef des cours supérieures, & par conséquent un officier très-distingué. Il avoit séance avant les évêques, quoiqu'il ne fût que diacre ; il avoit sous lui douze notaires ; il assistoit aux consécrations des évêques ; il tenoit registre de leur élection & consécration, & c'étoit lui qui présentoit le prélat élû aux évêques consécrateurs.

Il y avoit à Constantinople deux officiers de ce nom ; l'un pour la cour, & l'autre pour le patriarche : le premier s'appelloit registrator, & l'autre scriniarius. Cependant, eu égard à leurs fonctions, ils étoient souvent confondus. Il ne faut pas, comme a fait Leuclavius écrivain allemand du xvj. siecle, le prendre pour le chartulaire des Romains, qui exerçoit, à peu de chose près, la même fonction. L'Angleterre a pareillement un chartophilax ; c'est lui qui est le gardien des titres de la couronne, qui sont déposés à la tour de Londres, où on les communique fort aisément, en donnant tant pour chaque titre ; c'est ce qu'on appelle garde des rolles, parce que le terme de rolle signifie ce que nous appellons en François chartes, titres, ou même archives. Outre ce garde des rolles de la tour, il y a encore un garde des archives de la chancellerie ; & les églises en Angleterre ont aussi leur garde des rolles, aussi-bien que les comtés & les villes principales. En France, le chartophilax ou garde des titres de la couronne, est le procureur général du parlement. On ne peut obtenir des copies de ces titres qu'en vertu d'un ordre du Roi. Nous en avons un inventaire manuscrit qui indique exactement les titres, à l'exception de ceux qui sont en minute dans des registres particuliers. Ces titres, qui ne commencent parmi nous qu'après Philippe Auguste, ne s'étendent que jusqu'au milieu du xvj. siecle ; depuis ce tems, chaque secrétaire d'état a ses archives ou son dépôt. (G) (a)


CHARTRAIN(LE PAYS) Géog. contrée de France dans la Beauce, dont Chartres est la capitale.


CHARTRE(Jurisprud.) se dit par corruption pour charte, & néanmoins l'usage a prévalu. Ce terme signifie ordinairement des titres fort anciens, comme du x. xj. xij. & xiij. siecle, ou au moins antérieurs au xv. siecle. Voyez ci-devant CHARTE. (A)

A la tête de l'excellent ouvrage qui a pour titre, l'art de vérifier les dates, par des religieux bénédictins de la congrégation de S. Maur, on trouve une dissertation très-utile sur la difficulté de fixer les dates des chartes & des chroniques. Les difficultés viennent de plusieurs causes ; 1°. de la maniere de compter les années, qui a fort varié, ainsi que les divers jours où l'on a fait commencer l'année ; 2°. de l'ere d'Espagne, qui commence 38 ans avant notre ere chrétienne, & dont on s'est servi long-tems dans plusieurs royaumes ; 3°. des différentes sortes d'indictions ; 4°. des différens cycles dont on a fait usage, & de plusieurs autres causes. Nous renvoyons nos lecteurs à ces différens mots, & nous les exhortons fort à lire la dissertation dont nous parlons. Elle a été composée, ainsi que tout le reste de l'ouvrage, dans la vûe de remédier à ces inconvéniens. Voyez CHRONOLOGIE, CALENDRIER, &c. (O)

CHARTRE DE CHAMPAGNE ou CHAMPENOISE, est le nom que l'on donnoit autrefois en chancellerie aux lettres en forme de chartre, c'est-à-dire données ad perpetuam rei memoriam, & qui devoient avoir leur exécution dans la province de Champagne. L'origine de cette distinction des chartres de Champagne d'avec les chartres de France, c'est-à-dire des autres lettres données pour les autres provinces du royaume, vient de ce que les comtes de Champagne avoient leur chancellerie particuliere, qui avoit son style & ses droits & taxe qui lui étoient propres. Lorsque la Champagne fut réunie à la couronne, on conserva encore quelque tems la chancellerie particuliere de Champagne, dont l'émolument tournoit au profit du roi, comme celui de la chancellerie de France. Dans la suite la chancellerie particuliere de Champagne fut supprimée ; on continua cependant encore long-tems en la chancellerie de France de distinguer ces chartres ou lettres qui étoient pour la Champagne. On suivoit pour ces lettres l'ancien style & le tarif de la chancellerie de Champagne. Il en est parlé dans le sciendum de la chancellerie. Voyez ci-devant CHANCELLERIE DE CHAMPAGNE, & CHANCELLERIE (sciendum).

CHARTRES, (COMMISSAIRE AUX) est le titre que l'on donne à ceux qui sont commis par le Roi, pour travailler à l'arrangement des chartres ou anciens titres de la couronne, sous l'inspection du trésorier ou garde du trésor des chartres. Voyez TRESOR DES CHARTRES.

CHARTRE DE COMMUNE, charta communis, communionis ou communitatis. On appelle ainsi les lettres par lesquelles le roi, ou quelqu'autre seigneur, érigeoit les habitans d'une ville ou bourg en corps & communauté. Ces lettres furent une suite de l'affranchissement que quelques-uns des premiers rois de la troisieme race commencerent à accorder aux serfs & mortaillables, car les serfs ne formoient point entr'eux de communauté. Les habitans auxquels ces chartres de commune étoient accordées, étoient liés réciproquement par la religion du serment, & par de certaines lois. Ces chartres de commune furent beaucoup multipliées par Louis VII. & furent confirmées par Louis VIII. Philippe Auguste & leurs successeurs. Les évêques & autres seigneurs en établirent aussi avec la permission du roi. Le principal objet de l'établissement des communes, fut d'obliger les habitans des villes & bourgs érigés en commune, de fournir du secours au roi en tems de guerre, soit directement, soit médiatement, en le fournissant à leur seigneur, qui étoit vassal du roi, & qui étoit lui-même obligé de servir le roi. Chaque curé des villes & bourgs érigés en commune venoit avec sa banniere à la tête de ses paroissiens. La commune étoit aussi instituée pour la conservation des droits respectifs du seigneur & des sujets. Les principaux droits de commune sont, celui de mairie & échevinage, de collége, c'est-à-dire de former un corps qui a droit de s'assembler ; le droit de sceau, de cloche, beffroi & jurisdiction. Les chartres de commune expliquoient aussi les peines que doivent subir les délinquans, & les redevances que les habitans devoient payer au roi ou autre leur seigneur. Voyez le glossaire latin de Ducange, au mot commune. M. Caterinot, en sa dissertation, que les coûtumes ne sont point de droit étroit, dit que ces chartres de commune sont des ébauches des coûtumes. En effet, ces chartres sont la plûpart du xij. & xiij. siecles, qui est à-peu-près le tems où nos coûtumes ont pris naissance ; les plus anciennes n'ayant été rédigées par écrit que dans le xiij. & le xjv. siecle, on ne trouve point que la ville de Paris ait jamais obtenu de chartre de commune, ce qui provient sans-doute de ce qu'on a supposé qu'elle n'en avoit pas besoin, à cause de la dignité de ville capitale du royaume.

CHARTRE (DEMI). Dans les anciens styles de la chancellerie, & dans quelques édits, tels que celui du mois d'Avril 1664 ; il est parlé d'offices taxés demi-chartre, c'est-à-dire pour les provisions desquels on ne paye que la moitié du droit dû au sceau pour les lettres expédiées en forme de chartre. Voyez ci-après CHARTRES (LETTRES DE).

CHARTRES FRANÇOISES, dans le sciendum & autres anciens styles de la chancellerie, sont toutes lettres de chartres, ou expédiées en forme de chartres, qui sont pour les villes & provinces du royaume, autres néanmoins que la Champagne & la Navarre, dont les lettres étoient distinguées des autres, & qu'on appelloit chartres champenoises & chartres de Navarre. Voyez ci-devant CHARTRES DE CHAMPAGNE, & ci-après CHARTRES DE NAVARRE.

CHARTRES (GREFFIERS DES). Par édit du mois de Mars 1645, le roi créa quatre greffiers des chartres & expéditions de la chancellerie. Ces offices ont depuis été supprimés.

CHARTRES EN JAUNE, en style de chancellerie, sont les lettres de déclaration, de naturalité, & de notaire d'Avignon. On entend aussi quelquefois par-là les arrêts des cours souveraines, portant réglement entre des officiers ou communautés, ou quand ils ordonnent la réunion à perpétuité de quelque bénéfice.

CHARTRES (INTENDANS DES). Par édit du mois de Mars 1655, le roi créa huit offices de secrétaires du roi de la grande chancellerie, auxquels il attribua la qualité d'intendans des chartres, c'est-à-dire des lettres de la chancellerie. Ces offices furent supprimés par édit du mois de Janvier 1660 ; il en est encore parlé dans l'édit du mois d'Avril 1664, dans lequel est rappellé celui de 1660.

CHARTRE DE JUIFS ou MARANS, en France avant l'expulsion des Juifs hors du royaume, pouvoit s'entendre des lettres expédiées pour les Juifs dans leur chancellerie particuliere : mais depuis qu'ils eurent été chassés du royaume, on entendoit par chartre des Juifs, dans l'ancien style de la chancellerie, la permission donnée à un juif de s'établir en France. Voyez le sciendum de la chancellerie, & ci-devant CHANCELLERIE DES JUIFS.

CHARTRES, (LETTRES DE) ou lettres expédiés en forme de chartre. On appelle communément ainsi toutes lettres expédiées en la grande chancellerie, qui attribuent un droit perpétuel, telles que les ordonnances & édits, les lettres de grace, rémission ou abolition, qui procedent de la pleine grace du Roi ; toutes lesquelles lettres contiennent cette adresse, à tous présens & à venir, & n'ont point de date de jour, mais seulement de l'année & du mois, & sont scellées de cire verte sur des lacs de soie rouge & verte (voyez Charondas, en ses pandectes, liv. I. ch. xjx.) ; à la différence des autres lettres de chancellerie, telles que les déclarations & lettres patentes qui contiennent cette adresse, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, renferment la date du jour, du mois & de l'année, & sont scellées en cire jaune sur une double queue de parchemin.

CHARTRES DE NAVARRE. On appelloit ainsi autrefois en chancellerie les lettres destinées pour la Navarre françoise. L'origine de cette distinction vient de ce qu'avant la réunion de la Navarre au royaume de France, la Navarre avoit sa chancellerie particuliere, qui fut ensuite supprimée & réunie à la grande chancellerie de France. On conserva seulement le même tarif pour les lettres qui s'expédioient pour la Navarre. Voyez le sciendum de la chancellerie.

CHARTRE AUX NORMANDS, ou CHARTRE NORMANDE, est la seconde des deux chartres que Louis X. dit Hutin, donna à la Normandie pour la confirmation de ses priviléges. La premiere, qui étoit de l'an 1314, ne contenoit que quatorze articles ; la seconde, qui est du 15 Juillet 1315, contient vingt-quatre articles. C'est celle-ci à laquelle on a attribué singulierement le nom de chartre aux Normands ou chartre Normande ; elle fut confirmée par Philippe de Valois en 1339, par Charles VI. en 1380, par Charles VII. en 1458, par Louis XI. en 1461, par Charles VIII. en 1485, & par Henri III. en 1579.

La plûpart des articles de cette chartre sont présentement abolis ou extrèmement altérés.

Il y en a seulement un auquel on n'a point dérogé ; c'est celui qui porte que la possession quadragénaire vaut titre, sinon en matiere de patronage, ce qui a été confirmé par l'article 521 de la nouvelle coûtume.

Il y a encore deux autres articles qui sont un peu en vigueur : l'un porte que les procès du duché devant être terminés suivant la coûtume & les usages du pays, on ne pourra les traduire ailleurs ; l'autre veut que sous prétexte de donation, échange ou aliénation faite ou à faire par le roi ou par ses successeurs, de quelque partie de leur domaine, les habitans de la province ne puissent être traduits en des jurisdictions étrangeres, & ne seront tenus d'y comparoir ni d'y répondre.

Mais ces deux articles ont reçû & reçoivent encore tous les jours diverses atteintes, par le privilége accordé à l'université de Paris, dont les causes sont attribuées au prevôt de Paris, par le droit de committimus, les évocations générales & les attributions particulieres, le privilége du scel du châtelet, qui est attributif de jurisdiction, & autres priviléges semblables.

Cependant l'autorité de cette chartre est si grande, que lorsqu'il s'agit de faire quelque réglement qui peut intéresser la province de Normandie, & que l'on veut déroger à cette chartre, on ne manque point d'y insérer la clause, nonobstant clameur de haro, chartre normande, &c. Voyez le recueil d'arrêts de M. Froland, part. I. ch. viij.

CHARTRE DE PAIX, en latin charta pacis, sont des lettres en forme de transaction entre Philippe-Auguste, l'évêque & le chapitre de Paris, données à Melun en 1222. Elles reglent la compétence des officiers du roi, & de ceux de l'évêque & du chapitre dans l'étendue de la ville de Paris. Voyez le tr. de la police, tome I. liv. I. tit. x. p. 156.

CHARTRE ou PRISON. Ces termes étoient autrefois synonymes. La prison étoit ainsi appellée chartre, du latin carcer ; c'est de-là que saint Denis en la cité, près le pont Notre-Dame, a été surnommé de la chartre, parce que l'on croit que saint Denis apôtre de la France, fut autrefois enfermé dans ce lieu dans un cachot obscur. L'ancienne coûtume de Normandie, ch. xxiij. se serviroit de ce terme chartre pour exprimer la prison.

CHARTRE PRIVEE signifie un lieu autre que la prison publique, où quelqu'un est détenu par force, & sans que ce soit de l'autorité de la justice. Il est défendu à toutes personnes, même aux officiers de justice, de tenir personne en chartre privée. L'ordonnance de 1670, tit. ij. art. 10. défend aux prevôts des maréchaux de faire chartre privée dans leurs maisons, ni ailleurs, à peine de privation de leurs charges ; & veut qu'à l'instant de la capture l'accusé soit conduit dans les prisons du lieu, s'il y en a, sinon aux plus prochaines, dans vingt-quatre heures au plus tard.

CHARTRE AU ROI PHILIPPE fut donnée par Philippe-Auguste vers la fin de l'an 1208, ou au commencement de l'an 1209, pour régler les formalités nouvelles que l'on devoit observer en Normandie dans les contestations qui survenoient pour raison des patronages d'église, entre des patrons laïques & des patrons ecclésiastiques. Cette chartre se trouve employée dans l'ancien coûtumier de Normandie, après le titre de patronage d'église ; & lorsqu'on relut en 1585 le cahier de la nouvelle coûtume, il fut ordonné qu'à la fin de ce cahier l'on inséreroit la chartre au roi Philippe & la chartre normande. Quelques-uns ont attribué la premiere de ces deux chartres à Philippe III. dit le Hardi ; mais il est de Philippe-Auguste, ainsi que l'a prouvé M. de Lauriere au I. volume des ordonnances de la troisieme race, page 26. Voyez aussi à ce sujet le recueil d'arrêts de M. Froland, partie I. chap. vij.

CHARTRE, TAXE CHARTRE, c'est-à-dire le droit que l'on paye pour certaines lettres de chancellerie qui sont taxées comme chartres ou lettres expédiées en forme de chartres : par exemple, les assiettes à perpétuité se taxent chartres. Voyez le style de chancellerie de Dusault dans la taxe qui est à la fin, pag. 15. & ci-devant CHARTRES (LETTRES DE).

CHARTRES (TRESOR DES). Voyez l'article TRESOR DES CHARTRES.

CHARTRES A DEUX VISAGES. M. de la Roque, en son traité de la noblesse, chap. xxj. dit que Jean Dubois sieur de Martainville, obtint du roi Henri IV. une chartre à deux visages, par laquelle il fut maintenu & confirmé en la possession de noblesse, parce que sa maison avoit été saccagée ; que cette chartre, donnée à Paris au mois de Novembre l'an 1597, fut enregistrée en la chambre des comptes le 10 Mars 1598, & à la cour des aides de Normandie le 26 Février 1603, pour jouïr du privilége de noblesse, comme de nouvelle concession.

L'auteur ne dit rien de plus de cette chartre, & n'explique point ce que l'on doit entendre par la qualification qu'il lui donne de chartre à deux visages. (A)

CHARTRE, (LA GRANDE) magna charta, (Hist. mod.) en Angleterre est une ancienne patente contenant les priviléges de la nation, accordée par le roi Henri III. la neuvieme année de son regne, & confirmée par Edouard I.

La raison pour laquelle on l'appelle magna, grande, est parce qu'elle contient des franchises & des prérogatives grandes & précieuses pour la nation ; ou parce qu'elle est d'une plus grande étendue qu'une autre chartre qui fut expédiée dans le même tems, que les Anglois appellent chartre de forêt (voyez l'hist. du Parlement d'Angleterre) ; ou parce qu'elle contient plus d'articles qu'aucune autre chartre ; ou à cause des guerres & des troubles qu'elle a causés, & du sang qu'elle a fait verser ; ou enfin à cause de la grande & remarquable solennité qui se pratiqua lors de l'excommunication des infracteurs & violateurs de cette chartre.

Les Anglois font remonter l'origine de leur grande chartre à leur roi Edouard le confesseur, qui par une chartre expresse accorda à la nation plusieurs priviléges & franchises, tant civiles qu'ecclésiastiques. Le roi Henri I. accorda les mêmes priviléges, & confirma la chartre de saint Edouard par une semblable qui n'existe plus. Ces mêmes priviléges furent confirmés & renouvellés par ses successeurs Etienne, Henri II. & Jean. Mais celui-ci par la suite l'enfraignant lui-même, les barons du royaume prirent les armes contre lui les dernieres années de son regne.

Henri III. qui lui succéda, après s'être fait informer par des commissaires nommés au nombre de douze pour chaque province, des libertés des Anglois du tems d'Henri I. fit une nouvelle chartre, qui est celle qu'on appelle aujourd'hui la grande chartre, magna charta, qu'il confirma plusieurs fois, & qu'il enfraignit autant de fois, jusqu'à la trente-septieme année de son regne, qu'il vint au palais de Westminster ; où en présence de la noblesse & des évêques, qui tenoient chacun une bougie allumée à la main, il sit lire la grande chartre, ayant, pendant qu'on la lisoit, la main sur la poitrine ; après quoi il jura solennellement d'en observer le contenu avec une fidélité inviolable, en qualité d'homme, de chrétien, de soldat, & de roi. Alors les évêques éteignirent leurs bougies, & les jetterent à terre, en criant, qu'ainsi soit éteint & confondu dans les enfers quiconque violera cette chartre.

La grande chartre est la base du droit & des libertés du peuple anglois. Voyez DROIT & STATUT.

On la jugea si avantageuse aux sujets, & remplie de dispositions si justes & si équitables, en comparaison de toutes celles qui avoient été accordées jusqu'alors, que la nation consentit, pour l'obtenir, d'accorder au roi le quinzieme denier de tous ses biens meubles. Chambers. (G)

CHARTRE, (Médecine) on dit qu'un enfant est en chartre, lorsqu'il est sec, hectique, & tellement exténué, qu'il n'a que la peau collée sur les os ; maladie à laquelle les Médecins ont donné le nom de marasme. Voyez MARASME. Peut-être l'expression, ces enfans sont en chartre, vient-elle de ce qu'on les voüe aux saints, dont les châsses sont appellées chartres par nos vieux auteurs. Du Verney, traité des maladies des os.

Quelques-uns ont écrit qu'on nomme en France le rachitis, chartre ; mais ils ont confondu deux maladies qui sont très-différentes. Id. ibid.

CHARTRES, (Géog.) ville de France, capitale du pays chartrain & de la Beauce, avec titre de duché, sur l'Eure. Long. 18. 50. 5. lat. 48. 26. 29.


CHARTRÉESVILLES CHARTREES, c'est-à-dire qui ont des anciens titres de leurs priviléges & franchises. Voyez ci-après VILLES. (A)


CHARTREUSEsubst. f. (Hist. mod.) monastere célebre ainsi nommé d'une montagne escarpée de Dauphiné sur laquelle il est bâti, dans un desert affreux, à cinq lieues de Grenoble, & qui a donné son nom à tout l'ordre des Chartreux qu'y fonda saint Bruno, en s'y retirant avec sept compagnons l'an 1086.

Ce nom a passé depuis à tous les monasteres de Chartreux ; on distingue seulement celui de Grenoble par le titre de grande chartreuse.

La chartreuse de Londres qu'on a appellée par corruption carther-house, c'est-à-dire maison des chartres, est maintenant changée en un collége qu'on nomme l'hôpital de Sutton, du nom de son fondateur qui le dota d'abord de 4000 liv. sterling de rente ; & ce revenu s'est depuis augmenté jusqu'à six mille. Ce collége doit être composé d'honnêtes gens, soit militaires, soit commerçans infirmes, & dont les affaires ont mal tourné. Ils sont au nombre de quatre-vingt qui vivent en commun selon l'usage des colléges, & qui sont logés, vêtus, nourris, & soignés dans leurs maladies aux dépens de la maison. Il y a aussi place pour quarante-quatre jeunes gens ou écoliers qui y sont entretenus & instruits : ceux d'entr'eux qui ont de l'aptitude pour les Lettres, sont envoyés aux universités avec une pension de vingt livres sterling pendant huit ans ; on met les autres dans le Commerce. La surintendance de cet hôpital est confiée à seize gouverneurs, qui sont ordinairement des personnes de la premiere qualité. Lorsque la place d'un d'entr'eux vient à vaquer, elle est remplie par l'élection d'un nouveau membre faite par les autres gouverneurs. Les officiers de ce collége sont un maître, un prédicateur, un économe, un trésorier, un maître d'école, &c. Chambers. (G)


CHARTREUXS. m. (Hist. ecclés.) ordre de religieux institué par S. Bruno en 1086, & remarquable par l'austérité de la regle. Elle oblige les religieux à une solitude perpétuelle, & l'abstinence totale de viande, même en cas de maladie dangereuse & en danger de mort, & au silence absolu, excepté en certains tems marqués. Voyez MONASTIQUE, MOINE.

Leurs maisons sont ordinairement bâties dans des deserts, quoiqu'il s'en trouve à la proximité des villes, ou dans les villes mêmes. La ferveur & la piété monastique se sont toujours mieux conservées dans cet ordre que dans les autres. M. l'abbé de la Trape (Rancé) a cependant tâché de prouver que les Chartreux s'étoient relâchés de cette extrème austérité qui leur étoit prescrite par les constitutions de Guigues I. leur cinquieme général. Mais dom Innocent Masson, élû général en 1675, dans une réponse à M. l'abbé de Rancé, a montré que ce que celui-ci appelle statuts ou constitutions de Guigues, n'étoit que des coutumes compilées par le P. Guigues, & qui ne devinrent lois que long-tems après. En effet, S. Bruno ne laissa aucunes regles écrites à son ordre. Guigues élu en 1110, en mit les coûtumes & les statuts par écrit ; & ce fut Basile leur huitieme général, élu en 1151, qui dressa leurs constitutions telles qu'elles furent approuvées par le saint siége. Les Chartreux ont donné à l'Eglise plusieurs saints prélats, & grand nombre de sujets illustres par leur doctrine & par leur piété. Leur général ne prend que le titre de prieur de la Chartreuse. (G)

CHARTREUX, (Hist. nat.) sorte de chat dont le poil est d'un gris cendré tirant sur le bleu. C'est une des peaux dont les Pelletiers font négoce, & qu'ils employent dans les fourrures. Voyez CHAT.

CHARTREUX, (pelle de) Comm. espece de laine très-fine, que nos manufacturiers en draps & autres étoffes tirent d'Espagne. Voyez le Dictionn. de Comm.


CHARTRIERS. m. (Jurispr.) signifie ordinairement le lieu où sont renfermés les chartes & anciens titres des abbayes, monasteres, & des grandes seigneuries. On appelloit autrefois chartrier du roi ou de France, ce que l'on appelle aujourd'hui trésor des chartes : mais ce chartrier étoit moins un lieu où l'on renfermoit les chartes de la couronne, que le recueil & la collection de ces chartes que l'on portoit alors par-tout à la suite du roi. Richard roi d'Angleterre, ayant défait l'armée de Philippe-Auguste entre Châteaudun & Vendôme, en 1194, enleva tout son bagage, & notamment le chartrier de France. Cette perte fut cause que l'on établit à Paris un dépôt des chartes de la couronne, que l'on appella le trésor des chartes. Voyez TRESOR DES CHARTES.

CHARTRIER, (Jurispr.) signifioit aussi en quelques endroits prisonnier ; ce qui vient du mot charte, qui se disoit anciennement pour prison. Voyez l'ancienne chronique de Flandre, ch. lxvj. & le glossaire de M. de Lauriere, au mot charte. (A)


CHARTULAIRES. m. (Hist. ecclés.) on prétend que le chartulaire étoit dans l'église latine, ce que le chartophylax étoit dans l'église greque. Voyez l'article CHARTOPHYLAX. Quoi qu'il en soit des prérogatives de ces dignités, il est évident que leurs noms venoient de la garde des chartes & titres, confiés particulierement à ceux qui les possédoient.

CHARTULAIRE, se dit encore du volume où l'on a transcrit les chartes principales d'une abbaye ou d'une seigneurie.


CHARYBDES. f. (Myth.) femme qui habitoit & voloit le long des côtes de la Sicile ; elle fut frappée de la foudre & métamorphosée en monstre marin, pour avoir détourné les boeufs d'Hercule. Ce monstre attendoit près d'un écueil de Sicile, les passans pour les dévorer : là les eaux tournoyoient, entraînant les vaisseaux dans les gouffres, & les renvoyant du fond à la surface trois fois, à ce que dit Homere, avant que de les absorber : on entendoit de grands bruits, & l'on ne franchissoit le passage qu'avec frayeur. C'est aujourd'hui le capo di faro : ce lieu semble avoir perdu tout ce qu'il avoit d'effrayant, en perdant son ancien nom ; & cette Charybde, la terreur des navigateurs de l'antiquité, ne mérite presque pas l'attention de nos pilotes : ce qui semble prouver, ou qu'en effet ce passage n'est plus aussi dangereux qu'il l'étoit, ou que ce qui étoit du tems d'Homere un grand danger pour les matelots, n'en est pas un pour les nôtres.


CHASS. m. (Art méchan.) ce terme a plusieurs acceptions très-différentes : c'est chez les Amydonniers, une expression du grain amolli dans l'eau sous la forme d'une colle ; chez les Aiguilliers, c'est la partie ouverte de l'aiguille ; & chez les Tisserands, c'est l'expression de grain des Amydonniers mise en colle, & employée à coller les fils de la chaîne, afin de leur donner un peu moins de flexibilité. Voyez à l'article AIGUILLE DE BONNETIER, la description de la machine, à l'aide de laquelle on pratique en très-peu de tems le chas ou la châsse à un grand nombre d'aiguilles.


CHAS-ODAS. f. (Hist. mod.) l'on donne ce nom à Constantinople à un des appartemens intérieurs du serrail du grand-seigneur, où se tiennent les pages & les officiers du serrail. Celui qui les commande est le grand-chambellan, ou un eunuque qu'on appelle chas-oda-bachi.


CHAS-ODA-BACHIS. m. (Hist. mod.) nom d'un officier du grand-seigneur. C'est le grand-chambellan qui commande tous les officiers de la chambre où couche le sultan. Son nom vient de chas-oda, qui signifie en turc chambre particuliere ; & bachi, qui veut dire chef. Ricaut, de l'Empire ottoman. (G)


CHASNADAR AGASIS. m. (Hist. mod.) eunuque qui garde le trésor de la validé ou sultane mere du grand-seigneur, & qui commande aux domestiques de sa chambre. Ricaut. Et comme les trésors ne sont pas moins recherchés en Turquie que dans les autres cours, celui qui en est le dépositaire est en grande faveur auprès de la sultane mere, & peut beaucoup par son moyen, soit pour son avancement, soit pour l'avancement de ceux qu'il protege. (G) (a)

CHASNADAR BACHI, ou comme d'autres l'écrivent HASNADAR BACHI, (Hist. mod.) c'est en Turquie le grand trésorier du serrail, qui commande aux pages du trésor. Azena ou hasna signifie trésor, & baschi, chef. Il est différent du testerdar ou grand trésorier, qui a le maniement des deniers publics & du trésor de l'état, & n'est chargé que du trésor particulier du grand-seigneur, qu'on garde dans divers appartemens du serrail, sur la porte de chacun desquels est écrit le nom du sultan qui l'a amassé par son économie. Ce sont des fonds particuliers, tels que ceux qu'on appelle en France la cassette. Ricaut, de l'Emp. ottoman.

La chambre du trésor est la seconde du serrail du grand-seigneur. La premiere qui se nomme la grand-chambre, est celle des favoris de sa hautesse. La chambre du trésor, à la tête de laquelle est le chasnadar bachi, est composée de deux cent soixante officiers, qui sont gouvernés par un eunuque blanc qui est nommé oda baschi, chef ou lieutenant de la chambre. Ils sont formés dans tous les exercices d'usage à la porte ottomane, & peuvent arriver à la grand-chambre quand il se trouve quelque place vacante, ou on leur donne d'autres emplois conformes à la faveur de ceux qui les conduisent. Le chevalier de la Magdelaine, miroir de l'Empire ottoman, pag. 144. (G) (a)


CHASSAKIS. (Hist. mod.) nom qu'on donne à une odalisque, à qui le grand-seigneur a jetté le mouchoir. Chassach ou chassech en arabe signifie les personnes de la premiere distinction, & sur-tout celles qui approchent le plus près du prince, & qui sont logées dans son palais comme ses principaux officiers & ses concubines. Ki, en persan & en turc, signifie roi : ainsi, selon Ricaut, cassaki, en parlant d'un homme, désigne le principal officier du prince ; & quand on se sert de ce terme pour une femme, il signifie une sultane ou concubine favorite. C'est peut-être ce que d'autres auteurs nomment aseki. Voyez ASEKI. On lit dans quelques auteurs, que le titre de chassaki ne se donne qu'à celles des femmes du sultan qui ont mis au monde un garçon. (G)


CHASSES. f. (Econ. rust.) ce terme pris généralement pourroit s'étendre à la Vénerie, à la Fauconnerie & à la Pêche, & désigner toutes les sortes de guerres que nous faisons aux animaux, aux oiseaux dans l'air, aux quadrupedes sur la terre, & aux poissons dans l'eau ; mais son acception se restraint à la poursuite de toutes sortes d'animaux sauvages, soit bêtes féroces & mordantes, comme lions, tigres, ours, loups, renards, &c. soit bêtes noires, par lesquelles on entend les cerfs, biches, daims, chevreuils ; soit enfin le menu gibier, tant quadrupedes que volatiles, tels que les lievres, lapins, perdrix, bécasses, &c. La chasse aux poissons s'appelle pêche.

On peut encore distribuer la chasse relativement aux animaux avec lesquels elle se fait, sans aucun égard à la nature de ceux à qui on la fait ; si elle se fait avec des chiens, elle s'appelle vénerie ; voyez VENERIE : si elle se fait avec des oiseaux, elle s'appelle fauconnerie ; voyez FAUCONNERIE.

Les instrumens dont on se sert pour atteindre les animaux chassés, fourniroient une troisieme division de la chasse, la chasse aux chiens, aux oiseaux, aux armes offensives, & aux piéges. Celle aux chiens se sousdiviseroit selon les chiens qu'on employeroit, comme au limier, au chien courant, au chien couchant, &c. Celle aux armes offensives, selon les armes qu'on employe, comme le couteau de chasse, le fusil, &c. Celle aux piéges contiendroit toutes les ruses dont on se sert pour attraper les animaux, au nombre desquelles on mettroit les filets.

La chasse prend quelquefois différens noms, selon les animaux chassés. On va à la passée de la bécasse. Selon le tems ; si c'est de grand matin, elle s'appelle rentrée ; voyez RENTREE : si c'est sur le soir, elle s'appelle affut ; voyez AFFUT. Selon les moyens qu'on employe ; si l'on contrefait la chouette par quelque appeau, c'est la pipée. Voyez PIPEE, &c.

Nous nous bornerons dans cet article à parler de la chasse en général : on en trouvera les détails aux différens articles ; les différentes chasses, comme du cerf, du daim, du chevreuil, du loup, &c. aux articles de ces animaux ; les instrumens, aux articles FUSIL, CHIENS, CHIEN COUCHANT, CHIEN COURANT, LIMIER, LEVRIER, COUTEAU DE CHASSE, FILET, PIEGE, CORS ou TROMPE, &c. les filets, aux articles des différentes sortes de filets ; les piéges, aux différentes sortes de piéges ; les détails de la fauconnerie aux oiseaux, & autres animaux qu'on poursuit à cette chasse, à ceux avec lesquels on la fait ; & ses généralités, à l'article FAUCONNERIE. Voyez aussi sur la grande chasse ou chasse à cors & à cri (car on distribue aussi la chasse en grande & haute, qui comprend celle des bêtes fauves & de quelques autres animaux ; en basse ou petite, qui s'étend au reste des animaux) Voyez dis-je, les articles VENERIE, BETES, BETES NOIRES, FAUVES, &c.

La chasse est un des plus anciens exercices. Les fables des Poëtes qui nous peignent l'homme en troupeau avant que de nous le représenter en société, lui mettent les armes à la main, & ne lui supposent d'occupation journaliere que la chasse. L'Ecriture-sainte qui nous transmet l'histoire réelle du genre humain, s'accorde avec la fable pour nous constater l'ancienneté de la chasse : elle dit que Nemrod fut un grand chasseur aux yeux du Seigneur, qui le rejetta. C'est une occupation proscrite dans le livre de Moyse ; c'est une occupation divinisée dans la théologie payenne. Diane étoit la patrone des chasseurs ; on l'invoquoit en partant pour la chasse ; on lui sacrifioit au retour l'arc, les fleches, & le carquois. Apollon partageoit avec elle l'encens des chasseurs. On leur attribuoit à l'un & à l'autre l'art de dresser des chiens, qu'ils communiquerent à Chiron, pour honorer sa justice. Chiron eut pour éleves, tant dans cette discipline qu'en d'autres, la plûpart des héros de l'antiquité.

Voilà ce que la Mythologie & l'Histoire sainte, c'est-à-dire le mensonge & la vérité, nous racontent de l'ancienneté de la chasse. Voici ce que le bon sens suggere sur son origine. Il fallut garantir le troupeaux des loups & autres animaux carnaciers ; il fallut empêcher tous les animaux sauvages de ravager les moissons : on trouva dans la chair de quelques-uns des alimens sains ; dans les peaux de presque tous une ressource très promte pour les vêtemens : on fut intéressé de plus d'une maniere à la destruction des bêtes malfaisantes : on n'examina guere quel droit on avoit sur les autres ; & on les tua toutes indistinctement, excepté celles dont on espéra de grands services en les conservant.

L'homme devint donc un animal très-redoutable pour tous les autres animaux. Les especes se dévorerent les unes les autres, après que le péché d'Adam eut répandu entr'elles les semences de la dissention. L'homme les dévora toutes. Il étudia leur maniere de vivre, pour les surprendre plus facilement ; il varia ses embûches selon la variété de leur caractere & de leurs allures ; il instruisit le chien, il monta sur le cheval, il s'arma du dard, il aiguisa la fleche ; & bien-tôt il fit tomber sous ses coups le lion, le tigre, l'ours, le léopard : il perça de sa main depuis l'animal terrible qui rugit dans les forêts, jusqu'à celui qui fait retentir les airs de ses chants innocens ; & l'art de les détruire fut un art très-étendu, très-exercé, très-utile, & par conséquent fort honoré.

Nous ne suivrons pas les progrès de cet art depuis les premiers tems jusqu'aux nôtres, les mémoires nous manquent ; & ce qu'ils nous apprendroient, quand nous en aurions, ne feroit pas assez d'honneur au genre humain pour le regretter. On voit en général que l'exercice de la chasse a été dans tous les siecles & chez toutes les nations d'autant plus commun, qu'elles étoient moins civilisées. Nos peres beaucoup plus ignorans que nous, étoient beaucoup plus grands chasseurs.

Les anciens ont eu la chasse aux quadrupedes & la chasse aux oiseaux ; ils ont fait l'une & l'autre avec l'arme, le chien, & le faucon. Ils surprenoient des animaux dans les embûches, ils en forçoient à la course, ils en tuoient avec la fleche & le dard ; ils alloient au fond des forêts chercher les plus farouches, ils en enfermoient dans des parcs, & ils en poursuivoient dans les campagnes & les plaines. On voit dans les antiques, des empereurs même le venabulum à la main. Le venabulum étoit une espece de pique. Ils dressoient des chiens avec soin ; ils en faisoient venir de toutes les contrées, qu'ils appliquoient à différentes chasses, selon leurs différentes aptitudes naturelles. L'ardeur de la proie établit entre les chiens, l'homme, le cheval, & le vautour, une espece de société qui a commencé de très-bonne heure, qui n'a jamais cessé, & qui durera toûjours.

Nous ne chassons plus guere que des animaux innocens, si l'on en excepte l'ours, le sanglier & le loup. On chassoit autrefois le lion, le tigre, la panthere, &c. Cet exercice ne pouvoit être que très-dangereux. Voyez aux différens articles de ces animaux, la maniere dont on s'y prenoit. Observons seulement ici, 1°. qu'en recueillant avec exactitude tout ce que les anciens & les modernes ont dit pour ou contre la chasse, & la trouvant presqu'aussi souvent loüée que blâmée, ou en concluroit que c'est une chose assez indifférente. 2°. Que le même peuple ne l'a pas également loüée ou blâmée en tout tems. Sous Salluste, la chasse étoit tombée dans un souverain mépris ; & les Romains, ces peuples guerriers, loin de croire que cet exercice fût une image de la guerre, capable d'entretenir l'humeur martiale, & de produire tous les grands effets en conséquence desquels on le croit justement réservé à la noblesse & aux grands, les Romains, dis-je, n'y employoient plus que des esclaves. 3°. Qu'il n'y a aucun peuple chez qui l'on n'ait été contraint de réprimer la fureur de cet exercice par des lois : or la nécessité de faire des lois est toûjours une chose fâcheuse ; elle suppose des actions ou mauvaises en elles-mêmes, ou regardées comme telles, & donne lieu à une infinité d'infractions & de châtimens. 4°. Qu'il est venu des tems où l'on en a fait un apanage si particulier à la noblesse, qu'ayant négligé toute autre étude, elle ne s'est plus connue qu'en chevaux, qu'en chiens & en oiseaux. 5°. Que ce droit a été la source d'une infinité de jalousies & de dissentions, même entre les nobles ; & d'une infinité de lésions envers leurs vassaux, dont les champs ont été abandonnés au ravage des animaux reservés pour la chasse. L'agriculteur a vû ses moissons consommées par des cerfs, des sangliers, des daims, des oiseaux de toute espece ; le fruit de ses travaux perdu, sans qu'il lui fût permis d'y obvier, & sans qu'on lui accordât de dédommagement. 6°. Que l'injustice a été portée dans certains pays au point de forcer le paysan à chasser, & à acheter ensuite de son argent le gibier qu'il avoit pris. C'est dans la même contrée qu'un homme fut condamné à être attaché vif sur un cerf, pour avoir chassé un de ces animaux. Si c'est quelque chose de si précieux que la vie d'un cerf, pourquoi en tuer ? si ce n'est rien, si la vie d'un homme vaut mieux que celle de tous les cerfs, pourquoi punir un homme de mort pour avoir attenté à la vie d'un cerf ? 7°. Que le goût pour la chasse dégénere presque toûjours en passion ; qu'alors il absorbe un tems précieux, nuit à la santé, & occasionne des dépenses qui dérangent la fortune des grands, & qui ruinent les particuliers. 8°. Enfin que les lois qu'on a été obligé de faire pour en restraindre les abus, se sont multipliées au point qu'elles ont formé un code très-étendu : ce qui n'a pas été le moindre de ses inconvéniens. Voyez dans l'article suivant la satyre de la chasse, continuée dans l'exposition des points principaux de ce code.

CHASSE, (Jurisprud.) suivant le droit naturel, la chasse étoit libre à tous les hommes. C'est un des plus anciens moyens d'acquérir suivant le droit naturel. L'usage de la chasse étoit encore libre à tous les hommes, suivant le droit des gens.

Le droit civil de chaque nation apporta quelques restrictions à cette liberté indéfinie.

Solon voyant que le peuple d'Athenes négligeoit les arts méchaniques pour s'adonner à la chasse, la défendit au peuple, défense qui fut depuis méprisée.

Chez les Romains, chacun pouvoit chasser, soit dans son fonds, soit dans celui d'autrui ; mais il étoit libre au propriétaire de chaque héritage d'empêcher qu'un autre particulier n'entrât dans son fonds, soit pour chasser, ou autrement. Instit. lib. II. tit. 1. §. xij.

En France, dans le commencement de la monarchie, la chasse étoit libre de même que chez les Romains.

La loi salique contenoit cependant plusieurs réglemens pour la chasse ; elle défendoit de voler ou de tuer un cerf élevé & dressé pour la chasse, comme cela se pratiquoit alors ; elle ordonnoit que si ce cerf avoit déjà été chassé, & que son maître pût prouver d'avoir tué par son moyen deux ou trois bêtes, le délit seroit puni de quarante sols d'amende ; que si le cerf n'avoit point encore servi à la chasse, l'amende ne seroit que de trente-cinq sols.

Cette même loi prononçoit aussi des peines contre ceux qui tueroient un cerf ou un sanglier qu'un autre chasseur poursuivoit, ou qui voleroient le gibier des autres, ou les chiens & oiseaux qu'ils auroient élevé pour la chasse.

Mais on ne trouve aucune loi qui restraignît alors la liberté naturelle de la chasse. La loi salique semble plûtôt supposer qu'elle étoit encore permise à toutes sortes de personnes indistinctement.

On ne voit pas précisément, en quel tems la liberté de la chasse commença à être restrainte à certaines personnes & à certaines formes. Il paroît seulement que dès le commencement de la monarchie de nos rois, les princes & la noblesse en faisoient leur amusement, lorsqu'ils n'étoient pas occupés à la guerre ; que nos rois donnoient dès-lors une attention particuliere à la conservation de la chasse ; que pour cet effet, ils établirent un maître veneur (appellé depuis grand-veneur), qui étoit l'un des quatre grands officiers de leur maison ; & que sous ce premier officier, ils établirent des forestiers pour la conservation de leurs forêts, des bêtes fauves, & du gibier.

Dès le tems de la premiere race de nos rois, le fait de la chasse dans les forêts du roi étoit un crime capital, témoin ce chambellan que Gontran roi de Bourgogne fit lapider pour avoir tué un bufle dans la forêt de Vassac, autrement de Vangenne.

Sous la seconde race, les forêts étoient défensables ; Charlemagne enjoint aux forestiers de les bien garder ; les capitulaires de Charles-le-Chauve désignent les forêts où ses commensaux ni même son fils ne pourroient pas chasser ; mais ces défenses ne concernoient que les forêts, & non pas la chasse en général.

Un concile de Tours convoqué sous l'autorité de Charlemagne en 813, défend aux ecclésiastiques d'aller à la chasse, de même que d'aller au bal & à la comédie. Cette défense particuliere aux ecclésiastiques, sembleroit prouver que la chasse étoit encore permise aux autres particuliers, du moins hors les forêts du roi.

Vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, les gouverneurs des provinces & villes qui n'étoient que de simples officiers, s'étant attribué la propriété de leur gouvernement à la charge de l'hommage, il y a apparence que ces nouveaux seigneurs & autres auxquels ils sous-inféoderent quelque portion de leur territoire, continuerent de tenir les forêts & autres terres de leur seigneurie en défense par rapport à la chasse, comme elles l'étoient lorsqu'elles appartenoient au roi.

Il étoit défendu alors aux roturiers, sous peine d'amende, de chasser dans les garennes du seigneur : c'est ainsi que s'expliquent les établissemens de S. Loüis, faits en 1270. On appelloit garenne toute terre en défense : il y avoit alors des garennes de lievres aussi bien que de lapins, & des garennes d'eau.

Les anciennes coûtumes de Beauvaisis, rédigées en 1283, portent que ceux qui dérobent des lapins, ou autres grosses bêtes sauvages, dans la garenne d'autrui, s'ils sont pris de nuit, seront pendus ; & si c'est de jour, ils seront punis par amende d'argent, savoir, si c'est un gentilhomme, 60 liv. & si c'est un homme de poste, 60 sols.

Les priviléges que Charles V. accorda en 1371. aux habitans de Mailly-le-Château, portent que celui qui seroit accusé d'avoir chassé en plaine dans la garenne du seigneur, sera crû sur son serment, s'il jure qu'il n'a point chassé ; que s'il ne veut pas faire ce serment, il payera l'amende. Il est singulier que l'on s'en rapportât ainsi à la bonne-foi de l'accusé ; car s'il n'y avoit point alors la formalité des rapports, on auroit pû recourir à la preuve par témoins.

Il étoit donc défendu dès-lors, soit aux nobles ou roturiers, de chasser dans les forêts du roi & sur les terres d'autrui en général ; mais on ne voit pas qu'il fût encore défendu, soit aux nobles ou roturiers de chasser sur leurs propres terres.

Il paroît même que la chasse étoit permise aux nobles, du moins dans certaines provinces, comme en Dauphiné, où ils joüissent encore de ce droit, suivant des lettres de Charles V. de 1367.

A l'égard des roturiers, on voit que les habitans de certaines villes & provinces obtinrent aussi la permission de chasse.

On en trouve un exemple dans des lettres de 1357, suivant lesquelles les habitans du bailliage de Revel & la sénéchaussée de Toulouse, étant incommodés des bêtes sauvages, obtinrent du maître général des eaux & forêts, la permission d'aller à la chasse jour & nuit avec des chiens & des domestiques, etiam cum ramerio seu rameriis. Ce qui paroît signifier les branches d'arbres dont on se servoit pour faire des battues. On leur permit de chasser aux sangliers, chevreuils, loups, renards, lievres & lapins, & autres bêtes, soit dans les bois qui leur appartenoient, soit dans la forêt de Vaur, à condition que quand ils chasseroient dans les forêts du roi, ils seroient accompagnés d'un ou deux forestiers, à moins que ceux-ci ne refusassent d'y venir ; que si en chassant, leurs chiens entroient dans les forêts royales, autres que celles de Vaur, ils ne seroient point condamnés en l'amende, à moins qu'ils n'eussent suivis leurs chiens ; qu'en allant visiter leurs terres, & étant sur les chemins pour d'autres raisons, ils pourroient chasser lorsque l'occasion s'en présenteroit, sans appeller les forestiers. On sent aisément combien il étoit facile d'abuser de cette derniere faculté ; ils s'obligerent de donner au roi pour cette permission cent cinquante florins d'or une fois payés, & au maître des eaux & forêts de Toulouse, la tête avec trois doigts au-dessus du cou, au-dessous des oreilles, de tous les sangliers qu'ils prendroient, & la moitié du quartier de derriere avec le pié des cerfs & des chevreuils ; & par les lettres de 1357, le roi Jean confirma cette permission.

Charles V. en 1369 confirma des lettres de deux comtes de Joigny, de 1324 & 1368, portant permission aux habitans de cette ville, de chasser dans l'étendue de leur justice.

Dans les priviléges qu'il accorda en 1370 à la ville de Saint-Antonin en Roüergue, il déclara que quoique par les anciennes ordonnances il fût défendu à quelque personne que ce fût, de chasser sans la permission du roi, aux bêtes sauvages (lesquelles néanmoins, dit-il, gâtent les blés & vignes) ; que les habitans de Saint-Antonin pourroient chasser à ces bêtes hors les forêts du roi.

Les priviléges qu'il accorda en la même année aux habitans de Montauban, leur donnent pareillement la permission, en tant que cela regarde le roi, d'aller à la chasse des sangliers & autres bêtes sauvages.

Dans des lettres qu'il accorda en 1374 aux habitans de Tonnay en Nivernois, il dit que, suivant l'ancien usage, toutes personnes pourront chasser à toutes bêtes & oiseaux, dans l'étendue de la jurisdiction en laquelle les seigneurs ne pourront avoir de garenne.

On trouve encore plusieurs autres permissions semblables, accordées aux habitans de certaines provinces, à condition de donner au roi quelque partie des animaux qu'ils auroient tués à la chasse ; & Charles VI. par des lettres de 1397, accorde aux habitans de Beauvoir en Béarnois, permission de chasse, & se retient entr'autres choses tous les nids des oiseaux nobles : c'étoient apparemment les oiseaux de proie propres à la chasse.

Outre ces permissions générales que nos rois accordoient aux habitans de certaines villes & provinces, ils en accordoient aussi à certains particuliers pour chasser aux bêtes fauves & noires dans les forêts royales.

Philippe de Valois ordonna en 1346, que ceux qui auroient de telles permissions ne les pourroient céder à d'autres, & ne pourroient faire chasser qu'en leur présence & pour eux.

Charles VI. ayant accordé beaucoup de ces sortes de permissions, & voyant que ses forêts étoient dépeuplées, ordonna que dorénavant aucune permission ne seroit valable si elle n'étoit signée du duc de Bourgogne.

En 1396, il défendit expressément aux non nobles qui n'auroient point de privilége pour la chasse, ou qui n'en auroient pas obtenu la permission de personnes en état de la leur donner, de chasser à aucunes bêtes grosses ou menues, ni à oiseaux, en garenne ni dehors. Il permit cependant la chasse à ceux des gens d'église auxquels ce droit pouvoit appartenir par lignage ou à quelque autre titre, & aux bourgeois qui vivoient de leurs héritages ou rentes. A l'égard des gens de labour, il leur permit seulement d'avoir des chiens pour chasser de dessus leurs terres les porcs & autres bêtes sauvages, à condition que s'ils prenoient quelque bête, ils la porteroient au seigneur ou au juge, sinon qu'ils en payeroient la valeur.

Ce réglement de 1396 qui avoit défendu la chasse aux roturiers, fut suivi de plusieurs autres à-peu-près semblables en 1515, en 1533, 1578, 1601 & 1607.

L'ordonnance des eaux & forêts du mois d'Août 1669, contient un titre des chasses qui forme présentement la principale loi sur cette matiere.

Il résulte de tous ces différens réglemens, que parmi nous le Roi a présentement seul le droit primitif de chasse ; que tous les autres le tiennent de lui soit par inféodation, soit par concession ou par privilége, & qu'il est le maître de restraindre ce droit comme bon lui semble. Les souverains d'Espagne & d'Allemagne ont aussi le même droit dans leurs états par rapport à la chasse.

Tous seigneurs de fief, soit nobles ou roturiers, ont droit de chasser dans l'étendue de leur fief ; le seigneur haut-justicier a droit de chasser en personne dans tous les fiefs qui sont de sa justice, quoique le fief ne lui appartienne pas ; mais les seigneurs ne peuvent chasser à force de chiens & oiseaux, qu'à une lieue des plaisirs du Roi ; & pour les chevreuils & bêtes noires, dans la distance de trois lieues.

Les nobles qui n'ont ni fief ni justice ne peuvent chasser sur les terres d'autrui, ni même sur leurs propres héritages tenus en roture, excepté dans quelques provinces, comme en Dauphiné, où par un privilége spécial ils peuvent chasser, tant sur leurs terres que sur celles de leurs voisins, soit qu'ils ayent fief ou justice, ou qu'ils n'en possedent point.

Les roturiers qui n'ont ni fief ni justice ne peuvent chasser, à moins que ce ne soit en vertu de quelque charge ou privilége qui leur attribue ce droit sur les terres du Roi.

Quant aux ecclésiastiques, les canons leur défendent la chasse, même aux prélats. La déclaration du 27 Juillet 1701 enjoint aux seigneurs ecclésiastiques de commettre une personne pour chasser sur leurs terres, à condition que celui qui sera commis fera enregistrer sa commission en la maîtrise. Les arrêts ont depuis étendu cet usage aux femmes, & autres qui par leur état ne peuvent chasser en personne.

L'ordonnance de 1669 regle les diverses peines que doivent supporter ceux qui ont commis quelque fait de chasse, selon la nature du délit, & défend de condamner à mort pour fait de chasse, en quoi elle déroge à celle de 1601.

Il est aussi défendu à tous seigneurs, & autres ayant droit de chasse, de chasser à pié ou à cheval, avec chiens ou oiseaux, sur les terres ensemencées, depuis que le blé sera en tuyau ; & dans les vignes, depuis le premier Mai jusqu'après la dépouille, à peine de privation de leur droit, de 500 livres d'amende, & de tous dommages & intérêts.

Nul ne peut établir garenne, s'il n'en a le droit par ses aveux & dénombremens, possession, ou autres titres suffisans.

La connoissance de toutes les contestations, au sujet de la chasse, appartient aux officiers des eaux & forêts, & aux juges gruyers, chacun dans leur ressort, excepté pour les faits de la chasse arrivés dans les capitaineries royales.

Nos rois ayant pris goût de plus en plus pour la chasse, ont mis en réserve certains cantons qu'ils ont érigés en capitaineries ; ce qui n'a commencé que sous François I. vers l'an 1538. Le nombre de ces capitaineries a été augmenté & réduit en divers tems, tant par ce prince que par ses successeurs. La connoissance des faits de chasse leur a été attribuée à chacun dans leur ressort, par différens édits, & l'appel des jugemens émanés de ces capitaineries est porté au conseil privé du Roi.

Il est défendu à toutes personnes, même aux seigneurs hauts-justiciers, de chasser à l'arquebuse ou avec chiens dans les capitaineries royales ; & toutes les permissions accordées par le passé ont été révoquées par l'ordonnance de 1669, sauf à en accorder de nouvelles.

Ceux qui ont dans les capitaineries royales des enclos fermés de murailles, ne peuvent y faire aucun trou pour donner entrée au gibier, mais seulement ce qui est nécessaire pour l'écoulement des eaux. Ils ne peuvent aussi sans permission faire aucune nouvelle enceinte de murailles, à moins que ce ne soit joignant leurs maisons situées dans les bourgs, villages, & hameaux.

La chasse des loups est si importante pour la conservation des personnes & des bestiaux, qu'elle a mérité de nos rois une attention particuliere. Il y avoit autrefois tant de loups dans ce royaume, que l'on fut obligé de lever une espece de taille pour cette chasse. Charles V. en 1377 exempta de ces impositions les habitans de Fontenai près le bois de Vincennes. On fut obligé d'établir en chaque province des louvetiers, que François I. créa en titre d'office ; & il établit au-dessus d'eux le grand louvetier de France. L'ordonnance d'Henri III. du mois de Janvier 1583, enjoint aux officiers des eaux & forêts de faire assembler trois fois l'année un homme par feu de chaque paroisse de leur ressort, avec armes & chiens, pour faire la chasse aux loups. Les ordonnances de 1597, 1600, & 1601, attribuent aux sergens louvetiers deux deniers par loup, & quatre deniers par louve, sur chaque feu des paroisses à deux lieues des endroits où ces animaux auroient été pris. Au moyen de ces sages précautions, il reste présentement si peu de loups, que lorsqu'il en paroît quelqu'un il est facile de s'en délivrer.

Sur le droit de chasse, on peut voir au code II. tit. xljv. & au code théodosien, liv. XV. tit. xj. les capitulaires & le recueil des ordonnances de la troisieme race ; ceux de Fontanon, Joly, & Néron ; la Bibliotheque du Droit franç. de Bouchel, au mot chasse. Salvaing, de l'usage des fiefs. Lebret, traité de la souveraineté, liv. III. ch. jv. l'ordonnance des eaux & forêts, tit. xxx. & la conférence sur ce titre ; le traité de la police, tome II. liv. V. tit. xxiij. ch. iij. §. ij. le traité du droit de chasse, par de Launay ; la Jurisprudence sur le fait des chasses, in -12. 2. vol. le code des chasses, & ci-après aux mots FAUCONNERIE, GARENNE, LOUVETERIE, LOUVETIER, VENERIE, VOL. (A)

* CHASSE AMPHITHEATRALE, (Hist. anc.) Les Romains l'appelloient venatio ludiaria ou amphitheatralis. Elle se faisoit dans les cirques. au milieu des amphithéatres, &c. On lâchoit toutes sortes d'animaux sauvages qu'on faisoit attaquer par des hommes, appellés de cet exercice bestiarii, voyez BESTIAIRES ; ou ils étoient tués à coups de fleches par le peuple même, amusement qui l'accoûtumoit au sang & l'exerçoit au carnage. L'an de Rome 502, on y conduisit cent quarante-deux éléphans qui avoient été pris en Sicile sur les Carthaginois ; ils furent exposés & défaits dans le cirque. Auguste donna au peuple, dans une seule chasse amphithéatrale, trois mille cinq cent bêtes. Scaurus donna une autre fois un cheval marin & cinq crocodiles ; l'empereur Probus, mille autruches, mille cerfs, mille sangliers, mille daims, mille biches, & mille béliers sauvages. Pour un autre spectacle, le même prince avoit fait rassembler cent lions de Lybie, cent léopards, cent lions de Syrie, cent lionnes, & trois cent ours. Sylla avoit donné avant lui cent lions ; Pompée, trois cent quinze ; & César, quatre cens. Si tous ces récits ne sont pas outrés, quelle étoit la richesse de ces particuliers ? quelle n'étoit pas celle du peuple ? C'étoient les dictateurs, les consuls, les questeurs, les préteurs, & les édiles qui faisoient la dépense énorme de ces jeux, quand il s'agissoit de gagner la faveur du peuple pour s'élever à quelque dignité plus importante.

CHASSE DE MEUNIER, (Jurisprud.) On appelle chasse ou quête des meûniers, la recherche qu'ils font, par eux ou par leurs serviteurs, des blés & autres grains que l'on veut faire moudre ; allant ou envoyant pour cet effet dans les villes, bourgs & villages. Comme le fruit de cette quête n'est pas toûjours heureux, elle a été comparée à la chasse, & en a retenu le nom.

Ce droit d'empêcher les meûniers de chasser ou quêter les blés est fort ancien, & dérive du droit de la banalité. Il en est parlé dans deux titres de Thibaut, comte de champagne, des années 1183 & 1184, pour le prieur de S. Ayoul, auquel ce prince accorde ce droit de chasse pour les meûniers de son prieuré, dans toute l'étendue de la ville & châtellenie de Provins où il est situé.

Un arrêt du Parlement, de la Toussaint 1270, confirme aux seigneurs, ayant des moulins dans la châtellenie d'Etampes, le droit de saisir & confisquer les chevaux des meûniers d'autres moulins, qui viendroient chasser sur leurs terres des blés pour en avoir la moute, quaerentes ibi moltam ; c'est le terme dont on se servoit alors. Chop. sur Anjou, liv. I. ch. xiv. n. 2. & ch. xv. n. 5.

Il y a, sur cette matiere, dans notre Droit coûtumier, trois différentes maximes confirmées par la jurisprudence des arrêts.

La premiere, que les meûniers ne peuvent chasser sur les terres des seigneurs qui ont droit de banalité. Coût. de Montdidier, art. xjv. & xvj.

La seconde, qu'en certaines coûtumes ils ne le peuvent même sur les terres des seigneurs hauts-justiciers, & qui ont droit de voirie. Coûtume d'Amboise, art. j. Buzançois, art. jv. Saint-Ciran, art. iij. Maizieres en Touraine, art. v. & vj.

La troisieme, qu'en d'autres coûtumes ils ont cette liberté dans tous les lieux où il n'y a point de banalité. Paris, art. lxxij. & Orleans, art. x.

Par un arrêt du 23 Mai 1561, confirmatif d'une sentence du gouverneur de Montdidier, les meûniers sont maintenus dans la liberté d'aller chasser & quêter des blés sur les terres des seigneurs qui n'ont point de moulins bannaux. Il est remarquable, en ce qu'il est rendu au profit du vassal contre son seigneur suzerain. Levest, art. lxx. Papon, liv. XIII. titr. viij. n. 1. Carondas, liv. II. rep. 12. & liv. IV. rep. 65.

La même chose a été jugée dans la coûtume de Paris, par arrêt du 28 Juin 1597, en faveur du seigneur de Rennemoulin, contre le cardinal de Gondi, seigneur de Villepreux, qui vouloit empêcher les meûniers de la terre de Rennemoulin, relevante de lui, de venir chasser dans l'étendue de celle de Villepreux. Voyez Leprêtre, arrêts de la Ve. Voyez le traité de la police, tome II. liv. V. ch. iij. §. 7. & le recueil des factums & mémoires imprimés à Lyon en 1710. tome II. p. 467. (A)

CHASSE, en terme de Marine, se dit d'un vaisseau qui en poursuit un autre ; alors on dit donner chasse. On l'applique également au vaisseau qui fuit, & en ce cas c'est prendre chasse, c'est-à-dire prendre la fuite. Il arrive souvent que le navire qui prend chasse continue de tirer sur celui qui le poursuit, ce qu'il ne peut faire que des pieces de canon qui sont à l'arriere ; ce qui s'appelle soûtenir chasse. Cette manoeuvre est assez avantageuse, parce que la poussée du canon qu'on tire à l'arriere, favorise plus le sillage qu'elle ne le retarde. Il n'en est pas de même des pieces de chasse de l'avant, dont on se sert en poursuivant un navire, la poussée de chaque coup retarde la course du vaisseau.

CHASSE DE PROUE, ou PIECES DE CHASSE DE L'AVANT, se dit des pieces de canon qui sont à l'avant, & dont on se sert pour tirer sur un vaisseau qui fuit & qu'on poursuit. (Z)

CHASSE. On appelle ainsi, en terme d'Artificiers, toute charge de poudre grossierement écrasée qu'on met au fond d'un cartouche, pour chasser & faire partir les artifices dont il est rempli.

CHASSE d'une balance, est la partie perpendiculaire au fléau, & par laquelle on tient la balance lorsqu'on veut s'en servir. Voyez BALANCE & FLEAU. (O)

CHASSE, outil de Charron ; c'est une espece de marteau dont un côté est quarré & l'autre rond, dont l'oeil est percé plus du côté quarré que du rond, qui sert aux Charrons pour chasser & enfoncer les cercles de fer qui se mettent autour des moyeux des roues, afin d'empêcher qu'ils ne se fendent. Ces cercles s'appellent cordons & frettes. Voyez FRETTES. Voyez la fig. 27. Pl. du Charron.

Les Batteurs d'or ont aussi un marteau qu'ils appellent chasse. Voyez l'article BATTEUR D'OR.

CHASSE, (Coutel.) Ces ouvriers employent ce terme en deux sens ; c'est ainsi qu'ils appellent, 1° le manche d'écaille, de baleine, ou de corne, composé ordinairement de deux parties assemblées par le Tabletier, dans lesquelles la lame du rasoir est reçûe ; ou le manche d'écaille fait aussi par le Tabletier, mais seulement assemblé en un seul endroit, & par un seul clou qui traverse le fer de la lancette & les deux parties du manche où cet instrument de Chirurgie est renfermé. 2° La portion de l'instrument qui sert dans la forge des lames de table, à mitre surtout, qui ne sont plus guere en usage, à recevoir la queue de la lame, tandis que la lame est reçûe dans un tas fendu à sa partie supérieure & presque sur toute sa longueur. On frappe sur la chasse ; la chasse appuie sur l'endroit fort qu'on a ménagé avec le marteau, ou morceau d'acier ou d'étoffe qui doit faire la lame ; cet endroit fort se trouve comprimé entre la chasse & le tas, & forcé de s'étendre en partie, & de prendre la forme en relief & de la mitre qu'on a ménagée en creux dans le tas, & de cette ovale qui sépare la lame de la queue, & qui s'applique sur le bout du manche, quand la lame est montée.

CHASSE, (Lunettier) Les lunettiers appellent ainsi la monture d'une lunette dans laquelle les verres sont enchassés. Cette chasse est de corne, d'écaille, &c. ou de quelque métal élastique, c'est-à-dire bien écrouï ; elle a la forme de la lettre minuscule. Voyez la fig. 5. Pl. du Lunettier.

Il y en a de brisées en C, c'est-à-dire à charniere, ensorte que les deux verres ou yeux A B, qui tiennent à rainure dans les anneaux de la chasse, peuvent se rapprocher & se placer l'un sur l'autre, pour entrer dans un étui commun ; au lieu que pour celles qui ne ployent point, il faut un étui à deux cercles pour y placer les deux verres. La chasse se place sur le nez, comme tout le monde sait, ensorte que les verres A B soient devant les yeux, auxquels ils doivent être exactement paralleles, pour que l'on puisse voir les objets au-travers avec le plus d'avantage qu'il est possible. Ces verres sont plus ou moins convexes ou concaves, selon que le besoin de la personne qui s'en sert l'exige.

CHASSE, cheval de chasse, est un cheval d'une taille legere, qui a de la vîtesse, & dont on se sert pour chasser avec des chiens courans. Les chevaux anglois sont en réputation pour cet usage. Un cheval étroit de boyau peut être bon pour la chasse, mais il ne vaut rien pour le carrosse. (V)

* CHASSE, s. f. terme très-usité en Méchanique, & appliqué à un grand nombre de machines, dans lesquelles il signifie presque toûjours un espace libre qu'il faut accorder soit à la machine entiere, soit à quelqu'une de ses parties, pour en augmenter ou du moins faciliter l'action. Trop ou trop peu de chasse nuit à l'action : c'est à l'expérience à déterminer la juste quantité. Voici un exemple simple de ce qu'on entend par chasse. La chasse, dans la scie à scier du marbre, est la quantité précise dont cette scie doit être plus longue que le marbre à scier, pour que toute l'action du scieur soit employée sans lui donner un poids de scie superflu qu'il tireroit, & qui ne seroit point appliqué si la chasse étoit trop longue : il est évident que dans ce cas la longueur des bras de l'ouvrier permettra plus de chasse. La chasse ordinaire est depuis un pié jusqu'à dix-huit pouces.

CHASSE, s. f. (Jeu) c'est au jeu de paume la distance qu'il y a entre le mur du côté où l'on sert, & l'endroit où tombe la balle du second bond. Cette distance se mesure par les carreaux : quand la chasse est petite, on dit une chasse à deux, à trois carreaux & demi, &c. C'est au garçon à examiner, annoncer & marquer fidelement les chasses. Ce garçon en est appellé le marqueur. Voyez l'article PAUME.

CHASSE, en terme d'Orfévre, c'est la partie de la boucle où est le bouton.

CHASSE DE PARCS, terme de Pêche ; c'est une grande tenture de filets montée sur piquets, qui sert à conduire le poisson dans le parc, d'où il ne peut plus ressortir. Voyez PARCS, dont la chasse fait partie.

CHASSE QUARREE, c'est proprement une espece de marteau à deux têtes quarrées, dont l'une est acerée, & l'autre ne l'est point.

L'usage de la chasse n'est pas de forger, mais de former, après que le forgeron a enlevé un tenon ou autre piece où il y a épaulement, l'angle de l'épaulement : pour cet effet on pose la chasse bien d'aplomb sur le tenon ou la piece, à l'endroit de l'épaulement commencé au marteau, & l'on frappe sur la tête non acerée de la chasse avec un autre marteau ; ce qui donne lieu à la tête acerée de rendre l'angle de l'épaulement plus vif, & épargne à l'ouvrier bien des coups de lime.

CHASSE A BISEAU, c'est le même outil & de la même forme, à cela près que la tête acerée est en pente ; cette pente continuée rencontreroit le manche. Son usage est de refouler fortement les épaulemens, sur-tout dans les occasions où les angles de l'épaulement sont aigus.

CHASSE des Raffineurs de sucre ; c'est le même outil que le chassoire des Tonneliers, & ils l'employent sur leurs formes au même usage que ces ouvriers sur les cuviers, tonneaux, & autres vaisseaux qu'ils relient. Voyez CHASSOIRE. Il n'y a de différence entre la chasse des Raffineurs & le chassoire des Tonneliers, que le chassoire des Tonneliers est à-peu-près de même grosseur par-tout, & qu'il sert sur l'un & l'autre bout indistinctement ; au lieu que celui des Raffineurs ne sert à chasser que par un bout qui s'applique sur le cercle ; l'autre est formé en une tête ronde sur laquelle on frappe avec le marteau : ainsi celui-ci est beaucoup plus long que l'autre.

CHASSE, s. f. chez les Tisserands, les Drapiers, & autres, est une partie du métier du Tisserand, qui est suspendue par en-haut à une barre appellée le porte-chasse, qui est appuyée sur les deux traverses latérales du haut du métier, & au bas de laquelle est attaché le rot ou peigne dans lequel sont passés les fils de la chaîne. C'est avec la chasse que le Tisserand frappe les fils de la trame pour les serrer, chaque fois qu'il a passé la navette entre les fils de la chaîne.

La chasse est composée de trois parties ou pieces de bois dont deux sont perpendiculaires, & sont appellées les épées de la chasse ; la troisieme est horisontale, & composée de deux barres de bois écartées l'une de l'autre de la hauteur du rot, & garnies chacune d'une rainure dans laquelle on arrête le rot : ces deux barres sont percées par les deux bouts, & les épées entrent dans ces ouvertures. La barre qui est la plus basse, & qui soûtient le rot, s'appelle le sommier ; l'autre qui appuie sur le rot, s'appelle le chapeau de la chasse : cette barre est arrondie par le haut, & est garnie dans son milieu d'une main ou poignée de bois : c'est avec cette poignée que l'ouvrier tire la chasse pour frapper sa trame. Voyez les art. DRAPIER, TISSERAND, &c. & l'article BATTANT.

* CHASSE, (Verr.) legere maçonnerie attachée d'un côté au corps du four, & dont une autre partie est soûtenue en l'air par une barre de fer circulaire, éloignée d'environ deux pouces du grand ouvreau, & destinée à garantir l'ouvrier de la trop grande ardeur du feu.

CHASSE-AVANT, s. m. (Art méch.) on donne ce nom généralement à tous ceux qui sont commis à la conduite des grands ouvrages, & qui tiennent registre des heures de travail employées & perdues par les ouvriers. Il y en a dans les grands atteliers de Serrurerie, dans les endroits où l'on construit de grands édifices, dans les manufactures très-nombreuses ; mais ils prennent alors différens noms.

CHASSE-FLEUREE, s. f. (Teint.) planche de bois quarrée, oblongue, & percée dans le milieu d'un trou où l'on a passé une corde ; cette planche sert à écarter de dessus la cuve l'écume ou fleurée, afin que les étoffes auxquelles elle s'attacheroit sans cette précaution, n'en soient ni atteintes ni tachées. Voyez les explicat. de nos Planc. & Pl. II. de Teint. la chasse-fleurée ; a b la chasse-fleurée ; c d la corde ; e la main à l'aide de laquelle on peut la suspendre ou arrêter quand elle est en repos, & la mouvoir quand il en est besoin.

CHASSE-MAREE, s. m. (Comm.) marchand qui apporte en diligence à Paris, & dans les lieux circonvoisins, le poisson pêché sur les côtes les moins éloignées. Les nouveaux impôts dont on a chargé le poisson, ont extrèmement ralenti l'ardeur de ces marchands : le poisson en est devenu plus cher dans la capitale, & à meilleur marché dans les bourgs & villages voisins, où ils ont apparemment plus d'intérêt à le débiter.

CHASSE-POIGNEE, s. f. outil de Fourbisseur, ainsi nommé de son usage. C'est un morceau de bois rond, d'un pouce & demi de diametre, long de cinq ou six, foré dans toute sa longueur, qui sert à chasser & pousser la poignée d'une épée sur la soie de la lame, jusqu'à ce qu'elle soit bien jointe avec le corps de la garde.

CHASSE-POMMEAU, qu'on nomme aussi boule ; c'est encore un outil de fourbisseur qui sert à pousser le pommeau de l'épée sur la soie de la lame, pour la joindre à la poignée : il est fait d'une boule de bouis pareille à celles avec lesquelles on joue au mail : cette boule a un trou dans le milieu, dont l'embouchure est plus large que le fond, afin que le haut du pommeau y puisse entrer ; ce qui reste du trou qui est plus étroit suffisant pour donner passage à la pointe de la soie, lorsque le pommeau est entierement chassé. Voyez POMMEAU, & la fig. 17. Planche du Fourbisseur.

CHASSE-POINTE, s. f. outil à l'usage d'un grand nombre d'ouvriers en fer, en cuivre, en métaux, en bois, qui s'en servent, ainsi que le nom l'indique assez, à chasser les pointes ou goupilles placées dans leurs ouvrages, sans gâter les formes de ces ouvrages. C'est un morceau d'acier trempé, fort aigu, tel qu'on le voit fig. 36. du Doreur. On applique l'extrémité aiguë de l'outil sur la pointe ou goupille à chasser ; on frappe un coup leger sur la tête ; la goupille sort par le côté opposé : on la saisit avec les pinces, & on acheve de l'arracher. Il y a la chasse-pointe à main, sur laquelle on ne frappe point ; on la prend seulement à la main, on appuie le petit bout sur la goupille à chasser, & on presse contre cette goupille le petit bout de la chasse-pointe, le plus fortement & le plus dans la direction de la goupille qu'on peut. Cette derniere chasse-pointe est à préférer dans les cas tels que celui où il s'agiroit de chasser une pointe hors de la bordure d'une glace : il vaut mieux faire sortir la pointe en la poussant, que de frapper sur la tête de l'outil un coup qui pourroit ébranler la glace, faire tomber son teint, ou, qui pis est, la fendre, selon la commotion qu'elle recevroit du coup relativement à sa position.

CHASSE-RIVET, s. m. en terme de Chauderonnier, & autres ouvriers, est un morceau de fer à tête large, percé à son autre extrémité d'un trou peu profond, dans lequel s'insere & se rive le clou de cuivre que l'on frappe avec un marteau. Voyez la fig. 17. Pl. II. du Chauderonnier.


CHASSÉS. m. (Danse) c'est un pas qui est ordinairement précédé d'un coupé, ou d'un autre pas qui conduit à la deuxieme position d'où il se prend. Il se fait en allant de côté, soit à droite, soit à gauche.

Si l'on veut, par exemple, faire ce pas du côté gauche, il faut plier sur les deux jambes, & se relever en sautant à demi : en prenant ce mouvement sur les deux piés, la jambe droite s'approche de la gauche pour retomber à sa place, & la chasse par conséquent, en l'obligeant de se porter plus loin à la deuxieme position. Cela doit s'exécuter très-vîte, parce que l'on retombe sur le droit, & que la jambe gauche se pose incontinent à la deuxieme position. Comme on en fait deux de suite, au premier saut l'on retombe & l'on plie, & du même tems on ressaute en portant le corps sur le droit ou sur le gauche, selon que le pas qui suit le demande.

Mais lorsqu'on en a plusieurs de suite, comme dans l'allemande, on fait les sauts de suite, sans se relever sur un seul pié, comme il se pratique quand il n'y en a que deux.

Ce pas se fait de même en arriere, en chargeant seulement les positions : étant à la quatrieme position, la jambe droite devant, on plie & on se releve en sautant & en reculant, & la jambe droite s'approche de la gauche en retombant à sa place, ce qui la chasse en arriere à la quatrieme position : mais comme on tombe plié au second saut qui se fait de suite, on se releve soit sur le droit soit sur le gauche, selon le pas qui suit, en observant toûjours au premier saut que ce soit la jambe qui est devant qui chasse l'autre, & se pose la premiere en retombant. Dict. de Trév. & Rameau. Traité de la Chorégraphie.


CHASSELASvoyez VIGNES.


CHASSELAY(Géog.) petite ville de France dans le Lyonnois, près la Saone, vis-à-vis de Trévoux.


CHASSELET(Géog.) petite ville des Pays-bas autrichiens, au comté de Namur.


CHASSER(Jurispr.) voyez CHASSE, & CHASSE DE MEUNIER.

CHASSER, en Architecture ; ce mot se dit parmi les ouvriers pour pousser en frappant, comme lorsqu'on frappe avec coins & maillets pour joindre les assemblages de menuiserie ; ou dans d'autres ouvrages de maçonnerie, comme de chasser du tuilot ou éclat de pierre entre deux joints dans l'intérieur d'un mur. (P)

CHASSER, (Arts méch.) pousser avec force : on dit chasser à force une rondelle, une frette, une virole de fer, lorsqu'on équipe un balancier, un mouton, un tuyau de bois, une piece d'une machine hydraulique, ou autre. (K)

CHASSER, (Marine) se dit d'un vaisseau mouillé dans une rade, & qui par la force du vent ou des courans, entraîne son ancre, qui n'a pas assez mordu dans le fond pour arrêter le vaisseau. On dit chasser sur ses ancres. Voyez ANCRE.

Lorsqu'on mouille sur un fond de mauvaise tenue, on court risque de chasser. (Z)

CHASSER un vaisseau, (Marine) c'est le poursuivre.

Chasser sur un vaisseau, c'est courir sur lui pour le joindre. (Z)

CHASSER un cheval en avant, ou le porter en avant, c'est l'aider du gras de jambes ou du pincer pour le faire avancer.

CHASSER, terme de Pêche, c'est envoyer ; ainsi chasser de la marrée à Paris, c'est envoyer du poisson frais en cette ville : de-là le nom de chasse-marée que l'on donne à ceux qui la conduisent, & même à la voiture qui la transporte.


CHASSERANDERIES. f. (Jurispr.) est un droit que les meuniers payent en Poitou au seigneur qui a droit de moulin banal, pour avoir la permission de chasser dans l'étendue de sa terre, c'est-à-dire d'y venir chercher les grains pour moudre. Voyez le gloss. de Lauriere, hoc verbo. (A)


CHASSEURS. m. celui qui s'est fait un métier, ou du moins un exercice habituel de la chasse. Il est bon de chasser quelquefois ; mais il est mal d'être un chasseur, quand on a un autre état dans la société.


CHASSIou LIPPITUDE, s. f. (Médecine) en latin lippitudo, Cic. cependant Celse se sert de ce terme pour désigner l'ophthalmie ou l'inflammation de l'oeil : mais dans notre langue nous ne confondons point ces deux choses ; & quoique l'ophthalmie soit souvent accompagnée de lippitude, & celle-ci de larmes, nous les distinguons l'une de l'autre par des expressions différentes, & nous nommons chassie une maladie particuliere des paupieres, qui est plus ou moins considérable suivant sa nature, ses degrés, ses symptomes, & ses causes.

On apperçoit le long du bord intérieur des paupieres, de certains points qui sont les orifices des vaisseaux excréteurs, de petites glandes dont la grosseur n'excede pas celle de la graine de pavot, & qui sont situées de suite intérieurement sur une même ligne au bord des paupieres.

On les nomme glandes sebacées de Meibomius : elles sont longuettes, logées dans des sillons, cannelures ou rainures de la face interne des tarses : elles ont une couleur blanchâtre ; & étant examinées avec le microscope simple, elles paroissent comme de petites grappes de plusieurs grains qui communiquent ensemble : quand on les presse entre deux ongles, il en sort par les points ciliaires une matiere sebacée ou suifeuse, & comme une espece de cire molle.

Ces petites glandes ciliaires séparent de la masse du sang une liqueur qui par une fine onctuosité enduit le bord des paupieres, & empêche que leur battement continuel l'une contre l'autre ne donne atteinte à la membrane délicate qui revêt le petit cartilage, & ne l'excorie. Lorsque cette humeur s'épaissit, devient gluante ; elle produit ce qu'on appelle la chassie.

Or cela n'arrive que par l'altération des petites glandes que nous venons de décrire, par leur ulcération, ou celle des membranes de l'oeil ; de la partie intérieure des paupieres, ou de leurs bords.

En effet la chassie est proprement ou une matiere purulente qui découle de petits ulceres de l'oeil & qui est abreuvée de larmes, ou le suc nourricier délayé par des larmes, mais vicié dans sa nature, qui s'écoule des glandes ciliaires altérées & ulcérées par quelque cause que ce soit.

La chassie est ou simple, produite par une ulcération legere de quelques-unes des glandes sebacées ; ou elle est considérable, compliquée avec d'autres maladies de l'oeil dont elle émane.

Dans l'ophthalmie, par exemple, & dans les ulcérations de la cornée & de la conjonctive, il découle beaucoup de larmes, & peu de chassie, à cause que la matiere de la chassie étant délayée dans une grande quantité d'eau, est peu sensible, sur-tout quand ces maladies sont dans leur vigueur : mais quand elles commencent à décliner, les larmes diminuent ; elles deviennent alors gluantes, & se convertissent en matiere chassieuse.

Dans la fistule lacrymale ouverte du côté de l'oeil, dans toutes les ulcérations de la partie intérieure des paupieres & de leurs bords, & dans quelques autres maladies de cette nature, il se forme beaucoup de chassie, parce que toutes les glandes ciliaires sont alors attaquées, & que la quantité de matiere purulente est détrempée dans peu de larmes.

Enfin dans l'ulcération des glandes des yeux ou des paupieres, qui naissent de fluxions qui s'y sont formées, il découle une assez grande quantité de chassie, parce que dans les cas de cette espece, les orifices des glandes ciliaires étant ou dilatés par l'abondance de l'humeur, ou rongés & rompus par l'acrimonie de cette humeur, le suc nourricier trouvant ces voies ouvertes, s'écoule facilement avec les larmes, & se condense en chassie.

La chassie est souvent mêlée de larmes acres & salées, qui causent au bord des paupieres une demangeaison incommode, accompagnée de chaleur & de rougeur ; c'est ce que les Grecs ont appellé en un seul mot, plorophthalmie. Quelquefois la chassie est seche, dure, fermement adhérente aux paupieres, & sans démangeaison ; alors ils la nomment sclérophthalmie. Mais quand en même tems le bord des paupieres est enflé, rouge, & douloureux, les Grecs désignoient cette troisieme variété par le nom de xérophthalmie. C'est ainsi qu'ils ont rendu leur langue également riche & énergique ; pourquoi n'osons-nous les imiter ? pourquoi ne francisons-nous pas leurs expressions, au lieu d'user des périphrases de galle de paupieres, gratelle dure des paupieres, gratelle seche des paupieres, qui sont même des termes assez équivoques ? Mais laissons-là les réflexions sur les mots, & continuons l'examen de la chose.

De tout ce que nous avons dit il résulte que la chassie est souvent un effet de diverses maladies du globe de l'oeil, & en particulier un mal des glandes ciliaires des paupieres, qui en rougit les bords, & les colle l'un contre l'autre ; que cette humeur chassieuse est tantôt plus tantôt moins abondante ; quelquefois dure & seche, & quelquefois accompagnée de démangeaison. Lorsqu'on examine ce mal de près, on connoît que c'est une traînée de petits ulceres superficiels, presque imperceptibles, rangés le long du bord ou d'une paupiere ou de toutes les deux, tant en-dedans qu'en-dehors.

Puis donc que la chassie se rencontre dans plusieurs maladies des yeux, il faut la distinguer de l'ophthalmie & autres maladies de l'oeil, quoiqu'elles soient souvent accompagnées de chassie, & d'autant plus que la chassie arrive fréquemment sans elle : elle naît souvent dans l'enfance, & continue toute la vie, quand elle est causée par un vice particulier des glandes ciliaires, par la petite vérole, par quelques ulceres fistuleux, ou autres accidens ; au lieu que lorsqu'elle est une suite de l'ophthalmie, elle ne subsiste qu'autant que l'ophthalmie dont elle émane.

On ne doit pas non plus confondre par la même raison la lippitude avec les larmes, puisque leur origine & leur consistance est différente, & que d'ailleurs les larmes coulent souvent sans être mêlées de chassie.

Mais d'où vient que pendant la nuit la chassie s'amasse plus abondamment autour des paupieres que pendant le jour ? c'est parce qu'alors les paupieres étant fermées, l'air extérieur ne desseche & ne resserre pas la superficie des ulceres qui la produisent : ainsi nous voyons que les plaies & les ulceres qui sont exposés à l'air, ne suppurent pas autant que lorsqu'on empêche l'air de les toucher.

La chassie étant donc aux ulceres des yeux & des paupieres, ce que le pus est aux autres ulceres, sa nature & ses différentes consistances doivent faire connoître les différens états des maladies qui la produisent. Ainsi quand la chassie est en petite quantité, & fort délayée de larmes, c'est une marque que l'ophthalmie est dans son commencement : quand la chassie est plus abondante, & qu'elle a un peu plus de consistance, c'est une indication que le mal est dans son progrès : quand la chassie est plus gluante, plus blanche, plus égale, alors le mal est dans son état ; & quand ensuite la chassie diminue avec peu de larmes, c'est un signe qu'elle tend vers sa fin.

Mais si la chassie est granuleuse, écailleuse, fibreuse, ou filamenteuse, inégale, de diverses couleurs ; si elle cesse de couler sans que la maladie soit diminuée, on a lieu de présumer que les ulceres dont elle découle sont virulens, corrosifs, putrides, tendant à le devenir, ou à s'enflammer de nouveau : en un mot, les prognostics sont ici les mêmes que dans tout autre ulcere.

La théorie indique, que vû la nature & la position des petits ulceres qui produisent la chassie, la structure des glandes des paupieres, leur mouvement perpétuel, les humeurs qui les abreuvent, &c. ces petits ulceres doivent être très-difficiles à guérir ; & c'est aussi ce que l'expérience confirme. Comme la délicatesse des paupieres ne permet pas l'usage de remedes assez puissans pour détruire leurs ulceres, il arrive qu'à la longue ils deviennent calleux & fistuleux. On est donc presque réduit aux seuls palliatifs.

Ceux qui conviennent dans la chassie simple, consistent à se bassiner les paupieres avec des eaux distillées de frai de grenouilles & de lis, parties égales, dans lesquelles on fait infuser des semences de lin & de psyllium, pour les rendre mucilagineuses ; y ajoûtant, après les avoir passées, pareille quantité de sel de saturne, pour pareille quantité de ces eaux.

On peut aussi quelquefois laver les paupieres dans la journée avec un collyre tiede, composé de myrrhe, d'aloès, & de thutie préparée, ana un scrupule ; du camphre & du safran, ana six grains, qu'on dissout dans quatre onces d'eau distillée de fenouil & de miel. On laissera de même pendant la nuit sur les paupieres un linge imbibé de ces collyres.

Pour ce qui regarde les ulceres prurigineux, la galle & gratelle des paupieres, voyez leurs articles, & le mot PAUPIERE. Voyez aussi M. Leclerc, sur la méthode de Celse pour guérir la chassie, hist. de la Méd. p. 546. Il en attribuoit la cause à la pituite : c'est par cette raison qu'il appelle cette maladie pituita oculorum, lib. VII. cap. vij. sect. 15.

Horace se sert du même terme, epist. liv. v. 108.

Praecipuè sanus nisi quum pituita molesta est.

Il faut traduire ainsi ce vers : " Enfin le sage se porte toûjours bien, si ce n'est qu'il soit chassieux "

M. Dacier n'a point entendu ce passage ; mais le P. Sanadon l'a fort bien compris : il a remarqué qu'il faut distinguer deux sortes d'ophthalmie ; l'une seche & l'autre humide. Celse appelle la premiere lippitudo, & la seconde, pituita oculorum. Horace étoit sujet à ces deux incommodités : il parle de la premiere au trentieme vers de la satyre egressum magnâ ; & il parle de la derniere dans le vers qu'on vient de traduire. Cet article a été communiqué par M(D.J.)


CHASSIPOLERIES. f. (Jurispr.) est un droit singulier usité en Bresse, que les hommes ou sujets du seigneur lui payent pour avoir droit en tems de guerre de se retirer avec leurs biens dans son château. Chassipol en Bresse signifie consierge ; & de-là on a fait chassipolerie. Voyez Revel, en ses observations sur les statuts de Bresse, pag. 311. & Lauriere, en son glossaire, au mot chassipolerie. (A)


CHASSISS. m. se dit, en Méchanique & dans les Arts, généralement de tout assemblage de fer ou de bois assez ordinairement quarré, destiné à environner un corps & à le contenir. Le chassis prend souvent un autre nom, selon le corps qu'il contient, selon la machine dont il fait partie, & relativement à un infinité d'autres circonstances. Il y a peu d'arts & même assez peu de machines considérables, où il ne se rencontre des chassis ou des parties qui en font la fonction sous un autre nom. Il ne faut donc pas s'attendre ici à trouver une énumération complete des chassis : nous ne ferons mention que des assemblages les plus connus sous ce nom. Nous aurions pû même à la rigueur nous en tenir à la définition générale, & renvoyer pour les différentes acceptions de ce terme, à d'autres articles.

CHASSIS, en Architecture, est une dale de pierre percée en rond ou quarrément, pour recevoir une autre dale en feuillure qui sert aux aqueducs, regards, cloaques & pierrées, pour y travailler ; & aux fosses d'aisance, pour les vuider. (P)

CHASSIS, du latin cancelli, terme d'Architecture ; c'est la partie mobile de la croisée qui reçoit le verre ou les glaces, aussi-bien que la ferrure qui sert à le fermer. Voyez CROISEE. (P)

CHASSIS d'une maison, est synonyme à carcasse de charpente ; & c'est ainsi qu'on appelle tous les bois de la construction.

CHASSIS, en termes de Cirier ; c'est un petit coffre plus long que large, percé sur sa superficie pour recevoir la bassine sous laquelle on met le fourneau plein de feu. Voyez Pl. du Cirier, fig. 1.

CHASSIS dont se servent les Graveurs, est un assemblage de bois (fig. 16. Pl. B de la Grav.) sur lequel il y a des ficelles tendues ; & sur les bords du chassis & des ficelles, il y a des feuilles de papier collé & huilé. On met le chassis à la fenêtre, & incliné comme on le peut voir à la fig. 3. de la premiere Planche. Son effet est d'empêcher qu'on ne voye le brillant du cuivre, qui lorsqu'il est bien bruni, réfléchit la lumiere comme une glace, ce qui fatigueroit extrèmement la vûe.

CHASSIS, (Hydr.) est un assemblage de bois ou de fer qui se place au bas d'une pompe, pour pouvoir par le moyen de deux coulisses pratiquées dans un dormant de bois, laver au besoin, & visiter les corps de pompe. (K)

CHASSIS DE VERRE, (Jardinage) est un bâti de planches de la longueur ordinairement de dix-huit piés, qui est celle des plus longues planches ; on les emboîte par des rainures les unes sur les autres, pour ne former qu'un seul corps, & les lier avec des écrous. Ce chassis se met au-dessus d'une couche préparée, & se couvre par des chassis de verre de quatre piés en quarré, entretenus par des équerres de fer entaillées dans le bois : ils se soûtiennent par des traverses, & se posent un peu en pente, pour avoir plus de soleil & pour l'écoulement des eaux de pluie ; ou y met aussi des gouttieres de fer-blanc qui jettent l'eau dehors. On peut mastiquer les joints des chassis de verre, afin de les garantir de la pluie, de la neige, & des vents. On y éleve des ananas, des plantes étrangeres, & tout ce qu'on veut avancer. Quand on veut donner de l'air aux plantes, il y a des chassis de verre qu'on peut lever par le moyen des rainures, & qu'on remet le soir en place. Il faut peindre ces chassis en-dehors & les goudronner en-dedans, pour leur donner plus de durée.

CHASSIS, ustensile d'Imprimerie, est un assemblage de quatre tringles de fer plat, d'environ quatre à cinq lignes d'épaisseur sur huit à dix lignes de large, & dont la longueur détermine la grandeur du chassis. Ces quatre tringles, dont deux sont un peu plus longues que les deux autres, sont rivées à angle droit l'une à l'autre à leurs extrémités, & forment à-peu-près un quarré, partagé dans son milieu par une autre tringle de fer de la même épaisseur, & moins large que les autres. Quand cette tringle traverse le chassis dans sa largeur ou de haut-en-bas, c'est un chassis pour le format in-folio, l'in-quarto, l'in-octavo, & tous les autres formats imaginables. Quand cette même tringle traverse le chassis dans sa longueur ou de gauche à droite, on l'appelle chassis in-douze. Voyez les Planches de l'Imprimerie, & l'explication que nous en donnerons.

CHASSIS de clavier, des épinettes, & du clavecin, (Lutherie) est la partie de ces instrumens sur laquelle les touches sont montées. Il est composé de trois barres de bois, a b, C D, E F, & de deux traverses, a E, b F, assemblées les unes avec les autres. La barre C D qui est entre les deux autres, est couverte d'autant de pointes disposées sur deux rangées, qu'il doit y avoir de touches. Voyez CLAVIER. Les pointes b, b, b, &c. qui sont sur le devant, servent pour les touches diatoniques ; & les autres c, c, c, c, servent pour les chromatiques ou feintes : ces pointes entrent dans des trous qui sont à chaque touche.

Sur la barre a b qui est le fond du chassis, on calle une autre barre A B appellée diapason, divisée par autant de traits de scie e, e, e, perpendiculaires, qu'il y a de touches : ces traits de scie reçoivent les pointes qui sont aux extrémités des touches, ce qui les guide dans leurs mouvemens. Sur la partie de barre a b, qui n'est point recouverte par le diapason A B, on attache plusieurs bandes de lisiere d'étoffe de laine, a, b, pour que les touches en retombant ne fassent point de bruit : ce qui ne manqueroit pas d'arriver, si la barre de bois a b n'étoit point recouverte. Pour la même raison, on enfile sur les pointes de la barre C D, sur laquelle les touches font bascule, de petits morceaux de drap, sur lesquels les touches vont appuyer. Quant à la barre E F, c'est une regle de bois très-mince, dont l'usage est de contenir les deux côtés A E, B F du chassis. Les touches ne doivent point toucher à cette derniere barre. Voyez les Planches de Lutherie, fig. du clavecin.

Les chassis des clavecins qui ont deux claviers, sont à-peu-près semblables à celui des épinettes. Il n'y a que le second qui en différe, en ce que au lieu d'un diapason pour guider les touches, il a une barre E F garnie de pointes de fer, entre lesquelles les touches se meuvent. Voyez CLAVIER D'ORGUE & les Planches de Lutherie, fig. du clavecin.

CHASSIS DE LIT, est un ouvrage de menuiserie, sur lequel le serrurier monte les tringles qui portent les rideaux du lit, & le tapissier l'étoffe qui le garnit.

CHASSIS, (à la Monnoie) on en a deux pour faire un moule ; on les emplit séparément de sable humide, que l'on bat bien avec des battes sur les planches gravées en lames ; ensuite on les réunit, & on les serre avec la presse à moule & le coin. Voyez l'article FONDERIE EN CUIVRE.

CHASSIS : on appelle de ce nom à l'opéra, tout ouvrage de menuiserie, composé de quatre regles de bois assemblées, quarré, rond, ovale, ou de telle autre forme que l'usage qu'on en veut faire le demande ; qu'on couvre de toile, & qu'on peint ensuite pour remplir l'objet auquel on le destine. La ferme est un grand chassis. Voyez FERME. On dit le premier, le second, & le troisieme chassis : ce mot & celui de coulisse en ce sens, sont synonymes. Voyez COULISSE.

Les deux premiers chassis de chacun des côtés du théatre, ont pour l'ordinaire vingt-un piés de hauteur ; les cinq autres à proportion, selon la pente du théatre ou les gradations qu'on veut leur donner pour la perspective : ces gradations pour l'ordinaire sont de neuf pouces par chassis. Voyez PERSPECTIVE, DECORATION, PEINTURE, &c. (B)

CHASSIS, (faux) Voyez FAUX-CHASSIS. (B)

CHASSIS, (Dessein & Peinture) espece de quarré composé de quatre tringles de bois assemblées, dont l'espace intermédiaire est divisé par des fils en plusieurs petits quarrés semblables aux mailles d'un filet. Il sert à réduire les figures du petit au grand, & du grand au petit. Voyez REDUIRE.

L'on appelle encore chassis, les morceaux de bois sur lesquels l'on tend de la toile pour peindre. On en fait de toutes sortes de formes.

CHASSIS, terme de Plombier ; c'est ainsi que ces ouvriers appellent la bordure d'une table à couler le plomb. Cette bordure enferme le sable sur lequel on verse le plomb, & regle la largeur & la longueur qu'on veut donner à la piece qu'on coule. Les deux longues pieces du chassis se nomment les éponges : elles soûtiennent le rable à la hauteur convenable pour l'épaisseur qu'on veut donner à la table. Voyez EPONGES, & Pl. I. du Plombier.

CHASSIS, (Ruban.) ce sont quatre barres de bois assemblées à mortaises & tenons, qui s'emmortoisent dans les quatre piliers montans du métier, pour en faire le couronnement : c'est sur ce chassis que portent le battant, chatelet, porte-lisse, &c.


CHASSO(Hist. nat. Ichth.) Voyez CHABOT.


CHASSOIRES. m. terme de Tonnelier ; c'est un morceau de bois de chêne d'un demi pouce d'épaisseur, de sept ou huit pouces de longueur, & d'environ six pouces de largeur. Le tonnelier le pose par un bout sur les cerceaux qu'il veut chasser, & frappe sur l'autre avec un maillet pour faire avancer le cerceau, afin qu'il embrasse étroitement la futaille. Voyez TONNELIER ; voyez aussi nos figures.

CHASSOIRE, baguette des autoursiers. Voyez AUTOURSIERS.


CHASTAILS. m. ou CAPITAL, en fait de commande, (Jurispr.) est la somme à laquelle le bétail a été évalué entre le bailleur & le preneur, par le contrat. Cette estimation est ordinairement au-dessous du juste prix. Voyez Revel, sur les statuts de Bugey, pag. 202. & les mots COMMANDE & CHEPTEL. (A)


CHASTELS. m. (Jurispr.) dans plusieurs coûtumes signifie château. Dans celle de Chartres, art. 67, 71, & 78, il signifie le prix de la chose vendue. Ce mot vient d'acapitare qui veut dire acheter. Voyez Caseneuve, tr. du franc-aleu, pag. 256. & au mot CASTELET. (A)


CHASTETÉest une vertu morale par laquelle nous modérons les desirs déréglés de la chair. Parmi les appétits que nous avons reçus de la nature, un des plus violens est celui qui porte un sexe vers l'autre : appétit qui nous est commun avec les animaux, de quelque espece qu'ils soient ; car la nature n'a pas moins veillé à la conservation des animaux, qu'à celle de l'homme ; & à la conservation des animaux mal-faisans, qu'à celle des animaux que nous appellons bienfaisans. Mais il est arrivé parmi les hommes, cet animal par excellence, ce qu'on n'a jamais remarqué parmi les autres animaux ; c'est de tromper la nature, en joüissant du plaisir qu'elle a attaché à la propagation de l'espece humaine, & en négligeant le but de cet attrait ; c'est-là précisément ce qui constitue l'essence de l'impureté : & par conséquent l'essence de la vertu opposée consistera à mettre sagement à profit ce qu'on aura reçu de la nature, & à ne jamais séparer la fin des moyens. La chasteté aura donc lieu hors le mariage & dans le mariage : dans le mariage, en satisfaisant à tout ce que la nature exige de nous, & que la religion & les lois de l'état ont autorisé ; dans le célibat, en résistant à l'impulsion de la nature qui nous pressant sans égard pour les tems, les lieux, les circonstances, les usages, le culte, les coûtumes, les lois, nous entraîneroit à des actions proscrites.

Il ne faut pas confondre la chasteté avec la continence. Tel est chaste qui n'est pas continent ; & réciproquement, tel est continent qui n'est pas chaste. La chasteté est de tous les tems, de tous les âges, & de tous les états : la continence n'est que du célibat ; & il s'en manque beaucoup que le célibat soit un état d'obligation. Voyez CELIBAT. L'âge rend les vieillards nécessairement continens ; il est rare qu'il les rende chastes.

Voilà tout ce que la philosophie semble nous dicter sur la chasteté. Mais les lois de la religion chrétienne sont beaucoup plus étroites ; un mot, un regard, une parole, un geste, mal intentionnés, flétrissent la chasteté chrétienne : le chrétien n'est parvenu à la vraie chasteté, que quand il a su se conserver dans un état de pureté angélique, malgré les suggestions perpétuelles du démon de la chair. Tout ce qui peut favoriser les efforts de cet ennemi de notre innocence, passe dans son esprit pour autant d'obstacles à la chasteté : tels que les excès dans le boire & le manger, la fréquentation de personnes déréglées, ou même d'un autre sexe, la vûe d'un objet indécent, un discours équivoque, une lecture deshonnête, une pensée libre, &c. Voyez à CELIBAT, MARIAGE, & aux autres articles de cet Ouvrage, où l'on traite des devoirs de l'homme envers lui-même, ce qu'il faut penser de la chasteté.

CHASTETE, (Médecine) Voyez MARIAGE, Médecine ; & VIRGINITE, Médecine.


CHASTOISS. m. (Jurisprud.) Dans la coûtume de Lorraine, tit. jv. art. 8. chastois corporel signifie punition corporelle. Ce mot paroît venir de châtier, châtiment. (A)


CHASUBLES. f. (Hist. ecclésiast.) habillement ecclésiastique que le prêtre porte sur l'aube, quand il célebre la messe. Voyez AUBE. La chasuble des anciens différoit de la nôtre, en ce qu'elle étoit fermée de tous côtés, & que la nôtre a deux ouvertures pour passer les bras. Toute la portion de la chasuble ancienne, comprise depuis le bas jusqu'à la hauteur des bras, se retroussoit en plis sur les bras, à droite & à gauche. La chasuble a succédé à la chape, parce que la chape étoit incommode ; cependant les Orientaux continuoient de donner la préférence à la chasuble, quand ils célébroient dans nos églises. Quant aux chapes, elles descendoient originairement des manteaux ou robes des anciens ; voyez CHAPE : car les anciens n'usoient ni de chapes ni de chasubles. Il paroît que nos ornemens d'églises sont pour la plûpart les vêtemens mêmes ordinaires des premiers chrétiens, qu'on a conservés par respect, mais que les tems & la mode ont à la vérité fort défigurés ; car les anciens célebroient les mysteres avec leurs habits ordinaires ; c'est du moins le sentiment de plusieurs auteurs. Fleury, moeurs des Chrétiens.


CHATS. m. felis, catus, (Hist. nat.) animal quadrupede domestique, dont on a donné le nom à un genre de quadrupedes, felinum genus, qui comprend avec le chat des animaux très-sauvages & très-féroces. Celui-ci a sans-doute été préféré dans la dénomination, parce qu'y étant le mieux connu, il étoit le plus propre à servir d'objet de comparaison pour donner quelques idées du lion, du tigre, du léopard, de l'ours, &c. à ceux qui n'en auroient jamais vû. Il y a des chats sauvages ; on les appelle, en terme de chasse, chats-harests ; & il y a lieu de croire qu'ils le seroient tous, si on n'en avoit apprivoisé. Les sauvages sont plus grands que les autres ; leur poil est plus gros & plus long ; ils sont de couleur brune ou grise. Gesner en a décrit un qui avoit été pris en Allemagne à la fin de Septembre ; sa longueur depuis le front jusqu'à l'extrémité de la queue étoit de trois piés ; il avoit une bande noire le long du dos, & d'autres bandes de la même couleur sur les piés & sur d'autres parties du corps. Il y avoit une tache blanche assez grande entre la poitrine & le col ; le reste du corps étoit brun. Cette couleur étoit plus pâle, & approchoit du cendré sur les côtés du corps. Les fesses étoient rousses ; la plante des piés & le poil qui étoit à l'entour étoient noirs ; la queue étoit plus grosse que celle du chat domestique : elle avoit trois palmes de longueur, & deux ou trois bandes circulaires de couleur noire.

Les chats domestiques different beaucoup les uns des autres pour la couleur & pour la grandeur : la pupille de ces animaux est oblongue ; ils n'ont que vingt-huit dents, savoir douze incisives, six à la mâchoire supérieure & six à l'inférieure ; quatre canines, deux en-haut & deux em-bas, elles sont plus longues que les autres ; & dix molaires, quatre en-dessus & six en-dessous. Les mammelles sont au nombre de huit, quatre sur la poitrine & quatre sur le ventre. Il y a cinq doigts aux piés de devant, & seulement quatre à ceux de derriere.

En Europe, les chats entrent ordinairement en chaleur au mois de Janvier & de Février, & ils y sont presque toute l'année dans les Indes. La femelle jette de grands cris durant les approches du mâle, soit que sa semence la brûle, soit qu'il la blesse avec ses griffes. On prétend que les femelles sont plus ardentes que les mâles, puisqu'elles les préviennent & qu'elles les attaquent. M. Boyle rapporte qu'un gros rat s'accoupla à Londres avec une chatte ; qu'il vint de ce mélange des petits qui tenoient du chat & du rat, & qu'on les éleva dans la ménagerie du roi d'Angleterre. Les chattes portent leurs petits pendant cinquante-six jours, & chaque portée est pour l'ordinaire de cinq ou six petits, selon Aristote ; cependant il arrive souvent dans ce pays-ci qu'elles en font moins. La femelle en a grand soin ; mais quelquefois le mâle les tue. Pline dit que les chats vivent six ans ; Aldrovande prétend qu'ils vont jusqu'à dix, & que ceux qui ont été coupés vivent plus long-tems. On a quantité d'exemples de chats & de chattes qui sans être coupés ont vécu bien plus de dix ans.

Tout le monde sait que les chats donnent la chasse aux rats & aux oiseaux ; car ils grimpent sur les arbres, ils sautent avec une très-grande agilité, & ils rusent avec beaucoup de dextérité. On dit qu'ils aiment beaucoup le poisson ; ils prennent des lézards ; ils mangent des crapauds ; ils tuent les serpens, mais on prétend qu'ils n'en mangent jamais. Les chats prennent aussi les petits lievres, & ils n'épargnent pas même leur propre espece, puisqu'ils mangent quelquefois leurs petits.

Les chats sont fort caressans lorsqu'on les a bien apprivoisés ; cependant on les soupçonne toujours de tenir de la férocité naturelle à leur espece : ce qu'il y auroit de plus à craindre, lorsqu'on vit trop familierement avec des chats, seroit l'haleine de ces animaux, s'il étoit vrai, comme l'a dit Mathiole, que leur haleine pût causer la phthisie à ceux qui la respireroient. Cet auteur en rapporte plusieurs exemples. Quoi qu'il en soit, il est bon d'en avertir les gens qui aiment les chats au point de les baiser, & de leur permettre de frotter leur museau contre leur visage.

On a dit qu'il y avoit dans les Indes des chats sauvages qui voloient, au moyen d'une membrane qui s'étend depuis les piés de devant jusqu'à ceux de derriere, & qu'on avoit vû en Europe des peaux de ces animaux qui y avoient été apportées. Mais n'étoit-ce pas plutôt des peaux d'écureuil volant ou de grosse chauve-souris, que l'on prenoit pour des peaux de chats sauvages, de même que l'on a souvent donné l'opossum pour un chat ? Voyez Ald. de quad. digit. lib. III. cap. x. & xj. Voyez QUADRUPEDE. (I)

Les chats ont l'ouverture de la prunelle fendue verticalement ; & leurs paupieres traversant cette figure oblongue, peuvent fermer la prunelle si exactement qu'elle n'admet, pour ainsi dire, qu'un seul rayon de lumiere, & l'ouvrir si entierement, que les rayons les plus foibles suffisent à la vûe de ces animaux, par la grande quantité qu'elle en admet ; ce qui leur fournit une facilité merveilleuse de guetter leur proie. De cette maniere, cet animal voit la nuit, parce que sa prunelle est susceptible d'une extrème dilatation, par laquelle son oeil rassemble une grande quantité de cette foible lumiere, & cette grande quantité supplée à sa force.

Il paroît que l'éclat, le brillant, la splendeur qu'on remarque dans les yeux du chat, vient d'une espece de velours qui tapisse le fond de l'oeil, ou du brillant de la rétine, à l'endroit où elle entoure le nerf optique.

Mais ce qui arrive à l'oeil du chat plongé dans l'eau est d'une explication plus difficile, & a été autrefois dans l'académie des Sciences, le sujet d'une grande dispute. Voici le fait.

Personne n'ignore que l'iris est cette membrane de l'oeil qui lui donne les différentes couleurs qu'il a en différens sujets ; c'est une espece d'anneau circulaire dont le milieu, qui est vuide, est la prunelle, par où les rayons entrent dans l'oeil. Quand l'oeil est exposé à une grande lumiere, la prunelle se retrécit sensiblement, c'est-à-dire que l'iris s'élargit & s'étend : au contraire, dans l'obscurité, la prunelle se dilate, ou ce qui est la même chose, l'iris se resserre.

Or, on a découvert que si on plonge un chat dans l'eau, & que l'on tourne alors sa tête, desorte que ses yeux soient directement exposés à une grande lumiere, il arrive, 1°. que malgré la grande lumiere la prunelle de l'animal ne se retrécit point, & qu'au contraire elle se dilate ; & dès qu'on retire de l'eau l'animal vivant, sa prunelle se resserre ; 2°. que l'on apperçoit distinctement dans l'eau le fond des yeux de cet animal, qu'il est bien certain qu'on ne peut voir à l'air.

Pour expliquer le premier phénomene, M. Meri prétendit que le mouvement arrêté des esprits animaux, empêchoit le resserrement de la prunelle du chat dans l'eau ; & que le second phénomene arrivoit par la quantité de rayons, plus grande que reçoit un oeil, parce que sa cornée est applanie.

L'ouverture de la prunelle est plus grande dans l'eau, selon M. Meri ; parce que les fibres de l'iris sont moins remplies d'esprits animaux. L'oeil dans l'eau est plus éclairé ; parce que la cornée étant applanie & humectée par ce liquide, elle est pénétrable à la lumiere dans toutes ses parties.

M. de la Hire explique les deux phénomenes d'une façon toute différente.

1°. Il prétend au contraire, que le retrécissement de la prunelle est produit par le ressort des fibres de l'iris qui les allonge, & que sa dilatation est causée par le raccourcissement de ces mêmes fibres. 2°. Qu'il n'entre pas plus de lumiere dans les yeux, quand ils sont dans l'eau, que lorsqu'ils sont dans l'air exposés à ses rayons ; & que par conséquent ils ne doivent pas causer de retrécissement à l'iris. 3°. Que le chat plongé dans l'eau, étant fort inquiet & fort attentif à tout ce qui se passe autour de lui, cette attention & cette crainte tiennent sa prunelle plus ouverte ; car M. de la Hire suppose que le mouvement de l'iris, qui est presque toujours nécessaire, & n'a rapport qu'au plus ou moins de clarté, est en partie volontaire dans certaines occasions. 4°. M. de la Hire tâche de démontrer ensuite, que les réfractions qui se font dans l'eau élevent le fond de l'oeil du chat, & rapprochent cet objet des yeux du spectateur. 5°. Que la prunelle de l'animal étant plus ouverte, & par conséquent le fond de son oeil plus éclairé, il n'est pas étonnant qu'on l'apperçoive. 6°. Qu'un objet est d'autant mieux vû, que dans le tems qu'on le regarde il vient à l'oeil moins de lumiere étrangere : or quand on regarde dans l'eau la surface de l'oeil, on voit beaucoup moins de rayons étrangers que quand on le regarde à l'air, & par conséquent le fond de l'oeil du chat en peut être mieux apperçû.

On vient de voir en peu de mots les raisons de MM. Meri & de la Hire, dans leur contestation sur le chat plongé dans l'eau ; contestation qui partagea les académiciens, & qui a fourni de part & d'autre plusieurs mémoires également instructifs & curieux, qu'on peut lire dans le recueil de l'académie, années 1704, 1709, 1710, & 1712.

La structure des ongles des chats & des tigres, espece de chats sauvages, est d'un artifice trop particulier pour la passer sous silence. Les ongles longs & pointus de ces animaux se cachent & se serrent si proprement dans leurs pattes, qu'ils n'en touchent point la terre, & qu'ils marchent sans les user & sans les émousser, ne les faisant sortir que quand ils s'en veulent servir pour frapper & pour déchirer. Ces ongles ont un ligament qui par son ressort les fait sortir, quand le muscle qui est en-dedans ne tire point ; cet ongle est caché dans les entre-deux du bout des doigts, & ne sort dehors pour agriffer, que lorsque le muscle, qui sert d'antagoniste au ligament, agit : le muscle extenseur des doigts sert aussi à tenir l'ongle redressé, & le ligament fortifie son action. Les chats font agir leurs ongles ; pour attaquer ou se défendre, & ne marchent dessus que quand ils en ont un besoin particulier pour s'empêcher de glisser.

Leur talon, comme celui des singes, des lions, des chiens, n'étant pas éloigné du reste du pié, ils peuvent s'asseoir aisément, ou plutôt s'accroupir.

On demande pourquoi les chats, & plusieurs animaux du même genre, comme les foüines, putois, renards, tigres, &c. quand ils tombent d'un lieu élevé, tombent ordinairement sur leurs pattes, quoiqu'ils les eussent d'abord eu en-haut, & qu'ils dûssent par conséquent tomber sur la tête.

Il est bien sûr qu'ils ne pourroient pas par eux-mêmes se renverser ainsi en l'air, où ils n'ont aucun point fixe pour s'appuyer ; mais la crainte dont ils sont saisis leur fait courber l'épine du dos, de maniere que leurs entrailles sont poussées en en-haut ; ils allongent en même-tems la tête & les jambes vers le lieu d'où ils sont tombés, comme pour le retrouver ; ce qui donne à ces parties une plus grande action de levier. Ainsi leur centre de gravité vient à être différent du centre de figure, & placé au-dessus ; d'où il s'ensuit, par la démonstration de M. Parent, que ces animaux doivent faire un demi-tour en l'air, & retourner leurs pattes em-bas, ce qui leur sauve presque toujours la vie.

La plus fine connoissance de la méchanique ne feroit pas mieux en cette occasion, dit l'historien de l'académie, que ce que fait un sentiment de peur, confus, & aveugle. Hist. de l'acad. 1700.

Autre question de Physique : d'où vient qu'on voit luire le dos d'un chat, lorsqu'on le frotte à contre-poil ? C'est que les corps composés ou remplis de parties sulphureuses, luisent, quand ces parties sulphureuses sont agitées par le mouvement vital, le frottement, le choc, ou quelqu'autre cause mouvante. Au reste, ce phénomene n'est pas particulier au chat ; il en est de même du dos d'une vache, d'un veau, du cou du cheval, &c. & cela paroît sur-tout quand on les frotte dans le tems de la gelée. Voyez ELECTRICITE.

On sait que les chats sont de différentes couleurs ; les uns blancs, les autres noirs, les autres gris, &c. de deux couleurs, comme blancs & noirs, blancs & gris, noirs & roux : même de trois couleurs, noirs, roux, & blancs, que l'on nomme par cette raison tricolors. J'ai oüi dire qu'il n'y avoit aucun chat mâle de trois couleurs. Il s'en trouve encore quelques-uns qui tirent sur le bleu, & qu'on appelle vulgairement chats des chartreux ; peut-être, parce que ce sont les religieux de ce nom qui en ont eu des premiers de la race. Article communiqué par M(D.J.)

CHAT, (Matiere médicale). La plûpart des auteurs de matiere médicale rapportent diverses propriétés, que plusieurs médecins ont accordées aux différentes parties du chat, tant domestique que sauvage. La graisse de ces animaux, leur sang, leur fiente, leur tête, leur foie, leur fiel, leur urine distillée, leur peau, leur arriere-faix même porté en amulete, ont été célébrés comme des remedes admirables ; mais pas un de ces auteurs n'ayant confirmé ces vertus par sa propre expérience, on ne sauroit compter sur l'espece de tradition qui nous a transmis ces prétentions de livre en livre : au moins faut-il attendre, avant de préférer dans quelques cas ces remedes à tous les autres de la même classe, que leurs vertus particulieres soient confirmées par l'observation. Les voici pourtant ces prétendues vertus.

La graisse de chat sauvage amollit, échauffe, & discute ; elle est bonne dans les maladies des jointures ; son sang guérit l'herpe ou la gratelle. La tête de chat noir réduite en cendre, est bonne pour les maladies des yeux, comme pour l'onglet, la taie, l'albugo, &c. La fiente guérit l'alopécie, & calme les douleurs de la goutte.

On met sa peau sur l'estomac & sur les jointures, pour les tenir chaudement ; on porte au cou l'arriere-faix, pour préserver les yeux de maladie. L'énumération de ces vertus est tirée du dictionnaire de médecine de James, qui l'a prise de la pharmacologie de Dale, qui l'a copiée lui-même de Schroder, lequel cite à son tour Schwenckfelt & Misaldus, &c.

La continuation de la matiere médicale d'Herman recommande, d'après Hildesheim & Schmuck, d'avoir grand soin de choisir un chat mâle ou femelle, selon qu'on a un homme ou une femme à traiter. La graisse du mâle est un excellent remede contre l'épilepsie, la colique, & l'amaigrissement des parties d'un homme ; & celle de la femelle n'est pas moins admirable pour une femme dans le même cas. Le célebre Ettmuller semble avoir assez de confiance en ces remedes, dont il recommande l'usage, avec la circonstance de ce rapport de sexe. Voyez PHARMACOLOGISTE. (b)

CHAT, (Art méch.) Les Pelletiers apprêtent les peaux de chats, & en font plusieurs sortes de fourrure, mais principalement des manchons.

* CHAT, (Myth.) cet animal étoit un dieu très-révéré des Egyptiens : on l'adoroit sous sa forme naturelle, ou sous la figure d'un homme à tête de chat. Celui qui tuoit un chat, soit par inadvertance, soit de propos délibéré, étoit séverement puni. S'il en mouroit un de sa belle mort, toute la maison se mettoit en deuil, on se rasoit les sourcils, & l'animal étoit embaumé, enseveli, & porté à Bubaste dans une maison sacrée, où on l'inhumoit avec tous les honneurs de la sépulture ou de l'apothéose. Telle étoit la superstition de ces peuples, qu'il est à présumer qu'un chat en danger eût été mieux secouru qu'un pere ou qu'un ami, & que le regret de sa perte n'eût été ni moins réel ni moins grand. Les principes moraux peuvent donc être détruits jusque-là dans le coeur de l'homme : l'homme descend au-dessous du rang des bêtes, quand il met la bête au rang des dieux. Hérodote raconte que quand il arrivoit quelque incendie en Egypte, les chats des maisons étoient agités d'un mouvement divin ; que les propriétaires oublioient le danger où leurs personnes & leurs biens étoient exposés, pour considérer ce que les chats faisoient ; & que si malgré le soin qu'ils prenoient dans ces occasions de la conservation de ces animaux, il s'en élançoit quelques-uns dans les flammes, ils en menoient un grand deuil.

CHAT-POISSON, (Hist. natur.) Voyez ROUSSETTE.

CHAT-VOLANT, (Hist. natur.) Voyez CHAT & CHAUVE-SOURIS.

CHAT, (pierre de) Hist. nat. foss. c'est le nom qu'on donne en Allemagne à une espece de pierre du genre des calcaires, qui se trouve dans le comté de Stolberg : on s'en sert dans les forges pour purifier le fer, ou pour absorber la surabondance de soufre dont il est mêlé. Le nom allemand de cette pierre est katzenstein. (-)

* CHAT, s. m. (Ardois.) c'est le nom que ceux qui taillent l'ardoise donnent à celle qu'ils trouvent si dure & si fragile, à l'ouverture de l'ardoisiere, qu'elle ne peut être employée. Voyez l'article ARDOISE. Ils donnent aussi le même nom aux parties plus dures, qui se trouvent quelquefois dispersées dans l'ardoise, & qui empêchent la division. Ils appellent ces parties, de petits chats.

CHAT, s. m. (Marine) on donne ce nom à un bâtiment qui pour l'ordinaire n'a qu'un pont, & qui est rond par l'arriere, dont on se sert dans le Nord, & qui est d'une fabrique grossiere & sans aucun ornement ; mais d'une assez grande capacité, étant large de l'avant & de l'arriere. Ces bâtimens sont à plate varangue, & ne tirent pour l'ordinaire que quatre à cinq piés d'eau. On leur donne peu de quête à l'étrave & à l'étambord : les mâts sont petits & legers ; ils n'ont ni hune ni barre de hune, quoiqu'ils ayent des mâts de hune, & l'on amene les voiles sur le pont, au lieu de les ferler. La plûpart des voiles sont quarrées ; ils ont peu d'accastillage à l'arriere. La chambre du capitaine est suspendue, s'élevant en partie au-dehors, & l'autre partie tombe sous le pont, comme dans les galiotes. La barre du gouvernail passe sous la dunette ou chambre du capitaine ; mais elle n'a point de manivelle : elle sert seule à gouverner. Quelquefois on met à la barre du gouvernail une corde, avec laquelle on gouverne. En général le chat est un assez mauvais bâtiment & qui navige mal ; mais il contient beaucoup d'espace, & porte grande cargaison. La grandeur la plus commune du chat est d'environ cent vingt piés de longueur de l'étrave à l'étambord, vingt-trois à vingt-quatre piés de large, & douze piés de creux ; alors la quille doit avoir seize pouces de large, & quatorze pouces au moins d'épaisseur. On la fait le plus souvent de bois de chêne, & quelquefois de sapin. (Z)

CHAT, (Artill.) est un instrument dont on se sert dans l'Artillerie, pour examiner si les pieces de canon n'ont point de chambre ou de défaut. C'est un morceau de fer portant une, deux ou trois griffes fort aiguës, & disposées en triangle ; il est monté sur une hampe de bois. Les Fondeurs l'appellent le diable. Voyez EPREUVE. (Q)

CHAT d'un plomb, est une piece de cuivre ou de fer, ronde ou quarrée, au milieu de laquelle est un trou de la grosseur du cordeau du plomb : il doit être de la même largeur que la base du plomb, puisqu'il sert à connoître si une piece de bois est à-plomb ou non. Voyez la fig. 12. Planche des outils du Charpentier.

CHAT, à la Monnoie, est la matiere qui coule d'un creuset par accident ou par cassure.


CHAT-PARDS. m. catus pardus, animal quadrupede dont le nom & la figure ont fait croire qu'il étoit engendré par le mélange d'un léopard & d'une chatte, ou d'un chat & d'une panthere. Cette opinion a été soûtenue par les anciens, quoiqu'il y ait une grande différence entre ces deux sortes d'animaux pour leur grosseur & pour la durée du tems de leur portée. On a décrit dans les Mém. de l'acad. roy. des Sciences, un chat-pard qui n'avoit que deux piés & demi de longueur depuis le bout du museau jusqu'au commencement de la queue ; sa hauteur n'étoit que d'un pié & demi depuis le bout des pattes de devant jusqu'au haut du dos : la queue n'avoit que huit pouces de longueur. Il étoit à l'extérieur fort ressemblant au chat, excepté que sa queue étoit un peu moins longue, & que le cou paroissoit plus court, peut-être parce qu'il étoit extraordinairement gras. Le poil étoit un peu plus court que celui du chat, mais aussi gros à proportion de la longueur. Tout le corps de cet animal étoit roux, à l'exception du ventre & du dedans des jambes qui étoient de couleur isabelle, & du dessous de la gorge & de la mâchoire inférieure qui étoit blanc. Il y avoit sur la peau des taches noires de différentes figures ; elles étoient longues sur le dos, & rondes sur le ventre & sur les pattes, à l'extremité desquelles ces taches étoient fort petites, & placées près les unes des autres. Il y avoit des bandes fort noires qui traversoient les oreilles, qui étoient au reste très-semblables à celles du chat : elles avoient même la membrane double, qui forme une sinuosité au côté du dehors. Les poils de la barbe étoient plus courts que ceux du chat, & il n'y en avoit point de longs aux sourcils & aux joues. Ce chat-pard étoit mâle ; on trouva un défaut d'organes dans les parties de la génération, & on le regarda comme un vice de conformation particulier à ce sujet. On dit que cet animal n'est pas trop féroce, & qu'on l'apprivoise aisément. Mém. de l'acad. roy. des Sc. tom. III. part. I. Synop. anim. quad. Ray. Voyez QUADRUPEDES ; voyez aussi CHAT. (I)


CHATAIGNEsub. fém. fruit. Voyez CHATAIGNER.

CHATAIGNE DE MER, (Hist. nat.) Voyez OURSIN.


CHATAIGNERS. m. (Hist. nat.) castanea, genre d'arbre qui porte des chatons composés de plusieurs étamines qui sortent d'un calice à cinq feuilles, & attachées à un axe fort mince. Les fruits qui sont en forme de hérisson, naissent séparément des fleurs sur le même arbre ; ils sont arrondis & s'ouvrent en quatre parties, & renferment des chataignes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le chataigner (Jard.) est un grand arbre dont on fait beaucoup de cas ; bien plus cependant pour l'utilité qu'on en retire à plusieurs égards, que pour l'agrément qu'il procure. Il croît naturellement dans les climats tempérés de l'Europe occidentale, où il étoit autrefois plus commun qu'à présent. Il devient fort gros, & prend de la hauteur à proportion ; souvent même il égale les plus grands chênes. Sa tige est ordinairement très-droite, fort longue jusqu'aux branchages, & bien proportionnée ; les rameaux qui forment la tête de l'arbre ont l'écorce lice, brune, & marquetée de taches grises ; ils sont bien garnis de feuilles oblongues, assez grandes, dentelées en façon de scie, d'une verdure agréable, & qui donnent beaucoup d'ombrage. Il porte au mois de Mai des chatons qui sont de la longueur du doigt, & d'un verd jaunâtre. Les fruits viennent ordinairement trois ensemble, & séparément des chatons, dans une bourse hérissée de pointes, qui s'ouvre d'elle-même sur la fin de Septembre, tems de la maturité des chataignes.

Cet arbre par sa stature & son utilité, a mérité d'être mis au nombre de ceux qui tiennent le premier rang parmi les arbres forestiers ; & on est généralement d'accord que ce n'est qu'au chêne seul qu'il doit céder. Quoiqu'à quelques égards il ait des qualités qui manquent au chêne, l'accroissement du chataigner est du double plus promt ; il jette plus en bois ; il réussit à des expositions & dans des terreins moins bons, & il est moins sujet aux insectes.

Le bois du chataigner est de si bonne qualité qu'il fait regretter de ne trouver que rarement à-présent des forêts de cet arbre, qui étoit autrefois si commun. Nous voyons que les charpentes de la plûpart des anciens bâtimens sont faites de ce bois, sur-tout des poutres d'une si grande portée, qu'elles font juger qu'il auroit été extrèmement dispendieux & difficile de les faire venir de loin, & qu'on les a tirées des forêts voisines. Cependant on ne trouve plus cet arbre dans les forêts de plusieurs provinces, où il y a quantité d'anciennes charpentes de chataigner. Mais à quoi peut-on attribuer la perte de ces arbres, si ce n'est à l'intempérie des saisons, à des hyvers longs & rigoureux, ou à des chaleurs excessives accompagnées de grande sécheresse ? Ce dernier incident paroît plus probablement avoir été la cause de la perte des chataigners dans plusieurs contrées. Cet arbre se plaît sur les croupes des montagnes exposées au nord, dans les terreins sablonneux, & sur-tout dans les plants propres à retenir ou à recevoir l'humidité : ces trois circonstances indiquent évidemment que de longues sécheresses & de grandes chaleurs sont tout ce qu'il y a de plus contraire aux forêts de chataigner. Si l'on objectoit à cela qu'il se trouve encore à-présent une assez grande quantité de ces arbres dans des pays plus méridionaux que ceux où l'on présume que les chataigners ont été détruits, par la quantité qu'on y voit des charpentes du bois de cet arbre, & que par conséquent ce ne doit être ni la chaleur ni la sécheresse qui les ayent fait périr : on pourroit répondre que ces pays plus près du midi où il se trouve à-présent des chataigners, tels que les montagnes de Galice & les Pyrenées en Espagne, les Cévennes, le Limosin, le Vivarès, & le Dauphiné en France, & les côteaux de l'Appennin en Italie, sont plus à portée de recevoir de la fraîcheur & de l'humidité, que le climat de Paris par exemple, quoique beaucoup plus septentrional ; par la raison, que les neiges étant plus abondantes, & séjournant plus long-tems sur les montagnes des pays que nous venons de nommer, que par-tout ailleurs, entretiennent jusque bien avant dans l'été l'humidité qui est si nécessaire aux chataigners. Mais, dira-t-on, si ces arbres avoient été détruits par telles influences ou intempéries que ce puisse être, pourquoi ne se seroient-ils pas repeuplés par succession de tems, & dans des révolutions de saisons plus favorables, comme nous voyons qu'il arrive aux autres arbres de ce climat, qui s'y multiplient de proche en proche par des voies toutes simples ? Les vents, les oiseaux, & quelques animaux, chassent, transportent, & dispersent les semences aîlées, les baies, les glands, &c. & concourent plus efficacement que la main d'homme à étendre la propagation des végétaux. Mais je crois qu'on peut encore rendre raison de ce que la nature semble se refuser en effet au repeuplement du chataigner. Il faut à cet arbre une exposition & un terrein très-convenable, sans quoi il s'y refuse absolument ; ce qui arrive beaucoup moins aux autres arbres de ce climat, qui viennent presque dans tous les terreins indifféremment, avec cette différence seulement qu'ils font peu de progrès dans ceux qui leur conviennent moins ; au lieu que le chataigner en pareil cas dépérit sensiblement, même malgré les secours de la culture. A quoi on peut ajoûter que les végétaux ont, comme l'on sait, une sorte de migration qui les fait passer d'un pays à un autre, à mesure qu'ils se trouvent contrariés par les influences de l'air, par l'intempérie des saisons, par l'altération des terreins, ou par les changemens qui arrivent à la surface de la terre : en effet, c'est peut-être sur-tout par les grands défrichemens qui ont été faits, qu'en supprimant quantité de forêts, les vapeurs & les rosées n'ayant plus été ni si fréquentes, ni si abondantes, il en a résulté apparemment quelque déchet dans l'humidité qui est si favorable à la réussite & au progrès des chataigners. On voit cependant que dans quelques provinces septentrionales de ce royaume, la main d'homme est venue à-bout d'élever plusieurs cantons de chataigners, qui ont déjà réussi, ou qui promettent du progrès. Cet arbre mérite la préférence sur tant d'autres, qu'il faut espérer qu'on s'efforcera de le rétablir dans tous les terreins qui pourront lui convenir.

Exposition, terrein. La principale attention qu'on doive donner aux plantations de chataigners, est de les placer à une exposition & dans un terrein qui leur soient propres ; car si ce point manque, rien ne pourra y suppléer. Cet arbre aime les lieux frais, noirs, & ombrageux, les croupes des montagnes tournées au nord ou à la bise ; il se plaît dans les terres douces & noirâtres ; dans celles qui, quoique fines & legeres, ont un fond de glaise ; & mieux encore dans les terreins dont le limon est mêlé de sable ou de pierrailles. Il se contente aussi des terreins sablonneux, pourvû qu'ils soient humides, ou tout au moins qu'ils ayent de la profondeur : mais il craint les terres rouges, celles qui sont trop dures, & les marécages. Enfin il se refuse à la glaise & à l'argile, & il ne peut souffrir les terres jaunâtres & salées.

Lorsque ces arbres se trouvent dans un sol convenable, ils forment les plus belles futaies ; ils deviennent très-grands, très-droits, & extrèmement gros ; ils souffrent d'être plus serrés entr'eux que les chênes, & ils croissent du double plus promtement. Le chataigner est aussi très-bon à faire du bois taillis ; il donne de belles perches, & au bout de vingt ans il forme déjà de joli bois de service.

Semence des chataignes. On peut les mettre en terre dans deux tems de l'année ; en automne, aussi-tôt qu'elles sont en maturité ; ou au printems, dès qu'on peut cultiver la terre. Ces deux saisons cependant ont chacune leur inconvénient ; si on seme les chataignes en automne, qui seroit bien le tems le plus convenable, elles sont exposées à servir de nourriture aux rats, aux mulots, aux taupes, &c. qui en sont très-friands, & qui les détruisent presque entierement, sur-tout lorsqu'elles ont été semées en sillon, ce qui est néanmoins la meilleure pratique. Ces animaux suivent toutes les traces de la terre fraîchement remuée, & n'y laissent rien de ce qui peut les nourrir ; c'est ce qui détermine souvent à ne semer les chataignes qu'au printems ; & dans ce cas il faut des précautions pour les conserver jusqu'à cette saison. Si on n'en veut garder qu'une médiocre quantité, on les étend d'abord sur un grenier, où on les laisse pendant quinze jours suer & dissiper leur humidité superflue ; on les met ensuite entre des lits de sable alternativement dans des caisses ou manequins, qu'il faut resserrer dans un lieu sec & à couvert des gelées, d'où on ne les retirera que pour les semer aussitôt que la saison le permettra, dans le mois de Février ou au commencement de Mars : en différant davantage, les germes des chataignes deviendroient trop longs, tortus, & seroient sujets à se rompre en les tirant des manequins ou en les plantant. Mais si l'on veut en garder une quantité suffisante pour de grandes plantations, comme il seroit embarrassant en ce cas de les resserrer dans des manequins, on pourra les faire passer l'hyver dans un conservatoire en plein air : on les étendra d'abord pour cet effet dans un grenier, comme nous l'avons déjà dit, à mesure qu'on les rassemblera, pendant trois semaines ou un mois : pour se débarrasser après cela de celles qui sont infécondes, bien des gens veulent qu'il faille les éprouver en les mettant dans un baquet d'eau, où toutes celles qui surnageront seront rejettables, quoiqu'il soit bien avéré par l'expérience qui en a été faite, que de celles-là même il en a réussi le plus grand nombre. On fera rapporter sur un terrein sec un lit de terre meuble de deux ou trois pouces d'épaisseur, & d'une étendue proportionnée à la quantité des semences ; on y mettra ensuite un lit de chataignes de même épaisseur, & ainsi alternativement un lit de terre & un lit de chataignes, sur lesquelles il doit y avoir enfin une épaisseur de terre de six pouces au moins, pour empêcher la gelée, dont on se garantira encore plus sûrement en répandant de la grande paille par-dessus.

Plantations en grand. Sur la façon de faire ces plantations, nous rapporterons ce que Miller en a écrit. " Après avoir fait, dit-il, deux ou trois labours à la charrue pour détruire les mauvaises herbes, vous ferez des sillons à environ six piés de distance les uns des autres, dans lesquels vous mettrez les chataignes à dix pouces d'intervalle, & vous les recouvrirez d'environ trois pouces de terre : quand les chataignes auront levé, vous aurez grand soin de les nettoyer des mauvaises herbes ; & après trois ou quatre ans, si elles ont bien réussi, vous en enleverez plusieurs au printems, & ne laisserez que les plants qui se trouveront à environ trois piés de distance dans les rangées. Cet intervalle leur suffira pendant trois ou quatre ans encore, après lesquels vous pourrez ôter un arbre alternativement pour laisser de l'espace aux autres, qui se trouveront par ce moyen à six piés de distance. Ils pourront rester dans cet état jusqu'à ce qu'ils ayent huit ou dix ans, & qu'ils soient assez gros pour faire des cerceaux, des perches de houblonniere, &c. à quoi on doit l'employer préférablement à tous autres arbres. Alors vous couperez encore jusqu'auprès de terre une moitié de vos plants, en choisissant alternativement les plus foibles ; & tous les dix ans on pourra y faire une nouvelle coupe qui payera l'intérêt du terrein & les autres charges accessoires, sans compter qu'avec cela il restera une bonne quantité d'arbres destinés à venir en futaie, qui continueront de prendre de l'accroissement, & enfin assez de volume pour que l'espace de douze piés en quarré ne leur suffise plus : ainsi lorsque ces arbres seront de grosseur à en pouvoir faire de petites planches, vous porterez la distance à vingt-quatre piés quarrés, en abattant alternativement un arbre ; ce qui leur suffira alors pour les laisser croître, & pour donner de l'air au taillis, qui par ce moyen profitera considérablement ; & les coupes qu'on en fera payeront avec usure les dépenses faites pour la plantation, l'intérêt du terrein, & tous autres fraix ; desorte que tous les grands arbres qui resteront seront en pur profit. Je laisse à penser à tout le monde quel grand bien cela deviendroit pour un héritier au bout de quatre-vingt ans, qui est le tems où ces arbres auront pris leur entier accroissement ".

Il y a encore une façon de faire de grandes plantations de chataigners, que l'on pratique à-présent assez ordinairement, & dont on se trouve mieux que de semer les chataignes dans des sillons. On fait des trous moyens à des distances à-peu-près uniformes, & qui se reglent selon la qualité du terrein ; on plante ensuite trois ou quatre chataignes sur le bord de chaque trou, dans la terre meuble qui en est sortie : deux ou trois ans après, on peut faire arracher les plants foibles & superflus, & en hasarder la transplantation dans les places vuides, où il faudra les couper ensuite à un pouce au-dessus de terre. La raison qui a fait imaginer & préférer cette méthode, est sensible. Les plantations de chataigner se font ordinairement dans des terreins sablonneux, comme les plus convenables en effet, & ceux en même tems qui ont le plus besoin qu'on y ménage l'humidité possible ; les chataignes d'ailleurs veulent trouver quelque facilité la premiere année pour lever & faire racine. Les trous dont on vient de parler, réunissent ces avantages ; la terre meuble qui est autour fait mieux lever les chataignes ; & le petit creux qui se trouve à leur portée, favorise le progrès des racines qui cherchent toûjours à pivoter, & leur procurer de la fraîcheur en rassemblant & en conservant l'humidité.

Semence des chataignes en pepiniere, transplantation. Quand on n'a que de petites plantations à faire, qui peuvent alors être mieux soignées, on seme les chataignes en rayon dans de la terre meuble, préparée à l'ordinaire & disposée en planches ; on laisse six pouces de distance entre les rayons, & on y met les chataignes à quatre pouces les unes des autres, & à trois de profondeur. En leur supposant ensuite les soins usités de la culture, on pourra au bout de deux ans les mettre en pepiniere, en rangées de deux à trois piés de distance, & les plants au moins à un pié l'un de l'autre. Le mois d'Octobre sera le tems le plus propre à cette opération dans les terreins secs & legers ; & la fin de Février, pour les terres plus fortes & un peu humides. Les dispositions qui doivent précéder, seront d'arracher les plants avec précaution, d'étêter ceux qui se trouveront foibles ou courbes, & de retrancher le pivot à ceux qui en auront un. La culture que ces plants exigeront ensuite pendant leur séjour dans la pépiniere, sera de leur donner un leger labour au printems, de les sarcler au besoin dans l'été, de leur retrancher peu-à-peu les branches latérales, & de receper à trois pouces au-dessus de terre ceux qui seront rafaux ou languissans, pour les faire repousser vigoureusement. Après trois ou quatre ans, on pourra les employer à former des avenues, à faire du couvert, ou à garnir des bosquets. Ces arbres, ainsi que le chêne & le noyer, ne gagnent jamais à la transplantation, qu'il faut éviter au contraire si l'on se propose de les laisser croître en futaie ; parce que le chataigner a le pivot plus gros & plus long qu'aucun autre arbre ; & comme il craint de plus le retranchement des branches un peu grosses, on doit se dispenser autant qu'il se peut de les étêter en les transplantant.

Greffe. Si l'on veut cultiver le chataigner pour en avoir de meilleur fruit, il faut le greffer ; & alors on l'appelle marronnier. La façon la plus en usage d'y procéder, a été pendant long-tems la greffe en flûte ; parce qu'en effet cette greffe réussit mieux sur le chataigner que sur aucun autre arbre : mais comme l'exécution en est difficile & souvent hasardée, la greffe en écusson est à-présent la plus usitée pour cet arbre, sur lequel elle réussit mieux à la pousse qu'à oeil dormant. On peut aussi y employer la greffe en fente, qui profite très-bien quand elle reprend ; mais cela arrive rarement.

Le chataigner peut encore se multiplier de branches couchées ; cependant on ne se sert guere de ce moyen, que pour se procurer des plants d'arbres étrangers de son espece.

Usages du bois. C'est un excellent bois de charpente & le meilleur de tous après le chêne, dont il approche néanmoins de fort près pour la masse, le volume, & la qualité du bois, quoique blanc & d'une dureté médiocre ; on y distingue tout de même le coeur & l'aubier. Pour bien des usages, il est aussi bon que le meilleur chêne ; & pour quelques cas, il est même meilleur, comme pour des vaisseaux à contenir toutes sortes de liqueurs : car quand une fois il est bien saisonné, il a la propriété de se maintenir au même point sans se gonfler ni se gerser, comme font presque tous les autres bois. Celui du chataigner est d'un très-bon usage pour toutes sortes de gros & menus ouvrages ; on l'employe à la menuiserie, on en fait de bon mairrein, des palissades, des treillages, & des échalas pour les vignes, qui étant mis en oeuvre même avec leur écorce, durent sept ans, au lieu que tout autre bois ne s'y soûtient que la moitié de ce tems : on en fait aussi des cercles pour les cuves & les tonneaux ; on s'en sert pour la sculpture ; enfin on peut l'employer à faire des canaux pour la conduite des eaux : il y résiste plus long-tems que l'orme & que bien d'autres arbres. Mais ce bois n'est pas comparable à celui du chêne pour le chauffage, pour la qualité du charbon, & encore moins pour celle des cendres. Le bois du chataigner petille au feu & rend peu de chaleur ; son charbon s'éteint promtement, ce qui a néanmoins son utilité pour les ouvriers qui se servent des forges ; & si on employe ses cendres à la lessive, le linge en est taché sans remede.

Chataignes. Le fruit de cet arbre est d'une très-grande utilité ; le climat contribue beaucoup à lui donner de la qualité, & sur-tout de la grosseur. Les chataignes de Portugal sont plus grosses que les nôtres, & celles d'Angleterre sont les plus petites. On prétend que pour qu'elles se conservent longtems, il faut les abattre de l'arbre avant qu'elles tombent d'elles-mêmes. La récolte n'en est pas égale chaque année ; ces arbres ne produisent abondamment du fruit que de deux années l'une : on le conserve en le mettant par lits dans du sable bien sec, dans des cendres, dans de la fougere, ou en le laissant dans son brou. Les montagnards vivent tout l'hyver de ce fruit, qu'ils font sécher sur des claies, & qu'ils font moudre après l'avoir pelé pour en faire du pain, qui est nourrissant, mais fort lourd & indigeste. Voyez ci-après CHATAIGNES.

Feuilles. Une belle qualité de cet arbre, c'est qu'il n'est nullement sujet aux insectes, qui ne touchent point à ses feuilles tant qu'ils trouvent à vivre sur celles des autres arbres ; apparemment parce que la feuille du chataigner est dure & seche, ou moins de leur goût. Les pauvres gens des campagnes s'en servent pour garnir les lits au lieu de plume ; & quand on les ramasse aussitôt qu'elles sont tombées de l'arbre & avant qu'elles soient mouillées, on en fait de bonne litiere pour le bétail.

On connoît encore d'autres especes de cet arbre, & quelques variétés.

Le marronnier n'est qu'une variété occasionnée par la greffe, qui perfectionne le fruit en lui donnant plus de grosseur & plus de goût : du reste l'arbre ressemble au chataigner. Les marronniers ne réussissent bien en France que dans les montagnes de la partie méridionale, comme dans les Cévennes, le Vivarès, & le Dauphiné, d'où on les porte à Lyon ; c'est ce qui les fait nommer marrons de Lyon. Voyez MARRON.

Le marronnier à feuilles panachées ; c'est un fort bel arbre dans ce genre, pour ceux qui aiment cette sorte de variété, qui n'est occasionnée que par une espece de maladie de l'arbre ; aussi ne s'éleve-t-il dans cet état jamais autant que les autres marronniers. On peut le multiplier par la greffe en écusson, & encore mieux en approche sur le chataigner ordinaire. Il lui faut un terrein sec & leger pour faire durer la bigarrure de ses feuilles, qui fait tout son mérite : car dans un meilleur terrein, l'arbre reprend sa vigueur, & le panaché disparoît peu-à-peu.

Le petit chataigner à grappes : on croit que ce n'est qu'une variété accidentelle du chataigner ordinaire, & non pas une espece distincte & constante. Miller dit qu'il ne vaut pas la peine d'être cultivé ; & au rapport de Ray, sa chataigne qui n'est pas plus grosse qu'une noisette, est de mauvais goût.

Le chataigner de Virginie ou le chinkapin. Le chinkapin, quoique très-commun en Amérique, est encore fort rare, même en Angleterre, où cependant on est si curieux de faire des collections d'arbres étrangers : aussi je n'en parlerai que d'après Catesby & Miller ; ce n'est pas que cet arbrisseau soit délicat ou absolument difficile à élever : mais sa rareté vient du défaut de précaution dans l'envoi des graines qu'on néglige de mettre dans du sable, pour les conserver pendant le transport. Le chinkapin s'éleve rarement en Amérique à plus de seize piés, & pour l'ordinaire il n'en a que huit ou dix ; il prend par proportion plus de grosseur que d'élévation : on en voit souvent qui ont deux piés de tour. Il croît d'une façon fort irréguliere ; son écorce est raboteuse & écaillée ; ses feuilles d'un verd foncé en-dessus & blanchâtres en-dessous, sont dentelées & placées alternativement : elles ressemblent d'ailleurs à celles de notre chataigner, si ce n'est qu'elles sont beaucoup plus petites. Il porte au printems des chatons assez semblables à ceux du chataigner ordinaire. Il produit une très-grande quantité de chataignes d'une figure conique, de la grosseur des noisettes, & de la même couleur & consistance que les autres chataignes ; l'arbrisseau les porte par bouquets de cinq ou six qui pendent ensemble, & qui ont chacune leur enveloppe particuliere : elles mûrissent au mois de Septembre, elles sont douces & de meilleur goût que nos chataignes ; les Indiens qui en font grand usage, les ramassent pour leur provision pendant l'hyver. Le chinkapin est si robuste, qu'il résiste en Angleterre aux plus grands hyvers en pleine terre ; il craint au contraire les grandes chaleurs qui le font périr, sur-tout s'il se trouve dans un terrein fort sec ; il se plaît dans celui qui est médiocrement humide ; car si l'eau y séjournoit long-tems pendant l'hyver, cela pourroit le faire périr. Il n'est guere possible de le multiplier autrement que de semences qu'il faut mettre en terre aussitôt qu'elles sont arrivées ; & si l'hyver qui suivra étoit rigoureux, il sera à-propos de couvrir la terre avec des feuilles, du tan, ou du chaume de pois, pour empêcher la gelée d'y pénétrer au point de gâter les semences. On a essayé de le greffer en approche sur le chataigner ordinaire ; mais il réussit rarement par ce moyen.

Le chataigner d'Amérique à larges feuilles & à gros fruit. La découverte de cet arbre est dûe au P. Plumier, qui l'a trouvé dans les établissemens françois de l'Amérique. Cet arbre n'est point encore commun en France, & il est extrèmement rare en Angleterre : on peut s'en rapporter à Miller, qui n'a parlé de cet arbre que dans la sixieme édition de son dictionnaire, qui a paru en 1752, où il dit qu'il n'a encore vû que trois ou quatre jeunes plants de cet arbre qui n'avoient fait qu'un très-petit progrès ; qu'on peut faire venir de la Caroline, où il croît en abondance, des chataignes, qu'il faudra semer comme celles de chinkapin, & soigner de même, & qu'elles pourront réussir en plein air dans une situation abritée : qu'au surplus, cet arbre ne differe du chataigner ordinaire, que parce qu'il y a quatre chataignes renfermées dans chaque bourse ; au lieu que l'espece commune n'en a que trois : que la bourse ou enveloppe extérieure qui renferme les quatre chataignes, est en effet très-grosse & si épineuse, qu'elle est aussi incommode à manier que la peau d'un hérisson ; & que ces chataignes sont très-douces & fort saines, mais pas si grosses que les nôtres. (c)


CHATAIGNERAYES. f. (Jardin.) est un lieu planté de chataigners. Voyez CHATAIGNERS. (K)


CHATAIGNESS. f. (Diete, Mat. méd.) Les chataignes sont la richesse de plusieurs peuples parmi nous ; elles les aident à vivre. On les fait cuire tout entieres dans de l'eau, ou bien on les rôtit dans une poële de fer ou de terre percée à la flamme du feu, ou on les met sous les charbons ou dans la cendre chaude ; mais avant que de les faire rôtir sous les charbons ou dans les cendres chaudes, on les coupe legerement avec un couteau. Quelques-uns préferent cette derniere maniere de les rôtir : car dans la poële elles ne se rôtissent qu'à demi, ou elles contractent une odeur de fumée & une saveur empyreumatique. On sert dans les meilleures tables, au dessert, les marrons rôtis sous la cendre ; on les pele ensuite, & on les enduit de suc d'orange, ou de limon avec un peu de sucre. Les marrons de Lyon sont fort estimés en France à cause de leur grosseur & de leur bon goût : ce ne sont pas seulement ceux qui naissent aux environs de Lyon, mais encore ceux qui viennent du Dauphiné, où il en croît une grande abondance. Les marchands les portent dans cette ville, d'où on les transporte dans les autres provinces.

Les chataignes tiennent lieu de pain à plusieurs peuples, sur-tout à ceux du Périgord, du Limosin, & des montagnes des Cévennes.

De quelque maniere qu'on prépare les chataignes, elles causent des vents, & sont difficiles à digérer : elles fournissent à la vérité une abondante nourriture, mais grossiere, & elles ne conviennent qu'à des gens robustes & accoûtumés à des travaux durs & pénibles. Il ne faut donc pas s'en rassasier ; car elles nuisent fort à la santé, si on n'en use avec modération, & sur-tout à ceux qui sont sujets au calcul des reins, aux coliques, & à l'engorgement des visceres. Elles sont astringentes, sur-tout lorsqu'elles sont crues, aussi-bien que la membrane roussâtre qui couvre immédiatement la substance de la chataigne ; elles arrêtent les fluxions de l'estomac & du bas-ventre, & elles sont utiles à ceux qui crachent le sang.

On fait un électuaire utile pour la toux & le crachement de sang, avec la farine crue de la substance de la chataigne cuite avec du miel, & pétrie avec du soufre. Les chataignes bouillies, ou leur écorce seche & en poudre, sont utiles pour la diarrhée. On recommande la membrane intérieure rougeâtre, pour les flux de ventre & les hémorrhagies ; bouillie dans de l'eau ou du vin, à la dose de deux gros, mêlée avec un poids égal de rapure d'ivoire, elle arrête les fleurs-blanches. On fait avec les chataignes & les graines de pavot blanc, une émulsion avec la décoction de réglisse, qui est utile dans les ardeurs d'urine.

On fait un cataplasme avec la substance de la chataigne, la farine d'orge, & le vinaigre, que l'on applique sur les mammelles pour en résoudre les duretés, & dissoudre le lait qui est coagulé. Geoffroi, Mat. méd.

Ajoûtons, d'après l'observation, que les chataignes sont très-propres à rétablir les convalescens des maladies d'automne, & sur-tout les enfans qui après ces maladies restent bouffis, pâles, maigres, avec un gros ventre, peu d'appétit, &c. à peu-près comme les raisins ramenent la santé dans les mêmes cas après les maladies d'été. Car dans les pays où le peuple mange beaucoup de chataignes, sans cependant qu'elles y fassent leur principal aliment, il est ordinaire de voir les malades dont nous avons parlé, se rétablir parfaitement à la fin de l'automne ; apparemment en partie par l'influence de la saison, mais évidemment aussi par l'usage des chataignes : car plusieurs médecins les ont ordonnées dans cette vûe avec succès.

J'ai vû plusieurs fois ordonner, comme un béchique adoucissant très-salutaire, les chataignes préparées en forme de chocolat ; mais on ne voit pas quel avantage cette préparation pourroit avoir sur les chataignes bouillies, bien mâchées & délayées dans l'estomac par une suffisante quantité de boisson, sinon qu'elle ressemble plus à un médicament, que les malades veulent être drogués, & que quelques médecins croyent avoir métamorphosé des alimens en remedes, lorsqu'ils les ont prescrits sous une forme particuliere ; ou même sans y chercher tant de finesse, lorsqu'ils les ont ordonnés comme curatifs dans une maladie. Ceci est sur-tout très-vrai des prétendus incrassans, parmi lesquels les chataignes tiennent un rang distingué. Voyez INCRASSANT.

Les marrons bouillis sont beaucoup plus faciles à digérer que les rôtis, & par conséquent ils sont plus sains : ce n'est qu'apprêtés de la premiere façon, qu'on peut les ordonner aux malades ou aux convalescens.

Les chataignes séchées, connues sous le nom de chataignes blanches, ou de castagnous en langage du pays dans les provinces méridionales du royaume, où elles sont fort communes, se préparent dans les Cévennes & dans quelques pays voisins. Une circonstance remarquable de cette préparation, qui d'ailleurs n'a rien de particulier, c'est qu'on fait prendre aux chataignes avant que de les exposer au feu, un leger mouvement de fermentation ou de germination, qui leur donne une douceur très-agréable : dans cet état, elles different des chataignes fraîches exactement, comme le grain germé ou le malt differe du même grain mûr & inaltéré ; aussi y a-t-il tout lieu de conjecturer qu'elles seroient très-propres à fournir une bonne biere. Les habitans des pays montagneux qui n'ont ni raisin ni grain, mais beaucoup de chataignes, & qui ne sont pas à portée, comme les Cévennes, le Rouergue, &c. de tirer du vin à peu de fraix des provinces voisines, pourroient tirer parti de cette propriété de leurs chataignes. (b)


CHATAINadj. nuance du poil bai, tirant sur la couleur des chataignes. Voyez BAI.


CHATE-LEVANTCHATE-PRENANT, (Jurisprud.) c'étoit une clause qui se mettoit anciennement dans les contrats au pays Messin, par laquelle on donnoit pouvoir à ceux qui prenoient des fonds à gagiere ou à mort-gage, d'en prendre & percevoir tous les fruits. Voyez M. Ancillon, dans son traité des gagieres, p. 10. (A)


CHATEAUS. m. terme d'Architecture, est un bâtiment royal ou seigneurial situé à la campagne, & anciennement fortifié de fossés, pont-levis, &c. Aujourd'hui on n'y en admet que lorsque le terrein en semble exiger, qu'on a de l'eau abondamment qui tourne tout-autour, comme à celui de Chantilli, ou seulement pour la décoration, comme à celui de Maisons : ce qui donne occasion de pratiquer les cuisines & offices au-dessous du rez-de-chaussée ; cependant la plûpart de ceux où se fait la résidence de nos rois en France n'en ont point, & conservent ce nom sur-tout lorsque ces demeures sont à la campagne & non dans les capitales ; car on dit communément, le château de Versailles, de Trianon, de Marly, de Meudon, &c. au lieu qu'on dit, palais du Luxembourg, palais des Tuileries, pour désigner une maison royale.

CHATEAU D'EAU, est un bâtiment ou pavillon qui differe du regard, en ce qu'il contient un réservoir & qu'il peut être décoré extérieurement, comme est celui du palais royal à Paris, ceux de Versailles & de Marly. Il seroit assez important que ces sortes d'édifices, lorsqu'ils font partie de la décoration d'une capitale, fussent susceptibles de quelque ordonnance relative à leurs usages, & enrichis de nappes d'eau, de cascades, qui tout ensemble décoreroient la ville, & serviroient de décharge au réservoir.

On appelle aussi château d'eau, un bâtiment qui dans un parc est situé dans un lieu éminent, décoré avec magnificence, & dans lequel sont pratiquées plusieurs pieces pour prendre le frais : il sert aussi à conduire de l'eau, qui après s'être élevée en l'air & avoir formé spectacle, se distribue dans un lieu moins élevé, & forme des cascades, des jets, des bouillons & des nappes ; tel qu'on peut le remarquer dans le dessein de nos Planches d'Architecture, dont la dépense ne peut avoir lieu que dans une maison royale. On voit dans cette Planche le plan du château d'eau & de la cascade. (P)

CHATEAU, dans le sens des modernes, est un lieu fortifié par nature ou par art, dans une ville ou dans un pays, pour tenir le peuple dans son devoir, ou résister à l'ennemi. Voyez FORTERESSE & PLACE FORTIFIEE.

Un château est une petite citadelle. Voyez CITADELLE. (Q)

CHATEAU (Jurisprudence) en matiere féodale, est le principal manoir du fief. Ce titre ne convient néanmoins exactement qu'aux maisons des seigneurs châtelains, c'est-à-dire de ceux qui ont justice avec titre de châtellenie, ou au moins à ceux qui ont droit de justice, ou qui ont une maison forte, revêtue de fossés & de tours.

En succession de fief, le château appartient par préciput à l'aîné mâle. Telle est le droit commun du pays coûtumier.

Il y a des seigneurs qui peuvent obliger leurs vassaux & sujets de faire le guet & monter la garde pour la défense du château, en tems de guerre, & de contribuer aux fortifications, ce qui dépend des titres & de la possession. Voyez Despeisses, tr. des droits seigneuriaux, tome III. tit. vj. sect. 4 & 5.

Il n'y avoit anciennement que les grands vassaux de la couronne qui eussent droit de bâtir des châteaux ou maisons fortes ; ils communiquerent ensuite ce droit à leurs vassaux, & ceux-ci à leurs arriere-vassaux.

Suivant la disposition des coûtumes & la jurisprudence des arrêts, personne ne peut bâtir château ou maison forte dans la seigneurie d'un seigneur châtelain, sans sa permission ; & il faut de plus aujourd'hui la permission du Roi. Voyez ci-après CHATELAIN, & le gloss. de Lauriere, au mot châtelain. (A)

CHATEAU, (Marine) On nomme ainsi l'élevation qui est au-dessus du pont, soit à l'avant ou à l'arriere du vaisseau.

Château d'avant, c'est l'élévation ou l'exhaussement qui est au-dessus du dernier pont, à l'avant du vaisseau, qu'on nomme aussi château de proue & gaillard d'avant. Voyez Planche I. Marine, fig. 1. La lettre L indique le château d'avant.

Le château d'arriere, ou château de poupe, c'est toute la partie de l'arriere du vaisseau où sont la sainte-barbe, le timon, le gaillard, la chambre du conseil, celle du capitaine, &c. & la dunette. Voyez la fig. citée ci-dessus, où le château de poupe est marqué par la lettre H. On peut encore voir la coupe des châteaux d'arriere & d'avant. Planche IV. figure 1. (Z)

CHATEAU, (Géog.) petite ville de France en Anjou. Long. 17. 58. lat. 47. 40.

CHATEAU-BRIANT, (Géog.) petite ville de France dans la province de Bretagne, sur les frontieres de l'Anjou. Long. 16. 15. lat. 47. 40.

CHATEAU-CHINON, (Géog.) petite ville de France dans le Nivernois, capitale du Morvant. Long. 21. 23. lat. 47. 2.

CHATEAU-DAUPHIN, (Géog.) forteresse considérable d'Italie en Piémont. Long. 24. 50. latit. 44. 35.

CHATEAU-D'OLERON, (Géog.) ville de France, capitale de l'île d'Oleron, dans la mer de Guienne.

CHATEAU-DU-LOIR, (Géog.) petite ville de France dans le Maine, sur le Loir. Long. 18. latit. 47. 40.

CHATEAU-DUN, (Géog.) ville de France dans l'Orléanois, capitale du Dunois, près du Loir. Long. 19d. 0'. 2". lat. 48d. 4'. 12".

CHATEAU-GONTIER, (Géog.) ville de France en Anjou, sur la Mayenne. Long. 16. 54. lat. 47. 47.

CHATEAU-LANDON, (Géog.) petite ville de France au Gâtinois, près du ruisseau de Fusin.

CHATEAU-MEILLANT, (Géog.) petite ville ou bourg de France en Berri, près d'Yssoudun.

CHATEAU-NEUF, (Géog.) Il y a plusieurs villes de ce nom en France ; la 1ere dans le Perche ; la 2e dans l'Angoumois ; la 3e. dans le Berri ; la 4e. près d'Angers, sur la Sarte ; la 5e dans le Lyonnois, qui est la capitale du Valromey.

CHATEAU-PORTIEN, (Géog.) petite ville de France en Champagne, dans une partie du Rethelois appellé Portien, sur l'Aine. Long. 21. 58. lat. 49. 35.

CHATEAU-RENARD, (Géog.) petite ville de France dans le Gâtinois. Long. 20. 18. lat. 48.

CHATEAU-RENAUD, (Géog.) ville de France en Touraine. Long. 18. 26. lat. 47. 22.

CHATEAU-ROUX, (Géog.) ville de France en Berri, avec titre de duché-pairie, sur l'Indre. Long. 19d. 22'. 10". lat. 46d. 48'. 45".

CHATEAU-SALINS, (Géog.) petite ville de France en Lorraine, remarquable par ses salines.

CHATEAU-THIERRI, (Géog.) ville de France en Champagne, avec titre de duché-pairie, sur la Marne. Long. 21. 8. lat. 49. 12.

CHATEAU-TROMPETTE, (Géog.) forteresse de France en Guienne, qui commande le port de la ville de Bordeaux.

CHATEAU-VILAIN, (Géog.) petite ville de France en Champagne, avec titre du duché-pairie, sur la riviere d'Anjou. Long. 22. 34. lat. 48.


CHATEou CHATé, (Géog.) petite ville de Lorraine, dans le pays des Vôges, sur la Moselle.

CHATEL-AILLON, (Géog.) ancienne ville maritime de France dans la Saintonge, près de la Rochelle.

CHATEL-CHALON, (Géog.) petite ville de France en Franche-Comté.


CHATELAINS. m. (Jurisp.) On appelle seigneur châtelain celui qui a droit d'avoir un château & maison forte, revêtue de tours & de fossés, & qui a justice avec titre de châtellenie. On appelle aussi châtelain le juge de cette justice. Châtelain royal est celui qui releve immédiatement du roi, à la différence de plusieurs châtelains qui relevent d'autres châtelains, ou d'une baronie, ou autre seigneurie titrée. Voyez ci-devant CHATEAU.

L'origine des châtelains vient de ce que les ducs & comtes, ayant le gouvernement d'un territoire fort étendu, préposerent sous eux, dans les principales bourgades de leur département, des officiers qu'on appella castellani, parce que ces bourgades étoient autant de forteresses appellées en latin castella.

La plûpart de ces châtelains n'étoient dans l'origine que des concierges auxquels nos rois, pour récompense de leur fidélité, donnerent en fief les châteaux dont ils n'avoient auparavant que la garde. Ces châtelains abusant de leur autorité, furent tous destitués par Philippe-le-Bel & Philippe-le-Long en 1310, 1316, suivant des lettres rapportées dans le gloss. de M. de Lauriere, au mot châtelain.

La fonction de ces châtelains étoit non-seulement de maintenir leurs sujets dans l'obéissance, mais aussi de leur rendre la justice, qui alors étoit un accessoire du gouvernement militaire. Ainsi, dans l'origine, ces châtelains n'étoient que de simples officiers.

Faber, sur le tit. de vulg. substit. aux inst. les appelle judices foranei. Ils n'avoient ordinairement que la basse-justice ; & dans le pays de Forès, il y a encore des juges châtelains qui n'ont justice que jusqu'à 60 sols, comme on voit dans les arrêts de Papon, tit. de la jurisdiction des châtelains de Forès. Il en est de même des châtelains de Dauphiné, suivant le chap. j. des statuts, tit. de potest. castellan, & Guypape, decis. 285 & 626. Les coûtumes d'Anjou, Maine, & Blois, disent aussi que les juges de la justice primitive des seigneurs châtelains, n'ont que basse-justice.

On donna aussi en quelques provinces le nom de châtelains aux juges des villes, soit parce qu'ils étoient capitaines des châteaux, ou parce qu'ils rendoient la justice à la porte ou dans la basse-cour du château. Ces châtelains étoient les juges ordinaires de ces villes, & avoient la moyenne justice, comme les vicomtes, prevôts, ou viguiers des autres villes ; & même en plusieurs grandes villes ils avoient la haute-justice.

Les châtelains des villages ayant le commandement des armes, & se trouvant loin de leurs supérieurs, usurperent dans des tems de trouble la propriété de leur charge, & la seigneurie de leur département ; desorte qu'à présent le nom de châtelain est un titre de seigneurie, & non pas un simple office, excepté en Auvergne, Poitou, Dauphiné, & Forès, où les châtelains sont encore de simples officiers.

Les seigneurs châtelains sont en droit d'empêcher que personne ne construise château ou maison forte dans leur seigneurie, sans leur permission. Voyez ci-devant CHATEAU.

Ces seigneurs châtelains sont inférieurs aux barons, tellement qu'il y en a qui relevent des barons & qu'en quelques pays les barons sont appellés grands châtelains, comme l'observe Balde, sur le ch. j. qui feuda dare possunt, & sur le ch. uno delegatorum, extr. de suppl. neglig. praelat.

Aussi les barons ont-ils deux prérogatives sur les châtelains ; l'une, que leurs juges ont par état droit de haute justice, au lieu que les châtelains ne devroient avoir que la basse, suivant leur premiere institution ; l'autre, que les barons ont droit de ville close, & de garder les clés, au lieu que les châtelains ont seulement droit de château ou maison forte. Voyez Loiseau, des seigneuries, ch. vij. le gloss. de M. de Lauriere, au mot châtelain, & ci-après CHATELLENIE. (A)


CHATELÉadj. en terme de Blason, se dit d'une bordure, & d'un lambel chargé de huit ou neuf châteaux. La bordure de Portugal est châtelée.

Artois, semé de France au lambel de gueules, châtelé de neuf pieces d'or, trois sur chaque pendant, en pal l'un sur l'autre. (V)


CHATELET(Jurisprud.) C'est ainsi qu'on appelloit anciennement de petits châteaux ou forteresses dans lesquels commandoit un officier appellé châtelain. Le nom de l'un & de l'autre vient de castelletum, diminutif de castellum. Les châtelains s'étant attribué l'administration de la justice avec plus ou moins d'étendue, selon le pouvoir qu'ils avoient, leur justice & leur auditoire furent appellés châtelets ou châtellenies. Le premier de ces titres est demeuré propre à certaines justices royales qui se rendoient dans des châteaux, comme Paris, Orléans, Montpellier, Melun, & autres ; & le titre de châtellenie ne s'applique communément qu'à des justices seigneuriales. Voyez ci-devant CHATELAIN, & ci-après CHATELLENIE. Il y a aussi quelques châtelets qui servent de prisons royales, comme à Paris. Voyez CHATELET DE PARIS. (A)

CHATELET DE PARIS, (Jurisprud.) est la justice royale ordinaire de la capitale du royaume. On lui a donné le titre de châtelet, parce que l'auditoire de cette jurisdiction est établi dans l'endroit où subsiste encore partie d'une ancienne forteresse appellée le grand châtelet, que Jules César fit construire lorsqu'il eut fait la conquête des Gaules. Il établit à Paris le conseil souverain des Gaules, qui devoit s'assembler tous les ans ; & l'on tient que le proconsul, gouverneur général des Gaules, qui présidoit à ce conseil, demeuroit à Paris.

L'antiquité de la grosse tour du châtelet ; le nom de chambre de César, qui est demeuré par tradition jusqu'à présent à l'une des chambres de cette tour ; l'ancien écriteau qui se voyoit encore en 1636, sur une pierre de marbre, au-dessus de l'ouverture d'un bureau sous l'arcade de cette forteresse, contenant ces mots, tributum Caesaris, où l'on dit que se faisoit la recette des tributs de tout le pays, confirment que cette forteresse fut bâtie par ordre de Jules César, & qu'il y avoit demeuré. On trouve au livre noir neuf du châtelet, un arrêt du conseil de 1586, qui fait mention des droits domaniaux accoûtumés être payés au treillis du châtelet, qui étoit probablement le même bureau où se payoit le tribut de César.

Julien, surnommé depuis l'apostat, étant nommé proconsul des Gaules, vint s'établir à Paris en 358.

Ce proconsul avoit sous lui des préfets dans les villes pour y rendre la justice.

Sous l'empire d'Aurélien, le premier magistrat de Paris étoit appellé praefectus urbis ; il portoit encore ce titre sous le regne de Chilpéric en 588, & sous Clotaire III. en 665 ; l'année suivante il prit le titre de comte de Paris.

En 884, le comté de Paris fut inféodé par Charles le Simple à Hugues le Grand. Il fut réuni à la couronne en 987, par Hugues Capet, lors de son avénement au throne de France ; ce comté fut de nouveau inféodé par Hugues Capet à Odon son frere, à la charge de réversion par le défaut d'hoirs mâles ; ce qui arriva en 1032.

Les comtes de Paris avoient sous eux un prevôt pour rendre la justice ; ils sousinféoderent une partie de leur comté à d'autres seigneurs, qu'on appella vicomtes, & leur abandonnerent le ressort sur les justices enclavées dans la vicomté, & qui ressortissoient auparavant à la prevôté. Les vicomtes avoient aussi leur prevôt pour rendre la justice dans la vicomté ; mais dans la suite la vicomté fut réunie à la prevôté.

Le châtelet fut la demeure des comtes, & ensuite des prevôts de paris ; c'est encore le principal manoir d'où relevent les fiefs de la prevôté & vicomté.

Plusieurs de nos rois y alloient rendre la justice en personne, & entr'autres S. Louis ; c'est de-là qu'il y a toujours un dais subsistant, prérogative qui n'appartient qu'à ce tribunal.

Vers le commencement du xiij. siecle, tous les offices du châtelet se donnoient à ferme, comme cela se pratiquoit aussi dans les provinces, ce qui causoit un grand desordre, lequel ne dura à Paris qu'environ 30 années. Vers l'an 1254, S. Louis commença la réformation de cet abus par le châtelet, & institua un prevôt de Paris en titre. Alors on vit la jurisdiction du châtelet changer totalement de face.

Le prevôt de Paris avoit dès-lors des conseillers, du nombre desquels il y en avoit deux qu'on appella auditeurs ; il nommoit lui-même ces conseillers. Il commit aussi des enquêteurs-examinateurs, des lieutenans, & divers autres officiers ; tels que les greffiers, huissiers, sergens, procureurs, notaires, &c. Voyez ce qui concerne chacun de ces officiers, à sa lettre.

La prevôté des marchands qui avoit été démembrée de celle de Paris, y fut réunie depuis 1382 jusqu'en 1388, qu'on desunit ces deux prevôtés. Voyez ci-après réunions dans ce même article.

Le bailliage de Paris, ou conservation, fut créé en 1522, pour la conservation des priviléges royaux de l'université, & réunie à la prevôté en 1526. Voyez ci-après réunions dans ce même article.

La partie du grand châtelet du côté du pont fut rebâtie par les soins de Jacques Aubriot, prevôt de Paris sous Charles V. & le corps du bâtiment qui borde le quai fut rebâti en 1660.

Le châtelet fut érigé en présidial en 1551.

En 1674, le roi supprima le bailliage du palais, à l'exception de l'enclos, & la plûpart des justices seigneuriales qui étoient dans Paris, & réunit le tout au châtelet, qu'il divisa en deux siéges, qu'on appella l'ancien & le nouveau châtelet. Il créa pour le nouveau châtelet le même nombre d'officiers qu'il y avoit pour l'ancien.

Au mois de Septembre 1684, le nouveau châtelet fut réuni à l'ancien.

Ainsi le châtelet comprend présentement plusieurs jurisdictions qui y sont réunies ; savoir, la prevôté & la vicomté, le bailliage ou conservation, & le présidial.

Assesseurs. Les lieutenans particuliers au châtelet ont le titre d'assesseurs civils, de police, & criminels. Voyez lieutenans particuliers dans ce même article.

Il y a aussi deux offices d'assesseurs ; l'un du prevôt de l'île, & l'autre du lieutenant criminel de robe-courte. Ces deux offices sont vacans depuis long-tems sans être supprimés ; c'est un des conseillers au châtelet qui dans l'occasion en fait les fonctions.

Attributions particulieres du châtelet. Il y en a quatre principales attachées à la prevôté de Paris, qui ont leur effet dans toute l'étendue du royaume, à l'exclusion même des baillifs & sénéchaux, & de tous autres juges ; savoir, 1°. le privilége du sceau du châtelet, qui est attributif de jurisdiction ; 2°. le droit de suite ; 3°. la conservation des priviléges de l'université ; 4°. le droit d'arrêt, que les bourgeois de Paris ont sur leurs débiteurs forains. Voyez ci-après CONSERVATION, SCEAU & SUITE.

Audiences du châtelet. Les chambres d'audience sont le parc civil, le présidial, la chambre civile, la chambre de police, la chambre criminelle, la chambre du juge auditeur. Il y a aussi l'audience des criées qui se tient deux fois la semaine dans le parc civil, les mercredi & samedi, par un des lieutenans particuliers, après l'audience du parc civil. Il y a aussi l'audience de l'ordinaire, qui se tient dans le parc civil tous les jours plaidoyables, excepté le jeudi, par un des conseillers de la colonne du parc civil. Les jours d'audience & criées, c'est le lieutenant particulier qui tient d'abord l'audience à l'ordinaire, & ensuite celle des criées : les procureurs portent à cette audience de l'ordinaire toutes les petites causes concernant les reconnoissances d'écritures privées, communications de pieces, exceptions, remises de procès, & autres causes legeres. Les affirmations ordonnées par sentence d'audience se font à celle de l'ordinaire.

Audienciers du châtelet, voyez HUISSIERS.

Auditeur du châtelet, voyez l'article JUGE-AUDITEUR.

Avis ou jugemens du procureur du Roi, voyez PROCUREUR DU ROI.

Avocats du châtelet. Il y a eu de tems immémorial des avocats attachés au châtelet ; le prevôt de Paris prenoit conseil d'eux : il en est parlé dans une ordonnan ce de Charles IV. de 1325 ; & dans une ordonnance de Philippe de Valois, du mois de Février 1327, il est parlé de ceux qui étoient avocats commis, c'est-à-dire qui étoient commis à cette fonction par le prevôt de Paris ; il y est dit qu'ils ne pourront être en même tems procureurs ; que nul ne sera reçû à plaider, s'il n'est juré suffisamment ou son nom écrit au rôle des avocats : il est aussi parlé de différens sermens que les avocats devoient faire sur ce qu'ils mettoient en avant ; c'est sans-doute là l'origine du serment que les avocats du châtelet prêtoient autrefois à chaque rentrée du châtelet. La même ordonnance défend que personne ne se mette au banc des avocats, si ce n'est par permission du prevôt ou de son lieutenant, suivant les lettres de Charles VI. du 19 Novembre 1393 : toute personne pouvoit exercer l'office de procureur au châtelet, pourvû que trois ou quatre avocats certifiassent sa capacité. Il y a eu pendant long-tems au châtelet des avocats qui n'avoient été reçûs que dans ce siége. Les avocats au parlement avoient cependant toujours la liberté d'y aller. On voit dans le procès-verbal de l'ancienne coûtume de Paris, rédigée en 1510, qu'il y comparut huit avocats au châtelet, du nombre desquels étoit Jean Dumoulin, pere du célebre Charles Dumoulin. Mais on voit dans la vie de ce dernier que son pere étoit aussi avocat au parlement, & qu'il prenoit l'une & l'autre qualité d'avocat au parlement & au châtelet de Paris. Dans le procès-verbal de réformation de la coûtume de Paris en 1580, comparurent plusieurs avocats au châtelet, dont il y en a d'abord neuf de nommés de suite, & six autres qui sont nommés dans la suite du procès-verbal. Présentement tous les avocats exerçans ordinairement au châtelet sont avocats au parlement, & ne prêtent plus de serment au châtelet depuis 1725. L'université qui a ses causes commises au châtelet, a deux avocats qu'on appelle avocats de l'université jurés au châtelet : ces avocats ont un rang dans les cérémonies de l'université ; ils ont aussi le droit de garde-gardienne, comme membres de l'université.

Avocats du Roi du châtelet. Leur établissement est presque aussi ancien que celui de la prevôté de Paris. Les plus anciens réglemens que l'on trouve avoir été faits sur les Arts & Métiers, qui sont ceux des Mégissiers en 1323, font mention que c'est après avoir oüi les avocats & procureurs du roi qui en avoient eu communication. La même chose se trouve énoncée dans un grand nombre d'autres statuts & réglemens postérieurs. Il y avoit deux avocats du roi dès avant 1366.

Le nombre en fut augmenté jusqu'à quatre par édit de Février 1674, qui sépara le chatelet en deux tribunaux ; & ce même nombre a été conservé par l'édit de réunion du mois de Septembre 1684.

L'édit du mois de Janvier 1685, portant réglement pour l'administration de la justice au châtelet, porte que le plus ancien en réception des quatre avocats du roi, tiendra toujours la premiere place en l'audience de la prevôté, & assistera aux audiences de la chambre civile & de la grande police ; que les trois autres, à commencer par le plus ancien d'entr'eux, assisteront successivement, chacun durant un mois, à l'audience de la prevôté, en la seconde place ; que les deux qui ne seront point de service à l'audience de la prevôté, assisteront à celle du présidial ; que celui qui servira dans la seconde place à l'audience de la prevôté, servira durant le même tems aux audiences de la petite police ; & que celui qui servira dans la seconde place en l'audience présidiale, assistera à celles qui se tiendront pour les matieres criminelles.

Ce même réglement porte que le plus ancien des avocats du roi résoudra, en l'absence ou autre empêchement du procureur du roi, toutes les conclusions préparatoires & définitives sur les informations & procès criminels, & sur les procès civils qui ont accoûtumé d'être communiqués au procureur du roi, & qu'elles seront signées par le plus ancien de ses substituts, ou autre qui sera par lui commis, en la maniere accoûtumée, sans que ce substitut puisse délibérer.

Les avocats du roi du châtelet portent la robe rouge dans les cérémonies. Le jour de la fête du S. Sacrement ils font chacun de leur côté une visite dans les rues de Paris, pour voir si l'on ne contrevient point aux réglemens de police ; & en cas de contravention, ils condamnent en l'amende payable sans déport. Voyez le traité de la police, tome I. liv. I. tit. xj.

Bailliage de Paris ou conservation, fut érigé au mois de Février 1522 par François I. pour la conservation des priviléges royaux de l'université, qui fut alors distraite de la prevôté de Paris. Ce tribunal fut composé d'un bailli, un lieutenant général, un avocat & un procureur du roi ; & on y unit douze offices de conseillers qui avoient été créés dès 1519 pour la prevôté. Au mois d'Octobre 1523 on y créa un office de lieutenant particulier ; il fut d'abord placé à l'hôtel de Nesle, puis transféré au petit châtelet au mois d'Août 1523 : depuis par un édit du mois de Mai 1526, l'office de bailli fut supprimé ; les autres offices furent réunis à la prevôté de Paris. On fit la même chose en 1547, pour les offices d'avocat & de procureur du roi ; & en Juillet 1564, l'office de lieutenant général fut uni à celui de la prevôté. Voyez Brodeau sur Paris, tome I. pag. 16.

Bannieres du châtelet ou registre des bannieres, voyez BANNIERES, & l'article GARDE DES BANNIERES.

Cérémonial du châtelet. De tems immémorial le châtelet a assisté aux cérémonies & assemblées publiques auxquelles les cours assistent d'ordinaire, & y a eu rang après les cours supérieures, & avant toutes les autres compagnies.

Entrées des rois & reines à Paris. A l'entrée de Charles VII. le 12 Novembre 1437, le châtelet marchoit après la ville & avant le parlement : on sait que dans ces sortes de marches le dernier rang est le plus honorable.

En 1460, à l'entrée que fit la reine Marguerite, femme d'Henri VI. roi d'Angleterre, le roi envoya au-devant d'elle le parlement, le châtelet, le corps de ville, l'université, l'évêque de Paris.

Le 31 Août 1461, à l'entrée de Louis XI. furent le parlement, la chambre des comptes, le châtelet, le corps de ville, l'université, & l'évêque de Paris.

Le 28 Novembre 1476, à l'entrée du roi de Portugal, surent au-devant de lui le parlement, le châtelet, & le corps de ville.

A celle de Charles VIII. le 5 Juillet 1484, le parlement, la chambre des comptes, le châtelet, le corps de ville, & l'évêque de Paris avec aucuns de son clergé.

En 1491, à la premiere entrée de la reine Anne de Bretagne, femme de Charles VIII. allerent le parlement, la chambre des comptes, les généraux de la justice sur le fait des aides, le prevôt de Paris, les gens du châtelet, & les prevôt des marchands & échevins.

Le 2 Juillet 1498, à celle de Louis XII. le parlement, la chambre des comptes, les généraux de la justice & des monnoies, le châtelet, le corps de ville, l'université, & le clergé.

Philippe archiduc d'Autriche, & Jeanne de Castille sa femme, passant à Paris pour aller en Espagne, le parlement n'alla point au-devant d'eux ; il n'y eut que le châtelet & le corps de ville : le châtelet marchoit après le corps de ville, & immédiatement avant les cours, le 25 Novembre 1501.

A la seconde entrée d'Anne de Bretagne, femme de Louis XII. le 20 Novembre 1504, le châtelet marchoit dans le même ordre.

Il assista dans le même rang à celle de Marie d'Angleterre, femme de Louis XII. le 6 Novembre 1514.

A la premiere entrée de François I. en 1515.

A celle de la reine Claude, premiere femme de ce prince, le 12 Mai 1517.

A la seconde entrée de François I. le 14 Avril 1526.

A l'entrée du cardinal Salviati légat à latere, le 31 Octobre 1526.

A celle de la reine Eléonore d'Autriche, seconde femme de François I. le 6 Juin 1530 ; il y eut le soir un festin royal en la grand-salle du palais, où la reine & les princes, les cours, le châtelet, & la ville assisterent ; les officiers du châtelet étoient à la même table que les cours.

A l'entrée du chancelier Duprat légat à latere, le 20 Décembre 1530.

A celle de l'empereur Charles-quint, le premier Janvier 1539.

A celle d'Henri II. le 16 Juin 1549.

A celle de Catherine de Médicis, femme d'Henri II. le 18 Juin 1549.

Un édit d'Henri II. d'Avril 1557, registré au parlement le 11 Mai suivant, qui regle le rang des cours en tous actes & assemblées publiques, fixe celui du châtelet après la chambre des monnoies, & avant la ville.

Il assista dans ce même rang à l'entrée de Charles IX. le 6 Mars 1571, & au souper royal qui se fit le soir en la grand-salle du palais.

A l'entrée de la reine Elisabeth d'Autriche, femme de Charles IX. le 29 Mars 1571, & au souper royal en la grand-salle du palais.

A l'entrée du roi de Pologne, frere de Charles IX. le 14 Septembre 1573.

Il étoit aussi mandé pour l'entrée de Marie de Médicis, qui devoit se faire le 16 Mai 1610.

Il assista le 15 Mai 1625 à celle du cardinal Barberin, neveu & légat à latere du pape Urbain VIII. & le 21 du même mois il alla dans le même rang complimenter le légat.

Le 26 Août 1660, à l'entrée de Louis XIV. & de Marie-Therese d'Autriche.

Et le 9 Août 1664 il alla complimenter le cardinal Chigi, neveu & légat du pape Alexandre VII. & assista à son entrée toujours dans le même rang.

Complimens. Le 18 Mai 1616, deux jours après l'entrée de Louis XIII. les cours, le châtelet, & la ville allerent le complimenter sur son retour de Guienne.

Le 17 Novembre 1630 il fut à Saint-Germain par ordre du roi, le complimenter sur sa convalescence.

Le 5 Novembre 1644 il fut à la suite des cours complimenter la reine Henriette Marie fille d'Henri IV. & femme de Charles I. roi d'Angleterre, réfugiée à Paris.

Le 5 Novembre 1645 il alla complimenter la princesse Louise Marie sur son mariage avec le roi de Pologne.

Le 10 Septembre 1656 il alla saluer la reine de Suede Christine.

Le 4 Août 1660 il alla complimenter le roi, la reine, & la reine mere, à l'occasion du mariage du roi ; il fut même aussi le 21 complimenter le cardinal Mazarin, le roi l'ayant ainsi ordonné.

Le 31 Juillet 1667 le châtelet fut par ordre du roi le complimenter sur la paix.

Le 6 Septembre 1679 les officiers de l'ancien & du nouveau châtelet s'étant mêlés sans distinction, furent par ordre du roi saluer la reine d'Espagne, Marie Louise d'Orléans, mariée nouvellement.

Pompes funebres. Le châtelet a aussi assisté à ces sortes de cérémonies après les cours, & avant toutes les autres compagnies : savoir,

Aux obseques de Charles VIII. décédé à Amboise le 6 Avril 1498.

Le 21 Février 1504, au renvoi du duc d'Orléans pere de Louis XII. qui se fit de Blois à Paris.

Aux obseques d'Anne de Bretagne femme de Charles VIII. & de Louis XII. morte le 9 Janvier 1514.

A celles de Louise de Savoie duchesse d'Angoulême, mere de François I. décédée le 29 Septembre 1531.

A celles de François I. mort à Rambouillet le 31 Mars 1547.

A celles d'Henri II. mort le 10 Juillet 1559.

Au service à N. D. pour la reine douairiere d'Ecosse Marie Stuard, le 12 Août 1560.

Aux obseques de François duc d'Anjou, frere unique d'Henri III. décédé à Château-Thierry le 20 Juin 1584.

Le 17 Septembre 1607, au convoi & enterrement du chancelier Pompone de Bellievre.

Le 27 Juin 1610 il alla jetter de l'eau-benite au-devant du corps d'Henri IV. Le 29 il assista au convoi à N. D. le 30 au service qui se fit à N. D. & l'après-midi au convoi à S. Denis ; le premier Juillet à l'inhumation, après laquelle il fut traité, comme les cours, dans le grand réfectoire de S. Denis.

Le 21 Mars 1616, il assista à N. D. au service du cardinal de Gondy évêque de Paris.

Et le 7 Octobre 1622, dans la même église, au service du cardinal de Rets, aussi évêque de Paris.

Le 22 Juin 1653, au service & inhumation de Louis XIII. à S. Denis.

Le 2 Juin 1654, au service de Jean de Gondy archevêque de Paris, à Notre-Dame.

Le 12 Février 1666, au service & inhumation d'Anne d'Autriche veuve de Louis XIII.

Le 20 Novembre 1669, au service & inhumation de la reine d'Angleterre à S. Denis.

Le 11 Mai 1672, au service & inhumation de la duchesse douairiere d'Orléans à S. Denis.

Le premier Septembre 1683, à celui de Marie Therese d'Autriche femme de Louis XIV.

Le 5 Juin 1690, à celui de Victoire de Baviere dauphine de France.

Le 7 Mai 1693, à celui de Marie Louise d'Orléans duchesse de Montpensier, fille de Gaston duc d'Orléans, & premier pair de France.

Le 23 Juillet 1701, à celui de Monsieur, Philippe fils de France, frere unique de Louis XIV.

Le 18 Juin 1711, à celui de Louis dauphin de France.

Le 18 Avril 1712, à celui de Louis dauphin duc de Bourgogne, & de Marie Adelaïde de Savoie dauphine de France, duchesse de Bourgogne.

Le 16 Juillet 1714, à celui de Charles de Berri, petit-fils de France.

Le 23 Octobre 1715, à celui de Louis XIV.

Le 2 Septembre 1719, à celui de Marie Louise Elisabeth d'Orléans duchesse de Berri.

Le 5 Février 1723, à celui d'Elisabeth Charlotte Palatine de Baviere, veuve de Monsieur, frere unique de Louis XIV.

Le 4 Février 1724, à celui de Philippe duc d'Orléans régent, à S. Denis.

Le 5 Septembre 1746, à celui de Marie Therese infante d'Espagne, dauphine de France.

Et le 24 Mars 1752, à celui d'Anne Henriette fille de France.

Te Deum. Le châtelet assista à celui qui fut chanté à N. D. le 23 Décembre 1587, en présence d'Henri III. à cause de la défaite de l'armée des Reitres.

Et le 12 Juin 1598, à celui qui fut chanté à N. D. pour la paix faite avec l'Espagne & la Savoie.

Publication de paix. Le châtelet y tient le premier rang, comme cela s'est observé aux différentes publications faites le 27 Août 1527, le 18 Août 1529, 20 Septembre 1544, 16 Février 1555, 12 Juin 1598, 20 Mai 1629, 14 Février 1660, 13 Septembre 1667, 15 Mai 1668, 29 Septembre 1678, 26 Avril 1679, 5 Octobre 1684, 10 Septembre 1696, 23 Octobre & 4 Novembre 1697, 24 Août & 21 Décembre 1712, 22 Mai 1713, 19 Avril & 8 Novembre 1714, le premier Juin 1739, & le 12 Février 1749.

Prises de possession d'évêques de Paris. Le châtelet y a assisté plusieurs fois avec les cours & autres compagnies dans son rang ordinaire ; savoir, le 21 Mai 1503, à la prise de possession d'Etienne Poncher ; le 25 Novembre 1532, à celle de Jean du Bellai ; le premier Avril 1598, à celle d'Henri de Gondy, nommé coadjuteur.

Processions générales. Le 3 Mai 1423, le châtelet assista à celle de Paris à S. Denis par ordre du roi, pour la conservation de la famille royale & l'abondance des biens de la terre.

Le 21 Janvier 1534, à celle qui se fit par ordre du roi depuis S. Germain l'Auxerrois jusqu'à N. D. en l'honneur du saint Sacrement, & pour l'extinction de l'hérésie.

Le 4 Juillet 1549, à celle qui se fit par ordre du roi depuis S. Paul jusqu'à N. D. pour la religion.

Le 18 Novembre 1551, à celle qui se fit par ordre du roi depuis la sainte-Chapelle jusqu'à N. D. pour la conservation de la religion catholique apostolique, & le bien de la paix.

Le 8 Janvier 1553, à une pareille procession, en action de graces de la levée du siége de Metz par l'empereur.

Le 16 Janvier 1557, à une pareille procession, pour la prise de Calais sur les Anglois.

Aux processions de la châsse de sainte Genevieve qui se firent le 29 Septembre 1568, le 10 Septembre 1570, le 5 Août 1599, le premier Juin 1603, le 12 Juin 1611.

Le 29 Octobre 1714, à celle qui se fit de l'église des Augustins à N. D. pour l'ouverture des états généraux qui se tenoient au Louvre.

Aux processions de sainte Genevieve faites le 26 Juillet 1625, 19 Juillet 1675, 27 Mai 1694, 16 Mai 1709, & 5 Juillet 1725.

Assemblées de notables. A celle qui se fit à Roüen le 4 Novembre 1596, le roi présent, assista le lieutenant civil pour le châtelet.

Il assista de même à une autre assemblée à Roüen, le 4 Décembre 1617.

A celle qui se fit au Louvre le 2 Décembre 1626.

A l'assemblée des trois états de la prevôté & vicomté de Paris en la salle de l'archevêché, le 24 Septembre 1651, pour envoyer des députés aux états généraux qui devoient se tenir à Tours.

Assemblée générale de Police. Les officiers du châtelet y ont assisté par députés le 14 Avril 1366, 15 & 26 Novembre 1418, 21 Décembre 1432, 16 Février 1436, 7 Novembre 1499, 10 Mai 1512, 8 Novembre 1522.

Ils devoient aussi assister à l'assemblée générale qui devoit se tenir deux fois la semaine, suivant l'édit de Janvier 1572 : ce bureau a été supprimé le 10 Septembre 1573.

Ils ont encore assisté à celles des 11 Mars 1580, 6 Mai 1583, 3 & 7 Août 1596, 17 Août 1602, 13 Décembre 1630, 12 & 21 Avril 1662, Octobre 1666, & 10 Novembre 1692.

Rédaction de la coûtume. A la rédaction de l'ancienne & de la nouvelle coûtume de Paris, les officiers du châtelet ont assisté & eu une séance honorable & particuliere ; les gens du roi du châtelet y firent fonction de partie publique.

Certificateurs des criées, sont deux officiers préposés pour certifier les criées de tous les biens saisis réellement en la prevôté & vicomté de Paris, en quelques jurisdictions qu'elles se poursuivent. On ne peut les faire certifier ailleurs qu'au châtelet, à peine de nullité.

Ces deux officiers servent alternativement ; on porte à celui qui est de service toute la procédure de la saisie réelle & le procès-verbal des criées pour les examiner : après quoi il en fait son rapport à l'audience, les certifie bien faites, & délivre la sentence de certification de criées. Voyez ci-après CRIEES.

Chambres du châtelet, sont celles de la prevôté au parc civil, qu'on appelle communément le parc civil ; le présidial, la chambre du conseil, la chambre civile, celle de police, la chambre criminelle, celle du juge-auditeur, le parquet des gens du roi, & la chambre particuliere du procureur du roi, celle des commissaires, celle des notaires. Voyez ci-devant aux mots CHAMBRES CIVILE, DU CONSEIL, CRIMINELLE DE POLICE ; &c. & ci-après, COMMISSAIRES, JUGE-AUDITEUR, NOTAIRES, PARC CIVIL, PARQUET, PRESIDIAL, PROCUREUR DU ROI.

Chancellerie présidiale au châtelet, voyez CHANCELLERIE DU CHATELET.

Chatellenies royales ressortissantes au châtelet : il y en a plusieurs que l'on appelloit autrefois indifféremment prevôtés ou chatellenies ; mais on ne les qualifie plus présentement que prevôtés. Voyez PREVOTES.

Chevalier du guet du châtelet, voyez ci-après Chevalier, & GUET.

Chevalier d'honneur : il y en a un au châtelet qui y a été établi de même que dans les autres présidiaux, en conséquence de l'édit du mois de Mars 1691.

Chirurgiens du châtelet destinés à faire les rapports en chirurgie des cadavres trouvés dans les rues & places publiques, & autres rapports ordonnés par justice : il y en a quatre, deux de l'ancien & deux du nouveau châtelet. Voyez Joly, tome II. p. 1915.

Colonnes du châtelet, du parc civil, de la chambre du conseil, du présidial, du criminel. Voyez COLONNES.

Commissaires au châtelet, voyez COMMISSAIRES.

Commissaires aux saisies réelles, voyez COMMISSAIRES.

Compagnies du guet, du prevôt de l'Ile, de robe courte ; voyez GUET, PREVOT DE L'ILE, & LIEUTENANT CRIMINEL DE ROBE COURTE.

Comtes de Paris, voyez COMTES.

Comtes du palais, voyez COMTES.

Conseillers au châtelet, voyez CONSEILLERS.

Concierge des prisons, voyez GEOLIERS.

Conservation des priviléges royaux de l'université, voyez ci-après CONSERVATION, & ci-devant BAILLIAGE, sous ce même titre du châtelet.

Consignations, voyez dans cet article ce qui concerne les officiers du châtelet, & les articles CONSIGNATIONS & RECEVEUR.

Criées du châtelet, voyez ci-devant CERTIFICATEUR, & au mot CRIEES.

Droits des officiers du châtelet, consistent au droit de committimus, au petit sceau, lettre de garde-gardienne, droit de gants, droit de torches, bougies, &c. droit de papier, de franc-salé, &c.

Droit de suite, voyez SUITE.

Enquêteurs du châtelet, voyez ENQUETEURS.

Examinateurs du châtelet, voyez EXAMINATEURS.

Expéditionnaires de cour de Rome prêtent serment au châtelet, voyez EXPEDITIONNAIRES.

Experts jurés, voyez EXPERTS.

Garde des bannieres, voyez GARDE.

Garde des decrets, voyez GARDE.

Garde des immatricules, voyez GARDE.

Gardes-notes,

Garde-scel, voyez NOTAIRES & SCELLEURS.

Gazette des criées, voyez CRIEES.

Geoliers du châtelet : il y a trois geoliers ou concierges des prisons des grand & petit châtelet & du fort l'évêque. Voyez GEOLIERS.

Greffiers du chatelet, voyez GREFFIERS.

Guet, voyez GUET.

Hocquetons du prévôt de Paris, voyez HUISSIERS & SERGENS.

Huissiers audienciers : il y en a vingt, dont deux appellés premiers, & dix-huit ordinaires.

Ita est, voyez GARDE DES DECRETS ET IMMATRICULES, & ITA EST.

Juge-auditeur, voyez à la lettre J.

Juré-crieur, voyez à la lettre J.

Matrones ou sages-femmes du châtelet : il y en a quatre pour faire les visites ordonnées par justice.

Médecins du châtelet : il y a deux medecins de la faculté de Paris qui sont ordinaires du roi au châtelet, l'un de l'ancien, l'autre du nouveau, destinés à faire les visites & rapports de leur ministere qui sont ordonnés par justice.

Montre du châtelet ou du prevôt de Paris, voyez MONTRE.

Notaires au châtelet, voyez NOTAIRES.

Officiers du châtelet. Voici l'ordre dans lequel ils sont employés sur les états du châtelet, qui sont entre les mains du payeur des gages, & qui m'ont été communiqués par M. Dupuy actuellement pourvû de cette charge, qui a bien voulu aussi me faire part de beaucoup d'autres choses curieuses concernant le châtelet.

M. le procureur général du parlement de Paris : il est employé sur ces états sans-doute comme garde de la prevôté, le siége vacant.

Le prevôt de Paris.

Le lieutenant civil.

Le lieutenant de police.

Le lieutenant criminel.

Les deux lieutenans particuliers.

Cinquante-six conseillers.

Quatre avocats du roi.

Le procureur du roi.

Huit substituts.

Le juge auditeur.

Le payeur des gages, dont l'office ancien a été créé en 1555, l'office alternatif en 1580, & le triennal en 1597. Avant l'établissement du présidial en 1551, c'étoit le receveur du domaine qui payoit les gages des officiers du châtelet à gages.

Un greffier en chef, dont l'office est divisé en trois.

Quatre offices de greffiers de l'audience, deux de l'ancien & deux du nouveau châtelet : ces quatre offices sont possédés par deux officiers.

Deux greffiers des défauts aux ordonnances ; un de l'ancien, l'autre du nouveau châtelet.

Quatre greffiers des dépôts ou de la chambre du conseil ; deux de l'ancien, & deux du nouveau châtelet.

Deux offices de greffiers ; un de l'ancien, un du nouveau châtelet : ces deux offices sont possédés par un seul officier.

Huit greffiers de chambre civile, police & jurandes, dont quatre de l'ancien & quatre du nouveau châtelet : il y en a un qui a deux offices.

Quatre greffiers de la chambre criminelle, dont deux de l'ancien & deux du nouveau châtelet.

Six greffiers pour l'expédition des sentences sur productions, dont trois de l'ancien & trois du nouveau châtelet : il y en a deux qui ont deux offices.

Trente greffiers pour l'expédition des sentences d'audiences, dits greffiers à la peau, dont quinze de l'ancien & quinze du nouveau châtelet : quelques-uns d'eux réunissent deux offices, un de l'ancien, l'autre du nouveau châtelet.

Deux certificateurs de criées.

Un garde des decrets & immatricules, & ita est.

Un scelleur des sentences & decrets.

Un commissaire aux saisies réelles, qui l'est aussi du parlement & autres jurisdictions.

Un receveur des consignations, qui l'est aussi du parlement & autres jurisdictions, à l'exception des requêtes du palais qui en ont un particulier.

Un receveur des amendes.

Deux médecins ; l'un de l'ancien, l'autre du nouveau châtelet.

Quatre chirurgiens, deux de l'ancien & deux du nouveau châtelet.

Quatre matrones ou sages-femmes.

Un concierge-bûvetier-garde-clés.

Trois geoliers ou concierges des prisons du grand & petit châtelet, & du fort-l'évêque.

Trois greffiers de ces prisons.

Un greffier du juge-auditeur.

Un greffier des insinuations.

Cent treize notaires gardes-notes & gardes-scel.

Quarante-huit commissaires enquêteurs-examinateurs.

Deux cent trente-six procureurs.

Vingt huissiers-audienciers, dont deux appellés premiers, & dix-huit ordinaires.

Cent vingt huissiers-commissaires-priseurs-vendeurs de biens-meubles, dont six sont appellés huissiers fieffés, & douze sont appellés de la douzaine, servant de garde à M. le prevôt de Paris, & sont pourvûs par le Roi sur sa nomination. Arrêt du 7 Juin 1740.

Un grand nombre d'huissiers à cheval, résidant à Paris & dans tout le royaume : on prétend que c'étoit anciennement la garde à cheval de S. Louis, lorsqu'il étoit à Paris.

Un grand nombre d'huissiers à verge, résidant à Paris & dans tout le royaume : on prétend que c'étoit la garde à pié de saint Louis, quand il étoit à Paris.

Un juré-crieur pour les annonces & cris publics, & quatre trompettes.

Outre ces officiers, il y en a d'autres que l'on peut regarder comme officiers du châtelet, parce qu'ils prêtent serment devant le lieutenant civil ; tels sont :

Les vingt avocats au parlement, banquiers-expéditionnaires en cour de Rome, & des légations.

Les quarante agens de change, banque & finances.

Les soixante experts, dont trente bourgeois & trente entrepreneurs.

Les seize greffiers des bâtimens, autrement dits greffiers de l'écritoire.

Enfin il y a les quatre compagnies du prévôt de l'Ile, du lieutenant criminel de robe-courte, du guet à cheval & du guet à pié : ces deux dernieres n'en font qu'une, qui est commandée par le même officier.

Il y a eu anciennement un office de receveur des épices, qui a été supprimé.

Il y a eu aussi en 1691 un office de chevalier d'honneur, créé par édit du mois de Mars de ladite année : cet office subsiste.

Anciennement il y avoit un office de garde des registres des bannieres du châtelet, qui fut créé par édit de Janvier 1707, & supprimé par autre édit du mois d'Août 1716.

Il y a eu aussi un greffier des insinuations laïques, supprimé par édit du mois d'Octobre 1704. Voyez Joly, tome II. pages 1399. 1423. & 1909.

Il y a eu anciennement quatre secrétaires gardes-minutes du châtelet, créés par édit du 21 Mars 1690, & supprimés par autre édit de Janvier 1716 ; deux conseillers-rapporteurs-vérificateurs des défauts aux ordonnances ; & un greffier-garde-conservateur des registres des baptêmes, mariages & sépultures, lequel fut créé par édit du mois d'Octobre 1691, & supprimé par autre édit du mois de Janvier 1707.

Ordinaire ou audience de l'ordinaire, voyez ci-devant Audience, où il en est parlé.

Parc civil, voyez PARC CIVIL.

Payeur des épices, voyez Receveur des épices.

Payeur des gages du châtelet : l'office ancien a été créé en 1555 l'office alternatif en 1580, & le triennal en 1597. Avant l'établissement du présidial, en 1551, c'étoit le receveur du domaine qui payoit les gages des officiers du châtelet. Le payeur des gages reçoit aussi la capitation des officiers du châtelet.

Police, voyez CHAMBRES, LIEUTENANT DE POLICE & POLICE.

Président au présidial : cet office créé en 1557, fut uni à celui de lieutenant civil en 1558. Voyez LIEUTENANT CIVIL.

Présidial du châtelet, voyez PRESIDIAL.

Prevôt de l'Ile, voyez PREVOT.

Prevôt de Paris, voyez à la lettre P.

Prevôté : on appelle siége de la prevôté, celui qui se tient au parc civil. Voyez PREVOT DE PARIS, ATELETELET.

Prevôtés royales ressortissantes par appel au présidial du châtelet, sont présentement au nombre de huit ; savoir Montlhéry, Saint-Germain-en-Laye, Corbeil, Gonesse, la Ferté-Alais, Brie-Comte-Robert, Tournan & Chaillot. On les qualifioit aussi autrefois de chatellenies. Il y en avoit encore d'autres qui ont été distraites du châtelet par des érections en pairies ou autrement.

Procureur du Roi au châtelet, voyez PROCUREUR DU ROI.

Receveur des amendes : il y en a un pour le châtelet.

Receveur des consignations du châtelet, voyez CONSIGNATIONS.

Receveur & payeur des épices : il y en a un au châtelet.

Receveur-payeur des gages, voyez ci-dev. Payeur.

Registre des bannieres, voyez GRADE DES BANNIERES & REGISTRES.

Ressort du châtelet, voyez ci-dessus Prevôtés royales.

Réunions faites au siége du châtelet. En 987 la justice de la vicomté fut réunie à celle de la prevôté, lorsque le comté de Paris fut réuni à la couronne ; peu de tems après la prevôté & la vicomté furent desunies, & en 1032 elles furent encore réunies par la nouvelle réunion du comté de Paris à la couronne ; & depuis ce tems elles n'ont plus été séparées.

Par des lettres du 27 Janvier 1382, Charles VI. abolit la prevôté des marchands qui avoit été anciennement démembrée de la prévôté de Paris, & la réunit à cette prevôté. En 1388, ces deux prevôtés furent desunies.

Le bailliage de Paris ou conservation établie en 1522 pour la conservation des priviléges royaux de l'université, fut supprimé, & réuni à la prevôté de Paris en 1526.

En 1674, le roi supprima la plûpart des justices seigneuriales qui étoient dans l'étendue de la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris, & les réunit aux deux châtelets qui furent créés dans le même tems. On avoit déjà tenté d'y réunir toutes les justices de la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris, par deux édits des 16 Février 1539 & Février 1643 ; mais ces édits ne furent pas vérifiés au parlement, & n'eurent pas d'exécution.

Le présidial établi à Paris en 1551, fut uni à la prevôté.

Par édit de Septembre 1684, le nouveau châtelet fut supprimé & réuni à l'ancien.

Sages-femmes du châtelet ; il y en a quatre, voyez ci-devant Matrones.

Séances au châtelet, voyez SEANCE.

Sceau ou scel du châtelet, voyez SCEAU.

Scelleur, voyez SCELLEUR.

Service du châtelet, voyez COLONNES.

Substituts du procureur du Roi, sont au nombre de huit, voyez PROCUREUR DU ROI & SUBSTITUTS.

Suite, ou droit de suite des officiers du châtelet, voyez SUITE.

Translations du siége du châtelet. Charles VIII. le transféra au Louvre, à cause qu'il étoit en péril imminent de tomber ; il y demeura jusqu'à la fin de 1506. Il y eut des lettres patentes du 13 Décembre de ladite année, portant que les amendes du parlement seroient employées à la réparation & accroissement de l'édifice du châtelet.

Le bailliage ou conservation des priviléges royaux de l'université fut établi par édit du 17 Avril 1523, au lieu appellé hôtel de Nesle ; & par édit du mois d'Août suivant, il fut transféré au petit châtelet.

Par arrêt du 26 Septembre 1560, le parlement permit aux officiers du châtelet d'aller tenir & exercer la justice pour le civil, en l'abbaye de S. Magloire, rue Saint-Denis, jusqu'à ce que les réparations qui étoient à faire au châtelet fussent faites.

Il y eut un autre arrêt du parlement le 10 Septembre 1562, qui permit au lieutenant civil de se retirer pour quelque tems à la campagne, à cause du danger de peste dont son logis étoit assailli ; en laissant deux conseillers du châtelet pour l'exercice de la justice en son absence, & de transférer l'exercice de la justice à S. Magloire, la peste s'étant introduite dans les prisons du châtelet.

Les troubles de la ligue donnerent aussi lieu à deux autres translations du châtelet.

L'une fut faite par déclaration du 8 Février 1591, portant translation du siége de la prevôté & vicomté de Paris dans la ville de Mantes. Cette même déclaration porte révocation des précédentes translations ordonnées de la prevôté de Paris dans les villes de Saint-Denis, Poissi & Corbeil ; mais on ignore si ces translations, qui ne sont point datées, ont eu lieu.

L'autre, par déclaration du premier Juin 1592, portant translation du même siége dans la ville de Saint-Denis, & révocation de celle du 8 Février 1591.

On proposa en 1636 d'abattre l'édifice du grand châtelet, & de construire, au lieu où est la monnoie, un magnifique édifice pour y placer le siége du châtelet. Il y eut même arrêt du conseil, du 18 Janvier de ladite année, qui ordonna une information de commodo & incommodo ; mais ce projet n'a pas eu d'exécution.

Il y eut, le 15 Juin 1657, arrêt du parlement, lequel après avoir oüi les officiers du châtelet en la grand'chambre, ordonna que le châtelet seroit transféré aux Augustins, attendu, le péril imminent. Les Augustins firent difficulté de fournir les lieux nécessaires, ce qui donna lieu à plusieurs autres arrêts pour l'exécution du premier ; mais le roi ayant ordonné aux officiers du châtelet de chercher un autre logement, par arrêt du 2 Mars 1658, le châtelet fut transféré en la rue des Barres, en l'hôtel de M. de Charni, conseiller de la grand'chambre.

Vicomtes de Paris, voyez VICOMTES.

Vicomté de Paris, voyez VICOMTE.

Unions faites au siége du châtelet, voyez ci-devant réunions.

Avant de finir cet article, je dois observer que je suis redevable de la plus grande partie des éclaircissemens que j'ai eus sur cette matiere, à M. Quillet, conseiller au châtelet, qui a bien voulu me communiquer un grand nombre de mémoires très-curieux, & de notes qu'il a tirées des registres du châtelet ; & autres recueils publics & particuliers. J'aurois souhaité pouvoir expliquer dès-à-présent, sous ce titre du châtelet, tout ce qui concerne ses différens officiers ; mais comme j'espere trouver encore de nouveaux éclaircissemens, c'est ce qui m'a engagé à renvoyer, comme j'ai fait, plusieurs de ces articles à la lettre qui leur est propre. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race ; ceux de Joly, Fontanon, Neron ; le traité de la police de Lamarre, Brodeau, sur Paris ; au commencement, & ci-après aux différens noms des officiers du châtelet. (A)

CHATELET, en Rubanerie, petit assemblage de bois, qui sur deux broches ou boulons de fer soutient 48 poulies, qui font mouvoir les hautes lisses. Voyez Planche du Rubanier.

CHATELET (LE) Géog. petite ville de France, dans l'île de France, dans la généralité de Paris.


CHATELLENAGE(Jurisprud.) Le fief appellé châtellenage consistoit en la garde & gouvernement d'un château, pour le comte laïc ou ecclésiastique propriétaire de ce château, avec un domaine considérable qui y étoit attaché ; la seigneurie & toute justice dans ce domaine, & encore la suzeraineté sur plusieurs vassaux. Ce droit de châtellenage existoit dès le milieu du xij. siecle. Voyez Brussel, des fiefs, p. 712. & 714. (A)


CHATELLENIE(Jurisprud.) signifie tout-à-la-fois la seigneurie d'un seigneur châtelain, l'étendue de sa seigneurie & de sa justice. Le terme de châtellenie vient de château ou châtelet, & de châtelain, parce que les châtelains étoient préposés à la garde des châteaux, comme les comtes à la garde des villes.

Anciennement les châtellenies n'étoient que des offices, ou plutôt des commissions révocables à volonté ; les comtes commettoient sous eux des châtelains dans les bourgades les plus éloignées, pour y commander & y rendre la justice, & le ressort de ces châtelains fut appellé châtellenie. Dans la suite, les châtelains prirent en fief leur châtellenie, ou s'en attribuerent la propriété à la faveur des troubles. Il y a néanmoins encore plusieurs provinces où les châtellenies ne sont que de simples offices, comme en Auvergne, Poitou, Dauphiné.

On se sert indifféremment du titre de prevôté ou de celui de châtellenie pour exprimer une seigneurie & justice qui ne releve pas directement de la couronne. Ces châtellenies n'avoient anciennement que la basse justice ; c'est pourquoi quelques coûtumes, comme Anjou, Maine, & Blois, portent que les châtelains n'ont que basse justice ; mais présentement la plûpart des châtellenies sont en possession de la haute justice, tellement que dans quelques anciens praticiens, châtellenie se prend pour toute haute-justice, même relevant directement du Roi ; & l'on voit d'anciens contrats qui commencent par ces mots, en la cour de châtellenie de Blois, de Tours, de Chartres, &c. Il y a donc deux sortes de châtellenies ; les unes royales, les autres seigneuriales. Voyez Loyseau, des seigneuries, ch. vij. & ci-devant CHATELAINS. (A)


CHATELLERAUT(Géog.) ville de France en Poitou, avec titre de duché-pairie, sur la Vienne. Long. 19. 13. 4. lat. 46. 33. 36.


CHATEPELEUSEvoyez CHARENÇON.


CHATHAM(Géog.) ville d'Angleterre dans la province de Kent, sur la Tamise, près de Londres, fameuse par le grand nombre de vaisseaux qu'on y construit.


CHATIBS. m. (Hist. mod.) c'est un ministre qui a dans la religion mahométane à peu-près le même état & les mêmes fonctions qu'un curé de ville, ou qu'un aumônier de cour, dans la religion chrétienne. Les imans ne sont que des curés de campagne, ou des desservans de mosquées peu considérables.


CHATIÉadj. se dit en Littérature, d'un style où l'on ne s'est permis aucune licence, aucune répétition de mots trop voisine, ni sur-tout aucune faute legere de langue. Il est synonyme en Peinture à sage & correct.


CHATIERCHATIER


CHATIERES. f. (Econom. domestiq.) c'est une ouverture quarrée pratiquée aux portes des caves, des greniers, & de tous les endroits d'une maison où l'on renferme des choses qui peuvent être attaquées par les souris & par les rats, & où il faut donner accès aux chats pour qu'ils détruisent ces animaux. Chatiere se prend encore dans un autre sens, voyez l'article suivant.

CHATIERE, s. f. (Hydraulique) differe de la pierrée, en ce qu'elle est moins grande, & bâtie seulement de pierres seches posées de champ des deux côtés, & recouverte de pierres plates appellées couvertures, ensorte qu'elles forment un espace vuide d'environ 9 à 10 pouces en quarré, pour faire écouler l'eau superflue d'un bassin, ou d'une très-petite source. Ces chatieres bâties ainsi legerement sont fort sujettes à s'engorger. (K)


CHATIGAN(Géog.) ville riche & considérable d'Asie, dans les Indes, au royaume de Bengale, sur le Gange.


CHATILLONpoisson, (Hist. nat.) voyez LAMPRILLON. (I)


CHATILLON-SUR-CHALARONNE(Géog.) ville de France dans la Bresse, sur la riviere de Chalaronne.

CHATILLON-SUR-LOING, (Géog.) petite ville de France dans le Gâtinois.

CHATILLON-SUR-LOIRE, (Géog.) petite ville de France en Berri, sur les confins de la Puisaye, sur la Loire.

CHATILLON-SUR-MARNE, (Géog.) ville de France en Champagne.

CHATILLON-SUR-SAONE, (Géog.) petite ville de France en Lorraine, au duché de Bar, sur les frontieres de Champagne.

CHATILLON-SUR-SEINE, (Géog.) ville de France en Bourgogne, sur la Seine.

CHATILLON-SUR-INDRE, (Géog.) ville de France en Touraine, sur les confins du Berri.

CHATILLON DE MICHAILLE, (Géog.) petite ville de France dans le Bugei, près du Rhône.

CHATILLON DE PESCAIRE, (Géog.) ville d'Italie en Toscane, dans le territoire de Sienne.


CHATIMENTS. m. terme qui comprend généralement tous les moyens de sévérité, permis aux chefs des petites sociétés, qui n'ont pas le droit de vie & de mort ; & employés, soit pour expier les fautes commises par les membres de ces sociétés, soit pour les ramener à leur devoir & les y contenir. La fin du châtiment est toujours ou l'amendement du châtié, ou la satisfaction de l'offensé. Il n'en est pas de même de la peine, voyez PEINE. Sa fin n'est pas toujours la réformation du coupable, puisqu'il y a un grand nombre de cas où l'espérance d'amendement vient à manquer, & où la peine peut être étendue jusqu'au dernier supplice. Quant à l'autorité des chefs des petites sociétés, voyez PERES, MAITRES, SUPERIEURS, &c. c'est le souverain qui inflige la peine ; c'est un supérieur qui ordonne le châtiment. Les lois du gouvernement ont désigné les peines ; les constitutions des sociétés ont marqué les châtimens. Le bien public est le but des unes & des autres. Les peines & les châtimens sont sujets à pécher par excès ou par défaut. Comme il n'y a aucun rapport entre la douleur du châtiment & de la peine, & la malice de l'action, il est évident que la distribution des peines & des châtimens, relative à l'énormité plus ou moins grande des fautes, a quelque chose d'arbitraire, & que, dans le fond, il est tout aussi incertain si l'on s'acquite d'un service par une bourse de loüis, que si l'on fait expier une insulte par des coups de bâton ou de verges ; mais heureusement, que la compensation soit un peu trop forte ou trop foible, c'est une chose assez indifférente, du moins par rapport aux peines en général, & par rapport aux châtimens désignés par les regles des petites sociétés. On a connu ces regles, en se faisant membre de ces sociétés ; on en a même connu les inconvéniens ; on s'y est soumis librement ; il n'est plus question de reclamer contre la rigueur. Il ne peut y avoir d'injustices que dans les cas où l'autorité est au-dessus des lois, soit que l'autorité soit civile, soit qu'elle soit domestique. Les supérieurs doivent alors avoir présente à l'esprit la maxime, summum jus, summa injuria ; peser bien les circonstances de l'action ; comparer ces circonstances avec celles d'une autre action, où la loi a prescrit la peine ou le châtiment, & mettre tout en proportion ; se ressouvenir qu'en prononçant contre autrui, on prononce aussi contre soi-même, & que si l'équité est quelquefois severe, l'humanité est toujours indulgente ; voir les hommes plutôt comme foibles que comme méchans ; penser qu'on fait souvent le rolle de juge & de partie ; en un mot se bien dire à soi-même que la nature n'a rien institué de commun entre des choses dont on prétend compenser les unes par les autres, & qu'à l'exception des cas où la peine du talion peut avoir lieu, dans tous les autres on est presque abandonné au caprice & à l'exemple.

CHATIMENS MILITAIRES, sont les peines qu'on impose à ceux qui suivent la profession des armes, lorsqu'ils ont manqué à leur devoir.

Les Romains ont porté ces châtimens jusqu'à la plus grande rigueur. Il y a eu des peres qui ont fait mourir leurs enfans ; entr'autres le dictateur Posthumius qui fit exécuter à mort son propre fils, après un combat où il avoit défait les ennemis, parce qu'il avoit quitté son poste sans attendre ses ordres. Lorsqu'il arrivoit qu'un corps entier, par exemple une cohorte, avoit abandonné son poste, c'étoit, selon Polybe, un châtiment assez ordinaire de la décimer par le sort, & de faire donner la bastonnade à ceux sur qui le malheur étoit tombé. Le reste étoit puni d'une autre maniere ; car au lieu de blé, on ne leur donnoit que de l'orge, & on les obligeoit de loger hors du camp exposés aux insultes des ennemis.

Les François, lors de l'origine ou du commencement de leur monarchie, userent aussi d'une grande sévérité pour le maintien de la police militaire ; mais cette sévérité s'est insensiblement adoucie. On se contente de punir les officiers que la crainte ou la lâcheté ont fait abandonner de bons postes, par la dégradation des armes & de la noblesse.

Le capitaine Franget ayant été assiégé dans Fontarabie, sous François I. en 1523, & s'étant rendu au bout d'un mois, quoique rien ne lui manquât pour soutenir un plus long siége ; après la prise de la place il fut conduit à Lyon, & mis au conseil de guerre ; il y fut déclaré roturier, lui & tous ses descendans, avec les cérémonies les plus infamantes.

M. du Pas ayant en 1673 rendu Naerden au prince d'Orange, après un siége de huit jours, qu'on prétendit qu'il pouvoit prolonger beaucoup plus de tems, fut aussi mis au conseil de guerre après la prise de la place, & dégradé de noblesse & des armes, pour s'être rendu trop-tôt. Il obtint l'année d'ensuite de servir à la défense de Grave, où il fut tué, après avoir fait de belles actions qui rétablirent sa réputation. Ces sortes d'exemples sont beaucoup plus communs en Allemagne qu'en France. M. le comte Darco, ayant rendu Brisack en 1703, après 13 jours de tranchée ouverte, fut condamné à avoir la tête tranchée, ce qui fut exécuté.

Le maréchal de Crequi étant assiégé dans Treves après la perte de la bataille de Consarbick, & quelques officiers de la garnison ayant traité avec l'ennemi pour lui remettre la ville, ce qu'ils exécuterent malgré ce maréchal : la garnison ayant été conduite à Metz, les officiers les plus coupables furent condamnés à avoir la tête tranchée ; les autres furent dégradés de noblesse, & l'on décima aussi les soldats, parce que M. de Crequi s'étant adressé à eux, ils avoient refusé de lui obéir.

La desertion se punit en France par la peine de mort. On fait passer les soldats par les armes ; mais s'il y en a plus de trois pris ensemble, on les fait tirer au sort. Voyez DESERTEUR.

Il y a des crimes pour lesquels on condamne les soldats au foüet ; il y en a d'autres plus legers pour lesquels on les met sur le cheval de bois. C'est ainsi qu'on appelle deux planches mises en dos d'âne, terminées par la figure d'une tête de cheval, élevées sur deux treteaux dans une place publique, où le soldat est comme à cheval avec beaucoup d'incommodité, exposé à la vûe & à la dérision du peuple. On lui pend quelquefois des fusils aux jambes, pour l'incommoder encore davantage par ce poids.

C'est encore un châtiment usité que celui des baguettes. Le soldat a les épaules nues, & on le fait passer entre deux haies de soldats qui le frappent avec des baguettes. Ce châtiment est infamant, & l'on n'y condamne les soldats que pour de vilaines actions. On les casse & on les chasse quelquefois de la compagnie après ce supplice. (Q)


CHATOIERverb. neut. (Lithol.) expression tirée de l'oeil du chat, & transportée dans la connoissance des pierres. C'est montrer dans une certaine exposition à la lumiere, un ou plusieurs rayons brillans, colorés ou non colorés, au-dedans ou à la surface, partant d'un point comme centre, s'étendant vers les bords de la pierre, & disparoissant à une autre exposition à la lumiere.


CHATONS. m. flos amentaceus, julus, terme de Botanique, par lequel on désigne les fleurs stériles. Il y en a qui ne sont composées que d'étamines ou de sommets, d'autres qui ont aussi de petites feuilles : ces parties sont attachées à un axe en forme de poinçon ou de queue de chat, d'où vient le mot de chaton. Cette fleur est toujours séparée du fruit, soit qu'elle se trouve sur un individu différent de celui qui porte le fruit, soit que la même plante produise la fleur & le fruit. Voyez PLANTE. (I)

* CHATON, (Bijout.) c'est la partie d'une monture de pierreries d'une bague, &c. qui contient le diamant, qui l'environne en-dessous, & dont les bords sont sertis sur la pierre.


CHATOUILLEMENTS. m. (Physiolog.) espece de sensation hermaphrodite qui tient du plaisir quand elle commence, & de la douleur quand elle est extrême. Le chatouillement occasionne le rire ; il devient insupportable, si vous le poussez loin ; il peut même être mortel, si l'on en croit plusieurs histoires.

Il faut donc que cette sensation consiste dans un ébranlement de l'organe du toucher qui soit leger, comme l'ébranlement qui fait toutes les sensations voluptueuses, mais qui soit cependant encore plus vif, & même assez vif pour jetter l'ame & les nerfs dans des agitations, dans des mouvemens plus violens, que ceux qui accompagnent d'ordinaire le plaisir : & par-là cet ébranlement approche des secousses qui excitent la douleur.

L'ébranlement vif qui produit le chatouillement, vient 1° de l'impression que fait l'objet, comme lorsqu'on passe legerement une plume sur les levres : 2° de la disposition de l'organe extrèmement sensible, c'est-à-dire des papilles nerveuses de la peau, très-nombreuses, très-susceptibles d'ébranlement, & fournies de beaucoup d'esprits ; c'est pourquoi il n'y a de chatouilleux que les tempéramens très-sensibles, très-animés, & que les endroits du corps qui sont les plus fournis de nerfs.

L'organe peut être encore rendu sensible, comme il faut qu'il soit pour le chatouillement, par une disposition legerement inflammatoire : c'est à cette cause qu'il faut rapporter les démangeaisons sur lesquelles une legere friction fait un si grand plaisir ; mais ce plaisir, comme le chatouillement, est bien voisin de la douleur.

Outre ces dispositions de l'objet & de l'organe, il entre encore dans le chatouillement beaucoup d'imagination, aussi bien que dans toutes les autres sensations.

Si l'on nous touche aux endroits les moins sensibles avec un air marqué de nous chatouiller, nous ne pouvons le supporter ; si au contraire on approche la main de notre peau sans aucune façon, nous n'en sentirons pas une grande impression : aux endroits même les plus chatouilleux, nous nous y toucherons nous-mêmes avec la plus grande tranquillité. La surprise ou la défiance est donc une circonstance nécessaire aux dispositions des organes & de l'objet pour le chatouillement.

Ce sentiment de l'ame porte une plus grande quantité d'esprits dans ces organes, & dans tous les muscles qui y ont rapport ; elle les y met en action, & par-là elle rend & l'organe plus tendu, plus sensible, & les muscles prêts à se contracter à la moindre impression. C'est une espece de terreur dans l'organe du toucher. Voyez les articles SENSATIONS, PLAISIR, DOULEUR, NERF, SYMPATHIE, TACT. Cet article est de M(D.J.)


CHATOUILLERCHATOUILLER

CHATOUILLER le remede, (à la Monnoie) se dit dans le cas où le directeur approchant de très-près le remede de loi, la différence en est infiniment petite. Voyez REMEDE DE LOI.


CHATOUILLEUXadj. terme de Manege : on appelle cheval chatouilleux, celui qui pour être trop sensible à l'éperon & trop fin, ne le fait pas franchement, & n'y obéit pas d'abord, mais y résiste en quelque maniere, se jettant dessus lorsqu'on approche les éperons pour le pincer. Les chevaux chatouilleux ont quelque chose des ramingues, excepté que le ramingue recule, saute, & rue pour ne pas obéir aux éperons ; au lieu que le chatouilleux y résiste quelque tems, mais obéit ensuite, & va beaucoup mieux par la peur d'un jarret vigoureux, lorsqu'il sent le cavalier étendre la jambe, qu'il ne va par le coup même. Voyez RAMINGUE.


CHATRE(LA) Géog. petite ville de France en Berri sur l'Indre. Long. 19. 36. lat. 46. 35.


CHATRÉ(Méd.) voyez EUNUQUE.

CHATRE. (Médecine, Diete) Les animaux chatrés adultes fournissent à nos tables une viande plus tendre, plus délicate, & plus succulente que celles des animaux de la même espece qui n'ont pas essuyé la castration. Cette opération perpétue pour ainsi dire, l'enfance de ces animaux (voyez EUNUQUE) ; & c'est aussi dans cette vûe qu'on la pratique sur les seuls animaux domestiques, destinés à être mangés dans un âge un peu avancé, ou lorsqu'ils auront leur accroissement parfait, comme le boeuf, le mouton, le cochon, le chapon, &c. Elle est inutile pour ceux que nous mangeons avant leur adolescence, comme le pigeonneau, le canneton, &c.

Au reste, la pratique de chatrer les animaux destinés à la nourriture des hommes est très-ancienne parmi eux, du-moins chez les nations civilisées : car les Cannibales ne se sont pas avisés encore de chatrer les prisonniers qu'ils engraissent pour leurs festins. Voyez CASTRATION & CHATRER. (b)


CHATRERv. act. en général, c'est priver un animal de ses testicules. Voy. CASTRATION. On se sert du même verbe quelquefois au figuré, & l'on dit aussi-bien chatrer un arbre qu'un cheval.

CHATRER un cheval, c'est lui ôter les testicules. On châtre de deux façons, ou avec le feu, ou avec le caustic. Voici comme on s'y prend avec le feu. L'opérateur fait mettre à sa portée deux seaux pleins d'eau, un pot à l'eau, deux couteaux de feu quarrés par le bout sur le feu du rechaut, du sucre en poudre, & plusieurs morceaux de résine, son bistouri, & ses morailles.

Après avoir abattu le cheval, on lui leve le pié de derriere jusqu'à l'épaule, & on l'arrête par le moyen d'une corde qui entoure le cou, & revient se noüer au pié.

Le chatreur se mettant à genoux derriere la croupe, prend le membre, le tire autant qu'il peut, le lave & le décrasse, aussi-bien que le fourreau & les testicules ; après quoi il empoigne & serre au-dessus d'un testicule, & tendant par ce moyen la peau de la bourse, il la fend en long sous le testicule, puis il fait sortir celui-ci par l'ouverture ; & comme le testicule tient par un de ses bouts du côté du fondement à des membranes qui viennent avec lui, il coupe ces membranes avec le bistouri : puis il prend sa moraille, & serre au-dessus du testicule sans prendre la peau, en arrêtant l'anneau de la moraille dans la cremaillere : on voit alors le testicule en-dehors & le parastan, qui est une petite grosseur du côté du ventre au-dessus. C'est au-dessous de cette grosseur, ou plûtôt entr'elle & le testicule, qu'il coupe avec le couteau de feu ; le testicule tombe : il continue à brûler toutes les extrémités des vaisseaux sanguins, en mettant sur ces vaisseaux des morceaux de résine qu'on fait fondre sur la partie avec le couteau de feu à plat : on finit par saupoudrer & brûler du sucre pardessus la résine ; ensuite abaissant la peau, on recommence la même opération à l'autre testicule. Il y a des chatreurs qui ont des morailles doubles, avec lesquelles ils serrent & brûlent tout de suite les deux testicules. On fait ensuite jetter de l'eau dans la peau des bourses ; & après que le cheval est relevé, on lui jette à plusieurs reprises l'autre seau d'eau sur le dos & sur le ventre.

La chatrure avec le caustic se fait de la maniere suivante. L'opérateur est muni de quatre morceaux de bois longs de six pouces, larges d'un pouce, creux dans leur longueur d'un canal qui laisse un rebord d'une ligne tout-autour ; les deux bouts de chaque bâton sont terminés par deux ronds ou boules faites du même morceau de bois : c'est dans ce canal qu'est le caustic, qui le remplit entierement. Il est composé de sublimé corrosif fondu dans de l'eau & réduit en consistance de pâte avec de la farine. Après que le chatreur a préparé le testicule comme on vient de dire, il serre le dessus avec deux de ces bâtons, dont il met les deux canaux vis-à-vis l'un de l'autre, & qu'il lie ensemble par les deux bouts avec une ficelle ; il coupe le testicule au-dessous avec le bistouri, & laisse les bâtons ainsi liés, que le cheval emporte avec lui, & qui tombent d'eux-mêmes au bout de neuf jours.

Le lendemain, soit que l'opération ait été faite par le feu ou le caustic, on mene le cheval à l'eau, & on l'y fait entrer jusqu'à la moitié du ventre.

La seule différence qu'il y ait entre ces deux opérations, c'est qu'il est plus rare que la partie enfle avec le caustic qu'avec le feu ; mais du reste il n'y a pas plus de danger à l'une qu'à l'autre.

Le grand froid & le grand chaud sont contraires à cette opération ; e'est pourquoi il faut la faire dans un tems tempéré. Voyez l'article CHEVAL. (V)

CHATRER, (Jard.) se dit d'un arbre qui pousse trop abondamment, & dont il est nécessaire de couper plusieurs branches.

On dit encore chatrer des melons, des concombres, quand on les décharge de leurs branches inutiles. Chatrer un oeillet, un fagot, un coteret, une ruche de mouches à miel.


CHATREou ARPAJON, (Géog.) petite ville de l'île de France dans le Hurepoix, sur la riviere d'Orge.


CHATTES. f. (Mar.) c'est une espece de barque qui a les hanches & les épaules rondes, & qui est communément du port de soixante à cent tonneaux. Elle est rase, grossierement construite, & sans aucun accastillage. Elle n'a que deux mâts, dont les voiles portent des bonnettes maillées. Elles servent à charger & décharger les vaisseaux. (Z)

CHATTE, autrement TRAVERSIER, terme de Pêche, sorte de bateau à trois mâts.


CHATZAN(Géog.) ville d'Asie au royaume de Hajacan, sous la domination du grand-mogol, au confluent des rivieres de Nilab & Behat.


CHAUDadj. voyez CHALEUR.

CHAUD, (Méd.) tempérament chaud, médicament chaud, aliment chaud, dans la doctrine de Galien ; voyez TEMPERAMENT, QUALITE, & GALENISME.

CHAUD, (Docimasie) donner chaud ; expression technique qui signifie animer le feu dans un fourneau d'essai rempli de charbons allumés, en ouvrant le soûpirail ou la porte du cendrier, & en mettant un ou plusieurs gros charbons embrasés à l'embouchure de la moufle. Voyez ESSAI.

CHAUD, (Géog.) petite ville d'Italie en Savoie, entre le lac d'Annecy & la riviere de Serran.


CHAUDES. f. c'est l'action de faire chauffer le fer suffisamment pour être forgé, jointe à l'action de forger. Ainsi on dit, ce morceau a été forgé en une, deux, trois chaudes.

CHAUDE grasse ou suante, se dit de celle où le fer sortant de la forge est bouillonnant & presque en fusion. Lorsque le fer est pailleux ; & qu'il s'agit de le souder, on lui donne la premiere chaude grasse ou suante.

Il est donc à propos alors de ne frapper le fer qu'à petits coups ; si on le battoit à grands coups, il s'écarteroit en tous sens en petites portions.

Il y a tel fer qu'il ne faut chauffer qu'à blanc, d'autre à qui il ne faut donner que la couleur de cerise, d'autre qu'il faut chauffer plus rouge, selon que le fer est plus ou moins doux. Les fers doux souffrent moins le feu que les fers communs.

CHAUDE, en termes de Verrerie, se dit du point de cuisson que l'on donne à la matiere propre à faire des verres. Une telle chaude a produit un millier de verres. Voyez VERRERIE.

CHAUDE-COLLE, (Jurisp.) quasi chaude colere, c'est-à-dire calore iracundiae, du premier mouvement de colere, & non de dessein prémédité : cette expression qui est fort ancienne, se trouve employée dans deux articles de la coûtume de Senlis, savoir en l'article 110 : le moyen-justicier connoît de celui qui a donné coups orbes (c'est-à-dire sans effusion de sang ni ouverture de plaie, de chaude-colle, sans toutefois prendre or, argent, ou chose promise, & sans propos délibéré, ni de fait précogité. Voyez aussi l'article 96. de la même coûtume. Bouteiller, dans sa somme rurale liv. II. tit. xxxiij. p. 832. lig. 38. Stylus parlamenti, part. I. cap. 31. Les lois de Robert, advoué de Bethune, abbé de saint Amand, publiées par Lindanus, dans son hist. de Terremonde, liv. III. ch. ij. pag. 145. art. 2. Lauriere, glossaire, au mot chaude-colle. (A)

CHAUDE-MELEE, est la même chose que chaude-colle. Voyez CHAUDE-COLLE. (A)

CHAUDE-SUITE, (Jurisp.) poursuite d'un accusé. Coûtume de la Marche, art. 12. Voyez CHAUDE-CHASSE. (A)

CHAUDE-CHASSE, (Jurispr.) signifie poursuite de prisonnier. Coûtume de la Marche, art. 12. Bouteiller, som. rur. liv. II. tit. xxxiij. p. 831. (A)


CHAUDEPISSES. f. (Chirurgie) est le premier degré ou le premier état du mal vénérien. Les Médecins l'appellent plus ordinairement gonorrhée. Voy. MAL VENERIEN, GONORRHEE.

Le docteur Cockburn & d'autres après lui prétendent que la chaudepisse consiste dans l'ulcération des orifices des glandes de l'urethre dans les hommes, & des lacunes glandulaires dans les femmes, causée par une matiere acre & purulente qui s'y est introduite lors du coït de la part de la personne gâtée.

De ces glandes sort & découle une matiere mordicante & corrosive, accompagnée d'ardeur d'urine & de tension dans la partie, &c. & c'est-là le premier période de la maladie.

La chaudepisse se déclare plûtôt ou plus tard ; mais le plus ordinairement trois ou quatre jours après que le mal a été pris ; & cela par un écoulement de sperme par le penis, avec inflammation au gland.

Si la personne est affectée d'un phimosis ou paraphimosis ; si la matiere qui flue est tenue, jaunâtre ou verdâtre ; si elle vient abondamment, & que les testicules soient enflés, c'est ce qu'on appelle gonorrhée virulente ; & le mal est alors à son second période.

Quelques auteurs veulent qu'en cet état ou période de la maladie, le levain infect a déjà atteint la masse du sang & les vésicules séminales : d'autres imputent simplement ces symptomes à ce que l'écoulement ou le virus étant extrèmement corrosif, il irrite & enflamme les parties adjacentes.

On procede à la cure de la chaudepisse par des évacuans convenables, tels que les purgatifs de calomel, les émulsions, les poudres, & autres remedes réfrigératifs, les émétiques de turbith ; & enfin des préparations de térébenthine, &c. à quoi quelques-uns ajoûtent des décoctions de bois-de-vie, &c. Quant aux remedes externes, ils consistent en général en fomentations, cataplasmes, linimens, & lotions.

Quelques auteurs modernes, & singulierement le docteur Cockburn, veulent qu'on s'en tienne aux seules injections, sans employer d'autres remedes. Ce système a autorisé la pratique des charlatans, qui, se reposant sur l'effet de leurs injections, arrêtent l'écoulement, & donnent lieu par-là à la formation d'une vérole bien complete .

Le turbith minéral, le calomel, &c. donnés en petites doses, & continués pendant quelque tems, sont très-salutaires en qualité d'altérans ; joignez-y les onguens de mercure en assez petite quantité, pour qu'ils n'aillent pas jusqu'à procurer la salivation ; & pour l'ordinaire on vient à bout de la maladie vénérienne, à quelque période qu'elle soit. Voilà la pratique qu'on suit à Montpellier. Voyez SALIVATION, MERCURE, &c.

Le nom de chaudepisse a été donné à ce mal, à cause de l'ardeur que sentent en urinant ceux qui en sont attaqués. Or cette ardeur provient, comme on s'en est assûré par les dissections, de ce que l'urethre a été excorié par la virulence de la matiere qui s'y est introduite de la part de la femme gâtée ; excoriation ou ulcération qui ne se borne pas aux orifices ou embouchures des glandes muqueuses de l'urethre, comme plusieurs auteurs modernes l'ont prétendu, mais qui peut attaquer indistinctement toutes les parties de l'urethre ; & l'urine par les sels qu'elle contient, venant à irriter & à picoter les fibrilles nerveuses de l'urethre, qui pour lors est dénué de sa membrane naturelle, excite en passant ce sentiment d'ardeur & de cuisson, dont se plaignent ceux qui ont la chaudepisse.

Les chaudepisses négligées ou mal guéries, suivant les formules qu'on trouve dans les livres, lesquelles peuvent être très-mal appliquées, quoiqu'elles puissent être très-bonnes en elles-mêmes, produisent des maladies très-fâcheuses. Voyez CARNOSITE. (Y)


CHAUDERETsub. m. en terme de Batteur d'or ; c'est un livre contenant huit cent cinquante feuilles de boyaux de boeuf, non compris un cent d'emplures. Voyez EMPLURE. Le chauderet, ainsi que le cocher & la moule, est partagé en deux ; chaque partie a cinquante emplures, vingt-cinq dessus & vingt-cinq dessous. Les deux premieres, de quelque côté où elles se trouvent, sont toûjours une fois plus fortes que les autres. Cette division de ces outils en deux parties égales, se fait afin que, quand on a battu d'un côté, on puisse retourner l'instrument de l'autre. Le chauderet commence à donner la perfection, & la moule acheve. Voyez MOULE.

Quoique ce ne soient pas les Batteurs d'or qui fassent leurs outils, nous ne laisserons pas de parler de leur fabrique à leur article ; parce que ceux qui s'occupent à les faire, n'ont point de nom qui ait rapport à leur art. Les chauderets & les moules sont composés, comme nous l'avons dit, de boyaux de boeuf, ou de baudruche, qui n'est autre chose qu'une peau très-fine, tirée de dessus le gros boyau du boeuf. On marie deux de ces peaux par le moyen de l'eau dont elles sont trempées, en les étendant sur un chassis ou planche de bois, le plus qu'il est possible. Elles ne se détachent jamais, quand elles sont bien séchées à l'air. On les dégraisse ensuite, en les enfermant dans des livres de papier blanc, dans lequel on les bat jusqu'à deux fois, en changeant de papier à chaque reprise. On leur donne le fond, voy. FOND. On les fait sécher sur des toiles neuves. Les vieilles ayant toûjours un duvet auquel les feuilles imbibées de la liqueur s'attacheroient, on remet ces feuilles dans un autre livre de papier humidié avec du vin blanc pour les unir ; ensuite on les détire à deux par les quatre coins, & on n'y laisse aucun senard ou pli, parce qu'ils empêcheroient l'or de couler ou de marcher sous le marteau. De-là les feuilles sont emplies dans une plaine, voyez PLAINE ; c'est un outil de feuilles de vélin qui ne sert qu'à cela, pour y être battues jusqu'à ce qu'elles soient bien seches ; on les quadre sur une mesure de toile ou de fer blanc de cinq pouces en tout sens. On les met l'une sur l'autre, & on les bat à sec, c'est-à-dire sans être enfermées dans aucun outil, pour les sécher parfaitement ; on les brunit avec une patte de lievre & une poudre grise tirée d'un gips qu'on a calciné & passé à plusieurs reprises dans des tamis de plus en plus fins. Cette poudre se nomme brun ; enfin on presse les feuilles pour leur ôter le reste de l'humidité qu'elles auroient pû conserver. Voyez BATTEUR D'OR.


CHAUDERONS. m. (Art méchaniq.) vaisseau plus petit que la chaudiere, de cuivre ou d'airain, & d'un usage presque infini, soit dans les arts, soit dans la vie domestique. Voici quelques-uns de ces usages qui feront voir qu'il en a été du mot chauderon comme du mot chaudiere, & qu'on les a transportés l'un & l'autre des ustensiles avec lesquels ils avoient seulement de la conformité, soit par la figure, soit par l'emploi.

CHAUDERONS DE DODONE, (Mytholog.) Les chauderons resonnans de Dodone ont été très-fameux dans l'antiquité. Voici la description qu'on en trouve dans Etienne de Bysance : " Il y avoit à Dodone deux colonnes paralleles & proches l'une de l'autre. Sur l'une de ces colonnes étoit un vase de bronze, de la grandeur ordinaire des chauderons de ce tems ; & sur l'autre colonne, une statue d'enfant. Cette statue tenoit un foüet d'airain mobile & à plusieurs cordes. Lorsqu'un certain vent venoit à souffler, il poussoit ce foüet contre le chauderon, qui resonnoit tant que le vent duroit ; & comme ce vent régnoit ordinairement à Dodone, le chauderon resonnoit presque toûjours : c'est de-là qu'on fit le proverbe, airain de Dodone, qu'on appliquoit à quelqu'un qui parloit trop, ou à un bruit qui duroit trop long-tems ". Il me semble que les auteurs & les critiques seroient très-bien représentés, les uns par les chauderons d'airain de Dodone, les autres par la petite figure armée d'un foüet, que le vent poussoit contre les chauderons. La fonction de nos gens de lettres est de resonner sans-cesse ; celle de nos critiques de perpétuer le bruit : & la folie des uns & des autres, de se prendre pour des oracles.

CHAUDERON, terme de Boyaudier, espece de baquets dans lesquels ces ouvriers mettent tremper les boyaux ; ce sont pour l'ordinaire des tonneaux coupés en deux par le milieu, dont les cercles sont de fer, qu'on remplit d'eau, & dans lesquels on met amortir les boyaux. Voyez BOYAUDIER.

CHAUDERON, ustensile de cuisine, qui est ordinairement ou de cuivre ou de fer de fonte, avec une anse de fer mobile : cette anse sert à le suspendre sur le feu à une crémailliere.

CHAUDERON DE POMPE, (Marine) on appelle ainsi en terme de Marine une piece de cuivre faite à-peu-près comme un chauderon, & percée d'une quantité de trous ronds, dont on entoure le bas de la pompe d'un vaisseau, pour empêcher les ordures d'entrer avec l'eau dans le corps de la pompe. (Z)

CHAUDERON, en terme de Bottier ; c'est une genouilliere aussi haute en-dedans qu'en-dehors, & qui par son égale profondeur ressemble assez à un chauderon. Voyez la figure 47. Planche du Cordonnier-Bottier.


CHAUDERONNERIEmarchandise de chaudieres, chauderons, & autres ustensiles de cuisine.


CHAUDERONNIERS. m. ouvrier autorisé à faire, vendre, & faire exécuter toutes sortes d'ouvrages en cuivre, tels que chaudiere, chauderon, poissonniere, fontaine, &c. en qualité de maître d'une communauté appellée des Chauderonniers. Ils ont quatre jurés ; deux entrent & deux sortent chaque année. Il faut avoir fait six ans d'apprentissage. On donne le nom de Chauderonniers au sifflet, à ces ouvriers d'Auvergne qui courent la province, & qui vont dans les rues de la ville achetant & revendant beaucoup de vieux cuivre, en employant peu de neuf. Voici des ouvriers dont on ne connoît point encore les réglemens : il faut pourtant convenir qu'il importe beaucoup au public qu'ils en ayent, & que ces réglemens soient bien exécutés, puisqu'ils emploient une matiere qui peut être livrée au public plus ou moins pure.


CHAUDESAIGNES(Géog.) petite ville de France en Auvergne, dans la généralité de Riom.


CHAUDIERES. f. (Art. méch.) c'est en général un grand vaisseau de cuivre ou d'airain à l'usage d'un grand nombre d'artistes, entre lesquels on peut compter les suivans, qui sont les principaux, mais non les seuls. On a appliqué le nom de chaudiere en plusieurs occasions où l'on a été suggéré par la ressemblance des formes : ainsi on dit la chaudiere d'un volcan.

CHAUDIERE, en terme d'Argenteur, est un vase de fonte peu profond, sur lequel on place les mandrins de porte-mouchettes, parce qu'il faut toûjours les entretenir très-chauds ; ce qui se fait par le moyen du feu dont la chaudiere est pleine. Voyez Pl. de l'Argent. fig. 15. La fig. 3. représente un ouvrier qui travaille sur un porte-mouchette posé sur la chaudiere, qui est posée sur un tonneau pour qu'elle soit plus élevée. Voyez ARGENTEUR.

CHAUDIERE, c'est un vaisseau de cuivre dont on se sert dans les navires pour faire cuire les viandes & les autres vivres de l'équipage. On dit faire chaudiere, pour dire, faire à manger à l'équipage. (Z)

CHAUDIERE D'ETUVE, (Marine) c'est une grande chaudiere de cuivre maçonnée, dans laquelle on fait chauffer le goudron pour goudronner les cables. Voyez la Pl. X. Marine, fig. 2. la situation de la chaudiere A sur les fourneaux dans l'étuve. (Z)

CHAUDIERE, (Brasseur) grand vase d'airain dont les Brasseurs se servent pour faire chauffer l'eau & cuire la biere. Voyez BRASSERIE.

CHAUDIERE, terme de Chapelier ; ces ouvriers ont deux chaudieres principales ; l'une très-grande, pour la teinture ; l'autre plus petite, pour la foule. Ces deux chaudieres ont chacune leur fourneau. Voyez CHAPEAU. Voyez Pl. du Chapelier.

CHAUDIERE, ustensile de cuisine à une anse de fer, faite de cuivre jaune battu, à-peu-près de la même profondeur par-tout. Il y a des chaudieres de cuisine de toute grandeur.

CHAUDIERE, en terme d'Epinglier ; c'est un grand vase de cuivre rouge très-profond, & qui n'a pas plus de circonférence qu'il en faut pour contenir les plaques. Voyez PLAQUES, & les fig. 12. & 13. Pl. II. de l'Epinglier ; 12. est le couvercle, & 13. la chaudiere.

CHAUDIERE, terme de Papeterie ; c'est une espece de cuve d'airain B (Planches de Papeterie), ordinairement surmontée de bois, dans laquelle on met la pâte délayée avec de l'eau destinée à la fabrique du papier. Cette chaudiere est ordinairement garnie tout-autour d'un massif de maçonnerie : au-dessous de la chaudiere est pratiqué un fourneau C, où on entretient toûjours un feu leger, pour communiquer une chaleur modérée à la matiere, & l'empêcher de se mettre en grumeaux. La chaudiere qui est de forme elliptique ou ovale, n'occupant point tout le massif de maçonnerie qui est quarré, les angles de ce massif sont recouverts par une table de bois quarrée, dans un côté de laquelle est une entaille assez grande pour que l'ouvrier A puisse s'y placer.

CHAUDIERE, s. f. ustensile de pêche avec lequel on prend des salicots ou barbaux, sorte de poissons. C'est une espece de filet qu'on voit Pl. A de Pêche, fig. 4.

Les pêcheurs qui veulent faire cette pêche ont cinq ou six cercles de fer rond, de la grosseur du doigt, & de douze à quinze pouces de diametre, sur lesquels sont amarrés de petits sacs de rets dont les mailles ont environ quatre lignes en quarré ; ainsi elles sont semblables au bouteux ou bout de quievre. Les pêcheurs placent quelques crabes au fond du sac pour servir d'appât aux salicots : sur le cercle de la chaudiere sont trois bouts de lignes qui se réunissent à un demi-pié de distance du cercle de fer ; ces trois bouts de lignes sont frappés sur une autre ligne plus longue, garnie par le haut d'une flotte de liége, pour que le pêcheur puisse reconnoître où sont les chaudieres : le bas de cette grande ligne est aussi garni d'une flotte de liége, dont l'usage est de soûtenir dans l'eau les trois premieres lignes dont nous avons parlé. Le pêcheur jette ces sortes d'instrumens garnis d'appât entre les roches, & les releve de tems en tems au moyen d'une petite fourche qu'il passe sous la flotte qui est à la surface de l'eau : il retire de cette maniere les salicots qui se trouvent dans la chaudiere. Il continue cette pêche tant que la basse eau le lui permet. Cette pêche se fait depuis le printems jusqu'en automne. Voyez la fig. 3. Pl. IV. de Pêche : l'homme qui est à côté de celui qui releve les chaudieres, fait avec un crochet la recherche du poisson plat entre les roches.

CHAUDIERE, en terme de Fondeur de petit plomb, est un grand vaisseau de fonte monté sur un fourneau de maçonnerie, dans lequel on fait fondre le plomb.

CHAUDIERE, en terme de Raffineur de sucre, c'est un grand vase de cuivre rouge, creux, élargi vers ses bords, composé de pieces rapportées, dont la grandeur n'est déterminée que par l'usage. Il y en a de trois ou quatre sortes, à qui, outre le nom général de chaudiere, on ajoûte pour les distinguer celui des matieres à la perfection desquelles elles servent. Voy. CHAUDIERE A CUIRE, CHAUDIERE A CLARIFIER, CHAUDIERE A CLAIREE, CHAUDIERE A ECUMER.

CHAUDIERE A CLAIREE, est parmi les Raffineurs, un grand vase très-profond, moins élargi par en-haut à proportion de son fond, que les chaudieres à clarifier & à cuire. Voyez ces mots à leurs articles. Elle est descendue dans terre jusqu'à plus de la moitié de sa hauteur : elle n'a point de bord postiche, & ne sert qu'à contenir la clairée en attendant qu'on la cuise. Voyez CLAIREE & CUIRE.

CHAUDIERE A CLARIFIER, en terme de Raffineur, ainsi nommée parce qu'elle n'est d'usage que dans la clarification des matieres. V. CLARIFIER. Quant à sa forme & sa position, elles sont les mêmes que celles de la chaudiere à cuire. Voyez CHAUDIERE A CUIRE.

CHAUDIERE A CUIRE, en terme de Raffineur, est montée sur un fourneau de brique à qui son fond sert de voûte. Le bord antérieur de cette chaudiere est postiche ; mais on le rejoint si solidement au corps de la chaudiere par les tenons de fer dont il est garni, & à force de linge, qu'il ne laisse aucune issue. On appelle cette chaudiere à cuire, parce qu'elle ne sert qu'à cela, plûtôt par la commodité qu'elle donne aux ouvriers qui n'ont pas si loin à transporter la cuite dans l'empli qui est tout près d'elle, que par aucune propriété déterminée ; pouvant servir à clarifier, pendant que celle qui sert à clarifier serviroit à cuire, sans autre inconvénient que la difficulté du transport, comme nous venons de le dire. Voyez CHAUDIERE A CLARIFIER.


CHAUFCHAOUF, ou CHAUFFELIS, (Com.) soies de Perse qui nous viennent particulierement par Alep & Seyde. Voyez le diction. du Comm.


CHAUFFAGES. m. (Comm. de bois). On appelle bois de chauffage tout celui qui se vend ici sur nos chantiers, & qui est compris sous le nom de bois de corde, coteret, fagot, &c. Voyez l'art. BOIS. C'est ordinairement du hêtre, du charme, du chêne, des branchages de taillis. Voyez l'art. BOIS. Le hêtre & le charme sont les meilleurs. Le chêne vieux noircit ; le jeune vaut mieux ; il ne faut pas que l'écorce en soit ôtée : le châtaigner est pétillant : le bois blanc, tels que le peuplier, le bouleau, le tremble, &c. ne chauffe point.

CHAUFFAGE, (Jurispr.) est le droit que quelqu'un a de prendre dans les bois d'autrui du bois pour son chauffage. On donne quelquefois à la femme par contrat de mariage, en cas de viduité, son habitation dans un château du mari, & son chauffage dans les bois qui en dépendent. On peut aussi donner ou léguer à d'autres personnes leur chauffage. Ce droit ne consiste qu'in usu, de maniere que celui auquel il appartient ne peut prendre du bois que pour son usage ; il ne peut en céder ni en vendre à un autre, ni exiger la valeur de son droit en argent.

Plusieurs seigneurs, communautés, officiers, & autres particuliers, ont un droit de chauffage dans les bois & forêts du Roi.

L'ordonnance des eaux & forêts contient plusieurs dispositions à ce sujet : elle attribue aux officiers des eaux & forêts la connoissance des contestations qui surviennent sur le droit de chauffage : elle révoque tous les droits de cette espece accordés dans les forêts du Roi, & veut que ceux qui en possedent à titre d'échange ou indemnité, & qui justifieront de leur possession avant l'an 1560 ou autrement à titre onéreux, soient dédommagés, & jusqu'au remboursement payés annuellement sur le prix des ventes de la valeur de leur chauffage ; elle ordonne que ceux attribués aux officiers en conséquence de finance, seront évalués, à l'effet d'être remboursés ou payés de la même maniere qu'il vient d'être dit ; que les communautés & particuliers joüissans de chauffage, à cause des redevances & prestations en deniers ou especes, service personnel de garde, corvées, ou autres charges, en demeureront libres & déchargés, en conséquence de cette révocation. A l'égard des chauffages accordés par le passé, pour cause de fondation & donation faite aux églises, chapitres, & autres communautés, l'ordonnance veut qu'ils soient conservés en espece, & que les états en soient arrêtés, eu égard à la possibilité des forêts du Roi ; que si elles se trouvoient dégradées & minées, la valeur de ces droits de chauffage sera liquidée sur les avis des grands-maîtres, pour être payés en argent comme il vient d'être dit, sans diminution ni retranchement. Les religieux, hôpitaux, & communautés, ayant chauffage par aumône de nos rois, ne l'auront plus en espece, mais en deniers. Il sera fait un état de tous les chauffages en espece ou en argent, pour être délivrés sans augmentation, à peine, &c. Il est défendu aux officiers d'exiger ou de recevoir des marchands aucun bois, sous prétexte de chauffage ou autrement. Les officiers ne seront point payés des sommes qui leur seront réglées au lieu de chauffage, s'ils ne servent & font résidence actuelle, dont ils apporteront des certificats des grands-maîtres au receveur : enfin il est dit qu'il ne sera fait à l'avenir aucun don ni attribution de chauffage ; que s'il en étoit fait, on n'y aura aucun égard ; & que lors des ventes ordinaires, les possesseurs des bois sujets à tiers & danger, grurie, &c. prendront leur chauffage sur la part de la vente ; que s'il n'y avoit pas de vente ouverte, aucun chauffage ne sera pris qu'en bois mort ou mort-bois des neuf especes portées par l'ordonnance. Voyez le tit. j. art. 5. le tit. xx. le tit. xxiij. art. 17. La conférence des eaux & for. ibid. & ci-après aux mots USAGE, USAGERS. (A)

CHAUFFAGE, (Marine) ce sont des bourrées de menu bois dont on se sert pour chauffer le fond d'un vaisseau lorsqu'on lui donne la carene. (Z)


CHAUFFEles Fondeurs en canon, en cloches, en statues équestres, &c. appellent ainsi un espace quarré pratiqué à côté du fourneau où l'on fait fondre le métal, dans lequel on allume le feu, & dont la flamme sort pour entrer dans le fourneau. Le bois est posé sur une double grille de fer qui sépare sa hauteur en deux parties ; celle de dessus s'appelle la chauffe ; & celle de dessous où tombent les cendres, le cendrier. Voyez l'article FONDERIE, & les fig. des Pl. de la Fonderie des figures équestres. (V)


CHAUFFE-CHEMISou LINGE, (Vannier) panier haut de quatre à quatre piés & demi, large d'environ deux piés, & dont le tissu à claire voie est d'osier ; le dessus en est fait en dôme avec de gros osiers ronds, courbés en cerceaux, & se croisant : on met une poële de feu sous cette machine, & on étend dessus les linges qu'on veut faire sécher.


CHAUFFE-CIRE(Jurisprud.) est un officier de chancellerie dont la fonction est de chauffer, amollir, & préparer la cire pour la rendre propre à sceller. On l'appelle aussi scelleur, parce que c'est lui qui applique le sceau ; dans les anciens états il est nommé varlet chauffe-cire. L'institution de cet officier est fort ancienne ; il n'y en avoit d'abord qu'un seul en la grande chancellerie, ensuite on en mit deux, puis ils furent augmentés jusqu'à quatre, qui devoient servir par quartier, & être continuellement à la suite de M. le chancelier ; & lorsqu'il avoit son logement en la maison du Roi, ils avoient leur habitation auprès de lui. Il est même à remarquer que le plat attribué à M. le chancelier, est pour les maîtres des requêtes, l'audiencier, contrôleur, & chauffes-cire de la chancellerie, desorte qu'ils sont vraiment commensaux du Roi, & en effet ils jouissent des mêmes priviléges. Ces offices n'étoient d'abord que par commission ; on tient qu'ils furent faits héréditaires, au moyen de ce qu'ayant vaqué par forfaiture, lors du syndicat ou recherche générale qui fut faite des officiers de France du tems de S. Louis, il les donna héréditairement en récompense à sa nourrice, qui en fit pourvoir quatre enfans qu'elle avoit ; & depuis, par succession ou vente, ces offices se perpétuerent sur le même pié. Il n'y a pas cependant toûjours eu quatre chauffes-cire en la chancellerie ; on voit par les comptes rendus en 1394, qu'il n'y en avoit alors que deux, qui avoient chacun douze deniers par jour : depuis, leurs émolumens ont été réglés différemment, à proportion des lettres qu'ils scellent. Il y avoit autrefois deux sortes de chauffes-cire, savoir les chauffes-cire scelleurs, & les valets chauffes-cire, subordonnés aux premiers ; mais par un arrêt du conseil du 31 Octobre 1739, il a été ordonné que les offices de chauffes-cire scelleurs de la grande chancellerie de France, & des chancelleries près les cours & siéges présidiaux du royaume, seront à l'avenir remplis & possédés sous le seul titre de scelleurs, & ceux de valets chauffes-cire, sous le titre de chauffes-cire seulement.

Les chauffes-cire de la grande chancellerie servent aussi en la chancellerie du palais.

Pour ce qui est des autres chancelleries établies près les parlemens & autres cours supérieures, c'étoient autrefois les chauffes-cire de la grande chancellerie qui les commettoient ; mais présentement ils sont en titre d'office.

Ces offices, selon Loiseau, ne sont pas vraiment domaniaux, mais seulement héréditaires par privilége.

Il y avoit aussi autrefois un chauffe-cire dans la chancellerie des foires de Champagne, tellement qu'en 1318 Philippe le Bel ordonna que les émolumens de ce chauffe-cire seroient vendus par enchere, c'est-à-dire donnés à ferme.

Il y a aussi un chauffe-cire dans la chancellerie de la reine, & dans celle des princes qui ont une chancellerie pour leur apanage. Voyez l'hist. de la chancell. par Tessereau ; Loiseau, des offices, liv. II. ch. viij. n. 19. & suiv. Chenu, des offices, tit. des chancelleries. (A)


CHAUFFERen général c'est exposer à la chaleur du feu ; mais en terme d'ouvrier de forge, c'est l'action de tirer le soufflet, tandis que le fer est au feu.

Il est à propos que le fer soit placé à environ un pouce au-dessus du vent ou de la tuyere : car s'il étoit vis-à-vis, l'air poussé en droite ligne par le soufflet, le refroidiroit ; mais l'air passant par-dessus, le charbon s'allume autour du fer, & le tient toûjours entouré, au lieu qu'en soufflant vis-à-vis, le fer se refroidiroit dans le milieu, & s'échaufferoit au contraire aux deux côtés, où le charbon s'enflamme.

CHAUFFER un vaisseau, lui donner le feu, c'est chauffer le fond d'un vaisseau, lorsqu'il est hors de l'eau, afin d'en découvrir les défectuosités, s'il en a quelqu'une, & de le bien nettoyer : il y a des lieux propres pour chauffer les bâtimens.

Chauffer un bordage, c'est le chauffer avec quelques menus bois afin de lui donner la courbure nécessaire, ou lui faire prendre la forme qu'on veut lui donner en le construisant.

Les planches & bordages qu'on veut chauffer, doivent être tenus plus longtems que la proportion requise, c'est-à-dire plus longs qu'il ne faudroit qu'ils fussent, s'ils devoient être posés tout de leur long & en leur état naturel ; parce que le feu les accourcit en-dedans, sur-tout en les faisant courber : c'est le côté qui se met en-dedans qu'on présente au feu, parce que c'est le côté sur lequel le feu agit, qui se courbe.

Chauffer les soutes, c'est les sécher, afin que le biscuit se conserve mieux.


CHAUFFERIES. f. c'est un des atteliers des grosses forges, où le fer passe au sortir de l'affinerie. Voyez FORGES GROSSES.


CHAUFFOIRS. m. en Architecture, est une salle dans une communauté ou maison religieuse, dont la cheminée le plus souvent isolée, sert à se chauffer en commun.

CHAUFFOIR, (Cartier) est une espece de poële de fer quarrée, surmontée par ses côtés & par le haut des grilles de fer, sur lesquelles on pose les feuilles de cartes après qu'elles ont été collées, pour les y faire secher, au moyen du charbon allumé que l'on met dans cette poële. Voyez la fig. 7. Pl. du Cartier. Voyez l'art. CARTE.

CHAUFFOIR, linge de propreté à l'usage des femmes & des malades.

* CHAUFFURE. s. f. terme de Forgerons, mauvaise qualité du fer & de l'acier, qu'ils ont contractée, soit pour être restés trop long-tems au feu, soit pour avoir été exposés à un feu trop violent. On reconnoît la chauffure à des especes de petits bouillons, quelquefois d'une couleur verdâtre & luisante, qui font voir clairement qu'il y a eu fusion, & que la matiere est brûlée, du-moins jusqu'à une certaine profondeur.


CHAUFFRETTES. f. en terme de Layetier, c'est un petit coffre percé de tous côtés, pour que la chaleur puisse pénétrer, & garni de tole en-dedans, pour empêcher que le petit pot de terre, plein de feu qu'on y met ne brûle le bois. On met la chauffrette sous les piés ; elle n'est guere qu'à l'usage des femmes.

Les ouvriers en soie ont aussi une chauffrette, ou coffret de bois garni de tole en-dedans, dans lequel ils allument du feu, au-dessus duquel ils font passer leur velours, pour en redresser le poil lorsqu'il a été froissé. Voyez l'art. VELOURS, & dans les Planc. la figure de cette chauffrette.


CHAUFOURS. m. four à chaux, voyez CHAUX. On donne encore le même nom au magasin où l'on serre la pierre à calciner, le bois destiné à cette opération, & la chaux quand elle est faite. (P)


CHAUFOURNIERS. m. (Art méch.) on donne ce nom aux ouvriers qui font la chaux. Ce métier est très-pénible, parce que la conduite du feu dans les fours demande de l'attention, qu'on travaille beaucoup, & qu'on est peu payé.


CHAUL(Géog.) ville forte des Indes, sur la côte de Malabar, dans le royaume de Visapour, avec un port. Long. 90. 20. lat. 18. 30.


CHAULERv. act. (Agricult.) c'est arroser de chaux. Voyez SEMAILLE, ARBONNEONNE.


CHAULNES(Géog.) petite ville de France en Picardie, au pays de Santerre, avec titre de duché-pairie. Long. 20. 30. lat. 49. 45.


CHAUMES. m. (Agricult.) est la tige des plantes qui se sement en plein champ, telles que les blés & les avoines. On les nomme encore roseaux. Voyez ROSEAUX.

CHAUME, (Jurisprud.) que quelques coûtumes comme Artois appellent aussi esteulles, est ordinairement laissé dans les champs pour les pauvres habitans de la campagne, qui l'employent au fourrage & à la litiere des bestiaux, à couvrir les maisons ou à leur chauffage.

Chacun peut cependant conserver son propre chaume pour son usage : il y a même des endroits où on le vend à tant l'arpent ; dans d'autres on le brûle sur le lieu pour réchauffer la terre & la rendre plus féconde. Dans quelques endroits on ne peut conserver que le tiers de son propre chaume, le surplus doit être laissé pour les pauvres ; cela dépend de l'usage de chaque lieu.

Les juges ne permettent communément de chaumer qu'au 15 Septembre, ou même plus tard, ce qui dépend de l'usage des lieux & de la prudence du juge. Ce qui a été ainsi établi, tant pour laisser le tems aux glaneurs de glaner, que pour la conservation du gibier qui est encore foible.

Il n'est permis de mener les bestiaux dans les nouveaux chaumes qu'après un certain tems, afin de laisser la liberté de glaner & d'enlever les chaumes. Ce tems est réglé diversement par les coûtumes ; quelques-unes comme Amiens, Ponthieu & Artois, le fixent à trois jours ; d'autres étendent la défense jusqu'à ce que le maître du chaume ait eu le tems d'enlever son chaume sans fraude.

Les défenses faites pour les chaumes de blé ont également lieu pour les chaumes d'avoine, & autres menus grains, parce que les pauvres glanent toutes sortes de grains. Voy. le Lévitique, ch. xxix. n. 9. La coûtume d'Orléans, art. 195. L'arrêt du réglement du 4 Juillet 1750. Et le code rural, ch. xxj. (A)


CHAUMER(Jurisprud.) voyez CHAUME. (A)


CHAUMES(Géog.) petite ville de France dans la Brie parisienne.


CHAUMIERES. f. (Oecon. rustiq.) cabane à l'usage des paysans, des charbonniers, des chaufourniers, &c. c'est-là qu'ils se retirent, qu'ils vivent. Ce nom leur vient du chaume dont elles sont couvertes ; mais on le transporte en général à toute sorte de cabanes. On ne sauroit appliquer aux chaumieres & cabanes de nos malheureux paysans, ce que dit Tacite des cabanes où les anciens Finois se retiroient sans travailler : Id beatius arbitrantur quam ingemere agris, illaborare domibus, suas alienasque fortunas spe metuque versare.


CHAUMONT(Géog.) ville de France en Champagne, dans le Bassigni, près de la Marne. Long. 22. 46. lat. 48. 6.

CHAUMONT, (Géog.) petite ville de France au Vexin. Il y a encore plusieurs petites villes de ce nom, une en Touraine, une autre en Savoie, & une troisieme au pays de Luxembourg.

CHAUMONT, (Géog.) ville de France en Dauphiné, sur les frontieres du marquisat de Suse.

CHAUMONT, (Géog.) petite ville de Savoie, sur le Rhone.


CHAUNEen terme d'Epinglier, est un morceau de bois taillé en-dessous, pour embrasser sur la cuisse ; chaque extrémité en est traversée d'une courroie de cuir, dont on lie la chaune sur la cuisse. Sa partie supérieure a vers ses bords deux anneaux dans lesquels passe la crosse. On fait entrer les tronçons dans la chaune, pour les couper plus facilement en hanses. Voyez HANSES, TRONÇONS, OSSEOSSE, & la fig. 19. & 20. Pl. de l'Epinglier, & la fig. 4. même Planche ; vignette qui représente cet ouvrier qui a la chaune sur la cuisse, & qui coupe des tronçons. La fig. 19 représente la chaune p p ; q la crosse qui passe dans les deux anneaux de la platine, pour assujettir les tronçons r ; s représente la boîte, dont l'usage est d'égaliser de longueur les tronçons.


CHAUNI(Géog.) petite ville de France en Picardie, sur l'Oise. Long. 20. 52'. 44". lat. 49. 36'. 52".


CHAUONIS(Commer.) voyez TARRATANE-CHAUONIS.


CHAUS(Géog.) pays d'Afrique en Barbarie, au royaume de Fez.


CHAUSEY(Géog.) île de l'Océan, sur les côtes de Normandie, dans la Manche, près du Cotentin.


CHAUSSES. f. partie de notre habillement qui couvre les jambes. Voyez BAS.

CHAUSSE, (Comm.) voyez CHAPEAU.

CHAUSSE, (Pêche) espece de filet qu'on dispose au-dedans des autres, comme on l'a pratiqué au chalut, dont l'usage est d'empêcher le poisson de rétrograder & de s'échapper du filet, quand une fois il y est entré. Voyez la construction de la chausse du chalus ; elle est ingénieuse.

CHAUSSE, (Pharmacie) Chausse d'Hippocrate, monica Hippocratis, sac conique ou espece de long capuchon fait d'un bon drap serré, dont les Apoticaires se servent pour filtrer ou passer certaines liqueurs, comme ratafiats, syrops, décoctions, &c. V. FILTRE. Les Apoticaires se servent moins communément de la chausse que du blanchet, qu'ils lui ont substitué, & qui est réellement plus commode dans la plûpart des cas. Voyez BLANCHET. Quelques auteurs allemands ont insinué ou dit que le nom de chausse d'Hippocrate, ou plûtôt d'hypocras, lui étoit venu de ce qu'on l'avoit employé d'abord à la clarification de l'hypocras. Mais Blancard lui fait l'honneur de lui donner une étymologie greque ; il tire ce nom de , sub, & , misceo. (b)

CHAUSSE d'aisance en bâtiment, (Architect.) est un tuyau de plomb ou de pierre, percé en rond ou quarrément, & le plus souvent de boisseaux de poterie, éloigné de trois pouces d'un mur mitoyen.

CHAUSSE, carte & cauche, terme de Pêche, est un instrument à qui sa construction a donné nom ; c'est un filet qui a la forme d'une chausse large en s'ouvrant, mais qui va toûjours en diminuant jusqu'au bout. Les mailles qui sont assez claires à l'entrée, retrécissent aussi à mesure qu'elles avancent vers le bout du filet, qui est souvent fermé d'une corde, que l'on dénoue, pour pouvoir plus facilement retirer le poisson qui s'est pris dans ce filet. Le bas C D de l'ouverture de la chausse est chargé de plaques de plomb, pour la faire couler bas. Les côtés C A, D B ont deux à deux piés & demi de haut ; & la tête A B du filet est amarrée sur un petit sapin, pour la faire flotter, & tenir la chausse ouverte. Les côtés de la chausse sont comme ceux du coleret, & les cordages de ces côtés se rejoignent, & sont frappés sur un petit cablot E F, que l'on amarre à l'arriere du bateau F, qui entraîne cette petite dreige, qui pêche tout ce qui se trouve sur son passage.

Cet instrument est la véritable dreige des Anglois, à cette différence près, qu'au lieu de plomb ils y mettent une barre de fer. L'ordonnance ne spécifie point cet instrument dans la liste de ceux qu'elle a défendus, quoiqu'il soit aussi dangereux que la dreige. Voyez DREIGE.

Il y a encore une autre sorte de chausse qu'une chaloupe porte au large, & que l'on halle ensuite à terre, au moyen du cordage que plusieurs hommes tirent à eux. Voyez aussi les art. CHALUT & SAUMON, & nos Planches de Pêche.

La chausse ou carte des pêcheurs de l'amirauté de Dunkerque, est une espece de drague ou chalut dont les pêcheurs de cette côte se servent pour faire la pêche des petits poissons propres à servir d'appât à leurs lignes.

Quelque nécessaire que soit la carte ou chausse à ces pêcheurs, on ne peut s'empêcher d'observer que c'est aussi un instrument très-pernicieux, & que si les pêcheurs ne s'éloignent pas des côtes à la distance qui leur est enjointe pour y traîner la chausse, elle doit pendant les chaleurs nécessairement détruire le frai, & faire périr tous les petits poissons qu'elle trouve sur son passage.

Le sac de la carte est un filet en forme de chausse d'environ quatre brasses de longueur, dont les mailles qui ont à son embouchure environ dix-huit lignes, viennent insensiblement à se retrécir peu-à-peu, ensorte que vers le tiers de l'extrémité elles ont à peine neuf lignes en quarré ; & comme elle se termine fort en pointe, elle ne peut mieux être comparée qu'à la chausse des guideaux à hauts étaliers dont se servent les pêcheurs de l'embouchure de la Seine pour la pêche de l'éperlan ; le bout est clos & fermé comme un sac lié ; le filet lui-même est lacé avec de gros fils ; ainsi quand il est mouillé les mailles en paroissent encore plus étroites.

Chaque bateau pêcheur a sa carte, & ils vont ordinairement & presque toûjours deux bateaux de conserve à côté l'un de l'autre, à la distance au plus de quatre à cinq brasses, faisant leur pêche suivant l'établissement des vents ou le cours des marées. La carte est chargée de plaques de plomb par le bas du sac ; la tête en est garnie de flottes de liége pour la tenir ouverte ; l'embouchure peut avoir quinze piés d'ouverture ; elle est amarrée avec deux cordages par le milieu du bateau, à bas-bord & stribord, de la même maniere que le chalut ou rêt traversier ; c'est presque le même filet.

Lorsque les pêcheurs ont traîné pendant quelque tems leur carte ; & qu'ils ont pris suffisamment d'appât pour amorcer leurs lignes, ils poussent au large pour aller faire leur pêche.

C'est en traînant la carte que les pêcheurs des corvettes de Dunkerque, qui s'en servoient à moins de trente à quarante brasses de la côte, & souvent encore plus près, venoient sur les pêcheries des riverains montées sur piquets, & les détruisoient ; inconvénient auquel on a remédié par des réglemens.

CHAUSSE TROP HAUT, en termes de Manége, se dit d'un cheval dont les balsanes montent jusqu'au genou ou jarret ; ce qui passe pour un indice malheureux ou contraire à la bonté du cheval. Voyez BALSANE.

CHAUSSE, adj. en termes de Blason, se dit d'une espece de chevron plein & massif, qui étant renversé touche de sa pointe celle de l'écu ; ce qui fait que le champ de l'écu lui sert comme la chausse ou de vêtement qui l'entoure de bas en haut. C'est l'opposé de chappé. Voyez ce mot. Espallart à Bruxelles, de gueules à trois pals d'argent, chaussé d'or, coupé d'azur, à une face vivrée d'or. (V)


CHAUSSE-PIÉ(Cordonn.) morceau de cuir de veau passé, fort mince & fort doux, large par un bout, étroit par l'autre, couvert de son poil ; on s'en sert pour chausser le soulier qui est quelquefois étroit, & presque toûjours neuf, & peu fait à la forme du pié quand on use de chausse-pié.


CHAUSSE-TRAPEou CHARDON ETOILÉ, (Hist. nat. bot.) plante qui doit se rapporter au genre simplement appellé chardon. Voy. CHARDON. (I)

CHAUSSE-TRAPE, (Mat. méd.) c'est la racine de cette plante qui est sur-tout en usage. Elle passe pour un remede singulier contre la pierre, la gravelle, & les coliques néphrétiques : on la prend, soit en infusion avec le vin ou l'eau, soit en poudre dans un véhicule approprié.

Son suc pris à la dose de quatre ou six onces, passe pour un bon fébrifuge : ce même suc est employé extérieurement contre les taies des yeux.

M. de Lamoignon, intendant de Languedoc, a fait part au public d'un remede par lequel il a été guéri d'une fâcheuse colique néphrétique qui le fatiguoit assez souvent. Voici la description de ce remede telle qu'elle a été imprimée à Montpellier par son ordre.

Le vingt-huitieme jour de la lune de chaque mois, on fait boire de fort grand matin un verre de vin blanc, dans lequel on a mis infuser un gros de la premiere écorce de la racine de chausse-trape cueillie vers la fin du mois de Septembre : c'est une petite peau fort fine, brune en-dehors, blanche en-dedans ; on la fait sécher à l'ombre, & mettre en poudre très-subtile : le jour que l'on a pris ce remede, on met sur le soir dans un demi-septier d'eau une poignée de pariétaire, un gros de bois de sassafras, autant d'anis, pour un sou de canelle fine ; on fait bouillir le tout sur un feu clair pendant un demi-quart-d'heure ; l'on retire le vaisseau du feu, & on le met sur des cendres chaudes, l'ayant bien couvert avec du papier : le lendemain on le remet encore sur un feu clair, pour le faire bouillir derechef pendant un demi-quart d'heure, après quoi on verse sur deux onces de sucre candi en poudre dans une écuelle l'infusion passée par un linge avec expression du marc : quand le sucre est fondu, on la fait boire au malade le plus chaudement que l'on peut, & on l'oblige de ne rien prendre de trois heures ; ce qu'il faut observer aussi après la prise du premier remede.

Camérarius dit qu'à Francfort on se sert de la racine de chausse-trape, au lieu de celle de chardon-rolland. On l'employe dans la tisane & dans les bouillons apéritifs : un gros de sa graine infusé dans un verre de vin blanc, emporte souvent les matieres glaireuses qui embarrassent les conduits de l'urine. Tournefort.

La racine de cette plante entre dans l'eau générale de la pharmacopée de Paris.

La plante entiere entre dans les aposemes & bouillons diurétiques & apéritifs. La semence pilée & macérée pendant la nuit dans du vin à la dose d'un gros, & prise le matin à jeûn, pousse par les urines, & dégage les canaux urinaires embarrassés par un mucus visqueux : mais il faut user de ce remede avec précaution, de peur qu'il ne cause le pissement de sang. Geoffroy, mat. méd.

Les fleurs de cette plante sont d'une amertume très-vive ; leur infusion est un excellent fébrifuge ; elle a emporté quelques fievres intermittentes qui avoient résisté au quinquina.

CHAUSSE-TRAPE, (Fortific.) est un instrument à quatre pointes de fer disposées en triangle, dont trois portent toûjours à terre, & la quatrieme demeure en l'air. On seme les chausse-trapes sur une breche ou dans les endroits où la cavalerie doit passer, pour les lui rendre difficiles. Voyez Pl. XIII. de Fortification. (Q)


CHAUSSÉES. f. en Architecture, est une élévation de terre soûtenue par des berges en talud, de files de pieux, ou de mur de maçonnerie, pour servir de chemin à-travers un marais & des eaux dormantes, &c. ou pour empêcher les débordemens des rivieres. Ce mot vient, selon M. Ménage, de calcare, marcher. Voyez CHEMIN.

CHAUSSEE DE PAVES, est l'espace cambré qui est entre deux revers ou deux bordures de pierre rustique pour les grandes rues ou les grands chemins. (P)

CHAUSSEE, terme d'Horlogerie, piece de la cadrature d'une montre : on y distingue deux parties, le canon & le pignon ; celui-ci est ordinairement de douze, & mene la roue des minutes : le canon est limé quarrément vers son extrémité, pour porter l'aiguille des minutes. La chaussée tient à frottement sur la tige de la grande roue moyenne, de façon qu'elle peut tourner indépendamment de cette roue. Cet ajustement est nécessaire pour mettre la montre à l'heure. Voyez la figure C, fig. 43. Pl. X. d'Horlogerie, & l'article CADRATURE. (T)


CHAUSSERv. act. (Cordonn.) c'est fournir quelqu'un de chaussure. Voyez les artic. SOULIER, MULE, PANTOUFLE. En ce sens il se dit de l'ouvrier ; mais il s'applique aussi à l'ouvrage : cette mule vous chausse bien. Il se dit aussi de l'action de mettre sa chaussure : vous êtes long à vous chausser.

CHAUSSER les étriers en terme de Manege, c'est enfoncer son pié dedans jusqu'à ce que le bas des étriers touche au talon. Cette façon d'avoir ses étriers a très-mauvaise grace au manége ; il faut les avoir au bout du pié.

Se chausser, est la même chose à l'égard du cheval, que se botter. Voyez SE BOTTER.

CHAUSSER, (Jardin.) se dit de la partie de la culture des arbres qui consiste à en bêcher le pié, & à le fournir d'amendement.

CHAUSSER, terme de Fauconnerie ; chausser la grande serre de l'oiseau, c'est entraver l'ongle du gros doigt d'un petit morceau de peau.


CHAUSSETTES. f. partie de l'habillement des jambes ; ce sont proprement des bas ou de toile, ou de fil, ou de coton, ou de fil & coton, qu'on met sous d'autres bas. Il y a des chaussettes sans pié, auxquelles on n'a reservé que comme un étrier qui embrasse le pié par-dessous, un peu au-delà du talon ; il y en a d'autres qui ont entierement la forme du bas ; ce sont les plus commodes & les plus propres ; les autres ouvertes par derriere, font toûjours grimacer le bas qui les couvre. On porte des chaussettes pour la propreté & pour la commodité.


CHAUSSIN(Géog.) petite ville de France en Bourgogne, enclavée dans la Franche-Comté.


CHAUSSONS. m. partie de l'habillement ; c'est proprement le pié d'un bas : on en tricote de laine ; de fil & de coton ; on en fait de toile ; les uns sont pour l'hyver, les autres pour l'été. On porte des chaussons en hyver pour la propreté & la commodité, en été pour la propreté : ils se mettent à nud sur le pié : il faut que ceux de toile qu'on coud soient cousus à longs points, & qu'il n'y ait ni ourlet ni rendouble ; ce qui formeroit des endroits inégaux d'épaisseur qui blesseroient le pié : les ouvriers appellent ces points, points noüés. Ce vêtement étoit à l'usage des dames romaines ; mais il n'avoit pas la même forme que parmi nous ; c'étoit des bandes dont elles s'enveloppoient les piés ; ces bandes étoient appellées fasciae pedales.

Nous donnons encore le nom de chausson aux souliers à dessus de bufle & semelle de chapeau, dont on se sert en joüant à la paume, en tirant des armes.

CHAUSSON, en terme de Pâtisserie, c'est une espece de tourte de pommes.


CHAUSSURES. f. (Hist. anc. & Econ. domest.) c'est la partie de l'habillement qui couvre le pié. Les Grecs & les Romains en ont eu de cuir ; les Egyptiens de papirus ; les Espagnols, de genet tissu ; les Indiens, les Chinois, & d'autres peuples, de jonc, de soie, de lin, de bois, d'écorce d'arbre, de fer, d'airain, d'or, d'argent ; le luxe les a quelquefois couvertes de pierreries. Les formes & les noms des chaussures anciennes nous ont été conservés, les unes dans les antiques, les autres dans les auteurs : mais il est très-difficile d'appliquer à chaque forme son nom propre. Les Grecs appelloient en général la chaussure, upodemata pedila ; ils avoient les diabatres à l'usage des hommes & des femmes ; les sandales, qui n'étoient portées que par les femmes de qualité ; les lantia, dont on n'usoit que dans la maison ; les campodes, chaussure basse & legere ; les peribarides, qu'il n'étoit permis de porter qu'aux femmes nobles & libres ; les crepides, qu'on croit n'avoir été que la chaussures des soldats ; les abulcés, chaussure des pauvres ; les persiques, chaussure blanche à l'usage des courtisannes ; les laconiques ou amucledes, chaussure rouge particuliere aux Lacédémoniens ; les garbatines, souliers de paysans ; les embates, pour la comédie, les cothurnes, pour la tragédie ; les énemides, que les Latins nommoient ocreae, & qui revenoient à nos bottines : toutes ces chaussures s'attachoient sur les piés avec des courroies ; imantes. Chez les Lacédémoniens les jeunes gens ne portoient des chaussures qu'à l'âge où ils prenoient les armes, soit pour la guerre, soit pour la chasse. Les Philosophes n'avoient que des semelles ; Pythagore avoit ordonné à ses disciples de les faire d'écorce d'arbre : on dit que celles d'Empedocle étoient de cuivre ; & qu'un certain Philetas de Cos étoit si maigre & si foible, qu'il en fit faire de plomb ; conte ridicule ; les souliers lourds ne sont guere qu'à l'usage des personnes vigoureuses.

La chaussure des Romains différoit peu de celle des Grecs ; celle des hommes étoit noire, celle des femmes blanche : il étoit deshonnête pour les hommes de la porter blanche ou rouge : il y en avoit qui alloient jusqu'à demi-jambe, & on les appelloit calcei uncinati ; elles étoient seulement à l'usage des personnes de qualité : on pouvoit les distribuer en deux sortes ; celles qui couvroient entierement le pié, comme le calceus, le mullaeus, le pero & le phaecasium ; celles dont la semelle simple ou double se fixoit sous le pié par des bandes ou courroies qui s'attachoient dessus, & qui laissoient une partie de dessus le pié découverte, comme le caliga, le solea, le crepida, le bacca & le sandalium.

Le calceus & le mullaeus ne différoient du pero, qu'en ce que ce dernier étoit fait de peaux de bêtes non tannées, & que les deux autres étoient de peaux préparées. La chaussure de cuir non préparé passe pour avoir été commune à toutes les conditions ; le mullaeus qui étoit de cuir aluné & rouge, étoit une chaussure à lunule. Voyez LUNULE. Dans les tems de simplicité il n'étoit guere porté que par les patriciens, les sénateurs, les édiles. On dit que cette chaussure avoit passé des rois d'Albe à ceux de Rome, & de ceux-ci aux principaux magistrats de la république, qui ne s'en servoient que dans les jours de cérémonies, comme triomphes, jeux publics, &c. Il paroît qu'il y avoit telle chaussure qu'on pardonnoit à la jeunesse, mais qu'on quittoit dans un âge plus avancé : on reprochoit à César de porter sur le retour de l'âge une chaussure haute & rouge. Le calceus & le mullaeus couvroient tout le pié, & montoient jusqu'au milieu de la jambe. Les Romains pousserent le luxe fort loin dans cette partie du vêtement, & y employerent l'or, l'argent & les pierreries. Ceux qui se piquoient de galanterie, veilloient à ce que la chaussure prit bien la forme du pié. On la garnissoit d'étoffe molle ; on la serroit fortement avec des courroies appellées ansae ; quelques-uns même s'oignoient auparavant les piés avec des parfums.

Le pero étoit de peaux de bêtes non préparées : c'étoit une chaussure rustique ; elle alloit jusqu'à la moitié du genou. Le phaecasium étoit de cuir blanc & leger ; cette chaussure convenoit à des piés délicats : les prêtres d'Athenes & d'Alexandrie la portoient dans les sacrifices. Le caliga étoit la chaussure des gens de guerre ; c'étoit une grosse semelle d'où partoient des bandes de cuir qui se croisoient sur le coup de pié, & qui faisoient quelques tours vers la cheville : il y avoit quelquefois de ces courroies qui passoient entre le gros orteil & le suivant, & alloient s'assembler avec les autres. Le campagus différoit peu du caliga ; c'étoit la chaussure de l'empereur & des principaux de l'armée : il paroît que les courroies de celle-ci étoient plus legeres qu'au caliga, & formoient un réseau sur la jambe.

Le solea, crepida, sandalium, gallica, étoient des semelles retenues sous la plante du pié : voilà ce qu'elles avoient de commun ; quant à leur différence, on l'ignore : on sait seulement que le solea & le gallica n'alloient point avec la toge, à moins qu'on ne fût à la campagne ; mais qu'on les portoit fort bien avec le pénule. Les femmes se servoient de ces deux chaussures soit à la ville soit à la campagne. Il paroît par quelques endroits de Cicéron, qu'il y avoit un solea qui étoit de bois, qu'il étoit très-lourd, & qu'on en mettoit aux pieds des criminels pour les empêcher de s'enfuir. Ce pourroit bien être du gallica des Latins que nous avons fait notre mot galloche.

Le crepida différoit peu du solea, & ne couvroit le pié que par intervalle. Le bacca étoit une chaussure de philosophes ; il y en avoit de feuilles de palmier. On n'a d'autres conjectures sur la sycionia, sinon que c'étoit une chaussure legere. Quant au soccus, soc, & au cothurnus, cothurne, voyez SOC & COTHURNE. Les ocreae qui étoient en usage dès la guerre de Troye, étoient quelquefois d'étain, de cuivre, de fer, & d'oripeau.

Les Juifs avoient aussi leurs chaussures assez semblables à celles que nous venons de décrire ; elles s'attachoient sur le pié avec des courroies. Cependant ils alloient souvent piés nuds ; ils y étoient obligés dans le deuil, par respect, & quelquefois par pauvreté. Leurs prêtres entroient dans le temple piés nuds : ils ôtoient leurs sandales en se mettant à table, excepté à la célébration de l'agneau pascal. Oter sa chaussure & la donner, étoit le signe du transport de la propriété d'une chose.

Les anciens Germains, & sur-tout les Goths, avoient une chaussure de cuir très-fort qui alloit jusqu'à la cheville du pié : les gens distingués la portoient de peau. Ils étoient aussi dans l'usage d'en faire de jonc & d'écorce d'arbre. Presque tous les Orientaux aujourd'hui portent des babouches ou chaussures semblables à nos pantoufles. Presque tous les Européens sont en souliers. Nos chaussures sont le soulier, la pantoufle, la babouche, la mule, la claque, le patin, le sabot. Voyez ces mots à leurs articles. Antiq. expl. heder. lex.

Observations anatomiques sur quelques chaussures modernes. De judicieux anatomistes ont observé, 1°. que les différens mouvemens des os du pié étant très-libres dans l'état naturel, comme on le voit assez dans les petits enfans, se perdent d'ordinaire par la mauvaise maniere de chausser les piés ; que la chaussure haute des femmes change tout-à-fait la conformation naturelle de ces os, rend les piés extraordinairement cambrés ou voûtés, & même incapables de s'applatir, à cause de la soûdure non naturelle ou anchylose forcée de ces os, à-peu-près comme il arrive aux vertebres des bossus : que l'extrémité postérieure de l'os calcaneum, à laquelle est attaché le gros tendon d'achille, s'y trouve continuellement beaucoup plus élevée, & le devant du pié beaucoup plus abaissé que dans l'état naturel ; & que par conséquent les muscles qui couvrent la jambe postérieurement, & qui servent par l'attache de leur tendon à étendre le pié, sont continuellement dans un racourcissement non naturel, pendant que les muscles antérieurs qui servent à fléchir le pié en-devant, sont au contraire dans un allongement forcé.

2°. Que les personnes ainsi chaussées ne peuvent que très-difficilement descendre d'une montagne ; au lieu qu'en y montant, la chaussure haute leur peut en quelque façon servir de marches plates, le bout du pié étant alors plus élevé : qu'elles ont aussi de la peine à marcher long-tems, même par un chemin uni, sur-tout à marcher vîte, étant alors obligées ou de se balancer à-peu-près comme les canards, ou de tenir les genoux plus ou moins pliés & soûlevés, pour ne pas heurter des talons de leur chaussure contre terre ; & que par la même raison, elles ne peuvent sauter avec la même liberté que d'autres qui ont la chaussure basse : car on sait que dans l'homme, de même que dans les quadrupedes & dans les oiseaux, l'action de sauter s'exécute par le mouvement subit & promt de l'extrémité postérieure & saillante de l'os calcaneum au moyen des muscles dont le gros tendon y est attaché.

3°. Que les chaussures basses, loin d'exposer à ces inconvéniens, facilitent au contraire tous les mouvemens naturels des piés, comme le prouvent assez les coureurs, les portes-chaise, les laboureurs, &c. que les sabots les plus communs, malgré leur pesanteur & inflexibilité, ne mettent pas tant d'obstacles à l'action libre & naturelle des muscles qui servent aux mouvemens des piés, en ce que, outre qu'ils ont le talon très-bas, leur extrémité antérieure est arrondie vers le dessous ; ce qui supplée en quelque maniere au défaut de l'inflexion alternative d'un pié appuyé sur les orteils, pendant que l'autre pié est en l'air quand on marche.

4°. Que les socques des Récollets suppléent davantage à ce défaut, en ce que avec un talon très-bas, ils ont encore une piece de la même hauteur vers le devant, sous l'endroit qui répond à l'articulation du métatarse avec les orteils ; & que par ce moyen, la portion antérieure de ces socques étant en l'air, permet d'abaisser la pointe du pié proportionnellement à l'élévation du calcaneum.

5°. Que les souliers du petit peuple avec des semelles de bois, sont moins commodes que ces socques, & fatiguent plus les muscles du tendon d'achille, en ce que n'étant ni flexibles ni façonnés comme ces socques, ils rendent la portion antérieure du levier du pié plus longue que dans l'état naturel, & occasionnent ainsi plus d'effort à ces muscles, lorsqu'il faut soûlever le corps sur la pointe de ces souliers inflexibles : car on sait que dans l'action de soûlever le corps sur la pointe du pié, ce pié fait l'office du levier de la seconde espece, le fardeau de tout le corps étant alors entre l'effort des muscles & la résistance de la terre, &c.

6°. Qu'un autre inconvénient de la chaussure haute, c'est que non-seulement les muscles du gros tendon d'achille, qui servent à l'extension du pié, mais aussi les muscles antérieurs qui servent à l'extension des orteils, sont par la hauteur de ces chaussures continuellement dans un état de racourcissement forcé ; tandis que les muscles antérieurs qui servent à la flexion du pié, & les postérieurs qui servent à la flexion des orteils, sont en même tems par cette hauteur continuellement dans un état d'allongement forcé : que cet état continuel de froncement des uns & de tiraillement des autres, ne peut que causer tôt ou tard à leurs vaisseaux tant sanguins que lymphatiques, & à leurs nerfs, quelque inconvénient plus ou moins considérable ; & par la communication de ces vaisseaux & de ces nerfs, avec les vaisseaux & les nerfs d'autres parties plus éloignées, même avec ceux des visceres de l'abdomen, &c. occasionner des incommodités que l'on attribueroit à toute autre cause, auxquelles par conséquent on apporteroit des remedes inutiles, & peut-être accidentellement nuisibles & dangereux.

7°. Qu'à la vérité, cet état forcé de racourcissement d'une part & d'allongement de l'autre, devient avec le tems comme naturel ; desorte que ceux qui y sont habituellement accoûtumés, ne peuvent presque sans peine & sans souffrance marcher avec des chaussures basses : mais que cette attitude non naturelle n'en sera pas moins la cause de certaines infirmités qui paroîtront n'y avoir aucun rapport.

8°. Qu'un autre inconvénient des chaussures hautes, c'est de faire courber la taille aux jeunes personnes ; & que pour cette raison l'on ne devroit point donner aux filles des talons hauts avant l'âge de quinze ans.

9°. Que les souliers trop étroits ou trop courts, chaussure si fort à la mode chez les femmes, les blessant souvent, il arrive que pour modérer la douleur, elles se jettent les unes en-devant, les autres en-arriere, les unes sur un côté, les autres sur l'autre ; ce qui non-seulement préjudicie à leur taille & à la grace de leur démarche, mais leur cause des cors qui ne se guérissent point.

Ces remarques sont de M. Winslow, qui avoit projetté de les étendre dans un traité sur celui de Borelli, de motu animalium ; ouvrage admirable en son genre, que peu de gens sont en état de lire, & qui traite néanmoins d'une des parties des plus intéressantes de la Physiologie. Observ. communiquées par M(D.J.)


CHAUTAGNE(Géog.) petite ville du duché de Savoie, à peu de distance de Rumilly, dans un petit pays qui porte le même nom.


CHAUVE-SOURISS. f. vespertilio, (Hist. nat.) animal quadrupede, que la plûpart des auteurs ont pris pour un oiseau sans aucun fondement, puisque la chauve-souris est vivipare, & qu'elle n'a ni bec ni plumes. Il est vrai qu'elle vole au moyen d'une membrane qui lui tient lieu d'ailes : mais s'il suffisoit de voler pour être oiseau, l'écureuil volant seroit aussi un oiseau ; cependant personne n'a été tenté de le prendre pour tel, & je crois qu'aujourd'hui on ne doute plus que la chauve-souris ne soit un animal quadrupede.

Il y a plusieurs especes de chauve-souris qui sont différentes les unes des autres, principalement pour la grandeur. Celles de ces pays-ci ressemblent beaucoup à une souris pour la forme & pour la grosseur du corps : c'est pourquoi on les a appellées rattespennades, c'est-à-dire rates qui ont des ailes. Il y a des chauve-souris en Amérique, qui sont si grosses, que Seba leur a donné les noms de chien & de chat volant, tom. I. pag. 89. & 91. Clusius en a décrit une dont le corps avoit plus d'un pié de longueur & plus d'un pié de circonférence : chaque aile avoit vingt-un pouces de longueur & neuf pouces de largeur. Il y a des chauve-souris de plusieurs couleurs, de fauves, de noires, de blanchâtres, & de cendrées. Il y en a qui ressemblent au chien par le museau, & d'autres au chat ; d'autres ont les narines assez semblables à celles d'un veau ; d'autres ont le nez pointu ; d'autres ont la levre supérieure fendue, &c. Il y en a qui ont vingt-quatre dents, douze à chaque mâchoire ; Belon en a observé qui en avoient trente-quatre, seize en-haut & dix-huit en-bas. Il se trouve des especes de chauve-souris qui n'ont que deux oreilles ; d'autres en ont quatre, dont celles de dessus sont quatre fois aussi grandes que celles de dessous, & sont aussi élevées à-proportion du corps que celles des ânes. La membrane qui forme les ailes commence de chaque côté aux pattes de devant, tient aux pattes de derriere, & environne tout le corps en arriere : il n'y a dans chaque pié de devant qu'un seul ongle crochu, par le moyen duquel l'animal se crampone contre les murs. Chaque pié de derriere a cinq doigts, & chaque doigt a un ongle crochu. Il y a des chauve-souris qui n'ont point de queue ; d'autres en ont une qui ne s'étend pas au-delà de la membrane qui est par derriere, telles sont celles de ce pays-ci ; d'autres enfin ont la queue apparente comme les rats. Belon en a vû de cette espece dans la grande pyramide d'Egypte.

Les chauve-souris habitent dans des lieux obscurs & soûterrains, des cavernes, des trous, &c. où elles restent cachées pendant le jour & pendant tout l'hyver : elles en sortent lorsque la saison est bonne, au point du jour & à l'entrée de la nuit ; elles cherchent des mouches, des cousins, & d'autres insectes dont elles se nourrissent ; elles aiment beaucoup le lard, le suif, & toutes les graisses. On dit que les grosses chauve-souris de l'Amérique enlevent des poules, tuent des chiens & des chats ; qu'elles attaquent les hommes en se jettant au visage, & qu'elles emportent quelquefois le nez ou l'oreille ; enfin on prétend qu'il y en a qui sont assez fortes & assez féroces pour tuer des hommes.

Il n'y a que deux mammelles dans les chauve-souris : elles font ordinairement deux petits à la fois, & quelquefois il ne s'en trouve qu'un seul ; dès qu'ils sont nés, ils s'attachent aux mammelles de la mere sans les quitter, quoi qu'il arrive : cependant un jour ou deux après qu'elle a mis bas, elle s'en débarrasse & les applique contre les parois de l'endroit où elle se trouve ; c'est ainsi qu'elle se met en liberté d'aller chercher sa nourriture. On prétend que pendant le tems que les petits la retiennent après qu'elle a mis bas, elle se nourrit des membranes qui les enveloppoient dans la matrice. Aldrovande, Ornit. lib. IX. cap. j. Voyez QUADRUPEDE. (I)


CHAUVIGNY(Géog.) petite ville de France en Poitou, sur la Vienne.


CHAUXS. f. (Chimie) on a donné en Chimie le nom de chaux à plusieurs matieres très-différentes ; comme nous l'avons déjà remarqué au commencement de l'article calcination. Voyez CALCINATION. Nous avons observé dans le même endroit qu'une partie de ces matieres ne pouvoient être appellées que très-improprement du nom de chaux, que nous avons restraint aux seuls produits des calcinations proprement dites.

Ces produits sont les cendres vraies, voyez CENDRE ; le plâtre, voyez PLATRE ; les chaux communes & les chaux métalliques, voyez CHAUX COMMUNE & CHAUX METALLIQUE.

On appelle chaux commune, chaux vive, chaux, &c. le produit de la calcination des pierres & des terres calcaires ; des parties dures des animaux comme os, arêtes, cornes, coquilles, lithophytes, &c. avec lesquelles les fossiles calcaires non métalliques, ont en général l'analogie la plus intime, & desquelles elles paroissent évidemment tirer leur origine. Voyez CALCINATION, CALCAIRE & TERRE. (b)

* CHAUX COMMUNE. Sa définition qui précede est très-exacte ; cependant on n'y employe guere que les pierres calcaires & les coquilles, lorsqu'on est à portée d'en faire de grands amas, comme dans le ressort de l'amirauté de Brest, où, même pendant le tems des chaleurs, lorsque la pêche des huîtres cesse par-tout ailleurs, on ne laisse pas de continuer, non pour le poisson qui ne vaut plus rien, mais pour les écailles dont on fait une chaux, qu'on employe à blanchir le fil & les toiles qui s'embarquent à Landernau pour le commerce d'Espagne. Cette chaux peut être très-bonne à cet usage ; on peut aussi l'employer aux gros ouvrages de maçonnerie : mais il est d'expérience qu'elle ne vaut rien à blanchir la surface des murs, & qu'elle s'écaille.

Lorsqu'on se sera assûré de la présence des pierres calcaires dans une contrée (voyez à l'article CALCAIRE les caracteres distinctifs de ces pierres), alors on songera à y construire des fours à chaux. Pour cet effet, on commencera par jetter des fondemens solides, qui embrasseront un espace de 12 piés en quarré : on se servira pour cette maçonnerie, qui doit être ferme & solide, des pierres mêmes de la carriere, si elles y sont propres ; on élevera ensuite sur ces fondemens la partie de l'édifice, qu'on nomme proprement le four ou la tourelle. A l'extérieur, la tourelle est quarrée, ce n'est qu'une continuation des murs dont on a jetté les fondemens ; ces murs doivent avoir une épaisseur capable de résister à l'action du feu qui se doit allumer en-dedans. A l'intérieur, la tourelle a la figure d'un sphéroïde allongé, tronqué par ses deux extrémités. Voyez parmi les Planches de l'Economie rustique, celle du four à chaux. La figure premiere montre un four à chaux, au-dehors ; & la fig. 5. le même four, coupé verticalement par sa gueule en deux parties égales ; 1, 2, 3, 4, est le sphéroïde dont on vient de parler, ou la capacité du four. Il a douze piés de hauteur, quatre piés & demi de diametre au débouchement qui est sur la plate-forme, c'est-à-dire à la distance de 1 à 2 ; neuf piés au milieu, & six piés au fond, c'est-à-dire à la distance de 3 à 4. On unit la maçonnerie des quatre piés droits avec celle de la tourelle, en faisant le remplissage convenable. Au centre du plancher de la tourelle 5, on pratiquera un trou d'un pié de diametre, qui répondra au milieu d'une petite voûte 6, de quatre piés environ de hauteur sur deux piés de largeur, ouverte des deux côtés du nord au sud, traversant toute la masse du bâtiment, & descendant au-dessous du niveau du terrein de 6 à 7 piés ; on appelle cette voûte l'ébraisoir. Pour avoir accès dans l'ébraisoir, on déblaiera des deux côtés, à son entrée, selon une pente douce & une largeur convenable, toute la terre qu'on élevera en glacis, afin de monter au haut de la plate-forme. Voyez cette terre élevée en glacis, fig. prem. depuis le rez-de-chaussée jusqu'au haut de la plate-forme, a, a, a, b. A l'est, on pratiquera une petite porte ceintrée de cinq piés de hauteur sur deux piés de largeur, pour entrer dans la tourelle.

Le four ainsi construit, il s'agit d'y arranger les pierres qu'on se propose de convertir en chaux. On aura de ces pierres amassées en tas autour du four, on choisira les plus grosses & les plus dures, & l'on en formera au centre de la tourelle une espece de voûte sphérique de six piés de hauteur, laissant entre chaque pierre un petit intervalle de deux ou trois pouces, ensorte qu'elles représentent grossierement les boulins ou pots d'un colombier ; autour de cet édifice, on placera d'autres pierres, & l'on continuera de remplir la tourelle : observant de placer toûjours les plus grosses & les plus dures le plus proche du centre, & les plus petites & les moins dures sur des circonférences plus éloignées, & ainsi de suite ; ensorte que les plus tendres & les plus petites touchent la surface concave de la tourelle. On achevera le comblement de la tourelle avec des petites pierres de la grosseur du poing ou environ, qui seront provenues des éclats qui se sont faits en tirant la pierre de la carriere, ou qu'on aura brisées exprès avec la masse. On maçonnera ensuite en-dehors, grossierement la porte de la tourelle, à hauteur d'appui ; ensorte qu'il ne reste plus que le passage d'une botte de bruyere qui a ordinairement dix-huit pouces en tout sens. On finira ce travail par élever autour d'une partie de la circonférence du débouchement, une espece de mur en pierres seches du côté opposé au vent.

Les choses ainsi disposées, on brûlera un quarteron ou deux de bruyeres, pour ressuyer la pierre. Cinq ou six heures après, on commencera à chauffer en regle : pour cet effet, le chaufournier dispose avec sa fourche, sur l'atre de la tourelle, une douzaine de bottes de bruyere ; ce qu'il fait fig. 5. il y met le feu ; & lorsqu'elles sont bien enflammées, il en prend une treizieme qu'il place à la bouche du four, & qui la remplit exactement. Le feu poussé par l'action de l'air extérieur qui entre par les portes de l'ébraisoir, & se porte dans la tourelle par la lunette pratiquée au centre de son atre, saisit la bourrée placée sur la bouche du four, coupe son lien, & l'enflamme : alors le chauffeur la pousse dans l'atre avec son fourgon, l'éparpille, & en remet une autre sans interruption de mouvement, à l'embouchure du four qu'elle ferme, comme la précédente. Le feu atteint pareillement celle-ci, & la délie ; & le chauffeur avec son fourgon la pousse pareillement dans la tourelle, & l'éparpille sur son atre : il continue cette manoeuvre, avec un de ses camarades qui le relaye : pendant douze heures ou environ, jusqu'à ce qu'ils ayent consumé douze à quinze cent bottes de bruyeres. On connoît que la chaux est faite, quand il s'éleve au-dessus du débouchement de la plate-forme, un cone de feu de dix à douze piés de haut, vif, & sans presque aucun mélange de fumée ; & qu'en examinant les pierres, on leur remarque une blancheur éclatante.

Alors on laisse refroidir le four : pour cet effet, on monte sur la plate-forme, on étend des gaules sur le débouchement, & on répand sur ces gaules quelques bourrées. Lorsque le four est froid, on tire la chaux du four ; on la met dans des tonneaux sous une voûte contiguë au four, de peur d'incendie, & on la transporte par charrois aux lieux de sa destination.

Observations. 1°. Que quand il fait un peu de vent, que l'air est un peu humide, la chaux se fait mieux que dans les grands vents & par les pluies ; apparemment la chaleur se conserve mieux alors, la flamme se répand par-tout plus uniformément, ne s'éleve point au débouchement avec tant de violence, ou peut-être même par quelqu'autre cause plus secrette.

2°. Que les bourrées trop vertes nuisent & à la cuisson & à la qualité de la chaux.

3°. Que le chauffeur doit avoir la plus grande attention à élancer de la bouche du four au milieu de l'atre sa bourrée enflammée, & de l'éparpiller avec un grand fourgon, qu'on lui voit à la main fig. 5. de dix piés de tige de fer, ajustée à un manche de bois de dix-huit pouces de longueur. Si plusieurs bourrées s'arrêtoient d'un même côté, il pourroit arriver que toute une partie de la fournée se brûleroit, qu'une autre partie ne seroit qu'à demi-cuite, & qu'il résulteroit un grand dommage pour le maître.

4°. Que le feu qu'on entretient dans le four est très-violent ; que le soin qu'on a de boucher la bouche du four avec une bourrée le concentre & le porte en-haut ; qu'il blanchit le fer du fourgon en quatre à cinq secondes ; & qu'il écarteroit avec fracas les murs du fourneau, s'ils étoient trop legers.

5°. Qu'il faut que ce feu soit poussé sans intermission, sans quoi la fournée entiere seroit perdue, du moins au témoignage de Palissi, qui raconte que passant dans les Ardennes il trouva sur son chemin un four à chaux, dont l'ouvrier s'étoit endormi au milieu de la calcination ; & que, comme il travailloit à son reveil à le rallumer, Palissi lui dit qu'il brûleroit toute la forêt d'Ardennes, avant que de remettre en chaux la pierre à demi-calcinée.

6°. Que la chaux sera bien cuite, si la pierre est devenue d'un tiers plus legere après la calcination qu'auparavant, si elle est sonore quand on la frappe, & si elle bouillonne immédiatement après avoir été arrosée ; & qu'on l'aura d'autant meilleure, que les pierres qu'on aura calcinées seront dures : les anciens calcinoient les fragmens de marbre, & prenoient, quand il étoit question de la mêler au ciment & de l'éteindre, toutes les précautions imaginables. Voyez CIMENT.

7°. Que la maniere de faire la chaux, que nous venons de décrire, n'est pas la seule en usage. Au lieu de fourneaux, il y a des endroits où l'on se contente de pratiquer des trous en terre, où l'on arrange les pierres à calciner, les unes à côté des autres ; on y pratique une bouche & une cheminée ; on recouvre les trous & les pierres avec de la terre glaise ; on allume au centre un feu qu'on entretient sept à huit jours, & lorsqu'il ne sort plus ni fumée ni vapeur, on présume que la pierre est cuite.

8°. Qu'il faut creuser un puits aux environs du four à chaux, 1°. pour le besoin des ouvriers : 2°. pour la petite maçonnerie qu'on fait à l'entrée de la tourelle : 3°. en cas d'incendie ; car il peut arriver qu'un grand vent rabatte le cone de feu sur les bourrées, & les enflamme.

9°. Que pour transporter la chaux dans des voitures, il faut avoir grand soin de les bien couvrir de bannes tendues sur des cerceaux ; que les chaufourniers allument du feu avec la chaux assez commodément ; ils en prennent une pierre grosse comme le poing, la trempent dans l'eau, & quand elle commence à fumer, ils la couvrent legerement de poussiere de bruyere, & soufflent sur la fumée jusqu'à ce que le feu paroisse ; & qu'on ne fait guere de chaux pendant l'hyver.

Quant à l'emploi de la chaux dans la maçonnerie, voici la méthode que Philibert de Lorme prescrit. Amassez dans une fosse la quantité de chaux que vous croyez devoir employer ; couvrez-la également par-tout d'un pié ou deux de son sable ; jettez de l'eau sur ce sable, autant qu'il en faut pour qu'il soit suffisamment abreuvé, & que la chaux qui est dessous puisse fuser sans se brûler ; si le sable se fend, & donne passage à la fumée, recouvrez aussi-tôt les crevasses ; cela fait, laissez reposer deux ou trois ans ; au bout de ce tems vous aurez une matiere blanche, douce, grasse, & d'un usage admirable tant pour la maçonnerie que pour le stuc.

Les particuliers ne pouvant prendre tant de précautions, il seroit à souhaiter que ceux qui veulent bâtir trouvassent de la chaux toute préparée, & vieille, & que quelqu'un se chargeât de ce commerce. Quand on veut avoir du mortier incontinent, on pratique un petit bassin en terre ; on en creuse au-dessous dans le voisinage un plus grand ; on met dans le petit la chaux qu'on veut employer ; on l'arrose d'eau sans crainte de la noyer ; s'il y avoit à craindre, ce seroit de la brûler, en ne l'humectant pas assez ; on la fait boire à force de bras avec le rabot ; quand elle est liquide & bien délayée, on la fait couler dans le grand bassin par une rigole ; on la tire de-là pour la mêler, au sable, & la mettre en mortier. On met 2/3 ou 7/5 de sable sur un tiers ou 2/5 de chaux mesurée vive. Voyez MORTIER. Vitruve prescrit l'épreuve suivante, pour s'assurer si la chaux est bien éteinte. Si on y rencontre des grumeaux ou parties solides, elle n'est pas encore bonne, elle n'est pas bien éteinte ; si elle en sort nette, elle n'est pas assez abreuvée. Nous venons d'exposer ce qu'il y a de méchanique à savoir sur la cuisson de la chaux commune, c'est maintenant au chimiste à examiner les caracteres, les propriétés générales & particulieres de cette substance ; c'est ce que M. Venel va exécuter dans la suite de cet article.

Qualités extérieures de la chaux. Les qualités extérieures & sensibles de la chaux vive, par lesquelles on peut définir cette substance à la façon des naturalistes, sont celles-ci : la chaux vive est friable, blanche, ou grisâtre, legere, seche, d'un goût acre & caustique, & d'une odeur qu'on pourroit appeller de feu, empyreumatique, ou phlogistique.

Propriétés physiques de la chaux. Les propriétés physiques générales de la chaux sont, 1°. toutes les propriétés communes des alkalis fixes, soit salins, soit terreux ; 2°. quelques-unes des qualités particulieres aux alkalis terreux ; 3°. quelques-unes de celles qui ne se rencontrent que dans les alkalis fixes-salins ; 4°. enfin quelques propriétés spéciales & caractéristiques.

Les propriétés communes aux alkalis fixes que possede la chaux, sont ; la fixité, voyez FIXITE ; la solubilité par les acides, voyez MENSTRUE ; la faculté de changer en verd la couleur bleue des violettes, & celle de précipiter les substances métalliques unies aux acides. On découvriroit peut-être que cette derniere propriété seroit au moins réciproque entre certaines terres calcaires & quelques substances métalliques ; comme elle l'est entre la terre de l'alun & le fer, si on examinoit dans cette vûe tous les sels à base calcaire, & tous les sels métalliques ; mais ces expériences nous manquent encore. Voyez RAPPORT.

Les propriétés des alkalis terreux qui se rencontrent dans la chaux, sont : l'infusibilité, ou ce degré de difficile fusibilité, par le secours des fondans, que les Chimistes prennent pour l'infusibilité absolue, voyez FUSIBILITE & VITRIFIABLE : l'opacité & la couleur laiteuse qu'elle porte dans les verres, lorsqu'on l'a mêlée dans les frites en une certaine quantité, voyez VERRE : la difficile solubilité par l'eau ; (les alkalis terreux ne sont pas parfaitement insolubles dans ce menstrue, V. EAU & TERRE) la précipitabilité par les alkalis-salins, tant fixes que volatils : l'utilité dans la fonte des mines de fer, dans les cementations de ce métal, faites dans la vûe de le rendre plus doux, ou de le convertir en acier, voyez FER, ACIER, & CASTINE : la qualité singuliere découverte par M. Pott, par laquelle elle dispose le régule d'antimoine, préparé par son moyen, à former avec le mercure un amalgame solide, voyez MERCURE : la faculté de fixer, d'améliorer, & même d'augmenter les métaux, que beaucoup d'habiles chimistes prétendent lui avoir reconnue par des faits, voyez substances métalliques, au mot METALLIQUE : & enfin la propriété remarquable de précipiter les alkalis volatils, & d'être réciproquement précipitée par ces sels. Cette réciprocité d'action dérange l'ordre de rapport des substances alkalines avec les acides, établi dans la premiere colonne de la table des rapports de M. Geoffroi ; elle a fourni matiere à une des premieres objections faites contre cette table, auxquelles son célebre auteur a répondu dans un mémoire imprimé dans les mém. de l'acad. royale des Sciences, an. 1720. M. Geoffroi répond à celle dont il s'agit ici, que la chaux doit moins être regardée comme une simple terre que comme un sel, & il prouve cette assertion par l'énumération de toutes les qualités communes à la chaux & aux alkalis fixes, parmi lesquelles il compte celle qui est en question. " La chaux, dit M. Geoffroi, de même que les alkalis fixes, absorbe l'acide dans le sel ammoniac, & détache le sel volatil urineux, ce que ne font point les terres absorbantes ". Mais il n'est pas possible d'admettre le dernier membre de la proposition ; car des expériences sans-doute peu répandues du tems de M. Geoffroi, nous ont appris que non-seulement les terres absorbantes, telles que la craie, &c. mais même des chaux métalliques, telles que le minium, décomposent le sel ammoniac. On ne sauroit soûtenir non plus que l'affinité des alkalis volatils avec les acides soit un peu plus grande que celle des terres absorbantes, sur ce qu'on prétendoit que les alkalis volatils décomposent les sels à base terreuse sans le secours du feu ; au lieu que les terres absorbantes ne précipitent les sels ammoniacaux qu'à l'aide d'un certain degré de chaleur : car tous les artistes savent que la chaux décompose le sel ammoniac à froid : les petits flacons pleins d'un mélange de sel ammoniac & de chaux, qu'on vend au peuple pour du sel d'Angleterre, exhalent pendant assez long-tems, sans être échauffés, un alkali volatil très-vif ; ce qui détruit évidemment la prétention que nous combattons. L'objection subsiste donc dans son entier, & cela ne doit pas nous faire juger que l'affinité de ces matieres avec l'acide est à-peu-près la même ; car cette proposition, au lieu d'exprimer que les alkalis volatils & la chaux se précipitent réciproquement, porteroit à croire au contraire que l'une de ces substances ne devroit point séparer l'autre d'avec un acide. Nous devons donc nous en tenir encore à la seule exposition du phénomene, dont l'explication présente aux Chimistes un objet curieux & intéressant, quoiqu'il ne soit pas unique. Voyez RAPPORT & PRECIPITATION.

Au reste, il y a apparence que c'est à cette propriété de précipiter les sels ammoniacaux dont joüit la chaux, qu'est dûe l'élévation des alkalis volatils, dès le commencement de la distillation des substances animales exécutées avec cet intermede, qu'il ne faut regarder par conséquent que comme la suite d'un simple dégagement, contre l'opinion de plusieurs chimistes, qui pensent que ce produit de l'analyse animale est réellement formé, qu'il est une créature de feu. Voyez SUBSTANCE ANIMALE.

Les propriétés communes à la chaux & aux alkalis fixes salins sont : la saveur vive & brûlante, l'attraction de l'eau de l'atmosphere, la vertu caustique, ou la propriété d'attaquer les matieres animales, voyez CAUSTIQUE ; l'action sur les matieres sulphureuses, huileuses, graisseuses, résineuses, bitumineuses ; la précipitation en jaune du sublimé corrosif, &c. C'est précisément cette analogie avec les sels alkalis qui a donné naissance au problème chimique sur l'existence du sel de la chaux, dont nous parlerons dans la suite de cet article ; problème qui a exercé tant de chimistes.

Les qualités spéciales de la chaux, sont son effervescence avec l'eau ; la propriété d'animer les alkalis salins, dont joüissent aussi quelques chaux métalliques, ce qu'il est bon d'observer en passant, voyez CHAUX METALLIQUE ; celle de fournir cette matiere assez peu connue que nous appellons creme de chaux ; l'espece d'union qu'elle contracte avec l'eau & le sable dans la formation du mortier ; l'endurcissement du blanc-d'oeuf, des laitages, & des corps muqueux, procuré par son mélange à ces matieres ; & enfin cette odeur que nous avons appellée phlogistique.

Ce sont sur-tout ces propriétés spéciales qui méritent une considération particuliere, & sur lesquelles nous allons entrer dans quelque détail.

Extinction de la chaux. 1°. La chaux fait avec l'eau une effervescence violente, accompagnée d'un sifflement considérable, d'une fumée épaisse, de l'éruption d'un principe actif & volatil, sensible par une odeur piquante, & par l'impression vive qu'il fait sur les yeux, & d'une chaleur si grande qu'elle est capable de mettre le feu à des corps combustibles, comme cela est arrivé à des bateaux chargés de chaux.

La chaux se réduit avec l'eau, lorsqu'on n'en a employé que ce qu'il faut pour la saturer, en un état pulvérulent, parfaitement friable, ou sans la moindre liaison de parties. Elle attire de l'air paisiblement & sans effervescence la quantité d'eau suffisante pour la réduire précisément dans le même état. La chaux ainsi unie à l'eau est connue sous le nom de chaux éteinte.

Si l'on employe à l'extinction de la chaux une quantité d'eau plus que suffisante pour opérer cette extinction, ou qu'on verse une certaine quantité de nouvelle eau sur de la chaux simplement éteinte, cette eau surabondante réduit la chaux en une consistance pultacée, ou en une espece de boue que quelques chimistes appellent chaux fondue.

Lait de chaux. Une quantité d'eau plus considérable encore est capable de dissoudre les parties les plus tenues de la chaux, d'en tenir quelques autres suspendues, mais sans dissolution, & de former avec ces parties une liqueur blanche & opaque, appellée lait de chaux.

Eau de chaux. Le lait de chaux débarrassé par la résidence ou par le filtre des parties grossieres & non dissoutes qui causoient son opacité, & chargé seulement de celles qui sont réellement dissoutes, est connu dans les laboratoires des Chimistes & dans les boutiques des Apoticaires, sous le nom d'eau de chaux ; & la résidence du lait de chaux, sous le nom de chaux lavée.

L'union que les parties les plus subtiles de la chaux ont subie avec l'eau dans la formation de l'eau de chaux, doit être regardée comme une mixtion vraiment saline ; cette union est si intime qu'elle ne se dérange pas par l'évaporation, & que le mixte entier est volatil. L'eau de chaux a d'ailleurs tous les caracteres d'une dissolution saline ; cette dissolution est transparente, elle découvre plus particulierement son caractere salin par son action corrosive sur le soufre, les graisses, les huiles, &c. & même par son goût. Sthal, spec. Becher. part. I. sect. 11. memb. 11. these 11. 8.

Ce mixte terro-aqueux, dont M. Stahl a reconnu la volatilité, peut pourtant être concentré selon lui sous la forme des crystaux salins. Si ces crystaux étoient formés par le mixte salin essentiel à l'eau de chaux, ils seroient évidemment le véritable sel de chaux, sur l'existence & la nature duquel les Chimistes ont tant disputé ; mais on va voir que M. Stahl s'en est laissé imposer par ce résidu crystallisé de l'eau de chaux.

Le fond du problème sur le fameux sel de chaux, exactement déterminé, a roulé sur ce point ; savoir si la chaux produisoit ses effets d'alkali, par un sel, par conséquent alkali, ou par sa substance terreuse. Les expériences de M. du Fay sont celles qui ont été le plus directement dirigées à la solution du problème ; elles lui ont découvert un sel dont il n'a pas déterminé la nature, & que nous savons à-présent, par des expériences de M. Duhamel, n'avoir dû être autre chose qu'un peu de sel marin à base terreuse, qui se trouve dans la plûpart des chaux, ou un peu de ce sel nitreux proposé par M. Naudot. Acad. royale des scien. mém. des sav. étrang. t. II. Ce sont sans-doute ces sels qui ont fourni à M. Stahl son résidu crystallisé de l'eau de chaux ; mais il est clair que cette matiere saline est absolument étrangere à la chaux, ou purement accidentelle, ensorte qu'aucune autre expérience n'étant favorable à l'opinion qui suppose un alkali fixe dans la chaux, il est clair que le sel de chaux n'existe point, ou qu'il n'est autre chose que ce mixte terre-aqueux suspendu dans l'eau de chaux, que nous avons admis avec Stahl.

Quant aux sels acides admis dans la chaux par plusieurs chimistes, & tout récemment même par M. Pott, cont. de sa Lithogeognosie, p. 215. ne peut-on pas très-raisonnablement soupçonner que c'est une portion de l'acide de ces sels neutres dont nous avons parlé, que ces auteurs ont dégagée par quelque manoeuvre particuliere ; & qu'ainsi leurs découvertes concourent exactement à établir le sentiment que nous venons d'embrasser sur le sel de chaux.

Nous n'entrerons point ici dans la discussion des prétentions d'un grand nombre de chimistes, qui, comme Vanhelmont & Kunckel, n'ont supposé divers sels dans la chaux que pour en déduire plus commodément la théorie de ses principaux phénomenes : ces suppositions, qui ne doivent leur naissance qu'au besoin que ces auteurs croyent en avoir, sont comptées pour si peu dans la méthode moderne, qu'elles ne sont pas même censées mériter le moindre examen, & qu'elles tombent de plein droit, par la seule circonstance d'avoir devancé les faits.

Lorsqu'on laisse le lait de chaux s'éclaircir par le repos, il se forme après un certain tems à la surface de la liqueur une pellicule crystalline, blanche, & demi-opaque, qui se reproduit un grand nombre de fois, si après l'avoir enlevée on a soin de mêler de nouveau la liqueur éclaircie avec sa résidence ; car sans cette manoeuvre l'eau de chaux est bientôt épuisée, par la formation successive de quelques pellicules, de la matiere propre à en produire de nouvelles ; ces pellicules portent le nom de creme de chaux.

Creme de chaux. La vraie composition de la creme de chaux étoit fort peu connue des Chimistes, lorsque M. Maloüin curieux de connoître la nature du sel de chaux, s'est attaché à l'examen de la creme dont il s'agit, qu'il a crû être le vrai sel de chaux, cet être qui se refusoit depuis si long-tems aux recherches de tant d'habiles chimistes. M. Maloüin a apperçu dans la creme de chaux quelques indices d'acide vitriolique ; il a fait du tartre vitriolé & du sel de Glauber en précipitant la creme de chaux par l'un & l'autre sel alkali fixe, & du soufre artificiel en traitant cette creme avec des substances phlogistiques ; il a donc pû conclure légitimement de ces moyens qui sont très-chimiques, que la crême de chaux étoit un vrai sel neutre de la nature de la sélénite.

Il nous resteroit pourtant à savoir, pour avoir une connoissance complete sur cette matiere, en quelle proportion les deux ingrédiens de la creme de chaux concourent à sa formation, ou du moins sont annoncés par les expériences, car l'absolu ne suffit pas ici, & il est telle quantité de tartre vitriolé, de sel de Glauber, ou de soufre artificiel, qui ne prouveroit rien en faveur de l'acide vitriolique soupçonné dans la creme de chaux.

Mais cet acide vitriolique, s'il existe dans la creme de chaux, d'où tire-t-il son origine ? préexistoit-il dans la pierre à chaux ? est-il dû au bois ou au charbon employés à la préparation de la chaux, comme l'a soupçonné M. Geoffroi, ou cet acide s'est-il formé dans l'eau de chaux même ? est-il dû à la mixtion saline réellement subie par les parties terreuses les plus subtiles de la terre calcaire, & peut-être d'une terre plus simple mêlée en très-petite quantité parmi celle-ci, comme de fortes analogies en établissent au moins la possibilité ? C'est un problème bien digne de la sagacité des vrais chimistes. Au reste ce sel sélénitique ne pourroit jamais être regardé comme le sel de chaux sur lequel les Chimistes ont tant disputé : ce sont les propriétés salines de la chaux qui les ont portés à soupçonner un vrai sel dans cette matiere, comme nous l'avons déjà remarqué : or la sélénite peut à peine être regardée comme un sel, & elle n'a assûrément aucune des propriétés salines de la chaux.

Effervescence avec chaleur de la chaux & de l'eau. L'effervescence qui s'excite par l'action réciproque de la chaux & de l'eau, & plus encore la chaleur dont cette effervescence est accompagnée, exercent depuis long-tems la sagacité des Chimistes. La théorie générale de l'effervescence, prise simplement pour le gonflement & le bouillonnement de la masse qui la subit, s'applique cependant d'une façon assez naturelle à ce phénomene considéré dans la chaux, voyez EFFERVESCENCE ; mais il s'en faut bien que la production de la chaleur qui l'accompagne puisse être expliquée d'une maniere aussi simple.

La théorie chimique de la chaleur des effervescences nous manque effectivement, depuis que notre maniere de philosopher ne nous permet pas de nous contenter des explications purement ingénieuses, telles que celles de Sylvius de Leboë, de Willis, & de toute l'école chimique du dernier siecle, que M. Lemery le pere a répandue chez nous, & qui est encore parmi les Physiciens l'hypothese dominante. Ces chimistes prétendoient rendre raison de ce phénomene singulier par le dégagement des particules du feu enfermées dans les pores de l'un des deux corps, qui s'unissent avec effervescence comme dans autant de petites prisons. Cette théorie convenoit à l'effervescence de la chaux d'une façon toute particuliere ; & l'on pourroit croire même que c'est de l'explication de ce phénomene particulier, déduite depuis long-tems de ce méchanisme (Voyez Vitruve, liv. II. c. v.), que les Chimistes ont emprunté leur théorie générale de la chaleur des effervescences. Rien ne paroît si simple en effet que de concevoir comment la calcination a pû former dans la chaux ces pores nombreux dont on la suppose criblée, & les remplir de particules de feu ; & comment l'eau entrant avec rapidité dans cette terre seche, ouverte & avide de la recevoir, dégage ces particules de feu de leur prison, &c. Quelques chimistes, comme M. Homberg, ont ensuite appellé au secours de ce méchanisme le frottement causé dans toutes les parties de la chaux, par le mouvement impétueux avec lequel l'eau se porte dans ses pores, &c. mais cette cause, peut-être très-réelle, & qui est la seule que la Chimie raisonnée moderne ait retenue, n'est pas plus évidente ou plus prouvée que la premiere, entierement abandonnée aujourd'hui. Voyez EFFERVESCENCE.

Chaux éteinte. La chaux perd par son union à l'eau quelques-unes de ses propriétés chimiques, ou du moins elle ne les possede dans cet état qu'en un moindre degré d'efficacité ; c'est-à-dire proprement, que la chaux a plus d'affinité avec l'eau, qu'avec quelques-unes des autres substances auxquelles elle est miscible, ou du-moins que son union à l'eau châtre beaucoup son activité.

Ce principe vif & pénétrant qui s'éleve de la chaux pendant son effervescence avec l'eau, paroît n'être absolument autre chose que le mixte salin volatil de l'eau de chaux formé pendant l'effervescence ou par l'effervescence même, sub actu ipso effervescentiae, lequel s'évapore par la chaleur plus que suffisante qui est un autre effet de la même effervescence. Ce soupçon qui est presqu'un fait, pourroit être changé en certitude complete , en comparant l'eau de chaux distillée à la vapeur qui s'éleve de la chaux pendant l'effervescence. Au reste la chaux éteinte à l'air differe de la chaux éteinte avec effervescence, en ce que la premiere retient entierement ce mixte volatil, que la derniere laisse échapper en partie ; partie sans-doute la plus considérable, apparemment la plus subtile : ou peut-être au contraire en ce que le mouvement de l'effervescence, apparemment nécessaire pour porter l'atténuation des parties de la chaux au point de subir la mixtion saline ; en ce que ce mouvement, dis-je, a manqué à la chaux éteinte à l'air : deux nouveaux soupçons moins près de la connoissance positive que le premier, mais dont l'alternative examinée par des expériences, doit établir évidemment l'un ou l'autre fait soupçonné. C'est aussi sans-doute de l'une ou de l'autre de ces différences qu'il faut déduire l'inaptitude à former du mortier observée dans la chaux éteinte à l'air.

Résurrection de la chaux. La chaux éteinte peut être ressuscitée ou rétablie dans son état de chaux vive ; il n'y a pour cela qu'à l'exposer à un feu violent, & à chasser par ce moyen l'eau dont elle s'étoit chargée en s'éteignant. La ténacité de l'eau avec la chaux est telle qu'un feu médiocre ne suffit pas pour la ressusciter, comme il est prouvé par les expériences de M. Duhamel (Mém. de l'Acad. royale des Sc. ann. 1747.), qui mit dans une étuve de la chaux éteinte, où elle ne perdit que très peu de son poids ; qui l'exposa ensuite dans un creuset à l'action d'un grand feu de bois, qui ne lui fit perdre qu'environ le quart de l'eau qui avoit servi à l'éteindre ; & qui enfin ne réussit pas même à l'en priver entierement en l'exposant dans un fourneau de fusion excitée par le vent d'un fort soufflet.

Un petit morceau de la chaux qui avoit essuyé cette derniere calcination mis dans un verre avec de l'eau, présenta tous les phénomenes d'une chaux vive assez comparable à la chaux de craie, & qui auroit été apparemment encore plus vive, si la calcination avoit été assez long-tems continuée pour dissiper toute l'eau qui avoit servi pour l'éteindre la premiere fois. Ibid.

Le changement que la chaux opere sur les alkalis salins, est un des faits chimiques les moins expliqués : elle augmente considérablement leur activité ; elle rend l'alkali fixe plus avide d'eau ; & l'alkali volatil dégagé par son moyen est constamment fluide, & incapable de faire effervescence avec les acides : phénomene unique, & dont la cause n'est pas même soupçonnée. Plusieurs chimistes regardent ces effets de la chaux sur l'un & l'autre alkali comme les mêmes, & ils les déduisent de l'union que ces sels ont contractée avec un certain principe actif & très-subtil fourni par la chaux. Hoffman qui a adopté ce système, appelle ce principe non salinum, sed quasi terreo-igneum volatile ; ce qui n'est pas clair assûrément. D'autres croyent trouver une cause suffisante de la plus grande causticité de l'alkali fixe, dans une certaine quantité de terre calcaire dont il se charge manifestement lorsqu'on le traite convenablement avec la chaux, & regardent au contraire la fluidité invincible de l'alkali volatil, comme la suite d'une atténuation opérée par simplification, par soustraction. C'est comme augmentant la force dissolvante de l'alkali fixe, que la chaux est employée dans la préparation de la pierre à cautere, & dans celle de la lessive ou eau mere des Savonniers. Voyez PIERRE A CAUTERE, SAVON, L AMMONIACNIAC.

Mortier. La théorie de la formation du mortier, de l'espece d'union que contractent les trois matériaux qui le composent, savoir, la chaux, le sable & l'eau, & de leur action mutuelle, est peu connue des Chimistes. Stahl lui-même, qui a appuyé sa théorie de la mixtion des substances soûterraines, subterraneorum, sur les phénomenes du mortier, n'a pas assez déterminé la forme de la mixtion de ce corps singulier, dont l'examen chimique est encore tout neuf : ce que nous en savons se réduit à un petit nombre d'observations, entre lesquelles celles-ci sont plus particulieres à la chaux : la chaux éteinte à l'air ne se lie pas avec le sable, ou ne fait point de mortier, de quelque façon qu'on la traite : la chaux éteinte à l'eau, plus elle est ancienne, plus elle est propre à fournir un bon mortier. Voyez MORTIER.

Union de la chaux au blanc-d'oeuf, &c. la combinaison de la chaux avec le blanc-d'oeuf & les laitages, & la dureté considérable à laquelle parviennent ces mélanges, fournissent encore un de ces phénomenes chimiques qu'il faut ranger dans la classe des faits purement observés.

Cette observation, qui n'est pas équivoque, doit nous empêcher de compter sur un prétendu assaisonnement du lait que quelques médecins croyent obtenir en le mêlant avec de l'eau de chaux, qui est évidemment bien plus capable de l'altérer que de le conserver. Au reste le reproche ne doit tomber que sur la licence d'expliquer si commune dans un certain ordre de Médecins, & ordinairement à-peu-près proportionnelle à leur ignorance ; car pour l'effet médicinal, nous nous garderons bien de l'évaluer au poids des analogies physiques.

Becher prétend avoir porté si loin, par une manoeuvre particuliere, l'endurcissement d'un mélange de chaux vive & de fromage, que la dureté de ce composé artificiel étoit peu inférieure à celle du diamant. La composition des marbres artificiels, la préparation de plusieurs luts très-utiles dans le manuel chimique, celle de certains mastics propres à recoller les porcelaines cassées, &c. sont fondées sur cette propriété de la chaux ou du plâtre, qui en ceci est analogue à la chaux. Voyez LUT, MARBRE, ATREATRE.

La chaux coagule aussi les corps muqueux (Voyez MUQUEUX), & leur procure une certaine dureté. Ce phénomene est proprement le même que le précédent : c'est à ce dernier titre principalement que la chaux est employée dans les raffineries de sucre ; elle sert à lui donner du corps. Voyez SUCRE.

Dissolution de la chaux par les acides. La chaux est soluble par tous les acides, comme nous l'avons déjà observé ; elle s'y unit avec effervescence & chaleur. Voici les principales circonstances de sa combinaison avec chacun de ces acides.

L'acide vitriolique attaque la chaux très-rapidement, & s'y unit avec effervescence & chaleur ; il s'éleve pendant l'effervescence des vapeurs blanches qui ont l'odeur de l'acide de sel marin : il résulte de l'union de l'acide vitriolique & de la chaux, un sel neutre, très-peu soluble dans l'eau, qui se crystallise à mesure qu'il se forme, excepté qu'on employe un acide vitriolique très-affoibli, & qu'on ne l'applique qu'à une très-petite quantité de chaux : ce sel est connu parmi les chimistes modernes sous le nom de sélénite, de sel séléniteux, ou sel sélénitique. Voyez SELENITE. La matiere calcaire suspendue dans l'eau de chaux, forme avec l'acide vitriolique un sel exactement semblable à celui dont nous venons de parler ; ce qui semble indiquer que l'eau qui constituoit sa solubilité est précipitée par l'union de la partie terreuse à l'acide vitriolique, qui paroît par-là avoir plus d'affinité avec la terre calcaire, que celle-ci n'en a avec l'eau ; & l'on peut tirer de cette considération la raison de l'insolubilité de la sélénite qu'il faut considérer comme un sel terreux qui ne contient peut-être d'autre eau que celle qui est essentielle à la mixtion de l'acide.

L'acide nitreux versé sur la chaux, produit une violente effervescence, beaucoup de chaleur, quantité de vapeurs blanches, & une odeur pénétrante qui paroît être dûe à un peu d'esprit de sel dégagé par l'acide nitreux, & à l'acide nitreux lui-même volatilisé par le mouvement de l'effervescence & par la chaleur. Une bonne quantité de chaux étant dissoute dans un acide nitreux médiocrement concentré, la dissolution ne se trouble point ; elle reste au contraire aussi transparente que l'esprit de nitre qu'on a employé l'étoit auparavant. Cette dissolution évaporée à une douce chaleur, donne une résidence comme gommeuse, dans laquelle on apperçoit de petits crystaux informes, qui étant aussi solubles que la masse saline non crystallisée, ne peuvent en être séparés par aucun moyen. Cette masse saline desséchée attire l'humidité de l'air, & se résout en liqueur ; elle est analogue au sel de nitre à base terreuse, qui constitue une partie de l'eau mere du salpetre. M. Duhamel, mém. de l'acad. 1747, a découvert une propriété singuliere dans ce sel : en ayant poussé au feu une certaine quantité dans une cornue, il passa presque tout dans le récipient, & il ne restoit dans la cornue qu'un peu de terre qui étoit soluble par l'acide nitreux, & formoit avec lui un sel qui apparemment auroit été volatilisé tout entier par des cohobations réitérées : cette volatilité le fait différer essentiellement du sel formé par l'union du même acide & de la craie ; car ce dernier supporta un feu assez fort auquel on l'exposa dans un creuset pour la préparation du phosphore de Baudouin, Balduinus (Voyez PHOSPHORE de Balduinus, au mot PHOSPHORE), à moins que la circonstance d'être traité dans les vaisseaux fermés ne fût essentielle à la volatilité du premier ; ce qu'on ne peut guere présumer. L'acide vitriolique précipite ce sel avec effervescence, & forme une sélénite avec sa base terreuse.

L'acide du sel marin excite avec la chaux une très-violente effervescence, accompagnée d'une chaleur considérable & de vapeurs blanches & épaisses, qui ne sont autre chose qu'un esprit de sel foible ; cette solution évaporée selon l'art, donne une masse saline qui a la consistance du beurre, dans laquelle on distingue quelques petits crystaux qu'il est très-difficile d'en séparer par la lotion à l'eau froide, parce qu'ils sont presqu'aussi solubles que la masse saline qui les entoure : cette masse séchée est très-déliquescente ; elle est précipitée par l'acide vitriolique qui fait avec la chaux une sélénite ; elle est soluble par l'acide nitreux, qui ne paroît produire sur elle aucun dérangement sensible, mais concourir avec l'acide du sel marin à la dissolution de sa base.

Ce sel est fixe au feu, ensorte que si on le pousse dans les vaisseaux fermés à un feu très-violent, on n'en sépare qu'un flegme très-legerement acide. Duhamel, mém. acad. 1747. Le sel qu'on retire du résidu du sel ammoniac distillé par la chaux (& qui est connu dans l'art sous le nom de sel fixe ammoniac lorsqu'on l'a sous forme seche, & sous celui d'huile de chaux lorsqu'il est tombé en deliquium) ; ce sel, dis-je, est le même que celui dont nous venons de parler ; il peut cependant en différer (selon la prétention de plusieurs illustres chimistes) par quelque matiere phlogistique prise dans le sel ammoniac. Voyez SEL AMMONIAC.

Le vinaigre distillé dissout la chaux avec effervescence & chaleur. Le sel qui résulte de cette union est très-soluble dans l'eau ; il crystallise pourtant assez bien, lorsque sa dissolution est très-rapprochée ; il se forme en petites aiguilles soyeuses & flexibles. Ce sel est très-analogue au sel de corail, & à tous ceux qui sont formés par l'union de l'acide du vinaigre aux terres absorbantes quelconques. M. Halles a observé que l'effervescence de la chaux avec tous ces acides, étoit accompagnée de fixation d'air. Voyez CLISSUS & EFFERVESCENCE.

On trouve dans un mémoire de M. Geoffroi le cadet, imprimé parmi ceux de l'académie R. D. S. ann. 1746, une expérience curieuse faite sur la chaux de Melun éteinte avec le vinaigre distillé. C'est ainsi que s'exprime l'auteur : " J'ai mis, dit M. Geoffroi, dans une terrine de grès une livre de chaux de Melun ; je l'ai éteinte en versant dessus, peu-à-peu, deux livres de vinaigre distillé ; il s'est fait une legere fermentation : après quoi, à mesure que la liqueur s'est évaporée, il s'est formé à la superficie de la masse une croûte saline d'un goût amer & un peu acre. La masse s'est refendue en se séchant ; & au bout de quelques mois j'ai trouvé sous la croûte saline, dont je viens de parler, des morceaux d'une matiere compacte, pénétrée de la partie acide & huileuse de vinaigre. Ces morceaux ressemblent à des morceaux rompus de pierre-à-fusil ; leurs faces cassées sont polies & luisantes ; leur couleur est blonde ou cendrée ; les bords tranchans des parties minces sont transparens comme ceux du silex, de même couleur ; & il est difficile à la simple vûe de distinguer cette matiere factice, de la vraie pierre-à-fusil ; car il ne manque à ce caillou artificiel que le poids & la dureté nécessaires pour faire du feu. Pendant les premieres années on en enlevoit des parties avec l'ongle ; il y faut maintenant employer le fer ; & peut-être que si l'on suivoit avec soin le progrès du vrai silex dans les lits de craie où il se forme, aux environs de Roüen, d'Evreux, & autres endroits, on lui trouveroit différens degrés de dureté relatifs aux époques de sa formation ".

La creme de tartre s'unit aussi à la chaux, & forme avec elle un sel parfaitement semblable par toutes les qualités extérieures au sel végétal. Voyez SEL VEGETAL.

Tous ces acides forment avec l'eau de chaux, les mêmes sels que chacun forme avec la chaux vive ou la chaux éteinte ; d'où il faut nécessairement conclure que si la creme de chaux étoit un sel sélénitique, elle différeroit essentiellement de la matiere suspendue dans l'eau de chaux : car on ne sauroit retrouver l'acide vitriolique dans les sels formés par l'union de l'acide nitreux, de l'acide marin, du vinaigre distillé, & de la creme de tartre, avec la substance calcaire dissoute dans l'eau de chaux. L'on divise chacun de ces sels neutres exactement en deux parties ; savoir leur acide respectif, & une terre calcaire pure : l'acide vitriolique, s'il s'en trouve dans la creme de chaux, a donc été réellement engendré.

C'est par cette qualité absorbante, que la chaux peut être employée, quoique peut-être avec danger pour la santé, à prévenir ou à corriger l'acidité de certains vins. Voyez VIN.

Action de la chaux sur le soufre, les huiles, &c. La chaux vive agit sur toutes les matieres sulphureuses & huileuses ; elle dissout le soufre, soit par la voie humide, soit par la voie seche, & forme avec ce corps un composé concret, & qui subsiste sous forme seche ; en cela différent de celui qui résulte de l'union du soufre & de l'alkali fixe. Voyez foie de soufre au mot SOUFRE. C'est par cette qualité qu'elle dissout l'orpiment, & qu'elle forme avec ce minéral un foie d'arsenic, qui est un des réactifs de l'encre de sympathie. Voyez ENCRE DE SYMPATHIE. C'est par cette action sur le soufre, & par une plus grande affinité avec ce mixte que les substances métalliques, que la chaux agit dans la décomposition des mines cinnabarines de mercure, & dans sa révivification en petit ; qu'elle peut servir à la préparation du régule d'antimoine, & à fixer dans le grillage ou la fonte de certaines mines, une matiere principalement sulphureuse, capable d'entraîner une partie du métal, que les Métallurgistes allemands appellent rauberisch, en latin rapax. Voyez MERCURE, ANTIMOINE, MINE, FONTE, FIXER, GRILLAGE. La chaux dissout toutes les substances huileuses, qu'elle décompose même en partie ; elle détruit, par exemple, la mixtion huileuse dans les rectifications des huiles tirées des trois regnes, auxquelles on l'employe quelquefois. Voyez HUILE, RECTIFICATION, INTERMEDE. Elle ne l'épargne pas même dans l'esprit-de-vin, où le principe huileux paroît être contenu cependant dans sa plus grande simplicité. C'est par cette propriété que la chaux est très-propre à manifester les sels neutres contenus dans les sucs ou les décoctions des plantes, selon l'utile méthode que M. Boulduc a proposée dans les mémoires de l'académie des Sciences, ann. 1734. Ce n'est apparemment qu'au même titre, qu'elle est utile dans la fabrique du salpetre, quoique les plus savans chimistes, & entr'autres feu M. Neumann, assurent expressément qu'elle concourt à la composition même de ce sel neutre, comme ingrédient essentiel. Voyez NITRE. C'est exactement par la même vertu qu'elle est propre à blanchir le fil, les toiles neuves, & le linge sale ; mais elle est trop active pour ces derniers usages, elle n'épargne pas assez le corps même du fil. On a proposé dans le journal économique, une préparation des marrons d'inde, qui les rend utiles à la nourriture de la volaille & des bestiaux, qui consiste à leur enlever par l'action de la chaux vive dont il est ici question, une matiere qui les rend desagréables & même dangereux.

Causticité de la chaux. La causticité proprement dite de la chaux vive, qualité très-analogue à la précédente, la rend propre à enlever les sucs animaux dans la préparation des cuirs, dont elle est en état même de consumer les parties solides ou fibreuses ; elle réduit en bouillie les poils, les cornes, &c. elle consume assez promtement les cadavres. Voyez CAUSTIQUE, TANNERIE, MUMIE, SUBSTANCES ANIMALES, MENSTRUE.

Variétés des chaux. Les chaux provenues de différentes matieres calcaires possedent la plûpart les qualités absolues que nous venons d'exposer, en degrés spécifiques qui les distinguent presque toutes entre elles : en cela bien différentes des sels alkalis purs qui sont exactement semblables entr'eux de quelque corps qu'ils soient tirés ; c'est-à-dire que l'art n'est pas encore parvenu à faire de la chaux pure. Voyez CENDRE & TERRE. Ainsi, selon l'observation de M. Pott, la corne de cerf calcinée & la pierre à chaux ordinaire calcinée, sont beaucoup plus rebelles ou plus difficiles à fondre dans les mêmes circonstances, que la chaux de marbre & la marne calcinée ; les mélanges dans lesquels entrent les deux premieres matieres, sont aussi plus difficilement portés à la transparence par le secours du feu, que ceux dans lesquels on employe les dernieres. La chaux de craie est très-inférieure pour l'emploi dans les ouvrages de maçonnerie, à la chaux faite avec les pierres calcaires dures, connue des ouvriers dans quelques provinces sous le nom très-impropre de chaux de caillou ; & plus encore à celle qu'on prépare avec le marbre, qui fournit la plus excellente pour cet usage.

Rapport & différences de la chaux & du plâtre. Tout ce qui a été rapporté jusqu'ici des principales propriétés de la chaux, suffit sans-doute pour la faire distinguer des substances auxquelles elle est la plus analogue ; savoir les alkalis-salins & les terres absorbantes, parmi lesquelles nous rangeons la terre des cendres des végétaux. Voyez CENDRE. Il nous reste encore à exposer celles par lesquelles elle a quelque rapport avec le plâtre, que la plûpart des naturalistes ont trop confondu avec elle ; & les caracteres qui l'en font essentiellement différer : ces deux substances ont de commun leur origine, ou la qualité de produits de la calcination, leur consistance rare & friable, leur miscibilité réelle avec l'eau, & leur qualité dissolvante du soufre : leurs caracteres distinctifs sont, que la plûpart des pierres gypseuses sont réduites en plâtre par un feu fort leger, & très-inférieur à celui qu'exige la calcination des matieres calcaires ; que la chaux est soluble dans tous les acides, & que le plâtre ne se dissout dans aucun d'eux ; que le plâtre avec de l'eau pure se durcit, mais que la chaux ne le fait point à moins qu'on n'y mêle du sable : le plâtre se durcit plus promtement que la chaux ; & si on ajoute au plâtre des matieres limoneuses, il devient plus dur que la chaux. La chaux ne se détruit pas par un feu violent ; & quand elle est éteinte à l'air, elle reprend sa premiere qualité, si on la fait rougir au feu : le plâtre au contraire, est tellement détruit par un feu violent, qu'il perd son gluten ; ensorte qu'il ne se lie plus avec de l'eau, il ne reprend pas non plus sa premiere qualité par une seconde calcination ; le plâtre détrempé avec de l'eau, a une odeur d'oeufs pourris ; la chaux n'a pas cette odeur. La décoction du plâtre ne dissout pas si bien le soufre que la décoction de la chaux ; le plâtre ne se soutient pas tant à l'air que la chaux. Pott, examen des pierres, &c. ch. ij.

Rapport & différences de la chaux vive & de la chaux métallique. La chaux vive a encore quelques rapports généraux & extérieurs avec la chaux métallique. Ces matieres sont l'ouvrage d'un feu ouvert comme la chaux & le plâtre ; elles sont dans un état de désunion de parties comme ces dernieres substances : mais elles en different par la plûpart de leurs propriétés essentielles & intérieures. Voyez CHAUX METALLIQUE.

Nous avons indiqué déjà les principaux usages de la chaux, & nous les avons rapportés autant qu'il nous a été possible chacun à celle de ses propriétés dont il dépendoit, afin que l'exposition d'un certain nombre de faits ainsi rapprochés de leur principe physique, servit à constater & à lier les connoissances que nous avons sur notre sujet. Mais outre ces usages déjà exposés, la chaux en a encore plusieurs autres qu'il auroit été inutile, impossible, ou du moins trop peu exact, de ramener à quelqu'une des propriétés que nous avons observées. On les trouvera répandus dans les différens articles d'Arts méchaniques de ce Dictionnaire. (b)

Vertus médicinales de la chaux. La chaux vive fournit plusieurs bons remedes à la Médecine. Les plus anciens médecins l'ont employée extérieurement. Hippocrate lui-même la recommande contre différentes especes de lepre ; Dioscoride, Pline, Galien, Paul d'Aegine, &c. la rangent au nombre des remedes acres & caustiques qu'on doit employer contre les ulceres putrides & malins. Celse la regarde comme un secours efficace pour faire séparer les parties sphacelées, soit en les saupoudrant de chaux vive très-fine, ou en employant une lessive préparée par le deliquium avec une partie de chaux vive, & trois parties de cendres gravelées.

Fuller donne pour un remede éprouvé contre les douleurs scorbutiques & rhûmatismales, un liniment fait avec la chaux vive & le miel.

On trouve dans différens auteurs un grand nombre d'onguens contre les brûlures, dans lesquels on fait entrer la chaux vive avec les émolliens & les adoucissans.

La chaux est très-communément employée dans les dépilatoires (voyez DEPILATOIRE) : les Indiens en composent des masticatoires avec l'areque, & les Américains avec le tabac. Voyez MASTICATOIRE.

L'eau de chaux ordinaire doit être regardée comme un très-bon détersif, qu'on employe avec succès extérieurement dans le traitement des vieilles plaies dont les bords sont mollasses & trop abreuvés, & dans celui des acides putrides & sanieux : on peut s'en servir encore comme d'un bon discussif fortifiant & antiseptique, contre certaines maladies cutanées, comme la gratelle, les dartres, les tumeurs oedémateuses, & principalement celle des piés avec menace de gangrene. Riviere la recommande en fomentations contre les tumeurs oedémateuses.

Cette eau de chaux battue avec une huile par expression, prend sa consistance d'un onguent qui est fort recommandé contre les brûlures ; mais on se sert sur-tout parmi nous de l'eau de chaux à la préparation d'une lotion contre la gale, qui consiste à faire bouillir cette eau avec une certaine quantité de fleurs de soufre qui sont dissoutes en partie, & combinées sous la forme d'un foie de soufre. Voyez SOUFRE & GALE.

L'eau de chaux est le principal ingrédient de l'eau phagedenique. Voyez eau phagedenique au mot PHAGEDENIQUE.

On prépare aussi avec l'eau de chaux un assez bon collyre, connu dans les boutiques sous le nom d'eau saphirine ou eau céleste. Voyez eau saphirine, sous le mot SAPHIRINE.

La chaux ayant toûjours été regardée comme un mixte rempli de parties de feu qui détruit & consume les corps sur lesquels elle peut agir, on auroit cru jadis donner un poison, en donnant par la bouche un remede tiré de la chaux, jusqu'à ce qu'enfin dans ces derniers tems-ci l'eau de chaux prise intérieurement, a passé pour un excellent remede, & que plusieurs auteurs célebres l'ont mise en usage pour un grand nombre de maladies. Burlet, mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1700.

Le préjugé si contraire à l'usage intérieur de la chaux, n'étoit pas seulement fondé sur une terreur rationnelle ; sa qualité de poison étoit établie sur plusieurs observations. M. Burlet rapporte, que peu de tems avant qu'il écrivît le mémoire que nous venons de citer, il s'étoit répandu dans le public, que des boeufs altérés ayant bû dans une fosse à chaux de l'eau qui la surnageoit, en moururent en peu de tems. Les auteurs de Médecine nous ont transmis plusieurs observations qui concourent à prouver que la chaux prise intérieurement est dangereuse. La vapeur même élevée de la chaux pendant son effervescence avec l'eau, a quelquefois été funeste. Les accidens auxquels s'exposent ceux qui habitent des maisons neuves bâties avec le mortier ou trop récemment blanchies, doivent être rapportés à ce genre d'effets. Hippocrate (de morb. pop. lib. III. aegr. 2.) a observé une paralysie dûe à cette cause. Les observations semblables ne sont pas rares. On trouve dans les éphem. des cur. de la nature, que la poussiere de la chaux respirée fréquemment par un manoeuvre employé dans un four à chaux, engendra des concrétions pierreuses dans ses poumons. On peut ajoûter à ces considérations, que la chaux en poudre est un poison sûr pour les rats, & qu'elle fournit un très-bon préservatif contre les insectes, qu'elle tue ou qu'elle chasse. M. Anderson rapporte dans son hist. nat. d'Islande, un fait qui a du rapport avec cette derniere propriété : on m'a assûré, dit cet auteur, qu'un vaisseau chargé de chaux, ou qui en est enduit en-dehors, chassoit absolument toute sorte de poisson ; ce que cet auteur attribue plûtôt à l'odeur qu'au goût de la chaux.

Si l'explication des effets veneneux de la chaux peut être pour quelque médecin un nouveau motif de ne l'employer intérieurement qu'avec circonspection, il en trouvera une dans Boerhaave, qui lui apprendra (institut. med. 1143.) que la chaux, soit vive, soit éteinte, doit être rapportée, peut-être, à la classe des poisons, qui procurent une mort promte ou lente en resserrant, constringendo, en incrassant, en obstruant, en desséchant.

Quelques médecins ont cependant osé donner intérieurement la chaux, même en substance. M. Duhamel rapporte, dans son histoire de l'académie, une observation de M. Homberg, qui avoit guéri un hypocondriaque, avec un mélange d'une partie de sel ammoniac, & de deux parties de chaux éteinte à l'air, donné à la dose de vingt grains.

La chaux éteinte a été recommandée, employée en clystere, contre certaines dyssenteries.

Hippocrate, épidem. v. 2. a donné des lavemens d'eau de chaux dans les anciens flux de ventre.

Mais c'est l'eau de chaux, qui est le remede tiré de cette substance, qui a été le plus généralement employé. Sylvius Deleboe & Willis passent pour les premiers qui ayent mis en vogue l'usage intérieur de l'eau de chaux ; le premier en Hollande, & le second en Angleterre. Morton, Bennet, Spon médecin françois, Bateus, & plusieurs autres, ont aussi célebré ce remede, qui aujourd'hui a perdu beaucoup de son crédit parmi nous, quoique nous ne le regardions plus comme poison ; & que quelques habiles médecins l'employent encore avec succès dans quelques-uns des cas que nous allons indiquer, & surtout dans les maladies des reins.

M. Burlet rapporte, dans son mém. déjà cité, qu'il avoit vû en Hollande un médecin qui en employoit trente pintes par jour, mais presque toûjours mêlée avec d'autres drogues ; ensorte que les guérisons que ce médecin opéroit ne peuvent pas être mises assez exactement sur le compte de l'eau de chaux.

Les maladies contre lesquelles on a célebré principalement l'efficacité de l'eau de chaux, sont la phthisie, & tous les ulceres internes, l'asthme, l'empieme, l'haemopthisie, les écroüelles, la dyssenterie & la diarrhée, les tumeurs oedémateuses du scrotum, les fleurs blanches, & les pâles couleurs ; la goutte, les dartres, la gangrene, l'oedeme, l'enflure des genoux & des jambes, les ulceres humides ; le diabete, le calcul, & le sable des reins & de la vessie, &c.

Outre l'action occulte ou altérante de l'eau de chaux, on a observé qu'elle poussoit quelquefois par les urines, & assez souvent par les sueurs. Willis la regarde comme un bon diurétique, donnée à la dose de quatre à six onces, avec un gros, ou un gros & demi de teinture de sel de tartre. La vertu lithontriptique de l'eau de chaux a été bien plus célebrée encore, soit prise intérieurement, soit employée en injection. Nous examinerons les prétentions qui lui sont favorables à ce titre, au mot lithontriptique. Voyez LITHONTRIPTIQUE.

M. Burlet observe fort judicieusement, ce semble, que l'eau de chaux est plus utile & moins dangereuse dans les pays froids & humides, que dans les contrées plus tempérées.

Ce médecin préparoit l'eau de chaux qu'il nous apporta de Hollande, en versant six livres d'eau bouillante sur une livre de chaux vive, laissant reposer, filtrant, &c. & c'étoit-là ce qu'on a appellé depuis eau de chaux premiere. Celle qui est connue dans les boutiques sous le nom d'eau de chaux seconde, se prépare en versant une nouvelle quantité d'eau bouillante sur le marc ou le résidu de la premiere ; l'eau de chaux seconde est plus foible que celle-ci.

Le codex de la faculté de Paris demande dix livres d'eau sur une livre de chaux, pour la préparation de l'eau premiere ; Bateus en employe huit. Cette eau porte dans la pharmacopée de ce dernier auteur, & dans quelques pharmacopées allemandes, le titre d'eau benite ; contre lequel le sage Juncker, qui croit très-peu à ses vertus merveilleuses, se fâche très-sérieusement.

On trouve dans les dispensaires plusieurs de ces eaux de chaux, ou benites composées, dont nous ne faisons absolument aucun usage.

On a donné l'eau de chaux, principalement mêlée avec le lait, & on a observé que certains estomacs, qui ne pouvoient pas le supporter sans mélange, s'en accommodoient fort bien lorsqu'on avoit ajoûté à une écuellée de lait une ou deux onces d'eau de chaux.

De quelque façon qu'on donne ce remede, il doit être continué long-tems, comme tous les altérans. Bateus qui l'a recommandé dans presque tous les cas que nous avons déjà mentionnés, veut que les malades en prennent trois ou quatre onces, trois fois par jour, ou même pour boisson ordinaire pendant un mois.

M. Burlet observa dans les expériences qu'il repeta sur l'usage interne de l'eau de chaux, qu'elle donnoit souvent du dégoût, qu'elle altéroit, qu'elle maigrissoit, & qu'elle resserroit quelquefois le ventre ; & qu'elle ne convenoit point par conséquent dans les cas de maigreur & de constipation.

La chaux vive est employée dans la pharmacie chimique à la préparation de l'esprit (de sel marin) fumant de Viganus (voyez SEL MARIN) ; & à celles de plusieurs autres remedes chimiques très-célebrés par leurs inventeurs, mais trop justement oubliés pour qu'il puisse être utile de les faire connoître. (b)

CHAUX METALLIQUE, (Chimie) c'est ainsi qu'on appelle communément en Chimie toute matiere métallique qui a perdu son éclat & la liaison de ses parties, soit par la calcination proprement dite (voyez CALCINATION), soit par l'action de différens menstrues. Voyez MENSTRUE. Mais le nom de chaux métallique ne convient véritablement qu'aux substances métalliques privées absolument de leur phlogistique, ou dépouillées d'une partie de ce principe. Voyez CALCINATION.

Ces chaux, soit qu'elles soient imparfaites, soit qu'elles soient absolues, conservent encore leur caractere spécifique, de façon qu'une chaux de plomb fournira toûjours du plomb par la réduction, & une chaux de cuivre fournira constamment du cuivre, &c. Voyez REDUCTION.

Ce qui est donc exactement spécial dans le métal, est un principe fixe, ou du moins qui n'en est pas entierement séparable par la calcination ordinaire.

Il est vrai qu'une portion des chaux métalliques est absolument irréductible, c'est-à-dire que dans toute chaux métallique, il se trouve toûjours une portion de matiere qu'on ne réussira jamais à rétablir dans sa premiere forme de métal, de quelque maniere qu'on la traite avec les matieres phlogistiques : ce sont les chaux de plomb sur-tout qui sont les plus sujettes à cette espece de déchet. Voyez LITARGE & PLOMB. Cet état d'irréductibilité dépend sans-doute d'un dépouillement ultérieur, ou de ce que les parties métalliques ont perdu un autre principe que leur phlogistique ; car une chaux absolue n'est pas irréductible.

Mais cette matiere irréductible même est-elle exactement dépouillée de tout caractere spécial ? est-elle un principe exactement simple de la mixtion métallique ? c'est ce qui n'est pas décidé dans la chimie ordinaire. La destruction absolue des métaux même parfaits, ou la séparation parfaite des principes de leur mixtion, est une prétention alchimique, ou du moins un problème de la chimie transcendante, dont la solution, si elle existe, n'a pas encore été publiée. Un autre objet de curiosité physique, pour le moins aussi intéressant par la profonde obscurité dans laquelle il est encore enveloppé aujourd'hui, c'est de déterminer si le troisieme principe, ou la terre mercurielle de Becher, dont l'existence, quoique contestée avec assez de fondement, est pourtant indiquée par plusieurs phénomenes très-bien déduits de la théorie qui la suppose ; si cette terre mercurielle, dis-je, reste unie aux chaux métalliques réductibles, & si c'est par son dégagement que la terre métallique irréductible est portée dans cet état de plus grande simplicité. (b)


CHAVAGES. m. (Jurispr.) est la même chose que chevage : ce dernier terme est plus usité. Voyez CHEVAGE. (A)


CHAVANNES(Géog.) petite ville de France en Franche-Comté.


CHAVARIGTESS. m. pl. (Hist. mod.) hérétiques mahométans opposés aux Schystes. Ils nient l'infaillibilité de la prophétie de Mahomet, soit en elle-même, sois relativement à eux ; parce qu'ils ne savent, disent-ils, si cet homme étoit inspiré, ou s'il le contrefaisoit ; que, quand ils seroient mieux instruits, le don de prophétie n'ôtant point la liberté, leur prophete est resté maître pendant l'inspiration de l'altérer & de substituer la voix du mensonge à celle de la vérité ; qu'il y a des faits dans l'alcoran qu'il étoit possible de prévoir ; qu'il y en a d'autres que le tems a dû amener nécessairement ; qu'ils ne peuvent démêler dans un ouvrage aussi mêlé de bonnes & de mauvaises choses, ce qui est de Mahomet & ce qui est de Dieu ; & qu'il est absurde de supposer que tout appartienne à Dieu : ce que les Chavarigtes n'ont pas de peine à démontrer par une infinité de passages de l'alcoran, qui ne peuvent être que d'un fourbe & d'un ignorant. Ils ajoûtent, que la prophétie de Mahomet leur étoit superflue, parce que l'inspection de l'univers leur annonçoit mieux que tout son enthousiasme, l'existence & la toute-puissance de Dieu ; que quant à la loi établie avant lui, le don de prophétie n'ayant nulle liaison avec elle, elle n'a pû lui accorder le droit de lui en substituer une autre ; que ce que leur prophete a révélé de l'avenir a pû être de Dieu, mais que ce qu'il a dit contre la loi antérieure à la sienne, étoit certainement de l'homme ; & que les prophetes qui l'ont précédé, l'ont décrié, comme il a décrié ceux qui viendroient après lui, comme ceux-ci décrieront ceux qui les suivront : enfin ils prétendent que si la fonction de prophete devient un jour nécessaire, ce ne sera point le privilége de quelques-uns d'entr'eux ; mais que tout homme juste pourra être élevé à cette dignité. Voilà les contestations qui déchirent & qui déchireront les hommes qui auront eu le malheur d'avoir un méchant pour législateur, que Dieu abandonnera à leurs déréglemens, qu'il n'éclairera point de la lumiere de son saint Evangile, & dont la loi sera contenue dans un livre absurde, obscur, & menteur. Voyez l'hist. otthom. & Moreri.


CHAVEou CHIAVEZ, (Géog.) place forte du Portugal, capitale de la province de Tra-los-Montes. Long. 10. 34. lat. 41. 45.


CHAZELLES(Géog.) petite ville de France dans le Forès, près de Montbrison.


CHAZINZARIENS(Hist. eccl.) hérétiques qui s'éleverent en Arménie dans le vij. siecle. Ce mot est dérivé de l'arménien chazus, qui signifie croix. Dans le texte grec de Nicéphore, ces mêmes hérétiques sont appellés Chatzintzariens, . On les a aussi nommés Staurolatres, c'est-à-dire adorateurs de la croix ; parce que de toutes les images ils n'honoroient que celles de la croix. Quant à leurs dogmes, ils étoient Nestoriens, & admettoient deux personnes en Jesus-Christ. Nicéphore, liv. XVIII. ch. ljv. leur impute quelques superstitions singulieres, & entr'autres, de célebrer une fête en mémoire d'un chien nommé artzibartzes, dont leur faux prophete Sergius se servoit pour leur annoncer son arrivée. Du reste, ces hérétiques sont peu connus, & leur secte ne fut pas nombreuse. (G)


CHAZNAS. f. (Hist. mod.) L'on nomme ainsi en Turquie le trésor ou l'endroit où se gardent à Constantinople les pierreries du grand-seigneur. Celui qui en a la garde est un eunuque noir qu'on appelle chazna agasi, qu'il faut distinguer du trésorier des menus-plaisirs.


CHAZNADAR-BACHI(Hist. mod.) c'est le nom que l'on donne en Turquie au trésorier des menus-plaisirs, qui a la disposition des sommes d'argent qui appartiennent en propre au sultan ; car pour les revenus de l'état, ils sont à la disposition du grand-visir & du teftesdar. Voyez VISIR & TEFTESDAR.


CHEBRECHIN(Géog. mod.) ville considérable de Pologne, dans le palatinat de Russie. Long. 41. 26. lat. 50. 35.


CHEBULESvoyez MIROBOLANS.


CHÉCAIAS. m. (Hist. mod.) Ce mot signifie proprement en langue turque, second ou lieutenant, & l'on en a fait à la Porte un nom commun à plusieurs officiers, lorsque l'importance de leur charge demandoit qu'ils eussent un second ; c'est le second qu'on appelle un chécaia. Il y a trois principaux chécaia : celui des janissaires, c'est à-peu-près un des lieutenans de l'aga (voyez AGA) : celui de cuisine, c'est le second maître-d'hôtel du grand-seigneur : celui de l'écurie, c'est son second écuyer.


CHÉCHILLONSS. m. pl. (Jurisprud.) dans la coûtume de S. Jean d'Angeli, art. 15. sont des prés champaux, c'est-à-dire des prés hauts, qui sont dans les champs, à la différence des bas prés, qui sont le long des rivieres. (A)


CHEDA(Commerce) monnoie d'étain fabriquée, qui a cours dans le royaume de ce nom, dans les Indes orientales, proche les états du grand mogol. Le cheda octogonal vaut deux sous un septieme de denier argent de France, & le cheda rond ne vaut que sept deniers. On donne un cheda rond pour cent coris ou coquilles de maldives, & trois coris pour un cheda octogone. Voyez le Dictionn. du Comm.


CHEDABOUCTOU(Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale, dans l'Acadie, vis-à-vis du cap Breton.


CHEFS. m. c'est proprement la partie de la tête qui seroit coupée par un plan horisontal qui passeroit au-dessus des sourcils. C'est dans l'homme la plus élevée ; aussi le chef a-t-il différentes acceptions figurées, relatives à la forme de cette partie, à sa situation, à sa fonction dans le corps humain. Ainsi on dit le chef d'une troupe ; le chef d'une piece d'étoffe, &c. Voyez ci-après les principales de ces acceptions.

CHEF, (Jurisp.) Ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes, selon les autres termes auxquels il se trouve joint. Nous allons les expliquer par ordre alphabétique.

CHEF D'ACCUSATION, c'est un des objets de la plainte. On compte autant de chefs d'accusation que la plainte contient d'objets ou de délits différens imputés à l'accusé.

CHEF d'un arrêt, sentence ou autre jugement, est une des parties du dispositif du jugement qui ordonne quelque chose que l'on peut considérer séparément du reste du dispositif. On dit ordinairement tot capita tot judicia, c'est-à-dire que chaque chef est considéré en particulier comme si c'étoit un jugement séparé des autres chefs ; desorte que l'on peut exécuter un ou plusieurs chefs d'un jugement, & appeller des autres du même jugement, pourvû qu'en exécutant le jugement en certains chefs, on se soit réservé d'en appeller aux chefs qui font préjudice.

CHEF-CENS, est le premier & principal cens imposé par le seigneur direct & censier de l'héritage, lors de la premiere concession qu'il en a faite, & qui se paye en signe & reconnoissance de la directe seigneurie. On l'appelle chef-sens, quasi capitales census, pour les distinguer du sur-cens & des rentes seigneuriales qui ont été imposées en sus du cens, soit lors de la même concession, ou dans une nouvelle concession, lorsque l'héritage est rentré dans la main du seigneur.

Le chef-cens emporte lods & ventes ; au lieu que le sur-cens, ni les rentes seigneuriales, n'emportent point lods & ventes, lorsqu'il est dû un chef-cens, la directe seigneurie de l'héritage étant en ce cas attachée particulierement au chef-cens.

La coûtume de Paris, art. 357. en parlant du premier cens l'appelle chef-cens, & dit que pour tel cens il n'est besoin de s'opposer au decret ; & la raison est, que comme il n'y a point de terre sans seigneur, on n'est point présumé ignorer que l'héritage doit être chargé du cens ordinaire, qui est le chef-cens.

Dans tous les anciens titres & praticiens, le cens ordinaire n'est pas nommé autrement que chef-cens, capitalis census. Voyez in donat. belgic. lib. I. cap. xviij. Il est dit dans un titre de l'évêché de Paris de l'an 1306, chart. 2. fol. 99. & 100. sub retentione omnis capitalis census. La charte d'Enguerrand de Coucy, sur la paix de la Fere, & de l'an 1027, dit de fundo terrae & capitali. Dans plusieurs chartulaires, on trouve chevage pour chef-cens. Et à la fin des coûtumes de Montdidier, Roye, & Peronne, on trouve aussi quevage, qui signifie la même chose, ce qui vient de quief ou kief, qui en idiome picard signifie seigneur censier. Voyez Brodeau, sur le tit. ij. de la coûtume de Paris, n. 15.

CHEF DE CONTESTATION, se dit de ce qui fait un des objets de contestation.

CHEF, crime de lése-majesté au premier chef, est celui qui attaque la Majesté divine ; du second chef, c'est le crime de celui qui attente quelque chose contre la vie du Roi ; & au troisieme chef, c'est lorsqu'on attente quelque chose contre l'état, comme une conspiration ; tel est aussi le crime de fausse monnoie. On distingue ces crimes par premier, second, & troisieme chef, parce que les peines en sont réglées par différens chefs des réglemens. L'ordonnance de 1670, tit. j. art. 11. a consacré ce terme, en disant que le crime de lése-majesté en tous ses chefs est un cas royal. Voyez la confér. de Guénois, dans ses notes sur le titre du crime de lése-majesté.

CHEF DE DEMANDE, signifie un des objets d'une demande déjà formée en justice, ou que l'on se propose de former. Chaque chef de demande fait ordinairement un article séparé dans les conclusions de l'exploit ou de la requête ; cependant quelquefois les conclusions englobent à la fois plusieurs objets. Les affaires qu'on appelle de petits commissaires, sont celles où il y a trois chefs de demande ; & les affaires de grands commissaires, celles où il y a au moins six chefs de demande au fond.

CHEF DE L'EDIT, premier & second chef de l'édit ou de l'édit des présidiaux : on entend par-là les deux dispositions de l'édit du mois de Janvier 1551, portant création des présidiaux. Le premier chef de cet édit est que les présidiaux peuvent juger définitivement par jugement dernier & sans appel, jusqu'à la somme de 250 liv. pour une fois payer, & jusqu'à dix liv. de rente ou revenu annuel, & aux dépens à quelque somme qu'ils puissent monter. Le deuxieme chef de l'édit est qu'ils peuvent juger par provision en baillant caution, jusqu'à 500 livres en principal, & jusqu'à 20 livres de rente ou revenu annuel, & aux dépens à quelque somme qu'ils puissent monter, & en ce dernier cas l'appel peut être interjetté en la cour ; desorte néanmoins qu'il n'a aucun effet suspensif, mais seulement dévolutif. On appelle une sentence au premier ou au second chef de l'édit, celle qui est dans le cas du premier ou second chef de l'édit. V. EDIT DES PRESIDIAUX, & l'article PRESIDIAUX.

On se sert aussi des termes de premier & second chef, pour exprimer les deux dispositions de l'édit des secondes nôces. Voyez EDIT DES SECONDES NOCES, & l'article SECONDES NOCES.

CHEF, (greffier en) voyez GREFFIER EN CHEF.

CHEF D'HOMMAGE, en Poitou, est la même chose que principal manoir ou chef-lieu, c'est-à-dire le lieu où les vassaux sont tenus d'aller porter la foi. Voy. la coût. de Poitou, art. 130 & 142. & Boucheul, ibid. Gloss. de Lauriere, au mot chef.

CHEF D'HOSTIES ou HOSTISES, que l'on a dit aussi par corruption ostizes & ostiches, ne signifie pas un seigneur chef d'hôtel ou chef de sa maison, comme on le suppose dans le dictionnaire de Trévoux au mot chef ; il signifie seigneur censier ou foncier, du mot chef qui signifie seigneur, & d'hostises qui signifie habitation, tenement, terre tenue en censive. On en trouve plusieurs exemples dans les anciens titres & dans les anciens auteurs. Beaumanoir, chap. iij. des contremans art. 26. dit que ostiches sont terres tenues en censive ; c'est aussi de-là qu'a été nommé le droit d'ostize ou hostize, dont il est parlé en l'art. 40. de la coûtume de Blois : & c'est ainsi qu'on le trouve expliqué dans le traité du franc-aleu de Galland ch. vj. de l'origine des trois seigneuriaux, p. 86. & 87. & dans le gloss. de M. de Lauriere, aux mots hostes & ostizes. Pontanus, art. 40. de la coûtume de Blois, verbo ostiziae, p. 219. dit que c'est le devoir annuel d'une poule dûe par l'hôte ou le sujet au seigneur, pour son foüage & tenement ; car anciennement on comptoit quelquefois le nombre de feux par hostes ou chefs de famille, hospites, & du terme hoste on a fait hostize. Dans le petit cartulaire de l'évêché de Paris, qui étoit ci-devant en la bibliotheque de MM. Dupuy, & est présentement en celle du Roi ; on trouve fol. 51, un titre de Odo évêque de Paris, de l'an 1199, qui porte : Terram nostram de Marnâ, in quâ nemus olim fuisse dignoscitur, ad hostisias dedimus & ad censum, tali modo quod qualibet hostisia habebit octo arpennos terrae cultibilis, & unum arpennum ad herbergagium faciendum ; de illo autem arpenno in quo erit herbergagium, reddetur annuatim nobis, vel episcopo parisiensi qui pro tempore fuerit, in nativitate beatae Mariae, unus sextarius avenae ; in festo sancti Remigii, sex denarii parisienses censuales ; & de singulis verò arpennis, in praedicto festo sancti Remigii, sex denarii censuales. Dans un autre titre du même Odo de l'an 1203, fol. 60. il est dit : Pro hostisiâ quae fuit Guillelmi de Moudon, &c. Voyez Brodeau sur Paris, tit. des censives, n. 8.

CHEF-LIEU, est le principal lieu d'une seigneurie où les vassaux sont obligés d'aller rendre la foi & hommage, & de porter leur aveu & dénombrement, & où les censitaires sont obligés d'aller porter les cens & passer déclaration. Le chef-lieu est ordinairement le château & principal manoir de la seigneurie : mais dans des endroits où il n'y a point de château, c'est quelquefois une ferme qui est le chef-lieu ; quelquefois c'est seulement une vieille tour ruinée : dans quelques seigneuries où il n'y a aucun château ni manoir, le chef-lieu est seulement une piece de terre choisie à cet effet, sur laquelle les vassaux sont obligés de se transporter pour faire la foi & hommage. Le chef-lieu appartient à l'aîné par préciput, comme tenant lieu du château & principal manoir. Voyez AINESSE, PRECIPUT, PRINCIPAL MANOIR. Voyez l'auteur des notes sur Artois pp. 86. 353. 362. Dans la coûtume du comté de Hainaut, la ville de Mons qui en est la capitale est appellée le chef-lieu. A Valenciennes, & dans quelques autres coûtumes des Pays-bas, ce terme de chef-lieu se prend pour la banlieue. Voyez Doutreman, en son hist. de Valencien. part. II. ch. jv. p. 279. & 280. Enfin il signifie encore la principale maison d'un ordre régulier ou hospitalier, ou autre ordre composé de plusieurs maisons : par exemple, la commanderie magistrale de Boigny près Orléans, est le chef -lieu de l'ordre royal, militaire & hospitalier de S. Lazare.

CHEF-METS ou CHEF-MOIS, (Jurispr.) en quelques coûtumes, est le principal manoir de la succession, comme en Normandie. Voyez aussi la coûtume de Surene, art. iij. Voyez le mot MEX. (A)

CHEF du nom & armes, dans les familles nobles, est l'aîné ou descendant de l'aîné, qui a droit de porter les armes pleines, & de conserver les titres d'honneur qui concernent sa maison.

CHEF-D'ORDRE, est la principale maison d'un ordre régulier ou hospitalier, celle dont toutes les autres maisons du même ordre dépendent, & où se tient le chapitre général de l'ordre. Les abbayes chefs-d'ordre sont toutes régulieres, telles que Clugny, Prémontré, Cîteaux, &c. L'art. 3. de l'ordonnance de Blois veut qu'à l'égard des abbayes & monasteres qui sont chefs-d'ordre, comme Cluny, Cîteaux, Prémontré, Grammont, le Val-des-Ecoliers, S. Antoine de Viennois, la Trinité dite des Mathurins, le Val-des-Choux, & ceux auxquels le droit & privilége d'élection a été conservé, & semblablement ès abbayes de Pontigny, la Ferté, Clairvaux, & Morimont, qu'on appelle les quatre premieres filles de Cîteaux ; il y soit pourvû par élection des religieux profès desdits monasteres, suivant la forme des saints decrets & constitutions canoniques. Voyez ci-devant au mot CHEF-LIEU, vers la fin.

CHEF-SEIGNEUR, (Jurisp.) ce terme a différentes significations, selon les coûtumes ; dans quelques-unes il signifie le seigneur suzerain ; dans d'autres il signifie tout seigneur féodal, soit suzerain ou simple seigneur censier ou foncier. Par l'art. 166. de la coûtume de Normandie, le chef-seigneur est celui seulement qui possede par foi & par hommage, & qui à cause dudit fief tombe en garde ; & comme tout fief noble est tenu par foi & hommage, & tombe en garde, il s'ensuit que quiconque possede un fief noble est chef-seigneur, à l'exception des gens d'église, parce qu'ils ne tombent point en garde à cause de leurs fiefs nobles. Il suit aussi de cet article que tout chef-seigneur ne releve pas immédiatement du Roi, parce que cet article ne demande pas que le possesseur de fief tombe en garde royale, mais seulement en garde ; ce qui peut convenir à la garde seigneuriale comme à la garde royale. Voyez les coûtumes de Ponthieu, art. 110. Anjou, 201. & suiv. Maine, 216. & suiv. Norman. anc. ch. xjv. xxxvj. Et liv. I. de l'établissem. pour les prevôtés de Paris & d'Orléans. Le grand coûtum. liv. II. ch. xxvj. & liv. IV. ch. v. Galland, du franc-aleu, p. 78. Gloss. de Lauriere, au mot chef-seigneur.

CHEF DE SENS, se dit d'une ville principale qui est en droit de donner avis aux autres villes & lieux d'un ordre inférieur qui lui sont soumises : par exemple, la ville de Valenciennes est chef de sens de son territoire. Voyez les art. 145. & 146. de cette coûtume.

CHEF d'une sentence, voyez ci-devant CHEF d'un arrêt, sentence, &c. (A)

CHEF D'ESCADRE, (Marine) c'est un officier général de la Marine qui commande une escadre ou une division dans une armée navale : son rang répond à celui de maréchal de camp sur terre, avec lequel il roule lorsqu'ils se trouvent ensemble. La marque distinctive du chef d'escadre à la mer, est la cornette qui lui sert de pavillon. Voyez CORNETTE.

Le chef d'escadre, en l'absence du lieutenant général de la Marine, fait les mêmes fonctions, soit à la mer soit dans les ports. Voyez à l'article LIEUTENANT GENERAL.

Les chefs d'escadre ont séance & voix délibérative dans le conseil de guerre, chacun suivant leur ancienneté.

Autrefois en France on divisoit la marine du roi en six escadres, sous les titres de Poitou, de Normandie, de Picardie, de Provence, de Guienne, & de Languedoc ; mais cette division n'a plus lieu, & le nombre des chefs d'escadre n'est pas limité : actuellement il y en a quatorze en France. (Z)

CHEF D'ACADEMIE, (Manege) est un écuyer qui tient une académie, où il enseigne à monter à cheval. Voyez ACADEMIE. (V)

* CHEF, s. m. (Blason) se dit de la partie supérieure de l'écu, mais plus ordinairement d'une de ses parties honorables, celle qui se place au haut, & qui doit avoir le tiers de sa hauteur : elle peut être ou échiquetée, ou emmanchée, ou dentée, ou herminée, ou losangée, &c. Voyez ces mots.

Le chef est abaissé, quand la couleur du champ le détache du bord supérieur de l'écu, le surmonte & le retrécit ; surmonté, quand il est détaché par une autre couleur que celle du champ ; bandé, quand il a une bande ; chevronné, quand il a un chevron ; palé, quand il a un pal, &c. (Voyez BANDE, CHEVRON, PAL, &c.) ; cousu, quand il est de couleur ; retrait, quand il a perdu une partie de sa hauteur ; soûtenu, quand il n'y a que les deux tiers de sa hauteur au-dessus de l'écu, & que le tiers inférieur est d'un autre émail. Voyez le Diction. de Trév.

* CHEF, couper en chef, expression usitée dans les carrieres d'ardoise. Voyez l'article ARDOISE.

* CHEF, (Boulang.) se dit du morceau de levain plus ou moins gros, selon le besoin qu'on prévoit, pris sur celui de la derniere fournée, pour servir à la fournée suivante. Voyez PAIN.

* CHEF, (Coffret.) ce terme est, chez ces ouvriers, synonyme à brin ou à bout : ainsi quand il leur est ordonné de coudre les ourlets & trépointe des malles & autres semblables ouvrages à deux chefs de ficelle neuve & poissée, cela signifie à deux bouts ou à deux brins de ficelle, &c. Ainsi le chef n'est ni la ficelle simple, ni la double ficelle ; c'est un brin ou un bout de la ficelle double.

* CHEF, (Manufact. en soie, en laine, & en toile) c'est la premiere partie ourdie, celle qui s'enveloppe immédiatement sur l'ensuple de devant, & qui servira de manteau à la piece entiere quand elle sera finie. Le chef des pieces en toile est plus gros que le reste ; celui des ouvrages en laine & en soie ne doit être ni plus mauvais ni meilleur, à moins que l'espece d'étoffe qu'on travaille ne demande qu'on trame plus gros, afin d'avoir en commençant plus de corps, & de résister mieux à la premiere fatigue de l'ourdissage. Les pieces de toile, de laine, & de soie, s'entament par la queue, & le chef est toûjours le dernier morceau que l'on vend. La raison en est simple ; c'est que c'est au chef que sont placées les marques, qui indiquant le fabriquant, la qualité de la marchandise, celle de la teinture, la visite des gardes & inspecteurs, l'aulnage, &c. ne doivent jamais disparoître.

* CHEF, (Economie rustique) terme synonyme à piece ; ainsi on dit cent chefs de volaille, pour dire cent pieces de volaille. Il s'applique aussi aux bêtes à cornes & à laine, quand on fait le dénombrement de ce qu'on en a, ou de ce qu'on en vend ; cent chefs de bêtes à cornes, cent chefs de bêtes à laine. Le mot chef ne s'employe cependant guere que quand la collection est un peu considérable, & l'on ne dira jamais deux chefs de bêtes à cornes.

CHEF, terme de riviere ; c'est ainsi qu'on appelle la partie du devant d'un bateau foncet.

* CHEF-D'OEUVRE, (Arts & Mét.) c'est un des ouvrages les plus difficiles de la profession, qu'on propose à exécuter à celui qui se présente à un corps de communauté pour en être reçû membre, après avoir subi les tems prescrits de compagnonage & d'apprentissage par les réglemens de la communauté. Chaque corps de communauté a son chef-d'oeuvre ; il se fait en présence des doyens, syndics, anciens, & autres officiers & dignitaires de la communauté ; il se présente à la communauté, qui l'examine ; il est déposé. Il y a des communautés où l'on donne le choix entre plusieurs chefs-d'oeuvre à l'aspirant à la maîtrise ; il y en a d'autres où l'on exige plusieurs chefs-d'oeuvre. Voyez dans les réglemens de ces communautés, ce qui se pratique à la réception des maîtres. Le chef-d'oeuvre de l'Architecture est une piece de trait, telle qu'une descente biaise par tête & en talud qui rachette un berceau. Celui des Charpentiers, est la courbe rampante d'un escalier. Celui des ouvriers en soie, soit pour être reçûs compagnons, soit pour être reçûs maîtres, est la restitution du métier dans l'état qui convient au travail, après que les maîtres & syndics y ont apporté tel dérangement qu'il leur a plû, comme de détacher des cordages, casser des fils de chaîne par courses interrompues. On ne voit guere quelle peut être l'utilité des chefs-d'oeuvre. Si celui qui se présente à la maîtrise sait très-bien son métier, il est inutile de l'examiner ; s'il ne le sait pas, cela ne doit pas l'empêcher d'être reçû, il ne fera tort qu'à lui-même ; bien-tôt il sera connu pour mauvais ouvrier, & forcé de cesser un travail où ne réussissant pas, il est nécessaire qu'il se ruine. Pour être convaincu de la vérité de ces observations, il n'y a qu'à savoir un peu comment les choses se passent aux réceptions. Un homme ne se présente point à la maîtrise qu'il n'ait passé par les préliminaires ; il est impossible qu'il n'ait appris quelque chose de son métier pendant les quatre à cinq ans que durent ces préliminaires. S'il est fils de maître, assez ordinairement il est dispensé de chef-d'oeuvre ; s'il ne l'est pas, fût-il le plus habile ouvrier d'une ville, il a bien de la peine à faire un chef-d'oeuvre qui soit agréé de la communauté, quand il est odieux à cette communauté ; s'il est agréable au contraire, ou qu'il ait de l'argent, fût-il le plus ignorant de tous les ouvriers, il corrompra ceux qui doivent veiller sur lui tandis qu'il fait son chef-d'oeuvre ; ou il exécutera un mauvais ouvrage qu'on recevra comme un chef-d'oeuvre ; ou il en présentera un excellent qu'il n'aura pas fait. On voit que toutes ces manoeuvres anéantissent absolument les avantages qu'on prétend retirer des chefs-d'oeuvre & des communautés, & que les corps de communauté & de manufacture n'en subsistent pas moins.


CHEFCIERS. m. (Hist. eccl.) en latin capicerius, est la même chose que primicerius ; ce qui vient de ce que le chefcier étoit le premier marqué dans la table ou catalogue des noms des ecclésiastiques, comme le premier en dignité : ainsi c'est comme si l'on eût dit primus in cerâ, parce qu'on écrivoit anciennement sur des tables de cire. On nomme encore aujourd'hui le chef de quelques églises collégiales chefcier : par exemple, on dit le chefcier de saint Etienne des Grés. Le nom de primicerius désignoit au tems de S. Grégoire le Grand, une dignité ecclésiastique, à laquelle ce pape attribua plusieurs droits sur les clercs inférieurs & la direction du choeur, afin que le service s'y fît selon la bienséance. Il avoit aussi droit de châtier les clercs qu'il trouvoit en faute, & il dénonçoit à l'évêque ceux qui étoient incorrigibles. Celui qui étoit marqué le second dans la table, s'appelloit secondicerius, comme qui diroit secundus in cerâ. M. Simon. (G)


CHEGE(Géog.) ville & comté de la haute Hongrie, sur la Theisse.


CHEGou KECIO, (Géog.) grande ville d'Asie, capitale du royaume de Tunquin, & la résidence du roi. Long. 123. 30. lat. 22.


CHEGOSS. m. (Commerce) poids pour les perles à l'usage des Portugais aux Indes. C'est le quart d'un carat. Voyez CARAT ; voyez les diction. du Commerce, de Trévoux, & de Dish.


CHEGROSS. m. (Cordonn. Bourrel. Sellier, & autres ouvriers qui employent du cuir) c'est un bout de filet plus ou moins long, composé d'un nombre plus ou moins grand de fils particuliers, cordelés ensemble & unis avec de la poix ou de la cire. Pour cet effet, on prend un morceau de cire blanche ou jaune, ou de poix ; & lorsque les fils ont été cordelés & commis à la main, on saisit le filet qui en résulte, & on le presse fortement contre le morceau de cire ou de poix, qu'on fait glisser plusieurs fois sur toute sa longueur, afin qu'il en soit bien enduit. Quand le chegros, ou chigros, ou ligneul (car les Cordonniers appellent ligneul, ce que la plûpart des autres appellent chegros ou chigros) est bien préparé, on en arme les extrémités avec de la soie de sanglier, dont les pointes très-menues passent facilement dans les trous pratiqués avec l'alene, lorsqu'il s'agit d'employer le chegros à la couture des ouvrages. Voyez SELLE, SOULIER, &c.


CHEIROBALISTou CHIROBALISTE, s. f. (Hist. anc. & Art milit.) ou baliste à main : elle est composée d'une planche ronde par un bout, échancrée circulairement par l'autre bout. Le bois de l'arc est fixé vers l'extrémité ronde ; sur une ligne correspondante au milieu du bois de l'arc & au milieu de l'échancrure, on a fixé sur la planche une tringle de bois, précisément de la hauteur du bois de l'arc : cette tringle est cannelée semi-circulairement sur toute sa longueur. Aux côtés de l'échancrure d'un des bouts, on a ménagé en saillie dans la planche, deux éminences de bois qui servent de poignée à la baliste. Il paroît qu'on élevoit ou qu'on baissoit la baliste par ces poignées ; qu'on en appuyoit le bout rond contre terre, qu'on plaçoit le corps dans l'échancrure de l'autre bout, qu'on prenoit la corde de l'arc avec les mains, qu'on l'amenoit jusqu'à l'extrémité de la tringle cannelée qui la retenoit, qu'on relevoit la baliste avec les mains ou poignées de bois qui sont aux côtés de l'échancrure, qu'on plaçoit la fleche dans la cannelure de la tringle, qu'avec la main ou autrement on faisoit échapper la corde de l'arc du bout de la tringle cannelée, & que la fleche étoit chassée par ce moyen sans pouvoir être arrêtée par le bois de l'arc ; parce que la cannelure semi-circulaire de la tringle étoit précisement au-dessus de ce bois, dont l'épaisseur étoit appliquée & correspondoit à l'épaisseur du bois qui restoit à la tringle, au-dessous de la cannelure. Voyez BALISTE.


CHEIT-A-BUND(Comm.) la seconde sorte des six especes de soie qui se fabriquent au Mogol. Voyez les dictionn. de Trévoux, du Commerce, & de Dish.


CHEKAOS. m. (Hist. nat.) espece de pierre que les Chinois font entrer dans la composition de la couverte de la porcelaine. Les relations de la Chine faites par des gens qui n'avoient qu'une legere connoissance dans l'Histoire naturelle, nous ont décrit ce fossile comme ressemblant à du borax, quoiqu'il n'y ait réellement point d'autre ressemblance entre ce sel & le chekao, que par la couleur qui est blanche & demi-transparente. Comme nous avons eu occasion de voir le chekao de la Chine, nous le définirons une espece de spath alkalin, composé de filamens & de stries assez semblables à celles de l'amiante ; elle se dissout avec effervescence dans l'esprit de nitre ; & calcinée, elle se réduit en plâtre. Voyez BORAX & PORCELAINE. (-)


CHEKIANG(Géog.) province maritime de la Chine, à l'occident de Pekin ; elle est très-peuplée & très-fertile ; on y nourrit grande quantité de vers à soie. Cette province est située entre celles de Nanking & de Fokien.


CHELIDOINEvoyez ECLAIRE.


CHELINGUEvoyez CHALINGUE.


CHELLESS. f. (Commerce) toile de coton à carreau de différentes couleurs, qui vient des Indes orientales. Voyez les dictionn. du Commerce & de Dish.

CHELLES, (Géog.) petite ville & abbaye de France dans l'île de France, sur la Marne.


CHELou CHELMYCK, (Géog.) ville de Pologne dans la Russie rouge, capitale du palatinat de Chelm. Long. 41. 42. lat. 51. 10.


CHELMER(Géog.) riviere d'Angleterre dans le comté d'Essex, qui se mêle à celle de Blackivater.


CHELMESFORT(Géog.) petite ville d'Angleterre dans la province d'Essex, sur le Chelmer.


CHELMINAou TCHELMINAR, s. m. (Hist. anc. & Archit.) les plus belles & les plus magnifiques ruines qui nous restent de l'antiquité : ce sont celles en partie de ce fameux palais de Persepolis, auquel Alexandre étant ivre mit le feu par complaisance pour la courtisanne Thais. Voyez RUINES. Les voyageurs & les historiens ont donné des descriptions fort circonstanciées des chelminars, entr'autres Gratias de Sylva, Figroa, Pietro della Valle, Chardin, & Lebrun. On y voit, disent quelques-uns, les restes de près de quatre-vingt colonnes, dont les fragmens ont au moins six piés de haut ; mais il n'y en a que dix-neuf qu'on puisse dire entieres, avec une autre isolée & éloignée d'environ cinquante pas. Ils ajoûtent que quatre-vingt-quinze marches montent au premier étage du palais ; qu'elles sont taillées dans le roc, à qui une roche de marbre noir fort dur sert de fondation ; que l'entrée du palais a environ vingt piés de large, & que d'un côté est la figure d'un éléphant, & de l'autre celle d'un rhinoceros haut de trente piés, sculptés en marbre : après avoir passé cette entrée, on rencontre quantité de fragmens de colonnes de marbre blanc, dont les restes précieux donnent à connoître la magnificence de l'ouvrage entier ; & on y voit quelques inscriptions gravées de caracteres d'une figure extraordinaire, qui ressemblent à des triangles ou à des pyramides. Ce monument sert à présent de retraite aux bêtes farouches & aux oiseaux de proie ; ce qui n'a pas empêché Lebrun, par une curiosité qui lui étoit naturelle, d'entreprendre le voyage de Perse dans le dessein d'y voir les restes de ce somptueux édifice. (P)


CHELMNITZ(Géog.) petite ville d'Allemagne en Silésie, dans la principauté d'Oppeln.


CHELONES. f. (Hist. nat. bot.) plante dont le calice est court, verd, écailleux, la fleur monopétale & à deux levres, & le casque semblable à l'écaille de tortue, fendu en deux au sommet avec une barbe découpée en trois parties, & s'étendant au-delà du casque. Il s'éleve de la partie interne & inférieure de la fleur quatre étamines, dont les sommets ont la figure d'un testicule. L'ovaire croît sur le placenta, dans le fond du calice, au-dedans de la fleur ; il est garni d'un long tube, & se change en un fruit tout-à-fait ressemblant à celui de la gantelée, rond, oblong, partagé en deux loges, & rempli de semences, dont les bords ont de petites franges foliées. Voyez les mémoires de l'académie, ann. 1706.


CHELONÉS. f. nymphe qui fut métamorphosée en tortue par Mercure, qui la punit ainsi du mépris & des railleries qu'elle avoit faites des noces de Jupiter. Voyez l'article TORTUE.


CHELTONHAM(Géog.) ville d'Angleterre dans la province de Glocester.


CHELVETS. m. (Hist. nat.) c'est-à-dire retirez-vous, faites place ; formule du cri usité dans le serrail lorsque le grand-seigneur a témoigné qu'il veut aller dans le jardin des sultanes. A ce cri, tout le monde se retire, & les eunuques occupent les avenues. Il n'y va pas moins que de la vie d'approcher dans ces momens-là des murailles de ce jardin. Ricaut, de l'Empire ottoman.


CHELY-D'APCHER(SAINT) Géog. petite ville de France dans le Gévaudan.


CHEMAS. m. mesure ancienne. Les Athéniens en avoient deux, l'un pesoit trois gros, l'autre deux ; ce dernier équivaloit à la trentieme partie d'un cotyle. Celui des Romains appellé cheme, contenoit une livre & demie : c'est une mesure de fluides. Voy. LIVRE ; voyez aussi COTYLE. Mais remarquez qu'il est assez difficile de déterminer la capacité des mesures par le poids des fluides ou liquides, à moins qu'on ne connoisse individuellement le fluide même qu'on mesuroit ; car il est à présumer que ce fluide ne pese aujourd'hui ni plus ni moins en pareil volume, qu'il pesoit jadis.


CHEMAGou CHINAGE, s. m. (Jurispr.) est un droit de péage qui se paye à Sens pour les charrettes qui passent dans les bois. Ce droit doit être fort ancien, puisque l'on trouve dès l'an 1387, un arrêt du 18 Avril qui en exempte l'abbaye de saint Pierre de Sens. Gloss. de Lauriere, au mot chemage. Il en est aussi parlé dans les lois d'Angleterre, chart. de forest, an. 9. Henri III. ch. xjv. où il est appellé chimagium. (A)


CHEMBALISS. m. (Comm.) sorte de cuirs qui viennent du Levant par la voie de Marseille. Voyez les dictionn. du Commerce & de Trévoux.


CHEMERAGES. m. (Jurispr.) est le droit qui appartient à l'aîné dans les coûtumes appellées de parage, que ses puînés tiennent de lui leur portion des fiefs en parage, c'est-à-dire sous son hommage. Ce terme chemerage vient de celui de chemier, qui dans ces coûtumes signifie aîné ; le chemerage est un des avantages du droit d'aînesse. C'est une question fort controversée entre les commentateurs, de savoir si ce droit est attaché à la personne de l'aîné, ou à celui qui par le partage ou convention se trouve propriétaire du chef-lieu. Leurs opinions différentes sont rapportées par M. Guyot, en sa dissertation sur les parages, tome III. Il paroît que ce droit est attaché à la personne de l'aîné. Le chemerage peut néanmoins se constituer de différentes manieres. Voyez ci-après CHEMIER. (A)


CHEMIERS. m. (Jurispr.) dans les coûtumes de Poitou & de Saint-Jean-d'Angely, est l'aîné mâle des co-héritiers, soit en directe ou collatérale, ou celui qui le représente, soit fils ou filles. Les puînés sont ses parageurs. L'aîné est appellé chemier, comme étant le chef de la succession en matiere de fiefs : c'est pourquoi on devroit écrire comme autrefois chefmier, qui signifie chef du mier ou maison, caput mansi. Voyez le cartul. de l'église d'Amiens, & la dissert. III. de Ducange sur Joinville, pag. 150.

La qualité de chemier vient de lignage, suivant la coûtume de Poitou, article 125. elle s'acquiert néanmoins encore de deux manieres.

L'une est lorsque plusieurs co-acquéreurs d'un même fief conviennent entr'eux que l'un d'eux fera la foi & hommage pour tous ; celui-là est nommé chemier entre part-prenant, part-mettant, ou tenant en gariment, c'est-à-dire en garantie sous la foi & hommage du chemier.

L'autre voie par laquelle on devient chemier, est lorsque celui qui aliene une partie de son fief y retient le devoir seigneurial, au moyen dequoi il de vient le Chemier, étant chargé de porter la foi pour tout le fief.

Le Chemier ou aîné a les qualités du fief & la garde des titres ; il reçoit les hommages de la succession indivise, tant pour lui que pour ses puînés ; I'exhibition qui lui est faite suffit pour tous, & sa quittance libère l'acquéreur envers tous les parageurs.

Il fait aussi la foi & hommage tant pour lui que pour ses puînés ou parageurs, & les en garantit envers le seigneur; & lorsqu'il fait la foi, il doit nommer dans l'acte ses puînés.

Tant que le parage dure, les puînés ne doivent aucun hommage à leur Chemier ou aîné, si ce n'est en Bretagne, suivant l'article cccxxvj. qui veut que le puîné fasse la foi à l'aîné, sors la sœur de aîné qui n'en doit point pendant la vie, mais ses hoirs en doivent.

Si aîné renonce, le puîné devient Chemier, & fait hommage pour tous.

Il n'y a point de Chemier entre puînés auxquels un fief entier seroit échu en partage, à moins que ce ne soit par convention.

Tant que le parage dure, les puînés possedent aussi noblement que le Chemier.

Après le partage, I aîné cesse d'être Chemier des fiefs séparés donnés aux puînés.

Mais l'aîné qui donne une portion de son fief à ses puînés, demeure toûjours Chemier & chef d'hommage, quand même il lui resteroit moins du tiers du fief.

On peut convenir entre co-héritiers que l'aîné ne sera pas Chemier, & reconnoître pour Chemier un puîné.

En Poitou, l'acquéreur du Chemier a droit de recevoir la foi & hommage des parageurs; mais cela n'a pas lieu dans les autres coûtumes, en ce cas le parage y finit.

En chaque partage & subdivision, il y a un Chemier particulier.

Le mari & ses héritiers sont Chemiers, & sont la foi pour la totalité des fiefs acquis pendant la communauté.

Le Chemier n'est point tenu des charges personnelles du fief plus que les co-héritiers.

Les parageurs ont chacun dans leurs portions le même droit de justice que le puîné a dans la sienne.

Il n'a aucune jurisdiction sur ses parageurs & part-prenans pendant le parage, si ce n'est en cas de défaut de payement des devoirs du fief de la part des parageurs, ou d'aveu non-fourni, ou quand un parageur vend sa portion.

Quand le Chemier acquiert la portion de ses parageurs ou part-prenans, même avant partage, il n'en doit point de ventes au seigneur suzerain ; & lorsque le parageur vend sa portion, le Chemier en a seul les ventes Voyer les commentateurs de la coûtume de Poitou & de Saint-Jean-d'Angély, & la dissertation de M. Guyot sur le parage. (A)


CHEMILLÉ(Géog.) petite ville de France en Anjou, sur la riviere d'Irome.


CHEMINROUTE, VOIE, (Gram. Synon.) termes relatifs à l'action de voyager. Voie se dit de la maniere dont on voyage : aller par la voie d'eau au par la voie de terre. Route, de tous les lieux par lesquels il faut passer pour arriver d'un endroit dans autre dont on est fort éloigné. On va de Paris à Lyon ou par la route dé Bourgogne, ou par la route de Nivernois. Chemin, de l'espace même de terre sur lequel on marche pour faire sa route : les chemins sont gâtés par les pluies. Si vous allez en Champagne par la voie de terre, votre route ne sera pas longue, & vous aurez un beau chemin. Chemin & voie s'employent encore au figuré : on dit faire son chemin dans le monde, & suivre des voies obliques, & verser sur la route : on dit le chemin & la voie du Ciel, & non la route, peut-être parce que l'idée de battu & de fréquenté sont du nombre de celles que route offre à l'esprit. Route & chemin se prennent encore d'une maniere abstraite, & sans aucun rapport qu'à l'idée de voyage : Il est en route, il est en chemin ; deux façons de parler qui désignent la même action, rapportée dans l'une à la distance des lieux par lesquels il faut passer, & dans l'autre au terrein même sur lequel il faut marcher.

Il est à présumer qu'il y eut des grands chemins, aussi-tôt que les hommes surent rassemblés en assez grand nombre sur la surface de la terre, pour le distribuer en différentes sociétés séparées par des distances. Il y eut aussi vraisemblablement quelques regles de police sur leur entretien, dès ces premiers tems ; mais il ne nous en reste aucun vestige. Cet objet ne commence à nous paroître traité comme étant de quelque conséquence, que pendant les beaux jours de la Grece : le Sénat d'Athenes y veilloit ; Lacédémone, Thebes & d'autres états en avoient confié le soin aux hommes les plus importans ; ils étoient aidés dans cette inspection par des officiers subalternes. Il ne paroît cependant pas que cette ostentation de police eût produit de grands effets en Grece. S'il est vrai que les routes ne fussent pas même alors pavées, de bonnes pierres bien dures & bien assises auroient mieux valu que tous les dieux tutélaires qu'on y plaçoit ; ou plûtôt ce sont-là vraiment les dieux tutélaires des grands chemins. Il étoit réservé à un peuple commerçant de sentir l'avantage de la facilité des voyages & des transports ; aussi attribue-t-on le paver des premieres voies aux Carthaginois. Les Romains ne négligerent pas cet exemple ; & cette partie de leurs travaux n'est pas une des moins glorieuses pour ce peuple, & ne sera pas une des moins durables. Le premier chemin qu'ils ayent construit, passe pour le plus beau qu'ils ayent eu. C'est la voie appienne ainsi appelée d'Appius Claudius. Deux chariots pouvoient aisément y passer de front ; la pierre apportée de carrieres fort éloignées, fut débitée en pavés de trois, quatre & cinq piés de surface. Ces pavés furent assemblés aussi exactement que les pierres qui forment les murs de nos maisons : le chemin alloit de Rome à Capoue ; le pays au-delà n'appartenoit pas encore aux Romains. La voie aurélienne est la plus ancienne après celle d'Appius ; Caius Aurelius Cotta la fit construire l'an 512 de Rome : elle commençoit à la porte Aurélirenne, & s'étendoit le long de la mer Tyrrhene jusqu'au forum aurelii. La voie flaminienne est la 3e dont il soit fait mention : on croit qu'elle fut commencée par C. Flaminius tué dans la Seconde guerre Punique, & continuée par son fils : elle conduisoit jusqu'à Rimini. Le peuple & le senat prit tant de goût pour ces travaux, que sous Jules César les principales villes de l'Italie communiquoient toutes avec la capitale par des chemins pavés. Ces routes commencerent même dès-lors à s'étendre dans les provinces conquises. Pendant la dernière guerre d'Afrique, on construisit un chemin de cailloux tailles en quarré, de l'Espagne, dans la Gaule, jusqu'aux Alpes. Domitius Oenobarbus pava la voie Domitia qui conduisoit dans la Savoie, le Dauphiné & la Provence. Les Romains firent en Allemagne une autre voie Domitienne, moins ancienne que la précédente. Auguste maître de l'empire, regarda les ouvrages des grands chemins d'un œil plus attentif qu'il ne l'avoit fait pendant son consulat. Il fit percer des grands chemins dans les Alpes ; son dessein étoit de les continuer jusqu'aux extrémités orientales & occidentales de l'Europe. Il en ordonna une infinité d'autres dans l'Espagne; il fit élargir & continuer celui de Medina jusqu'à Gades. Dans le même tems & par les mêmes montagnes, on ouvrit deux chemins vers Lyon ; l'un traversa la Tarentaise, & l'autre fut pratiqué dans l'Appennin. Agrippa féconda bien Auguste dans cette partie de l'administration. Ce fut à Lyon qu'il commença la distribution des grands chemins dans toute la Gaule. Il y en eut quatre particulierement remarquables par leur longueur & la difficulté des lieux ; l'un traversoit les montagnes de l'Auvergne & pénétroit jusqu'au fond de l'Aquitaine ; un autre fut poussé jusqu'au Rhin & à l'embouchure de la Meuse, suivit pour ainsi dire le fleuve, & finit à la mer d'Allemagne ; un troisieme conduit à travers la Bourgogne, la Champagne & la Picardie, s'arrêtoit à Boulogne-sur-mer; un quatrieme s'étendoit le long du Rhône, entroit dans le bas Languedoc, & finissoit à Marseille sur la Méditerranée. De ces chemins principaux, il en partoit une infinité d'autres qui se rendoient aux différentes villes dispersées sur leur voisinage ; & de ces villes à d'autres villes, entre lesquelles on distingue Treves, d'où les chemins se distribuerent fort au loin dans plusieurs provinces. L'un de ces chemins, entr'autres, alloit à Strasbourg, & de Strasbourg à Belgrade ; un Second conduisoit par la Baviere jusqu'à Sirmifch, distante de 425 de nos lieues.

Il y avoit aussi des chemins de communication de l'Italie aux provinces orientales de l'Europe par les Alpes & la mer de Venise. Aquilée étoit la derniere ville de ce côté : c'étoit le centre de plusieurs grands chemins, dont le principal conduisoit à Constantinople ; d'autres moins importans se répandoient en Dalmatie, dans la Croatie, la Hongrie, la Macédoine, les Méfies. L'un de ces chemins s'étendoit jusqu'aux bouches du Danube, arrivoit à Tomes, & ne finissoit qu'où la terre ne paroissoit plus habitable.

Les mers ont pû couper les chemins entrepris par les Romains, mais non les arrêter ; témoins la Sicile, la Sardaigne, I'Isle de Corse, l'Angleterre, l'Asie, l'Afrique, dont les chemins communiquoient pour ainsi dire, avec ceux de l'Europe par les ports les plus commodes. De l'un & de l'autre côté d'une mer, toutes les terres étoient percées de grandes voies militaires. On comptoit plus de 600 de nos lieues de chemins pavés par les Romains dans la Sicile ; près de 100 lieues dans la Sardaigne; environ 73 lieues dans la Corée, 1100 lieues dans les Isles Britanniques ; 4250 lieues en Asie ; 4674 lieues en Afrique. La grande communication de l'Italie avec cette partie du monde, étoit du port d'Ostie à Carthage ; aussi les chemins étoient-ils plus fréquens aux environs de ce dernier endroit que dans aucun autre. Telle étoit la correspondance des routes en de-çà & en de-là du détroit de Constantinople, qu'on pouvoit aller de Rome à Milan, à Aquilée, sortir de l'Italie, arriver à Sirmisch en Esclavonie, à Constantinople ; traverser la Natolie, la Galatie, la Sourie ; passer à Antioche, dans la Phénicie, la Palestine, l'Egypte, à Alexandrie ; aller chercher Carthage, s'avancer jusqu'aux confins de l'éthiopie, à Clysmos; s'arrêter à la mer Rouge, après avoir fait 2380 de nos lieues de France.

Quels travaux, à ne les considérer que par leur étendue ! mais que ne deviennent-ils pas quand on embrasse sous un seul point de vûe, & cette étendue, & les difficultés qu'ils ont présentées, les forêts ouvertes, les montagnes coupées, les collines applanies, les valons comblés, les marais desséchés, les ponts élevés, Ec.

Les grands chemins étoient construits selon la diversité des lieux ; ici ils s'avançoient de niveau avec les terres ; là ils s'enfonçoient dans les vallons ; ailleurs ils s'élevoient à une grande hauteur ; par-tout on les commençoit par deux filions tracés au cordeau ; ces paralelles fixoient la largeur du chemin ; on creusoit l'intervalle de ces paralleles ; c'étoit dans cette profondeur qu'on étendoit les couches des matériaux du chemin. C'étoit d'abord un ciment de chaux & de sable de l'épaisseur d'un pouce ; sur ce ciment, pour premiere couche des pierres larges & plates de dix pouces de hauteur, assises les unes sur les autres, & liées par un mortier des plus durs : pour seconde couche, une épaisseur de huit pouces de petites pierres rondes plus tendres que le caillou, avec des tuiles, des moilons, des plâtras & autres décombres d'édifice, le tout battu dans un ciment d'alliage : pour la troisieme couche un pié d'épaisseur d'un ciment fait d'une terre grasse mêlée avec de la chaux. Ces matieres intérieures formoient depuis trois piés jusqu'à trois piés & demi d'épaisseur. La surface étoit de gravois liés par un ciment mêlé de chaux ; & cette croûte a pû résister jusqu'à présent en plusieurs endroits de l'Europe. Cette façon de paver avec le gravois étoit si solide, qu'on l'avoit pratiquée par-tout excepté à quelques grandes voies où l'on avoit employé de grandes pierres, mais seulement jusqu'à cinquante lieues de distance des portes de Rome. On employoit Ies troupes de l'état à ces ouvrages qui endurcissoient ainsi à la fatigue les peuples conquis, dont ces occupations prévenoient les revoltes ; on y employoit aussi les malfaiteurs que la dureté de ces ouvrages effrayoit plus que la mort, & à qui on faisoit expier utilement leurs crimes.

Les fonds pour la perfection des chemins croient si assûrés & si considérables, qu'on ne se contentoit pas de les rendre commodes & durables ; on Ies embellissoit encore. Il y avoit des colomnes d'un mille à un autre qui marquoient la distance des lieux ; des pierres pour asseoir les gens de pié & aider les cavaliers à monter sur leurs chevaux ; des ponts, des temples, des arcs de triomphe, des mausolées, les sepulchres des nobles, les jardins des grands, sur-tout dans le voisinage de Rome, au loin des hermès qui indiquaient les routes ; des stations, Ec Voyez COLOMNE MILLIAIRE, HERMES, VOIE, STATIONS ou MASSIONS. Voyez l'antiq. expliq. Voyez le traité de M. Bergier. Voyez : le traité de la police de la Mare.

Telle est l'idée qu'on peut prendre en général de ce que les Romains ont fait peut-être de plus surprenant. Les siecles suivans & les autres peuples de l'univers offrent à peine quelque chose qu'on puisse opposer à ces travaux, si l'on en excepte le chemin commencé à Cusco, capitale du Pérou, & conduit par une distance de 500 lieues sur une largeur de 25 à 40 piés, jusqu'à Quito. Les pierres les plus petites dont il étoit pavé, avoient dix piés en quarré ; il étoit soutenu à droite & à gauche par des murs élevés au-dessus du chemin à hauteur d'appui ; deux ruisseaux couloient au pié de ces murs ; & des arbres plantés sur leurs bords formoient une avenue immense.

La police des grands chemins subsista chez les Romains avec plus ou moins de vigueur, selon que l'état fut plus ou moins florissant. Elle suivit toutes les révolutions du gouvernement & de l'empire, & s'éteignit avec celui-ci. Des peuples ennemis les uns des autres, indisciplinés, mal affermis dans leurs conquêtes, ne songerent guere aux routes publiques, & l'indifférence sur cet objet dura en France jusqu'au regne de Charlemagne. Cette commodité étoit trop essentielle à la conservation des conquêtes, pour que cc monarque ne s'en apperçût pas ; aussi est-il le premier de nos rois qui ait fait travailler aux chemins publics. Il releva d'abord les voies militaires des Romains ; il employa à ce travail & ses troupes & ses sujets. Mais l'esprit qui animait Charlemagne s'affoiblit beaucoup dans ses successeurs ; les villes resterent dépavées ; les ponts & les grands chemins furent abandonnés, jusque sous Philippe-Auguste, qui fit paver la capitale pour la premiere fois en 1184, & qui nomma des officiers à l'inspection des ponts & chaussées. Ces officiers, à charge au public, disparurent peu-à-peu, & leurs fonctions passerent aux juges particuliers des lieux, qui les conserverent jusqu'en 1508. Ce fut alors que les tribunaux relatifs aux grands chemins, & même à la voirie en général, se multiplierent. Voyez, GRANDE VOIRIE. II y en avoit quatre différens, lorsque Henri le Grand créa l'office de grand-voyer ou d'inspecteur des routes du royaume. M. de Sulli en fut revêtu ; mais cette partie ne se ressentit pas comme les autres des vûes supérieures de ce grand homme. Depuis ce tems, le gouvernement s'est réservé la direction immédiate de cet objet important ; & les choses sont maintenant sur un pié à rendre les routes du royaume les plus commodes & les plus belles qu'il y ait en Europe, par les moyens les plus sûrs & les plus simples. Cet ouvrage étonnant est déjà même fort avancé. Quel que soit le côté par où l'on sorte de la capitale, on se trouve sur les chaussées les plus larges & les plus solides ; elles se distribuent dans les provinces du royaume les plus éloignées, & il en part de chacune des collatérales qui établissent entre les villes mêmes les moins considérables la communication la plus avantageuse pour le commerce. Voyez, à l'art. PONT ET CHAUSSEE, quelle est l'administration à laquelle nous devons ces travaux utiles, & les précautions qu'on pourroit prendre pour qu'ils le fussent davantage encore, & que les hommes qu'on y applique, tous intelligent, se servissent de leurs lumières pour la perfection de la Géographie, de l'Hydrographie, & de presque toutes les parties de l'Histoire naturelle & de la Cosmologie.

CHEMIN, (Jurisprud.) On distingue en général deux fortes de chemins ; savoir les chemins publics, & les chemins privés.

Chez les Romains, on appelloit via tout chemin public ou privé à par le terme d'iter seul, on entendoit un droit de passage particulier sur l'héritage d'autrui ; & par celui d'actus, on entendoit le droit de faire passer des bêtes de charge ou une charrette ou chariot sur l'héritage d'autrui ; ce qu'ils appelloient ainsi iter & actus n'étoient pas des chemins proprement dits, ce n'étoient que des droits de passage ou servitudes rurales.

Ainsi le mot via étoit le terme propre pour exprimer un chemin public ou privé ; ils se servoient cependant aussi du mot iter pour exprimer un chemin public, en y ajoûtant l'épithete publicum.

On distinguoit chez les Romains trois sortes de chemins ; savoir les chemins publics, viae publicae, que les Grecs appelloient voies royales ; & les Romains, voies prétoriennes, consulaires, ou militaires. Ces chemins aboutissoient ou à la mer, ou à quelque fleuve, ou à quelque ville, ou à quelque autre voie militaire.

Les chemins privés, viae privatae, qu'on appelloit aussi agrariae, étoient ceux qui servoient de communication pour aller à certains héritages.

Enfin les chemins qu'ils appelloient viae vicinales, étoient aussi des chemins publics, mais qui alloient seulement d'un bourg ou village à un autre. La voie, via, avoit huit piés de large ; l'iter, pris seulement pour un droit de passage, n'avoit que deux piés, & le passage appellé actus en avoit quatre.

Il y a peu de chose à recueillir pour notre usage de ce qui s'observoit chez les Romains, par rapport à ces chemins publics ou privés, parce que la largeur des chemins est réglée différemment parmi nous ; on peut voir néanmoins ce qui est dit dans la loi des 12 tables, tit. ij. dé viarum latitudine ; au code Théodosien, de itinere muniendo, & au titre, de littorum & itinerum custidia ; au digeste de verborum signific. liv. CLVII, au liv. XLIII. tit. vij. de locis & itiner. public & au même liv. tit. viij. ne quid in loco publico vel itinere fiat ; au tit. x. de via publica, & si quid in ea factum esse dicatur, & au tit xj. de via publica & itinere publico reficiendo ; enfin au code, liv. XII. tit. lxv. De littorum & itinerum custodia.

Pour ce qui est des droits de passage appelés chez les Romains iter & actus, il en traite au digeste, liv. LXIII. tit. xix, & nous en parlerons aux mots PASSAGE & SERVITUDES RURALES.

On distingue parmi nous en général deux sortes de chemins publics ; savoir les grands chemins ou chemins royaux, qui tendent d'une ville à une autre, & les chemins de traverse qui communiquent d'un grand chemin à un autre, ou d'un bourg ou village à un autre.

Il y a aussi des chemins privés qui ne servent que pour communiquer aux héritages.

Nos coûtumes ont donné divers noms aux grands chemins; les unes les appellent chemins péageaux, comme Anjou & Maine ; d'autres en grand nombre les appellent grands chemins; d'autres chemins royaux.

Les chemins de traverse & les chemins privés reçoivent aussi différens noms dans nos coûtumes, nous les expliquerons chacun ci-après, suivant l'ordre alphabétique.

Les premiers réglemens faits en France au sujet des chemins se trouvent dans les capitulaires du roi Dagobert, où il distingue via publica, via convicinalis, & semita ; il prononce des amendes contre ceux qui barroient les chemins.

Charlemagne est cependant regardé comme le premier de nos rois qui ait donné une forme à la police des grands chemins & des ponts. Il fit contribuer le public à cette dépense.

Louis le Débonnaire & quelques-uns de ses successeurs firent aussi quelques ordonnances à ce sujet ; mais les troubles des x. xj. & xij. siecles firent perdre de vûe la police des chemins ; on n'entretenoit alors que le plus nécessaire, comme les chaussée gui facilitoient l'entrée des ponts ou des grandes villes, & le passage des endroits marécageux.

Nous ne parlerons pas ici de ce qui se fit sous Philippe-Auguste, par rapport au pavé des rues de Paris, cet objet devant être renvoyé aux mots PAVES & RUES.

Mais il paroît constant que le rétablissement de la police des grands chemins eut à-peu-près la même époque que la première confection du pavé de Paris, qui fut en 1184, comme on l'a dit plus haut.

L'inspection des grands chemins fut confiée, comme du tems de Charlemagne & de Louis le Débonnaire, à des envoyés ou commissaires généraux appellés missi, qui étoient nommés par le roi & départis dans les provinces ; ils avoient seuls la police des chemins, & n'étoient comptables de leurs fonctions qu'au roi.

Ces commissaires s'étant rendus à charge au public, ils furent rappellés au commencement du xiv. siecle, & la police des chemins fut laissée aux juges ordinaires des lieux.

Les choses resterent en cet état jusqu'en 1508 que l'on donna aux thrésoriers de France quelque part en la grande voirie. Henri II. par édit de Février 1552, autorisa les élûs à faire faire les réparations qui n'excederoient pas 20 liv. Henri III. en 1583 leur associa les officiers des eaux & forêts, ensorte qu'il y avoit alors quatre sortes de jurisdictions qui étoient en droit de connaître de ces matières.

Henri IV. ayant reconnu la confusion que causoit cette concurrence, créa en 1599 un office de grand voyer, auquel il attribua la surintendance des grands chemins & le pouvoir de commettre des lieutenans dans les provinces.

Cet arrangement n'ayant pas eu tout le succès que l'on en attendait, Louis Xlll. par édit de Février 1626, supprima le titre de grand voyer, & attribua la jurisdiction sur les grands chemins aux thrésoriers de France, lesquels étant répandus dans les différentes provinces du royaume, sont plus à portée de vaquer à cet exercice : mais le Roi ayant bien-tôt reconnu l'importance de se réserver la surintendance de la grande voirie, a établi un directeur général des ponts & chaussées, qui a sous lui plusieurs inspecteurs & ingénieurs ; & sur le rapport du directeur général, le Roi ordonne chaque année par arrêt de son conseil les travaux & réparations qu'il veut être faits aux chemins ; l'adjudication au rabais de ces ouvrages se fait à Paris par les thrésoriers de France, & dans les provinces par les intendant qui veillent aussi sur les grands chemins, suivant les ordres qui leur sont envoyés.

Les pays d'états veillent eux-mêmes dans leur territoire à entretien des ponts & chaussées.

Henri II. avoit ordonné dès 1552 de planter des arbres le long des grands chemins ; mais cela avoit été mal exécuté.

L'arrêt du conseil du 3 Mai 1720, qui a fixé la largeur des grands chemins, a ordonné de les border de fossés; & aux propriétaires des héritages qui y aboutissent, de les planter des deux côtés d'ormes, hêtres, chataigners, arbres fruitiers, ou autres arbres, suivant la nature du terrain, à la distance de 30 piés l'un de l'autre, & à une toise au moins du bord extérieur des fossés, & de les armer d'épines.

Faute par les propriétaires d'en planter, il est dit que les seigneurs auxquels appartient le droit de voirie, pourront en planter à leurs frais, & qu'en ce cas les arbres plantés par ces seigneurs leur appartiendront, de même que le fruit de ces arbres ; la même chose avoit déjà été ordonnée.

Lorsqu'il s'agit de conduire ou de réparer quelque chemin public, les juges préposés pour y tenir la main peuvent contraindre les paveurs & autres ouvriers nécessaires de s'y employer, sous peine d'amende & même d'emprisonnement.

Il est défendu à toutes personnes d'anticiper sur les chemins, ni d'y mettre des fumiers ou aucune autre chose qui puisse embarrasser.

Lorsqu'il s'agit d'élargir ou d'aligner les chemins publics, les propriétaires des terres voisines sont tenus de fournir le terrein nécessaire.

Les entrepreneurs sont autorités à prendre des matériaux par-tout où ils en peuvent trouver, en dédommageant le propriétaire.

Les terres nécessaires pour rehausser les chemins peuvent être prises sur les terreins les plus proches.

Il est défendu à toutes personnes de détourner les voitures qui travaillent aux chemins, ni de leur apporter aucun trouble.

En quelques endroits on a établi des péages, dont le produit est destiné à l'entretien des chemins. Voy. PEAGE.

Pour éviter l'embarras que causeroient sur les chemins les voitures qui seroient trop larges, on a fixé en 1624, la longueur des essieux de chariots & charrettes à 5 piés 10 pouces, avec défenses aux ouvriers d'en faire de plus longs.

Les rouliers ne doivent point atteler plus de quatre chevaux à une charrette à deux roues. Arret du conseil du 18 Juillet 1670, & déc. du 14 Nov. 1724.

La charge d'une voiture à deux roues est de 5 poinçoins de vin ou de trois milliers pesant d'autres marchandises. Il est néanmoins permis aux rouliers de porter 6 poinçons de vin, en portant au retour du pavé & du sable aux atteliers des grands chemins. On oblige même présentement ceux qui retournent vuide de porter une certaine quantité de pavé. Voyez la Bibliotheque de Bouchet, au mot chemin Les lois civiles, part. II. liv. I. tit. viij. sect. 2 n. 14.L'exposition des coûtumes sur la largeur des chemins, &c. & le tr. De la construction des chemins. Les ordonnances de la troisieme race. L'ordonnance des eaux & forêts, titr. xxviij.. Le traité de la police, tome IV. liv. IV. tit. xiij. Le dictionn. Des arrêts, au mot chemin.

CHEMIN, appellé carriere dans quelques coûtumes, en un chemin du troisième ou quatrième ordre, Bouthillier, en sa somme rurale, p. 497. dit que la carrière a dix piés, pour la commodité commune, tant des gens de pié que de cheval, & des charrettes & voitures. La coûtume de Valois, art. 194. & celle d'Artois, ne donnent que huit piés à la carriere. Celle de Clermont en Beauvoisis, art. 226. ajoûte qu'il est loisible d'y mener charrette & bestiale en cordelle, & non autrement.

CHEMINS CHARRUAUX ou DE TRAVERSE, en Poitou, & qu'on appelle ailleurs voisinaux, sont ceux qui communiquent d'un grand chemin à un autre, ou d'un bourg, ville ou village à l'autre : ils sont ainsi appellés, non pas du mot charrue, mais du mot charrois, parce qu'ils doivent être ayez larges pour le passage des charrois, à la différence des sentiers qui ne servent que pour le passage des gens de pié ou de cheval, & pour les bêtes de somme. Voyez Boucheul sur l'art. 12. de la coût. de Poitou, & ci-apr. CHEMINS DE TRAVERSE & CHEMINS VOISINAUX.

CHEMIN CHATELAIN, dont il est parlé dans la coûtume de Boulenois, art. 156.est inférieur au chemin royal & au chemin de traverse ; il ne doit avoir que vingt piés : on appelle ainsi ceux qui conduisent à une des quatre châtellenies du Boulenois.

CHEMIN CROISIER, dont il est parlé dans l'art. 139. de la coûtume de Boulenois, est un chemin de rencontre qui conduit en plusieurs endroits.

CHEMIN FINEROT, usité dans le duché de Bourgogne, a six pas de largeur, qui reviennent à dix-huit piés ; c'est proprement celui qui sépare les sinages ou confins de chaque contrée ou canton.

CHEMIN FORAIN, dont il est parlé dans la coûtume de Boulenois, art. 161. est celui qui conduit de chaque village à la forêt. Voyez le commentaire de Leroi sur cet article.

CHEMINS, (grands) on appelle grands chemins, par excellence, les chemins royaux, pour les distinguer des autres chemins d'un ordre inférieur. Voyez ci-ap. CHEMIN ROYAL.

CHEMIN DU HALAGE, est un espace de vingt-quatre piés de large, que les riverains des rivières navigables sont obligés de laisser sur les bords, pour le passage des chevaux qui halent ou tirent les bateaux. Voyez l'ordonn, des eaux & forêts, tit xxviij. art. 7.

CHEMIN pour issue de ville volontaire, dans la coûtume de Boulenois, art. 162. est celui qui sort d'un village ; ce chemin doit avoir onze piés. Voy. Le commentat. ibid.

CHEMIN PEAGEAU, est un chemin public sur lequel est établi le péage. Suivant la coûtume d'Anjou, art. 60. & celle du Maine, art. 69. il doit contenir quatorze piés de large pour le moins.

CHEMIN, appelle pié-sente en Artois, est le moindre des chemins publics, qui n'a que quatre piés de large. Voyez ci-apr. CHEMIN DE TERROIR.

CHEMIN PRIVE, est celui qui n'est établi que pour certaines personnes, & non pour le public. voyez. ci-dev. au mot CHEMIN.

CHEMIN PUBLIC, est celui qui est établi pour I'usage de tous, à la différence des chemins privés & partages, qui ne font que pour certaines personnes. Voyez ci-dev. CHEMIN.

CHEMIN REAL, dans la coûtume de Boulenois,

signifie chemin royal. Voyez ci-apr. CHEMIN ROYAL.

CHEMIN ROYAL, que l'on appelle aussi grand chemin, est celui qui communique d'une grande ville à une autre grande ville. La largeur de ces chemins a varié selon les tems & les coûtumes. Suivant une transaction de l'an 1222, appellée charta pacis, le chemin royal n'avoit alors que dix-huit piés. Bouthillier, en sa somme rurale, pag. 497. dit que de son tems le chemin royal avoit quarante piés. La coûtume du duché de Bourgogne, ch. des mesures, in fine, ne donne que trente piés de largeur au grand chemin, qui est le chemin royal. Celle de Normandie, art. 623. dit qu'il ne doit pas avoir moins de quatre toises. Celle de Senlis & celle de Valois veulent que les grands chemins ayent au moins quarante piés de large dans les bois & forêts, & trente pour le moins dans les terres hors des forêts. Celles d'Amiens, de Boulenois, & de Saint-Omer, veulent que tous chemins royaux ayent soixante piés de large. Celle de Clermont en Beauvaisis donne au chemin proprement dit trente-deux piés, & au grand chemin royal soixante-quatre piés de largeur.

L'ordonnance des eaux & forêts, tit. des routes & chemins royaux, porte que dans les forêts les grands chemins royaux auront au moins soixante-douze piés de largeur ; & que dans six mois, tout bois, épines & broussailles qui se trouveroient dans l'espace de soixante piés ès grands chemins servant au passage des coches & carrosses publics, tant des forêts du roi que de celles des ecclésiastiques, communautés, seigneurs, & particuliers, seroient essartés & coupés, ensorte que le chemin soit plus libre & plus sûr.

Cette même ordonnance veut que les propriétaires des héritages aboutissans aux rivieres navigables, laissent le long des bords vingt-quatre piés au moins de place en largeur, pour chemin royal & trait des chevaux, sans qu'ils puissent planter arbres ni tenir clôture ou haie plus près que trente piés du côté que les bateaux se tirent, & dix piés de l'autre bord, à peine de 500 liv. d'amende, confiscation des arbres, & d'être les contrevenans contraints à réparer & remettre les chemins en état à leurs fraix.

La largeur des autres chemins royaux hors les forêts & bords des rivieres, a été reglée différemment par diverses lettres patentes & arrêts, jusqu'à l'arrêt du conseil du 3 Mai 1720, qui a fixé la largeur des grands chemins à soixante piés, & celle des autres chemins publics à trente-six piés ; ce qui s'observe depuis ce tems autant qu'il est possible : on a même donné plus de largeur à quelques-uns des chemins royaux aux environs de Paris, & cela pour la décoration de l'abord de la capitale du royaume. Voyez ci-devant CHEMIN.

CHEMIN DE TERROIR ou VOIE, (Jurispr.) est une des cinq especes de chemins publics que l'on distingue en Artois. La premiere s'appelle, comme par-tout ailleurs, grand chemin royal, qui doit avoir soixante-quatre piés de largeur mesure du pays, suivant les réglemens. La seconde espece de chemins à laquelle les coûtumes du royaume donnent divers noms, est connue en Artois sous le nom de chemin vicomtier, lequel doit avoir trente-deux piés de largeur. La troisieme espece est celle qu'on appelle voie ou chemin de terroir, c'est-à-dire qui sert à communiquer d'un terroir à l'autre ; ce chemin n'a que seize piés de largeur. La quatrieme espece est le chemin appellé carriere, qui n'a que huit piés. Et la cinquieme enfin, appellée sentier ou pié-sente, qui n'a que quatre piés de large.

CHEMIN DE TRAVERSE, est celui qui communique d'un grand chemin à un autre ; c'est ce que les Romains appelloient trames. Bouthillier, en sa somme rurale, p. 497. l'appelle travers, & dit qu'il doit avoir jusqu'à vingt ou vingt-deux piés.

CHEMIN VICOMTIER, en Artois, est celui qui a trente-deux piés de largeur. Voyez ci-dev. CHEMIN DE TERROIR. La coûtume de Boulenois, art. 159. ne donne à ce chemin que trente piés. La coûtume de Saint-Omer, art. 15. l'appelle chemin de traverse ou vicomtier, & dit qu'il doit avoir dix piés.

CHEMINS VOISINAUX, que les Romains appelloient viae vicinales, sont ceux qui servent pour la communication des héritages entre voisins. La coûtume de Tours, art. 59. & celle de Lodunois, ch. v. art. 1. veulent que ces chemins ayent huit piés de largeur.

CHEMIN appellé voie, est la même chose en Artois que chemin de terroir. Voyez ci-devant CHEMIN DE TERROIR. (A)

CHEMIN-COUVERT, (Art milit.) appellé autrefois corridor, est dans la Fortification un espace de cinq à six toises de largeur, terminé par une ligne parallele à la contrescarpe ; il est couvert ou caché à l'ennemi par une élévation de terre d'environ six piés de hauteur, qui lui sert de parapet, laquelle va se perdre en pente dans la campagne, à vingt ou vingt-cinq toises de la ligne qui le termine : cette pente se nomme le glacis. Voyez GLACIS.

Le chemin-couvert n'est jamais plus élevé que le niveau de la campagne ; il est au contraire quelquefois plus bas d'un pié ou d'un pié & demi, lorsque les terres du fossé ne sont pas suffisantes pour la construction des remparts & du glacis.

Au pié intérieur du parapet du chemin-couvert, regne une banquette comme au pié du parapet du rempart ; elle a le même usage, c'est-à-dire qu'elle sert à élever le soldat pour qu'il puisse tirer par-dessus le glacis, & découvrir la campagne. Lorsque le chemin-couvert est plus bas que le niveau de la campagne, on lui donne deux banquettes : on plante des palissades sur la banquette supérieure lorsqu'il y en a deux, ou simplement sur la banquette lorsqu'il n'y en a qu'une. Ces palissades sont de pieux quarrés & pointus par le haut, qu'on fait surpasser d'environ six pouces la partie supérieure du glacis ou du parapet du chemin-couvert ; elles se mettent fort proches les unes des autres, ensorte qu'il ne reste guere d'intervalle entr'elles que pour passer le bout du fusil : on les joint ensemble par des traverses ou pieces de bois, auxquelles elles sont attachées avec de grands clous rivés en-dehors. Ces pieces de bois ainsi horisontales, forment ce qu'on appelle le linteau. L'usage des palissades est de faire obstacle à l'ennemi, & l'empêcher de sauter dans le chemin-couvert.

Le chemin-couvert est plus spacieux à ses angles rentrans qu'aux autres endroits ; on y pratique des espaces c i h (Pl. I. de Fortific. fig. 1.) appellés places-d'arme. Voyez PLACE-D'ARME.

Il y a aussi des places-d'arme aux angles saillans, mais elles sont formées par l'arrondissement de la contrescarpe ; au lieu que celles des angles rentrans sont prises dans le glacis.

On trouve de distance en distance dans le chemin-couvert, des solides de terre qui en occupent toute la largeur, à l'exception d'un petit passage pour le soldat ; c'est ce qu'on appelle les traverses du chemin-couvert. Voyez TRAVERSES.

Le chemin-couvert n'est pas fort ancien dans la Fortification ; l'usage s'en est établi vers le commencement des guerres de la Hollande contre Philippe II. roi d'Espagne.

Le chemin-couvert sert 1°. à mettre des troupes à couvert des coups de l'ennemi qui est dans la campagne, & à défendre l'approche de la place par un feu rasant ou parallele au niveau du terrein, & qui est également redoutable dans toute la portée du fusil : 2°. à assembler les troupes nécessaires pour les sorties, pour en faciliter la retraite, & recevoir les secours qu'on veut faire entrer dans la place.

Le chemin-couvert & le glacis sont quelquefois appellés ensemble du nom de contrescarpe ; & c'est dans ce sens qu'on dit, lorsqu'on est parvenu à se loger sur le glacis, qu'on est sur la contrescarpe : mais exactement la contrescarpe est la ligne qui termine le fossé vers la campagne. Voyez CONTRESCARPE.

On trace le chemin-couvert en menant des paralleles à la contrescarpe à la distance de cinq ou six toises. A l'égard de la construction de ses places-d'arme, voyez PLACE-D'ARME. (Q)

CHEMINS MILITAIRES, viae militares, ce sont les grands chemins de l'empire romain, qu'Agrippa fit faire sous l'empire d'Auguste, pour la marche des troupes & pour les voitures. M. Bergier, avocat au présidial de Rheims, a écrit l'Histoire de ces grands chemins, contenant l'origine, les progrès, & l'étendue presque incroyable des chemins militaires pavés depuis la ville de Rome jusqu'aux extrémités de l'Empire. Voyez plus haut CHEMIN. (Q)

CHEMIN DES RONDES, en termes de Fortification, est un espace qu'on laisse pour le passage des rondes entre le rempart & la muraille dans une ville fortifiée. Voyez RONDE.

Ce chemin n'est pas d'un grand usage ; parce que n'étant défendu que d'une muraille d'un pié d'épaisseur, il est bien-tôt renversé par le canon de l'ennemi.

Le chemin des rondes est pratiqué au haut du rempart, au-devant du parapet ; il est placé immédiatement sur le cordon, c'est-à-dire au niveau du terre-plein du rempart ; il a trois ou quatre piés de large ; il a un parapet ou garde-fou de maçonnerie d'un pié & demi d'épaisseur, & de trois piés & demi de haut ; il doit avoir des ouvertures ou des entrées à tous les angles de l'enceinte de la place. Cette sorte de chemin ne se trouve plus guere que dans les anciennes fortifications ; son parapet qui se trouve ruiné dès les premiers jours du siége, l'a fait abandonner comme un ouvrage de peu d'importance. (Q)

CHEMIN, en Bâtiment, est sur un plafond ou sur un ravalement, une disposition de regles que les ouvriers posent pour traîner les moulures. C'est aussi un enduit de plâtre dressé à la regle, & suivant lequel ils conduisent leur calibre. Ces deux dispositions, dont la regle sert à conduire d'un côté le sabot du calibre, & l'enduit dirige l'autre extrémité, se nomment proprement chemins. (P)

CHEMIN DE CARRIERE, en Architecture, c'est le puits par où l'on descend dans une carriere pour la fouiller ; ou l'ouverture qu'on fait à la côte d'une montagne pour en tirer la pierre ou le marbre. (P)

* CHEMIN, (Chorégraphie) ce sont des lignes qui, tracées sur un papier, représentent la figure qu'un ou plusieurs danseurs décrivent sur le plancher pendant tout le cours d'une danse. Toute la Chorégraphie consiste à tracer ces lignes, à en diviser la somme en autant de parties égales que l'air de la danse a de mesures ; à couper sur chacune de ces parties d'autres parties égales qui designent les tems ; sur celles-ci, d'autres qui désignent les notes ; & ainsi de suite, jusqu'à la partie de tems la plus petite pendant laquelle le danseur peut exécuter un mouvement ; & à indiquer sur chacun de ces parties, par des caracteres particuliers, tous les mouvemens que le danseur doit exécuter en même tems & successivement. Voyez CHOREGRAPHIE.

CHEMIN, en termes de Diamantaire, est la trace que fait un diamant sur la meule de fer où on le taille. Voyez DIAMANT & DIAMANTAIRE.

CHEMIN, (Tonnel.) pieces de bois qui portent d'un bout sur les bateaux chargés de vin, de l'autre à terre, où elles servent à conduire les tonneaux sans accident. Plus ces pieces sont longues, plus le plan incliné qu'elles forment est doux, moins celui qui conduit la piece fatigue. Si les pieces étoient ou trop longues, ou trop foibles, ou trop chargées, elles pourroient rompre. L'expédient des chemins n'est pas à l'usage seul des tonneliers ou déchargeurs de vin ; il sert aussi à tous ceux qui ont des marchandises en tonneaux à descendre de dessus la riviere à terre.


CHEMINÉES. f. terme d'Architecture, du latin caminus, fait du grec , qui a la même signification. On entend sous ce nom une des parties principales de la piece d'un appartement dans lequel on fait du feu, laquelle est composée d'un foyer, de deux jambages, d'un contre-coeur, d'un manteau, & d'un tuyau. Voy. FOYER, JAMBAGES, CONTRE-COEUR, MANTEAU, YAUUYAU. Anciennement les cheminées se faisoient fort grandes ; aujourd'hui avec plus de raison, on les proportionne au diametre des pieces. Nous ne parlerons point de celles des cuisines & offices, ni de celles pratiquées dans les étages en galetas, celles-ci n'exigeant aucunes décorations & leur situation étant assez indifférente. A l'égard de celles placées dans les appartemens d'une maison de quelque importance, leur situation, leur construction, & leur décoration demandent une étude particuliere.

La situation d'une cheminée consiste dans la nécessité de la placer toûjours dans le milieu d'une piece, soit sur sa longueur, soit sur sa largeur ; de maniere que dans la face qui lui est opposée, l'on puisse placer quelqu'autre partie essentielle de la décoration, telle qu'un trumeau de glace, une porte ou une croisée. Sa situation dépend encore de la placer de préférence plûtôt sur le mur de refend qui est opposé à la principale entrée, que sur celui où cette porte est percée ; & si par quelque cas indispensable on ne peut éviter de la placer de cette derniere maniere, du moins faut-il observer un dosseret de deux piés entre le chambranle de cette même porte & l'un des jambages de la cheminée. Quelquefois l'on place les cheminées dans des pans coupés ; mais cette situation n'est convenable que pour de petites pieces, & ne peut raisonnablement être admise dans la décoration d'un appartement principal. Il arrive assez souvent que la nécessité oblige de situer les cheminées en face des croisées ; mais cette maniere a son desavantage, parce que les personnes qui sont rangées autour du foyer ne reçoivent la lumiere que par reflet : néanmoins cette situation peut être de quelqu'utilité dans un cabinet consacré à l'étude, & doit être préférée à tous égards à la nécessité de les placer dans les murs de face, lorsqu'absolument il n'est pas possible de les pratiquer dans les autres murs de refend.

La construction des cheminées consiste aujourd'hui dans l'art de dévoyer leurs tuyaux dans l'épaisseur des murs, de maniere que, sans nuire à la solidité de ces mêmes murs, les languettes (voy. LANGUETTES) & les faux manteaux de cheminée ne nuisent point à la symmétrie des pieces. Anciennement on se contentoit d'élever les tuyaux de cheminée perpendiculairement, & de les adosser les uns devant les autres à chaque étage ; mais on a reconnu qu'il en résultoit deux abus. Le premier, que ces tuyaux élevés perpendiculairement étoient plus sujets à fumer que ceux qui sont inclinés sur leur élévation. Le second, que ces tuyaux ainsi adossés les uns sur les autres, non-seulement chargeoient considérablement les planchers, mais aussi diminuoient insensiblement le diametre des pieces des étages supérieurs. Aujourd'hui qu'il semble que l'art soit parvenu à surmonter toutes les difficultés, l'on dévoie d'une part les tuyaux sur leur élévation, sans altérer la construction ; & de l'autre, quand le cas le requiert, on les incline sur leur plan : ce qui paroissoit impossible il y a vingt ans. Une partie essentielle de leur construction consiste encore à donner au foyer une profondeur convenable, qui doit être au moins de dix-huit pouces & au plus de vingt-quatre ; car en leur en donnant moins, elles sont sujettes à fumer ; & en leur en donnant davantage, la chaleur est sujette à s'exhaler par le tuyau. La meilleure construction des cheminées, quant à la matiere, est de faire usage de la brique posée de plat, bien jointoyée de plâtre, & garnie de fantons, à moins qu'on ne puisse les construire de pierre de taille, ainsi qu'on le pratique dans nos maisons royales, édifices publics, &c. en observant néanmoins de ne jamais les dévoyer dans les murs mitoyens.

La décoration des cheminées est devenue une partie importante pour l'ornement des pieces, principalement depuis cinquante ans, que les glaces ont pris la place des bas-reliefs de sculpture & des membres d'architecture de plâtre, de marbre, ou de stuc qui les décoroient auparavant. M. Decotte, premier architecte du Roi, est celui à qui l'on doit l'usage des glaces sur les cheminées. D'abord on se révolta contre cette nouveauté ; on eut peine à s'accoûtumer à voir un vuide que les glaces représentent sur une partie qui ne pourroit se soutenir sans être un corps opaque & d'une solidité réelle : mais enfin la mode a prévalu au point que la plus grande beauté de la décoration d'une cheminée consiste aujourd'hui, selon quelques-uns, dans la grandeur des glaces. Il n'en est pas moins vrai cependant que les bordures qui les environnent, que les parties qui les couronnent, & les pilastres qui les accompagnent & qui occupent ce qu'on appelle le manteau de la cheminée, doivent être d'une proportion & d'une richesse relative à l'ordonnance qui préside dans la décoration de la piece en général : l'on doit même observer que les glaces qui représentent un vuide, comme nous venons de le remarquer, soient d'une hauteur & d'une largeur proportionnée à l'élégance qu'on aura dû affecter dans la baie ou vuide des portes & des croisées. Il faut encore faire attention que la largeur du manteau & sa hauteur soient d'une proportion relative à celle des panneaux qui revêtissent la surface des murs de la piece, lorsqu'elle est lambrissée.

A l'égard du chambranle de ces cheminées, dont la matiere doit être de marbre ou de pierre de liais, leur largeur entre deux jambages dépend, comme nous l'avons déjà dit, du diametre des pieces ; mais il faut faire ensorte que cette largeur égale celle du manteau de la cheminée, de maniere que l'épaisseur de ces jambages fasse retraite de chaque côté ; afin que la tablette qui couronne ce chambranle, forme des retours dans ses deux extrémités égaux à sa saillie sur le devant, afin qu'il paroisse servir de soubassement à la partie supérieure. La hauteur de ces chambranles dépend de l'usage des pieces. Dans les galeries, dans les salons & grandes salles d'assemblée, où la largeur des foyers est au moins de six ou sept piés, & où l'on fait un feu extraordinaire, il faut leur donner de hauteur depuis cinq jusqu'à six piés ; mais dans les appartemens de sociétés (voyez APPARTEMENT), où les plus grandes cheminées ne doivent pas surpasser quatre piés & demi ou cinq piés de largeur, il faut réduire leur hauteur à trois piés & demi ou trois piés huit pouces, afin que ceux qui forment cercle autour du foyer y étant assis, puissent se voir dans les glaces & y remarquer ce qui se passe. Voyez dans les Pl. d'Architecture, la décoration d'une cheminée faisant partie de celle du salon. (P)

CHEMINEE, (Hist. anc.) On demande si les anciens avoient des cheminées dans leurs chambres, & s'ils y faisoient du feu pendant l'hyver. Plusieurs modernes le nient ; & M. Perrault pense que si les anciens avoient des cheminées, elles étoient fort rares, par la raison que Vitruve n'a point expliqué la maniere dont on devoit les construire, quoique leur construction méritât bien qu'il y donnât ses soins & son attache.

Mais l'on ne peut douter par une foule d'autorités incontestables, que les anciens n'eussent des cheminées, & en grand nombre. Appian Alexandrin, racontant (liv. IV. des guerres civ.) de quelle maniere se cachoient ceux qui étoient proscrits par les triumvirs, dit que les uns descendoient dans des puits ou des cloaques, que les autres se cachoient sur les toits & dans les cheminées : il croit que le mot grec , fumaria sub tecto posita, ne peut s'expliquer autrement ; & cela est très-vrai. De plus, Aristophane dans une de ses comédies, introduit le vieillard Polycléon enfermé dans une chambre, d'où il tâche de se sauver par la cheminée. Virgile dit aussi :

Et jam summa procul villarum culmina fumant :

" Et déjà l'on voit de loin la fumée des bourgades, des maisons de campagne, des villages, s'élever du haut des toits ".

Il paroît donc certain que les anciens avoient des cheminées, comme l'a prouvé par plusieurs autres passages Octavio Ferrari, ce savant italien, qui fut tout-à-la-fois honoré des bienfaits de la république de Venise, de Louis XIV. & de la reine Christine ; mais faute de plans & de descriptions des cheminées des anciens, nous n'en avons qu'une legere connoissance. Nous savons cependant qu'elles n'étoient pas faites comme les nôtres, qu'elles étoient construites au milieu de la chambre, qu'elles n'avoient ni tuyau ni manteau, & qu'il y avoit seulement au haut de la chambre & au milieu du toit, une ouverture pour la fumée, laquelle sortoit d'ordinaire par cette ouverture : c'est pourquoi Horace dit : (ode xj. l. IV.)

Sordidum flammae trepidant volantes

Vertice fumum.

" Le feu pétille dans ma cuisine, & fait rouler en l'air de gros tourbillons de fumée ".

Et dans un autre endroit : (ode ij. liv. V.)

Positosque vernas, ditis examen domus

Circum renidentes lares.

" Quel plaisir de voir autour d'un foyer bien propre une troupe de valets, dont le grand nombre marque la richesse de la maison " !

Ailleurs il conseille à son ami de mettre force bois dans le foyer pour chasser le froid :

Dissolve frigus, ligna super foco

Large reponens.

Tous ces passages confirment encore l'existence des cheminées parmi les anciens, mais ils montrent aussi que leur luxe ne s'étoit pas tourné de ce côté-là. Peut-être que l'usage des étuves a fait naturellement négliger chez les anciens cette partie du bâtiment, que nous avons assujettie à des proportions symmétriques & décorées, en même tems que le froid de notre climat nous a contraint de multiplier le nombre des cheminées, & de rechercher les moyens d'augmenter les effets du feu, quoique par habitude ou par nécessité nous ne mettions pas toujours ces moyens en pratique.

En effet, il est certain que la disposition des jambages paralleles, & la hotte inclinée des cheminées ordinaires, ne tendent pas à réfléchir la chaleur. La méchanique apprend que des jambages en lignes paraboliques, & la situation horisontale du dessous de la tablette d'une cheminée, sont les plus propres à répandre la chaleur dans les chambres. C'est ce qu'a prouvé M. Gauger dans un ouvrage intitulé la Méchanique du feu, imprimé pour la premiere fois à Paris en 1713, in -12.

Mais nos cheminées par leur multiplication & la forme de leur construction, ont un inconvénient très-commun & très-incommode ; c'est celui de fumer.

Pour obvier à cette incommodité, on a employé plusieurs inventions, comme les éolipyles de Vitruve, les soupiraux de Cardan, les moulinets à vent de Jean Bernard, les chapiteaux de Sebastien Serlio, les tabourins & les giroüettes de Paduanus, & plusieurs artifices de Philibert de Lorme : mais tous ces moyens sont fautifs. Il est de plus souvent nécessaire pour remédier à la fumée, de rendre les cheminées plus profondes, d'en abaisser le manteau, de changer le tuyau de communication, de faire des soûpapes, & principalement de diversifier les remedes suivant la position des lieux, & les causes de la fumée ; cependant on employe d'ordinaire à cette besogne des ouvriers qui n'ont en partage qu'une routine aveugle. Cet art seroit uniquement du ressort d'Architectes éclairés par les lumieres de la Physique, & ils ne s'en mêlent guere.

L'auteur ancien qui en a le mieux raisonné, est M. Savot, dans son livre d'Architecture françoise des bâtimens particuliers, imprimé d'abord en 1624, ensuite en 1673 & en 1683, avec les notes de M. Blondel. Consultez aussi les mémoires critiques d'Architecture de M. Fremin, mis au jour à Paris en 1702, in -12. & autres modernes, comme M. Brizeux. Article de M(D.J.)

CHEMINEE, (Lutherie) on appelle ainsi dans les orgues un petit tuyau de plomb ouvert par les deux bouts, soudé sur la plaque percée qui ferme un autre tuyau. Voyez la figure XXXII. Planc. d'Orgue. C'est un tuyau à cheminée complet, 4 la plaque percée soudée à sa partie supérieure, 2 la cheminée qui doit être soudée sur l'ouverture de la plaque.

Tous les tuyaux à cheminée doivent avoir des oreilles aux deux côtés de leur bouche, pour les pouvoir accorder.


CHEMISES. f. est la partie de notre vêtement qui touche immédiatement à la peau ; elle est de toile plus ou moins fine, selon la condition des personnes. Celle des femmes est une espece de sac, fait d'un même morceau de toile plié en deux. On coût les côtés sur toute leur longueur, excepté par en-haut où on laisse deux ouvertures pour y assembler les manches, & par em-bas pour y ajuster des pointes ou morceaux de toile coupés en triangle, qui donnent à la chemise plus d'ampleur par le bas que par le haut, & lui font faire la cloche. On échancre le haut du sac ; mais l'échancrure n'est pas divisée en deux parties égales par le pli du morceau de toile dont une des parties forme le devant de la chemise, & l'autre le derriere. Elle est toute prise sur le devant ; cependant la chemise laisse le cou entier & une petite portion des épaules découvertes par derriere, & la moitié de la gorge au moins par devant. On fait un ourlet au bas & au haut. On orne assez souvent le haut d'une petite bande de toile plus fine, ou d'une dentelle, qu'on appelle tour-de-gorge. La chemise descend presque jusqu'au coup-de-pié ; les deux manches ne vont guere au-delà du coude. On appelle gousset les morceaux de toile qui sont placés sous les aisselles, & qui servent à assembler dans ces endroits les manches avec le corps de la chemise. Elles sont par-tout de la même largeur, excepté vers leurs extrémités, où elles sont retrécies & froncées sur un poignet ou sur un ruban de fil, qui entoure assez exactement le bras.

La chemise des hommes ne descend guere au-delà des genoux ; elle est ouverte par les deux côtés, où l'on ajuste deux petites pointes ou coins pour assujettir la couture ; & sur la poitrine, pour empêcher la toile de se déchirer & de s'ouvrir davantage, on la contient avec un petit coeur & une bride. Les manches en descendent jusqu'au-delà des mains ; mais elles s'attachent sur l'extrémité du bras par le moyen de poignets à boutonnieres. Les côtés n'en sont pas confus jusqu'au bout, on en laisse une partie ouverte de la longueur d'un douzieme, qu'on appelle la fourchette. Les manches ont aussi leurs goussets. Comme nos chemises fatiguent beaucoup sur les épaules, on couvre ces deux parties de morceaux de toile qui les fortifient, & qu'on appelle écussons ; on fixe les écussons sur le corps de la chemise, par de petites bandes qui sont cousues depuis le cou jusqu'à l'endroit où les manches s'assemblent à la chemise, & qui partagent les écussons en deux parties égales : on appelle ces bandes épaulettes. Les côtés ouverts, les bords inférieurs, & l'ouverture du devant de la chemise sont ourlés : on ajuste ordinairement tant au bord des poignets & des fourchettes qu'à l'ouverture de dessus la poitrine, des morceaux d'une toile plus fine, simple ou brodée, ou des dentelles ; ceux des poignets s'appellent manchettes, voyez MANCHETTES ; celui de l'ouverture du devant s'appelle jabot, voyez JABOT.

Pour une chemise d'homme, il faut trois aunes de toile ; deux aunes pour le morceau du corps, & une aune pour les manches ; sur cette aune on fait une levée de la hauteur d'un demi-quart ou environ, qui sert pour le cou, l'épaulette, l'écusson, les goussets, les petits coins des côtés, & la petite piece de devant. Il ne faut pas que la toile ait plus de deux tiers de large, ni moins.

Pour une chemise de femme grande, il faut deux aunes & un quart de toile ou environ pour le corps ; si la toile n'a que deux tiers, on leve une pointe de chaque côté des épaules ; si elle a trois quarts, on fait une levée droite sur le côté de la lisiere, qui servira pour les deux pointes. Vous donnerez de largeur à cette levée, le quart de la largeur de la toile. La manche a demi aune environ d'amplitude, & un quart ou un tiers tout au plus de longueur.

On appelle chemise en amadis, des chemises d'hommes faites pour la nuit, d'une toile moins mince, & dont la façon ne differe principalement des chemises de jour que par la largeur & l'extrémité des manches. Les manches sont plus étroites, & leur extrémité qui s'applique presqu'exactement sur le bras, depuis l'ouverture de la fourchette & même au-delà, est fortifiée par un morceau de toile qui double la manche en-dessous. Les anciens n'ont point usé de chemises. On a transporté le nom de chemise dans les Arts, par l'analogie des usages, à un grand nombre d'objets différens. Voyez la suite de cet article.

CHEMISE, en terme de Fortification, se dit du revêtement du rampart. Voyez REVETEMENT.

Le mur dont la contrescarpe est revêtue, se nomme aussi la chemise de cette partie. (Q)

CHEMISES A FEU, (Art milit.) morceaux de toile trempés dans une composition d'huile de pétrole, de camphre, & autres matieres combustibles. On s'en sert sur mer pour mettre le feu à un vaisseau ennemi. (Q)

CHEMISES DE MAILLES, c'est un corps de chemise fait de plusieurs mailles ou anneaux de fer, qu'on mettoit autrefois sous l'habit pour servir d'arme défensive. (Q)

CHEMISE, (Ecriture) lettre en chemise ou à la duchesse, espece d'écriture tracée tout au rebours de l'écriture ordinaire. Les pleins y tiennent la place des déliés, & les déliés la place des pleins. Il faut que la plume soit très-fendue & taillée à contre-sens, ou, comme disent les maîtres écrivains, en fausset.

CHEMISE, s. f. (Commerce) morceau de toile qui enveloppe immédiatement les marchandises précieuses, telles que la soie, le lin, & autres, qu'on emballe pour des lieux éloignés. On met entre la chemise & la toile d'emballage, de la paille, du papier, du coton, & autres choses peu coûteuses, mais capables de garantir les marchandises.

CHEMISE, (Maçonn.) est une espece de maçonnerie faite de cailloutage, avec mortier de chaux & ciment, ou de chaux & sable seulement, pour entourer des tuyaux de grès.

On appelle encore chemise le massif de chaux & ciment qui sert à retenir les eaux, tant sur le côté que dans le fond des bassins de ciment. Voyez MASSIF. (K)

CHEMISE, s. f. (Métallurgie & Fonderie) c'est la partie inférieure du fourneau à manche dans lequel on fait fondre les mines, pour en séparer les métaux. Lorsque le fourneau a été une fois construit, on a soin de le revêtir par le dedans ; on se sert pour cela de briques séchées au soleil, ou de pierres non vitrifiables, & qui soient en état de résister à l'action du feu, afin que les scories & les fondans que l'on mêle à la mine ne puissent point les mettre en fusion. Cependant, malgré cette précaution, on ne laisse pas d'être très-souvent obligé de renouveller la chemise, sur-tout dans les fourneaux où l'on fait fondre du plomb, parce que ce métal est très-aisé à vitrifier, & qu'il est très-difficile ou même impossible que le feu n'altere & ne détruise des pierres qui sont continuellement exposées à toute sa violence. Une des observations nécessaires, lorsqu'on met la chemise du fourneau, c'est de lier les pierres avec le moins de ciment qu'il est possible. (-)

* CHEMISE ou DEMI-CHEMISE, (Verrerie) c'est ainsi qu'on appelle le revêtement de la couronne. Il est de la même terre que celle qu'on a employée pour les briques de la couronne, & son épaisseur est de quatre pouces ou environ. Voyez les art. COURONNE & VERRERIE.


CHEMNITZou KEMNITZ, (Géog.) ville d'Allemagne en Saxe, dans le marquisat de Misnie. Il y a encore une ville de ce nom en Bohème, dans le cercle de Leitmeritz.


CHÉMOSISS. m. (Méd.) est la plus grave espece d'ophthalmie, dont nos gens de l'art ont mieux aimé, & avec raison, adopter en françois le nom grec, que de le périphraser ; c'est pourquoi les auteurs modernes, en suivant la définition d'Eginete, caractérisent du nom de chémosis cette violente inflammation des yeux dans laquelle les membranes qui forment le blanc de l'oeil, & en particulier la conjonctive, sont extrèmement boursoufflées, & si élevées au-dessus de la cornée, que cette cornée paroît comme dans un fond ; & que les paupieres, outre leur rougeur & leur chaleur, sont ici quelquefois renversées, & ne peuvent qu'à peine couvrir l'oeil, ce qui est un spectacle difficile à soûtenir.

De plus, cette inflammation du globe de l'oeil est accompagnée de très-grandes douleurs dans l'organe & dans la tête, de pesanteur au-dessus de l'orbite, d'insomnie, de fievre, de battement, &c. Dans ce malheureux cas, il arrive assez souvent que toute la cornée transparente tombe par suppuration, ce qui détruit la chambre antérieure de l'oeil. La cicatrice qui suit cet accident empêche que le crystallin & l'humeur vitrée ne s'échappent, & par conséquent que le globe ne se flétrisse entierement. Quelquefois cependant l'un & l'autre arrivent.

Cette espece d'ophthalmie est la suite d'un grand coup reçû à l'oeil & aux environs, ou l'effet de la plénitude & de l'intempérie du sang ; enfin elle peut être occasionnée par un dépôt critique à la suite d'une maladie aiguë. Quelle qu'en soit la cause externe ou interne, nous renvoyons au mot OPHTHALMIE, le prognostic & la cure de ce mal. Cet article est de M(D.J.)


CHENAGES. m. (Jurisprud.) tribut ou redevance annuelle que les étrangers qui viennent s'établir dans le royaume devoient au roi, suivant les anciennes ordonnances : il en est parlé dans la déclaration du 22 Juillet 1597, portant confirmation des lettres de naturalité & de légitimation. (A)


CHENAIE(Jardinage) est un lieu planté de chênes. Voyez CHENE. (K)


CHENALS. m. (Hydraulique) c'est un courant d'eau en forme de canal, bordé le plus souvent des deux côtés de terres coupées en talus, & quelquefois revêtu de murs. Le chenal sert à faire entrer un bâtiment de mer ou de riviere dans le bassin d'une écluse. (K)


CHENES. m. quercus, (Hist. nat. Bot.) genre d'arbre qui porte des chatons composés de sommets attachés en grand nombre à un petit filet. Les embryons naissent séparément des fleurs sur le même arbre, & deviennent dans la suite un gland enchassé dans une espece de coupe, & qui renferme un noyau que l'on peut séparer en deux parties. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont découpées en sinus assez profonds. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le chêne est le premier, le plus apparent, & le plus beau de tous les végétaux qui croissent en Europe. Cet arbre naturellement si renommé dans la haute antiquité, si chéri des nations greques & romaines, chez lesquelles il étoit consacré au pere des dieux ; si célebre par le sacrifice de plusieurs peuples ; cet arbre qui a fait des prodiges, qui a rendu des oracles, qui a reçû tous les honneurs des mysteres fabuleux, fut aussi le frivole objet de la vénération de nos peres, qui faussement dirigés par des druïdes trompeurs, ne rendoient aucun culte que sous les auspices du gui sacré : mais ce même arbre, considéré sous des vûes plus saines, ne sera plus à nos yeux qu'un simple objet d'utilité ; il méritera à cet égard quelques éloges bien moins relevés, il est vrai, mais beaucoup mieux fondés.

En effet, le chêne est le plus grand, le plus durable & le plus utile de tous les arbres qui se trouvent dans les bois ; il est généralement répandu dans les climats tempérés, où il fait le fondement & la meilleure essence des plus belles forêts. Cet arbre est si universellement connu, qu'il n'a pas besoin des secours équivoques de la botanique moderne pour se faire distinguer ; il s'annonce dans un âge fait, par une longue tige, droite, & d'une grosseur proportionnée à sa hauteur, qui surpasse ordinairement celle de tous les autres arbres. Sa feuille se fait remarquer sur-tout par sa configuration particuliere ; elle est oblongue, plus large à son extrémité, & découpée dans ses bords par des sinuosités arrondies en-dehors & en-dedans, qui ne sont constantes ni dans leur nombre, ni dans leur grandeur, ni dans leur position. Comme cet arbre est un peu lent à croître, il vit aussi fort long-tems, & son bois est le plus durable de tous, lorsqu'il est employé, soit à l'air, soit à l'abri, dans la terre, & même dans l'eau, où on ne compte sa durée que par un nombre de siecles. Le chêne, par rapport à la masse, au volume, à la force, & à la durée de son bois, tient donc le premier rang parmi les arbres forestiers ; c'est en effet la meilleure essence de bois qu'on puisse employer pour des plantations de taillis & de futaie. Dans un terrein gras il prend trois piés de tour en trente ans ; il croît plus vîte alors, & il fait ses plus grands progrès jusqu'à quarante ans. Comme l'exposition & la qualité du terrein décident principalement du succès des plantations, voici sur ce point essentiel des observations à l'égard du chêne.

Exposition. Terrein. Presque toutes les expositions, tous les terreins conviennent au chêne ; le fond des vallées, la pente des collines, la crête des montagnes, le terrein sec ou humide, la glaise, le limon, le sable ; il s'établit par-tout, mais il en résulte de grandes différences dans son accroissement & dans la qualité de son bois. Il se plaît & il réussit le mieux dans les terres douces, limoneuses, profondes, & fertiles ; son bois alors est d'une belle venue, bien franc, & plus traitable pour la fente & la menuiserie : il profite très-bien dans les terres dures & fortes, qui ont du fond, & même dans la glaise ; il y croît lentement, à la vérité, mais le bois en est meilleur, bien plus solide & plus fort : il s'accommode aussi des terreins sablonneux, cretassés ou graveleux, pourvû qu'il y ait assez de profondeur : il y croît beaucoup plus vîte que dans la glaise, & son bois est plus compacte & plus dur ; mais il n'y devient ni si gros ni si grand. Il ne craint point les terres grasses & humides, où il croît même très-promtement ; mais c'est au desavantage du bois, qui étant trop tendre & cassant, n'a ni la force, ni la solidité requise pour la charpente ; il se rompt par son propre poids lorsqu'il y est employé. Si le chêne se trouve au contraire sur les crêtes des montagnes, dans des terres maigres, seches ou pierreuses, où il croît lentement, s'éleve, peut & veut être coupé souvent ; son bois alors étant dur, pesant, noüeux, on ne peut guere l'employer qu'en charpente, & à d'autres ouvrages grossiers. Enfin cet arbre se refuse rarement, & tout au plus dans la glaise trop dure, dans les terres basses & noyées d'eau, & dans les terreins si secs & si legers, si pauvres & si superficiels, que les arbrisseaux les plus bas n'y peuvent croître ; c'est même la meilleure indication sur laquelle on puisse se regler lorsqu'on veut faire des plantations de chêne : en voici la direction.

Plantations. Si nous en croyons les meilleurs auteurs anglois qui ayent traité cette matiere, Evelyn, Hougton, Laurence, Mortimer, & sur-tout M. Miller qui est entré dans un grand détail sur ce point ; il faudra de grandes précautions, beaucoup de culture & bien de la dépense pour faire des plantations de chênes. Cependant, comme les Anglois se sont occupés avant nous de cette partie de l'agriculture, parce qu'ils en ont plutôt senti le besoin, & que M. Miller a rassemblé dans la sixieme édition de son dictionnaire, tout ce qui paroît y avoir du rapport, j'en vais donner un précis. Après avoir conseillé de bien enclorre le terrein par des hayes pour en défendre l'entrée aux bestiaux, aux lievres & aux lapins, qui sont les plus grands destructeurs des jeunes plantations ; l'auteur anglois recommande de préparer la terre par trois ou quatre labours, de la bien herser à chaque fois, & d'en ôter toutes les racines des mauvaises herbes ; il dit que si le terrein étoit inculte, il seroit à propos d'y faire une récolte de légume, avant que d'y semer le gland : qu'il faut préférer celui qui a été recueilli sur les arbres les plus grands & les plus vigoureux, sur le fondement que les plants qui en proviennent profitent mieux, & qu'on doit rejetter le gland qui a été pris sur les arbres dont la tête est fort étendue, quoique ce soit celui qui leve le mieux. On pourra semer le gland en automne ou au printems ; suivant notre auteur, le meilleur parti sera de la semer aussi-tôt qu'il sera mûr, pour éviter l'inconvénient de rompre les germes en le mettant en terre au printems, après l'avoir conservé dans du sable. Pour les grandes plantations on fera avec la charrue des sillons de quatre piés de distance, dans lesquels on placera les glands à environ deux pouces d'intervalle ; & si le terrein a de la pente, il faudra diriger les sillons de façon à ménager l'humidité, ou à s'en débarrasser selon que la qualité du terrein l'exigera. Il faudra ensuite recouvrir exactement les glands, de crainte que ceux qui resteroient découverts, n'attirassent les oiseaux & les souris qui y feroient bien-tôt un grand ravage. L'auteur rend raison des quatre piés de distance qu'il conseille de donner aux sillons ; c'est, dit-il, afin de pouvoir cultiver plus facilement la terre entre les rangées, & nettoyer les jeunes plants des mauvaises herbes ; sans quoi on ne doit pas attendre que les plantations fassent beaucoup de progrès. Les mauvaises herbes qui dominent bien-tôt sur les jeunes plants, les renversent & les étouffent, ou du moins les affament en tirant les sucs de la terre. C'est ce qui doit déterminer à faire la dépense de cultiver ces plantations pendant les huit ou dix premieres années. Les jeunes plants, continue notre auteur, leveront sur la fin de Mars ou au commencement d'Avril ; mais il faudra les sarcler même avant ce tems-là, s'il en étoit besoin, & répeter ensuite cette opération aussi souvent que les herbes reviennent, ensorte que la terre s'en trouve nettoyée, jusqu'à ce que tous les glands soient levés & qu'on puisse les appercevoir distinctement ; auquel tems il sera à propos de leur donner un labour avec la charrue entre les rangées, & même une legere culture à la main dans les endroits où la charrue ne pourroit atteindre sans renverser les jeunes plants. Quand ils auront deux ans, il faudra enlever ceux qui seront trop serrés, & donner à ceux qui resteront un pié de distance, qui suffira pour les laisser croître pendant deux ou trois ans ; après lesquels on pourra juger des plants qui pourront faire les plus beaux arbres, & faire alors un nouveau retranchement qui puisse procurer aux plants quatre piés de distance dans les rangées ; ce qui leur suffira pour croître pendant trois ou quatre ans ; auquel tems si la plantation a fait de bons progrès, il sera à propos d'enlever alternativement un arbre dans les rangées ; mais notre auteur ne prétend pas qu'il faille faire cette reforme si régulierement qu'on ne puisse pas excéder ou réduire cette distance, en laissant par préférence les plants qui promettent le plus ; il ne propose même cet arrangement que comme une regle générale qu'on ne doit suivre qu'autant que la disposition & le progrès de la plantation le permettent. Quand par la suite les plants auront encore été réduits dans leur nombre, & portés à environ huit piés de distance, ils ne demanderont plus aucun retranchement ; mais après deux ou trois ans, il sera à propos de couper pour en faire des sepées de taillis, les plants qui paroîtront le moins disposés à devenir futaie, & qui se trouveront dominés par les arbres destinés à rester. C'est l'attention qu'on doit avoir toutes les fois qu'on fait quelque réforme parmi les arbres, avec la précaution de ne dégarnir que par degrés & avec beaucoup de ménagement les endroits fort exposés aux vents, qui y feroient de grands ravages & retarderoient l'accroissement. L'auteur anglois voudroit qu'on donnât vingt-cinq à trente piés de distance aux arbres qu'on a dessein d'élever en futaie ; ils pourront jouir en ce cas de tout le bénéfice du terrein ; ils ne seront pas trop serrés, même dans les endroits où ils réussissent bien ; leurs têtes ne se toucheront qu'à trente ou trente-cinq ans ; & il n'y aura pas assez d'éloignement pour les empêcher de faire des tiges droites. Mais après une coupe ou deux du taillis, notre auteur conseille d'en faire arracher les souches, afin que tous les sucs de la terre puissent profiter à la futaie : la raison qu'il en apporte, est que le taillis ne profite plus dès qu'il est dominé par la futaie qui en souffre également ; car on gâte souvent l'un & l'autre, en voulant ménager le taillis dans la vûe d'un profit immédiat.

Toute cette suite de culture méthodique peut être fort bonne pour faire un canton de bois de vingt ou trente arpens, encore dans un pays où le bois seroit très-rare, & tout au plus aux environs de Paris où il est plus cher que nulle part dans ce royaume : mais dans les provinces, la dépense en seroit énorme pour un canton un peu considérable. J'ai vû que pour planter en Bourgogne, dans les terres de M. de Buffon, un espace d'environ cent arpens, où il commença à suivre exactement la direction dont on vient de voir le précis, une somme de mille écus ne fut pas suffisante pour fournir aux fraix de plantation & de culture pendant la premiere année seulement : qu'on juge du résultat de la dépense, si l'on avoit continué la même culture pendant huit ou dix ans, comme M. Miller le conseille ; le canton des plantations en question auroit coûté six fois plus cher qu'un bois de même étendue qu'on auroit acheté tout venu & prêt à couper dans un terrein pareil : encore la plantation n'a-t-elle pas pleinement réussi par plusieurs inconvéniens auxquels une culture plus longue & plus assidue n'auroit pas remédié. Un de ces inconvéniens, c'est de nettoyer le terrein des ronces, épines, genievres, bruyeres, &c. Un plus grand oeuvre, qui le croiroit ? c'est de donner plusieurs labours à la terre ; cette opération coûteuse sert, on en convient, à faire bien lever le gland, mais elle tourne bien-tôt contre son progrès : les mauvaises herbes qui trouvent la terre meuble, la couvrent au-dehors, & la remplissent de leurs racines au-dedans ; on ne peut guere s'en débarrasser sans déranger les jeunes plants, parce qu'il faut y revenir souvent dans un terrein qu'on commence à mettre en culture. Mais d'ailleurs, plus la terre a été remuée, plus elle est sujette à l'impression des chaleurs, des sécheresses, & sur-tout des gelées du premier hyver, qui déracinent les jeunes plants, & leur font d'autant plus de dommage que la plantation se trouve mieux nettoyée & découverte. Le printems suivant y fait appercevoir un grand dépérissement ; la plûpart des jeunes plants se trouvent flétris & desséchés ; d'autres fort languissans ; & ceux qui se sont soûtenus, auront encore infiniment à souffrir, malgré tous les efforts de la culture la plus suivie, qui n'accélerent point le progrès dans les terres fortes & glaireuses, dures ou humides. En essayant au contraire à faire dans un pareil terrein des plantations par une méthode toute opposée, M de Buffon a éprouvé des succès plus satisfaisans, & peut-être vingt fois moins dispendieux, dont j'ai été témoin. Ce qui fait juger que dans ces sortes de terreins comme dans ceux qui sont legers & sablonneux, où il a fait aussi de semblables épreuves, on ne réussit jamais mieux pour des plantations en grand, qu'en imitant de plus près la simplicité des opérations de la nature. Par son seul procédé, les bois, comme l'on sait, se sement & se forment sans autre secours ; mais comme elle y employe trop de tems, il est question de l'accélerer : voici les moyens d'y parvenir : ménager l'abri, semer abondamment & couper souvent ; rien n'est plus avantageux à une plantation que tout ce qui peut y faire du couvert & de l'abri ; les genets, le jonc, les épines & tous les arbrisseaux les plus communs garantissent des gelées, des chaleurs, de la sécheresse, & sont un aide infiniment favorable aux plantations. On peut semer le gland de trois façons ; la plus simple & peut-être la meilleure dans les terreins qui sont garnis de quelques buissons, c'est de cacher le gland sous l'herbe dont les terres fortes sont ordinairement couvertes ; on peut aussi le semer avec la pioche dont on frappe un coup qui souleve la terre sans la tirer dehors, & laisse assez d'ouverture pour y placer deux glands ; ou enfin avec la charrue en faisant des sillons de quatre piés en quatre piés, dans lesquels on répand le gland avec des graines d'arbrisseaux les plus fréquens dans le pays, & on recouvre le tout par un second sillon. On employe la charrue dans les endroits les plus découverts ; on se sert de la pioche dans les plants impraticables à la charrue, & on cache le gland sous l'herbe autour des buissons. Nul autre soin ensuite que de garantir la plantation des approches du bétail, de repiquer des glands avec la pioche pendant un an ou deux dans les plants où il en aura trop manqué, & ensuite de receper souvent les plants languissans, raffaux, étiolés ou gelés, avec ménagement cependant, & l'attention sur-tout de ne pas trop dégarnir la plantation, que tout voisinage de bois, de hayes, de buissons favorise aussi. Voyez dans les mémoires de l'académie des Sciences, celui de M. de Buffon sur la culture & le rétablissement des forêts, année 1739. On pourroit ajoûter sur cette matiere des détails intéressans que cet ouvrage ne permet pas. J'appuierai seulement du témoignage de Bradley cette méthode aussi simple que facile, qui a réussi sous mes yeux : " Pour éviter, dit-il, la dépense de sarcler les plantations, on en fait l'essai sur des glands qui avoient été semés ; & les herbes, loin de faire aucun mal, ont défendu les jeunes chênes contre les grandes sécheresses, les grandes gelées, &c. " Je citerai encore Ellis, autre auteur anglois plus moderne, qui assûre qu'il ne faut pas sarcler une plantation ou un semis de chênes. Ces auteurs auroient pû dire de plus, que non-seulement on diminue la dépense par-là, mais même que l'on accélere l'accroissement, sur-tout dans les terreins dont nous venons de parler.

A tous égards, l'automne est la saison la plus propre à semer le gland, même aussi-tôt qu'il est mûr ; mais si l'on avoit des raisons pour attendre le printems, il faudroit le faire passer l'hyver dans un conservatoire de la façon qu'on l'a expliqué au mot Chataigner ; & ensuite le semer aussi-tôt que la saison pourra le permettre, sans attendre qu'il soit trop germé ; ce qui seroit un grand inconvénient.

Le chêne peut aussi se multiplier de branches couchées, qui ne font pas de si beaux arbres que ceux venus de gland ; & par la greffe, sur des arbres de son espece ; mais on ne se sert guere de ces moyens que pour se procurer des especes curieuses & étrangeres.

Transplantation. Il y a quelques observations à faire sur la transplantation de cet arbre, qui ne gagne jamais à cette opération ; il y résiste mieux à deux ans qu'à tout autre âge, par rapport au long pivot qu'il a toûjours, & qui le prive ordinairement de racines latérales : d'où il suit que quand on se propose d'employer le chêne en avenues ou autres usages semblables, il faut avoir la précaution de le transplanter plusieurs fois auparavant, afin qu'il soit bien enraciné. On ne doit jamais l'étêter en le transplantant ; c'est tout ce qu'il craint le plus, mais seulement retrancher ses principales branches : on ne doit même s'attendre ensuite qu'à de petits progrès, & rarement à avoir de beaux arbres.

Usage du bois. Nul bois n'est d'un usage si général que celui du chêne ; il est le plus recherché & le plus excellent pour la charpente des bâtimens, la construction des navires ; pour la structure des moulins, des pressoirs ; pour la menuiserie, le charronnage, le mairrain ; pour des treillages, des échalas, des cercles ; pour du bardeau, des éclisses, des lattes, & pour tous les ouvrages où il faut de la solidité, de la force, du volume, & de la durée ; avantages particuliers au bois de chêne, qui l'emporte à ces égards sur tous les autres bois que nous avons en Europe. Sa solidité répond de celle de toutes les constructions dont il forme le corps principal ; sa force le rend capable de soûtenir de pesans fardeaux dont la moitié feroit fléchir la plûpart des autres bois ; son volume ne le cede à nul autre arbre, & sa durée va jusqu'à six cent ans, sans altération, lorsqu'il est à couvert des injures de l'air : la seule condition que ce bois exige, est d'être employé bien sec & saisonné, pour l'empêcher de se fendre, de se tourmenter, & de se décomposer ; précaution qui n'est plus nécessaire, quand on veut le faire servir sous terre & dans l'eau en pilotis, où on estime qu'il dure quinze cent ans, & où il se pétrifie plus ordinairement qu'aucun autre bois. Quand on est forcé cependant d'employer à l'air du bois verd, sans avoir le tems de le faire saisonner, on peut y suppléer en faisant tremper ce bois dans de l'eau pendant quelque tems. Ellis en a vû une épreuve qu'il rapporte : " Un plancher qui avoit été fait de planches de chêne, qu'on avoit fait tremper dans l'eau d'un étang, se trouva fort sain au bout de quatorze ans, tandis qu'un autre plancher tout voisin, fait de mêmes planches, mais qui n'avoient pas été mises dans l'eau, étoit pourri aux côtés & aux extrémités des planches ". C'est aussi l'un des meilleurs bois à brûler & à faire du charbon. Les jeunes chênes brûlent & chauffent mieux, & font un charbon ardent & de durée ; les vieux chênes noircissent au feu, & le charbon qui s'en va par écailles, rend peu de chaleur, & s'éteint bien-tôt ; & les chênes pelards, c'est-à-dire dont on a enlevé l'écorce sur pié, brûlent assez bien, mais rendent peu de chaleur.

Aubier du bois. On distingue dans le bois du chêne l'aubier & le coeur : l'aubier est une partie de bois qui environne le tronc à l'extérieur, qui est composé de douze ou quinze cercles ou couches annuelles, & qui a ordinairement un pouce & demi d'épaisseur, quand l'arbre a pris toute sa grosseur : l'aubier est plus marqué & plus épais dans le chêne que dans les autres arbres qui en ont un, & il est d'une couleur différente & d'une qualité bien inférieure à celle du coeur du bois : l'aubier se pourrit promtement dans les lieux humides ; & quand il est placé séchement, il est bien-tôt vermoulu, & il corrompt tous les bois voisins ; aussi fait-il la plus grande défectuosité du bois de chêne ; & il est défendu aux ouvriers par leurs statuts d'employer aucun bois où il y ait de l'aubier. Mais on peut corriger ce défaut, & donner à l'aubier presque autant de solidité, de force, & de durée, qu'en a le coeur du bois de chêne : " Il ne faut pour cela, dit M. de Buffon, qu'écorcer l'arbre du haut em-bas, & le laisser sécher entierement sur pié avant de l'abattre " ; & par les épreuves qu'il a faites à ce sujet, il résulte que " le bois des arbres écorcés & séchés sur pié, est plus dur, plus solide, plus pesant & plus fort que le bois des arbres abattus dans leur écorce ". Voyez les mémoires de l'académie des Sciences, année 1738.

Ecorce. On fait aussi usage de l'écorce du chêne : les Tanneurs l'employent à façonner les cuirs ; mais l'écorce n'est pas l'unique partie de l'arbre qui ait cette propriété. M. de Buffon, par les épreuves qu'il a fait faire sur des cuirs, & dont il a été fait mention dans les mémoires de l'académie, s'est assûré que le bois du chêne a la même qualité, avec cette différence pourtant, que l'écorce agit plus fortement sur les cuirs que le bois, & le coeur du bois moins que l'aubier. On appelle tan l'écorce qui a passé les cuirs, & qui alors n'est pas tout-à-fait inutile ; le tan sert à faire des couches dans les serres chaudes & sous des chassis de verre, pour élever & garantir les plantes étrangeres & délicates.

Gland. Il y a du choix à faire & des précautions à prendre pour la récolte du gland, lorsqu'on veut faire des plantations. Si nous en croyons Evelyn, " il faut que les glands soient parfaitement mûrs, qu'ils soient sains & pesans ; ce qui se reconnoît, lorsqu'en secouant doucement les rameaux, le gland tombe : il ne faudra cueillir que vers la fin d'Octobre, ou au commencement de Novembre, ceux qui ne tomberont pas aisément ; & il faut ramasser sur le champ celui qui tombe de lui-même ; mais toûjours le prendre par préférence sur le sommet des arbres les plus beaux, les plus jeunes & les plus vigoureux, & non pas, comme l'on fait ordinairement, sur les arbres qui en portent le plus. " On peut ajoûter aux circonstances qui doivent contribuer au choix du gland, celle de sa grosseur ; parce qu'en effet c'est la plus belle espece de chêne qui produit le gros gland à longue queue, & qu'il est probable que ce gland produira des arbres de même espece. Ce fruit est aussi de quelque utilité ; il sert à nourrir les bêtes fauves, à engraisser les cochons ; & il est aussi fort bon pour la volaille. Voyez GLAND.

Gui de chêne. On attribuoit autrefois de grandes vertus à cette plante parasite, lorsqu'on la trouvoit sur le chêne. Les druides faisoient accroire qu'il fécondoit les animaux, & que c'étoit un fameux contrepoison ; on lui en attribue encore quelques-unes en Médecine, & il est recherché dans les Arts pour sa dureté & pour la beauté de ses veines. Quoi qu'il en soit, on trouve très-rarement du gui sur le chêne ; & cette rareté pourroit bien être son seul mérite : nous n'en pouvons que trop juger par bien des choses que l'on voit tous les jours prendre faveur par ce seul titre.

Excrescences. Le chêne est peut-être de tous les arbres celui qui est le plus sujet à être attaqué par différentes especes d'insectes : ils font des excrescences de toutes sortes, sur les branches, le gland, les feuilles, & jusque sur les filets des chatons, où quelquefois le travail des insectes forme de ces excrescences qui imitent si bien une grappe de groseille rougeâtre, que bien des gens s'y trompent de loin. Les insectes forment aussi sur certaines especes de chênes des galles dont on tire quelque service dans les Arts. Voyez NOIX DE GALLE. Cette défectuosité, aussi-bien que l'irrégularité de la tête de l'arbre, & la lenteur de ses progrès après la transplantation, peuvent bien être les vraies causes de ce que l'on fait si peu d'usage du chêne pour l'ornement des jardins.

Especes. Il y a des chênes de bien des especes ; les Botanistes en comptent au moins quarante, qui ne sont pour la plûpart ni répandus, ni fort connus : on doit y avoir d'autant moins de regret, que nos chênes communs valent beaucoup mieux pour la qualité du bois, que tous ceux qui ont été découverts dans le Levant & en Amérique : il faut cependant convenir que les chênes d'Amérique ont plus de variété & d'agrément que les autres.

1. Le chêne à gros gland. Celui que C. Bauhin appelle chêne à long pédicule, est le plus grand & le plus beau de tous les chênes qui croissent en Europe. On le distingue dans son jeune âge par son écorce qui est vive, luisante & unie, d'une couleur d'olive rembrunie, irrégulierement entre-mêlée, avec une couleur de cendre claire : ses feuilles sont plus grandes, & ont le pédicule plus long que dans les autres especes ; le gland est aussi plus gros & plus long ; l'arbre le produit sur un pédicule de la longueur du doigt, qui souvent n'en porte qu'un seul ; & quelquefois jusqu'à trois. Son bois est franc, d'un bel oeil, & de la meilleure qualité.

2. Le chêne à gland moyen, désigné par le même botaniste sous la phrase de chêne mâle à pédicule court. Cet arbre dans toutes ses parties est subordonné à la premiere espece ; sa feuille est moins grande, son gland est plus petit, plus rond, & a le pédicule de moitié plus court ; l'arbre même est d'une stature un peu moindre : il se fait remarquer surtout dans sa jeunesse par la couleur de son écorce, qui imite celle d'une peau d'oignon, & qui est entre-mêlée de parties blanchâtres. Le bois de cet arbre est solide, fort, & de bonne qualité.

3. Le chêne à petit gland, que le nomenclateur cité appelle le chêne femelle. On reconnoît aisément cet arbre, à ce que son écorce est inégale, & qu'avant qu'il soit même parvenu à la grosseur du bras, elle est aussi crevassée & raboteuse que celle des vieux arbres : ses feuilles plus petites que dans les especes précédentes, n'ont point de pédicule ; le gland, qui est aussi bien plus petit & rond, tient immédiatement à la branche ; l'arbre s'éleve & grossit moins ; son bois est dur, rebours, & de mauvaise fente : il semble à tous égards que la nature ait épargné sur cette espece ce qu'elle a prodigué en faveur de la premiere.

4. Le chêne à feuilles panachées. C'est une variété que le hasard a fait rencontrer, mais que l'on peut cependant multiplier par la greffe en fente ou en écusson sur les especes communes. Ses feuilles sont généralement panachées de blanc, & d'une très-belle façon ; aussi cet arbre est-il fort estimé des curieux qui aiment les plantes panachées.

5. Le chêne toûjours verd. Cet arbre croît naturellement en Espagne entre Cadix & Gibraltar ; mais on le trouve rarement à-présent parmi les collections d'arbres, même les plus recherchées & les plus complete s. On sait cependant qu'il est assez robuste ; il faut donc qu'il soit difficile à élever. Au reste on ne doit pas confondre cette espece de chêne avec ce que nous appellons le chêne-verd, qui est un arbre tout différent.

6. Le chêne cerrus. Quoique cet arbre soit originaire d'Espagne, d'Italie, & des provinces méridionales de ce royaume, il est cependant assez robuste pour résister parfaitement au froid des climats septentrionaux : sa feuille ressemble à celle du chêne commun, si ce n'est qu'elle est plus longue, & que les sinuosités qui l'environnent sont plus étroites & plus profondes : son gland est fort amer, & il est presqu'entierement engagé dans une calotte qui est entourée de follicules pointus & de couleur cendrée ; on s'en sert au lieu de galle pour teindre les draps en noir, mais la teinture n'en est pas si bonne. C'est une des plus belles especes de chêne, & en général il a le port & à-peu-près la hauteur du chêne commun.

7. Le petit chêne, cerrus. Son gland est plus petit que celui de l'espece précédente. Ce petit arbre est peu connu.

8. Le petit chêne portant plusieurs galles jointes ensemble. Ce n'est qu'un arbrisseau dont on ne sait rien d'intéressant.

9. Le chêne, esculus. Ce petit arbre auquel on a conservé le nom que Pline le naturaliste lui avoit donné, croît en Grece & en Dalmatie.

10. Le chêne de Bourgogne. C'est un grand arbre qui croît naturellement en Franche-Comté, & qui est sur-tout remarquable par le calice de son gland, qui est hérissé de pointes assez longues, mais foibles ; du reste l'arbre est assez ressemblant au chêne commun.

11. Le chêne nain. C'est un très-petit arbrisseau, que j'ai vû s'élever tout au plus à trois piés en 15 ans de tems dans un terrein cultivé : mais dans les campagnes où il croît naturellement, il est si bas que rarement il a plus d'un pié : ses feuilles sont plus douces & un peu plus grandes que celles de nos chênes communs ; le calice du gland est plus plat, & ce gland est très-amer.

12. Le chêne roure. Il prend autant de hauteur que nos chênes communs. Il croît en plusieurs provinces de ce royaume, & on le trouve fréquemment aux environs d'Aubigny : sa feuille le fait distinguer principalement par une espece de duvet qui la couvre ; son gland est si fort enveloppé dans le calice, qu'il ne mûrit pas bien en Angleterre dans les années humides.

13. Le petit chêne roure. Il differe du précédent par sa stature qui est inférieure, & par sa feuille qui est garnie de petites pointes.

14. Le chêne roure portant galles. C'est un petit arbre qui croît dans la Pannonie & dans l'Istrie, & sur lequel on trouve la noix de galle dont on fait usage pour la teinture.

15. Le chêne roure à feuilles lisses. On trouve la noix de galle sur cet arbre, qui differe des trois précédens par ses feuilles qui n'ont point de duvet.

16. Le chêne à gros gland, dont le calice est tout couvert de tubercules. Ce n'est qu'une variété, qui est plus rare qu'intéressante.

17. Le chêne d'Orient à gland cylindrique, avec un long pédicule. C'est un petit arbre très-rare.

18. Le chêne d'Orient, à feuilles de châtaignier. C'est un arbre de hauteur moyenne, dont le gland est renfermé dans un calice épais & écailleux.

19. Le chêne d'Orient à très-gros gland, dont le calice est hérissé de filets. C'est un grand arbre peu connu.

20. Le chêne d'Orient à feuilles étroites & à petit gland, avec un calice hérissé de pointes. Cet arbre est de petite stature.

21. Le chêne d'Orient à très-gros gland, & à feuilles agréablement découpées. Le calice du gland est aussi hérissé de filets. Cet arbre ne s'éleve qu'à une moyenne hauteur.

22. Le chêne d'Orient à petites feuilles arrondies, & à gland cannelé. Cet arbre s'éleve peu.

23. Le chêne d'Orient à gland cylindrique, & à feuilles arrondies, légerement découpées. Cet arbre prend peu de hauteur.

Ces sept dernieres especes de chênes ont été découvertes dans le Levant par Tournefort, & y ont été retrouvées depuis, suivant le témoignage de M. Miller, par quelques voyageurs, qui en ont rapporté des glands en Angleterre, où trois de ces especes ont réussi, & paroissent aussi robustes que nos chênes communs. Quoiqu'il en soit, ces arbres sont encore très-rares & très-peu connus.

24. Le chêne rouge de Virginie. Il croît plus promtement que le chêne commun, & il fait un gros arbre en peu d'années : sa feuille a moins de sinuosités que n'en ont celles de nos chênes, & les angles du dehors qui sont plus grands se terminent en pointes : la queue de cette feuille est toûjours rougeâtre, & ce n'est qu'en automne que toute la feuille prend aussi cette couleur. Cet arbre est délicat dans sa jeunesse ; j'ai vû que les hyvers rigoureux ont constamment fait périr les plans d'un an & de deux ans, dans les terreins secs comme dans ceux qui étoient un peu humides. Le bois de cet arbre a des veines rouges.

25. Le chêne de Virginie à feuilles de chataigner. Il croît aussi vîte, & devient aussi gros que le précédent. Il ne vient à la Virginie, que dans les fonds & dans les bons terreins : c'est le plus gros des chênes qui croissent dans l'Amérique : l'écorce en est blanche & écaillée ; le grain du bois n'est pas beau, quoiqu'on s'en serve beaucoup pour la charpente ; les feuilles sont larges & dentelées comme celles du chataigner. Il n'y a point d'autre chêne qui produise des glands aussi gros que celui-ci. Catesby.

26. Le chêne blanc de Virginie. C'est celui qui ressemble le mieux au chêne commun d'Angleterre, à la figure de ses feuilles, à ses glands, & à sa maniere de croître : son écorce est blanchâtre, le grain de son bois fin ; & c'est pour cela, aussi-bien que pour sa durée, qu'on le regarde à la Caroline & à la Virginie comme la meilleure espece de chêne. Il croît sur toutes sortes de terroirs, & principalement parmi les pins, dans les lieux élevés & stériles. Catesby.

Cette espece de chêne a bien réussi dans les plantations de M. de Buffon en Bourgogne. L'écorce de cet arbre est en effet blanchâtre ; sa feuille est plus grande & d'un verd plus pâle que celle de nos chênes communs ; mais il croît plus vîte d'environ un tiers : il s'accommode mieux des mauvais terreins, & il est très-robuste ; ce qui doit faire juger qu'il seroit bien avantageux de multiplier cet arbre.

27. Le chêne de Virginie à feuilles de saule. C'est un arbre de moyenne hauteur, dont la feuille qui ressemble à celle du saule, est encore plus longue, & dont le gland est très-petit.

28. Le chêne toûjours verd, à feuilles oblongues & sans sinuosités. Sa hauteur ordinaire est d'environ quarante piés. Le grain du bois est grossier, plus dur & plus rude que celui d'aucun autre chêne : il devient plus gros au bord des marais salés où il croît ordinairement. Son tronc est irrégulier, & la plûpart du tems panché, & pour ainsi dire couché ; ce qui vient de ce que le terrein étant humide, a peu de consistance, & que les marées emportent la terre qui doit couvrir les racines : dans un terrein plus élevé ces arbres sont droits, & ont la cime réguliere & pyramidale, & conservent leurs feuilles toute l'année. Leur gland est plus doux que celui de tous les autres chênes. Les Indiens en font ordinairement provision, & s'en servent pour épaissir les soupes qu'ils font avec de la venaison : ils en tirent une huile très-agréable & très-saine, qui est presque aussi bonne que celle d'amande. Catesby.

29. Le chêne noir. C'est un arbre de moyenne hauteur, dont la feuille pour la forme approche de celle du sassafras. Cet arbre, au rapport de Catesby, croît ordinairement dans un mauvais terrein : il est petit, & a l'écorce noire, le grain grossier, & le bois ne sert guere qu'à brûler. Quelques-uns de ces arbres ont des feuilles larges de dix pouces.

30. Le chêne d'eau d'Amérique. C'est un arbre de moyenne hauteur, dont la feuille sans dentelure se termine par une espece de triangle : il ne croît que dans les fonds pleins d'eau. La charpente qu'on en fait n'est pas durable ; ainsi on ne s'en sert guere que pour clorre les champs. Quand les hyvers sont doux, il conserve la plûpart de ses feuilles. Les glands qu'il porte sont petits & amers. Catesby.

31. Le chêne blanc de la Caroline. C'est un arbre de moyenne hauteur, qui a des veines verdâtres. Suivant Catesby, ses feuilles ont les entaillures profondes, & les pointes fort aiguës ; son écorce & son bois sont blancs, mais le grain n'est pas si serré que celui du précédent.

32. Le petit chêne à feuilles de saule. C'est un arbrisseau dont la feuille, quoique ressemblante à celle du saule, est néanmoins plus courte. Cet arbre, dit Catesby, est ordinairement petit ; son écorce est d'une couleur obscure, & ses feuilles d'un verd pâle, de la même figure que celle du saule : il croît dans un terrein sec & maigre ; il ne produit que peu de gland, encore est-il fort petit.

33. Le chêne rouge de Marylande. C'est un grand arbre dont les feuilles découpées comme celles du chêne esculus, sont plus grandes & garnies de pointes. Les feuilles de ce chêne, au rapport de Catesby, n'ont point de figure déterminée, mais elles sont beaucoup plus variées entr'elles que celles des autres chênes : il en est de même du gland. L'écorce de cet arbre est d'un brun obscur, très-épaisse & très-forte ; elle est préférable à toute autre pour tanner. Son bois a le grain grossier ; il est spongieux, & peu durable. Il croît dans un terroir élevé.

34. Le chêne d'eau d'Espagne. C'est un petit arbre dont la feuille ressemble à celle de l'olivier, & dont le gland est comprimé & joliment terminé par une houppe de filets.

35. Le chêne de Marylande. C'est un arbre de moyenne hauteur, dont la feuille qui ressemble à celle du chataigner est velue en-dessous.

36. Le chêne saule. On ne trouve jamais cet arbre que dans les fonds humides : les feuilles en sont longues, étroites, & unies aux extrémités comme celles du saule : le bois en est tendre, le grain gros, & il est moins bon pour l'usage que celui de la plûpart des autres especes de chêne.

37. Le chêne d'Afrique. Cet arbre ne differe de nos chênes communs que par son gland, qui est du double plus long.

Toutes ces especes de chênes sont assez robustes pour résister au froid de la partie septentrionale de ce royaume, & on peut les élever comme nos chênes ordinaires. (c)

CHENE, (Mat. méd.) Les feuilles & l'écorce du chêne sont astringentes, résolutives, propres pour la goutte sciatique, pour les rhûmatismes, étant employées en fomentation.

L'écorce entre dans les gargarismes qu'on employe contre le relâchement de la luette, & contre les ulceres de la bouche & de la gorge.

Elle entre dans les clysteres astringens, & dans les injections pour les chûtes de la matrice ou du fondement.

Le gland de chêne est employé en Médecine : on doit le choisir gros, bien nourri ; on en sépare l'écorce, & on le fait sécher doucement, prenant garde que les vers ne s'y mettent, car il y est sujet : on le réduit en poudre pour s'en servir. Il est astringent, propre pour appaiser la colique & les tranchées des femmes nouvellement accouchées, pour tous les cours de ventre ; la dose en est depuis un scrupule jusqu'à un gros.

La cupule ou calotte du gland de chêne est astringente ; on s'en sert dans les remedes extérieurs pour fortifier : on pourroit aussi en prendre intérieurement comme du gland.

Les galles de chêne ou fausses galles, les pommes de chêne, & les raisins de chêne, sont des excroissances que produit la piquûre de certains insectes qui y déposent leurs oeufs, & qui y produisent des vers : ces excroissances sont astringentes.

Au demeurant, il en est de ces propriétés du chêne, de sa feuille, & de ses autres parties, comme de celles des autres productions que la matiere médicale compte parmi ses ressources ; elles demanderoient presque toutes plus d'observations que nous n'en avons.

La vraie noix de galle est différente de ces communes. Voyez GALLE, ou NOIX DE GALLE. (N)

CHENE VERD, ilex, genre d'arbre qui porte des chatons composés de plusieurs étamines qui sortent d'un calice fait en forme d'entonnoir, & attachés à un petit filet. Les glands naissent sur le même arbre séparément des fleurs ; ils sont enchâssés dans une espece de coupe, & ils renferment un noyau que l'on peut séparer en deux parties. Ajoûtez au caractere de ce genre que les feuilles sont dentelées, mais cependant bien moins profondément découpées que celles du chêne. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE & YEUSE. (I)

CHENE ROYAL ou CHENE DE CHARLES, (Astr.) constellation de l'hémisphere méridional, qu'on ne voit point sur notre horison : elle est une de celles que M. Halley a été observer en 1667 à l'île de Sainte-Hélene, & il l'a nommée ainsi en mémoire du chêne où Charles II. roi d'Angleterre, se tint caché lorsqu'il fut poursuivi par Cromwel après la déroute de Worcester. Voyez CONSTELLATION, ETOILE. (O)


CHENELLEou TENELLES, s. f. (Jurisprud.) qu'on appelle aussi droit de gambage, est un droit singulier usité dans quelques coûtumes locales d'Artois, qui est dû au seigneur, d'une certaine quantité de biere pour chaque brassin. Par exemple, en celle du Mont-saint-Eloi, artic. ij. il est fixé à deux lots pour chaque bassin. Voyez l'auteur des notes sur Artois, art. iij. (A)


CHENERAILLES(Géog.) petite ville de France dans le Bourbonnois.


CHENETS. m. (Serrurier, Argenteur, Doreur, Fondeur) ustensile domestique auquel tous ces ouvriers travaillent quelquefois. On le place dans les âtres des cheminées par paire. Les deux chenets soûtiennent & élevent le bois qui en brûle plus facilement. Si on imagine, 1° une barre de fer quarrée, horisontale, dont un des bouts que j'appelle a soit coudé d'environ quatre à cinq pouces en un sens, un dont l'autre bout que j'appelle b soit coudé dans un sens opposé ; ensorte que la barre & les parties coudées soient dans un même plan, & que les parties coudées soient paralleles entr'elles & perpendiculaires à la barre : si l'on imagine, 2° qu'une des parties coudées a soit plus forte d'étoffe & plus longue que la partie b ; qu'à l'endroit du coude elle soit refendue en deux parties ; qu'on étire ces deux parties ; qu'on les ceintre vers le coude ; qu'on les écarte, l'une d'un côté de la partie a, l'autre de l'autre côté ; que la partie a soit perpendiculaire sur le milieu de ce cintre ; que la partie a & ses portions refendues & ceintrées soient dans un même plan ; que ces parties ceintrées forment deux piés à-peu-près de la même hauteur & grosseur que la partie b, & que le tout puisse se soûtenir sur ces deux piés & sur la partie b, ensorte que la barre soit à-peu-près horisontale, ou soit seulement un peu inclinée vers la partie b, on aura un chenet de cuisine, un chenet de la construction la plus simple. Ceux des appartemens communément sont à double barre, contournés, & tiennent quelquefois par une barre ou deux qui les assemblent vers les parties coudées b, & les conservent à une distance parallele & proportionnée à la grandeur de l'âtre ; alors la partie a a peu de hauteur ; elle sert seulement de support à des ornemens ; soit en acier poli, soit en cuivre fondu & ciselé ; ce sont ou des bas-reliefs ; ou des figures grouppées, ou des boules, ou des pots-à-feu. Nos ayeux n'avoient que des chenets ; le luxe nous a donné des feux ; car c'est ainsi qu'on appelle l'assemblage des deux chenets ; & ces feux sont des meubles argentés, dorés, quelquefois émaillés, & très-précieux, soit par la matiere, soit par le travail.


CHENEVIS. m. (Agric.) graine qui produit le chanvre. On seme ordinairement cette graine dans le courant du mois d'Avril : ceux qui sement les premiers & ceux qui sement les derniers, courent des risques différens. Les premiers ont à craindre les gelées du printems, qui font tort aux chanvres nouvellement levés ; les derniers ont à craindre les sécheresses, qui empêchent le chenevi de lever.

On doit avoir attention de ne semer le chenevi ni trop clair ni trop dru ; dans le premier cas, le chanvre deviendroit trop gros, l'écorce en seroit trop ligneuse, & la filasse trop dure : dans le second cas, il y auroit beaucoup de petits piés qui seroient étouffés par les autres.

Lorsque le chenevi est semé, on a grand soin de le faire garder jusqu'à ce que le chanvre soit tout-à-fait levé : on met aussi dans la cheneviere des épouvantails, pour en écarter les oiseaux qui sont très-friands de cette graine, la vont chercher jusque dans la terre, & détruisent par ce moyen l'espérance de la récolte.


CHENEVIERES. f. (Agricult.) piece de terre dans laquelle on a semé du chenevi. On choisit toûjours pour cette effet une terre douce, aisée à labourer, un peu legere, mais bien fertile, bien fumée & amendée. Dans les terreins secs, le chanvre est trop bas, & la filasse qui en provient est trop ligneuse.

Pour bien faire, il faut fumer tous les ans les chenevieres : cette opération se fait avec tous les engrais qui peuvent contribuer à rendre la terre legere, comme le fumier de cheval, de pigeon, les curures des poulaillers &c.

On fume ordinairement avant le labour d'hyver. Il n'y a que le fumier de pigeon qu'on ne répand que dans les terres des derniers labours.

Le premier & le plus considérable des labours se donne dans les mois de Décembre & de Janvier : on le nomme entre-hyver. Il se fait à la charrue ou à la houe, & quelquefois à la bêche ; ce dernier moyen est plus long & plus pénible, mais c'est sans contredit le meilleur de tous.

Au printems, on prépare la terre à recevoir la semence par deux ou trois labours, qui se font de quinze en quinze jours. Si après tous ces labours il reste quelques mottes, on les rompt avec des maillets : car une cheneviere doit être aussi unie que les planches d'un parterre.


CHENEVOTTES. f. (Oecon. rust.) c'est la partie du chanvre que l'on rompt par le moyen de la broie, & que l'on sépare de la filasse en tirant le chanvre entre les deux mâchoires de la broie.


CHENICES. f. (Hist. anc.) mesure attique, , adoptée par les Romains : elle contenoit ordinairement quatre septiers ou huit cotyles, selon Fannius.

At cotylas... recipit geminas sextarius unus,

Qui quater assumptus graïo fit nomine .

La chenice contenoit soixante onces ou cinq livres romaines : à Athenes cependant on distinguoit quatre mesures différentes, auxquelles on donnoit le nom de chenice. La plus petite communément appellée chenice attique, contenoit trois cotyles attiques ; la seconde en avoit quatre ; on en comptoit six à la troisieme, & huit à la quatrieme, qui est celle dont Fannius a parlé comme d'une mesure naturalisée à Rome. Mém. de l'acad. tom. VIII. Voyez COTYLE. (G)


CHENILS. m. terme d'Architecture, s'entend aussi bien des bâtimens où sont logés des officiers de la vénerie, que du lieu destiné à contenir les chiens de chasse, lequel doit être composé de plusieurs pieces à rez-de-chaussée, pour les séparer selon leur espece : à côté de ces différentes pieces doivent être pratiquées des cours pour leur faire prendre l'air, & des fontaines pour les abreuver ; ordinairement aussi l'on pratique attenant de ces cours des fournils, lieux où l'on cuit le pain, & où on éleve leurs petits. Comme il est beaucoup plus facile de rechauffer les chiens quand il fait froid, que de les rafraîchir lorsqu'il fait chaud, on aura soin de retourner les fenêtres & les portes du chenil vers l'orient & le nord. On prétend que l'exposition du midi est dangereuse. (P)


CHENILLES. f. eruca ; (Hist. nat.) insecte qui après avoir passé un certain tems dans l'état de chenille, se change en chrysalide & devient ensuite un papillon. Le genre des chenilles comprend un grand nombre d'especes différentes. Les chenilles ont le corps allongé & composé de douze anneaux membraneux ; leur tête est écailleuse, & elles ont au moins huit jambes, dont les six premieres sont ordinairement écailleuses ; les autres sont membraneuses, s'allongent & se raccourcissent au gré de l'insecte : sa tête est attachée au premier anneau ; le dernier est tronqué en forme d'onglet ; l'anus se trouve dans cette partie, & il est ordinairement recouvert d'un petit chaperon charnu. Le nombre des jambes écailleuses est constant, & elles tiennent aux trois premiers anneaux ; c'est pourquoi on les nomme aussi jambes intérieures ou premieres jambes. Toutes les chenilles n'ont pas un égal nombre de jambes membraneuses ; il y en a qui n'en ont que deux ; d'autres en ont quatre, six, huit, & même jusqu'à seize : lorsqu'il n'y en a que deux, elles sont attachées au dernier anneau ; c'est pourquoi on les appelle aussi jambes postérieures. D'autres chenilles ont des jambes membraneuses, placées entre les écailleuses & les postérieures ; on leur donne le nom de jambes intermédiaires : c'est sur-tout par leur nombre & par leur arrangement, que l'on a distribué les chenilles en différentes classes.

La premiere comprend celles qui ont huit jambes intermédiaires, quatre de chaque côté, c'est-à-dire seize jambes en tout. Les huit jambes intermédiaires sont attachées à quatre anneaux consécutifs, de sorte qu'il n'y a que quatre anneaux qui n'ont point de jambes ; savoir, deux entre la derniere paire de jambes écailleuses & la premiere paire d'intermédiaires, & deux entre la derniere paire de jambes intermédiaires & la paire de jambes postérieures. Les plus grandes especes de chenilles & les plus communes appartiennent à cette premiere classe.

Les chenilles que l'on a mises dans la seconde & la troisieme classe, n'ont que trois jambes intermédiaires de chaque côté, c'est-à-dire quatorze jambes en tout. La différence de ces deux classes est dans l'arrangement des jambes. Dans la seconde classe, il y a entre les jambes écailleuses & les intermédiaires, trois anneaux qui n'ont point de jambes, & deux entre les jambes intermédiaires & les postérieures ; dans la troisieme classe au contraire, il n'y a entre les jambes écailleuses & les intermédiaires, que deux anneaux qui n'ayent point de jambes, & trois entre les jambes intermédiaires & les postérieures.

La quatrieme classe renferme aussi des chenilles à quatorze jambes, qui ont six jambes écailleuses & huit intermédiaires & membraneuses, placées comme dans les chenilles de la premiere classe ; mais les jambes postérieures manquent : & dans la plûpart des especes de cette classe, le derriere est terminé par deux longues cornes qui ont de la solidité, qui sont mobiles, & qui renferment une corne charnue que la chenille peut faire sortir de son étui.

Les chenilles de la cinquieme classe n'ont que quatre jambes intermédiaires, c'est-à-dire douze jambes en tout : il y a entre les jambes écailleuses & les intermédiaires, quatre anneaux qui n'ont point de jambes, & deux entre les jambes intermédiaires & les postérieures.

Dans la sixieme classe, les chenilles n'ont que deux jambes intermédiaires : il y a entre les jambes écailleuses & les intermédiaires, cinq anneaux sans jambes, & deux entre les jambes intermédiaires & les postérieures.

On a comparé à des arpenteurs les chenilles de ces deux classes, à cause de leur démarche, parce qu'elles semblent mesurer le chemin qu'elles parcourent. Lorsqu'elles marchent, elles commencent par courber en haut la partie de leur corps où il n'y a point de jambes, & par ce moyen elles avancent les jambes intermédiaires auprès des écailleuses ; ensuite elles élevent la partie antérieure du corps, & la portent en-avant à une distance égale à l'espace qu'occupent les anneaux qui n'ont point de jambes, lorsqu'ils se trouvent placés en ligne droite, après que la chenille a fait la démarche que l'on pourroit appeller le premier pas, & ainsi de suite. Il y a beaucoup de ces chenilles, sur-tout de celles de la sixieme classe, qui semblent être roides comme des brins de bois, & qui en ont aussi la couleur, desorte qu'à les voir on les prendroit pour du bois sec ; elles se tiennent pendant des heures entieres dans des attitudes fort bisarres, en soûtenant leur corps dans une position verticale ou inclinée, quelquefois en ligne droite : d'autres fois elle restent courbées en différens sens : elles sont fort petites pour la plûpart.

Enfin toutes les jambes intermédiaires manquent aux chenilles de la septieme classe ; elles n'en ont que huit en tout, six écailleuses & deux postérieures.

Chacune de ces classes comprend des chenilles de différens genres, & chaque genre a ses especes qui différent par des caracteres que l'insecte présente à l'extérieur, ou qui ont rapport à sa façon de vivre.

On peut distinguer dans les chenilles de chaque classe trois différens degrés de grandeur : celles qui ont douze à treize lignes de longueur, lorsqu'elles ne s'étendent que médiocrement, & un peu moins de trois lignes de diametre, sont de grandeur moyenne ; celles qui sont sensiblement plus grandes, doivent passer pour des chenilles de la premiere grandeur ; enfin celles qui sont sensiblement plus petites, doivent être regardées comme des chenilles du dernier degré de grandeur, ou de petites chenilles.

Les chenilles rases sont aisées à distinguer de celles qui sont couvertes de poils, ou de corps analogues aux poils. Il y en a dont la peau est mince & si transparente, qu'on voit à-travers dans l'intérieur du corps ; d'autres ont une peau plus épaisse, & opaque ; quelques-unes de celles-ci ont la peau lisse, luisante, comme si elle étoit vernie ; d'autres l'ont matte. Il y a des chenilles qui passent pour être rases, quoiqu'elles ayent des poils en petit nombre ou peu sensibles ; elles sont imparfaitement rases ; on peut les distinguer de celles qui sont parfaitement rases. Il y en a qui ont la peau parsemée d'une infinité de petits grains comme du chagrin, c'est pourquoi on peut les appeller chenilles chagrinées. Plusieurs de ces chenilles ont sur le onzieme anneau une corne qui est ordinairement dirigée vers le derriere, & un peu courbée en arc. Il y a aussi des chenilles rases qui ont cette corne sans être chagrinées. Ordinairement toutes ces chenilles à corne ont le corps ferme. Ces cornes semblent être de vraie matiere de corne, & même de matiere osseuse. On regarde comme des chenilles rases, celles qui ont des tubercules arrondis ordinairement en portion de sphere, & distribués régulierement sur chaque anneau les uns au-dessous des autres, ou disposés en différens rangs sur des lignes paralleles à la longueur du corps. Quoiqu'il y ait des poils sur ces tubercules, comme ils sont en petit nombre, gros & assez courts, les chenilles qui les portent ne doivent pas pour cela être séparées des chenilles imparfaitement rases. Ce genre comprend plusieurs des plus grosses especes de chenilles, & de celles dont viennent les plus beaux papillons ; par exemple celui que l'on appelle le grand paon.

Il y a des chenilles rases & des chenilles de quelques autres classes, qui ont sur la partie supérieure de leurs anneaux des contours moins simples que ceux des autres chenilles, & des inflexions différentes de la circulaire ou de l'ovale. Il y a d'autres chenilles dont le milieu du dessus de chaque anneau forme une espece de languette qui va recouvrir l'anneau qui le précede, & d'autres anneaux sont entaillés dans cet endroit.

Les chenilles qui ont sur la partie antérieure de la tête deux petites cornes ou antennes, sont faciles à reconnoître.

Celles qui sont hérissées de poils si gros & si durs qu'ils ressemblent en quelque façon à des épines, sont bien différentes des chenilles rases, puisqu'on pourroit leur donner le nom de chenilles épineuses. Il y a de ces épines qui sont simples & terminées en pointe, d'autres servent de tiges à des poils longs & fins qui en sortent, d'autres sont branchues ou fourchues ; enfin elles different les unes des autres par la figure, la couleur, la grandeur, l'arrangement, & le nombre. On en voit de brunes, de noires, de jaunâtres, de violettes, &c. Ces épines sont arrangées avec ordre selon la longueur du corps, & selon son contour. Il y a des chenilles qui en ont quatre sur chaque anneau ; d'autres cinq, six, sept ou huit : c'est sur les anneaux qui sont après ceux des jambes écailleuses, & sur les premiers anneaux des jambes intermédiaires, qu'il faut compter les épines, de même que les tubercules & les houpes dont on parlera dans la suite. Les épines n'empêchent pas de voir la couleur de la peau.

Les chenilles velues sont les plus communes : il y en a de plusieurs genres, les unes ont quelques parties du corps velues, tandis que le reste est presque entierement ras : on les a appellées demi-velues ; celles qui sont entierement velues, c'est-à-dire qui ont au moins quelques touffes de poils sur chacun de leurs anneaux, different les unes des autres par la longueur du poil : il y en a de velues à poils courts, & de velues à poils ras ; quelques-unes de celles-ci ont le corps court & applati, desorte qu'elles ressemblent à des cloportes : aussi les a-t-on nommées chenilles cloportes. On a appellé chenilles veloutées, celles qui ont les poils doux & serrés comme ceux d'un velours ; & on nomme veloutées à poils longs, celles dont la peau est entierement cachée par les poils, quoiqu'ils soient d'une longueur inégale. Le poil de quantité de chenilles est disposé par bouquets, par houpes, par aigrettes. Les touffes de poils partent de tubercules arrondis & hémisphériques, qui servent de base aux poils, & qui sont alignés suivant la longueur du corps, & suivant la courbure de la partie supérieure de chaque anneau. Il y a des chenilles qui ont douze de ces tubercules ou de ces touffes de poils sur chacun de leurs anneaux ; d'autres n'en ont que dix, huit, sept, six, ou même que quatre. Il est difficile de compter le nombre des touffes de poils ; mais il est aisé de reconnoître ces chenilles par la maniere dont les poils sont implantés sur ces tubercules : dans les unes, ces poils sont perpendiculaires au tubercule ; dans d'autres ils sont inclinés. Il y en a qui forment des especes d'aigrettes, quelquefois ils sont tous dirigés vers la queue, d'autres fois ceux des anneaux postérieurs sont inclinés vers la tête, tandis que les autres le sont du côté opposé. On voit aussi sur certaines chenilles, que la moitié & plus des poils de chaque tubercule tendent en bas, & que les autres s'élevent : ceux-ci sont si petits dans d'autres especes, qu'ils n'ont pas la septieme ou huitieme partie des autres qui sont très-longs. Il y a des chenilles dont les poils sont presque tous dirigés en bas, desorte qu'elles sont très-velues autour des jambes, & qu'elles ne le sont point sur le dos. Enfin, on trouve des chenilles dont les touffes de poils ne sortent pas de tubercules sensibles, & ne s'épanoüissent pas en s'élevant, mais au contraire se resserrent dans le haut, comme les poils des pinceaux.

Les tubercules dont il a été question jusqu'ici, sont arrondis ; mais il y en a qui sont charnus & faits en pyramide conique, élevée & garnie de poils sur toute sa surface. Certaines chenilles ont sur le dos une pyramide charnue & couverte de poils.

Il y a des chenilles velues qui ont sur le dos des houpes de poils qui ressemblent parfaitement à des brosses, & qui sont au nombre de trois, quatre, ou cinq, placées sur différens anneaux. On voit de ces chenilles qui ont sur le premier anneau deux aigrettes, dirigées comme les antennes de plusieurs insectes : ces aigrettes sont composées de poils qui ont des barbes comme des plumes. Ces mêmes chenilles ont une troisieme aigrette sur l'onzieme anneau, qui est dirigée comme les cornes de quelques autres chenilles.

Il y a des chenilles velues qui ont des mamelons qui s'élevent & qui s'affaissent ; on en voit sur d'autres qui ont une forme fixe, qui sont plus ou moins élevés, ras ou velus, placés en différens endroits, &c. Une belle chenille rase qui vit sur le fenouil, a une corne charnue en forme d'y, qui est placée à la jonction du premier anneau avec le cou : cette corne rentre en-dedans & sort au-dehors comme celles du limaçon.

Le corps des chenilles les plus communes a un diametre à-peu-près égal dans toute son étendue ; mais il y en a qui ont la partie antérieure plus déliée que la postérieure : dans d'autres, au contraire, cette partie est la plus petite, & elle est fourchue à l'extrémité.

Les couleurs des chenilles ne peuvent guere servir que de caracteres spécifiques ; & il ne faut s'arrêter qu'à celles qui paroissent lorsque la chenille a pris à-peu-près son accroissement, car les couleurs varient dans les autres tems, sur-tout lorsque celui de la métamorphose approche. Les poils sont aussi sujets à des variétés, ils paroissent & disparoissent dans certains tems ; leurs couleurs varient aussi comme celles de la peau.

Les chenilles sont d'une seule ou de plusieurs couleurs très-vives, très-tranchées, distribuées par raies ou par bandes longitudinales ou transversales, par ondes ou par taches régulieres ou irrégulieres, &c.

Il y a des chenilles qui vivent seules sans aucun commerce avec les autres. Il y en a qui au contraire sont plusieurs ensemble jusqu'au tems de leur premiere transformation : d'autres enfin ne se quittent pas même lorsqu'elles se changent en chrysalides.

On pourroit distinguer certaines chenilles par les plantes sur lesquelles elles vivent, & par les tems auxquels elles mangent : les unes ne prennent de nourriture que pendant la nuit, d'autres mangent à toutes les heures du jour, d'autres le soir & le matin. Il y a des chenilles qui se cachent dans la terre pendant le jour, & qu'on ne trouve sur les plantes que pendant la nuit ; d'autres ne sortent jamais de la terre, & mangent des racines. On rencontre des chenilles qui se roulent en anneau dès qu'on les touche ; d'autres tombent à terre dès qu'on ébranle les feuilles sur lesquelles elles sont posées ; d'autres fuient avec plus ou moins de vîtesse, lorsqu'on veut les prendre : il s'en trouve qui se fixent sur la partie antérieure de leur corps ou sur la postérieure, & qui agitent l'autre ; enfin il y en a d'autres qui se contournent en différens sens, & avec beaucoup de promtitude & d'agilité.

Il y a dans les insectes une matiere écailleuse, analogue à la corne ou à l'écaille, qui leur tient lieu d'os. Cette matiere recouvre la tête des chenilles, & forme autour des jambes écailleuses une sorte d'étui qui renferme les muscles ; ces jambes sont terminées par un seul crochet dans la plûpart des chenilles. Il y a deux crochets dans quelques especes ; ç'a été sans-doute à cause de ces crochets que l'on a quelquefois donné le nom de crochet à la jambe entiere. Les jambes membraneuses s'allongent & se raccourcissent au point que dans certaines chenilles elles semblent rentrer entierement dans le corps ; ces jambes sont terminées par une sorte de pié qui prend différentes formes, & qui est terminé par une file de crochets de consistance de corne ou d'écaille, & de couleur brune ; ils sont recourbés en-dedans, & rangés en demi couronne sur le bout du pié. On en a compté plus de quarante & près de soixante dans certaines chenilles. D'autres chenilles ont le bout du pié entouré par une corne entiere de ces petits crochets. C'est au moyen de tous ces crochets que les chenilles se cramponnent sur différens corps ; & comme elles peuvent varier la forme de leur pié, elles peuvent aussi embrasser & saisir de petits corps de différentes figures, & faire plusieurs petites manoeuvres assez singulieres.

La premiere classe des chenilles, qui est très-nombreuse, peut être divisée en trois autres classes par les différences qui se trouvent dans les jambes intermédiaires. La premiere de ces classes comprendra toutes les chenilles à seize jambes, dont les huit jambes intermédiaires sont plissées, & n'ont qu'une demi-couronne de crochets. Ou rangera dans la seconde classe les chenilles dont les jambes sont encore assez mal façonnées, mais entourées d'une couronne complete ou presque complete de crochets ; & on mettra dans la troisieme classe, celles qui ont les jambes bien tendues & sans plis, quoique terminées par une couronne complete de crochets.

La tête des chenilles semble tenir au premier anneau ; cependant il y a un cou, mais il est trop court & trop replié pour être vû. La tête est principalement composée de deux grandes pieces écailleuses posées de côté & d'autre en forme de calotte. Il y a une troisieme piece sur le devant de la tête qui est beaucoup plus petite que les deux autres, & de figure triangulaire. Il reste entre les deux grandes pieces en-dessous & au-devant de la tête, une ouverture dans laquelle est la bouche de l'insecte. Cette bouche a deux levres ; une en-haut & l'autre em-bas ; & deux dents larges & épaisses, une de chaque côté. La levre de dessus est échancrée par le milieu ; celle du dessous est refendue en trois parties, jusqu'auprès de sa base. C'est au moyen de ces deux dents, qui sont aux côtés de la bouche, que les chenilles coupent par petits morceaux les feuilles dont elles se nourrissent. Ces insectes ont dans l'intérieur de la bouche une convexité charnue & rougeâtre, qui s'éleve du bas de la bouche jusqu'à la hauteur du milieu des dents, & qui paroît tenir lieu de langue. Il y en a qui détachent seulement le parenchime des feuilles, sans prendre les fibres ; mais la plûpart prennent les feuilles dans toute leur épaisseur. On a observé qu'une chenille de l'espece connue sous le nom de ver-à-soie, mange en un jour autant pesant de feuilles de murier, qu'elle pese elle-même. Il y en a d'autres qui prennent chaque jour une quantité d'alimens pesant plus de deux fois autant que leur corps : ces chenilles croissent à proportion, & parviennent en peu de tems au dernier degré d'accroissement. Il y a une pyramide charnue qui occupe le milieu de la levre inférieure, & il se trouve près de la sommité de cette pyramide une filiere d'où sort la soie que filent les chenilles.

On voit sur la tête, près de l'origine des dents, deux petites cornes mobiles ; & sur le devant de la tête, & un peu sur le côté, six petits grains noirs posés sur un arc de cercle, convexes & transparens : on présume que ce sont les yeux de la chenille. Il y a sur tous les anneaux des chenilles, à l'exception du second, du troisieme & du dernier, deux taches ovales, une de chaque côté, placées plus près du ventre que du dos ; le grand diametre de l'ovale suit la courbure de l'anneau, & il est transversal par rapport à la longueur du corps de la chenille. La figure de cette ovale est imprimée en creux sur la peau ; c'est pourquoi on a donné à ces cavités le nom de stigmates : ce sont des ouvertures par lesquelles l'air entre dans les poumons de l'insecte. Voyez STIGMATES.

Les chenilles changent plusieurs fois de peau avant de se transformer en chrysalide : on a observé que le ver-à-soie se défait quatre fois de la sienne ; il se dépouille pour la premiere fois le 10, 11, ou 12 jours après qu'il est éclos. Cinq jours & demi ou six jours après qu'il s'est dépouillé de la premiere peau, il quitte la seconde ; si la troisieme dure plus que la seconde, ce n'est que d'un demi-jour, & la quatrieme tombe six jours & demi, ou sept jours & demi après qu'elle a paru. Les chenilles quittent non-seulement leur peau, mais aussi tout ce qui paroît à l'extérieur ; les poils, les fourreaux des jambes, les ongles des piés, les parties dures de la tête, les dents, &c. desorte qu'à voir la dépouille d'une chenille, on la prendroit pour une chenille entiere. Ce dépouillement doit être pénible pour l'insecte ; aussi cesse-t-il de manger un jour ou deux auparavant, il devient languissant, ses couleurs s'affoiblissent, sa peau se desseche ; il s'agite, il gonfle quelques-uns de ses anneaux, & c'est ordinairement par l'effort de cette dilatation que la peau commence à se fendre sur le second ou le troisieme anneau. La fente s'étend depuis le premier anneau jusqu'au-de-là du quatrieme ; alors la chenille se courbe en-haut pour tirer sa tête de l'étui dont elle doit sortir, & ensuite elle se porte en avant pour débarrasser la partie postérieure de son corps. La dépouille reste en place, parce qu'elle est accrochée à une toile de soie. On a remarqué que les chenilles qui n'ont pas toûjours des nids de soie, en font avant que de se dépouiller. Enfin la chenille, au sortir de sa dépouille, paroît avec une peau nouvelle & des couleurs toutes fraîches. La durée de ce travail n'égale pas celle d'une minute. Si on enleve la peau d'une chenille velue, lorsqu'elle est sur le point de la quitter elle-même, on trouve tous les poils de la nouvelle peau couchés sous la peau extérieure. Lorsque la chenille s'est dépouillée naturellement, on la trouve considérablement plus grosse qu'elle n'étoit avec la dépouille, sur-tout le crane, c'est-à-dire les pieces écailleuses de la tête. On a observé que la grandeur du vieux crane qu'un ver-à-soie a quitté, n'est quelquefois que le tiers ou le quart de celle du nouveau.

Lorsque les chenilles quittent leur derniere peau, elles en sortent métamorphosées en chrysalides ; on ne voit plus la figure d'une chenille. Celle de la plûpart des chrysalides approche du cone, on n'y voit ni jambes ni aîles, le seul mouvement qu'elles se donnent est dans les anneaux dont la partie postérieure est composée ; c'est la seule qui paroisse animée. Au reste, la chrysalide semble n'être qu'une masse brute, & elle ne prend aucune nourriture, voyez CHRYSALIDE. Cependant c'est de cette chrysalide que sortira le papillon : il est déjà formé dans la chrysalide, il l'est même dans la chenille ; car si on enleve la peau à une chenille un jour ou deux avant celui de la métamorphose, on met le papillon à découvert, & on distingue toutes ses parties, même ses oeufs. Pour cela, il faut avoir gardé la chenille pendant quelques jours dans du vinaigre ou de l'esprit de vin, afin de rendre ses parties assez fermes pour être dissequées. Il y a des chenilles qui filent des coques de soie dans lesquelles elles se transforment. Tout le monde connoît celles des vers-à-soie ; mais les coques des différentes especes de chenilles different beaucoup les unes des autres pour la figure, la structure, la façon d'être suspendues, attachées, travaillées, &c. Il y a des chenilles qui font leur coque avec de la terre & de la soie, ou de la terre seule ; elles se métamorphosent sous terre. Il y en a d'autres qui ne font point de coques, & qui ne se cachent pas dans la terre, elles se retirent seulement dans des trous de murs, dans des creux d'arbres, &c. On rencontre souvent de ces chrysalides dans différentes positions, &c. Quelques jours avant la métamorphose, on ne voit plus manger les chenilles elles rendent ce qu'elles ont dans les intestins, & même la membrane qui double l'estomac & le canal intestinal ; leurs couleurs s'affoiblissent ou s'effacent entierement. Lorsque les chenilles ont filé leur coque & qu'on les en retire, ou les trouve très-languissantes, & cet état de langueur dure près de deux jours pour les unes, & seulement vingt-quatre heures pour les autres. Ensuite elles se courbent en ramenant la tête sur le ventre ; elles s'étendent dans certains instans ; elles s'agitent, mais sans se servir de leurs jambes ; elles se raccourcissent & se recourbent de plus en plus, à mesure que le moment de la métamorphose approche. Les mouvemens de la queue, les contractions & les allongemens successifs deviennent plus fréquens ; les forces semblent renaître ; enfin l'insecte commence par dégager du fourreau de chenille les deux dernieres jambes & le derriere, & il les retire vers la tête, desorte que la partie du fourreau qui est vuide s'affaisse. C'est donc la chrysalide qui est dans le fourreau de chenille, qui se dégage en se portant en avant, tandis que le fourreau est porté en-arriere par la contraction des premiers anneaux & l'extension des derniers. La chrysalide se réduit peu-à-peu à n'occuper que la moitié antérieure du fourreau. Alors elle se gonfle, & le fait fendre vers le troisieme anneau ; la fente s'aggrandit bientôt au point que la chrysalide passe au-dehors : il y en a qui commencent à se dégager par la tête, & qui poussent la dépouille en-arriere, où on la trouve plissée en un petit paquet. La chrysalide met tout au plus une minute à se dégager de son fourreau. Il y a des chenilles qui se suspendent par les pattes de derriere, au moyen de leur soie, & dont la chrysalide se dégage dans cette situation, & se trouve ensuite suspendue la tête em-bas dans la place où étoit la chenille. Il y a d'autres chrysalides qui sont posées horisontalement ; d'autres sont inclinées. Dans quelques situations qu'elles soient, elles sont attachées par la queue ; mais lorsqu'elles sont couchées ou inclinées, elles ont de plus un lien de fil de soie qui passe par-dessous leur dos, car elles ont le ventre en-haut ; les deux bouts de cette sorte de courroie sont attachés au-dessus de la chrysalide, à quelque corps solide, de même que le lien par le moyen duquel la queue est suspendue.

La grandeur des coques n'est pas proportionnée à celle des chenilles qui les font ; les unes en font de grandes, & les autres de petites, relativement au volume de leur corps. Il y a des grandes différences entre les coques de différentes especes de chenilles. Il y en a qui remplissent seulement un certain espace de fils qui se croisent en différens sens, mais qui laissent beaucoup de vuide. La plûpart attirent des feuilles pour couvrir leur coque, ou pour suppléer à la soie qui semble y manquer. Celles qui employent une plus grande quantité de soie ne couvrent pas leur coque avec des feuilles ; mais il s'en trouve qui mêlent d'autres matieres avec la soie. Il y a des coques de pure soie, qui semblent n'être formées que d'une toile fine, mince, & très-serrée ; d'autres sont plus épaisses & plus soyeuses. La coque du ver-à-soie est de ce genre ; d'autres, quoiqu'assez fermes & épaisses, n'ont que l'apparence d'un réseau. On présume que certaines chenilles répandent par l'anus une liqueur gommeuse, qui rend leur coque plus ferme ; ou une matiere jaune qui pénetre la coque, & devient ensuite une poudre de couleur de citron. D'autres s'arrachent des poils, & les mêlent avec la soie pour faire les coques. Il y a des chenilles qui lient ensemble des feuilles pour leur tenir lieu de coque ; d'autres recouvrent des coques de soie avec de petits grains de sable ; d'autres se font une sorte de coque avec des brins de mousse. Il y en a qui employent de petits morceaux d'écorce pour faire des coques, auxquelles elles donnent la forme d'un bateau. On trouve aussi des coques de soie qui ont la même forme, &c.

Il y a peut-être plus de la moitié des chenilles qui font leurs coques dans la terre ; les unes s'y enfoncent sans faire des coques ; cependant la plûpart en font. Elles ressemblent toutes à une petite motte de terre, arrondie pour l'ordinaire, ou un peu allongée. Les parois de la cavité qui est au-dedans sont lisses, polies, & tapissées de soie. Ces coques sont faites avec des grains de terre bien arrangés les uns contre les autres & liés avec des fils de soie. D'autres chenilles font des coques qui ne sont qu'à moitié enfoncées dans la terre, & qui sont faites en partie avec de la terre, & en partie avec des feuilles ; d'autres font au-dehors de la terre des coques qui sont entierement de terre, & qui de plus sont polies à l'extérieur. Enfin les chenilles qui vivent en société font un grand nombre de coques réunies en un seul paquet ou en une sorte de gateau ; quelquefois ces coques ont une enveloppe commune, d'autres fois elles n'en ont point.

La plûpart des chenilles restent seules ; mais il y en a qui vivent plusieurs ensemble, tant qu'elles sont chenilles, & même leurs chrysalides sont rangées les unes auprès des autres ; d'autres chenilles se séparent dans un certain tems. Toutes celles que l'on voit ensemble dans le même nid viennent d'une seule ponte. Il y en a ordinairement deux ou trois cent, & quelquefois jusqu'à six ou sept cent. Celles que l'on appelle chenilles communes, parce qu'il n'y en a que trop de leur espece dans la campagne & dans nos jardins pour gâter les arbres, vivent ensemble jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à une certaine grandeur.

Cette chenille est médiocre de grandeur, elle a 16 jambes ; elle est chargée de poils roux assez longs ; la peau est brune : on voit de chaque côté du corps des taches blanches rangées sur la même ligne, & formées par des poils courts & de couleur blanche. Il y a sur le dos deux mamelons rouges ; l'un sur l'anneau auquel la derniere paire de jambes membraneuses est attachée, & l'autre sur l'anneau suivant. Il y a aussi sur la peau du milieu du dos plusieurs petites taches rougeâtres, &c. Les papillons qui viennent des chenilles de cette espece sont de couleur blanche & du nombre des papillons nocturnes.

Les femelles arrangent leurs oeufs dans une sorte de nid dont elles rembourrent l'intérieur, & recouvrent le dessus avec leur poil. On trouve ces nids dans les mois de Juin & de Juillet, sur des feuilles, des branches, & des troncs d'arbres. Ce sont des paquets oblongs, de couleur rousse ou brune, tirant sur le caffé, qui ressemblent assez à une grosse chenille velue. Les oeufs éclosent tous depuis la mi-Juillet jusque vers le commencement d'Août, environ quinze jours après qu'ils ont été pondus. Ils sont toûjours sur le dessus des feuilles : ainsi dès que les chenilles sortent du nid, elles trouvent la nourriture qui leur convient ; c'est le parenchime du dessus de la feuille. Elles se rangent sur cette feuille à mesure qu'elles sortent du nid, & forment plusieurs files, dans lesquelles elles sont placées les unes à côté des autres, en aussi grand nombre que la largeur de la feuille le permet, & il y a quelquefois autant de files qu'il en peut tenir dans la longueur ; tout est rempli, excepté la partie de la feuille que les chenilles du premier rang ont laissée devant elles, desorte que chacune des chenilles des autres rangs n'a à manger sur cette feuille que l'espace qui est occupé par la chenille qui est placée devant elle, & qui se découvre à mesure que cette chenille se porte en avant en mangeant elle-même. Dès que les premieres qui sont sorties du nid ont mangé, elles commencent à tendre des fils d'un bord à l'autre de la feuille qui a été rongée, & qui par cette cause est devenue concave. Ces fils sont bientôt multipliés au point de fournir une toile épaisse & blanche, sous laquelle elles se mettent à couvert. Quelques jours après elles travaillent à faire un nid plus spacieux ; lorsqu'elles ont rongé un bouquet de feuilles, elles commencent par revêtir de soie blanche une assez longue partie de la tige qui porte ces feuilles, & elles enveloppent d'une toile de la même soie une ou deux des feuilles qui se trouvent au bout de la tige ; ensuite elles renferment ces feuilles & la tige dans une toile plus grande qui les rapproche les unes des autres ; enfin avec d'autres toiles elles enveloppent d'autres feuilles & grossissent leur nid. Ces différentes toiles sont à quelque distance les unes des autres, & les espaces qui restent vuides sont occupés par les chenilles lorsqu'elles sont retirées dans leur nid. Il y a dans chaque toile de petites ouvertures par lesquelles elles pénetrent jusqu'au centre du nid. Il n'y a personne qui ne connoisse ces nids que l'on voit comme de gros paquets de soie blanche & de feuilles sur les arbres en automne, & sur-tout en hyver, lorsque les feuilles des arbres sont tombées. Ces chenilles mangent quelquefois des fruits verts aussi bien que des feuilles. Elles rentrent dans leur nid pour se mettre à l'abri des grosses pluies & de la trop grande ardeur du soleil ; elles y passent une partie de la nuit ; elles y restent lorsqu'elles changent de peau, enfin elles y passent l'hyver. C'est avant la fin de Septembre, ou au plus tard dès le commencement d'Octobre, qu'elles s'y retirent ; elles y restent immobiles tant que le froid dure ; mais le froid de nos plus grands hyvers ne peut pas les faire périr. Elles ne sortent du nid que vers la fin de Mars, ou dans les premiers jours d'Avril, lorsque la chaleur de la saison les ranime. Elles sont encore alors fort petites, elles prennent bien-tôt de l'accroissement, & elles sont obligées d'aggrandir leur nid. Après avoir changé plusieurs fois de peau, elles abandonnent leur nid ; c'est dans les premiers jours de Mai qu'on les trouve dispersées. Alors différens insectes s'emparent du nid, sur-tout les araignées. Les chenilles n'y reviennent plus ; elles filent de la soie dans différens endroits, & y changent de peau pour la derniere fois. Enfin au commencement de Juillet elles font des coques pour se transformer en chrysalides. Ces coques sont de soie brune, d'un tissu fort lâche ; elles sont placées sur des feuilles qui les enveloppent presqu'en entier.

Il y a des chenilles qui vivent dans l'eau, & qui s'y transforment en chrysalide ; mais le papillon sort de l'eau pour n'y plus rentrer. On a trouvé de ces chenilles aquatiques qui font leur coque sur la plante appellée potamogeton, avec des feuilles de cette plante & leur soie ; quoique cette coque soit faite dans l'eau, on n'en trouve cependant pas une goutte dans son intérieur.

Plusieurs especes de chenilles vivent dans les tiges, les branches, & les racines des plantes & des arbres ; il y en a dans les poires, les pommes, les prunes, & d'autres fruits. Lorsqu'ils sont gâtés par ces insectes, on les appelle fruits verreux, parce qu'en effet il y a au-dedans des vers ou des chenilles, &c. on n'en trouve pas dans les abricots, les pêches, les grains de raisin, &c. Les oeufs des insectes sont déposés sur le fruit souvent lorsqu'il n'est encore qu'un embryon ; ainsi dès que la chenille est éclose, elle perce le fruit, & elle pénetre au-dedans : quelquefois l'ouverture extérieure se referme entierement pendant que le fruit grossit. Il y a une espece de chenille qui se met dans un grain d'orge ou de blé, dès qu'elle est éclose, & qui n'en sort qu'après qu'elle a été transformée en papillon. Il est difficile de distinguer toutes ces especes de chenilles ; mais rien ne prouve mieux que ce sont des chenilles, que le papillon qui en sort.

Il n'y a guere de gens qui n'ayent de l'aversion pour les chenilles : on les regarde comme des insectes hideux & dégoûtans ; cependant si on se permettoit d'examiner les chenilles de près, on en rencontreroit beaucoup sur lesquelles on ne pourroit pas s'empêcher de trouver quelque chose qui mériteroit d'être vû, pour les couleurs, l'arrangement, &c. D'ailleurs ce n'est que par prévention qu'on les croit plus malpropres qu'un autre insecte. Il n'y a qu'un seul risque à courir en les touchant, c'est de rencontrer certaines chenilles velues dont les poils sont si fins, si roides, si fragiles, & si legers, qu'ils se cassent aisément en petits fragmens qui se répandent tout-autour de la chenille. Ces poils s'attachent sur les mains, sur le visage, sur les paupieres, &c. & causent sur la peau une demangeaison assez cuisante, qui dure quelquefois pendant quatre ou cinq jours, sur-tout lorsqu'on irrite cette demangeaison en frottant les endroits où est la douleur. Souvent il se forme sur la peau des élevûres qui semblent changer de place, parce qu'on répand en différens endroits de nouveaux poils, en y portant la main qui en est chargée. On a éprouvé qu'en se frottant avec du persil, on fait cesser la demangeaison en deux ou trois heures. Voilà ce qu'il y a à craindre de quelques chenilles velues, sur-tout lorsqu'elles sont prêtes à changer de peau ; celle que l'on appelle la commune est du nombre ; & je crois qu'il est à propos de se défier de toutes celles qui ont du poil. Les nids dans lesquels elles font entrer de leur poil avec leur soie sont encore plus à craindre, principalement lorsqu'ils sont desséchés, & lorsqu'on les brise ; mais on ne croit pas que les chenilles qui sont entierement rases, puissent faire aucun mal à ceux qui les touchent, pas même à ceux qui les avaleroient. Il est certain qu'il arrive assez souvent qu'on en avale sans le savoir, & sans en ressentir aucun mauvais effet.

Fausses chenilles. On a donné ce nom à tous les insectes qui ressemblent aux chenilles, mais qui ont les jambes plus nombreuses, ou situées ou conformées différemment. Il vient des mouches au lieu de papillons de toutes les fausses chenilles : il n'y a point de crochets dans leurs jambes membraneuses, ce qui peut les faire distinguer des vraies chenilles, indépendamment du nombre des jambes. Ces fausses chenilles n'ont pas deux pieces écailleuses sur la tête ; il n'y a qu'une espece de couronne sphérique d'une seule piece, qui embrasse une grande partie du dessus & du dessous de la tête. On n'y voit pas ces petits points noirs que l'on croit être des yeux ; mais il paroît qu'elles ont deux autres yeux, dont chacun est beaucoup plus grand que tous ces points ensemble. Mém. pour servir à l'hist. des insectes, tom. I. & II. Voyez INSECTE. (I)

CHENILLE, scorpioides, (Hist. nat. botan.) genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice qui devient dans la suite une silique composée de plusieurs pieces attachées bout-à-bout, & roulée à-peu-près comme certaines coquilles ou comme une chenille. Il y a dans chaque piece une semence ordinairement ovale. Tournefort, Institut. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

* CHENILLE, (Ruban.) petit ouvrage en soie dont on se sert pour broder & exécuter des ornemens sur des vestes, des robes, des chasubles, &c. On prendroit la chenille, quand elle est petite & bien serrée, & que par conséquent son poil est court, pour un petit cordon de la nature du velours, & travaillé au métier comme cette étoffe, à laquelle elle ressemble parfaitement : cependant cela n'est pas, & rien n'est plus facile que de faire de la chenille : on a une espece de ruban, on en coupe une lisiere très-étroite & très-longue avec de grands ciseaux : cette bande est effilée des deux côtés, ensorte qu'il ne reste que dans le milieu quelques fils de chaîne qui contiennent les fils de trame qui font barbe ou poil à droite & à gauche de ces fils de chaîne, au moyen de l'effilé : on prend des fils de soie qu'on met en double, en triple, ou en quadruple, &c. on accroche ces fils à un roüet, tel que celui dont les Luthiers se servent pour couvrir le fil de laiton ou d'argent des grosses cordes d'instrumens : on tord un peu ces fils ensemble ; quand ils sont tordus & commis, ou avant que de l'être, on a une gomme un peu forte, on les en enduit legerement, puis on applique la petite bande de ruban effilée à droite & à gauche au crochet du roüet qui tient l'extrémité des fils de soie commis : on continue de tourner la manivelle du roüet dans le sens dont on a commis des fils de soie ; il est évident que la petite bande de ruban effilée s'enroule sur les fils commis, qu'elle en couvre successivement toute la longueur, que les poils se redressent, & qu'ils forment sur ces fils comme un velours, sur-tout si le ruban est fort, si par conséquent les barbes de la bande sont serrées ; & si après avoir attaché le bout de la bande de ruban au crochet du roüet qui tenoit les fils de soie, on a fait beaucoup de tours avec la manivelle, & qu'on n'ait guere laissé courir la bande le long des fils. Il est évident, 1°. que la grosseur de la chenille dépendra de la largeur de la bande de ruban, de la longueur de l'effilé, de la force du ruban, & du nombre de fils de soie qu'on aura commis, & qu'on a couvert au roüet avec la bande effilée : 2°. que sa beauté & sa bonté dépendront de la force & de la beauté du ruban, & du rapport du mouvement circulaire de la manivelle au mouvement en droite ligne de la bande de ruban le long des fils commis, ou du cordon qu'elle doit couvrir ; car plus la manivelle ira vîte, & moins la bande courra le long du cordon dans le même tems. Plus la chenille sera serrée, plus elle sera fournie de poil & belle. Le ruban effilé ne tient sur le cordon que par le moyen de la gomme : ainsi la chenille n'est qu'une application, & non pas un tissu, comme on le croiroit au premier coup d'oeil ; & le méchanisme selon lequel elle se travaille, est précisément le même que celui dont on couvre les grosses cordes d'instrumens avec le fil d'argent ou de laiton, comme nous l'avons dit : la corde & le fil de laiton sont attachés à un crochet, le crochet fait tourner la corde sur elle-même ; l'ouvrier tient la corde de la main gauche ; il tient le fil d'argent ou de laiton de la droite, un peu élevé au-dessus de la corde, & ce fil s'enroule sur la corde : il est clair que plus l'angle de la corde & du fil sera petit, plus l'enroulement du fil sur la corde sera lâche ; & que plus cet angle sera grand, plus cet enroulement sera serré. C'est la même chose à la chenille, pour laquelle, au lieu d'un fil uni comme le laiton, il ne s'agit que d'imaginer un fil barbu comme la petite bande de ruban effilée. Ce petit ouvrage s'appelle chenille, parce qu'en effet il est velu comme l'insecte de ce nom.


CHENISQUES. m. (Hist. anc.) espece d'ornement que les anciens pratiquoient à la poupe de leurs vaisseaux ; il consistoit en une tête d'oie avec son cou. Le chenisque s'appelloit aussi la petite oie. Ce mot est dérivé de , en françois oie. L'étymologique place le chenisque à la proue ; c'est de-là, dit-il, qu'on pend les ancres, c'est le commencement de la carene ; il donne au bâtiment la figure d'une oie, oiseau aquatique. Voyez l'antiq. expliq. & le lex. de heder.


CHENOTIERESS. f. (Jurispr.) sont des plants de jeunes chênes en pepiniere, & destinés à être transplantés : il en est parlé dans l'art. 516. de la coûtume de Normandie. (A)


CHENZIN(Géog.) ville de la petite Pologne, dans le palatinat de Sendomir.


CHEou CHEPAGE, s. m. (Jurispr.) terme corrompu de ceps, qui signifie prison, geole, en latin cippus : Rei interdùum catenis & cippo tenentur vincti ; Grégoire de Tours, liv. V. ch. xljx. La coûtume de Valenciennes, art. 142. dit que le délinquant sera mis au chep. Chepage se prend plus ordinairement pour l'emploi du geolier. (A)


CHEPELIO(Géog.) île de l'Amérique méridionale, près de l'isthme de Panama, à une lieue de la terre ferme.


CHEPIERS. m. (Jurispr.) c'est le geolier ; il est ainsi nommé dans la coûtume de Hainaut, ch. xxiij. xxxv. & lxx. & en la somme rurale, traitant des gardes des prisons, & dans les ordonnances de la chambre d'Artois. Gloss. de Lauriere. (A)


CHEPO(Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, dans l'isthme de Panama, sur une riviere de même nom qui se jette dans la mer du Sud.


CHEPSTOW(Géog. mod.) ville d'Angleterre dans la province de Monmouth, sur la Wye.


CHEPTEou CHEPTEIL, s. m. (Jurispr.) bail à cheptel, est un bail de bestiaux dont le profit doit se partager entre le preneur & le bailleur. Ce contrat reçoit différens noms, selon les différentes provinces où il est usité : en Nivernois on dit chaptel ; en Bourbonnois cheptel, & en quelques endroits chepteil ; dans la coûtume de Solle on dit capitau, & ailleurs chaptail : toutes ces différentes dénominations viennent d'une même étymologie, qui s'est corrompue selon l'idiome de chaque pays. Ducange & quelques autres croyent que cheptel vient de capitale, à cause que le cheptel est composé de plusieurs chefs de bêtes qui forment une espece de capital : d'autres pensent, avec plus de vraisemblance, que cheptel vient de chatal, vieux mot celtique ou bas-breton, qui signifie un troupeau de bêtes ; ensorte que l'on devroit dire chatal, chaptail, ou chatail ; cependant on dit plus communément cheptel, ce qui a sans-doute été ainsi introduit par adoucissement.

L'origine de ce contrat se trouve dans la loi viij. si pascenda, au code de pactis, surquoi il faut voir ce qu'ont dit Mornac & Cujas.

Ce contrat est fort usité dans plusieurs coûtumes, & particulierement dans celles de Bourbonnois, Nivernois, Berri, la Boust, Solle, & Bretagne : il participe du loüage & de la société ; du loüage, en ce que le maître donne ses bestiaux pour un tems, moyennant une rétribution ; & de la société, en ce que les profits se partagent en nature.

Ces sortes de baux doivent être passés devant notaires, & non sous signature privée, afin d'éviter les fraudes & les antidates, & que l'on sache d'une maniere certaine à qui appartiennent les bestiaux. Arrêt du cons. du 11 Mars 1609.

On distingue deux sortes de cheptels ; le simple, & celui de métairie.

Le cheptel simple a lieu quand le propriétaire des bestiaux les donne à un particulier qui n'est point son fermier ou métayer, pour faire valoir les héritages qui appartiennent à ce particulier, ou qu'il tient d'ailleurs à loyer, ferme, ou métairie.

Le cheptel de métairie est lorsque le maître d'un domaine donne à son métayer des bestiaux, à la charge de prendre soin de leur nourriture, pour les garder pendant le bail, & s'en servir pour la culture & amélioration des héritages, à condition de partager le profit & le croît du bétail.

On appelle bail à moitié, en fait de cheptel, quand le bailleur & le preneur fournissent chacun moitié des bestiaux qui sont gardés par le preneur, à condition de partager par moitié les chefs, croît & décroît d'iceux ; & en cas d'exigne, c'est-à-dire de compte, il n'est pas besoin d'estimation, tout se partageant également entre le bailleur & le preneur. Voyez la Thaumassiere sur Berri, tit. lxxvij. art. 2.

Le cheptel affranchi, dont parle la coûtume de Nivernois : tit. xxj. art. 6 & 14. est lorsque le bailleur a retenu pour lui seul les profits & le croît de la totalité des bestiaux, jusqu'à l'entier payement de son capital, après lequel la moitié du cheptel demeure toûjours en propriété au bailleur, ce qui retombe alors dans le cas du bail à moitié. Voyez Despommiers sur Bourbonnois, tit xxxv.

Le bailleur peut donner à son fermier les bestiaux par estimation, à la charge que le preneur en percevra tout le profit pendant son bail, & rendra à la fin des bestiaux de la même valeur ; auquel cas le preneur en peut disposer comme bon lui semble, en rendant d'autres bestiaux de même valeur ; c'est ce qu'on appelle en Berri & ailleurs bêtes de fer, parce qu'elles ne meurent point pour le compte du bailleur, & que la perte tombe sur le preneur seul : il a aussi seul tout le profit, en considération de quoi le prix du bail est ordinairement plus fort.

Dans le simple cheptel, & dans le cheptel de métairie, le preneur ne peut vendre les bestiaux sans le consentement du bailleur, comme il est dit dans la coûtume de Berri, tit. xvij. art. 7. & dans celle de Nivernois, tit. xxj. art. 16. au lieu que dans le bail à moitié & dans le bail affranchi, après le remboursement du capital, le bailleur & le preneur sont également maîtres des bestiaux qui leur appartiennent par moitié.

Au cas que le cheptelier dispose des bestiaux en fraude du bailleur, les coûtumes donnent à celui-ci une action pour revendiquer les bestiaux, qu'elles veulent lui être délivrés : la coûtume de Berri veut même que ceux qui achetent sciemment des bestiaux tenus à cheptel, soient punis selon raison & droit.

On entend par le croît la multiplication des bestiaux, qui se fait naturellement par génération ; & par le profit, on entend l'augmentation de valeur qui survient, soit par l'âge ou engrais, ou par la cherté du bétail. On comprend aussi sous le terme de profit, la laine, le laitage, le service que rendent les bêtes, & les fumiers & engrais qu'elles fournissent.

Dans le cheptel simple, le croît & le profit se partagent entre le bailleur & le preneur, à la reserve des engrais, labeurs, & laitages des bêtes, qui appartiennent au preneur seul. Coût. de Nivernois, tit. xxj. art. 4. Cela dépend au surplus des conventions portées par le bail.

La coûtume de Bourbonnois, art. 555. déclare illicites & nuls tous contrats & convenances de cheptels de bêtes, par lesquels les pertes & cas fortuits demeurent entierement à la charge des preneurs, & ceux auxquels, outre le cheptel & croît, les preneurs s'obligent de payer une somme d'argent ou du grain, ce que l'on appelle droit de moisson.

Cependant quand les bestiaux sont donnés par estimation, la perte tombe sur le preneur seul ; mais aussi il en est censé dédommagé, parce qu'il a seul tout le profit : il suffit donc qu'il y ait entre le bailleur & le preneur une certaine égalité de profit & de perte, & que la société ne soit pas léonine.

Dans le cheptel à moitié ou affranchi, la perte des bestiaux est supportée par moitié entre le bailleur & le preneur, à moins qu'elle n'arrive par la faute du preneur : dans le cheptel simple, la perte tombe sur le bailleur, à moins que ce ne soit par la faute du preneur. On prétend cependant qu'en Bourbonnois & en Berri le preneur doit aussi supporter sa part de la perte qui est survenue, quand même il n'y auroit pas de sa faute.

L'art. 553. de la coûtume de Bourbonnois porte que, quand les bêtes sont exigées & prisées par le bailleur, le preneur a le choix dans huit jours de ladite prisée à lui notifiée & déclarée, de retenir lesdites bêtes, ou icelles bêtes délaisser au bailleur pour le prix que le bailleur les aura prisées, en payant ou baillant par ledit preneur caution fidé-jussoire du prix, qu'autrement elles sont mises en main tierce ; & que le semblable est observé quand elles sont prisées par le preneur : car en ce cas le bailleur a le choix de les retenir ou de les délaisser dans huit jours.

La maniere dont s'observe cet article est très-bien expliquée par Despommiers. Voyez les commentateurs des coûtumes de Berri, Nivernois, Bourbonnois, Bretagne, la Boust, Solle ; Coquille, en son inst. au droit françois, tit. dern. traité des contrats & baux à chaptel de Me Billon, qui est à la fin de son commentaire sur la coûtume d'Auxerre ; Legrand, sur l'art. 178. de la coûtume de Troyes ; l'arrêt du cons. d'état du 11 Mars 1690. (A)


CHEPTELIERS. m. (Jurispr.) est le preneur d'un bail à cheptel, celui qui tient un bail de bestiaux. Voyez CHEPTEL. (A)


CHEou CHERIF, s. m. prince ou grand-prêtre de la Mecque : il est reconnu en cette qualité par tous les Mahométans, de quelque secte qu'ils soient, & il reçoit des souverains de ces différentes sectes des présens de tapis pour le tombeau de Mahomet : on lui envoye même pour son usage une tente dans laquelle il demeure près de la mosquée de la Mecque pendant tout le tems du pélerinage des Mahométans au tombeau de leur prophete. Ce pélerinage dure dix-sept jours, pendant lesquels il est obligé de défrayer toute la caravane qui se rend chaque année à la Mecque ; ce qui se monte à des sommes considérables, car communément il n'y a guere moins de soixante & dix mille ames : mais il en est dédommagé par les présens que les princes mahométans lui font en argent. (a)


CHEQUIS. m. (Comm.) un des quatre poids en usage dans les échelles du levant, mais sur-tout à Smyrne. Il est double de l'occo ou ocquo (V. Occo), & pese six livres un quart poids de Marseille. Voyez les dictionn. du Commerce & de Trévoux.


CHERadj. (Gram. & Com.) terme relatif au prix d'une marchandise ; il en exprime toûjours l'excès ou réel ou d'opinion : on dit qu'une marchandise est chere, quand elle se vend à plus haut prix dans le moment, qu'on n'avoit coûtume de la vendre dans un autre tems ; quand la somme d'argent qu'il faut y mettre est trop forte relativement à notre état ; quand on ne trouve presque aucune proportion, soit de volume, soit de qualité, &c. entre la marchandise & l'argent ou l'or qu'il en faut donner ; quand on ne remarque pas entre la qualité, la quantité, &c. de la chose achetée, & le prix dont elle a été achetée, le rapport courant. Le même mot se dit aussi du marchand, toutes les fois qu'il veut plus gagner sur sa marchandise que les autres.

CHER, (le) Géog. mod. riviere de France qui a sa source en Auvergne, & va se jetter dans la Loire au Berri.

Il y a une autre riviere de ce nom qui a sa source dans le duché de Bar, & se jette dans la Meuse.


CHER-CENS(Jurisp.) dans la coûtume d'Orléans, artic. cxxiij. se dit d'un cens plus fort que le cens ordinaire, qui dans l'état présent est moins consideré comme le produit de l'héritage, que comme une reconnoissance de la seigneurie directe ; au lieu que le cher-cens est égal à-peu-près au revenu annuel de l'héritage, & par cette raison il n'est point sujet à droit de relevoisons ni ventes dans la coûtume d'Orléans : les rentes seigneuriales qui tiennent lieu de cens, sont dans les autres coûtumes la même chose que ce que celle d'Orléans appelle cher-cens, & les coûtumes de Blois & de Dunois cher-prix. Voyez CHER-PRIX. (A)


CHER-PRIX(Jurisp.) héritage tenu à cher-prix, dans la coûtume de Blois, artic. cjx. & cxv. & dans celle de Dunois, art. xxxij. est celui qui est chargé d'un cens beaucoup plus fort que le cens ordinaire, & qui égale à-peu-près la valeur du revenu : c'est la même chose que ce que la coûtume d'Orléans appelle cher-cens. Voyez ci-devant CHER-CENS. (A)


CHERAadj. f. (Myth.) surnom sous lequel Témenus qui avoit élevé Junon lui bâtit un temple, où elle se retiroit lorsque ses fréquentes querelles la déterminoient à quitter Jupiter, & à vivre séparée.


CHERAFISvoyez TELA.


CHERAFSS. m. (Comm.) changeurs banianes établis en Perse, sur-tout à Scamachi sur la mer Caspienne, en comparaison desquels on prétend que les Juifs sont des balourds dans le commerce. Voyez les dictionn. de Trév. du Comm. & Dish.


CHERASCou QUERASQUE, (Géog.) ville forte d'Italie en Savoie, capitale d'un pays de même nom, au confluent de la Sture & du Tanaro. Long. 25. 30. lat. 44. 35.


CHERAou CHAHY, (Comm.) on distingue en Perse deux sortes de poids, le civil & le légal ; c'est ainsi qu'on nomme le premier ; il est double de l'autre. Voyez POIDS, MAN, & BATMAN ; voyez aussi les dictionn. du Comm. & de Trév.


CHERAZOUL(Géog.) ville d'Asie dans le Curdistan, entre Mosul & Hispahan.


CHERBOURG(Géog.) ville maritime & port de France en Normandie, dans le Cotentin. Long. 16. 2. lat. 49. 38. 26.


CHERCHES. f. on donne ce nom 1° aux différentes courbes selon lesquelles on pratique le renflement leger qui fait tant à l'élégance des colonnes. Voyez COLONNES, voyez SECTIONS CONIQUES, CONCHOIDE DE NICOMEDE. C'est en effet cette courbe qu'on suit pour les Ioniques & les Corinthiennes renflées à la maniere de Vignole. 2° Au trait d'un arc surbaissé ou rampant, déterminé par plusieurs points ou intersections de cercles, ou d'autres courbes, ou de droites & de courbes. On dit aussi dans ce cas, cerce de même que cherche. La cherche est surbaissée, quand elle a moins d'élévation que la moitié de sa base ; & surhaussée, quand le rapport de la hauteur à la base est plus grand que celui de 2 à 1. 3° Du développement de plusieurs circonférences fait selon quelque ligne verticale ; pour cet effet, il faut concevoir un fil élastique courbé circulairement, de maniere que toutes les circonférences ou tours tombent les uns sur les autres ; si l'on fixe à terre la premiere circonférence, & qu'en prenant le bout du fil élastique on le tire en haut, on aura le développement appellé cherche, & l'on donnera à ce développement l'épithete de rallongé, & autres, selon le rapport qu'il y aura entre la circonférence la plus basse & celles qui s'éleveront en spirale au-dessus de cette circonférence. 4° Au profil d'un contour courbe, découpé sur une planche même, pour diriger le relief ou le creux d'une pierre, en indiquant au tailleur les parties qu'il doit enlever. Si la pierre doit être concave, la cherche est convexe ; si au contraire la cherche est concave, c'est que la pierre doit être convexe.


CHERCHE-FICHE(Serrur.) c'est une sorte de pointe acérée dont la tête forme un tour d'équerre, & est ronde de même que le reste du corps de cet outil : il est de cinq à six pouces, & son usage est de chercher dans le bois le trou qui est dans l'aile de la fiche lorsque cette aile est dans la mortoise, afin d'y pouvoir placer la pointe qui doit arrêter la fiche.

L'usage de la tête est d'enfoncer les pointes entierement en appliquant la partie ronde sur la pointe, & en s'en servant comme de repoussoir ; c'est même le nom qu'on donne à cette tête : on dit qu'elle est faite en repoussoir en L.

Le cherche-fiche a quelquefois sa pointe un peu courbée, & l'on s'en sert alors quand il s'agit de pratiquer une route oblique aux pointes.


CHERCHÉEadj. quantité cherchée, (Algeb. ou Géom.) Les Géometres ou les Algébristes appellent ainsi la quantité qu'il s'agit de découvrir quand on propose un problème. Si l'on demandoit, par exemple, que l'on déterminât le nombre, lequel multiplié par 12 produise 48, on trouveroit que le nombre 4 est la quantité cherchée, &c. Chambers. (E)

On distingue dans chaque problème les quantités connues, & la quantité ou les quantités cherchées. Ainsi dans le problème précédent, 12 & 48 sont les quantités connues. Voyez PROBLEME, EQUATION, &c. L'art des équations consiste à comparer & à combiner ensemble les quantités connues & les quantités cherchées, comme si les unes & les autres étoient connues ; & à découvrir par le moyen de cette combinaison les quantités cherchées, c'est-à-dire à parvenir à une équation où la quantité cherchée soit exprimée sous une forme qui ne renferme que les quantités connues. Voyez ARITHMETIQUE UNIVERSELLE. (O)


CHERCHER(Maréchal.) chercher la cinquieme jambe, en termes de Manége, se dit d'un cheval qui a la tête pesante & peu de force, & qui s'appuie sur le mors pour s'aider à marcher. (V)


CHERCHEURSS. m. pl. (Théolog.) hérétiques dont M. Stoup a fait mention dans son traité de la religion des Hollandois. Il dit que les chercheurs conviennent de la vérité de la religion de Jesus-Christ, mais qu'ils prétendent que cette religion n'est professée dans sa pureté dans aucune église du Christianisme ; qu'en conséquence ils n'ont pris aucun parti, mais qu'ils lisent sans-cesse les Ecritures, & prient Dieu de les aider à démêler ce que les hommes ont ajoûté ou retranché de sa véritable doctrine. Ces chercheurs infortunés, selon cette description, seroient précisément dans la religion chrétienne ce que les Sceptiques sont en Philosophie. L'auteur que nous venons de citer, dit que les chercheurs ne sont pas rares en Angleterre, & qu'ils sont communs en Hollande : deux points sur lesquels il est contredit par Moreri, sans aucun fondement à ce qu'il me semble. L'état de chercheurs est une malédiction de Dieu plus ou moins commune à tous les pays, mais très-fréquente dans ceux où l'incrédulité n'a pas encore fait les derniers progrès ; plus l'incrédulité sera grande, plus le nombre des chercheurs sera petit : ainsi il y aura infiniment moins de ces hérétiques en Angleterre, qu'en Hollande.


CHERCONNÉES. f. (Commerce) étoffe soie & coton, quelquefois à carreaux, qui se fabrique aux Indes. Dict. de Trévoux & du Comm.


CHERIou SHERIF, s. m. (Hist. mod.) titre fort en usage chez les Mahométans. Il est tiré de l'arabe, & signifie seigneur : rarement les Turcs le donnent à leur empereur ; ils préferent celui de sultan qui exprime plus dignement sa qualité. Il se donne néanmoins au souverain de la Mecque, qui est non pas vassal du grand-seigneur, mais son allié & sous sa protection. Voyez CHEQ.

On appelle encore aujourd'hui de ce nom de cherif, plusieurs princes d'Afrique : savoir l'empereur de Sus, qui est aussi roi de Tafilet, le roi de Fez & celui de Maroc, qui sont devenus souverains depuis le commencement du seizieme siecle, & se disent descendus d'un docteur de la loi, nommé Mahomet-Ben-Hamet, autrement le cherif Hascen, dont les trois fils parvinrent à détrôner les légitimes souverains de Maroc, de Fez & de Tafilet. Leurs descendans sont encore aujourd'hui en possession de ces royaumes. (a)

CHERIF, (Comm.) monnoie d'or qui se fabrique & a cours dans toute l'Egypte : elle vaut 6 l. 17. s. 3 d.


CHERIJAR(Géog.) ville d'Asie dans la Perse à la province de Teren.


CHERMESvoyez KERMES.


CHERNIPS(Myth.) eau lustrale dans laquelle on avoit éteint ce qui restoit des charbons d'un sacrifice fait par le feu, & qui servoit ensuite à abluer & à purifier ceux qui se proposoient d'approcher des autels & de sacrifier.


CHERONDE(Géog. anc.) ville de Grece dans la Béotie, aux frontieres de la Phocide.


CHEROY(Géog. mod.) petite ville de France dans le Gatinois, près de la Champagne.


CHERQUE-MOLLES. f. (Comm.) étoffe de soie & écorce qui se fabrique aux Indes. Voyez les dict. du Comm. & de Trévoux.


CHERSONESES. f. (Géog. anc.) il signifie généralement presqu'isle ; mais il s'appliquoit particulierement à quatre presqu'isles, la chersonese Cimbrique, la chersonese de Thrace, la chersonese Taurique, & la chersonese d'Or. Cette derniere comprenoit la presqu'isle de Malaca entre les golfes de Bengale & de Siam, une partie de la côte occidentale de Siam, & peut-être quelque chose de celle du Pegu. La chersonese Taurique n'étoit autre chose que la presqu'isle de Crimée ; & celle de Thrace s'étendoit entre la mer de Marmora, l'Hellespont, l'Archipel, & le golfe de Megarisse. Voyez pour la chersonese Cimbrique, l'article CIMBRES.


CHERSYDRE(Hist. nat.) voici un de ces animaux dont les anciens qui en ont fait mention, nous ont laissé une description si incomplete , qu'il est difficile de savoir sous quel nom il existe aujourd'hui. C'est même une réflexion assez généralement occasionnée par la lecture de leurs ouvrages, qu'ils n'ont point reconnu la nécessité de décrire avec quelque exactitude les objets de la nature qu'ils avoient continuellement sous leurs yeux, soit qu'ils fussent dans l'opinion que leur nation & leur idiome seroient éternels, soit qu'ils n'eussent pas imaginé que sans une description très-étendue & très-rigoureuse d'un objet, tout ce qu'on en dit d'ailleurs, se trouvant attaché à la signification d'un mot, si cette signification s'obscurcit, le reste se perd en même tems. En effet, à quoi sert ce que Celse, Aetius & les autres racontent du chersydre, & prescrivent sur sa morsure, si tout ce qu'on sait de cet animal, c'est que c'est un serpent amphibie semblable à un petit aspic terrestre, à l'exception qu'il a le cou moins gros ?


CHÉRUBINS. m. (Théolog.) esprit céleste ou ange du second ordre de la premiere hiérarchie. Voy. ANGE & HIERARCHIE.

Ce mot vient de l'hébreu cherub, dont le pluriel est cherubin ; mais on est partagé sur la véritable origine de ce mot hébreu & sur sa juste explication. Quelques-uns lui donnent pour racine un mot qui est chaldaïque, & qui en hébreu signifie labourer. Selon d'autres, cherub signifie fort & puissant : ainsi Ezéchiel dit du roi de Tyr : tu cherub unctus, vous êtes un roi puissant. D'autres veulent que chez les Egyptiens, cherub ait été une figure symbolique parée de plusieurs ailes, & toute couverte d'yeux, & l'emblême le plus naturel de la piété & de la religion ; rien, disent-ils, n'étant plus propre à signifier des esprits adorateurs, & à exprimer leur vigilance & la promtitude de leur ministere : ce qui a fait penser à Spencer théologien anglois, dans son livre de legibus Hebraeorum ritualibus, que Moyse pouvoit bien avoir emprunté cette idée des Egyptiens. M. Pluche remarque que les Hébreux l'avoient seulement tirée de l'écriture ancienne qui avoit cours partout, & que c'est pour cela que saint Paul appelle ces caracteres symboliques communs à tous les peuples, elementa mundi. Hist. du Ciel, t. I. pag. 350. La plûpart des Juifs & des auteurs chrétiens disent que chérubin signifie comme des enfans ; che en hébreu signifiant comme, & rub, un enfant, un jeune garçon. Aussi est-ce la figure que leur donnent les Peintres modernes qui les représentent par de jeunes têtes ailées, & quelquefois de couleur de feu, pour marquer l'amour divin dont les chérubins sont embrasés. Cependant dans plusieurs endroits de l'écriture, chérubin marque toutes sortes de figures. Quelques-uns enfin ont cru qu'il y avoit dans ce mot une transposition de lettres, & qu'au lieu de charab, il falloit lire rachab, conduire un chariot ; ce qui est assez conforme aux idées que nous donne la Bible, de Dieu assis sur les chérubins comme sur un char.

On n'est guere plus d'accord sur la figure des chérubins que sur l'origine de leur nom. Josephe, liv. III. des antiq. jud. chap. vj. parlant des chérubins qui couvroient l'arche, dit seulement que c'étoient des animaux ailés qui n'approchoient d'aucune figure qui nous soit connue, & que Moyse avoit fait représenter tels qu'il les avoit vûs au pié du trône de Dieu. La figure des chérubins que vit ézéchiel est un peu plus détaillée ; on y trouve celle de l'homme, du boeuf, du lion, de l'aigle : mais les chérubins réunissoient-ils toutes ces figures à la fois ? n'en avoient-ils qu'une d'entr'elles séparement ? Vilalpandus tient pour le premier sentiment, & donne à chaque chérubin la tête & les bras de l'homme, les quatre ailes d'aigle, le ventre du lion, & les piés du boeuf ; ce qui pouvoit être autant de symboles de la science, de la promtitude, de la force & de l'assiduité des chérubins. La principale figure des chérubins, selon d'autres, étoit le boeuf. S. Jean dans l'Apocalypse, chap. jv. nomme les chérubins des animaux : ils étoient ailés, comme il paroît par la description des chérubins qui étoient sur l'arche. D'où il résulte que Moyse, les prophetes & les autres écrivains sacrés n'ont voulu, par ces symboles, que donner aux Hébreux une idée de tous les dons d'intelligence, de force, de célérité & d'assiduité à exécuter les ordres de Dieu, répandus sur les esprits celestes, qui n'étoient pas sans-doute revêtus de ces formes matérielles. Il falloit au peuple hébreu charnel & grossier, des images fortes pour lui peindre des objets incorporels, & lui donner une grande idée de son Dieu par celles qu'on lui présentoit des ministres destinés à exécuter ses ordres. Ainsi par le chérubin placé à l'entrée du paradis terrestre, après qu'Adam & Eve en eurent été chassés, Théodoret & d'autres entendent des figures monstrueuses capables de glacer de frayeur nos premiers parens. Le plus grand nombre dit que c'étoit un ange armé d'un glaive flamboyant, ou simplement un mur de feu qui fermoit à ces malheureux l'entrée du jardin de délices. Voy. le dictionn. de la Bible. (G)

CHERUBIN, (Hist. mod.) ordre militaire de Suede, dit autrement de Jesus, ou collier des séraphins, établi par Magnus III. roi de Suede l'an 1334 ; mais il ne subsiste plus que dans quelques histoires, depuis que Charles IX. roi de Suede & pere de Gustave Adolphe, introduisit dans ses états la confession d'Augsbourg au commencement du xvij. siecle. Et comme cet ordre n'est plus d'une curiosité actuelle, on peut consulter sur son établissement André Favin & Lacolombiere, dans leur théatre d'honneur. (a)


CHÉRUBIQUEadj. (Théolog.) épithete qui désigne une hymne de la liturgie des Grecs, & qui lui vient des chérubins dont il est fait mention. Il se récite quand on transporte les saints dons du petit autel à l'autel des sacrifices. On en rapporte l'institution au tems de l'empereur Justinien.


CHERUSQUESS. m. pl. (Géog. anc.) anciens peuples de Germanie qui ont habité d'abord entre le Weser & l'Elbe, mais qui ont eu dans la suite des alliés au-delà du Weser, qui n'étoient guere connus que par ce titre.


CHERVEou CHARWEL, (Géog.) riviere d'Angleterre dans la province d'Oxford.


CHERVIS. m. (Hist. nat. bot.) fisarum, genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelle, & composée de plusieurs pétales soûtenues par le calice, qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences étroites, renflées & cannelées d'un côté, & unies de l'autre. Ajoûtez au caractere de ce genre, que les racines sont attachées à une sorte de tête comme celle des navets. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CHERVI, (Matiere médicale & Diete) La racine de chervi est très-douce, & par conséquent très-alimenteuse. On en fait un usage fort commun à titre d'aliment ; on la sert sur les meilleures tables apprêtée de diverses façons. Cette racine passe à juste titre pour fort saine. Voyez LEGUME & DIETE.

Boerhaave la recommande dans les crachemens & les pissemens de sang, & dans les maladies de poitrine qui menacent de la phthisie ; dans la strangurie, le tenesme, la dyssenterie & la diarrhée : il conseille ses racines dans ces cas, cuites dans le lait, dans le petit-lait, dans les bouillons de viande, & il les fait entrer dans tous les alimens de ces malades.

Les racines de chervi ont passé encore pour apéritives, diurétiques, vulnéraires, excitant la semence, donnant de l'appétit, &c. mais en général on ne se sert presque pas de ces racines comme médicament.

La racine de chervi est une de celles dont M. Marggraf a retiré un beau sucre blanc, peu inférieur à celui des cannes à sucre. Voyez SUCRE, & l'histoire de l'académie royale des Sciences & Belles-Lettres de Berlin.


CHERVINSKO(Géog.) ville de Pologne, dans le palatinat de Mazovie, sur la Vistule.


CHERZ(Géog. mod.) ville de Pologne au palatinat de Mazovie. Long. 39. 28. lat. 51. 58.


CHERZO(Géog. mod.) île du golfe de Venise, avec une ville de même nom, près des côtes de Croatie, aux Vénitiens. Long. 32. 15. lat. 45. 8.

Il y a encore une île de ce nom dans l'Archipel ; elle appartient aux Turcs, & est habitée par des Grecs.


CHESALCHESEAU, ou CHESEOLAGE, s. m. (Jurisprud.) dérivé du latin casa, qui signifie case ou petite maison ; d'où l'on a fait dans la basse latinité casale, casalagium, & dans les anciennes coûtumes & anciens titres, chesal ou chezal, cheseau, ou cheseolage. Ces termes signifioient une habitation en général ; c'est de-là que quelques lieux ont encore conservé le surnom de chezal, comme l'abbaye de Chezal-Benoît. Mais on s'en servoit plus communément pour désigner l'habitation & le tenement des hommes de condition servile, comme étant ordinairement de petites cases ou habitations peu considérables ; c'est la même chose que l'on appelle ailleurs mas ou max, mex ou meix. Lorsque les seigneurs affranchirent leurs serfs, ils se réserverent les mêmes droits qu'ils avoient sur leurs tenemens, qui retinrent toujours le nom de cheseaux. Les priviléges accordés aux habitans de Saint-Palais, & qui se trouvent entre les anciennes coûtumes de Berri, publiées par M. de la Thaumassiere, p. 112. font mention de ces cheseaux en ces termes : Quod pro quolibet casali sito in censibus nostris & rebus pertinentibus ad casale ; quod casale cum pertinentiis tenebant homines quondam tailliabiles, reddent nobis viginti bosselli avenae, & viginti denarii turonenses censuales accordabiles, vel tantùm, seu pro ratâ quam tenebunt de casali.

L'article 2. de la coûtume de la prevôté de Troi en Berri dit : " Item, par ladite coûtume & droit prescrit de tems immémorial, ledit seigneur a droit de prendre sur chacun cheseau étant audit censif, six boisseaux de marseche, & trois deniers parisis de cens accordables, payables comme dessus ; & pour demi-cheseau, trois boisseaux de marseche, & un denier obole parisis ; & pour un tiers ou quart, à la raison dessus dite ", &c.

Comme les seigneurs levoient des droits égaux sur tous les cheseaux, ainsi qu'il paroît par ces deux articles, il y a quelque apparence que les cheseaux étoient originairement d'une valeur égale, aussi-bien que les mas ou meix ; c'étoit une distribution égale de terres ou tenemens que le seigneur avoit faite à ses serfs, en les affranchissant. Chaque particulier y construisit des bâtimens pour se loger, que l'on appella un chesal ; & ces cheseaux, avec les terres en dépendantes, se partagerent ensuite. Voyez MAS, MEX, MEIX, MIX, AZERAZER. (A)


CHESERI(Géog. mod.) petite ville & pays d'Italie en Savoie, sur les frontieres de la France, sur la riviere de Valserium, près du pays de Gex.


CHESHIRE(Géog. mod.) province maritime d'Angleterre, dont Chester est la capitale, séparée par des montagnes de celles de Stafford & de Derbi. Elle abonde en pâturages, & est arrosée par les rivieres de Dée, de Weever & de Mersey.


CHESIADEadj. f. (Mythologie) surnom donné à Diane, soit du mont Chesias dans l'île de Samos, soit de la ville de Chesio en Ionie.


CHESNEAUS. m. se dit, en terme de Plombiers, d'un canal de plomb de 17 pouces de large, plus ou moins, qui porte sur l'entablement d'une maison, pour recevoir les eaux du comble, & les conduire par un tuyau de descente dans les cours & puisarts. Il y a des chesneaux à bavettes ; il y en a à bords. Les premiers sont recouverts par une bande de plomb ; les autres n'ont qu'un rebord.

En terme de Fontainier, chesneau, est une rigole de plomb qui distribue à un rang de masque ou de chandeliers, l'eau qu'il reçoit d'une nappe ou d'un bouillon supérieur. (K)


CHESNÉES. f. (Jurisprud.) ou chaîne, est une mesure usitée en certaines provinces, pour les terres, & qui sert aussi à désigner une certaine quantité de terre égale à cette mesure. La chesnée à Richelieu en Poitou, contient 25 piés de long. Il faut dix chesnées pour faire une boisselée de terre, & treize boisselées pour faire un arpent. (A)


CHESNEGHIR-BACHI(Hist. mod.) un des douze principaux officiers de la cour du grand-seigneur. Il est chef des officiers de la bouche & de l'échansonnerie, ou de ceux qui font l'essai des viandes & des liqueurs qu'on présente au sultan. Ce nom est composé du persan chesné, qui signifie l'essai qu'on fait des viandes ou de la boisson, & de gir ; qui vient du verbe gristen ; & signifie prendre, auxquels on ajoûte bachi, nom commun à beaucoup de charges en chef chez les Turcs. Quelques-uns le nomment cheschighir, de cheschide, qui veut dire goûter. Ricaut, de l'Empir. ottom. (G)


CHESTER(Géog. mod.) ville considérable d'Angleterre, dans la province de Cheshire, sur la Dée. Il s'y fait un grand commerce. Long. 14. 29. lat. 53. 15.


CHESTERFIELD(Géog. mod.) ville d'Angleterre en Derbyshire, avec titre de comté. Long. 16. 6. lat. 53. 12.


CHETELvoyez CHAPTEL & CHEPTEL.


CHETIFFRELE, adj. (Jardin. & autres Arts) se dit d'un arbre foible, d'une fleur avortée. (K)


CHETINA(Géog. mod.) ville de l'île de Candie, sur la riviere de Naparol.


CHETRONterme de Coffretier-Malletier ; c'est une espece de petite layette en forme de tiroir, qu'on ménage dans quelqu'endroit du dedans d'un coffre, pour y mettre à part les choses ou de plus de conséquence, ou qu'on veut trouver plus aisément sous sa main. Voyez dict. de Tr. & du Comm.


CHEUXAN(Géog.) île d'Asie dépendante de la Chine, entre les côtes de la province de Chekiang & les îles du Japon.


CHEVAGES. m. (Jurisprud.) signifioit autrefois le chef-cens, chevagium quod domino tanquam capiti penditur. Spelman, gloss. C'est la même chose que le droit de quevage dont il est parlé à la fin du procès-verbal des coûtumes de Montdidier, Roye & Péronne. Voyez Brodeau, sur Paris, tit. des censives.

Chevage, est aussi un droit de douze deniers parisis, ainsi nommé parce qu'il se leve par chacun an au bailliage & ressort de Vermandois, sur chaque chef, marié ou veuf, bâtard, espave ou aubain. Ce droit appartient au Roi ; pour la connoissance de ceux qui viennent demeurer dans ce bailliage, il en est parlé dans le procès-verbal de la coûtume de Laon de l'an 1556, sur le titre premier, selon l'ancienne coûtume du lieu. Voyez aussi le guidon des financiers, & Bacquet, tr. du droit d'aubaine, ch. iij. & jv. (A)


CHEVAGIERS(Jurisprud.) sont ceux qui doivent le droit de chevage. Il en est parlé dans les ordonnances concernant les nobles de Champagne, chap. viij. art. 15. Voyez ci-devant CHEVAGE. (A)


CHEVALS. m. equus, (Hist. nat. Manege & Maréchallerie) animal quadrupede, domestique ou sauvage, du genre des solipedes, plus grand que l'âne, mais à plus petites oreilles, à queue garnie de crins depuis son origine, & à cou garni en-dessus d'un pareil poil. Voyez l'article QUADRUPEDE.

Cheval sauvage. La domesticité du cheval est si ancienne & si universelle, qu'on ne le voit que rarement dans son état naturel. Quand cet animal n'a pas été brisé par les travaux, ou abâtardi par une mauvaise éducation, il a du feu dans les yeux, de la vivacité dans les mouvemens, de la noblesse dans le port ; cependant l'âne a cet avantage sur lui, qu'il ne paroît pas fier de porter l'homme.

Hérodote dit que sur les bords de l'Hispanis en Scythie, il y avoit des chevaux sauvages blancs ; & que dans la partie septentrionale de la Thrace au-delà du Danube, il y en avoit d'autres qui avoient le poil long de cinq doigts sur tout le corps. Aristote assûre la même chose de la Scythie ; Pline, des pays du nord ; & Strabon, de l'Espagne & des Alpes.

Parmi les modernes, Cardan prétend qu'il y a eu des chevaux sauvages aux Orcades & en Ecosse ; Olaüs, dans la Moscovie ; Dapper, dans l'île de Chypre ; Struis, dans l'île de May au Cap-verd ; Léon l'Africain, dans les deserts de l'Afrique & de l'Arabie, & dans les solitudes de Numidie, où cet auteur & Marmol disent qu'il y a des chevaux à poil blanc & à criniere crêpue. Voyez les lettres édifiantes & curieuses.

Il n'y a plus de chevaux sauvages en Europe. Ceux de l'Amérique sont des chevaux domestiques & européens d'origine, que les Espagnols y ont transportés, & qui se sont multipliés dans les deserts de ces contrées, où il y a quelque apparence que ces animaux étoient inconnus. Les auteurs parlent très-diversement de ces chevaux de l'Amérique, devenus sauvages de domestiques. Il y en a qui assûrent que ces affranchis sont plus forts, plus legers, plus nerveux que la plûpart de nos chevaux esclaves ; qu'ils ne sont pas féroces ; qu'ils sont seulement fiers & sauvages ; qu'ils n'attaquent pas les autres animaux ; qu'ils les repoussent seulement quand ils en sont attaqués ; qu'ils vont par troupe ; que l'herbe leur suffit, & qu'ils n'ont aucun goût pour la chair des animaux. D'autres racontent qu'en 1685 il y avoit près de la baie de Saint-Louis des chevaux si farouches, qu'on ne pouvoit les approcher. L'auteur de l'histoire des Flibustiers dit qu'on en voit dans l'île de Saint-Domingue, des troupes de plus de cinq cent qui courent ensemble ; que lorsqu'ils apperçoivent un homme, ils s'arrêtent ; que l'un d'eux s'approche à une certaine distance, souffle des naseaux & prend la fuite ; que les autres le suivent ; qu'ils descendent de la race des chevaux d'Espagne, mais qu'elle paroît avoir dégénéré en devenant sauvage ; qu'ils ont la tête grosse, ainsi que les jambes qui sont encore raboteuses, les oreilles & le cou longs ; qu'on se sert pour les prendre de lacs de corde, qu'on tend dans les endroits où ils fréquentent ; qu'ils s'y engagent facilement ; que s'il leur arrive de se prendre par le cou, ils s'étranglent dans le lacs, à moins qu'on n'arrive assez tôt pour les secourir ; qu'on les arrête par le corps & par les jambes ; qu'on les attache à des arbres, où on les laisse deux jours sans boire ni manger ; que cette épreuve suffit pour les rendre dociles ; qu'ils cessent d'être sauvages pour ne le plus devenir, ou que s'ils le deviennent encore par hasard, ils reconnoissent leur maître, & se laissent approcher & reprendre. En effet, les chevaux sont naturellement doux & disposés à se familiariser avec l'homme ; les moeurs de ceux qui nous servent, viennent presqu'entierement de l'éducation qu'on leur donne. Quand on a négligé un poulain, il arrive souvent lorsqu'il est cheval, que l'approche & l'attouchement de l'homme lui cause une grande frayeur, qu'il se défend de la dent & du pié, & qu'il est presque impossible de le panser & de le ferrer. Mais le moyen que M. de Garsault indique pour l'apprivoiser, rend très-croyable celui dont on se sert pour dompter ceux de l'Amérique : on lui tourne le derriere à la mangeoire ; on lui met toute la nuit un homme à sa tête, qui lui donne de tems en tems une poignée de foin, & l'empêche de dormir & de se coucher jusqu'à ce qu'il tombe de foiblesse. Il ne faut pas huit jours de ce régime aux plus farouches pour les adoucir.

Cheval domestique. Il paroît que le caractere des chevaux sauvages varie selon les contrées qu'ils habitent : la même variété se remarque dans les chevaux domestiques, mais augmentée par une infinité de causes différentes. Pour juger plus sûrement des occasions où les défauts sont ou ne sont pas compensés par les qualités, il est à-propos d'avoir dans l'esprit le modele d'un cheval parfait, auquel on puisse rapporter les autres chevaux. La nécessité d'un modele idéal s'étend à tout, même à la critique vétérinaire. Voici l'esquisse de ce modele.

Le cheval est de tous les animaux celui qui avec une grande taille a le plus de proportion & d'élégance dans les parties de son corps. En lui comparant les animaux qui sont immédiatement au-dessus & au-dessous, on trouve que l'âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse, que le boeuf a la jambe trop menue, que le chameau est difforme, & que le rhinoceros & l'éléphant ne sont, pour ainsi dire, que des masses. Dans le cheval bien fait, la partie supérieure de l'encolure dont sort la criniere, doit s'élever d'abord en ligne droite en sortant du garrot, & former ensuite en approchant de la tête, une courbure à-peu-près semblable à celle du cou d'un cygne. La partie inférieure de l'encolure ne doit former aucune courbure ; il faut que sa direction soit en ligne droite, depuis le poitrail jusqu'à la ganache, & un peu panchée en-devant : si elle étoit perpendiculaire, l'encolure seroit fausse. Il faut que la partie supérieure du cou soit mince, & qu'il y ait peu de chair auprès de la criniere, qui doit être médiocrement garnie de crins longs & déliés. Une belle encolure doit être longue & relevée, & cependant proportionnée à la taille du cheval : trop longue & trop menue, le cheval donne des coups de tête ; trop courte & trop charnue, il est pesant à la main. La tête sera placée avantageusement, si le front est perpendiculaire à l'horison ; elle doit être seche & menue, non trop longue. Les oreilles seront peu distantes, petites, droites, immobiles, étroites, déliées, bien plantées au haut de la tête. Il faut que le front soit étroit & un peu convexe ; que les salieres soient remplies, ses paupieres minces, les yeux clairs, vifs, pleins de feu, assez gros, avancés à fleur de tête ; la prunelle grande ; la ganache décharnée & un peu épaisse ; le nez un peu arqué ; les naseaux bien ouverts & bien fendus ; la cloison du nez mince ; les levres déliées ; la bouche médiocrement fendue ; le garrot élevé & tranchant ; les épaules seches, plates, & peu serrées ; le dos égal, uni, insensiblement arqué sur la longueur, & relevé des deux côtés de l'épine qui doit paroître enfoncée ; les flancs pleins & courts ; la croupe ronde & bien fournie ; la hanche bien garnie ; le tronçon de la queue épais & ferme ; les cuisses & les bras gros & charnus ; le genou rond en-devant & large sur les côtés ; le nerf bien détaché ; le boulet menu ; le fanon peu garni ; le paturon gros & d'une médiocre longueur ; la couronne peu élevée ; la corne noire, unie & luisante ; la fourchette menue & maigre, & la sole épaisse & concave.

Chevaux arabes. Les chevaux arabes sont de tous ceux qu'on connoisse en Europe, les plus beaux & les plus conformes à ce modele ; ils sont plus grands & plus étoffés que les barbes, & sont aussi bien faits. Si ce que les voyageurs nous racontent est vrai, ces chevaux sont très-chers même dans le pays ; il n'y a aucune sorte de précautions qu'on ne prenne pour en conserver la race également belle.

Chevaux barbes. Les chevaux barbes sont plus communs que les arabes ; ils ont l'encolure longue, fine, peu chargée de crins, & bien sortie du garrot ; la tête belle, petite, & assez ordinairement moutonnée ; l'oreille belle & bien placée ; les épaules legeres & plates ; le garrot menu & bien relevé ; les reins courts & droits ; le flanc & les côtes rondes ; sans trop de ventre ; les hanches bien effacées ; la croupe un peu longue ; la queue placée un peu haut ; la cuisse bien formée & rarement plate ; les jambes belles, bien faites & sans poil ; le nerf bien détaché ; le pié bien fait, mais souvent le paturon long. Il y en a de tous poils, mais communément de gris. Ils ont un peu de négligence dans leurs allures ; ils ont besoin d'être recherchés ; on leur trouve beaucoup de vîtesse & de nerf : ils sont legers & propres à la course. Ils paroissent être très-bons pour en tirer race ; il seroit à souhaiter qu'ils fussent de plus grande taille ; les plus grands ont quatre piés huit pouces, très-rarement quatre piés neuf pouces. En France, en Angleterre, &c. ils sont plus grands qu'eux. Ceux du royaume de Maroc passent pour les meilleurs.

Chevaux turcs. Les chevaux turcs ne sont pas si bien proportionnés que les barbes ; ils ont pour l'ordinaire l'encolure éfilée, le corps long, les jambes trop menues : mais ils sont grands travailleurs, & de longue haleine. Quoiqu'ils ayent le canon plus menu que ceux de ce pays, cependant ils ont plus de force dans les jambes.

Chevaux d'Espagne. Les chevaux d'Espagne, qui tiennent le second rang après les barbes, ont l'encolure longue, épaisse, beaucoup de crins, la tête un peu grosse, quelquefois moutonnée ; les oreilles longues, mais bien placées ; les yeux pleins de feu ; l'air noble & fier ; les épaules épaisses ; le poitrail large ; les reins assez souvent un peu bas ; la tête ronde ; quelquefois un peu trop de ventre ; la croupe ordinairement ronde & large, quelquefois un peu longue ; les jambes belles & sans poil ; le nerf bien détaché ; le paturon quelquefois un peu long, comme le barbe ; le pié un peu allongé, comme le mulet ; souvent le talon trop haut. Ceux de belle race sont épais, bien étoffés, bas de terre, ont beaucoup de mouvement dans la démarche, de la souplesse ; leur poil le plus ordinaire est noir ou bai marron, quoiqu'il y en ait de toutes sortes de poil ; ils ont rarement les jambes blanches & le nez blanc. Les Espagnols ne tirent point de race de chevaux marqués de ces taches qu'ils ont en aversion ; ils ne veulent qu'une étoile au front ; ils estiment autant les zains que nous les méprisons. On les marque tous à la cuisse, hors le montoir, de la marque du haras d'où ils sont sortis ; ils ne sont pas communément de grande taille ; il s'en trouve de quatre piés neuf ou dix pouces. Ceux de la haute Andalousie passent pour les meilleurs ; ils sont seulement sujets à avoir la tête un peu trop longue. Les chevaux d'Espagne ont plus de souplesse que les barbes ; on les préfere à tous les chevaux du monde pour la guerre, la pompe, & le manege.

Chevaux anglois. Les chevaux anglois, quand ils sont beaux, sont pour la conformation assez semblables aux arabes & aux barbes, dont ils sortent en effet ; ils ont cependant la tête plus grande, mais bien faite & moutonnée ; les oreilles plus longues, mais bien placées : par les oreilles seules on pourroit distinguer un anglois d'un barbe ; mais la grande différence est dans la taille. Les anglois sont bien étoffés & beaucoup plus grands : on en trouve communément de quatre piés dix pouces, & même de cinq piés. Ils sont généralement forts, vigoureux, hardis, capables d'une grande fatigue, excellens pour la chasse & pour la course ; mais il leur manque de la grace & de la souplesse : ils sont durs, & ont peu de liberté dans les épaules.

Chevaux d'Italie. Les chevaux d'Italie ne sont plus distingués, si l'on en excepte les napolitains ; on en fait cas sur-tout pour les attelages. Ils ont en général la tête grosse, l'encolure épaisse, sont indociles & difficiles à dresser ; mais ils ont la taille riche & les mouvemens beaux : ils sont fiers, excellens pour l'appareil, & ont de la disposition à piaffer.

Chevaux danois. Les chevaux danois sont de si belle taille & si étoffés, qu'on les préfere à tous les autres pour l'attelage ; il y en a de parfaitement bien moulés : mais ils sont rares, & ont ordinairement la conformation irréguliere, l'encolure épaisse, les épaules grosses, les reins un peu longs & bas, la croupe trop étroite pour l'épaisseur du devant ; mais ils ont les mouvemens beaux : ils sont de tous poils, pie, tigre, &c. Ils sont aussi bons pour l'appareil & la guerre.

Chevaux d'Allemagne. Les chevaux d'Allemagne sont en général pesans, & ont peu d'haleine, quoique descendans de chevaux turcs & barbes. Ils sont peu propres à la chasse & à la course. Les transilvains, les hongrois, &c. sont au contraire bons coureurs. Les Houssards & les Hongrois leur fendent les naseaux pour leur donner, dit-on, plus d'haleine & les empêcher de hennir à la guerre. Les hongrois, cravates, & polonois, sont sujets à être beguts.

Chevaux de Hollande. Les chevaux hollandois sont bons pour le carrosse ; les meilleurs viennent de la province de Frise : les flamands leur sont fort inférieurs ; ils ont presque tous la taille grosse, les piés plats, & les jambes sujettes aux eaux.

Chevaux de France. Il y a en France des chevaux de toute espece ; mais les beaux n'y sont pas communs. Les meilleurs chevaux de selle viennent du Limosin ; ils ressemblent assez aux barbes, sont excellens pour la chasse, mais lents dans leur accroissement : on ne peut guere s'en servir qu'à huit ans. Les normands ne sont pas si bons coureurs que les limosins ; mais ils sont meilleurs pour la guerre. Il vient du Cotentin de très-beaux & de très-bons chevaux de carrosse ; du Boulonnois & de la Franche-Comté, de bons chevaux de tirage. En général, les chevaux de France ont le défaut contraire aux barbes ; ceux-ci ont les épaules trop serrées, les nôtres les ont trop grosses.

Des haras. La beauté & la bonté des chevaux répondront toujours aux soins qu'on prendra des haras. S'ils sont négligés, les races s'abâtardiront, & les chevaux cesseront d'être distingués. Quand on a un haras à établir, il faut choisir un bon terrein & un lieu convenable ; il faut que ce lieu soit proportionné à la quantité de jumens & d'étalons qu'on veut employer. On le partagera en plusieurs parties, qu'on fermera de palis ou de fossés, avec de bonnes haies ; on mettra les jumens pleines & celles qui alaitent leurs poulains, dans la partie où le pâturage sera le plus gras ; on séparera celles qui n'ont pas conçu ou qui n'ont pas encore été couvertes ; on les mêlera avec les jumens poulines dans un autre parquet où le pâturage soit moins gras, parce que si elles prenoient beaucoup d'embonpoint, elles en seroient moins propres à la génération ; on tiendra les jeunes poulains entiers ou hongres dans la partie du terrein la plus seche & la plus inégale, pour les accoûtumer à l'exercice & à la sobriété. Il seroit à desirer que le terrein fût assez étendu, pour que chaque parquet pût être divisé en deux, où l'on enfermeroit alternativement d'année en année des chevaux & des boeufs, le boeuf répareroit le pâturage que le cheval amaigrit. Il faut qu'il y ait des mares dans chaque parquet, les eaux dormantes sont meilleures pour les chevaux que les eaux vives ; il faut y laisser quelques arbres, ce sera pour eux une ombre qu'ils aimeront dans les grandes chaleurs. Il faudra faire arracher les troncs & les chicots, & combler les trous : ces pâturages nourriront les chevaux en été. Ils passeront l'hyver dans les écuries, sur-tout les jumens & les poulains. On ne sortira les chevaux que dans les beaux jours seulement. On les nourrira avec le foin ; on donnera de la paille & du foin aux étalons ; on exercera ceux-ci modérément jusqu'au tems de la monte, qui les fatiguera assez. Alors on les nourrira largement.

Des étalons & des jumens poulinieres. Dès l'âge de deux ans ou deux ans & demi, le cheval peut engendrer. Les jumens, ainsi que toutes les autres femelles, sont encore plus précoces : mais on ne doit permettre au cheval de trait l'usage de la jument, qu'à quatre ans ou quatre ans & demi, & qu'à six ou sept ans aux chevaux fins. Les jumens peuvent avoir un an de moins. Elles sont en chaleur au printems, depuis la fin de Mars jusqu'à la fin de Juin ; le tems de la plus forte chaleur ne dure guere que quinze jours ou trois semaines. L'étalon qu'il faut avoir alors à leur donner, doit être bien choisi, beau, bien fait, relevé du devant ; vigoureux, sain par tout le corps, de bon pays.

Si l'on veut avoir des chevaux de selle fins & bien faits, il faut prendre des étalons étrangers, comme arabes, turcs, barbes, chevaux d'Andalousie ; ou à leur défaut, chevaux anglois ou napolitains : ils donneront des chevaux fins avec des jumens fines, & des chevaux de carrosse avec des jumens étoffées. On pourra prendre encore pour étalons des danois, des chevaux de Holstein, de Frise : on les choisira de belle taille ; il faut qu'ils ayent quatre piés huit, neuf, dix pouces, pour les chevaux de selle, & cinq piés pour le carrosse. Quant au poil, on préférera le noir de jais, le beau gris, le bai, l'alsan, l'isabelle doré, avec la raie du mulet, les crins & les extrémités noires ; tous les poils mal teints & d'une couleur lavée doivent être bannis des haras, ainsi que les chevaux à extrémités blanches.

Outre les qualités extérieures, il ne faut pas négliger les autres. L'étalon doit être courageux, docile, ardent, sensible, agile, libre des épaules, sûr des jambes, souple des hanches, &c. car le cheval communique par la génération presque toutes ses bonnes & mauvaises qualités naturelles & acquises.

On prendra les jumens bonnes nourrices ; il faut qu'elles ayent du corps & du ventre. On donnera à l'étalon des jumens italiennes & espagnoles, pour avoir des chevaux fins ; on les lui donnera normandes ou angloises, pour avoir des chevaux de carrosse. Il n'est pas inutile de savoir, 1°. que dans les chevaux on croit que le mâle contribue plus à la génération que la femelle, & que les poulains ressemblent plus au pere qu'à la mere : 2°. que les haras établis dans des terreins secs & legers, donnent des chevaux sobres, legers, vigoureux, à jambe nerveuse, à corne dure ; au lieu que dans les pâturages gras & humides, ils ont la tête grosse, le corps épais, les jambes chargées, la corne mauvaise, le pié plat : 3°. que de même qu'on change les graines de terreins pour avoir de belles fleurs, il faut pour avoir de bons chiens & de beaux chevaux, donner aux femelles des mâles étrangers ; sans quoi la race s'abâtardira. Dans ce croisement des races, il faut corriger les défauts les uns par les autres ; quand je dis les défauts, j'entens ceux de la conformation extérieure, ceux du caractere, ceux du climat, & les autres, & donner à la femelle qui peche par un défaut, un étalon qui peche par l'excès. L'usage de croiser les races, même dans l'espece humaine, qu'on ne fonde que sur des vûes politiques, a peut-être une origine beaucoup plus certaine & plus raisonnable. Quand on voit chez les peuples les plus grossiers & les plus sauvages, les mariages entre proches parens si rarement permis, ne seroit-ce pas que, par une expérience dont on a perdu toute mémoire, les hommes auroient connu de très-bonne heure le mauvais effet qui résulteroit nécessairement à la longue de la perpétuité des alliances du même sang ? Voyez, dans le 3e volume de l'histoire naturelle de MM. de Buffon & Daubenton, au chapitre du cheval, des conjectures très-profondes sur la cause de cet effet, & une infinité de choses excellentes, qu'il ne nous a pas été possible de faire entrer ni par extrait, ni en entier dans cet article : par extrait, parce que belles également par-tout, il nous étoit impossible de choisir ; en entier, parce qu'elles nous auroient mené trop au-delà de notre but. Il faut dans l'accouplement des chevaux, assortir les poils, les tailles, opposer les climats, contraster les figures, & écarter les jumens à queue courte ; parce que ne pouvant se défendre des mouches, elles se tourmentent & ont moins de lait. Il seroit à propos d'en avoir qui eussent toujours pâturé, & qui n'eussent jamais fatigué.

Quoique la chaleur soit depuis le commencement d'Avril jusqu'à la fin de Juin, cependant il y a des jumens qui avancent & d'autres qui reculent. Il ne faut point exposer le poulain à naître ou dans les grands froids, ou dans les grandes chaleurs.

Lorsque l'étalon & les jumens seront choisies, on aura un autre cheval entier qui ne servira qu'à faire connoître les jumens qui seront en chaleur, ou qui contribuera seulement à les y faire entrer ; on fera passer les jumens les unes après les autres devant ce cheval ; il voudra les attaquer toutes ; celles qui ne seront pas en chaleur, se défendront ; les autres se laisseront approcher : alors on lui substituera l'étalon. Cette épreuve est bonne, sur-tout pour connoître la chaleur des jumens qui n'ont pas encore produit.

Quand on menera l'étalon à la jument, on commencera par le panser : il faudra que la jument soit propre & déferrée des piés de derriere, de peur qu'étant chatouilleuse, elle ne rue : un homme la tiendra par un licol ; deux autres conduiront l'étalon par des longes ; quand il sera en situation, on aidera à l'accouplement en le dirigeant, & en détournant la queue de la jument : un crin qui s'opposeroit pourroit blesser l'étalon, & même dangereusement. Il arrive quelquefois que l'étalon ne se consomme pas : on le connoîtra si le tronçon de sa queue n'a pas pris un mouvement de balancier : ce mouvement accompagne toujours l'émission de la liqueur séminale. S'il a consommé, il faudra le ramener tout de suite à l'écurie, & l'y laisser jusqu'au sur-lendemain. Un bon étalon peut couvrir une fois tous les jours pendant les trois mois que dure la monte ; mais il vaut mieux le ménager, & ne lui donner une jument qu'une fois tous les deux jours.

On lui présentera donc dans les sept premiers jours quatre jumens différentes. Le neuvieme jour on lui ramenera la premiere ; & ainsi des autres, tant qu'elles seront en chaleur. Il y en a qui retiennent dès la premiere, la seconde, ou la troisieme fois. On compte qu'un étalon ainsi conduit, peut couvrir quinze ou dix-huit jumens, & produire dix à douze poulains dans les trois mois de cet exercice. Dans ces animaux la quantité & l'émission de la liqueur séminale est très-grande. Il s'en fait aussi une émission ou stillation dans les jumens. Elles jettent au-dehors une liqueur gluante & blanchâtre qu'on appelle des chaleurs, & qui disparoît dès qu'elles sont pleines. C'est à cette liqueur que les Grecs donnoient le nom d'hippomane de la jument, & dont ils faisoient des filtres. Voyez HIPPOMANE. On reconnoît encore la chaleur de la jument au gonflement de la partie inférieure de la vulve, aux hennissemens fréquens, & à l'ardeur avec laquelle elle cherche les chevaux.

Au lieu de conduire la jument à l'étalon, il y en a qui lâchent l'étalon dans le parquet, & l'y laissent choisir celles qui ont besoin de lui : cette maniere est bonne pour les jumens, mais elle ruine l'étalon.

Quand la jument a été couverte par l'étalon, on la ramene au pâturage sans autre précaution ; peut-être retiendroit-elle mieux, si on lui jettoit de l'eau fraîche, comme c'est l'usage de quelques peuples. Il faut donner la premiere fois à une jument un gros étalon ; parce que sans cela, son premier poulain sera petit : il faut aussi avoir égard à la réciprocité des figures, corriger les défauts de l'étalon ou de la jument par le contraste, comme nous avons dit, & ne point faire d'accouplemens disproportionnés.

Quand les jumens sont pleines, & que le ventre commence à s'appesantir, il faut les séparer des autres qui pourroient les blesser ; elles portent ordinairement onze mois & quelques jours ; elles accouchent debout, au contraire de presque tous les autres quadrupedes. On les aide en mettant le poulain en situation ; & quelquefois même, quand il est mort, on le tire avec des cordes. Le poulain se présente la tête la premiere, comme dans toutes les especes d'animaux ; il rompt ses enveloppes en sortant ; les eaux s'écoulent ; il tombe en même tems plusieurs morceaux solides qu'on appelle l'hippomane du poulin : la jument lêche le poulin, mais ne touche point à l'hippomane.

Quand on veut tirer de son haras tout le produit possible, on peut faire couvrir la jument neuf jours après qu'elle a pouliné ; cependant nourrissant son poulain né & son poulain à naître dans le même tems, ses forces seront partagées ; & il vaudroit mieux ne laisser couvrir les jumens que de deux années l'une.

Elles souffrent l'accouplement, quoique pleines ; mais il n'y a jamais de superfétation. Elles portent jusqu'à l'âge de quatorze ou quinze ans ; les plus vigoureuses sont fécondes jusqu'au-delà de dix-huit ; les chevaux jusqu'à vingt, & même au-delà. Ceux qui ont commencé de bonne heure, finissent plutôt.

Des poulains. Dès le tems du premier âge, on sépare les poulains de leurs meres : on les laisse teter cinq, six, ou tout au plus sept mois. Ceux qu'on ne sevre qu'à dix ou onze mois ne sont pas si bons, quoiqu'ils prennent plus de chair & de corps. Après les mois de lait, on leur donne du son deux fois par jour avec un peu de foin, dont on augmente la quantité à mesure qu'ils avancent en âge. On les tient dans l'écurie tant qu'on leur remarque de l'inquiétude pour leurs meres. Quand cette inquiétude est passée, & qu'il fait beau, on les conduit aux pâturages. Il ne faut pas les laisser paître à jeun ; il faut leur avoir donné le son, & les avoir abreuvés une heure avant que de les mettre à l'herbe, & ne les exposer ni à la pluie, ni au grand froid.

Ils passeront de cette maniere le premier hyver. Au mois de Mai suivant, on leur permettra tous les jours les pâturages ; on les y laissera coucher pendant l'été jusqu'à la fin d'Octobre, observant de les écarter des regains, de peur qu'ils ne s'accoûtument à cette herbe trop fine, & ne se dégoûtent du foin. Le foin sera leur nourriture principale pendant le second hyver, avec du son mêlé d'orge ou d'avoine moulus. On les dirigera de cette maniere, les laissant paître le jour pendant l'hyver, la nuit pendant l'été, jusqu'à l'âge de quatre ans qu'on les tirera du pâturage pour les nourrir à l'herbe seche. Ce changement de nourriture demande quelque précaution. On ne leur donnera pendant les huit premiers jours que de la paille ; d'autres y ajoutent quelques breuvages contre les vers. Mais à tout âge & dans tous les tems, l'estomac de tous les chevaux est farci d'une si prodigieuse quantité de vers, qu'ils semblent faire partie de leur constitution. Ils sont dans les chevaux sains comme dans les chevaux malades ; dans ceux qui paîssent l'herbe comme dans ceux qui ne mangent que de l'avoine & du foin. Les ânes ont aussi cette prodigieuse quantité de vers, & n'en sont pas plus incommodés. Ainsi peut-être ne faut-il pas regarder ces vers comme une maladie accidentelle, comme une suite des mauvaises digestions, mais plutôt comme un effet dépendant de la nourriture & de la digestion ordinaire de ces animaux.

C'est à deux ou trois ans, selon l'usage général, & dans certaines provinces, à un an ou dix-huit mois qu'on hongre les poulains. Pour cette opération, on leur lie les jambes ; on les renverse sur le dos ; on ouvre les bourses avec un bistouri ; on en tire les testicules ; on coupe les vaisseaux qui y aboutissent, & les ligamens qui les soutiennent ; on referme la plaie ; on fait baigner le cheval deux fois par jour pendant quinze jours ; on l'étuve souvent avec de l'eau fraîche, & on le nourrit avec du son détrempé dans beaucoup d'eau : on ne hongre qu'au printems & en automne. On n'hongre point en Perse, en Arabie, & autres lieux du Levant. Cette opération ôte aux chevaux la force, le courage, la fierté, &c. mais leur donne de la douceur, de la tranquillité, de la docilité. L'hongre peut s'accoupler, mais non engendrer. Voyez l'article CHATRER.

Quand on a sevré les jeunes poulains, il faut les mettre dans une écurie qui ne soit pas trop chaude, de peur de les rendre trop sensibles aux impressions de l'air ; leur donner souvent de la litiere fraîche, les bouchonner de tems en tems, mais ne les attacher & panser à la main qu'à l'âge de deux ans & demi ou trois ans ; un frottement trop rude les feroit dépérir. Il ne faut pas leur mettre le ratelier trop haut, de peur qu'ils n'en contractent l'habitude de tenir mal leur tête. On leur tondra la queue à un an ou dix-huit mois ; on les séparera à l'âge de deux ans ; on mettra les femelles avec les jumens, & les mâles avec les chevaux.

Dresser un cheval. C'est à l'âge de trois ans ou trois ans & demi qu'on commencera à les dresser. On leur mettra d'abord une selle legere & aisée ; on les laissera sellés pendant deux ou trois heures chaque jour ; on les accoutumera de même à recevoir un bridon dans la bouche, & à se laisser lever les piés sur lesquels on frappera quelques coups, comme pour les ferrer. S'ils sont destinés aux carrosses ou au trait, on leur mettra un harnois ou un bridon ; dans les commencemens il ne faut point de bride, ni pour les uns ni pour les autres. On les fera troter ensuite à la longe avec un caveçon sur le nez sur un terrein uni, sans être montés, & seulement avec la selle & le harnois sur le corps. Lorsque le cheval de selle tournera facilement & viendra volontiers auprès de celui qui tient la longe, on le montera & on le descendra dans la même place, & sans le faire marcher, jusqu'à ce qu'il ait quatre ans. Avant cet âge, il n'est pas encore assez fort pour le poids du cavalier. A quatre ans on le montera pour le faire marcher au pas, au trot, & toujours à petites reprises.

Quand le cheval de carrosse sera accoûtumé au harnois, on l'attellera avec un autre cheval fait, en lui mettant une bride, & on le conduira avec une longe passée dans la bride jusqu'à ce qu'il commence à être sage au trait ; alors le cocher essayera de le faire reculer, ayant pour aide un homme devant, qui le poussera en arriere avec douceur, & même lui donnera de petits coups. Tout cela se fera avant que les chevaux ayent changé de nourriture ; car quand une fois ils sont engrainés ou au grain ou à la paille, ils deviennent plus difficiles à dresser.

Monter un cheval. Nous commandons aux chevaux par le mors & par l'éperon : le mors rend les mouvemens plus précis, l'éperon les rend plus vîtes. La bouche est si sensible dans le cheval, que la moindre pression du mors l'avertit & le détermine : la grande sensibilité de cet organe veut être ménagée ; quand on en abuse, on la détruit. On ne parle point au cheval au manege : tirer la bride, & donner de l'éperon en même tems, c'est produire deux effets contraires, dont la combinaison est de cabrer le cheval. Quand un cheval est bien dressé, la moindre pression des cuisses, le moindre mouvement du mors, suffisent pour le diriger, l'éperon devient presque inutile.

Les anciens surent très-bien se faire entendre à leurs chevaux, sans la bride & sans l'éperon, quand ils les monterent ; ce qui n'arriva que tard. Il n'y a presque pas un seul vestige d'équitation dans Homere : on ne voit dans les bas reliefs, du moins pour la plûpart, ni bride ni éperon ; il n'est point parlé d'étriers dans les auteurs grecs & latins. Un grec, du tems de Xénophon, pour monter à cheval, prenoit de la main droite la criniere avec les renes ; & quand il étoit trop pesant, un écuyer l'aidoit à monter, à la mode des Perses. Les Perses avoient appris aux chevaux à s'accroupir. Les Romains s'apprenoient à monter sur des chevaux de bois ; ils montoient à droite, à gauche, sans armes d'abord, puis armés. L'usage de ferrer les chevaux est ancien, mais il fut peu fréquent jadis ; les mules & les mulets l'ont été de tout tems. Le luxe fut porté sous Néron jusqu'à ferrer les chevaux d'argent & d'or. Il paroît qu'on ne les ferroit pas chez les Grecs, puisque Xénophon prescrit la maniere dont on durcira la corne aux chevaux : cependant il est parlé d'un fer à cheval dans Homere, liv. II. iliad. vers. 151.

Les chevaux bridés à la romaine ont un mors sans renes. Les Romains montoient aussi à nud, sans bride & sans selle. Les Massagetes couvroient de fer la poitrine de leurs chevaux. Les Numides couroient à nud, & étoient obéis de leurs chevaux comme nous le sommes de nos chiens. Les Perses les couvroient aussi de fer au front & à la poitrine. Les chevaux de course étoient estimés au tems d'Homere & des jeux olympiques, comme une grande richesse : ils ne l'étoient pas moins des Romains ; on gravoit sur des pierres, on exécutoit en marbre ceux qui s'étoient signalés par leur vîtesse, ou qui se faisoient remarquer par l'élégance de leurs formes : on leur érigeoit des sépulcres, où leurs noms & leurs pays étoient inscrits ; on les marquoit à la cuisse : les Grecs avoient deux lettres destinées à cet usage, le coppa, & le san ; le coppa étoit fait comme notre Q, & les chevaux ainsi marqués s'appelloient coppariae : le san étoit le sigma , mais ils le marquoient comme notre grand C, & les chevaux marqués du san s'appelloient samphorae. On a vu plus haut que c'étoit aussi l'usage de nos jours en quelques contrées de marquer les chevaux.

On donne à la tête du cheval, par le moyen de la bride, un air avantageux ; on la place comme elle doit être ; & le signe le plus leger fait prendre sur le champ au cheval, ses différentes allures, qu'on s'applique à perfectionner.

Monter à cheval. Pour monter à cheval, il faut s'approcher assez près de l'épaule du cheval, raccourcir les renes avec la main droite jusqu'au point d'appuyer le mors sur la barre, saisir alors une poignée de la criniere avec les renes de la main gauche, porter la main droite à l'endroit où l'étriviere joint l'étrier, pour tourner l'étrier du bon côté afin d'y passer le pié gauche ; porter ensuite la main droite au trousquin de la selle, élever le corps, & passer la jambe droite, de façon qu'en passant elle chasse la main droite, sans tomber à coup sur la selle.

Descendre de cheval. Pour descendre de cheval, il faut se soulever sur la selle, en appuyant la main droite sur la bâte droite du devant de la selle, dégager auparavant le pié de l'étrier, passer ensuite la jambe par-dessus la croupe, en la faisant suivre par la main droite qui s'appuiera sur le trousquin de la selle, comme on avoit fait en montant, & donnera la facilité de poser doucement le pié droit par terre. Au reste il paroît utile d'avoir un cheval de bois sur lequel on mette une selle pareille à celles dont on se sert ordinairement, & d'apprendre sur ce cheval à monter & descendre dans les regles : on y placera aussi facilement le corps, les cuisses & les jambes du cavalier, dans la meilleure situation où elles puissent être : ce cheval ne remuant ni ne dérangeant le cavalier, il restera dans la meilleure attitude aussi longtems qu'il lui sera possible, & en prendra ainsi plus aisément l'habitude. S'il s'agissoit d'instruire un régiment de cavalerie, il faudroit absolument choisir un certain nombre de cavaliers qui auroient le plus de disposition & d'intelligence, & après leur avoir appris, leur ordonner de montrer aux autres ; observant dans les commencemens que cet exercice s'exécutât devant soi, afin de s'assurer que ceux qu'on a instruits rendent bien aux autres ce qu'ils ont appris.

Se tenir à cheval, ou posture du corps à cheval. Dans la posture du corps à cheval, il faut se considérer comme divisé en trois parties ; le tronc, les cuisses, & les jambes.

Il faut que le tronc soit assis perpendiculairement sur le cheval, de maniere que la ligne qui tomberoit du derriere de la tête tout le long des reins soit perpendiculaire au cheval. Comme il faut prendre cette position sans avoir égard aux cuisses, le moyen de savoir si on l'a bien prise, c'est de soulever les deux cuisses en même tems ; si l'on exécute aisément ce mouvement, on peut en inférer que le tronc est bien assis.

On laisse descendre les cuisses aussi bas qu'elles peuvent aller, sans déranger l'assiette du tronc. Il ne faut pas s'opiniâtrer à les faire descendre à tous les hommes au même point : elles descendent plus bas aux uns qu'aux autres ; cela dépend de la conformation ; l'exercice peut aussi y contribuer : il ne faut point les forcer ; on ne le pourroit sans déranger l'assiette du corps.

Pour les jambes, auxquelles il ne faut passer qu'après l'arrangement du tronc & des cuisses, il faut les laisser descendre naturellement suivant leur propre poids. Lorsqu'on dit qu'il faut qu'elles soient sur la ligne du corps, on ne veut pas dire qu'elles doivent faire partie de la ligne du corps, cela est impossible en conservant l'assiette du corps telle qu'on l'a prescrite ; ce qu'il faut entendre, c'est qu'en les laissant descendre sans conserver aucune roideur dans le genou, elles doivent former deux lignes paralleles à la ligne du tronc.

C'est à l'extrémité de ces paralleles qu'il faut fixer les étriers, qui ne doivent que supporter simplement les piés à plat, & dans la situation où ils se trouvent, sans les tourner, sans peser sur les étriers : ces actions mettroient de la roideur dans le genou & dans la jambe, fatigueroient & empêcheroient le liant qui doit être dans les différens mouvemens qu'on est obligé de faire des jambes pour conduire le cheval.

En général, quand on est obligé de serrer les cuisses, il faut que ce soit sans déranger l'assiette du corps, & sans mettre de roideur dans les jambes ; & quand on est obligé d'approcher les jambes, il faut que ce soit doucement, sans déranger ni les cuisses ni le corps en aucune façon.

Faire partir le cheval. Pour faire partir le cheval, il faut employer les jambes & la main en même tems. Si c'est pour aller droit devant soi, on approche également les deux jambes, & on rend un peu la main ; s'il faut tourner, on tire un peu la rêne du côté qu'on veut tourner, afin d'y porter la tête du cheval, & on approche les deux jambes en même tems, observant d'approcher plus ferme celle du côté qu'on veut tourner le cheval : si on n'en approchoit qu'une, le derriere du cheval se rangeroit trop à coup du côté opposé. La main en dirigeant la tête du cheval, en conduit les épaules, & les deux jambes en conduisent les hanches & le derriere. Quand ces deux actions ne sont pas d'accord, le corps du cheval se met en contorsion, & n'est pas ensemble. Quand il s'agit de reculer, on leve doucement la main, & on tient les deux jambes à égale distance, cependant assez près du cheval pour qu'il ne dérange pas ses hanches & ne recule pas de travers.

Voilà les principaux mouvemens, les plus essentiels : nous ne finirions jamais si nous entrions dans le détail de tout ce qu'on exige du cheval & du cavalier dans un manege ; on le trouvera distribué aux différens articles de ce Dictionnaire. Voyez les articles MANEGE, VOLTE, PASSEGER, &c. Nous allons seulement exposer des allures du cheval, les premieres, les moins composées, & les plus naturelles, telles que le pas, le trot, le galop ; nous ajoûterons un mot de l'amble, de l'entrepas, & de l'aubin. Le cheval prend ces différentes allures, selon la vîtesse avec laquelle on le fait partir.

Des allures du cheval. Du pas. Le pas est la plus lente ; cependant il doit être assez promt ; il ne le faut ni allongé ni raccourci. La légereté de la démarche du cheval dépend de la liberté des épaules, & se reconnoît au port de la tête : s'il la tient haute & ferme, il est vigoureux & leger ; si le mouvement des épaules n'est pas libre, la jambe ne se leve pas assez, & le cheval est sujet à heurter du pié contre le terrein : si les épaules sont encore plus serrées, & que le mouvement des jambes en paroisse indépendant, le cheval se fatigue, fait des chûtes, & n'est capable d'aucun service. Le cheval doit être sur la hanche, c'est-à-dire hausser les épaules & baisser la hanche en marchant.

Quand le cheval leve la jambe de devant pour marcher, il faut que ce mouvement soit facile & hardi, & que le genou soit assez plié : la jambe pliée doit paroître comme soûtenue en l'air, mais peu ; sans quoi elle retomberoit trop lentement, & le cheval ne seroit pas leger. Quand la jambe retombe, le pié doit être ferme, & appuyer également sur la terre, sans que la tête soit ébranlée : si la tête baisse quand la jambe retombe, c'est ordinairement afin de soulager l'autre jambe qui n'est pas assez forte pour soûtenir le poids du corps ; défaut considérable, aussi bien que celui de porter le pié en-dehors ou en-dedans. Quand le pié appuie sur le talon, c'est marque de foiblesse ; s'il pose sur la pince, l'attitude est forcée & fatigante pour le cheval.

Mais il ne suffit pas que les mouvemens du cheval soient fermes & legers, il faut qu'ils soient égaux & uniformes dans le train de devant & celui de derriere. Le cavalier sentira des secousses, si la croupe balance tandis que les épaules se soûtiennent ; il en arrivera de même s'il porte le pié de derriere au-delà de l'endroit où le pié de devant a posé. Les chevaux qui ont le corps court sont sujets à ce défaut : ceux dont les jambes se croisent ou s'atteignent, n'ont pas la démarche sûre : en général ceux dont le corps est long sont plus commodes pour le cavalier, parce qu'il se trouve plus éloigné du centre des mouvemens.

Les quadrupedes marchent ordinairement en portant à-la-fois en avant une jambe de devant & une jambe de derriere : lorsque la jambe droite de devant a parti, la jambe gauche de derriere suit & avance : ce pas étant fait, la jambe gauche de devant part à son tour, puis la jambe droite de derriere, & ainsi de suite. Comme leur corps porte sur quatre points d'appui qui seroient aux angles d'un quarré long, la maniere la plus commode de se mouvoir est d'en changer deux en diagonale, de façon que le centre de gravité du corps de l'animal ne fasse qu'un petit mouvement, & reste toûjours à-peu-près dans la direction des deux points d'appui qui ne sont pas en mouvement.

Cette regle s'observe dans les trois allures naturelles du cheval, le pas, le trot, & le galop : dans le pas, le mouvement est à quatre tems & à trois intervalles, dont le premier & le dernier sont plus courts que celui du milieu ; si la jambe droite de devant a parti la premiere, l'instant suivant partira la jambe gauche de derriere, le troisieme instant la jambe gauche de devant, & le quatrieme instant la jambe droite de derriere : ainsi le pié droit de devant posera à terre le premier, le pié gauche de derriere le second, le pié gauche de devant le troisieme, & le pié droit de derriere le quatrieme & le dernier.

Du trot. Dans le trot il n'y a que deux tems & qu'un intervalle : si la jambe droite de devant part, la jambe gauche de derriere part en même tems, sans aucun intervalle ; ensuite la jambe gauche de devant, & la jambe droite de derriere en même tems : ainsi le pié droit de devant & le pié gauche de derriere posent à terre ensemble, & le pié gauche de devant avec le pié droit de derriere en même tems.

Du galop. Dans le galop il y a ordinairement trois tems & deux intervalles : comme c'est une espece de saut où les parties antérieures du cheval sont chassées par les parties postérieures, si des deux jambes de devant la droite doit avancer plus que la gauche, le pié gauche de derriere posera à terre pour servir de point d'appui à l'élancement : ce sera le pié gauche de derriere qui fera le premier tems du mouvement, & qui posera à terre le premier ; ensuite la jambe droite de derriere se levera conjointement avec la jambe gauche de devant, & elles retomberont à terre en même tems ; & enfin la jambe droite de devant qui s'est levé un instant après la gauche de devant & la droite de derriere, se posera à terre la derniere, ce qui fera le troisieme tems. Dans le premier des intervalles, quand le mouvement est vîte, il y a un instant où les quatre jambes sont en l'air en même tems, & où l'on voit les quatre fers du cheval à la fois. Si la cadence de ce pas est bien reglée, le cheval appuiera le pié gauche de derriere au premier tems ; le pié droit de derriere retombera le premier, & fera le second tems ; le pié gauche de devant retombera ensuite, & marquera le troisieme tems ; & enfin le pié droit de devant retombera le dernier, & fera un quatrieme tems. Mais il n'est pas ordinaire que cette cadence soit aussi réguliere, & soit à quatre tems & à trois intervalles, au lieu d'être, comme nous l'avons dit d'abord, à deux intervalles & à trois tems.

Les chevaux galopent ordinairement sur le pié droit, de la même maniere qu'ils partent de la jambe droite de devant pour marcher & pour troter : ils entament aussi le chemin en galopant par la jambe droite de devant ; cette jambe de devant est plus avancée que la gauche ; de même la jambe droite de derriere qui suit immédiatement la droite de devant, est aussi plus avancée que la gauche de derriere, & cela constamment tant que le galop dure : d'où il résulte que la jambe gauche qui porte tout le poids, & qui pousse les autres en-avant, est la plus fatiguée. Il seroit donc à-propos d'exercer les chevaux à galoper indifféremment des deux piés de derriere, & c'est aussi ce que l'on fait au manege.

Les jambes du cheval s'élevent peu dans le pas ; au trot elles s'élevent davantage ; elles sont encore plus élevées dans le galop. Le pas, pour être bon, doit être promt, leger & sûr ; le trot, promt, ferme, & soûtenu ; le galop, promt, sûr, & doux.

De l'amble. On donne le nom d'allures non naturelles aux suivantes, dont la premiere est l'amble. Dans cette allure, les deux jambes du même côté partent en même tems pour faire un pas, & les deux jambes de l'autre côté en même tems, pour faire un second pas ; mouvement progressif, qui revient à-peu-près à celui des bipedes. Deux jambes d'un côté manquent alternativement d'appui, & la jambe de derriere d'un côté avance à un pié ou un pié & demi au-delà de la jambe du devant du même côté. Plus cet espace, dont le pié de derriere d'un côté gagne sur celui de devant du même côté, est grand, meilleur est l'amble. Il n'y a dans l'amble que deux tems & un intervalle. Cette allure est très-fatigante pour le cheval, & très-douce pour le cavalier. Les poulains qui sont trop-foibles pour galoper la prennent naturellement, de même que les chevaux usés, quand on les force à un mouvement plus promt que le pas. Elle peut donc être regardée comme défectueuse.

De l'entrepas & de l'aubin. Ces deux allures sont mauvaises ; on les appelle trains rompus ou desunis. L'entrepas tient du pas & de l'amble, & l'aubin du trot & du galop. L'un & l'autre viennent d'excès de fatigue ou de foiblesse des reins. Les chevaux de messagerie prennent l'entrepas au lieu du trot ; & les chevaux de poste, l'aubin au lieu du galop, à mesure qu'ils se ruinent.

Quelques observations sur la connoissance des chevaux ; âge, accroissement, vie, &c. On juge assez bien du naturel & de l'état actuel d'un cheval par le mouvement des oreilles. Il doit, quand il marche, avoir la pointe des oreilles en-avant : s'il est fatigué, il a l'oreille basse ; s'il est en colere & malin, il porte alternativement l'une en-avant, l'autre en-arriere. Celui qui a les yeux enfoncés, ou un oeil plus petit que l'autre, a ordinairement la vûe mauvaise : celui qui a la bouche seche n'est pas d'un si bon tempérament que celui qui l'a fraîche & écumeuse. Le cheval de selle doit avoir les épaules plates, mobiles, & peu chargées ; le cheval de trait doit les avoir grosses, rondes & charnues. Si les épaules d'un cheval de selle sont trop seches, & que les os paroissent trop avancer sous la peau, ses épaules ne seront pas libres, & il ne pourra supporter la fatigue. Il ne faut pas qu'il ait le poitrail trop avancé, ni les jambes de devant retirées en-arriere ; car alors il sera sujet à peser sur la main en galopant, même à broncher & à tomber. La longueur des jambes doit être proportionnée à la taille ; si celles de devant sont trop longues, il ne sera pas assûré sur ses piés ; si elles sont trop courtes, il sera pesant à la main. Les jumens sont plus sujettes que les chevaux à être basses de devant, & les chevaux entiers ont le cou plus gros que les jumens & les hongres. Les vieux chevaux ont les salieres creuses ; mais cet indice de vieillesse est équivoque : c'est aux dents qu'il faut recourir. Le cheval a quarante dents, vingt-quatre mâchelieres, quatre canines, douze incisives. Les jumens ou n'en ont point de canines, ou les ont courtes. Les mâchelieres ne servent point à désigner l'âge ; c'est par les dents de devant, & ensuite par les canines qu'on en juge. Les douze de devant commencent à pousser quinze jours après la naissance ; elles sont rondes, courtes, peu solides, tombent en différens tems, & sont remplacées par d'autres. A deux ans & demi, les quatre de devant du milieu tombent les premieres, deux en-haut & deux em-bas ; un an après il en tombe quatre autres, une de chaque côté des premieres remplacées ; à quatre ans & demi il en tombe quatre autres, toûjours à côté de celles qui sont tombées & qui ont été remplacées. Ces quatre dernieres dents sont remplacées par quatre qui ne croissent pas à beaucoup près aussi vîte que celles qui ont remplacé les huit premieres. Ce sont ces quatre dernieres dents qu'on appelle les coins, qui remplacent les quatre dernieres dents de lait, & qui marquent l'âge du cheval. Elles sont aisées à reconnoître, puisqu'elles sont les troisiemes tant en-haut qu'em-bas, à compter depuis le milieu de la mâchoire. Elles sont creuses, & ont une marque noire dans leur concavité. A quatre ans & demi ou cinq ans, elles ne débordent presque plus au-dessus de la gencive, & le creux est fort sensible. A six ans & demi il commence à se remplir ; la marque commence aussi à diminuer & à se retrécir, & toûjours de plus en plus jusqu'à sept ans & demi ou huit ans, que le creux est tout-à-fait rempli, & la marque noire effacée. A huit ans passés, comme ces dents ne marquent plus l'âge, on cherche à en juger par les dents canines ou crochets ; ces quatre dents sont à côté de celles-ci. Les canines, non plus que les mâchelieres, ne sont pas précédées par d'autres dents qui tombent ; les deux de la mâchoire inférieure poussent ordinairement les premieres à trois ans & demi, & les deux de la mâchoire supérieure à quatre ans ; & jusqu'à l'âge de six ans, ces dents sont fort pointues. A dix ans, celles d'en-haut paroissent déjà émoussées, usées, & longues, parce qu'elles sont déchaussées ; & plus elles le sont, plus le cheval est vieux. Depuis dix jusqu'à treize ou quatorze ans, il n'y a plus d'indice. Seulement les poils de sourcils commencent à devenir blancs ; mais ce signe est équivoque. Il y a des chevaux dont les dents ne s'usent point, & où la marque noire reste toûjours ; on les appelle béguts ; mais le creux de la dent est absolument rempli. On les reconnoît encore à la longueur des dents canines. Il y a plus de jumens que de chevaux béguts. L'âge efface aussi les sillons du palais.

La durée de la vie des chevaux, ainsi que des autres animaux, est proportionnée à la durée de l'accroissement. Le cheval, dont l'accroissement se fait en quatre ans, peut vivre six ou sept fois autant, vingt-cinq ou trente ans. Les gros chevaux vivent moins que les fins ; aussi s'accroissent-ils plus vîte.

Les chevaux, de quelque poil qu'ils soient, muent une fois l'an, ordinairement au printems, quelquefois en automne ; il faut alors les ménager ; il y en a qui muent de corne.

On appelle hennissement le cri du cheval ; & l'on reconnoît assez distinctement cinq sortes de hennissemens, relatifs à cinq passions différentes.

Le cheval leche, mais rarement ; il dort moins que l'homme. Quand il se porte bien, il ne demeure guere que trois heures de suite couché sans se relever ; il y en a qui ne se couchent point. En général, les chevaux ne dorment que trois ou quatre heures sur vingt-quatre. Ils boivent par le seul mouvement de déglutition, en enfonçant profondément le nez dans l'eau. Il y a des auteurs qui pensent que la morve, qui a son siége dans la membrane pituitaire, est la suite d'un rhume occasionné par la fraîcheur de l'eau.

De toutes les matieres tirées du cheval, & célébrées par les anciens comme ayant de grandes vertus médicinales, il n'y en a pas une qui soit en usage dans la médecine moderne, excepté le lait de jument. Voyez LAIT.

Les principales marchandises que le cheval fournit après sa mort, sont le crin, le poil, la corne, & le cuir. On fait du crin, des boutons, des tamis, des toiles, & des archets d'instrumens à corde ; on en rembourre les selles & les meubles, & on le commet en cordes. Les Tabletiers-Peigners font quelques ouvrages de corne de cheval. Le cuir passe chez les Tanneurs & les Selliers-Bourreliers.

Le cheval, chez les anciens, étoit consacré à Mars ; c'étoit un signe de guerre. Les poëtes supposent quatre chevaux au soleil, qu'ils ont appellés Eoüs, Pyroïs, Aëton & Phlegon. Le cheval est le symbole de Carthage dans les médailles puniques. On désigne la paix par des chevaux paissans en liberté. Le cheval bondissant sert d'emblème à l'Espagne. Le coursier étoit celle des victorieux aux jeux olympiques. Bucéphale servoit de symbole aux rois de Macédoine. Le cheval étoit l'empreinte presque ordinaire des monnoies gauloises. Les Germains avoient des chevaux sacrés qui rendoient des oracles par le hennissement ; ils étoient entretenus aux dépens du public, & il n'y avoit que les prêtres & le roi qui en approchassent.

Il y a peu d'animaux qu'on ait autant étudié que le cheval. La Maréchallerie, qui pourroit très-bien faire une science d'observations & de connoissances utiles relatives à cet animal, sans avoir sa nomenclature particuliere, n'a pas négligé cette petite charlatanerie. Il n'y a presque pas une partie du cheval qui n'ait un nom particulier, quoiqu'il n'y ait presque pas une de ces parties qui n'ait sa correspondante dans l'homme, & qui ne pût être nommée du même nom dans ces deux animaux. On trouvera aux différens articles de ce Dictionnaire l'explication de ces noms. Voyez AVIVES, LARMIERS, CHANFREIN, GANACHE, &c.

La différence des poils a considérablement augmenté cette nomenclature ; chaque couleur & chaque teinte a son nom. Un cheval est ou aubere, ou alzan, ou zain, &c. Voyez ces articles.

Il en est de même des exercices du manege, relatifs soit à l'homme, soit au cheval. On trouvera ces exercices à leurs mots.

Après l'homme, il n'y a point d'animal à qui l'on reconnoisse autant de maladies qu'au cheval. Voyez ces maladies à leurs différens articles. Voyez aussi, pour une connoissance plus entiere de l'animal, Aldrovande, de quadrup. & soliped. Le nouveau parfait Maréchal, par M. de Garsault. L'école & les élémens de cavalerie, de M. de la Gueriniere. Le Newcastle. Le véritable & parfait maréchal, par M. de Soleysel ; & sur-tout le troisieme volume de l'histoire naturelle de MM. de Buffon & Daubenton. C'est dans cette derniere source que nous avons puisé la meilleure partie de cet article.

CHEVAL DE RENCONTRE, (Jurisprud.) Dans la coûtume de Poitou, art. 187. est la prestation d'un cheval de service, qui est dûe par le vassal au seigneur, lorsque dans une même année il y a eu deux ouvertures pour ce droit ; une par mutation de vassal, une par mutation de seigneur. Il n'est dû en ce cas qu'un seul cheval, dit la coûtume, pourvû que les deux chevaux se rencontrent dans un arc ; & le cheval qui est fourni est nommé dans ce cas cheval de rencontre, parce que la rencontre de ce cheval abolit l'autre qui auroit été dû pour la mutation. Voyez CHEVAL DE SERVICE, CHAT RENCONTRENTRE. (A)

CHEVAL DE SERVICE, (Jurisprud.) c'est un cheval qui est dû par le vassal au seigneur féodal. L'origine de ce devoir est fort ancienne : on voit dans une constitution de Conrard II. de beneficiis, qui est rapportée au liv. V. des fiefs, que les grands vassaux faisoient des présens de chevaux & d'armes à leur seigneur : majores valvassores dominis suis, quos seniores appellant, solemnia munera offerunt, arma scilicet & equos. Il y est dit aussi qu'à la mort du vassal c'étoit la coûtume que ses enfans & successeurs donnoient au seigneur ses chevaux & ses armes ; & encore actuellement, en plusieurs lieux de l'Allemagne, après le décès du pere de famille, son meilleur cheval ou habit est dû au seigneur. L'ancienne coûtume de Normandie, chap. xxxjv. parle du service de cheval qui est dû par les valvasseurs ; mais il ne faut pas confondre, comme font plusieurs auteurs, le service de cheval avec le cheval de service ; le premier est le service militaire que le vassal doit faire à cheval pour son seigneur ; le second est la prestation d'un cheval, dûe par le vassal au seigneur, pour être quitte du service militaire sa vie durant ; c'est ce que l'on voit dans Beaumanoir, chap. xxviij. p. 142. & dans une charte de Philippe-Auguste de l'an 1222, où le fief qui doit le cheval de service est appellé fief franc, ou liberum feodum per servitium unius runcini. Voyez SERVICE DE CHEVAL.

Il est parlé du cheval de service dans plusieurs coûtumes, telles que Montargis, Orléans, Poitou, grand Perche, Meaux, Anjou, Maine, Châteauneuf, Chartres, Dreux, Dunois, Hainaut. Quelques-unes l'appellent roucin de service. V. ROUCIN.

Le cheval de service est dû en nature, ou du moins l'estimation ; c'est ce que Bouthillier entend dans sa somme rurale, lorsqu'il dit qu'aucuns fiefs doivent cheval par prix.

Dans les coûtumes d'Orléans & de Montargis, il est estimé à 60 sols, & est levé par le seigneur une fois en sa vie ; & n'est pas dû, si le fief ne vaut par an au moins dix livres tournois de revenu.

La coûtume de Hainaut, ch. lxxjx. dit que quand le vassal qui tenoit un fief-lige, est décédé, le seigneur ou son bailli prend le meilleur cheval à son choix, dont le défunt s'aidoit, & quelques armures ; & qu'au défaut de cheval le seigneur doit avoir 60 sols.

Dans les coûtumes d'Anjou & du Maine, il est dû à toute mutation de seigneur & de vassal, & est estimé cent sols.

Dans celle du grand Perche, il est dû à chaque mutation d'homme ; le vassal n'est tenu de le payer qu'après la foi & hommage, & il estimé à 60 sols & un denier tournois. Il n'est pas dû pour simple renouvellement de foi.

Enfin, par les coûtumes de Château-neuf, Chartres, & Dreux, le cheval de service se leve à proportion de la valeur du fief. Quand le fief est entier, c'est-à-dire quand il vaut 60 sols de rachat, le cheval est dû ; & le cheval entier vaut 60 sols. Si le fief vaut moins de 60 sols de revenu, le cheval se paye à proportion ; il se demande par action, & ne peut se lever qu'une seule fois en la vie du vassal, lorsqu'il doit rachat & profit de fief.

Anciennement le cheval de service devoit être essayé avec le hautbert en croupe, qui étoit l'armure des chevaliers ; il falloit qu'il fût ferré des quatre piés ; & si le cheval étoit en état de faire douze lieues en un jour, & autant le lendemain, le seigneur ne pouvoit pas le refuser sous prétexte qu'il étoit trop foible. Voyez le chap. 129. des établissemens de France. Voyez aussi la bibliot. du droit franç. par Bouchel, & le gloss. de M. de Lauriere, au mot cheval de service. (A)

CHEVAL TRAVERSANT, (Jurisprud.) est le cheval de service que le vassal qui tient à hommage plein, doit par la mutation du seigneur féodal en certains endroits du Poitou ; savoir, dans le pays de Gastine, Fontenay, Douvant & Mervant. Il ne faut pas confondre ce cheval avec celui qui est dû par la mutation du vassal. On appelle le premier, cheval traversant, parce qu'étant dû par la mutation du seigneur, & devant être payé par le vassal dès le commencement de la mutation, ce cheval passe & traverse toûjours au sujet médiat & suserain qui leve le rachat du fief-lige du seigneur féodal & immédiat du vassal ; au lieu que le cheval qui est dû par la mutation du vassal ne devant être payé qu'à la fin de l'année de la mutation, ce cheval ne passe ou ne traverse pas toûjours au seigneur suserain & médiat, mais seulement lorsque la mutation de la part du vassal qui tient par hommage plein, précede celle qui arrive de la part du seigneur féodal immédiat qui tient par hommage lige du seigneur suserain. Il en est parlé dans l'article 168 & 185 de la coûtume de Poitou.

Lorsque la mutation arrive de la part du vassal dont le fief est tenu par hommage plein, l'héritier du vassal, suivant l'article 165 de la même coûtume, doit dans les mêmes endroits du Poitou, au seigneur féodal immédiat, à la fin de l'année de la mutation, un cheval de service, si dans l'an de la mutation du vassal qui tient par hommage plein, le seigneur féodal immédiat vient à décéder ; & si son fief tenu à hommage lige court en rachat, l'héritier du vassal dont le fief est tenu à hommage plein, par l'article 168. de la coûtume de Poitou, est obligé de payer ce cheval de service non à l'héritier du seigneur féodal décédé, mais au seigneur suserain & médiat qui leve le rachat du fief-lige ; & ce cheval passant ainsi au seigneur médiat, à l'exclusion de l'héritier du seigneur immédiat, il semble qu'on pourroit l'appeller aussi cheval traversant, comme le premier dont on a parlé ; cependant on n'appelle proprement cheval traversant que celui qui est dû pour la mutation du seigneur féodal par le vassal qui tient à hommage plein. Voy. le glossaire de M. de Lauriere, au mot cheval traversant. (A)

CHEVAL MARIN, s. m. hippocampus, (Hist. nat. Ichthiolog.) poisson de mer : selon Arthedi, on l'avoit mis au nombre des insectes. Il est d'une figure si singuliere, qu'on a prétendu qu'il ressembloit à une chenille par la queue, & à un cheval par le reste du corps ; c'est pourquoi on l'a nommé cheval marin : ce qui a donné lieu à ces comparaisons, c'est que la queue de cet insecte se contourne en différens sens comme les chenilles, & que le reste du corps a quelque rapport à la tête, à l'encolure & au poitrail d'un cheval pour la figure. Cet insecte a des entailles sur tout le corps ; sa longueur est de neuf pouces au-plus ; il n'est pas plus gros que le pouce ; il a un bec allongé en forme de tuyau creux, qui se ferme & s'ouvre par le moyen d'une sorte de couvercle qui est dans le bas ; ses yeux sont ronds & saillans ; il a sur le sommet de la tête des poils hérissés & d'autres poils sur le corps ; ils sont tous si fins qu'on ne peut les voir que lorsque l'insecte est dans l'eau ; la tête & le cou sont fort menus & le ventre fort gros à proportion ; il a deux petites nageoires qui ressemblent à des oreilles, & qui sont placées à l'endroit où se trouvent les oüies des poissons ; il a deux trous plus haut que les nageoires, & deux autres sous le ventre. Les excrémens sortent par l'un de ceux-ci, & les oeufs par l'autre. La queue est plus mince que le corps ; elle est quarrée & garnie de piquans, de même que le corps qui est composé d'anneaux cartilagineux joints les uns aux autres par des membranes. Le cheval marin est brun & parsemé de points blancs ; le ventre est de couleur blanchâtre, Rondelet. Il y a sur le dos une nageoire composée de trente-quatre piquans. Voyez Arthedi, Ichthiolog. gén. pisc. pag. 1. Voyez INSECTE. (I)

CHEVAL MARIN, voyez HIPPOPOTAME.

CHEVAL, PETIT CHEVAL, ou equuleus, (Astron.) nom que donnent les Astronomes à une constellation de l'hémisphere du nord. Les étoiles de cette constellation sont au nombre de quatre dans le catalogue de Ptolomée & dans celui de Tycho, & elles sont au nombre de dix dans celui de Flamsteed. (O)

CHEVAL DE BOIS, (Art milit.) est une espece de cheval formé de deux planches élevées sur des treteaux, sur lequel on met les soldats & les cavaliers pour les punir de quelques fautes legeres. Voy. CHATIMENS MILITAIRES. (Q)

CHEVAL DE FRISE, (Art milit.) c'est dans la guerre des sieges & dans celle de campagne, une grosse piece de bois percée & traversée par d'autres pieces de bois plus petites & taillées en pointe. On s'en sert pour boucher les passages étroits, les breches, &c. Ils servent aussi d'une espece de retranchement, derriere lequel les troupes tirent sur l'ennemi qui se trouve arrêté dans sa marche ou dans son attaque par l'obstacle que ce retranchement lui oppose. On les appelle chevaux de frise, parce qu'on prétend que l'usage en a commencé dans cette partie des Provinces-unies.

Le cheval de frise a ordinairement douze ou quatorze piés de long & six pouces de diametre. Les chevilles ou pointes de bois dont il est hérissé ou garni, ont cinq ou six piés de long ; elles sont quelquefois armées de fer. Voyez Pl. XIII. de Fortific. (Q)

CHEVAL DE TERRE, (Marbrier) c'est ainsi que ces ouvriers appellent les espaces remplis de terre qui se découvrent quelquefois dans le solide des blocs, & qui peuvent gâter leurs plus beaux ouvrages.


CHEVALEMENTS. m. espece d'étai composé d'une ou de plusieurs pieces de bois ; c'est avec le chevalement qu'on soûtient les étages supérieurs, quand il s'agit de reprendre un bâtiment sous oeuvre. Il est composé de grosses pieces de bois horisontales qui traversent le bâtiment, qui sont soûtenues en-dessous par des chevalets ou des étais ordinaires, & qui portent en l'air toute la partie du bâtiment qu'il s'agit de conserver, & sous laquelle il faut travailler.


CHEVALERverb. en termes de Manége, se dit de l'action du cheval à qui, quand il passege sur les voltes au pas ou au trot, la jambe de dehors de devant croise ou enjambe à tous les seconds tems sur l'autre jambe de devant. Voyez PASSEGER, VOLTE, &c. (V)

* CHEVALER, v. act. qu'on a fait dans presque tous les arts où l'on se sert du chevalet, pour désigner l'action de l'ouvrier sur cet instrument. Les Tanneurs chevalent ou quiossent. Voyez QUIOSSER & TANNER. Les Drapiers chevalent ou drousent. Voyez les articles DRAP & DROUSER. Les Corroyeurs chevalent les cuirs, voyez CORROYER. Les Scieurs de bois chevalent ou placent sur des treteaux les pieces qu'ils ont à débiter en bois de sciage. Les Maçons entendent par chevaler un mur, l'étayer. Voy. CHEVALEMENT ; & les Charpentiers par chevaler un pan de charpente, soit pour le redresser, soit pour l'avancer, soit pour le reculer, lui appliquer des étais doubles & arcboutés l'un contre l'autre. Voyez aussi aux articles MEGISSIER, CHAMOISEUR, ce qu'ils entendent par chevaler, & l'article CHEVALET.


CHEVALERIES. f. (Hist. mod.) ce terme a bien des significations ; c'est un ordre, un honneur militaire, une marque ou degré d'ancienne noblesse, la récompense de quelque mérite personnel. Voyez CHEVALIER & NOBLESSE.

Il y a quatre sortes de chevalerie ; la militaire, la réguliere, l'honoraire, & la sociale.

La chevalerie militaire est celle des anciens chevaliers, qui s'acquéroit par des hauts faits d'armes. Voyez CHEVALIER.

Ces chevaliers sont nommés milites dans les anciens titres : on leur ceignoit l'épée & on leur chaussoit les éperons dorés, d'où leur vient le nom de equites aurati, chevaliers dorés.

La chevalerie n'est point héréditaire : elle s'obtient. On ne l'apporte pas en naissant comme la simple noblesse ; & elle ne peut point être révoquée. Les fils des rois & les rois même, avec tous les autres souverains, ont reçû autrefois la chevalerie, comme une marque d'honneur ; on la leur conféroit d'ordinaire avec beaucoup de cérémonies à leur baptême, à leur mariage, à leur couronnement, avant ou après une bataille, &c.

La chevalerie réguliere est celle des ordres militaires où on fait profession de prendre un certain habit, de porter les armes contre les infideles, de favoriser les pélerins allant aux lieux saints, & de servir aux hôpitaux où ils doivent être reçûs. Tels étoient jadis les Templiers, & tels sont encore les chevaliers de Malthe, &c. Voyez TEMPLIER, MALTHE, &c.

La chevalerie honoraire est celle que les princes conferent aux autres princes, aux premieres personnes de leurs cours, & à leurs favoris. Tels sont les chevaliers de la jarretiere, du S. Esprit, de la toison d'or, de S. Michel, &c. Voyez JARRETIERE, &c. mais cette chevalerie est aussi une association à un ordre qui a ses statuts & ses réglemens.

La chevalerie sociale est celle qui n'est pas fixe, ni confirmée par aucune institution formelle, ni reglée par des statuts durables. Plusieurs chevaleries de cette espece ont été faites pour des factions, des tournois, des masquarades, &c.

L'abbé Bernardo Justiniani a donné au commencement de son histoire des ordres de chevalerie, un catalogue complet de tous les différens ordres, qui selon lui, sont au nombre de 92. Favin en a donné deux volumes sous le titre de théatre d'honneur & de chevalerie. Ménénius publia les deliciae equestrium ordinum ; & André Mendo a écrit de ordinibus militaribus. Belloy a traité de leur origine ; & Gelyot, dans son indice armorial, nous en a donné les institutions. A ceux là on peut ajoûter le pere Menestrier sur la chevalerie ancienne & moderne ; le trésor militaire de Michieli ; la theologia regolare de Caramuel ; origines equestrium sive militarium ordinum de Miraeus ; & sur-tout l'historie chronologiche dell'origine de gl'ordini militari, & di tutte le relligioni cavaleresche de Justiniani : l'édition la plus ample est celle de Venise en 1692. 2 vol. in-folio. On peut voir aussi le pere Honoré de Sainte-Marie, carme déchaussé, dans ses dissertations historiques & critiques sur la chevalerie ancienne & moderne ; ouvrage qu'il a fait à la sollicitation de l'envoyé du duc de Parme, dont le souverain François, duc de Parme & de Plaisance, cherchoit à ressusciter l'ordre de Constantin dont il se disoit le chef. (G) (a)

C'est dans les lois du combat judiciaire, voyez CHAMPION, que l'illustre auteur de l'esprit des lois cherche l'origine de la chevalerie. Le desir naturel de plaire aux femmes, dit cet écrivain, produit la galanterie qui n'est point l'amour, mais le délicat, le leger, le perpétuel mensonge de l'amour. Cet esprit de galanterie dut prendre des forces, dit-il, dans le tems de nos combats judiciaires. La loi des Lombards ordonne aux juges de ces combats, de faire ôter aux champions les armes enchantées qu'ils pouvoient avoir. Cette opinion des armes enchantées étoit alors fort enracinée, & dut tourner la tête à bien des gens. De-là le système merveilleux de la chevalerie ; tous les romans se remplirent de magiciens, d'enchantemens, de héros enchantés ; on faisoit courir le monde à ces hommes extraordinaires pour défendre la vertu & la beauté opprimée ; car ils n'avoient en effet rien de plus glorieux à faire. De-là naquit la galanterie dont la lecture des romans avoit rempli toutes les têtes ; & cet esprit se perpétua encore par l'usage des tournois. Voyez TOURNOIS. (O)

CHEVALERIE, (Jurisprud.) Le cas de chevalerie, c'est-à-dire quand le seigneur fait son fils chevalier, est un de ceux où il peut dans certaines coûtumes lever la taille aux quatre cas. Voyez TAILLE AUX QUATRE CAS.

Aide de chevalerie, est la même chose que la taille qui se leve lorsque le seigneur fait son fils chevalier. Voyez AIDE.

CHEVALERIE, termes de Coûtumes, se dit de quelques lieux, terres, ou métairies, chargés de logement de gens de guerre à cheval.

Chevalerie s'est aussi dit de certains fiefs ou héritages nobles, dont le tenancier devoit au seigneur l'hommage lige. (A)


CHEVALETS. m. nom qu'on a donné à une infinité d'instrumens différens, dont nous parlerons dans la suite de cet article. Le chevalet ordinaire est une longue piece de bois soûtenue horisontale par quatre piés, dont deux sont assemblés entr'eux & avec la piece à chacun de ses bouts ; d'où il s'ensuit que cet assemblage a la forme d'un triangle dont les côtés sont les piés, où la piece de bois soûtenue est au sommet, & dont la base est une barre de bois qui empêche les piés de s'écarter. Les deux triangles sont paralleles l'un à l'autre ; & la piece qu'ils soûtiennent projettée sur les bases des triangles, leur seroit perpendiculaire, & les diviseroit en deux parties égales.

CHEVALET, (Hist. anc.) c'étoit dans les anciens tems une sorte de supplice ou d'instrument de torture, pour tirer la vérité des coupables. Mais l'usage de ces sortes de supplices a été réprouvé par d'habiles jurisconsultes ; & de nos jours, le roi de Prusse en a par ses lois aboli l'usage dans ses états. Il est souvent arrivé qu'un criminel qui avoit de la force & de la résolution, soûtenoit les tortures sans rien avoüer ; & souvent aussi l'innocent s'avoüoit coupable, ou dans la crainte des supplices, ou parce qu'il ne se sentoit pas assez de force pour les soûtenir. Le chevalet fut d'abord un supplice qui ne s'employoit que pour des esclaves : c'étoit une espece de table percée sur les côtés de rangées de trous, par lesquels passoient des cordes qui se rouloient ensuite sur un tourniquet. Le patient étoit appliqué à cette table. Mais par la suite on s'en servit pour tourmenter les Chrétiens. Les mains & les jambes du patient étant attachées sur le chevalet avec des cordes, on l'enlevoit & on l'étendoit de telle sorte que tous ses os en étoient disloqués : dans cet état on lui appliquoit sur le corps des plaques de fer rouge, & on lui déchiroit les côtés avec des peignes de fer qu'on nommoit ungula ; pour rendre ces plaies plus sensibles, on les frottoit quelquefois de sel & de vinaigre, & on les r'ouvroit lorsqu'elles commençoient à se refermer. Les auteurs qui ont traité des tourmens des martyrs, en ont donné la figure, qui fait frémir l'humanité.

Cet instrument barbare n'a pas été inconnu aux modernes, non plus que la coûtume de mettre les accusés à la torture, pour tirer d'eux l'aveu de leurs crimes. Le duc d'Exeter, gouverneur de la Tour sous le regne d'Henri VI. avec le duc de Suffolk & d'autres, voulant introduire en Angleterre les lois civiles, commencerent par faire apporter dans la tour un chevalet, qui est un supplice que la loi civile ordonne en beaucoup de cas ; & on l'y voit encore : on appella dans ce tems-là cet instrument, la fille du duc d'Exeter. (G) (a)

CHEVALET, outil d'Arquebusier, c'est un instrument de fer ou d'acier long de six pouces, épais de deux, & large d'un, surmonté de deux petits piliers quarrés, qui y sont arrêtés à demeure en-dessous avec vis & écrou, longs aussi de six pouces, & larges & épais d'un demi-pouce ; le pilier à gauche est percé par en-haut d'un trou rond, dans lequel se passe la broche d'une boîte ; l'autre pilier est coupé en deux, & les deux moitiés sont assemblées par une charniere perdue : un peu au-dessous de la charniere est un trou qui répond à l'autre trou de la branche gauche, & qui sort pour soûtenir l'autre côté de la broche qui traverse le chevalet. Cette branche fendue est fermée par em-bas avec une vis : au milieu de cette broche est la boîte ; cette broche sort un peu en-dehors du côté droit, & l'on y monte une fraise pour abattre les inégalités que l'on a faites dans le bassinet en les creusant avec la gouge. Les Arquebusiers portent ce chevalet dans l'étau, & font tourner la fraise dans le bassinet par le moyen de la boîte & de l'archet, à-peu-près comme les forets.

CHEVALET, barre à chevalet, joue de chevalet, chevalet à platine ; voyez l'article BAS AU METIER.

CHEVALET, terme de Passementier-Boutonnier ; c'est un pieu de bois d'environ quatre piés de hauteur, enfoncé en terre, qui a à son extrémité supérieure une poulie ; à cette poulie est attaché un petit morceau de bois fait en forme de sifflet, qui à chacun de ses bouts a un crochet de fer tournant. Les Boutonniers s'en servent pour couvrir la cartisanne, & pour retordre la guipure.

CHEVALET, en termes de Cardeur, est une espece de prie-dieu qui porte une grosse droussette, sur laquelle l'ouvrier brise la laine ou le coton avec une autre qu'il tient dans sa main : ce qui rend cette opération aussi aisée que s'il falloit tenir les deux droussettes. Voyez DRAPIER, DROUSSETTE.

CHEVALET, (Chamoiseur) représenté Planche du Chamoiseur, fig. 1. est composé de deux montans de bois de cinq piés de haut, sur lesquels est assemblée une traverse de même longueur. Cette traverse a une gouttiere dans toute sa longueur pour recevoir une regle de bois aussi longue, qui s'y ajuste parfaitement. C'est entre cette regle qui est mobile & la piece de bois à gouttiere fixe, qu'on fait passer une peau pour la travailler. La regle est tenue serrée par un coin qui entre dans un des montans.

CHEVALET, se dit, en Charpenterie, d'une piece de bois couchée en-travers sur deux autres pieces, auxquelles elle est perpendiculaire. Ce chevalet, le plus simple de tous, sert en une infinité d'occasions, mais sur-tout à soûtenir les planches qui servent de pont aux petites rivieres.

CHEVALET, en termes de Chauderonnier, est un banc garni de deux gros anneaux à chaque bout, où passe & est retenue une sorte de bigorne à table & à boule ou autre, par le moyen des coins dont on la serre autant qu'on veut. Voyez Pl. I. du Chauderonnier, fig. 13. & la fig. 7. qui représente un ouvrier qui travaille sur le chevalet.

CHEVALET, (Corderie) il y en a de deux sortes, ceux des espadeurs & ceux des commetteurs, qui sont très-différens les uns des autres. Le premier est une simple planche assemblée verticalement au bout d'une piece de bois couchée par terre, qui lui sert de pié ; le bout d'en-haut de cette planche est échancrée demi-circulairement. Le second est un treteau, sur lequel il y a des chevilles de bois ; il sert à supporter les torons & les cordons, pour les empêcher de porter à terre. Voyez l'article CORDERIE.

CHEVALET, terme de Corroyeur, c'est un instrument de bois sur lequel les Corroyeurs étendent leurs cuirs pour les drayer. Le chevalet est une planche assujettie obliquement sur un pié ; ce pié est un assemblage de neuf ou onze pieces de bois, dont deux ont trois piés de longueur, trois pouces de haut, & quatre de largeur. Ces deux pieces de bois sont posées par terre, & sont éloignées l'une de l'autre par quatre ou six petites traverses qui entrent dans l'une & dans l'autre. Au milieu de ces jumelles sont des mortaises, dans lesquelles on place deux montans de même grosseur & d'un pié de haut, qui sont joints par en-haut par une traverse aussi de même grosseur. La planche qui forme le chevalet se met entre deux des petits barreaux de bois par un bout, son milieu est appuyé sur la traverse d'en-haut, & le haut de la planche sert pour y étendre la peau ou cuir à drayer. Voyez la figure B. Planc. du Corroyeur, qui représente un ouvrier qui draye une peau sur le chevalet. Voyez l'article CORROYEUR.

CHEVALET, est une machine dont se servent les Couvreurs pour soûtenir leurs échaffauds lorsqu'ils font des entablemens aux édifices couverts en ardoise, & pour continuer de couvrir le reste du comble de même matiere ; car pour la tuile ils n'en font point usage. Ils donnent encore le même nom à des paquets de natte de paille, qu'ils mettent sous leurs échelles lorsqu'ils les couchent sous les combles, & sur-tout sur ceux en ardoise.

CHEVALET, en termes de Doreurs sur bois ; espece d'échelle sur laquelle les Doreurs placent leurs quadres pour les dorer. Le chevalet est composé de trois branches, dont l'une joue à volonté entre les deux autres, & se nomme queue ; & les deux de devant sont retenues ensemble par deux traverses, dont celle du bas est plus large que celle d'en-haut. Ces deux derniers piés ou branches du chevalet sont percés presque dans toute leur longueur de plusieurs trous, où l'on fiche des chevilles qui retiennent les pieces, selon leur grandeur, devant le chevalet. Voyez les fig. 3. & 12. Pl. du Doreur.

CHEVALET, (Hydr.) en terme de Méchanique, est un treteau qui sert à échafauder, scier de long, & porter des tringles de fer dans une machine hydraulique. (K)

CHEVALET DU TYMPAN, terme d'Imprimerie ; c'est une petite barre de bois aussi longue que le tympan est large, assemblée en-travers sur deux petites barres de bois qui sont enchâssées à plomb dans des mortaises derriere le tympan, sur la planche du coffre. Ce chevalet sert à soûtenir & reçoit le tympan, étant un peu courbé en forme de pupitre, lorsque l'ouvrier est occupé à y poser sa feuille, ou qu'au sortir de dessous la platine, il releve le tympan sur lequel est margée la feuille qui vient d'être imprimée. Voyez l'article IMPRIMERIE EN LETTRES.

CHEVALET, dans les instrumens de Musique, piece de bois qu'on pose à-plomb au bas de la table des instrumens pour en soûtenir les cordes, & leur donner plus de son en les tenant élevées en l'air. Il y a des instrumens où les chevalets sont mobiles, comme les violons, violes, &c. d'autres où ils sont immobiles & collés sur la table même de l'instrument, comme dans les luths, théorbes, guittares, &c. Les clavecins ont aussi des chevalets, qui sont les regles de bois garnies de pointes, sur lesquelles passent les cordes. Voy. CLAVECIN, & la figure du clavecin, Pl. XIV. & XV. & l'article VIOLON, pour ce qui concerne les instrumens à cordes.

CHEVALET, dont se servent les Tanneurs, Mégissiers, Pelletiers, &c. est un petit banc de bois de chêne de trois piés & demi de longueur sur un pié trois pouces de largeur, arrondi d'un côté & plat de l'autre, touchant à terre par un bout, & soûtenu de l'autre sur un treteau d'environ deux piés & demi de haut. C'est sur cette machine que les ouvriers mettent les peaux pour en tirer l'ordure, le poil, la chair. Voyez TANNER, CHAMOIS, &c. & la fig. C, dans la vignette du Mégissier.

CHEVALET, (Peintre) nom de l'instrument qui soûtient le tableau d'un peintre pendant qu'il le travaille. Le chevalet est composé de deux tringles de bois assez fortes qui en font les montans, & qui sont assemblées par deux traverses, l'une vers le bas, l'autres vers le haut ; ces deux montans sont fort écartés par le bas, & rapprochés par le haut. On arrête à ces deux montans vers le haut, qu'on appelle le derriere du chevalet, deux tasseaux qui sont percés horisontalement d'un trou rond chacun, dans lesquels tournent les deux bouts d'une traverse qui est assujettie au haut de la queue du chevalet. Cette queue est une autre tringle plus longue que celles qui font les montans ; par ce moyen le chevalet est posé sur trois piés, ce qui lui donne beaucoup de solidité ; & l'on peut incliner la face des montans autant qu'on le veut en-arriere, en reculant la queue. Les montans ont plusieurs trous environ de la grosseur du doigt, percés à égales distances pour y pouvoir mettre des chevilles qui soient saillantes, & qui puissent porter le tableau à la hauteur que l'on veut.

Lorsque le chevalet est trop grand pour le tableau, c'est-à-dire, lorsque les deux montans du chevalet sont trop éloignés l'un de l'autre pour que le tableau puisse poser sur les chevilles des montans, alors on place sur ces chevilles une planche mince, longue d'environ trois ou quatre piés, de la largeur de trois pouces environ, sur quatre lignes d'épaisseur ; & sur cette planche ainsi posée, on assied par bas le tableau qui se trouve appuyé par le haut sur les montans du chevalet qui vont en se rapprochant. Il y en a de différentes grandeurs. Les Sculpteurs en ont aussi de beaucoup plus solides, pour présenter & poser leurs bas-reliefs. Dictionn. de Peinture.

CHEVALET, (Ruban.) est une petite planchette étroite & percée de quatre petits trous, pour être suspendue par deux ficelles aux grandes traverses d'en-haut du métier, entre le bandage & le battant. Il sert à tenir l'ouvrage stable sous le pas de l'ouvrier.

CHEVALET ou MACHINE A FORER, (Serrur.) elle est composée de trois pieces, la palette, la vis, & l'écrou. La queue de la palette entre dans un trou pratiqué à l'établi dans son épaisseur ; elle peut y rouler. La palette répond à la hauteur & à l'ouverture des mâchoires de l'étau. Vers le milieu de la queue, à la hauteur de la boîte de l'étau, est un trou rond dans lequel passe la vis recourbée en crochet ; ce crochet embrasse la boîte de l'étau : quant à l'autre extrémité de la vis, elle traverse la queue, & est reçue dans un écrou. Lorsque l'ouvrier a une piece à forer, il met l'extrémité de la queue du foret dans un des trous de la palette, & il applique la tête contre l'ouvrage à percer, qui est dans les mâchoires de l'étau : puis il monte son arçon sur la boîte du foret, & travaille. A mesure que le foret avance dans l'ouvrage & que le trou se fait, l'ouvrier le tient toûjours serré contre l'ouvrage par le moyen de l'écrou, qui fait mouvoir la palette du côté de l'étau.

Il peut arriver trois cas : ou que la palette sera perpendiculaire à l'établi & parallele à l'étau, ou inclinée vers l'étau, ou renversée par rapport à lui. Il est évident qu'il n'y a que le premier cas où le foret perce droit. Dans le second, la palette fait lever la queue du foret, & par conséquent baisser la pointe : & dans le troisieme, au contraire, baisser la queue & lever la pointe. Pour éviter l'inconvénient de ces deux dernieres positions, on descend ou on monte d'un trou la queue du foret, à mesure que le trou se fait, pour que la forure se fasse toûjours bien horisontalement.

CHEVALET à tirer la soie, voyez à l'article SOIE, la description de cette machine.

CHEVALET, terme de Tonnelier ; c'est un banc à quatre piés, qui a à son extrémité deux morceaux de bois qui se serrent l'un dessus l'autre, & entre lesquels on pose les douves que l'on veut travailler avec la plane plate.

Il y a encore beaucoup d'autres chevalets dont il sera fait mention à l'article des Arts où ils sont employés.


CHEVALIERS. m. (Hist. anc.) nom que les Romains donnoient au second ordre de la république. On sait que l'état de Rome étoit partagé en trois corps. Les patriciens qui étoient proprement les peres de la patrie, c'est à-peu-près ce que signifie leur nom : ils avoient aussi le nom de sénateurs, parce qu'ils formoient le corps du sénat, qui étoit composé des anciens de leur ordre. Les chevaliers venoient ensuite, & formoient le second corps de l'état : il y en avoit un grand nombre, ils faisoient la force des armées romaines, & ne combattoient qu'à cheval ; c'est d'où ils tirent leur nom, soit latin, soit françois. Ils parvenoient quelquefois à la dignité de sénateurs, & la république leur donnoit & entretenoit pour le service militaire un cheval tout équipé : mais dans les derniers tems de la république ils s'en dispenserent, & devinrent publicains, c'est-à-dire fermiers des impôts. La marque de leur ordre étoit une robe à bandes de pourpre, peu différente de celle des sénateurs, & au doigt un anneau d'or, avec une figure ou un emblème gravé sur une pierre sinon précieuse, du moins de quelque prix. On sait qu'Annibal ayant vaincu les Romains, envoya plusieurs boisseaux de ces anneaux ; & c'est des pierres qu'on y employoit, que nous sont venues toutes ces pierres gravées qui font aujourd'hui l'ornement des cabinets des antiquaires. A chaque lustre, les censeurs passoient en revûe les chevaliers en les appellant chacun par leur nom ; & s'ils n'avoient pas le revenu marqué par la loi pour tenir leur rang, equester census, que quelques-uns fixent à dix mille écus, ou s'ils menoient une conduite peu réglée, les censeurs les rayoient du catalogue des chevaliers, leur ôtoient le cheval, & les faisoient passer à l'ordre des plébéiens : on les cassoit aussi, mais pour un tems, lorsque par négligence leurs chevaux paroissoient en mauvais état. Sous les empereurs, l'ordre équestre déchut peu-à-peu ; & le rang de chevaliers ayant été accordé par les empereurs à toutes sortes de personnes, & même à des affranchis, on ne le regarda plus comme une marque d'honneur. Ovide, Ciceron, Atticus, étoient chevaliers.

CHEVALIER, (Hist. mod.) signifie proprement une personne élevée ou par dignité ou par attribution au-dessus du rang de gentilhomme. Voyez GENTILHOMME & NOBLESSE.

La chevalerie étoit autrefois le premier degré d'honneur dans les armées ; on la donnoit avec beaucoup de cérémonies à ceux qui s'étoient distingués par quelqu'exploit signalé. On disoit autrefois adouber un chevalier, pour dire adopter un chevalier, parce qu'il étoit réputé adopté en quelque façon fils de celui qui le faisoit chevalier. Voyez ADOPTION.

On pratiquoit plusieurs cérémonies différentes pour la création d'un chevalier : les principales étoient le soufflet, & l'application d'une épée sur l'épaule ; ensuite on lui ceignoit le baudrier, l'épée, & les éperons dorés, & les autres ornemens militaires ; après quoi, étant armé chevalier, on le conduisoit en cérémonie à l'église.

Les chevaliers portoient des manteaux d'honneur fendus par la droite, rattachés d'une agraffe sur l'épaule, afin d'avoir le bras libre pour combattre. Vers le xv. siecle, il s'introduisit en France des chevaliers en lois, comme il y en avoit en armes ; leurs manteaux & leurs qualités étoient très-différentes. On appelloit un chevalier d'armes, messire ou monseigneur, & le chevalier de loi n'avoit que le titre de maître un tel. Les premiers portoient la cotte d'armes armoriée de leur blason, & les autres une robe fourrée de vaire, & le bonnet de même.

Il falloit être chevalier pour armer un chevalier : ainsi François I. fut armé chevalier avant la bataille de Marignan par le chevalier Bayard, qu'on appelloit le chevalier sans peur & sans reproche.

Cambden a décrit en peu de mots la façon dont on fait un chevalier en Angleterre : Qui equestrem dignitatem suscipit, dit-il, flexis genibus leviter in humero percutitur ; princeps his verbis affatur ; Sus vel sois chevalier au nom de Dieu, surge vel sis eques in nomine Dei ; cela doit s'entendre des chevaliers-bacheliers, qui sont en Angleterre l'ordre de chevalerie le plus bas, quoiqu'il soit le plus ancien.

Souvent la création des chevaliers exigeoit plus de cérémonies, & en leur donnant chaque piece de leur armure, on leur faisoit entendre que tout y étoit mystérieux, & par-là on les avertissoit de leur devoir. Chamberlain dit qu'en Angleterre, lorsqu'un chevalier est condamné à mort, on lui ôte sa ceinture & son épée, on lui coupe ses éperons avec une petite hache, on lui arrache son gantelet, & l'on biffe ses armes. Pierre de Belloy dit que l'ancienne coûtume en France pour la dégradation d'un chevalier, étoit de l'armer de pié-en-cap comme s'il eût dû combattre, & de le faire monter sur un échaffaud, où le héraut le déclaroit traître, vilain, & déloyal. Après que le roi ou le grand-maître de l'ordre avoit prononcé la condamnation, on jettoit le chevalier attaché à une corde sur le carreau, & on le conduisoit à l'église en chantant le pseaume 108. qui est plein de malédictions, puis on le mettoit en prison pour être puni selon les lois. La maniere de révoquer l'ordre de chevalerie aujourd'hui en usage, est de retirer à l'accusé le collier ou la marque de l'ordre, que l'on remet ensuite entre les mains du trésorier de cet ordre.

La qualité de chevalier s'avilit avec le tems par le grand nombre qu'on en fit. On prétend que Charles V. ou, selon d'autres, Charles VI. en créa cinq cent en un seul jour : ce fut pour cette raison qu'on institua de nouveaux ordres de chevalerie, pour distinguer les gens selon leur mérite. Pour les différens ordres de chevalerie en Angleterre, voyez les artic. BACHELIER, BANNERET, BARONET, BAINS, JARRETIERE, &c.

Chevalier s'entend aussi d'une personne admise dans quelqu'ordre, soit purement militaire, soit militaire & religieux tout ensemble, institué par quelque roi ou prince, avec certaines marques d'honneur & de distinction. Tels sont les chevaliers de la jarretiere, de l'éléphant, du saint-Esprit, de Malthe, &c. Voyez-les sous les articles JARRETIERE, ELEPHANT, &c.

CHEVALIER ERRANT, prétendu ordre de chevalerie, dont tous les vieux romans parlent amplement.

C'étoient des braves qui couroient le monde pour chercher des avantures, redresser les torts, délivrer des princesses, & qui saisissoient toutes les occasions de signaler leur valeur.

Cette bravoure romanesque des anciens chevaliers étoit autrefois la chimere des Espagnols, chez qui il n'y avoit point de cavalier qui n'eût sa dame, dont il devoit mériter l'estime par quelqu'action héroïque. Le duc d'Albe lui-même, tout grave & tout sévere qu'il étoit, avoit, dit-on, voüé la conquête du Portugal à une jeune beauté. L'admirable roman de dom Quichotte est une critique fine & de cette manie, & de celle des auteurs espagnols à décrire les avantures incroyables des chevaliers errans.

Il ne faut pas croire cependant que les chevaliers errans se voüassent simplement à une dame qu'ils respectoient ou qu'ils affectionnoient : dans leur premiere origine c'étoit des gentilshommes distingués qui s'étoient proposé la sûreté & la tranquillité publique : ce qui a rapport à l'état de la noblesse sous la troisieme race. Comme les anciens gouverneurs de provinces avoient usurpé leurs gouvernemens en titre de duché pour les grandes provinces, & de comté pour de moindres, ce qui a formé les grands vassaux de la couronne ; de même les gentilshommes des provinces voulurent usurper à titre d'indépendance les domaines dont ils étoient pourvûs, ou qu'ils avoient reçûs de leurs peres. Alors ils firent fortifier des châteaux dans l'étendue de leurs terres, & là ils s'occupoient, comme des brigands, à voler & enlever les voyageurs dans les grands chemins ; & quand ils trouvoient des dames, ils regardoient leur prise comme un double avantage. Ce desordre donna lieu à d'autres gentilshommes de détruire ces brigandages : ils couroient donc les campagnes pour procurer aux voyageurs la sûreté des chemins. Ils prenoient même les châteaux de ces brigands, où on prétendoit que les dames qu'on y trouvoit étoient enchantées, parce qu'elles n'en pouvoient sortir. Depuis on a fait par galanterie, ce qui d'abord s'étoit fait par nécessité. Voilà quelle fut l'origine des chevaliers errans, sur lesquels nous avons tant de romans.

CHEVALIER-MARECHAL, est un officier du palais des rois d'Angleterre, qui prend connoissance des délits qui se commettent dans l'enceinte du palais ou de la maison royale, & des actes ou contrats qu'on y passe, lorsque quelqu'un de la maison y est intéressé.

CHEVALIERS DE LA PROVINCE, ou CHEVALIERS DU PARLEMENT, ce sont en Angleterre deux gentilshommes riches & de réputation, qui sont élûs en vertu d'un ordre du roi, in pleno comitatu, par ceux des bourgeois de chaque province qui payent quarante schelins par an de taxe sur la valeur de leurs terres, pour être les représentatifs de cette province dans le parlement.

Il étoit nécessaire autrefois que ces chevaliers des provinces fussent milites gladio cincti, & même l'ordre du roi pour les élire est encore conçû en ces termes ; mais aujourd'hui l'usage autorise l'élection de simples écuyers pour remplir cette charge.

Chaque chevalier de province, ou membre de la chambre des communes, doit avoir au moins cinq cent livres sterling de rente : à la rigueur, c'est à la province qu'ils représentent à payer tous leurs fraix ; mais aujourd'hui il arrive rarement qu'on l'exige. Voyez PARLEMENT. (G) (a)

CHEVALIER DU BAIN, (Hist. mod. d'Angl.) ordre militaire en Angleterre. On a déjà donné sur cet ordre, au mot BAIN, un détail instructif, auquel nous n'ajoûterons que peu de lignes.

Il est singulier qu'on ignore le tems de l'institution de cet ordre de chevalerie, qui fut en honneur au moins depuis Henri IV. jusqu'au tems de Charles II. & qui depuis ce prince fut entierement négligé, & presque oublié jusqu'en 1725, que le roi Georges I. le ressuscita par une création de trente-six nouveaux chevaliers. La cérémonie fut somptueuse ; elle coûta plus de trente mille livres sterling au roi, & quatre ou cinq cent à chaque chevalier. Le duc de Montauge en fut nommé grand-maître, & cette dignité lui valut sept à huit mille pieces. Le chevalier Robert Walpole, dès-lors regardé comme premier ministre, porta l'étendard. Le roi pour concilier plus de faveur à cet ordre ressuscité, déclara qu'il seroit comme la pepiniere des chevaliers de la jarretiere. Mais les desirs, les intentions, les volontés des rois, ne sont guere mieux réalisées après leur mort, que celles des particuliers. Article communiqué par M(D.J.)

CHEVALIER BARONET, (Hist. mod. d'Angl.) classe de nobles en Angleterre, entre les barons & les simples chevaliers. Voyez le mot BARONET, & ajoûtez-y le détail suivant.

La prodigalité de Jacques I. le mettant toujours à l'étroit, il eut enfin recours en 1614, à un projet formé par le comte de Salisbury ; c'étoit de créer des chevaliers baronets, qui faisoient un corps de noblesse mitoyen entre les barons & les chevaliers ordinaires. Le nombre en fut d'abord fixé à deux cent ; mais le roi n'en fit que cent à la premiere promotion, suivant Rapin Thoiras, & seulement dix-neuf, suivant Tindal.

Dans les actes de justice on devoit ajoûter aux titres de ces chevaliers, celui de baronet, avec le nom de sire, & leurs femmes devoient être qualifiées de lady. Leur place à l'armée fut établie au gros près de l'étendard du roi, pour la défense de sa personne. Afin de donner quelque couleur à cette nouvelle institution, les patentes porterent qu'ils entretiendroient chacun 30 soldats en Irlande pendant trois ans, à raison de huit sous par jour pour chaque soldat, ou qu'ils payeroient mille quatre-vingt-quinze livres sterling, & que le roi se chargeroit d'entretenir ces troupes en Irlande. Aussi est-ce la coûtume pour ceux qui depuis ce tems-là ont été reçus à cet ordre, d'avoir une quittance endossée à leurs lettres patentes de la même somme de mille quatre-vingt-quinze livres sterling, destinée au même usage ; & faute d'un pareil endossement, plusieurs baronets furent obligés, sous le regne de Charles II. de payer cette somme de mille quatre-vingt-quinze livres sterling. Voyez Tindal. Article communiqué par M(D.J.)

CHEVALIER, (Jurisp.) Nous avons en cette matiere à parler de plusieurs sortes de chevaliers ; savoir, les chevaliers du guet, les chevaliers d'honneur, & les chevaliers ès lois.

Chevalier du guet est un officier d'épée préposé à la garde de la ville, avec un certain nombre d'hommes à pié & à cheval. Le guet n'étoit autrefois en faction que la nuit ; c'est pourquoi le chevalier du guet étoit appellé praefectus vigilum. Présentement à Paris une partie du guet monte aussi la garde le jour. Le chevalier du guet de Paris étoit établi dès le tems de S. Louis ; il avoit voix délibérative lorsqu'on jugeoit les prisonniers pris par sa compagnie, suivant une déclaration du 27 Novembre 1643. Cet office a été supprimé. Celui qui est présentement à la tête du guet, a le titre de commandant.

On avoit aussi créé en 1631 & 1633, des offices de chevalier du guet dans toutes les grandes villes ; mais ils ont été supprimés en 1669, à l'exception de ceux qui étoient créés plus anciennement, tels que celui de Lyon.

Chevalier d'honneur, est un officier d'épée qui a rang, séance, & voix délibérative dans certaines compagnies de justice ; il y en a dans quelques cours supérieures, dans les bureaux des finances, & dans les présidiaux ; ils ne peuvent assister au jugement des procès criminels qu'ils ne soient gradués. Voyez les édits, déclarations, & arrêts indiqués dans Brillon, au mot Chevalier, n. 5.

Chevalier de justice, est un titre que prennent certains chevaliers, pour signifier qu'ils n'ont point été dispensés des preuves de noblesse.

Chevalier ès lois, étoit un officier de justice auquel le roi conféroit le titre de chevalier. On distinguoit autrefois ces chevaliers des chevaliers d'armes. Guillaume Flotte chancelier de France, Guillaume Bertrand, Jean du Chastelier, Simon de Bucy premier président du parlement, Pierre de Senniville, tous nommés en 1340 dans une déclaration de Philippe de Valois pour le privilége de l'université de Paris, sont qualifiés chevaliers en lois.

Froissard, liv. I. ch. lxxiij. dit pareillement que Simon de Bucy étoit chevalier en lois. Il donne aussi la même qualité à Renaud de Sens.

Plusieurs chanceliers & autres magistrats furent faits chevaliers.

Jacques de Beauquemar premier président du parlement de Roüen, fut fait chevalier par Charles IX. le 26 Septembre 1566. Voyez le traité de la noblesse par de Laroque, chap. cv. (A)

CHEVALIER, s. m. (Ornit.) pluvialis major. Ald. limosa venetorum. Gesn. oiseau aquatique qui pese sept onces ; il a quinze ou seize pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des pattes ; l'envergeure est d'environ vingt-deux pouces ; le bec est mince & de couleur noire, à l'exception de l'angle de la piece inférieure qui est rouge ; il a deux pouces & demi de longueur ; le sommet de la tête, la face supérieure du cou, le dessus des ailes, les épaules, & la partie antérieure du dos, sont de couleur brune mêlée de couleur cendrée ou blanchâtre ; les bords des plumes du sommet de la tête sont blancs & le milieu est noir ; le croupion & le dessous de l'oiseau sont blancs. Il a vingt-six grandes plumes brunes dans les ailes ; les cinq premieres sont d'un brun foncé, & leurs barbes intérieures sont parsemées de points blanchâtres ; les dernieres grandes plumes sont de couleur moins foncée, & ont de petites taches blanches. La queue a environ trois pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes sur lesquelles il y a des bandes transversales & ondoyantes, alternativement brunes & blanches. Les pattes sont fort longues, & dégarnies de plumes jusqu'à deux pouces au-dessus de la premiere articulation ; leur couleur est mêlée de verd, & de couleur livide ; le doigt postérieur est petit ; les ongles sont noirs, & le doigt extérieur est uni au doigt du milieu à sa naissance.

On a donné le nom de chevalier aux piés verts à cet oiseau, à cause de la couleur de ses piés. Il y en a un autre que l'on a nommé le chevalier aux piés rouges, parce qu'il a les piés d'un jaune rougeâtre. Son bec est un peu plus court que celui du premier ; son cou & sa tête sont d'un brun cendré ; il a une ligne blanche au-dessus des yeux : au reste ces deux oiseaux se ressemblent. Willughby, ornith.

Selon Belon, le chevalier, calidris, a été ainsi nommé parce qu'il a les jambes fort longues, & qu'il paroît aussi haut monté qu'un cavalier. On en distingue deux sortes, le rouge & le noir. Le premier est appellé chevalier rouge, ou chevalier aux piés rouges, parce qu'il a les pattes de cette couleur & le bec, à l'exception du dessus qui est noirâtre. Il a le ventre blanc ; les plumes de la tête & du cou, celles qui sont sous les ailes & sous le croupion, sont de couleur cendrée. La racine des plumes de cet oiseau est noire ; il a deux taches de la même couleur sur les tempes, & une blanche sous les sourcils. Les doigts de devant sont joints par une membrane, & celui de derriere est petit. Cet oiseau ayant le corps fort petit en comparaison de la longueur de ses jambes, il ne faut pas s'étonner s'il court fort legerement. On le trouve dans les prairies & sur le bord des rivieres & des étangs ; il se met ordinairement dans l'eau jusqu'aux cuisses. Cet oiseau est excellent à manger ; c'est un des meilleurs oiseaux de riviere.

Le chevalier noir a dès sa naissance les pattes noires & le bec, excepté auprès de la tête ; la partie de la piece supérieure qui y touche est rougeâtre ; son plumage a aussi plus de noir ; le corps est d'une couleur cendrée noirâtre. Belon, hist. de la nat. des oiseaux, liv. IV.

Willughby soupçonne que ces deux sortes de chevaliers pourroient bien être le mâle & la femelle de la même espece, & que dans ce cas le chevalier aux piés rouges seroit la femelle. Voyez OISEAU. (I)

CHEVALIER, (Jeu) c'est le nom d'une piece aux échecs. Voyez ECHECS.


CHEVALISS. m. termes de riviere, passages pratiqués dans les rivieres, sur-tout lorsque les eaux étant trop basses, la profondeur ordinaire du lit ne suffit pas.


CHEVALTEen termes de Blanchisserie, c'est le pié du support de la grellouere. Voyez l'article BLANCHIR, & les fig. Pl. de Blanchisserie des toiles.


CHEVANCES. f. (Jurispr.) dans quelques coûtumes, signifie les biens d'un homme, & tout ce qu'il possede. Voyez l'ancienne coûtume de Bourges, chap. xljv. Nivernois, tit. xxxv. art. 1. & en l'article 2. des articles réformés de la coûtume du duché de Bourgogne. Ducange en son appendix, à la fin de son glossaire grec. Brodeau sur Paris, art. 88. n. 6. Beaumanoir, coût. de Beauvaisis, dit quelquefois chevissance pour chevance. Voyez les assises de Jérusalem, p. 171. & Joinville, p. 20. dern. édit. (A)


CHEVANCHEAUCHEVANCHEAU


CHEVAUCHÉES. f. (Jurisprud.) signifioit anciennement le service que les vassaux & sujets étoient tenus de faire à cheval, soit envers le roi, ou envers quelque seigneur particulier. Devoir chevauchée, selon l'ancienne coûtume d'Anjou, c'est être obligé de monter à cheval pour défendre son seigneur féodal dans ses guerres particulieres ; & devoir l'ost, c'est être obligé de monter à cheval pour accompagner son seigneur à la guerre publique. Il y a différence, ajoûte cette coûtume, entre houst & chevauchée ; car houst est pour défendre le pays qui est pour le profit commun, & chevauchée est pour défendre son seigneur. Il est parlé de ce droit dans les usages de Barcelone, & dans les anciens fors de Béarn & de Navarre. Fontanella, auteur catalan, dit qu'hostis, au masculin, signifie l'ennemi ; mais qu'au féminin, il signifie l'aide ou secours que les vassaux & sujets doivent fournir au roi dans la guerre publique ; que chevauchée, calvacata, est lorsque le roi, ou quelqu'autre seigneur, mande ses vassaux & sujets pour quelque expédition particuliere, contre un seigneur ou contre un château, soit par voie de guerre ou pour expédition de justice ; que le roi seul peut indiquer l'ost ; que les seigneurs ne peuvent indiquer qu'une chevauchée ; que l'ost est une assemblée qui n'est pas pour un seul jour ni pour un lieu seulement, au lieu que la chevauchée n'est que pour un jour ou pour un terme certain.

Les baillis & sénéchaux convoquoient autrefois des chevauchées ; c'étoit une espece de convocation du ban & arriere-ban, qui comprenoit non-seulement tous les seigneurs de fiefs, mais aussi les nobles, qui faisoient tous alors profession de porter les armes ; ils étoient obligés de servir à cheval & à leurs dépens.

Une ordonnance de S. Louis en 1256, défend aux baillis & sénéchaux d'ordonner des chevauchées inutiles, pour en tirer de l'argent ; & que ceux qui auront été sommés, quand elles seront ordonnées justement, auront la liberté de donner de l'argent ou de servir en personne.

Philippe VI. accorda en 1324 aux habitans de Fleurence l'exemption d'host & chevauchée ; ce qui fut confirmé par le roi Jean en 1350. Il accorda en 1343 le même privilége aux monnoies ; & en 1346, aux sergens des foires de Brie & de Champagne ; ce qui fut aussi confirmé par le roi Jean en 1352 & 1362.

Guy comte de Nevers, remit aux bourgeois plusieurs droits, entr'autres chevaucheiam nostram & exercitum nostrum ; ce qui fut confirmé en Février 1356 par Charles V. alors régent du royaume.

Les habitans de Saint-André, près Avignon, furent pareillement exemptés des chevauchées par Philippe-le-Bel en 1296 ; ce qui fut confirmé par le roi Jean en 1362.

Les priviléges accordés à la ville d'Auxonne en 1229, & confirmés par le roi Jean en 1361, font mention que les habitans doivent au seigneur l'ost & la chevauchée ; mais qu'il ne peut pas les mener si loin de la ville qu'ils ne puissent revenir le même jour.

On peut aussi appliquer au service de chevauchée beaucoup d'ordonnances & de lettres concernant l'ost & service militaire, qui sont dans le recueil des ordonnances de la troisieme race. Voyez aussi le traité du ban & arriere-ban, par de la Roque ; celui de la Lande ; le gloss. de Ducange, au mot calvacata ; & celui de M. de Lauriere, au mot chevauchée.

CHEVAUCHEE, des baillis & sénéchaux, voyez ci-devant CHEVAUCHEE.

CHEVAUCHEES des commissaires députés par la cour des monnoies. Charles IX. en Septembre 1570, & Henri III. en Mai 1577, ordonnerent que ces commissaires feroient leurs chevauchées & visites dans les provinces, pour tenir la main à l'exécution des réglemens sur le fait des monnoies. Voyez la conférence de Guenois, tit. des monnoies.

CHEVAUCHEES des élûs, sont les visites que les élûs, & à-présent les conseillers des élections, sont tenus de faire dans leur département, pour s'informer de l'état & facultés de chaque paroisse, de l'abondance ou stérilité de l'année, du nombre des charrues, du trafic qui se fait dans chaque lieu, ensemble de toutes les autres commodités ou incommodités qui peuvent les rendre riches ou pauvres.

Il en est parlé dans l'art. 4. de l'ordonnance de François I. du dernier Juillet 1517 ; dans l'édit d'Henri II. du mois de Février 1552 ; l'édit d'Henri IV. du mois de Mars 1600. art. 3. & 4. le réglem. du 8 Avril 1634. art. 43.

Les élûs dans leurs chevauchées doivent aussi s'informer des exemptions dont joüissent quelques habitans, & si elles sont fondées ; voir si l'égalité est observée, autant qu'il est possible, entre les contribuables. S'ils y trouvent de l'excès ou diminution, ils prendront l'avis de trois ou quatre des principaux de la paroisse, ou des paroisses circonvoisines, des plus gens de bien, & qui seront mieux informés de leurs facultés & moyens, pour après en l'assemblée des officiers de l'élection, sur le procès verbal de l'élû qui aura été sur le lieu, faire les départemens des paroisses avec droiture & sincérité, taxer ceux qui s'exempteroient indûment, modérer ou augmenter les taxes ainsi qu'ils jugeront en leurs consciences, & sur le rapport desdits prudhommes.

Ils doivent faire leurs chevauchées après la récolte, & oüir le procureur-syndic, ou les marguilliers de la paroisse, & en faire bon & fidele procès verbal.

Les élûs doivent se partager entr'eux le ressort de l'élection pour leurs chevauchées ; ils ne peuvent aller deux années de suite dans le même département, ni faire leur chevauchée dans un lieu où ils possedent du bien. Voyez la conférence de Guenois, & le mém. alphab. des tailles, au mot chevauchées.

CHEVAUCHEE, (DROIT DE) étoit un droit qui étoit dû au lieu des corvées de chevaux & charroi, pour le passage du roi. L'ordonnance de S. Louis, du mois de Décembre 1254. art. 37. défend que nul en sa terre, c'est-à-dire dans le royaume, ne prenne cheval contre la volonté de celui à qui le cheval sera, si ce n'est pour le service du roi ; & en ce cas, il veut que les baillis, prevôts ou maires, ou ceux qui seront en leurs lieux, prennent des chevaux à loyer ; que si ces chevaux ne suffisent pas pour faire le service, les baillis, prevôts, & autres dessus nommés, ne prennent pas les chevaux des marchands ni des pauvres gens, mais les chevaux des riches seulement, s'ils peuvent suffire pour faire le service. L'art. 38 défend que pour le service du roi, ni pour autre, nul prenne chevaux des gens de sainte Eglise, si ce n'est de l'espécial mandement du roi ; que les baillis ni autres ne prennent de chevaux forts tant comme métier sera ; & que ceux qui seront pris ne soient point relâchés par argent ; ce qui sera gardé, est-il dit, sauf nos services, nos devoirs & nos droits, & aussi les autrui.

CHEVAUCHEE d'une justice, sont des procès verbaux que l'on faisoit anciennement, pour reconnoître & constater l'étendue & les limites d'une justice. On les a appellées chevauchées, parce que la plûpart de ceux qui y assistoient étoient à cheval. Le juge convoquoit à cet effet le procureur d'office, le greffier, & les autres officiers du siége, & les principaux & plus anciens habitans, avec lesquels il faisoit le tour de la justice. On faisoit dans le procès verbal la description des limites, & de ce qui pourroit servir à les faire reconnoître. Dans un de ces procès verbaux du xiij. siecle, il est dit que l'on marqua un chêne d'un coup de serpe ; cela ne formoit pas un monument bien certain.

CHEVAUCHEES des grands-maîtres des eaux & forêts, sont les visites qu'ils font pour la conservation des forêts du roi. Il en est parlé dans plusieurs ordonnances, notamment dans l'art. 18. de l'édit de 1583. qui enjoint aux grands-maîtres, réformateurs, leurs lieutenans & maîtres particuliers, qu'en faisant leurs visites & chevauchées ils ayent à visiter les rivieres, levées, chaussées, moulins, pêcheries, & s'informer de l'occasion du dépérissement d'iceux.

CHEVAUCHEES des lieutenans criminels. Il étoit enjoint, par l'ordonnance de Henri II. en 1554. à ces lieutenans, tant de robe longue que courte, de faire tous les ans, ou de quatre mois en quatre mois, des visitations & chevauchées dans leurs provinces. Ce soin est présentement confié au prevôt des maréchaux de France. Voyez ci-après chevauchées des prevôts, &c.

CHEVAUCHEES des maîtres des eaux & forêts, voyez ci-devant CHEVAUCHEES des grands maîtres.

CHEVAUCHEES des maîtres des requêtes. On appelloit ainsi autrefois la visite qu'ils faisoient dans les provinces ; il en est parlé dans l'ordonn. d'Orléans, art. 33. celle de Moulins, art. 7. & celle de Blois, art. 209. L'objet de ces visites étoit de dresser procès verbal des choses importantes pour l'état, recevoir les plaintes, réprimer les abus. Présentement ce sont les intendans de province qui font la visite dans l'étendue de leur généralité.

CHEVAUCHEES des prevôts des maréchaux, sont les rondes & visites que ces prevôts font avec leurs compagnies, ou font faire par des détachemens dans tous les lieux de leur département, pour la sûreté & tranquillité publique. Il en est fait mention dans le réglement de François I. du 20 Janv. 1514. art. 34. d'Henri II. en Nov. 1549. art. 18. & 5. Fév. 1549. Fev. 1552. art. 3. Ordonn. d'Orléans, art. 67. celle de Roussillon, art. 9. celle de Moulins, art. 43. de Blois, art. 187. déclar. du 9 Fév. 1584. & plusieurs autres. Voyez PREVOT DES MARECHAUX.

CHEVAUCHEES, des trésoriers de France, sont les visites que ces officiers font tous les ans dans les élections de leur ressort, pour voir si le département des tailles fait par les élûs, est conforme aux facultés de chaque paroisse. Ils font aussi la visite des chemins, ponts & chaussées. Voyez le réglem. d'Henri IV. du 10. Octobre 1603, pour les tailles, art. 1. (A)


CHEVAUCHER(Maréchallerie) Ce terme, pour dire aller à cheval, est hors d'usage ; mais il est encore usité parmi les écuyers, pour marquer la maniere de se mettre sur les étriers. Chevaucher court, chevaucher long, à l'angloise, à la turque.

CHEVAUCHER, on le dit en Fauconnerie, de l'action de l'oiseau, lorsqu'il s'éleve par secousses au-dessus du vent, qui souffle dans la direction opposée à son vol.

CHEVAUCHER, dans la pratique de l'Imprimerie, s'entend de quelques lettres qui montent ou qui descendent hors de la ligne à laquelle elles appartiennent.


CHEVAUXen terme de guerre, signifie la cavalerie ou le corps des soldats qui servent à cheval. Voyez CAVALERIE.

L'armée, dit-on, étoit composée de 30000 fantassins & de 10000 chevaux. Voyez ARMEE, AILE.

La cavalerie comprend les gardes à cheval, les grenadiers à cheval, les cavaliers, & souvent les dragons quoiqu'ils combattent quelquefois à pié. Voyez GARDE A CHEVAL, GRENADIERS, DRAGONS, &c. (Q)


CHEVAUX-LEGERSS. m. (Hist. mod.) corps de cavalerie de la maison du Roi de France, de deux cent maîtres, destinée à la garde de la personne de Sa Majesté.

Henri IV. avant que d'être roi de France, agréa cette compagnie qui lui fut amenée de Navarre en 1570. C'étoit la compagnie d'ordonnance de ce prince. Tous les princes & seigneurs avoient, sous la permission & l'aveu de nos rois, de pareilles compagnies, qui formoient en ce tems-là le corps de la gendarmerie françoise ; elles étoient distinguées de la cavalerie legere, & par la qualité des personnes, & par l'espece de leurs armes. C'est sur le pié de compagnie d'ordonnance qu'elle servit dès 1570, sous Henri alors prince, puis roi de Navarre en 1572, & ensuite roi de France en 1589 ; mais en 1593, Henri la créa ou l'établit sous le titre de chevaux-legers, & la substitua aux deux compagnies de cent gentilshommes chacune de sa maison, dits au bec de corbin, reservés seulement pour les grandes cérémonies. Il s'en servit pour sa garde ordinaire à cheval, & s'en fit capitaine. Elle fut même la premiere garde à cheval de la personne de nos rois.

L'uniforme des chevaux-legers est un habit écarlate, doublure rouge, paremens de velours noir coupés, & poches en-travers galonnées d'or en plein, & brandebourgs d'or sur le tout ; boutons & boutonnieres d'argent, ceinturon garni d'or & noir, veste couleur de chamois galonnée & bordée d'or à boutons d'argent, culotte & bas rouges, chapeau bordé d'or & d'argent, plumet blanc ; l'équipage du cheval, de drap écarlate, galonné d'or & bordé d'argent.

Cette compagnie est d'autant plus distinguée, que de tous tems elle a été composée de gentilshommes & de capitaines qui s'étoient signalés dans les différentes occasions. Ils ont tous les priviléges qui sont accordés aux commensaux de la maison du Roi ; & comme ils n'ont pas jugé à propos en 1629 de changer le nom de gendarmes en celui de carabiniers ou de mousquetaires, sur lesquels ils avoient alors le pas & la préséance, Louis XIII. les fit précéder par sa compagnie de mousquetaires, qu'il affectionnoit plus que les autres ; mais, comme prince juste, il conserva aux chevaux-legers le premier poste de sa garde, dont elle joüit toûjours, & marche immédiatement avant le Roi, de la personne duquel elle n'est séparée que dans les grandes cérémonies. Alors les cent suisses, plus les gardes de la prevôté de l'hôtel, qui les uns & les autres ne servent qu'à pié, marchent entre les chevaux-legers & le Roi. On remarque, à la gloire de cette compagnie, que jamais elle n'a été battue, & que les ennemis n'ont jamais pû lui enlever ni ses timbales, ni ses étendarts ; & lorsqu'elle a été forcée de céder à un nombre beaucoup plus supérieur que celui de son corps, elle s'est toûjours retirée en bon ordre, sans pouvoir être entamée par une troupe ennemie.

Le Roi s'est toûjours reservé le titre de capitaine de cette compagnie, qu'il commande en personne ; & le commandant qui le représente ne prend jamais, comme ils font dans les autres compagnies, la qualité de capitaine-lieutenant. Cette compagnie est donc, sous le Roi, composée d'un commandant, d'un lieutenant, de deux sous-lieutenans, de quatre cornettes, faisant huit officiers supérieurs ; de dix maréchaux des logis, dont deux aides majors en chef, de quatre brigades & d'un escadron. Elle monte à 210 chevaux-legers de la garde, dont plusieurs ont commission de capitaines de cavalerie, compris huit brigadiers, huit sous brigadiers, quatre porte-étendarts, quatre aides-majors de brigades qui sont arbitraires, & les dix anciens chevaux-legers de la garde, dispensés de service, qui joüissent des priviléges : plus deux fourriers ordinaires & extraordinaires, avec quatre trompettes & un timbalier. Les quatre étendarts sont de soie blanche, avec la foudre qui écrase les géants, & pour devise ces mots, sensere gigantes, brodés & frangés d'or.

Il y a une des quatre brigades détachée sur le guet, composée de cinquante chevaux-legers, compris deux brigadiers & deux sous-brigadiers, qui sert toûjours à la garde ordinaire du Roi avec les officiers ; & de plus un chevau-leger qui va prendre tous les matins l'ordre de Sa Majesté, & le rapporte au corps de sa compagnie, & de même le soir va prendre le mot du guet. Lemau de la Jaisse, alm. milit. (G) (a)


CHEVECHES. f. (Hist. nat. Ornitholog.) noctua minor, oiseau de proie qui ne sort que la nuit, & que l'on appelle aussi petite choüette, civette & joüette. Il est à peine de la grosseur du merle ; il a environ un demi-pié de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergeure est de plus de treize pouces ; le bec est blanchâtre ; la langue est un peu fourchue à son extrémité ; le bas du palais est noir. Il y a au-delà des oreilles un petit collier qui n'est pas bien apparent ; la face supérieure du corps est de couleur brune mêlée d'un peu de roux, avec des taches transversales blanchâtres. On voit cinq ou six lignes blanches transversales sur la queue, qui a près de deux pouces & demi de longueur, & qui est composée de douze plumes également longues. Les petites plumes des alentours des oreilles sont panachées de blanc & de brun. Le menton & le bas-ventre sont blancs. Il y a sur la poitrine des taches oblongues de couleur brune. Les barbes intérieures des grandes plumes des aîles sont marquées de taches rondes de couleur blanche. Les yeux sont petits, l'iris est d'un jaune foncé, les oreilles sont grandes. Il y a des plumes sur les pattes, presque jusqu'aux ongles, desorte qu'il ne reste que deux ou trois anneaux à découvert. Cet oiseau a deux doigts de derriere ; la plante des piés est jaune, & les ongles sont noirs. Willughbi, Ornith. Voyez OISEAU. (I)


CHEVECIERest la même chose que chefcier, voyez ci-devant CHEFCIER.


CHEVEDAGES. m. (Jurisprud.) feu & chevedage ; c'est le chesal ou cheseau, maison & ménage. Coûtume de Valençai, art. 3. (A)


CHEVEou AIDE-CHEVEL ; (Jurisprud.) voyez AIDE-CHEVEL.


CHEVELÉen termes de Blason, se dit d'une tête dont les cheveux sont d'un autre émail que la tête.

Le Gendre à Paris, d'azur à la face d'argent, accompagnée de trois têtes de filles chevelées d'or. (V)


CHEVELUadj. (Jardin.) garni de cheveux, se dit de la partie même des racines qui est placée entre les grosses, & imite les cheveux. (K)


CHEVELURE(Gram.) s. f. se dit de l'ensemble de tous les cheveux dont la tête est couverte.

CHEVELURE DE BERENICE, en Astronomie, est une constellation de l'hémisphere septentrional, composée d'un certain nombre d'étoiles qui ne forment aucune figure distincte ; elle est située proche la queue du lion. Voyez CONSTELLATION.

Il y a seulement trois étoiles dans la chevelure de Berenice, selon le catalogue de Ptolomée : Tycho y en fait entrer treize ; & le catalogue britannique, 40. La reine Berenice avoit fait voeu de couper ses cheveux, si son mari Ptolomée revenoit vainqueur de la guerre ; il revint ayant défait ses ennemis ; la reine consacra ses cheveux dans un temple de Venus ; & le lendemain un mathématicien nommé Conon qui avoit découvert dans le ciel une nouvelle constellation, fit disparoître ces cheveux, & publia qu'ils avoient été changés en cette constellation, qu'il nomma pour cette raison chevelure de Berenice.

Ptolomée range toutes ces étoiles parmi les informes du Lion ; & il appelle simplement , un mas d'étoiles qui semblent en former une nébuleuse entre le Lion & l'Ourse ; parce qu'elles ont quelque ressemblance avec une feuille de lierre. La pointe de cette constellation est tournée vers le nord, & ses côtés sont terminés par la septieme & la vingt-deuxieme étoiles. Bayer, au lieu de l'appeller chevelure, l'appelle gerbe de blé. (O)

CHEVELURE DE FEU, (Artific.) les Artificiers appellent ainsi une espece de garniture en forme de petits serpenteaux, lesquels n'étant point étranglés, retombent du pot de la fusée en ondoyant comme une chevelure.

On peut se servir pour ce petit artifice de tuyaux de plumes d'oie ; mais à cause que le feu leur fait répandre une odeur desagréable, on doit pour cette raison se servir plûtôt de petits cartouches de papier de la même grosseur, & longs d'environ trois pouces ; une feuille de papier en fait trente-deux ; on les arrête avec de la colle comme les autres cartouches, & on les fait sécher ; on se sert aussi fort bien de roseaux de marais, dont l'intervalle de deux noeuds est un cartouche tout fait.

Les gens qui ont beaucoup de patience, les remplissent avec un gros fil-de-fer qui leur sert de baguette ; mais comme c'est un ouvrage trop long, on l'abrege en faisant des paquets de la grosseur du bras, semblables à ceux des allumettes, ensorte qu'on les puisse empoigner ; on en égalise bien les bouts, pour qu'une cartouche ne passe pas l'autre ; puis on les lie foiblement pour ne pas les resserrer, mais assez pour les contenir ensemble.

On met ensuite sur une table de la poudre écrasée dans laquelle on mêle, si l'on veut, un peu d'orpiment, pour donner à son feu une couleur jaunâtre, sur laquelle on appuie le paquet de petits cartouches pour faire entrer la composition dans leurs orifices & pour l'y faire tomber plus avant, on le renverse & l'on frappe de l'autre côté ; mais il faut observer que l'orpiment est un poison, & cause des maux de tête lorsqu'on en respire la vapeur, on les retourne pour les appliquer de nouveau sur la matiere, & y en faire entrer de nouvelle ; puis on retourne le paquet sur l'autre bout en frappant comme la premiere fois ; & l'on continue ainsi jusqu'à ce que les petits tuyaux soient pleins : on peut, si l'on veut, y introduire de tems en tems une baguette de bois, un gros fil-de-fer pour bourrer un peu la composition ; ce qui fait mieux ondoyer ces especes de petits serpenteaux. Voyez les Feux d'artifice de Frezier.


CHEVELUS(les) Géog. mod. l'on nomme ainsi une nation sauvage de l'Amérique méridionale, qui habite au nord du fleuve des Amazones ; elle est très-belliqueuse, & laisse croître ses cheveux jusqu'à la ceinture.


CHEVERv. n. (Jurisp.) dans la coûtume de Rheims, art. 373. c'est faire une entreprise ou empiéter sur la chaussée d'une ville, sur un chemin, ou sur un héritage. M. de Lauriere croit que ce mot vient du latin capere. (A)

CHEVER, v. act. a deux acceptions chez les Joüailliers ; il se dit de l'action de polir une pierre concave sur une roue convexe : il se dit de l'action de pratiquer à la pierre cette concavité, pour diminuer son épaisseur & éclaircir sa couleur.

CHEVER, en terme d'Orfévre en grosserie, de Chauderonnier, de Ferblantier, &c. c'est commencer à rendre concave une piece qui n'est que forgée. Voyez ENFONCER.


CHEVESTRAGES. m. (Jurisp.) chevestragium seu capistragium, étoit un droit ou coûtume que les écuyers du roi s'étoient arrogé sur le foin que l'on amene à Paris par eau ; ce droit fut abrogé par S. Loüis, par des lettres de l'an 1256. Voyez Lauriere en son glossaire au mot chevestrage. (A)


CHEVESTRES. m. (Charp.) c'est un assemblage de charpenterie qui sert à terminer la largeur des cheminées & autres passages qu'on observe dans les planchers ; les soliveaux y sont soûtenus en s'emmanchant à tenons mordans, ou renforts. Voyez Pl. du Charpentier, fig. 18. n°. 14.

Les Serruriers donnent le même nom à une barre de fer, soit quarrée, soit plate, soit droite, soit coudée par les deux bouts, ou par un bout seulement, qui sert, selon le besoin, à soûtenir les bouts de solives dans les endroits où on les a rognées pour donner passage aux cheminées. Voyez dans nos Planches de la serrurerie des bâtimens, un chevestre.

CHEVESTRE, vieux mot qui signifioit le licol d'un cheval ; s'enchevestrer se dit encore. Voyez S'ENCHEVESTRER.


CHEVETS. m. on donne ce mot à la partie supérieure d'un lit ; celle où l'on place l'oreiller & le traversin ; la partie opposée s'appelle le pié du lit : on a transporté ce nom à d'autres choses.

CHEVET (Jurisp.) est un droit que quelques seigneurs exigeoient autrefois des nouveaux mariés dans l'étendue de leur seigneurie. La plûpart de ces droits que la force & la licence avoient introduits, ont été abolis dans la suite comme contraires à l'honnêteté & à la bienséance, ou convertis en argent. Il y a encore un droit de chevet dû par les nouveaux mariés dans certaines compagnies. Ce droit autrefois consistoit en un festin qui se donnoit à toute la compagnie ; présentement il est presque par-tout converti en une somme d'argent qui se partage entre tous les confreres du nouveau marié. Les officiers de la chambre des comptes & les conseillers du châtelet payent en se mariant un droit de chevet. (A)

CHEVET, terme d'Architecture : chevet d'église est la partie qui détermine le choeur d'une église le plus souvent de figure ronde, du latin absis ; c'est ce que les anciens appelloient rond point. (P)

CHEVET ou COUSSINET, (Fortificat.) est une maniere de petit coin de mire qui sert à lever un mortier. Il se met entre l'affut & le ventre du mortier. Voyez MORTIER. (Q)


CHEVEUS. m. petit filament oblong qui part des pores de la peau de la tête, & qui la couvre toute entiere, à l'exception des parties de la face & des oreilles. On donne le nom de poil aux filamens pareils qui couvrent toute la peau d'un grand nombre d'animaux, & aux filamens pareils & plus courts qui couvrent quelques parties du corps humain. Voyez l'article POIL.

Les anciens ont prétendu que ces filamens étoient une espece d'excrémens, qui n'étoient nourris que par des matieres grossieres & destinées à l'expulsion ; & conséquemment qu'ils n'étoient point parties du corps animé. Quand on leur demandoit de quelle espece étoient ces excrémens, ils répondoient que c'étoient des parties fuligineuses du sang, qui poussées par la chaleur du corps vers sa superficie, s'y condensoient en passant par les pores. Ils croyoient donner de l'existence & de la clarté à leurs parties fuligineuses, en alléguant des expériences qui, quand elles auroient été toutes vraies, n'en auroient pas eu plus de connexion avec leur mauvaise physiologie ; savoir que les cheveux coupés reviennent très-promtement, soit dans les enfans qui ne commencent qu'à végeter, soit dans les vieillards qui sont prêts à s'éteindre ; que chez les étiques les cheveux croissent, tandis que le reste du corps dépérit ; qu'ils reviennent & croissent aux corps morts ; & qu'ils ne se nourrissent & ne croissent point comme les autres parties du corps par intussusception ; c'est-à-dire par un suc reçu au-dedans d'eux, mais par juxtaposition, les parties qui se forment poussant en avant celles qui sont formées.

M. Mariotte ayant examiné la végétation des cheveux, crut en effet trouver qu'elle ne ressembloit point à celle des plantes qui poussent leur seve entre leurs fibres & leurs écorces, jusqu'aux extrémités de leurs branches, mais comme les ongles, où les parties anciennes avancent devant les nouvelles ; car quand on tient ce qui reste sur la tête de cheveux, après qu'on les a récemment coupés, ce qui étoit près de la peau est d'une couleur différente du reste. Cet académicien paroît s'accorder en cela mieux avec les anciens physiologistes qu'avec la vérité.

Les cheveux sont composés de cinq ou six fibres enfermées dans une gaine assez ordinairement cylindrique, quelquefois ovale ou à pans ; ce qui s'apperçoit au microscope, même à la vûe simple ; quand les cheveux se fendent, c'est que la gaine s'ouvre, & que les fibres s'écartent.

Les fibres & le tuyau sont transparens ; & cette multiplicité de fibres transparentes doit faire à l'égard des rayons, l'effet d'un verre à facettes : aussi quand on tient un cheveu proche la prunelle, & qu'on regarde une bougie un peu éloignée, on apperçoit un rayon de chaque côté de la bougie, & chaque rayon est composé de trois ou quatre petites images de la bougie, un peu obscures & colorées ; ce qui prouve que chaque fibre du cheveu fait voir par réfraction une bougie séparée des autres : & comme il n'y a que la réfraction qui donne les couleurs, les couleurs de chaque image concourent à prouver cette théorie.

Les modernes pensent que chaque cheveu & peut-être chaque fibre qui le compose, vit dans le sens stricte, qu'il reçoit un fluide qui le remplit & le dilate, & que sa nutrition ne differe pas de celle des autres parties. Ils opposent expériences à expériences : dans les personnes âgées, disent-ils, les racines des cheveux ne blanchissent pas plûtôt que les extrémités ; tout le cheveu change de couleur en même tems. Le même phénomene a lieu dans les enfans. Il y a nombre d'exemples de personnes qu'une grande frayeur ou qu'une douleur extrème a fait blanchir en une nuit. Leur sentiment est que les cheveux croissant de la tête, comme les plantes de la terre, ou comme certaines plantes parasites naissent & végetent des parties d'autres plantes ; quoique l'une de ces plantes tire sa nourriture de l'autre, cependant chacune a sa vie distincte, & son oeconomie particuliere : de même le cheveu tire sa subsistance de certains sucs du corps, mais il ne la tire pas des sucs nourriciers du corps ; de-là vient que les cheveux peuvent vivre & croître quoique le corps dépérisse. Ce qui explique les faits rapportés dans les transactions philosophiques par Wulferus & Arnold. Wulferus dit que le tombeau d'une femme enterrée à Nuremberg, ayant été ouvert quarante ans après sa mort, on vit sortir à-travers les fentes du cercueil, une si grande quantité de cheveux, qu'on pouvoit croire que le cercueil en avoit été tout couvert pendant quelque tems ; que le corps de la femme parut entier ; qu'il étoit enveloppé d'une longue chevelure épaisse & bouclée ; que le fossoyeur ayant porté la main sur la tête de ce cadavre, il tomba tout entier en poudre, & qu'il ne prit qu'une poignée de cheveux ; que les os du crane étoient réduits en poussiere ; que cependant ces cheveux avoient du corps & de la solidité. Arnold raconte d'un homme qui avoit été pendu pour vol, que ses cheveux s'allongerent considérablement, & que tout son corps se couvrit de poil, tandis qu'il étoit encore à la potence.

Quand le microscope ne feroit pas voir que les cheveux sont des corps fistuleux ; la plica, maladie dont les Polonois sont quelquefois attaqués, & dans laquelle le sang degoutte par les extrémités des cheveux, ne laisseroit sur ce fait aucun doute. Les fibres & l'enveloppe observées aux cheveux par M. Mariotte, sont réelles ; mais il y a de plus des noeuds semblables à ceux de quelques sortes d'herbes, & des branches qui partent de leurs jointures ; il coule un fluide entre ces fibres, & peut-être dans ces fibres mêmes, ce que M. Mariotte a nié. Chaque cheveu a une petite racine bulbuleuse, assez profonde, puisqu'elle est insérée jusque dans les papilles pyramidales ; c'est dans cette bulbe que se séparent les sucs qui le nourrissent.

Les cheveux blanchissent sur le devant de la tête, & sur-tout autour des tempes, & sur le haut plûtôt que sur le derriere de la tête & ailleurs, parce que leur suc nourricier y est plus abondant.

C'est la grandeur & la configuration des pores qui déterminent le diametre & la figure des cheveux ; si les pores sont petits, les cheveux sont fins ; s'ils sont droits, les cheveux sont droits ; s'ils sont tortueux, les cheveux sont frisés ; si ce sont des poligones, les cheveux sont prismatiques ; s'ils sont ronds, les cheveux sont cylindriques.

C'est la quantité du suc nourricier qui détermine leur longueur ; c'est sa qualité qui détermine leur couleur : c'est par cette raison qu'ils changent avec l'âge.

Le docteur Derham examina un poil de souris au microscope, & il lui parut n'être qu'un tuyau transparent, rempli d'une espece de moëlle ou substance fibreuse, formant des lignes obscures, tantôt transversales, tantôt spirales : ces lignes médullaires pouvoient passer pour des fibres très-molles, entortillées, & plus serrées selon leur direction, qu'ailleurs ; s'étendant depuis la racine du poil jusqu'à l'extrémité, & peut-être destinées à quelque évacuation : d'où il inféra que le poil des animaux ne leur sert pas seulement à les garantir du froid, mais que c'est un organe de transpiration imperceptible. Je crois qu'on peut étendre cette induction à la chevelure de l'homme, par deux raisons ; 1° parce qu'il est évident par la plica, que c'est un assemblage de petits canaux, & que ces canaux sont ouverts par le bout : 2° parce qu'on guérit de maux de tête en se coupant les cheveux, quand ils sont trop longs ; & qu'on se procure des maux d'yeux, quand on est d'un tempérament humide, & qu'on les rase.

La longue chevelure étoit chez les anciens Gaulois une marque d'honneur & de liberté. César qui leur ôta la liberté, leur fit couper les cheveux. Chez les premiers François, & dans les commencemens de notre monarchie, elle fut particuliere aux princes du sang. Grégoire de Tours assûre même que dans la seconde irruption qu'ils firent dans les Gaules, c'est-à-dire avant l'établissement de leur monarchie, ils se fixerent dans la Tongrie, c'est-à-dire le Brabant & les environs de la Meuse, & qu'ils s'y choisirent des rois à longue chevelure, de la race la plus noble d'entr'eux. On lit dans l'auteur des gestes de nos rois, que les François élurent Pharamond fils de Marcomir, & placerent sur le trône un prince à longue chevelure. Franci elegerunt Pharamundum filium ipsius Marcomiri, & levaverunt eum super se regem crinitum. On sait que Clodion fut surnommé par la même raison le chevelu. Au reste, ce droit de porter de longs cheveux étoit commun à tous les fils de rois. Clovis, l'un des fils de Chilpéric & d'Andouere, fut reconnu par sa longue chevelure par le pêcheur qui trouva son corps dans la riviere de Marne, où Fredegonde l'avoit fait jetter. Gondebaud qui se prétendit fils de Clotaire, ne produisoit d'autre titre de son état que des cheveux longs ; & Clotaire pour déclarer qu'il ne le reconnoissoit pas pour son fils, se contenta de les lui faire couper. Cette cérémonie emportoit la dégradation. Le prince rasé étoit déchu de toutes ces prétentions : on voit cet usage pratiqué à la disposition de quelques-uns de nos princes renfermés dans les monasteres. On fait remonter jusqu'au tems des premiers Gaulois, l'origine de l'usage de se couper les cheveux, en signe de la renonciation à toutes prétentions mondaines que faisoient ou étoient censés faire ceux qui embrassoient la vie monastique. Tant que les longs cheveux furent la marque du sang royal, les autres sujets les porterent coupés courts autour de la tête. Quelques auteurs prétendent qu'il y avoit des coupes plus ou moins hautes, selon le plus ou moins d'infériorité dans les rangs ; ensorte que la chevelure du monarque devenoit, pour ainsi dire, l'étalon des conditions.

Au huitieme siecle, les gens de qualité faisoient couper les premiers cheveux à leurs enfans par des personnes qu'ils honoroient, & qui devenoient ainsi les parrains spirituels de l'enfant. Mais s'il est vrai qu'un empereur de Constantinople témoigna au pape le desir que son fils en fût adopté en lui envoyant sa premiere chevelure, il falloit que cette coûtume fût antérieure au viij. siecle V. PARRAIN, ADOPTION,

Les longues chevelures ont été principalement défendues à ceux qui embrassoient l'état ecclésiastique ; la domination des peuples de la Germanie dans les Gaules y ayant introduit le relâchement des moeurs, plusieurs du clergé portoient de longs cheveux, malgré les lois de l'Eglise. Cet abus fut réprimé dans plusieurs conciles. Un concile de plusieurs provinces des Gaules, tenu à Agde l'an 509, ordonne que si des clercs portent de grands cheveux, l'archidiacre les leur coupera malgré eux. Cette défense pour les ecclésiastiques a toûjours été en vigueur ; il y eut même des tems où les longues chevelures furent interdites à tous les Chrétiens ; mais cette discipline n'a pas subsisté long-tems à leur égard. Voyez CLERC, TONSURE, COURONNE.

Nos antiquaires & nos historiens se sont très-étendus sur la chevelure de nos princes : on sait très-exactement une chose très-importante à savoir, qui d'entr'eux porta des cheveux longs, & qui porta des cheveux courts. La question des cheveux longs & des cheveux courts, a été dans son tems la matiere de plusieurs ouvrages polémiques. O curas hominum !

Aujourd'hui on porte ou on ne porte pas des cheveux ; on les porte longs ou courts sans conséquence. Les cheveux sont employés à faire des perruques, contre lesquelles à la vérité un savant homme a fait un traité. Voy. PERRUQUE. Et cet habillement de tête est devenu si ordinaire par sa commodité, que les cheveux sont un objet de commerce assez considérable.

Les cheveux des pays septentrionaux sont plus estimés que les nôtres. De bons cheveux sont bien nourris, & ne sont ni trop gros ni trop fins. Les gros deviennent crêpus quand on les frise ; les fins ne tiennent pas assez la frisure. La longueur des cheveux doit être d'environ vingt-cinq pouces ; leur prix diminue à mesure qu'ils sont plus courts. On recherche plus ceux des femmes que ceux des hommes. On regarde beaucoup à la couleur ; les blonds sont les plus chers. Il y a peu de marchandise dont le prix soit aussi variable ; il y a des cheveux depuis quatre francs jusqu'à cinquante écus la livre. On prétend que les cheveux châtains se blanchissent comme la toile, en les lavant plusieurs fois dans de l'eau limoneuse, & les étendant sur le pré. Quant à l'emploi des cheveux, voyez les articles PERRUQUIER & PERRUQUE. Observons seulement que les cheveux étant une marchandise que nous tirons de l'étranger, il y auroit un avantage à ce que l'usage des perruques de fil-d'archal prévalût. Je ne sais si cet objet est assez considérable pour mériter l'attention. C'est à ceux qui veillent aux progrès du commerce à en être instruits.

Se coeffer en cheveux, c'est avoir les cheveux tressés, relevés, arrangés sur sa tête, sans bonnet ni coëffure. Porter de faux cheveux, c'est fournir par des tresses de cheveux, des tours, des coins, &c. les endroits de la tête qui sont dégarnis de cheveux naturels. La coëffure en cheveux & l'art des faux cheveux ont été à l'usage des Grecs & des Romains. On dit faire les cheveux, couper les cheveux, rafraîchir les cheveux. Les rafraîchir, c'est en enlever au ciseau la petite extrémité, pour en hâter l'accroissement ; les couper, c'est les abattre entierement, pour y substituer la perruque ; les faire, c'est les tailler selon la mode regnante. Toutes ces opérations sont du perruquier, de même que celle de les friser. Voyez FRISER.

On a attaché de tout tems la beauté de la chevelure à la longueur & à la couleur des cheveux ; mais tous les peuples n'ont pas eu dans tous les tems le même préjugé sur la couleur. C'est par cette raison qu'il a fallu imaginer pour ceux dont les cheveux n'étoient pas d'une couleur à la mode, des moyens de donner aux cheveux la couleur qu'on voudroit. En voici quelques-uns que nous ne garantissons pas.

Pour noircir les cheveux, mettez sur quatre pintes d'eau de fontaine froide, une demi-livre de chaux, & un quarteron de sel commun ; remuez ce mélange de tems en tems pendant quatre jours ; tirez-le au clair, & le gardez. Prenez une demi-livre de noix de galle ; faites-les brûler dans un pot de fer ou de cuivre bien bouché, avec une demi-livre de graisse de boeuf. Quand le tout vous paroîtra en pâtée, laissez refroidir sans déboucher le vaisseau. Prenez ensuite votre masse, réduisez-la en poudre très-fine ; jettez cette poudre sur deux pintes de l'eau que vous avez tirée au clair, ajoûtant deux fiels de boeuf, une once de lytarge d'or, une once d'alun, une once de couperose, une once de sumac, une once de verdet, une once de plomb brûlé, une once de mine de plomb, une once de vitriol, une once de sel ammoniac. Prenez encore un quarteron de noir d'Anvers ; mettez ce noir sur une chopine ou environ d'eau de chaux, préparée comme on a dit plus haut ; faites bouillir ; jettez ce second mélange bouillant sur le mélange précédent ; renfermez le tout dans une cruche ; laissez reposer cette cruche pendant trois ou quatre jours au coin du feu ; remuez de tems en tems. Lorsque vous voudrez faire usage de votre préparation, prenez-en dans un petit vaisseau, ajoûtez-y quatre à cinq gouttes d'eau seconde ; prenez une petite éponge, trempez-la dans ce dernier mélange, & vous en frottez les cheveux ; continuez de vous frotter jusqu'à ce que les cheveux ayent pris couleur. Ce procédé a été communiqué par feue madame la comtesse de B. au pere de M. Papillon, habile graveur en bois.

Voici un procédé plus simple. Prenez du brou de noix, mettez-le dans un alembic ; distillez ; recueillez l'eau claire qui vous viendra par la distillation, & vous frottez les cheveux de cette eau.

Il y en a qui pensent que de l'eau seconde répandue dans beaucoup d'eau, produiroit le même effet sans aucun danger. Mais l'usage du peigne de plomb, qu'on frotte avec la mine de plomb toutes les fois qu'on le nettoie, s'il n'est pas sûr, est du moins très-innocent.


CHEVILLES. f. (Arts méch.) morceau de bois ou de fer, rond, plus ou moins long, selon le besoin, tantôt terminé en pointe, d'autres fois cylindrique, mais toûjours destiné à remplir un trou. Il n'y a guere d'assemblage de menuiserie ou de charpenterie, sans chevilles. Nous ne rapporterons pas ici toutes les machines où les chevilles sont d'usage. Dans les ouvrages de menuiserie & de charpente, les chevilles qui peuvent se déplacer & qui se déplacent quelquefois quand on desassemble le tout, comme il arrive dans les grandes machines qu'on ne laisse pas toûjours montées, s'appellent chevilles-coulisses : on les tient un peu plus longues que les autres qui sont à demeure ; elles ne sont pas à fleur de bois. Celles qui traversent les pieces & les excedent d'une portion considérable, formant des échelons de part & d'autre des pieces traversées, s'appellent chevilles-rances.

Les ouvriers en soie ont leurs chevilles. Voyez plus bas. Les Cordonniers ont les leurs. Les Bijoutiers donnent ce nom au fil d'or ou d'argent qui passe dans l'ouverture de tous les charnons qui composent une charniere.

CHEVILLE, en Anatomie ; voyez MALLEOLE.

CHEVILLES de presse d'Imprimerie, sont deux morceaux de bois rond de neuf à dix pouces de long, chevillés l'un à côté de l'autre à deux pouces de distance dans l'épaisseur d'une des jumelles ; de façon que les bouts relevent un peu, & vont toûjours en s'éloignant. Sur ces chevilles, l'Imprimeur pose ses balles montées, ou quand il veut se reposer, ou quand il s'agit de faire quelque fonction de son ministere ; pour cet effet, il passe le manche d'une des balles dans le vuide des chevilles, ce qui retient le corps de la balle fait en forme d'entonnoir ; ensuite il pose sur cette premiere balle la seconde, le manche en-haut. Par cette situation elles se trouvent mutuellement appuyées sur les chevilles & contre la jumelle de la presse. Voyez l'article IMPRIMERIE.

CHEVILLES, (Vénerie) on donne ce nom aux andouillers qui partent des perches de la tête du cerf, du daim, du chevreuil.

CHEVILLE, (Maréch. & Man.) cheval qui n'est propre qu'à mettre en cheville ; cheval qui n'est propre qu'à tirer, & à être mis devant un limonier. Voyez LIMONIER. (V)

CHEVILLE, (Reliure) La cheville du relieur est un boulon de fer d'environ deux piés de long sur six lignes d'épaisseur, auquel il doit y avoir une tête. Cette cheville sert pour serrer & desserrer la presse tant à endosser qu'à rogner. Voyez Pl. I. du Relieur, fig. CC. Il y a aussi une cheville moins longue aux presses à dorer.

CHEVILLE, (Manufacture en soie) Il y en a plusieurs ; les plus remarquées sont celles qu'on appelle de devant, de derriere, & cheville tout court. La cheville de devant sert à tourner l'ensuple de devant, & à enrouler l'étoffe à mesure qu'elle est travaillée. Elle est de fer pour les étoffes riches, & de bois pour les étoffes legeres. La cheville de derriere sert à bander les chaînes des étoffes unies. La cheville de verre sert d'axe à la poulie mobile du plot de l'ourdissoir ; elle est arrêtée par une tête qui est à une de ses extrémités ; elle facilite beaucoup le mouvement de la poulie. La cheville tout court est longue de trois piés & demi. au moins ; on plie sur elle les chaînes des étoffes unies ; on ne les plie pas en chaîne à cause de leur longueur, & des accidens qui pourroient arriver si les chaînons se mêloient ; ce qui n'est pas tant à craindre pour les chaînes des étoffes riches, qui n'ont que vingt-cinq à trente aulnes de longueur, & qui sont grosses ; au lieu que les autres ont depuis cent jusqu'à 150 aulnes, & sont composées de soie très-fine.


CHEVILLÉadj. (Maréch.) se dit des épaules & des sur-os. Voyez EPAULE & SUR-OS.

CHEVILLE, (Vén.) se dit du cerf qui porte plusieurs dards ou rameaux à la sommité de son bois, en forme de couronne.

CHEVILLE, terme de Blason ; il se dit de ramures d'une corne de cerf ; & on dit chevillé de tant de cors.

Vogt en Suabe, d'or ou demi-bois de cerf, chevillé de cinq dagues ou cors de sable tournés en cercle.


CHEVILLERterme d'Architecture, signifie dans l'art de la Menuiserie & Charpenterie, assembler & faire tenir plusieurs pieces ensemble avec des chevilles. On appelle goupilles celles dont on fait usage pour assembler la serrurerie. (P)


CHEVILLETTES. f. (Reliure) outil dont se servent les couturieres de livres : c'est un morceau de cuivre plat, épais d'une ligne ou à-peu-près, & haut d'un pouce & demi ; il a par bas deux branches ouvertes, ou au-dessus de ces branches dans la tête de la piece, un trou quarré où passe la ficelle qui descend du cousoir par la fente du temploir. La ficelle étant passée dans la chevillette, on retourne la chevillette, & on bande le cousoir par les vis, en faisant remonter la barre où le haut des ficelles est arrêté à d'autres ; ce qui fait tendre les ficelles auxquelles on coud les cahiers d'un livre. Voyez COUDRE, COUSOIR.


CHEVILLOIRS. m. instrument du métier des étoffes de soie. Le chevilloir dont on se sert pour mettre les soies en main, c'est-à-dire d'usage, quand il s'agit de séparer les différentes qualités dont un ballot est composé, & les assembler pour en former des pantines (voyez PANTINES), est un bloc de bois quarré, long de deux piés environ, large d'un pié, & de dix pouces d'épaisseur, au milieu duquel s'éleve un autre bois de trois pouces d'épaisseur, de la largeur d'un pié, de trois piés de hauteur environ, au haut duquel il est percé de quatre trous quarrés, dans lesquels on met des chevilles, dont la grosseur est proportionnée aux trous : ces chevilles sont ordinairement rondes de deux pouces de diametre, sur deux piés & demi à trois piés de long.


CHEVIRv. n. (Jurisprud.) signifie traiter, composer, capituler. Les anciennes coûtumes de Bourges, chap. v. parlent de l'ajourné qui vient chevir à sa partie, c'est-à-dire transiger. Chap. clxviij. elles disent que les héritiers cheviront au partage de la succession. Voyez l'auteur du grand coûtumier, page 240. ligne 2. La coûtume de Paris, article xxj. & celle de Dourdan, article xxxvij. portent que le seigneur féodal qui a reçu les droits à lui dûs, chevi ou baillé souffrance, n'est plus recevable au retrait. Chevir en cet endroit signifie composer. Voyez Carondas & Tournet, sur l'article xxj. de la coûtume de Paris.

Chevir, dans les anciens auteurs, signifie aussi se nourrir, alimenter son chef. Voyez Beaumanoir, ch. I. pag. 270. Voyez CHEVANCE. (A)


CHEVISANCES. f. (Jurispr.) n'est pas un traité ou accord comme quelques-uns l'ont pensé ; il signifie la même chose que chevance, & vient de chevir, en tant qu'il signifie se nourrir, s'entretenir. Voyez Beaumanoir, qui use quelquefois de ce mot pour chevance ; Rastal, dans son livre intitulé les termes de la loi ; gloss. de Lauriere. (A)


CHEVRES. f. capra, (Hist. nat. quadrup.) c'est la femelle du bouc. Voyez BOUC. Toutes les chevres n'ont pas des cornes ; celles qui en portent les ont comme le bouc, creuses, renversées en arriere & noüeuses. Le poil de la chevre est plus fin que celui du bouc. La couleur de ces animaux varie beaucoup ; il y en a de blancs, de noirs, de fauves, & de plusieurs autres couleurs, soit qu'il s'en trouve plusieurs ensemble sur le même individu, ou qu'il soit d'une seule couleur. Ils ruminent ; ils n'ont que deux mammelles ; ils sont fort chauds, sur-tout les mâles. Pline dit que les femelles reçoivent le mâle dès l'âge de sept mois, tandis qu'elles tetent encore ; mais alors elles ne conçoivent pas. Selon Aristote, elles s'accouplent & elles conçoivent à l'âge d'un an ; cependant il ne faut les faire porter que depuis deux ans jusqu'à sept au plus. On n'est sûr qu'elles ayent conçû, qu'après qu'elles se sont accouplées trois ou quatre fois. Elles portent cinq mois. Il y a un, deux, trois, & quelquefois jusqu'à quatre petits à chaque portée ; & il pourroit y avoir deux portées par an, sur-tout lorsque le climat & les pâturages sont bons. On prétend que les chevres seroient fécondes pendant toute leur vie ; mais ordinairement on en abrege le cours en les tuant à dix ou douze ans. On garde les boucs pendant un plus long tems, parce qu'on croit que leur mauvaise odeur garantit les chevaux de certaines maladies ; c'est pourquoi on les tient dans les écuries. Il y en a qui ont plus de vingt ans. Les chevres sont fort legeres ; aussi elles grimpent aisément sur les montagnes, & sautent même avec beaucoup d'agilité d'un rocher à un autre. On dit qu'il y a beaucoup plus de ces animaux dans les pays du Nord que dans le reste de l'Europe, & que les boucs y sont si courageux, qu'ils se défendent avec les chiens contre les loups. Voyez Aldrovande, de bisulcis. Voyez QUADRUPEDE. (I)

* CHEVRE, (Econom. rustiq.) elle est de peu de dépense : on ne lui donne du foin que quand elle a des chevreaux ; elle a beaucoup plus de lait que la brebis ; on la peut traire soir & matin pendant cinq mois, & elle donne jusqu'à quatre pintes de lait par jour : le fromage qu'on en fait n'est pas mauvais.

Une bonne chevre doit avoir la taille grande, la marche ferme & legere, le poil doux & touffu, les pis gros & longs, le derriere large, & les cuisses larges.

Cet animal aime les lieux montagneux ; il craint le grand chaud, le grand froid ; il est propre ; il faut nettoyer tous les jours son étable, & lui donner une litiere fraîche.

Il faut l'écarter des arbres, auxquels il porte un dommage considérable en les broutant : ce dommage est tel que les lois ont statué là-dessus. Voyez plus bas CHEVRES, (Jurispr.)

On mene les chevres aux champs avant que la rosée ait disparu : on ne les retient dans l'étable qu'en hyver & dans les tems durs ; on les y nourrit de petites branches de vigne, d'orme, de frêne, de mûrier, de châtaigner, &c. de raves, de navets, de choux, &c. on les fait boire soir & matin : on les mene aux champs en hyver, quand il fait beau, depuis neuf heures du matin jusqu'à cinq ; en été, depuis la pointe du jour jusqu'à neuf heures, & depuis trois heures jusqu'à la nuit. Elles broutent les ronces, les épines, les buissons, &c. la nourriture des lieux marécageux leur est mauvaise. Elles sont en chaleur depuis le mois de Septembre jusqu'à la fin de Novembre. On les nourrit de foin quelques jours avant qu'elles chevrotent, & quelque tems après ; on ne commence à les traire que quinze jours après qu'elles ont chevroté. Elles souffrent beaucoup en chevrotant. Il faut ôter les petits à celles qui n'ont qu'un an, & les donner à d'autres ; ne les leur laisser que quand elles ont trois ans, & ne leur en laisser qu'un : elles alaitent pendant un mois ; on peut retirer le chevreau à quinze jours.

La chevre est sujette aux mêmes maladies que la brebis (voyez BREBIS) ; elle est quelquefois attaquée d'une fievre putride ; alors on la met à part & on la saigne. Quand elle devient hydropique pour avoir trop bû d'eau, on la pique au-dessous de l'épaule, on couvre la piquûre d'un emplâtre de poix & de sain-doux. Il lui reste aussi une enflure de matrice après avoir chevroté, pour laquelle on lui fera boire du vin. Quand le pis lui sera desséché, comme il peut arriver dans les grandes chaleurs, on la menera paître à la rosée, & on lui frottera le pis avec de la creme.

Il y a des chevres indiennes ou de Barbarie qui donnent trois fois plus de lait, dont le fromage est meilleur, qui portent ordinairement deux chevreaux, & qui ont le poil plus fin & plus fourni que les nôtres : on dit que les Hollandois & les Anglois en tirent bon parti. Nous en avons en Provence où leurs chevreaux s'appellent besons.

CHEVRES, (Jurispr.) sont des animaux malfaisans : elles ont la salive venimeuse & brûlante ; leur haleine gâte les vaisseaux propres à mettre le vin, & empêche le jeune bois de repousser. Plusieurs coûtumes défendent d'en nourrir dans les villes, comme Nivernois, ch. x. art. 18. Celle de Berri, tit. des servitudes, art. 18. permet d'en tenir en ville close pour la nécessité de maladie d'aucuns particuliers. Coquille voudroit qu'on admît cette limitation dans sa coûtume ; mais il dit aussi qu'il faudroit ajoûter que ce seroit à condition de tenir les chevres toûjours attachées ou enfermées dans la ville, & aux champs qu'on doit les tenir attachées à une longue corde. La coûtume de Normandie, art. 84. dit que les chevres & les porcs sont en tout tems en défens, c'est-à-dire qu'on ne les peut mener paître dans l'héritage d'autrui sans le consentement du propriétaire : celle d'Orléans, art. 152. défend de les mener dans les vignes, gagnages, clouseaux, vergers, plants d'arbres fruitiers, chênayes, ormoyes, saulsayes, aulnayes, à peine d'amende : celle de Poitou, art. 196. dit que les bois taillis sont défensables pour le regard des chevres, jusqu'à ce qu'ils ayent cinq ans accomplis ; & à l'égard des autres bêtes, jusqu'à quatre ans.

Le canon omnes decimae causâ xvj. quaest. 7. décide que la dixme est dûe des chevres qui sont à la garde du pasteur, de même que des autres animaux. (A)

CHEVRE, (Médecine, Diete, & Mat. méd.) On mange très-peu de chevre en Europe, excepté dans quelques contrées de l'Espagne & de l'Italie, où cet animal est très-commun ; sa chair qui étoit beaucoup plus usitée chez les anciens Grecs, passe chez leurs médecins pour flatueuse, bilieuse, & de mauvais suc.

Le lait de chevre est employé pour les usages de la table dans plusieurs pays, dans les provinces méridionales du royaume, par exemple ; & il n'y est pas très-inférieur pour le goût au lait de vache ordinaire, à celui des environs de Paris. On prépare aussi avec ce lait de très-bons fromages. Voyez FROMAGE. Voyez les propriétés médicinales du lait de chevre, & son analyse chimique, au mot LAIT.

La fiente de chevre donnée en infusion dans du vin blanc ou quelques eaux appropriées, passe chez quelques personnes pour spécifique dans les obstructions du foie & de la rate, & dans la gale : c'est-là un remede de paysan, qui peut avoir quelque utilité réelle. (b)

CHEVRE DU BEZOARD, capra bezoartica. On prétend que les bézoards orientaux viennent d'une chevre, mais cette chevre n'est pas bien connue ; on dit qu'elle ressemble aux nôtres, à l'exception des cornes, qui sont plus élevées & plus longues ; & on ajoûte qu'il se trouve des chevres de cette espece dont la peau est mouchetée comme celle d'un tigre : d'autres auteurs rapportent qu'il y en a de couleur cendrée tirant sur le roux, & d'autre couleur ; qu'elles sont grandes comme un cerf, qu'elles lui ressemblent en quelque façon, mais beaucoup plus à la chevre ordinaire ; qu'elles ont deux cornes larges & recourbées sur le dos comme celles des boucs ; que les Indiens les prennent dans des filets & dans des piéges ; qu'elles sont si féroces qu'elles tuent quelquefois des hommes ; que ces chevres sont fort legeres ; qu'elles vivent dans des cavernes, & qu'elles se réunissent plusieurs ensemble. Voyez Aldrovande, de bisulcis quad. Voyez BEZOARD. (I)

CHEVRE DU MUSC, capra moschi. Les auteurs ne sont pas d'accord sur le nom de l'animal qui porte le musc : on l'appelle chevre gaselle, &c. ou simplement l'animal du musc, animal moschiferum. V. MUSC. (I)

CHEVRE SAUVAGE D'AFRIQUE, capra sylvestris africana. Grim. Cette chevre est de couleur cendrée & foncée ; elle a un toupet de poil qui s'éleve sur le milieu de la tête, & il se trouve de chaque côté entre le nez & les yeux deux cavités qui renferment une liqueur grasse & huileuse, dont l'odeur tient de celle du castoreum & de celle du musc : cette liqueur s'épaissit & devient une matiere noire ; dès qu'on l'a enlevée, il en coule une autre qui s'épaissit comme la premiere : ces cavités n'ont aucune communication avec les yeux ; ainsi la liqueur qui s'y trouve est fort différente des larmes du cerf ou des autres animaux. Eph. Germ. an. 14. obs. 57. (I)

CHEVRE DE SYRIE, capra mambrina, sive syriaca. Gesn. Les chevres de cette espece se trouvent principalement en Syrie, sur la montagne appellée Mambré qui est aux environs d'Hébron ; & il y en a aussi autour de la ville d'Alep : leurs oreilles sont si longues qu'elles traînent par terre, desorte que les naturels du pays en coupent une, afin que l'animal puisse paître aisément. On a vû de ces cornes qui n'avoient pas plus de deux pouces & demi de longueur, & qui étoient un peu recourbées en arriere. On a aussi vû à Londres l'animal entier ; il ressembloit à une chevre, quoiqu'il fût plus grand, & il étoit de la même couleur qu'un renard : cet animal étoit fort doux & fort familier, & mangeoit du foin & de l'orge. Ray, synop. anim. quad. p. 81. (I)

* CHEVRE, (Myth.) cet animal étoit révéré en Egypte ; c'étoit, pour ainsi dire, le sanctuaire général des bêtes. Pan passoit pour s'être caché sous la peau de la chevre. Il étoit défendu de la tuer ; elle étoit consacrée à Jupiter, en mémoire de la chevre Amalthée : on l'immoloit à Apollon, à Junon, & à d'autres dieux.

CHEVRE, ou capella, en Astronomie, étoile brillante de la premiere grandeur, qui est située dans l'épaule gauche ou l'épaule de devant du Cocher : elle est la troisieme de cette constellation dans les catalogues de Ptolomée & de Tycho, & la quatorzieme dans le catalogue anglois. Sa longitude dans ce catalogue est de 17d 31' 41"; & sa latitude de 22d 51' 47". Voyez COCHER.

Il y a quelques Astronomes qui représentent la chevre comme une constellation de l'hémisphere boréal composée de trois étoiles, lesquelles sont comprises entre le 45 & le 55d de latitude. Les Poëtes disent que c'est la chevre d'Amalthée qui allaita Jupiter dans son enfance. Horace, qui en parle, l'appelle insana sydera caprae.

CHEVRE, en Astronomie, est aussi quelquefois le nom de la constellation du Capricorne. Voyez CAPRICORNE. (O)

CHEVRE DANSANTE, (Physiq.) phénomene lumineux qu'on voit quelquefois dans l'atmosphere.

Le nom de chevre dansante a été donné par les anciens à une espece de lumiere qu'on apperçoit dans l'air, à laquelle le vent fait prendre diverses figures, & qui paroît tantôt rompue, & tantôt en son entier.

Tous les météores ignés répandent dans l'air une lumiere plus ou moins foible ; cette lumiere a pour cause une matiere lumineuse & combustible, dont la nature nous est inconnue, & qui peut être fort diverse. On observe souvent des nuages qui jettent une lumiere tranquille ; quelquefois il sort de ces nuages lumineux comme une matiere ardente d'une figure très-variée, qui est poussée rapidement par le vent. Les différentes formes que prend cette matiere lumineuse ont quelque chose d'amusant ; car tantôt on la voit luire à des distances égales, tantôt à des distances inégales ; tantôt elle semble s'éteindre, & tantôt renaître.

On diroit en regardant ces diverses apparences, que cette matiere est composée d'ondes, qui lorsqu'elles roulent avec beaucoup de rapidité, sont opaques en montant, & luisent en descendant, comme si l'air étoit alors agité de mouvemens convulsifs : voilà le météore qu'on a nommé chevre dansante. Ce phénomene paroît seulement lorsque le vent vient à souffler au-dessous de la nuée lumineuse, & qu'il en emporte une partie. Il suit de-là que ce météore a besoin du vent pour se manifester ; & en effet l'on ne voit de chevre dansante que lorsqu'il vente fort.

Comme la lumiere de tous les météores de l'espece des chevres dansantes est susceptible de différentes figures, les anciens ont désigné ces figures de lumieres par différens noms : par exemple, quand la lumiere qui paroît dans l'air est oblongue & parallele à l'horison, ils l'ont nommée poutre ; lorsque cette lumiere qui se tient suspendue dans l'air a une de ses extrémités plus large que l'autre, ils l'ont appellée torche ; si l'une de ses extrémités forme une longue pointe, c'est une fleche ; &c. Ce précis suffit pour montrer qu'on peut multiplier à volonté ces dénominations, sans entendre mieux la matiere & la cause des diverses lumieres figurées. On n'est pas plus habile en Physique par la connoissance des mots, qu'avancé dans le chemin de la fortune par les paroles d'un ministre. Voyez AURORE BOREALE. Cet article est de M(D.J.)

CHEVRE DE GUIDEAU, terme de Pêche ; ce sont les pieux sur lesquels on oppose les rets ou le sac de guideau. Voyez GUIDEAU. Voici la description de celles qui se trouvent dans le ressort de l'amirauté de Touques & Dives, à la bande du Ponant.

Ces chevres de guideaux à hauts étaliers sont placées sur les rochers de Villerville, à l'embouchure de la riviere de Seine, à la bande du sud : elles sont sédentaires. Les pêcheurs qui les font valoir en usent de même que ceux qui ont des bas parcs ou venets qu'ils possedent de pere en fils comme un héritage propre ; ce qui est directement contraire aux dispositions de l'ordonnance.

Ces guideaux se distinguent en guideaux de flot & d'ebbe, c'est-à-dire que les premiers ne font la pêche que de marée montante, & les autres que celle de mer baissante. Ils sont en grand nombre, puisque par le détail que l'inspecteur, le sieur le Masson Duparc, en a fait, il se trouve quatre-vingt-cinq guideaux pêchant de flot, & cent cinquante-cinq tendus pour pêcher d'ebbe, suivant la situation des chevres ; ce qui fait en tous deux cent quarante guideaux, tant bons que mauvais ; les mauvais sont ceux où l'on ne tend point de sac. Voyez l'art. GUIDEAU, & la fig. 1. Pl. IX. de Pêche.

* CHEVRES, (Salines) c'est une espece d'échafaudage composé de deux pieces de bois de six piés de longueur, liés par deux traverses d'environ cinq piés, posés sur les bourbons qui se trouvent au milieu de la poesle. Cet échaffaud a une pente très-droite, & forme un talud glissant sur lequel est posée une claie, soutenue à son extrémité par un pivot haut de huit pouces, qui lui donne moins de pente qu'à l'échaffaud. Il y a deux chevres, une au milieu de chaque côté de la poesle : c'est sur ces claies que le sel se jette à mesure qu'il se tire de la poesle ; à mesure qu'elles en sont chargées, & que la masse du sel grossit, on environne cette masse avec des sangles qui la soûtiennent, & l'élevent à la hauteur qu'exige la quantité de sel formé. Voyez dans nos Planches de Salines, les bancs & les chevres.

* CHEVRE, (Arts méchan.) machine qui est l'ouvrage du charpentier, & qui sert au maçon & autres ouvriers qui ont des poids pesans à élever. Voyez les Pl. de Charpent. C'est un triangle a, b, c, dont les côtés a b, a c, s'appellent les bras, & c b, la base. Les traverses 1, 2, 3, 4, paralleles à la base, s'appellent entretoises, & unissent les bras entr'eux. Le sommet a des bras est tenu fixe par un boulon de fer à clavette qui les traverse. Il y a entre la premiere entretoise & la seconde un arbre ou treuil 5, 6, mobile sur lui-même à l'aide de deux tourillons pris dans les bras, & de deux quarrés 8, 7, percés de trous dans lesquels on place des leviers amovibles 9, 10 : quand un de ces leviers 10 est aussi bas qu'il lui est possible de descendre, alors l'autre levier 9 est perpendiculaire à la surface horisontale de son quarré, & le plus haut qu'il peut monter : par ce moyen ceux qui sont à la chevre ne cessent jamais de travailler. Il y a en-haut en d une poulie sur laquelle passe une corde qui se rend & s'enroule d'un côté sur le moulinet, & qui va rencontrer de l'autre bout le poids à élever. La chevre est tenue droite sur ses deux piés ou bras, ou inclinée du côté du poids à élever, par le moyen d'un bon cable qui embrasse fortement son extrémité a, & qui va se fixer à quelque objet solide e. Voilà la chevre dans son état le plus simple : mais sa base quelquefois au lieu d'être comme ici une entretoise, est un triangle ; & la troisieme piece qui s'éleve du troisieme angle de ce triangle, s'appelle le bicoq. Le bicoq va s'assembler en a avec les deux bras, par le moyen d'une cheville coulisse qu'on fait partir quand on veut séparer le bicoq du reste de la machine ; ce qui s'exécute toutes les fois que l'emplacement ne permet pas de s'en servir.

La chevre simple a la forme d'un triangle ; celle de la chevre avec son bicoq a la forme d'une pyramide. Quant à la force de cette machine, il est évident que c'est un composé du treuil & de la poulie, & qu'elle réunit les avantages de ces deux machines. Voyez TREUIL & POULIE.

CHEVRE, outil de Charron ; ce sont deux croix de saint André qui sont assemblées au milieu par un morceau de bois long d'environ deux piés & demi, qui sert aux Charrons pour poser les pieces de bois qu'ils veulent scier. Voyez la fig. C. 3. Pl. du Charron.

CHEVRE, (GRANDE) outil de Charron. Cet outil est à-peu-près fait comme la petite chevre, & sert aux Charrons pour lever le train de derriere d'un carrosse, pour en graisser les roues plus facilement. V. la fig. 3 B. Pl. du Charron.

CHEVRE, (PETITE) outil de Charron, ce sont deux morceaux de bois séparés l'un de l'autre, dont le premier, qui a environ deux piés de haut, fait en fourchette, sert de point d'appui ; & le second est de la hauteur de six ou sept piés, & se met en bascule sur cette fourchette, de façon que le bout d'em-bas de la longue barre accroche le moyeu de la roue, & qu'en appuyant sur le bout opposé, cette action fait lever la roue, & forme un passage pour mettre dessous l'essieu un treteau un peu plus haut que la roue. Cet outil sert aux Charrons pour leur faciliter le moyen de graisser les petites roues. Voyez la fig. 3. A. Planche du Charron.


CHEVREAUS. m. (Oecon. rustiq.) le petit de la chevre. Il vient à-peu-près dans le même tems que l'agneau. Voyez AGNEAU. Sa chair est bonne, tendre, & délicate, mais il ne faut pas qu'il ait plus de six mois. Voyez les articles BOUC & CHEVRE. On le nourrit avec du lait, de la semence d'orme, de cytise, de lierre, &c. des feuilles tendres, des sommités de lentisque. On le châtre à six mois ou un an. Alors il devient gras. On fait des gants de sa peau ; on y conserve quelquefois le poil pour rendre les gants plus chauds ; on en fourre le dedans des manchons, ou on la passe en chamois ou en mégie. Voyez CHAMOISEUR.

CHEVREAU, (Médecine, Diete). La chair du chevreau, comme celle de la plûpart des jeunes animaux, est humide, glaireuse, & de facile digestion, mais non pour tout estomac ; elle est trop fade & trop active pour celui des gens vigoureux & exercés ; elle ne sauroit exciter leurs organes digestifs ; elle les affecte de la même façon que les viandes délicates, les laitages, &c. affectent les estomacs des paysans, accoûtumés aux grosses viandes, à l'ail, &c. En général c'est un assez mauvais aliment que la viande de chevreau, malgré le sentiment de plusieurs médecins, de Schroder, de Duchêne, de Riviere, qui sur la foi des anciens en approuvent assez l'usage, & qui la préferent tous nommément à celle de l'agneau. Elle peut cependant devenir utile dans quelques cas, comme laxative : il peut se trouver aussi des estomacs foibles ou très-sensibles qui s'en accommodent à merveille. Voyez DIGESTION.

La meilleure façon d'apprêter le chevreau, qui est aussi la plus usitée, est de le mettre à la broche, & de le manger avec une sauce piquante, ou très-chargée d'épiceries. (b)


CHEVREFEUILLES. m. caprifolium, genre de plante à fleurs monopétales, soûtenues par un calice, disposées en rond, tubulées & partagées en deux levres, dont la supérieure est découpée en plusieurs lanieres, & l'inférieure est faite ordinairement en forme de langue. Le calice devient dans la suite un fruit mou, ou une baie qui renferme une semence applatie & arrondie. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le chevrefeuille est un arbrisseau grimpant, fort connu & très-commun, que l'on cultive cependant pour l'agrément, & qui est admis depuis long-tems dans les plus beaux jardins, par rapport à la variété & à la durée de ses fleurs, dont la douce odeur plaît généralement : mais ce n'est qu'en rassemblant les différentes especes de chevrefeuilles qu'on peut se procurer un agrément complet. Quelques-uns de ces arbrisseaux ont leurs feuilles opposées & bien séparées ; dans quelques autres especes, les feuilles sont tellement jointes par leur base, qu'il semble que la branche ne fait que les enfiler ; d'autres ont les feuilles découpées ; d'autres les ont panachées ; d'autres enfin les gardent pendant toute l'année. Leurs fleurs sur-tout varient par la couleur, par l'odeur, par la saison où elles paroissent, & par la durée ; ensorte que l'on peut tirer grand parti de ces arbrisseaux pour l'ornement d'un jardin. Ils s'élevent assez pour garnir de hautes palissades, des portiques, des berceaux, des cabinets. On peut aussi les réduire à ne former que des buissons, des haies, des cordons ; & par le moyen d'une taille fréquente on peut les arrondir & leur faire une tête. Les Anglois l'employent encore à garnir la tige des grands arbres, des ormes sur-tout, dont le feuillage peu épais ne nuit point à la fleur du chevrefeuille ; ses rameaux flexibles entrelacent les branches de l'arbre, & parfument l'air d'une excellente odeur.

Ces arbrisseaux croissent promtement, sont très-robustes, réussissent en toutes terres, à toutes expositions, & se multiplient très-aisément. Le plus court moyen d'y parvenir, est de coucher des branches plûtôt en automne qu'au printems, parce qu'elles font peu de racines, ce qui oblige à les aider en marcottant la branche, en y rapportant un peu de bonne terre, & en ne négligeant pas d'arroser dans les sécheresses. Avec ces précautions, il se fera des racines suffisantes pour la transplantation l'automne suivant. On peut encore les faire venir de boutures, qui réussiront plus sûrement si on les coupe avec un peu de vieux bois, & si on les fait en automne, parce que ces arbrisseaux commencent à pousser dès le mois de Décembre. Ils se plaisent sur-tout dans un terrein frais & leger, & à l'exposition du nord, où ils ne sont pas si souvent infectés de pucerons, auxquels la plûpart de ces arbrisseaux ne sont que trop sujets ; mais comme ces insectes s'attachent toûjours aux plus jeunes rejettons, on y remédie en quelque sorte par la taille.

Especes & variétés du chevrefeuille. 1°. Le chevrefeuille précoce. Les Anglois l'appellent chevrefeuille de France ; il fleurit dès la fin d'Avril.

2°. Le chevrefeuille romain. La fleur paroît au commencement du mois de Mai.

Ces deux especes ne sont pas tant estimées que les autres, parce que leurs fleurs passent vîte, & qu'ils sont trop sujets à être attaqués de pucerons qui couvrent entierement ces arbrisseaux, dès que les premieres chaleurs de l'été se font sentir, & les dépouillent de leurs feuilles ; ensorte que pendant le reste de l'année ils ne font plus qu'un aspect desagréable, qu'on leur passe toûjours, en considération de ce que leurs fleurs sont très-printanieres.

3°. Le chevrefeuille blanc d'Angleterre. Ses fleurs viennent à la mi-Mai.

4°. Le chevrefeuille rouge d'Angleterre. Sa fleur, qui paroît à la fin de Mai, est blanche en-dedans & rouge en-dehors.

Ces deux especes se trouvent dans les haies en plusieurs endroits d'Angleterre ; leurs tiges sont plus menues & plus foibles que dans les autres especes ; aussi sont-elles plus sujettes à s'incliner & à traîner sur terre. M. Miller dit que c'est la principale cause qui a fait négliger de les admettre dans les jardins.

5°. Le chevrefeuille à feuille de chêne, ainsi nommé de ce que sa feuille a sur les bords des sinuosités irrégulieres, qui lui donnent quelque ressemblance avec la feuille du chêne. C'est une variété du chevrefeuille blanc d'Angleterre, qu'on a découverte dans les haies de ce pays-là, mais qu'on y trouve rarement ; c'est au reste ce qui en fait tout le mérite.

6°. Le chevrefeuille panaché à feuille de chêne. C'est une autre variété plus curieuse que belle.

7°. Le chevrefeuille blanc d'Angleterre à feuille panachée de jaune. C'est encore une autre variété dont il ne paroît pas qu'on fasse grand cas.

8°. Le chevrefeuille d'Allemagne. Cette espece se trouve communément en Bourgogne, dans les bois & dans les haies : elle n'en mérite pas moins la préférence sur celles qui précedent. Ses fleurs, qui viennent en gros bouquets, durent très-long-tems ; elles commencent à paroître à la mi-Juin, & continuent jusqu'aux gelées ; & l'arbrisseau est très-rarement attaqué par les pucerons. Il pousse de plus longs rejettons que les autres especes ; mais il donne moins de fleurs. Si on veut les ménager, il faudra s'abstenir de raccourcir ses branches, jusqu'à ce que la fleur soit passée.

9°. Le chevrefeuille rouge tardif. C'est une des plus belles especes du chevrefeuille, & l'arbrisseau le plus apparent qu'il y ait en automne, tems où il y en a bien peu d'autres qui fleurissent. Il produit au bout de chaque branche plusieurs bouquets de fleurs bien garnis, qui s'épanoüissent presque tous à la fois, & qui font un bel aspect pendant environ quinze jours.

10°. Le chevrefeuille toûjours verd. C'est encore une très-belle espece de chevrefeuille, qui avec ce qu'il ne quitte pas ses feuilles pendant l'hyver, produit les plus belles fleurs & en grande quantité. Elles paroissent au commencement de Juin, & continuent souvent jusqu'en automne ; il en paroît encore quelques bouquets au mois d'Octobre, & jusqu'aux gelées. La branche couchée est la voie la plus sûre pour multiplier cette espece, qui ne réussit de bouture que très-difficilement. Etant originaire d'Amérique, il se trouve un peu plus délicat que les autres especes ; les grands hyvers lui causent quelque dommage lorsqu'il est placé à une situation trop découverte ; mais il est fort rarement attaqué des pucerons.

11°. Le chevrefeuille de Canada. Sa fleur est petite & de peu d'apparence.

12°. Le chevrefeuille de Candie. On n'en sait guere que ce qu'en a dit Tournefort ; que ses feuilles ressemblent à celles du fustet ; & que sa fleur, qui n'a point d'odeur, est en partie blanche, en partie jaunâtre.

13°. Le chevrefeuille de Virginie. C'est l'un des plus beaux arbrisseaux qui résistent en pleine terre dans ce climat. Ses fleurs jaunes en-dedans, & d'une couleur écarlate, vive, fine, & brillante au-dehors, paroissent au commencement de Mai, continuent avec abondance tout l'été, & il en reparoît encore quelques-unes en automne, qui durent jusqu'aux gelées. Il croît très-promtement ; il résiste aux plus cruels hyvers ; il s'accommode de tous les terreins & de toutes les expositions ; il garnit très-bien une palissade, & je l'ai vû s'élever jusqu'à 15 piés. On lui donne encore le mérite de garder ses feuilles pendant l'hyver, mais je n'ai pas trouvé qu'il conservât cette qualité en Bourgogne, sinon dans sa premiere jeunesse. Il se multiplie très-aisément, & tout aussi bien de bouture que de branches couchées. Il suffira de ne les coucher qu'au printems, & on pourra différer jusqu'en été à faire les boutures. Ces moyens réussiront également ; & les plants se trouveront en état d'être transplantés l'automne suivante ; car cet arbrisseau se fournit de quantité de racines, & avec la plus grande facilité, même dans le sable & sans arrosemens. Il ne lui manque que l'agrément d'avoir de l'odeur, au moins n'en a-t-il point de desagréable ; on peut dire même qu'il n'en a aucune. Il est un peu sujet aux pucerons dans les étés trop chauds, & lorsqu'il est placé au midi. (c)

CHEVREFEUILLE, (Matiere médicale). On attribue à toutes les parties du chevrefeuille la vertu diurétique. Le suc exprimé des feuilles est vulnéraire & détersif : on le recommande pour les plaies de la tête, la gratelle, & les autres vices de la peau. On employe la décoction des feuilles en gargarisme, pour les maladies des amygdales, l'inflammation de la gorge, les ulcérations, & les aphthes.

L'eau distillée des fleurs de cette plante est utile pour l'inflammation des yeux ; & Rondelet l'estime fort pour accélerer l'accouchement, sur-tout si on fait prendre un gros de graine de lavande en poudre, avec trois onces de cette eau. Geoffroi, mat. méd.


CHEVRETTES. f. (Vénerie & Pêche) en Vénerie, il se dit de la femelle du chevreuil ; en Pêche, il se dit d'une espece de petites écrevisses, qui sont délicates, en qui on a trouvé de la ressemblance avec la chevre, par les cornes. Voyez les art. CREVETTE & SALICOT.

CHEVRETTE, s. f. (Pharmacie) espece de vaisseau ou cruche de fayence ou de porcelaine, ayant un bec, dans laquelle les apoticaires tiennent ordinairement leurs sirops & leurs huiles.


CHEVREUILS. m. (Hist. nat. quadrup.) capreolus. Animal quadrupede, sauvage, du genre des cerfs. On en prendroit une idée fausse si on s'arrêtoit à son nom ; car il ressemble beaucoup plus au cerf qu'à la chevre ; il est plus petit que le cerf, & à peine aussi grand qu'une chevre. Son poil est de couleur fauve, mêlée de cendré & de brun. Le mâle a de petites cornes dont le nombre des branches varie beaucoup : il les met bas vers la fin d'Octobre ou le commencement de Novembre ; il est leger & fort vif ; il est si timide qu'il ne se sert pas même de ses cornes pour se défendre. Il est ruminant, son rut dure pendant quinze jours du mois d'Octobre ; il ne suit qu'une femelle qu'il ne quitte pas ; il prend soin des faons avec elle ; la femelle en porte deux ou trois. Il y a beaucoup de chevreuils, à ce qu'on dit, dans les pays septentrionaux. On en trouve dans les Alpes, en Suisse & dans nos forêts. Voyez QUADRUPEDE. La chasse en est la plus importante après celle du cerf. Elle demande des chiens d'entre deux tailles, bien rablés, obéissans, & très-instruits. Les chevreuils font leurs nuits & leurs viandis au printems dans les seigles, les blés, & les buissons qui commencent à pointer. En été ils vont au gagnages, c'est-à-dire avoines, poix, feves, vesses, voisins des forêts ; ils y demeurent jusqu'en automne qu'ils se retirent dans les taillis, d'où ils sortent seulement pour aller aux regains des prés & des avoines, dont ils sont très-friands. Ils gagnent en hyver les fonds des forêts, s'approchant seulement des ronces & des fontaines, où l'herbe est toûjours verte. Voilà les lieux où le veneur doit aller en quête, selon les saisons, avec son limier, pour rencontrer & détourner le chevreuil. Sa tête pousse lentement ; il la brunit comme le cerf ; mais on n'en leve pas le frayoir. Voyez FRAYOIR. Il a aussi des vers autour du massacre. La chevrette met bas ses faons dans un endroit où elle les croit les moins exposés à la recherche du renard, de l'homme & du loup ; elle s'en dérobe cinq ou six fois par jour. Au bout de cinq ou six jours, ses faons peuvent marcher. On dit qu'ils ont à craindre d'être blessés des vieux, lorsque ceux-ci sont en rut, ou même dans les autres tems ; ce qui ne seroit pas fort extraordinaire. Les chevreuils mâles ne seroient pas les seuls animaux qui détesteroient dans leurs petits mêmes, des rivaux qu'ils pressentiroient devoir un jour leur être redoutables auprès des chevrettes. Les vieux lapins sont possédés de cette espece de jalousie, jusqu'à dévorer les testicules des jeunes. On connoît l'âge du chevreuil à la tête, précisément comme celui du cerf ; on examine si les meules en sont près du test, si elles sont larges, si la pierrure en est grosse, si les gouttieres en sont creuses, les perlures grenues & détachées ; si le mairrain en est foible ou non, les andouillers en grand nombre, l'empaumure large & renversée. On connoît au pié si c'est un chevreuil ou une chevrette ; cette connoissance n'est pas ici aussi essentielle qu'au cerf ; cependant il n'est pas mal de savoir que les mâles ont plus de pié de devant, & l'ont plus rond & plus plein. Il faut appliquer ici tout ce que nous avons dit de la chasse du cerf. Voyez l'article CERF. On détourne le chevreuil comme le cerf ; les termes & les façons de sonner sont les mêmes : il n'est pas moins important de le savoir bien attaquer. Cet animal sait aussi donner le change ; cependant la refuite en est assez assûrée, à moins qu'on ne soit tombé sur un chevreuil de passage. On dispose les relais pour cette chasse, comme pour celle du cerf ; il en faut moins seulement. La chasse se conduit de la même maniere ; on le force, & la curée n'en a rien de particulier.

CHEVREUIL, (Méd. Diete, & Mat. méd.) Celse met la chair du chevreuil au nombre des alimens très-nourrissans. Palamede d'Elea assure, au rapport d'Athenée, que leur chair est très-agréable. Siméon Sethi avance qu'elle est de meilleur suc que celle de tout autre animal sauvage, qu'elle est fort analogue à notre nature, qu'elle est fort convenable aux tempéramens humides ou chargés d'humeurs, & qu'elle est propre par sa sécheresse dans les coliques, dans l'épilepsie, & dans les maladies de nerfs, quoiqu'elle resserre le ventre. Nonius de re cibariâ. Son sang, sa graisse, son fiel, &c. (car cette énumération revient toûjours, voyez CHAMOIS, CHAMEAU, &c.) passent pour d'excellens remedes. Ses cornes sont particulierement recommandées dans le cours de ventre & l'épilepsie : mais ces vertus sont peu confirmées par l'observation. (b)


CHEVREUSE(Géog.) petite ville de France dans l'île de France, au pays de Hurepoix sur l'Ivette, avec titre de duché-pairie.


CHEVRONNÉadj. terme de Blason : on appelle écu chevronné, l'écu qui est rempli de chevrons en nombre égal de métal & de couleur ; & pal chevronné, celui qui est chargé de chevrons. Voyez CHEVRON.

Arbeng Valengin en Suisse & Bourgogne, de gueules au pal chevronné d'or & de sable. (V)


CHEVRONSS. m. (Architect. & Charp.) pieces de bois qui s'élevent par paire sur le toit, se rencontrent au sommet, & forment le faîte. Voyez FAITE.

Les chevrons ne doivent pas laisser entr'eux plus de douze pouces. Et il a été ordonné par le parlement d'Angleterre pour les principaux, qu'ils auroient depuis douze piés six pouces jusqu'à quatorze piés six pouces de longueur, cinq pouces de largeur en-haut, & huit em-bas, & six pouces d'épaisseur ; depuis quatorze piés six pouces jusqu'à dix-huit piés six pouces de long, neuf pouces de large em-bas & sept en-haut, & sept pouces d'épaisseur ; depuis dix-huit piés six pouces de long jusqu'à vingt-un piés six pouces ; dix pouces de largeur au-bas, huit par en-haut, & huit d'épaisseur.

Et pour les simples de six piés six pouces de long, qu'ils auroient quatre piés trois pouces en quarré ; de huit piés de long, quatre pouces & demi & trois pouces un quart quarrés. Chambers.

CHEVRON DE CHERON, (Charp.) pieces de bois qui sont placées d'un bout sur les plates-formes, qui vont jusqu'au faîtage du comble, & sur lesquelles les couvreurs attachent leurs lattes pour la tuile & l'ardoise. Voyez Pl. XXIV. du Charp. fig. 17.

CHEVRON DE CROUPE, (Charp.) est celui qui va depuis le haut du poinçon jusque sur la plate-forme qui est sur le mur. Voyez Planche du Charpentier, fig. 17. n°. 24.

CHEVRONS DE GASON, (Jard.) ce sont des bandes de gason posées dans le milieu des allées en pente, pour arrêter les eaux des ravines, & les rejetter sur les côtés. Il y en a de posés de travers en ligne droite, d'autres en forme de zig-zag. (K)

CHEVRON, (Comm.) sorte de laine noire, rousse, ou blanche, qui vient du Levant. La noire se tire de Perse ; la blanche ou rousse de Sarabie. On donne le nom de chevron à de la vigogne, qui n'a de particulier que la maniere de l'apprêter. Voyez les dict. de Comm. & de Trév.

* CHEVRON, maniguette, menue guildre ou gildre, termes qui sont synonymes, & désignent parmi les pêcheurs toutes sortes de petits poissons, ou le frai en général. Les déclarations du roi en ont défendu la pêche qui se faisoit avec deux sortes d'instrumens. Le premier est une espece de verveux roulant, composé d'un demi-cercle arrêté par une traverse, & garni d'un sac de grosse toile ou de sarpilliere, formé en pointe, de la longueur de deux brasses ou environ. Le manche de cet instrument qui est fourchu, est arrêté aux deux côtés du cercle. Les pêcheurs qui s'en servent le tirent derriere eux, au rebours de ceux qui se servent du bouteux ou bout-de-quievre, qui se pousse en-devant. Le chevron se traîne à un pié d'eau au plus sur les vases & les bas-fonds. L'autre instrument avec lequel on faisoit la même pêche, est la basele, espece de guideau. Voyez GUIDEAU.

CHEVRON, terme de Blason ; l'une des pieces les plus honorables de l'écu, composée de deux bandes plates, assemblées en-haut par la tête, & s'ouvrant em-bas en forme de compas à demi-ouvert. Le chevron est abaissé, lorsque sa pointe n'approche pas du bord du chef de l'écu, & va seulement jusqu'à l'abysme ou aux environs, voyez ABYSME ; alaisé, lorsqu'il ne parvient pas jusqu'aux extrémités de l'écu ; appointés, lorsqu'il y en a deux qui portent leurs pointes au coeur de l'écu, & qu'ils sont opposés l'un à l'autre, ensorte que l'un est renversé & l'autre droit ; brisé ou éclaté, quand la pointe d'en-haut est fendue, ensorte que les pieces ne se touchent que par un de leurs angles ; coupé, quand sa pointe est coupée ; ondé, lorsque ses pointes vont en ondes ; parti, lorsque l'émail de ses branches est différent, & que la couleur est opposée au métal ; ployé, quand ses branches sont courbes ; renversé, quand sa pointe est vers celle de l'écu, & ses branches vers le chef ; rompu, quand une de ses branches est séparée en deux pieces. Voyez le dictionn. de Trévoux. (V)


CHEVROTAGES. m. (Jurispr.) est un droit dû en quelques lieux au seigneur par les habitans qui ont des chevres. Il consiste ordinairement en la cinquieme partie d'un chevreau, soit mâle ou femelle, dont la valeur se paye annuellement au seigneur. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot chevrotage ; & Despeisses, tome III. tr. des droits seigneuriaux, titre vj. sect. 2. (A)


CHEVROTINS. m. (Cham. & Még.) petite peau de chevreau travaillée par le chamoiseur ou par le mégissier ; c'est-à-dire passée à l'huile ou en blanc, & employée par le gantier & autres ouvriers, auxquels il ne faut qu'un cuir mince.


CHEVROTINESS. f. ce sont des balles de plomb de petit calibre, dont il y a 166 à la livre. (Q)


CHEZÉ(Jurispr.) dans quelques coûtumes signifie une certaine étendue de terre en fief, comme de deux ou trois arpens, qui est autour du château ou maison noble, & appartient à l'aîné ; c'est ce que l'on appelle ailleurs le vol du chapon. Il en est fait mention dans la coûtume de Tours, art. 240. 248. 260. 273. 295. Il consiste dans cette coûtume en deux arpens de terre en fief proche le château, qui entre nobles appartiennent à l'aîné mâle pour son avantage, ou à la fille aînée en défaut d'hoirs mâles. En succession de comté, vicomté, & baronie, il est de quatre arpens. La coûtume de Lodunois, chap. xxvij. article 4. l'appelle le vol du chapon, ou trois septerées de terre en succession de baronie. Ibid. chap. xxviij. article 3.

On doit lire & écrire chezé, & non pas chaisé, ce mot venant du latin casa, d'où l'on a fait chezal, chezeau, chezé.

Le Broust sur l'art. 3. du chap. xxviij. de la coûtume de Lodunois, prétend qu'on doit dire chesné, parce qu'il faut mesurer à la chaîne ce que prend l'aîné ; ou bien qu'il faut lire choisé, parce que l'aîné choisit & prend cet avantage en tel lieu qu'il veut : mais ces deux étymologies sont réfutées par M. de Lauriere en son glossaire. Voyez aussi le même auteur en la préface du premier tome des ordonnances de la troisieme race. (A)


CHIA(Myth.) surnom de Diane. Elle fut ainsi appellée du culte qu'on lui rendoit à Chio, où elle avoit une statue & un temple. Telle étoit la superstition des anciens payens, adorateurs de Diane de Chio, qu'ils croyoient que sa statue regardoit avec sévérité ceux qui entroient dans son temple, & avec satisfaction ceux qui en sortoient. Ce phénomene passoit pour un miracle ; mais ou il n'étoit pas vrai, ou ce n'étoit qu'un effet de l'exposition de la statue, & sur-tout de l'imagination des idolâtres.


CHIAMETLAN(Géog.) province de l'Amérique septentrionale au Mexique ; Saint-Sébastien en est la capitale. Il y a plusieurs mines d'argent.


CHIAMPORRIERO(Géog.) ville d'Italie en Piémont, dans le duché d'Aost, qui donne son nom à la vallée où elle est située.


CHIANA(Géog.) riviere d'Italie qui a sa source dans la Toscane, & qui se jette dans le Tibre.


CHIAOUSS. m. (Hist. mod.) officier de la cour du grand-seigneur, qui fait l'office d'huissier. Voyez HUISSIER.

Ce mot dans son origine signifie envoyé. Le chiaous porte des armes offensives & défensives, & on lui confie les prisonniers de distinction. La marque de dignité est un bâton couvert d'argent. Il est armé d'un cimeterre, d'un arc, & de fleches. Le grand-seigneur a coûtume de choisir parmi les officiers de ce rang, ceux qu'il envoye en ambassade vers les autres princes.

On les regarde dans l'intérieur de l'empire comme des officiers de mauvais augure ; car ils sont ordinairement chargés d'annoncer aux bachas & aux autres grands les ordres du sultan, quand il leur demande leur tête.

Les chiaous sont commandés par le chiaous-baschi ; officier qui assiste au divan, où il introduit ceux qui y ont des affaires. Hist. ottom. (G)


CHIAPA(Géog.) ville de la Grece sur les côtes de la Morée.

CHIAPA, (Géog.) province de l'Amérique septentrionale, dans le Mexique. Elle est très-fertile ; il s'y fait un grand commerce de cochenille, cacao, &c.

CHIAPA DE LOS INDIOS, (Géog.) grande ville de l'Amérique septentrionale au Mexique, dans la province de Chiapa. Long. 284. lat. 15. 6.

CHIAPA-EL-REAL, (Géog.) ville de l'Amérique septentrionale au Mexique, dans la province de Chiapa. Long. 284. lat. 16. 20.


CHIARI(Géog.) petite ville d'Italie dans le Bressan, proche d'Oglio.


CHIAROMONTE(Géog.) ville d'Italie en Sicile, dans la vallée de Noto. Long. 32. 25. latit. 37. 5.


CHIARVATARS. m. (Comm.) c'est en Perse, & particulierement à Bender, à Congo, ce qu'on appelle en France un doüannier ou un barager. Cet officier leve un droit sur les denrées qui entrent, & ce droit est proportionnel au poids. Les personnes même n'en sont pas exemptes ; elles sont estimées les unes dans les autres à trente-trois marcs du poids de six livres, c'est-à-dire à cent quatre-vingt-dix-huit livres. Or le marc de six livres est de huit gazes, & les huit gazes de quatre sous ; d'où il est facile d'avoir en sous ce que chaque personne paye d'entrée. Voyez les dict. du Comm. & de Trév.


CHIASCIO(Géog.) riviere d'Italie qui prend sa source dans l'Apennin, & qui va se jetter dans le Tibre.


CHIAVARI(Géog.) petite ville d'Italie dans les états de la république de Genes.


CHIAVASSO(Géog.) ville forte d'Italie en Piémont, à peu de distance du Pô.


CHIAVENNE(Géog.) grande ville de Suisse au pays des Grisons, près du lac de Come. Long. 27. 4. lat. 46. 15.


CHIBRATH(Hist. anc.) mesure de distance chez les Hébreux. Elle étoit de mille coudées judaïques ; ce qui revenoit à quatorze cent soixante-huit piés romains six pouces, ou à deux stades & demie. La loi ne permettoit pas aux Juifs de faire plus de deux chibraths un jour de sabbat.


CHICABAUou BOUTELOF, s. m. (Marine) c'est une piece de bois longue & forte, qu'on met à l'avant d'un petit bâtiment pour lui servir d'éperon. Voyez BOUTE DE LOF. (Z)


CHICACHASS. m. pl. (Géog.) peuple sauvage de l'Amérique septentrionale, dans la Louisiane. Ces Indiens regardent comme une grande beauté d'avoir le visage plat.


CHICANES. f. (Jurispr.) en terme de Palais, se prend pour l'abus que l'on fait des procédures judiciaires ; comme lorsqu'une partie qui est en état de défendre au fond, se retranche dans des exceptions & autres incidens illusoires & de mauvaise foi, pour tirer l'affaire en longueur, ou pour fatiguer son adversaire, & quelquefois pour surprendre le juge même. (A)


CHICANER(Gramm.) v. act. qui se prend dans le même sens que le substantif chicane, & dont on use quelquefois métaphoriquement hors du palais.

CHICANER le vent, (Mar.) c'est, lorsque le vent n'est pas favorable à la route ; faire des bordées tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, ou pour s'approcher du vent, ou pour le disputer, & mettre sous le vent un vaisseau qu'on veut combattre. (Z)


CHICANEURS. m. (Jurispr.) en termes de Palais, est celui qui forme des incidens inutiles & de mauvaise foi. Cette qualification de chicaneur est une injure grave lorsqu'elle est appliquée mal-à-propos, sur-tout si c'est contre des personnes de quelque considération. (A)


CHICAS(LOS) Géog. peuple de l'Amérique méridionale au Pérou, dans l'audience de los Charcas. Il est soûmis aux Espagnols.


CHICHESTER(Géog.) ville d'Angleterre dans la province de Sussex, dont elle est capitale. Long. 16. 55. lat. 50. 50.


CHICHIMEQUES(LES) Géog. peuple sauvage de l'Amérique septentrionale au Mexique, du côté du Méchoacan. Ces Indiens n'ont ni gouvernement ni culte, & demeurent dans les deserts & les forêts. Il n'en reste plus guere aujourd'hui.


CHICON(Jard.) voyez LAITUE.


CHICORÉEchicorium, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs composées de demi-fleurons portés sur des embryons, & soûtenues par le calice qui se resserre dans la suite, & devient, pour ainsi dire, une capsule dans laquelle il y a des semences anguleuses qui ressemblent en quelque façon à un coin, & qui portent la marque d'un ombilic. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CHICOREE SAUVAGE, (Matiere médicale) cette plante fournit à la Médecine beaucoup d'excellens remedes, tant magistraux qu'officinaux.

Elle est de l'ordre des plantes extractives-ameres & laiteuses, ou très-legerement résineuses.

Ses vertus peuvent se réduire à celles-ci : elle est tonique, stomachique, fébrifuge ; elle est aussi foiblement purgative & diurétique, rafraîchissante & tempérante. C'est à ces différens titres qu'on l'employe dans les obstructions commençantes, sur-tout du foie, dans la jaunisse, la cachexie, les affections mélancholiques, les ardeurs d'entrailles, les fievres intermittentes, & dans tous les cas où on a en vûe de lâcher doucement le ventre, de faire couler la bile & les humeurs intestinales, de pousser même legerement par les urines.

Les préparations magistrales de la chicorée se réduisent au suc qu'on tire de ses feuilles, à l'infusion, à la décoction de ses feuilles & de sa racine.

Les préparations officinales sont l'eau distillée de la plante fraîche ; l'extrait, le sirop simple fait avec son suc ; le sirop composé dont nous allons donner la composition d'après la pharmacopée de Paris, & le sel lixiviel qu'on retire de ses cendres.

D'ailleurs sa racine entre dans le decoctum rubrum de la pharmacopée de Paris, dans le catholicum ; les feuilles entrent dans le sirop d'erysimum composé ; le suc dans les pilules angéliques, &c.

Sirop de chicorée composé : racines de chicorée sauvage, quatre onces ; de pissenlit, de chiendent, de chaque une once ; feuilles de chicorée sauvage, six onces ; d'aigremoine, d'hépatique d'eau, de pissenlit, de fumeterre, de houblon, de scolopendre, de chaque trois onces ; de politric, de capillaire de Montpellier, de cuscute, de chaque deux onces ; bayes ou fruits d'alkekenge, deux onces : faites cuire le tout dans vingt livres d'eau commune que vous réduirez à douze livres ; dissolvez dans la colature seize livres de beau sucre ; clarifiez selon l'art, & faites cuire en consistance de miel épais. D'autre part, eau commune, huit livres, dans laquelle faites infuser pendant vingt-quatre heures au bain marie dans un vaisseau fermé, rhubarbe choisie coupée menu, six onces ; santal citrin, canelle, de chaque demi-once : passez & exprimez, & ajoûtez la colature au sirop susdit ; mêlez exactement, & achevez-en la cuite à feu lent selon l'art.

Nota bene que la canelle & le santal citrin qu'on employoit autrefois pour correctif ordinaire de la rhubarbe, paroissent assez inutiles ici, que si des observations particulieres venoient à nous apprendre qu'ils sont de quelqu'utilité dans cette composition, il faudroit, selon la pratique des bons artistes, ne les ajoûter que lorsque le sirop seroit sur la fin de sa cuite, & les y laisser infuser même après la cuite, jusqu'à ce qu'il fût refroidi ; dans ce cas on seroit obligé de les mettre dans un noüet selon l'usage ordinaire. Le sirop de chicorée composé est un purgatif leger fort usité dans notre pratique : on le fait entrer à la dose d'une ou de deux onces dans les potions purgatives ; il purge assez bien les enfans à la dose d'une once ou d'une once & demie ; & il n'est pas difficile de le leur faire prendre, soit seul, soit délayé dans un peu d'eau. On s'en sert aussi avec succès dans les maladies chroniques, quand on veut purger les malades doucement, & pendant plusieurs jours de suite.

Le suc, l'eau distillée, l'extrait, le sirop simple, & le sel lixiviel de chicorée, se préparent chacun comme la pareille substance tirée d'une plante quelconque. Voyez SUC, EAU DISTILLEE, EXTRAIT, SIROP SIMPLE, L LIXIVIELVIEL.

Le pissenlit est le succédanée ordinaire de la chicorée. (b)

CHICOREE SAUVAGE, (Médecine, Diete) quelques personnes mangent en salade la chicorée amere verte ; le plus grand nombre ne sauroit pourtant s'en accommoder à cause de sa grande amertume ; mais elle s'adoucit beaucoup par la culture, qui la blanchit aussi, & la rend très-tendre ; dans cet état, il est peu de personnes qui ne la mangent volontiers en salade avec l'huile, le vinaigre & le sel, ou avec le sucre & le jus de citron ou d'orange. La chicorée verte, avec toute son amertume, est très-célébrée soit à titre de médicament, soit à titre d'aliment dans diverses maladies, principalement lorsqu'il est question de résoudre, de déterger, de tempérer. Geoffroy, Mat. méd. Voyez LEGUME & SALADE.


CHICOTSS. m. pl. (Jardin.) quand le bois taillis n'est pas coupé assez bas, il se trouve des chicots pour faire des souches que l'on ne peut ôter : si on les éclate à coups de coignée, cela gâte & ruine les rochers des taillis. (K)

CHICOT, (Maréch.) il peut arriver qu'un cheval se mette dans le pié en courant, un chicot, qui perçant la sole & pénétrant jusqu'au vif, devient plus ou moins dangereux, selon qu'il est plus ou moins enfoncé dans le pié. Voyez ENCLOUER, voyez aussi CHEVAL. (V)


CHICUIEN(Géog.) ville & royaume d'Asie, dépendant de l'empire du Japon, dans l'île de Saycok.


CHIELEFA(Géog.) ville forte de la Turquie en Europe dans la Morée, près du golfe de Coron. Long. 40. 6. lat. 26. 50.


CHIEMSÉE(Géog.) ville d'Allemagne en Baviere sur les confins du pays de Saltzbourg, dans une île au milieu du lac de Chiemsée.


CHIENcanis, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede, le plus familier de tous les animaux domestiques ; aussi a-t-on donné son nom à un genre d'animaux ; genus caninum. On a compris dans ce genre le loup, le renard, la civette, le blaireau, la loutre, &c. afin de donner une idée des principaux caracteres distinctifs de ces animaux par un objet de comparaison bien connu. Les animaux du genre des chiens different de ceux du genre des chats, en ce qu'ils ont le museau plus allongé ; leurs dents sont en plus grand nombre, & situées différemment ; il y en a quarante, seize molaires, six incisives, entre lesquelles deux canines qui sont allongées ; ces dents ont aussi été appellées canines dans les autres animaux où elles se trouvent, comme dans le chien, parce qu'elles sont ordinairement pointues & plus longues que les autres. Les chiens n'ont point de clavicules, ils ont un os dans la verge, &c. M. Linneus donne pour caracteres génériques les mammelles, qui sont au nombre de dix ; quatre sur la poitrine, & six sur le ventre ; & les doigts des piés, il y en a cinq à ceux de devant, & quatre à ceux de derriere. Cet auteur ne met que le loup, le renard & l'hyene avec le chien.

Les chiens sont peut-être de tous les animaux ceux qui ont le plus d'instinct, qui s'attachent le plus à l'homme, & qui se prêtent avec la plus grande docilité à tout ce qu'on exige d'eux. Leur naturel les porte à chasser les animaux sauvages ; & il y a lieu de croire que si on les avoit laissés dans les forêts sans les apprivoiser, leurs moeurs ne seroient guere différentes de celles des loups & des renards, auxquels ils ressemblent beaucoup à l'extérieur, & encore plus à l'intérieur : mais en les élevant dans les maisons & en en faisant des animaux domestiques, on les a mis à portée de montrer toutes leurs bonnes qualités. Celles que nous admirons le plus, parce que notre amour propre en est le plus flaté, c'est la fidélité avec laquelle un chien reste attaché à son maître ; il le suit par-tout ; il le défend de toutes ses forces ; il le cherche opiniatrément s'il l'a perdu de vûe, & il n'abandonne pas ses traces qu'il ne l'ait retrouvé. On en voit souvent qui restent sur le tombeau de leur maître, & qui ne peuvent pas vivre sans lui. Il y a quantité de faits très-surprenans & très-avérés sur la fidélité des chiens. La personne qui en est l'objet, ne pourroit se défaire de la compagnie de son chien, qu'en le faisant mourir ; il sait la retrouver malgré toutes les précautions qu'elle peut employer ; l'organe de l'odorat que les chiens paroissent avoir plus fin & plus parfait qu'aucun autre animal, les sert merveilleusement dans cette sorte de recherche, & leur fait reconnoître les traces de leur maître dans un chemin, plusieurs jours après qu'il y a passé, de même qu'ils distinguent celles d'un cerf, malgré la legereté & la rapidité de sa course, quelque part qu'il aille, à moins qu'il ne passe dans l'eau, ou qu'il ne saute d'un rocher à l'autre, comme on prétend qu'il arrive à quelques-uns de le faire, pour rompre les chiens. Voyez CERF.

L'odorat du chien est un don de la nature : mais il a d'autres qualités qui semblent venir de l'éducation, & qui prouvent combien il a d'instinct, même pour des choses qui paroissent être hors de sa portée ; c'est, par exemple, de connoître à la façon dont on le regarde, si on est irrité contre lui, & d'obéir au signal d'un simple coup-d'oeil, &c. Enfin l'instinct des chiens est si sûr qu'on leur confie la conduite & la garde de plusieurs autres animaux. Ils les maîtrisent, comme si cet empire leur étoit dû, & ils les défendent avec une ardeur & un courage qui leur fait affronter les loups les plus terribles. L'homme s'associe les chiens dans la poursuite des bêtes les plus féroces ; & même il les commet à la garde de sa propre personne.

Ces mêmes animaux qui montrent tant de courage & qui employent tant de ruses lorsqu'ils chassent, sont de la plus grande docilité pour leurs maîtres, & savent faire mille gentillesses, lorsque nous daignons les faire servir à nos amusemens. Tant & de si bonnes qualités ont, pour ainsi dire, rendu les chiens dignes de la compagnie des hommes ; ils vivent des restes de nos tables ; ils partagent avec nous nos logemens ; ils nous accompagnent lorsque nous en sortons ; enfin ils savent plaire au point qu'il y a bien des gens qui en portent avec eux, & qui les font coucher dans le même lit.

Les mâles s'accouplent en tout tems ; les femelles sont en chaleur pendant environ quatorze jours ; elles portent pendant soixante ou soixante & trois jours, & elles rentrent en chaleur deux fois par an. Le mâle & la femelle sont liés & retenus dans l'accouplement par un effet de leur conformation ; ils se séparent d'eux-mêmes après un certain tems ; mais on ne peut pas les séparer de force sans les blesser, sur-tout la femelle ; ils sont féconds jusqu'à l'âge de douze ans ; mais il y en a beaucoup qui deviennent stériles à neuf ans. On ne doit pas leur permettre de s'accoupler avant l'âge d'un an, si on veut en avoir des chiens qui ne dégénerent point ; & ce n'est qu'à quatre ans qu'ils produisent les meilleurs. Les chiennes portent cinq ou six petits à la fois. Il y en a qui en ont jusqu'à douze, & même jusqu'à dix-huit & dix-neuf, &c. Il y a certains petits chiens qui n'en font qu'un à la fois, ou deux & cinq au plus. Les chiens naissent les yeux fermés, & ils ne les ouvrent qu'après neuf jours. La durée de leur vie est pour l'ordinaire d'environ quatorze ans ; cependant on en a vû qui ont vécu jusqu'à vingt-deux ans. On reconnoît l'âge à la couleur des dents & au son de la voix. Les dents jaunissent à mesure que les chiens vieillissent, & leur voix devient rauque. On prétend qu'il y en a eu qui se sont accouplés avec des loups, des renards, des lions & des castors : ce qu'il y a de certain, c'est que toutes les différentes races de chiens appartiennent à une seule & même espece, & se perpétuent dans leurs différens mélanges. Elles se mêlent ensemble de façon qu'il en résulte des variétés presque à l'infini. Ces variétés dépendent du hasard pour l'origine, & de la mode pour leur durée. Il y a des chiens qui sont très-recherchés pendant un certain tems ; on les multiplie le plus qu'on peut ; ils deviennent un objet de commerce. Il en vient d'autres qui font négliger les premiers, & ainsi de suite, surtout pour les chiens d'amusement ; car pour ceux qui ont des qualités réelles, qui servent à la chasse, ils sont constamment perpétués ; & on a grand soin d'empêcher qu'ils ne se mêlent avec d'autres, & qu'ils ne dégénerent. Voici les principales différences que les gens qui se mêlent d'élever des chiens pour en faire commerce, reconnoissent entre leurs diverses races. Ils en font trois classes ; ils mettent dans la premiere, les chiens à poil ras ; dans la seconde, les chiens à poil long ; & dans la troisieme, ceux qui n'ont point de poil.

Chiens à poil ras. Le dogue d'Angleterre ou le bouledogue, est un chien de la plus grande espece, car il faut se permettre ce mot, quoiqu'impropre, pour se conformer à l'usage ordinaire. Le dogue d'Angleterre a la tête extrèmement grosse, le masque noir, joufflu, & ridé sur les levres ; il porte bien sa queue sur le dos ; ses os sont gros, ses muscles bien apparens ; il est le plus hardi & le plus vigoureux de tous les chiens.

Le doguin d'Allemagne est une sorte de bouledogue de la moyenne espece ; il n'est pas de moitié si haut que le dogue : il n'est ni si fort ni si dangereux ; il a le masque plus noir que le dogue, & le nez encore plus camus, le poil blanc ou ventre de biche ; on coupe les oreilles à toutes les especes de dogues ou doguins pour leur rendre la tête plus ronde ; ils ne sont que d'une seule couleur qui varie dans les différens individus ; il s'en trouve de couleur de ventre de biche, de noisette, de soupe de lait, &c. Il y en a quelques-uns qui ont une raie noire ou noirâtre le long du dos.

Le doguin de la petite espece a la même figure que le moyen ; mais il n'est pas plus gros que le poing ; il porte la queue tout-à-fait recoquillée sur le dos : plus ces sortes de chiens sont petits, camus, joufflus, masqués d'un beau noir velouté, plus ils sont recherchés pour l'amusement.

Le danois de carrosse, ou le danois de la plus grande espece, est de la hauteur du dogue d'Angleterre, & lui ressemble en quelque chose, mais il a le museau plus long, & un peu effilé : son poil est ordinairement de couleur de noisette ou ventre de biche ; mais il s'en trouve aussi d'arlequins ou pommelés, & même de tout noirs marqués de feu. Il a le front large & élevé, & porte sa queue à demi recoquillée. Cette espece de chiens est très-belle & très-recherchée. Les plus gros sont les plus estimés. On leur coupe les oreilles ainsi qu'aux doguins, pour leur rendre la tête plus belle. En général on ôte les oreilles à tous les chiens à poil ras, excepté les chiens de chasse.

Le danois de la petite espece a le nez un peu pointu & effilé, la tête ronde, les yeux gros, la pattes fines & seches, le corps court & bien pris ; il porte bien sa queue. Les petits danois sont fort amusans, faciles à instruire & à dresser.

L'arlequin est une variété du petit danois ; mais au lieu que les danois sont presque d'une seule couleur, les arlequins sont mouchetés, les uns blancs & noirs, les autres blancs & cannelés, les autres d'autre couleur.

Le roquet est une espece de danois ou d'arlequin, qui a le nez court & retroussé.

L'artois ou le quatre-vingt a le nez camard & refrogné, de gros yeux, des oreilles longues & pendantes comme le braque ; son poil est de toute sorte de couleurs ; mais plus souvent brun & blanc. On pourroit dresser cette espece de chiens.

Le grand levrier à poil ras est presqu'aussi grand que le danois de carrosse ; il a les os menus, le dos voûté, le ventre creusé, les pattes seches, le museau très-allongé, les oreilles longues & étroites, couchées sur le cou lorsqu'il court, & relevées au moindre bruit : on le dresse pour la chasse ; il a très-bon oeil, mais il n'a point de sentiment.

Le grand levrier à poil long est un métis provenu d'un grand levrier à poil ras & d'une épagneule de la grande espece. Il a à-peu-près les mêmes qualités que le levrier à poil ras, mais il a un peu plus de sentiment.

Le levrier de la moyenne espece a la même figure & les mêmes qualités que le grand.

Le levrier de la petite espece ne sert que d'amusement ; il est extrèmement rare, & le plus cher de tous les chiens : on ne le recherche que pour sa figure, car il n'a pas seulement l'instinct de s'attacher à son maître.

Le braque ou chien couchant est ordinairement à fond blanc taché de brun ou de noir ; la tête est presque toûjours marquée symmétriquement. Il a l'oeil de perdrix, les oreilles plates, larges, longues & pendantes, & le museau un peu gros & un peu long.

Le limier est plus grand que le braque ; il a la tête plus grosse, les oreilles plus épaisses, & la queue courte.

Le basset est un chien courant ; il est long & bas sur ses pattes : ses oreilles sont longues, plates & pendantes.

Chiens à poil long. L'épagneul de la grande espece a le poil lisse & de moyenne longueur, les oreilles longues & garnies de belle soie, de même que la culotte & le derriere des pattes ; la tête est marquée symmétriquement, c'est-à-dire que le museau & le milieu du front sont blancs, & le reste de la tête d'une autre couleur.

L'épagneul de la petite espece a le nez plus court que le grand, à proportion de la grosseur du corps ; les yeux sont gros & à fleur de tête, & la cravate est garnie de soie blanche. C'est de tous les chiens celui qui a la plus belle tête ; plus il a les soies des oreilles & de la queue longues & douces, plus il est estimé : il est fidele & caressant. Les épagneuls noirs & blancs sont ordinairement marqués de feu sur les yeux.

L'épagneul noir ou gredin est tout noir, & à-peu-près de même service que l'autre épagneul, mais il est beaucoup moins docile.

On appelle pyrames les gredins qui ont les sourcils marqués de feu. On a observé que les chiens qui ont ces sortes de marques ne valent pas les autres.

Le bichon bouffé ou chien-lion tient du barbet & de l'épagneul ; il a le nez court, de gros yeux, de grandes soies lisses : sa queue forme un beau panache ; le poitrail est garni de soie comme le derriere des pattes, & les oreilles sont petites.

Le chien-loup ou chien de Sibérie, est de tous les chiens celui dont la figure est la plus singuliere : il y en a de trois sortes de couleurs, mais uniformes. Ils sont ou tout blancs, ou tout noirs, ou tout gris : leur grosseur est médiocre ; ils ont les yeux assez petits, la tête longue, le museau pointu, les oreilles courtes, pointues & dressées en cornet ; le poil court sur les oreilles, sur toute la tête & aux quatre pattes ; le reste du corps est garni d'un poil lisse, doux, soyeux, long d'environ un demi-pié : ils sont extrèmement doux & caressans.

Le barbet de la grande espece a le poil long, cotonneux & frisé ; les oreilles charnues, & couvertes d'un poil moins frisé, & plus long que celui du reste du corps : il a la tête ronde, les yeux beaux, le museau court & le corps trapu. Les barbets sont ordinairement très-aisés à dresser : ils vont à l'eau : on leur coupe le bout de la queue, & on les tond symmétriquement pour les rendre plus beaux & plus propres : ce sont de tous les chiens ceux qui demandent le plus de soin.

Le barbet de la petite espece ressemble au grand, mais on ne le dresse pas : il ne va pas à l'eau : il est très-attaché à son maître. Les barbets en général sont les plus attachés de tous les chiens ; on a des exemples surprenans de leur fidélité & de leur instinct.

Chiens sans poil. Le chien turc est le seul que nous connoissions qui n'ait point de poil : il ressemble beaucoup au petit danois : sa peau est huileuse.

Il y a des chiens qui n'ont le poil ni ras ni long ; ce sont ceux qu'on appelle chiens de forte race. Ils sont de moyenne grosseur ; ils ont la tête grosse, les levres larges, le corps un peu allongé, les oreilles courtes & pendantes. Ces chiens, qui sont les plus communs à la campagne, n'ont rien de beau ; mais ils sont excellens pour l'usage, pour garder les cours, les maisons, les écuries, & pour défendre du loup les chevaux, les boeufs, &c. On leur met des colliers de fer garnis de pointes, pour les défendre du loup.

Enfin on appelle mâtins ou chiens des rues, tous les chiens qui proviennent de deux especes différentes, sans qu'on ait pris soin de les métiser exprès. On ne les recherche pas pour leur beauté ; mais ils sont excellens pour garder, & quelquefois même pour la chasse ; d'autres pour les troupeaux de moutons, selon le mélange dont ils proviennent. Voyez QUADRUPEDE. (I)

* CHIENS, (Econom. rustiq.) On peut encore distribuer les chiens relativement à leur usage, & l'on aura les chiens de basse-cour, les chiens de chasse, & les chiens de berger.

Chiens de basse-cour : ce sont ceux qu'on employe à la garde des maisons, sur-tout à la campagne. On leur pratique une loge dans un coin d'une cour d'entrée ; on les y tient enchaînés le jour, la nuit on les lâche. Il faut que ces chiens soient grands, vigoureux & hardis ; qu'ils ayent le poil noir & l'abboi effrayant, & qu'ils soient médiocrement cruels.

Chiens de chasse. On employe à la chasse des bassets, des braques, des chiens couchans, des épagneuls, des chiens courans, des limiers, des barbets, des levriers, &c.

Les bassets viennent de Flandre & d'Artois ; ils chassent le lievre & le lapin, mais sur-tout les animaux qui s'enterrent, comme les blaireaux, les renards, les putois, les foüines, &c. Ils sont ordinairement noirs ou roux, & à demi-poil. Ils ont la queue en trompe, les pattes de devant concaves en-dedans : on les appelle aussi chiens de terre. Ils donnent de la voix & quêtent bien. Ils sont longs de corsage, très-bas, & assez bien coiffés.

Les braques sont de toute taille, bien coupés, vigoureux, legers, hardis, infatigables, & ras de poil : ils ont le nez excellent ; ils chassent le lievre sans donner de la voix, & arrêtent fort bien la perdrix, la caille, &c.

Les chiens couchans chassent de haut nez & arrêtent tout, à moins qu'ils n'ayent été autrement élevés ; ils sont grands, forts, legers : les meilleurs viennent d'Espagne. Ils sont tous sujets à courir après l'oiseau ce qu'on appelle piquer la sonnette.

Les épagneuls sont plus fournis de poil que les braques, & conviennent mieux dans les pays couverts. Ils donnent de la voix ; ils chassent le lievre & le lapin, & arrêtent aussi quelquefois la plume. Ils sont assez ordinairement foibles. Ils ont le nez excellent, & beaucoup d'ardeur & de courage. On range dans cette classe une espece de chiens qui vient d'Italie & de Piémont ; à poil hérissé droit assez haut, & chassant tout, & qu'on appelle chien grison.

Les barbets sont fort vigoureux, intelligens, hardis ; ont le poil frisé, & vont à l'eau.

Les limiers sont hauts, vigoureux & muets ; ils servent à quêter & à détourner le cerf.

Les dogues servent quelquefois à assaillir les bêtes dangereuses. On met les mâtins dans le vautrait pour le sanglier.

Les levriers sont hauts de jambes, chassent de vitesse & à l'oeil le lievre, le loup, le sanglier, le renard, &c. mais sur-tout le lievre. On donne le nom de charnaigres à ceux qui vont en bondissant, soit qu'ils soient francs, soit qu'ils soient métifs ; de harpés à ceux qui ont les côtes ovales & peu de ventre ; de gigotés à ceux qui ont les gigots courts & gros, & les os éloignés ; de nobles à ceux qui ont la tête petite & longue, l'encolure longue & déliée, le rable large & bien fait ; d'oeuvrés à ceux qui ont le palais noir, &c.

Les chiens courans chassent le cerf, le chevreuil, le lievre, &c. On dit que ceux qui chassent la grande bête sont de race royale ; ceux qui chassent le chevreuil, le loup, le sanglier, sont de race commune ; & que ceux qui chassent le lievre, le renard, le lapin, le sanglier, sont chiens baubis ou bigles.

On a quelqu'égard au poil pour les chiens ; on estime les blancs pour le cerf, après eux les noirs ; on néglige les gris & les fauves. Au reste, de quelque poil qu'on les prenne, il faut qu'il soit doux, délié & touffu.

Quant à la forme, il faut que les chiens courans ayent les naseaux ouverts, le corps long de la tête à la queue, la tête legere & nerveuse, le museau pointu ; l'oeil grand, élevé, net, luisant, plein de feu ; l'oreille grande, souple, pendante, & comme digitée ; le cou long, rond & flexible ; la poitrine large, les épaules éloignées ; la jambe ronde, droite & bien formée ; les côtés forts ; le rein large, nerveux, peu charnu ; le ventre avalé, la cuisse détachée, le flanc sec & écharné ; la queue forte à son origine, mobile, sans poil à l'extrémité, velue ; le dessous du ventre rude, la patte seche, & l'ongle gros.

Pour avoir de bons chiens il faut choisir des lices de bonne race, & les faire couvrir par des chiens beaux, bons & jeunes. Quand les lices sont pleines, on ne les mene plus à la chasse, & il faut leur donner de la soupe au moins une fois le jour. On ne châtrera que celles qui n'ont point encore porté, ou l'on attendra qu'elles ne soient plus en amour, & que les petits commencent à se former. On fera couvrir les lices en Décembre & Janvier, afin que les petits viennent en bonne saison. Quand les lices ne sont pas alors en chaleur, on les y mettra par la compagnie d'une chienne chaude, & on les y laissera trois jours avant que de les faire couvrir. On tient sur la paille dans un endroit chaud, ceux qui viennent en hyver : on nourrit bien la mere. On coupe le bout de la queue aux petits au bout de quinze jours, & le tendon qui est en-dessous de l'oreille, pour qu'elle tombe bien, & au bout d'un mois le filet. On les laisse avec la mere jusqu'à trois mois ; on les sevre alors : on ne les met au chenil qu'à dix. Alors on les rendra dociles ; on les accouplera les uns avec les autres, on les promenera, on leur sonnera du cors, on leur apprendra la langue de la chasse : on ne les menera au cerf qu'à seize ou dix-huit mois, & l'on observera de leur faire distinguer le cerf de la biche, de ne les point instruire dans les toiles, & de ne les point faire courir le matin.

Le jour choisi pour la leçon des jeunes chiens, on place les relais ; on met à la tête de la jeune meute quelques vieux chiens bien instruits, & cette harde se place au dernier relais. Quand le cerf en est là, on découple les vieux pour dresser aux jeunes les voies : on lâche les jeunes ; & les piqueurs armés de foüets, les dirigent, foüettant les paresseux, les indociles, les vagabonds. Lorsque le cerf est tué, on leur en donne la curée comme aux autres. Les essais se réiterent autant qu'il le faut. Cette éducation a aussi sa difficulté.

Il faut qu'un chenil soit proportionné à la meute, que les chiens y soient bien tenus & bien pansés : il est bon qu'il y ait un ruisseau d'eau vive. Les valets de chiens doivent être logés dans le voisinage. Il y aura une cheminée dans chaque chambrée de chiens ; car ces animaux ont besoin de feu pour les sécher quand ils ont chassé dans des tems froids & humides, & pour les délasser. Il ne faut pas que l'exposition du chenil soit chaude, la chaleur est dangereuse pour les chiens ; il faut qu'il soit bien airé.

L'éducation du chien couchant consiste à bien quêter, à obéir, à arrêter ferme. On commence à lui faire connoître son gibier ; quand il le connoît, on le lui fait chercher ; quand il le sait trouver, on l'empêche de le poursuivre ; quand il a cette docilité, on lui forme tel arrêt qu'on veut : quand il sait cela, il est élevé ; car il a appris la langue de la chasse en faisant ces exercices. La docilité, la sagacité, l'attachement & les autres qualités de ces animaux, sont surprenantes.

On leur montre encore à rapporter, ce qu'ils exécutent très-facilement ; on les accoûtume à aller en trousse, & on les enhardit à l'eau.

Leurs allures & leurs défauts leur ont fait donner différens noms. On nomme chiens allans, de gros chiens employés à détourner le gibier ; chiens trouvans, ceux d'un odorat singulier, sur-tout pour le renard, dont ils reconnoissent la piste au bout d'un long tems ; chiens batteurs, ceux qui parcourent beaucoup de terrein en peu de tems : ils sont bons pour le chevreuil, chiens babillards, ceux qui crient hors la voie ; chiens menteurs, ceux qui celent la voie pour gagner le devant ; chiens vicieux, ceux qui s'écartent en chassant tout ; chiens sages, ceux qui vont juste ; chiens de tête & d'entreprise, ceux qui sont vigoureux & hardis ; chiens corneaux, les métifs d'un chien courant & d'une mâtine, ou d'un mâtin & d'une lice courante ; clabauds, ceux à qui les oreilles passent le nez de beaucoup ; chien de change, celui qui maintient & garde le change ; d'aigail, qui chasse bien le matin seulement ; étouffé, qui boite d'une cuisse, qui ne se nourrit plus ; épointé, qui a les os des cuisses rompus ; allongé, qui a les doigts du pié distendus par quelque blessure ; armé, qui est couvert pour attaquer le sanglier ; à belle gorge, qui a la voix belle ; butté, qui a des nodus aux jointures des jambes.

Les chiens sont sujets à la galle, au flux de sang, aux vers, à des maux d'oreilles, sur-tout à la rage, &c. Voyez dans les auteurs de chasse la maniere de les traiter.

Chien de berger. Cet animal est quelquefois plus précieux que celui dont il est le gardien. Il faut le choisir hardi, vif, vigoureux, velu ; l'armer d'un collier, & l'attacher à sa personne & aux bestiaux par les caresses & par le pain.

Les Grecs & les Romains dressoient leurs chiens avec soin. Xénophon n'a pas dédaigné d'entrer dans quelque détail sur la connoissance & l'éducation de ces animaux. Les Grecs faisoient cas des chiens indiens, locriens & spartiates. Les Romains regardoient les molosses comme les plus hardis ; les pannoniens, les bretons, les gaulois, les acarnaniens, &c. comme les plus vigoureux ; les crétois, les étoliens, les toscans, &c. comme les plus intelligens ; les belges, les sicambres, &c. comme les plus vîtes.

On immoloit le chien à Hécate, à Mars, & à Mercure. Les Egyptiens l'ont révéré jusqu'au tems où il se jetta sur le cadavre d'Apis tué par Cambise. Les Romains en sacrifioient un tous les ans, parce que cet animal n'avoit pas fait son devoir lorsque les Gaulois s'approcherent du capitole. Il est fait mention d'un peuple d'Ethiopie gouverné par un chien, dont on étudioit l'aboiement & les mouvemens dans les affaires importantes. Le chien de Xantippe pere de Périclès, fut un héros de la race ; son maître s'étant embarqué sans lui pour Salamine, l'animal se précipita dans les eaux, & suivit le vaisseau à la nage. Le chien est le symbole de la fidélité. L'attachement que quelques-uns ont pour cet animal va jusqu'à la folie. Henri III. aima les chiens mieux que son peuple. Je me souviendrai toûjours, dit M. de Sully, de l'attitude & de l'attirail bizarre où je trouvai ce prince un jour dans son cabinet : il avoit l'épée au côté, une cape sur les épaules, une petite toque sur la tête, un panier plein de petits chiens pendu à son cou par un large ruban ; & il se tenoit si immobile, qu'en nous parlant il ne remua ni tête, ni pié, ni main. Les Mahométans ont dans leurs bonnes villes des hôpitaux pour ces animaux ; & M. de Tournefort assûre qu'on leur laisse des pensions en mourant, & qu'on paye des gens pour exécuter les intentions du testateur. M. Leibnitz, hist. acad. 1715. a fait mention d'un chien qui parloit ; & l'histoire de ces animaux fourniroit des anecdotes très-honorables pour l'espece.

CHIENS, (Jurisprud.) Ceux qui ont des chiens dangereux doivent les tenir à l'attache. L. 51. enim ff. de aedilit. edict. L. 1. ff. si quadrup. paup. Le maître est tenu de payer des dommages & intérêts pour la morsure faite par son chien. Arrêt du 18 Juin 1688, journ. des audiences.

Celui qui les anime est tenu du dommage. Leg. item. Melaff. ad. leg. aquil.

Celui qui a été mordu d'un chien n'a aucune action contre le maître, si l'on prouve qu'il l'a provoqué. Bouvot, tome I. verbo bétail, quaest. ij. Voyez l'article CHASSE. (A)

CHIEN, (Matiere médicale & Pharmacie) Le petit chien ouvert & appliqué tout chaud sur la tête, est recommandé par d'excellens praticiens dans les douleurs violentes de cette partie, dans celles même qui sont censées dépendre de l'affection des parties intérieures, savoir du cerveau & de ses membranes. On l'applique de la même façon sur le côté affecté dans la pleurésie. Ce remede de bonne femme, peut-être trop négligé aujourd'hui, ainsi que la plûpart des applications extérieures, a produit quelquefois de bons effets dans l'un & dans l'autre de ces deux cas.

La graisse de chien passe pour plus atténuante, plus détersive, & plus vulnéraire que la plûpart des autres graisses ; elle est recommandée extérieurement dans les douleurs de la goutte & dans celles des oreilles, dans la galle & la gratelle, dans la dureté d'oreille, &c. Quelques auteurs l'ont recommandée aussi intérieurement dans les ulceres du poumon.

Les gants de peau de chien passent pour dissiper les contractions des mains, pour adoucir la peau de cette partie, & pour en soulager les demangeaisons. On se sert aussi de bas de peau de chien, dans les mêmes vûes, & dans celles de fortifier les jambes, & d'en prévenir l'enflure, l'engorgement & les varices, &c. Voyez VARICE.

La crotte ou l'excrément de chien, connu plus communément dans les boutiques des Apoticaires, sous le nom de album graecum, album canis, se prépare, selon la pharmacopée de Paris, de la maniere suivante.

Prenez de la crotte d'un chien nourri d'os, autant que vous voudrez, faites-la sécher, & la réduisez en poudre fine sur le porphyre, avec l'eau distillée de bursa pastoralis, & formez-en de petits trochisques.

La prescription de cette eau distillée peut être regardée comme une double inutilité ; car premierement cette eau ne possede aucune vertu particuliere ; elle est exactement dans la classe des eaux distillées parfaitement insipides & inodores. Secondement, l'eau employée à la préparation de l'album canis, doit en être ensuite absolument chassée de la dessication. De bonne eau pure y est par conséquent aussi propre que l'eau distillée la plus riche en parties actives.

Plusieurs auteurs, & entr'autres Etmuller, ont donné beaucoup de propriétés à l'album graecum ; ils l'ont célébré comme étant sudorifique, atténuant, fébrifuge, vulnéraire, émollient, hydragogue, spécifique dans les écroüelles, l'angine, & toutes les maladies du gosier, employé tant extérieurement qu'intérieurement, &c. On ne s'en sert guere parmi nous que dans les angines ; on le mêle dans ce cas à la dose d'un demi-gros ou d'un gros, dans un gargarisme approprié.

L'album graecum n'est proprement qu'une terre animale, & par conséquent absorbante, analogue à l'ivoire préparé, à la corne de cerf philosophiquement préparée, &c. Les humeurs digestives du chien & l'eau employée aux lotions de cet excrément dans sa préparation, ont épuisé les os mâchés & avalés par le chien, ou en ont dissous la substance lymphatique à-peu-près de la même façon que l'eau bouillante a épuisé la corne de cerf dans la préparation philosophique. On ne voit donc pas quel avantage il pourroit avoir au-dessus des autres substances absorbantes de la même classe.

Les petits chiens entrent dans une composition pharmaceutique, très-connue sous le nom d'huile de petits chiens ; en voici la dispensation tirée de la pharmacopée de Paris.

Prenez trois petits chiens nouvellement nés : jettez-les tout vivans dans trois livres d'huile d'olive bien chaude, & faites-les cuire dans cette huile jusqu'à ce que leurs os paroissent presque dissous. Alors passez cette huile à-travers une toile, en exprimant fortement ; après quoi vous y ajoûterez, pendant qu'elle est encore toute chaude, des sommités d'origan, de serpolet, de pouillot, de millepertuis, de marjolaine, de chacune deux onces ; mettant le tout dans une cruche bien fermée, que vous exposerez au soleil pendant quinze jours, au bout desquels vous passerez le mélange, le laisserez reposer pour le clarifier, & garderez l'huile pour l'usage. Cette préparation est recommandée dans toutes les douleurs, les tensions & les contractions des membres, particulierement dans la sciatique & les rhumatismes. Mais ces vertus lui sont communes avec toutes les huiles grasses, chargées de parties aromatiques.

Les petits chiens ne donnent dans cette composition que leur graisse, qui est de toutes leurs parties la seule qui soit soluble dans l'huile. Ainsi l'huile de petits chiens n'est proprement qu'un mélange d'huile d'olive & de graisse, chargé par l'insolation de l'huile aromatique des plantes qui entrent dans sa composition.

On doit rapporter aussi aux propriétés médicinales des petits chiens, l'usage qu'on en fait dans les maladies aiguës des nourrices, que l'on fait teter dans ces cas par de petits chiens, & principalement dans les fievres malignes qui surviennent à la suite des couches, qui empêchent qu'on ne puisse abandonner à la nature le soin d'évacuer le lait par des couloirs de la matrice. Voyez les maladies des femmes au mot FEMME, Médecine. Dans les pays où les femmes ne sont pas encore instruites de la possibilité de cette évacuation, & de la sûreté de la méthode qui prescrit d'attendre tranquillement que le cours du lait prenne cette direction dans les cas ordinaires ou après les accouchemens naturels ; ces femmes, dis-je, se font teter par des petits chiens, lorsqu'elles ne se destinent point à être nourrices. (b)

CHIEN, (Commerce) Les Fourreurs font usage de la peau de chien ; on en met en mégie, & les Gantiers passent pour en apprêter en gras.

CHIEN DE MER, sub. m. (Hist. nat. Ichthiologie) galeus, acanthias, sive spinax, Aldr. Poisson cartilagineux, dont le corps est allongé & arrondi sur la longueur ; il n'a point d'écailles, mais il est couvert d'une peau rude. Le dos du chien de mer est d'une couleur brune cendrée ; le ventre est blanchâtre, & moins rude que le reste du corps. Le bec est plus long que celui de l'émissole ; il est arrondi à l'extrémité ; les yeux sont recouverts d'une double membrane ; chacune des narines est partagée par une petite appendice. La bouche est à-peu-près dans le milieu du bec & en-dessous ; elle est faite en demi-lune, & toûjours ouverte. Les dents sont petites, pointues, rangées en deux files, & recourbées ; il y a une petite ouverture de chaque côté derriere les yeux. Ce poisson a deux nageoires sur le dos ; l'antérieure est un peu plus près de la tête que de la queue, l'autre est à une petite distance de la queue. Ces deux nageoires ont un aiguillon à leur partie antérieure ; celui de la premiere est plus long, plus gros, & plus fort que celui de la seconde. Il y a deux nageoires sur le ventre auprès des oüies, & deux autres auprès de l'anus. La queue est fourchue, & la branche du dessus est beaucoup plus longue que celle du dessous. Il n'y a point de nageoire entre l'anus & la queue, comme dans les autres poissons de ce genre. On a trouvé des seiches dans l'estomac de celui sur lequel on a fait cette description. Il y avoit aussi dans la partie inférieure de la matrice, près de l'anus, deux foetus, un de chaque côté ; car la matrice est divisée en deux parties. Ils avoient environ neuf pouces de longueur ; ils étoient bien formés & près du terme ; ils n'avoient point d'enveloppe. Rondelet rapporte qu'il a trouvé dans un de ces poissons six petits, & plusieurs autres qui n'étoient pas encore sortis des oeufs. Ce poisson n'est pas si gros que le renard de mer ; il n'y en a point qui pese jusqu'à vingt livres. On pêche des chiens de mer dans la Méditerranée, & on leur donne le nom d'aiguillat en Provence & en Languedoc. Willughbi, Rondelet. Voyez POISSON. (I)

* La peau du chien de mer a le grain fort dur, mais moins rond que celui du chagrin. On en fait usage pour polir les ouvrages au tour, en Menuiserie, & autres. On en couvre des boîtes ; les peaux en doivent être grandes, & d'un grain égal & fin. On les employe sans préparation ; on les empêche seulement de se retirer, en les tenant étendues sur des planches, quand elles sont fraîches.

CHIEN, en terme d'Astronomie, est un nom commun à deux constellations appellées le grand & le petit chien, canis major & canis minor. Voyez ci-dessous GRAND & PETIT CHIEN. (O)

CHIEN, (LE GRAND) est une constellation de l'hémisphere méridional placée sous les piés d'Orion, un peu vers l'Occident. Ptolomée la fait de 18 étoiles ; Ticho de 13 ; le catalogue britannique de 32. Sirius en est une. Voyez SIRIUS.

CHIEN, (LE PETIT) est une constellation de l'hémisphere septentrional, entre l'Hydre & Orion : au milieu de cette constellation est une étoile fort brillante nommée Procyon. Voyez PROCYON. (O)

CHIENS D'AVOINE ou QUIENNE AVOINE, (Jurispr.) comme qui diroit avoine des chiens, est une redevance seigneuriale, commune en Artois & dans le Boulenois, qui est dûe par les habitans au seigneur du lieu. Elle consiste en une certaine quantité d'avoine dûe annuellement par les habitans, & destinée dans l'origine de son établissement pour la nourriture des chiens du seigneur, auxquels apparemment on faisoit du pain de cette avoine. On trouve dans les registres de la chambre des comptes de Lille, des preuves que depuis 1540 jusqu'en 1629, les comtes d'Artois ont été servis de ces sortes de redevances ; qu'en 1630 le roi d'Espagne, qui étoit encore propriétaire du comté d'Artois, fit pour les besoins de l'état un grand nombre d'aliénations de ces sortes de redevances ; & entr'autres que les religieux de saint Bertin se rendirent adjudicataires, par contrat du 17 Septembre 1630, de quatre parties de ces chiens d'avoine ; une partie de 28 rasieres un picotin d'avoine sur les habitans d'Herbelles ; une autre de 18 rasieres sur les habitans de Coiques ; une troisieme de 4 rasieres un tiers un quart d'avoine sur les habitans de Quindal ; enfin une quatrieme partie sur le sieur de Disques en Boisenghen, de neuf rasieres, & que ce contrat fut fait sous la condition de rachat perpétuel. Il y eut contestation au sujet de la solidité d'une de ces redevances dûe par les habitans du hameau de Quindal ; les religieux de S. Bertin s'étant adressés au sieur Desquinemus, comme possédant une partie des héritages de ce hameau, pour le payement solidaire de leur redevance, les officiers du bureau des finances de Lille avoient déclaré les religieux de S. Bertin non recevables en leur demande, sauf à eux à se pourvoir contre les détenteurs des fonds qui en étoient chargés. Les religieux de S. Bertin ayant appellé de cette sentence au parlement, par arrêt du premier Mai 1749, cette sentence fut infirmée. Le sieur Desquinemus fut condamné solidairement comme détenteur à payer 29 années d'arrérages de la redevance, échus au jour de la demande, ceux échus depuis, & à la continuer à l'avenir, sauf son recours contre qui il aviseroit, défenses au contraire. On avoit produit contre les religieux de S. Bertin des certificats du Boulenois, par lesquels il paroissoit que les habitans de cette province payent divisément les rentes des chiens d'avoine ; à quoi les religieux répondoient que l'usage d'Artois & celui du Boulenois étoient différens ; qu'apparemment en Boulenois les titres primitifs des chiens d'avoine ne les constituoient pas en solidité. Voyez ci-après PAST DE CHIENS & QUIENNES D'AVOINE.

CHIENS, (PAST DE) dans quelques anciennes chartres signifie la charge que les seigneurs imposoient à leurs tenanciers, de nourrir leurs chiens de chasse. Il en est parlé dans des lettres de l'an 1269, qui sont à Saint-Denis, & dans d'autres lettres de Regnaud comte de Sens, de 1164, qui sont à Saint-Germain-des-Prés. Quelques monasteres qui étoient chargés de ce devoir, obtinrent des seigneurs leur décharge. Voyez ce qui est dit à ce sujet dans le glossaire de M. de Lauriere, au mot chien. (A)

CHIEN, s. m. (Arquebusier) c'est dans le fusil la partie de la platine qui tient la pierre-à-fusil, laquelle tombant sur la batterie, met le feu à l'amorce du bassinet. Voyez FUSIL & PLATINE.

Dans le mousquet, le chien est appellé serpentin. Voyez SERPENTIN & MOUSQUETON. (Q)

CHIEN, partie du métier de l'étoffe de soie. Le chien est un fer plat d'un pouce de large sur sept pouces d'épaisseur. Il est courbe & aigu ; il mord de ce côté dans la coche de la roue de fer, & il est attaché de l'autre au pié du métier de devant.

CHIEN, instrument de Tonnelier ; c'est le même que les Menuisiers appellent un sergent. Cet outil est composé d'une barre de fer quarrée qui a un crochet par em-bas, & d'un autre crochet mobile qui monte & descend le long de la barre : on l'appelle chien, parce qu'il serre & mord fortement le bois. Voyez SERGENT.


CHIENDENTgramen, genre de plante dont les fleurs n'ont point de pétales, & naissent par bouquets composés de plusieurs étamines qui sortent ordinairement d'un calice écailleux. Le pistil devient dans la suite un fruit arrondi ou oblong, un peu farineux, & renfermé dans le calice comme dans une capsule. Tournef. inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)

CHIENDENT, (Matiere médicale) Parmi une multitude d'especes de chiendents, il n'y en a que deux dont on se serve, le chiendent ordinaire, & le chiendent pié de poule. La racine, qui est la seule partie qu'on employe, est d'un très-fréquent usage en médecine ; elle est apéritive, & pousse doucement par les urines.

La racine de chiendent est le principal ingrédient de la tisane ordinaire des malades ; de celle qu'ils se prescrivent eux-mêmes si généralement, que c'est presqu'une même chose pour le peuple qu'une tisane ou une legere décoction de chiendent rendue plus douce par l'addition d'un petit morceau de réglisse.

On la fait entrer aussi avec succès dans les décoctions ou aposemes apéritifs diurétiques, qui sont indiqués principalement dans les obstructions commençantes des visceres du bas-ventre. Cette racine donnée en substance, passe aussi pour vermifuge.

Les compositions adoptées par la pharmacopée de Paris, dans lesquelles entre la racine de chiendent, sont les suivantes.

La tisane commune, le decoctum aperiens, le sirop de chicorée composé, le sirop de guimauve de Fernel, & le clairet des six grains. (b)

CHIENDENT, (Vergettier) Les Vergettiers le dépouillent de son écorce en le liant en paquets, & le foulant sous le pié. Ce frottement le sépare en peu de tems de ses rameaux.

Ils en distinguent de deux especes ; du gros, qu'ils appellent chiendent de France ; & du fin, qu'ils appellent barbe de chiendent.

Le gros, ce sont les rameaux les plus longs & les plus forts, ce qui sert de pié au chiendent. Le fin ou doux, ce sont les rameaux les plus fins & les extrémités des branches.

Ils séparent ces parties, les mettent de longueur & de sorte, & font des vergettes. Voyez l'art. VERGETTE.


CHIENNES. f. instrument de Tonnelier en forme de crochet, qui tire & pousse en même tems. On le nomme plus communément tirtoire. Voy. TIRTOIRE.


CHIERI(Géog.) petite ville d'Italie dans le Piémont, dans un petit pays du même nom.


CHIESO(Géograph.) grande riviere d'Italie qui prend sa source dans le Trentin, & se jettent dans l'Oglio au duché de Mantoue.


CHIETI(Géogr.) ville d'Italie au royaume de Naples, capitale de l'Abruzze citérieure, près de la riviere de Pescara. Long. 31. 48. lat. 42. 22.


CHIEVRES(Géogr.) petite ville des Pays-Bas autrichiens dans le Hainaut, entre Mons & Ath.


CHIFALE(Géog.) île d'Asie dans la mer Rouge, près des côtes de l'Arabie-Petrée.


CHIFFESS. f. terme de Papeterie ; ce sont de vieux morceaux de toile de chanvre, de coton ou de lin, qui servent à la fabrique du papier. Voyez CHIFFONS.


CHIFFONNIERS. f. nom que l'on donne à des gens qui commercent des vieux chiffons ou drapeaux de toile de lin & de chanvre, destinés pour la fabrique du papier. On les appelle aussi pattiers, drilliers ou peilliers.

Les chiffonniers vont dans les villes & les villages acheter & ramasser ces vieux drapeaux, ils les cherchent même jusque dans les ordures des rues ; & après les avoir bien lavés & nettoyés, ils les vendent aux Papetiers-fabriquans qui en ont besoin, ou à d'autres personnes qui en font magasin, pour les revendre eux-mêmes aux fabriquans de papier.

L'exportation des chiffons est défendue. Nous avons déjà insinué quelque part qu'il y avoit des matieres qui se perdoient ou se brûloient, & qui pourroient être facilement employées en papier : telles sont les recoupes des gasiers.

La police a aussi veillé à ce que les chiffonniers, en lavant leurs chiffons & en les emmagasinant, n'infectassent ni l'air ni les eaux, en reléguant leurs magasins hors du centre des villes, & en éloignant leurs lavages des endroits des rivieres où les habitans vont puiser les eaux qu'ils boivent.


CHIFFONSS. m. terme de Papeterie ; ce sont de vieux morceaux de toile de lin ou de chanvre qu'on pilonne dans les moulins à papier & qu'on réduit en une bouillie ou pâte fort liquide, dont on fait le papier. On les appelle aussi chiffes, drapeaux, drilles, pattes & peilles. Voyez PAPIER, CHIFFONNIER, & le Dictionn. du Comm.


CHIFFRES. m. (Arithm.) caractere dont on se sert pour désigner les nombres. Les différens peuples se sont servis de différens chiffres ; on peut en voir le détail au mot CARACTERE. Les seuls en usage aujourd'hui, du moins dans l'Europe & dans une grande partie de la Terre, sont les chiffres arabes au nombre de dix, dont le zéro (o) fait le dixieme. Le zéro s'est appellé pendant quelque tems du nom de chiffre, cyphra ; ensorte que ce nom lui étoit particulier. Aujourd'hui on donne le nom de chiffre à tous les caracteres servant à exprimer les nombres ; & quelques auteurs refusent même le nom de chiffre au zéro, parce qu'il n'exprime point de nombre, mais sert seulement à en changer la valeur.

On doit regarder l'invention des chiffres comme une des plus utiles, & qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain. Cette invention est digne d'être mise à côté de celle des lettres de l'alphabet. Rien n'est plus admirable que d'exprimer avec un petit nombre de caracteres toutes sortes de nombres & toutes sortes de mots. Au reste on auroit pû prendre plus ou moins de dix chiffres ; & ce n'est pas précisément dans cette idée que consiste le mérite de l'invention, quoique le nombre de dix chiffres soit assez commode. Voyez BINAIRE & ÉCHELLES ARITHMETIQUES. Le mérite de l'invention consiste dans l'idée qu'on a eue de varier la valeur d'un chiffre en le mettant à différentes places ; & d'inventer un caractere zéro qui se trouvant devant un chiffre, en augmentât la valeur d'une dixaine. Voyez NOMBRE, ARITHMETIQUE, NUMERATION. On trouve dans ce dernier article la maniere de représenter un nombre donné avec des chiffres, & d'exprimer ou d'énoncer un nombre représenté par des chiffres. (O)

CHIFFRE : c'est un caractere énigmatique composé de plusieurs lettres initiales du nom de la personne qui s'en sert ; on en met sur les cachets, sur les carrosses & sur d'autres meubles. Autrefois les marchands & commerçans qui ne pouvoient porter des armes, y substituoient des chiffres, c'est-à-dire les premieres lettres de leur nom & surnom, entrelacées dans une croix ou autre symbole, comme on voit en plusieurs anciennes épitaphes. Voyez DEVISE.

Chiffre se dit encore de certains caracteres inconnus, déguisés ou variés, dont on se sert pour écrire des lettres qui contiennent quelque secret, & qui ne peuvent être entendues que par ceux qui en ont la clé. On en a fait un art particulier, qu'on appelle Cryptographie, Polygraphie, & Stéganographie, qui paroît n'avoir été que peu connu des anciens. Le sieur Guillet de la Guilletiere, dans un livre intitulé Lacédémone ancienne & nouvelle, prétend que les anciens Lacédémoniens ont été les inventeurs de l'art d'écrire en chiffre.

Leurs scytales furent, selon lui, comme l'ébauche de cet art mystérieux : c'étoient deux rouleaux de bois d'une longueur & d'une épaisseur égales. Les éphores en gardoient un, & l'autre étoit pour le général d'armée qui marchoit contre l'ennemi.

Lorsque ces magistrats lui vouloient envoyer des ordres secrets, ils prenoient une bande de parchemin étroite & longue, qu'ils rouloient exactement autour de la scytale qu'ils s'étoient réservée : ils écrivoient alors dessus leur intention ; & ce qu'ils avoient écrit formoit un sens parfait & suivi, tant que la bande de parchemin étoit appliquée sur le rouleau : mais dès qu'on la développoit, l'écriture étoit tronquée & les mots sans liaison, il n'y avoit que leur général qui pût en trouver la suite & le sens, en ajustant la bande sur la scytale ou rouleau semblable qu'il avoit.

Polybe raconte qu'Encare fit, il y a environ deux mille ans, une collection de vingt manieres différentes qu'il avoit inventées, ou dont on s'étoit servi jusqu'alors pour écrire ; de maniere qu'il n'y eut que celui qui en savoit le secret, qui y pût comprendre quelque chose. Tritheme, le capitaine Porta, Vigenere, & le pere Nicéron, minime, ont fait des traités exprès sur les chiffres ; & depuis eux en a encore bien perfectionné cette maniere d'écrire.

Comme l'écriture en chiffre est devenu un art, on a marqué aussi l'art de lire ou de démêler les chiffres, par le terme particulier de déchiffrer.

Le chiffre à simple clé, est celui où on se sert toûjours d'une même figure pour signifier une même lettre ; ce qui se peut deviner aisément avec quelque application.

Le chiffre à double clé, est celui où on change d'alphabet à chaque mot, ou dans lequel on employe des mots sans signification.

Mais une autre maniere plus simple & indéchiffrable, est de convenir de quelque livre de pareille & même édition : & trois chiffres font la clé. Le premier chiffre marque la page du livre que l'on a choisi, le second chiffre en désigne la ligne, & le troisieme marque le mot dont on doit se servir. Cette maniere d'écrire & de lire ne peut être connue que de ceux qui savent certainement qu'elle est l'édition du livre dont on se sert ; d'autant plus que le même mot se trouvant en diverses pages du livre, il est presque toûjours désigné par différens chiffres : rarement le même revient-il pour signifier le même mot. Il y a outre cela les encres secrettes, qui peuvent être aussi variées que les chiffres. Voyez DECHIFFRER. (G) (a)

CHIFFRE ou MARQUES des Marchands, (Comm.) On appelle ainsi des chiffres ou marques que les marchands, particulierement ceux qui font le détail, mettent sur de petites étiquettes de papier ou de parchemin qu'ils attachent au chef des étoffes, toiles, dentelles & telles autres marchandises, qui désignent le véritable prix qu'elles leur coûtent, afin de pouvoir s'y régler dans la vente. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév.


CHIFFRERexpression populaire dont on se sert pour signifier l'art de compter. Voyez CHIFFRE. (E)

CHIFFRER, en Musique, c'est écrire sur les notes de la basse, pour servir de guide à l'accompagnateur, des chiffres qui désignent les accords que ces notes doivent porter. Voyez ACCOMPAGNEMENT. Comme chaque accord est composé de plusieurs sons, s'il avoit fallut exprimer chacun de ces sons par un chiffre, on auroit tellement multiplié & embrouillé les chiffres, que l'accompagnateur n'auroit jamais eu le tems de les lire au moment de l'exécution. On s'est donc attaché, autant qu'on a crû le pouvoir, à caractériser chaque accord par un seul chiffre ; desorte que ce chiffre peut suffire pour indiquer l'espece de l'accord, & par conséquent tous les sons qui le doivent composer. Il y a même un accord qui se trouve chiffré, en ne le chiffrant point ; car, selon la rigueur des chiffres, toute note qui n'est point chiffrée ne porte point d'accord, ou porte l'accord parfait.

Le chiffre qui indique chaque accord, est ordinairement celui qui répond au nom de l'accord ; ainsi l'on écrit un 2 pour l'accord de seconde, un 7 pour celui de septieme, un 6 pour celui de sixte, &c. Il y a des accords qui portent un double nom, & on les exprime aussi par un double chiffre ; tels sont les accords de sixte-quarte, de sixte-quinte, de septieme & sixte, &c. quelquefois même on met trois, ce qui rentre dans l'inconvénient qu'on a voulu éviter ; mais comme la composition des chiffres est plûtôt venue du tems & du hasard, que d'une étude réfléchie, il n'est pas étonnant qu'il s'y rencontre des fautes & des contradictions.

Voici une table de tous les chiffres pratiqués dans l'accompagnement ; sur quoi il faut observer qu'il y a plusieurs accords qui se chiffrent diversement en différens pays, comme en France & en Italie, ou dans le même pays par différens auteurs. Nous donnons toutes ces manieres, afin que chacun, pour chiffrer, puisse choisir celle qui lui paroîtra plus claire ; & pour accompagner, rapporter chaque chiffre à l'accord qui lui convient, selon la maniere de chiffrer de l'auteur.

TABLE générale de tous les chiffres de l'accompagnement. On a ajoûté une étoile à ceux qui sont le plus d'usage en France aujourd'hui.

Quelques auteurs avoient introduit l'usage de couvrir d'un trait toutes les notes de basse qui passoient sous un même accord : c'est ainsi que les charmantes cantates de M. de Clérambault sont chiffrées ; mais cette invention étoit trop commode pour durer ; elle montroit aussi trop clairement à l'oeil toutes les syncopes d'harmonie.

Aujourd'hui, quand on soûtient le même accord sur quatre différentes notes de basse, ce sont quatre chiffres différens qu'on leur fait porter ; desorte que l'accompagnateur induit en erreur, se hâte de chercher l'accord même qu'il a déjà sous sa main. Mais c'est la mode en France de charger les basses d'une confusion de chiffres inutiles. On chiffre tout, jusqu'aux accords les plus évidens ; & celui qui met le plus de chiffres croît être le plus savant. Une basse ainsi hérissée de chiffres triviaux rebute l'accompagnateur de les regarder, & fait souvent négliger les chiffres nécessaires. L'auteur doit supposer que l'accompagnateur sait les élémens de l'accompagnement ; il ne doit pas chiffrer une sixte sur une médiante, une fausse quinte sur une note sensible, une septieme sur une dominante, ni d'autres accords de cette évidence, à moins qu'il ne soit question d'annoncer un changement de ton. Les chiffres ne sont faits que pour déterminer le choix de l'harmonie dans le cas douteux. Du reste, c'est très bien fait d'avoir des basses chiffrées exprès pour les écoliers. Il faut que les chiffres montrent à ceux-ci l'application des regles ; pour les maîtres, il suffit d'indiquer les exceptions.

M. Rameau dans sa dissertation sur les différentes méthodes d'accompagnement, a trouvé un grand nombre de défauts dans les chiffres établis. Il a fait voir qu'ils sont trop nombreux, & pourtant insuffisans, obscurs, équivoques, qu'ils multiplient inutilement le nombre des accords, & qu'ils n'en montrent en aucune manière la liaison.

Tous ces défauts viennent d'avoir voulu rapporter les chiffres aux notes arbitraires de la basse-continue, au lieu de les avoir appliqués immédiatement ;à l'harmonie fondamentale. La basse-continue fait sans doute une partie de l'harmonie; mais cette harmonie est indépendante des notes de cette basse, & elle a son progrès déterminé, auquel la basse même doit assujettir sa marche particuliere. En faisant dépendre 1es accords & les chiffres qui Ies énoncent des notes de la baffe & de leurs différentes marches, on ne montre que des combinaisons de l'harmonie, au lieu d'en montrer le fondement ; on multiplie à l'infini le petit nombre des accords fondamentaux, & l'on force en quelque maniere l'accompagnateur de perdre de vûe à chaque instant la véritable succession harmonique.

M. Rameau, après avoir fait de très-bonnes observations sur la méchanique des doigts dans la pratique de l'accompagnement, propose d'autres chiffres beaucoup plus simples, qui rendent cet accompagnement tout-à-fait indépendant de la basse-continue ; de forte que sans égard à cette basse & sans même la voir, on accompagneroit sur les chiffres seuls avec plus de précision, qu'on ne peut faire par la méthode établie avec le concourt de la basse & des chiffres.

Les chiffres inventés par M. Rameau indiquent deux chopes : 1° l'harmonie fondamentale dans les accords parfaits, qui n'ont aucune succession nécessaire, mais qui constatent toujours le ton : 2°. la succession harmonique déterminée par h marche réguliere des doigts dans les accords dissonnans.

Tout cela se fait au moyen de sept chiffres seulement : 1°. une lettre de la gamme indique le ton, la tonique, & son accord ; si l'on passe d'un accord parfait à un autre, on change de ton, c'est l'affaire d'une nouvelle lettre : 2°. pour passer de la tonique à un accord dissonnant, M. Rameau n'admet que six manieres, pour chacune desquelles il

établit un signe particulier ; savoir, 1°. un X pour l'accord sensible : pour la septieme diminuée, il suffit d'ajoûter un b mol sous cet X ; 2°. un 2 pour l'accord de la seconde sur la tonique : 3°. un 7 pour son accord de septieme ; 4°. cette abréviation aj. pour sa sixte ajoûtée ; 5°. ces deux chiffres 4/5 relatifs à cette tonique, pour l'accord qu'il appelle de tierce-quarte, & qui revient à l'accord de neuvieme de la seconde note ; 6°. enfin ce chiffre 4 pour l'accord de quarte & quinte sur la dominante.

3°. Un accord dissonnant est suivi d'un accord parfait, ou d'un autre accord dissonnant ; dans le premier cas l'accord s'indique par une lettre, le second cas se rapporte à la méchanique des doigts, voyez DOIGTER ; c'est un doigt qui doit descendre diatoniquement, ou deux, ou trois. On indique cela par autant de points l'un sur l'autre, qu'il faut faire descendre de doigts. Les doigts qui doivent descendre par préférence, sont indiqués par la méchanique ; les dièses ou bémols qu'ils doivent faire, sont connus par le ton, ou substitués dans les chiffres aux points correspondans ; ou bien dans le chromatique & l'enharmonique, on marque une petite ligne en descendant ou en montant, depuis le signe d'une note connue, pour indiquer qu'elle doit descendre ou monter d'un semi-ton. Ainsi tout est prévû, & ce petit nombre de signes suffit pour exprimer toute bonne harmonie possible.

On sent bien qu'il faut supposer ici que toute dissonnance se sauve en descendant ; car s'il y en avoit qui dussent se sauver en montant, s'il y avoit des marches de doigts ascendans dans des accords dissonnans, les points de M. Rameau seroient insuffisans pour exprimer cela.

Quelque simple que soit cette méthode, quelque favorable qu'elle paroisse pour la pratique, elle ne paroît pas pourtant tout-à-fait exempte d'inconvéniens. Car quoiqu'elle simplifie les signes, & qu'elle diminue le nombre apparent des accords, on n'exprime point encore par elle la véritable harmonie fondamentale. Les signes y sont aussi trop dépendans les uns des autres ; si l'on vient à s'égarer ou à se distraire un instant, à prendre un doigt pour un autre, les points ne signifient plus rien ; plus de moyen de se remettre jusqu'à un nouvel accord parfait. Inconvénient que n'ont pas les chiffres actuellement en usage. Mais il ne faut pas croire que parmi tant de raisons de préférence, ce soit sur de telles objections que la méthode de M. Rameau ait été rejettée. Elle étoit nouvelle, elle étoit proposée par un homme supérieur en génie à tous ses rivaux : voilà sa condamnation. Voyez ACCOMPAGNEMENT. (S)


CHIGNAN(Saint) Géog. petite ville de France dans le bas Languedoc.


CHIGNOLLES. f. en terme de Boutonnier ; espece de devidoir à trois ailes distantes d'une demi-aune l'une de l'autre, sur lequel on devide les matieres pour les mesurer : quand je dis matieres, j'entends celles qui doivent faire des tresses (voyez TRESSES), celles des autres ouvrages n'ayant pas besoin d'être mesurées. Une aune & demie de trait d'or filé, &c. ne produit jamais qu'une aune de tresse, ainsi des autres mesures qui diminuent dans les mains de l'ouvrier toûjours d'un tiers, par les allées & les venues qu'il leur fait faire avec ses fuseaux. Voyez FUSEAUX.


CHIHIRIPORT DE CHEER, ou SEQUIR, (Géog.) grande ville maritime d'Asie dans l'Arabie-Heureuse, avec un bon port. Il s'y fait un grand commerce. Long. 67. lat. 14. 20.

CHILE, voyez CHYLE.


CHILÉS & COMBAL(Géog.) deux montagnes très-hautes de l'Amérique méridionale, & dont les sommets sont couverts de neige. Elles sont situées à près d'un degré de latitude septentrionale, sur la route de la ville d'Ybarra à Pasto, à quarante lieues de la mer. On les voit de la côte.


CHILIADES. f. assemblage de plusieurs choses qu'on compte par mille : ainsi mille ans s'appelloient un chiliade d'années, du grec , mille. (G)


CHILIARQUEofficier qui chez les Grecs commandoit un corps de mille hommes. Ce mot est composé de , mille, & de , imperium. (G)


CHILIASTESS. m. pl. (Théol.) c'est-à-dire millenaires, du grec , qui signifie un millier. C'est le nom qu'on donna, dans le ij. siecle de l'Eglise, à ceux qui soûtenoient qu'après le jugement universel les prédestinés demeureroient mille ans sur la terre, & y goûteroient toutes sortes de délices. On attribue l'origine de cette opinion à Papias, qui fut évêque d'Hiéropolis, & qu'on croit avoir été disciple de S. Jean l'Evangéliste. Elle fut embrassée par S. Justin martyr, S. Irenée, Tertullien, Victorin, Lactance, Nepos, &c. qui se fondoient sur une fausse explication du xx. chapitre de l'Apocalypse. Mais l'autorité de ces docteurs n'a pas fait sur ce point une chaîne de tradition, & leur sentiment a été constamment rejetté par l'Eglise depuis le v. siecle. Quelques-uns distinguent deux sortes de Chiliastes : les uns qui entendoient grossierement ce regne de mille ans des voluptés charnelles, auxquelles les élûs se livreroient pendant cet espace ; les autres qui l'entendoient d'un repos spirituel que devoit goûter l'Eglise. Mais cette distinction ne paroît pas fondée. Voyez MILLENAIRES. (G)


CHILIOGONES. m. (Géom.) c'est une figure plane & réguliere de mille côtés, & d'autant d'angles. Quoique l'oeil ne puisse pas s'en former une image distincte, nous pouvons néanmoins en avoir une idée claire dans l'esprit, & démontrer aisément que la somme de tous ses angles est égale à 1996 angles droits : car les angles internes de toute figure plane sont égaux à deux fois autant d'angles droits moins quatre, que la figure a de côtés : ce qui se peut démontrer aisément en partageant la figure en autant de triangles qu'elle a de côtés. Ces triangles auront chacun pour base un côté de la figure, & leur sommet à chacun sera dans un point placé au-dedans de la figure. Voyez TRIANGLE. (O)


CHILIOMBESS. f. (Myth.) sacrifices de mille bêtes. Il n'y a pas d'apparence qu'on en fît souvent d'aussi dispendieux. Quant à l'hécatombe, il est certain qu'il se faisoit assez fréquemment. Voyez ce mot.


CHILLAN(Géog.) ville de l'Amérique méridionale au royaume de Chily, sur la riviere de Nubbe, près de laquelle il y a un volcan.


CHILLASS. m. (Comm.) toile de coton à carreaux, qui se fabrique à Bengale & autres lieux des Indes orientales. Voyez le dict. du Comm.


CHILOÉ(Géog.) grande île de l'Amérique méridionale sur la côte de Chily. La capitale est Castro.


CHILONGO(Géog.) province d'Afrique au royaume de Loango, dans la basse Ethiopie.


CHILY(LE) Géog. grand pays de l'Amérique méridionale, le long de la mer du Sud, qui a environ 300 lieues de long. Il abonde en fruit, arbres, & mines de toutes especes. Ce pays, dont une partie est aux Espagnols, est habité par des Indiens qui sont gouvernés par des caciques ou chefs indépendans les uns des autres. Saint-Jago est la capitale de la partie du Chily qui appartient aux Espagnols.

Le centre du commerce de cette contrée est à Baldivia, à la Conception, & à Valparaison. C'est de ces ports qu'il se fait avec le Pérou. Baldivia a des mines d'or fort riches, des cuirs de boeufs & de chevres, des suifs, des viandes salées, des blés qu'elle envoye à Lima ; d'où elle tire des vins, des sucres, du cacao, & toutes les marchandises d'Europe. C'est à la Conception que sont les principaux lavoirs du royaume ; c'est de ces lavoirs que vient l'or appellé pepitas : le commerce est du reste le même qu'à Baldivia. C'est à Valparaison qu'on embarque tous les revenus de l'Espagne au Chily, & que les particuliers destinent pour la mer du Nord.

CHILY, (Géog.) riviere de l'Amérique méridionale dans le pays de même nom, qui se jette dans la mer du Sud.


CHIMAY(Géog.) petite ville des Pays-bas autrichiens dans le Hainaut, sur la Blanche. Long. 21. 57. lat. 50. 30.


CHIMBO-RACOS. m. (Géog.) l'une des plus grosses montagnes du monde, & vraisemblablement la plus haute. Elle fait partie de la Cordeliere des Andes. Elle est située par un degré & demi de latitude australe près de Riobamba, dans la province de Quito au Pérou, à cinquante lieues à l'est du cap san-Lorenzo. On la voit en mer du golfe de Guayaguil, à plus de 60 lieues de distance : elle a trois mille deux cent vingt toises au-dessus du niveau de la mer. La partie supérieure est toûjours couverte de neige, & inaccessible à huit cent toises de hauteur perpendiculaire. En 1738 MM. Bouguer & de la Condamine, de l'académie des Sciences de Paris, y firent au pié de la neige permanente des expériences pour reconnoître si un fil à plomb étoit détourné de la ligne verticale par l'action de la masse de la montagne sur ce même fil. La quantité moyenne tirée d'un grand nombre d'observations donna sept à huit secondes pour la déviation du fil vers l'axe de la montagne, quantité qui devroit être beaucoup plus considérable dans les principes de Newton, si la montagne étoit de la même densité intérieurement qu'au-dehors : mais il y a beaucoup d'apparence qu'elle est remplie de grandes cavités, si, comme la tradition du pays le porte, elle a été autrefois volcan, & qu'on y voye encore aujourd'hui des bouches & des traces de son éruption. Chimbo-raco est ainsi nommé d'un bourg voisin appellé Chimbo, qui veut dire passage (& en effet on y passe une riviere), & de raco, qui signifie neige, dans l'ancienne langue Quetchoa ou des Jacas. Voyez ATTRACTION des montagnes.

Carguai-raco, volcan écroulé en 1698, & dont les neiges fondues causerent une grande inondation, est un prolongement de Chimbo-raco vers le nord. Il n'y a plus que les pointes de son sommet qui soient couvertes de neige, & sa hauteur n'est plus que de deux mille quatre cent cinquante toises.


CHIMERAville forte de la Turquie en Europe, dans l'Albanie, capitale du territoire de même nom. Long. 37. 43. lat. 40. 10.


CHIMERES. f. (Myth.) monstre fabuleux qui, selon les Poëtes, avoit la tête & le cou d'un lion, le corps d'une chevre, & la queue d'un dragon, & qui vomissoit des tourbillons de flamme & de feu. Bellérophon monté sur le cheval Pégase, combattit ce monstre & le vainquit.

Le fondement de cette fable est qu'il y avoit autrefois en Lycie une montagne dont le sommet étoit desert, & habité seulement par des lions ; le milieu rempli de chevres sauvages ; & le pié marécageux, plein de serpens ; ce qui a fait dire à Ovide :

Mediis in partibus hircum,

Pectus & ora leae, caudam serpentis habebat.

Bellérophon donna la chasse à ces animaux, en nettoya le pays, & rendit utiles les pâturages qu'ils infestoient auparavant ; ce qui a fait dire qu'il avoit vaincu la chimere. D'autres prétendent que cette montagne étoit un volcan ; & Pline même assûre que le feu qui en sortoit s'allumoit avec de l'eau, & ne s'éteignoit qu'avec de la terre ou du fumier ; que Bellérophon trouva le moyen de la rendre habitable ; d'où les Poëtes ont pris occasion de le chanter comme vainqueur de la chimere.

M. Freret donne une autre explication à cette fable : il prétend que par la chimere il faut entendre des vaisseaux de pyrates Solymes qui ravageoient les côtes de la Lycie, & qui portoient à leurs proues des figures de boucs, de lions, & de serpens ; que Bellérophon monté sur une galere qui portoit aussi à sa proue la figure d'un cheval, défit ces brigands.

Et selon M. Pluche, dans l'histoire du ciel, cette chimere composée d'une tête de lion, d'un corps de chevre, & d'une queue de serpent, n'étoit autre chose que la marque ou l'annonce du tems où l'on faisoit les transports de blé & de vin, savoir depuis l'entrée du soleil dans le signe du lion, jusqu'à son entrée dans celui du capricorne. Cette annonce de provisions nécessaires étoit agréable aux Lyciens, que les mauvaises nourritures & la stérilité de leur pays obligeoient de recourir à l'étranger. Bellérophon & son cheval aîlé, ajoûte-t-il, ne sont qu'une barque, ou le secours de la navigation qui apportoit à la colonie Lycienne des rafraîchissemens & des nourritures saines. Hist. du ciel, tome I. p. 317. (G)


CHIMIEvoyez CHYMIE.


CHIMISTEvoyez CHYMISTE.


CHIN(Géog.) ville de la Chine, dans la province de Honan. Lat. 34. 48.


CHIN-CHIAN(Géog.) grande ville de la Chine, dans la province de Nankin. Il y a encore une autre ville de ce nom dans la province de Junnan. Long. 137. lat. 30. 6.


CHINAGES. m. (Jurisprud.) droit de péage qui est la même chose que chemage qui est expliqué ci-devant. (A)


CHINAou CHINEY, (Géog.) petite ville des Pays-bas, de la dépendance de l'évêché de Liége.


CHINCHIN-TALAR(Géog.) province d'Asie dans la grande Tartarie, entre celles de Camul & de Suchur.


CHINE(LA) Géog. grand empire d'Asie, borné au nord par la Tartarie, dont elle est séparée par une muraille de quatre cent lieues ; à l'orient par la mer ; à l'occident par des hautes montagnes & des deserts ; & au midi par l'Océan, les royaumes de Tunquin, de Lao, & de la Cochinchine.

La Chine a environ sept cent cinquante lieues de long, sur cinq cent de large. C'est le pays le plus peuplé & le mieux cultivé qu'il y ait au monde ; il est arrosé de plusieurs grandes rivieres, & coupé d'une infinité de canaux que l'on y fait pour faciliter le commerce. Le plus remarquable est celui que l'on nomme le canal royal, qui traverse toute la Chine. Les Chinois sont fort industrieux ; ils aiment les Arts, les Sciences & le Commerce : l'usage du papier, de l'Imprimerie, de la poudre à canon, y étoit connu long-tems avant qu'on y pensât en Europe. Ce pays est gouverné par un empereur, qui est en même tems le chef de la religion, & qui a sous ses ordres des mandarins qui sont les grands seigneurs du pays : ils ont la liberté de lui faire connoître ses défauts. Le gouvernement est fort doux. Les peuples de ce pays sont idolatres : ils prennent autant de femmes qu'ils veulent. Voyez leur philosophie à l'article de PHILOSOPHIE DES CHINOIS. Le commerce de la Chine consiste en ris, en soie, étoffes de toutes sortes d'especes, &c.


CHINERv. act. (Manufact. en soie) Chiner une étoffe, c'est donner aux fils de la chaîne des couleurs différentes, & disposer ces couleurs sur ces fils de maniere que quand l'étoffe sera travaillée, elles y représentent un dessein donné, avec moins d'exactitude à la vérité que dans les autres étoffes, qui se font soit à la petite tire soit à la grande tire, mais cependant avec assez de perfection pour qu'on l'y distingue très-bien, & que l'étoffe soit assez belle pour être de prix. Voyez TIRE (petite & grande).

Le chiner est certainement une des manoeuvres les plus délicates qu'on ait imaginées dans les arts ; il n'y avoit guere que le succès qui pût constater la vérité des principes sur lesquels elle est appuyée. Pour sentir la différence des étoffes chinées & des étoffes faites à la tire, il faut savoir que pour les étoffes faites à la tire on commence par tracer un dessein sur un papier divisé horisontalement & verticalement par des lignes ; que les lignes horisontales représentent la largeur de l'étoffe ; que les lignes verticales représentent autant de cordes du métier (Voyez le métier à l'article VELOURS CISELE) ; que l'assemblage de ces cordes forme le semple, voyez SEMPLE) ; que chaque corde de semple aboutit à une autre corde ; que l'assemblage de ces secondes cordes s'appelle le rame (Voyez RAME) ; que chaque corde de rame correspond à des fils de poil & de chaîne de diverses couleurs (Voyez POIL & CHAINE), ensorte qu'à l'aide d'une corde de semple on fait lever tel fil de poil & de chaîne, en tel endroit & de telle couleur qu'on desire ; que faire une étoffe à la petite ou à la grande tire, c'est tracer, pour ainsi dire, sur le semple le dessein qu'on veut exécuter sur l'étoffe, & projetter ce dessein sur la chaîne ; que ce dessein se trace sur le semple, en marquant avec des ficelles & des cordes l'ordre selon lequel les cordes du semple doivent être tirées, ce qui s'appelle lire (Voyez LIRE) ; & que la projection se fait & se fixe sur la chaîne, par la commodité qu'on a par les cordes de semple d'en faire lever un fil de telle couleur qu'on veut, & d'arrêter une petite portion de ce fil coloré à l'endroit de l'étoffe par le moyen de la trame.

Cette notion superficielle du travail des étoffes figurées, suffit pour montrer que la préparation du dessein, sa lecture sur le semple, la correspondance des cordes de semple avec celles de rame, & de celles de rame avec les fils de chaîne, & le reste du montage du métier, doivent former une suite d'opérations fort longues, en cas qu'elles soient possibles (& elles le sont), & que chaque métier demande vraisemblablement deux personnes, un ouvrier à la trame & au battant, & une tireuse au semple (& en effet il en faut deux).

Quelqu'un songeant à abréger & le tems & les fraix de l'étoffe à fleurs, rencontra le chiner, en raisonnant à-peu-près de la maniere suivante. Il dit : si je prenois une étoffe de toile toute blanche, & que je la tendisse bien sur les ensuples d'un métier, & qu'avec un pinceau & des couleurs je peignisse une fleur sur cette toile, il est évident 1°. que s'il étoit possible de desourdir (pour ainsi parler) cette toile lorsque ma fleur peinte seroit seche, chaque fil de chaîne correspondant à la fleur que j'aurois peinte, emporteroit avec lui un certain nombre de points colorés de ma fleur, distribués sur une certaine portion de sa longueur ; 2°. que l'action de desourdir n'étant autre chose que celle de défaire les petites boucles que la chaîne a formées par ses croisemens sur la trame, toute ma fleur se trouveroit éparse & projettée sur une certaine portion de chaîne dont la largeur seroit la même, mais dont la longueur seroit beaucoup plus grande que celle de ma fleur, & que cette longueur diminueroit de la quantité requise pour reformer ma fleur & rapprocher les points colorés épars sur les fils de chaîne, si je venois à l'ourdir derechef : donc, a continué l'ouvrier que je fais raisonner, si la qualité de ma chaîne & de ma trame étant donnée, je connoissois la quantité de l'emboi de ma chaîne sur ma trame (dans le cas où cet emboi seroit fort sensible), pour exécuter des fleurs en étoffe, je n'aurois 1°. qu'à peindre une fleur, ou tel autre dessein, sur un papier : 2°. qu'à faire une anamorphose de ce dessein, telle que la largeur de l'anamorphose fût la même que celle du dessein, & que sa longueur sur chaque ligne de cette anamorphose fût à celle de mon dessein sur chacune de ses lignes, comme la longueur du fil de chaîne non ourdi est à la longueur du fil de chaîne ourdi : 3°. qu'à prendre cette anamorphose pour modele, & qu'à faire teindre les différentes longueurs de chacun des fils de ma chaîne, de chacune des couleurs que j'y verrai dans mon anamorphose (supposé qu'il y eût plusieurs couleurs) ; il est évident que venant à étendre sur les ensuples ma chaîne ainsi préparée par différentes teintures, elle porteroit l'anamorphose d'un dessein que l'exécution de l'étoffe réduiroit à ses justes & véritables proportions. Voilà la théorie très-exacte du chiner des velours, qui n'est en effet que l'anamorphose peinte sur chaîne d'un dessein, que l'emboi de cette chaîne par la trame raccourcit & remet en proportion. Je dis des velours, parce que pour les taffetas l'emboi n'est pas assez sensible pour exiger l'anamorphose ; le dessein lui-même dirige, comme on verra dans l'exposition que nous allons faire de la pratique du chiner.

On ne chine ordinairement que les étoffes unies & minces. On a chiné des velours, mais on n'y a pas réussi jusqu'à un certain degré de perfection. Après ce que nous avons dit, on connoît que le coupé du velours n'est pas assez juste pour que la distribution du chinage soit exacte : on sait à la vérité que chaque partie du poil exige pour le velours chiné six fois plus de longueur qu'il n'en paroîtra dans l'étoffe ; on peut donc établir entre le poil non ourdi & le poil ourdi, tel rapport qu'on jugera convenable ; mais l'inégalité de la trame, celle des fers, les variétés qui s'introduisent nécessairement dans l'extension qu'on donne au poil, enfin la main de l'ouvrier qui frappe plus ou moins dans un tems que dans un autre, toutes ces circonstances ne permettent pas à l'anamorphose du dessein de se réduire à ses justes proportions. Cependant nous expliquerons la maniere dont on s'y prend pour cette étoffe. Les taffetas sont les étoffes qu'on chine ordinairement ; on chine rarement les satins.

Pour chiner une étoffe, on fait un dessein sur un papier réglé, comme on le voit fig. 1. Pl. de soieries du chiner ; on le fait tel qu'on veut qu'il paroisse en étoffe ; on met la soie destinée à être chinée en teinture, pour lui donner la couleur dont on veut que soit le fond de l'étoffe : mais ce fond est ordinairement blanc, parce que les autres couleurs de fond ne recevroient qu'avec peine celles qu'on voudroit leur donner ensuite pour la figure.

Lorsque la soie est teinte, on la fait dévider & ourdir ; quand elle est levée de dessus l'ourdissoir, on la met sur un tambour semblable à celui dont on se sert pour plier les étoffes. Voyez ce tambour, fig. 1. 1 le tambour. 2 les montans du tambour. 3 bascule pour arrêter le tambour. 4 cordes qui servent au même usage. 5 la chaîne tendue. 6 le rateau. 7 le porte-rateau. 8 l'aspe. 9 le banc de l'aspe. 10 les montans du banc. 11 les piés. 12 les traverses. Les chaînes des taffetas chinés doivent être composées de 50 portées, qui composent quatre mille fils, & passées dans 250 dents de peigne, ce qui fait quatre fils par dent.

On tire de dessus le tambour 1, la chaîne qu'on va accrocher à l'axe de l'aspe ou devidoir 8, 8, éloigné du tambour de sept à huit aunes : cela fait, on divise la chaîne par douze fils, dont chaque division est portée dans une dent du rateau 6, placé près de l'aspe. Il faut que ce rateau soit de la largeur de l'étoffe. Douze fils sont juste la quantité de fils qui doit être contenue dans trois dents du peigne. On enverge toutes les branches de douze fils, & on arrête l'envergure en séparant pareillement celle des fils simples qui a été faite en ourdissant.

Si le dessein est répété quatre fois dans la largeur de l'étoffe, on met quatre parties de la division par douze, dans chaque dent du rateau, ce qui donne quarante-huit fils, qu'on aura soin d'enverger & d'attacher de façon qu'on puisse les séparer quand il en sera besoin. On ajuste ensuite l'aspe 8, 8, de maniere qu'il puisse contenir exactement sur sa circonférence, une fois, deux fois, plus ou moins, le dessein, selon que ce dessein court plus ou moins. On met chaque partie séparée & placée par ordre sur le rateau, à chacune des chevilles attachées à l'arbre de l'aspe ; on charge le tambour à discrétion, on tourne l'aspe ; une personne entendue conduit le rateau, afin de bien dégager les fils ; on enroule toute la piece sur l'aspe : chaque partie de quarante-huit fils faisant un écheveau, une chaîne de quatre mille fils donnera quatre-vingt-trois écheveaux, & seize fils qui serviront de lisiere ; chaque bout de la partie de quarante-huit est attachée au premier bout de l'écheveau, lorsque la piece est devidée sur l'aspe.

Quand toute la chaîne est enroulée sur l'aspe, de maniere que sa circonférence divise exactement les écheveaux en un certain nombre de fois juste de la longueur du dessein, on prend des petites bandes de parchemin de trois lignes de largeur ou environ (Voyez ces bandes, fig. 15. & 16.) ; on en couche une sur les trois premieres cordes paralleles à a b du dessein de la fig. 17. & on marque avec une plume & les couleurs contenues sur la longueur de ces trois cordes, & l'espace que chaque couleur occupe sur cette longueur : cela fait, on prend une seconde bande qu'on applique sur les trois cordes suivantes, observant de porter sur cette seconde bande, comme sur la premiere, & les couleurs contenues dans ces trois cordes, & l'espace qu'elles occupent sur elles ; puis on prend une troisieme bande pour les trois cordes suivantes, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on ait épuisé la largeur du dessein. On numérote bien toutes les bandes, afin de ne pas les confondre, & de savoir bien précisément quelle partie de la largeur du dessein elles représentent chacune.

On prend ensuite une de ces bandes & on la porte sur l'aspe, & l'on examine si la circonférence de l'aspe contient autant de fois la longueur de la bande, qu'elle est présumée contenir de fois la longueur du dessein, afin de voir si les mesures des bandes & des écheveaux coincident.

Cela fait, on prend la premiere bande numérotée 1 ; on la porte sur la premiere flotte ou le premier écheveau ; elle fait le tour de l'aspe sur l'écheveau ; on l'y attache des deux bouts avec une épingle, un bout d'un côté d'un fil qui traverse l'aspe sur toute sa longueur, & l'autre bout de l'autre côté de ce fil ; ce fil coupant tous les écheveaux perpendiculairement, sert de ligne de direction pour l'application des bandes. On commence par arrêter toutes les bandes sur les écheveaux, le long de ce fil, du côté de la main droite ; après quoi on marque avec un pinceau & de la couleur, sur le premier écheveau, tous les endroits qui doivent en être colorés, & les espaces que chaque couleur doit occuper, précisément comme il est prescrit par la bande numérotée 1. On passe à la bande numérotée 2, qui est attachée au second écheveau, sur lequel on marque pareillement avec un pinceau & des couleurs, les endroits qui doivent être colorés, & les espaces que chaque couleur doit occuper, précisément comme il est prescrit par cette bande 2. On passe à la troisieme bande, & au troisieme écheveau, faisant la même chose jusqu'au quatre-vingt-troisieme écheveau, & à la quatre-vingt-troisieme bande.

Lorsque le dessein est pour ainsi dire tracé sur les écheveaux, on les leve de dessus l'aspe, & on les met les uns après les autres sur les roulettes du banc à lier, qu'on voit fig. 13. 13 banc à lier, 14 roulettes sur lesquelles sont posés les écheveaux, quand il s'agit de les attacher. Les portes-roulette sont mobiles ; c'est-là qu'on couvre les parties qui ne doivent pas être teintes. Les écheveaux sont tendus, autant qu'il est possible, sur les bancs à lier. On en met un sur les poulies 14, 14. De ces poulies, celle qui est à gauche s'écarte & se fixe en tel endroit qu'on veut des tringles, le long desquelles elle se meut ; de cette maniere, l'écheveau se trouve aussi distendu qu'il est possible, sans empêcher les poulies ou roulettes de tourner sur elles-mêmes. On commence, en se faisant présenter successivement par le moyen des roulettes, toute la longueur de l'écheveau, par appliquer un papier qui couvre les parties qui ne doivent point être teintes ; on numérote ce papier d'un o ; on couvre ce papier d'un parchemin ; on attache bien ce parchemin en le liant par les deux bouts. On place ensuite un second écheveau sur le banc à lier ; on en couvre pareillement les parties qui ne doivent pas être teintes, d'un papier d'abord, ensuite d'un parchemin, numérotant le papier comme il le doit être.

Quand tous les écheveaux sont liés, on les fait teindre de la couleur indiquée par le dessein ; & avant qu'ils soient secs, on délie le parchemin, qu'on enleveroit trop difficilement si on le laissoit durcir en séchant ; on les laisse sécher ensuite, après quoi on ôte le papier, excepté celui qui porte le numéro de l'écheveau.

On remet par ordre, & selon leurs numéros, les flottes ou les écheveaux sur l'aspe, comme ils y étoient auparavant ; le bout de chacune se remet aux chevilles, l'autre bout est passé dans un rateau de la largeur de l'étoffe ou du dessein répété. Quand on a tous les bouts qui ne sont pas aux chevilles, on les attache à une corde qui vient de dessus le tambour ; & après avoir ajusté le dessein distribué sur tous les écheveaux, de maniere qu'aucune partie n'avance ni ne recule plus qu'elle ne doit, on tire deux ou trois aunes de chaque écheveau de dessus l'aspe, & l'on reporte la chaîne sur le tambour, observant de la lier de trois aunes en trois aunes, afin que le dessein ne se dérange pas.

Quand on a tiré toute la chaîne sur le tambour, on change de rateau ; on en prend un plus grand ; on y distribue chaque branche à autant de distance les unes des autres qu'il y en a entre les chevilles auxquelles elles sont arrêtées. Il faut se ressouvenir que chaque bout d'écheveau est composé de 48 fils, & que ces 48 fils sont divisés en quatre parties de 12 fils, séparées chacune par une envergeure, sans compter l'envergeure de la chaîne ou de l'ourdissage, qui sépare encore chacun des douze fils. On se sert de l'envergeure pour séparer chaque partie de douze fils, qui forment le nombre de quarante-huit. On prend la premiere partie de douze fils, & on y passe une verge ; on prend la seconde partie de douze fils, des trente-six qui restent, & on y passe une seconde verge, & ainsi de la troisieme & de la quatrieme.

Quand on a séparé tous les écheveaux de la même façon, & qu'on a mis chaque partie sur une verge par ordre de numéros, on reporte toute la chaîne de dessus le tambour sur l'aspe, en laissant les verges passées dans les quatre parties de chaque écheveau séparé, ayant soin de conduire les verges qui séparent les fils, & qui sont bien différentes de celles qui tiennent les quatre parties séparées, jusqu'à ce que la chaîne soit toute sur l'aspe, après quoi on la remet toute sur le tambour, rangeant les parties de façon qu'on ne fait de toute la piece ou chaîne qu'une envergeure ; on la plie dans cet état sur l'ensuple, & elle est prête à être travaillée.

Voilà la maniere de disposer une chaîne pour un taffetas chiné, à une seule couleur, avec le fond.

S'il s'agissoit d'un velours, on ne chineroit que le poil ; c'est lui qui en exécuteroit tout le dessein : mais comme le poil s'emboit par le travail des fers six fois autant que la chaîne, après qu'on a tracé son dessein, comme on le voit fig. 17. il faut en faire l'anamorphose ou projection, comme on le voit fig. 18. Cette projection a la même largeur que le dessein ; mais sa longueur & celle de toutes ses lignes est six fois plus grande.

C'est sur cette projection qu'on prendra les mesures avec les bandes de parchemin. Si le dessein n'est répété que deux fois dans la largeur de l'étoffe, on ne prendra que vingt-quatre fils par écheveau ; s'il ne l'est qu'une, on n'en prendra que douze. Il s'agit ici de taffetas ; mais si c'est un velours, on n'en prendra que la moitié, parce que le poil ne contient que la moitié des fils des chaînes de taffetas. Enfin on ne doit prendre & séparer des fils pour chaque branche, qu'autant que trois dents du peigne en peuvent contenir.

Quand il y a plusieurs couleurs dans un dessein, on les distingue par des marques différentes ; on les couvre & on les découvre selon la nécessité ; on fait prendre ces couleurs à la chaîne qu'on prépare, les unes après les autres. Le fond en est toûjours couvert : du reste l'ouvrage s'acheve comme nous venons de l'expliquer. Quant à la maniere de travailler le taffetas (voyez l'art. TAFFETAS), comme la teinture altere toûjours un peu la soie, il est évident que des étoffes chinées, la meilleure ce sera celle qui aura le moins de couleurs différentes ; & que la plus belle, ce sera celle où les couleurs seront les mieux assorties, & où les contours des desseins seront les mieux déterminés.


CHING-YANG(Géog.) ville de la Chine, capitale de la province Huquang.


CHINGAN(Géog.) ville considérable de la Chine, capitale de la province de Quangsi.


CHINGOUvoyez XINGU, (Géog.) ainsi que l'écrivent les Portugais, grande & belle riviere de l'Amérique méridionale, nommée Paranaïba dans quelques anciennes cartes. Elle descend des montagnes du Brésil, riches en or ; & après un cours de deux cent lieues au nord, elle entre dans la riviere des Amazones, environ 25 lieues au-dessus du fort de Curupa. Il y a un saut à sept ou huit journées de marche au-dessus de cette embouchure, qui a une lieue de large, en y comprenant les différens bras. Il faut deux mois pour la remonter entierement. Ses bords abondent en divers arbres aromatiques, entre autres il y en a un dont l'écorce a l'odeur & la saveur des clous de girofle. Voyez la relation de la riviere des Amazones par M. de la Condamine.


CHINGTU(Géog.) ville considérable de la Chine dans la province de Suchuen. Long. 130. 47. lat. 21. 30.


CHINI(Géog.) petite ville & comté des Pays-Bas, au duché de Luxembourg, sur la riviere de Semoi. Long. 23. 8. lat. 49. 38.


CHINOIS(PHILOSOPHIE DES) s. m. plur. Ces peuples qui sont, d'un consentement unanime, supérieurs à toutes les nations de l'Asie, par leur ancienneté, leur esprit, leurs progrès dans les arts, leur sagesse, leur politique, leur goût pour la Philosophie, le disputent même dans tous ces points, au jugement de quelques auteurs, aux contrées de l'Europe les plus éclairées.

Si l'on en croit ces auteurs, les Chinois ont eu des sages dès les premiers âges du monde. Ils avoient des cités érudites ; des philosophes leur avoient prescrit des plans sublimes de philosophie morale, dans un tems où la terre n'étoit pas encore bien essuyée des eaux du déluge : témoins Isaac Vossius, Spizelius, & cette multitude innombrable de missionnaires de la compagnie de Jesus, que le desir d'étendre les lumieres de notre sainte religion, a fait passer dans ces grandes & riches contrées.

Il est vrai que Budée, Thomasius, Gundling, Heumann, & d'autres écrivains dont les lumieres sont de quelque poids, ne nous peignent pas les Chinois en beau ; que les autres missionnaires ne sont pas d'accord sur la grande sagesse de ces peuples, avec les missionnaires de la compagnie de Jesus, & que ces derniers ne les ont pas même regardés tous d'un oeil également favorable.

Au milieu de tant de témoignages opposés, il sembleroit que le seul moyen qu'on eût de découvrir la vérité, ce seroit de juger du mérite des Chinois par celui de leurs productions les plus vantées. Nous en avons plusieurs collections ; mais malheureusement on est peu d'accord sur l'authenticité des livres qui composent ces collections : on dispute sur l'exactitude des traductions qu'on en a faites, & l'on ne rencontre que des ténebres encore fort épaisses, du côté même d'où l'on étoit en droit d'attendre quelques traits de lumiere.

La collection publiée à Paris en 1687 par les PP. Intorcetta, Hendrick, Rougemont & Couplet, nous présente d'abord le ta-hio ou le scientia magna, ouvrage de Confucius publié par Cemçu un de ses disciples. Le philosophe chinois s'y est proposé d'instruire les maîtres de la terre dans l'art de bien gouverner, qu'il renferme dans celui de connoître & d'acquérir les qualités nécessaires à un souverain, de se commander à soi-même, de savoir former son conseil & sa cour, & d'élever sa famille.

Le second ouvrage de la collection, intitulé chumyum, ou de medio sempiterno, ou de mediocritate in rebus omnibus tenenda, n'a rien de si fort sur cet objet qu'on ne pût aisément renfermer dans quelques maximes de Séneque.

Le troisieme est un recueil de dialogues & d'apophtegmes sur les vices, les vertus, les devoirs & la bonne conduite : il est intitulé lun-yu. On trouvera à la fin de cet article les plus frappans de ces apophtegmes, sur lesquels on pourra apprécier ce troisieme ouvrage de Confucius.

Les savans éditeurs avoient promis les écrits de Mencius, philosophe chinois ; & François Noel, missionnaire de la même compagnie, a satisfait en 1711 à cette promesse en publiant six livres classiques chinois, entre lesquels on trouve quelques morceaux de Mencius. Nous n'entrerons point dans les différentes contestations que cette collection & la précédente ont excitées entre les érudits. Si quelques faits hasardés par les éditeurs de ces collections, & démontrés faux par des savans européens, tel, par exemple, que celui des tables astronomiques données pour authentiquement chinoises, & convaincues d'une correction faite sur celles de Ticho, sont capables de jetter des soupçons dans les esprits sans partialité ; les moins impartiaux ne peuvent non plus se cacher que les adversaires de ces pénibles collections ont mis bien de l'humeur & de la passion dans leur critique.

La chronologie chinoise ne peut être incertaine, sans que la premiere origine de la philosophie chez les Chinois ne le soit aussi. Fohi est le fondateur de l'empire de la Chine, & passe pour son premier philosophe. Il regna en l'an 2954 avant la naissance de Jesus-Christ. Le cycle chinois commence l'an 2647 avant Jesus-Christ, la huitieme année du regne de Hoangti. Hoangti eut pour prédécesseurs Fohi & Xinung. Celui-ci regna 110, celui-là 140 ; mais en suivant le système du P. Petau, la naissance de Jesus-Christ tombe l'an du monde 3889, & le déluge l'an du monde 1656 : d'où il s'ensuit que Fohi a regné quelques siecles avant le déluge ; & qu'il faut ou abandonner la chronologie des livres sacrés, ou celle des Chinois. Je ne crois pas qu'il y ait à choisir ni pour un chrétien, ni pour un européen sensé, qui lisant dans l'histoire de Fohi que sa mere en devint enceinte par l'arc-en-ciel, & une infinité de contes de cette force, ne peut guere regarder son regne comme une époque certaine, malgré le témoignage unanime d'une nation.

En quelque tems que Fohi ait regné, il paroît avoir fait dans la Chine plûtôt le rôle d'un Hermès ou d'un Orphée, que celui d'un grand philosophe ou d'un savant théologien. On raconte de lui qu'il inventa l'alphabet & deux instrumens de musique, l'un à vingt-sept cordes & l'autre à trente-six. On a prétendu que le livre ye-kim qu'on lui attribue, contenoit les secrets les plus profonds ; & que les peuples qu'il avoit rassemblés & civilisés avoient appris de lui qu'il existoit un Dieu, & la maniere dont il vouloit être adoré.

Cet ye-kim est le troisieme de l'u-kim ou du recueil des livres les plus anciens de la Chine. C'est un composé de lignes entieres & de lignes ponctuées, dont la combinaison donne soixante-quatre figures différentes. Les Chinois ont regardé ces figures comme une histoire emblématique de la nature, des causes de ses phénomenes, des secrets de la divination, & de je ne sais combien d'autres belles connoissances, jusqu'à ce que Leibnitz ait déchiffré l'énigme, & montré à toute cette Chine si pénétrante, que les deux lignes de Fohi n'étoient autre chose que les élémens de l'arithmétique binaire. Voyez BINAIRE. Il n'en faut pas pour cela mépriser davantage les Chinois ; une nation très-éclairée a pû sans succès & sans deshonneur chercher pendant des siecles entiers, ce qu'il étoit reservé à Leibnitz de découvrir.

L'empereur Fohi transmit à ses successeurs sa maniere de philosopher. Ils s'attacherent tous à perfectionner ce qu'il passe pour avoir commencé, la science de civiliser les peuples, d'adoucir leurs moeurs, & de les accoutumer aux chaînes utiles de la société. Xin-num fit un pas de plus. On reçut de lui des préceptes d'agriculture, quelques connoissances des plantes, les premiers essais de la médecine. Il est très-incertain si les Chinois étoient alors idolatres, athées, ou déistes. Ceux qui prétendent démontrer qu'ils admettoient l'existence d'un Dieu tel que nous l'adorons, par le sacrifice que fit Ching-tang dans un tems de famine, n'y regardent pas d'assez près.

La philosophie des souverains de la Chine paroît avoir été long-tems toute politique & morale, à en juger par le recueil des plus belles maximes des rois Yao, Xum, & Yu : ce recueil est intitulé u-kim ; il ne contient pas seulement ces maximes : elles ne forment que la matiere du premier livre qui s'appelle xu-kim. Le second livre ou le xy-kim est une collection de poëmes & d'odes morales. Le troisieme est l'ouvrage linéaire de Fohi dont nous avons parlé. Le quatrieme ou le chum-cieu, ou le printems & l'automne, est un abrégé historique de la vie de plusieurs princes, où leurs vices ne sont pas déguisés. Le cinquieme ou le li-ki est une espece de rituel, où l'on a joint à l'explication de ce qui doit être observé dans les cérémonies profanes & sacrées, les devoirs des hommes en tout état, au tems des trois familles impériales, Hia, Xam & Cheu. Confucius se vantoit d'avoir puisé ce qu'il connoissoit de plus sage dans les écrits des anciens rois Yao & Xun.

L'u-kim est à la Chine le monument littéraire le plus saint, le plus sacré, le plus authentique, le plus respecté. Cela ne l'a pas mis à l'abri des commentaires ; les hommes dans aucun tems, chez aucune nation, n'ont rien laissé d'intact. Le commentaire de l'u-kim a formé la collection su-xu. Le su-xu est très-estimé des Chinois : il contient le scientia magna, le medium sempiternum, les ratiotinantium sermones, & l'ouvrage de Mencius de naturâ, moribus, ritibus & officiis.

On peut regarder la durée des regnes des rois philosophes, comme le premier âge de la philosophie chinoise. La durée du second âge où nous allons entrer, commence à Roosi ou Li-lao-kiun, & finit à la mort de Mencius. La Chine eut plusieurs philosophes particuliers long-tems avant Confucius. On fait sur-tout mention de Roosi ou Li-lao-kiun, ce qui donne assez mauvaise opinion des autres. Roosi, ou Li-lao-kiun, ou Lao-tan, naquit 346 ans après Xekia, ou 504 ans avant Jesus-Christ, à Sokoki, dans la province de Soo. Sa mere le porta quatre-vingt-un ans dans son sein ; il passa pour avoir reçu l'ame de Sancti Kasso, un des plus célebres disciples de Xekia, & pour être profondément versé dans la connoissance des dieux, des esprits, de l'immortalité des ames, &c. Jusqu'alors la philosophie avoit été morale. Voici maintenant de la métaphysique, & à la suite des sectes, des haines, & des troubles.

Confucius ne paroît pas avoir cultivé beaucoup cette espece de philosophie : il faisoit trop de cas de celle des premiers souverains de la Chine. Il naquit 451 ans avant Jesus-Christ, dans le village de Ceu-ye, au royaume de Xantung. Sa famille étoit illustre : sa naissance fut miraculeuse, comme on pense bien. On entendit une musique céleste autour de son berceau. Les premiers services qu'on rend aux nouveaux nés, il les reçut de deux dragons. Il avoit à six ans la hauteur d'un homme fait, & la gravité d'un vieillard. Il se livra à quinze ans à l'étude de la littérature & de la philosophie. Il étoit marié à vingt ans. Sa sagesse l'éleva aux premieres dignités : mais inutile, odieux peut-être & déplacé dans une cour voluptueuse & débauchée, il la quitta pour aller dans le royaume de Sum instituer une école de philosophie morale. Cette école fut nombreuse ; il en sortit une foule d'hommes habiles & d'honnêtes citoyens. Sa philosophie étoit plus en action qu'en discours. Il fut chéri de ses disciples pendant sa vie ; ils le pleurerent long-tems après sa mort. Sa mémoire & ses écrits sont dans une grande vénération. Les honneurs qu'on lui rend encore aujourd'hui, ont excité entre nos missionnaires les contestations les plus vives. Ils ont été regardés par les uns comme une idolatrie incompatible avec l'esprit du Christianisme : d'autres n'en ont pas jugé si séverement. Ils convenoient assez les uns & les autres, que si le culte qu'on rend à Confucius étoit religieux, ce culte ne pouvoit être toléré par des Chrétiens : mais les missionnaires de la compagnie de Jesus ont toûjours prétendu qu'il n'étoit que civil.

Voici en quoi le culte consistoit. C'est la coûtume des Chinois de sacrifier aux ames de leurs parens morts : les philosophes rendent ce devoir particulierement à Confucius. Il y a proche de l'école confucienne un autel consacré à sa mémoire, & sur cet autel l'image du philosophe, avec cet inscription : C'est ici le trône de l'ame de notre très-saint & très-excellent premier maître Confucius. Là s'assemblent les lettrés, tous les équinoxes, pour honorer par une offrande solemnelle le philosophe de la nation. Le principal mandarin du lieu fait la fonction de prêtre ; d'autres lui servent d'acolytes : on choisit le jour du sacrifice avec des cérémonies particulieres ; on se prépare à ce grand jour par des jeûnes. Le jour venu, on examine l'hostie, on allume des cierges, on se met à genoux, on prie ; on a deux coupes, l'une pleine de sang, l'autre de vin ; on les répand sur l'image de Confucius ; on bénit les assistans, & chacun se retire.

Il est très-difficile de décider si Confucius a été le Socrate ou l'Anaxagoras de la Chine : cette question tient à une connoissance profonde de la langue ; mais on doit s'appercevoir par l'analyse que nous avons faite plus haut de quelques-uns de ses ouvrages, qu'il s'appliqua davantage à l'étude de l'homme & des moeurs, qu'à celle de la nature & de ses causes.

Mencius parut dans le siecle suivant. Nous passons tout de suite à ce philosophe, parce que le Roosi des Japonois est le même que le Li-lao-kiun des Chinois, dont nous avons parlé plus haut. Mencius a la réputation de l'avoir emporté en subtilité & en éloquence sur Confucius, mais de lui avoir beaucoup cédé par l'innocence des moeurs, la droiture du coeur, & la modestie des discours. Toute littérature & toute philosophie furent presque étouffées par Xi-hoam-ti qui régna trois siecles ou environ après celui de Confucius. Ce prince jaloux de ses prédécesseurs, ennemi des savans, oppresseur de ses sujets, fit brûler tous les écrits qu'il put recueillir, à l'exception des livres d'agriculture, de médecine, & de magie. Quatre cent soixante savans qui s'étoient réfugiés dans des montagnes avec ce qu'ils avoient pû emporter de leurs bibliotheques, furent pris, & expirerent au milieu des flammes. D'autres, à-peu-près en même nombre, qui craignirent le même sort, aimerent mieux se précipiter dans les eaux du haut des rochers d'une île où ils s'étoient renfermés. L'étude des lettres fut proscrite sous les peines les plus séveres ; ce qui restoit de livres fut négligé ; & lorsque les princes de la famille de Han s'occuperent du renouvellement de la littérature, à peine put-on recouvrer quelques ouvrages de Confucius & de Mencius. On tira des crevasses d'un mur un exemplaire de Confucius à demi pourri ; & c'est sur cet exemplaire défectueux qu'il paroît qu'on a fait les copies qui l'ont multiplié.

Le renouvellement des lettres peut servir de date au troisieme période de l'ancienne philosophie chinoise.

La secte de Foe se répandit alors dans la Chine, & avec elle l'idolatrie, l'athéisme, & toutes sortes de superstitions ; ensorte qu'il est incertain si l'ignorance dans laquelle la barbarie de Xi-hoam-ti avoit plongé ces peuples, n'étoit pas préférable aux fausses doctrines dont ils furent infectés. Voyez à l'article de la PHILOSOPHIE DES JAPONOIS, l'histoire de la philosophie de Xekia, de la secte de Roosi, & de l'idolatrie de Foe. Cette secte fut suivie de celle des Quiétistes ou Uu-guei-kiao ; nihil agentium. Trois siecles après la naissance de J. C. l'empire fut plein d'une espece d'hommes qui s'imaginerent être d'autant plus parfaits, c'est-à-dire, selon eux, plus voisins du principe aérien, qu'ils étoient plus oisifs. Ils s'interdisoient, autant qu'il étoit en eux, l'usage le plus naturel des sens. Ils se rendoient statues pour devenir air : cette dissolution étoit le terme de leur espérance, & la derniere récompense de leur inertie philosophique. Ces Quiétistes furent négligés pour les Fan-chin ; ces Epicuriens parurent dans le cinquieme siecle. Le vice, la vertu, la providence, l'immortalité, &c. étoient pour ceux-ci des noms vuides de sens. Cette philosophie est malheureusement trop commode pour cesser promtement : il est d'autant plus dangereux que tout un peuple soit imbu de ses principes.

On fait commencer la philosophie chinoise du moyen âge aux dixieme & onzieme siecles, sous les deux philosophes Cheu-cu & Chim-ci. Ce furent deux politheistes, selon les uns ; deux athées selon les autres ; deux déistes selon quelques-uns, qui prétendent que ces auteurs défigurés par les commentateurs, leur ont l'obligation entiere de toutes les absurdités qui ont passé sous leurs noms. La secte des lettrés est venue immédiatement après celles de Cheu-cu & de Chim-ci. Elle a divisé l'empire sous le nom de Ju-kiao, avec les sectes Foe-kiao & Lao-kiao, qui ne sont vraisemblablement que trois combinaisons différentes de superstitions, d'idolatrie, & de polythéisme ou d'athéisme. C'est ce dont on jugera plus sainement par l'exposition de leurs principes que nous allons placer ici. Ces principes, selon les auteurs qui paroissent les mieux instruits, ont été ceux des philosophes du moyen âge, & sont encore aujourd'hui ceux des lettrés, avec quelques différences qu'y aura apparemment introduit le commerce avec nos savans.

Principes des philosophes chinois du moyen âge & des lettrés de celui-ci. 1. Le devoir du philosophe est de chercher quel est le premier principe de l'univers : comment les causes générales & particulieres en sont émanées ; quelles sont les actions de ces causes, quels sont leurs effets ; qu'est-ce que l'homme relativement à son corps & à son ame ; comment il conçoit, comment il agit ; ce que c'est que le vice, ce que c'est que la vertu ; en quoi l'habitude en consiste ; quelle est la destinée de chaque homme ; quels sont les moyens de la connoître : & toute cette doctrine doit être exposée par symboles, énigmes, nombres, figures, & hiéroglyphes.

2. La science est ou antécédente, sien tien hio, & s'occupe de l'être & de la substance du premier principe, du lieu, du mode, de l'opération des causes premieres considérées en puissance ; ou elle est subséquente, & elle traite de l'influence des principes immatériels dans les cas particuliers ; de l'application des forces actives pour augmenter, diminuer, altérer ; des ouvrages ; des choses de la vie civile ; de l'administration de l'empire ; des conjonctures convenables ou non ; des tems propres ou non, &c.

Science antécédente. 1. La puissance qui domine sur les causes générales, s'appelle ti-chu-chu-zai-kuin-wang-huang : ces termes sont l'énumération de ses qualités.

2. Il ne se fait rien de rien. Il n'y a donc ni principe ni cause qui ait tiré tout du néant.

3. Tout n'étant pas de toute éternité, il y a donc eu de toute éternité un principe des choses antérieur aux choses : li est ce principe ; li est la raison premiere, & le fondement de la nature.

4. Cette cause est l'Etre infini, incorruptible, sans commencement ni fin ; sans quoi elle ne seroit pas cause premiere & derniere.

5. Cette grande cause universelle n'a ni vie, ni intelligence, ni volonté ; elle est pure, tranquille, subtile, transparente, sans corporéité, sans figure, ne s'atteint que par la pensée comme les choses spirituelles ; & quoiqu'elle ne soit point spirituelle, elle n'a ni les qualités actives, ni les qualités passives des élémens.

6. Li, qu'on peut regarder comme la matiere premiere, a produit l'air à cinq émanations, & cet air est devenu par cinq vicissitudes sensible & palpable.

7. Li devenu par lui-même un globe infini, s'appelle tai-hien, perfection souveraine.

8. L'air qu'il a produit a cinq émanations, & rendu palpable par cinq vicissitudes, est incorruptible comme lui ; mais il est plus matériel, & plus soûmis à la condensation, au mouvement, au repos, à la chaleur, & au froid.

9. Li est la matiere premiere. Tai-kie est la seconde.

10. Le froid & le chaud sont les causes de toute génération & de toute destruction. Le chaud naît du mouvement, le froid naît du repos.

11. L'air contenu dans la matiere seconde ou le chaos, a produit la chaleur en s'agitant de lui-même. Une portion de cet air est restée en repos & froide. L'air est donc froid ou chaud. L'air chaud est pur, clair, transparent, & leger. L'air froid est impur, obscur, épais, & pesant.

12. Il y a donc quatre causes physiques, le mouvement & le repos, la chaleur & le froid. On les appelle tung-cing-in-iang.

13. Le froid & le chaud sont étroitement unis : c'est la femelle & le mâle. Ils ont engendré l'eau la premiere, & le feu après l'eau. L'eau appartient à l'in, le feu à l'iang.

14. Telle est l'origine des cinq élémens, qui constituent tai-kie, ou in-iang, ou l'air revêtu de qualités.

15. Ces élémens sont l'eau, élément septentrional ; le feu, élément austral ; le bois, élément oriental ; le métal, élément occidental ; & la terre, qui tient le milieu.

16. Ling-yang & les cinq élémens ont produit le ciel, la terre, le soleil, la lune, & les planetes. L'air pur & leger porté en-haut, a fait le ciel ; l'air épais & lourd précipité em-bas, a fait la terre.

17. Le ciel & la terre unissant leurs vertus, ont engendré mâle & femelle. Le ciel & la mer sont d'iang, la terre & la femme sont d'in. C'est pourquoi l'empereur de la Chine est appellé roi du ciel ; & l'empire sacrifie au ciel & à la terre ses premiers parens.

18. Le ciel, la terre, & l'homme sont une source féconde qui comprend tout.

19. Et voici comment le monde fut fait. Sa machine est composée de trois parties primitives, principes de toutes les autres.

20. Le ciel est la premiere ; elle comprend le soleil, la lune, les étoiles, les planetes, & la région de l'air où sont épars les cinq élémens dont les choses inférieures sont engendrées.

21. Cette région est divisée en huit kuas ou portions, où les élémens se modifient diversement, & conspirent avec les causes universelles efficientes.

22. La terre est la seconde cause primitive ; elle comprend les montagnes, les fleuves, les lacs, & les mers, qui ont aussi des causes universelles efficientes, qui ne sont pas sans énergie.

23. C'est aux parties de la terre qu'appartiennent le kang & l'ieu, le fort & le foible, le dur & le mou, l'âpre & le doux.

24. L'homme est la troisieme cause primitive. Il a des actions & des générations qui lui sont propres.

25. Ce monde s'est fait par hasard, sans destin, sans intelligence, sans prédestination, par une conspiration fortuite des premieres causes efficientes.

26. Le ciel est rond, son mouvement est circulaire, ses influences suivent la même direction.

27. La terre est quarrée ; c'est pourquoi elle tient le milieu comme le point du repos. Les quatre autres élémens sont à ses côtés.

28. Outre le ciel il y a encore une matiere premiere infinie ; elle s'appelle li ; le tai-kie en est l'émanation : elle ne se meut point ; elle est transparente, subtile, sans action, sans connoissance ; c'est une puissance pure.

29. L'air qui est entre le ciel & la terre est divisé en huit cantons : quatre sont méridionaux, où regne iang ou la chaleur : quatre sont septentrionaux, où dure l'in ou le froid. Chaque canton a son kua ou sa portion d'air ; c'est-là le sujet de l'énigme de Fohi. Fohi a donné les premiers linéamens de l'histoire du monde. Confucius les a développés dans le livre liekien.

Voilà le système des lettrés sur l'origine des choses. La métaphysique de la secte de Taoçu est la même. Selon cette secte, tao ou chaos a produit un ; c'est tai-kie ou la matiere seconde ; tai-kie a produit deux, in & leang ; deux ont produit trois, tien, ty, gin, san, zay, le ciel, la terre, & l'homme ; trois ont produit ce qui existe.

Science subséquente. Vuem-Vuam, & Cheu-Kung son fils, en ont été les inventeurs : elle s'occupe des influences célestes sur les tems, les mois, les jours, les signes du zodiaque, & de la futurition des évenemens, selon laquelle les actions de la vie doivent être dirigées. Voici ses principes.

1. La chaleur est le principe de toute action & de toute conservation ; elle naît d'un mouvement produit par le soleil voisin, & par la lumiere éclatante : le froid est cause de tout repos & de toute destruction ; c'est une suite de la grande distance du soleil, de l'éloignement de la lumiere, & de la présence des ténebres.

2. La chaleur regne sur le printems & sur l'été ; l'automne & l'hyver sont soûmis au froid.

3. Le zodiaque est divisé en huit parties ; quatre appartiennent à la chaleur, & quatre au froid.

4. L'influence des causes efficientes universelles se calcule en commençant au point cardinal ou kua, appellé chin ; il est oriental ; c'est le premier jour du printems, ou le cinq ou six de Février.

5. Toutes choses ne sont qu'une seule & même substance.

6. Il y a deux matieres principales ; le chaos infini ou li ; l'air ou tai-kie, émanation premiere de li : cette émanation contient en soi l'essence de la matiere premiere, qui entre conséquemment dans toutes ses productions.

7. Après la formation du ciel & de la terre, entre l'un & l'autre se trouva l'émanation premiere ou l'air, matiere la plus voisine de toutes les choses corruptibles.

8. Ainsi tout est sorti d'une seule & même essence, substance, nature, par la condensation, principe des figures corporelles, par les modifications variées selon les qualités du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, des planetes, des élémens, de la terre, de l'instant, du lieu, & par le concours de toutes ces qualités.

9. Ces qualités sont donc la forme & le principe des opérations intérieures & extérieures des corps composés.

10. La génération est un écoulement de l'air primitif ou du chaos modifié sous des figures, & doüé de qualités plus ou moins pures ; qualités & figures combinées selon le concours du soleil, & des autres causes universelles & particulieres.

11. La corruption est la destruction de la figure extérieure, & la séparation des qualités, des humeurs & des esprits unis dans l'air : les parties d'air desunies, les plus legeres, les plus chaudes, & les plus pures, montent ; les plus pesantes, les plus froides, & les plus grossieres, descendent : les premieres s'appellent xin & hoen, esprits purs, ames séparées ; les secondes s'appellent kuei, esprits impurs, ou les cadavres.

12. Les choses different & par la forme extérieure, & par les qualités internes.

13. Il y a quatre qualités : le ching, droit, pur, & constant ; le pien, courbe, impur, & variable ; le tung, pénétrant, & subtil ; le se, épais, obscur, & impénétrable. Les deux premieres sont bonnes & admises dans l'homme ; les deux autres sont mauvaises, & reléguées dans la brute & les inanimés.

14. Des bonnes qualités naît la distinction du parfait, & de l'imparfait, du pur & de l'impur dans les choses : celui qui a reçû les premiers de ces modes, est un héros ou un lettré ; la raison le commande ; il laisse loin de lui la multitude : celui qui a reçû les secondes, est obscur & cruel ; sa vie est mauvaise ; c'est une bête sous une figure humaine : celui qui participe des unes & des autres, tient le milieu ; c'est un bon homme, sage & prudent ; il est du nombre des hien-lin.

15. Taie-kie, ou la substance universelle, se divise en lieu & vu ; vu est la substance figurée, corporelle, matérielle, étendue, solide, & résistante ; lieu est la substance moins corporelle, mais sans figure déterminée, comme l'air ; on l'appelle vu, kung-hieu, vu-kung, néant, vuide.

16. Le néant ou vuide, ou la substance sans qualité & sans accident, tai vu, tai kung, est la plus pure, la plus subtile, & la plus simple.

17. Cependant elle ne peut subsister par elle-même, mais seulement par l'air primitif ; elle entre dans tout composé ; elle est très-aérienne ; on l'appelle ki : il ne faut pas la confondre avec la nature immatérielle & intellectuelle.

18. De li pur, ou du chaos ou seminaire universel des choses, sortent cinq vertus ; la piété, la justice, la religion, la prudence, & la fidélité avec tous ses attributs : de li revêtu de qualités, & combiné avec l'air primitif, naissent cinq élémens physiques & moraux, dont la source est commune.

19. Li est donc l'essence de tout, ou, selon l'expression de Confucius, la raison premiere ou la substance universelle.

20. Li produit tout par ki ou son air primitif ; cet air est son instrument & son régulateur général.

21. Après un certain nombre d'ans & de révolutions, le monde finira ; tout retournera à sa source premiere, à son principe ; il ne restera que li & ki ; & li reproduira un nouveau monde ; & ainsi de suite à l'infini.

22. Il y a des esprits ; c'est une vérité démontrée par l'ordre constant de la terre & des cieux, & la continuation réglée & non interrompue de leurs opérations.

23. Les choses ont donc un auteur, un principe invisible qui les conduit ; c'est chu, le maître ; xin-kuei, l'esprit qui va & revient ; ti-kium, le prince ou le souverain.

24. Autre preuve des esprits ; ce sont les bienfaits répandus sur les hommes, amenés par cette voie au culte & aux sacrifices.

25. Nos peres ont offert quatre sortes de sacrifices ; lui, au ciel & à xanghti son esprit ; in, aux esprits des six causes universelles, dans les quatre tems de l'année ; savoir, le froid, le chaud, le soleil, la lune, les étoiles, les pluies, & la sécheresse ; vuang, aux esprits des montagnes & des fleuves ; pien, aux esprits inférieurs, & aux hommes qui ont bien mérité de la république.

D'où il suit 1°. que les esprits des Chinois ne sont qu'une seule & même substance avec la chose à laquelle ils sont unis : 2°. qu'ils n'ont tous qu'un principe, le chaos primitif ; ce qu'il faut entendre du tien-Chu, notre Dieu, & du xanghti, le ciel ou l'esprit céleste : 3°. que les esprits finiront avec le monde, & retourneront à la source commune de toutes choses : 4°. que relativement à leur substance primitive, les esprits sont tous également parfaits, & qu'ils ne sont distingués que par les parties plus grandes ou plus petites de leur résidence : 5°. qu'ils sont tous sans vie, sans intelligence, sans liberté : 6°. qu'ils reçoivent des sacrifices seulement selon la condition de leurs opérations & des lieux qu'ils habitent : 7°. que ce sont des portions de la substance universelle, qui ne peuvent être séparées des êtres où on les suppose, sans la destruction de ces êtres.

26. Il y a des esprits de génération & de corruption qu'on peut appeller esprits physiques, parce qu'ils sont causes des effets physiques ; & il y a des esprits de sacrifices qui sont ou bien ou malfaisans à l'homme, & qu'on peut appeller politiques.

27. La vie de l'homme consiste dans l'union convenable des parties de l'homme, qu'on peut appeller l'entité du ciel & de la terre : l'entité du ciel est un air très-pur, très-leger, de nature ignée, qui constitue l'hoen, l'ame ou l'esprit des animaux : l'entité de la terre est un air épais, pesant, grossier, qui forme le corps & ses humeurs, & s'appelle pe, corps ou cadavre.

28. La mort n'est autre chose que la séparation de hoen & de pe ; chacune de ces entités retourne à sa source ; hoen au ciel, pe à la terre.

29. Il ne reste après la mort que l'entité du ciel & l'entité de la terre : l'homme n'a point d'autre immortalité ; il n'y a proprement d'immortel que li.

On convient assez de l'exactitude de cette exposition ; mais chacun y voit ou l'athéisme, ou le déisme, ou le polithéisme, ou l'idolatrie, selon le sens qu'il attache aux mots. Ceux qui veulent que le li des Chinois ne soit autre chose que notre Dieu, sont bien embarrassés quand on leur objecte que ce li est rond : mais de quoi ne se tire-t-on pas avec des distinctions ? Pour disculper les lettrés de la Chine du reproche d'athéisme & d'idolatrie, l'obscurité de la langue prêtoit assez ; il n'étoit pas nécessaire de perdre à cela tout l'esprit que Leibnitz y a mis.

Si ce système est aussi ancien qu'on le prétend, on ne peut être trop étonné de la multitude surprenante d'expressions abstraites & générales dans lesquelles il est conçû. Il faut convenir que ces expressions qui ont rendu l'ouvrage de Spinosa si long-tems inintelligible parmi nous, n'auroient guere arrêté les Chinois il y a six ou sept cent ans : la langue effrayante de notre athée moderne est précisément celle qu'ils parloient dans leurs écoles.

Voilà les progrès qu'ils avoient faits dans le monde intellectuel, lorsque nous leur portâmes nos connoissances. Cet évenement est l'époque de la philosophie moderne des Chinois. L'estime singuliere dont ils honorerent les premiers européens qui débarquerent dans leurs contrées, ne nous donne pas une haute idée des connoissances qu'ils avoient en Méchanique, en Astronomie, & dans les autres parties des Mathématiques. Ces européens n'étoient, même dans leurs corps, que des hommes ordinaires : s'ils avoient quelques qualités qui les rendissent particulierement recommandables, c'étoit le zele avec lequel ils couroient annoncer la vérité dans des régions inconnues, au hasard de les arroser de leur propre sang, comme cela est si souvent arrivé depuis à leurs successeurs. Cependant ils furent accueillis ; la superstition si communément ombrageuse s'assoupit devant eux ; ils se firent écouter ; ils ouvrirent des écoles, on y accourut, on admira leur savoir. L'empereur Cham-hy, sur la fin du dernier siecle, les admira à sa cour, s'instruisit de nos sciences, apprit d'eux notre Philosophie, étudia les Mathématiques, l'Anatomie, l'Astronomie, les Méchaniques, &c. Son fils Yong-Tching ne lui ressembla pas ; il relégua à Canton & à Macao les virtuoses européens, excepté ceux qui résidoient à Pékin, qui y resterent. Kien-Long fils de Yong-Tching fut un peu plus indulgent pour eux : il défendit cependant la religion chrétienne, & persécuta même ceux de ses soldats qui l'avoient embrassée ; mais il souffrit les jésuites, qui continuerent d'enseigner à Pékin.

Il nous reste maintenant à faire connoître la philosophie pratique des Chinois : pour cet effet nous allons donner quelques-unes des sentences morales de ce Confucius, dont un homme qui aspire à la réputation de lettré & de philosophe, doit savoir au-moins quelques ouvrages entiers par coeur.

1. L'éthique politique a deux objets principaux ; la culture de la nature intelligente, l'institution du peuple.

2. L'un de ces objets demande que l'entendement soit orné de la science des choses, afin qu'il discerne le bien & le mal, le vrai & le faux ; que les passions soient modérées ; que l'amour de la vérité & de la vertu se fortifie dans le coeur ; & que la conduite envers les autres soit décente & honnête.

3. L'autre objet, que le citoyen sache se conduire lui-même, gouverner sa famille, remplir sa charge, commander une partie de la nation, posséder l'empire.

4. Le philosophe est celui qui a une connoissance profonde des choses & des livres, qui pese tout, qui se soûmet à la raison, & qui marche d'un pas assûré dans les voies de la vérité & de la justice.

5. Quand on aura consommé la force intellectuelle à approfondir les choses, l'intention & la volonté s'épureront, les mauvaises affections s'éloigneront de l'ame, le corps se conservera sain, le domestique sera bien ordonné, la charge bien remplie, le gouvernement particulier bien administré, l'empire bien régi ; il joüira de la paix.

6. Qu'est-ce que l'homme tient du ciel ? la nature intelligente : la conformité à cette nature constitue la regle ; l'attention à vérifier la regle & à s'y assujettir, est l'exercice du sage.

7. Il est une certaine raison ou droiture céleste donnée à tous : il y a un supplément humain à ce don quand on l'a perdu. La raison céleste est du saint ; le supplément est du sage.

8. Il n'y a qu'un seul principe de conduite ; c'est de porter en tout de la sincérité, & de se conformer de toute son ame & de toutes ses forces à la mesure universelle : ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse.

9. On connoît l'homme en examinant ses actions, leur fin, les passions dans lesquelles il se complaît, les choses en quoi il se repose.

10. Il faut divulguer sur le champ les choses bonnes à tous : s'en reserver un usage exclusif, une application individuelle, c'est mépriser la vertu, c'est la forcer à un divorce.

11. Que le disciple apprenne les raisons des choses, qu'il les examine, qu'il raisonne, qu'il médite, qu'il pese, qu'il consulte le sage, qu'il s'éclaire, qu'il bannisse la confusion de ses pensées, & l'instabilité de sa conduite.

12. La vertu n'est pas seulement constante dans les choses extérieures.

13. Elle n'a aucun besoin de ce dont elle ne pourroit faire part à toute la terre, & elle ne pense rien qu'elle ne puisse s'avoüer à elle-même à la face du ciel.

14. Il ne faut s'appliquer à la vertu que pour être vertueux.

15. L'homme parfait ne se perd jamais de vûe.

16. Il y a trois degrés de sagesse ; savoir ce que c'est que la vertu, l'aimer, la posséder.

17. La droiture du coeur est le fondement de la vertu.

18. L'univers a cinq regles ; il faut de la justice entre le prince & le sujet, de la tendresse entre le pere & le fils, de la fidélité entre la femme & le mari, de la subordination entre les freres, de la concorde entre les amis. Il y a trois vertus cardinales ; la prudence qui discerne, l'amour universel qui embrasse, le courage qui soûtient : la droiture du coeur les suppose.

19. Les mouvemens de l'ame sont ignorés des autres : si tu es sage, veille donc à ce qu'il n'y a que toi qui voyes.

20. La vertu est entre les extrèmes ; celui qui a passé le milieu, n'a pas mieux fait que celui qui ne l'a pas atteint.

21. Il n'y a qu'une chose précieuse ; c'est la vertu.

22. Une nation peut plus par la vertu que par l'eau & par le feu ; je n'ai jamais vû périr le peuple qui l'a prise pour appui.

23. Il faut plus d'exemples au peuple que de précepte ; il ne faut se charger de lui transmettre que ce dont on sera rempli.

24. Le sage est son censeur le plus sévere ; il est son témoin, son accusateur, & son juge.

25. C'est avoir atteint l'innocence & la perfection, que de s'être surmonté, & que d'avoir recouvré cet ancien & primitif état de droiture céleste.

26. La paresse engourdie, l'ardeur inconsidérée, sont deux obstacles égaux au bien.

27. L'homme parfait ne prend point une voie détournée ; il suit le chemin ordinaire, & s'y tient ferme.

28. L'honnête homme est un homme universel.

29. La charité est cette affection constante & raisonnée qui nous immole au genre humain, comme s'il ne faisoit avec nous qu'un individu, & qui nous associe à ses malheurs & à ses prospérités.

30. Il n'y a que l'honnête homme qui ait le droit de haïr & d'aimer.

31. Compense l'injure par l'aversion, & le bienfait par la reconnoissance, car c'est la justice.

32. Tomber & ne se point relever, voilà proprement ce que c'est que faillir.

33. C'est une espece de trouble d'esprit que de souhaiter aux autres, ou ce qui n'est pas en notre puissance, ou des choses contradictoires.

34. L'homme parfait agit selon son état, & ne veut rien qui lui soit étranger.

35. Celui qui étudie la sagesse a neuf qualités en vûe ; la perspicacité de l'oeil, la finesse de l'oreille, la sérénité du front, la gravité du corps, la véracité du propos, l'exactitude dans l'action, le conseil dans les cas douteux, l'examen des suites dans la vengeance & dans la colere.

La morale de Confucius est, comme l'on voit, bien supérieure à la métaphysique & à la physique. On peut consulter Bulfinger sur les maximes qu'il a laissées du gouvernement de la famille, des fonctions de la magistrature, & de l'administration de l'empire.

Comme les mandarins & les lettrés ne font pas le gros de la nation, & que l'étude des lettres ne doit pas être une occupation bien commune, la difficulté en étant là beaucoup plus grande qu'ailleurs, il semble qu'il resteroit encore bien des choses importantes à dire sur les Chinois, & cela est vrai ; mais nous ne nous sommes pas proposé de faire l'abregé de leur histoire, mais celui seulement de leur philosophie. Nous observerons cependant, 1°. que quoiqu'on ne puisse accorder aux Chinois toute l'antiquité dont ils se vantent, & qui ne leur est guere disputée par leurs panégyristes, on ne peut nier toutefois que la date de leur empire ne soit très-voisine du déluge. 2°. Que plus on leur accordera d'ancienneté, plus on aura de reproches à leur faire sur l'imperfection de leur langue & de leur écriture : il est inconcevable que des peuples à qui l'on donne tant d'esprit & de sagacité, ayent multiplié à l'infini les accens au lieu de multiplier les mots, & multiplié à l'infini les caracteres, au lieu d'en combiner un petit nombre. 3°. Que l'éloquence & la poésie tenant de fort près à la perfection de la langue, ils ne sont selon toute apparence ni grands orateurs ni grands poëtes. 4°. Que leurs drames sont bien imparfaits, s'il est vrai qu'on y prenne un homme au berceau, qu'on y représente la suite de toute sa vie, & que l'action théatrale dure plusieurs mois de suite. 5°. Que dans ces contrées le peuple est très-enclin à l'idolatrie, & que son idolatrie est fort grossiere, si l'histoire suivante qu'on lit dans le P. le Comte est bien vraie. Ce missionnaire de la Chine raconte que les médecins ayant abandonné la fille d'un nankinois, cet homme qui aimoit éperduement son enfant, ne sachant plus à qui s'adresser, s'avisa de demander sa guérison à une de ses idoles. Il n'épargna ni les sacrifices, ni les mets, ni les parfums, ni l'argent. Il prodigua à l'idole tout ce qu'il crut lui être agréable ; cependant sa fille mourut. Son zele alors & sa piété dégénérerent en fureur ; il résolut de se vanger d'une idole qui l'avoit abusé. Il porta sa plainte devant le juge, & poursuivit cette affaire comme un procès en régle qu'il gagna, malgré toute la sollicitation des bonzes, qui craignoient avec juste raison que la punition d'une idole qui n'exauçoit pas, n'eût des suites fâcheuses pour les autres idoles & pour eux. Ces idolâtres ne sont pas toûjours aussi modérés, lorsqu'ils sont mécontens de leurs idoles ; ils les haranguent à-peu-près dans ces termes : Crois-tu que nous ayons tort dans notre indignation ? Sois juge entre nous & toi ; depuis long-tems nous te soignons ; tu es logée dans un temple, tu es dorée de la tête aux piés ; nous t'avons toûjours servi les choses les plus délicieuses ; si tu n'as pas mangé, c'est ta faute. Tu ne saurois dire que tu ayes manqué d'encens ; nous avons tout fait de notre part, & tu n'as rien fait de la tienne ; plus nous te donnons, plus nous devenons pauvres ; conviens que si nous te devons, tu nous dois aussi. Or dis-nous de quels biens tu nous as comblés. La fin de cette harangue est ordinairement d'abattre l'idole & de la traîner dans les boues. Les bonzes débauchés, hypocrites & avares, encouragent le plus qu'ils peuvent à la superstition. Ils en sont sur-tout pour les pélerinages, & les femmes aussi qui donne beaucoup dans cette dévotion, qui n'est pas fort du goût des maris, jaloux au point que nos missionnaires ont été obligés de bâtir aux nouveaux convertis des églises séparées pour les deux sexes. Voyez le P. le Comte. 5°. Qu'il paroît que parmi les religions étrangeres tolérées, la religion chrétienne tient le haut rang : que les Mahométans n'y sont pas nombreux, quoiqu'ils y ayent des mosquées superbes : que les jésuites ont beaucoup mieux réussi dans ce pays que ceux qui y ont exercé en même tems ou depuis les fonctions apostoliques : que les femmes chinoises semblent fort pieuses, s'il est vrai, comme dit le P. le Comte, qu'elles voudroient se confesser tous les jours, soit goût pour le sacrement, soit tendresse de piété, soit quelqu'autre raison qui leur est particuliere : qu'à en juger par les objections de l'empereur aux premiers missionnaires, les Chinois ne l'ont pas embrassée en aveugles. Si la connoissance de Jesus-Christ est nécessaire au salut, disoit cet empereur aux missionnaires, & que d'ailleurs Dieu nous ait voulu sincerement sauver, comment nous a-t-il laissés si long-tems dans l'erreur ? Il y a plus de seize siecles que votre religion est établie dans le monde, & nous n'en avons rien sû. La Chine est-elle si peu de chose qu'elle ne mérite pas qu'on pense à elle, tandis que tant de barbares sont éclairés ? C'est une difficulté qu'on propose tous les jours sur les bancs en Sorbonne. Les missionnaires, ajoûte le P. le Comte, qui rapporte cette difficulté, y répondirent, & le prince fut content ; ce qui devoit être : des missionnaires seroient ou bien ignorans ou bien mal-adroits s'ils s'embarquoient pour la conversion d'un peuple un peu policé, sans avoir la réponse à cette objection commune. V. les art. FOI, GRACE, PREDESTINATION. 7°. Que les Chinois ont d'assez bonnes manufactures en étoffes & en porcelaines ; mais que s'ils excellent par la matiere, ils pechent absolument par le goût & la forme ; qu'ils en seront encore long-tems aux magots ; qu'ils ont de belles couleurs & de mauvaises peintures ; en un mot, qu'ils n'ont pas le génie d'invention & de découvertes qui brille aujourd'hui dans l'Europe : que s'ils avoient eu des hommes supérieurs, leurs lumieres auroient forcé les obstacles par la seule impossibilité de rester captives ; qu'en général l'esprit d'orient est plus tranquille, plus paresseux, plus renfermé dans les besoins essentiels, plus borné à ce qu'il trouve établi, moins avide de nouveautés que l'esprit d'occident. Ce qui doit rendre particulierement à la Chine les usages plus constans, le gouvernement plus uniforme, les lois plus durables ; mais que les sciences & les arts demandent une activité plus inquiete, une curiosité qui ne se lasse point de chercher, une sorte d'incapacité de se satisfaire, nous y sommes plus propres, & qu'il n'est pas étonnant que quoique les Chinois soient les plus anciens, nous les ayons devancés de si loin. V. les mém. de l'acad. ann. 1727. L'hist. de la Philos. & des Philosoph. de Bruck. Bulfing. Leibnitz. Le P. le Comte. Les mém. des miss. étrang. &c. Et les mém. de l'acad. des Inscript.


CHINON(Géog.) ville de France dans la Touraine, dans un pays appellé le Vaison. Long. 17. 47. lat. 47. 12.


CHINTS. m. (Commerce) toiles des Indes propres à être peintes. Il y en a de plusieurs especes, qui se distinguent par les noms des lieux où elles se fabriquent. Il paroît qu'elles sont blanches pour la plûpart, & toutes de coton. Voyez le dict. du Comm.


CHINTALS. m. (Comm.) sorte de poids dont les Portugais se servent à Goa. Il est de cent cinq livres de Paris, à huit onces six gros la livre, poids de marc. Voyez les dict. du Comm. & de Trév.


CHINTING(Géog.) ville considérable de la Chine, de la province de Pekin. Lat. 38. 40.


CHIOMARBRE DE, (Hist. nat. Lithol.) le marbre de Chio, dont parlent les anciens naturalistes, étoit ainsi nommé parce qu'il se trouvoit abondamment dans l'île de Chio ; sa couleur étoit foncée ; il avoit quelque transparence & prenoit un beau poli. M. Hill dit que c'étoit une espece de pierre obsidienne. Voyez cet article. (-)


CHIOHADARou TCHOHADAR-AGA, (Hist. mod.) Ce nom désigne un officier de la cour du grand-seigneur, dont l'unique fonction est de porter dans un sac le manteau du sultan, lorsqu'il vient à sortir pour prendre l'air.


CHIONSCHIONS


CHIORMou CHIOURME, s. f. (Marine) C'est la troupe des forçats & des bonavoglies ou volontaires qui tirent la rame dans une galere. (Z)


CHIOURLIC(Géog.) ville de la Turquie en Europe, dans la Romanie, sur la riviere de même nom. Long. 45. 22. lat. 41. 18.


CHIOZZAou CHIOGGIA, (Géog.) ville d'Italie dans l'état de Venise, dans une île près des Lagunes. Long. 29. 58. lat. 45. 17.


CHIPPAGES. m. terme de Tanneur, c'est un apprêt que les Tanneurs donnent à de certaines peaux. Voyez CHIPPER.


CHIPPÉbasanne chippée, c'est celle à laquelle le Tanneur a donné un apprêt particulier appellé le chippage, qui la distingue des autres sortes de basannes. Voyez BASANNE.


CHIPPES. f. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Saint-Malo ; c'est une sorte de petit bateau en usage dans la riviere de Rancé.


CHIPPENHAM(Géog.) ville d'Angleterre dans la Wiltshire, sur l'Avon. Long. 15. 38. lat. 51. 25.


CHIPPERCHIPPER

Maniere de chipper les peaux. Après que les peaux de bélier, de mouton, ou de brebis, ont resté environ six semaines dans le plain, & qu'on en a fait tomber la laine avec la chaux, le Tanneur les met dans une cuve remplie d'eau chaude, mêlée de tan, qui est une espece de coudrement ; & quand elles y ont resté quelque tems, on les en retire, on les coud tout-autour avec de la petite ficelle, & on en forme une maniere de sac, le côté de la chair en-dedans. On remplit ce sac de tan, & de l'eau de la cuve encore chaude, qu'on y fait entrer avec un entonnoir ; ensuite on en bouche l'entrée. On les prend par les deux bouts, que l'on remue fortement pour y faire pénétrer le tan. Cette opération s'appelle chipper les peaux, & c'est de-là qu'est venu à ces basannes le nom de basannes chippées. Cela fait, on les rejette dans la cuve, d'où on les retire ensuite pour les découdre, & les faire secher à l'air. De cette maniere, une basanne peut être parfaitement apprêtée en moins de deux mois. Voyez le dictionnaire du Comm.


CHIPPING-NORTON(Géog.) ville d'Angleterre dans la province d'Oxford.


CHIPPING-SODBURI(Géog.) ville d'Angleterre dans la province de Glocester.


CHIPPING-WITCOMB(Géog.) ville d'Angleterre dans le Bueks.


CHIPROVAS(Géog.) ville de la Turquie en Europe, dans la Bulgarie, sur la riviere d'Ogest, qui se jette dans le Danube.


CHIQUES. f. (Hist. nat.) insecte des pays chauds de l'Amérique, sautant comme la puce, dont il a à-peu-près la figure & la couleur, mais beaucoup plus petit.

Cet insecte se rencontre ordinairement dans les lieux secs & poudreux ; il est fort incommode, s'insinuant dans les piés, & quelquefois sous les ongles entre cuir & chair, où il occasionne une cuisante demangeaison.

Si on néglige de le tirer de l'endroit où il s'est fixé, il croît, s'étend, & produit bientôt une prodigieuse quantité d'oeufs gros comme des lentes, d'où sort en fort peu de tems une multitude de petites chiques qui se répandent aux environs, & font tomber en pourriture les parties qui en sont infectées.

Ceux qui ont soin de se laver souvent, & de se maintenir proprement, ne craignent point cette fâcheuse incommodité.

On a expérimenté que l'eau dans laquelle on a fait infuser des feuilles seches de tabac, étoit un bon préservatif contre les chiques, & même que les feuilles de tabac humectées & appliquées sur les parties attaquées par l'insecte, l'en chassoient & le faisoient mourir très-promtement. Cet article est de M. DE SAINT-ROMAIN.

* CHIQUE, s. m. (Manufact. en soie) en italien cochetto, mauvais cocon de soie dans lequel le ver est mort ou fondu, & qu'il est ordonné par les réglemens de Piémont, lors du tirage, de séparer des bons cocons. Voyez l'article SOIE.


CHIQUETERv. a. terme de Cardeur, c'est déchirer la laine, & la démêler en l'allongeant & en la rompant à plusieurs fois différentes.

CHIQUETER, c'est, chez les Pâtissiers, faire une sorte d'ornement autour d'un gâteau, ou autre piece de pâtisserie, en y traçant des rayons avec un couteau.


CHIQUITOS(Géog.) peuple de l'Amérique méridionale, dans le gouvernement de Santa-Cruz de la Sierra. Il regne parmi eux des maladies contagieuses très-fréquentes. Pour y remédier ils font mourir une femme, parce qu'ils sont persuadés que les femmes sont la cause de tous nos maux. Une partie de ces peuples est soûmise aux Espagnols.


CHIRA(Géog.) île de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur la mer du Sud.


CHIRAGRES. f. (Médecine) gouttes aux mains. Voyez GOUTTE. Ce mot vient de , main, & de , je prend.

La chiragre a son siége dans le carpe ou le poignet, dans les articulations des doigts, & dans leurs différentes phalanges.

Ce terme n'est guere d'usage qu'en Fauconnerie ; la chiragre est une maladie qui cause des petits nodus aux jointures des mains des oiseaux, qui en empêchent le libre mouvement, desorte que les oiseaux ne peuvent avillonner le gibier. On connoît qu'ils sont attaqués de ce mal quand ils s'appuient tantôt sur un pié & tantôt sur un autre, & qu'ils ont les doigts enflés. Pour les guérir, il faut les leur frotter avec du vinaigre & de l'eau, où l'on aura délayé du blanc d'oeuf battu auparavant. Au lieu d'eau naturelle, on peut se servir d'eau-rose, & ajoûter quatre dragmes de poudre d'acacia, avec autant de poudre de cire d'Espagne.


CHIRAMAXIUM(Hist. anc.) petite voiture dont la construction nous est inconnue : à en juger sur l'étymologie du mot, ce pouvoit être une de celles qu'on poussoit avec la main, & qui ressemblent à nos broüettes.


CHIRBI(Géog.) c'est le nom de quatre îles de la mer Méditerranée, situées entre la Sicile & la côte d'Afrique.


CHIRIMOYAS. m. (Hist. nat.) fruit du Pérou, de l'espece qu'on nomme dans les îles françoises pomme de canelle. Mais celui du Pérou est beaucoup plus agréable, & on lui donne communément la préférence sur l'ananas. Le goût en est sucré & vineux ; la figure approche de celle d'une pomme, elle se termine un peu en pointe ; sa grosseur varie depuis celle d'une pomme médiocre, jusqu'à celle des pommes les plus grosses que nous connoissons en Europe. La peau en est d'un verd terne, couleur d'artichaut. Elle est comme brodée de compartimens en forme d'écailles. Sa chair est blanche, mollasse, composée de plusieurs veines adhérentes les unes aux autres, mais qui peuvent se détacher. Le nombre des pepins varie beaucoup ; ils sont oblongs, & un peu applatis, de cinq à six lignes de long sur trois à quatre de large. Leur peau est lisse & noire. Ce fruit croît sur un arbre haut & touffu ; sa fleur a quatre pétales ; elle est d'un verd brun & d'une odeur très-agréable. Article de M. DE LA CONDAMINE.


CHIRISONDA(Géog.) ville de la Turquie en Asie dans la Natolie, sur la côte de la mer Noire, dans la province d'Amasie.


CHIRODOTAS. f. (Hist. anc.) C'étoit chez les Grecs un vêtement avec des manches, qui répondoit au tunica manicata des Romains. Voyez TUNIQUE.


CHIROGRAPHAIRES. m. (Jurispr.) se dit des dettes & des créanciers qui ne sont fondés que sur un billet ou promesse sous signature privée & non reconnue en justice, & qui par conséquent n'emporte point d'hypotheque, à la différence des dettes & créances fondées sur des actes passés devant notaires, ou reconnus en justice, ou sur quelque jugement, que l'on appelle hypothécaires ; parce que les actes sur lesquels ils sont fondés emportent hypotheque. La distinction des créanciers hypothécaires & chirographaires se trouve établie par les lois romaines, lesquelles décident que le créancier hypothécaire passe devant le chirographaire, quand même celui-ci seroit d'une date antérieure. Cette préférence a lieu en pays de Droit écrit, tant sur les meubles que sur les immeubles ; parce que, suivant le droit romain, les meubles sont susceptibles d'hypotheque aussi bien que les immeubles. La même chose a lieu dans quelques coûtumes, qui disposent expressément que les meubles sont susceptibles d'hypotheque, comme celle de Normandie, art. 97. Mais suivant le droit commun & général du pays coûtumier, les créanciers hypothécaires ne sont préférés aux chirographaires que sur les immeubles : à l'égard des meubles, tous les créanciers hypothécaires & chirographaires y viennent par contribution au sou la livre. Voyez au code, liv. VII. tit. 72. l. jv. & xvj. & liv. VIII. tit. 18. l. x. & liv. XXVII. l. j. & t. 42. l. vij. & ci-après au mot CONTRIBUTION. (A)


CHIROGRAPHES. m. (Jurisprud.) acte qui demandoit par sa nature d'être fait double. On l'écrivoit deux fois sur le même parchemin, & à contre-sens ; on mettoit dans l'intervalle en gros caracteres le mot chirographe ; on coupoit ensuite la feuille par le milieu de ce mot, soit en ligne droite, soit en dentelure ; & l'on délivroit une de ces deux portions à chaque partie contractante.

Chirographe vient de , main, & de , j'écris. Le chirographe, s'est aussi appellé dividende, chartae divisae. Le premier usage de cet acte en Angleterre, se rapporte au regne de Henri III.

Il y en a qui pensent que le nom de chirographe se donnoit à tout acte souscrit du vendeur ou créancier, & délivré à l'acheteur ou au débiteur, & réciproquement.

Ils distinguent le syngraphe du chirographe en cela seul, que c'étoit le mot syngraphe qui étoit écrit dans l'intervalle de deux actes sur le même papier.

On donnoit encore le nom de chirographe & à un transport, & à la maniere de le grossoyer & de couper en deux le parchemin. Le mot chirographe se prend aujourd'hui dans ce sens en Angleterre, dans le bureau appellé des chirographes.

Chirographe, dans un sens plus général, est quelquefois synonyme à cédule. Chambers.


CHIROMANCIES. f. (Art divin.) l'art de deviner la destinée, le tempérament & les inclinations d'une personne, par l'inspection des lignes qui paroissent dans la paume de la main. Ce mot vient du grec , main, & de , divination.

Quelque vain & quelque imposteur que soit cet art, un grand nombre d'auteurs ne laissent pas que d'en avoir écrit : tels qu'Artemidore, Flud, Joannes de Indagine, &c. mais Taisnerus & M. de la Chambre sont les principaux.

Ce dernier prétend que par l'inspection des linéamens que forment les plis de la peau dans le plat de la main, on peut reconnoître les inclinations des hommes, sur ce fondement que les parties de la main ont rapport aux parties internes de l'homme, le coeur, le foie, &c. d'où dépendent, dit-on, en beaucoup de choses les inclinations & le caractere des hommes. Cependant à la fin de son traité il avoue que les préceptes de la chiromancie ne sont pas bien établis, ni les expériences sur lesquelles on les fonde, bien vérifiées ; & qu'il faudroit de nouvelles observations faites avec justesse & avec exactitude, pour donner à la chiromancie la forme & la solidité qu'une science doit avoir. Voyez MAIN.

Delrio distingue deux sortes de chiromancie, l'une physique, & l'autre astrologique ; & pense que la premiere est permise, parce qu'elle se borne, dit-il, à connoître par les lignes de la main le tempérament du corps, & que du tempérament elle en infere par conjecture les inclinations de l'ame, en quoi il n'y a rien que de fort naturel. Quant à la seconde, il la condamne comme vaine, illicite, & indigne du nom de science, par le rapport qu'elle prétend mettre entre telles ou telles lignes de la main, & telles ou telles planetes, & l'influence de ces mêmes planetes, sur les évenemens moraux & le caractere des hommes.

Les anciens étoient fort adonnés à cette derniere, comme il paroît par ce vers de Juvenal :

manumque

Praebebit vati crebrum popisma roganti. Sat. vj.

C'est par elle que ces imposteurs vagabonds, connus sous le nom de bohémiens & d'égyptiens, amusent & dupent la populace. Anus eorum (dit Munster, lib. III. §. 257.) chiromantiae & divinationi intendunt ; atque interim quo quaerentibus dant responsa, quot pueros, maritos, uxores sint habituri, miro astu & agilitate crumenas quaerentium rimantur & evacuant. Voyez EGYPTIENS.

Delrio entasse plusieurs raisons, pour prouver que l'Etat & l'Eglise ne doivent point tolérer ces diseurs de bonne avanture : mais la meilleure est que ce sont des vagabonds que l'oisiveté entraîne dans le crime, & dont la prétendue magie est le moindre défaut.

Le même auteur regarde encore comme une espece de chiromancie celle où l'on considere des taches blanches & noires qui se trouvent répandues sur les ongles, & d'où l'on prétend tirer des présages de santé ou de maladie ; ce qu'il ne desapprouve pas absolument. Mais il traite cette pratique de superstitieuse, dès qu'on s'en sert pour connoître les évenemens futurs qui dépendent de la détermination de la volonté. Disquisit. magic. lib. IV. ch. iij. quaest. 5. pag. 584. & suiv. (G)


CHIRONIENadj. terme de Chirurgie, épithete qu'on donne aux ulceres malins & invétérés, dont les bords sont durs, calleux & gonflés, qui jettent une sanie claire, sans pourriture, sans inflammation & sans grande douleur, & qui se cicatrisent difficilement ; ou quand il y survient une cicatrice, elle est si mince qu'elle se déchire facilement, & l'ulcere se renouvelle. Ces sortes d'ulceres attaquent principalement les piés & les jambes. On les appelle chironiens, de Chiron ancien medecin-chirurgien : qui est, à ce qu'on prétend, le premier qui les ait guéris, & qui s'en guérit lui-même. On les nomme aussi telephiens, de Telephe qui fut blessé par Achille, & dont la plaie dégénéra en ulcere de cette espece. (Y)


CHIRONOMIES. f. (Hist. anc.) mouvement du corps, mais sur-tout des mains, fort usité parmi les anciens comédiens, par lequel, sans le secours de la parole, ils désignoient aux spectateurs les êtres pensans, dieux ou hommes, soit qu'il fût question d'exciter le ris à leurs dépens, soit qu'il s'agit de les désigner en bonne part. C'étoit aussi un signe dont on usoit avec les enfans, pour les avertir de prendre une posture de corps convenable. C'étoit encore un des exercices de la gymnastique.


CHIROPONIESS. f. (Myt.) fête des Rhodiens, pendant laquelle les enfans mandioient en chantant , comme s'ils eussent imité le chant des hirondelles.


CHIROTONIES. f. , (Théol.) imposition des mains qui se pratique en conférant les ordres sacrés.

L'origine de ce terme vient de ce que les anciens donnoient leur suffrage en étendant les mains ; ce qu'exprime le mot , composé de , main, & de , j'étens. C'est pourquoi chez les Grecs & les Romains, l'élection des magistrats s'appelloit ; comme il paroît par la premiere philippique de Demosthene, par les harangues d'Eschine contre Ctesiphon, & de Ciceron pour Flaccus : porrexerunt manus, dit ce dernier, & psephrima natum est.

Il est certain que dans les écrits des apôtres, ce terme ne signifie quelquefois qu'une simple élection, qui n'emporte aucun caractere, comme dans la seconde épître aux Corinthiens, ch. viij. . 18. Mais quelquefois aussi elle signifie une consécration proprement dite, & différente d'une simple élection, lorsqu'il est parlé de l'ordination des prêtres, des évêques, &c. comme dans les actes xjv. . 22. Cum constituissent illis per singulas ecclesias presbyteros (le grec porte ), & orassent cum jejunationibus.

Théodore de Beze a abusé de cette équivoque pour justifier la pratique des églises réformées, en traduisant ce passage par ces mots, cum per suffragia creassent presbyteros ; comme si les apôtres s'étoient contentés de choisir des prêtres en étendant la main au milieu de la multitude, à peu-près comme les Athéniens & les Romains choisissoient leurs magistrats.

Mais les Théologiens catholiques, & entr'autres Fronton du Duc, M. de Marca, & les PP. Petau & Goar, ont observé que dans les auteurs ecclésiastiques signifie proprement une consécration particuliere qui imprime caractere, & non pas une simple députation à un ministre extérieur, faite par le simple suffrage du peuple, & révocable à sa volonté. (G)


CHIRURGIES. f. (Ord. encyclop. Entend. Rais. Philosoph. ou Science, Science de la nat. Physiq. Physique particul. Zoolog. Médec. Thérapeutiq. Chirurgie.) science qui apprend à connoître & à guérir les maladies extérieures du corps humain, & qui traite de toutes celles qui ont besoin pour leur guérison, de l'opération de la main, ou de l'application des topiques. C'est une partie constitutive de la Médecine. Le mot de Chirurgie vient du grec , manualis operatio, opération manuelle, de , manus, main, & de , opus, opération. Voyez CHIRURGIEN.

Les maladies extérieures ou chirurgicales sont ordinairement rangées sous cinq classes, qui sont les tumeurs, les plaies, les ulceres, les fractures, & les luxations. Voyez les principes de Chirurgie de M. Col de Villars, & chacun de ces mots dans ce Dictionnaire.

" Selon M. Chambers, la Chirurgie a sur la Médecine interne l'avantage de la solidité dans les principes, de la certitude dans les opérations, & de la sensibilité dans ses effets ; de façon que ceux qui ne croyent la Médecine bonne à rien, regardent cependant la Chirurgie comme utile.

La Chirurgie est fort ancienne, & même beaucoup plus que la Médecine, dont elle ne fait maintenant qu'une branche. C'étoit en effet la seule Médecine qu'on connût dans les premiers âges du monde, où l'on s'appliqua à guérir les maux extérieurs avant qu'on en vînt à examiner & à découvrir ce qui a rapport à la cure des maladies internes.

On dit qu'Apis roi d'Egypte, fut l'inventeur de la Chirurgie. Esculape fit après lui un traité des plaies & des ulceres. Il eut pour successeurs les philosophes des siecles suivans, aux mains desquels la Chirurgie fut uniquement confiée ; Pythagore, Empedocles, Parmenide, Démocrite, Chiron, Peon, Cléombrotus qui guérit l'oeil d'Antiochus, &c. Pline rapporte, sur l'autorité de Cassius Hemina, que Arcagathus fut le premier chirurgien qui s'établit à Rome ; que les Romains furent d'abord fort satisfaits de ce vulnerarius, comme ils l'appelloient ; & qu'ils lui donnerent des marques extraordinaires de leur estime : mais qu'ils s'en dégoûterent ensuite, & qu'ils le nommerent alors du sobriquet de carnifex, à cause de la cruauté avec laquelle il coupoit les membres. Il y a même des auteurs qui prétendent qu'il fut lapidé dans le champ de Mars : mais s'il avoit eu ce malheureux sort, il seroit surprenant que Pline n'en eût point parlé. Voyez Pline, hist. nat. liv. II. ch. j.

La Chirurgie fut cultivée avec plus de soin par Hippocrate, que par les médecins qui l'avoient précédé. On dit qu'elle fut perfectionnée en Egypte par Philoxene, qui en composa plusieurs volumes. Garcias, Sostrates, Heron, les deux Appollonius, Ammonius d'Alexandrie, & à Rome Triphon le pere, Evelpistus, & Meges, la firent fleurir chacun en leur tems.

M. Wiseman, chirurgien-major du roi d'Angleterre Charles. II. a composé un volume in-fol. qui contient des observations-pratiques de plusieurs maladies, soit internes, soit externes, concernant chaque branche de cet art, & faites par lui-même sous le titre de différens traités de Chirurgie. Cet ouvrage a été suivi jusqu'à présent en Angleterre ; & depuis qu'il a été publié en 1676, il a servi de fondement à plusieurs autres traités de Chirurgie.

La Chirurgie se divise en spéculative & en pratique, dont l'une fait réellement ce que l'autre enseigne à faire ".

La théorie de la Chirurgie doit être distinguée en théorie générale, & en théorie particuliere.

La théorie générale de la Chirurgie n'est autre chose que la théorie ou la science de la Médecine même. Cette théorie est unique & indivisible dans ses parties ; elle ne peut être ni sûe ni appliquée qu'autant qu'on en possede la totalité. La différence qui se trouve entre la Médecine & la Chirurgie, se tire uniquement de leur exercice, c'est-à-dire des différentes classes de maladies sur lesquelles chacune d'elles s'exerce. La Chirurgie possede toutes les connoissances dont l'assemblage forme la science qui apprend à guérir : mais elle n'applique cette science qu'aux maladies extérieures. L'autre, c'est-à-dire la médecine, possede également cette science ; mais elle n'en fait l'application qu'aux maladies intérieures : desorte que ce n'est pas la science qui est divisée, mais seulement l'exercice.

En envisageant avec la moindre attention l'objet de ces deux arts, on voit qu'ils ne peuvent avoir qu'une théorie commune. Les maladies externes qui font l'objet de la Chirurgie, sont essentiellement les mêmes que les maladies internes qui font l'objet de la Médecine ; elles ne different en rien que par leur position. Ces objets ont la même importance, ils présentent les mêmes indications & les mêmes moyens de curation.

Quoique la théorie de la Médecine & de la Chirurgie soit la même, & qu'elle ne soit que l'assemblage de toutes les regles & de tous les préceptes qui apprennent à guérir, il ne s'ensuit pas que le médecin & le chirurgien soient des êtres que l'on puisse ou que l'on doive confondre. Un homme qu'on supposera pourvû de toutes les connoissances théoriques générales, mais en qui on ne supposera rien de plus, ne sera ni chirurgien ni médecin. Il faut pour former un médecin, outre l'acquisition de la science qui apprend à guérir, l'habileté d'appliquer les regles de cette science aux maladies internes : de même si on veut faire un chirurgien, il faut qu'il acquierre l'habitude, la facilité, l'habileté d'appliquer aussi ces mêmes regles aux maladies extérieures.

La science ne donne pas cette habileté pour l'application des regles ; elle dicte simplement ces regles, & voilà tout : c'est par l'exercice qu'on apprend à les appliquer, & par l'exercice sous un maître instruit dans la pratique. L'étude donne la science ; mais on ne peut acquérir l'art ou l'habitude de l'application des regles, qu'en voyant & revoyant les objets : c'est une habitude des sens qu'il faut acquérir ; & ce n'est que par l'habitude de ces mêmes sens qu'elle peut être acquise.

L'Anatomie, la Physiologie, la Pathologie, la Seméiotique, l'Hygiene, & la Thérapeutique, sont en Chirurgie comme en Médecine, les sources des connoissances générales. L'Anatomie développe la structure des organes qui composent le corps humain. La Physiologie en explique le jeu, la méchanique, & les fonctions ; par elle on connoît le corps humain dans l'état de santé. On apprend par la Pathologie, la nature & les causes des maladies. La Seméiotique donne la connoissance des signes & des complications des maladies, dont le chirurgien doit étudier les différens caracteres. L'Hygiene fixe le régime de vie, & établit les lois les plus sages sur l'usage de l'air, des alimens, des passions de l'ame, des évacuations, du mouvement & du repos, du sommeil & de la veille. Enfin la Thérapeutique instruit le chirurgien des différens moyens curatifs ; il y apprend à connoître la nature, la propriété, & la façon d'agir des médicamens, pour pouvoir les appliquer aux maladies qui sont du ressort de la Chirurgie.

Toutes ces connoissances, quelques nécessaires qu'elles soient, sont insuffisantes ; elles sont la base de la Médecine & de la Chirurgie, mais elles n'ont pas une liaison essentielle avec ces deux sciences, c'est-à-dire une liaison qui ne permette pas qu'elles en soient séparées : elles ne sont véritablement liées avec l'art, que lorsqu'il s'est élevé sur elles comme sur ses fondemens. Jusque-là ces connoissances ne doivent être regardées que comme des préludes ou des préparations nécessaires : car des hommes curieux peuvent s'orner l'esprit des connoissances anatomiques, par exemple, sans atteindre à la Chirurgie ni à la Médecine ; elles ne forment donc point ni le médecin ni le chirurgien ; elles ne donnent donc aucun titre dans l'exercice de l'art.

Outre les connoissances communes dont nous venons de parler, il faut que le chirurgien dans la partie de la Médecine qu'il se propose d'exercer, acquierre un talent particulier : c'est l'opération de la main, qui suppose une longue suite de préceptes & de connoissances scientifiques. Il faut d'abord connoître la façon & la nécessité d'opérer, le caractere des maux qui exigent l'opération, les difficultés qui naissent de la structure des parties, de leur action, de l'air qui les environne ; les regles que prescrivent la cause & les effets du mal ; les remedes que ce mal exige ; le tems fixé par les circonstances, par les lois de l'économie animale, & par l'expérience ; les accidens qui viennent troubler l'opération, ou qui en indiquent une autre ; les mouvemens de la nature, & son secours dans les guérisons ; les facilités qu'on peut lui prêter ; les obstacles qu'elle trouve dans le tems, dans le lieu, dans la saison, &c. Sans ces préceptes détaillés, on ne formeroit que des opérateurs aveugles & meurtriers.

Ces connoissances si nécessaires pour conduire la main, ne renferment pas toutes celles qui forment le chirurgien. L'opération dont elles sont la regle, & qui frappe le plus le vulgaire, n'est qu'un point dans la cure des maladies chirurgicales. La connoissance des cas qui l'exigent, les accidens qui la suivent, le traitement qui doit varier selon la nature & les différences de ces accidens : tous ces objets sont les objets essentiels de la Chirurgie. Qu'il se présente, par exemple, une fracture accompagnée d'une plaie dangereuse ; la réduction, quoique souvent très-difficile, n'est qu'une très-petite partie du traitement de cette maladie : les inflammations, les étranglemens, la gangrene, les dépôts, les suppurations, les fontes excessives, la fievre, les convulsions, le délire ; tous ces accidens qui surviennent si souvent, demandent des ressources beaucoup plus étendues que celles qui sont nécessaires pour réduire les os à leur place naturelle. Un exercice borné, la connoissance de la situation des parties, l'industrie & l'adresse, suffisent pour replacer des os. Mais des lumieres profondes sur l'économie animale, sur l'état où sont les parties blessées, sur les changemens des liqueurs, sur la nature des remedes, sont à peine des secours suffisans pour remédier aux accidens qui suivent ces fractures. Les connoissances spéculatives communes n'offrent que des ressources foibles & insuffisantes dans ces cas. Il est une théorie particuliere, puisée dans la pratique de l'art ; cette théorie qui est, si l'on ose le dire, une expérience éclairée & refléchie, peut seule prescrire une conduite utile dans les cas épineux. Toute spéculation qui n'est pas sortie du fond de l'art, ne sauroit être une regle dans l'exercice de cet art. L'expérience est la source des principes solides ; & toutes les connoissances qui ne seront pas puisées dans l'exercice, ou vérifiées par une pratique refléchie, ne pourront être que de fausses lueurs capables d'égarer l'esprit. (Y)

Voici une notice des auteurs les plus célebres en Chirurgie, qui nous a été communiquée par M(D.J.)

Il ne s'agit pas ici seulement des auteurs sur les principes de l'art, tels que sont les suivans.

Carlii (Joh. Sam.) elementa chirurgica ; Budingae, 1717, in -8°.

Cantarini (Angeli) Chirurgica accommodata al uso scolaresco ; in Padua, 1715, in -8°.

Banier (Henric.) methodical introduction for the surgery ; London, 1717, in -8°.

Dubon (Claude) idée des principes de Chirurgie ; Dresde, 1734, in -8°.

Marque (Jacques de) méthodique introduction à la Chirurgie ; Paris, 1631, in -8°.

La Faye (G) principes de Chirurgie ; Paris, 1746, in -12.

Un seul de ces livres suffit à un commençant, & le dernier sur-tout, que je trouve le meilleur. Mais mon but est d'indiquer les principaux ouvrages généraux de Chirurgie d'entre les anciens & modernes, que doivent étudier les gens curieux de s'instruire à fond, & de se perfectionner dans un art si nécessaire. Voici ceux qu'ils ne peuvent se dispenser de bien connoître.

Aeginetae (Pauli) opera, &c.

Cet auteur vivoit dans le vij. siecle, & est un des exemples que le caprice & le hasard ont une grande part dans l'établissement des réputations : il n'a point été estimé ce qu'il valoit, pour n'avoir pas été lû par des gens capables d'apprécier le mérite : car il n'appartient qu'aux artistes habiles de parler des secrets de l'art ; & ce don n'est rien moins que prodigué par la nature. Au reste Paul d'Egine traite dans son sixieme livre des opérations chirurgicales, & c'est peut-être le meilleur abregé de Chirurgie que l'on ait eu avant le rétablissement des Sciences & des Arts.

La premiere édition greque de ses ouvrages est celle d'Aldus, à Venise en 1528, fol. Parmi les éditions latines, celle de Lyon en 1589, in 8°. est accompagnée de notes, & mérite la préférence sur toutes les autres de ce genre.

Aetii (Amideni) opera, &c.

On croit qu'Aetius, natif d'Amida, vécut au commencement du v. siecle. Tout ce que nous savons de sa vie, c'est qu'il voyagea en Egypte. Sa crédulité faisoit peu d'honneur à son génie. Quoique ses ouvrages regardent principalement la Médecine, il y traite cependant de quelques maladies chirurgicales. Ses huit premiers livres ont paru en Grec à Venise en 1534, in-fol. Janus Cornarius traduisit tout Aetius en latin, & publia sa traduction à Bâle en 1542, fol. Il est dans la collection d'Henri Etienne, imprimée à Paris en 1567, fol.

Cauliaco (Guido de) Chirurgicae tractatus septem ; Venet. 1490, in-fol. 1519, 1546 ; en hollandois à Amst. 1646, in -4°. Lugd. 1572, in -8°. 1585, avec les corrections de Joubert. Ed. opt.

Guy de Chauliac, natif de Montpellier, où il professa long-tems la Médecine & la Chirurgie, est un des premiers restaurateurs de l'art : il fut comblé d'honneurs & de richesses par le pape Clément VI. de même que par ses successeurs Innocent VI. & Urbain V. Il composa sa grande Chirurgie en 1363, & la réduisit en système. Joubert la traduisit en françois sous ce titre : La grande Chirurgie de Guy de Chauliac, restituée par L. Joubert ; Tournon, 1598, in -8°. On peut y joindre l'ouvrage de Ranchin, intitulé question sur la Chirurgie de Guy de Chauliac ; Lyon, 1627, 2 t. in -8°. Mais ceux qui desireront Guy de Chauliac en abregé, se serviront de celui de Verduc ; Paris, 1704, in -12 ; 1716, in -12.

Celsi (Aurel. Cornel.) de re medicâ, lib. octo.

Cet auteur célebre qui florissoit à Rome du tems de Tibere, de Caligula, de Claude, & de Néron, est si connu par la bonté de sa doctrine, & les graces de son style, qu'il seroit superflu de le recommander. La premiere édition de ses oeuvres fut faite à Florence en 1478, in-fol. & l'une des plus jolies éditions modernes est celle de Almeloveen ; Amst. 1713, in -8°. ou celle de Morgagni, Pat. 1722, in -8°. le septieme & le huitieme livres ne traitent que de la Chirurgie.

Chirurgiae scriptores optimi veteres & recentiores in unum conjuncti volumen, operâ (Corn.) Gesneri ; Tiguri 1555, in-fol. cum fig.

Gesner a rassemblé dans cette collection divers traités de Chirurgie, qui auroient peut-être en partie péri sans lui ; tels sont Brunus, Roland, Théodorie, Lanfranc, Bertapalia, Salicet, &c. mais Uffembach donna dans la suite une autre collection encore plus considérable ; savoir, des oeuvres de Paré, de Tagault, de Hollier, de Bolognini, de Blondi, de Fabrice de Hilden, &c. le tout sous le titre suivant : Thesaurus chirurgiae continens praestantissimorum autorum opera chirurgica ; Francof. 1610, in-fol.

On dit qu'on conserve à Florence dans la bibliotheque de S. Laurent un manuscrit grec écrit sur du vélin, qui contient la Chirurgie ancienne d'Hippocrate, de Galien, d'Asclépiade, d'Apollonius, d'Archigene, de Nymphodore, d'Héliodore, de Dioclès, de Rufus d'Ephese, d'Apollodore, &c. Si cela est, ce manuscrit peut passer pour un trésor en ce genre, qui mériteroit bien de voir le jour ; nous aurions alors une connoissance exacte de la Chirurgie ancienne & de la moderne.

Cruce (Johan. Andr. à) venetus. Chirurgiae universalis, opus absolutum, cum fig.

C'étoit un très-habile homme dans son art. La premiere édition de sa Chirurgie parut à Venise en 1573, fol. la deuxieme en 1596, fol. qui est très-belle, & avec figures ; & la troisieme en italien, avec des augmentations, en 1605, fol. fig.

Dionis (Pierre) cours d'opérations de Chirurgie.

C'est un des bons abregés modernes. La premiere édition parut à Paris en 1707 ; la seconde à Bruxelles, 1708, in -8°. la troisieme en allemand à Augsbourg, 1722, avec des corrections & des augmentations d'Heister ; enfin la quatrieme à Paris, 1740, in -8°. avec des notes de M. de la Faye.

Fabricii (Hyeron. ab Aquapendente) opera chirurgica, &c.

Cet illustre anatomiste a enrichi la Chirurgie de plusieurs belles observations, de nouveaux instrumens, & d'une meilleure méthode pour quelques opérations. Né en 1537 à Aquapendente, de parens très-pauvres, il succéda à son maître Fallope, exerça l'Anatomie pendant cinquante ans, fut fait chevalier de S. Marc par la république de Venise, & mourut à Padoue comblé de gloire en 1619, âgé de quatre-vingt-deux ans. Sa Chirurgie a été imprimée séparément en latin, Venet. 1619, fol. Franc. 1620, in -8°. en Hollande en 1647, 1666 & 1723, in-fol. en françois à Roüen en 1658, in -8°. en allemand, Norimb. 1716, in -4°.

Fallopii (Gabriel) Chirurgia, Venet. 1571, in -4°. Francof. 1637, in -4°. & dans ses oeuvres imprimées à Venise en 1606, 3 vol. fol. ed. opt.

Fallope, né à Modene en 1490, & mort à Padoue en 1563, s'est singulierement distingué en Anatomie ; mais son traité des ulceres & des tumeurs, de même que son commentaire sur Hippocrate, de vulneribus capitis, méritent beaucoup d'être lûs.

Fienus (Thomas) libri chirurgici duodecim.

Ce sont des traités posthumes sur douze sujets curieux de Chirurgie, qui ont été publiés par Herman Conringius ; Francof. 1649, in -4°. ibid. 1669, in -4°. & à Londres en 1733, in -4°. Fienus, né à Anvers en 1567, & mort en 1631 âgé de soixante-quatre ans, est encore connu par quelques autres ouvrages, en particulier par un traité latin des cauteres, imprimé à Louvain en 1598, in -8°.

Garengeot (Jacques René) traité des opérations de Chirurgie ; Paris 1741, 3 vol. in -12. avec fig.

Ce traité, avec celui des instrumens, qui a été réimprimé plusieurs fois, & traduit en plusieurs langues, est dans les mains de tout le monde.

Glandorpii (Matth. Ludov.) opera omnia chirurgica.

Né à Cologne, & fils d'un habile chirurgien, qu'il surpassa par ses talens, ses travaux, & ses connoissances ; il entendoit fort bien l'Anatomie, qu'il avoit apprise sous Spigel. Ses ouvrages, qui furent réimprimés séparément à Brême, ont été rassemblés à Londres en 1729, in -4°. Le journal de Léipsic en parle en 1760, & y donne un abregé de la vie de cet auteur, p. 124.

Gorter (Job.) Chirurgia repurgata ; Lugd. Bat. 1742, in -4°.

Cet auteur est connu par d'autres ouvrages estimés, & pleins d'une bonne Physiologie.

Guillemeau (Jacques) oeuvres de Chirurgie, &c.

Elles ont été imprimées à Paris en 1598, in-fol. avec fig. Guillemeau, natif d'Orléans, exerça la Chirurgie & l'Anatomie à Paris avec distinction. Toutes ses oeuvres ont été réimprimées à Rouen en 1649, in-fol.

Heisteri (Laurenti) institutiones chirurgicae ; Amst. 1739, in -4°. 2. vol. cum fig.

Voilà le meilleur ouvrage complet de Chirurgie qui ait paru jusqu'à ce jour ; il peut tenir lieu de tous les autres. Il a été publié & en latin & en allemand ; il mériteroit aussi de paroître en françois.

Hildanus (Guil. Fabricius) opera chirurgica, &c.

Guillaume Fabrice, dit de Hilden, du nom de sa patrie, né en 1560, & mort à Berne en 1634 âgé de soixante & quatorze ans, étudia toute sa vie la Chirurgie, & nous a laissé en ce genre, outre plusieurs traités particuliers, un grand & excellent recueil d'observations & de cures chirurgicales qu'on consulte toûjours. On les a traduites en françois, & elles ont paru à Geneve en 1679, in -4°. avec fig. Mais tous les ouvrages de cet auteur ont été rassemblés & imprimés en latin à Francfort en 1682, in-fol. avec le livre de Severinus, de efficaci Medicinâ.

Hippocrates in operibus, &c.

Il naquit à Cos la premiere année de la lxxx. olympiade, trente ans avant la guerre du Péloponese, & 460 ans avant J. C. Descendant d'Esculape, allié à Hercule par sa mere, & digne contemporain de Socrate, il fut doüé par la nature d'un excellent tempérament, que ni ses voyages, ni le travail le plus opiniâtre ne purent altérer ; & pour le génie, d'une sagacité qui semble avoir franchi les bornes de l'esprit humain : enfin son amour singulier pour la vérité, pour son art & pour son pays, sont peut-être un exemple unique ; &, si je puis me servir des termes de Callimaque, il remplit l'office de cette panacée divine, dont les gouttes précieuses chassent les maladies de tous les lieux où elles tombent. Il délivra l'Attique de la peste, & refusa les sommes immenses que le roi Artaxerxe d'un côté, & des provinces entieres de l'autre, lui firent offrir pour leur rendre le même service. " Dites à votre maître, répondit-il au gouverneur de l'Hellespont, que je suis assez riche ; que l'honneur ne me permet pas de recevoir ses présens, & d'aller secourir les ennemis de la Grece ". Quand les Athéniens furent prêts de porter leurs armes contre l'île de Cos, il invoqua & obtint l'assistance des peuples qu'il avoit sauvés de la contagion, soûleva les états circonvoisins, & dissipa lui seul la tempête dont sa patrie étoit menacée. S'il est vrai, comme on n'en peut douter, que les hommes sont grands à proportion du bien qu'ils font, quel mortel est plus grand qu'Hippocrate, qui a fait tant de bien à son pays, à toute la Grece, à son siecle, & aux siecles les plus reculés ?

De son tems la Chirurgie étoit si parfaitement unie à la Médecine, que l'une n'avoit pas même un nom particulier qui la distinguât de l'autre : aussi prendroit-on le livre de officinâ medici, qu'on trouve parmi ses oeuvres, pour un traité de Chirurgie. Quoi qu'il en soit, tout ce qu'il a écrit des plaies, des tumeurs, des ulceres, des fistules, des fractures, des luxations, & des opérations qui y conviennent, est admirable. Il faut y joindre la lecture des excellens commentaires que nous avons en nombre sur sa Chirurgie, & on y puisera les plus belles & les plus utiles connoissances. C'est à Hippocrate, que je ne nomme guere sans un sentiment de plaisir, de gratitude, & de vénération ; c'est, le dirai-je, à ce divin mortel que nous devons tout en Médecine & en Chirurgie : en un mot, pour appliquer à mon sujet les termes de Montagne, " la plus riche vie que je sache avoir été vécue entre les vivans, & étoffée de plus riches parties & desirables, c'est celle d'Hippocrate ; & d'un autre côté je ne connois nulle sorte d'écrits d'homme que je regarde avec tant d'honneur & d'amour ".

Magatus (Cesar) de rarâ medicatione vulnerum ; Venet. 1616, in-fol.

Magati, né dans l'état de Venise en 1579, & mort en 1646 de la pierre, comme tant d'autres gens de lettres, a renouvellé dans ce traité la sage pratique du rare pansement des plaies. Il mérite fort d'être lû ; aussi a-t-on réimprimé toutes les oeuvres de Magati à Francfort en 1733, in -4°.

Nuck (Anton.) operationes & experimenta chirurgica.

Cet ouvrage de Nuck, célebre d'ailleurs par ses découvertes anatomiques, a eu beaucoup de succès : il parut pour la premiere fois à Leyde en 1692, in -8°. ensuite à Iene en 1698, in -8°. derechef à Leyde en 1714, in -8°. & en allemand avec des notes, à Hall en 1728, in -8°.

Palfyn (Jean) Anatomie chirurgicale, avec fig.

Palfyn, chirurgien juré, anatomiste, & lecteur en Chirurgie de la ville de Gand, a joint à la description des parties les diverses maladies chirurgicales qui peuvent les attaquer, avec des remarques sur la maniere de traiter ces maladies. Il la publia d'abord en flamand à Leyde en 1719, in -4°. ensuite en françois à Paris en 1726, in -8°. il en parut une troisieme édition en 1734. C'est un ouvrage utile, fort au-dessus de celui de Genga, imprimé en latin à Rome en 1686, in -8°.

Paré (Ambroise) oeuvres, Lyon 1652, fol. avec fig. Ibid. 1664, fol.

On doit au célebre Paré la restauration de la Chirurgie dans le royaume. Né à Laval dans le Maine en 1510, il vint à Paris, se forma dans les hôpitaux, se perfectionna dans les armées, se fit la plus haute réputation, & fut successivement premier chirurgien de Henri II. de François II. de Charles IX. & d'Henri III.

Ses excellentes oeuvres ont été réimprimées plusieurs fois : la premiere édition françoise parut, je crois, à Paris en 1575. Guillemeau les a traduites en latin, & les a publiées en 1582, in-fol. Elles parurent à Paris en françois pour la quatrieme édition en 1585. Elles ont encore paru à Francfort en 1594 & 1610, in-fol. Enfin elles ont été traduites en anglois, en hollandois, & en allemand.

Peccettii (Francisc.) Chirurgia, &c.

Elle est distribuée en quatre livres théorétiques & pratiques. La premiere édition parut chez les Juntes en 1616, in-fol. Francof. 1619, in -8°. vol. 2 ; & enfin à Pavie (Ticini) 1697, in-fol. Malgré toutes ces éditions, c'est un ouvrage fort inférieur à ceux d'Italie du même siecle.

Severini (Marc. Aur.) trimembris Chirurgia ; Franc. 1653, in -4°.

Severini, né dans le royaume de Naples, cultiva également l'Anatomie comparée & la Chirurgie. Nous lui devons de bons ouvrages dans l'un & dans l'autre genre ; tels sont ceux de la zootomie, des abcès, & de la Médecine efficace. Sa Chirurgie a été réimprimée plusieurs fois ; mais l'édition de Leyde en 1725, in -4°. est préférable à toutes les précédentes.

Vesalii (Andr.) Chirurgia magna ; Venet. 1569, in 8°. & dans la collection de ses oeuvres, il faut connoître la Chirurgie de Vésale, quand ce ne seroit que parce qu'il est le prince des Anatomistes.

Vigo (Joh. de) practica in arte chirurgicâ, &c.

Jamais livre de chirurgien n'a eu un plus grand nombre d'éditions, ni plus rapidement. La premiere parut à Lyon en 1516, in -4°. puis en 1518, in -4°. 1534, 1545, & 1582, in -8°. à Florence en 1525, in -8°. en françois à Paris en 1530, in-fol. & à Lyon en 1537, in -8°. en italien à Venise en 1558, 1560, 1569, in -4°. en anglois à Londres en 1543, fol. & 1586, in -4°. min. en haut allemand à Nuremberg en 1577, in -4°. &c.

En effet, cet ouvrage, qui étoit le meilleur de son tems, renferme de fort bonnes choses. De Vigo, né dans l'état de Gènes, fleurissoit avec le plus grand éclat au commencement du xvj. siecle. Il fut reçû docteur en Médecine, & entendoit fort bien l'Anatomie & la Pharmacie. Sa haute réputation lui valut la place de premier chirurgien du pape Jules II. qui mourut le 21 Février 1514, & de Vigo lui survécut.

Wiseman (Rich.) Chirurgical treatises ; Lond. 1676, fol. ed. 1. & 1719, 8°. 2 vol. ed. quinta.

C'est le Paré des Anglois, & ils n'ont point encore eu de meilleur cours complet de Chirurgie que celui de Wiseman, auquel il faut joindre le traité de Sharp, traduit en françois, Paris 1741, in -12.

Je passe sous silence les meilleurs ouvrages de Chirurgie qui ont paru en langue espagnole, tels que ceux de Fragoso, de D. Martin Martinez, &c. en italien ceux de Mazieri, de Melli, de Benevoli, &c. en hollandois ceux de Sollingen, Barbette, Bontekoe, &c. en allemand ceux de Holder, Joël, Leauson, Rotheius, &c. parce que tous ces auteurs ne peuvent servir qu'à un petit nombre de gens qui entendent bien les langues dans lesquelles ils ont écrit, & que d'ailleurs ils ne renferment les uns & les autres que ce qu'on trouve originairement dans nos auteurs latins & françois.

Mais il est un autre genre de livres très-utiles ; ce sont les observations chirurgicales qui ont été données par un grand nombre d'auteurs. Je vais nommer les principaux, parce qu'il est bon de les connoître pour les consulter dans l'occasion.

Chabert, observations de Chirurgie pratique ; Paris 1724, in -12.

Couillard, observations jatro-chirurgiques.

Gautier (Yvonis) observ. medico-chirurgic. Groningae 1700, in -4°.

Gehema (Jani Abrah. à) observationes chirurgicae ; Francof. 1690.

Gherli (Fulvio) centuria d'observazioni rari di Medicina & Cirurgia ; in Venizia 1719, in -12.

Habicot (Nicolas) problèmes médicinaux & chirurgicaux ; Paris 1617, in -8°.

Le Dran (Henri François) observations de Chirurgie ; Paris 1731, in -12, en 2 vol.

Marchettis (Petrus de) sylloge observat. medico-chirurgicarum rariorum ; Patav. 1664, 8°. prem. édit. en 1675, édit. augm.

Meckeren (Jobus Van.) observationes medico-chirurgicae ; Amstel. 1668, in -8°. fig.

Moinichen (Henric. à) observ. medico-chirurgicae ; Dresdae, 1691, in -12.

Moyle (John.) chirurgical memoires benig an Accowit of many extraordinary cures ; Lond. 1708, in -12.

Mulleri (Joh. Mat.) observat. & curationes chirurgicae rariores ; Norimb. 1714, in -8°.

Muys (Joh.) observationum chirurgicarum decades quinque ; Lugd. Bat. 1685, in -12. dec. vj. & vij. Lugd. Bat. 1690, in -12.

Pechlini (Johan. Nic.) observat. phys-med. chirurg. Homb. 1691, in -4°.

Pezoldi (Carp.) observat. medico-chirurg. Uratislaw. 1715, in -8°.

Roscii (Matt.) observat. medico-chirurg. Francof. 1608, in -8°.

Saviard, nouveau recueil d'observations chirurgic. Paris 1702, in -12, prem. edit.

Spraegelii (Dicteric.) observat. chirurgicae selectiores ; Helmot. 1720, in -4°.

Triaen (Cornelii) observationum medico-chirurgic. fasciculus ; Lugd. Bat. 1745, in -4°.

Tulpii (Nicol.) observat. Lugd. Bat. 1716, in -12, cum fig.

Vagret, observ. medico-chirurg. Paris, 1718, in -8°.

Walterii (Conrad. Ludov.) observ. medico-chirurg. Lispsic. 1715, in -8°.

Wierii (Job.) observat. medico-chirurg. Amstelod. 1657, in -12.

Wiel (Cornel. Stalpart. Vander.) observat. rariores medico-anatom. chirurg. Lug. Bat. 1687, in -8°. 2 tom.

Remarquez que dans la plûpart des écrits d'observations médicinales, les chirurgicales s'y trouvent comprises ; nouveau fonds très considérable de livres, où l'on puisera bien des connoissances.

Enfin on les étendra par la lecture de toutes les matieres de Chirurgie qui entrent perpétuellement dans le recueil des diverses académies de l'Europe, & particulierement dans celui de l'académie des Sciences, & de l'académie de Chirurgie.

Quant aux meilleurs traités sur des sujets particuliers de Chirurgie, trop nombreux pour que j'entre dans ce détail, il est absolument nécessaire de les lire & de les consulter.

On manque d'une espece de bibliotheque chirurgicale qui indique les bons auteurs sur la Chirurgie en général, & en particulier sur chaque matiere, avec un précis & un jugement de leurs écrits, au lieu de ces titres secs de livres & d'éditions copiés sur des catalogues de libraires, tels que nous les ont donnés Mereklin, Alberti, Goëricke, Lippenius, & autres. Nous avons tant de traités sur les différentes maladies chirurgicales, qu'un commençant qui veut approfondir son art est obligé de payer à l'étude un immense tribut de lectures inutiles, & souvent propres à l'égarer. Avant que d'être en état de choisir ses guides pour découvrir la vérité, il a déjà épuisé ses forces. Ce seroit donc un grand service de le guider, de l'éclairer, de lui tracer les routes courtes & sûres, qui lui épargneroient tout ensemble un tems précieux, & des erreurs dangereuses. Mais l'on desirera peut-être encore long-tems l'ouvrage utile que je propose ; il faut trouver pour l'exécution un maître de l'art, qui réunisse aux lumieres & au loisir le travail & le goût, ce qui est rare. Art. de M(D.J.)

L'Académie royale de Chirurgie, établie depuis 1731, confirmée par lettres patentes de 1748, est sous la direction du secrétaire d'état de la maison du Roi, ainsi que les autres académies royales établies à Paris.

Le premier chirurgien du Roi y préside ; les assemblées se tiennent dans la salle du collége de saint Côme, le jeudi. Le jeudi d'après la Quasimodo, elle tient une assemblée publique, dans laquelle l'académie déclare le mémoire qui a remporté le prix fondé par feu M. de la Peyronie. Ce prix est une médaille d'or de la valeur de 500 liv. cette médaille représentera, dans quelque tems que la distribution s'en fasse, le buste de LOUIS LE BIEN-AIME.


CHIRURGIENS. m. celui qui professe & exerce la Chirurgie. Voyez CHIRURGIE.

L'état des Chirurgiens a été différent, suivant les révolutions différentes que la Chirurgie a éprouvées. On l'a vûe dans trois états différens, & les seuls qui étoient possibles pour elle. De ces trois états, deux ont été communs à toutes les nations étrangeres, & le troisieme a été particulier à la France.

Le premier état de la Chirurgie, celui qui fixe nos yeux, comme le plus éclatant, du moins chez les nations étrangeres, ce fut celui où cet art se trouva après la renaissance des lettres dans l'Europe. Quand les connoissances des langues eurent ouvert les trésors des Grecs & des Latins, il se forma d'excellens hommes dans toutes les nations & dans tous les genres. Mais ce qu'il y eut de particulier, par rapport à la Chirurgie, sur-tout dans l'Italie & dans l'Allemagne, c'est que cette science fut cultivée & exercée par les mêmes hommes qui cultiverent & qui exercerent la Médecine ; desorte que l'on vit dans les mêmes savans, & des Chirurgiens admirables, & de très-grands Médecins. Ce furent-là les beaux jours de la Chirurgie pour l'Italie & pour l'Allemagne. C'est à ce tems que nous devons rapporter cette foule d'hommes illustres dont les ouvrages feront à jamais le soûtien & l'honneur de l'une & l'autre Médecine.

La disposition des lois avoit favorisé la liberté d'unir dans les mêmes hommes les deux arts ; ce fut cette liberté même qui causa la chûte de la Chirurgie. Il n'est pas difficile de sentir les raisons de cette décadence. Les dehors de la Chirurgie ne sont pas attrayans ; ils rebutent la délicatesse : cet art, hors les tems de guerre, n'exerce presque les fonctions qui lui sont propres que sur le peuple, ce qui n'amorce ni la cupidité ni l'ambition, qui ne trouvent leur avantage que dans le commerce avec les riches & les grands ; de-là les savans, maîtres de l'un & l'autre art, abandonnerent l'exercice de la Chirurgie. Les maladies médicales sont les compagnes ordinaires des riches & des grandeurs ; & d'ailleurs elles n'offrent rien qui, comme les maladies chirurgicales, en éloigne les personnes trop délicates ou trop sensibles ; ce fut par ces raisons, que ces hommes illustres, médecins & chirurgiens tout-à-la-fois, abandonnerent les fonctions de la Chirurgie, pour n'exercer plus que celles de la Médecine.

Cet abandon donna lieu au second état de la Chirurgie. Les Médecins-Chirurgiens, en quittant l'exercice de cet art, retinrent le droit de le diriger, & commirent aux Barbiers les fonctions, les opérations de la Chirurgie, & l'application de tous les remedes extérieurs. Alors le Chirurgien ne fut plus un homme seul & unique, ce fut le composé monstrueux de deux individus ; du Médecin, qui s'arrogeoit exclusivement le droit de la science, & conséquemment celui de diriger ; & du Chirurgien manoeuvre, à qui on abandonnoit le manuel des opérations.

Les premiers momens de cette division de la science d'avec l'art d'opérer, n'en firent pas sentir tout le danger. Les grands maîtres qui avoient exercé la Médecine comme la Chirurgie vivoient encore ; & l'habileté qu'ils s'étoient acquise suffisoit pour diriger l'automate, ou le Chirurgien opérateur. Mais dès que cette race hippocratique, comme l'appelle Fallope, fut éteinte, les progrès de la Chirurgie furent non-seulement arrêtés, mais l'art lui-même fut presque éteint, il n'en resta pour ainsi dire que le nom. On cessa de voir l'exemple de ces brillantes, de ces efficaces opérations, qui du regne des premiers Médecins avoient sauvé la vie à tant d'hommes. De-là cette peinture si vive que fait Magatus du malheur de tant d'infortunés citoyens, qui se trouvoient abandonnés sans ressource, lorsqu'autrefois l'art auroit pû les sauver ; mais ils ne pouvoient rien en espérer dans cette situation. Le chirurgien n'osoit se déterminer à opérer, parce qu'il étoit sans lumieres : le Médecin n'osoit prendre sur lui d'ordonner, parce qu'il étoit sans habileté dans ce genre. L'abandon étoit donc le seul parti qui restât, & la prudence elle-même n'en permettoit point d'autre.

La Chirurgie françoise ne fut point exposée aux mêmes inconvéniens. Une législation dont on ne peut trop loüer la sagesse, avoit donné à la Chirurgie le seul état qui pouvoit la conserver. Cet état est le troisieme où la Chirurgie s'est vûe, & qui jusqu'à nos jours n'a été connu que de la France.

Long-tems avant le regne de François I. la Chirurgie faisoit un corps savant, mais uniquement occupé à la culture de la Chirurgie. Les membres de ce corps possédoient la totalité de la science qui apprend à guérir ; mais ils n'étoient autorisés par la loi qu'à faire l'application des regles de cette science sur les maladies extérieures, & nullement sur les maladies internes, qui faisoient le partage des Physiciens ou Médecins. La science étoit liée à l'art par des noeuds qui sembloient indissolubles ; le chirurgien savant étoit borné à la culture de son art. La vanité, l'ambition ou l'intérêt ne pouvoient plus le distraire pour tourner ailleurs son application. Tout sembloit prévû ; toute source de desordre sembloit coupée dans sa racine ; mais la sagesse des lois peut-elle toûjours prévenir les effets des passions, & les tours qu'elles peuvent prendre ? Les lettres qui faisoient le partage des Chirurgiens françois sembloient mettre un frein éternel aux tentatives de leurs adversaires. Mais enfin les procès & les guerres outrées qu'ils eurent à soûtenir, préparerent l'avilissement de la Chirurgie. La faculté de Médecine appella les Barbiers pour leur confier les secours de la Chirurgie ministrante ; ensuite elle les initia aux fonctions des grandes opérations de la Chirurgie ; enfin elle parvint à faire unir les Barbiers au corps des Chirurgiens. La Chirurgie ainsi dégradée par son association avec des artisans, fut exposée à tout le mépris qui devoit suivre une aussi indigne alliance : elle fut dépouillée par un arrêt solemnel en 1660 de tous les honneurs littéraires ; & si les lettres ne s'exilerent point de la Chirurgie, du moins ne parurent-elles y rester que dans la honte & dans l'humiliation.

Par une espece de prodige, malgré les lettres presque éteintes dans le nouveau corps, la théorie s'y conserva. On en fut redevable au précieux reste de l'ancien corps de la Chirurgie. Ces grands hommes, malgré leur humiliation, malgré la douleur de se voir confondus avec de vils artisans, espérerent le rétablissement de leur art. Ils conserverent le précieux dépôt de la doctrine, & firent tous leurs efforts pour le transmettre fidelement à des successeurs qui pourroient un jour voir renaître la Chirurgie : leur zele n'oublia rien. Parmi cette troupe d'hommes avec qui ils étoient confondus, ils trouverent dans quelques-uns des teintures des lettres, prises dans une heureuse éducation ; dans d'autres, des talens marqués pour réparer, dans un âge avancé, le malheur d'une éducation négligée ; & dans tous enfin, le zele le plus vif pour la conservation d'un art qui étoit devenu le leur.

Ce fut ainsi que la Chirurgie se maintint dans la possession de la théorie. Ce fut le fruit des sentimens que ces peres de l'art, restes de l'ancienne Chirurgie, sûrent inspirer à leurs nouveaux associés. Mais cette possession n'étoit pas une possession d'état, une possession publique autorisée par la loi ; c'étoit une possession de fait, une possession furtive, qui dès lors ne pouvoit pas long-tems se soûtenir. La séparation de la théorie, d'avec les opérations de l'art, étoit la suite infaillible de cet état, & la Chirurgie se voyoit par-là sur le penchant de sa ruine. On sentit même plus que le présage de cette décadence, & l'on ne doit point en être surpris ; car les dictées & les lectures publiques étant interdites, on n'avoit d'autre moyen que la tradition pour faire passer aux éleves les connoissances de la Chirurgie ; & l'art dut nécessairement se ressentir de l'insuffisance de cette voie pour transmettre ses préceptes.

La perte de la Chirurgie étoit donc assûrée : il ne falloit rien moins pour prévenir ce malheur, qu'une loi souveraine qui rappellât cet art dans son état primitif. L'établissement de cinq démonstrateurs royaux en 1724, pour enseigner la théorie & la pratique de l'art, la fit espérer : bientôt après elle parut comme prochainement annoncée (en 1731) par la formation de l'académie royale de Chirurgie dans le corps de S. Côme ; & ce fut enfin l'impression du premier volume des mémoires de cette nouvelle compagnie, qui amena l'instant favorable où il plut au Roi de prononcer. Voici les propres termes de cette loi mémorable, qui non-seulement prévint en France la chûte de la Chirurgie, mais qui en assûre à jamais la conservation & les progrès, en fermant pour toûjours les voies par lesquelles on avoit pensé conduire la Chirurgie à sa perte.

Après avoir déclaré d'abord que la Chirurgie est reconnue pour un art savant, pour une vraie science qui mérite les distinctions les plus honorables, la loi ajoûte : " Que l'on en trouve la preuve la moins équivoque dans un grand nombre d'ouvrages sortis de l'école de S. Côme, où l'on voit que depuis longtems les Chirurgiens de cette école ont justifié par l'étendue de leurs connoissances, & par l'importance de leurs découvertes, les marques d'estime & de protection que les rois prédécesseurs ont accordées à une profession si importante pour la conservation de la vie humaine : mais que les Chirurgiens de robe longue qui en avoient été l'objet, ayant eu la facilité de recevoir parmi eux, suivant les lettres patentes du mois de Mars 1656, enregistrées au parlement, un corps entiers de sujets illittérés, qui n'avoient pour partage que l'exercice de la Barberie, & l'usage de quelques pansemens aisés à mettre en pratique ; l'école de Chirurgie s'avilit bientôt par le mélange d'une profession inférieure, ensorte que l'étude des lettres y devint moins commune qu'elle ne l'étoit auparavant : mais que l'expérience a fait voir combien il étoit à desirer que dans une école aussi célebre que celle des Chirurgiens de S. Côme, on n'admît que des sujets qui eussent étudié à fond les principes d'un art dont le véritable objet est de chercher, dans la pratique précédée de la théorie, les regles les plus sûres qui puissent résulter des observations & des expériences. Et comme peu d'esprits sont assez favorisés de la nature pour pouvoir faire de grands progrès dans une carriere si pénible, sans y être éclairés par les ouvrages des maîtres de l'art, qui sont la plûpart écrits en latin, sans avoir acquis l'habitude de méditer & de former des raisonnemens justes par l'étude de la Philosophie. Nous avons reçû favorablement les représentations qui nous ont été faites par les Chirurgiens de notre bonne ville de Paris, sur la nécessité d'exiger la qualité de maître-ès-arts de ceux qui aspirent à exercer la Chirurgie dans cette ville, afin que leur art y étant porté par ce moyen à la plus grande perfection qu'il est possible, ils méritent également par leur science & par leur pratique, d'être le modele & les guides de ceux qui, sans avoir la même capacité, se destinent à remplir la même profession dans les provinces & dans les lieux où il ne seroit pas facile d'établir une semblable loi ".

Exposer les dispositions de cette favorable déclaration, c'est en démontrer la sagesse. Les Chirurgiens souffrirent néanmoins à son occasion des contradictions de toute espece Cette loi les lavoit de l'ignominie qui les couvroit : en rompant le contrat d'union avec les Barbiers, elle rendoit les Chirurgiens à l'état primitif de leur art, à tous les droits, priviléges, prérogatives dont ils joüissoient par l'autorité des lois avant cette union. La faculté de Médecine disputa aux Chirurgiens les prérogatives qu'ils vouloient s'attribuer, & elle voulut faire regarder le rétablissement des lettres dans le sein de la Chirurgie, comme une innovation préjudiciable au bien public & même aux progrès de la Chirurgie. L'université s'éleva contre les Chirurgiens, en réclamant le droit exclusif d'enseigner. Les Chirurgiens répondirent à toutes les objections qui leur furent faites. Ils prouverent contre l'université, qu'une profession fondée sur une législation constante les autorisoit à donner par-tout où bon leur sembleroit, des leçons publiques de l'art & science de Chirurgie ; qu'ils avoient toûjours joüi pleinement du droit d'enseigner publiquement dans l'université ; que la Chirurgie étant une science profonde & des plus essentielles, elle ne pouvoit être enseignée pleinement & sûrement que par les Chirurgiens ; & que les Chirurgiens ayant toûjours été de l'université, l'enseignement de cette science avoit toûjours appartenu à l'université.

De-là les Chirurgiens conclurent que l'université, pour conserver ce droit, qu'ils ne lui contestoient pas, avoit tort de s'élever contre la déclaration du Roi, qui en maintenant les Chirurgiens (obligés dorénavant à être maîtres-ès-arts) dans la possession de lire & d'enseigner publiquement dans l'université, lui conservoit entierement son droit. Ils ajoûterent que si l'université refusoit de reconnoître le collége & la faculté de Chirurgie, comme faisant partie d'elle-même, elle ne pourroit encore faire interdire aux Chirurgiens le droit d'enseigner cette science, étant les seuls qui soient reconnus capables de l'enseigner pleinement ; & que l'université voudroit en vain dans ce cas opposer aux lois, à l'usage, & à la raison, son prétendu droit exclusif d'enseigner, puisqu'elle ne peut se dissimuler que ce droit, qu'elle tient des papes, a été donné par nos rois, seuls arbitres du sort des sciences, à différens colléges qui enseignent, hors de l'université, des sciences que l'université enseigne elle-même.

Ces contestations, qui furent longues & vives, & dans le cours desquelles les deux principaux partis se livrerent sans-doute à des procédés peu mesurés, pour soûtenir leurs prétentions respectives, sont enfin terminées par un arrêt du conseil d'état du 4 Juillet 1750. " Le Roi voulant prévenir ou faire cesser toutes les nouvelles difficultés entre deux professions (la Médecine & la Chirurgie) qui ont un si grand rapport, & y faire régner la bonne intelligence, qui n'est pas moins nécessaire pour leur perfection & pour leur honneur, que pour la conservation de la santé & de la vie des sujets de Sa Majesté, elle a résolu d'expliquer ses intentions sur ce sujet. " Le Roi prescrit par cet arrêt, 1°. un cours complet des études de toutes les parties de l'art & science de la Chirurgie, qui sera de trois années consécutives ; 2°. que pour rendre les cours plus utiles aux éleves en l'art & science de la Chirurgie, & les mettre en état de joindre la pratique à la théorie, il sera incessamment établi dans le collége de saint Côme de Paris, une école-pratique d'Anatomie & d'opérations chirurgicales, où toutes les parties de l'Anatomie seront démontrées gratuitement, & où les éleves feront eux-mêmes les dissections & les opérations qui leur auront été enseignées ; 3°. Sa Majesté ordonne que les étudians prendront des inscriptions au commencement de chaque année du cours d'étude, & qu'ils ne puissent être reçûs à la maîtrise qu'en rapportant des attestations en bonne forme du tems d'études. Le Roi regle par plusieurs articles comment la faculté de Médecine sera invitée, par les éleves gradués, à l'acte public qu'ils soûtiennent à la fin de la licence, pour leur réception au collége de Chirurgie ; & Sa Majesté veut que le répondant donne au doyen de la faculté, la qualité de decanus saluberrimae facultatis, & à chacun des deux docteurs assistans, celle de sapientissimus doctor, suivant l'usage observé dans les écoles de l'université de Paris. Ces trois docteurs n'ont que la premiere heure pour faire des objections au candidat ; les trois autres heures que dure l'acte, sont données aux maîtres en Chirurgie, qui ont seuls la voix délibérative pour la réception du répondant.

Par l'article xjx. de cet arrêt, Sa Majesté s'explique sur les droits & prérogatives dont les maîtres en Chirurgie doivent joüir ; en conséquence elle ordonne que conformément à la déclaration du 23 Avril 1743, ils joüiront des prérogatives, honneurs & droits attribués aux autres arts libéraux, ensemble des droits & priviléges dont joüissent les notables bourgeois de Paris ; & Sa Majesté par l'article XX. déclare qu'elle n'entend que les titres d'école & de collége puissent être tirés à conséquence, & que sous prétexte de ces titres les Chirurgiens puissent s'attribuer aucun des droits des membres & suppôts de l'université de Paris.

Cette restriction met le collége de Chirurgie au même degré où sont le collége Royal & celui de Louis le Grand. Les Chirurgiens, en vertu de leur qualité de maîtres en Chirurgie, ne peuvent avoir aucun droit à l'impétration des bénéfices, ni aux cérémonies particulieres au corps des quatre facultés ecclésiastiques. Cette restriction annulle implicitement les lettres patentes de François I. qui en 1544 accorda au collége des Chirurgiens de Paris les mêmes priviléges que les suppôts, régens, & docteurs de l'université de cette ville. Il est vrai que la faculté de Chirurgie ne forma jamais, étant de l'ordre laïque, civil, & purement royal, une cinquieme faculté avec les quatre autres de l'ordre apostolique. Les anciens Chirurgiens, en 1579, avoient cherché à faire une cinquieme faculté apostolique, ou pareille aux quatre autres facultés de l'université. Pour y parvenir, ils s'adresserent au pape, qui leur accorda une bulle à cet effet, laquelle occasionna un procès qui n'a pas été décidé. Mais les Chirurgiens actuels renonçant aux vûes de leurs prédécesseurs, ont déclaré ne vouloir troubler l'ordre établi de tout tems dans l'université ; ils demandoient seulement d'y être unis sous l'ancienne forme, comme faculté laïque, civile, & purement royale, cette forme ne pouvant porter aucun préjudice à l'université, ni causer aucun dérangement dans son gouvernement. Il étoit très-naturel que les Chirurgiens souhaitassent d'appartenir à l'université, mere commune des sciences, du-moins comme maîtres-ès-arts, puisqu'elle croit avoir raison de les refuser comme faculté. " Ce dernier titre, dit M. de la Martiniere, premier chirurgien du Roi, dans un mémoire présenté à Sa Majesté ; ce dernier titre a fait l'objet de notre ambition : mais dès que votre volonté suprème daigne nous accorder le titre de collége royal, l'honneur de dépendre immédiatement de votre Majesté suffit pour nous consoler de toute autre distinction ". (Y)

CHIRURGIENS, s. m. pl. (Jurispr.) doivent intenter leur action dans l'année, pour leurs pansemens & médicamens, après lequel tems ils ne sont plus recevables. Coût. de Paris, art. 127.

Les Chirurgiens qui forment leur demande à tems, sont préférés à tous autres créanciers. Mornac, liv. IV. cod. de petitione haeredit.

Les ecclésiastiques ne peuvent exercer la Chirurgie ; ils deviendroient irréguliers. Mais un laïque qui a exercé la Chirurgie, n'a pas besoin de dispense pour entrer dans l'état ecclésiastique. Cap. sententiam extra ne clerici negot. saecul. se immisc.

Suivant le droit romain, où l'impéritie étoit réputée une faute, le chirurgien étoit tenu de l'accident qu'il avoit occasionné par son impéritie : mais parmi nous un chirurgien n'est pas responsable des fautes qu'il fait par ignorance ou par impéritie ; il faut qu'il y ait du dol ou quelqu'autre circonstance qui le rende coupable. Voyez les arrêts cités par Brillon, au mot Chirurgien, n. 8.

Les Chirurgiens sont incapables de legs faits à leur profit par leurs malades, dans la maladie dont ils les ont traités. Voyez la loi scio ff. de legat. 1. & leg. Medicus, ff. de extraord. cognit. Ricard, de donat. part. I. iij. sect. 9. n. 299. (A)


CHISCH(Géog.) ville du royaume de Bohème, dans le cercle de Satz.


CHISON(Géog.) riviere d'Italie en Piémont, qui se jette dans le Pô à peu de distance de Carmagnole.


CHISOPOLI(Géog.) ville de la Turquie européenne en Macédoine, sur la riviere de Stromona.


CHIT-SES. m. (Bot. exotiq.) arbre des plus estimé à la Chine pour la beauté & la bonté de son fruit. Je lui connois ces qualités par gens qui ont été dans le pays, & plus encore par une relation du P. Dentrecolles missionnaire, insérée dans les lettres édifiantes, tome XXIV. dont voici le précis.

Les provinces de Chantong & de Homann ont les campagnes couvertes de chit-ses, qui sont presque aussi gros que des noyers. Ceux qui croissent dans la province de Tche-kiang, portent des fruits plus excellens qu'ailleurs. Ces fruits conservent leur fraîcheur pendant tout l'hyver. Leur figure n'est pas partout la même : les uns sont ronds, les autres allongés & de forme ovale ; quelques-uns un peu plats, & en quelque sorte à deux étages semblables à deux pommes qui seroient accolées par le milieu. La grosseur des bons fruits égale celle des oranges ou des citrons : ils ont d'abord la couleur du citron, & ensuite celle de l'orange. La peau en est tendre, mince, unie, & lissée. La chair du fruit est ferme, & un peu âpre au goût ; mais elle s'amollit en mûrissant : elle devient rougeâtre, & acquiert une saveur douce & agréable ; avant même l'entiere maturité, cette chair, lorsque la peau en est ôtée, a un certain mélange de douceur & d'âpreté qui fait plaisir, & lui donne une vertu astringente & salutaire.

Ce fruit renferme trois ou quatre pepins pierreux, durs, & oblongs, qui contiennent la semence. Il y en a qui étant nés par artifice, sont destitués de pepins, & ils sont plus estimés. Du reste, il est rare que ces fruits mûrissent sur l'arbre : on les cueille en automne, lorsqu'ils sont parvenus à leur grosseur naturelle : on les met sur de la paille ou sur des claies où ils achevent de mûrir.

Ce détail ne convient qu'à l'arbre qu'on prend soin de cultiver. Pour ce qui est du chi sauvage, il a un tronc tortu, ses branches entrelacées & semées de petites épines : le fruit n'en est pas plus gros qu'une pomme-rose de la petite espece. La culture de ces arbres consiste principalement dans l'art de les enter plusieurs fois ; alors les pepins du fruit deviennent plus petits, & même quelquefois le fruit n'a point de pepin.

Les arboristes chinois font des éloges magnifiques de l'arbre chi ; les plus modérés lui reconnoissent sept avantages considérables ; 1° de vivre un grand nombre d'années produisant constamment des fruits ; 2° de répandre au loin une belle ombre ; 3° de n'avoir point d'oiseaux qui y fassent leurs nids ; 4° d'être exempt de vers & de tout autre insecte ; 5° d'avoir des feuilles qui prennent les couleurs les plus agréables, lorsqu'il a été couvert de gelée blanche ; 6° d'engraisser la terre avec ses mêmes feuilles tombées, comme feroit le meilleur fumier ; 7° de produire de beaux fruits d'un goût excellent.

Les Chinois ont coûtume de les sécher de la maniere à-peu-près qu'on seche les figues. Ils choisissent ceux qui sont de la plus grosse espece, & qui n'ont point de pepins ; ou s'ils en ont, ils les tirent proprement : ensuite ils pressent insensiblement ces fruits avec la main pour les applatir, & ils les tiennent exposés au soleil & à la rosée. Quand ils sont secs, ils les ramassent dans un grand vase jusqu'à ce qu'ils paroissent couverts d'une espece de gelée blanche qui est leur suc spiritueux, lequel a pénétré sur la surface. Ce suc rend l'usage de ce fruit salutaire aux pulmoniques. On prendroit ces fruits ainsi séchés pour des figues, & alors ils sont de garde. La meilleure provision qui s'en fasse, c'est dans le territoire de Kent-cheou de la province de Chantong. Sans-doute que le fruit a dans ce lieu-là plus de corps & de consistance : en effet, quand il est frais cueilli & dans sa maturité, en ouvrant tant-soit-peu sa peau, on attire & on suce avec les levres toute sa pulpe, qui est très-agréable.

Sans examiner quelle confiance mérite le récit du P. Dentrecolles, & autres voyageurs, sur l'excellence du chit-se & de son fruit, il ne seroit peut-être pas difficile d'en juger par nous-mêmes en Europe. L'arbre y croîtroit aisément suivant les apparences, puisqu'il vient à merveille dans les parties méridionales & septentrionales de la Chine, dans un pays chaud comme dans un pays froid : il ne s'agiroit presque que d'avoir des pepins, & l'on ne manqueroit pas de moyens pour y parvenir. On n'est souvent privé des choses, que faute de s'être donné dans l'occasion quelques soins pour se les procurer. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CHITAC(Géog.) petite riviere de France dans le Gevaudan.


CHITESS. f. (Commerce) chites, moultans, caffa, lampasses, betilles, guraes, lagias du pegu, masulipatan, toiles & mouchoirs, romal, tapissendis, &c. sont des mousselines ou toiles de coton des Indes orientales, imprimées & peintes avec des planches de bois, & dont les couleurs, sans rien perdre de leur éclat, durent autant que la toile même. Il y en a d'imprimées des deux côtés, telles que les mouchoirs & les tapissendis, dont on peut faire des tapis & des courtepointes : les unes viennent de Masulipatan, sur la côte de Coromandel, où les François ont un comptoir ; les autres, du royaume de Golconde, du Visapour, de Brampour, de Bengale, de Seronge, &c. & s'achetent à Surate. C'est du chay, plante qui ne croît qu'en Golconde, que l'on tire ce beau rouge des toiles de Masulipatan, qui ne se déteint jamais. Les Hollandois particulierement, les Flamans, & la plûpart de ceux qui vendent les toiles peintes des Indes, les contrefont sur des toiles de coton blanches, qui viennent véritablement des Indes, & qu'on appelle chintes-seronge ; mais leurs couleurs n'ont ni la même durée ni le même éclat qu'on remarque aux véritables, desorte que plusieurs de ceux qui les achetent sont trompés. Il n'en est pas de même des damaras, foulalis, landrins, daridas, & autres étoffes & taffetas legers de soie qui nous viennent pareillement des Indes, qui sont imprimés aussi avec des planches de bois ; ils ne peuvent se contrefaire en Europe, parce qu'on n'en tire point de ces pays qui ne soient imprimés. Le trait du dessein des broderies des mousselines ou toiles des Indes, est aussi frappé avec des planches de bois, à-moins qu'elles ne soient blanches ; les blanches se travaillent avec la piece. Mais comme on a commodément des mousselines, sans être brodées, quantité sont brodées en Hollande, en France, & ailleurs, où on les fait passer pour originaires des Indes ou de la Perse. Voyez PERSE, SERONGE, TOILES PEINTES, INDIENNES, RIESRIES. Cet article est de M. PAPILLON, dont il est parlé dans le Discours préliminaire.


CHITONE(Mythologie) surnom de Diane. Elle fut ainsi appellée, du culte qu'on lui rendoit dans un petit bourg de l'Attique, ou peut-être du mot grec , habit, parce qu'on lui consacroit les premiers habits des enfans. On la nommoit aussi Chitonia.


CHITONIESS. f. (Mythol.) fêtes célébrées en l'honneur de Diane de Chitone, village de l'Attique, d'où cette Diane fut appellée Chitonia.


CHITONISQUES. f. tunique de laine que les Grecs portoient sur la peau, & qui leur servoit de chemise. Les Romains, qui avoient le même vêtement, l'appelloient subucula.


CHITOR(Géog.) grande ville d'Asie dans les états du grand-mogol, dans une province de même nom. Long. 94. lat. 23.


CHITPOUR(Géog.) ville d'Asie dans l'Indostan, au royaume d'Agra, sur les frontieres de celui de Guzarate.


CHIUSS. m. (Hist. anc.) un des jets des dés. Quelques auteurs opinent que c'étoient les trois trois ; d'autres les trois unités.


CHIUSI(Géog.) petite ville d'Italie au grand duché de Toscane, dans le Siennois. Long. 29. 30. lat. 43.


CHIUTAY(Géog.) ville considérable de la Turquie en Asie, capitale de la Natolie, sur la riviere d'Ayala. Long. 47. 22. lat. 39. 24.


CHIVAou CHIVASSO, (Géog.) ville forte d'Italie dans le Piémont, près du Pô. Long. 25. 30. lat. 45. 3.

CHIVAS, (Géog.) ville d'Espagne au royaume de Valence.


CHIZÉ(Géog.) petite ville de France en Poitou.


CHLAMYDES. f. (Hist. anc.) vêtement militaire des anciens, qui se portoit sur la tunique. Voy. TUNIQUE.

La chlamyde étoit en tems de guerre ce qu'étoit la toga en tems de paix, & l'une & l'autre ne convenoient qu'aux praticiens. Voyez TOGA. Elle ne couvoit pas tout le corps, mais principalement les parties postérieures, quoiqu'elle enveloppât les épaules, & qu'elle fût attachée avec une boucle sur la poitrine. Il y avoit quatre ou cinq especes de chlamydes, celle des enfans, celle des femmes, & celle des hommes ; & parmi les chlamydes des hommes, on distinguoit celle du peuple & celle de l'empereur. C'est ce que nous appellons un manteau ou une casaque, & plus proprement encore une cotte d'armes. Voyez COTTE D'ARMES. (G)


CHLANIDIONS. m. (Hist. anc.) espece de manteau à l'usage des femmes greques, qui s'appelloit aussi hymation. Il paroît par celui qu'on voit à la femme de Prusias préfet de l'île de Co (antiq. expliq.), qu'il ne descendoit pas jusqu'aux talons. Le chlanidion étoit aussi partie de l'habillement des Babyloniens ; il se mettoit sur la derniere tunique, enveloppoit les épaules, mais ne descendoit pas si bas aux Babyloniens qu'aux femmes greques. Voyez CHLANIS.


CHLANIou CHLANIDION, (Hist. anc.) espece de chlene (voyez CHLENE), mais d'une étoffe plus legere & plus douce, & qui servoit également aux femmes & aux hommes.


CHLENES. f. (Hist. anc.) ancien habillement qui s'est appellé aussi lene par les Romains. C'étoit une espece de surtout qui servoit à garantir du froid. Il y en avoit de doubles & de simples, ou de fourrés & de non fourrés : on les mettoit la nuit en guise de couverture. Les Grecs s'en servoient à la guerre, ainsi qu'il paroît par quelques endroits de l'Iliade & de l'Odissée ; d'où il s'ensuit que la chlene est très-ancienne. Voyez CHLANIS.


CHLOIESS. f. pl. (Myth.) fêtes qu'on célébroit à Athenes, dans lesquelles on immoloit un bélier à Cerès. Pausanias dit que cette dénomination de chloies avoit quelque chose de mystérieux ; & M. Potter n'y voit qu'un adjectif fait de chloe, plante verte, nom convenable à la déesse des moissons. Voyez l'antiq. expliq.


CHLOPIGOROD(Géog.) ville de Russie dans la province de Rosdon.


CHLOROSE(Méd.) voyez le nom françois PALES COULEURS.


CHMIELNIC(Géog.) ville de Pologne bâtie en bois, dans la haute Podolie.


CHNIM(Géog.) ville forte de la Dalmatie, de la dépendance de la république de Venise.


CHOCS. m. en Méchanique, est l'action par laquelle un corps en mouvement en rencontre un autre, & tend à le pousser. C'est la même chose que percussion. Voy. PERCUSSION & COMMUNICATION DU MOUVEMENT. (O)

* CHOC ; c'est, en Minéralogie, le synonyme de puits : & l'on entend par un puits, une profondeur creusée perpendiculairement en terre, & aboutissant ou à des filons de mines, ou à des galeries qui conduisent à d'autres profondeurs ou puits qui conduisent à des filons. Ces chocs servent premierement à cet usage ; secondement, à donner écoulement aux eaux vers des réservoirs ; troisiemement, à remonter l'eau hors de ces réservoirs, & à la conduire hors de la mine ; quatriemement, à rechanger l'air du fond de la machine, à l'aide des machines inventées à cet effet.


CHOCAvoyez CHOUCAS.


CHOCNA(Géog.) petite ville de Bohème dans le cercle de Chrudim.


CHOCOLATS. m. (Oecon. domest. & Diete) espece de gâteau ou tablette préparée de différens ingrédiens, dont la base est la noix de cacao. Voyez CACAO. La boisson qu'on fait avec cette tablette, retient le même nom ; elle est originairement américaine : les Espagnols la trouverent fort en usage au Mexique, lorsqu'ils en firent la conquête vers l'an 1520.

Les Indiens qui usoient de cette boisson de tems immémorial, la préparoient d'une maniere fort simple ; ils rôtissoient leur cacao dans des pots de terre, & le broyoient entre deux pierres après l'avoir mondé, le délayoient dans de l'eau chaude, & l'assaisonnoient avec le piment, voyez PIMENT ; ceux qui y faisoient un peu plus de façon, y ajoûtoient l'achiote (voyez ROUCOU) pour lui donner de la couleur, & l'atolle pour en augmenter le volume. L'atolle est une bouillie de farine de mais ou blé d'inde, assaisonnée de piment par les Mexicains, mais relevée de goût par les religieuses & dames espagnoles, qui ont substitué au piment le sucre, la canelle, les eaux de senteur, l'ambre, le musc, &c. On fait dans ces pays le même usage de l'atolle, que de la crême de ris au Levant. Tout cela joint ensemble donnoit à cette composition un air si brute & un goût si sauvage, qu'un soldat espagnol disoit qu'elle étoit plus propre à être jettée aux cochons, que d'être présentée à des hommes ; & qu'il n'auroit jamais pû s'y accoûtumer, si le manque de vin ne l'avoit contraint à se faire cette violence, pour n'être pas obligé à boire toûjours de l'eau pure.

Les Espagnols instruits par les Mexicains, & convaincus par leur propre expérience que cette boisson rustique étoit un aliment salutaire, s'étudierent à en corriger les desagrémens par l'addition du sucre, de quelques aromates de l'Orient, & de plusieurs drogues du pays, dont il seroit inutile de faire ici le dénombrement, puisque nous n'en connoissons guere que le nom, & que de tant d'ingrédiens il n'y a presque que la seule vanille qui soit parvenue jusqu'à nous (de même que la canelle est le seul aromate qui ait eu l'approbation générale), & qui soit restée dans la composition du chocolat.

La vanille est une gousse de couleur brune, & d'une odeur fort suave ; elle est plus plate & plus longue que nos haricots, & renferme une substance mielleuse, pleine de petites graines noires & luisantes. On doit la choisir nouvelle, grasse, & bien nourrie, & prendre garde qu'elle n'ait été ni frottée de baume, ni mise en lieu humide. Voyez VANILLE.

L'odeur agréable & le goût relevé qu'elle communique au chocolat, l'ont rendue très-recommandable ; mais une longue expérience ayant appris qu'elle échauffe extrèmement, son usage est devenu moins fréquent ; & des personnes qui préférent le soin de leur santé au plaisir de leurs sens, s'en abstiennent même tout-à-fait. En Espagne & en Italie le chocolat préparé sans vanille, s'appelle présentement le chocolat de santé ; & dans nos îles françoises de l'Amérique, où la vanille n'est ni rare ni chere, comme en Europe, on n'en use point du tout, quoiqu'on y fasse une consommation de chocolat aussi grande qu'en aucun autre endroit du monde.

Cependant comme il y a encore bien des gens qui sont prévenus en faveur de la vanille, & qu'il est juste de déférer en quelque façon à leur sentiment, on va employer la vanille dans la composition du chocolat, qui paroît la meilleure & la mieux dosée. On dit seulement qu'elle paroît telle ; car comme il y a dans les goûts une diversité infinie d'opinions, chacun veut qu'on ait égard au sien, & l'un ajoûte ce que l'autre retranche ; quand même on conviendroit des choses à mélanger, il n'est pas possible de fixer entr'elles des proportions universellement approuvées ; & il suffira de les choisir telles qu'elles conviennent au plus grand nombre, & qu'elles forment par conséquent le goût le plus suivi.

Lorsque la pâte du cacao est bien affinée sur la pierre (voyez l'article CACAO), on y ajoûte le sucre en poudre passé au tamis de soie ; la véritable proportion du cacao & du sucre, est de mettre le poids égal de l'un & de l'autre : on diminue pourtant d'un quart la dose du sucre, pour empêcher qu'il ne desseche trop la pâte, & ne la rende aussi trop susceptible des impressions de l'air, & plus sujette ensuite à être piquée de vers. Mais ce quart de sucre supprimé est remplacé quand il s'agit de préparer en boisson le chocolat.

Le sucre étant bien mêlé avec la pâte de cacao, on y ajoûte une poudre très-fine, faite avec des gousses de vanille & des bâtons de canelle pilés & tamisés ensemble : on repasse encore ce mélange sur la pierre ; & le tout bien incorporé, on met la pâte dans des moules de fer-blanc, où elle prend la forme qu'on a voulu lui donner, & sa dureté naturelle. Quand on aime les odeurs, on y verse un peu d'essence d'ambre avant que de les mettre dans les moules.

Lorsque le chocolat se fait sans vanille, la proportion de la canelle est de deux dragmes par livre de cacao ; mais lorsqu'on y employe la vanille, il faut diminuer au moins la moitié de cette dose de la canelle. A l'égard de la vanille, la dose en est arbitraire, une, deux, ou trois gousses, & même davantage, par livre de cacao, suivant la fantaisie.

Les ouvriers en chocolat pour faire paroître qu'ils y ont employé beaucoup de vanille, y mêlent le poivre, le gingembre, &c. Il y a même des gens accoûtumés aux choses de haut goût, qui ne le veulent point autrement ; mais ces épiceries n'étant capables que de mettre le feu dans le corps, les gens sages ne donneront pas dans ces excès, & seront attentifs à n'user jamais de chocolat qu'ils n'en sachent sûrement la composition.

Le chocolat composé de cette maniere a cela de commode, que lorsqu'on est pressé de sortir du logis, ou qu'en voyage on n'a pas le tems de le mettre en boisson, on peut en manger une tablette d'une once, & boire un coup par-dessus ; laissant agir l'estomac pour faire la dissolution de ce déjeûné à l'impromptu.

Aux Antilles on fait des pains de cacao pur & sans addition. V. CACAO. Et quand on veut prendre le chocolat réduit en boisson, voici comme on y procede.

Préparation du chocolat à la maniere des îles françoises de l'Amérique. On ratisse legerement les pains de cacao avec un couteau, ou plûtôt avec une rape plate, quand ils sont assez secs, pour ne pas l'engraisser ; quand on a ratissé la quantité qu'on souhaite, (par exemple quatre grandes cuillerées combles qui pesent environ une once) on y mêle deux ou trois pincées de canelle en poudre passée au tamis de soie, & environ deux grandes cuillerées de sucre en poudre.

On met ce mélange dans une chocolatiere avec un oeuf frais entier, c'est-à-dire jaune & blanc ; on mêle bien le tout avec le moulinet, on le réduit en consistance de miel liquide ; surquoi ensuite on se fait verser la liqueur bouillante (eau ou lait, suivant la fantaisie) pendant qu'on fait rouler soi-même le moulinet avec force, pour bien incorporer le tout ensemble.

Enfin on met la chocolatiere sur le feu, ou au bain-marie dans un chauderon plein d'eau bouillante ; & dès que le chocolat monte, on en retire la chocolatiere, & après avoir fortement agité le chocolat avec le moulinet, on le verse à diverses reprises & bien moussé dans les tasses. Pour en relever le goût on peut, avant que de le verser, y ajoûter une cueillerée d'eau de fleur d'orange, où on a fait dissoudre une goutte ou deux d'essence d'ambre.

Cette maniere de faire le chocolat a plusieurs avantages qui lui sont propres, & qui la rendent préférable à toute autre.

En premier lieu, on peut s'assûrer qu'étant bien exécutée, le chocolat est d'un parfum exquis & d'une grande délicatesse de goût ; il est d'ailleurs très-leger sur l'estomac, & ne laisse aucune résidence ni dans la chocolatiere, ni dans les tasses.

En second lieu, on a l'agrément de le préparer soi-même & selon son goût, d'augmenter & de diminuer à sa volonté les doses du sucre & de la canelle, d'y ajoûter ou d'en retrancher l'eau de fleur d'orange & l'essence d'ambre ; en un mot d'y faire tel autre changement qu'on aura pour agréable.

En troisieme lieu, en n'y substituant rien qui puisse détruire les bonnes qualités du cacao, il est si tempéré qu'on le peut prendre à toute heure & à tout âge, en été comme en hyver, sans en craindre la moindre incommodité : au lieu que le chocolat assaisonné de vanille & d'autres ingrédiens acres & chauds, peut quelquefois être dangereux, sur-tout en été, aux jeunes gens & aux constitutions vives & seches. Le verre d'eau fraîche qu'on a coûtume de lui faire précéder ou succéder, ne fait que pallier pour un tems l'impression de feu qu'il laisse dans le sang & dans les visceres, après que l'eau s'est écoulée par les voies ordinaires.

En quatrieme lieu, ce chocolat est à si bon marché que la tasse ne revient presque qu'à un sou. Si les artisans en étoient une fois instruits, il y en a peu qui ne missent à profit un moyen si aisé & si gracieux de déjeûner à peu de frais, & de se soûtenir avec vigueur jusqu'au dîner sans autre aliment solide ni liquide. Hist. nat. du cacao. Voyez CACAO.

CHOCOLAT. (Diete) L'usage du chocolat ne mérite ni tout le bien ni tout le mal qu'on en a dit : cette espece d'aliment devient à-peu-près indifférent par l'habitude, comme tant d'autres. Une nation entiere en vit presque : manquer de chocolat chez les Espagnols, c'est être réduit au même point de misere que de manquer de pain parmi nous ; & l'on ne voit pas que ce peuple tire de grandes utilités de cet usage, ni qu'il en éprouve des maux sensibles.

Il y a long-tems qu'on a appellé le chocolat, le lait des vieillards : on le regarde comme très-nourrissant, & comme très-propre à réveiller les forces languissantes de l'estomac. Ces prétentions s'accordent assez avec ce que l'on connoît de la nature des différens ingrédiens de notre chocolat, & elles sont confirmées par l'expérience. Effectivement le cacao contient une substance farineuse, & une qualité considérable d'une matiere huileuse ou butyreuse, qui peuvent fournir abondamment l'une & l'autre une substance propre à la réparation de nos humeurs ou à la nutrition. Le sucre qui entre dans la composition du chocolat, & le jaune d'oeuf ou le lait avec lequel on le prend ordinairement, sont encore des matieres très-nourrissantes.

La vanille, la canelle, & les autres aromates dont on l'anime, sont capables d'exciter l'appétit, fortifier l'estomac, &c.

Le chocolat de santé même, c'est-à-dire celui qui est préparé sans aromate, n'est pas absolument privé de cette propriété tonique & stomachique : on observe assez communément qu'après en avoir pris le matin, on attend le dîner avec plus d'impatience que si on étoit resté à jeûn. Mais ce sont les gens peu habitués à son usage chez qui il produit cet effet ; il soûtient assez bien au contraire ceux qui en prennent journellement le matin, pour ne manger ensuite que le soir. C'est encore ici, comme on voit, une affaire d'habitude. (b)


CHOCOLOCOCA(Géog.) ville de l'Amérique méridionale au Pérou. Il se trouve des riches mines d'argent dans son voisinage.


CHOCZIM(Géog.) ville de Moldavie, sur les frontieres de Pologne, sur le Niester. Long. 44. 50. lat. 48. 50.


CHOEou CHOUS, (Mythol.) nom du second jour de la fête des Anthisteries. Voyez ANTHISTERIES. Ce jour chacun bûvoit dans son propre pot, de , vaisseau à boire.


CHOEURS. m. (Belles-Lett.) dans la Poésie dramatique, signifie un ou plusieurs acteurs qui sont supposés spectateurs de la piece, mais qui témoignent de tems-en-tems la part qu'ils prennent à l'action par des discours qui y sont liés, sans pourtant en faire une partie essentielle.

M. Dacier observe, après Horace, que la tragédie n'étoit dans son origine qu'un choeur qui chantoit des dithyrambes en l'honneur de Bacchus, sans autres acteurs qui déclamassent. Thespis, pour soulager le choeur, ajoûta un acteur qui récitoit les avantures de quelque héros. A ce personnage unique Eschyle en ajoûta un second, & diminua les chants pour donner plus d'étendue au dialogue.

On nomma épisodes, ce que nous appellons aujourd'hui actes, & qui se trouvoit renfermé entre les chants du choeur. Voyez EPISODE & ACTE.

Mais quand la tragédie eut commencé à prendre une meilleure forme, ces récits ou épisodes qui n'avoient d'abord été imaginés que comme un accessoire pour laisser reposer le choeur, devinrent eux-mêmes la partie principale du poëme dramatique, dont à son tour le choeur ne fut plus que l'accessoire : mais ces chants qui étoient auparavant pris de sujets différens du récit, y furent ramenés ; ce qui contribua beaucoup à l'unité du spectacle.

Le choeur devint même partie intéressée dans l'action, quoique d'une maniere plus éloignée que les personnages qui y concouroient : ils rendoient la tragédie plus réguliere & plus variée ; plus réguliere, en ce que chez les anciens le lieu de la scene étoit toujours le devant d'un temple, d'un palais, ou quelqu'autre endroit public : & l'action se passant entre les premieres personnes de l'état, la vraisemblance exigeoit qu'elle eût beaucoup de témoins, qu'elle intéressât tout un peuple, & ces témoins formoient le choeur. De plus, il n'est pas naturel que des gens intéressés à l'action, & qui en attendent l'issue avec impatience, restent toûjours sans rien dire : la raison veut au contraire qu'ils s'entretiennent de ce qui vient de se passer, de ce qu'ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux personnages en cessant d'agir leur en donnent le loisir ; & c'est aussi ce qui faisoit la matiere des chants du choeur. Ils contribuoient encore à la variété du spectacle par la musique & l'harmonie, par les danses, &c. ils en augmentoient la pompe par le nombre des acteurs, la magnificence & la diversité de leurs habits, & l'utilité par les instructions qu'ils donnoient aux spectateurs ; usage auquel ils étoient particulierement destinés, comme le remarque Horace dans son art poétique.

Le choeur ainsi incorporé à l'action, parloit quelquefois dans les scenes par la bouche de son chef, qu'on appelloit choryphée : dans les intermedes il donnoit le ton au reste du choeur, qui remplissoit par ses chants tout le tems que les acteurs n'étoient point sur la scene ; ce qui augmentoit la vraisemblance & la continuité de l'action. Outre ces chants qui marquoient la division des actes, les personnages du choeur accompagnoient quelquefois les plaintes & les regrets des acteurs sur des accidens funestes arrivés dans le cours d'un acte ; rapport fondé sur l'intérêt qu'un peuple prend ou doit prendre aux malheurs de son prince. Par ce moyen le théatre ne demeuroit jamais vuide, & le choeur n'y pouvoit être regardé comme un personnage inutile.

On regarde comme une faute dans quelques pieces d'Euripide, de ce que les chants du choeur sont entierement détachés de l'action, comme isolés, & ne naissent point du fond du sujet. D'autres poëtes, pour s'épargner la peine de composer des choeurs & de les assortir aux principaux événemens de la piece, se sont contentés d'y insérer des odes morales qui n'y avoient point de rapport ; toutes choses contraires au but & à la fonction des choeurs : tels sont ceux qu'on trouve dans les pieces de nos anciens tragiques, Garnier, Jodelle, &c. qui par ces tirades de sentences prétendoient imiter les Grecs, sans faire attention que ceux-ci n'avoient pas uniquement imaginé le choeur pour débiter froidement des sentences.

Dans la tragédie moderne on a supprimé les choeurs, si nous en exceptons l'Athalie & l'Esther de Racine : les violons y suppléent. M. Dacier blâme avec raison ce dernier usage, qui ôte à la tragédie une partie de son lustre : il trouve ridicule que l'action tragique soit coupée & suspendue par des sonates de musique instrumentale ; & que les spectateurs qui sont supposés émûs par la représentation, tombent dans un calme soudain, & fassent diversion avec l'agitation que la piece leur a laissée dans l'ame, pour s'amuser d'une gavotte. Il croit que le rétablissement des choeurs seroit nécessaire, non-seulement pour l'embellissement & la régularité du spectacle, mais encore parce qu'une de ses plus utiles fonctions chez les anciens étoit de rectifier par des réflexions qui respiroient la sagesse & la vertu, ce que l'emportement des passions arrachoit aux acteurs de trop fort ou de moins exact ; ce qui seroit assez souvent nécessaire parmi les modernes.

Les principales raisons qu'on apporte pour justifier la suppression des choeurs, sont que bien des choses doivent se dire & se passer en secret, qui forment les scenes les plus belles & les plus touchantes, dont on se prive dès que le lieu de la scene est public, & que rien ne s'y dit qu'en présence de beaucoup de témoins ; que ce choeur qui ne desemparoit pas du théatre des anciens, seroit quelquefois sur le nôtre un personnage fort incommode : & ces raisons sont très-fortes, eu égard à la constitution des tragédies modernes.

M. Dacier observe encore que dans l'ancienne comédie il y avoit un choeur que l'on nommoit grex ; que ce n'étoit d'abord qu'un personnage qui parloit dans les entre-actes ; qu'on y en ajoûta successivement deux, puis trois, & enfin tant, que ces comédies anciennes n'étoient presque qu'un choeur perpétuel qui faisoit aux spectateurs des leçons de vertu. Mais les Poëtes ne se continrent pas toûjours dans ces bornes ; & les personnages satyriques qu'ils introduisirent dans les choeurs, occasionnerent leur suppression dans la comédie nouvelle. Voyez COMEDIE.

Donner le choeur, c'étoit, chez les Grecs, acheter la piece d'un poëte, & faire les fraix de la représentation. Celui qui faisoit cette dépense s'appelloit à Athenes chorege. On confioit ce soin à l'archonte, & chez les Romains aux édiles. Voyez ARCHONTE & EDILE. Dissert. de M. l'abbé Vatri. Mém. de l'acad. des Belles-Lettres, tome VIII. (G)

CHOEUR, est dans nos églises cette partie la plus voisine du grand autel, séparée de la nef par une division, & ordinairement environnée d'un ou deux rangs de siéges ou stalles où se tiennent les chanoines, prêtres, & habitués, pour chanter l'office divin. Le choeur est ordinairement devant le grand autel du côté du peuple ; cependant il est quelquefois derriere, sur-tout dans les églises d'Italie ; on voit même deux choeurs en plusieurs églises, l'un derriere le grand autel, & l'autre sur le devant.

Ce mot vient, selon Isidore, à coronis circonstantium, parce qu'autrefois on se plaçoit en rond autour de l'autel pour chanter. C'est encore aujourd'hui a maniere dont les autels des Grecs sont bâtis.

Le choeur est séparé du sanctuaire où l'on offre le sacrifice, & de la nef où est le peuple qui y assiste. Voyez SANCTUAIRE, EGLISE, TEMPLE. (G)

Les gros décimateurs sont obligés à réparer le choeur & cancel des églises dont ils ont les grosses dixmes. Le cancel est l'enceinte du choeur. Dans cette matiere le choeur comprend aussi le sanctuaire.

Le patron même ecclésiastique n'est pas obligé aux réparations du choeur & cancel, lorsqu'il y a un gros décimateur ; mais s'il n'y en a point, en ce cas il est obligé aux réparations, du moins du choeur & cancel.

Les armoiries à la voûte ou à la principale vitre du choeur, ne sont pas seules un titre pour se dire seigneur de la paroisse.

Le patron a droit de banc fermé dans le choeur, & à son défaut le seigneur haut justicier ; les simples seigneurs de fief ni les nobles ne peuvent y avoir de banc.

Le curé, le patron, & le seigneur haut justicier, ont droit de sépulture au choeur. Voyez le tr. du droit de patronage par Simon, & celui des droits honorifiques par Maréchal ; & DROITS HONORIFIQUES. (A)

Le choeur n'a point été séparé de la nef jusqu'au tems de Constantin ; depuis ce tems le choeur a été fermé d'une balustrade, il y a eu des voiles tirés sur les balustres, & on ne les ouvroit qu'après la consécration.

Dans le xij. siecle on commença à fermer le choeur de murailles ; mais depuis la beauté des églises & de l'architecture a ramené l'ancien usage des balustrades. Le chantre est le maître du choeur. V. CHANTRE.

Dans les monasteres de filles, le choeur est une grande salle attachée au corps de l'église, & séparée par une grille, où les religieuses chantent l'office.

Choeur se dit aussi de l'assemblée de tous ceux qui doivent chanter dans le choeur ; & alors on distingue le haut choeur formé par les chanoines & les dignités du clergé qui se placent dans les stalles élevées, & le bas choeur composé du reste du clergé, musiciens, & enfans-de-choeur, dont la place est aux stalles d'em-bas. (G)

CHOEUR, est, en Musique, un morceau d'harmonie complete , à quatre parties ou plus, chanté à la fois par toutes les voix, & joué par tout l'orchestre. On cherche dans les choeurs un bruit agréable & harmonieux qui charme & remplisse les oreilles : un beau choeur est le chef-d'oeuvre d'un habile compositeur. Les François passent pour réussir mieux dans cette partie qu'aucune autre nation de l'Europe.

Le choeur s'appelle quelquefois grand-choeur, par opposition au petit-choeur qui est seulement composé de trois parties ; savoir, deux dessus, & la haute-contre qui leur sert de basse. On fait entendre de tems-en-tems séparément ce petit choeur, dont la douceur contraste agréablement avec la bruyante harmonie du grand. (S)

Le grand choeur est composé de huit basses, qui sont en haut des deux côtés de l'orchestre. La contre-basse est du grand choeur, ainsi que les violons, les hautbois, les flûtes, & les bassons. C'est l'orchestre entier qui le forme. Voyez ORCHESTRE. (B)

On appelle encore petit choeur, dans l'orchestre de l'opéra, un petit nombre des meilleurs instrumens de chaque genre, qui forme comme un orchestre particulier autour du clavecin & de celui qui bat la mesure. Ce petit choeur est destiné pour les accompagnemens qui demandent le plus de délicatesse & de précision.

Il y a des musiques à deux, ou plusieurs choeurs qui se répondent & chantent quelquefois tous ensemble : on en peut voir un exemple dans l'opéra de Jephté. Mais cette pluralité de choeurs qui se pratique assez souvent en Italie, n'est guere d'usage en France ; on trouve qu'elle ne fait pas un bien grand effet, que la composition n'en est pas fort facile, & qu'il faut un trop grand nombre de musiciens pour l'exécuter. (S)

Il y a de beaux choeurs dans Tancrede ; celui de Phaéton, Allez répandre la lumiere, &c. a une très-grande réputation, quoiqu'il soit inférieur au choeur O l'heureux tems, &c. du prologue du même opéra. Mais le plus beau qu'on connoisse maintenant à ce théatre, est le choeur Brillant soleil, &c. de la seconde entrée des Indes galantes. M. Rameau a poussé cette partie aussi loin qu'il semble qu'elle puisse l'être : presque tous ses choeurs sont beaux, & il en a beaucoup qui sont sublimes. (B)

CHOEURS, (les) qui se dit toûjours au plurier : on appelle ainsi en nom collectif les chanteurs & les chanteuses qui exécutent les choeurs de l'opéra. Ils sont placés en haie sur les deux aîles du théatre : les hautes-contre & les tailles forment une espece de demi-cercle dans le fond. Les choeurs remplissent le théatre, & forment ainsi un fort agréable coup-d'oeil ; mais on les laisse immobiles à leur place : on les entend dire quelquefois que la terre s'écroule sous leurs pas, qu'ils périssent, &c. & pendant ce tems ils demeurent tranquilles au même lieu, sans faire le moindre mouvement.

L'effet théatral qui est résulté des actions qu'on leur a fait faire dans l'entrée d'Osiris, des fêtes de l'Hymen & de l'Amour, doit faire sentir quelles grandes beautés naîtroient de leurs mouvemens, si on les exerçoit à agir conformément aux choses qu'on leur fait chanter. Voyez OPERA. (B)

CHOEURS, les choeurs de danse. On les appelle plus communément corps d'entrées ou figurans. Voyez CORPS D'ENTREE & FIGURANT. (B)


CHOGA(Géog.) ville considérable de la Chine, dans la province de Xansi, sur la riviere de Fi.


CHOGIAou CODGIA, ou HOGIA, ou COZZA, (Hist. mod.) car on trouve ce nom écrit de toutes ces manieres dans différens auteurs ; signifie, en langue turque, un maître, un docteur, précepteur, ou gouverneur. Golius dit que c'est un mot persan, qui signifie vieillard, mais qui s'employe ordinairement pour un titre d'honneur. Il y a dans le serrail plusieurs chogias chargés de l'éducation des ichoglans, & autres jeunes gens qui y sont destinés pour le service du grand-seigneur. Le précepteur des enfans de sa hautesse porte aussi le nom de codgia ou de cozza.


CHOISEUIL(Géog.) petite ville de France en Champagne.


CHOISIES. f. (Jurisprud.) en Bretagne, signifie le droit de choisir. Voyez Hevin sur Frain, pag. 699. 703. & 706. (A)


CHOISIRFAIRE CHOIX, ELIRE, OPTER, PRÉFÉRER, v. syn. (Gramm.) termes relatifs, ou seulement au jugement que l'ame porte de différens objets dont elle a comparé les qualités entr'elles, ou à ce jugement, & à une action qui suit ou doit suivre ce jugement qui la détermine à être telle ou telle. Choisir est relatif aux choses ; faire choix, aux personnes. La salubrité des lieux est un objet que le souverain ne doit pas négliger, quand il se choisir une résidence ; la probité rigoureuse est une qualité essentielle dans les personnes dont il fera choix pour être ses ministres. Choisir est relatif à la comparaison des qualités ; préférer, à l'action qui la suit. J'ai choisi entre beaucoup d'étoffes ; mais après avoir bien examiné, j'ai donné la préférence à celle que vous me voyez. Le moment où l'on apperçoit l'excellence d'un objet sur un autre est celui de la préférence, au moins dans l'esprit. Lorsque M. l'abbé Girard a dit qu'on ne choisissoit pas toûjours ce qu'on préféroit, & qu'on ne préféroit pas toûjours ce qu'on choisissoit, il nous a paru qu'il n'opposoit pas ces deux termes par leurs véritables différences. On préfere toûjours celui qu'on a choisi ; on prendroit toûjours celui qu'on a préféré ; mais on n'a pas toûjours ni celui qu'on a choisi, ni celui qu'on a préféré. Choisir ne se dit que des choses, mais préférer se dit & des choses & des personnes : on peut préférer le velours entre les étoffes, & les caracteres doux entre les autres. M. l'abbé Girard prétend que l'amour préfere & ne choisit pas : cette pensée, ou l'opposition des acceptions préférer & choisir en ce sens, nous paroît fausse ; le seul amant qui n'ait pas choisi, c'est celui qui n'ayant pas deux objets à comparer, n'a pû donner la préférence. Opter, c'est être dans la nécessité ou d'accepter ou de refuser l'une de deux choses : lorsqu'il n'y a pas contrainte d'acceptation ou de refus, il peut y avoir encore un cas d'option, mais c'est le seul ; celui où l'on n'apperçoit entre deux objets aucune raison de préférence. Elire ne se dit guere que d'un choix de personnes relatif à quelque dignité qui s'obtient à la pluralité des voix : le souverain choisit ses favoris ; le peuple élit ses maires.


CHOIXS. m. terme qui marque l'action du verbe choisir. Voyez CHOISIR.

CHOIX : il y a dans la Peinture, comme dans la Sculpture, choix de sujet, choix de composition, choix d'attitude. La beauté du choix d'un sujet dépend de la justesse de ses rapports avec les circonstances, le tems pour lequel il est fait, les lieux où il doit être placé, & les personnes qui l'ont fait faire. Choisir n'a rien de commun avec exécuter, soit en Peinture, soit en Poésie : un sujet peut être très-bien choisi, & très-mal traité. On dit qu'il y a dans un tableau un beau choix de composition, lorsque le peintre a saisi dans le sujet qu'il s'est proposé de représenter, l'instant le plus convenable, & les objets qui peuvent mieux le caractériser ; un choix d'attitude, lorsque les figures se présentent sous de beaux aspects : ainsi on aime mieux voir le visage d'une femme, lorsqu'il est beau, que le derriere de sa tête.

Les professeurs des académies, curieux de la réputation que donne le talent de ce qu'on appelle bien poser le modele, font un tort considérable aux étudians, par l'attention qu'ils ont à ne les leur présenter que par ces côtés de choix ; ils les empêchent de connoître, & conséquemment d'employer d'autres aspects sous lesquels la nature se présente le plus fréquemment, & les réduisent à un petit nombre d'attitudes qui, quoique variées, portent toûjours un caractere d'uniformité bien plus desagréable dans une composition, que ne le seroient ces attitudes rejettées que le maître affecte de laisser ignorer à ses éleves. Dict. de Peinture.

Le mot de choix se prend en bien comme en mal ; & l'on trouve plus souvent à reprocher le mauvais choix, qu'à faire l'éloge du beau. (R)


CHOLAGOGUEadject. (Médecine thérapeutiq.) Les anciens médecins qui croyoient avoir autant d'especes de purgatifs qu'ils reconnoissoient d'especes d'humeurs excrémentitielles, appelloient cholagogues ceux qu'ils destinoient à évacuer la bile. Voyez PURGATIF.

Ce mot est composé de , bile, & de , je chasse.

Juncker observe avec raison que cette division des anciens est moins chimérique qu'elle n'est mal conçûe ou mal énoncée. Il ne faut donc pas la rejetter absolument, comme la plûpart des modernes ont fait, mais plutôt tâcher de ramener la prétendue propriété élective de ces médicamens à des notions plus claires. Voyez EVACUANT.

Quoique nous ayons réduit aujourd'hui l'action de tous les purgatifs & des irritations, à l'agacement plus ou moins considérable de l'organe dont nous avons à réveiller ou à augmenter l'excrétion (voyez EXCRETION), ce qui semble exclure toute autre différence entre les purgatifs, que celle qui dépend de leurs degrés ou nuances d'activité ; cependant nous avons encore quelques médicamens auxquels nous supposons, du moins tacitement, une espece de vertu cholagogue, ou même hépatique, qualité moins déterminée encore. Nous ordonnons donc communément dans les maladies du foie, & dans l'intention de faire couler la bile ; nous ordonnons, dis-je, & nous ordonnons avec succès les plantes ameres, la fumeterre, la petite centaurée, l'une & l'autre absynthe, la germandrée, la chicorée amere, le pissenlit, le chardon-benit, &c. le sel de Glauber, celui d'Epsom, qui est très-analogue au précédent, les eaux minérales legerement purgatives, le savon commun, ou celui qui est préparé avec l'huile d'amandes douces, le mercure sublimé doux, l'éthiops minéral, &c. Voyez les maladies du foie, au mot FOIE. (b)


CHOLDICZ(Géog.) petite ville du royaume de Bohème, dans le cercle de Churdim.


CHOLERA-MORBUSS. m. (Médecine) une des maladies des plus aiguës que l'on connoisse, à laquelle notre langue a conservé son nom grec, formé de , bile, & de , flux.

Définition du cholera-morbus. C'est en effet un dégorgement violent & très-abondant par haut & par bas, de matieres acres, caustiques, ordinairement bilieuses, qui continue à différens intervalles voisins les uns des autres, & qui se perpétue rarement au-delà de deux jours sans emporter le malade.

Ses especes. Hippocrate distingue deux especes de cholera, l'humide & le sec. Le cholera simple ou sans épithete, est l'humide : il provient d'humeurs acrimonieuses, bilieuses & séreuses, à la formation desquelles ont donné lieu la corruption & l'acreté des alimens. Le cholera sec naît d'un amas d'humeurs acrimonieuses, accompagnées de vents & de flatuosités dans l'estomac ; il rend l'évacuation pénible, soit par la bouche, soit par l'anus, à cause de l'irritation spasmodique des parties nerveuses du ventricule & des intestins. Nous avons retenu cette bonne distinction d'Hippocrate.

Sa distinction d'avec d'autres maladies. Il y a de la différence entre le cholera & la dyssenterie. On compte le cholera entre les maladies les plus aiguës, parce qu'il se termine ordinairement en peu de jours, au lieu que la dyssenterie dure beaucoup plus long-tems ; d'ailleurs elle n'est pas toujours accompagnée de vomissement. La dyssenterie va d'ordinaire avec un tenesme incommode & des selles sanguinolentes, ce qui est rare dans le cholera-morbus.

Le cholera ne differe pas moins de la diarrhée bilieuse, quoiqu'elle ait assez les mêmes causes : toutefois ces deux maladies sont accompagnées de différens symptômes, & ne fournissent point les mêmes prognostics. La diarrhée bilieuse n'est qu'une simple évacuation copieuse d'excrémens bilieux par l'anus : le cholera est un débord par haut & par bas ; car il y a dans le cholera une espece de rétraction du mouvement péristaltique des intestins, mais plus particulierement encore du duodenum & de l'estomac ; ce qui donne toûjours lieu au vomissement.

Ses différences. Cette espece de maladie est pour l'ordinaire idiopatique, quoiqu'elle se trouve quelquefois symptomatique, comme il arrive, selon Hippocrate, Praenot. coac. 123. dans l'espece de fievre appellée lipyrie, qui ne se termine jamais, si l'on en croit ce prince de la Médecine, sans qu'il survienne un cholera. Le cholera est encore symptomatique, selon Riviere, dans quelques fievres malignes ; selon Sydenham, dans les enfans qui ont de la peine à pousser leurs dents ; selon d'autres observateurs, dans la grossesse, les commotions, la douleur, &c. Il est certain que toutes ces maladies & quelques autres, sont assez fréquemment accompagnées d'un flux bilieux par intervalles, & qui est purement symptomatique. Il faut bien alors se garder d'employer les vomitifs, les purgatifs & les échauffans ; mais il faut appaiser ce mouvement spasmodique par des anodyns, des stomachiques, des remedes propres à calmer l'irritation des nerfs, suivant les causes qui la produisent.

Ses symptomes. Quant à l'histoire de cette maladie idiopatique, nous observerons que le cholera prend d'ordinaire subitement. Les malades ont à la vérité des rapports acides, nidoreux, ou putrides ; des douleurs pungitives dans l'estomac & dans les intestins ; des cardialgies, & du mal-aise dans les parties circonvoisines ; mais c'est tout-d'un-coup & en même tems. Ils sont affligés de vomissemens & d'une grande évacuation de matiere. Ils rendent d'abord les restes des alimens, puis des humeurs bilieuses tantôt jaunes, tantôt vertes ou noires, mêlées plus ou moins de mucosité, mais toûjours corrosives & accompagnées de rapports, de flatuosités, & quelquefois de sang. L'évacuation de toutes ces matieres se fait à différens intervalles fort voisins les uns des autres. D'ailleurs on ressent encore dans les intestins des douleurs aiguës avec picotemens, enflure du ventre, borborigmes, contorsions & convulsions. On est encore affligé d'anxiété, de nausées, de cardialgie ; & dans le reste du corps, de chaleur, d'inquiétude, de fievre, de frissons, de foiblesses.

Si le mal augmente, la soif devient grande, les extrémités entrent en convulsion ou se refroidissent ; le battement du coeur ne se fait plus selon l'ordre naturel ; le diaphragme est fatigué par des secousses de hoquet ; les urines sont retenues ; le corps se couvre de sueur froide ; on tombe dans des défaillances profondes, & qui tiennent quelquefois de la syncope. Enfin le visage pâlit, les yeux se ternissent, la voix est entrecoupée, & le pouls foible, vacillant, venant bientôt à ne plus battre, le malade meurt. La terminaison de ce mal est promte ; & s'il dure six jours, c'est qu'il dégénere en une autre maladie. Aussi Asclépiade la définit-il une évacuation très-vive & très-promte des humeurs hors de l'estomac & des intestins, pour la distinguer de l'affection coeliaque, dans laquelle l'évacuation se fait avec moins de vivacité & de promtitude.

Le cholera-morbus est assez commun en été, plus en automne qu'au printems, & plus au printems qu'en hyver. Il se déclare presque toûjours à la fin de l'été, vers le commencement de l'automne, & alors c'est un mal quelquefois épidémique. Il est plus fréquent & plus cruel dans les pays chauds que dans les climats doux & tempérés. Aussi lisons-nous, dans l'histoire naturelle des Indes de Bontius, liv. IV. ch. vj. & dans les voyages de Thevenot, part. l. II. c. x. que les cholera sont endémiques parmi les habitans de l'Inde, de la Mauritanie & de l'Amérique.

Dans la dissection des sujets morts du cholera, on trouve d'ordinaire les uns ou les autres des dérangemens suivans ; savoir les intestins grêles, sur-tout le duodenum & l'orifice droit de l'estomac, gangrenés, couverts de bile, & teints en jaune à l'extérieur ; les conduits biliaires excessivement relâchés ; la vésicule du fiel aggrandie, ou extrèmement flasque ; le canal cholidoque prodigieusement distendu, & quelquefois ouvert aux environs du pylore, portant par ce moyen la bile dans l'estomac ainsi que dans les intestins ; les veines de l'estomac gonflées de sang, & l'épiploon tombé ou froncé du côté de l'estomac. Voyez act. med. Berol. dec. 11. vol. 8. Thomas Barthol. cent. xj. hist. 81. Cabrolius, observ. anat. 6. Diemerbroek, anat. lib. I. cap. iij. Dolaeus, encycl. med. lib. III. cap. jv. Bonet, sepulchret. Riolan, anthropol. lib. II. cap. x. &c.

Son siége, ses causes & ses effets. Il s'ensuit de ces observations faites sur un grand nombre de cadavres, que quoique le siége du cholera soit dans l'estomac ou dans les intestins, on le doit établir particulierement dans le duodenum & dans les conduits biliaires : c'est par cette raison que toutes les parties du système nerveux, entre lesquelles il y a sympathie, sont ici affectées. Il n'est guere possible de fixer ailleurs le siége du cholera, si l'on considere attentivement sa cause matérielle ; car les matieres rendues, tant par le vomissement que par les selles, sont presque toûjours bilieuses, & ne varient par rapport à la quantité de bile dont elles sont chargées, que du plus au moins : si elles prennent différentes couleurs, si elles sont tantôt jaunes ou vertes, & tantôt noires, c'est qu'il se joint à la bile des humeurs étrangeres, acides, pituiteuses, salines, & même du sang. Or le mélange des matieres rendues par le vomissement ou par les selles, avec la quantité excessive de bile dont elles sont chargées, ne se peut faire que dans le duodenum ; c'est le seul des intestins qui donne lieu, par sa situation & ses courbures, à la formation & à l'accroissement des matieres acres ; & par l'influx qui s'y fait de la bile & du suc pancréatique, au mélange de cette humeur avec ces matieres.

Le picotement de la tunique nerveuse qui tapisse l'estomac & les intestins, est la cause immédiate du cholera, d'où suit la contraction convulsive de ces visceres, qui augmentée successivement par la qualité corrosive des matieres, cause des douleurs pungitives, lancinantes, avec la cardialgie. Cette contraction agit dans l'estomac & dans le duodenum de bas en-haut, contre l'ordre naturel ; au lieu que dans les autres intestins elle agit de haut em-bas ; c'est pourquoi il y a vomissement & diarrhée en même tems. La constriction spasmodique de toutes ces parties doit naturellement empêcher l'influence des humeurs qui s'y portent en abondance, de repasser librement dans les veines. Par la conspiration des nerfs, le mal s'étend aux parties adjacentes ; c'est par ce moyen que les conduits biliaires sont affectés, irrités, & contraints de se vuider dans le duedenum : si l'agitation violente qui les accompagne passe jusqu'au coeur, il y aura palpitation ; si elle parvient au diaphragme, il y aura hoquet ; si elle se fait sentir à la vessie, il y aura dysurie : si elle s'étend à la surface du corps, il y aura froideur des extrémités ; & si les membranes du cerveau & la moëlle spinale en sont attaquées, il y aura mouvemens convulsifs & épileptiques.

La matiere peccante qui produit de si terribles effets, doit être d'une nature extrèmement acre & caustique ; elle doit tenir quelque chose des poisons ; car les effets des poisons sur le corps sont semblables aux symptomes du cholera.

Quant aux causes générales & particulieres qui peuvent produire cette maladie, elles sont en grand nombre, & il seroit difficile d'en faire l'énumération exacte. Il y a quelques causes procatarctiques qui peuvent s'y joindre, telles que la constitution chaude de l'atmosphere ; des débauches fréquentes de liqueurs pendant l'été ; des alimens gras, putrides & bilieux, réunis aux liqueurs fermentées ; la chaleur & le refroidissement du corps qui succéderont aux débauches ; les passions violentes dans ces circonstances, &c.

Son prognostic. Comme cette maladie est des plus aiguës, on doit la juger mortelle ; le nombre & la violence des symptomes regleront le prognostic. Plus la matiere évacuée est corrosive, la soif & la chaleur violentes, plus le danger est grand : si l'on rend de la bile noire mêlée avec du sang noir, la mort est inévitable, dit Hippocrate ; la suppression des secrétions, la durée des symptomes avec la fievre, les défaillances, les convulsions, les hoquets, la froideur des extrémités, les sueurs colliquatives, la foiblesse du pouls, annoncent le même évenement ; l'absence au contraire de ces tristes symptomes donne des lueurs d'espérance. Si les vomissemens cessent, si le sommeil paroît, si la soif n'est point excessive ni la chaleur trop grande, si le malade se sent soulagé par les évacuations, si la diarrhée bilieuse diminue, si la sortie des flatuosités l'accompagne par l'anus, on peut annoncer la terminaison salutaire du cholera ; & l'on doit conclure en particulier de la sortie des vents, que le mouvement péristaltique des intestins rentre dans l'état naturel.

Méthode curative. Le délai le plus court peut avoir les plus tristes suites dans le cholera ; il n'y a point de maladie qui demande des secours plus promts : mais on doit se proposer pour la guérir les trois objets suivans ; 1°. de corriger & tempérer la matiere peccante, & de l'expulser en même tems par des remedes convenables ; 2°. de calmer & suspendre les mouvemens irréguliers ; 3°. de rendre aux parties nerveuses les forces qu'elles ont perdues.

Pour parvenir au premier point, il faut faciliter & hâter l'évacuation, en donnant abondamment de l'eau chaude mêlée avec quelques mucilages. On rendra le ventre libre par des clysteres huileux & émolliens ; les bouillons les plus legers faits avec un poulet bouilli dans six pintes d'eau de fontaine, ensorte que la liqueur ait à peine le goût de la chair, sont excellens. Sydenham recommande de faire un grand usage de ces bouillons pris chaudement. Il en ordonne en même tems une grande quantité en clysteres, successivement, jusqu'à ce que le tout ait été reçû dans le corps, & en ait été rejetté par le vomissement & par les selles. On peut ajoûter, tant dans la partie qu'on donnera en boisson, que dans celle que l'on fera prendre par les clysteres, une once de sirop de laitue, de violettes ou de pourpier. Au reste la liqueur seule produiroit assez d'effets. Au défaut d'eau de poulets, on peut substituer le posset, des décoctions d'orge ou d'avoine, qui tendent au même but ; par ce secours l'estomac ayant été chargé à diverses fois d'une grande quantité de liqueurs prises par haut & par bas, & son mouvement déterminé pour ainsi dire en sens contraire, l'acrimonie des humeurs se trouvera délayée, diminuée & évacuée, ce qui est le premier point de la guérison. Le petit lait est encore extrèmement propre à corriger l'acrimonie des humeurs, & à éteindre la soif des malades.

Mais l'usage des astringens, des alexipharmaques, des opiates, des purgatifs, des laxatifs, des vomitifs, qu'on employe ordinairement, est très-dangereux : car par les uns on réprime les premiers efforts de la sortie des humeurs, & l'on en prévient l'évacuation naturelle ; & par les laxatifs, les cathartiques, vomitifs, on augmente l'agitation & l'on produit un nouveau trouble, sans compter l'inconvénient de prolonger la maladie par ces moyens, & plusieurs autres desavantages.

Lorsque la matiere peccante sera évacuée, ce qui ne demande guere que 3 ou 4 heures, il faut calmer les mouvemens par un narcotique, comme par exemple par 15 ou 20 gouttes de laudanum liquide. On peut y joindre les parégoriques externes, comme sont le cérat stomacal de mastic de Galien, les linimens d'huile nervine appliqués sur la région de l'estomac, & autres de ce genre.

Pour rendre aux parties les forces qu'elles ont perdues, on employera les remedes corroboratifs convenables, tels que sont dans cet état de foiblesse tous les alimens émolliens, l'orge bouillie dans de l'eau de poulet, les bouillons faits avec le veau, la volaille, les racines de chicorée, de persil, le cerfeuil, les écrevisses broyées, & le suc de limon, les émulsions faites avec les amandes, les semences froides édulcorées par du sirop de pavot. Pour consommer la guérison, l'on pourra ajoûter ensuite les teintures chalybées. Il n'est pas nécessaire de recommander un régime sévere dans le commencement de la cure.

Si l'on étoit appellé auprès d'un malade épuisé par un vomissement & une diarrhée qui auroient duré 10 ou 12 heures, il faudroit recourir sur le champ à l'unique refuge en pareil cas ; j'entends un narcotique, du laudanum : on le donnera non-seulement dans la violence des symptomes, mais on le répetera encore soir & matin, après la cessation du vomissement & de la diarrhée, jusqu'à ce que le malade ait recouvré ses forces & sa santé.

Si au contraire on étoit appellé dans le premier mouvement du cholera d'un homme robuste & pléthorique, rien n'est plus propre ni plus à propos que la saignée, pour prévenir l'inflammation & mitiger les symptomes ; mais il faut s'en abstenir lorsque les forces commencent à s'épuiser.

Méthode de traitement du docteur Douglas. Entre tous les Médecins il n'y en a point qui ayent décrit plus exactement le cholera que Coelius Aurélianus & Arétée, & point qui ayent indiqué un meilleur traitement de cette maladie : les modernes n'y ont rien ajouté ; ils se sont au contraire généralement écartés de la bonne pratique des anciens, presque oubliée dans ce royaume, mais qui, à ce qu'on espere, y reprendra faveur d'après l'autorité & les succès de Sydenham, succès que le docteur Ayton Douglas a dernierement confirmés par plusieurs expériences. Ce médecin écossois mérite bien d'être écouté pour la clôture de cet article.

" Le cholera, dit-il, Observat. médicin. d'Edimbourg, tome VI. qui consiste dans de violens vomissemens & des évacuations par bas de bile, ou d'autres humeurs acres, est une maladie si meurtriere, qu'elle emporte quelquefois un homme en vingt-quatre heures, quand il ne peut être secouru par un bon médecin, comme il arrive souvent à la campagne. Elle n'est pas moins dangereuse lorsqu'on la traite par une mauvaise méthode, telle qu'est celle que propose Ettmuller, qui recommande les vomitifs, les purgations & les sudorifiques, ce qui me paroît être la même chose que si on jettoit de l'huile dans le feu. J'espere que mes compatriotes me sauront gré de la peine que je me donne de publier une maniere de guérir cette maladie par un remede qu'on a toûjours sous la main, qu'on trouve par-tout, même chez les paysans les plus pauvres, & que j'ai souvent mis en usage, & toûjours avec succès.

Si les personnes qui sont attaquées de cette maladie ne sont pas trop épuisées, quand je suis appellé pour les voir, je leur fais boire largement & à trois ou quatre reprises de l'eau chaude, qu'ils rejettent toûjours par haut. Cette eau délaye l'acrimonie des humeurs, & les évacue en même tems. Immédiatement après, je leur conseille de boire à grands traits d'une décoction de pain d'avoine sans levain ni levure de biere, bien rôtie, & d'une couleur approchante de celle du caffé brûlé : cette décoction doit avoir la couleur du caffé, quand elle est foible.

J'ai toûjours remarqué que mes malades se soûmettoient sans peine à ce régime, leur soif étant généralement fort grande, & ils m'ont tous assûré que cette boisson leur étoit fort agréable. Je dois ajoûter ici que je n'en ai jamais vû aucun qui l'ait rejettée. Je me suis toûjours servi de pain d'avoine ; mais quand on n'en peut avoir, je ne doute pas qu'on ne puisse lui substituer le pain de froment ou la farine de blé bien rôtie.

Lorsque le malade est extrèmement épuisé par les grandes évacuations qu'il a souffertes par haut & par bas, la premiere chose que je lui donne est un grand verre de la décoction ci-dessus ; & quand les envies de vomir sont un peu appaisées, j'ordonne fréquemment une petite pilule d'opium, du poids de deux tiers de grain pour une personne ordinaire, & dont j'augmente ou diminue la dose, selon l'âge ou les forces du patient.

Mais si le malade a des convulsions & les extrémités froides, si son pouls est foible & intermittent, il faut alors donner une forte dose de laudanum liquide, parce qu'il agit plus promtement que l'opium : par exemple, on en prescrira vingt-cinq gouttes pour une personne ordinaire, dans une once de bonne eau de canelle, & par-dessus un coup de tel vin qui plaira davantage au malade, mêlé avec parties égales de la décoction. Après cela il boira pour se desaltérer de ladite décoction, à laquelle on pourra même ajoûter de tems en tems un peu de vin, selon le besoin qu'on aura d'employer les cordiaux. Pour prévenir la rechûte que le malade ne pourroit pas soûtenir, il sera très-à-propos de réitérer soir & matin les calmans en petite quantité pendant quelques jours de suite, & il faut avoir attention de ne pas surcharger l'estomac, & de ne lui présenter que des alimens faciles à digérer, & qui lui conviennent.

On observera que ces derniers remedes ne doivent être employés que lorsque le malade est entierement épuisé ; mais dans le cas ordinaire où les malades ne se trouvent pas encore beaucoup affoiblis, dans celui où l'on ne pourroit avoir des calmans, ou encore dans le cas où ils seroient absolument contraires à la constitution du malade, on pourra s'en tenir avec confiance à la décoction ci-dessus ".

Ce qui a engagé le docteur Douglas à communiquer sa maniere de traiter le cholera, est la réussite qu'elle a eue d'abord sur lui-même, & puis sur un grand nombre de malades. En la recommandant aux médecins cliniques, nous ne leur offrons point une fastueuse composition, où il entre du lapis, des émeraudes, des perles, du besoard oriental, remedes si ridiculement vantés dans cette maladie par de fameux virtuoses ; mais nous leur présentons une méthode curative fondée en raison & en expériences, appuyée de l'autorité de Celse, de Paul d'Egine, de Coelius Aurélianus, d'Arétée, de Sydenham ; méthode justifiée par de nouveaux succès, facile dans l'exécution, & finalement recevable par sa simplicité. Les moyens les plus simples sont, en Médecine comme en Physique, en affaires & dans le cours de la vie, les plus convenables, les plus sûrs & les plus efficaces. Art. de M(D.J.)


CHOLET(Géog.) petite ville de France dans la province d'Anjou, sur la Moine. Long. 19. 40. lat. 47. 10.


CHOLIDOQUEterme d'Anatomie, est le nom d'un canal ou conduit, qu'on appelle aussi conduit commun, ductus communis, formé de l'union du pore biliaire & du conduit cystique. Voyez CONDUIT. Ce mot vient de , bile, & de , recevoir.

Le canal cholidoque passant obliquement à l'extrémité inférieure du duodenum, sert à porter la bile du foie aux intestins.

Quelques-uns ont voulu qu'il portât la bile du foie à la vésicule du fiel : mais si l'on prend garde que c'est le duodenum qui s'enfle & non pas la vesicule du fiel lorsque l'on souffle ce canal, il est évident que la bile qui y est contenue ne va point ailleurs qu'au duodenum. Voyez BILE, FOIE, FIEL, &c. (L)


CHOLMKIL(Géog.) île dépendante de l'Ecosse, l'une des Westernes.


CHOLOou CHOLUS, (Hist. nat. Lithol.) nom que Pline & Théophraste donnent à une espece d'émeraude d'un verd jaunâtre, semblable à la couleur du fiel. Voyez de Laët lib. II. pag. 200. (-)


CHOMEou HOMER, s. m. (Hist. anc.) mesure des anciens Hébreux. C'est la même chose que le core ou corus qui contenoit dix baths, & par conséquent deux cent quatre-vingt dix-huit pintes, chopine, demi-septier & un peu plus ; savoir, 310720/794969 mesure de Paris. Dict. de la bibl.


CHOMMAGES. m. espace de tems qu'on reste sans travailler.

CHOMMAGE DES MOULINS, (Jurispr.) l'ordonnance des eaux & forêts, tit. xxvij. art. 45. regle & fixe le chommage de chaque moulin qui se trouvera établi sur les rivieres navigables & flottables avec droits, titres, concessions, à quarante sous pour le tems de vingt-quatre heures, qui seront payés au propriétaire des moulins ou leurs fermiers & meûniers, par ceux qui causeront le chommage par leur navigation & flottage : elle défend à toutes personnes d'en exiger davantage, ni de retarder en aucune maniere la navigation & le flottage, à peine de 1000 liv. d'amende, outre les dommages & intérêts, fraix & dépens, qui seront reglés par les officiers des maîtrises, sans qu'il puisse y être apporté aucune modération.

L'article suivant porte que s'il arrive quelque différend pour les droits de chommage des moulins, &c. ils seront réglés par les grands maîtres, ou par les officiers de la maîtrise en leur absence ; les marchands-trafiquans, & les propriétaires & meûniers préalablement oüis, si besoin est ; & que ce qui sera par eux ordonné sera exécuté par provision, nonobstant & sans préjudice de l'appel.

L'obligation de payer le chommage des moulins n'est pas une loi nouvelle, ainsi qu'il paroît par des lettres patentes du 12 Octobre 1574, dont il est fait mention dans la conférence des eaux & forêts.

Une ordonnance postérieure concernant le flottage des bois pour Paris, a réglé le chommage de chaque moulin à quarante sous par jour, quelque nombre de roues qu'il y ait au moulin. Voyez ibid.

Quand le moulin banal chomme, ceux qui sont sujets à la banalité, après avoir attendu vingt-quatre heures, peuvent aller ailleurs. Voyez Loisel, inst. liv. II. tit. ij. n°. 32. Voyez MOULINS. (A)


CHONAD(Géog.) petite ville de la haute Hongrie, capitale du comté de même nom, sur la riviere de Marosch.


CHONDRILLES. f. chondrilla, (Jard.) herbe qui pousse de grandes feuilles traînantes par terre, & découpées comme celles de la chicorée sauvage. Il s'éleve d'entr'elles une tige de trois ou quatre piés, divisée en plusieurs rameaux ou verges garnies de petites feuilles étroites. Ses fleurs sont jaunes telles que celles de la laitue, & elles sont suivies de graines oblongues surmontées d'une aigrette de couleur cendrée. Il sort un suc laiteux fort gluant de sa racine.

Cette plante croît dans les champs au bord des chemins, & demande peu de soin. (K)


CHONDROGLOSSEen Anatomie, voyez CERATOGLOSSE.


CHOPINES. f. (Comm.) petite mesure de liqueurs qui contient la moitié d'une pinte. Voyez MESURE & PINTE. La chopine de Paris est presque égale à la pinte d'Angleterre. Une chopine d'eau commune pese une livre de Paris.

La chopine de Paris se divise en deux demi-septiers, ce qui fait qu'on l'appelle quelquefois septier.

Chopine se dit aussi de la chose mesurée : une chopine de vin, c'est-à-dire le vin que contient une chopine ; une chopine d'olives, &c. (G)


CHOPPERv. n. (Maréchall.) c'est heurter du pié contre terre. Le cheval a ce défaut, lorsque dans ses différentes allures il ne leve pas les piés assez haut. Voyez CHEVAL.


CHOQUARDvoyez CHOUCAS ROUGE.


CHOQUou CHOC, s. m. est un outil dont les Chapeliers se servent pour donner au feutre la forme de chapeau, & pour faire descendre également la ficelle jusqu'au lien, c'est-à-dire jusqu'à l'endroit où les bords du chapeau se terminent & touchent au commencement de la tête. On ne se sert de cet outil qu'après que la ficelle a été descendue jusqu'au bas de la forme, par le moyen d'un autre outil qu'on appelle avaloire.

Le choque est fait de cuivre & de figure presque quarrée, mais un peu tournée en rond afin de mieux embrasser la forme du chapeau. Il a deux ou trois lignes d'épaisseur, cinq pouces de hauteur, & un peu plus de largeur ; le haut qui lui tient lieu de poignée, est fait du même morceau de cuivre roulé à jour, & d'environ un pouce de diametre. Le chapelier tient cet instrument de la main droite ; & en le pressant fortement sur la ficelle par sa partie inférieure, il la fait descendre également jusqu'au lien, & répete cette opération tout-autour du chapeau. Voyez la fig. 13. Pl. du Chapelier.

L'ouvrier doit avoir soin quand il donne cette façon au chapeau, que la forme soit posée horisontalement & de niveau sur une plaque de fer, afin que le lien du chapeau soit égal par-tout, & que la forme ne soit pas plus haute d'un côté que de l'autre. Voyez l'article CHAPEAU.

CHOQUER LA TOURNEVIRE, (Marine) c'est rehausser la tournevire sur le cabestan, afin d'empêcher qu'elle ne se croise ou qu'elle ne s'embarrasse lorsqu'on la vire. Voyez à l'article CABESTAN, l'incommodité de cette manoeuvre, & les meilleurs ouvrages que nous avons sur ce sujet. (Z)


CHORAGESS. m. (Hist. anc.) partie des théatres anciens : c'en étoit comme le fond des coulisses ; c'est-là qu'on disposoit quelquefois des choeurs de musique, & qu'on gardoit les habits & les instrumens de la scene ; c'est de-là que l'on tiroit tout ce qui paroissoit aux yeux : d'où l'on voit que ces endroits devoient être assez spacieux. Voyez THEATRE.


CHORAULES. m. (Hist. anc.) on donnoit ce nom chez les Grecs & chez les Romains, à celui qui présidoit sur les choeurs. Celui qu'on voit dans les antiquités du P. Montfaucon, tome III. Planche CXC. est revêtu d'une tunique, & tient de chaque main une flûte dont le petit bout est appuyé sur sa poitrine.


CHORDAPSUSS. m. est le nom latin d'une colique qu'on appelle autrement volvulus, passion iliaque ou colique de miserere ; quoique d'autres prétendent que c'est une espece particuliere de colique de miserere. Voyez MISERERE & ILIAQUE.

Ce mot est ordinairement grec, , composé de , boyau, & , noüer.

Galien la définit une tumeur ou enflûre des intestins gresles, qui les fait paroître pleins & tendus comme une corde. Archigene la distingue du miserere, & la fait consister en une tumeur à certain endroit des intestins gresles, laquelle s'affaisse & cede lorsqu'on la presse avec la main : il ajoûte qu'elle est extrèmement dangereuse, & que souvent elle fait mourir le malade en trois ou quatre heures, à moins qu'elle ne vienne à suppuration ; ce qui même ne fait pas encore cesser tout-à-fait le danger. Il est cependant probable que le chordapsus n'est rien autre chose que le miserere. Celse n'en faisoit pas non plus deux maladies distinctes. Voyez COLIQUE DE MISERERE.


CHORÉES. m. (Belles-Lettres) c'est, dans l'ancienne poésie Greque & Latine, un pié ou une mesure de vers composée d'une longue & d'une breve, comme rm. On l'appelle plus ordinairement trochée. Voyez TROCHEE. (G)


CHOREGES. m. c'étoit chez les Grecs le directeur de leurs spectacles ; il en regloit les dépenses, soit que le spectacle se donnât à ses fraix, soit qu'il se donnât aux fraix du public. Ainsi la fonction du chorege d'Athenes étoit la même que celle de notre directeur d'opéra.


CHOREGRAPHIES. f. ou l'art d'écrire la danse comme le chant, à l'aide de caracteres & de figures démonstratives : c'est un de ceux que les anciens ont ignorés, ou qui n'a pas été transmis jusqu'à nous. Aucun auteur connu n'en fait mention avant le dictionnaire de Furetiere : il y est parlé d'un traité curieux fait par Thoinet Arbeau, imprimé à Langres en 1588, intitulé Orchésographie. Thoinet Arbeau est le premier & peut-être le seul qui ait pensé à transmettre les pas de la danse avec les notes du chant : mais il n'a pas été fort loin. Son idée est la chose qui mérite le plus d'éloge. Il portoit l'air sur des lignes de musique à l'ordinaire, & il écrivoit au-dessus de chaque note les pas qu'il croyoit qu'on devoit exécuter : quant au chemin qu'il convenoit de suivre, & sur lequel ces pas devoient être exécutés successivement, ou il n'en dit rien, ou il l'explique à-peu-près en discours. Il ne lui vint point en pensée d'en faire la figure avec des lignes, de diviser ces lignes par des portions égales correspondantes aux mesures, aux tems, aux notes de chaque tems ; de donner des caracteres distinctifs à chaque mouvement, & de placer ces caracteres sur chaque division correspondante des lignes du chemin, comme on a fait depuis.

L'ordre que nous suivrons dans cet article est donc déterminé par l'exposition même de l'art. Il faut commencer par l'énumération des mouvemens, passer à la connoissance des caracteres qui désignent ces mouvemens, & finir par l'emploi de ces caracteres, relatif au but qu'on se propose, la conservation de la danse.

Dans la danse on se sert de pas, de pliés, d'élevés, de sauts, de cabrioles, de tombés, de glissés, de tournemens de corps, de cadences, de figures, &c.

La position est ce qui marque les différentes situations des piés posés à terre.

Le pas est un mouvement d'un pié d'un lieu à un autre.

Le plié est l'inflexion des genoux.

L'élevé est l'extension des genoux pliés ; ces deux mouvemens doivent toûjours être précédés l'un de l'autre.

Le sauté est l'action de s'élancer en l'air, ensorte que les deux piés quittent la terre : on commence par un plié, on étend ensuite avec vîtesse les deux jambes ; ce qui fait élever le corps qui entraîne après lui les jambes.

La cabriole est le battement des jambes que l'on fait en sautant, lorsque le corps est en l'air.

Le tombé est la chûte du corps, forcé par son propre poids.

Le glissé est l'action de mouvoir le pié à terre sans la quitter.

Le tourné est l'action de mouvoir le corps d'un côté ou d'un autre.

La cadence est la connoissance des différentes mesures & des endroits de mouvement les plus marqués dans les airs.

La figure est le chemin que l'on suit en dansant.

La salle ou le théatre est le lieu où l'on danse : il est ordinairement quarré ou parallélogramme, comme on voit en ABCD, figure prem. de Chorégraphie. A B est le devant ou le vis-à-vis des spectateurs placés en M ; B D, le côté droit ; & A C, le côté gauche : C D est le fond du théatre ou le bas de la salle.

La présence du corps, qui a quatre combinaisons différentes par rapport aux quatre côtés de la salle, est désignée dans la Chorégraphie par les caracteres qu'on voit dans la même figure ; a est le devant du corps, d le dos, e le bras droit, & b le bras gauche. Dans la premiere de ces quatre sortes de présence, le corps est vis-à-vis le haut A B de la salle ; dans la seconde, il regarde le bas C D ; dans la troisieme, il est tourné du côté droit B D ; & dans la quatrieme, il regarde le côté gauche A C.

Le chemin est la ligne qu'on suit : cette ligne peut être droite, courbe, & doit prendre toutes les inflexions imaginables & correspondantes aux différens desseins d'un compositeur de ballet.

Des positions. Il y a dix sortes de positions en usage ; on les divise en bonnes & en fausses. Dans les bonnes positions qui sont au nombre de cinq, les deux piés sont placés réguliérement, c'est-à-dire que les pointes des piés soient tournées en-dehors.

Les mauvaises se divisent en régulieres & en irrégulieres ; elles different des bonnes en ce que les pointes des piés sont ou toutes deux en dedans ; ou que s'il y en a une en-dehors, l'autre est toûjours en-dedans.

Cette figure marquera celle du pié.

La partie faite comme un o représente le talon ; le commencement de la queue joignant le zéro, la cheville ; & son extrémité, la pointe du pié.

Dans la premiere des bonnes positions, les deux piés sont joints ensemble les deux talons l'un contre l'autre. Voyez la fig. 2. & 3. A est le pié gauche, B le pié droit ; on connoîtra ce pié par le petit crochet m, fig. 4. qui est tourné à droite ; & l'autre, par un petit crochet semblable n, qui est tourné à gauche : c'est la position de l'homme. La position de la femme s'en distinguera par un autre demi-cercle concentrique au premier, comme on le voit fig. 3.

Dans la deuxieme, les deux piés sont ouverts sur une même ligne ; ensorte que la distance entre les deux talons est de la longueur d'un pié. Voyez fig. 5.

Dans la troisieme, le talon d'un pié est contre la cheville de l'autre. Voyez fig. 6.

Dans la quatrieme, les deux piés sont l'un devant l'autre, éloignés de la distance du pié entre les deux talons qui sont sur une même ligne. Voyez fig. 7.

Dans la cinquieme, les deux piés sont croisés l'un devant l'autre ; ensorte que le talon d'un pié est directement vis-à-vis la pointe de l'autre. Voyez fig. 8.

Dans la premiere des fausses positions, qui sont de même au nombre de cinq, les deux pointes des piés se touchent, & les talons sont ouverts sur une même ligne. Voyez fig. 9.

Dans la seconde les piés sont ouverts de la distance de la longueur du pié entre les deux pointes qui sont toutes deux tournées en-dedans, & les deux talons sont ouverts sur une même ligne. Voyez fig. 10.

Dans la troisieme, la pointe d'un pié est tournée en-dehors & l'autre en-dedans ; ensorte que les deux piés soient paralleles l'un à l'autre. Voyez fig. 11.

Dans la quatrieme, les deux pointes des piés sont tournées en-dedans ; mais la pointe d'un pié est proche de la cheville de l'autre. Voyez fig. 12.

Dans la cinquieme, les deux pointes des piés sont tournées en-dedans ; mais le talon d'un pié est vis-à-vis la pointe de l'autre. Voyez fig. 13.

Du pas. Quoique le nombre des pas dont on se sert dans la danse soit presque infini, on les réduit néanmoins à cinq, qui peuvent démontrer toutes les différentes figures que la jambe peut faire en marchant ; ces cinq pas sont le pas droit, le pas ouvert, le pas rond, le pas tortillé & le pas battu.

Les traits de la figure 14. désigneront le pas ; la tête A indiquera où est le pié avant que de marcher ; la ligne A B, la grandeur & la figure du pas ; & la ligne B C, la position du pié à la fin du pas : on distinguera qu'il s'agit du pié droit ou du pié gauche, selon que la ligne B C sera inclinée à droite ou à gauche de la ligne du chemin.

On connoîtra à la tête A du pas sa durée : si elle est blanche, elle équivaudra à une blanche de l'air sur lequel on danse ; si elle est noire, elle équivaudra à une noire du même air ; si c'est une croche, la tête ne sera tracée qu'à moitié en forme de c.

Dans le pas droit, le pié marche sur une ligne droite : il y en a de deux sortes, l'un en-avant, l'autre en-arriere. Voyez fig. 15. & 16.

Dans le pas ouvert, la jambe s'ouvre : il y en a de trois sortes, l'un en-dehors, l'autre en-dedans en arc de cercle, & le troisieme à côté qu'on peut appeller pas droit, parce que sa figure est droite. Voyez les fig. 17. 18. 19.

Dans le pas rond, le pié en marchant fait une figure ronde : il y en a de deux sortes, l'un en-dehors, l'autre en-dedans. Voyez les fig. 20. & 21.

Dans le pas tortillé, le pié en marchant se tourne en-dedans & en-dehors alternativement : il y en a de trois sortes, l'un en-avant, l'autre en-arriere, le troisieme à côté. Voyez les fig. 22. 23. 24.

Dans le pas battu, la jambe ou le pié vient battre contre l'autre : il y en a de trois sortes, l'un en-avant, l'autre en-arriere, & le troisieme de côté. Voyez les fig. 25. 26. 27.

On pratique en faisant les pas plusieurs agrémens, comme plié, élevé, sauté, cabriolé, tombé, glissé, avoir le pié en l'air, poser la pointe du pié, poser le talon, tourner un quart-de-tour, tourner un demi-tour, tourner trois quarts-de-tour, tourner le tour en entier, &c.

Le plier se marque sur le pas par un petit tiret panché du côté de la tête du pas, comme on voit fig. 28.

L'élever se marque sur le pas par un petit tiret perpendiculaire. Voyez la fig. 29.

Le sauter, par deux tirets perpendiculaires. Voyez la fig. 30.

Le cabriolet, par trois. Voyez la fig. 31.

Le tomber, par un autre tiret placé au bout du premier, parallele à la direction du pas, & tourné vers la pointe du pié. Voyez la fig. 32.

Le glisser, par une petite ligne parallele à la direction du pas, & coupée par le tiret en deux parties, dont l'une va vers la tête & l'autre vers le pié. Voyez fig. 33.

Dans le pié en l'air, le pas est tranché comme dans la fig. 34.

Dans le poser la pointe du pié sans que le corps y soit porté, il y a un point directement au bout de la ligne qui représente le pié comme dans la fig. 35.

Dans le poser le talon sans que le corps y soit porté, il y a un point directement derriere, ce qui représente le talon. Voyez la fig. 36.

Le tourner un quart-de-tour se marque par un quart de cercle. Voyez la fig. 37.

Le tourner un demi-tour, par un demi-cercle, Voyez fig. 38.

Le tourner trois quarts-de-tour, par les trois quarts de la circonférence d'un cercle. Voyez fig. 39.

Le tourner un tour entier, par un cercle entier. Voyez fig. 40.

Lorsqu'il y a plusieurs signes sur un pas, on exécute les mouvemens qu'ils représentent les uns après les autres, dans le même ordre où ils sont placés, à commencer par ceux qui sont les plus près de la tête du pas, qu'il faut considérer divisés en trois parties ou tems. On fait dans le premier tems les mouvemens qui sont marqués sur la premiere partie du pas : dans le second, ceux qui sont placés sur le milieu : & dans le troisieme, ceux qui sont placés à la fin. Ainsi quand il y a un signe plié au commencement du pas, il signifie qu'il faut plier avant de marcher. De même des autres.

Les sauts se peuvent exécuter en deux manieres ; ou l'on saute des deux piés à-la-fois, ou l'on saute en marchant d'un pié seulement. Les sauts qui se font des deux piés à-la-fois, seront marqués sur les positions, comme il sera démontré dans l'exemple ci-après ; au lieu que les sauts qui se font en marchant, se marquent sur les pas.

Le pas sauté se fait de deux manieres ; ou l'on saute & retombe sur la jambe qui marche, ou l'on saute & retombe sur l'autre jambe.

S'il y a un signe sauté sur un pas, & point de signe en l'air après, c'est une marque que le saut se fait sur la jambe même qui marche ; s'il y a un signe en l'air, c'est une marque que le saut se fait sur l'autre jambe que celle qui marche.

La danse, de même que la musique, est sans agrément, si la mesure n'est rigoureusement observée.

Les mesures sont marquées dans la danse par de petites lignes qui coupent le chemin ; les intervalles du chemin compris entre ces lignes, sont occupés par les pas, dont la durée se connoît par les têtes blanches, noires, croches, &c. qui montrent que les pas doivent durer autant de tems que les notes de la musique placées au-dessus de la figure de la danse. Voyez l'exemple. Ainsi un pas dont la tête est blanche, doit durer autant qu'une blanche de l'air sur lequel on danse ; & un pas dont la tête est noire, doit durer autant qu'une noire du même air. Les positions marquent de même par leurs têtes, les tems qu'elles doivent tenir.

Il y a trois sortes de mesures dans la danse ; la mesure à deux tems, la mesure à trois tems, & la mesure à quatre tems.

La mesure à deux tems comprend les airs de gavotte, gaillarde, bourrée, rigodon, gigue, canarie, &c.

La mesure à trois tems comprend les airs de courante, sarabande, passacaille, chaconne, menuet, passe-pié, &c.

La mesure à quatre tems comprend les airs lents, comme par exemple l'entrée d'Apollon, de l'opéra du Triomphe de l'amour, & les airs de Loure.

Quand il faudra laisser passer quelques mesures de l'air sans danser, soit au commencement ou au milieu d'une danse, on les marquera par une petite ligne qui coupera le chemin obliquement : il y aura autant de ces petites lignes que de mesures ; une demi-mesure sera marquée par une demi-ligne oblique ; ainsi le repos marqué fig. 41. est de trois mesures & demie. Lorsqu'on aura un plus grand nombre de mesures de repos, comme par exemple dix, on les désignera par des bâtons qui en vaudront chacun quatre. Voyez la fig. 42. Les tems, demi-tems, & quarts de tems, se marqueront par un soupir, un demi-soupir, & un quart de soupir, comme dans la musique.

Aux airs qui ne commencent pas en frappant, c'est-à-dire où il y a des notes dans la premiere mesure sur lesquelles on ne danse point ordinairement, comme aux airs de gavotte, chaconne, gigue, loure, bourrée, &c. on marquera la valeur de ces notes au commencement. Voyez l'explication de l'exemple ci-après.

Les figures des danses se divisent naturellement en deux especes, que les maîtres appellent régulieres & irrégulieres.

Les figures régulieres sont celles où les chemins des deux danseurs font symmétrie ensemble ; & les irrégulieres, sont celles où ces mêmes chemins ne font pas de symmétrie.

Il y a encore dans la danse des mouvemens des bras & des mains, ménagés avec art.

Les mains sont marquées par ces caracteres représentés fig. 43. le premier est pour la main gauche, & le second pour la main droite ; on place celui qui représente la main droite, à droite du chemin, & le second à gauche. On observera, quand on aura donné une main ou les deux, de ne point quitter qu'on ne trouve les mêmes signes tranchés. Voyez la figure 44. A représente la femme, B l'homme auquel la femme A donne la main gauche, qu'il reçoit dans sa droite : ils marchent ensemble tout le chemin A D B C, à la fin duquel ils se quittent ; ce qui est marqué par les mains qui sont tranchées.

Les différens ports des bras & leurs mouvemens, sont marqués par les signes suivans. A, B, C, fig. 45. marque le bras droit ; le même signe, fig. 46. tourné de l'autre côté, marque le bras gauche. A marque l'épaule, B le coude, & C le poignet. Pour placer les bras sur le chemin, on distinguera les endroits où on va en-avant & en-arriere, de ceux où l'on va de côté ; à ceux où on va en-avant & en-arriere, on marquera les bras aux deux côtés du chemin, le bras droit du côté droit, & le bras gauche du côté gauche ; à ceux où l'on va de côté, on les marquera dessus & dessous, observant toûjours que celui qui est à droite est le bras droit, & celui qui est à gauche est le bras gauche.

Exemples des différentes attitudes des bras.

45 & 46, le bras étendu.

47, le poignet plié.

48, le bras plié.

49, le bras devant soi en hauteur.

50, les deux bras ouverts.

51, le bras gauche ouvert, & le droit plié au coude.

52, le bras gauche ouvert, & le droit tout-à-fait fermé.

53, les deux bras ouverts.

54, le bras gauche ouvert, & le droit fermé du coude.

55, le bras droit ouvert, & le gauche tout-à-fait fermé.

Exemples des mouvemens de bras.

56, mouvement du poignet de bas en-haut.

57, mouvement du coude de bas en-haut.

58, mouvement de l'épaule de bas en-haut.

59, mouvement du poignet de haut em-bas.

60, mouvement du coude de haut em-bas.

61, mouvement de l'épaule de haut em-bas.

62, rond du poignet de bas en-haut.

63, rond du coude de bas en-haut.

64, rond de l'épaule de bas en-haut.

65, rond du poignet de haut em-bas.

66, rond du coude de haut em-bas.

67, rond de l'épaule de haut em-bas.

68, rond du poignet de bas en haut.

69, rond du coude de bas en-haut.

70, rond de l'épaule de bas en-haut.

71, double mouvement du poignet de bas en-haut & de haut en-bas.

72, double mouvement du coude.

73, double mouvement de l'épaule.

Les bras peuvent agir tous deux en même tems, ou l'un après l'autre. On connoîtra quand les deux bras agissent tous deux en même tems, par une liaison allant de l'un à l'autre. Voy. la fig. 74. qui marque que les deux bras agissent en même tems, & par mouvement semblable ; la fig. 75. marque aussi que les deux bras agissent en même tems, mais par mouvement contraire.

Si les deux bras n'ont pas de liaison, c'est une marque qu'ils doivent agir l'un après l'autre. Le premier est celui qui précede : ainsi dans l'exemple fig. 76. le bras droit, qui est plus près de la position, agit le premier.

Explication des cinq premieres mesures du Pas de deux lutteurs, dansé par MM. Dupré & Javilliers dans l'opéra des fêtes greques & romaines, représentées dans la derniere Planche de Chorégraphie.

On a observé dans cet exemple la valeur des tems que les pas tiennent ; cette valeur est marquée par les têtes des mêmes pas, ainsi qu'il est expliqué ci-dessus : on y a joint la tablature de l'air sur lequel ce pas de deux a été exécuté : on a marqué les mesures par les chiffres 1, 2, 3, &c. afin de pouvoir les désigner plus facilement. Celles de la Chorégraphie sont de même marquées par des chiffres placés vis-à-vis des lignes qui séparent les mesures ; ainsi depuis 0 jusqu'au chiffre 1, c'est la premiere mesure ; depuis le chiffre 1 jusqu'au chiffre 2, c'est la seconde ; ainsi des autres.

Il faut aussi observer que, dans l'exemple proposé, les chemins des deux danseurs font symmétrie dans plusieurs parties ; ainsi ayant expliqué pour un, ce sera dans les parties comme si on l'avoit fait pour tous les deux. Dans les autres parties où les chemins des deux danseurs ne font point symmétrie, & où leurs mouvemens ne sont point semblables & coexistans, nous les expliquerons séparément, désignant l'un des danseurs par la lettre A, & l'autre par la lettre B.

Avant toute chose il faut expliquer par un exemple ce que nous entendons par des chemins symmétriques. Soient donc les deux lettres p p, elles sont semblables, mais elles ne font point symmétrie ; retournons une de ces lettres en cette sorte q p ou p q, elles feront symmétrie : ainsi la symmétrie est une ressemblance de figure & une dissemblance de position. B est semblable à B , mais symmétrique avec ; il suffit de les mettre vis-à-vis l'un de l'autre B pour s'en appercevoir. Enfin, si on souhaite un autre exemple, la contre-épreuve d'une estampe, ou la planche qui a servi à l'imprimer, font symmétrie ensemble ; ainsi que la forme de caracteres qui a servi à imprimer cette feuille, faisoit symmétrie avec la feuille que le lecteur a présentement sous les yeux. Ceci bien entendu, il est facile de comprendre que si le danseur A, Planc. II. fig. prem. placé vis-à-vis de celui qui est en B, part du pié gauche, ce dernier doit partir du pié droit : c'est en effet ce que l'on observe dans cet exemple. Ainsi, comme nous n'expliquerons pour les parties symmétriques que la tablature du danseur A, il faudra pour avoir celle du danseur B, changer les mots droit en gauche, & gauche en droit.

Les deux danseurs commencent par la quatrieme position ; le danseur A fait du pié gauche un pas droit en-avant : ce pas doit durer une noire ou quart de mesure ; il est suivi d'un semblable pas fait par le pié droit, qui vaut aussi une noire, comme on le connoît par sa tête qui est noire ; le troisieme pas est du pié gauche, & dure seulement une croche, ainsi qu'on le connoît par sa tête crochue : il est chargé de deux signes, le plié au commencement du pas, & l'élevé à la fin ; le quatrieme qui est du pié droit, vaut aussi une croche, & le suivant une noire ; ce qui fait en tout quatre noires, & épuise la premiere mesure de l'air à deux tems notés au-dessus. Tous les pas de cette mesure sont des pas droits en-avant.

La seconde mesure 1, 2, est occupée dans l'air par les notes re fa sol ; la premiere est une blanche pointée, & les deux dernieres, des croches ; & dans la danse elle est occupée par des positions & des pas. La premiere position où on arrive à la fin de la premiere mesure, est la troisieme ; elle est affectée des signes plié & cabriolé, & de celui de tourner un quart de tour ; ce qui met la présence du corps vis-à-vis le haut de la salle de cette position qui vaut une noire : on retombe à la quatrieme, le pié droit en l'air ; ce pié fait ensuite un pas ouvert de côté, qui dure aussi une noire : le pas suivant qui est du pié gauche, dure une croche ; il est affecté du signe plié au commencement, & du signe en l'air, suivi de celui de tourner un quart de tour à gauche, qui remet la présence du corps comme elle étoit au commencement ; & ensuite du sauté, à la fin duquel on retombe à la quatrieme position, le pié droit en l'air, qui fait un pas ouvert de côté, lequel n'est point compté dans la mesure, parce que sa tête se confond avec celle de la position, & qu'il n'est qu'une suite du sauté. Le pié restant en l'air ainsi, le corps est porté sur l'autre jambe : elle ne pourra marcher que le premier ne soit posé à terre en tout ou en partie, c'est-à-dire seulement sur le talon ou la pointe du pié ; dans la figure, c'est la pointe du pié qui porte à terre. Le pié gauche fait un pas droit en-avant, lequel vaut une croche ; il est suivi du signe de repos ou quart de soupir, qui avec les pas que nous avons expliqués, acheve de remplir la mesure.

La mesure suivante 2, 3, est remplie par trois pas qui valent chacun une noire. Le premier qui est du pié droit, a le signe en l'air au commencement ; il est suivi de la premiere position affectée du signe plié & sauté sur le pié gauche, pour marquer que le saut se fait sur cette jambe, l'autre étant en l'air ; ensuite est un soupir qui vaut une noire de repos, après lequel est un pas ouvert de côté fait par le pié gauche : ce pas est chargé de deux signes qui marquent, le premier qu'il faut plier au commencement du pas, & le second qu'il faut élever à la fin. Le pas suivant qui est du pié droit, est un pas droit du même sens, qui ramene la jambe droite près de la gauche.

Il faut remarquer qu'après le soupir de cette mesure, les chemins des danseurs cessent de faire symmétrie ; car l'un avance vers le haut de la salle, & l'autre s'en éloigne : cette diversité de mouvement continue jusqu'au troisieme tems de la mesure suivante.

Le premier pas de la mesure 3, 4, est un pas ouvert de côté du pié droit, avec les signes plié & élevé, le premier au commencement du pas, & le second à la fin ; il est suivi d'un pas ouvert de côté fait par le pié gauche, à la fin duquel le pié reste en l'air pendant un quart de mesure. Le pas suivant qui est un pas ouvert de côté, est affecté du signe de tourner un quart de tour. On voit auprès de ce pas la main droite que le danseur A donne à la main gauche de l'autre danseur, faisant l'effort simulé que deux lutteurs font pour renverser leur adversaire.

Au commencement de la mesure suivante, les danseurs sont revenus à la premiere position, où ils restent pendant une demi-mesure ; ce que l'on connoît par la tête noire de la position, & le soupir qui la suit. Le premier pas suivant est un pas ouvert en-dedans, qui dure une noire : on voit au commencement de ce pas le signe en l'air, suivi de celui de tourner un quart de tour ; ce qui fait connoître que ce pas doit être fait sans que le pié pose à terre : il est fait par le pié droit, qui revient se placer à la position. Le pas suivant est encore affecté du signe de tourner un quart de tour ; ce qui remet les danseurs vis-à-vis l'un de l'autre. On y trouve aussi le signe des mains tranché ; ce qui fait connoître qu'à la fin de ce pas les danseurs doivent se quitter.

Ce que nous avons dit jusqu'à-présent, suffit pour entendre comment on déchiffre les danses écrites. Nous laissons au lecteur muni des principes établis ci-devant, les cinq dernieres mesures de l'exemple pour s'exercer, en l'avertissant cependant d'une chose essentielle à savoir ; c'est que lorsque l'on trouve plusieurs positions de suite, comme dans la mesure 7, 8, les mouvemens que les positions représentent se font tous en la même place ; il n'y a que les pas qui transportent le corps du danseur d'un lieu en un autre, & que la durée de la somme de ces mouvemens qui doit être renfermée dans celle du pas précédent.

Si la tête d'une position est noire, ou si elle est blanche, & qu'il sorte de sa tête un pas, alors on compte le tems qu'elle marque. Il y a un exemple de l'un & de l'autre dans la mesure 7, 8, le reste est sans difficulté.

Un manuscrit du sieur Favier m'étant tombé entre les mains, j'ai cru faire plaisir au public de lui expliquer le système de cet auteur, d'autant plus que son livre ne sera probablement jamais imprimé. Mais avant toutes choses, je vais rapporter son jugement sur les méthodes de Chorégraphie, sur lesquelles il prétend que la sienne doit prévaloir : ce que nous discuterons dans la suite.

" Les uns, dit-il, prétendent écrire la danse en se servant des lettres de l'alphabet, ayant réduit, à ce qu'ils disent, tous les pas qui se peuvent faire au nombre de vingt-quatre, qui est le même que celui des lettres : d'autres ont ajoûté des chiffres à cette invention littérale, & donnent pour marque à chaque pas la premiere lettre du nom qu'il porte, comme à celui de bourrée un B, à celui de menuet un M, à celui de gaillarde un G, &c. Ces deux manieres sont à la vérité très-frivoles ; mais il y en a une troisieme (celle du sieur Feuillet que nous avons suivie ci-devant en y faisant quelques améliorations) qui paroît avoir plus de solidité : elle se fait par les lignes qui montrent la figure ou le chemin que suit celui qui danse, sur lesquelles lignes on ajoûte tout ce que les deux piés peuvent figurer, &c. mais quelque succès qu'elle puisse avoir, je ne laisserai pas de proposer ce que j'ai trouvé sur le même sujet, & peut-être que mon travail sera aussi favorablement reçû que le sien, sans pourtant rien diminuer de la gloire que ce fameux génie s'est acquise par les belles choses qu'il nous a données ".

Cet auteur représente la salle où l'on danse par des divisions faites sur les cinq lignes d'une portée de musique (Voyez la fig. 3.) les côtés portent le même nom que dans la fig. 1. Pl. I. de Chorégr. qui représente le théatre ; chaque séparation de ces cinq portées représente la salle, quelque largeur qu'elle ait : c'est dans ces salles que l'on place les caracteres qui représentent tout ce que l'on peut faire dans la danse, soit du corps, des genoux, ou des piés.

Le caractere de présence du corps est le même dans les deux Chorégraphies (Voyez la fig. 4.) ; mais celle-ci marque sur les présences du corps le côté où il doit tourner : ainsi la fig. 5. fait voir que le corps doit tourner du côté droit, & la suivante qu'il doit tourner du côté gauche. Par ces deux sortes de mouvement le corps ayant divers aspects, c'est-à-dire étant tourné vers les différens côtés de la salle, on peut les marquer par les fig. 4. 7. 8. 9. la premiere (4) représente le corps tourné du côté des spectateurs, ou vers le haut de la salle ; la seconde (7) représente le corps tourné ensorte que le côté gauche est vers les spectateurs ; la troisieme (8), que le dos est tourné vers les spectateurs ; & la quatrieme (9), que le côté droit les regarde. Mais comme la salle a quatre angles, & que le corps peut être tourné vers les quatre coins, on en marque la position en cette maniere (Voyez la fig. 10.) ; le coin 1 à gauche des spectateurs s'appelle le premier coin ; les second, troisieme, quatrieme, sont où l'on a placé les nombres 2, 3, 4.

Outre ces huit aspects, on en peut encore imaginer huit autres entre ceux-ci comme la fig. 11. le fait voir.

Ces seize aspects sont les principales marques dont on se sert ; elles se rapportent toutes au corps : mais comme il faut marquer tous les mouvemens que l'on peut faire dans une entrée de ballet composée de plusieurs danseurs, soit qu'elle fût de belle danse ou de posture, comme sont les entrées de gladiateurs, de devins, d'arlequin, soit que les mouvemens soient semblables ou différens, soit que quelques-uns des danseurs demeurent en une même place pendant que les autres avancent ; ces différens états seront marqués par les caracteres suivans : la fig. 4. représente le corps droit & debout ; la fig. 12. le corps panché en-avant comme dans la révérence à la maniere de l'homme, ce que l'on connoît par la ligne qui représente le devant du corps qui est concave ; la suivante (13) représente le corps panché du côté droit, ce que l'on connoît par la ligne de ce côté qui est concave ; la fig. 14. fait voir que le corps panche en-arriere, ce que l'on connoît par la ligne du dos qui est concave ; enfin la fig. 15. fait voir que le corps panche du côté gauche.

L'idée de marquer les tems des pas par la forme ou couleur de leur tête, étoit venue à cet auteur ; mais elle nous avoit été communiquée par M. Dupré, & nous l'avons introduite dans la Chorégraphie du sieur Feuillet où elle manque : la différence principale de ces deux manieres, est que dans celle-ci on marque la valeur des pas sur les caracteres des présences, voyez la fig. 16. qui fait voir les différentes formes du caractere de présence, & leur valeur au-dessus marquée par des notes de musique.

Ces marques à la vérité seroient d'une grande utilité ; mais cependant l'auteur ne conseille pas de s'en servir qu'on ne soit très-habile dans la Chorégraphie & la Musique.

La fig. 17. qui est une ligne inclinée de gauche à droite, marque qu'il faut plier les genoux.

La fig. 18. marque au contraire qu'il faut les élever.

La ligne horisontale (fig. 19.) marque qu'il faut marcher.

La fig. 20. qui est une ligne courbe convexe en-dessus, marque qu'il faut marcher en avançant d'abord le pié dans le commencement du pas, & continuer en ligne courbe jusqu'à la fin de son action.

La fig. 21. qui est la même ligne courbe convexe en-dessous, marque qu'il faut marcher en reculant d'abord le pié dans le commencement du pas, & continuer en ligne courbe jusqu'à la fin de son action.

La fig. 22. marque le mouvement qu'on appelle tour de jambe en-dehors.

La fig. 23. marque le mouvement qu'on appelle tour de la jambe en-dedans.

La fig. 24. qui est une ligne ponctuée en cette sorte.... marque que le pié fait quelque mouvement, sans sortir cependant du lieu qu'il occupe.

La fig. 25. qui est un d, indique le pié droit.

La suivante (26.), qui est un g, indique le pié gauche.

Ces deux mêmes lettres (fig 27.), dont la queue est un peu courbe, signifient qu'il faut poser la pointe des piés, & laisser ensuite tomber le talon à terre.

Les deux mêmes lettres d g (fig. 28.), dont la queue est ponctuée, signifient qu'il faut poser les piés sur la pointe sans appuyer sur le talon.

Les deux mêmes lettres (fig. 29.), dont la queue est séparée de la tête, signifient qu'il faut poser le talon, & appuyer ensuite la pointe du pié à terre.

Les deux mêmes lettres (fig. 30), dont la queue est discontinuée dans le milieu, marquent qu'il faut poser les piés sur le talon, sans appuyer la pointe à terre.

Les deux mêmes lettres (fig. 31.), dont les queues sont droites comme celles du d & du q, marquent qu'il faut poser le talon & la pointe du pié en même tems, ce que l'on appelle poser à plat.

Après les marques qui font voir toutes les différentes manieres de poser les piés à terre, nous allons exposer celles qui les représentent en l'air.

La fig. 32. signifie que les piés sont en l'air, ce que l'on connoît par leur queue qui est recourbée du côté de la tête.

Les deux mêmes lettres (fig. 33.), dont la queue est discontinuée dans le milieu & recourbée vers la tête, marquent que les piés sont en l'air la pointe haute.

Ces deux mêmes lettres (fig. 34.), dont la queue est discontinuée & recourbée vers la tête comme dans les précédentes, & la partie de la queue depuis la tête jusqu'à la rupture élevée perpendiculairement comme à la fig. 31. marquent que la pointe & le talon sont également éloignés de terre.

Dans tout ce que nous venons de dire on doit entendre que les piés sont tournés en-dehors, comme dans les cinq bonnes positions expliquées ci-devant. Il faut présentement expliquer les marques qui font connoître qu'ils sont tournés en-dedans, comme dans les cinq fausses positions. C'est encore les deux mêmes lettres g d (fig. 35.), mais retournées en cette sorte g p.

On peut donner à ces deux dernieres lettres toutes les variétés que nous avons montrées ci-devant, & faire autant de situations des piés en-dedans comme nous en avons fait voir en-dehors, soit à terre, soit en l'air. L'exemple suivant (fig. 36.) fait voir que les piés sont tournés en-dedans & en l'air, ce qu'on connoît par le d & le g retournés, & par leurs queues qui regardent la tête de ces lettres.

Ces différentes sortes de positions des piés étant quelquefois de distances que l'auteur appelle naturelles, c'est-à-dire éloignés l'un de l'autre de la distance d'un des piés, ou ensemble, comme lorsqu'ils se touchent, ou écartés, lorsque la distance d'un pié à l'autre est plus grande que celle d'un pié. Il marque la premiere par des lettres d g jointes au caractere de présence, sans y rien ajoûter (voyez la fig. 37.) : pour la seconde il met un point, ensorte que la lettre du pié soit entre le caractere de présence & le point (voyez la fig. 38.) : & pour la troisieme, une petite ligne verticale placée entre le caractere du pié & celui de présence. Voyez la fig. 39.

La fig. 40. qui est un o, indique qu'il faut pirouetter.

Le saut se connoît lorsque la ligne élevé placée sur la ligne marché, est plus grande que la ligne plié placée sur la même ligne marché : on connoît aussi à quelle partie du pas les agrémens doivent être faits, par le lieu que les signes de ces agrémens occupent sur la ligne marché : si ces signes sont au commencement de la ligne marché, c'est au commencement du pas ; s'ils sont au milieu, ce sera au milieu du pas qu'on doit les exécuter ; ou s'ils sont à la fin de la ligne, ce ne doit être qu'à la fin du pas qu'on doit les exécuter.

" Voilà tous les différens caracteres avec lesquels on peut décrire les mouvemens, actions, positions, que l'on peut faire dans la danse : il ne reste plus qu'à les assembler ; mais c'est ce qui se fait en tant de manieres, que si je puis y réussir, comme je l'espere, j'aurai lieu d'être satisfait de mes réflexions, dit l'auteur ".

Nous allons voir comme l'auteur y réussit.

Ces deux lignes - indiquent que le pié droit commence & acheve son mouvement, & que le pié gauche commence & finit le sien après ; ce qui est marqué par la ligne de dessus qui est pour le pié droit, laquelle précede l'autre selon notre maniere d'écrire de gauche à droite : la ligne de dessous est pour le pié gauche ; elle n'est tracée qu'après l'autre ; ce qui fait connoître que le pié qu'elle représente ne doit marcher qu'après que l'autre a fini son mouvement.

Ces deux autres lignes - font connoître que le pié gauche commence & finit son mouvement, & que le pié droit commence & acheve le sien après.

Ces deux autres lignes - indiquent que le pié droit commence son mouvement, & que dans le milieu de celui-ci le pié gauche commence le sien, qu'ils continuent ensemble, que le pié droit finit le premier, & que le pié gauche acheve après.

Ces deux lignes =- font connoître que le pié droit & le pié gauche commencent ensemble, & que le pié droit finit son mouvement après celui du pié gauche.

Ces deux autres lignes -= font connoître que le pié droit commence le premier son mouvement, & que le pié gauche commence après, qu'ils continuent ensemble, & finissent en même tems.

Ces deux autres lignes = font connoître que le pié droit & le pié gauche commencent & finissent leurs mouvemens ensemble.

Ainsi de toutes les combinaisons possibles deux à deux des lignes représentées fig. 19. 20. 21. 22. 23. 24. dont il seroit trop long de faire l'énumération.

Les fig. 37. 38. 39. ont déjà fait connoître trois situations ; les trois suivantes en représentent encore d'autres : ainsi par la fig. 40. on verra le pié droit devant le corps, & le pié gauche derriere.

Par la fig. 41. on verra le pié droit devant & de côté, & par conséquent le pié gauche derriere & de côté.

Par la fig. 41. on verra la situation qu'on appelle croisée, le pié droit devant la partie gauche du corps, & le pié gauche derriere la partie droite ; & vice versâ de toutes les combinaisons dont ces arrangemens sont susceptibles.

Ces trois derniers exemples qui montrent les situations ou positions naturelles, peuvent encore être ensemble ou écartés, en y ajoûtant le point ou la petite ligne.

Toutes ces situations pourront être un pié en l'air, en donnant à la lettre qui représente ce pié la marque de cette circonstance qui a été ci-devant expliquée. Nous allons passer aux exemples de l'emploi de la ligne marché.

La fig. 43. représente la situation ou position qui est le pié gauche à terre devant, & le pié droit en l'air derriere. On connoîtra la position en ce qu'elle sera toûjours la premiere de chaque danse, & qu'il n'y aura point au-dessous de ligne marché ; les différentes positions des piés qui pourroient y être, étant assez démontrées précédemment pour les connoître. Cette position tient dans la danse lieu de clé, dont l'usage en Musique est de faire connoître le ton & le mode de chaque air, & le premier son par lequel il commence ; de même celle-ci montre le lieu de la salle où la danse doit commencer, en se la représentant toûjours comme renfermée dans les rectangles formés par les lignes verticales & les portées de musique sur lesquelles on écrit la danse.

De cette situation on passera à la seconde, (figure 44.), où on remarquera qu'il faut marcher ce qui est marqué par la ligne qui représente ce mouvement, laquelle est décrite au-dessous de la figure qui représente la salle. Mais comme cette ligne marché suppose que l'un des deux piés doit faire un mouvement, on connoîtra que c'est le pié droit, puisque la lettre d est seule dans la salle, & est au côté droit du corps. Mais comme cette lettre est décrite la queue retournée à la tête, le pié droit se portera en l'air, & cette situation de pié finira cette premiere action, & servira de position pour passer à la suivante.

La fig. 45. représente qu'il faut marcher le pié droit à terre de côté : après ce mouvement on sortira de terre le pié gauche, qui doit rester en l'air au-dessus de l'endroit où il étoit posé. On ne marque rien pour cette action du pié gauche, parce qu'elle est nécessaire pour achever le pas. Lorsque les mouvemens qui se suivent se font par des piés différens, la fin de cette action est une situation naturelle ; celle des piés ensemble ou écartés, sera marquée par un caractere particulier.

La figure suivante (46.) représente qu'il faut marcher le pié gauche croisé devant sortant de terre, le pié droit joignant au derriere du talon du pié gauche. Cette situation ensemble étant marquée par un point qui est au derriere du corps, ce point se place à côté du corps, si on finit cette action les piés ensemble de côté.

La fig. 47. représente qu'il faut marcher le pié droit à terre de côté, & que le pié gauche sortira de terre & se portera écarté en l'air au côté gauche du corps : cette derniere circonstance est marquée par la lettre g séparée du corps par une petite ligne verticale, qui signifie, ainsi qu'il a été dit, que le pié est éloigné du corps.

La fig. 48. que l'on ne regardera que comme l'explication de la 47. représentera par conséquent la même chose ; elle indiquera de plus par les deux lignes qui y sont décrites, que le pié droit marchera le premier, & que le pié gauche marchera ensuite ; la ligne de dessous, ainsi qu'il a été dit, étant pour celui-ci, & étant postérieure par rapport à celle de l'autre pié.

Après avoir donné ces exemples pour la ligne marché sur laquelle on place les signes des agrémens, comme plié, élevé, sauté, cabriolé, &c. il est bon d'examiner ces mêmes marques, pour connoître toutes les places que le corps peut occuper sur la ligne de front.

Par la fig. 43. on verra que le corps est posé au milieu du côté gauche de la salle ; c'est la position dans laquelle la figure 43. le représente au même lieu, puisque l'action qui y est marquée n'oblige point le corps à faire aucun changement ; le pié en l'air qui est derriere la position le porte en l'air de côté à la fig. 44. laissant toûjours le poids du corps sur le pié gauche : les fig. 44. 45. 46. 47. le représentent un peu plus éloigné de ce côté ; ce qui se peut encore en autant d'autres places que l'on jugera à-propos, selon le nombre de pas qui peuvent être faits en la largeur d'une salle ; les situations sur la longueur sont marquées par les lignes des portées & les intervalles des mêmes lignes.

En donnant à toutes les places les seize aspects dont il est parlé ci-dessus, & qui sont représentés fig. 11. il est certain qu'il n'y a pas un seul endroit d'une salle où l'on ne puisse marquer telle position des piés & situation du corps que l'on voudra ; ce qui est tout ce que l'on se propose de faire quand on veut écrire une danse sur le papier.

On écrit aussi dans ce nouveau système l'air au-dessus de la danse, & le tout sur du papier de musique ordinaire, ensorte qu'au premier coup-d'oeil une danse écrite en cette maniere paroît un duo ou un trio, &c. si deux ou plusieurs danseurs dansent ensemble.

Nous avons promis de comparer ensemble ces deux manieres, nous tenons parole : nous croyons, quoique l'invention de cet auteur soit ingénieuse, que l'on doit cependant s'en tenir à celle du sieur Feuillet, où la figure des chemins est représentée, sur-tout depuis que nous y avons fait le changement communiqué par M. Dupré, au moyen duquel on connoît la valeur des pas par la couleur de leur tête, ainsi qu'il a été exprimé dans la premiere partie de cet article. L'inconvénient de ne point marquer les chemins est bien plus important que celui qui résulte de ne point écrire la musique sur les lignes & dans les intervalles, comme quelques auteurs l'avoient proposé. Voyez l'article MUSIQUE, où ces choses sont discutées. (D)


CHOREN(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la Misnie, proche d'Actembourg.


CHORÉVEQUESsub. m. (Théol.) celui qui exerçoit quelques fonctions épiscopales dans les bourgades & les villages. On l'appelloit le vicaire de l'évêque. Il n'est pas question dans l'Eglise de cette fonction avant le jv. siecle. Le concile d'Antioche tenu en 340 marque ses limites. Armentarius fut réduit à la qualité de chorévêque en 439 par le concile de Riez, le 1er de ceux d'Occident où il soit parlé de cette dignité. Le pape Léon III. l'eût abolie, s'il n'en eût été empêché par le concile de Ratisbonne. Le chorévêque, au-dessus des autres prêtres gouvernoit sous l'évêque dans les villages. Il n'étoit point ordonné évêque ; il avoit rang dans les conciles après les évêques en exercice, & parmi les évêques qui n'exerçoient pas ; il ordonnoit seul des clercs mineurs & des soûdiacres, & des diacres & des prêtres sous l'évêque. Ceux d'Occident porterent l'extension de leurs priviléges presqu'à toutes les fonctions épiscopales ; mais cette entreprise ne fut pas tolérée. Les chorévêques cesserent presque entierement au x. siecle, tant en Orient qu'en Occident, où il paroît qu'ils ont eu pour successeurs les archiprêtres & les doyens ruraux. Voyez ARCHIPRETRES & DOYENS. Il y a cependant des dignitaires encore plus voisins des anciens chorévêques ; ce sont les grands-vicaires, tels que celui de Pontoise, auxquels les évêques ou archevêques ont confié les fonctions épiscopales sur une portion d'un diocèse trop étendu pour être administré par un seul supérieur. Le premier des soûdiacres de S. Martin d'Utrecht, & le premier chantre des collégiales de Cologne, ont titre de chorévêques & fonction de doyens ruraux. L'église de Treves a aussi des chorévêques. Ce nom vient de , lieu, & de , évêque, évêque d'un lieu particulier. Voyez EVEQUE, ARCHEVEQUE, &c.


CHORGES(Géog.) petite ville de France en Dauphiné. Long. 24. lat. 44. 35.


CHORGO(Géog.) petite ville de la basse Hongrie, près d'Albe royale.


CHORIAMBES. m. (Belles-Lett.) dans l'ancienne Poésie, pié ou mesure de vers composée d'un chorée ou trochée & d'un ïambe, c'est-à-dire de deux breves entre deux longues, comme hstrs. (G)


CHORIONS. m. (Anat.) est la membrane extérieure qui enveloppe le foetus dans la matrice. Voyez FOETUS. Ce mot vient du grec , contenir.

Elle est épaisse & forte, polie en-dedans, par où elle s'unit à une autre membrane appellée amnios, mais rude & inégale en-dehors, parsemée d'un grand nombre de vaisseaux, & attachée à la matrice par le moyen du placenta qui y est fort adhérent. Voyez AMNIOS, PLACENTA.

Cette membrane se trouve dans tous les animaux.

Le chorion, avec l'amnios & le placenta, forme ce qu'on appelle les secondines ou l'arriere-faix. Voyez SECONDINES. (L)


CHORISTES. m. chanteur qui chante dans les choeurs de l'opéra ou dans ceux des motets au concert spirituel, & dans les églises. Voyez CHANTEUR & CHANTRE ; voyez aussi CHOEUR. (B)


CHOROBATES. m. (Méchanique) espece de niveau dont se servoient les anciens.

Le grand niveau qu'ils appelloient chorobate étoit une piece de bois de 20 piés de longueur, soûtenue par quelques pieces aux extrémités, & qui avoit dans sa partie supérieure un canal qu'on remplissoit d'eau, avec quelques petits plombs qui pendoient aux côtés, pour s'assûrer si cette piece étoit de niveau. C'étoit-là toute la longueur de leurs nivellemens, car ils transportoient le chorobate de 20 en 20 piés, pour conduire leurs ouvrages. Ce niveau étoit fort défectueux : nos modernes en ont inventé de beaucoup meilleurs. Voy. NIVEAU, NIVELLEMENT, Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CHOROGRAPHIES. f. l'art de faire la carte ou la description de quelque pays ou province. Voyez CARTE.

Ce mot vient des mots grecs , région, contrée, lieu ; & de , je décris.

La Chorographie est différente de la Géographie, comme la description d'un pays l'est de celle de toute la terre. Voyez GEOGRAPHIE.

Elle est différente de la Topographie, comme la description d'un pays l'est de celle d'un lieu, d'une ville, ou de son district. Voyez TOPOGRAPHIE. (O)


CHOROIDES. f. terme d'Anatomie, qui se dit de plusieurs parties du corps qui ont quelque ressemblance avec le chorion.

Ce mot vient du grec , chorion, & , ressemblance.

Choroïde se dit particulierement d'une membrane intérieure qui revêt immédiatement le cerveau, ainsi appellée parce qu'elle est parsemée de quantité de vaisseaux comme le chorion. On l'appelle plus communément la pie-mere ou la petite meninge. Voyez MENINGE & MERE.

On appelle aussi choroïde la seconde tunique de l'oeil qui est immédiatement sous la sclérotique. Elle naît de cette partie de la pie-mere qui enveloppe la papille du nerf optique ; de-là elle marche en-devant, entre la rétine & la sclérotique, & embrasse l'humeur vitrée en forme de sphere. Dans tout ce trajet elle tient à la sclérotique, tant par des artérioles & de petites veines, que par quelque cellulosité, dans laquelle on a trouvé quelquefois la graisse dans le veau, mais antérieurement à la fin de la sclérotique opaque, où elle est unie à la cornée. Là, la choroïde devenue plus épaisse & plus calleuse, adhere fortement à cette extrémité commune de la cornée, faisant un ceintre blanc, que Maître-Jean & Veslingius appellent orbiculo-ciliaire ; & M. Winslow, ligament ciliaire.

Dans le foetus elle est blanchâtre en-dehors, & en-dedans d'un rouge brun. Elle est pareillement d'un brun rouge dans l'adulte, en-dehors, comme le raisin noir ; intérieurement, teinte d'une couleur vive qui pâlit avec l'âge, & blanchit dans la vieillesse dans un grand nombre de brutes : elle est extérieurement brune ou noire ; en-dedans d'un verd vif & argenté dans les poissons. MM. de l'académie des Sciences, dans leur livre de la dissection des animaux, disent, au sujet de la lionne, que cette tunique colorée peut se séparer de la choroïde. Voilà ce qui a donné le premier indice de ces deux lames, dont l'interne a été nommé ruyschienne, par Ruysch qui l'a découverte. Haller, comment. Boerh.

M. Mariotte soûtient que la vision se fait plûtôt dans la choroïde que dans la rétine. Il a pour lui Bartholomaeus Torrinus & M. Meri, qui sont du même sentiment ; mais tous les autres auteurs sont du sentiment contraire. Voyez VISION, RETINE, &c. (L)

CHOROÏDE, adj. (Anat.) Le plexus choroïde est une toile vasculaire très-fine, remplie d'un grand nombre de ramifications artérielles & veineuses ; & en partie ramassée en deux paquets flottans, qui s'étendent dans les cavités des ventricules latéraux, un dans chaque ventricule, & en partie épanouie en maniere d'enveloppe qui couvre immédiatement, avec une adhérence particuliere, les couches des nerfs optiques, la glande pinéale, les tubercules quadri-jumeaux, & les parties voisines tant du cerveau que du cervelet. (L)


CHOSES. f. (Gramm.) On désigne indistinctement par ce mot tout être inanimé, soit réel, soit modal ; être est plus général que chose, en ce qu'il se dit indistinctement de tout ce qui est, au lieu qu'il y a des êtres dont chose ne se dit pas. On ne dit pas de Dieu, que c'est une chose ; on ne le dit pas de l'homme. Chose se prend encore par opposition à mot ; ainsi il y a le mot & la chose ; il s'oppose encore à simulacre ou apparence. Cadit persona, manet res.

CHOSES, (LES) Jurisprud. sont un des trois objets du droit, suivant ce qui est dit dans les instituts de Justinien, liv. I. tit. ij. paragr. 12. qui rapporte tout le droit à trois objets, les personnes, les choses, & les actions ; personas, res, vel actiones.

On entend dans le droit, sous ce terme de choses, tout ce qui est distinct des personnes & des actions : quelques-uns distinguent encore les obligations, & ne comprennent sous le terme de choses que les biens ; cependant il s'applique aussi à plusieurs autres objets, comme on le verra par les différentes divisions qui suivent.

Les choses sont corporelles ou incorporelles, mobiliaires ou immobiliaires ; elles sont dans notre patrimoine ou communes & publiques ; elles sont sacrées ou profanes, fungibles ou non fungibles, possibles ou impossibles.

Il y a aussi de certaines choses que l'on appelle douteuses, litigieuses, les choses jugées, les choses de pure faculté, & autres distinctions, que nous allons expliquer chacune selon leur ordre alphabétique.

CHOSES hors du commerce, ou hors le patrimoine, sont celles qui par leur nature ne peuvent être acquises par des particuliers. Telles sont les choses communes ou publiques ; celles qui appartiennent à des corps & communautés ; les choses appellées de droit divin, qui comprennent les choses sacrées, religieuses & saintes.

CHOSES communes : sont celles dont l'usage est commun à tous les hommes, telles que l'air, l'eau des fleuves & des rivieres, la mer & ses rivages. Ces choses sont appellées communes, parce que n'ayant pû entrer dans la division des choses qui s'est faite par le droit des gens, elles sont demeurées dans leur premier état, c'est-à-dire communes quant à l'usage, suivant le droit naturel, & dont la propriété n'en appartient à personne en particulier.

Quoique l'eau des fleuves & des rivieres soit commune pour l'usage à tous les hommes, cependant, suivant notre droit françois, la propriété des fleuves & rivieres navigables, soit par rapport à leur rivage & à leur lit, soit par rapport à la pêche & à la navigation, aux ponts, moulins, & autres édifices que l'on peut construire sur ces fleuves & rivieres, appartient au Roi. Les seigneurs hauts-justiciers ont le même droit sur les rivieres non-navigables, chacun dans l'étendue de leur seigneurie.

Pour ce qui est de la mer & de ses rivages, quoique personne ne puisse en prétendre la propriété, cependant les puissances politiques peuvent en empêcher l'usage, soit pour la pêche, soit pour la navigation.

Ainsi en France il n'y a que le Roi, ou ceux qui ont permission de lui, qui puissent faire équiper des vaisseaux & les mettre en mer. Personne aussi ne peut avoir des salines sans la permission du Roi ; ce sont des droits que les rois se sont reservés dans leurs états, & qui sont des marques de leur souveraineté.

On ne doit pas confondre les choses des communes avec les choses communes. Les premieres sont celles dont la propriété appartient à quelque communauté, & dont l'usage est commun à tous ceux qui la composent ; tels sont les prés & bois qui appartiennent à une communauté d'habitans, les hôtels ou maisons communes des villes, leurs portes, murailles, remparts & fortifications, & autres choses semblables.

CHOSES corporelles, sont celles qui ont un corps matériel, soit animé ou inanimé ; tels sont les fruits, les grains, les bestiaux, les terres, prés, bois, maisons, à la différence des choses incorporelles, qui ne tombent point sous les sens, & que l'on ne peut voir ni toucher, mais que nous concevons seulement par l'entendement ; telles que les droits & actions, les successions, les servitudes, & autres choses semblables. Voyez ci-après CHOSES incorporelles.

CHOSES douteuses, en Droit, sont celles dont l'évenement est incertain, ou celles qui dépendent de l'interprétation d'une clause, d'un testament, ou de quelqu'autre acte. Il en est parlé dans un très-grand nombre de textes de droit, indiqués par M. Brederode, au mot dubium. Laurent Valla a fait un traité de rebus dubiis.

CHOSES de faculté ou de pure faculté, merae facultatis, sont celles qu'il est libre de faire quand on veut, & que l'on peut aussi ne pas faire sans qu'il en résulte aucun inconvénient ; tel est, par exemple, le droit de passage qui appartient à quelqu'un dans l'héritage d'autrui. Ces sortes de choses ou de droits ne se perdent point par le non-usage, & la prescription ne commence à courir à cet égard que du jour de la contradiction, par exemple, du jour que le passage a été refusé.

CHOSES fungibles, res fungibiles, sont celles que l'on peut remplacer par d'autres de même espece, comme l'argent monnoyé, du grain, des liqueurs, &c. Elles sont opposées à celles que l'on appelle en droit non fungibles, que l'on ne peut pas remplacer par d'autres semblables, & qui gissent en estimation, comme une maison, un cheval, &c.

CHOSES non fungibles, voyez ci-dessus CHOSES fungibles.

CHOSES impossibles, en Droit, sont celles que l'on ne peut réellement faire, ou qui ne sont pas permises suivant les lois. Ces sortes de choses n'obligent point ; c'est-à-dire que si l'on a stipulé une clause de cette nature, ou si un testateur a opposé une telle condition à sa libéralité, le tout est regardé comme non écrit. Voyez les lois 31. & 188. au digeste de reg. jur. & liv. XLV. tit. j. l. 35. & liv. L. tit. xvij. l. 18.

CHOSES jugées, en Droit, se prend quelquefois pour ce qui résulte d'un jugement, quelquefois on entend par-là le jugement même ; enfin le terme de chose jugée est souvent restraint au cas où le jugement a acquis une telle force, qu'il devient hors de toute atteinte. Opposer l'autorité de la chose jugée, c'est fonder sa demande ou ses défenses sur quelque jugement rendu entre les parties, ou dans une espece semblable. L'autorité de la chose jugée est si grande, qu'elle passe pour une vérité constante ; res judicata pro veritate habetur.

Suivant l'ordonnance de 1667, tit. xxvij. art. 5. les sentences & jugemens qui doivent passer en force de chose jugée, sont ceux rendus en dernier ressort, & dont il n'y a point d'appel, ou dont l'appel n'est pas recevable, soit que les parties y eussent formellement acquiescé, ou qu'elles n'en eussent interjetté appel dans le tems, ou que l'appel en ait été déclaré péri. L'article 12. dit que si la sentence a été signifiée, & que trois ans après la signification il y ait eu sommation d'en appeller, l'appel ne sera plus recevable six mois après la sommation ; mais la sentence passera en force de chose jugée. Le délai pour les églises, hôpitaux, colléges, au lieu de trois ans, est de six ans. Au défaut de ces sommations, les sentences, suivant l'art. 17. n'ont force de chose jugée qu'après dix ans, à compter du jour de la signification ; & au bout de vingt ans, à l'égard des églises, hôpitaux, colléges.

CHOSES litigieuses, voyez DROITS LITIGIEUX.

CHOSES, appellées mancipi, chez les Romains, étoient celles qui étoient possédées en pleine propriété. Elles étoient ainsi appellées de mancipium, qui signifioit le droit de propriété & de domaine dont les seuls citoyens romains joüissoient sur tous les fonds de l'Italie, sur les héritages de la campagne, sur les esclaves, & sur les animaux qui servoient à faire valoir ces mêmes fonds. Toutes ces choses étoient appellées res mancipi ou mancipii, à la différence des provinces tributaires des Romains, où les particuliers n'avoient que l'usufruit & la possession de leurs fonds & des choses qui y étoient attachées ; c'est pourquoi on les nommoit res nec mancipi. Par l'ancien droit romain, l'usucapion n'avoit lieu que pour les choses appellées mancipi, soit meubles ou immeubles : les choses appellées nec mancipi étoient seulement sujettes à la prescription ; mais Justinien supprima ces distinctions frivoles entre ces deux manieres de posséder & de prescrire. Voyez Institut. liv. II. tit. vj. l'hist. de la Jurispr. rom. de M. Terrasson, liv. II. §. 8. pag. 133.

CHOSES, hors du patrimoine, voyez ci-devant CHOSES hors du commerce.

CHOSES possibles, en Droit, sont celles qu'il est au pouvoir de quelqu'un de faire, & qui sont permises par les lois. Voyez ci-devant CHOSES impossibles.

CHOSES prophanes, en Droit, sont opposées aux choses sacrées, religieuses, & saintes.

CHOSES de pure faculté, voyez ci-devant CHOSES de faculté.

CHOSES publiques, sont celles dont le public a l'usage ; telles que les rivieres navigables & leurs rivages, les rues & places publiques. Chez les Romains, le peuple avoit la propriété de ces choses ; au lieu que parmi nous elle appartient au roi ou au seigneur haut-justicier, dans la justice duquel elles sont situées. Les choses publiques & les choses communes conviennent en ce que l'usage en est commun à tous les hommes, mais elles different en ce que la propriété des choses publiques appartient à quelqu'un ; au lieu que celle des choses communes n'appartient à personne. Voyez le tit. des instit. de rerum divisione.

CHOSES religieuses, sont les lieux qui servent à la sépulture des fideles. Chez les Romains, chacun pouvoit de son autorité privée rendre un lieu religieux, en y faisant inhumer un mort. Mais parmi nous cela ne suffit pas pour mettre ce lieu hors du commerce ; il ne devient religieux qu'autant qu'il est beni & destiné pour la sépulture ordinaire des fideles. Voyez le tit. de rerum divisione, §. 9. & de Boutaric, ibid.

CHOSES sacrées, sont celles qui ont été consacrées à Dieu par les évêques, avec les solennités requises, comme les vases sacrés, les églises, &c. Voy. aux inst. de rer. divis. & de Boutaric, sur le §. 8 de ce titre.

CHOSES saintes, en Droit, sont celles que les lois ordonnent de respecter, telles que les portes & les murailles des villes, la personne des souverains, les ambassadeurs, les lois mêmes. On appelle ces choses, saintes, parce qu'il est défendu, sub sanctione poenae, de leur faire injure, ou d'y donner aucune atteinte. Voyez le §. 10. aux institut. de rerum divisione. L'usage des portes & des murailles des villes appartient à la communauté, & à chacun des particuliers qui la composent ; mais la police & la garde en appartiennent au roi, ou au seigneur justicier, s'il y en a un dans le lieu. Voyez de Boutaric, sur le §. cité. (A)


CHOUS. m. brassica, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est à quatre feuilles, disposées en croix ; le calice pousse un pistil qui, lorsque la fleur est passée, devient un fruit ou une silique grêle, longue, cylindrique, & composée de deux panneaux pliés en gouttiere, appliqués sur les bords d'une cloison qui divise ce fruit dans sa longueur en deux loges remplies de quelques semences presque rondes. Ajoûtez au caractere de ce genre le port de ses especes, qui consiste principalement dans les feuilles ondées sur les bords, ridées le plus souvent, & de couleur bleue céleste. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CHOUX, (Jardinage). Il y a peu de plantes potageres qui ayent autant d'especes.

Il se distingue en chou pommé blanc, en colsa, chou blond, chou frisé blanc, chou pommé, chou cabu, chou rouge, choux-fleur, chou de Milan ou poncalier, choux-raves.

Les choux rouges ont des feuilles rougeâtres, & la tige très-élevée ; les frisés ont des feuilles toutes découpées & garnies de rides.

Lorsque vous avez coupé les têtes de vos choux, les tiges repoussent l'hyver de petits rejettons appellés brocolis, que l'on mange en salade. Voy. BROCOLIS.

Les choux-fleurs sont les plus délicats ; ils se sement sur couche en Avril & en Mai. On leur entoure la tête avec quelques liens de paille, afin qu'elle soit moins exposée à l'ardeur du soleil. En les levant en motte de dessus la couche, on leur rogne le bout du pivot ; & souvent pour les faire pommer & les garantir des gelées, on les met dans la serre dans une planche de demi-pié de haut. Leur graine ne réussit pas en France, il faut en faire venir du Levant.

Les choux de Milan se sement sur couche en Mai, & on les replante en pleine terre, dans des rayons, à un pié 1/2 l'un de l'autre ; & si l'on veut que les choux grossissent, il faut les arroser souvent dans les chaleurs, & leur donner un labour dans le mois de Juin, afin que la terre soit plus disposée à recevoir utilement les pluies du ciel.

Les choux en général ne se perpétuent que de graines, qu'il faut laisser sécher aux montans que l'on a coupés, & ensuite les vanner & les serrer pour les semer l'année suivante. (K)

CHOU, (Mat. méd. & Diete). Les différentes especes de choux qu'on cultive dans nos jardins, sont beaucoup plus d'usage dans les cuisines que dans la Médecine. Les feuilles de chou rouge sont pourtant employées par les Apoticaires, qui préparent un sirop de leur suc.

Les choux doivent être rangés avec les plantes alkalines ; car quoiqu'ils ne contiennent que peu ou point d'alkali volatil absolument libre, ou capable de s'élever dans la distillation au degré de l'eau bouillante, cependant la présence de ce principe dans cette plante, & la foiblesse des liens qui l'y retiennent, sont bien annoncés par la facilité avec laquelle il se développe dans sa décoction par le secours de la moindre fermentation.

Quelques anciens ont regardés les choux comme un remede universel. On dit que les Romains l'ont employé à ce titre pendant six cent ans ; & que le grand Caton s'en est servi avec succès pour garantir sa famille de la peste. Pline nous apprend que Pythagore faisoit un cas tout particulier du chou : c'est grand dommage qu'un traité entier que Dieuches, compté par Galien entre les principaux des plus anciens médecins, avoit composé sur les vertus du chou, ne soit pas parvenu jusqu'à nous.

L'école de Salerne a dit du chou, que son suc lâchoit le ventre, & que sa substance le resserroit : Jus caulis solvit, cujus substantia stringit.

Plusieurs anciens l'ont célébré comme vulnéraire, anti-scorbutique, utile contre l'hydropisie, & surtout spécifique dans les maladies de la poitrine, par une vertu particuliere, ou par une certaine analogie qu'ils ont cru appercevoir entre cette plante & ce viscere. On ne le regarde aujourd'hui que comme adoucissant l'acrimonie des humeurs de la poitrine, détergeant les ulceres commençans, appaisant très-bien la toux, en un mot comme un béchique incrassant ; mais on peut douter encore à bon droit de cette derniere propriété, & remettre le chou dans la classe des purs alimens, dans laquelle les Médecins ont puisé leurs prétendus incrassans. Voyez INCRASSANS.

Au reste, comme le choix même des alimens est assûrément de conséquence dans les maladies chroniques, & sur-tout dans les maladies du poumon ; le chou, quoique dépouillé de toute vertu médicamenteuse proprement dite, pourroit bien avoir dans ces maladies une utilité réelle. C'est à l'observation à nous instruire sur ce point.

Quant aux qualités malfaisantes que le plus grand nombre des Médecins a attribuées aux choux considérés comme plante potagere ou aliment, on ne voit pas que l'observation réponde à cette prétention, qui dès-lors est nulle de plein droit, comme toute loi médicinale fondée sur le seul raisonnement.

Il est évident, & plusieurs auteurs se sont même trahis là-dessus, le célebre M. Geoffroi, par exemple ; il est évident, dis-je, que c'est de la pente à la putréfaction qu'on a dès long-tems observée dans le chou, & sur-tout dans sa premiere décoction plûtôt que de l'expérience, qu'on a déduit la prétendue disposition du chou à produire des sucs grossiers & une bile noire. Les paysans & le peuple de tous les pays de l'Europe, s'en nourrissent presque journellement. En Béarn & dans quelques autres provinces voisines, il n'est peut-être pas un seul habitant qui n'en mange au moins une fois par jour ; la garbure de ce pays est un potage aux choux & aux cuisses d'oie, ou au lard, qu'on sert régulierement à souper sur toutes les tables : or on n'a observé ni dans ces provinces ni ailleurs, aucune maladie ou indisposition particuliere qu'on puisse raisonnablement attribuer à l'usage des choux.

C'est avec moins de fondement encore que les mêmes auteurs ont avancé que le chou nourrissoit peu, & se digéroit difficilement. On peut avancer au contraire 1°. qu'il contient beaucoup d'aliment vrai, & que cet aliment est même plus solide ou plus analogue aux humeurs nutritives de nos corps, que celui que fournissent les autres familles de végétaux nourrissans ; celui-ci étant dans un état qui le rapproche de très-près de la nature des lymphes animales ou des sucs des viandes. Voyez LEGUME & DIETE.

2°. Qu'il est peu d'estomacs qui ne le digerent très-bien ; & que si on peut l'accuser de vicier quelquefois la digestion, c'est au contraire en la hâtant ou en lâchant le ventre.

Le sauer-kraut qui est une espece de mets très-usité en Allemagne, n'est autre chose que du chou porté par une fermentation, à laquelle on l'a disposé dans cette vûe, à l'état acéteux ou acide. Voyez SAUERKRAUT. (b)

CHOU CARAÏBE, plante qui doit être rapportée au genre appellé pié de veau. Voyez PIE DE VEAU. (I)


CHOUCASS. m. monedula sive lupus, (Hist. nat. Ornit.) oiseau qui pese neuf onces & demie ; il a environ un pié un pouce de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue. Les pattes étendues sont presque aussi longues que la queue. Cet oiseau a deux piés deux pouces d'envergeure. Le bec est fort, il a un pouce trois lignes de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche. Les narines sont rondes ; la moitié du bec & les narines sont recouvertes par de petites plumes recourbées en-devant. L'iris des yeux a une couleur blanchâtre ; les oreilles sont assez grandes ; le derriere de la tête jusqu'au milieu du cou est cendré ; la poitrine & le ventre sont aussi un peu cendrés ; le reste du corps est noir, avec quelque teinte d'un bleu luisant ; la tête a une couleur noire foncée. Il y a dans chaque aile vingt grandes plumes ; l'extérieure est de moitié plus courte que la seconde ; la troisieme & la quatrieme sont les plus longues ; le tuyau de la onzieme & de celles qui suivent jusqu'à la dix septieme, ne s'étend pas jusqu'au bout de ces plumes, ce qui rend leur pointe échancrée : mais au milieu de cette échancrure il y a un crin ou une épine qui tient au tuyau. La queue a cinq pouces & demi de longueur : elle est composée de douze plumes ; celles du milieu sont un peu plus longues que les autres. Les pattes ressemblent à celles de la corneille ; le doigt & l'ongle de derriere sont plus longs que dans les autres oiseaux ; le doigt extérieur tient au doigt du milieu. Le choucas se nourrit de noix, de grain, de cerises, &c. Sa tête est grande à proportion du corps ; on a cru que c'étoit la cause de la finesse de son instinct : mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a en effet beaucoup d'instinct. Ces oiseaux habitent les plus hautes tours des villes & des villages, les vieux murs, & les châteaux ruinés ; ils nichent en grand nombre dans des tours de ces bâtimens, & quelquefois dans des creux d'arbres. La femelle fait cinq ou six petits oeufs de couleur pâle & parsemés de quelques taches. Quelques auteurs ont donné au choucas les noms de chuca, choüette, & petite choüette. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU. (I)

CHOUCAS ROUGE, coracias seu pyrrhocorax, oiseau qui a environ quinze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des pattes, & un pié quatre pouces jusqu'au bout de la queue. L'envergeure est de deux piés sept pouces. La femelle pese douze onces & demie, & le mâle treize onces. Cet oiseau ressemble au choucas ; mais il est plus gros & presque aussi gros que la corneille, dont il differe principalement par le bec qui est plus long, de couleur rouge, pointu, & un peu recourbé. La piece supérieure du bec est un peu plus longue que l'inférieure. Sa langue est large, mince, fourchue à son extrémité, & plus courte que le bec. L'ouverture des narines est arrondie, & recouverte par des plumes recourbées em-bas. Les oreilles sont grandes ; les cuisses & les pattes ressemblent à celles du choucas, à l'exception de la couleur qui est rouge : tout le reste du plumage est noir. Il y a vingt grandes plumes dans chaque aile ; la premiere ou l'extérieure est plus courte que la seconde ; la troisieme est plus longue que les deux premieres, mais plus courte que la quatrieme, qui est la plus longue de toutes. Quand les ailes sont pliées, elles s'étendent jusqu'à l'extrémité de la queue, qui est composée de douze plumes toutes à-peu-près de la longueur de cinq pouces ; ou s'il y a quelque différence, c'est en ce que les plumes du milieu sont un peu plus longues que les extérieures, comme dans tous les autres oiseaux de ce genre. On trouve dans l'estomac du choucas rouge des insectes : il habite les rochers, les temples, & les vieux châteaux qui tombent en ruine ; on le voit aussi sur les bords de la mer. Il a la voix du choucas, mais elle est plus enroüée. Quelques auteurs ont donné à cet oiseau les noms de choquard & de choüette. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU. (I)


CHOUETTES. f. strix, (Ornit.) oiseau de proie qui ne sort que la nuit. Willughby donne la description d'un mâle de cette espece qui pesoit douze onces & demie ; il étoit à-peu-près de la grosseur d'un pigeon, quoique le corps fût plus court. Il avoit environ treize pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergeure étoit d'environ deux piés & demi ; le bec avoit depuis sa pointe jusqu'aux angles de la bouche, un pouce au plus : il étoit de couleur de corne, ou d'un bleu pâle. La choüette a l'ouverture de la bouche grande à proportion de la longueur du bec ; la langue est un peu fourchue à l'extrémité, son empreinte est marquée sur le palais. Les yeux sont gros & saillans ; la membrane qui se trouve entre l'oeil & la paupiere, a le bord noir ; celui des paupieres est large & rougeâtre. L'ouverture des oreilles est très-grande, & recouverte d'une pellicule. Les yeux & le menton sont entourés d'un double rang de plumes, qui forment une espece de fraise : ces deux rangs de plumes sont situés l'un derriere l'autre ; celui de devant est composé de plumes roides & parsemées de blanc, de noir & de roux ; celles du rang inférieur sont souples & teintes de blanc & de couleur de feu. Le milieu de la tête est noirâtre ; les yeux sont très-près des oreilles : il y a au-delà des narines au-dessous des yeux, des poils ronds & droits. La face supérieure du corps est mêlée de couleur noirâtre & de roux. Les bords des plumes sont roux, & le milieu est noirâtre : mais si on examine de près chaque plume en particulier, on y voit des lignes ondoyantes qui les traversent, & qui sont alternativement brunes & cendrées. Le ventre & le reste de la face inférieure du corps, ont à-peu-près les mêmes couleurs que le dos. En général, les plumes du corps de la chouette sont plus douces, plus longues & plus élevées que dans la plûpart des autres oiseaux, ce qui la fait paroître beaucoup plus grosse qu'elle ne l'est en effet. Les pattes sont couvertes presque jusqu'aux ongles d'un plumage épais de couleur blanche sale, avec de petites lignes noires & ondoyantes : il n'y a que deux ou trois écailles annulaires dans chaque patte qui soient à nud. Chaque aile a vingt-quatre grandes plumes ; les barbes extérieures de la premiere sont terminées à la pointe par des poils séparés les uns des autres, & disposés en forme de dents de peigne. On voit sur les grandes plumes des ailes & de la queue, six ou sept taches transversales qui sont d'un blanc sale, & teintes de roux ou de brun. Les petites plumes des ailes qui recouvrent les grandes, sur-tout celles du milieu, & les plus longues des épaules qui couvrent les côtés du dos, sont marquées de taches blanches, sur-tout sur les barbes intérieures de chaque plume. La queue a six pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes : celles du milieu sont les plus longues, & les autres diminuent de longueur par degrés jusqu'à l'extérieure qui est la plus courte : elles sont toutes pointues. La plante des piés est calleuse & de couleur pâle ; les ongles sont longs & de couleur de corne ou noirâtres. Il n'y a point de membrane entre les doigts. L'extérieur de devant peut se plier en arriere, comme si en effet c'étoit un doigt de derriere : ce qui a fait dire que cet oiseau avoit deux doigts de derriere. On a trouvé dans l'estomac du poil de rat. Quelques auteurs ont donné le nom de choüette à la chevesche, au choucas, & au choucas rouge. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU. (I)

* CHOUETTE, (Myth.) elle étoit consacrée à Minerve : ce fut le symbole de la prudence. Il y en avoit beaucoup dans le territoire des Athéniens ; ils en firent un de leurs signes militaires. On voit à leurs monnoies la choüette posée sur des vases distingués par des lettres. Les antiquaires prétendent que les Athéniens se proposerent de conserver ainsi la mémoire de l'invention des vaisseaux de terre. Quoi qu'il en soit, le nom de choüette reste aux monnoies attiques ; & l'esclave d'un riche lacédémonien disoit par allusion à ce nom, qu'une multitude de choüettes nichoient sous le toît de son maître.

CHOUETTE, (Méd.) Pline a vanté sa chair pour la paralysie ; tous les auteurs de matiere médicale ont rapporté cette vertu d'après lui, & comme trait d'érudition : cette propriété & quelques autres qu'ils lui ont aussi accordées chacun sur l'autorité de ses prédécesseurs, ne sont pas confirmées par des observations. L'usage médicinal de cet oiseau est très-rare parmi nous, ou même absolument nul. (b)

CHOUETTE (petite) voyez CHOUCAS.

* CHOUETTE, (Hist. anc.) danse des Grecs dont nous ne savons autre chose, sinon qu'elle étoit dans le caractere pantomime & bouffon.


CHOUou SHOGLE, (Géog.) grande ville d'Asie dans la Syrie sur l'Oronte, sur la route de Sayde à Alep.


CHOUL(Géog.) riviere des Pays-Bas au duché de Luxembourg dans les Ardennes, qui se jette dans la Meuse.


CHOUQUETS. m. CHUQUET, BLOE, TETE DE MORE, (Marine) c'est une grosse piece de bois, ou plutôt un billot qui est plat & presque quarré par-dessous, & rond par-dessus ; il sert à couvrir la tête du mât, & emboîte aussi un mât à côté de l'autre. Chaque mât a son chouquet. Voyez la Pl. I. de la Marius, où les chouquets de chaque mât sont cotés 13.

Le chouquet est percé en mortaise pour embrasser le tenon des mâts, & on amarre au chouquet le pendant des balancins.

Les mâts de hune, les perroquets, & les bâtons de pavillon, entrent aussi dans un chouquet, qui les affermit & les entretient avec le mât qui est au-dessous ; & ce chouquet est enfermé dans un collier de fer coté b b, qui l'embrasse. Voy. la fig. citée ci-dessus ; voyez aussi la Pl. VI. fig. 76. où l'on voit la forme particuliere du chouquet.

" Au-dessous du chouquet il y a deux boucles ou petits cercles de fer, cotés a a fig. 76. par où passent les palans qui servent à hisser & amener les mâts de hune.

Il y a aussi dans les chouquets des clés de bois qui sont garnies de fer, qui embrassent les vergues cotées c. figure 76. on les couvre de peaux de mouton pour empêcher que les voiles ne se gâtent & ne s'usent trop contre ces endroits-là.

La grandeur des chouquets se regle sur la grandeur du vaisseau : par exemple, pour un vaisseau de cent trente-quatre piés de long de l'étrave à l'étambord, le grand chouquet aura trois piés un pouce de long, deux piés de large, & quatorze pouces d'épaisseur ; le chouquet du mât de misene, deux piés & demi de long, vingt-un pouces & demi de large, douze pouces & demi d'épais.

Les chouquets de l'artimon du grand mât de hune & du beaupré, auront seize pouces de long, douze de large, & sept pouces d'épais.

Les chouquets du grand & petit perroquet, quatorze pouces de long, douze de large, & six pouces & demi d'épais ".

Ces proportions peuvent cependant varier suivant les méthodes des différens constructeurs.

" Il y a encore quelques autres regles pour déterminer les proportions des chouquets. Par exemple, on peut donner au chouquet du grand mât pour sa longueur, la septieme partie de la largeur du vaisseau ; pour la largeur de ce chouquet, on lui donnera les cinq huitiemes parties de sa longueur : & pour son épaisseur, les deux tiers de sa largeur.

Le chouquet du mât de misene sera plus court d'une huitieme partie que celui du grand mât ; sa largeur & son épaisseur dans les mêmes proportions.

Le chouquet du mât d'artimon doit avoir la moitié du grand chouquet, ou chouquet du grand mât.

Le chouquet du grand mât de hune, la même proportion que celui du mât d'artimon.

Le chouquet du mât de hune d'avant, d'une huitieme partie plus court que les deux précédens, & le chouquet du beaupré égal à celui-ci.

Le chouquet ou bloc qui est à l'arriere du mât d'artimon, doit être d'une huitieme partie plus court que celui du mât de hune d'avant ; & le chouquet du perroquet d'artimon, d'un tiers plus court que ce dernier.

Les chouquets du grand perroquet, du perroquet de misene, & du perroquet de beaupré, doivent être égaux en longueur au chouquet de l'artimon, & entr'eux ils different d'un ou deux pouces, selon que le charpentier le juge à-propos ". (Z)


CHOUSSETS. m. (Oecon. domest.) boisson en usage chez les Turcs. Elle se fait avec de la pâte crue, mais levée ; on la décuit dans un chauderon plein d'eau ; & quand elle est rassise & séchée, on en prend la grosseur d'un oeuf qu'on jette dans l'eau pour la boire. Cette pâte s'échauffe d'elle-même ; elle donne à l'eau une couleur blanche & épaisse. Cette boisson nourrit & enivre ; on se lave avec sa mousse : c'est une espece de fard.


CHOUSTACKS(Comm.) monnoie d'argent usitée en Pologne, qui vaut environ huit sous de notre argent.


CHOVACOUET(Géog.) riviere de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle France.


CHRAST(Géog.) petite ville de Bohème dans le cercle de Chrudim.


CHREMES. m. (Théologie) huile consacrée par l'évêque, & dont se servent les églises latine & grecque, pour administrer le baptême, la confirmation, l'ordre, & l'extrème-onction. Voyez HUILE, ORDINATION, EXTREME-ONCTION, &c. On fait le saint chrême le Jeudi-saint.

Ce mot est formé du grec , qui signifie la même chose, & est dérivé du verbe , oindre.

Il y a deux sortes de chrêmes : l'un se fait avec de l'huile & du baume, & on s'en sert pour administrer les sacremens de baptême, de confirmation, & d'ordre : l'autre est de simple huile consacrée par l'évêque ; il servoit anciennement pour les cathécumenes, & sert encore à présent au sacrement d'extrème-onction. Voyez Ducange.

Les Maronites, avant leur réunion avec l'Eglise de Rome, employoient dans la composition de leur chrême, l'huile, le baume, le musc, le safran, la canelle, les roses, l'encens blanc, & plusieurs autres drogues.

Le P. Dandini, jésuite, qui alla au mont Liban en qualité de nonce du pape, ordonna dans un synode qu'il y tint en 1556, que le saint chrême à l'avenir ne seroit composé que d'huile & de baume, dont l'un représente la nature humaine de Jesus-Christ, l'autre sa nature divine. Voyez le dict. de Trév.

L'onction du saint chrême dans la confirmation, est regardée par les Théologiens catholiques comme la matiere partielle du sacrement. Voyez CONFIRMATION.

Dans le baptême & l'extrème-onction, c'est le prêtre qui fait l'onction du saint chrême ou de l'huile sainte : dans les deux autres sacremens où il y a onction, savoir la confirmation & l'ordre, c'est l'évêque seul qui a pouvoir de la faire.

Autrefois les évêques exigeoient une contribution du clergé pour la confection de leur saint chrême, qu'ils appelloient denarii chrismales : & l'on tire encore une legere rétribution des fabriques, en leur distribuant chaque année les saintes huiles, dans la plûpart des diocèses. (G)


CHREMEAUS. m. (Théologie) c'est un bonnet ou beguin de toile qu'on met sur la tête des enfans après qu'ils sont baptisés, & qui représente la robe blanche, symbole de l'innocence, dont on revêtoit autrefois les cathécumenes après leur baptême. (G)


CHRESESou CHRESIS, (Musique) , usus ; en Musique, est une des parties de l'ancienne mélopée, qui apprend au compositeur à mettre un tel arrangement dans la suite des sons, qu'il en résulte une bonne modulation & une mélodie agréable. Cette partie s'applique à différentes successions des sons, appellées par les anciens, agoge, euthia, anacamptosa, &c. Voyez TIRADE. (S)


CHRETIENS. m. (Théologie) en parlant des personnes, signifie celui qui étant baptisé fait profession de la doctrine de Jesus-Christ ; & en parlant des choses, ce qui est conforme à la loi évangélique : ainsi l'on dit un discours chrétien, une vie chrétienne, des sentimens chrétiens, &c.

Ce fut à Antioche, vers l'an 41, que l'on commença à donner le nom de chrétien à ceux qui professoient la foi de Jesus-Christ, & que l'on appelloit auparavant disciples. On les nommoit encore élûs, freres, saints, croyans, fideles, nazaréens. On les appella aussi Jesséens, du nom de Jessé, pere de David ; & selon d'autres, de Jesus-Christ, auteur de leur religion. Philon les nomme Therapeutes ; mais c'est une question encore indécise, que de savoir si les Therapeutes étoient chrétiens. Voyez THERAPEUTES. On leur donnoit le nom grec d', en latin pisciculi, qu'on regarde vraisemblablement comme un nom technique, composé des premieres lettres de chacun de ces mots, ; Jesus Christus, Dei filius, salvator. On les appelloit encore Gnostiques, , c'est-à-dire hommes doüés de science & d'intelligence ; & quelquefois Théophores & Christophores, c'est-à-dire temples de Dieu, temples du Christ. On trouve dans quelques peres, mais rarement, les Chrétiens désignés par le nom même de Christs, ou consacrés à Dieu par les onctions saintes du baptême & de la confirmation.

Les Payens, qui les regardoient comme des gens dévoüés à la mort, destinés au feu & aux gibets, leur donnoient des noms injurieux tirés de ces supplices, tels que bioeothanati, sarmenticii, semaxii. On leur prodiguoit aussi les odieuses qualifications d'imposteurs, de magiciens, & on les confondoit avec les Juifs. Julien l'apostat ne les désignoit que par le titre méprisant de Galiléens, qu'il donnoit à Jesus-Christ lui-même. Le peuple leur donnoit le nom d'athées, parce qu'ils combattoient le culte des faux dieux ; les savans, celui de Grecs & d'imposteurs, ou de sophistes. On les nomma aussi sibyllistes, parce que dans leurs disputes avec les Payens, quelques-uns alléguerent l'autorité de ces livres des Sibylles, qui passent aujourd'hui généralement pour supposés ; parabolaires ou parabolains & désespérés, à cause du courage avec lequel ils bravoient la mort. Les hérétiques leur donnerent aussi divers noms ridicules ou méprisans, comme ceux d'allégoristes, de simples, d'anthropolatres, ou adorateurs d'hommes, &c. Bingham, orig. eccles. tom. I. lib. j. c. j. & ij.

Le Roi de France porte le titre de Roi très-Chrétien, prérogative dont on fait remonter l'origine jusqu'à Childebert, à qui S. Grégoire le Grand écrivoit que le royaume de France est autant élevé en dignité au-dessus des autres royaumes, que la royauté elle-même est au-dessus de la condition des hommes privés. Il est certain que Charles Martel & Pepin le Bref ont porté ce titre. Lambecius, dans le troisieme tome de son catalogue de la bibliotheque des empereurs, prétend que le nom de Roi très-Chrétien a été donné aux rois de la seconde race, non en qualité de rois de France, mais en qualité d'empereurs d'Allemagne ; prétention absurde & convaincue de faux par le témoignage uniforme & constant de tous les historiens.


CHRÉTIENNE(COUR) ou cour de chrétienté, nom qu'on donnoit en Angleterre à un tribunal tout composé d'ecclésiastiques, par opposition à la cour laye, dont les membres étoient tous laïques.

CHRETIENNE (ÉGLISE) voyez ÉGLISE.

CHRETIENNE, (RELIGION) voyez CHRISTIANISME & RELIGION.

CHRETIENS DE S. JEAN, secte corrompue de chrétiens, répandue à Bassora & aux environs, qu'on nomme aussi Sabéens & Mandaïtes. Voyez SABEENS & MANDAÏTES.

Ces prétendus chrétiens, qu'on croit d'abord avoir habité le long du Jourdain, où S. Jean baptisoit, & avoir pris de-là le nom de chrétiens de S. Jean, & qui, après la conquête de la Palestine par les Mahométans, se retirerent dans la Mésopotamie & la Chaldée, ne sont, de l'aveu de tous les voyageurs, ni Juifs, ni Chrétiens, ni Musulmans. M. Chambers dit que tous les ans ils célebrent une fête de cinq jours, pendant lesquels ils vont recevoir de la main de leurs évêques le baptême de S. Jean, & que leur baptême ordinaire s'administre dans les fleuves ou rivieres, & seulement le Dimanche.

M. Fourmont l'aîné, dans un mémoire historique sur cette secte, dit entr'autres choses, qu'elle se donne une origine très-ancienne, remontant au moins jusqu'à Abraham ; & que de tems immémorial elle a eu des simulacres, des arbres dévoüés, des bois sacrés, des temples, des fêtes, une hiérarchie, l'adoration, la priere, & même une idée de la résurrection ; pratiques qui sont un mêlange du Judaïsme & du Paganisme, plûtôt qu'une preuve bien nette de Christianisme. Les Mathématiciens qui dominoient parmi eux, forgeoient des dogmes ou rejettoient ceux des autres, selon leurs calculs. Ainsi, les uns soûtenoient que la résurrection devoit se faire au bout de 9000 ans, parce qu'ils fixoient à ce tems la révolution entiere des orbes célestes ; d'autres ne l'attendoient qu'au bout de 36426 ans. Plusieurs d'entr'eux soûtenoient dans le monde, ou dans les mondes, une espece d'éternité, pendant laquelle tour-à-tour ces mondes étoient détruits & refaits. On a une homélie de S. Grégoire de Nazianze contre les Sabiens ou Sabéens. L'alcoran fait mention de cette secte. Ils font une mémoire honorable de S. Jean Baptiste, dont ils se disent les disciples ; & leurs liturgies & autres livres font mention du baptême, & de quelques autres sacremens qu'on ne rencontre que chez les Chrétiens. Mém. de l'acad. des Inscript. & Belles-Lett. tom. XII. p. 16. & suiv. (G)

CHRETIENS DE S. THOMAS, est un peuple des Indes orientales, qui, suivant la tradition du pays, reçut la foi de l'évangile par la prédication de l'apôtre S. Thomas.

A l'arrivée des Portugais à Calecut, & au premier voyage qu'ils firent aux Indes, ils y trouverent les anciens convertis qui, ayant appris qu'il étoit arrivé dans leur contrée un peuple nouveau qui avoit une vénération particuliere pour la croix, leur proposerent une alliance par des ambassadeurs, & implorerent leur secours contre des princes payens dont ils étoient opprimés.

Il est certain que les chrétiens de S. Thomas sont des peuples naturels ou originaires de l'Inde. On les appelle autrement nazaréens ; mais comme la coûtume du pays a attaché à ce nom une idée de mépris, ils prennent celui de Mappuley, & au plurier, Mappuleymar.

Ils forment une tribu considérable, mais toûjours divisée par des factions & des inimitiés invétérées. Elle est dispersée depuis Calecut jusqu'à Travencor, occupant en certains endroits une ville entiere, en d'autres n'en occupant qu'un quartier.

Ils se regardent comme étrangers dans leur pays. Leur tradition est que leurs peres sont venus d'une contrée voisine de la ville de Meilapur, où ils étoient persécutés. Quant au tems de leur transmigration, ils l'ignorent, n'ayant ni monumens ni archives.

Ils attribuent leur conversion, discipline, & doctrine, à S. Thomas ; & il est dit dans leur breviaire que cet apôtre passa de leur pays à la Chine.

Nous n'entrerons point ici dans la question, si le S. Thomas fameux dans cette contrée est saint Thomas l'apôtre, ou quelqu'autre saint du même nom, ou un marchand nestorien appellé Thomas ; nous observerons seulement que les savans, en particulier M. Huet, pensent que ce n'est point l'apôtre.

La suite de l'histoire de cette église n'est pas moins difficile à développer que son origine : nous lisons dans nos auteurs que le patriarche d'Alexandrie envoya des évêques aux Indiens, & en particulier S. Pantaenus, S. Fromentius, &c. mais on ne sait si ce fut précisément à ces peuples. Baronius est pour l'affirmative ; le Portugais, auteur de l'histoire d'Ethiopie, donne au contraire ces missionnaires aux Ethiopiens. Le seul fait certain, c'est que depuis plusieurs siecles les chrétiens de S. Thomas ont reçu des évêques du côté de Babylone ou de Syrie. Il y a encore aujourd'hui à Babylone une espece de patriarche qui continue cette mission.

On demande si leur apôtre leur ordonna quelques évêques dont l'ordre se seroit éteint dans la suite des tems, faute de sujets capables des fonctions épiscopales, ou si l'apôtre ne leur laissa point d'évêques ordonnés par ses mains : mais qui peut répondre à cette question ?

L'église de ces chrétiens, à la premiere arrivée des Portugais, étoit entierement gouvernée par ces évêques étrangers.

Ils faisoient leur office en chaldéen, selon les uns, en syriaque, selon d'autres : hors de-là ils parloient la langue de leurs voisins.

Ce furent vraisemblablement ces évêques qui introduisirent parmi eux la langue chaldéenne & les erreurs répandues dans l'Orient dans les tems du Nestorianisme, de l'Eutychianisme, & d'autres hérésies.

Ce mélange d'opinions, & l'interruption totale de l'ordre des évêques pendant plusieurs années consécutives, avoient mis leur religion dans une espece de chaos ; leur maniere de célebrer l'eucharistie, lorsque les Portugais arriverent chez eux, suffira pour en donner quelque idée.

On avoit pratiqué au-dessus de l'autel une espece de tribune ou galerie ; pendant que le prêtre commençoit em-bas l'office à voix basse, on fricassoit au-dessus un gateau de fleur de ris dans de l'huile & du beurre ; lorsque ce gateau étoit assez cuit, on le descendoit dans un panier sur l'autel, où le prêtre le consacroit. A l'égard des autres especes, au lieu de vin, ils usoient d'une eau-de-vie faite à la maniere du pays. Leurs ordinations n'étoient guere plus régulieres ; l'archidiacre, qui étoit quelquefois plus respecté que l'évêque même, ordonnoit les prêtres.

Ils étoient dans une infinité d'autres abus : les Portugais travaillerent à les réformer ; pour cet effet, ils eurent recours aux puissances séculiere & ecclésiastique : ils citerent les évêques de cette secte à des conciles assemblés à Goa ; ils les instruisirent, & même les envoyerent en Portugal & à Rome, pour y apprendre la doctrine & les rits de l'Eglise romaine : mais ces évêques, à leur retour, retombant dans leurs premieres erreurs, les Portugais convaincus de l'inutilité de leurs précautions, les exclurent de leurs diocèses, & les remplacerent par un évêque européen ; conduite qui les rendit très-odieux.

Dom Frey Aleixo de Menesès, archevêque de Goa, gouvernant les Portugais-indiens par interim ; & au défaut d'un viceroi, profita de cette occasion pour convoquer un concile dans le village de Diamper, où l'on fit un grand nombre de canons & d'ordonnances, & où l'on réunit les chrétiens de S. Thomas à l'Eglise romaine. Il fut secondé dans ses opérations par les jésuites ; mais après sa mort, la plûpart de ces nouveaux convertis devinrent relaps, & continuerent d'être moitié catholiques, & moitié hérétiques.

On a une histoire portugaise de leurs erreurs, composée par Antoine Govea, de l'ordre de S. Augustin ; depuis traduite en espagnol & en françois, & imprimée à Bruxelles en 1609, sous le titre d'histoire orientale des grands progrès de l'Eglise catholique, en la réduction des anciens chrétiens, dits de S. Thomas.

Suivant cette histoire, les chrétiens de S. Thomas, 1°. soûtiennent avec opiniâtreté le sentiment de Nestorius, & ne reçoivent aucune image, à l'exception de celle de la croix, qu'ils n'honorent pas même fort religieusement. 2°. Ils assûrent que les ames des saints ne verront Dieu qu'après le jour du jugement. 3°. Ils n'admettent que trois sacremens ; savoir le baptême, les ordres, & l'eucharistie, mêlant de si grands abus dans l'administration du baptême, qu'en une même église il y a différentes formes de baptiser, ce qui rend le baptême nul. Aussi l'archevêque Menesès rebaptisa-t-il en secret la plûpart de ces peuples. 4°. Ils ne se servent point des saintes huiles dans l'administration du baptême, & ils oignent seulement les enfans d'un onguent composé d'huile de noix d'Inde, sans aucune bénédiction. 5°. Ils ne connoissent pas même les noms de confirmation & d'extrème-onction. 6°. Ils ont horreur de la confession auriculaire, excepté un petit nombre d'entr'eux qui sont voisins des Portugais. 7°. Leurs livres d'offices fourmillent d'erreurs. 8°. Ils se servent pour la consécration, de petits gateaux faits à l'huile & au sel, & pétris avec du vin, ou plûtôt d'eau où l'on a seulement détrempé des raisins secs. 9°. Ils disent la messe rarement. 10°. Ils ne gardent point l'âge requis pour les ordres ; car ils font des prêtres à dix-sept, dix-huit, ou vingt-ans ; & ceux-ci se marient, même avec des veuves, & jusqu'à deux & trois fois. 11°. Leurs prêtres n'ont point l'usage de réciter le breviaire en particulier ; ils se contentent de le dire à haute voix dans l'église. 12°. Ils commettent la simonie dans l'administration du baptême & de l'eucharistie, pour lesquels ils exigent certaines sommes. 13°. Ils ont un respect extraordinaire pour leur patriarche de Babylone, qui est schismatique, & chef de la secte des Nestoriens ; ils ne peuvent souffrir au contraire qu'on nomme le pape en leurs églises, où ils n'ont le plus souvent ni curé ni vicaire ; c'est le plus ancien laïque qui préside alors à leurs assemblées. On a remarqué que quand on leur parloit de se soûmettre à S. Pierre, ou à l'Eglise de Rome, ils répondoient qu'à la vérité S. Pierre étoit le chef de celle-ci, mais que S. Thomas étoit le chef de leur église, & que ces deux églises étoient indépendantes l'une de l'autre. Aussi leur soûmission & leur réunion au saint siége n'ont-elles jamais été ni sinceres ni durables. 14°. Ils assistent à la vérité tous les Dimanches à la messe, mais ils ne se croyent pas obligés en conscience d'y aller, ni sous peine de péché mortel. 15°. Ils mangent de la chair le jour du samedi. On trouve encore dans la même histoire diverses autres erreurs ou abus, à la réformation desquels Menesès & les autres missionnaires travaillerent avec plus de zele que de fruit. M. Simon, dans son histoire des nations du Levant, & dans ses remarques sur Gabriel de Philadelphie, ne convient pas de toutes ces erreurs, & croit que la réunion des chrétiens de S. Thomas, avec l'Eglise romaine, n'est pas si difficile qu'on le pense. Histoire orientale des progrès de l'Eglise catholique, &c. (G)


CHRETIENTÉS. f. signifioit autrefois le clergé : & l'on appelloit cour de chrétienté une jurisdiction ecclésiastique, & le lieu même où elle se tenoit. C'est aujourd'hui la collection générale de tous les Chrétiens répandus sur la surface de la terre, & considérés comme formant un corps d'hommes professant la religion de Jesus Christ, sans aucun égard aux différentes opinions qui peuvent diviser ce corps en sectes. La chrétienté n'est pas renfermée dans la seule Eglise catholique, apostolique, & romaine ; parce qu'il y a hors de cette église & des hommes & des sociétés qui portent le nom chrétien. Ce nom est destiné à remplir un jour toute la terre.


CHRISTS. m. du grec , qui signifie oint, consacré, dérivé du verbe , oindre.

Ce nom se dit par antonomase d'une personne en particulier qui est envoyée de Dieu, comme d'un roi, d'un prophete, d'un prêtre : ainsi, dans l'Ecriture, Saül est appellé le christ ou l'oint du Seigneur ; Cyrus est aussi appellé le christ ou l'envoyé de Dieu, pour la délivrance des Juifs captifs en Babylone.

Le nom de Christ se dit par excellence du Sauveur & du Redempteur du monde ; & joint à celui de Jesus, il signifie le Verbe qui s'est incarné pour le salut du genre humain. Voyez MESSIE. (G)

CHRIST, (Ordre de) Hist. mod. ordre militaire fondé l'an 1318 par Denis I. roi de Portugal, pour animer sa noblesse contre les Mores. Le pape Jean XXII. le confirma en 1320, & donna aux chevaliers la regle de S. Benoît. Alexandre VI. leur permit de se marier.

La grande maîtrise de cet ordre a été depuis inséparablement réunie à la couronne, & les rois de Portugal en ont pris le titre d'administrateurs perpétuels.

Les armes de l'ordre sont une croix patriarchale de gueules, chargée d'une croix d'argent. Ils faisoient autrefois leur résidence à Castromarin ; ils la transférerent depuis dans la ville de Thomar, comme étant plus voisine des Mores d'Andalousie & de l'Estremadure. Voyez hist. de Portug. de Lequint, & le dict. de Trév.

Christ est aussi le nom d'un ordre militaire en Livonie, qui fut institué en 1205 par Albert évêque de Riga. La fin de leur institut fut de défendre les nouveaux convertis de Livonie que les Payens persécutoient. Ces chevaliers portoient sur leur manteau une épée & une croix par-dessus, ce qui les fit aussi nommer les freres de l'épée. Voyez EPEE ; voyez hist. de Polog. de Longin, & le dict. de Trév.


CHRIST-CHURCH(Géog.) petite ville d'Angleterre dans la province de Hampshire, sur l'Avon. Long. 15. 45. lat. 50. 46.


CHRISTBOURG(Géog.) petite ville de la Prusse polonoise dans le Hockerland, sur la riviere de Sarguno.


CHRISTIANIA(Géog.) ville de Norwege dans la partie méridionale de ce royaume, dans la province d'Aggerhus dont elle est la capitale, avec un port de mer.


CHRISTIANISMES. m. (Théolog. & Politiq.) c'est la religion qui reconnoît Jesus-Christ pour son auteur. Ne le confondons point ici avec les diverses sectes de Philosophie. L'Evangile, qui contient ses dogmes, sa morale, ses promesses, n'est point un de ces systèmes ingénieux que l'esprit des Philosophes enfante à force de réflexions. La plûpart, peu inquiets d'être utiles aux hommes, s'occupent bien plus à satisfaire leur vanité par la découverte de quelques vérités, toûjours stériles pour la réformation des moeurs, & le plus souvent inutiles au genre humain. Mais Jesus-Christ en apportant au monde sa religion, s'est proposé une fin plus noble, qui est d'instruire les hommes & de les rendre meilleurs. C'est cette même vûe qui dirigea les législateurs dans la composition de leurs lois, lorsque pour les rendre plus utiles, ils les appuyerent du dogme des peines & des récompenses d'une autre vie : c'est donc avec eux qu'il convient plus naturellement de comparer le législateur des Chrétiens, qu'avec les Philosophes.

Le Christianisme peut être considéré dans son rapport, ou avec des vérités sublimes & révélées, ou avec des intérêts politiques ; c'est-à-dire, dans son rapport ou avec les félicités de l'autre vie, ou avec le bonheur qu'il peut procurer dans celle-ci. Envisagé sous le premier aspect, il est entre toutes les religions qui se disent révélées, la seule qui le soit effectivement, & par conséquent la seule qu'il faut embrasser. Les titres de sa divinité sont contenus dans les livres de l'ancien & du nouveau Testament. La critique la plus sévere reconnoît l'authenticité de ces livres ; la raison la plus fiere respecte la vérité des faits qu'ils rapportent ; & la saine Philosophie, s'appuyant sur leur authenticité & sur leur vérité, conclut de l'une & de l'autre, que ces livres sont divinement inspirés. La main de Dieu est visiblement empreinte dans le style de tant d'auteurs & d'un génie si différent, lequel annonce des hommes échauffés dans leur composition d'un autre feu que de celui des passions humaines ; dans cette morale pure & sublime qui brille dans leurs ouvrages ; dans la révélation de ces mysteres qui étonnent & confondent la raison, & qui ne lui laissent d'autre ressource que de les adorer en silence ; dans cette foule d'évenemens prodigieux qui ont signalé dans tous les tems le pouvoir de l'Etre suprème ; dans cette multitude d'oracles, qui perçant à-travers les nuages du tems, nous montrent comme présent ce qui est enfoncé dans la profondeur des siecles ; dans le rapport des deux Testamens, si sensible & si palpable par lui-même, qu'il n'est pas possible de ne pas voir que la révélation des Chrétiens est fondée sur la révélation des Juifs. Voyez TESTAMENS (ancien & nouveau), MIRACLES, PROPHETIES.

Les autres législateurs, pour imprimer aux peuples le respect envers les lois qu'ils leur donnoient, ont aussi aspiré à l'honneur d'en être regardés comme les organes de la Divinité. Amasis & Mnévis, législateurs des Egyptiens, prétendoient avoir reçû leurs lois de Mercure. Zoroastre, législateur des Bactriens, & Zamolxis, législateur des Hétes, se vantoient de les avoir reçûes de Vesta ; & Zathraustes, législateur des Arimaspes, d'un génie familier. Rhadamante & Minos, législateurs de Crete, feignoient d'avoir commerce avec Jupiter. Triptoleme, législateur des Athéniens, affectoit d'être inspiré par Cérès. Pythagore, législateur des Crotoniates, & Zaleuchus, législateur des Locriens, attribuoient leurs lois à Minerve. Lycurgue, législateur de Sparte, à Apollon ; & Numa, législateur & roi de Rome, se vantoit d'être inspiré par la déesse Egerie. Suivant les relations des jésuites, le fondateur de la Chine est appellé Fanfur, fils du Soleil, parce qu'il prétendoit en descendre. L'histoire du Pérou dit que Manco-Capac & Coya-Mama, soeur & femme de Manco-Capac, fondateurs de l'empire des Incas, se donnoient l'un pour fils & l'autre pour fille du Soleil, envoyés par leur pere pour retirer les hommes de leur vie sauvage, & établir parmi eux l'ordre & la police. Thor & Odin, législateurs des Visigoths, prétendirent aussi être inspirés, & même être des dieux. Les révélations de Mahomet, chef des Arabes, sont trop connues pour s'y arrêter. La race des législateurs inspirés s'est perpétuée long-tems, & paroît enfin s'être terminée dans Genghizcan, fondateur de l'Empire des Mogols. Il avoit eu des révélations, & il n'étoit pas moins que fils du Soleil.

Cette conduite des législateurs, que nous voyons si constamment soûtenue, & que nul d'entr'eux n'a jamais démentie, nous fait voir évidemment qu'on a crû dans tous les tems que le dogme d'une Providence, qui se mêle des affaires humaines, est le plus puissant frein qu'on puisse donner aux hommes ; & que ceux qui regardent la religion comme un ressort inutile dans les états, connoissent bien peu la force de son influence sur les esprits. Mais en faisant descendre du ciel en terre comme d'une machine tous ces dieux, pour leur inspirer les lois qu'ils devoient dicter aux hommes, les législateurs nous montrent dans leurs personnes des fourbes & des imposteurs, qui, pour se rendre utiles au genre humain dans cette vie, ne pensoient guere à le rendre heureux dans une autre. En sacrifiant le vrai à l'utile, ils ne s'appercevoient pas que le coup qui frappoit sur le premier, frappoit en même tems sur le second, puisqu'il n'y a rien d'universellement utile qui ne soit exactement vrai. Ces deux choses marchent, pour ainsi dire de front ; & nous les voyons toûjours agir en même tems sur les esprits. Suivant cette idée, on pourroit quelquefois mesurer les degrés de vérité qu'une religion renferme, par les degrés d'utilité que les états en retirent.

Pourquoi donc, me direz-vous, les législateurs n'ont-ils pas consulté le vrai, pour rendre plus utile aux peuples la religion sur laquelle ils fondoient leurs lois ? C'est, vous répondrai-je, parce qu'ils les trouverent imbûs, ou plûtôt infectés de la superstition qui divinisoit les astres, les héros, les princes. Ils n'ignoroient pas que les différentes branches du Paganisme étoient autant de religions fausses & ridicules : mais ils aimerent mieux les laisser avec tous leurs défauts, que de les épurer de toutes les superstitions qui les corrompoient. Ils craignoient qu'en détrompant l'esprit grossier des vulgaires humains sur cette multitude de dieux qu'ils adoroient, ils ne vinssent à leur persuader qu'il n'y avoit point de Dieu. Voilà ce qui les arrêtoit : ils n'osoient hasarder la vérité que dans les grands mysteres, si célebres dans l'antiquité profane ; encore avoient-ils soin de n'y admettre que des personnes choisies & capables de supporter l'idée du vrai Dieu. " Qu'étoit-ce qu'Athenes, dit le grand Bossuet, dans son hist. univ. la plus polie & la plus savante de toutes les villes greques, qui prenoit pour athées ceux qui parloient des choses intellectuelles, qui condamna Socrate pour avoir enseigné que les statues n'étoient pas des dieux, comme l'entendoit le vulgaire " ? Cette ville étoit bien capable d'intimider les législateurs, qui n'auroient pas respecté en fait de religion les préjugés qu'un grand poëte nomme à si juste titre les rois du vulgaire.

C'étoit sans-doute une mauvaise politique de la part de ces législateurs ; car tant qu'ils ne tarissoient pas la source empoisonnée d'où les maux se répandoient sur les états, il ne leur étoit pas possible d'en arrêter l'affreux débordement. Que leur servoit-il d'enseigner ouvertement dans les grands mysteres l'unité & la providence d'un seul Dieu, si en même tems ils n'étouffoient pas la superstition qui lui associoit des divinités locales & tutélaires ; divinités, à la vérité, subalternes & dépendantes de lui ; mais divinités licencieuses, qui durant leur séjour en terre avoient été sujettes aux mêmes passions & aux mêmes vices que le reste des mortels ? Si les crimes dont ces dieux inférieurs s'étoient souillés pendant leur vie, n'avoient pas empêché l'Etre suprème de leur accorder, en les élevant au-dessus de leur condition naturelle, les honneurs & les prérogatives de la Divinité, les adorateurs de ces hommes divinisés pouvoient-ils se persuader que les crimes & les infamies, qui n'avoient pas nui à leur apothéose, attireroient sur leurs têtes la foudre du ciel ?

Le législateur des Chrétiens, animé d'un esprit bien différent de celui de tous les législateurs dont j'ai parlé, commença par détruire les erreurs qui tyrannisoient le monde, afin de rendre sa religion plus utile. En lui donnant pour premier objet la félicité de l'autre vie : il voulut encore qu'elle fît notre bonheur dans celle-ci. Sur la ruine des idoles, dont le culte superstitieux entraînoit mille desordres, il fonda le Christianisme, qui adore en esprit & en vérité un seul Dieu, juste rémunérateur de la vertu. Il rétablit dans sa splendeur primitive la loi naturelle, que les passions avoient si fort obscurcie ; il révéla aux hommes une morale jusqu'alors inconnue dans les autres religions ; il leur apprit à se haïr soi-même, & à renoncer à ses plus cheres inclinations ; il grava dans les esprits ce sentiment profond d'humilité qui détruit & anéantit toutes les ressources de l'amour-propre, en le poursuivant jusque dans les replis les plus cachés de l'ame ; il ne renferma pas le pardon des injures dans une indifférence stoïque, qui n'est qu'un mépris orgueilleux de la personne qui a outragé, mais il le porta jusqu'à l'amour même pour ses plus cruels ennemis ; il mit la continence sous les gardes de la plus austere pudeur, en l'obligeant à faire un pacte avec ses yeux, de crainte qu'un regard indiscret n'allumât dans le coeur une flamme criminelle ; il commanda d'allier la modestie avec les plus rares talens ; il réprima par une sévérité prudente le crime jusque dans la volonté même, pour l'empêcher de se produire au-dehors, & d'y causer de funestes ravages ; il rappella le mariage à sa premiere institution, en défendant la polygamie, qui, selon l'illustre auteur de l'esprit des lois, n'est point utile au genre humain, ni à aucun des deux sexes, soit à celui qui abuse, soit à celui dont on abuse, & encore moins aux enfans pour lesquels le pere & la mere ne peuvent avoir la même affection, un pere ne pouvant pas aimer vingt enfans comme une mere en aime deux. Il eut en vûe l'éternité de ce lien sacré, formé par Dieu même, en proscrivant la répudiation, qui, quoique favorable aux maris, ne peut être que triste pour des femmes, & pour les enfans, qui payent toûjours pour la haine que leur pere ont pour leur mere. Voyez le chap. du divorce & de la répudiation du même auteur.

Ici l'impiété se confond, & ne voyant aucune ressource à attaquer la morale du Christianisme du côté de sa perfection, elle se retranche à dire que c'est cette perfection même qui le rend nuisible aux états ; elle distille son fiel contre le célibat, qu'il conseille à un certain ordre de personnes pour une plus grande perfection ; elle ne peut pardonner au juste courroux qu'il témoigne contre le luxe ; elle ose même condamner en lui cet esprit de douceur & de modération qui le porte à pardonner, à aimer même ses ennemis ; elle ne rougit pas d'avancer que de véritables chrétiens ne formeroient pas un état qui pût subsister ; elle ne craint pas de le flétrir, en opposant à cet esprit d'intolérance qui le caractérise & qui n'est propre, selon elle, qu'à former des monstres, cet esprit de tolérance qui dominoit dans l'ancien paganisme, & qui faisoit des freres de tous ceux qu'il portoit dans son sein. Etrange excès de l'aveuglement de l'esprit humain, qui tourne contre la religion même ce qui devroit à jamais la lui rendre respectable ! Qui l'eût cru que le Christianisme, en proposant aux hommes sa sublime morale, auroit un jour à se défendre du reproche de rendre les hommes malheureux dans cette vie, pour vouloir les rendre heureux dans l'autre ?

Le célibat, dites-vous, ne peut être que pernicieux aux états, qu'il prive d'un grand nombre de sujets, qu'on peut appeller leur véritable richesse. Qui ne connoît les lois que les Romains ont faites en différentes occasions pour remettre en honneur le mariage, pour soumettre à ses lois ceux qui fuyoient ses noeuds, pour les obliger par des récompenses & par des peines à donner à l'état des citoyens ? Ce soin, digne sans-doute d'un roi qui veut rendre son état florissant, occupa l'esprit de Louis XIV. dans les plus belles années de son regne. Mais partout où domine une religion qui fait aux hommes un point de perfection de renoncer à tout engagement, que peuvent, pour faire fleurir le mariage & par lui la société civile, tous les soins, toutes les lois, toutes les récompenses du souverain ? Ne se trouvera-t-il pas toûjours de ces hommes, qui aimant en matiere de morale tout ce qui porte un caractere de sévérité, s'attacheront au célibat par la raison même qui les en éloigneroit, s'ils ne trouvoient pas dans la difficulté d'un tel précepte de quoi flatter leur amour propre ?

Le célibat qui mérite de tels reproches, & contre lequel il n'est pas permis de se taire, c'est celui, dit l'auteur de l'esprit des lois, qui est formé par le libertinage, celui où les deux sexes se corrompant par les sentimens naturels mêmes, fuyent une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre dans celles qui les rendent toûjours pires : c'est contre celui-là que doit se déployer toute la rigueur des lois ; parce que, comme le remarque ce célebre auteur, c'est une regle tirée de la nature, que plus on diminue le nombre des mariages qui pourroient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits ; & que moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages ; comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols.

Mais en quoi le célibat, que le Christianisme a adopté, peut-il être nuisible au bien de la société ? Il la prive sans-doute de quelques citoyens ; mais ceux qu'il lui enleve pour les donner à Dieu, travaillent à lui former des citoyens vertueux, & à graver dans leurs esprits ces grands principes de dépendance & de soûmission envers ceux que Dieu a posés sur leurs têtes. Il ne leur ôte l'embarras d'une famille & des affaires civiles, que pour les occuper du soin de veiller plus attentivement au maintien de la religion, qui ne peut s'altérer qu'elle ne trouble le repos & l'harmonie de l'état. D'ailleurs, les bienfaits que le Christianisme verse sur les sociétés, sont assez grands, assez multipliés, pour qu'on ne lui envie pas la vertu de continence qu'il impose à ses ministres, afin que leur pureté corporelle les rende plus dignes d'approcher des lieux où habite la Divinité. C'est comme si quelqu'un se plaignoit des libéralités de la nature, parce que dans cette riche profusion de graines qu'elle produit, il y en a quelques-unes qui demeurent stériles.

Le luxe, nous dites-vous encore, fait la splendeur des états ; il aiguise l'industrie des ouvriers, il perfectionne les arts, il augmente toutes les branches du commerce ; l'or & l'argent circulans de toutes parts, les riches dépensent beaucoup ; &, comme le dit un poëte célebre, le travail gagé par la mollesse, s'ouvre a pas lents un chemin à la richesse. Qui peut nier que les arts, l'industrie, le goût des modes, toutes choses qui augmentent sans-cesse les branches du commerce, ne soient un bien très-réel pour les états ? Or le Christianisme qui proscrit le luxe, qui l'étouffe, détruit & anéantit toutes ces choses qui en sont des dépendances nécessaires. Par cet esprit d'abnégation & de renoncement à toute vanité, il introduit à leur place la paresse, la pauvreté, l'abandon de tout, en un mot la destruction des arts. Il est donc par sa constitution peu propre à faire le bonheur des états.

Le luxe, je le sai, fait la splendeur des états ; mais parce qu'il corrompt les moeurs, cet éclat qu'il répand sur eux ne peut être que passager, ou plutôt il est toûjours le funeste avant-coureur de leur chûte. Ecoutez un grand maître, qui par son excellent ouvrage de l'esprit des lois, a prouvé qu'il avoit pénétré d'un coup de génie toute la constitution des différens états ; & il vous dira qu'une ame corrompue par le luxe, a bien d'autres desirs que ceux de la gloire de sa patrie & de la sienne propre : il vous dira que bien-tôt elle devient ennemie des lois qui la gênent : il vous dira enfin que bannir le luxe des états, c'est en bannir la corruption & les vices. Mais, direz-vous, la consommation des productions de la nature & de l'art n'est-elle donc pas nécessaire pour faire fleurir les états ? Oüi, sans-doute ; mais votre erreur seroit extrème, si vous vous imaginiez qu'il n'y a que le luxe qui puisse faire cette consommation : que dis-je ? elle ne peut devenir entre ses mains que très-pernicieuse ; car le luxe étant un abus des dons de la Providence, il les dispense toûjours d'une maniere qui tourne, ou au préjudice de celui qui en use, en lui faisant tort, soit dans sa personne, soit dans ses biens ; ou au préjudice de ceux que l'on est obligé de secourir & d'assister. Je vous renvoye au profond ouvrage des causes de la grandeur & de la décadence des Romains, pour y apprendre quelle est l'influence fatale du luxe dans les états. Je ne vous citerai que ce trait de Juvénal qui nous dit que le luxe, en renversant l'Empire romain, vangea l'univers dompté des victoires qu'on avoit remportées sur lui : Saevior armis luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem. Or ce qui renverse les états, comment peut-il leur être utile & contribuer à leur grandeur & à leur puissance ? Concluons donc que le luxe, ainsi que les autres vices, est le poison & la perte des états ; & que s'il leur est utile quelquefois, ce n'est point par sa nature, mais par certaines circonstances accessoires, & qui lui sont étrangeres. Je conviens que dans les monarchies, dont la constitution suppose l'inégalité des richesses, il est nécessaire qu'on ne se renferme pas dans les bornes étroites d'un simple nécessaire. " Si les riches, selon la remarque de l'illustre auteur de l'esprit des lois, n'y dépensent pas beaucoup, les pauvres mourront de faim : il faut même que les riches y dépensent à proportion de l'inégalité des fortunes, & que le luxe y augmente dans cette proportion. Les richesses particulieres n'ont augmenté, que parce qu'elles ont ôté à une partie des citoyens le nécessaire physique : il faut donc qu'il leur soit rendu. Ainsi pour que l'état monarchique se soûtienne, le luxe doit aller en croissant, du laboureur à l'artisan, au négociant, aux nobles, aux magistrats, aux grands seigneurs, aux traitans principaux, aux princes ; sans quoi tout seroit perdu ".

Le terme de luxe qu'employe ici M. de M... se prend pour toute dépense qui excede le simple nécessaire ; dans lequel cas le luxe est ou vicieux ou légitime, selon qu'il abuse ou n'abuse pas des dons de la Providence. En l'interprétant dans le sens que le Christianisme autorise, le raisonnement par lequel ce célebre auteur prouve que les lois somptuaires en général ne conviennent point aux monarchies, subsiste dans toute sa force ; car dès-là que le Christianisme permet les dépenses à proportion de l'inégalité des fortunes, il est évident qu'il n'est point un obstacle aux progrès du commerce, à l'industrie des ouvriers, à la perfection des arts, toutes choses qui concourent à la splendeur des états. Je n'ignore pas que l'idée que je donne ici du Christianisme déplaira à certaines sectes, qui sont parvenues, à force d'outrer ses préceptes, à le rendre odieux à bien des personnes qui cherchent toûjours quelque prétexte plausible pour se livrer à leurs passions. C'est assez le caractere des hérésies de porter tout à l'excès en matiere de morale, & d'aimer spéculativement tout ce qui tient d'une dureté farouche & de moeurs féroces. Les différentes hérésies nous en fournissent plusieurs exemples. Tels ont été, par exemple, les Novatiens & les Montanistes, qui reprochoient à l'Eglise son extrème indulgence, dans le tems même où pleine encore de sa premiere ferveur, elle imposoit aux pécheurs publics des pénitences canoniques, dont la peinture seroit capable d'effrayer aujourd'hui les solitaires de la Trape : tels ont été aussi les Vaudois & les Hussites, qui ont préparé les voies à la réformation des Protestans ; dans l'Eglise même catholique, il se trouve de ces prétendus spirituels qui, soit hypocrisie, soit misantropie, condamnent comme abus tout usage des biens de la Providence, qui va au-delà du strict nécessaire. Fiers de leurs croix & de leurs abstinences, ils voudroient y assujettir indifféremment tous les Chrétiens, parce qu'ils méconnoissent l'esprit du Christianisme jusqu'au point de ne savoir pas distinguer les préceptes de l'Evangile d'avec ses conseils. Ils ne regardent nos desirs les plus naturels, que comme le malheureux apanage du vieil homme avec toutes ses convoitises. Le Christianisme n'est point tel que le figurent à nos yeux tous ces rigoristes, dont l'austérité farouche nuit extrèmement à la religion, comme si elle n'étoit pas conforme au bien des sociétés ; & qui n'ont pas assez d'esprit pour voir que ses conseils, s'ils étoient ordonnés comme des lois, seroient contraires à l'esprit de ses lois.

C'est par une suite de cette même ignorance, qui détruit la religion en outrant ses préceptes, que Bayle a osé la flétrir comme peu propre à former des héros & des soldats. " Pourquoi non, dit l'auteur de l'esprit des lois qui combat ce paradoxe ? ce seroient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, & qui auroient un très-grand zele pour les remplir ; ils sentiroient très-bien les droits de la défense naturelle ; plus ils croiroient devoir à la religion, plus ils penseroient devoir à la patrie. Les principes du Christianisme bien gravés dans le coeur, seroient infiniment plus forts que ces faux honneurs des monarchies, ces vertus humaines des républiques, & cette crainte servile des états despotiques ".

La religion chrétienne, nous objectez-vous, est intolérante par sa constitution ; par-tout où elle domine, elle ne peut tolérer l'établissement des autres religions. Ce n'est pas tout : comme elle propose à ses sectateurs un symbole qui contient plusieurs dogmes incompréhensibles, il faut nécessairement que les esprits se divisent en sectes, dont chacune modifie à son gré ce symbole de sa croyance. De-là ces guerres de religion, dont les flammes ont été tant de fois funestes aux états qui étoient le théatre de ces scenes sanglantes ; cette fureur particuliere aux Chrétiens & ignorée des Idolâtres, est une suite malheureuse de l'esprit dogmatique qui est comme inné au Christianisme. Le Paganisme étoit comme lui partagé en plusieurs sectes ; mais parce que toutes se toléroient entr'elles, il ne voyoit jamais s'allumer dans son sein des guerres de religion.

Ces éloges qu'on prodigue ici au Paganisme, dans la vûe de rendre odieux le Christianisme, ne peuvent venir que de l'ignorance profonde où l'on est sur ce qui constitue deux religions si opposées entr'elles par leur génie & par leur caractere. Préférer les tenebres de l'une aux lumieres de l'autre, c'est un excès dont on n'auroit jamais cru des philosophes capables, si notre siecle ne nous les eût montrés dans ces prétendus beaux esprits, qui se croyent d'autant meilleurs citoyens qu'ils sont moins chrétiens. L'intolérance de la religion chrétienne vient de sa perfection, comme la tolérance du paganisme avoit sa source dans son imperfection. Voyez l'art. TOLERANCE. Mais parce que la religion chrétienne est intolérante, & qu'en conséquence elle a un grand zele pour s'établir sur la ruine des autres religions, vous avez tort d'en conclure qu'elle produise aussi-tôt tous les maux que votre prévention vous fait attacher à son intolérance. Elle ne consiste pas, comme vous pourriez vous l'imaginer, à contraindre les consciences, & à forcer les hommes à rendre à Dieu un culte desavoüé par le coeur, parce que l'esprit n'en connoît pas la vérité. En agissant ainsi, le Christianisme iroit contre ses propres principes, puisque la Divinité ne sauroit agréer un hommage hypocrite, qui lui seroit rendu par ceux que la violence, & non la persuasion, feroient chrétiens. L'intolérance du Christianisme se borne à ne pas admettre dans sa communion ceux qui voudroient lui associer d'autres religions, & non à les persécuter. Mais pour connoître jusqu'à quel point il doit être réprimant dans les pays où il est devenu la religion dominante, voyez LIBERTE DE CONSCIENCE.

Le Christianisme, je le sai, a eu ses guerres de religion, & les flammes en ont été souvent funestes aux sociétés : cela prouve qu'il n'y a rien de si bon dont la malignité humaine ne puisse abuser. Le fanatisme est une peste qui reproduit de tems en tems des germes capables d'infecter la terre ; mais c'est le vice des particuliers, & non du Christianisme, qui par sa nature est également éloigné des fureurs outrées du fanatisme, & des craintes imbécilles de la superstition. La religion rend le payen superstitieux, & le mahométan fanatique ; leurs cultes les conduisent là naturellement (voyez PAGANISME, voyez MAHOMETISME) : mais lorsque le chrétien s'abandonne à l'un ou à l'autre de ces deux excès, dès-lors il agit contre ce que lui prescrit sa religion. En ne croyant rien que ce qui lui est proposé par l'autorité la plus respectable qui soit sur la terre, je veux dire l'Eglise catholique, il n'a point à craindre que la superstition vienne remplir son esprit de préjugés & d'erreurs. Elle est le partage des esprits foibles & imbécilles, & non de cette société d'hommes qui perpétuée depuis J. C. jusqu'à nous, a transmis dans tous les âges la révélation dont elle est la fidele dépositaire. En se conformant aux maximes d'une religion toute sainte & toute ennemie de la cruauté, d'une religion qui s'est accrue par le sang de ses martyrs, d'une religion enfin qui n'affecte sur les esprits & les coeurs d'autre triomphe que celui de la vérité, qu'elle est bien éloignée de faire recevoir par des supplices ; il ne sera ni fanatique ni enthousiaste, il ne portera point dans sa patrie le fer & la flamme, & il ne prendra point le couteau sur l'autel pour faire des victimes de ceux qui refuseront de penser comme lui.

Vous me direz peut-être que le meilleur remede contre le fanatisme & la superstition, seroit de s'en tenir à une religion qui prescrivant au coeur une morale pure, ne commanderoit point à l'esprit une créance aveugle de dogmes qu'il ne comprend pas : les voiles mystérieux qui les enveloppent ne sont propres, dites-vous, qu'à faire des fanatiques & des enthousiastes. Mais raisonner ainsi, c'est bien peu connoître la nature humaine : un culte révélé est nécessaire aux hommes ; c'est le seul frein qui puisse les arrêter. La plûpart des hommes que la seule raison guideroit, feroient des efforts impuissans pour se convaincre des dogmes dont la créance est absolument essentielle à la conservation des états. Demandez aux Socrates, aux Platons, aux Cicérons, aux Séneques, ce qu'ils pensoient de l'immortalité de l'ame ; vous les trouverez flottans & indécis sur cette grande question, de laquelle dépend toute l'économie de la religion & de la république : parce qu'ils ne vouloient s'éclairer que du seul flambeau de la raison, ils marchoient dans une route obscure entre le néant & l'immortalité. La voie des raisonnemens n'est pas faite pour le peuple. Qu'ont gagné les Philosophes avec leurs discours pompeux, avec leur style sublime, avec leurs raisonnemens si artificieusement arrangés ? tant qu'ils n'ont montré que l'homme dans leurs discours, sans y faire intervenir la Divinité, ils ont toûjours trouvé l'esprit du peuple formé à tous les enseignemens. Ce n'est pas ainsi qu'en agissoient les législateurs, les fondateurs d'état, les instituteurs de religion : pour entraîner les esprits, & les plier à leurs desseins politiques, ils mettoient entr'eux & le peuple le dieu qui leur avoit parlé ; ils avoient eu des visions nocturnes ou des avertissemens divins ; le ton impérieux des oracles se faisoit sentir dans les discours vifs & impétueux qu'ils prononçoient dans la chaleur de l'enthousiasme. C'est en revêtant cet extérieur imposant ; c'est en tombant dans ces convulsions surprenantes, regardées par le peuple comme l'effet d'un pouvoir surnaturel ; c'est en lui présentant l'appas d'un songe ridicule, que l'imposteur de la Mecque osa tenter la foi des crédules humains, & qu'il ébloüit les esprits qu'il avoit sû charmer, en excitant leur admiration & captivant leur confiance. Les esprits fascinés par le charme vainqueur de son éloquence, ne virent plus dans ce hardi & sublime imposteur, qu'un prophete qui agissoit, parloit, punissoit, ou pardonnoit en Dieu. A Dieu ne plaise que je confonde les révélations dont se glorifie à si juste titre le Christianisme, avec celles que vantent avec ostentation les autres religions ; je veux seulement insinuer par-là qu'on ne réussit à échauffer les esprits, qu'en faisant parler le Dieu dont on se dit l'envoyé, soit qu'il ait véritablement parlé, comme dans le Christianisme & le Judaïsme ; soit que l'imposture le fasse parler, comme dans le Paganisme & le Mahométisme. Or il ne parle point par la voix du philosophe déiste : une religion ne peut donc être utile qu'à titre de religion révélée. Voyez DEISME & REVELATION.

Forcé de convenir que la religion chrétienne est la meilleure de toutes les religions pour les états qui ont le bonheur de la voir liée avec leur gouvernement politique, peut-être ne croyez-vous pas qu'elle soit la meilleure de toutes pour tous les pays : " Car, pourrez-vous me dire, quand je supposerois que le Christianisme a sa racine dans le ciel, tandis que les autres religions ont la leur sur terre, ce ne seroit pas une raison (à considérer les choses en politique & non en théologien) pour qu'on dût lui donner la préférence sur une religion qui depuis plusieurs siecles seroit reçûe dans un pays, & qui par conséquent y seroit comme naturalisée. Pour introduire ce grand changement, il faudroit d'un côté compenser les avantages qu'une meilleure religion procureroit à l'état, & de l'autre les inconvéniens qui résultent d'un changement de religion. C'est la combinaison exacte de ces divers avantages avec ces divers inconvéniens, toûjours impossible à faire, qui avoit donné lieu parmi les anciens à cette maxime si sage, qu'il ne faut jamais toucher à la religion dominante d'un pays, parce que dans cet ébranlement où l'on met les esprits, il est à craindre qu'on ne substitue des soupçons contre les deux religions, à une ferme croyance pour une ; & par-là on risque de donner à l'état, au moins pour quelque tems, de mauvais citoyens & de mauvais fideles. Mais une autre raison qui doit rendre la politique extrèmement circonspecte en fait de changement de religion, c'est que la religion ancienne est liée à la constitution d'un état, & que la nouvelle n'y tient point ; que celle-là s'accorde avec le climat, & que souvent la nouvelle s'y refuse. Ce sont ces raisons & autres semblables, qui avoient déterminé les anciens législateurs à confirmer les peuples dans la religion de leurs ancêtres, tout convaincus qu'ils fussent que ces religions étoient contraires par bien des endroits aux intérêts politiques, & qu'on pouvoit les changer en mieux. Que conclure de tout ceci ? que c'est une très-bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre, fût-ce même la chrétienne ".

C'est sans-doute une maxime très-sensée & très-conforme à la bonne politique, de ne point souffrir l'établissement d'une autre religion dans un état où la religion nationale est la meilleure de toutes : mais cette maxime est fausse & devient dangereuse, lorsque la religion nationale n'a pas cet auguste caractere ; car alors s'opposer à l'établissement d'une religion la plus parfaite de toutes, & par cela même la plus conforme au bien de la société, c'est priver l'état des grands avantages qui pourroient lui en revenir. Ainsi dans tous les pays & dans tous les tems ce sera une très-bonne loi civile de favoriser, autant qu'il sera possible, les progrès du Christianisme ; parce que cette religion, encore qu'elle ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, est pourtant de toutes les religions celle qui peut le plus contribuer à notre bonheur dans celle-ci. Son extrème utilité vient de ses préceptes & de ses conseils, qui tendent tous à conserver les moeurs. Il n'a point le défaut de l'ancien paganisme, dont les dieux autorisoient par leur exemple les vices, enhardissoient les crimes, & allarmoient la timide innocence ; dont les fêtes licencieuses deshonoroient la divinité par les plus infâmes prostitutions & les plus sales débauches ; dont les mysteres & les cérémonies choquoient la pudeur ; dont les sacrifices cruels faisoient frémir la nature, en répandant le sang des victimes humaines que le fanatisme avoit dévoüées à la mort pour honorer ses dieux.

Il n'a point non plus le défaut du Mahométisme, qui ne parle que de glaive, n'agit sur les hommes qu'avec cet esprit destructeur qui l'a fondé, & qui nourrit ses frénétiques sectateurs dans une indifférence pour toutes choses ; suite nécessaire du dogme d'un destin rigide qui s'est introduit dans cette religion. S'il ne nie pas avec la religion de Confucius l'immortalité de l'ame, il n'en abuse pas aussi comme on le fait encore aujourd'hui au Japon, à Macassar, & dans plusieurs autres endroits de la terre, où l'on voit des femmes, des esclaves, des sujets, des amis, se tuer pour aller servir dans l'autre monde l'objet de leur respect & de leur amour. Cette cruelle coûtume si destructive de la société, émane moins directement, selon la remarque de l'illustre auteur de l'esprit des lois, du dogme de l'immortalité de l'ame, que de celui de la résurrection des corps ; d'ou l'on a tiré cette conséquence, qu'après la mort un même individu auroit les mêmes besoins, les mêmes sentimens, les mêmes passions. Le Christianisme non-seulement établit ce dogme, mais il sait encore admirablement bien le diriger : " il nous fait espérer, dit cet auteur, un état que nous croyons, non pas un état que nous sentions ou que nous connoissions ; tout, jusqu'à la résurrection des corps, nous mene à des idées spirituelles ".

Il n'a pas non plus l'inconvénient de faire regarder comme indifférent ce qui est nécessaire, ni comme nécessaire ce qui est indifférent. Il ne défend pas comme un péché, & même un crime capital, de mettre le couteau dans le feu, de s'appuyer contre un foüet, de battre un cheval avec sa bride, de rompre un os avec un autre ; ces défenses sont bonnes pour la religion que Gengiskan donna aux Tartares : mais le Christianisme défend ce que cette autre religion regarde comme très-licite, de violer la foi, de ravir le bien d'autrui, de faire injure à un homme, de le tuer. La religion des habitans de l'île de Formose leur ordonne d'aller nuds en certaines saisons, & les menace de l'enfer s'ils mettent des vêtemens de toile & non pas de soie, s'ils vont chercher des huîtres, s'ils agissent sans consulter le chant des oiseaux ; mais en revanche elle leur permet l'ivrognerie & le déreglement avec les femmes, elle leur persuade même que les débauches de leurs enfans sont agréables à leurs dieux. Le Christianisme est trop plein de bon sens pour qu'on lui reproche des lois si ridicules. On croit chez les Indiens que les eaux du Gange ont une vertu sanctifiante ; que ceux qui meurent sur les bords de ce fleuve sont exempts des peines de l'autre vie, & qu'ils habitent une région pleine de délices : en conséquence d'un dogme si pernicieux pour la société, on envoye des lieux les plus reculés des urnes pleines de cendres des morts pour les jetter dans le Gange. Qu'importe, dit à ce sujet l'auteur de l'esprit des lois, qu'on vive vertueusement ou non ? on se fera jetter dans le Gange. Mais quoique dans la religion chrétienne il n'y ait point de crime qui par sa nature soit inexpiable, cependant, comme le remarque très-bien cet auteur à qui je dois toutes ces réflexions, elle fait assez sentir que toute une vie peut l'être ; qu'il seroit très-dangereux de fatiguer la miséricorde par de nouveaux crimes & de nouvelles expiations ; qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais quittes envers le Seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, de combler la mesure, & d'aller jusqu'au terme où la bonté paternelle finit. Voyez PENITENCE & IMPENITENCE FINALE.

Mais pour mieux connoître les avantages que le Christianisme procure aux états, rassemblons ici quelques-uns des traits avec lesquels il est peint dans le livre XXIV. chapitre iij. de l'esprit des lois. " Si la religion chrétienne est éloignée du pur despotisme, c'est que la douceur étant si recommandée dans l'évangile, elle s'oppose à la colere despotique avec laquelle le prince se feroit justice & exerceroit ses cruautés. Cette religion défendant la pluralité des femmes, les princes y sont moins renfermés, moins séparés de leurs sujets, & par conséquent plus hommes ; ils sont plus disposés à se faire des lois, & plus capables de sentir qu'ils ne peuvent pas tout. Pendant que les princes mahométans donnent sans-cesse la mort ou la reçoivent, la religion chez les Chrétiens rend les princes moins timides, & par conséquent moins cruels. Chose admirable ! la religion chrétienne qui ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. C'est la religion chrétienne qui, malgré la grandeur de l'empire & le vice du climat, a empêché le despotisme de s'établir en Ethiopie, & a porté au milieu de l'Afrique les moeurs de l'Europe & ses lois. Le prince héritier de l'Ethiopie joüit d'une principauté, & donne aux autres sujets l'exemple de l'amour & de l'obéissance. Tout près de-là on voit le Mahométisme faire renfermer les enfans du roi de Sennao ; à sa mort le conseil les envoye égorger en faveur de celui qui monte sur le trône. Que l'on se mette devant les yeux les massacres continuels des rois & des chefs grecs & romains, & de l'autre la destruction des peuples & des villes par ces mêmes chefs, Thimur & Gengiskan qui ont dévasté l'Asie ; & nous verrons que nous devons au Christianisme, & dans le gouvernement un certain droit politique, & dans la guerre un certain droit des gens, que la nature humaine ne sauroit assez reconnoître. C'est ce droit des gens qui fait que parmi nous la victoire laisse aux peuples vaincus ces grandes choses, la vie, la liberté, les lois, les biens, & toûjours la religion, lorsqu'on ne s'aveugle pas soi-même ".

Qu'on me montre un seul défaut dans le Christianisme, ou même quelqu'autre religion sans de très-grands défauts, & je consentirai volontiers qu'il soit réprimé dans tous les états où il n'est pas la religion nationale. Mais aussi si le Christianisme se lie très-bien par sa constitution avec les intérêts politiques, & si toute autre religion cause toûjours par quelque endroit de grands desavantages aux sociétés civiles, quelle raison politique pourroit s'opposer à son établissement dans les lieux où il n'est pas reçû ? La meilleure religion pour un état est celle qui conserve le mieux les moeurs : or puisque le Christianisme a cet avantage sur toutes les religions, ce seroit pécher contre la saine politique que de ne pas employer pour favoriser ses progrès, tous les ménagemens que suggere l'humaine prudence. Comme les peuples en général sont très-attachés à leurs religions, les leur ôter violemment, ce seroit les rendre malheureux, & les révolter contre cette même religion qu'on voudroit leur faire adopter : il faut donc les engager par la voie de la douce persuasion à changer eux-mêmes la religion de leurs peres, pour en embrasser une qui la condamne. C'est ainsi qu'autrefois le Christianisme se répandit dans l'empire romain, & dans tous les lieux où il est & où il a été dominant : cet esprit de douceur & de modération qui le caractérise ; cette soumission respectueuse envers les souverains (quelle que soit leur religion) qu'il ordonne à tous ses sectateurs ; cette patience invincible qu'il opposa aux Nérons & aux Dioclétiens qui le persécuterent, quoique assez fort pour leur résister, & pour repousser la violence par la violence : toutes ces admirables qualités, jointes à une morale pure & sublime qui en étoit la source, le firent recevoir dans ce vaste empire. Si dans ce grand changement qu'il produisit dans les esprits, le repos de l'empire fut un peu troublé, son harmonie un peu altérée, la faute en est au Paganisme, qui s'arma de toutes les passions pour combattre le Christianisme qui détruisoit par-tout ses autels, & forçoit au silence les oracles menteurs de ses dieux. C'est une justice qu'on doit au Christianisme, que dans toutes les séditions qui ont ébranlé l'empire romain jusque dans ses fondemens, aucun de ses enfans ne s'est trouvé complice des conjurations formées contre la vie des empereurs.

J'avoue que le Christianisme, en s'établissant dans l'empire romain, y a occasionné des tempêtes, & qu'il lui a enlevé autant de citoyens, qu'il y a eu des martyrs dont le sang a été versé à grands flots par le Paganisme aveugle dans sa fureur ; j'avoue même que ces victimes ont été les plus sages, les plus courageux, & les meilleurs des sujets : mais une religion aussi parfaite que le Christianisme, qui abolissoit la cruelle coûtume d'immoler des hommes, & qui détruisant les dieux adorés par la superstition, frappoit du même coup sur les vices qu'ils autorisoient par leur exemple ; une telle religion, dis-je, étoit-elle donc trop achetée par le sang chrétien qui couloit sous le glaive homicide des tyrans ? Si les Anglois ne regrettent pas des flots de sang dans lesquels ils prétendent avoir noyé l'idole du despotisme, s'ils croyent s'en être dédommagés par l'heureuse constitution de leur gouvernement, dont la liberté politique est l'ame ; pense-t-on que le Chistianisme puisse laisser des regrets dans le coeur des peuples qui l'ont reçû, quoiqu'il ne s'y soit cimenté que par le sang de plusieurs de ses enfans ? Non sans-doute ; il a produit dans la société trop de bien, pour qu'elle ne lui pardonne pas quelques maux nécessairement occasionnés par son établissement.

Que prétend-on faire signifier à ces mots, que la religion ancienne est liée à la constitution d'un état, & que la nouvelle n'y tient point ? Si cette religion est mauvaise, dès-lors son vice intérieur influe sur la constitution même de l'état à laquelle elle se lie ; & par conséquent il importe au bonheur de cet état que sa constitution soit changée, puisqu'il n'y a de bonne constitution que celle qui conserve les moeurs. M'alléguerez-vous la nature du climat, auquel se refuse le Christianisme ? Mais quand il seroit vrai qu'il est des climats où la physique a une telle force que la Morale n'y peut presque rien, est-ce une raison pour l'en bannir ? Plus les vices du climat sont laissés dans une grande liberté, plus ils peuvent causer de desordres ; & par conséquent c'est dans ces climats que la religion doit être plus réprimante. Quand la puissance physique de certains climats viole la loi naturelle des deux sexes & celle des êtres intelligens, c'est à la religion à forcer la nature du climat, & à rétablir les lois primitives. Dans les lieux de l'Europe, de l'Afrique, & de l'Asie, où habite aujourd'hui la mollesse mahométane, & qui sont devenus pour elle des séjours de volupté, le Christianisme avoit sû autrefois y forcer la nature du climat, jusqu'au point d'y établir l'austérité, & d'y faire fleurir la continence, tant est grande la force qu'ont sur l'homme la religion & la vérité. Voyez RELIGION.


CHRISTIANOPLE(Géog.) ville forte de Suede, capitale de la Blekingie, avec un port sur la mer Baltique. Long. 34. 12. lat. 56. 20.


CHRISTIANSAND(Géog.) petite ville fortifiée, avec un port dans la Norwege.


CHRISTIANSBOURG(Géog.) ville d'Allemagne, dans le cercle de la Basse-Saxe, au comté d'Oldenbourg, sur le Jade.


CHRISTIANSTADT(Géog.) petite ville de Suede dans la Blekingie, sur la Schouwen. Long. 32. 5. lat. 56. 3.

CHRISTIANSTADT, (Géog.) petite ville d'Allemagne, dans le cercle de Haute-Saxe, dans la Lusace, sur le Bober.


CHRISTINCHAM(Géog.) petite ville de Suede, dans la province de Wermeland.


CHRISTINE-STADT(Géog.) petite ville & port de Suede en Finlande, dans la province de Cajanie, à l'orient du golfe de Bothnie.


CHRISTOLYTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui s'éleverent dans le vj. siecle, & qu'on nomma ainsi du grec , Christ ; & , déliter, séparer, parce qu'ils séparoient la divinité de Jesus-Christ d'avec son humanité, soûtenant que le fils de Dieu, après sa résurrection, étant descendu aux enfers, y laissa son corps & son ame, & ne monta au ciel qu'avec la seule divinité. S. Jean de Damas est le seul auteur ancien qui ait parlé de cette secte, qui ne paroît pas avoir été fort étendue. (G)


CHRISTOPHE(SAINT) Géog. île de l'Amérique, l'une des Antilles, appartenant aux Anglois, qui y ont plusieurs forts. Long. 315. lat. 17. 30.


CHRISTOPHLE-DE-VATAN(SAINT) Géog. petite ville de France dans l'Orléanois, au pays du Romorantin.


CHROMATIQUEadj. (Musique) genre de musique qui procede par plusieurs semi-tons de suite. Ce mot vient du grec , qui signifie couleur, soit parce que les Grecs marquoient ce genre par des caracteres rouges ou diversement colorés, soit parce que le genre chromatique est moyen entre les deux autres, comme la couleur entre le blanc & le noir : ou selon d'autres, parce que le genre chromatique varie & embellit le genre diatonique par ses semi-tons, qui font dans la Musique le même effet que la variété des couleurs fait dans la Peinture.

Boece attribue à Thimothée de Milet l'invention du genre chromatique ; mais Athenée la donne à Epigonus.

Aristoxene divise ce genre en trois especes, qu'il appelle molle, hemiolion & tonicum. Ptolomée ne le divise qu'en deux, molle ou anticum, qui procede par de plus petits intervalles ; & intensum, dont les intervalles sont plus grands. Nous expliquerons au mot GENRE le chromatique des Grecs ; quant aux modifications que ce même genre recevoit dans ses especes, c'est un détail qu'il faut chercher dans les auteurs mêmes.

Aujourd'hui le genre chromatique consiste à donner une telle marche à la basse fondamentale, que les diverses parties de l'harmonie puissent procéder par semi-tons, tant en montant qu'en descendant ; ce qui ne convient guere qu'au mode mineur, à cause des altérations auxquelles la sixieme & la septieme notes y sont sujettes par la nature même du mode.

La route la plus commune de la basse fondamentale, pour engendrer le chromatique ascendant, est de descendre de tierce & remonter de quarte alternativement, portant par-tout la tierce majeure. Si la même basse fondamentale procede de dominante tonique en dominante tonique, par des cadences parfaites évitées, elle engendrera le chromatique descendant.

Comme on change de ton à chaque note, il faut borner ces successions, de peur de s'égarer. Pour cela, on doit se souvenir que l'espace le plus convenable pour les mouvemens chromatiques, est entre la dominante & la tonique en montant, & entre la tonique & la dominante en descendant. Dans le mode majeur on peut encore descendre chromatiquement de la dominante sur la seconde note. Ce passage est fort commun en Italie ; & malgré sa beauté, il commence à l'être un peu trop parmi nous.

Le genre chromatique est admirable pour exprimer la douleur & l'affliction ; il est encore plus énergique en descendant : on croit alors entendre de véritables gémissemens. Chargé de son harmonie, ce genre devient propre à tout : mais semblable à ces mets délicats, dont l'abondance rassasie bientôt : autant il nous enchante, sobrement ménagé, autant devient-il rebutant entre les mains des Musiciens qui le prodiguent à tout propos. (S)


CHROMES. m. (Belles-Lett.) en Rhétorique, signifie couleur, raison spécieuse, prétextes, qu'employe un orateur, au défaut de motifs solides & fondés. Ce mot est originairement grec ; signifie à la lettre couleur.


CHRONIQUES. f. histoire succincte où les faits abregés qui se sont passés pendant une portion de tems plus ou moins grande, sont rangés selon l'ordre de leurs dates. Pour se faire une idée juste, non de ce que c'est qu'une chronique, mais de ce que ce devroit être, il faut considérer l'histoire, ou comme embrassant dans sa relation tout ce qui s'est passé pendant un certain intervalle de tems, ou comme se bornant aux actions d'une seule personne, ou comme ne faisant son objet que d'une seule de ces actions. La chronique est l'histoire considérée sous cette premiere face ; dans ce sens, chronique est synonyme à annales. La chronique, ne s'attachant qu'au gros des actions, ne sera pas fort instructive, à moins qu'elle ne parte d'une main habile qui sache, sans s'appesantir plus que le genre ne le demande, faire sentir ces fils imperceptibles, qui répondent d'un bout à des causes très-petites, & de l'autre aux plus grands évenemens.

On donne le nom de chroniques aux deux livres qui s'appellent aussi paroles des jours ou paralipomenes. Voyez PARALIPOMENES.

Il y a la vieille chronique des Egyptiens. Elle ne nous est connue que par le rapport de Georges Syncelle. Nous lisons dans sa chronographie, pag. 51. qu'elle contenoit 30 dynasties & cent treize générations ; & qu'elle remontoit jusqu'à un tems immense, contenant l'espace de 36525 ans, pendant lesquels ont regné premierement les Aurites, Auritae, ou les dieux ; ensuite les Mestréens, Mestraei, ou les demi-dieux & les héros ; ensuite les Egyptiens ou les rois. Le tems du regne de Vulcain n'y est pas marqué ; celui du Soleil y est de 30000 ans ; celui de Saturne & des autres dieux, de 3984 ans. Aux dieux succéderent les demi-dieux, au nombre de sept, dont le regne fut de 217 ans ; après quoi commencerent les quinze générations du cycle caniculaire, de 443 ans.

Quoique cette chronique porte le nom de vieille, M. Marsham ne la croit pas antérieure au tems des Ptolemées, parce qu'elle s'étend jusqu'à la fuite de Nectanebus, qui arriva selon lui l'an 3 de l'olympiade 107, 15 ans avant l'expédition d'Alexandre. Le même auteur dit que cette prodigieuse antiquité des Egyptiens vient de ce que leur chronologie étoit plûtôt astronomique qu'historique. Ils l'avoient faite & reglée sur de fameuses périodes parmi eux, dont la premiere, nommée la grande année, étoit de 1461 ans ; c'est ce qu'on nomme aussi cycle caniculaire, & période sothique, ou rétablissement de l'année ; parce que l'année égyptienne n'ayant que 365 jours, & étant par conséquent plus courte que l'année solaire de six heures, se trouvoit, après 1461 ans, concourir avec celle-ci. L'autre période, après laquelle il prétendoit que le monde se retrouvoit au même état, étoit composée de la période précédente multipliée par 15 années lunaires périodiques, ou 19 ans, qui font notre cycle lunaire ; & le produit de cette multiplication 36525, fait précisément le tems compris dans la vieille chronique.

Les Juifs ont des chroniques ; ce sont des abrégés historiques peu corrects & assez modernes. Le premier est intitulé la grande chronique. Rabbi José, fils de Chalipta ; passe chez quelques-uns pour en être l'auteur. On ne sait guere en quel tems il l'écrivit ; on voit seulement à certains traits qu'elle est postérieure à Thalmud. On n'y trouve guere que des évenemens rapportés dans l'Ecriture. On dit qu'elle descend jusqu'au tems d'Adrien. On doute que Rabbi José en soit l'auteur, parce qu'il y est cité en plusieurs endroits. On y lit qu'Elie, après son enlevement, a écrit dix lettres au roi Joram ; qu'il fait l'histoire du monde dans sa demeure actuelle, &c.

La seconde a pour titre, les réponses du Rabbi Serira, le docteur sublime. Ce docteur sublime fut président à Babylone, & chef de toutes les écoles & académies de cette contrée ; & il écrivit l'histoire de ces académies, avec la succession des rabbins, depuis le Thalmud jusqu'à son tems.

La petite chronique est la troisieme ; elle a été écrite l'an 1223 de J. C. on en ignore l'auteur. Son ouvrage est un abregé historique depuis la création du monde jusqu'à l'an 522 de J. C. après quoi elle compte encore huit générations, mais dont elle ne donne que les noms.

Le livre de la tradition est le quatrieme. Abraham le lévite, fils de Dior, en est l'auteur ; c'est une exposition du fil traditionnel des histoires de la nation, conduit depuis Moyse jusqu'à l'auteur, qui vivoit en 1160.

La cinquieme est le livre des généalogies. Elle est d'Abraham Zachuz, qui la publia en 1580. Il y est marqué la succession & la tradition des Juifs, avec les noms des docteurs qui les ont enseignés, depuis le mont de Sinaï jusqu'à son tems.

La sixieme est la chaîne de la tradition ; c'est un livre semblable au précedent. Rabbi Jedalia, fils de Jechaïa, en est l'auteur. Il le publia à Venise en 1587.

La septieme est le rejetton de David. Elle commence à la création, & descend jusqu'à 1592 de J. C. David Ganz, juif de Bohème, en est l'auteur. Il n'y a rien de plus que dans les auteurs ou chroniques précédentes.

La chronique du prophete Moyse est une vie fabuleuse de Moyse, imprimée à Venise en 1544. La chronique des Samaritains, qui commence à la création du monde & finit à la prise de Samarie par Saladin, en 1187, est courte & peu exacte. Voyez Prideaux : Barthol. Bibliot. rab. Basnage, hist. des Juifs. Calmet, dict. de la bible.

Nous avons encore les chroniques des saints. Vers les jx. & x. siecles, les Lettres étant tombées, les moines se mirent à écrire des chroniques. Ils ont continué jusqu'à la fin du xv. siecle. Le plus grand mérite de ces sortes d'ouvrages, dont les actions pieuses des saints ne font pas tellement l'objet qu'on n'y trouve aussi les vies de plusieurs rois ou grands hommes, c'est d'avoir conservé les dates & le fond des principaux évenemens. L'homme intelligent, qui sait rejetter le faux & démêler le suspect, n'en tire que ce qui lui convient, & peut-être n'en tire-t-il pas grand-chose.

CHRONIQUE, adj. (Médecine) épithete qui se donne, & qui est consacrée aux maladies de longue durée.

Définition des maladies chroniques. Les Médecins ayant divisés toutes les maladies, par rapport à la durée, en aiguës & en chroniques, nomment maladies chroniques toutes celles qui, douces ou violentes, accompagnées de fievre ou sans fievre, s'étendent au-delà de quarante jours.

Mais ces maladies sont en si grand nombre, si différentes les unes des autres, & quelquefois si compliquées, que nos auteurs se sont contentés de traiter de chacune en particulier, sous le nom qu'elle porte, jusqu'à ce que Boerhaave remontant à leur premiere cause, a déduit avec une sagacité singuliere la doctrine générale & la méthode curative ou palliative de toutes les maladies de ce genre.

Elles naissent, 1°. des diverses acrimonies des liquides. Suivant ce restaurateur de la Médecine, les maladies chroniques produites dans le corps humain, naissent, ou de vices qui se sont formés par degrés dans la qualité & la circulation des liquides, ou de vices que des maladies aiguës mal guéries ont laissés après elles, soit dans les fluides, soit dans les solides.

Les vices de nos liquides proviennent insensiblement des choses reçues dans le corps, comme l'air, les alimens, les boissons, les assaisonnemens, les médicamens, & les poisons ; toutes substances qui sont d'une nature différente de celle de nos sucs, & qui peuvent être si fortes, que les facultés vitales ne suffisent pas pour en faire une assimilation convenable à nos sucs, ou être d'une nature à demeurer en stagnation par une altération spontanée.

Ces vices de nos liquides consistent, 1° dans l'acrimonie acide, qui procede des sucs acides, récens cruds, déjà fermentans, de la foiblesse des vaisseaux, & du défaut de mouvement animal. Ces causes produisent des vents, des spasmes, la cardialgie, la passion iliaque, l'épilepsie des enfans, la chlorose, & autres maladies chroniques On parviendra à les guérir par les alimens & les médicamens propres à absorber, à émousser l'acrimonie acide, par les corroborans & par l'exercice.

2°. Dans l'acrimonie austere, qui naît de l'union de l'acide avec plusieurs matieres âcres & terrestres ; telle est celle des fruits verds, des sucs astringens, des vins âpres, & d'autres substances de la même nature, qui coagulent les fluides, resserrent les vaisseaux, & produisent par-là de fortes obstructions. Il faut traiter les maladies chroniques, qui ont cette austérité pour principe, avec des remedes délayans, des alkalis fixes, & des alkalis savonneux, ordonnés avec circonspection, & continués pendant longtems.

3°. Dans une acrimonie aromatique & grasse, procurée par les alimens, les boissons, les épices, les assaisonnemens chauds au goût & à l'odorat ; ces substances causent la chaleur, le frottement, l'usement des petits vaisseaux capillaires ; d'où s'ensuivent des douleurs chaudes, l'atténuation, la putréfaction, l'extravasation des sucs, & beaucoup d'autres effets semblables. Il faut employer contre les maladies chroniques, nées de cette espece d'acrimonie, des remedes aqueux, farineux, gélatineux, acides.

4°. Dans une acrimonie grasse & inactive, qui résulte de l'usage immodéré de la graisse des animaux terrestres, des poissons, & des végétaux oléagineux ; ce qui donne lieu à des obstructions, à la rancidité bilieuse, l'inflammation, à la corrosion, & à la plus dangereuse putréfaction. On guérit les maladies chroniques qui doivent leur origine à cette espece d'acrimonie, par des délayans, des savonneux, des acides.

5°. Dans une acrimonie salée & muriatique, causée par le sel marin, & les alimens salés. Cette acrimonie détruit les vaisseaux, dissout les fluides, & les rend âcres ; d'où naît l'atrophie, la rupture des vaisseaux, & l'extravasation des liqueurs, qui à la vérité ne se corrompent pas promtement à cause du sel, mais forment des taches sur la peau, & d'autres symptomes scorbutiques. On doit attaquer les maladies chroniques qui proviennent de cette espece d'acrimonie, avec l'eau, les remedes aqueux, les acides végétaux.

6°. Dans une acrimonie alkaline, volatile, qui doit son origine aux alimens de cette espece. Cette putridité acrimonieuse cause une dissolution putride du sang, le rend moins propre à la nutrition, détruit les petits vaisseaux. Ainsi elle déprave les fonctions des parties solides & liquides, produit les diarrhées, les dyssenteries, les fievres bilieuses, la putréfaction dans les visceres, la consomption. On remedie aux maladies chroniques qui en émanent, par les acescens, ou acides tirés des végétaux cruds ou fermentés, par les sels qui absorbent l'alkali, les délayans aqueux, les altérans doux, & les savonneux détersifs acides.

7°. Dans la viscosité ou glutinosité, qui a pour source l'usage immodéré des matieres farineuses crues, l'action trop foible des visceres, le manque de bile, d'exercice, le relâchement des vaisseaux secrétoires. Cette glutinosité rend le sang visqueux, pâle, imméable ; obstrue les vaisseaux, donne lieu à des concrétions, forme des tumeurs oedémateuses, empêche les sécrétions. On opérera la guérison des maladies chroniques qui en découlent, par les échauffans, les résolutifs, les irritans, les savonneux, les frictions, & l'exercice.

2°. De la nature des sucs difficiles à assimiler. Secondement, les vices de nos liquides, avons-nous dit, peuvent naître d'une action trop forte des facultés vitales sur les choses reçues dans le corps ; c'est-à-dire de la constriction, de la rigidité des fibres & des visceres, qui s'oppose à l'assimilation des sucs. Cette rigidité des vaisseaux empêche que le coeur, à chaque contraction, ne se vuide entierement, ce qui trouble toutes les secrétions, & cause des maladies chroniques incurables, telles que des concrétions polypeuses. On tâchera d'y remédier dans les commencemens, autant qu'il est possible ; par les humectans, les adoucissans, les délayans aqueux, le repos, & le sommeil.

3°. De leur altération spontanée. Troisiemement, les vices de nos liquides peuvent venir de leur altération spontanée, qui arrive ordinairement lorsqu'ils sont mis en stagnation par quelque cause que ce puisse être. De-là naissent les maladies chroniques spontanées, qui ont pour principe une humeur acide, alkaline, salée, glutineuse, grasse & inactive, dont nous avons indiqué ci-dessus les remedes.

4°. Des maladies aiguës mal traitées. Les maladies aiguës mal traitées peuvent affecter les fluides dans toutes les parties du corps, & de différentes manieres ; comme, par exemple, 1° par des purulences qui donnent lieu à une infinité de maladies chroniques, auxquelles on doit opposer en général des remedes qui conservent les forces, résistent à la putréfaction, & réparent les liquides : 2° par des ichorosités, dont l'effet est d'engendrer des ulceres qui demandent un traitement particulier, voyez ULCERE : 3°. par les putréfactions différentes dont on a parlé ci-dessus.

Enfin les maladies aiguës mal guéries peuvent affecter les solides, les parties composées du corps, & former plusieurs maladies chroniques, en laissant après elles des abcès, des fistules, des empyêmes, des skirrhes, des cancers, des caries, voyez tous ces mots : & ces maladies chroniques varieront selon les parties que les maladies précédentes attaqueront.

Résultat de tout ce détail. Il résulte de ces détails, qu'il y a des maladies chroniques guérissables, & d'autres incurables, ce qu'une bonne théorie fait aisément connoître ; qu'il y en a de simples & de compliquées ; & qu'enfin il y en a dont la complication est très-grande.

Par rapport aux maladies chroniques incurables, il faut de bonne foi reconnoître les bornes de l'art, & n'opposer à ces maladies que les remedes palliatifs.

Les maladies chroniques simples peuvent en créer une infinité d'autres compliquées qui en sont les effets ; d'où il paroît que ces maladies, quoique très-variées dans leurs symptomes, ont cependant une origine peu composée, & ne requierent pas une grande diversité de remedes. Il faut dire même que quoique les maladies chroniques, par la variété de leurs causes, exigent quand on connoît ces causes, une diversité de traitement, néanmoins elles demandent en général une thérapeutique commune, qui consiste dans l'exercice, les remedes atténuans, résolutifs, corroborans, antiputrides, chauds, la liberté du ventre, & la transpiration.

Mais quelquefois l'origine & les symptomes d'une maladie chronique sont très-compliqués ; alors cette maladie devient d'autant plus difficile à guérir, que sa complication est grande : cependant elle ne doit pas décourager ces génies qui savent par leur expérience & leur pénétration écarter les causes concomitantes, & saisir avec succès la principale dans leur méthode curative.

Qu'il me soit permis d'ajoûter une réflexion que j'ai souvent faite sur la différente conduite que tiennent la plûpart des hommes dans leurs maladies aiguës & chroniques. Dans les premieres ils s'adressent à un médecin, dont ils suivent exactement les ordonnances, & gardent ce médecin jusqu'à la terminaison heureuse ou funeste de la maladie : l'accablement, le danger imminent, les symptomes urgens, le prognostic fâcheux, la crainte des évenemens prochains, tout engage de suivre un plan fixe, uniforme, & d'abandonner les choses à leur destinée. Dans les maladies chroniques on n'est point agité par des intérêts aussi vifs, aussi pressans ; la vûe du danger est incertaine, éloignée ; le malade va, vient, souffre plus foiblement ; comme le médecin ne le voit que par intervalles de tems à autres, il peut perdre insensiblement par les variations qui se succedent le fil du mal, & de-là confondre dans sa méthode curative le principal avec l'accessoire : soit faute d'attention ou de lumieres, soit complication de symptomes, il manquera quelquefois de boussole pour se diriger dans le traitement de la maladie, il ne retirera pas de ses remedes tout le succès qu'il se promettoit ; dès-lors le malade impatient, inquiet, découragé, appelle successivement d'autres médecins, qu'il quitte de même, bien ou mal à-propos ; ensuite il écoute avec avidité tous les mauvais conseils de ses amis, de ses parens, de ses voisins ; enfin il se livre aveuglément aux remedes des bonnes femmes, aux secrets de paysans, de moines, de chimistes, d'empyriques, de charlatans de toute espece, qui ne guérissent son mal que par la mort.

Cette scene de la vie humaine est si bien dépeinte par Montfleury, que je crois devoir copier ici le tableau qu'il en fait : ceux qui le connoissent m'en sauront gré, comme ceux qui ne le connoissent pas. Il est dans la piece intitulée la Fille médecin : un charlatan arrive pour traiter la fille de Géronte ; & trouvant sur sa route la femme-de-chambre nommée Lise, il lui demande quels médecins on a vûs. Lise répond :

Je peux vous assûrer, sans en savoir les noms,

Que nous en avons vû de toutes les façons :

Sur ce chapitre-là tout le monde raffine ;

Il n'est point de voisin, il n'est point de voisine,

Qui donnant là-dessus dedans quelque panneau,

Ne nous ait envoyé quelque docteur nouveau.

Nous avons vû céans un plumet qui gasconne,

Un abbé qui guérit par des poudres qu'il donne ;

Un diseur de grands mots, jadis musicien,

Qui fait un dissolvant, lequel ne dissout rien ;

Six médecins crasseux qui venoient sur des mules ;

Un arracheur de dents qui donnoit des pilules ;

La veuve d'un chimiste, & la soeur d'un curé,

Qui font à frais communs d'un baume coloré ;

Un chevalier de Malthe, une dévote, un moine ;

Le chevalier pratique avec de l'antimoine,

Le moine avec des eaux de diverses façons ;

La dévote guérit avec des oraisons.

Que vous dirai-je enfin, monsieur ? de chaque espece

Il est venu quelqu'un pour traiter ma maîtresse ;

Chacun à la guérir s'étoit bien défendu :

Cependant, vous voyez, c'est de l'argent perdu,

On l'enterre aujourd'hui....

C'est-là en effet le dénouement simple, naturel, & vraisemblable, que prépare la folle conduite des hommes dans le genre des maladies dont je termine ici l'article. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CHRONOGRAMMES. m. (Belles-Lettr.) composition technique, soit en vers, soit en prose, dans laquelle les lettres numérales jointes ensemble marquent une époque ou la date d'un évenement : nous en avons donné un exemple au mot anagramme, Voyez ANAGRAMME. Ce terme est composé du grec , tems, & de , lettre ou caractere, c'est-à-dire caractere qui marque le tems. (G)


CHRONOLOGIES. f. La chronologie en général est proprement l'histoire des tems. Ce mot est dérivé de deux mots grecs, , tems, & , discours.

In tempore, dit Newton, quoad ordinem successionis, inspatio quoad ordinem situs locantur universa. Ce magnifique tableau, qui prouve que les Géometres savent quelquefois peindre, revient en quelque maniere à l'idée de Leibnitz, qui définit le tems, l'ordre des êtres successifs, & l'espace, l'ordre des coexistans. Mais ce n'est pas ici le lieu de considérer métaphysiquement le tems, ni de le comparer avec l'espace. Voyez ESPACE, TEMS, &c. Nous ne parlerons point non plus de la mesure du tems présent & qui s'écoule ; c'est à l'Astronomie & à l'Horlogerie à fixer cette mesure. V. MOUVEMENT. Il n'est question ici que de la science des tems passés, de l'art de mesurer ces tems, de fixer des époques, &c. & c'est cette science qu'on appelle chronologie. V. éPOQUE.

Plus les tems sont reculés, plus aussi la mesure en est incertaine : aussi est-ce principalement à la chronologie des premiers tems que les plus savans hommes se sont appliqués. M. de Fontenelle, éloge de M. Bianchini, compare ces premiers tems à un vaste palais ruiné, dont les débris sont entassés pêle-mêle, & dont la plûpart même des matériaux ont disparu. Plus il manque de ces matériaux, plus il est possible d'imaginer & de former avec les matériaux qui restent, différens plans qui n'auroient rien de commun entre eux. Tel est l'état où nous trouvons l'histoire ancienne. Il y a plus ; non-seulement les matériaux manquent en grand nombre, par la quantité d'auteurs qui ont péri : les auteurs même qui nous restent sont souvent contradictoires les uns aux autres.

Il faut alors, ou les concilier tant bien que mal, ou se résoudre à faire un choix qu'on peut toûjours soupçonner d'être un peu arbitraire. Toutes les recherches chronologiques que nous avons eûes jusqu'ici, ne sont que des combinaisons plus ou moins heureuses de ces matériaux informes. Et qui peut nous répondre que le nombre de ces combinaisons soit épuisé ? Aussi voyons-nous presque tous les jours paroître de nouveaux systèmes de chronologie. Il y a, dit le dictionnaire de Moreri, soixante-dix opinions différentes sur la chronologie, depuis le commencement du monde jusqu'à J. C. Nous nous contenterons de nommer ici les auteurs les plus célebres. Ce sont, Jules Africain, Denis le Petit, Eusebe, S. Cyrille, Bede, Scaliger, le P. Petau, Usserius, Marsham, Vossius, Pagi, Pezron, M. Desvignoles, M. Freret, & M. Newton : quae nomina ! Et de quelle difficulté la chronologie ancienne n'est-elle pas ! puisqu'après les travaux de tant de grands hommes, elle reste encore si obscure qu'on a plûtôt vû que résolu les difficultés. C'est une espece de perspective immense & à perte de vûe, dont le fond est parsemé de nuages épais, à travers lesquels on apperçoit de distance en distance un peu de lumiere.

S'il ne s'agissoit, dit un auteur moderne, que de quelques évenemens particuliers, on ne seroit pas surpris de voir ces grands hommes différer si fort les uns des autres ; mais il est question des points les plus essentiels de l'histoire sacrée & profane ; tels que le nombre des années qui se sont écoulées depuis la création ; la distinction des années sacrées & civiles parmi les Juifs ; le séjour des Israélites en Egypte ; la chronologie des Juges, celle des rois de Juda & d'Israel ; le commencement des années de la captivité, celui des septante semaines de Daniel ; l'histoire de Judith, celle d'Esther ; la naissance, la mission, la mort du Messie, &c. l'origine de l'empire des Chinois ; les dynasties d'Egypte ; l'époque du regne de Sesostris ; le commencement & la fin de l'empire d'Assyrie ; la chronologie des rois de Babylone, des rois Medes, des successeurs d'Alexandre, &c. sans parler des tems fabuleux & héroïques, où les difficultés sont encore plus nombreuses. Mém. de Litt. & d'Hist. par M. l'abbé d'Artigni.

L'auteur que nous venons de citer, conclut de-là fort judicieusement qu'il seroit inutile de se fatiguer à concilier les différens systèmes, ou à en imaginer de nouveaux. Il suffit, dit-il, d'en choisir un & de le suivre : ce sentiment nous paroît être aussi celui des savans les plus illustres, que nous avons consultés sur cette matiere. Prenez, par exemple, le système d'Usserius, assez suivi aujourd'hui, ou celui du P. Petau, dans son rationarium temporum. La seule attention qu'on doit avoir en écrivant l'histoire ancienne, c'est de marquer le guide que l'on suit sur la chronologie, afin de ne causer à ses lecteurs aucun embarras ; car, selon certains auteurs, il y a depuis le commencement du monde jusqu'à J. C. 3740 ans, & 6934 selon d'autres, ce qui fait une différence de 3194 ans. Cette différence doit se répandre sur tout l'intervalle, principalement sur les parties de cet intervalle les plus proches de la création du monde.

Je crois donc qu'il est inutile d'exposer ici fort au long les sentimens des Chronologistes, & les preuves plus ou moins fortes sur lesquelles ils les ont appuyées. Nous renvoyons sur ce point à leurs ouvrages. D'ailleurs nous allons traiter plus bas avec quelque étendue de la chronologie sacrée, comme étant la partie de la chronologie la plus importante ; & l'on trouvera aux articles ÉGYPTIENS & CHALDEENS, des remarques sur la chronologie des Egyptiens, des Assyriens, & des Chaldéens. Voici seulement les principales opinions sur la durée du monde, depuis la création jusqu'à J. C.

L'année de la naissance de J. C. est aussi fort disputée ; il y a sept à huit ans de différence sur ce point entre les auteurs. Mais depuis ce tems la chronologie commence à devenir beaucoup plus certaine par la quantité de monumens ; & les différences qui peuvent se rencontrer entre les auteurs, sont beaucoup moins considérables.

Parmi tous les auteurs qui ont écrit sur la chronologie, il en est un dont nous parlerons un peu plus au long ; non que son système soit le meilleur & le plus suivi, mais à cause du nom de l'auteur, de la singularité des preuves sur lesquelles ce système est appuyé, & enfin de la nature de ces preuves, qui étant astronomiques & mathématiques, rentrent dans la partie dont nous sommes chargés.

Selon M. Newton, le monde est moins vieux de 500 ans que ne le croyent les Chronologistes. Les preuves de ce grand homme sont de deux especes.

Les premieres roulent sur l'évaluation des générations. Les Egyptiens en comptoient 341 depuis Menés jusqu'à Sethon, & évaluoient trois générations à cent ans. Les anciens grecs évaluoient une génération à 40 ans. Or en cela, selon M. Newton, les uns & les autres se tromperent. Il est bien vrai que trois générations ordinaires valent environ 120 ans ; mais les générations sont plus longues que les regnes, parce qu'il est évident qu'en général les hommes vivent plus long-tems que les rois ne regnent. Selon M. Newton, chaque regne est d'environ 20 ans, l'un portant l'autre ; ce qui se prouve par la durée du regne des rois d'Angleterre, depuis Guillaume le Conquérant jusqu'à George I. des vingt-quatre premiers rois de France, des vingt-quatre suivans, des quinze suivans, & enfin des soixante-trois réunis. Donc les anciens ont fait un calcul trop fort, en évaluant les générations à quarante ans.

La seconde espece de preuves, plus singuliere encore, est tirée de l'Astronomie. On sait que les points équinoxiaux ont un mouvement rétrograde & à très-peu-près uniforme d'un degré en 72 ans. Voyez PRECESSION DES EQUINOXES.

Selon Clément Alexandrin, Chiron, qui étoit du voyage des Argonautes, fixa l'équinoxe du printems au quinzieme degré du bélier, & par conséquent le solstice d'été au quinzieme degré du cancer. Un an avant la guerre du Péloponnèse, Meton fixa le solstice d'été au huitieme degré du cancer. Donc puisqu'un degré répond à soixante-douze ans, il y a sept fois soixante & douze ans de l'expédition des Argonautes au commencement de la guerre du Péloponnèse, c'est-à-dire cinq cent quatre ans, & non pas sept cent, comme disoient les Grecs.

En combinant ces deux différentes preuves, M. Newton conclut que l'expédition des Argonautes doit être placée 909 ans avant Jesus-Christ, & non pas 1400 ans, comme on le croyoit, ce qui rend le monde moins vieux de 500 ans.

Ce système, il faut l'avouer, n'a pas fait grande fortune. Il a été attaqué avec force par M. Freret & par le P. Souciet ; il a cependant trouvé en Angleterre & en France même des défenseurs.

M. Freret, en combinant & parcourant l'histoire des tems connus, croit que M. Newton s'est trompé, en évaluant chaque génération des rois à vingt ans. Il trouve, au contraire, par différens calculs, qu'elles doivent être évaluées à trente ans au moins, ou plutôt entre trente & quarante ans. Il le prouve par les vingt-quatre générations, depuis Hugues Capet jusqu'à Louis XV. par Robert de Bourbon, qui donnent en 770 ans 32 ans de durée pour chaque génération ; par les douze générations de Hugues Capet jusqu'à Charles le Bel ; par les vingt de Hugues Capet à Henri III. par les vingt-sept de Hugues Capet à Louis XII. par les dix-huit de Hugues Capet à Charles VIII. Il est assez singulier que les calculs de M. Freret, & ceux de M. Newton, soient justes l'un & l'autre, & donnent des résultats si différens. La différence vient de ce que M. Newton compte par regnes, & M. Freret par générations. Par exemple, de Hugues Capet à Louis XV. il n'y a que vingt-quatre générations, mais il y a trente-deux regnes ; ce qui ne donne qu'environ vingt ans pour chaque regne, & plus de trente pour chaque génération. Ainsi ne seroit-il pas permis de penser que si le calcul de M. Newton est trop foible en moins, celui de M. Freret est trop fort en plus ? En général, non-seulement les regnes doivent être plus courts que les générations, mais les générations des rois doivent être plus courtes que celles des particuliers, parce que les fils de rois sont mariés de meilleure heure.

A l'égard des preuves astronomiques, M. Freret observe que la position des étoiles & des points équinoxiaux n'est nullement exacte dans les écrits des anciens ; que les auteurs du même tems varient beaucoup sur ce point. Il est très-vraisemblable, selon ce savant chronologiste, que Meton en plaçant le solstice d'été au huitieme degré du cancer, s'étoit conformé, non à la vérité, mais à l'usage reçu de son tems, à peu-près comme c'est l'usage vulgaire parmi nous de placer l'équinoxe au premier degré du bélier, quoiqu'elle n'y soit plus depuis long-tems. M. Freret fortifie cette conjecture par un grand nombre de preuves qui paroissent très-fortes. En voici les principales. Achilles Tatius dit que plusieurs Astronomes plaçoient le solstice d'été au premier degré du cancer, les autres au 8e, les autres au 12e, les autres au 15e. Euctemon avoit observé le solstice avec Meton, & cet Euctemon avoit placé l'équinoxe d'automne au premier degré de la balance ; preuve, dit M. Freret, que Meton en fixant le solstice d'été au huitieme degré du cancer, se conformoit à l'usage de parler de son tems, & non à la vérité. Suivant les lois de la précession des équinoxes, l'équinoxe a dû être au huitieme degré d'aries, 964 ans avant l'ere chrétienne ; & c'est à-peu-près en ce tems-là que le calendrier suivi par Meton a dû être publié. Hypparque place les points équinoxiaux à quinze degrés d'Eudoxe : il s'ensuivroit qu'il y a eu entre Hypparque & Eudoxe un intervalle de 1080 ans, ce qui est insoûtenable. A ces preuves M. Freret en ajoûte plusieurs autres. On peut voir ce détail instructif & curieux dans un petit ouvrage qui a pour titre : abregé de la chronologie de M. Newton, fait par lui-même, & traduit sur le manuscrit anglois, à Paris, 1725. A la suite de cet abregé, on a placé les observations de M. Freret. Il sera bon de lire à la suite de ces observations la réponse courte que M. Newton y a faite, Paris 1726, & dans laquelle il y a quelques articles qui méritent attention. Nous nous dispensons d'autant plus volontiers de rapporter ici plus au long les preuves de M. Freret, que nous apprenons qu'il paroîtra bientôt un ouvrage posthume considérable qu'il a composé sur cette matiere. Mais nous ne pouvons laisser échapper cette occasion de célébrer ici la mémoire de ce savant homme, qui joignoit à l'érudition la plus vaste l'esprit philosophique, & qui a porté ce double flambeau dans ses profondes recherches sur l'antiquité.

La chronologie ne se borne pas aux tems reculés & à la fixation des anciennes époques ; elle s'étend aussi à d'autres usages, & particulierement aux usages ecclésiastiques. C'est par son secours que nous fixons les fêtes mobiles, entr'autres celles de Pâques, & que par le moyen des épactes, des périodes, des cycles, &c. nous construisons le calendrier. Voyez ces mots. Voyez aussi l'article AN. Ainsi il y a proprement deux especes de chronologie ; l'une, pour ainsi dire purement historique, & fondée sur les faits que l'antiquité nous a transmis, l'autre mathématique & astronomique, qui employe les observations & les calculs, tant pour débrouiller les époques, que pour les usages de la religion.

Un des ouvrages les plus utiles qui ayent paru dans ces derniers tems sur la chronologie, est l'art de vérifier les dates, commencé par Dom Maur d'Antine, & continué par deux savans religieux bénédictins de la même congrégation, Dom Charles Clément & Dom Ursin Durand ; Paris, 1750. in -4°. Cet ouvrage présente d'abord une table chronologique qui renferme toutes les différentes marques propres à caractériser chaque année depuis J. C. jusqu'à nous. Ces marques sont les indictions, les épactes, le cycle pascal, le cycle solaire, les éclipses, &c. Cette table est suivie d'un excellent calendrier perpétuel (voyez l'art. CALENDRIER) ; & l'ouvrage est terminé par un abregé chronologique des principaux évenemens depuis J. C. jusqu'à nos jours. Dans cet abregé on doit sur-tout remarquer & distinguer l'attachement des deux religieux bénédictins pour les maximes du clergé de France, & de la faculté de Théologie de Paris, sur l'indépendance des rois, quant au temporel, & la supériorité des conciles généraux au-dessus du Pape. Aussi cet ouvrage a-t-il été reçû très-favorablement du public ; & nous en faisons ici d'autant plus volontiers l'éloge, que les deux auteurs nous sont entierement inconnus.

M. de Fontenelle, dans l'éloge de M. Bianchini, dit que ce savant avoit imaginé une division de tems assez commode : quarante siecles depuis la création jusqu'à Auguste ; seize siecles depuis Auguste jusqu'à Charles V. chacun de ces seize siecles partagé en cinq vingtaines d'années, desorte que dans les huit premiers comme dans les huit derniers, il y a quarante vingtaines d'années, comme quarante siecles dans la premiere division, régularité de nombres favorables à la mémoire ; au milieu des seize siecles, depuis Auguste jusqu'à Charles V. se trouve justement Charlemagne, époque des plus illustres. (O)

* CHRONOLOGIE SACREE. On entend par la Chronologie des premiers tems, l'ordre selon lequel les évenemens qui ont précédé le déluge, & qui l'ont suivi immédiatement, doivent être placés dans le tems. Mais quel parti prendrons-nous sur cet ordre ? Regarderons-nous, avec quelques anciens, le monde comme éternel, & dirons-nous que la succession des êtres n'a point eu de commencement, & ne doit point avoir de fin ? Ou convenant, soit de la création, soit de l'information de la matiere dans le tems, penserons-nous, avec quelques auteurs, que ces actes du Tout-puissant sont d'une date si reculée, qu'il n'y a aucun fil, soit historique soit traditionnel, qui puisse nous y conduire sans se rompre en cent endroits ? Ou reconnoissant l'absurdité de ces systèmes, & nous attachant aux fastes de quelques peuples, préférerons-nous ceux des habitans de la Béthique en Espagne, qui produisoient des annales de six mille ans ? Ou compterons-nous, avec les Indiens, six mille quatre cent soixante-un ans depuis Bacchus jusqu'à Alexandre ? Ou plus jaloux encore d'ancienneté, suivrons-nous cette histoire chronologique de douze à quinze mille ans dont se vantoient les Egyptiens ; & donnant avec les mêmes peuples dix-huit mille ans de plus à la durée des regnes des dieux & des héros, vieillirons-nous le monde de trente mille ans ? Ou assûrant, avec les Chaldéens, qu'il y avoit plus de quatre cent mille ans qu'ils observoient les astres lorsque Alexandre passa en Asie, leur accorderons-nous dix rois depuis le commencement de leur monarchie jusqu'au déluge ? Ferons-nous ces regnes de cent vingt sares ? & comptant avec Eusebe pour la durée du sare chaldéen trois mille six cent ans, dirons-nous qu'il y avoit quatre cent trente-deux mille ans depuis leur premier roi jusqu'au déluge ? Ou mécontens de la durée qu'Eusebe donne au sare, & curieux de conserver aux Chaldéens toute leur ancienneté, leur restituerons-nous les quarante-un mille ans qu'ils semblent perdre à ce calcul, & leur accorderons-nous les quatre cent soixante-trois mille ans d'observations qu'ils avoient lors du passage d'Alexandre, au rapport de Diodore de Sicile ? Ou regardant toutes ces chronologies, soit comme fabuleuses, soit comme réductibles, par quelque connoissance puisée dans les anciens, à la chronologie des livres sacrés, nous en tiendrons-nous à cette chronologie ? La raison & la religion nous obligent à prendre ce dernier parti. Notre objet sera donc ici premierement de montrer que ces énormes calculs des Chaldéens & autres, peuvent se réduire à quelqu'un des systèmes de nos auteurs sur la chronologie sacrée ; secondement, ces systèmes de nos auteurs ayant entr'eux des différences assez considérables, fondées les unes sur la préférence exclusive qu'ils ont donnée à un des textes de l'Ecriture, les autres sur les intervalles qu'ils ont mis entre les époques d'un même texte, d'indiquer l'usage qu'il semble qu'on pourroit faire des différens textes, & d'appliquer nos vûes à la fixation de quelques-unes des principales époques. Notre Dictionnaire étant particulierement philosophique, il est également de notre devoir d'indiquer les vérités découvertes, & les voies qui pourroient conduire à celles qui sont inconnues : c'est la méthode que nous avons suivie à l'art. CANON DES SAINTES ÉCRITURES (voyez cet art.) & c'est encore celle que nous allons suivre ici.

Des annales babyloniennes, égyptiennes, ou chaldéennes, réduites à notre chronologie. C'est à M. Gibert que nous aurons l'obligation de ce que nous allons exposer sur cette matiere si importante & si difficile. Voyez une lettre qu'il a publiée en 1743, Amst. Les anciens désignoient par le nom d'année, la révolution d'une planete quelconque autour du ciel. Voyez Macrobe, Eudoxe, Varron, Diodore de Sicile, Pline, Plutarque, S. Augustin, &c. Ainsi l'année eut deux, trois, quatre, six, douze mois ; & selon Palephate & Suidas, d'autres fois un seul jour. Mais quelles sortes de révolutions entendoient les Chaldéens, quand ils s'arrogeoient quatre cent soixante-treize mille ans d'observations ? Quelles ? celles d'un jour solaire, répond M. Gibert ; le jour solaire étoit leur année astronomique : d'où il s'ensuit, selon cette supposition, que les 473 mille années des Chaldéens se réduisent à 473 mille de nos jours, ou à 1297 & environ neuf mois, de nos années solaires. Or c'est-là précisément le nombre d'années qu'Eusebe compte depuis les premieres découvertes d'Atlas en Astronomie, jusqu'au passage d'Alexandre en Asie ; & il place ces découvertes à l'an 384 d'Abraham : mais le passage d'Alexandre est de l'an 1582 ; l'intervalle de l'une à l'autre est donc précisément de 1298 ans, comme nous l'avons trouvé.

Cette rencontre devient d'autant plus frappante, qu'Atlas passe pour l'inventeur même de l'Astrologie, & par conséquent ses observations, comme la date des plus anciennes. L'histoire fournit même des conjectures assez fortes de l'identité des observations d'Atlas, avec les premieres observations des Chaldéens. Mais voyons la suite de cette supposition de M. Gibert.

Berose ajoûtoit 17000 ans aux observations des Chaldéens. L'histoire de cet auteur dédiée à Antiochus Soter, fut vraisemblablement conduite jusqu'aux dernieres années de Seleucus Nicanor, prédécesseur de cet Antiochus. Ce fut à-peu-près dans ce tems que Babylone perdit son nom, & que ses habitans passerent dans la ville nouvelle construite par Seleucus, c'est-à-dire la 293 année avant J. C. ou plûtôt la 289 ; car Eusebe nous apprend que Seleucus peuploit alors la ville qu'il avoit bâtie. Or les 17000 ans de Berose évalués à la maniere de M. Gibert, donnent 46 ans six à sept mois, ou l'intervalle précis du passage d'Alexandre en Asie, jusqu'à la premiere année de la cxxiij olympiade, c'est-à-dire jusqu'au moment où Berose avoit conduit son histoire.

Les 720000 années qu'Epigene donnoit aux observations conservées à Babylone, ne font pas plus de difficulté : réduites à des années juliennes, elles font 1971 ans & environ trois mois ; ce qui approche fort des 1903 ans que Callisthene accordoit au même genre d'observations : la différence de 68 ans vient de ce que Callisthene finit son calcul à la prise de Babylone par Alexandre, comme il le devoit, & qu'Epigene conduisit le sien jusque sous Ptolomée Philadelphe, ou jusqu'à son tems.

Autre preuve de la vérité des calculs & de la supposition de M. Gibert. Alexandre Polyhistor dit, d'après Berose, que l'on conservoit à Babylone depuis plus de 150000 ans des mémoires historiques de tout ce qui s'étoit passé pendant un si long intervalle. Il n'est personne qui sur ce passage n'accuse Berose d'imposture, en se rappellant que Nabonassar, qui ne vivoit que 410 à 411 ans avant Alexandre, détruisit tous les monumens historiques des tems qui l'avoient précédé : cependant en réduisant ces 150000 ans à autant de jours, on trouve 410 ans huit mois & trois jours, & les 150000 de Berose ne sont plus qu'une affectation puérile de sa part. Les 410 ans huit mois & trois jours qu'on trouve par la supposition de M. Gibert, se sont précisément écoulés depuis le 26 Février de l'an 747 avant J. C. où commence l'ere de Nabonassar, jusqu'au premier Novembre de l'an 337, c'est-à-dire jusqu'à l'année & au mois d'où les Babyloniens datoient le regne d'Alexandre, après la mort de son pere. Cette réduction ramene donc toûjours à des époques vraies ; les 30000 ans que les Egyptiens donnoient au regne du Soleil, le même que Joseph, se réduisent aux 80 ans que l'Ecriture accorde au ministere de ce patriarche ; les 1300 ans & plus que quelques-uns comptent depuis Menès jusqu'à Neithocris, ne sont que des années de six mois, qui se réduisent à 668 années juliennes que le canon des rois thébains d'Eratosthene met entre les deux mêmes regnes ; les 2936 ans que Dicearque compte depuis Sésostris jusqu'à la premiere olympiade, ne sont que des années de trois mois, qui se réduisent aux 734 que les marbres de Paros comptent entre Danaüs frere de Sésostris & les olympiades, &c. Voyez la lettre de M. Gibert.

De la chronologie chinoise rappellée à notre chronologie. Nous avons fait voir à l'article CHINOIS, que le regne de Fohi fut un tems fabuleux, peu propre à fonder une véritable époque chronologique. Le pere Longobardi convient lui-même que la chronologie des Chinois est très-incertaine ; & si l'on s'en rapporte à la table chronologique de Nien, auteur très-estimé à la Chine, dont Jean-François Fouquet nous a fait connoître l'ouvrage, l'histoire de la Chine n'a point d'époque certaine plus ancienne que l'an 400 avant J. C. Kortholt qui avoit bien examiné cette chronologie de Nien, ajoûte que Fouquet disoit des tems antérieurs de l'ere chinoise, que les lettrés n'en disputoient pas avec moins de fureur & de fruit, que les nôtres des dynasties égyptiennes & des origines assyriennes & chaldéennes ; & qu'il étoit permis à chacun de croire des premiers tems de cette nation tout ce qu'il en jugeroit à-propos. Mais si suivant les dissertations de M. Freret, il faut rapporter l'époque d'Yao, un des premiers empereurs de la Chine, à l'an 2145 ou 7 avant J. C. les Chinois plaçant leur premiere observation astronomique, à la composition d'un calendrier célebre dans leurs livres 150 ans avant Yao, l'époque des premieres observations chinoises & celle des premieres observations chaldéennes coïncideront. C'est une observation singuliere.

Y auroit-il donc quelque rapport, quelque connexion, entre l'astronomie chinoise & celle des Chaldéens ? Les Chinois sont certainement sortis, ainsi que tous les autres peuples, des plaines de Sennaar ; & l'on ne pourroit guere en avoir un indice plus fort que cette identité d'époque, dans leurs observations astronomiques les plus anciennes.

Plus on examine l'origine des peuples, plus on les rapproche de ces fameuses plaines ; plus on examine leur chronologie & plus on y démêle d'erreurs, plus on la rapproche de quelqu'un de nos systèmes de chronologie sacrée. Cette chronologie est donc la vraie ; le plus ancien peuple est donc celui qui en est possesseur ; tenons-nous en donc aux fastes de ce peuple.

Nous en avons trois exemplaires différens : ce sont ou trois textes ou trois copies d'un premier original ; ces copies varient entr'elles sur la chronologie des premiers âges du monde : le texte hébreu de la masore abrege les tems ; il ne compte qu'environ quatre mille ans depuis Adam jusqu'à J. C. : le texte samaritain donne plus d'étendue à l'intervalle de ces époques ; mais on le prétend moins correct : les Septante font remonter la création du monde jusqu'à six mille ans avant J. C. il y a selon le texte hébreu 1656 ans depuis Adam au déluge ; 1307 selon le samaritain ; & 2242, selon Eusebe & les Septante ; ou 2256, selon Josephe & les Septante ; ou 2262, selon Jule Africain, S. Epiphane, le pere Petau, & les Septante.

Si les Chronologistes sont divisés, & sur le choix des textes, & sur les tems écoulés, pour l'intervalle de la création au déluge, ils ne le sont pas moins pour les tems postérieurs au déluge, & sur les intervalles des époques de ces tems. Voyez seulement Marsham & Pezron.

Les différences sont plus ou moins fortes entre les autres systèmes, pour lesquels nous renvoyons à leurs auteurs.

Tant de diversités, tant entre les textes qu'entre leurs commentateurs, suggéra à M. l'abbé de Prades, bachelier de Sorbonne, une opinion qui a fait beaucoup de bruit, & dont nous allons rendre compte, d'autant plus volontiers que nous l'avons combattue de tout tems, & que son exposition ne suppose aucun calcul.

M. l'abbé de Prades se demande à lui-même comment il a pû se faire que Moyse ait écrit une chronologie, & qu'elle se trouve si altérée qu'il ne soit plus possible, des trois différentes chronologies qu'on lit dans les différens textes, de discerner laquelle est de Moyse, ou même s'il y en a une de cet auteur. Il remarque que cette contradiction des chronologies a donné naissance à une infinité de systèmes différens : que les auteurs de ces systèmes n'ont rien épargné pour détruire l'autorité des textes qu'ils ne suivoient pas ; témoin le pere Morin de l'oratoire, à qui il n'a pas tenu que le texte samaritain ne s'élevât sur les ruines du texte hébreu : que les différentes chronologies ont suivi la fortune des différens textes, en Orient, en Occident, & dans les autres églises : que les Chronologues n'en ont adopté aucune scrupuleusement : que les additions, corrections, retranchemens qu'ils ont jugé à-propos d'y faire, prouvent bien qu'à leur avis même il n'y en a aucune d'absolument correcte : que la nation chinoise n'a jamais entré dans aucun de ces plans chronologiques : qu'on ne peut cependant rejetter en doute les époques chinoises, sans se jetter dans un pirrhonisme historique : que cet oubli fournissoit une grande difficulté aux impies contre le récit de Moyse, qui faisoit descendre tous les hommes de Noé, tandis qu'il se trouvoit un peuple dont les annales remontoient au-delà du déluge : qu'en répondant à cette difficulté des impies par la chronologie des Septante, qui n'embrasse pas encore les époques chinoises les plus reculées, telles que le regne de Fohi, on leur donnoit occasion d'en proposer une autre sur l'altération des livres saints, où le tems avoit pû insérer des chronologies différentes, & troubler même celles qui y avoient été insérées : que la conformité sur les faits ne répondoit pas à la diversité sur les chronologies : que le pere Tournemine sensible à cette difficulté, a tout mis en oeuvre pour accorder les chronologies ; mais que son système a des défauts considérables, comme de ne pas expliquer pourquoi le centenaire n'est pas omis par-tout dans le texte hébreu, ou ajoûté par-tout dans les Septante ; & qu'occupé de ces difficultés, elle se grossissoit d'autant plus, qu'il se prévenoit davantage que Moyse avoit écrit une chronologie. Voilà ce qui a paru à M. l'abbé de Prades.

Et il a pensé que Moyse n'étoit auteur d'aucune des trois chronologies ; que c'étoient trois systèmes inventés après coup ; que les différences qui les distinguent ne peuvent être des erreurs de copistes ; que si les erreurs de copistes avoient pû enfanter des chronologies différentes, il y en auroit bien plus de trois ; que les trois chronologies ne différeroient entr'elles que comme trois copies de la même chronologie ; que si, antérieurement à la version des Septante, la chronologie du texte hébreu sur lequel ils ont traduit avoit passé pour authentique, on ne conçoit pas comment ces respectables traducteurs auroient osé l'abandonner ; qu'on ne peut supposer que les Septante ayent conservé la chronologie de l'hébreu, & que la différence qu'on remarque à présent entre les calculs de ces deux textes vient de corruption ; qu'on peut demander de quel côté vient la corruption, si c'est du côté de l'hébreu ou du côté des Septante, ou de l'un & de l'autre côté ; que, selon la derniere réponse, la seule qu'on puisse faire, il n'y a aucune de ces chronologies qui soit la vraie ; qu'il est étonnant que l'ignorance des copistes n'ait commencé à se faire sentir que depuis les Septante ; que l'intervalle du tems compris entre Ptolemée Philadelphe & la naissance de J. C. ait été le seul exposé à ce malheur, & que les historiens prophanes n'ayent en ce point aucune conformité de sort avec les livres sacrés ; que la vigilance superstitieuse des Juifs a été ici trompée bien grossierement ; que les nombres étant écrits tout au long dans les textes, & non en chiffres, l'altération devient très-difficile ; en un mot, que quelque facile qu'elle soit, elle ne peut jamais produire des systèmes ; qu'on ne peut supposer que la chronologie de Moyse est comme dispersée dans les trois textes, qu'il faut sur chaque fait en particulier les consulter, & prendre le parti qui paroîtra le plus conforme à la vérité, selon d'autres circonstances.

Selon ce système de M. l'abbé de Prades, il est évident que l'objection des impies tirée de la diversité des trois chronologies, se réduit à rien ; mais n'affoiblit-il pas d'un autre côté la preuve de l'authenticité des faits qu'ils contiennent, fondée sur cette vigilance prodigieuse avec laquelle les Juifs conservoient leurs ouvrages ? Que devient cette vigilance, lorsque des hommes auront pû pousser la hardiesse, soit à insérer une chronologie dans le texte, si Moyse n'en a fait aucune, soit à y en substituer une autre que la sienne ? M. l'abbé de Prades prétend que ces chronologies sont trois systèmes différens ; mais il prouve seulement que leur altération est fort extraordinaire : comment prendre ces chronologies pour des systèmes liés & suivis, quand on voit que le centenaire n'est pas omis dans tout le texte hébreu, & qu'il n'est pas ajoûté à tous les patriarches dans le texte des Septante ? Si la conformité s'est conservée dans les faits, c'est que par leur nature les faits sont moins exposés aux erreurs que des calculs chronologiques : quelque grossieres que soient ces erreurs, elles ne doivent point étonner. Rien n'empêche donc qu'on n'admette les trois textes, & qu'on ne cherche à les concilier, d'autant plus qu'on trouve dans tous les trois pris collectivement dequoi satisfaire à beaucoup de difficultés. Mais comment cette conciliation se fera-t-elle ? Entre plusieurs moyens, on a l'examen des calculs mêmes & celui des circonstances : l'examen des calculs suffit seul quelquefois ; cet examen joint à la combinaison des circonstances suffira très-souvent. Quant aux endroits où le concours de ces deux moyens ne donnera aucun résultat, ces endroits resteront obscurs.

Voilà notre système, qui, comme on peut s'en appercevoir, est très-différent de celui de M. l'abbé de Prades. M. de Prades nie que Moyse ait jamais fait une chronologie, nous croyons le contraire ; il rejette les trois textes comme interpolés, & nous les respectons tous les trois comme contenant la chronologie de Moyse. Il a combattu notre système dans son apologie par une raison qui lui est particulierement applicable ; c'est que l'examen & la combinaison des calculs ne satisferoit peut-être pas à tout : mais cet examen n'est pas le seul que nous proposions ; nous y joignons celui des circonstances, qui déterminé tantôt pour un manuscrit, tantôt pour un autre, tantôt pour un résultat qui n'est proprement ni de l'un ni de l'autre, mais qui naît de la comparaison de tous les trois. D'ailleurs, quelque plausible que pût être le système de M. l'abbé de Prades, il ne seroit point permis de l'embrasser, depuis que les censures de plusieurs évêques de France & de la faculté de Théologie l'ont déclaré attentatoire à l'authenticité des livres saints.

Les textes variant entr'eux sur la chronologie des premiers âges du monde, si l'on accordoit en tout à chacun une égale autorité, il est évident qu'on ne sauroit à quoi s'en tenir sur le tems que les patriarches ont vécu, soit à l'égard de ceux qui ont précédé le déluge, soit à l'égard de ceux qui ne sont venus qu'après ce grand évenement. Mais le Chrétien n'imite point dans son respect pour les livres qui contiennent les fondemens de sa foi, la pusillanimité du Juif, ou le scrupule du Musulman. Il ose leur appliquer les regles de la critique, soûmettre leur chronologie aux discussions de la raison, & chercher dans ces occasions la vérité avec toute la liberté possible, sans craindre d'encourir le reproche d'impiété.

Des textes de l'Ecriture, que nous avons, chacun a ses prérogatives : l'hébreu paroît écrit dans la même langue que le premier original : le samaritain prétend au même avantage ; il a de plus celui d'avoir conservé les anciens caracteres hébraïques du premier original hébreu. La version des Septante a été faite sur l'hébreu des anciens Juifs. L'Eglise chrétienne l'a adoptée ; la synagogue en a reconnu l'autorité, & Josephe qui a travaillé son histoire sur les livres hébreux de son tems, se conforme assez ordinairement aux Septante. S'il s'est glissé quelque faute dans leur version, ne peut-il pas s'en être glissé de même dans l'hébreu ? Ne peut-on pas avoir le même soupçon sur le samaritain ? Toutes les copies ne sont-elles pas sujettes à ces accidens & à beaucoup d'autres ? Les copistes ne sont pas moins négligens & infideles en copiant de l'hébreu qu'en transcrivant du grec. C'est de leur habileté, de leur attention, & de leur bonne foi, que dépend la pureté d'un texte & non de la langue dans laquelle il est écrit. J'ai dit de leur bonne foi, parce que les sentimens particuliers du copiste peuvent influer bien plus impunément sur la copie d'un manuscrit, que ceux d'un savant de nos jours sur l'édition d'un ouvrage imprimé ; car si la comparaison des manuscrits est si difficile & si rare aujourd'hui même qu'ils sont rassemblés dans un petit nombre d'édifices particuliers, combien n'étoit-elle pas plus difficile & plus rare jadis, qu'ils étoient éloignés les uns des autres & dispersés dans la société, rari nantes in gurgite vasto ? Je conçois que dans ce tems où la collection de quelques manuscrits étoit la marque de la plus grande opulence, il n'étoit pas impossible qu'un habile copiste bouleversât tout un ouvrage, & peut-être même en composât quelques-uns en entier sous des noms empruntés.

Les trois textes de l'Ecriture ayant à-peu-près les mêmes prérogatives, c'est donc de leur propre fonds qu'il s'agit de tirer des raisons de préférer l'un à l'autre dans les endroits où ils se contredisent. Il faut examiner, avec toute la sévérité de la critique, les variétés & les différentes leçons ; chercher où est la faute, & ne pas décider que le texte hébreu est infaillible, par la raison seule que c'est celui dont les Juifs se sont servis & se servent encore. Une autre sorte de prévention non moins legere, ce seroit de donner l'avantage aux Septante, & d'accuser les Juifs d'une malice qu'ils n'ont jamais eûe ni dû avoir, celle d'avoir corrompu leurs écritures de propos délibéré, comme quelques-uns l'ont avancé, soit par un excès de zele contre ce peuple, soit par une ignorance grossiere sur ce qui le regarde.

L'équité veut qu'on ne considere les trois textes que comme trois copies d'un même original, sur l'autorité plus ou moins grande desquelles il ne nous est guere permis de prendre parti, & qu'il faut tâcher de concilier en les respectant également.

Ces principes posés, nous allons, non pas donner des décisions, car rien ne seroit plus téméraire de notre part, mais proposer quelques conjectures raisonnables sur la chronologie des trois textes, la vie des anciens patriarches, & le tems de leur naissance. Je n'entends pas le tems qui a précédé le déluge. Les textes sont à la vérité remplis de contradictions sur ce point, comme on a vû plus haut ; mais il importe peu d'en connoître la durée. C'est de la connoissance des tems qui ont suivi le déluge, que dépendent la division des peuples, l'établissement des empires, & la succession des princes, conduite jusqu'à nous sans autre interruption que celle qui naît du changement des familles, de la chûte des états, & des révolutions dans les gouvernemens.

Nous observerons, avant que d'entrer dans cette matiere, que l'autorité de Josephe est ici très-considérable, & qu'il ne faut point négliger cet auteur, soit pour le suivre, soit pour le corriger quand ses sentimens & sa chronologie different des textes de l'Ecriture.

Puisque ni ces textes, ni cet historien, ne sont d'accord entr'eux sur la chronologie, il faut nécessairement qu'il y ait faute : & puisqu'ils sont de même nature, sujets aux mêmes accidens, & par conséquent également fautifs, il peut y avoir faute dans tous, & il peut se faire aussi qu'il y en ait un exact. Voyons donc quel est celui qui a le préjugé en sa faveur dans la question dont il s'agit.

Premierement, il me semble que le texte samaritain & les Septante ont eu raison d'accorder aux patriarches cent ans de plus que le texte hébreu, & d'étendre de cet intervalle la suite de leur ordre chronologique, soit parce que des trois textes il y en a deux qui conviennent en ce point, soit parce qu'il est plus facile à un copiste d'omettre un mot ou un chiffre de son original que d'en ajoûter un qui n'en est pas. Nous savons par expérience que les additions rares qui sont de la négligence des copistes consistent en répétitions, & les autres fautes, en omissions, corruptions, transpositions, &c. mais ce n'est pas de ces inexactitudes qu'il s'agit ici. D'ailleurs Josephe est conforme aux Septante & au samaritain, en comptant la durée des vies de chaque patriarche en particulier. Mais, dira-t-on, on retrouve dans la somme totale, celle de l'hébreu. Il faut en convenir, & c'est dans cet historien une faute très-bizarre. Mais il me semble qu'il est plus simple de supposer que Josephe s'est trompé dans une regle d'arithmétique que dans un fait historique, & que par conséquent l'erreur est plûtôt dans le total que dans les sommes particulieres. M. Arnaud, qui avertit en marge de sa destruction qu'il a corrigé cet endroit de Josephe sur les manuscrits, s'est bien gardé de toucher à la durée des vies, & d'en retrancher les cent ans. Il les a seulement suppléés dans le résultat de l'addition.

Nous inviterons en passant quelques-uns des membres savans de l'académie des inscriptions & belles-lettres, de nous donner un mémoire d'après l'expérience & la raison, sur les fautes qui doivent naturellement échapper aux copistes. Et poursuivant notre objet, nous remarquerons encore que dès les premiers tems qui ont suivi le déluge, on voit dans le texte hébreu même, des guerres & des tributs imposés sur des peuples subjugués, & que le tems marqué par ce texte paroît bien court, quand on le compare avec les évenemens qu'il renferme. Les trois enfans de Noé se sont fait une postérité immense ; les peuples ont cessé de connoître leur commune origine ; ils se sont regardés comme des étrangers, & traités comme des ennemis ; & cela dans l'intervalle de trois cent soixante-sept ans. Car l'hébreu n'en accorde pas davantage au second âge. Ce second âge n'est que de trois cent soixante-sept ans. L'hébreu ne compte que trois cent soixante-sept ans depuis le déluge jusqu'à la sortie d'Abraham hors de la ville de Haran ou Charan en Mésopotamie ; & Sem en a vécu, selon le même texte, cinq cent deux depuis le déluge. La vie des hommes qui lui ont succédé immédiatement dans ce second âge, étoit de quatre cent ans. Noé lui-même en a survécu après le déluge trois cent cinquante. Ainsi les royaumes se seront fondés ; les guerres se seront faites de leur tems ; ou ils auront méconnu leurs enfans ; ou c'est en vain qu'ils auront crié à ces furieux : malheureux que faites-vous, vous êtes freres, & vous vous égorgez ? Abraham aura été contemporain de Noé ; Sem aura vû Isaac pendant plus de trente ans, & les enfans d'un même pere se seront ignorés du vivant même de leur pere ; cela paroît difficile à croire. Et si la rapidité de ces évenemens ne nous permet pas de penser qu'on s'est trompé sur la naissance d'Adam & les tems qui ont précédé le déluge, elle forme une grande difficulté sur la certitude de ceux qui l'ont suivie. Combien cette difficulté ne s'augmente-t-elle pas encore par la promtitude & le prodige de la multiplication des enfans de Noé ! Il ne s'agit pas ici de la fable de Deucalion & de Pirrha qui changeoient en hommes les pierres qu'ils jettoient derriere eux, mais d'un fait, & d'un fait incontestable, qu'on ne pourroit nier sans se rendre coupable d'impiété.

Ce n'est pas tout que les objections tirées des faits précédens ; voici d'autres circonstances qui ne feront guere moins sentir le besoin d'étendre la durée du second âge. C'est une monnoie d'argent publique, qui a son coin, son titre, son poids, & son cours long-tems avant Abraham. La Genese en fait mention comme d'une chose commune & d'une origine ancienne, à l'occasion du tombeau qu'Abraham acheta des fils de Heth. Voilà donc les mines découvertes ; & la maniere de fondre, de purifier, & de travailler les métaux, pratiquée. Mais il n'y a que ceux qui connoissent le détail de ces travaux qui sachent combien l'invention en suppose de tems, & combien ici l'industrie des hommes marche lentement.

Convenons donc que, quand on ne renonce pas au bon sens, à la raison, & à l'expérience, on a de la peine à concevoir tous ces évenemens à la maniere de quelques auteurs. Rien ne les embarrasse, les miracles ne leur coûtent rien ; & ils ne s'apperçoivent pas que cette ressource est pour & contre, & qu'elle ne sert pas moins à lever les difficultés qu'ils proposent à leurs adversaires, qu'à lever celles qui leur sont proposées.

Mais que disent le bon sens, l'expérience, & la raison ? qu'en supposant, comme il est juste, l'autorité de l'Ecriture sainte ; les hommes ont vécu ensemble long-tems après le déluge ; qu'ils n'ont formé qu'une société jusqu'à ce qu'ils ayant été assez nombreux pour se séparer ; que quand Dieu dit aux enfans de Noé de peupler la terre & de se la partager, il ne leur ordonna pas de se disperser çà & là en solitaires, & de laisser le patriarche Noé tout seul ; que quand il les benit pour croître, sa volonté étoit qu'ils ne s'étendissent qu'à mesure qu'ils croîtroient ; que l'ordre, croissez, multipliez, & remplissez toute la terre, suppose une grande multiplication actuelle ; & que par conséquent ceux qui, avant la confusion des langues, envoyent Sem dans la Syrie ou dans la Chaldée, Cam en Egypte, & Japhet je ne sais où, fondent là-dessus des chronologies de royaumes, font regner Cam en Egypte sous le nom de Menez, & lui donnent, après soixante-neuf ans au plus écoulés, trois successeurs dans trois royaumes différens ; que ces auteurs, dis-je, fussent-ils cent fois plus habiles que Marsham, nous font l'histoire de leurs imaginations, & nullement celle des tems.

Que disent le bon sens, la raison, l'expérience, & la sainte Ecriture ? que les hommes choisirent après le déluge une habitation commune dans le lieu le plus commode dont ils se trouverent voisins. Que la plaine de Sennaar leur ayant plû, ils s'y établirent ; que ce fut-là qu'ils s'occuperent à réparer le dégât & le ravage des eaux ; que ce ne fut d'abord qu'une famille peu nombreuse ; puis une parenté composée de plusieurs familles ; dans la suite un peuple : & qu'alors trop nombreux pour l'étendue de la plaine, & assez nombreux pour se séparer en grandes colonies, ils dirent : " Puisque nous sommes obligés de nous diviser, travaillons auparavant à un ouvrage commun, qui transmette à nos descendans la mémoire de leur origine, & qui soit un monument éternel de notre union ; élevons une tour dont le sommet atteigne le ciel ". Dessein extravagant, mais dont le succès leur parut si certain, que Moyse fait dire à Dieu dans la Genese : Confondons leur langage ; car ils ne cesseront de travailler qu'ils n'ayent achevé leur ouvrage. Ils avoient sans-doute proportionné leur projet à leur nombre ; mais à peine ont-ils commencé ce monument d'orgueil, que la confusion des langues les contraignit de l'abandonner. Ils formerent des colonies ; ils se transporterent en différentes contrées, entre lesquelles la nécessité de subsister mit plus ou moins de distance. D'un grand peuple il s'en forma plusieurs petits. Ces petits s'étendirent ; les distances qui les séparoient diminuerent peu-à-peu, s'évanouirent ; & les membres épars d'une même famille se rejoignirent, mais après des siecles si reculés, que chacun d'eux se trouva tout-à-coup voisin d'un peuple qu'il ne connoissoit pas, & dont il ignoroit la langue, les idiomes s'étant altérés parmi eux, comme nous voyons qu'il est arrivé parmi nous. Nous avons appris à parler de nos peres, nos peres avoient appris des leurs, & ainsi de suite en remontant ; cependant s'ils ressuscitoient, ils n'entendroient plus notre langue, ni nous la leur. Ces colonies trouverent entr'elles tant de diversité, qu'il ne leur vint pas en pensée qu'elles partoient toutes d'une même tige. Ce voisinage étranger produisit les guerres ; les arts existoient déjà. Les disputes sur l'ancienneté d'origine commencerent. Il y en eut d'assez fous pour se prétendre aborigenes de la terre même qu'ils habitoient. Mais les guerres qui semblent si fort diviser les hommes, firent alors par un effet contraire, qu'ils se mêlerent, que les langues acheverent de se défigurer, que les idiomes se multiplierent encore, & que les grands empires se formerent.

Voilà ce que le bon sens, l'expérience, & l'Ecriture font penser ; ce que l'antiquité prodigieuse des Chaldéens, des Egyptiens, & des Chinois, autorise ; ce que la fable même, qui n'est que la vérité cachée sous un voile que le tems épaissit & que l'étude déchire, semble favoriser ; mais tout cela n'est pas l'ouvrage de trois siecles que le texte hébreu compte depuis le déluge jusqu'à Abraham. Que dirons-nous donc à ceux qui nous objecteront ce texte, les guerres, le nombre des peuples, les arts, les religions, les langues, &c. répondrons-nous avec quelques-uns, que les femmes ne manquoient jamais d'accoucher régulierement tous les neuf mois d'un garçon & d'une fille à-la-fois ? ou tâcherons-nous plûtôt d'affoiblir, sinon d'anéantir cette difficulté, en soûtenant les Septante & le texte samaritain contre le texte hébreu, & en accordant cent ans de plus aux patriarches ? Mais quand les raisons qui précedent ne nous engageroient pas dans ce parti, nous y serions bien-tôt jettés par les dynasties d'Egypte, les rois de la Chine, & d'autres chronologies qu'on ne sauroit traiter de fabuleuses, que par petitesse d'esprit ou défaut de lecture, & qui remontent dans le tems bien au-de-là de l'époque du déluge, selon le calcul du texte hébreu. Eh, laissons au moins mourir les peres avant que de faire regner les enfans ; & donnons aux enfans le tems d'oublier leur origine & leur religion, & de se méconnoître, avant que de les armer les uns contre les autres.

Secondement, il me semble qu'il faudroit placer la naissance de Tharé, pere d'Abraham, à la cent vingt-neuvieme année de l'âge de Nacor, grand-pere d'Abraham, quoique le texte samaritain la fasse remonter à la soixante-dix-neuvieme, & que le texte des Septante la mette à la cent soixante-dix-neuvieme, le texte hébreu à la vingt-neuvieme, & Josephe à la cent vingtieme. Cette grande diversité permet de présumer qu'il y a faute par-tout ; & rien n'empêche de soupçonner que le samaritain a oublié le centenaire, & de corriger cette faute de copiste par les Septante & par Josephe, qui ne l'ont pas omis. Quant aux chiffres qui suivent le centenaire, il se peut faire que l'hébreu soit plus exact ; Josephe en approche davantage, & les neuf ans peuvent avoir été omis dans Josephe. On croira, si l'on veut encore, que le samaritain & les Septante doivent l'emporter, puisqu'ils se trouvent conformes dans le petit nombre. Dans ce cas, tout sera fautif dans cet endroit, excepté les Septante, & Tharé sera né à la cent soixante-dix-neuvieme année de l'âge de Nacor son pere.

Troisiemement, il paroît que Caïnan mis par les Septante pour troisieme patriarche en comptant depuis Sem, ou pour quatrieme depuis Noé, doit être rayé de ce rang : c'est le consentement de l'hébreu, du samaritain, & de Josephe ; & il est omis au premier chapitre du premier livre des Paralipomenes dans les Septante même, où la suite des patriarches designés dans la Genese est repétée. Origene ne l'avoit pas admis dans ses hexaples ; ce qui semble prouver qu'il ne se trouvoit pas dans les meilleurs exemplaires des Septante : Origene dit, dans l'homélie vingtieme sur S. Jean, qu'Abraham a été le vingtieme depuis Adam, & le dixieme depuis Noé ; on lit la même chose dans les antiquités de Josephe. Ni l'un ni l'autre n'ont donné place à ce Caïnan parmi les patriarches qui ont suivi le déluge. S'il s'y rencontroit dans quelques exemplaires, ce seroit une contradiction à laquelle il ne faudroit avoir aucun égard. Théophile d'Antioche, Jule Africain, Eusebe, l'ont traité comme Origene & Josephe. On ne manquera pas d'objecter le troisieme chapitre de saint Luc ; mais ce témoignage peut être affoibli par le manuscrit de Cambridge où Caïnan ne se trouve point : d'où il s'ensuit qu'il s'étoit déjà glissé par la faute des copistes dans quelques exemplaires de S. Luc & des Septante. Il y a grande apparence que ce personnage est le même que le Caïnan d'avant le déluge, & que son nom a passé d'une généalogie dans l'autre, où il se trouve précisément au même rang, le quatrieme depuis Noé, comme il est le quatrieme depuis Adam.

Quatriemement, il est vraisemblable que la somme totale de la vie des patriarches, marquée dans l'hébreu & le samaritain, est celle qu'il faut admettre : ces deux textes ne different que pour Heber & Tharé. L'hébreu fait vivre Heber quatre cent soixante-quatre ans, & le samaritain lui ôte soixante ans : mais cette différence n'a rien d'important ; parce qu'il ne s'agit pas de la durée de leur vie, mais du tems de leur naissance. Cependant pour dire ce que je pense sur la vie d'Heber, le samaritain me paroît plus correct que l'hébreu, soit parce qu'il s'accorde avec les Septante, soit parce que la vie de ces patriarches va toûjours en diminuant à mesure qu'ils s'éloignent du déluge ; au lieu que si on accorde à Heber quatre cent soixante-quatre ans, cet ordre de diminution sera interrompu : Heber aura plus vécu que son pere & plus que son ayeul. On trouvera cette conjecture assez foible ; mais il faut bien s'en contenter au défaut d'une plus grande preuve. Quant à la différence qu'il y a entre l'hébreu & le samaritain sur le tems que Tharé a vécu, comme elle fait une difficulté plus essentielle, & qu'elle touche à la naissance d'Abraham, nous l'examinerons plus au long.

Au reste il résulte de ce qui précede, que des trois textes le samaritain est le plus correct, relativement à l'endroit de la chronologie que nous venons d'examiner ; il ne se trouve fautif que sur le tems où Nacor engendra Tharé : là le centenaire a été omis.

Il ne nous reste plus qu'à examiner le tems de la naissance d'Abraham, & celui de la mort de Tharé. Quoique Josephe & tous les textes s'accordent à mettre la naissance d'Abraham à la soixante-dixieme année de l'âge de Tharé, cela n'a pas empêché plusieurs chronologistes de la reculer jusqu'à la cent trentieme : & voici leurs raisons.

Selon la Genese, disent-ils, Abraham est sorti de Haran à l'âge de soixante-quinze ans ; & selon saint Etienne, chap. vij. des actes des apôtres, il n'en est sorti qu'après la mort de son pere. Mais Tharé ayant vécu deux cent cinq ans, comme nous l'apprennent l'hébreu & les Septante, il faut qu'Abraham ne soit venu au monde que l'an cent trente de Tharé ; car si l'on ôte 75 de 205, reste 130.

Quand on leur objecte qu'il est dit dans la Genese qu'Abraham naquit à la soixante & dixieme année de Tharé, ils répondent que la Genese ne parle point d'Abraham seul, mais qu'elle nous apprend en général qu'il avoit à cet âge Abraham, Nacor, & Haran ; ou qu'après avoir vécu soixante-dix années, il eut en différens tems ces trois enfans ; & qu'en les nommant tous les trois ensemble, il est évident que l'auteur de la Genese n'a pas eu dessein de déterminer le tems précis de la naissance de chacun. Si Abraham est nommé le premier, ajoûtent-ils, c'est par honneur, & non par droit d'aînesse.

Ces considérations ont suffi à Marsham, au pere Pezron, & à d'autres, pour fixer la naissance d'Abraham à l'an 170 de l'âge de son pere Tharé. Mais le P. Petau, Calvisius, & d'autres, n'en ont point été ébranlés, & ont persisté à faire naître Abraham l'an 70 de Tharé : ceux-ci prétendent qu'il est contre toute vraisemblance que Moyse ait négligé de marquer le tems précis de la naissance d'Abraham ; lui qui semble n'avoir fait toute la chronologie des anciens patriarches que pour en venir au pere des croyans, & qui suit d'ailleurs avec la derniere exactitude les autres années de la vie de ce patriarche : ils disent qu'il est beaucoup plus vraisemblable que dans un discours fait sur le champ, S. Etienne ait un peu confondu l'ordre des tems ; que le peu d'exactitude de ce discours paroît encore, lorsqu'il assûre que Dieu apparut à Abraham en Mésopotamie, avant que le patriarche habitât à Charran, quoique Charran soit en Mésopotamie ; en un mot, qu'il importoit peu au premier martyr & à la preuve qu'il prétendoit tirer du passage pour la venue du Messie, d'être exact sur des circonstances de géographie & de chronologie : au lieu que ces négligences auroient été impardonnables à Moyse qui faisoit une histoire.

On répond à ces raisons, que les circonstances de tems & de lieu ne faisant rien à la preuve de saint Etienne, il pouvoit se dispenser de les rapporter ; d'autant plus que si la fidélité dans ces minuties marque un homme instruit, l'erreur en un point rend suspect sur les autres, & donne à l'orateur l'air d'un homme peu sûr de ce qu'il avance.

On replique que S. Etienne ayant lû dans la Genese la mort de Tharé, au chapitre qui précede celui de la sortie d'Abraham, ou ayant peut-être suivi quelques traditions juives de son tems, il s'est trompé, sans que son erreur nuisît, soit à son raisonnement, soit à l'autorité des actes des apôtres qui rapportent, sans approuver, ce que le saint martyr a dit. Cette réponse sauve l'autorité des actes, mais elle paroît ébranler l'autorité de saint Etienne. C'est ce que le pere Petau a bien senti : aussi s'y prend-il autrement dans son rationarium temporum. Il suppose un retour d'Abraham dans la ville de Charran, quelque tems après sa premiere sortie : il la quitta, dit cet auteur, à l'âge de soixante-quinze ans par l'ordre de Dieu, pour aller en Canaan ; mais il conserva toûjours des relations avec sa famille ; puisqu'il est dit au chap. xxij. de la Genese, qu'on lui fit savoir le nombre des enfans de son frere Nacor. Long-tems après il revint dans sa famille à Charran, recueillit les biens qu'il y avoit laissés, & se retira pour toûjours. La premiere fois il n'emporta qu'une partie de ses biens ; & c'est de cette sortie qu'il est dit dans la Genese, & egressus est. Il ne laissa rien de ce qui lui appartenoit à la seconde fois ; & c'est de cette seconde sortie que saint Etienne a dit transtulit, ou qui est encore plus énergique, & qui n'arriva qu'après la mort de Tharé, à qui Abraham eut sans-doute la consolation de demander la bénédiction & de fermer les yeux.

Il faut avoüer que pour peu qu'il y eût de vérité ou de ressemblance au retour dans Charran & à la seconde sortie d'Abraham, il ne faudroit pas chercher d'autre dénoüement à lai difficulté proposée. Mais avec tout le respect qu'on doit au pere Petau, rien n'a moins de fondement & n'est plus mal inventé que la double sortie : il n'y en a pas le moindre vestige dans la Genese. Moyse qui suit pas-à-pas Abraham, n'en dit pas un mot. D'ailleurs Abraham n'auroit pû retourner en Mésopotamie que soixante ans ou environ après sa premiere sortie, ou à l'âge de 135 ans, sur la fin des jours de Tharé qui en a survécu soixante à la premiere sortie, en lui accordant, avec le pere Petau, 205 ans de vie ; ou dans la trente-cinquieme année d'Isaac. Mais quelle apparence qu'Abraham à cet âge soit revenu dans son pays ! S'il y est revenu, pourquoi ne pas choisir lui-même une femme à son fils, au lieu de s'en rapporter peu de tems après sur ce choix aux soins d'un serviteur ? Ajoûtez que ce serviteur apprend à la famille de Bathuel ce qu'Abraham ne lui eût pas laissé ignorer, s'il étoit retourné en Mésopotamie, qu'il avoit eu un fils dans sa vieillesse, & que ce fils avoit trente-cinq ans. Quoi, pour soûtenir ce voyage, le reculera-t-on jusqu'après le mariage d'Isaac, la mort de Sara, & le mariage d'Abraham avec une Cananéenne, en un mot jusqu'à sa derniere vieillesse, & cela sous prétexte de recueillir un reste de succession ? Mais Moyse, parlant de la sortie que le pere Petau regarde comme la premiere, ne dit-il pas que ce patriarche emmena avec lui sa femme Sara, son neveu Loth, & tous leurs biens ; universamque substantiam quam possederant & animas quas fecerant, in Haran. Il faut donc laisser là les imaginations du pere Petau, & concilier par d'autres voies Moyse avec saint Etienne.

Avant que de proposer là-dessus quelques idées, j'observerai que dans l'endroit des actes où S. Etienne semble mettre Charran hors de la Mésopotamie, il pourroit bien y avoir une transposition de la conjonction &, qui remise à sa place, feroit disparoître la faute de géographie qu'on lui reproche. On lit dans les actes, Deus gloriae apparuit patri nostro Abrahae, cum esset in Mesopotamia, priusquam moraretur in Charran, & dixit ad illum, exi, &c. mettez l'&, qui est avant dixit, un peu plus haut, avant priusquam, & le sens du discours ne sera plus qu'Abraham fut en Mésopotamie avant que de demeurer à Charran, mais que Dieu lui dit avant qu'il demeurât dans cette ville, de sortir de son pays.

On peut encore répondre à cette difficulté de géographie, sans corriger le texte ni supposer aucune faute, en disant que S. Etienne n'a pas mis Charran hors de la Mésopotamie, mais qu'il a cru qu'Abraham avoit habité un autre endroit de la Mésopotamie avant que de venir à Charran ; que Dieu lui apparut dans l'un & l'autre lieu ; que par cette raison il ne dit pas dans le verset suivant qu'Abraham sortit de Mésopotamie pour venir à Charran, mais de la terre des Chaldéens ; & qu'ainsi il semble placer la Chaldée dans la Mésopotamie, & donner ce nom non-seulement au pays qui est entre l'Euphrate & le Tigre, mais aux environs de ce dernier fleuve.

Ou même l'on peut prétendre que Ur d'où sortit Tharé, étoit une ville de Mésopotamie, mais dépendante de la domination des Chaldéens ; & que c'est pour cela qu'on l'appelle Ur Chaldaeorum, Ur des Chaldéens. Ce sentiment est peut-être le plus conforme à la vérité : car Moyse dit, chap. jv. de la Genese, du serviteur qu'Abraham envoyoit en son pays chercher une femme à Isaac, qu'il alla en Mésopotamie, à la ville de Nacor. Cette ville étoit sans-doute celle que Tharé avoit quittée, & où il avoit laissé Nacor, n'emmenant avec lui qu'Abraham & Loth. Il est vrai que quelques-uns ont dit que cette ville de Nacor étoit Charran ; mais si Tharé l'y avoit emmené avec lui, Moyse l'auroit dit, comme il l'a dit de Loth & de Sara. Mais revenons à nos conjectures sur la naissance & la sortie d'Abraham.

1°. Abraham n'est point revenu dans son pays après l'avoir quitté, & il n'est sorti de Haran qu'après la mort de son pere Tharé. Saint Etienne le dit expressément dans les actes des apôtres, & la Genese l'insinue : elle dit de la sortie de Chaldée, que Tharé emmena avec lui Abraham, Loth, & Sara, pour aller habiter en Chanaan ; qu'ils vinrent jusqu'à Haran où ils s'arrêterent, & que Tharé y mourut. Ce qui prouve que le dessein de Tharé étoit d'arriver en Chanaan, mais qu'il fut prévenu par la mort dans Haran. Immédiatement après, Moyse raconte la sortie d'Abraham de la ville de Haran avec Loth, son neveu, & tous leurs biens. Abraham n'abandonna point dans une ville étrangere son pere, dont le dessein étoit de passer en Chanaan. S'il emmena Loth avec lui, c'est que Loth avoit suivi Tharé jusque dans Haran, & qu'en qualité d'oncle, il en devoit prendre soin après la mort du grand-pere.

2°. L'autorité de S. Etienne ne détermine pas l'année de la naissance d'Abraham ; mais elle oblige seulement à la placer de maniere que Tharé soit mort avant qu'Abraham ait 75 ans : mais comme Tharé pouvoit être mort long-tems avant que son fils eût atteint cet âge, le discours de S. Etienne ne jette aucune lumiere sur la chronologie.

3°. Moyse a exactement marqué le tems de la naissance d'Abraham. C'étoit son but, & la fin de sa chronologie. Abraham est le héros de son histoire : c'est par lui qu'il commence à distinguer le peuple hébreu de tous les autres peuples de la terre ; & il a apporté la derniere exactitude à marquer les circonstances de la vie, & à compter les années de ce patriarche.

4°. On pourroit conjecturer que Tharé n'a engendré qu'à 170 ans, & qu'on a omis dans le calcul de son âge, le centenaire qui se trouve dans celui de tous ses ancêtres : mais cette conjecture manqueroit de vraisemblance ; car il est dit de Sara, avant même qu'elle sortît de Chaldée, qu'elle étoit stérile : néanmoins dans ce système elle n'auroit été âgée que de 25 ans, & Abraham de 35 au plus ; & d'Abraham qu'il regardoit comme une chose impossible d'engendrer à cent ans, ce qu'il n'auroit jamais pensé, si lui-même n'étoit venu au monde qu'à la cent soixante-dixieme année de son pere : d'ailleurs tous les textes de l'Ecriture & Josephe s'accordant à ne point mettre ce centenaire, ce seroit supposer des oublis & multiplier des fautes sans raison, que de l'exiger.

5°. Il paroît qu'Abraham est né l'an 70 de Tharé, comme le dit Josephe, & comme il est écrit dans toutes les versions : mais puisqu'on ne recule point la naissance de ce patriarche, il est évident que le seul moyen qui reste d'accorder Moyse avec S. Etienne, c'est de diminuer la vie de Tharé.

Le tems que Tharé a vécu est marqué diversement dans les trois textes : donc il y a faute dans quelques-uns ou dans tous. Les Septante & l'hébreu s'accordent à donner à ce patriarche 205 ans, & le samaritain ne lui en donne que 145 : mais ce dernier texte me paroît ici plus correct que les deux autres. Le dénoüement de la difficulté qu'il s'agit de résoudre en est, ce me semble, une assez bonne preuve : 70 ans qu'avoit Tharé lorsqu'il engendra Abraham, & 75 qu'Abraham a vécu avant que de sortir de Haran, font les 145 ans du texte samaritain ; ainsi Abraham sera sorti de cette ville après la mort de son pere, comme le dit S. Etienne ; & il sera né à 70 ans de Tharé, comme on le lit dans Moyse.

Quelques critiques soupçonnent le texte Samaritain de corruption, & ils fondent ce soupçon sur la facilité avec laquelle il accorde ces évenemens : mais il me semble qu'ils en devroient plûtôt conclure son intégrité. Le caractere de la vérité dans l'histoire, c'est de n'y faire aucun embarras ; & de deux leçons d'un même auteur, dont l'une est nette & l'autre embarrassée, il faut toûjours préférer la premiere, à-moins que la clarté ne vienne évidemment d'un passage altéré ou fait après coup : or c'est ce dont on n'a ici aucune preuve. La leçon du samaritain est plus ancienne qu'Eusebe qui l'a insérée dans ses canons chronologiques. Avant les canons d'Eusebe, qui l'auroit changée ? Les Chrétiens ? ils ne se servoient que des Septante ou de l'hébreu commun. Les Samaritains ? quel intérêt avoient-ils à donner à Tharé plûtôt 145 ans de vie que 205 ? ils pouvoient s'en tenir à leurs écritures, & penser comme les Juifs pensent encore, qu'Abraham avoit laissé son pere vivant dans Haran ; d'autant plus que Dieu lui dit dans la Genese, egredere de domo patris tui, sortez de la maison de votre pere.

Il s'ensuit de-là que la faute n'est point dans le samaritain, mais dans les Septante & dans l'hébreu ; 1°. parce que la solution des difficultés, la justesse & l'accord des tems, prouvent d'un côté la pureté d'une leçon, & que les contradictions & les difficultés font soupçonner de l'autre l'altération d'un exemplaire ; 2°. parce que les Septante étant fautifs dans le calcul du tems que les patriarches ont vécu après avoir engendré, comme on ne peut s'empêcher de le penser sur l'accord de l'hébreu & du samaritain qui conviennent en tout, excepté dans la vie de Tharé, il est à croire que la faute sur cette vie s'est glissée ou des Septante dans l'hébreu d'à-présent, ou d'un ancien exemplaire hébreu, sur lequel les Septante ont traduit, dans un autre exemplaire sur lequel l'hébreu d'aujourd'hui a été copié ; 3°. parce que l'on remarque dans tous les textes que la vie des patriarches diminue successivement : ainsi le pere de Tharé n'ayant vécu que 148 ans, il est vraisemblable que Tharé n'en a pas vécu 205 ; d'ailleurs les Septante même autorisent cette diminution, & prouvent que Nacor pere de Tharé, a vécu plus longtems que son fils, car s'ils donnent à celui-ci 205 ans de vie, ils en accordent à celui-là 304 ; 4°. parce que Dieu promettant à Abraham une longue vie & une belle vieillesse, ibis, lui dit-il, ad patres tuos in senectute bona, cette promesse doit s'entendre du moins jusqu'à la vie de son pere. Abraham étoit plus chéri de Dieu que Tharé, & la longue vie étoit alors un effet de la prédilection divine : cependant ce fils chéri de Dieu n'auroit pas vécu les jours de son pere, si celui-ci avoit vécu 205 ans ; car Abraham n'en a vécu que 175, ainsi qu'il est marqué dans la Genese.

Il est donc plus vraisemblable que Dieu a prolongé la vie d'Abraham de trente ans au-delà de celle de Tharé ; que Tharé n'a vécu que 145 ans ; que le texte samaritain est correct ; que Moyse a été exact dans son histoire & sa chronologie ; & que S. Etienne, loin de s'être trompé, a parlé selon la vérité qu'il avoit puisée dans quelque exemplaire hébreu de son tems, plus correct que les exemplaires d'aujourd'hui.

Finissons ces discussions par une réflexion que nous devons à l'intérêt de la vérité & à l'honneur des fameux chronologistes : c'est que la plûpart de ceux qui leur reprochent les vérités de leurs résultats, ne paroissent pas avoir senti l'impossibilité morale de la précision qu'ils en exigent : s'ils avoient considéré mûrement la multitude prodigieuse de faits à combiner ; la variété de génie des peuples chez lesquels les faits se sont passés ; le peu d'exactitude des dates inévitables dans les tems où les évenemens ne se transmettoient que par tradition ; la manie de l'ancienneté dont presque toutes les nations ont été infectées ; les mensonges des historiens, leurs erreurs involontaires ; la ressemblance des noms qui a souvent diminué le nombre des personnages ; leur différence qui les a multipliées plus souvent encore ; les fables présentées comme des vérités ; les vérités métamorphosées en fables ; la diversité des langues ; celle des mesures du tems, & une infinité d'autres circonstances qui concourent toutes à former des ténebres : s'ils avoient, dis-je, considéré mûrement ces choses, ils seroient surpris, non qu'il se soit trouvé des différences entre les systèmes chronologiques qu'on a inventés, mais qu'on en ait jamais pû inventer aucun.


CHRONOLOGIQUEadj. se dit de ce qui a rapport à la chronologie.

Caracteres chronologiques, sont des marques par lesquelles on distingue les tems.

Les uns sont naturels, ou astronomiques ; les autres, artificiels, ou d'institution ; les autres enfin historiques.

Les caracteres astronomiques sont ceux qui dépendent du mouvement des astres, comme les éclipses, les solstices, les équinoxes, les différens aspects des planetes, &c. Les caracteres d'institution sont ceux que les hommes ont établis, comme le cycle solaire, le cycle lunaire, &c. Voyez CYCLE.

Les caracteres historiques sont ceux qui sont appuyés sur le témoignage des historiens, lorsqu'ils fixent certains faits à certaine année d'une époque, ou qu'ils rapportent au même tems deux faits différens. Wolf, élém. de chronologie.

Tables chronologiques, sont des tables où les principales époques & les principaux faits sont marqués par ordre & simplement indiqués. On peut les faire plus ou moins étendues, universelles ou particulieres, &c. Voyez celle de M. l'abbé Lenglet.

Abregé chronologique, se dit d'une histoire abregée, où les faits principaux sont rapportés avec leurs circonstances les plus essentielles, & suivant l'ordre chronologique. Voyez ANNALES. Nous avons dans notre langue plusieurs bons abregés chronologiques, dont les plus connus sont, celui de l'histoire de France, par M. le président Henault ; celui de l'hist. ecclésiastique, en deux volumes in -12, par M. Macquer avocat, frere de M. Macquer, de l'académie des Sciences ; l'art de vérifier les dates, dont nous avons parlé à l'article CHRONOLOGIE, & quelques autres. (O)

* CHRONOLOGIQUE (MACHINE) Chronologie. Imaginez un assemblage de plusieurs cartes partielles qui n'en forment qu'une grande. La hauteur de cette grande carte n'est guere que d'un pié ; sa longueur ne peut manquer d'être très-considérable. Quelle qu'elle soit, elle est divisée en petites parties égales, alternativement blanches & noires, telles que celles qui marquent les degrés sur un grand cercle de la sphere. Il y a autant de ces parties, qu'il s'est écoulé d'années depuis la création du monde jusqu'aujourd'hui. Chacune de ces parties marque une année de la durée du monde. Cette échelle chronologique est formée de la réunion de trois grandes époques ; la premiere comprend depuis la création du monde jusqu'à la fondation de Rome ; la seconde, depuis la fondation de Rome jusqu'à la naissance de Jesus-Christ ; la troisieme, depuis la naissance de Jesus-Christ jusqu'à nos jours.

Cette échelle ou ligne chronologique est coupée de dix ans en dix ans, par des perpendiculaires qui traversent la hauteur de la carte. Il part des divisions de l'échelle, comprises entre deux de ces lignes, d'autres perpendiculaires ponctuées. De chacun des points de ces perpendiculaires à l'échelle chronologique, ponctuées ou non ponctuées, il s'en éleve d'autres ponctuées ou continues, paralleles entr'elles & à l'échelle chronologique, s'étendant selon toute la longueur de la carte, & divisant toute sa hauteur. Les perpendiculaires à l'échelle chronologique sont des lignes de contemporanéité ; les paralleles à l'échelle chronologique sont des lignes de durée.

Tous les évenemens placés sur un des perpendiculaires à l'échelle, sont arrivés au même point de la durée ; tous les évenemens placés sur un autre perpendiculaire à l'échelle plus voisine de nos tems, ont duré ou fini ensemble. Les lignes paralleles à l'échelle, comprises entre ces deux perpendiculaires, marquent la durée de ces évenemens ; & l'extrémité de ces deux perpendiculaires aboutissant en-haut, à deux points de l'échelle, on voit en quel tems de la durée du monde les faits contemporains ont commencé & fini. A l'aide d'autres perpendiculaires & d'autres paralleles, on est instruit de combien de tems les faits non contemporains ont commencé & fini plûtôt les uns que les autres ; & selon l'endroit que ces paralleles occupent sur les perpendiculaires, on connoît les endroits du monde où les évenemens se sont passés.

Quant à la multitude & à la variété des faits, elle est immense ; elle comprend tous ceux de quelque importance, dont il est fait mention dans l'histoire, depuis la fondation d'un empire jusqu'à l'invention d'une machine ; depuis la naissance d'un potentat jusqu'à celle d'un habile ouvrier. Des caracteres symboliques, clairs, & en assez petit nombre, indiquent sans aucune peine l'état de la personne, & quelquefois une qualité morale bonne ou mauvaise.

Il nous a semblé que cette carte pouvoit épargner bien du tems à celui qui sait, & bien du travail à celui qui apprend. On en a fait une machine très-commode, en la plaçant, comme nous l'allons expliquer, sur deux cylindres paralleles, sur l'un desquels elle se roule à mesure qu'elle se développe de dessus l'autre, exposant à la fois un assez grand intervalle de tems, & successivement toute la suite des tems & des évenemens, soit en descendant depuis la création du monde jusqu'à nous, soit en montant depuis nos tems jusqu'à celui de la création.

Description de la machine chronologique. Parties essentielles. La machine chronologique est formée de deux moitiés parfaitement semblables, & chacune de ces moitiés est composée de deux planches A (voyez parmi nos Planches de Sciences & d'Arts, la Planche de chronologie) d'une ligne & demie ou deux lignes d'épaisseur : il faut considérer deux parties à chacune de ces planches ; l'une formant un cercle de quatre pouces de diametre ; l'autre prolongée en forme de tangente à ce cercle, de la longueur de six pouces, sur un pouce de hauteur, dans laquelle sont pratiquées à quatre lignes du bord supérieur, deux mortaises d'un pouce & demi chacune, pour recevoir les tenons de la planche B suivante.

Une planche B de seize pouces de long, non compris les deux tenons qui sont à chaque bout, & cinq pouces & demi de large, & de la même épaisseur que les planches A.

Deux petits rouleaux ou bâtons cylindriques, de quatre lignes de diametre sur seize pouces de long.

L'un desquels C est terminé par deux pointes de fil-d'archal qui lui servent d'axe.

L'autre D a pour axe, d'une part, une semblable pointe, & de l'autre la manivelle ci-après.

Une manivelle composée de trois pieces. Une poignée E de bois tourné, de deux pouces de long, sur une grosseur proportionnée. Un fil-d'archal F d'une ligne & demie d'épaisseur, dont un bout sert d'axe à la poignée qui enfile dans toute sa longueur ; l'autre est inséré dans une des extrémités du rouleau D, pour achever son axe, & la partie mitoyenne est tournée en demi-cercle pour faciliter le jeu de la manivelle. Et un petit bouton G, servant à arrêter la poignée sur son axe, où elle est mobile.

Deux petits crochets de métal H, dont un placé au haut de la partie circulaire d'une des planches A, sert à fixer la machine fermée : l'autre placé sous l'arrête du prolongement de la même planche A, sert à fixer la machine ouverte.

Deux petits pitons I, faits avec du fil-d'archal, placés au même endroit de l'autre planche A, servent à recevoir les crochets H.

Enfin quatre petites plaques de cuivre mince L, d'environ deux lignes de large sur sept à huit de long, servent à attacher librement les deux moitiés de cette machine.

Construction de la machine. Les deux planches A, posées de champ, reçoivent dans leurs mortaises les tenons de la planche B, qui est posée horisontalement, & arrêtée avec de la colle forte.

Des trous pratiqués dans les planches A, au haut de la partie circulaire, sur la même ligne que les mortaises, reçoivent les pointes de l'axe du rouleau C, qui se trouve ainsi placé à côté de la planche B, à deux lignes de distance, & excédant son niveau d'une ligne.

Un autre trou pratiqué au milieu de la partie circulaire de l'une des planches A, reçoit la pointe de l'axe du rouleau D ; & un pareil trou, semblablement pratiqué au centre de l'autre planche A, est traversé par le bout du fil d'archal F, qui fait l'axe de la manivelle, & termine celui du même rouleau D, ce qui forme la moitié de la machine : l'autre se construit de la même maniere, & tous deux sont assemblés par le moyen des plaques L, clouées deux-à-deux, l'une en-dedans, & l'autre en-dehors du bord supérieur du prolongement des planches A, avec deux petits clous qui traversent les planches, & sont rivés des deux côtés, de maniere cependant que ces petites plaques puissent se mouvoir sur ces clous qui leur servent d'axes. On a arrondi l'angle supérieur des planches A, pour que les deux moitiés puissent se plier l'une sur l'autre, quand on veut fermer la machine.

Les deux extrémités de la carte chronographique sont collées sur les rouleaux D, autour desquels elles forment leurs circonvolutions, desorte qu'en tournant une des manivelles, on a toute la facilité possible de faire passer alternativement la carte entiere d'un rouleau sur l'autre. Les rouleaux C, en tournant sur leurs axes, diminuent le frottement de la carte, & en facilitent le jeu. Les planches B, servent de table pour étaler sous les yeux une portion de la carte comprenant au moins cent quarante ans. Un carton de grandeur convenable, attaché tout-autour de la bordure de la partie circulaire des planches A, forme à chacun des rouleaux D, une enveloppe cylindrique qui sert à conserver la carte ; & ce carton, replié sur lui-même à son extrémité supérieure, à un pouce de distance des rouleaux C, renferme une petite verge de fer clouée par ses deux bouts sur le bord des planches A, & lui donne de la solidité.

Cette machine étant pliée sur elle-même & fermée, la carte se trouve à couvert de toutes parts, & fort en sûreté.

L'auteur de cette machine est M. Barbeu du Bourg, docteur en Médecine, & professeur de Pharmacie dans l'université de Paris. On verra bien par le prix qu'il a mis à son invention, que l'utilité publique a été son principal motif. La carte est de trente-cinq feuilles gravées. Afin d'encourager les gens de lettres à l'aider dans le degré de perfection auquel il se propose de porter sa carte, il offre de donner un exemplaire gratis à toutes personnes tenant un rang dans la république des lettres, tels qu'auteurs, académiciens, docteurs, journalistes, professeurs, bibliothéquaires, principaux de collége, préfets, &c. qui daigneront lui en rendre un premier avec les remarques, avis, corrections, observations, & autres ratures dont ils l'auront chargé.


CHRONOMETRES. m. (Musique) nom générique pour marquer les instrumens qui servent à mesurer le tems. Ce mot est composé de , tems, & de , mesure.

On dit en ce sens que les montres, les horloges, &c. sont des chronometres. Voyez plus bas.

Il y a néanmoins quelques instrumens qu'on a appellés en particulier chronometres, & nommément un que M. Sauveur décrit dans ses principes d'Acoustique. C'étoit un pendule particulier qu'il destinoit à déterminer exactement les mouvemens en Musique. Laffilard, dans ses principes dédiés aux Dames religieuses, avoit mis à la tête de tous les airs des chiffres qui exprimoient le nombre des vibrations de ce pendule pendant la durée de chaque mesure.

Il y a une douzaine d'années qu'on vit reparoître le projet d'un instrument semblable, sous le nom de métrometre, qui battoit la mesure tout seul ; mais tout cela n'a pas réussi. Plusieurs prétendent cependant qu'il seroit fort à souhaiter qu'on eût un tel instrument pour déterminer le tems de chaque mesure dans une piece de Musique. On conserveroit par ce moyen plus facilement le vrai mouvement des airs, sans lequel ils perdent toûjours de leur prix, & qu'on ne peut connoître après la mort des auteurs que par une espece de tradition fort sujette à s'effacer. On se plaint déjà que nous avons oublié le mouvement d'un grand nombre d'airs de Lulli. Si l'on eût pris la précaution dont je parle, & à laquelle on ne voit pas d'inconvéniens, on entendroit aujourd'hui ces mêmes airs tels que l'auteur les faisoit exécuter.

A cela, les connoisseurs en Musique ne demeurent pas sans réponse. Ils objecteront, dit M. Diderot (Mémoires sur différens sujets de Matth.) qu'il n'y a peut-être pas dans un air quatre mesures qui soient exactement de la même durée, deux choses contribuant nécessairement à ralentir les unes & à précipiter les autres, le goût & l'harmonie dans les pieces à plusieurs parties, le goût & le pressentiment de l'harmonie dans les solo. Un musicien qui sait son art, n'a pas joüé quatre mesures d'un air, qu'il en saisit le caractere & qu'il s'y abandonne. Il n'y a que le plaisir de l'harmonie qui le suspend : il veut ici que les accords soient frappés ; là qu'ils soient dérobés, c'est-à-dire qu'il chante ou joue plus ou moins lentement d'un mesure à une autre, & même d'un tems & d'un quart de tems à celui qui le suit.

A la vérité cette objection qui est d'une grande force pour la musique françoise, n'en auroit aucune pour la musique italienne, soûmise irrémissiblement à la plus exacte mesure : rien même ne montre mieux l'opposition parfaite de ces deux sortes de Musiques ; car si la musique italienne tire son énergie de cet asservissement à la rigueur de la mesure, la françoise met toute la sienne à maîtriser à son gré cette même mesure, à la presser & à la ralentir selon que l'exige le goût du chant ou le degré de flexibilité des organes du chanteur.

Mais quand on admettroit l'utilité d'un chronometre, il faut toûjours, continue M. Diderot, commencer par rejetter tous ceux qu'on a proposés jusqu'à présent, parce qu'on y a fait du musicien & du chronometre deux machines distinctes, dont l'une ne peut jamais assujettir l'autre. Cela n'a presque pas besoin d'être démontré : il n'est pas possible que le musicien ait pendant toute sa piece l'oeil au mouvement ou l'oreille au bruit du pendule ; & s'il s'oublie un moment, adieu le frein qu'on a prétendu lui donner.

J'ajoûterai que quelque instrument qu'on pût trouver pour régler la durée de la mesure, il seroit impossible, quand même l'exécution en seroit de la derniere facilité, qu'il fût admis dans la pratique. Les Musiciens, gens confians, & faisant comme bien d'autres, de leur propre goût la regle du bon, ne l'adopteroient jamais ; ils laisseroient le chronometre, & ne s'en rapporteroient qu'à eux-mêmes du vrai caractere & du vrai mouvement des airs : ainsi le seul bon chronometre que l'on puisse avoir, c'est un habile musicien, qui ait du goût, qui ait bien lû la musique qu'il doit faire exécuter, & qui sache en battre la mesure. Machine pour machine, il vaut mieux s'en tenir à celle-ci. (S)

CHRONOMETRE, (Horlog.) M. Graham, excellent horloger, de la société royale de Londres, a donné ce nom à une petite pendule portative de son invention, qui marque les tierces, & qui est fort utile dans les observations astronomiques ; parce que l'on peut très-commodément la faire marcher dans l'instant précis où l'observation commence, & l'arrêter de même, à l'instant où elle finit : ce qui fait qu'on a exactement le tems juste qu'elle a duré.

Pour concevoir comment cela se fait, imaginez une piece toute semblable à un balancier à trois barrettes, dont le rayon seroit un peu plus court que le pendule du chronometre, & duquel d'un côté du centre il resteroit une barrette seulement, & de l'autre côté les deux autres barrettes & la portion de zone comprise entr'elles : imaginez de plus que cette piece soit placée sur la platine de derriere de la maniere suivante ; 1°. que parallele à cette platine, elle soit fixée par son centre au-dessus du point de suspension du pendule ; de façon qu'en supposant une ligne tirée du centre de cette piece au milieu de sa portion de zone, cette ligne soit parallele à la verticale du pendule, & en même tems dans un plan perpendiculaire à la platine, qu'on imagineroit passer par cette verticale ; 2°. qu'elle soit mobile à charniere sur son centre, tellement qu'on puisse l'éloigner ou l'approcher à volonté de la platine. Supposez de plus, que la portion de zone a des chevilles du côté où elle regarde la platine, qui sont fixées à des distances de la verticale du pendule, telles que s'il tomboit de la hauteur de ces chevilles, il acquerroit assez de mouvement pour continuer de se mouvoir, & pour que le chronometre aille. La barrette opposée à la portion de zone passe à-travers de la boîte, pour qu'on puisse sans l'ouvrir mettre le pendule en mouvement ; parce qu'au moyen de cette barrette ou queue, on peut éloigner ou approcher cette zone du pendule, & par conséquent le dégager de dedans ses chevilles.

Maniere de se servir de cet instrument. Le pendule étant écarté de la verticale, & reposant sur une des chevilles dont nous venons de parler, dans l'instant que l'observation commence, on le met en mouvement en le dégageant de cette cheville, au moyen de la barrette qui traverse la boîte. L'observation finie, on meut cette barrette en sens contraire ; & les chevilles rencontrant le pendule, l'arrêtent au même instant. Voyez BALANCIER, PENDULE, &c.


CHRONOSCOPEse dit d'un pendule ou machine pour mesurer le tems. Voyez PENDULE. Ce mot est formé des mots grecs, , tems, & , je considere. On pourroit encore se servir avec plus de justesse du mot de chronometre. Voyez CHRONOMETRE. (O)


CHRUDIM(Géog.) petite ville de Bohème dans le cercle de même nom, & sur la riviere de Chrudimka.


CHRYSALIDES. f. chrysalis aurelia, (Hist. nat. Zoolog.) on donne ce nom aux insectes pendant le tems de leur métamorphose : ainsi on désigne par le mot de chrysalide un insecte qui est, pour ainsi dire, dans le travail de sa métamorphose, & dans l'état mitoyen, par exemple, entre l'état de chenille & celui de papillon. L'insecte n'a alors que très-peu de mouvement, il ne prend aucune nourriture, & il est recouvert d'une enveloppe dure & crustacée, qui tient toutes ses parties rapprochées les unes des autres comme en une masse informe. Les enveloppes des chrysalides commencent par être molles, & alors elles renferment beaucoup de liquide : dans la suite elles prennent plus de consistance. Il y a des chrysalides dont la figure approche de celle d'une datte ; c'est pourquoi on leur donne le nom de feve ; par exemple, les chrysalides des vers à soie. Il y a d'autres chrysalides de figure fort irréguliere & quelquefois si bizarre, qu'on s'imagine voir quelque chose de ressemblant à un enfant emmaillotté & couché dans le berceau, ou un visage d'homme, une tête de chien, de chat, ou d'oiseau, &c. mais on voit réellement dans certaines chrysalides de chenilles, les parties du papillon qui sont sous l'enveloppe ; on distingue la tête, les yeux, les antennes, la trompe, le corcelet, les jambes, & le corps. Il y a de ces enveloppes qui sont si transparentes, que l'on voit à-travers l'animal qu'elles renferment. Il y a des chrysalides de plusieurs couleurs ; on en trouve de brunes, de jaunes, de vertes, de rouges, de blanches, de violettes, de noires, &c. & de toutes les nuances de la plûpart de ces couleurs ; on en voit même sur lesquelles le mélange de ces couleurs fait un très-bel effet, mais on n'en peut rien conclure pour la beauté de l'insecte qui en doit sortir. On trouve ordinairement certaines chrysalides cachées dans des endroits abrités, & la plûpart sont encore défendues par des toiles ou des coques de soie, ou d'autres matieres. Voyez CHENILLE. Le tems où chaque insecte se change en chrysalide, varie suivant les différentes especes, & de même la durée des chrysalides est plus ou moins longue. Il y a tel insecte qui ne reste dans cet état que douze jours, d'autres n'en sortent qu'après un plus long tems, & même on connoît des chrysalides qui durent pendant une année entiere ; mais en général leur durée dépend beaucoup de la température de l'air : la chaleur l'abrege, & le froid la prolonge. Theol. des ins. par M. Lesser. Voy. NYMPHE, METAMORPHOSE, INSECTE. (I)


CHRYSANTHEMOIDESS. m. (Hist. nat. bot.) " genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons. La couronne est à demi-fleurons, qui portent chacun sur un embryon de graine. Le calice est ordinairement simple, & fendu jusqu'à sa base. Lorsque la fleur est passée, les embryons deviennent autant de coques, qui ont toutes l'apparence d'une baie ; mais elles se durcissent dans la suite, & renferment un noyau. Tournefort, mém. de l'acad. roy. des Sc. ann. 1705. Voyez PLANTE. (I)


CHRYSANTHEMUMS. m. (Histoire nat. bot.) genre de plante à fleurs radiées, dont le disque est un amas de plusieurs fleurons. La couronne est formée par des demi-fleurons portés sur des embryons, & soûtenue par un calice qui est une espece de calotte demi-sphérique, composée de plusieurs feuilles en écailles. Lorsque les fleurs sont passées, les embryons deviennent des semences ordinairement anguleuses & cannelées, ou menues & pointues. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


CHRYSARGIRES. m. (Hist. anc. & Jurisprud.) étoit, chez les Romains, une imposition qui se levoit tous les quatre ans, non-seulement sur la tête des personnes de quelque condition qu'elles fussent, mais même sur tous les animaux & jusque sur les chiens, pour chacun desquels on payoit six oboles. Cette imposition fut supprimée par l'empereur Anastase. Voyez l'hist. de la jurispr. rom. par M. Terrasson, pag. 293. (A)


CHRYSASPIDES(Hist. anc.) on donnoit ce nom, dans la milice romaine, à des soldats dont les boucliers étoient enrichis d'or. On prétendoit par cette richesse encourager le soldat à se bien battre, afin de ne pas perdre son bouclier : mais une arme si précieuse étoit bien capable de donner du courage à l'ennemi, dans l'espérance de s'en emparer.


CHRYSITESS. f. (Hist. nat. Lithologie) c'est le nom que quelques anciens auteurs donnent au lapis lydius ou à la pierre de touche, à cause de la propriété que cette pierre a de servir à essayer l'or. Voy. PIERRE DE TOUCHE. On désigne aussi par le mot de chrysites, ce qu'on appelle improprement litharge d'or, à cause qu'elle est d'un jaune qui ressemble à ce métal. (-)


CHRYSOCOLLES. f. (Hist. nat. & Minéralog.) Quelques auteurs, au nombre desquels est Agricola, trompés par un passage de Pline qu'ils avoient mal entendu, ont cru que la chrysocolle des anciens n'étoit que la substance que les modernes appellent borax. Ce qui avoit donné lieu à cette erreur, c'étoit la propriété que Pline attribuoit à la chrysocolle, de servir à souder l'or. Voyez l'article BORAX. Mais il est très-difficile de déterminer ce que Théophraste, Pline, & Dioscoride, ont entendu par-là : tout ce que nous en savons, c'est qu'on la trouvoit dans les mines d'or & de cuivre ; on s'en servoit pour faire de la couleur & d'autres préparations ; plus sa couleur verte étoit vive & semblable au verd de porreau, plus elle étoit estimée. Suivant Pline, on en faisoit une préparation pour les Peintres, qu'ils nomment orobitis. On s'en servoit encore outre cela dans la Médecine. Voyez Pline, hist. nat. lib. XXXIII. cap. v. M. Hill, dans ses notes sur Théophraste, pense que la chrysocolle étoit une espece d'émeraude ou de spath coloré d'un beau verd, qui se trouvoit dans les mines de cuivre, & qui n'étoit redevable de sa couleur qu'à ce métal ; cependant ce sentiment ne paroît point s'accorder avec ce que Pline en a dit. Quoi qu'il en soit, les minéralogistes modernes, & entr'autres Wallerius, désignent par le mot de chrysocolle une mine de cuivre, dans laquelle ce métal, après avoir été dissous, s'est précipité. On applique ce nom au verd & au bleu de montagne. Voy. ces deux articles. (-)


CHRYSOGRAPHESS. m. pl. (Hist. anc.) écrivains en lettres d'or. Ce métier paroît avoir été fort honorable. Siméon Logothete dit de l'empereur Artemius, qu'avant que de parvenir à l'empire il avoit été chrysographe. L'écriture en lettres d'or pour les titres des livres & pour les grandes lettres, paroît d'un tems fort reculé. Les manuscrits les plus anciens ont de ces sortes de dorures. Il est fait mention dans l'histoire des empereurs de Constantinople, des chrysographes ou écrivains en lettres d'or. L'usage des lettres d'or étoit très-commun vers le quatrieme & le cinquieme siecle : il a diminué depuis ce tems ; il s'est même perdu ; car on ne sait plus aujourd'hui attacher l'or au papier, comme on le voit à la bible de la bibliotheque de l'empereur, au virgile du Vatican, aux manuscrits de Dioscoride de l'empereur, & à une infinité de livres d'église. Voyez l'antiq. expliq.


CHRYSOLER(Géog.) riviere de Hongrie en Transilvanie, qui se jette dans celle de Marosch.


CHRYSOLITEchrysolytus, topasius veterum, pierre précieuse transparente, de couleur verte mêlée de jaune : ce ne peut être qu'une espece de peridot. Voyez PERIDOT. (I)

CHRYSOLITE FACTICE, (Chimie) pour la faire il faut prendre de fritte de crystal factice deux onces, de minium huit onces, les réduire en une poudre fort déliée ; on y ajoûte vingt à vingt-cinq grains de safran de mars préparé au vinaigre ; on met le mélange dans un creuset, & on met le tout en fusion, ce qu'on continue pendant dix à douze heures : l'on aura une chrysolite d'une très-grande beauté, qu'on pourra monter en mettant une feuille dessous. (-)


CHRYSOPRASES. m. (Hist. des P. P.) pierre précieuse des anciens, d'un verd jaunâtre, qui est vraisemblablement le péridot des modernes. Voyez PERIDOT. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CHTHONIESadj. pris subst. (Hist. anc.) fête que les Hermioniens célébroient en l'honneur de Cérès, à laquelle on immoloit plusieurs vaches. Ce sacrifice ne se passoit jamais sans un miracle ; c'est que du même coup dont la premiere vache étoit renversée, toutes les autres tomboient du même côté. Antiq. expliq.


CHTONIUS(Myth.) surnom donné à plusieurs divinités du paganisme, mais sur-tout à Cérès, à Jupiter, à Mercure, à Bacchus. Il est synonyme à terrestris ou infernus, de la terre ou des enfers.


CHULULA(Géog.) ville de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne, près du lac de Mexique.


CHUMPI(Hist. nat. Minéralog.) Alonzo Barba donne ce nom à un minéral ou pierre ferrugineuse, qui a beaucoup de rapport avec l'émeril, & dont la couleur est grise, d'un brillant un peu obscur, refractaire, & très-difficile à mettre en fusion. On la trouve au Potosi, &c. Elle est souvent mêlée aux mines d'argent. (-)


CHUNG-KING(Géog.) grande ville de la Chine, dans la province de Suchuen.


CHUPMESSATHITESS. m. plur. (Hist. mod.) secte de mahométans qui croyent que Jesus-Christ est Dieu, le vrai Messie, & le Rédempteur du genre humain ; mais qui n'osent lui rendre aucun culte public, ni l'adorer ouvertement. Ce mot, en langue turque, signifie protecteur des Chrétiens. Ricaut assûre que cette secte très-nombreuse est composée surtout de personnes de marque, & qu'elle a des partisans jusque dans le serrail. (G)


CHUQUELAou CHERCOLCES, (Commerce) voyez CHERCONNEES.


CHUR-WALDEN(Géog.) petite ville des Grisons, sur la riviere de Rabas.


CHURISTAou KURISTAN, (Géog.) province d'Asie dans la Perse, entre le pays de Fars & celui de Bassora, dont la capitale est Souster.


CHUou CHOA, s. m. (Hist. anc.) en grec , de , répandre ; mesure de liquides chez les Grecs. Les auteurs ne s'accordent point sur la quantité de liquide que le chus contenoit ; les uns prétendent qu'il tenoit quatre septiers, sextarios ; les autres six, ou un conge, congium. Fabri dit neuf livres d'huile, dix de vin, & treize livres quatre onces de miel. Pitiscus, dans son dictionnaire, estime que le chus contient six septiers attiques ou douze cotyles ; que cette mesure pesoit pleine d'huile sept livres & demie, & huit livres & un quart d'eau ou de vin.

En général, rien de plus obscur que ce qui regarde les mesures des Grecs & des Romains ; leur variété en divers tems & en différens pays, leur instabilité, les mêmes dénominations employées pour exprimer des choses différentes, ont jetté sur ce sujet la plus grande confusion. Faut-il en être surpris ? les mêmes inconvéniens ne se rencontrent-ils pas dans les poids & les mesures des modernes ? Nous n'avons rien à reprocher aux anciens ; & les nations européennes ont un besoin journalier d'avoir perpétuellement là-dessus un tarif à la main pour faire leur commerce non-seulement chez l'étranger, mais encore dans les diverses provinces d'un même royaume. Cependant ceux qui désireront les détails ou les conjectures de nos littérateurs sur le chus & sur le conge, que quelques-uns prétendent être une même mesure, pourront consulter les mémoires de l'académie des Inscriptions ; Stuchius dans ses oeuvres in-fol. L. B. 1695. Eisenschmid, Beverinus, & tant d'autres livres sur les poids & les mesures antiques, qui ne prouvent que trop l'incertitude qui regne ici. Cet article est de M(D.J.)


CHUTES. f. en Physique, est le chemin que fait un corps pesant en s'approchant du centre de la terre. Voyez DESCENTE.

Galilée est le premier qui ait découvert la loi de l'accélération des corps qui tombent ; savoir qu'en divisant tout le tems de la chûte en instans égaux, le corps fera trois fois autant de chemin dans le second instant de sa chûte que dans le premier, cinq fois autant dans le troisieme, sept fois autant dans le quatrieme, &c. & ainsi de suite, suivant l'ordre des nombres impairs. Voyez un plus long détail sur ce sujet à l'article ACCELERATION. Pour la cause de la chûte des corps, voyez PESANTEUR.

Pour les lois de la chûte des corps, voyez DESCENTE. (O)

CHUTE de l'anus ou fondement, (Chirurg.) c'est un accident qui consiste en ce que quand le malade va à la selle, l'intestin rectum lui sort si considérablement, qu'il ne peut plus rentrer dans le corps, ou que s'il y rentre, il retombe. Voyez RECTUM.

C'est quelquefois une maladie chronique, sur-tout quand elle vient de paralysie : ses causes sont le relâchement des fibres du rectum ou du muscle sphincter ; ou bien la constriction du ventre, la diarrhée, la dyssenterie, ou le tenesme.

On en guérit difficilement quand elle est accompagnée d'hémorrhoïdes. Les médicamens les plus propres pour la cure, sont les astringens. Il est besoin aussi d'une opération manuelle pour faire rentrer l'intestin, qui exposé à l'air, ne manqueroit pas de se tuméfier & de se mortifier, s'il ne l'est pas déjà.

Il arrive souvent qu'il retombe aux enfans, après qu'on l'a fait rentrer, principalement lorsqu'ils crient ; & dans le cas où il y a diarrhée, il est bien difficile de le contenir en-dedans.

M. Suret, maître chirurgien de Paris, a imaginé un bandage pour la chûte du rectum, qui est très-ingénieux, & qui a mérité l'approbation des plus grands maîtres de l'art. Il doit le présenter à l'académie royale de Chirurgie, & sa découverte sera rendue publique dans la suite des mémoires que cette académie donnera. Le grand avantage de cet instrument est de contenir les parties au même degré de compression, dans quelque attitude que puisse prendre le malade, debout, couché, assis, &c. le bandage comprime toûjours également. Ceux qui seront dans le cas d'en éprouver les effets, sentiront tout le prix d'une pareille invention.

Chûte de la matrice, est la descente de cette partie en-embas, causée par le relâchement des ligamens destinés à la retenir dans sa place. Voyez UTERUS.

Si la matrice est tombée dans le vagin, de maniere qu'on en sente l'orifice avec les doigts en-dedans les levres de la vulve, ou qu'on le voye des yeux en-dedans, cela s'appelle un abaissement de matrice. Si elle est tout-à-fait tombée, desorte qu'elle traîne pendante en-dehors des levres, mais desorte qu'on n'en voye pas plus le dedans que l'orifice, cela s'appelle chûte de matrice. Si étant descendue elle est retournée de maniere que le dedans sorte par les levres, & qu'il pende une espece de sac charnu avec une surface inégale, cela s'appelle renversement de matrice.

Ces desordres peuvent procéder de mouvemens violens, de toux, d'éternument, de fleurs blanches. Ils arrivent le plus souvent aux femmes grosses, en conséquence du poids qui porte & presse sur l'uterus, mais principalement si le foetus est mort, s'il est dans une mauvaise posture, ou qu'il ait été tiré par force.

Le renversement de matrice est ordinairement la suite immédiate de l'extraction d'un placenta, adhérent au fond de cet organe : dès qu'on s'apperçoit de cet accident & qu'on réussit à détacher l'arriere-faix, il faut faire promtement la réduction. Si l'on ne peut pas y réussir, la vie de la malade est dans un grand danger par la mortification qui est l'effet de l'étranglement du fond de l'utérus par l'orifice.

Après avoir replacé la partie, il faut employer les astringens, tels que ceux dont on fait usage dans les diarrhées, les hémorrhoïdes, la gonorrhée simple, &c. & retenir la matrice avec un pessaire. Voyez PESSAIRE.

Chûte de la luette, est la descente ou le relâchement de la luette ou des amygdales. Voyez LUETTE. (Y)

CHUTE, en Architecture, est un ornement de bouquets pendans, composés de fleurs ou de fruits qu'on place assez souvent dans les ravalemens des arriere-corps de chambranles, de pilastres de pierre, ou panneaux de menuiserie. (P)

CHUTE, terme d'Horlogerie. Lorsqu'une des dents de la roue de rencontre est parvenue à l'extrémité de la palette qui lui répond, son opposée tombe avec accélération sur l'entre-palette, & lui donne un petit coup ; c'est ce coup, & l'espace que la roue parcourt, qu'on nomme chûte. Elle est nécessaire pour éviter les accrochemens qui naîtroient infailliblement du jeu des pivots dans leurs trous, de l'usure des parties, & de l'inégalité des dents de la roue de rencontre. Voyez ACCROCHEMENT.

S'il faut absolument donner un peu de chûte à un échappement, c'est en même tems une chose fort préjudiciable à la montre ou pendule où il est appliqué, de lui en laisser trop ; les inconvéniens qui en résultent sont, beaucoup moins de liberté dans les vibrations du régulateur, plus d'usure de ses pivots, des trous dans lesquels il roule, des pointes de la roue, & de l'endroit des palettes sur lequel elles tombent.

Dans un échappement bien fait, la chûte est égale sur chaque palette ; on parvient à cette égalité par le moyen du nez ou du lardon de la potence. Voyez NEZ, LARDON, POTENCE.

Chûte se dit aussi dans un engrenage, du petit arc parcouru par la roue, quand une de ses dents quitte l'aile du pignon dans lequel elle engrene, & qu'une autre tombe sur la suivante. Cette chûte devient considérable dans les pignons de bas nombre ; mais elle est peu sensible dans ceux qui ont huit, dix, ou douze ailes, &c. Quand un engrenage est trop fort, il y a beaucoup de chûte, ce qui occasionne des précipitations dans le mouvement des roues. Voyez ENGRENAGE. (T)

CHUTE D'EAU, (Hydraul.) On dit qu'un ruisseau, qu'une rigole, qu'une petite riviere vient former une chûte d'eau sur la roue d'un moulin, ou bien qu'elle tombe en cascade dans quelque bassin. (K)

CHUTE DE TERREIN, (Jardin.) se dit d'un terrein inégal & rampant, dont il faut ménager la chûte en le coupant par différentes terrasses, ou en adoucissant la pente de maniere qu'elle ne fatigue point en se promenant. (K)

CHUTE DE VOILE, (Marine) c'est la longueur d'une voile. (Z)

CHUTE, ce mot est encore employé dans un sens moral, comme la chûte d'Adam (Voyez PECHE ORIGINEL), la chûte de l'Empire romain, &c.

Il y a des auteurs qui prétendent que Platon a eu connoissance de la chûte d'Adam, & qu'il l'avoit apprise par la lecture des livres de Moyse. Eusebe, de preparat. evangel. lib. XII. cap. xj. cite une fable des Sympos. de Platon, dans laquelle toute cette histoire est rapportée d'une maniere allégorique. (G)


CHYLAATS. m. (Hist. mod.) espece de robe de dessus, que les Turcs nomment plus communément caftan : le grand-seigneur la donne par distinction aux ministres, bachas, ou autres officiers de la Porte, lorsqu'ils entrent en charge, pour récompense de quelque service extraordinaire, ou même pour quelque agréable nouvelle.

Les courtisans du sultan distinguent trois sortes de chylaat : le premier est le chylaat-fagire, qu'on ne donne qu'aux visirs, aux bachas à trois queues, & comme une faveur signalée, à quelques ambassadeurs étrangers : le second se nomme chylaat-ala ; c'est la robe qu'on accorde aux bachas du commun, aux princes mahométans & chrétiens, & aux ambassadeurs de ceux-ci : le troisieme s'appelle cuzath, c'est-à dire moyen, ou edua, moindre ; on l'accorde aux officiers & autres personnes d'un rang inférieur. Tous ces chylaats ou caftans sont d'une étoffe plus ou moins riche, & bordés & doublés de fourrures plus ou moins précieuses, selon leur dégré & la dignité des personnes à qui le grand-seigneur en fait présent. Guer. moeurs des Turcs, tome II. (G)


CHYLES. m. (Anat. Physiol.) dans l'oeconomie animale, suc blanchâtre dans lequel les alimens se changent immédiatement par la digestion, ou, pour parler plus proprement, par la chylification, qui est la premiere partie de la digestion. Voyez CHYLIFICATION, DIGESTION, &c. Ce mot vient du grec , suc.

Le docteur Drake observe que le chyle n'est autre chose qu'un mélange des parties huileuses & aqueuses de la nourriture incorporées avec des parties salines, qui pendant qu'elles restent dans l'estomac mêlées avec des parties plus grossieres, y forment une masse épaisse, blanchâtre, & en partie fluide, qu'on nomme chyle, laquelle aussi-tôt qu'elle est réduite à une consistance assez déliée pour pouvoir obéir à la pression & au mouvement péristaltique de l'estomac, est poussée par degrés par le pylore dans le duodenum, où elle commence à prendre le nom de chyle.

Ainsi le chyle commence à se former dans l'estomac, il se perfectionne dans les intestins par le mélange de la bile & du suc pancréatique, ensuite il entre dans les veines lactées, qui le portent dans le reservoir de Pecquet ; de-là il passe dans le canal thorachique, qui aboutit à la veine soûclaviere gauche : c'est dans cette veine que le chyle commence à se mêler avec le sang, dans laquelle il se convertit ensuite par l'action qu'on nomme sanguification. Voyez SANG & CHYLIFICATION.

Les anciens croyoient que le chyle se changeoit en sang dans le foie, d'autres ont crû que c'étoit dans le coeur : les modernes pensent avec plus de raison, que ce changement se fait par le sang lui-même dans toutes les parties du corps. Voyez SANGUIFICATION.

Il y a des auteurs qui prétendent que le chyle est la matiere immédiate de la nutrition.

Le docteur Lister pense que dans la digestion des nourritures il se fait une séparation ou solution des sels urineux, de même que dans la pourriture des plantes ou des animaux ; que le chyle est fort impregné de ces sels ; qu'il doit sa blancheur à la fermentation qu'il acquiert par ce mélange ; que le sel du chyle est porté dans le sang veineux, & qu'il entre avec lui dans le coeur ; qu'il en sort en l'état de chyle comme il est entré, par la pulsation continuelle des arteres ; qu'autant de fois qu'il entre dans les arteres émulgentes, il y laisse après lui sa liqueur saline ou son urine, & qu'il perd par conséquent de sa couleur ; & que lorsqu'il est assez purgé de ces sels il devient lymphe : cette lymphe ne semble être autre chose que le résidu du chyle qui n'est pas encore assez converti en sang, parce qu'il n'est point encore assez purgé de ses particules salines. Voyez LYMPHE. (L)


CHYLIDOQUESadj. pl. (Anat.) épithete des vaisseaux qui portent le chyle. On les nomme encore chyliferes ou veines lactées. Voyez CHYLE & VEINES LACTEES. (L)


CHYLIFEREadj. en Anatomie, se dit des vaisseaux qui portent le chyle, & qu'on nomme aussi chylidoques ou veines lactées. Voyez CHYLE & VEINES LACTEES.


CHYLIFICATION(Physiol.) en grec , , réduction des alimens en chyle.

Comme on vient d'exposer la nature du chyle, & qu'on trouvera sous chaque mot la description anatomique des organes qui le forment, nous en supposerons ici la connoissance, & nous nous bornerons seulement à indiquer la maniere dont se fait dans le corps humain l'opération admirable de la chylification.

Idée de l'élaboration du chyle. Les pertes continuelles que notre corps souffre, tant par l'insensible transpiration que par les autres évacuations, nous obligent de chercher dans les alimens de quoi les réparer. Les réparations que les alimens reçoivent pour opérer ce remplacement, se peuvent réduire à trois principales ; la premiere se fait dans la bouche ; la seconde dans le ventricule, & la troisieme dans le premier des intestins grêles.

Les alimens sont divisés dans la bouche pendant la mastication, tant par l'action des dents que par leur mélange avec la salive ; ils passent ensuite dans le pharinx, où la langue en s'élevant & se portant en-arriere, les oblige d'entrer ; par ce mouvement l'épiglotte est abaissée, & la glotte fermée.

La cloison du palais ou valvule du gosier empêche en s'élevant que les alimens n'entrent dans les fosses nasales, & la luette fait passer sur les côtés ceux qui se portent directement vers la glotte.

Les alimens qui ont été poussés dans le pharinx, sont obligés de suivre la route de l'oesophage, d'où ils descendent dans l'estomac ; & cela moins par leur propre poids, que par les compressions successives qu'ils reçoivent, tant de la part du muscle oesophagien qui est au commencement de ce conduit, que par les fibres circulaires de sa tunique charnue. Voy. DEGLUTITION.

Les alimens ayant séjourné quelque tems dans le ventricule, y sont réduits en une pâte molle, de couleur grisâtre, & dont le goût & l'odeur tirent ordinairement sur l'aigre.

L'opinion la plus généralement reçûe de la cause de ce changement, est celle où l'on prétend qu'il dépend non-seulement de la salive qui coule continuellement par l'oesophage, mais encore de la liqueur gastrique fournies par les glandes de l'estomac. L'expérience prouve que ces liqueurs ne sont pas simplement aqueuses, mais chargées de parties actives & pénétrantes, dont l'action ne se borne pas aux molécules ou parties intégrantes des alimens ; elle s'étend encore plus loin, & va jusqu'aux parties essentielles ou principes mêmes qui les composent, & dont elle change l'arrangement naturel. Par cette décomposition les alimens changent de nature, & ne sont plus après la digestion ce qu'ils étoient auparavant. On ajoûte, avec raison, que l'action de ces liqueurs sur les alimens a besoin d'être secondée de la chaleur du ventricule, de la contraction douce de ses fibres charnues, de l'action successive du diaphragme & des muscles du bas-ventre. Voyez DIGESTION.

A mesure que la division des alimens augmente dans le ventricule, ce qui s'y trouve de plus atténué s'en échappe par le pylore pour entrer dans le duodenum ; la sortie des alimens par le pylore se trouve favorisée par la situation oblique de l'estomac, & par la douce contraction de sa tunique charnue.

Cette pâte molle & grisâtre en laquelle je viens de dire que les alimens sont changés dans l'estomac, étant dans le duodenum, s'y mêle avec la bile, & le suc intestinal & pancréatique qu'elle y trouve : par ce mélange elle acquiert une nouvelle perfection ; elle devient blanche, douce, liquide ; étant pressée par le mouvement vermiculaire des intestins, & roulant lentement dans leur cavité à cause des valvules qui s'y rencontrent, elle laisse échapper dans les orifices des veines lactées ce qu'elle contient de plus subtil & de plus épuré, savoir le chyle, qui doit servir à réparer ce que nous perdons par les évacuations.

On conçoit aisément que la matiere de la nourriture, ou cette pâte alimentaire, ayant parcouru toute l'étendue des intestins grêles, & s'étant dépouillée dans tout ce chemin de ce qu'elle contenoit de plus fluide & de plus épuré, elle doit devenir plus épaisse à mesure qu'elle passe dans les gros intestins ; ce n'est plus alors qu'une matiere grossiere, que l'on peut regarder comme le marc des alimens, & qui lui laisse échapper dans les veines lactées qui répondent au coecum & au colon, le peu de chyle qui lui reste.

La valvule qui est au commencement du colon empêche cette matiere grossiere de rentrer dans les intestins grêles ; la longueur, la courbure, & les cellules de cet intestin, lui permettent de s'y amasser en quantité, afin qu'on ne soit pas obligé d'aller trop fréquemment à la selle. Quant à la lymphe fournie par les glandes solitaires des gros intestins, elle facilite le passage de cette matiere grossiere dans leur cavité ; & le sphincter qui forme l'extrémité du rectum, empêche qu'elle ne s'évacue continuellement. En effet elle ne s'échappe que lorsque ce ressort se trouve forcé, non-seulement par le poids des excrémens, mais plus encore par la contraction de la tunique charnue du rectum, jointe à celle des muscles du bas-ventre & du diaphragme.

Le chyle que j'ai dit être fourni par la matiere alimentaire dans les veines lactées, s'insinue dans les orifices de ces vaisseaux, qui répondent, suivant M. Helvetius, dans les mamelons spongieux de la tunique veloutée, ou bien au bord flottant des valvules conniventes, selon les observations de M. Duverney ; continuant sa route dans ces vaisseaux, il va se rendre dans les glandes conglobées répandues par toute l'étendue du mesentere.

Le chyle après avoir traversé ces glandes, enfile la route des veines lactées secondaires, pour se décharger dans le reservoir de Pecquet, de-là dans le canal thorachique, & se rendre enfin dans la veine soûclaviere, où s'étant mêlé avec le sang qui y circule, & circulant avec lui, il en acquiert peu-à-peu le caractere & les propriétés, en un mot se convertit en véritable sang. Ce sang, après plusieurs circulations réitérées, doit changer encore de nature, & former les différentes humeurs qui s'en séparent, je veux dire la lymphe nourriciere, la bile, la salive, &c.

On concevra aisément la cause qui fait avancer le chyle depuis les intestins jusqu'à la veine soûclaviere, lorsqu'on fera attention 1°. que tous les vaisseaux qu'il parcourt dans cette route sont munis d'espace en espace de valvules ou soûpapes, dont la structure favorise le transport de cette liqueur vers cette veine : 2°. que ces vaisseaux sont avoisinés par des organes qui font sur leurs parois des compressions legeres, mais réitérées ; tels sont les arteres mésentériques par rapport aux veines lactées, & l'aorte par rapport au canal thorachique & au reservoir de Pecquet ; à quoi on doit ajoûter le diaphragme, qui comprime à chaque inspiration le reservoir ; sans compter l'action des muscles du bas-ventre, dont on sait que les contractions succedent à celle du diaphragme, si l'on en excepte le tems des efforts. On doit observer enfin que les vaisseaux lactés ne sont jamais vuides, la lymphe y passant toûjours, soit avec le chyle, soit qu'il n'y en ait point.

Détails particuliers sur la chylification. Après la formation du chyle dans l'estomac & les intestins grêles, il entre, comme on l'a remarqué ci-dessus, au moyen du mouvement péristaltique & des valvules conniventes, dans les vaisseaux lactés du premier genre.

Ces vaisseaux lactés sortent de toute la circonférence des intestins comme de petits syphons, & s'ouvrent obliquement dans leurs cavités : ils s'anastomosent ensuite ; ils forment sous la membrane commune une espece de reseau très remarquable, & se glissent enfin dans la duplicature du mesentere ; le chyle qui s'y insinue est poussé par le chyle qui vient après, par l'action des intestins, par la pression du diaphragme & des muscles de l'abdomen : s'il n'y avoit pas de valvules dans ces petits vaisseaux, le chyle seroit poussé également en-haut & em-bas ; mais comme il n'est pas possible qu'il revienne sur ses pas, la pression externe l'oblige à monter vers les lombes ; les valvules sémi-lunaires qui s'ouvrent au nouveau chyle, se ferment à celui qui a passé ; les arteres méséraïques qui battent continuellement, le fouettent encore, & le poussent dans le reservoir.

Comme par une précaution admirable de la nature, les ouvertures des veines lactées sont très-petites, très-subtiles, & pas plus grandes que des arteres capillaires, suivant la remarque de Derham, il n'y a que la portion du chyle la plus fluide & la plus subtile qui puisse s'y insinuer.

Les veines lactées qui ont des orifices que nos yeux ne sauroient découvrir, paroissent assez grosses dès qu'elles sont sorties de la membrane musculeuse, & qu'elles sont sous la tunique externe ; elles s'unissent ensuite, & forment les unes avec les autres des angles aigus ; elles se séparent après cela pour se réunir encore derechef ; après ces unions & ces divisions, elles deviennent toûjours plus grosses : tous ces divers accroissemens servent à rendre le chyle plus fluide.

Ces vaisseaux, après plusieurs anastomoses & plusieurs divisions, qui forment comme de petites îles dans tout l'espace du mesentere, aboutissent à des glandes dont la structure n'est point encore connue, & qui sont répandues entre les deux lames qui le forment ; ils les environnent, ils s'y insinuent ; ils en sortent moins nombreux, mais plus interrompus par des valvules.

D'où il est constant que rien ne se sépare du chyle dans ces glandes, mais au contraire qu'il y est délayé ; ce qui paroîtra d'autant plus évident, si l'on considere que ces glandes caverneuses sont arrosées par plusieurs arteres qui se distribuent en-haut & embas, rampent ici d'une façon tout-à-fait singuliere, & ne sont point pliées en peloton : d'ailleurs ces mêmes glandes reçoivent la lymphe de plusieurs visceres abdominaux, qui pénetre dans la substance de ces glandes, & délaye davantage le chyle : & peut-être que ces artérioles exhalent par leurs dernieres extrémités leur humeur la plus tenue dans les petites cavités de ces glandes ; car, selon Cowper, le mercure passe de ces arteres dans les vaisseaux lactés : le chyle séjournant donc dans ces glandes, y est fouetté, délayé, & peut-être mêlé avec les esprits des nerfs qui s'y distribuent.

Après que le chyle a passé par ces glandes, il en sort par les vaisseaux lactés du second genre, qui sont moins nombreux, mais plus gros & plus unis : ces vaisseaux vont se rendre à la citerne lactée ou au reservoir chyleux, si connu sous le nom de reservoir de Pecquet, qui l'a mis en évidence en 1651 : là se décharge une grande quantité de lymphe qui vient de presque toutes les parties situées sous le diaphragme, & qui y est apportée de toutes parts par les vaisseaux lymphatiques. En effet les valvules, les ligatures, les maladies de la lymphe, nous apprennent que telle est la route de cette humeur.

Ce n'est pas ici le lieu de décrire le reservoir du chyle, qui est une vesicule dont la figure & la grandeur varient beaucoup dans l'homme même : nous dirons seulement que le concours des veines lactées qui sont en grand nombre, demandoit qu'il y eût un reservoir qui reçût le chyle ; sans cela ce fluide auroit souffert des retardemens dans le mesentere, ou bien il auroit fallu qu'il marchât avec une grande rapidité dans le canal thorachique, lequel n'a pas une structure propre à résister à un fluide poussé avec force, & qui coule avec beaucoup de vîtesse.

Le chyle ayant été délayé par la lymphe dans le reservoir de Pecquet, est porté au haut de ce reservoir qui forme un canal particulier connu sous le nom de canal thorachique. (Voyez CANAL THORACHIQUE), & les valvules dont ce canal est rempli facilitent la progression de cette liqueur.

Le chyle est déterminé de ce canal dans la soûclaviere par le secours de deux valvules, qui en se rapprochant forment une si petite fente, qu'il ne peut entrer dans cette veine qu'une petite quantité de chyle à la fois, & qu'il n'en peut influer dans le canal thorachique.

On ne sauroit donc douter que la plus grande partie du chyle ne monte à la veine soûclaviere ; mais on peut douter s'il n'y en a pas une portion, savoir la plus tenue, qui se rende au foie par les veines méséraïques, après avoir été pompée par les tuyaux absorbans qui s'ouvrent dans la tunique veloutée des intestins.

Cependant tout semble lever ce doute. 1°. Le nombre, la grandeur de ces tuyaux absorbans, leur structure, leur nature qui n'est pas différente de celles que les veines ont communément, le sang veineux qui de-là coule dans la veine-porte comme dans une artere, la nature de ce sang, la grande quantité d'humeurs qui abordent aux intestins, tout cela fait soupçonner que la partie la plus lymphatique du chyle est portée dans la veine-porte, où elle est délayée pour servir ensuite de nouvelle matiere à la secrétion de la bile. 2°. On peut apporter une autre raison de cette opinion, tirée de l'anatomie comparée des ovipares, qui n'ont point de vaisseaux lactés, mais dans lesquels il se trouve un passage de la cavité des intestins aux vaisseaux méséraïques. Bilsius a fait voir que si on lie les arteres du mesentere dans un chien qui vient de manger beaucoup, on trouve les veines méséraïques remplies d'une liqueur cendrée. On s'est plaint que Bilsius n'avoit pas détaillé la maniere dont il faisoit son expérience ; mais Glisson ne s'est pas dispensé de la donner. Swammerdam a confirmé l'opinion de Bilsius par d'autres exemples de l'anatomie comparée : il est certain que dans les oiseaux il y a un passage aux veines méséraïques.

Mais si l'on doit soupçonner que le chyle le plus tenu passe du mesentere dans les veines méséraïques, ne doit-on pas penser la même chose au sujet du ventricule ? les parties les plus subtiles des alimens ne peuvent-elles pas être absorbées par des tuyaux veineux ? l'action des cordiaux ne paroît-elle pas en être une preuve ?

On demandera présentement quelles sont les causes qui concourent à pousser le chyle de bas en-haut, qui le font monter si aisément, même lorsqu'on est debout, dans des tuyaux tels que le reservoir de Pecquet & le canal thorachique, tuyaux grêles, comprimés, perpendiculaires, & qui s'affaissent aisément.

Je réponds que ces causes sont en grand nombre, & se présentent d'elles-mêmes, pour peu qu'on fasse attention 1°. à la force avec laquelle les intestins se contractent, & aux causes qui concourent à chasser le chyle des intestins : 2°. aux valvules des vaisseaux lactés & à celles du reservoir thorachique, qui facilitent beaucoup la progression du chyle : 3°. aux battemens des arteres méséraïques, qui sont paralleles aux vaisseaux lactés, ou les croisent : 4°. à la forte action du diaphragme sur le reservoir : 5°. aux puissantes causes qui compriment le péritoine, lequel forme cette fine membrane du mesentere où les vaisseaux lactés sont renfermés : 6°. à la propre contraction des membranes qui forment le paroi & le canal de Pecquet ; contraction qui est encore forte après la mort : 7°. aux fortes pulsations de l'aorte, qui est voisine du canal thorachique : 8°. au mouvement même des poumons & du thorax.

Tandis que toutes ces forces agissent, le chyle monte donc nécessairement dans le reservoir, dans le canal thorachique, & se jette dans la veine soûclaviere gauche ; car les liqueurs se portent vers les lieux où ils trouvent moins de résistance : or les valvules des veines lactées offrent un spectacle insurmontable ; le chyle doit donc se déterminer vers la veine soûclaviere ; là il souleve l'espece de valvule, ou pour mieux dire la digue qui ferme le canal thorachique, empêche que le sang n'entre dans le canal, & permet le passage au chyle : dès qu'il est entré dans la veine soûclaviere, il passe par son conduit dans la veine cave, dans le sinus veineux, dans l'oreillette droite, & dans le premier ventricule du coeur, où ayant été mêlé avec le sang, divisé, fouetté par l'action de ce viscere, il est poussé dans l'artere pulmonaire, & y acquiert toutes les qualités du sang.

Résumons en peu de mots ces merveilles. Le chyle qui a été préparé dans la bouche, broyé, atténué dans l'estomac, élaboré dans les intestins, séparé dans les vaisseaux lactés, délayé dans les glandes du mesentere, plus délayé encore & plus mêlé dans le canal thorachique, mêlé au sang dans les veines, dans l'oreillette, & dans l'antre droit ; là plus exactement mêlé encore, dissous, broyé, atténué, étant fort pressé postérieurement, & latéralement repoussé dans les vaisseaux coniques & cylindriques artériels du poumon, doit prendre la forme des parties solides & fluides qu'il y a dans tout le corps.

Il est encore très-exactement mêlé dans les veines pulmonaires ; peut-être est-il délayé dans les mêmes veines par la lymphe. Il acquiert principalement dans le poumon la couleur rouge, qui est la marque essentielle d'un sang bien conditionné : sa fluidité & sa chaleur se conservent par sa circulation, & c'est ainsi qu'il paroît prendre la forme qui est propre à nourrir. Cet effet est produit par l'action continuelle du poumon, des visceres, & des vaisseaux. Cette action change insensiblement le sang chyleux en sérum, lui procure divers changemens semblables à ceux que la chaleur de l'incubation opere sur le blanc-d'oeuf ; car c'est la même chaleur dans l'état sain, & cela continue jusqu'à ce qu'une partie du sérum soit subtilisée autant qu'il le faut pour produire la nutrition : cependant cette partie du sérum ainsi subtilisée, se consumant perpétuellement par les circulations réitérées, demande semblablement à être réparée. Il est donc nécessaire pour cette réparation de renouveller le chyle, & par conséquent, de reprendre de nouveaux alimens & de nouvelles boissons.

On conçoit bien que les humeurs qu'on a perdues se réparent, quant à la matiere, par les alimens, la boisson, & l'air ; mais quant aux qualités requises, cette opération s'exécute par le concours des actions naturelles du corps, dont l'exposition fait une des grandes & des belles parties de la Physiologie.

Fausses hypotheses sur la chylification. Comme par le détail qu'on vient de lire, tout ce qui arrive aux alimens depuis leur préparation dans la bouche jusqu'à leur derniere subtilisation, qui produit la nutrition des parties du corps humain, est une suite évidente de la fabrique & de l'action des vaisseaux, de la nature comme des humeurs, démontrée par des raisonnemens méchaniques ; falloit-il, pour en donner l'explication, avoir recours à des suppositions obscures ou douteuses, & également contraires à la raison & à l'expérience ? falloit-il enfanter tous ces systèmes extravagans en Médecine, si long-tems à la mode, & si justement méprisés aujourd'hui ? Je parle des systêmes de la chaleur coctrice du ventricule, de son acreté naturelle & vitale, de l'archée de Vanhelmont, de la bile alkaline qui change le chyle acide en alkalescent salé & volatil, d'une précipitation qui purifie le chyle, des fermentations, des effervescences du sang dans le ventricule droit, du nitre aérien qui le change en rouge dans le poumon ? que sais-je ? d'une infinité d'autres hypotheses chimériques, qui pour comble de maux, ont eu une influence pernicieuse sur la pratique de leurs auteurs. Cet article est de M(D.J.)


CHYLOSES. f. en Médecine, l'action par laquelle les alimens se tournent en chyle ou chyme dans l'estomac, &c. soit que cela arrive par une fermentation qui se passe dans l'estomac, soit par la force de contraction de ce viscere, soit par ces deux moyens tout à la fois. Voyez CHYLIFICATION & DIGESTION. (L)


CHYMES. m. (Anat. Physiolog.) suc animal qui est le même que celui qu'on appelle ordinairement chyle. Voyez CHYLE.

Il y a cependant des auteurs qui distinguent entre le chyme & le chyle, & qui restreignent le mot chyme à signifier la masse de nourriture telle qu'elle est dans l'estomac, avant qu'elle soit assez attenuée & liquéfiée pour pouvoir franchir le pylore, passer dans le duodenum, & de là dans les veines lactées, pour s'y dissoudre davantage & s'y impregner du suc pancréatique ; après quoi elle commence à être dans l'état de chyle. D'autres prétendent tout le contraire.


CHYMIou CHIMIE, s. f. (Ord. encyc. Entend. Raison. Philos. ou Science. Science de la nat. Physique. Physiq. générale. Physiq. particul. ou des grands corps & des petits corps. Physiq. des petits corps ou Chimie.) La Chimie est peu cultivée parmi nous ; cette science n'est que très-médiocrement répandue, même parmi les savans, malgré la prétention à l'universalité de connoissances qui fait aujourd'hui le goût dominant. Les Chimistes forment encore un peuple distinct, très-peu nombreux, ayant sa langue, ses lois, ses mysteres, & vivant presque isolé au milieu d'un grand peuple peu curieux de son commerce n'attendant presque rien de son industrie. Cette incuriosité, soit réelle, soit simulée, est toûjours peu philosophique, puisqu'elle porte tout-au-plus sur un jugement hasardé ; car il est au moins possible de se tromper quand on prononce sur des objets qu'on ne connoît que superficiellement. Or comme il est précisément arrivé qu'on s'est trompé, & même qu'on a conçu plus d'un préjugé sur la nature & l'étendue des connoissances chimiques, ce ne sera pas une affaire aisée & de legere discussion, que de déterminer d'une maniere incontestable & précise ce que c'est que la Chimie.

D'abord les personnes les moins instruites ne distinguent pas le chimiste du souffleur ; l'un & l'autre de ces noms est également mal-sonnant pour leurs oreilles. Ce préjugé a plus nui aux progrès, du moins à la propagation de l'art, que des imputations plus graves prises dans le fond même de la chose, parce qu'on a plus craint le ridicule que l'erreur.

Parmi ces personnes peu instruites, il en est pour qui avoir un laboratoire, y préparer des parfums, des phosphores, des couleurs, des émaux, connoître le gros du manuel chimique & les procédés les plus curieux & les moins divulgués, en un mot être ouvrier d'opérations & possesseur d'arcanes, c'est être chimiste.

Quelques autres, en bien plus grand nombre, restreignent l'idée de la Chimie à ses usages médicinaux : ce sont ceux qui demandent du produit d'une opération, dequoi cela guérit-il ? Ils ne connoissent la Chimie que par les remedes que lui doit la Médecine pratique, ou tout au plus par ce côté & par les hypotheses qu'elle a fournies à la Médecine théorique des écoles.

Ces reproches tant de fois repétés : les principes des corps assignés par les Chimistes sont des êtres très-composés ; les produits de leurs analyses sont des créatures du feu ; ce premier agent des Chimistes altere les matieres auxquelles on l'applique, & confond les principes de leur composition, IGNIS MUTAT RES : ces reproches, dis-je, n'ont d'autre source que les méprises dont je viens de parler, quoiqu'ils semblent supposer la connoissance de la doctrine & des faits chimiques.

On peut avancer assez généralement que les ouvrages des Chimistes, des maîtres de l'art, sont presque absolument ignorés. Quel physicien nomme seulement Becher ou Stahl ? Les ouvrages chimiques (ou plutôt les ouvrages sur des sujets chimiques) de savans, illustres d'ailleurs, sont bien autrement célébrés. C'est ainsi, par exemple, que le traité de la fermentation de Jean Bernoulli, & la docte compilation du célebre Boerhaave sur le feu, sont connus, cités, & loués ; tandis que les vûes supérieures & les choses uniques que Stahl a publiées sur l'une & l'autre de ces matieres, n'existent que pour quelques chimistes.

Ce qu'on trouve de chimique chez les physiciens proprement dits, car on en trouve chez plusieurs, & même jusqu'à des systèmes généraux, des principes fondamentaux de doctrine ; tout ce chimique, dis-je, qui est le plus répandu, a le grand défaut de n'avoir pas été discuté ou vérifié sur le détail & la comparaison des faits ; ce qu'ont écrit de ces matieres, Boyle, Newton, Keill, Freind, Boerhaave, &c. est manifestement marqué au coin de cet inexpérience. Ce n'est donc pas encore par ces derniers secours qu'il faut chercher à se former une idée de la Chimie.

On pourroit la puiser dans plusieurs des anciens chimistes ; ils sont riches en faits, en connoissances vraiment chimiques ; ils sont chimistes : mais leur obscurité est réellement effrayante, & leur enthousiasme déconcerte le sage & grave le maintien de la philosophie des sens. Ainsi il est au moins très-pénible d'appercevoir la saine Chimie (dans l'art excellence, l'art sacré, l'art divin, le rival & même le réformateur de la nature des premiers peres de notre science.

Depuis que la Chimie a pris plus particulierement la forme de science, c'est-à-dire depuis qu'elle a reçû les systèmes de physique régnans, qu'elle est devenue successivement cartésienne, corpusculaire, newtonienne, académique ou expérimentale ; différens chimistes en ont donné des idées plus claires, plus à portée de la façon de concevoir, dirigée par la logique ordinaire des sciences ; ils ont adopté le ton de celles qui avoient été répandues les premieres. Mais ces chimistes n'ont-ils pas trop fait pour se rapprocher ? ne devoient-ils pas être plus jaloux de conserver leur maniere propre & indépendante ? n'avoient-ils pas un droit particulier ? cette liberté, droit acquis par la possession & justifiée par la nature même de leur objet ? la hardiesse (on a dit la folie), l'enthousiasme des Chimistes differe-t-il réellement du génie créateur de l'esprit systématique ? & cet esprit systématique le faut-il proscrire à jamais, parce que son essor prématuré a produit des erreurs dans des tems moins heureux ? parce qu'on s'est égaré en s'élevant ; s'élever est-ce nécessairement s'égarer ? l'empire du génie que les grands hommes de notre tems ont le courage de ramener, ne seroit-il rétabli que par une révolution funeste ?

Quoiqu'il en soit, le goût du siecle, l'esprit de détail, la marche lente, circonspecte, timide des sciences physiques, a absolument prévalu jusque dans nos livres élémentaires, nos corps de doctrine. Ces livres ne sont, du moins leurs auteurs eux-mêmes ne voudroient pas les donner pour mieux, que des collections judicieusement ordonnées de faits choisis avec soin & vérifiés séverement, d'explications claires, sages, & quelquefois neuves, & de corrections utiles dans les procédés. Chaque partie de ces ouvrages peut être parfaite, du moins exacte ; mais le noeud, l'ensemble, le système, & sur-tout ce que j'oserai appeller une issue par laquelle la Chimie puisse s'étendre à de nouveaux objets, éclairer les autres sciences, s'aggrandir en un mot ; ce noeud, dis-je, ce système, cette issue manquent.

C'est principalement le caractere de médiocrité de ces petits traités qui fait regarder les Chimistes, entr'autres faux aspects, comme de simples manoeuvres, ou tout au plus comme des ouvriers d'expériences. Et qu'on ne s'avise pas même de soupçonner qu'il existe ou qu'il puisse exister une Chimie vraiment philosophique, une Chimie raisonnée, profonde, transcendante ; des chimistes qui osent porter la vûe au-delà des objets purement sensibles, qui aspirent à des opérations d'un ordre plus relevé, & qui, sans s'échapper au-delà des bornes de leur art, voyent la route du grand physique tracée dans son enceinte.

Boerhaave a dit expressément au commencement de sa Chimie, que les objets chimiques étoient sensibles, grossiers, coercibles dans des vaisseaux, corpora sensibus patula, vel patefacienda, vasis coercenda, &c. Le premier historien de l'académie royale des Sciences a prononcé le jugement suivant à propos de la comparaison qu'il a eu occasion de faire de la maniere de philosopher de deux savans illustres, l'un chimiste, & l'autre physicien. " La Chimie par des opérations visibles, résout les corps en certains principes grossiers & palpables, sels, soufres, &c. mais la Physique, par des spéculations délicates, agit sur les principes comme la Chimie a fait sur les corps ; elle les résout eux-mêmes en d'autres principes encore plus simples, en petits corps mûs & figurés d'une infinité de façons : voilà la principale différence de la Physique & de la Chimie.... L'esprit de Chimie est plus confus, plus enveloppé ; il ressemble plus aux mixtes, où les principes sont plus embarrassés les uns avec les autres : l'esprit de Physique est plus net, plus simple, plus dégagé, enfin il remonte jusqu'aux premieres origines, l'autre ne va pas jusqu'au bout ". Mém. de l'acad. des Sciences, 1699.

Les Chimistes seroient fort médiocrement tentés de quelques-unes des prérogatives sur lesquelles est établie la prééminence qu'on accorde ici à la Physique, par exemple de ces spéculations délicates par lesquelles elle résout les principes chimiques en petits corps mûs & figurés d'une infinité de façons ; parce qu'ils ne sont curieux ni de l'infini, ni des romans physiques : mais ils ne passeront pas condamnation sur cet esprit confus, enveloppé, moins net, moins simple que celui de la Physique ; ils conviendront encore moins que la Physique aille plus loin que la Chimie ; ils se flatteront au contraire que celle-ci pénetre jusqu'à l'intérieur de certains corps dont la Physique ne connoît que la surface & la figure extérieure ; quam & boves & asini discernunt, dit peu poliment Becker dans sa physiq. soûterr. Ils ne croiront pas même hasarder un paradoxe absolument téméraire, s'ils avancent que sur la plûpart des questions qui sont désignées par ces mots, elle remonte jusqu'aux premieres origines, la Physique n'a fait jusqu'à présent que confondre des notions abstraites avec des vérités d'existence, & par conséquent qu'elle a manqué la nature nommément sur la composition des corps sensibles, sur la nature de la matiere, sur sa divisibilité, sur sa prétendue homogénéité, sur la porosité des corps, sur l'essence de la solidité, de la fluidité, de la molesse, de l'élasticité, sur la nature du feu, des couleurs, des odeurs, sur la théorie de l'évaporation, &c. Les chimistes rebelles qui oseront méconnoître ainsi la souveraineté de la Physique, oseront prétendre aussi que la Chimie a chez soi dequoi dire beaucoup mieux sur toutes les questions de cette classe, quoiqu'il faille convenir qu'elle ne l'a pas dit assez distinctement, & qu'elle a négligé d'étaler tous ses avantages ; & même (car il faut l'avoüer) quoiqu'il y ait des chimistes qui soupçonnent si peu que leur art puisse s'élever à des connoissances de cet ordre, que quand ils rencontrent par hasard quelque chose de semblable, soit dans les écrits, soit dans la bouche de leurs confreres, ils ne manquent pas de proscrire avec hauteur par cette formule d'improbation, cela est bien physique ; jugement qui montre seulement qu'ils n'ont une idée assez juste ni de la Physique à laquelle ils renvoyent ce qui ne lui appartiendra jamais, ni de la Chimie qu'ils privent de ce qu'elle seule a peut-être le droit de posséder.

Quoiqu'il en soit de nos prétentions respectives, l'idée que les Physiciens avoient d'eux-mêmes & des Chimistes en 1669, est précisément la même qu'en ont aujourd'hui les plus illustres d'entr'eux. C'est cette opinion qui nous prive des suffrages dont nous serions les plus flatés, & qui fait à la Chimie un mal bien plus réel, un dommage vraiment irréparable, en éloignant de l'étude de cette science, ou en confirmant dans leur éloignement plusieurs de ces génies élevés & vigoureux, qui ne sauroient se laisser traîner de manoeuvre en manoeuvre, ni se nourrir d'explications maigres, seches, foibles, isolées ; mais qui auroient été nécessairement des chimistes zélés, si un seul trait de lumiere leur eût fait entrevoir combien la Chimie peut prêter au génie, & combien elle peut en recevoir à son tour.

Il est très-difficile sans-doute de détruire ces impressions défavorables. Il est clair que la révolution qui placeroit la Chimie dans le rang qu'elle mérite, qui la mettroit au moins à côté de la Physique calculée ; que cette révolution, dis-je, ne peut être opérée que par un chimiste habile, enthousiaste, & hardi, qui se trouvant dans une position favorable, & profitant habilement de quelques circonstances heureuses, sauroit réveiller l'attention des savans, d'abord par une ostentation bruyante, par un ton décidé & affirmatif, & ensuite par des raisons, si ses premieres armes avoient entamé le préjugé.

Mais en attendant que ce nouveau Paracelse vienne avancer courageusement, que toutes les erreurs qui ont défiguré la Physique sont provenues de cette unique source ; savoir que des hommes ignorant la Chimie, se sont donnés les airs de philosopher & de rendre raison des choses naturelles, que la Chimie, unique fondement de toute la Physique, étoit seule en droit d'expliquer, &c. comme Jean Keill l'a dit en propres termes de la Géométrie, & comme M. Desaguliers vient de le répéter dans la préface de son cours de Physique expérimentale ; en attendant, dis-je, ces utiles déclamations, nous allons tâcher de présenter la Chimie sous un point de vûe qui puisse la rendre digne des regards des Philosophes, & leur faire appercevoir qu'au moins pourroit-elle devenir quelque chose entre leurs mains.

C'est à leur conquête que nous nous attacherons principalement, quoique nous sachions fort bien que ce n'est pas en montrant la Chimie par son côté philosophique, qu'on parviendra à la mettre en honneur, à lui faire la fortune qu'ont mérité à la Physique les machines élégantes, l'optique, & l'électricité : mais comme il est des chimistes habiles déjà en possession de l'estime générale, & très-en état de présenter la Chimie au public par le côté qui le peut attacher, sous la forme la plus propre à la répandre, nous avons crû devoir nous reposer de ce soin sur leur zele & sur leurs talens.

Mais pour donner de la Chimie générale philosophique que je me propose d'annoncer (je dis expressément annoncer ou indiquer, & rien de plus) l'idée que je m'en suis formée ; pour exposer dans un jour suffisant sa méthode, sa doctrine, l'étendue de son objet, & sur-tout ses rapports avec les autres sciences physiques, rapports par lesquels je me propose de la faire connoître d'abord ; il faut remonter jusqu'aux considérations les plus générales sur les objets de ces sciences.

La Physique, prise dans la plus grande étendue qu'on puisse lui accorder, pour la science générale des corps & des affections corporelles, peut être divisée d'abord en deux branches primitives essentiellement distinctes. L'une renfermera la connoissance des corps par leurs qualités extérieures, ou la contemplation de tous les objets physiques considérés comme simplement existans, & revêtus des qualités sensibles. Les sciences comprises sous cette division sont les différentes parties de la Cosmographie & de l'Histoire naturelle pure.

Les causes de l'existence des mêmes objets, celles de chacune de leurs qualités sensibles, les forces ou propriétés internes des corps, les changemens qu'ils subissent, les causes, les lois, l'ordre ou la succession de ces changemens, en un mot la vie de la nature : voilà l'objet de la seconde branche primitive de la Physique.

Mais la nature peut être considérée ou comme agissant dans son cours ordinaire selon des lois constantes, ou comme étant contrainte par l'art humain ; car les hommes savent imiter, diriger, varier, hâter, retarder, supprimer, suppléer, &c. plusieurs opérations naturelles, & produire ainsi certains effets qui, quoique très-naturels, ne doivent pas être regardés comme dûs à des agens simplement obéissans aux lois générales de l'univers. De-là une division très-bien fondée de notre derniere branche en deux parties, dont l'une comprendra l'étude des changemens entierement opérés par des agens non-intelligens, & l'autre celle des opérations & des expériences des hommes, c'est-à-dire les connoissances fournies par les sciences physiques pratiques, par la Physique expérimentale proprement dite, & par les différens arts physiques. Les Chimistes ont coûtume de désigner ce double théatre de leurs spéculations par les noms de laboratoire de la nature & de laboratoire de l'art.

Tous les changemens qui sont opérés dans les corps, soit par la nature, soit par l'art, peuvent se réduire aux trois classes suivantes. La premiere comprendra ceux qui font passer les corps de l'état non-organique à l'état organique, & réciproquement de celui-ci au premier, & tous ceux qui dépendent de l'oeconomie organique, ou qui la constituent. La deuxieme renfermera ceux qui appartiennent à l'union & à la séparation des principes constituans ou des matériaux de la composition des corps sensibles non-organiques, tous les phénomenes de la combinaison & de la décomposition des chimistes modernes. La troisieme enfin embrassera tous ceux qui font passer les masses ou les corps aggrégés du repos au mouvement, ou du mouvement au repos, ou qui modifient de différentes façons les mouvemens & les tendances.

Que les molécules organiques & les corps organisés soient soûmis à des lois essentiellement diverses (au moins quant à nos connoissances d'à-présent) de celles qui reglent les mouvemens de la matiere purement mobile & quiescible, ou inerte ; c'est une assertion sur l'évidence de laquelle on peut compter d'après les découvertes de M. de Buffon (voyez ORGANISATION), & d'après les erreurs démontrées des médecins qui ont voulu expliquer l'économie animale par les lois méchaniques. Par conséquent les phénomenes de l'organisation doivent faire l'objet d'une science essentiellement distincte de toutes les autres parties de la Physique. C'est une conséquence qu'on ne sauroit nous contester.

Mais s'il est vrai aussi que les affections des principes de la composition des corps soient essentiellement diverses de celles des corps aggrégés ou des masses, l'utilité de notre derniere division sera démontrée dans toutes ses parties. Or les Chimistes prétendent qu'elles le sont en effet : nous allons tâcher d'éclaircir & d'étendre leur doctrine sur ce point ; car il faut avoüer qu'elle n'est ni claire, ni précise, ni profonde, même dans ceux des auteurs de Chimie dont la maniere est la plus philosophique, & qui paroissent s'être le plus attachés aux objets de ce genre ; que Stahl lui-même qui plus qu'aucun autre a le double caractere que nous venons de désigner, & qui a très-expressément énoncé cette différence, ne l'a ni assez développée, ni poussée assez loin, ni même considérée sous son vrai point de vûe. Voyez son Prodromus de investigatione chimico-physiologica, & son observation de differentia mixti, texti, aggregati, individui.

J'appelle masse ou corps aggrégé, tout assemblage uniformément dense de parties continues, c'est-à-dire qui ont entr'elles un rapport par lequel elles résistent à leur dispersion.

Ce rapport, quelle qu'en soit la cause, je l'appelle rapport de masse.

La continuité essentielle à l'aggrégé ne suppose pas nécessairement la contiguité de parties, c'est-à-dire que le rapport de masse peut se trouver entre des parties qui ne se touchent point mutuellement ; quelle que soit la matiere qui constitue leur noeud, peut-être même sans qu'il soit nécessaire que ce noeud soit matériel.

Le rapport de masse suppose dans l'aggrégé l'homogénéité ; car un assemblage de parties hétérogenes ne constitue point un tout dont les parties soient liées par ce rapport : ainsi une liqueur trouble, un morceau d'argile rempli de petits caillous, chacun de ces corps étant pris pour un tout unique, ne sont pas des aggrégés, mais de simples mélanges par confusion, que nous opposons dans ce sens à l'aggrégation.

Il est évident par la définition, que les tas ou amas de parties simplement contiguës, tels que les poudres, ne sont pas des aggrégés, mais qu'ils peuvent seulement être des amas d'aggrégés.

Quand nous n'aurions pas expressément abandonné les corps organiques, il est clair aussi par la même définition, qu'ils sont absolument exclus de la classe des aggrégés.

Les parties de l'aggrégé sont appellées par les Physiciens modernes molécules ou masses de la derniere composition ou du dernier ordre, corpuscules dérivés, &c. & beaucoup plus exactement par des Physiciens antérieurs, parties intégrantes, ou simplement corpuscules : je dis plus exactement, parce que c'est gratuitement, pour ne rien dire de plus, que les premiers ont soûtenu que les corpuscules, qui par leur réunion forment immédiatement les corps sensibles, étoient toûjours des masses.

Les corpuscules considérés comme matériaux immédiats de l'aggrégé, sont censés inaltérables ; c'est-à-dire que l'aggrégé ne peut persister dans son être spécifique qu'autant que ses parties intégrantes sont inaltérées : c'est par-là que les parties intégrantes de l'étain décomposées par la calcination, ne forment plus de l'étain, lors même que par la fusion on leur procure le rapport de masse, ou qu'on en fait un seul aggrégé, le verre d'étain.

J'admets des aggrégés parfaits & des aggrégés imparfaits. Les premiers sont ceux qui sont assez exactement dans les termes de la définition, pour qu'on ne puisse découvrir par aucun moyen physique s'ils s'en écartent ou non. Les imparfaits sont ceux dans lesquels on peut découvrir quelque imperfection par des moyens physiques. Mon aggrégé parfait est la masse similaire que M. Wolf a définie (cosm. §. 249), dont il a nié l'existence dans la nature (§. suiv.), & que le même philosophe paroît admettre sous le nom de textura. Cosmolog. nat. §. 75.

L'imperfection de l'aggrégé est toûjours dans le défaut de densité uniforme.

Les liquides purs, les vapeurs homogenes, l'air, les corps figés, comme les régules métalliques, les verres ; quelques substances végétales & animales non organisées, telles que les huiles végétales & animales, les beurres végétaux & animaux, les baumes liquides, &c. les crystaux des sels, les corps mous affaissés d'eux-mêmes, &c. sont des aggrégés parfaits. Les pierres dures, les terres cuites, les concrétions pierreuses compactes, les corps mous inégalement pressés, les métaux battus, tirés ; les extraits, les graisses, &c. sont des aggrégés imparfaits.

Je me forme de tout aggrégé parfait, l'idée par laquelle Newton a voulu qu'on se représentât l'expansibilité & la compressibilité de l'air (voyez Opt. quest. xxxj.) : idée que M. Desaguliers a plus précisément exprimée (voyez sa deuxieme dissertation sur l'élévation des vapeurs, dans son cours de physique, leç. xj.) c'est-à-dire que je regarde tout aggrégé parfait, excepté la masse absolument dense, si elle existe dans la nature, comme un amas de corpuscules non contigus, disposés à des distances égales. Je ne m'arrêterai point à établir ici ce paradoxe physique, parce qu'il peut aussi-bien me servir comme supposition que comme vérité démontrée ; & que je prétens moins déterminer la disposition intérieure ou la composition de mon aggrégé, que représenter son état par une image sensible.

Les parties intégrantes d'un aggrégé considérées en elles-mêmes & solitairement, peuvent être des corps simples, élémentaires, des atomes ; ou des corps formés par l'union de deux ou plusieurs corps simples de nature différente, ce que les Chimistes appellent des mixtes ; ou des corps formés par l'union de deux ou de plusieurs différens mixtes, corps que les Chimistes appellent composés ; ou enfin par quelqu'autre ordre de combinaison, qu'il est inutile de détailler ici.

Une masse d'eau est un aggrégé de corps simples semblables ; une masse d'or est un aggrégé de mixtes semblables ; un amalgame est un aggrégé de composés semblables. Nous disons à dessein semblables, pour énoncer que l'homogénéité de l'aggrégé subsiste avec la non simplicité de ses parties intégrantes, & qu'elle est absolument indépendante de l'homogénéité de celles-ci, de même que sa densité uniforme est indépendante du degré de densité, ou de la diverse porosité de ces parties.

Ce n'est pas ici le lieu de démontrer toutes les vérités que ceci suppose ; par exemple, qu'il y a plusieurs élémens essentiellement différens, ou que l'homogénéité de la matiere est une chimere ; que les corps inaltérables, l'eau, par exemple, sont immédiatement composés d'élémens ; & que le petit édifice sous l'image duquel les Corpusculaires & les Newtoniens veulent nous faire concevoir une particule d'eau, porte sur le fondement le plus ruineux, sur une logique très-vicieuse. Aussi ne proposons-nous ici que par voie de demande ces vérités, que nous déduirions par voie de conclusion, si au lieu d'en composer un article de dictionnaire, nous avions à en faire les derniers chapitres d'un traité général & scientifique de Chimie. Les faits, les opérations, les procédés, les vérités de détail qui remplissent tant d'ouvrages élémentaires, serviroient de fondement à ces notions universelles & à celles qui suivront, & qui perdant alors le nom de suppositions, prendroient celui d'axiomes.

Ce petit nombre de notions peut servir d'abord à distinguer exactement dans un corps quelconque ce qui appartient à la masse de ce qui appartient à la partie intégrante.

Il est évident, par exemple, par le seul énoncé, que les propriétés méchaniques des corps leur appartiennent comme masse ; que c'est par leur masse qu'ils poussent, qu'ils pesent, qu'ils résistent ; qu'ils exercent, dis-je, ces actions avec une force déterminée (car il ne s'agit pas ici des propriétés communes ou essentielles des corps, de leur mobilité, de leur gravité, ou de leur inertie absolue) ; en un mot que leur figure, leur grandeur, leur mouvement, & leur situation, considérés comme principes méchaniques, appartiennent à la masse. Car quant au mouvement, quoique les Physiciens estiment celui d'un tout par la somme des mouvemens de toutes ses parties, ils n'en conviennent pas moins que dans le mouvement dont nous parlons toutes ces parties sont en repos les unes par rapport aux autres.

Tous les changemens qu'éprouve un aggrégé dans la disposition & dans la vicinité de ses parties, est aussi, par la force des termes, une affection de l'aggrégé. Que la rarescibilité, l'élasticité, la divisibilité, la ductilité, &c. ne dépendent uniquement que de l'aptitude à ces changemens, sans que les molécules intégrantes éprouvent aucun changement intérieur ; du moins qu'il y ait des corps dont les parties intégrantes sont à l'abri de ces changemens : & quels sont ces corps ? ce sont des questions particulieres qu'il n'est pas possible d'examiner ici. Que toutes ces propriétés puissent avoir entierement leur raison dans les deux causes que nous venons d'assigner, quoique la raison du degré spécifique de chacune de ces propriétés se trouve évidemment dans la constitution intérieure ou l'essence des parties intégrantes de chaque aggrégé, c'est un fait démontré par la seule observation des corps intérieurement inaltérables, dans lesquels on observe toutes ces propriétés, comme dans l'eau, par exemple, l'air, l'or, le mercure, &c.

Nous pouvons assûrer la même chose de certains mouvemens intestins que plusieurs aggrégés peuvent éprouver ; par exemple, de celui qui constitue l'essence de la liquidité, selon le sentiment de Descartes, & le témoignage même des sens. Je dis selon le témoignage des sens, parce que le mouvement de l'ébullition, qui assûrément est très-sensible, ne differe de celui de la liquidité que par le degré ; & qu'ainsi, à proprement parler, tout liquide, dans son état de liquidité tranquille, est un corps insensiblement bouillant, c'est-à-dire agité par un agent étranger, par le feu, & non pas un corps dont les parties soient nécessairement en repos, comme plus d'un newtonien l'a avancé sur des preuves tirées de vérités géométriques. Les vérités géométriques sont assûrément très-respectables ; mais les Physiciens géometres les exposeront mal adroitement à l'irrévérence des Physiciens non géometres, toutes les fois qu'ils mettront une démonstration à la place d'un fait physique, & une supposition gratuite ou fausse, soit tacite, soit énoncée, à la place d'un principe physique que l'observation peut découvrir, & qui quelquefois est sensible, comme dans le cas dont il s'agit : ce que n'a point balancé d'assûrer M. d'Alembert, que j'en croirai là-dessus aussi volontiers que j'en crois Stahl décriant la transmutation. Lorsque M. Desaguliers, par exemple, pour établir que toutes les parties d'un fluide homogene sont en repos, a démontré à la rigueur, & d'une façon simple, qu'un liquide ne sauroit bouillir, il ne l'a fait, ce me semble, que parce qu'il a supposé tacitement que les parties d'un liquide sont libres, sui juris, au lieu qu'une observation facile découvre aux sens même que le feu les agite continuellement, & qu'il n'est point de liquidité sans chaleur ; ce que presque tous les Newtoniens semblent ignorer ou oublier, quoique leur maître l'ait expressément avancé. Voyez Optiq. quest. xxxj. Pour revenir à mon sujet, je dis que le mouvement de liquidité, & celui d'ébullition qui n'en est que le degré extrème, peuvent n'appartenir qu'à la masse, & que ce n'est qu'à la masse qu'ils appartiennent réellement dans l'eau, & dans plusieurs autres liquides.

Les qualités sensibles des corps peuvent au moins ne pas appartenir à leurs parties intégrantes ; un corps fort souple peut être formé de parties fort roides, comme on en convient assez généralement pour l'eau ; il seroit ridicule de chercher la raison du son dans une modification intérieure des parties intégrantes du corps sonore ; la couleur sensible d'une masse d'or, c'est-à-dire une certaine nuance de jaune, n'appartient point à la plus petite particule qui est or, quoique celle-ci soit nécessairement colorée, & que des faits démontrent même évidemment qu'elle l'est, mais d'une façon différente de la masse. Ceci est susceptible de la preuve la plus complete . (V. la doctrine chimique sur les couleurs, au mot PHLOGISTIQUE) : mais, je le répete, ce n'est pas de l'établissement de ces vérités que je m'occupe à présent ; il me suffit d'établir qu'il est au moins possible de concevoir une masse formée par des particules qui n'ayent aucune des propriétés qui se rencontrent dans la masse comme telle ; qu'il est très-facile de se représenter une masse d'or, c'est-à-dire un corps jaune, éclatant, sonore, ductile, compressible, divisible par des moyens méchaniques, rarescible jusqu'à la fluidité, condensable, élastique, pesant dix-neuf fois plus que l'eau ; de se représenter un pareil corps, dis-je, comme formé par l'assemblage de parties qui sont de l'or, mais qui n'ont aucune des qualités que je viens d'exposer : or cette vérité découle si nécessairement de ce que j'ai déjà proposé, qu'une preuve ultérieure tirée de l'expérience me paroît aussi inutile, que l'appareil de la Physique expérimentale à la démonstration de la force des leviers. Si quelque lecteur est cependant curieux de ce dernier genre de preuve, il le trouvera dans ce que nous allons dire de l'imitation de l'or.

Toutes ces qualités, je les appellerai extérieures, ou physiques, & j'observerai d'abord qu'elles sont accidentelles, selon le langage de l'école ; qu'elles peuvent périr sans que le corpuscule soit détruit, ou cesse d'être un corps tel ; ou, ce qui est la même chose, qu'elles sont exactement inutiles à la spécification du corps, non-seulement par la circonstance de pouvoir périr sans que l'être spécifique du corps soit changé, mais encore parce que réciproquement elles peuvent se rencontrer toutes dans un corps d'une espece différente. Car quoiqu'il soit très-difficile de trouver dans un corps intérieurement différent un grand nombre de qualités extérieures semblables, & que cette difficulté augmente lorsqu'on prend l'un des deux corps dans l'extrème de sa classe, qu'il en est, par exemple, le plus parfait, comme l'or dans celle des métaux, cependant cette ressemblance extérieure ne répugne point du tout avec une différence intérieure essentielle. Par exemple, je puis disposer l'or, & un autre corps qui ne sera pas même un métal, de façon qu'ils se ressembleront par toutes leurs qualités extérieures, & même par leur gravité spécifique ; car s'il est difficile de procurer à un corps non métallique la gravité spécifique de l'or, rien n'est si aisé que de diminuer celle de l'or : celui qui aura porté ces deux corps à une ressemblance extérieure parfaite, pourra dire de son or imité, en aurum Physicorum, comme Diogene disoit de son coq plumé, en hominem Platonis.

Outre toutes ces propriétés que j'ai appellées extérieures ou physiques, j'observe dans tout aggrégé des qualités que j'appellerai intérieures, de leur nom générique, en attendant qu'il me soit permis de les appeller chimiques, & de les distinguer par cette dénomination particuliere des autres qualités du même genre, telles que sont les qualités très-communes des corps, l'étendue, l'impénétrabilité, l'inertie, la mobilité, &c. Celles dont il s'agit ici sont des propriétés intérieures particulieres ; elles spécifient proprement le corps, le constituent un corps tel, font que l'eau, l'or, le nitre, &c. sont de l'eau, de l'or, du nitre, &c. & non pas d'autres substances ; telles sont dans l'eau la simplicité, la volatilité, la faculté de dissoudre les sels, & de devenir un des matériaux de leur mixtion, &c. dans l'or, la métallicité, la fixité, la solubilité par le mercure & par l'eau régale, &c. dans le nitre, la salinité neutre, la forme de ses crystaux, l'aptitude à être décomposé par le phlogistique & par l'acide vitriolique, &c. or ces qualités appartiennent toutes essentiellement aux parties intégrantes.

Toutes ces qualités sont dépendantes les unes des autres dans une suite qu'il est inutile d'établir ici, & elles sont plus ou moins communes : l'or, par ex. est soluble par le mercure comme métal ; il est fixe comme métal parfait ; il est soluble dans l'eau régale en un degré d'affinité spécifique comme métal parfait tel, c'est-à-dire comme or.

De ces qualités internes, quelques-unes ne sont essentielles aux corps que relativement à notre expérience, à nos connoissances d'aujourd'hui : la fixité de l'or, la volatilité du mercure, l'inamalgabilité du fer, &c. sont des propriétés internes de ce genre ; découvrir les propriétés contraires, voilà la source des problèmes de la Chimie pratique la moins vulgaire.

Il est d'autres propriétés internes qui sont tellement inhérentes au corps, qu'il ne sauroit subsister que par elles : ce sont toutes celles qui ont leur raison prochaine dans l'être élémentaire, ou dans l'ordre de mixtion des corpuscules spécifiques de chaque corps ; c'est ainsi qu'il est essentiel au nitre d'être formé par l'union de l'acide que nous appellons nitreux & de l'alkali fixe ; à l'eau, d'être un certain élément, &c.

Toutes les distinctions que nous avons proposées jusqu'à présent peuvent n'être regardées que comme des vérités de précision analytique, puisque nous n'avons considéré proprement dans les corps que des qualités ; nous allons voir que les différences qu'ils nous présenteront comme agens physiques ne sont pas moins remarquables.

1°. Les masses exercent les unes sur les autres des actions très-distinctes de celles qui sont propres aux corpuscules, & cela selon des lois absolument différentes de celles qui reglent les affections mutuelles des corpuscules. Les premieres se choquent, se pressent, se résistent, se divisent, s'élevent, s'abaissent, s'entourent, s'enveloppent, se pénetrent, &c. les unes les autres à raison de leur vîtesse, de leur masse, de leur gravité, de leur consistance, de leurs figures respectives ; & ces lois sont les mêmes, soit que l'action ait lieu entre des masses homogenes, soit qu'elle se passe entre des masses spécifiquement différentes. Une colonne de marbre, tout étant d'ailleurs égal, soûtient une masse de marbre comme une masse de plomb ; un marteau d'une matiere convenable quelconque, chasse de la même façon un clou d'une matiere convenable quelconque. Les actions mutuelles des corpuscules ne sont proportionnelles à aucune de ces qualités ; tout ce que les dernieres éprouvent les unes par rapport aux autres, se réduit à leur union & à leur séparation aggrégative, à leur mixtion, à leur décomposition, & aux phénomenes de ces affections : or il ne s'agit dans tout cela ni de chocs, ni de pressions, ni de frottemens, ni d'entrelassement, ni d'introduction, ni de coin, ni de levier, ni de vîtesse, ni de grosseur, ni de figure, &c. quoiqu'une certaine grosseur & une certaine figure soient apparemment essentielles à leur être spécifique. Ces actions dépendent des qualités intérieures des corpuscules, parmi lesquelles l'homogénéité & l'hétérogénéité méritent la premiere considération, comme condition essentielle : car l'aggrégation n'a lieu qu'entre des substances homogenes, comme nous l'avons observé plus haut ; l'hétérogénéité des principes au contraire est essentielle à l'union mixtive. Voyez MIXTION, DECOMPOSITION, SEPARATION.

2°. Toutes les masses gravitent vers un centre commun, ou sont pesantes ; elles ont chacune un degré de pesanteur connu & proportionnel à leur quantité de matiere propre sous un volume donné : la gravité absolue de tous les corpuscules n'est pas démontrée (voyez PRINCIPES & PHLOGISTIQUE) ; leur gravité spécifique n'est pas connue.

3°. Les masses adherent entr'elles à raison de leur vicinité, de leur grosseur, & de leur figure : les corpuscules ne connoissent point du tout cette loi ; c'est à raison de leur rapport ou affinité que se font leurs unions (voyez RAPPORT) ; & réciproquement les masses ne sont pas soûmises aux lois des affinités ; l'action menstruelle suppose au contraire la destruction de l'aggrégation (voyez MENSTRUE) ; & jamais de l'union d'une masse à une masse de nature différente, il ne résultera un nouveau corps homogene.

4°. Les corpuscules peuvent être écartés les uns des autres par la chaleur, cause avec laquelle on n'a plus besoin de la répulsion de Newton ; les masses ne s'éloignent pas les unes des autres par la chaleur. Voyez FEU.

5°. Certains corpuscules peuvent être volatilisés, aucune n'est volatile. Voyez VOLATILITE.

Jusqu'à présent nous n'avons opposé les corpuscules aux aggrégés, que par la seule circonstance d'être considérés solitairement, & nous n'avons eu aucun égard à la constitution intérieure des premiers : ce dernier aspect nous fournira de nouveaux caracteres distinctifs. Les voici :

1°. Les aggrégés sont homogenes ; & les corpuscules ou sont simples, ou sont composés de matériaux essentiellement différens. La premiere partie de cette proposition est fondée sur une définition ou demande ; la seconde exprime une vérité du même genre, & elle a d'ailleurs toute l'évidence que peut procurer une vaste expérience que nous avons à ce sujet. Voyez MIXTION.

2°. Les matériaux des corpuscules composés different non-seulement entr'eux, mais encore du corpuscule qui résulte de leur union, & par conséquent de l'aggrégé formé par l'assemblage de ces corpuscules : c'est ainsi que l'alkali fixe & l'acide nitreux different essentiellement du nitre & d'une masse de nitre ; & si cette division est poussée jusqu'aux élémens, nous aurons toute la différence d'une masse à un corps simple. Voyez notre doctrine sur les élémens, au mot PRINCIPE.

3°. Les principes de la miction ou de la composition des corpuscules, sont unis entr'eux par un noeud bien différent de celui qui opere l'union aggrégative ou le rapport de masse : le premier peut être rompu par les moyens méchaniques, aussi-bien que par les moyens chimiques ; le second ne peut l'être que par les derniers, savoir les menstrues & la chaleur ; & dans quelques sujets même ce noeud est indissoluble, du moins par les moyens vulgaires : l'or, l'argent, le mercure, & un très-petit nombre d'autres corps, sont des mixtes de cette derniere classe. Voyez MIXTE.

Les bornes dans lesquelles nous sommes forcés de nous contenir, ne nous permettent pas de pousser plus loin ces considérations : les propositions qu'elles nous ont fournies, quoique simplement énoncées pour la plûpart, prouvent, ce me semble, suffisamment que les affections des masses, & les affections des différens ordres de principes dont elles sont formées, peuvent non-seulement être distinguées par des considérations abstraites, mais même qu'elles different physiquement à plusieurs égards ; & l'on peut au moins soupçonner dès-à-présent que la physique des corps non organisés peut être divisée par ces différences en deux sciences indépendantes l'une de l'autre, du moins quant aux objets particuliers. Or elles existent, ces deux sciences, la division s'est faite d'elle-même ; & l'objet dominant de chacune remplit si exactement l'une des deux classes que nous venons d'établir, que ce partage qui a précédé l'observation raisonnée de la nécessité, est une nouvelle preuve de la réalité de notre distinction.

L'une de ces sciences est la Physique ordinaire, non pas cette Physique universelle qui est définie à la tête des cours de Physique, mais cette Physique beaucoup moins vaste qui est traitée dans ces ouvrages.

La seconde est la Chimie.

Que la Physique ordinaire, que je n'appellerai plus que Physique, se borne aux affections des masses, ou au moins que ce soit-là son objet dominant, c'est un fait que tout lecteur peut vérifier, 1°. sur la table des chapitres de tout traité de Physique ; 2°. en se donnant la peine de parcourir les définitions des objets généraux qui y sont examinés, & qui peuvent être pris dans différentes acceptions, par exemple, celle du mouvement, & ensuite de voir dans quel corps les Physiciens considerent le mouvement ; 3°. enfin en portant la vûe sur le petit nombre d'objets particuliers dont s'occupe la Physique, & qui nous sont communs avec elle, tels que l'eau, l'air, le feu, &c. Ces recherches lui découvriront que c'est toûjours des masses qu'il est question en Physique ; que le mouvement dont le Physicien s'occupe principalement est le mouvement propre aux masses ; que l'air est pour lui un fluide qui se comprime & qui se rétablit aisément, qui se met en équilibre avec les liquides qu'il soûtient à de certaines hauteurs, dans de certaines circonstances, dont les courans connus sous le nom de vents, ont telle ou telle vîtesse, qui est la matiere des rayons sonores ; en un mot que l'air du Physicien n'est uniquement que l'air de l'atmosphere, & par conséquent de l'air aggrégé ou en masse ; que son eau est un liquide humide, incompréhensible, capable de se réduire en glace & en vapeurs, soûmis à toutes les lois de l'hydraulique & de l'hydrostatique, qui est la matiere des pluies & des autres météores aqueux, &c. or toutes ces propriétés sont évidemment des propriétés de masse, excepté cependant l'humidité ; aussi est-elle mal entendue, pour l'observer en passant : car je demande qu'on me montre un seul liquide qui ne soit pas humide, sans en excepter même le mercure, & je conviendrai que l'humidité peut être un caractere spécial de quelques liquides. Quant au feu & à la qualité essentielle par laquelle Boerhaave, qui est celui qui en a le mieux traité physiquement, caractérise ce fluide ; savoir, la faculté de raréfier tous les corps : c'est évidemment à des masses de feu, ou au feu aggrégé, que cette propriété convient ; aussi le traité du feu de Boerhaave, à cinq ou six lignes près, est-il tout physique. La lumiere, autre propriété physique assez générale du feu, appartient uniquement au feu aggrégé.

La plûpart des objets physiques sont sensibles ou en eux-mêmes, ou au moins par leurs effets immédiats. Une masse a une figure sensible ; une masse en mouvement parcourt un espace sensible dans un tems sensible ; elle est retardée par des obstacles sensibles, ou elle est retardée sensiblement, &c. une masse élastique est applatie par le choc dans une partie sensible de sa surface, &c. cette circonstance soûmet à la précision géométrique la détermination des figures, des forces, des mouvemens de ces corps : elle fournit au géometre des principes sensibles, d'après lesquels il bâtit ce qu'il appelle des théories, qui depuis que le grand Newton a fait un excellent ouvrage en décorant la Physique du relief de ces sublimes connoissances, sont devenues la Physique.

La Physique d'aujourd'hui est donc proprement la collection de toutes les sciences physico-mathématiques : or jusqu'à-présent on n'a calculé que les forces & les effets des masses : car quoique les plus profondes opérations de la Géométrie transcendante s'exercent sur des objets infiniment petits, cependant comme ces objets passent immédiatement de l'abstraction à l'état de masse, qu'ils sont des masses figurées, doüées de forces centrales, &c. dès qu'ils sont considérés comme êtres physiques, les très-petits corps du physicien géometre ne sont pas les corpuscules que nous avons opposés aux masses ; & les calculs faits sur ces corps avec cette sagacité & cette force de génie que nous admirons, ne rendent pas les causes & les effets chimiques plus calculables, du moins plus calculés jusqu'à-présent.

Les Physiciens sont très-curieux de ramener tous les phénomenes de la nature aux lois méchaniques, & le nom le plus honnête qu'on puisse donner aux causes qu'ils assignent, aux agens qu'ils mettent en jeu dans leurs explications, c'est de les appeller méchaniques.

La Physique nous avouera elle-même sans-doute, sur la nature des objets que nous lui attribuons, & d'autant plus que nous ne lui avons pas enlevé ceux qu'elle a usurpés sur nous, & dont la propriété pouvoit la flater ; nous avons dit seulement que son objet dominant étoit la contemplation des masses.

Que la Chimie au contraire ne s'occupe essentiellement que des affections des différens ordres de principes qui forment les corps sensibles ; que ce soit là son but, son objet propre, le tableau abregé de la Chimie, tant théorique que pratique, que nous allons tracer dans un moment, le montrera suffisamment.

Nous observerons d'avance, pour achever le contraste de la Physique & de la Chimie :

1°. Que tout mouvement chimique est un mouvement intestin, mouvement de digestion, de fermentation, d'effervescence, &c. que l'air du Chimiste est un des principes de la composition des corps, surtout des corps solides, s'unissant avec des principes différens selon les lois d'affinité, s'en détachant par des moyens chimiques, la chaleur & la précipitation ; qu'il est si volatil, qu'il passe immédiatement de l'état solide à l'expansion vaporeuse, sans rester jamais dans l'état de liquidité sous le plus grand froid connu, vûe nouvelle qui peut sauver bien des petitesses physiques ; que l'eau du Chimiste est un élément, ou un corps simple, indivisible, & incommutable, contre le sentiment de Thalès, de Van-Helmont, de Boyle, & de M. Eller, qui s'unit chimiquement aux sels, aux gommes, &c. qui est un des matériaux de ces corps, qui est l'instrument immédiat de la fermentation, &c. que le feu, considéré comme objet chimique particulier, est un principe capable de combinaison & de précipitation, constituant dans différens mixtes dont il est le principe, la couleur, l'inflammabilité, la métallicité, &c. qu'ainsi le traité du feu, connu sous le nom des trecenta de Stahl, est tout chimique.

Nous avons dit le feu considéré comme objet chimique particulier, parce que le feu aggrégé, considéré comme principe de la chaleur, n'est pas un objet chimique, mais un instrument que le Chimiste employe dans les opérations de l'art, ou un agent universel dont il contemple les effets chimiques dans le laboratoire de la nature.

En général, quoique le Chimiste ne traite que des aggrégés, puisque les corps ne se présentent jamais à lui que sous cette forme, ces aggrégés ne sont jamais proprement pour lui que des promptuaria de sujets vraiment chimiques, de corpuscules ; & toutes les altérations vraiment chimiques qu'il lui fait essuyer, se réduisent à deux. Ou il attaque directement ses parties intégrantes, en les combinant une à une, ou en très-petite quantité numérique avec les parties intégrantes d'un autre corps de nature différente, & c'est la dissolution chimique ou la syncrese. Voyez MENSTRUE, SYNCRESE, & la suite de cet article. Cette dissolution est le seul changement chymique qu'il puisse produire sur un aggrégé d'élémens. Ou il décompose les parties intégrantes de l'aggrégé, & c'est là l'analyse chimique ou la diacrese. Voy. DIACRESE, ANALYSE VEGETALE, au mot VEGETAL, & la suite de cet article. En un mot, tant qu'il ne s'agit que des rapports des parties intégrantes de l'aggrégé entr'elles, le phénomene n'est pas chimique, quoiqu'il puisse être dû à des agens chimiques ; par exemple, la division d'un aggrégé, poussée même jusqu'à l'unité individuelle de ses parties, n'est pas chimique ; c'est ainsi que la pulvérisation même philosophique ne l'est point quant à son effet ; la diacrese, pour être chimique, doit séparer des parties spécifiquement dissemblables.

Il faut observer pourtant que quoique certains changemens intestins que la chaleur fait éprouver aux corps aggrégés, ne soient chimiques à la rigueur que lorsque leur énergie est telle qu'ils portent jusque sur la constitution intérieure des corpuscules, il faut observer, dis-je, que ces changemens n'étant en général que des effets gradués de la même cause, ils doivent être considérés dans toute leur extension comme des objets mixtes, ou comme des effets dont le degré physique même est très-familier au chimiste. Ces effets de la chaleur modérée, que nous appellons proprement physiques, sont la raréfaction des corps, leur liquéfaction, leur ébullition, leur vaporation, l'exercice de la force élastique dans les corps comprimés, &c. Aussi les Chimistes sont-ils de bons physiciens sur toutes ces questions ; du-moins il me paroît que c'est en poursuivant sur ces effets une analogie conduite de ceux où la cause agit le plus manifestement (or ceux-là sont des objets familiers au seul chimiste), à ceux où son influence est plus cachée, que je suis parvenu à rapprocher plusieurs phénomenes qui sont généralement regardés comme très-isolés ; à découvrir par exemple que le méchanisme de l'élasticité est le même dans tous les corps, qu'ils sont tous susceptibles du même degré d'élasticité, & que ce n'est que par des circonstances purement accidentelles que les différens corps qui nous environnent ont des différences spécifiques à cet égard ; que l'élasticité n'est qu'un mode de la rareté & de la densité, & qu'au premier égard elle est par conséquent toûjours dûe à la chaleur aussi-bien que tous les autres phénomenes attribués à la répulsion newtonienne, qui n'est jamais que la chaleur. Voyez FEU, RAPPORT.

2°. Les objets chimiques n'agissent pas sensiblement. L'effet immédiat du feu & celui des menstrues, qui sont les deux grands agens chimiques, sont insensibles. La mixtion se fait dans un tems incommensurable, in instanti ; aussi ces actions ne se calculent-elles point, du moins n'a-t-on fait là-dessus jusqu'à présent que des tentatives malheureuses.

3°. Les Chimistes ne s'honorent d'aucun agent méchanique, & ils trouvent même fort singulier que la seule circonstance d'être éloignés souvent d'un seul degré de la cause inconnue, ait rendu les principes méchaniques si chers à tant de philosophes, & leur ait fait rejetter toute théorie fondée immédiatement sur les causes cachées, comme si être vrai n'étoit autre chose qu'être intelligible, ou comme si un prétendu principe méchanique interposé entre un effet & sa cause inconnue, les rassûroit contre l'horreur de l'intelligible. Quoiqu'il en soit, ce n'est pas par le goût contraire, par un courage affecté, que les Chimistes n'admettent point de principes méchaniques, mais parce qu'aucun des principes méchaniques connus n'intervient dans leurs opérations ; ce n'est pas aussi parce qu'ils prétendent que leurs agens sont exempts de méchanisme, mais parce que ce méchanisme est encore inconnu. On reproche aussi très-injustement aux Chimistes de se plaire dans leur obscurité ; pour que cette imputation fût raisonnable, il faudroit qu'on leur montrât des principes évidens & certains : car enfin ils ne seront pas blâmables tant qu'ils préféreront l'obscurité à l'erreur ; & s'il y a quelque ridicule dans cette maniere de philosopher, ils sont tous résolus à le partager avec Aristote, Newton, & cette foule d'anciens philosophes dont M. de Buffon a dit dans son histoire naturelle qu'ils avoient le génie moins limité, & la philosophie la plus étendue ; qu'ils s'étonnoient moins que nous des faits qu'ils ne pouvoient expliquer ; qu'ils voyoient mieux la nature telle qu'elle est ; & qu'une sympathie, une correspondance n'étoit pour eux qu'un phénomene, tandis que c'est pour nous un paradoxe, dès que nous ne pouvons le rapporter à nos prétendues lois de mouvement. Ces hommes savoient que la nature opere la plûpart de ses effets par des moyens inconnus ; que nous ne pouvons nombrer ses ressources ; & que le ridicule réel, ce seroit de vouloir la limiter, en la réduisant à un certain nombre de principes d'action & de moyens d'opérations ; il leur suffisoit d'avoir remarqué un certain nombre d'effets relatifs & de même ordre pour constituer une cause. Les Chimistes font-ils autre chose ?

Ils recevroient avec empressement & reconnoissance toute explication méchanique qui ne seroit pas contredite par des faits : ils seroient ravis par exemple de pouvoir se persuader, avec J. Keill & Freind, que le méchanisme de l'effervescence & de la fermentation consiste dans l'action mutuelle de certains corpuscules solides & élastiques, qui se portent avec force les uns contre les autres, qui rejaillissent proportionnellement à leur quantité de mouvement & à leur élasticité, qui se choquent de nouveau pour rejaillir encore, &c. Mais cette explication, aussi ingénieuse qu'arbitraire, est démentie par des faits qui font voir clairement que le mouvement d'effervescence & celui de fermentation sont dûs au dégagement d'un corps subtil & expansible, opéré par les lois générales des affinités, c'est-à-dire par un principe très-peu méchanique. Voyez EFFERVESCENCE & FERMENTATION.

Plûtôt que de s'avouer réduits à énoncer simplement qu'une dissolution n'est autre chose que l'exercice d'une certaine tendance ou rapport par lequel deux corps miscibles sont portés l'un vers l'autre, n'aimeroient-ils pas mieux se figurer une dissolution sous l'image très-sensible d'un menstrue armé de parties roides, solides, massives, tranchantes, &c. d'un côté ; sous celle d'un corps percé d'une infinité de pores proportionnés à la masse & même à la figure des parties du menstrue, de l'autre ; & enfin sous celle de chocs réitérés des parties du menstrue contre la masse des corps à dissoudre, de leur introduction forcée dans ses pores, sous celle d'un édifice long-tems ébranlé, & enfin ruiné jusque dans ses derniers matériaux ; images sous lesquelles les Physiciens ont représenté ce phénomene. Ils l'aimeroient mieux sans contredit, parce qu'une explication est une richesse dans l'ordre des connoissances ; qu'elle en grossit au moins la somme ; que le relief que cette espece de faste savant procure n'est pas un bien imaginaire ; & qu'au contraire un énoncé tout nud décele une indigence peu honorable : mais si l'explication dont il s'agit ne suppose pas même qu'on se soit douté des circonstances essentielles du phénomene qu'on a tenté d'expliquer ; si cette destruction de la masse du corps à dissoudre, dont on s'est mis tant en peine, est purement accidentelle à la dissolution qui a lieu de la même façon entre deux liqueurs ; & enfin si cette circonstance accidentelle a si fort occupé le théoricien qu'il a absolument oublié la circonstance essentielle de la dissolution, savoir l'union de deux substances entre lesquelles elle a eu lieu, il n'est pas possible de se payer d'une monnoie de si mauvais aloi. Boerhaave lui-même, que nous sommes ravis de citer avec éloge lorsque l'occasion s'en présente, a connu parfaitement le vice de cette explication, qu'il a très-bien réfutée. Voyez Boerhaave, de menstruis, Element. Chymiae, part. II.

Nous voudrions bien croire encore avec Freind que la dissolution est de toutes les opérations chimiques celle qui peut être ramenée le plus facilement aux lois méchaniques, & en admettre avec lui ces deux causes fort simples, savoir la plus grande légereté du dissolvant procurée par le mélange d'une liqueur moins pesante, & l'effusion d'une liqueur pesante qui, en descendant avec effort, entraîne avec elle les particules du corps dissous, &c. Mais trop de faits démontrent évidemment le chimérique de ces suppositions si gratuites d'ailleurs en soi. Versez tant d'esprit-de-vin qu'il vous plaira dans une dissolution la plus saturée d'un sel neutre déliquescent, par ex. de la terre foliée ; vous n'en précipiterez pas un atome ; un corps dissous dans l'acide vitriolique le plus concentré n'en sera que plus constamment soûtenu, si vous ajoûtez de l'eau à la dissolution, &c. Faites tomber avec telle vîtesse que vous voudrez, la liqueur la plus pesante de la nature, le mercure, dans telle dissolution d'un sel neutre à base terreuse ou saline qu'il vous plaira, & vous n'en détacherez rien.

Nous voudrions bien admettre avec Boyle que les conditions essentielles pour la fixité, sont la grosseur des parties constituantes du corps fixe, la gravité, ou la solidité de ces corpuscules, & enfin leur inaptitude à l'avolation prise de leur figure rameuse, crochue, courbe, irréguliere en un mot, & s'opposans à ce qu'elles puissent se débarrasser les unes des autres, comme étant entrelacées, &c. & faire dépendre la volatilité des qualités contraires, &c. mais les faits dérangent toutes ces idées : des corps acquierent de la volatilité en acquérant de la grosseur, comme la lune cornée. Que si Boyle me dit, & il n'y manquera pas, que l'acide marin lui donne des aîles, en étendant sa surface, je lui répondrai que cela même devroit nuire à la troisieme condition, en augmentant l'irrégularité de figure propre à entrelacer, &c. Des corps pesans ou solides sont volatils, le mercure ; &c. des corps legers ou rares sont fixes, l'alkali fixe, &c. En un mot, quant à ces figures, ces entrelacemens de parties, ces spires si cheres à Boyle, & si ingénieuses, il faut l'avoüer, nous les regrettons réellement ; mais les phénomenes des mixtions, des précipitations, des raréfactions, des coagulations, &c. nous démontrent trop sensiblement que toute union de petits corps ne se fait que par juxtaposition, pour que nous puissions nous accommoder de ces méchanismes purement imaginaires. Mais la doctrine de Newton, postérieure sur ce point à celle de Becker, comme je l'observe ailleurs, les a décrédités assez généralement, pour qu'il soit inutile d'insister sur leur réfutation. En un mot, les actions méchaniques dont il s'agit ici, sont mises en jeu sans fondement ; nous osons même défier qu'on nous présente une explication d'un phénomene chimique fondée sur les lois méchaniques connues, dont nous ne démontrions le faux ou le gratuit.

Il est clair que deux sciences qui considerent des objets sous deux aspects si différens, doivent non-seulement fournir des connoissances particulieres, distinctes, mais même avoir chacune un certain nombre de notions composées, & une certaine maniere générale d'envisager & de traiter ses sujets, qui leur donnera un langage, une méthode & des moyens différens. Le physicien verra des masses, des forces, des qualités ; le chimiste verra des petits corps, des rapports, des principes. Le premier calculera rigoureusement, il réduira à des théories des effets sensibles & des forces, c'est-à-dire qu'il soûmettra ces effets & ces forces au calcul (car c'est-là la théorie du physicien moderne) & il établira des lois que les expériences confirmeront à-peu-près ; je dis à-peu-près, parce que les Mathématiciens conviennent eux-mêmes que l'exercice des forces qu'ils calculent suppose toûjours un modo nihil obstet, & que le cas où rien ne s'oppose, n'existe jamais dans la nature. Les théories du second seront vagues & d'approximation ; ce seront des expositions claires de la nature, & des propriétés chimiques d'un certain corps, ou d'un certain principe considéré dans toutes les combinaisons qu'il peut subir par la nature & par l'art ; de ses rapports avec les corps ou les principes d'une certaine classe, & enfin des modifications qu'il éprouve ou qu'il produit à raison de ces combinaisons & de ces rapports, le tout posé sur des faits majeurs ou fondamentaux découverts par ce que j'appellerai un pressentiment expérimental, sur des indices d'expériences vagues ou du tâtonnement, mais jamais fourni immédiatement par ces derniers secours. Voyez PHLOGISTIQUE, NITRE, SEL MARIN, VITRIOL, &c. En un mot, le génie physicien porté peut-être au plus haut degré où l'humanité puisse atteindre, produira les principes mathématiques de Newton, & l'extrème correspondant du génie chimiste, le specimen becherianum de Stahl.

Tant que le chimiste & le physicien philosopheront chacun à leur maniere sur leurs objets respectifs, qu'ils les analyseront, les compareront, les raprocheront, les composeront, & que sur leurs objets communs ce sera celui qui aura le plus vû qui donnera le ton, tout ira bien.

Mais si quelqu'un confond tout ce que nous avons distingué, soit parce qu'il n'a pas soupçonné l'existence & la nécessité de cette distinction, à cause de sa vûe courte, ou parce qu'il l'a rejettée à force de tête : si le chimiste se mêle des objets physiques, ne sachant que la Chimie, ou si le physicien propose des lois à la Chimie, ne connoissant que les phénomenes physiques : si l'un applique les lois des masses aux affections des petits corps, ou si l'autre transporte les affections des petits corps aux actions des masses : si l'on traite more chimico les choses physiques, & les chimiques more physico : si l'on veut dissoudre un sel avec un coin, ou faire tourner un moulin par un menstrue, tout ira mal.

Le simple chimiste, ou le simple physicien a-t-il embrassé lui seul la science générale des corps, & a-t-il prétendu assujettir à ses notions particulieres, des propriétés communes ? la science générale sera défectueuse & mauvaise ; lorsqu'il lui arrivera de descendre par la synthese, de ces principes qu'il prendra pour généraux, & pour des données sur lesquelles il peut compter, il faudra nécessairement qu'il s'égare. Or toutes les Métaphysiques physiques, ou pour me servir de l'expression de Wolf, toutes les Cosmologies que je connois sont des ouvrages de physiciens. Quelques-unes marqueront, si l'on veut, les plus grands efforts du génie ; je consens même qu'il y en ait qu'il soit impossible de détruire & de réfuter, parce que ce sont des enchaînemens de notions abstraites & de définitions nominales, que le métaphysicien a déterminées & circonscrites à sa fantaisie ; mais la science générale des propriétés des corps n'en existera pas pour cela plus solide & plus réelle ; quand je dis la science générale des corps, j'entends des corps physiques, tels que nous les observons dans la nature, avec toutes leurs conditions, & non des corps dépouillés, & presque anéantis par des abstractions.

Nous pouvons assûrer de la plûpart des prétendues vérités générales qui servent de bases aux systèmes généraux subsistans, sans en excepter les fameux principes de Leibnitz, ce que M. Merian a dit du Spinosisme dans un mémoire sur l'apperception, hist. de l'acad. de Prusse, 1749 ; que c'est dans le passage de l'abstraction à la réalité que ces vérités trouvent leur terme fatal, & qu'il n'y a qu'à tenter ce passage pour voir s'écrouler de soi-même le colosse qu'elles soûtenoient.

C'est des différentes sources que nous venons d'indiquer, que sont sorties mille erreurs, à-propos desquelles nous pourrions dire à ceux qui les avancent avec le plus de confiance, en parodiant le célebre bon mot d'Apelle, Parlez plus bas ; vous feriez rire nos porteurs de charbon, s'ils vous entendoient. Le catalogue exact de toutes les erreurs de ce genre qui sont venues à notre connoissance, seroit sans-doute très-important à l'intérêt de la vérité & au progrès de la bonne doctrine ; mais il seroit infini. Il mérite bien d'être donné dans un ouvrage qui pourroit avoir pour titre Institutions de Physique-Chimique, & où l'on se proposeroit expressément de substituer des vérités à ces erreurs. Nous prierons le lecteur de se contenter en attendant de celle que nous avons eu occasion de citer, & de quelques autres qui se présenteront encore. Je ne connois aucun chimiste d'un certain nom qui ait osé faire des excursions sur les terres de la Physique ; s'il en est, comme nous les jugeons aussi mal avisés & aussi téméraires que les Physiciens qui se sont répandus sur les nôtres, nous les blâmons & nous les abandonnons.

La Chimie est une science qui s'occupe des séparations & des unions des principes constituans des corps, soit opérées par la nature, soit opérées par l'art, dans la vûe de découvrir les qualités de ces corps, ou de les rendre propres à divers usages.

Les objets particuliers de la Chimie sont tous les phénomenes, soit naturels, soit artificiels, qui dépendent des séparations & des unions des principes des corps. Les naturels sont la maturation des fruits, la formation des gommes, des extraits, des résines, des sels végétaux, &c. l'élaboration & les diverses altérations des alimens des animaux, & de leurs diverses humeurs ; la génération des métaux, des pierres, des crystallisations naturelles, des sels fossiles, du soufre, des bitumes, &c. l'imprégnation & la chaleur des eaux minérales, l'inflammation des volcans, la nature de la foudre & des autres feux allumés dans l'atmosphere, &c. en un mot tous les phénomenes de la Botanique physique, excepté ceux qui appartiennent à l'organisation des végétaux ; tous ceux qui appartiennent à cette branche de l'oeconomie animale qui est fondée sur les affections des humeurs ; tous ceux qui constituent l'oeconomie minérale que Becker a appellée physique soûterraine, ou qui sont dûs aux changemens chimiques survenus dans ces corps ; & enfin ceux que présentent dans l'atmosphere certaines matieres détachées des végétaux, des animaux, ou des minéraux.

Les phénomenes chimiques artificiels sont tous ceux qui nous sont présentés par les opérations chimiques, & ceux qui constituent la théorie de ces opérations elles-mêmes.

Nous appellons opérations, tous les moyens particuliers employés à faire subir aux sujets de l'art les deux grands changemens énoncés dans la définition de la Chimie, c'est-à-dire à effectuer des séparations & des unions.

Ces opérations ou sont fondamentales & essentiellement chimiques, ou elles sont simplement préparatoires & méchaniques. Voyez OPERATIONS CHIMIQUES.

Les deux effets généraux, primitifs, & immédiats de toutes les opérations chimiques, savoir la séparation & l'union des principes, sont plus connus dans l'art sous le nom de diacrese & de syncrese. La premiere est appellée aussi par plusieurs chimistes analyse, décomposition, corruption, solution, destruction ; & la seconde, mixtion, génération, synthese, combinaison, coagulation, & même confusion par quelques-uns : chacune de ces expressions est prise dans un sens plus ou moins général par divers auteurs, & même en différens sens par les mêmes. Le mot de mixtion, dans la doctrine de Becker & de Stahl, signifie, par exemple, tantôt l'union de différens principes en général, & tantôt l'union des élémens en particulier, ou celle qui constitue des mixtes proprement dits. Voyez MIXTION.

Les noms les plus usités parmi les Chimistes françois, sont ceux d'analyse & de décomposition pour le premier effet général, & ceux de combinaison & de mixtion pour le deuxieme.

Il est très-peu d'opérations chimiques qui ne produisent qu'un de ces effets, ou qui appartiennent exactement à la diacrese ou à la syncrese : la plûpart au contraire sont mixtes, c'est-à-dire qu'elles produisent des séparations & des unions qui sont entr'elles dans un rapport de cause & d'effet. Voyez DIACRESE, SYNCRESE, OPERATIONS CHIMIQUES.

Les opérations chimiques s'exécutent par deux agens généraux, la chaleur & les menstrues.

L'action de ces deux causes se complique diversement dans les différentes opérations, selon le petit nombre des lois suivantes.

1°. La chaleur seule opere rarement des séparations pures ; & les corps résistent d'autant plus à son action dissociante, qu'ils sont d'un ordre de mixtion moins composé. Nos corps simples & nos mixtes parfaits sont inaltérables par la chaleur seule, du moins par le plus haut degré de chaleur que nous sachions leur appliquer dans les vaisseaux fermés, c'est-à-dire sans le concours de l'air, de l'eau, & du feu menstrue ; plusieurs composés même éludent absolument cette action. Tels sont le tartre vitriolé, le sel marin, &c.

2°. La chaleur est nécessaire à toute action menstruelle, au moins comme condition essentielle ; car il est impossible, du moins il est très-rare que cette derniere action ait lieu entre deux corps solides ou gelés (ce qui est proprement la même chose), & elle ne peut être exercée que l'aggrégation de l'un des deux corps ne soit très-lâche : or cette laxité suffisante ne se trouve ordinairement que dans l'état de liquidité, qui est essentiellement dépendant de la chaleur. C'est sur cette observation qu'est fondé l'axiome chimique, menstrua non agunt nisi sint soluta.

3°. Non-seulement tout menstrue doit pour agir être secondé d'une chaleur absolue, mais même son activité est proportionnelle au degré de chaleur dont il est animé ; ou, pour parler sans figure, à son degré de rareté ou d'expansion : car, comme nous l'avons déjà observé, & comme nous le prouverons au mot MENSTRUE, le méchanisme de la dissolution ne consiste point du tout dans le mouvement du menstrue ; & cette division du corps à dissoudre, par laquelle on se figure ordinairement son action, n'en donne qu'une fausse idée. Voyez MENSTRUE.

4°. La chaleur appliquée à un corps composé, non-seulement desunit ses différens principes, mais même les met ordinairement en jeu, & favorise par-là de nouvelles combinaisons. L'extrait d'une plante, par exemple, est une substance très-composée, portant en soi des principes de réaction. Ces principes dégagés de leurs premiers liens par un feu suffisant, exercent l'action menstruelle en opérant des précipitations qui supposent des dégagemens & des combinaisons nouvelles. Voyez DISTILLATION, PRECIPITATION, MENSTRUE ; voyez ANALYSE VEGETALE, au mot VEGETAL ; voyez FEU.

Ces dégagemens & ces nouvelles combinaisons sont assez multipliés pour qu'on n'ait dû avoir que des théories très-fausses des opérations qui les produisoient, tant qu'on n'a pas sû qu'elles les produisoient en effet, ou qu'on n'a pas été en état de les estimer. C'est parce que quelques anciens Chimistes ont ignoré les vrais effets de la chaleur sur les principes des corps, qu'ils ont tant abusé de ce moyen chimique ; c'est parce que les détracteurs de la Chimie ont ignoré qu'on pouvoit prévenir ces changemens ou les évaluer exactement, qu'ils ont combattu par de mauvaises raisons l'analyse par le feu seul, qui étoit l'unique qui fût connue de leur tems, & par conséquent la Chimie qui n'étoit pour eux que l'art d'exécuter cette analyse (voyez dans l'historique qui terminera cet article, l'endroit de Boyle) ; c'est parce que les Chimistes modernes ont découvert une meilleure méthode, savoir l'analyse menstruelle, qu'ils ont abandonné l'analyse ancienne ; & c'est enfin parce que l'art est assez avancé aujourd'hui pour évaluer exactement le jeu de tous les réactifs excités par la chaleur dans le corps le plus composé, que l'on pourroit les examiner par son seul secours, c'est-à-dire par la distillation à la violence du feu, sans autre inconvénient que de se proposer à la façon des Géometres & avec le même degré d'utilité, un problème chimique très-compliqué.

Les Chimistes employent dans leurs opérations divers instrumens : fourneaux, vaisseaux, luts, intermedes, & autres ustenciles, qui tous ensemble font le suppellex chimica, les meubles d'un laboratoire. Voy. INSTRUMENS DE CHIMIE, FOURNEAU, LUT, INTERMEDE, LABORATOIRE, & les articles particuliers.

Nous n'admettons pas l'inutile distinction de ces instrumens appellés particuliers & artificiels par la plûpart des chimistes ; de ces instrumens, dis-je, & des instrumens appellés par les mêmes chimistes naturels & généraux, savoir le feu, l'air, l'eau, & la terre : 1°. parce que lorsque ces derniers corps agissent par leurs qualités intérieures, & qu'ils éprouvent matériellement les changemens chimiques, ils ne sont plus des instrumens, mais des menstrues ; l'air agit comme menstrue dans la calcination, le feu dans la réduction, l'eau dans la fermentation, & la terre dans certaines fixations ; voy. MENSTRUE : 2°. parce que le rapport ou la qualité commune par laquelle ces quatre substances, considérées comme agens médiats ou méchaniques, sont classées sous le nom commun d'instrumens naturels, n'existe point ; car quoi de plus forcé, que d'établir une certaine identité entre le feu considéré comme cause de chaleur, la terre fournissant des cornues & des fourneaux ; l'eau un intermede, & l'air un courant qui anime le feu de nos fourneaux ? 3°. parce que deux de ces prétendus instrumens naturels, la terre & l'eau, agissant comme secours éloignés, par leur masse, ne different en rien d'essentiel de l'instrument le plus méchanique & le plus particulier ; que l'eau d'un bain-marie, par exemple, n'est qu'un intermede plus commode, dans diverses opérations, qu'un bain de sable, de cendre, de limaille, &c. & non pas un instrument vraiment distinct & nécessairement requis dans certaines opérations, ainsi que se le persuadent quelques manoeuvres qui regarderoient une distillation faite à feu nud ou au bain de sable, comme très-essentiellement différente d'une distillation faite au bain-marie, par la seule circonstance d'être faite à feu nud ou au bain de sable. Ainsi il faudroit au moins abandonner ces deux prétendus instrumens naturels : quant à l'air, la propriété d'exciter le feu lui est assez particuliere pour le distinguer par-là, au moins dans la pratique ; mais cet agent est si peu chimique à cet égard, comme l'on voit, que ce n'est pas la peine d'en faire un instrument chimique distinct, & encore moins un instrument général. Ce sera donc proprement au feu seul ou à la chaleur, que le nom d'instrument naturel & général conviendra : mais nous aimons mieux lui laisser celui d'agent ou de cause, par lequel nous l'avons désigné jusqu'ici.

L'explication suffisamment détaillée de l'action de nos deux grands agens, du secours que nous tirons de nos instrumens, la théorie des opérations & des phénomenes chimiques, voilà l'art chimique, ou son système d'instrumens & de regles. Un vrai traité de Chimie pratique, un traité élémentaire, des institutions pratiques, devroient embrasser ce système. Or ce traité n'existe point ; presque tous nos livres de Chimie sont des histoires pratiques des trois regnes de la nature, & ne peuvent guere être comparés qu'à nos cours de Chimie, où suivant un ordre fort arbitraire & assez indifférent, on enseigne à des commençans ce qu'il faut en effet commencer de savoir, l'histoire des propriétés chimiques d'un certain nombre de corps de différentes classes & de divers genres, especes, &c. histoire qu'il n'est pas possible de faire sans offrir en même tems la maniere de procéder aux opérations particulieres, & de se servir des instrumens. Cette étude dispose l'oeil & la main à une expérience qu'il est de la derniere importance d'acquérir, par la facilité qu'on en obtient pour la vérification de ses propres idées, & pour saisir certains phénomenes fugitifs & solitaires, qui germent toûjours dans l'entendement du philosophe, mais qui n'y peuvent être jettés que par des sens exercés.

Malgré l'utilité & la nécessité de ces connoissances particulieres, le chimiste qui les possédera ne sera encore qu'un manoeuvre, s'il ne les a combinées sous la forme scientifique d'un système ; forme sous laquelle nous achevrons de les présenter dans ce Dictionnaire. Voy. les différens articles, tels que CALCINATION, CEMENTATION, DISTILLATION, MIXTION, OPERATION, INSTRUMENT, &c.

Les trois regnes de la nature dont nous venons de faire mention, sont trois grandes divisions dans lesquelles nous avons distribué les sujets chimiques ; les minéraux, les végétaux, les animaux, remplissent ces divisions. Voyez ANIMAL, VEGETAL, NERALERAL.

Les corps de chacun de ces trois regnes sont distingués entr'eux par leur simplicité, ou par leur ordre de mixtion ; ils sont des corps simples, des mixtes, des composés, des surcomposés, &c. caractere essentiel relativement aux moyens par lesquels le chimiste doit procéder à leur examen. V. MIXTION.

L'analyse de tous les corps composés nous a appris que chacun de ces corps pouvoit se résoudre immédiatement en d'autres substances essentiellement différentes ; qu'on pouvoit diviser celles-ci en d'autres substances différentes aussi entr'elles, qui pouvoient être encore ou simples ou composées, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on fût arrivé par ordre jusqu'aux élémens qui ne constituoient eux-mêmes le premier ordre de composition que réunis plusieurs ensemble, & différens en nature.

Ces différens corps dont nous venons de parler, considérés comme matériaux d'autres corps plus composés, les Chimistes les ont appellés en général principes, & ils ont donné le nom de premiers principes aux corps simples, qu'ils ont appellés aussi élémens ; & celui de principes secondaires ou principes principiés, à ceux qu'ils pouvoient décomposer ultérieurement. Voyez la doctrine des principes des Chimistes, l'histoire des erreurs sur cette matiere de plusieurs d'entr'eux, & celle des erreurs plus grossieres encore des Physiciens qui les ont combattues, au mot PRINCIPE.

Si le Chimiste réussit à réunir par ordre tous les principes qu'il a séparés par ordre, & à recomposer le corps qu'il avoit analysé, il parvient au complément de la démonstration chimique : or l'art a atteint ce degré de perfection sur plusieurs objets essentiels. Voyez SYNCRESE.

L'usage, l'emploi des menstrues dans les opérations chimiques, nous a découvert dans les petits corps une propriété que je généralise sous le nom de solubilité ou miscibilité (voyez MISCIBILITE), & que je mets à la place de l'attraction de cohésion des Newtoniens ; attraction qui ne sauroit avoir lieu entre ces corps considérés comme matiere, puisque la matiere, le sujet des propriétés des corps n'est qu'un être abstrait (voyez PRINCIPES), & que les corps miscibles ne s'attirent entr'eux que selon certains rapports, qui supposent nécessairement l'hétérogénéité ; en un mot par une propriété relative, & nullement par une propriété absolue. Voyez RAPPORT.

Je puis démontrer aussi que cette solubilité en acte, ou l'union chimique (aussi-bien que l'union aggrégative ou l'attraction physique) est sans-cesse contre-balancée par la chaleur, & non pas alternée par la répulsion. Ainsi je differe des Newtoniens sur ce point à deux égards ; 1°. parce que je connois la cause de la répulsion, qui est toûjours le feu ; 2°. parce que je considere la cohésibilité & la chaleur comme deux agens qui se contre-balancent & qui peuvent se surmonter réciproquement : au lieu que les Newtoniens considerent l'attraction & la répulsion comme deux phénomenes isolés, dont l'un commence quand l'autre finit. Voyez FEU, MISCIBILITE, RAPPORT.

Les rapports & la chaleur que nous avons substitués à l'attraction & à la répulsion des physiciens modernes, sont les deux grands principes de tous les phénomenes de la Chimie.

Voilà les premiers linéamens de ce qu'on peut appeller sapientia chimica. Quelques demi-philosophes seront peut-être tentés de croire que nous nous sommes élevés aux généralités les plus hautes ; mais nous savons bien au contraire, que nous nous en sommes tenus aux notions qui découlent le plus immédiatement des faits & des connoissances particulieres, & qui peuvent éclairer de plus près la pratique.

En effet il ne seroit pas impossible de faire disparoître toutes ces distinctions que nous avons tant multipliées ; tous ces aspects différens sous lesquels nous avons considéré les corps, en jettant là-dessus un de ces coups d'oeil supérieurs dans lesquels on montre d'autant plus d'étendue dans le génie, qu'on identifie davantage les causes & les effets. Mais ces efforts nuiroient à la science pratique dans tous ceux qui n'auroient ni cette capacité de vûe qui sait embrasser & les plus grandes choses & les plus petites, ni cette aptitude qu'ont certains hommes extraordinaires, de concentrer dans les méditations les plus abstraites toutes leurs facultés intellectuelles, & de sortir de cette espece de léthargie philosophique, où tous leurs sens sont pour ainsi dire suspendus, pour en reprendre l'usage avec plus de vivacité, les disperser avec avidité sur tous les objets qui les environnent, & se passionner de l'importante & curieuse minutie des détails.

Ce qui peut avoir quelque ressemblance éloignée avec ces hautes contemplations, dans ce que nous avons exposé plus haut, n'est qu'un simple résumé de réflexions suggérées par l'exercice immédiat des sens ; ce n'est que l'expérience de l'ouvrier, décorée du vernis de la science. Exemple : dans une opération chimique on a toûjours l'aggrégation à rompre, & quelquefois la mixtion de certains corps à ménager ; donc une des premieres distinctions indiquées par l'habitude du laboratoire, c'est celle qui établit les caracteres respectifs de l'aggrégation & de la mixtion ; deux expressions premieres & fondamentales dans l'idiome chimique, qui fourniront seules de quoi énoncer scientifiquement, c'est-à-dire par leurs causes prochaines, tous les effets de la chaleur employée dans le traitement des différens corps. Ainsi la manoeuvre dit : un certain degré de feu fond l'or, dissipe l'eau, calcine le plomb, fixe le nitre, analyse le tartre, le savon, un extrait, un animal, &c. Et la science dit : un certain degré de feu lâche l'aggrégation de l'or, détruit celle de l'eau, attaque la mixtion du plomb & la composition du nitre, excite des réactifs dans le tartre, le savon, un extrait, un animal. La manoeuvre & la science ont pareillement leur langage dans l'exposition des phénomenes de l'action des menstrues. La manoeuvre dit : l'acide nitreux trop concentré n'attaque point l'argent, mais étendu d'une certaine quantité d'eau & excité par un certain degré de chaleur, il le dissout. La science dit : l'union aggrégative de l'acide concentré est supérieure à son rapport avec l'argent, & l'eau ajoûtée au menstrue relâche cette aggrégation que la chaleur relâche davantage encore, &c. La manoeuvre ne généralisera jamais ; mais la science dira plus généralement ici : dans tout acte de dissolution, la tendance à l'union mixtive surmonte l'union aggrégative.

La Métaphysique n'a rien dit d'une maniere abstraite dans tous les principes que nous avons posés plus haut, qui ne puisse être traduit pour les objets particuliers en langage de manoeuvre, comme nous venons de l'exécuter dans ces exemples, & réciproquement, &c.

Mais si la Chimie a dans son propre corps la double langue, la populaire & la scientifique, elle a entre les autres sciences naturelles, sa maniere de concevoir ; comme il est évident par ce que nous avons exposé ailleurs fort au long, & par ce que nous nous étions reservé d'ajoûter ici pour achever le tableau de la Chimie par ce qu'elle a de plus distingué ; c'est que la plûpart des qualités des corps que la Physique regarde comme des modes, sont des substances réelles que le chimiste sait en séparer, & qu'il sait ou y remettre, ou porter dans d'autres ; tels sont entre autres, la couleur, le principe de l'inflammabilité, de la saveur, de l'odeur, &c.

Qu'est-ce que le feu, dit le Physicien ? n'est-ce pas un corps échauffé à un tel point, qu'il jette de la lumiere en abondance ? car un fer rouge & brûlant, qu'est-ce autre chose que du feu ? & qu'est-ce qu'un charbon ardent, si ce n'est du bois rouge & brûlant ? Newton, Opt. quaest. 9. Cependant un charbon embrasé est aussi peu du feu, qu'une éponge imbibée d'eau est de l'eau ; car le chimiste peut aussi-bien enlever au charbon, & montrer à part le principe de l'inflammabilité, c'est-à-dire le feu, qu'exprimer l'eau d'une éponge & la recevoir dans un vaisseau.

La couleur considérée dans le corps coloré est, pour le physicien, une certaine disposition de la surface de ce corps, qui le rend propre à renvoyer tel ou tel rayon ; mais pour le Chimiste, la verdure d'une plante est inhérente à un certain corps résineux verd, qu'il sait enlever à cette plante ; la couleur bleue de l'argille est dûe à une matiere métallique qu'il en sait aussi séparer ; celle du jaspe, qui semble si parfaitement une avec cette substance fossile, en a pourtant été tirée & retenue, selon la fameuse expérience de Becker.

Une observation qu'il est à-propos de faire, c'est que dans l'exposition des phénomenes de la couleur, le Physicien & le Chimiste disent seulement des choses différentes, mais non-contradictoires. Le chimiste fait seulement un pas de plus ; & il en fera un second, si, quand vous lui demanderez en quoi consiste la couleur dans cette résine verte de la plante, ou dans cette substance métallique de l'argille, il n'en est pas encore réduit dans sa réponse à recourir à une certaine disposition occulte, & s'il connoît un corps, un être physique, une substance particuliere qu'il puisse assigner comme le sujet ou la cause de la couleur : or il connoît ce corps, savoir le phlogistique ; en un mot, tant qu'il est question des propriétés des mixtes, le chimiste en trouve la raison dans leurs principes ou dans la mixtion même, & il ne s'arrête jamais dans cette espece d'analyse que quand il en est aux élémens, c'est-à-dire à ces corps qu'il ne sait plus décomposer. Voyez PHLOGISTIQUE, FEU, INFLAMMABLE, SAVEUR, ODEUR, &c.

Nous avons regardé jusqu'à-présent la Chimie comme la science générale des petits corps, comme une vaste source de connoissances naturelles ; l'application particuliere qu'on en a faite à différens objets, a produit les diverses branches de la Chimie & les différens arts chimiques. Les deux branches de la Chimie qui ont été cultivées le plus scientifiquement, & qui sont devenues par-là la base du travail, le vrai fond d'expérience du chimiste philosophe, en même tems qu'elles ont été les deux premiers arts chimiques, sont l'art de préparer les médicamens (voy. PHARMACIE), & celui de traiter les mines & de purifier les métaux, soit en grand, soit en petit. Voyez METALLURGIE & DOCIMASIE.

Les connoissances que la Chimie a fournies à la médecine rationnelle, peuvent faire regarder aussi la théorie médicinale tirée de ces connoissances, comme une branche de la Chimie, branche très-nécessaire au médecin dans l'état présent de la théorie de la Médecine, soit pour l'admettre, soit pour la rejetter avec connoissance de cause, puisqu'elle est principalement fondée sur de prétendus changemens très-chimiques des alimens & des humeurs. Nous avouerons cependant, quoiqu'à regret, que ces connoissances sont bien moins étendues, & sur-tout bien moins utiles à la médecine-pratique, que ne l'a prétendu Boerhaave (voyez Elem. chim. part. II. usus chimiae in medendo), chez qui l'on retrouve toûjours le dangereux projet de déduire toutes les vérités vraiment médicinales des connoissances physiques. Voyez MEDECINE.

C'est à dessein que nous ne parlons pas ici de l'Alchimie. Voyez PHILOSOPHIE HERMETIQUE.

La verrerie ; la manufacture de porcelaine ; l'art des émaux ; la peinture sur le verre, qui n'est pas un art perdu, malgré l'opinion publique ; la poterie ; la zimotechnie, ou l'art de disposer certaines substances végétales à la fermentation, qui comprend l'art de faire les vins, l'art du brasseur, & celui du vinaigrier ; la halotechnie, ou l'art de préparer les sels ; la pyrotechnie, ou l'art des feux d'artifice ; celui du tanneur ; la manufacture du savon ; l'art des vernis ; celui de graver à l'eau-forte ; la teinture ; la préparation des cornes, des écailles, & des poils des animaux ; l'art du distillateur, celui du confiseur, & celui du limonadier, qui sont proprement trois branches de la Pharmacie ; l'art du boulanger, panificium ; la cuisine, &c. sont des arts tout chimiques. Voyez ces articles particuliers.

Outre ces arts dont nous venons de parler, & qui s'occupent essentiellement à exécuter certaines opérations chimiques, il est d'autres arts dont les opérations fondamentales ne sont pas chimiques, mais auxquels la Chimie fournit des secours essentiels. C'est dans des produits chimiques que la méchanique trouve ses principes de mouvement les plus efficaces, la poudre à canon, dont tout le monde connoît l'emploi, la vapeur de l'eau dans la pompe à feu, &c. Les couleurs les plus éclatantes & les plus durables qu'employe la Peinture, sont des présens de la Chimie, &c.

La branche la plus curieuse & la plus magique de la magie naturelle, est celle qui opere ses prodiges par les agens & sur les sujets chimiques. Les phosphores, l'inflammation des huiles par les acides, les poudres fulminantes, les effervescences violentes, les volcans artificiels, la production, la destruction, & le changement soudain des couleurs de certaines liqueurs, les précipitations & les coagulations inespérées, &c. en négligeant même les prétentions apparemment chimériques sur la divine pierre, les rajeunissemens, le petit homme de Paracelse, les miracles de la palingénésie, &c. toutes ces merveilles, dis-je, peuvent dans ce siecle éclairé même, étonner bien des gens, au moins les amuser. Voyez RECREATIONS CHIMIQUES.

Les arts chimiques étant liés à la Chimie générale comme un tronc commun, il se présente ici deux questions très-importantes, ce me semble. 1°. Jusqu'à quel point chacun de ces arts peut-il être corrigé & perfectionné par la science chimique ? 2°. Combien la science chimique peut-elle être avancée à son tour par les connoissances particulieres puisées dans l'exercice de chacun de ces arts ?

Quant à la premiere question, il est évident que le chimiste le plus éclairé, le plus instruit, dirigera, réformera, perfectionnera un art chimique quelconque, avec un avantage proportionnel à ses connoissances générales, à sa science ; à condition néanmoins que sur l'objet particulier de cet art il aura acquis cette faculté de juger par sentiment, qui s'appelle coup-d'oeil chez l'ouvrier, & que celui-ci doit à l'habitude de manier son sujet ; car aucun moyen scientifique ne sauroit suppléer à cette habitude : c'est un fait, une vérité d'expérience.

Quant à la seconde, la nécessité de se rendre familiers tous les procédés, toutes les opérations, toutes les manoeuvres des arts chimiques, selon le conseil & l'exemple du grand Stahl ; elle nous paroît absolument indispensable pour le chimiste qui aspire à embrasser son art avec quelque étendue ; car non-seulement c'est un spectacle très-curieux, très-philosophique, que d'examiner combien les moyens chimiques sont variés & combinés dans leur application à des usages particuliers, & sous quelle forme le génie se présente chez les ouvriers, où il ne s'appelle que bon sens ; mais encore les leçons de ce bon sens, & l'industrie, l'aisance, l'expérience de l'ouvrier, sont des biens qu'il ne doit pas négliger ; en un mot, il faut être artiste, artiste exercé, rompu, ne fut-ce que pour exécuter, ou pour diriger les opérations avec cette facilité, cette abondance de ressources, cette promtitude, qui en font un jeu, un délassement, un spectacle qui attache, & non pas un exercice long & pénible, qui rebute & qui décourage nécessairement par les nouveaux obstacles qui arrêtent à chaque pas, & sur-tout par l'incertitude des succès. Tous ces phénomenes isolés, ces prétendues bisarreries des opérations, ces variétés des produits, toutes ces singularités dans les résultats des expériences, que les demi-chimistes mettent sur le compte de l'art, ou des propriétés inconnues des matieres qu'ils employent, peuvent être attribuées assez généralement à l'inexpérience de l'artiste, & elles se présentent peu aux yeux du chimiste exercé. Il n'arrivera que très-rarement à celui-ci, peut-être même ne lui arrivera-t-il jamais d'obtenir un certain produit, & de ne pouvoir jamais parvenir à le retirer une seconde fois des mêmes matieres. L'artiste dont nous parlons ne s'avisera jamais d'estimer les degrés de chaleur qu'il employe par le moyen des thermometres, ou la succession des gouttes dans une distillation, par la pendule à secondes ; il aura, comme disent très-sensément les ouvriers, son thermometre au bout des doigts, & son horloge dans la tête ; en un mot, il se dirigera dans toutes les manoeuvres ordinaires, dans les opérations journalieres, sur des indices grossiers & sensibles, qui sont toûjours préférables à cause de leur commodité, tant qu'ils sont suffisans. Or on parvient par l'habitude à estimer avec beaucoup de précision ; par leur seul secours, la plûpart des phénomenes chimiques ; & toutes les mesures artificielles qu'on voudroit leur substituer, sont d'un emploi très-difficile, pour ne pas dire impossible, notamment les thermometres, aussi ridicules dans le tablier d'un chimiste manoeuvrant, que dans la poche d'un médecin visitant ses malades. Mais ce n'est pas à cet avantage que se borne l'utilité de l'habitude du travail, c'est dans les phénomenes qui en naissent à chaque pas, que le chimiste qui sait voir puise les connoissances les plus lumineuses, & souvent même les plus vastes ; c'est-là qu'on trouvera de ces phénomenes dont parle le chancelier Bacon,qui ne sont rien en eux-mêmes & pour eux-mêmes, mais qui peuvent servir de fondement ou de germe, de point de partance à une théorie importante ; exciter le génie du chimiste, comme la chûte d'une poire détermina la méditation de Newton, qui produisit son magnifique système de la gravitation universelle. Au reste, ce n'est que pour ceux qui n'ont jamais mis la main à l'oeuvre, ou qui n'ont jamais sû évaluer le mérite du chimiste, formé par l'exercice, par les actes répétés, qu'il est nécessaire de célébrer les avantages de l'expérience ; car quiconque a vécu six mois parmi les fourneaux, ou qui sachant ce que c'est que la Chimie, a été à portée d'entendre discourir sur l'art, le plus profond spéculatif & l'artiste expérimenté, ne sauroit se méprendre à la supériorité absolue du dernier.

C'est la nécessité de toutes ces connoissances pratiques, les longueurs des expériences chimiques, l'assiduité du travail & de l'observation qu'elles exigent, les dépenses qu'elles occasionnent, les dangers auxquels elles exposent, l'acharnement même à ce genre d'occupation qu'on risque toûjours de contracter, qui ont fait dire aux Chimistes les plus sensés, que le goût de la Chimie étoit une passion de fou. Becker appelle les Chimistes, certum quoddam genus hominum excentricum, heteroclitum, heterogeneum, anomalum ; qui possede en propre un goût fort singulier, quò sanitas, pecunia, tempus & vita perduntur. Mais en prenant l'utilité absolue des Sciences pour une donnée, d'après laquelle l'opinion générale nous autorise à raisonner, ces difficultés & ces inconvéniens-là même, doivent faire regarder les Savans qui ont assez de courage pour les braver, comme des citoyens qui méritent toute notre reconnoissance.

Mais cette passion, quelque idée qu'il faille en avoir, les hommes en ont-ils été tourmentés de bonne heure ? A quel tems faut-il rapporter la naissance de la Chimie ? C'est un fait qu'il ne sera pas aussi facile de déterminer, que le degré de considération qu'elle mérite.


CHYMOSES. f. l'action de faire ou préparer le chyme. Voyez CHYME.


CHYPREou CYPRE, (Géog.) en latin Cyprus.

Le premier est le nom moderne, & le second est le nom ancien. Une des plus grandes îles de la Méditerranée, sur la côte d'Asie, entre la Cilicie au nord, & la Syrie à l'orient.

La fable l'avoit consacrée à Venus ; & comme elle y plaçoit le lieu de la naissance de cette déesse, on l'y honoroit d'un culte particulier. C'est dans cette île que sont les lieux célebres d'Amathonte, de Paphos, de Cythere, & de la forêt d'Idalie, si vantés par les Poëtes.

Sa fertilité, ses vins, & ses mines, l'ont rendue en tout tems si considérable que les Grecs lui donnerent le nom de marcaria, c'est-à-dire fortunée ; mais il s'en faut bien qu'elle mérite ce beau titre, par les malheurs qu'elle a essuyés successivement en passant sous des dominations étrangeres. Cet article est de M(D.J.)


CHYTRES(FETE DES) Hist. anc. Myth, troisieme jour des Anthisteries. On offroit à Bacchus & à Mercure toutes sortes de légumes cuites dans des marmites, pour les morts. Deucalion passoit pour l'avoir instituée & célébrée.


CHYTRINDA(Hist. anc.) jeux d'enfans, dans lequel il y en a un assis à terre au milieu des autres qui courent autour, le poussent, lui font des niches, jusqu'à ce qu'il en ait attrapé un qui prend sa place.


CHZEPREG(Géog.) petite ville de la basse Hongrie, dans le comté de Sapron, sur la riviere de Stop.


CIACOLA(Géog.) ville & royaume d'Asie dans l'Inde, au-delà du Gange, dépendant du royaume de Golconde, sur le golfe de Bengale.


CIALIS(Géog.) royaume d'Asie dans la Tartarie, borné au nord par le royaume d'Eluth, au midi par le Thibet, à l'occident par le Turquestan. La capitale s'appelle aussi Cialis sur le Kinker, autrement dit l'Yulduz.


CIAMPA(Géog. mod.) petit royaume d'Asie dans les Indes ; il a au midi & à l'orient la mer d'Orient ; au nord, le desert de la Cochinchine ; à l'occident, le royaume de Camboge.


CIANDU(Géog.) ville considérable d'Asie au nord de la Tartarie.


CIANGLO(Géog.) ville de la Chine dans la province de Folkien, sur la riviere de Si.


CIARTIAM(Géog.) province d'Asie dans la Tartarie, dépendante du grand Kan ou Chame, dont la capitale porte le même nom.


CIAUL(Géog.) ville forte d'Asie dans l'Inde, au royaume de Decan, aux Portugais.


CIBAUDIERES. f. terme de Pêche, c'est le nom qu'on donne sur les côtes de Flandre & de Picardie aux filets, que dans d'autres lieux on appelle folles, & dont ils sont une espece. On en distingue de deux sortes, les cibaudieres flottées & les non-flottées. Les cibaudieres flottées ont le fond du filet à la mer, & l'ouverture du côté de terre ; on amarre aux deux bouts du filet des grosses pierres, que les Pêcheurs nomment cablieres : on en met aussi sur la tête quelques-unes, pour que le filet ne se puisse élever par le moyen des flottes, qu'autant qu'il est nécessaire. Ce filet fait une grosse follée dans laquelle se trouvent pris les poissons qui retournent à la mer avec le reflux : ces sortes de filets sont de différens calibres & de fils de diverses grosseurs ; ils prennent indistinctement des poissons des genres plats & ronds, au lieu que les folles n'en prennent que du genre des plats.

La maille de la cibaudiere est d'environ vingt-une lignes en quarré, & d'un fil très-délié ; dans les lieux où les pierres sont rares, on amarre aux deux extrémités du filet des torches de paille que l'on enfouit dans le sable, ce qui assujettit le filet aussi-bien que feroient les grosses pierres dont on a parlé ci-devant.

La cibaudiere non-flotée differe de celle-ci en ce qu'au lieu d'être garnie par le haut de flottes de liége, dont l'usage est de faire tenir le filet à plomb dans l'eau ; elle est tendue sur des perches, ce qui produit le même effet, en ce cas elle ne differe pas beaucoup des bas parcs. Voyez PARCS.


CIBOIRES. m. (Hist. ecclésiastiq. & prof.) vase sacré où l'on garde les hosties. C'est un vaisseau en forme de grand calice couvert, qui sert à conserver les hosties consacrées pour la communion des Chrétiens dans l'Eglise catholique.

On gardoit autrefois ce vase dans une colombe d'argent suspendue dans les baptisteres & sur les tombeaux des martyrs, ou sur les autels, comme le P. Mabillon l'a remarqué dans sa liturgie de l'église gallicane ; le concile de Tours a ordonné de placer le ciboire sous la croix qui étoit au haut de l'autel.

Chez les anciens écrivains, selon le Dictionnaire de Trévoux, ce mot se disoit de toutes sortes de constructions faites en voûtes portées sur quatre piliers. Chez les auteurs ecclésiastiques, il désigne un petit dais élevé & suspendu sur quatre colonnes sur le maître autel. On en voit dans quelques églises à Paris & à Rome, ce qui prouve que c'est la même chose que baldaquin ; aussi les Italiens appellent-ils encore ciborio un tabernacle isolé.

Les connoisseurs ne peuvent supporter que sous une coupole comme celle du Val-de-Grace, par exemple, qui est d'une beauté supérieure, on voye au-dessus de l'autel une petite espece de ciboire qui est mal conçû, écrasé, enterré, recogné contre la muraille, & qui n'ajoûte rien à la splendeur de son dôme.

Le mot de ciboire vient originairement des Egyptiens. Ces peuples donnerent d'abord ce nom à une espece de feve de leur pays, faba Aegyptia, dont la gousse s'ouvroit par le haut quand le fruit étoit mûr. Ils ont ensuite transporté ce nom à cette gousse même qui leur servoit de coupe. Cette gousse est fort ouverte par le haut, & fort pointue par le bas. Les Grecs & les Romains appellerent ciboria, ciboires, toutes les coupes de quelque matiere qu'elles fussent, dans lesquelles on versoit des liquides, & en particulier le vin que l'on bûvoit dans les repas. Horace a employé ce terme dans ce dernier sens :

Oblivioso levia Massico

Ciboria exple. Lib. II. od. vij.

" Vuidez les coupes de cet excellent vin de Massique ; il est souverain pour dissiper les soucis ".

Enfin l'Eglise romaine a retenu ce mot pour les vases où l'on met les hosties, & qui restent consacrées à l'usage de la communion. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CIBOLA(Géog.) province de l'Amérique septentrionale au nouveau Mexique, habitée par des sauvages. Long. 266. lat. 35.


CIBOULES. f. plante qui doit être rapportée au genre oignon. Voyez OIGNON. (I)

CIBOULE, CIBOULETTE, cepula, (Jardinage) est une plante bulbeuse qui se seme cependant, & qu'on peut replanter sur des planches en tirant des lignes au cordeau ; c'est une espece d'oignon qui, au lieu de faire une bulbe en terre, s'allonge & fait beaucoup de montans, avec des feuilles allongées & rampantes ; chaque pié forme un montant en boule remplie de graine que l'on seme tous les mois de l'année dans de bonne terre : on leur donne souvent de l'eau. Il y en a trois especes, une vivace qui ne produit point de graine ; celle qui graine ; & la troisieme est la cive, civette ou ciboulette. (K)


CICATRICES. f. (Chirurgie) c'est la marque de la plaie qui reste après la guérison, & qui par sa blancheur, son lisse & son luisant, fait différer cette partie des tégumens où étoit l'ouverture de la plaie, de la peau voisine.

Formation de la cicatrice. Le dernier période d'une plaie guérie est celui de la cicatrice ; les sucs qui ont réparé la perte de la substance, se répandent, se dessechent sur la superficie de la plaie, & forment cette petite pellicule calleuse appellée cicatrice, qui, sans être de la même espece que les tégumens emportés, supplée à leur défaut.

Les extrémités tendres & pulpeuses des vaisseaux rompus dans une plaie, s'allongent, se joignent, s'unissent ensemble par les lois de la nature, pour réparer ainsi la substance perdue du corps, & pour former l'incarnation ; ensuite les bords de la plaie qui étoient précédemment rouges & enflés, s'abaissent également : ils acquierent une couleur d'un blanc tirant sur le bleu, semblable à celle des perles ; c'est de cette maniere que commence à naître la cicatrice vers les bords, & qu'elle augmente peu-à-peu vers le centre, jusqu'à ce que la plaie soit entierement refermée.

S'il n'y a pas eu beaucoup de substance de perdue, & qu'il n'y ait pas eu non plus beaucoup de pannicule adipeux, & de la peau de consommée par une trop forte suppuration, tout se consolide de façon, qu'à peine paroît-il quelque différence entre l'endroit de la plaie & la peau voisine ; & à peine cela peut-il s'appeller cicatrice.

Mais lorsqu'il y a une grande partie de chair d'enlevée, ou qu'il y a beaucoup de la membrane graisseuse qui est dessous, de consommé par la suppuration, l'endroit de la plaie paroîtra pour lors plus tirant sur le bleu, plus solide, & souvent plus enfoncé que la peau voisine ; & c'est-là ce qu'on appelle proprement cicatrice, laquelle ne transpire point, & paroît plus lisse que le reste de la peau. Cela se voit encore mieux lorsqu'il s'est formé une large cicatrice après l'abcession d'un grand morceau de chair, comme dans l'extirpation de la mammelle ou d'un grand stéatome ; la superficie de la plaie consolidée se montre alors luisante, immobile, identifiée avec les parties qui sont dessous.

Signes de la cicatrice naissante. Les bords de la plaie ou de l'ulcere qui doit se consolider, commencent à blanchir & à devenir plus fermes ; & cette blancheur s'avance insensiblement de tout le contour de la plaie vers son centre ; cependant il commence à naître çà & là dans la superficie ouverte de la plaie une pareille blancheur, qui, si elle s'étend également dans toute la superficie & sur le bord des lévres, forme une bonne cicatrice ; la plaie pure précédemment humide dans tous les points de la superficie, se seche dans les endroits où l'on découvre cette blancheur, principe de la cicatrice. C'est pourquoi les remedes appellés cicatrisans ou épulotiques les plus recommandables, sont ceux qui dessechent modérément & qui fortifient. De-là vient qu'on applique ordinairement avec tant de succès les emplâtres faites de plomb ou des différentes chaux de ce métal, les poudres impalpables de colophone, d'oliban, de sarcocolle, &c. sur une plaie ou sur un ulcere qui tend à se cicatriser.

La beauté de la cicatrice que le chirurgien doit toûjours tâcher de procurer, dépend particulierement des trois conditions suivantes : 1°. si l'on a soin que les parties se trouvent, étant réunies, dans la même situation où elles étoient avant la blessure ; 2°. si la cicatrice ne surmonte pas l'égale superficie de la peau voisine ; 3°. si elle ne cave pas.

Moyens de procurer une belle cicatrice. On satisfera à cette premiere condition, si l'on fait ensorte, soit par le moyen d'emplâtres tenaces, de sutures, ou d'un bandage convenable, que les levres de la plaie soient l'une par rapport à l'autre dans la même situation où elles étoient en état de santé. On satisfera à la seconde, si par une pression modérée on supplée à celle de la peau qui est détruite, de crainte que les vaisseaux privés de ce tégument, étant distendus par leurs liquides, ne surmontent la superficie de la peau ; car lorsqu'on néglige de le faire, ou qu'on applique sur la plaie des remedes trop émolliens, ce bourrelet saillant fait une cicatrice difforme. 3°. On empêchera que la cicatrice ne cave, en procurant une bonne régénération. Or la cicatrice devient ordinairement cave, parce que la pression de la peau voisine pousse le pannicule adipeux dans l'endroit de la plaie, & le fait élever ; après quoi dégénérant en chair fongueuse, il est consumé par la suppuration, & ne renaît plus ensuite.

On voit par-là que souvent on ne peut pas empêcher qu'il ne reste une cicatrice creuse & profonde, si la cause vulnérante, ou si une suppuration considérable qui s'en est suivie, a détruit la graisse. Dès qu'un abcès, dit Hippocrate, aph. 45. sect. vij. de quelque espece que ce puisse être, dure un an & davantage, l'os apostume, & il se fait des cicatrices fort creuses. Combien sont difformes & profondes les cicatrices que laissent après eux les ulceres vénériens, lorsqu'ils ont consumé le pannicule adipeux qui étoit au-dessous !

On comprend aisément par ce qu'on vient de dire, la raison pour laquelle le chirurgien doit éviter les caustiques, les styptiques, les astringens, s'il veut procurer une bonne cicatrice ; car tous ces remedes ou détruisent les vaisseaux vivans, ou les resserrent de façon qu'ils ne transmettent plus de liqueur. Or les extrémités des vaisseaux, mortes ou obstruées, se sépareront nécessairement par la suppuration ; ce qui causera une perte de substance, la consomption de la graisse, & formera une cicatrice plus ou moins cave.

On voit aussi en même tems combien peut contribuer à la beauté de la cicatrice une égale pression qui empêche que les vaisseaux trop distendus ne s'élevent. On ne doit pas néanmoins pour cela détruire la chair fongueuse chaque fois qu'elle boursouffle, mais seulement ses bords près des extrémités de la peau ; on y parviendra par de doux escarotiques, tels que la charpie trempée dans une legere dissolution de vitriol, ou le plus souvent par l'usage seul de la charpie seche & un bandage ferme ; ce qui suffira pour réduire au niveau la chair fongueuse, si on l'applique avant qu'elle ait acquis trop d'accroissement.

Observations de pratique. Dans les grandes plaies il est inutile d'appliquer les remedes corrosifs sur toute leur surface, parce que la chair fongueuse ne s'éleve qu'à une certaine hauteur, lorsqu'elle est abandonnée à elle-même, & qu'elle s'y éleve souvent, malgré le fréquent usage des corrosifs qui la détruisent. Or comme tout l'avantage qu'on peut recueillir de tels remedes, est uniquement, pour procurer une belle cicatrice, d'applanir les bords de la plaie, on en viendra également à bout en se contentant de les tenir assujettis ; & on évitera beaucoup de peines que donneroit la répétition continuelle des escarotiques.

Il est remarquable que la perte d'une partie du corps ne sauroit être réparée que par les fluides qui sont propres à cette partie ; & comme dans un os cassé, le calus est produit par les extrémités de la fracture, ainsi dans une plaie la cicatrice vient du bord de la circonférence de la peau. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire de maintenir la surface de la plaie unie par des bandages compressifs, afin que l'élévation des chairs ne résiste pas aux fibres des vaisseaux de la peau qui tendent à recouvrir la plaie. Quand je dis que la perte d'une partie du corps doit nécessairement être réparée par les mêmes fluides qui composoient auparavant cette partie ; j'entends cela dans la supposition que la nouvelle formation soit de même substance que la partie blessée, comme le calus est par rapport à l'os, & la cicatrice par rapport à la peau : car généralement parlant, un vuide ne se remplit que d'une espece de chair, quoiqu'il y eût dans cet endroit, avant la blessure, différentes sortes de substances ; savoir de la membrane adipeuse, de la membrane des muscles, & celle du muscle même.

On voit par les détails précédens combien est vaine la promesse de ceux qui se vantent de pouvoir guérir toutes sortes de plaies sans cicatrice. Les chirurgiens prudens & expérimentés n'osent jamais, après une grande perte de substance ou une longue suppuration, assurer que la cicatrice ne sera pas difforme, & ils doivent toûjours en avertir le blessé, dans la crainte que l'on n'attribue à la négligence du chirurgien la difformité de la cicatrice.

N'oublions pas de remarquer qu'il est à-propos de fomenter souvent la cicatrice avec l'esprit de romarin, de matricaire, ou autres semblables ; car tous ces esprits ont la propriété d'affermir les parties animales. Cet endroit reste long-tems plus débile, couvert seulement d'une pellicule mince, & plus aisé par conséquent à être offensé que les parties voisines. De-là vient qu'il est quelquefois nécessaire d'appliquer long-tems encore sur cet endroit, quoique déjà consolidé, une emplâtre douce préparée avec le plomb ou une peau mollette, de peur que le frottement des habits, l'air, ou quelque accident ne renouvelle la plaie.

On trouve à ce sujet une observation curieuse dans les mémoires d'Edimbourg, tome II. sur une portion du cerveau poussée par les efforts d'une toux violente, hors du crane, à-travers la cicatrice d'une plaie à la tête d'une fille âgée d'environ treize ans. Le chirurgien, après avoir guéri la plaie, avoit eu soin de recommander à la malade de porter toûjours sur la cicatrice une compresse de linge, & sur la compresse une plaque de plomb percée aux quatre extrémités d'autant de trous, où seroient passés des rubans de fil, deux desquels se lieroient sous la mâchoire inférieure, & les deux autres derriere la tête. La malade suivit l'ordonnance pendant deux mois ; mais ensuite elle cessa de se servir de cette plaque, & continua à se bien porter pendant sept autres mois ; après lequel tems elle fut attaquée d'une toux convulsive avec tant de violence dans le cours d'une nuit, que la cicatrice de sa plaie se déchira, & que le cerveau fut fort jetté hors des tégumens, ce qui lui causa la mort au bout de cinq jours.

La cicatrice reste toûjours. Concluons qu'il est nécessaire de consolider la cicatrice ; mais quand une fois la cicatrice est bien certainement consolidée, ne pourroit-on pas alors, par le secours de l'art, la corriger, l'effacer, la détruire, & rendre cette marque blanche qui reste dans l'endroit de la plaie guérie, entierement pareille à la peau voisine ? Ce sont les dames qui font cette question : je leur réponds que cette marque blanche est ineffaçable, & qu'elle ressemble aux effets de la calomnie, dont après que les plaies qu'elle a faites sont refermées, les cicatrices demeurent toûjours. Cet article est de M(D.J.)


CICEROS. m. (Fond. en caract.) huitieme des corps sur lesquels on fond les caracteres d'Imprimerie : sa proportion est de deux lignes mesure de l'échelle. Son corps double est la palestine, & il est le double de la nompareille ; c'est-à-dire qu'il est une fois plus grand que ce caractere, & une fois plus petit que la palestine.

Le cicero est le caractere le plus en usage de l'Imprimerie. Voyez l'exemple du cicero à l'art. CARACTERES D'IMPRIMERIE, où nous sommes entrés dans le détail sur la grandeur des différens caracteres. Ce Dictionnaire est imprimé en Cicero.


CICERONES. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on appelle en Italie ceux qui connoissent les choses dignes de la curiosité des étrangers qui peuvent être dans une ville, & qui les conduisent dans les lieux où elles sont.


CICLUT(Géog. mod.) fort de la Dalmatie. Long. 35. 53. lat. 43. 25.


CICUTAIRES. f. (Hist. nat. bot.) cicutaria, genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelles. Les pétales sont soûtenues par le calice, qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences renflées, longues, voûtées, faites à-peu-près en forme de croissant, & cannelées profondément. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont semblables en quelque maniere à celles de la ciguë. Tournefort, inst. rei. herb. Voy. PLANTE. (I)


CIDAMBARA(Géog.) ville d'Asie dans les Indes, au royaume de Gingi, sur la côte de Coromandel.


CIDARIou CITTARIS, s. m. (Hist. anc.) bonnet pointu qu'on portoit autrefois en Perse & en d'autres contrées de l'Orient. Les rois de Perse le couvroient d'un ruban bleu & blanc, marque de la dignité royale ; la pointe en étoit ou droite ou recourbée en-devant. Chez les Hébreux les prêtres portoient aussi de ces bonnets ; mais celui du grand-prêtre étoit plus haut que les autres, & il avoit une lame d'or appellée lamina coronae sanctitatis, qui alloit d'une oreille à l'autre en passant sur le front : cette lame étoit attachée au bonnet avec des fils de couleur hiacinthe, & on y lisoit, kedesch Jehovae, sanctitas Jehovae. Voyez hed. lex.


CIDAYE(Géog.) ville d'Asie dans l'île de Java, au royaume de Surubaya.


CIDRES. m. (Oeconom. rust.) boisson que l'on tire de la pomme. Elle est très-ancienne ; les Hébreux l'appelloient sichar, que S. Jérôme traduit par sicera, d'où nous avons fait cidre. Les nations postérieures l'ont connu ; les Grecs & les Romains ont fait du vin de pomme. Parmi nous il est très-commun, sur-tout dans les provinces où l'on manque de celui du raisin.

La Normandie est pour le cidre, ce que sont la Bourgogne & la Champagne pour le vin ; & de même que le vin n'est pas également bon dans tous les cantons de ces provinces, tous les cantons de la Normandie ne donnent pas du cidre de la même qualité. Il s'en fait en abondance, & d'excellent, surtout dans le pays d'Auge & le Bessin, ou les environs d'Isigny. Le fruit à couteau n'y vaut rien. Le cidre se tire de pommes rustiques de plusieurs especes, dont il faut bien connoître les sucs, afin de les combiner convenablement, & de corriger les uns par les autres. On éleve des pepinieres de pommiers de cette espece de pommes, on les greffe en fente, on les plante en quinconce, ou on en dresse des allées. Il y a peut-être plus de trente sortes de pommes à cidre, qu'on cueille en différens tems à mesure qu'elles paroissent mûres ; & elles mûrissent plus ou moins promtement, selon que les années sont plus ou moins avancées. On les distribue en trois classes différentes, dont on fait la récolte successivement. On donne le nom de pommes tendres aux deux premieres classes, & celui de pommes dures à la troisieme. En effet les pommes de la troisieme classe sont dures, & mûrissent tard & difficilement. Une regle générale pour la récolte, c'est de choisir un tems sec, pendant lequel les pommes soient essuyées de toute humidité.

Ce jour-là est ordinairement vers la fin de Septembre ou le commencement d'Octobre ; on se transporte vers les arbres ; & comme il y auroit trop d'ouvrage à cueillir les fruits à la main, on les abat, soit à coups de gaules, soit en secouant les arbres : on les ramasse, on les porte sur le grenier : on les y met en tas suivant leur classe : là ils s'échauffent, ils suent, & ils achevent de se mûrir.

S'il y a un point de maturité à choisir pour la récolte des pommes, il y en a un autre qui n'est pas moins important à connoître pour les piler : on laisse passer aux pommes qu'on appelle tendres, de beaucoup le tems de la plus grande maturité, avant que de les piler pour les cidrer ; les pommes dures au contraire se pilent vertes. On juge du progrès de la maturité des pommes entassées dans les greniers, par l'accroissement de l'odeur qu'elles exhalent : quand cette odeur a pris un degré de force que la seule expérience apprend à connoître, il est tems de faire le cidre, & de porter le fruit à la pile.

Voici la construction de la pile : imaginez une auge circulaire de pieces de bois rapportées à deux meules de bois semblables à celles d'un moulin à blé, mais différemment posées ; celles du moulin à blé sont horisontales, celles de la pile à cidre sont verticales dans leur auge : elles sont appliquées contre une piece de bois verticale, mobile sur elle-même, & placée au centre de l'espace circulaire de l'auge ; un long essieu les traverse ; cet essieu est assemblé avec l'axe vertical ; son autre extrémité s'étend au-delà de l'auge ; on y attelle un cheval ; ce cheval tire l'essieu en marchant autour de l'auge, & fait mouvoir en même tems les meules dans l'auge, où les pommes dont on l'a remplie sont écrasées. Lorsqu'on les juge convenablement écrasées, c'est-à-dire assez pour en pouvoir tirer tout le jus, on les prend avec une pelle de bois, & on les jette dans une grande cuve voisine. On écrase autant de pommes qu'il en faut pour faire un marc.

Les meules de bois sont meilleures que celles de pierre. Il faut que l'auge soit bien close, & que les pieces en soient bien assemblées, pour que rien ne se perde. Ceux qui n'ont pas de grandes piles à meules tournantes, se servent de pilons & de massues, dont ils pilent le fruit à force de bras.

Alors on travaille à asseoir le marc sur l'émoi du pressoir. Le pressoir est composé d'un gros sommier de bois qui s'appelle la brebis, de vingt-quatre à vingt-huit piés de longueur, posé horisontalement sur le terrein, & d'un arbre appellé le mouton, de pareille figure, & élevé parallelement sur la brebis : le mouton est soûtenu au bout le moins gros par une forte vis de bois, dont l'autre extrémité se rend pareillement au bout le moins gros de la brebis. Au milieu de la longueur de ces deux arbres il y a deux jumelles, & à leur gros bout deux autres jumelles ; ce sont quatre pieces de bois plates, arrêtées fixement par le bout d'em-bas à la brebis, & par en-haut à des traverses qui les tiennent solidement unies, & les empêchent de s'écarter. Le mouton hausse & baisse entre les quatre jumelles, & toûjours à-plomb sur la brebis. On a une traverse que l'on met à la main sous le mouton dans les deux jumelles du côté de la vis, où on les a disposées à la recevoir & à la soûtenir : à l'aide de cette traverse on fait hausser & baisser en bascule le gros bout du mouton. Pour les jumelles de derriere on a des morceaux de bois qu'on appelle clés ; ces clés servent soit à supporter, soit à faire presser le mouton.

On établit entre les quatre jumelles sur la brebis un fort plancher de bois, qu'on appelle le chassis d'émoi ; ce plancher a un rebord de quatre pieces de bois qu'on nomme roseaux d'émoi ; ce rebord contient le jus de la pomme ; il ne peut s'écouler que par un endroit qu'on appelle le beron, d'où il tombe dans une petite cuve.

On éleve perpendiculairement sur l'émoi le marc des pommes, par lits de trois ou quatre pouces d'épaisseur, séparés par des couches de longue paille ou par des toiles de crin, jusqu'à la hauteur de quatre à cinq piés. Le marc ainsi disposé a la forme d'une pyramide tronquée & quarrée.

Quand le marc est mis en motte de cette forme, il y a au-dessous du mouton un plancher qui lui est attaché, qui est de la grandeur de celui qui porte le marc, & qu'on nomme le hec : par le moyen de la vis qui est au bout de la brebis & du mouton, on fait descendre le mouton ; le hec est fortement appliqué sur le marc, & la pression en fait sortir le jus.

On laisse quelque tems la motte affaissée sous le hec avant que de le relever : quand le jus n'en coule plus guere, on desserre le pressoir, on taille la motte quarrément avec le couteau à pressoir, qui est un grand fer recourbé & emmanché de bois ; on charge les recoupes sur la motte, & l'on continue à pressurer, recoupant & chargeant jusqu'à ce que le marc soit épuisé.

Au bas de la vis du pressoir il y a un bâti de bois placé horisontalement sur la brebis, & embrassant la vis ; ce bâti est une espece de roue dont les bras sont des leviers ; il y a des chevilles sur la jante de cette roue ; on prend ces chevilles à la main, on tourne la vis ; le mouton descend d'autant plus, & presse le marc d'autant plus fortement.

A mesure que la petite cuve qui est sous le beron de l'émoi se remplit, on prend le cidre & on l'entonne. L'entonnoir est garni d'un tamis de crin qui arrête les parties grossieres de marc qui se sont mêlées au cidre. On ne remplit pas exactement les tonneaux, on y laisse la hauteur de quatre pouces de vuide ; on les descend dans la cave, où on les laisse ouverts, car la fermentation du cidre est violente : là le cidre fermente & se clarifie ; une partie de la lie est précipitée au fond, une autre est portée à la surface ; celle-ci s'appelle le chapeau.

Si l'on veut avoir du cidre fort, on le laisse reposer sur sa lie, & couvert de son chapeau : si on le veut doux, agréable & délicat, il faut le tirer au clair lorsqu'il commence à gratter doucement le palais ; ce cidre s'appelle cidre paré. Pour lui conserver sa qualité, on lui ajoûte un sixieme de cidre doux au sortir de l'émoi ; cette addition excite une seconde fermentation legere, qui précipite au fond du tonneau un peu de lie, & porte à la surface de la liqueur un leger chapeau.

Quand on a tiré le jus du marc qui est sur l'émoi, on enleve le marc, & on le remet à la pile avec une quantité suffisante d'eau ; on broye le marc avec l'eau, & l'on reporte le tout à un pressoir où il rend le petit cidre, qui est la boisson ordinaire du menu peuple. Le premier suc s'appelle le gros cidre.

Le petit cidre est d'autant meilleur que le marc a été moins pressuré. Il paye ordinairement les fraix de la cueillette. Le marc de quatre gros muids de cidre donne deux muids de petit cidre. Il y a donc du profit à avoir à soi un pressoir, parce que le marc reste au propriétaire du pressoir, avec le prix qu'on fait par motte quand on pressure chez les autres. Quand le marc est tout-à-fait sec, il sert encore d'engrais aux cochons & aux arbres, ou on le brûle.

Quand le cidre a séjourné assez long-tems dans les futailles pour y prendre le goût agréable qu'on lui veut, on le colle comme le vin, & on le met en bouteilles.

Le bon cidre doit être clair, ambré, agréable au goût & à l'odorat, & piquant. Il y en a qui se garde jusqu'à quatre ans. Les cidres legers ne passent guere la premiere année.

Il faut communément trente-six boisseaux ou six mines de pommes, pour faire un muid de cent soixante-huit pots de cidre. On dit que les meilleurs cidres sont sujets à la cappe, ou à une espece de croûte qui se forme à leur surface ; & qui venant à se briser quand le tonneau est à la barre, met tout le reste du cidre en lie. Cette croûte ne se brisant que quand le tonneau est à la barre, il y a de l'apparence qu'il faut attribuer cet accident à l'extrème fragilité de la cappe, & à la diminution de la surface horisontale du tonneau : à mesure que le tonneau se vuide, la surface horisontale de la liqueur augmente depuis la bonde jusqu'à la barre ; depuis la barre jusqu'au fond, cette surface diminue en même proportion qu'elle avoit augmenté. Qu'arrive-t-il ? c'est que, passé la barre, la cappe appuie contre les parois du tonneau, & resteroit suspendue en l'air sans toucher à la surface du cidre qui seroit plus basse qu'elle, si elle en avoit la force ; mais comme elle est foible, elle se brise, ses fragmens tombent au fond, se dissolvent, & troublent tout le reste du cidre. Il me semble que des vaisseaux quarrés ou des tonneaux placés debout, remédieroient à cet inconvénient ; la cappe descendroit avec la liqueur par un espace toûjours égal, & toûjours soûtenue par-tout, sans qu'on pût appercevoir aucune occasion de rupture.

On fait avec les poires rustiques le cidre poiré, comme avec les pommes rustiques le cidre pommé. Voyez POIRE.

On tire encore des cormes un cidre qu'on appelle cormé. Voyez CORME.

On tire du cidre pommé une eau-de-vie dont on ne fait pas grand cas ; & l'on peut en tirer un aigre, comme on fait un aigre de vin.

Le cidre passe en général pour pectoral, apéritif, humectant & rafraîchissant. L'excès en est très-nuisible. On prétend que quand on n'y est pas fait de jeunesse, il donne des coliques, qu'il attaque le genre nerveux, & qu'on ne guérit de ces incommodités qu'en quittant cette boisson & en changeant de climat.


CIEKANOW(Géog.) petite ville de Pologne en Masovie, dans le palatinat de Czersko, capitale du Castellanio de même nom.


CIELS. m. (Physiq.) se dit vulgairement de cet orbe asuré & diaphane qui environne la terre que nous habitons, & au-dedans duquel paroissent se mouvoir tous les corps célestes. Voyez TERRE, &c.

C'est-là l'idée populaire du ciel ; car il faut observer que ce mot a divers autres sens dans le langage des Philosophes, des Théologiens & des Astronomes, selon lesquels on peut établir plusieurs sortes de cieux, comme le ciel empyrée ou le ciel supérieur, la région éthérée ou le ciel étoilé, & le ciel planétaire.

Le ciel des Astronomes, qu'on nomme aussi le ciel étoilé, ou région éthérée, est cette région immense que les étoiles, les planetes & les cometes occupent. Voyez ETOILE, PLANETE, &c.

C'est ce que Moyse appelle le firmament, lorsqu'il en parle comme étant l'ouvrage du second jour de la création, ainsi que quelques interpretes rendent cet endroit de la Genese, quoiqu'en cela ils se soient écartés un peu de son vrai sens pour favoriser l'ancienne opinion sur la solidité des cieux. Il est certain que le mot hébreu signifie proprement étendue, terme dont le prophete s'est servi avec beaucoup de justesse pour exprimer l'impression que les cieux font sur nos sens. C'est ainsi que dans d'autres endroits de l'Ecriture sainte le ciel est comparé à un rideau, à un voile, ou à une tente dressée pour être habitée. Les Septante furent les premiers qui ajoûterent à cette idée d'étendue, celle de fermeté ou de solidité, en rendant le mot hébreu par , conformément à la philosophie de leur tems ; & les traducteurs modernes les ont suivis en cela.

Les Astronomes ont distribué le ciel étoilé en trois parties principales ; savoir, le zodiaque qui est la partie du milieu & qui renferme douze constellations ; la partie septentrionale, qui renferme vingt-une constellations ; & la partie méridionale qui en renferme vingt-sept, dont quinze étoient connues des anciens, & douze n'ont été connues que dans ces derniers tems, parce qu'elles ne sont point visibles sur notre hémisphere. Voyez CONSTELLATION.

Les philosophes modernes, comme Descartes, & plusieurs autres, ont démontré facilement que ce ciel n'est point solide. Chambers.

Il n'est pas moins facile de réfuter cette vieille opinion des sectateurs d'Aristote, qui prétendoient que les cieux étoient incorruptibles, & de faire voir qu'elle est absolument fausse & dénuée de raisons. Peut-être qu'étant trop prévenus en faveur de tous ces corps lumineux que nous voyons dans le ciel, ils se sont laissés entraîner à dire qu'il ne pouvoit jamais y arriver de changement ; & comme il ne leur en coûtoit guere plus de multiplier les avantages ou les propriétés des corps célestes, ils ont enfin pris le parti d'assûrer que la matiere des cieux est tout-à-fait différente de celle dont la terre est formée ; qu'il falloit regarder la matiere terrestre, non-seulement comme sujette à se corrompre, mais encore comme étant propre à prendre toutes sortes de configurations ; au lieu que celle dont les corps célestes ont été formés étoit au contraire tellement incorruptible, qu'ils devoient nous paroître perpétuellement sous une même forme, avec les mêmes dimensions, sans qu'il leur arrivât le moindre changement. Mais les observations nous apprennent que dans le soleil ou les planetes, il se forme continuellement de nouvelles taches ou amas de matieres très-considérables, qui se détruisent ou se corrompent ensuite ; & qu'il y a des étoiles qui changent, qui disparoissent ou qui paroissent tout-à-coup. En un mot on a été forcé depuis l'invention des lunettes d'approche, de reconnoître divers changemens dans les corps célestes. Ainsi c'est une chose certaine que dans les planetes, sur la terre, & parmi les étoiles, il se fait des changemens continuels : donc la corruption générale de la matiere doit s'étendre à tous les corps ; car il y a par tout l'univers un principe de génération & de corruption. Inst. astr.

Les Cartésiens veulent que le ciel soit plein ou parfaitement dense, sans aucun vuide, & qu'il soit composé d'un grand nombre de tourbillons. Voyez ETHER, CARTESIANISME, &c.

Mais d'autres portant leurs recherches plus loin, ont renversé le système non-seulement de la solidité, mais aussi de la prétendue plénitude des cieux.

M. Newton a démontré que les cieux sont à peine capables de la moindre résistance, & que par conséquent ils sont presque dépourvûs de toute matiere ; il l'a prouvé par les phénomenes des corps célestes, par les mouvemens continuels des planetes, dans la vîtesse desquels on ne s'apperçoit d'aucun rallentissement ; & par le passage libre des cometes vers toutes les parties des cieux, quelles que puissent être leurs directions.

En un mot les planetes, selon M. Newton, se meuvent dans un grand vuide, si ce n'est que les rayons de lumiere & les exhalaisons des différens corps célestes mêlent un peu de matiere à des espaces immatériels presque infinis. En effet on prouve que le milieu où se meuvent les planetes peut être si rare, que si on en excepte la masse des planetes & des cometes, aussi-bien que leurs atmospheres, ce qui reste de matiere dans tout l'espace planétaire, c'est-à-dire depuis le soleil jusqu'à l'orbite de saturne, doit être si rare & en si petite quantité, qu'à peine occuperoit-elle, étant ramassée, plus d'espace que celui qui est contenu dans un pouce d'air pris dans l'état où nous le respirons. La démonstration géométrique s'en trouve dans les ouvrages de MM. Newton, Keill & Grégori : mais celle qu'en a donnée Roger Cotes, dans ses leçons physiques, paroît plus simple, & plus à la portée des commençans. Voyez RESISTANCE, PLANETE, COMETE, TOURBILLON, &c. Inst. astr. de M. le Monnier.

Le ciel étant pris dans ce sens général pour signifier toute l'étendue qui est entre la terre que nous habitons & les régions les plus éloignées des étoiles fixes, peut être divisé en deux parties fort inégales, selon la matiere qui les occupe ; savoir l'atmosphere ou le ciel aérien, qui est occupé par l'air : & la région éthérée, qui est remplie par une matiere legere, déliée, & incapable de résistance sensible, que nous nommons éther. Voyez ATMOSPHERE, AIR, ETHER. Chambers. (O)

CIEL, dans l'Astronomie ancienne, signifie plus particulierement un orbe ou une région circulaire du ciel éthéré. Voyez ORBE.

Les anciens Astronomes admettoient autant de cieux différens qu'ils y remarquoient de différens mouvemens ; ils les croyoient tous solides, ne pouvant pas s'imaginer qu'ils pussent sans cette solidité soûtenir tous les corps qui y sont attachés : de plus ils les faisoient de crystal, afin que la lumiere pût passer à-travers ; & ils leur donnoient une forme sphérique, comme étant celle qui convenoit le mieux à leur mouvement.

Ainsi on avoit sept cieux pour les sept planetes, savoir, le ciel de la Lune, de Mercure, de Vénus, du Soleil, de Mars, de Jupiter, & de Saturne. Voy. PLANETE, &c.

Le huitieme, qu'ils nommoient le firmament, étoit pour les étoiles fixes. Voyez ETOILE & FIRMAMENT.

Ptolomée ajoûta un neuvieme ciel, qu'il appella primum mobile, le premier mobile. Voyez MOBILE.

Après Ptolomée, Alphonse roi de Castille ajoûta deux cieux crystallins, pour expliquer quelques irrégularités qu'il avoit trouvées dans le mouvement des cieux. On étendit enfin sur le tout un ciel empyrée, dont on a fait le séjour de Dieu ; & ainsi on completta le nombre de douze cieux. Voyez EMPYREE, & plus bas, CIEL DES THEOLOGIENS.

On supposoit que les deux cieux crystallins étoient sans astres, qu'ils entouroient les cieux inférieurs, étoilés & planétaires, & leur communiquoient leur mouvement. Le premier ciel crystallin servoit à rendre compte du mouvement des étoiles fixes, qui les fait avancer d'un degré vers l'orient en soixante-dix ans ; d'où vient la précession de l'équinoxe. Le second ciel crystallin servoit à expliquer les mouvemens de libration par lesquels on croyoit que la sphere céleste fait des balancemens d'un pole à l'autre. Voyez PRECESSION, LIBRATION, &c.

Quelques-uns ont admis beaucoup d'autres cieux selon leurs différentes vûes & hypotheses. Eudoxe en a admis vingt-trois : Calippus, trente ; Régiomontanus, trente-trois ; Aristote, quarante-sept, & Fracastor en comptoit jusqu'à soixante-dix.

Nous pouvons ajoûter que les Astronomes ne se mettoient pas fort en peine si les cieux qu'ils admettoient ainsi étoient réels ou non ; il leur suffisoit qu'ils pussent servir à rendre raison des mouvemens célestes, & qu'ils fussent d'accord avec les phénomenes. Voyez HYPOTHESE, SYSTEME, PHENOMENE, &c. Chambers. (O)

Parmi plusieurs rêveries des rabbins, on lit dans le talmud qu'il y a un lieu où les cieux & la terre se joignent ; que le rabbi Barchana s'y étant rendu, il posa son chapeau sur la fenêtre du ciel, & que l'ayant voulu reprendre un moment après, il ne le retrouva plus, les cieux l'avoient emporté ; il faut qu'il attende la révolution des orbes pour le rattraper.

CIEL, (Théolog.) le ciel des Théologiens, qu'on nomme aussi le ciel empyrée, est le séjour de Dieu & des esprits bienheureux, comme des anges & des ames des justes trépassés. Voyez DIEU, ANGE, &c.

Dans ce sens ciel est l'opposé de l'enfer. Voyez ENFER.

C'est ce ciel empyrée que l'Ecriture sainte nomme souvent le royaume des cieux, le ciel des cieux, & que S. Paul, selon quelques-uns, appelle le troisieme ciel, quelquefois le paradis, la nouvelle Jérusalem, &c. Voyez EMPIREE, &c.

L'on se figure ce ciel comme un endroit situé dans quelque partie bien éloignée de l'espace infini, où Dieu permet qu'on le voye de plus près, & d'une maniere plus immédiate ; où il manifeste sa gloire plus sensiblement ; où l'on a une perception de ses attributs plus adéquate qu'on n'en peut avoir dans les autres parties de l'univers quoiqu'il y soit également présent. Voyez UNIVERS, UBIQUITE, &c.

C'est aussi en cela que consiste ce que les Théologiens appellent vision béatifique. Voyez VISION. Quelques auteurs ont nié fort legerement, (on ne sait pas pourquoi) la réalité d'un semblable ciel local.

Les auteurs inspirés, & sur-tout le prophete Isaïe, & S. Jean l'évangéliste, font de superbes descriptions du ciel, de sa structure, de ses ornemens & embellissemens, & de la cour qui l'habite.

Le philosophe Platon, dans son dialogue sur l'ame, parle du ciel dans des termes si semblables à ceux de l'Ecriture sainte, qu'Eusebe n'hésite pas de le taxer d'avoir emprunté de-là ce qu'il en dit, de praepar. evangel. liv. XI. cap. xxxvij.

Les anciens Romains, dans leur système de Théologie, avoient une sorte de ciel qu'ils nommoient champs élysées, elysium. Voyez CHAMPS ELYSEES.

Le ciel ou le paradis des Mahométans est une fiction très-grossiere, conforme au génie de leur religion. Voyez ALCORAN & MAHOMETISME. (G)

CIEL, (Décor. théat.) on donne ce nom aux plafonds de l'opéra, lorsque le théatre représente un lieu découvert ; comme on dit le ciel d'un tableau. Lorsque le ciel est bien peint, qu'on y observe avec soin les gradations nécessaires, & qu'on a l'attention de le bien éclairer, c'est une des plus agréables parties de la décoration. L'effet seroit de la plus grande beauté, si on y faisoit servir la lumiere à rendre aux yeux du spectateur les diverses teintes du jour naturel. Dans la représentation d'une aurore, d'un jour ordinaire, ou d'un couchant, ces teintes sont toutes différentes, & pourroient être peintes à l'oeil par le seul arrangement des lumieres. Les fraix ne seroient pas plus considérables, peut-être même seroient moindres. Cette beauté ne dépend que du soin & de l'art.

Les plafonds changent avec la décoration par le moyen du contrepoids. Voy. DECORATION, CHANGEMENS, PLAFONDS. (B)

CIEL DE CARRIERE, est le premier banc qui se trouve au-dessous des terres en fouillant les carrieres, & qui sert de plafond à mesure qu'on les fouille.


CIEME(Géog.) ville de la Chine dans la province de Xantung. Lat. 36. 23.


CIERGE ÉPINEUX(Hist. nat. bot.) plante qui doit être rapportée au genre appellé melocactus. Voy. MELOCACTUS. (I)

Ce cierge s'appelle encore cierge du Pérou, flambeau du Pérou, cereus peruvianus.

James a manqué de goût en obmettant dans son ouvrage la belle & bonne description que M. de Jussieu a donnée en 1716 du cierge du pérou (mém. de l'ad. des Sc. ann. 1716. in -4°. pag. 146. avec fig.) je me garderai bien de la supprimer dans un dictionnaire où la Botanique exotique, qui est la moins connue, doit tenir sa place.

Description du cierge épineux du jardin du Roi. Deux sortes de gens, remarque d'abord M. de Jussieu, nous ont parlé du cierge épineux, les uns en voyageurs, les autres en botanistes : ceux-là frappés du peu de ressemblance qu'ils ont vû de cette plante à toutes celles de l'Europe, se sont plus attachés dans leurs relations à étonner leurs lecteurs par le merveilleux du récit qu'ils en ont fait, que par le vrai qu'ils n'étoient pas en état de rapporter, faute d'avoir quelque teinture de Botanique : ceux-ci ne nous en ont décrit que des especes différentes de celles dont il s'agit ici ; ou si l'on prétend que ce soit la même qu'ils ayent décrite, on ne pourra regarder leurs descriptions que comme imparfaites.

La plus exacte doit donc être celle qui sera d'après la nature même, & sur les observations qu'aura permis de faire la commodité du lieu où on a pû la voir en toute sorte d'état.

Cette plante, qui fut envoyée de Leyde au commencement du siecle par M. Hotton, professeur en Botanique au jardin de cette ville-là, à M. Fagon, premier médecin de Louis XIV. & surintendant du jardin du Roi, y fut plantée, n'ayant alors que trois à quatre pouces sur deux & demi de diametre.

Depuis ce tems-là, on a observé que d'une année à l'autre, elle prenoit un pié & demi environ d'accroissement, & que la crue de chaque année se distingue par autant d'étranglemens de sa tige ; ensorte qu'elle étoit déjà parvenue dans l'année 1716 à 23 piés de hauteur sur sept pouces de diametre, mesurée vers le bas de sa tige.

La figure droite & longue de la tige de cette plante par laquelle elle ressemble à un cierge, lui en a fait donner le nom ; on pourroit même dire qu'elle auroit encore plus de rapport à une torche par les côtes arrondies, dont elle est relevée dans toute l'étendue de sa longueur.

Ces côtes, qui sont au nombre de huit, & saillent d'environ un pouce, forment des cannelures d'un pouce & demi d'ouverture, lesquelles vont en diminuant, & augmentent en nombre à proportion qu'elles approchent du sommet de la plante terminée en cone.

Des toupets, composés chacun de sept, huit, ou neuf épines écartées les unes des autres en maniere de rosette, couleur châtain, fines, fort affilées, roides, & dont les plus longues sont de près de neuf lignes, sortent d'espace en espace à un demi-pouce d'intervalle, de petites pelotes cotonneuses, grisâtres, de la grandeur & figure d'une lentille ordinaire, & placées sur toute la longueur de ces côtes.

Son écorce est d'un verd gai ou verd de mer, tendre, lisse, & couvre une substance charnue, blanchâtre, pleine d'un suc glaireux, qui n'a qu'un goût d'herbe, & au milieu de laquelle se trouve un corps ligneux de quelques lignes d'épaisseur, aussi dur que le chêne, & qui renferme une moëlle blanchâtre pleine de suc.

Onze ans après que ce cierge fut planté, & étant devenu haut de dix-neuf piés environ, deux branches sortirent de sa tige à trois piés & quelques pouces de sa naissance. A la douzieme année, il poussa des fleurs qui sortirent des bords supérieurs des pelotons épineux répandus sur ces côtes. Depuis ce tems jusqu'en l'année 1716, le cierge a tous les ans jetté de nouvelles branches qui sont en tout semblables à la tige, & a donné des fleurs qui naissent ordinairement en été de différens endroits des côtes de cette tige, quelquefois jusqu'au nombre de quinze ou seize. Il est actuellement très-haut.

La fleur commence par un petit bouton verdâtre, teint à sa pointe d'un peu de pourpre ; il s'allonge jusqu'à un demi-pié, & grossit un peu plus que du double à son extrémité, laquelle s'épanouissant, forme une espece de coupe de près d'un demi-pié de diametre.

Elle est composée d'une trentaine de pétales longues de deux pouces sur un demi de largeur, tendres, charnues, comme couvertes de petites gouttes de rosée blanchâtre à leur naissance, lavées de pourpre clair à leur extrémité, qui est pointue & legerement dentelée.

Une infinité d'étamines longues d'un pouce & demi, blanchâtres, chargées d'un sommet jaune de soufre, partent par étage des parois intérieures d'un calice de couleur verd gai, épais de deux lignes, d'une substance charnue, verdâtre, visqueuse, & d'un goût d'herbe, cannelé sur sa surface extérieure, & composé de plusieurs écailles longues, épaisses, étroites, vertes, teintes de pourpre à leur extrémité, & appliquées les unes sur les autres successivement ; ensorte que les inférieures qui sont jointes à la naissance du calice, soûtiennent les supérieures, lesquelles se divisent, s'allongent, & s'élargissent à proportion qu'elles approchent des pétales de la fleur, dont elles ne se distinguent que parce qu'elles sont les plus extérieures, plus charnues, d'un verd jaunâtre vers leur milieu, & plus arrondies vers leur extrémité, qui est lavée d'un rouge brun.

Cette fleur qui a peu d'odeur, est portée sur un jeune fruit coloré d'un même verd que l'est le calice à sa naissance, auquel il sert de base, & lui est si intimément joint, qu'ils ne font ensemble qu'un même continu.

La surface de ce fruit gros alors comme une petite noix, est cannelée, lisse, & sans épines. Son intérieur renferme une chair blanchâtre, dans le milieu de laquelle est une cavité qui contient plusieurs semences.

Un pistil long de trois pouces & quelques lignes sur un & demi de diametre, blanchâtre, évasé à sa partie supérieure en maniere de pavillon, découpé en dix lanieres étroites, longues de six lignes, prend sa naissance au centre de ce fruit, que nous n'avons pas vû mûrir ici, & s'éleve de sa partie supérieure, enfile le calice de la fleur, & en occupe le centre ; là, il est environné de toutes les étamines, qui s'inclinent un peu de son côté sans le surpasser & sans en être touché.

Observations sur cette plante. Les observations auxquelles la description de ce cierge peuvent donner lieu, sont :

1°. Que cette espece de cierge n'a du rapport qu'à celle dont Tabernamontanus donne une figure, qui a été copiée par Lobel, Dalechamp, & Swertius. C. Bauhin l'a nommée, cereus peruanus, spinosus, fructu rubro, nucis magnitudine. Lin. 458.

2°. Que cette espece est différente de celles rapportées par M. Herman & par le P. Plumier, parce que celle-ci jette des branches, & que le pistil de sa fleur est de niveau aux étamines ; au lieu que celles-là n'ont qu'une seule tige sans branches, & que celle dont parle le P. Plumier, pousse du milieu de sa fleur un pistil qui la surpasse de beaucoup.

3°. Que quoique l'examen de la fleur & du fruit des plantes ait été jugé propre pour en établir le caractere, on peut néanmoins le faire sans ce secours, & par la seule inspection de la figure extérieure d'une plante qui a quelque chose de particulier ; ce qui se vérifie à l'égard de celle-ci, qui est assez reconnoissable par la longueur de ses tiges & par leurs cannelures, dont les côtes sont hérissées de paquets d'épines placées d'espace en espace : ensorte que comme il ne porte des fleurs que fort tard, & que cette fleur passe très-vîte, & n'est bien en état que la nuit & vers le matin, elle devient à l'égard du botaniste comme inutile pour juger du genre dans lequel la plante qui la porte doit être placée.

4°. Que le cierge par la structure de ses fleurs, par celle de son fruit, & par ses paquets d'épines, a beaucoup de rapport à la raquette, ou opuntia, & n'en différe que parce que les tiges de celle-ci ne sont point cannelées ; & que ce qui est merveilleux dans la végétation de l'une & de l'autre de ces plantes, est qu'elles puissent pousser un jet si haut, si charnu, & durer aussi long-tems avec des racines si courtes & avec aussi peu de terre.

Ce que l'on a observé d'important pour la culture de ce cierge par rapport au lieu où l'on doit le placer, c'est qu'il faut qu'il ait une exposition favorable qui le mette à l'abri du nord, & où il puisse recevoir toute la chaleur du soleil, de laquelle il ne peut jamais être endommagé.

Que les pluies, la trop grande sécheresse, & la gelée, sont ses ennemis mortels ; que pour l'en garantir, on doit le tenir fermé dans un vitrage couvert par-dessus, & qui puisse être élevé à mesure que ce cierge croît.

Par rapport aux soins que l'on doit avoir de cette plante, l'expérience a appris qu'il est nécessaire d'entourer de fumier sec l'extérieur de la boîte vitrée qui l'enferme, & en même tems d'avoir la précaution de mettre intérieurement tous les soirs, une poële de feu pendant les froids les plus rigoureux.

Enfin on a prouvé que pour multiplier le cierge, il faut en couper pendant les plus grandes chaleurs les jeunes branches, & les laisser fanner deux à trois jours, en les exposant à l'ardeur du soleil auparavant que de les mettre en terre.

Après avoir transcrit la description du beau cierge épineux qui est dans le jardin du Roi, la Botanique exige de caractériser cette plante, quelque connoissable qu'elle soit par son port, & d'en indiquer les especes, outre que j'ai quelques remarques particulieres à y joindre.

Les caracteres du cierge épineux. Sa racine est vivace, petite en comparaison de la plante, & très-fibreuse. La plante n'a point de feuilles : elle est garnie de piquans, & est anguleuse. Les angles des ailes sont attachés à des épines, qui partant du centre des rayons, forment comme une espece d'étoile. La partie interne de la tige est ligneuse ; celle de dehors est blanche, fongueuse, & couverte d'une membrane semblable à du cuir. Le calice est long, écailleux, & sa partie supérieure est garnie de longs rayons qui entourent le sommet de l'ovaire. La fleur qui sort de l'extrémité du fruit, est composée d'un grand nombre de pétales qui s'élargissent à mesure qu'ils s'éloignent de leur base ; elle est ornée de plusieurs étamines, & d'un très-beau pistil. L'ovaire qui est à l'extrémité du pédicule, forme le corps du calice : il est muni d'un tube, & se change en un fruit semblable à celui du poirier sauvage, charnu, couvert d'une membrane velue & visqueuse, lequel contient un nombre infini de semences.

Ses especes. Boerhaave en compte treize différentes especes.

1re. Cereus erectus, altissimus, Syrinamensis, Park. Bat. 116. spinis fuscis. H. R. D.

2e. Cereus erectus, altissimus, Syrinamensis, Park. Bat. 116. spinis albis. H. R. D.

3e. Cereus maximus, fructu spinoso, rubro, Dadus. Par. Bat. 113.

4e. Cereus erectus, fructu rubro, spinoso. Par. Bat. 114.

5e. Cereus erectus, fructu rubro, non spinoso, lanuginosus, lanugine flavescente. Par. Bat. 115.

6e. Cereus erectus, crassissimus, maximè angulosus, spinis albis, pluribus, longissimis, lanugine flavâ. H. R. D.

7e. Cereus erectus, gracilis, spinosissimus, spinis flavis, polygonus, lanugine albâ pallescente.

8e. Cereus erectus, gracilior, spinosissimus, spinis albis, polygonus. H. R. D.

9e. Cereus erectus, quadrangulus, costis alarum instar assurgentibus. Ind. 181.

10e. Cereus scandens, minor, trigonus, articulatus, fructu suavissimo. Par. Bat. 118.

11e. Cereus scandens, minor, polygonus, articulatus. Par. Bat. 120.

12e. Cereus minimus, articulatus, polygonus, spinosus. H. R. D.

13e. Cereus erectus, polygonus, spinosus, per intervalla compressus quasi in articulos. H. R. D. Boerhaave, index alter plant arum. Vol. I.

Remarques sur ces especes & leur culture. Voilà le catalogue des diverses especes de cierges du Pérou. Le meilleur moyen de les conserver, est de les encaisser dans des boîtes vitrées, & de les tenir toûjours à l'abri de l'humidité dans une serre ouverte en été, & fermée en hyver. Il y a bien peu de ces especes qui produisent des fleurs dans nos climats. L'on ne compte guere que celles du jardin royal à Paris, & des jardins de botanique de Leyde & d'Amsterdam, qui ayent eu ce bonheur.

Les deux premieres especes sont les plus communes en Europe, & l'on peut même les conserver pendant les chaleurs de l'été dans les jardins, pourvû qu'on ait soin de les garantir des vents du nord, du froid, de la pluie, & de l'humidité, qui sont les plus grands ennemis des plantes de l'Amérique.

Les trois, quatre, cinq, six, sept, huit, & neuvieme especes, sont plus tendres, & requierent plus de chaleur. On les doit tenir avec soin dans des boîtes vitrées, & les placer dans un lieu choisi de la serre, à une chaleur réglée par le thermometre ; elles demandent très-peu d'arrosement pendant l'hyver.

La dixieme espece est cultivée par les habitans des Barbades, attenant leurs maisons, par amour pour son fruit qui est de la grosseur d'une poire de bergamotte, & d'une odeur délicieuse.

Les dixieme & onzieme especes exigent encore plus de chaleur pour leur conservation, que les précédentes. Si on les place contre les murs d'une serre, elles y pousseront des racines, & s'éleveront à une grande hauteur : pourvû qu'on les attache à la muraille, on les portera jusqu'au haut de la serre, où elles feront un très-bel effet à la vûe.

La onzieme espece parvenue à un certain âge, produira de larges & belles fleurs d'une odeur admirable ; mais ces fleurs semblables à celles des autres especes, demeurent à peine un jour épanouies ; & si elles sont une fois fermées, elles ne s'épanouiront pas de nouveau.

On multiplie cette plante par boutures : pour cet effet il faut couper de ses tiges à la hauteur qu'on voudra, les mettre dans un lieu sec, les y laisser quinze jours ou trois semaines pour consolider leur blessure. Ces boutures doivent être plantées dans de petits pots remplis d'une terre legere & sablonneuse, avec un mélange de décombres de bâtimens. On arrangera au fond des pots quelques petites pierres poreuses, pour boire l'humidité : ensuite on placera ces pots dans un lit chaud de tan ou de fumier, pour aider au développement des racines, & on les arrosera legerement une seule fois par semaine.

La meilleure saison pour ce travail est au mois de Juin ou de Juillet, afin de leur donner le tems de prendre racine avant l'hyver. A la mi-Août on commencera par leur procurer de l'air par degrés, pour les endurcir contre le froid prochain ; mais il ne faut pas les exposer entierement à l'air ouvert ou au soleil. Au mois de Septembre, il faut les reporter dans la serre pour y passer l'hyver, pendant laquelle saison on ne les arrosera que très-rarement.

Quand vous avez coupé les sommités de quelques-unes de ces plantes pour les multiplier, leur tige poussera de nouveaux rejettons de leurs angles qui, quand ils auront huit ou neuf pouces de long, pourront servir à former de nouvelles plantes, & de cette maniere les vieilles plantes fourniront toûjours de nouveaux jets.

Comme les cierges du Pérou sont pleins de sucs, ils peuvent se conserver hors de la terre. Ceux donc qui voudront en apporter des Indes occidentales, n'ont autre chose à faire que de les couper, de les laisser sécher quelques jours, les renfermer ensuite dans une boîte avec du foin sec ou de la paille, les empêcher de se toucher de peur qu'ils ne s'entre-déchirent par leurs épines, & les préserver de l'humidité : de cette maniere ils soûtiendront deux ou trois mois de voyage. Article communiqué par M D.J.


CIERGEs. m. chandelle de cire que l'on place sur un chandelier, & que l'on brûle sur les autels, aux enterremens & autres cérémonies religieuses, Voyez CHANDELLE.

On fait des cierges de différentes grandeurs & figures. En Italie, ils sont cylindriques ; dans la plûpart des autres pays, en France, en Angleterre, &c. ils sont coniques : l'une & l'autre espece sont creux à la partie inférieure ; c'est-là qu'est reçûe la pointe du chandelier. Voyez CHANDELIER.

L'usage des cierges dans les cérémonies de religion est fort ancien. Nous savons que les Payens se servoient de flambeaux dans leurs sacrifices, sur-tout dans la célébration des mysteres de Cérès, & ils mettoient des cierges devant les statues de leurs dieux.

Quelques-uns croyent que c'est à l'imitation de cette cérémonie payenne, que les cierges ont été introduits dans l'Eglise chrétienne ; d'autres soûtiennent que les Chrétiens ont suivi en cela l'usage des Juifs. Mais pour en trouver l'origine, il est inutile d'avoir recours aux sentimens des uns & des autres.

Il n'est pas douteux que les premiers Chrétiens ne pouvant s'assembler que dans les lieux soûterrains, ne fussent obligés de se servir de cierges & de flambeaux : ils en eurent même besoin depuis qu'on leur eut permis de bâtir des églises ; car elles étoient construites de façon qu'elles ne recevoient que très-peu de jour, afin d'inspirer plus de respect par l'obscurité.

C'est-là l'origine la plus naturelle qu'on puisse donner à l'usage des cierges dans les églises. Mais il y a déjà long-tems que cet usage, introduit par la nécessité, est devenu une pure cérémonie. S. Paulin, qui vivoit au commencement du cinquieme siecle, observe que les Chrétiens de son tems aimoient si fort les cierges, qu'ils en représentoient en peinture dans leurs églises.

Ceux qui ont écrit des cérémonies de l'Eglise, ont remarqué que l'usage d'allumer des cierges même en plein jour a une signification mystique, qui est d'exprimer la joie, la charité, la lumiere même de la vérité, découverte aux hommes par la prédication de l'Evangile. C'est le sentiment de S. Jerôme contre l'hérétique Vigilance : Per totas Orientis ecclesias, dit ce Pere, accenduntur luminaria, sole jam rutilante, non utique ad fugandas tenebras, sed ad signum laetitiae demonstrandum.... Ut sub typo luminis corporalis illa lux ostendatur de quâ in psalterio legimus : lucerna pedibus meis verbum tuum, & lumen semitis meis. S. Jerôme, tom. IV. part. I. pag. 284.

Il y a deux manieres de faire des cierges ; l'une à la cuillere, & l'autre à la main.

Voici la premiere. Les brins des meches que l'on fait ordinairement moitié coton & moitié filasse, ayant été bien commis & coupés de la longueur dont on veut faire les cierges, on en pend une douzaine à distances égales, autour d'un cerceau de fer, perpendiculairement au-dessous d'un grand bassin de cuivre plein de cire fondue : alors on prend une cuillere de fer qu'on emplit de cette cire ; on la verse doucement sur les meches, un peu au-dessous de leur extrémité supérieure, & on les arrose ainsi l'une après l'autre : desorte que la cire coulant du haut em-bas sur les meches, elles en deviennent entierement couvertes, & le surplus de la cire retombe dans le bassin, au-dessous duquel est un brasier pour tenir la cire en fusion, ou pour empêcher qu'elle ne se fige.

On continue ainsi d'arroser les meches dix ou douze fois de suite, jusqu'à ce que les cierges ayent pris l'épaisseur qu'on veut leur donner. Le premier arrosement ne fait que tremper la meche ; le second commence à la couvrir, & les autres lui donnent la forme & l'épaisseur. Pour cet effet, on a soin que chaque arrosement qui suit le quatrieme, se fasse de plus bas en plus bas, afin que le cierge prenne une figure conique. Les cierges étant ainsi formés, on les pose pendant qu'ils sont encore chauds, dans un lit de plumes pour les tenir mols : on les en tire l'un après l'autre, pour les rouler sur une table longue & unie avec un instrument oblong de boüis, dont le bout inférieur est poli, & dont l'autre est garni d'une anse.

Après que l'on a ainsi roulé & poli les cierges, on en coupe un morceau du côté du bout épais, dans lequel on perce un trou conique avec un instrument de boüis, afin que les cierges puissent entrer dans la pointe des chandeliers.

Pendant que la broche de boüis est encore dans le trou, on a coûtume d'empreindre sur le côté extérieur le nom de l'ouvrier & le poids du cierge, par le moyen d'une regle de boüis sur laquelle on a gravé les caracteres qui expriment ces deux choses. Enfin on pend les cierges à des cerceaux, pour les secher, durcir, & exposer en vente.

Maniere de faire des cierges à la main. Les meches étant disposées comme ci-dessus, on commence par amollir la cire dans de l'eau chaude & dans un vaisseau de cuivre étroit & profond : ensuite on prend une poignée de cette cire, & on l'applique par degré à la meche qui est attachée à un crochet dans le mur par le bout opposé au collet, desorte que l'on commence à former le cierge par son gros bout ; on continue cette opération en le faisant toûjours moins fort à mesure que l'on avance vers le collet.

Le reste se fait de la maniere ci-dessus expliquée, si ce n'est qu'au lieu de les mettre dans un lit de plumes, on les roule sur la table aussi-tôt qu'ils sont formés.

Il y a deux choses à observer par rapport aux deux especes de cierges ; la premiere, est que pendant toute l'opération des cierges faits à la cuillere, on se sert d'eau pour mouiller la table, & d'autres instrumens, pour empêcher que la cire ne s'y attache : & la seconde, que dans l'opération des cierges faits à la main, on se sert d'huile d'olive, pour prévenir le même inconvénient.

CIERGE PASCHAL, dans l'Eglise romaine, est un gros cierge auquel un diacre applique cinq grains d'encens, dans autant de trous que l'on y a faits en forme de croix ; il allume ce cierge avec du feu nouveau, pendant les cérémonies du samedi-saint.

Le pontifical dit que le pape Zosime a institué cette cérémonie, mais Baronius prétend que cet usage est plus ancien ; & pour le prouver, il cite une hymne de Prudence. Il croit que ce pape en a établi seulement l'usage dans les églises paroissiales, & qu'auparavant l'on ne s'en servoit que dans les grandes églises.

Le pere Papebroch parle plus distinctement de l'origine du cierge paschal, dans son conatus chronico-historicus. Quoique le concile de Nicée eût réglé le jour auquel il falloit célebrer la fête de Pâques, il semble qu'il chargea le patriarche d'Alexandrie d'en faire un canon annuel & de l'envoyer au pape. Comme toutes les fêtes mobiles se reglent par celle de Pâques, on en faisoit tous les ans un catalogue que l'on écrivoit sur un cierge, & on benissoit ce cierge dans l'église avec beaucoup de cérémonie.

Ce cierge, selon l'abbé Châtelain, n'étoit pas de cire, ni fait pour brûler, il n'avoit point de meche, & ce n'étoit qu'une espece de colonne de cire, faite pour écrire dessus la liste des fêtes mobiles, cette liste ne devant subsister que l'espace d'un an : car lorsqu'on écrivoit quelque chose dont on vouloit perpétuer la mémoire, les anciens avoient coûtume de le faire graver sur du marbre ou sur de l'acier : quand c'étoit pour long-tems, on l'écrivoit sur du papier d'Egypte ; & quand ce n'étoit que pour peu de tems, on se contentoit de le tracer sur de la cire. Par succession de tems on commença à écrire la liste des fêtes mobiles sur du papier ; mais on l'attachoit toûjours au cierge paschal, & cette coûtume s'observe encore de nos jours dans l'église de Notre-Dame de Roüen, & dans toutes les églises de l'ordre de Cluny. Telle est l'origine de la bénédiction du cierge paschal. V. sur l'article CIERGE les dict. de Trévoux, du Commerce, & Chambers.

CIERGES, (Hydraulique). Ce sont des jets élevés & perpendiculaires, fournis sur la même ligne par le même tuyau, qui étant bien proportionné à leur quantité, à leur souche & à leur sortie, leur conserve toute leur hauteur. On a un bel exemple des cierges ou grilles d'eau en haut de l'orangerie de Saint-Cloud.

On prétend que les cierges d'eau sont plus éloignés les uns des autres que les grilles. (K)


CIFUENTES(Géog.) ville d'Espagne dans la Castille vieille, dans un comté de même nom.


CIGALES. f. cicada (Hist. nat. insect.) espece de mouche très-connue par le bruit qu'elle fait dans la campagne, & que l'on prend communément, mais mal-à-propos, pour une sorte de chant. La tête de cet insecte est large & courte ; il a deux yeux sans réseaux, qui sont placés l'un à droite & l'autre à gauche, près du bout postérieur de la tête, & qui ont un grand nombre de facettes ; entre ces deux yeux il s'en trouve trois autres qui sont lisses & rangés en triangle. Les cigales ont un corcelet composé de deux pieces, ou plûtôt deux corcelets presque aussi larges que la tête ; ils sont pour ainsi dire sculptés, principalement l'antérieur, sur lequel on voit, entr'autres figures, une sorte de triangle. Les aîles sont au nombre de quatre, posées en talus comme les deux pans d'un toit, transparentes, & attachées au second corcelet ; les deux du dessus sont placées fort près du premier : leur étendue est plus grande que celle des deux autres aîles ; elles ont de fortes nervures qui soûtiennent un tissu mince. Le corps est composé de huit anneaux écailleux, y compris la partie oblongue & conique qui le termine, & qui est d'une seule piece dans les femelles ; le premier anneau est le plus large, chacun des autres diminue de largeur jusqu'au septieme, qui est au moins aussi large que le second. Les cinq premiers ont chacun à-peu-près le même diametre ; le reste du corps forme une pointe qui est plus allongée dans la femelle que dans le mâle.

On distingue des cigales de trois grandeurs différentes ; les grandes, les moyennes, & les petites. Celles de la grande espece, étant vûes par-dessus, sont les plus brunes ; elles ont le corps d'un brun luisant presque noir ; la couleur des corcelets, sur-tout du premier, est mêlée d'une teinte de jaune. Les cigales de l'espece moyenne ont plus de jaune ; celles de la petite espece, que l'on nomme cigalons aux environs d'Avignon, ont moins de jaune que celles de l'espece moyenne, & on voit sur quelques-unes une teinte rougeâtre. Toutes les petites cigales ont les aîles jaunâtres, tandis que celles des autres sont d'une couleur argentée. Les grandes cigales ont le ventre d'une couleur jaunâtre, sale & pâle, excepté deux bandes brunes qui sont près des bords ; ces bandes sont formées par les extrémités des arcs écailleux qui recouvrent le dessus du corps, & qui se replient de chaque côté sous le ventre, ou ils aboutissent chacun à une lame écailleuse au moyen de laquelle chaque anneau est complet. En écartant ces lames les unes des autres autant qu'on le peut, en allongeant le ventre de l'insecte, on découvre des stigmates ; il y en a deux entre deux lames, un de chaque côté, placé tout près de la jonction d'une lame, avec l'arc écailleux qui lui correspond.

En regardant les cigales par-dessous, on apperçoit deux petites antennes qui n'ont que quelques lignes de longueur, & qui sont posées près des yeux à réseaux. Il y a au bout de la tête une piece triangulaire qui ressemble en quelque façon à un menton, qui recouvre le dessus de la tête, & qui s'étend plus loin ; la base est en-avant, & le sommet en-arriere ; il forme une pointe dont sort la trompe avec laquelle la cigale tire le suc des feuilles & des branches d'arbres. Le fourreau de la trompe tient à des parties membraneuses qui se trouvent au-dessous du menton, vis-à-vis son milieu. Ce fourreau s'étend au-delà de la pointe du menton, comme un fil de la grosseur & de la longueur d'une petite épingle. Lorsqu'on leve la pointe du menton, la trompe sort de son étui, & elle y rentre lorsque cette pointe se remet dans sa position naturelle ; quelquefois la trompe entraîne son fourreau, lorsque l'insecte le fait mouvoir. Il est fait en forme de gouttiere, le long de laquelle on voit une legere fente, lorsqu'on regarde la cigale par-dessous. Cette fente s'élargit quand la trompe sort : on peut la tirer de son fourreau avec la pointe d'une épingle, & la diviser en trois filets écailleux. Les organes dont vient le bruit que l'on appelle le chant de la cigale, sont placés dans son ventre ; on ne les trouve que dans les mâles, car les femelles ne font aucun bruit. Il y a sur le ventre des cigales mâles de la grande espece, deux plaques écailleuses qui sont assez grandes, qui tiennent au second corcelet, & qui s'étendent presque jusqu'au troisieme anneau ; elles sont posées de façon que l'une recouvre un peu l'autre. On peut soûlever ces plaques par leur extrémité supérieure ; mais elles sont arrêtées par une espece de cheville faite en forme d'épines, dont chacune tient par l'une de ses extrémités à la partie de la jambe postérieure qui s'articule avec le corcelet, & appuie par l'autre extrémité sur l'une des plaques. Ces épines empêchent que les plaques ne soient trop soûlevées, & les remettent en situation. Lorsqu'on a relevé les plaques, on trouve dans la partie antérieure du ventre une cavité qui est partagée en deux loges ; le fond de chacune de ces loges est luisant comme un miroir ; il y a une membrane tendue & transparente comme le verre, sur laquelle on voit toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, lorsqu'on la regarde obliquement.

Si on enleve la partie supérieure du premier & du second anneau, & si on met à découvert du côté du dos l'endroit qui correspond à la cavité où sont les miroirs, on y trouve deux muscles qui sont composés d'un grand nombre de fibres droites ; ils forment, en s'approchant, un angle aigu sur les revers de la piece triangulaire dont il a déjà été fait mention. Ces muscles aboutissent aux organes qui produisent le bruit de la cigale ; ils sont situés dans deux réduits dont les deux orifices communiquent de chaque côté dans la grande cavité où sont les miroirs. On trouve dans chacun de ces réduits une membrane plissée, raboteuse, & contournée en forme de timbale. Elles sont placées de chaque côté, sous une partie triangulaire du premier anneau de la cigale, qui est plus élevée que le reste ; si on enleve cette partie, on met la membrane à découvert. Dès qu'on la touche elle resonne comme un parchemin sec, & même comme une membrane, encore plus sonore ; celle dont il s'agit rend des sons, lorsqu'après avoir été enfoncée dans quelques endroits elle se releve par son ressort. Les muscles dont on vient de parler aboutissent à la surface concave de ces membranes, & en l'attirant en-dedans par leur contraction, ils la mettent en état de resonner, lorsqu'elles se rétablissent par leur élasticité, en même tems que le muscle se relâche. Ce son passe au-dehors par les orifices de deux réduits qui communiquent dans la grande cavité, & peut être modifié par les volets écailleux, les miroirs, & toutes les différentes parties qui se trouvent dans les cavités. Les cigales de la petite espece & de l'espece moyenne ont à-peu-près les mêmes organes & font presque le même bruit.

Le dernier anneau du corps des cigales femelles est plus allongé que dans les mâles, & il renferme une partie à laquelle on a donné le nom de tariere, parce que les cigales s'en servent pour faire des trous dans de petits morceaux de bois où elles déposent leurs oeufs. Les mâles n'ont pas cette tariere, qui est fort apparente dans les femelles, puisqu'elle a environ cinq lignes de longueur dans celles de la grande espece. Elle est renfermée dans un étui dont on peut la faire sortir en comprimant legerement le ventre de l'insecte ; elle est à-peu-près de même grosseur sur toute sa longueur, & terminée à son extrémité par une pointe angulaire qui ressemble à un fer de pique dont les bords seroient dentelés. La substance de cette partie est de la nature de l'écaille ou de la corne, aussi solide & aussi dure qu'aucune autre qui se trouve dans les insectes. En l'examinant de près on reconnoît qu'elle est composée de trois parties, c'est pourquoi on a été tenté de changer le nom de tariere que l'on avoit donné à cette partie, & on a mieux aimé dire qu'elle est composée de deux limes & d'un support, limes ou tariere, n'importe du nom. La partie dont il s'agit est composée de trois pieces, dont deux sont posées à côté de la troisieme, & sont engrenées en façon de coulisse avec cette piece du milieu, de maniere qu'elles glissent tout le long sans s'en écarter, & elles peuvent être mûes alternativement ; par ce moyen, les deux rangs de dents qui sont sur les bords de la pointe angulaire, dont nous avons déja parlé, avancent & reculent, parce qu'ils tiennent à chacune des pieces des côtés. Ce qui cause ce déplacement, c'est qu'elles sont repliées en-dehors & en-avant par leur extrémité antérieure, relativement à l'insecte. Des muscles, en augmentant ou en diminuant cette courbure par leur contraction ou leur relâchement, font glisser en-avant ou en-arriere la piece latérale, & par conséquent mettent en jeu les dents qui sont à chaque côté de la pointe, qui est faite en forme de fer de lance, & composée de trois pieces. Les dents sont posées obliquement, & dirigées du côté de la pointe du fer de la lance, desorte qu'elles déchirent ce qui leur fait obstacle dans leur mouvement, lorsque la cigale se sert de cette partie pour faire des trous dans le bois où elle dépose ses oeufs.

Les cigales femelles font toûjours ces trous dans de très-petites branches de bois qui est sec & qui a de la moëlle. On les reconnoît par des fibres qui ont été soûlevées à l'endroit de ces trous ; ils sont rangés par files assez régulierement pour l'ordinaire ; ils ont chacun trois lignes & demie ou quatre lignes de longueur. Ses trous peuvent contenir huit à dix oeufs, & il y en a au moins quatre ou cinq dans chacun ; ils sont blancs, oblongs, & pointus par les deux bouts. La ponte est fort abondante, puisqu'on a compté jusqu'à sept cent oeufs dans les ovaires. Il sort de chaque oeuf un ver blanc qui a six longues jambes, & qui ressemble en quelque façon à une puce pour la figure. Lorsqu'ils ont abandonné le trou où ils sont éclos, ils se logent dans la terre, & ensuite ils se transforment en nymphes, qui marchent & qui prennent des alimens & de l'accroissement. Aristote les a nommées tettigometres ou meres cigales ; elles ne different pas beaucoup du ver qui est sorti de l'oeuf. Ces nymphes peuvent pénétrer dans la terre jusqu'à deux ou trois piés de profondeur. On les trouve ordinairement auprès des racines des arbres. Lorsque le tems de leur métamorphose approche, elles sortent de terre, montent sur les arbres, & s'y accrochent pendant les chaleurs de l'été. C'est dans cet état qu'elles parviennent à quitter leur fourreau de nymphe ou de chrysalide, pour paroître sous la forme de cigale. Mémoires pour servir à l'hist. des insect. tome V. (I)

CIGALES, s. f. (Hist. mod.) Les Espagnols de l'Amérique nomment ainsi un petit rouleau de tabac de la grosseur du petit doigt au plus, & long de cinq à six pouces au moins. Ce rouleau est composé de plusieurs brins de tabac parallelement disposés à côté les uns des autres, & assujettis ensemble par une large feuille qui leur sert de robe ou d'enveloppe. On allume une des extrémités de ce rouleau, & l'autre se met dans la bouche, au moyen de quoi on fume sans pipe. Nos insulaires, qui font un grand usage de ces cigales, les nomment simplement bouts de tabac.

Il n'est pas hors de propos d'ajoûter ici que les Caraïbes des îles Antilles ont une singuliere façon de fumer : ils enveloppent des brins de tabac dans certaines écorces d'arbres très-unies, flexibles, & minces comme du papier ; ils en forment un rouleau, l'allument, en attirent la fumée dans leur bouche, serrent les levres, & d'un mouvement de langue contre le palais, font passer la fumée par les narines. Art. communiqué par M. DE SAINT-ROMAIN.


CIGOGNES. f. ciconia, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau dont les pattes, le cou & le bec sont fort longs. La cigogne dont M. Perrault a donné la description dans le recueil de l'acad. royale des Sciences, avoit quatre piés de longueur depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des piés. Celle du bec étoit de quatre trentiemes parties de celle de tout le corps ; les piés n'avoient que trois trentiemes, le cou cinq trentiemes, & les jambes onze depuis le ventre jusqu'à terre. Le cou étoit beaucoup plus gros par le bas que par le haut. Cet oiseau avoit cinq piés d'envergeure. Le plumage étoit d'un blanc sale & un peu roussâtre presque par-tout le corps, & noir au bout des aîles. Il y avoit aussi des plumes noires, longues & larges sur les deux côtés du dos & à la racine des aîles. Le cou étoit revêtu sur sa partie inférieure, jusqu'au tiers de sa longueur, par des plumes longues de six pouces, larges de dix lignes, & terminées en pointe. Elles étoient entourées à leur racine par un duvet très-blanc, dont chaque petite plume avoit un tuyau de la grosseur d'une petite épingle, qui se partageoit en cinquante ou soixante autres plus petits que des cheveux, dont chacun étoit encore garni des deux côtés de petites fibres presqu'imperceptibles. Cette cigogne n'avoit sur le haut de la véritable jambe que de petits filets de plumes fort rares. L'alentour des yeux étoit dégarni de plumes, on n'y voyoit qu'une peau fort noire. Cet oiseau avoit le bec droit, pointu, & d'un rouge pâle, tirant sur la couleur de chair. Le bas des véritables jambes étoit rouge, & avoit plus de quatre pouces de longueur ; la partie du pié, qui s'étend depuis le talon jusqu'aux doigts, étoit de couleur grise, & le reste des piés & la jambe de couleur rouge. Il avoit des écailles en forme de table sur les extrémités des doigts. Les trois de devant étoient joints ensemble à leur commencement, par des peaux courtes & épaisses. Il avoit le doigt de derriere gros & court, les ongles blancs, larges, & courts à peu-près comme ceux de l'homme. La cigogne se nourrit de lézards, de serpens, de grenouilles, & n'a point de ventricule comme les oiseaux de proie, mais seulement un gésier. Elle mange aussi des vers, des araignées, & d'autres insectes. Mémoire pour servir à l'histoire des animaux, tome III. troisieme part. (I)

CIGOGNE NOIRE, ciconia nigra, oiseau de la grosseur de la cigogne ordinaire, ou même un peu plus petit. Le cou, la tête, le dos & les aîles sont d'un noir luisant ou mêlé de verd ; le ventre, la poitrine & les côtés sont blancs ; le bec est verd ; les pattes sont de cette couleur, & dégarnies de plumes jusqu'à l'articulation du genou ; la membrane qui tient les doigts unis ensemble s'étend jusqu'à la moitié de la longueur du doigt du milieu, seulement du côté intérieur. Voyez Willughby, ornith. Voyez OISEAU. (I)

CIGOGNE, (Matiere médicale). Les parties de cet oiseau dont on se sert en Médecine, sont, outre l'oiseau entier, la vésicule du fiel, le fiel, la graisse, la fiente & le jabot. Cet animal est un grand alexipharmaque, & passe pour un excellent remede contre toutes sortes de poisons, & sur-tout contre la peste ; on en use aussi dans les affections des nerfs & des jointures. Son fiel est recommandé dans les maladies des yeux ; sa graisse en liniment dans les affections goutteuses & le tremblement des articulations ; sa fiente prise dans de l'eau, dans l'épilepsie & dans les maladies de la tête ; son ventricule ou son jabot desséché & pulvérisé, passe pour un spécifique admirable contre plusieurs poisons. Dict. de Médecine, Dale, Schroeder, &c. (b)


CIGUATEO(Géog.) île de l'Amérique septentrionale dans la mer du nord, l'une des Lucayes ou de Bahama.


CIGUES. f. cicuta, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelle, composées de plusieurs pétales en forme de coeur, inégales, & soûtenues par un calice qui devient un fruit presque rond, dans lequel il y a deux petites semences renflées & cannelées d'un côté, & plates de l'autre. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La cicuta major C. B est une de celles qu'on range parmi les venimeuses, & la plus renommée de son genre. La mort de Socrate a seule suffi pour en immortaliser les effets.

Comme on ne lit point sans attendrissement dans le Phédon de Platon, l'histoire circonstanciée de ce qui précéda la mort de ce philosophe, qui avoit passé sa vie à être utile à sa patrie, & à la servir de tous ses talens ; qui ne se démentit jamais dans sa conduite ; qui témoigna jusqu'au dernier soupir une grandeur héroïque, émanée de la fermeté de son ame & de la confiance dans son innocence ; il résulte nécessairement de cette lecture, que tout ce qui regarde la fin tragique d'un homme si respectable, devient intéressant, jusqu'à la plante même qui finit ses jours. Le nom de cette plante se joint dans notre esprit avec celui de Socrate. Nous la cherchons dans nos climats, nous voulons la connoître par nos yeux, ou du moins nous en lisons la description avec avidité.

Description de notre ciguë. Sa racine est longue d'un pié, grosse comme le doigt, partagée en plusieurs branches solides. Avant que de pousser sa tige, cette racine est couverte d'une écorce mince, jaunâtre, blanche intérieurement, fongueuse, d'une odeur forte, d'une saveur douçâtre ; de plus, cette racine est creuse en-dedans quand elle pousse sa tige. Cette tige est fistuleuse, cannelée, haute de trois coudées, lisse, d'un verd gai, parsemée cependant de quelques taches rougeâtres, comme la peau des serpens. Ses feuilles sont aîlées partagées en plusieurs lobes, lisses, d'un verd noirâtre, d'un odeur puante, approchant de celle du persil. Ses fleurs sont en parasol au sommet des tiges, en roses composées de cinq pétales blancs en forme de coeur, inégaux, placés en rond, & portés sur un calice qui se change, comme on l'a dit, en un fruit presque sphérique, composé de deux petites graines convexes & cannelées d'un côté, applaties de l'autre, d'un verd pâle. Elle croît dans les lieux ombrageux, dans les champs, au bord des haies, dans les décombres, & fleurit en été. Elle vient dans les environs de Paris à l'ombre.

Toute cette plante a une saveur d'herbe salée, & une odeur narcotique & foetide ; son suc rougit très-peu le papier bleu ; d'où l'on peut conclure qu'elle contient un sel ammoniacal enveloppé de beaucoup d'huile & de terre. Ces principes se trouvent à-peu-près dans l'opium.

Elle n'est point aussi venimeuse qu'en Grece. Presque tout le monde convient que cette plante prise intérieurement est un poison, & personne n'ignore que c'étoit celui des Athéniens ; mais quelles que fussent les qualités mortelles de la ciguë dont ils se servoient, il est certain que celle qui croît dans nos contrées n'a point ce même degré de malignité. On a vû dans nos pays des personnes qui ont mangé une certaine quantité de sa racine & de ses tiges sans en mourir. Ray rapporte dans son histoire des plantes, d'après les observations de Bowle, que la poudre des racines de ciguë, donnée à la dose de vingt grains dans la fievre quarte, avant le paroxisme, est au-dessus de tous les diaphorétiques. M. Reneaume, médecin de Blois (observat. 3 & 4.), dit en avoir fait prendre, avec beaucoup de succès, un demi-dragme en poudre dans du vin, & jusqu'à deux dragmes en infusion pour les skirrhes du foie & du pancréas ; mais ce médecin n'a jamais guéri des skirrhes, & si son observation étoit vraie, elle prouveroit seulement que la racine de ciguë n'est pas toûjours nuisible.

Nous croyons cependant avec les plus sages médecins, que le plus prudent est de s'abstenir dans nos climats de l'usage interne de cette plante. Elle y est assez venimeuse pour se garder de la donner intérieurement ; car elle cause des stupeurs & autres accidens fâcheux. Son meilleur antidote est le vinaigre en guise de vomitif, avec de l'oximel tiede en quantité suffisante, pour procurer & faciliter le vomissement.

Elle ne passoit point pour venimeuse à Rome. Ce qui est néanmoins singulier, & dont il faut convenir, c'est que la ciguë ne passoit point à Rome pour un poison, tandis qu'à Athenes on n'en pouvoit douter ; à Rome au contraire on la regardoit comme un remede propre à modérer & à tempérer la bile. Perse, satyre V. vers 145. dit là-dessus :

bilis

Intumuit, quam non extinxerit urna cicutae.

Horace en parle aussi comme d'un remede, dans sa seconde épître, liv. II. vers 53.

Sed quod non desit, habentem

Quae poterunt unquam satis expurgare cicutae ?

Ni melius dormire putem quam scribere versus.

" Présentement que j'ai plus de bien qu'il ne m'en faut, ma folie ne seroit-elle pas à l'épreuve de toute la ciguë, si je n'étois persuadé qu'il vaut mieux dormir que de faire des vers " ?

Pline, liv. XIV. ch. xxij. vante la ciguë pour prévenir l'ivresse, & prétend qu'on en peut tirer plusieurs remedes. Lescale rapporte quelque part, que voyageant en Lombardie, on lui servit de la salade où il y avoit de la ciguë, ce qui l'étonna fort : mais qu'il revint de sa surprise quand il sut que les gens du pays en mangeoient, & qu'ils n'en étoient point incommodés. Les chevres en broutent la racine, & les oiseaux en mangent la graine sans inconvénient ; mais les effets des plantes sur les animaux ne concluent rien pour l'homme, & toutes les autorités qu'on vient de citer ne sauroient contre-balancer le poids de celles qu'on leur oppose. Il reste toûjours certain, par le grand nombre d'exemples funestes rapportés dans les Transact. philosophiq. dans les Mémoires de l'acad. des Sc. dans Wepfer, & ailleurs, que toutes les especes de ciguë sont venimeuses.

Nous l'employons extérieurement. On doit donc se contenter de s'en servir pour l'application extérieure, & de cette maniere on en fait usage avec succès. Ses feuilles sont adoucissantes & résolutives ; bouillies avec du lait, on les applique sur les hémorrhoïdes & sur les endroits où la goutte se fait sentir. Le cataplasme de feuilles de ciguë pilées avec des limaçons, & malaxées avec les quatre farines résolutives, est vanté pour l'inflammation des testicules, les douleurs de goutte & de sciatique. Henri d'Heer, observat. 7. les recommande bouillies dans l'eau de fleurs de sureau avec un peu de camfre, pour l'inflammation & la tumeur de la verge qui vient d'échauffement. En général, les feuilles & les racines sont estimées pour amollir les tumeurs skirrheuses des parties externes & des visceres du bas-ventre, sur-tout du foie & de la rate. C'est dans le même but que nos Apothicaires préparent une emplâtre de ciguë, qui passe pour un bon fondant. On employe aussi la ciguë dans l'emplâtre diabotanum de Blondel.

Description de la petite ciguë. Il y a une autre espece de ciguë, cicuta minor offic. qu'on substitue à la précédente dans les boutiques pour l'usage externe ; & elle ne differe de la premiere qu'en ce qu'elle est plus petite, que sa tige n'est point marbrée de taches rougeâtres, & que son odeur n'est point aussi forte ; du reste elle a les mêmes propriétés, mais moindres. On a nommé cette derniere espece de ciguë, le persil des fous, par la grande ressemblance de ses feuilles à celles du persil ; ressemblance qui a trompé quelques personnes, & les a presqu'empoisonnées.

Observation sur la coupe de ciguë que but Socrate. Lorsque le bourreau d'Athenes vint présenter à Socrate la coupe de suc de ciguë, il l'avertit de ne point parler, pour que le poison qu'il lui donnoit opérât plus promtement. On ne voit pas comment les effets du poison pouvoient être accélérés par le silence de la personne qui le prenoit : mais que ce fût un fait ou un préjugé, le bourreau n'agissoit ainsi que par avarice, & dans la crainte d'être obligé, suivant la coûtume, de fournir à ses dépens une nouvelle dose de ce breuvage ; car Plutarque remarque dans la vie de Phocion, tom. VI. de Dacier, pag. 409. que comme tous ses amis eurent bû de la ciguë, & qu'il n'en restoit plus pour ce grand homme, l'exécuteur dit qu'il n'en broyeroit pas davantage, si on ne lui donnoit douze drachmes (aujourd'hui, 1752, environ neuf livres dix sous de notre monnoie), qui étoit le prix que chaque dose coûtoit : alors Phocion voulant éviter tout retard, fit remettre cette somme à l'exécuteur ; " puisque, dit-il, dans Athenes il faut tout acheter, jusqu'à sa mort ". Article de M(D.J.)

Emplâtre de ciguë de la Pharmacopée de Paris, édition de 1732. . poix-résine 28 onces ; cire jaune 20 onces ; poix blanche 14 onces ; huile de câpres 4 onces ; de la ciguë écrasée 4 livres ; faites cuire le tout selon l'art, jusqu'à la consommation de l'humidité ; passez par un linge, en exprimant fortement l'expression ; étant un peu refroidie, délayez-y une livre de gomme ammoniac, auparavant dissoute dans du vinaigre scillitique & du suc de ciguë, & à laquelle on aura donné par la dessiccation une consistance emplastrique ; ce qui étant exactement mêlé, l'emplâtre sera faite.

CIGUE AQUATIQUE, (Bot.) cicuta aquatica vel palustris, C. B. phellandrium off.

Cette espece de ciguë pousse une tige épaisse, creuse, cannelée, & pleine de noeuds, moins haute que celle de la ciguë ordinaire, divisée en plusieurs branches, d'où sortent des feuilles aîlées, plus minces & plus tendres que celles de la ciguë. Ses fleurs naissent en parasols, & sont fort petites à proportion de la plante ; elles sont blanches, avec un oeil rougeâtre. Sa racine est composée d'un grand nombre de fibres, qui partent des noeuds qui se trouvent au bas de la tige. La ciguë aquatique croît dans les fossés & les étangs, & fleurit au mois de Juin. Elle passe pour être de la même nature & avoir les mêmes qualités que la ciguë ordinaire ; mais on l'estime beaucoup plus venimeuse, ce qui fait même qu'on l'employe rarement dans les boutiques.

Les observations fournies par le hasard ont justifié que ses effets sont mortels, & quelquefois promtement ; du moins M. Jaugeon a rapporté à l'académie des Sciences, que trois soldats allemands partis d'Utrecht au commencement du printems de 1714, moururent subitement tous trois en moins de demi-heure, pour avoir mangé de la cicutaria palustris, qu'ils prenoient pour le calamus aromaticus, propre à fortifier l'estomac. Il y a en effet une espece de phellandrium ou ciguë aquatique, à feuille d'ache sauvage, qui est odorante, aromatique, & qui tromperoit des gens plus habiles que ne le sont communément des soldats. On trouva à l'un de ceux-ci les membranes de l'estomac percées d'outre en outre ; & aux deux autres seulement corrodées. Dans tous l'estomac étoit plein d'un écume blanchâtre ; le reste des visceres du bas-ventre peu altérés ; les poumons & les muscles du coeur flasques & flétris ; & les vaisseaux pleins d'un sang tout fluide. Wepfer (Jean Jacques) rapporte aussi plusieurs exemples, moins promts à la vérité, mais également funestes, des effets de cette plante.

Comme nous avons de cet auteur un traité complet sur cette matiere, imprimé d'abord à Schaffouze en 1679, in -4°. à Leyde en 1733, in -8°. & qui est entre les mains de tout le monde ; nous nous dispenserons d'entrer dans de plus grands détails. Voy. POISON. Article de M(D.J.)

Nous ne croyons pourtant pas pouvoir nous dispenser d'indiquer les secours les plus efficaces contre ce poison, d'après le traitement du même Wepfer, dont le succès a été confirmé par plusieurs expériences postérieures.

Cet auteur recommande d'abord d'évacuer le poison qui se trouve dans l'estomac par la voie la plus abrégée & la plus sûre, c'est-à-dire par le vomissement, qu'il ne trouve pas contre-indiqué dans ce cas par une espece d'épilepsie, qui est un symptome assez ordinaire du venin de la ciguë.

Lorsqu'on a chassé la ciguë des premieres voies autant qu'il est possible, il ne s'agit plus que de remédier aux impressions qu'elle a pû faire sur ces parties, & à masquer l'action de quelques restes de ce poison qui peuvent avoir échappé au vomissement.

On remplit cette double indication par tous les adoucissans gras & huileux, comme le beurre, l'huile d'olive, celle d'amandes douces, le bouillon gras, &c. le laitage & les émulsions, les farineux délayés dans de l'eau, comme la creme de ris, l'orge mondé, &c.

Les alexipharmaques, les cordiaux, le mouvement, & les autres ressources contre la coagulation des humeurs, sont des secours aussi peu réels que la cause qui les a fait imaginer ; le venin de la ciguë réputé froid & coagulant presque jusqu'au tems de Wepfer, a été enfin reconnu pour irritant & caustique, & il est rentré par conséquent dans la classe de ceux qu'on ne combat qu'en prévenant ou en masquant leur action sur les premieres voies. (b)


CILIAIRESadj. en Anatomie, se dit de différentes parties de l'oeil ; glandes ciliaires, procès ciliaires, ligament ciliaire, les nerfs ciliaires. Voyez OEIL.

Les glandes ciliaires sont des grains situés dans le tissu cellulaire des paupieres ; Meibomius décrivit leurs conduits en 1666, trois ans après les avoir découverts.

Procès ciliaires, est le nom que Ruisch a donné aux fibres de l'uvée. Voyez UVEE. (L)

CILIAIRE, (ligament) appartient à l'oeil, & a été ainsi appellé à cause de la ressemblance qu'il a avec les cils ou poils des paupieres. Voyez LIGAMENT.

Des fibres un peu épaisses partent de la choroïde presque une ligne plus en-arriere que le ceintre orbiculociliaire, derriere l'uvée, au commencement de laquelle elle a sa partie moyenne. Elles vont de toutes parts transversalement à la circonférence du crystallin, blanches quand on a lavé leur couleur, mêlées pareillement de tuyaux grands & vermiformes ; faisant un arc qui s'accommode au crystallin ; convexes en-devant, couchées sur l'humeur vitrée, ensuite sur le crystallin, à la partie antérieure duquel elles s'inserent au-dedans du plus grand cercle ; tenant manifestement dans le boeuf à la capsule vitrée, à celle du crystallin, & à la rétine ; plus legerement à la vitrée dans l'homme.

Descartes a dit, dans sa dioptrique, que la contraction des ligamens du crystallin lui donnoit un mouvement par lequel il devenoit plus convexe pour voir ; dioptr. ch. iij. & il a confirmé cette opinion par quelques expériences. Grew, dans sa cosmolog. sacr. Collins. p. 906. Parisinus, dissect. de l'ourse, p. m. 79. Bidloo, de oculis, qui affirme, p. 30, qu'on voit visiblement ce changement de figure dans les oiseaux, ont suivi ce grand philosophe. Bourdelot, suivant Denis, confér. 4. dit que la pupille s'étant retrécie à cause de la proximité des objets, le crystallin prenoit plus de convexité en son milieu pour mieux voir les objets trop proches. Cependant Molinetti, p. 147. Brisseau, p. 77. Bohn, p. 366. veulent au contraire que l'action du corps ciliaire soit d'applatir le crystallin. D. Phelippeaux, suivant Stenon, can. carch. diss. p. 104. Wintringham, pag. 301. & en dernier lieu Santorini, ont embrassé le même système ; ce dernier ayant vû des stries sur le crystallin d'un aveugle, & comme des vestiges du ligament ciliaire. ch. jv. n. 2.

Porterfields, l. c. p. 187. & suiv. conteste ce changement de la figure du crystallin : en effet l'extrème mollesse du ligament n'est pas faite pour surpasser la structure dense & élastique de la capsule : de plus, on peut objecter l'arc que font ces ligamens ou leur direction, qui fait au crystallin un angle fort obtus ; ce qui ne peut favoriser le changement. Hall. (L)


CILICES. m. (Hist. anc. & mod.) vêtement fait de poils de chevre ou de bouc, dont l'usage est venu des anciens Ciliciens qui portoient de ces sortes de robes, particulierement les soldats & les matelots.

Nec minus interea barbas, incanaque menta,

Cinyphii tondent hirci, setasque comantes,

Usum in castrorum, & miseris velamina nautis.

Géorg. liv. III.

Peut-être le vrai sens de ces vers est-il qu'anciennement les soldats & les matelots se servoient de ces tissus de poil de chevre pour en faire des tentes & des voiles ; & c'est ce que semble insinuer Asconius Pedianus, dans une remarque sur la troisieme verrine, où il dit : Cilicia tenta in castrorum usum at que nautarum. (G)


CILICIES. f. (Géog. anc. & mod.) pays de l'Asie mineure, borné au nord-ouest par une longue chaîne du mont Taurus ; au nord par la seconde Cappadoce & la seconde Arménie ; à l'orient par la Comagene : au midi par la Syrie & la mer Méditerranée, & au couchant par la Pamphilie. On la divisoit en champêtre & en montagneuse ; la montagneuse s'appelloit chez les Grecs Trachaeotis, & ses habitans Trachéotes, & on la partageoit en Sélénide & en Cétide. Il paroît par les villes que cette contrée comprenoit, qu'elle étoit très-peuplée. La Cilicie fait maintenant partie de la Caramanie. Les Ciliciens avoient inventé une sorte d'étoffe de poil de chevre, dont on faisoit des habits pour les matelots & les soldats. Comme elle étoit grossiere & d'une couleur brune, les Hébreux s'en servoient dans le deuil & dans la disgrace. Ils étoient différens de ceux que l'esprit de pénitence a inventés depuis, & qui sont tout de crin. Aristote dit qu'en Cilicie on tondoit les chevres, comme on tond ailleurs les brebis.

CILICIE, (terre de) Hist. nat. c'est suivant Théophraste, une espece de terre qui se trouvoit en Cilicie. Cet auteur dit qu'en la faisant bouillir dans de l'eau elle devenoit visqueuse & tenace : on s'en servoit pour en enduire les seps de vigne, & les garantir des vers & des autres insectes. M. Hill pense avec raison que cette terre étoit une terre bitumineuse, d'une consistance solide, que la chaleur de l'eau bouillante rendoit assez molle pour pouvoir s'étendre, & qui par sa qualité tenace & visqueuse arrêtoit les insectes, ou les chassoit par son odeur forte. (-)


CILINDRECILINDRE


CILLEMENTS. m. (Anat. Physiol.) en latin nictatio, mouvement vif, alternatif & synchronique des paupieres.

Elles ont, comme on sait, un très-promt mouvement, & la paupiere supérieure dans l'homme en a beaucoup plus que la paupiere inférieure. Ce mouvement des paupieres se fait quelquefois volontairement, souvent aussi sans y penser, & toûjours avec une extrème vîtesse.

Les cillemens qui arrivent de moment en moment, dans les uns plus, dans les autres moins, se font à la paupiere supérieure alternativement par le releveur propre, & par la portion palpébrale supérieure du muscle orbiculaire : ils se font aussi alternativement & en même tems à la paupiere inférieure, par la portion palpébrale inférieure du muscle orbiculaire, mais très-peu, à cause du petit nombre des fibres palpébrales inférieures.

On voit déjà qu'il y a deux muscles qui servent au mouvement des paupieres ; mais pour mieux entendre leurs cillemens, il faut se rappeller la structure de ces deux voiles qui sont tendus sur les yeux : or les deux paupieres étant formées de membranes minces, presque transparentes, à petits plis, très-vasculeuses, remplies d'une grande quantité de papilles nerveuses à leur surface interne, toûjours unies, & bordées d'un large cartilage en forme d'arc, on comprend qu'elles peuvent se toucher mutuellement, s'éloigner ensuite, s'abaisser & se rouvrir alternativement. Le muscle élévateur de la paupiere supérieure, né par un petit principe charnu du fond de l'orbite osseuse, se disperse en petites fibrilles tendineuses très-fines, & va s'insérer à toute la partie supérieure du tarse de cette paupiere ; elle doit donc s'élever sans rides par le mouvement de ce muscle. Pour le muscle orbiculaire qui prend son origine du grand os du nez, & va parsemant ses fibres par les deux paupieres, il n'a qu'à se contracter, comme il fait, en forme de sphincter, pour unir doucement les paupieres l'une à l'autre : s'il se contracte plus fortement, il exprime les larmes, en arrose la surface interne de l'oeil, en nettoye les ordures, & le lave. La paupiere inférieure s'ouvre par la contraction spontanée des fibres musculaires distribuées dans la joue.

Mais de peur que les paupieres, à force de ciller & se joindre l'une à l'autre sans-cesse, ne s'excorient, la nature a placé sur le bord cartilagineux de l'une & de l'autre de petits grains glanduleux, où se filtre une humeur qui se décharge par des orifices ouverts, & sert de liniment au bord des paupieres. Ces orifices ne sont autre chose que les extrémités des petits vaisseaux qui vont serpentant en cet endroit, & naissent continus avec les artérioles qui y sont distribuées, sans structure glanduleuse.

Ainsi dans les paupieres doüées d'une peau flexible, de fibres nerveuses, musculeuses, d'une membrane adipeuse, & d'une tunique interne très-lisse, parsemée de vaisseaux sanguins & de glandes qui l'abreuvent sans-cesse, & entretiennent la cornée transparente, tout concourt à l'exécution des cillemens alternatifs de ces rideaux de la vûe, comme Cicéron même l'a remarqué dans son ouvrage de la nat. des dieux, l. II. c. lvij. Palpebrae, dit-il, sunt mollissimae tactu, ne laederent aciem, & aptissimae factae ad claudendas ac aperiendas pupillas ; idque providit natura, ut identidem fieri possit cum maximâ celeritate. " Les paupieres sont doüées d'une surface douce & polie, pour ne point blesser les yeux : soit que la peur de quelque accident oblige à les fermer, soit qu'on veuille les ouvrir, la nature les a faites pour s'y prêter ; & l'un & l'autre de ces mouvemens s'exécute avec une prodigieuse vîtesse ". C'est en effet une chose admirable que la promtitude des cillemens, leur répétition successive, perpétuelle pendant le cours de la vie, sans dommage, sans usement du voile ni de l'oeil contre lequel il frotte, & presque toûjours sans notre volonté.

Il arrive pourtant quelquefois que ce cillement, ce clignotement des paupieres, est non-seulement involontaire, mais si promt ou si lent qu'il fatigue & chagrine beaucoup ceux qui en sont attaquées, & qu'il fait de la peine à ceux qui les regardent. Cette espece de tressaillement est une vraie maladie, un mouvement convulsif des voiles de l'oeil, pendant lequel les fibres motrices du muscle orbiculaire deviennent tendues, roides ; & la paupiere après avoir demeuré un instant fermée, se releve l'instant suivant ; ensorte que les malades jouissent ou sont privés de la lumiere par intervalles ; ce qui n'a pas lieu dans les cillemens ordinaires & naturels. Il semble donc que la cause de cette convulsion est un mouvement irrégulier des esprits animaux, qui se portant avec trop de rapidité dans les fibres du muscle orbiculaire, empêche pendant un tems l'action du muscle releveur.

On guérit ce tressaillement plus ou moins difficilement, suivant sa fréquence & l'ancienneté du mal. Quand il est leger, deux moyens peuvent servir à sa guérison ; le premier, de se faire éternuer pendant l'accès ; le second, de frotter doucement avec la main le tour de l'orbite & des paupieres, ou plutôt d'employer des frictions sur les paupieres, & aux environs avec des eaux spiritueuses, ou des huiles nervines mêlées de quelques gouttes d'esprit volatil huileux, dont on répétera l'application plusieurs fois dans le jour. Lorsque ces deux moyens ne suffisent pas pour empêcher les récidives de la convulsion, il faut y joindre promtement les remedes internes, parmi lesquels je ne connois rien de mieux que les antimoniaux, pris long-tems & en petite quantité. C'est ainsi, par exemple, qu'il convient de traiter les enfans qui clignotent perpétuellement les yeux, pour avoir été trop exposés au grand jour, ensorte que leur fréquent cillement se tourne en habitude incurable, si l'on n'a l'attention d'y remédier de bonne heure.

Il ne faut pas confondre le cillement des paupieres avec leur clignement. Voyez ce mot. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CILLER(Maréchall.) on dit qu'un cheval cille, quand il commence à avoir les sourcils blancs, c'est-à-dire quand il vient sur cette partie environ la largeur d'un liard de poils blancs, mêlés avec ceux de sa couleur naturelle ; ce qui est une marque de vieillesse. Voyez AGE & CHEVAL.

On dit qu'un cheval ne cille point avant l'âge de quatorze ans, mais toûjours avant l'âge de seize. Les chevaux qui tirent sur l'alzan & ceux qui sont noirs, cillent plutôt que les autres.

Les marchands de chevaux arrachent ordinairement ces poils avec des pincettes ; mais quand il y en a une si grande quantité que l'on ne peut les arracher sans rendre les chevaux laids & chauves, alors ils leurs peignent les sourcils, afin qu'ils ne paroissent pas vieux. Chambers.


CILLEY(Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle d'Autriche dans la Carniole, sur la Saan, capitale d'un comté de même nom. Longit. 33. 20. lat. 46. 28.


CILSS. m. (Anat.) sont les poils dont le bord des paupieres est garni, sur-tout celui des supérieures, qui est plus gros & plus épais qu'à celle d'embas. Voyez PAUPIERE.

Leur usage est vraisemblablement de rompre l'impression trop vive des rayons de lumiere, & de garantir l'oeil des petits insectes volans & des atomes qui pourroient y nuire.

Ces cils prennent leur origine d'une petite rangée de glandes dont est couvert un cartilage mince & tendre qui borde chaque paupiere, & qui sert comme de tringle ou d'anneau pour les approcher l'une de l'autre. (L)


CIMBRESS. m. pl. (Géog. anc. & mod.) ancien peuple le plus septentrional de l'Allemagne. Ce sont les plus anciens habitans qu'on connoisse à la presqu'île de l'Holsteen, du Sleswig, & Jutland ; & c'est d'elle qu'elle a pris le nom de Chersonese cimbrique. Les Grecs les ont quelquefois confondus avec les Cimmériens. Après leur défaite par les Romains, ils se répandirent en différens endroits, quelques-uns s'arrêterent dans les Gaules, s'unirent aux Saxons, & furent confondus avec eux.


CIMES. f. se dit de la partie la plus élevée des grands arbres.


CIMENTS. m. (Architect.) dans un sens général, est une composition d'une nature glutineuse & tenace, propre à lier, unir & faire tenir ensemble plusieurs pieces distinctes.

Ce mot vient du latin caementum, dérivé de caedo, couper, hacher, broyer. M. Felibien observe que ce que les anciens architectes appelloient caementum, étoit toute autre chose que ce que nous appellons ciment. Par ciment ils entendoient une espece de maçonnerie, ou une maniere de poser leurs pierres, ou bien la qualité même des pierres qu'ils employoient ; comme lorsqu'ils faisoient des murs ou des voûtes de moilon ou de blocage. En effet il y avoit une coupe de pierres propres pour ces sortes d'ouvrages, pour lesquels on ne les faisoit point quarrées ni uniformes : desorte que caementa proprement étoient des pierres autres que ce qu'on appelle pierres de taille.

Le mortier, la soûdure, la glu, &c. sont des sortes de ciment. Voyez MORTIER, SOUDURE, GLU, &c. Le bitume qui vient du Levant, fut, dit-on, le ciment qu'on employa aux murs de Babylone. Voyez BITUME.

Un mélange de quantités égales de verre en poudre, de sel marin & de limaille de fer, mêlés & fermentés ensemble, fournit le meilleur ciment que l'on connoisse. M. Perrault assûre que du jus d'ail est un excellent ciment pour recoller des verres & de la porcelaine cassée.

En termes d'Architecture, on entend particulierement par ciment, une sorte de mortier liant, qu'on employe à unir ensemble des briques ou des pierres, pour faire quelques moulures, ou pour faire un bloc de briques, pour des cordons ou des chapiteaux, &c.

Il y en a de deux sortes : le chaud qui est le plus commun ; il est fait de résine, de cire, de brique broyée, & de chaux, bouillies ensemble. Il faut mettre au feu les briques qu'on veut cimenter, & les appliquer toutes rouges l'une contre l'autre avec du ciment entre deux.

On fait moins d'usage du ciment froid : il est composé de fromage, de lait, de chaux vive, & de blanc d'oeuf.

Le ciment des Orfevres, des Graveurs, & des Metteurs-en-oeuvre, est un composé de brique mise en poudre & bien tamisée, de résine, & de cire : ils s'en servent pour tenir en état les ouvrages qu'ils ont à graver, ou pour remplir ceux qu'ils veulent ciseler.

Le ciment des Chimistes est une masse composée, ou une poudre mouillée dont ils se servent pour purifier l'or, & en séparer les métaux impurs qui y sont mêlés. Voyez OR & PURIFICATION.

Ces sortes de cimens sont faits de sels & autres ingrédiens, qui par leur acrimonie rongent & séparent l'argent, le cuivre, ou les autres matieres d'avec l'or. Quelques auteurs distinguent deux sortes de ciment, le commun & le royal : le premier est fait de brique en poudre, de nitre & de verd-de-gris ; le second, de sel gemme & de sel ammoniac, de chaque une part ; deux parties de sel commun, & quatre de bol, le tout mis en pâte avec de l'urine. Mais Lemort, Lefevre, & quelques autres, ont donné des recettes de bien d'autres compositions. Paracelse a fait un livre tout entier sur les différentes sortes de ciment. Chambers. (P)


CIMETIERES. m. (terme d'Architecture) ; l'on entend sous ce nom une grande place découverte, assez généralement entourée de charniers (Voyez CHARNIERS), où l'on enterre les morts, & où l'on éleve quelques sépultures ornées de croix, obélisques & autres monumens funéraires. (P)

CIMETIERE, (Jurispr.) chez les Romains, tout endroit où l'on inhumoit un mort, devenoit un lieu religieux & hors du commerce. Voyez aux institut. de rerum divisione, & au digest. liv. I. tit. viij. l. 6. §. 5. & liv. II. tit. vj. l. 6. §. fin.

Parmi nous, il ne suffit pas que quelqu'un ait été inhumé dans un endroit pour que ce lieu devienne religieux & hors du commerce, aucun particulier ne pouvant de son autorité privée imprimer ce caractere à un héritage, il faut que l'autorité du supérieur ecclésiastique intervienne, que le lieu ait été béni & consacré avec les solennités accoûtumées, & destiné pour la sépulture des fideles.

Autrefois les cimetieres étoient hors les villes & sur les grands chemins : il étoit défendu d'enterrer dans les églises ; cela fut changé par la novelle 820 de l'empereur Léon, qui permit d'enterrer dans les villes & même dans les églises.

Les cimetieres tiennent ordinairement aux églises paroissiales : il y en a néanmoins qui sont séparés ; les uns & les autres sont hors du commerce.

Il arrive néanmoins quelquefois que l'on change un cimetiere de place, ou que l'on en retranche quelque portion pour l'élargissement d'un grand chemin ; auquel cas, avant de remettre l'ancien cimetiere dans le commerce, il faut que, du consentement du curé & de l'évêque diocésain, & par permission du juge royal, les ossemens soient exhumés & portés au nouveau cimetiere.

Un ancien cimetiere où personne n'auroit été inhumé depuis long-tems, pourroit être prescrit sans titre par une longue possession, parce qu'elle feroit présumer que le fonds a changé de nature.

Il est défendu aux seigneurs, aux curés, & à tous autres, de permettre des danses dans les cimetieres, d'y tenir des foires & marchés, & d'y commettre aucune indécence. Lorsqu'un cimetiere a été pollu par effusion de sang ou par quelque autre scandale, il faut le réconcilier. Les canons qui regardent cette cérémonie sont cités par Jean Thaurnas, dans son dictionnaire au mot cimetiere. Voyez le traité de mortuis caemeterio restituendis, per Laurentium Delum Romanum ; l'hist. des empereurs de M. de Tillemont, tom. III. pag. 282. les mém. du clergé, édit. de 1716. tom. III. p. 1314. Bouvot, tom. II. verbo église, quest. 7. Francisc. Marc. tom. I. quest. 986. Auzanet sur Paris, tit. des servitudes ; & en ses arrêts, ch. ljx. Jovet, verbo sepulcre, n. 16. Fevret, tr. de l'abus, liv. IV. ch. viij. n. 17.

Les personnes de la religion prétendue réformée ont des cimetieres particuliers qui leur sont assignés par le juge royal. Voy. Filleau, décisions 30. 33. 36. 39. 41. Bardet, tom. II. liv. II. ch. jv. (A)


CIMIERS. m. (Art Hérald.) la partie la plus élevée dans les ornemens de l'écu, & qui est au-dessus du casque à sa cime.

Le cimier est l'ornement du timbre, comme le timbre est celui de l'écu. L'usage en est de l'antiquité la plus reculée, & l'on sait d'ailleurs que les cimiers ont servi de fondement à plusieurs fables de la Mythologie. Geryon passa pour avoir trois têtes, parce qu'il portoit un triple cimier, dit Suidas. Hérodote en attribue l'invention aux Cariens. Diodore de Sicile parlant des Egyptiens, dit que leur roi portoit pour cimier des têtes de lion, de taureau ou de dragon. Plutarque a décrit le cimier de Pyrrhus, dans l'éloge qu'il a fait de ce prince. Enfin Homere, Virgile, le Tasse, & l'Arioste, ont fait dans leurs poëmes la description de plusieurs cimiers.

C'étoit autrefois en Europe une plus grande marque de noblesse que l'armoirie ; parce qu'on le portoit aux tournois, où on ne pouvoit être admis sans avoir fait preuve de noblesse. Le gentilhomme qui avoit assisté deux fois au tournois solemnel, étoit suffisamment blasonné & publié, c'est-à-dire reconnu pour noble, & il portoit deux trompes en cimier sur son casque de tournois : de-là vient tant de cimiers à deux cornets, que plusieurs auteurs ont pris mal-à-propos pour des trompes d'éléphant.

Le cimier de plumes a été assez universellement reçu de tous les peuples. On ne s'en sert plus dans les armées, & nous n'avons vû que M. le maréchal de Saxe qui en ait renouvellé l'usage dans la derniere guerre, mais seulement pour les dragons volontaires de son nom, qui portoient sur le sommet de leurs casques des aigrettes de crin de cheval, flottantes au gré des vents. Le cimier n'est aujourd'hui qu'un ornement de blason de quelques particuliers. Le lecteur trouvera dans le P. Menestrier, homme consommé dans l'art héraldique, tous les détails possibles sur ce sujet. Article de M(D.J.)

CIMIER, (Boucherie) c'est ainsi qu'on appelle une portion de la cuisse de boeuf. Cette portion se divi se en plusieurs tranches ; & chaque tranche contient trois morceaux, dont le premier s'appelle la piece ronde, le second la semelle, & le troisieme le tendre. On donne le nom de culotte au cimier, à le prendre depuis les tranches jusqu'à la queue.

CIMIER, (Vénerie) c'est la croupe du cerf, du daim & du chevreuil, qui dans la curée se donne au maître de l'équipage.


CIMMERIENSS. m. plur. (Géog. anc. & mod.) peuples anciens qui habiterent les environs des palus Méotides & du Bosphore Cimmérien. Les Grecs en avoient une si fausse idée, que le croyant couvert d'épaisses ténebres, ils le plaçoient sur les confins de l'enfer.

Il y eut en Italie dans la Campanie, un autre peuple du même nom ; un troisieme en Asie, vers la Georgie & la mer Caspienne ; un quatrieme en Asie, où est à-présent Synope.


CIMOLÉE(TERRE) Hist. nat. Minéralog. espece de terre dont parlent les anciens naturalistes : ils en distinguoient de deux especes ; cimolia alba, la terre cimolée blanche ; & cimolia purpurascens, terre cimolée rougeâtre. Son nom lui venoit de l'île Cimolus que l'on appelle actuellement Argentaria, l'une des îles de l'Archipel. Tournefort, dans son voyage du Levant, dit que la terre cimolée des anciens n'est qu'une craie blanche assez pesante, insipide, friable, & mêlée de sablon ; qu'elle ne s'échauffe point lorsqu'on l'arrose avec de l'eau, seulement qu'elle s'y dissout & devient assez gluante ; sa solution n'altere point la teinture de tournesol, & ne se remue point avec l'huile de tartre : mais il y a effervescence lorsqu'on y verse de l'esprit de sel ; d'où il conclut qu'il n'y a aucune différence entre la terre cimolée & la craie ordinaire, sinon qu'elle est plus grasse & plus savonneuse. Aussi les habitans du pays s'en servent-ils pour blanchir le linge & les étoffes ; ce qu'ils pratiquoient même du tems de Pline. On s'en servoit encore dans la Médecine, & on lui attribuoit la vertu de résoudre les tumeurs, &c. Voyez Pline, hist. nat. liv. XXXV. cap. xvij. Cet auteur l'a aussi regardée comme une espece de craie ; cependant tous les Naturalistes ne sont point du même sentiment : il y en a plusieurs qui pensent que la terre cimolienne étoit une argille. M. Hill dit que c'est une terre marneuse ; il pense que c'est mal-à-propos que quelques-uns l'ont confondue avec la terre à foulons, & prétend que de tous les fossiles que nous connoissons, il n'y en a point avec qui la terre cimolienne ait plus de rapport que la stéatite. Le même auteur ajoûte qu'en Angleterre on entend par cimolia alba, la terre dont on fait des pipes ; & par cimolia purpurascens, la terre dont on se sert communément pour fouler les étoffes. Wallerius, dans sa minéralogie, fait de la cimolée blanche une espece de marne, à qui il donne le nom de marne à foulons. Dans un autre endroit il insinue que ce pourroit être une marne crétacée. (-)


CIMOSSES. f. en italien cimossa, (Manufact. en soie) lisiere pratiquée par les Génois à certains damas pour meuble, les plus parfaits en ce genre. Cette lisiere est faite en gros-de-tours, non en taffetas, & son travail est très-ingénieux. Nous en parlerons à l'article DAMAS. Voyez DAMAS.


CINABREvoyez CINNABRE.


CINALOA(Géog.) province de l'Amérique septentrionale, sur la côte de la mer de Californie, habitée par des nations sauvages & idolâtres.


CINAN(Géog.) ville considérable de la Chine, dans la province de Channton. Long. 134. 50. lat. 37.


CINCENELLES. f. terme de Riviere, corde dont on se sert sur les rivieres pour monter les bateaux.


CINCHEU(Géog.) ville de la Chine dans la province de Quangsi : il y a une autre ville de ce nom en Chine, dans la province de Xantung.


CINDIADEadj. f. surnom de Diane. Polybe raconte de sa statue un prodige bien singulier ; c'est que quoiqu'elle fut à l'air, il ne pleuvoit ni ne neigeoit point dessus. Credat Judaeus Apella.


CINERAIRES. m. (Hist. anc.) domestique occupé chez les Romains à friser les cheveux des femmes, & à préparer les cendres qui entroient dans la poudre dont elles se servoient. Il étoit appellé cinerarius, de ces cendres, ou de celles dans lesquelles il faisoit chauffer son fer à friser.


CINERATIONS. f. (Chimie) réduction du bois ou de toute autre matiere combustible en cendres, par le moyen du feu. Voyez CENDRE, CALCINATION, &c. Quelques auteurs se servent du terme cinéfaction. (M)


CINETMIQUES. f. la science du mouvement en général, dont la Méchanique n'est qu'une branche.


CINGLAGou SINGLAGE, s. m. (Mar.) on entend par ce mot le chemin que fait le vaisseau.

Cingler ou singler, se dit d'un vaisseau qui fait route, & marche sous voiles. (Z)


CINGOLI(Géog.) ville d'Italie de l'état de l'Eglise, dans la Marche d'Ancone, sur le Musone.


CINNABREou CINABRE, s. m. (Hist. nat. Minéralogie & Chimie). On en distingue de deux especes ; l'un est naturel, & se nomme cinnabaris nativa ; l'autre est artificiel, cinnabaris factitia.

Le cinnabre naturel est un minéral rouge, très-pesant, plus ou moins compact ; il n'affecte point de figure déterminée à l'extérieur ; cependant on le trouve quelquefois sous une forme sphérique ; intérieurement il est ou solide, ou grainelé, ou strié. Sa couleur est plus ou moins vive, à proportion de la quantité des parties terrestres ou hétérogenes avec lesquelles le cinnabre est mêlé ; c'est ce qui fait qu'il y en a d'un rouge très-vif, de pâle, d'un rouge mat comme la brique, & d'un brun pourpre ou rougeâtre comme la pierre hématite.

Le cinnabre naturel est une combinaison faite par la nature, du mercure avec une portion de soufre ; ou c'est une sublimation de ces deux substances opérée par la chaleur du feu soûterrein, qui produit une union si étroite, qu'il faut avoir recours à l'action du feu pour les séparer ; c'est ce qu'on fait en mettant le cinnabre dans une cornue, pour séparer le mercure d'avec son soufre : mais comme ces deux matieres sont volatiles, on est obligé d'y joindre un intermede, sans quoi le soufre se sublimeroit avec le mercure & formeroit un nouveau cinnabre. L'intermede dont on se sert est ou de la limaille de fer, ou du cuivre, du régule d'antimoine, de la chaux, ou enfin du sel alkali fixe ; l'on a la précaution de bien mêler & de triturer l'une de ces matieres avec le cinnabre avant que de les mettre en distillation. Le cinnabre, quand il est bien pur, contient 6/8 à 7/8 de mercure, contre 1/8 ou 2/8 de soufre. Il n'est point besoin de récipient dans cette distillation ; il suffit pour recueillir le mercure, que le bec de la cornue trempe dans un vaisseau plein d'eau. Cette opération s'appelle revivification.

M. Henckel dit que les matrices dans lesquelles le cinnabre se forme, sont aussi variées que celles des autres métaux. On en trouve dans le quartz, le spath, le mica, la pierre calcaire, le grès, la mine de fer, la mine de plomb en cubes ou galene, la blende, la mine de cuivre, & dans les mines d'or & d'argent, comme on le peut voir dans celles de Chemnitz & de Kremnitz en Hongrie. Ce savant minéralogiste dit qu'il n'a point observé s'il s'en trouve dans les mines d'étain, de cobalt, & d'antimoine.

Le cinnabre a aussi des filons qui lui sont particuliers ; on en trouve dans plusieurs endroits. Les principales mines qui en fournissent, sont celles de Kremnitz en Hongrie, Hydria en Esclavonie, Horowitz en Bohème : la Carinthie & le Frioul en donnent beaucoup de la meilleure espece ; au Pérou il y a la mine de Guancavelica ; en Normandie il s'en trouve près de Saint-Lo, mais la plus riche mine de cinnabre est celle d'Almaden en Espagne, dans la Manche, sur la frontiere de l'Estramadoure ; elle étoit déjà célebre du tems des Romains, & Pline en parle, liv. XXXIII. ch. vij.

M. de Jussieu après avoir été sur les lieux, a donné en 1719 à l'académie des Sciences, un mémoire très-circonstancié sur cette fameuse mine, & sur la maniere dont on y tire le mercure du cinnabre. Comme cette méthode est très-ingénieuse, nous allons en donner un précis d'après le mémoire de ce savant naturaliste.

Les veines de la mine de cinnabre d'Almaden sont de trois especes. La premiere qui est la plus commune, est une roche grisâtre, entremêlée de nuances ou de veines rouges, blanches & crystallines ; on brise ses pierres pour en tirer la partie la plus rouge, qui fait la seconde espece ; la troisieme est dure, compacte, grainelée, d'un rouge mat comme celui de la brique. Quand on a fait le triage de ces morceaux de mine, on les arrange dans des fourneaux qui sont joints deux à deux, & forment un quarré à l'extérieur ; intérieurement ils ressemblent à des fours à chaux, & sont terminés par une voûte ou dome. On y place les morceaux de mine, en observant de laisser un vuide d'un pié & demi ; on allume le bois qui est sur la grille du foyer, & l'on en bouche exactement l'entrée. Le fourneau est adossé contre une terrasse qui excede d'un pié & demi ; & dans cette partie du fourneau qui déborde, il y a seize ouvertures ou soupiraux placés horisontalement les uns à côté des autres, ils ont sept pouces de diametre. La terrasse à cinq toises de longueur ; elle aboutit à un petit bâtiment, dans lequel il y a aussi 16 ouvertures qui répondent à celles qu'on a dit être à la partie postérieure du fourneau ; cette terrasse va en pente en partant du côté de la partie postérieure du fourneau & de celui du petit bâtiment ; ce qui lui donne la figure de deux plans inclinés qui se toucheroient par leurs angles les plus aigus. Cette terrasse est faite pour soûtenir des aludels ou vaisseaux de terre, percés par les deux bouts, qui s'adaptent les uns dans les autres, & répondent d'un côté à l'une des 16 ouvertures du fourneau ; & de l'autre, à une de celles du petit bâtiment qui est à l'autre bout de la terrasse, & qui sert comme de récipient au mercure qui va s'y rendre, après avoir passé en vapeurs par un grand nombre d'aludels qui, en s'enfilant les uns les autres, forment une espece de chapelet. La rigole qui est au milieu de la terrasse, n'est que pour rassembler le mercure qui pourroit s'échapper des aludels lorsqu'ils ne sont pas bien luttés. Lorsque le feu a été une fois allumé, on le continue pendant treize ou quatorze heures ; après quoi on laisse refroidir les fours pendant trois jours ; au bout de ce tems, on rassemble tout le mercure revivifié qui est dans les aludels. Une seule cuite, suivant M. de Jussieu, peut donner depuis ving-cinq jusqu'à soixante quintaux de mercure.

Cette maniere de traiter le cinnabre est très-ingénieuse, elle a des avantages réels, & elle est moins pénible que celle qui se pratique au Pérou, où l'on ne se sert que de petits fourneaux, & où l'on est obligé de mettre de l'eau dans les aludels, & de les arroser extérieurement pour les rafraîchir pendant l'opération, afin de condenser les vapeurs mercurielles. Cette méthode est aussi beaucoup plus abrégée que celle qui est en usage dans le Frioul, où l'on est obligé de tirer le mercure du cinnabre par de longues triturations dans l'eau, & par des lavages réitérés. Outre cela, dans la maniere de distiller qui s'observe à Almaden, on n'a point besoin d'intermedes, c'est la pierre elle-même qui en sert ; elle suffit pour retenir les particules sulphureuses qui se sont minéralisées avec le mercure ; ce qui dispense d'employer la limaille de fer & les autres matieres communément usitées. On pourroit en attribuer la cause à ce que cette miniere est calcaire ; ainsi on ne doit point se promettre de réussir en travaillant le cinnabre à la façon d'Almaden, à moins qu'il ne fût mêlé à de la pierre calcaire, comme celui de cet endroit.

M. de Jussieu indique dans le même mémoire dont nous venons de donner le précis, la maniere de s'assûrer si un minéral contient du mercure, ou est un vrai cinnabre. Il faut en faire rougir au feu un petit morceau ; & lorsqu'il paroît couvert d'une petite lueur bleuâtre, le mettre sous une cloche de verre, au-travers de laquelle on regarde si les vapeurs se condensent sous la forme de petites gouttes de mercure, en s'attachant au verre, ou en découlant le long de ses parois. Ce savant naturaliste nous donne aussi un moyen de reconnoître si le cinnabre a été falsifié ; c'est par la couleur de sa flamme, lorsqu'on le met sur des charbons ardens ; si elle est d'un bleu tirant sur le violet & sans odeur, c'est une marque que le cinnabre est pur ; si la flamme tire sur le rouge, on aura lieu de soupçonner qu'il a été falsifié avec du minium ; si le cinnabre fait une espece de bouillonnement sur les charbons, il y aura lieu de croire qu'on y a mêlé du sang-dragon.

Les anciens connoissoient aussi-bien que nous deux especes de cinnabre : le naturel & l'artificiel : par cinnabre naturel, ils entendoient la même substance que nous venons de décrire ; ils lui donnoient le nom de minium. Pline dit qu'on s'en servoit dans la Peinture ; aux grandes fêtes on en frottoit le visage de la statue de Jupiter, & les triomphateurs s'en frottoient tout le corps, apparemment pour se donner un air plus sanglant & plus terrible. Par cinnabre artificiel, ils entendoient une substance très-différente de celle à qui nous donnons actuellement ce nom ; c'étoit, suivant Théophraste, un sable d'un rouge très-vif & très-brillant, qu'on trouvoit en Asie mineure, dans le voisinage d'Ephese. On en séparoit par des lavages faits avec soin la partie la plus déliée.

Les anciens médecins ont encore donné le nom de cinnabre à un suc purement végétal, connu parmi nous sous le nom de sang dragon ; ils l'appelloient , cinnabre des Indes. Cependant il paroît par un passage de Dioscoride, qu'ils connoissoient parfaitement la différence qu'il y a entre cette matiere & le vrai cinnabre.

Aujourd'hui, par cinnabre artificiel, on entend un mélange de mercure & de soufre sublimés ensemble par la violence du feu ; cette substance doit être d'un beau rouge foncé, composé d'aiguilles ou de longues stries luisantes. Il faut avoir soin de l'acheter en gros morceaux, & non en poudre, parce que quelquefois on falsifie le cinnabre avec du minium ; ce qui peut en rendre l'usage très-dangereux dans la Médecine.

En Angleterre, à Venise, & sur-tout en Hollande, on travaille le cinnabre en grand ; il y a tout lieu de croire qu'on observe dans cette opération des manipulations toutes particulieres, & dont on fait un secret, attendu qu'on ne vend pas le cinnabre artificiel plus cher que le mercure crud, quoiqu'il n'entre que fort peu de soufre dans sa composition. Les livres sont remplis de recettes pour faire le cinnabre artificiel, dans lesquelles les doses varient presque toûjours. Il y en a qui disent de prendre parties égales de mercure & de soufre, de bien triturer ce mélange, & de mettre le tout dans des vaisseaux sublimatoires, en donnant un degré de feu assez violent. D'autres veulent qu'on prenne trois onces de soufre sur une livre de mercure, &c. On fait de ce mélange de l'éthiops minéral, soit par la simple trituration du mercure & du soufre, soit par le moyen du feu. Voyez l'article ETHIOPS MINERAL.

Voici la maniere de faire le cinnabre artificiel suivant Stahl. On fait fondre une partie de soufre dans un creuset ou dans un vaisseau de verre, à un feu très-doux ; lorsque le soufre est bien fondu, on y met quatre parties de mercure, qu'on passe au-travers d'une peau de chamois, & on a soin de bien remuer le mélange jusqu'à ce qu'il forme une masse noire ; on la retire de dessus le feu pour la triturer bien exactement ; on met ensuite le mélange dans une cucurbite au bain de sable, pour en faire la sublimation : sur quoi Stahl observe que si au commencement de l'opération on donne un feu très-doux, le soufre se sublime d'une couleur jaune très-belle, quoique la masse ait été très-noire ; lorsque toutes les fleurs se sont sublimées, si on pousse fortement le feu, on aura un cinnabre d'une très-belle couleur ; parce que si on a la précaution de donner un feu modéré au commencement, le soufre superflu se sépare : au lieu que si on débutoit par un degré de feu trop violent, le cinnabre qu'on obtiendroit seroit noir, parce qu'il seroit trop surchargé de soufre.

Le même auteur dit que pour faire le cinnabre en grand, on prend parties égales de soufre & de mercure ; on fait fondre le soufre dans un creuset sur des charbons ; lorsqu'il est fondu, on y met le mercure, & on remue pour l'incorporer exactement avec le soufre, jusqu'à ce que le mélange ait la consistance d'une bouillie épaisse ; on laisse la flamme se porter dessus le mélange, afin qu'elle consume le soufre qui est de trop ; mais lorsque le mélange commence à rougir, & que le soufre superflu est consumé, on éteint la flamme avec une spatule & cuillere de fer, de peur que le mercure ne soit emporté : alors on fait sublimer le mélange à grand feu, & par ce moyen l'on obtient un cinnabre d'une très-belle couleur. Stahl dit que pour que le cinnabre soit exactement saturé, il faut qu'il ne contienne qu'environ une partie de soufre sur huit parties de mercure. (-)

CINNABRE ARTIFICIEL, (Chimie, Pharmacie, & matiere médicale). Le cinnabre natif & le cinnabre artificiel ont été recommandés pour l'usage médicinal par différens auteurs ; il s'en est trouvé même plusieurs ; & il est encore aujourd'hui même quelques médecins qui préferent le cinnabre natif ou naturel au cinnabre factice ; mais on peut avancer sans hésiter que toutes les raisons de préférence apportées en faveur du premier, sont absolument chimériques, & que celles qui l'ont fait rejetter enfin par la saine partie des médecins, portent sur un fondement très-solide ; savoir, sur ce qu'on a observé assez communément quelques parties arsénicales qui rendoient son usage très-suspect.

Le cinnabre factice donc, auquel nous accordons la préférence avec juste raison, est recommandé intérieurement, principalement pour certaines maladies de la peau, pour l'épilepsie & les autres maladies convulsives, pour les vertiges, la passion hystérique, l'asthme convulsif, &c.

Mais son utilité dans ces cas n'est pas démontrée par assez d'observations pour détruire une opinion assez plausible, qui conclut de son insolubilité & de son inaltérabilité par des humeurs digestives, & de son insipidité absolue, qu'il ne sauroit ni passer dans la masse des humeurs & en altérer la constitution (crassis), ni faire aucune impression salutaire sur le système nerveux, par son action immédiate sur les organes de la digestion. Son utilité la moins équivoque est celle qu'il procure employé en suffumigation, soit dans le traitement général de la maladie vénérienne, soit dans le traitement particulier de quelques-uns de ses symptomes extérieurs, comme chancres, porreaux, &c. Voyez SUFFUMIGATION & VEROLE.

Le cinnabre entre dans plusieurs préparations officinales, à la coloration desquelles son utilité paroît se borner. Voyez COLORATION. (b)


CINNUS(Diete) voyez CYCEON.


CINQS. m. (Arithmét.) nom de nombre. Tout nombre terminé par 5 est divisible par 5 ; & tout multiple de 5 se termine par 5 ou par zéro, la démonstration en est facile à trouver.

CINQ, (jeux de carte) est une carte marquée de cinq points. Le point est ou coeur, ou pique, ou treffle, ou carreau. Ainsi il y a quatre cinq dans le jeu.

CINQ-HUITIEMES, s. m. plur. (Drap. & Comm.) espece de petits camelots qui se fabriquent à Lille. Ils doivent avoir onze tailles & demie de large en blanc, & onze tailles en couleur, sur trente-six & cinquante-quatre aulnes de longueur. Voyez les réglemens du Commerce, part. III. & les artic. DRAP & CAMELOT.

CINQ-PORTS, s. m. pl. (Géog. mod.) en anglois cinque-ports ; ce sont cinq villes maritimes d'Angleterre avec ports de mer, sur la côte qui regarde la France ; à savoir Hartings, Romney, Hythe, Douvre, & Sandwich : au premier des cinq appartiennent aussi Winchelsca & Rye. Ces villes ont de grands priviléges ; les députés qu'elles envoyent au parlement sont appellés barons des cinq-ports. Chambers.

CINQ-QUARTS, s. m. pl. (Drap. & Comm.) espece de serge demi-soie, croisée d'un côté, à vingt buhots, à cinquante-une portées, à trois quartiers moins deux pouces & demi de largeur entre deux gardes, à vingt-une aulnes & demie de long hors de l'ételle, pour revenir apprêtée, à vingt aulnes un quart ou vingt aulnes & demie. Voyez les réglem. du Commerce, tom. II. pag. 253. & les artic. DRAP & SERGE.


CINQUAINS. m. (Art. milit.) est un ancien ordre de bataille composé de cinq bataillons ou de cinq escadrons. On les détache en avant-garde, bataille, & arriere-garde. Quand ils arrivent au champ de bataille, on les place sur une même ligne faisant même front.

Pour les mettre en état de combattre, on fait avancer les seconds bataillons des aîles pour l'avant-garde, les deux bataillons ou escadrons des aîles pour la bataille, & celui du milieu fait l'arriere-garde. Lafontaine, doctrine militaire. (Q)


CINQUANTENIERS. m. (Police) officier qui exécute les ordres de la ville qu'il reçoit du quartinier, pour les faire savoir aux bourgeois. Chaque quartinier a sous lui deux cinquanteniers. Il y a dans Paris soixante-quatre cinquanteniers. Voyez le Dict. de Trév. & le traité de la police de Lamarre.


CINQUANTIEMES. m. (Jurispr.) est une imposition qui a été levée dans certains tems pour les besoins de l'état.

En 1296, Philippe-le-Bel leva le cinquantieme sur les ecclésiastiques, pour la conquête de la Guienne & la guerre contre les Flamands. Duhaillan, tom. I. pag. 552. Mezeray, tom. I. pag. 677. Voyez la seconde des lettres sur le clergé (ne repugnate), p. 151.

Il paroît que nos rois ont levé en divers tems sur leurs sujets une imposition, qui étoit tantôt du centieme, & tantôt du cinquantieme. En effet, on voit dans des lettres du roi Jean, du mois de Novembre 1350, portant confirmation des priviléges que Philippe-de-Valois avoit accordés en 1337 aux généraux maîtres des monnoies & aux ouvriers du serment de France, qu'ils étoient exempts de tous droits de centieme, cinquantieme, & autres impositions.

Par une déclaration du 5 Juin 1725, registrée le 8 du même mois, le Roi ordonna la levée du cinquantieme des revenus de l'état sur tous ses sujets laïcs ou ecclésiastiques pendant douze années, à commencer du premier Août de la même année. Il ne fut cependant pas perçu en 1725, parce que la récolte étoit trop instante ; on ne commença à le percevoir qu'en 1726.

Il devoit être perçû en nature de fruits ; mais par une déclaration du 21 Juin 1726, il fut converti en argent : & par une autre déclaration du 7 Juillet 1727, il fut révoqué & supprimé, à compter du premier Janvier 1728. (A)


CINQUIEMES. m. (Jurispr.) est une imposition qui a été perçûe en différentes occasions pour les besoins de l'état.

Nous lisons dans la Genese, ch. xlvij. v. 26. que l'on payoit le cinquieme en Egypte.

Philippe-le-Bel, suivant les lettres patentes du 10 Octobre 1305, leva une double décime, ou le cinquieme sur toutes les églises de son royaume. Voyez Patru, mém. sur les assemblées du clergé, art. 3. les lettres ne repugnate, sec. lett. pag. 208.

Le cinquieme est aussi en quelques endroits un droit de champart agrier ou terrage, qui se perçoit au profit du seigneur sur les fruits en nature : quelquefois c'est un droit de mutation qui se paye pour un héritage, soit en fief ou en roture ; ce qui dépend de la coûtume & des titres. En matiere de fiefs, ce droit s'appelle ordinairement quint ou droit de quint. Voyez DECIME, CHAMPART, LODS ET VENTES, QUINT. (A)


CINTHIAnom que les Poëtes donnent à Diane, du mont Cinthies dans l'île de Délos, où elle avoit un temple.


CINTRou CEINTRE, s. m. (Architect. & Coupe des pierres). On a donné dans le tome précédent de cet ouvrage, la définition & distinction du cintre en fait de charpenterie & coupe des pierres. Voy. CEINTRE.

Les curieux qui voudront approfondir cette matiere, & savoir comment on peut connoître & calculer la force des cintres, & même de tout ouvrage de charpente, recourront au mémoire géométrique de M. Pitot, qui est dans les mém. de l'acad. des Sciences, année 1726, page 216. dont voici l'extrait par M. de Fontenelle.

Le cintre que les Italiens nomment armatura, est un assemblage de charpente propre à soûtenir tout le poids de la maçonnerie d'une voûte, avant que la clé soit posée.

On sent par-là que rien n'est plus important en fait de construction de grandes voûtes, dômes, ponts de pierre, que de faire des cintres assez forts pour porter tout le fardeau de la maçonnerie ; & qu'on doit admirer dans ces grands ouvrages hardis, les cintres dont on s'est servi pour les construire : car si malheureusement ils se trouvent trop foibles, on voit dans un moment périr tout l'ouvrage, & quelquefois plusieurs malheureux ouvriers.

Nous n'entreprendrons pas la description des cintres, & d'autant moins qu'on les construit de mille façons différentes, selon le génie ou les habitudes des artistes. Mathurin Jousse en donne trois desseins : la plûpart des architectes en ont voulu inventer de particuliers, mais quelques-uns sont tombés dans des défauts très-dangereux. Il paroît que M. Blondel n'a rien voulu proposer du sien sur cette matiere ; il s'est contenté de donner dans son cours d'Architecture les desseins d'Antonio Sangallo, dont Michel-Ange s'est servi pour construire la voûte de S. Pierre de Rome.

Mais sans entrer dans l'examen de la forme la plus parfaite qu'on puisse donner aux cintres, ni dans le détail de l'assemblage des charpentes qui les composent, nous nous contenterons de dire en général que ce sont des pieces de bois qui ayant à soûtenir le poids de la voûte dont elles sont pressées & poussées en em-bas, doivent être disposées entr'elles de façon qu'elles s'appuient les unes les autres, se contrebutent & ne puissent céder : cela dépend de la force absolue des bois & de la position des pieces.

Une piece de bois étant posée verticalement, si on attache à son bout inférieur un poids dont l'effet sera de tirer ses fibres en em-bas, & de tendre à les séparer les unes des autres, de façon que la piece rompe, elle soûtiendra un très-grand poids avant que cet effet arrive. La longueur de la piece n'y fait rien, il n'y a que sa grosseur ou base. M. Pitot a éprouvé que le bois de chêne soûtient environ soixante livres par ligne quarrée de la base ; & c'est le bois de chêne dont on se sert le plus souvent dans la charpente. M. de Buffon a poussé ces expériences beaucoup plus loin. Les pieces dont un cintre est composé, n'ont pas à soûtenir un effort qui les tire de haut em-bas ; mais au contraire un effort qui les pousse de haut em-bas, & tend à les écraser ou à les faire plier. M. Pitot a trouvé qu'elles font encore une résistance un peu plus grande à ce second effort, & ne prend les deux résistances que pour égales ; car il vaut toûjours mieux se tromper en supposant trop peu de force au cintre.

Quant à la position des pieces, dont la plûpart sont nécessairement inclinées, ce qui modifie & affoiblit leur résistance absolue, selon que les angles d'inclinaison sont différens ; M. Pitot en fait le calcul par la théorie des mouvemens composés, ou, ce qui est la même chose, par les diagonales de M. Varignon. Ces diagonales sont en nombre d'autant plus grand, & se compliquent d'autant plus les unes avec les autres, qu'il y a plus de pieces dans le cintre. Au moyen de cette théorie, la pesanteur de la voûte étant toûjours connue ; si de plus les grosseurs & les positions des pieces du cintre, c'est-à-dire si la construction du cintre, ou plûtôt le cintre même est donné, on trouvera le rapport de sa force à celle de la voûte ; & cela tant pour la voûte demi-circulaire que pour la surbaissée. Voyez SURBAISSE.

Le lecteur verra par le mémoire même & l'extrait entier de M. de Fontenelle, combien la certitude & la précision que M. Pitot a mises dans cette matiere, l'emportent sur de simples usages toûjours incertains & souvent faux, que suivent les ouvriers & même les maîtres. Article de M. le Chev(D.J.)

CINTRE, (Décorat. théatr.) On donne ce nom à la partie du plancher de la salle de l'opéra qui est sur l'orchestre. La partie du cintre qui est la plus près du théatre, n'est composée que de pieces qui tiennent l'une à l'autre par des charnieres ; on la leve pour aider le passage des vols qui se font du milieu du théatre ou de sa partie la plus éloignée, & qui vont se perdre dans le cintre. Une balustrade de bois amovible sépare cette partie de l'autre ; on y place de gros lampions pour éclairer le premier plafond. C'est sur le cintre que sont les grands treuils avec lesquels on fait les vols, la descente des chars. Voyez ces mots.

On y a pratiqué quatre petites loges, deux de chaque côté, qui se louent à l'année ; elles n'ont vûe que sur le théatre en plongeant, & n'ont aucune communication avec la salle.

La toile qui ferme le théatre se perd dans le cintre lorsqu'on la leve. Voyez TOILE. (B)


CINXIA(Myth.) surnom que les Romains donnoient à Junon, & sous lequel ils l'invoquoient en faveur des jeunes mariées, lorsqu'on leur ôtoit la ceinture de virginité la premiere nuit de leur nôce. Cinxia vient de Cingo.


CIOTAT(Géog. mod.) ville maritime de France en Provence, viguerie d'Aix. Long. 23. 15. lat. 43. 10.


CIPPES. m. (Hist. anc.) parmi les antiquaires, c'est une petite colonne peu haute qu'on élevoit dans les grands chemins ou ailleurs, & sur laquelle on mettoit des inscriptions, soit qu'elle fût destinée à apprendre les chemins aux voyageurs, soit qu'elle le fût à servir de borne ou à conserver la mémoire de quelque événement, & en particulier de la mort de quelqu'un.

Les cippes qui se mettoient sur les routes pour la commodité des voyageurs, s'appelloient plus proprement colonnes milliaires. Voyez ce mot.

Hottinger a fait un traité exprès des cippes des Juifs, de cippis Hebraeorum, où il prend le mot cippus pour un tombeau de pierre. Voyez TOMBEAU.

Cippe étoit aussi dans l'antiquité, un instrument de bois qui servoit à tourmenter les coupables & les esclaves : c'étoient des especes d'entraves ou de ceps qu'on leur mettoit aux piés.

On appelloit encore cippes, des pierres élevées qu'on plaçoit d'espace en espace sur le terrein où l'on marquoit avec la charrue l'enceinte des murs d'une nouvelle ville : on sacrifioit sur ces pierres, & il y a apparence que l'on bâtissoit ensuite les tours aux mêmes endroits où se rencontroient les cippes. (G)


CIQUEou CAXAS, s. m. pl. (Hist. nat. Minér.) nom que les mineurs donnent au Potosi à des pierres qui se trouvent unies aux minerais ; elles sont peu compactes & solides, ne contiennent que très-peu ou même point de métal. Voyez la métallurgie d'Alonzo Barba. (-)


CIR(SAINT-) Géog. mod. village de France, diocèse de Chartres, à une petite lieue de Versailles : il est célebre par une communauté fondée par Louis XIV. Les religieuses font un quatrieme voeu, c'est de veiller à l'éducation de 250 jeunes personnes, qui ne peuvent y entrer que sur la preuve de quatre degrés de noblesse du côté paternel, & qu'après l'âge de sept ans & avant celui de douze.


CIRAGES. m. on appelle ainsi les tableaux de couleur de cire jaune. L'on se sert très-peu de ce terme, & ces sortes de tableaux doivent être regardés comme des camayeux, dans la classe desquels ils sont en effet. Voyez CAMAYEU. (R)


CIRAN(SAINT-) Géog. mod. petite ville de France, diocèse de Bourges en Berri, sur la Claise.


CIRCASSIE(Géog.) grand pays d'Asie située entre le Wolga & le Don ou Tanaïs, borné par le Daghestan, le royaume de Caret, la Mingrelie & la mer Noire. Les habitans professent une religion moitié chrétienne & moitié mahométane. Une partie de ce pays est soûmise à la Russie, l'autre est indépendante. Le commerce principal de la Circassie consiste en pelisses & fourrures, & en femmes qu'ils vendent aux Turcs & aux Persans ; elles ont la réputation d'y être plus belles qu'en aucun pays de l'Asie.


CIRCÉES. f. circaea, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est à deux pétales, soûtenus par un calice qui est à deux feuilles. Lorsque la fleur est passée, ce calice devient un fruit en poire divisé ordinairement en deux loges, qui renferment chacune une semence un peu longue. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


CIRCENSES(Hist. anc.) les jeux circenses ou les jeux du cirque, terme générique sous lequel on comprenoit tous les combats du cirque, de quelque nature qu'ils fussent ; à pié, à cheval, sur un char, à la lutte, à coups d'épées, de dards, de piques, de fleches, contre des hommes ou des animaux, dans l'arene ou sur de grands réservoirs d'eau, tels que les naumachies ou représentations de batailles navales : mais dans leur origine ces jeux n'étoient que différentes sortes de courses, auxquelles on joignit ensuite les autres combats athlétiques.

Ceux des gladiateurs étoient les plus usités, & il n'y avoit guere que les hommes vils & mercenaires qui donnassent ce plaisir au peuple : les honnêtes gens auroient crû se deshonorer en faisant le personnage d'acteurs dans ces exercices.

La plûpart des fêtes des Romains étoient accompagnées de jeux du cirque, & les magistrats donnoient souvent ces sortes de spectacles au peuple ; mais les grands jeux, nommés proprement circenses, duroient cinq jours, & commençoient le 15 de Septembre.

L'empereur Adrien institua, l'an 874 de la fondation de Rome, de nouveaux jeux de cirque qui furent nommés jeux plébéiens ; mais les auteurs qui nous en apprennent le nom, n'expliquent point s'ils étoient composés d'exercices différens de ceux des jeux ordinaires. Voyez CIRQUE. (G)


CIRCESTEou CIRENCESTER, (Géog. mod.) ville d'Angleterre en Glocestershire, sur le Schurn. Long. 15. 47. lat. 51. 24.


CIRCONCELLIONou SCOTOPITES, s. m. pl. (Théol.) secte de Donatistes en Afrique dans le jv. siecle, ainsi nommés parce qu'ils rodoient autour des maisons dans les villes & dans les bourgades, où se donnant pour vengeurs publics des injures & réparateurs des injustices, ils mettoient en liberté les esclaves sans la permission de leurs patrons, déclaroient quittes les débiteurs comme il leur plaisoit, & commettoient mille autres insolences. Maxide & Faser furent les premiers chefs de ces brigands enthousiastes. Ils porterent d'abord des bâtons qu'ils nommerent bâtons d'Israel, par allusion à ceux que la loi ordonnoit de tenir en main dans la cérémonie de la manducation de l'agneau paschal. Ils se servirent ensuite d'armes contre les Catholiques. Donat les appelloit les chefs des saints, & exerçoit par leur moyen d'horribles vengeances. Un faux zele de martyre les porta à se donner la mort ; les uns se précipiterent du haut des rochers, ou se jetterent dans le feu ; d'autres se couperent la gorge. Les évêques ne pouvant par eux-mêmes arrêter ces excès de fureur, furent contraints d'implorer l'autorité des magistrats. On envoya des soldats dans les lieux où ils avoient coûtume de se répandre les jours de marchés publics : il y en eut plusieurs de tués, que les autres honorerent comme de vrais martyrs. Les femmes perdant leur douceur naturelle, se mirent à imiter la barbarie des Circoncellions ; & l'on en vit qui, sans égard pour l'état de grossesse où elles se trouvoient, se jetterent dans des précipices. S. Augustin, her. 69. Baronius A. C. 331. n. 9. & suiv. 348. n. 26. 27. &c. Pratéole, Philastre, &c. (G)


CIRCONCISIONS. f. (Théol.) cérémonie religieuse chez les Juifs & les Mahométans. Elle consiste à couper le prépuce des mâles qui doivent ou veulent faire profession de la religion judaïque ou musulmane. Voyez PREPUCE.

La circoncision a été & est encore d'usage parmi d'autres peuples, mais non comme un acte de religion : ces nations la pratiquent pour des fins & par des raisons différentes, comme nous le dirons après avoir parlé de cette cérémonie chez les Juifs & chez les Musulmans.

La circoncision a commencé au tems d'Abraham, à qui Dieu la prescrivit comme le sceau de l'alliance que Dieu avoit faite avec ce patriarche. Voici le pacte que vous observerez, lui dit le Seigneur (Genese, c. xvij. v. 10.) entre moi & vous, & votre postérité après vous. Tous les mâles qui sont parmi vous seront circoncis ; afin que cela soit une marque de l'alliance entre moi & vous. L'enfant de huit jours sera circoncis, tant les enfans libres & domestiques, que les esclaves & les étrangers qui seront à vous. L'enfant dont la chair ne sera pas circoncise, sera exterminé de mon peuple, parce qu'il a rendu inutile mon alliance.

Ce fut l'an du monde 1208 qu'Abraham âgé pour lors de quatre-vingt-dix-neuf ans, reçut cette loi, en conséquence de laquelle il se circoncit lui-même, & donna à son fils Ismaël, & à tous les esclaves de sa maison la circoncision, qui depuis ce tems a été une pratique héréditaire pour ses descendans. Dieu en réitera le précepte à Moyse (Exod. xij. 44. 48. & Lévitiq. xij. v. 3.), & la circoncision fut depuis comme la marque distinctive des enfans d'Abraham d'avec les autres peuples, que les Juifs appelloient par mépris incirconcis, comme n'ayant point de part à l'alliance que Dieu avoit faite avec Abraham. Tacite, hist. liv. V. reconnoît expressément que la circoncision étoit une espece de stigmate qui distinguoit les Juifs des autres nations. Genitalia, dit-il, circumcidere instituêre, ut diversitate noscantur. C'est aussi ce que témoignent plusieurs autres ecclésiastiques, & entr'autres S. Jérôme sur l'épître aux Galates : ne soboles dilecti Abraham caeteris nationibus misceretur, & paulatim familia ejus fieret incerta, gregem Israeliticum quoddam circumcisionis cauterio annotavit.

Celse & Julien qui cherchoient à détruire le Christianisme en sappant les fondemens de la révélation judaïque, objectoient qu'Abraham étoit venu de Chaldée en Egypte, où il avoit trouvé l'usage de la circoncision établi, & qu'il l'avoit emprunté des Egyptiens ; & par conséquent qu'elle n'étoit pas le signe distinctif du peuple choisi de Dieu. Le chevalier Marsham & M. Leclerc ont ressuscité ce système, fondés sur quelques passages d'Hérodote & de Diodore de Sicile. Le premier de ces historiens, liv. II. chap. xxv. & xxvj. dit que les Egyptiens reçoivent la circoncision, coûtume qui n'est connue que de ceux à qui ils l'ont communiquée (c'est-à-dire des Juifs) : il ajoûte que les enfans de la Colchide l'ayant reçûe des premiers, l'avoient transmise aux peuples qui habitent les rives du Thermodoon & du Parthenius, & que les Syriens & les Phéniciens la tenoient aussi des Egyptiens. Diodore de Sicile dit à-peu-près la même chose.

Mais pourquoi tous ces peuples n'auroient-ils pas au contraire pratiqué la circoncision, à l'imitation des Juifs, quoique ce ne fût pas pour la même fin ? car 1°. le témoignage d'Hérodote sur les antiquités égyptiennes, est très-suspect ; & Manethon auteur égyptien lui reproche bien des faussetés à cet égard ; l'autorité de Moyse, en qualité de simple historien, vaut bien celle d'Hérodote & de Diodore de Sicile. 2°. Abraham qui avoit voyagé & fait quelque séjour en Egypte, en sortit sans être circoncis ; ce ne fut que par un ordre exprès de Dieu qu'il pratiqua sur lui-même & sur sa famille la circoncision ; & l'on a plus de vraisemblance à assûrer que les Egyptiens reçurent la circoncision des enfans de Jacob & de leurs descendans, qui demeurerent long-tems en Egypte, qu'à le nier, comme fait Marsham, sur la seule autorité de deux historiens très-postérieurs à Moyse, & qui devoient être infiniment moins bien instruits que lui des coûtumes d'Egypte ; mais Marsham vouloit trouver toute la religion des Juifs dans celle des Egyptiens, & tout lui paroissoit démonstratif en faveur de cette opinion absurde & ruinée depuis long-tems. 3°. Il est certain que la pratique de la circoncision étoit fort différente chez les Juifs & chez les Egyptiens ; les premiers la regardoient comme un devoir essentiel de religion & d'obligation étroite pour les mâles seulement, sur lesquels on la pratiquoit le huitieme jour après leur naissance, sous les peines portées par la loi ; chez les autres, c'étoit une affaire d'usage, de propreté, de raison, de santé, même selon quelques-uns, de nécessité physique ; on n'en faisoit l'opération qu'au treizieme jour, souvent beaucoup plus tard, & elle étoit pour les filles aussi-bien que pour les garçons. 4°. Enfin l'obligation de circoncire tous les mâles n'avoit jamais passé en loi générale chez les Egyptiens : S. Ambroise, Origene, S. Epiphane & Josephe attestent qu'il n'y avoit que les Prêtres, les Géometres, les Astronomes, les Astrologues & les savans dans la langue hiéroglyphique, qui fussent astreints à cette cérémonie, à laquelle, suivant S. Clément d'Alexandrie, stromat. liv. I. Pythagore en voyageant en Egypte voulut bien se soûmettre, pour être initié dans les mysteres des prêtres de ce pays, & apprendre les secrets de leur philosophie occulte.

Mais ce qui ruine entierement le système de Marsham, c'est qu'Artapane cité dans Eusebe, préparat. évangel. liv. IX. chap. xxviij. assûre que ce fut Moyse qui communiqua la circoncision aux prêtres égyptiens. D'autres pensent encore, avec beaucoup de vraisemblance, qu'elle ne fut en usage parmi eux que sous le regne de Salomon. Du reste ni alors, ni même long-tems après, le commun du peuple n'étoit pas circoncis parmi les Egyptiens, puisque Ezéchiel, ch. xxxj. v. 18. & xxxij. v. 19. & Jérémie, ch. jx. v. 24. & 25. comptent ce peuple parmi les nations incirconcises. Abraham n'a donc point emprunté d'eux l'usage de la circoncision.

Chez les anciens Hébreux la loi n'avoit rien prescrit de particulier, ni sur le ministre, ni sur l'instrument de la circoncision : le pere de l'enfant ou un autre parent, ou un chirurgien, quelquefois même un prêtre, pouvoit faire cette cérémonie. On se servoit d'un rasoir ou d'un couteau. Séphora femme de Moyse circoncit son fils Eliézer avec une pierre tranchante, exod. jv. v. 25. Josué en usa de même envers les Israélites qui n'avoient pas reçû la circoncision dans le desert, Jos. v. vers. 2. c'étoit probablement de ces pierres faites en forme de couteaux, que les Egyptiens se servoient pour ouvrir les corps des personnes qu'ils embaumoient. Les Galles ou prêtres de Cybele se mutiloient avec une pierre tranchante ou un têt de pot cassé, ne le pouvant faire autrement sans se mettre en danger de la vie, si l'on en croit Pline, hist. nat. liv. XXXV. ch. xij.

Chez les Juifs modernes le pere doit faire circoncire son fils au huitieme jour, & non auparavant ; mais bien après, si l'enfant est infirme ou trop foible pour soûtenir l'opération. Voici les principales cérémonies qui s'y pratiquent. Il y a un parrain pour tenir & ajuster l'enfant sur ses genoux pendant qu'on le circoncit, & une marraine pour le porter de la maison à la synagogue, & pour le rapporter. Celui qui le circoncit s'appelle en hébreu mohel, c'est-à-dire circonciseur ; & cette fonction est en grand honneur parmi les Juifs. On reconnoît ceux qui l'exercent ordinairement parce qu'ils ont les ongles des pouces fort longs, pour l'usage dont nous parlerons bientôt. Le pere de l'enfant fait quelquefois l'office du mohel, & même dans sa maison, car il n'est pas toûjours de nécessité qu'on aille à la synagogue. Quand la cérémonie se fait dans ce dernier lieu, au jour indiqué on place dès le matin deux siéges avec des carreaux de soie ; l'un de ces siéges est pour le parrain qui tient l'enfant ; l'autre demeure vuide, & est destiné au prophete Elie, qui, comme se l'imaginent les Juifs, assiste invisiblement à toutes les circoncisions. Le mohel apporte les instrumens nécessaires ; savoir un plat, un rasoir, des poudres astringentes, du linge, de la charpie, & de l'huile rosat, & quelquefois une écuelle avec du sable, pour y mettre le prépuce coupé. On chante quelque cantique en attendant la marraine, qui apporte l'enfant sur ses bras accompagnée d'une troupe de femmes, dont aucune ne passe la porte de la synagogue. C'est-là que la marraine donne l'enfant au parrain, & aussi-tôt tous les assistans s'écrient baruth-haba, le bien venu. Le parrain s'assied & ajuste l'enfant sur ses genoux ; le mohel prend le rasoir, & dit : Béni soyez-vous, Seigneur, qui nous avez commandé la circoncision. En prononçant ces mots il prend avec des pinces d'argent ou avec ses doigts la grosse peau du prépuce, la coupe, puis avec ses ongles il déchire une autre peau plus déliée qui reste : il suce deux ou trois fois le sang qui abonde, & le rejette dans une tasse pleine de vin ; ensuite il met sur la plaie du sang-dragon, de la poudre de corail, & d'autres drogues pour étancher le sang ; puis il applique des compresses imbibées d'huile rosat, & il enveloppe le tout. Il reprend ensuite la tasse, bénit le vin mêlé de sang, en mouille les levres de l'enfant, en disant ces paroles d'Ezechiel, ch. xvj. vers. 4. Et j'ai dit : vis en ton sang. Il prononce une autre bénédiction pour l'enfant, auquel il impose le nom qu'on souhaite. On récite après cela le pseaume 128, & l'on reporte l'enfant à la maison de ses parens. R. Léon de Modene, des cérémon. des Juifs. Voyez aussi le grand diction. de la bible de M. Simon, au mot circoncision ; & le dictionnaire de la bible du P. Calmet, sur le même mot.

La circoncision, dans l'antiquité, n'étoit cérémonie religieuse que pour les Juifs ; mais lorsque d'autres peuples qui la pratiquoient pour d'autres fins & d'autres raisons, comme nous l'avons dit, vouloient embrasser le Judaïsme, la réitéroit-on ? Dom Calmet assûre que quand les Juifs recevoient un prosélyte d'une nation où la circoncision étoit en usage, comme un samaritain, un arabe, un égyptien, s'il avoit déjà reçû la circoncision, on se contentoit de lui tirer quelques gouttes de sang de l'endroit où l'on donne la circoncision, & ce sang s'appelloit le sang de l'alliance. Il ajoûte que trois témoins assistoient à cette cérémonie, afin de la rendre plus authentique, qu'on y bénissoit Dieu, & qu'on y récitoit cette priere : O Dieu ! faites-nous trouver dans la loi les bonnes oeuvres & votre protection, comme vous avez introduit cet homme dans votre alliance.

Les juifs apostats s'efforçoient d'effacer en eux-mêmes la marque de la circoncision. Le texte du premier livre des Macchabées, ch. j. vers. 16. l'insinue clairement : Fecerunt sibi praeputia, & recesserunt à testamento sancto ; & S. Paul, dans la prem. aux Corinth. ch. vij. vers. 18. semble craindre que les Juifs convertis au Christianisme n'en usassent de même : Circumcisus si aliquis vocatus est, non adducat praeputium.

S. Jérôme, Rupert & Haimon nient la possibilité du fait, & croyent que la marque de la circoncision est tellement ineffaçable, que rien n'est capable de supprimer cette marque dans la chair du circoncis. Selon eux, ce qu'on lit dans les Macchabées doit s'entendre des peres qui ne vouloient pas donner la circoncision à leurs enfans. S. Jérôme donne d'ailleurs une explication forcée du passage de saint Paul, qu'on peut voir dans le P. Lami, introduct. à l'Ecrit. sainte, liv. I. ch. j. p. 7. mais, ajoûte ce dernier auteur, si l'autorité de l'Ecriture & de Josephe, liv. XII. ch. vj. des antiq. jud. ne suffisoit pas, on pourroit ajoûter celle des plus fameux médecins, qui prétendent qu'on peut effacer les marques de la circoncision. En effet Celse & Galien ont traité exprès cette matiere ; & Bartholin, de morb. biblic. cite Aeginete & Fallope, qui ont enseigné le secret de couvrir les marques de cette opération. Buxtorf le fils, dans sa lettre à Bartholin, confirme ce fait par l'autorité même des Juifs.

Quoi qu'il en soit, la circoncision telle qu'on la recevoit, avoit pour effet naturel de distinguer les Juifs des autres peuples : mais outre cela elle avoit divers effets moraux ; elle servoit à rappeller aux Juifs qu'ils descendoient du pere des croyans, du pere du Messie selon la chair ; elle servoit à les rendre imitateurs de la foi de ce grand homme, & à croire au Messie qui lui avoit été promis ; elle étoit un symbole de la circoncision du coeur, selon Moyse. deuteron. xxx. vers. 6. & même selon Philon, de circumcisione, elle obligeoit le circoncis à l'observation de toute la loi, Galat. ch. v. vers. 3. enfin elle étoit la figure du baptême. Mais malgré les éloges excessifs que lui donnent les rabbins, M. Fleuri, dans les moeurs des Israélites, observe que les Juifs n'avoient point de sentiment unanime sur la nécessité de la circoncision ; les uns la regardant comme un devoir essentiel, les autres comme un simple devoir de bienséance.

Les Théologiens la considerent comme un sacrement de l'ancienne loi, en ce qu'elle étoit un signe de l'alliance de Dieu avec la postérité d'Abraham : Propter hoc, dit S. Thomas, in lib. IV. sentent. dist. 1. quaest. j. art. 2. ad. jv. quaest. quia in Abraham fides primò habuit quasi notabilem quantitatem, ut propter fidei religionem ab aliis separaretur ; ideo ei signaculum, sive sacramentum fidei determinatum fuit, scilicet circumcisio. Mais quelle grace ce sacrement conféroit-il, & comment la conféroit-il ?

S. Augustin a prétendu que la circoncision remettoit le péché originel aux enfans. Voici ses paroles, liv. IV. de nuptiis & concupiscent. cap. ij. Ex quò instituta est circumcisio in populo Dei, quod erat tunc signaculum justitiae fidei ad significationem purgationis valebat, & parvulis originalis veterisque peccati. C'est ce qu'il répete dans ses livres contre Pélage & Caelestius, contre Julien & contre la lettre de Petilien. S. Gregoire le grand n'est pas moins formel dans ses traités de morale sur Job : Quod apud nos valet gratia baptismatis, dit-il, liv. IV. ch. iij. hoc egit apud veteres vel pro parvulis sola fides, vel pro majoribus virtus sacrificii, vel pro iis qui ex Abrahae stirpe prodierunt mysterium circumcisionis. Le vénérable Bede, S. Fulgence, S. Prosper, embrassent la même doctrine, ainsi que plusieurs théologiens distingués, tels que le maître des sentences, qui dit expressément, Fuit circumcisionis sacramentum idem conferens remedium contra peccatum, quod nunc baptismus praestat. Alexandre de Halès, Scot, Durand, S. Bonaventure & Estius, pensent de même : ces deux derniers ont même été jusqu'à avancer que la circoncision conféroit la grace ex opere operato, comme parle l'école, c'est-à-dire de la même maniere que la conferent les sacremens de la loi nouvelle.

Quelque respectables que soient toutes ces autorités, elles ne sont cependant pas infaillibles ; & le sentiment le plus commun des Théologiens est, après S. Thomas, que la circoncision n'avoit point été instituée pour servir de remede au péché originel. 1°. Le texte de la genese cité au commencement de cet article, ne donne la circoncision que comme un signe d'alliance entre Dieu & son peuple, & nullement comme un remede à la tache originelle. 2°. S. Paul écrivant aux Romains, enseigne expressément qu'Abraham reçut le signe de la circoncision, qui étoit comme le sceau de la justice qu'il avoit eue avant que d'être circoncis : Et signum accepit circumcisionis justitiae fidei, quae est in praeputio. Rom. jv. vers. 11. 3°. Tous les Peres, avant S. Augustin, ont soûtenu unanimement que la circoncision n'avoit point la vertu d'effacer le péché originel : Abraham, dit S. Justin, dans son dialogue avec Tryphon circumcisionem accepit in signum non ad justitiam, quemadmodum & scripturae & res ipsae nos fateri cogunt.... & quod genus muliebre circumcisionis carnalis capax non est ; satis id ostendit in signum datam circumcisionem istam, non ut justitiae opus. S. Irenée, liv. IV. ch. xvj. s'exprime ainsi : Circumcisionem non quasi justitiae consummatricem, sed in signo eam dedit Deus, ut cognoscibile perseveret genus Abrahae. Et Tertullien dans son ouvrage contre les Juifs, ch. ij. Si circumcisio purgat hominem, Deus Adam incircumcisum cum faceret, cur eum non circumcidit, vel postquam deliquit, si purgat circumcisio ? S. Cyprien, liv. I. contre les Juifs, ch. viij. saint Chrysostome, homélie xxvij. sur la genes. S. Ambroise, épît. 72. S. Epiphane, héres. viij. Théodoret, Théophilacte, Oecuménius, enfin une foule de commentateurs & de théologiens, sont de ce sentiment : les principales raisons dont ils l'appuient sont 1°. que le péché originel étant commun aux deux sexes, il n'eût été ni de la sagesse ni de la bonté de Dieu de priver le sexe féminin du remede à ce péché : 2°. pourquoi les Juifs auroient-ils interrompu l'usage de la circoncision pendant les quarante ans qu'ils voyagerent dans le desert, où il est probable que plusieurs moururent sans l'avoir reçue ? pourquoi eût-il fallu attendre au huitieme jour, les enfans ne pouvoient-ils pas être surpris par la mort dans cet intervalle ? 3°. ni Philon le juif, ni les rabbins anciens & modernes qui affectent d'exalter la circoncision, ne lui ont jamais attribué la vertu d'effacer le péché originel.

L'autorité de S. Augustin n'est donc ici d'aucun poids : il lisoit ou dans les Septante ou dans l'ancienne vulgate : tout enfant mâle dont la chair n'aura pas été circoncise le huitieme jour, sera exterminé de son peuple, parce qu'il a violé mon alliance. Mais ces mots, le huitieme jour, ne se lisent ni dans l'hébreu ni dans notre vulgate qui est faite sur l'hébreu. 2°. S. Augustin croyoit que ces mots, sera exterminé de son peuple, signifioient sera condamné à l'enfer ; & dans l'usage de l'Ecriture ; & selon le sentiment commun des interpretes, ils signifient simplement, ou être puni de mort, ou être enlevé de ce monde par une mort précipitée, ou être séparé du corps des Israélites, ou être privé des graces & des prérogatives attachées à l'alliance de Dieu avec Abraham. 3°. C'est de cette derniere alliance qu'il s'agit uniquement dans ces mots, il a violé mon alliance, & non de celle que Dieu avoit faite avec nos premiers peres, & que nous avons tous violée dans la personne d'Adam, comme se le persuadoit S. Augustin, faute d'attention au texte du chap. xvij. de la gen. où le mot pactum, alliance, est répeté jusqu'à huit fois, mais toûjours rélativement aux engagemens que Dieu imposoit à Abraham.

Quoique la circoncision ne remît pas le péché originel, elle conféroit quelques graces, mais moins abondantes, moins efficaces que les graces de la loi évangélique. Elle ne les conféroit pas néanmoins par sa propre force, mais par les mérites & les bonnes dispositions de ceux qui la recevoient ou qui l'administroient, ex opere operantis, comme on parle dans l'école, & non pas ex opere operato, ainsi que ceux de la loi nouvelle ; c'est la doctrine du concile de Florence & du concile de Trente. Voyez la dissert. de Dom Calmet sur les effets de la circoncision, à la tête de son commentaire sur l'épître aux Romains.

L'origine & l'usage de la circoncision chez d'autres peuples que les Hébreux, est facile à démontrer ; mais tous l'ont tirée d'Abraham & de ses descendans. Ismaël chassé de la maison de ce patriarche, la communiqua au peuple dont il fut le pere, c'est-à-dire aux Ismaélites & aux Arabes ; & de ceux-ci elle a été transmise aux Sarrasins, aux Turcs, & à tous les peuples qui professent la doctrine de Mahomet. Les Phéniciens & les Syriens la pratiquoient aussi. Sanchoniathon cité par Eusebe, préparat. évangél. liv. I. dit que Saturne qui est nommé Israël par les Phéniciens n'ayant qu'un fils nommé Jeud, l'immola sur un autel qu'il avoit dressé à son pere dans le ciel : & qu'ayant pris la circoncision, il contraignit tous ses soldats d'en faire de même. De-là est venu parmi les Phéniciens la coûtume qu'avoient les princes d'immoler leur fils dans les plus pressantes nécessités de l'état ; & de-là vient aussi apparemment l'usage de la circoncision parmi ce peuple. Ce récit est visiblement l'histoire d'Abraham altérée par des fables, comme on en rencontre beaucoup de semblables dans les fragmens de Sanchoniathon, qu'Eusebe nous a conservés. Les Iduméens, quoique descendus d'Abraham & d'Isaac, ne se firent circoncire que depuis que Jean Hircan les eut subjugués & forcés à recevoir la circoncision, comme Josephe le raconte, antiq. jud. liv. XIII. ch. xvij.

Les Turcs ont une maniere de circoncire différente de celle des Juifs ; car après avoir coupé la peau du prépuce, ils n'y touchent plus, au lieu que les Juifs déchirent en plusieurs endroits les bords de la peau qui restent après la circoncision : c'est pourquoi les Juifs circoncis guérissent plus facilement que les Turcs. Ceux-ci avant la circoncision pressent aussi la peau à plusieurs reprises avec des petites pinces, pour l'engourdir & diminuer la douleur : ils la coupent ensuite avec un rasoir, puis ils mettent sur la plaie quelques poudres qui la guérissent. Mais comme ils ne croyent pas cette cérémonie nécessaire au salut, ils ne la font à leurs enfans que quand ceux-ci ont atteint l'âge de 7 ou 8 ans. On voit dans les mémoires de l'Etoile sous l'année 1581 qu'Amurat III. voulant faire circoncire son fils aîné âgé d'environ quatorze ans, envoya un ambassadeur à Henri III. pour le prier d'assister à cette cérémonie, qui devoit se célébrer à Constantinople au mois de Mai de l'année suivante. Les ligueurs, & sur-tout leurs prédicateurs, prenoient occasion de cette ambassade d'appeller Henri III. le roi turc, & lui reprochoient qu'il étoit parrain du fils du grand-seigneur.

Les Persans ne circoncisent leurs enfans qu'à treize ans, ainsi que les Arabes, en mémoire d'Ismaël qui ne fut circoncis qu'à cet âge. Ceux de Madagascar coupent la chair à trois différentes reprises, & font beaucoup souffrir les enfans : celui des parens qui se saisit le premier du prépuce coupé, l'avale. Herrera parle d'une espece de circoncision en usage chez les Mexicains, quoiqu'ils n'eussent aucune connoissance du Judaïsme ni du Mahométisme : elle consistoit à couper le prépuce & les oreilles aux enfans si-tôt qu'ils étoient nés. En réchappoit-il beaucoup de cette opération ?

A l'égard de la circoncision des femmes, elle n'a jamais été en usage chez les anciens Hébreux, non plus que chez les Juifs modernes, mais seulement chez les Egyptiens, & dans quelques endroits de l'Arabie & de la Perse. S. Ambroise, lib. II. de Abraham. cap. xj. avance indéfiniment que les Egyptiens donnent la circoncision aux hommes & aux femmes au commencement de la quinzieme année ; & Strabon, liv. XVII. dit aussi que les femmes égyptiennes reçoivent la circoncision. M. Huet dit à ce sujet des choses assez curieuses, dans une note latine sur Origene que nous transcrirons ici : Circumcisio foeminarum fit resectione (imo clitoridis), quae pars in Australium praesertim mulieribus it a excrescit, ut ferro sit coercenda. Ita tradunt medici insignes, Paulus Aegineta, lib. VI. cap. lxx. Aetius, tetrab. jv. ser. 4. cap. ciij. quorum hic ita pergit. Quapropter Aegyptiis visum est, ut antequam exuberet (pars illa corporis) amputetur, tum praecipuè cum virgines nubiles sunt elocandae..... Quod igitur necessitate primum invectum est, religioni post modum usurpatum fuit : quod & aliqui de virili circumcisione opinati sunt. Porro hanc consuetudinem circumcidendarum mulierum hodieque retinere Aegyptios, ferunt ii qui regiones illas lustraverunt, ignemque ad compescendam partis hujus luxuriem adhiberi, scribit Belon. lib. III. observ. cap. xxviij. Morem hunc servare foeminas in Persiâ, & cophtas etiam in Aethiopiâ, Christi licet nomen professas. Leo Africanus, lib. VIII. narrat Mahummedi lege id praescribi, quamvis in Aegypto tantum & Syriâ obtineat ; munusque id obire vetulas quasdam per vicos Cairi ministerium suum venditantes.

Paul Jove & Munster disent que la circoncision est en usage chez les sujets du Prête-Jean ou les Abyssins, même pour les femmes ; que c'est pour elles une marque de noblesse ; mais qu'on ne la donne qu'à celles qui prétendent descendre de Nicaulis reine de Saba, celle qui vint voir Salomon. Il est fort probable que c'est des anciens Egyptiens ou des Arabes que les peuples d'Afrique ont reçû la circoncision.

Les Juifs modernes ne font point recevoir cette marque à leurs filles ; mais au commencement du mois, après que la mere est relevée de ses couches, elle va à la synagogue ; là le chantre dit une bénédiction en faveur de la petite fille, & lui impose le nom que le pere ou la mere desirent. Chez les juifs d'Allemagne cette cérémonie ne se fait point à la synagogue, mais au logis de l'accouchée, où le chantre se rend pour cet effet. (G)

CIRCONCISION de Notre-Seigneur Jesus-Christ, fête qui se célebre dans l'Eglise romaine en mémoire de la circoncision du Sauveur, qui n'étant pas venu, comme il le dit lui-même, pour enfreindre la loi, mais pour l'accomplir, voulut bien s'y soumettre en ce point. On croit communément que ce fut dans Bethléem, & selon saint Epiphane, dans la grotte ou il étoit né. Il reçut dans cette cérémonie le nom de Jesus, c'est-à-dire, Sauveur. Luc, c. xj. v. 21.

On appelloit autrefois cette fête l'octave de la Nativité, & elle ne fut établie sous le nom de circoncision que dans le vij. siecle, & alors seulement en Espagne. En France, le premier de Janvier, jour auquel elle tombe, étoit un jour de pénitence & de jeûne pour expier les superstitions & les dereglemens auxquels on se livroit en ce tems-là, & qui étoient un reste du paganisme. A ces divertissemens profanes qui furent entierement abolis, suivant l'avis de la faculté de Théologie de Paris, en 1444, on a substitué une fête solemnelle qu'on célebre par toute l'Eglise, & qui est aussi la véritable fête du nom de Jesus. (G)


CIRCONFERENCEsubst. fém. se dit dans les élémens de Géometrie, de la ligne courbe qui renferme un cercle ou un espace circulaire, & qu'on nomme aussi quelquefois péripherie. Voyez CERCLE. Ce mot est formé du latin circum, environ, & de fero, je porte.

Toutes les lignes tirées du centre à la circonférence du cercle, & qu'on appelle rayons, sont égales entr'elles. Voyez RAYON.

Une partie quelconque de la circonférence s'appelle arc ; une ligne droite tirée d'une extrémité de cet arc à l'autre, s'appelle la corde de cet arc. Voyez ARC & CORDE.

La circonférence du cercle est supposée divisée en 360 parties égales, qu'on appelle degrés. Voyez DEGRE.

L'angle à la circonférence est sous-double de celui qui est au centre. Voyez ANGLE & CENTRE.

Tout le cercle est égal à un triangle rectiligne, dont la base est égale à la circonférence, & la hauteur égale au rayon. Voyez TRIANGLE.

Les circonférences sont entr'elles comme leurs rayons. Voyez RAYON.

De plus, puisque la circonférence de tout cercle est à son rayon comme celle de tout autre cercle est au sien, la raison de la circonférence au rayon est donc la même dans tous les cercles.

Archimede donne pour raison approchée du diametre à la circonférence, celle de 7 à 22. Cette proposition d'Archimede est démontrée dans la Géometrie du P. Taquet.

D'autres qui approchent plus de la vérité, la font de 10000000000000000 à 31415926535897932.

Dans l'usage, Viete, Huyghens, &c. donnent la proportion de 100 à 314 pour des petits cercles, & celle de 10000, à 31415 pour les grands cercles, mais la proportion la plus juste en petits nombres est celle de Metrius, savoir de 113 à 355. Voyez DIAMETRE.

D'où il suit que le diametre d'un cercle étant donné, on a aussi sa circonférence, laquelle multipliée par le quart du diametre, donne l'aire du cercle. Voyez AIRE. Chambers.

CIRCONFERENCE, se dit aussi en général du contour d'une courbe quelconque. Voyez COURBE. (E)


CIRCONFLEXEadj. en terme de Grammaire accent circonflexe. Voyez ACCENT.


CIRCONLOCUTIONS. f. (Belles-Lettres) tour d'expression dont on se sert, ou lorsqu'on n'a pas, pour ainsi dire, sous la main le terme propre à exprimer directement & immédiatement une chose, ou lorsqu'on s'abstient d'employer le terme propre, par respect pour ceux à qui l'on parle, ou pour quelqu'autre raison. Ce mot est composé du latin circum loquor, je parle autour.

En Rhétorique, circonlocution est une figure qu'on employe pour éviter d'exprimer en termes directs, des choses dures ou desagréables, ou peu convenables, qu'on fait entendre en empruntant d'autres termes qui rendent la même idée, mais d'une maniere adoucie, & en la palliant.

Cicéron, par exemple, ne pouvant nier que Clodius n'eût été tué par Milon, ou du moins par ses ordres, l'avoüe indirectement par cette circonlocution :

" Les domestiques de Milon n'ayant pû secourir leur maître qu'on disoit avoir été tué par Clodius, ils firent en son absence, & sans sa participation ou son consentement, ce que chacun pourroit attendre des siens en pareille occasion ". Voyez PERIPHRASE. (G)


CIRCONPOLAIREadj. (Astron.) étoiles circonpolaires, ce sont celles qui sont situées près de notre pole boréal, qui tournent autour de lui sans se coucher jamais par rapport à nous, c'est-à-dire sans s'abaisser jamais au-dessous de notre horison. Il est bien aisé de déterminer la partie du ciel qui renferme les étoiles circonpolaires ; par exemple pour Paris. Comme Paris est éloigné de l'équateur de 48d 50', on n'a qu'à prendre depuis le pole arctique de part & d'autre de ce pole 48d 50', & toutes les étoiles qui seront renfermées dans cette zone de 97d 40', ne se coucheront jamais à Paris. Voyez ETOILE, POLE, COUCHER.

Toutes les étoiles comprises dans l'hémisphere boréal ou septentrional, sont circonpolaires pour les habitans du pole arctique, c'est-à-dire ne se couchent jamais pour eux. (O)


CIRCONSCRIPTIONS. f. (Géomet.) c'est l'action de circonscrire un cercle à un polygone, ou un polygone à un cercle, ou à toute figure courbe. Voy. CIRCONSCRIRE.

La circonscription des polygones ne consiste que dans l'art de tirer des tangentes ; car tous les côtés d'un polygone circonscrit à une courbe, sont des tangentes de cette courbe. Voyez TANGENTE. (E)


CIRCONSCRIREen Géométrie élémentaire, c'est décrire une figure réguliere autour d'un cercle, de maniere que tous ses côtés deviennent autant de tangentes de la circonférence du cercle. Voyez CERCLE, POLYGONE, &c.

Ce terme se prend aussi pour la description d'un cercle autour d'un polygone, de façon que chaque côté du polygone soit corde du cercle ; mais dans ce cas, on dit que le polygone est inscrit, plûtôt que de dire que le cercle est circonscrit.

Une figure réguliere quelconque A B C D E (Pl. de Géomét. fig. 29.) inscrite dans un cercle, se résoud en des triangles semblables & égaux, en tirant des rayons du centre F du cercle, auquel le polygone est inscrit, aux différens angles de ce polygone, & son aire est égale à un triangle rectangle, dont la base seroit la circonférence totale du polygone, & la hauteur une perpendiculaire F H tirée du centre du polygone sur un de ses côtés, comme A B.

On peut dire la même chose du polygone circonscrit a b c d e (fig. 28.), excepté que la hauteur doit être ici le rayon F R.

L'air de tout polygone, qui peut être inscrit dans un cercle, est moindre que celle du cercle ; & celle de tout polygone, qui y peut être circonscrit, est plus grande. Le périmetre du premier des deux polygones dont nous parlons, est plus petit que celui du cercle, & celui du second est plus grand. Voyez PERIMETRE, &c.

C'est de ce principe qu'Archimede est parti pour chercher la quadrature du cercle, qui ne consiste effectivement qu'à déterminer l'aire ou la surface du cercle. Voyez QUADRATURE.

Le côté de l'exagone régulier est égal au rayon du cercle circonscrit. Voyez EXAGONE.

Circonscrire un cercle à un polygone régulier donné, A B C D E (fig. 28.), & réciproquement. Coupez pour cela en deux parties égales deux des angles du polygone, par exemple A & B ; & du point F, où les deux lignes de section se rencontrent, pris pour centre, décrivez avec le rayon F A un cercle.

Circonscrire un quarré autour d'un cercle. Tirez deux diametres A B, D E (fig. 31.), qui se coupent à angles droits au centre C ; & par les quatre points où ces deux diametres rencontreront le cercle, tirez quatre tangentes à ce cercle, elles formeront par leur rencontre le quarré demandé.

Circonscrire un polygone régulier quelconque, par exemple un pentagone autour d'un cercle. Coupez en deux parties égales la corde A E de l'arc ou de l'angle qui convient à ce polygone (fig. 28.), par la perpendiculaire F O partant du centre, & vous la continuerez jusqu'à ce qu'elle coupe l'arc en g. Par les points A, T, tirez des rayons A E, E F ; & par le point g une parallele à A E, qui rencontre ces rayons prolongés en a, e ; alors a e sera le côté du polygone circonscrit. Prenez la corde A B = A E ; tirez le rayon F B, & prolongez-le en b jusqu'à ce que F b soit égal à F e ; tirez ensuite a b, ce sera un autre côté du polygone, & vous tracerez tous les autres de la même maniere.

Inscrire un polygone régulier quelconque dans un cercle. Divisez 360d par le nombre des côtés, pour trouver la quantité de l'angle E F D ; faites un angle au centre égal à celui-là, & appliquez la corde de cet angle à la circonférence, autant de fois qu'elle pourra y être appliquée ; ce sera la figure qu'il falloit inscrire dans le cercle. Chambers. (E)

CIRCONSCRIT, adj. (Géomét.) On dit, en Géométrie, qu'un polygone est circonscrit à un cercle, quand tous les côtés du polygone sont des tangentes au cercle ; & qu'un cercle est circonscrit à un polygone, quand la circonférence du cercle passe par tous les sommets des angles du polygone. Voyez CIRCONSCRIRE. (E)

HYPERBOLE CIRCONSCRITE, dans la haute Géométrie, est une hyperbole du troisieme ordre, qui coupe ses asymptotes, & dont les branches renferment au-dedans d'elles les parties coupées de ces asymptotes. Telle est la courbe ou portion de courbe C E, D H (fig. 39. Analyse), dont les branches C E, D H, sont chacune au-dehors de leurs asymptotes respectives A E, A G. Voyez COURBE. (O)


CIRCONSPECTIONRETENUE, CONSIDÉRATION, ÉGARDS, MÉNAGEMENS, (Gramm. synon. ) Une attention réfléchie & mesurée sur la façon de parler, d'agir, & de se conduire dans le commerce du monde par rapport aux autres, pour y contribuer à leur satisfaction plutôt qu'à la sienne, est l'idée générale que ces cinq mots présentent d'abord, suivant la remarque de l'abbé Girard. Il me paroît que voici les différences qu'on y peut mettre.

La circonspection est principalement dans le discours : la retenue est dans les paroles comme dans les actions, & a pour défaut opposé l'impudence : la considération, les égards, & les ménagemens sont pour les personnes, avec cette différence, que la considération & les égards sont plus pour l'état, la situation & la qualité des gens que l'on fréquente, & que les ménagemens regardent plus particulierement leurs inclinations & leur humeur.

La considération semble encore indiquer quelque chose de plus fort que les égards ; elle marque mieux le cas qu'on fait des personnes que l'on voit, l'estime qu'on leur porte en réalité, ou seulement en apparence, ou un devoir qu'on leur rend. Les égards tiennent davantage aux regles de la bienséance & de la politesse.

Toutes ces qualités, circonspection, retenue, considération, égards, ménagemens, sont uniquement les fruits de l'éducation, & l'on peut les posséder éminemment sans être plus vertueux ; mais comme on ne recherche guere dans la société que l'écorce, on a mis à ces qualités, bonnes en elles-mêmes, un prix fort supérieur à leur valeur. Les gens du monde n'ont par-dessus les autres hommes qu'ils méprisent, qu'un peu de vernis qui les couvre, & qui cache à la vûe leur médiocrité, leurs défauts, & leurs vices. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CIRCONSTANCECONJONCTURE, s. f. (Gramm.) Circonstance est relatif à l'action ; conjoncture est relatif au moment. La circonstance est une de ses particularités ; la conjoncture lui est étrangere ; elle n'a de commun avec l'action que la contemporanéité. C'est un état des choses ou des personnes coexistant à l'action, qu'il rend plus ou moins fâcheux.


CIRCONVALLATIONS. f. en terme de la guerre des siéges, est une ligne formée d'un fossé & d'un parapet, que les assiégeans font autour de leur camp, pour le défendre contre les secours qui peuvent venir aux assiégés. Voyez LIGNE.

Ce mot est formé du latin circum, autour, & vallum, vallée ou élévation de terre.

On doit observer dans la disposition de la circonvallation :

1°. D'occuper le terrein le plus avantageux des environs de la place, soit qu'il se trouve un peu plus près ou un peu plus loin : cela ne doit faire aucun scrupule.

2°. De se poster de maniere que la queue des camps ne soit pas sous la portée du canon de la place.

3°. De ne point trop se jetter à la campagne, mais d'occuper précisément le terrein nécessaire à la sûreté du camp.

4°. D'éviter de se mettre sous les commandemens qui pourroient incommoder le dedans des camps & de la ligne par leur supériorité ou par leurs revers. Lorsque ces défauts se rencontrent, il vaut mieux occuper ces commandemens, soit en étendant les lignes jusque-là, soit en y faisant de bonnes redoutes ou de petits forts, que de s'y exposer. On doit aussi faire servir à la circonvallation, les hauteurs, ruisseaux, ravines, escarpemens, abattis de bois, buissons, & généralement tout ce qui approche de son circuit, & qui le peut avantager.

La portée ordinaire du canon, tiré à-peu-près horisontalement ou sur un angle d'environ dix ou douze degrés, peut s'estimer à-peu-près de 1200 toises. Cette portée, suivant les épreuves de M. Dumetz, rapportées dans les mémoires de Saint-Remi, est beaucoup plus grande ; mais dans ces épreuves le canon a été tiré à toute volée, c'est-à-dire sous l'angle de 45 degrés. Sous ces angles, ses coups sont trop incertains ; ainsi on doit établir pour regle générale, que la queue des camps des troupes qui campent dans la circonvallation, doit être éloignée de la place au moins de 1200 toises. La profondeur de ces camps est d'environ 30 toises, & la distance du front de bandiere à la ligne, de 120 ; d'où il suit que la circonvallation doit être dirigée à-peu-près parallélement à la place, à la distance au moins de 1350 ou 1400 toises. Elle est flanquée de distance en distance par des angles saillans qu'on appelle redans. Voyez REDANS.

La mesure commune des lignes de circonvallation, quant au plan, doit être de 120 toises d'une pointe de redan à l'autre. On doit observer de placer les redans dans les lieux les plus éminens, & jamais dans les fonds ; comme aussi que les angles des redans soient toûjours moins ouverts que le droit, afin que ses faces se présentent moins à l'ennemi. Voyez le tracé des lignes, Planche XIII. de Fortification.

L'ouverture du fossé de la circonvallation doit être de 15, 16 ou 18 piés, sur 6 à 7 & demi de profondeur, taluant du tiers de la largeur.

De cette façon le fossé aura 18 piés de large à son ouverture ; sa largeur au fond sera de 6 piés, ce qui donne 12 piés de largeur, réduite sur 7 piés & demi de profondeur, revenant par toise courante à deux toises cubes & demie ; c'est l'ouvrage qu'un paysan peut faire en sept jours sans beaucoup se fatiguer.

Sur ce pié-là, on peut proposer les mesures des six profils suivans pour toutes sortes de circonvallation. On ne doit en employer ni de plus forts, ni de plus foibles.

L'épaisseur du parapet du premier profil est de 8 piés, du second de 7 piés, & ainsi de suite en diminuant d'un pié. Pour la hauteur totale, elle est de 7 piés & demi. La banquette a 4 piés & demi de largeur, & 3 de hauteur. Le bord de la contrescarpe du fossé est un peu plus élevé que le niveau de la campagne, & il forme une espece de glacis qui cache à l'ennemi le pié du parapet ; ensorte qu'il ne peut le battre ou le ruiner, lorsqu'il en est éloigné. Voyez ces différens profils, Pl. XIV. de Fortification.

Pendant la construction des lignes, les ingénieurs se partagent entr'eux leur étendue, pour avoir soin que les mesures soient aussi exactement observées qu'il est possible. La diligence du travail ne permet pas, au moins en France, qu'on y apporte grande attention ; mais il faut cependant faire observer les taluds des fossés, & les profondeurs portées aux profils ; autrement cet ouvrage sera très-imparfait.

On faisoit autrefois des épaulemens dans l'intervalle des lignes & de la tête des camps, environ à vingt toises de cette tête, & de trente-cinq ou quarante toises de longueur, principalement dans les parties exposées à quelque commandement des dehors. Ils étoient disposés par alignement, & paralleles à la tête des camps : ils avoient neuf piés de haut sur dix ou douze d'épaisseur, mesurés au sommet. La cavalerie des assiégeans se mettoit derriere, quand on attaquoit les lignes. Cette méthode ne se pratique plus à-présent. On fortifioit aussi alors les lignes de circonvallation par des forts & par de grandes redoutes palissadées ; ce qui ne se pratique plus guere, la briéveté de nos siéges n'exigeant point tant de précautions. Voyez M. le maréchal de Vauban, attaque des places.

On peut fraiser les lignes, & on le fait quand on présume qu'elles dureront quelque tems, & que les environs de l'espace qu'elles occupent, fournissent du bois propre à cet ouvrage.

On fait encore quelquefois un avant-fossé devant les lignes, de douze ou quinze piés de largeur par le haut, & de six ou sept de profondeur. Il se fait environ à douze ou quinze toises du fossé de la ligne. Son objet est d'arrêter l'ennemi lorsqu'il vient attaquer les lignes, & de lui faire perdre bien du tems & du monde en le passant. M. le maréchal de Vauban en desapprouvoit l'usage, sur ce que l'ennemi étant arrivé à ce fossé, se trouve, en se jettant dedans, à couvert du feu de la circonvallation. Mais quelque déférence que l'on doive à ce grand homme, il semble néanmoins qu'on peut dans plusieurs cas se servir avantageusement de cet avant-fossé. Il arrête nécessairement la marche de l'ennemi, & il l'expose plus long-tems au feu de la ligne : aussi a-t-on fait en différentes occasions, des avant-fossés aux lignes, depuis M. de Vauban, & notamment à la circonvallation de Philisbourg en 1734.

Cette circonvallation étoit encore fortifiée par des puits d'environ neuf piés de diametre à leur ouverture, & de six à sept de profondeur. Ils étoient rangés en échiquier, & assez près les uns des autres pour empêcher de passer dans leurs intervalles. Les Espagnols avoient pratiqué quelque chose de pareil au siége d'Arras en 1654 ; leur circonvallation étoit défendue par des especes de petits puits de deux piés de diametre sur un pié & demi de profondeur, dans le milieu desquels étoient plantés de petits pieux qui pouvoient nuire beaucoup au passage de la cavalerie. Voyez le plan & le profil d'une partie de la circonvallation de Philisbourg, Planche XV. de Fortification, figure premiere.

Cette circonvallation des Espagnols paroît avoir été copiée de celle de César à Alexia. Voici en quoi consistoit cette derniere.

" Comme les soldats étoient occupés en même tems à aller querir du bois & des vivres assez loin, & à travailler aux fortifications, César trouva à-propos d'ajoûter quelque chose au travail des lignes, afin qu'il fallût moins de gens pour les garder. Il prit donc des arbres de médiocre hauteur, ou des branches fortes qu'il fit aiguiser ; & tirant un fossé de cinq piés de profondeur devant les lignes, il les y fit enfoncer & attacher ensemble par le pié, afin qu'on ne pût les arracher. On recouvroit le fossé de terre, ensorte qu'il ne paroissoit que la tête du tronc, dont les pointes entroient dans les jambes de ceux qui pensoient les traverser : c'est pourquoi les soldats les appelloient des ceps ; & comme il y en avoit cinq rangs de suite qui étoient entrelacés, on ne les pouvoit éviter. Au-devant il fit des fosses de trois piés de profondeur, un peu étroites par le haut, & disposées de travers en quinconce : là-dedans on fichoit des pieux ronds de la grosseur de la cuisse, brûlés & aiguisés par le bout, qui sortoient quatre doigts seulement hors de terre ; le reste étoit enfoncé trois piés plus bas que la profondeur de la fosse, pour tenir plus ferme, & la fosse couverte de broussailles pour servir comme de piége. Il y en avoit huit rangs de suite, chacun à trois piés de distance l'un de l'autre, & les soldats les nommoient des lys, à cause de leur ressemblance. Devant tout cela il fit jetter une espece de chausse-trapes, qui étoient des pointes de fer attachées à des bâtons de la longueur du pié, qui se fichoient en terre ; tellement qu'il ne sortoit que ces pointes, que les soldats appelloient des aiguillons, & toute la terre en étoit couverte ". Comment. de César, par d'Ablancourt.

Les lignes de circonvallation ayant peu d'élévation, elles n'ont pas besoin de bastions pour être flanquées dans toutes leurs parties comme l'enceinte d'une place ; les redans qui sont d'une construction plus simple & d'une plus promte expédition, sont suffisans : on fait seulement quelques bastions dans les endroits où la ligne fait des angles, qu'un redant ne défendroit pas aussi avantageusement. Il arrive cependant qu'on se sert aussi quelquefois des bastions pour flanquer la ligne, principalement lorsqu'elle a peu d'étendue : car les bastions augmentent considérablement sa circonférence. La plus grande partie de la circonvallation de Philisbourg en 1734, en étoit fortifiée.

On éleve des batteries à la pointe des redans, pour tirer le canon à barbette par-dessus le parapet. On le tire de cette maniere par-tout où on le place le long de la circonvallation.

Les lignes de circonvallation exigent de très-fortes armées pour les défendre. Si l'on suppose une circonvallation dont le rayon soit de 1700 toises, ce qui est la moindre distance du centre de la place à la circonvallation, on aura au moins 12000 toises pour sa circonférence, en y comprenant les redans & les détours ; ce qui fait à-peu-près cinq lieues communes de France.

Si, pour border une ligne de cette étendue, on donne seulement trois piés à chaque soldat, il faudra 24000 hommes pour un seul rang ; & pour trois de hauteur 72000, sans rien compter pour la seconde ligne, pour les tranchées, & les autres gardes, qui demanderoient bien encore autant de monde pour que tout fût suffisamment garni. Où trouver des armées de cette force ? & quand on dégarniroit la moitié des lignes les moins exposées, pour renforcer celles qui le seroient le plus, on ne parviendroit pas à les garnir suffisamment à beaucoup près ; d'autant plus que si les places assiégées sont un peu considérables, la circonvallation deviendra bien plus grande que celle qui est ici supposée : ce qui éloigne encore plus la possibilité de les bien garnir. Cette considération a partagé les sentimens des plus célebres généraux, sur l'utilité de ces sortes de lignes. Tous conviennent qu'il y a des cas où l'on en peut tirer quelque utilité, sur-tout lorsqu'elles sont serrées & qu'elles n'ont qu'une médiocre étendue ; mais lorsqu'elles embrassent beaucoup de terrein, il est bien difficile de les défendre contre les attaques d'un ennemi intelligent.

Lorsque l'ennemi se dispose pour attaquer les lignes, il y a deux partis à prendre : le premier de lui en disputer l'entrée, & le second de laisser une partie de l'armée pour la garde des travaux du siége, & d'aller avec le reste au-devant de l'ennemi pour le combattre. Ces deux partis ont chacun leurs partisans parmi les généraux : mais il semble que le dernier est le plus généralement approuvé.

L'inconvénient qu'on trouve d'attendre l'ennemi dans les lignes, c'est que comme on ignore le côté qu'il choisira pour son attaque, on est obligé d'être également fort dans toutes les parties de la ligne, & que lorsqu'elle est fort étendue, les troupes se trouvent trop éloignées les unes des autres pour opposer une grande résistance à l'ennemi du côté de son attaque. La plûpart des lignes de circonvallation qui ont été attaquées, ont été forcées : ainsi le raisonnement & l'expérience semblent concourir également à établir qu'il faut aller au-devant de l'ennemi pour le combattre, & pour ne point le laisser arriver à la portée de la circonvallation.

Cependant sans vouloir rien décider dans une question de cette importance, il semble que lorsqu'une ligne peut être raisonnablement garnie, on peut la défendre avantageusement.

Il est incontestable que si le soldat qui défend la ligne veut profiter de tous ses avantages, il en a de très-grands & de très-réels sur l'assaillant. Celui-ci est obligé d'essuyer le feu de la ligne pendant un espace de tems assez considérable, avant de parvenir au bord du fossé. Il faut qu'il comble ce fossé sous ce même feu ; ce qui lui fait perdre bien du monde, & qui doit déranger nécessairement l'ordre de ses troupes. Est-il parvenu à pénétrer dans la ligne, ce ne peut être que sur un front fort étroit ; il peut être chargé de front & de flanc par les troupes qui sont dedans, lesquelles en faisant bien leur devoir, doivent le culbuter dans le fossé.

Supposons qu'il parvienne à faire plier la premiere ligne d'infanterie qui borde la ligne, la cavalerie qui est derriere peut (& elle le doit) tomber sur l'infanterie ennemie qui a pénétré dans la ligne ; & comme elle ne peut y entrer qu'en desordre, il est aisé à cette cavalerie de tomber dessus & de la culbuter.

Malgré des avantages si évidens, l'expérience, dit M. le chevalier de Folard, démontre que le soldat est moins brave & moins résolu derriere un retranchement qu'en rase campagne. Il met toute sa confiance dans ce retranchement ; & lorsque l'ennemi, pour éviter d'être trop long-tems exposé au feu de la ligne, se jette brusquement dans le fossé, & qu'il tâche de monter de-là sur le retranchement, le soldat commence à perdre confiance ; & il la perd totalement lorsqu'il le voit pénétrer dans la ligne. " On croit, dit cet auteur, le mal sans remede, lorsqu'il n'y a rien de plus aisé que d'y en apporter, de repousser ceux qui sont entrés, & de les culbuter dans le fossé : car outre qu'ils ne peuvent pénétrer en bon ordre, ils sont dégarnis de tout leur feu ; cependant l'on ne fait rien de ce que l'on est en état de faire : l'ennemi entre en foule, se forme, & l'autre se retire ; & la terreur courant alors dans le long de la ligne, tout s'en va, tout se débande, sans savoir souvent même où l'on a percé ".

On peut conclure de-là, que lorsque le soldat connoîtra bien tous les avantages que lui procure une bonne ligne, qu'il sera disposé à s'y bien défendre, que toutes les parties pourront également en être soûtenues, & enfin qu'on prendra toutes les précautions nécessaires pour n'y être point surpris, il sera bien difficile à l'ennemi de la forcer.

On en a vû un exemple au siége de Philisbourg en 1734. Les bonnes dispositions de la circonvallation empêcherent le prince Eugene, après qu'il l'eut bien reconnue, d'en faire l'attaque. Il fut simple spectateur de la continuation du siége, & il ne jugea pas à-propos, dit l'historien de sa vie, d'essayer de forcer nos lignes, tant elles lui parurent redoutables & à l'abri de toute insulte. En effet, leur peu d'étendue les mettoit en état d'être également défendues.

Lorsqu'on se trouve dans des situations semblables, on peut donc attendre l'ennemi tranquillement : mais lorsque la grandeur de la circonvallation ne permet pas de la garnir également, le parti le plus sûr est d'aller au-devant de l'ennemi ; comme le fit M. le maréchal de Tallard à Landau en 1703, & M. le duc de Vendôme à Barcelone en 1704.

Tout le monde sait qu'au siége de Turin en 1706, feu M. le duc d'Orléans proposa de prendre le même parti ; & que pour ne l'avoir pas pris, l'armée françoise fut obligée de lever le siége, parce que les lignes n'étoient pas également bonnes par-tout : l'ennemi pénétra d'un côté qui avoit été négligé ; il força les troupes, & secourut la ville.

M. le chevalier de Folard prétend que sans aller au-devant de l'ennemi, il étoit aisé de l'empêcher de forcer les lignes, en ne se négligeant point sur les attentions nécessaires pour les soûtenir : que pour cela il falloit envoyer assez de monde pour les défendre du côté que le prince Eugene les attaqua ; qu'elles ne valoient absolument rien de ce côté, qui n'avoit pour défense que la seule brigade de la Marine, qui fut obligée pour le garnir, de se ranger sur deux de hauteur, & qui dans cet état repoussa pourtant l'ennemi : mais que pendant l'attaque le prince Eugene ayant remarqué une partie de la ligne sur la droite, où il n'y avoit qu'une compagnie de grenadiers, & où on pouvoit aller à couvert d'un rideau ou élévation de terre, il y fit aller cinquante hommes, lesquels entrerent par cet endroit. On s'imagina d'abord qu'il y étoit entré un corps beaucoup plus considérable : ainsi ce poste qui n'étoit pas assez garni de monde pour résister, ayant été emporté, l'épouvante se communiqua par-tout, & fit abandonner la ligne. M. de Folard ajoûte, que si M. d'Albergotti, qui étoit à portée d'envoyer un secours considérable au poste dont on vient de parler, l'avoit fait, l'entreprise du prince Eugene sur les lignes échouoit infailliblement.

L'exemple de l'attaque des lignes de Turin entendu & expliqué de cette maniere, ne prouve point que des lignes bien défendues soient toûjours forcées indubitablement ; il montre seulement que, lorsqu'il y a eu quelque négligence dans la circonvallation, qu'elle n'est pas également bonne de toute part, & que l'ennemi peut avoir le tems d'y forcer quelques quartiers avant qu'ils puissent être secourus des autres, il ne faut pas s'y renfermer ; mais qu'on le peut lorsqu'elle renferme assez de troupes pour la border de toute part. Attaque des places, par M. Leblond. (Q)


CIRCONVOISINadj. on dit, en Physique, les corps circonvoisins, pour désigner les corps qui en environnent un autre, ou qui en sont proches. (O)


CIRCONVOLUTIONS. f. l'action de tourner autour, du latin circumvolvere, tourner à l'entour. Il se dit, en Architecture, de la ligne spirale de la volute ionique. Voy. VOLUTE & COLONNE. (P)


CIRCUITS. m. (Gram.) se dit dans l'usage ordinaire, par opposition au chemin le plus court d'un lieu dans un autre, de toute autre maniere d'y arriver par la ligne droite. Ce terme a été transporté par métaphore du physique au moral.

CIRCUIT, c'est l'enceinte, le contour, ou le périmetre d'une figure ou d'un corps. Voyez PERIMETRE. (E)

CIRCUIT, en Droit, est une procédure longue & compliquée, qui pourroit être suppléée par une plus simple ; comme si dans le cas où il y a lieu à la compensation entre deux personnes qui sont respectivement débiteurs & créanciers l'un de l'autre, on commençoit par condamner celui qui a été actionné le premier, & par faire exécuter la condamnation avant de faire droit sur la demande incidente qu'il forme pour sa défense ; tandis qu'on peut par un seul & même jugement statuer sur les demandes respectives des deux parties. (H)

CIRCUIT, (Hist. mod. d'Angl.) on entend par ce mot, en Angleterre, les diverses provinces où les juges vont rendre la justice au peuple deux fois par année.

C'est vers l'an 1175 que Henri II. ce prince qui ne fut jamais rassasié de biens ni d'amour, & qui travailloit continuellement à corrompre le beau sexe & à étendre ses états, partagea l'Angleterre en six parties ou circuits, qui furent assignés à autant de juges, pour y aller en certains tems tenir les assises, c'est-à-dire rendre la justice au peuple. C'est ce qui se pratique encore aujourd'hui.

Immédiatement après le terme de S. Hilaire & de la Trinité, le chancelier envoye douze juges dans les diverses provinces ou circuits qui leur ont été assignés, pour y rendre la justice. Ces douze juges vont aux circuits deux à deux, d'où les assises qui ne sont tenues que deux fois l'an, sont appellées assises de carême & assises de l'été. Voyez Rapin, Tindal, &c. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CIRCULAIREadj. (Géom. Astron. Navig. &c.) se dit en général de tout ce qui appartient au cercle ou qui y a rapport : ainsi on appelle mouvement circulaire, le mouvement d'un corps dans la circonférence d'un cercle ; arc circulaire, un arc ou portion de la circonférence d'un cercle. Voyez CERCLE, ARC, &c.

Les Astronomes modernes ont prouvé que les corps célestes ne se mouvoient pas d'un mouvement circulaire, mais elliptique. Voyez ORBITE, PLANETE, &c.

Nombres circulaires : ce sont ceux dont les puissances finissent par le caractere même qui marque la racine, comme cinq, dont le quarré est 25, & le cube 125. Voyez NOMBRE. Chambers.

Navigation circulaire : c'est celle qui se fait dans un arc de grand cercle. Voyez NAVIGATION.

La navigation circulaire est la plus courte de toutes ; & cependant il y a tant d'autres avantages à naviger suivant les rhumbs, qu'on préfere généralement cette derniere. Voyez RHUMB.

Vîtesse circulaire, en Astronomie, signifie la vîtesse d'une planete ou d'un corps qui tourne, laquelle se mesure par un arc de cercle ; par exemple par l'arc A B (Tab. astron. fig. 10.) décrit du centre S, autour duquel le corps est supposé tourner, desorte que la vîtesse circulaire est d'autant plus grande, que l'arc A B parcouru dans un tems donné par la planete, est plus grand ou contient un plus grand nombre de degrés ; ou (ce qui est encore plus exact) que l'angle A S B est plus grand. Car comme les planetes ne décrivent pas réellement des cercles, elles ne parcourent pas, à proprement parler, des arcs de cercle tels que A B, mais elles parcourent ou décrivent les angles A S B mesurés par ces arcs ; desorte que leur vîtesse circulaire pourroit se nommer avec plus de justesse, vîtesse angulaire. (O)

Lettre circulaire, est une lettre adressée à plusieurs personnes qui ont intérêt dans une même affaire, comme pour une convocation d'assemblée, &c.


CIRCULATIONS. f. (Gram.) se dit en général de tout mouvement périodique ou non, qui ne se fait point en ligne droite : on dit que le sang circule, que l'espece circule, &c.

CIRCULATION DU SANG, (Physiol.) la circulation du sang est un mouvement naturel du sang dans un animal vivant, par lequel cette humeur est alternativement portée du coeur à toutes les parties du corps par les arteres, & rapportée de ces mêmes parties par les veines. Voyez SANG.

Le principal organe de cette fonction vitale est le coeur, qui est un muscle creux aux cavités duquel toutes les veines viennent aboutir, & toutes les arteres prennent leur naissance, & qui a en même tems une action de dilatation ou de diastole, & de contraction ou de sistole. Voyez COEUR, SISTOLE, ASTOLETOLE.

Or l'effet naturel de ce mouvement alternatif, c'est que le coeur reçoive & chasse le sang alternativement : le sang chassé du ventricule droit, doit être porté par l'artere pulmonaire qui en sort dans les poumons, d'où il doit être rapporté par les veines pulmonaires à l'oreillette gauche, & de-là au ventricule gauche : après y avoir été rapporté, il est poussé par la contraction de ce ventricule, dans l'aorte qui le distribue dans tout le reste du corps, d'où il est ramené ensuite dans l'oreillette droite par la veine-cave qui acheve la circulation. Voyez VAISSEAUX PULMONAIRES, VEINE-CAVE, RTEORTE.

On a attribué généralement la découverte de la circulation du sang à Harvey médecin anglois, & on en place l'invention en 1628. Il y a cependant des auteurs qui la lui disputent. Jansson d'Almeloveen, dans un traité des inventions nouvelles, imprimé en 1684, rapporte plusieurs endroits d'Hippocrate, pour justifier qu'il l'a connue. Walleus, epist. ad Barth. prétend qu'elle n'a pas été seulement connue d'Hippocrate, mais encore de Platon & d'Aristote. On dit encore que les médecins chinois l'enseignoient quatre cent ans avant qu'on en parlât en Europe. Il en est qui remontent jusqu'à Salomon, croyant en trouver des vestiges dans le chap. xij. de l'ecclésiast. Bernardin Genga, dans un traité d'Anat. en italien, rapporte des passages de Réaldus Columbus & d'André Césalpin, par lesquels il prétend montrer qu'ils admettoient la circulation long-tems avant Harvey. Il ajoûte que Fra-Paolo Sarpi, ce fameux vénitien, ayant exactement considéré la structure des valvules dans les veines, a inféré dans ces derniers tems la circulation, de leur construction & de plusieurs autres expériences. Voyez ARISTOTELISME, VALVULE, INEEINE.

Léoniceus ajoûte que Fra-Paolo n'osa point publier sa découverte de peur de l'inquisition, & qu'il communiqua seulement son secret à Aquapendente, qui après sa mort mit le livre qu'il en avoit composé dans la bibliotheque de S. Marc, où il fut longtems caché, & que Aquapendente découvrit ce secret à Harvey, qui étudioit sous lui à Padoue, lequel le publia étant de retour en Angleterre, pays de liberté, & s'en attribua la gloire : mais la plûpart de ces prétentions sont autant de fables. M. Georg. Ent a fait voir que le P. Paul reçut la premiere notion qu'il avoit de la circulation du sang, du livre que Harvey avoit fait sur ce sujet, lequel fut apporté à Venise par l'ambassadeur d'Angleterre en cette république, & montré par le même ambassadeur à Fra-Paolo ; que celui-ci en ayant fait quelques extraits qui parvinrent après sa mort entre les mains de ses héritiers, cela fit croire à plusieurs personnes que la découverte dont on trouvoit l'histoire dans ses papiers lui appartenoit. Voyez Douglas, bibliogr. anat. spec. p. 227. édit. 1734 ; & le traité du coeur, de M. Senac. Voyez ANATOMIE.

La circulation du sang se prouve par les observations suivantes. 1°. Si l'on ouvre une des grandes arteres d'un animal vivant, tout le sang s'en va bien-tôt, & avec beaucoup de force, par la blessure, comme on le voit aux boucheries, &c. il s'ensuit de-là que le sang a un passage de chaque partie du corps animal dans chaque artere ; & que si toute la masse du sang se meut dans cette occasion, il faut évidemment qu'elle se mût aussi auparavant.

2°. La grande quantité de sang que le coeur pousse dans les arteres à chaque pulsation ; puisque sans cela il faudroit supposer dans le corps de l'homme une beaucoup plus grande quantité de sang qu'aucune observation ou aucune expérience n'y en fait voir. Voyez SANG.

3°. Telle artere qu'on voudra étant liée avec un fil, s'enfle & bat entre la ligature & le coeur ; mais elle s'applatit & devient flasque entre la ligature & les extrémités du corps.

Si l'on coupe ensuite l'artere entre la ligature & le coeur, le sang s'en va jusqu'à la mort ; si on la coupe entre la ligature & les extrémités du corps, elle ne rend alors qu'une très-petite quantité de sang.

Le sang vital coule donc dans les arteres, & la direction de son cours est du coeur aux extrémités du corps : ce cours a lieu dans tous les points des corps internes ou externes, & il va toûjours de vaisseaux plus grands à de plus petits, du tronc aux branches. Voyez ARTERE.

Si on lie avec un fil une des grosses veines, elle s'enflera entre les extrémités du corps & la ligature, mais sans battre, & elle s'affaissera & deviendra flasque entre la ligature & le coeur : si on l'ouvre dans le premier endroit, elle donnera du sang jusqu'à la mort, & dans le second, à peine saignera-t-elle. Le sang coule donc vivement de chaque partie du corps dans cette veine, & la direction de son cours tend des extrémités du corps vers le coeur, des plus petits vaisseaux aux plus grands, des branches au tronc. Voyez VEINE.

De tout cela il suit évidemment que toutes les arteres du corps portent continuellement le sang du ventricule gauche du coeur par le tronc des arteres dans les branches, de ces mêmes arteres & par ces branches dans toutes les parties du corps intérieures ou extérieures ; & qu'au contraire toutes les veines, excepté la veine-porte, rapportent continuellement le sang des plus petites parties du corps dans les plus petites branches, pour passer ensuite dans de plus grandes, puis dans les troncs, puis dans la veine-cave, & ensuite par le sinus veineux ou le tronc de cette veine, qui finit à la cavité de l'oreillette droite, dans le coeur.

Lorsque le sang y est arrivé, voici comme sa circulation se continue.

Les oreillettes du coeur étant des muscles creux, garnis d'un double rang de fibres qui vont en sens contraire à deux tendons opposés, dont l'un est adhérent au ventricule droit & l'autre au sinus veineux, ainsi que d'un nombre infini de veines & d'arteres ; la force de contraction de ces oreillettes pousse & chasse vivement le sang dans le ventricule droit, qui est disposé à le recevoir, & se remplit. Voyez COEUR.

Or si le ventricule droit rempli en cette maniere de sang, est pressé de nouveau par la contraction de ses fibres, le sang faisant effort contre les parois élevera les valvules tricuspidales, qui sont tellement liées aux colonnes charnues, qu'elles permettent le passage du sang de l'oreillette au ventricule, & en empêchent le retour de ce ventricule à cette même oreillette : le sang les élevera donc vers l'oreillette droite, jusqu'à ce que s'y étant jointes elles ferment parfaitement le passage du sang, & empêchent qu'il ne revienne dans l'oreillette ; par conséquent le sang sera poussé dans l'artere pulmonaire, & pressera les valvules semi-lunaires qui sont placées à l'origine de cette artere, & les appliquera contre ses parois, ensorte qu'elles ne s'opposeront pas à son passage.

Ainsi le sang veineux, c'est-à-dire le sang de tout le corps, est porté du sinus ou du tronc de la veine-cave par l'oreillette droite dans le ventricule droit, d'où il est porté dans l'artere pulmonaire par un cours continuel, & dont il ne sauroit s'écarter.

Le sang porté par cette artere dans les poumons, & distribué dans ses branches dans toute l'étendue de leur substance, est d'abord reçû dans les extrémités de la veine pulmonaire, qui s'appelle artere veineuse, d'où passant dans quatre grands vaisseaux qui aboutissent à un même point, il est porté au sinus veineux gauche ou au tronc des veines pulmonaires, qui par sa structure musculeuse est capable de le chasser, & le chasse en effet dans le ventricule gauche, lequel se trouve alors relâché, & par conséquent disposé à le recevoir ; d'autant que les valvules mitrales situées entre le ventricule gauche & l'oreillette du même côté, laissent au sang un passage libre de l'oreillette au ventricule, & l'empêchent de refluer dans cette oreillette. Le sang poussé par le ventricule gauche passe donc de ce ventricule dans l'aorte, à l'orifice de laquelle se trouvent trois valvules sémi-lunaires, situées de façon que le sang ne puisse refluer de cette artere dans le ventricule.

Voilà comme se fait la circulation ; tout le sang est envoyé dans les poumons, & reçû ensuite dans le sinus veineux, l'oreillette gauche & le ventricule gauche, d'où il est ensuite poussé continuellement dans l'aorte, qui au moyen de ses ramifications le répand avec force dans toutes les parties du corps.

Ce mouvement est accompagné dans les animaux vivans des phénomenes ou circonstances suivantes. 1°. Les deux sinus veineux sont remplis & se gonflent en même tems l'un & l'autre : 2°. les deux oreillettes s'affaissent & se remplissent en même tems du sang que la force contractive du sinus veineux musculaire correspondant y pousse : 3°. chaque ventricule se contracte & se vuide de sang dans un même tems, & les deux grosses arteres se remplissent & se dilatent aussi en même tems : 4°. aussi-tôt que le sang a été chassé par cette contraction, les deux ventricules étant vuides, le coeur devient plus long & plus large, & par conséquent plus flasque & d'une plus grande capacité : 5°. les fibres musculaires des deux sinus veineux se remplissent alors, & expriment le sang qu'elles contiennent dans les ventricules du coeur : 6°. les sinus veineux se remplissent en même tems de nouveau comme ci-dessus, & les oreillettes reviennent en leur premier état : 7°. ces changemens alternatifs continuent jusqu'à ce que l'animal commence à languir à l'approche de la mort, tems auquel les oreillettes & le sinus veineux font plusieurs palpitations pour une contraction du ventricule. C'est ainsi que le sang dans son cours de chaque point tant interne qu'externe du corps, est poussé par chaque point du coeur & de ses oreillettes dans le ventricule droit, de-là dans les poumons, puis dans le ventricule gauche, & enfin dans toute l'étendue du corps, d'où il revient ensuite au coeur.

Quant à la maniere dont le sang passe des arteres dans les veines pour pouvoir revenir au coeur, il y a là-dessus deux sentimens.

Suivant le premier, les veines & les arteres sont supposées s'ouvrir les unes dans les autres, ou être continues au moyen d'anastomoses ou inosculations de leurs extrémités. Voyez ANASTOMOSE.

L'autre suppose que les dernieres arteres capillaires déposent le sang dans les pores de la substance de leur partie, où une portion s'employe à leur nourriture, & le reste est reçû dans les bouches des veines capillaires.

On doit reconnoître que le passage du sang des arteres capillaires dans les veines capillaires, se fait de l'une & l'autre de ces deux manieres : en effet on voit dans quelques-uns des grands vaisseaux des anastomoses dont on ne sauroit douter, par exemple, celle de l'artere de la rate avec la veine du même viscere ; ce qui a fait conclure à plusieurs auteurs que la même structure avoit lieu dans de plus petits vaisseaux, même dans les plus petits filets des extrémités du corps, où cependant l'oeil ne le découvre point.

La seconde opinion est fondée sur ce que si une portion du sang ne se perdoit pas dans la substance des parties, ces parties ne pourroient pas s'en nourrir ; car tant que le sang est dans les vaisseaux, il porte à la vérité de la chaleur dans les parties où ces vaisseaux passent, mais non la nourriture ; les vaisseaux eux-mêmes ne tirant pas leur nourriture du sang qui passe dans leur cavité, mais des vaisseaux qui composent leur propre substance.

Leuwenoeck sembloit avoir mis cette opinion hors de doute au moyen de ses microscopes, qui lui ont découvert des inosculations ou des continuations des extrémités des veines & des arteres dans les poissons, dans les grenouilles, &c. mais il y a des auteurs qui doutent toûjours qu'il y ait une pareille inosculation entre les extrémités des veines & des arteres du corps humain, & de ceux des quadrupedes ; les animaux où on l'a jusqu'ici observée étant ou des poissons ou des animaux amphibies, qui n'ont qu'un ventricule dans le coeur, & dont le sang est froid ; à quoi il faut ajoûter que dans cette espece d'animaux le sang ne peut circuler avec la même rapidité que dans ceux qui ont deux ventricules.

Cette différence dans les organes de la circulation a donné occasion à M. Cowper de faire des expériences sur d'autres animaux, dont les parties ont la même structure que celles de l'homme : il a vû dans l'omentum d'un chat le sang se mouvoir vivement à-travers les inosculations, & il a trouvé la même chose dans l'omentum, & mieux encore dans le mesentere d'un chien. Il ajoûte que la diminution des diametres des extrémités des vaisseaux ne suit pas les mêmes proportions dans différens animaux.

Il a souvent observé dans la queue d'un tétard, entre les veines & les arteres, plusieurs communications, à-travers chacune desquelles deux globules pouvoient passer de front. Dans de jeunes poissons, & en particulier dans les petites anguilles, la branche communicante est si petite, qu'un globule de sang y peut à peine passer en une seconde de tems.

Il resteroit ici bien des questions à examiner sur les valvules des veines, la distribution des vaisseaux lymphatiques, la vîtesse du sang, sa circulation dans le foie & dans quelques autres visceres ; mais nous renvoyons tout cela aux mots VEINE, ARTERE, SANG, FOIE, &c.

Les parties qui servent à la circulation ne sont pas tout-à-fait les mêmes dans le foetus que celles que nous venons de décrire ; la cloison qui sépare les deux oreillettes du coeur est percée d'un trou qu'on appelle le trou ovale ; le tronc de l'artere pulmonaire, peu après qu'elle est sortie du coeur, jette dans l'aorte descendante un canal que l'on appelle canal de communication ; le foetus étant né, le trou ovale se ferme peu-à-peu, & le canal de communication se desseche, & devient un simple ligament. Voyez TROU OVALE, &c.

Ce méchanisme une fois connu, il est aisé d'en appercevoir les usages ; car tandis que le foetus est enfermé dans le sein de sa mere, ses poumons ne peuvent s'enfler & se desenfler comme ils feront après sa naissance, & après l'entrée libre de l'air : ils demeurent donc presque affaissés & sans mouvement ; car leurs vaisseaux sont comme repliés en eux-mêmes, & ne permettent pas que le sang y circule ni en abondance ni avec facilité. La nature a donc dû épargner aux poumons le passage de la plus grande partie de la masse du sang : pour cela elle a percé le trou ovale, afin qu'une partie du sang de la veine-cave reçû dans l'oreillette droite, passât dans l'oreillette gauche, & par-là se trouvât, pour ainsi dire, aussi avancée que si elle avoit traversé le poumon.

Ce n'est pas tout : car le sang de la veine-cave qui de l'oreillette droite tombe dans le ventricule droit, étant en trop grande quantité pour aller dans le poumon où il est poussé par l'artere pulmonaire, le canal de communication en intercepte une partie en chemin, & le verse immédiatement dans l'aorte descendante. Voyez FOETUS, &c.

Tel est le sentiment de Harvey & de Lower, & de plusieurs autres Anatomistes : mais M. Mery, de l'académie royale des Sciences, y a fait une innovation.

Il donne un autre usage au trou ovale, & il soûtient que de toute la masse du sang qui est portée par la veine-cave au ventricule droit, une partie passe comme dans les adultes dans l'artere pulmonaire, d'où une partie est ensuite portée par le canal de communication dans l'aorte descendante, sans circuler par le poumon, & la partie qui traverse le poumon revient ensuite dans l'oreillette gauche, se partage encore en deux, dont l'une passe par le trou ovale dans le ventricule droit, sans avoir circulé par l'aorte & par tout le corps ; l'autre est poussée à l'ordinaire par la contraction du ventricule gauche dans l'aorte, & dans tout le corps du foetus.

Toute la question se réduit donc à savoir si le sang qui passe par le trou ovale, passe du côté droit du coeur dans le gauche, selon l'opinion commune, ou du gauche dans le droit, selon M. Mery.

M. Duverney s'étoit déclaré pour l'ancien système ; il soûtenoit qu'au trou ovale il y avoit une valvule disposée de façon à s'ouvrir lorsque le sang est chassé dans le ventricule droit, & à se fermer exactement lorsqu'il est poussé dans le gauche : mais M. Mery nie l'existence d'une pareille valvule.

De plus, dans l'adulte l'aorte devant recevoir tout le sang de la veine pulmonaire, se trouve de même grosseur que celle-ci ; mais dans le foetus l'artere pulmonaire & l'aorte recevoient des quantités inégales de sang dans les deux systèmes.

Selon l'opinion ordinaire, l'aorte qui reçoit plus de sang que la pulmonaire, devroit être la plus grosse des deux, suivant le sentiment de M. Mery, l'aorte pulmonaire doit être au contraire la plus grande des deux, parce qu'il pense qu'elle doit recevoir une plus grande quantité de sang.

Pour juger lequel des deux systèmes est le vrai, il n'y a donc qu'à voir lequel de ces deux vaisseaux, l'aorte ou l'artere pulmonaire, a le plus de capacité dans le foetus.

M. Mery trouva toûjours que le tronc de l'artere pulmonaire étoit environ moitié plus gros que celui de l'aorte.

Et d'un autre côté M. Tauvry, éleve de M. Duverney, fit voir deux sujets dans lesquels l'artere pulmonaire étoit moindre que l'aorte, & les faits furent examinés des deux côtés par l'Académie.

M. Tauvry ajoûte que quoique l'artere pulmonaire soit plus grosse que l'aorte, cela ne prouve pas néanmoins qu'il passe plus de sang dans la premiere que dans la seconde de ces arteres, puisqu'on peut attribuer cette structure à la pression du sang qui est plus forte vers les poumons, qu'il a de la peine à pénétrer, & qui par cette raison distend les parois de cette artere, & l'élargit très-facilement.

M. Littre en disséquant un adulte dans lequel le trou ovale étoit toûjours ouvert, & mesurant les capacités des vaisseaux de chaque côté, se déclara pour M. Mery. Ainsi la question est fort indécise.

Quant à la cause de la circulation du sang dans le foetus, les Anatomistes sont encore divisés là-dessus. L'opinion commune est que pendant la grossesse les arteres de la matrice versent leur sang dans le placenta, qui s'en nourrit ; le surplus de ce sang entre dans les racines de la veine ombilicale, qui fait partie du cordon ; de-là il est porté au foie du foetus dans le tronc de la veine-porte, d'où il passe dans la veine-cave & dans le ventricule droit du coeur, & se distribue comme ci-dessus. De plus, le sang qui sort des arteres iliaques du foetus entre dans le cordon par les arteres ombilicales, de-là dans le placenta, où il est repris par les veines de la matrice qui le reportent à la mere, & peut-être aussi par les racines de la veine ombilicale, qui le remêlent avec de nouveau sang de la mere. Selon ce système, c'est uniquement le sang de la mere qui nourrit le foetus, qui n'est ici regardé que comme un membre particulier de la mere : le battement de son coeur lui envoye une portion de son sang, qui conserve le degré d'impulsion qu'il faut pour entretenir cette circulation languissante dont le foetus joüit, & qui lui donne probablement cette foible pulsation qu'on observe dans le coeur.

D'autres Anatomistes prétendent que le foetus ne se nourrit que du chyle qui lui est fourni par les glandes de la matrice, qui est encore plus travaillé, se change en sang dans les vaisseaux du foetus, & y circule sans autre communication avec la mere ; ils n'admettent de circulation réciproque qu'entre le placenta & le foetus.

Mais la premiere opinion paroît la plus plausible ; car quand le placenta se détache de la matrice, en quelque tems que ce soit de la grossesse, il ne sort que du sang, & jamais de chyle. Outre que M. Mery a montré que la matrice n'a point du tout de glandes pour en fournir, deux autres observations de M. Mery, rapportées au même endroit, appuient encore le système commun. La surface intérieure de la matrice est revêtue de veines ; d'ailleurs la surface externe du placenta n'est revêtue d'aucune membrane ; & comme c'est par ces deux surfaces que le placenta & la matrice sont en quelque sorte collés ensemble, il paroît qu'elles ne sont sans membranes que pour une communication immédiate des vaisseaux sanguins.

Ajoûtez à cela un fait dont M. Mery a été témoin oculaire. Une femme grosse qui touchoit à son terme, se tue d'une chûte très-rude presque sur le champ. On lui trouve sept à huit pintes de sang dans la cavité du ventre, & tous les vaisseaux sanguins entierement épuisés. Son enfant étoit mort, mais sans aucune apparence de blessure, & tous ses vaisseaux étoient vuides de sang aussi bien que ceux de la mere. Le corps du placenta étoit encore attaché à toute la surface intérieure de la matrice, où il n'y avoit aucun sang extravasé. Par quelle route tout le sang de l'enfant pouvoit-il s'être vuidé dans la cavité du ventre de la mere ? Il falloit nécessairement que ce fût par les veines de la matrice, & par conséquent ces veines rapportent à la mere le sang de l'enfant ; ce qui seul établit la nécessité de tout le reste du système commun. Si la circulation ne se faisoit que du foetus au placenta, & non pas aussi à la mere, l'enfant mort auroit eu tout son sang.

De plus, le sang des poumons du foetus ne joüit d'aucun des avantages de l'air ou de la respiration ; ce qui lui étant cependant nécessaire, la nature prend sans-doute soin qu'il en reçoive quelques portions mêlées avec tout le sang de sa mere, lesquelles lui sont transmises par les vaisseaux ombilicaux pour se répandre dans son corps.

Ce qui confirme cette conjecture, c'est que si le cordon ombilical est trop serré, l'enfant meurt comme un homme étranglé ; ce qu'il paroît qu'on ne peut attribuer à d'autres causes qu'à la privation de l'air ; joignant sur-tout à cela qu'aussi-tôt que la mere cesse de respirer, le foetus expire.

Quant à la vîtesse du sang qui circule, & au tems que demande une circulation, on a fait là-dessus plusieurs calculs. Selon le docteur Keill, le sang est chassé du coeur avec une vîtesse capable de lui faire parcourir cinquante-deux piés par minute ; mais cette vîtesse est toûjours diminuée à-travers toutes les nombreuses divisions ou branches des arteres, de façon qu'elle l'est infiniment avant que le sang arrive aux extrémités du corps. Le même auteur, d'après un rapport qu'il calcule des branches des arteres à leur tronc, prétend que la plus grande vîtesse du sang est à la plus petite dans une proportion plus grande que 10000, 00000, 00000, 00000, 00000, 00000, 00000, 00000, à 1.

L'espace de tems dans lequel toute la masse du sang fait ordinairement sa circulation, se détermine de différentes manieres. Quelquefois des auteurs modernes s'y prennent pour cela de cette sorte ; ils supposent que le coeur fasse 2000 pulsations par heure, & qu'à chaque pulsation il chasse une once de sang, comme la masse totale du sang n'est pas ordinairement estimée à plus de vingt-quatre livres, ils en concluent qu'il fait sept à huit circulations par heure. Voyez SANG. Voyez le traité du coeur, de M. Senac, où tous les calculs sont analysés & appréciés.

On doit consulter le même traité, pour prendre une idée de la nécessité & des usages de la circulation pour la vie, de ceux que sa connoissance nous fournit pour le diagnostic & le traitement des maladies, & de l'avantage qu'elle donne aux Médecins modernes sur les anciens. (L)

Nous nous contenterons d'ajoûter ici, que personne n'a encore mieux décrit & mieux prouvé la circulation que Harvey lui-même ; son traité est un chef-d'oeuvre. Il ne faut cependant point oublier qu'on tire un argument invincible en faveur de la circulation, de ce qu'on a dit depuis Harvey, sur la transfusion, voyez TRANSFUSION & INJECTION, & les mots POULS & INFLAMMATION, où bien des questions qui ont un rapport singulier avec la circulation, sont examinées. Nous n'avons prétendu en faire ici qu'une exposition simple, qui peut suffire à ceux qui n'en ont point d'idée ; les questions qu'on peut proposer à l'égard de cette fonction, tiennent à toute la Médecine, qu'il auroit fallu parcourir dans toutes ses parties pour les examiner ; ce qui nous auroit mené trop loin.

CIRCULATION, se dit en parlant de la seve. Voyez SEVE & VEGETATION.

CIRCULATION, (Chimie) La circulation est une opération chimique qui consiste à appliquer un feu convenable à des matieres enfermées dans des vaisseaux disposés de façon que les vapeurs qui s'élevent de la matiere traitée, soient continuellement condensées, & reportées sur la masse d'où elles ont été détachées.

Les vaisseaux destinés à cette opération sont les cucurbites & les matras de rencontre, les jumeaux & le pélican. Voyez ces articles particuliers.

Les usages de la circulation sont les mêmes que ceux de la digestion, dont la circulation n'est proprement qu'un degré, voyez DIGESTION ; & sa théorie est la même que celle de la distillation. Voyez DISTILLATION. (b)

CIRCULATION, en Géometrie. Le P. Guldin, jésuite, appelle voie de circulation la ligne droite ou courbe que décrit le centre de gravité d'une ligne ou d'une surface, qui par son mouvement produit une surface ou un solide. Voyez à l'article CENTROBARIQUE l'usage de la voie de circulation, pour déterminer les surfaces & les solides, tant curvilignes que rectilignes. Cette méthode fort ingénieuse en elle-même, n'est presque plus d'usage depuis la découverte du calcul intégral, qui fournit des méthodes plus aisées pour résoudre tous les problèmes de cette espece. Voyez CENTRE DE GRAVITE. (O)


CIRCULATOIRE(Chim.) est le vaisseau où on met le fluide auquel on veut faire souffrir l'opération de la circulation. Voyez CIRCULATION. Il y a deux especes de circulatoires, savoir le pélican & les jumeaux, qui sont deux vaisseaux qui n'ont chacun qu'une ouverture, par laquelle ils se communiquent. Des vaisseaux de rencontre sont circulatoires : des vaisseaux de rencontre sont par exemple deux matras, dans l'un desquels est la liqueur qu'on veut faire circuler, & l'autre matras est renversé, de façon que son bec entre dans celui d'em-bas, qui est posé dans le bain de sable. Voyez PELICAN. (M)


CIRCULERv. n. se dit proprement du mouvement d'un corps ou d'un point qui décrit un cercle ; mais on a appliqué ce mot au mouvement des corps qui décrivent des courbes non circulaires ; par exemple au mouvement des planetes, qui ne décrivent point autour du soleil des cercles, mais des ellipses. Voyez PLANETE. On l'a appliqué aussi au mouvement du sang, par lequel ce fluide est porté du coeur aux arteres, & revient au coeur par les veines. Voyez CIRCULATION & CIRCULER (Chimie). En général ce mot circuler peut s'appliquer par analogie au mouvement d'un corps, qui sans sortir d'un certain espace, fait dans cet espace un chemin quelconque, en revenant de tems en tems au même point d'où il est parti. (O)

CIRCULER, (Chimie) verbe actif. Il se dit en Chimie, du mouvement des vapeurs d'une matiere tenue sur un feu doux, & enfermée dans des vaisseaux fermés, desorte que les vapeurs qui s'élevent soient obligées d'y revenir, ne trouvant point d'issue ; & le feu continuant d'agir, de s'élever de nouveau, & de revenir encore, & ainsi de suite. Voyez CIRCULATION & CIRCULATOIRE, (Chimie).


CIRCUM-INCESSIONS. f. terme de Théologie, par lequel les scholastiques expriment l'existence intime & mutuelle des personnes divines, l'une en l'autre, dans le mystere de la Trinité. Voyez PERSONNE.

Les Théologiens de l'église latine ne sont pas les premiers inventeurs de cette expression, S. Jean Damascene qui vivoit dans le viij. siecle s'étant servi du mot , qui signifie précisément la même chose, pour expliquer ces paroles, ego in patre, & pater in me est. Joann. c. xjv.

Cette circum-incession des personnes divines vient de l'unité de leur nature, qui a fait dire à Jesus-Christ : Ego & pater unum summus. Quelques théologiens distinguent deux sortes de circum-incessions, l'une parfaite, & l'autre imparfaite. La premiere est celle par laquelle deux choses existent inséparablement, de telle maniere que l'une n'est nulle part hors de l'autre. La seconde est celle où de ces deux choses co-existentes, l'une a cependant une existence plus étendue que l'autre. Telle est la circum-incession que quelques Peres & Théologiens admettent entre la nature divine & la nature humaine dans Jesus-Christ. Wuitass. de Trinit. part. II. quaest. viij. art. jv. (G)


CIRCUMAMBIANTadj. (Physique) est la même chose qu'environnant : c'est une épithete (peu en usage) qui se dit d'une chose qui en entoure une autre. Voyez AMBIANT.

Nous disons l'air ambiant ou circumambiant. Voyez AIR, ATMOSPHERE, &c.

Ce mot est formé des mots latins ambio, j'entoure, & circum, autour. (O)


CIRES. f. (Hist. nat.) matiere tirée des végétaux, & élaborée dans le corps d'un animal. Les abeilles transforment en cire les poussieres des étamines des plantes ; car les pelotes qu'elles forment avec cette poussiere, & qu'elles rapportent dans la ruche, comme il a été dit à l'article de l'ABEILLE, & que l'on appelle de la cire brute, n'est pas de la vraie cire ; elle ne se ramollit ni ne se fond lorsqu'elle est échauffée ; elle tombe au fonds de l'eau, au lieu de surnager, &c. Il faut, pour que cette matiere devienne de la vraie cire, que les abeilles la mâchent, l'avalent, & la digerent. On a vû à l'article ABEILLE, que ces insectes ont une bouche, des dents, une langue, & un estomac, c'est-à-dire des organes propres à toutes ces opérations. Lorsqu'une abeille arrive à la ruche avec des pelotes de cire brute, elle la mange quelquefois avant que d'entrer, mais pour l'ordinaire elle va sur les gâteaux en battant des aîles. Alors trois ou quatre autres abeilles viennent auprès de celle qui arrive, & mangent les pelotes dont elle est chargée. On prétend les avoir vûes distinctement mâcher & avaler ; mais ce qui est encore plus certain, c'est qu'on a trouvé dans leur estomac & leurs intestins, de la cire brute bien reconnoissable par les grains de la poussiere des étamines dont elle est composée. Lorsque les abeilles apportent plus de cire brute qu'elles n'en peuvent manger, alors elles la déposent dans des alvéoles, où il n'y a ni ver ni miel ; & dès qu'un de ces insectes y a fait tomber les deux pelotes dont il étoit chargé, il en vient un autre qui les étend dans l'alvéole, & quelquefois c'est le même qui les a apportées. Non-seulement ils les rangent, mais encore ils les pétrissent, & les imbibent d'une liqueur qui paroît être du miel, parce qu'après cette opération la cire brute en a le goût ; c'est peut-être ce qui la conserve sans altération. On trouve dans les ruches des parties de gâteaux assez grandes, dont les cellules sont toutes remplies de cire brute. Il y en a aussi qui sont dispersées ou placées entre d'autres cellules, qui contiennent du miel ou des vers. Enfin les abeilles mangent la cire brute lorsqu'elles l'ont apportée dans la ruche, ou elles la déposent dans des alvéoles pour la manger dans un autre tems ; mais on croit qu'il faut qu'elles la digerent pour la convertir en vraie cire ; qu'une partie sert à la nourriture de l'insecte, qu'une autre sort par l'anus en forme d'excrémens, & que le reste revient par la bouche, & est employé à la construction des alvéoles, voyez ALVEOLE. On a vû une liqueur mousseuse, ou une espece de bouillie, sortir de la bouche dans le tems que l'abeille travaille à faire une cellule ; cette pâte se seche dans un instant ; c'est de la vraie cire. On prétend que les abeilles ne peuvent plus employer la cire dès qu'elle est entierement seche. Ainsi lorsqu'on leur en présente auprès de leur ruche, elles ne s'en chargent pas, mais elles recherchent tout le miel qui peut y être mêlé ; elles hachent quelquefois la cire par morceaux, & ne l'abandonnent que lorsqu'elles en ont enlevé tout le miel ; & s'il n'y en avoit point, elles ne toucheroient pas à la cire. Lorsqu'on fait passer des abeilles dans une nouvelle ruche entierement vuide, & qu'on les y renferme au commencement du jour, avant qu'elles ayent pû ramasser de la cire brute, on trouve le soir des gâteaux de cire dans la nouvelle ruche. Il y a tout lieu de croire que la cire dont ces gâteaux sont formés, est venue de la bouche de ces insectes, en supposant qu'ils n'ont point apporté de cire brute attachée à leurs jambes. Cette matiere éprouve des changemens dans l'estomac, puisque la cire des alvéoles est blanche, quoique les pelotes de cire brute que les abeilles apportent dans la ruche soient de différentes couleurs, blanches, jaunes, orangées, rougeâtres, vertes. Les alvéoles nouvellement faits sont blancs, & ils jaunissent avec le tems & par différentes causes. Mais lorsqu'ils sont nouveaux, la teinte est à peu-près la même dans toutes les ruches ; s'il s'en trouve de jaunâtre, on peut croire que cette couleur vient d'une mauvaise digestion de la cire brute, que l'on a attribuée à un vice héréditaire que toutes les abeilles d'une ruche tiennent de leur mere commune. Ce qu'il y a de certain, c'est que toutes les cires ne sont pas également propres à recevoir un beau blanc dans nos blanchisseries. Mém. pour servir à l'histoire des insectes, tom. V. (I)

CIRE, (Hist. anc. & mod.) Les hommes détruisent les cellules pour avoir la cire qui les forme, & l'on ne sauroit dire à combien d'usages ils l'ont employée de tout tems. Autrefois on s'en servoit comme d'un moule pour écrire, invention qu'on attribue aux Grecs. Pour cet effet, on faisoit de petites planches de bois à-peu-près comme les feuillets de nos tablettes, dont les extrémités tout-à-l'entour étoient revêtues d'un bord plus élevé que le reste, afin que la cire ne pût pas s'écouler. On répandoit ensuite sur ces tablettes de la cire fondue, on l'applanissoit, on l'égalisoit, & l'on écrivoit sur cette cire avec un poinçon. C'est pourquoi Plaute dit, dum scribo explevi totas ceras quatuor. Les testamens même s'écrivoient sur de la cire ainsi préparée. De-là vient qu'on leur donnoit aussi le simple nom de cera, cire. V. Suetone dans la vie de César, chap. lxxxiij. & dans la vie de Néron, chap. xvij. On se servoit encore de la cire pour cacheter des lettres, & empêcher qu'elles ne fussent lûes ; c'est ce qui paroît par ce joli vers d'Ovide, lib. I. amor.

Caetera fert blanda cera notata manu.

L'on donnoit à cette cire à cacheter toutes sortes de couleurs. Voyez Hein. de sigill. veter. pag. 1. cap. vj.

Aujourd'hui les particuliers se servent de lacque, voyez CIRE A CACHETER ; mais les princes, les magistrats, les grands seigneurs, & tous ceux qui ont droit de sceller, font encore usage de la cire d'abeille pour imprimer leurs sceaux, & les attacher aux ordonnances & arrêts qu'ils publient, comme aussi à toutes les patentes & expéditions en chancellerie, que l'on scelle de cire jaune, rouge, verte, dont la consommation à cet égard est très-considérable. Voyez CIRE, Jurisprud. CHAUFFE-CIRE, &c.

La cire a autrefois aussi servi dans la Peinture, en lui donnant telle couleur que l'on vouloit, & on en faisoit des portraits qu'on endurcissoit par le moyen du feu ; mais il n'y avoit chez les Romains que ceux qui avoient exercé des magistratures curules qui eussent le droit des images. Seneque nomme ces sortes de Peintures cereas apellineas. Plus les grands pouvoient étaler de tels portraits dans leur vestibule, & plus ils étoient nobles. De-là vient que les poëtes se moquent de cette noblesse empruntée.

Nec te decipiant veteri cincta atria cerâ,

dit Ovide, lib. I. amor. eleg. VIII. 65. Et Juvenal encore mieux :

Tota licet veteres exornent undique cerae

Atria : nobilitas sola est atque unica virtus.

Satyr. VIII. 19.

Cet art a été poussé fort loin de nos jours. Tout le monde connoît le nom du sieur Benoît, & l'invention ingénieuse de ces cercles composés de personnages de cire, qui ont fait si long-tems l'admiration de la cour & de la ville. Cet homme, peintre de profession, trouva le secret de former sur le visage des personnes vivantes, même les plus belles & les plus délicates, & sans aucun risque ni pour la santé, ni pour la beauté, des moules dans lesquels il fondoit des masques de cire auxquels il donnoit une espece de vie, par des couleurs & des yeux d'émail, imités d'après le naturel. Ces figures revêtues d'habits conformes à la qualité des personnes qu'elles représentoient, étoient si ressemblantes, que les yeux leur croyoient quelquefois de la vie ; mais les figures anatomiques faites en cire par le même Benoît, peuvent encore moins s'oublier que la beauté de ses portraits.

Les modernes ont tellement multiplié les usages de la cire, qu'il seroit difficile de les détailler.

Ils commencent avant toutes choses pour s'en servir, à la séparer du miel par expression, à la purifier, à la mettre en pains que vendent les droguistes. Elle est alors assez solide, un peu glutineuse au toucher, & de belle couleur jaune, qu'elle perd un peu en vieillissant.

Pour la blanchir, on la purifie de nouveau en la fondant, on la lave, on l'expose à l'air & à la rosée : par ces moyens elle acquiert la blancheur, devient plus dure, plus cassante, & perd presque toute son odeur. Sa fonderie & son blanchissage requierent beaucoup d'art ; les Vénitiens ont apporté cet art en France. Voyez BLANCHIR.

On demande dans le Ménagiana (tom. III. p. 120.) pourquoi les cires de Château-Gontier ne blanchissent point du tout. C'est parce que le fait n'est pas vrai. On propose en Physique cent questions de cette nature. Le blanchiment de Château-Gontier est précisément le premier de tous, & les cires de ce blanchiment sont en conséquence choisies pour les plus beaux ouvrages. Il en faut croire Pomet & Savary

En fondant la cire blanche avec un peu de térébenthine, on en fait la cire jaune molle, qu'on employe en chancellerie. On la rougit avec du vermillon ou la racine d'orcanette ; on la verdit avec du verd-de-gris ; on la noircit avec du noir de fumée : ainsi on la colore comme on veut, & on la rend propre à gommer avec de la poix grasse.

Il est certain que cette substance visqueuse réunit diverses qualités qui lui sont particulieres. Elle n'a rien de desagréable ni à l'odorat, ni au goût ; le froid la rend dure & presque fragile, & le chaud l'amollit & la dissout : elle est entierement inflammable, & devient presque aussi volatile que le camfre par les procédés chimiques. Voyez CIRE en Chimie, Pharmacie, Matiere médicale.

Elle est devenue d'une si grande nécessité dans plusieurs arts, dans plusieurs métiers, & dans la vie domestique, que le débit qui s'en fait est presque incroyable ; sur-tout aujourd'hui qu'elle n'est plus uniquement réservée pour l'autel & pour le Louvre, & que tout le monde s'éclaire avec des bougies, l'Europe ne fournit point assez de cire pour le besoin qu'on en a. Nous en tirons de Barbarie, de Smyrne, de Constantinople, d'Alexandrie, & de plusieurs îles de l'Archipel, particulierement de Candie, de Chio & de Samos ; & l'on peut évaluer dans ce seul royaume la consommation de cette cire étrangere, à près de dix mille quintaux par année.

Aussi le luxe augmentant tous les jours en France la grande consommation de la cire des abeilles, quelques particuliers ont proposé d'employer pour les cierges & les bougies, une cire végétale de Mississipi que le hasard a fait découvrir, & dont on a la relation dans les mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1722. & 1725. Voici ce que c'est.

De la cire de la Loüisiane. Dans tous les endroits tempérés de l'Amérique septentrionale, comme dans la Floride, à la Caroline, à la Loüisiane, &c. il y a un petit arbrisseau qui croît à la hauteur de nos cerisiers, qui a le port du myrthe, & dont les feuilles ont aussi à-peu-près la même odeur. Ces arbres portent des graines de la grosseur d'un petit grain de coriandre dans leur parfaite maturité, vertes au commencement, ensuite d'un gris cendré ; ces graines renferment dans leur milieu un petit noyau osseux, assez rond, couvert d'une peau verte chagrinée, & qui contient une semence. Ce noyau est enveloppé d'une substance visqueuse, qui remplit tout le reste de la graine ou fruit : c'est-là la cire dont il s'agit. Cette cire est luisante, seche, friable, disposée en écaille sur la peau du noyau.

Il est très-aisé d'avoir cette cire : il n'y a qu'à faire bouillir des graines dans une quantité suffisante d'eau, & les écraser grossierement contre les parois du vaisseau pendant qu'elles sont sur le feu ; la cire se détache des graines qui la renfermoient, & vient nager sur la superficie de l'eau. On la ramasse avec une cuillere, on la nettoye en la passant par un linge, & on la fait fondre de nouveau pour la mettre en pain.

Plusieurs personnes de la Loüisiane ont appris par des esclaves sauvages de la Caroline, qu'on n'y brûloit point d'autre bougie que celle qui se fait de cette cire. Dans les pays fort chauds où de la chandelle de suif se fondroit par la trop grande chaleur, il est sans comparaison plus commode d'avoir de la bougie ; & celle-là seroit à bon marché, & toute portée dans les climats de l'Amérique qui en auroient besoin.

Un arbrisseau bien chargé de fruit, peut avoir en six livres de graine & une livre de fruit, un quart de livre de cire. Il est difficile de déterminer au juste combien un homme pourroit ramasser de graines en un jour ; parce que ces arbres qui croissent sans culture sans art, sont répandus çà & là, tantôt plus, tantôt moins écartés les uns des autres, selon que différens hasards les ont semés : cependant l'on juge à-peu-près qu'un homme ramasseroit aisément en un jour seize livres de graines, ce qui donneroit quatre livres de cire. Cette grande facilité, qui deviendroit beaucoup plus grande par des plantations régulieres de ces arbres, & le peu de fraix qu'il faut pour tirer la cire, seroit fort à considérer si cette matiere devenoit un objet de commerce.

La cire qui se détache par les premieres ébullitions est jaune, comme celle qui vient de nos abeilles ; mais les dernieres ébullitions la donnent verte, parce qu'alors elle prend la teinture de la peau dont le noyau est couvert. Toute cette cire est plus seche & plus friable que la nôtre. Elle a une odeur douce & aromatique assez agréable.

Nous avons vû à Paris des bougies vertes de cette cire, que le ministre avoit reçues du Mississipi, & qui étoient fort bonnes. Le tems nous apprendra si l'on regarde la matiere de ces bougies comme un objet assez considérable de commerce, pour nous dispenser de tirer des cires des pays étrangers, autant que nous le faisons pour notre consommation de cierges & de bougies.

De la cire des îles Antilles. On trouve aux îles Antilles dans des troncs d'arbres une cire assez singuliere, formée en morceaux ronds ou ovales de la grosseur d'une noix muscade. Cette cire est l'ouvrage d'abeilles plus petites, plus noires & plus rondes que celles de l'Europe. Elles se retirent dans le creux des vieux arbres, où elles se fabriquent des especes de ruches de la figure d'une poire, dans le dedans desquelles elles portent toûjours un miel liquide de couleur citrine, de la consistance de l'huile d'olive, d'un goût doux & agréable. Leur cire est noire, ou du moins d'un violet foncé. Nous n'avons pas pû parvenir au secret de la blanchir, de la faire changer de couleur, ni de la rendre propre à la fabrique des bougies, parce qu'elle est trop molle. Les Indiens après l'avoir purifiée, s'en servent à en faire des bouchons de bouteilles : ils en font aussi de petits vaisseaux dans lesquels ils recueillent le baume de Tolu, quand il découle par incision des arbres qui le répandent.

De la cire de la Chine. La cire blanche de la Chine est différente de toutes celles que nous connoissons, non-seulement par sa blancheur que le tems n'altere point, mais encore par sa texture : on diroit qu'elle est composée de petites pieces écailleuses, semblables à celles du blanc de baleine, que nous ne saurions mettre en pains aussi fermes que les pains de cire de la Chine. Autre singularité de la cire blanche de la Chine ; c'est qu'elle n'est point l'ouvrage des abeilles : elle vient par artifice de petits vers que l'on trouve sur un arbre dans une province de cet empire. Ils se nourrissent sur cet arbre ; on les y ramasse, on les fait bouillir dans de l'eau, & ils forment une espece de graisse, qui étant figée, est la cire blanche de la Chine, sur laquelle il nous manque bien des détails. Art. de M(D.J.)

CIRE, (Chimie, Pharm. & Mat. médic.) La premiere considération chimique sur la cire, c'est la théorie de son blanchissage, fondée sur la solubilité par la rosée ou par l'eau, de la partie colorante qui peut être aussi détruite ou volatilisée par les rayons du soleil & par l'air.

La cire distillée sans intermede, se résout en une matiere huileuse qui se fige à mesure qu'elle tombe dans le récipient, & qui est connue sous le nom de beurre de cire, & en un acide assez fort : ces produits ont une odeur très-forte & très-desagréable. Le beurre perd une partie de cette odeur & sa consistance, par des rectifications réitérées qui le portent enfin à l'état de fluidité des huiles ordinaires ; on sépare de ce beurre par chaque rectification, une petite portion d'acide ; d'où l'on peut conclure que c'est à la présence de ce principe que le beurre de cire doit sa consistance. La cire blanche distillée sans intermede, ne laisse presque point de résidu ; c'est le charbon de la matiere qui colore la cire jaune, qui augmente le résidu de la distillation de cette derniere.

On peut déduire assez raisonnablement de cette observation seule, que la cire est un composé d'huile & d'acide ; ce qui la fait rapporter par quelques chimistes, à la classe des matieres balsamiques & résineuses, dont elle differe pourtant par son insolubilité dans l'esprit de vin, & par l'odeur de ses produits.

La cire distillée avec le sable ou avec tout autre intermede terreux, présente des phénomenes bien différens de ceux de la distillation sans intermede de la même substance. Cette différence a été peu observée par les Chimistes, qui n'ont décrit la plûpart que l'un ou l'autre de ces procédés. Lémeri, qui fait mention des deux, ne l'a pas apperçûe entierement. En un mot, la théorie de la distillation de la cire & des différences que les intermedes & quelques autres circonstances absolument indéterminées jusqu'à présent portent dans les produits de cette opération ; cette théorie, dis-je, n'a pas été donnée jusqu'à présent. Voyez INTERMEDE.

Le beurre & l'huile de la cire sont employés extérieurement avec succès pour les engelures, les crevasses & les gersures du sein, des levres, des mains, pour les dartres vives, & sur-tout pour les brûlures.

Les usages pharmaceutiques de la cire sont très-étendus ; elle entre dans la plûpart des onguens & des emplâtres, dans quelques baumes : c'est la cire qui fait la base des cérats, qui sont des préparations auxquelles elle donne son nom. Voyez CERAT. (b)

* CIRE A CACHETER. Il faudra se pourvoir d'abord d'une plaque de marbre, avec une planche bien lisse, ou polissoire de ciergier ; ou plûtôt d'une table quarrée, percée dans son milieu d'une ouverture : on couvrira l'ouverture d'une plaque de fer ou de cuivre bien unie : on tiendra sous cette plaque du feu allumé ; & quand la plaque aura pris une chaleur convenable, on l'arrosera avec de l'huile d'olive, on y portera la matiere de la cire à cacheter toute préparée, ensorte qu'il n'y ait plus qu'à la mettre en bâtons bien égaux & bien unis, soit ronds, soit applatis : ce qu'on exécutera en la roulant avec la polissoire ou les mains contre la plaque chaude, jusqu'à ce qu'on l'ait étendu & réduite à la grosseur qu'on veut lui donner. Plus on la travaillera sur la plaque, plus on la rendra compacte, & meilleure elle sera. On rendra les bâtons ou canons de cire luisans, en les exposant à un feu modéré sur un réchaud. Il y en a qui jettent la composition dans des moules, d'où les bâtons sortent faits & polis ; d'autres, qui les font à la main sur la plaque, les vernissent avec une plume qu'ils trempent dans du cinnabre mêlé avec de la poix-résine fondue. Quant à la préparation de la cire, voici comment on s'y prendra selon les différentes couleurs.

Cire à cacheter rouge. Prenez de gomme lacque, demi once ; térébenthine, deux gros ; colophone, deux gros ; cinnabre, une drachme ; minium, une drachme. Faites fondre sur un feu doux, dans un vaisseau bien net, la gomme lacque & la colophone : ajoutez alors la térébenthine, puis le cinnabre & le minium peu-à-peu ; triturez le tout avec soin, & le mettez en bâtons.

Ou prenez de gomme lacque, six gros ; de térébenthine ou de colophone, de chacun deux gros ; de cinnabre & minium, de chacun une demi-drachme ; & achevez comme ci-dessus.

Ou prenez de gomme lacque, une demi once ; de colophone & de térébenthine de Venise, de chacune une drachme ; de cinnabre, une demi-drachme.

Ou prenez de gomme lacque, un quarteron : de gomme animé, deux onces ; de cinnabre, une once ; de gomme gutte, demi-once. Commencez par bien broyer ensemble les deux dernieres matieres ; achevez le reste comme ci-dessus.

Ou prenez de colophone, deux onces ; de gomme lacque, quatre onces ; de poix-résine, une once & demie ; de cinnabre, à volonté.

Ou prenez de mastic, une once ; de soufre pur & de térébenthine, de chacun deux gros ; de benjoin, deux gros ; de cinnabre, à volonté. Faites fondre la térébenthine, ajoûtez-y le soufre pulvérisé, broyez & mêlez exactement le mastic, le benjoin, & le cinnabre ; jettez petit-à-petit ce second mélange dans le premier : quand ils seront bien fondus & incorporés, mettez en bâtons.

Ou prenez de gomme lacque, une demi-once ; de colophone, une drachme : broyez ces deux matieres ; ajoûtez une quantité convenable de cinnabre ; arrosez le mélange d'esprit-de-vin bien rectifié : la gomme lacque se dissoudra en partie ; mettez le tout sur un feu modéré ; faites prendre feu à l'esprit-de-vin ; remuez bien le mélange jusqu'à ce que l'esprit-de-vin soit entierement consumé ; faites des bâtons, observant d'ajouter un peu de musc, si vous voulez que la cire soit odoriférante.

Cire verte. Prenez de gomme lacque & colophone, de chacune demi-once ; de térébenthine, une drachme ; de verd-de-gris bien pulvérisé, trois drachmes.

Ou prenez de cire vierge jaune, quatre parties ; de sandarac & d'ambre, de chacun deux parties ; de crayon rouge, une demi-partie ; de borax, un huitieme ; de verd-de-gris, trois parties. Il faut bien pulvériser toutes ces matieres.

Cire jaune d'or. Prenez de poix-résine blanche, deux onces ; de mastic & de sandarac, de chacun une once ; d'ambre, une demi-once ; deux gros de gomme gutte ; & procédez comme ci-dessus. Si au lieu de mastic & de sandarac on prend de la gomme lacque, & qu'on omette la gomme gutte, on aura une cire brune, dans laquelle on pourra mêler de la poudre d'or.

Cire noire. Prenez une des compositions précédentes, & substituez, soit au verd-de-gris, soit au cinnabre, le noir d'Imprimeur. Voyez l'art de la Verrerie de Kunckel, &c.

CIRE DU ROI ; (Jurispr.) dans les anciennes ordonnances, signifie le sceau ou l'émolument du sceau. Voyez Tessereau, hist. de la chancellerie, tome I. Nos rois ont hérité de la cire jaune de la seconde race, aussi bien que du droit de l'empire. Ils scellent en cire rouge comme les anciens barons, aux droits desquels ils sont pour certaines seigneuries ; telles que la Provence & le Dauphiné. Traité de la pairie, page 121.

Les lettres de concession à perpétuité doivent être scellées de cire verte ; celles de concession à tems, scellées de cire blanche. Préface du III. tome des ordonnances de la troisieme race, page 8. Voyez SCEAU.

Suivant une ordonnance de Philippe V. du deux Juin 1319, de toutes les ventes de bois que faisoient les maîtres particuliers, les marchands devoient payer entr'autres choses une livre de cire ; & toute la cire provenant de ces ventes, étoit destinée pour l'hôtel du roi & celui de la reine. Ce droit a été révoqué par l'ordonnance des eaux & forêts, tit. xv. art. 15. (A)

CIRE DES EGLISES, (Jurispr.) c'est à la fabrique des églises paroissiales à fournir toute la cire nécessaire pour la célébration de l'office paroissial, & des messes & services de fondation. Au défaut des revenus de la fabrique, c'est au gros-décimateur, chargé de la portion congrue, à fournir la cire nécessaire.

Les cierges que l'on allume à l'autel, ceux que l'on porte à l'offrande, que l'on met sur les pains bénis, & que l'on met autour des corps aux enterremens & pompes funebres, appartiennent au curé, à moins qu'il n'y ait quelque usage ou accord contraire, pour les partager entre le curé & la fabrique.

Les parens ne peuvent remporter la cire qui sert aux convois & pompes funebres, à-moins qu'il n'y ait usage & possession contraires.

Le curé doit fournir la cire nécessaire pour les messes de dévotion, que la fabrique n'est pas chargée de faire acquiter. Voyez la déclaration du 30 Juin 1690 sur les portions congrues, & le dictionn. de Brillon, au mot cire. (A)

CIRE, (Fonderie, soit en statue équest. soit de cloch.) Les Fondeurs en bronze font un modele de leur ouvrage en cire, tout-à-fait semblable au premier modele de plâtre. On donne à la cire l'épaisseur qu'on veut donner au bronze : car lorsque dans l'espace renfermé par ces cires, on a fait l'armature de fer & le noyau, & qu'elles ont été recouvertes par-dessus du moule de potée & de terre, on les retire par le moyen du feu qui les rend liquides, d'entre le moule de potée & le noyau ; ce qui forme un vuide que le bronze occupe. Voyez FONDERIE.

Les anciens ne prenoient point la précaution de faire le premier moule de plâtre, par le moyen duquel on donne à la cire une épaisseur égale : après avoir fait leur modele avec de la terre à potier préparée, ou du plâtre, ils l'écorchoient ; c'est-à-dire qu'ils en ôtoient tout autour l'épaisseur qu'ils vouloient donner au bronze, desorte que le modele devenoit le noyau : & après l'avoir bien fait cuire, ils le recouvroient de cire qu'ils terminoient, & sur laquelle ils faisoient le moule de potée dans lequel le métal devoit couler. On se sert encore quelquefois de cette méthode pour les bas-reliefs & les ouvrages dont l'exécution n'est pas difficile ; mais quoiqu'elle soit plus expéditive, elle jette pour les grands ouvrages dans plusieurs inconvéniens.

La cire qu'on employe pour le modele, doit être d'une qualité qui ayant assez de consistance pour se soûtenir & ne pas se fondre à la grande chaleur de l'été, ait cependant assez de douceur pour qu'on la puisse aisément réparer. On met sur cent livres de cire jaune dix livres de térébenthine commune, dix livres de poix grasse, & dix livres de saindoux. On fait fondre le tout ensemble à un feu modéré, observant de ne pas faire bouillir la cire, ce qui la rendroit écumeuse & empêcheroit de la réparer proprement. Voyez, pour la maniere d'employer cette composition, les mots BRONZE, CLOCHE, &c.

CIRE des oreilles, (Anatom.) en latin cerumen auris, & par les anciens médecins, aurium sordes ; espece de glu naturelle qui se trouve & s'amasse dans la partie antérieure & cartilagineuse du conduit de l'oreille.

Dans la partie du conduit auditif collée aux tempes, dans les fissures, & depuis la partie qui est couverte d'un cartilage jusqu'à la moitié du canal, & selon Morgagni, sur la convexité supérieure de la membrane, rampe un réseau réticulaire, celluleux, fort, fait d'aréoles, où est le siége des glandes jaunes, presque rondes, ou ovales, selon Duverney & Vieussens, lesquelles glandes percent par de petits trous la peau du canal. C'est donc par ces orifices que sort cette espece de cire nommée cire de l'oreille, jaune, huileuse, d'abord fluide, ensuite plus solide, plus épaisse, amere, & qui prend feu lorsqu'elle est pure.

Duverney n'est pas le premier qui ait fait mention des glandes cérumineuses de l'oreille ; Stenon & Drelincourt en avoient dit quelque chose avant lui : mais Duverney en a donné une description si claire & si exacte, qu'il passe, avec assez de raison, pour en être l'inventeur. Valsalva en a dépeint la figure : on les trouve aussi représentées dans l'anatomie de Drake.

Les Physiciens cherchent à deviner les usages de la matiere cérumineuse que filtrent ces glandes, & qu'elles envoyent dans le conduit auditif ; mais leurs recherches se bornent uniquement à savoir que cette cire sert à arrêter les ordures extérieures & les insectes, qui en entrant dans l'oreille ne manqueroient pas d'y nuire.

Lorsqu'il s'amasse trop de matiere cérumineuse dans l'oreille, les poils dont la croissance est empêchée, se plient & irritent la membrane du canal, dont la démangeaison force à le nettoyer.

Quelquefois cette humeur gluante s'y amasse en trop grande abondance, s'y épaissit par son séjour, & empêche que les tremblemens de l'air ne parviennent jusqu'à l'organe immédiat de l'oüie, ce qui produit l'espece de surdité la plus commune & la plus guérissable ; c'est même presque la seule que les gens habiles & sinceres entreprennent de traiter.

Ils exposent pour la connoître l'oreille du malade aux rayons du soleil ; & quand ils découvrent le conduit bouché par l'épaississement de la cire, ils se servent d'un instrument particulier pour l'enlever, & font ensuite des injections d'eau dans laquelle ils ont fondu un peu de sel & de savon : ils se servent aussi d'injection d'eau tiede aiguisée par quelques gouttes d'esprit-de-vin ; par ce moyen ils nettoyent à merveille le conduit auditif, & guérissent parfaitement cette surdité.

Si cette humeur huileuse & fluide de sa nature peche par son abondance accompagnée d'acrimonie, non-seulement elle cause des démangeaisons importunes, mais encore le mal d'oreille : alors elle peut prendre différentes couleurs, acquérir de la fétidité, & former un petit ulcere par son séjour, sa dégénération, & sa quantité ; ce qui cependant est rare : en ce cas toutefois il faut traiter ce mal accidentel par des injections détersives, antiseptiques, & par des tentes imbibées de legers balsamiques.

Quelquefois cette cire se pétrifie ; c'est alors qu'elle cause une surdité presque incurable, en bouchant exactement le conduit osseux & le conduit cartilagineux, comme Duverney dit l'avoir observé dans plusieurs sujets. L'on conçoit aisément la pétrification de la cire des oreilles, par la conformité de sa nature avec celle de la bile qui se pétrifie si souvent dans la vésicule du fiel.

Mais si l'abondance & la pétrification de cette glu cérumineuse sont nuisibles, la privation de sa secrétion dans les glandes produit à son tour quelquefois la surdité, principalement dans la vieillesse, suivant les observations de Duverney, de Morgagni & de Valsalva.

Les anciens Anatomistes, & Bartholin entr'autres (Anat. liv. III. ch. jx.), ont pris la cire des oreilles pour un excrément du cerveau. Rien de plus absurde, outre qu'on ne connoît aucun passage par où cette humeur étant séparée du cerveau, pourroit venir dans le conduit auditif.

Quant au goût de cette cire, Casserius rapporte des exemples de quelques animaux chez qui elle est d'une saveur douce : dans l'homme, Schelhammer y trouve peu de douceur, & beaucoup d'amertume ; & Derham, un goût insipide mêlé d'amertume : ces différences doivent varier selon le tems, les sujets, l'âge, &c.

Tout ce qu'on dit des vertus de la cire des oreilles est misérable : Paul Eginete la vante pour la guérison des crevasses de la peau qui se forment autour de la racine des ongles ; Pline la loue contre la morsure de l'homme, des serpens & des scorpions ; Vanhelmont, dans les piquûres des nerfs ; Etmuller, dans les blessures des parties nerveuses ; Serenus, Sammonicus, pour la cure des furoncles ; d'autres en recommandent l'usage interne pour la colique ; Agricola en fait un onguent pour les tumeurs des jointures & les abcès, &c.

Les éphémérides des curieux de la nature ne sont remplies que de niaiseries de cette espece. Parlons vrai : cette humeur des glandes qui paroît par sa consistance & son amertume un composé de cire & d'huile, peut avoir quelque médiocre qualité savonneuse, abstergente, détersive ; mais manquons-nous d'autres remedes en qualité & abondance mieux choisies, & qui répondront aux mêmes intentions ? Prenons de la cire commune, de l'huile, du savon ; voilà des secours que nous avons sous la main pour une infinité de cas, & n'allons pas puiser nos recettes dans le bizarre, le merveilleux, dans les contes des grands & des bonnes-femmes.

Papinius (Nicolaus) a écrit un petit livre latin sur l'usage de la cire des oreilles, imprimé à Saumur en 1648, in -12. on peut juger par ce que nous venons de dire, du cas qu'on doit faire de cet ouvrage. Cet article est de M(D.J.)


CIRENZou ACERENZA, (Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, capitale de la Basilicate, sur la riviere de Branduno. Long. 33. 40. lat. 40. 48.


CIRIE(Géog.) ville d'Italie au Piémont, sur la Sture.


CIRIMANAGES. m. (Jurispr.) ou CIRMANAGE, & même SIRIMENAGE, est en Béarn un cens qui est dû aux seigneurs par chaque habitation. Il en est fait mention dans une charte de Gaston de Moncade, de l'an 1284, rapportée par M. de Marca en son hist. de Béarn, liv. VII. ch. xv. n. 4. pag. 627. & dans ses preuves du chap. xxviij. du liv. V. de son hist. p. 442. col. 1. Censum totius villae, quod vocatur vulgariter cirimanage. (A)


CIROENES. m. (Pharmacie) est une emplâtre résolutive, fortifiante, où on fait entrer la cire & le safran. Lemeri.

On appelle plus communément ciroene une grande emplâtre, c'est-à-dire un grand morceau de toile sur lequel on étend une emplâtre quelconque, & qu'on destine à couvrir une grande partie du corps, comme les reins, la cuisse, &c. Voyez EMPLATRE. (b)


CIRONS. m. (Hist. nat.) ciro, syro acarus, insecte si petit qu'on le prend souvent pour objet de comparaison, lorsqu'on veut donner l'idée du petit volume, d'une chose presque imperceptible. On donne aussi vulgairement le nom de ciron à tous les insectes les plus petits. En effet on a peine à appercevoir un ciron sans l'aide du microscope ; ce n'est que par le moyen de cet instrument que l'on peut distinguer les différentes parties de cet insecte, & que l'on reconnoît qu'il ressemble à un pou. Son corps est rond (Planche XXIII. figure 9.) (Histoire nat.), blanchâtre ; le dos est couvert d'écailles : il y a sur la tête deux taches qui marquent, à ce que l'on croit, l'endroit des yeux, parce que l'insecte se détourne lorsqu'on lui oppose la pointe d'une épingle contre ces taches. Les cirons ont six pattes noirâtres, trois de chaque côté, dont deux sont placées auprès de la tête : c'est avec ces deux paires de pattes qu'ils creusent dans la peau, ordinairement à la paume de la main & à la plante du pié, & qu'ils y font de longs sillons, comme les taupes en font dans la terre. C'est par cette manoeuvre que ces insectes causent une grande démangeaison, & des pustules auxquelles on a aussi donné le nom de ciron. Il y a aussi de ces insectes dans la cire & dans les fromages qui ont été gardés pendant long-tems. Voyez act. erudit. ann. 1682. pag. 317. Mouffet. theat. insect. Voyez CIRON (Médec.) ; voyez aussi INSECTE. (I)

CIRON, (Méd.) il s'ouvre quelquefois passage entre la peau & l'épiderme, & il cause alors des demangeaisons incommodes : on le rencontre quelquefois dans les pustules de la gale, & dans celles qui sont occasionnées par la vérole ; on en a même trouvé dans les dents cariées. Les remedes huileux, le soufre, & toutes les odeurs fortes ennemies des insectes en général, détruisent cette incommode vermine.

Leuwenhoeck a observé que la vapeur de la noix muscade que l'on faisoit brûler, les suffoquoit très-promtement.

Il y en a une autre espece en Amérique, nommée nigas, qui est plus incommode encore que le ciron de notre pays. Voyez NIGAS. Rieger. (b)


CIRQUES. m. (Hist. anc.) grand bâtiment toûjours plus long que large, où l'on donnoit différens spectacles : un des bouts, le plus étroit, étoit terminé en ligne droite ; l'autre étoit arrondi en demi-cercle ; les deux côtés qui partoient des extrémités de la face droite, & qui alloient rencontrer les deux extrémités de la face circulaire, étoient les plus longs ; ils servoient de base à des siéges ou gradins placés en amphithéatre pour les spectateurs ; la face droite & la plus étroite étoit composée de douze portiques pour les chevaux & pour les chars ; on les appelloit carceres ; là il y avoit une ligne blanche d'où les chevaux commençoient leurs courses. Aux quatre angles du cirque, sur le pourtour des faces, il y avoit ordinairement quatre corps de bâtimens quarrés, dont le haut étoit chargé de trophées ; quelquefois il y en avoit trois autres dans le milieu de ce pourtour, qu'on appelloit meniana. Le milieu de l'espace renfermé entre les quatre façades dont nous venons de parler, étoit occupé par un massif d'une maçonnerie très-forte, de douze piés d'épaisseur sur six de haut ; on l'appelloit spina circi. Il y avoit sur la spina des autels, des obélisques, des pyramides, des statues, & des tours coniques : quelquefois les tours coniques étoient élevées aux deux extrémités sur des massifs de pierre quarrés, & séparés par un petit intervalle de la spina, ensorte qu'elles partageoient chacun des espaces des extrémités de la spina aux façades intérieures du cirque en deux parties, dont la plus grande de beaucoup étoit entre la façade & les tours. Au dessous des gradins en amphithéatre placés sur les façades du cirque, on avoit creusé un large fossé rempli d'eau, & destiné à empêcher les bêtes de s'élancer sur les spectateurs ; ce fossé s'appelloit euripe. Les jeux, les combats, les courses, &c. se faisoient dans l'espace compris de tout côté entre l'euripe & la spina circi ; cet espace s'appelloit area. A l'extérieur le cirque étoit environné de colonnades, de galeries, d'édifices, de boutiques de toutes sortes de marchands, & de lieux publics.

Les bâtimens qu'on appelloit cirques à Rome, s'appelloient en Grece hippodromes. Voyez HIPPODROME. On en attribue l'institution à Rome à Romulus, qui les appella consualia, nom pris de Consus, dieu des conseils, que quelques-uns confondent avec Neptune l'équestre. Les jeux qui se célébroient dans les cirques se faisoient auparavant en plaine campagne, ensuite dans de grands enclos de bois, puis dans ces superbes bâtimens dont nous allons parler.

On célébroit dans les cirques des courses de chars, aurigatio (voyez CHARS & COURSES) ; des combats de gladiateurs à pié, pugna pedestris (voyez GLADIATEURS) ; des combats de gladiateurs à cheval, pugna equestris (voyez GLADIATEURS) ; la lutte, lucta (voyez LUTTE) ; les combats contre les bêtes, venatio (voyez BETES) ; les exercices du manege par de jeunes gens ; ludus Trojae, jeux de Troye ; les combats navals, naumachia. Voyez NAUMACHIES.

On comptoit à Rome jusqu'à quinze cirques ; mais ils n'étoient pas tous de la même grandeur ni de la même magnificence. Il y avoit

Le cirque d'Adrien. Il étoit dans la quatorzieme région, près de l'endroit où est aujourd'hui le château Saint-Ange. Il fut ainsi appellé de l'empereur Adrien qui le fit construire. Il n'étoit pas magnifique : les uns prétendent que ce ne fut qu'un enclos de bois ; d'autres, qu'il étoit de pierre noire. On croit encore en remarquer des vestiges.

Le cirque d'Alexandre. Il étoit dans la neuvieme région, où est aujourd'hui la place Navonne. On en voit la figure sur quelques monnoies d'Alexandre Sévere. On l'appelloit aussi le cirque agonal, parce qu'on y avoit célébré les jeux de Janus Agonius. On prétend que c'est par corruption d'Agonius qu'on a fait le nom Navonne. On dit qu'on découvrit des restes de ce cirque en creusant les fondemens de l'église de sainte Agnès.

Le cirque d'Antonin Caracalla, ou peut-être de Galien. Il étoit dans la premiere région, à l'endroit où est aujourd'hui la porte S. Sébastien, anciennement appellée la porte Capene. On croit en voir des restes entre l'église S. Sébastien & le capo di Bove. Le pape Innocent X. fit ériger son obélisque sur la magnifique fontaine de la place Navonne. L'aire en est actuellement une prairie de 223 cannes de long, sur 33 1/2 de large.

Le cirque d'Aurélien. Il étoit dans la cinquieme région, mais il faut plutôt l'appeller cirque d'Eliogabale, parce qu'Aurélien ne fit que le réparer. Voyez plus bas le cirque d'Eliogabale.

Le cirque Castrensis. Il étoit devant la porte Lubicana ou de Preneste, aujourd'hui la porta Maggiore, non loin de l'amphithéatre Castrensis, derriere sainte-Croix en Jérusalem. On prétend qu'il n'étoit qu'à l'usage des soldats, & que c'est aussi le même que celui d'Eliogabale.

Le cirque de Domitia. Il étoit dans la quatorzieme région. Il y a lieu de conjecturer que c'étoit le même que celui d'Adrien.

Le cirque d'Eliogabale. Il étoit dans la quinzieme région. Son obélisque est regretté des savans ; il étoit chargé d'hiéroglyphes ; on en voit les morceaux dans la cour du cardinal François Barbarin. Il restoit encore il n'y a pas long-tems des vestiges du cirque.

Le cirque de Flaminius. Il étoit en la neuvieme région, dans des prés appellés alors prata Flaminia. Il fut bâti l'an 530 par Cneius Flaminius censeur, le même qui fut défait par Annibal près du lac Trasimene. Il avoit une double galerie de colonnes corinthiennes. Il étoit hors de la ville. C'étoit-là que commençoit la marche des triomphes. On y donnoit la paye aux soldats. On y célébroit les jeux Appollinaires & les nundines. Quand il étoit inondé du Tibre, la célébration des jeux se transféroit au mont Quirinal. On croit qu'il fut ruiné dans la guerre des Goths & de l'empereur Justinien ; & l'on prétend qu'en 1500 on en voyoit encore des vestiges à l'endroit où est aujourd'hui l'église de S. Nicolo alle Calcare.

Le cirque de Flore. Il étoit dans la sixieme région, en un enfoncement, entre le Quirinal & le Pintius. C'étoit-là qu'on célébroit les jeux Floraux. On prétend que ce fut un théatre. Il s'appelle aujourd'hui la piazza Grimana.

Le circus intimus. Il étoit dans la vallée Murcia ; mais comme le grand cirque s'y trouvoit aussi, on les confond.

Le cirque de Jules-César. On prétend qu'il s'étendoit depuis le mausolée d'Auguste jusqu'à la montagne voisine ; mais il y a du doute même sur son existence.

Le grand cirque. Il étoit dans l'onzieme région. On l'appelloit le grand, parce qu'on y célebroit les grands jeux, ou jeux consacrés diis magnis, ou parce qu'il étoit le plus grand des cirques. Il étoit dans la vallée Murcia, entre les monts Palatin & Aventin. Il fut commencé sous Tarquin le vieux. Les sénateurs & chevaliers s'y faisoient porter des banquettes de bois appellées fori, qu'on remportoit à la fin des jeux. Il fut dans la suite orné, embelli & renouvellé sous plusieurs empereurs, mais sur-tout sous Jules-César. Sa longueur étoit de trois stades & demie, ou de 2180 piés ou environ, & sa largeur de quatre arpens, ou de 960 piés. Il pouvoit contenir 150000 hommes, selon quelques-uns, 260000 ou même 380000, selon d'autres. Sa façade de dehors avoit deux rangs d'architecture à colonnes, au dessus desquels il y avoit un plus petit ordre. A son extrémité circulaire il y avoit trois tours quarrées, & deux à l'autre extrémité. Dans les derniers tems ces tours appartenoient à des sénateurs, & passoient à leurs enfans. Le bas de ce cirque en-dehors étoit un rang de boutiques ménagées dans les arcades les plus basses. Son euripe avoit dix piés de largeur, sur autant de profondeur. La premiere rangée des siéges étoit de pierre, les autres de bois. L'empereur Claude fit mettre en marbre les carceres ou endroits d'où partoient les chevaux & les chars, & dorer les bornes, & désigna une place sur la spina pour les sénateurs. Les carceres étoient à la petite façade du côté du Tybre, au nombre de douze. La premiere chose qu'on trouvoit en s'approchant de la spina par ce côté, étoit le petit temple appellé aedes Murciae, ou autel dédié à Vénus. Vers ce temple étoit celui du dieu Consus ; il touchoit presque les trois pyramides rangées en ligne droite qu'on appelloit metae, les bornes. Il y en avoit trois autres à l'autre bout, ce qui ne faisoit que six, quoique le roi Théodoric en ait compté sept. La spina étoit contenue entre ces trois bornes d'un côté, & les trois autres bornes de l'autre. Il y avoit d'abord sur la spina l'autel des Lares, puis l'ara potentium, l'autel des dieux puissans ; deux colonnes avec un fronton formant comme l'entrée du temple ; un autre morceau semblable dédié à Tuteline avec un autel ; une colonne portant la statue de la victoire ; quatre colonnes dont l'architrave, la frise, la corniche, étoient ornés & surmontés de dauphins : elles formoient une espece de temple à Neptune ; la statue de Cybele assise sur un lion ; au pié du grand obélisque, vers le centre du cirque, un temple du Soleil ; un trepié à la porte de ce temple ; une statue de la Fortune sur une colonne ; un bâtiment à colonnes couronné de pierres rondes, oblongues & dorées, qu'on appelloit les oeufs des courses, ova curriculorum, & qu'on ôtoit pour compter le nombre des courses ; des temples, des colonnes, des statues, &c. une statue de la Victoire sur une colonne ; l'autel des grands dieux ; un obélisque plus petit que le précédent, consacré à la Lune ; enfin les trois autres bornes, metae. Auguste fit substituer un obélisque à un grand mât qui étoit dressé au milieu du cirque, & qui lui donnoit l'air d'un vaisseau. L'empereur Constance y en éleva un second plus haut que le premier : celui-ci est maintenant à la porta del Popolo ; l'autre est devant l'église Latéranne. Aux façades du cirque en-dedans, il y avoit, comme aux amphithéatres (voyez AMPHITHEATRE), le podium ou place des sénateurs ; au-dessus des siéges des chevaliers romains ; plus haut une grande galerie régnant tout-autour du cirque ; au-dessus de cette galerie de nouveaux gradins continués les uns par ordre au-dessus des autres jusqu'au haut de la façade, où les derniers gradins étoient adossés contre l'extrémité du petit ordre d'architecture dont nous avons parlé. Dans les jours de jeux on jonchoit l'arene de sable blanc. Caligula & d'autres empereurs y firent répandre pour plus de magnificence du cinnabre, du succin, & du bleu. On y avoit pratiqué un grand nombre de portes. Il fut brûlé sous Néron, & il s'écroula sous Antonin le pieux ; mais on le releva toûjours, jusqu'à ce qu'il fut rasé entierement sans qu'on sache à quelle occasion. Il n'en reste plus que des vestiges à l'endroit appellé valle di cerchi.

Le cirque de Néron. Il étoit dans la quatorzieme région de la ville, entre le Janicule & le Vatican, où est aujourd'hui l'église de S. Pierre de Rome, devant laquelle Sixte-quint fit placer son obélisque.

Le cirque de Salluste. Il étoit dans la sixieme région, près de la porte Colline, vers le Quirinal & le Pintius. Il en reste des vestiges, quoique la plus grande partie en soit comprise dans les jardins Ludovisiens, où l'on en voit l'obélisque.

Le cirque Vatican. C'est le même que celui de Néron.

Quoiqu'il y eût six prisons, carceres, à chacun des côtés du cirque, les courses ne pouvoient commencer que de l'un des côtés. De ces six prisons il n'y en avoit que quatre dont on ouvrît les portes, pour les quatre factions, jusqu'à ce que Domitien ajoûta deux nouvelles factions, afin qu'il en pût sortir six à-la-fois, & qu'il ne restât pas deux portes fermées. Ceux qui concouroient à la course, avoient toûjours à gauche la spina en partant.

Les factions étoient distinguées par la couleur de leur habit : il n'y avoit dans le commencement que la blanche & la rouge ; on y ajoûta la verte & la bleue, ensuite la dorée & la pourprée, qui ne durerent pas long-tems. Les factionnaires étoient ou des esclaves, ou des affranchis, ou des étrangers : cependant quelques enfans de famille, des sénateurs, & même des empereurs, ne rougirent pas dans la suite de faire la fonction vile d'aurige. Ces factions divisoient le peuple ; les uns étoient pour une couleur, les autres pour une autre ; ce qui causa souvent des émeutes. Voyez HIPPODROMES, COURSES, LUTTE, &c. Voyez Antiq. exp. Hed. lex.


CIRSAXAS(Comm.) étoffe des Indes, soie & coton, mais où le rapport de la soie au coton est très-petit.


CIRSOCELES. m. terme de Chirurgie, signifie une multitude de varices aux testicules, qui en augmentent prodigieusement la grosseur, & empêchent que la semence ne s'y prépare convenablement ; & à quoi on ne peut pas quelquefois remédier autrement qu'en en venant à la castration. C'est la même chose que ce qu'on appelle hernie variqueuse. Voyez VARICOCELE.

Ce mot vient du grec, , varice, & , hernie. Voyez HERNIE.

M. Petit a fait plusieurs fois l'opération d'emporter les vaisseaux variqueux en conservant le testicule. On verra des observations dignes de ce grand praticien, sur la cure de cette maladie, dans un traité de Chirurgie qui doit bien-tôt paroître au jour. Ces observations se trouveront au chapitre du varicocele. (Y)


CISAILLES. f. (Art. méch. en métaux). C'est un outil dont on se sert pour couper la tole, le cuivre, le fer & autres métaux, quand ils sont minces. C'est une sorte de ciseaux très-forts, à l'usage des Chauderonniers, Ferblantiers, Orfevres, Chaînetiers, &c. Une des branches de la cisaille est recourbée par le bout ; cette partie recourbée s'insere dans un trou pratiqué à un bloc. Par ce moyen la cisaille est tenue ferme, un peu inclinée à l'horison, & d'un usage très-commode pour l'ouvrier, qui met entre ses lames la matiere à couper, & n'a plus qu'à appuyer de la main, dont l'effort est augmenté du poids & de la vîtesse de tout le corps, sur l'autre branche, qui est droite, élevée au-dessus de la branche recourbée par le bout. Quant à la construction de ce ciseau, les lames en sont courtes, larges & épaisses ; & les branches fortes & longues. On peut le regarder comme un levier du premier genre.

Le point d'appui est au clou qui unit les deux branches, & par conséquent entre la puissance & la résistance ; d'où il s'ensuit que plus le sommet de l'angle que forment entr'elles les lames en s'ouvrant le plus qu'il est possible, est voisin du clou, & que plus en même tems les branches sont longues, plus la puissance a d'avantage. Il faut pourtant observer pour la solidité & la durée de la cisaille, qui est exposée à supporter de grands efforts, de ne pas trop affoiblir la distance de l'ouverture du clou, au sommet de l'angle de l'ouverture des lames. Voyez CISEAU. Voyez des cisailles, Pl. du Ferblantier, fig. 19. & 20. La cisaille du cloutier d'épingle n'est pas fixée dans un bloc, mais dans le banc à couper, ce qui revient au même pour l'effet. Voyez la fig. 13. du Cloutier d'épingle. La traverse mobile de la cisaille est tantôt toute droite, tantôt recourbée en un gros anneau, dans lequel l'ouvrier peut passer tous ses doigts, soit pour l'ouvrir, soit pour la fermer.


CISAILLERà la Monnoie, c'est couper avec des cisailles les pieces de monnoie défectueuses, de poids leger, ou mal marquées, afin d'empêcher qu'elles n'ayent cours dans le commerce. Ce sont les juges-gardes qui cisaillent les pieces de rebut pour être remises à la fonte.

A la Monnoie, au défaut de cisailles, comme dans les bureaux, on cisaille les pieces de rebut ou fausses, avec un marteau très-pointu, dont on les frappe sur une plaque de plomb.


CISAILLESS. f. pl. à la Monnoie, ce sont les restes d'une lame d'or, d'argent ou de billon, dont on a enlevé les flancs pour faire des pieces de monnoie. On met les cisailles en pelotes, pour les jetter dans le creuset plus facilement. Voyez MONNOYAGE.


CISALPINadject. (Géog.) qui est en deçà des Alpes. Ce mot est formé de la préposition cis, en-deçà, & Alpes. Quoique le mot Alpes designe proprement les montagnes qui séparent l'Italie de la France, il s'est dit aussi cependant de quelques autres montagnes. C'est ainsi qu'Ausone appelle les Alpes, proprement dites, les Pirenées, l'Appennin, &c.

Les Romains distinguerent la Gaule & le pays qu'on nomme maintenant Lombardie, en Gaule cisalpine & en Gaule transalpine.

Celle qui étoit cisalpine à l'égard de Rome, est transalpine à notre égard. Chambers.


CISEAUS. m. (Art méch.) Il y a deux especes d'instrumens de ce nom, d'une construction très-différente. L'une est d'un usage presque général dans les Arts & dans l'économie domestique ; l'autre ne sert guere qu'aux ouvriers en bois & en fer. Ce sont les Couteliers qui font la premiere ; ce sont les Taillandiers qui font la seconde.

Pour faire le ciseau à diviser les étoffes, prenez une barre de fer plus ou moins forte, selon la nature des ciseaux que vous voulez forger. Commencez par l'entailler à son extrémité, & par y former une tête semblable à celle d'un piton, ronde, plate, mais non percée. Coupez ensuite ce piton, en y laissant une queue plus ou moins longue, selon la longueur que vous vous proposez de donner au ciseau. Allongez cette queue en pointe ; puis plaçant cette enlevure sur le quarré de l'enclume, obliquement, faites-y entrer, d'un coup de marteau fortement appliqué, l'arrête de l'enclume. Vous formerez ainsi l'embase du ciseau, qui doit être égale à l'épaisseur de la lame. Par ce moyen, lorsque les deux embases seront appliquées l'une sur l'autre, vous n'aurez que la même épaisseur. Percez le piton sur l'enclume avec un poinçon. Aggrandissez & formez l'anneau à la bigorne, après quoi faites recuire ces branches. Pour cet effet, mettez-les dans un feu de charbon de bois, que vous laisserez allumer & éteindre seul ; ce recuit les attendrit. Donnez-leur ensuite à la lime la figure la plus approchée du ciseau. Trempez, émoulez, & polissez à l'ordinaire. Clouez les branches ensemble. Brunissez les anneaux & les branches, puis vos ciseaux seront faits, ou vous aurez un instrument composé de deux pieces d'acier, qui se croiseront à-peu-près comme une , assemblées en e par un clou sur lequel elles se mouvront, & capables de saisir & de trancher tout ce qu'on placera dans l'angle a e b, en conséquence de l'action des doigts, qui, placés dans des anneaux pratiqués en c, d, feront approcher les points a & b, quand ils feront approcher les points c & d.

Il est évident que plus les branches e c, e d, seront grandes, plus le ciseau coupera facilement. Voyez les articles CISAILLES & LEVIER. Les parties e a, e b, s'appellent les lames ; celles des lames où elles sont entaillées & assemblées par le clou en e, s'appellent les embases. On les fait toutes plus ou moins fortes, selon l'espece de ciseaux. Les anneaux pratiqués en c & d, où l'on place les extrémités du pouce & de l'index, sont quelquefois si grands, qu'on peut insérer le pouce entier dans l'un, & tous les autres doigts de la main dans l'autre, & alternativement. Les ouvriers sauront donner aux ciseaux les proportions requises pour les ouvrages auxquels ils sont destinés ; ces proportions varient dans la longueur des branches, la longueur, la force, la largeur, & l'épaisseur des lames. Les uns sont pointus des deux bouts, les autres camus ; il y en a qui ont une lame pointue & l'autre camuse. On y pratique quelquefois un bouton ; il y en a de droits, de courbes. Les Chirurgiens, les Bourreliers, les Selliers, les Cartiers, les Tailleurs, &c. ont chacun leurs ciseaux. De ces ciseaux, les uns s'appellent cisailles ou cisoires ; les autres, forces. Voyez CISAILLES, CISOIRES, RCESRCES. Mais ils se travaillent tous de la même façon, à peu de chose près. Il y a seulement des ouvriers qui, pour épargner l'acier, font la lame seulement d'acier, & les branches de fer ; mais cet ouvrage est mauvais.

On ne s'attend pas que nous parlions ici de tous les ciseaux qui sont employés dans les Arts ; ces instrumens se ressemblent si fort que nous ne ferions que nous répéter sans-cesse. Nous renvoyons là-dessus aux différens articles des Arts, où nous exposons les manoeuvres qui exigent leur usage.

Pour faire le ciseau à couper le bois, prenez un morceau de fer, & tirez-le en long, plus ou moins fort, plus ou moins plat, plus ou moins large ; que la partie de ce morceau que vous appellerez la tête, soit à-peu-près quarrée ; que celle que vous appellerez le tranchant, soit très-mince & très-plate. Acérez cette partie mince avec du bon acier ; rendez-la tranchante à la lime & à la meule ; il faut qu'elle soit bien trempée, & vous aurez un ciseau à couper le fer. Quelquefois le tranchant en est en biseau ; d'autres fois, au lieu de tête, on y pratique une soie qui est reçue dans un manche de bois. En un mot, cette sorte de ciseau varie prodigieusement, selon l'usage, la matiere à couper, les formes à faire. Il y en a, & de la plus petite grandeur, & de la plus grande force. Voyez la suite de cet article.

CISEAU, instrument de Chirurgie, composé de deux branches égales en longueur, tranchantes en-dedans, & jointes ensemble par un clou. Il faut avoir des ciseaux qui ne servent qu'aux appareils, pour couper les linges qui servent à faire les bandes, compresses & autres pieces.

Les Chirurgiens doivent avoir en outre des ciseaux à incision ; les uns sont droits, & les autres courbes ; il faut qu'ils soient construits avec toute l'attention possible. Les pointes doivent être mousses, pour qu'en opérant on ne soit point obligé de changer les anneaux des doigts, pour mettre la branche boutonnée dans la plaie, lorsqu'elle ne s'y présente pas naturellement. Voyez Chirurgie, Pl. I. fig. 1.

Les ciseaux courbes servent à faire des incisions dans des endroits un peu caves ; il faut que leur courbure soit petite & douce ; qu'elle prenne du milieu même de l'entablure, & qu'augmentant presque insensiblement, la pointe s'écarte à peine de cinq lignes de l'axe des ciseaux. Cette structure rend les ciseaux courbes, non-seulement propres à toutes les opérations qui demandent la courbure des lames, mais ils sont si commodes & si dégagés, qu'ils peuvent exécuter celles qui semblent exiger l'usage des ciseaux droits. Voyez la fig. 1. Pl. III. M. de Garengeot a traité fort au long, dans son livre d'instrumens, de la construction des ciseaux.

M. Petit a imaginé des ciseaux particuliers pour l'opération du filet. Voyez FILET, & la fig. 4. Pl. XIX. (Y)

CISEAU D'EMBAS, morceau de fer acéré par le bout tranchant, à l'usage de ceux qui travaillent à l'ardoise. Voyez ARDOISE.

CISEAU à l'usage des Arquebusiers. Ils en ont de plusieurs sortes, parmi lesquelles on en distingue quatre particulierement : le ciseau à bride, le ciseau à chaud, le ciseau de côté, le ciseau à ébaucher.

Le ciseau à bride est un petit morceau d'acier long de six ou huit pouces, quarré, de l'épaisseur d'une ligne & demie en tout sens. Ce morceau d'acier est reployé aux deux tiers, quarrément, & se reploye encore en-devant, d'un petit bec de la grandeur d'une ligne. Ce bec est fort tranchant ; les Arquebusiers s'en servent pour vuider & nettoyer une entaille ou une mortaise dans un bois de fusil.

Le ciseau à chaud est un morceau de fer ou d'acier quarré, d'environ huit pouces, gros de deux, peu tranchant, & servant à l'Arquebusier pour partager un morceau de fer en deux, ou pour y faire des entailles.

Le ciseau de côté est fait à-peu-près comme le bec d'âne, voyez BEC D'ANE ; il est plus plat ; son tranchant est en biseau ; il ne coupe proprement qu'en un sens. L'arquebusier s'en sert pour graver des ornemens. Il en a de très-petits & très-déliés.

Le ciseau à ébaucher ressemble au fermoir des Menuisiers, voyez FERMOIR, & sert à l'Arquebusier pour ébaucher un bois de fusil, & commencer à lui faire prendre la forme. Voyez les Planches du Menuisier.

CISEAU des Cartiers, ce sont de grands ciseaux composés de deux lames fort grandes & fort tranchantes, jointes par un clou-à-vis, qui se serre au moyen d'un écrou. Ces lames ont à leur extrémité opposée, l'une un anneau pour passer une partie de la main, & celle-ci est mobile ; & l'autre un morceau de fer recourbé qui s'attache sur l'établi, au moyen d'un crochet qui passe à-travers la table, & est rendu immobile par un écrou qui serre fortement la vis de ce crochet. Les ciseaux servent à couper & rogner les cartes quand elles ont été lissées. C'est la derniere façon que l'on donne aux cartes pour les fabriquer. Voyez la fig. 4. Pl. du Cartier, qui représente le coupeur ; & les figures 10, 11, 12, qui représentent les ciseaux & tout ce qui leur appartient. Z est une planche de bois posée verticalement sur l'établi, où elle est retenue par les deux tenons 4, 4, qui passent au-travers dudit établi. 5, 5 sont deux clés qu'on fait passer dans les trous des tenons par-dessous de l'établi, pour y tenir assujettie cette planche Z. V est la mâchoire fixe des ciseaux, qui est retenue contre le bord antérieur de l'établi par la vis 1, qui passe par le trou 2 de cette branche. L'autre branche u est articulée avec celle-ci par le moyen d'une vis & d'un écrou qui traverse à-la-fois les deux branches u & V, & la fourchette X, dont l'extrémité inférieure est faite en vis, qui entre dans l'établi. Cette fourchette sert à soûtenir les ciseaux, dont la branche fixe & supérieure est encore arrêtée par la piece a, qui est une cheville de fer qui passe par le trou 2 de la planche Z, où elle est retenue par l'écrou à oreilles b. A l'autre extrémité de cette cheville sont deux disques, 1, 2, entre lesquels passe la branche fixe des ciseaux. Voyez l'article CARTES.

CISEAU, outil de Charron, morceau de fer de la longueur de deux piés ou environ, rond par en-haut, de la grosseur d'un pouce & demi, large, plat, & acéré par em-bas, de la largeur de deux pouces & demi, & épais de deux à trois lignes, qui sert aux Charrons à former & élargir les mortaises.

CISEAU A UN BISEAU des Charpentiers. Il ressemble au précédent, & sert à dresser les mortaises, les tenons, &c.

CISEAU des Cloutiers. C'est un instrument dont ils se servent pour couper les clous à mesure qu'ils les fabriquent. Il est de fer, acéré, pointu par un bout par où on l'enfonce dans le bloc ; il a environ cinq pouces de hauteur & trois de largeur ; il est applati & tranchant par le haut. Pour couper le clou, l'ouvrier applique sa baguette de fer sur le ciseau précisément à l'endroit où il doit être coupé, & en la frappant d'un coup de marteau, le clou se sépare du reste de la baguette. Voyez Pl. du Cloutier, fig. 24. & 22. qui représente le billot monté de toutes ses pieces.

CISEAU de Cordonniers. Ils sont en tout semblables à ceux des Tailleurs.

CISEAU de Doreur sur bois ; c'est un ciseau ordinaire de Sculpteur. Les Doreurs s'en servent à lever les ornemens de sculpture couverts par le blanc.

CISEAU de Ferblantier. Cet outil est en tout semblable à celui des Serruriers. Voyez la fig. 43. Pl. du Ferblantier.

CISEAU de Fourbisseur. Ce sont de forts ciseaux qui n'ont rien de particulier, & qui servent aux Fourbisseurs pour rogner le haut des fourreaux quand ils sont trop longs.

CISEAU de Guainier : ils sont faits exactement comme ceux des Couturieres, & servent au Guainier à couper le bois pour ses ouvrages. Il en a d'autres qui sont en forces. Ces ciseaux sont beaucoup plus grands ; ils ont les lames rondes ; ils ressemblent aux forces des Tailleurs. Ils servent aux Guainiers à couper & tailler les peaux & cuirs dont ils couvrent leurs ouvrages. Voyez les Pl. du Tailleur.

CISEAU DE JARDINAGE. Ils sont beaucoup plus forts & plus longs que les ciseaux ordinaires. Ils ont deux mains de bois, ce qui facilite la tonte des boüis & autres arbrisseaux.

CISEAU de Maçon ou de Tailleur de pierre ; c'est un outil de fer, acéré, long, de la forme d'un clou sans tête, applati & tranchant par le bout. Il sert à commencer le lit ou la taille de la pierre.

CISEAU des Menuisiers ; c'est un outil de fer & acéré par le tranchant : il a un biseau & un manche de bois ; il sert à nettoyer les mortaises, faire les tenons, &c. Voyez la fig. 49. Pl. de Menuiserie.

CISEAU d'Orfevre, voyez les CISEAUX du Serrurier.

CISEAU de Perruquier, voyez le premier article ou le CISEAU de Chirurgien.

CISEAU de Relieur, voyez le premier article CISEAU.

CISEAU de sculpteur en marteline, voyez MARTELINE.

CISEAU, (Serrurier) ces ouvriers ont le ciseau à chaud : c'est un gros ciseau à deux biseaux, qui sert à couper le fer chaud. Sa forme n'a rien de particulier : c'est la même que celle d'un burin gros & long. On observe seulement de le jetter dans l'eau quand on s'en est servi, & de le retremper quelquefois. On lui donne le nom de ciseau à chaud, parce que ce ciseau n'a pas plûtôt servi à la forge, qu'il s'amollit en se détrempant, & qu'il ne seroit plus en état de couper du fer froid.

Ciseau à froid ; c'est un ciseau qui ne differe du précédent qu'en ce qu'il est moins long, & qu'il ne sert jamais sur le fer chaud.

Ciseaux à ferrer ; ce sont des ciseaux à deux biseaux, mais dont le taillant est très-mince, ainsi que toute la partie qui le précede ; leur usage n'est qu'à couper du bois, & préparer les endroits des fiches, serrures, &c.

CISEAU de Tailleur, voyez le premier article CISEAU.

CISEAU à tondre, (Econom. rust.) voyez l'article TONDRE, & le premier article CISEAU.

CISEAU de Verrerie ; voyez VERRERIE, & le premier article CISEAU.


CISELERv. act. (Art méchan. en métaux) c'est former sur l'argent telle figure qu'on veut : on se sert pour cela non de burin, mais de ciselets. Voyez CISELETS & CISELURE.

On cisele les pieces de relief comme celles qui ne le sont point ; souvent même ces dernieres en acquierent autant que les autres, parce qu'on repousse leur champ en-dehors, aux endroits qu'on veut ciseler. Cette maniere de ciseler est plus commune : l'autre demande trop d'épaisseur & trop de matiere.

On se sert encore du terme ciseler, pour réparer les pieces qui ont été moulées, mais dont les desseins n'ont pû sortir du moule parfaitement marqués, ou suffisamment terminés.

Ciseler une piece en ce sens, est presque la même chose que retoucher au burin en Gravure.


CISELETSS. m. ce sont de petits morceaux d'acier, longs d'environ cinq ou six pouces & de quatre à cinq lignes de quarré, dont un des bouts est limé quarrément ou en dos d'âne, & l'autre sert de tête.

Leur partie trempée est quelquefois pointillée ; mais leur usage en général est pour ciseler l'ouvrage en relief. Dans les différentes occasions, entr'autres celles où il s'agit de faire paroître des côtes concaves, on se sert alors d'un des outils dont nous venons de parler : si ces côtes doivent être unies, on se sert d'un ciselet uni : si l'on veut qu'elles soient matées, on se sert du ciselet pointillé.

Pour pointiller un ciselet, on prend un petit poinçon, & sur la partie qui doit être trempée, on pratique de petits trous pressés les uns entre les autres, en frappant avec un poinçon. Quand ces trous sont pratiqués, on enleve toutes les balevres que le poinçon a faites, & le ciselet est pointillé.

D'autres se servent pour pointiller, de petits marteaux dont la tête est taillée en pointe de diamant, qui font la fonction du poinçon. La tête de ces marteaux a un demi-pouce en quarré, & les pointes de diamant y ont été formées à égale distance, & très-serrées par le moyen d'une petite lime en tiers-point avec laquelle on a partagé la tête du marteau comme en échiquier : mais comme la lime est en tiers-point, toutes les petites divisions quarrées deviennent en pointe de diamant.

Ces outils sont à l'usage du Serrurier, du Ciseleur, de l'Orfevre, du Graveur, de l'Arquebusier, du Bijoutier, du Metteur-en-oeuvre, du Damasquineur, &c. Ils prennent différens noms, suivant leurs formes & leurs usages : on les appelle bouges, traçoirs, perloirs, planoirs, &c. Voyez ces mots à leurs articles.


CISELEURS. m. (Grav. ant. sur métal) que les Latins appellent coelator, étoit parmi les anciens une sorte d'orfevre qui travailloit à ciseler le métal avec le ciselet, le burin & le marteau, & qui y formoit avec ces outils toutes sortes de fleurs & de figures agréables, & tout ce que l'adresse & la justesse de l'art prescrit. Ces sortes d'artistes étoient fort en vogue parmi les Grecs & les Romains. Pline, l. XXXIII. ch. xij. fait mention des plus habiles ciseleurs, & de leurs meilleurs ouvrages. Il s'étonne de ce que plusieurs ont excellé à graver sur l'argent, & qu'il ne s'en étoit pas trouvé un seul pour ciseler sur l'or : Mirum, dit-il, in auro caelando inclaruisse neminem, argento multos. Ensuite il parle des plus célebres ciseleurs, comme de Mentor, de Varron ; après ceux-là il met Acragas, Mys, & Boethus. Ensuite il parle de Calamis, d'Antipater, & de Stratonique. Il nomme encore Ariston & Eunice, tous deux de Mitylene ; Hécate, Possidonius d'Ephèse ; Ledus, Zopire. Il n'oublie pas le fameux Praxitele qui vivoit vers le tems du grand Pompée. Voyez Saumaise sur cet endroit de Pline.

Voici les principaux ouvrages de ces ciseleurs. Zopire grava les aréopages & le jugement d'Oreste sur deux coupes estimées HS. 12. c'est-à-dire douze grands sesterces. Les Bacchantes & les centaures ciselés sur des coupes étoient l'ouvrage d'Acragas, & on les gardoit à Rhodes dans le temple de Bacchus. On conservoit aussi dans le même temple le cupidon & le silène de Mys. Pytheas grava Diomede & Ulysse enlevant le palladium de Troie. Ces figures étoient ciselées sur une petite phiole avec une délicatesse achevée. Ledus gravoit des combats & des gens armés. Stratonique représenta sur une coupe un satyre endormi, mais dans une attitude si naturelle, qu'il sembloit que l'artiste n'avoit fait qu'appliquer cette figure sur le vase. Mentor fit quatre coupes d'une ciselure admirable, mais qu'on ne voyoit plus du tems de Pline. Acragas avoit un talent particulier pour représenter sur des coupes toutes sortes de chasses. Pytheas grava sur deux petites aiguieres toute une batterie de cuisine, avec les cuisiniers occupés à leur travail, d'une maniere si vive & si parlante, que pour rendre cette piece unique en son espece, on ne permettoit pas même d'en tirer aucune copie. (D.J.)


CISELURES. f. c'est l'art d'enrichir & d'embellir les ouvrages d'or & d'argent & d'autres métaux, par quelque dessein ou sculpture qu'on y représente en bas-relief. Voyez SCULPTURE sur les métaux. Voyez RELIEF.

Pour ciseler les ouvrages creux & de peu d'épaisseur, comme sont les boîtes de montres, pommes de cannes, tabatieres, étuis, &c. on commence à dessiner sur la matiere les sujets qu'on veut représenter, & on leur donne le relief tel qu'on le désire, en frappant plus ou moins le métal, en le chassant de dedans en dehors, pour relever & former les figures ou ornemens que l'on veut faire en relief, sur le plan ou la surface extérieure du métal. On a pour cela plusieurs outils ou bigornes de différentes formes, sur les bouts ou sommets desquels on applique l'intérieur du métal, observant que les bouts ou sommets de ces bigornes, répondent précisément aux lignes & parties auxquelles on veut donner du relief. On bat avec un petit marteau le métal que la bigorne soûtient : il cede, & la bigorne fait en-dedans une impression en creux qui forme en-dehors une élévation, sur laquelle on cisele les figures & ornemens du dessein, après qu'on a rempli tout le creux avec du ciment. Voyez CIMENT.

On employe quelquefois les Ciseleurs à réparer les ouvrages de métal au sortir de la fonte ; comme figures de bronze, mortiers, canons ; toutes sortes d'ornemens d'église & domestiques, comme chandeliers, croix, &c. feux, bras de cheminée, &c. Voyez BRONZE.

Les outils dont ils se servent, sont les ciselets de toutes grosseurs, les matoirs, les rifloirs de toute sorte de taille, rudes & doux ; les différens burins, les ciseaux plats & demi-ronds, les marteaux gros & petits ; le tout suivant l'ouvrage qu'ils traitent. Voyez les figures de tous ces outils Planch. du Grav. & sur les établis de la Pl. du Ciseleur-Damasquineur.


CISMAR(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la basse-Saxe, au duché de Holstein, près de la mer Baltique.


CISMONE(Géog.) riviere d'Italie qui prend sa source dans le Trentin, & qui se réunit à la Brente dans la Marche-Trevisane.


CISOIRES(Art. méchan. en métaux) ce sont de gros ciseaux à manche attaché & monté en pié, dont la branche supérieure garnie d'une menotte de fer, sert à la lever plus facilement ; & par le poids & l'effort du levier, couper d'un seul coup des morceaux de métal fort épais. Ces outils sont à l'usage des Bijoutiers, des Orfevres, des Ferblantiers, des Chauderonniers, des ouvriers de la monnoie, &c.


CISSOIDES. f. (Géom.) courbe algébrique qui a été imaginée par Dioclès, ce qui l'a fait appeller plus particulierement la cissoïde de Dioclès. V. COURBE.

Voici comme on peut concevoir la formation de la cissoïde. Sur le diametre A B (Pl. d'Anal. fig. 9.) du demi-cercle A O B, tirez une perpendiculaire indéfinie B C ; tirez ensuite à volonté les droites A H, A C, dans les deux quarts de cercles O B, O A, & faites A m = I H, & dans l'autre quart de cercle L C = A N, & les points m & L seront à une courbe A m O L, qu'on appelle la cissoïde de Dioclès.

Propriétés de la cissoïde. Il s'ensuit de sa génération, 1°. que si on tire les droites K I, p m, perpendiculaires à A B, on aura A p : K B : : A m : I H, mais A m = I H, & par conséquent A p = K B ; d'où il s'ensuit que A K = p B, & p m = I K.

2°. Il s'ensuit aussi que la cissoïde A m O coupe la demi-circonférence A O B en deux également au point O.

3°. De plus A K : K I : : K I : K B ; c'est-à-dire que A K : p N : : p N : A p ; d'ailleurs A K, p N : : A p : p m ; donc p N : A p : : A p : p m ; & par conséquent A K, p N, A p & p m, sont quatre lignes & proportion continue ; & l'on prouvera de la même maniere que A p, p m, A K, & K L sont en proportion continue.

4°. Dans la cissoïde, le cube de l'abscisse A p est égal à un solide formé du quarré de la demi-ordonnée p m, & du complément p B au diametre du cercle générateur.

Et par conséquent lorsque le point p, tombe en B, & qu'on a p B = o, on a y2 = a3/o, & par conséquent 0 : 1 : : a3 : y2 ; c'est-à-dire que la valeur de y devient infinie : & qu'ainsi la cissoïde A m O L, quoiqu'elle approche continuellement & de plus près que toute distance donnée de la droite B C, ne la rencontre cependant jamais.

5°. B C est donc l'asymptote de la cissoïde. Voyez ASYMPTOTE.

Les anciens faisoient usage de la cissoïde, pour trouver deux moyennes proportionnelles entre deux droites données. En effet, supposons qu'on cherche par exemple deux moyennes proportionnelles entre deux lignes données égales à A K & à p m, il n'y a qu'à supposer la cissoïde tracée ; puis prenant sur l'axe A B une portion = A K, & tirant l'ordonnée de la cissoïde = p m, on trouvera les moyennes proportionnelles p N & A p. Voyez PROPORTIONNELLE.

On trouve dans la derniere section de l'application de l'Algebre à la Géométrie, par M. Guisnée, les propriétés principales de la cissoïde expliquées avec beaucoup de clarté.

M. Newton a donné dans ses opuscules la longueur d'un arc quelconque de la cissoïde. Ce problème se résout par le calcul intégral. (O)


CISSOTOMIESS. f. plur. (Myth.) fêtes qu'on célebroit en l'honneur d'Hébé, déesse de la jeunesse. Elles étoient ainsi appellées, des feuilles de lierre qu'on y coupoit. Ant. expl. tom. II. p. 213.


CISTES. m. cistus, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit arrondi & terminé en pointe. Ce fruit s'ouvre par le sommet : il est composé de plusieurs capsules, & il renferme des semences ordinairement fort petites. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CISTERCIENSreligieux de l'ordre de Cîteaux. Voyez CITEAUX.


CISTERNA(Géog.) petite ville d'Italie en Piémont, sur les confins du marquisat d'Asti.


CISTOPHORES. m. (Antiq.) c'est ainsi qu'on appelle les médailles ou plûtôt les monnoies anciennes où l'on voit des corbeilles ; ces monnoies étoient si communes, que la levée des tributs se nommoit quelquefois levée du cistophore. Antiq. expl.


CITADELLA(Géog.) petite ville forte avec un port, capitale de l'île de Minorque, qui est aux Anglois. Long. 21. 48. lat. 39. 58.

CITADELLA, (Géog.) petite ville d'Italie dans le territoire de Padoue, près de la Brente.


CITADELLES. f. on appelle ainsi dans la Fortification, un lieu particulier d'une place, fortifié du côté de la ville & de la campagne, qui est principalement destiné à mettre des soldats pour contenir dans le devoir les habitans de la place.

Les citadelles ont ordinairement quatre ou cinq bastions ; & au plus six ; elles sont presque toûjours de figure réguliere, à moins qu'elles ne soient construites sur des lieux qui ont peu d'espace, ou qui soient fortifiés par des situations inaccessibles, comme la citadelle de Besançon : elles sont placées sur l'enceinte de maniere qu'une partie est dans la ville, & l'autre dans la campagne.

La ville n'est point fortifiée du côté de la citadelle, afin que les habitans n'ayent rien qui les mette à couvert de son canon, & qu'elle puisse commander partout dans la ville : c'est pourquoi elle doit être encore fortifiée avec plus de soin ; parce que si elle étoit plus foible, l'ennemi commenceroit par l'attaquer ; & lorsqu'il en seroit le maître, il le seroit aussi de la ville : au lieu qu'étant obligé de commencer son attaque par celle-ci, il faut après sa prise faire un second siége pour s'emparer de la citadelle.

Entre la ville & la citadelle on laisse un grand espace vuide de maisons dans l'étendue de la portée du fusil, que l'on nomme l'esplanade. Cet espace sert à empêcher qu'on ne s'approche de la citadelle sans en être découvert.

On ne fait point de citadelles au milieu des villes, parce qu'elles ne pourroient être secourues dans les cas de rébellion. On en construit quelquefois entierement hors des villes ; mais elles y sont jointes par quelques lignes ou quelque ouvrage de communication.

La citadelle doit être placée dans le terrein le plus élevé de la ville, afin qu'elle en commande toutes les fortifications. On la place aussi de maniere qu'elle puisse disposer des eaux de la ville, desorte que l'ennemi après s'être emparé de la ville, ne puisse les lui ôter.

Pour donner une idée de la maniere dont on peut tracer le dessein d'une citadelle, soient (Planc. IV. de Fortificat. fig. 6.) les bastions L, E, M, le côté ou la partie de l'enceinte où l'on veut placer la citadelle. Ces bastions ne seront point mis au trait dans le plan, mais au crayon, parce qu'il faudra en détruire un pour faire entrer la citadelle dans la place. Soit le bastion E qu'on se propose de détruire.

On prolongera sa capitale indéfiniment vers la campagne & vers la ville. On choisira un point D sur cette capitale plus ou moins avancé vers la ville, selon la position qu'on voudra donner à la citadelle ; on élevera sur ce point D une perpendiculaire A B, sur laquelle on prendra D A & D B chacune de 90 toises, afin d'avoir le côté A B de 180.

Présentement si l'on veut que la citadelle soit un pentagone régulier, on cherchera par la trigonométrie ou autrement le rayon du pentagone, dont le côté est de 180 toises, on le trouvera de 152. On prendra avec le compas ce même nombre de toises sur l'échelle ; puis des points A & B pris pour centre & de cet intervalle, on décrira deux arcs qui se couperont dans un point C qui sera le centre de la citadelle.

Du point C on décrira un cercle du rayon C B, on portera le côté A B cinq fois sur sa circonférence, & l'on aura le pentagone que doit former la citadelle, & qu'on fortifiera comme on l'a enseigné dans les constructions de M. de Vauban. Voyez l'article FORTIFICATION. Elémens de Fortification, par N. Leblond.

Les citadelles ne doivent avoir que deux portes, l'une pour aller de la citadelle dans la ville, & réciproquement de celle-ci dans la citadelle ; l'autre pour entrer de la campagne dans la citadelle : cette porte ne s'ouvre que pour recevoir du secours du dehors, & pour cet effet on la nomme porte du secours.

Les citadelles sont jointes aux villes de plusieurs manieres, suivant la disposition de la ville & de la citadelle ; mais celle-ci doit être toûjours placée de maniere que la ville n'ait aucun ouvrage ou aucun flanc qui puisse battre la citadelle, ni aucun ouvrage qui la commande. On joint l'enceinte de la place à la citadelle par des especes de murs qui aboutissent sur les capitales des bastions de la citadelle, sur celles des demi-lunes, ou enfin sur le milieu des courtines. Cette derniere disposition est la meilleure. Ces murs ont un rempart jusqu'à la distance de 40 ou 50 toises de la citadelle ; on les nomme lignes de communication : elles ne sont autre chose dans cet espace, qu'un mur de maçonnerie de quatre ou cinq piés d'épaisseur, & de même hauteur que le rempart de la place. Sur la partie supérieure de ce mur on éleve un garde-fou de deux piés d'épaisseur & de six piés de hauteur ; on le perce de creneaux pour découvrir dans la campagne.

Quand on construit des citadelles aux villes maritimes, on les dispose de maniere qu'elles commandent la ville, le port & la campagne. Celle du Havre-de-Grace est placée de cette maniere : elle peut servir de modele pour la position de ces sortes de citadelles.

Les villes maritimes, outre les citadelles, sont encore quelquefois défendues par des châteaux qui commandent au port. Dans ces sortes de villes on construit ordinairement des jettées, qui sont des especes de digues, de fortes murailles, ou chaussées, qu'on bâtit aussi avant qu'on le peut dans la mer, en y jettant une très-grande quantité de gros quartiers de pierres. A leur extrémité, on établit des forts dont le canon empêche que les vaisseaux ennemis ne s'approchent du port, & par conséquent de la ville. La figure de ces forts n'a rien de déterminé : on leur donne la plus propre à leur faire commander tous les côtés par où l'ennemi peut se présenter.

On construit aussi quelquefois des réduits dans les villes, qui ont le même objet que la citadelle. Voyez REDUIT. (Q)


CITATIONS. f. (Gramm.) c'est l'usage & l'application que l'on fait en parlant ou en écrivant, d'une pensée ou d'une expression employée ailleurs : le tout pour confirmer son raisonnement par une autorité respectable ; ou pour répandre plus d'agrément dans son discours ou dans sa composition.

Dans les ouvrages écrits à la main, on soûligne les citations pour les distinguer du corps de l'ouvrage. Dans les livres on les distingue, soit par un autre caractere, soit par des guillemets. Voyez GUILLEMETS.

Les citations doivent être employées avec jugement : elles indisposent quand elles ne sont qu'ostentation : elles sont blâmables quand elles sont fausses. Il faut mettre le lecteur à portée de les vérifier. En matiere grave, il est à-propos de citer l'édition du livre dont on s'est servi.

Quelques modernes se sont fait beaucoup d'honneur en citant à-propos les plus beaux morceaux des anciens, & par-là ils ont trouvé l'art d'embellir leurs écrits à peu de fraix. Nos prédicateurs citent perpétuellement l'Ecriture & les Peres, moins cependant qu'on ne faisoit dans les siecles passés. Les Protestans ne citent guere que l'Ecriture. Quoi qu'il en soit, s'il est d'heureuses citations, s'il est des citations exactes, il en est aussi beaucoup d'ennuyeuses, de fausses, & d'altérées ou par l'ignorance ou par la mauvaise foi des écrivains, souvent aussi par la négligence de ceux qui citent de mémoire. La mauvaise foi dans les citations est universellement reprouvée ; mais le défaut d'exactitude & d'intelligence n'y est guere moins repréhensible, & peut être même de conséquence suivant l'importance des sujets.

Le projicit ampullas & sesquipedalia verba d'Horace, de même que le scire tuum nihil est de Perse, sont cités communément dans un sens tout contraire à celui qu'ils ont dans l'auteur. Cette application détournée qui n'est pas dangereuse en des sujets profanes, peut devenir abusive quand il s'agit des passages de l'Ecriture, & il en peut résulter des erreurs considérables. En voici entr'autres un exemple frappant, & qui mérite bien d'être observé.

C'est le multi vocati, pauci vero electi (Mat. ch. xx.), passage qu'on nous cite à tous propos comme une preuve décisive du grand nombre des damnés & du petit nombre des élûs ; mais rien, à mon avis, de plus mal entendu ni de plus mal appliqué. En effet, à quelle occasion Jesus-Christ dit-il, beaucoup d'appellés, mais peu d'élûs ? C'est particulierement dans la parabole du pere de famille qui occupe plusieurs ouvriers à sa vigne, où l'on voit que ceux qui n'avoient travaillé que peu d'heures dans la journée, gagnerent tout autant que ceux qui avoient porté le poids de la chaleur & du jour ; ce qui occasionna les murmures de ces derniers, lesquels se plaignirent de ce qu'après avoir beaucoup fatigué, on ne leur donnoit pas plus qu'à ceux qui n'avoient presque rien fait. Sur quoi le pere de famille s'adressant à l'un d'eux, lui répond : Mon ami, je ne vous fais point de tort ; n'êtes-vous pas convenu avec moi d'un denier pour votre journée ? Prenez ce qui vous appartient, & vous-en allez. Pour moi je veux donner à ce dernier autant qu'à vous. Ne m'est-il pas permis de faire des libéralités de mon bien, & faut-il que votre oeil soit mauvais, parce que je suis bon ? C'est ainsi, continue le Sauveur, que les derniers seront les premiers, & les premiers les derniers, parce qu'il y en a beaucoup d'appellés, mais peu d'élûs.

J'observe d'abord sur ces propositions du texte, SIC erunt novissimi primi & primi novissimi, multi ENIM sunt vocati, pauci vero electi ; j'observe, dis-je, qu'elles sont absolument relatives à la parabole ; & c'est ce que l'on voit avec une pleine évidence par ces conjonctions connues sic, enim, qui montrent si bien le rapport nécessaire de ces propositions avec ce qui précede : elles sont comme le résultat & le sommaire de la parabole ; & si elles ont quelque obscurité, c'est dans la parabole même qu'il en faut chercher l'éclaircissement.

Je dis donc que les élus dont il s'agit ici, ce sont les ouvriers que le pere de famille trouva sur le soir sans occupation, & qu'il envoya, & quoique fort tard, à sa vigne : ouvriers fortunés, qui n'ayant travaillé qu'une heure, furent payés néanmoins pour la journée entiere. Voilà, dis-je, les élus, les favoris, les prédestinés.

Les simples appellés que la parabole nous présente, ce sont tous ces mercenaires que le pere de famille envoya dès le matin à sa vigne, & qui après avoir porté toute la fatigue du jour, furent payés néanmoins les derniers, & ne reçurent que le salaire convenu, le même en un mot que ceux qui avoient peu travaillé. Ce sont tous ceux-là qui, suivant la commune opinion, nous figurent les non-élus, les prétendus réprouvés.

Mais que voit-on dans tout cela qui suppose une réprobation ? Le traitement du pere de famille à l'égard des ouvriers mécontens, a-t-il quelque chose de cruel ou d'odieux, & trouve-t-on rien de trop dur dans le discours sage & modéré qu'il leur adresse ? Mon ami, je ne vous fais point de tort ; je vous donne tout ce que je vous ai promis : je veux faire quelque gratification à un autre, pourquoi le trouvez-vous mauvais ?

On ne voit rien-là qui doive nous faire sécher de crainte, rien qui sente les horreurs d'une réprobation anticipée. J'y vois bien de la prédilection pour quelques-uns ; mais je n'y apperçois ni injustice ni dureté pour les autres : nul n'éprouve un sort funeste ; ceux même qui ne sont qu'appellés sans être élûs, doivent être satisfaits du maître qui les employe, puisqu'il les récompense tous, & qu'il les traite avec humanité. Mon ami, dit-il, je ne vous fais point de tort ; appellé au travail de ma vigne, vous avez reçû le salaire de vos peines ; & quoique vous ne soyez pas du nombre des élûs ou des favoris, vous n'avez pourtant pas sujet de vous plaindre. Paroles raisonnables, paroles même affectueuses, qui me donnent de l'espoir, & nullement de l'épouvante.

Je conclus de ces réflexions si simples, que le multi vocati, pauci vero electi, dont il s'agit, est cité mal-à-propos dans un sens sinistre, & qu'on a tort d'en tirer des inductions desespérantes ; puisqu'enfin ce passage bien entendu & déterminé comme il convient par les circonstances de notre parabole, inspirera toûjours moins d'effroi que de confiance en la divine bonté, & qu'il indique tout au plus les divers degrés de béatitude que Dieu prépare dans le ciel à ses serviteurs : erunt novissimi primi, & primi novissimi. Ibid.

Le multi vocati, pauci vere electi, se trouve encore une autre fois dans l'Ecriture ; c'est au xxij. chap. de S. Matthieu : mais il n'a rien-là de plus sinistre & de plus concluant que ce qu'on a vû ci-dessus.

J'ai aussi un mot à dire sur le fameux ô altitudo de S. Paul, & je montrerai sans peine que l'on abuse encore de ce passage dans les applications qu'on en fait : on le cite presque toûjours en parlant du jugement de Dieu, & il semble que ce soit pour couvrir ce qui paroît trop dur dans le mystere de la prédestination, ou pour calmer les fideles effrayés des célestes vengeances. Mais ce passage, au sens qu'il est cité, loin d'éclairer ou de calmer les esprits, inspire au contraire une frayeur ténébreuse, & nous montre un Dieu plus terrible qu'aimable.

Néanmoins admirez ici le mal-entendu de cette citation : ce passage si peu satisfaisant de la maniere qu'on le présente, est véritablement dans le texte sacré un sujet d'espérance & de consolation, puisqu'il exprime le ravissement où est l'apôtre à la vûe des trésors de sagesse & de miséricorde que Dieu reserve pour tous les hommes.

Dieu, dit S. Paul aux Romains, a permis que tous fussent enveloppés dans l'incrédulité, pour avoir occasion d'exercer sa miséricorde envers tous. Conclusit enim Deus omnia in incredulitate, ut omnium misereatur. Sur quoi l'apôtre s'écrie transporté d'admiration : " O profondeur des trésors de la sagesse & de la science de Dieu ; que ses jugemens sont impénétrables, & ses voies incompréhensibles " ! S. Paul par conséquent, loin de nous annoncer ici la rigueur des jugemens de Dieu, nous rappelle au contraire les effets ineffables de sa bonté. O altitudo divitiarum sapientia & scientiae Dei ! Le dogme de la prédestination n'a donc rien d'effrayant dans ce passage de S. Paul.

Quoi qu'il en soit, certains prédicateurs abusant de ces expressions, & outrant les vérités évangéliques, n'ont que trop souvent allarmé les conscience, & jetté la terreur, le desespoir, où ils devoient inspirer au contraire les plus tendres sentimens de la reconnoissance pour le Dieu des miséricordes. Mais hélas que ce prétendu zele, que ce zele outré a causé de maux !

Les auditeurs épouvantés, méconnoissant leur créateur & leur pere dans le Dieu foudroyant qu'on leur prêchoit, ont secoüé pour la plûpart le joug de la foi, & se sont livrés à l'incrédulité ; disposition funeste qui sappe le fondement des vertus & qui assûre le triomphe des vices. Article de M. FAIGUET, maître de pension à Paris.

CITATION, (Théolog.) Les citations sont la base de la Théologie. Les citations de l'ancien Testament qu'on trouve dans le nouveau, ont donné lieu à des doutes, des disputes, & des objections spécieuses de la part des ennemis de la religion chrétienne. Julien, Porphire, les Juifs & les esprits fort modernes, reprochent aux Chrétiens que les apôtres citent souvent des passages de l'ancien Testament, & des prophéties comme accomplies dans la personne de Jesus-Christ ; que cependant il arrive fréquemment, ou que ces passages ainsi cités ne se trouvent point dans l'ancien Testament, ou ne sont point employés dans le sens littéral & naturel qu'ils semblent présenter dans l'ancien Testament ; ce qui paroît évidemment, ajoûte-t-on, par ce passage de S. Matthieu, chap. xj. vers. 15. Ex Aegypto vocavi filium meum, qui pris à la lettre se rapporte à la sortie des Israélites d'Egypte.

Cette difficulté a paru insurmontable à quelques auteurs ; d'autres pour la résoudre ont pris différentes routes. Quelques-uns ont recours à un double accomplissement, & prétendent que quoique les prophéties ayent été accomplies une premiere fois dans certains évenemens, elles peuvent l'être encore une fois dans la personne du Messie. Mais d'autres rejettent ce double accomplissement, à moins que le prophete lui-même ne le déclare, rendant par ce moyen toute la prophétie inutile.

Entre ces deux extrémités presque également vicieuses, quelques-uns ont embrassé une opinion fort raisonnable, & qui paroît fondée ; c'est de dire qu'il y a des prophéties typiques sur le Messie, lesquelles ont deux objets ; l'un prochain & immédiat, qui est comme l'ombre ou la figure du Messie contenue dans l'ancienne loi, & qui a eu un accomplissement imparfait & commencé ; l'autre éloigné, mais principal, savoir le Messie, en qui ces prophéties ont eu leur plein & entier accomplissement : le premier n'étoit que le type du second, & par conséquent celui-ci étoit le principal ; & de ce genre est le passage cité dans l'objection, qui pour avoir été accompli en figure par la sortie des Israélites d'Egypte, n'en a pas moins été une prophétie bien appliquée & pleinement accomplie dans le retour de J. C. d'Egypte après la mort d'Hérode.

Pour lever le reste de la difficulté, on observe que les Juifs rabbins prennent beaucoup de libertés en citant ou en interprétant les Ecritures, & l'on suppose que les apôtres ont suivi la même méthode dans leurs citations ; mais cette supposition n'est pas fondée : en effet, les apôtres instruits immédiatement par J. C. & inspirés par le S. Esprit, n'avoient aucun besoin de recourir aux regles des docteurs juifs dans leurs citations.

Néanmoins en conséquence de cette supposition, M. Surenhusius professeur en hébreu à Amsterdam, a tâché de retrouver ces regles perdues depuis si long-tems, & a donné à cet effet un savant traité intitulé sepherhamechawe, ou , in quo secundùm veterem theologorum hebraeorum formulam allegandi & modos interpretandi, conciliantur loca ex veteri in novo Testamento allegata. Il y remarque d'abord quantité de différences qui se trouvent dans les différentes manieres de citer usitées dans les Ecritures ; comme il a été dit ; il est écrit, afin que ce qu'ont dit les prophetes fût accompli, l'Ecriture dit, voyez ce qui est dit, l'Ecriture a prédit, il n'est point dit, &c. Il ajoûte que les livres de l'ancien Testament ayant été arrangés différemment en divers tems & sous différens noms, c'est pour cela qu'un livre ou un auteur sont souvent confondus avec un autre.

Pour ce qui regarde les regles de citation & d'interprétation pratiquées par les rabbins, il en rapporte dix, qu'il a recueillies après une étude profonde du talmud & des anciens docteurs juifs, dont il donne des exemples tirés des écrits des apôtres ; & par ces regles il tâche d'expliquer & de justifier toutes les citations de l'ancien Testament employées dans le nouveau. Ces regles sont 1°. de lire les mots, non pas suivant les points qui sont placés au-dessous, mais suivant d'autres qu'on leur substitue, comme ont fait S. Pierre, act. ch. iij. vers. 3. S. Etienne, act. chap. vij. vers. 47. & S. Paul, 1. Corinth. chap. xv. vers. 54. & 2. Corinth. chap. viij. vers. 15. La seconde est de changer les lettres, comme a fait S. Paul, Rom. chap. jx. vers. 33. 1. Corinth. ch. xj. vers. 9. & chap. x. vers. 5. & S. Etienne, act. vij. vers. 43. La troisieme est de changer les lettres & les points, comme a fait S. Paul, act. ch. xiij. vers. 41. & 2. Corinth. ch. viij. vers. 15. La quatrieme est d'ajoûter quelques lettres & d'en retrancher d'autres. La cinquieme est de transposer les mots & les lettres. La sixieme est de partager un mot en deux. La septieme, d'ajoûter d'autres mots pour rendre le sens plus clair. La huitieme, de changer l'ordre des mots. La neuvieme, de changer l'ordre des mots & d'en ajoûter d'autres : c'est ce qu'ont fait les apôtres, dit M. Surenhusius, par rapport aux deux dernieres regles. Et la dixieme enfin, c'est de changer l'ordre des mots, d'en ajoûter quelques-uns, & d'en retrancher d'autres ; & c'est selon le même auteur la méthode que S. Paul a suivie fort souvent.

D'autres auteurs, comme l'évêque Kidder, M. Leclerc & M Sike, levent la difficulté d'une maniere satisfaisante à certains égards, mais dangereuse à d'autres. Selon eux, cette forme ordinaire de citation dont se servent les évangélistes, afin que ce que les prophetes ont annoncé fût accompli, ne signifie rien de plus qu'une maniere d'adapter les passages des prophetes au cas présent par un sens d'accommodation : principe trop général, & qui demande des exceptions ; on en verra un exemple ci-dessous. Le mot , accompli, ne nous détermine pas, ajoûtent-ils, à un tel sens, comme si les évangélistes avoient dessein de dire que la prédiction des évenemens futurs est accomplie ; mais il exprime seulement qu'on a ajusté les termes qu'on a cités. Si cette raison avoit lieu, il n'y a point de prophétie qu'on ne pût nier avoir été accomplie à la lettre dans Jesus-Christ. Mais pour la faire passer, l'évêque Kidder remarque qu'on peut dire que l'Ecriture est accomplie en deux manieres ; proprement, comme quand la chose prédite arrive ; & improprement, dans un sens d'accommodation, comme quand il arrive dans quelque lieu à quelqu'un quelque chose qui est déjà arrivée quelque tems auparavant ailleurs & à une autre personne. C'est ainsi, ajoûte-t-il, que S. Matthieu dit à l'occasion du massacre des Innocens, qu'alors fut accompli ce qui avoit été dit par le prophete Jérémie : Une voix se fit entendre dans Rama, &c. L'exemple est bien choisi, mais le principe est trop vague, & n'est pas applicable aux prophéties littéralement accomplies dans Jesus-Christ, & il s'en trouve un très-grand nombre de cette espece dans l'évangile.

Cette interprétation de l'évêque Kidder est confirmée par M. Leclerc, qui remarque que les Juifs ont coûtume de dire dans leur langue, qu'un passage de l'Ecriture est accompli toutes les fois qu'il arrive une chose à laquelle on peut l'appliquer ; desorte que S. Matthieu qui étoit hébreu, & qui écrivit (comme on le suppose communément) en cette langue, ne vouloit dire autre chose dans le passage qu'on vient de citer, sinon qu'il étoit arrivé une chose à laquelle on pouvoit appliquer ce que Jérémie avoit dit dans une autre occasion. M. Sike abusant du principe de M. Leclerc, avance qu'en citant ce passage d'Isaïe, une vierge enfantera, &c. les évangélistes ne se proposent que de rapporter ces mots du prophete, qui conviennent fort bien à la naissance de J. C. mais non comme une prophétie de sa naissance. Ce sentiment de M. Sike n'est pas nouveau ; Grotius l'avoit imaginé, & M. Richard Simon l'a soûtenu ; mais M. Bossuet en a pleinement démontré la fausseté, aussi-bien que le P. Balthus jésuite, dans le savant ouvrage intitulé défense des prophéties, qui parut en 1738, & auquel nous renvoyons le lecteur. On peut encore consulter à ce sujet Maldonat, dans son commentaire sur le second chapitre de S. Matthieu, où il donne quatre regles pour juger des citations & discerner les prophéties accomplies littéralement dans Jesus-Christ, d'avec celles qui n'y ont été accomplies que dans un sens d'accommodation : regles simples, beaucoup plus sûres & moins équivoques que celles des trois derniers auteurs protestans dont nous venons de parler. (G)

Il ne sera pas inutile de rapporter ici quelques usages en matiere de citations, soit théologiques, soit de jurisprudence.

Parmi les livres sapientiaux de l'Ecriture sainte, il y en a un qui a pour titre l'ecclésiaste , concionator, & un autre appellé l'ecclésiastique , ecclesiasticus, concionalis : quand on cite le premier, on met en abrégé eccle. au lieu que quand on rapporte un passage du second, on met eccli. ensuite on ajoûte le chapitre & le verset.

Comme la somme de S. Thomas est souvent citée par les Théologiens, il faut observer que cette somme contient trois parties, & que la deuxieme partie est divisée en deux parties, dont la premiere est appellée la premiere de la deuxieme, & la deuxieme s'appelle la deuxieme de la deuxieme. Chaque partie est divisée en questions, chaque question en articles ; chaque article commence par les objections, ensuite vient le corps de l'article, qui contient les preuves de l'assertion ou conclusion ; après quoi viennent les réponses aux objections, & cela par ordre, une réponse à la premiere objection, &c. Il est facile maintenant de comprendre la maniere de citer S. Thomas : s'il s'agit d'un passage de la premiere partie, après avoir rapporté le passage, on met par ex. I. p. q. 1. a. j. c'est-à-dire primâ parte, quoestione primâ, articulo primo. Si le passage est tiré du corps de l'article où sont contenues les preuves, on ajoûte in c. ce qui signifie in corpore articuli.

Si le passage est pris de la réponse aux objections, on cite ad 1. c'est-à-dire à la réponse à la premiere objection, ainsi de la deuxieme objection, de la troisieme, &c.

A l'égard de la deuxieme partie de la somme de S. Thomas, comme elle est divisée en deux parties, si le passage est tiré de la premiere partie, on met un I & un 2. c'est-à-dire in primâ parte secundae partis.

Si le passage est tiré de la seconde partie de cette seconde partie, on met II. 2. c'est-à-dire secundâ secundae, dans la soû-division ou deuxieme partie de la deuxieme partie de la somme de S. Thomas. (F)

CITATIONS DE DROIT, (Jurisprud.) sont les textes de droit que l'on indique pour appuyer ce qui est avancé.

Les citations fréquentes en plaidant furent introduites sous le président de Thou. Pasquier, en parlant des avocats de ce tems, dit que erubescebant sine lege loqui : ils citoient non-seulement des textes de droit, mais aussi les historiens, les orateurs, les poëtes, & la plûpart de ces citations étoient souvent inutiles & déplacées.

Les jurisconsultes du xvj. siecle sont tombés dans le même excès par rapport aux citations ; leurs écrits en sont tellement chargés, que l'on y perd de vûe le fil du discours, & l'on y trouve beaucoup plus de citations que de raisonnement.

Quelques-uns tombent présentement dans un autre excès, soit en plaidant, soit en écrivant ; ils ont honte de citer, & sur-tout des textes latins, qui semblent être aujourd'hui moins familiers qu'autrefois. Ce genre d'érudition est regardé par certaines gens comme un bagage d'antiquité dont on ne doit plus se charger : c'est une opinion que l'ignorance a enfantée, & que la paresse nourrit. On ne doit pas recourir à des citations peu convenables au sujet, ni s'arrêter à prouver ce qui n'est pas contesté ; mais il est toûjours du devoir de l'avocat & du jurisconsulte de citer les lois & autres textes qui établissent une proposition controversée ; il doit seulement user modérément des citations, ne pas en surcharger son discours, & faire choix de celles qui sont les plus précises & les plus frappantes.

Comme les citations de Droit sont ordinairement écrites en abrégé, nous les allons exposer ici pour en donner l'intelligence.

Citations du Droit civil.

Ap. Justin. ou institut. signifie aux institutes.

D. ou ff. aux digestes.

Code ou c. au code.

Code théod. au code théodosien.

Cod. repet. praelect. repetitae praelectiones.

Authent. ou auth. dans l'authentique.

Leg. ou l. dans la loi.

§. ou parag. au paragraphe.

Novel. dans la novelle.

Novel. Leon. novelles de l'empereur Léon.

Argum. leg. par argument de la loi.

Glos. dans la glose.

H. t. en ce titre.

Eod. tit. au même titre.

In p. ou in princ. au commencement.

In f. à la fin.

Citations du Droit canon.

C. ou can. au canon.

Cap. au chapitre.

Caus. dans une cause de la seconde partie du decret de Gratien.

De cons. dans la troisieme partie du decret qui traite de la consécration.

De poen. au traité de la pénitence qui est dans la seconde partie du decret.

Dist. dans une distinction du decret de Gratien.

Ex. ou extra. c'est dans les decrétales de Grégoire IX.

Ap. Grég. IX. dans les mêmes decrétales.

Extrav. Joan. dans une des extravagantes ou constitutions de Jean XXII.

Extrav. comm. dans les extravagantes communes.

In sexto ou in 6. dans la collection de Boniface VIII. appellée le sexte.

Ap. Bon. ou appendix Bonifacii, dans le sexte.

Q. q. ou quaest. question.

. ou vers. au verset. (A)

CITATION EN JUGEMENT, (Jurispr.) que l'on appelloit chez les Romains in jus vocatio, revenoit à-peu-près à ce que l'on appelle parmi nous ajournement ou assignation. On ne voit point de quelle maniere se faisoient ces sortes de citations du tems des rois & des premiers consuls ; mais on voit que par la loi des douze tables il étoit ordonné au défendeur de suivre le demandeur lorsqu'il vouloit le conduire devant le juge. Dans la suite cette procédure changea de forme ; car long-tems avant Justinien il n'étoit plus permis de citer verbalement son adversaire en jugement ; il falloit dès-lors que l'assignation fût libellée, comme cela s'observe parmi nous, & l'on convenoit du jour auquel on devoit se présenter devant le juge.

Il n'étoit pas permis de citer en jugement toutes sortes de personnes ; on en exceptoit les magistrats de Rome, sur-tout les consuls, les préteurs, le préfet de la ville, & autres qui étoient qualifiés magistratus urbani. Il en étoit de même des magistrats de province tant qu'ils étoient en charge, d'un pontife, & des juges pedanées, pendant qu'ils exerçoient leurs fonctions ; de ceux qui gardoient quelque lieu consacré par la religion : ceux qui recevoient les honneurs du triomphe, ceux qui se marioient, ceux qui faisoient les honneurs d'une pompe funebre, ne pouvoient être inquiétés pendant la cérémonie ; enfin ceux qui étoient sous la puissance d'autrui, ne pouvoient être cités en jugement, qu'ils ne fussent joüissans de leurs droits.

Les peres, les patrons, les peres & les enfans des patrons, ne pouvoient, suivant le droit naturel, être cités en jugement par leurs enfans ou leurs affranchis, sans une permission du juge ; autrement le demandeur étoit condamné à payer cinquante sesterces.

Il falloit même, suivant le droit civil, une semblable permission du préteur pour citer en jugement quelque personne que ce fût, sans quoi le défendeur avoit action à ce sujet contre le demandeur ; mais si le préteur autorisoit dans la suite la citation, il n'y avoit plus d'action contre le demandeur.

La citation en jugement étoit quelque chose de plus fort qu'une simple action. Voyez le titre du digeste de in jus vocando ; le trésor de Brederode, au mot citare ; l'hist. de la jurisprud. rom. par M. Terrasson, pp. 94. & 95.

CITATION, (Jurisp.) est aussi un ajournement qui se donne par un appariteur, pour comparoître devant un juge d'église.

Les citations générales sont abusives ; elles doivent être libellées, & les causes exprimées.

Un laïc cité devant un juge d'église, pour une cause qui n'est pas de sa compétence, peut interjetter appel comme d'abus de la citation. Voyez APPARITEUR & JUGE D'EGLISE ; Tournet, let. c. n. 75. Stokmans, décis. 116. bibliot. de Bouchel, aux mots appellations, citations, violences, & roi des ribauds. biblioth. canoniq. tom. I. pag. 250. col. 1. & 263. col. 2. Dufail, liv. I. chap. cxcvj. Basset, tome I. liv. I. tit. 8. chap. j. & iij. Filleau, IV. part. quaest. 49. le dixieme plaidoyer de Gautier, tom. II.

Les sujets du roi ne peuvent être cités en cour de Rome. Mémoires du clergé, premiere édit. tome I. part. I. p. 908. Bouchel, au mot citation. Tournet, let. c. n. 74. tome I. des preuves des libertés, chap. jx. n. 8. (A)


CITÉS. f. (Politiq.) est la premiere des grandes sociétés de plusieurs familles, où les actes de la volonté & l'usage des forces sont résignés à une personne physique ou à un être moral, pour la sûreté, la tranquillité intérieure & extérieure, & tous les autres avantages de la vie. Voyez SOCIETE & FAMILLE. La personne physique, ou l'être moral dépositaire des volontés & des forces, est dite commander ; les personnes qui ont résigné leurs volontés & leurs forces, sont dites obéir. L'idée de cité suppose donc le rapport d'une personne physique ou d'un être moral public qui veut seul, à des êtres physiques privés qui n'ont plus de volonté. Toute cité a deux origines, l'une philosophique, l'autre historique. Quant à la premiere de ces origines, il y en a qui prétendent que l'homme est porté par sa nature à former des cités ou sociétés civiles ; que les familles tendent à se réunir, c'est-à-dire à résigner leurs forces & leurs volontés à une personne physique, ou à un être moral : ce qui peut être vrai, mais ce qui n'est pas facile à prouver. D'autres la déduisent de la nécessité d'une société civile par la formation & la subsistance des moindres sociétés, la conjugale, la paternelle, & l'hérile ; ce qui est démontré faux par l'exemple des patriarches qui vivoient en familles libres & séparées. Il y en a qui ont recours ou à l'indigence de la nature humaine, ou à sa crainte du mal, ou à un appétit violent des commodités de la vie, ou même à la débauche ; ce qui suffiroit bien pour rassembler les familles en société civile, & pour les y maintenir. La premiere ville ou cité fut construite par Caïn. Nemrod, qui fut méchant, & qui affecta un des premiers la souveraineté, fut aussi un fondateur de cités. Nous voyons naître & s'accroître la corruption & les vices, avec la naissance & l'accroissement des cités. L'histoire & la philosophie sont donc d'accord sur leurs origines. Quelles que soient les lois de la cité où l'on s'est retiré, il faut les connoître, s'y soûmettre, & les défendre. Quand on se représente en esprit des familles s'assemblant pour former une cité, on ne conçoit entre elles que de l'égalité. Quand on se les représente assemblées, & que la résignation des volontés & des forces s'est faite, on conçoit de la subordination, non-seulement entre les familles, mais entre les individus. Il faut faire le même raisonnement par rapport aux cités entr'elles. Quand on se représente en esprit les cités isolées, on ne conçoit que de l'égalité entr'elles ; quand on se les représente réunies, on conçoit la formation des empires & la subordination des cités, soit entr'elles, soit à quelque personne physique, ou à quelque être moral. Que n'en peut-on dire autant des empires ! Mais c'est par cela même qu'il ne s'est point formé de combinaison des empires, que les souverains absolus restent égaux, & vivent seuls indépendans & dans l'état de nature. Le consentement qui assûre, soit la subordination des familles dans une cité, soit celle des cités dans un empire, à une personne physique, ou à un être moral, est démontré par le fait ; & celui qui trouble l'ordre des familles dans la cité est mauvais citoyen ; & celui qui trouble l'ordre des cités dans l'empire est mauvais sujet ; & celui qui trouble l'ordre des empires dans le monde, est mauvais souverain. Dans un état bien ordonné, une cité peut être regardée comme une seule personne, & la réunion des cités comme une seule personne, & cette derniere personne comme soûmise à une autorité qui réside dans un individu physique, ou dans un être moral souverain, à qui il appartient de veiller au bien des cités en général & en particulier.

Le mot cité désignoit anciennement un état, un peuple avec toutes ses dépendances, une république particuliere. Ce nom ne convient plus guere aujourd'hui qu'à quelques villes d'Allemagne ou des cantons suisses.

Quoique les Gaulois ne fussent qu'une même nation, ils étoient cependant divisés en plusieurs peuples, formant presqu'autant d'états séparés, que César appelle cités, civitates. Outre que chaque cité avoit ses assemblées propres, elle envoyoit encore des députés à des assemblées générales, où l'on discutoit les intérêts de plusieurs cantons. Mais la cité, ou métropole, ou capitale, où se tenoit l'assemblée, s'appelloit par excellence civitas. Les Latins disoient civitas Aeduorum, civitas Lingonum, civitas Senonum ; & c'est sous ces noms qu'Autun, Langres & Sens sont désignées dans l'itinéraire d'Antonin.

Dans la suite on n'appella cité que les villes épiscopales ; cette distinction ne subsiste plus guere qu'en Angleterre, où le nom de cité n'a été connu que depuis la conquête ; avant cette époque, toutes les villes s'appelloient bourgs. Chassane, sur la coûtume de Bourgogne, dit que la France a 104 cités, & il en donne pour raison qu'elle a 104 tant évêchés qu'archevêchés. Quand une ville s'est aggrandie avec le tems, on donne le nom de cité à l'espace qu'elle occupoit primitivement ; ainsi il y a à Paris la cité & l'université ; à Londres, la cité & les fauxbourgs ; & à Prague & à Cracovie, où la ville est divisée en trois parties, la plus ancienne s'appelle cité. Le nom de cité n'est plus guere d'usage parmi nous qu'en ce dernier sens ; on dit en toute autre occasion, ou ville, ou fauxbourg, ou bourg, ou village. Voyez ces articles.

CITE, (Droit de) Jurisprud. est la qualité de citoyen ou bourgeois d'une ville, & le droit de participer aux priviléges qui sont communs à tous les citoyens de cette ville.

Chez les Romains, le droit de cité, c'est-à-dire la qualité de citoyen romain, fut considéré comme un titre d'honneur, & devint un objet d'émulation pour les peuples voisins qui tâchoient de l'obtenir.

Il n'y eut d'abord que ceux qui étoient réellement habitans de Rome qui joüirent du titre & des priviléges de citoyens romains. Romulus communiqua le droit de cité aux peuples qu'il avoit vaincus, qu'il amena à Rome. Ses successeurs firent la même chose, jusqu'à ce que la ville étant assez peuplée, on permit aux peuples vaincus de rester chacun dans leur ville ; & cependant pour les attacher plus fortement aux Romains, on leur accorda le droit de cité ou de bourgeoisie romaine, ensorte qu'il y eut alors deux sortes de citoyens romains ; les uns qui étoient habitans de Rome, & que l'on appelloit cives ingenui ; les autres qui demeuroient dans d'autres villes, & que l'on appelloit municipes. Les consuls & ensuite les empereurs, communiquerent les droits de cité à différentes villes & à différens peuples soûmis à leur domination.

La loi 7. au code de incolis, porte que le domicile de quelqu'un dans un endroit ne lui attribue que la qualité d'habitant, mais que celle de citoyen s'acquiert par la naissance, par l'affranchissement, par l'adoption, & par l'élévation à quelque place honorable.

Les droits de cité consistoient chez les Romains, 1°. à joüir de la liberté ; un esclave ne pouvoit être citoyen romain, & le citoyen romain qui tomboit dans l'esclavage, perdoit les droits de cité : 2°. les citoyens romains n'étoient point soûmis à la puissance des magistrats en matiere criminelle ; ils arrêtoient leurs poursuites en disant civis Romanus sum ; ce qui tiroit son origine de la loi des douze tables, qui avoit ordonné qu'on ne pourroit décider de la vie & de l'état d'un citoyen romain, que dans les comices par centuries : 3°. ils avoient le droit de suffrages dans les affaires de la république : 4°. ils étoient les seuls qui eussent sur leurs enfans la puissance telle que les lois romaines la donnent : 5°. ils étoient aussi les seuls qui pussent exercer le sacerdoce & la magistrature, & avoient plusieurs autres priviléges.

Le droit de cité se perdoit, 1°. en se faisant recevoir citoyen d'une autre ville ; 2°. en commettant quelque action indigne d'un citoyen romain, pour laquelle on encouroit la grande dégradation appellée maxima capitis diminutio, qui ôtoit tout-à-la-fois le droit de cité & la liberté : 3°. la moyenne dégradation, appellée media capitis diminutio, ôtoit aussi le droit de cité : telle étoit la peine de ceux qui étoient effacés du rôle des citoyens romains, pour s'être fait inscrire sur le rôle d'une autre ville : ceux qui étoient exilés ou relégués dans une île, souffroient aussi cette moyenne dégradation, & conséquemment perdoient les droits de cité. Voyez l'hist. de la jurisprud. rom. par M. Terrasson.

Parmi nous il n'y a que la naissance ou les lettres du prince qui attribuent les droits de cité. On confond quelquefois le droit de cité avec celui de bourgeoisie ; cependant le droit de cité est plus étendu que celui de bourgeoisie, il comprend aussi quelquefois l'incolat, & même tous les effets civils.

En effet, celui qui est banni d'un lieu ne perd pas seulement le droit de bourgeoisie, il perd absolument les droits de cité, c'est-à-dire tous les priviléges accordés aux habitans du lieu ; & si le bannissement est hors du royaume, il perd tous les effets civils.

On peut perdre les droits de cité sans perdre la liberté, comme il arrive dans celui qui est banni ; mais la perte de la liberté emporte toûjours la perte des droits de cité. Voyez Furgole, des testamens, tome I. p. 198. Dunod, tr. de la main-morte, p. 39. au mot BOURGEOISIE. (A)


CITEAUX(Hist. ecclés.) ordre religieux réformé de celui de S. Benoît, & composé d'un très-grand nombre de monasteres d'hommes & de filles, qu'on nomme Cisterciens, & le plus communément Bernardins & Bernardines. Voyez BERNARDINS.

Cet ordre commença en 1075 par vingt-un religieux du monastere de Molesme en Bourgogne, qui trouvant que la regle de S. Benoît n'étoit pas assez exactement observée dans cette maison, obtinrent, avec Robert leur abbé, permission de Hugues archevêque de Lyon & légat du saint siége, d'aller s'établir à quatre lieues de Dijon, dans un lieu nommé Cîteaux, Cistercium, à cause, dit-on, du grand nombre de citernes qu'on y avoit creusées. Othon ou Eudes I. du nom, duc de Bourgogne, leur y bâtit une maison où ils entrerent en 1098, & qu'il fonda très-richement. L'évêque de Châlons donna à Robert le bâton pastoral en qualité d'abbé. L'abbé de Cîteaux est général de l'ordre, & conseiller né au parlement de Bourgogne.

Les religieux de Cîteaux peuvent prendre des degrés dans l'université de Paris, & ont à cet effet dans la capitale un collége pour les étudians de leurs différentes maisons, qu'on nomme le collége des Bernardins. Leur ordre a été fécond en hommes illustres ; outre quatre papes qu'il a donnés à l'Eglise, on compte un très-grand nombre de cardinaux, d'évêques, & d'écrivains distingués. L'ordre de Cîteaux est le premier qui ait établi des chapitres généraux par une bulle de Calixte II. en 1119. (G)


CITER(Jurisprud.) c'est assigner quelqu'un devant un juge d'église. Voyez ci-devant CITATION. (A).


CITERNES. f. (Architecture) réservoir soûterrain d'eau de pluie, fait par art pour les divers besoins de la vie. On ne sauroit s'en passer dans plusieurs pays maritimes, dans plusieurs endroits de l'Asie, & d'autres parties du monde. Comme l'eau de toute la Hollande est saumache, toutes les maisons ont des citernes, & il y en a qui sont construites avec un soin, un goût & une propreté admirables. Mais on dit que la plus belle citerne qu'il y ait au monde, se trouve à Constantinople. Les voûtes de cette citerne portent sur deux rangs de 212 piliers chacun ; ces piliers, qui ont deux piés de diametre, sont plantés circulairement, & en rayons qui tendent à celui qui est au centre.

Ainsi un des grands avantages qu'on puisse tirer de l'eau de la pluie, c'est de la ramasser dans des réservoirs soûterrains qu'on appelle citernes, où quand elle a été purifiée en passant au-travers du sable de riviere, elle se conserve plusieurs années sans se corrompre. Cette eau est ordinairement la meilleure de toutes celles dont on peut user, soit pour boire, soit pour l'employer à plusieurs usages, comme pour le blanchissage & pour les teintures, parce qu'elle n'est point mêlée d'aucun sel de la terre, comme sont presque toutes les eaux des fontaines, & même les plus estimées.

Ces citernes sont d'une très-grande utilité dans les lieux où l'on n'a point d'eau de source, ou bien lorsque toutes les eaux de puits sont mauvaises.

Dans ce cas, ceux qui sont curieux d'avoir de bonne eau, observent soigneusement de ne laisser point entrer l'eau des neiges fondues dans la citerne, ni celle des pluies d'orages. Pour ce qui est des neiges fondues, on a quelque raison de les exclure des citernes, non pas à cause des sels qu'on s'imagine qui sont enfermés & mêlés avec les particules de la neige, mais seulement parce que ces neiges demeurent ordinairement plusieurs jours, & quelquefois des mois entiers sur les toits des maisons, où elles se corrompent par la fiente des oiseaux & des animaux, & plus encore par le séjour qu'elles font sur les tuiles, qui sont ordinairement fort sales.

Cependant les Hollandois parent à ces deux derniers inconvéniens, en entretenant leurs toits avec propreté, en en éloignant les animaux, & en filtrant leur eau par des pierres ou des fontaines sablées.

Ce seroit ici le lieu de parler de la construction de leurs citernes, de leur maçonnerie, de leur revêtement de marbre, de leur couverture, de leur propreté, du choix des matériaux qu'ils y employent : car ce n'est pas assez pour former une citerne, que d'avoir un lieu qui tienne bien l'eau, que les pierres & le mortier dont elles sont jointes ne puissent communiquer aucune qualité à cette eau qui y séjourne pendant un tems considérable ; il faut encore de l'art dans la forme, dans la structure, dans les fondemens d'une bonne citerne ; mais ce détail me meneroit trop loin, & seroit presque inintelligible sans les figures.

Comme toutefois ce n'est pas seulement dans des pays tels que la Hollande que les citernes sont nécessaires ; qu'il y a quantité de villes, de lieux, de châteaux dans toute l'Europe, & dans ce royaume, où des citernes seroient d'une très-grande utilité ; que d'ailleurs l'on ne peut douter par toutes les épreuves qu'on a faites, que l'eau de la pluie qui a été purifiée dans du sable de riviere, ne soit la meilleure de toutes celles qu'on puisse employer : M. de la Hire a imaginé, & a communiqué au public (mém. de l'acad. des Sciences, 1703.) les moyens suivans, pour pratiquer en tout pays des citernes qui fourniroient à chaque maison assez d'eau pour l'usage & les besoins de ceux qui y demeurent.

Premierement, il est certain qu'une maison ordinaire qui auroit en superficie 40 toises, lesquelles seroient couvertes de toits, peut ramasser chaque année 2160 piés cubiques d'eau, en prenant seulement 18 pouces pour la hauteur de ce qu'il en tombe, qui est la moindre hauteur que l'on observe communément. Mais ces 2160 piés cubiques valent 75600 pintes d'eau, à raison de 35 pintes par pié, qui est la juste mesure pour la pinte de Paris. Si l'on divise donc ce nombre de pintes par les 365 jours de l'année, on trouvera 200 pintes par jour. On voit par-là que quand il y auroit dans une maison, comme celle qu'on suppose, vingt-cinq personnes, elles auroient huit pintes d'eau chacune à dépenser, ce qui est plus que suffisant pour tous les usages de la vie.

Il ne faut pas négliger un avis de M. de la Hire, sur le lieu & sur la maniere de construire ces sortes de citernes dans les maisons particulieres. On voit dans plusieurs villes de Flandres, vers les bords de la mer, où toutes les eaux des puits sont salées & ameres, à cause que le terrein n'est qu'un sable leger au-travers duquel l'eau de la mer ne se purifie pas, que l'on fait des citernes dans chaque maison pour son usage particulier. Ces citernes ont sans-doute de grands avantages, & elles sont enterrées. Ce sont des especes de caveaux où l'eau se conserve mieux qu'à l'air ; car il est vrai que l'eau, & sur-tout celle de pluie, ne se conserve pas à l'air, à cause du limon dont elle est remplie, qu'elle ne dépose pas entierement en passant par le sable ; qu'elle se corrompt, & qu'il s'y engendre une espece de mousse verte qui la couvre entierement.

C'est pourquoi M. de la Hire voudroit qu'on pratiquât dans chaque maison un petit lieu dont le plancher seroit élevé au-dessus du rez-de-chaussée de 6 piés environ ; que ce lieu n'eût tout au plus que la quarantieme ou cinquantieme partie de la superficie de la maison, ce qui seroit dans notre exemple d'une toise à-peu-près. Ce lieu pourroit être élevé de huit à dix piés, & bien voûté, avec des murs fort épais. Ce seroit dans ce lieu que l'on placeroit un réservoir de plomb, qui recevroit toute l'eau de pluie après qu'elle auroit passé au-travers du sable. Il ne faudroit à ce lieu qu'une très petite porte bien épaisse, & bien garnie de nattes de paille, pour empêcher que la gelée ne pût pénétrer jusqu'à l'eau. Par ce moyen on pourroit distribuer facilement de très-bonne eau dans les cuisines & les lavoirs. Cette eau étant bien renfermée ne se corromproit pas plus que si elle étoit sous terre, & ne geleroit jamais. Son peu d'élévation au-dessus du rez-de-chaussée serviroit assez à la commodité de sa distribution dans tous les lieux du logis. Ce réservoir pourroit être placé dans un endroit où il n'incommoderoit pas par son humidité, autant que ceux d'eau de fontaine qui sont dans plusieurs maisons.

Enfin il y a plusieurs autres endroits où de semblables réservoirs artistement construits suppléeroient aux besoins de la vie, par la position où l'on est de manquer d'eau, & par l'éloignement où l'on se trouve des sources & des rivieres. Souvent nous laissons perdre les bienfaits de la nature, faute de connoissances pour en savoir tirer parti. Art. de M(D.J.)


CITHARES. f. (Hist. anc. & Luth.) instrument ancien, que quelques auteurs croyent avoir été le même que la lyre à sept ou neuf cordes, & que d'autres regardent comme un instrument différent, mais sans en assigner la différence.

Selon les anciens monumens & les témoignages des Grecs & des Latins, elle étoit formée de deux côtés recourbés, & imitant les cornes du boeuf. Le bout des cornes ou le haut étoit tourné en-dehors, & le bas ou l'origine des cornes, en-dedans ; le milieu ou la partie comprise entre les extrémités recourbées s'appelloit le bras ; les côtés ou montans étoient fixes sur une base creuse, destinée à fortifier le son des cordes. Ils étoient assemblés par deux traverses ; les cordes étoient attachées à la traverse d'em-bas, d'où elles alloient se rendre sur des chevilles placées à la traverse d'en-haut. La cithare avoit une base plate, & pouvoit se tenir droite sur cette base : c'étoit l'instrument de ceux qui se disputoient les prix dans les jeux Pithiens ; ils s'en accompagnoient en chantant le sujet de leur chant, donné par les Amphictions au renouvellement des fêtes célébrées en l'honneur d'Apollon, & en mémoire de la défaite du serpent Pithon. Il étoit divisé en cinq parties. La premiere étoit un prélude de guerre ; la seconde, un commencement de combat ; la troisieme, un combat ; la quatrieme, un chant de victoire ; & la cinquieme, la mort de Pithon & les sifflemens du monstre expirant. Il paroît que la cithare & les airs destinés pour cet instrument, sont plus anciens que la flûte & les airs de flûte. Les airs étoient en vers hexametres. Terpandre plus ancien qu'Archiloque, joüa de la cithare par excellence, il fut vainqueur quatre fois de suite dans les jeux Pithiques. Il y en a qui prétendent que notre mot guittare vient du mot cithare, quoiqu'il n'y ait aucune ressemblance entre ces instrumens. Voyez GUITTARE, LYRE, & les mémoires des Inscript.


CITOYENS. m. (Hist. anc. mod. Droit pub.) c'est celui qui est membre d'une société libre de plusieurs familles, qui partage les droits de cette société, & qui joüit de ses franchises. Voy. SOCIETE, CITE, VILLE FRANCHE, FRANCHISES. Celui qui réside dans une pareille société pour quelqu'affaire, & qui doit s'en éloigner, son affaire terminée, n'est point citoyen de cette société ; c'en est seulement un sujet momentané. Celui qui y fait son séjour habituel, mais qui n'a aucune part à ses droits & franchises, n'en est pas non plus citoyen. Celui qui en a été dépouillé, a cessé de l'être. On n'accorde ce titre aux femmes, aux jeunes enfans, aux serviteurs, que comme à des membres de la famille d'un citoyen proprement dit, mais ils ne sont pas vraiement citoyens.

On peut distinguer deux sortes de citoyens, les originaires & les naturalisés. Les originaires sont ceux qui sont nés citoyens. Les naturalisés, ce sont ceux à qui la société a accordé la participation à ses droits & à ses franchises, quoiqu'ils ne soient pas nés dans son sein.

Les Athéniens ont été très-reservés à accorder la qualité de citoyens de leur ville à des étrangers ; ils ont mis en cela beaucoup plus de dignité que les Romains : le titre de citoyen ne s'est jamais avili parmi eux ; mais ils n'ont point retiré de la haute opinion qu'on en avoit conçue, l'avantage le plus grand peut-être, celui de s'accroître de tous ceux qui l'ambitionnoient. Il n'y avoit guere à Athenes de citoyens, que ceux qui étoient nés de parens citoyens. Quand un jeune homme étoit parvenu à l'âge de vingt ans, on l'enregistroit sur le ; l'état le comptoit au nombre de ses membres. On lui faisoit prononcer dans cette cérémonie d'adoption, le serment suivant, à la face du ciel. Arma non dehonestabo ; nec adstantem, quisquis ille fuerit, socium relinquam ; pugnabo quoque pro focis & aris, solus & cum multis ; patriam nec turbabo, nec prodam ; navigabo contr à quamcumque destinatus fuero regionem ; solemnitates perpetuas observabo ; receptis consuetudinibus parebo, & quascumque adhuc populus prudenter statuerit, amplectar ; & si quis leges susceptas sustulerit, nisi comprobaverit, non permittam ; tuebor denique, solus & cum reliquis omnibus, atque patria sacra colam Dii Cognitores, Agrauli, Enyalius, Mars, Jupiter, Floreo, Augesco duci. Plut. in peric. Voilà un prudenter qui, abandonnant à chaque particulier le jugement des lois nouvelles, étoit capable de causer bien des troubles. Du reste, ce serment est très-beau & très-sage.

On devenoit cependant citoyen d'Athenes par l'adoption d'un citoyen, & par le consentement du peuple : mais cette faveur n'étoit pas commune. Si l'on n'étoit pas censé citoyen, avant vingt ans, on étoit censé ne l'être plus lorsque le grand âge empêchoit de vaquer aux fonctions publiques. Il en étoit de même des exilés & des bannis, à moins que ce ne fût par l'ostracisme. Ceux qui avoient subi ce jugement, n'étoient qu'éloignés.

Pour constituer un véritable citoyen romain, il falloit trois choses ; avoir son domicile dans Rome, être membre d'une des trente-cinq tribus, & pouvoir parvenir aux dignités de la république. Ceux qui n'avoient que par concession & non par naissance quelques-uns des droits du citoyen, n'étoient, à proprement parler, que des honoraires. Voyez CITE, JURISPRUDENCE.

Lorsqu'on dit qu'il se trouva plus de quatre millions de citoyens romains dans le dénombrement qu'Auguste en fit faire, il y a apparence qu'on y comprend & ceux qui résidoient actuellement dans Rome, & ceux qui répandus dans l'Empire, n'étoient que des honoraires.

Il y avoit une grande différence entre un citoyen & un domicilié. Selon la loi de incolis, la seule naissance faisoit des citoyens, & donnoit tous les priviléges de la bourgeoisie. Ces priviléges ne s'acquéroient point par le tems du séjour. Il n'y avoit sous les consuls que la faveur de l'état, & sous les empereurs que leur volonté qui pût suppléer en ce cas au défaut d'origine.

C'étoit le premier privilége d'un citoyen romain, de ne pouvoir être jugé que par le peuple. La loi Porcia défendoit de mettre à mort un citoyen. Dans les provinces mêmes, il n'étoit point soûmis au pouvoir arbitraire d'un proconsul ou d'un propréteur. Le civis sum arrêtoit sur le champ ces tyrans subalternes. A Rome, dit M. de Montesquieu, dans son livre de l'esprit des lois, liv. XI. chapitre xjx. ainsi qu'à Lacédémone, la liberté pour les citoyens & la servitude pour les esclaves, étoient extrèmes. Cependant malgré les priviléges, la puissance & la grandeur de ces citoyens, qui faisoient dire à Cicéron (or. pro M. Fonteio) an qui amplissimus Galliae cum infimo cive romano comparandus est ? Il me semble que le gouvernement de cette république étoit si composé, qu'on prendroit à Rome une idée moins précise du citoyen, que dans le canton de Zurich. Pour s'en convaincre, il ne s'agit que de peser avec attention ce que nous allons dire dans le reste de cet article.

Hobbes ne met aucune différence entre le sujet & le citoyen ; ce qui est vrai, en prenant le terme de sujet dans son acception stricte, & celui de citoyen dans son acception la plus étendue ; & en considérant que celui-ci est par rapport aux lois seules, ce que l'autre est par rapport à un souverain. Ils sont également commandés, mais l'un par un être moral, & l'autre par une personne physique. Le nom de citoyen ne convient ni à ceux qui vivent subjugués, ni à ceux qui vivent isolés ; d'où il s'ensuit que ceux qui vivent absolument dans l'état de nature, comme les souverains ; & ceux qui ont parfaitement renoncé à cet état, comme les esclaves, ne peuvent point être regardés comme citoyens ; à moins qu'on ne prétende qu'il n'y a point de société raisonnable où il n'y ait un être moral, immuable, & au-dessus de la personne physique souveraine. Puffendorf, sans égard à cette exception, a divisé son ouvrage des devoirs en deux parties, l'une des devoirs de l'homme, l'autre des devoirs du citoyen.

Comme les lois des sociétés libres de familles ne sont pas les mêmes par-tout, & comme il y a dans la plûpart de ces sociétés un ordre hiérarchique constitué par les dignités, le citoyen peut encore être considéré & relativement aux lois de la société, & relativement au rang qu'il occupe dans l'ordre hiérarchique. Dans le second cas, il y aura quelque différence entre le citoyen magistrat & le citoyen bourgeois ; & dans le premier, entre le citoyen d'Amsterdam & celui de Bâle.

Aristote, en admettant les distinctions de sociétés civiles & d'ordre de citoyens dans chaque société, ne reconnoît cependant de vrais citoyens que ceux qui ont part à la judicature, & qui peuvent se promettre de passer de l'état de simples bourgeois aux premiers grades de la magistrature ; ce qui ne convient qu'aux démocraties pures. Il faut convenir qu'il n'y a guere que celui qui jouit de ces prérogatives, qui soit vraiment homme public ; & qu'on n'a aucun caractere distinctif du sujet & du citoyen, sinon que ce dernier doit être homme public, & que le rôle du premier ne peut jamais être que celui de particulier, de quidam.

Puffendorf, en restreignant le nom de citoyen à ceux qui par une réunion premiere de familles ont fondé l'état, & à leurs successeurs de pere en fils, introduit une distinction frivole qui répand peu de jour dans son ouvrage, & qui peut jetter beaucoup de trouble dans une société civile, en distinguant les citoyens originaires des naturalisés, par une idée de noblesse mal entendue. Les citoyens en qualité de citoyens, c'est-à-dire dans leurs sociétés, sont tous également nobles ; la noblesse se tirant non des ancêtres, mais du droit commun aux premieres dignités de la magistrature.

L'être moral souverain étant par rapport au citoyen ce que la personne physique despotique est par rapport au sujet, & l'esclave le plus parfait ne transférant pas tout son être à son souverain ; à plus forte raison le citoyen a-t-il des droits qu'il se réserve, & dont il ne se départ jamais. Il y a des occasions où il se trouve sur la même ligne, je ne dis pas avec ses concitoyens, mais avec l'être moral qui leur commande à tous. Cet être a deux caracteres, l'un particulier, & l'autre public : celui-ci ne doit point trouver de résistance ; l'autre peut en éprouver de la part des particuliers, & succomber même dans la contestation. Puisque cet être moral a des domaines, des engagemens, des fermes, des fermiers, &c. il faut, pour ainsi dire, distinguer en lui le souverain & le sujet de la souveraineté. Il est dans ces occasions juge & partie. C'est un inconvénient sans-doute ; mais il est de tout gouvernement en général, & il ne prouve pour ou contre, que par sa rareté ou par sa fréquence, & non par lui-même. Il est certain que les sujets ou citoyens seront d'autant moins exposés aux injustices, que l'être souverain physique ou moral sera plus rarement juge & partie dans les occasions où il sera attaqué comme particulier.

Dans les tems de troubles, le citoyen s'attachera au parti qui est pour le système établi ; dans les dissolutions de systèmes, il suivra le parti de sa cité, s'il est unanime ; & s'il y a division dans la cité, il embrassera celui qui sera pour l'égalité des membres & la liberté de tous.

Plus les citoyens approcheront de l'égalité de prétentions & de fortune, plus l'état sera tranquille : cet avantage paroît être de la démocratie pure, exclusivement à tout autre gouvernement ; mais dans la démocratie même la plus parfaite, l'entiere égalité entre les membres est une chose chimérique, & c'est peut-être là le principe de dissolution de ce gouvernement, à moins qu'on n'y remédie par toutes les injustices de l'ostracisme. Il en est d'un gouvernement en général, ainsi que de la vie animale ; chaque pas de la vie est un pas vers la mort. Le meilleur gouvernement n'est pas celui qui est immortel, mais celui qui dure le plus long-tems & le plus tranquillement.


CITRONS. m. voyez CITRONNIER.


CITRONNIERS. m. citreum : (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ordinairement oblong, qui a une chair ferme qui est divisée en plusieurs loges remplies de suc & de vésicules. Ces cellules renferment aussi des semences calleuses : ajoûtez au caractere de ce genre, que les feuilles sont simples. Tournefort, inst. rei herb. V. PLANTE. (I)

CITRONNIER, (Jardin.) du latin citreum, citreum, malus medica. Plin. Virgil.

DEFINITION.

Illaesum retinet citrus aurea frondis honorem,

Malaque floriferis haerent pendentia ramis,

Veris & autumni pulcherrima dona.

C'est en effet cet arbre admirable, toûjours verd, que le printems confondu pour ainsi dire avec l'automne, presente à nos yeux chargé de fleurs & de fruits, dont les uns tombent par la maturité, tandis que d'autres commencent à mûrir, & d'autres commencent seulement à paroître. Rival de l'oranger, & méritant peut-être la préférence, il n'en differe que par son fruit & par ses feuilles, qui sont larges & roides comme celles du laurier, mais sans talon.

Ipsa ingens arbos, faciemque simillima lauro :

Et si non alium latè jactaret odorem,

Laurus erat : folia haud ullis labentia ventis :

Flos apprimè tenax : animas, & olentia Medi

Ora fovent illo, & senibus medicantur anhelis.

Virg. II. Georg. v. 131.

" L'arbre dont je parle, originaire de la Médie, s'éleve fort haut, & ressemble au laurier. Si l'odeur qu'il répand n'étoit pas différente, on pourroit aisément le confondre avec le laurier. Ses feuilles résistent au souffle des aquilons, & sa fleur est fort adhérente aux branches où elle est attachée. Les Medes s'en servent pour mettre dans la bouche une odeur agréable, & pour fortifier les vieillards asthmatiques ".

Sa description. (Geoffroi, mat. med.) Il est médiocrement haut dans nos jardins. Sa racine est branchue, & s'étend en tous sens : elle est ligneuse, & couverte d'une écorce jaune en-dehors, blanche en-dedans. Son tronc n'est pas fort gros ; son bois est blanc & dur ; son écorce est d'un verd pâle. Ses branchue sont nombreuses, longues, grêles & fort pliantes ; les plus vieilles sont d'une couleur verte jaunâtre, & garnies de pointes blanchâtres : celles qui sont jeunes, sont d'un beau verd gai ; l'extrémité des branches & des feuilles est fort tendre, & d'un rouge brun.

Ses feuilles approchent de la grandeur de celles du noyer ; elles sont souvent mousses, quelquefois pointues, & presque trois fois plus longues que larges ; plus vertes en-dessus qu'en-dessous, legerement dentelées en leur bord, garnies de veines qui viennent de la côte épaisse qui est dans le milieu, quelquefois ridées & comme bosselées ; elles sont en grand nombre, & durent pendant tout l'hyver, d'une bonne odeur, ameres : elles paroissent percées de trous, ou plûtôt parsemées de points transparens, quand on les regarde au soleil, de même que celles du millepertuis. La plûpart des feuilles ont une épine contiguë à la partie supérieure, & voisine du bourgeon : la pointe de cette épine est rougeâtre, verte dans le reste, fort roide, & assez longue.

Ses fleurs sont en grand nombre au sommet des rameaux, où elles forment comme un bouquet ; elles sont en rose, composées le plus souvent de cinq pétales charnus, disposés en rond & refléchis, parsemés de rouge en-dehors, blancs dans tout le reste ; soûtenus par un petit calice verd, découpé en cinq quartiers, renfermant beaucoup de filets d'étamines blanchâtres, & surmontés d'un sommet jaune. Ces fleurs ont une odeur foible, & sont d'abord douçâtres, ensuite ameres : les unes sont fertiles, ayant au milieu des étamines un pistil longuet, qui est l'embryon du fruit ; & les autres sont stériles, étant sans pistils : celles-ci tombent bientôt, & les autres subsistent.

Ses fruits sont souvent oblongs, quelquefois sphériques, d'autrefois pointus à leur sommet, quelquefois mousses ; leur superficie est ridée & parsemée de tubercules : souvent ils ont neuf pouces de longueur, & quelquefois davantage ; car ils varient en grandeur & en pesanteur. Quelques-uns pesent jusqu'à six liv.

Leur écorce extérieure est comme du cuir, mince, amere, échauffante, verte dans le commencement, de couleur d'or dans la maturité, d'une odeur pénétrante. Leur écorce intérieure ou la chair, est épaisse & comme cartilagineuse, ferme, blanche, douçâtre, un peu acide, & legerement odorante, partagée intérieurement en plusieurs loges pleines d'un suc acide contenu dans des vésicules membraneuses.

Enfin chaque fruit contient beaucoup de graines. Quelques-uns en ont plus de cent cinquante, renfermées dans la moelle vésiculaire. Elles sont oblongues, d'un demi-pouce de longueur, ordinairement pointues des deux côtés, couvertes d'une peau un peu dure & membraneuse, amere, jaune en-dehors, cannelée, & renfermant une amande blanche, mêlée d'amertume & de douceur.

Son origine. Le citronnier, comme le prouvent ses noms latins, a été d'abord apporté de l'Assyrie & de la Médie en Grece, de-là en Italie & dans les provinces méridionales de l'Europe. On le cultive en Sicile, en Portugal, en Espagne, en Piémont, en Provence, & même dans quelques jardins du nord, où il donne des fruits, mais bien inférieurs à ceux des climats chauds. On cultive encore cet arbre à la Chine, aux Indes orientales & occidentales, & en Amérique, au rapport du chevalier Hans-Sloane. Voyag. à la Jam. tom. II. pag. 176.

Ses especes. Les Botanistes en distinguent une dixaine d'especes principales, quoiqu'ils n'ignorent pas que les jardiniers de Genes, qui en est la grande pepiniere pour l'Europe, sont si curieux d'étendre cette variété, qu'ils l'augmentent tous les jours.

L'espece de citronnier la plus estimée est celle de Florence, dont chaque citron se vend à Florence même cinquante sous de notre monnoie : on en envoye en présent dans les différentes cours de l'Europe. Cette espece particuliere ne peut venir dans sa perfection que dans la plaine qui est entre Pise & Livourne ; & quoiqu'on ait transporté ces sortes de citronniers du lieu même en divers autres endroits choisis d'Italie, ils perdent toûjours infiniment de cet aromate, de cette finesse de goût que leur donne le terroir de cette plaine.

Son usage chez les Romains. On ne mangeoit point encore de citron du tems de Pline ; & Plutarque rapporte qu'il n'y avoit pas long-tems qu'on en faisoit usage en qualité d'aliment lorsqu'il vint au monde. Au rapport d'Athenée, on regardoit alors les citrons comme une chose d'un très-grand prix ; on en enfermoit avec des hardes pour les garantir des teignes, & leur donner en même tems une odeur agréable : c'est de-là sans-doute que vient le nom de vestis citrosa. On mangeoit le citron du tems de Galien, & Apicius nous a conservé la maniere dont on l'accommodoit.

Comme le citronnier est ensuite par-tout devenu très-commun, on trouve dans les ouvrages des modernes un nombre immense d'observations sur les vertus de cet arbre & de son fruit, dont plusieurs parties sont d'usage en Médecine. Voyez CITRON. (Chimie).

Il y a des citrons qui sont en même tems oranges, c'est-à-dire que certain nombre de côtes ou plûtôt de coins solides, continués jusqu'à l'axe du fruit, sont d'orange, & les autres de citron : ce nombre de côtes est non-seulement différent, mais quelquefois différemment mêlé en différens fruits. Est-ce un effet de l'art, ou sont-ce des especes particulieres ? (Hist. de l'acad. des Sc. 1711. & 1712.) Si c'est un effet de l'art, seroit-ce par des poussieres appliquées à des pistils étrangers que cette merveille arrive ? On pourroit le soupçonner sur des exemples approchans qui s'en trouvent chez quelques animaux, si l'analogie du regne animal au végétal étoit recevable en Physique. Ce seroit bien-là une maniere élégante d'avoir de nouvelles especes de fruit ; mais il faut attendre les expériences avant que de prononcer.

Il est parlé dans les éphémerides d'Allemagne (Ephem. N. C. dec. 1. ann. 9. obs. 3. dec. 2. ann. 2. obs. 11.) de citrons monstrueux en forme de main ; & le P. Dentrecolles (Lett. édifiant. tome XX. page 301.) a envoyé de la Chine la figure d'un citron nommé main de Dieu par les Chinois, & dont ils font grand cas pour sa beauté & pour son odeur. Ce fruit est tel par sa forme, qu'on croit voir les doigts d'une main qui se ferme ; & sa rareté a engagé les ouvriers chinois à imiter ce fruit avec la moëlle du tong-stao, qu'ils tiennent en raison par divers fils de fer qui figurent les doigts. Le citron des curieux d'Allemagne venoit-il des semences de celui de la Chine, ou sa forme venoit-elle de causes particulieres qui avoient changé son espece ?

Voici une autre singularité, ou plutôt monstruosité bien plus étrange, dont parlent quelques auteurs. C'est d'un citron qui naît enfermé dans un autre, citrum in citro : mais d'abord il faudroit l'avoir vû ; & peut-être quand on l'auroit vû, en abandonner l'explication : car il ne s'agit pas dans le fait d'un fruit double ou gemeau, & qui se forme accouplé, lorsque deux boutons naissent d'une même queue si près l'un de l'autre, que les chairs se confondent à cause de leur trop grande proximité. C'est ici, dit-on, un citron qui sort du centre de l'autre, ou plutôt c'est ici peut-être un fait mal vû & mal rapporté. Ceux qui en donnent l'explication par l'abondance de la seve, n'expliquent point le phénomene, parce qu'on ne comprend pas que la force & la fécondité de la seve produisent de soi un citron contenu dans un autre, sans l'entremise de sa queue, de sa fleur, & de tous les organes dans lesquels la matiere de la production ordinaire du fruit est préparée.

Du bois de citronnier des anciens. Il me reste à parler du bois de citronnier des anciens, qui étoit très-rare & très-estimé à Rome. Il falloit être extrèmement riche & magnifique pour en avoir seulement des lits, des portes, ou des tables ; c'est pourquoi Pline a écrit : on employe rarement le bois de cet arbre pour les meubles, même des plus grands seigneurs. Cicéron en avoit une table, qui avoit coûté deux mille écus. Asinius Pollio en avoit acheté une trente mille livres, & il y en avoit de plus de quarante mille écus ; ce qui faisoit cette différence de prix, c'étoit ou la grandeur des tables, ou la beauté des ondes & des noeuds. Les plus estimées étoient d'un seul noeud de racine.

La promesse qu'Horace fait à Vénus de la part de Maximus, lib. IV. od. j.

Albanos prope te lacus

Ponet marmoream sub trabe citrea ;

" il vous dressera une statue de marbre dans un temple de bois de citronnier près du lac d'Albe " : cette promesse, dis-je, n'est pas peu considérable : car un temple boisé de citronnier devoit être d'une prodigieuse dépense. Ce temple de Vénus n'auroit pourtant pas été le premier où l'on auroit employé de ce bois : on n'a qu'à lire pour s'en convaincre Théophraste, l. V. ch. v. & Pline, l. XII. ch. xvj.

Nous voyons par ce détail que je dois au P. Sanadon, qu'il ne s'agit pas ici du bois de notre citronnier ; mais nous ignorons quel arbre étoit le citrea d'Horace, nous ne le connoissons plus.

Il est parlé dans l'Ecriture du bois almugim (III. liv. des Rois, ch. x. v. xj.), qui a aussi exercé tous les savans ; les uns prétendent que c'est le sabinier, d'autres l'acacia, & d'autres enfin entendent par almugim, des bois gras & gommeux : mais puisque c'étoit un bois rare que la flotte d'Hiram apporta d'Ophir, & qu'on n'avoit jamais vû jusqu'à ce jour-là, l'opinion la plus vraisemblable est que c'étoit du bois de thuya, comme l'a traduit la vulgate, c'est-à-dire du bois de cedre d'Afrique ; parce que suivant toute apparence, le pays d'Ophir étoit la côte de Sophala en Afrique. Ainsi peut-être que le bois almugim ou le cedre d'Afrique, pourroit bien être le bois de citre d'Horace, si rare, si recherché par sa bonne odeur, ses belles veines & sa durée.

Auteurs anciens. Les littérateurs peuvent consulter ici Dioscor. liv. I. c. cxxxj. Théophr. hist. plant. liv. IV. ch. jv. Athenée, liv. III. ch. vij. viij. Pall. R. R. liv. IV. tit. x. liv. VIII. tit. iij. Plin. XII. iij. XV. xjv. xxviij. XVI. xxvj. XVII. x. XVIII. vj. Geop. liv. X. c. vij. viij. jx. Macrob. II. saturn. xv. Paulus, lib. I. c. viij. l. VII. c. iij. v. Solin. c. xlvj. salmasii exercit. Plin. 666. Apicius, l. I. c. xxj.

Auteurs modernes. Et parmi les modernes, Commelinus, (Joh.) in Hesperidibus Belgicis. August. Vindel. 1676. fol. en hollandois.

Ferrarius, (Joh. Bapt.) Hesperides. Romae, 1646. fol. cum fig. belle impression, figures encore plus belles, ouvrage excellent, édition originale.

Geoffroi, Mat. méd. tom. VI. très-bon.

Grube, (Herman) analysis mali citrei. Hafniae, 1668. in -8°. Ham. 1674. in -4°. compilation des plus médiocres.

Jovianus, (Joh.) horti Hesperidum, lib. II. Basileae, 1538. in -8°.

Lanzonus, (Joseph.) citrologia Ferrariae, 1690. in -12. Ce petit traité se retrouve dans le recueil de ses ouvrages.

Nati, (Petri) observatio de malo limonia citratâ aurantiâ, vulgò la bisarria dicta. Florent. 1674. in -4°. figur.

Steerbeek, (Franc.) citri cultura. Antuerp. 1682. in -4°. en flamand, avec de belles figures.

Wolchammer, (Jos. Christop.) Hesperidum morib. lib. IV. Noriberg. 1713. in-fol. C'est ici la traduction latine de l'ouvrage de cet auteur, qui fut d'abord publié en allemand, & imprimé à Nuremb. en 1708. in-fol. bon.

On peut consulter Hoffman (Frider.) dans ses ouvrages sur l'utilité du citron en santé & en maladie.

Ferrari, entr'autres bonnes choses, a traité avec beaucoup d'érudition & de connoissances, de la culture du citronnier, qui intéresse la Botanique pratique. Cette culture demande à-peu-près les mêmes soins & la même méthode que celle de l'oranger, comme le remarque Miller. Voyez ORANGER.

Nebelius a donné l'anatomie du citron ; & Seba, le squelete de la feuille de l'arbre. Ther. t. I. pl. 4. D'un autre côté M. Geoffroi, maître dans son art, a enseigné le procédé de tirer le sel essentiel du citron, en faisant évaporer le suc jusqu'à consistance de sirop clair. Il a aussi trouvé une troisieme maniere de tirer l'huile essentielle du citron, qu'il met au-dessus des deux méthodes dont nous avons parlé. Voyez les mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1721. & 1738. Article de M(D.J.)

CITRON, s. m. (Chim. Diete. Mat. méd. Pharmac.) la pulpe ou la chair & le suc du citron, ses pepins & son écorce, fournissent différens remedes à la Médecine.

Le suc de citron doit être rapporté à la classe des substances végétales, muqueuses, & au genre de ces substances qui contiennent un excès d'acide qui les rend peu propres à subir la fermentation vineuse lorsqu'on les y expose sans mélange, mais qui peuvent servir très-utilement à corriger des substances de la même classe, qui pechent au contraire relativement à l'aptitude à la fermentation vineuse par un défaut d'acide : le suc de citron est même un extrème dans cette espece. Voyez MUQUEUX, VIN, MOTHECNIECNIE.

Le suc de citron est employé à titre d'acide & comme précipitant dans certaines teintures ; par exemple, dans celle qui est faite avec le safranum, dont la partie colorante est extraite par un alkali fixe. Le suc de citron sert encore dans le même art à aviver ou exalter certaines couleurs. Voyez TEINTURE.

Ce suc a des usages plus étendus à titre d'aliment & de médicament ; il fournit un assaisonnement salutaire & fort agréable, que les Allemands sur-tout employent dans presque tous leurs mets, soit exprimé, soit plus ordinairement avec la pulpe qui le contient, & même avec l'écorce, & dont l'emploi est beaucoup plus rare dans notre cuisine.

C'est avec le suc de ce fruit étendu dans une suffisante quantité d'eau, & édulcoré avec le suc, qu'on prépare cette boisson si connue sous le nom de limonade, qui est sans contredit de toutes les boissons agréables celle qui peut être regardée comme le plus généralement salutaire. Voyez LIMONADE.

Le suc de citron est rafraîchissant, diurétique, stomachique, antiputride, antiphlogistique, regardé comme très-propre à préserver des maladies contagieuses ; quoiqu'il faille avouer qu'à ce dernier titre il est moins recommandé que le citron entier, qui est censé opérer par son parfum. L'utilité médicinale la plus évidente du suc de citron consiste à prévenir les inconvéniens de la chaleur extérieure dépendante des climats ou des saisons. Les habitans des pays très-chauds retirent de son usage des avantages constans, qui fournissent une observation non équivoque en faveur de cette propriété : celle de calmer efficacement les fievres inflammatoires & putrides, n'est pas si constatée à beaucoup près. Voyez FIEVRE.

Le scorbut appellé scorbut de mer, est guéri très-promtement par l'usage des citrons : toutes les relations de voyages de long cours donnent pour un fait constant la guérison promte & infaillible des matelots attaqués de cette maladie, même au dernier degré ; dès qu'ils peuvent toucher à un pays où ils trouvent abondamment des citrons, ou autres fruits acides de ce genre, comme oranges, &c. Mais jusqu'à quel point cet aliment médicamenteux opere-t-il dans cette guérison ? Ne pourroit-on pas l'attribuer à plus juste titre aux viandes fraîches, & à toutes les autres commodités que ces malades trouvent à terre, à l'air de terre, & ses exhalaisons même, selon la prétention de quelques observateurs ? Tout cela ne paroît pas assez décidé. Voyez SCORBUT.

Les Apothicaires gardent ordinairement du suc de citron dans les provinces où ils ne peuvent pas avoir commodément des citrons dans tous les tems de l'année. Ce suc se conserve fort bien sous l'huile, étant tenu dans un lieu frais : il subit pourtant une legere fermentation qui le dépure & le rend très-clair, mais qui altere un peu son goût ; ce qui est évident par l'impossibilité de préparer avec ce suc ainsi dépuré, une limonade aussi agréable que celle qu'on prépare avec le suc de citron récemment exprimé.

C'est avec le suc de citron dépuré qu'on prépare le syrop appellé syrop de limon ; car on ne distingue pas le citron du limon dans les usages pharmaceutiques ; on se sert même plus ordinairement du premier, parce qu'il est plus commun.

Pour faire le syrop de limon, on prend une partie du suc de citron dépuré par le leger mouvement de fermentation dont nous venons de parler, & deux parties de beau sucre blanc qu'on fait fondre dans ce suc, à l'aide d'une chaleur legere, au bain-marie, par exemple, dans un vaisseau de fayance ou de porcelaine, N. B. 1°. qu'on peut employer un peu moins de sucre, parce que la consistance exactement syrupeuse n'est pas nécessaire pour la conservation des sucs acides des fruits, & que cette moindre dose fournit la commodité de faire fondre plus aisément le sucre sans le secours de la chaleur ; avantage qui n'est pas à négliger pour la perfection du syrop : 2°. qu'on gagneroit encore du côté de cette perfection, pour ne perdre que du côté de l'élégance de la préparation, si l'on employoit du suc non dépuré & récemment exprimé, au lieu du suc dépuré qui ne peut être récent.

Les médecins allemands & les médecins anglois employent assez communément l'acide du citron combiné avec différentes matieres alkalines : les yeux d'écrevisses citrés, les alkalis fixes saoulés de suc de citron, sont des préparations de cette espece. Mais nous ne connoissons par aucune observation suffisante les vertus particulieres de ces sels neutres, qui ne sont d'aucun usage dans la médecine françoise : le premier paroît fort analogue au sel de corail, quoiqu'il ne faille pas absolument confondre l'acide végétal fermenté avec l'acide végétal naturel ; & le second a précisément le degré d'analogie avec la terre foliée de tartre.

Le médecin, en prescrivant le suc ou le syrop de citron dans les mélanges, ne doit pas perdre de vûe sa qualité acide, qui le rend propre à se combiner avec les matieres alkalines, soit terreuses, soit salines, & à coaguler le lait & les émulsions ; il doit se souvenir encore que les chaux d'antimoine, l'antimoine diaphorétique lui-même, sont rendus émétiques par l'addition des acides végétaux.

Meuder recommande, dans son traité des teintures antimoniales, celle de ces teintures qu'il appelle vraies, qu'on peut tirer de ce demi-métal par le moyen des acides végétaux, & particulierement celle qu'on prépare avec le suc de citron. Voyez ANTIMOINE.

L'écorce jaune de citron a un goût amer, vif & piquant, dépendant principalement de la grande quantité d'huile essentielle qu'elle contient dans de petites vésicules très-sensibles, & en partie aussi d'une matiere extractive soluble par l'eau. Cette écorce, soit fraîche, soit séchée ou confite, est cordiale, stomachique, antihystérique, carminative, vermifuge, &c. on en fait un syrop connu dans les boutiques sous le nom de syrupus flavedinum citrei. En voici la préparation.

Prenez des zestes de citron ou de limon, cinq onces ; de l'eau bouillante, une livre : faites macérer pendant douze heures au bain-marie dans un vaisseau fermé, & ajoûtez à la colature le double de sucre fin, sur lequel on prendra environ une once pour en faire un eleosaccharum avec l'huile essentielle de citron ; eleosaccharum qu'on fera fondre au bain-marie avec le reste du sucre, & votre syrop sera fait.

Ce syrop ne participe que bien foiblement de la vertu de l'écorce jaune de citron.

On tire l'huile essentielle de citron par des procédés fort simples, & par-là même fort ingénieux. Voy. HUILE ESSENTIELLE.

L'huile essentielle de citron possede éminemment les vertus que nous avons attribuées à son écorce. La plûpart de ces propriétés sont communes à toutes les huiles essentielles ; mais celle-ci par la douceur & le gracieux de son parfum, fournit à la Pharmacie une matiere très-propre à aromatiser certains médicamens. On l'employe dans cette derniere vûe sous la forme d'un eleosaccharum. Voyez ELEOSACCHARUM.

Boerhaave dit qu'on employe avec beaucoup de succès l'huile des écorces de citron dans les palpitations du coeur, qui dépendent d'une humeur aqueuse, froide, & d'un muqueux inactif, ab aquoso frigido, & inerti mucoso ; causes qui figurent on ne peut pas mieux, pour l'observer en passant, avec le visqueux, ou l'alkali spontané, l'acrimonie méchanique, &c. Le même auteur célebre beaucoup aussi l'eau retirée par la cohobation des écorces de citron, contre les vents, les syncopes, les langueurs, & les mouvemens irréguliers du coeur.

On tire aussi des zestes de citron, par le moyen de la distillation, une eau simple & une eau spiritueuse, comme sous le nom d'esprit de citron. Voyez EAU DISTILLEE ; voyez aussi ESPRIT.

Cette eau aromatique spiritueuse, si connue sous le nom d'eau sans pareille, n'est autre chose que de l'esprit-de-vin chargé d'une petite quantité d'huile essentielle de citron, que l'on dissout goutte à goutte & en tâtonnant, jusqu'à ce qu'on ait atteint au degré de parfum le plus agréable.

L'autre partie de l'écorce de citron, qui est connue sous le nom d'écorce blanche, passe pour vermifuge & lithontriptique ; mais l'on peut douter de ces deux propriétés, sur-tout de la derniere.

Voici ce qu'on trouve sur les graines de citron, dans la matiere médicinale de M. Geoffroi. " On croit que les graines de citron sont alexipharmaques : on les employe dans quelques confections alexitaires : elles font mourir les vers de l'estomac & des intestins ; elles excitent les regles, dissipent les vents, atténuent & divisent les humeurs visqueuses. On en fait des émulsions vermifuges & cordiales, dans les maladies d'un mauvais caractere & pestilentielles ".

On fait entrer ordinairement le citron entier coupé par tranches dans les infusions purgatives, connues dans les boutiques sous le nom de tisanes royales. Voyez PURGATIF.

" On vante beaucoup, dit M. Geoffroi, les citrons dans la peste & les maladies contagieuses, pour détourner la contagion ; on porte continuellement dans ses mains un citron seul, ou percé de clous de girofle ; on le flaire & on le mord de tems en tems : mais il faut avouer, ajoûte cet auteur, qu'on ne détourne pas tant la contagion par ce moyen, qu'on appaise les nausées & les envies de vomir qui viennent des mauvaises exhalaisons des malades, ou de l'imagination qui est blessée ; ce qui affoiblit l'estomac & corrompt la digestion ".

Les différentes confitures de citron, telles que les petits citrons entiers, les zestes & l'écorce entiere, sont d'assez bons analeptiques, ou des alimens legers, stomachiques & cordiaux, que l'on peut donner avec succès aux convalescens & aux personnes qui ont l'estomac foible, languissant, & en même-tems peu sensible. Il faut observer pourtant que cette écorce de citron verte, très-épaisse, qu'on nous apporte toute confite de nos îles, doit être regardée non-seulement comme possédant à un degré très-inférieur les qualités que nous venons d'attribuer aux autres confitures de citron, qui sont plus aromatiques que celles-ci, mais même comme fort indigeste, au moins pour les estomacs foibles.

On trouve dans les boutiques des Apothicaires un électuaire solide, connu sous le nom d'électuaire ou de tablettes purgatives de citron. Voici comme elles sont décrites dans la pharmacopée de Paris.

Prenez écorce de citron confite, conserve de fleurs de violette, de buglose, de chaque demi-once ; de la poudre diatragaganthe froide nouvellement préparée, de la scammonée choisie, de chaque demi-once ; du turbith, cinq gros ; du gingembre, un demi-gros ; des feuilles de sené, six gros ; de la rhubarbe choisie, deux gros & demi ; des girofles, du santal citrin, de chaque un scrupule : faites du tout une poudre selon l'art ; après quoi vous ferez cuire dans de l'eau de roses dix onces de beau sucre en consistance requise pour former avec les conserves & la poudre, des tablettes que l'on conservera dans un lieu sec, parce qu'elles sont sujettes à attirer l'humidité de l'air, & se moisir.

Ces tablettes purgent assez bien à la dose d'une demi-once ; on peut même en donner six gros aux personnes robustes. Mais l'usage de ce purgatif a été abandonné, apparemment parce qu'il est fort dégoûtant, comme toute préparation pharmaceutique qui contient beaucoup de poudre, & qu'on ne peut faire prendre que délayée dans de l'eau ; mais on devroit au moins le prescrire aux personnes à qui leur fortune ne permet pas d'être si difficiles ; car ce remede coûte très-peu, il purge très-bien, & avec aussi peu de danger que les médecines magistrales un peu actives.

Le citron entier, son écorce jaune, son suc, sa pulpe, ses graines, son eau distillée, son esprit, &c. entrent dans un grand nombre de préparations pharmaceutiques officinales. (b)


CITROUILLES. f. (Bot.) plante cucurbitacée, en latin citrullus & anguria off. & en françois connue aussi sous le nom de pasteque.

Ses racines sont menues, droites, fibrées, & chevelues : elle répand sur terre des sarmens fragiles, velus, garnis de grandes feuilles découpées profondément en plusieurs lanieres rudes & hérissées. Il sort des aisselles des feuilles des vrilles & des pédicules qui portent des fleurs jaunes, en cloche, évasées, divisées en cinq parties, dont les unes sont stériles & les autres fertiles ; ou appuyées sur un embryon qui se change en un fruit arrondi, si gros qu'à peine peut-on l'embrasser. Son écorce est un peu dure, mais lisse, unie, d'un verd foncé, & parsemée de taches blanchâtres ou d'un verd gai. La chair de la citrouille ordinaire est blanche ou rougeâtre, ferme, & d'une saveur agréable. Sa graine est contenue dans une substance fongueuse qui est au milieu du fruit : elle est oblongue, large, applatie, rhomboïdale, jaunâtre ou rougeâtre, ridée, garnie d'une écorce un peu dure, sous laquelle se trouve une amande blanche, agréable au goût, comme celle de la courge. On cultive la citrouille dans les potagers ; sa chair est bonne à manger.

On mange la chair de citrouille cuite, & on la prépare d'une infinité de manieres dans les cuisines : on fait même du pain jaune avec la pulpe de citrouille & la farine de froment.

La citrouille croît sans culture dans les pays chauds, tels que la Pouille, la Calabre, la Sicile, & autres contrées méridionales. On la seme dans les pays du Nord, & elle y porte du fruit ; mais il arrive rarement à une parfaite maturité. Les jardins d'Egypte sont remplis de citrouilles, qui varient beaucoup, & different les unes des autres : c'est dommage qu'elles ne puissent pas réussir en France. Prosper Alpin en parle. Belon fait mention de quelques-unes dont les fruits sont extrèmement gros. M. Lippi y en a aussi observé plusieurs especes fort particulieres. Mais il n'y a point d'endroits où la citrouille profite mieux qu'au Bresil, & où sa pulpe soit plus douce & plus succulente.

On appelle à Paris citrouille, le pepo oblongus de C. Bauh. & de P. Tournef. c'est pourtant une autre plante cucurbitacée, différente de celle qu'on vient de décrire ; mais il suffira d'indiquer ici ses caracteres. Ses fleurs sont monopétales, découpées en forme de cloche, évasées au sommet, & échancrées en cinq parties ; les unes sont mâles & les autres femelles : les femelles croissent au sommet de l'embryon, qui devient ensuite un fruit succulent, long ou rond, revêtu d'une écorce rude, inégale, raboteuse, sillonnée, couverte de noeuds & de verrues, divisée souvent en trois loges qui renferment des graines applaties, & comme bordée d'une maniere d'anneau. Cette plante est devenue très-commune dans nos jardins, & même il n'y a pas de plante potagere dont la semence leve plus aisément, & se conserve plus long-tems avec la faculté de fructifier. Article de M(D.J.)

CITROUILLE, (Mat. méd.) la semence de la citrouille, qui est la seule partie de cette plante qui soit en usage en Médecine, est une des quatre semences froides majeures. Voyez SEMENCES FROIDES.

L'huile qu'on retire des graines de citrouille passe pour amollir la peau, la rendre unie, & en effacer les taches.

CITROUILLE, (Diete) quelques personnes mangent toute crue la chair de citrouille qui est sous l'écorce ; mais le plus souvent on ne la mange que quand elle est cuite. Elle donne très-peu de nourriture : elle produit un sang aqueux qui adoucit les inflammations des parties internes, & tempere l'acrimonie & l'effervescence de la bile. On la prépare d'une infinité de manieres dans les cuisines. On la rôtit, on la frit, on la fait bouillir, on l'assaisonne avec le beurre, le lait, le sel, les oignons, le sucre, & avec des aromates ; & même on fait du pain jaune avec la pulpe de citrouille mêlée avec de la farine de froment : il a une saveur douce, & il est rafraîchissant & salutaire. Geoffroi, Mat. méd. (b)


CITTA-DELLA-PIEVE(Géog.) petite ville d'Italie dans l'Ombrie.


CITTA-DI-CASTELLO(Géog.) ville d'Italie dans l'Ombrie, sur le Tibre. Long. 29. 53. lat. 43. 28.


CITTA-DI-SOLE(Géog.) petite ville d'Italie fortifiée, dans la Toscane, sur la riviere de Fagone.


CITTA-NUOVA(Géog.) petite ville maritime d'Italie dans l'Istrie, dans les états de la république de Venise. Long. 37. 23. lat. 45. 30.


CIUDADCIUDAD


CIUDAD REAL(Géog.) ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, capitale de la Manche, à une lieue de la Guadiana. Long. 14. 10. lat. 39. 2. Il y a encore une ville de ce nom dans l'Amérique méridionale au Paraguai, au confluent des rivieres d'Itatu & de Parana.


CIUDAD-RODRIGO(Géog.) ville forte d'Espagne au royaume de Léon, sur la riviere d'Aguada. Long. 11. 54. lat. 40. 38.


CIVADIERou SIVADIERE, s. f. (Mar.) c'est la voile du mât de beaupré. Voyez Marine, Pl. I. la vergue de beaupré & la civadiere cotée 10. Cette voile est fort inclinée, & elle a deux grands trous à chaque point vers le bas, afin que l'eau qu'elle reçoit se puisse écouler au même instant, quand il arrive qu'elle touche à la mer.

La civadiere est une voile d'un grand usage, & sa situation, eu égard au vaisseau, fait voir qu'elle semble propre à tirer le vaisseau lorsque les autres voiles ne font que le pousser. Cependant quelques-uns prétendent qu'elle sert plus à soûtenir le navire & à le redresser vers le haut, qu'à le pousser en avant. (Z)


CIVou CIVETTE, s. f. caepula, (Jard.) il y en a de trois especes ; la cive de Portugal, la grosse cive d'Angleterre, & la petite qu'on nomme civette : elles ne different que par la grosseur de leurs feuilles. Quelques-uns appellent la civette appétit. La racine de la cive est un assemblage de petites bulbes, comme l'échalote. Sa feuille est longue, extrèmement menue, & a l'odeur de la ciboule. Ses fleurs sont purpurines, faites en petit paquet où se forme une petite graine : elle sert dans les fournitures de salade & dans les omelettes ; elle jette quantité de brindilles basses, que l'on coupe à fleur de terre : l'usage est de la multiplier par les petits rejettons de son pié. Une culture ordinaire, une bonne terre, est tout ce qu'il lui faut. (K)


CIVEDA(Géog.) petite ville d'Italie dans le Brescian, sur l'Oglio, aux Vénitiens.


CIVELLES. f. (Pêche) sorte de petit poisson que l'on pêche dans la Loire, depuis la ville d'Angers jusqu'à la mer, & qu'on croit être un frai d'anguille, à cause qu'il en approche beaucoup. Ceux qui prétendent le contraire, disent que ces poissons ne viennent jamais plus grands ; ils ne sont pas plus gros ni plus longs que des aiguilles ordinaires à coudre : il s'en pêche une très-grande quantité, qui se consomme par les pauvres gens & les riverains. Ils en forment des boules qu'ils nomment pain de civelle.

On fait cette pêche en Mars, elle dure deux à trois mois ; on ne se sert que de sacs, tamis ou cribles, avec lesquels hommes, femmes & enfans prennent les civelles, en écumant la superficie de l'eau : ainsi c'est la même pêche que celles des pêcheurs bas Normands de la riviere de l'Orme. On la fait la nuit ; les pêcheurs ne se servent point de lanterne : s'il arrive que les débordemens des eaux ayent rendu les eaux troubles, on pêche de jour sur la Loire.


CIVENCHEU(Géog.) ville considérable de la Chine, dans la province de Fokien. Long. 134. 40. lat. 25.


CIVERAGE(Jurispr.) est une redevance dûe au seigneur dans quelques provinces par les tenanciers, pour les terres qu'il leur a concédées. Guypape en fait mention en son conseil 91. Selon M. Salvaing, dans son traité de l'usage des fiefs, ch. xcxvij. civaragium est en Dauphiné un droit d'avenage ou payable en avoine. Voyez Chopin sur l'article 10. de la coûtume d'Anjou. Voyez le tr. de la pratique des terriers, tom. II. sect. jx. quest. 2. (A)


CIVESS. f. (Vitr.) c'étoit de petites pieces de verre de forme ronde, dont l'on faisoit anciennement les vitres. On s'en sert encore en Allemagne.


CIVETS. m. (Cuisine) c'est un ragoût particulier, fait d'un lievre coupé par morceaux, & cuit en pot avec bouillon, un bouquet d'herbes, & un assaisonnement de vin, de farine, d'oignon, & d'un peu de vinaigre.


CIVETTES. f. (Hist. nat. Zoolog.) animal zibethicum quadrupede, que l'on a mis sous le même genre que le chien, parce qu'il lui ressemble, de même qu'au loup & au renard, par la forme de la tête & du museau, & par le nombre des dents ; c'est pourquoi on lui a aussi donné le nom de catus zibethicus ou felis odoratus. M. Linnaeus a rangé la civette avec le blaireau sous le même genre, parce que ces deux animaux ont chacun huit mammelles, deux sur la poitrine, six sur le ventre, & cinq doigts à chaque pié.

La civette habite l'Afrique, les Indes, le Pérou, le Bresil, la nouvelle Espagne, la Guinée : on en nourrit en Europe. Quelques auteurs la prennent pour l'hyene d'Aristote & de Pline ; & ceux-là l'ont nommée assez bien hyaena odorifera. D'autres l'estiment être une espece de foüine ou de chat sauvage ; & ceux-ci l'ont appellée felis zibethina, parce que la civette porte un parfum que les Arabes appellent zebed ou zibet, d'où elle a été nommée en françois civette. Voyez cet animal, Pl. VI. d'hist. nat. fig. 1.

L'histoire de cet animal, celle de la fausse origine de son parfum, les contes qu'on en lit dans les voyages, les erreurs où sont tombés les divers naturalistes qui en ont parlé ; tous ces faits n'entreront point ici dans son article : nous nous en tiendrons uniquement à sa description anatomique, que nous extrairons des mémoires de l'académie des Sciences, les seules sources sur lesquelles on puisse compter, & avec d'autant plus de raison, qu'on trouve réuni dans un seul des anciens volumes de cette académie, la description de cinq de ces animaux.

La civette a environ deux piés & demi de long, sa queue est de quinze pouces plus ou moins ; ses jambes sont courtes, principalement celles de devant, qui n'avoient depuis le ventre jusqu'em-bas, que cinq pouces ; les pattes, tant celles de devant que celles de derriere, avoient chacune cinq doigts, dont le plus petit tenoit lieu de pouce, comme à l'ours : mais ce petit doigt à peine posoit à terre, & n'y touchoit que de l'ongle. Outre ces cinq doigts, il y avoit un ergot garni d'un ongle comme les doigts. La plante du pié étoit munie d'une peau douce au toucher.

Le poil étoit court sur la tête & aux pattes, mais ayant jusqu'à quatre pouces & demi sur le dos, où il est le plus long. Ce long poil qui étoit dur, rude & droit, étoit entremêlé d'un autre plus court, plus doux & frisé comme de la laine.

L'ouverture qui conduit au réceptacle où s'amasse la matiere odorante, qu'on appelle vulgairement civette, étoit au-dessous de l'anus : cette ouverture étoit longue de trois pouces ; & quand on la dilatoit, elle avoit plus d'un pouce & demi de large : elle étoit l'entrée d'une cavité qui servoit comme de vestibule pour réceptacle de la matiere odorante.

Ce vestibule étoit garni par les bords d'un poil tourné de dehors en-dedans, ensorte que la matiere odorante n'en pouvoit sortir qu'à contre-poil. Dans le fond de ce vestibule qui pouvoit contenir un petit oeuf de poule, il y avoit deux autres ouvertures à droite & à gauche d'un pouce de diametre, qui pénétroient chacune dans un sac de sept à huit lignes de diametre.

La peau du dedans de ces sacs étoit inégale comme celle d'un oison, garnie de petits poils clair semés, & percée de plusieurs petits trous : ces trous répondoient à des glandes de la grosseur d'un petit pois, serrées les unes contre les autres, & liées par des membranes & par des vaisseaux, qui étoient les rameaux des arteres & des veines hypogastriques & honteuses.

C'est dans ces sacs que s'amasse la matiere odorante, que les arabes appellent zibet, qui signifie écume. En effet, cette matiere étoit écumeuse ; & cela se reconnoissoit, en ce que peu de tems après elle perdoit la blancheur qu'elle avoit en sortant : ce qui arrive à toutes les liqueurs, lesquelles blanchissent toûjours quand elles écument, de quelque couleur qu'elles soient d'ailleurs. La petite ouverture qui paroissoit au-dessous de la grande, étoit l'entrée des parties de la génération.

La forme des poches où s'amasse la matiere odorante, se voyoit mieux renversée que dans leur situation naturelle. Les glandes de ces sacs étoient du nombre des conglomerées. Au milieu de chaque glande, il y avoit une cavité oblongue pleine de suc odorant fort blanc, qu'elle recevoit par autant de petits trous qu'il y avoit de grains qui composoient la glande ; & cette cavité se retrécissoit, & formoit un petit col ou conduit qui perçoit la peau dont le dedans des poches étoit revêtu, & qui y distilloit la matiere odorante.

Ces sacs paroissoient recouverts de fibres charnues ramassées ensemble, mais venant d'endroits éloignés & différens ; desorte qu'ayant égard à leur différente origine, on pouvoit compter jusqu'à dix muscles. L'usage de ces muscles est d'exprimer & faire sortir la matiere odorante, quand il s'en est amassé une certaine quantité. Les veines & arteres hypogastriques & épigastriques fournissent le sang qui produit cette matiere dans les glandes dont les sacs sont tapissés.

L'odeur de cette matiere se conserve, & ne devient point mauvaise par le tems ; mais il paroît que l'odeur de la civette n'est pas seulement dans la liqueur qui s'amasse dans les poches, car elle est aussi répandue par tout son corps ; & son poil est tellement parfumé, que la main qui l'a touchée conserve long-tems une odeur fort agréable. C'est ce qui a fait croire à plusieurs naturalistes, que le parfum de la civette n'est autre chose que sa sueur ; ensorte qu'ils ont pensé qu'on l'amassoit en faisant courir ces animaux dans une cage. Quoique cette sueur sorte indifféremment de tout le corps de l'animal, cependant la liqueur odorante s'amasse véritablement dans les sacs, s'y forme & s'y perfectionne.

Dans la derniere civette disséquée par MM. de l'académie, ils examinerent la structure des mammelles dont nous n'avons pas encore parlé. Cette civette avoit quatre mamelons, dont deux étoient situés au milieu du ventre à côté du nombril, & les deux autres au bas de la poitrine. La grosseur des uns & des autres étoit d'une ligne & demie, & la longueur de deux lignes. Sous chacun de ces mamelons il y avoit plusieurs conduits communiquant les uns avec les autres, & enfermés dans les intégumens communs. Ces conduits sembloient destinés à porter le lait aux mamelons, quoiqu'ils ne sortissent d'aucunes glandes qui fussent visibles ; mais cela n'est pas étonnant, car ces animaux qui n'alaitent & n'engendrent point dans ces pays-ci, doivent avoir ces glandes assez petites pour être imperceptibles.

Dans ces cinq civettes il y avoit quelques jeux de la nature. Par exemple dans l'une d'elles, le crystallin étoit d'une dureté extraordinaire ; ce qui peut servir à expliquer ce que Pline (liv. XXXVII. chap. x.) dit des yeux de l'hyene, qu'on en tire des pierres précieuses appellées hyeniae. Cette particularité jointe à quelques autres, serviroit-elle à justifier l'opinion de Belon, qui a prétendu que la civette & l'hyene des anciens ne sont point des animaux différens ? Il y a quelques raisons pour appuyer son sentiment ; car les deux principales marques que les anciens donnent à leurs hyenes, se trouvent dans la civette, le poil hérissé le long du dos, & une ouverture particuliere sous la queue, outre les deux qu'ont les femelles de tous les autres animaux. Mais d'un autre côté, l'hyene des anciens est plus grande que la civette, son poil fort différent ; & ce qui est plus fort que tout, ils ne disent point qu'elle eût aucune odeur, caractere qui les distingue presque de tous les autres animaux.

A ce détail très-instructif sur la civette, il ne nous reste à ajoûter que quelques nouvelles particularités décrites par M. Morand, sur le sac où cet animal porte son parfum. Mém. de l'acad. 1728. pag. 403.

Ce sac, comme on l'a vû, est situé entre l'anus & le sexe de l'animal, à-peu-près comme celui où les castors portent leur castoreum. Il pend extérieurement entre les cuisses de la civette, & est assez grand. En gros, c'est une cavité enfermée dans une enveloppe épaisse, & qui a une longue ouverture en-dehors, de la figure d'une vulve.

Toute l'épaisseur de l'enveloppe est formée par une infinité de petits grains, qui sont les glandes où se filtre la liqueur odorante. En regardant mieux ces grains avec le microscope, M. Morand a découvert qu'ils étoient accompagnés d'une infinité de follicules ou petites bourses, qui contenoient de la liqueur déjà filtrée. Ces follicules peuvent être aisément formés, ou par la desunion de deux lames d'une membrane, ou par l'extension des extrémités des vaisseaux sanguins. Mais ce qui est beaucoup plus singulier, M. Morand a vû dans la liqueur des follicules, de petits poils posés sans ordre çà & là. Ils n'ont point de racines, & ne tiennent point les uns aux autres.

La cavité du sac est occupée par deux especes de pelotons de soie courte, toute imbibée de la liqueur odorante, qui paroît comme une huile blanche.

En comprimant l'épaisseur de l'enveloppe, on en fait sortir par les pores, ou plûtôt par les canaux excrétoires de sa membrane interne, l'huile odorante qui va se rendre dans la cavité du sac ; elle sort non par gouttes séparées, mais en forme de jet continu, à-peu-près comme la matiere qui sort des glandes sebacées de la peau, peut-être parce qu'elle est soûtenue & comme liée par ces petits poils qu'elle entraîne avec elle.

Il paroît certain que les follicules de l'enveloppe sont les premiers réservoirs de l'huile odorante, mais des réservoirs particuliers & dispersés ; de-là elle passe dans la cavité du sac, second réservoir, mais général, où elle s'arrête & se conserve dans les deux pelotons soyeux : car sans cela la grande ouverture extérieure du sac n'ayant ni valvule, ni sphincter, l'huile s'écouleroit perpétuellement au-dehors, & ce n'est pas là le dessein de la nature.

Il est vrai que l'on ne connoît pas assez la civette pour savoir en quelle occasion elle jette son huile, quel usage elle en fait ; mais enfin on voit bien que le méchanisme est destiné à en empêcher l'écoulement perpétuel. Les pelotons soyeux font l'office d'une éponge, qui garde la liqueur dont elle est abreuvée, jusqu'à ce que la nature l'exprime en certains tems pour des usages qui nous sont inconnus.

Cette liqueur odorante mirée à la lumiere d'une bougie rend d'abord une odeur assez agréable ; ensuite elle s'enflamme avec crépitation, & le feu étant éteint, elle donne une odeur de cheveux brûlés.

Tout ce qu'on a dit jusqu'ici de l'anatomie de la civette, & du sac qui porte son parfum, peut devenir d'autant plus intéressant, que la civette n'est pas le seul animal à qui ces détails appartiennent, ni le seul qui soit doüé d'une poche pour un parfum particulier. Nous avons le castor, le musc, le rat musqué que les Latins nomment pyloris, & d'autres qui ont des follicules pour une matiere odorante, d'une nature pareille à celle de la civette, ou d'une qualité différente, comme le rat domestique, le blaireau ou taisson, &c. Or ces connoissances réunies, ne peuvent que jetter du jour sur l'anatomie comparée, & peut-être sur la structure des glandes conglomérées du corps humain. Art. de M. le Ch(D.J.)

CIVETTE, (Mat. méd.) La civette, ou cette matiere onctueuse & balsamique fournie par l'animal qui porte le même nom, est employée extérieurement dans l'usage médicinal ; elle est résolutive, anodyne, tonique, antispasmodique ou nervine, & particulierement antiépileptique & antihystérique : c'est à ces deux derniers titres qu'on l'employe quelquefois dans les accès d'épilepsie ou de vapeurs hystériques. Dans ces cas on en frotte le nombril, la région du coeur & de l'estomac, ou on en applique même chez les femmes à l'orifice extérieur de la matrice ; mais on se donne bien de garde de la leur porter au nez, parce que son odeur, comme toutes les odeurs agréables, est dangereuse dans ce cas, selon une observation connue.

On fait aussi avec la civette, le musc & l'ambre-gris incorporés avec une huile par expression, un onguent dont on frotte les aines & les lombes pour exciter l'acte vénérien.

La civette passe pour spécifique dans l'inertie des organes de la génération, sur-tout chez les femmes, & pour remédier à leur stérilité lorsqu'elle provient de cette cause. On la dit bonne aussi pour appaiser les coliques & les tranchées des petits enfans, si on leur en frotte le nombril.

Elle entre dans la composition de quelques baumes aromatiques, décrits dans différens dispensaires sous le nom de baumes apoplectiques, qui sont destinés à être portés dans de petites boîtes, & dont quelques auteurs ont recommandé même l'usage intérieur.

Elle est un des ingrédiens des parfums ordinaires connus en Pharmacie sous le nom de pastilli profumo, comme les oiselets de Chypre, &c. (b)

Ceux qui s'en servent, doivent la choisir nouvelle, de bonne consistance, c'est-à-dire ni trop dure, ni trop molle, d'une couleur jaune tirant sur le blanc, & d'une odeur violente. Au reste comme on la sophistique aisément, & qu'il est très-difficile de découvrir la tromperie, le meilleur parti est de l'acheter de bonne main. Comme on nourrit à Amsterdam des civettes pour ce commerce, & que la civette de cette ville a la préférence sur celle des Indes & du Levant, c'est d'un honnête négociant du pays qu'il faut tirer ce parfum. Il se vend une trentaine de florins l'once, plus ou moins, c'est-à-dire soixante à soixante-six livres argent de France ; & je crois qu'aujourd'hui il ne s'en consomme pas cinq livres par ans dans tout le royaume. M. le Ch(D.J.)


CIVIDAL-DI-FRIULI(Géog.) petite ville d'Italie au Frioul, dans l'état de Venise, sur la Natisone. Long. 31. lat. 46. 15.


CIVIERES. f. (Oecon. rust.) machine à porter des fardeaux. Imaginez deux forts morceaux de bois larges, droits, & équarris dans le milieu, recourbés un peu en S vers les extrémités, arrondis par les bouts, & assemblés par quatre, cinq ; six, ou même davantage, bâtons ronds ou quarrés, & reçus d'un bout dans des trous percés à égale distance à la partie équarrie & large d'un des forts morceaux de bois qu'on appelle un des bras, & de l'autre bout dans d'autres trous percés de la même maniere à l'autre bras ; ensorte que ces bâtons & les bras soient paralleles entr'eux, & que les bras soient éloignés de maniere qu'un homme puisse se placer entr'eux, soit à un des bouts, soit à l'autre. On pose sur les bâtons 12, 34, 56 (voyez nos Pl. d'Agr. & de Jardin.), les poids qu'on a à porter ; un ouvrier se met avec les bras a, A, sur la ligne a A ; un autre se met entre les bras b, B, sur la ligne b B ; ils prennent entre leurs mains les bras, l'un en a, A, & l'autre en b, B ; ils élevent la civiere, & ils portent le poids ; ou ils ont des bricoles ou bretelles qu'ils passent sur leurs épaules ; ces bretelles ont des boucles en étrier à leurs extrémités ; ils passent les bras de la civiere dans ces boucles, & l'enlevent avec leurs épaules, ce qui les soulage quand les poids sont lourds. La civiere est à l'usage des Maçons, des Jardiniers, &c.


CIVIL(Jurispr.) ce terme a différentes significations : il est ordinairement joint à quelque autre.

Par exemple, on dit société civile. Voyez au mot SOCIETE.

On a d'abord appellé droit civil, le droit particulier de chaque nation ou ville, quasi jus proprium ipsius civitatis, pour le distinguer du droit naturel & du droit des gens. C'est pourquoi Justinien nous dit en ses inst. tit. ij. § 2. que les lois de Solon & de Dracon sont le droit civil des Athéniens ; & que les lois particulieres observées par le peuple romain, forment le droit civil romain : mais que quand on parle du droit civil simplement, on entend le droit romain par excellence.

On appelle corps civil, une compilation des lois romaines, que Tribonien composa par ordre de Justinien, qui comprend le digeste, le code, & les institutes.

On dit aussi dans le même sens, les lois civiles.

Le terme civil est quelquefois opposé à canon ou canonique : ainsi l'on dit le droit civil ou le droit civil romain, par opposition au droit canon ou canonique romain.

Le droit civil se dit aussi quelquefois par opposition au droit coûtumier, auquel cas il signifie également le droit romain ou droit écrit.

Civil est encore opposé à criminel ; c'est en ce sens que l'on dit, un juge civil, un lieutenant civil, un greffier civil, le greffe civil, le parc civil, la chambre civile, l'audience civile, une requête civile, prendre la voie civile.

Joüir des effets civils, c'est avoir les droits de cité ; & encourir la mort civile, c'est perdre ces mêmes droits.

En matiere criminelle, on se sert quelquefois du terme civil : on dit, par exemple, une partie civile, des conclusions civiles, des intérêts civils, renvoyer les parties à fins civiles. Voyez l'article DROIT CIVIL, & les autres termes que l'on vient de rapporter, chacun à sa lettre. (A)


CIVILISER(Jurisprud.) En termes de palais, civiliser une affaire, signifie recevoir un accusé en procès ordinaire, ou rendre civil un procès qui s'instruisoit auparavant comme criminel.

L'ordonnance de 1670, titre xx. de la conversion des procès civils en procès criminels, & de la réception en procès ordinaire, dit que s'il paroît avant la confrontation des témoins que l'affaire ne doit pas être poursuivie criminellement, les juges recevront les parties en procès ordinaire ; que pour cet effet ils ordonneront que les informations seront converties en enquêtes, & permettront à l'accusé d'en faire de sa part dans les formes prescrites pour les enquêtes ; qu'après la confrontation des témoins, l'accusé ne pourra plus être reçû en procès ordinaire, mais qu'il sera prononcé définitivement sur son absolution ou sur sa condamnation ; enfin que quoique les parties ayent été reçûes en procès ordinaire, la voie extraordinaire sera permise, si la matiere y est disposée.

Ainsi civiliser une affaire ou procès ; renvoyer les parties à fins civiles, ou les recevoir en procès ordinaire, est la même chose. Lorsque les charges paroissent legeres, on renvoye quelquefois les parties à l'audience ; mais l'affaire n'est pas pour cela civilisée, les informations demeurent toûjours pieces secrettes. Voyez FINS CIVILES, PROCES ORDINAIRE. (A)


CIVILITÉPOLITESSE, AFFABILITé, synonymes, (Gramm. & Morale) manieres honnêtes d'agir & de converser avec les autres hommes dans la société ; mais l'affabilité qui consiste dans cette insinuation de bienveillance avec laquelle un supérieur reçoit son inférieur, se dit rarement d'égal à égal, & jamais d'inférieur à supérieur. Elle n'est souvent dans les grands qu'une vertu artificieuse qui sert à leurs projets d'ambition, une bassesse d'ame qui cherche à se faire des créatures (car c'est un signe de bassesse). J'ignore pourquoi le mot affabilité ne plaisoit pas à M. Patru ; ce seroit dommage de le bannir de notre langue, puisqu'il est unique pour exprimer ce qu'on ne peut dire autrement que par périphrase.

La civilité & la politesse sont une certaine bienséance dans les manieres & dans les paroles, tendantes à plaire & à marquer les égards qu'on a les uns pour les autres.

Sans émaner nécessairement du coeur, elles en donnent les apparences, & font paroître l'homme au-dehors comme il devroit être intérieurement. C'est, dit la Bruyere, une certaine attention à faire que par nos paroles & nos manieres les autres soient contens de nous.

La civilité ne dit pas autant que la politesse, & elle n'en fait qu'une portion ; c'est une espece de crainte, en y manquant, d'être regardé comme un homme grossier ; c'est un pas pour être estimé poli. C'est pourquoi la politesse semble, dans l'usage de ce terme, réservée aux gens de la cour & de qualité ; & la civilité, aux personnes d'une condition inférieure, au plus grand nombre de citoyens.

J'ai lû des livres sur la civilité, si chargés de maximes & de préceptes pour en remplir les devoirs, qu'ils m'auroient fait préférer la rudesse & la grossiereté à la pratique de cette civilité importune dont ils font tant d'éloges. Qui ne penseroit comme Montagne ? " J'aime bien, dit cet auteur (essais liv. I. ch. xiij.), à ensuivre les lois de la civilité, mais non pas si coüardement, que ma vie en demeure contrainte. Elles ont quelques formes pénibles, lesquelles, pourvû qu'on oublie par discrétion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. J'ai vû souvent des hommes incivils par trop de civilité, & importuns de courtoisie. C'est au demeurant une très-utile science que la science de l'entregent. Elle est comme la grace & la beauté conciliatrice des premiers abords de la société & familiarité, & par conséquent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'autrui, & à exploiter & produire notre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant & communicable ".

Mais la civilité cérémonieuse est également fatigante & inutile ; aussi est-elle hors d'usage parmi les gens du monde. Ceux de la cour, accablés d'affaires, ont élevé sur ses ruines un édifice qu'on nomme la politesse, qui fait à-présent la base, la morale de la belle éducation, & qui mérite par conséquent un article à part. Nous nous contenterons seulement de dire ici, qu'elle n'est d'ordinaire que l'art de se passer des vertus qu'elle imite.

La civilité, prise dans le sens qu'on doit lui donner, a un prix réel ; regardée comme un empressement de porter du respect & des égards aux autres, par un sentiment intérieur conforme à la raison, c'est une pratique de droit naturel, d'autant plus loüable qu'elle est libre & bien fondée.

Quelques législateurs même ont voulu que les manieres représentassent les moeurs, & en ont fait un article de leurs lois civiles. Il est vrai que Lycurgue en formant les manieres, n'a point eu la civilité pour objet ; mais c'est que des gens toûjours corrigeans ou toûjours corrigés, comme dit M. de Montesquieu, également simples & rigides, n'avoient pas besoin de dehors : ils exerçoient plûtôt entr'eux des vertus, qu'ils n'avoient des égards.

Les Chinois, qui ont fait des rits de tout & des plus petites actions de la vie, qui ont formé leur empire sur l'idée du gouvernement d'une famille, ont voulu que les hommes sentissent qu'ils dépendoient les uns des autres, & en conséquence leurs législateurs ont donné aux regles de la civilité la plus grande étendue. On peut lire là-dessus le pere Duhalde.

Ainsi pour finir cet article par la réflexion de l'auteur de l'esprit des lois. " On voit à la Chine les gens de village observer entr'eux des cérémonies comme des gens d'une condition relevée ; moyens très-propres à maintenir parmi le peuple la paix & le bon ordre, & à ôter tous les vices qui viennent d'un esprit dur, vain, & orgueilleux. Ces regles de la civilité valent bien mieux que celles de la politesse. Celle-ci flate les vices des autres, & la civilité nous empêche de mettre les nôtres au jour : c'est une barriere que les hommes mettent entr'eux pour s'empêcher de se corrompre. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CIVIQUEadj. (Hist. anc.) épithete qu'on donnoit à une espece de couronne qui se faisoit de feuilles de chêne, & que les Romains accordoient autrefois à ceux qui avoient sauvé la vie dans une bataille ou dans un assaut à quelqu'un de leurs concitoyens. Voyez COURONNE.

La couronne civique étoit fort estimée, & elle fut même accordée comme un honneur à Auguste, qui fit battre à cette occasion des monnoies avec cette devise, ob cives servatos. Elle fut aussi accordée à Cicéron, après qu'il eut découvert la conjuration de Catilina. Dict. de Trév. & Chambers. (G)


CIVITA DI PENNA(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, près du Salino. Long. 31. 38. lat. 42. 25.


CIVITA DI S. ANGELO(Géog.) petite ville du royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure.


CIVITA DUCALE(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, près du Velino.


CIVITA LAVINIA(Géog.) petite ville d'Italie de l'état de l'Eglise, dans la campagne de Rome.


CIVITA NUOVA(Géog.) petite ville d'Italie dans la Marche d'Ancone, près du golfe Adriatique.


CIVITA REALE(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, près des sources du Tronto.


CIVITA-VECCHIA(Géog.) petite ville forte d'Italie dans l'état de l'Eglise, sur le bord de la mer. Long. 29. 25. lat. 42. 5.

Il y a encore une ville de ce nom dans l'île de Malte, que les habitans appellent Medine.


CIVRAY(Géog.) petite ville de France en Poitou.


CLABAUD(Vénerie) voyez CHIEN.


CLACKMANNAN(Géog. mod.) ville d'Ecosse, capitale de la province de même nom. Long. 54. lat. 57.


CLADOTERIES(Myth.) fêtes ainsi nommées du mot grec , rameau. On les célebroit dans le tems où la vigne se taille. Voyez l'antiq. expliq.


CLAGENFURT(Géog. mod.) ville forte d'Allemagne, capitale de la Carinthie. Long. 31. 45. lat. 46. 50.


CLAIES. f. (Vannier) est un tissu de plusieurs bâtons menus & paralleles, plus ou moins espacés, & fixés par une chaîne d'osier, & d'autres bâtons menus & flexibles. Cet ouvrage de mandrerie plat, est d'usage dans le jardinage pour passer les terres. On jette les terres dessus ; la bonne terre tombe d'un côté, en passant à-travers ; les pierres sont rejettées de l'autre côté. Les mailles de cette claie ont un pouce ou environ.

On donne le même nom à une échelle qu'on attache au derriere d'une charrette, & sur laquelle on traîne par les rues ceux qui se sont défaits, ou qui ont été tués en duel.

CLAIE, terme de Fortification. Ce sont des ouvrages faits avec des branches d'arbre, étroitement entrelacées les unes avec les autres, pour passer un fossé qui vient d'être saigné, en les jettant sur la boue qui reste au fond, pour en affermir le passage ; & aussi pour couvrir un logement, & alors on les charge de terre, pour se garantir des feux d'artifice, & des pierres que l'ennemi pourroit jetter dessus.

On donne aussi le nom de claie à ce qui sert aux Bergers pour enfermer leurs troupeaux quand ils parquent. Chambers. (Q)

CLAIE, (Pêche) bouraque, panier, nasse, & cassier, termes synonymes de Pêche. Voyez NASSE.

CLAIE, en terme d'Orfévre, sont de petites chambrettes séparées l'une de l'autre, presque comme les alvéoles des ruches d'abeilles. On en met dans tous les lieux où les Orfévres travaillent, pour recevoir les paillettes d'or ou d'argent qui se détachent en forgeant, des limailles & autres déchets. Elles sont composées de tringles de bois qui se croisent quarrément. Chaque partie est entaillée à mi-épaisseur, & reçoit l'autre, ce qui rend toutes les tringles de niveau, & forme de petits quarrés dont le vuide peut avoir à-peu-près dix-huit lignes sur chaque pan. La tringle a environ un pouce d'équarrissage, & est ébiselée sous chaque pan des vuides, pour laisser moins de surface.

L'usage des claies étant de recevoir les parties d'or ou d'argent qui tombent, moins leurs bords ont de surface en bois, moins les piés emportent d'ordures & font de déchet. Voyez les vignettes des Planches d'Orfévrerie.


CLAINS. m. (Jurisprud.) que l'on dit aussi clame ou clameur, a différentes significations.

Quelquefois clain est pris pour ajournement ou demande, comme dans la coûtume d'Anjou, art. 69. 70. Maine, art. 80. Bourbonnois, art. 159.

Clain, en d'autres endroits, est pris pour l'amende dûe par celui qui succombe. Voyez l'ancienne coûtume de Bourges, tit. ij. art. 21. & 22. C'est aussi dans certaines coûtumes l'amende dûe pour les bêtes prises en délit. Nivernois, tit. xv. art. 13.

Clain & arrêt, est la saisie. Voyez la somme rurale.

Clain de cerquemanage, est la demande formée pour l'infraction des bornes & limites.

Clain de dégagement, est la saisie & arrêt que les domestiques & ouvriers font pour leurs gages & salaires sur les meubles du débiteur, que la justice fait enlever, pour le prix en provenant être employé au payement des créanciers. Coût. de Cambrai, tit. xxv. art. 4. 5. & 6. & Pinault des Journaux, sur ces articles.

Clain de rétablissement, est l'action en réintégrande.

Clain de simple saisine, est l'action en complainte. (A)

CLAIN, (Géog. mod.) petite riviere de France en Poitou, qui se jette dans la Vienne.


CLAIONS. m. (Vannerie) est un petit tissu de gros bâtons & de menus bâtons d'osier, qui se fait comme la claie. Voyez CLAIE.

Il est à l'usage des Pâtissiers ; ils s'en servent pour transporter leurs ouvrages. Voyez la Planche du Pâtissier.

CLAION, (Confiseur). Les Confiseurs appellent ainsi un rond de fil-d'archal en treillis, assez serré, sur lequel ils posent particulierement ce qu'on tire au sec, en travaillant le sucre pour le glacer. Voyez Planche du Confiseur, fig. 10.

CLAIONNAGE, s. m. (Maçonnerie & Jardinage) est un assemblage de fascines, de fagots, de branches de saules arrangées entre deux piles de pieux, ou formant des lits de six piés de large entremêlés de lits de terre.

C'est un travail très-nécessaire dans les terres humides ou trop mouvantes, pour affermir les talus de gazon, qui sans cette précaution s'ébouleroient par le pié. Quand ce sont des talus un peu roides, après avoir mis de la terre un pié de haut, en commençant par le bas, il faut mettre un lit de fascines ou de claionnages, de six piés de large, rangés l'un contre l'autre, & faire ensorte que le gros bout & la racine regarde la face du talus, & vienne aboutir à un pié près du revêtissement. On mettra ensuite un lit de terre par-dessus, & on continuera de même jusqu'en-haut. On assied le gazon dessus ce claionnage, en le couvrant auparavant d'un demi-pié de terre. Voyez GAZON. (K)


CLAIR(Physiq.) adjectif relatif à la quantité des rayons de lumiere qu'un corps réfléchit vers nos yeux, & quelquefois à la quantité de parties solides qu'il contient.

Ainsi on dit, des couleurs claires, une eau claire, un verre clair, une étoffe claire. Une étoffe est d'autant plus claire qu'elle contient moins de parties solides, & qu'elle est percée d'un plus grand nombre de jours. Un verre, une eau sont d'autant plus clairs, qu'ils permettent un passage plus libre aux rayons de la lumiere, & que par conséquent ils en renvoyent moins à nos yeux. Une couleur est d'autant plus claire, que sa teinte est plus foible, plus voisine du blanc, & que par conséquent la quantité de rayons réfléchis est plus grande. V. BLANCHEUR.

CLAIR, BAY-CLAIR, (Maréchallerie & Manége) nuance de poil bay. Voyez BAY.

CLAIR, en Peinture, se dit des parties les plus éclairées d'un tableau ; elles s'appellent le clair, ou pour parler plus pittoresquement, les parties lumineuses ou éclairées. (R)

CLAIR OBSCUR, s. m. (Peinture). Rien ne peut donner une idée plus nette du clair obscur, que ce qu'en dit M. de Piles.

En Peinture, la connoissance de la lumiere, par rapport à la distribution qu'on en doit faire sur les objets, est une des plus importantes parties & des plus essentielles à cet art. Elle contient deux choses, l'incidence des lumieres & des ombres particulieres, & l'intelligence des lumieres en général, que l'on appelle ordinairement le clair obscur.

Par l'incidence de la lumiere, il faut entendre la connoissance de l'ombre que doit faire & porter un corps situé sur un tel plan, & exposé à une lumiere donnée ; connoissance qui s'acquiert par celle de la perspective, dont les démonstrations nécessitent le peintre à lui obéir. Par l'incidence des lumieres l'on entend donc les lumieres & les ombres qui appartiennent aux objets particuliers ; & par le mot de clair obscur, l'art de distribuer avantageusement les lumieres & les ombres qui doivent se trouver dans un tableau, tant pour le repos & la satisfaction des yeux, que pour l'effet du tout ensemble.

L'incidence des lumieres, ainsi qu'on l'a dit, force le peintre à suivre les lois de la perspective, au lieu que le clair obscur dépend absolument de l'imagination du peintre ; car celui qui choisit les objets est maître de les disposer de maniere à recevoir les lumieres & les ombres telles qu'il les desire dans son tableau, & d'y introduire les accidens & les couleurs dont il pourra tirer de l'avantage. Enfin comme les lumieres & les ombres particulieres sont comprises dans les lumieres & les ombres générales, il faut regarder le clair obscur comme un tout, & l'incidence de la lumiere comme une partie que le clair obscur suppose.

On désigne par le mot clair, non-seulement ce qui est exposé sous une lumiere directe, mais aussi toutes les couleurs qui sont lumineuses de leur nature ; & par le mot obscur, non-seulement il faut entendre toutes les ombres causées directement par l'incidence & par la privation de la lumiere, mais encore toutes les couleurs qui sont naturellement brunes ; ensorte que sous l'exposition de la lumiere même elles conservent l'obscurité, & soient capables de groupper avec les ombres des autres objets. Tels sont, par exemple, un velours chargé, une étoffe brune, un cheval noir, des armures polies, & d'autres choses semblables, qui conservent leur obscurité naturelle ou apparente, à quelque lumiere qu'on les expose.

Il faut encore observer que le clair obscur qui renferme & suppose l'incidence de la lumiere & de l'ombre, comme le tout renferme sa partie, regarde cette même partie d'une maniere qui lui est particuliere, en ce que le clair obscur ajoûte à la précision de cette partie, l'art de rendre les objets plus de relief, plus vrais, & plus sensibles. Mais quoique le clair obscur comprenne la science de distribuer toutes les lumieres & toutes les ombres ; il s'entend plus particulierement des grandes lumieres & des grandes ombres, ramassées avec une industrie qui en cache l'artifice. Trois moyens conduisent à la pratique du clair obscur.

I. moyen. La distribution des objets.

II. moyen. Le corps des couleurs.

III. moyen. Les accidens.

Premierement, la distribution des objets. La distribution des objets forme des masses de clair obscur, lorsque par une industrieuse oeconomie on les dispose de maniere que ce qu'ils ont de lumineux se trouve joint ensemble d'un côté, & que ce qu'ils ont d'obscur se trouve lié ensemble d'un autre côté, & que cet amas de lumieres & d'ombres empêche la dissipation de notre vûe ; c'est ce que le Titien appelloit la grappe de raisin, parce que les grains de raisin séparés les uns des autres auroient chacun sa lumiere & son ombre également ; & partageant ainsi la vûe en plusieurs rayons, lui causeroient de la confusion : au lieu qu'étant tous rassemblés en une grappe, & ne faisant par ce moyen qu'une masse de clair & qu'une masse d'ombre, les yeux les embrassent comme un seul objet. Ce que je dis ici de la grappe de raisins ne doit pas être pris grossierement à la lettre, ni selon l'arrangement ni selon la forme ; c'est une comparaison sensible, qui ne signifie autre chose que la conjonction de clairs & la jonction des ombres.

En second lieu, le corps des couleurs. La distribution des couleurs contribue aux masses des clairs & aux masses d'ombres, sans que la lumiere directe y fasse autre chose que de rendre les objets visibles : cela dépend de la supposition que fait le peintre, qui est libre d'introduire une figure habillée de brun, qui demeurera obscure malgré la lumiere dont elle peut être frappée, & qui fera d'autant plus son effet, qu'elle en cachera l'artifice. Ce que je dis d'une couleur peut s'entendre de toutes les autres couleurs, selon le dégré de leur ton, & le besoin qu'en aura le peintre.

Le troisieme moyen de produire l'effet du clair obscur naît des accidens. Leur distribution peut servir à l'effet du clair obscur, ou dans la lumiere ou dans les ombres. Il y a des lumieres & des ombres accidentelles : la lumiere accidentelle est celle qui est accessoire au tableau, comme la lumiere de quelque fenêtre, ou d'un flambeau, ou de quelqu'autre cause lumineuse, laquelle est pourtant inférieure à la lumiere primitive ; les ombres accidentelles sont, par exemple, celles des nuées dans un paysage, ou de quelqu'autre cause que l'on suppose hors du tableau, & qui peut produire des ombres avantageuses ; mais en supposant hors du tableau la cause de ces ombres volantes, pour ainsi parler, il faut prendre garde que cette cause supposée soit vraisemblable, & non pas impossible. Voyez le cours de M. de Piles.

On appelle un dessein de clair obscur, un dessein qui est lavé d'une seule couleur, ou dont les ombres sont d'une couleur brune, & les lumieres rehaussées de blanc. On nomme encore ainsi les tableaux qui ne sont que de deux couleurs, comme les fresques de Polydore qui sont à Rome.

Les planches gravées à la maniere noire portent encore le nom générique de clair obscur. (R)


CLAIRANS. m. (Maréch.) espece de sonnette de fer-blanc ou de laiton qu'on pend au cou des chevaux qui sont en pâture, pour pouvoir entendre où ils sont quand ils s'égarent dans les forêts.


CLAIRANGUES. f. GRATTES, ou VERVEUX EMMANCHé, (Pêche) est un instrument dont on se sert pour la pêche. On le peut rapporter à l'espece des bouteux, quoique par sa figure il semble appartenir à l'espece des verveux. La pêche de la clairangue se pratique à Vayres, dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux.

Les pêcheurs de ce lieu représenterent que dans le tems de la pêche, les paysans, les tonneliers, les charpentiers, les vignerons, & les métayers qui sont bordiers de ces côtes, venoient dans de petites plates qu'ils nommoient gabarots, faire la pêche ; & que plusieurs d'entr'eux qui la pratiquoient à pié, se servoient d'un instrument qu'ils appelloient clairangue ou gratte, espece de petit verveux emmanché d'un pieux ou petite perche longue de dix à douze piés au moins, donc le sac étoit fait de mailles aussi serrées que celles des rets, des havenets à esquires de baccalant de Bordeaux, ou des plus petites trullotes à pêcher les chevrettes : ils ajoûterent qu'avec cet instrument ils pêchoient aussi le frai & les poissons du premier âge, en sorte qu'ils en dépeuploient la Dordogne.


CLAIREreligieuses de sainte Claire ou Clarisse, (Hist. eccl.) elles ont pour fondatrice la sainte dont elles portent le nom. S. François d'Assise donna à sainte Claire l'église de S. Damien. Les filles qui formoient alors cette communauté n'avoient point adopté de regle ; S. François ne leur en fit une qu'en 1224. Elles avoient déjà des établissemens, tant en Espagne qu'en France : ces maisons suivoient l'institut de S. Benoît, & des constitutions particulieres qu'elles avoient reçûes du cardinal Hugolin ; la regle de S. François ne fut que pour la maison de S. Damien. La vie de ces religieuses étoit très-austere. Elles subsistent aujourd'hui sous deux noms ; les Damianistes, qui suivent les constitutions de S. François dans toute leur rigueur ; & les Urbanistes, qui n'ont retenu ces constitutions qu'avec les tempéramens qu'y a apportés Urbain IV.

CLAIRE, s. f. (Chim. & Docim.) on appelle ainsi la cendre d'os calcinés, lessivée, séchée, & réduite en poudre impalpable sur le porphyre, dont on enduit la surface interne des coupelles, non-seulement pour en remplir les inégalités, mais encore pour former sur cette surface une espece de crible à-travers lequel le plomb & les autres métaux vitrifiés passent très-aisément, tandis que l'or & l'argent, ou tout autre métal qui a encore sa forme métallique, y sont arrêtés. La claire a encore un autre avantage, c'est que si elle est bien appliquée, elle empêche tous les accidens qui pourroient arriver aux coupelles dans lesquelles il se trouveroit du sable ou d'autres matieres vitrescibles ; ce qui est fort ordinaire, surtout si on s'est servi de cendres de bois pour les former. On voit par-là de quelle conséquence il est de préparer avec toute l'attention possible les cendres dont on doit faire la claire. Voyez l'art. CENDREE.

On fait calciner les os ou arêtes dans un creuset ou vaisseau de terre bien net, qu'on a soin de couvrir exactement ; on donne un feu très violent pendant quelques heures ; on jette ensuite les matieres calcinées dans de l'eau pour les lessiver ou en tirer les sels, & on les réduit en poudre impalpable. On remet sur cette cendre de nouvelle eau qu'on a soin de bien remuer ; on donne le tems à la matiere la plus grossiere de tomber au fond de l'eau : après quoi on décante l'eau qui surnage, tandis qu'elle est encore un peu trouble. On laisse séjourner cette eau pendant vingt-quatre heures dans un vaisseau propre & à l'abri de la poussiere. Au bout de ce tems, lorsque l'eau est entierement claire, on la verse doucement par inclination ; on laisse sécher la fécule blanche qui est tombée au fond du vaisseau, & on la réserve pour l'usage.

Avant de s'en servir, on la calcine de nouveau dans un creuset, & on la pulvérise encore une fois à sec sur le porphyre, observant que le porphyre soit assez dur pour que les cendres d'os n'en emportent rien. On prend cette cendre pour en répandre sur la surface intérieure ou concave des coupelles, lorsqu'elles sont encore fraîches, & même avant qu'elles soient retirées du moule ; & pour qu'elle soit distribuée par-tout le plus également qu'il est possible, on la met dans un petit tamis de soie, & on en saupoudre la coupelle, ayant soin de n'en faire tomber qu'autant qu'il en faut pour former une legere couche qu'on acheve de rendre unie avec le bout du petit doigt, s'il en est besoin, & qu'on comprime d'un coup de marteau frappé sur la partie supérieure du moule appellé moine, que l'on a bien essuyé & séché, s'il étoit humide, de peur que la claire ne s'y attache ; & si les coupelles sont grandes, & par conséquent faites sans moule, on comprimera la claire, en faisant rouler dans leur cavité une boule d'yvoire ou de bois pesant. Voyez COUPELLE. (-) (b)

CLAIRE, (sainte) Géog. mod. petite île de l'Amérique méridionale, dans la mer du Sud.

CLAIRE, (sainte) Géog. mod. petite île d'Afrique, l'une des Canaries.

CLAIRES ou PARCS AUX HUITRES, (Pêche) Voy. HUITRES, & la fig. 3. Pl. III. de Pêche.

CLAIRE-SOUDURE, CLAIRE-ETOFFE, voyez SOUDURE & ÉTOFFE.


CLAIRE-VOIE(Art méch.) on dit fait à claire-voie, de l'espacement des solives d'un plancher, des poteaux d'une cloison, des chevrons d'un comble, &c. lorsque cet espacement est plus large qu'il n'a coûtume de l'être dans les autres ouvrages de la même nature, soit qu'on l'ait pratiqué ainsi par oeconomie, soit à cause du peu de charge. On seme à claire-voie quand les sillons sont fort écartés les uns des autres, ou que la quantité de semence qu'on répand étant peu considérable relativement à l'espace qu'on ensemence, les grains laissent entr'eux de grands intervalles vuides. Les ouvrages des Vanniers sont à claire-voie, lorsque le tissu d'osier laisse des intervalles à jour ; & il en est de même des ouvrages des Tissutiers.


CLAIRÉES. f. en terme de Raffineur, est proprement le sucre clarifié & prêt à être cuit. Voyez CUIRE, CLARIFIER, CREUCRE.


CLAIRETS. m. (Pharmac.) le nom de clairet est donné à certains vins médicamenteux, composés, édulcorés avec un peu de sucre. Voyez VIN MEDICAMENTEUX.

On trouve dans les différens dispensaires la préparation d'un grand nombre de ces clairets destinés à remplir différentes indications, tels que le clairet laxatif de Minsycht, le clairet anti-apoplectique du même auteur, le clairet pectoral de Thomas Hoffman, &c.

Quelques auteurs substituent au vin, dans la composition des clairets, l'eau-de-vie ou l'esprit-de-vin, étendu d'une certaine quantité d'eau commune ou de diverses eaux distillées. Le clairet simple de Bauderon, celui de six graines carminatives de la pharmacopée de Paris, le clairet cordial de Lemeri, &c. sont de cette derniere espece : ceux-ci ne sont proprement que des teintures composées & édulcorées, ou des ratafiats médicamenteux. Voyez RATAFIAT & TEINTURE. (b)


CLAIRETS(LES) Hist. ecclés. maison de filles religieuses de l'ordre de Cîteaux, & de la réforme de la Trappe, fondée par Geoffroy, troisieme comte de Perche, & érigée en abbaye en 1221. Les religieuses de l'abbaye des Clairets ont pour supérieurs immédiats les abbés de la Trappe.


CLAIRIERv. n. terme de Brasserie ; il désigne l'état des métiers dont on fait le levain lorsqu'ils sont couverts de mousse. Voyez BRASSERIE.


CLAIRIERESS. f. (Jurispr.) terme d'eaux & forêts qui signifie les endroits des forêts qui sont dégarnis de bois, ou dans lesquels il est peu touffu. L'ordonnance des eaux & forêts ordonne le repeuplement des places vuides ou clairieres qui se trouvent dans les forêts du Roi. (A)


CLAIRONS. m. (Lutherie) vieux instrument de l'espece des trompettes, mais dont le canal étoit plus étroit & le son plus aigu, ensorte que ces derniers instrumens formoient la basse du clairon. Il fut très en usage chez les Mores, qui le transmirent aux Portugais : ceux-ci ne s'en servirent guere que dans la cavalerie & la marine. Il n'en reste aujourd'hui guere que le nom parmi nous.

CLAIRON, (Lutherie) jeu d'orgue de la classe de ceux qu'on appelle jeux d'anches, qui ne differe de la trompette qu'en ce qu'il sonne l'octave au-dessus d'elle (voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'Orgue), & qu'en ce qu'il est plus ouvert. Ce jeu est d'étain, & se met par la partie inférieure dans une boîte d'étoffe comme la trompette. Voyez TROMPETTE, la fig. 45. Pl. d'Orgue, & l'art. ORGUE, où la facture de ce jeu est expliquée.

Les dessus de clairon sont très-difficiles à faire parler, aussi-bien que les basses de cromorne.

CLAIRON, en terme de Blason, est une piece de l'art héraldique. Il porte de gueule à trois clairons de topaze. Ce sont les armes du comte de Bath, appellé Grandville. Guillim prétend que ces clairons sont une espece de trompettes anciennes ; mais d'autres avancent, avec plus de raison, qu'elles représentent le gourvernail d'un navire, ou un arrêt de lance. Voyez le diction. de Trév. & Chambers.


CLAIRVAUX(Géog. mod.) petite ville des Pays-Bas, dans le duché de Luxembourg.

Il y a aussi en Champagne, non loin de Langres & de Chaumont, sur la riviere d'Aube, un lieu célebre par son abbaye ; c'est la troisieme fille de Cîteaux. Voyez CITEAUX. Hugues comte de Troyes, & Etienne abbé de Cîteaux, en furent les fondateurs, & S. Bernard le premier abbé.


CLAIZE(LA) Géog. mod. riviere de France qui prend sa source dans le Berri, & se perd dans la Creuse.


CLAM(Jurispr.) dans la coûtume de Béarn, tit. vij. art. 2. signifie ban ou publication, défense. (A)

CLAM, s. m. (Comm.) le plus petit des poids qui soit en usage dans le royaume de Siam ; c'est la soixante-quatrieme partie du tael. Voyez TAEL ; voyez les dictionn. du Comm. & de Trév.


CLAMABLEadj. (Jurispr.) dans la coûtume de Normandie, signifie ce qui est sujet à retrait, soit seigneurial, lignager, ou conventionnel. Voyez le tit. des retraits & clameurs. (A)


CLAMANTS. m. (Jurispr.) dans quelques coûtumes & anciens auteurs, signifie le demandeur ; dans d'autres il signifie le saisissant, comme dans la coûtume de Lille, art. 99. 101. 102. 103. & 104. en Normandie il signifie quelquefois le retrayant, anc. coût. ch. xxij. & au style du pays de Norman. & en la nouvelle coût. tit. des retraits & clam. Coût. de Solle, tit. xxxv. art. 19. de Bearn, tit. vij. 6. & 10. tit. xviij. art. 2. tit. xxxj. art. 10. Valenciennes, art. 37. & 151. Seclin, locale sous Lille. (A)


CLAME(Jurispr.) anciennement signifioit amende. En certains lieux on levoit une amende ainsi appellée sur les débiteurs qui étoient en demeure de payer. Voyez le conseil de Pierre de Fontaines, ch. xxj. p. 120. art. 11 & 15. Il y a aussi le droit & peine de clame, c'est-à-dire l'amende qui est dûe à justice pour la prise des bestiaux trouvés en délit. Il en est parlé dans la coûtume d'Auvergne, ch. xxviij. art. 6. 12. 13. 14. 17. & suiv. & dans les coût. locales dudit pays. (A)


CLAMECY(Géog. mod.) petite ville de France dans le Nivernois, au confluent du Beuvron & de l'Yonne. Long. 21d. 11'. 11". lat. 47d. 27'. 37".


CLAMERv. a. & n. (Jurispr.) dans les anciens auteurs & dans quelques coûtumes, signifie demander, poursuivre.

Clamer droit, c'est former sa demande ou rendre plainte en justice. Voyez l'ancienne coût. de Beauquesne, art. 48. Clermont, 85. Hainaut, ch. lxxvij. Mons, ch. x. Valenciennes, art. 88. & 109.

Clamer garand, c'est agir en garantie contre quelqu'un. Coût. de Bretagne, art. 145. Norm. anc. coût. ch. xxvj. xxxiiij. & lvij. & au style du pays de Normandie.

Clamer en garieur, c'est quand l'on fait demande de quelque chose par voie possessoire ou propriétaire, ou que l'on se plaint en justice du tort qui a été fait.

Clamer en justice, c'est se plaindre de quelque trouble ou tort que l'on a reçû. Coûtume de Dunois, art. 52.

Clamer les biens de son débiteur forain, c'est saisir & arrêter. Coût. de Lille, art. 98. 104. 116. Lille, art. 99. 101. 102. 103. 104. 124. Asc. tit. xvj. art. 12. Voyez CLAIN & CLAMEUR.

Lieu clame, est un héritage pour lequel il y a demande ou complainte. Voyez la somme rurale.

Se clamer en cour suseraine de cour inférieure, c'est lorsque celui qui est ajourné devant un juge inférieur, s'adresse à la cour supérieure pour avoir plus promte expédition ; ce qui est permis en matiere de retrait lignager dans les coûtumes d'Anjou & Maine, afin que les deniers de l'acquéreur ne soient point retardés.

Se clamer, signifie aussi retraire. Coût. de Normand. tit. des retraits & clameurs.

Clamer son sujet, c'est revendiquer son serf ou mortaillable, son censitaire ou justiciable, qui se veut avoüer sujet d'un autre seigneur. Boutillier, en sa somme rurale. (A)


CLAMEURS. m. (Jurispr.) en général signifie demande ; il signifie aussi quelquefois saisie, exécution, contrainte. C'est ainsi qu'il est dit faire sa clameur au roi, en l'ancienne chronique de Flandres, ch. lxxxv. Il est parlé de clameur, clamor, en l'ordonnance de Philippe IV, de l'an 1304, & de la clameur du petit scel de Montpellier dans l'ordonnance de Louis XII. art. 142. & suiv.

Clameur, en Normandie, est toute demande intentée par la voie possessoire ou pétitoire, pour se plaindre en justice par action civile du dommage que l'on prétend avoir souffert. On y distingue plusieurs sortes de clameurs ; savoir,

Clameur de bourse, est l'action en retrait lignager, féodal, ou autre.

Clameur de bourse gagée, c'est quand le défendeur en retrait lignager, féodal, ou autre, acquiesce au retrait, en lui remboursant le sort principal du prix de la vente, fraix & loyaux coûts.

Clameur à droit conventionnel, est l'action pour exercer la faculté de réméré.

Clameur à droit de lettre lûe, est la faculté qui appartient à un tiers acquéreur qui a possédé par an & jour un héritage ou autre immeuble en vertu d'un titre authentique, de le pouvoir retirer sur celui qui s'en est rendu adjudicataire par decret, en lui remboursant le prix de l'adjudication, fraix & loyaux coûts dans l'an & jour. Coût. de Normand. art. 451.

Clameur fausse, est quand on se plaint à tort à justice. Anc. coût. de Normand. ch. vij. 95.

Forte clameur, est une amende de deux sous six deniers dûe au Roi, selon la coûtume locale de la châtellenie de Montereau, ressort de Meaux ; lorsque quelqu'un a fait ajourner un autre en action personnelle, celui qui succombe la doit pour le premier ajournement, supposé que les parties s'accordent sans porter la cause à l'audience ; car s'ils persistent plus loin, & que la cause soit contestée, il y a sept sous six deniers d'amende : c'est proprement l'amende du clain & clameur fait en justice, qui est moindre de l'amende du ni atteint & vérifié, qui est dûe pour la contestation. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot FORTE CLAMEUR.

Clameur de gage plege, est une complainte contre le trouble fait en la propriété ou possession d'un héritage, par voie de fait, violence ou autrement. Normand. art. 5.

Clameur gagée, est le retrait consenti par l'acquéreur.

Clameur de haro, usitée en Normandie, & que Dumolin appelle quiritatio Normanorum, est une plainte verbale & clameur publique de celui à qui on fait quelque violence ou injustice, & qui implore la protection du prince, ou qui trouvant sa partie la veut mener devant le juge, ensorte que cette clameur emporte avec elle une assignation verbale.

L'opinion la plus suivie sur l'origine de cette clameur de haro, est que le terme de haro est une invocation du nom de Raoul ou Rollo, premier duc de Normandie, qui se rendit respectable à son peuple, tant par ses conquêtes que par l'amour qu'il avoit pour la justice. Comme on imploroit sa protection de son vivant par une clameur publique, en l'appellant & en proférant son nom, & qu'après sa mort sa mémoire fut en vénération à son peuple, on continua d'user de la même clameur & du terme de haro, par corruption de ha Raoul. On a donné plusieurs autres étymologies du terme de haro, mais qui ne paroissent pas bien fondées.

Le premier exemple mémorable de l'usage que l'on faisoit de la clameur de haro, est celui que rapporte Paul Emile en son histoire de France. Guillaume le Bâtard dit le Conquérant, septieme duc de Normandie, & roi d'Angleterre, étant mort à Rouen au mois de Septembre 1087, son corps fut transporté & inhumé dans l'église de S. Etienne de Caen qu'il avoit fait bâtir, & qui avoit été construite en partie sur un petit morceau de terre dont le prix n'avoit point été payé à un pauvre homme de la ville de Caen nommé Asselin, lequel osa arrêter la pompe funebre du prince par une clameur de haro en ces termes. Qui regna oppressit armis, me quoque metu mortis oppressit ; ego injuriae superstes pacem mortuo non dabo : in quem infertis istum hominem locum, meus est : in alienum locum inferendi mortui jus nemini esse deffendo. Sin extincto tandem indignitatis autore vivit adhuc vis, Rollonem conditorem parentemque gentis appello, qui legibus ab se datis, quam cujusque injuria, plus unus potest, polletque.

Henri V. roi d'Angleterre ayant mis le siége devant Rouen en 1417, un prêtre fut député pour lui faire cette harangue : Très-excellent prince & seigneur, il m'est enjoint de crier contre vous le grand haro ; c'est ainsi que le rapporte Monstrelet. Il est vrai que Henri V. ne déféra pas à la clameur, & qu'après un siége de six mois il se rendit maître de la ville par composition ; mais cela prouve toûjours l'usage qui a été faite de cette clameur dans tous les tems.

Depuis la réunion de la Normandie à la couronne, nos rois ont ajouté dans toutes leurs ordonnances, édits, déclarations & lettres patentes, cette clause, nonobstant clameur de haro, ce qui se pratique encore présentement ; ensorte que cette clameur a paru avoir assez d'autorité pour faire obstacle à l'exécution des nouvelles lois, s'il n'y étoit pas dérogé par une clause expresse.

L'ancien coûtumier de Normandie contient un chapitre de haro, dont Terrien a fait mention dans son commentaire, liv. XII. ch. xviij. La même chose se trouve dans l'ancien style de procéder qui est à la fin de ce coûtumier, & est rapporté par Terrien, liv. VIII. ch. xj.

Suivant l'ancien coûtumier, le haro ne pouvoit être interjetté que pour cause criminelle, comme pour le feu, larcin, homicide, ou autre péril évident.

Mais on voit dans le style ancien de procéder, que l'usage avoit changé, & que la pratique du haro étoit déjà étendue au cas où il s'agit de conserver la possession des immeubles, & même des meubles ; c'est pourquoi lors de la rédaction de la nouvelle coûtume qui commença d'être observée au premier Juillet 1583, les commissaires nommés par le roi & les députés des trois états insérerent dans le cahier de la réformation un article qui est le cinquante-quatrieme, portant que le haro peut être intenté, non-seulement pour maléfice de corps & pour chose où il y auroit péril imminent, mais pour toute introduction de procès possessoire, encore que ce soit en matiere bénéficiale ou concernant le bien de l'église.

Sous le terme de maléfice de corps sont compris en cet endroit toutes sortes de délits, tels que vols, larcins, incendies ; ainsi présentement la clameur de haro peut être intentée pour toutes sortes de délits & de contestations civiles, bénéficiales, possessoires, & provisoires, même pour meubles : mais lorsqu'il s'agit du pétitoire, il faut prendre la voie ordinaire des actions, & observer les formalités prescrites pour les demandes. Il en seroit de même pour le recouvrement d'un effet mobilier, lorsque celui qui le possede est un homme domicilié, & qu'il n'y a point à craindre qu'il s'évade.

Il n'est pas absolument nécessaire que la clameur soit intentée contre les coupables ou défendeurs à l'instant même que l'action dont on se plaint a été commise ; la clameur peut être intentée etiam ex intervallo, sur-tout lorsqu'il s'agit d'un délit, & que l'accusé est un homme non domicilié.

On n'a pas besoin du ministere d'aucun officier de justice pour intenter le haro ; il suffit que celui qui crie haro le fasse en présence de témoins, & somme sa partie de venir devant le juge.

Suivant l'ancien coûtumier, lorsqu'on crioit haro, chacun devoit sortir ; & si le délit paroissoit digne de mort ou de mutilation de membre, chacun devoit aider à retenir le coupable, ou crier haro après lui sous peine d'amende. Ceux qui avoient pris le malfaiteur ne pouvoient le garder qu'une nuit, après quoi ils devoient le rendre à la justice, à moins qu'il n'y eût un danger évident. Il reste encore de cet ancien usage que quand quelqu'un crie haro, si c'est contre quelqu'un qui en veut outrager un autre, ou qui veut voler un marchand ou violer une fille ; en un mot s'il s'agit d'empêcher quelque violence publique ou particuliere faite avec armes ou sans armes, tout le peuple doit assister le plaignant ; il n'est pas même nécessaire que ce soit l'offensé qui interjette le haro, un tiers peut le faire, & il lui est également dû assistance tant pour protéger les innocens, que pour faire châtier les coupables. Voyez Godefroy sur l'article 54. de la coûtume.

La clameur de haro ne peut être intentée qu'en Normandie, mais elle peut l'être par toutes sortes de personnes demeurantes dans cette province, soit qu'elles soient originaires du pays ou non. Des normands ne pourroient en user dans un autre pays, même entr'eux.

Les femmes peuvent intenter cette clameur : les impuberes peuvent aussi y avoir recours, même sans être assistés de tuteur ou curateur.

Elle peut être intentée contre des ecclésiastiques, sans qu'ils puissent décliner la jurisdiction séculiere.

Elle ne peut être intentée contre le Roi, ni même contre ses officiers, pour les empêcher de faire leurs fonctions, & notamment contre les commis, huissiers & sergens employés pour les droits du Roi. L'ordonnance des aides, tit. x. art. 38. défend à tous huissiers de recevoir de telles clameurs, & aux juges d'y statuer.

Godefroi excepte néanmoins le cas où un juge entreprendroit sur la jurisdiction d'autrui, & celui où un officier abuseroit de son pouvoir, comme si un sergent emportoit les meubles par lui exécutés sans laisser d'exploit ; dans ces cas il y auroit lieu au haro.

Les officiers de la basoche ou régence du palais de Roüen, ont été autorisés par divers arrêts à intenter la clameur de haro contre les solliciteurs qui se trouvent en contravention aux réglemens concernant la discipline du palais.

L'effet du haro est qu'à l'instant qu'il est crié sur quelqu'un, celui-ci est fait prisonnier du Roi ; & s'il s'absente, il est toûjours réputé prisonnier en quelqu'endroit qu'il aille ; & quoiqu'il ne soit pas resséant de la jurisdiction du lieu où le haro a été crié, il peut être poursuivi & pris en quelque jurisdiction qu'il soit trouvé, pour être amené dans les prisons du lieu où le haro a été crié. Toute entreprise doit cesser de part & d'autre, à peine d'amende contre celui qui auroit fait quelque chose au préjudice, & d'être condamné à rétablir ce qu'il auroit emporté ou défait.

Les deux parties sont tenues de donner caution ; savoir, le demandeur de poursuivre sa clameur, & le défendeur d'y défendre ; & ces cautions sont tenues de payer le juge. C'est au sergent à recevoir ces cautions, de même que les autres cautions judiciaires. Si les parties refusoient de donner caution, le juge doit les envoyer en prison.

Après que les cautions sont données, la chose contentieuse est séquestrée, jusqu'à ce que le juge ait statué sur la provision.

L'ancien coûtumier dit que le duc de Normandie a la cour du haro, c'est-à-dire la connoissance de cette clameur, & qu'il doit faire enquête pour savoir s'il a été crié à droit ou à tort.

La connoissance du haro appartient au juge royal, sans néanmoins exclure le seigneur haut-justicier. Quand on procede devant le juge royal en matiere civile, la connoissance du haro appartient au vicomte entre roturiers, & au bailli entre nobles, & au lieutenant criminel, en matiere criminelle, entre toutes sortes de personnes.

Si le demandeur ou le défendeur n'intentent point leur action sur le haro dans l'an & jour qu'il a été interjetté, ils n'y sont plus recevables ; & si après avoir l'un ou l'autre formé leur action, ils restent pendant un an sans faire de poursuite, la clameur de haro tombe en péremption.

Le juge du haro doit prononcer une amende contre l'une ou l'autre des parties ; la quotité de l'amende est seulement arbitraire.

Les parties ne peuvent transiger dans cette matiere ; c'est par cette raison qu'on leur fait donner caution, l'un de poursuivre, l'autre de défendre. Voyez l'ancien coûtumier & la nouvelle coûtume, tit. de haro, & les commentateurs sur ce titre ; le journal du palais, arrêt du gr. cons. du 19 Janv. 1695 ; & le recueil d'arrêts du parlem. de Normandie par M. Froland, part. I. chap. vj.

Clameur lignagere ou clameur de bourse, c'est le retrait lignager.

Clameur de loi apparente, est l'action, mandement ou commission accordée au bas d'une requête par le bailli au propriétaire qui a perdu la possession d'un héritage depuis quarante ans, à l'effet de rentrer en la possession de cet héritage. Normand. art. 3.

Clameur seigneuriale, est le retrait féodal ou seigneurial.

Clameur révocatoire, est une action pour faire casser & rescinder un contrat, obligation, ou autre acte. Normand. art. 3.

Clameurs ou rigueurs, sont des commissions expédiées sur des contrats passés sous certains scels appellés rigoureux, en vertu desquelles on peut contraindre le débiteur par exécution de ses biens, & même par emprisonnement de sa personne. Voyez RIGUEUR & SCEL RIGOUREUX.

Ouverture de clameur, coût. de Normand. art. 461. c'est lorsque par la qualité du contrat d'aliénation il y a lieu au retrait féodal, lignager, ou conventionnel.

Clameur du petit scel de Montpellier, est une commission pour exécuter sous la rigueur de ce scel. Voy. ci-devant CLAMEUR ou RIGUEUR, & SCEL RIGOUREUX.

Clameur pour dettes, clamor pro debitis, étoit une assignation à cri public usitée anciennement dans le Languedoc, pour laquelle le crieur public avoit des droits à percevoir & sur le créancier & sur le débiteur. Voyez le recueil des ordonn. de la trois. race, tome III. pag. 78. aux notes. (A)


CLAMPGABURON, GEMELLE, (Marine) voyez JUMELLE.

Clamp, " c'est une petite piece de bois en forme de roüet, qu'on met au lieu de poulie dans une mortaise.

Clamp ou clan de mât, " c'est un demi-rond dans une mortaise appellée encornail, qui est au mât : ce demi-rond est fait dans le bois du même mât, & c'est-là que passe l'étaque. Voyez ENCORNAIL. Il y a deux champs au grand mât de hune, parce qu'il y a deux étaques, ou un étaque & une guinderesse ; mais aux petits, il n'y en a qu'un.

Le clamp de beaupré est une piece de bois en forme de demi-roüet, que l'on met dans une mortaise, & qui soûtient le beaupré près de l'étrave. Ce clamp dans un vaisseau du premier rang, a neuf à dix pouces d'épais. (Z)


CLAMPONNIEou CLAPONNIER, subst. m. (Maréch.) on appelle ainsi un cheval long-jointé, c'est-à-dire qui a les paturons longs, effilés, & trop plians. Ce terme est vieux, & conviendroit plutôt aux boeufs qu'aux chevaux Voyez PATURON.


CLAMZS. m. (Commerce) petite monnoie quarrée d'argent billonné, qui a cours aux Indes, & qui sert en même tems de poids. Elle vaut onze deniers argent de France. Dict. du Comm.


CLAou GLAND, s. m. (Parcheminerie) morceau de bois qui sert à arrêter sur la herse les peaux à travailler. Voyez PARCHEMIN, SOMMIER, HERSE.


CLANCULAIREou OCCULTES, s. m. plur. (Théol.) secte particuliere d'Anabaptistes, qui prétendoient pouvoir sans crime déguiser leur religion quand ils étoient interrogés, & qu'il suffisoit de savoir en particulier à quoi s'en tenir. Voyez ANABAPTISTES. On les appelloit aussi Freres jardiniers, parce qu'ils ne s'assembloient point dans des églises, mais dans des maisons particulieres ou des jardins. Chambers. (G)


CLANDESTINadj. (Jurispr.) se dit en droit de tout ce que l'on tient caché, comme un mariage ou autre acte. Les actes clandestins sont naturellement suspects de fraude & de collusion. La clandestinité est sur-tout d'une dangereuse conséquence par rapport au mariage. Voyez au mot MARIAGE CLANDESTIN. (A)


CLANDESTINES. f. clandestina, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale en masque ; le dessous est en forme de tuyau ; le dessus est divisé en deux levres, dont la supérieure est voûtée, & l'inférieure divisée en trois parties ; le pistil sort d'un calice fait en tuyau comme la fleur, & crénelé ; il perce la partie inférieure de la fleur, & devient dans la suite un fruit oblong, composé d'une seule capsule qui s'ouvre en deux parties par une sorte de ressort, & répand des semences arrondies. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CLAPETS. m. (Méchan.) est une espece de soûpape faite d'un rond de cuir, fortement serré entre deux platines de métal, par le moyen d'une ou de plusieurs vis. Le rond de cuir tient par une queue à une couronne de cuir, laquelle est fortement serrée entre le collet du tuyau supérieur au clapet, & le collet du tuyau inférieur : c'est sur cette queue, qu'on fait beaucoup plus étroite que le clapet, que se fait le jeu du clapet comme sur une charniere.

La platine du métal qui est sur le cuir du clapet, est plus grande que l'ouverture du diaphragme que le clapet doit ouvrir ; & la platine de dessous qui doit se loger dans l'ouverture du diaphragme quand le clapet se ferme, est un peu plus petite que cette ouverture.

Le clapet étant ainsi construit, lorsqu'il est fermé, le cuir porte exactement sur les bords du diaphragme, & empêche l'eau de passer. La platine de métal qui est sur le cuir, le garantit du poids de la colonne d'eau, & en porte toute la charge que le cuir ne pourroit pas soûtenir. La platine de métal qui est sous le cuir, sert à deux choses ; 1°. elle sert avec la platine supérieure, à comprimer le cuir pour le rendre plan ; 2°. elle empêche que l'eau qui pourroit s'insinuer entre la platine supérieure & le cuir, n'enfonce le cuir & ne le fasse passer par l'ouverture du diaphragme. Voyez hist. & mém. acad. 1739. Voyez aussi SOUPAPE. (O)


CLAPIERS. m. (Econ. rust. & Chasse) c'est un terrein clos de muraille, partie couvert, partie découvert, & bien maçonné, où l'on enferme & nourrit des lapins. On le place dans un coin de la garenne, pour que les jeunes lapins puissent aller du clapier dans la garenne ; on y construit quelques loges de planches & de pierres plates, sous lesquelles les lapins se retirent : il faut que les fondemens des murs en soient profonds, & pour ainsi dire fortifiés partout d'un pavé qui ait la pointe en-haut, afin que les lapins qui aiment à creuser en terre, ne s'échappent point par dessous les murs. Il est bon que le terrein en soit inégal : on y jette de la mousse & du petit foin, que les lapins ramassent quand ils doivent faire leurs petits. On les y nourrit en été de son, d'avoine, & de toutes sortes de fruits ; en hyver, de son, de foin, &c. Il seroit à-propos que le clapier fût partagé en deux divisions ; on renfermeroit les meres pleines dans une, & on tiendroit les mâles dans l'autre. Quand les petits seront assez grands pour se passer de leurs meres, on les lâchera dans la garenne ; car c'est à repeupler les garennes que les clapiers sont principalement destinés. On doit mettre dans son clapier un mâle sur vingt-cinq à trente femelles. La conduite du clapier demande quelque soin, si l'on en veut tirer tout l'avantage possible. Voyez LAPIN.


CLAQUEBOISS. m. (Luth.) instrument de percussion & à touches : c'est une espece d'épinette qui a été en usage chez les Flamands. Elle est composée de dix-sept bâtons, qui donnent l'étendue des tons compris dans une dix-septieme ; le bâton le plus à gauche est cinq fois plus long que celui qui est le plus à droite, parce que les sons qu'ils rendent sont entr'eux comme 5 à 1. Ces bâtons paralleles sont élevés & fixés au-dessus d'une boîte quarrée beaucoup plus longue que haute ; ils ont chacun leur touche ou marche : cette marche est une espece de maillet à tête ronde par un bout, & à manche ou palette plate ; le méchanisme par lequel ils se meuvent, ne differe pas du méchanisme des claviers d'épinette ou du clavecin. Voyez CLAVIER. On applique le doigt sur la palette de la touche ou marche ; la tête leve & va frapper un des bâtons. Les bâtons sont de hêtre, ou de tel autre bois qu'on veut, résonnant par lui-même, ou durci au feu. L'harmonie de cet instrument ne seroit peut-être pas desagréable, si on substituoit des verges de métaux aux bâtons. Voyez l'harmonie universelle du pere Mersenne.


CLAQUESS. f. (Cordonn.) especes de pantoufles ou sandales fort larges, que les femmes portent dans les mauvais tems, pour conserver leur chaussure.


CLAR(SAINT-) Géog. mod. petite ville de France dans le bas Armagnac.


CLARE(Géog. mod.) ville d'Irlande dans la province d'Ulster, capitale d'un comté de même nom, sur le Thaunon. Long. 38. 35. lat. 52. 44.

CLARE ou CLARENCE, (Géog. mod.) ville d'Angleterre avec titre de duché, dans la province de Suffolk.


CLARENCou CHIARENZA, (Géog. mod.) ville de la Morée, capitale du duché de même nom. Long. 39. 10. lat. 37. 55.


CLARENCIEUXS. f. ou CLARENCE, comme l'écrivent nos anciens historiens françois, (Hist. mod.) nom affecté au second roi ou héraut-d'armes d'Angleterre. Il vient d'un duc de Clarence qui occupa le premier ce poste. Voyez ROI-D'ARMES.

Lionel, troisieme fils d'Edoüard III. étant devenu possesseur de la terre de Clare dans la comté de Thomond, que sa femme lui avoit apportée en mariage, fut créé duc de Clarence. Ce duché étant échu à Edoüard IV. il créa le héraut, qui appartenoit au duc, roi-d'armes, & le nomma clarencieux en françois alors d'usage, & clarencius en latin. Voyez HERAUT.

Son office est de régler & d'ordonner les cérémonies des funérailles de la petite noblesse, comme des barons, chevaliers, gentilshommes, qui meurent en-deçà de la riviere de Trent : ce qui lui a fait aussi donner le nom de surroy ou sudroy, par opposition à norroy. Voyez NORROY. (G)


CLARENDON(Géog. mod.) petite ville d'Angleterre dans la province de Wiltshire, avec titre de comté.

CLARENDON, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale dans la Caroline, qui arrose une contrée qui porte le même nom.


CLARENINSS. m. pl. (Hist. ecclés.) ancienne congrégation de l'ordre de S. François, ainsi appellée de Clarene, petite riviere de la Marche-d'Ancône. Ils ont eu pour fondateur Ange Cordon, religieux de l'Observance. Il forma sa congrégation en 1302 ; elle ne fut approuvée qu'en 1317. Bien-tôt elle se divisa ; une partie s'unit aux freres Mineurs ; l'autre, après avoir subsisté jusqu'en 1510 sous le nom de Clarenins, s'incorpora avec les observantins de leur congrégation. En 1566, ils disparurent entierement, confondus par Pie V. avec les anciens profès de l'Observance.


CLAREQUETS. m. en terme de Confiseur, c'est une espece de pâte transparente : on en fait de plusieurs especes, de pommes, de coins, de groseilles, de prunes, &c.


CLARICORDEinstrument de Musique, autrement appellée manicorde ou manichordion. Voyez MANICORDE.


CLARIENadj. (Myth.) surnom d'Apollon : il fut ainsi appellé de Claros en Ionie, où il avoit un temple, un bois & un oracle.


CLARIFICATIONS. f. (Pharmacie) Le mot de clarification qui, pris dans son sens le plus étendu, paroît exprimer une dépuration quelconque d'une liqueur trouble, a été presque restraint par l'usage à cette espece particuliere de dépuration qui s'opere par le moyen du blanc d'oeuf & des autres substances animales, qui se coagulent à un certain degré de chaleur.

Cette opération est en usage en Pharmacie, pour séparer de toutes les liqueurs troubles qui peuvent supporter l'ébullition, les parties féculentes ou insolubles, qui par leur suspension dans ses liqueurs en occasionnent l'opacité.

Ces liqueurs sont toutes les décoctions, tous les sucs des plantes purement extractives ou très-legerement muqueuses ; les sirops préparés avec les décoctions, ou les sucs dont nous venons de parler ; les dissolutions du sucre qu'on destine à la préparation des tablettes, ou à celle de certains sirops dont les ingrédiens ne doivent pas être exposés à l'ébullition ; le petit-lait, & enfin certaines potions purgatives connues dans les boutiques sous le nom de médecines clarifiées. Voyez DECOCTION, SUC, SIROP, MEDECINE CLARIFIEE, &c.

Les sucs des plantes aromatiques ou alkali-volatiles, les infusions des différens aromates, en un mot toutes les liqueurs chargées de parties volatiles qui font ordinairement leur principale vertu médicinale, & qui seroient dissipées par l'ébullition, doivent être exclus du nombre des sujets de la clarification.

On ne doit pas non plus clarifier par le blanc d'oeuf les sucs doux ou acidules tirés des différens fruits, comme celui de citron, de berberis ; parce qu'outre qu'on dérangeroit leur composition par l'ébullition, on ne réussiroit pas encore à les rendre clairs, la partie terreuse legere qui constitue leur demi-opacité, ne s'en séparant qu'à la longue par une petite fermentation insensible : c'est pourquoi on fait dépurer les sucs de cette espece par résidence. Voyez RESIDENCE.

Ce n'est presque que les blancs d'oeufs qui sont en usage dans les boutiques des apothicaires dans tous les cas que nous avons exposés ; les lymphes animales, comme la colle de poisson, le sang de boeuf, &c. sont employés aux mêmes usages dans les travaux en grand, comme les raffineries du sucre, &c. Voyez CLARIFIER, en termes de Raffineur de sucre.

Quand on veut faire la clarification d'une de ces liqueurs, on prend un ou plusieurs blancs d'oeufs, selon la quantité qu'on en a à clarifier, & selon que les parties qu'on se propose d'enlever, sont plus ou moins adhérentes au liquide. On commence par faire mousser le blanc d'oeuf en le battant avec une poignée de petites baguettes d'osier ; on y mêle d'abord une petite partie de la liqueur froide, ou du moins refroidie au point de ne pouvoir pas coaguler le blanc d'oeuf ; on mêle exactement, en continuant à foüetter jusqu'à ce que toute la liqueur qu'on veut clarifier soit introduite, & que le blanc d'oeuf soit bien divisé & étendu dans toute la masse : alors on fait prendre rapidement un ou deux bouillons, on écume grossierement, & on passe à travers un blanchet.

Dans cette opération le blanc d'oeuf dissous & répandu également dans toute la liqueur, venant à se coaguler par le degré de chaleur qu'on lui fait prendre, forme une espece de réseau serré qui, en s'élevant du fond de la liqueur de laquelle il se sépare, & dont il vient occuper la surface, entraîne avec lui toutes les parties féculentes qui la troubloient.

La clarification des vins par le blanc d'oeuf, le lait, la colle de poisson, &c. est une opération très-analogue à celle que nous venons de décrire : dans celle-ci c'est par l'action des parties spiritueuses & acides du vin, que ces matieres animales sont coagulées. Voyez COAGULATION.

On donne encore quelquefois en Pharmacie, mais plus rarement, le nom de clarification à la défécation des sucs des plantes, soit qu'elle se fasse par résidence, soit par filtration, soit enfin par ébullition. Voyez SUC, DEFECATION, FILTRATION & RESIDENCE. (b)


CLARIFIERen termes de Raffineur de sucre, c'est l'action de purifier les matieres de leurs saletés par les écumes. Voici comme on s'y prend. On jette dans une chaudiere de l'eau de chaux moins forte, c'est-à-dire moins épaisse, si la matiere qu'on a à clarifier a du corps ; & plus forte, si elle n'en a point, ou que peu. Quand cette eau est chaude, on y brasse une quantité de sang de boeuf tout chaud, ou des blancs d'oeufs : après quoi on y met la matiere ; on la laisse chauffer doucement, afin qu'elle monte peu-à-peu. Quand elle est montée, on éteint le feu pour faire reposer l'écume qui demeure sur la surface du sucre : on la leve ensuite avec une écumeresse ; on laisse rallumer le feu ; on y remet un peu de sang de boeuf, ou des blancs d'oeufs bien mêlés avec de l'eau de chaux, pour faire pousser une seconde écume, & ainsi de suite jusqu'à ce que l'on voye la derniere blanche comme du lait. On passe alors ce sucre dans un blanchet, au-dessus du panier & de la chaudiere à clairée. Voyez PANIER, CHAUDIERE A CLAIREE & PASSER.


CLARINÉadj. terme de Blason ; il se dit des animaux qui ont des sonnettes au cou, comme les vaches, les moutons, les chameaux, &c.

Seneret au Gevaudan, d'azur au bélier paissant d'argent, accolé & clariné d'or. (V)


CLARINETTES. f. (Luth.) sorte de hautbois. Voyez HAUTBOIS.


CLARISSIMATdignité du bas-Empire : ceux qui en étoient revêtus s'appelloient clarissimes.


CLARTÉS. f. (Gram.) au simple, c'est l'action de la lumiere par laquelle l'existence des objets est rendue parfaitement sensible à nos yeux : au figuré, c'est l'effet du choix & de l'emploi des termes, de l'ordre selon lequel on les a disposés, & de tout ce qui rend facile & nette à l'entendement de celui qui écoute ou qui lit, l'appréhension du sens ou de la pensée de celui qui parle ou qui écrit. On dit au simple, la clarté du jour ; au figuré, la clarté du style, la clarté des idées. Voyez DISCOURS, IDEES, STYLE, ELOQUENCE, DICTION, MOTS, CONSTRUCTION, LANGUE, &c.


CLAou KALIS, (Géog. mod.) ville de la Finlande près d'Abo, sur le golfe de Bothnie.


CLASSES. f. (Hist. nat.) La classe est un terme relatif à ceux de regne & de genre. On divise & on soûdivise tous les objets qu'embrasse cette science ; on en fait pour ainsi dire plusieurs collections que l'on désigne par les noms de regnes, de classes, de genres & d'especes, selon que les rapports sous lesquels on les considere, sont plus généraux ou plus particuliers. La distribution des objets de l'Histoire naturelle en trois regnes, est la plus générale ; elle est établie sur les différences les plus sensibles qu'il y ait dans la nature. Chaque regne est divisé en plusieurs parties que l'on appelle classes ; par conséquent les caracteres qui constituent les classes, n'appartiennent pas à un aussi grand nombre d'objets que ceux des regnes, mais ils sont plus étendus que ceux par lesquels on détermine les genres. La classe est donc un terme moyen entre un regne & un genre : par exemple, tous les animaux pris ensemble, & considérés relativement aux végétaux & aux minéraux, composent le regne animal. Les quadrupedes, les oiseaux, les poissons, &c. sont rangés en différentes classes de ce regne ; les animaux solipedes, les piés fourchus & les fissipedes, sont autant de genres de la classe des quadrupedes : ainsi le caractere des quadrupedes qui est tiré du nombre de leurs quatre piés, est moins général que ceux par lesquels on distingue ces animaux des oiseaux & des poissons ; mais il est plus étendu que celui qui réside dans le nombre des doigts des quadrupedes, & par lequel on les divise en différens genres. On commence par déterminer les caracteres essentiels aux animaux, pour en faire un regne ; ensuite on considere les différences & les ressemblances les plus générales qui se trouvent entr'eux, pour en faire des classes. Les ressemblances & les différences moins étendues que celles des classes, déterminent les genres ; & enfin les especes sont renfermées dans le genre. Voilà quatre termes de gradation, regne, classe, genre, espece ; mais il est aisé de concevoir que l'on peut multiplier ces divisions autant qu'on le veut, en laissant de moindres intervalles entre ces termes, & en exposant une plus grande suite de caracteres, soit pour les ressemblances, soit pour les différences que l'on observe en comparant les productions de la nature les unes aux autres. Voilà d'où sont venus les ordres, les tributs, les légions, les cohortes, les familles, que l'on a ajoûtées aux regnes, aux classes, aux genres & aux especes, dans différentes méthodes d'Histoire naturelle. Voyez METHODE, REGNE, GENRE, ESPECE. Voyez aussi BOTANIQUE. (I)

CLASSE, s. f. (Gramm.) Ce mot vient du latin calo, qui vient du grec , & par contraction , appeller, convoquer, assembler ; ainsi toutes les acceptions de ce mot renferment l'idée d'une convocation ou assemblée à part : ce mot signifie donc une distinction de personnes ou de choses que l'on arrange par ordre selon leur nature, ou selon le motif qui donne lieu à cet arrangement. Ainsi on range les êtres physiques en plusieurs classes, les métaux, les minéraux, les végétaux, &c. Voyez CLASSE. (Hist. nat.) On fait aussi plusieurs classes d'animaux, d'arbres, de simples ou herbes, &c. par la même analogie.

Classe se dit aussi des différentes salles des colléges dans lesquelles on distribue les écoliers selon leur capacité. Il y a six classes pour les humanités, & dans quelques colléges sept. La premiere en dignité c'est la Rhétorique : or en commençant à compter par la Rhétorique, on descend jusqu'à la sixieme ou septieme, & c'est par l'une de celles-ci que l'on commence les études classiques. Il y a deux autres classes pour la Philosophie ; l'une est appellée logique, & l'autre physique. Il y a aussi les écoles de Théologie, celles de Droit & celles de Médecine ; mais on ne leur donne pas communément le nom de classe.

Il est vrai, comme on le dit, que Quintilien s'est servi du mot de classe en parlant des écoliers ; mais ce n'est pas dans le même sens que nous nous servons aujourd'hui de ce mot. Il paroît par le passage de Quintilien, que le maître d'une même école divisoit ses écoliers en différentes bandes, selon leur différente capacité, secundùm vires ingenii. Ce que Quintilien en dit doit plûtôt se rapporter à ce qu'on appelle parmi nous faire composer & donner les places : Ita superiore loco quisque declamabat ; ce qui nous donnoit, dit-il, une grande émulation, ea nobis ingens palmae contentio : & c'étoit une grande gloire d'être le premier de sa division, ducere verò classem multò pulcherrimum. Quint. inst. or. l. I. c. ij.

Au reste Quintilien préfere l'éducation publique, faite, comme il l'entend, à l'éducation domestique ordinaire. Il prétend que communément il y a autant de danger pour les moeurs dans l'une que dans l'autre ; mais il ne veut pas que les classes soient trop nombreuses. Il faudroit qu'alors la classe fût divisée, & que chaque division eût un maître particulier : Numerus obstat, nec eò mitti puerum volo ubi negligatur ; sed neque praeceptor bonus majore se turbâ, quam ut sustinere eam possit, oneraverit.... it a nunquam erimus in turba. Sed ut fugiendae sint magnae scholae, non tamen hoc eò valet ut fugiendae sint omnino scholae ; aliud est enim vitare eas, aliud eligere. Quint. inst. orat. l. I. c. ij.

Ce chapitre de Quintilien est rempli d'observations judicieuses ; il fait voir que l'éducation domestique a des inconvéniens, mais que l'éducation publique en a aussi. Seroit-il impossible de transporter dans l'une ce qu'il y a d'avantageux dans l'autre ? L'éducation domestique est-elle trop solitaire & trop languissante ? faites souvent des assemblées, des exercices, des déclamations, &c. Excitanda mens & attollenda semper est. Ibid. L'éducation publique éloigne-t-elle trop les enfans de l'usage du monde, de façon que lorsqu'ils sont hors de leur collége ils paroissent aussi embarrassés que s'ils étoient transportés dans un autre monde ? Existiment se in alium terrarum orbem delatos (Pétrone) ; faites-leur voir souvent des personnes raisonnables ; accoûtumez-les de bonne heure à voir d'honnêtes gens, qu'ils ne soient pas décontenancés en leur présence : Assuescant jam à tenero non reformidare homines. Quint. ibid. Faites que votre jeune homme ne soit pas ébloüi quand il voit le soleil ; & que ce qu'il verra un jour dans le monde, ne lui paroisse pas nouveau : Caligat in sole, omnia nova offendit. Ibid. L'éducation publique donne lieu à l'émulation : Firmiores in litteris profectus alit aemulatio.... & licet ipsa vitium sit ambitio, frequenter tamen causa virtutum est. Ibid. Necesse est enim ut sibi nimium tribuat, qui se nemini comparat. Ibid.

Ce que dit Quintilien dans ce chapitre second, sur la vertu & la probité que l'on doit rechercher dans les maîtres, est conforme à la morale la plus pure ; & ce qu'il ajoûte dans le chapitre suivant, sur les peines & les châtimens dont on punit les écoliers, est bien digne de remarque. Il dit que ce châtiment abat l'esprit : Refringit animum & abjicit lucis fugam, & taedium dictat. Jam si minor in deligendis praeceptorum moribus fuit cura, pudet dicere in quae probra nefandi homines isto caedendi jure abutantur, non morabor in parte hac ; nimium est quod intelligitur. Hoc dixisse satis est, in aetatem infirmam & injuriae obnoxiam nemini debet nimium licere.... unde causas turpium factorum saepe extitisse utinam falso jactaretur. Quint. inst. l. I. cc. ij. & iij.

Cette observation de Quintilien ne peut être aujourd'hui d'aucun usage parmi nous.

On ne peut rien ajoûter à l'attention que les principaux des colléges apportent dans le choix des maîtres auxquels ils confient l'instruction des jeunes gens, & les châtimens dont parle Quintilien ne sont presque plus en usage. Voyez COLLEGE. (F)

CLASSE, s. f. (Marine) On entend en France par ce mot, l'ordre établi sur les côtes & dans les provinces maritimes, pour régler le service des matelots & autres gens de mer qui sont enrollés pour le service du Roi ; & distribués par parties, chacune desquelles s'appelle classe. L'ordonnance de Louis XIV, pour les armées navales, de 1689, regle tout ce qui concerne les classes, & le détail suivant en est extrait.

Il y a un enrolement général fait dans les provinces maritimes du royaume, des maîtres, pilotes, contre-maîtres, canonniers, charpentiers, officiers mariniers, matelots, & autres gens de mer.

Les provinces sont divisées en divers départemens, en chacun desquels il y a un commissaire qui tient le rôle des officiers mariniers, matelots, & gens de mer.

Les officiers mariniers & matelots sont divisés par classes, savoir dans les provinces de Guienne, Bretagne, Normandie, Picardie & pays conquis, en quatre classes : & dans les provinces de Poitou, Saintonge, pays d'Aunis, îles de Ré & d'Oleron, riviere de Charante, Languedoc & Provence, en trois classes ; ce qui forme sept classes.

Chaque classe doit servir alternativement de trois ou quatre années l'une, suivant la division qui en aura été faite, & le service commencera au premier Janvier de chaque année. Les officiers mariniers & matelots doivent toûjours porter sur eux les bulletins qui leur sont délivrés par les commissaires.

Il est défendu aux matelots de s'engager pour aucune navigation, à moins qu'ils n'ayent été enrôlés, & n'ayent retiré leur bulletin. Défense aux capitaines & maîtres de navires de les employer, à peine de 500 liv. d'amende pour la premiere fois, & peine corporelle pour la seconde.

Ceux des classes qui ne sont point dans leur année de service, peuvent s'engager avec les marchands & les navigateurs particuliers ; mais il est défendu aux maîtres de navires d'engager aucun matelot l'année de son service, ni pour aucun voyage long qui puisse empêcher leur retour pour ce tems. Et pour cet effet, le rolle de leur équipage, où l'année de la classe de service de chaque matelot sera marquée, doit être visé par le commissaire ou commis aux classes établi en chaque département. (Z)


CLASSIQUEadj. (Gramm.) Ce mot ne se dit que des auteurs que l'on explique dans les colléges ; les mots & les façons de parler de ces auteurs servent de modele aux jeunes gens. On donne particulierement ce nom aux auteurs qui ont vécu du tems de la république, & ceux qui ont été contemporains ou presque contemporains d'Auguste ; tels sont Térence, César, Cornélius Népos, Cicéron, Salluste, Virgile, Horace, Phedre, Tite-Live, Ovide, Valere Maxime, Velleius Paterculus, Quinte-Curce, Juvénal, Martial, & Frontin ; auxquels on ajoûte Corneille Tacite, qui vivoit dans le second siecle, aussi-bien que Pline le jeune, Florus, Suétone & Justin.

Mais en latin l'adjectif classicus n'a pas la même valeur ou acception qu'il a en françois.

1°. Classicus se dit de ce qui concerne les flottes ou armées navales, comme dans ce vers de Properce :

Aut canerem Siculae classica bella fugae.

L. II. Eleg. I. v. 28.

Classica corona, la couronne navale qui se donnoit à ceux qui avoient remporté la victoire dans un combat naval. Classici, dans Quinte-Curce, 4. 3. 18. signifie les matelots.

2°. Classici cives étoient les citoyens de la premiere classe ; car il faut observer que le Roi Servius avoit partagé tous les citoyens romains en cinq classes. Ceux qui, selon l'évaluation qu'on en fait, avoient mille deux cent cinquante livres de revenu, au moins, ou qui en avoient davantage ; ceux-là, dis-je, étoient appellés classiques. Classici dicebantur primae tantùm classis homines, qui centum & viginti quinque millia aeris, amplius-ve, censi erant. Aul. Gell. 7. 13. Classici testes, se disoit des témoins irréprochables, pris de quelque classe de citoyens. Classici testes, dit Festus, dicebantur qui signandis testamentis adhibebantur. Et Scaliger ajoûte : qui enim cives romani erant, omnino in aliqua classe censebantur ; qui non habebant classem, nec cives romani erant.

C'est de-là que dans Aulugelle, 19. 8. autores classici ne veut pas dire les auteurs classiques, dans le sens que nous donnons parmi nous à ce mot ; mais autores classici signifie les auteurs du premier ordre, scriptores primae notae & praestantissimi, tels que Cicéron, Virgile, Horace, &c. (F)

On peut dans ce dernier sens donner le nom d'auteurs classiques françois, aux bons auteurs du siecle de Louis XIV. & de celui-ci ; mais on doit plus particulierement appliquer le nom de classiques aux auteurs qui ont écrit tout-à-la-fois élégamment & correctement, tels que Despréaux, Racine, &c. Il seroit à souhaiter, comme le remarque M. de Voltaire, que l'Académie françoise donnât une édition correcte des auteurs classiques avec des remarques de Grammaire.


CLATHROIDASTRUMS. n. (Hist. nat. Bot.) genre de plante différent du clathroïdes, non-seulement parce que son enveloppe est très-peu apparente & a peu de consistance, mais encore parce que sa tige le traverse dans toute sa longueur de bas en-haut. Micheli, nova pl. gen. Voyez PLANTE. (I)


CLATHROIDESS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les individus sont ronds ou en forme de poire, avant qu'ils sortent de leur enveloppe ; mais dès qu'ils en sont dehors, ils deviennent elliptiques. Le clathroïdes n'est pas creux comme le clathrus, mais il est composé d'un tissu fort fin, & disposé en forme de filet. Ce tissu renferme dans les espaces vuides des tas de semences rondes & seches. Micheli, nova pl. gen. Voyez PLANTE. (I)


CLATHRUSS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les individus sont de figure arrondie, ou en forme de poire creuse comme une bourse, & ouvert en plusieurs endroits comme une grille. Avant que le clathrus sorte de son enveloppe, il se forme dans son intérieur une masse composée en partie d'une sorte de glu fort pure, & en partie d'une matiere grise semblable à de la farine, un peu détrempée & fortement battue. Cette masse contient des semences très-petites, & dès que le clathrus sort de son enveloppe & s'épanoüit, elle se résout en une liqueur fort puante, qui découle goutte à goutte. Micheli, nov. pl. gen. Voyez PLANTE. (I)


CLATIRv. n. (Chasse). Il exprime le cri du chien, lorsque cet animal le redouble, & semble avertir le chasseur que le gibier qu'il presse à la piste n'est pas éloigné.


CLATRAS. f. (Mythol.) étoit, selon quelques-uns, la déesse des grilles & des serrures ; elle avoit à Rome un temple en commun avec Apollon sur le mont Quirinal. Clatra n'étoit, selon d'autres, qu'un surnom d'Isis.


CLAUDE(SAINT-) Géog. mod. ville de France en Franche-Comté, sur la riviere de Lison. Longit. 23. 35. lat. 46. 20.


CLAUDIANISTESbranche des Donatistes, ainsi appellée d'un certain Claude qu'elle eut pour chef. Voyez DONATISTES.


CLAUDICATIONS. f. (Médec. Chirurg.) l'action de boiter, le boitement ; mais ce dernier terme n'est pas reçû, & le premier n'est qu'une périphrase. Le mot claudication, pris du latin, mériteroit d'être adopté dans le discours ordinaire, puisque d'ailleurs nous n'avons point d'autre terme à lui substituer, & que les gens de l'art s'en servent tous dans leurs écrits.

La claudication dépend de plusieurs causes différentes. Elle arrive ou de naissance, ou dans l'accouchement par le déboîtement de l'os de la cuisse avec les os innominés, par la mauvaise conformation de la cavité cotyloïde de ces os, par la foiblesse des hanches, par divers accidens externes, & par maladie.

La claudication de naissance est un vice de conformation sans remede ; mais il ne passe pas d'ordinaire des meres aux enfans : cependant cela peut arriver quelquefois par des causes difficiles à découvrir. Zwinger a connu une femme boiteuse qui mit au monde trois enfans affectés de la même incommodité.

Dans toutes les especes de luxations accidentelles du fémur, comme aussi dans sa fracture, l'action de boiter suit nécessairement, & ne se guérit que quand la réduction a été bien faite. Quelquefois de simples coups ou de legeres chûtes ont occasionné une espece de luxation de l'os de la cuisse, qui donne un épanchement de synovie, relâche les ligamens, chasse la tête de l'os hors de sa place, & procure absolument la claudication ; quelquefois même le chirurgien par son mauvais traitement en est seul la cause.

Ambroise Paré prétend que tous ceux qui ont eu la rotule fracturée, restent nécessairement boiteux après la guérison de cette fracture : cependant l'expérience fait voir que la rotule fracturée se guérit, sans qu'on demeure ni boiteux, ni même incommodé. J'en trouve des exemples dans Petit & dans Palfin.

Dans la luxation complete des os de la jambe, ce qui est un cas très-rare, le malade devient boiteux, si par hasard il réchappe de cette affreuse luxation.

Plusieurs praticiens pensent aussi que la luxation de l'astragale ne peut jamais guérir qu'elle n'entraîne la claudication, & il faut avoüer qu'elle en est la suite ordinaire.

Dans la rupture incomplete du tendon d'achille, non-seulement le malade boite, mais il ne peut marcher qu'en passant avec peine alternativement un pié devant l'autre, & en pliant la jambe pour cet effet.

La claudication, qui est une suite de l'entorse, cesse par la guérison du mal.

La cuisse, ou la jambe trop longue ou trop courte, par l'effet de quelque violence faite à l'enfant quand il est venu au monde, le rend boiteux pour le reste de ses jours, si l'on ne tente de bonne heure d'y remédier, en essayant de remettre le bassin dans son assiette naturelle. On a lieu de présumer que Robert III. duc de Normandie, n'étoit boiteux que par cette cause.

La cuisse & la jambe devenues plus courtes par l'effet du desséchement de ces parties, à la suite de quelque maladie, produisent une claudication incurable. Il en est de même du relâchement des ligamens, lors par exemple que l'humeur de la sciatique ankilose l'articulation des os innominés.

S'il se forme un skirrhe dans l'un des reins, la cuisse du même côté devient paralytique, ou du moins boiteuse, mal inguérissable.

Souvent il arrive, sans qu'il y ait de luxation, que la jambe par la seule contraction ou le seul roidissement des muscles qui servoient à ses mouvemens, se retire au point qu'on ne peut marcher sans boiter. Le remede à cet accident, est d'employer des fomentations émollientes, jointes aux résolutifs spiritueux, des bains de tripes gras & adoucissans, des douches d'eaux chaudes minérales, & de porter un soulier garni d'une semelle de plomb, dont le poids soit proportionné au retirement plus ou moins grand de la jambe.

La foiblesse des hanches produit la claudication des deux côtés. La cause de cette disgrace vient quelquefois des nourrices & gouvernantes qui laissent marcher leurs enfans seuls & sans aide, avant que les parties qui doivent soûtenir le poids de leur corps ayent acquis la fermeté nécessaire.

Pour corriger cette faute, quand on s'en apperçoit dans les commencemens, on recourra à des ceintures qui compriment tout le tour du ventre, & qui soient bien garnies vers les hanches : cette compression donne de l'assûrance & de la force dans le marcher, en affermissant les hanches. Il faut outre cela les bassiner plusieurs fois par jour pendant plusieurs mois avec des décoctions astringentes, & continuer de raffermir les parties par l'usage du bandage.

Il nous manque en Chirurgie un traité sur la claudication. Personne n'en a discuté les diverses causes & les remedes, & il y en a dans certaines circonstances ; car enfin c'est une difformité fâcheuse, digne de toute l'attention de ces hommes qui sont nés pour le public.

Les boiteux de naissance, ou devenus tels par accident, ne méritent que davantage d'être plaints, quoiqu'il se puisse trouver dans cet accident des sujets légitimes de consolation, & quelquefois même d'une considération plus particuliere qui en résulte. Ils n'échapperent point à cette femme lacédémonienne, qui dit à son fils boiteux d'une blessure qu'il avoit reçûe en défendant sa patrie : " Va, mon fils, tu ne saurois faire un pas qui ne te fasse souvenir de ta valeur, & qui ne te couvre de gloire aux yeux de tes concitoyens ". Voyez BOITEUX. Cet article est de M(D.J.)


CLAUSES. f. (Jurisprud.) est une partie d'un contrat, d'un testament, ou de quelqu'autre acte, soit public ou privé, qui contient quelque disposition particuliere. Ce terme vient du latin claudere. Ainsi les clauses d'un acte sont les conventions, dispositions, ou conditions renfermées dans cet acte : il peut renfermer plus ou moins de clauses, suivant que la matiere y est disposée, & ce que les parties ont jugé à-propos de mettre dans l'acte. Il n'y a régulierement dans un acte que ce que l'on y met ; cependant il y a certaines clauses qui sont tellement de l'essence des actes, qu'on les regarde comme de style, & qu'elles sont toûjours sous-entendues, comme l'hypoteque des biens dans les actes passés devant notaires, qui est de droit, quoiqu'on ait omis de la stipuler. Il y a quelques autres clauses qui sont pour ainsi dire de style, parce qu'on a coûtume de les stipuler, mais qui néanmoins ne sont pas de droit, telles que le préciput dans les contrats de mariage, lequel n'est pas dû sans une convention expresse. Une clause obscure s'explique par celles qui précedent ou par celles qui suivent, selon le rapport qu'elle ont entr'elles ; & dans le doute, elle s'interprete contre celui qui a parlé d'une maniere obscure, parce que c'étoit à lui à s'expliquer plus clairement.

Dans les bulles & signatures de cour de Rome, il y a différentes clauses usitées, que l'on distingue chacune par quelques termes particuliers qui les caractérisent, tels que la clause quovis modo. On peut voir le détail & l'explication de ces clauses dans le traité de l'usage & pratique de la cour de Rome, de Perard Castel.

CLAUSE codicillaire, est une clause apposée dans un testament, par laquelle le testateur déclare que si son testament ne peut valoir comme testament, il entend qu'il vaille comme codicille.

L'origine de cette clause vient de ce que dans les pays de droit écrit, les testamens exigent beaucoup plus de formalités que les codicilles ; c'est pourquoi elle n'est d'usage que dans les pays de droit écrit, & non dans les pays coûtumiers, où l'on dit communément que les testamens ne sont que des codicilles, parce qu'ils ne demandent pas plus de formalités qu'un simple codicille.

On suppléoit quelquefois cette clause chez les Romains, lorsque l'intention du testateur paroissoit être que sa volonté fût exécutée de quelque maniere que ce pût être ; mais parmi nous on ne supplée point cette clause.

La clause codicillaire ne peut produire son effet que le testament ne soit au moins revêtu des formalités requises dans les codicilles.

L'institution d'héritier portée au testament, étant répudiée ou devenue caduque par prédécès de l'héritier institué, l'héritier ab intestat est tenu, en vertu de la clause codicillaire, de payer les legs.

Cette clause opere aussi que l'institution d'héritier & toutes les autres dispositions qui sont conçûes en termes directs & impératifs, sont considérées comme des fidei-commis, desorte que l'héritier ab intestat est tenu de rendre l'hérédité à l'héritier institué par le testament ; mais aussi il a droit de retenir la quarte trebellianique.

Comme la clause codicillaire n'a pour objet que de suppléer les formalités omises dans le testament, elle ne peut valider un testament qui est nul, par quelqu'autre cause, comme pour suggestion.

Il est parlé de la clause codicillaire dans plusieurs titres du code, & dans plusieurs auteurs, entr'autres Dolive, Ricard, Cambolas, Henrys.

La nouvelle ordonnance des testamens, art. 57. porte que si l'héritier institué par un testament qui contient la clause codicillaire, n'a prétendu faire valoir la disposition du testateur que comme codicille seulement, ou s'il n'a agi qu'en conséquence de ladite clause, il ne sera plus reçu à soûtenir ladite disposition en qualité de testament ; mais que s'il a agi d'abord en vertu du testament, il pourra se servir ensuite de la clause codicillaire.

CLAUSE de constitut & précaire, voyez CONSTITUT & PRECAIRE.

CLAUSE dérogatoire, est celle qui déroge à quelque acte précédent. Ce terme étoit usité principalement en matiere de testamens, où les clauses dérogatoires étoient certaines sentences ou autres phrases auxquelles on devoit reconnoître le véritable testament. Par exemple, le testateur disoit : " je veux que mon testament soit exécuté, sans qu'il puisse être révoqué par tout autre que je pourrois faire dans la suite, à moins qu'il ne contienne la clause suivante, mon Dieu ayez pitié de moi ". Il est parlé de ces clauses dérogatoires dans plusieurs lois du digeste, & dans divers auteurs ; mais toutes les questions qui y sont traitées deviennent présentement inutiles parmi nous, au moyen de l'art. 76. de l'ordonnance des testamens, qui abroge totalement l'usage des clauses dérogatoires dans tous les testamens, codicilles, ou dispositions à cause de mort.

CLAUSE irritante, est celle qui annulle tout ce qui seroit fait au préjudice d'une loi ou d'une convention, comme lorsqu'il est dit à peine de nullité.

Quand la loi est conçûe en termes prohibitifs négatifs, il n'est pas besoin de clause irritante pour annuller ce qui est fait au préjudice de la loi ; mais la clause est nécessaire quand la loi enjoint simplement quelque chose. Leg. non dubium, cod. de legib.

CLAUSE pénale, est celle qui impose une peine à quelqu'un, au cas qu'il ne fasse pas quelque chose, ou qu'il ne le fasse pas dans un certain tems ; par exemple, qu'il sera tenu de payer une somme, ou qu'il sera déchu de quelque droit ou faculté.

Ces sortes de clauses ne sont que comminatoires lorsqu'elles sont insérées dans des conventions ; la peine n'est jamais encourue de plein droit, à-moins que l'on n'ait été mis juridiquement en demeure d'accomplir la convention ; & il dépend toûjours de la prudence du juge de modérer la peine, & même d'en décharger s'il y a lieu.

Dans les dispositions de derniere volonté, les clauses pénales ajoûtées aux libéralités doivent être exécutées à la rigueur, à-moins qu'elles ne renferment des conditions impossibles ou contre les bonnes moeurs. Voyez Henrys, t. I. liv. IV. ch. vj. quest. 68.

CLAUSE résolutoire, est celle par laquelle on convient qu'un acte demeurera nul & résolu, au cas qu'une des parties n'exécute point ce qu'elle a promis.

Ces sortes de clauses peuvent s'appliquer à différentes conventions. De ce nombre est le pacte de la loi commissoire, dont il sera parlé à l'article PACTE.

Pour mettre à effet une clause résolutoire, il faut d'abord que celui contre qui on veut s'en servir, soit mis juridiquement en demeure de remplir ses engagemens, & ensuite faute par lui de l'avoir fait, demander & faire ordonner en justice la résolution de l'acte.

En effet, il en est des clauses résolutoires à-peu-près comme des clauses pénales, c'est-à-dire qu'elles ne se prennent point à la rigueur, mais sont réputées comminatoires ; c'est pourquoi le juge accorde ordinairement un délai pour satisfaire à ce qui est demandé, à-moins que la chose ne pût souffrir de retardement. Voy. Louet & Brodeau, let. VI. som. 50. Soefve, tome II. cent. 1. ch. vj. & RESOLUTION DE CONTRAT.

CLAUSE des six mois, s'entend d'une clause que l'on appose dans quelques baux à loyer, pour résoudre le bail avant le tems qu'il devoit durer, en avertissant six mois d'avance. Cette faculté est ordinairement réciproque. (A)


CLAUSEN(Géogr.) ville d'Allemagne dans le Tirol, près de la riviere d'Eïak.


CLAUSENBOURG(Géogr.) ville de la Transilvanie, où s'assemblent ordinairement les états du pays.


CLAUSENTHAL(Géogr.) petite ville d'Allemagne en Franconie, fameuse par ses mines.


CLAUSIONS. f. (Jurispr.) dans certains parlemens signifie appointement. Ce terme vient du latin causa conclusa ; ce qu'on appelle au parlement de Paris, dans les procès par écrit, appointement de conclusion. Au parlement de Toulouse, clausion se dit de tout appointement ou réglement qui intervient sur les demandes & défenses des parties. Voyez le style du parlement de Toulouse, par Cairon, pp. 477. 483. 504. 510. 519. 529. 535. 584. 659. & 665. On se sert aussi de ce terme au parlement de Grenoble. Voyez Guypape, décis. 201. & ibid. not. (A)


CLAUSOIRS. m. en Bâtiment, est le plus petit carreau ou la boutisse qui ferme une assise dans un mur continu, ou entre deux piédroits. (P)


CLAUSTHAL(Géogr.) ville d'Allemagne dans le Hartz, dans la principauté de Grubenhagen, à l'électeur d'Hanovre, fameuse par ses mines.


CLAUSTRALadj. (Jurisp.) se dit de tout ce qui appartient à un cloître de religieux.

Le prieur claustral est un religieux qui a le gouvernement du monastere : on l'appelle claustral, pour le distinguer du prieur commendataire qui n'est pas régulier.

On appelle offices claustraux dans les monasteres d'hommes, certaines fonctions qui n'étoient autrefois que de simples offices, & qui par succession de tems ont été considérées comme de vrais titres de bénéfices ; tels sont les offices de chambrier, d'aumônier, d'infirmier, de célerier, de sacristain & autres semblables. L'abbé nomme à ces offices.

Dans les maisons où on a introduit la réforme, le plûpart de ces offices ont été supprimés, & réunis avec tous leurs revenus à la manse des religieux

Dans l'abbaye de Saint-Denis en France il y avoit un grand-prieur, un sous-prieur, un chancelier garde des sceaux, grand-aumônier, grand-confesseur, grand bouteiller, grand-pannetier, grand-prevôt, grand maréchal féodal, & un grand-veneur de l'abbé, qui étoient tous offices claustraux possédés par des religieux. (A)


CLAVAGES. m. (Jurisprud.) étoit un droit que payoient ceux qui entroient en prison. Il en est parlé dans les priviléges accordés par Charles VI. à la ville de Figeat, au mois d'Août 1394. art. 46. Solvant duodecim denarios pro clavagio. Rec. des ordonnances de la troisieme race, tome VII. p. 668. (A)


CLAVAIRES. m. (Jurisprud.) nom que l'on donnoit anciennement à celui qui avoit la garde des clés d'une ville, ou d'un trésor, ou du chartrier. Cet officier avoit en quelques endroits une jurisdiction. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome VII. p. 679. & l'hist. de Dauphiné, par Valbonay. (A)


CLAVARIAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante charnue, qui n'a point de rameaux, & qui ressemble à une massue. Il est assez rare d'en trouver qui soient creuses. La surface extérieure est unie & parsemée de petites semences. Micheli, nov. pl. gen. Voyez PLANTE. (I)


CLAVARIUM(Hist. anc.) don en argent que les empereurs faisoient distribuer aux soldats, pour se fournir des clous nécessaires à leurs chaussures.


CLAVEAUS. m. (Architect.) est une des pierres en forme de coin, qui sert à fermer une plate-bande. Lap. cunei.

Claveau à crossette, est celui dont la tête retourne avec des assises de niveau, pour faire liaison.

Ces claveaux sont ordinairement ornés de sculpture ; je dis ordinairement, car il arrive souvent qu'on en fait un trop fréquent usage. Ces ornemens ne devroient être employés que dans le cas où l'ordonnance semble l'exiger, comme dans les façades des bâtimens de quelque importance, où l'architecture & la sculpture annonçant la magnificence, il paroîtroit à craindre que les claveaux des arcades ou croisées étant lisses, ne fussent un défaut de convenance : mais d'en admettre jusque dans les maisons à loyer, destinées au commerce & au logement des artisans, c'est prodiguer ce qui doit seul distinguer les maisons des grands d'avec la demeure des particuliers.

Le défaut de convenance n'est pas le seul que l'on puisse reprocher dans le cas dont il s'agit aux décorateurs de nos jours ; le ridicule de donner à ces claveaux des formes pittoresques & de travers, est bien plus condamnable. Voyez ce que nous en avons dit en parlant des agraffes. (P)

CLAVEAU, (Art vétérin.) maladie des brebis & des moutons ; en latin clavola, f. pusula, f. colum. Elle se fait connoître dans son commencement par de petites élevûres ou taches rouges qui se voyent aux endroits où la laine garnit le moins la peau : ces taches ou élevûres se changent ensuite en boutons ; l'animal tousse, & porte la tête basse ; son nez devient morveux & galeux ; enfin il meurt au bout d'un petit nombre de jours. Si pour lors on leve la peau, on la trouve toute remplie de pustules, & communément les poumons & les reins plus gros & plus enflés qu'ils n'étoient naturellement. Cette maladie si fréquente & si contagieuse parmi les brebis & les moutons, a beaucoup de rapport à la petite vérole qui regne parmi les hommes : aussi a-t-elle de tout tems fait des ravages prodigieux dans les troupeaux ; & c'est peut-être de-là qu'elle tire son nom. L'étymologie importe fort peu, mais ce seroit une découverte des plus utiles que de trouver un remede à ce mal, ou du moins une méthode de le traiter qui diminuât la mortalité du bétail qu'il attaque. Art. de M(D.J.)


CLAVECINS. m. (Luth.) instrument de mélodie & d'harmonie, dont l'on fait parler les cordes en pressant les touches d'un clavier semblable à celui de l'orgue.

Le clavecin est composé d'une caisse triangulaire, A C D B, Pl. XIV. XV. & XVI. de Luth. fig. 1. dont les côtés I F, F D, G C, E L, qui forment le pourtour, s'appellent éclisses. Les éclisses sont ordinairement de tilleul ; elles sont assemblées les unes avec les autres en peigne & en queue d'aronde. On fait l'éclisse concave F B D G de trois ou quatre pieces plus ou moins, afin de lui donner plus facilement la courbure qu'elle doit avoir. Après que les éclisses sont préparées, on les assemble avec le fond de la caisse qui est ordinairement de sapin d'un demi-pouce d'épaisseur, & dont les pieces sont collées & assemblées à rainure & languette ; on arrête ces éclisses sur le fond sur lequel elles doivent porter & être collées, avec des pointes (sorte de petits clous) qui le traversent & entrent ensuite dans les éclisses ; on colle ensuite plusieurs barres de sapin ou de tilleul sur le fond & en-travers : ces barres qui sont disposées comme celle du pié, fig. 2. & qui doivent être clouées sur le fond, servent à l'empêcher de voiler sur la largeur ; les éclisses des côtés faisant le même office pour la longueur. On fixe ainsi ces mêmes barres contre les parois intérieurs des éclisses avec des pointes & de la colle. On peut pratiquer pour faire rechauffer & prendre plus fortement la colle, les mêmes moyens que l'on pratique pour coller les tuyaux de bois des orgues. Voyez BOURDON de 16 piés.

La caisse étant ainsi préparée, on y assemble le sommier, qui est une piece de bois de chêne A B, fig. 2. de près de trois pouces d'épaisseur, dont on fait entrer les extrémités faites en tenon dans les éclisses latérales, K B M A, fig. 1. on l'arrête dans les mortaises, qui ne doivent point traverser d'outre en outre les éclisses, avec de la colle & quelques pointes : on assujettit le tout par le moyen d'un sergent (outil de menuisier), jusqu'à ce que la colle soit seche & le sommier bien affermi. Sur le sommier, après l'avoir revêtu au-dessus d'une planche mince de même sapin que celui de la table, afin qu'il paroisse ne faire qu'une même piece avec elle, on colle deux chevalets ; & plus haut, vers la partie antérieure, on perce trois rangées de trous pour recevoir les chevilles de fer, au moyen desquelles on tend les cordes. Pour la disposition de ces trous, voyez l'article SOMMIER DE CLAVECIN, où on en trouve la figure.

On ajuste ensuite la barre E F de tilleul ou de vieux sapin, d'un demi-pouce d'épaisseur, posée parallelement au sommier dont elle est éloignée d'environ deux pouces : cette barre, qui est collée & emmortaisée dans les éclisses latérales comme le sommier, a trois ou quatre pouces de large dans quelques clavecins ; elle descend jusqu'au fond de la caisse où elle est collée, ensorte que l'entrée de la caisse est totalement fermée du côté des claviers ; alors on ne sauroit se dispenser de faire une rose à la table, pour donner issue à l'air contenu dans l'instrument. Après on colle autour de la caisse, à la partie intérieure des éclisses, des tringles de bois r, s, t, u, d'environ huit lignes de large sur un demi-pouce d'épaisseur ; ces tringles doivent être fortement arrêtées par des pointes & de la colle, ensorte qu'elles ne puissent point s'en détacher. Après que ces tringles sont affermies en place à environ deux pouces de la rive supérieure des éclisses, à laquelle elles doivent être paralleles, on colle les anses ou barres fourchues T, V, X, Y, Z, qui appuient d'un bout contre les tringles r, s, t, u, de l'éclisse concave, & de la piece G C seulement ; & de l'autre bout contre la traverse G H, qu'on appelle contre-sommier : ces barres, qui sont d'un excellent usage, soûtiennent l'effort des cordes qui tend à rapprocher l'éclisse concave du sommier, ainsi qu'on en peut juger par la corde i i de la figure 2. plusieurs facteurs négligent cependant d'en faire usage : alors ils sont obligés de donner plus d'épaisseur aux éclisses, pour les mettre en état de résister à l'action des cordes, ce qui rend l'instrument plus sourd : encore voit-on souvent les tables des instrumens non-barrés, voiler & devenir gauches.

On fait ensuite une planche C D, que l'on colle à la partie antérieure du sommier : cette planche, ornée de moulure dans tout son pourtour, est assemblée à queue d'aronde avec les éclisses, & elle répond au-dessus des claviers, comme on peut voir en S T de la premiere figure.

On fait ensuite la table qui doit être de sapin de Hollande, sans noeuds, ni gerçures, que l'on refend à l'épaisseur de deux lignes ou environ ; on dresse bien chaque planche sur le champ & sur le plat qui ne doit pas avoir plus d'un demi-pié de large, parce qu'une table composée de pieces larges est plus sujette à se tourmenter & à gauchir : on observera de n'assembler les pieces qui doivent composer la table, que long-tems après qu'elles auront été débitées, & de choisir le meilleur & le plus vieux bois qu'on pourra trouver ; d'autant plus qu'après la bonne disposition de tout l'ouvrage, c'est de la bonté de la table que dépend celle de l'instrument. Lorsqu'on voudra assembler les pieces, on les dressera de nouveau sur le champ : & on les collera deux à deux avec de la colle de poisson, la meilleure qu'on pourra trouver ; lorsque ces premiers assemblages seront secs, on dressera leurs rives extérieures pour les assembler entr'eux, jusqu'à une quantité suffisante pour occuper tout le vuide de la caisse. On doit remarquer que le fil du bois doit être du même sens que les cordes sur l'instrument, c'est-à-dire en long, & non en large.

Lorsque la table est entierement collée, on l'applique sur un établi bien uni & bien dressé, l'endroit ou le dessus tourné en-dessous ; on rabote ce côté, on le racle avec un racloir (outil d'ébéniste) ; on retourne ensuite la table de l'autre côté, on y fait la même opération, & on la réduit à une ligne au plus d'épaisseur.

Lorsque la table est achevée, on la barre par-dessous avec de petites tringles de sapin a, b, c, d, e, f, fig. 3. posées de champ : ces tringles n'ont qu'une ligne & demie ou deux lignes d'assiette, sur environ un demi-pouce de haut ; elles sont applaties par leurs extrémités. A ces tringles en communiquent d'autres encore plus menues, 1, 2, 3, 4, &c. aucune de ces tringles, soit grandes, soit petites, ne doit être mise ni en long, selon le fil du bois, ni même exactement en travers ; le moins qu'on en peut employer est toujours le meilleur ; il suffit qu'il y en ait assez pour empêcher la table de voiler, & pour servir de lien aux pieces qui la composent.

On place ensuite sur le dessus de la table les deux chevalets a c, d b, fig. 1. savoir le chevalet a c, qui est le plus bas, du côté du sommier, à quatre piés ou quatre piés & demi ou environ de distance ; l'autre, d b, qui est le plus haut, & qu'on appelle la grande S, comme l'autre la petite s, doit être collé à environ quatre ou cinq pouces loin de l'éclisse concave B D C, dont il doit suivre la courbure. Les chevalets doivent avoir une arrête fort aiguë du côté de la partie vibrante des cordes ; ils sont garnis sur cette arrête de pointes de laiton ou de fer, contre lesquelles appuient les cordes ; on perce ensuite un trou R pour la rose. La rose est un petit ouvrage de carton très-délié, fait en forme de cuvette ou d'étoile, du fond de laquelle s'éleve une petite pyramide de même matiere : tout cet ouvrage peint & doré, est percé à jour, & ne sert que d'ornement, aussi-bien que la couronne de fleurs, peinte en détrempe, dont on l'entoure. Entre les deux chevalets a c, b d, est un rang de pointes e d, enfoncées obliquement dans la table : ces pointes servent à accrocher les anneaux des cordes de la petite octave ; de même que des pointes fichées dans la moulure, qui regne le long de l'éclisse concave B D C, servent à retenir celles des deux unissons. Toutes les cordes, après avoir passé sur deux chevalets, un de la table, & l'autre du sommier, vont se tortiller autour de ces chevilles, au moyen desquelles on leur donne un degré de tension convenable pour les faire arriver au ton qu'elles doivent rendre.

On colle ensuite la table sur les tringles r, s, t, u, fig. 2. & la barre E F ; il faut prendre un grand soin qu'elle soit bien appliquée & collée. Sur la table & autour des éclisses, on colle de petites moulures de bois de tilleul : ces moulures servent à-la-fois d'ornement, & affermissent la table sur les tringles.

On fait ensuite les claviers, que l'on place à la partie antérieure du clavecin, comme on voit dans la fig. 1. Les queues des touches doivent passer par dessous le sommier, & répondre au-dessous de l'ouverture x y, fig. 2. par où les sauteraux (voyez SAUTEREAU) descendent sur les queues des touches qui les font lever lorsqu'on abaisse leur partie antérieure b, d, & pincer la corde qui leur répond par le moyen de la plume de corbeau dont leurs languettes sont armées. Voyez CLAVIER DE CLAVECIN, UBLE CLAVIERVIER. Un des deux claviers est mobile dans la figure 1. c'est le clavier inférieur qui se tire en-devant par le moyen de pommelles X, fixées dans les bras ou côtés : sa marche est terminée par la rencontre de la barre M K, qui termine la partie antérieure du clavecin. Les touches du clavier inférieur font hausser les touches du second clavier (figure 2.) par le moyen des pilotes 2 qui répondent, lorsque le clavier est tiré, sous les talons qui sont au-dessous des queues des touches du second clavier. Elles cessent de les mouvoir lorsque le clavier est poussé ; parce que la pilote passe au-delà du talon, ou de l'extrémité de la touche du second clavier aux touches duquel répond le premier rang de sauteraux, après avoir traversé le registre immobile & le guide. Les registres sont des barres de bois vêtues de cuir, percées d'autant de trous, avec un emporte-piece, qu'il y a de sautereaux & de touches au clavier. Voyez REGISTRE DE CLAVECIN. Les registres sont placés parallelement au sommier entre lui & la barre E F ; ils ont environ une ligne & demie ou deux lignes de jeu sur leur longueur. Le guide est placé à trois ou quatre pouces au-dessous des registres, & sert à conduire les sauteraux sur les touches. Voyez GUIDE DE CLAVECIN. Les sautereaux sont chiffrés, à commencer de E vers F, selon la suite des nombres 1, 2, 3, 4, 5, &c. pour servir de repaires & les mettre dans les mêmes places.

Par-dessus la tête des sauteraux on pose, à une distance convenable, une barre A B, fig. 1. qu'on appelle chapiteau, ou simplement barre, doublée de plusieurs doubles de lisiere de laine, contre lesquels les sautereaux vont heurter sans faire de bruit : cette barre peut s'ôter & se remettre facilement, par le moyen de deux pointes qui sont à l'extrémité A, & d'un crochet qui est en B.

Des trois registres, il y en a un immobile : c'est le premier du côté du clavier, par lequel passent les sautereaux du second clavier. Les deux autres sont mobiles par deux leviers de fer qui les prennent par leurs extrémités : ces leviers qu'on appelle mouvemens, à cause qu'ils font mouvoir les registres, ont des pommelles S, T, qui passent au-travers des mortaises pratiquées à cet effet à la planche de devant du sommier ; ils sont fixés à leur milieu par une vis qui entre dans le sommier, autour de laquelle ils peuvent se mouvoir librement : l'extrémité qui passe sous la barre A B, a une pointe qui entre dans un trou qui est à l'extrémité du registre, que ce levier doit faire mouvoir ; ensorte que lorsque l'on pousse la pommelle S du côté de T, le registre attaché à l'extrémité A du levier S A, se meut en sens contraire de B vers A. L'usage des registres est d'approcher ou d'éloigner à volonté les sautereaux des cordes, pour que les plumes de leurs languettes touchent ou ne touchent point sur ces cordes.

Le clavecin étant ainsi achevé, on lui fait un couvercle, qui est une planche de bois de chêne ou de noyer, de même forme que la table de dessous : ce couvercle est de deux pieces ; la plus grande qui couvre les cordes, & qui a la même forme que la table A B D C de l'instrument, s'assemble à charniere avec l'éclisse A C ; l'autre piece, qui est un parallélogramme rectangle L A B I, & qui couvre les claviers & le sommier, est assemblée avec la premiere à charniere selon la ligne A B, ensorte qu'elle peut se renverser sur la grande piece. On leve les deux pieces ensemble, & on les soûtient en cet état par une barre de bois qui appuie d'un bout obliquement contre l'éclisse B, & de l'autre perpendiculairement au-dessous du couvercle.

On fait ensuite le pié P P P P, &c. (fig. 1. & 4.) composé de plusieurs piés B, P, P, assemblés & collés dans un chassis c l k g : ce chassis qui est de champ, est couvert par un autre C K L G qui est à plat, & autour duquel on fait quelque moulure ; il est traversé par plusieurs barres H, F, E, B, qui servent à rendre l'ouvrage plus solide. On ménage dans la partie qui répond sous les claviers & le sommier, une place pour un tiroir N O N, fig. 1. & T. fig. 4. dans lequel on serre les livres de musique, les cordes, & autres choses concernant le clavecin, même le pupitre, lorsqu'il est fait de façon à pouvoir se ployer. On fait ensuite une planche qui ferme le devant des claviers M L I K, fig. 1. c'est dans le milieu de cette planche qu'est la serrure qui ferme tout l'instrument.

Il faut avoir un pupitre (fig. 5.) dont les côtés l a, i b, se posent sur les côtés L A, I B, (fig. 2.) du clavecin : ils sont assemblés par une traverse de longueur convenable, pour que les tringles f, a, g, h, prennent extérieurement les éclisses L A, I B. Sur le milieu de la traverse est un pivot qui entre dans le trou du talon du pupitre e, qui peut ainsi tourner de tous côtés : c'est sur le pupitre que l'on pose le livre qui contient la piece de musique que l'on veut joüer. Il y a aussi à la partie antérieure f g deux platines c, d, garnies de leurs bobeches & de bras ployans, dans lesquelles on met les bougies allumées, qui éclairent le claveciniste lorsqu'il veut joüer la nuit.

On monte ensuite le clavecin des cordes, partie jaunes, partie blanches, c'est-à-dire de cuivre & d'acier : celles de cuivre servent pour les basses, & les autres pour les dessus. Les cordes jaunes & blanches sont de plusieurs numéros ou grosseurs : le numéro moindre marque les plus grosses cordes ; le numéro premier en jaune est pour le c-sol-ut des basses à la double octave, au-dessous de celui de la clé d'ut, lequel doit sonner l'unisson de huit piés. Voyez DIAPASON. Lorsque le clavecin est à ravalement, comme celui représenté dans la Planche, on met en descendant des cordes jaunes encore plus grosses que le numéro premier, & qui sont marquées par 0, 00, 000 ; la corde 000 est la plus grosse qu'on employe jusqu'à présent, elle sert pour f-ut-fa du seize piés : on se sert aussi quelquefois pour le ravalement de cordes de cuivre rouge, marquées de même 000, 00, 0, 1, 2 ; ces cordes sont plus touchantes & plus harmonieuses que les cordes jaunes.

TABLE des numéros des cordes, & du nombre qu'on doit mettre de chacune, en commençant par les basses, & en montant selon la suite des sautereaux A ______________ B : la premiere

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, &c.

colonne contient les numéros des cordes, & la seconde le nombre de cordes qu'on doit mettre à chaque numéro.

12. Le numéro 12 sert pour la petite octave à la place du numéro 11 ; de même le numéro 11 sert à la place du numéro 10, ainsi des autres.

Pour la tablature de cet instrument, voyez la table du rapport de l'étendue des instrumens de musique, où les notes & les clés de musique sont placées au-dessous des touches d'un clavier, qui y est représenté par l'accord, voyez PARTITION ; & remarquez que l'ut du milieu du clavecin doit être à l'unisson d'un tuyau de prestant de deux piés ouvert, & que la petite octave a c doit être accordée à l'octave au-dessus des grandes cordes b d, & à l'unisson du prestant. On se sert pour tourner les chevilles d'une clé appellée accordoir. Voyez ACCORDOIR DE CLAVECIN.

* CLAVECIN OCULAIRE, (Musiq. & Opt.) instrument à touches analogue au clavecin auriculaire, composé d'autant d'octaves de couleurs par tons & demi-tons, que le clavecin auriculaire a d'octaves de sons par tons & demi-tons, destiné à donner à l'ame par les yeux les mêmes sensations agréables de mélodie & d'harmonie de couleurs, que celles de mélodie & d'harmonie de sons que le clavecin ordinaire lui communique par l'oreille.

Que faut-il pour faire un clavecin ordinaire ? des cordes diapasonnées selon un certain système de musique, & le moyen de faire resonner ces cordes. Que faudra-t-il pour un clavecin ordinaire ? des couleurs diapasonnées selon le même système que les sons, & le moyen de les produire aux yeux : mais l'un est aussi possible que l'autre.

Aux cinq toniques de sons, ut, ré, mi, sol, la, correspondront les cinq toniques de couleurs, bleu, verd, jaune, rouge, & violet ; aux sept diatoniques de sons, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, les sept diatoniques de couleurs, bleu, verd, jaune, aurore, rouge, violet, turquin, bleu clair ; aux douze chromatiques ou sémi-diatoniques de son, ut, ut, , ré, ré, , mi, fa, fa, , sol, sol, , la, la, , si, ut ; les douze chromatiques ou sémi-diatoniques de couleurs, bleu, céladon, verd, olive, jaune, aurore, orangé, rouge, cramoisi, violet, agate, turquin, bleu, &c. D'où l'on voit naître en couleurs tout ce que nous avons en sons ; modes majeur & mineur ; genres diatonique, chromatique, enharmonique ; enchaînemens de modulations ; consonnances, dissonnances, mélodie, harmonie ; ensorte que si l'on prend un bon rudiment de Musique auriculaire, tel que celui de M. d'Alembert, & qu'on substitue par-tout le mot couleur au mot son, on aura des élémens complets de musique oculaire, des chants colorés à plusieurs parties, une basse fondamentale, une basse continue, des chiffres, des accords de toute espece, même par supposition & par suspension, une loi de liaison, des renversemens d'harmonie, &c.

Les regles de la musique auriculaire ont toutes pour fondement la production naturelle & primitive de l'accord parfait par un corps sonore quelconque : soit ce corps ut ; il donne les sons ut, sol, mi, auxquels correspondront le bleu, le rouge, le jaune, que plusieurs artistes & physiciens regardent comme trois couleurs primitives. La musique oculaire a donc dans ses principes un fondement analogue à la musique auriculaire. Voyez COULEUR.

Qu'est-ce que joüer ? C'est, pour le clavecin ordinaire, sonner & se taire, ou paroître & disparoître à l'oreille. Que sera-ce que joüer pour le clavecin oculaire ? se montrer & se tenir caché, ou paroître & disparoître à l'oeil ; & comme la musique auriculaire a vingt ou trente façons de produire les sons, par des cordes, des tuyaux, des voix, des violons, des basses, des lyres, des guittares, des clavecins, des épinettes, des haut-bois, des flûtes, des fifres, des flageolets, des bassons, des serpens, des trompettes, des orgues, &c. la musique oculaire aura autant de façons correspondantes de produire les couleurs, des boîtes, des éventails, des soleils, des étoiles, des tableaux, des lumieres naturelles, artificielles, &c. Voilà la pratique.

Les objections qu'on a faites contre la musique & l'instrument oculaires se présentent si naturellement, qu'il est inutile de les rapporter : nous osons seulement assûrer qu'elles sont si parfaitement, sinon détruites, au-moins balancées par les réponses tirées de la comparaison des deux musiques, qu'il n'y a plus que l'expérience qui puisse décider la question.

La seule différence importante entre les deux clavecins qui nous ait frappés, c'est que quoiqu'il y ait sur le clavecin ordinaire un grand intervalle entre sa premiere & sa derniere touche, l'oreille n'apperçoit point de discontinuité entre les sons ; ils sont liés pour elle comme si les touches étoient toutes voisines, au lieu que les couleurs seront distantes & disjointes à la vûe. Pour remédier à cet inconvénient dans la mélodie & l'harmonie oculaires, il faudroit trouver quelque expédient qui liât les couleurs, & les rendit continues pour l'oeil ; sinon, dans les airs d'un mouvement extrèmement vif, l'oeil ne sachant quel intervalle de couleurs on va faire, ignorera, après avoir vû un ton où il doit se porter pour appercevoir le ton suivant, & ne saisira dans une batterie de couleurs que quelques notes éparses de tout un air coloré, ou se tourmentera si fort pour les saisir toutes, qu'il en aura bien-tôt la berlue ; & adieu la mélodie & l'harmonie. On pourroit encore ajoûter que quand on les saisiroit, il ne seroit pas possible qu'on les retînt jamais, & qu'on eût la mémoire d'un air de couleurs, comme on a celle d'un air de sons.

Il semble que les couleurs d'un clavecin oculaire devroient être placées sur une seule bande étroite, verticale & parallele, à la hauteur du corps du musicien ; au lieu que les cordes d'un clavecin auriculaire sont placées dans un plan horisontal & parallele à la largeur du corps du musicien auriculaire.

Au reste, je ne prétend point donner à cette objection plus de valeur qu'elle n'en a : pour la résoudre, il ne faut que la plus petite partie de la sagacité que l'invention du clavecin oculaire suppose.

On ne peut imaginer une pareille machine sans être très-versé en Musique & en Optique ; on ne peut l'exécuter avec succès sans être un rare machiniste.

Le célebre P. Castel jésuite en est l'inventeur ; il l'annonça en 1725. La facture de cet instrument est si extraordinaire, qu'il n'y a que le public peu éclairé qui puisse se plaindre qu'il se fasse toûjours & qu'il ne s'acheve point.


CLAVETTES. f. (Arts méch.) c'est communément un morceau de fer plat, plus large par un bout que par l'autre, en forme de coin, que l'on insere dans l'ouverture du boulon en cheville de fer pour le fixer. Il arrive quelquefois à la clavette d'être fendue en deux par son bout étroit ; alors on écarte ces deux parties dont la divergence empêche la clavette de sortir de l'ouverture du boulon : quelquefois ce coin plat étant fait d'un morceau de fer mince, replié en double sur lui-même, le bout étroit n'a pas besoin d'être fendu pour arrêter la clavette ; il suffit d'écarter par le petit bout les deux lames de fer, qui appliquées l'une sur l'autre forment le corps même de la clavette. Les clavettes sont employées dans une infinité d'occasions. Les Tourneurs en fer donnent ce nom, & aux coins de fer qui servent à serrer les poupées & les supports sur les jumelles du tour, & aux chevilles de fer qui fixent les canons sur la verge quarrée de l'arbre du tour ou ovale, & aux chevilles en bois ou aux fiches de fer qu'ils placent de distance en distance sur la barre d'appui. Voyez TOUR.

Les clavettes étant des parties de machines en fer, c'est un ouvrage de Serrurerie : on en trouvera dans nos Planches, tant de Serrurerie que d'autres Arts. Voyez ces Planches & leur explication.


CLAVICULES. f. terme d'Anatomie, est le nom de deux os situés à la base du cou & au haut de la poitrine. Voyez les Planches d'Anat. (Ostéol.) voyez aussi les articles COU, THORAX, &c.

Elles sont un peu courbées à chaque bout, mais en sens opposés, ensorte qu'elles ressemblent à-peu-près à une S qui seroit couchée. On les a appellées clavicules, parce qu'elles sont comme les clés du thorax.

Leur substance interne est spongieuse, ce qui fait qu'elles cassent aisément. Elles se joignent d'un bout par synchondrose à l'apophyse acromion de l'omoplate, & de l'autre par arthrodie à un sinus situé à droite & à gauche de la partie supérieure du sternum.

Leur usage est de tenir les omoplates fixes & arrêtées dans le même endroit, & d'empêcher qu'elles ne glissent trop en-devant vers la poitrine.

On a remarqué depuis long-tems que dans les hommes les clavicules sont communément plus courbées que dans les femmes, c'est pourquoi ils ont le mouvement des bras plus libre ; les femmes au contraire en qui ces os sont plus droits, ont la gorge plus belle, plus élevée, & moins remplie de fosses.

Toutes sortes d'animaux n'ont pas des clavicules ; il n'y a que ceux qui se servent de leurs piés de devant, comme nous faisons de nos mains, qui en ayent : tels sont les singes, les rats, les écureuils, & autres.

L'usage des clavicules est d'affermir les omoplates dans leur situation naturelle, & par conséquent de tenir les bras écartés : elles empêchent donc que les omoplates ne tombent trop en-devant avec les bras ; de-là vient que la poitrine est plus large dans l'homme que dans les autres animaux.

Comme les clavicules ne sont recouvertes que de simples tégumens, elles sont fort sujettes à se fracturer par la violente impression des causes extérieures ; & après la réduction faite, il est très-difficile que les pieces de l'os réduit demeurent dans la situation où on les a mises, le moindre mouvement du bras étant capable de les déranger : il reste toûjours à l'endroit de la fracture un calus plus ou moins difforme, malgré toutes les machines qu'ont pû inventer les plus habiles chirurgiens pour tenir ces os fracturés dans un parfait repos après leur réduction. Quand donc cette fracture arrive à des femmes curieuses de la beauté de leur gorge, cette réduction n'est presque jamais trop honorable au chirurgien : aussi ne néglige-t-il guere alors d'avertir de la difformité qui peut en résulter, avant que d'entreprendre de la remettre.

Les clavicules sont encore exposées aux luxations, mais rarement, à cause de la force de leurs ligamens : la cure sera d'autant plus difficile, qu'on différera la réduction ; car les luxations des clavicules sont presque toûjours incurables, quand elles sont une fois invétérées ; la réussite dépend des bandages, qu'il faut appliquer avec tout le soin possible, après avoir réuni les parties disloquées dans leur situation naturelle. Galien s'est une fois démis la clavicule en luttant, & les deux os se réunirent par un bandage qu'il porta pendant quarante jours. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CLAVIERS. m. (Luth.) c'est la partie d'une orgue sur laquelle l'organiste posant ses doigts ouvre les soûpapes, qui étant ouvertes laissent aller le vent aux tuyaux. C'est cet usage qui lui a fait donner le nom de clavier, comme étant composé de toutes les clés qui ouvrent le passage au vent qui fait parler les tuyaux.

Un clavier est composé de deux parties : savoir, du chassis sur lequel les touches sont montées, & des touches. Le chassis A B, C D, (fig. 15.) est composé de trois barres de bois de chêne de deux pouces d'équarrissage, assemblées à tenons & mortaises ; la barre B C du fond doit avoir une rainure d'un demi-pouce de large, & avoir deux piés de long pour quatre octaves : s'il y a ravalement au clavier, on ajoûte une longueur convenable pour pouvoir placer les touches du ravalement. Les deux côtés A B, D C, du chassis doivent avoir au-moins un pié & demi de long. Lorsque la place est commode, on ne risque rien de leur donner plus de longueur. A environ un demi-pié des extrémités A & D des côtés du chassis, on met une regle E F épaisse d'un demi-pouce & large de deux, dans laquelle sont plantées des pointes de fil-de-fer. Cette piece qui est assemblée dans les côtés du chassis à queue d'aronde, s'appelle le guide. Ces pointes servent en effet à guider & à tenir libres & séparées les touches qui passent chacune entre deux pointes.

Pour faire les touches on prend du trois quarts hollande, c'est-à-dire du chêne épais de trois quarts de pouces ; on coupe les planches de la longueur du côté du chassis ; on les dresse bien, & on les réduit à un demi-pouce d'épaisseur & à un demi-pié de largeur ; on abat en biseau le côté inférieur du bout qui doit entrer dans la rainure du chassis (Voyez r. fig. 17.) ; l'on plaque ensuite des os ou de l'ivoire, si on veut faire les touches blanches, sur l'autre extrémité : les plaques doivent occuper 3 1/2 pouces ou 4 pouces sur la longueur des planches. Si on veut faire le clavier noir, comme A B, G H, fig. 16. on plaque avec de l'ébene coupé, de même que l'ivoire, en feuilles épaisses d'une ligne, sur la même profondeur A C de 4 pouces. Lorsque les plaques sont seches, ou même avant de les coller, on dresse bien la rive A B qui doit faire un angle droit avec les largeurs A G, B H des planches ; on trace ensuite avec le trusquin deux traits ; & à un pouce de distance de la rive A B, les deux traits que l'on imprime profondément doivent être à une ligne de distance l'un de l'autre. On fait la même chose aux claviers blancs.

Après cela on trace les touches, qui sont sept dans chaque octave : ainsi il faut diviser un demi-pié que nous avons dit être la mesure d'une octave, en sept parties égales, aux points ut, ré, mi, fa, sol, la, si, par six traits : ces traits ne doivent aller que depuis l'arrête antérieure jusqu'au second des traits e f, excepté celui qui sépare le mi du fa, qui doit diviser la planche dans toute sa longueur : on trace ensuite les feintes dans l'espace e C D f, dont la largeur est de deux pouces, qui est aussi la mesure de la largeur des hausses des feintes. La premiere que l'on trace est le sol ; ce qui se fait en divisant les deux touches sol, la, en quatre parties prenant un quart du sol & un quart du la, & tirant deux lignes paralleles à la longueur des planches, ou à la feinte sol qui se trouve être placée vis-à-vis la séparation du sol & du la, & avoir de largeur la moitié de celle d'une touche. Les autres feintes se tracent de même, observant seulement que toutes les autres feintes, excepté celle du sol , sont précédées ou suivies de deux touches, entre lesquelles il ne doit point se trouver de feintes. Ces touches sont mi fa, & si ut ; les feintes contiguës à ces touches sont ut , mi b, fa, , si b ; elles doivent entrer des trois quarts de leur largeur dans les touches contiguës qui n'ont de feintes que d'un côté, c'est-à-dire de 3/8 de ces touches ; ainsi l'ut entre de 3/8 dans l'ut, & seulement d'1/8 dans le ré ; le mi b entre de 3/8 dans le mi, & d'1/8 dans le ré ; le fa entre de 3/8 dans le fa, & d'1/8 dans le sol ; le sol , comme nous avons dit, entre moitié dans le sol & moitié dans le la, c'est-à-dire de 2/8 dans chacune de ces touches ; enfin le si b entre de 3/8 dans le si, & d'1/8 dans le la. Après avoir ainsi tracé les touches, on les présente sur le chassis, faisant entrer la partie qui doit servir de queue dans la rainure de la barre B C du chassis, & on perce des trous avec un vilbrequin fort menu, qui doivent traverser la barre B C & la planche des touches : ces trous servent à mettre des pioches, qui sont des morceaux de fil-de-fer d'une ligne ou environ de diametre, dont l'usage est de retenir les touches par leurs queues dans la rainure du chassis. Après avoir ainsi assûré la place de chaque touche, il faut les séparer les unes des autres ; ce qui se fait avec une scie à refendre. On doit observer que les feintes ne sont pas si longues que les autres touches : pour les en séparer, outre les deux traits de scie suivant leur longueur, il faut encore faire une entaille avec un bec d'âne de la largeur des feintes ; cette entaille doit être faite par-dessous la planche, & avoir de ce côté quatre ou cinq lignes de long, & du côté de dessus seulement une ligne ; après cela on sépare par un trait de scie les touches les unes des autres. Ces traits de scie ne doivent pénétrer dans les planches que jusqu'aux traits e f qui servent d'alignement aux feintes, excepté celui qui sépare le mi du fa, qui doit diviser la planche dans toute sa longueur. On commence à faire les traits de scie qui séparent les touches par la partie antérieure A B, & ceux qui séparent les queues des mêmes touches, par la partie postérieure G H des mêmes touches. On perce ensuite les mortaises g h, fig. 16. dans lesquelles les demoiselles doivent passer, & on fait les hausses. Les hausses sont, pour les claviers noirs, de petits morceaux de bois de poirier noircis, longs de deux pouces, & hauts seulement d'un demi-pouce, aussi larges que la feinte : on plaque le dessus avec de l'ivoire ou de l'os pour les claviers blancs, comme l'octave de la fig. 15. on fait les hausses d'ébene, & on ne les plaque point parce qu'elles doivent être noires.

Le second clavier, qui est le clavier du grand orgue dans celles où il y a un positif, se tire sur le premier par les deux pommelles A, fig. 17. plantées sur les extrémités antérieures A D du chassis, pour faire rencontrer les talons o qui sont au-dessous de ces touches, sur ceux a des touches correspondantes du clavier du positif. Voyez TALONS.

La ligne de tablature que l'on voit au-dessous de la fig. 16. montre la position des trois clés, & quelles notes de musique répondent aux touches du clavier. On doit remarquer qu'un ut entre deux octaves est commun à ces deux octaves, c'est-à-dire l'ut à l'octave de l'octave qui le précede, & l'ut tonique de celle qui le suit ; & que la fig. 16. représente un clavier à grand ravalement, c'est-à-dire que les touches descendent au-dessous des quatre octaves jusqu'en F ut fa, & montent au dessus des mêmes quatre octaves jusqu'en E si mi ; ce qui fait cinq octaves, qui est plus que les orgues ordinaires n'en contiennent, puisqu'elles n'ont que quatre octaves & une touche pour tout ravalement. Voyez RAVALEMENT.

Doubles claviers des clavecins, représentés fig. 8. Pl. de Luth. sont, comme dans les claviers des orgues, deux rangs de touches qui répondent perpendiculairement les unes au-dessus des autres. Voyez CLAVIER D'ORGUE. Le premier clavier du clavecin est en tout semblable à celui de l'épinette. Voyez CHASSIS D'EPINETTE & EPINETTE. Les touches du second clavier sont dirigées par un guide qui est une regle de bois E F, garnie de pointes entre lesquelles les touches se meuvent ; au lieu que celles du premier sont guidées par la barre traversée de traits de scie appellée diapason, ainsi qu'il est expliqué au mot CHASSIS de clavier d'épinette. Le chassis du premier clavier peut se tirer en-devant ou se repousser en-arriere, pour que les pilotes G H, lorsque le clavier est tiré, se rencontrent sous les queues des touches du second clavier ; d'où il arrive que lorsque l'on touche sur le premier clavier, le mouvement se communique au second, comme si on touchoit dessus ; ce qui fait parler les cordes qui répondent aux sautereaux de ce second clavier. Mais lorsque le premier est repoussé, les pilotes passent au-delà de l'extrémité des touches du second clavier, qui restent immobiles lorsque l'on touche les premieres. Voyez la fig. 8. Planche XVI. de Luth. & l'art. CLAVECIN.

CLAVIER, en terme d'Epinglier, n'est autre chose qu'un morceau de fil-de-fer ou de laiton plié de maniere qu'un brin forme une espece d'anneau vers le milieu qui lui sert d'attache. On n'employe point d'autre outil pour le faire que des bequettes. Voyez BEQUETTES d'Epinglier.


CLAVUSS. m. terme de Médecine, est le nom que les Médecins donnent à une douleur lancinante à la tête, où elle se fait sentir ordinairement au-dessus des yeux, c'est-à-dire au sinus frontal, de telle sorte qu'il semble au malade qu'il lui entre actuellement dans la tête une vrille ou un poinçon ; ce qui a fait donner à cette maladie le nom de clavus. Quelquefois le clavus n'affecte qu'un côté, quelquefois aussi tous les deux.

On regarde cette maladie comme une espece de fievre intermittente, parce qu'en effet elle reprend & quitte le malade à des périodes réglés. Elle est quelquefois quotidienne, quelquefois elle n'est que tierce. Voyez FIEVRE.

On la guérit en donnant au malade un émétique un peu avant & un peu après l'accès ; à quoi on ajoûte, pour plus d'efficacité, une dose convenable de quinquina, comme pour les fievres intermittentes. Quelquefois aussi la saignée & les diaphorétiques operent la cure, sans qu'il soit besoin d'autres remedes. Chambers.

Quelquefois les hystériques ont au sommet de la tête une douleur semblable, que Sydenham appelle clavus hystericus. Voyez PASSION HYSTERIQUE. (b)

CLAVUS, s. m. dans l'antiquité, bande ou filet de pourpre que les sénateurs & les chevaliers romains portoient sur la poitrine, & qui étoit plus ou moins large, selon la dignité de celui qui le portoit. C'est de ces différentes largeurs qu'est venue la différence de la tunique augusticlavia, & de la tunique laticlavia. Voyez LATICLAVIA.

Cet ornement étoit appellé, selon quelques uns, clavus, clou, parce qu'il étoit semé de petites plaques rondes d'or ou d'argent, semblables à des têtes de clou. Le P. Cantel, jésuite, soûtient que le clavus ne consistoit qu'en des especes de fleurs de couleur de pourpre, cousues sur l'étoffe. Dict. de Trév.


CLAZOMENE(Géogr. anc.) ville d'Asie dans l'Ionie, & l'une des douze anciennes de cette province ; elle avoit Smyrne à l'orient, & Chios à l'occident.


CLÉS. f. (Serrurerie) instrument de fer qui sert à ouvrir & fermer une serrure. On y distingue trois parties principales, l'anneau, la tige, & le panneton : l'anneau est la partie évuidée en coeur ou autrement, qu'on tient à la main quand on ouvre ou ferme la serrure ; la tige est le petit cylindre compris entre l'anneau & le panneton ; le panneton est cette partie saillante à l'autre extrémité de la clé & placée dans le même plan que l'anneau. On voit que le panneton étant particulierement destiné à faire mouvoir les parties intérieures de la serrure, doit changer de forme selon le nombre, la qualité, & la disposition de ces parties. Pour faire une clé ordinaire, on prend un morceau de fer proportionné à la grosseur de la clé : on ménage à une extrémité une portion d'étoffe pour le panneton ; on forge la tige : on ménage à l'autre bout une autre portion d'étoffe pour l'anneau, puis on sépare sur la tranche la clé qui est pour ainsi dire enlevée ; on donne au marteau & à la forge, à l'étoffe destinée pour le panneton, la forme la plus approchée de celle qu'il doit avoir : on perce à la pointe l'étoffe destinée pour l'anneau, qu'on a auparavant applatie au marteau ; puis on acheve la clé à la lime & à l'étau. On verra dans nos Planches de Serrurerie, des clés de plusieurs sortes, tant simples qu'ornées, tant ébauchées que finies, tant à panneton plat qu'à panneton en S, tant solides que forées, tant à simple forure qu'à forures multipliées. Les clés simples sont telles que celles que je viens de décrire ; elles sont quelquefois terminées par un bouton. Les clés ornées sont celles dont l'anneau évuidé & solide en plusieurs endroits, forme par les parties solides & évuidées des desseins d'ornemens. Les clés à pannetons plats sont celles dont cette partie terminée par des surfaces paralleles, a par-tout la même épaisseur. Les clés à panneton en S, sont celles où cette partie a la figure d'une S. Pour former les ventres de l'S avec plus de facilité, on fore le panneton en deux endroits : ces forures se font au foret à l'ordinaire ; on enleve ensuite à la lime le reste d'épaisseur d'étoffe qui se trouve au-delà de la forure, & l'S se trouve faite. Exemple : 8 14 32, soit 1 & 2 les trous ou forures, il est évident qu'en enlevant les parties 3 & 4, on formera une S. Les clés solides sont celles dont la tige n'est point percée par le bout d'un trou pour y recevoir une broche, les clés percées sont celles où le bout de la tige foré peut recevoir une broche. Quelquefois cette forure, au lieu d'être ronde, est en tiers-point, ou d'une autre forme singuliere. Pour le faire facilement, on commence par pratiquer à la tige, au foret, un trou rond ; puis à l'aide d'un mandrin d'acier bien trempé, & figuré comme la forure qu'on veut faire, on donne à ce trou rond, en y forçant peu-à-peu le mandrin à coups de marteau, la figure du mandrin même, ou de la broche qu'on veut être reçue dans la clé forée. Si la broche est en fleur de lis, & que la forure doive être en fleur de lis, il faudra commencer par travailler en acier un mandrin en fleur de lis. On voit que ces clés à forure singuliere demandent beaucoup de tems & de travail. Si vous concevez une clé forée, & que dans la forure on ait placé une bouterolle, ensorte que la bouterolle ne remplisse pas exactement la forure, vous aurez une clé à triple forure. On voit que par cet artifice de placer une bouterolle dans une bouterolle, & cet assemblage dans une forure, on peut ménager des espaces vuides & profonds entre des espaces solides & profonds, dans la solidité de ce corps de la tige, & même donner à ces espaces telle forme que l'on veut, ce qui paroît surprenant à ceux qui ignorent ce travail. Voyez dans nos Planches de Serrurerie le détail en figures de toutes ces clés, & des instrumens destinés à les forer.

Voilà ce que c'est qu'une clé, en prenant ce mot au simple ; mais la fonction de cet instrument, d'ouvrir & de fermer, a fait appeller par analogie, du même nom, une infinité d'autres instrumens dont la forme est très-différente. Le nom de clé a aussi été donné dans un sens moral, à toutes les connoissances nécessaires pour l'intelligence d'un ouvrage, d'un auteur, &c. Voyez dans la suite de cet article le mot clé employé selon ses acceptions différentes, tant au simple qu'au figuré. Voyez aussi les art. SERRURE, PANNETON, &c.

CLE, dans un sens moral & théologique, marque de puissance, comme lorsqu'il est dit, Isaïe, xxij. v. 22. Je donnerai à mon serviteur Eliacem la clé de la maison de David ; il ouvrira & nul ne fermera.... il fermera & nul n'ouvrira.... de prééminence, comme lorsque Jesus-Christ donne à Pierre la clé du royaume des cieux.... d'intelligence, comme dans l'endroit où Jesus-Christ reproche aux Pharisiens d'avoir pris la clé de la science, & de ne point entrer dans le royaume des cieux, & de n'en pas ouvrir la porte aux autres, &c.

CLE, caractere de Musique, qui mis au commencement d'une portée, détermine le degré d'élevation de cette portée dans le système général, & indique les noms de toutes les notes qu'elle contient.

Anciennement on appelloit clés les lettres par lesquelles on désignoit les sons de la gamme ; ainsi la lettre A étoit la clé de la, C la clé d'ut, &c. A mesure que le système s'étendit, on apperçut bientôt l'embarras & l'inutilité de cette multitude de clés. Guy d'Arezze qui les avoit inventées, marquoit une lettre ou clé au commencement de chacune des lignes de la portée ; car il ne plaçoit point encore de notes dans les espaces : on voit des exemples de cela dans plusieurs anciens manuscrits. Dans la suite on ne marqua plus qu'une des sept clés au commencement d'une des lignes de la portée, celle-là suffisant pour fixer la position de toutes les autres selon l'ordre naturel. Enfin de ces sept lettres ou clés on en a choisi trois qu'on a nommées claves signatae ou clés marquées, parce qu'on se contente d'en marquer une des trois au commencement des lignes, pour donner l'intelligence des autres. En effet Kepler prétend que si étant au fait des anciennes écritures, on examine bien la figure de nos clés, on trouvera qu'elles se rapportent chacune à la lettre un peu défigurée de la note qu'elle représente ; ainsi la clé de sol étoit originairement un G ; la clé d'ut, un C ; & celle de fa, une F.

Nous avons donc trois clés à la quinte l'une de l'autre ; la clé d'f ut fa ou de fa, qui est la plus basse & qui se marque ainsi ; la clé d'ut ou de c-sol-ut, qui se marque ainsi , & qui est une quinte au-dessus de la premiere ; & la clé de sol ou de g-ré-sol, qui se marque ainsi , & qui est une quinte au-dessus de celle d'ut dans l'ordre marqué (Pl. I. Mus. fig. 5.). Sur quoi il faut observer que la clé se pose toûjours sur une ligne, & jamais dans un espace.

En ajoûtant quatre lignes au-dessus de la clé de sol, ce qui fait le plus grand nombre usité, & trois lignes au-dessous de la clé de fa, ce qui est aussi de plus grand nombre, on voit que le système total des notes qu'on peut placer sur les degrés déterminés par ces clés, se monte à vingt-quatre, c'est à-dire trois octaves & une quarte depuis le fa qui se trouve au-dessous de la premiere ligne, jusqu'au si qui se trouve au-dessus de la derniere ; & tout cela forme ensemble ce qu'on appelle le clavier général : par où l'on doit juger que cette étendue a dû faire longtems celle du système. Aujourd'hui qu'il acquiert sans cesse de nouveaux degrés, tant au grave qu'à l'aigu, on marque ces degrés sur des lignes accidentelles qu'on ajoûte en-haut ou em-bas, selon le besoin.

Au lieu de joindre ensemble toutes les lignes, comme nous avons fait ici pour montrer le rapport des clés, on les sépare de cinq en cinq, parce que c'est à-peu-près aux degrés qui y sont compris qu'est bornée l'étendue d'une voix ordinaire. Cette collection de cinq lignes s'appelle portée, & l'on y ajoûte une clé pour déterminer le nom des notes, & pour montrer quel lieu la portée doit occuper dans le clavier.

De quelque maniere qu'on prenne cinq lignes de suite dans le clavier, on y trouve une clé comprise, & quelquefois deux ; auquel cas on en retranche une, comme inutile : l'usage a même déterminé laquelle il falloit retrancher, & laquelle il falloit poser ; ce qui a donné lieu de fixer le nombre des positions de chaque clé.

Si je fais une portée des cinq premieres lignes du clavier en commençant par le bas, j'y trouve la clé de fa sur la quatrieme ligne : voilà donc une position de clé, & cette position appartient évidemment aux sons les plus graves.

Si je veux gagner une tierce en-haut, il faut ajoûter une ligne ; il en faut donc retrancher une em-bas, autrement la portée auroit plus de cinq lignes : alors la clé de fa se trouve transportée de la quatrieme ligne sur la troisieme ; la clé d'ut se trouve aussi sur la cinquieme ligne : mais comme deux clés sont inutiles, on retranche ici celle d'ut. On voit que la portée de cette clé est d'une tierce plus élevée que la précédente.

En abandonnant encore une ligne em-bas pour en gagner une nouvelle en-haut, on a une troisieme portée où la clé de fa se trouveroit sur la deuxieme ligne, & celle d'ut sur la quatrieme : ici on abandonne la clé de fa & on prend celle d'ut. On a encore gagné une tierce à l'aigu.

En continuant ainsi de ligne en ligne, on passe successivement par quatre positions différentes de la clé d'ut : arrivant à celle de sol, on la trouve posée d'abord sur la deuxieme, & puis sur la premiere ligne ; & cette derniere position donne le diapason le plus aigu que l'on puisse établir par les clés.

On peut voir (Pl. I. fig. 6.) cette succession des clés du grave à l'aigu, avec toutes leurs positions ; ce qui fait en tout huit portées, clés ou positions de clés différentes.

De quelque caractere que puisse être une voix ou un instrument, pourvû que son étendue n'excede pas à l'aigu ou grave celle du clavier général, on peut dans ce nombre lui trouver une portée & une clé convenable ; & il y en a en effet de déterminées pour toutes les parties de la Musique. Voyez PARTIES. Si l'étendue d'une partie est fort grande, & que le nombre de lignes qu'il faudroit ajoûter au-dessus ou au-dessous devienne incommode, alors on change la clé : on voit clairement par la figure quelle clé il faudroit prendre pour élever ou abaisser la portée, de quelque clé qu'elle soit armée actuellement.

On voit aussi que pour rapporter une clé à l'autre, il faut les rapporter toutes deux sur le clavier général, au moyen duquel on voit ce que chaque note de l'une de ces clés est à l'égard de l'autre : c'est par cet exercice réitéré qu'on prend l'habitude de lire aisément les partitions.

Il suit de cette méchanique, qu'on peut placer tel le note qu'on voudra de la gamme sur une ligne ou dans un espace quelconque de la portée, puisqu'on a le choix de huit positions différentes, qui est le nombre des sons de l'octave : ainsi on pourroit noter un air entier sur la même ligne, en changeant la clé à chaque note.

La fig. 7. Planche I. montre par la suite des clés la suite des notes, ré, fa, la, ut, mi, sol, si, ré, montant de tierce en tierce, & toutes placées sur la troisieme ligne.

La figure suivante (8.) représente sur la suite des mêmes clés la note ut, qui paroît descendre de tierce en tierce sur toutes les lignes de la portée & au-delà, & qui cependant, au moyen des changemens de clés, garde toûjours l'unisson.

Il y a deux de ces positions, savoir la clé de sol sur la premiere ligne, & la clé de fa sur la troisieme, dont l'usage paroît s'abolir de jour en jour. La premiere peut sembler moins nécessaire, puisqu'elle ne rend qu'une position toute semblable à celle de fa sur la quatrieme ligne, dont elle differe pourtant de deux octaves. Pour la clé de fa, en l'ôtant tout-à-fait de la troisieme ligne, il est évident qu'on n'aura plus de position équivalente, & que la composition du clavier qui est complete aujourd'hui, deviendra défectueuse en cela. (S)

CLE TRANSPOSEE, est en Musique toute clé accompagnée de dièses ou de bémols. Ces signes y servent à changer le lieu des deux semi-tons de l'octave, comme je l'ai dit au mot BEMOL, & à établir l'ordre naturel de l'octave sur tous les différens degrés de l'échelle.

La nécessité de ces altérations naît de la similitude des modes dans tous les tons ; car comme il n'y a qu'une formule pour le mode majeur, il faut que tous les sons de ce mode dans chaque ton se trouvent ordonnés de la même maniere sur leur tonique ; ce qui ne peut se faire qu'à l'aide des dièses ou des bémols. Il en est de même du mode mineur ; mais comme la même combinaison de sons qui donne la formule pour un ton majeur, la donne aussi pour le mode mineur d'un autre tonique (voyez MODE), il s'ensuit que pour les vingt-quatre modes il suffit de douze combinaisons. Or si avec la gamme naturelle, on compte six modifications par dièses (voyez DIESE), & cinq par bémols (voyez BEMOLS), ou six par bémols & cinq par dièses ; on trouvera ces douze combinaisons, auxquelles se bornent toutes les variétés possibles des tons dans le système établi.

Nous expliquerons aux mots DIESE & BEMOL, l'ordre selon lequel ils doivent être placés à la clé. Mais pour transporter la clé convenablement à un ton ou mode quelconque, voici une formule générale trouvée par M. de Boisgelou conseiller au grand-conseil, & qu'il a bien voulu me communiquer.

Je commence par le mode majeur.

Prenant la note ut pour terme de comparaison, nous appellerons intervalles mineurs la quarte ut-fa, & tous les intervalles d'ut à une note bémolisée quelconque ; tout autre intervalle est majeur. Remarquez qu'on ne doit pas prendre par dièse la note supérieure d'un intervalle majeur, parce qu'alors on feroit un intervalle superflu ; mais il faut chercher la même chose par bémol, ce qui donnera un intervalle mineur. Ainsi on ne composera pas en la dièse, parce que la sixte ut-la étant majeure naturellement, le dièse de la la rendroit superflue : mais on prendra la note si bémol, qui donne la même touche par un intervalle mineur, ce qui rentre dans la regle.

Voici donc comment le mode majeur doit s'appliquer sur chacun des douze sons de l'octave, divisé par intervalles majeurs & mineurs.

Pour transposer la clé convenablement à une des ces douze notes prise à volonté, comme tonique ou fondamentale, il faut d'abord voir si l'intervalle qu'elle fait avec ut est majeur ou mineur : s'il est majeur, il faut des dièses ; s'il est mineur, il faut des bémols.

Pour déterminer maintenant combien il faut de dièses ou de bémols, soit a le nombre qui exprime l'intervalle d'ut à la note en question ; la formule par dièses sera ( x 2)/7, & le reste donnera le nombre des dièses qu'il faudra joindre à la clé ; la formule par bémols sera ( x 5)/7, & le reste sera le nombre des bémols qu'il faut joindre à la clé.

Je veux, par exemple, composer en la mode majeur ; il faudra des dièses, parce que la fait un intervalle majeur avec ut. L'intervalle est une sixte dont le nombre est six : j'en retranche un ; je multiplie le reste cinq par deux ; & du produit dix rejettant sept autant de fois qu'il se peut, le reste trois est le nombre des dièses qu'il faut à la clé pour le ton majeur de la.

Que si je veux prendre fa mode majeur, je vois que l'intervalle est mineur, & qu'il faut par conséquent des bémols. Je retranche donc un du nombre quatre de l'intervalle, je multiplie par cinq le reste trois ; & du produit quinze rejettant sept autant de fois qu'il se peut, j'ai un de reste ; c'est un bémol qu'il faut à la clé.

On voit par-là que le nombre de dièses ou de bémols de la clé ne peut jamais passer six, puisqu'ils doivent être le reste d'une division par sept.

Pour les tons mineurs il faut appliquer la même formule des tons majeurs, non sur la tonique, mais sur la note qui est une tierce mineure au-dessus de cette même tonique, c'est-à-dire sur sa médiante.

Ainsi, pour composer en si mineur, je transposerai la clé comme pour le ton majeur de ré ; pour fa dièse mineur je la transporterai comme pour la majeur ; pour sol mineur, comme pour si bémol majeur, &c.

Les Musiciens ne déterminent les transpositions qu'à force de pratique ou en tâtonnant ; mais la regle que nous donnons est démontrée générale & sans exception. (S)

On voit aisément par la méthode que nous proposons ici, que l'on doit mettre un bémol à la clé dans le mode mineur de ré, quoique presque tous les musiciens françois, si on en excepte M. Rameau, ne mettent rien à la clé dans ce mode. La méthode de M. Rameau est pourtant fondée sur cette regle très-simple & très-vraie, que dans le mode majeur il faut mettre autant de dièses ou de bémols à la clé, que l'échelle du mode en contient en montant ; & que dans le mode mineur il faut mettre autant de dièses ou de bémols à la clé, que l'échelle du mode en contient en descendant. Voy. MODE, HELLE ou GAMMEAMME. (O)

CLE, terme de Polygraphie & de Stéganographie, c'est-à-dire de l'art qui apprend à faire des caracteres particuliers dont on se sert pour écrire des lettres qui ne peuvent être lues que par des personnes qui ont la connoissance des caracteres dont on s'est servi pour les écrire ; c'est ce qu'on appelle lettres en chiffres. Voyez CHIFFRE & DECHIFFRER.

Or les personnes qui s'écrivent de ces sortes de lettres ont chacune de leur côté un alphabet où la valeur de chaque caractere convenu est expliquée : par exemple, si l'on est convenu qu'une étoile signifie a, l'alphabet porte *,... a ; ainsi des autres signes.

Or ces sortes d'alphabets qu'on appelle clés, en terme de Stéganographie, c'est une métaphore prise des clés qui servent à ouvrir les portes des maisons, des chambres, des armoires, &c. & nous donnent ainsi lieu de voir le dedans ; de même les clés ou alphabets dont nous parlons donnent le moyen d'entendre le sens des lettres & chiffres ; elles servent à déchiffrer la lettre, ou quelqu'autre écrit en caracteres singuliers & convenus.

C'est par une pareille extension ou métaphore qu'on donne le nom de clé à tout ce qui sert à éclaircir ce qui a d'abord été présenté sous quelque voile, & enfin à tout ce qui donne une intelligence qu'on n'avoit pas sans cela. Par exemple, s'il est vrai que la Bruyere, par Ménalque, Philémon, &c. ait voulu parler de telle ou telle personne, la liste où les noms de ces personnes sont écrits après ceux sous lesquels la Bruyere les a cachés : cette liste, dis-je, est ce qu'on appelle la clé de la Bruyere. C'est ainsi qu'on dit, la clé de Rabelais, la clé du Catholicon d'Espagne, &c.

C'est encore par la même figure que l'on dit que la Logique est la clé des Sciences, parce que comme le but de la Logique est de nous apprendre à raisonner avec justesse, & à développer les faux raisonnemens, il est évident qu'elle nous éclaire & nous conduit dans l'étude des autres Sciences ; elle nous en ouvre, pour ainsi dire, la porte, & nous fait voir ce qu'elles ont de solide, & ce qu'il peut y avoir de défectueux ou de moins exact. (F)

CLE D'OR, (gentilshommes de la) Hist. mod. ce sont de grands officiers de la cour d'Espagne ou de celle de l'empereur, qui portent à leur ceinture une clé d'or, signe du droit qu'ils ont d'entrer dans la chambre de ces princes.

CLE, terme de Blason : on dit clés en pal ou en sautoir, couchées ou adossées, selon que les pannetons sont disposés. Dictionn. de Trév.

CLE, (Vénerie) clés de meute ; ce sont les meilleurs & les plus sûrs de la meute.

CLES, (Fauconn.) ce sont les ongles des doigts de derriere de la main d'un oiseau de proie.

CLE, terme d'Architecture ; clé d'un arc, d'une voûte ou croisé, plein ceintre, ou autrement, est la derniere pierre qu'on met au haut pour en fermer le ceintre, laquelle étant plus étroite par em-bas que par en-haut, presse & affermit toutes les autres. La clé, selon Vignole, est différente selon les ordres : au toscan & au dorique, ce n'est qu'une simple pierre en saillie ou bossage : à l'ionique, la clé est taillée de nervure en maniere de console avec un roulement : au corinthien & au composite, c'est une console riche de sculpture, avec enroulemens & feuillages de refend. En cela les anciens étoient plus prudens que nous, & affectoient toûjours de rendre les sculptures analogues à l'architecture. Voyez l'abus que les modernes en font, aux articles CLAVEAU, AGRAFFE. (P)

CLE, en terme de Bottier ; c'est un morceau de bois plat, & plus mince en-bas qu'en-haut, que l'on enfonce à force dans l'embouchoir pour en faire prendre la forme à la botte. Voyez la fig. 29. Planche du Cordonnier-Bottier.

CLE, c'est les nom que les Bourreliers, Selliers, & Carrossiers donnent aux manivelles dont ils se servent pour démonter les écrous des essieux à vis, ou pour tourner les roues & pignons à crémaillere, sur lesquels ils bandent les soûpentes qui portent le corps des carosses. Une des extrémités de cette clé est une ouverture quarrée, & l'autre une ouverture octogone ; elles servent l'une & l'autre pour serrer les écrous des mêmes formes. Il y en a de différente grandeur. Voyez la fig. 22. Planche du Bourrelier.

CLE, en terme de Brasserie, est une planche d'un pié de long sur huit à neuf pouces de large, percée d'un trou semblable à celui du fond de la cuve & de la maîtresse piece du faux-fond ; de façon que le trou de la maîtresse piece & celui de la clé soient un peu plus grands, pour que la rape puisse passer aisément, & boucher exactement le trou du fond de la cuve.

CLES petites & grandes, outil de Charron ; c'est un morceau de fer qui est plus ou moins gros & long, selon l'usage de la clé. Par exemple, pour une clé à cric, le fer est de cinq à six piés de long sur deux pouces d'épaisseur ; & pour une clé à vis ordinaire, il y en a depuis un pié & au-dessus.

C'est un morceau de fer rond par le corps, un peu applati des deux bouts, & large dans le milieu, où il est percé d'un trou quarré de la grosseur des vis que l'on veut serrer dans l'écrou.

Cette clé sert aux Charrons pour serrer les vis dans les écrous, pour monter & tendre les soûpentes d'un carosse sur les crics, & enfin pour visser tous leurs ouvrages. Voyez la fig. 13. P. du Charron.

CLES, (Grosses forges.) Voyez cet article.

CLE du trépan, instrument de Chirurgie qui sert à monter & démonter la pyramide du trépan couronné. Voyez TREPAN.

CLE, (Fontainier) ce sont de grosses barres de fer ceintrées, dont on fourre la boîte dans le fer d'un regard pour tourner les robinets. Ce fer est montant, & se divise en parties plates qui embrassent les branches d'un robinet, au moyen d'un boulon claveté qui passe à-travers. (K)

CLE, en terme de Formier, c'est un morceau de bois un peu aigu par un bout en forme de coin, qu'on introduit dans la forme brisée pour l'ouvrir autant que l'on veut. Voyez Pl. du Cordonnier-Bottier.

CLE ou ACCORDOIR ; les faiseurs d'instrumens de musique ont des clés pour monter & desserrer les chevilles auxquelles sont attachées les cordes des clavecins, psaltérions, épinettes, &c. Ces clés sont composées d'une tige de fer ou de cuivre A B ; percée par em-bas d'un trou quarré, dans lequel on fait entrer la tête des chevilles ; & elles sont surmontées d'un petit marteau de fer ou de cuivre c C qui tient lieu de poignée, & qui sert à frapper les chevilles & les affermir quand elles sont montées. Voyez la fig. 27. Pl. de Lutherie.

Il y a de plus aux accordoirs, clés, ou marteaux des clavecins, épinettes, psaltérions, un crochet D qui sert à faire les anneaux, par le moyen desquels on accroche à leurs chevilles les cordes de laiton & d'acier. Pour faire les anneaux, on commence par ployer le bout de la corde ensorte qu'elle forme une anse, que l'on tient avec les doigts pollex & indicator de la main gauche ; on fait passer ensuite un crochet D du marteau que l'on tient de la main droite, dans l'anse de la corde, & on tourne la tige du marteau pour faire entortiller l'extrémité de la corde qui forme l'anse autour de cette même corde, laquelle se termine ainsi en un anneau, par le moyen duquel on peut l'accrocher où l'on veut.

CLE des étains, (Marine) " c'est une piece de bois triangulaire qui se pose sur le bout des étains & qui les entretient avec l'étambord : on l'appelle aussi contrefort ". Voyez la forme de cette piece de bois, Pl. VI. Marine, fig. 12.

" La clé des étains a un pouce d'épaisseur moins que l'étrave ; elle est renforcée de deux courts bâtons, & jointe à l'étrave par quelques chevilles de fer qui passent au-travers dans son milieu ; & il y en a quatre à chaque côté ". (Z)

CLES du guindas, (Marine) " ce sont de petites pieces de bordage entaillées en rond, qui tiennent les bouts du guindas sur les côtes. (Z)

CLE de fond de mât, clé de mât de hune, (Marine) c'est le bout d'une barre de fer, ou une grosse cheville de bois qui entre dans une mortaise, au bout d'em-bas du mât de hune, & qui sert à le soûtenir debout, & que l'on ôte chaque fois qu'il faut amener ce mât ; ou bien c'est une cheville quarrée de fer ou de bois, qui joint un mât avec l'autre vers les barres de hune, & que l'on ôte quand il faut amener le mât ". Dictionn. de Marine. (Z)

CLE, (Menuiserie) c'est un morceau de bois large & mince, que l'on insere dans des mortaises faites à des planches, pour les joindre ensemble. Voyez fig. Pl. IV. de Menuiserie.

CLE, se dit aussi de pieces de bois en forme de coin, que l'on fait entrer dans des mortaises faites au bout des tenons qui excedent l'épaisseur du bois, dans lesquels ils sont assemblés ; comme on voit aux tablettes de bibliotheques, &c.

CLE, en termes d'Orfevre-Bijoutier, est un morceau de bois plat, quarré, large par un bout, & qui va en retrécissant jusqu'à l'autre bout ; il arrête les poupées sur le banc, en passant dans leur tenon. Voyez BANC.

CLE, (Plombier) ce sont de grosses manivelles de fer : l'ouverture s'applique aux robinets des regards quand il s'agit de donner ou de soustraire l'eau aux fontaines ; la queue fait la fonction de levier, & donne au plombier la facilité de tourner les robinets.

CLE, (Relieur) ces ouvriers en ont une qui leur sert à desserrer ou à serrer leur couteau. Voyez Pl. I. du Relieur, fig. 13. voyez aussi l'article RELIEUR. Ils appellent cette clé, clé du fust ; elle doit être de fer.

CLE, (Manufact. en soie) ces ouvriers ont une clé qui n'a rien de particulier. Voyez son usage à l'art. VELOURS CISELE.

CLE, (Tourneur) coin de bois placé sous les jumelles & dans la mortaise pratiquée à la queue des poupées, qu'il tient fermes & solides. Voyez TOUR.

CLES, (Jurispr.) mettre ou jetter les clés sur la fosse du défunt, étoit une formalité extérieure qui se pratiquoit anciennement par la femme après la mort de son mari, en signe de renonciation à la communauté. Chez les Romains, dont nos peres imiterent les moeurs, la femme avoit le soin des clés : c'est pourquoi, dans le cas du divorce, le mari ôtoit à la femme les clés, suivant la loi des douze tables ; & la femme qui se séparoit de son mari, lui renvoyoit ses clés. En France, il n'y avoit anciennement que les femmes des nobles qui avoient la faculté de renoncer à la communauté ; ce qui leur fut accordé en considération des dettes que leurs maris contractoient la plûpart aux voyages & guerres d'Outremer, & en signe de cette renonciation, elles jettoient leur ceinture ou bourse & les clés sur la fosse de leur mari. Cet usage est remarqué par l'auteur du grand coûtumier, ch. xlj. Marguerite, veuve de Philippe duc de Bourgogne, mit sur la représentation du défunt sa ceinture avec sa bourse & les clés. Monstrelet, ch. xvij. Bonne, veuve de Valeran comte de Saint-Pol, renonçant aux dettes & biens de son mari, mit sur sa représentation sa courroie & sa bourse. Monstrelet, chap. cxxxjx. Dans la suite, le privilége de renoncer à la communauté fut étendu aux femmes des roturiers, & établi par plusieurs coûtumes qui ont prescrit la même formalité, c'est-à-dire de jetter les clés sur la fosse du défunt en signe que la femme quittoit l'administration des biens de son mari ; & la ceinture ou bourse, pour marquer qu'elle ne retenoit rien des biens qui étoient communs. C'est ce que l'on voit dans la coûtume de Meaux, art. xxxiij. & lij. Lorraine, tit. 2. art. iij. Malines, art. viij. L'ancienne coûtume de Melun, art. clxxxiij. Chaumont, vij. Vitri, xcj. Laon, xxvj. Châlons, xxx. Duché de Bourgogne, art. xlj. Namur, art. ljv.

Présentement la femme, soit noble ou roturiere, a toûjours la faculté de renoncer à la communauté ; mais on ne pratique plus la vaine cérémonie de jetter la bourse ni les clés sur la fosse du défunt. (A)


CLECHÉ(Blason). On croit que ce mot, qui est françois, est formé de clé, les extrémités de la croix ayant quelque ressemblance avec les anneaux des anciennes clés ; il se dit, suivant Guillim, d'une piece d'armoirie percée à jour ou traversée par une autre de même figure qu'elle ; par exemple, d'une croix chargée d'une autre, de même couleur que le champ qui paroît à-travers les ouvertures qu'elle laisse.

Mais la Colombiere & quelques autres auteurs prétendent que ces ouvertures ne sont qu'une circonstance de la croix clechée, qu'ils appellent vuidée ; elle ne mérite, suivant eux, le nom de clechée, que lorsqu'elle s'élargit du centre vers ses extrémités, qui sont vuidées & terminées par un angle dans le milieu.

Le P. Menestrier dit qu'on se sert du mot cleché en parlant des arrondissemens de la croix de Toulouse, qui a ses quatre extrémités faites en forme d'anneaux de clé.

Venasque, au comtat d'Avignon, d'azur à la croix vuidée, clechée & pommettée d'or. Voyez le P. Menestrier ; le dict. de Trév. & Chambers. (V)


CLECKUM(Géog.) ville du duché de Lithuanie dans le palatinat de Mcizlaw.


CLEDONISMES. m. cledonismus, (Divinat.) espece de divination qui étoit en usage parmi les anciens. Voyez DIVINATION.

On n'est pas d'accord sur l'objet & la maniere de cette sorte de divination ; parce que le mot grec , duquel est formé clédonisme, se prend en plusieurs sens : 1°. pour un bruit, rumor ; 2°. pour un oiseau, avis ; & 3°. pour un dérivé du verbe , & par contraction , qui signifie évoquer.

De-là les auteurs donnent diverses significations au mot clédonisme. Les uns prétendent que c'étoit une espece d'augure ou de présage tiré des paroles qu'on avoit entendues : car au rapport de Cicéron, les Pythagoriciens observoient avec une attention scrupuleuse, non-seulement les paroles des dieux, mais encore celles des hommes, & étoient persuadés que certaines paroles portoient malheur, comme de prononcer le mot incendie dans un repas ; ainsi ils disoient domicile au lieu de prison, & les eumenides au lieu de furies. Le clédonisme pris en ce sens, revient à une autre espece de divination nommée onomancie. Voyez ONOMANCIE.

D'autres soûtiennent que par clédonisme, il faut entendre un augure tiré du chant ou du cri des oiseaux ; & que c'est en ce sens qu'Horace a dit :

Impios parrae recinentis omen.

Et Virgile :

Cava praedixit ab ilice cornix. Eclog.

ce qui ne differe point de la divination appellée ornithomancie. Voyez ORNITHOMANCIE

Enfin quelques-uns disent que le clédonisme pris dans le troisieme sens, étoit la même chose que l'évocation des morts. C'est le sentiment de Glycas : " Nam , dit-il, vocari geniorum per excantationes certas attractionem, & è sublimi deductionem. Deductâ voce à , quod idem sit cum , evoco ". Voyez ÉVOCATION & NECROMANCIE. (G)


CLEFvoyez CLE.


CLÉIDOMANCIES. f. (Divinat.) espece de divination qui se pratiquoit par le moyen des clés. Ce mot vient de , clé, & de , divination.

On ignore quel nombre & quel mouvement de clés exigeoient les anciens pour la cléidomancie, ni quel genre de connoissance pour l'avenir ils en prétendoient tirer. Delrio, qui sur toutes ces matieres a fait des recherches, ne donne aucune lumiere sur celle-ci, pour ce qui concerne l'antiquité ; il nous apprend seulement que cette superstition a eu lieu dans le Christianisme, & qu'on la pratiquoit de la sorte : " Lorsqu'on vouloit, dit-il, découvrir si une personne soupçonnée d'un vol ou de quelqu'autre mauvaise action en étoit coupable, on prenoit une clé autour de laquelle on rouloit un papier, sur lequel étoit écrit le nom de la personne suspecte ; ensuite on lioit cette clé à une bible, qu'on donnoit à tenir à une vierge ; puis on prononçoit tout bas certaines paroles, entre lesquelles étoit le nom de l'accusé ; & à ce nom, l'on voyoit sensiblement le papier se remuer. Delrio, disquisit. magic. lib. IV. cap. ij. quaest. VII. sect. j. pag. 548. (G)


CLÉMATITES. f. clematitis, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose, qui sont composées ordinairement de quatre pétales, & qui n'ont point de calice. Le pistil sort du milieu de la fleur, & devient dans la suite un fruit dans lequel les semences sont rassemblées en bouquet, & sont terminées par un filament semblable en quelque sorte à une petite plume. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CLEMATITE, (Jard.) Il y a quelques especes de clématite qui ne sont que des plantes vivaces : les autres en plus grand nombre, sont des arbrisseaux grimpans, dont quelques-uns par l'agrément de leurs fleurs, méritent de trouver place dans les plus beaux jardins. Ce qui peut encore engager à les y admettre, c'est que tous ces arbrisseaux sont très-robustes, à l'exception d'un seul ; qu'ils croissent très-promtement, fleurissent très-long-tems, & qu'ils réussissent dans les terreins les plus médiocres, & aux expositions les moins favorables. Une autre qualité doit encore leur donner faveur ; c'est qu'ils ne sont jamais attaqués des insectes : ce qu'on peut attribuer au suc caustique de leurs feuilles, qui brûlent la bouche lorsqu'on les mâche.

Arbrisseaux grimpans. La clématite commune ou l'herbe aux gueux, est ainsi appellée de ce que les mendians de profession se servent de ces feuilles pour se former des ulceres, & exciter la compassion du peuple : mais dans la basse Bourgogne on l'appelle viorne, quoique ce nom ne soit propre qu'à un autre arbrisseau qu'on appelle mancienne dans le même pays. Cette espece de clématite est fort commune dans les bois, dans les haies, & dans les anciennes ruines de bâtimens, où ses longues tiges rampent & couvrent tout ce qui l'avoisine. Ses fleurs blanchâtres qui viennent en bouquet au mois de Juin, & qui durent pendant tout l'été, sont plus singulieres que belles, & ont une odeur agréable ; les graines qui leur succedent ont des aigrettes barbues, blanches, & rassemblées de maniere à les faire prendre de loin pour des flocons de laine : elles couvrent l'arbrisseau pendant tout l'automne, & une grande partie de l'hyver. La bouture seroit le plus court moyen de multiplier cet arbrisseau, si on lui connoissoit d'autre utilité que d'être propre à faire des liens & des ruches de mouches à miel.

La clématite à feuille entiere ; c'est une variété de la précédente, dont elle ne differe que parce que ses feuilles ne sont pas découpées.

La clématite du Canada ; c'est encore une variété de notre clématite commune, dont elle n'est différente qu'en ce que sa feuille n'est constamment composée que de trois lobes ; au lieu que dans l'espece commune, les feuilles ont plus souvent cinq lobes que trois.

La clématite du Levant ; sa feuille qui est lisse, d'un verd foncé, & fort découpée, a quelque ressemblance avec celle du persil. Sa fleur qui est petite, d'un verd jaunâtre, ne paroît qu'en automne ; mais elle n'a nulle beauté. Si on peut tirer quelqu'agrément de cet arbrisseau, ce n'est que de son feuillage, qui étant bien garni, peut servir à faire des palissades & des portiques de verdure dans les glus mauvaises places, où beaucoup d'autres arbrisseaux ne pourroient réussir. Cette clématite est d'ailleurs très-robuste, se multiplie aisément, & s'éleve moins que les précédentes.

La clématite à fleur bleue ; cet arbrisseau de son naturel rampe par terre, ce qui le distingue d'une autre clématite à fleur bleue qui sera rapportée ci-après, & qui n'est qu'une plante vivace.

La clématite à fleur bleue double ; c'est l'un des plus beaux arbrisseaux fleurissans que l'on puisse employer dans un jardin pour l'agrément. Son feuillage d'un verd brun & constant, est très-propre à varier les nuances de verdure. Sa fleur, quoique d'un bleu obscur, est très-apparente ; on est dédommagé de ne la voir paroître qu'à la fin de Juin, par sa durée qui va souvent à plus de deux mois ; & l'arbrisseau en produit une si grande quantité, qu'elles cachent son feuillage : mais elle est si double, que ne pouvant s'épanoüir tout-à-la-fois, les pétales extérieurs tombent peu-à-peu, pour laisser aux plus prochaines la liberté de s'ouvrir & de se détacher à leur tour ; ensorte que pendant tout l'été le terrein au-dessous est jonché de fleurs. On peut le multiplier de boutures ou de branches couchées : c'est la plus courte voie & la plus sûre : mais comme l'arbrisseau commence à pousser de très-bonne heure, & souvent dès la fin de Janvier, il faudra coucher ses branches qui feront de bonnes racines dans l'année ; au lieu que si l'on couchoit du vieux bois, il feroit rarement des racines ; & s'il en produisoit, elles ne seroient suffisantes pour la transplantation qu'au bout de deux ans. Les boutures prises sur les jeunes branches, réussissent beaucoup mieux aussi que celles faites de vieux bois ; elles donneront même des fleurs dès la seconde année : mais il vaudra mieux attendre les deux ans révolus pour les transplanter. Comme cet arbrisseau pousse vigoureusement, & qu'il produit de longues tiges qui s'élevent souvent à douze ou quinze piés, la moitié de ces rejettons se desseche & meurt pendant l'hyver ; non-seulement on doit ôter ce bois mort, mais il faut aussi tailler le bois vif au-dessus d'un oeil ou deux, sans craindre de nuire aux fleurs ; l'arbrisseau étant si disposé à en donner qu'il en produit toûjours, quoiqu'on ne lui ait laissé que du bois fort vieux ; & quand même on en vient jusqu'à retrancher la plus grande partie des jeunes rejettons lorsqu'il est prêt à fleurir, il pousse de nouvelles tiges, & donne autant de fleurs qu'il auroit fait sans cela ; avec cette différence seulement, qu'elles paroissent cinq ou six semaines plus tard, & qu'elles durent tout l'automne : facilité qui n'est pas sans mérite par l'avantage qu'on en peut tirer pour l'ornement des jardins, dont on n'a à joüir que dans cette saison. Il souffre également le retard de la taille au printems : je l'ai souvent fait couper jusqu'auprès des racines, lorsqu'il avoit déjà poussé des tiges d'un pié de long, sans que cela l'ait empêché de repousser avec vigueur, ni de fleurir à l'ordinaire. Ce bel arbrisseau qui croît promtement, qui résiste aux plus cruels hyvers, qui réussit dans tous les terreins, qui s'accommode des plus mauvaises expositions, qui se multiplie aisément, qui n'est jamais attaqué des insectes, est si traitable à tous égards, qu'il ne demande aucune culture : aussi n'y en a-t-il point de plus convenable pour garnir de grandes palissades, des portiques, des cabinets, des berceaux, & d'autres semblables décorations de jardins, dont il fera l'aspect le plus agréable pendant tout l'été.

La clématite à fleur pourprée, la clématite à fleur double pourprée, la clématite à fleur rouge, la clématite à fleur double incarnate : ces quatre dernieres especes de clématite sont encore de beaux arbrisseaux fleurissans, sur-tout les especes à fleur double, & mieux encore celles qui sont rouges & incarnates : mais elles sont fort rares, même en Angleterre. On peut leur appliquer ce qui a été dit au sujet de la clématite à fleur bleue double ; elles ont les mêmes bonnes qualités ; elles sont aussi aisées à élever, à conduire, & à cultiver : l'agrément qu'elles ont de plus par la vivacité des couleurs rouges & incarnates de leurs fleurs, devroit bien engager à les tirer d'Angleterre.

La clématite toûjours verte ou la clématite d'Espagne : cet arbrisseau qui est originaire des pays chauds, se trouvant un peu délicat, il est sujet à être endommagé du froid dans les hyvers rigoureux ; ce qui doit engager à le placer aux meilleures expositions, qui ne l'empêchent pas souvent d'être gelé jusqu'aux racines. Mais malgré qu'on vante la beauté de son feuillage, qui est d'un verd tendre & brillant, & plus encore la rare qualité de produire au coeur de l'hyver ses fleurs qui sont faites en clochette & d'un verd jaunâtre, ce n'est tout au plus qu'un arbrisseau du ressort des curieux en collections, n'ayant pas assez de tenue ni d'apparence pour être admis dans les jardins d'ornement. On peut aisément le multiplier de branches couchées & de boutures, qui font de bonnes racines dans l'année.

On peut aussi multiplier de graine toutes les especes de clématite qui sont à fleurs simples ; mais comme elle est une année en terre sans lever, on ne se sert guere de ce moyen qu'au défaut des autres plantes vivaces.

La clématite à fleur bleue, la clématite à fleur blanche, la petite clématite d'Espagne : ces plantes périssent tous les hyvers jusqu'aux racines, repoussent chaque année de bonne heure au printems, & fleurissent en été. Les deux premieres s'élevent à trois ou quatre piés, & l'autre seulement à un pié & demi ; & c'est la seule circonstance qui la distingue de la seconde plante. On peut les élever de graine, ou en divisant leurs racines, qui donnent des fleurs l'année suivante : on ne manque pas de préférer ce dernier moyen comme le plus court & le plus simple, la graine ne levant ordinairement que la seconde année ; & il lui en faut encore deux autres pour donner des fleurs. Du reste ces plantes sont très-robustes, viennent par-tout, & ne demandent aucune culture particuliere. (c)

CLEMATITE, ou HERBE AUX GUEUX, (Mat. méd.) la fleur, la semence, son écorce & sa racine sont caustiques, & ne doivent pas être employées intérieurement ; mais elle est bonne à l'extérieur, pour ronger les chairs baveuses qui empêchent les plaies de se cicatriser. On l'appelle herbe aux gueux, parce que ces sortes de gens se servent du suc caustique de cette plante pour se déchirer les jambes & autres parties du corps, & inspirer par cette manoeuvre la compassion de ceux qui les voyent dans cet état, qui n'est pas de longue durée ni bien fâcheux, car lorsqu'ils veulent faire passer ces marques, ils n'ont besoin que de les étuver avec de l'eau commune.


CLÉMENCES. f. (Droit polit.) Favorin la définit, un acte par lequel le souverain se relâche à-propos de la rigueur du Droit ; & Charron l'appelle une vertu qui fait incliner le prince à la douceur, à remettre & relâcher la rigueur de la justice avec jugement & discrétion. Ces deux définitions renfermant les mêmes idées qu'on doit avoir de la clémence, sont également bonnes.

En effet, c'est une vertu du souverain qui l'engage à exempter entierement les coupables des peines, ou à les modérer, soit dans l'état de paix, soit dans l'état de guerre.

Dans ce dernier état, la clémence porte plus communément le nom de modération, & est une vertu fondée sur les lois de l'humanité, qui a entr'autres l'avantage d'être la plus propre à gagner les esprits : l'histoire nous en fournit quantité d'exemples, comme aussi d'actions contraires, qui ont eu des succès tout opposés.

Dans l'état de paix, la clémence consiste à exempter entierement de la peine, lorsque le bien de l'état peut le permettre, ce qui est même une des regles du Droit romain ; ou à adoucir cette peine, s'il n'y a de très-fortes raisons au contraire, & c'est-là la seconde partie de la clémence.

Il n'est pas nécessaire de punir toûjours sans rémission les crimes d'ailleurs punissables ; il y a des cas où le souverain peut faire grace, & c'est dequoi il faut juger par le bien public, qui est le grand but des peines. Si donc il se trouve des circonstances où en faisant grace, on procure autant ou plus d'utilité qu'en punissant, le souverain doit nécessairement user de clémence. Si le crime est caché, s'il n'est connu que de très-peu de gens, s'il y a des inconvéniens à l'ébruiter, il n'est pas toûjours nécessaire, quelquefois même il seroit dangereux de le publier, en le punissant par quelque peine. Solon n'avoit point fait de loi contre le parricide. L'utilité publique, qui est la mesure des peines, demande encore quelquefois que l'on fasse grace à cause des conjonctures, du grand nombre des coupables, des causes, des motifs qui les ont animés, des tems, des lieux, &c. car il ne faut pas exercer, au détriment de l'état, la justice qui est établie pour la conservation de la société.

S'il n'y a point de fortes & pressantes raisons au souverain de pouvoir faire grace, il doit alors pancher plûtôt à mitiger la peine (à moins que des raisons valables & justes ne s'y opposent entierement, comme quand il s'agit de crime qui violent les droits de la nature & de la société humaine), parce que toute peine rigoureuse a quelque chose de contraire par elle-même, sinon à la justice, du moins à l'humanité. L'empereur Marc Antonin le pensoit ainsi, & y conformoit sa conduite.

La clémence est contraire à la cruauté, à la trop grande rigueur, non à la justice, de laquelle elle ne s'éloigne pas beaucoup, mais qu'elle adoucit, qu'elle tempere ; & la clémence est nécessaire à cause de l'infirmité humaine & de la facilité de faillir, comme dit Charron.

Suivant les principes généraux qu'on vient d'établir, on peut voir quand le souverain doit punir, quand il doit mitiger la peine, & quand il doit pardonner. D'ailleurs, lorsque la clémence a des dangers, ces dangers sont très-visibles ; on la distingue aisément de cette foiblesse qui mene le prince au mépris, & à l'impuissance même de punir, comme le remarque l'illustre auteur de l'esprit des lois.

Voici ce qu'il ajoûte sur cette matiere dans cet ouvrage, liv. VI. ch. xxj.

" La clémence est la qualité distinctive des monarques. Dans la république où l'on a pour principe la vertu, elle est moins nécessaire. Dans l'état despotique où regne la crainte, elle est moins en usage, parce qu'il faut contenir les grands de l'état par des exemples de sévérité. Dans les monarchies où l'on est gouverné par l'honneur, qui souvent exige ce que la loi défend, elle est plus nécessaire. La disgrace y est équivalente à la peine ; les formalités même des jugemens y sont des punitions. C'est-là que la honte vient de tous côtés pour former des genres particuliers de peines.

Les grands y sont si fort punis par la disgrace, par la perte souvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaisirs, que la rigueur à leur égard est inutile ; elle ne peut servir qu'à ôter aux sujets l'amour qu'ils ont pour la personne du prince, & le respect qu'ils doivent avoir pour les places.

On disputera peut-être aux monarques quelque branche de l'autorité, presque jamais l'autorité entiere ; & si quelquefois ils combattent pour la couronne, ils ne combattent point pour la vie.

Ils ont tant à gagner par la clémence, elle est suivie de tant d'amour, ils en tirent tant de gloire, que c'est presque toûjours un bonheur pour eux d'avoir occasion de l'exercer, & ils le peuvent presque toûjours dans nos contrées ".

C'est une heureuse prérogative dont ils joüissent, & le caractere d'une belle ame quand ils en font usage. Cette prérogative leur est utile & honorable, sans énerver leur autorité. Je ne connois point de plus beau trait dans l'oraison de Cicéron pour Ligarius, que celui où il dit à César, pour le porter à la clémence : " Vous n'avez rien reçû de plus grand de la fortune, que le pouvoir de conserver la vie ; ni rien de meilleur de la nature, que la volonté de le faire ". Article de M(D.J.)

* CLEMENCE, (Myth.) Les anciens en avoient fait une divinité ; elle tenoit une branche de laurier d'une main, & une lance de l'autre. Le pié de sa statue fut un asyle dans Athenes. On lui dédia dans Rome un temple & des autels après la mort de Jules César. Sa figure se voit sur les monnoies de Tibere & de Vitellius. Elle est là bien mal placée.


CLEMENTE(ST.) Géog. mod. ville d'Espagne dans la Manche.


CLEMENTINS. m. (Hist. ecclés.) terme en usage parmi les Augustins, pour désigner un religieux qui après avoir été neuf ans supérieur ; cesse de l'être & redevient simple religieux, soûmis comme les autres à l'autorité d'un supérieur.

Ce mot vient de ce qu'un pape, du nom de Clément, défendit par une bulle qu'aucun supérieur des Augustins conservât son emploi plus de neuf ans de suite. Dict. de Trévoux. (G)


CLEMENTINESadj. fém. pris subst. (Jurispr.) On entend ordinairement sous ce nom un recueil des decrétales du pape Clément V. fait par l'autorité du pape Jean XXII. son successeur.

Clément V. avoit fait une compilation, tant des decrets du concile général de Vienne, auquel il avait présidé, que de ses épîtres & constitutions ; mais sa mort arrivée le 20 Avril 1314, l'ayant empêché de publier cette collection, Jean XXII. son successeur la publia en 1317 sous le nom de clémentines, & l'adressa aux universités.

Elles sont divisées en cinq livres ; où les matieres du droit canonique sont distribuées à-peu-près suivant le même plan que les decrétales de Grégoire IX. Voyez DECRETALES.

Clémentines est aussi le nom que l'on donne quelquefois à un recueil de plusieurs pieces anciennes, qui sont de prétendus canons & constitutions des apôtres, & autres pieces apocryphes attribuées faussement à S. Clément, évêque de Rome. Voyez Cotelier, en son recueil des ouvrages des peres, des tems apostoloques ; Dupin, bibliot. des auteurs ecclésiastiques ; Cellier, hist. des aut. sacr. & ecclés. (A)


CLEMPENOW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Poméranie.


CLÉOBIENSS. m. pl. (Théologie) secte des Simoniens dans le premier siecle de l'Eglise. Elle s'éteignit presque dans sa naissance. Hegesippe & Théodoret, qui en parlent, ne spécifient point par quels sentimens les Cléobiens se distinguerent des autres. On croit qu'ils ont eu pour chef un nommé Cléobe, compagnon de Simon, & qu'il avoit composé avec cet hérésiarque divers livres sous le nom de Jesus-Christ pour tromper les Chrétiens. Hegesippe, apud. Euseb. liv. IV. ch. xxij. ant. constit. apost. M. Dupin, bibliot. des aut. ecclés. des trois premiers siecles ; les Dict. de la Bible, de Trév. & Chambers.


CLEPSIAMBES. m. (Hist. anc.) instrument de Musique ancien, dont on ne connoît que le nom.


CLEPSYDRES. f. (Phisico-Mathémat.) espece d'horloge à eau, ou vase de verre qui sert à mesurer le tems par la chûte d'une certaine quantité d'eau. Voyez HORLOGE, &c.

Ce mot vient de , condo, je cache ; & , aqua, eau.

Il y a aussi des clepsydres de mercure. Les Egyptiens mesuroient par cette machine le cours du soleil. Tichobrahé en a fait usage de nos jours pour mesurer le mouvement des étoiles, &c. & Dudley dans toutes les observations qu'il a faites à la mer.

L'usage des clepsydres est fort ancien ; elles ont été inventées en Egypte sous le regne des Ptolemées ; on s'en servoit sur-tout l'hyver, les cadrans solaires étant plus d'usage l'été. Elles ont deux grands défauts, l'un que l'eau coule avec plus ou moins de facilité, selon que l'air est plus ou moins dense ; l'autre, que l'eau s'écoule plus promtement au commencement qu'à la fin.

M. Amontons a proposé une clepsydre qui n'est sujette, selon lui, à aucun de ces deux inconvéniens, & qui a l'avantage de servir d'horloge comme les clepsydres ordinaires, de servir en mer à la découverte des longitudes, & de mesurer les mouvemens des arteres : mais cette clepsydre n'est point en usage.

Construction d'une clepsydre. Il faut pour cela diviser un vaisseau cylindrique en parties qui puissent se vuider dans des divisions de tems marqués ; les tems dans lesquels le vaisseau total & chaque partie doivent se vuider étant donnés. Supposons par exemple qu'un vaisseau cylindrique, tel que l'eau totale qu'il contient, doive se vuider en douze heures, & qu'il faille le diviser en parties dont chacune mette une heure à se vuider. 1°. Dites : comme la partie du tems 1 est au tems total 12, ainsi le même tems 12 est à une 4e proportionnelle 144. 2°. Divisez la hauteur du vaisseau en 144 parties égales, & la partie supérieure tombera dans la derniere heure, les trois suivantes dans l'avant-derniere, les cinq voisines dans la dixieme, &c. enfin les vingt-trois d'en-bas dans la premiere heure. Car puisque les tems croissent suivant la série des nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5, &c. & que les hauteurs sont en raison des quarrés des nombres impairs, 3, 5, 7, 9, &c. pris dans un ordre rétrograde depuis la douzieme heure, les hauteurs comptées depuis la douzieme heure, seront comme les quarrés des tems 1, 4, 9, 16, 25, &c. d'où il s'ensuit que le quarré 144 du nombre de divisions du tems, doit être égal au nombre de parties de la hauteur du vaisseau qui doit se vuider. Or la liqueur descend du mouvement retardé, & l'expérience prouve qu'un fluide qui s'échappe d'un vase cylindrique, a une vîtesse qui est à-peu-près comme la racine quarrée de la hauteur du fluide ; desorte que les espaces qu'il parcourt en tems égaux décroissent comme les nombres impairs. Donc, &c.

M. Varignon a généralisé ce problème suivant sa coûtume, & a donné la méthode de diviser ou graduer une clepsydre de figure quelconque, ensorte que les parties du fluide contenues entre les divisions, s'écoulent dans des tems donnés. L'académie proposa les lois du mouvement des clepsydres, pour le sujet du prix de l'année 1725. Il fut remporté par M. Daniel Bernoulli ; & sa piece est imprimée dans le recueil des pieces des prix de l'académie. Quoiqu'elle soit fort ingénieuse, l'académie nous avertit, dans une espece de programme qui est à la tête, qu'il lui a paru que la question proposée n'avoit pas encore été suffisamment approfondie.

Une des grandes difficultés qu'on rencontre dans la théorie des clepsydres, c'est de déterminer avec exactitude la vîtesse du fluide qui sort par le trou de la clepsydre. Lorsque le fluide est en mouvement, & qu'il est encore à une certaine hauteur, cette vîtesse est à-peu-près égale à celle que ce même fluide auroit acquise en tombant par sa pesanteur d'une hauteur égale à celle du fluide. Mais lorsque le fluide commence à se mouvoir, ou lorsqu'il est fort peu élevé au-dessus du trou, cette loi n'a plus lieu, & devient extrèmement fautive.

D'ailleurs il ne suffit pas, comme on le pourroit penser d'abord, de connoître à chaque instant la vîtesse du fluide qui s'écoule, pour savoir le tems dans lequel doit se vuider la clepsydre. Car sans parler ici de l'adhérence des particules du fluide, & du frottement contre les parois du vase, les particules du fluide ne sortent point du vase suivant des directions paralleles. M. Newton a observé que ces particules ont des directions convergentes, & que la veine de fluide qui sort va en diminuant de grosseur jusqu'à une certaine distance de l'ouverture ; distance qui est d'autant plus grande, que l'ouverture elle-même est plus grande. De-là il s'ensuit que pour trouver la quantité de fluide qui sort à chaque instant, il ne faut pas prendre le produit de la grandeur de l'ouverture par la vîtesse du fluide, mais le produit est la vîtesse du fluide dans l'endroit où la veine est le plus contractée, par la largeur de la veine en cet endroit. Voyez l'hydrodynamique de M. Daniel Bernoulli, sect. 3. & l'article HYDRODYNAMIQUE.

Clepsydre se dit aussi d'un sablier. Voyez SABLIER. (O)


CLERAou CLAIRAC, (Géog. mod.) ville de France en Agenois, sur le Lot. Long. 18. 8. lat. 44. 28.


CLERAGRES. f. (Fauconn.) espece de goutte qui vient aux aîles des oiseaux de proie.


CLERC(Jurisprud.) on comprend sous ce nom tous ceux qui par état sont consacrés au service divin, depuis le simple tonsuré jusqu'aux prélats du premier ordre.

Ce terme vient du grec , qui signifie sort, partage, héritage. Dans l'ancien Testament, la tribu de Lévi est appellée , c'est-à-dire le partage ou l'héritage du seigneur. Du grec on en a fait en latin clerus ; & l'on a donné ce nom au clergé, parce que le partage des ecclésiastiques est de servir Dieu. De clerus on a fait clericus, clerc.

La distinction des clercs d'avec le reste des fideles se trouve établie dès le commencement de l'Eglise, suivant ces paroles de S. Pierre, neque dominantes in cleris. Petri j. v. 3.

Les clercs ou ecclésiastiques considérés tous ensemble, forment un corps qu'on appelle le clergé, & l'état des clercs s'appelle la cléricature.

Il y a parmi eux différens degrés qui les distinguent.

Le premier degré de la cléricature est l'état de simple tonsuré.

Les degrés suivans sont les quatre ordres mineurs, de portiers, lecteurs, exorcistes & acolytes.

Au-dessus des ordres mineurs, sont les ordres sacrés ou majeurs, de soûdiaconat, diaconat & prêtrise.

L'épiscopat & les autres dignités ecclésiastiques sont encore des degrés au-dessus de la prêtrise.

Ces différens degrés parmi les clercs, composent ce que l'on appelle la hiérarchie ecclésiastique.

Autrefois les moines & religieux n'étoient point clercs ; ils ne furent appellés à la cléricature qu'en 383, par S. Sirice pape.

Ceux qui se présentent pour recevoir la tonsure, ou quelque ordre majeur ou mineur, doivent recevoir cet état de leur propre évêque, à moins qu'ils n'ayent de lui un démissoire, c'est-à-dire des lettres de permission pour être tonsurés ou ordonnés par un autre évêque. Can. Lugdunens. causâ 9. quaest. 2. & conc. Trid. sess. 23. de reform. cap. 8.

Les clercs ont certaines fonctions dans l'église qui leur sont propres ; celles des évêques, archevêques, prêtres, & diacres, ne peuvent être remplies par des laïcs, même à défaut de clercs.

Ils joüissent en qualité de clercs de plusieurs exemptions & immunités, qu'ils tiennent de la piété de nos rois.

Il leur est défendu de rien faire qui soit contraire à la pureté & à la dignité de leur état ; & par conséquent de faire aucun trafic ou commerce, d'exercer aucun art méchanique, ni de se mêler d'aucunes affaires temporelles. Can. pervenit.... credo.... Cyprianus, quaest. 3.

Leurs habits doivent être simples & modestes, & ils ne peuvent en avoir de couleurs hautes, telles que le rouge. Can. omnis.... nullus.... episcopi quaest. 4.

La chasse à cor & à cri, ou avec armes offensives, leur est défendue. Can. episcopum.... & can. omnibus extra de clerico venatore. Ceux qui contreviennent à ces défenses deviennent irréguliers.

Les clercs ont le privilége de ne pouvoir être traduits en défendant que par-devant le juge d'église, dans les matieres personnelles.

En matiere criminelle, ils sont d'abord jugés par le juge d'église pour le délit commun ; mais ils peuvent encore être jugés par le juge royal pour le cas privilégié. Voyez ci-après CLERGE, ECCLESIASTIQUES, DIACRE, SOUDIACRE, PRETRE, MINEURS, ORDRE, EVEQUE. (A)

CLERC, (Jurisprud.) est aussi un titre commun à plusieurs offices, commissions, & fonctions qui ont rapport à l'administration de la justice & police. Nous allons expliquer ce qui concerne ces différentes sortes de clercs dans la subdivision suivante, par ordre alphabétique.

C'est un abus que l'on a fait du terme clerc, qui signifie ecclésiastique. Comme dans les siecles d'ignorance il n'y avoit presque que les clercs ou ecclésiastiques qui eussent conservé la connoissance des lettres, on étoit obligé d'avoir recours à eux pour remplir toutes les fonctions dans lesquelles il falloit savoir lire & écrire, ou être instruit des lois ; desorte qu'alors clerc ou homme savant & lettré étoient des termes synonymes, ainsi qu'il paroît par cette belle réponse de Charles V. roi de France, à quelqu'un qui murmuroit de l'honneur qu'il portoit aux gens de lettres, appellés alors clercs. " Les clercs à sapience l'on ne peut trop honorer, & tant que sapience sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité ; mais quand déboutée y sera, il déchéera ". Il est arrivé de cette acception du mot clerc, que l'on a donné le titre de clerc à des laïcs, parce qu'ils étoient gradués ou lettrés, ou qu'ils remplissoient quelque fonction qui étoit auparavant remplie par des ecclésiastiques ; & cette dénomination s'est conservée jusqu'à-présent.

Clerc des aides : cette qualité étoit quelquefois donnée au receveur des aides, quelquefois au greffier de ceux qui rendoient la justice sur le fait des aides. Il en est parlé dans des lettres de Charles VI. du dernier Février 1388, recueil des ordonnances de la troisieme race, tome VII. pag. 228. Voyez Clercs-greffiers.

Clercs des arrêts ; c'est le nom qu'on donnoit anciennement au greffier du parlement. Il est ainsi appellé dans un édit pour le lendemain de l'Epiphanie de l'an 1277. Il en est fait mention dans Fleta, lib. II. cap. xij. §. 31. qui le nomme clericus placitorum aulae. Voyez le gloss. de Ducange, au mot clericus.

Clercs-auditeurs, voyez ci-après au mot COMPTES, à l'article de la CHAMBRE DES COMPTES.

Clerc d'avocat, est celui qui travaille habituellement chez un avocat à copier ses consultations, & autres écritures du ministere d'avocat. Les clercs d'avocats assistent ordinairement aux audiences derriere le barreau, pour donner aux avocats les sacs des causes que l'on appelle pour être plaidées. Ce sont eux aussi ordinairement qui portent & qui vont retirer les sacs que les avocats se donnent en communication. Ils font quelquefois des extraits des pieces pour soulager les avocats ; mais ceux-ci doivent vérifier l'extrait, pour voir s'il est fidele & exact. Dans les arbitrages & commissions du conseil dont les avocats sont chargés, on consigne les vacations entre les mains du clerc de l'avocat plus ancien, & le clerc du plus jeune avocat dépose la sentence arbitrale chez un notaire. Lorsqu'on veut compulser des pieces qui sont chez un avocat, le compulsoire se fait entre les mains de son clerc, lequel en cette partie fait fonction de personne publique. Il est défendu par les réglemens aux clercs d'avocats de porter des épées, ni des cannes & bâtons. Il y a très long-tems que les avocats au parlement de Paris sont dans l'usage d'avoir des clercs ; puisque l'ordonnance faite par la cour en 1344, défend aux clercs des avocats de faire leurs écritures en la chambre du parlement. Cette ordonnance est rapportée dans le recueil des ordonn. de la troisieme race, tome II. pag. 225.

Clercs des baillifs, sénéchaux, & prevôts : on appelloit ainsi les secrétaires ou greffiers des juges. Des lettres de Charles V. du 5 Mai 1357, font mention du clerc du bailli de Coutances. D'autres lettres du roi Jean, du mois de Décembre 1363, parlent du clerc du prevôt de Langres, & reglent ce qu'il pourra prendre pour chaque mémorial, écriture & scel ; ce qui fait voir qu'il faisoit la fonction de greffier & de scelleur. Une ordonnance du roi Jean d'environ l'an 1361, défend, art. 15. aux baillifs & sénéchaux & à leurs clercs, de prendre de personne dons, pensions & robes, si ce n'étoit par avanture des vins & viandes qui se peuvent consommer en peu de jours : il est aisé de sentir l'abus que l'on pouvoit faire de cette exception. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. pag. 412.

Clercs de la chambre des Comptes ; voyez ci-après COMPTES, à l'article de la CHAMBRE DES COMPTES.

Clerc & changeur du trésor du roi : c'étoit le receveur du change du roi. Il est ainsi nommé dans une ordonnance du roi Jean, du 26 Septembre 1351, clerico & cambiatori thesauri nostri Parisius. Voyez CHANGE & CHANGEUR.

Clercs des commissaires du roi ou du parlement : c'étoient les greffiers de la commission. L'ordonnance de Philippe-de-Valois, du 11 Mars 1344, concernant la discipline du parlement, porte que les gens du parlement qui seront envoyés en commission, ne pourront prendre que pour six chevaux au plus ; les gens des enquêtes ou requêtes du palais, pour quatre chevaux ; que dans ce nombre seront comptés les chevaux que chevaucheront leurs clercs qui travailleront à l'audition. Un peu plus loin il est parlé des cas où, pour cause du fait de la commission, il conviendroit mener notaire ou clerc. Il est dit, article 3. que chaque clerc des commissaires ne pourra prendre des parties que cinq sous seulement chaque jour qu'il travaillera, tournois ou parisis, selon le pays où il sera, tant pour parchemin, écriture, copie, grossoyement d'enquêtes de procès, & de toutes autres écritures qu'il fera.

Clerc des commissaires au châtelet & autres commissaires de police, sont des especes de commis ou aides qui écrivent sous la dictée du commissaire, & font les expéditions des actes qui sont de son ministere.

Clerc de la commune de Roüen, c'étoit le greffier de l'hôtel-de-ville de Roüen. Voyez l'ordonnance de Charles V. du 9 Nov. 1372. art. 5. & 6. & ci-après Clercs des villes de commune.

Clercs du conseil, signifioit anciennement les gens du conseil du roi, quelquefois les secrétaires ou greffiers du conseil. Il en est parlé dans une ordonnance de l'an 1285, portant réglement pour l'hôtel du roi & de la reine. Voyez le gloss. de Ducange, au mot clericus.

Clercs du conseil des officiers & ouvriers de la monnoie, étoient les officiers de la chambre des monnoies de Paris. Il fut pourvû à leur salaire par des lettres de Charles V. du 6 Juin 1364. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. p. 441.

Clerc de conseiller ou président ; c'étoit le secrétaire du président ou conseiller, ou bien le greffier de la commission dont le magistrat étoit chargé. Il est parlé des clercs des présidens & conseillers au parlement, dans une ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Mars 1366, article 12. Voyez aussi ce qui est dit au mot Clercs des commissaires du roi ou du parlement. Dans l'usage présent on qualifie de secrétaires, ceux qui font la fonction de clercs auprès des magistrats, & ils sont commis pour greffiers en quelques occasions ; on les qualifie de greffiers de la commission.

Clerc du consulat : c'étoit le greffier d'un consulat ou justice municipale d'une ville. C'est en ce sens que les clercs du consulat de la ville de Grasse se trouvent nommés au nombre des officiers de ce consulat dans des lettres du roi Jean, du mois de Mars 1355. Recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. pag. 340.

Clercs des élûs, étoient les greffiers de ceux qui étoient élûs anciennement pour régler la perception des aides & finances. Le 6 Avril 1374, Charles V. nomma deux réformateurs pour punir ces clercs & autres officiers, des malversations qu'ils avoient commises dans leurs fonctions.

Clercs-d'embas, voyez ci-après au mot COMPTES, à l'article de la CHAMBRE DES COMPTES.

Clerc-examinateur : on donnoit anciennement ce titre aux examinateurs du châtelet de Paris, auxquels ont succédé les commissaires. Les statuts de la confrairie des marchands drapiers de Paris furent publiés en présence d'un clerc-examinateur, le 3 Mai 1371, comme on le voit dans le recueil des ordon. de la troisieme race, tome IV. pag. 536.

Clercs-experts : on donnoit anciennement ce titre de clercs aux experts, pour dire qu'ils étoient savans & versés dans la matiere pour laquelle ils étoient commis. On en voit un exemple dans la déclaration du mois d'Octobre 1577, qui contient un réglement pour les fonctions de clercs-jurés & prud'hommes de la ville & prevôté de Paris.

Clerc des foires, clericus nundinarum ; c'étoit le notaire ou greffier des foires. Il en est parlé dans Fleta, lib. II. cap. lxjv. §. 24.

Clercs de la chambre des Comptes, (grands) voyez ci-après au mot COMPTES, à l'article de la CHAMBRE DES COMPTES.

Clercs-greffiers ou secrétaires : ils étoient anciennement nommés clercs, & leurs fonctions étoient différentes de celles des notaires, même de ceux qui étoient attachés au service des jurisdictions. En effet ceux-ci tenoient d'abord les registres des cours & autres jurisdictions, écoutoient les témoins, & délivroient copie des dépositions & enquêtes ; au lieu que les clercs faisoient plus particulierement la fonction de secrétaires ou greffiers du juge. Il en est fait mention dans une ordonnance de S. Louis, du mois de Février 1254, faite pour le Languedoc, où il est dit que les clercs des sénéchaux ou leurs écrivains, ne pourront prendre plus de six deniers tournois pour chaque lettre patente, & quatre deniers pour les lettres closes. On voit par-là que ces clercs avoient d'autres écrivains qui leur étoient subordonnés. Il y avoit au châtelet des clercs en titre d'office pour le prevôt de Paris & pour les auditeurs, qui furent supprimés par Philippe-le-Bel par une ordonnance du 1 Mai 1313, voulant qu'ils prissent pour eux tels clercs qu'ils jugeroient à propos, & qu'ils les pussent ôter toutes & quantes fois il leur plairoit, nonobstant toutes lettres que ces clercs eussent du roi, lesquelles furent révoquées. Ainsi ces clercs avoient d'abord des lettres ou provisions du roi ; ensuite ils devinrent à la nomination du prevôt de Paris & des auditeurs, & étoient alors amovibles. Dans une autre ordonnance de Philippe-le-Long, du mois de Février 1320, on voit qu'il y avoit au châtelet des notaires destinés à faire certaines écritures & expéditions, & qu'il y avoit outre cela des clercs ; il fut ordonné qu'à l'avenir le prevôt de Paris en auroit seulement deux pour faire les registres & ses commissions, & secrettes besognes ; que ces deux clercs devoient payer le quart de ce qu'ils auroient de leurs écritures ; & que si le prevôt de Paris avoit besoin d'un plus grand nombre de clercs pour faire son office, il prendroit les notaires qui lui conviendroient le mieux, & non d'autres personnes. La même ordonnance porte, que les deux auditeurs n'auront point de clercs, & qu'ils feront faire dorénavant toutes leurs besognes par la main des notaires. L'ordonnance de Charles V. du mois de Novembre 1364, art. 10. appelle clerc des requêtes du palais, celui qui y faisoit la fonction de greffier.

Clercs du greffe, sont des commis qui travaillent aux expéditions du greffe sous les ordres du greffier. Une ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Mars 1356, fait mention, art. 7. des greffiers & clercs du parlement. L'édit du mois de Mai 1544, créa des clercs du greffe du parlement de Paris ; & la déclaration du 12 Juillet suivant, contient un réglement pour leurs fonctions. Par édit du mois de Décembre 1577, il y en eut encore de créés. Par édit du mois de Décembre 1535, il fut créé deux offices de clercs du greffe dans toutes les cours souveraines, bailliages & sénéchaussées, &c. L'édit du mois de Décembre 1609, créa quatre offices de clercs commis au greffe du conseil privé du roi. Dans la plûpart des tribunaux, ces clercs du greffe ont pris le titre de greffiers ; & celui qui portoit auparavant seul le titre de greffier, s'est fait appeller greffier en chef, pour le distinguer des autres greffiers qui lui sont subordonnés.

Clercs des greniers à sel, étoient ceux qui tenoient le registre de la distribution du sel. Il en est parlé dans une instruction faite pour le sel du tems du roi Jean. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. pag. 201.

Clerc de la halle de Doüay, c'est le greffier de l'hôtel-de-ville de Doüay, le terme de halle signifiant lieu d'assemblée. Voyez l'ordonnance de Charles V. du 5 Septembre 1368, art. 20.

Clercs d'honneur. Philippe-de-Valois, dans des lettres du 6 Avril 1342, donne à l'évêque de Beauvais, qu'il établit son lieutenant général dans le Languedoc, le pouvoir de créer des clercs d'honneur. M Secousse, dans sa note sur ce mot clercs, dit qu'il n'a rien trouvé sur ces clercs d'honneur, & croit qu'on a voulu dire chevaliers d'honneur. Il renvoye au glossaire de Ducange, au mot milites honorarii. Ne pourroit-on pas aussi conjecturer que ce terme clercs d'honneur signifie en cet endroit conseiller d'honneur, d'autant plus que ces mêmes lettres lui donnent le pouvoir d'instituer & de destituer tous officiers de justice ?

Clercs des juges, voyez Clercs-greffiers, Clercs des arrêts, des baillifs, des commissaires, des conseillers, du conseil, du consulat, des foires, des greniers à sel, de la marchandise de l'eau, des monnoies, de la prevôté, du roi, des villes.

Clerc (maître) chez les procureurs & notaires, se dit abusivement pour premier & principal clerc. Voy. Clercs des notaires & des procureurs.

Clerc de la marchandise de Paris quant au fait de l'eau ; c'est ainsi qu'on appelloit anciennement celui qui faisoit fonction de secrétaire ou de greffier dans la confrairie des marchands fréquentant la riviere de Seine. Il lui étoit défendu de se mêler directement ni indirectement de la marchandise par eau, ni être associé avec des commerçans, à peine de perdre ses marchandises, & d'être puni griévement à la volonté du roi. Suivant une ordonnance du roi Jean, du 28 Décembre 1355, la connoissance du commerce qui se fait par eau pour la provision de Paris, ayant été attribuée au bureau de la ville, le greffier de ce bureau a succédé au clerc dont on vient de parler.

Clercs des monnoies de France, étoient les greffiers des maîtres ou juges gardes des monnoies. Il en est parlé dans des lettres de Philippe-de-Valois, du mois d'Avril 1337, concernant les priviléges des généraux des monnoies & des ouvriers des monnoies ; & dans des lettres du roi Jean, du mois de Novembre 1350, confirmatives des précédentes.

Clercs ou notaires, étoient autrefois de deux sortes ; savoir les clercs du roi ou not aires du roi, qui faisoient à-peu-près les mêmes fonctions que font aujourd'hui les secrétaires du roi. Il y avoit aussi des clercs ou notaires des sénéchaux, baillifs & prevôts, qui faisoient près d'eux la fonction de secrétaires & greffiers. Il y avoit outre cela d'autres notaires destinés seulement à recevoir les contrats, & dont l'office étoit différent de celui des clercs-notaires des juges. Cette distinction se trouve bien établie dans une ordonnance du roi Jean, du mois d'Octobre 1351, article 37.

Clercs des notaires du roi, c'étoient les aides ou commis des secrétaires du roi. Il en est parlé dans une ordonnance du roi Jean, donnée vers le 7 Décembre 1361, qui porte, art. 2. que les notaires du roi feront serment de ne rien prendre, ni qu'ils ne souffriront point prendre par leurs clercs sous couleur de parchemin ou de grossoyer les lettres, une fois ou plusieurs, si ce n'est des chartes ou des lettres criminelles, le droit accoûtumé. Présentement les secrétaires du roi qualifient de commis ceux qui travaillent sous eux à faire leurs expéditions ; & la qualité de clerc de notaire ne se donne qu'à de jeunes gens qui travaillent chez un notaire & sous ses yeux à rédiger ou expédier les actes qu'il reçoit comme notaire.

Clercs de la chambre des Comptes, (petits) voyez ci-après au mot COMPTES, à l'article de la CHAMBRE DES COMPTES.

Clerc de la prevôté de Paris, c'étoit le greffier du prevôt de Paris. Il est ainsi nommé dans une ordonnance d'Hugues Aubriot prevôt de Paris, par laquelle on voit que ce clerc recevoit ceux qui devoient déposer en l'information de vie & moeurs des courtiers de chevaux, & que la caution qui étoit donnée pour eux, devoit être enregistrée pardevers le clerc. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome II. pag. 381.

Clercs de procureur, sont des aides que les procureurs ont chez eux pour faire ou transcrire les expéditions qui sont de leur ministere. Les procureurs au parlement, qui étoient anciennement en fort petit nombre, ne pouvant faire seuls toutes leurs expéditions à mesure que le nombre des affaires augmentoit, obtinrent en 1303 du parlement la permission d'avoir chez eux de jeunes gens pour leur servir d'aides, lesquels furent nommés clercs, parce qu'alors les ecclésiastiques étoient presque les seuls qui eussent la connoissance des lettres, & que les gens de pratique s'en servoient pour faire écrire leurs actes : c'est pourquoi l'on donna aussi le titre de clercs aux laïcs qui étoient lettrés.

Les clercs de procureurs sont ordinairement de jeunes gens ; c'est pourquoi le lieu où ils travaillent s'appelle l'étude du procureur ; parce qu'en effet ceux qui sont chez les procureurs en qualité de clercs, y sont pour apprendre la pratique judiciaire, dont la connoissance est nécessaire à tous ceux qui concourent à l'administration de la justice : aussi voit-on tous les jours chez les procureurs en qualité de clercs, de jeunes gens destinés à remplir des places distinguées de judicature.

Ceux qui se destinent à la fonction de procureur dans les villes où les clercs forment entr'eux une communauté, doivent s'inscrire sur les registres de la communauté, pour faire courir leur tems de cléricature ou étude, qui est de dix années. Celui qui est le premier de l'étude, prend le titre de maître-clerc.

A Paris & dans plusieurs autres villes du royaume, la communauté des clercs s'appelle basoche. La communauté des clercs au parlement a une jurisdiction sur ses membres qu'on appelle aussi basoche, & qui lui a été accordée par Philippe-le-Bel, de l'avis & conseil de son parlement.

A Roüen, cette communauté s'appelle aussi basoche ou régence du palais, parce qu'elle est chargée du soin de maintenir une bonne discipline dans le palais, par rapport à la postulation.

La communauté des clercs de procureurs de la chambre des comptes, s'appelle le haut & souverain empire de Galilée. Voyez BASOCHE & EMPIRE DE GALILEE.

Au parlement de Paris & dans la plûpart des tribunaux, les clercs de procureurs n'ont point caractere de personnes publiques : cependant à Lyon & dans quelques autres lieux, les clercs de procureurs sont en possession de faire des réquisitoires & remontrances devant le juge à l'audience & en l'hôtel. Ils reçoivent les significations que l'on apporte chez leur procureur, & en donnent leur reconnoissance, & signent en ajoûtant leur qualité de clerc d'un tel procureur.

Il est défendu aux clercs de procureurs de porter dans le palais aucune épée, canne, ni bâton, & de porter l'épée même hors du palais. Mais les réglemens qui ont été faits à ce sujet, & renouvellés en différens tems, sont assez mal observés de la part d'un grand nombre de clercs. Voyez les réglemens des 16 Février & 14 Mai 1671, 19 Juillet 1689, 6 Février & 14 Juillet 1698, & l'arrêt du 3 Août 1718.

Il est aussi défendu aux procureurs de donner aucuns gages ni appointemens à leurs clercs. Arrêt du 28 Juillet 1689.

Voyez Duperrier, tome II. pag. 273. Boniface, tom. I. liv. I. tit. xjx. n°. 3 & 10. bibliot. de Bouchel, au mot présentation ; la déclaration du 10 Juill. 1685, qui défend aux procureurs d'avoir des clercs de la religion prétendue réformée ; la délibération de la communauté des avocats & procureurs, du 30 Avril 1689, & l'arrêt du 28 Juill. suivant, qui l'homologue, l'arrêt de réglement du 14 Août 1691, au journ. des aud. pour la réception des clercs en l'office de procureurs, & portant aussi défense à eux d'acheter aucune pratique sans avoir acheté une charge de procureur.

Clercs du roi ; on donnoit anciennement ce titre aux quatre maîtres des requêtes de l'hôtel du roi, comme il paroît par une ordonnance du roi Jean, du 10 Mars 1351 : fideles clericos magistros Stephanum, & magistros requestarum hospitii nostri. Ce titre signifioit aussi quelquefois conseiller du roi. C'est ainsi que dans l'épitaphe de Guillaume de Macon évêque d'Amiens, il est qualifié clericus regis. Voyez le gloss. de Ducange, au mot clericus, & ci-devant clercs du conseil.

Clercs du roi, est aussi le titre que l'on donnoit autrefois aux notaires du roi, appellés présentement secrétaires du roi. Voyez NOTAIRES.

Clerc du roi juge. Anciennement quelques juges royaux étoient qualifiés clercs du roi & juges, comme le juge d'Uzès dans des lettres du maréchal d'Audenant, lieutenant pour le roi dans le pays de Languedoc, du 16 Avril 1364 : clericus regius & judex vicecomitatus Ucetici. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. pag. 230.

Clercs du secret, est le nom que l'on donnoit anciennement à ceux d'entre les secrétaires du roi qui faisoient les fonctions que font aujourd'hui les secrétaires d'état. Au commencement de la troisieme race, le chancelier réunissoit toutes les fonctions des notaires & secrétaires du roi. Frere Guerin évêque de Senlis, étant devenu chancelier de France sous Louis VIII. en 1228, abandonna totalement la fonction du secrétariat aux notaires & secrétaires du roi, & se conserva seulement sur eux l'inspection. Entre les notaires-secrétaires, ceux qui approchoient du roi s'étant rendus plus considérables, il y en eut quelques-uns d'entr'eux que le roi distingua des autres, & qui furent nommés clercs du secret ; c'est la premiere origine des secrétaires d'état. Philippe-le-Bel, en 1309, déclara qu'il y auroit près de sa personne trois clercs du secret, & vingt-sept clercs ou notaires sous eux. Les clercs du secret furent sans-doute ainsi nommés, à cause qu'ils expédioient les lettres qui étoient scellées du scel appellé scel du secret, qui étoit celui que portoit le chambellan. Il paroît par des registres de la chambre des comptes, de l'an 1343, que les clercs du secret avoient alors le titre de secrétaires des finances.

Clerc du roi receveur. On a autrefois donné le titre de clerc du roi à certains receveurs des émolumens procédans des expéditions de justice. C'est ainsi que Philippe-le-Long, par son ordonnance du mois de Février 1320, art. 15. ordonna qu'il y auroit pour lui un clerc qui demeureroit continuellement au châtelet, & qui seroit avec le scelleur ; qu'il recevroit le quart des écritures & le tiers des examinations des témoins, & l'apporteroit au trésor du roi chaque vendredi ou samedi ; qu'afin qu'on ne pût y faire fraude, il écriroit en parchemin ou en papier la somme que chaque notaire & clerc prendroit de chaque lettre, selon l'instruction qui lui seroit donnée en la chambre des comptes ; que quant aux examinations, lesquelles se faisoient par les examinateurs & par les notaires, il mettroit en écrit combien chacun auroit gagné dans la semaine, & de qui, afin qu'on n'y pût faire fraude ; que ce clerc auroit deux sous six deniers parisis de gages par jour ; qu'il pourroit faire lettres de châtelet comme un autre notaire ; & qu'au commencement de l'année il compteroit de ce qu'il auroit reçû & payé des écritures & examinations des témoins.

Clercs-secrétaires ou greffiers, voyez clercs-greffiers, clercs du greffe, clercs de conseiller, clercs des commissaires.

Clercs des villes de commune ; c'est ainsi que l'on appelloit anciennement les secrétaires ou greffiers des villes de commune, c'est-à-dire qui avoient droit de commune & de mairie. Il en est fait mention dans une ordonnance de S. Louis donnée vers l'an 1256 touchant les mairies, où il est dit qu'il n'y aura que le maire ou celui qui tiendra sa place qui pourra aller en cour ou ailleurs pour les affaires de la ville, & qu'il ne pourra avoir avec lui que deux personnes, avec le clerc de la ville & celui qui portera la parole. Des lettres de Charles duc de Normandie, du mois d'Avril 1361, parlent du clerc de la ville de Rouen, qui s'est qualifié monsieur Gautier le sage clerc de la ville. Voyez ci-devant clerc de la commune de Rouen. (A)

CLERCS DE CHAPELLE, (Hist. mod.) dans les maisons des rois & des princes, sont des ecclésiastiques qui servent l'aumônier ou le chapelain à la messe, & qui ont soin de la décoration de la chapelle.

En Angleterre on appelle clerc du cabinet, le confesseur du roi.

CLERCS DE LA CHAMBRE, à Rome, sont des officiers de la chambre apostolique, conseillers & assesseurs du camerlingue, au nombre de douze, qui sont juges de certaines causes qui leur sont distribuées, lesquelles reviennent par appel devant la chambre.

Ces charges coûtent ordinairement quarante-deux mille écus romains, qui font 21 mille pistoles de notre valeur actuelle de France, l'écu romain valant environ cinq livres de notre monnoie : & ces charges rapportent à leurs propriétaires environ dix pour cent, ce qui fait plus de quatre mille écus romains par an.

Parmi ceux-là l'un est toûjours préfet ou commissaire des grains ou greniers publics : car à Rome, & même dans toutes les villes impériales d'Allemagne, il y a des greniers publics pour subvenir à la disette & à la cherté des blés ; ce qui fait que rarement la famine s'y fait sentir. Il y a deux villes en France où cet usage se pratique, savoir à Strasbourg, ce qu'ils ont retenu du tems que la ville étoit impériale ; l'autre ville est celle de Lille en Flandre, où depuis la paix de 1714 on a établi un grenier public, à l'imitation des villes impériales.

Un autre clerc de la chambre apostolique est chargé des autres vivres ; un troisieme a le soin des prisons ; & un quatrieme, des rues de la ville de Rome.

La jurisdiction des clercs de la chambre apostolique s'étend sur les matieres où il s'agit d'intérêts de la chambre, contrats de fermes des revenus du saint siége ; des trésoriers de l'état ecclésiastique ; des causes de communautés ; des dépouilles des prêtres morts hors la résidence de leurs bénéfices ; des causes des comptes & calculs avec les officiers & ministres d'état ; sur les monnoies & leur cours ; sur les appels des sentences rendues par les maîtres des rues ; sur les matieres des gabelles, taxes, impositions, & autres semblables objets d'intérêt. Par-là on voit que ces charges, sous le simple nom de clercs, ne laissent pas d'être fort importantes. (a)

CLERC DU GUET, (Marine) celui qui assemble le guet sur les ports de mer & sur les côtes, & qui en fait à l'amirauté son rapport.

CLERC. On appelle ainsi dans les six corps des marchands de Paris, & dans les communautés des arts & métiers, une personne préposée par les maîtres & gardes & par les jurés, pour faire les commissions & les courses nécessaires pour les affaires du corps. C'est le clerc qui a soin d'avertir les maîtres des jours qu'il y a des assemblées extraordinaires ; & dans quelques communautés d'artisans, c'est au clerc que doivent s'adresser les compagnons qui cherchent de l'ouvrage. Dictionn. du Comm.


CLERCSCLERCS


CLERGÉS. m. (Hist. eccl.) c'est le corps des personnes consacrées à Dieu par la cléricature ou par la profession religieuse, d'où le clergé se divise en séculier & en régulier.

Ce mot est dérivé du grec , ou du latin clerus, qui signifient part ou portion ; parce que quoique tous les Chrétiens puissent être appellés la portion de Dieu, cependant ceux d'entre les chrétiens que Dieu a choisis, séparés des autres & consacrés à son service, sont la portion distinguée & chérie de l'héritage du Seigneur. On peut dire encore que le corps des ecclésiastiques, institué pour enseigner aux peuples la religion, pour administrer les sacremens & célébrer l'office divin, est ainsi appellé parce qu'il a choisi le seigneur pour sa portion, suivant ce verset que prononcent les clercs lorsqu'on les tonsure : Dominus pars heraeditatis meae & calicis mei ; tu es qui restitues hereditatem meam mihi. Ps. 15.

Le clergé a toûjours été dans l'état un corps distingué par des honneurs, des immunités, des revenus, & autres droits ou honorifiques ou utiles, qui lui appartiennent de droit ecclésiastique, ou qui lui ont été attribués, soit par la concession des princes, soit par la piété des fideles.

Parmi nous le clergé est reconnu pour le premier corps & le premier des ordres du royaume, & en cette qualité il est maintenu dans tous les droits, honneurs, rangs, séances, présidences & avantages dont il a joüi ou dû joüir jusqu'à-présent : ce sont les termes de l'édit du mois d'Avril 1695, art. 45. Long-tems avant, nos rois s'en étoient expliqués de même dans la déclaration du 10 Février 1580, & dans leurs lettres patentes du premier Mai 1596, du 9 Décembre 1606, du 10 Août 1615, & du 15 Juin 1628. Voyez les nouveaux mém. du clergé, tom. VI. & VIII.

Quant aux honneurs, le clergé a régulierement le pas & la préséance sur les laïques, les parlemens, ou autres cours séculieres, dans les églises, les processions, & dans toutes les cérémonies de la religion. Divers arrêts du conseil privé, rapportés dans le tome V. des nouveaux mémoires du clergé, ont réglé des contestations qui s'étoient élevées à ce sujet entre l'archevêque & le parlement de Roüen, entre l'évêque de Metz & le parlement de cette ville : ces arrêts ont maintenu le clergé dans le droit de préséance.

Dans les assemblées politiques, telles qu'étoient autrefois en France les états généraux, & qui sont encore aujourd'hui les assemblées des états en Languedoc, en Bretagne, en Bourgogne, en Artois, le corps du clergé précede la noblesse & le tiers-état, & porte le premier la parole dans les députations au roi. L'archevêque de Narbonne est président né des états de Languedoc ; & l'évêque d'Autun joüit de la même prérogative dans ceux de Bourgogne. Aux assemblées des états généraux le clergé suivoit l'ordre politique du royaume, & nommoit ses députés par gouvernemens & par bailliages, comme les autres corps de l'état. En Suede, malgré le changement de religion, le clergé précede dans les états généraux les deux autres ordres du royaume. En Pologne les évêques n'ont leur rang aux dietes qu'en qualité de sénateurs, excepté dans les interregnes & dans la diete d'élection, où le primat du royaume préside de droit. En France les évêques comtes ou ducs & pairs ont séance au parlement de Paris. Quelques autres sont conseillers nés au parlement dans le ressort desquels sont situés leurs évêchés. Les évêques & archevêques d'Angleterre sont membres de la chambre haute. Ceux d'Allemagne ont place & voix dans la diete de l'Empire, dans le college des princes. Voyez COLLEGE & DIETE.

Pour le corps du clergé, comme les chapitres & les communautés régulieres, leur rang entr'eux & avec les corps séculiers, se regle suivant les anciens usages. Il en est de même à proportion des ecclésiastiques particuliers, s'ils n'ont un certain rang, à cause de leurs bénéfices ou de leurs charges. En Angleterre on distingue le haut & le bas clergé : le haut clergé est composé des archevêques & évêques ; le bas clergé comprend tous les autres ecclésiastiques. Nous avons en France la même distinction, mais sous des noms différens : on dit le premier & le second ordre. Le terme de bas clergé est pourtant en usage dans les chapitres pour signifier les sémi-prébendés, chapelains, chantres, musiciens, ou autres officiers gagés qui n'ont pas voix en chapitre. Voyez CHAPITRE.

Les immunités ou exemptions dont joüit le clergé sont de tems immémorial : nos rois les ont confirmées par leurs ordonnances. On a sur ce sujet celles de S. Louis, de Philippe le Bel, des rois Jean, Charles V. Charles VII. &c. Voyez les mémoires du clergé, tome VI.

Les évêques & les conciles ont marqué dans tous les tems la plus grande fermeté pour les maintenir & les conserver. On peut voir sur cette matiere la lettre que les provinces de Rheims & de Roüen écrivirent en 858 à Louis II. Il y a même des exemples d'interdits & d'excommunications prononcées contre les juges laïcs qui violent les immunités ecclésiastiques. En 1207 le chapitre de Roüen, pendant la vacance du siége, jetta un interdit général sur toutes les églises de Roüen, parce que le maire de cette ville avoit, de son autorité privée, fait emprisonner le domestique d'un chanoine. Dans un des registres du parlement de Paris, on lit qu'en l'année 1359 l'évêque de Chartres & ses officiers mirent en interdit la ville de Mantes, parce qu'on ne voulut pas leur rendre deux clercs détenus prisonniers. Il est parlé de semblables interdits en une constitution insérée dans un ancien recueil des statuts synodaux de l'église de Rheims, faits par l'archevêque Guillaume de Tryes, environ l'an 1330. Voyez les mémoires du clergé, tome VI. & VII. & la tradition des faits.

L'immunité ecclésiastique est de deux sortes ; la personnelle, qui concerne la personne des clercs ; & la réelle, qui concerne les biens ou revenus de l'église. La premiere tend à conserver aux ecclésiastiques le repos nécessaire pour vaquer à leurs fonctions ; la seconde regarde plus la conservation de leurs biens.

Les exemptions personnelles sont premierement celles de la jurisdiction : régulierement un ecclésiastique ne peut être poursuivi devant les tribunaux séculiers ; ou du moins, dans certains cas, il faut que le juge ecclésiastique instruise leur procès conjointement avec le juge laïc. Les ecclésiastiques sont exempts de charges municipales, de tutele & curatelle, s'ils ne l'acceptent volontairement. Dès le tems de S. Cyprien, la regle étoit ancienne, que si quelqu'un nommoit un clerc pour tuteur dans son testament, on n'offriroit point pour lui le saint sacrifice après sa mort. Les ecclésiastiques sont aussi exempts de la contrainte par corps pour dettes civiles. Ils sont dispensés du service de la guerre qui se devoit autrefois pour cause de fief, & n'a plus lieu qu'à la convocation de l'arriere-ban. Décl. du roi du 8 Février 1657. Ils ne sont pas même obligés à fournir d'autres personnes pour faire le service, ni de payer aucune taxe à cet effet. Ils sont exempts de guet & de garde, & de logement de gens de guerre : on ne peut leur imposer aucune taxe pour raison de logement, ustensile, ou fourniture quelle qu'elle soit. Les ecclésiastiques ne doivent point être aussi compris dans aucune imposition pour la subsistance des troupes ou fortifications des villes, ni généralement pour aucuns octrois, subventions, ou autres emprunts de communautés. En pays de tailles personnelles, ils en sont exempts, soit pour leur patrimoine, soit pour leurs dixmes ; mais ils sont compris dans les tailles négotiales, c'est-à-dire imposées pour les dixmes qu'ils font valoir, qui ne sont pas attachées à leur bénéfice. En pays de tailles réelles, les biens appartenans à l'église sont francs comme les biens nobles. Ils sont aussi exempts des droits d'aides pour les vins de leur cru, soit bénéfice ou patrimoine, du moins ils ne payent que des droits fort médiocres. Tels sont les principaux priviléges dont joüit le clergé, en considération des contributions particulieres qu'il paye au prince sous le titre de décimes, de subventions, de dons gratuits, &c. Voyez DECIMES.

L'immunité réelle qui concerne les biens donnés aux églises, ou par la magnificence des rois, ou par la piété des fideles, est fondée sur ce principe, qu'ils sont spécialement voüés & consacrés à Dieu pour le soulagement des pauvres, pour l'entretien & la décoration des temples & des autels, & pour la subsistance des ministres du Seigneur. On a depuis peu agité vivement cette question, & nous pourrons entrer à cet égard dans des détails intéressans à l'art. IMMUNITE.

Nous nous contenterons d'observer ici, que ces biens ne sont ni si excessifs ni si exempts de charges publiques, que l'ont prétendu les adversaires du clergé. Outre les droits d'amortissement qu'il lui en a coûté pour les retirer du commerce, ignore-t-on que les impositions ordinaires connues sous le nom de décimes, & les impositions extraordinaires ou dons gratuits, sont très-fortes ; qu'elles vont communément au dixieme, souvent au septieme, quelquefois même au cinquieme du revenu des bénéfices ? c'est ce qu'il seroit aisé de démontrer, si c'en étoit ici le lieu. Qu'il nous suffise de remarquer que la religion ne pouvant se soûtenir sans ministres, il faut qu'il y ait dans l'état des fonds assûrés pour leur subsistance ; & d'ajoûter avec M. l'abbé Fleuri, " que puisque le public les entretient & les récompense de leur travail, il est juste au moins de leur conserver ce revenu, & de ne pas reprendre d'une main ce qu'on leur donne d'une autre ".

Les droits honorifiques du clergé sont les honneurs & prérogatives attachées aux seigneuries, terres, fiefs, &c. que possedent certains bénéficiers, chapitres ou communautés, tels que les droits de haute, basse & moyenne justice, de chasse, de pêche, &c. Ses droits utiles consistent ou en revenus fixes & assûrés, attachés à chaque bénéfice, chapitre, ou communauté religieuse, & en rétributions ou offrandes casuelles. Fleury, institut. au droit ecclés. tome I. part. I. ch. xxxjx. p. 258. & suiv.

En France le clergé s'assemble sous l'autorité du Roi, ou pour traiter des matieres ecclésiastiques, ou pour ordonner des impositions. Ces assemblées sont ou ordinaires ou extraordinaires. Les ordinaires sont ou particulieres de chaque diocèse, ou provinciales de chaque province ecclésiastique, ou générales de tout le clergé de France. A ces dernieres assemblées on fait les députations par métropoles, qu'on appelle provinces ecclésiastiques. Voyez METROPOLE.

Les assemblées générales du clergé sont de deux sortes ; les grandes, auxquelles chaque province ecclésiastique envoye deux députés du premier ordre & deux du second ; on les appelle les assemblées du contrat ; & les petites assemblées, auxquelles les provinces ne députent qu'un ecclésiastique du premier ordre & un du second ; on les nomme les assemblées des comptes. Celles qu'on appelle du contrat, ou les grandes assemblées, se tiennent tous les dix ans ; & cinq ans après la convocation de l'assemblée du contrat, on convoque une assemblée moins nombreuse, dans laquelle les comptes du receveur général sont examinés. Toutes les assemblées ordinaires sont indiquées dans l'usage au 25 de Mai, mais elles ont été quelquefois avancées, & quelquefois remises, suivant les circonstances. L'art. 24. du réglement de 1625, porte que les grandes assemblées ne pourront durer plus de six mois, & les assemblées des comptes plus de trois mois. Le Roi fixe le lieu pour chaque assemblée, & pour l'ordinaire elles se tiennent à Paris, dans le couvent des grands Augustins. Il s'en est cependant tenu autrefois à Melun, à Saint-Germain-en-Laye & ailleurs. Mém. du clergé, tome VIII. Les députés aux assemblées doivent être dans les ordres, & pourvûs d'un bénéfice dans la province qui les députe. Le rochet & le camail sont l'habit des députés du premier ordre ; & ceux du second y assistent en habit long & en bonnet quarré. Ces députés ont le privilége d'être tenus présens, pendant le tems de l'assemblée, à leurs bénéfices qui demandent résidence, & celui de faire surseoir aussi pendant le même tems les poursuites des procès & des différends intentés contr'eux, avant la convocation ou pendant le tems de l'assemblée. Ils ont aussi une rétribution ou taxe pour leur séjour ou leur voyage, que leur paye la chambre ecclésiastique de leur province. Les présidens sont toûjours choisis dans le premier ordre, soit évêques, soit archevêques. L'assemblée nomme aussi des promoteurs & secrétaires tirés des députés du second ordre. Enfin il est d'usage qu'au commencement & à la fin de chaque assemblée, on nomme une députation pour aller complimenter le Roi. Voyez les mémoires du clergé, tome VIII.

On distingue encore dans le clergé des assemblées extraordinaires, & il y en a de deux sortes ; les unes sont générales, & sont convoquées dans la forme usitée pour la convocation des assemblées ordinaires ; les autres, qu'on peut appeller des assemblées extraordinaires particulieres, se font sans solemnités ; les provinces n'y envoyent point leurs députés, & les prélats qui les composent n'ont souvent ni l'ordre ni la permission du Roi de s'assembler. La convocation des assemblées extraordinaires particulieres se fait dans cette forme : lorsqu'il se présente quelque cas extraordinaire qui intéresse l'Eglise, les agens en donnent avis aux évêques qui sont à Paris ou en cour ; le plus ancien des archevêques ou évêques, s'il ne s'y trouve point d'archevêque, donne ses ordres aux agens d'envoyer des billets de convocation à tous ces prélats. Cette forme est expliquée dans le procès verbal de l'assemblée de 1650. Celle de 1655 a réglé que les évêques in partibus ne seroient point appellés à ces sortes d'assemblées, mais seulement les coadjuteurs d'évêques, & les anciens évêques qui se sont démis. Elles peuvent faire des députations au Roi, & être d'une très-grande utilité, quoiqu'elles ne puissent pas statuer sur bien des choses avec la même autorité ni la même plénitude de pouvoir que les assemblées ordinaires du clergé. Voy. AGENS DU CLERGE. Voyez aussi les mém. du clergé, tome VIII. & M. Fleury, mém. des affaires du clergé de France, inséré à la suite de l'instit. au droit ecclésiast. tome II. p. 264. & suiv. (G)

Réflexions tirées de l'esprit des lois sur la puissance ecclésiastique. 1. Autant le pouvoir du clergé est dangereux dans une république, autant est-il convenable dans une monarchie, sur-tout si elle tend au despotisme. Où en seroient l'Espagne & le Portugal depuis la perte de leurs lois, sans ce pouvoir qui arrête seul la puissance arbitraire ? barriere toûjours bonne quand il n'y en a point d'autres : car comme le despotisme cause à la nature des maux effroyables, le mal même qui le limiteroit seroit un bien.

2. Dès les commencemens de la premiere race, on voit les chefs de l'Eglise arbitres des jugemens ; ils assistent aux assemblées de la nation ; ils influent puissamment sur les résolutions des rois ; on leur avoit accordé des priviléges ; ils étoient comblés de biens. L'auteur que nous citons rend raison de cette autorité.

3. Le clergé a tant reçû pendant les trois races, qu'on a été jusqu'à dire qu'on lui a donné la valeur de tous les biens du royaume : mais si la nation lui donna trop alors, elle trouva depuis les moyens de lui reprendre. Le clergé a toûjours acquis ; il a toûjours rendu ; il acquiert encore. Voyez l'esprit des lois.

CLERGES, (Jurisprud.) dans quelques anciennes ordonnances, signifie les gens de justice, comme en l'ordonnance de Charles V. de l'an 1356, art. j. On les appelloit ainsi comme étant gens lettrés ; car anciennement les clercs ou ecclésiastiques étant presque les seuls qui eussent quelque connoissance des lettres, on appelloit clerc tout homme de lettres, & la science se nommoit clergie. (A)


CLERGIE(Jurisprud.) anciennement signifioit science, à cause que les clercs étoient alors les seuls qui fussent savans : & comme toute écriture étoit considérée comme une science, & que ceux qui écrivoient étoient la plûpart clercs ou qualifiés tels, & singulierement ceux qui faisoient la fonction de greffiers ; on appella aussi clergies les greffes des jurisdictions. C'est ainsi qu'ils sont nommés dans les anciennes ordonnances. Philippe de Valois, par des lettres du 10 Septembre 1331, rappelle une ordonnance précédente, portant que les écritures, clergies, & notaires de toutes les sénéchaussées, bailliages & prevôtés, seroient réunies à son domaine, & vendues par cris & subhastations, c'est-à-dire données à ferme au plus offrant, comme les autres fermes du domaine. Le même prince ordonna, par un mandement du 13 Mai 1347, que les clergies des bailliages & les prevôtés royales seroient données en garde, & que les clergies des prevôtés seroient ajoûtées aux prevôtés, & données aux prevôts en diminution de leurs gages. Charles V. étant régent du royaume, fit une ordonnance au mois de Mars 1356. portant entr'autres choses que les clergies ne seroient plus vendues ni données à ferme comme par le passé, parce que les fermiers commettoient des exactions sur le peuple, mais qu'elles seroient données à garde, par le conseil des gens du pays & des environs. Cet article ne fut pas long-tems observé. car le même prince ordonna le 4 Septembre 1357 aux gens des comptes, d'affermer les prevôtés, écritures & tabellionages ; or ces termes écritures étoient synonymes de clergies ou greffes. Il est dit qu'on les donnera au plus offrant, mais néanmoins à des personnes idoines. On pratiquoit encore la même chose en 1370, même pour les greffes de villes, suivant une autre ordonnance de Charles V. du 6. Février, portant que les échevins de Tournai donneront les offices de la ville en la forme usitée anciennement, excepté la clergie des échevins, qui sera donnée à ferme au profit de la ville. Le greffe de la ville de Paris est aussi nommé clergie dans une ordonnance de Charles V I. du 27 Janvier 1382, qui réunit la prevôté des marchands & clergie de la ville, à la prevôté de Paris. Dans la suite le terme de greffe a pris la place de celui de clergie. Voyez GREFFE. (A)


CLÉRICATURE(Jurisprud.) Ce qui concerne l'état de cléricature est expliqué aux mots CLERC & CLERGE, & ci-après au mot ECCLESIASTIQUE ; on parlera seulement ici des priviléges de cléricature. Ces priviléges consistent :

1°. En ce que le clergé forme le premier ordre du royaume ; il est ainsi qualifié dans l'édit du mois d'Avril 1695. Quant au rang de chaque ecclésiastique en particulier vis-à-vis des laïcs, lorsqu'un ecclésiastique fait quelque fonction de son ministere, il précede tous les laïcs ; mais lorsqu'il n'est point en fonction propre à son caractere, son rang vis-à-vis des laïcs se regle par la qualité des personnes & autres circonstances. Voyez Domat, tr. du Dr. publ. liv. I. tit. jx. sect. iij. n. 47. & suiv.

2°. En matiere criminelle, les clercs peuvent demander leur renvoi pardevant le juge d'église, pour être jugés par lui sur le délit commun ; & lorsque ce renvoi est ordonné, le cas privilégié ne peut être jugé que par le juge royal, attendu qu'il n'est pas d'usage que les juges d'église instruisent conjointement avec les juges des seigneurs, mais seulement avec les baillis & sénéchaux royaux. Ils ne sont sujets en aucun cas à la jurisdiction du prevôt des maréchaux, & les présidiaux ne peuvent les juger qu'à la charge de l'appel ; & lorsque l'affaire se trouve portée au parlement, soit par appel, ou en premiere instance, ils peuvent demander d'être jugés en la grand-chambre, & non à la Tournelle, afin que les conseillers-clercs, qui ne font point de service à la tournelle, puissent assister à leur jugement. Voyez l'ordonnance de Moulins, art. 41. celle de 1670, art. 21. l'édit d'Avril 1695, art. 42. & la déclaration du 5. Février 1731, art. 11. & 15.

3°. En matiere civile, lorsqu'il s'agit d'actions personnelles, les ecclésiastiques ont le privilége de ne pouvoir être traduits que pardevant le juge d'église, sinon le défendeur peut demander son renvoi, quand même le demandeur seroit un laïc. Voyez les lois eccl. de d'Héricourt, part. I. ch. xjx. n. 8.

Ils ont aussi le privilége de ne pouvoir pas être contraints par corps pour dépens ou autres dettes purement civiles, si ce n'est qu'il y ait stellionat ou autre délit qui les fasse juger indignes de joüir des priviléges de cléricature. Voyez le traité de la jurisdiction ecclésiastique de Ducasse ; l'édit de 1606, art. 123. & la déclaration du 30 Juillet 1710.

4°. Les ecclésiastiques sont exempts de taille dans tous les pays où elle est personnelle, & ils joüissent du même privilége pour faire valoir une ferme de quatre charrues, pourvû qu'elle soit du patrimoine de leur bénéfice, ou si c'est un bien de famille qui leur soit échu en ligne directe.

Les curés peuvent même prendre à ferme les dixmes de leur paroisse, sans être pour cela sujets à la taille ; mais leurs fermiers sont taillables. Voyez les réglemens rapportés dans le code des tailles.

5°. Ils sont exempts des charges personnelles, telles que tutele, curatelle, collecte des impôts, guet & garde dans les villes. Ils sont aussi exempts du logement des gens de guerre, si ce n'est en cas d'urgente nécessité. Ils sont pareillement exempts des corvées personnelles ; mais ils sont tenus des réelles, qu'ils peuvent faire par un tiers. Ils ne sont pas sujets à la banalité du four, mais ils le sont à celle du moulin & du pressoir. Voyez la Jurisprud. can. de de la Combe, au mot privilége clérical, sect. vij.

6°. En matiere d'aides, ils sont exempts des nouveaux cinq sous pour les vendanges & le vin du crû de leur bénéfice. Ils peuvent vendre en gros le vin du crû de leur bénéfice & de leur titre sacerdotal, sans payer aucun droit de gros & d'augmentation. Ils sont aussi exempts du droit de jauge & courtage, à la vente en gros & à l'entrée pour le vin du crû de leur bénéfice ; & du droit de subvention, à l'entrée du vin du crû de leur bénéfice, pour ce qu'ils en consommeront dans leur maison, pour leur provision. Voyez l'ordonnance des aides, & les recueils de réglemens concernant cette matiere.

Pour joüir de ces différens priviléges, il faut que les clercs soient constitués aux ordres sacrés, ou bénéficiers ou attachés actuellement au service de quelqu'église.

Ils sont déchus des priviléges de cléricature, lorsqu'ils cessent de vivre cléricalement ; ce qui arrive lorsqu'ils portent des habits séculiers, ou qu'il exercent quelque fonction incompatible avec l'état ecclésiastique.

Au reste il est essentiel d'observer que les priviléges accordés aux ecclésiastiques par les papes, ne sont point reconnus parmi nous. Il en est de même de ceux qui leur ont été accordés par les empereurs romains, à l'exception néanmoins des empereurs qui étoient en même tems rois de France.

Les clercs sont sujets du Roi comme les autres particuliers ; ainsi leurs personnes & les biens de leurs églises, de même que leurs biens propres & personnels, sont soûmis aux lois du royaume, & doivent contribuer aux charges personnelles & réelles, sauf les priviléges qui leur ont été accordés, qu'ils tiennent tous de la libéralité de nos rois, lesquels peuvent, de la même autorité, étendre quelques-uns de ces priviléges, les interpréter, les restraindre & modifier, même révoquer ceux qu'ils jugeroient à propos, lorsque le bien de l'état le demande. Voyez de Héricourt, loc. cit. le dictionn. des arrêts, au mot clerc ; & la Jurisprud. can. de de la Combe, au mot privilége. (A)


CLERMONT(Géog. mod.) ville considérable de France, capitale de la province d'Auvergne. Lon. 20d. 45'. 7". lat. 45d. 46'. 45".

CLERMONT en Argonne, (Géog. mod.) petite ville de France, avec titre de comté, en Verdunois. Long. 22d. 44'. 20". lat. 49. 64.

CLERMONT, (Géog. mod.) ville de France en Beauvoisis, dans l'île de France, capitale du comté de même nom. Longit. 20d. 4'. 53". latit. 49d. 22'. 45".

CLERMONT, (Géog. mod.) petite ville de France, au bas Languedoc, entre Lodeve & Pezenas. Il y a encore une ville de ce nom en France, dans l'Agénois.


CLEROMANCIES. f. espece de divination qui se faisoit par le jet des dés ou des osselets, dont on considéroit les points ou les marques, pour en inférer des choses inconnues ou cachées. Voyez DIVINATION.

Ce mot vient du grec , sort, & de , divination.

On trouve des traces de la cléromancie dans le chapitre premier du prophete Jonas, où pendant la tempête qui s'étoit élevée, le pilote du vaisseau & ses compagnons, pensant que quelque passager leur avoit par ses crimes attiré cet orage, jetterent les dés, & consulterent le sort pour connoître qui ce pouvoit être ; & le sort tomba sur Jonas, ajoûte le texte sacré : " Et dixit vir ad collegam suum : venite, & mittamus sortes, & sciamus quare hoc malum sit nobis. Et miserunt sortes, & cecidit sors super Jonam. Jon. cap. j. 7 ". C'étoient des payens qui pratiquoient cette superstition ; mais Dieu la permettoit pour punir la désobéissance de son prophete, & lui faire accomplir ses desseins sur Ninive.

Il y avoit à Bura, ville d'Achaïe, un temple & un oracle célebre d'Hercule. Ceux qui consultoient l'oracle après avoir fait leurs prieres à l'idole, jettoient quatre dés ; & selon les points ou nombres qu'on avoit amenés, le prêtre rendoit sa réponse. D'autres oracles fameux étoient connus sous le nom de sorts, tels que ceux de Preneste, d'Antium, de Lycie, de Delos, &c. Voyez SORTS. (G)


CLERVAL(Géog. mod.) petite ville de France en Franche-Comté, sur le Doux. Long. 23. 32. lat. 46. 35.


CLERVAUXvoyez CLAIRVAUX.


CLERY(Géog. mod.) ville de France dans l'Orléanois, sur la riviere de Loire.


CLES(Géog. mod.) ville de la Suisse dans le canton de Fribourg, sur la riviere d'Orbe.


CLETTENBERG(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans le comté de Hohenstein, au roi de Prusse.


CLETTGOW(Géog. mod.) petit pays d'Allemagne en Soüabe, près de la forêt Noire.


CLEVELAND(Géog. mod.) petit pays d'Angleterre avec titre de comté, dans la province d'Yorck.


CLEVES(Géog. mod.) ville assez grande d'Allemagne au cercle de Westphalie, capitale du duché de même nom, remarquable par ses eaux minérales. Long. 23. 45. lat. 51. 48.

CLEVES, (duché de) Géog. mod. pays d'Allemagne au cercle de Westphalie, arrosé par le Rhin, appartenant au roi de Prusse.


CLIBANAIRESS. m. pl. (Hist. anc.) soldats romains ainsi nommés, dit Saumaise dans ses notes sur Lampride, du mot latin clibanum, qui signifioit une cuirasse de fer, & venoit de clibanus, c'est-à-dire four ; parce que ces sortes de cuirasses étoient concaves en-dedans & convexes dans leur partie extérieure ; ce qui avoit quelqu'analogie, quoique éloignée, avec la calotte ou le dessus d'un four. (G)


CLIENTS. m. (Hist. anc.) parmi les Romains, c'étoit un citoyen qui se mettoit sous la protection de quelqu'autre citoyen de marque, lequel par cette relation s'appelloit son patron, patronus. Voyez PATRON.

Le patron assistoit le client dans ses besoins, & le client donnoit son suffrage au patron quand il briguoit quelque magistrature ou pour lui-même, ou pour ses amis. Les cliens devoient respecter leur patron, & le patron de son côté devoit à ses cliens sa protection & son secours. Ce droit de patronage fut institué par Romulus, dans le dessein de réunir les riches & les pauvres ; de façon que les uns fussent exempts de mépris, & les autres de l'envie. Mais la condition des cliens devint peu-à-peu une espece d'esclavage adouci.

Cette coûtume s'étendit ensuite plus loin ; non-seulement les familles, mais les villes & les provinces entieres, même hors de l'Italie, la suivirent : la Sicile, par exemple, se mit sous la protection des Marcellus.

Lazius & Budée rapportent l'origine des fiefs aux patrons & cliens de l'ancienne Rome ; mais il y a une grande différence entre la relation du vassal à son seigneur, & celle du client à son patron. Voyez VASSAL, SEIGNEUR, &c. Car les cliens, outre le respect qu'ils devoient rendre, & les suffrages qu'ils devoient donner aux patrons, étoient obligés de les aider dans toutes leurs affaires, & même de payer leur rançon, s'ils étoient faits prisonniers à la guerre, en cas qu'ils n'eussent pas assez de bien pour la payer eux-mêmes. Voyez FIEF & MOUVANCE. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)

CLIENS, (Jurispr.) On donnoit autrefois ce nom aux vassaux par rapport à leurs seigneurs dominans, sous la protection desquels ils étoient.

En termes de pratique, client se dit de celui qui a chargé un avocat ou un procureur de la défense d'une affaire, ou qui va solliciter son juge.

Il est défendu aux avocats & procureurs de faire avec leurs cliens aucune paction pour avoir une portion du bénéfice qui pourra revenir du gain d'un procès. Voyez PACTE de quota litis.

Ils ne peuvent aussi recevoir de leurs cliens aucune donation entre-vifs, pendant le cours des causes & procès dont ils sont chargés pour eux. Voyez Ricard, part. I. ch. iij. sect. 9. n. 504. & le Maître sur Paris, titre des donations, ch. j. sect. 1. (A)


CLIGNEMENTS. m. (Anat. Physiol.) froncement des deux paupieres qu'on tient volontairement à demi-rapprochées l'une de l'autre, soit pour regarder un objet plus fixement en tenant un oeil fermé, soit pour empêcher l'oeil à demi-fermé qui regarde, d'être blessé par un trop grand nombre de rayons.

Cette action de clignement s'exécute par la contraction volontaire de toutes les portions du muscle orbiculaire, dont je suppose ici l'attache, la distribution & la terminaison connues ; car ses fibres demi-circulaires se distribuant aux deux paupieres jusqu'à leur cartilage, peuvent les fermer à moitié ou entierement. Dans cette action les sourcils se baissent aussi avec la paupiere supérieure, parce que diverses portions du muscle orbiculaire sont adhérentes à la peau, & se portent depuis le sourcil jusqu'au haut de la joue. Voilà la raison des plis de toutes ces parties qui paroissent dans le clignement, & qui sont différens selon la différence de la direction des fibres du muscle orbiculaire. On en voit comme rayonnés autour de l'angle temporal ; il y en a peu entre le souci & la paupiere supérieure. Il y en a plusieurs au-dessous de la paupiere inférieure, lesquels descendent très-obliquement de devant en-arriere.

On cligne les paupieres pour regarder un objet éloigné, en comprimant l'hémisphere antérieur du globe de l'oeil, & l'on dilate les paupieres pour voir un objet de près ; non pas que ces deux états des paupieres soient absolument nécessaires pour donner au globe les figures qu'il doit prendre dans les deux cas proposés. Ces figures du globe ont d'autres causes plus puissantes ; & l'on peut, sans déranger leurs effets, cligner les paupieres dans l'un & l'autre cas : on le fait effectivement toutes les fois qu'on double d'effort pour mieux voir, soit de loin, soit de près. Mais cette espece de clignement n'a aucun rapport à la figure du globe ; tout son méchanisme aboutit à retrécir les paupieres, pour empêcher les rayons de tomber en trop grande quantité sur la surface polie de la cornée, d'où ils se réfléchissent, s'éparpillent à la ronde, & nuisent à la pureté des rayons qui entrent dans l'oeil : c'est pourquoi machinalement nous clignons les yeux, afin de ne laisser presque que le passage du cone de lumiere qui porte l'image, & afin que cette image ne soit point troublée, salie, si l'on peut le dire, par des rayons étrangers. C'est ainsi qu'on voit mieux un objet par un tuyau, qu'on ne le voit en plein air.

Quoique les paupieres, suivant la remarque judicieuse de M. Le Cat, servent comme l'iris à conserver le cone lumineux qui entre dans l'oeil plus pur & à rendre les images plus nettes, cependant si on regarde une chandelle en clignant & en approchant les paupieres si près l'une de l'autre, qu'elles ferment en partie la prunelle, & qu'elles interceptent une portion du corps lumineux qui y doit entrer, alors on ne voit plus la lumiere nettement, mais avec de grands traits lumineux dirigés vers le haut & le bas de cette lumiere, & ces grands traits sont les portions du cone réfléchies par chaque paupiere ; mais les paupieres ne troublent ainsi la vûe que quand on les ferme exprès, & encore l'objet n'a ces grands traits de lumiere qu'en-dessus & en-dessous, parce que les paupieres dans cet état de clignement interceptent les rayons du cone lumineux de la chandelle. La vûe est un sens qui se trompe lui-même, & qu'on trompe perpétuellement. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CLIMACTÉRIQUE(ANNEE) adj. Divination, année critique ou période de l'âge de l'homme, dans laquelle les Astrologues prétendent qu'il se fait dans le corps une altération considérable qui conduit à des maladies, à la mort, ou qui signale cette année par des accidens funestes.

Nous ajoûtons cette derniere clause, parce que Evelius qui a fait un volume entier sous le titre de annus climactericus, y décrit la perte qu'il fit par le feu qui prit à son observatoire, & que cet accident lui arriva dans sa plus grande climactérique.

Ce mot vient du grec ou , dérivé de , degré ou échelle ; parce qu'on monte de sept en sept ou de neuf en neuf ans, pour arriver à l'année qui s'appelle climactérique.

Ainsi la premiere année climactérique de la vie de l'homme, c'est, selon quelques-uns, la septieme : les autres sont des multiples de celle-ci ; savoir 14, 21, 28, 35, 42, 49, 56, 63, 70, 77, 84. Mais les années 63 & 84 sont nommées en particulier grandes climactériques, & l'on croit que le danger de mort y est beaucoup plus grand que dans les autres.

Selon d'autres auteurs, l'année climactérique se compte de neuf en neuf ; c'est pour cela, disent-ils, que la soixante-troisieme & la quatre-vingt-unieme sont les plus dangereuses, parce que dans l'une le nombre de sept, & dans l'autre le nombre de neuf, se trouvent repétés neuf fois.

Cette opinion est fort ancienne : Aulugelle l'attribue aux Chaldéens, qui pouvoient l'avoir reçûe de Pythagore, si peut-être dans ses voyages ce philosophe ne l'emprunta pas d'eux ; car on sait que sa philosophie étoit fondée en grande partie sur les rapports & les propriétés des nombres, & qu'il attribuoit sur-tout au nombre sept une vertu particuliere.

Marsile Ficin pense en avoir trouvé le fondement, en disant qu'il a été assigné à chaque planete une année pour dominer sur le corps de l'homme chacune à son tour ; & que comme de toutes les planetes Saturne est la plus mal-faisante, toutes les septiemes années qui lui appartiennent, doivent être par cette raison très-dangereuses, & sur-tout les 49, 56, & 63 années où l'on est déjà avancé sur l'âge : mais peut-être eût-on fort embarrassé Marsile Ficin, en lui demandant pourquoi les planetes dominoient sur le corps de l'homme, & pourquoi les influences de Saturne étoient plus funestes que celles des autres planetes.

Cependant des hommes fort éclairés ont eu foi à ces influences. Auguste, si l'on en croit Suetone, se réjoüissoit d'avoir passé sans danger sa grande climactérique, c'est-à-dire sa soixante & troisieme année, car il mourut âgé de 76 ans. Quelques-uns ont prétendu que les années climactériques étoient aussi fatales au corps politique ; & on pourroit en convenir, s'il étoit prouvé qu'elles le sont au corps naturel.

On en étoit assez persuadé il n'y a pas deux siecles, c'est-à-dire du tems de la ligue ; car M. de Thou & Mezerai racontent que Jean Bodin, si connu par sa démonomanie, & qui étoit avocat du roi à Laon, voulant faire déclarer cette ville en faveur de la ligue & contre Henri III. fit un discours aux habitans assemblés, où il s'attacha à lever leurs scrupules ; & après s'être déchaîné contre le roi qu'il osa traiter de traître & d'hypocrite, " il tira, dit M. de Thou, des circonstances présentes un présage assez funeste à la succession à la couronne ; car il dit que l'année soixante & troisieme de l'homme étoit son année climactérique, & ne manquoit guere de lui être funeste ; qu'ainsi, comme on comptoit parmi nous soixante & trois rois depuis Pharamond jusqu'à Henri III. il sembloit que ce prince dût être fatal à la France, & que ce fût par lui que la couronne dût sortir de sa maison ". De Thou, hist. l. XCIV. Mezerai dit à-peu-près la même chose dans son abregé chronologique, sous l'an 1589. De pareils raisonnemens ne surprennent pas de la part de Bodin, & les impressions qu'ils firent ne devoient pas paroître étranges dans un siecle infatué de l'Astrologie judiciaire.

Au reste plusieurs auteurs célebres ont écrit sur l'année climactérique ; entr'autres Platon, Cicéron, Macrobe, Aulugelle, auxquels on peut ajoûter saint Augustin, saint Ambroise, le vénérable Bede, Boece, &c. & parmi les modernes, Argol, Magir, & Saumaise, de annis climactericis. (G)


CLIMATS. m. (Géogr.) portion ou zone de la surface de la terre, terminée par deux cercles paralleles à l'équateur, & d'une largeur telle que le plus long jour dans le parallele le plus proche du pole, surpasse d'une certaine qualité, par exemple, d'une demi-heure, le plus long jour dans le parallele le plus proche de l'équateur. Voyez TERRE, PARALLELE, &c.

Les climats se prennent donc depuis l'équateur jusqu'aux poles, & sont comme autant de bandes ou de zones paralleles à l'équateur : mais il y a à la rigueur plusieurs climats dans la largeur de chaque zone. Un climat n'est différent de celui qui est le plus proche de lui, qu'en ce que le plus grand jour d'été est plus long ou plus court d'une demi-heure dans l'un que dans l'autre. Chambers.

L'intervalle du premier climat est de 8d 30', & celui du dernier n'a pas plus de 3'. Pour concevoir la raison de cette inégalité, qui procede d'une propriété de la sphere, il faut s'imaginer que dans la sphere droite la moitié du tropique de cancer, qui est au-dessous de l'horison, est divisée en quarante-huit parties égales, chaque partie étant de 3d 45', qui valent un quart-d'heure : de plus, qu'il y a une de ces parties vers l'orient, & une vers l'occident, les plus proches de l'horison, qui toutes deux ensemble font une demi-heure de tems, qui répond à l'intervalle d'un climat. Cela posé, on voit que la raison de l'inégalité des climats procede de la section plus ou moins oblique du tropique par l'horison, selon les différentes élévations du pole, qui font que l'horison coupant moins obliquement le tropique aux parties égales de 3d 45' prises du côté d'orient & d'occident proche l'horison immobile, il en résulte une plus grande différence des hauteurs du pole, que lorsque le tropique est coupé plus obliquement par l'horison aux mêmes points de 3d 5'. Ainsi cette différence des hauteurs du pole, qui correspond à la demi-heure des premiers climats, étant plus grande vers l'équateur que vers les cercles polaires où sont les derniers climats, cela rend leur intervalle très-inégal, & bien plus grand vers l'équateur que vers les poles.

Comme les climats commencent à l'équateur, le premier climat dans son commencement a, par cette raison, précisément douze heures de jour à son plus grand jour ; & à sa fin, il a douze heures & demie à son plus grand jour. M. Formey.

Le second climat qui commence où le premier finit, a douze heures & demie de jour à son plus grand jour, & à sa fin il a treize heures de jour à son plus grand jour ; & ainsi des autres climats d'heures qui vont jusqu'au cercle polaire où se termine ce que les Géographes appellent les climats d'heures, & où commencent les climats des mois. Voyez HEURE.

Comme les climats d'heures sont des espaces compris entre deux cercles paralleles à l'équateur, qui ont leur plus grand jour plus long d'une demi-heure dans leur fin que dans leur commencement ; de même les climats de mois sont des espaces terminés par deux cercles paralleles au cercle polaire, situés par delà ce cercle, & dans lesquels le plus grand jour est plus long d'un mois ou de trente jours à la fin qu'au commencement. Voyez MOIS. Chambers.

Les anciens ne donnoient le nom de climat qu'aux endroits de la terre qu'ils croyoient habitables. Ils estimoient qu'une partie de la Zone torride vers l'équateur, & une partie de la Zone tempérée par-delà le 50d. de latitude, étoient inhabitables, & ils n'avoient que sept climats. Ils posoient le commencement du premier à 12d. 41'. de latitude, où le plus long jour d'été est de douze heures trois quarts ; & la fin du septieme climat alloit vers les 50d. de latitude, où le plus long jour est de 16 heures 20'. Pour mieux distinguer leurs climats, ils en faisoient passer le milieu par les lieux les plus considérables du vieux continent : savoir, le premier par Meroé en Ethiopie, le second par Sienne en Egypte, le troisieme par Alexandrie aussi en Egypte, le quatrieme par l'île de Rhodes, le cinquieme par Rome, le sixieme par le Pont-Euxin, & le septieme & dernier par l'embouchure du Boristhene. A ces sept climats on en ajoûta depuis encore deux autres ; savoir le huitieme, passant par les monts Riphées dans la Sarmatie asiatique, & le neuvieme par le Tanaïs. Les anciens, comme les modernes, ont encore divisé la terre en de plus petits espaces, que l'on nomme paralleles des climats, afin de les distinguer des autres paralleles de l'équateur. Ces paralleles ne sont que des demi climats, desquels l'espace ne contient qu'un quart-d'heure de variation dans les plus longs jours d'été de chacun de ces paralleles.

Les modernes, qui ont voyagé bien plus avant vers les poles, ont mis trente climats de chaque côté ; & quelques-uns d'entr'eux ont fait les différences d'un quart-d'heure seulement, au lieu d'une demi-heure. M. Formey.

Lorsqu'on détermine les climats, on n'a point égard ordinairement à la réfraction. Voyez REFRACTION.

On donne vulgairement le nom de climat à une terre différente d'une autre, par rapport aux saisons, aux qualités de la terre, ou même aux peuples qui y habitent, sans aucune relation aux plus grands jours d'été.

Abulfeda, auteur arabe, distingue la premiere espece de ces climats par le nom de climat réel, & l'autre par celui de climat apparent.

On compte ordinairement vingt-quatre climats de demi-heure & douze de demi-mois. Chacun des espaces de ces derniers comprend quinze jours de différence entre les plus longs jours d'été de l'un & de l'autre de ces climats ; car sous les cercles polaires, le plus long jour d'été est de vingt-quatre heures ou d'un jour astronomique ; & le plus long jour sous les poles contient 180 jours astronomiques, qui font six mois : desorte qu'après avoir établi la différence de ces climats de la quantité de quinze jours, il est évident qu'il en faudra douze depuis les cercles polaires jusqu'aux poles ; le premier desquels commencera aux cercles polaires, & le dernier finira aux poles. Et pour distinguer l'étendue de ces douze climats, il faut encore imaginer douze cercles paralleles à l'équateur par les commencement & la fin de chacun de ces intervalles ; le premier desquels sera le cercle polaire, où est le commencement du premier de ces climats ; & le dernier sera éloigné du pole de 2d. 59'. qui déterminera le commencement du dernier climat, dont le pole sera la fin. Les tables suivantes feront connoître l'étendue de tous les climats, avec leurs degrés de latitude, & l'intervalle compris entr'eux. M. Formey.

Table des climats de demi-heure.

Table des climats de demi-mois.

Il ne faut pas croire au reste que la température soit exactement la même dans les pays situés sous le même climat : car une infinité de circonstances, comme les vents, les volcans, le voisinage de la mer, la position des montagnes, se compliquent avec l'action du soleil, & rendent souvent la température très-différente dans des lieux placés sous le même parallele.

Il en est de même des climats placés des deux côtés de l'équateur à distances égales : de plus, la chaleur même du soleil est différente dans ces climats. Ils sont plus près du soleil que nous dans leur été ; & plus loin dans leur hyver. Voyez CHALEUR.

L'illustre auteur de l'esprit des lois examine dans le XIV. livre de son excellent ouvrage, l'influence du climat sur les moeurs, le caractere, & les lois des peuples.

Après les détails physiques sur les effets du froid & du chaud, il commence par expliquer la contradiction qui se trouve dans le caractere de certains peuples. La chaleur, dit-il, donne d'un côté un corps foible, & de l'autre une imagination vive : voilà pourquoi les Indiens ont à certains égards tant de courage, & à d'autres tant de foiblesse. La foiblesse du corps rend naturellement paresseux ; de-là l'attachement de ces peuples à leurs usages : cette foiblesse portant à fuir les travaux même nécessaires, les législateurs sages doivent au contraire par leurs lois encourager le travail, au lieu de favoriser l'indolence. C'est à la dévotion spéculative des pays chauds qu'on doit la naissance du Dervichisme. L'ivrognerie est un vice des pays froids. La loi de Mahomet en défendant aux Arabes de boire du vin, étoit en cela conforme à leurs coûtumes. Les lois contre les maladies qui ne sont pas particulieres à un climat, mais qui y sont transplantées, comme la peste, la lepre, la vérole, &c. ne sauroient être trop séveres. Le suicide en Angleterre est l'effet d'une maladie ; & si les lois civiles de quelques pays peuvent avoir eu des raisons pour flétrir le suicide, du moins en Angleterre on n'a dû le regarder que comme un effet de la démence ; dans ce même pays où le peuple se dégoûte si aisément de la vie, on sent bien que le gouvernement d'un seul eût été pernicieux, & que les lois doivent gouverner plûtôt que les hommes. Ce caractere d'impatience & d'inquiétude est comme le gage de leur liberté. Nos peres les anciens Germains qui habitoient un climat froid, avoient des lois très-peu séveres sur la pudeur des femmes. Ce fut autre chose quand ils se virent transportés dans le climat chaud d'Espagne. Chez un peuple féroce comme les Japonois, les lois ne sauroient être trop dures, & le sont en effet : il en est & il en doit être autrement chez des peuples d'un caractere doux, comme les Indiens.

Voilà en peu de mots ce que dit l'auteur sur les effets du climat, & dont quelques écrivains lui ont fait des reproches, comme s'il faisoit dépendre tout du climat ; tandis qu'au contraire son ouvrage n'est destiné qu'à exposer la multitude presque infinie de causes qui influent sur les lois & sur le caractere des peuples, & dont on ne peut nier que le climat ne soit une des principales. C'est-là l'idée qu'on doit avoir de ce qu'on lit à ce sujet dans cet ouvrage, dans lequel il peut s'être glissé quelques propositions qui ont besoin d'être éclaircies, mais où l'on voit briller le philosophe profond, le citoyen vertueux. Notre nation lui a donné les applaudissemens qu'il méritoit, & les étrangers le regardent comme un ouvrage qui fait honneur à la France. (O)

CLIMAT, (Médec.) Les Médecins ne considerent les climats que par la température ou le degré de chaleur qui leur est propre : climat, dans ce sens, est même exactement synonyme à température ; ce mot est pris par conséquent dans un sens beaucoup moins vaste que celui de région, pays ou contrée, par lequel les Médecins expriment la somme de toutes les causes physiques générales ou communes, qui peuvent agir sur la santé des habitans de chaque pays ; savoir la nature de l'air, celle de l'eau, du sol, des alimens, &c. Voyez EAU, SOL, REGIME. Toutes ces causes sont ordinairement si confusément combinées avec la température des diverses contrées, qu'il est assez difficile de saisir quelques phénomenes de l'économie animale, qui ne dépendent uniquement que de cette derniere cause. Ce ne sera pas cependant une inexactitude blâmable, que de lui attribuer certains effets, dont elle est vraisemblablement la cause prédominante. Ainsi on peut avancer avec beaucoup de fondement, que c'est du climat que dépendent les différences des peuples, prises de la complexion générale ou dominante de chacun, de sa taille, de sa vigueur, de la couleur de sa peau & de ses cheveux, de la durée de sa vie, de sa précocité plus ou moins grande relativement à l'aptitude de la génération, de sa vieillesse plus ou moins retardée, & enfin de ses maladies propres ou endémiques.

On ne sauroit contester l'influence du climat sur le physique des passions, des goûts, des moeurs. Les plus anciens médecins avoient observé cette influence ; & les considérations de cette classe sont des objets si familiers aux Médecins, que si l'auteur de l'esprit des lois avoit pû supposer que leur doctrine sur cette matiere fût assez répandue, il auroit pû se contenter d'assûrer que les lois, les usages, le genre de gouvernement de chaque peuple, avoient un rapport nécessaire avec ses passions, ses goûts, ses moeurs, sans se donner la peine de déterminer le rapport de ces passions, de ces goûts, de ces moeurs, avec sa constitution corporelle dominante & l'influence du climat. Les lumieres supérieures de l'auteur l'ont pourtant sauvé de l'écueil presque inévitable, pour les talens même les plus distingués qui s'exercent sur des sujets qui leur sont étrangers. La partie médicinale des observations de l'auteur de ce livre sur les climats, mérite l'éloge des Médecins. Voyez le XIV. livre de l'esprit des lois.

Mais en nous attachant principalement aux affections corporelles de chaque nation relativement au climat sous lequel elle vit, les principales questions de Médecine qui se présentent sur cette matiere, se réduisent à celles-ci, 1°. quel est le tempérament, la taille, la vigueur, & les autres qualités corporelles particulieres à chaque climat ? Une réponse détaillée appartient proprement à l'histoire naturelle de chaque pays. Voyez les articles particuliers. On a cependant assez généralement observé que les habitans des climats chauds étoient plus petits, plus secs, plus vifs, plus gais, communément plus spirituels, moins laborieux, moins vigoureux ; qu'ils avoient la peau moins blanche ; qu'ils étoient plus précoces ; qu'ils vieillissoient plûtôt, & qu'ils vivoient moins que les habitans des climats froids ; que les femmes des pays chauds étoient moins fécondes que celles des pays froids ; que les premieres étoient plus jolies, mais moins belles que les dernieres ; qu'une blonde étoit un objet rare dans les climats chauds, comme une brune dans les pays du nord, &c. que dans les climats très-chauds l'amour étoit dans les deux sexes un desir aveugle & impétueux, une fonction corporelle, un appétit, un cri de la nature, in furias ignesque ruunt ; que dans les climats tempérés il étoit une passion de l'ame, une affection refléchie, méditée, analysée, systématique, un produit de l'éducation ; & qu'enfin dans les climats glacés, il étoit le sentiment tranquille d'un besoin peu pressant.

Au reste, tant de causes physiques & morales cooperent dans tout ceci, que les observations que nous venons de faire, ne doivent pas être regardées comme générales & constantes.

Par exemple, à Paris, sous un climat beaucoup plus froid que celui des provinces méridionales de France, les filles sont plûtôt formées (puberes) que dans ces provinces, & devancent sur-tout de beaucoup celles des campagnes des environs de Paris, qui vivent sous la même température. Cette prérogative de la capitale dépend de plusieurs causes sensibles, entre lesquelles celle qui me paroît la plus particuliere, & par conséquent la plus évidente, c'est que Paris est une espece de foyer de connoissances & de vices : or que la précocité dont nous parlons, la précocité corporelle, puisse être dûe à l'exercice précoce des facultés intellectuelles, c'est une vérité d'expérience. Les écoliers, les petites demoiselles bien élevées, sortent de l'enfance avant les enfans de la campagne & du peuple ; c'est un fait : mais que cette adolescence hative puisse être héréditaire, c'est un corollaire de cette observation, que les fonctions animales & l'aptitude à les exercer, se perfectionnent de génération en génération jusqu'à un certain terme, & que les dispositions corporelles & les facultés de l'ame sont entr'elles dans un rapport qui peut être transmis par la génération, &c.

2°. Quel est le régime, la maniere de vivre la plus propre à chaque climat ? Cette question est fort générale ; elle s'étend à l'usage des diverses choses que les Médecins appellent non-naturelles ; l'air, les alimens, le sommeil, l'exercice, l'acte vénérien, les affections de l'ame.

Il est fort inutile de donner des préceptes sur les incommodités de l'air ; on peut s'en rapporter aux habitans de divers climats du soin de se prémunir contre les injures du froid & du chaud : c'est-là un de ces besoins majeurs sur lesquels les leçons de la nature la plus brute sont ordinairement suffisantes aux hommes, ou du moins que les premiers progrès de la raison apprennent à satisfaire.

En général on doit moins manger dans les climats chauds que dans les climats froids, & les excès dans le manger sont plus dangereux dans les premiers que dans les derniers. Mais la faim se fait aussi moins sentir lorsqu'on essuie de la chaleur, que lorsqu'on éprouve du froid : ainsi cette regle de diete sera facilement observée.

La médecine rationnelle ou théorique qui se trompe si souvent, a dit que la partie aqueuse de notre sang étant dissipée par la chaleur dans les climats chauds, il falloit réparer cette perte par la boisson abondante d'un liquide semblable ; & que dans les climats froids, les liqueurs spiritueuses étoient plus salutaires. La médecine pratique ou l'observation dit au contraire que les liqueurs spiritueuses, aromatiques, acides, les épiceries, l'ail, l'oignon, en un mot les alimens & les boissons qui sont directement opposés à la qualité relâchante & inactive (iners) de l'eau, sont d'un excellent usage dans les climats chauds, & que la boisson de l'eau pure y est très-pernicieuse ; qu'elle jette les corps accablés de chaleur dans un abattement, une langueur, un épuisement qui les rend incapables des moindres fatigues, & qui peut devenir même dangereux & mortel. Aussi les paysans de nos provinces méridionales, occupés des travaux les plus pénibles de la campagne pendant les plus fortes chaleurs, se gardent bien alors de boire une seule goutte d'eau, boisson qu'ils se permettent pendant leurs travaux de l'hyver. Les boissons aqueuses tiedes, le thé, & autres legeres infusions de quelques feuilles de plantes aromatiques, sont fort usitées dans les climats froids, où elles ne sont pas fort salutaires apparemment, mais où elles ne sont pas à beaucoup près si dangereuses qu'elles le seroient en Espagne, où le chocolat le plus aromatisé & par conséquent le plus échauffant, est d'un usage aussi fréquent que le thé l'est en Angleterre. Quant aux liqueurs fortes que les peuples des pays du nord boivent habituellement, il faudroit que la dose journaliere moyenne d'un manoeuvre ou d'un paysan de ces pays, fût bien forte pour être équivalente à quatre ou cinq pintes de vin très-violent que tout paysan languedocien ou provençal boit au moins par jour, sur-tout en été.

Il ne seroit pas difficile de donner de très-bonnes raisons de l'utilité du régime que nous approuvons, mais l'observation suffit, elle est constante. Il n'en est pas moins vrai que les excès de liqueurs fortes sont plus pernicieux dans les climats chauds que dans les climats froids ; c'est encore un fait. Les crapuleux ne font que s'abrutir dans les pays du nord ; au lieu que dans nos colonies de la zone torride, l'abus des liqueurs fortes est une des causes qui fait le plus de ravages parmi les colons nouvellement transplantés.

Le juste milieu pour les personnes qui ne sont pas obligées aux travaux pénibles, me paroît consister en ceci : d'abord il faut laisser à chaque peuple le fond de nourriture auquel il est accoûtumé ; le ris à l'oriental, le macaron à l'italien, le boeuf à l'anglois, &c. Nous ne sommes pas assez avancés sur le bon & le mauvais effet de chaque aliment, pour pouvoir prescrire sur ce point des regles de détail. On peut avancer cependant en général, que les fruits, les légumes, & les viandes legeres, conviennent mieux aux habitans des climats chauds, & qu'on doit animer un peu ceux de ces alimens qui ont besoin de quelque préparation, par l'addition des épiceries & de certaines plantes aromatiques indigenes, comme le thym, le baume, l'hysope, le basilic, le fenouil, &c. Quant aux boissons, on doit faire usage aux repas pendant les grandes chaleurs, des liqueurs vineuses legeres, comme la petite biere, les vins acidules plus ou moins trempés, les gros vins acerbes de certains climats chauds plus trempés encore. Toutes ces boissons doivent être prises très-fraîches, & même à la glace, quand ce degré de froid n'incommode pas sensiblement. Les liqueurs glacées aigrelettes & les glaces bien parfumées prises entre les repas, sont aussi d'une grande ressource dans les climats chauds : la plus grande partie des médecins en ont condamné l'usage ; mais ce sont encore ici des clameurs théoriques. Voyez GLACE (Médecine).

Les farineux non-fermentés, les laitages, les grosses viandes, les poissons séchés, fumés, salés, les viandes fumées & salées, sont des alimens qui paroissent propres aux habitans des climats froids ; la moutarde, la racine du raifort sauvage, certaines substances végétales & animales à demi putréfiées, comme le sauer-kraut, &c. peuvent fournir aux habitans de ces contrées des assaisonnemens utiles. Les liqueurs fortes, c'est-à-dire les liqueurs spiritueuses distillées & dépouillées par cette opération d'une substance tartareuse & extractive, qui est dans les vins un correctif naturel de la partie spiritueuse ; ces liqueurs, dis-je, conviennent éminemment aux pays froids : le caffé à grande dose, la boisson abondante du thé & des autres liqueurs aqueuses qui se prennent chaudes, sont aussi très-utiles dans ces climats, sur-tout par la circonstance d'être prises chaudes, & peut-être uniquement par cette qualité.

Les excès avec les femmes sont aussi très-pernicieux dans les climats chauds. Les habitans de nos îles de l'Amérique & de nos comptoirs dans les grandes Indes, y succombent fort communément. Les habitans des climats froids n'en sont pas, à beaucoup près, si incommodés ; au moins l'excès ne commence-t-il pas si-tôt pour eux, comme nous l'avons déjà observé.

Les exercices doivent être plus modérés dans les climats chauds que dans les climats froids. Cette loi découle tout simplement de l'observation de la moindre vigueur des habitans des premiers.

Le sommeil est fort salutaire aux corps accablés par la chaleur : les habitans des climats froids soûtiennent mieux les veilles.

Pour ce qui regarde la derniere de nos six choses non-naturelles, les affections de l'ame, animi pathemata ; quand même la Médecine seroit venue à-bout de déterminer exactement celles qui sont propres à chaque climat, & même qu'elle auroit gradué sur l'échelle du thermometre, ce qui peut s'exécuter très-facilement, l'intensité salutaire de chacune, il resteroit encore à découvrir la façon de les exciter & de les entretenir sous les diverses températures ; ce qui est très-possible encore, quoique d'une exécution peu commode : mais la morale médicinale n'en est pas encore là, malgré les progrès qu'elle vient de faire tout récemment. Voyez PASSION (Médec.), voyez REGIME.

Au reste, la plûpart des observations que nous venons de faire sur le régime propre aux climats, convient à-peu-près dans le même sens aux saisons. Voyez SAISON.

3°. Quelles sont les maladies particulieres aux différens climats, & leurs causes ? Voyez MALADIES ENDEMIQUES, au mot ENDEMIQUE.

4°. Les maladies générales ou communes à toutes les nations, varient-elles sous les différens climats dans leurs progrès & dans leur terminaison, ou dans l'ordre & la succession de leurs accidens & de leurs crises ? en un mot ont-elles un type différent ? le traitement de ces maladies doit-il varier aussi dans les divers climats ; ou, au contraire, une maladie générale, une pleurésie, une fievre putride, est-elle la même à Londres & à Rome ? les descriptions d'Hippocrate peignent-elles exactement une maladie de Paris ? &, ce qui est bien plus essentiel, faut-il traiter une même maladie par la même méthode dans tous les climats ? Voyez CRISE, voyez TYPE (Médecine), voyez METHODE CURATIVE.

Le climat agit plus sensiblement sur les corps qu'il affecte par une impression soudaine, c'est-à-dire que les hommes nouvellement transplantés sont plus exposés aux incommodités qui dépendent du climat, que les naturels de chaque pays, & cela d'autant plus que leur climat naturel differe davantage de la température du nouveau pays qu'ils habitent.

C'est une observation constante & connue généralement, que les habitans des pays chauds peuvent passer avec moins d'inconvéniens dans des régions froides, que les habitans de celles-ci ne peuvent s'habituer dans les climats chauds. (b)


CLIMATÉRIQUEvoyez CLIMACTERIQUE.


CLIMAX(Belles-Lettres) du grec , gradation ; figure de Rhétorique par laquelle le discours s'éleve ou descend comme par degrés : telle est cette pensée de Cicéron contre Catilina : Nihil agis, nihil moliris, nihil cogitas, quod ego non audiam, non videam, planeque sentiam ; tu ne fais rien, tu n'entreprends rien, tu ne penses rien, que je n'apprenne, que je ne voye, dont je ne sois parfaitement instruit : ou cette invitation à son ami Atticus : Si dormis, expergiscere ; si stas, ingredere ; si ingrederis, curre ; si curris, advola : ou ce trait contre Verrès : C'est un forfait que de mettre aux fers un citoyen romain ; un crime, que de le faire battre de verges ; presqu'un parricide, que de le mettre à mort ; que dirai-je, de le faire crucifier ? (G)


CLINCARTS. m. (Marine) on appelle ainsi certains bateaux plats qui sont en usage en Suede & en Danemark. Dict. de Trév. & du Comm.


CLINCHES. m. (Serrur.) c'est dans une serrure une piece appliquée au-dessus du pesle & de sa longueur ; elle a une tête qui sort hors du palâtre & entre dans le mantonnet ; elle est arrêtée avec un étochio par l'autre bout au bas du palâtre ; au-dessus il y a un ressort double qui tient toute la longueur du palâtre, & qui sert à faire tomber le clinche dans le mantonnet : quand on ouvre la porte, le clinche s'ouvre avec une petite clé, pour éviter de porter la grosse clé : mais quand on ouvre avec la grosse clé, la grosse clé ouvre le clinche, qu'elle attrape par une barbe qu'on y a pratiquée. On pratique un clinche aux serrures des portes-cocheres.


CLINGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Thuringe.


CLINGENAW(Géog. mod.) ville de Suisse dans le canton de Bade, sur l'Aar.


CLINIQUEadj. (Médecine) épithete commune à la Médecine & aux Médecins, à l'art & aux artistes, se donnant également à l'un & à l'autre.

On appelle médecine clinique, la méthode suivie de voir & de traiter les malades alités ; & l'on nomme médecins cliniques, ceux qui assistent auprès du lit des malades pour traiter leurs maux. C'étoit principalement aux médecins des empereurs auxquels on donnoit anciennement ce nom.

On employoit chez les Romains les esclaves au soin de garder les malades, ce qui fit qu'on les appella medici ad matulam ; & pour leur faire plus d'honneur, quelques auteurs leur donnerent aussi le nom de medici clinici, parce qu'ils ne bougeoient d'auprès du lit des malades. Mais c'étoit-là détourner ironiquement la signification du mot clinicus, qui désignoit dans son vrai sens un médecin proprement dit, un homme éclairé qui voyoit les malades au lit, & leur prescrivoit des remedes.

Martial, liv. I. épigramm. xxxj. détourne aussi la véritable signification de clinicus, dans une épigramme où il parle d'un pauvre chirurgien, en latin vespillo, qui faute d'emploi s'étoit mis à porter les morts en terre ou sur le bûcher :

Chirurgus fuerat, nunc est vespillo Diaulus ;

Caepit quo potuit, clinicus esse modo.

La pointe de cette épigramme consiste dans l'équivoque qui naît du double sens du mot , d'où clinicus a été formé, & qui signifie également un lit & une biere.

Pline fait Hippocrate auteur de la médecine clinique : il n'y a pas toutefois de vraisemblance que l'on ait tardé si long-tems à visiter les malades dans leur lit ; mais ce qui distingua si fort à cet égard l'ami de Démocrite, c'est comme le remarque le même auteur, qu'il a été le premier qui ait clairement enseigné la Médecine. Génie supérieur, il profita des lumieres de son siecle, & fit servir, comme Boerhaave a fait de nos jours, la Philosophie à la Médecine, & la Médecine à la Philosophie. " Il faut, disoit ce grand homme, réunir avec soin ces deux sciences ; car un médecin qui est philosophe est égal à un Dieu ".

Cependant c'est Esculape qui est le véritable inventeur de la médecine clinique, celui qui le premier l'a pratiquée : les Médecins avant lui ne visitoient point les malades au lit, on les portoit dans les carrefours pour recevoir les avis des passans. Le centaure Chiron se tenoit dans sa grotte, attendant qu'on l'y vînt consulter. Quant aux médecins de moindre importance, il est probable que semblables à nos empyriques modernes, ils couroient les foires pour débiter leurs remedes sans s'aviser d'aller voir les malades pour observer les changemens qui arrivent dans les maladies, & y apporter les secours nécessaires.

Cette coûtume introduite par Esculape, fit que les médecins qui l'imiterent furent appellés cliniques, afin de les distinguer des coureurs de marchés. Sa méthode clinique lui réussit au point qu'on ne parla plus que de la médecine d'Esculape & de ses miracles. Les jumeaux, Castor & Pollux, le voulurent avoir avec eux au fameux voyage des Argonautes ; & quelques cures surprenantes qu'il avoit faites de certains malades desespérés, firent que l'on crut qu'il guérissoit les morts. La fable ajoûte que sur la plainte rendue par Pluton que si on laissoit agir Esculape, personne ne mourant, les enfers seroient bientôt vuides, Jupiter tua d'un coup de foudre le célebre médecin d'Epidaure, & Hippolyte que ce médecin avoit ressuscité. Aujourd'hui les sectateurs d'Esculape n'ont pas à craindre le sort du fils d'Apollon. Article de M(D.J.)

CLINIQUES, s. m. pl. terme d'hist. ecclésiast. c'est le nom qu'on donnoit anciennement à ceux qui avoient été baptisés dans leur lit & en maladie ; du grec , lit.

Cela étoit assez fréquent dans les premiers siecles, où plusieurs différoient ainsi leur baptême jusqu'à l'article de la mort, quelquefois par humilité, souvent aussi pour pécher avec plus de liberté. L'empereur Constantin ne fut baptisé que quelques jours avant sa mort. On appelloit ces sortes de personnes cliniques, comme qui diroit chrétiens du lit, & on les regardoit comme foibles dans la foi & dans la vertu. Les Peres s'éleverent contre cet abus ; & le concile de Neocesarée, canon 12. déclare les cliniques irréguliers pour les ordres sacrés, à moins qu'ils ne soient d'un mérite distingué, & qu'on ne trouve pas d'autres ministres ; parce qu'on croyoit qu'il n'y avoit qu'une crainte servile qui avoit déterminé les cliniques à recevoir le baptême. Et le pape S. Corneille, dans une lettre rapportée par Eusebe, dit que le peuple s'opposa à l'ordination de Novatien, parce qu'il avoit été baptisé dans son lit, étant malade. Thomass. discipl. de l'église, part. IV. liv. II. ch. xiij. (G)


CLINOIDESadj. en Anat. se dit des quatre apophyses de l'os sphénoïde, & qu'on nomme ainsi, suivant quelques-uns, à cause de leur ressemblance avec les piés d'un lit. Voyez SPHENOÏDE.

Ce mot est formé du grec , lit, & , forme, soit à cause de la ressemblance que ces trois os ont avec les piés d'un lit, soit qu'ils ayent tiré ce nom de la cavité qu'ils forment, laquelle ressemble à un lit même. (L)


CLINOPODIUM(Hist. nat. bot.) basilic sauvage ; genre de plante à fleur monopétale, labiée, dont la levre supérieure est relevée, arrondie, & le plus souvent échancrée ; l'inférieure est divisée en trois parties : il sort du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences oblongues enfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoûtez aux caracteres de ce genre que les fleurs sont rangées par étages & par anneaux autour des branches & des tiges. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CLINQUANTS. m. (Manufact. en soie, Ruban. &c.) est une petite lame plate d'or ou d'argent, fin ou faux, qui se met dans les galons & rubans pour leur donner plus d'éclat par leur brillant. Le clinquant est toûjours sur une navette séparée, dont on passe seulement quelques coups de distance en distance, suivant que le dessein l'exige. Les levées pour les fixer dans l'ouvrage sont les moins considérables qu'il est possible, afin de laisser le clinquant plus à découvert.


CLIOvoyez MUSES.


CLIPEUou CLIPEUM, bouclier, (Hist. anc.) piece de l'armure défensive que les anciens portoient sur le bras pour se garantir des coups de l'ennemi. Voyez ECU & BOUCLIER.

Sa figure étoit ronde ou ovale, ou circulaire ou exagone ; il y avoit au milieu une bossette de fer ou de quelqu'autre métal qui finissoit en pointe. Les grands boucliers ou targes qui avoient trois piés & demi ou quatre piés de hauteur, & couvroient presque tout le corps du fantassin, étoient en quarré long, demi-ceintrés, comme les tuiles qu'on nomme imbrices. (G)


CLIQUARTS. m. (Architect. & Maçon.) pierre anciennement connue sous le nom de pierre de bas appareil ; c'est une des meilleures especes qu'on tire des carrieres des environs de Paris. On prétend qu'elles en sont épuisées. Voyez Dish.


CLIQUETdans l'Horlogerie, est une espece de petit levier v u, toûjours déterminé dans une certaine position au moyen d'un ressort r r qui appuie sur l'une de ses extrémités. On l'employe ordinairement lorsque l'on veut qu'une roue tourne dans un sens, sans qu'elle puisse retourner dans le sens contraire. Sa figure est différente, selon les différentes parties où il est employé. Voyez FUSEE, ROCHET, ENCLIQUETAGE ; & la fig. 7. Plan. III. de l'Horlog. & la fig. 49. Pl. de l'Horlog. 2. c. (T)

CLIQUET, en terme de Metteur en oeuvre, est la partie supérieure de la brisure qui entre & sort de la charniere. Voyez BRISURE & CHARNIERE.

CLIQUET, s. m. (Oeconom. rustiq.) c'est une piece du moulin à grain : elle tient à la tremie, d'où elle fait descendre peu-à-peu le grain sur les meules. Voyez MOULIN A GRAIN.


CLIQUETISsub. m. (Médec.) espece de bruit ou craquement ; il se dit des os dans certaines circonstances ou maladies.

Le cliquetis ou la crépitation des os, est un bruit que les os font dans certains mouvemens & dans certains cas, dont la cause est la dégénération, & plus souvent encore la disette de la synovie, cette liqueur mucilagineuse que Clopton Havers, auquel on doit tant de belles découvertes sur le méchanisme des os, a parfaitement connue. V. SYNOVIE.

Or toutes les fois que la secrétion de cette liqueur est trop peu abondante, l'articulation devient roide ; & lorsqu'on veut mouvoir l'os, on entend un craquement, comme les vieillards l'éprouvent fort souvent ; ce qui provient chez eux, en partie de la disette de cette humeur gluante destinée à la lubrification des os, en partie de la callosité, & quelquefois de l'ossification des ligamens. On remarque la même chose dans les hommes qui ont été occupés à des travaux violens avant que d'arriver à un grand âge ; l'excès du mouvement musculaire a endurci dans ces hommes robustes les parties fermes du corps, & a dissipé l'humeur huileuse nécessaire à leur mouvement.

Le craquement des os accompagne aussi quelquefois le scorbut, & autres maladies des os où la synovie manque ; comme aussi celles qui donnant de plus grandes surfaces à des os emboîtés ensemble, les collent par une humeur accidentelle.

Quelques personnes font craquer à plaisir & à volonté les jointures de leurs doigts en les tirant d'une certaine maniere ; c'est qu'alors ils allongent les ligamens élastiques des jointures, & séparent avec vîtesse deux surfaces osseuses qui se touchoient immédiatement.

Lorsque le cliquetis des os est produit par la vieillesse, il est incurable ; lorsqu'il vient de la disette, de l'excès, de la dégénération, de l'épaississement du mucilage d'Havers, il cesse seulement par la guérison de la maladie dont il est l'effet.

Tous les remedes extérieurs, comme les huiles pénétrantes, & les fomentations émollientes quand la synovie manque ; ou les résolutifs spiritueux en forme d'embrocation, quand l'humeur synoviale peche par son excès, son épaississement, sa dégénération ; tous ces remedes, dis-je, ne seront que des palliatifs peu secourables, sans les remedes internes diversifiés suivant les causes : ce seroit se tromper soi-même que d'imaginer le contraire. Si dans les méthodes curatives on ne remonte aux sources du mal, comment détruira-t-on les effets qui en découlent ? Article de M(D.J.)

CLIQUETIS, s. m. pl. (Pêche) pierres trouées que les Pêcheurs attachent au verveux pour le faire descendre. Voyez VERVEUX.


CLISSA(Géog. mod.) forteresse de Dalmatie appartenante aux Turcs. Long. 35. lat. 44.


CLISSON(Marine) voyez CLOISON & FRONTEAU.

CLISSON, s. m. (Comm.) toile de lin ni fine ni grosse propre à faire des chemises, qui se fabrique en Bretagne. Voyez le dictionn. du Comm.

CLISSON, (Géog. mod.) petite ville de Bretagne, au pays Nantois, sur la Seure. Long. 16. 20. latit. 47. 6.


CLISTRERCLISTRER


CLITHERA(Géog. mod.) ville d'Angleterre dans la province de Lancashire. Long. 14. 28. lat. 53. 50.


CLITORISS. m. terme d'Anatom. corps rond & long situé à la partie antérieure de la vulve ou des parties naturelles des femelles, en qui il est un des principaux organes de la génération.

Le mot est dérivé du verbe , je ferme. Sa figure ressemble ordinairement à celle d'un gland ; il est pour l'ordinaire proportionné à la grandeur de l'animal ; cependant il y a des femmes qui l'ont fort gros & fort long. Il ressemble en beaucoup de choses à la verge du mâle, ce qui fait que quelques-uns l'appellent la verge de la femelle.

En effet il est composé des mêmes parties : il a deux corps caverneux, un gland à l'extrémité couvert d'un prépuce, mais qui n'est pas percé comme le membre viril ; il a seulement la marque du trou. Voyez GLAND, PREPUCE, &c. voyez aussi NYMPHES.

Il a aussi deux muscles qui le font dresser dans le coït ; alors il enfle & durcit. Quelques anatomistes lui donnent aussi deux muscles éjaculateurs. Voyez aussi les art. EJACULATEUR, ERECTEUR, & ERECTION.

C'est une partie extrèmement sensible, & qui est le siége principal du plaisir dans la femelle ; raison pour laquelle quelques-uns lui ont donné le nom d'aestrum Veneris, aiguillon de Vénus. Il s'est trouvé des femmes qui en ont abusé.

Lorsqu'il avance trop en-dehors dans la femme, on en retranche une partie, & c'est en quoi peut consister la circoncision des femmes. Il est quelquefois si gros & si long, qu'il a tout-à-fait l'air d'un membre viril ; & c'est de-là souvent que l'on qualifie des femmes d'être hermaphrodites. V. HERMAPHRODITE & CIRCONCISION.

Les corps spongieux du clitoris naissent distincts de la partie inférieure de l'os pubis ; & approchant par degrés l'un de l'autre, forment en s'unissant le corps du clitoris. Avant leur union on les appelle cuisses du clitoris, crura clitoridis, & ils sont deux fois aussi longs que le clitoris même. Voyez CUISSE & CAVERNEUX.

Ses muscles naissent de la tubérosité de l'ischium, & s'inserent dans les corps spongieux. Les veines & les arteres viennent des hémorroïdales & des honteuses, & les nerfs des intercostaux.

Muscles du clitoris, voyez ERECTEUR DU CLITORIS. (L)


CLITUNNO(Géog. mod.) riviere d'Italie dans la principauté de Spolete, en Ombrie, dans l'état de l'Eglise.


CLIVERen terme de Diamantaire, c'est séparer un diamant en deux ou plusieurs parties, en le mettant sur un plomb où il entre à moitié, & frappant avec un marteau sur un couteau fixé sur le point où l'on veut séparer le diamant. Il n'y a que ceux dont on suit le fil qui se clivent de cette maniere ; encore pour peu que la piece soit de conséquence on la scie, plutôt que d'encourir les risques du clivage.


CLOAQUES. m. (Hist. anc. & Architect.) aquéduc soûterrain qui reçoit les eaux & les ordures d'une grande ville : mais le mot cloaque n'est guere du bel usage que pour les ouvrages des anciens ; en parlant des ouvrages modernes, on dit ordinairement égoût. Le mot latin est cloaca, mot que quelques étymologistes dérivent de cluo, salir, infecter par sa mauvaise odeur.

Le cloaque est assez exactement défini par le célebre jurisconsulte Ulpien, un lieu soûterrain fait par art pour écouler les eaux & les immondices d'une ville.

Denis d'Halicarnasse nous apprend que le roi Tarquin le vieux est le premier qui commença de faire des canaux sous la ville de Rome, pour en conduire les immondices dans le Tibre. Les canaux de cette espece augmenterent insensiblement, se multiplierent à mesure que la ville s'aggrandit, & furent enfin portés à leur perfection sous les empereurs.

Comme les Romains dans les premiers tems de la république travailloient à ces canaux, ils trouverent dans un d'eux la statue d'une femme ; ils en furent frappés : ils en firent une déesse qui présidoit aux cloaques, & qu'ils nommerent Cloacine. S. Augustin en parle au liv. IV. de la cité de Dieu, ch. xxiij.

Il n'en falloit pas tant pour engager des peuples de ce caractere à la multiplication de ces sortes d'ouvrages : leur religion s'y vit intéressée ; car ils mêloient une espece de sentiment religieux à leur attachement pour la ville de Rome ; cette ville fondée sous les meilleurs auspices ; cette ville dont le capitole devoit être éternel comme elle, & la ville éternelle comme son fondateur, le desir de l'embellir fit sur leur esprit une impression qu'on ne sauroit imaginer.

L'exemple, l'émulation, l'envie de s'illustrer, de s'attirer les suffrages & la considération de ses compatriotes, & plus que tout cela, l'amour pour le bien commun, que nous regardons aujourd'hui comme un être de raison, produisirent ces édifices superbes & nécessaires qu'on admirera toûjours ; ces chemins publics qui ont résisté à l'injure de tous les tems ; ces aquéducs qui s'étendoient quelquefois à cent milles d'Italie, qui étoient percés à-travers les montagnes, qui fournissoient à Rome cinq cent mille muids d'eau dans vingt-quatre heures ; ces cloaques immenses bâtis sous toute l'étendue de la ville en forme de voûte, sous lesquels on alloit en bateau, où dans quelques endroits des charrettes chargées de foin pouvoient passer, & qui étoient arrosés d'une eau continuelle qui empêchoit les ordures d'y pouvoir séjourner (il y en avoit un entr'autres qui se rendoit dans le Tibre de tous les côtés & de toutes les parties de la ville) ; c'étoit, dit Pline, le plus grand ouvrage que des mortels eussent jamais exécuté.

Cassiodore qui vivoit en 470, qui étoit préfet du prétoire sous Théodoric roi des Goths, & bon connoisseur en Architecture, avoue dans le recueil de ses lettres, epist. xxx. lib. V. qu'on ne pouvoit considérer les cloaques de Rome sans en être émerveillé.

Pline, lib. XXXIII. ch. xv. dans la description qu'il donne des ouvrages que l'on voyoit de son tems dans cette capitale du monde, remarque encore que l'on y admiroit par-dessus tous les aquéducs soûterrains de ce genre, ceux que construisit Agrippa à ses dépens pendant son édilité, & dans lesquels il fit écouler toutes les eaux & les ordures de cette ville immense. Il s'agit ici d'Agrippa favori & gendre d'Auguste, qui décora Rome non-seulement des cloaques dont parle Pline, mais de nouveaux chemins publics, & d'autres ouvrages aussi magnifiques qu'utiles, en particulier de ce fameux temple qu'il nomma le panthéon, construit en l'honneur de tous les dieux, & qui subsiste encore à quelques égards sans ses anciennes statues & ses autres ornemens, sous le nom de Notre-Dame de la Rotonde.

Le soin & l'inspection des cloaques appartinrent, jusqu'au tems d'Auguste, aux édiles, qui nommoient à cet effet des officiers, sous le titre de curatores cloacarum.

Voilà quel étoit l'esprit dont les Romains étoient animés : en lisant leur histoire, nous les voyons d'autres hommes que nous ; car ils ignoroient ce que nous connoissons trop, l'indifférence pour la patrie. M. de Voltaire suppose que dans les premiers tems de la république, un citoyen dont la passion dominante étoit le desir de rendre son pays florissant, remit au consul Appius un mémoire dans lequel il représentoit les avantages qu'on retireroit de réparer les grands chemins & le capitole, de former des marchés & des places publiques, de bâtir de nouveaux cloaques pour emporter les ordures de la ville, source de maladies qui faisoient périr plusieurs citoyens : le consul Appius touché de la lecture de ce mémoire, & pénétré des vérités qu'il contenoit, immortalisa son nom quelque tems après par la voie Appienne : Flaminius fit la voie Flaminienne ; un autre embellit le capitole ; un autre établit des marchés publics ; & d'autres construisirent les aquéducs & les égoûts. L'écrit du citoyen obscur, dit à ce sujet l'illustre écrivain déjà cité, fut une semence qui germa bien-tôt dans l'esprit de ces grands hommes, capables de l'exécution des plus grandes choses. Cet article est de M(D.J.)


CLOCHES. f. (Hist. anc. mod. Arts méchan. & Fond.) c'est un vase de métal qu'on met au nombre des instrumens de percussion, & dont le son est devenu parmi les hommes un signe public ou privé qui les appelle.

On fait venir le mot françois cloche de cloca, vieux mot gaulois pris au même sens dans les capitulaires de Charlemagne.

L'origine des cloches est ancienne : Kircher l'attribue aux Egyptiens, qui faisoient, dit-il, un grand bruit de cloches pendant la célébration des fêtes d'Osiris. Chez les Hébreux le grand-prêtre avoit un grand nombre de clochettes d'or au bas de sa tunique. Chez les Athéniens les prêtres de Proserpine appelloient le peuple aux sacrifices avec une cloche, & ceux de Cybele s'en servoient dans leurs mysteres. Les Perses, les Grecs en général, & les Romains, n'en ignoroient pas l'usage. Lucien de Samosate qui vivoit dans le premier siecle, parle d'un horloge à sonnerie. Suétone & Dion font mention dans la vie d'Auguste, de tintinnabula, ou cloche, si l'on veut. On trouve dans Ovide les termes de aera, pelves, lebetes, &c. auxquels on donne la même acception. Les anciens annonçoient avec des cloches les heures des assemblées aux temples, aux bains, & dans les marchés, le passage des criminels qu'on menoit au supplice, & même la mort des particuliers : ils sonnoient une clochette afin que l'ombre du défunt s'éloignât de la maison : Temesaeaque concrepat aera, dit Ovide, & rogat ut tectis exeat umbra suis. Il est question de cloches dans Tibulle, dans Strabon, & dans Polybe qui vivoit deux cent ans avant Jesus-Christ. Josephe en parle dans ses antiquités judaïques, liv. III. On trouve dans Quintilien le proverbe nola in cubiculo ; ce mot nola, cloche, a fait penser que les premieres cloches avoient été fondues à Nole, où S. Paulin a été évêque, & qu'on les avoit appellées campanae, parce que Nole est dans la Campanie. D'autres font honneur de l'invention des cloches au pape Sabinien qui succéda à S. Grégoire : mais ils se trompent ; on ne peut revendiquer pour le pape Sabinien & saint Paulin que d'en avoir introduit l'usage dans l'Eglise, soit pour appeller le peuple aux offices divins, soit pour distinguer les heures canoniales. Cet usage passa dans les églises d'Orient ; mais il n'y devint jamais fort commun, & il y cessa presqu'entierement après la prise de Constantinople par les Turcs ; qui l'abolirent sous le prétexte que le bruit des cloches troubloit le repos des ames qui erroient dans l'air, mais par la crainte qu'il ne fût à ceux qu'ils avoient subjugués un signal en cas de révolte ; cependant il continua au mont Athos & dans quelques lieux écartés de la Grece. Ailleurs on suppléa aux cloches par un ais appellé symandre & par des maillets de bois, ou par une plaque de fer appellée le fer sacré, , qu'on frappoit avec des marteaux.

Il en est de la fonderie des grosses cloches ainsi que de la fonderie des canons, de l'art d'imprimer, de l'invention des horloges à roue ou à soleil, de la boussole, des lunettes d'approche, du verre, & de beaucoup d'autres arts, dûs au hasard ou à des hommes obscurs ; on n'a que des conjectures sur l'origine des uns & on ne sait rien du tout sur l'origine des autres, entre lesquels on peut mettre la fonderie des grosses cloches. On croit que l'usage dans nos églises n'en est pas antérieur au sixieme siecle : il y étoit établi en 610 ; mais le fait qui le prouve, savoir la dispersion de l'armée de Clotaire au bruit des cloches de Sens, que Loup évêque d'Orléans fit sonner, prouve aussi que les oreilles n'étoient pas encore faites à ce bruit.

L'Eglise qui veut que tout ce qui a quelque part au culte du souverain Etre, soit consacré par des cérémonies, bénit les cloches nouvelles ; & comme ces cloches sont présentées à l'église ainsi que les enfans nouveaux-nés, qu'elles ont parrains & marraines, & qu'on leur impose des noms, on a donné le nom de baptême à cette bénédiction.

Le baptême des cloches dont il est parlé dans Alcuin, disciple de Bede & précepteur de Charlemagne, comme d'un usage antérieur à l'année 770, se célebre de la maniere suivante, selon le pontifical romain. Le prêtre prie ; après quelques prieres, il dit : Que cette cloche soit sanctifiée & consacrée, au nom du Pere, du Fils, & du S. Esprit : il prie encore ; il lave la cloche en-dedans & en-dehors avec de l'eau bénite ; il fait dessus sept croix avec l'huile des malades, & quatre dedans avec le chrême ; il l'encense, & il la nomme. Ceux qui seront curieux de tout le détail de cette cérémonie ; le trouveront dans les cérémonies religieuses de M. l'abbé Banier.

Après cet historique que nous avons rendu le plus court qu'il nous a été possible, nous allons passer à des choses plus importantes, auxquelles nous donnerons toute l'étendue qu'elles méritent. C'est la fonte des cloches. Pour qu'une cloche soit sonore, il faut donner à toutes ses parties certaines proportions. Ces parties sont, fig. 1. le cerveau a N (voyez la Pl. I. de la Fonderie des cloches) ; les anses tiennent au cerveau, qui dans les grandes cloches est renforci d'une épaisseur Q qu'on appelle l'onde : le vase supérieur K N, qui s'unit en K à la partie K 1 ; on appelle faussure le point K où les portions de courbes N K, K 1, se joignent : la gorge ou fourniture K 1 C ; on appelle la partie inférieure 1 C de la fourniture, pince, panse, ou bord : la patte C D 1.

Le bord C 1 qui est le fondement de toute la mesure, se divise en trois parties égales, que l'on appelle corps, & qui servent à donner les différentes proportions selon lesquelles il faut tracer le profil d'une cloche, profil qui doit servir à en former le moule.

Tirez la ligne H D qui représente le diametre de la cloche ; élevez sur le milieu F la perpendiculaire F f ; élevez sur le milieu des parties F D, F H, deux autres perpendiculaires G a, E N : G E sera le diametre du cerveau ; c'est-à-dire que le diametre du cerveau sera la moitié de celui de la cloche, & qu'il aura le diametre d'une cloche qui sonneroit l'octave de celle dont il est le cerveau.

Divisez la ligne H D diametre de la cloche en 15 parties égales, & vous aurez C 1 épaisseur du bord ; divisez une de ces quinze parties égales en trois autres parties égales, & formez-en une échelle qui contienne quinze bords ou quarante-cinq tiers de bords ou corps : la longueur de cette échelle sera égale au diametre de la cloche.

Prenez sur l'échelle avec le compas douze bords ; portez une des pointes de votre compas en D ; décrivez de cette ouverture un arc qui coupe la ligne E e au point N ; tirez la ligne D N ; divisez cette ligne en douze parties égales, ou bords 1, 2, 3, 4, 5, &c. élevez au point 1 la perpendiculaire C 1 ; faites C 1 égale à 1, 0, & vous aurez l'épaisseur C 1 du bord de la cloche que vous voulez fondre, égale à la quinzieme partie du diametre, & telle qu'on a trouvé par l'expérience qu'elle devoit être dans une cloche sonore ; tirez la ligne C D qui achevera de terminer la patte C D 1 ; élevez au point 6 sur le milieu de la ligne D N, la perpendiculaire 6 K ; prenez sur l'échelle un bord & demi ; portez-le de 6 en K sur la ligne 6 K, & vous aurez le point K.

Il s'agit maintenant de tracer les arcs qui finiront le profil de la cloche : il faut prendre différens centres. Ouvrez votre compas de trente bords, ou du double du diametre de la cloche ; portez une des pointes en N, & décrivez un arc de cercle ; portez la même pointe en K, & de la même ouverture décrivez un autre arc de cercle qui coupe le premier ; le point d'intersection de ces deux arcs sera le centre de l'arc N K. De ce centre & du rayon 30 bords, décrivez l'arc N K ; prenez sur la perpendiculaire 6 K la partie K B égale à un corps, & du même centre & d'un rayon 30 bords plus un corps, décrivez un arc A B parallele au premier N K.

Pour tracer l'arc B C, ouvrez votre compas de douze bords, cherchez un centre, & de ce centre & de l'ouverture douze bords, décrivez l'arc B C, comme vous avez décrit l'arc N K ou A B.

Il y a plusieurs manieres de tracer l'arc K p : il y en a qui le décrivent d'un centre distant de neuf bords des points p & K ; d'autres, d'un centre seulement éloigné de sept bords des mêmes points : c'est la méthode que nous suivrons.

Mais il faut auparavant trouver le point p, quand on veut donner à la cloche l'arrondissement p 1 ; ce que quelques fondeurs négligent : ceux-ci font le centre distant de sept ou de neuf bords des points K, 1 ; la cloche en devient plus legere en cet endroit : mais la bonne méthode, sur-tout pour les grandes cloches, c'est de leur pratiquer un arrondissement p 1.

Pour former l'arrondissement p 1, il faut tracer du point C, comme centre, & du rayon C 1, l'arc 1 p n, & élever sur le milieu de la portion 1, 2 de la ligne D N, la perpendiculaire p m ; cette perpendiculaire coupera l'arc 1 p n au point m, où doit se terminer l'arrondissement 1 p.

L point p étant trouvé, des points k & p, & d'une ouverture de compas de sept bords, cherchez un centre, & décrivez l'arc K p ; cet arc étant décrit le profil ou l'échantillon de la cloche sera fini.

Au reste cette description n'est pas si rigoureuse qu'on ne puisse y apporter quelques changemens. Il y a des fondeurs qui placent les faussures K un tiers de bord plus bas que le milieu de la ligne D N ; d'autres font la patte C 1 D plus aiguë par em-bas ; au lieu de tirer la perpendiculaire 1 C à la ligne D N par le point 1, ils tirent cette perpendiculaire par un sixieme de bord plus haut, ne lui accordant toutefois que la même longueur d'un bord ; d'où il arrive que la ligne 1 D est plus longue que le bord C 1 : il y en a qui arrondissent les angles A, N, que forment les côtés intérieurs & extérieurs de la cloche avec ceux du cerveau.

Il s'agit maintenant de tracer le cerveau N a : pour cet effet, prenez avec le compas huit bords ; des pointes N & D, comme centres, décrivez des arcs qui s'entre-coupent au point 8 ; du point d'intersection 8, & du rayon huit bords, décrivez l'arc N b ; ce sera la courbe extérieure du cerveau : du même point 8 comme centre, & du même intervalle huit bords moins un tiers de bord, décrivez l'arc A e ; A e sera la courbe intérieure du cerveau, qui aura un corps d'épaisseur.

Le point 8 ne se trouvant point dans l'axe de la cloche, on peut, si l'on veut, des points D & H du diametre, & d'une ouverture de compas huit bords, tracer deux arcs qui se couperont au point M, qu'on prendra pour centre des courbes du cerveau.

Quant à l'épaisseur Q, ou l'onde dont on le fortifie, on lui donnera un corps d'épaisseur ou environ ; cette fourniture de métal consolidera les anses R qui lui sont adhérentes. On donnera aux anses à-peu-près un sixieme du diametre de la cloche.

Il résulte de cette construction que le diametre du cerveau n'étant que la moitié de celui de la cloche, sonnera l'octave au-dessus de celle des bords ou extrémités. Le son d'une cloche n'est pas un son simple, c'est un composé des différens tons rendus par les différentes parties de la cloche, entre lesquels les fondamentaux doivent absorber les harmoniques, comme il arrive dans l'orgue ; lorsqu'on touche à-la-fois l'accord parfait ut, mi, sol, on fait résonner ut, mi, sol ; mi, sol , si ; sol, si, re ; cependant on n'entend que ut, mi, sol.

Le rapport de la hauteur de la cloche à son diametre est comme 12 à 15, ou dans le rapport d'un son fondamental à sa tierce majeure ; d'où l'on conclut que le son de la cloche est composé principalement du son de ses extrémités ou bords, comme fondamental, du son du cerveau qui est à son octave, & de celui de la hauteur qui est à la tierce du fondamental.

Mais il est évident que ces dimensions ne sont pas les seules qui donnent des tons plus ou moins graves : il n'y a sur toute la cloche aucune circonférence qui ne doive produire un son relatif à son diametre & à sa distance du sommet de la cloche. Si à mesure que l'on remplit d'eau un verre, on le frappe, il rend successivement des sons différens. Il y auroit donc un beau problème à proposer aux Géometres ; ce seroit de déterminer quelle figure il faut donner à une cloche, quel est l'accord qui absorberoit le plus parfaitement tous les sons particuliers du corps de la cloche, & quelle figure il faudroit donner à la cloche pour que cet effet fût produit le plus parfaitement qui seroit possible.

Quand la solution de ce problème se trouveroit un peu écartée de son résultat dans la pratique, elle n'en seroit pas moins utile. On prétend déterminer le son d'une cloche par sa forme & par son poids ; mais cela est sujet à erreur : il faudroit faire entrer en calcul l'élasticité & la cohésion des parties de la maniere dont on les fond, deux élémens sur lesquels on ne peut guere que former des conjectures vagues ; ce que l'on peut avancer, c'est que les sons des deux cloches de même matiere & de figures semblables, seront entr'eux réciproquement comme des racines cubiques de leurs poids ; c'est-à-dire que si l'une pese huit fois moins que l'autre, elle formera dans le même tems un nombre double de vibrations ; un nombre triple, si elle pese 27 fois moins, & ainsi de suite : car en leur appliquant la formule des cordes, & faisant dans cette formule le poids tendant G, comme P/L ; la formule se réduira à 1 /L mais lorsque des corps homogenes sont des figures semblables, leurs poids sont entr'eux comme les cubes de leurs dimensions homologues ; ou leurs dimensions homologues, comme les racines cubiques des poids ; or les nombres des vibrations produites dans un tems donné étant comme 1/ L, elles seront donc aussi comme .

Le P. Mersenne a démontré que la pratique des Fondeurs étoit fautive à cet égard, & qu'ils ne pouvoient guere espérer, même en supposant l'homogénéité de matiere & la similitude de figure, le rapport qu'ils prétendoient établir entre les sons de deux cloches, parce qu'ils n'observoient pas dans la division de leur brochette ou regle, les rapports harmoniques connus entre les tons de l'octave.

On pourroit toutefois aisément construire une table à trois colonnes, dont l'une contiendroit les intervalles de l'octave, l'autre les diametres des cloches, & la troisieme les touches du clavecin ou du prestant de l'orgue, comprises depuis la clé de c-sol-ut qui est le ton des musiciens, jusqu'à l'octave au-dessus, avec lesquelles ces cloches semblables seroient à l'unisson ; il ne s'agiroit que de trouver actuellement quelque cloche fondue qui rendît le son d'un tuyau d'orgue connu, dont on sût le poids, & dont la figure fût bien exactement donnée. Le problème ne seroit pas bien difficile à résoudre : on diroit une cloche pesant tant, & de telle figure, donne tel son ; de combien faut-il diminuer ou augmenter son poids, pour avoir une cloche semblable qui rende ou la seconde, ou la tierce majeure ou mineure, ou la quarte au-dessus ou au-dessous, &c ?

Lorsque la table seroit formée pour un octave, elle le seroit pour toutes les autres, tant en-dessus qu'en-dessous ; il ne s'agiroit que de doubler ou que de diminuer de moitié les diametres, & conserver toûjours les similitudes de figures. Ainsi pour trouver le diametre d'une cloche qui sonneroit l'octave au-dessus de l'octave de la table, on doubleroit le diametre de la cloche de la table répondante au sol, & l'on auroit le diametre de celle qui sonneroit l'octave au-dessous de ce sol, ou de la clé de g-ré-sol du clavecin, ou l'unisson du sol de quatre piés de l'orgue : si on doubloit encore ce diametre, on auroit le sol de huit piés : si on doubloit pour la troisieme fois ce diametre, on auroit l'unisson du seize piés ou du ravalement, octuple de celui de la table, ou le son de la plus grosse cloche de Notre-Dame de Paris pris de bord en bord. En octuplant pareillement le diametre du la des tailles contenu dans la table, on auroit le diametre de la seconde cloche de Notre-Dame, ou de la premiere de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui sonne le la du ravalement.

On pourroit prendre celle de ces cloches qu'on voudroit pour fondement de la table, il ne s'agiroit que d'en bien connoître toutes les dimensions & le poids. Pour prendre le diametre d'une cloche, les Fondeurs ont un compas ; c'est une regle de bois divisée en piés & pouces, & terminée par un talon ou crochet que l'on applique à un des bords : il est inutile de s'entendre sur l'usage de cette regle ; il est évident que l'intervalle compris entre le crochet & le point de la regle où correspond l'autre bord de la cloche, en est le plus grand diametre.

Après avoir expliqué la maniere de tracer le profil d'une cloche, & les proportions qu'elle doit avoir, soit qu'on la considere solitairement, soit qu'on la considere rélativement à une autre cloche qu'il faut mettre avec elle, ou avec laquelle il faut la mettre ou à l'unisson, ou à tel intervalle diatonique qu'on desirera ; il ne nous reste plus qu'à parler de la maniere d'en former le moule, de la fondre, & de la suspendre.

Pour former le moule, il faut d'abord construire le compas qu'on voit fig. 3. Pl. de Fond. des cloches : c'est un arbre de fer G F, dont le pivot tourne sur la crapaudine E fixée sur un piquet de fer scellé fermement au milieu de la fosse P Q R S, creusée devant le fourneau T : cette fosse doit avoir un pié ou environ plus de profondeur que la cloche n'a de hauteur au-dessous de l'âtre du fourneau, d'où le métal doit y descendre facilement. A une hauteur convenable de l'axe F G, on place deux bras de fer L M, assemblés à l'axe du compas : ces bras sont refendus, & peuvent recevoir la planche l m d qui fait la fonction de seconde branche du compas. Il faut avoir tracé sur cette planche les trois lignes A B C D, N K i D, o o o d, & la ligne D d : la premiere est la courbe de l'intérieure de la cloche ; la seconde est la courbe de l'extérieure de la cloche ou du modele ; & la troisieme est la courbe de la chape : il faudra que ces lignes tracées sur la planche fassent avec l'axe F G du compas les mêmes angles que les mêmes lignes font avec l'axe F f, fig. 1.

On bâtit ensuite un massif de briques D H qui soit parfaitement rond, & dont le plan soit bien perpendiculaire à l'axe du compas, ou bien horisontal ; ce massif s'appelle la meule : les briques de la meule sont mises en liaison les unes avec les autres, ensorte que les briques de la seconde assise couvrent les joints des briques de la premiere assise, & ainsi de suite. Il faut laisser une ligne ou environ de distance entre le plan supérieur de ce massif, & la ligne D d du compas.

Cela fait, on pose une assise de briques dont on rompt les angles ; on joint ces briques avec du mortier de terre ; elles sont disposées de maniere qu'il s'en manque une ligne & demie qu'elles ne touchent à la planche ; ce dont on s'assûre en la faisant tourner à chaque brique que l'on pose. On pose des assises de briques ainsi les unes sur les autres jusqu'à ce que cette maçonnerie soit élevée à la hauteur du piquet : alors on scelle les bras de ce piquet, s'il en a, dans le corps même du noyau, & on continue d'élever la même maçonnerie jusqu'au cerveau A de la courbe. On couvre alors toute cette maçonnerie creuse avec un ciment composé de terre & de fiente de cheval ; on égalise bien par-tout cet enduit par le moyen de la planche qui est taillée en biseau ; ce biseau emporte tout l'excédent du ciment, & donne au noyau la forme convenable.

Lorsque le noyau est dans cet état, on le fait recuire en l'emplissant de charbons à demi allumés ; & pour que la chaleur se porte vers les parois du moule, & en fasse sortir toute l'humidité, on couvre le dessus avec un carreau de terre cuite. Quand le noyau est sec, on lui applique une seconde couche de ciment qu'on unit bien par-tout avec la planche ; cette seconde couche appliquée, on fait sécher une seconde fois : on recommence & l'application des couches de ciment, & la dessiccation, jusqu'à ce que le noyau soit parfaitement achevé : on le finit par une couche de cendres bien tamisées, que l'on étend convenablement par-tout à l'aide de la planche.

Après ces premieres opérations on démonte la planche du compas ; on l'échancre en l'ébiselant jusqu'à la courbe N K 1 D qui doit servir à former le modele.

Le modele est composé d'un mélange de terre & de bourre dont on forme plusieurs pieces ou gâteaux ; on les applique sur le noyau ; elles s'unissent ensemble : on termine le modele par plusieurs couches du même ciment, mais délayé ; chaque couche s'égalise par le compas, & se seche avant que d'en appliquer un autre ; la derniere est un enduit de suif & de cire fondus, qu'on dispose avec le compas sur toute la surface du modele ; c'est là-dessus qu'on place les armoiries & les lettres, & qu'on trace les cordons. Les cordons se forment par des entailles pratiquées au compas ; & les lettres & armoiries s'exécutent avec un pinceau que l'on trempe dans de la cire fondue, qu'on applique sur le corps du modele, & qui les y forme ; on les repare ensuite avec des ébauchoirs : c'est l'ouvrage d'un sculpteur.

Il s'agit maintenant d'exécuter la chape ou le surtout : on sépare encore la planche du compas ; on l'échancre en l'ébiselant jusqu'à la ligne o o o d parallele à la face extérieure de la cloche, & qui en est distante de deux ou trois pouces, plus ou moins, selon que l'on veut d'épaisseur à la chape : la premiere couche de la chape est composée de terre bien tamisée, que l'on délaye avec de la bourre très-fine ; on applique cet enduit sur tout le modele avec un pinceau, ensorte qu'il en soit tout couvert ; on laisse sécher cette couche d'elle-même, ou sans feu : on en applique une seconde, une troisieme, jusqu'à ce que l'épaisseur de toutes ces couches ait acquis deux lignes d'épaisseur ; alors on applique un ciment plus grossier, & qu'on laisse pareillement sécher sans feu : on rallume ensuite sans feu dans le moule, qu'on augmente petit-à-petit jusqu'à ce qu'il soit assez ardent pour fondre les cires, qui s'écoulent par des égoûts pratiqués au-bas de la chape, & qu'on rebouche ensuite avec la terre.

Après que le feu qui est dans le noyau est éteint, on remet le compas en place, & on acheve de donner à la chape l'épaisseur qu'elle doit avoir. Dans les grandes cloches la chape est sertie par des anneaux de fer plat qui l'affermissent : ces bandes ont quelques crochets ou anneaux qui donnent prise pour enlever la chape lorsqu'on en veut retirer le modele, qui occupe la place du métal dont la cloche doit être formée. La chape ainsi achevée, on démonte le compas, qui n'est plus d'aucun usage.

Il faut maintenant former le cerveau qui est resté ouvert au haut du noyau du modele & de la chape : pour cet effet, on commence par terminer le noyau avec les mêmes matieres dont il a été construit, qu'on dispose selon la forme convenable au cerveau, par le moyen d'une cerce profilée sur la courbe A e A intérieure du cerveau ; on place en même tems l'S ou anse de fer qui doit porter le battant ; on l'enterre dans la maçonnerie du cerveau, de maniere que la partie inférieure passe au-dedans de la cloche, & que la partie supérieure soit prise dans la fonte par le métal qui formera le pont. Voyez la figure premiere.

On forme ensuite avec de la cire & par le moyen d'une cerce ou d'un compas fait exprès, dont le pivot s'appuie sur le centre du noyau où l'on a scellé une petite crapaudine de fer, qu'on ôtera dans la suite avec le compas, dont la planche est profilée selon b Q N ; on forme en cire le cerveau & l'onde qui le renforcit.

On modele en cire les anses au nombre de six, placées comme on les voit fig. 4. a a, sont les deux anses latérales ; b b, les deux anses antérieure & postérieure ; c, le pont ou le pilier placé au centre du cerveau, sur lequel se réunissent toutes les anses. On voit fig. 5. les anses en perspective.

Après avoir modelé & terminé en cire toutes ces pieces, on les couvre avec le pinceau des mêmes couches de ciment qui ont servi à couvrir la chape, observant que cette chape particuliere des anses ne soit point adhérente à celle de la cloche. Lorsqu'elle est finie, on l'enleve pour la faire recuire & en retirer la cire, qui en fondant laisse un vuide que le métal doit remplir, pour former le cerveau & les anses de la cloche.

On a eu soin de ménager à la partie supérieure de la chape des anses & du pont plusieurs trous, entre lesquels il y en a un au-dessus du pont, & qui sert de jet pour le métal ; d'autres qui répondent aux anses & qui servent d'évent à l'air qui est contenu dans l'espace laissé vuide par les cires, & que le métal fondu fait sortir en prenant leurs places.

Pour retirer le modele de la cloche qui occupe l'espace entre le noyau & la chape, on soûleve celle-ci à force de bras, ou par le moyen d'un treuil placé au-dessus de la fosse dans la charpente de l'attelier ; on ôte le modele, on remet la charpente après l'avoir enfumée avec de la paille qu'on brûle dessous ; on ne la change point de place en la remettant ; on obvie à cet inconvénient par des repaires. Sur la chape de la cloche, on place celle des anses qu'on a repairée pareillement ; on lutte bien & ces deux chapes ensemble, & la chape de la cloche avec la meule qui soûtient tout le moule qui est alors entierement fini. Il ne reste plus qu'à recuire le ciment qui a servi à joindre ses pieces : pour cet effet, on le couvre peu-à-peu de charbons allumés ; on pousse le feu par degrés : par ce moyen on évite des gersures, qu'un feu trop grand & trop vif ne manqueroit pas d'occasionner.

On remplit ensuite la fosse de terre, qu'on corroie fortement autour du moule, qui est alors tout disposé à recevoir le métal fondu dans le fourneau.

Le fourneau T pour les cloches, est le même que celui de la fonderie des statues équestres & des canons. Voyez-en la description à l'article BRONZE. Il n'y a de différence que dans la solidité qu'on donne beaucoup plus grande au fourneau des statues équestres. Au lieu d'être de brique, il est seulement de terre corroyée.

Quant à la composition métallique, la plus parfaite est de trois parties de cuivre rouge, & d'une partie d'étain fin. On ne met l'étain que quand le cuivre est en fusion, & qu'après avoir été épuré de ses crasses, peu de tems avant que de couler le métal dans le moule.

Le métal est conduit par un canal de terre recuite dans le godet placé au-dessus du moule, d'où il se répand dans tout le vuide qu'occupoit le modele, dont il prend exactement la forme. On le laisse refroidir ; quand il est à-peu-près froid, on déterre le moule, on brise la chape, & la cloche paroît à découvert ; on l'enleve de la fosse par le moyen du treuil ; qui a servi auparavant à enlever la chape ; on la nettoie en-dedans & en-dehors ; on la bénit ; on y attache le battant, & on la suspend au mouton qui lui est destiné.

La quantité de métal que l'on met au fourneau se regle sur la grosseur de la cloche à fondre, mais il en faut avoir plus que moins, pour prévenir les pertes accidentelles qui ont quelquefois fait manquer des fontes considérables. On ne risque rien d'en fondre un dixieme de plus que le poids qu'on se propose de donner à la cloche.

La proportion de trois parties de cuivre sur une d'étain, n'est pas si bien démontrée la meilleure qu'on ne puisse s'en écarter. Il faut proportionnellement plus de cuivre dans les grosses cloches que dans les petites. C'est encore un problème à résoudre, que le rapport qu'on doit instituer entre les matieres du mélange selon la grosseur & la grandeur des cloches, pour qu'elles rendent le plus de son qu'il est possible ; mais ce problème tenant à la nature des matieres, il n'y a pas d'apparence qu'on en trouve la solution par une autre voie que l'expérience : les connoissances de la Chimie, de la Musique, & de la Géométrie, ne peuvent équivaloir ici au tâtonnement. Une question que la Géométrie éclairée par les principes de la Musique, résoudroit peut-être plus facilement, c'est celle qu'on doit naturellement faire sur le rapport que doit avoir le battant avec la cloche. La regle des Fondeurs est ici purement expérimentale ; leur pratique est de donner un battant plus leger aux grosses cloches, proportion gardée, qu'aux petites : exemple, le battant d'une cloche de 500 livres, est environ 25 livres ; & celui d'une cloche de 1000 livres, est un peu moins de 50 livres.

Le battant est une masse A O, terminée à sa partie supérieure par un anneau A, dans lequel est l'anneau dormant de la cloche, où passe un fort brayer de cuir de cheval, arrêté par une forte boucle, de maniere que le brayer laisse au battant la liberté d'osciller ; la partie B va frapper sur la pince C de la cloche ; la partie o ne sert qu'à éloigner le centre de gravité du battant du sommet A, qu'on fait plus menue par cette raison. On l'approche le plus qu'on peut du centre de la poire B ; l'arc que décrit le centre de gravité, doit passer par les pinces de la cloche, pour la frapper avec le plus d'avantage qu'il est possible.

Le mouton auquel on suspend la cloche, est une forte piece de bois E D C C D E, fig. 6. dont la dimension D D est égale à l'amplitude de la cloche, & la hauteur B C égale au tiers de cette amplitude : cette piece est allégie aux extrémités par les courbes C D ; les parties E, E, sont de forts tourillons de bois garnis d'une frette de fer ; l'épaisseur du mouton est d'environ les deux tiers de la couronne : on le creuse au milieu de sa partie inférieure en 0 5 6 5 0, selon la courbe des anses & du pont ; les anses & le pont doivent être reçûs exactement dans cette entaille. Les extrémités A, A du mouton sont deux tourillons de fer, proportionnés au poids de la cloche ; ces tourillons sont le prolongement d'une masse de fer A B, encastrée dans une gravûre pratiquée à la partie inférieure du mouton, & embrassée par la frette qui entoure le tourillon E, fig. 6. La queue B est retenue dans la gravûre par une barre de fer 1 qui passe en-travers sous le mouton, & est suspendue par la bride 1, 2, & son opposée à la partie postérieure qui lui est semblable ; ces deux brides ou anneaux de figure parallélogrammatique, prennent en-dessous la barre de fer 1, terminée à ses deux bouts par des crochets qui ne permettent pas aux brides de s'échapper ; les brides sont retenues en-dessus par une autre barre de fer ou de bois, qui a aussi ses crochets. On les tend par le moyen de plusieurs coins de fer plat, qu'on chasse à coups de masse entre la piece de bois ou la barre de fer, sur laquelle les brides portent par en-haut.

Lorsque le mouton est placé dans le béfroi de la tour ou du clocher pour lequel la cloche est faite, & posé par ses tourillons sur les cuvettes de cuivre qui doivent le soûtenir, on y monte la cloche par le moyen des machines ordinaires, le treuil horisontal, les poulies, les mouffles, &c. On présente les anses dans l'entaille 0 5 6 5 0, on passe un fort boulon de fer par le trou du pont appellé l'oeil, & par les trous correspondans du mouton ; alors la cloche se trouve comme suspendue : on lui laisse prendre son à-plomb ; mais comme ce boulon ne suffiroit pas pour la soûtenir long-tems, on passe sous les anses latérales une barre de fer C, que l'on retient, à la partie antérieure & postérieure, par les brides C 4, qui passent par en-haut sur une piece de bois ou de fer, 4 ; on serre ces brides avec des coins de fer ; on en fait autant aux anses antérieures & postérieures, avec des brides mouflées, X 6. Les brides mouflées sont celles dont les extrémités inférieures sont terminées par des yeux, dans lesquels passe un boulon qui embrasse l'anse ; elles sont du reste arrêtées par en-haut comme les autres brides.

Cela fait, on place une barre de fer a a, sous les anses antérieures, & une autre semblable sous les anses postérieures : ces barres sont terminées par des crochets qui retiennent les brides simples a 3, a 3, & leurs opposées postérieures semblables ; elles sont arrêtées deux à deux, l'antérieure & la postérieure, sur des pieces de bois 3, 3, sur lesquelles sont couchées des barres de fer terminées par des crochets qui sont tournés verticalement, & qui empêchent ces brides de s'échapper ; elles sont aussi serrées comme toutes les autres par des coins de fer. Les barres de fer a, a, sont sous les barres C C qui passent sous les anses latérales, & qui sont arrêtées par huit brides a 3, a 3, C 4, C 4, & leurs opposées à la partie postérieure du mouton.

Lorsque la cloche est ainsi fixée dans le mouton, & le mouton dans le béfroi, on arme la cloche de son battant, comme nous avons dit plus haut, & on adapte au mouton des leviers ou simples, ou doubles, ou quadruples, tels que ceux des grosses cloches de Notre-Dame de Paris : ces leviers sont de longues pieces de bois fixées en Y, Y, fig. 6. au-dessous du mouton, où elles sont fortement assujetties par les étriers doubles Y R D : elles ont depuis le mouton jusqu'à leurs extrémités a, figure 7. où pend la corde a b à-peu-près de longueur, le diametre de la cloche ; pour leur donner de la fermeté, on les bride par des liens de fer a A, fixés d'un bout à leurs extrémités, & de l'autre au haut du mouton ; & pour conserver leur parallélisme, on joint celles d'un côté du mouton à celles de l'autre, par des traverses & des croix de S. André ; comme on voit fig. 8. où l'on a représenté le plan du béfroi, des cloches, & des leviers.

Il y a pour les petites cloches une autre sorte de levier, qu'on voit figure 9. Il est composé de trois pieces, dont deux A E, B C, sont droites ; & la troisieme est un quart de cercle centré du tourillon, & fait en gouttiere sur sa partie convexe ; la corde est reçûe dans cette gouttiere, lorsqu'on met la cloche à volée : le quart de cercle est aussi tenu par la barre de fer E e, fixée d'un bout au haut de ce quart de cercle, & de l'autre bout au haut du mouton.

Le béfroi dans lequel on place les cloches, est une cage de charpente, de figure pyramidale quarrée & tronquée, ou un peu plus étroite à sa partie supérieure qu'à sa base, & placée dans l'intérieur de la tour : on l'a faite plus étroite par en-haut, afin qu'elle ne touchât point les parois de la tour, & qu'elle cédât à l'action de la cloche, quand on l'a mise à volée.

On trouvera à l'explication de nos planches, le détail des pieces au béfroi qu'on voit Planche de Fonderie des cloches. fig. 7.

CLOCHE, (Jurisprud.) Quoique les cloches soient déjà bénites, le fondeur qui en a fourni le métal peut les faire vendre faute de payement. Arrêt du 27 Février 1603. Carondas, liv. XIII. rép. vij.

Dans les églises cathédrales, l'évêque ne peut communément faire sonner les cloches que de concert avec le chapitre ; cela dépend néanmoins des statuts & de l'usage. Chenu, tit. j. ch. ij.

L'émolument de la sonnerie dans les paroisses, appartient de droit commun à la fabrique, à-moins qu'il n'y ait usage & possession contraire au profit du curé. Arrêt du 21. Mars 1660, pour la fabrique de Beauvais, qui lui attribue l'émolument de la sonnerie, & néanmoins ordonne que les cloches ne pourront être sonnées pour ceux qui sont inhumés dans la paroisse, que le curé n'en ait été averti. Jurispr. can. de de la Combe, au mot cloche.

Il est enjoint par un arrêt du grand-conseil, du 7 Janvier 1751, à toutes personnes qui auront soigné les bénéficiers jusqu'à la mort, ou chez lesquelles ils seront décédés, d'avertir les préposés à la sonnerie des cloches, de sonner à l'instant pour les ecclésiastiques qui viennent de décéder.

Les monasteres ne doivent point avoir de cloches qui puissent empêcher d'entendre celles de l'église principale ou paroissiale du lieu ; & en général, les églises doivent observer entr'elles certaines déférences pour la sonnerie, selon le rang qu'elles tiennent dans la hiérarchie ecclésiastique. Henrys, tom. I. liv. I. ch. iij. quest. 16.

L'entretien & la réfection des cloches, de la charpente qui les soûtient, & des cordes qui servent à les sonner, sont à la charge des habitans, & non des gros-décimateurs. Arrêt du 3 Mars 1690, contre le curé d'Azay. Voyez les lois des bâtimens, part. II. pag. 77. aux notes. (A)

CLOCHE, (Médec.) ampoule ou vessie pleine de sérosité, qui vient aux piés, aux mains, ou autres parties du corps, par des piquûres d'insectes, par le violent frottement, par la brûlure, ou pour avoir trop marché.

Au moyen d'une longue macération de la peau dans l'eau, on en peut détacher avec l'épiderme tous ses allongemens, de façon qu'ils entraînent avec eux les poils & leurs racines. Cette remarque sert à expliquer comment les cloches ou ampoules qui s'élevent sur la peau, restent gonflées pendant un tems considérable, sans laisser la sérosité extravasée échapper par les trous, qui en ce cas devroient être aggrandis par la distraction & la tension de l'épiderme soûlevé : car quand l'épiderme se détache ainsi du corps de la peau, il arrache aussi & entraîne des portions de ces petits tuyaux entamés, qui étant comprimés par la sérosité, se plissent & bouchent les pores de l'épiderme soûlevé, à-peu-près comme les tuyaux des ballons à joüer.

Les cloches se guérissent d'elles-mêmes, ou par l'application de quelques résolutifs, ou par la cessation des causes qui les ont produites. Art. de M(D.J.)

CLOCHE, (Marine) on donne ce nom à une machine dans laquelle un homme est enfermé, & au moyen de laquelle il peut rester quelque tems sous l'eau ; on s'en sert pour retirer du fond de la mer ou des rivieres, des choses péries par naufrage ou autrement. La description qu'on en donne ici, est tirée d'un auteur hollandois.

Cette machine qui a la figure d'une cloche dont le sommet seroit pointu, doit avoir cinq à six piés de haut, & au-moins trois piés de large par le bas, qui est armé d'un gros cercle de fer en-dedans : il sert à maintenir la cloche & résister à la force de l'eau, qui sans cela pourroit enfoncer les côtés de la machine. On la peut faire de bois, de plomb, de fer, ou de cuivre ; la matiere la plus pesante est la meilleure, tant pour résister au poids de l'eau, que pour plonger mieux, & descendre plus aisément au fond.

La cloche est surliée de cordes tout-autour, dont quelques-unes descendent jusqu'au bas, & auxquelles sont attachées des plaques de plomb d'un pié en quarré, & de deux pouces d'épais au-moins ; à chaque coin de ces plaques il y a un trou par lequel les cordes passent, & ces plaques pendent deux piés au-dessous de la cloche.

L'homme qui est dans la cloche & qu'on a descendu sous l'eau, pose ses piés sur ces plaques, & y met aussi les ustensiles dont il a besoin pour son travail, soit tenailles ou grapins, suivant la nature des choses qu'il veut enlever du fond de l'eau.

La pointe de la cloche est terminée par un fort crochet, où l'on attache un bon cordage qui est passé dans une poulie proche de l'étrave du vaisseau d'où l'on coule l'homme & la cloche dans l'eau, & l'on se sert du cabestan pour lâcher ou retirer la corde.

Toutes les parties des jambes de l'homme qui descendent plus bas que le bord de la cloche, & qui sont appuyées sur les plaques de plomb, se mouillent en entrant dans l'eau & deux pouces par-dessus ; parce qu'il entre environ cette quantité d'eau dans la cloche, lorsqu'elle commence à en toucher la superficie.

Il faut laisser couler la cloche fort doucement dans l'eau, & que le bas soit chargé & fort pesant, autrement elle pourroit tourner sur le côté ; mais quand on la retire, il faut le faire le plus vîte qu'on peut.

On sait par ceux qui ont été sous l'eau dans une de ces machines, qu'un homme peut y demeurer une demi-heure, quelquefois un peu moins. La vûe y est fort libre ; & l'homme qui touche au fond, peut voir distinctement l'eau qui monte peu-à-peu dans la machine ; & lorsqu'elle lui vient jusqu'à la gorge, & qu'il se voit en danger si elle montoit plus haut, alors il tire une corde qui est attachée autour de son corps & qui répond dans le vaisseau : au signal on le retire promtement ; & à mesure qu'on l'enleve, l'air augmente dans la machine & l'eau y baisse, desorte qu'elle se trouve tout-à-fait vuide lorsqu'elle vient sur l'eau.

Plus le plongeur demeure sous l'eau, & plus l'air de la cloche devient chaud, si bien que quelquefois même le plongeur saigne du nez.

Lorsqu'il veut changer de place suivant que son travail l'exige, & faire pour cet effet avancer sa cloche d'un côté ou d'un autre, il fait des signaux par des cordes qui sont attachées au bord de la cloche par le bas, & dont l'autre bout répond au vaisseau.

Pour saisir les fardeaux & autres effets qui sont au fond de l'eau, comme canons, ancres, balles de marchandises, &c. on a de grandes & fortes tenailles dont les branches sont attachées à des cordes qui servent à les serrer & fermer, & dont l'autre bout qui répond dans le navire s'attache au cabestan ; & par ce moyen on enleve les plus gros fardeaux. (Z)

CLOCHE, (Jardinage) est un vase de verre de dix-huit pouces sur tout sens, de la figure d'une cloche, dont les Jardiniers couvrent les melons & les plantes délicates qu'ils élevent sur couche : elle concentre beaucoup de chaleur, & avance infiniment les plantes. On dit fort bien un melon cloché.

Il y a encore une espece de cloche de paille, qui sert à garantir les fleurs du soleil : sa chaleur qui perce au-travers du verre, corrige ce que peut causer à la jeune plante la vapeur du fumier, qui au moyen d'un demi-pié de terreau qu'on met dessus, se condense sur la couche. L'air y est encore fort nécessaire, & on a des fourchettes de bois pour élever les cloches. (K)

CLOCHE, en terme d'Orfévre en grosserie, est un ornement de monture de chandelier, qui se place le plus souvent sous le vase. Voyez VASE. Il prend son nom de la figure, qui ressemble bien à une cloche.


CLOCHEPIÉS. m. (Manufact. en soie) organcin à trois brins, dont deux sont d'abord moulinés ensemble, puis une seconde fois avec un troisieme brin. Voy. les dict. du Comm. de Trév. Dish. & l'article SOIE.


CLOCHERS. m. (Archit.) est un ouvrage d'architecture qu'on éleve ordinairement au-dessus de la partie occidentale d'une église, pour y placer les cloches. La forme des clochers leur donne différens noms. Ceux qui s'élevent en diminuant, comme un cone, & dont le plan est circulaire, s'appellent aiguilles ; ceux dont le plan est de forme quadrangulaire, pentagonale ou exagonale, & qui diminuent toûjours de leur diametre en approchant de leur sommet, se nomment pyramides. Dans les uns & les autres on pratique des ouvertures : ces ouvertures sont garnies d'abavents, qui ne sont autre chose que des chassis de charpente inclinés, couverts d'ardoise, qui servent à renvoyer le son des cloches en contre-bas.

On appelle clocher de fond, une tour qui prend naissance du sol du pavé, & s'éleve de toute la hauteur de l'église, comme celles de saint Eustache, de saint Sulpice, &c. Quelquefois ces tours, le plus ordinairement quarrées par leur plan, sont terminées par des aiguilles ou fleches, comme celle du portail de Rheims ; ou par un petit comble, comme celle de saint Jean en greve ; ou enfin en plate-forme, comme celle de Notre Dame à Paris.

Masius, dans son traité des cloches, remarque que le clocher de Pise est le plus singulier qui soit au monde ; il panche, dit-il, tout d'un côté, & paroît toûjours prêt à tomber : cependant il assûre que cette disposition extraordinaire, n'est point l'effet d'un tremblement de terre, comme quelques-uns se le sont imaginé ; mais que ç'a été l'intention de l'architecte qui l'a élevé, ainsi qu'on le voit évidemment par les planchers, les portes & les croisées, qui toutes sont posées de niveau malgré cette inclinaison. (P)

CLOCHER, (Jurisprud.) En parlant du droit des curés par rapport à la dixme, on dit communément que leur clocher est leur titre ; ce qui s'entend de leur qualité de curé, dont le clocher matériel n'est qu'un attribut extérieur.

Quand le clocher d'une église paroissiale est entierement posé sur le choeur d'une église paroissiale, il doit être réparé par les gros décimateurs ; mais s'il est bâti sur la nef ou à côté, il est à la charge des habitans.

S'il est posé entre le choeur & la nef, il doit être entretenu par moitié entre les gros décimateurs & les habitans.

Les cloches sont toûjours à la charge des habitans. Voyez ci-devant CLOCHES.

L'édit de 1695 concernant la jurisdiction ecclésiastique, ne parle point des clochers. L'usage que l'on observe à cet égard, n'est fondé que sur la jurisprudence.

Quand les clochers sont construits avec des fleches de pierre & qu'ils sont d'une trop grande élévation, on permet quelquefois aux gros décimateurs & habitans d'en diminuer la hauteur autant que cela se peut, & d'y faire construire des fleches de charpente, couvertes d'ardoise ou de plomb, au lieu de fleches en pierre. Voy. les lois des bâtimens, part. II. pag. 75. & 76. aux notes. (A)


CLOCHETTES. f. (Fonderie) petite cloche ou sonnette qu'on peut tenir & sonner à la main. On fait des clochettes d'argent, de cuivre, & de métal composé : ces dernieres sont du nombre des ouvrages de Fondeurs en terre & sable, & les autres de l'Orfévrerie.

CLOCHETTES, voyez GOUTTES.

CLOCHETTE, (Botan.) voyez CAMPANULE.


CLODONESS. m. pl. (Myth.) nom que l'on donnoit aux femmes du pays de Macédoine, qui se plaisoient presque toutes à célébrer les orgyes & fêtes instituées à l'honneur de Bacchus : c'étoient des especes de bacchantes.


CLOFIES. m. (Ornith.) oiseau d'Afrique, noir & gros comme l'étourneau : son chant est de mauvais augure parmi les Negres ; quand ils menacent quelqu'un d'une mort funeste, ils disent que le clofie a chanté sur lui. Voyez le dict. de Trévoux, & les voyageurs, d'où cette mauvaise description est tirée.


CLOGHER(Géog. mod.) ville d'Irlande dans la province d'Ulster, au comté de Tyrone.


CLOIS(Géog. Mod.) petite ville de France dans le Dunois.


CLOISONS. f. terme d'Architecture, ouvrage de charpente ; du latin craticii parietes, selon Vitruve, ou de crates, une claie ; parce que les poteaux debout des cloisons, leur sommier & leur traverse, imitent les menues perches dont les premiers hommes se servirent pour clorre leurs cabanes. Les poteaux de ces cloisons sont espacés de dix ou douze pouces : ces espaces sont remplis de plâtre seulement quand on veut laisser les bois apparens, & hourdis des deux côtés lorsqu'on veut les recouvrir ; alors ces cloisons sont appellées pleines. L'on appelle cloisons creuses, celles qui sont seulement hourdies des deux côtés.

On nomme cloison de menuiserie, celle de planches assemblées à rainures & languettes posées à coulisses, entretenues par des entretoises, à l'usage des retranchemens que l'on veut pratiquer dans de grandes pieces.

On appelle cloisons de maçonnerie, tout le mur de refend qui ne monte pas de fond, & qui n'a pas l'épaisseur requise suivant l'art, n'étant pour l'ordinaire construit que de briques, de plâtras, ou de moëllons non gissans, liaisonnés néanmoins avec du plâtre ou du mortier. (P)

CLOISON, (Fontainier) on nomme ainsi des séparations de cuivre, de plomb, ou de fer-blanc, qu'on place dans les cuvettes des fontaines & des jauges. On en distingue de deux sortes : celle de calme, appellée languette, est placée près de l'endroit où tombe l'eau, sans interrompre sa communication dans toute la cuvette, elle ne fait qu'en rompre le flot, qui dérangeroit le niveau de l'eau en même tems qu'il en augmenteroit la dépense : l'autre cloison est celle du bord où s'attachent les bassinets pour la distribution de l'eau. Voyez BASSINETS. (K)

CLOISONS ; ce sont des planches qu'on attache ensemble dans une écurie, depuis les poteaux jusqu'au ratelier, & qui en bouchent tout l'intervalle, afin que les chevaux ne puissent point se battre, & qu'ils soient plus tranquilles en leurs places. Lorsqu'on met des cloisons dans une écurie, il faut que les poteaux soient plus éloignés les uns des autres que quand il n'y a que des barres, afin qu'ils ayent assez d'espace pour se coucher. Voy. BARRE, (Man.) POTEAU, &c. (V)

CLOISON, (Marine) c'est un rang de poteaux espacés environ à quinze ou dix-huit pouces, & qui étant remplis de panneaux ou couverts de planches, forment & séparent les chambres dans les navires. Voyez la Plan. IV. Marine, fig. 1. la grande cloison des soutes cotée 53, & les montans de cette cloison cotés 54, la cloison de la sainte-barbe cotée 108. (Z)

CLOISON, (Serrurerie) c'est dans une serrure ce qui entoure le palâtre & forme la surface extérieure des côtés de la serrure. La cloison est arrêtée sur le palâtre par des étochios.

CLOISON, en Anatomie, nom de différentes parties qui font l'office de mur mitoyen entre deux autres.

La faux & le pressoir d'Hérophile tiennent lieu d'une cloison, dont la premiere sépare les deux hémispheres du cerveau, & la seconde le cerveau du cervelet. Voyez FAUX & PRESSOIR.

La cloison transparente est située directement sous la couture du corps calleux dont elle est la continuation, & comme une espece de duplicature. On l'appelle aussi septum lucidum.

Les deux sinus sphénoïdaux & les deux sinus frontaux sont séparés chacun par une cloison osseuse ; les fosses nasales sont séparées par une cloison formée par l'os vomer, la lame verticale de l'os ethmoïde, & un cartilage.

Les deux ventricules du coeur sont distingués par une cloison charnue.

Le diaphragme fait l'office d'une cloison qui sépare la poitrine du bas-ventre.

Le darthos forme une cloison qui distingue les deux testicules l'un de l'autre. Voyez COEUR, DIAPHRAGME, &c. (L)

CLOISON du palais, (Anatom.) en latin velum palati. La cloison du palais, dont la luette est regardée comme une partie, pourroit également être appellée la cloison du nez, du gosier.

Elle est terminée en em-bas par un bord libre & flottant qui représente une arcade particuliere située transversalement au-dessus de la base ou de la racine de la langue. Le sommet de cette arcade porte un petit corps glanduleux, mollasse, irrégulierement conique, que nous appellons la luette. V. LUETTE.

On trouve dans tous les livres d'Anatomie la description de la cloison ou du voile du palais ; mais comme la meilleure est à mon sens celle qu'en a donnée M. Littre, dans les mémoires de l'académie des Sciences, ann. 1718, pag. 300, je dois m'en servir ici par préférence.

C'est, dit ce célebre anatomiste, une espece de membrane qui est d'une consistance molle, de couleur blanchâtre, gluante au tact, convexe par-dessus & concave par-dessous ; elle est environ d'une demi ligne d'épaisseur, de quinze lignes d'un côté à l'autre, & d'un pouce de devant en-arriere : sa situation est à la partie postérieure de la voûte du palais, & elle est plus antérieure, plus haute & plus élevée que celle de l'épiglotte de trois à quatre lignes : son attache est par-devant à la partie postérieure des os du palais, par les côtés aux parties latérales & internes des mêmes os & des apophyses ptérigoïdes ; par sa partie postérieure elle n'est attachée à rien, excepté par les deux côtés, étant lâche & comme pendante par son milieu.

Cette cloison est éloignée de la glotte d'environ quatre lignes ; cependant toûjours prête à changer de situation dans les corps vivans, lorsque ces parties sont en action, tantôt s'approchant, & tantôt s'éloignant les unes des autres : elle forme par sa face inférieure la partie postérieure de la voûte du palais, & par sa face supérieure la partie postérieure & inférieure du nez.

On remarque du côté de la face inférieure de cette cloison deux manieres d'arcs musculeux, l'un & l'autre un peu séparés au milieu de la partie supérieure, situés transversalement l'un vers le devant & l'autre sur le derriere. L'acte antérieur est un peu incliné par em-bas & en-devant ; il s'attache par une de ses branches à la partie postérieure & inférieure d'un des côtés de la langue, & par l'autre branche au même endroit de l'autre côté. L'arc postérieur est incliné par em-bas & en-arriere, & il s'attache par une branche à un des côtés du pharynx, & par l'autre branche au même endroit de l'autre côté. On observe entre ses deux arcs ou arcades les deux glandes dites amygdales, qui sont placées l'une au côté droit l'autre au côté gauche. Enfin la cloison du palais est composée de deux membranes, de quantité de glandes, & de plusieurs muscles, qu'il sera toûjours impossible de bien décrire.

On apperçoit dans les corps vivans dont la bouche est beaucoup fendue, & qui ont la langue petite, que cette cloison se porte en en-haut, tantôt en-devant, tantôt même en-arriere, & qu'elle se porte en em-bas, tantôt aussi en-devant, & tantôt aussi en-arriere ; d'où l'on peut conclure qu'elle peut fermer tantôt le passage du gosier à la bouche, & quelquefois aussi couvrir la glotte.

Mais outre que la cloison du palais fait la fonction de valvule aux narines & au gosier, en empêchant de revenir par les narines ce qu'on avale, principalement la boisson, elle a d'autres usages que M. Littre a passés sous silence, & qui méritoient de n'être pas omis. D'abord elle sert à conduire dans le pharynx la lymphe lachrymale, & la lymphe mucilagineuse qui s'amasse continuellement sur la voûte du palais ; de plus, c'est une machine qui aide à pousser en em-bas les matieres de la déglutition, qui sert aux modulations de la voix, soit que les sons & la voix passent par la bouche, par les narines, ou par l'un & par l'autre : c'est encore une machine qui, avec l'aide de la luette, préserve les poumons des matieres qui pourroient entrer par la glotte ; enfin, qui enduit & lubrifie la surface des alimens qu'on est sur le point d'avaler.

Je voudrois bien aussi donner les usages des différens muscles de la cloison du palais, mais ils ne sont pas assez distinctement connus, ni même les différens mouvemens dont cette cloison est capable : voilà comme l'Anatomie trouve ses limites dans les objets qui semblent tomber le plus sous les sens & l'art du scalpel. Mais est-il de partie dans le corps humain, dont la méchanique & le jeu ne tendent à confondre notre présomption & notre science imaginaire ? Article de M(D.J.)

CLOISON D'ANGERS, ou CLOUAISON, (Jurisp.) est une imposition que les anciens ducs d'Anjou avoient octroyée aux maire & échevins d'Angers, pour entretenir les fortifications de leur ville & du château. Ce droit fut nommé cloison, parce qu'il étoit destiné à la cloison ou clôture de la ville. En 1500 il y eut un réglement au sujet de la cloison de la ville d'Angers, qui est imprimé à la fin de plusieurs coûtumes d'Anjou, où l'on peut voir sur quelles marchandises on levoit cette imposition. Voyez aussi Chopin sur l'art. 50. de la coût. d'Anjou, tome I. p. 482. de la troisieme édition de Sonnius. M. Pérard, p. 413. (A)


CLOISONNAGES. m. (Architect.) a deux acceptions ; il se dit de tout ouvrage de Menuiserie ou de Charpente fait en entier à la maniere des cloisons ; & dans un ouvrage de Menuiserie & de Charpente où une partie seulement est faite en cloison, & les autres d'une autre maniere ; il se dit de la partie faite en cloison, qu'on appelle le cloisonnage. Voyez CLOISON.


CLOITRES. m. terme d'Architecture, du latin claustrum, & du françois clos : sous ce nom on comprend & les galeries ou portiques couverts dans un monastere où se promenent les religieux, & l'espace découvert nommé préau que ces portiques entourent ou environnent. On appelle aussi cet espace, jardin, parce qu'il est ordinairement garni de verdure, de gazon, de plates-bandes de fleurs, &c. comme on le remarque dans toutes les communautés religieuses. Le cloître des chartreux à Rome, du dessein de Michel Ange, est un des plus réguliers pour son architecture ; & celui des chartreux de Paris est le plus estimé par les ouvrages de peinture du célebre Lesueur, peintre françois, qui attirent l'admiration de tous les connoisseurs en cet art. (P)

CLOITRE, (Hist. ecclésiast.) Dans un sens plus général, cloître signifie un monastere de personnes religieuses de l'un & l'autre sexe, & quelquefois il se prend pour la vie monastique : c'est en ce sens qu'on dit qu'on ne fait pas toûjours son salut dans le cloître, mais qu'on le fait plus difficilement dans le monde. La plûpart des cloîtres ont été autrefois non-seulement des maisons de piété, mais aussi des écoles où l'on enseignoit les langues & les arts libéraux. C'est pour cette raison qu'Oswald roi d'Angleterre, comme nous l'apprenons de Bede, (hist. liv. III. ch. iij.) donna plusieurs terres & possessions aux cloîtres, afin que la jeunesse y fût bien élevée. Les cloîtres de S. Denis en France, de S. Gal en suisse, & une infinité d'autres, avoient été non-seulement richement dotés à cette fin, mais encore décorés de plusieurs priviléges, & principalement du droit d'asyle pour ceux qui craignoient la rigueur de la justice. Ils servoient aussi de prisons, & principalement aux princes, soit rébelles, soit malheureux, exclus ou déposés du trône. L'histoire bysantine & celle de France en fournissent de fréquens exemples. (G)

CLOITRE, (Comm.) nom qu'on donne au comptoir ou magasin que quelques villes d'Allemagne ont à Berg.

C'étoit autrefois le palais épiscopal & la demeure des chanoines. Les rois de Danemark donnerent ce vaste bâtiment aux marchands d'Hambourg, Lubeck, Brême & autres villes anséatiques, après en avoir chassé l'évêque & les chanoines.

Il a conservé le nom de cloître : les négocians qui l'occupent, & qui ne font commerce que de poisson sec ou salé, portent celui de moines. Ils ne souffrent point d'hommes mariés parmi eux ; ceux qui veulent prendre femme sont obligés de sortir du cloître : ils peuvent cependant trafiquer & entretenir correspondance avec leurs anciens confreres. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév. (G)

CLOITRE, (Jardin.) se dit dans un bosquet, d'une salle verte, quarrée, à doubles palissades, autour de laquelle on tourne comme on fait dans les cloîtres des couvents. (K)


CLONEFORT(Géog. mod.) petite ville d'Irlande au comté de Galloway, dans la province de Connaught.


CLONMELL(Géog. mod.) ville forte d'Irlande, capitale du comté de Tipperary. Long. 9. 58. lat. 52. 28.


CLOPEURS. m. en terme de Raffinerie de sucre, est une espece de petit battoir quarré avec une poignée, le tout faisant neuf à dix pouces de long : il sert à frapper sur le cacheur, lorsque le cercle ne coule pas assez aisément à l'endroit où l'on veut qu'il soit arrêté.


CLOPORTES. m. (Hist. nat. Insectol.) asellus, cutio, porcellio ; insecte de couleur grise approchante de celle de l'âne, c'est pourquoi les Grecs lui ont donné le nom d'onos. Les plus grands cloportes ont à peine un travers de doigt de longueur, & un demi-doigt de largeur. Ceux que l'on trouve dans les fumiers & dans la terre, sont de couleur livide, noirâtre ; mais ceux qui sont dans les lieux humides & sous différens abris, comme l'écorce des arbres, les pierres, &c. ont une couleur grise. Les cloportes ont quatorze pattes, sept de chaque côté ; il n'y a dans chacune qu'une seule articulation, & on a peine à l'appercevoir. Ces insectes ont deux antennes courtes ; dès qu'on les touche ils se replient en forme de globe ; on les a comparés dans cet état à une feve : les côtés du corps sont dentelés comme une scie. Mouffet. théat. insect. Voyez INSECTE. (I)

CLOPORTE, (Mat. med.) les cloportes sont très-recommandés dans la cachexie, l'hydropisie, les embarras lymphatiques du poumon, les obstructions des glandes, le calcul & la goutte.

Juncker qui rapporte ces vertus, ajoûte que nous manquons encore de preuves assez autentiques pour que nous puissions nous y fier absolument ; & comme d'ailleurs ces insectes portent beaucoup vers les voies urinaires qu'elles irritent assez vivement, cet auteur conseille d'être fort circonspect dans leur administration.

On peut s'en servir pourtant utilement comme d'un diurétique assez efficace, pourvû qu'on ne perde pas de vûe la sage précaution de ménager les voies urinaires, & principalement lorsque ce ménagement est plus particulierement indiqué par quelque vice de ces organes.

Des praticiens célebres ont conseillé d'en user longtems & en petite dose, pour détruire les cataractes commençantes, & même en général pour toutes les maladies des yeux.

On donne les cloportes, ou écrasés vivans dans du vin, à la dose de dix ou douze ; ou séchés & mis en poudre dans un véhicule approprié, à la dose d'un demi-scrupule jusqu'à un scrupule.

Les cloportes en poudre sont un des ingrédiens des pilules balsamiques de Morton. (b)


CLOPPENBOURG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne au cercle de Westphalie, dans l'évêché de Munster.


CLOQUES. f. en terme de Blanchisserie de cire, se dit d'un ruban de cire qui se noue, pour ainsi dire, & qui se forme en bouton quand le cylindre n'est pas chargé d'eau également par-tout. Voy. CYLINDRE ; voyez BLANCHISSAGE DES CIRES.


CLORREv. act. est synonyme à fermer.

CLORRE, (Jurispr.) il y a différentes regles à observer par rapport au droit ou à l'obligation dans lesquels chacun peut être de clorre son héritage.

Il est libre en général à chacun de clorre son héritage, soit de haies, fossés ou murailles, si ce n'est dans quelques coûtumes qui exigent pour ce une permission du seigneur, comme celle d'Amiens, art. 197. Il faut aussi excepter les héritages enclavés dans les capitaineries royales, que l'on ne peut enclorre de murailles sans une permission particuliere du Roi. Ordonn. des chasses, ch. xxjv. art. 24.

Suivant les réglemens de police, on est obligé de se clorre dans les villes jusqu'à neuf piés de hauteur ; mais cela ne s'observe point dans les bourgs & villages, ni dans les campagnes, non pas même pour des prés communs.

On est seulement obligé dans les campagnes & par-tout ailleurs, de contribuer à l'entretien, réparation & reconstruction des murs mitoyens. Voyez MUR MITOYEN.

Clorre un compte, c'est le fixer, l'arrêter. Clorre un inventaire, c'est déclarer que l'on n'a plus rien à y ajoûter, & faire mention de cette déclaration à la fin de l'inventaire. Voyez ci-après COMPTE, COMMUNAUTE DE BIENS, & INVENTAIRE. (A)

CLORRE, en terme de Vannier, c'est passer l'osier entre les pés, & remplir ainsi tout l'espace qu'il y a depuis le fond jusqu'au bord d'une piece de vannerie.


CLOSENCLOS, s. m. (Jardin.) est une enceinte de murs ou de haies qui renferme différentes parties d'un jardin, tels que des parterres, boulingrins, bosquets, quarrés de potagers, verger, pépiniere, garenne, & autres. Quand cet enclos passe l'étendue de vingt à trente arpens, il s'appelle parc. (K)


CLOSERIES. f. (Jurisprud.) en quelques provinces, signifie un petit bien de campagne composé d'une maison & autres bâtimens, & de quelques terres adjacentes qui en dépendent. On appelle ces sortes d'héritages closeries, parce qu'ils sont ordinairement clos de fossés & de haies. Ces closeries sont quelquefois loüées, & forment de petites fermes. (A)

CLOSERIE, en terme de Vannier, signifie cette espece d'ouvrage qu'ils font en plein sur des pés de lattes, de cerceaux, ou d'autres choses semblables.


CLOSETSS. m. pl. terme de Pêche : les closets ou cuhaussets sont des especes de hauts parcs, qui ne different de ceux dont on donnera la description à l'article PARCS, qu'en ce que la crosse ou extrémité recourbée est quarrée, au lieu que celle des parcs est arrondie : ces rets dont la maille a dix-huit lignes en quarré, sont tendus sur des fonds, des roches : ces pêcheries n'ont souvent que dix ou douze perches pour les former ; ainsi elles ne different presque de celles des hauts parcs, qu'en ce que les closets sont beaucoup plus petits. On ne prend dans les closets que le poisson qui se maille, puisque le fond en est ouvert, c'est-à-dire que le filet n'est point ensablé, ni le bas du parc fermé d'un clayonnage.


CLOTHOvoyez PARQUES.


CLOTURou ENCLOS, s. f. terme d'Architecture, mur de maçonnerie ou grille de fer qui enferme un espace tel que l'enceinte d'un monastere, l'étendue d'un parc, d'un jardin de propreté, fruitier, potager, &c. (P)

CLOTURE, (Jurisp.) dans les monasteres de filles, a deux significations différentes.

L'une a rapport au voeu que les religieuses font d'observer la clôture perpétuelle, c'est-à-dire de ne point sortir du monastere.

L'autre est pour exprimer les murs, portes & grilles, qu'il n'est pas permis aux religieuses de passer, & dans l'intérieur desquels les étrangers, soit hommes ou femmes, ne peuvent, suivant l'art. 31. de l'ordonnance de Blois, entrer sans permission du supérieur ecclésiastique ; permission qui ne s'accorde point sans nécessité, comme aux médecins, chirurgiens, &c. Suivant le droit commun, c'est à l'évêque diocésain à donner ces permissions.

Il en faut excepter les monasteres exempts de la jurisdiction de l'évêque, où ces permissions peuvent être données par leur supérieur ecclésiastique, suivant l'art. 19. de l'édit de 1695.

Ce même article suppose qu'il y a des cas où on peut permettre aux religieuses de sortir, comme pour aller aux eaux, lorsque cela est nécessaire pour leur santé ; mais c'est à l'évêque seul à donner ces permissions, même dans les monasteres exempts : c'est ce que décide l'art. 2. de la déclaration du 10 Février 1742.

Toutes ces permissions pour sortir du monastere, ou à des laïques pour y entrer, doivent être données par écrit.

Le Roi & la Reine ont seuls le droit d'entrer dans les maisons cloîtrées, sans permission du supérieur ecclésiastique.

Les évêques & autres supérieurs ecclésiastiques, en faisant leur visite dans les monasteres, examinent si la clôture y est bien observée ; & si elle ne l'est pas, que les murs ne soient pas assez hauts, que les portes & les grilles ne soient pas bien closes ni sûres, ils peuvent ordonner ce qui est nécessaire pour faire observer la clôture. (A)

CLOTURE d'un compte, d'un inventaire ; c'est l'arrêté & l'état final d'un inventaire ou d'un compte fait par des associés en quelque commerce, ou par un négociant qui se rend compte à lui-même de ses affaires. Voyez COMPTE, INVENTAIRE. (G)

CLOTURE, en terme de Vannier, voyez CLOSERIE.


CLOUS. m. (Art. méch.) petit ouvrage en or, ou argent, ou fer, ou cuivre, à pointe par un bout & à tête par l'autre, dont le corps est rond ou à face, mais va en diminuant de la tête à la pointe, & dont la tête est d'un grand nombre de formes différentes, selon les usages auxquels on le destine. Les clous en fer se forgent, les autres se fondent ; la fabrication de ces derniers n'a rien de particulier, c'est un ouvrage de Fondeur très-commun. Nous allons expliquer comment on fabrique les clous en fer : nous observerons d'abord qu'il y en a de deux sortes, les clous ordinaires, & les clous d'épingles.

Des clous ordinaires. On donne le nom de Cloutier tout court, aux ouvriers qui font ces clous. Les outils du Cloutier sont en petit nombre : ils consistent en une forge, autour de laquelle on pose des blocs ou billots qui servent de base au pié d'étape, à la cloüiere ou cloutiere, & au ciseau. Voy. la vignette.

Le pié d'étape, qu'on voit Planche du Cloutier, figure 21. en A, est une espece de tas ou d'enclume, dont un des côtés est quelquefois terminé en bigorne : cet instrument est ordinairement tout de fer ; mais pour être bon & durable, il vaut mieux que la tête en soit acérée & trempée. La place est une espece de coin émoussé, dont la partie supérieure est applatie & un peu inclinée. Voyez cet outil, même Pl. en B. La cloüiere est une espece de bille de fer, d'un pouce en quarré, & de la longueur de dix pouces, à deux pouces ou environ d'un de ses bouts, est un trou quarré dont les bords excedent un peu sa surface : c'est dans ce trou qu'on fait entrer le bout de fer forgé & coupé qui doit former le clou, pour en façonner la tête au marteau. Il y a des cloüieres dont les trous sont plus ou moins grands, ronds ou quarrés, ou de toute autre figure, selon la différence des clous qu'on se propose de fabriquer. Les cloüieres pour clous à tête ronde, sont différentes des autres : les rebords du trou en sont un peu arrondis ; la cloüiere est plantée dans le pié d'étape ou d'étable de la longueur d'environ cinq pouces, & son autre bout porte d'environ un pouce sur la place. Voyez les fig. 22. 25. 26. La premiere montre la cloüiere montée d'un bout dans le pié d'étable ou d'étape, & de l'autre appuyée sur le bord de la place : en-dessous on voit un ressort dont l'usage est de repousser en en haut le clou quand il est formé. Pour chasser le clou du trou de la cloüiere, on frappe en-dessous ce ressort avec le marteau. On voit fig. 25. le clou coupé, mais tenant encore à la verge ou baguette, & présenté par la pointe au trou de la cloüiere, où l'ouvrier le laisse enfoncé en rompant la partie par laquelle il tient à la baguette. Et la figure 26. représente le clou dans la cloüiere prêt à être frappé avec le marteau 23, pour en façonner la tête. La cloüiere est acérée & trempée. L'enclume est la même qui se voit chez tous les ouvriers en fer.

Voici la maniere dont les outils du Cloutier sont disposés : ils sont rassemblés sur un même billot, comme on voit fig. 22. en A, B, C, D. La cloüiere entre dans une mortaise pratiquée à la partie supérieure du pié d'étape ; elle est arrêtée dans cette mortaise par deux coins de fer placés l'un en-dessus & l'autre en-dessous, le premier à la partie antérieure, le second à la partie postérieure. Son autre extrémité est posée sur la place à un des bouts ; le pié d'étape & la place sont fermement établis dans le bloc, où on les raffermit à coups de masse quand ils sont dérangés. On applique, comme nous avons dit, aux petites cloüieres une espece de ressort fixe dans la mortaise du pié-d'étape ; on fixe quelquefois une petite fiche de fer à la partie de ce ressort qui répond au trou de la cloüiere : cette fiche doit entrer dans ce trou, & elle sert à chasser le clou hors de la cloüiere, ce qui se fait en frappant du marteau contre le ressort ; ce qui n'a lieu que pour les petits clous.

On se sert pour les clous, de fer en verge de Berri & d'Anjou ; les paquets sont ordinairement de cinquante livres. Pour commencer le travail des clous, on coupe chaque verge en deux, trois ou quatre morceaux ; comme le fer qu'on employe est cassant, on n'a pas beaucoup de peine à le couper ; il suffit de poser l'endroit où on veut le casser, sur une des carnes de l'enclume & de frapper dessus un coup de marteau ; on met chauffer dans la forge deux ou trois de ces morceaux à-la-fois, afin de travailler sans cesse, & que l'un soit chaud quand on quitte l'autre. Quand le fer est chaud, on l'étire : l'étirer, c'est le forger pour en faire la lame ; c'est ainsi qu'on appelle la partie qui doit former le corps du clou. On prépare la lame sur la place, on en forme la pointe ; & quand la pointe est faite, on pare : parer le clou, c'est l'unir & le dresser sur le pié-d'étape. Quand il est paré, on le coupe : le couper, c'est présenter le morceau de fer sur le tranchant du ciseau, & y faire entrer ce tranchant d'un coup de marteau assez vigoureux pour que la séparation soit presque faite. On frappe la partie coupée contre le pié-d'étape, pour en faciliter encore la rupture, & l'on met la partie coupée dans la cloüiere pour la rabattre : rabattre, c'est former la tête sur la cloüiere. La tête ne se fait pas de même dans tous les clous. Pour un clou à tête plate, on se contente de donner plusieurs coups sur la partie de fer qui excede la cloüiere, observant que tous les coups tombent perpendiculairement à cette partie. Pour un clou à tête ronde, après avoir frappé deux ou trois coups en tout sens, on se sert de l'étampe. Pour un clou à tête à diamant, chaque coup devant former une face, & toutes les faces de la tête étant inclinées les unes aux autres, il faut que les coups soient inclinés à la portion excédente qui doit former la tête ; il est même évident que les inclinaisons différentes des coups de marteau donneront à la tête différentes formes. Pour un clou à deux têtes, on étire le clou à l'ordinaire ; on applatit la partie qui doit former la tête, on la coupe, on la rabat, on lui donne quelques coups de marteau vers les extrémités, sans toucher au milieu. Pour les clous à glace, on étire, on pare, on coupe, & le clou est fait. Pour les clous à sabords, on étire, on pare, on coupe ; on observe en coupant de laisser un peu forte la partie qui doit faire la tête ; on place le clou dans une cloüiere à trou quarré ; & comme la tête doit être à quatre faces & se terminer en une pointe assez aiguë, les coups qui la rabattent doivent être frappés très-inclinés : on appelle clous de sabords, ceux qui ont la forme qu'on voit aux clous de crucifix. Pour les clous à cheville, on s'y prend d'abord comme pour les clous à deux têtes, c'est-à-dire qu'on étire, qu'on applatit ce qui doit former la tête ; qu'on coupe & qu'on rabat sur deux faces, sans frapper le milieu.

Tous les clous dont nous venons de parler, s'appellent clous d'une seule venue, & on les expédie d'une seule chaude. Il n'en est pas de même des clous à patte, à crochet, à crampons : ceux-ci demandent au moins deux chaudes. A la premiere, on les étire ; & s'il s'agit d'un clou à patte, quand on l'a paré, on applatit la partie qui doit faire la patte, qu'on finit à la seconde chaude. D'un clou à crochet ; on étire la pointe, on applatit l'autre extrémité, on rabat la partie applatie sur le pié-d'étape pour en commencer l'autre branche ; on coupe le clou sur le ciseau, observant de ne pas le couper suivant sa plus grande face ; on essaye de le séparer de sa branche, & la premiere opération est faite : la seconde consiste à le remettre au feu, à étirer la seconde branche, à la mettre en pointe, à l'étirer assez ; à séparer le clou, à le parer un peu sur le pié-d'étape, & à le finir. D'un clou à crampon ; on suit le même travail pour la premiere branche : quant à la seconde, au lieu de l'étirer, on l'applatit. D'un clou à gond ; on arrondit la seconde branche, observant que son extrémité soit un peu plus petite que sa base, afin de faciliter l'entrée du gond. D'un clou à tête de champignon ; on prend une cloüiere dont la petite éminence soit arrondie en forme de calotte ; & quand on rabat la tête, on frappe tout autour, & on lui fait prendre en-dessous la forme de la calotte de la cloüiere.

Dans la fabrique de ces différens clous, on se sert de tenailles lorsque les bouts des baguettes sont trop courts ; on ressoude ces bouts, & on en refait une verge. Lorsque les clous sont achevés, on a une caisse plus élevée sur le fond que sur le devant ; les cases y sont disposées en gradin, comme celles d'une Imprimerie : on nomme cette caisse l'assortissoire (voyez dans la vignette), & on y répand les clous selon leurs qualités & leurs noms. On y met la broquette commune, celle qu'on estampe, le clou à ardoise, le clou à bardeau, le clou à crochet, le clou à caboche, à tête de diamant, le clou à river, le clou à champignon, le clou de cheval ordinaire, le clou de cheval à glace, le clou à bande commun, le clou à tête rabattue. Voyez ces différentes sortes, figures 1, 2, 3, 4, 5, 6, &c.

Especes principales de clous. Clous à ardoise, ce sont ceux avec lesquels on attache les ardoises ; ils sont depuis deux jusqu'à trois livres au millier. Clous à bande & à tête rabattue ; ils servent à attacher les bandes sur les roües des carrosses & charrettes : ceux pour les carrosses s'appellent clous à bande ; ceux pour les charrettes, clous à tête rabattue : les plus petits sont de sept livres au millier, & les plus gros de douze livres au millier. Clous à bardeau ou clous legers ; ils sont à l'usage des Selliers, des Bahutiers, des Menuisiers, des Serruriers, &c. ils sont depuis trois jusqu'à quatre livres au millier ; ils ont tous la tête ronde. La broquette sert au Tapissier, au Sellier, au Serrurier, &c. il y en a de quatre onces, de huit onces, de douze onces, d'une livre, de cinq quarts, de six quarts, de sept quarts, & de deux livres au millier. Clous à Chauderonnier, petites lames de cuivre coupées en losanges, & tournées en fer d'aiguillettes, dont les Chauderonniers cloüent leurs ouvrages : pour cet effet ils y pratiquent une tête avec une cloüiere. Voyez la Planche II. du Chauderonnier, fig. 15. C D. Clous à cheval, ce sont ceux dont on ferre les chevaux ; ils sont ou ordinaires, ou à glace : les ordinaires ont la tête plate, les autres l'ont en pointe ; ils sont depuis quatorze jusqu'à vingt-quatre liv. au millier. Clous à Couvreur, voyez Clous à ardoise & à latte. Clous à crochet, ils servent à suspendre ; ils sont depuis six jusqu'à dix livres au millier : ceux-ci s'appellent legers, les gros s'appellent clous à crochet au cent ; ils pesent dix à douze livres de plus au millier que les legers : ceux qui sont au-dessus s'appellent clous de cinquante. Le clou à crochet de 50, qui a le crochet plat, s'appelle clou à bec de canne ou à pigeon. Clous à latte, les Couvreurs s'en servent pour attacher les lattes : ils s'appellent aussi clous à bouche ; ils sont depuis deux jusqu'à quatre livres & demie au millier. Clous à parquet, ils servent aux Menuisiers pour cloüer les parquets, dans lesquels ils se noyent facilement, parce qu'ils ont la tête longue ; ils sont depuis dix jusqu'à trente-cinq livres au millier. Clous à river, ils sont à l'usage des Chauderonniers ; ils ont une tête, mais point de pointe, & leur grosseur est la même par-tout. Clous à deux pointes ou à tête de champignon, ils servent aux Charpentiers dans les gros ouvrages : leur tête a la forme de champignon ; on en voit aux portes cocheres & à celles des granges. Clous à Sellier, ils sont plus petits que les clous de Cordonnier ; & ces ouvriers les employent à cloüer les cuirs sur les bois des carrosses, berlines & autres voitures. Clous à Serrurier, ils sont depuis quatre jusqu'à huit livres au millier ; ils ont la tête en pointe de diamant ; ils sont faits comme les clous legers, mais ils pesent plus : on les appelle aussi clous communs ; les clous communs pesent le double des clous legers ; & les clous à Serrurier, le double des communs. Clous à soulier, ils servent aux Cordonniers pour ferrer les gros souliers des paysans, des porteurs-de-chaise, &c. il y en a qui pesent depuis deux livres jusqu'à quatre livres au millier, ce sont les plus legers ; les lourds sont ou à deux têtes, ou à caboche. Clous à soufflets, ce sont de très-gros clous à tête large, dont on se sert pour cloüer les soufflets des forgerons. Clous sans tête ou pointes ; il y en a de legers ou à la somme, & de lourds ou au poids : les premiers sont depuis trois livres jusqu'à cinq livres au millier ; les autres sont de six livres au millier : ils servent à ferrer les fiches, croisées & guichets d'armoires. Clous à trois têtes, ils servent aux Cordonniers pour monter les talons des souliers : ils ont deux à trois pouces de long ; la tête en est plate, elle a quatre à cinq lignes de hauteur, elle est divisée en trois par deux rainures ; ces rainures servent à recevoir les tranchans de la tenaille, à les arrêter, & à faciliter l'extraction du clou. Voy. SOULIER. Les Cordonniers ont d'autres clous de la même forme, mais moins forts. Voilà les sortes de clous les plus connues ; ce ne sont pas les Cloutiers dont il s'agit ici qui les vendent tous : il y en a qui sont fabriqués & vendus par les Cloutiers d'épingles, qui sont des artistes très-distingués des précédens, comme on verra par ce que nous en dirons dans la suite de cet article.

Il y a encore les clous de rue : c'est ainsi que les Maréchaux appellent les pointes que les chevaux se fichent dans le pié, & qui les font boiter.

Les Lapidaires appellent clou, une cheville fichée dans la table du moulin, près de la roüe à travailler où l'on passe le bois & le cadran. Voyez r s, fig. 6. Planc. du Diamantaire : les Marbriers & Sculpteurs, les noeuds ou parties dures qui se rencontrent dans le marbre : les Bas-lissiers, une cheville ou pince de fer dont ils se servent pour faire tourner leurs ensuples, &c.

Des clous d'épingles. Voici quel est l'attelier & quels sont les outils de ce cloutier. Il a une S ; c'est un fil-de-fer ou d'acier auquel on a donné différens contours, formant des espaces circulaires de différens diametres : ces espaces servent à déterminer le calibre & la grosseur des fils employés pour faire les clous d'épingle. Voyez la Planc. I. du Cloutier, fig. 1. Un engin ou dressoir, qu'on voit Planc. II. fig. 15. C'est une planche de chêne ou d'autre bois, sur laquelle on dispose des clous en zigzag, de maniere cependant que ceux de chaque rang soient tous sur une même ligne : les rangs doivent être paralleles, quoique diversement écartés. Pour se former une idée plus juste de cet instrument, il faut imaginer une planche sur laquelle on a tracé des paralleles à des distances inégales les unes des autres : si l'on suppose chaque ligne divisée en parties égales, & qu'en attachant les clous on ait l'attention de ne pas les faire correspondre à la même division sur les deux lignes correspondantes, & qu'on observe ce procédé sur toutes, on aura la planche préparée pour l'usage auquel on la destine. On fixe l'engin à une table ou à un banc, à l'aide de deux boulons garnis de leurs clavettes. Voyez la fig. 20. Une meule ; l'assortissement de la meule est fait de deux forts poteaux fixés au plancher & dans la terre ; on y en-arbre la roüe de maniere qu'elle puisse tourner librement : cette roüe communique à la meule par une corde qui passe dans une gorge creusée sur sa circonférence, de-là dans une poulie adaptée à l'axe de la meule. La meule est d'acier trempé, elle a depuis trois jusqu'à cinq pouces de diametre, sur deux à trois d'épaisseur ; sa circonférence est taillée en lime. Cette meule & ses dépendances sont portées sur deux petits tourillons de cuivre ou de fer, placés dans deux petits montans ou poupées pratiquées à une base circulaire, qui est fixée fortement sur un bâti composé de deux treteaux & de quelques planches qu'on y attache ; sur cette base on ajuste une espece de caisse appellée tabernacle. Voyez Planche II. fig. 11. & 12. A, est la partie antérieure supérieure du tabernacle : on voit au milieu un petit chassis de bois garni d'un verre posé d'une maniere inclinée ; il sert à empêcher les étincelles de feu qui s'échappent continuellement de la meule de frapper les yeux de celui qui affile. La meule & tout son équipage se voyent fig. 11. & 12. on les voit seulement de face avec le banc qui sert de base, dans la fig. 12. Un banc à couper, qu'on a représenté en entier fig. 13. il est composé d'un fort banc & d'une grosse cisaille ; à un des longs & à un des petits côtés il y a de hautes planches qui servent à retenir les morceaux de fil-de-fer à mesure qu'on les coupe ; partout ailleurs il y a des rebords, excepté en un endroit qui sert à tirer les pointes : il faut que cet instrument soit disposé de maniere à fatiguer le moins qu'il est possible le coupeur. Un étau ; il est de figure ordinaire : on le voit Plan. II. fig. 14. Un mordant, qu'on voit fig. 16. c'est un composé de deux morceaux de fer, dont les têtes sont acérées : ces morceaux circulaires sont assemblés à charniere, & leur mouvement est libre ; on a pratiqué à la tête de chaque branche & en-dehors, une retraite dont l'usage est de retenir le mordant toûjours dans la même situation, lors même qu'on l'ouvre pour en faire sortir la pointe dont on vient de faire la tête. A la partie supérieure & intérieure de la tête du mordant, il y a de petites cannelures propres à recevoir la pointe ; elles sont faites de maniere que l'entrée en est plus large que le bas : ces cannelures se renouvellent à l'aide du poinçon qu'on voit fig. 17. 18. Pour abreger le travail de l'ouvrier, qui seroit contraint d'écarter les deux branches du mordant à chaque tête qu'il voudroit faire, on a placé entr'elles un V d'acier dont les extrémités recourbées portent perpendiculairement contre les faces intérieures du mordant ; on met sous le mordant une calotte de chapeau, pour recevoir les clous à mesure qu'il en tombe. Voyez la fig. 14, le mordant, l'étau, la calotte, & le clou prêt à être frappé. Un vannoir, c'est un grand bassin de bois fort plat, qu'on voit Planche I. fig. 7. dans lequel on agite les pointes de laiton ou de fer pour les rendre claires. Un poinçon à étamper (voyez Plan. II. fig. 21.) ; il est petit & quarré : on a pratiqué à sa base un trou fait en calotte. Cela bien compris, il ne sera pas difficile d'entendre la maniere de fabriquer le clou d'épingle.

On appelle clou d'épingle, un petit morceau de fil-de-fer ou de laiton, aiguisé en pointe par un bout, & refoulé par l'autre bout. Il y en a de différentes grosseurs & longueurs. La premiere opération consiste à esser : esser le fil, c'est le présenter à un des espaces circulaires de l'S, pour connoître s'il est du calibre qu'on souhaite. Après l'avoir essé, on le dresse : pour le dresser, on le force à passer à-travers les rangs de pointes de l'engin ; cette manoeuvre lui ôte toutes ses petites courbures. Quand il est dressé, on le coupe de la longueur de quinze à dix-huit pouces ; on se sert pour cela de la cisoire, fixée sur le banc à couper. Quand on a une quantité suffisante de bouts, on les affile : affiler, c'est passer le fil-de-fer sur la meule, pour en faire la pointe. Pour affiler, l'ouvrier prend une cinquantaine de brins plus ou moins, il les tient sur ses doigts dans une situation parallele ; & leur faisant faire un ou plusieurs tours sur eux-mêmes par le moyen de ses pouces qu'il meut dessus en sens contraire, en conduisant chaque pouce vers le petit doigt, il les affile tous en même tems. Quand les brins sont affilés, on les coupe sur la grande cisoire de la longueur dont on veut les pointes ; de-là on les passe dans le mordant pour en faire la tête : si on veut qu'elle soit plate, on laisse un peu excéder la pointe au-dessus du mordant, on frappe un ou deux coups de marteau sur cet excédant ; il est applati, & la tête est faite : si on veut qu'elle soit ronde, on la commence comme si on la vouloit plate ; on ne frappe qu'un coup, puis on la finit avec le poinçon à estamper. Le clou fini, il faut le chasser du mordant ; c'est ce que l'ouvrier exécute en prenant une autre pointe entre le pouce & l'index, chassant la pointe qui est dans la cannelure avec le petit doigt, & y plaçant celle qu'il tient. Il continue ainsi avec une vîtesse extrème ; & son opération est la même pour les clous, de quelque grandeur qu'ils soient. Il en peut fabriquer d'or, de fer & de cuivre. Quand ils sont de laiton, on les blanchit : pour cet effet, on les découvre d'abord ; les découvrir, c'est les mettre tremper dans une solution de tartre ou de cendre gravelée & d'eau commune, où on les laisse séjourner quelque tems ; après quoi on les vanne. Pour les vanner on met du son ou du tan dans le vannoir ; on les y agite, & ils en sortent secs & plus jaunes. On finit par les étamer : pour les étamer on a un vaisseau plus étroit à chacun de ses bouts qu'au milieu ; on les met dans ce vase : on a un mélange d'étain fin & de sel ammoniac ; le sel ammoniac y est en petite quantité : on met ce mélange en fusion, on y jette les pointes ou épingles, on les y agite jusqu'à ce qu'on s'apperçoive qu'elles soient bien blanchies : le mouvement les empêche de s'attacher les unes aux autres. Quand elles sont refroidies, on en fait des paquets de cent : pour cet effet, on en compte cent ; on jette cette centaine dans un des plats de la balance, & on en jette dans l'autre plat autant qu'il en faut pour l'équilibre ; on continue ainsi jusqu'à ce qu'on ait mis toutes les pointes en paquets de centaines, & en état de vente.

Voyez fig. 21. Pl. I. des clous à tête ronde. Il y a parmi les clous d'épingle, ceux d'homme & ceux de femme : ils ne different que par la force ; les premiers sont les plus forts.

Les Arquebusiers donnent le nom de clou, au clou du chien de la platine. Voyez FUSIL & PLATINE. On appelle du même nom la graine de girofle ; voyez GIROFLE : c'est le nom d'une maladie de l'oeil. Voyez CLOU (Médecine). Le clou a servi quelquefois à marquer les années & les évenemens. Voyez CLOU (Hist. anc.) On argente & l'on dore les clous. Voyez DORER & ARGENTER.

CLOU. (Hist. anc.) Tite-Live rapporte que les anciens Romains, encore grossiers & sauvages, n'avoient pour annales & pour fastes que des clous, qu'ils attachoient au mur du temple de Minerve. Il ajoûte que les Etruriens, peuples voisins de Rome, en fichoient à pareille intention dans les murs du temple de Nortia leur déesse. Tels étoient les premiers monumens dont on se servit pour conserver la mémoire des évenemens, au moins celle des années ; ce qui prouve qu'on connoissoit encore bien peu l'écriture à Rome, & rend douteux ce que les historiens ont raconté de cette ville avant sa prise par les Gaulois. D'autres prétendent que c'étoit une simple cérémonie de religion, & se fondent aussi sur Tite-Live, qui dit que le dictateur ou un autre premier magistrat attachoit ce clou mystérieux aux ides de Septembre, idibus Septembr. clavum pungat ; mais ils n'expliquent ni les sens ni l'origine de cette cérémonie, & la regardent seulement comme un secours à l'ancienne chronologie, surabondamment ajoûtée aux annales par écrit.

On avoit encore coûtume à Rome, dans les calamités publiques, d'attacher un clou dans le temple de Jupiter. Dans une peste qui désola Rome, le clou sacré fut placé par le dictateur, & la contagion cessa. En cas de troubles intestins & de sécession, c'est-à-dire de schisme de la populace, on avoit recours à ce clou. Et dans une circonstance singuliere où les dames romaines donnoient à leurs maris des philtres qui les empoisonnoient, on pensa que le clou qui dans les tems de troubles avoit affermi les hommes dans le bon sens, pourroit bien produire le même effet sur l'esprit des femmes. On ignore les cérémonies qu'on employoit dans cet acte de religion, Tite-Live s'étant contenté de marquer qu'il n'appartenoit qu'au dictateur, ou à son défaut au plus considérable des magistrats, de placer le clou. Manlius Capitolinus fut le premier dictateur créé pour cette fonction. Mém. de l'acad. des Bell. Lett. tom. VI. (G)

CLOU, (Médec.) maladie de l'oeil ; espece de staphylome, en grec , en latin clavus oculi.

On donne le nom de clou au staphylome, quand par un ulcere de la cornée, l'uvée s'étant avancée en-dehors, s'endurcit & se resserre à la base de la tumeur qu'elle forme ; ou lorsque la cornée s'endurcit pareillement, & se resserre de telle maniere que la base de la tumeur étant fort retrécie, la tumeur en paroît éminente & arrondie en forme de tête sphérique d'un clou. Cette tumeur détruit la vûe, & ne se guérit point, parce qu'aucun staphylome n'est guérissable. Voyez STAPHYLOME. Voyez aussi l'art. CLAVUS. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CLOUÉadj. (Maréchall.) être cloüé à cheval, signifie être très-ferme & ne se point ébranler, quelque violens que soient ses mouvemens.

CLOUE, terme de Blason, qui se dit d'un collier de chien, & des fers à cheval dont les clous paroissent d'un autre émail.

Montferrier, d'or à trois fers de cheval de gueules, cloüés d'or. (V)


CLOUETS. m. espece de petit ciseau mousse de fer, à l'usage des Tonneliers : ils s'en servent pour enfoncer la neille dans le jable d'une piece de vin, à l'endroit où elle suinte ; il a environ un demi-pouce de largeur par em-bas, & a par en-haut une tête sur laquelle on frappe legerement avec le maillet, afin de faire entrer la neille.


CLOUIERou CLOUVIERE, ou CLOUTIERE (le plus usité est cloüiere), s. f. instrument de fer qui sert au cloutier, principalement à former la tête du clou, quoique le clou soit rond ou quarré, selon que le trou de la cloüiere est rond ou quarré. Voyez l'article CLOU. On a des cloüieres de différentes formes & de toutes sortes de grandeurs. Les Serruriers les forgent, & ils en ont aussi pour former la tête de leurs vis & autres ouvrages. Les cloüieres des Serruriers sont des especes d'estampes en creux, rondes, quarrées, barrelongues, &c.

CLOUIERE, (Serrurerie & Clouterie) c'est une piece de fer quarrée, à l'extrémité de laquelle on a pratiqué un ou plusieurs trous quarrés ou ronds, dans lesquels on fait entrer la tige du clou de force ; desorte que la partie qui excede la cloüiere, se rabat & forme la tête du clou.

Les Maréchaux ont leurs cloüieres : ces cloüieres sont montées sur des billots, & servent pour les clous de charrette.

Sans la cloüiere, l'ouvrier ne pourroit que très-difficilement former la tête des clous au marteau. Voy. l'article CLOU.


CLOURAS. m. (Hist. nat. Ornithol. & Pêche) oiseau connu sur le récit des voyageurs, c'est-à-dire mal connu. Il se trouve, à ce qu'on dit, à la Chine & dans l'Inde, où on le fait pêcher : il met le poisson qu'il attrape dans une poche qu'il a sous le bec, d'où il ne peut descendre plus bas, parce qu'il y est arrêté par un anneau qui serre le passage. Quand l'oiseau est sorti de l'eau, on le contraint d'abord à rendre le poisson qu'il a pris en pressant la poche, ensuite à retourner à la pêche en le frappant à coups de bâton.


CLOUSEAUXS. m. pl. (Jurisprud.) dont il est parlé dans la coûtume d'Orléans, article 145, sont les jardins & enclos qui sont proche & autour de chaque bourgade ou hameau. Voyez les auteurs des additions aux notes de Fournier sur cette coûtume, art. 145. (A)


CLOUTERIES. f. (Comm. Art. méch. & Gramm.) Ce terme a plusieurs acceptions : il se dit 1°. du négoce des clous ; 2°. du lieu où on en fabrique ; 3°. d'un assortiment de toutes sortes de clous.


CLOUTIERS. m. On donne ce nom à celui qui a le droit de vendre & de fabriquer des clous en qualité de membre de la communauté des Cloutiers -Lormiers-Etameurs-Ferronniers, &c. ou de la communauté des Epingliers-Aiguilletiers.

Il y a deux sortes de Cloutiers, les Cloutiers d'épingle, & les Cloutiers tout court. La communauté de ceux-ci est régie par quatre jurés, dont deux sont élûs tous les ans, un d'entre les nouveaux maîtres, un d'entre les anciens. Chaque maître ne peut faire à-la-fois que deux apprentis ; l'apprentissage est de cinq ans, le compagnonage de deux pour les apprentis de Paris, & de trois pour leurs ouvriers de province ; tous font chef-d'oeuvre, excepté les fils de maîtres, &c. Quant aux statuts des Cloutiers d'épingle, voyez-les à l'article EPINGLIER-AIGUILLETIER.


CLOYNE(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, au comté de Cork, dans la province de Leinster.


CLUDOS. m. (Hist. anc.) poignard de théatre à l'usage des Romains sur la scene, & qui ne différoit en rien du nôtre ; la lame en rentroit dans le manche quand on s'en frappoit ; & un ressort spiral l'en faisoit sortir quand on s'étoit frappé.


CLUENTIAS. f. (Hist. anc.) le nom d'une des trente-cinq tribus romaines. Voyez TRIBU.


CLUNDERT(Géograph.) petite ville forte des Provinces-Unies des Pays-bas, dans la Hollande méridionale, sur les frontieres du Brabant hollandois.


CLUNY(Hist. ecclés.) abbaye célebre de Bénédictins, située dans le Mâconnois en Bourgogne sur la riviere de Grone, dans une petite ville à laquelle elle donne son nom, & qui a de long. 22. 8. & de lat. 46. 24. C'est le chef-lieu d'une congrégation de Bénédictins qu'on nomme l'ordre de la congrégation de Cluny.

L'abbaye de Cluny fut fondée sous la regle de S. Benoît en 910, par Bernon abbé de Gigniac, sous la protection & par les libéralités de Guillaume I. duc d'Aquitaine & comte d'Auvergne. Quelques auteurs modernes ont voulu faire remonter sa fondation à l'an 826 ; mais leur opinion est destituée de preuves solides. La congrégation de Cluny a donné à l'Eglise trois papes, plusieurs cardinaux, prélats, &c. L'abbaye fut unie dans son érection sous la protection immédiate du S. Siége, avec défense expresse à tous les séculiers ou ecclésiastiques de troubler les moines dans leurs privileges, & sur-tout dans l'élection de leur abbé. Ils prétendirent par cette raison être exempts de la jurisdiction de l'évêque, ce qui donna lieu à-peu-près à d'autres abbés de former les mêmes prétentions. Cette contestation vient d'être terminée depuis quelques années au conseil en faveur de l'évêque de Mâcon. Cette abbaye est tenue en commande par un abbé nommé par le Roi : c'est aujourd'hui M. le Cardinal de la Rochefoucault, archevêque de Bourges, qui en est titulaire. On regarde la congrégation de Cluny comme la plus ancienne de toutes celles qui sont unies sous un chef en France, afin de ne composer qu'un seul corps de divers monasteres sous la même regle. La maison chef d'ordre étoit autrefois d'une étendue immense ; puisqu'on raconte qu'en 1245, après la célébration du premier concile de Lyon, le pape Innocent IV. alla à Cluny avec les deux patriarches d'Antioche & de Constantinople, douze cardinaux, trois archevêques, quinze évêques, & plusieurs abbés, tous accompagnés d'une suite convenable, & qu'ils y furent logés sans qu'aucun des religieux qui étoient en grand nombre se dérangeât ; quoique S. Louis, la reine Blanche sa mere, le comte d'Artois son frere, sa soeur, l'empereur de Constantinople, les fils des rois d'Aragon & de Castille, le duc de Bourgogne, six comtes, & quantité d'autres seigneurs s'y trouvassent en même tems. Elle a souffert des malheurs des guerres civiles ; les Calvinistes l'ont pillée, & ont brûlé la bibliotheque en 1562. (G)


CLUSEterme de Fauconnerie ; c'est le cri que le fauconnier fait entendre aux chiens, lorsque l'oiseau a remis la perdrix dans le buisson ; ainsi cluser la perdrix, c'est exciter les chiens à faire sortir la perdrix du buisson où elle s'est remise.

CLUSE, (la) Géog. mod. petite ville d'Italie, dans la Savoie, capitale du Faucigny, sur l'Arve. Long. 24. 12. lat. 46.


CLUSIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de Charles Clusius ou de l'écluse d'Arras ; la fleur des plantes de ce genre est monopétale, faite pour l'ordinaire en forme de soûcoupe & découpée ; quelquefois elle paroît composée de plusieurs pétales disposées en rond : il s'éleve du fond du calice un pistil entouré d'une espece d'anneau. Ce pistil devient dans la suite un fruit ovale qui s'ouvre d'un bout à l'autre en plusieurs parties, & qui est rempli de semences oblongues recouvertes d'une pulpe très-tendre, & attachées à un placenta conique & sillonné. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


CLUSONI(Géog.) petite ville d'Italie dans le Bergamasque, sur les frontieres des Grisons.


CLUSTUMINAS. f. nom d'une des trente-cinq tribus romaines. Voyez TRIBU.


CLUYou CLYD, (Géog. mod.) grande riviere de l'Ecosse méridionale qui prend sa source dans le comté d'Annandale, & se jette dans le golfe de Cluyd.


CLUYDESDALE(Géog. mod.) pays de l'Ecosse méridionale, entre ceux de Lenox & de Lothian, qui se divise en haut & bas.


CLYMENUM(Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs, les fruits & les tiges sont semblables à ceux de la sagesse ; mais les feuilles sont rangées par paires le long d'une côte, terminée par des vrilles. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)


CLYN(Géog. mod.) petite ville de l'Ecosse septentrionale, dans le comté de Southerland, près de l'embouchure du Bota.


CLYPEI-FORMEadj. (Physique) se dit d'une espece de comete, dont la forme ovale & oblongue est semblable à celle d'un bouclier. Harris.


CLYSSUS(Chimie) terme technique par lequel les Chimistes ont désigné diverses préparations ou produits.

Ce nom est plus particulierement & plus communément donné au produit volatil des détonations du nitre avec différentes substances : c'est de ces dernieres substances que tirent leur dénomination particuliere les différens clyssus de ce genre. C'est ainsi qu'on dit, clyssus d'antimoine, clyssus de soufre, clyssus de tartre, &c.

Pour les préparer on prend une cornue tubulée de terre, que l'on place dans un fourneau convenable, & à laquelle on adapte un très-grand récipient, ou même une file de ballons exactement lutés, dans chacun desquels on a mis une petite quantité d'eau ou d'esprit-de-vin, & dont le dernier ou le plus éloigné de la cornue, doit avoir une petite ouverture : on fait rougir le fond de la cornue, & on projette ensuite le mélange par la tubulure, que l'on a soin de boucher exactement pendant la détonation.

Les proportions de ce mélange peuvent être variées à la volonté des artistes, & les auteurs les prescrivent en des proportions très-différentes. Les plus exactes pourtant seroient celles moyennant lesquelles tous les ingrédiens du mélange seroient exactement détruits, ou auroient subi dans toutes leurs parties les nouvelles combinaisons ou les décompositions, qui sont la suite de la détonation. Dans la fixation du nitre par le tartre ou par le soufre, que l'on mêle communément à parties égales, la proportion est assez exacte.

L'explication de la formation des différens clyssus, & la connoissance de leur nature, appartient absolument à la théorie de la détonation. Voyez DETONATION & NITRE.

Ces clyssus ont joüi pendant assez long-tems d'une grande célébrité à titre de médicamens ; c'est surtout du clyssus d'antimoine, soit simple, soit soufré, que les auteurs de chimie médicinale ont principalement recommandé les vertus.

Le premier, c'est-à-dire le simple, se préparoit avec un mélange de parties égales de nitre & d'antimoine ; & le second avec le même mélange, auquel on ajoûtoit une partie de soufre : mais on a enfin reconnu que l'un & l'autre de ces clyssus n'étoient autre chose qu'un acide très-foible, étendu par l'eau ou l'esprit-de-vin employés à les retenir dans les ballons, & qui ne participoit point des qualités utiles de l'antimoine. On ne s'avise donc plus aujourd'hui de préparer avec tant d'appareil une simple liqueur acidule, que l'on peut avoir sur le champ & à bien moins de fraix, par le mélange de quelques gouttes d'acide vitriolique ou nitreux, dans une quantité convenable d'eau ou d'esprit-de-vin.

Les vapeurs qui se détachent des menstrues actuellement agissans avec effervescence, sub actu ipso effervescentiae, ont été aussi désignées par quelques chimistes par le nom générique de clyssus.

C'est principalement à l'action de ces clyssus qu'est dûe l'absorption de l'air, que M. Halles a observée dans les différentes effervescences qu'il a exécutées dans les vaisseaux fermés : ces clyssus sont réellement miscibles à l'air, ou subissent avec lui une combinaison réelle, nécessairement suivie de la fixation. Voyez FIXER.

Certains auteurs, comme Rulandus, Poterius, Borrichius, ont aussi donné le nom de clyssus à cette préparation, qui est connue aussi sous le nom de pierre végétale, lapis vegetabilis, qui consiste à réunir toutes les parties utiles & essentielles séparées d'une plante par l'analyse, après les avoir purifiées & rectifiées chacune séparément. Voyez le lexicon chimicum de Johnson.

On peut regarder comme un clyssus de cette derniere espece, le potus medicatus de Boerhaave, qu'il préparoit avec un gros d'eleosaccharum mêlé exactement par la trituration avec deux gros de sel alkali de Tachenius, & dissous dans six onces d'eau distillée & cohobée de la même plante qui avoit fourni l'huile essentielle, à laquelle il ajoûtoit un peu de sirop de la même plante, s'il se trouvoit dans les boutiques.

Le mot de clyssus a été pris encore par quelques anciens chimistes, dans une signification à-peu-près la même que celle du mot quintessence. Voyez QUINTESSENCE. (b)


CLYSTERELAVEMENT, REMEDE, trois termes synonymes en Médecine & en Pharmacie. Je ne les arrange point ici au hasard, mais selon l'ordre chronologique de leur succession dans la langue.

Il y a long-tems que clystere ne se dit plus ; lavement lui a succédé : cependant l'abbé de S. Cyran le mettoit sous le regne de Louis XIV. au rang des mots deshonnêtes qu'il reprochoit au pere Garasse, que quelques-uns appelloient l'Hélene de la guerre des Jésuites & des Jansénistes. Je n'entens, disoit le pere Garasse, par lavement, que gargarisme ; ce sont les Apothicaires qui ont profané ce mot à un usage messéant.

C'est une chose bien singuliere que l'attaque de l'abbé de S. Cyran ; c'en est une autre qui l'est plus encore que la défense du P. Garasse.

On a substitué de nos jours le terme de remede à celui de lavement ; remede est équivoque, mais c'est par cette raison même qu'il est honnête.

Clystere n'a plus lieu que dans le burlesque, & lavement, que dans les auteurs de Médecine ; c'est aussi sous ce dernier que nous parlerons de ce genre d'injection qu'on porte dans les intestins par le fondement, & que les Chinois en s'en servant appellent le remede des Barbares. Cet article est de M(D.J.)


CNACALESIAsurnom de Diane, ainsi appellée du mont Cnacalus en Arcadie, où elle avoit un temple & des fêtes annuelles.


CNAGIA(Myth.) surnom de Diane, ainsi appellée de Cnagéus, qui conduit à Phidna par Castor & Pollux, séduisit la prêtresse de Diane, & l'enleva avec la statue de la déesse.


CNAZON(Hist. anc.) aiguille dont les femmes romaines se servoient pour arranger leurs cheveux : elle s'appelloit aussi discerniculum.


CNEPou CNUPHIS, (Myth.) l'Etre suprème chez les Egyptiens ; on le représentoit avec un sceptre à la main, marque de sa souveraineté, la tête couverte de plumes, signe de sa spiritualité, & un oeuf à la bouche, symbole du monde créé par sa parole ; on ajoûtoit quelquefois à ces caracteres le serpent qui se mord la queue, symbole de l'éternité.


CNEUS(Hist. anc.) surnom que les Romains donnoient à ceux qui naissoient avec quelques taches remarquables.


CNEZOW(Géog. mod.) ville de Pologne dans le palatinat de Chelm.


CNICUSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs sont des bouquets à fleurons découpés, portés chacun sur un embryon, & soûtenus par un calice écailleux, & entourés de grandes feuilles qui forment une espece de chapiteau. Lorsque la fleur est passée, les embryons deviennent des semences garnies d'aigrettes. Tournefort inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CNIDE(Géog. anc. & mod.) ville ancienne de la Carie, dans la Doride. Ce n'est plus qu'un misérable bourg.


CNIDIENNEadj. (Myth.) surnom de Vénus, ainsi appellée de la dévotion particuliere que les habitans de Cnide avoient en elle.


COCOA, COOS ou COS, (Géog. anc. & mod.) île de l'Archipel, vers la côte de la Carie : elle est célebre par la naissance d'Hippocrate, d'Apelle, & de Pamphile, qui la premiere dévida la soie. Les Turcs l'appellent aujourd'hui Stanco ou Stankon. On la connoît aussi sous le nom de Lango. Elle est presque vis-à-vis d'Halicarnasse, près de Cnide & de l'île Palmosa.


CO-BOURGEOISS. m. terme de Commerce : on donne le nom de bourgeois à un propriétaire d'un vaisseau marchand, & celui de co-bourgeois à tous ceux qui partagent ensemble sa propriété.


CO-CREANCIERSS. m. pl. (Jurisprud.) sont ceux qui sont conjointement créanciers des mêmes personnes, & en vertu d'un même titre. Pour que chacun d'eux soit créancier solitaire de la totalité de la dette, il faut que cela soit exprimé dans l'acte, autrement la dette se divise de plein droit entre les co-créanciers, & chacun d'eux n'en peut exiger que sa part. Il est parlé des co-créanciers & des co-débiteurs dans plusieurs textes de Droit, où les premiers sont appellés correi-stipulandi, & les autres correi-promittendi. Voyez au code, liv IV. tit. ij. l. jx. & aux institutes, liv. III. tit. xvj. de duobus reis stipulandi & promittendi. (A)


CO-DONATAIRESS. m. pl. (Jurisprud.) sont ceux qui sont donataires conjointement d'un même effet : le donateur peut les associer ainsi, soit en leur donnant à tous par un même acte, ou en leur donnant à chacun par un acte séparé. Il peut aussi leur donner à tous la même chose par indivis ou par portions distinguées, égales ou inégales. Voyez DONATAIRES & DONATION. (A)


CO-ÉGALITÉS. f. (Théol.) terme qui exprime le rapport qui se rencontre entre plusieurs choses égales. Voyez ÉGALITE.

La doctrine de l'Eglise catholique touchant la Trinité, est que le Fils & le S. Esprit sont co-égaux au Pere. Les Ariens nioient la co-égalité des Personnes divines. Voyez ARIENS & TRINITE. (G)


CO-SÉCANTES. f. en Géométr. c'est la sécante d'un arc qui fait le complément d'un autre ; ainsi la co-sécante d'un angle de 30 degrés est la sécante de 60 degrés. Voyez SECANTE & COMPLEMENT. (O)


CO-SEIGNEURS. m. (Jurispr.) est celui qui a droit avec quelqu'autre à une même justice ou seigneurie directe ; ainsi ceux auxquels appartient un droit de justice par indivis, sont co-seigneurs justiciers du lieu sur lequel s'étend ce droit de justice : ceux auxquels appartient un même fief, sont co-seigneurs féodaux. Les co-seigneurs sont ordinairement tous égaux quant à la qualité du droit, mais non pas quant à la quotité ; l'un peut avoir les deux tiers, un autre le tiers, ou autres portions plus ou moins grandes, ce qui n'empêche pas qu'ils ne soient co-seigneurs. S'il n'y a point de partage du fief entr'eux, ils sont co-seigneurs par indivis ; si le fief est partagé quant au domaine, ils sont toujours co-seigneurs, parce que le partage n'empêche pas que ce ne soit toûjours le même fief dont ils possedent chacun une portion. Mais si le fief étoit démembré, & que ce démembrement fût permis par la coûtume, ou approuvé par le seigneur dominant, ceux qui possedent les différentes portions du fief servant, ne sont point co-seigneurs, parce que le démembrement proprement dit d'un seul fief, en fait plusieurs distincts & séparés. Si le seigneur s'est seulement joué de son fief, soit par son inféodation, soit à titre de cens ou rente, ou par vente, ceux qui tiennent leur droit de lui, ne sont point ses co-seigneurs, n'étant point ses égaux pour la qualité en laquelle ils possedent.

Lorsque dans une même paroisse il y a plusieurs seigneurs de fief & seigneurs hauts-justiciers, le seigneur qui a la haute justice sur le terrein sur lequel est bâtie l'église, est seul en droit de se dire seigneur de la paroisse ; les autres seigneurs justiciers ou féodaux ne sont point ses co-seigneurs, & ne peuvent pas se qualifier seigneurs du même lieu, non pas même seigneurs en partie, mais seulement d'un tel fief ou justice assis dans ce lieu. Lorsque le même fief ou justice est partagé entre plusieurs, celui qui a le château ou principal manoir, ou qui a la plus considérable partie du fief ou de la justice, peut se dire seigneurs du lieu, sans aucune restriction ; les autres co-seigneurs ne peuvent se dire que seigneurs en partie.

Celui qui a la plus grande portion de la seigneurie ou justice, a droit de garder les titres communs, à la charge d'en aider ses co-seigneurs ; s'ils étoient tous seigneurs par égales portions, & qu'ils ne convinssent pas à l'amiable lequel d'entr'eux gardera les titres, il faudroit le tirer au sort. Voyez Gosson sur l'art. 15. de la coûtume d'Artois, n. 8.

L'un des co-seigneurs peut, faute de foi & hommage, saisir seul féodalement tout le fief mouvant de lui & de ses co-seigneurs, sans qu'il ait besoin pour cela d'un pouvoir ou consentement de leur part ; mais il ne peut recevoir la foi & hommage, & tenir le fief couvert pour la part de ses co-seigneurs, sans leur consentement.

Quant à la maniere dont les co-seigneurs joüissent des droits honorifiques, voyez le traité de Maréchal & celui de M. Guyot. (A)


CO-SINUSS. m. (Géom.) c'est le sinus droit d'un arc qui est le complement d'un autre ; ainsi le cosinus d'un angle de 30 degrés, est le sinus d'un angle de 60 degrés. Voy. SINUS, COMPLEMENT, ANGLE, DEGRE.

CO-SINUS VERSE, est un nom que quelques-uns donnent à la partie du diamêtre qui reste après en avoir retranché le sinus verse. Voyez SINUS VERSE. Chambers. (O)


CO-TANGENTES. f. (Géom.) c'est la tangente d'un arc qui est le complément d'un autre. Ainsi la co-tangente de 30 degrés est la tangente de 60 degrés. Voyez TANGENTE, ANGLE, GREEGRE. (O)


CO-VERSES. m. (Géom.) quelques Géomêtres se servent de l'expression sinus co-verse, pour désigner la partie du diamêtre d'un cercle, laquelle reste après que l'on en a ôté le sinus verse. Voyez SINUS VERSE. (O)


COAS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé du surnom coüs, qui a été donné à Hippocrate parce qu'il étoit né dans l'île de Coo. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, campaniforme, globuleuse. Le pistil s'éleve du fond d'un calice découpé, & est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur : ce pistil devient dans la suite un fruit composé de trois capsules membraneuses & applaties ; ces capsules sont divisées en deux loges, dont chacune renferme une semence longue & ailée. Plumier, nov. plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)

COA, (Géog. mod.) riviere du royaume de Portugal, dans la province de Tra-los-Montes.


COACTIFadj. (Théol. & Jurispr.) qui peut légitimement contraindre & se faire obéir par la force. Les souverains ont seuls le pouvoir coactif : il y a cette différence entre les lois de l'Eglise & les lois de l'Etat ; que celles de l'Eglise, en qualité simple de lois de l'Eglise, n'ont que force directive : au lieu que les lois de l'Etat ont par elles-mêmes force coactive. Les lois de l'Eglise n'ont force coactive, que quand elles sont devenues lois de l'Etat.


COACTIONS. f. (Théol.) action sur la volonté, qui en ôte ou diminue le libre exercice ; d'où il s'ensuit que la coaction, si elle avoit lieu, excuseroit entierement ou en partie la créature du crime, & lui ôteroit le mérite de la bonne action : car le mérite & le démérite diminuent & disparoissent aussi-tôt que la nécessité de vouloir ou de ne pas vouloir commence. Voyez LIBERTE, GRACE.


COADJUTEURS. m. (Hist. ecclés. & Jurispr.) est celui qui est adjoint à un prélat, ou autre bénéficier ou officier ecclésiastique, pour lui aider à faire ses fonctions.

Les coadjuteurs sont ordinairement désignés successeurs de ceux auxquels on les adjoint.

Le P. Thomassin en sa discipline de l'Eglise, part. II. liv. II. ch. xxij. & xxiij. dit que les coadjutoreries étoient en usage dès les premiers siecles de l'Eglise. On trouve en effet que dès l'an 55 S. Lin fut fait coadjuteur de S. Pierre, & qu'en 95 Evariste le fut du pape Anaclet. Cependant le P. Thomassin ajoûte que les coadjutoreries sont odieuses, en ce que c'est une maniere indirecte pour transmettre les bénéfices comme par voie de succession.

En France le roi donne quelquefois un coadjuteur aux archevêques, évêques & abbés, lorsque le grand âge du bénéficier ou ses infirmités, son absence ou quelqu'autre cause légitime, le demandent, & que c'est pour le bien de l'Eglise.

Le pape donne des bulles qui portent ordinairement la clause cum futurâ successione, c'est-à-dire provision & collation du bénéfice par expectative ; tellement qu'après le décès du titulaire, le coadjuteur n'a pas besoin d'autre titre pour succéder au bénéfice.

Mais on ne peut nommer de coadjuteur avec droit de succéder, que pour les évêchés & abbayes ; & pour donner un coadjuteur à un évêque, il faut que celui-ci y consente.

Les coadjuteurs des évêques doivent être eux-mêmes évêques : on les nomme ordinairement évêques in partibus infidelium, afin qu'ils puissent faire les fonctions épiscopales à la décharge de celui dont ils sont coadjuteurs ; car le coadjuteur a les mêmes prérogatives que l'évêque auquel il est adjoint.

Celui qui est nommé coadjuteur d'un archevêque, a rang au-dessus de tous les évêques dans les assemblées du clergé.

Le concile de Trente, sess. 21. ch. vj. veut qu'on donne aux curés ignorans des coadjuteurs ou des vicaires pour faire leurs fonctions.

L'usage des coadjuteurs est aboli en France pour les canonicats & prébendes, prieurés, cures, & chapelles. On l'avoit toléré quelque tems dans les évêchés de Metz, Toul & Verdun ; mais par arrêt du 25 Février 1642, rapporté au journal des audiences, on a jugé qu'il ne devoit point avoir lieu. Voyez le tr. des mat. bénéfic. de Fuet, pp. 59. 62. 140. 154. 225. 278. 524. & 525. & la jurisprud. canoniq. au mot coadjuteur. (A)

COADJUTEUR, est aussi le nom qu'on donne à certains religieux parmi les Jésuites. Voy. JESUITES. (G)


COADJUTORERIES. f. place ou dignité d'un coadjuteur. On dit que N a été nommé à la coadjutorerie de tel ou tel évêché. La coadjutorerie par elle même n'est pourtant pas un titre réel, mais une expectative pour en obtenir un après la mort du titulaire. Voyez COADJUTEUR. (G)


COADJUTRICES. f. (Hist. ecclés. Jurispr.) est une religieuse nommée par le roi pour aider à une abbesse à faire ses fonctions, avec droit de lui succéder. Voyez ce qui est dit au mot COADJUTEUR. (A)


COAGISS. m. (Comm.) on appelle ainsi au Levant celui qui fait le commerce par commission pour le compte d'un autre. Presque toutes les nations commerçantes de l'Europe ont des coagis aux échelles du Levant. Voyez les dictionnaires de Trévoux & du Comm.


COAGULATIONS. f. (Physique & Chimie) Le mot de coagulation pris dans son sens le plus étendu, exprime tout changement arrivé à un liquide composé, par lequel ou la masse entiere de ce liquide, ou seulement quelques-unes de ses parties sont converties en un corps plus ou moins dense.

Ce changement s'opere dans ces liquides par un grand nombre de causes différentes, qui constituent tout autant d'especes de coagulations qui ont la plûpart des noms particuliers, & qu'on ne désigne même presque jamais par le nom générique de coagulation, qui a été borné par l'usage à quelques especes particulieres.

Les coagulations de la premiere espece, ou improprement dites, sont la congelation ou condensation par le refroidissement, la concentration ou rapprochement par le moyen de l'évaporation, la précipitation, la crystallisation. Voyez CONGELATION, EVAPORATION, PRECIPITATION, YSTALLISATIONTION.

Les coagulations de la seconde espece, celles pour lesquelles cette dénomination est consacrée, sont premierement la coagulation spontanée du lait, du sang, de certains sucs végétaux : par exemple celui de la bourache & du cochléaria, &c. 2°. celle du blanc-d'oeuf & des autres lymphes animales, par un degré de chaleur répondant au cent cinquante-sixieme du thermometre de Fahrenheit, selon les observations du docteur Martine : 3° la coagulation des matieres huileuses par le mélange des acides, celle du lait par les acides, par les alkalis, & par les esprits fermentés ; celle des matieres mucilagineuses ou farineuses délayées, par les alkalis, &c.

Nous sommes forcés d'avoüer que la théorie de la coagulation spontanée du lait, du sang, & des sucs gélatineux des végétaux, est encore pour nous dans les ténebres les plus profondes, & que nous n'en savons pas davantage sur la coagulation des lymphes animales par le moyen du feu : nous ne pouvons attribuer cette derniere coagulation à aucune espece de dissipation des parties aqueuses qu'on supposeroit constituer auparavant leur fluidité, puisqu'au degré de chaleur requis cet épaississement se fait dans l'eau aussi-bien qu'à l'air libre.

La condensation de ces matieres par cette cause, est une des exceptions les plus remarquables à cette loi physique presque générale, par laquelle les degrés de rareté ou de laxité du tissu des corps sont à-peu-près proportionnels à leur degré de chaleur.

Quant à la troisieme espece de nos coagulations proprement dites, savoir l'épaississement des matieres huileuses, &c. par les acides, &c. nous pouvons au moins les ramener par une analogie bien naturelle à la classe générale des corporifications qui dépendent de la combinaison des différens principes, comme des acides avec les différentes bases terreuses ou métalliques, &c. Voyez MIXTION.

La coagulation du lait par cette cause ne peut être cependant que très-difficilement rangée avec ce genre d'effets ; car on n'apperçoit pas trop comment quelques gouttes d'acides, quelques grains d'alkalis, ou une petite quantité d'esprit-de-vin, peuvent se distribuer assez également & en une proportion suffisante dans une grande quantité de lait, pour en lier les parties au point de leur faire perdre leur fluidité en si peu de tems. Voyez LAIT. (b)


COAGULUMS. m. (Chirurg.) terme consacré en Chirurgie pour exprimer la partie rouge du sang.

Lorsque le sang circule dans les vaisseaux ou qu'il en sort, il paroît composé de parties homogènes ; mais si on le laisse reposer dans un vase, on reconnoît bien-tôt qu'il n'en est pas ainsi. Le sang reçû dans une palette se refroidit, se coagule, & se partage en deux parties, dont l'une est un coagulum qu'on appelle la partie rouge du sang ; l'autre fluide & blanche, se nomme la partie lymphatique.

Mais pourquoi le coagulum du sang tiré dans un vase est-il quelque tems après la saignée d'un rouge vif à la surface, & d'un rouge très-foncé au fond du vase ? C'est parce que les globules de la surface sont non-seulement moins comprimés, mais encore mêlés avec de l'humeur blanche & glaireuse qui s'éleve vers la superficie du coagulum, qui se fige avec les globules, & qui affoiblit leur couleur : c'est cette humeur glaireuse qui produit quelquefois sur le sang que l'on a tiré des coënes blanchâtres, dures, & coriaces. Voyez COENE.

Le coagulum rouge lavé dans de l'eau tiede, se sépare en deux parties, dont l'une se mêle avec l'autre à laquelle il communique sa couleur rouge, & l'autre se forme en petits filamens blancs : la premiere est ce qu'on appelle proprement le sang, dont on expliquera la nature en son lieu. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COAILLou QUOAILLE, s. m. (Commerce & Draperie) laine grossiere qui se leve de la queue de la brebis : ce qui l'a fait appeller ainsi. Voyez les dict. de Trév. & du Comm.


COALEMUSS. m. (Myth.) dieu tutelaire de l'imprudence. Les anciens sembloient avoir pensé en multipliant les dieux, que les vices avoient plus besoin du secours des dieux que les vertus.


COALITIONS. f. (Physiq.) se dit quelquefois de la réunion de plusieurs parties qui avoient été auparavant séparées. Ce mot vient du latin coalescere, s'unir, se confondre ensemble. Il est très-peu en usage, & devroit y être un peu plus ; car il est commode, dérivé du latin, & ne peut guere être remplacé que par une périphrase. (O)


COANGO(Géog. mod.) riviere de l'Afrique méridionale, qui a sa source proche des frontieres de Monoemugi.


COANZA(Géog. mod.) grande riviere d'Afrique en Ethiopie, qui se jette dans la mer près de l'île Loanda.


COATANG(Géog.) petite ville de guerre de la Chine, dans la province de Chantung, sur la riviere de Mingto.


COATIS. m. (Hist. nat. Zool.) ce nom a été donné à plusieurs especes d'animaux quadrupedes du Bresil, si différens les uns des autres, que l'on n'est pas encore parvenu à les rapporter à un même genre : mais quoiqu'il en soit du genre, il nous suffiroit de bien connoître les especes. Celle que l'on appelle coati-mondi a été décrite par M. Perraut, qui en avoit disséqué trois ; la longueur de la tête du plus grand (Hist. nat. fig. 2. Plan. VI.) étoit de six pouces & demi depuis le bout du museau jusqu'à l'occiput ; il avoit seize pouces depuis le derriere de la tête jusqu'à l'origine de la queue, dont la longueur étoit de treize pouces : le museau ressembloit à celui du cochon ; mais il étoit plus long, plus étroit, & plus mobile ; il se recourboit facilement en-haut. Cet animal avoit cinq doigts à chaque patte, un peu plus longs dans les pattes de devant que dans celles de derriere ; & à chaque doigt un ongle noir, long, crochu, & creux comme ceux du castor. Les pattes de derriere ressembloient à celles de l'ours ; mais la plante étoit dégarnie de poil, & revêtue d'une peau douce ; il y avoit derriere le talon des callosités longues de cinq ou six lignes : le poil étoit court, rude, bouchonné, noirâtre sur le dos & sur quelques endroits de la tête, aux extrémités des pattes & du museau, & mêlé d'un peu de noir & de beaucoup de roux sur le reste du corps, mais plus doré en quelques endroits du dessous du ventre & de la gorge. Il y avoit sur la queue plusieurs anneaux, les uns noirâtres, & les autres mêlés de noir & de roux. La langue étoit un peu sillonnée, & au reste ressembloit à-peu-près à celle des chiens. Les yeux étoient petits comme ceux du cochon, & les oreilles rondes comme celles des rats : il y avoit au-dehors de l'oreille un poil court, & au-dedans un poil plus long & plus blanchâtre. Les dents canines étoient grises, transparentes, & fort longues, sur-tout celles de la mâchoire inférieure : chaque mâchoire avoit six dents incisives : la gueule étoit fort grande, & la mâchoire inférieure beaucoup plus courte que celle d'en-haut, comme dans le cochon. On dit que le coati-mondi ronge sa queue, desorte qu'on ne peut pas déterminer au juste la longueur de cette partie.

On avoit apporté à M. Perraut deux autres animaux sous le nom de coati-mondi, mais ils étoient plus petits, & fort différens de celui dont on vient de faire mention ; ils n'avoient pas les dents canines, ni les talons éperonnés par des callosités : l'un de ces animaux avoit le museau fendu comme un lievre ; cette partie, le tour des yeux & des oreilles, étoient dégarnis de poil, & de couleur rouge : les dents ressembloient à celles du castor, & la queue étoit courte. Il y avoit aux piés de devant cinq doigts, les trois du milieu étoient vraiment des doigts, mais les deux autres étoient placés comme des pouces à une certaine distance des doigts, un de chaque côté ; celui du côté intérieur étoit très-petit ; il ne se trouve aux piés de derriere que quatre doigts, dont l'un étoit éloigné des trois autres comme un pouce, & fort court ; il étoit placé au côté extérieur des doigts.

Enfin M. Perraut décrit un quatrieme animal qui avoit été donné sous le nom de coati. C'étoit une femelle ; elle avoit le poil roux par tout le corps, excepté la queue qui étoit marquée de plusieurs cercles d'un fauve brun, & l'extrémité des pattes & le dessus des oreilles qui avoient une teinte plus brune que celle du reste du corps ; excepté aussi l'extrémité du museau, qui étoit d'un gris brun. Ce coati avoit des moustaches d'un poil fort noir ; ce même poil se trouvoit à la mâchoire inférieure & aux joues : il n'y avoit point d'éperons aux pattes de derriere : enfin les dents ressembloient à celles des chiens. Mém. de l'acad. royale des Sciences, depuis 1666 jusqu'à 1699, tome III. part. II. p. 17. & suiv. Voyez QUADRUPEDE. (I)


COBALESS. m. (Myth.) génies malins attachés à la suite de Bacchus. On les confond quelquefois avec les faunes & les satyres.


COBALTCOBOLT ou KOBOLD, (Hist. nat. Minéralogie & Chimie) en latin cobaltum, cadmia fossilis pro caeruleo, cadmia metallica, &c. c'est un demi-métal, d'un gris qui tire un peu sur le jaunâtre ; il paroît composé d'un assemblage de petites lames ou de feuillets : à l'extérieur il a assez de ressemblance avec le bismuth : mais ce qui caractérise particulierement ce demi-métal, c'est la propriété qu'il a de donner une couleur bleue à la fritte du verre, lorsqu'on le met en fusion avec elle.

On a long-tems regardé le cobalt comme une substance terreuse ; c'est sa grande friabilité qui semble avoir accrédité cette erreur ; mais M. Brandt, savant chimiste suédois, a prouvé dans un mémoire inséré dans les actes de l'académie d'Upsal, qu'on devoit le placer au rang des demi-métaux : voici les raisons sur lesquelles il appuie son sentiment : 1° le cobalt présente à l'extérieur le même coup-d'oeil qu'un métal : 2° il a une pesanteur métallique : 3° il entre en fusion dans le feu, & prend en refroidissant une surface convexe, ce qui est un des caracteres distinctifs des substances métalliques : 4° le cobalt se dissout dans l'eau-forte, & donne une couleur d'un verd jaunâtre au dissolvant ; les sels alkalis fixes précipitent cette dissolution d'une couleur noire, & l'alkali volatil la précipite d'un rouge très-vif ; si on édulcore la matiere précipitée & qu'on y joigne de la matiere inflammable, en faisant fondre ce mélange on obtient du cobalt en régule, comme cela se pratique sur les précipités des autres substances métalliques dont on fait la réduction.

Le cobalt ne s'amalgame point avec le mercure, & jamais par la fusion on ne peut l'unir avec le bismuth, quoique les mines de ce dernier demi-métal contiennent presque toûjours du cobalt. Il s'unit très-intimement au cuivre, qu'il rend aigre & cassant.

On distingue plusieurs especes de mines dont on tire le cobalt ; voici les principales, suivant M. Wallerius.

I. La mine de cobalt cendrée : elle a quelque ressemblance avec la mine de plomb cubique ou galene, mais elle ressemble encore plus à la pyrite arsenicale avec qui on la confond souvent mal-à-propos ; cependant le grain de cette mine de cobalt est plus fin, & d'une couleur plus foncée & plus rougeâtre que celle de la pyrite arsenicale.

II. La mine de cobalt spéculaire, ainsi nommée parce qu'on y remarque des lames ou feuillets luisans comme la glace d'un miroir ; ce que M. Wallerius conjecture venir de ce que le cobalt se trouve uni avec du spath feuilleté ou quelqu'autre matiere de cette espece.

III. La mine de cobalt vitreuse, ainsi nommée parce qu'elle ressemble à des scories ou à une matiere vitrifiée ; elle est brillante & d'un gris bleuâtre.

IV. La mine de cobalt crystallisée ; on appelle ainsi les mines de cobalt qui affectent une figure réguliere & déterminée ; on leur donne differens noms, suivant la figure qu'on y remarque ; par exemple on les appelle mines de cobalt tricotées, en réseaux, &c.

V. Fleurs de cobalt ; c'est une mine de cobalt tombée en efflorescence à l'air, & qui prend une couleur ou rouge, ou violette, ou pourpre, ou fleur de pêcher ; quelquefois ces couleurs ne sont qu'à la surface ; quelquefois elles pénetrent de part en part.

VI. La mine de cobalt terreuse ; cette mine est ainsi nommée parce qu'elle est friable & peu compacte : sa couleur varie ; il y en a d'un blanc tirant sur le verd, de jaune comme de l'ochre, de noire, &c.

Outre cela on rencontre fréquemment du cobalt dans les mêmes mines qui fournissent le bismuth. On en trouve aussi quelquefois dans la mine d'arsenic, que l'on nomme testacée ; c'est pour cela que les minéralogistes allemands l'appellent cobalt testacée, (schirben-kobolt), quoique ce soit une vraie mine d'arsenic. On en rencontre aussi en petite quantité dans la mine d'arsenic d'un rouge cuivreux, que les Allemands appellent kupfernikkel, mais ce n'est qu'accidentellement. On croit devoir avertir en général, que les ouvriers des mines d'Allemagne, & quelques auteurs d'après eux, ont souvent confondu les mines de cobalt avec celles d'arsenic, & ont indifféremment donné le nom de cobalt à des mines arsenicales, qui ne contiennent que peu ou point de ce demi-métal ; ce qu'il y a de certain, c'est que toutes les mines de cobalt sont chargées d'une portion d'arsenic très-considérable, que l'on est obligé d'en dégager par le grillage pour en séparer le cobalt ou la matiere propre à colorer le verre en bleu. On se sert pour cela d'un fourneau dont on trouvera la représentation parmi les Planches de Minéralogie dans celle du cobalt & de l'arsenic : la figure 1. represente l'attelier & le fourneau pour la calcination du cobalt ; A B est un fourneau de réverbere dans lequel on met la mine de cobalt, pour que la flamme en dégage la partie arsenicale qui est reçue dans une galerie ou cheminée de bois horisontale C D, qui a ordinairement 100 pas de longueur ; l'arsenic qui y passe sous la forme d'une fumée blanche fort épaisse, se condense & s'attache aux parois de cette cheminée sous la forme de petits crystaux ou d'une farine legere, que les Allemands nomment gifftmehl, d'où on l'enleve au bout d'un certain tems par les fenêtres, E E E, qui sont pratiquées de distance en distance le long de la galerie ou cheminée horisontale ; ces fenêtres se ferment lorsqu'on fait griller la mine de cobalt ; F F sont les piliers sur lesquels la cheminée horisontale est soûtenue ; G est une coupe perpendiculaire d'un fourneau à griller la mine de cobalt ; H est la coupe perpendiculaire de la cheminée horisontale, dans laquelle la fumée arsenicale est reçue.

Après que la mine de cobalt a été grillée dans le fourneau que nous venons de décrire, on la retire, on l'écrase dans un moulin par le moyen de deux meules qui tournent verticalement, ensuite on la fait calciner de nouveau jusqu'à ce qu'il n'en parte plus aucune fumée ; pour lors on retire le cobalt, dont on mêle une partie avec deux parties & même plus de potasse & de cailloux ou de quartz pulverisés, & l'on en fait ce qu'on appelle le saffre, smalte ou azur, dont on se sert pour peindre en bleu la fayence & la porcelaine, pour colorer le verre, faire du bleu d'empois, &c. Nous donnerons une description détaillée de ce travail à l'art. SAFFRE ; nous nous contenterons de dire ici que les manufactures où l'on traite ainsi le cobalt, sont un objet de commerce très-considérable pour la Misnie, & produisent un très-grand revenu à l'électeur de Saxe.

L'exportation du cobalt crud est défendue en Saxe sous des peines très-rigoureuses ; il y a des commis établis pour en empêcher la contrebande ; & tout le cobalt qui se recueille dans le pays doit être livré, suivant la taxe qui en a été faite par le conseil des mines, aux manufactures de saffre. Voyez SAFFRE.

On a souvent tenté de tirer de l'argent des mines de cobalt ; mais quand il s'y en trouve, ce n'est qu'accidentellement : il n'y a donc point de meilleur parti que de les travailler pour en tirer la couleur bleue propre à faire le saffre.

Une maniere courte d'éprouver si une mine de cobalt fournira un beau bleu, c'est de la faire fondre dans un creuset avec deux ou trois fois son poids de borax, qui deviendra d'un beau bleu si le cobalt est d'une bonne qualité.

Il y a des mines de cobalt en plusieurs endroits de l'Europe ; mais les plus abondantes & les meilleures sont celles de Schneeberg en Misnie ; le cobalt s'y trouve ordinairement joint aux mines de bismuth. Il s'en trouve aussi en Bohème dans la vallée de Joachim (Joachims-thal), au Hartz, dans le duché de Wirtemberg, aux Pyrenées, dans la province de Sommerset en Angleterre, en Alsace, &c. Il paroît que les Chinois, & sur-tout les Japonois, ont aussi des mines de cobalt chez eux, par les porcelaines bleues si estimées qui venoient autrefois de leur pays ; mais il y a lieu de croire que leurs mines sont épuisées, ou du moins que le cobalt dont ils se servent actuellement est d'une qualité inférieure, attendu que le bleu de leurs porcelaines modernes n'est plus si beau.

L'exploitation des mines de cobalt est dangereuse ; il y regne très-souvent des vapeurs arsenicales, qui font périr ceux qui y travaillent ; outre cela leurs piés & leurs mains sont souvent ulcérés par ce minéral qui est très-corrosif.

Les mineurs allemands donnent aussi le nom de cobalt à un être qui n'existe que dans leur imagination ; ils veulent désigner par là un phantôme ou démon soûterrain à qui ils attribuent la figure d'un petit nain ; ce prétendu gnome lorsqu'il n'est pas de bonne humeur étrangle les mineurs ; mais lorsqu'il est bénévole, il leur fait découvrir les filons les plus riches. (-)


COBBANS. m. (Hist. nat. bot.) petit arbre semblable au pêcher qui croît à Sumatra ; il a la feuille petite ; les branches courtes & couvertes d'une écorce jaune, & le fruit de la grosseur & de la figure de la pomme, & contenant une noix grosse comme l'aveline, où l'on trouve une amande amere dont on tire une huile à laquelle on attribue beaucoup de propriétés médicinales, ainsi qu'à une gomme qui découle de sa tige.

Le cobban doit être mis au nombre des plantes exotiques mal connues. Voyez Trév. & Dish.


COBEou ANCETTES, s. m. (Marine) ce sont des bouts de cordes que l'on joint à la ralingue de la voile, & qui n'ont pas plus d'un pié & demi de longueur ; ils servent pour passer d'autres cordages nommés pattes de boulines. (Z)


COBILANA(Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province de Beyra, sur la riviere de Zezare.


COBINORA(Géog. mod.) petite ville d'Hongrie, sur la Save, à peu de distance de Sabacz.


COBITS. m. (Commerce) mesure de longueur d'usage en plusieurs endroits des Indes orientales. Elle varie, mais celle de Surate est, selon Tavernier, de deux piés de roi & seize lignes. Voyez les dictionn. du Comm. Dish. Trév. & Chambers.


COBLENTZ(Géog. mod.) grande ville d'Allemagne, dans l'électorat de Treves, au confluent du Rhin & de la Moselle. Long. 25. 8. lat. 50. 24.


COBOURG(Géog. mod.) ville d'Allemagne en Franconie, capitale d'une principauté de même nom sur l'Itch. Long. 28. 35. lat. 50. 20.


COBRES. m. (Comm.) mesure de longueur, d'usage à la Chine & aux Indes orientales ; à la Chine, du côté de Canton ; aux Indes, sur la côte de Coromandel. Elle varie selon les lieux. A la Chine elle est de 3/10 d'une aune de Paris ; aux Indes, de 17 pouces & 1/2 de France.


COBRISSOS. m. (Minéralogie) nom que l'on donne au Chili & au Pérou à la mine d'argent lorsqu'elle tient du cuivre, & qu'elle est teinte d'une couleur verte. Cette espece de mine est difficile à traiter. Dictionn. du Comm.


COCAS. m. (Bot. exot.) arbrisseau du Pérou, dont les fruits, quand ils sont secs, servent aux habitans de petite monnoie, de même que le cacao en sert aux Mexicains, tandis que les feuilles de l'arbrisseau font les délices des Péruviens, comme le béthel des Orientaux, & le tabac des Européens.

Cette plante ne s'éleve guere que de trois à quatre piés ; ses feuilles sont molles, d'un verd-pâle, & assez semblables à celles du myrte. Son fruit est disposé en grappes, rouge comme le myrtile quand il commence à mûrir, de pareille grosseur, & noir quand il a atteint sa parfaite maturité. C'est en cet état qu'on le cueille & qu'on le laisse entierement sécher avant que de le mettre dans le commerce.

Je suis fâché de ne pouvoir rien dire de plus d'une plante de ce prix, de ne la connoître même par aucune description de botaniste, mais seulement par des relations de voyageurs, qui se contredisent les uns les autres, & qui paroissent ne s'être attachés qu'à nous en débiter des contes hors de toute créance. Tels sont ceux qui nous rapportent qu'il se fait un si grand commerce du coca, que le revenu de la cathédrale de Cusco ne provient que de la dixme des feuilles.

Quelques auteurs ont fait deux plantes de celle-ci, & en conséquence l'ont décrite différemment sous les noms de coca & de cuca. Cette façon de multiplier les objets n'est pas sans exemple dans la Botanique. Cet article est de M(D.J.)

COCA, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Castille vieille, sur la petite riviere d'Elerana.


COCARDES. m. (Art milit.) en terme de marchand de modes, est une bouffette de rubans assortissans à l'ordonnance, que les gens de guerre attachent au bouton du chapeau.


COCATRES. m. (Oecon. rustiq.) c'est ainsi qu'on appelle le chapon qui n'a été châtré qu'à demi.


COCAZOCHITL(Hist. nat. bot.) c'est ainsi que les Mexicains appellent le tagetes indicus.


COCCARA(Hist. anc.) nom d'une espece de gâteau des Grecs, dont on ne connoît que le nom.


COCCEIENSS. m. pl. sectateurs de Jean Cox, né à Breme en 1603, homme savant & profond théologien, qui fit grand bruit en Hollande dans le xvj. siecle ; il appercevoit dans l'écriture, qu'il lisoit beaucoup, deux venues, celle de Jesus-Christ & celle de l'ante-christ ; il croyoit que Jesus-Christ auroit un regne visible sur la terre, postérieur à celui de l'ante-christ qu'il aboliroit, & antérieur à la conversion des Juifs & de toutes les nations. Il avoit encore d'autres idées particulieres qui furent combattues de son tems avec beaucoup de chaleur, & qui lui firent de la réputation, quelques sectateurs, &, comme de raison, une multitude d'ennemis.


COCCOCA(Mythol.) surnom de Diane ; elle étoit invoquée sous ce titre en Elide ; mais quelle en étoit la raison ? on l'ignore.


COCCYGIENadj. en Anatomie, se dit de quelques parties relatives aux coccyx.

Le muscle coccygien antérieur ou latéral vient de la face interne de l'os des îles, de l'os ischion & du corps de cet os, derriere le trou ovale, & s'y insere à la partie latérale interne & inférieure du coccyx.

Le muscle coccygien postérieur vient de la face antérieure des deux premieres vertebres de l'os sacrum, de la face interne du corps de l'épine de l'os ischion ; & s'insere à la partie moyenne de la face interne du coccyx. (L)


COCCYXS. m. (Anat. Chir.) Le coccyx est à l'extrémité de l'épine, & se trouve placé comme la queue dans les animaux.

C'est un os situé au bout de l'os sacrum, dont il est comme l'appendice. Sa figure revient en quelque maniere à celle d'une petite pyramide renversée & un peu courbée vers le bassin ; formant une espece de bec de coucou ou de corbeau, convexe en-dehors, & concave en-dedans. Il donne attache au sphincter de l'anus, & à une portion des fessiers. Sa face antérieure est plate, & la postérieure un peu arrondie.

Il est composé de quatre ou cinq pieces en maniere de fausses vertebres, jointes les unes aux autres par des cartilages plus ou moins souples, ce qui fait qu'ils obéissent & qu'ils se retirent aisément en-arriere. Quelquefois plusieurs de ces pieces, & quelquefois toutes, sont entierement soudées ensemble.

Les cartilages qui lient les différentes parties du coccyx, conservent leur nature dans quelques sujets jusqu'à un âge fort avancé : il y en a d'autres au contraire dans lesquels ils deviennent promtement osseux.

Ces pieces osseuses qui composent le coccyx, soûtiennent le rectum & le portent plus en-dehors aux femmes qu'aux hommes, donnant par-là plus d'étendue au bassin de l'hypogastre pour le tems de la grossesse : la pointe de ces os regarde toûjours en-dedans, ce qui empêche qu'on ne soit incommodé en s'asseyant, & comme ils se portent un peu en-dehors aux femmes, cela rend plus ample le passage de l'enfant dans l'accouchement.

Cheselden & Morgagni, deux grands maîtres, l'un en Chirurgie, l'autre en Anatomie, ont observé que le coccyx a une paire de muscles propres qui ont de chaque côté leur attache fixe à l'apophyse épineuse & postérieure de l'os ischion, & vont s'insérer au coccyx. Ces muscles tirent ce dernier os en-devant, aident par-là aux releveurs de l'anus, & remettent le coccyx dans sa situation naturelle.

Diemerbroeck rapporte avoir vû un enfant nouveau-né dont la queue, c'est-à-dire le coccyx, étoit de la longueur de 13 à 14 pouces ; mais je crois que cet anatomiste a mal vû dans cette occasion comme dans quelques autres.

Harvey avoit oui dire à un de ses amis revenant des Indes orientales, qu'il y a des hommes dans quelques contrées de ce pays-là, qui ont des queues d'un pié de long. Rapporter fidelement ce qu'on a oui dire, chose même assez rare, est presque toûjours rapporter des choses suspectes. Cependant Marc Paul dans sa description géographique imprimée à Paris en 1556, avoit déja écrit le même conte des hommes du royaume de Lambry ; Struys l'assûre aussi de ceux de l'île de Formose ; & Gemelli Carreri, sur le récit de quelques jésuites, de ceux de l'île de Mindoro, voisine des Manilles. Que Sorbiere avoit bien raison d'appeller les relations des voyageurs, les romans des Physiciens ! Tous ces hommes à longue queue des Indes orientales, du royaume de Lambry, des îles Formose, Mindoro, Borneo, &c. sont des especes de gros singes à queue qu'on y trouve en quantité.

Ces sortes de singes à queue sont nommés par les Naturalistes cercopitheci. Il y en a dans tous les cabinets des curieux, & j'en ai vû de toute grandeur.

Bourdon dit qu'il y a des sages-femmes qui ont coûtume de pousser le coccyx en-arriere dans l'accouchement avec tant de violence, qu'il en résulte de très-fâcheux accidens. Cependant, suivant la Motte, auquel nous devons un bon traité des accouchemens, ce n'est jamais cet os qui met obstacle au passage de l'enfant, mais le bassin trop étroit de l'hypogastre, qui fait que la tête de l'enfant s'y étant engagée, elle ne peut avancer ni rétrograder. Il est persuadé que le coccyx obéit sans peine aux efforts que fait le foetus pour s'ouvrir un passage, & à ceux que fait la mere pour accoucher.

Le coccyx peut se luxer en-dehors ou en-dedans, car il est très-rare que ses vertebres se déjoignent entierement. Pour réduire le coccyx luxé en-dehors, il ne faut que le pousser en-dedans, le tenir dans cette situation avec des compresses graduées & un bandage en T.

Pour réduire le coccyx luxé en-dedans, on trempe le doigt indice dans l'huile, & on l'introduit dans l'anus aussi avant qu'il est nécessaire pour passer au-delà du bout du coccyx, & le relever. Il faut, pour éviter la douleur, observer en introduisant le doigt, de l'appuyer toûjours sur le côté de la marge de l'anus opposé à la pointe du coccyx.

On préviendra les suites fâcheuses de cet accident par des saignées, des narcotiques, la diete, les boissons rafraîchissantes, les lavemens, les bains, les cataplasmes anodyns, émolliens & résolutifs, un bandage lâche & simplement contentif, & le lit.

M. Petit dans son traité des maladies des os, tome I. chap. iij. remarque que le dérangement du coccyx n'est point, à proprement parler, une luxation, parce que la jonction de cet os n'est pas une articulation formée par des têtes & des cavités, mais une union par cartilage que les anciens ont nommée synchondrose, ce qui semble devoir faire appeller la luxation du coccyx en-dehors, renversement, & sa luxation en-dedans, enfoncement. Si le coccyx étoit entierement séparé de l'os sacrum, on pourroit dire qu'il est rompu.

Les causes de la luxation du coccyx en-dedans (pour parler néanmoins le langage ordinaire), sont les coups & les chûtes sur cette partie, qui forment quelquefois par la contusion des accidens funestes, sur-tout lorsque les femmes négligent par pudeur de montrer le mal aux maîtres de l'art. M. Petit en cite deux ou trois exemples qui doivent apprendre à surmonter dans ces occasions des répugnances qui peuvent coûter la vie.

La pudeur bien entendue, n'est qu'un sentiment honnête qui doit seulement nous détourner du vice. Cet article est de M(D.J.)


COCHES. m. voiture publique qui transporte les particuliers & leurs effets de la capitale en différens endroits du royaume, & de ces endroits dans la capitale. Il y a deux sortes de coches, les coches d'eau & les coches de terre. Les coches d'eau sont de grands bateaux distribués en différentes chambres où se retirent les voyageurs, & en un grand magasin où sont déposées les marchandises. Les coches de terre sont de grands carrosses à un grand nombre de places ; les voyageurs occupent ces places ; les marchandises sont chargées sur le derriere ; le devant est occupé par un grand tissu d'osier qu'on appelle le panier, où l'on met aussi des marchandises, & où sont reçûes à un prix médiocre les personnes qui ne trouvent plus de place dans le coche, ou qui ne sont pas en état d'en prendre. La premiere institution de ces coches remonte sous Charles IX. Ils étoient loüés par des particuliers ; mais bien-tôt il y eut un privilége exclusif & un inspecteur des coches. En 1594, Henri IV. supprima cette inspection, & créa un surintendant de ces voitures ; ce qui fait présumer qu'elles étoient déja établies en grand nombre. Ce fut alors que commença la police de ces voitures, qui a été portée jusqu'où nous la voyons, sur la qualité des marchandises, l'exactitude du départ, le prix & l'ordre des places, la tenue des registres, la sûreté des effets mis aux coches, les devoirs des cochers, &c. voyez VOITURES PUBLIQUES.

COCHE, terme de Marine. Porter les huniers en coche, c'est les hisser au plus haut du mât. (Z)

COCHE, s. f. instrument de Chapelier, morceau de buis ou d'autre bois dur, long de sept ou huit pouces, tourné en forme de petite bobine, avec lequel on met en action la corde de l'arçon, dans la préparation des matieres dont on fabrique les chapeaux. Voyez la figure 4. Pl. du Chapelier.

Les Cardeurs se servent aussi de la coche pour arçonner leur laine ou coton après l'avoir cardé. Voyez CHAPEAU.

COCHE ou ENTAILLE qu'on fait dans le bois.


COCHÉESadj. f. pilules cochées, (Pharm.) On trouve dans presque tous les dispensaires deux sortes de pilules, les unes appellées cochées majeures, les autres cochées mineures.

Les premieres ou les majeures sont de Rhasis, & se font de la maniere suivante.

Pilules cochées majeures de Rhasis. . de la poudre d'hierepicre de Rhasis dix gros ; pulpe de coloquinte pulvérisée, trois gros un scrupule ; scammonée pulvérisée, deux gros & demi ; stoechas, turbith choisi, de chaque cinq gros. On pulvérisera ensemble le stoechas & le turbith, & on fera du tout une masse de pilules selon les regles de l'art, avec une suffisante quantité de sirop de stoechas. La dose de ces pilules est jusqu'à deux scrupules & même un gros.

Pilules cochées mineures. . aloès sucotrin, scammonée choisie, pulpe de coloquinte, de chaque partie égale ; huile essentielle de girofle, s. q. ad aromatisand. faites du tout une masse de pilules avec s. q. de sirop de nerprun. La dose de ces pilules est depuis six grains jusqu'à un scrupule.

Les pilules cochées, tant majeures que mineures, sont des hydragogues très-violens fort peu employés par nos Médecins, mais dont les Anglois & les Allemands font un usage assez fréquent. (b)


COCHEIM(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Treves, sur la Moselle. Long. 24. 45. lat. 50. 12.


COCHENILLAGES. m. (Teinture) ce terme a deux acceptions : il se dit 1°. de l'action de teindre en cochenille ; 2°. du bouillon ou de la décoction destinée à teindre en cramoisi avec la cochenille : d'où l'on a fait le verbe cocheniller. Voyez TEINTURE & COCHENILLE.


COCHENILLES. f. (Hist. nat.) matiere qui sert à la teinture de l'écarlate & du pourpre. On nous l'apporte d'Amérique en petits grains de figure singuliere, la plûpart convexes & cannelés d'un côté, & concaves de l'autre. La couleur de la cochenille la plus recherchée est le gris teint de couleur d'ardoise, mêlé de rougeâtre & de blanc. On garde la cochenille autant que l'on veut, sans qu'elle s'altere. On a été long-tems sans savoir précisément si cette matiere appartenoit au regne végétal ou au regne animal : on croyoit d'abord que c'étoit une graine de l'espece de celle qu'on appelle des baies ; mais à-présent il n'est pas douteux que la cochenille ne soit un insecte desséché. On en a des preuves incontestables par les observations qui ont été faites au Mexique, qui est le seul pays où on recueille la cochenille ; mais indépendamment des faits que l'on a constatés à ce sujet, on pourroit reconnoître la cochenille pour un insecte à la simple inspection, dans l'état où nous la voyons dans ce pays-ci, sur-tout en l'observant à la loupe ou au microscope, après l'avoir fait ramollir dans de l'eau ou dans du vinaigre, pour développer & renfler les parties racornies & desséchées. Par le moyen de cette préparation, on distingue dans les grains de cochenille les plus informes, les différens anneaux dont le corps de l'insecte étoit composé, & on voit dans plusieurs de ces grains des jambes entieres, & quelques restes qui tiennent au corps, ou au moins on apperçoit les endroits où les jambes de cet insecte étoient attachées, & il paroît clairement qu'il en avoit six : on reconnoît aussi la tête & l'anus, & on voit quelque apparence d'yeux ou d'antennes, d'une trompe, &c. enfin on en voit assez pour reconnoître que la cochenille n'est ni un scarabé ni une araignée, comme on l'avoit crû ; on reconnoît au contraire, que cet insecte a beaucoup de rapport aux galinsectes, ou plûtôt aux progallinsectes, surtout par ce que l'on sait de sa maniere de vivre.

On recueille la cochenille sur des plantes auxquelles on donne les noms de figuier d'inde, de raquette, de cardasse, & de nopal. Elles sont assez connues dans les serres & même dans les orangeries, où on les garde pour leur figure singuliere ; car elles n'ont que des feuilles au lieu de tiges & de branches, ou plûtôt leurs tiges & leurs branches sont composées d'une file de feuilles épaisses, oblongues, & arrondies, qui tiennent les unes aux autres par leurs extrémités. Il y a dans les serres du jardin du Roi plusieurs especes de ce genre de plante, & même celle qui nourrit au Bresil l'insecte de la cochenille. Ces plantes portent un fruit qui ressemble en quelque façon à nos figues ; c'est d'où vient le nom de figuier d'inde. Ces figues n'ont pas un aussi bon goût que les nôtres, elles teignent en rouge l'urine de ceux qui en ont mangé, & communiquent selon toutes les apparences, à l'insecte de la cochenille, la propriété qu'il a pour la teinture.

Les Indiens du Mexique cultivent aux alentours de leurs habitations des nopals, pour y recueillir de la cochenille ; & pour s'assûrer de cette récolte, ils les sement pour ainsi dire sur les plantes. Ils font de petits nids avec de la mousse, des brins d'herbe, ou de la bourre de noix de cocos ; ils mettent 12 ou 14 cochenilles dans chaque nid, & placent deux ou trois de ces nids sur chaque feuille de nopal, & les affermissent au moyen des épines de cette plante. Après trois ou quatre jours, on voit sortir du corps de ces insectes des milliers de petits qui ne sont pas plus gros que des mites. Ces nouveaux nés quittent bientôt le nid, & se dispersent sur les plantes ; mais ils ne sont pas long-tems sans s'arrêter & se fixer dans les endroits qui sont les plus succulens & les plus verds, ou les plus abrités contre le vent ; ils restent chacun à leur place, jusqu'à ce qu'ils ayent pris tout leur accroissement. Ces insectes ne rongent pas la plante, ils la piquent & en tirent le suc. Dans les lieux où l'on doit craindre que le froid ou les pluies ne fassent périr les cochenilles, on couvre avec des nattes les plantes sur lesquelles elles sont. Ces insectes sont de figure ovale ; ils ne deviennent pas plus gros que de petits pois, & on les a comparés pour la figure aux tiques ou aux punaises domestiques. Les Indiens sont obligés de défendre les cochenilles contre différens insectes qui les détruiroient, si on n'avoit soin de nettoyer exactement les nopals.

On fait chaque année plusieurs récoltes de cochenille. Dans la premiere, on enleve les nids & les cochenilles que l'on avoit mis dedans, & qui y ont péri dès que les petits ont été sortis de leur corps. Trois ou quatre mois après, on recueille le produit de cette génération, l'on fait tomber les cochenilles par le moyen d'un pinceau ; alors chaque individu a pris son accroissement. Il y en a même qui commencent à produire une seconde génération ; on laisse ces petits, & peut-être même des gros, pour fournir à la troisieme récolte qui se fait trois ou quatre mois après la seconde. Les pluies viennent trop tôt pour que l'on ait le tems d'en faire une quatrieme ; c'est pourquoi les Indiens enlevent des feuilles de nopal avec les petits insectes qui y restent, & les serrent dans les habitations, pour mettre ces insectes à l'abri du froid & de la pluie, & les feuilles se conservent pendant long-tems, comme toutes celles des plantes que l'on appelle plantes grasses. Les cochenilles croissent ainsi pendant la mauvaise saison ; & lorsqu'elle est passée, on les met à l'air dans des nids sur des plantes du dehors, comme nous avons dejà dit. La cochenille de la troisieme récolte n'est pas aussi bien conditionnée que celle des autres, parce qu'on racle les feuilles de nopal pour enlever les petits insectes nouveaux nés, qu'il ne seroit guere possible de recueillir avec le pinceau, à cause de leur petit volume ; on mêle par conséquent les raclures des plantes avec la cochenille, qui est d'ailleurs de différente grosseur, parce que les meres se trouvent avec les nouveaux nés : c'est pourquoi les Espagnols donnent à cette cochenille le nom de granilla.

Les Indiens font périr les cochenilles dès qu'ils les ont recueillies ; parce que ces insectes qui peuvent vivre pendant quelques jours, quoique séparés des plantes, feroient leurs petits, & que les petits se disperseroient, s'échapperoient du tas, & seroient perdus pour le propriétaire. On les plonge dans l'eau chaude pour les faire mourir ; ensuite on les seche au soleil ; d'autres les mettent dans des fours, ou sur des plaques qui ont servi à faire cuire des gâteaux de maïs. Ces différentes façons de faire mourir ces insectes, influent sur leur couleur : ceux que l'on a mis dans l'eau chaude, ont perdu une partie d'une espece de poudre blanche que l'on voit sur leurs corps lorsqu'ils sont vivans, ils prennent une teinte de brun roux : on appelle cette cochenille renegrida. Celle qui a été au four est d'un gris cendré ou jaspé, elle a du blanc sur un fond rougeâtre ; on l'appelle jaspeada. Enfin celle que l'on a mis sur les plaques, est le plus souvent trop échauffée, & devient noirâtre ; aussi lui donne-t-on le nom de negra.

Il y a deux sortes de cochenille ; l'une est pour ainsi dire cultivée, & l'autre sauvage. La premiere est appellée mesteque, parce qu'on en trouve à Meteque dans la province de Honduras ; c'est celle que l'on seme pour ainsi dire, & que l'on recueille dans les plantations de nopal : cette cochenille est la meilleure. L'autre sorte que l'on appelle sylvestre croît, à ce que l'on dit, sur une espece de figuier d'inde que l'on ne cultive point, & qui a plus de piquans sur ses feuilles que le nopal : elle fournit moins de teinture que l'autre. Les provinces du Mexique où on recueille plus de cochenille, sont celles de Tlasealla, de Guaxaca, de Guatimala, de Honduras, &c. Il faut qu'il y ait bien des gens occupés à ce travail ; car on a calculé en 1736, qu'il entroit en Europe chaque année huit cent quatre-vingt mille livres pesant de cochenille dont il y avoit près du tiers de cochenille sylvestre, & le reste de mesteque ; ce qui valoit en tout plus de 15 millions en argent par année commune. Cet objet de commerce est fort important, & mériteroit bien que l'on fît des tentatives pour l'établir dans les îles d'Amérique, ou en d'autres climats dont la température seroit convenable à la cochenille & à la plante dont elle se nourrit. Mém. pour servir à l'hist. des ins. tom. IV. pag. 87. & suiv. Voyez GALINSECTES & INSECTES. (I)

COCHENILLE, insecte. (Mat. méd.) La cochenille passe pour sudorifique, alexipharmaque, & febrifuge ; on l'ordonne dans la peste & dans les fievres éruptives.

Lemery assûre qu'elle est bonne contre la pierre, la gravelle, & la diarrhée, & qu'elle empêche l'avortement, étant prise en poudre depuis 12 grains jusqu'à demi-gros. Ce qu'il y a de certain, c'est que les femmes italiennes en font beaucoup usage dans ce cas.

La cochenille entre dans la confection alkerme, dans l'esprit de lavande composé, la teinture stomachique amere ; mais plûtôt pour colorer les médicamens, que pour contribuer à leur efficacité. (b)


COCHERS. m. se dit en général de celui qui sait conduire une voiture. Il y a les cochers des voitures ordinaires, les cochers de carrosses particuliers, les cochers de carrosses, publics, les cochers de place, &c.

COCHER, (le) c'est le nom qu'on donne à une constellation, ou un assemblage d'étoiles fixes dans l'hémisphere septentrional. Ces étoiles sont dans le catalogue de Ptolomée au nombre de 14 ; dans celui de Tycho, au nombre de 23 : Hevelius en compte 40, & le catalogue britannique 68. (O)

COCHER, v. act. en termes de Batteur-d'or, est un livre de vélin très-fin, apprêté avec un fond (voyez FOND), & bien desséché sous une presse. On dit le premier & le second cocher, quoique l'un ne differe de l'autre que par le nombre de ses feuilles qui est double. Ils servent tous deux à dégrossir l'or. Voyez DEGROSSIR & BATTEUR-D'OR.


COCHEVISS. m. alauda cristata, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau plus gros que l'aloüette ordinaire, & dont le bec est plus gros & plus long ; il a près d'un pouce de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche, la piece supérieure est brune, & l'inférieure blanchâtre ; la langue est large & un peu fourchue à son extrémité ; l'iris des yeux est de couleur de noisette mêlée de couleur cendrée ; il y a au-dessus de la tête une hupe composée de sept ou huit petites plumes, & quelquefois de dix ou douze : l'oiseau peut les élever ou les abaisser, les éloigner ou les rapprocher les unes des autres comme celles de la queue ; les plumes de la hupe sont plus noires que toutes les autres, & ont près d'un demi-pouce de longueur. Le dos est d'une couleur moins cendrée, & n'a pas autant de taches que dans l'aloüette ordinaire ; le croupion n'en a presque aucune. Les grandes plumes de chaque aile sont au nombre de dix-huit, sans compter l'extérieure qui est fort petite & semblable aux plumes du second rang ; les premieres des grandes plumes ont les barbes extérieures de couleur blanchâtre mêlée de jaune ou de roux pâle : les autres plumes sont moins noires que dans l'aloüette ordinaire, & ont un peu de roux pâle même à la partie inférieure. Le ventre & la poitrine sont d'un jaune blanchâtre ; la gorge est marquée de taches comme dans l'aloüette ordinaire ; la queue a un peu plus de deux pouces de longueur, & est composée de douze plumes : les deux premieres de chaque côté ont le bord extérieur blanc mêlé de roux, & quelquefois noir ; la troisieme & la quatrieme sont entierement noires, la cinquieme & la sixieme ont la même couleur que celles du corps. Cet oiseau differe de l'aloüette ordinaire en ce qu'il est plus gros, qu'il a une hupe sur la tête, que la couleur des plumes de son dos est moins marquée de taches, & enfin en ce qu'il a la queue plus courte. Les cochevis habitent le bord des lacs & des fleuves, ils ne volent pas en troupe, ils ne s'élevent pas aussi souvent en l'air que l'aloüette ordinaire, & n'y restent pas aussi long-tems. Willughby, Ornith. Voy. ALOUETTE, OISEAU. (I)


COCHILA(Géog. mod.) riviere d'Italie au royaume de Naples, qui prend sa source dans l'Apennin, & se jette dans le golfe de Tarente.


COCHIN(Géog. mod.) ville considérable d'Asie, capitale d'un royaume de même nom sur la côte de Malabar. Les habitans sont idolâtres. Les femmes y peuvent prendre autant de maris qu'il leur plaît. Long. 95. 15. lat. 10.


COCHINCHINE(Géog. mod.) grand royaume d'Asie borné par le Tunquin, le royaume de Chiampa, le Kemoï, & la mer : les habitans sont idolâtres & fort belliqueux. Ce pays est très-fertile ; on y trouve de l'or, des mines de diamant, & de l'ivoire. Lat. 12. 18.


COCHINESS. m. pl. (Hist. nat.) petits vaisseaux qui sont attachés à l'extrémité des branches coupées des arbres d'où distille le baume, & qui reçoivent cette liqueur.


COCHLEAen Méchanique ; terme latin qui signifie l'une des cinq machines simples : on la nomme en françois vis. Voyez VIS.

On l'appelle de la sorte, à cause de sa ressemblance avec la coquille du limaçon ou cochlea. (O)


COCHLEARIAS. m. (Botan.) plante anti-scorbutique très-utile. Voici les caracteres du cochléaria.

Sa fleur est cruciforme, à quatre pétales ; du calice sort le pistil qui devient un fruit presque sphérique, partagé en deux cellules par une cloison mitoyenne ; ces cellules contiennent plusieurs petites semences arrondies.

On connoît six especes de cochléaria ; mais nous ne parlerons que de la principale qui est celle des boutiques, autrement dite cochlearia folio subrotundo, C. B. P. Tournef. Boerh. Rupp. Buxb. &c.

Ses racines sont blanchâtres, un peu épaisses, droites, fibrées, & chevelues : elles poussent à leur collet des feuilles nombreuses, d'un verd foncé, arrondies, à oreilles, longues d'un pouce, creuses presqu'en maniere de cuilliere, d'où vient le nom de la plante. Elles sont succulentes, épaisses, acres, piquantes, ameres, d'une odeur nidoreuse, desagréable, & portées sur des queues longues d'une palme. Ses tiges sont branchues, couchées sur terre, longues d'une coudée, lisses, chargées de feuilles découpées, longues, & sans queue. Ses fleurs sont à quatre pétales, blancs, disposés en croix. Leur calice est à quatre feuilles. Le pistil se change en un fruit arrondi, long de deux lignes, composé, de même que les siliques, de deux panneaux appliqués sur une cloison mitoyenne qui le sépare en deux loges demi-sphériques, qui renferment de petites graines menues, arrondies, rousses, & piquantes au goût.

Cette plante qui est toute d'usage, croît sans culture dans les Pyrenées, sur les côtes de la Flandre, en Hollande, au nord de l'Angleterre, &c. mais on la cultive dans les jardins pour son utilité. Elle fleurit en Avril, & a ses graines perfectionnées en Juillet, qui est le meilleur tems pour la semer ; & c'est ce qu'il faut renouveller chaque année. Article de M(D.J.)

COCHLEARIA, (Mat. med. Pharmac.) Le cochléaria est une de ces plantes que nous appellons alkalines, depuis que les chimistes modernes ont découvert que la partie volatile, vive, & piquante, qui distingue cet ordre de plante, étoit un vrai alkali volatil.

Comme il est très-aisé d'avoir cette plante fraîche toute l'année, qu'elle est très-succulente, & que d'ailleurs on ne sauroit l'exposer à l'action du feu sans dissiper ses parties mobiles qui constituent sa principale vertu, le suc de cette plante est presque la seule préparation extemporanée qui soit en usage. On le donne ordinairement à la dose de deux ou trois onces. Voyez SUC. On garde d'ailleurs dans les boutiques l'extrait, l'esprit, l'eau distillée, & la conserve de cochléaria.

L'extrait & la conserve n'ont rien de particulier (voyez EXTRAIT & CONSERVE) ; nous allons donner la maniere de préparer l'esprit & l'eau.

Esprit de cochléaria. Prenez du cochléaria lorsqu'il est dans son tems balsamique, c'est-à-dire lorsqu'il est prêt à donner ses fleurs, environ seize livres ; hachez-le menu & le mettez dans un alembic de verre, versant dessus une livre d'esprit-de-vin rectifié ; fermez exactement la cucurbite, & laissez digérer pendant deux jours, après lesquels distillez au bain-marie selon l'art.

Eau de cochléaria. du cochléaria lorsqu'il est prêt à donner ses fleurs ; hachez-le & le mettez dans une cucurbite d'étain, à laquelle vous adapterez son chapiteau, qui sera aussi d'étain, & vous distillerez au bain-marie jusqu'à ce qu'il ne passe plus rien ; par ce moyen vous aurez une eau chargée de l'esprit alkali volatil de la plante, qu'on peut aussi appeller l'esprit volatil de cochléaria.

Toutes ces préparations sont des anti-scorbutiques éprouvés ; il faut seulement observer que le suc de cochléaria & sa conserve renferment toute la vertu de la plante ; que l'extrait au contraire n'en contient que les parties fixes & l'esprit, & l'eau distillée des parties volatiles ; & qu'ainsi une bonne façon d'animer l'extrait, c'est de le donner avec l'esprit ou l'eau distillée ; car sans cette addition l'extrait de cochléaria ne paroît posséder que les vertus communes à tous les extraits nitreux. Au reste il paroît fort inutile, quand on veut employer toutes les parties salutaires du cochléaria, d'avoir recours à ces préparations officinales ; son suc que l'on peut toûjours préparer très-commodément, comme nous l'avons observé, remplit toûjours mieux les vûes du médecin.

Il s'est trouvé quelques scorbutiques dont le palais a pû résister à l'acreté du cochléaria, & qui se sont fort bien trouvés de le manger sans aucune préparation ; & peut-être seroit-ce là la meilleure façon de le donner, sur-tout dans le scorbut confirmé.

C'est presque uniquement au scorbut de terre & aux différentes maladies scorbutiques de cette classe, que l'usage de tous les remedes tirés du cochléaria est consacré : cette plante tient le premier rang parmi les remedes anti-scorbutiques. Voyez SCORBUT.

On faisoit autrefois assez communément des bouillons anti-scorbutiques, dans la préparation desquels on exposoit à l'ébullition le cochléaria & les autres plantes alkalines ; mais on s'est enfin accoûtumé à regarder les parties mobiles de ces plantes qui se dissipoient pendant la décoction, comme les plus efficaces, & à chercher à les retenir : c'est dans cette vûe que l'on prépare aujourd'hui ces sortes de bouillons au bain-marie dans des vaisseaux bien fermés, & même qu'on préfere d'ajoûter à la décoction de la viande & des plantes purement extractives, lorsqu'elle est presque refroidie, le suc du cochléaria ou des autres plantes alkalines.

Le suc & l'esprit de cochléaria, mais sur-tout le dernier, sont fort usités extérieurement dans le traitement des ulceres scorbutiques, dans les gonflemens sanguinolens des gencives, dans leur inflammation, leur exulcération, lorsque les dents tremblent, &c. On lave aussi les taches de scorbut avec le suc ou avec l'esprit de cette plante : on peut appliquer dessus la plante pilée avec un égal succès.

C'est une pratique fort utile contre le relâchement & la pâleur des gencives, que celle de les frotter fréquemment avec des feuilles fraîches de cochléaria.

Stahl recommande, dans sa matiere médicale, le cochléaria dans les fievres quartes & dans la cachexie ; & il observe qu'il faut bien se garder de l'employer dans les affections hémorrhoïdales, c'est-à-dire dans toutes les maladies qui dépendent de la veine-porte, qui, selon ce savant médecin, joue un si grand rôle dans l'économie animale.

Les feuilles de cochléaria entrent dans le decoctum anti-scorbutique, dans le vin anti-scorbutique, dans l'eau générale, dans l'eau anti-scorbutique, dans le sirop anti-scorbutique.

L'eau distillée de la même plante entre dans l'eau pour les gencives ; ses semences entrent dans l'eau anti-scorbutique ; son esprit entre dans la teinture de gomme lacque, dans le sirop anti-scorbutique ; son extrait est un des ingrédiens des pilules de Stahl & de celle de Becker. (b)


COCHOIRvoyez TOUPIN, & l'art. CORDERIE.


COCHOIS(Cirier) outil de bois qui sert aux Ciriers à équarrir les flambeaux, tant de point que de table. Dictionn. de Trév. & du Comm.


COCHONS. m. (Hist. nat. Econom. rustiq. Mat. med. Diete, & Myth.) sus ; animal quadrupede qu'on a mis au rang des animaux à piés fourchus qui ne ruminent pas. Il est assez distingué par ses poils roides qu'on appelle soie, par son museau allongé, & terminé par un cartilage plat & rond où sont les narines : il a quatre dents incisives dans la mâchoire supérieure, & huit dans l'inférieure, deux petites dents incisives en-dessus, & deux grandes en-dessous ; celles-ci sont pointues & creuses ; elles servent de défense à l'animal. Il se forme dans le cochon, entre la peau & le pannicule charnu, une sorte de graisse que l'on appelle lard : elle est fort différente de celle des animaux ruminans, & même de celle du reste du corps de cet animal ; on appelle celle-ci axonge. Les femelles ou truies ont jusqu'à six mammelles & plus ; elles portent jusqu'à vingt petits à-la-fois. Le cochon peut vivre quinze à vingt ans.

On donne le nom de toit ou de sou à l'endroit où l'on enferme les cochons. Il faut avoir deux toits, l'un pour les mâles, & l'autre pour les femelles & leurs petits ; sans quoi les verrats pourront blesser les truies quand elles seront pleines, & même dévorer les petits. L'aire du toit doit être bien pavée, les murs bien solidement construits, à moëllon & mortier, & revêtus en-dedans de douves de futailles. Comme ils font beaucoup de petits, le profit de ce bétail est considérable. Le porc châtré s'appelle cochon : celui qui ne l'est pas, verrat. Le verrat doit être choisi quarré & vigoureux : il peut suffire à dix truies ; & il n'est bon que depuis un an jusqu'à quatre ou cinq. La truie sera longue, & elle produira depuis un an jusqu'à six ou sept : elle porte quatre mois, & cochonne dans le cinquieme ; ainsi elle peut cochonner deux fois par an. Elle recherche l'approche du mâle quoique pleine.

Il faut donner aux cochons une petite litiere, & nettoyer soigneusement leurs étables. Ces animaux aiment les bois, les glands, la faine, la châtaigne, & les fruits sauvages qu'on y trouve en automne, les terres fangeuses, les vers, les racines dont elles sont remplies, &c.

On les fait paître depuis le mois de Mars jusqu'en Octobre, deux fois par jour ; le matin après la rosée jusqu'à dix heures ; le soir depuis deux heures jusqu'au soleil couchant ; en Octobre une fois, en hyver une fois, pourvû qu'il n'y ait ni neige, ni pluie, ni vent, &c.

Il ne faut pas laisser souffrir la soif aux cochons. On soue, c'est-à-dire on lâche la femelle au mâle, en Février, Mars & Avril ; on prend pour cela le tems de maniere que les petits n'ayent pas à souffrir les rigueurs de l'hyver.

On nourrit amplement la truie quand elle a cochonné ; on lui donne un mélange de son, d'eau tiede, & d'herbes fraîches : on ne lui laissera que sept à huit petits ; on vendra les autres à trois semaines. On gardera les mâles de préférence aux femelles ; on ne laissera qu'une femelle sur quatre à cinq mâles : on sevrera ceux-ci à deux mois ; on les laissera aller aux champs trois semaines après qu'ils seront venus ; on les nourrira d'eau blanchie avec le son soir & matin, jusqu'à ce qu'ils ayent deux mois ; on les châtrera au printems ou en automne, à six ou à quatre mois.

Quand les cochons seront forts, & qu'on se proposera de les engraisser, on leur donnera de l'orge pendant cinq ou six semaines, avec de l'eau mêlée de son ; on les menera dans les forêts à la glandée, ou on leur donnera dans la maison le gland qu'on aura ramassé. Il faudra donc ramasser le gland dans la saison ; on le conservera en le faisant sécher au four. On joindra à cette nourriture les bûvées d'eau chaude, avec les navets, les carottes, les choux, & tous les rebuts des herbes potageres.

Quand le cochon est engraissé, ce qui ne demande guere que deux mois au plus, on le tue ; on le grille à un feu de paille ; on le racle, on enleve toutes les parties du dedans, & on sale le reste. Le saloir est une espece de cuve oblongue & basse, avec un couvercle : on lave cette cuve avec de l'eau chaude, où l'on a mis bouillir du thym, de la lavande, du laurier, &c. puis on l'enfume avec des noix muscades ; on couvre le fond de sel : on prend un morceau de cochon, on le trempe dans l'eau, on l'essuie, on le pose sur la couche de sel ; on fait un second lit de sel & un second lit de cochon, & ainsi de suite, stratum super stratum ; on finit par un lit de sel. Il faut environ une livre de sel pour chaque vingt livres de viande ; on y ajoûte un peu de girofle concassé ; on ferme le saloir. On laisse le cochon dans cet état environ un mois ; alors on peut l'ouvrir & manger du porc salé : pour cela on le trempe dans l'eau bouillante, on l'expose à l'air, & on l'employe comme on veut.

Il y a d'autres manieres de saler le porc, mais elles reviennent toutes à celles-ci. Le cochon est particulierement sujet à la ladrerie : on s'apperçoit de cette maladie à des ulceres qu'on lui remarque à la langue & au palais, à des grains dont sa chair est parsemée, &c. Voyez BOUCHER. Il n'est pas exempt pour cela des autres maladies des bestiaux.

La chair fraîche du cochon, sa chair salée ou fumée mangée en petite quantité, aident la digestion ; en grande quantité, elle se digere difficilement. Le bouillon de porc-frais peut arrêter le vomissement : le vieux lard fondu déterge & consolide les plaies : la panne est émolliente, anodyne, & résolutive : on attribue au fiel la propriété de déterger les ulceres des oreilles, & de faire croître les cheveux ; à la fiente, celle de résoudre, de guérir la gale, d'arrêter le saignement de nez, prise en poudre, & de soulager dans l'esquinancie appliquée en cataplasme : la graisse lavée & préparée entre dans quelques emplâtres, & dans un grand nombre d'onguens ; c'est la base des pommades.

La viande de cochon a été proscrite chez quelques peuples, par exemple en Arabie, où il n'y a point de bois, point de nourriture pour cet animal, & où la salure des eaux & des alimens rend le peuple très-sujet aux maladies de la peau : la loi qui le défend dans ces contrées, est donc purement locale, & ne peut être bonne pour d'autres pays où le cochon est une nourriture presque universelle, & en quelque façon nécessaire.

Sanctorius a observé que la chair de cochon se transpire peu, & que la diminution de cette excrétion va à un tiers dans ceux qui s'en nourrissent ; d'ailleurs on sait que le défaut de transpiration occasionne ou aigrit les maladies de la peau : cette nourriture doit donc être défendue dans les pays où l'on est exposé à ces maladies, comme la Palestine, l'Arabie, l'Egypte, la Lybie, &c. Voyez l'esprit des lois.

Le cochon étoit immolé par les anciens aux Lares, à Priape, aux Sylvains, à Bacchus, à Cérès, à Hercule, &c. On sacrifioit à Lacédémone un cochon de chaque ventrée.

COCHON DE GUINEE, porcus guincensis, Maregr. animal quadrupede qui est de couleur rousse, & qui ressemble à nos cochons pour la figure ; mais sa tête n'est pas si élevée : ses oreilles sont longues & pointues ; sa queue descend fort bas, & n'est point couverte de poil non plus que le dos. Il y a sur tout le reste du corps un poil court, roux & brillant ; mais il est plus long près de l'origine de la queue & autour du cou. Rai, synop. anim. quadr. Voyez QUADRUPEDE. (I)

COCHON D'INDE, cuniculus sive porcellus indicus, Gesn. mus seu cuniculus americanus, & guincensis porcelli pilis & voce. Au Bresil on donne à cet animal le nom de cavia cobaya. Maregr. C'est un quadrupede plus petit que le lapin ; son corps est plus court & plus gros : ses oreilles sont courtes, minces, transparentes, évasées, arrondies, presqu'entierement dégarnies de poil, & peu différentes de celles des rats : le museau & la barbe ressemblent à ces mêmes parties dans le lievre : la levre supérieure est fendue comme celle du lapin. Le cochon d'Inde n'a point de queue ; ses dents sont semblables à celles des rats, & son poil peut être comparé à celui du cochon. Il crie comme les petits cochons, c'est pourquoi on l'a appellé cochon de Guinée. Sa couleur varie ; on en voit de blancs, de roux & de noirs, & la plûpart sont en partie blancs, & en partie roux & noirs. Il y a quatre doigts aux piés de devant, & trois à ceux de derniere ; le doigt du milieu est le plus long. Ces animaux frottent leur tête avec les pattes de devant, & s'asseyent sur celles de derriere comme les lapins ; mais ils ne creusent pas en terre. Les femelles portent jusqu'à huit petits à la fois. Les cochons d'Inde vivent de foin & de toutes sortes de plantes : ils sont bons à manger, mais non pas excellens. Rai, synop. anim. quadr.

Cet animal est naturalisé dans ce pays-ci, & mis au nombre de nos animaux domestiques. On l'éleve aisément ; il ne craint que le grand froid. Voyez QUADRUPEDE. (I)

COCHON CHINOIS. Cet animal est parvenu en Europe ; on le connoît en France. On dit qu'il est plus petit que notre cochon, qu'il a le dos concave & pour ainsi dire ensellé, &c. On l'engraisse, & il passe pour très-bon à manger.

COCHON-MARON ; c'est le nom que l'on donne dans les îles de l'Amérique aux cochons que l'on y a portés des autres parties du monde, & qui y sont devenus sauvages. On en distingue de trois especes.

Ceux de la premiere sont courts ; ils ont la tête grosse, le museau peu allongé, & les défenses fort longues : les jambes de devant sont plus courtes que celles de derriere presque d'un tiers, ce qui les fait souvent culbuter lorsqu'ils courent en descendant. Ils deviennent féroces & très-dangereux quand ils sont blessés par les chasseurs. On prétend qu'ils ont été apportés par les Espagnols dans le tems de la découverte de l'Amérique, & qu'ils ont été tirés de Cadix, où on en voit encore qui leur ressemblent beaucoup.

Les cochons-marons de la seconde espece ne different en aucune façon de nos cochons domestiques, & il paroît qu'ils se sont échappés des parcs où on les nourrissoit après avoir été transportés aux îles.

Enfin ceux de la troisieme espece sont appellés cochons de Siam, parce qu'ils ont été apportés aux îles par des vaisseaux françois qui revenoient de Siam & de la Chine. (I)


COCHONNETS. m. (Hist. mod. Jeux) espece de dé taillé à douze faces pentagonales, chargées chacune d'un chiffre depuis 1 jusqu'à 12. On joue au cochonnet comme aux dés.

On donne le même nom à une balle ou pierre que celui qui a gagné le coup précédent jette à discrétion, & à laquelle tous les joüeurs dirigent leurs boules. La boule plus voisine du cochonnet gagne le coup.


COCKERMOUTH(Géog. mod.) ville d'Angleterre dans la province de Cumberland. Long. 13. 48. lat. 54. 44.


COCKIENS. m. (Comm.) monnoie de cours au Japon : on l'évalue à environ huit francs de notre monnoie présente.


COCOS. m. (Hist. nat.) le coco est le fruit d'une espece de palmier qui s'éleve à trente ou quarante piés de hauteur (Voyez fig. 1. Plan. XXVII. d'Hist. nat.) : sa tige est droite ; elle diminue de grosseur à mesure qu'elle s'éloigne de terre. On fait des incisions aux tiges des jeunes arbres pour en tirer un suc vineux qui sert de boisson : ce suc donne par la distillation de fort bonne eau-de-vie : en le cuisant sur le feu on l'adoucit ; & au contraire on en fait du vinaigre lorsqu'on le laisse exposé au soleil. La tige est terminée à son extrémité par des feuilles fort longues, & larges à proportion : on s'en sert pour couvrir les maisons, pour faire des voiles de navire, des nattes, &c. Les habitans de ces pays écrivent sur ces feuilles comme sur du papier ou du parchemin. Les fruits naissent au sommet de la tige entre les feuilles ; ils sont enveloppés plusieurs ensemble dans une espece de gaîne dont ils sortent en grossissant : chacun de ces fruits est gros comme la tête d'un homme ; il est oval, quelquefois rond ; trois côtes qui suivent sa longueur lui donnent une figure triangulaire. Ce fruit est composé de deux écorces & d'une substance moelleuse : l'écorce extérieure est verte ; l'intérieure est brune. Lorsque le fruit n'est pas encore mûr, on en tire une bonne quantité d'eau claire, odorante, & fort agréable au goût. Il y a des cocos qui contiennent jusqu'à trois ou quatre livres de cette eau. Mais lorsque le fruit a pris son accroissement, la moelle que renferment les écorces prend de la consistance, & il n'y a plus qu'une cavité dans son milieu qui soit remplie d'eau ; & alors l'eau, quoique claire, n'est pas si douce qu'auparavant. La moelle est blanchâtre, & bonne à manger ; son goût approche de celui de la noisette ou de l'amande ; on en peut faire un lait comme on en fait avec les amandes : si on veut la conserver long-tems, on la fait sécher au soleil. L'écorce qui enveloppe cette substance est dure & ligneuse ; on la polit & on la travaille pour différens usages, elle sert de mesure des liquides à Siam : on gradue sa capacité avec des cauris, petites écailles qui servent de monnoie : il y a des cocos de mille cauris, de cinq cent, &c. La seconde, qui est l'extérieure, est lisse, de couleur grise, & garnie en-dedans d'une sorte de bourre rougeâtre dont on fait des cables & des cordages : elle vaut mieux que les étoupes pour calfeutrer les vaisseaux, parce qu'elle ne se pourrit pas si vîte, & parce qu'elle se renfle en s'imbibant d'eau.


COCONS. m. (Econ. rust.) on donne ce nom à ce tissu filamenteux dans lequel le vers à soie s'enveloppe, & dont on obtient en le dévidant par une opération qu'on appelle le tirage, cette substance animale appellée soie, que nous employons à tant d'ouvrages précieux. Voyez SOIE & VER-à-SOIE. On distingue des cocons bons, des mauvais cocons ; des cocons fins, des doubles, des satinés ou veloutés, des ronds, des pointus. Voyez SOIE, TIRAGE DE SOIE.


COCOS(ISLE DES) Géog. mod. île de l'Amérique méridionale dans la mer Pacifique. Il y a encore une île de ce nom dans la mer d'Afrique près de l'île de Madagascar, & une troisieme dans la mer d'Asie près de l'île de Sumatra.


COCQvoyez COQ.


COCou COCAGNES, s. m. (Commerce) c'est le nom qu'on donne aux petits pains de pâte de pastel ; ils sont du poids de vingt-quatre onces, pour peser étant secs 3/4 de livre ; les réglemens ordonnent qu'ils ne soient ni plus forts ni plus foibles. Voyez à l'art. PASTEL, la maniere de faire les cocs ou cocagnes ; voyez aussi les réglemens géner. & part. des Manufact. pag. 190. & suiv. tom. III.


COCTIONS. f. l'action de cuire ; ce terme a différentes acceptions : on dit la coction des humeurs, celle des alimens, &c. Voyez les articles suivans.

COCTION, (Médecine) ce terme a été transmis de la théorie des anciens médecins à celle des modernes, pour signifier la même chose quant à l'effet, mais non pas absolument quant à la cause : c'est-à-dire pour exprimer l'altération utile à l'économie animale qu'éprouvent les matieres nourrissantes & les humeurs dans les différentes parties du corps humain.

Les anciens attribuoient cet effet à ce qu'ils appelloient calidum innatum, le chaud inné, dont Galien établissoit le principal foyer dans le coeur ; ils composoient le chaud inné de l'action du feu unie à l'humide radical, sans en connoître mieux la nature. Un illustre parmi ceux qui ont écrit sur ce sujet, Montanus, avoüe ingénuement, qu'après s'être crû pendant long-tems un grand docteur, il étoit parvenu à un âge très-avancé sans avoir rien entendu à ce que c'est que la chaleur innée ; elle étoit cependant regardée comme le premier mobile de l'action de tous les organes, & on croyoit par cette raison que l'activité de ces organes doit être proportionnée à la chaleur naturelle de l'animal, comme un effet doit être proportionné à sa cause ; en un mot la chaleur étoit, selon les anciens, le principe de la vie. Voyez CHALEUR ANIMALE.

C'est d'après cette idée qu'ils ont donné le nom de coction, à coquendo, à toutes les élaborations opérées dans le corps humain, soit en santé, soit en maladie, parce qu'ils ne reconnoissent pas d'autre cause efficiente de ces évaporations que l'action du feu, dont les parties élémentaires pénetrent tous les corps. Ils entendoient par coction en général, tout changement produit dans une substance par la force de la chaleur, qui rend cette substance d'une nature plus parfaite : ils admettoient trois especes de coction ; savoir la maturation, l'assation, & l'élixation ; c'est à cette derniere espece qu'ils rapportoient toute coction qui se sait naturellement dans le corps humain, parce qu'il ne s'en opere aucune sans le concours du chaud & de l'humide.

Ils faisoient consister la principale coction animale dans l'assimilation des sucs alimentaires, produite par chacune des parties qui les reçoit ; ensorte qu'ils acquierent par cette opération toutes les qualités nécessaires pour entrer dans leur composition. Ils distinguoient la coction de la nutrition, en ce que par celle-ci les sucs nourriciers sont altérés & unis à la partie, en réparant ou en augmentant sa substance au lieu que par celle-là ils acquierent la disposition nécessaire pour cet usage. Ils établissoient trois sortes de concrétions de ce genre dans l'économie animale ; savoir la chylification, la sanguification, & l'élaboration de toutes les humeurs nourricieres & récrémenticielles ; & comme la matiere de ces différentes coctions est toûjours hétérogene, ils leur attribuoient un double effet, c'est-à-dire qu'ils en faisoient dépendre aussi la séparation des parties qui ne sont pas susceptibles d'être converties en bons sucs : ainsi les matieres fécales sont les excrémens de la premiere coction, parce qu'ils sont le résidu grossier des alimens qui n'ont pû être convertis en chyle ; pendant que celui-ci se change en sang, il s'en sépare aussi des parties hétérogenes qui forment le fiel & l'urine ; ce sont-là les excrémens de la seconde coction : & ceux de la troisieme, c'est-à-dire de celle qui perfectionne les humeurs utiles que fournit le sang, en les faisant passer par différens degrés d'élaboration, sont principalement la crasse de la peau & la matiere de la transpiration sensible & insensible. Voyez CHYLIFICATION, SANGUIFICATION, SECRETION.

Ces différentes coctions ainsi conçûes dans le sens des anciens, telles qu'ils pensoient qu'elles s'operent dans l'état de santé, concourent toutes à la conservation de la vie saine, lorsqu'elles se font convenablement aux lois de l'économie animale : c'est à l'effet qui en résulte qu'ils ont donné le nom de , pepsie, & celui de , apepsie, crudité, par opposition à ces mêmes coctions, lorsqu'elles sont viciées & qu'elles se font d'une maniere contraire à l'état naturel, ensorte qu'il en résulte un effet tout différent ; ils attribuoient ces défauts de coction principalement au défaut de chaleur innée, qu'ils regardoient, ainsi qu'il a été dit ci-devant, comme la cause efficiente de toute digestion.

C'est dans cette idée qu'ils appelloient crud, en fait d'humeurs alimentaires & autres, tout ce qui n'a pas acquis les degrés de perfection qu'il doit avoir par rapport aux qualités & au tempérament propres dans l'état de santé, & tout ce qui n'est pas susceptible d'acquérir cette perfection.

Toute matiere crue contenue dans les différentes parties du corps humain, étoit traitée par les anciens comme peccante, parce qu'elle étoit regardée comme y étant étrangere, & comme n'ayant pas acquis la disposition qui la doit rendre utile à l'économie animale ; c'est cette matiere peccante qu'ils voyoient dans toutes les maladies, dont ils composoient l'humeur morbifique, à laquelle ils attribuoient plus ou moins les desordres de l'économie animale, selon qu'elle leur paroissoit plus ou moins abondante, plus ou moins nuisible au principe vital.

Et comme ils s'appercevoient que plusieurs maladies se déterminoient d'une maniere salutaire, sans aucun secours, par de copieuses évacuations, ils s'imaginerent que le même agent qui convertit les alimens en bons sucs pour la conservation de l'animal, pouvoit bien être aussi l'auteur des opérations qui changent les qualités des humeurs viciées, dont l'effet tend à sa destruction ; ensorte que ne pouvant pas leur en donner d'assez bonnes pour les convertir en la substance du corps, ou les rendre propres à d'autres fins utiles, il les sépare des humeurs de bonne qualité, & leur donne une consistance qui les dispose à être évacuées par l'action de la vie hors des parties dont elles empêchent les fonctions. Cette opération fut donc aussi attribuée à la chaleur innée comme une sorte de coction, qu'ils regarderent bien-tôt comme une condition essentielle pour détruire la cause des maladies ; ils en tirerent le fondement de la méthode de les traiter : c'est à cette coction des matieres morbifiques qu'ils donnerent le nom de , pepasme, pour la distinguer de celle des sucs alimentaires & récrémenticiels qu'ils avoient nommés , pepsis.

On trouve une distinction très-juste de ces deux especes de coction dans les définitions de Médecine de Gorrée : il dit que la coction proprement dite, c'est-à-dire la digestion dans les premieres, les secondes & les troisiemes voies, concerne les choses qui entrent dans le corps ; & la coction des matieres morbifiques, celles qui en sortent ou qui sont préparées pour en être évacuées.

Les premiers maîtres de l'art ayant fait l'importante découverte du moyen le plus efficace que la nature met en usage pour détruire les causes morbifiques, s'appliquerent soigneusement à observer les différens signes qui annoncent le pepasme, ou son défaut qui est la crudité ; parce qu'ils jugeoient par les premiers, que la nature devenoit supérieure à la cause de la maladie ; & par les seconds au contraire, que les effets de celle-ci étoient toûjours dominans. Ils apprirent à chercher ces signes principalement dans les excrémens, parce qu'étant le résidu des différentes coctions, soit dans l'état de santé, soit dans celui de maladie, on peut inférer des qualités de ces matieres la maniere plus ou moins parfaite dont elles ont été séparées. Ainsi Hippocrate (aphor. xij. sect. v.) avoit particulierement indiqué les urines & les matieres fécales, comme pouvant fournir les signes les plus sûrs, communs aux coctions de matiere morbifique faites dans quelque partie du corps que ce soit ; les crachats, comme propres à faire connoître particulierement l'état des poumons dans les maladies de la poitrine ; la mucosité des narines, celui de leurs cavités affectées de catarrhe, &c. Galien établit aussi la même chose, lib. II. de crisib. cap. vij. en disant que dans toutes les fievres, attendu que le vice qui les cause est principalement dans le système des vaisseaux sanguins, on doit avoir principalement attention aux urines ; que dans les maladies qui affectent le bas-ventre, on doit avoir égard aux excrémens, des premieres voies, sans négliger les urines, s'il y a fievre ; & que de même dans les maladies de poitrine il faut examiner les crachats ; & joindre à cela toûjours l'inspection des urines, si ces maladies sont accompagnées de fievre.

Rien ne signifie plus sûrement une heureuse terminaison, que de voir les marques de coction dans les excrémens en général ; c'est ce qu'enseigne Hippocrate in epidem. lib. I. sect. ij. text. 45. lorsqu'il dit que toutes les maturations d'excrémens sont toûjours de saison & salutaires : 7 ensuite il ajoûte que les promtes coctions annoncent toûjours la promte terminaison des maladies, & sont une assûrance de guérison. Galien a confirmé toutes ces observations du pere de la Médecine par les siennes : il dit, lib. I. de crisib. cap. xviij. que les coctions ne sont jamais de mauvais signes ; & il témoigne en être si assûré, qu'il ne craint pas de donner pour regle infaillible, lib. de constit. art. medic. qu'aucune maladie ne se termine d'une maniere salutaire, sans qu'il ait précédé des signes de coction ; & Prosper Alpin, de praesag. vita & mort. aegr. lib. VI. cap. j. ajoûte à tout ce qui vient d'être dit en leur faveur, que non-seulement la coction accompagnée de bons signes est une preuve assûrée que la terminaison de la maladie sera heureuse, mais même lorsque la coction ne se trouve jointe qu'à de mauvais signes ; car alors les insomnies, les délires, les vertiges, les anxiétés, les douleurs, les tremblemens, les convulsions, la difficulté de respirer, & autres semblables symptomes qui sont tous pernicieux par eux-mêmes, sont presque toûjours les indices d'une crise salutaire qui doit suivre.

Toutes sortes d'évacuations qui arrivent après la coction, sont toûjours salutaires ; c'est l'effet de la nature qui s'est rendue supérieure à la cause de la maladie : mais la sûreté du succès qui est annoncée par les signes de la coction, n'exclut pas cependant absolument toute incertitude ; il faut au moins que les signes marquent une coction bien parfaite & bien complete ; que ces signes perseverent jusqu'au moment de la crise, pepasmi & cruditatis vicissitudo pessima, dit Duret, in coacas 54. cap. xvj. & qu'il ne survienne de la part du médecin, ou de celle du malade & de ceux qui le gouvernent, aucun accident qui trouble la coction & qui s'oppose à la crise.

Les grands maîtres qui nous ont transmis leurs importantes observations à ce sujet, ne s'en sont pas tenus à ce qui vient d'être rapporté ; ils ont cherché tous les signes de coction relatifs aux différentes parties du corps, qu'il seroit trop long d'exposer ici ; ils ont de plus indiqué le tems où ils paroissoient dans les différentes maladies : ils ont trouvé qu'ils ne se montrent jamais au commencement, parce qu'alors les matieres morbifiques sont absolument crues ; ni pendant leur accroissement, parce qu'alors les coctions ne peuvent encore être qu'imparfaites ; c'est au tems où la maladie cesse d'augmenter & de produire de nouveaux symptomes, que l'on doit chercher à s'assûrer si la coction est faite ou non, lorsque la chaleur naturelle a pû travailler suffisamment pour la préparer.

Autant il y a à compter sur les signes de coction, comme présages salutaires, autant doit-on craindre lorsqu'ils manquent & qu'il n'y a que des signes de crudité, lors même qu'ils sont joints aux meilleurs signes, ou que la maladie paroît terminée ; parce qu'on doit s'attendre à ce que le mal ait des suites fâcheuses ou de longue durée, s'il subsiste encore ; & à ce qu'il y ait rechûte s'il paroît fini : c'est sur ce fondement que Galien a dit, in primo aphorismo, qu'une maladie dans laquelle il se fait quelque crise avec des signes de crudité, subsistante, doit faire craindre une fin funeste, ou au moins un long cours dans la maladie : au reste les signes de crudité & de coction des différens excrémens sont rapportés dans chacun des articles qui les concerne, ainsi voyez DEJECTION, URINE, CRACHAT, SUEUR, &c.

Après s'être assûrés par l'observation des moyens de connoître dans les maladies la crudité & la coction ; après avoir étudié ce que la nature fait en conséquence de l'une ou de l'autre, les changemens utiles qu'elle opere, les anciens Médecins en conclurent, que pour imiter la conduite qu'elle tient dans le cours des maladies laissées à elles-mêmes, il ne falloit jamais entreprendre de procurer des évacuations dans le commencement des maladies ; parce qu'alors la matiere morbifique étant encore crue, n'ayant pas pû être encore préparée, rendue susceptible d'être portée par l'action de la vie hors des parties dont elle empêche les fonctions, résiste à son expulsion, pendant que les humeurs saines, s'il y en a, sont emportées ; ou elle ne cede, & souvent même qu'en partie, aux grands efforts qu'excite le moyen employé pour en procurer l'évacuation ; ce qui diminue considérablement les forces du malade, & le jette dans l'abattement : d'où il suit très-souvent que la nature réduite à rester presque sans action, ne travaille plus à séparer le pur d'avec l'impur, à surmonter le mal, à rétablir l'ordre dans l'oeconomie animale ; elle succombe, & le malade périt. Ce sont ces considérations qui avoient engagé le pere de la Médecine dogmatique, le confident de la nature, le grand Hippocrate, à établir comme une regle fondamentale de pratique, la précaution de ne pas placer au commencement des maladies des remedes évacuans, & par conséquent de ne pas les employer pour enlever du corps des matieres crues, mais seulement celles qui sont préparées, digérées par la coction : c'est ce que déclare expressément ce législateur de la Médecine, dans son aphorisme 22e. section j. lorsqu'il dit : concocta medicamentis aggredi oportet, & movere non cruda neque in principiis. L'expérience constante prouva tellement dans la suite la justice de cette loi, que son Aristote (lib. III. pol. c. xj.), il n'étoit pas permis aux médecins d'Egypte de produire aucun changement dans les maladies, par le moyen des remedes, avant le quatrieme jour de leur durée ; & s'ils anticipoient ce tems, ils étoient comptables, sur leur vie, de l'évenement. Galien regardoit comme un oracle la sentence qui vient d'être citée tant il étoit convaincu qu'il est nécessaire dans la pratique de la Médecine, de se conformer à ce qu'elle prescrit. Il est cependant un cas excepté par Hippocrate lui-même à qui rien n'a échappé, & qui a tant prévû en ce genre ; c'est celui auquel la matiere morbifique est si abondante dès le commencement des maladies, qu'elle excite la nature à en favoriser l'évacuation : c'est en effet par cette considération que le divin auteur de l'aphorisme qui vient d'être rapporté, le termine en disant à l'égard des crudités, qu'elles ne doivent pas être évacuées : si non turgeant, raro autem turgent. Ainsi il établit, que le cas est rare ; mais qu'il arrive cependant que le médecin doit être plus porté à suivre l'indication qui se présente, de procurer l'évacuation de la matiere morbifique, lorsque la maladie commence avec des signes qui annoncent la surabondance de cette matiere, qu'à attendre que la coction en soit faite ; parce qu'il y a lieu de craindre qu'en la laissant dans le corps, les forces de la nature ne suffisent pas pour la préparer, & qu'il ne s'en fasse un dépôt sur quelque partie importante : ce qui feroit un plus mauvais effet que celui qui résulteroit d'en procurer l'évacuation avant la coction ; vû que dans cette supposition, la matiere morbifique a par elle-même de la disposition à être portée hors des parties qu'elle affecte, qui est tout ce que la coction pourroit lui donner. C'est en pesant les raisons pour & contre, & en se décidant toûjours pour le plus grand bien ou le moindre détriment du malade, que l'on prend le bon parti dans cette conjoncture : c'est ce qu'insinue aussi Hippocrate dans le second aphorisme, après celui ci-dessus mentionné ; il s'exprime ainsi (aphor. xxjv. sect. 1.) : in acutis affectionibus raro, & in principiis uti medicamentis oportet, atque hoc facere diligenti prius estimatione factâ.

Il suit de tout ce qui vient d'être dit de la théorie des anciens sur la coction, considérée dans l'état de santé & dans celui de maladie, que l'exposition de ce qu'ils ont pensé à ce sujet est presque tout ce qu'on peut en dire mieux, ou au moins de plus utile, attendu que leur doctrine est principalement fondée sur l'observation de ce qui s'opere dans l'oeconomie animale ; elle n'a par conséquent pas pû être renversée & oubliée, comme tant d'autres opinions, qui n'étant que la production de l'imagination, ont été successivement détruites les unes par les autres, tandis que celle-ci est conservée dans son entier, pour ce qui est des principes établis d'après les faits, & des conséquences qui peuvent en être tirées. En effet, elle n'a éprouvé de changemens que par rapport à l'explication de l'opération dont il s'agit ; ce qui n'a même eu lieu que dans le siecle dernier.

Car depuis Hippocrate & Galien jusqu'à ce tems-là, tous les Médecins (en adoptant les sentimens de ces grands maîtres qui s'étoient borné à indiquer la chaleur naturelle comme cause immédiate de tous les changemens qui se font dans les humeurs animales, tant saines que morbifiques) attribuoient la digestion des alimens dans le ventricule, à une coction faite dans ce viscere, semblable à celle qui se fait dans les cuisines. Ils comparoient l'estomac à une marmite ; ils se le présentoient comme exposé à l'action du feu fourni & entretenu par le coeur, le foie, la rate, & autres parties voisines ; ils pensoient que les matieres renfermées dans ce principal organe de la digestion des alimens, étant comme détrempées, macérées par les fluides qui s'y répandent, devenoient susceptibles d'une véritable élixation par l'effet de la chaleur, ce qui sembloit leur être prouvé par les vents qui s'élevent de l'estomac pendant la digestion ; ils les comparoient aux bulles qui se forment sur la surface d'un fluide qui boût : ensorte qu'il n'admettoient d'autre agent que le feu, pour la préparation des matieres alibiles qui se fait dans ce viscere ; celle qui est continuée dans les autres parties des premieres voies, étoit aussi attribuée à l'action continuée de cette cause, qu'ils rendoient commune à toutes les autres élaborations d'humeurs dans le système des vaisseaux sanguins, & de tous les autres vaisseaux du corps.

Pierre Castellus, professeur de l'école de Messine, commença à réfuter cette opinion dans une lettre écrite à Severinus ; il lui disoit entr'autres choses à ce sujet, que si la chaleur seule suffisoit pour la confection du chyle, on devroit aussi pouvoir en faire dans une marmite : mais comme on ne le peut pas, ajoûte-t-il, il faut donc avoir recours à la fermentation pour cette opération, &c. Bientôt après Vanhelmont attaqua avec bien plus de force le sentiment de la coction des alimens opérée par la seule chaleur, dans une dissertation intitulée, calor efficaciter non digerit, sed excitative. Son principal argument étoit, que les poissons ne laissent pas de digérer les alimens qui leur sont propres, quoique le sang des plus voraces même d'entre ces animaux, ne soit guere plus chaud que l'eau dans laquelle ils vivent : on trouve même établi, que le sang des tortues est plus froid que l'eau. (Stubas, journ. in Trans. phil. xxvij.) Vanhelmont objectoit d'ailleurs, que si la chaleur seule pouvoit opérer la coction des alimens, la fievre devroit la faciliter ultérieurement, bien loin de la troubler & de causer du dégoût, comme il arrive qu'elle le fait ordinairement. Il opposoit au système des anciens bien d'autres choses de cette nature ; & il ne négligeoit rien pour détruire leur erreur, mais pour tomber dans une autre, qui consistoit à établir que la digestion des alimens ne peut se faire que par l'efficacité d'un ferment acide spécifique. Galien sembloit avoir bien conjecturé, que l'acide pouvoit contribuer à la digestion. De usu part. lib. IV. cap. viij. Riolan paroît aussi avoir eu la même idée. Antropograph. lib. II. cap. x. Mais ni l'un ni l'autre n'avoient imaginé que l'acide pût agir comme dissolvant, mais seulement en irritant les fibres des organes de la digestion. Le ferment acide fit bientôt fortune ; il fut adopté par Sylvius Deleboé, & par toute la secte chimique cartésienne : mais son regne n'a pas été bien long, l'expérience a bientôt détruit le fruit de l'imagination ; il n'a pas été possible de prouver la fermentation dans l'estomac, on n'y a jamais trouvé de véritable acide ; au contraire, Musgrave (Trans. phil.) y a démontré des matieres alkalescentes : Peger a prouvé qu'on trouve constamment des matieres pourries dans l'estomac des boeufs, à Rome ; c'est ce qui est cause que l'on n'y mange pas de la viande de ces animaux. Les personnes qui ont des rapports aigres, ont moins d'appétit ; les acides ne contribuent que rarement à le rétablir. On n'a jamais trouvé d'acides dans le sang ; d'ailleurs, en supposant même que le prétendu acide puisse exciter quelque fermentation dans les premieres voies, l'humeur toûjours renouvellée qui se mêleroit avec les matieres fermentantes, on arrêteroit bien-tôt le mouvement intestin, & sur-tout la bile qui est la plus contraire à toute sorte de fermentation. Ces faits sont plus que suffisans pour en détruire toute idée, tant pour les premieres que pour les secondes voies. Voyez DIGESTION, CHYLIFICATION, SANGUIFICATION.

Il a fallu rendre à la chaleur naturelle la part qu'on lui avoit presque ôtée, pour la préparation du chyle & des autres humeurs ; mais non pas en entier. La machine de Papin démontre l'efficacité de la chaleur dans un vase fermé, pour dissoudre les corps les plus durs, qui puissent servir à la nourriture : un oeuf se résout en une espece de substance muqueuse sans consistance, in putrilaginem, par une chaleur de 92 ou 93 degrés du thermometre de Farenheit ; la chaleur de notre estomac est à-peu-près au même degré. Mais la chaleur naturelle ne peut pas seule suffire à l'ouvrage de la chylification & de l'élaboration des humeurs, comme le pensoient les anciens, puisqu'il ne s'opere pas de la même maniere dans tous les animaux, qui ont cependant à-peu-près la même chaleur. Les excrémens d'un chien, d'un chat, qui se nourrissent des mêmes alimens que l'homme, sont bien différens de ceux qui résultent de la nourriture de celui-ci. Il en est de même du sang & des autres humeurs, qui ont aussi des qualités particulieres dans chaque espece d'animal, qui n'a cependant rien de particulier par rapport à la chaleur naturelle : elle doit donc être reconnue en général, comme une des puissances auxiliaires, qui sert à la digestion & à l'élaboration des humeurs communes à la plûpart des animaux ; mais elle ne joüe le rôle principal, encore moins unique, dans aucun.

Le défaut dominant dans tous les systèmes sur ce sujet, depuis les premiers médecins jusqu'à ceux de ce siecle, est que l'on a toûjours cherché dans les fluides les agens principaux différemment combinés, pour convertir les alimens en chyle, celui-ci en sang ; pour rendre le sang travaillé au point de fournir toutes les autres humeurs, & pour séparer de tous les bons sucs les parties excrémenteuses qui s'y trouvent mêlées.

On a enfin de nos jours ôté aux fluides le pouvoir exclusif, qui leur avoit été attribué pendant environ deux mille ans, de tout opérer dans l'économie animale ; après l'avoir cédé pour peu de tems à des puissances étrangeres, à des légions de vers, on est enfin parvenu à faire joüer un rôle aux solides ; & comme il est rare qu'on ne soit pas extrème en faveur des nouveautés, on a d'abord voulu venger les parties organisées de ce qu'elles avoient été si long-tems laissées dans l'inaction, à l'égard des changemens qui se font dans les différens sucs alibiles & autres. On a été porté à croire qu'elles seules par leur action méchanique, y produisoient toutes les altérations nécessaires : on a tout attribué à la trituration ; mais on a ensuite bien-tôt senti qu'il y avoit eu jusque-là de l'excès à faire dépendre toute l'économie animale des facultés d'une seule espece de parties : on a attribué à chacune le droit que la nature lui donne, & que les connoissances physiques & anatomiques lui ont justement adjugé. La doctrine du célebre Boerhaave sur les effets de l'action des vaisseaux & sur-tout des arteres (dit M. Quesnay dans son nouveau traité des fievres continues), nous a enfin assuré que cette action, comme quelques médecins l'avoient déjà auguré, est la véritable cause de notre chaleur naturelle. Cette importante découverte, en nous élevant au-dessus des anciens, nous a rapprochés de leur doctrine ; elle a répandu un plus grand jour sur le méchanisme du corps humain & des maladies, que n'avoit fait la découverte de la circulation du sang. Nous savons en effet que c'est de cette action que dépendent le cours des humeurs & tous les différens degrés de l'élaboration dont elles sont susceptibles : mais on ne peut disconvenir qu'elle ne soit insuffisante pour produire les changemens qui arrivent à leurs parties intégrantes ; l'action de la chaleur peut seule pénétrer jusqu'à elles, & y causer une sorte de mouvement intestin, qui les développe & les met en disposition d'être aussi exposées à l'action des solides, qui en fait ensuite des combinaisons, d'où résulte la perfection & l'imperfection de toutes les humeurs du corps animal.

Cependant cette coopération de la chaleur naturelle dans la digestion des alimens & l'élaboration des humeurs, ne constitue pas une vraie coction, & ce nom convient encore moins au résultat de plusieurs especes d'actions différentes de la coction, qui conjointement avec elle operent toutes les altérations nécessaires à l'économie animale. Néanmoins comme il est employé en Médecine sans être restraint à son véritable sens, & qu'on lui en donne un plus étendu qui renferme l'action des vaisseaux & de la chaleur naturelle qui en dépend, il est bon de retenir ce nom, ne fût-ce que pour éviter de se livrer à une inconstance ridicule, en changeant le langage consacré de tout tems à designer des connoissances anciennes, que nous devons exprimer d'une maniere à faire comprendre que nous parlons des mêmes choses que les anciens, & que nous en avons au fond presque la même idée. Car quoique leur doctrine sur les coctions (dit le célebre auteur du nouveau traité des fievres continues, déjà cité) soit établie sur une physique obscure, la vérité y domine cependant assez pour se concilier convenablement avec l'observation, & pour qu'on puisse en tirer des regles & des préceptes bien fondés, accessibles au sens, telles que sont les qualités sensibles & générales qui agissent sur les corps : ainsi elle sera toûjours la vraie science, qui renferme presque toutes les connoissances pratiques que l'on a pû acquérir dans l'exercice de la Médecine, & qui mérite seule d'être étudiée, approfondie & perfectionnée.

Il paroît convenable de ne pas finir cet article, sans placer ici les réflexions suivantes sur le même sujet ; elles doivent être d'autant mieux accueillies, qu'elles sont extraites des commentaires sur les institutions & les aphorismes du célebre Boerhaave.

Hippocrate a considéré, & nous n'en faisons pas plus que lui, que l'on ne peut rien savoir de ce qui se passe dans le corps d'un homme vivant, soit qu'il soit en santé, soit qu'il soit malade, & que l'on ne peut connoître que les changemens qui paroissent dans les maladies, différens des phénomenes qui accompagnent la santé : ces changemens sont les effets de l'action de la vie qui subsiste encore ; & la cause occasionnelle de ces effets qui caractérisent la maladie, est un principe caché dans le corps, que nous appellons la matiere de la maladie ; tant que cette matiere retient le volume, la figure, la cohésion, la mobilité, l'inertie, qui la rendent susceptible de produire la maladie & de l'augmenter, elle est dite crue ; & tant que les changemens produits par la cause de la maladie subsistent, cet état est appellé celui de la crudité.

Ainsi il suit de-là que la crudité est d'autant plus considérable dans la maladie, que les qualités de la maladie sont plus différentes de celles de la santé. La crudité ne signifie pas une nature singuliere d'affection morbifique ; bien loin de-là, il peut y avoir une infinité d'especes de crudités, telles que les fluides âcres, épais, aqueux, &c. ou, comme dit Hippocrate, le trop doux, le trop amer, le trop salé, le trop acide. On ne peut déterminer la nature de la crudité, qu'en ce qu'elle est propre à engendrer la maladie. Le sang de la meilleure qualité nuit dans la pléthore ; son abondance lui donne un caractere de crudité : il peut aussi produire de mauvais effets dans le corps d'un homme foible, si on l'injecte dans ses vaisseaux, quoique seulement en quantité convenable. Ainsi on ne doit pas seulement entendre par matiere cuite, celle qui se mûrit par l'action de la vie, mais celle qui doit être regardée comme telle, respectivement à la fonction qui étoit viciée, lorsque cette fonction se rétablit dans l'état naturel. Hippocrate n'a vraisemblablement entendu autre chose sur la nature de la coction, si ce n'est que ce qui est crud dans le corps humain passe à l'état de maturation, lorsqu'il cesse d'avoir les qualités nuisibles qui le faisoient appeller crud, & qui constituoient la maladie.

Par conséquent la concoction n'est autre chose que l'assimilation, le changement des matieres crues & dont les qualités ne conviennent pas à la santé, en matieres susceptibles d'être converties en la propre substance du corps, si elles ne sont pas d'une nature qui répugne à cet usage, ou d'être rendues moins nuisibles & disposées à être évacuées. La premiere de ces opérations de la nature peut être rapportée à celle que les anciens ont appellée pepsis, qui est la plus parfaite ; telle est la résolution dans les inflammations : la seconde est celle qu'ils ont nommée pepasmus, qui a lieu dans toutes les maladies où il se fait des évacuations de matiere morbifique par la seule action de la vie ; la suppuration dans les maladies inflammatoires est de ce genre.

On peut rendre la chose plus sensible par des exemples plus détaillés : celui d'une coction de la premiere espece, de laquelle on vient de donner une idée, est marqué par ce qui se passe dans les personnes qui ont une espece d'accès de fievre, causée par une trop grande quantité de chyle mêlée avec le sang ; cette agitation fébrile supérieure à l'action ordinaire des vaisseaux, procure à ce chyle une élaboration ultérieure, que cette action n'auroit pas pû lui donner ; il se fait par-là une assimilation des parties crues de ces sens encore étrangers, ils se convertissent en bonnes humeurs, d'où peuvent être formés le sang & les autres liqueurs animales : ce changement étant opéré, la fievre cesse sans aucune évacuation sensible de la matiere qui avoit causé la fievre. Mais un tel effet ne peut être produit que dans le cas où la matiere crue ne differe guere des matieres susceptibles d'être converties en bons sucs, ou des humeurs saines ; & lorsque les efforts extraordinaires que la nature doit faire pour produire ce changement ne sont pas bien considérables, ou durent si peu qu'il n'en puisse pas résulter une altération pernicieuse dans les humeurs saines ; laquelle ayant lieu, rendroit nécessaire une évacuation sensible de celles qui seroient viciées.

C'est ce qui arrive dans tous les cas où se fait la coction de la seconde espece, qui est aussi toûjours l'effet de la fievre, c'est-à-dire de l'action de la vie plus forte que dans l'état de santé : dans cette derniere coction les suites ne sont pas aussi salutaires que dans la précédente ; le changement en quoi elle consiste est borné à donner à la cause matérielle de la maladie des qualités moins nuisibles à l'économie animale, en détruisant celles qui lui étoient plus contraires ; mais il ne rend jamais cette matiere assez différente d'elle-même pour qu'elle puisse devenir utile : toute la perfection dont elle est susceptible ne fait que la rendre disposée à être évacuée hors de la cavité des vaisseaux de la partie dont elle trouble les fonctions.

C'est ainsi, par exemple, que dans les maladies inflammatoires de la poitrine, les molécules des fluides qui engorgent les extrémités des vaisseaux artériels des poumons, éprouvent un tel changement par l'action de la fievre, qu'elles sont séparées de la masse des humeurs saines avec la portion des solides, qui les contient par l'effort de la colonne des liquides qui est poussée contre la matiere engorgée, & par la force de pression collatérale des vaisseaux voisins ; & il se forme de ce mélange de fluides & de parties consistantes broyées, rompues par l'effet de toutes ces puissances combinées, une matiere qui ne tient plus rien de celles dont elle est composée ; qui est blanche, homogene, onctueuse ; qui venant à se répandre dans les cellules pulmonaires & à se mêler avec la matiere des crachats, est évacuée avec elle par l'expectoration, qui est si souvent le moyen par lequel la nature termine heureusement les maladies de la partie dont il s'agit.

Il résulte de tout ce qui vient d'être dit, que c'est toûjours la fievre, ou l'action de la vie rendue plus forte en général ou en particulier, qui produit la coction de quelqu'espece qu'elle soit ; c'est elle qui est l'instrument dont la nature se sert, comme dit Sydenham, sect. 1. c. jv. pour séparer dans les humeurs les parties impures des pures, pour évacuer les matieres hétérogenes nuisibles à l'économie animale. C'est de ce principe qu'il infere avec les plus grands médecins, que la principale chose que l'on doit faire dans la cure des maladies, est de régler l'action de la vie, les agitations de la fievre, de les tenir dans une juste modération, pour empêcher que par de trop grands efforts les vaisseaux du cerveau & des poumons, qui sont les plus délicats, ou ceux de toute autre partie importante affoiblie par quelle cause que ce soit, ne se rompent ou ne s'engorgent d'une maniere irrésoluble ; ou qu'au contraire par trop peu d'efforts, la matiere morbifique ne soit mal digérée, & sa coction imparfaite : & dans le cas où l'action de la vie est convenablement animée & excitée, l'agitation fébrile suffisant pour opérer une bonne coction, sans que l'on ait rien à craindre de ses effets, de laisser à la nature le soin de la guérison.

Hippocrate a donné l'exemple d'une pareille conduite dans le traitement de plusieurs maladies, à l'égard desquelles il lui arrivoit souvent de se tenir dans l'inaction, & d'être spectateur des opérations de la nature lorsqu'elle n'avoit pas besoin d'être aidée. Un des plus fideles & des plus prudens imitateurs du pere de la Médecine, Sydenham, avoue ingénuement s'être aussi très-bien trouvé d'avoir pris le parti de ne rien faire dans certains cas, pour se conformer aux préceptes de son maître, qui dit expressément, dans son traité de articulis : Interdum enim optima medicina est medicinam non facere. C'est aussi sur ce fondement que Galien, de dieb. crit. lib. 1. s'éleve contre les médecins, qui ne croyoient pas exercer leur art selon les regles, s'ils ne prescrivoient toûjours quelques remedes à leurs malades, tels que la saignée, les ventouses, ou quelques lavemens, purgations, &c. & il dit que de pareils médecins ne s'approchent des malades que pour commettre des fautes aussi répetées que leurs visites ; qu'il est conséquemment impossible que la nature si souvent interrompue & troublée dans son ouvrage, puisse corriger la matiere morbifique, & parvenir à la guérison de la maladie : l'humeur viciée dont il faut que la coction se fasse pour la procurer, demande plus ou moins d'action fébrile, selon qu'elle est d'une nature plus ou moins tenace, rebelle.

Ainsi dans les fievres éphemeres, & autres maladies legeres, la nature n'a souvent pas besoin de procurer le pépasme, comme dans l'exemple allégué ci-dessus, où le vice ne consiste que dans une trop grande abondance de chyle : la coction qui s'en fait est semblable à celle de la digestion ordinaire dans les secondes voies ; elle n'est qu'un peu plus laborieuse ; c'est le vrai pepsis ; ou s'il faut quelque chose de plus, & que la coction doive procurer quelque élaboration, elle est très-peu considérable ; ce n'est qu'une transpiration plus forte, une petite sueur, ou tout au plus un leger cours de ventre. Dans les fievres putrides, dans les inflammatoires, la coction demande plus de travail ; la nature a souvent besoin d'être aidée, pour qu'elle puisse venir à bout de préparer la matiere morbifique, & la disposer à l'évacuation, qui souvent doit être très-copieuse & à plusieurs reprises : c'est le cas où l'on employe avec succès les moyens qui peuvent détremper, diviser, atténuer les humeurs viciées, relâcher les solides, afin qu'ils cedent plus aisément ; ou leur donner du ressort, s'ils en manquent, afin que les voies soient plus libres pour favoriser l'évacuation. Tels sont sur-tout les lavages en boisson, en lavement, qui étant administrés avec prudence, selon les indications qui se présentent, peuvent satisfaire à ce que recommande Hippocrate, lorsqu'il dit, aphor. jx. sect. 2. Corpora cum quis purgare voluerit, ea fluxilia faciat oportet : c'est de cette maniere qu'il convient de faciliter la coction, & la crise qui doit toûjours en être précédée.

Dans les fievres qu'on appelle malignes, il y a une si grande lésion de fonctions, & un vice si difficile à corriger dans la matiere morbifique, que la nature succombe bientôt si elle n'est puissamment secourue, parce qu'il ne faut pas moins que la coction la plus forte pour détruire la cause du mal. Dans les fievres pestilentielles & la peste, les secours les plus appropriés & les plus grands efforts de la nature sont le plus souvent insuffisans pour opérer la coction, parce que les forces de la vie sont trop peu actives à proportion de la résistance des déléteres, & que les mauvais effets de ceux-ci sont si promts, qu'ils ne laissent ni à la nature ni à l'art le tems d'y apporter remede, ou au moins d'en tenter quelqu'un.

Il résulte de ce qui a été dit jusqu'ici de la coction dans les maladies, qu'elle ne peut avoir lieu proprement que dans celles qui sont avec matiere, selon le langage de l'école, c'est-à-dire qui sont causées par un vice dans les humeurs ; dans toute autre il ne peut y avoir ni coction ni crise. Voyez CRISE, FIEVRE. Cet article est de M. D'AUMONT, premier professeur de Médecine en l'université de Valence.

COCTION, (Pharmac.) mot générique exprimant l'altération opérée sur un corps solide par l'action d'un liquide, excitée ou augmentée par le feu.

Dans la coction on n'a en vûe que le changement opéré sur le corps qui en est le sujet, sans s'embarrasser de ce que le liquide qu'on lui applique en peut extraire ; & c'est en cela précisément que la coction pharmaceutique differe de la décoction, dans laquelle c'est cette seule extraction qu'on se propose. Voyez DECOCTION.

On fait la coction des racines d'enula campana, pour les ramollir & les rendre propres à être réduites en pulpe, afin d'en former ensuite une conserve ; & on fait la décoction des mêmes racines pour charger l'eau qu'on y employe de leurs parties extractives, qu'on rapproche ensuite ou qu'on réduit en consistance d'extrait. Voyez EXTRAIT.

Les oignons de lis, de scylles, & quelques autres corps très-aqueux qu'on fait ramollir sous la cendre chaude, doivent être rangés parmi les sujets de la coction pharmaceutique ; ils ne different des autres dont nous venons de parler, qu'en ce qu'ils portent avec eux-mêmes le liquide qu'on est obligé d'appliquer aux corps qui sont plus durs & plus secs.

Le mot cuite n'est pas synonyme en Pharmacie au mot coction. Voyez CUITE. (b)

COCTION, (Alchim.) ce mot est employé communément dans le langage des Alchimistes, pour exprimer la longue digestion à laquelle ils exposent la précieuse matiere du grand oeuvre, dans le dessein de lui faire éprouver cette altération graduée & insensible qui doit la conduire enfin à la maturation ou à la perfection. (b)


COCYTES. m. (Myth.) un des quatre fleuves des enfers ; fleuve d'Epyre, ou plûtôt de la Thesprotie qui en étoit une partie : il tomboit avec le Pyriphlégeton dans le marais Achérusia. Son étymologie & son voisinage de l'Achéron, l'ont fait mettre par les poëtes grecs au nombre des fleuves des enfers. En effet cocyte veut dire pleurs, gémissemens, de , gémir. Il a donné son nom aux fêtes cocytiennes qu'on célébroit en l'honneur de Proserpine.

Je crois que le Cocyte des poëtes latins étoit le ruisseau de ce nom qui couloit en Italie près du lac d'Averne, & se déchargeoit dans le lac Lucrin, lequel fut enfin presque comblé par une nouvelle montagne de cendres qu'on vit s'élever du fond de ce lac dans un tremblement de terre arrivé le 29 Septembre 1538.

Ce n'est donc pas seulement de l'Epyre que les Poëtes ont tiré l'idée des fleuves de l'enfer ; le lac d'Averne d'Italie, & les fontaines d'eaux chaudes qui étoient aux environs, y ont également donné lieu. Tous ces endroits étoient si couverts de bois depuis Bayes & Pouzzol, que les eaux y croupissant, passoient pour être des plus mal-saines ; outre que la vapeur qui sortoit des mines de soufre & de bitume qui y sont en grand nombre, ne pouvoit pas s'exhaler aisément.

Agrippa favori d'Auguste, & rempli d'amour du bien public, fit couper ces bois & nettoyer si bien les lieux voisins, que depuis les eaux devinrent claires & nettes, au rapport de Strabon. Mais c'est pour cela même que les Poëtes ornerent leurs écrits des anciennes idées qu'on avoit du Cocyte. Horace, ode xjv. liv. II. v. 18. & Virgile, Aenéid. liv. VI. v. 323. n'y manquerent pas.

Le premier, dans cette ode à Posthume, où la morale est si bien cachée, où la versification est si belle, rappelle poétiquement à son ami la nécessité de mourir :

Visendus ater flumine languido

Cocytus errans.

Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CODAGA-PALE(Bot. exot.) arbrisseau des Indes orientales peu connu, & qui n'est pas sans vertus utiles en Médecine : deux raisons suffisantes pour en faire mention.

Voici les noms qu'il a dans nos ouvrages de Botanique.

Codaga-pala, H. Mal. part. I. p. 85. tab. 47.

Nerium Indicum, siliquis angustis, erectis, longis, geminis, Burm. Thes. Zeyl. 167. tab. 77.

Apocynum erectum Malabaricum, frutescens, jasmini flore candido, Par. Bat. 44.

Arbor Malabarica lactescens, jasmini flore odorato, siliquis oblongis, Syen. in not. ad. H. M.

Conessi, act. Edimb. tome III. p. 32.

Cet arbrisseau vient fréquemment dans le Malabar & dans l'île de Ceylan. Sa racine est peu profonde ; elle répand beaucoup de fibres. Son écorce est d'un rouge brun & de lait. Son goût est amer & peu piquant. Les tiges en sont fermes, ligneuses, rondes ; elles produisent différens rameaux revêtus d'une écorce noirâtre qui couvre un bois blanchâtre, portant des feuilles de différente grandeur, placées deux à deux, opposées, portées sur une petite queue ; oblongues en forme de lance, pointues, unies, ayant des nervures, d'un beau verd des deux côtés, répandant un suc laiteux.

Il sort du sommet des tiges, des fleurs monopétales en tuyaux, partagées en cinq quartiers, avec cinq étamines ramassées en un cone pointu, très-blanches, d'une odeur agréable, & fort belles. Le calice qui soûtient les fleurs est étoilé, partagé en cinq quartiers, appuyé sur un pédicule assez long, mince, différemment multiplié, & qui subsiste toûjours ; car lorsque les fleurs sont seches, il s'éleve d'un de ces calices deux petites gousses droites, très-longues, unies d'une maniere surprenante à leur sommet par la pointe, qui est très-aiguë & roulée : ces gousses sont remplies d'un duvet très-blanc, qui couronne plusieurs graines longues, étroites, cannelées, de couleur de cendre, & attachées à un duvet comme le cordon ombilical l'est au placenta.

On recommande l'écorce de codaga-pâle pilée & prise dans une décoction stomachique, pour le flux de ventre. On loue aussi l'écorce de sa racine prise de la même maniere, pour toute sorte de flux de ventre, soit dyssentérique, soit lientérique : elle sert encore en qualité de desobstruant, prise en infusion ou en décoction.

La racine pilée & bouillie dans de l'eau dans laquelle on a cuit de l'orge ou du ris, est utile pour l'angine aqueuse ou pituiteuse ; on en fait une lotion : elle sert encore pour dissiper les tumeurs, étant employée de la même maniere : elle appaise quelquefois la douleur des dents ; on en retient la décoction dans la bouche. Les graines bouillies sont utiles contre les vers.

Mais de toutes les vertus attribuées au codaga-pâle, celle de son efficace contre la diarrhée nous est présentée avec trop d'éloges dans les mémoires d'Edimbourg, tome III. p. 32. pour en passer l'article sous silence.

L'auteur recommande l'écorce des petites & jeunes branches d'un codaga-pâle, qui ne soit point couvert de mousse, ni d'une écorce extérieure seche & insipide, qu'il faut ôter entierement lorsqu'elle s'y trouve.

L'écorce ainsi mondée doit être réduite en poudre fine, dont on fait un électuaire avec une quantité suffisante de syrop d'orange. On donne un demi-gros ou davantage de cet électuaire quatre fois dans la journée, de quatre heures en quatre heures : le premier jour les déjections deviennent plus fréquentes & plus abondantes ; le lendemain la couleur des excrémens devient meilleure ; le troisieme & quatrieme jour il leur donne une consistance approchante de l'état naturel, & il opere alors la guérison.

Il est rare, dit-on encore, que ce remede manque dans les diarrhées qui sont récentes, qui viennent d'un déréglement dans le boire & le manger, pourvû qu'il n'y ait pas de fievre, & qu'on ait fait prendre auparavant au malade une dose d'ipécacuanha. On prescrit avec le même succès & de la même maniere cet électuaire à ceux qui étant d'une constitution relâchée, ont aisément des diarrhées lorsque le tems est pluvieux ou humide ; & même il faut en continuer l'usage pendant quelques jours soir & matin, après que la diarrhée est guérie, prenant de l'eau de ris pour boisson ordinaire, ou des émulsions avec les semences froides & le sel de prunelle, s'il est nécessaire.

Si la fievre accompagne la diarrhée, on sent bien qu'il faut attaquer la fievre par la saignée, les émulsions rafraîchissantes, ou la décoction blanche avec le sel de prunelle, avant que d'employer l'écorce du codaga-pâle.

N'oublions pas d'observer que cette écorce doit être nouvellement mise en poudre, & qu'il faut faire l'électuaire tous les jours, ou de deux jours l'un ; parce qu'autrement cette drogue perd son goût astringent, qui est mêlé d'une amertume agréable au palais, & par cette perte son action sur les intestins diminue. M. Monro, célebre par son savoir & ses talens, témoigne qu'il a guéri une dyssenterie très-invétérée, & qui avoit résisté à un grand nombre de remedes, par le moyen de l'écorce du codaga-pâle donnée suivant la méthode dont on vient de parler.

Quoiqu'il en soit, cette écorce paroît avoir toutes les qualités requises pour être très-utile dans la diarrhée, en fortifiant l'estomac par son amertume, qui d'ailleurs n'est pas rebutante, en stimulant les intestins, & en appaisant les tranchées par des parties balsamiques & onctueuses. Il paroît donc qu'elle mérite qu'on réitere dans d'autres pays les expériences avantageuses qu'on a faites en Ecosse de ses vertus. Art. de M(D.J.)


CODES. m. (Jurisprud.) signifie en général recueil de droit ; mais on donne ce nom à plusieurs sortes de recueils fort différens les uns des autres.

Les premiers auxquels on a donné ce nom sont des compilations des lois romaines, telles que les codes Papyrien, Grégorien, Hermogénien, Théodosien, & Justinien ; on a aussi donné le titre de code à différentes collections & compilations des canons, & autres lois de l'Eglise. Ce même titre a été donné à plusieurs collections de lois anciennes & nouvelles rassemblées en un même volume, sans en faire de compilation, comme le code des lois antiques, le code Néron ; on a même appellé & intitulé code, le texte détaché de certaines ordonnances, comme le code civil, le code criminel, le code marchand, & plusieurs autres semblables : enfin on a encore intitulé code certains traités de droit qui rassemblent les maximes & les réglemens sur une certaine matiere, tels que le code des curés, le code des chasses, & plusieurs autres. Nous allons donner l'explication de chacun des différens codes séparément.

CODE DES AIDES, est un titre ou surnom que l'on donne quelquefois à l'ordonnance de Louis XIV. du mois de Juin 1680, sur le fait des aides ; mais ce nom se donne moins à l'ordonnance même qu'au volume qui la renferme, lorsqu'elle y est seule, ou qu'il ne contient que des réglemens sur la même matiere ; car du reste, en parlant de cette ordonnance, & sur-tout en la citant à l'audience, on ne dit point le code des aides, mais l'ordonnance des aides : il faut appliquer la même observation à plusieurs autres ordonnances dont il sera parlé ci-après, qui forment chacune séparément de petits volumes que les Libraires & Relieurs intitulent code, comme code des gabelles, code de la marine, &c. Voyez CODE & ORDONNANCES DES AIDES.

CODE D'ALARIC, est une compilation du Droit romain qu'Alaric II. roi des Visigoths en Espagne, fit faire en 508, tirée tant des trois codes Grégorien, Hermogénien & Théodosien, que des livres des jurisconsultes. Ce fut Anian chancelier d'Alaric qui fut chargé de faire cette compilation : il y ajoûta quelques interprétations comme une espece de glose ; on n'est pas certain qu'il l'ait lui-même composée, mais du moins il la souscrivit pour lui donner autorité. Cette compilation fut aussi autorisée par le consentement des évêques & des nobles, & publiée en la ville d'Aire en Gascogne le 2 Février 506, sous le nom de code Théodosien. On fit dans la suite un autre extrait de ce code, qui ne contenoit que les interprétations d'Anian, & qui fut appellé scintilla. Ce code d'Alaric ou Théodosien fut long-tems en usage, & formoit tout le droit romain qui s'observoit alors en France, principalement dans les provinces les plus voisines de l'Espagne ; mais cette loi n'étoit que pour les Romains ou Gaulois ; les Visigoths avoient leur loi particuliere, laquelle fut ensuite mêlée avec le droit romain. Voyez CODE D'EVARIX.

CODE D'ANIAN, est le même que le code Alaric, les uns donnant à ce code le nom du prince par ordre duquel il faut rédigé, les autres lui donnant le nom d'Anian qui en fut le compilateur ; mais on l'appelle plus communément code Alaric.

CODE d'Aragon & de Castille, ou corps des lois observées dans ces royaumes, fut commencé sous le regne de Ferdinand III. & achevé sous celui d'Alfonse X. son fils. C'est sans-doute ce qui a fait dire à Ridderus ministre de Rotterdam (de erud. cap. 3.), qu'Alfonse étoit très-versé dans la jurisprudence, & qu'il avoit rédigé un code de lois divisé en sept livres, dans lequel étoit rassemblé tout ce qui concerne le culte divin & ce qui regarde les hommes. Mais M. Bayle en son dictionnaire à l'article de Castille, observe que ce seroit se tromper grossierement, que de prétendre qu'Alfonse a été lui-même le compilateur de ces lois ; qu'il a fait en cela le même personnage que Théodose, Justinien & Louis XIV. par rapport aux codes qui portent leur nom.

CODE canonique ou code des canons, ou corps de droit canonique, codex seu corpus canonum, est le nom que l'on donne à différentes collections qui ont été faites des canons des apôtres & de ceux des conciles. Il y a eu plusieurs de ces collections faites en différens tems. La premiere fut faite en Orient ; selon Usserius, ce fut avant l'an 380, d'autres disent en 385 ; les Grecs réunirent les canons des conciles, & en firent un code ou corps des lois ecclésiastiques, que l'on appella le code des Grecs ou code canonique de l'église greque ou de l'église d'Orient. Les Grecs y ajoûterent ensuite les canons des apôtres au nombre de cinquante, ceux du concile de Sardique tenu en 347, ceux du concile d'Ephese, qui est le troisieme concile général tenu en 431, & ceux du quatrieme concile général tenu à Chalcédoine en 451. Ce code fut approuvé par six cent trente évêques dans ce concile, & autorisé par Justinien en sa novelle 131. Ce code des Grecs étoit en si grande vénération, que dans toutes les assemblées, soit universelles ou nationales, on mettoit sur deux pupitres l'évangile d'un côté, & le code canonique de l'autre. Pour ce qui est de l'église romaine ou d'Occident, elle n'adopta pas d'abord les canons de tous les conciles d'Orient insérés dans le code des Grecs : elle avoit son code particulier, appellé code de l'église romaine, qui étoit composé des canons des conciles d'Occident ; mais depuis les fréquentes relations que l'affaire des Pélagiens occasionna entre l'église de Rome & celle d'Afrique, l'église de Rome ayant connu les canons des conciles d'Afrique, & en ayant admiré la sagesse, elle les adopta. Le pape Zozyme grec d'origine fit traduire les canons d'Ancyre, de Néocésarée & de Gangres. On se servit quelque tems dans l'église d'Occident de cette traduction confuse de l'ancien code canonique des Grecs. On y inséra dans la suite les decrets contre les Pélagiens, ceux d'Innocent I. & de quelques autres papes ; on y joignit encore depuis les canons de plusieurs conciles & différentes lettres des papes. Nous avons plusieurs de ces anciens codes des canons à l'usage des églises d'Occident, les uns imprimés, d'autres manuscrits, lesquels different peu entr'eux, & l'on ne sait pas précisément quel étoit celui de l'église romaine. Quoi qu'il en soit, comme on trouva qu'il y avoit de la confusion dans le code des canons dont on se servoit à Rome, on engagea Denis, surnommé le Petit ou l'Abbé, sur la fin du cinquieme siecle, à en faire une compilation plus méthodique, dans laquelle il inséra les cinquante canons des apôtres reçus par l'église, & les canons des conciles, tant grecs que latins, & quelques décrétales des papes depuis Siricius jusqu'à Hormisdas. Cette compilation fut si bien reçûe, qu'on l'appella le code des canons de l'église romaine ou corps des canons ; il ne fut pas néanmoins d'abord adopté dans toutes les églises d'Occident. En France on se servoit de l'ancienne collection ou de quelque autre nouvelle que l'on appelloit le code des canons de l'église gallicane, ce qui demeura dans cet état jusqu'à ce que le pape Adrien ayant envoyé à Charlemagne le code compilé par Denis le Petit, il fut reçu dans tout le royaume. Cette collection a été suivie de plusieurs autres, & notamment de celle du moine Gratian en 1151 ; mais son ouvrage est intitulé, concordance des canons : on l'appelle cependant quelquefois le code canonique de Gratian. Le code des canons de l'église d'Orient ayant été reçû dans celle d'Occident, on l'a appellé code de l'Eglise universelle. Dans tous ces codes du droit canonique, on a suivi à peu-près l'ordre & la méthode du droit civil. Voyez le traité de l'abus par Fevret, tome I. p. 32 ; la préface des lois ecclésiastiques de M. de Hericourt ; & ci-devant CANON, & ci-après DROIT CANONIQUE.

CODE CAROLIN, est un réglement général fait en 1752 par dom Carlos roi des Deux-Siciles, pour l'abréviation des procès. On assûre qu'il est dressé sur le modele du code Frédéric. Nous ne pouvons quant à-présent en dire davantage de ce code Carolin, ne l'ayant point encore vû. Voyez CODE FREDERIC.

CODE de Castille, voyez CODE D'ARAGON.

CODE des chasses, est un traité du droit de chasse suivant la jurisprudence de l'ordonnance de Louis XIV. du mois d'Août 1669, conférée avec les anciennes & nouvelles ordonnances, édits, déclarations, arrêts & réglemens, & autres jugemens rendus sur le fait des chasses. Cet ouvrage qui est en deux volumes in -12. contient d'abord un traité du droit de chasse, ensuite une conférence du titre 30 des chasses de l'ordonnance de 1669 : cette conférence est divisée en autant de chapitres que le titre des chasses contient d'articles. On a rapporté sous chaque article les autres ordonnances & réglemens qui y ont rapport, on y a aussi joint des notes pour faciliter l'intelligence du texte.

CODE CIVIL. On entend sous ce nom l'ordonnance de 1667, qui regle la procédure civile ; on l'appelle aussi code Louis, parce qu'il fait partie du recueil des ordonnances de Louis XIV. Voyez CODE LOUIS XIV. & CODE CRIMINEL.

CODE des commensaux, est un volume in -12. contenant un recueil des ordonnances, édits & déclarations rendus en faveur des officiers, domestiques & commensaux de la maison du roi, de la reine, des enfans de France, & des princes qui sont sur l'état de la maison du roi. Ce recueil est en deux volumes in -12.

CODE des committimus ; on entend sous ce nom l'ordonnance de 1669, concernant les évocations & les committimus.

CODE criminel ; on entend sous ce nom l'ordonnance de 1670, qui regle la procédure en matiere criminelle. Le code criminel & le code civil sont différentes portions du code Louis ou recueil des ordonnances de Louis XIV. Voyez CODE CIVIL & CODE LOUIS.

Il y a aussi un code criminel de l'empereur Charles-Quint, ou ordonnance appellée vulgairement la Caroline.

CODE DES CURES, est un recueil de maximes & de réglemens à l'usage des curés par rapport à leurs fonctions, à celles de leurs vicaires perpétuels ou amovibles, & autres bénéficiers ; comme aussi pour ce qui concerne leurs dixmes, portions congrues, & autres droits & priviléges ; ceux des seigneurs de paroisses, & des officiers royaux, soit commensaux ou autres. Il est présentement divisé en deux volumes in -12, dont le premier contient d'abord un abregé du traité des dixmes, ensuite les réglemens intervenus sur la même matiere ; on y a ajoûté les décisions de Borjon qui regardent les curés : le second volume contient les réglemens qui établissent les priviléges des curés.

CODE DES DECISIONS PIEUSES & des causes jugées par Pierre de Brosses, est un recueil de décisions imprimé à Geneve en 1616, vol. in -4°.

CODE DU DROIT DES GENS, codex juris gentium diplomaticus, est un traité du droit des gens, imprimé à Hanovre en 1693, vol. in-fol.

CODE DES EAUX ET FORETS ; on entend sous ce nom l'ordonnance de 1669 sur le fait des eaux & forêts. Voyez CODE LOUIS XIV.

CODE des donations pieuses, qui est imprimé en latin sous le titre de codex donationum piarum, est un recueil fait par Aubert le Mire, de Bruxelles, de tous les testamens, codicilles, lettres de fondation, donations, immunités, priviléges, & autres monumens de libéralités pieuses faites par les papes, empereurs, rois, ducs & comtes, en faveur de différentes églises, & principalement des églises de Flandres.

CODE D'EVARIX ou d'Euric, est un corps de lois qui fut rédigé sous Evarix roi des Visigoths, qui commença en 466 : ces lois furent faites tant pour les Visigoths qui occupoient l'Espagne, que pour ceux qui s'étoient établis dans la Gaule narbonnoise & dans l'Aquitaine. Alaric II. fils d'Evarix, fit un autre code pour les Romains ou Gaulois, qu'il tira des lois romaines. V. ci-dev. CODE ALARIC. Leuvigilde corrigea le code Evarix, en supprima quelques lois, & en ajoûta d'autres. Les rois suivans en firent de même, & particulierement Chindosuinde qui fit diviser ce code en douze livres, comme celui de Justinien, sans néanmoins qu'il y ait aucun rapport entre ces deux codes pour l'ordre des matieres, & il ordonna que ce recueil seroit l'unique loi de tous ceux qui étoient sujets des rois Goths, de quelque nation qu'ils fussent : ce recueil s'appelloit le livre de la loi gothique. Exgica qui régna jusqu'en 701, commit l'examen & la correction des lois gothiques aux évêques d'Espagne, mais à condition qu'ils ne dérogeroient point aux lois établies par Chindosuinde ; & il le fit confirmer par les évêques au seizieme concile de Tolede, l'an 693. Ce code d'Euric étoit encore observé dans la Gaule narbonnoise du tems du pape Jean VIII. vers l'an 880 : on y voit les noms de plusieurs rois ; mais tous sont depuis Recarede, qui fut le premier entre les rois goths catholiques. Les lois antérieures sont intitulées antiques, sans qu'on y ait mis aucun nom de rois, non pas même celui d'Evarix ; ce qui sans-doute a été fait en haine de l'arianisme dont ces rois faisoient profession. Voyez l'hist. du droit françois de M. l'abbé Fleuri.

CODE FAVRE, ou Fabre, ou Fabrien, codex Fabrianus definitionum forensium in senatu Sabaudiae tractarum ; est un traité fait par Antoine Favre, connu sous le nom d'Antonius Faber, contenant des définitions ou décisions arrangées suivant l'ordre du code de Justinien. Il avoit été long-tems juge-mage, c'est-à-dire lieutenant civil & criminel de la Bresse & du Bugey. Après l'échange de ces provinces, le duc de Savoie le fit président du conseil genevois, ensuite premier président du sénat de Chamberri. Il a fait entr'autres ouvrages son code, qui forme un volume in-fol. dans lequel il traite plusieurs matieres qui sont en usage dans la Bresse, telles que l'augment de dot, les bagues & joyaux, & les droits seigneuriaux. Voyez la préface de M. Bretonnier, de son recueil alphabétique de questions, à l'article du parlement de Dijon.

CODE FREDERIC, est un corps de droit composé par ordre de Charles Frederic, aujourd'hui roi de Prusse, électeur de Brandebourg, pour servir de principale loi dans tous ses états.

Ce qui a porté ce prince à faire cette loi nouvelle, est l'incertitude & la confusion du droit que l'on suit dans l'Allemagne en général, & en particulier de celui que l'on suivoit dans les états de Prusse.

Jusqu'au treizieme siecle, chaque peuple d'Allemagne avoit ses lois propres, qui ont été recueillies par Lindenbrog, Goldast, Baluze, &c. mais elles étoient fort concises, & ne décidoient qu'un petit nombre de cas.

Le droit romain fut introduit en Allemagne vers la fin du treizieme siecle, & au commencement du quatorzieme.

On reçut aussi dans le treizieme siecle les décrets de Grégoire IX. appellés aujourd'hui le droit canon.

L'Allemagne eut donc depuis ce tems trois sortes de lois, qui s'observoient concurremment ; & dans certains cas on étoit en doute lequel devoit prévaloir du droit allemand, du droit romain, ou du droit canon.

Toutes ces différentes lois ne décident la plûpart que des cas particuliers, au lieu qu'il auroit fallu les réduire en forme de système, suivant les divers objets du droit, comme Justinien a fait dans ses institutes.

Ces inconvéniens engagerent l'empereur Frederic III. en 1441, à abréger en quelque sorte le droit romain en Allemagne par la résolution de l'Empire ; & pour cet effet il ne permit qu'à certains docteurs de donner des réponses sur le droit, leur ordonnant aussi de rendre leurs réponses conformes aux lois reçûes & approuvées. Il défendit à tous autres docteurs de prendre séance dans les justices, & de donner des instructions aux parties ; & il supprima tous les avocats.

Cette résolution de l'Empire ne mit guere plus de certitude dans la jurisprudence d'Allemagne ; & Maximilien fils de Frederic, en établissant la chambre de justice de l'Empire, y introduisit en même tems le droit romain, & voulut qu'il fût encore observé comme un droit impérial & commun : ce qui fut résolu dans les dietes de l'Empire des années 1495 & 1500.

L'étude des lois est encore devenue plus difficile par la multitude de commentateurs qui ont paru en Italie, en France, en Espagne, & sur-tout en Allemagne ; au lieu de s'attacher à la loi, on suivit l'opinion commune des docteurs, chacun prétendit avoir pour soi l'opinion commune ; & l'abus alla si loin, que dès qu'un avocat pouvoit rapporter en sa faveur l'opinion de quelque docteur, ni lui ni sa partie ne pouvoient être condamnés aux dépens.

Tel est encore l'état de la jurisprudence dans la plus grande partie de l'Allemagne.

Plusieurs savans ont fait des voeux pour la réformation de la justice dans l'Allemagne ; quelques-uns ont donné des projets d'un nouveau code ; les empereurs mêmes ont proposé plusieurs fois dans les dietes la réformation de la justice : mais toutes les délibérations qui ont été faites, n'ont abouti qu'à mieux régler la procédure, & l'on n'a point formé de corps de droit général & certain.

Quelques états de l'Empire ont à la vérité fait dresser des corps de droit, entre lesquels ceux de Saxe, de Magdebourg, de Lunebourg, de Prusse, du Palatinat, & de Wirtemberg, méritent des éloges ; mais aucun de ces codes n'est universel, & ne renferme toutes les matieres de droit : ils ne sont point réduits en forme de système, ils ne contiennent point de principes généraux sur chaque matiere, la plûpart ne reglent que la procédure & quelques cas douteux ; c'est pourquoi on y laisse subsister le recours aux lois romaines.

La jurisprudence n'étoit pas moins incertaine dans les états du roi de Prusse, avant la publication du nouveau code dont il s'agit ici.

Outre le droit Romain qu'on y avoit reçû, le droit canon y avoit aussi une grande autorité avant que les états de Prusse se fussent séparés de communion d'avec l'Eglise romaine ; les docteurs mêloient encore à ces lois un prétendu droit allemand qui n'étoit qu'imaginaire, puisqu'on ne sait rien de certain de son origine, & que la plûpart de ces lois germaniques ne convenant plus à l'état présent du gouvernement, sont depuis long-tems hors d'usage.

La confusion étoit encore plus grande dans quelques provinces, par l'introduction du droit saxon qui differe en bien des cas du droit commun, & que l'on suivoit principalement pour la procédure.

Chaque province & presque chaque ville alléguoit des statuts particuliers, inconnus pour la plûpart aux habitans.

Le grand nombre d'édits particuliers, souvent contradictoires entr'eux, augmentoit encore l'incertitude de la jurisprudence & la difficulté de l'étudier.

Il s'étoit aussi introduit dans chaque province un style particulier de procéder ; & cette diversité de styles donnoit lieu à tant d'incidens, qu'on étoit obligé d'évoquer au conseil la plûpart des affaires.

Pour remédier à tous ces inconvéniens, le roi de Prusse à présent régnant, fit lui-même un plan de réformation de la justice.

Ce plan contenoit en substance, que l'homme est né pour la société ; ce n'est que par là qu'il differe des animaux : la société ne sauroit se maintenir ou du moins ne peut procurer à l'homme les avantages qui lui conviennent, si l'ordre n'y regne ; c'est ce qui distingue les nations policées des sauvages : les sociétés les mieux établies sont exposées à trois sortes de troubles, les procès, les crimes, & les guerres ; les guerres ont leurs lois dans le droit des gens, les crimes & les procès font l'objet des lois civiles : mais les procès seuls ont été l'objet de cette réformation.

Les procès peuvent être terminés par trois voies, l'accommodement volontaire, l'arbitrage, & la procédure judiciaire ; les deux premieres voyes étant rarement suffisantes, il faut des tribunaux bien reglés, & un ordre judiciaire.

C'est dans cet ordre qu'il s'est glissé plusieurs abus, auxquels il s'agit de remédier. Abolir totalement les procès, c'est chose impossible ; mais il faut rendre la loi certaine & la procédure uniforme, & abréger les procès de maniere que tous soient terminés par trois instances ou degrés de jurisdiction, dans l'espace d'une année.

Le roi de Prusse ayant communiqué ce plan à son grand-chancelier, lui ordonna d'en commencer l'essai dans la Poméranie, où les procès sont les plus fréquens.

L'exécution ayant parfaitement répondu aux espérances, le roi ordonna à son grand-chancelier de dresser un ample projet d'ordonnances, & de le faire pratiquer provisionnellement dans tous ses états & par tous les tribunaux, leur enjoignant de faire ensuite leurs observations & leurs remontrances sur les difficultés qui pourroient se rencontrer dans l'exécution de ce plan, afin qu'il y fut pourvû avant de mettre la derniere main à cette ordonnance. C'est ce qui a été exécuté quelque tems après par la rédaction du code Frederic.

Il a été publié en langue allemande, afin que chacun pût entendre la loi qu'il doit suivre. M. A. A. de C. conseiller privé du roi, a traduit ce code en françois le plus littéralement qu'il étoit possible.

Suivant cette traduction, l'ouvrage est intitulé code Frederic ou corps de droit pour les états de sa majesté le roi de Prusse. La suite du titre annonce que ce code est fondé sur la raison & sur les constitutions du pays ; qu'on y a disposé le droit romain dans un ordre naturel, retranché les lois étrangeres, aboli les subtilités du droit romain, & pleinement éclairci les doutes & les difficultés que le même droit & ses commentateurs avoient introduits dans la procédure ; enfin que ce code établit un droit certain & universel. On verra cependant qu'il y a encore plusieurs lois différentes admises dans certains cas. Ce code ne comprend que les lois civiles qui ont rapport au droit des particuliers ; ce qui concerne la police, les affaires militaires, & autres, n'entre point dans ce plan.

L'ouvrage est divisé en trois parties, suivant les trois objets différens du droit, distingués par Justinien dans ses institutions ; savoir l'état des personnes, le droit des choses, & les obligations des personnes d'où naissent les actions.

Chaque partie est divisée en plusieurs livres, chaque livre en plusieurs titres, chaque titre en paragraphes ; & lorsque la matiere d'un titre est susceptible de plusieurs subdivisions, le titre est divisé en plusieurs articles, & les articles en paragraphes.

Le premier titre de chaque livre est destiné uniquement à annoncer l'objet de ce livre & la division des titres. On a conservé dans les rubriques & en plusieurs endroits de l'ouvrage, les noms latins des actions & autres termes consacrés en droit, auxquels les officiers de justice sont accoûtumés, & qui ne pouvoient être rendus avec précision dans la langue allemande.

On remarque aussi en beaucoup d'endroits de ce code, qu'il ne contient pas simplement des dispositions nouvelles, mais qu'il rappelle d'abord ce qui se pratiquoit anciennement, & les motifs pour lesquels la loi a été changée ; & que le législateur pour rendre sa disposition plus intelligible, employe quelquefois des comparaisons & des exemples.

Le titre second du premier livre ordonne que le code Frederic sera à l'avenir la principale loi des états du roi de Prusse.

Pour cet effet, il est défendu aux avocats de citer à l'avenir l'autorité du droit romain ou de quelque docteur que ce soit, & aux juges d'y avoir égard, abrogeant tous autres droits, constitutions, & édits différens ou contraires au code Frederic.

L'éditeur de la traduction de ce code dit néanmoins dans sa préface, que l'intention du roi de Prusse n'a pas été d'empêcher que l'on ne donnât à l'avenir dans les universités des leçons sur le droit romain ; parce que connoissant son autorité par rapport aux affaires qu'il peut avoir à démêler dans l'Empire avec ses voisins, & qu'il doit poursuivre dans les tribunaux de l'Empire, il est convenable que la science de ce droit soit cultivée, & aussi pour les étrangers qui viennent l'apprendre dans les universités.

Le roi de Prusse déclare qu'aucune coûtume contraire ne pourra prévaloir sur son code, quand même elle seroit approuvée par des arrêts qui auroient acquis force de chose jugée.

Il défend aux juges d'interpréter la loi sous prétexte d'en prendre l'esprit ou de motifs d'équité ; mais il veut qu'ils puissent l'appliquer & l'étendre à tous les cas semblables qui n'auroient pas été prévûs.

Quand quelque point de droit paroîtra douteux aux juges & avoir besoin d'éclaircissement, il leur est ordonné de s'adresser au département des affaires de la justice, pour donner les éclaircissemens, & les supplémens nécessaires ; & il est dit que ces décisions seront imprimées tous les ans : mais les parties ne pourront s'adresser directement au prince pour demander l'interprétation d'une loi ; la requête sera renvoyée au juge, avec un rescrit pour l'administration de la justice.

Il est défendu aux tribunaux de faire aucune attention aux rescrits qui seront manifestement contraires à la teneur de ce corps de droit, lesquels n'auront pas force de loi ; car le roi déclare qu'en les donnant, son intention sera toûjours de les rendre conformes à son code.

Quant aux ordres émanés du cabinet du roi, si les tribunaux les croyent contraires au code, ils feront leurs représentations & demanderont de nouveaux ordres, lesquels seront exécutés.

Il est aussi défendu de faire des commentaires ou dissertations sur tout le corps de droit, ou sur quelqu'une de ses parties.

Le code Frederic ne pourra servir pour la décision des cas arrivés avant sa publication, si ce n'est qu'il puisse éclaircir quelque loi douteuse.

Comme les sujets du roi de Prusse qui font profession de la religion catholique, doivent en vertu de la paix de Westphalie être jugés selon leurs principes en matiere de foi, le roi conserve au droit canon force de loi, en tant qu'il est nécessaire pour cet effet ; mais il l'abroge dans toutes les affaires civiles & n'en excepte que ce qui concerne les offices & dignités dans les chapitres ; comme aussi les droits qui en dépendent, & ce qui regarde les dixmes : le tout sera décidé suivant le droit canon, même entre les sujets du roi qui sont protestans.

Les causes féodales seront jugées selon le droit féodal jusqu'à ce que le roi ait fait composer & publier un droit féodal particulier.

Les constitutions particulieres qui seront données pour décider les cas non prévûs dans le code, auront force de loi deux mois après leur publication.

A l'égard des statuts ou priviléges particuliers des provinces, villes, communautés, ou de quelques particuliers, ceux qui voudront les conserver, les rapporteront dans l'espace d'une année, le roi se réservant de les approuver suivant l'exigence des cas, & de faire imprimer & joindre à son code un appendice qui contiendra les droits particuliers de chaque province.

Il invite néanmoins les provinces à concourir de leur part à rendre le droit uniforme, & à se soûmettre sur-tout à l'ordre de succession établi dans son code, & à renoncer pour l'avenir à la communauté de biens, qu'il regarde comme une source de procès.

Outre les lois dont il vient d'être fait mention, il est dit qu'une coûtume raisonnable & bien établie par un usage constant, aura force de loi, pourvû qu'elle ne soit pas contraire à la constitution de l'état ou au code Frederic.

Enfin le roi déclare que dans les procès où il sera intéressé, s'il y a du doute, il aime mieux souffrir quelque perte que de fatiguer ses sujets par des procès onéreux.

Les autres titres de ce même livre traitent de l'état des personnes, qui sont d'abord distinguées en mâles, femelles, & hermaphrodites ; les personnes de cette derniere espece dans lesquelles aucun des deux sexes ne prévaut, peuvent choisir celui que bon leur semble : mais leur choix étant fait, elles ne peuvent varier. Ainsi un hermaphrodite qui a épousé un homme, ne peut plus épouser une femme.

On voit dans le titre cinq, qu'il n'y a point d'esclaves, proprement dits, dans les états du roi de Prusse, mais seulement dans quelques provinces, des serfs attachés à certaines terres, à-peu-près comme nous en avons en France.

Le titre six concerne l'état de citoyen ; mais l'éditeur avertit à la fin de sa préface, que cette matiere n'a pû pour cette fois être traitée avec l'étendue requise, parce qu'on travaille actuellement à un réglement qui doit déterminer jusqu'où les affaires des villes appartiendront à la connoissance du département de la justice ; & il annonce que cet état sera réglé plus amplement, lorsqu'on fera la révision de ce nouveau code.

Entre les devoirs réciproques du mari & de la femme, il est dit que si la femme est en la puissance de son mari, que si elle s'oublie, il peut la ramener à son devoir d'une maniere raisonnable ; qu'elle ne doit point abandonner son mari ; que le mari ne peut pas non plus se séparer d'elle sans des raisons importantes ; & qu'il ne peut sans commettre adultere, avoir commerce avec une autre.

Les bâtards simples peuvent être légitimés par mariage subséquent, ou par lettres du prince seulement ; le droit d'accorder de telles lettres est ôté aux comtes appellés palatins.

Les adoptions sont admises par ce nouveau code, à-peu-près comme elles avoient lieu chez les Romains.

On y regle aussi les effets de la puissance paternelle. Il est permis au pere de châtier ses enfans modérément, même de les enfermer dans sa maison ; mais non pas de les battre jusqu'à les faire tomber malades, ni de les faire enfermer dans une maison de correction, sans que la justice en ait pris connoissance.

Par rapport aux mariages, ils doivent être précédés de trois annonces ou bancs pendant trois dimanches consécutifs. Le roi seul pourra dispenser des trois annonces, ou même de deux : mais les consistoires pourront dispenser d'une ; & le roi confirme l'usage observé à l'égard des annonces des nobles, de les faire publier sans qu'ils y soient nommés. On ne conçoit pas quelle publicité cela peut donner à leurs mariages.

Entre les causes pour lesquelles un mariage légitime peut être dissous, il est permis aux conjoints de le faire d'un mutuel consentement, après néanmoins qu'on aura essayé pendant un an de les réunir.

Un des conjoints peut demander la dissolution du mariage, pour cause d'adultere commis par l'autre conjoint.

Il suffit même au mari que sa femme ait un commerce suspect avec des hommes, comme si elle leur écrit des billets doux, &c. Ces galanteries ne sont pas punies par-tout si séverement.

Le mariage est encore dissous, lorsqu'un des époux abandonne l'autre malicieusement, ou lorsque l'un des deux conçoit contre l'autre une inimitié irréconciliable, ou contracte le mal vénérien, &c. ou lorsqu'il devient furieux ou imbécille, & demeure en cet état.

L'article 3. du titre iij. livre II. distingue deux sortes de concubinage : le premier, qu'on appelle mariage à la morganatique ou de la main gauche, lequel n'est pas permis selon les lois ; le prince se reserve néanmoins la faculté de le permettre aux gens de qualité ou de condition éminente, lorsqu'ils ne veulent pas s'engager dans un second mariage, & que néanmoins ils n'ont pas le don de continence : l'autre sorte de concubinage, qui n'est point accompagné de la bénédiction nuptiale, est absolument défendu comme par le passé.

Les titres suivans reglent ce qui concerne la dot, les paraphernaux, les biens de la femme appellés res receptitiae, la donation à cause de nôces, le doüaire, dotalitium, accordé aux veuves parmi la noblesse, le présent appellé morgengabe, que le mari fait à sa femme le lendemain des nôces, la succession reciproque du mari & de la femme lorsque cela est stipulé dans le contrat, & la portion appellée statutaire, que le survivant gagne en quelques provinces, & qui est de la moitié des biens du prédécédé.

Le surplus de cette premiere partie est employé à régler les tuteles.

La seconde partie est divisée en huit livres, qui forment deux volumes : cette partie traite du droit réel que les personnes ont sur les choses, de la distinction des biens, des différentes manieres de les acquérir & de les perdre ; ce qui embrasse les prescriptions : les servitudes, les gages & hypotheques, les successions, les testamens & codicilles, tout y est assez conforme au droit romain, excepté que l'on en a retranché beaucoup de choses qui ne conviennent plus au tems ni au lieu. Et pour les testamens, il est ordonné qu'à l'avenir ils ne pourront être faits qu'en justice en présence de trois officiers de la jurisdiction : l'usage des testamens devant notaires & témoins est aboli.

La troisieme partie, dont la traduction ne paroît pas encore en France, est celle qui traite des obligations de la personne & de la procédure.

C'est dans cette derniere partie que le roi s'attache principalement à reformer l'ordre judiciaire.

Il distingue trois degrés de jurisdiction ; savoir, les justices inférieures, les justices supérieures où ressortit l'appel des premieres, & les tribunaux où ressortit l'appel des justices supérieures.

Il regle de quels officiers chaque siége doit être composé, & le devoir de chaque officier en particulier.

Les rapports doivent être expédiés en huit ou quinze jours, à moins qu'il n'y ait une nécessité indispensable de prolonger ce délai.

Tout procès doit être terminé en trois instances ou degrés de jurisdiction dans l'espace d'une année.

Les avocats qui n'ont ni les sentimens d'honneur ni les talens que demande leur profession, doivent être cassés ; le nombre en doit être fixé à l'avenir dans chaque tribunal ; les candidats seront examinés à fond sur le droit & les ordonnances ; l'honoraire des avocats sera fixé par le jugement selon leur travail, & ils ne pourront rien prendre des parties que le procès ne soit terminé ; leur ministere ne sera employé que dans les grandes villes & dans des tribunaux considérables, & à l'avenir ils sont seuls chargés de faire les procédures qui sont fort simplifiées, & le ministere des procureurs est supprimé.

Tel est en substance le système de ce nouveau code, par lequel on peut juger de la forme du gouvernement & des moeurs du pays par rapport à l'administration de la justice ; il seroit à souhaiter que l'on fît la même chose dans les autres états où les lois ne sont point réduites en un corps de droit.

CODE DES GABELLES, est un titre que l'on met quelquefois à l'ordonnance de Louis XIV. du mois de Mai 1680, sur le fait des aides & gabelles. Voy. ce qui est dit ci-dessus au mot CODE DES AIDES, & ci-après GABELLES, ORDONNANCE DES GABELLES.

CODE GILLET ou code des procureurs, est un recueil d'édits & déclarations, arrêts & réglemens concernant les fonctions des procureurs, tiers réferendaires du parlement de Paris : le véritable titre de ce recueil est arrêts & réglemens concernant les fonctions des procureurs, &c. ce n'est que dans l'usage vulgaire qu'on lui a donné les surnoms de code Gillet ou code des procureurs ; & quoique le titre n'annonce d'abord que des arrêts & réglemens, il contient cependant aussi plusieurs édits & déclarations, & plusieurs délibérations de la communauté des avocats & procureurs ; le tout est accompagné de différentes instructions conformes à l'ordre judiciaire. Ce recueil a été surnommé le code Gillet, du nom de Me Pierre Gillet, l'un des procureurs de communauté, qui en fut l'auteur & le donna au public en 1714 : on en a fait une nouvelle édition en 1717, qui a été augmentée. Ce recueil est divisé en trois parties : la premiere contient les édits & déclarations concernant la création des procureurs au parlement ; la seconde partie traite du devoir & des qualités nécessaires au procureur pour bien exercer sa profession, dont l'auteur du code Gillet donnoit l'exemple aussi-bien que les préceptes ; il y traite aussi très-sommairement de la communauté des avocats & procureurs par rapport à l'obligation & à l'utilité qu'il y a pour les procureurs de s'y trouver : mais il n'a point expliqué assez amplement ce que l'on entend par cette communauté des avocats & procureurs ; on pourra le voir ci-après au mot COMMUNAUTE : la 3e partie est divisée en plusieurs titres ; savoir de la décharge des pieces, procès & instances, & du tems pendant lequel on peut les demander, du desaveu, de la consignation que les procureurs doivent faire des amendes, de la postulation, des fraix & salaires des procureurs, de la fonction & instruction des tiers-taxateurs de dépens. Ce recueil, quoique fait principalement pour l'usage des procureurs, peut aussi servir à tous ceux qui concourent à l'administration de la justice : mais il y auroit beaucoup de nouveaux réglemens à y ajoûter, qui sont survenus depuis le décès de l'auteur.

CODE DES GRECS, voyez CODE CANONIQUE.

CODE GREGORIEN, codex Gregorianus, est une compilation des constitutions des empereurs romains, depuis & compris l'empire d'Adrien jusque & compris celui de Diocletien & de Maximien. Ce code est surnommé Grégorien du nom de celui qui a fait cette compilation. On tient communément qu'elle a précédé une autre collection des mêmes constitutions, connue sous le titre de code hermogenien, dont nous parlerons ci-après ; cependant Pancirole en son traité de clar. leg. interpret. cap. lxv. & lxvj. croit au contraire que le code Grégorien a été redigé depuis le code hermogenien. Il prétend que le code Grégorien fut compilé par Gregorius, préfet de l'Espagne & proconsul d'Afrique sous les empereurs Valens & Gratien qui ont regné depuis Constantin le grand : la loi 15 au code Theodosien, de pistoribus, fait mention de ce Gregorius. Jacques Godefroi en ses prolegomenes du code Theodosien, attribue la compilation du code Grégorien à un autre Gregorius qui fut préfet du prétoire sous l'empire de Constantin. Il est parlé de ce Gregorius dans plusieurs lois du code Theodosien, & il est encore douteux lequel de ces deux Gregorius a compilé le code Grégorien. Quelques auteurs, & notamment celui de la conférence des lois mosaïques & romaines qui vivoit peu de tems après, le nomme toûjours Gregorianus, ce qui fait croire que c'étoit son véritable nom ; & non pas Gregorius. Quant au tems où il a vécu, il paroît que c'est sous Constantin, sa compilation finissant aux constitutions de Diocletien & de Maximien, qui ont regné avant Constantin, lequel possédoit déjà une partie de l'empire avant Maximien. Grégorien ayant fait de son chef cette compilation, il ne paroît pas qu'elle ait eu par elle-même aucune autorité sous Constantin ni sous ses successeurs, non plus que le code hermogenien ; Justinien cite, à la vérité, ces deux codes au commencement, & les fait aller de pair avec le code Théodosien, en parlant du grand nombre de constitutions que ces trois codes contenoient : mais tout ce que l'on peut induire de-là par rapport aux codes gregorien & hermogenien, est que l'on consultoit ces collections comme une instruction & comme un recueil contenant des constitutions qui avoient force de loi. M. Terrasson en son hist. de la jurisprud. romaine, pense que probablement on ne voulut pas revêtir ces deux codes de l'autorité publique à cause que leurs auteurs étoient payens, comme il paroît en ce qu'ils ont affecté de ne rapporter que les constitutions des empereurs payens. On croit cependant que Justinien n'a pas laissé de se servir de ces deux codes pour former le sien : on fonde cette conjecture sur ce qu'il se trouve dans son code des constitutions qui n'étoient point dans celui de l'empereur Theodose, parce qu'elles sont plus anciennes, & qu'elles ont probablement été tirées des deux codes gregorien & hermogenien.

Après que Justinien eut tiré de ces deux codes ce qu'il crut nécessaire, on les négligea tellement qu'ils ont été perdus, à l'exception de quelques fragmens qu'Anien, jurisconsulte d'Alaric, nous en a conservés depuis ; Jacques Sichard les a compris dans son édition du code Theodosien, imprimée à Bâle en 1528 ; Gregorius Tholosanus & Cujas les ont ensuite donnés avec des corrections ; enfin Antoine Schulting en a donné une édition plus complete avec des notes, dans son ouvrage intitulé jurisprudentia vetus antejustinianea, imprimé à Leide en l'année 1717. Voyez la jurisprudence romaine de M. Terrasson, pag. 283, & ci-après CODE HERMOGENIEN & CODE JUSTINIEN.

CODE HENRI ou code d'Henri III. est une compilation faite par ordre d'Henri III, des ordonnances des rois ses prédécesseurs & des siennes. Ce prince crut qu'il étoit à-propos, pour le bien de son royaume, de faire à l'imitation de Justinien un abregé de toutes les ordonnances. Il annonça ce dessein dans l'ordonnance de Blois faite en 1579, & registrée en 1580, dont l'article 207 porte qu'il avoit avisé de commettre certains personnages pour recueillir & arrêter les ordonnances, & réduire par ordre, en un volume, celles qui se trouveroient utiles & nécessaires, & aussi pour rédiger les coûtumes de chaque province.

Il chargea de la compilation des ordonnances Barnabé Brisson, lequel avoit d'abord paru avec éclat au barreau du parlement de Paris. Henri III. charmé de son érudition & de son éloquence, le fit son avocat général, puis conseiller d'état, & enfin président à mortier en 1580. Il s'en servit en différentes négociations, & l'envoya ambassadeur en Angleterre. Ce fut au retour de cette ambassade qu'il fut chargé de travailler au code Henri, ce qu'il exécuta avec beaucoup de soin & de diligence. Il mit au jour cet ouvrage sous le titre de code Henri & de basiliques, & comptoit le faire autoriser & publier en 1585 ; en effet, comme il avoit observé de marquer en marge de chaque disposition d'ordonnance le nom du prince dont elle étoit émanée, & la date de l'année & du mois, lorsqu'il a ajoûté de nouvelles dispositions, il les a toutes marquées sous le nom d'Henri III. 1585, sans date de mois ; c'est à quoi l'on doit faire attention, pour ne pas confondre les véritables ordonnances qu'il a rapportées, avec les articles qui ne sont que de simples projets de lois. Loyseau & Carondas ont dit de lui qu'il tribonianisoit, parce qu'à l'exemple de Tribonien il avoit ajoûté dans sa compilation de nouvelles dispositions pour suppléer à ce qui n'étoit pas prévû dans les anciennes ordonnances.

M. de Lauriere en sa préface du recueil des ordonnances de la troisieme race, dit que M. Brisson fit imprimer son ouvrage en 1587, sous le titre de basiliques & de code Henri.

Dès que cet ouvrage parut, Henri III. en fit envoyer des exemplaires à tous les parlemens pour l'examiner, l'augmenter ou le diminuer comme il leur paroîtroit convenable, son intention étant de lui donner force de loi, après qu'il auroit été revû & corrigé sur les observations des parlemens ; mais l'exécution de ce projet fut arrêtée par les guerres civiles qui desolerent l'état, par la mort funeste d'Henri III. arrivée le 2 Août 1589, & par la fin tragique du président, indigne d'un homme de si grande considération & de son mérite. Ce magistrat ayant été choisi par la ligue pour occuper la place du premier président de Harlay, qui étoit alors prisonnier à la bastille, fut arrêté le 15 Novembre 1591 par la faction des seize, & conduit au petit châtelet, où il fut pendu à une poutre de la chambre du conseil, nonobstant toutes les prieres qu'il fit que l'on l'enfermât entre quatre murailles, afin qu'il pût achever l'ouvrage qu'il avoit commencé, dont le public devoit recevoir de grands avantages. Cette circonstance est rapportée par Simon en sa bibliotheque, hist. des auteurs de droit.

Quelque tems après la mort de l'auteur, M. le chancelier de Chiverny (décédé en 1599) engagea Carondas à revoir le code Henri & à le perfectionner, & Carondas en donna deux éditions : la premiere en 1601, qu'il dédia au roi Henri IV ; & dans l'épître dédicatoire il parle du code Henri comme d'un ouvrage que le président Brisson se proposoit de mettre au jour. Il dit que M. le chancelier de Chiverny lui avoit commandé, pour le roi, de revoir ce code, & d'y employer le fruit de ses études ; qu'il y avoit ajoûté plusieurs ordonnances mémorables des anciens, & les édits & constitutions d'Henri IV ; il y joignit aussi, par forme de notes, une conférence des ordonnances, des anciens codes de Théodose & de Justinien, & des basiliques des lois des Visigoths, des conciles, des arrêts, & de plusieurs antiquités & faits historiques.

La seconde édition fut donnée par Carondas en 1605, & augmentée de plusieurs édits & ordonnances, & notes qui manquoient dans la précédente.

Nicolas Frerot, avocat au parlement, en donna en 1615 une édition sur les manuscrits même du président Brisson, & y joignit aussi de nouvelles notes.

Louis Vrevin donna en 1617 un volume in -8°. intitulé observations sur le code Henri.

En 1622 parut une quatrieme édition de ce code, augmenté par Jean Tournet & par Michel de la Rochemaillet.

Ce code est divisé en 20 livres, & chaque livre en plusieurs titres qui embrassent toutes les matieres du droit.

Le premier livre traite de l'état ecclésiastique & des matieres bénéficiales : le second traite des parlemens, de leurs officiers, & des procédures qui s'y observent : le troisieme, des juges ordinaires & autres ministres de justice : le quatrieme, des présidiaux : le cinquieme, de la procédure civile : le sixieme, de diverses matieres décidées par les ordonnances, tels que les dots, mariages, donations, testamens, substitutions, successions, de la noblesse, des rentes constituées, des servitudes, retrait lignager, de l'obligation de déclarer dans les contrats de quel seigneur relevent les héritages, de l'exécution des obligations & cédules, des transports, des mineurs, tuteurs, curateurs, des rescisions, répits, péremptions ; que tous actes de justice seront en langue vulgaire, & que l'année sera comptée du premier Janvier : le septieme livre traite des procès criminels : le huitieme, des crimes & de leur punition : le neuvieme traite de l'exécution des jugemens, & des moyens de se pourvoir contre : le dixieme, de la police : le onzieme, des universités & de leurs suppôts : le douzieme, de la chambre des comptes : le treizieme, de la cour des aides & des officiers qui lui sont soûmis : le quatorzieme, des traites, impositions foraines & douannes : le quinzieme, des monnoies & de leurs officiers : le seizieme, des eaux & forêts, & de leurs officiers : le dix-septieme, du domaine & droits de la couronne : le dix-huitieme, du roi & de sa cour : le dix-neuvieme, des chancelleries de France : le vingtieme, des états, offices, & autres charges militaires, & de la police des gens de guerre.

Ce code considéré comme loi nouvelle est fort bon ; mais étant demeuré dans les termes d'un simple projet, il n'a aucune autorité que celle des ordonnances qui y sont rapportées, & on ne le cite guere que quand on y trouve quelque ordonnance qui n'est pas rapportée ailleurs. Voyez ce qui en est dit par Pasquier dans ses lettres, liv. IX. lett. premiere, adressée au président Brisson ; Loiseau, tr. des offices, liv. I. ch. viij. n. 52. Bornier en sa préface ; journal des audiences, arrêt du 2 Juillet 1708.

CODE DU ROI HENRI IV. est une compilation du droit romain & du droit françois, ou plûtôt du droit coûtumier de la province de Normandie, qui étoit familier à l'auteur de cet ouvrage : en fut Thomas Cormier, conseiller à l'échiquier de Rouen & au conseil d'Alençon, qui donna au public cette compilation en 1615. Elle fut d'abord imprimée en un volume in-fol. françois & latin. En 1615 on le réimprima seulement en françois en un volume in -4°. On croiroit, au titre de cet ouvrage, qu'il renferme une collection ou compilation des ordonnances d'Henri IV. Cependant on n'y trouve aucun texte d'ordonnance, c'est seulement un mélange du droit romain avec des dispositions d'ordonnances. Voyez la préface de Bornier. Simon qui en fait mention en sa bibliotheque des auteurs de droit, rapporte sur celui-ci une singularité, savoir qu'il s'étoit si fort appliqué à l'étude, que sa femme avoit obtenu contre lui une sentence de dissolution dans les formes, & s'étoit mariée d'un autre côté ; que néanmoins Cormier ayant achevé son ouvrage, le repos d'esprit lui fit recouvrer la santé qu'il avoit perdue, qu'il se maria avec une autre femme dont il eut des enfans, ce qui donna lieu à un grand procès dont parle Berault. On peut citer à ce sujet l'exemple de Tiraqueau, qui donnoit, dit-on, chaque année au public un enfant & un volume ; ce qui fait voir que les productions de l'esprit n'empêchent pas celles de la nature.

CODE HERMOGENIEN, est une collection ou compilation des constitutions faites par les empereurs Dioclétien & Maximien, & par leurs successeurs, jusqu'à l'an 306, ou au plus tard à l'an 312. Il a été ainsi nommé d'un Hermogenianus qui fit cette compilation ; mais on ne sait pas bien précisément quel en est le véritable auteur, y ayant deux Hermogénien à chacun desquels cet ouvrage est attribué par quelques auteurs. Pancirole croit qu'il est d'un Eugenius Hermogenianus qui (suivant les annales de Baronius) fut préfet du prétoire sous l'empire de Dioclétien, & qui fut employé par cet empereur à persécuter les Chrétiens ; d'autres, tels que M. Ménage en ses aménités du droit, chap. xj. pensent que ce code est d'un autre Hermogénien, jurisconsulte, qui vivoit sous l'empire de Constantin & sous les enfans de ce prince.

Jacques Godefroy, dans ses prolégomenes du code Théodosien, chap. j. semble croire que le code Hermogénien comprenoit les constitutions des mêmes empereurs que le code Grégorien : il ne prétend pas néanmoins que ce fussent précisément toutes les mêmes constitutions, ni qu'elles fussent rapportées dans les mêmes termes ; il observe au contraire que plusieurs de ces constitutions qui sont rapportées dans l'un & l'autre code, different entr'elles en plusieurs choses. Et en effet l'auteur de la conférence des lois mosaïques & romaines, après avoir rapporté un passage d'Hermogénien contenant une constitution des empereurs Dioclétien & Maximien, remarque que Grégorien a aussi rapporté cette constitution, mais sous une date différente.

M. Terrasson, en son histoire de la jurisprudence romaine, p. 284. regarde comme douteux qu'Hermogénien eût compris dans sa compilation des constitutions des empereurs qui ont regné depuis Adrien ; il se fonde sur ce que dans les fragmens qui nous restent du code Hermogénien, on ne trouve que des constitutions de Dioclétien & Maximien. Les trois premieres à la vérité sont attribuées à un empereur nommé Aurelius ; mais il n'y en a aucun qui ait porté simplement ce nom ; & M. Terrasson rapporte la preuve qu'Aurelius étoit un prénom qui fut donné aux empereurs Dioclétien & Maximien. Il n'étoit pas naturel d'ailleurs qu'Hermogénien eût compilé précisément les mêmes ordonnances que Grégorien ; il est plûtôt à présumer que le code Hermogénien ne fut autre chose qu'une suite & un supplément du précédent, & que si l'auteur y comprit quelques constitutions du nombre de celles que Grégorien avoit déjà rapportées, ce fut apparemment pour les donner d'une maniere plus correcte, soit pour le texte, soit pour la date, & pour le rang qu'elles doivent tenir dans le recueil.

Nous ne dirons rien ici de ce qui concerne l'autenticité qu'a pû avoir le code Hermogénien, ni de la perte de ce code & des fragmens que l'on en a conservés, tout cela se trouvant lié avec ce qui a été ci-devant dit du code Grégorien.

CODE JUSTINIEN, est une compilation faite par ordre de l'empereur Justinien, tant de ses propres constitutions que de celles de ses prédécesseurs. Ces constitutions furent rédigées en latin, excepté quelques-unes qui furent écrites en grec, & dont une partie fut perdue, parce que sous l'empire de Justinien la langue greque étoit peu d'usage. Cujas en a rétabli quelques-unes dans ses observations.

Il avoit déjà été fait avant Justinien trois différentes collections ou compilations des constitutions des empereurs, depuis Adrien jusqu'à Théodosien le jeune, sous les noms de code Grégorien, Hermogénien, Théodosien. Les successeurs de Théodose le jeune jusqu'à Justinien, avoient encore fait un grand nombre de constitutions & de novelles ; Justinien lui-même dès son avenement à l'empire avoit publié plusieurs constitutions ; toutes ces différentes lois se trouvoient la plûpart en contradiction les unes avec les autres, sur-tout celles qui concernoient la religion, parce que les empereurs chrétiens & les empereurs payens se conduisoient par des principes tout différens.

L'incertitude & la confusion où étoit la jurisprudence, engagea Justinien dans la seconde année de son empire à faire rédiger un nouveau code, qui seroit tiré tant des trois codes précédens, que des novelles & autres constitutions de Théodose & de ses successeurs. Il chargea de l'exécution de ce projet Tribonien, jurisconsulte célebre, que de la profession d'avocat qu'il exerçoit à Constantinople, il avoit élevé aux premieres dignités de l'empire : il avoit été maître des offices, questeur & même consul ; mais il n'étoit plus en place, lorsqu'il fut chargé principalement de la conduite des compilations du droit faites sous les ordres de Justinien. Cet empereur, pour la rédaction du code, lui associa neuf autres jurisconsultes : savoir, Jean, Leontius, Phocas, Basilides, Thomas, Constantin le trésorier, Théophile, Dioscore, & Praesentinus. La mission qui leur fut donnée à cet effet, est dans une constitution adressée au sénat de Constantinople, datée des ides de Février 528, & qui est au titre de novo codice faciendo.

Tribonien & ses collegues travaillerent avec tant d'ardeur à la rédaction de ce code, qu'il fut achevé dans une année, & publié aux ides d'Avril 529.

Quelques auteurs se sont récriés sur le peu de tems que ces jurisconsultes mirent à la rédaction du code. Mais il faut aussi considérer qu'ils étoient au nombre de dix, tous gens versés dans ces matieres, & qu'il y avoit peut-être des raisons secrettes pour publier promtement ce code, sauf à en faire une revision, comme cela arriva quelques années après.

Cette premiere rédaction du code, appellée depuis codex primae praelectionis, étoit dans le même ordre que nous le voyons aujourd'hui ; on y fit seulement dans la seconde rédaction quelques additions & conciliations. Quelques auteurs ont crû que la division du code en douze livres n'avoit été faite que lors de la seconde rédaction ; mais le contraire est attesté par Justinien même, l. II. paragr. 1. tit. j. de veteri jure enucleando.

Les matieres furent aussi dès-lors rangées sous les titres qui leur étoient propres, comme il paroît par le parag. 2. de novo codice faciendo.

La rédaction du code fut revêtue du caractere de loi par une constitution qui a pour titre, de Justinianeo codice confirmando, que l'empereur adressa à Menna, qui étoit alors préfet du prétoire, & avoit été préfet de la ville de Constantinople, par laquelle il abroge toutes autres lois qui ne seroient pas comprises dans son code.

Justinien, en faisant lui-même l'éloge de son code, a sur-tout remarqué qu'il ne s'y trouvoit aucune des contrariétés qui étoient dans les codes précédens.

Quelques auteurs modernes n'en ont pas porté le même jugement ; Jacques Godefroy entr'autres dans ses prolégomenes sur le code Théodosien, reproche à Tribonien d'avoir tronqué plusieurs constitutions, d'en avoir omis plusieurs, & d'autres choses essentielles pour en faciliter l'intelligence ; d'avoir coupé quelques lois en deux, ou d'avoir joint deux lois différentes ; d'en avoir attribué quelques-unes à des empereurs qui n'en étoient pas les auteurs.

M. Terrasson, en son histoire de la jurisprudence romaine, justifie Tribonien de ces reproches, en ce que Justinien avoit lui-même ordonné d'ôter les préfaces des constitutions ; que si Tribonien a quelquefois tronqué, séparé ou réuni des lois, il ne fit en cela que suivre les ordres de Justinien ; que s'il a placé certaines constitutions sous une autre date qu'elles n'étoient dans le code Théodosien, il est à présumer qu'il y avoit eu de la méprise à cet égard dans ce code.

Mais M. Terrasson, en justifiant ainsi Justinien de ces reproches, lui en fait d'autres qui paroissent en effet mieux fondés ; il lui reproche d'avoir suivi un mauvais ordre dans la distribution de ses matieres : par exemple, d'avoir parlé des actions, avant d'avoir expliqué ce qui peut y donner lieu ; d'avoir détaillé les formalités de la procédure, avant d'avoir traité des actions qui donnoient matiere à l'instruction judiciaire ; d'avoir parlé des testamens, avant d'avoir détaillé ce qui concernoit la puissance paternelle : en un mot d'avoir transporté des matieres qui devoient précéder celles à la suite desquelles on les a mises, ou qui devoient suivre celles qu'on leur a fait précéder. Cependant M. Terrasson semble convenir que ce défaut doit moins être imputé à Tribonien, qu'au siecle dans lequel il vivoit, où les meilleurs ouvrages n'étoient point arrangés aussi méthodiquement qu'on le fait aujourd'hui.

L'éditeur du code Fréderic fait aussi sentir dans sa préface, en parlant du code Justinien, que cet ouvrage est fort imparfait, n'étant qu'une collection de constitutions qui ne décident que des cas particuliers, & ne forment point un système de droit, ni une suite de principes par matieres.

Cependant malgré les défauts qui peuvent se trouver dans ce code, il faut convenir, quoi qu'en disent quelques auteurs, que le code Théodosien ne nous auroit point dédommagé de celui de Justinien, & que ce dernier code est toûjours très-utile, puisque sans lui on auroit peut-être perdu la plûpart des constitutions faites depuis Théodose le jeune, & qu'il a même servi à rétablir une partie du code Théodosien.

Le premier livre qui contient 59 titres, traite d'abord de tout ce qui concerne la religion, les églises, & les ecclésiastiques ; il traite ensuite des différentes sortes de lois, de l'ignorance du fait & du droit, des devoirs des magistrats, & de leur jurisdiction.

Dans le second livre qui a aussi 59 titres, on explique la procédure : il parle des avocats, des procureurs, & autres, qui sont chargés de poursuivre les intérêts d'autrui ; des restitutions en entier, du retranchement des formules, & du serment de calomnie.

Le troisieme livre contenant 44 titres, traite des fonctions des juges, de la contestation en cause, de ceux qui pouvoient ester en jugement, des délais, féries, & sanctification des dimanches & fêtes ; de la compétence des juges, & de ce qui a rapport à l'ordre judiciaire : il traite aussi du testament inofficieux, des donations & dots inofficieuses, de la demande d'hérédité, des servitudes de la loi aquilia, des limites des héritages, de ceux qui ont des intérêts communs, des actions novales, de l'action ad exhibendum, des jeux, lieux consacrés aux sépultures, & dépenses des funérailles.

Le quatrieme divisé en 66 titres, explique d'abord les actions personnelles qui naissent du prêt & de quelqu'autres causes ; ensuite les obligations & actions qui en résultent ; les preuves testimoniales & par écrit ; le prêt à usage, le gage ; les actions relatives au commerce de terre & de mer ; les sénatusconsultes macédonien & velleien ; la compensation, les intérêts, le dépôt, le mandat, la société, l'achat & la vente ; les monopoles, conventions illicites ; le commerce & les marchands ; le change, le loüage, l'emphitéose.

Le cinquieme qui a 75 titres, concerne d'abord les droits des gens mariés, le divorce, les alimens dûs aux enfans par leurs peres, & vice versâ ; les concubines, les enfans naturels, les manieres de les légitimer ; enfin tout ce qui concerne les tuteles & l'aliénation des biens des mineurs.

Le sixieme livre comprend en 62 titres ce qui concerne les esclaves, les affranchis, le vol, le droit de patronage, la succession prétorienne, les testamens civils & militaires, institutions d'héritiers, substitutions, prétéritions, exhérédations, droit de délibérer, répudiation d'hérédité, ouverture & suggestion des testamens : les legs fidéi-commis, le sénatusconsulte Trébellien, la falcidie, les héritiers siens & légitimes, les sénatusconsultes Tertullien & Orfitien, les biens maternels, & en général tout ce qui concerne les successions ab intestat.

Le septieme livre composé de 75 titres, traite des affranchissemens, des prescriptions, soit pour la liberté soit pour la dot, les héritages, les créances : il traite aussi des diverses sortes de sentences, de l'incompétence, du mal-jugé, des dépens, de l'exécution des jugemens ; des appellations, cessions de biens, saisie & vente des biens du débiteur ; du privilége du fisc & de celui de la dot ; de la révocation des biens aliénés en fraude des créanciers.

Le huitieme livre contenant 59 titres, traite des jugemens possessoires ou interdits ; des gages & hypotheques, stipulations, novations, délégations, payemens, acceptilations, évictions ; de la puissance paternelle ; des adoptions, émancipations ; du droit de retour appellé post liminium ; de l'exposition des enfans ; des coûtumes, des donations, de leur révocation, & de l'abrogation des peines du célibat.

Le neuvieme livre divisé en 51 titres, explique la forme des procès & jugemens criminels, & la punition des crimes, tant publics que privés.

Le dixieme contenant 71 titres, traite des droits du fisc, des biens vacans, de leur réunion au domaine, des dénonciateurs pour le fisc ; des trésors, tributs, tailles & surtaux ; de ceux qui exigent au-delà de ce qui est ordonné par le prince ; des discussions ; de ceux qui étant nés dans une ville vont demeurer dans une autre ; du domicile perpétuel ou passager ; de l'acquittement des charges des biens patrimoniaux ; des charges publiques & exemptions ; des professeurs, médecins, affranchis ; des infâmes, interdits, exilés ; des ambassadeurs, ouvriers & artisans ; des commis employés à écrire les registres de recette des impositions publiques ; des receveurs de ces impositions ; du don appellé aurum coronarium, que les villes & les décurions faisoient au prince ; des officiers préposés pour veiller à la tranquillité des provinces.

Le onzieme livre composé de 77 titres, traite en général des corps & communautés & de leurs priviléges, & des registres publics contenans les noms & facultés de tous les citoyens : il traite aussi en particulier de ceux qui transportoient par mer à Rome les tributs des provinces en argent & en blé : il contient plusieurs lois somptuaires pour modérer le luxe ; des lois de police pour la distribution des denrées ; pour les étudians, les voitures, les jeux, les spectacles, la chasse, les laboureurs, les fonds de terre & pâturages, le cens, les biens des villes, les priviléges attachés au palais & autres biens fonds de l'empereur, & la défense de couper des bois dans certaines forêts.

Enfin le douzieme livre contenant 64 titres, traite des différentes sortes de dignités, de la discipline militaire ; des voeux & présens qu'on offroit à l'empereur ; de plusieurs offices subordonnés aux dignités civiles & militaires ; des couriers du prince ; des postes publiques ; des officiers inférieurs compris sous la dénomination d'apparitores judicum ; des exactions & gains illégitimes ; des officiers subalternes, & notamment de ceux qui alloient annoncer la paix ou quelqu'autre bonne nouvelle dans les provinces.

Telle est la distribution observée dans les deux éditions du code.

Lorsque la premiere édition parut, on y trouva deux défauts ; l'un, qu'en plusieurs endroits le code ne s'accordoit pas avec le digeste, qui avoit été rédigé depuis la premiere édition du code ; l'autre défaut étoit que le code contenoit plusieurs constitutions inutiles, & laissoit subsister l'incertitude que les sectes des Sabiniens & des Proculéiens avoient jettée dans la jurisprudence ; les uns voulant que l'on suivît la loi à la rigueur ; les autres voulant que l'on préférât l'équité à la loi.

D'ailleurs, tandis que l'on travailloit au digeste, Justinien avoit donné plusieurs novelles & cinquante décisions, qui n'étoient recueillies ni dans le code ni dans le digeste, & qui néanmoins avoient apporté quelques changemens.

Ces inconvéniens déterminerent Justinien à faire faire une révision de son code : il chargea de ce soin cinq jurisconsultes, du nombre de ceux qui avoient travaillé à la premiere rédaction & au digeste ; ce furent Tribonien, Dorothée, Menna, Constantin & Jean.

Ces jurisconsultes retrancherent du code quelques constitutions inutiles ; ils y ajoûterent quelques-unes de celles de Justinien, & les cinquante décisions qu'il avoit données depuis la décision du premier code.

Ce nouveau code fut publié dans l'année 534 : Justinien voulut qu'il fût nommé codex Justinianeus repetitae praelectionis ; c'est pourquoi en parlant de la premiere édition du code, & pour la distinguer de la derniere, les commentateurs l'appellent ordinairement codex primae praelectionis.

Malgré tous les soins que Justinien se donna pour perfectionner son code, quelques jurisconsultes modernes n'ont pas laissé d'y trouver des défauts. On a déjà vû les reproches que Jacques Godefroy fait à ce sujet à Tribonien ; ce qui s'applique à la seconde édition du code aussi-bien qu'à la premiere. Godefroy voudroit que l'on préférât le code théodosien, en faveur duquel il étoit prévenu, sans-doute parce qu'il avoit travaillé à le restituer : il est certain que le code théodosien est utile, en ce qu'il contient plusieurs constitutions entieres qui sont morcelées dans le code Justinien : le code théodosien n'étoit proprement qu'une collection des constitutions des empereurs ; au lieu que le code Justinien en est une compilation ; son objet est différent de celui du code théodosien, & les jurisconsultes qui ont travaillé au code, se sont conformés aux vûes de Justinien.

Le défaut le plus réel du code, est celui de n'avoir pas prévû tous les cas ; ce qui est au surplus fort difficile dans un ouvrage de cette nature. Justinien y suppléa par des novelles, dont nous parlerons ci-après au mot NOVELLES.

Les auteurs qui ont fait des commentaires ou gloses sur le code, sont Accurse, Godefroy, Jean Favre, Arnoldus, Corvinus, Brunneman, Pierre & François Pithou, Perezius, Mornac, Azo, Cujas, Ragueau, Giphanius, Mirbel, Décius, & plusieurs autres.

CODE LEOPOLD, est un surnom ou titre que l'on donne vulgairement à un recueil des ordonnances, édits & déclarations de Léopold I. duc de Lorraine, imprimé d'abord en deux volumes in -12. & ensuite réimprimé à Nancy en 1733 en trois volumes in -4°. Il contient aussi différens arrêts de réglemens rendus en conséquence des édits & déclarations, tant au conseil d'état & des finances, que dans les cours souveraines, sur des cas importans & publics. Le premier volume commence au 10 Février 1698, & finit au 19 Décembre 1712. Le second comprend depuis le 7 Janvier 1713, jusqu'au 28 Décembre 1723. Et le troisieme contient depuis le 3 Janvier 1724 jusqu'au 27 Décembre 1729.

CODE DES LOIS ANTIQUES, est un recueil de lois anciennement observées dans les Gaules, écrites en latin, intitulé codex legum antiquarum. Ce recueil qui forme un volume in-fol. a été ainsi appellé, soit parce que toutes les lois comprises dans ce volume sont fort anciennes, ou plûtôt parce que les premieres lois qui sont en tête de ce volume, qui sont des lois gothiques, ne sont désignées que sous la dénomination de leges antiquae, sans que l'on y ait mis le nom des rois Goths dont elles sont émanées : on y trouve ensuite les lois des Visigoths, qui occupoient l'Espagne & une grande partie de l'Aquitaine ; un édit de Théodoric roi d'Italie ; la loi des Bourguignons ou loi Gombette, ainsi appellée parce qu'elle fut réformée par Gondebaud en 501 ; la loi salique ; celles des Ripuariens, qui sont proprement les lois des Francs ; la loi des Allemands, c'est-à-dire des peuples d'Alsace & du haut Palatinat ; les lois des Bavarois, des Saxons, des Anglois & des Frisons ; la loi des Lombards, beaucoup plus considérable que les précédentes ; les capitulaires de Charlemagne, & les constitutions des rois de Naples & de Sicile. Lindembroge a fait des notes sur plusieurs de ces lois. Voyez l'hist. du Droit françois par M. l'abbé Fleury ; & ci-devant CODE ALARIC, CODE D'EVARIC, & LOIS ANTIQUES, LOIS DES ALLEMANDS, DES BAVAROIS, &c.

CODE LOUIS XIII. est un recueil que Jacques Corbin avocat au parlement, & depuis maître des requêtes ordinaire de la reine Anne d'Autriche, donna au public en un volume in-fol. imprimé à Paris en 1628, contenant les principales ordonnances de Louis XIII. concernant l'ordre de la justice, le domaine & les droits de la couronne. Il rapporte ces ordonnances en entier, même avec les préfaces, publications & enregistremens ; ce qui n'avoit encore été observé par aucun autre compilateur. Il a aussi commenté & conféré ces ordonnances avec celles des rois Henri le grand, Henri III. Charles IX. François II. Henri II. & autres prédécesseurs de Louis XIII. Ce recueil au surplus est l'ouvrage d'un particulier, & n'a d'autre autorité que celle qu'il tire des ordonnances qui y sont insérées.

CODE LOUIS ou CODE LOUIS XIV. est un titre que les Libraires mettent ordinairement au dos du recueil des principales ordonnances de Louis XIV. qui sont celles de 1667, pour la procédure civile ; celle de 1669, pour les évocations & committimus ; une autre de la même année, pour les eaux & forêts ; celle de 1670, pour la procédure criminelle ; celle de 1672, appellée communément l'ordonnance de la ville, pour la jurisdiction des prevôt des marchands & échevins de la ville de Paris ; celle de 1673, pour le Commerce ; celle des gabelles de 1680, & celle des aides qui est aussi de la même année ; celle des fermes, qui est de l'année suivante 1681 ; celle de la Marine, de la même année ; le code noir ou ordonnance de 1685, pour la police des Negres dans les îles françoises de l'Amérique ; celle des cinq grosses fermes, de l'année 1687. On a aussi appellé code Louis XV. un petit recueil des principales ordonnances de ce prince ; mais quand on dit code Louis simplement, on entend le recueil des ordonnances de Louis XIV. ce titre se voit même souvent sur un volume qui ne contient que l'ordonnance de 1667, ou sur quelqu'autre ordonnance du même prince.

CODE LOUIS XV. est un titre que l'on met ordinairement au dos d'un recueil en deux petits volumes in -24. contenant les principales ordonnances du Roi de France régnant, telles que l'ordonnance des donations, de 1731 ; celle des testamens, de 1735 ; celle de 1736, concernant le faux principal & incident ; celle des substitutions, de 1747 ; & plusieurs autres édits & déclarations. Voyez ce qui est dit au mot CODE LOUIS & au mot CODE DES AIDES.

CODE MARCHAND, est un surnom que l'on donne vulgairement à l'ordonnance ou édit de Louis XIV. sur le fait du Commerce, du mois de Mars 1673 : mais en citant cette ordonnance à l'audience, on ne diroit point le code marchand : on diroit l'ordonnance du Commerce, qui est son véritable titre. Ce code est divisé en douze titres : le premier traite des apprentis négocians & marchands, tant en gros qu'en détail ; le second, des agens de banque & courtiers ; le troisieme, des livres & registres des négocians, marchands & banquiers ; le quatrieme titre traite des sociétés ; le cinquieme, des lettres & billets de change, & promesses d'en fournir ; le sixieme traite des intérêts de change & rechange (les deux derniers articles de ce titre concernent les formalités que l'on doit observer dans le prêt sur gages) ; le septieme titre traite des contraintes par corps ; le huitieme, des séparations de biens ; le neuvieme, des défenses & lettres de repi ; le dixieme, des cessions de biens ; le onzieme, des faillites & banqueroutes ; & le douzieme & dernier, de la jurisdiction des consuls. Quoique cette ordonnance soit principalement sur le fait du Commerce, elle forme néanmoins une loi générale qui s'observe entre toutes sortes de personnes, lorsqu'elles se trouvent dans les cas prévûs par cette ordonnance : par exemple, ce qui est ordonné pour le prêt sur gages par les deux articles dont on a parlé ci-devant, n'a pas lieu seulement entre marchands, mais entre tous ceux qui se trouvent dans les cas prévûs par ces articles, ainsi qu'il a été jugé plusieurs fois entre des personnes non marchands. Bornier a fait une conférence de l'ordonnance du Commerce avec les anciennes & nouvelles ordonnances, édits, déclarations, & autres réglemens qui y ont rapport.

CODE MARILLAC ou CODE MICHAULT, voyez ci-après CODE MICHAULT.

CODE DE LA MARINE, est un titre que l'on donne quelquefois à l'ordonnance de Louis XIV. du mois d'Août 1681, touchant la Marine. Elle est divisée en cinq livres, qui sont divisés chacun en plusieurs titres & articles. Le premier livre traite des officiers de l'amirauté & de leur jurisdiction ; il traite aussi des interpretes & des courtiers conducteurs des maîtres de navire ; du professeur d'Hydrographie ; des consuls de la nation françoise dans les pays étrangers ; des congés & rapport de la procédure qui se fait dans les amirautés ; des prescriptions qui ont lieu dans les affaires maritimes, & de la saisie & vente des vaisseaux. Le second livre regle ce qui concerne les gens & bâtimens de mer ; savoir, le capitaine, maître ou patron, l'aumônier, l'écrivain, le pilote, le contre-maître ou nocher, le chirurgien, les matelots, les propriétaires des navires, les charpentiers & calfateurs, les navires & autres bâtimens de mer. Le troisieme livre contient tout ce qui concerne les charte-parties, affrettemens ou nolissemens, les connoissemens ou polices de chargement, le fret ou nolis, l'engagement & les loyers des matelots, les contrats à grosse avanture ou à retour de voyage, les assûrances, les avaries, le jet & la contribution, les prises, lettres de marque ou de represailles, les testamens & la succession de ceux qui meurent en mer. Le quatrieme livre traite de la police des ports & havres, côtes, rades & rivages de la mer, des maîtres de quai, des pilotes, lamaneurs ou locmans, du lestage & délestage, des capitaines gardes-côte, des personnes sujettes au guet de la mer, des naufrages, bris & échouemens, & de la coupe du varech ou vraicq. Enfin le cinquieme livre traite de la pêche qui se fait en mer, de la liberté de cette pêche, des pêcheurs, de leurs filets, des parcs & pêcheries, des poissons royaux, &c. le commentaire qui a été fait en 1714 sur cette ordonnance est peu estimé. Il y a encore une autre ordonnance pour la Marine, du 15 Avril 1689 ; mais elle ne concerne que la discipline des armées navales, & la premiere est la seule que l'on appelle code, comme contenant un réglement général pour la police de la Marine. Voyez MARINE, DONNANCE DE LA MARINERINE.

CODE MICHAULT, qu'on appelle aussi code Marillac, est un surnom que l'on donne vulgairement à une ordonnance publiée sous Louis XIII. au mois de Janvier 1629 : elle a été ainsi appellée de Michel de Marillac, garde des sceaux de France, qui en fut l'auteur. Mais en la citant à l'audience, on ne la désigne point autrement que sous le titre d'ordonnance de 1629.

Elle fut tirée des principales ordonnances, & principalement de celle de Blois.

Louis XIII. fit travailler à sa rédaction sur les plaintes & doléances faites par les députés des états de son royaume, convoqués & assemblés en la ville de Paris en 1614, & sur les avis donnés à S. M. par les assemblées des notables tenues à Roüen en 1617, & à Paris en 1626.

Elle ne fut publiée & enregistrée à Paris que le 15 Janvier 1629. Le roi séant en son lit de justice, en fit faire lui-même la publication & enregistrement. Elle ne fut enregistrée au parlement de Bordeaux que le 6 Mars suivant ; dans celui de Toulouse, le 5 Juillet ; à Dijon, le 19 Septembre de la même année : elle fut aussi enregistrée au parlement de Grenoble & ailleurs dans la même année. Les parlemens de Toulouse, Bordeaux & Dijon, par leurs arrêts d'enregistrement, y rapporterent chacun différentes modifications sur plusieurs de ses articles. Ces modifications, qu'il est essentiel de voir pour connoître l'usage de chaque province, sont rapportées à la suite de cette ordonnance avec les arrêts d'enregistrement, dans le recueil des ordonnances par Néron, tome I.

Cette ordonnance est une des plus amples & des plus sages que nous ayons ; elle contient 461 articles, dont les premiers reglent ce qui concerne les ecclésiastiques : les autres concernent les hôpitaux, les universités, l'administration de la justice, la noblesse & les gens de guerre, les tailles, les levées qui se font sur le peuple, les finances, la police, le négoce & la marine.

Le mérite de son auteur, les soins qu'il prit pour la rédaction de cette ordonnance, & la sagesse de ses dispositions, la firent d'abord recevoir avec beaucoup d'applaudissement dans tout le royaume ; & c'est à tort que les continuateurs du dictionnaire de Moreri ont avancé le contraire à l'article du garde des sceaux de Marillac. Ils ont sans-doute voulu parler du discrédit où cette ordonnance tomba quelque tems après la disgrace du maréchal de Marillac, qui retomba sur son frere. Le maréchal de Marillac avoit été de ceux qui opinerent contre le cardinal de Richelieu, dans une assemblée qu'on nomma depuis la journée des dupes ; & le cardinal en ayant gardé contre lui un ressentiment secret, le fit arrêter le 30 Octobre 1630 en Piémont, où il commandoit les troupes de France. Il fut condamné par des commissaires à perdre la tête : ce qui fut exécuté le 10 Mai 1632. Quand à Michel de Marillac, on lui ôta les sceaux le 12 Novembre 1630 ; on l'arrêta en même tems, & on le conduisit au château de Caën, ensuite en celui de Châteaudun, où il mourut de chagrin le 7 Août 1632.

Ainsi la disgrace de Michel de Marillac ayant suivi de près la publication de l'ordonnance de 1629, cette ordonnance tomba en même tems dans un discrédit presque général.

Il y eut néanmoins quelques endroits dans lesquels on continua toûjours de l'observer, comme au parlement de Dijon, où elle est encore suivie ponctuellement. M. le président Bouhier, en son commentaire sur la coûtume de Bourgogne, cite souvent cette ordonnance.

Il a été un tems que les avocats au parlement de Paris & de plusieurs autres parlemens, n'osoient pas la citer dans leurs plaidoyers.

Cependant la sagesse de cette ordonnance l'a emporté peu-à-peu sur la mauvaise fortune ; & nous voyons que depuis environ soixante années, on a commencé à la citer comme une loi sage & qui méritoit d'être observée : les magistrats n'ont pas fait non plus difficulté de la reconnoître. On voit dans un arrêt du 30 Juillet 1693, rapporté au journal des audiences, que M. Daguesseau alors avocat-général & depuis chancelier de France, cita cette ordonnance comme une loi qui devoit être suivie. Elle est pareillement citée par plusieurs auteurs, notamment par M. Bretonnier en divers endroits de son recueil de questions, & par Fromental en ses décisions de droit. Et présentement il paroît que l'on ne fait plus aucune difficulté de la citer ni de s'y conformer. On peut voir ce que dit à ce sujet M. Rassicod, dans le traité des fiefs de Dumolin, pag. 236. in fine.

Il faut même observer que depuis cette ordonnance il en est survenu d'autres qui ont adopté plusieurs de ses dispositions ; telle que celle de l'article cxxjv. qui ordonne que dans les substitutions graduelles & perpétuelles, les degrés seront comptés par personnes & par têtes, & non par souches & par générations ; ce qui se pratiquoit ainsi au parlement de Dijon en conséquence de cet article. L'ordonnance des substitutions du mois d'Août 1747, ordonne la même chose, article xxxiij.

Il y a aussi quelques dispositions de l'ordonnance de 1629, introductives d'un droit nouveau, qui n'ont pas été reçûes par-tout ; comme l'art. cxxvj. qui veut que les testamens olographes soient valables par tout le royaume : ce qui a été modifié par l'ordonnance des testamens, article xjx. qui porte seulement que l'usage des testamens, codicilles, & autres dispositions olographes, continuera d'avoir lieu dans les pays & dans les cas où ils ont été admis jusqu'à présent.

CODE MILITAIRE, est une compilation des ordonnances & réglemens faits pour les gens de guerre ; depuis 1651 jusqu'à présent. Cet ouvrage est de M. le baron de Sparre. Il est divisé en onze livres, dont les dix premiers regardent la discipline militaire ; le onzieme concerne les jeux défendus dans les garnisons, les mariages des officiers, sergens & soldats, & les congés absolus. L'auteur y a joint les réglemens faits contre les duels, ceux faits par MM. les maréchaux de France pour les réparations d'honneur, la déclaration du 23 Décembre 1702 pour les lettres d'états, & l'édit de 1693 portant institution de l'ordre de S. Louis.

Il y a aussi un code militaire des Pays-bas, imprimé à Mastricht en 1721, vol. in -8°.

CODE NERON : on a quelquefois donné ce nom, mais improprement, à un recueil d'ordonnances, édits & déclarations, fait par Pierre Néron & Girard, avocats au parlement. La plus ancienne ordonnance de ce recueil est du mois de Mai 1732, & les derniers réglemens sont de 1719 : mais ce recueil est imparfait en ce qu'il ne comprend qu'une partie des ordonnances rendues depuis le tems auquel il remonte. On y a inséré plusieurs édits, sans mettre les déclarations qui les ont modifiés ou révoqués ; & au contraire on y a mis plusieurs déclarations sans y comprendre les édits en interprétation desquels elles ont été données. Nous n'avons cependant point de recueil moderne plus ample, en attendant que l'excellent recueil des ordonnances de la troisieme race, auquel M. Secousse travaille par ordre du Roi, soit parvenu jusqu'au tems présent : mais il n'est encore (en 1753) qu'à l'année 1403. On peut seulement suppléer une partie des édits & arrêts qui manquent dans le recueil de Néron, par le recueil des édits & déclarations enregistrés au parlement de Dijon, qui a été imprimé en onze volumes in -4°. & comprend les principaux édits & déclarations intervenus depuis 1666 jusqu'en 1710.

CODE NOIR, est le surnom que l'on donne vulgairement à l'édit de Louis XIV. du mois de Mars 1685, pour la police des îles françoises de l'Amérique. On l'appelle ainsi code noir, parce qu'il traite principalement des Negres ou esclaves noirs que l'on tire de la côte d'Afrique, & dont on se sert aux îles pour l'exploitation des habitations. On tient que le célebre M. de Fourcroy avocat au parlement, fut celui qui eut le plus de part à la rédaction de cet édit. Il est divisé en soixante articles, dont le plus grand nombre regarde la police des Negres. Il y en a cependant plusieurs qui ont d'autres objets ; tels que l'article j. qui ordonne de chasser les Juifs ; l'article iij. qui interdit tout exercice public d'autre religion que la catholique ; l'article v. qui défend à ceux de la R. P. R. de troubler les Catholiques ; l'article vj. qui prescrit l'observation des dimanches & fêtes ; les articles viij. & x. qui reglent les formalités des mariages en général : les autres articles concernent les esclaves ou Negres, & reglent ce qui doit être observé pour leur instruction en matiere de religion, les devoirs respectifs de ces esclaves, & de leurs maîtres, les mariages de ces esclaves l'état de leurs enfans, leur pécule, leur affranchissement, & divers autres objets. Il faut joindre à cet édit celui du mois d'Octobre 1716, & la déclaration du 15 Décembre 1721, qui forment un supplément au code noir.

CODE PAPYRIEN, ou droit civil Papyrien, jus civile Papyrianum, est un recueil des lois royales, c'est-à-dire faites par les rois de Rome. Ce code a été ainsi nommé de Sextus Papyrius qui en fut l'auteur. Les lois faites par les rois de Rome jusqu'au tems de Tarquin le superbe, le septieme & le dernier de ces rois, n'étoient point écrites : Tarquin le superbe commença même par les abolir. On se plaignit de l'inobservation des lois, & l'on pensa que ce desordre venoit de ce qu'elles n'étoient point écrites. Le sénat & le peuple arrêterent de concert qu'on les rassembleroit en un seul volume ; & ce soin fut confié à Publius Sextus Papyrius, qui étoit de race patricienne. Quelques-uns des auteurs qui ont parlé de ce Papyrius & de sa collection, ont cru qu'elle avoit été faite du tems de Tarquin l'ancien, cinquieme roi de Rome : ce qui les a induits dans cette erreur, est que le jurisconsulte Pomponius en parlant de Papyrius dans la loi ij. au digeste de origine juris, semble supposer que Tarquin le superbe & sous lequel vivoit Papyrius, étoit fils de Demarate le corinthien ; quoique de l'aveu de tous les historiens, ce Demarate fût pere de Tarquin l'ancien, & non de Tarquin le superbe : mais Pomponius lui-même convient que Papyrius vivoit du tems de Tarquin le superbe ; & s'il a dit que ce dernier étoit Demarati filius, il est évident que par ce terme filius il a entendu petit fils ou arriere-petit-fils : ce qui est conforme à plusieurs lois qui nous apprennent que sous le terme filii sont aussi compris les petits-enfans & autres descendans. D'ailleurs, Pomponius ne dit pas que Papyrius rassembla les lois de quelques-uns des rois, mais qu'il les rassembla toutes ; & s'il le nomme en un endroit avec le prénom de Publius, & en un autre avec celui de Sextus, cela prouve seulement qu'il pouvoit avoir plusieurs noms, étant certain qu'en l'un & l'autre endroit il parle d'un même individu. Les lois royales furent donc rassemblées en un volume par Publius ou Sextus Papyrius, sous le regne de Tarquin le superbe ; & le peuple, par reconnoissance pour celui qui étoit l'auteur de cette collection, voulut qu'elle portât le nom de son auteur : d'où elle fut appellée le code papyrien.

Les rois ayant été expulsés de Rome peu de tems après cette collection, les lois royales cesserent encore d'être en usage : ce qui demeura dans cet état pendant environ vingt années, & jusqu'à ce qu'un autre Papyrius surnommé Caïus, & qui étoit souverain pontife, remit en vigueur les lois que Numa Pompilius avoit faites au sujet des sacrifices & de la religion. C'est ce qui a fait croire à Guillaume Grotius & à quelques autres auteurs, que le code papyrien n'avoit été fait qu'après l'expulsion des rois. Mais de ce que Caïus Papyrius remit en vigueur quelques lois de Numa, il ne s'ensuit pas qu'il ait été l'auteur du code papyrien, qui étoit fait dans le tems de Tarquin le superbe.

Il ne nous reste plus du code papyrien que quelques fragmens répandus dans divers auteurs : ceux qui ont essayé de les rassembler sont Guillaume Forster, Fulvius Ursinus, Antoine-Augustin Justelipse, Pardulphus Prateius, François Modius, Etienne-Vincent Pighius, Antoine Sylvius, Paul Merule, François Baudouin, & Vincent Gravina. François Baudouin nous a transmis dix-huit lois, qu'il dit avoir copiées sur une table fort ancienne trouvée dans le capitole, & que Jean-Barthelemi Marlianus lui avoit communiquée. Paul Manuce fait mention de ces dix-huit lois ; Pardulphus Prateius y en a ajouté six autres. Mais Cujas a démontré que ces lois ne sont pas à beaucoup-près si anciennes : on n'y reconnoît point en effet cette ancienne latinité de la loi des douze tables, qui est même postérieure au code papyrien ; ainsi tous ces prétendus fragmens du code papyrien n'ont évidemment été fabriqués que sur des passages de Cicéron, de Denis d'Halicarnasse, Tite-Live, Plutarque, Aulugelle, Festus Varron, lesquels en citant les lois papyriennes, n'en ont pas rapporté les propres termes : mais seulement le sens. Un certain Granius avoit composé un commentaire sur le code papyrien, mais ce commentaire n'est pas parvenu jusqu'à nous.

M. Terrasson, dans son histoire de la jurisprudence romaine, a rassemblé les fragmens du code papyrien, qu'il a recherchés dans les anciens auteurs avec plus d'attention & de critique que les autres jurisconsultes n'avoient fait jusqu'ici. Il a eu soin de distinguer les lois dont l'ancien texte nous a été conservé, de celles dont les historiens ne nous ont transmis que le sens. Il rapporte quinze textes des lois, & vingt-une autres lois dont on n'a que le sens : ce qui fait en tout trente-six lois. Il a divisé ces trente-six lois en quatre parties : la premiere en contient treize, qui concernent la religion, les fêtes, & les sacrifices. Ces lois portent en substance, qu'on ne fera aucune statue ni aucune image de quelque forme qu'elle puisse être, pour représenter la divinité, & que ce sera un crime de croire que Dieu ait la figure soit d'une bête, soit d'un homme ; qu'on adorera les dieux de ses ancêtres, & qu'on n'adoptera aucune fable ni superstition des autres peuples ; qu'on n'entreprendra rien d'important sans avoir consulté les dieux ; que le roi présidera aux sacrifices, & en réglera les cérémonies ; que les vestales entretiendront le feu sacré ; que si elles manquent à la chasteté, elles seront punies de mort ; & que celui qui les aura séduites, expirera sous le bâton ; que les procès & les travaux des esclaves seront suspendus pendant les fêtes, lesquelles seront d'écrites dans des calendriers ; qu'on ne s'assemblera point la nuit soit pour prieres ou pour sacrifices ; qu'en suppliant les dieux de détourner les malheurs dont l'état est menacé, on leur présentera quelques fruits & un gâteau salé ; qu'on n'employera point dans les libations de vin d'une vigne non taillée ; que dans les sacrifices on n'offrira point de poissons sans écailles ; que tous poissons sans écailles pourront être offerts, excepté le scare. La loi treizieme regle les sacrifices & offrandes qui devoient être faits après une victoire remportée sur les ennemis de l'état. La seconde partie contient sept lois qui ont rapport au droit public & à la police : elles reglent les devoirs des patriciens envers les Plébeïens, & des patrons envers leurs cliens ; le droit de suffrage que le peuple avoit dans les assemblées de se choisir des magistrats, de faire des plébiscites, & d'empêcher qu'on ne conclût la guerre ou la paix contre son avis ; la jurisdiction des duumvirs par rapport aux meurtres, la punition des homicides, l'obligation de respecter les murailles de Rome comme sacrées & inviolables ; que celui qui en labourant la terre auroit déraciné les statues des dieux qui servoient de bornes aux héritages, seroit dévoüé aux dieux Manes lui & ses boeufs de labour ; & la défense d'exercer tous les arts sédentaires propres à introduire & entretenir le luxe & la mollesse. La troisieme partie contient douze lois qui concernent les mariages & la puissance paternelle ; savoir, qu'une femme légitimement liée avec un homme par la confarréation, participe à ses dieux & à ses biens ; qu'une concubine ne contracte point de mariage solemnel ; que si elle se marie, elle n'approchera point de l'autel de Junon qu'elle n'ait coupé ses cheveux & immolé une jeune brebis ; que la femme étant coupable d'adultere ou autre libertinage, son mari sera son juge & pourra la punir lui-même, après en avoir délibéré avec ses parens ; qu'un mari pourra tuer sa femme lorsqu'elle aura bû du vin, sur quoi Pline & Aulugelle remarquent que les femmes étoient embrassées par leurs proches, pour sentir à leur haleine si elles avoient bû du vin : il est dit aussi qu'un mari pourra faire divorce avec sa femme, si elle a empoisonné ses enfans, fabriqué de fausses clés, ou commis adultere ; que s'il la répudie sans qu'elle soit coupable, il sera privé de ses biens, dont moitié sera pour la femme, l'autre moitié à la déesse Cérès ; que le mari sera aussi dévoüé aux dieux infernaux ; que le pere peut tuer un enfant monstrueux aussitôt qu'il est né ; qu'il a droit de vie & de mort sur ses enfans légitimes ; qu'il a aussi droit de les vendre, excepté lorsqu'il leur a permis de se marier ; que le fils vendu trois fois, cesse d'être sous la puissance du pere ; que le fils qui a battu son pere, sera dévoüé aux dieux infernaux, quoiqu'il ait demandé pardon à son pere ; qu'il en sera de même de la bru envers son beau-pere ; qu'une femme mourant enceinte ne sera point inhumée qu'on ait tiré son fruit, qu'autrement son mari sera puni comme ayant nui à la naissance d'un citoyen ; que ceux qui auront trois enfans mâles vivans, pourront les faire élever aux dépens de la république jusqu'à l'âge de puberté. La quatrieme partie contient quatre lois qui concernent les contrats, la procédure, & les funérailles ; savoir, que la bonne foi doit être la base des contrats ; que s'il y a un jour indiqué pour un jugement, & que le juge ou le défendeur ait quelque empêchement, l'affaire sera remise ; qu'aux sacrifices des funérailles on ne versera point de vin sur les tombeaux ; enfin que si un homme est frappé du feu du ciel, on n'ira point à son secours pour le relever ; que si la foudre le tue, on ne lui fera point de funérailles, mais qu'on l'enterrera sur le champ dans le même lieu.

Telle est en substance la teneur de ces fragmens du code Papyrien. M. Terrasson a accompagné ces trente-six lois de notes très-savantes pour en faciliter l'intelligence ; & comme pour l'ordre des matieres il a été obligé d'entremêler les lois, dont on a conservé le texte, avec celles dont les auteurs n'ont rapporté que le sens, il a rapporté de suite à la fin de cet article, le texte des quinze lois dont le texte a été conservé. Ces lois sont en langue osque, que l'on sait être la langue des peuples de la Campanie, que l'on parloit à Rome du tems de Papyrius, & l'une de celles qui ont contribué à former la langue latine ; mais l'ortographe & la prononciation ont tellement changé depuis, & le texte de ces lois paroît aujourd'hui si barbare, que M. Terrasson a mis à côté du texte osque une version latine, pour faciliter l'intelligence de ces lois ; ce qu'il a accompagné d'une dissertation très-curieuse sur la langue osque.

CODE PENAL, est un traité des peines qui doivent être infligées pour chaque crime ou délit. Ce traité donné au public en 1752 par un auteur anonyme, forme un volume in -12. Il est intitulé code pénal, ou recueil des principales ordonnances, édits, & déclarations sur les crimes & délits, & précis des lois ou des dispositions des ordonnances, édits, & déclarations. Il est divisé en cinquante titres ; les lois pénales y sont rangées suivant l'ordre de nos devoirs. Les sept premiers titres regardent Dieu & la religion ; les titres huit & neuf jusqu'au treizieme, concernent l'état & la patrie ; les autres titres regardent les crimes opposés à ce que nous devons aux autres & à nous-mêmes. Cet ouvrage est divisé en deux parties, l'une est le texte même des lois pénales, l'autre renferme les maximes où l'auteur a exprimé la substance de ces mêmes lois. Le code criminel qui est l'ordonnance de 1670, contient les procédures qui doivent être faites contre les accusés. L'art. 13. du titre xxv. indique l'ordre des peines entr'elles ; mais il n'en fait pas l'application aux différentes especes de crimes : c'est l'objet du code pénal, où l'on a rassemblé les lois pénales qui sont éparses dans une infinité de volumes.

CODE PONTCHARTRAIN, est un traité que quelques-uns mettent au volume ou recueil de réglemens concernant la justice, intervenus du tems de M. le chancelier de Pontchartrain, & imprimé par son ordre en 1712 en deux volumes in -12.

CODE DES PRIVILEGIES, est un volume in -8°. imprimé à Paris en 1656, dans lequel Louis Vrevin a rassemblé tout ce qui concerne les différens privilégiés.

CODE DES PROCUREURS ou code Gillet, voyez ci-devant CODE GILLET.

CODE RURAL, est un recueil de maximes & de réglemens concernant les biens de campagne. Ce petit ouvrage, dont je suis l'auteur, a paru en 1749 ; il forme deux volumes in -12. & est divisé en deux parties ; la premiere contient les maximes ; la seconde contient les réglemens & pieces justificatives de ce qui est avancé dans les maximes. Il contient en abregé les principes des fiefs, des francs-aleux, censives, droits de justice, droits seigneuriaux & honorifiques, ce qui concerne la chasse & la pêche, les bannalités, les corvées, la taille royale & seigneuriale, les dixmes ecclésiastiques & inféodées, les baux à loyer & à ferme, les baux à cheptel, baux à rente, baux amphitéotiques, les troupeaux & bestiaux, l'exploitation de terres labourables, bois, vignes, & prés, & plusieurs autres matieres propres aux biens de campagne.

CODE SAVARY, surnom que quelques-uns ont donné dans les commencemens au code marchand, ou ordonnance de 1673 pour le Commerce. L'origine de ce surnom vient de ce que M. Colbert qui avoit inspiré au roi le dessein de faire un réglement général pour le Commerce, fit choix en 1670 de Jacques Savary, fameux négociant de Paris, pour travailler à l'ordonnance qui parut en 1673. Bornier, dans sa préface, dit que Savary rédigea les articles de cette ordonnance, & que par cette raison M. Pussort conseiller d'état, avoit coûtume de la nommer le code Savary ; mais on l'appelle communément le code marchand, & plus régulierement l'ordonnance du Commerce. Voyez ce qui est dit ci-devant au mot CODE MARCHAND, & au mot CODE DES AIDES.

CODE DU TABAC, est un titre que l'on donne quelquefois au volume ou recueil des réglemens concernant la ferme du tabac ; il est imprimé à la fin du code des tailles.

CODE DES TAILLES, est un recueil des ordonnances, édits, déclarations, réglemens & arrêts de la cour des aides sur le fait des tailles. Cet ouvrage est en deux volumes in -12.

CODE LE TELLIER, surnom que quelques-uns ont donné à un recueil de réglemens concernant la justice, intervenus du tems de M. le chancelier le Tellier, & imprimés en 1687, en deux volumes in -4°.

CODE THEODOSIEN, ainsi nommé de l'empereur Théodose le jeune par l'ordre duquel il fut rédigé, est une collection des constitutions des empereurs chrétiens depuis Constantin jusqu'à Théodose le jeune. Il ne nous est rien resté des lois faites par les empereurs jusqu'au tems d'Adrien. Les constitutions de ce prince & celles de ses successeurs, jusqu'au tems de Dioclétien & de Maximien, firent l'objet de deux compilations différentes, que l'on nomma code Grégorien & Hermogénien, du nom de leurs auteurs : mais ceux-ci ayant fait de leur chef ces compilations, elles n'eurent d'autre autorité que celle qu'elles tiroient des constitutions qui y étoient rapportées. Le premier code qui fut fait par ordre du prince fut le code Théodosien.

Indépendamment des constitutions faites par les empereurs depuis Adrien, qui étoient en très-grand nombre, Théodose le jeune en avoit fait lui-même plusieurs, d'abord conjointement avec Honorius empereur d'Occident, & avec Arcadius son pere, lorsque ce dernier l'eut associé à l'empire d'Orient. Après la mort d'Arcadius il en fit encore plusieurs, conjointement avec Honorius. Justinien en a conservé dans son code environ trente des premieres, & environ cent-vingt des secondes. Théodose en fit encore d'autres, depuis qu'il fut demeuré seul maître de tout l'empire d'Orient & d'Occident par la mort d'Honorius. Six années après, en 415, il partagea son autorité avec Pulchérie sa soeur, qu'il fit créer Auguste ; & en 424 il céda l'empire d'Occident à Valentinien III. âgé de sept ans seulement. Théodose étoit fort pieux, mais peu éclairé ; desorte que ce fut Pulchérie sa soeur qui eut le plus de part au gouvernement. L'évenement le plus remarquable de l'empire de Théodose, fut la rédaction & la publication du code qui porte son nom. Les motifs qui y donnerent lieu sont exprimés dans le premier titre de ses novelles, où il se plaint d'abord de ce que malgré les récompenses proposées de son tems aux gens de lettres, peu de personnes s'empressoient d'acquérir une parfaite connoissance du droit ; ce qu'il attribue à la multitude d'ouvrages des jurisconsultes & des constitutions des empereurs, capable de rebuter les lecteurs, & de mettre la confusion dans les esprits. Pour remédier à cet inconvénient, il fit faire un choix des constitutions les plus sages & les plus convenables au tems présent, pour en former un code ou loi générale, & chargea huit jurisconsultes, dont il marque les noms à la fin de sa premiere novelle ; savoir Antiochus, Maximin, Martyrius, Spérantius, Apollodore, Théodore, Epigenius, & Procope ; leurs titres & qualités sont exprimés dans la même novelle ; ce qui nous apprend qu'ils avoient possédé ou possédoient alors les premieres dignités de l'empire. On ne sait pas le tems qui fut employé à la rédaction de ce code ; on voit seulement qu'il fut divisé en seize livres. Le premier traite des différentes sortes de lois dont le droit est composé : le second traite de la jurisdiction des différens juges ; des procédures que l'on observoit pour parvenir à un jugement ; des personnes que l'on pouvoit citer devant le juge ; des restitutions en entier ; des jugemens ; des actions qui ont rapport à ce que l'on peut posséder à titre universel ou particulier ; & des trois sortes d'actions qui procedent de la nature des choses réelles, personnelles, & mixtes : le troisieme livre comprenoit ce qui concerne les ventes, les mariages, & les tuteles ; le quatrieme, tout ce qui regarde les successions ab intestat & testamentaires, les choses litigieuses, les différentes conditions des personnes, les impositions publiques, & ceux qui étoient préposés pour les recevoir, les prescriptions, les choses jugées, les cessions de biens, les interdits, quorum bonorum, unde vi, utrubi, & les édifices particuliers : le cinquieme livre comprenoit ce qui concerne les successions légitimes, les changemens qui peuvent arriver dans l'état des personnes par différentes causes, & les anciens usages autorisés par une longue possession : le sixieme livre concernoit toutes les dignités qui avaient lieu dans l'empire d'Orient & d'Occident, & toutes les charges qui s'exerçoient dans le palais des empereurs : dans le septieme livre on rassembla ce qui concernoit les emplois & la discipline militaire : dans le huitieme, ce qui regardoit les officiers subordonnés aux juges, les voitures & postes publiques, les donations, les droits des gens mariés, & ceux des enfans & des parens sur les biens & successions auxquels ils pouvoient prétendre : le neuvieme livre traitoit des crimes & de la procédure criminelle : le dixieme, des droits du fisc : le onzieme, des tributs & autres charges publiques, des consultations faites par le prince pour lever ses doutes, & des appellations & des témoins : le douzieme traitoit des décurions, & des droits & devoirs des officiers municipaux : dans le treizieme on rassemble ce qui concernoit les différentes professions, les marchands, les négocians sur mer, professeurs des sciences, médecins, artisans, le cens ou capitation : le quatorzieme renfermoit tout ce qui avoit rapport aux villes de Rome, de Constantinople, d'Alexandrie, & autres principales villes de l'empire ; & ce qui concernoit les corps de métiers & colléges, la police, les priviléges : le quinzieme contenoit les réglemens pour les places, théatres, bains, & autres édifices publics : enfin le seizieme livre renfermoit tout ce qui pouvoit avoir rapport aux personnes & aux matieres ecclésiastiques.

Ce code ainsi redigé, fut publié l'an 438. Théodose par sa premiere novelle lui donna force de loi dans tout l'empire : il abrogea toutes les autres lois, & ordonna qu'il n'en pourroit être fait aucune autre à l'avenir, même par Valentinien III. son gendre. Mais il dérogea lui-même à cette derniere disposition, ayant fait dans les dix années suivantes plusieurs novelles, qu'il confirma par une novelle donnée à cet effet, & qu'il adressa à Valentinien. Il est probable que ce dernier confirma de son côté le code Théodosien, ayant par une novelle confirmé celles de Théodose.

Ces différentes circonstances sont rapportées dans les prolégomenes de Godefroy sur ce code, où il remarque plusieurs défauts dans l'arrangement, & même quelques contradictions : mais il est difficile d'en bien juger, attendu que ce code n'est point parvenu dans son entier jusqu'à nous. En effet, on trouve dans celui de Justinien trois cent vingt constitutions de Théodose le jeune ou de ses prédécesseurs, que l'on ne trouve plus dans le code Théodosien, quoiqu'elles n'y eussent sans-doute point été omises.

Le code Théodosien fut observé sous les empereurs Valentinien III. Marcien, Majorien, Léon, & Anthemius, comme il paroît par leurs constitutions dans lesquelles ils en font mention. L'auteur de la conférence des lois mosaïques & romaines, qui vivoit peu de tems avant Justinien, cite en plusieurs endroits le code de Théodose. Anian, chancelier d'Alaric II. roi des Visigoths, publia en 506, à Aire en Gascogne, un abregé de ce même code ; & Justinien dans son code, qui ne fut publié qu'en 528, parle de celui de Théodose comme d'un ouvrage qui étoit subsistant, & dont il s'étoit servi pour composer le sien.

Il paroît donc certain que le code Théodosien s'étoit répandu par toute l'Europe, & qu'il y étoit encore en vigueur dans le sixieme siecle ; c'est pourquoi il est étonnant que cet ouvrage se soit tout-à-coup perdu en Occident, sans qu'on en ait conservé aucune copie. Quelques auteurs modernes imputent à Justinien d'avoir supprimé cet ouvrage, de même que ceux des anciens jurisconsultes : en effet il n'en est plus parlé nulle part depuis la publication du code de Justinien ; & ce qui en est dit dans quelques auteurs, ne doit s'entendre que de l'abregé qu'en avoit fait Anien.

Pour rétablir le code Théodosien dans son entier, on s'est servi, outre l'abregé d'Anien, de plusieurs anciens manuscrits, dans lesquels on a recouvré différentes portions de ce code. Jean Sichard en donna d'abord à Bâle, en 1528, une édition conforme à l'abregé d'Anien : en 1549, Jean Tilly ou du Teil donna à Paris une autre édition in -8°. des huit derniers livres qu'il venoit de recouvrer, dont le dernier seulement étoit imparfait. On rechercha encore dans la conférence des lois mosaïques & romaines, dans les fragmens des codes Grégorien & Hermogenien, dans celui de Justinien, & dans les lois des Goths & des Visigoths, ce qui manquoit du code Théodosien.

Cujas, après un travail de trente années, en donna à Paris, en 1566, une édition in-fol. avec des commentaires ; il augmenta cette édition des sixieme, septieme, & huitieme livres entiers, & d'un supplément de ce qui manquoit au seizieme dans l'édition précédente ; & il nous apprend qu'il étoit redevable de ce travail à Etienne Charpin. Pierre Pithou ajoûta à l'édition de Cujas les constitutions des empereurs sur le sénatusconsulte Claudien. Enfin Jacques Godefroy parvint à rétablir les cinq premiers livres & le commencement du sixieme, & à disposer une édition complete du code Théodosien : mais étant mort avant de la mettre au jour, Antoine Marville professeur en Droit à Valence en prit soin, & la donna à Lyon en 1665 en six volumes in-fol. Jean Ritter professeur à Léipsic en a donné, en 1736, dans la même ville une édition aussi en six volumes, revûe & corrigée sur d'anciens manuscrits, & enrichie de nouvelles notes.

Il n'est pas douteux que le code Théodosien a été autrefois observé en France, & que les ordonnances de Clovis, de Clotaire son fils, & de Gondebaut roi de Bourgogne, qui portent que les Gaulois ou Romains seront jugés suivant le droit romain, ne doivent s'entendre que du code Théodosien, puisque le code Justinien n'étoit pas encore fait. C'est ce qu'observe M. Bignon dans ses notes sur Marcul. ch. lij. Godefroy, dans ses prolég. du code Théod. ch. v. à la fin ; & le P. Sirmond, dans son append. du code Théod. Les Visigoths qui occupoient les provinces voisines de l'Espagne, avoient aussi reçû le même code ; mais il paroît qu'il perdit toute son autorité en France aussi-bien que dans l'empire romain, lorsque le code Justinien parut en 528, Justinien ayant abrogé toutes les autres lois qui n'y étoient pas comprises.

Cependant M. Bretonnier avocat, dans des mémoires imprimés qu'il fit en 1724 pour la dame d'Espinay, au sujet d'un testament olographe fait en Beaujolois, prétendit que le code Théodosien avoit toûjours continué d'être observé en France, & que c'étoit encore la loi des pays de droit écrit.

Il se fondoit sur ce qu'avant la publication du code de Justinien, on observoit en France le code Théodosien ; que Justinien n'avoit jamais eu aucune autorité en France ; que Charlemagne fit faire une nouvelle édition du code Théodosien, & ordonna de l'enseigner dans tous ses états, & notamment à Lyon, où il établit pour cela des professeurs : il observoit que l'édit des secondes nôces paroît fait en conformité des lois des empereurs Théodose & Valentinien ; que le chancelier de l'Hôpital, du tems duquel fut fait cet édit, n'osa citer une loi de Justinien sans en demander excuse au roi ; d'où il concluoit que c'étoit le code Théodosien que l'on observoit en France ; & que si l'on citoit celui de Justinien, ce n'étoit qu'à cause qu'il renfermoit les lois qui étoient comprises dans le code Théodosien, d'où ces lois tiroient, selon lui, toute leur autorité : il alléguoit encore le témoignage de Dutillet, qui vivoit sous Charles IX. lequel auteur, en son recueil des rois de France, dit que le code Théodosien ayant été reçû par les Visigoths, étoit demeuré pour coûtume aux pays de droit écrit.

Ce paradoxe avancé par M. Bretonnier, quoique appuyé de quelques raisons spécieuses, révolta contre lui tout le palais, & ne fit pas fortune, étant contraire à l'usage notoire des pays de droit écrit, à celui des universités où l'on n'enseigne que les lois de Justinien, & à la pratique de tous les tribunaux, où les affaires des pays de droit écrit sont jugées suivant ces mêmes lois. M. Terrasson le pere qui répondit aux mémoires de M. Bretonnier, ne manqua pas de relever cette proposition, & fit voir que le code de Justinien avoit abrogé celui de Théodose : que de tous les auteurs qui avoient écrit sur le droit romain depuis que le code de Justinien avoit eu cours dans le royaume, il n'y en avoit pas un seul qui eût jamais prétendu que le code Théodosien dût prévaloir sur l'autre ; que Vincentius Gravina qui a fait un traité de origine juris, ne parle du code Théodosien que comme d'un droit hors d'usage, qui pouvoit servir tout au plus à éclaircir les endroits obscurs du code de Justinien, mais qui ne fait pas loi par lui-même ; & c'est en effet le seul usage qu'on peut faire du code Théodosien, si ce n'est qu'il sert aussi à faire connoître les progrès de la jurisprudence romaine, & qu'il nous instruit des moeurs & de l'histoire du tems. Voyez ci-devant CODE D'ALARIC.

CODE DE LA VILLE, est le titre qu'on donne quelquefois à une ordonnance de Louis XIV. du mois de Décembre 1672, contenant un réglement général pour la jurisdiction des prévôt des marchands & échevins de la ville de Paris.

CODE VOITURIN, est un recueil des édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts, & réglemens concernant les fonctions, droits, priviléges, immunités, franchises, libertés, & exemptions, tant des messagers royaux que de ceux de l'université de Paris, & autres voituriers publics. Cet ouvrage qui est sans nom d'auteur forme 2 volumes in -4°. il a été imprimé en 1748 : il contient les principaux réglemens intervenus sur cette matiere, depuis l'an 1200 jusqu'au 16 Décembre 1747 ; l'auteur y a mis en quelques endroits des notes pour en faciliter l'intelligence.

CODE DE LA VOIRIE, est un recueil des ordonnances, édits, déclarations, arrêts, & réglemens sur le fait de la voirie, c'est-à-dire de la police des chemins, rues, & places publiques. Cet ouvrage forme un volume in -4°.


CODÉBITEURSS. m. pl. (Jurispr.) sont ceux qui sont obligés à une même dette, soit par un même titre ou par des actes séparés. Les codébiteurs, quoique obligés conjointement & par le même acte, ne sont pas obligés solidairement, à moins que la solidité ne soit exprimée dans l'acte ; sans cela l'obligation se divise de droit entr'eux par égales portions, à moins qu'il n'y ait quelque clause expresse qui en oblige un à payer plus que l'autre. Les codébiteurs sont appellés en droit, correi debendi sive promittendi ; il en est parlé en différens textes du droit, qui sont indiqués dans Brederode au mot rei. Voyez aussi aux instit. le titre de duobus reis stipulandi & promittendi. (A)


CODÉCIMATEURS. m. (Jurispr.) est celui qui a part dans des dixmes, soit ecclésiastiques ou inféodées, auxquelles un ou plusieurs autres décimateurs ont aussi droit chacun selon leur part & portion. Les codécimateurs qui joüissent des grosses dixmes, sont tenus chacun solidairement de fournir la portion congrue, ou le supplément d'icelle, au curé qui n'a point de gros, sauf à celui qui a payé la totalité, à exercer son recours contre chacun des autres codécimateurs pour leur part & portion. Voyez DECIMATEURS & DIXMES. (A)


CODÉTENTEURSS. m. pl. (Jurisprud.) sont ceux qui sont conjointement détenteurs d'un même héritage, soit par indivis ou divisément, chacun pour telle part & portion qu'ils y ont droit.

Les codécimateurs sont tous obligés solidairement au payement des charges foncieres ; & celui qui a payé pour tous n'a pas un recours solidaire contre les autres codétenteurs, mais seulement contre chacun pour telle part & portion dont ils sont détenteurs.

En matiere de rente constituée, l'un des codétenteurs de l'héritage hypothéqué étant poursuivi par action personnelle, suivant la coûtume de Paris, pour payer la rente, n'a pas de recours de son chef contre ses codétenteurs, à moins que le créancier ne l'ait subrogé en ses droits & actions. Cette matiere est très-bien expliquée par Loyseau, en son traité du déguerpiss. liv. II. ch. viij. (A)


CODI-AVANAMS. m. (Botan.) arbrisseau qui croît dans les lieux sablonneux des Indes orientales. Voilà tout ce qu'on sait de ses caracteres, ce qui nous dispense de l'énumération de ses propriétés.


CODICILLAIREadj. (Jurispr.) ce terme est toûjours joint avec celui de clause. Voyez ci-devant CLAUSE CODICILLAIRE.


CODICILLANTadj. pris subst. (Jurisprud.) se dit, en pays de droit écrit, pour exprimer celui qui fait un codicille, comme on appelle testateur celui qui fait un testament. Voyez le traité des testamens de M. Furgole, tome IV. ch. xij. pag. 335 ; & ci-après CODICILLE. (A)


CODICILLES. m. (Jurispr.) est une disposition de derniere volonté, qui differe en certaines choses des testamens.

Dans les pays de droit écrit, le codicille est un acte moins solemnel que le testament, & par lequel on ne peut faire que des dispositions particulieres, & non pas disposer de toute sa succession.

En pays coûtumier, les codicilles ne different point des testamens quant à la forme ni quant aux effets ; c'est pourquoi l'on dit ordinairement dans ces pays, que les testamens ne sont que des codicilles.

Il y a néanmoins quelques coûtumes qui requierent plus de formalités pour un testament, proprement dit, que pour un simple codicille, comme celle de Berry, qui distingue les testamens des autres dispositions de derniere volonté.

On distingue aussi en pays coûtumier les codicilles des testamens : on appelle premier, second, ou autres testamens, la disposition principale que le testateur fait de sa succession ; & sous le nom de codicille on entend certaines dispositions particulieres mises, soit à la suite du testament ou par quelque acte séparé, par lesquelles le testateur ajoûte, change, ou modifie quelque chose à son testament.

Expliquons d'abord les regles que l'on suit pour les codicilles en pays de droit écrit.

Vesembée en ses paratitles sur le titre de codicillis, n. 2. dit que le terme de codicille est un diminutif de codex, c'est-à-dire un petit écrit moindre que le testament.

On appelle codicillant, en pays de droit écrit, celui qui fait un codicille.

L'usage des codicilles étoit moins ancien chez les Romains que celui des testamens ; la loi des douze tables ne parloit que des testamens, & les codicilles ne furent introduits que sous le regne d'Auguste.

Les codicilles ne furent d'abord autorisés que pour les fidei-commis ou substitutions, lesquels étoient confirmés quoique faits par un codicille : mais il n'étoit pas encore permis de faire ainsi des legs ; c'est ce que dénote la loi 36. ff. de legat. 3°. où il est dit que la fille de Lentulus paya des legs faits par un codicille, quoiqu'elle n'y fût pas obligée ; il y a aussi plusieurs textes de droit qui indiquent que les legs, pour être valables, devoient être faits par testament. Dans la suite on confirma les legs soit universels ou particuliers, quoique faits par un codicille ; mais le codicille ne saisit point le légataire ; il doit demander la délivrance à l'héritier institué, s'il y en a un, ou à l'héritier ab intestat.

Le droit romain ne permet point d'instituer un héritier par un codicille, ni d'y instituer ou exhéreder ses enfans & autres qui ont droit de légitime ; cela ne se peut faire que par testament, ce qui a été ainsi ordonné, dit Justinien, afin que le droit des testamens & des codicilles ne fût pas confondu.

Les codicilles peuvent concourir avec un testament, ou subsister sans qu'il y ait de testament ; ils peuvent aussi précéder ou suivre le testament, & n'ont plus besoin d'être confirmés par le testament, comme cela se pratiquoit autrefois lorsqu'ils étoient antérieurs.

Lorsqu'il y a un testament, les codicilles antérieurs ou postérieurs sont censés en faire partie, & s'y rapportent tellement, que si le testament est nul dans son principe par quelque défaut de formalité, ou que l'héritier institué répudie la succession, les codicilles suivent le même sort que le testament.

On distingue dans le droit romain trois sortes de codicilles ; savoir, 1° ceux qui sont mystiques ou secrets, comme les testamens ainsi appellés, c'est-à-dire qui sont écrits & clos ou cachetés ; mais pour faire un tel codicille il faut du-moins pouvoir lire, comme il résulte de l'art. xj. de l'ordonnance des testamens : 2° les codicilles nuncupatifs qui pouvoient être faits verbalement & sans écrit en présence de témoins, comme les testamens nuncupatifs ; mais ces sortes de codicilles sont abrogés par l'ordonnance des testamens, qui veut que toutes dispositions à cause de mort soient rédigées par écrit, à peine de nullité : 3° les codicilles olographes, qui sont admis par le droit romain en faveur des enfans & autres descendans ; ces sortes de codicilles sont confirmés par l'ordonnance des testamens, qui veut qu'ils soient entierement écrits, datés & signés de la main du testateur.

On ne doit pas prendre à la lettre quelques textes de droit, qui disent que les codicilles ne demandent aucune formalité ; cela signifie seulement qu'ils ne sont pas sujets aux mêmes formalités que les testamens, comme d'instituer un héritier, d'instituer ou exhéréder ses enfans, & d'appeller sept témoins, &c.

Pour la validité du codicille il faut, suivant le droit romain, que le codicillant, c'est-à-dire celui qui dispose, explique sa volonté en présence de cinq témoins assemblés dans le même lieu & dans le même tems ; & si le codicille est redigé par écrit & cacheté, les témoins doivent le signer.

L'ordonnance des testamens, art. xjv. veut que la forme qui a eu lieu jusqu'à présent pour les codicilles, continue d'être observée.

Suivant cette même ordonnance, les codicilles doivent toûjours être datés ; & si le codicille est clos, la date doit se trouver tant dans l'intérieur que dans l'acte de suscription : si le codicille est nuncupatif, il doit être prononcé non-seulement devant les témoins, mais aussi en présence de la personne publique qui en dresse l'acte ; & si le codicille est clos, il suffit qu'il soit écrit par le testateur ou d'une autre main, mais toûjours signé du testateur ; & s'il ne sait ou ne peut signer, il faut appeller un témoin de plus à l'acte de suscription, comme cela est ordonné pour les testamens art. x. Il en est de même lorsque celui qui dispose est aveugle.

Les codicilles faits entre étrangers, c'est-à-dire au profit d'autres que les enfans & descendans de celui qui dispose, doivent être reçûs par un notaire ou tabellion, en présence de cinq témoins, y compris le notaire ou tabellion : si la coûtume du lieu exige un moindre nombre de témoins, il suffit d'appeller le nombre qu'elle prescrit.

Pour ce qui est des codicilles faits au profit des enfans ou autres descendans de celui qui dispose, il suffit, suivant l'art. xv. de l'ordonnance, qu'ils soient faits en présence de deux notaires ou tabellions, ou d'un notaire & deux témoins.

Du reste les témoins appellés à un codicille, doivent avoir les mêmes qualités que pour assister à un testament. Le droit romain distinguoit seulement les codicilles, en ce qu'il n'étoit pas nécessaire que les témoins fussent priés comme pour les testamens ; mais l'ordonnance ayant aboli cette subtilité, il n'y a plus à cet égard aucune distinction.

Les codicilles qui sont reçûs par une personne publique, doivent être faits uno contextu, en présence de tous les témoins ; ils doivent être écrits & datés de la main même de l'officier public, de même que les testamens. Le codicille doit ensuite être lû en présence du codicillant & des témoins, & l'officier public doit faire mention de cette lecture, après quoi le codicillant doit signer ; & s'il ne le sait ou ne le peut faire, on en doit faire mention. Les témoins doivent pareillement signer tous, si c'est dans une ville ou bourg muré : mais si le codicille est fait ailleurs, il suffit qu'il y en ait deux qui sachent signer & qui signent en effet, & que l'on fasse mention que les autres ne savoient ou ne pouvoient signer ; enfin il faut que le notaire signe.

Pour ce qui est des codicilles en faveur des enfans ou descendans en pays de droit écrit, ils ne demandent pas tant de formalités que ceux qui sont faits au profit d'étrangers : ils peuvent être faits en deux manieres ; l'une en présence de deux notaires ou tabellions, ou d'un notaire & deux témoins ; l'autre est en forme olographe, c'est-à-dire qu'ils soient entierement écrits, datés & signés du codicillant. Art. xv. & xvj. de l'ordonnance des testamens.

Une différence essentielle entre les testamens & les codicilles en pays de droit écrit, quant à leur effet, c'est que les dispositions faites par codicille ne saisissent point, mais sont sujettes à délivrance.

En pays coûtumier, la forme des testamens & celle des codicilles est la même. Les codicilles qui se font devant une personne publique, peuvent être reçûs par les mêmes officiers que les testamens, & ne demandent pas plus de formalités ; on y peut aussi faire des codicilles olographes, & les codicilles y ont le même effet que les testamens.

Les codicilles militaires ou faits en tems de peste, soit en pays coûtumier ou en pays de droit, sont sujets aux mêmes regles que les testamens militaires.

Pour faire un codicille en général, il faut avoir la même capacité de disposer que pour faire un testament, si ce n'est qu'en pays de droit écrit, pour disposer par testament, il faut en avoir la capacité au tems du testament & au tems de la mort ; au lieu que pour un codicille il suffit de pouvoir disposer au tems de la mort.

A l'égard de la clause codicillaire, nous en avons parlé ci-devant au mot CLAUSE.

La matiere des codicilles est traitée amplement par Furgole, en son traité des testamens, tom. IV. ch. xij. (A)


CODILLEterme de Jeux. On dit être codille à l'ombre, au médiateur, au quadrille, &c. quand on ne fait pas le nombre de mains prescrites par le gain ou la remise de la partie. Voyez ces jeux.


CODONOPHORESS. m. pl. (Hist. anc.) c'étoit l'usage chez les anciens de faire accompagner le cadavre à son enterrement par un porteur de sonnette. C'est cet homme qu'on appelle codonophore.


COECALEadj. en Anatomie, se dit de l'artere & de la veine qui se distribuent au coecum. Voyez COECUM. (L)


COECITÉsub. f. (Physiol.) privation de la vûe, soit par défaut de naissance, soit par l'âge, par accident ou par maladie : perte du sens qui est le plus fécond en merveilles, & dont l'organe est le miroir de l'ame :

Seasons return, but not to me returns

Day, or the sweet approach of ev'n, or morn,

Or sight of vernal bloom, or summer's rose

Or flocks, or herds, or humane face divine :

But cloud instead, and ever during dark

Surrounds me....

" Les saisons & les années reviennent, mais le jour ne revient pas pour moi ; les riantes couleurs du soir & du matin ne me consolent point : je ne vois plus les boutons du printems, ni les roses de l'été : la beauté du visage de l'homme où le Créateur a imprimé les traits divins de sa ressemblance, ne frappe plus ma vûe : je suis entouré d'épais nuages, une nuit sans fin m'environne ".

Telles sont les tristes réflexions que fait Milton sur la perte de sa vûe. Il n'étoit pas dans le cas des aveugles-nés ; il regrettoit des biens qu'il connoissoit, & qui ne touchent point les autres. Combien d'accidens différens peuvent nous jetter dans le même malheur pendant le cours de la vie ? Je ne me propose point de faire avec exactitude la triste énumération de ces accidens, je me contenterai de généralités ; le détail se trouvera dans ce Dictionnaire sous chaque article.

Les causes nombreuses qui produisent la coecité, sont internes ou externes.

Les causes internes, sont toutes les maladies de quelque espece qu'elles soient, qui attaquant violemment le globe de l'oeil, détruisent sa figure, ses tuniques, ses humeurs, ses vaisseaux & ses nerfs ; ainsi des tumeurs inflammatoires, des abcès, des apostumes, des skirrhes, des cancers, &c. seront autant de causes de l'aveuglement.

La vision est encore abolie par de graves maladies sur la cornée & la conjonctive, telles que leur obscurcissement, leur épaississement, leur suppuration, & les cicatrices de ces tuniques sur l'axe de la vûe.

Si l'humeur aqueuse vient à manquer, ou à s'écouler dans la cornée transparente, l'oeil s'éteint ; si elle croupit, elle détruit la fabrique de cet organe par sa putréfaction ; si elle s'épaissit entre les parties internes de l'uvée & le crystallin, ce sont des suffusions, des cataractes, & par conséquent la coecité.

Si l'uvée se resserre & devient immobile, l'aveuglement de jour en est l'effet ; si elle suppure, c'est l'aveuglement de jour & de nuit.

L'opacité, la corruption, la fonte, l'atrophie du crystallin, produisent la cataracte ou le glaucome, & en même tems la perte de la vûe : l'humeur vitrée exposée aux mêmes maux, a la même suite.

La choroïde, la tunique de Ruisch, étant sujettes par leur structure & leur délicatesse à l'inflammation & à la suppuration, seront affectées de nuages & de visions confuses, qui se terminent par la privation de la lumiere.

La prunelle, la rétine & les nerfs optiques attaqués de paralysie, d'érosion, de corruption, d'obstruction, ensorte que la communication libre entre ces parties dans leur origine & la moëlle du cerveau soit abolie, la coecité doit en résulter inévitablement.

Les causes externes sont ou communes à tous les pays, ou particulieres à certains lieux & à certains hommes.

Les causes externes communes à tous les pays seront les coups violens, les chûtes sur l'oeil, les piquûres, les blessures, les plaies, les exhalaisons vénéneuses, qui picotant, déchirant, rompant & séparant entierement par leur violence les parties intérieures de l'oeil, le font sortir hors de son orbite ; ou confondant intérieurement son organisation, produisent la coecité douloureuse qui suit nécessairement de ce ravage.

Les causes particulieres de la coecité chez certains peuples & à certaines personnes, sont la trop grande quantité de lumiere qui blesse perpétuellement leur vûe ; on en a des exemples fréquens dans le septentrion. Les Samojedes, les habitans de la nouvelle Zemble, les Borandiens, les Lapons, les Groënlandois, & les Sauvages du nord, continuellement éblouis par l'éclat de la neige pendant l'hyver, le printems & l'automne, & toûjours étouffés par la fumée pendant l'été, deviennent la plûpart aveugles en avançant en âge. La neige éclairée par le soleil dans ces pays du nord, éblouit les yeux des voyageurs au point qu'ils sont obligés de se couvrir d'un crêpe pour n'être pas aveuglés. Il en est de même des plaines sablonneuses de l'Afrique : la réflexion de la lumiere y est si vive, qu'il n'est pas possible d'en soûtenir l'éclat sans courir le risque de perdre la vûe.

Les Brodeurs, les Tapissiers, les Ciseleurs, les Graveurs, & tous ceux qui parmi nous ont des métiers de cette espece, fatiguent considérablement leur vûe, & la perdent à la fin ; parce que l'éclat de l'or, de l'argent, & des autres couleurs, fait une impression trop vive sur leurs yeux, ce qui les affoiblit & les ruine, les rayons de lumiere n'étant pas suffisamment modifiés par la rétine.

Les Astronomes par l'usage du télescope, les Naturalistes par celui du microscope, & les gens de Lettres par leurs travaux perpétuels, se préparent un aveuglement prématuré. Milton, le célebre Milton, ne devint aveugle que parce que dès l'âge de 12 ans il ne quittoit ses études qu'après minuit ; la foiblesse de sa vûe ne put jamais le corriger de cette habitude. Comment abandonner une occupation délicieuse, consolante dans l'adversité, propre à rehausser le lustre de la fortune dans la prospérité, répandant en tout tems d'innocens plaisirs, sans embarras, sans soucis & sans regrets ?

Le seul bon avis qu'on puisse donner aux gens qui lisent & qui écrivent long-tems de suite, c'est du-moins d'éviter de travailler à une lumiere trop forte ; il vaut beaucoup mieux, à choix égal, faire usage d'une lumiere trop foible, l'oeil s'y accoûtume bien-tôt ; on ne peut tout au plus que le fatiguer en diminuant la quantité de lumiere, & on ne peut manquer de le blesser en la multipliant ; l'on doit ce conseil & les faits sur la trop grande lumiere comme cause de la coecité, à l'ingénieux physicien qui a décoré son histoire naturelle d'une charmante physiologie.

La coecité, apanage de la vieillesse ou de la décrépitude, naît du retrécissement de l'uvée, de la conjonctive, de la cornée, de la diminution du crystallin, de la coalescence des vaisseaux, du manque d'esprits ; & pour le dire en un mot, de l'usement de la machine qui n'est susceptible d'aucun remede.

Mais n'y en a-t-il point pour la coecité produite par les autres causes dont nous avons parlé ? La Médecine & la Chirurgie n'y peuvent-elles rien ? Faut-il toûjours desespérer de la cure de cette maladie ? D'heureuses expériences ont quelquefois prouvé le contraire, & l'Art nous apprend à distinguer les especes de coecité qui sont incurables, d'avec celles dont on peut tenter & opérer la guérison.

La coecité symptomatique, quelle qu'elle soit, ne doit point allarmer, elle finit avec le mal dont elle émane. Celle, par exemple, qui provient de pituite, de lymphe épaissie dans le cerveau, & qui accompagne les maladies soporeuses & apoplectiques, cesse avec la maladie par les remedes résolutifs, épispastiques, volatils, catharctiques, & par les sternutatoires.

La coecité produite par la suppression d'un ulcere ou de toute matiere morbifique, porté par la circulation dans le cerveau, se rétablit par la cure ordinaire de la métastase.

La coecité causée par l'altération du crystallin, se guérit, comme on sait, par l'opération ; mais la cataracte adhérente à l'iris est sans remede.

La coecité subite occasionnée par des vapeurs de lieux soûterrains, est encore guérissable : nous en avons un exemple dans l'histoire de l'académie des Sciences, ann. 1711. p. 26. Des exhalaisons d'une vieille fosse produisirent un aveuglement réel sur deux manoeuvres ; ils recouvrerent la vûe en vingt-quatre heures par des compresses imbibées d'une liqueur spiritueuse tirée des plantes aromatiques mises sur les yeux, qui reporterent les esprits dans cet organe.

Mais, je le dis avec douleur, l'atrophie de l'oeil, sa sortie entiere de l'orbite par quelque coup ou instrument, ensorte qu'il ne tient plus qu'à quelques fibres nerveuses, charnues, ou membraneuses ; l'abcès de la cornée, les cicatrices de cette partie qui couvrent la prunelle, le desséchement entier du crystallin, la fonte du corps vitré, la destruction de la choroïde, la flétrissure des nerfs optiques, leur paralysie, &c. forment tout autant d'especes de coecité qui sont absolument incurables.

Je ne parlerai point ici de la coecité de naissance, ni des aveugles-nés. Voyez AVEUGLE & AVEUGLEMENT. Art. de M(D.J.)


COECUMS. m. (Anat.) le premier des gros intestins : on le nomme coecum, c'est-à-dire aveugle, parce qu'il n'a qu'une ouverture qui lui sert d'entrée & de sortie.

Les modernes ayant divisé les gros intestins, quoiqu'ils ne fassent qu'un canal continu, en trois portions ; la premiere, qui est faite en forme de poche, s'appelle le coecum. Rufus d'Ephese le nommoit appendicula coeci.

Ce n'est qu'un bout d'intestin comme une espece de sac arrondi, court & large, dont le fond est embas, & l'ouverture ou largeur en-haut. Il est situé sous le rein droit, & caché par la derniere circonvolution de l'intestin ileum. Sa longueur est environ de trois travers de doigt, plus ou moins ; son diametre a plus que le double de celui des intestins grêles : on voit au-travers de sa tunique charnue trois bandes ligamenteuses adhérentes à cette tunique, & qui se réunissent sur l'appendice vermiforme, dont elles couvrent la convexité. La tunique interne du coecum porte une espece de velouté ras, parsemé d'espace en espace de follicules glanduleuses ou glandes solitaires, plus larges que celles des intestins grêles. L'usage du coecum est de contenir pour un tems les excrémens, jusqu'à ce qu'ils entrent dans le colon.

Sur le côté du fond du coecum, se trouve un appendice comme un petit intestin, presque de la même longueur que le coecum, mais extrèmement grêle : on l'appelle appendice vermiculaire ou vermiforme, à cause qu'il a quelques entortillemens à-peu-près comme ceux d'un ver quand on le touche. Il ressemble aussi en quelque façon à la pendeloque charnue de la tête d'un coq-d'Inde. Son diametre n'excede guere trois lignes pour l'ordinaire. Il s'ouvre par une de ses extrémités latéralement dans le fond du coecum ; l'autre extrémité qui est fermée, est quelquefois plus étroite, & quelquefois plus ample que le reste de sa longueur. Cette extrémité fermée n'est point attachée au mésentere, mais au rein droit, par le moyen du péritoine. L'appendice vermiculaire est tout parsemé de follicules qui répandent continuellement dans sa cavité une espece de liqueur onctueuse, lubrifiante.

On ne connoît point encore l'usage de cette partie ; mais entre plusieurs sentimens qu'il seroit inutile de rapporter, le plus vraisemblable semble être celui des physiciens qui prétendent qu'elle sert à fournir une certaine quantité de liqueur mucilagineuse, propre à lubrifier la surface interne du sac du colon, & à ramollir les excrémens qui y sont contenus. Le grand nombre de follicules glanduleuses qu'on trouve dans cet appendice, & la conformité de structure du coecum dans les brutes, semble justifier cet usage, non-seulement dans les adultes, mais encore dans les foetus humains.

On objectera sans-doute que cet appendice étant à proportion beaucoup plus grand dans l'enfant nouveau né que dans l'adulte, il paroît qu'il doit avoir dans le premier quelqu'autre usage qui nous est inconnu : mais il est vraisemblable que la petitesse de cet intestin dans l'adulte, dépend de la compression qu'il souffre, & de ce qu'il se décharge souvent des matieres qu'il contient ; au lieu que dans le foetus il n'y a point de respiration, ni par conséquent de compression qui puisse en exprimer les matieres qui y sont contenues : d'ailleurs le meconium qui se trouve dans le sac du colon, l'empêche de se vuider, desorte que les liqueurs séparées par ses glandes en relâchent les fibres, & les distendent par le long séjour que les matieres y font.

Pour connoître la structure de l'appendice vermiculaire & son embouchure dans le coecum, il faut s'en instruire sur le cadavre ; les planches anatomiques ne suffisent point, & les préparations seches en donnent une fausse idée. Cette partie n'est pas exempte des jeux de la nature ; car Riolan dit avoir vû trois appendices fort éloignés les uns des autres, & attachés à l'ileum. Job Vanmekeeren rapporte qu'il a une fois trouvé une balle de plomb dans ce petit intestin. Quelquefois aussi des noyaux de cerise restent des mois entiers dans le coecum, sans causer d'incommodité ; & il y en a divers exemples dans les auteurs. Mais pour finir par une observation plus singuliere, Riolan assûre avoir trouvé le coecum placé dans le pli de l'aîne à l'ouverture du corps d'un apothicaire. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COEFFES. f. terme de Marchand de modes, ajustement de femme ; c'est un morceau de taffetas noir taillé quarrément par-devant, & en biais par-dessous, & dont le derriere, qui forme le derriere de la tête, est plissé. Les femmes se servent de cet ajustement pour se couvrir la tête ; elles placent la coëffe sur la coëffure, & la nouent où l'attachent sous le menton avec un ruban noir. Celles qu'elles portent en été sont de gase ou de dentelle.

Autrefois les coëffes étoient composées de deux aulnes de taffetas, & pendoient sur l'estomac ; elles ont été diminuées petit-à-petit, & sont devenues ce qu'elles sont aujourd'hui. Elles ont une infinité de noms différens. Il n'y a rien qui ressemble tant à l'abus de la nomenclature en Histoire naturelle, que celle des Marchandes de modes ; la moindre petite différence de formes dans un individu, fait imaginer aux Naturalistes un nouveau nom ou une nouvelle phrase ; la moindre petite différence dans un ajustement, altere ou change, chez les Marchandes de modes, la dénomination d'un ajustement : une coëffe est-elle grande & prise dans toute la largeur du taffetas, a-t-elle les pans à peine échancrés, se noue-t-elle sous le menton, & se termine-t-elle en bavoir étendu sur la poitrine ; c'est une coëffe à la bonne femme : differe-t-elle des autres coëffes par ses pans, ces pans sont-ils assez longs, se nouent-ils d'un noeud à quatre devant ou derriere, & sont-ils terminés par un gland ; c'est une coëffe à la duchesse : est-elle prise dans la moitié de la largeur du taffetas, n'a-t-elle que des pans fort courts, est-elle bordée d'une dentelle tout-au-tour devant & derriere, & se noue-t-elle sous le menton avec deux rubans passés en sens contraire dans une coulisse faite sur le derriere ; c'est une coëffe à la miramione : n'a-t-elle pas plus de profondeur que le premier bonnet, & est-elle bordée devant & derriere d'un ruban bouchonné, n'a-t-elle que des pans forts courts, & s'attache-t-elle en-devant par une agraffe couverte d'un noeud de dentelle à quatre ; c'est une coëffe au rhinoceros, &c. &c. &c.

COEFFE A PERRUQUE, est une sorte de reseau tissu de façon qu'il s'ajuste exactement à la grosseur d'une tête : on applique sur ce reseau des tresses de cheveux pour en fabriquer une perruque. Il y a de ces coëffes qui sont de soie ou de filoselle, & d'autres de fil.

COEFFE, en Anatomie, est une petite membrane qu'on trouve à quelques enfans, qui enveloppe leur tête quand ils naissent.

Drelincourt pense que ce n'est qu'un lambeau des tuniques du foetus, qui ordinairement se creve à la naissance de l'enfant. Voyez FOETUS.

Lampridius dit que de son tems des sages-femmes vendoient ces coëffes à des avocats, qui les payoient bien cher, persuadés qu'en les portant ils auroient une vertu persuasive de laquelle leurs juges ne pourroient pas se défendre. Les canons en ont défendu l'usage, parce qu'il y a eu, dit-on, des magiciens & des sorciers qui en ont abusé pour faire des maléfices. Dictionn. de Trév. (L)


COEFFÉbien coëffé, (Chasse) se dit d'un chien courant qui est bien avalé, & à qui les oreilles passent le nez de quatre doigts. Diction. de Trév.

COEFFE, adj. (Drap.) il se dit en bien & en mal, selon que la lisiere est bien ou mal faite : si cette partie est bien travaillée relativement à la largeur, à l'ourdissage, à la couleur, & à la matiere, on dit que le drap est bien coëffé ; si elle peche par le défaut de quelqu'une de ces qualités, on dit qu'il est mal coëffé.

COEFFE bien ou mal, (Maréch. & Man.) Bien se dit d'un cheval qui a les oreilles petites & bien placées au haut de la tête ; & mal, de celui qui les a placées trop à côté de la tête, & longues & pendantes. Voyez OREILLE & CHEVAL.


COEFFER(SE) Marine, se dit des voiles, lorsqu'abandonnées à elles-mêmes & dénuées de bras, de bouline & d'escoutes, elles s'appliquent aux mâts, & ne servent plus à la conduite du vaisseau.

COEFFER un livre ; les Relieurs appellent coëffer un livre, lorsque le volume étant couvert, ils arrangent le tranchefile avec la pointe, & retirent un peu du veau pour recouvrir le tranchefile ; ce qui se fait avec un poinçon legerement, pour ne pas déchirer la peau, en observant de ne pas trop cacher le tranchefile. On fait cette façon en couvrant le livre, lorsque les peaux sont encore mouillées. Voyez COUVRIR ; voyez RELIER.

COEFFER, (fer à) terme de Marchand de modes ; anciennement ces fers à coëffer étoient de différentes figures ; ils avoient trois, quatre, cinq, & six branches de chaque côté ; ils étoient faits de fil-d'archal reployé, & formoient une espece de peigne dont les deux premieres branches, c'est-à-dire celles de dessus la tête, étoient plus longues, & les autres alloient par étage & en diminuant, éloignées d'un bon doigt les unes des autres ; chaque branche faisoit faire à la coëffure un gros pli, ce qui ressembloit à des tuyaux d'orgue.

Les fers du tems présent sont environ longs de trois ou quatre doigts, n'ont qu'une branche de chaque côté, & sont couverts de petits rubans fort étroits de soie blanche : ils servent pour former & soûtenir le gros pli du milieu d'une coëffure. Voyez COEFFURE.


COEFFEUSES. f. femme dont le métier est d'aller dans les maisons pour friser & coëffer ; elle monte aussi les bonnets & les coëffures.


COEFFICIENTS. m. (Algebre) en langage algébrique, est le nombre ou la quantité quelconque placée devant un terme ; & qui, en se multipliant avec les quantités du même terme qui la suivent, sert à former ce terme. Voyez TERME. Ainsi dans 3 a, b x, C x x, 3 est le coefficient du terme 3 a, b celui de b x, C celui de C x x.

Lorsqu'une lettre n'est précédée d'aucun nombre, elle est toûjours censée avoir 1 pour coefficient, parce qu'il n'y a rien qu'on ne puisse regarder comme multiplié par l'unité. Ainsi a, b c sont absolument la même chose que 1 a, 1 b c. Il ne faut pas confondre les coefficiens avec les exposans. Dans la quantité 3 a, le coefficient 3 indique que a est pris trois fois, ou que a est ajoûté deux fois à lui-même. Au contraire dans la quantité a 3, l'exposant 3 indique que a est multiplié deux fois de suite par lui-même.

Par exemple, supposons que a soit 4, 3 a sera 3 fois 4, c'est-à-dire 12, & a 3 sera 4 x 4 x 4, c'est-à-dire 64. Voyez CARACTERE.

Dans une équation ordonnée, le coefficient du second terme est la somme de toutes les racines (voyez RACINE) ; ensorte que si la somme des racines positives est égale à celles des racines négatives, & que par conséquent la somme totale des racines soit zéro, il n'y aura point de second terme dans l'équation.

Le coefficient du troisieme terme dans la même équation ordonnée, est la somme de tous les produits des racines prises deux à deux de toutes les manieres possibles.

Le coefficient du quatrieme terme est la somme de tous les produits des racines prises trois à trois, de toutes les manieres possibles, & ainsi des autres termes à l'infini.

La méthode des coefficiens indéterminés est une des plus importantes découvertes que l'on doive à Descartes. Cette méthode très en usage dans la théorie des équations, dans le calcul intégral, & en général dans un très-grand nombre de problèmes mathématiques, consiste à supposer l'inconnue égale à une quantité dans laquelle il entre des coëfficiens qu'on suppose connus, & qu'on désigne par des lettres ; on substitue ensuite cette valeur de l'inconnue dans l'équation ; & mettant les uns sous les autres les termes homogenes, on fait chaque coefficient = 0, & on détermine par ce moyen les coefficiens indéterminés. Par exemple, soit proposée cette équation différencielle,

d y + b y d x + a x2 d x + c x d x + f d x = 0, on supposera y = A + B x + C x x, & on aura,

d y = B d x + 2 C x d x

+ b y d x = b A d x + b B x d x + b C x x d x

+ a x2 d x = a x2 d x

+ c x d x = + c x d x

+ f d x = + f d x

Ensuite on fera B + B A + f = 0, 2 C + b B + c = 0, b C + a = 0 ; & résolvant ces équations à l'ordinaire (voyez EQUATION), on aura les inconnues A, B, C. (O)


COEFFURES. f. en terme de Marchand de modes, est proprement tout ce qui sert à couvrir la tête des femmes, dans le négligé, demi-négligé, & dans l'ajusté. Ce terme sera bien-tôt au nombre de ceux auxquels on n'attache plus d'idées ; déjà la moitié des dames ont trouvé le moyen de se coëffer sans coëffure.

Cette partie de l'ajustement des femmes a été de tout tems sujette à bien des révolutions, tant chez les Grecs que chez les Romains, & les autres nations ; il est impossible d'en faire mention. Les modes changeoient alors comme aujourd'hui : en dix-neuf ans du regne de Marc Aurele, sa femme paroît avec trois ou quatre coëffures différentes. Chacune de ces modes avoit son nom. Loin de connoître celui des pieces de toutes ces coëffures, nous n'avons seulement pas ceux de la coëffure entiere : il y en a en cheveux, d'autres en perles & pierres précieuses, &c.

Les coëffures sont faites le plus ordinairement de belles dentelles, de gase, de blonde, &c. Les veuves en portent de mousseline unie, ourlée tout-au-tour d'un grand ourlet large & plat. Les femmes d'artisans en portent de mousseline & de batiste ; & les femmes au-dessus du commun se servent de ces coëffures pour la nuit.

Les coëffures à quatre barbes sont de deux pieces, dont celle de dessous est plus large que celle de dessus : il y faut près de six aulnes de dentelle ; car pour les barbes on coud deux dentelles de la même façon à côté l'une de l'autre, ce qui forme la largeur de la barbe, qui peut avoir demi-aulne de long, & est tout en plein de dentelle : le bas forme une coquille plissée : le dessus de tête est aussi de la même dentelle, & tient aux barbes ; il peut avoir un quart & demi de long, & est attaché ou monté sur un morceau de mousseline unie, ou rayée, ou brodée : en la cousant à ce morceau, on plisse cette dentelle de plusieurs plis. C'est sur la seconde piece que l'on monte le fer qui forme le gros pli du milieu, qui se pose sur la premiere piece. Les pieces s'accolent l'une sur l'autre ; elles se montent ensuite sur un bonnet piqué, & s'y attachent avec de petites épingles.

Il y a aussi des coëffures appellées à bavolet, parce que la seconde piece, qui n'est à proprement parler qu'un dessus de tête sans barbe, s'appelle bavolet ; mais il fait le même effet que les coëffures à deux pieces.

L'on garnit toutes ces coëffures en-dessus de rubans de différentes couleurs, & qui y sont assujettis avec de petites épingles. La façon de les poser differe suivant les modeles.

Autrefois, c'est-à-dire il y a quarante ou quarante-cinq ans, les coëffures de femmes étoient beaucoup plus larges, & montées sur des fers à trois, quatre, cinq, ou six branches de chaque côté, qui étoient plus courtes les unes que les autres, qui formoient de gros plis tout-autour du visage qui représentoient des tuyaux d'orgue.

Aujourd'hui les femmes ne sont coëffées qu'avec de petites coëffures qui, quand elles sont montées, ne sont pas plus larges que la paume de la main ; les cheveux qui sont frisés font le reste de la coëffure. On appelle cette façon de coëffure, en-arriere.

L'on fait aussi des coëffures de geai monté sur du fil-de-laiton, que l'on appelle coëffures en comete.

Ce seroit encore ici une longue affaire de nomenclature, que de rapporter toutes les variétés que les coëffures ont eu, & tous les noms qu'on leur a donnés selon ces variétés.


COELESIRIou COELÉ, (Géog. anc.) contrée de Syrie qui comprenoit, selon les uns, la vallée qui s'étend entre le Liban & l'Antiliban ; selon d'autres, le même espace, avec le pays de Damas, & ce qui est entre la Syrie propre, la Phénicie, & la Palestine. Il y en a qui ne la bornent qu'à l'Arabie & à l'Egypte. Elle se nomme aujourd'hui Bocalbalbec.


COELIAQUEen Anatomie, se dit d'une artere qui provient antérieurement & un peu à gauche du tronc descendant de l'aorte dans l'abdomen, vis-à-vis le cartilage qui est entre la derniere vertebre du dos de la premiere des lombes. Voyez AORTE, ARTERE, &c.

Elle produit d'abord après sa naissance deux petites arteres, quelquefois une seule, qui se distribue à droite & à gauche du diaphragme : elle communique avec les diaphragmatiques supérieures ; & peu après elle donne une branche qu'on appelle artere coronaire stomachique, ou artere gastrique supérieure, ou artere gastrique : incontinent après elle se divise en deux autres branches ; l'une à droite, nommée artere hépatique ; l'autre à gauche, appellée artere splénique. Quelquefois elle se divise tout-à-coup en ces trois branches. Voyez chacune à leur article, HEPATIQUE, &c. (L)

COELIAQUE, s. f. (Médec.) la coeliaque, ou pour mieux parler, l'affection coeliaque, la passion coeliaque, est une espece de flux de ventre copieux & fréquent, dans lequel l'on rend par l'anus les alimens digérés, mais avec du chyle qui s'y trouve confondu.

Hippocrate ne fait aucune mention de cette maladie. Aretée est le premier parmi les Grecs qui en ait donné la description, & très-exactement, l. II. ch. vij. il appelle ceux qui en sont affligés . Coelius Aurelianus les nomme ventriculosi, & indique la maniere de les guérir, liv. IV. ch. iij. Mais ce que Celse appelle maladie coeliaque de l'estomac, & qu'il décrit, liv. IV. ch. xij. comme accompagnée de douleurs dans le bas-ventre, d'une constipation si violente, que les vents ne peuvent sortir, d'un froid aux extrémités, & d'une grande difficulté de respirer, est une maladie également différente de celle dont parle Aretée & Coelius Aurelianus, & de la nôtre.

Quelques modernes prétendent que la passion coeliaque & la lienterie ne different absolument qu'en degré ; cependant il faut encore y ajoûter cette différence, que dans la lienterie les alimens sortent presque cruds ; ce qui indique que l'estomac n'a pû les dissoudre, au lieu que dans la passion coeliaque le chyle sort avec les excrémens ; ce qui montre que l'estomac a bien la force de broyer, de digérer les alimens, mais que les vaisseaux lactés, les glandes intestinales, sont obstruées, ensorte que le chyle n'y peut passer.

Freind distingue la passion coeliaque du flux chyleux ; mais cette distinction est à mon sens trop raffinée : car soit que l'obstruction procede des vaisseaux lactées ou des glandes intestinales, qui ne fournissent pas assez de lymphe pour délayer le chyle de l'estomac, & le mettre en état de passer dans les vaisseaux lactées, il en résultera toûjours le même effet ; le chyle sera précipité hors du corps avec les matieres fécales.

Ainsi le danger du mal se trouve dans la grandeur de l'obstruction, & dans sa durée. La cure consiste donc à employer dans les commencemens les secours propres à lever les obstructions des vaisseaux lactées, des glandes des intestins, & de celles du mésentere qui peuvent être affectées.

Pour procurer cet effet il faut d'abord mettre en usage les purgatifs legers donnés en petite quantité, mais à plusieurs reprises ; ensuite les résolutifs, les apéritifs, tant intérieurement qu'en applications extérieures sur le bas-ventre, avec de fréquentes frictions qu'on y joindra.

Puisque le flux de ventre regne dans l'affection coeliaque, ne seroit-il pas à-propos de l'arrêter par les meilleurs astringens ? Nullement : il ne s'agit pas ici de resserrer les glandes intestinales, ni les orifices des vaisseaux lactées ; il s'agit de les desobstruer. Mais en échange l'ipecacuanha, les antimoniaux donnés à petites doses, ne répondent-ils pas à l'indication du mal ? c'est ce dont on ne peut guere douter. Tournez toûjours les remedes contre la cause de la maladie, & vous réussirez en Médecine comme en Droit politique. Ici vous détruirez la paresse par la vanité, par le point d'honneur ; & là vous ne vaincrez que par l'appas du gain. Tantôt le flux de ventre demande des resserrans, & tantôt des desobstruans ; l'application des remedes mal dirigée gâte tout. Art. de M(D.J.)


COELISPEX(Myth.) surnom d'Apollon, ainsi appellé à Rome de la statue qu'il avoit dans la onzieme région. Cette statue regardoit ou le ciel, ou le mont Coelius.


COELIUS(MONS ) Hist. anc. le mont Coelius ; une des sept montagnes de Rome, ainsi nommée d'un Coelius ou Coelès Vibenna, chef des Etruriens, qui secourut Romulus ou Tarquin. C'est aujourd'hui le mont Saint-Jean.


COELUSS. m. (Myth.) dieu du paganisme : il étoit époux & fils de la Terre ; il eut de sa mere Saturne, Rhéa, l'Océan, & les Titans. Saturne rompit les chaînes dont il avoit été chargé par son pere, délivra ses freres & sa soeur, & coupa les testicules à Coelus. De ces testicules coupés naquirent les Nymphes, les Géans, les Furies, & la mere de l'amour.


COENES. f. (Anatomie) croûte ordinairement blanche, dont le sang est quelquefois recouvert après la saignée dans le vaisseau où elle est faite.

Le mot de coëne pourroit bien avoir été formé de kenn, qui dans la langue du pays de Galles signifie peau, cuir, d'où vient le terme anglois skin, qui veut dire la même chose.

La coëne est cette humeur concrete du sang refroidi & en repos, formée sur la superficie en une espece de croûte ordinairement pâle, épaisse, & tenace.

Lorsqu'on a tiré du sang d'une personne qui est attaquée d'une inflammation violente, on apperçoit le phénomene dont nous venons de parler, & qui est fort surprenant. Tout le monde sait que le sang que l'on reçoit dans un vaisseau à mesure qu'il sort de la veine, se fige aussi-tôt après & se sépare en deux parties ; l'une blanche-jaunâtre appellée sérosité ; l'autre rouge, qui flotte ordinairement dans la premiere comme une île : mais dans la plûpart des maladies inflammatoires, fievres aiguës, ardentes, dans les rhûmatismes, &c. la partie supérieure de cette île est couverte d'une pellicule blanche, quelque peu bleuâtre, jaunâtre, ou verdâtre, souvent épaisse de quelques lignes, & si coriace qu'on peut à peine la couper avec un rasoir. Comme le sang des personnes qui ont une pleurésie est souvent couvert d'une semblable pellicule, les Médecins lui ont donné le nom de croûte pleurétique, quoique la même chose arrive aussi dans d'autres maladies, & même dans celles qui ne sont pas inflammatoires, comme la phthisie & la dyssenterie ; cette matiere coëneuse s'endurcit aisément ; & quand elle est long-tems agitée ou battue, elle se change quelquefois en ichorosité. De plus, cette coëne n'est pas toûjours de la même tenacité.

Plusieurs auteurs ont fait des remarques singulieres sur ce sujet. Par exemple Sydenham, dans son traité de la pleurésie, a observé que lorsque le sang après une ouverture trop petite ou par d'autres raisons, ne sort point horisontalement de la veine, & qu'il coule perpendiculairement le long du bras, il ne se couvre point d'une semblable pellicule. Il remarque encore que dans ces sortes de ces, les malades ne se trouvent pas autant soulagés que si le sang fût sorti de plein jet, & se fût couvert de cette croûte blanche. Il dit aussi que la formation de cette pellicule est empêchée par tout ce qui s'oppose à la sortie du sang. D'autres ajoûtent que cette coëne ne se manifeste point ou très-peu, lorsque le vaisseau dans lequel on reçoit le sang est large & plat, & lorsqu'il a été exposé à un air trop froid. Enfin ce qui paroît plus étrange, est qu'encore que le sang sorte librement par une large ouverture, cette peau ne se forme point lorsque le sang a été bien agité dans le vaisseau avec le doigt ou quelque instrument.

Il résulte de toutes ces observations, que l'explication de ce phénomene, quoique très-commun, est plus difficile qu'on ne l'imagine, & que l'origine de cette coëne est fort obscure.

Quelques-uns cependant prétendent qu'elle est seulement produite par la sérosité du sang, qui est disposée par la maladie à s'épaissir : mais c'est ne rien dire, outre que cette pellicule qui surmonte la sérosité, occupe toûjours la partie supérieure, & tantôt s'attache à la circonférence du vaisseau dans lequel on a reçû le sang, tantôt en est entierement détachée.

D'autres croyent qu'elle est formée d'un chyle crud, qui n'a pas eu le tems de se convertir en sang ; mais le chyle quand il est mêlé avec le sang, & qu'il n'est point assez travaillé, flotte toûjours dans la sérosité sous une forme fluide, sans jamais s'attacher à la partie rouge du sang : de plus, cette pellicule a également lieu, soit que la saignée ait été faite trop tôt après le repas, ou lorsque le chyle a eu tout le tems nécessaire d'être changé en sang.

D'autres pensent que cette pellicule tenace se forme lorsque la vîtesse de la circulation tend à disposer le sang à se coaguler, & par conséquent qu'elle n'est point la cause, mais plûtôt l'effet de la maladie. Mais on a quelquefois remarqué cette croûte dans le sang des personnes les plus saines : on l'a observé aussi chez des gens fort foibles, qui avoient coûtume de se faire saigner par précaution, ou pour prévenir un crachement de sang. En un mot, cette coëne se trouve dans l'inflammation comme hors de l'inflammation.

Enfin d'autres physiciens ont dit avec plus de fondement, que cette peau compacte provient d'une lymphe grossiere & visqueuse du sang, qui dans la circulation passant difficilement par les extrémités artérielles, doit s'endurcir naturellement quand elle est en repos, & peut néanmoins se transmuer en matiere critique par une circulation modérée, ou par des remedes propres à diviser cette lymphe. Ils ajoûtent que la partie albumineuse, gélatineuse, & graisseuse du sang, concourt encore à la production de cette pellicule coriace, qui se forme sur la surface de ce sang tiré des veines. Suivant ce système, les différentes couleurs qui se trouvent quelquefois sur la superficie du coagulum, & qui la rendent comme marbrée, procedent des parties intégrantes du sang qui ont souffert différentes triturations, de la qualité du chyle, de la sérosité, & de la bile qui s'y trouve mêlée ; ainsi la couleur laiteuse de la pellicule coëneuse vient de la partie gélatineuse du sang prédominante, ou de ce que la saignée a été faite trop tôt après le repas ; la couleur jaunâtre, bleuâtre, ou verdâtre, dépend de la bile qui ne se filtrant pas bien, se mêle avec la sérosité du sang, & lui imprime leurs couleurs. Cette hypothese est assûrément la plus vraisemblable ; cependant comme elle ne suffit pas encore pour expliquer tous les faits, le problème médicinal subsiste toûjours : trouver la raison de la non-existence ou de la formation de la coëne sur le sang tiré par la saignée des gens sains & malades, conformément aux phénomenes justifiés par de bonnes observations. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COENOBITEvoyez CENOBITE.


COEPENICK(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la marche de Brandebourg, sur la Sprée.


COEQUES. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que s'appelle le roi des Cafres Chococas. Le coëque se prétend souverain de tous les Cafres qui habitent à 80 lieues à la ronde du cap de Bonne-Espérance. Des voyageurs réduisent ce royaume à quelques familles, formant quinze à seize villages, à la vérité très-riches en bestiaux.


COERBACH(Géog. mod.) ville d'Allemagne, capitale de la principauté de Waldeck, près du pays de Hesse-Cassel. Long. 26. 30. lat. 57. 15.


COERCITIONS. f. (Jurispr.) signifie punition des délinquans. Le droit de coercition est un des attributs de la justice. Il y a certains officiers de police qui ont seulement ce que l'on appelle jus vocationis & prehensionis, c'est-à-dire le droit de faire appeller devant eux, & même arrêter les délinquans, mais qui n'ont pas le droit de coercition. Quelques-uns confondent mal-à-propos le droit de correction avec le droit de coercition. Les supérieurs réguliers ont le droit de correction modérée sur leurs religieux, mais ils n'ont pas le droit de coercition, lequel s'étend à toutes sortes de peines afflictives. (A)


COESFELD(Géog. mod.) ville forte d'Allemagne en Westphalie, dans l'évêché de Munster, près du Berkel. Long. 24. 50. lat. 51. 58.


COESNON(LE) Géog. mod. riviere de France en Normandie, qui prend sa source dans le Maine & se jette dans la mer près du mont S. Michel.


COÉTERNITÉS. f. (Théol.) Les Théologiens se servent de ce terme comme un attribut des personnes de la Trinité. Voyez ÉTERNITE.

Les orthodoxes tiennent que la seconde & la troisieme personne de la Trinité sont coéternelles à la premiere. Voyez TRINITE. (G)


COEURen Anatom. est un corps musculeux situé dans la cavité de la poitrine, où toutes les veines aboutissent, & d'où toutes les arteres sortent ; & qui par sa contraction & sa dilatation alternative, est le principal instrument de la circulation du sang, & le principe de la vie. V. ARTERE, VEINE, SANG, VIE, &c.

Les parties principales du coeur sont la base ; c'est le côté droit du coeur. Sa pointe, c'est son extrémité gauche. Son bord antérieur & son bord postérieur, ce sont deux des côtés de sa figure triangulaire. Sa face antérieure supérieure convexe, c'est celle qui regarde un plan horisontal qui seroit posé sur la tête. Sa face plate, c'est la face opposée à la précédente. Les deux vestibules, ce sont les cavités qui sont à la base : on y distingue deux parties, l'une plus évasée qu'on appelle sinus ; l'autre plus étroite figurée comme une petite oreille, qu'on appelle oreillette. Ses ventricules, ce sont les deux cavités creusées dans sa substance, & qui le constituent : on les distingue en droit ou antérieur, en gauche ou postérieur. Sa cloison, c'est la partie charnue qui sépare les deux ventricules. Ses valvules tricuspides, mitrales, sigmoïdes. La valvule d'Eustachi. La valvule du trou oval. Le tubercule de Lower, ou l'éminence qui se remarque dans les animaux entre le concours de la veine-cave supérieure & de l'inférieure, dans le parois interne. L'isthme de Vieussens, c'est une éminence que forment les trousseaux de fibres qui se croisent autour du trou oval dans l'oreillette droite. Les colonnes charnues, voyez COLONNES. Le réseau, ce sont des especes de mailles que les trousseaux de fibres qui garnissent en-dedans les ventricules du coeur, forment par leur entrelacement. Les petites traverses, petits paquets de fibres situées transversalement dans le fond des ventricules du coeur, relativement à l'orifice de l'artere-aorte & de la pulmonaire auxquelles elles répondent. Le trou oval ou botal, par lequel le sang passe dans le foetus de l'oreillette droite dans la gauche. Le sac de Morgagni, c'est un espace qui s'observe entre la valvule du trou oval & son contour. Les orifices des veines de Thebesius & de Verheyen ce sont les orifices des veines qui s'ouvrent dans les ventricules.

Le corps musculeux entier est enfermé dans une capsule appellée péricarde, dont on expliquera la structure & les fonctions sous le mot PERICARDE.

Le coeur a en quelque sorte la figure d'un cone ou d'une pyramide renversée, dont la partie supérieure qui est la plus large est appellée base, & l'inférieure la pointe, qui est un peu tournée vers le côté gauche. La base est accompagnée de deux appendices nommés oreillettes, & de gros vaisseaux sanguins. Voyez OREILLETTE.

Sa grandeur n'est point déterminée, & elle varie dans les différens sujets. Il a pour l'ordinaire six pouces de long, quatre ou cinq de large à sa base, & quatorze de circonférence. Il est situé dans le milieu de la poitrine dans le médiastin, entre les deux lobes des poumons. Il est attaché au péricarde, & soûtenu par les gros vaisseaux sanguins qui s'inserent immédiatement dans sa substance, & il est par ce moyen à couvert des obstacles qui pourroient s'opposer à son mouvement. Il est enveloppé d'une membrane mince, & entouré de graisse vers sa base. Voyez MEMBRANE.

Le coeur est creux, & divisé en général en deux grandes cavités appellées ventricules, dont le droit qui est le plus grand, peut contenir deux ou trois onces de sang : ces ventricules sont séparés par une cloison charnue, composée des mêmes fibres musculaires que les parois : on l'appelle cloison ; sa figure est concave du côté du ventricule gauche, & convexe vers le droit. Ces ventricules n'ont aucune communication immédiate, & le sang ne peut se rendre de l'un dans l'autre, qu'en passant par les poumons.

Les parois de ces ventricules ne sont point également forts & épais ; le gauche l'est beaucoup plus que le droit, parce que sa fonction est de pousser avec force le sang dans toutes les parties du corps ; au lieu que le droit ne le pousse que dans les poumons, encore est-il aidé par d'autres parties.

Il paroît en effet que le ventricule droit n'a été fait qu'en faveur des poumons, car l'on ne trouve que le ventricule gauche dans les animaux qui n'en ont point.

On trouve dans les ventricules des petits muscles appellés colonnes charnues, ou lacertuli, lesquels sortent des parois & vont s'attacher par des extrémités tendineuses aux valvules du coeur, dont nous parlerons ci-après.

On observe au-dessus de chaque ventricule une cavité dans chaque oreillette, composée de même qu'eux d'un double rang de fibres charnues. Voyez OREILLETTE.

Les vaisseaux qui sortent du coeur consistent en deux arteres, savoir l'aorte & l'artere pulmonaire ; l'aorte sort du ventricule gauche, & l'artere pulmonaire du droit ; & les vaisseaux qui s'y rendent sont deux veines qui aboutissent aux oreillettes, savoir la veine-cave dans la droite, & la veine pulmonaire dans la gauche. Voyez AORTE, PULMONAIRE, &c.

Les arteres ont à leur embouchure dans chaque ventricule trois valvules ou membranes semi-lunaires, situées de façon qu'elles s'opposent au retour du sang dans le coeur lors de sa dilatation. Voy. VALVULE.

Les oreillettes communiquent avec les ventricules. A l'orifice du ventricule droit, à l'oreillette droite, sont placées trois valvules appellées tricuspides, à cause qu'elles sont attachées par leurs trois pointes ou colonnes charnues, par plusieurs cordes tendineuses ; desorte que dans la contraction ou systole du coeur elles ferment l'orifice, & empêchent le sang de rentrer dans l'oreillette droite.

Les deux valvules mitrales font les mêmes fonctions à l'entrée du ventricule gauche, & s'opposent au retour du sang dans l'oreillette gauche. Voyez TRICUSPIDE & MITRALE.

La substance du coeur est entierement charnue ou musculeuse. Les anciens le prenoient généralement pour un parenchyme : mais Hippocrate a mieux pensé qu'eux là-dessus ; & Stenon, & ceux qui sont venus après lui, ont démontré qu'il est composé d'une suite continue de fibres musculeuses différemment entrelacées, qui aboutissent aux orifices de chaque ventricule, où elles forment leurs tendons.

Lorsqu'on disseque le coeur on découvre, après avoir ôté la membrane propre, sur la surface externe du ventricule droit, quelques fibres fort déliées qui tendent en ligne droite vers sa base. On trouve immédiatement sous celles-ci une double couche de fibres spirales, dont les extérieures montent obliquement depuis la cloison jusqu'à la base, & forment une espece de vis. Les fibres intérieures prennent une route contraire, se portent obliquement de droite à gauche, & forment pareillement une vis dans un sens opposé : sous celles-ci paroissent les fibres du ventricule gauche, & premierement une suite spirale qui se porte vers la gauche, sous laquelle, aussi-bien que dans l'autre ventricule, on en trouve une autre qui va du côté opposé, laquelle s'étend non-seulement jusqu'aux extérieures qui lui sont semblables, mais environne encore tout le ventricule, & fait que la cloison vient d'une partie du ventricule gauche ; quelques-unes d'elles, au lieu de se rendre comme les autres dans les tendons du coeur, rentrent en-dedans & forment les colonnes charnues, tandis que d'autres se portent vers la pointe qu'elles environnent, & forment le cercle appellé centre du coeur.

Les fibres du coeur paroissent les mêmes que celles des autres muscles ; ce qui fait regarder aujourd'hui cette partie comme un vrai muscle, quoique quelques-uns rejettent cette conséquence comme peu juste ; prétendant que si cela étoit, l'aorte devroit être regardée comme un muscle. Voyez MUSCLE & AORTE.

Quelques auteurs modernes, après avoir examiné la structure & la disposition des fibres spirales, ont mieux aimé regarder le coeur comme un double muscle, ou comme deux muscles joints ensemble. En effet, les deux ventricules avec leurs oreillettes, font deux corps, deux vaisseaux, deux cavités différentes qui peuvent être séparées sans cesser pour cela d'être des vaisseaux ; d'autant plus que la cloison que l'on croyoit auparavant n'appartenir qu'au ventricule gauche, est composée de fibres qui appartiennent à tous les deux. D'ailleurs, si l'on en croit M. Winslow, les deux ventricules sont deux différens muscles, unis ensemble non-seulement par la cloison, mais encore par plusieurs plans de fibres qui partent de la base du coeur, se rencontrent à la pointe, & tapissent les parois du ventricule gauche.

Le coeur a encore des vaisseaux sanguins qui lui sont propres ; savoir deux arteres qui sortent de la naissance de l'aorte, & une grande veine avec une ou deux plus petites, que l'on appelle arteres & veines coronaires, parce que leurs troncs couronnent en quelque maniere la base du coeur. Voyez CORONAIRE.

Les nerfs du coeur & de ses oreillettes viennent d'un plexus de la huitieme paire, & du nerf intercostal appellé plexus cardiaque. Voyez NERF & PLEXUS.

Il y a aussi des vaisseaux lymphatiques qui portent la lymphe dans le canal thorachique. Voy. CONDUIT LYMPHATIQUE.

L'usage du coeur est de pousser le sang dans toutes les parties du corps, à quoi contribue principalement son mouvement alternatif de contraction & de dilatation. Par la dilatation, appellée diastole, ses cavités s'ouvrent & se dilatent pour recevoir le sang que les veines y apportent ; & par leur contraction appellée systole, ses cavités se resserrent & se contractent pour repousser de nouveau le sang dans les arteres. Voyez OREILLETTE, SYSTOLE, ASTOLETOLE.

Ajoûtez à cela, que ces mouvemens alternatifs du coeur & de ses oreillettes sont opposés ; car les oreillettes se dilatent pendant que les ventricules se resserrent, & réciproquement.

Au moyen du ventricule droit ; le sang est poussé dans l'artere pulmonaire, d'où il passe dans la veine pulmonaire qui le rapporte dans le ventricule gauche, d'où il se distribue par le moyen de l'aorte dans toutes les parties du corps ; il retourne ensuite par la veine-cave dans le ventricule droit du coeur, ce qui acheve sa circulation. Voyez CIRCULATION.

Schenckius parle d'un homme qui n'avoit point de coeur, ce que Molinetti traite de fable ; il nie même qu'il puisse y avoit deux coeurs dans un même homme, quoique cela soit fort ordinaire dans divers insectes qui en ont naturellement plusieurs ; témoins les vers-à-soie qui ont une chaîne de coeurs qui s'étend depuis une extrémité de leur corps jusqu'à l'autre. Mais nous avons des preuves incontestables qu'on a trouvé deux coeurs dans la même personne ; on a même trouvé des coeurs que des vers avoient rongé & dévoré.

Muret a ouvert le coeur de quelques bandits, & l'a trouvé entierement velu, ou du moins revêtu d'une espece de duvet. Ce qu'il y a encore de plus extraordinaire, est qu'on a vû des personnes dont le coeur étoit renversé ou tourné de haut em-bas ; témoin une femme qu'on pendit il y a quelque tems en Saxe, & un homme qui souffrit le même supplice à Paris. Journ. des sav.

Les animaux timides ont toûjours le coeur plus grand que ceux qui sont courageux ; comme cela se voit dans le daim, le lievre, l'âne, &c. On trouve un os dans la base du coeur de certains animaux, surtout du daim, qui paroît n'être autre chose que les tendons fibreux du coeur endurcis & ossifiés.

L'histoire rapporte qu'on trouva un pareil os dans le coeur du pape Urbain VIII. lorsqu'on vint à l'ouvrir après sa mort. Le cas est assez ordinaire dans le tronc de l'aorte qui sort immédiatement du coeur. Voyez AORTE & OSSIFICATION.

Il y a plusieurs animaux amphibies, comme les grenouilles, dont le coeur n'a qu'un ventricule. Les académiciens françois prétendent que celui de la tortue a trois ventricules ; mais M. Buissiere réfute leur sentiment, & soûtient qu'il n'en a qu'un. Ce point est encore indécis jusqu'aujourd'hui. Mém. de l'acad. ann. 1703. & Transact. philos. n°. 328.

Théorie du mouvement du coeur. Les Médecins & les Anatomistes modernes ne s'accordent point entre eux sur le principe du mouvement du coeur, ou sur les causes de sa contraction & de sa dilatation alternative.

L'expulsion du sang hors des ventricules, prouve qu'il se fait un mouvement considérable dans cette partie. Il est certain que la force motrice doit surmonter la résistance qu'elle rencontre ; & suivant le calcul de Borelli, la résistance que le sang rencontre dans les arteres, est égal à 180000 livres qu'il faut que le coeur surmonte tant que la circulation dure. D'où le coeur peut-il donc recevoir tant de force ? & quelle est cette autre force qui après l'expulsion surmonte la premiere, & donne aux parties le moyen de se dilater pour produire un mouvement réciproque ? On a été dans de profondes ténèbres là-dessus jusqu'à ce que Lower ait publié son excellent traité du coeur, dans lequel il explique d'une maniere admirable le méchanisme de la contraction ou systole de cette partie. Le docteur Drake qui est venu après lui, a heureusement expliqué la cause de sa dilatation ou diastole, que Lower avoit entierement négligée.

Lower & plusieurs autres ont suffisamment prouvé que le coeur est un muscle destiné à produire un mouvement de même que les autres ; & comme il est un muscle solitaire sans aucun antagoniste, & qu'il n'a point un mouvement volontaire, il approche de fort près du sphincter. Voyez SPHINCTER.

Le coeur differe cependant de tous les autres muscles du corps humain, par l'uniformité & la régularité de ses dilatations & contractions alternatives. Voyez MUSCLE.

Cette vicissitude de mouvemens a donné assez d'embarras aux savans, qui, ne découvrant rien dans sa structure qui pût nécessairement l'occasionner, ni aucun antagoniste qui pût le produire par sa réaction, n'ont sû à quoi en attribuer la cause.

La raison & l'expérience prouvent que la contraction est l'action & l'état qui convient naturellement à tous les muscles. Car, dès qu'un muscle n'est plus surmonté par son antagoniste, il se contracte immédiatement ; la volonté ne sauroit l'obliger à se dilater. Si l'on coupe, par exemple, le fléchisseur de quelque partie, les extenseurs n'étant plus surmontés par l'action contraire de leurs antagonistes, cette partie sera étendue aussi-tôt, sans que la volonté y ait part, & demeure dans cet état ; la même chose arrive, mais dans un sens contraire, lorsqu'on coupe les extenseurs.

Il s'ensuit donc que les muscles ordinaires n'ont d'autre mouvement de restitution, que celui qu'ils reçoivent de l'action de leurs antagonistes, par lesquels ils sont balancés. Les sphincters, par exemple, de l'anus, de la vessie, &c. qui n'ont point d'antagonistes propres, sont toûjours dans un état de contraction, & ne laissent rien passer, à moins qu'ils n'y soient forcés par l'action contraire de quelques muscles plus forts, qui font toutes les fonctions d'antagonistes, sans en porter le nom, toutes les fois que cela est nécessaire. Voyez ANUS, VESSIE, &c.

Nous avons donc ici une cause adéquate de la contraction du coeur ; savoir la force motrice naturelle des fibres musculaires, qui tendent d'elles-mêmes à se contracter. Voy. MUSCULAIRES & FIBRES.

Il est vrai cependant que, quoique les fibres musculaires du coeur mûes par les nerfs, soient l'instrument immédiat de sa contraction ou systole, comme l'a fait voir Lower, il ne laisse pas d'y avoir une autre cause qui n'y contribue pas peu, & que Lower n'a pas connue ; savoir les muscles intercostaux & le diaphragme, qui aident & facilitent cette contraction, en ouvrant un passage au sang dans les poumons, lequel lui étant refusé, deviendroit un obstacle invincible. Ajoûtez à cela, que l'artere & la veine pulmonaire se répandant dans toutes les divisions & soûdivisions des branches des poumons, & y étant pour ainsi dire co-étendues, souffrent les mêmes altérations dans leurs dimensions superficielles, que les bronches dans l'élévation & la dépression des côtes. Dans le tems donc que les côtes sont dans un état de dépression, soit avant ou après leur communication avec l'air extérieur, les cartilages annulaires des bronches se raccourcissent & rentrent les uns dans les autres, & par ce moyen leurs dimensions se trouvent extrèmement contractées ; l'artere & la veine pulmonaire se contractent de même par le moyen de leurs tuniques musculaires, ou se plissent & se rident ; ce qui paroît moins probable. D'un autre côté, lorsque les côtes s'élevent & que le diaphragme s'affaisse, l'air s'introduit dans les poumons, pousse les anneaux cartilagineux, & écarte les bronches de la trachée-artere ; augmente par leur moyen les différentes divisions de l'artere & de la veine pulmonaire, & augmente par-là leurs cavités. C'est ainsi que leur action alternative continue & se communique au coeur, d'où elles sortent.

Par ce moyen le sang passe du ventricule droit du coeur dans le gauche par les poumons, ce qu'il ne pourroit faire autrement ; l'opposition que le sang contenu dans le ventricule eût nécessairement fait à sa contraction, cesse, & la systole devient par-là plus facile. Voyez SYSTOLE.

Quant à la diastole ou dilatation du coeur, M. Lower se contente de l'attribuer au mouvement que font les fibres pour se remettre dans l'état où elles étoient avant leur contraction. Voici ses propres termes : " Puisque tout le mouvement du coeur ne consiste que dans sa contraction, & que toutes ses fibres ne tendent qu'à lui imprimer ce mouvement ; il s'ensuit que tout le mouvement de cette partie consiste dans la systole : mais comme les fibres se raccourcissent au-delà de leur ton dans chaque contraction, il faut de toute nécessité qu'après que l'effort a cessé, le coeur se relâche de nouveau par un mouvement naturel de restitution, & qu'il se dilate pour recevoir le sang qui y est apporté par les veines. La diastole ne se fait donc par aucune nouvelle action du coeur ; elle n'est que la suite de la cessation de sa premiere tension & de l'affluence du sang dans ses cavités ".

S'il est vrai, comme Lower le prétend, que la contraction soit la seule action de ces fibres, comment se peut-il faire que leur distension, qu'on appelle communément, quoique mal-à-propos, leur relâchement, soit un mouvement de restitution ? car la nature & la disposition de ces fibres prouve clairement que le coeur est fait en forme de cone, & qu'il est dans un état violent pendant sa dilatation. Il s'ensuit donc que la contraction est le vrai mouvement de restitution, & le seul état dans lequel il retourne de lui-même lorsque l'action a cessé ; desorte que nous sommes toûjours obligés de chercher la véritable cause de la diastole, qui paroît le phénomene le plus difficile qu'on remarque dans le coeur.

M. Cowper, dans l'introduction à son anatomie, augmente la part que M. Lower donne au sang dans cette action, & le regarde comme le principal instrument de la dilatation du coeur ; M. Drake son sectateur ne s'accorde cependant pas avec lui sur la maniere & la cause de cette dilatation.

" Le coeur de l'animal, dit M. Cowper, a beaucoup de rapport avec les pendules des automates artificiels, des horloges, & des montres portatives, en ce que son mouvement se fait comme celui des autres muscles, par le moyen du sang qui fait l'office d'un poids ". Supposé que cet auteur ait voulu dire que le sang en retournant dans les oreillettes & les ventricules du coeur, les oblige à se dilater en pesant sur eux, en agissant comme un contre-poids à sa contraction, entant que muscle, il est dommage qu'il n'ait pas donné une plus ample explication d'un phénomene aussi difficile & aussi important ; la pesanteur spécifique du sang ne paroît pas une cause adéquate de l'effet qu'on suppose qu'il produit dans cette occasion. Car, supposé que le sang n'agisse ici que comme un poids par une simple gravitation, il ne peut employer dans cette action, en descendant de la partie supérieure du coeur, qu'une force équivalente à cinq livres au plus, quoiqu'il ait à surmonter, suivant la supputation de Borelli, une résistance de 135000 livres. Quelle que soit la force qui dilate le coeur, & la cause de sa diastole, elle doit être égale à celle du coeur, des muscles intercostaux & du diaphragme, contre laquelle il agit comme un antagoniste.

Il est peut-être difficile & même impossible de trouver une telle puissance dans la machine du corps animal ; & cependant, sans le secours d'un pareil antagoniste, il est impossible que la circulation du sang puisse continuer. Tous les ressorts qu'on a découverts jusqu'aujourd'hui dans le corps humain, concourent à la contraction du coeur, qui est un état de repos auquel il tend naturellement ; cependant nous les trouvons alternativement dans un état de violence ou de dilatation ; & c'est cependant de cette alternative que dépend la vie de l'animal.

Il est donc nécessaire de trouver quelque cause extérieure capable de produire ce phénomene, soit dans la qualité de l'air ou dans la pression de l'atmosphere, puisque nous n'avons point de commerce constant & immédiat avec d'autres milieux.

Quelques physiciens ayant observé que nous ne pouvons subsister, dès que la communication que nous avons avec l'air extérieur est interrompue, ont imaginé qu'il se mêle pendant l'inspiration certaines parties de l'air extrèmement pures avec le sang qui est dans les poumons, lesquelles passent avec lui dans le coeur, où elles entretiennent une espece de flamme vitale, qui est la cause du mouvement réciproque de cette partie.

D'autres ont nié l'existence de cette flamme actuelle, & prétendu que les parties les plus subtiles de l'air venant à se mêler avec le sang dans les ventricules du coeur, produisent une effervescence qui l'oblige à se dilater.

Mais on a rejetté tous ces différens sentimens, & l'on est encore aujourd'hui dans le doute s'il se mêle quelques particules d'air avec le sang dans les poumons, ou non. Voyez POUMON, AIR, &c.

En supposant même qu'il s'insinue quelque portion d'air dans la veine pulmonaire, il ne peut autrement dilater le coeur que par une effervescence dans le ventricule gauche, qui ne seroit point suffisante pour dilater le droit : mais la dissection anatomique de la partie ne suffit-elle point pour détruire ce sentiment, qui a été suffisamment réfuté par un grand nombre d'excellens auteurs ? Voyez RESPIRATION.

Quoi qu'il en soit, la masse de l'atmosphere paroît être le véritable antagoniste de tous les muscles qui servent à l'inspiration ordinaire & à la contraction du coeur ; & cela se trouve confirmé non-seulement par sa puissance, mais encore par la nécessité de son action sur les corps animaux. Voyez ATMOSPHERE.

Le coeur, comme nous l'avons déjà observé, est un muscle solitaire d'une force extraordinaire, qui est encore augmentée par les muscles intercostaux & le diaphragme, qui n'ont point d'antagonistes ; desorte qu'elle a besoin d'être contrebalancée par quelque force équivalente quelle qu'elle puisse être : car quoique l'action des muscles intercostaux soit volontaire, ils ne sont pas pour cela exempts de la condition des autres muscles qui servent aux mouvemens volontaires, lesquels seroient dans une contraction perpétuelle, nonobstant l'influence de la volonté, sans le balancement des muscles antagonistes. Le poids de l'atmosphere qui presse sur la poitrine & sur toutes les autres parties du corps, supplée à ce balancement qui se trouve entre les autres muscles ; & comme dans tous les autres mouvemens volontaires l'influence de la volonté ne fait qu'augmenter l'action de l'une des deux puissances qui étoient auparavant en équilibre ; de même elle ne sert ici qu'à donner à ces muscles assez de force pour soûtenir un poids qui surmonteroit leurs forces, s'ils n'étoient point secondés de la maniere que je viens de le dire. Aussi-tôt que ce secours vient à manquer, les côtes s'abaissent de nouveau par la seule pesanteur de l'atmosphere ; ce qu'elles ne feroient point sans cela, malgré le penchant naturel qu'ont ces muscles à se contracter.

Cela est suffisamment prouvé par les expériences de Torricelli, & par celles qu'on a faites sur des animaux dans le vuide, où dès que la pression de l'air est ôtée, les muscles intercostaux & le diaphragme sont contractés, les côtes s'élevent dans le moment, & la volonté ne peut plus les obliger à s'abaisser, à moins que l'air ne vienne à son secours, & ne les y force par sa pression.

Comme dans l'élévation des côtes le sang est en quelque sorte obligé d'entrer dans les poumons par le passage qu'il trouve ouvert ; de même lorsqu'elles viennent à s'abaisser, il est forcé, par l'affaissement des poumons & par la contraction des vaisseaux sanguins, de passer par la veine pulmonaire dans le ventricule gauche du coeur : cela joint au poids de l'atmosphere qui presse sur toute la surface du corps qu'il entoure de tous côtés, est cette puissance qui oblige le sang à monter dans les veines, après que la force que le coeur lui avoit imprimée a cessé ; & elle suffit même pour obliger le coeur à sortir de son état naturel, & à se dilater.

Lorsqu'on vient à supputer la pesanteur d'une colonne d'air égale à la surface du corps, on s'apperçoit qu'elle suffit pour produire les effets qu'on lui attribue. Si l'on considere outre cela que les corps des animaux sont des machines capables de céder à la pression, on connoîtra sans peine qu'elle doit agir sur eux de la maniere que nous l'avons dit. Cependant quoique nos corps soient entierement composés de petits tubes ou vaisseaux remplis de fluides, cette pression, quelque grande qu'elle soit, étant la même par-tout, ne pourroit les affecter, à moins que les dimensions superficielles ne variassent également ; à cause qu'étant également pressés par-tout avec le même degré de force, les fluides qu'ils contiennent ne pourroient se retirer dans aucun endroit, & faire place à ceux qui les suivent, mais demeureroient aussi fixes & aussi immobiles que s'ils étoient actuellement solides. Voyez FLUIDE & AIR.

Mais la dilatation de la poitrine fournit assez d'espace aux fluides pour se mouvoir, & son resserrement leur imprime un nouveau mouvement ; ce qui est le principe de la circulation continuelle du sang.

Cette dilatation & cette contraction réciproque des dimensions superficielles du corps paroissent si nécessaires à la vie de l'animal, qu'il n'y en a aucun, quelqu'imparfait qu'il soit, dans lequel elles ne se trouvent ; pour le moins on n'en a encore découvert aucun dans lequel elles n'ayent existé.

Quoique les côtes & les poumons d'un grand nombre de poissons & d'insectes n'ayent aucun mouvement, & que leur poitrine par une suite nécessaire ne puisse point se dilater, ce défaut est cependant réparé par un méchanisme analogue qui supplée autant qu'il faut aux besoins de la vie. Les poissons, per exemple, qui n'ont point de poumons, ont des oüies qui font les mêmes fonctions qu'eux ; car elles reçoivent & rejettent l'eau alternativement ; desorte que les vaisseaux sanguins souffrent la même altération dans leurs dimensions, que dans les poumons des animaux les plus parfaits. Voyez OUIES.

Quoique les poumons des insectes different autant que ceux des poissons de ceux des animaux parfaits, ils ont cependant la même action & le même usage qu'eux, c'est-à-dire qu'ils servent à chasser l'air & à varier les dimensions & la capacité des vaisseaux sanguins. Comme ils n'ont point de poitrine ou de cavité séparée pour le coeur & les vaisseaux qui reçoivent l'air, ces derniers se distribuent dans tout le tronc, par le moyen duquel ils communiquent avec l'air extérieur par différens soupiraux, auxquels sont adaptés différens sifflets qui envoyent des rameaux dans tous les muscles & dans tous les visceres, & paroissent accompagner les vaisseaux sanguins par tout le corps, de même que dans les poumons des animaux parfaits. Par cette disposition le corps s'enfle dans chaque inspiration, & se resserre dans chaque expiration ; ce qui doit causer dans les vaisseaux sanguins une vicissitude d'extension & de contraction, & imprimer un plus grand mouvement dans les fluides qu'ils contiennent, que ne le feroit le coeur qui ne paroît point musculeux dans ces animaux.

Le foetus est le seul animal qui soit exempt de la nécessité de recevoir & de chasser alternativement quelque fluide ; mais pendant qu'il est enfermé dans la matrice, il ne paroît avoir tout-au-plus qu'une vie végétative, & ne mérite point d'être mis au nombre des animaux ; & sans cette petite portion de mouvement musculaire qu'il exerce dans la matrice, on pourroit sans absurdité le regarder comme une greffe ou une branche de la mere. Voyez FOETUS, EMBRYON, &c.

On peut objecter contre la doctrine que nous venons d'établir, que le coeur de plusieurs animaux ne bat pas avec moins de régularité & moins de force dans le vuide que dans l'air, comme M. Boyle l'a expérimenté avec ceux des grenouilles. Trans. phil. n°. 62.

Estimation de la force du coeur. La quantité de la force du coeur a été différemment estimée, & sur divers principes, par plusieurs auteurs ; mais particulierement par Borelli, Morland, Keill, Jurin, &c.

On peut déterminer la force du coeur par le mouvement avec lequel il se contracte, ou par le mouvement d'un poids qui étant opposé au sang tel qu'il existe hors du coeur, soit capable de le balancer & d'en arrêter le cours. Nous n'avons aucun moyen de pouvoir en venir à-bout à priori, à cause que nous ne connoissons qu'imparfaitement la structure interne de cette partie, & la nature & la force de la cause d'où dépend la contraction ; desorte que le seul moyen qui nous reste est de l'apprécier par les effets.

Toute l'action du coeur consiste dans la contraction de ses ventricules ; à mesure que ceux-ci se contractent, ils pressent le sang ; & lui communiquant une partie de leur mouvement, ils le poussent avec violence dans les passages qu'il trouve ouverts. Le sang ainsi poussé dans l'aorte & dans l'artere pulmonaire, fait effort de toutes parts, partie contre les tuniques des arteres qui étoient devenues flasques dans la derniere diastole, & en partie contre le sang qui le précede, & dont le mouvement est trop lent. Par ce moyen les tuniques des arteres se tendent peu-à-peu, & le mouvement du sang dont nous venons de parler, devient plus rapide.

Il est bon d'observer en passant, que plus les arteres sont flasques, moins elles font de résistance au sang qui veut les dilater ; & que plus elles sont tendues, plus aussi s'opposent-elles avec force à une plus grande dilatation ; desorte que toute la force du sang au sortir du coeur est d'abord plûtôt employée à dilater les arteres, qu'à pousser le sang qui le précede ; au lieu que dans la suite il agit moins sur les arteres, que sur le sang qui s'oppose à son cours.

Borelli, comme nous l'avons déjà observé, dans son oeconom. anim. suppose les obstacles qui s'opposent au mouvement du sang dans les arteres, équivalens à 180000 livres, & la force du coeur à 3000 ; ce qui n'est qu'un 1/60 de la résistance qu'il rencontre. Si l'on déduit 45000 livres pour le secours fortuit qu'il reçoit de la tunique musculaire élastique des arteres, il reste pour le coeur une force de 3000 livres, avec laquelle il doit surmonter une résistance de 135000 livres, c'est-à-dire écarter avec une livre de force un obstacle de quarante-cinq livres ; ce qu'il fait, à ce que suppose cet auteur, par la force de percussion.

S'il eût poussé son calcul jusqu'aux veines, qu'il prétend contenir quatre fois plus de sang que les arteres, & dans lesquelles cette force de percussion ne se fait point sentir du tout, ou du moins que très-foiblement, il n'eût pas eu de peine à reconnoître l'insuffisance du système de percussion.

On accuse même son calcul de fausseté, & l'on prétend que la force qu'il attribue au coeur est infiniment trop grande.

Le docteur Jurin fait voir que si Borelli ne se fût point trompé dans son calcul, il eût trouvé la résistance que le coeur est obligé de surmonter beaucoup plus grande, même suivant ses principes, & qu'elle eût été de 1 076 000, au lieu de 135000 ; ce qui passe toute vraisemblance.

Le plus grand défaut de la solution consiste, suivant le docteur Jurin, en ce qu'il a apprécié la force motrice du coeur par un poids en repos ; en ce qu'il a supposé dans une de ses expériences que le poids que soûtient un muscle est entierement soûtenu par sa force de contraction ; que les muscles qui ont la même pesanteur sont également forts ; enfin que la force du coeur augmente à chaque systole, &c.

Le docteur Keill, dans ses essais sur l'oecon. anim. a le premier abandonné le calcul de Borelli, auquel il en a substitué un autre infiniment plus petit. Voici comment il estime la force du coeur. Supposant que l'on connoisse la vîtesse d'un fluide, & faisant abstraction de la résistance qu'il rencontre de la part d'un autre fluide, on détermine la force qui le met en mouvement comme il suit. Soit la ligne a la hauteur de laquelle doit tomber un corps pour avoir une vîtesse égale à celle du fluide, la force qui met ce fluide en mouvement sera égale au poids d'une colonne du même fluide, dont la base seroit égale à l'orifice, & la pesanteur à 2 a. Coroll. 2. prop. 36. lib. II. des principes de Newton.

Maintenant le sang qui sort du coeur trouve une résistance qui retarde son mouvement de la part de celui qui circule dans les veines & les arteres ; ce qui l'empêche de couler avec toute la vîtesse que le coeur lui imprime, une partie de cette force étant employée à surmonter la résistance de la masse du sang. Supposé donc que l'on connoisse de combien la vîtesse du sang est diminuée par cette résistance, ou quelle est la proportion entre la vîtesse du sang qui rencontre cette résistance, & celle du sang qui n'en trouve aucune ; il ne sera pas difficile, après avoir déterminé la premiere, de trouver la seconde, & par conséquent la force absolue du coeur. L'auteur s'est servi, pour la découvrir, de l'expérience suivante.

Après avoir découvert l'artere & la veine iliaque dans la cuisse d'un chien près du tronc, & y avoir fait les ligatures convenables, il coupa les vaisseaux & reçut pendant dix secondes le sang qui en sortit. Il fit la même chose sur l'artere pendant le même espace de tems, & il pesa avec soin la quantité de sang qui sortit de ces deux différens vaisseaux : il réitéra la même expérience, & il trouva enfin que la quantité de sang qui étoit sortie de l'artere, étoit à celle qu'avoit donnée la veine dans le même espace de tems, à-peu-près comme 7 1/2 à 3.

La vîtesse du sang dans l'artere iliaque si près de l'aorte, doit être à-peu-près la même que dans l'aorte ; d'où il suit que la vîtesse avec laquelle il sort par l'artere iliaque après qu'on l'a coupée, est égale à celle qu'il auroit au sortir du coeur lorsqu'il ne trouve aucune résistance ; ou, ce qui revient au même, le sang sort par l'ouverture de l'artere iliaque avec toute la vîtesse qu'il a reçûe du coeur. Tout le sang qui passe dans l'artere iliaque, y revient de nouveau par la veine iliaque, & par conséquent la quantité de sang qui passe dans toutes les deux dans le même tems doit être égale. Il s'ensuit donc que la quantité de sang qui sort par l'ouverture de la veine iliaque, est égale à celle qui a passé dans l'artere iliaque avant qu'on l'ait coupée, dans le même espace de tems. Puis donc que nous connoissons la quantité de sang qui passe dans l'artere iliaque lorsqu'elle est coupée & avant qu'elle le soit, il s'ensuit que nous avons leur vîtesse ; car la vîtesse d'un fluide qui coule dans le même tuyau dans un espace de tems égal, est directement comme sa quantité : mais la vîtesse du sang lorsque l'artere est coupée, est égale à celle qu'il reçoit du coeur ; & la vîtesse lorsqu'elle n'est point coupée, est celle avec laquelle le sang coule dans l'aorte, dans laquelle il trouve de la résistance : d'où l'on voit que ces deux vîtesses sont l'une à l'autre comme 7 1/2 à 3.

Si l'on suppose maintenant que le coeur jette deux onces de sang à chaque systole, ce qui est assez vraisemblable, le sang doit parcourir dans l'aorte 156 piés en une minute ; desorte que la vîtesse absolue avec laquelle il est poussé dans l'aorte, est capable de lui faire courir 390 piés en une minute, ou 6 piés 1/2 en une seconde, s'il ne trouvoit aucune résistance.

Recherchons maintenant de quelle hauteur doit tomber un corps pour acquérir la vîtesse que nous lui avons donnée ; car cette hauteur étant doublée, donne la hauteur d'un cylindre dont la base est égale à l'orifice de l'aorte, & la pesanteur à la force absolue du coeur.

L'on sait par expérience que la force de gravité fait parcourir à un corps 30 piés en une seconde, ce qui est la vîtesse qu'il acquiert en tombant de la hauteur de quinze piés ; d'où il suit que cette vîtesse est à celle du sang qui coule sans trouver de la résistance dans l'aorte, comme 30 à 65. Mais comme les espaces qui font acquérir aux corps les vîtesses que nous leur avons données, sont comme les quarrés de ces mêmes vîtesses, c'est-à-dire comme 900 à 4225, il s'ensuit qu'il y a même rapport de 900 à 4225, que de 15 à 0 74. Cette hauteur étant doublée, donne 148 ou 1776 pouces ; ce qui est la hauteur d'une colonne de sang dont la base est égale à l'aorte que nous avons supposée égale à 04187 ; & par conséquent le solide qu'elle contient est 7 436112, dont la force est égale à la force absolue du coeur. Cette force est de cinq onces ; d'où il suit que la force du coeur est égale à un poids de cinq onces.

Ce même auteur a trouvé par un calcul fondé sur les lois des corps mis en mouvement, que la force du coeur est presque égale à huit onces ; & quoique cette quantité differe quelque peu de la précédente, elle n'est rien, eu égard au calcul de Borelli, dont l'erreur ne vient, à ce que prétend le Docteur Keill, que de ce qu'il n'a mis aucune différence entre le sang qui est en repos, & celui qui étoit déjà en mouvement. Il est certain que la force du coeur n'est point employée à donner du mouvement au sang qui est en repos, mais seulement à l'entretenir dans le mouvement qu'il avoit déjà : de savoir maintenant d'où il a reçû ce premier mouvement, c'est ce qui n'est pas au pouvoir de l'homme de déterminer. Il est facile de démontrer que le coeur n'a jamais pû mettre le sang en mouvement, supposé que la résistance de ce dernier ait toûjours été telle qu'on la trouve aujourd'hui. Si le sang étoit toûjours mû en-avant avec le mouvement qu'il a d'abord reçû, & que les tuniques des vaisseaux ne fissent aucune résistance, le sang qui le précede ne pourroit le retarder, & sa force seroit toûjours égale à la force absolue du moteur : mais comme il trouve de la résistance de la part des tuniques des vaisseaux sanguins, & qu'il est obligé d'employer une partie de la force qu'il a reçûe pour les dilater, son mouvement est continuellement retardé, & s'anéantiroit à la fin si le coeur ne lui en communiquoit un nouveau : c'est pourquoi la force du coeur doit nécessairement être égale à la résistance que le sang rencontre lorsqu'il se meut : si elle étoit plus grande, la vîtesse du sang augmenteroit continuellement ; & elle diminueroit sans-cesse si elle étoit moindre : d'où il suit que si la circulation du sang venoit une fois à cesser, toute la force du coeur seroit incapable de le mettre de nouveau en mouvement.

Mais c'est assez nous arrêter au système du docteur Keill. Le docteur Jurin ne le trouve pas exempt de défauts, & condamne la supposition qu'il fait, que la pesanteur qui peut donner le mouvement à l'eau qui sort d'un vaisseau, est la cause de ce même mouvement : ce dernier auteur croit que Keill a mal entendu le corollaire de M. Newton, & il prétend que l'eau qui tombe par sa propre pesanteur acquiert son mouvement d'elle-même, & que le poids qui tombe en même tems, ne reçoit qu'un mouvement égal à celui qu'a l'eau hors du vaisseau. Il fait encore plusieurs autres objections contre ce système, auxquelles l'auteur a répondu dans les transactions philosophiques. Son antagoniste n'a pas demeuré sans replique ; & cette dispute n'en fût pas restée-là, si la mort de l'auteur ne l'eût terminée.

Le docteur Jurin n'a pas laissé que de donner un autre calcul, fondé sur des principes auxquels il n'y a rien à redire ; mais son adversaire a pris de-là occasion de rentrer en lice avec lui.

Il considere un des ventricules du coeur qui pousse le sang, comme un corps donné qui en pousse un autre qui est en repos avec une vîtesse donnée, & qui après lui avoir communiqué une partie de son mouvement, marche avec lui avec une vîtesse commune. Sur ce principe, la quantité de la force du coeur doit être égale au produit du nombre qui désigne le poids du ventricule, par celui qui désigne sa vîtesse avant qu'il pousse le sang, ou à la somme du mouvement du ventricule & du sang qui en sort, & de celui qu'il communique aux tuniques des arteres & au sang qui le précéde.

On peut démontrer 1°. que le mouvement de contraction d'une machine creuse qui se contracte inégalement, est égal à la somme ou nombre qui exprime les différentes parties de la machine, multiplié par celui qui marque leurs vîtesses respectives, d'où il suit que le mouvement de la machine est égal au nombre qui désigne la quantité de son poids par quelqu'autre nombre qui indique la vîtesse moyenne entre les particules qui se meuvent avec le plus de vîtesse, & celles qui se meuvent plus lentement. 2°. Que lorsque l'eau comprimée sort par l'orifice d'une telle machine, son mouvement est égal à la somme de chaque section transversale de tous les filets d'eau multipliés par leurs hauteurs & leurs vîtesses respectives ; d'où il suit que le mouvement de l'eau est égal à la somme de l'eau qui s'écoule par quelque longueur moyenne entre celle du plus long filet d'eau, & celle du plus court. Supposé donc que l'on ait plusieurs machines semblables pleines d'eau, & pressées de même, soit également ou inégalement, le mouvement de l'eau qui sort par l'orifice d'une d'elles, sera en raison composée de la raison quadruplée de tout diametre homologue de la machine, & de la raison réciproque du tems dans lequel la contraction se fait.

Ces principes une fois posés, il est aisé d'en déduire la solution du problème, dans lequel on demande de trouver la force du coeur. Car, appellant la pesanteur du ventricule gauche, ou la quantité du sang qui lui est égale, p ; la surface interne du ventricule, s ; la longueur moyenne des filets du sang qui en sortent, l ; la section de l'aorte, s ; la quantité de sang contenue dans le ventricule gauche, q ; le tems que le sang met à sortir du coeur égal à la résistance des arteres, & du sang qui le précede, t ; la vîtesse variable avec laquelle le sang sortiroit de l'aorte, s'il ne trouvoit aucune résistance, v ; la longueur variable de l'aorte que le sang parcourt, x ; & le tems pendant lequel cette longueur est parcourue, z ; la vîtesse variable moyenne du sang contigu au ventricule, ou la vîtesse moyenne du ventricule même sera = (s v)/S ; le mouvement du ventricule = p x (s v)/S ; le mouvement du sang qui en sort = s v x l + x ; & leur somme ou la force du ventricule = s v x (P/s + l + x). Mais v = x/z ; d'où l'on trouve par la méthode inverse des fluxions, que la force du ventricule est = s x/z x (P/s + x/2 + l) : mais puisque z = t, s x = q, il s'ensuit donc que la force du ventricule = q/t x (P/s + q/2 s + l) : on trouve de la même maniere, en se servant de lettres greques, au lieu de lettres italiques, la force du ventricule droit = q/t x (/Sigmagrec> + q/2 + ) ; desorte que la force entiere du coeur est = q/t x (p/S + / + q/ 2 s + q/ 2 + l + ) C. Q. F. D.

Si l'on suppose maintenant que p soit égal à 8 onces, & à 4, S 10 pouces quarrés ; & = la même quantité ; l = 2, & = 1 1/2 pouce ; q = 2 onces ; s = 0, 4185 pouces quarrés ; = 0, 583 ; & t = 1": les forces des ventricules seront égales aux poids ci-dessous : savoir,

Ces poids ont une vîtesse qui leur feroit parcourir un pouce en une seconde.

Coroll. Il suit de là que lorsque le pouls est plus vîte qu'à l'ordinaire, il faut que la résistance soit moindre, ou que la force du sang ait augmenté, ou qu'il sorte une moindre quantité de sang à chaque contraction du coeur, & vice versâ. Il suit encore, que si la résistance augmente ou diminue, il faut que le pouls ou la quantité de sang que le coeur pousse à chaque contraction, augmente ou diminue respectivement ; & que lorsque la force du coeur augmente ou diminue, le pouls doit être plus vîte, ou la résistance moins grande. Voyez POULS.

Le docteur Jurin entreprend de démontrer par ces principes les théorèmes suivans.

1°. Que le mouvement total de résistance que le sang rencontre en sortant du coeur dans chaque systole, ou le mouvement qu'il communique au sang qui le précéde, & aux tuniques des arteres, est à-peu-près égal à la force totale du coeur.

2°. Que le mouvement communiqué au sang qui précede celui qui sort du coeur dans le systole, est au mouvement communiqué aux tuniques des arteres, comme le tems de la systole est à celui de la diastole. Supposons donc, avec M. Keill, que la systole s'acheve dans le tiers de l'intervalle qui s'écoule entre deux pouls, le mouvement communiqué au sang qui devance celui qui sort du coeur, sera le tiers de tout le mouvement du coeur ; & celui qui est communiqué aux arteres, les deux tiers de ce même mouvement.

3°. Dans les différens animaux, la force du coeur est en raison composée de la raison quadruplée du diametre de quelque vaisseau homologue que ce soit, & de la raison inverse du tems pendant lequel le coeur se contracte ; ou en raison composée de la raison de la pesanteur du coeur, ou de l'animal entier, de la raison soudoublée de la même pesanteur, & de la raison réciproque du tems.

Nous allons finir cet article par une table qui contient le résultat de plusieurs expériences que M. Halles a faites sur la vîtesse du sang dans les animaux, & sur d'autres considérations de la même nature L'appareil de ces expériences est simple. Il faut avoir un tuyau de cuivre recourbé assez court, & d'un 1/6 de pouce de diametre ; un tuyau de verre de neuf à dix piés de longueur, & du même diametre que celui de cuivre ; un troisieme tuyau de cuivre qui joigne & affermisse ensemble les deux tubes précédens, en les embrassant : quand ils sont adaptés l'un à l'autre, on commence par lier le vaisseau destiné à l'expérience ; on le perce, on insere dans l'incision le petit tuyau du cuivre recourbé ; on acheve le reste de l'appareil : tous ces tuyaux sont gradués par des divisions très-petites.

On voit par ces tables qu'en comparant les poids des animaux, & les quantités correspondantes de sang qui passent dans leurs coeurs dans un tems donné, on n'en peut rien tirer de fixe.

Que ces quantités dans les grands animaux sont fort disproportionnées à leurs corps, en comparaison de ce qu'elles sont dans les petits animaux.

Que le sang ayant dans les grands animaux une plus grande course à faire & plus de résistance à vaincre, en comparant les hauteurs perpendiculaires du sang dans les tubes fixés aux arteres, la force du sang artériel est particulierement plus grande dans les animaux les plus grands.

Qu'en supposant les vaisseaux sanguins de l'homme & du cheval distribués également dans toutes leurs parties homologues, alors le sang se devroit mouvoir dans ces animaux avec des vîtesses réciproques aux tems durant lesquels des quantités de sang égales à leurs poids relatifs passent dans leur coeur, & par conséquent dans le rapport de 60 à 18, 15 minutes.

Et que, quoique le sang artériel du cheval soit poussé avec une plus grande force que celui de l'homme, cependant il se meut plus lentement dans le cheval, à raison du plus grand nombre de ramifications & de la longueur des vaisseaux plus grande dans les plus grands animaux, &c.

Le savant physicien que nous citons, a fait les mêmes expériences sur les vaisseaux des muscles & sur ceux des poumons. Voyez dans son ouvrage le détail de ces expériences, des expériences précédentes, & des inductions qu'il en tire sur la force du coeur.

Une des principales différences entre l'homme & les bêtes, consiste en ce qu'il y a beaucoup plus de correspondance entre la tête & le coeur de l'homme que dans les autres animaux. Or cette correspondance est produite par le grand nombre de nerfs que le cerveau envoye au coeur & aux parties circonvoisines : dans les bêtes, il ne vient des nerfs du cerveau aux parties circonvoisines du coeur, que par les branches de la paire vague ; au lieu que dans l'homme il en vient encore par la paire intercostale.

La raison de cette difference, selon le docteur Willis, c'est que les brutes n'ayant point de discernement & peu de passions, elles n'ont pas besoin comme l'homme d'un double passage pour les esprits ; l'un pour l'usage des fonctions vitales, l'autre pour l'impression réciproque des affections. Voyez NERF, ESPRIT, CERVEAU, &c.

COEUR. (maladie du) On ne peut rien ajoûter à l'exactitude & à la précision avec laquelle M. de Senac a exposé les maladies du coeur, dans son savant traité sur la structure de cette partie. Nous allons donner un extrait de sa doctrine sur cette matiere.

L'auteur commence par faire un détail des causes qui augmentent ou qui diminuent l'action du coeur : il entre à cet égard dans des examens fort importans, & qu'il est très-nécessaire que ceux qui suivent les théories les plus répandues, & qui en font les fondemens de leur pratique, lisent avec attention. Nous exposerons l'action générale de toutes ces causes aux articles EPAISSISSEMENT DES HUMEURS, OBSTRUCTION, PLETHORE, SPASME, IRRITATION.

M. de Senac donne ensuite une idée générale des maladies propres du coeur, pour conduire à un détail particulier sur chacune de ces maladies. Les mouvemens du coeur, dit-il, sa structure, la délicatesse de ses oreillettes, celle des valvules artérielles & veineuses, les frottemens du coeur, & le nombre & l'action continuelle de ses nerfs, sont autant de causes apparentes de la possibilité des maladies propres du coeur ; sans oublier les efforts des passions, les obstacles que le sang peut trouver dans le poumon, l'action des corps externes, & les écoulemens des matieres âcres dont le sang lui-même est souvent chargé : mais, ajoûte l'auteur, la nature trompe souvent nos craintes comme nos espérances. On peut dire en général que les maladies du coeur sont rares.

Mais quelque rares qu'elles soient, elles ne sont que trop fréquentes, ne fût-ce que parce qu'elles sont difficiles à connoître. En effet, il n'est pas aisé de donner, dans les recherches si épineuses, des regles fixes pour distinguer ces maladies d'avec celles qui ont quelques symptomes communs avec elles ; tels sont les mouvemens irréguliers de nerfs, l'affection hypocondriaque, l'affection hystérique, & les différentes maladies de la poitrine qui portent singulierement sur le coeur, & qui causent des palpitations & des variations dans le pouls : or les palpitations & les changemens du pouls sont les premiers signes auxquels on doit s'attacher pour s'orienter sur les maladies du coeur.

Il y a pourtant des indices qui peuvent faire distinguer les cas où ces symptomes dépendent essentiellement de cet organe ; car si les accidens cessent en divers tems, ou dans de longs intervalles ; si tous les mouvemens du coeur rentrent ensuite dans l'ordre naturel, on peut assûrer qu'en tous ces cas différens les maladies ne sont que des maladies sympathiques ou qui n'appartiennent pas, à proprement parler, au coeur.

Au contraire, si le pouls est constamment irrégulier & variable, s'il change ainsi que le mouvement du coeur au plus leger exercice, on peut prononcer en général qu'il y a quelque vice ou quelque obstacle dans le coeur ; mais ces vices ou ces obstacles étant quelquefois compliqués avec des dérangemens à-peu-près semblables de la base de l'aorte ; & les dérangemens de l'artere, lorsqu'ils sont seuls, étant très-difficiles à distinguer d'avec ceux du coeur, il est fort heureux que le danger où l'on est de se tromper dans ces cas-là, ne soit pas de grande conséquence.

Telles sont les regles nécessaires pour ne pas confondre les maladies propres du coeur avec les maladies sympathiques. Il n'est pas moins essentiel de distinguer ces maladies propres les unes des autres. Premierement, les dilatations des diverses cavités du coeur peuvent être discernées par les signes suivans ; en général, les battemens du coeur ne sont pas violens, dit M. de Senac : quand le ventricule droit ou le sac de ce ventricule sont extrèmement dilatés, à peine les dilatations produisent-elles des palpitations ; dans beaucoup de cas les malades sentent seulement un grand poids dans la région du coeur, ils sont sujets à des syncopes, à des étouffemens, autre signe constant, selon Lancisi : outre cela, les dilatations du ventricule droit & de son oreillette, produisent toûjours des battemens dans les veines du cou.

L'absence de ces battemens, lorsqu'une dilatation est d'ailleurs soupçonnée, indique que cette dilatation, si elle existe, est dans le ventricule gauche. Cette dilatation a encore d'autres signes : les battemens des arteres sont très-violens, si ces arteres sont libres ; c'est ce que M. de Senac a observé dans plusieurs maladies : l'auteur ne parle pas de la dilatation seule de l'oreillette gauche ; elle est rare, & les signes distincts de cette maladie nous manquent.

Pour ce qui est des autres vices du coeur, tels que les retrécissemens, les corps étrangers, les tumeurs, les ossifications, il faut n'en former qu'une classe, & les réduire en général aux obstacles qui s'opposent à l'entrée ou à la sortie du sang.

Il est des principes généraux qui doivent régler la cure des maladies du coeur : en général, l'ignorance crédule peut espérer de certains succès qu'elle n'a jamais vûs ; & dans les dilatations du coeur, dans les ossifications, & lorsqu'il contient des polypes qui résistent à tous les dissolvans, les ressources de l'art sont plûtôt entre les mains des malades, que dans les pharmacies.

Il faut se borner à arrêter les progrès de ces maladies, à modérer leurs accidens, à prévenir ou à éloigner leurs suites ; à moins qu'on ne puisse saisir ces maladies dans leur commencement, car alors il y en auroit plusieurs qui peut-être ne résisteroient pas aux remedes.

Quoiqu'il en soit, il faut dans la cure palliative que nous venons de proposer, diminuer le volume du sang par les saignées, à laquelle la petitesse du pouls ne doit pas empêcher d'avoir recours, à moins qu'il n'y eût des syncopes actuelles : l'exercice, les efforts, les mouvemens violens doivent être interdits, parce qu'ils s'opposent même aux bons effets des saignées ; non que les mouvemens doux, dans des voitures ou à cheval, ne soient des remedes utiles, puisque le sang croupit sur-tout dans le bas ventre dans la vie sédentaire.

La diete, & même l'usage du lait, ou celui des alimens doux & faciles à digérer, sont aussi utiles que les saignées ; & il ne faut pas oublier d'avoir recours aux lavemens, aux laxatifs doux, & aux eaux minérales ferrugineuses, ainsi qu'à l'esprit anodyn minéral de Hoffman, la poudre tempérante de Stahl, l'eau de fleur d'orange, de tilleul, &c.

Telle est l'idée générale que l'on peut prendre des maladies propres du coeur, suivant M. de Senac. On trouvera des connoissances du détail sur les cas particuliers, aux mots PERICARDE, POLYPE, PALPITATION, SYNCOPE. Voyez ces différens articles.

Outre les maladies propres du coeur dont nous venons de parler, cette partie est exposée à des maladies générales, c'est-à-dire qui peuvent attaquer toutes les diverses parties du corps. Nous observerons d'abord en deux mots, à-propos de ses blessures, qu'elles ne sont pas toutes & toûjours mortelles par elles-mêmes ; leur cours est souvent aussi long que le cours des blessures des autres parties ; elles suppurent quelquefois, sur-tout si elles sont petites. C'est ce que M. de Senac démontre par un grand nombre d'autorités.

Il y a des plaies ou des déchirures du coeur faites par l'effort du sang, ou qui sont la suite des contusions du coeur, qui sont aussi dangereuses, quoique plus rares, que les plaies par cause externe & récente.

Quant au diagnostic des plaies du coeur, la place sur laquelle l'instrument perçant a porté, la profondeur jusqu'à laquelle il a été enfoncé, peuvent donner des soupçons sur l'existence des plaies du coeur ; mais ces soupçons ne peuvent être confirmés que par des accidens : telles sont les défaillances, la petitesse & l'inégalité du pouls, les sueurs froides, les anxiétés, la douleur vers le sternum. Pour ce qui est de la fievre, c'est un accident général dans les blessures ; il n'est pas douteux qu'elle ne s'allume lorsque le coeur est blessé.

Les lavages, les saignées lorsqu'il n'y a point une hémorrhagie considérable, l'eau de Rabel ou l'esprit de sel, les acides végétaux qui ont quelque austérité, & une diete très-sévere, sont les seuls remedes auxquels on doive avoir recours dans les plaies du coeur ; observant qu'il est important de ne pas fermer l'ouverture extérieure de la plaie, & qu'il convient même quelquefois de l'aggrandir, suivant que les accidens pourront faire soupçonner un épanchement.

Le coeur est sujet, comme les autres parties du corps, à l'inflammation, aux abcès, & aux ulceres. Voyez INFLAMMATION, ABCES, ULCERE. Les fievres violentes sont quelquefois la cause ou l'effet de la premiere de ces maladies. Les observations incontestables de plusieurs auteurs, démontrent que le coeur est sujet à des abcès & à des ulceres ; la douleur, les syncopes, les palpitations, ne doivent donner que des soupçons au sujet de l'inflammation. Pour ce qui est des signes des abcès & des ulceres, ils sont à-peu-près les mêmes que ceux des plaies.

Mais si la nature nous permet quelquefois d'appercevoir ses démarches, elle nous cache les secours qui pourroient les arrêter ou les corriger. L'art ne peut dans les inflammations du coeur, s'il n'y est pas entierement inutile, que hâter les remedes que demandent les autres inflammations. Pour ce qui est des abcès & des ulceres du coeur, les Médecins ne peuvent se conduire dans ces cas que par l'analogie, puisque l'expérience n'a rien appris là-dessus.

Le volume du coeur peut se resserrer ou s'étendre. Le coeur se concentre ; on l'a trouvé flétri, desséché, durci & pour ainsi dire skirrheux, à la suite de quelques maladies chroniques, & même dans un homme qui périt de la rage : s'il en faut croire Pline, les rois d'Egypte avoient observé la phthisie du coeur. La concentration du coeur ne peut être appliquée à l'absence de la liqueur péricardine, selon M. de Senac.

Le coeur peut se dilater beaucoup, tant à la suite des pleurésies & des fievres violentes, que par les efforts du sang causés par des mouvemens violens, ou par les passions, par la présence des polypes, les anevrismes des grosses arteres. Il n'arrive pas toûjours que les parois du coeur qui se dilate, s'épaississent ; cette dilatation appartient aussi souvent, au moins, aux oreillettes qu'aux ventricules : elle a des signes fort équivoques, elle est quelquefois mortelle ; & tous les remedes auxquels on puisse avoir recours, sont la saignée, la diete & les calmans. On ne connoît aucun remede pour le retrécissement ou la diminution du coeur, dont les signes sont aussi fort obscurs.

Quelques bornées que soient nos connoissances à l'égard des maladies du coeur dont nous venons de parler, il en est d'autres qu'on ne sauroit même se flater de connoître par aucun signe ; tels sont les coeurs velus, & ceux dans lesquels il se forme des couches d'une matiere qui se condense, & qui n'est autre chose que de la lymphe. On a aussi trouvé dans le coeur, des pierres, & souvent des concrétions osseuses aux arteres, aux valvules & aux parois ; on y a trouvé des vers, quelques observateurs le prétendent au moins : mais M. de Senac ne reçoit pas de telles observations sans soupçon ; & il faut porter le même jugement des poux, qu'on dit avoir trouvé dans le coeur, & peut-être de son hydropisie venteuse. Enfin le coeur change quelquefois de place, &c.

Telle est, dit M. de Senac, l'histoire des faits répandus dans divers ouvrages : si on ne se proposoit que la guérison des maladies auxquelles ce viscere est sujet, on pourroit négliger ces observations ; mais on ne conçoit ce qui est soûmis à la Médecine, qu'en connoissant ce qui lui résiste ; on ne peut distinguer les maux si on les ignore.

COEUR, (Gramm.) La position du coeur, sa fonction dans le corps humain, l'importance de ce viscere, &c. ont fort multiplié les acceptions figurées de ce mot, tant au moral qu'au physique. Voyez les articles suivans.

COEUR, (Géométrie). Quelques géometres, entr'autres M. Varignon, dans les mém. de l'acad. des Sc. an. 1692, ont donné ce nom au solide que formeroit une demi-ellipse en tournant, non autour de son axe, mais autour d'un de ses diametres ; & en effet un tel solide auroit assez la figure d'un coeur pointu par le bas, & enfoncé par le haut. M. Varignon a cherché la dimension de ce solide ; mais il s'est trompé, comme il seroit aisé de le faire voir. On peut trouver facilement la dimension du coeur par la méthode suivante.

Soit imaginée une demi-ellipse dont les deux axes soient égaux aux deux diametres de l'ellipse donnée ; chaque ordonnée sera aussi égale de part & d'autre, excepté que dans l'ellipse formatrice du coeur les ordonnées seront obliques à l'axe, & que dans l'autre elles lui seront perpendiculaires ; celles-ci dans la rotation formeront des cercles, & les autres formeront des surfaces coniques qui seront aux cercles dans le rapport du sinus de l'angle des deux diametres à l'angle droit : rien n'est plus facile à démontrer. De plus, dans le coeur les surfaces coniques seront obliquement posées par rapport à l'axe ; au lieu que dans le solide formé par l'autre ellipse, les cercles seront perpendiculaires à l'axe : donc l'élément du coeur est encore à l'élément de l'autre solide, envisagé sous ce point de vûe, comme le sinus de l'angle des deux diametres est au sinus total. Donc, puisque ce rapport entre deux fois dans le rapport total des deux élémens, il s'ensuit que l'élément du coeur est à l'élément de l'autre solide, comme le quarré du sinus de l'angle des diametres est au quarré du sinus total : donc les deux solides sont aussi entr'eux dans ce rapport. En voilà assez pour mettre sur la voie ceux qui voudront aller plus loin, faire de cette proposition une démonstration en forme, & reconnoître en quoi peche celle de M. Varignon. (O)

COEUR DU LION ou REGULUS, (Astron.) étoile de la premiere grandeur, dans la constellation du Lion. Voyez LION. (O)

COEUR DE CHARLES, en Astronomie, est une étoile de l'hémisphere septentrional, non comprise dans aucune constellation, située entre la chevelure de Bérénice & la grande Ourse, à qui M. Halley a donné ce nom en l'honneur du roi d'Angleterre Charles II. Voyez ETOILE & CONSTELLATION. (O)

COEUR DE L'HYDRE, en Astronomie, étoile de la seconde grandeur dans le coeur de la constellation de l'Hydre, la douzieme dans le catalogue de Ptolomée, la onzieme dans celui de Tycho, & la vingt-cinquieme dans celui d'Angleterre. Voyez ETOILE & HYDRE. (O)

COEUR, en termes de Blason. Parti en coeur, signifie une ligne courbe de partition en pal au centre de l'écusson, qui ne s'étend que fort peu, très-courte du haut & du bas, & qui est rencontrée par d'autres lignes qui forment une partition irréguliere de l'écu ; ainsi qu'il est représenté dans nos Planches de Blason.

COEUR, (Horlogerie) piece qui en a la forme, qui est placée sur la seconde roue d'une horloge, & dont la fonction est de dégager le pié de biche de la détente de la sonnerie.

COEUR, cheval de deux coeurs, en termes de Manege, est celui qui ne manie que par contrainte, & n'obéit pas volontairement aux aides du cavalier. Ces chevaux tiennent quelque chose des ramingues. Voyez RAMINGUE.


COEUVRES(Géog. mod.) petite ville de France dans le Soissonnois, avec titre de duché-pairie.


COÉVÊQUES. m. (Hist. ecclés.) évêque employé par un autre à satisfaire pour lui aux fonctions de l'épiscopat. On dit qu'il y a encore en Allemagne de ces dignitaires.


COEVORDEN(Géog. mod.) ville forte des Provinces-Unies dans l'Overissel, capitale du pays de Drente. Long. 24. 16. lat. 52. 40.


COEXS. m. (Jurispr.) on appelle ainsi aux environs de la Rochelle un tuyau de bois que l'on met sous une chaussée, pour conduire l'eau des marais salans. (A)


COFFILAS. m. (Comm.) poids d'usage à Moka ; il pese 21/3000 ou 7/1000 de livres. Voyez les Dict. de Trév. & de Comm.


COFFINERv. n. (Jard.) se dit des oeillets lorsque les feuilles se frisent au lieu de demeurer étendues : c'est un défaut qui se désigne par le verbe coffiner. Il se dit aussi des fruits lorsqu'ils changent & deviennent mous.

COFFINER, v. n. synonyme, en Menuiserie & Charpenterie, à se cambrer, se déjetter, s'envoiler : il se dit d'une piece ou planche de bois qui s'est déformée ou par le sec, ou par l'humidité, ou par la charge.


COFFRES. m. (Hist. nat. Ichthiol.) poisson qui se trouve vers les Antilles, qui est couvert d'une écaille mince, mais dure & seche, dont on le tire quand il est cuit, comme un limaçon de sa coque, ou comme une tortue de son écaille ; dont la forme est depuis la tête jusqu'à la queue en pyramide, à trois faces ; qui a la tête jointe au reste du corps, sans qu'on y distingue aucune séparation, & dont la chair est blanche & succulente, au sentiment du pere Labat qui en fait mention au tome II. de ses voyages.

* COFFRE, (Layetier & Gainier) espece de caisse de bois ordinairement couverte de cuir, fermant à clé, & servant à serrer les hardes, linge, &c. Il y a des coffre-forts faits de bois, mais fortifiés de plusieurs bandes & liens de fer. On trouvera dans nos Planches de Serrurerie, des exemples de coffres-forts. Ce sont les Layetiers qui font les coffres de bois simples, qu'on appelle plus exactement caisses. Ce sont les Gainiers qui font les coffres couverts. Ce sont les Serruriers qui font ou qui garnissent les coffres-forts.

Le mot coffre s'employe de différentes manieres, tant au simple qu'au figuré. On dit de la cavité du corps la plus grande qui contient le coeur, les poumons, le foie, les intestins, &c. le coffre du corps humain. On dit aussi, les coffres du roi, le coffre d'un clavecin, &c.

COFFRE. (Jurisprud.) Le don de coffre, hardes, trousseau, & joyaux, est un gain nuptial & de survie, que l'on stipule ordinairement en Provence dans les contrats de mariage, en faveur du survivant des futurs conjoints. La femme se fait reconnoître par le contrat ses coffres, hardes, &c. que l'on apprécie à une certaine somme, par exemple 1000 liv. Après cette reconnoissance & la constitution de dot, dans laquelle on comprend ces coffres, & après la donation de survie en argent que l'on stipule en faveur du survivant, on ajoûte que les coffres, hardes, &c. ensemble le prix & reconnu d'iceux, appartiendront au survivant. Cette clause, ensemble le prix & reconnu d'iceux, opere que la femme, en cas de survie, reprend en entier sa dot & ses coffres en nature, & encore 1000 livres en argent pour ses coffres : au contraire, si c'est le mari qui survit, il garde les coffres & hardes en nature ; il est dispensé de payer aux héritiers de sa femme les 1000 livres qu'elle s'étoit fait reconnoître pour ses coffres, & ne leur rend que le surplus de la dot. Voyez le traité des gains nuptiaux & de survie, ch. viij. pag. 82. (A)

COFFRE, terme de Fortification, logement creusé dans un fossé sec, de 15 ou 20 piés de large & de 6 à 8 piés de profondeur, couvert de soliveaux, qui étant élevés de deux piés au-dessus du plan du fossé, cette petite élévation sert de parapet ; elle a des embrasures pour y placer des pieces d'artillerie, qui défendent la place du bastion opposé & empêchent le passage du fossé. Voyez FOSSE.

Le coffre differe encore de la traverse & de la galerie, en ce que celle-ci sert aux assiégeans & l'autre aux assiégés. Voyez GALERIE & TRAVERSE.

Les assiégés se servoient autrefois de ces sortes de coffres pour repousser les assiégeans au passage du fossé ; mais ils ne sont plus en usage à-présent : la caponniere du fossé répond exactement à l'objet de ces sortes de travaux, qui se plaçoient ordinairement non vers le milieu de la courtine comme la caponniere, mais à peu de distance des flancs. Voyez CAPONNIERE.

On appelle quelquefois coffre, dans l'Artillerie, la chambre ou le fourneau de la mine. Voyez CHAMBRE & FOURNEAU. (Q)

COFFRE DE BORD, (Marine) c'est un coffre de bois dont l'assiette ou le fond est plus large que le haut, & où les gens de marine mettent ce qu'ils portent à la mer pour leur usage.

Coffres à gargousses, ce sont des retranchemens de planches faits dans les soutes aux poudres, où l'on met les gargousses après qu'on les a remplies.

Coffres à feu, ce sont des coffres que l'on remplit de feux d'artifice & de matieres combustibles, qu'on tient en quelque endroit, & dont on fait usage lorsque les ennemis ont sauté à l'abordage, pour les repousser & faire périr ceux qui sont exposés à leur effet. Dict. de Trévoux. (Z)

COFFRE, en terme de Blanchisserie de cire, c'est une machine de cuivre, longue de quatre piés, plus large en-haut qu'em-bas, couverte d'une passoire au milieu, & de deux portes ou plateaux de fer-blanc à chaque bout ; le devant & le derriere sont garnis de deux réchaux postiches, & sur un des bouts du coffre est un robinet d'où la cire tombe dans des éculons pour être versée sur les planches-à-pain. Voy. PLANCHE-A-PAIN & ÉCULONS. Le coffre sert à contenir la matiere fondue pour la troisieme fois dans une chaleur convenable pour être coulée en pains. Voyez la fig. 7. Pl. de la Blanchisserie des cires.

COFFRES, (Hydr.) sont faits de bois, de tole ou de fer en forme de boîtes quarrées pour renfermer les soupapes. Voyez CRAPAUDINES. (K)

COFFRE, se dit quelquefois en parlant du ventre du cheval : on dit ce cheval a un grand coffre, pour dire qu'il a bien du ventre, ou qu'il mange beaucoup : on dit d'un cheval qui a peu de force, que c'est un vrai coffre à avoine.

Le coffre à avoine dans une écurie, est un coffre de bois qui ferme à clé, & qui est ordinairement séparé en-dedans par une cloison, afin de mettre l'avoine d'un côté & le son de l'autre. Le délivreur a la clé du coffre à avoine. Voyez DELIVREUR.


COFFRETdiminutif de coffre. Voyez COFFRE. Les Confiseurs donnent ce nom à des boîtes de bois de différentes grandeurs, dans lesquelles ils serrent leurs confitures : les Cordonniers, à un rond de bois sur lequel ils coupent les empeignes. Voyez SOULIERS. Il en est des coffrets ainsi que des coffres ; l'usage en est prodigieux, & il y a peu d'artistes ou même de maisons où l'on ne s'en serve à serrer différentes choses qu'on ne veut pas laisser exposées sous la main du premier venu.


COFFRETIERS. m. (Art. méch.) on donne ce nom à deux sortes d'artisans, les Malletiers & les Bahutiers. Les Coffretiers-Malletiers, ce sont ceux qui en qualité de membres d'une communauté de ce nom ont droit de faire & de vendre des coffres d'armée, malles, valises, &c. Les Bahutiers sont ceux qui en qualité de membres d'une communauté de ce nom, sont autorisés à faire & vendre bahuts, caisses, cassettes, coffres de ménage, &c. Voyez l'art. BAHUTIER. Les premiers ne paroissent point avoir formé de communauté avant 1596. Ils ont quatre jurés, dont deux sortent de charge tous les ans. Il faut avoir cinq ans d'apprentissage & cinq de compagnonage pour parvenir à la maîtrise. On ne peut faire qu'un apprenti à la fois. Ces artisans sont si bruyans, que la police, qui veille au repos des citoyens, a voulu qu'ils n'ouvrissent qu'à cinq heures & qu'ils fermassent à huit.


COFIDEJUSSEURS. m. (Jurisprud.) est celui qui a répondu solidairement avec quelqu'autre de la dette du principal obligé.

Suivant le droit romain, un des cofidejusseurs qui a payé seul toute la dette au créancier, sans prendre de lui cession de ses droits & actions, ne peut agir contre ses cofidejusseurs, quoiqu'il n'ait pas besoin de subrogation pour répéter du principal obligé ce qu'il a payé pour lui. Instit. liv. III. tit. xxj. §. 4.

Cette maxime du droit romain, s'observe encore en quelques provinces du droit écrit, comme l'observe Catelan, liv. V. ch. ljx.

Mais l'usage commun est que celui des cofidejusseurs qui a payé sans s'être fait subroger par le créancier, peut néanmoins agir contre ses cofidejusseurs pour répéter de chacun d'eux leur part & portion. Voyez CAUTION & FIDEJUSSEUR. (A)


COGMORIAS. f. mousseline que les Anglois apportent des Indes orientales. Voyez le dictionn. du Comm.


COGNAC(Géog. mod.) ville de France dans l'Angoumois, sur la Charente, fameuse par ses eaux-de-vie. Long. 17. 19. 54. lat. 45. 41. 49.


COGNAT(Jurisprud.) signifie en général celui qui est joint à quelqu'un par les liens de parenté ; quelquefois il signifie singulierement celui qui est parent du côté des femmes. Voyez ci-après COGNATION. (A)


COGNATIONS. f. (Jurisprud.) signifie en général la parenté qui est entre deux personnes unies soit par les liens du sang, ou par quelque lien de famille, ou par l'un & l'autre de ces différens liens.

On distingue trois sortes de cognation ; la naturelle, la civile, & la mixte.

La cognation naturelle est celle qui est formée par les seuls liens du sang ; telle est la parenté de ceux qui sont procréés de quelque conjonction illégitime, soit relativement à leurs pere & mere & autres ascendans, soit relativement à leurs freres & soeurs & autres collatéraux.

La cognation civile est celle qui procede des seuls liens de famille, telle que la parenté qui est établie entre le pere adoptif & l'enfant adopté.

La cognation mixte est celle qui réunit à-la-fois les liens du sang & les liens de famille ; telle est celle qui se trouve entre deux freres procréés d'un légitime mariage.

On distingue dans la cognation deux choses principales, savoir la ligne & le degré. Voyez DEGRE.

La ligne est directe ou collatérale. Voyez LIGNE.

Dans la ligne collatérale on distingue les parens en agnats & cognats ; les agnats sont ceux qui sont parens du côté des mâles, les cognats sont ceux qui sont parens par les femmes.

On dit communément que tous les cognats sont agnats, mais que tous les agnats ne sont pas cognats, parce qu'en effet la cognation est le genre qui comprend en soi l'agnation, qui n'en est que la différence. Voyez les instit. au titre de nuptiis, & au tit. de grad. cognat. & ci-après CONSANGUINITE & PARENTE.

La cognation ou affinité spirituelle, est celle qui se contracte par le baptême entre les pere & mere & l'enfant avec les parrains & marraines. Voyez ALLIANCE & AFFINITE. (A)


COGNATIQUEsuccession linéale, (Droit polit.) sorte de succession à la couronne.

Il y a deux principales sortes de successions linéales à la couronne, savoir la cognatique & l'agnatique ; ces noms viennent des mots latins cognati & agnati, qui dans le droit romain signifient, le premier, les parens du côté des femmes ; l'autre, ceux qui sont du côté des mâles.

La succession linéale cognatique est celle qui n'exclut point les femmes de la succession à la couronne, mais qui les appelle seulement après les mâles dans la même ligne ; ensorte que lorsqu'il ne reste que les femmes, on ne passe pas pour cette raison à une autre ligne, mais on retourne à elles, lorsque les mâles les plus proches, ou d'ailleurs égaux, viennent à manquer avec toute leur descendance. Il résulte de-là que la fille du fils du dernier roi est préférée au fils de la fille du même prince, & la fille d'un de ses freres au fils d'une de ses soeurs.

On appelle aussi cette sorte de succession, castillanne, parce qu'elle avoit lieu dans le royaume de Castille. Pour savoir si on doit suivre cette sorte de succession au défaut de loi & d'exemple, on peut voir quel ordre s'observe dans la succession des corps ou conseils publics dont les places sont héréditaires.

Le fondement de cette succession, en tant qu'elle est différente de la succession purement héréditaire, c'est que les peuples ont cru que ceux qui esperent le plus justement de parvenir à la couronne, tels que sont les enfans dont les peres auroient succédé s'ils eussent vécu, seront le mieux élevés.

La succession linéale agnatique, est celle dans laquelle il n'y a que des mâles issus des mâles qui succedent, ensorte que les femmes, & tous ceux qui sortent d'elles, sont exclus à perpétuité.

Elle s'appelle aussi françoise, parce qu'elle est en usage dans notre royaume. Cette exclusion des femmes & de leurs descendans a été établie principalement pour empêcher que la couronne ne parvienne à une race étrangere, par les mariages des princesses du sang royal.

Ainsi selon ce principe, n'eût-il pas été plus avantageux dans la derniere révolution des Provinces-Unies, de borner la succession du stathouderat à la ligne agnatique ? Et n'est-il pas à craindre que la république l'ayant étendue à la ligne cognatique, le gouvernement ne puisse tomber dans la suite à une race étrangere, dont les intérêts seroient bien différens de ceux qui conviennent au bien de cet état ?

Je renvoie le lecteur aux ouvrages des célebres jurisconsultes, d'Hottoman, de Tiraqueau, de Grotius, &c. pour la décision d'un grand nombre de questions qu'on peut faire sur cette importante matiere, & je me contenterai de ne traiter ici que la principale.

On demande si dans un royaume indivisible, un fils né avant que son pere parvienne à la couronne, doit être préféré à celui qui est né depuis, quelle que soit la succession établie cognatique ou agnatique. Grotius décide avec raison pour l'affirmative, parce que, dit-il, du moment que quelqu'un a acquis la couronne dans la succession linéale, les enfans nés auparavant ont quelque espérance d'y parvenir ; car supposé qu'il ne nâquît plus d'enfans à leur pere, personne n'oseroit dire que ceux qui étoient nés déjà doivent être exclus de la succession. Or, dans ce cas, pour avoir droit de succéder, il suffit qu'on en ait eu l'espérance, & ce droit ne se perd point par quelque chose arrivée depuis ; tout ce qu'il y a, c'est que dans la succession cognatique, l'acquisition prochaine en est suspendue par le privilége du sexe, ou en ce qu'il peut naître des enfans mâles.

Par la même raison, dans la succession cognatique le fils de l'aîné doit l'emporter sans aucun égard à l'âge, & la fille même de l'aîné a la préférence, parce que l'âge ni le sexe n'autorisent pas à passer d'une ligne à l'autre. Ainsi en Angleterre, où la succession est linéale cognatique, Richard II. petit-fils d'Edouard III. monta sur le trône âgé de 12 ans, en 1377, & l'emporta sur ses trois oncles.

Convenons cependant que la succession linéale, tant cognatique qu'agnatique, a souffert dans plusieurs états les changemens & les vicissitudes de ce monde : & pour n'en citer qu'un exemple, en Espagne, où la succession linéale cognatique a lieu, les rois, qui plus d'un siecle avant Richard II. roi d'Angleterre, avoient possédé la couronne de Castille, étoient descendus d'un prince qui l'avoit obtenue au préjudice de ses neveux, fils de son frere aîné. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COGNÉES. f. instrument tranchant destiné à couper du gros bois, & à l'usage de plusieurs ouvriers ; la forme en varie peu. Les Charrons, les Bucherons, les Charpentiers, les Jardiniers, &c. ont leurs cognées.

La cognée du Charron est un outil fait comme une hache, d'un morceau de fer forgé à-peu-près comme une équerre ; le côté tranchant en est large, plat & fort affilé ; l'autre branche est creuse & en douille : on l'emmanche par cette douille d'un morceau de bois long d'environ deux piés, plus gros du côté de la poignée que du côté qui entre dans la douille. Les Charrons se servent de cette cognée pour charpenter & ôter le superflu des gentes & des pieces de bois qu'ils ont à tailler. Voyez la fig. 17. Pl. du Charron.

Les mêmes artisans ont une seconde cognée : c'est un morceau de fer de la longueur de huit pouces, dont un des bouts est plat, large, & tranchant ; l'autre côté est quarré, & percé d'un gros oeil fait en coeur dans lequel se met un manche de deux à trois piés de longueur. Cet outil sert aux Charrons pour fendre le bois. Voyez la fig. 17. Pl. du Charron.

La cognée des Bucherons ne differe point de celle-ci.

Les cognées des Charpentiers sont de différentes façons : ils ont une cognée à deux biseaux, qui a une douille au bout pour recevoir le manche ; elle sert à dresser les bois, & ne differe pas de la premiere cognée des Charrons : une cognée à deux biseaux, & qui n'a pas de douille pour recevoir le manche, mais un oeil ; elle sert à abattre les arbres & à équarrir, & ne differe pas de celle du Bucheron, ou de la seconde du Charron. Voyez les fig. prem. de la Plan. des outils du Charpent. a est la cognée avec laquelle on abat les arbres dans les forêts : les trois b, c, d, sont en usage dans les chantiers.

Les Jardiniers ont deux cognées, l'une grande, l'autre petite ou à main.

La grande cognée sert à fendre le bois, & à couper les racines & les souches des arbres qu'on arrache.

La petite sert au Jardinier à couper à la main de grosses branches, & à refaire proprement, quoique monté à l'échelle, les grandes plaies, lorsque la branche est séparée du corps de l'arbre.

COGNEE, (Ruban.) est un outil de cuivre ou de fer, mais mieux de cuivre : il a la forme d'un couteau qui ne se plie point ; le dos est fort épais, pour lui donner plus de poids ; l'autre côté est aigu, mais sans être tranchant ; il sert au lieu du doigtier pour frapper les ouvrages extrèmement forts, & où le doigtier seroit trop foible : l'ouvrier le tient en plein par son manche dans la main droite, & frappe avec, chaque fois qu'il a passé la trame.


COGNERv. act. n'est guere d'usage qu'au familier, ou dans les boutiques des artistes. Il est synonyme à frapper. Ainsi les Chapeliers disent cogner un chapeau sur le billot, pour frapper le dessus de la tête, afin que la forme en soit mieux marquée ; façon qui se donne avant la teinture. Voyez CHAPEAU.

Les Relieurs disent cogner les coins, pour frapper un ou deux coups sur chaque coin du carton d'un livre après qu'il est poli, afin que si un de ces coins se trouve rebroussé, il soit remis en état.


COGNETS. m. (Fabrique de tabac) rolles de tabac faits en cones, dont on se sert pour affermir & serrer ceux qu'on met en boutes & futailles, de peur qu'ils ne se brisent dans le transport, & ne s'éventent dans le séjour.


COGNEUXS. m. (Fond. en sable) sorte de petit bâton dont les Fondeurs en sable se servent pour frapper le sable dont ils forment les moules. Ils se servent de cet outil lorsque le maillet ne sauroit atteindre. Voyez FONDEUR EN SABLE, & la fig. 2. Pl. du Fondeur en sable.


COGNI(Géog. mod.) grande ville d'Asie en Turquie, dans la Caramanie. Long. 51. 30. lat. 37. 56.


COGNIERS. m. (Hist. bot.) plante qui doit se rapporter au genre appellé coignassier. Voyez COIGNASSIER. (I)


COGUOIou COGNIOL, s. m. (Hist. nat. Ictiol.) colias, poisson de mer qui ressembleroit en tout au maquereau s'il étoit aussi gros. On sale ordinairement ce poisson. C'est à Marseille qu'on lui a donné le nom de coguoil ou cogniol. Willughby, hist. pisc. Voyez MAQUEREAU, POISSON. (I)


COHABITATIONS. f. (Jurisp.) se prend en général pour la demeure commune que quelqu'un a avec une autre personne.

C'est en ce sens qu'il est défendu aux clercs de cohabiter avec les personnes du sexe. Décrétal. lib. III. tit. ij.

La cohabitation ou demeure commune entre le pere & les enfans ou entre d'autres personnes, emporte dans certaines coûtumes une société tacite ; telles sont les coûtumes de Poitou, Troyes, & autres.

Le terme de cohabitation entre personnes conjointes par mariage, signifie quelquefois la demeure commune des conjoints : c'est en ce sens que l'ordonnance de 1639 demande, pour l'honneur & la validité du mariage, une cohabitation publique : le défaut de telle cohabitation est une marque de clandestinité ; au contraire la cohabitation publique assûre la validité du mariage, l'état des conjoints, & celui des enfans. Mais la cohabitation seule n'est pas capable de faire présumer le mariage, à moins que les conjoints n'ayent encore d'autres preuves de possession d'états. Voyez Henris, tome II. liv. VI. quest. 6. Duperrier, tome II. p. 454. Augeard, tome II. ch. xxviij.

On entend aussi quelquefois par le terme de cohabitation entre conjoints, la consommation du mariage : il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu cohabitation entre les conjoints pour que la femme gagne son doüaire, si ce n'est dans les coûtumes qui portent que la femme gagne son doüaire au coucher, comme celle de Normandie. Quand on sépare les conjoints d'habitation, on n'entend pas seulement qu'ils auront chacun leur demeure séparée, mais aussi qu'ils seront séparés à toro.

La cohabitation entre d'autres personnes que les joints par le mariage légitime, se prend ordinairement pour le commerce charnel qu'un homme a eu avec une fille ou femme, autre que sa femme légitime. Comme on a rarement des preuves de la cohabitation, même lorsqu'une fille se trouve enceinte, & qu'elle déclare celui des faits duquel elle l'est, cette déclaration, jointe aux preuves de fréquentation & de familiarité, suffisent pour obliger le pere à payer les fraix de gésine, & dommages & intérêts de la mere, s'il y a lieu de lui en adjuger, & à se charger de l'enfant.

Suivant l'ancienne jurisprudence, dès qu'il y avoit preuve de cohabitation, on condamnoit le garçon à épouser la fille qu'il avoit rendue enceinte, sinon à être pendu : mais présentement cela ne s'observe plus, du moins dans la plûpart des tribunaux. Voyez MARIAGE. (A)


COHEN(Hist. sacr.) sacrificateur. Les Juifs se servent encore de ce mot, quoiqu'ils n'ayent plus de temples. Leurs tribus se sont confondues, & il n'y a plus personne parmi eux qui se puisse dire de race lévitique, sans des prétentions imaginaires. Aussi ceux d'entr'eux qui assûrent la vérité de leur généalogie, & alleguent des titres conservés malgré les troubles des transmigrations, & l'état de misere & de dispersion actuelle de la nation, sont-ils peu crûs, & ne joüissent pour toute prééminence, que d'un petit tribut sur les nouveaux-nés ; prérogative proportionnée à l'authenticité de la noblesse de leur origine. On leur accorde encore de lire les premiers le Pentateuque dans les synagogues, & de bénir le peuple dans les fêtes solemnelles.


COHERENCEvoyez COHESION.


COHERITIERSS. m. pl. (Jurispr.) sont plusieurs héritiers d'un défunt qui viennent conjointement à sa succession. Il y a des cohéritiers qui succedent également à tous les biens du défunt ; il y en a d'autres qui ne succedent qu'à certains biens, comme aux meubles & acquêts, ou aux propres d'une certaine ligne, ou aux biens situés dans certaines coûtumes. Ceux qui succedent aux mêmes biens sont cohéritiers entr'eux ; ils ne laissent pas aussi, par rapport à la contribution aux dettes, d'être considérés comme cohéritiers de ceux qui prennent d'autres biens auxquels ils ne succedent pas. Voyez ci-après CONTRIBUTION, DETTE, HERITIER, SUCCESSION. (A)


COHESIONS. f. en termes de Physiq. est la force par laquelle les particules primitives qui constituent tous les corps sont attachées les unes aux autres, pour former les parties sensibles de ces corps, & par laquelle aussi ces parties sensibles sont unies & composent le corps entier. Voyez PARTICULES, CORPS.

De tout tems la cause de la cohésion a embarrassé les Philosophes dans tous les systèmes de Physique. La matiere doit être supposée originairement composée de particules ou atomes indivisibles, c'est-à-dire qu'aucune force ne peut diviser. V. MATIERE & DURETE. Quant à la maniere dont ces particules se joignent les unes aux autres, & forment de petits systèmes ou assemblages particuliers, & aux causes qui les font persévérer dans leur état d'union, c'est une difficulté des plus embarrassantes qu'ait la Physique, & c'en est en même tems une des plus importantes.

Une des opinions les plus anciennes est celle qui a été soûtenue par M. Jacques Bernoulli, de gravitate aetheris : cet auteur rapporte la cohésion des parties de la matiere à la pression uniforme de notre atmosphere ; & il appuie sa théorie sur l'expérience des marbres polis qui tiennent si fortement l'un à l'autre dans l'air libre, & qui sont, dit-il, aisément séparés dans le vuide. Le fait est faux.

Mais quand cette théorie seroit satisfaisante pour expliquer la cohésion des parties de grande étendue, elle n'est d'aucun secours dans la cohésion des atomes ou particules des corps.

M. Newton parle ainsi sur la cohésion. " Les parties de tous les corps durs homogenes qui se touchent pleinement, tiennent fortement ensemble. Pour expliquer la cause de cette cohésion, quelques-uns ont inventé des atomes crochus ; mais c'est supposer ce qui est en question : d'autres nous disent que les particules des corps sont jointes ensemble par le repos, c'est-à-dire par une qualité occulte, ou plûtôt par un pur néant ; & d'autres, qu'elles sont jointes ensemble par des mouvemens conspirans, c'est-à-dire par un repos relatif entr'eux. Pour moi j'aime mieux conclure de la cohésion des corps, que les particules s'attirent mutuellement par une force qui dans le contact immédiat est extrémement puissante, qui à de petites distances est encore sensible, mais qui à de fort grandes distances ne se fait plus appercevoir. Voyez ATTRACTION.

Or si les corps composés sont si durs que l'expérience nous le fait voir à l'égard de quelques-uns, & que cependant ils ayent beaucoup de pores, & soient composés de parties qui soient simplement placées l'une auprès de l'autre ; les particules simples qui sont sans pores, & qui n'ont jamais été divisées, doivent être beaucoup plus dures : car ces sortes de parties dures entassées ensemble, ne peuvent guere se toucher que par très-peu de points ; & par conséquent il faut beaucoup moins de force pour les séparer, que pour rompre une particule solide dont les parties se touchent dans tout l'espace qui est entr'elles, sans qu'il y ait ni pores ni interstices qui affoiblissent leur cohésion. Mais comment des particules d'une si grande dureté qui sont seulement entassées ensemble, sans se toucher que par un très-petit nombre de points, peuvent-elles tenir ensemble & si fortement qu'elles font, sans l'action d'une cause qui fasse qu'elles soient attirées ou pressées l'une vers l'autre ? C'est ce qui est très-difficile à comprendre.

Les plus petites particules de matiere peuvent être unies ensemble par les plus fortes attractions, & composer de plus grosses particules dont la vertu attractive sont moins fortes ; & plusieurs de ces dernieres peuvent tenir ensemble & composer des particules encore plus grosses, dont la vertu attractive soit encore moins forte, & ainsi de suite, jusqu'à ce que la progression finisse par les plus grosses particules, d'où dépendent les opérations chimiques, les couleurs des corps naturels, & qui jointes ensemble composent des corps d'une grandeur sensible. Voyez DURETE, FLUIDITE ".

Les différens degrés de cohésion constituent les différentes formes & propriétés des corps. Suivant l'illustre auteur que nous venons de citer, les particules des fluides qui n'ont que peu de cohésion, & qui sont assez petits pour être susceptibles des agitations qui entretiennent la fluidité, sont très-aisément séparées & réduites en vapeur ; elles forment ce que les Chimistes appellent corps volatils ; elles se raréfient par la moindre chaleur, & se condensent de même par un froid modéré. Voyez VOLATIL.

Les corps dont les particules sont plus grosses, ou sont cohérentes entr'elles avec une attraction plus forte, sont moins susceptibles d'agitation, & ne sauroient être séparés les uns des autres que par un degré beaucoup plus considérable de chaleur ; quelques-uns d'eux ne sauroient même se séparer sans fermentation ; & ce sont ceux-là que les Chimistes appellent des corps fixes. Chambers.

M. Musschenbroeck, dans son essai de Physique, nous a donné plusieurs recherches sur la cohésion ou adhérence des corps. En voici la substance ; c'est M. Musschenbroeck qui parle.

Les surfaces de tous les grands corps sont fort raboteuses, ce qui est cause qu'ils ne se touchent que dans un petit nombre de points lorsqu'ils sont posés les uns sur les autres, & qu'ils se trouvent séparés en d'autres endroits où l'attraction est par conséquent beaucoup moindre. Moins les corps sont raboteux, plus ils se touchent ; aussi voit-on que ceux qui ont une surface fort unie s'attirent davantage, & tiennent plus fortement les uns aux autres que ceux qui sont raboteux. Mais pour rendre les surfaces encore plus unies, il faut les enduire de quelque liquide dont les parties soient fort fines, & qui puissent boucher les pores.

La Chimie nous apprend que les parties terrestres des plantes tiennent ensemble par le moyen d'une huile épaisse, qui n'en peut être séparée, soit qu'on les fasse sécher ou bouillir dans l'eau, mais seulement lorsqu'on les brûle au grand air. En effet elles se convertissent en cendres, qui n'ont plus aucune liaison aussi-tôt que cette huile est consumée : si l'on incorpore ces cendres avec de l'huile & de l'eau, les parties se lieront & s'uniront ensemble. Les os des animaux qu'on fait bouillir long-tems avec de l'eau dans le pot de l'invention de M. Papin (voyez DIGESTOIRE), deviennent fort fragiles, & se cassent aussitôt qu'on vient à les frotter ; mais on ne les plonge pas plûtôt dans l'huile, qu'ils redeviennent durs, & ne cassent pas facilement.

J'ai pris différens corps, continue M. Musschenbroeck, dont le diametre étoit de 1 11/12 pouce du Rhin ; les surfaces avec lesquelles ils se touchoient, étoient presque parfaitement plates & unies : je les fis chauffer dans de l'eau bouillante ; & après avoir enduit leurs surfaces de suif de chandelle, je les mis d'abord les uns sur les autres ; je les fis ensuite refroidir, après quoi je trouvai que leur adhérence s'étoit faite en même tems de la maniere que voici.

La chaleur de l'eau bouillante n'est pas considérable ; ce qui fait que les parties solides peuvent à peine être écartées les unes des autres, & que les pores ne s'ouvrent que peu ; desorte que la graisse ne sauroit y pénétrer profondément, ni faire par conséquent la fonction d'un aimant qui agit avec force : ainsi afin que la graisse pût alors mieux remplir les pores, on rendit ces corps beaucoup plus chauds en les frottant de graisse dans le tems qu'elle étoit comme bouillante ; & après qu'ils furent refroidis, ils s'attirerent réciproquement avec beaucoup plus de force, comme on le peut voir par ce qui suit :

On met quelquefois entre deux corps solides un enduit à demi-liquide, qui fait que ces corps tiennent ensemble dans la suite avec beaucoup de force, & qu'ils semblent ne former qu'un seul corps solide ; cela se remarque lorsqu'on détrempe de la chaux avec du sable & de l'eau.

Il arrive quelquefois que deux liquides sont composés de parties qui s'attirent mutuellement avec beaucoup de force, desorte qu'ils se changent en un corps solide après leur mélange. C'est ainsi que l'huile de tartre par défaillance incorporée avec l'huile de vitriol, se convertit en un corps solide auquel on donne le nom de tartre vitriolé.

Le froid durcit certains corps dont les parties étoient auparavant mollasses : le feu produit aussi le même effet sur d'autres corps.

Le froid réduit en masses solides tous les métaux, les demi-métaux, les résines terrestres & végétables, de même que le verre, après que ces corps ont été fondus par la chaleur.

L'acier rougi au feu & plongé ensuite subitement dans l'eau froide, devient aussi-tôt dur.

Le feu durcit encore d'autres corps, parmi lesquels on peut compter la terre-glaise mollasse, que le feu rend aussi dure qu'une pierre, tant à cause que l'eau s'évapore, que parce que le feu subtilise en même tems toutes les parties terrestres, & qu'il fait fondre les sels, lesquels pénetrent ensuite & s'insinuent dans ces parties ; ce qui fait qu'elles s'attirent mutuellement avec force, parce qu'elles se touchent en plusieurs points de leurs surfaces, & doivent former par conséquent un corps fort solide.

Tout cela est tiré de M. Musschenbroeck, essai de Physiq. art. 655. & suiv. Nous n'avons fait que l'abréger ; ceux qui voudront recourir à l'ouvrage même de ce grand physicien, y trouveront un plus grand détail. (O)

COHESION, (Méd.) Quelle que soit la cause de la force plus ou moins considérable, par laquelle deux parties fluides ou solides se touchent & adherent, la Médecine doit considérer attentivement cet effet dans les fluides & les solides du corps humain.

Nos fluides peuvent être viciés à cet égard de différentes manieres ; & en général leur cohésion peut être trop forte ou trop foible. L'union trop forte ou trop tenace de leurs molécules, empêche qu'il ne se sépare de petites particules des grandes : production si nécessaire pour l'intégrité de la vie ! Leur division trop facile ne nuit pas moins en ce qu'elle est un obstacle à la constance de la santé. Tous les Médecins savent que cette tenacité & cette dissolution des humeurs détruisant également leur cohésion naturelle, sont la source d'une infinité de maladies particulieres.

Les solides peuvent pécher pareillement en manque ou en excès de cohésion ; car la cohésion trop foible ou trop forte, soit des simples fibres solides, soit des vaisseaux ou des visceres qui en sont formés, donnent naissance à une infinité de desordres, que les méthodiques nommoient très-bien maladie de relâchement & de resserrement. Voici comme on doit concevoir ces vérités.

De quelque cause que procede la cohésion mutuelle de tous les vaisseaux, il est certain qu'ils peuvent se prêter à l'impulsion du fluide, & en être distendus ; mais ils ne le peuvent que jusqu'à un certain point sans accident. Il est d'ailleurs certain que cette cohésion est différente dans les divers âges de la vie : de plus, on ne peut s'empêcher d'imaginer différens degrés de cohésion dans les différens solides. Par exemple, il semble qu'il y a bien moins de cohésion dans la pulpe molle du nerf auditif, que dans le faisceau nerveux qui constitue le dur tendon d'Achille : ajoûtons aussi, qu'il faut que la cohésion des solides soit capable de supporter non-seulement le mouvement modéré des fluides dans les vaisseaux, tel qu'il a lieu en bonne santé, mais encore la vélocité de leur circulation dans l'état maladif, sans que cette cohésion soit détruite ; & c'est effectivement ce qui arrive d'ordinaire ; car il est communément besoin de longs & de violens efforts pour produire la rupture.

La débilité des parties solides est donc excessive, lorsqu'elles ne peuvent sans que leur cohésion cesse, soûtenir l'effort des actions d'un corps en santé, & même d'un mouvement de circulation plus impétueux que de coûtume. On reconnoît que le relâchement est trop grand, quand les fibres sans se rompre s'allongent au moindre effort du mouvement vital. De cette facile dilatation des fibres & des vaisseaux, naissent la stagnation des liqueurs, la crudité des humeurs, la corruption spontanée, l'inanition, la cachexie, la cacochimie, & plusieurs autres maux qu'on regarde mal-à-propos comme des maladies de tempérament.

Si on laisse trop augmenter l'affoiblissement, pour lors il est encore à craindre que l'impétuosité violente du liquide, poussé continuellement par la force du coeur, n'occasionne la rupture. On voit plusieurs exemples de ce fâcheux accident, lorsque de jeunes gens délicats étant dans l'âge où finit leur croissance, se rompent un vaisseau dans le poumon pour avoir crié, chanté, ou couru. Puis donc que la cohésion trop foible des solides cause de si grands desordres, il faut y obvier par des remedes qui procurent une cohésion plus forte, par des alimens substantiels, les acides austeres, entr'autres le fer dissous dans des acides doux ; l'exercice, les frictions, &c.

Mais s'il y a des maladies qui ont pour principe la foiblesse de la cohésion dans les solides, il y en a beaucoup aussi qui procedent nécessairement de l'excès de cette cohésion : de-là le manque des secrétions, la roideur, l'immobilité, la sécheresse, la coalition des vaisseaux avec leurs liquides, les concrétions de tout genre, l'ossification, la vieillesse, &c. les remedes même contre ces maux, ne sont presque que des palliatifs. Il est cependant nécessaire de les mettre en usage, de diminuer la violence, la densité, la pression du sang ; d'employer les humectans, les émolliens, les délayans de toute espece, en boissons, en vapeurs, en fomentations, en bains, &c.

On comprend maintenant les divers effets qui résultent tant de la force que de la foiblesse de la cohésion. On conçoit en conséquence la nature & la cure d'un grand nombre de maladies, l'utilité qu'on peut retirer de la doctrine du resserrement & du relâchement des solides ; & cette matiere si importante en pratique, si curieuse en théorie, étoit inconnue avant Boerhaave, & n'a été développée que par ce grand homme. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COHIS. m. (Comm.) mesure de grains, en usage à Siam. Un cohi pese environ 5000 livres. Voyez le dictionn. de Trév. & du Comm.


COHOBATIONS. f. (Chimie) La cohobation est une opération chimique, qui consiste à reporter les produits volatils d'une distillation, ou sur le résidu dont ils ont été séparés, ou sur de la nouvelle matiere semblable à celle qui les a fournis, & à distiller de nouveau.

La cohobation est une espece de distillation. Voyez DISTILLATION. (b)


COHORTALS. m. (Hist. anc.) c'est le nom qu'on donnoit aux serviteurs du préfet du prétoire.


COHORTES. f. (Hist. anc.) c'étoit chez les Romains un corps d'infanterie, de la dixieme partie d'une légion. Il contenoit trois manipules, & chaque manipule deux centuries ; d'où l'on voit que chaque légion étoit de soixante centuries, de trente manipules, & de dix cohortes.

Il y avoit dans la cohorte les quatre sortes de fantassins des armées romaines ; les velites, les hastati, les principes & les triarii. Quand elle étoit complete , les velites y étoient au nombre de cent vingt ; les hastati au même nombre, les principes pareillement, & les triarii au nombre de soixante ; ce qui fait quatre cent vingt soldats. Au reste ce nombre augmentoit ou diminuoit, selon que la légion étoit plus ou moins forte.

La premiere cohorte étoit la plus considérée ; elle étoit composée des principaux centurions & des meilleurs soldats. Dans un ordre de bataille, elle avoit la droite de la premiere ligne, comme les grenadiers de nos régimens ; les autres suivoient dans l'ordre naturel : ensorte que la troisieme étoit au centre de la premiere ligne de la légion ; la cinquieme à la gauche, la seconde entre la premiere & la troisieme, la quatrieme entre la troisieme & la cinquieme ; les cinq autres cohortes formoient la seconde ligne dans leur ordre naturel. On croit que Marius fut le premier qui divisa la légion en cohortes. Voyez LEGION. La premiere cohorte devint aussi dans la suite la plus nombreuse ; elle fut quelquefois de 1105 hommes, tandis que les autres n'étoient que de 555.

Cohortes auxiliaires ; c'étoient celles qu'envoyoient les alliés ; elles portoient le nom de leur nation ou de leur chef ; elles étoient aussi distinguées par premiere, deuxieme, troisieme, quatrieme, &c.

Cohorte dite equitata ; elle étoit composée d'infanterie & de cavalerie : elle étoit de mille hommes, sept cent soixante fantassins, deux cent quarante cavaliers. On l'appelloit aussi cohorte milliaire.

Cohorte dite peditata ; elle n'étoit que de fantassins.

Cohorte prétorienne ; troupe de soldats choisis qui servoit de garde au préteur ou au général. Elle étoit composée, selon quelques-uns, de fantassins & de cavaliers ; & selon d'autres, de fantassins seulement. Elle fut instituée par Publius Posthumius, dictateur. P. Scipion sépara dans la suite de son armée les meilleures troupes pour la former ; il augmenta sa paye, & l'exempta de tous les travaux militaires. Auguste forma sous le nom de cohorte prétorienne, un corps de neuf cohortes plus fortes du double que celles de la légion ; ensorte que les prétoriennes furent de neuf mille hommes : d'autres disent de dix mille, divisés en dix cohortes. Septime Severe augmenta encore ce corps. Il étoit uniquement destiné à la garde des empereurs & de leur maison, & commandé par le préfet du prétoire, qui avoit sous lui des tribuns & des centurions. Il étoit presque tout infanterie ; d'abord on n'y admit que des Romains ; on y introduisit avec le tems des étrangers, des Germains, des Bataves, des Thraces, &c. Il avoit la paye double, & se tenoit dans un camp retranché proche de Rome ; il avoit des signes militaires, & des boucliers particuliers. Il excita dans la suite beaucoup de troubles. Constantin détruisit son camp & le cassa. Les prétoriens s'étoient rendus redoutables à plusieurs de ses prédécesseurs ; ils élisoient ou déposoient les empereurs de leur propre autorité ; ils forçoient quelquefois le sénat à reconnoître celui qu'ils avoient choisi. Dans ces révolutions, ceux qui prétendoient à l'empire étoient obligés de s'attacher cette milice redoutable qui disposoit du diadème.

Cohorte dite togata ; c'étoit celle qui faisoit la garde des rues à Rome ; c'étoit la milice de la police ; elle marchoit avec la toge, n'ayant d'armes que la lance & l'épée.

Cohortes dites vigilum ; elles furent instituées par Auguste ; elles servoient dans les incendies. Il y en avoit sept, une pour deux régions de la ville ; chacune avoit à sa tête un tribun, & toutes étoient commandées par un officier appellé le préfet des vigilum. Elles étoient distribuées en quatorze corps-de-gardes. Il y a des auteurs qui font monter le nombre de ces cohortes jusqu'à trente & un ; mais il y a lieu de croire qu'ils se trompent, & qu'ils prennent pour des cohortes ce qui n'en étoit que des divisions. Ces cohortes n'étoient point censées troupes ; elles étoient presqu'entierement d'affranchis, qu'on appelloit par dérision sparteoli.

Cohortes dites urbanae ; on appelloit ainsi six mille hommes partagés en quatre cohortes, chacune de quinze cent. Auguste les institua pour la défense de la ville : elles avoient des casernes. On les nommoit encore milites urbanitiani, troupes de ville. Elles étoient commandées par le préteur appellé tutelaris ; ce qui leur fit donner aussi quelquefois le nom de cohortes prétoriennes.


COHUAGES. m. (Jurispr.) est un droit qui se leve en certains lieux sur les marchandises que l'on apporte au marché. Ce terme vient de celui de cohue, qui anciennement signifioit assemblée ou marché. Suivant un arrêt de la Saint-Michel de l'an 1278, les templiers en Normandie prétendoient que leurs hommes ou sujets devoient être exemts du payement de cohuage ; par leur charte il fut accordé que s'ils vouloient entrer au marché en cohue, ils payeroient le cohuage. Ce droit est différent de celui d'entrée & du droit de coûtume ; comme il paroît par un ancien aveu rendu en 1473, au comte d'Anjou par le sieur de la Trimouille, où il est dit : que somme de beurre venant de Bretagne, doit deux deniers d'entrée, maille de coûtume, & un denier de cohuage ; que si elle n'est toute vendue à icelui jour, & il arrive que le marchand la rapporte à huitaine, il ne payera que le cohuage. Gloss. de Lauriere, au mot cohuage. (A)


COHUES. f. (Jurispr.) en quelques lieux signifioit anciennement assemblée, halle, ou marché. Ce mot paroît venir du latin cohaerere. Dans les ordonnances de l'échiquier de Normandie, de l'an 1383, cohue signifie l'assemblée des officiers de justice qui se fait en l'auditoire ou autre lieu accoûtumé, pour juger les causes & procès. Il est aussi parlé de la halle & cohue de Quintin en Bretagne, en laquelle se font les bannies & contrats, livre III. du recueil des arrêts de Bretagne. Voyez ci-devant COHUAGE. (A)


COHYNES. m. (Hist. nat. bot.) arbre de l'Amérique, qui a la feuille du laurier & le fruit elliptique & de la grosseur du melon. Les Indiens font des vaisseaux de son écorce. On attribue à sa pulpe quelque propriété médicinale. Le cohyne est aussi une plante exotique mal connue.


COIfaire coi, terme de riviere ; c'est s'arrêter un moment. Il y a des pas difficiles où les chevaux remontent difficilement un bateau, un coche ; alors on dit qu'ils font coi.


COIANGS. m. (Comm.) poids & mesure d'usage à Cambaye, aux Indes orientales : c'est les quatre cinquiemes d'un lart. Voyez LART. Dict. de Comm.


COIAUXS. m. pl. (Charp.) pieces de bois quarrées d'un bout & délardées de l'autre, qui se placent au pié des chevrons d'un comble, pour racheter la saillie de l'entablement. Voyez Planche du Charpentier, fig. 17. n°. 25.


COIERS. m. (Charp.) piece de bois qui va du poinçon ou du gousset à l'arbalêtrier. Voyez ARBALETRIER, POINÇON, USSETSSET.


COIGNAGESS. m. pl. nom que l'on donne dans les grosses forges à certaines portions de la maçonnerie du fourneau. Voyez GROSSES FORGES.


COIGNASSIERS. m. cydonia (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose ; le calice devient un fruit charnu semblable à une poire, divisé en cinq loges dans lesquelles il y a des semences oblongues & calleuses. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Le coignassier est un petit arbre que l'on met au rang des arbres fruitiers, mais dont la plus grande utilité est de servir de sujet pour la greffe. Le tronc du coignassier qui est court, tortu, noüeux, se divise en plusieurs branches chargées de rameaux confus, qui s'inclinent & s'étendent plus qu'ils ne s'élevent. Son écorce ne devient point gersée & raboteuse avec l'âge ; elle se détache successivement, & tombe par morceaux. Sa fleur assez grande & de couleur de chair, paroît à la fin d'Avril. Son fruit, fort gros dans quelques especes, est d'une belle couleur jaune lorsqu'il est mûr ; mais alors d'une odeur forte & fétide, qui jointe à ce qu'il n'est pas bon à manger crud, le rend peu recommandable, à moins qu'il n'ait passé par les mains du confiseur. Aussi ne fait-on nul cas de cet arbre dans les jardins fruitiers : loin d'y avoir aucune place marquée, ce n'est qu'en sous-ordre qu'il s'y trouve, pour servir à l'éducation de quelques arbres qui lui sont analogues pour l'opération de la greffe. C'est sur-tout un excellent sujet pour greffer le poirier, qu'il rabaisse généralement, qu'il perfectionne dans la plûpart des especes, & auquel il fait porter promtement des fruits plus gros, plus beaux, plus précoces, plus abondans, & de meilleur goût, que quand le poirier est greffé sur des sujets de son espece. C'est la seule raison qui engage à cultiver le coignassier, que l'on peut multiplier de rejettons qui se trouvent ordinairement au pié des vieux arbres, de branche couchée, de bouture, de semence, & par le moyen de la greffe. Mais pour gagner du tems & avoir de meilleurs plants, il y a du choix à faire sur ces différentes méthodes.

La meilleure n'est pas de se servir des rejettons ; outre qu'on auroit de la peine à rassembler de cette façon tout ce qu'il en faudroit pour fournir une pépiniere, c'est que ces rejettons sont mal enracinés.

La branche couchée fait un bon plant ; mais comme elle occasionne un double travail qui est la transplantation, on doit lui préférer le moyen suivant qui est plus simple.

La bouture est le meilleur expédient pour avoir les sujets les plus propres à être greffés, & se les procurer plus promtement. Sur la façon de faire ces boutures & de les élever, voyez PEPINIERE.

La semence produiroit des plants excellens, si ce n'étoit la voie la plus longue ; aussi est-elle la moins usitée.

La greffe pourroit servir à perfectionner le fruit du coignassier ; mais on prend rarement ce soin, dont les coings ne valent pas la peine : cependant il y a d'autres faits intéressans sur cette greffe. On peut greffer le coignassier sur le poirier qui donne plus de grosseur aux coings ; sur l'aubepin qui se soûtient mieux dans un mauvais terrein, mais c'est aux dépens du fruit qui en est plus petit ; sur le pommier où je ne l'ai vû réussir que bien rarement, & sur le cormier dont je n'ai pour garant que le témoignage de Bradley. Le coignassier peut aussi servir de sujet pour greffer le poirier, qui y réussit parfaitement, sur-tout les poires d'été & d'automne ; l'azerolier, pour lui faire porter plûtôt des fruits, les avoir plus gros & plus abondans ; le nefflier, pour le tenir plus bas ; le pommier, pour en accélérer & augmenter le rapport, mais il y réussit difficilement ; l'aubepin, sur-tout l'espece à fleur double, pour lui faire donner de plus belles fleurs ; & sur le cormier, au rapport d'Evelyn, qui est le seul dont je puisse m'appuyer. L'écusson à oeil dormant est la sorte de greffe qui réussit le mieux sur le coignassier.

Cet arbre se plaît dans les lieux frais & humides ; dans les côteaux, qui sont sur-tout la position qu'il aime le mieux ; dans les terres douces & noirâtres, plûtôt mêlées de sable qu'argilleuses : mais il craint les terreins secs & legers, maigres & trop superficiels, où il jaunit & dépérit bientôt, à moins pourtant qu'il n'y ait deux ou trois piés de profondeur. Le coignassier souffre aisément la transplantation, n'exige d'autre taille que le retranchement des branches chiffonnes & gourmandes, & il ne lui faut qu'une culture toute ordinaire. On ne fait presqu'aucun usage de son bois, qui étant néanmoins compact, assez dur, & sans aubier, pourroit être employé à la menuiserie s'il avoit plus de volume. Son fruit, dont on fait peu de cas, a plus de beauté que de qualité. Voyez COING.

On connoît six especes de coignassier, dont aucune n'est intéressante par aucun agrément qu'on en puisse tirer.

Le coignassier sauvage : sa seve est aussi revêche que son fruit ; c'est la moindre espece à tous égards.

Le coignassier à fruit long : il donne de beaux fruits d'une forme ressemblante à celle d'une poire de bon-chrétien : c'est l'une des meilleures especes, & celle dont on fait le plus d'usage pour la greffe du poirier.

Le coignassier à fruit rond : nos anciens jardiniers l'appelloient coigner, pour le distinguer de l'espece précédente dont il differe en ce que l'arbre qui est d'abord plus petit, a les branches confuses & plus menues ; l'écorce d'un gris plus blanchâtre ; la feuille moins grande, le fruit rond, sujet à couler, plus petit & plus pierreux : c'est seulement sur cette espece qu'on voit réussir quelquefois la greffe du pommier.

Le coignassier à petit fruit très-âpre, le coignassier à fruit doux : ces deux especes sont rares ; l'une est aussi méprisable que l'autre est à desirer ; mais on ne les connoît encore que par les nomenclatures de Botanique.

Le coignassier de Portugal ; c'est la plus belle espece & la plus propre à faire réussir la greffe du poirier, & à perfectionner son fruit. Cet arbre est plus grand ; ses rameaux plus droits, plus forts, & moins confus ; sa feuille plus grande, plus cotonneuse en-dessous, & d'un verd moins jaunâtre en-dessus ; son fruit plus précoce, plus gros & plus tendre que dans toutes les autres especes de coignassiers. Ce fruit est long, menu aux deux extrémités, & le meilleur de tous à confire ; mais il est fort sujet à la coulure. (c)


COIGNIERSS. m. pl. c'est ainsi qu'on appelle dans les fours à Verrerie, les quatre coins des siéges du dedans du four, correspondans aux lunettes des arches à pots.


COIMBRE(Géog. mod.) grande ville du royaume de Portugal, capitale de la province de Béira, sur le Mondego, fameuse par son université. Long. 9. 40. lat. 40. 10.


COINS. m. (Méchan.) est la derniere des cinq puissances ou machines simples. Voyez PUISSANCES MECHANIQUES. La forme du coin est celle d'un prisme triangulaire ; on en voit la forme dans la fig. 53. de la Mec. L'angle que forment en D la face A G du coin & celle qui lui est opposée, s'appelle la pointe ou le tranchant du coin : le plan C s'appelle la base ou la tête ; & la hauteur, qu'on appelle aussi axe du coin, est la distance de l'angle D au plan C ; B D est la longueur.

Les anciens auteurs sont partagés sur le principe de la force du coin. Aristote regarde comme deux leviers de la premiere espece, inclinés l'un à l'autre, & agissant dans des directions opposées.

Guido-Ubaldus, Mersenne, &c. veulent que ce soit un levier de la seconde espece : mais d'autres prétendent que le coin ne sauroit en aucune maniere se réduire au levier : d'autres rapportent l'action du coin au plan incliné, & il y a des auteurs qui n'attribuent presqu'aucune force au coin, & croyent qu'il n'agit guere que proportionnellement à la force appliquée sur le maillet qui le pousse. On verra par les propositions suivantes, que ces derniers auteurs se trompent ; & à l'égard de l'analogie prétendue du coin avec le plan incliné, ou le levier, ou la vis, &c. cette analogie n'est capable que d'induire en erreur sur ses propriétés ; & la meilleure maniere d'en déterminer les effets, est de les examiner d'une maniere directe, sans rapporter le coin à aucune des autres machines simples.

La théorie du coin est contenue dans cette proposition : " la puissance appliquée au coin dans la direction C D (Planche de la Méchanique, fig. 53.) perpendiculaire à A B, doit être à la résistance dans la raison de A B à B D, afin qu'il y ait équilibre " : ou bien encore ; " si la force appliquée sur la tête du coin est à la résistance à surmonter comme l'épaisseur du coin est à sa longueur, la force sera égale à la résistance, & la vaincra pour peu qu'on l'augmente ". Cela est très-aisé à prouver par le raisonnement suivant ; imaginons la force suivant C D décomposée en deux autres perpendiculaires aux côtés D A, D B du coin, & qui doivent être égales à la résistance du bois, puisque c'est par ces deux forces que la puissance qui agit suivant C D tend à écarter les côtés du bois. Or formant un parallelogramme sur ces trois forces, on verra qu'il est divisé par la ligne C D en deux triangles isoceles semblables à B A D ; d'où il s'ensuit que la diagonale de ce parallelogramme qui représente la force suivant C D, sera au côté du même parallelogramme qui représente la force perpendiculaire à B D ou la résistance comme A B est à B D.

Donc la force sera plus petite ou plus grande, ou égale à la résistance, selon que A B sera plus petite ou égale, ou plus grande que A B.

Au reste nous supposons ici que les côtés B D, A D du coin s'appliquent exactement aux côtés de la fente ; s'ils ne s'y appliquoient pas, il faudroit décomposer la force suivant C D en deux autres perpendiculaires aux côtés de la fente, & le rapport de la diagonale aux côtés indiqueroit le rapport de la force suivant C D à la résistance. Voyez la Méchanique de Varignon.

On rapporte au coin tous les instrumens à pointe & à tranchant, comme couteaux, haches, épées, poinçons, &c. En effet, tous ces instrumens ont au moins deux surfaces inclinées l'une à l'autre, & qui forment toûjours un angle plus ou moins aigu entr'elles. De plus, comme c'est l'angle qui est la partie essentielle du coin, il n'est pas nécessaire qu'il soit formé par le concours de deux plans seuls. Les clous qui ont quatre faces qui aboutissent à une même pointe, les épingles, les aiguilles, dont la surface peut être regardée comme un assemblage de plans infiniment petits qui se réunissent à un angle commun, font aussi l'office du coin, & doivent être considérés comme tels. Enfin, parmi ces sortes d'instrumens qui agissent comme des coins, il y en a aussi qui agissent comme des leviers. Tels sont les couteaux, qui sont à-la-fois des coins & des leviers de la premiere espece, dont le point d'appui est entre la résistance & la puissance. Noll. lect. phys. (O)

COIN (le), LA TETE DE PORC ou L'EMBOLON ; c'étoit, selon M. le chevalier de Folard, une certaine disposition des troupes dont les anciens se servoient dans les armées. Quelques auteurs prétendent que l'embolon étoit un arrangement différent du coin, cuneus, ou de la tête de porc, caput porcinum : mais M. de Folard, comme dit un journaliste, démontre que personne de ceux qui ont parlé de l'embolon, du cuneus & de la tête de porc, n'a sû ce que c'étoit ; & il fait voir assez probablement que ces diverses ordonnances dont on a dit tant de merveilles, n'étoient autres que la colonne. Biblioth. raison. tome VI. Voyez COLONNE.

Vegece définit le coin une certaine disposition de soldats qui se terminoit en pointe par le front, & qui s'élargissoit à la base ou à la queue. Son usage étoit, dit cet auteur, de rompre la ligne des ennemis, en faisant qu'un grand nombre d'hommes lançassent leurs traits vers un même endroit. Il dit aussi que les soldats appelloient cette disposition de troupes tête de porc, caput porcinum. Suivant cette définition le coin n'étoit qu'un triangle ; mais M. de Folard prétend qu'il n'en avoit pas la figure, & qu'on donnoit ce nom à un corps de troupes de beaucoup de profondeur & de peu de front, c'est-à-dire à des troupes rangées en colonne. Il prouve aussi que chez les anciens le terme de cuneus ne signifie pas toûjours une figure triangulaire, mais une cohorte, cohors. V. COHORTE.

" Tacite, moeurs des Germ. dit que les Allemands s'arrangent en forme de coin : mais on voit bien que par ce terme (dit M. de Folard) il entend une cohorte, parce qu'il l'oppose à turma, c'est-à-dire à l'escadron. J'ai remarqué, continue le commentateur de Polybe, que les Grecs qui ont écrit des guerres des Romains, se sont servis du terme d'embolon, lorsque les latins ont employé celui de cohors dans le détail des mêmes opérations. Tite-Live qui a copié Polybe presque par-tout, a pris souvent l'embolon pour un triangle, lorsque par ce mot l'historien entendoit cohorte ".

Elien, dans son livre de la discipline militaire des Grecs, prétend, ainsi que Vegece, que le coin étoit un triangle ; M. de Folard infirme son témoignage de cette maniere : " Si Frontin, dit cet auteur, qui étoit un savant homme de guerre, me disoit que le coin étoit un triangle, je le croirois plûtôt qu'Elien, Vegece & tant d'autres. Il ne faut pas douter que le terme de cuneus n'ait trompé ces auteurs. Elien ne dit-il pas qu'Epaminondas avoit combattu en ordre triangulaire à Leuctres ; ce qui est manifestement faux. Je parierois qu'Elien n'avoit jamais servi ; & s'il étoit vrai qu'il eût fait la guerre, il en raisonnoit très-mal.

Je ne laisserai pas, dit M. de Folard, la tête de porc, que je ne la voye coupée & séparée de son corps. Ammien Marcellin, qui est bien de ce tems-là, & qui en parle, me fournira le couteau. Bien loin de dire que ce fût un triangle, il fait voir au contraire que c'est un corps sur beaucoup de hauteur & peu de front. Dans la guerre de l'empereur Constantius contre les Limigantes, qui étoient une race d'anciens esclaves qui avoient chassé leurs maîtres (les Sarmates) de leur pays ; ces esclaves ayant été attaqués & enveloppés par l'armée romaine, se serrerent en un gros bataillon, s'ouvrirent un passage à travers les légions, & pénétrerent jusqu'à l'endroit où étoit l'empereur, tant le choc de cette masse d'infanterie, unie & serrée, étoit redoutable. Les soldats, dit Ammien, appellent cela faire la tête de porc. Ce n'est donc pas un triangle, mais un corps rangé sur une extrème profondeur & peu de front ". Traité de la colonne par M. le chevalier de Folard. (Q)

COIN de mire, est, en terme d'Artillerie, un coin dont on se sert pour élever la culasse du canon & pour le pointer. Voyez de ces coins, Planche VI. de l'art militaire, fig. 6. (Q)

COIN, (Architecture) est une espece de dé coupé diagonalement suivant le rampant d'un escalier, qui sert à porter par em-bas des colonnes de niveau, & à racheter par en-haut la pente de l'entablement qui soûtient un berceau rampant, comme à l'escalier pontifical du Vatican.

Ces coins font aussi le même effet aux balustres ronds qui ne sont point inclinés suivant une rampe, comme à l'escalier du Palais royal.

On peut aussi donner ce nom aux deux portions d'un tympan renfoncé, qui portent les corniches rampantes d'un fronton, comme on en voit au fronton cintré du portail de S. Gervais à Paris. (P)

COINS, en terme de Diamantaire, ce sont des faces angulaires qui séparent les biseaux, & font du brillant quarré par ses quatre biseaux, un quarré arrondi. Voyez BISEAU & BRILLANT.

COIN, en terme de Boutonnier, c'est l'endroit par où l'on commence un bouton aux pointes ; & comme il y a quatre pointes, il est clair qu'il doit y avoir quatre coins dans un bouton. Les premiers tours de ces points ne sont pas ondés. Voyez ONDES. Dans un bouton de trait ou glacé, ils sont toûjours de file, & sont comme autant d'attaches pour coudre le bouton sans l'endommager.

COIN, (Fauconnerie) se dit des plumes qui forment les côtés de la queue de l'oiseau ; il y a les deux premieres, les deux secondes, &c. de chaque coin ; cette dénomination ne cesse qu'aux deux du milieu qu'on appelle les couvertes.

COIN ou couteau de bois, (Jardinage) cet instrument sert à détaler le peuple au pié de fleurs qui en ont trop, & dans la greffe à ouvrir la fente que le couteau n'a fait que commencer.

COINS : on nomme ainsi, dans l'Imprimerie, nombre de petites pieces de bois de chêne, taillées de sept à huit lignes d'épaisseur, de façon que l'un des bouts soit plus large que l'autre de quelques lignes. Ces coins sont de grandeur différente, & servent, avec le secours d'un marteau, à serrer la forme dans le chassis, de façon qu'on peut la lever de dessus le marbre, la descendre, la transporter ou la laisser sur champ, mais adossée à quelque chose de stable.

COIN, (Lutherie) on appelle ainsi, dans la facture des orgues, un petit morceau de bois de forme conique, tronqué & coupé en deux par un plan qui passe par l'axe, dont on se sert pour boucher le trou que l'anche & la languette des jeux d'anches laissent dans la noix. Voyez D, fig 53. Planche d'orgue. Ce coin doit entrer dans la noix A, après que l'anche C & sa languette B y sont placées. La face plate du coin tournée vers la languette, on le chasse à force pour qu'il affermisse l'anche & sa languette dans la noix, & qu'il acheve de boucher entierement son ouverture. Voyez TROMPETTE.

COINS, (Maréchallerie) se dit des quatre dents du cheval situées entre les mitoyennes & les crocs, deux dessus & deux dessous, qui poussent lorsque le cheval a quatre ans & demi. Voyez CROC.

Coins, se dit aussi des quatre angles, extrémités ou lignes de la volte, lorsque le cheval travaille en quarré. Ce cheval a fait les quatre coins, a travaillé sur les quatre coins. Voyez TRAVAILLER, VOLTE.

Entrer dans les coins, terme de Manége. Voyez ENTRER.

COINS de chantier, (Marine) ce sont des coins que l'on met entre les tins & la quille, lorsqu'on la pose sur le chantier : quand on veut lancer le vaisseau à l'eau, on chasse ces coins à coups de bélier ; on les met ordinairement à 5 ou 6 piés de distance les uns des autres. (Z)

COINS d'arrimage, (Marine) ce sont ceux qu'on met entre les futailles en les arrimant, afin de les empêcher de rouler. (Z)

COINS de mât, (Marine) ce sont de certains coins de bois qu'on fait de bouts de jumelles ; ils tiennent de leur rondeur & de leur concavité, & servent à resserrer le mât lorsqu'il est trop au large dans l'étambraie du pont : ces coins sont traversés de chevilles de fer. (Z)

COIN, (à la Monnoie) Les coins s'appellent aujourd'hui matrices ou quarrés. Voyez MATRICE. On se servoit de ce terme dans l'ancien monnoyage.

COINS DE CHEVEUX, terme de Perruquier ; ce sont des tresses de faux cheveux, dont les hommes se servent pour augmenter l'épaisseur & la longueur de leurs cheveux naturels, en les ajustant au-dessus des oreilles au moyen d'un fil.

COINS, (Relieurs) outils de Relieurs-Doreurs, ornemens de livres ; les outils fondus sont de cuivre & figurés en triangle ; la queue en est un peu longue, afin de servir à des volumes de différentes grosseurs ; on en a deux, l'un grand & l'autre petit : on pousse les coins à quatre fois, sur le dos des livres, dans les entre nerfs, pour garnir les côtés des bouquets. Voyez DORER. Voyez Pl. II. de Reliûre, fig. m.

COINS, termes de Riviere. Voyez VOUSSOIRS.

* COINS, (Tablett.) se dit d'especes de petites armoires ou tablettes qui se placent dans les angles des appartemens. Ceux qui se suspendent en tablettes, sont d'une menuiserie ou d'un bois de marqueterie leger ; l'angle que forment les côtés est égal à celui que forment les murs ; la face antérieure en est cintrée ; la partie inférieure se ferme à porte & à serrure ; la supérieure est ouverte & sert à placer des morceaux de porcelaine. Ceux qui se placent à terre & sont à pié comme les commodes, sont assez souvent couverts de marbre & décorés d'ornemens en cuivre doré ; la partie antérieure en est aussi cintrée ; elle est divisée en deux ou trois parties, fermée à l'extérieur par autant de serrures & de portes. Ces meubles sont de nouvelle invention.

COIN, au trictrac ; qui dit simplement le coin, entend le coin de repos, ainsi nommé parce que le joüeur est moins exposé quand il s'est emparé de ce coin ; c'est toûjours la onzieme case, non compris celle du tas des dames.

Une des regles les plus sûres, c'est de le prendre le plûtôt qu'on peut, & d'avoir pour cela des dames sur les cases de quine & de sonnez. Voyez COIN BOURGEOIS.

Le coin de repos se prend par puissance ou par effet ; dans le premier cas, lorsque celui contre qui l'on joue n'a pas le sien, & que du dé que vous amenez vous pouvez mettre deux dames dans son coin, ce qui ne se fait point : on n'empêche point son adversaire de faire son grand jan, quoiqu'on en ait la puissance ; il est plus avantageux de prendre son coin. On le prend par effet lorsque de son dé on a deux dames qui battent son propre coin. Comme on ne peut se saisir de son coin qu'avec deux dames, les regles du jeu ne permettent pas aussi qu'on le quitte sans les lever toutes deux ensemble. Qui s'empare de son coin par effet, n'est plus en droit de le reprendre par puissance : si celui contre qui l'on joüe s'est saisi du sien, cette puissance est ôtée.

COIN BOURGEOIS, au trictrac, se dit encore de la case de quine & de sonnez. V. QUINE & SONNEZ.

COIN se dit encore en un grand nombre d'autres circonstances, dont nous ferons mention lorsque l'occasion s'en présentera. Il y a chez les Tabletiers des coins. Il y en a de gros, de petits & de moyens dans les grosses forges. Les Serruriers ont des coins simples & à talon, &c. mais tous ces instrumens sont ainsi nommés de leur forme semblable à celle du coin machine de Méchanique, & de leur usage qui n'en differe pas.


COINCIDENCES. f. en Géométrie, se dit des figures, lignes, &c. dont toutes les parties se répondent exactement lorsqu'elles sont posées l'une sur l'autre, ayant les mêmes termes ou les mêmes limites.

La coincidence désigne donc une égalité parfaite, c'est-à-dire que les figures ou lignes entre lesquelles il y a coincidence, sont égales & semblables. Voyez EGALITE & SEMBLABLE.

Euclide, & presque tous les autres Géometres à son exemple, démontrent un grand nombre de propositions élémentaires, par le seul principe de la coincidence ou superposition. Voyez SUPERPOSITION. (O)


COINCIDENTadj. (Physiq. & Méchan.) se dit des corps qui tombent à-la-fois & en même tems sur une surface quelconque : ainsi on dit les rayons de lumiere coincidens, pour désigner les rayons qui tombent à-la-fois sur une surface.

On dit aussi coincident, de lignes, ou surfaces qui coincident. Voyez COINCIDER. (O)


COINCIDERterme de Géométrie : on dit que deux lignes ou surfaces coincident, lorsqu'étant appliquées l'une sur l'autre elles s'ajustent & se confondent parfaitement. Voyez COINCIDENCE. (O)


COINCY(Géog. mod.) petite ville de France dans le Soissonnois.


COING(Pharmacie & Diete) fruit du coignassier. Voyez COIGNASSIER.

Le suc de coing est d'un goût acerbe, astringent, & d'une odeur agréable ; il pourroit être employé comme cordial, stomachique, & tonique : peut-être même seroit-il plus efficace que plusieurs préparations ou mélanges que nous employons tous les jours au même titre, & même que le syrop de coing, qui n'est autre chose que ce suc épaissi avec une suffisante quantité de sucre.

Quoi qu'il en soit, ce suc est peu usité dans les prescriptions magistrales ; il se conserve pourtant fort bien des années entieres sous l'huile, & dans un lieu frais. Voyez SUC & CONSERVATION.

Le syrop de coing, dont l'usage a prévalu sans-doute à cause de son goût agréable sur celui du suc, qui n'avoit pas besoin pour être conservé d'être assaisonné avec le sucre, comme nous le venons d'observer, se prépare de la façon suivante.

Prenez du suc de coing épuré & bien clair, une livre ; sucre blanc, deux livres : faites fondre le sucre à petit feu, & le syrop aura la consistance requise.

Le cotignac ou gelée de coing, & les différentes confitures qu'on prépare avec ce fruit, ont passé de la Pharmacie aux Confiseurs.

Ces différentes confitures sont de bons analeptiques, dont l'usage est très-salutaire pour les convalescens, & pour réveiller doucement le jeu de l'estomac & des organes de la digestion, en fournissant en même tems une nourriture legere.

On prépare quelquefois dans les boutiques une espece de gelée de coing qu'on appelle myva cydoniorum : elle se fait avec douze livres de suc de coing, & trois livres de sucre blanc, que l'on fait évaporer jusqu'en consistance d'un extrait mou. Ce myva ou rob de coing est peu en usage ; les gelées ou marmelades de coing, dans lesquelles il entre beaucoup plus de sucre, lui ont été préférées, parce qu'elles flatent davantage le goût.

Le mucilage des semences de coing extrait à froid, ou à un leger degré de chaleur, avec l'eau commune ou quelqu'eau ophthalmique, comme celle de rose, de fenouil, fournit un excellent remede contre les ophthalmies.

Le suc de coing entre dans le syrop d'absynthe composé, le syrop émétique, & le syrop de jujubes ; sa chair confite entre dans les tablettes diacarthami. (b)


COIRE(Géog. mod.) grande ville de Suisse, capitale du pays des Grisons, près du Rhin. Long. 27. 8. lat. 46. 50.


COITS. m. (Physiol. & Hygiene) expression dont les Médecins se servent assez communément comme synonyme à ces autres façons de parler honnêtes, acte vénérien, copulation charnelle, acte de la génération. Voyez GENERATION, MARIAGE (Médecine), RGINITE (Médecine)ine).


COITTESCOITES, s. f. pl. (Marine) ce sont deux longues pieces de bois qu'on met paralleles sous un vaisseau, pour le porter & le soûtenir quand on veut le tirer du chantier pour le lancer à l'eau. Voyez COLOMBIERS. (Z)

COITTES DU GUINDAS, (Marine) ce sont deux pieces de bois épaisses, ou deux billots frappés sur le pont, qui servent à appuyer les bouts du guindas, & sur lesquelles il tourne horisontalement. Quelquefois on employe pour cet usage deux gros madriers qui se joignent aux bordages du vaisseau. (Z)


COJUSTICIERSS. m. pl. (Jurisp.) sont plusieurs seigneurs qui ont un droit de justice commun entr'eux. Ce droit en lui-même ne peut se partager quant à l'exercice, mais les profits peuvent se partager entre les cojusticiers. Voyez HAUTE-JUSTICE & JUSTICE. (A)


COKENHAUSEN(Géog. mod.) ville forte de Suede en Livonie, sur la Dwina. Long. 43. 26. lat. 56. 40.


COLVoyez COU.

COL, (Géog.) c'est le nom qu'on donne en Géographie à plusieurs passages étroits, entre des montagnes.

COL, s. m. partie de notre ajustement ; c'est un morceau de toile très-fine, garnie par ses deux bouts de deux autres morceaux de toile plus grosse, à l'aide desquels & d'une boucle ou d'une agrafe, on fixe cet ajustement autour du cou sur celui de la chemise. Si l'on se sert d'une boucle, il ne faut des boutonnieres qu'à un des bouts du col ; mais l'autre bout doit être plus long, afin de pouvoir boucler commodément. Si c'est une agrafe, il faut des boutonnieres aux deux bouts, où les attaches des deux parties de l'agrafe soient reçûes.

COL, (Géog. mod.) île d'Ecosse, l'une des Westernes, dans l'Océan. Long. 11. lat. 57.


COLABRISMEsub. m. (Hist. anc.) danse des Grecs, qu'ils avoient prise des Thraces. C'est tout ce qu'on en sait.


COLACHONsub. m. instrument de Musique qui n'est plus d'usage : il n'a que trois cordes, quelquefois deux ; il a quatre à cinq piés de long ; l'accord à vuide en est d'octave en quinte, quoiqu'il y ait d'autres manieres de l'accorder : il a la forme du luth : son manche est & doit être fort long ; car il faut compenser par la longueur des cordes ce qu'on n'a pas du côté du nombre : ceux qui n'ont que deux cordes, les accordent à la quinte. Il y en a qui font la table du colachon moitié de bois, moitié de parchemin ; le P. Mersenne ajoûte qu'on la pourroit faire de verre & d'autres matieres, mais qu'il vaut mieux qu'elle soit de sapin. Le colachon a été inventé en Italie. Voyez la figure de cet instrument, Planc. de Luth. fig. 6. & le P. Mersenne, liv. II. p. 100.


COLAOS. m. (Hist. mod.) ce sont des officiers qui ont à la cour de l'empereur chinois les fonctions qu'ont ici les ministres d'état.


COLARBASIENSS. m. (Hist. ecclés.) hérétiques ainsi nommés de leur chef Colarbase, qui vivoit dans le ij. siecle de l'Eglise, & étoit lui-même disciple de l'hérésiarque Valentin. Aux dogmes & aux rêveries de son maître, Colarbase avoit ajoûté que la génération & la vie des hommes dépendoient des sept planetes ; que toute la perfection & la plénitude de la vérité étoit dans l'alphabet grec, & que pour cela Jesus-Christ étoit nommé alpha & omega. Baronius & Philastre ont confondu ce Colarbase avec un autre hérétique appellé Bassus ; mais S. Augustin, Théodoret, &c. les regardent comme deux personnages différens. Les Colarbasiens étoient une branche des Valentiniens. Voyez VALENTINIENS. S. Irenée, Tertullien, ont aussi parlé de Colarbase & de ses disciples. Dupin, biblioth. des aut. ecclés. M. Fleury, hist. ecclés. tome I. (G)


COLARINvoyez CEINTURE & GORGERIN.


COLATURES. f. (Pharmac.) la colature est proprement une espece de filtration imparfaite, ou la séparation d'une liqueur d'avec les feces ou les parties les plus grossieres, par le moyen d'un filtre peu serré, comme un tamis, une toile, un blanchet, une étamine, &c. Cette espece de filtration, qui ne seroit pas assez exacte pour les vûes chimiques, suffit pour la plûpart des préparations pharmaceutiques ; elle est même seule pratiquable dans quelques cas, comme lorsque les liqueurs qu'on se propose de purifier par ce moyen, sont trop épaisses pour pouvoir passer à-travers des filtres plus serrés.

Le nom de colature est aussi donné en Pharmacie à toutes liqueurs passées ou filtrées, & c'est même dans ce sens-là qu'on l'employe le plus communément ; le nom de colature étant presque hors d'usage pour exprimer l'opération même ou la manoeuvre par laquelle on coule ou on passe une liqueur trouble : ainsi on dit, dans le langage ordinaire pharmaceutique, dans la prescription d'une médecine, par exemple, du sené, de la rhubarbe concassée, &c. faites-en l'infusion ou la décoction ; passez & dissolvez dans la colature du syrop de chicorée, du sel d'epsom, &c. (b)


COLBERG(Géog. mod.) ville forte d'Allemagne dans la Poméranie ultérieure, à l'embouchure du Persant, dans la mer Baltique. Long. 33. 30. lat. 54. 18.


COLCAQUAHUITLS. m. plante de l'Amérique. Voilà le nom ; le reste est à connoître, excepté les propriétés, sur lesquelles Ray s'est fort étendu.


COLCHESTER(Géog. mod.) ville d'Angleterre dans la province d'Essex, sur le Coln. Long. 18. 22. lat. 51. 52.


COLCHIDES. f. (Géog. anc.) L'ancienne Colchide, aujourd'hui la Mingrelie, est au fond de la mer Noire, entre la Circassie, la Géorgie, & l'Aladulie.

Ce pays passoit autrefois pour être fertile en poisons ; de-là vient qu'Horace parle souvent des poisons de la Colchide, venena colcha ou colchica. Médée, si fameuse par ses vénéfices, étoit de la Colchide : en falloit-il davantage pour donner lieu aux fictions de la Poésie ?

Mais ce qui n'est point une fiction poétique, c'est l'étrange & réelle différence qu'il y a entre la Colchide de nos jours, & cette Colchide d'autrefois si riche & si peuplée ; différence qui n'a point échappé à l'auteur de l'esprit des lois. " A voir, dit-il, liv. XXI. ch. v. aujourd'hui la Colchide, qui n'est plus qu'une vaste forêt, où le peuple qui diminue tous les jours ne défend sa liberté que pour se vendre en détail aux Turcs & aux Persans ; on ne diroit jamais que cette contrée eût été du tems des Romains pleine de villes où le commerce appelloit toutes les nations du monde : on n'en trouve aucun monument dans le pays ; il n'y en a de traces que dans Pline & Strabon ". Art. de M(D.J.)


COLCHIQUEadj. (Hist. nat. bot.) colchicum, genre de plante à fleur liliacée, monopétale, sortant de la racine sous la forme d'un petit tuyau, qui s'évase peu-à-peu & se divise en six parties. Le pistil sort du fond de la fleur, se termine en petits filamens, & devient dans la suite un fruit oblong, triangulaire, & partagé en trois loges dans lesquelles il y a des semences arrondies. Ajoûtez aux caracteres de ce genre, qu'il y a deux racines tuberculeuses dont l'une est charnue & l'autre fibreuse ; elles sont toutes les deux enveloppées par une membrane. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

COLCHIQUE, (Mat. méd.) Tous les Médecins s'accordent assez unanimement à regarder toutes les parties du colchique comme un poison. On doit remédier aux accidens qu'il cause à ceux qui en ont avalé, d'abord par les émétiques, si on est appellé d'assez bonne heure, & ensuite par les adoucissans, comme les mucilages, les émulsions, les huileux, le lait, &c. donnés tant en lavement que par la bouche.

Le bulbe ou la racine de colchique appliquée extérieurement, peut avoir quelqu'utilité, à titre de caustique, contre les porreaux, les verrues, certaines dartres, &c. Sa décoction fait mourir les morpions, selon Jean Bauhin.

Le célebre Wedelius rapporte une vertu bien plus excellente de cette racine, dans une dissertation faite exprès sous ce titre, experimentum curiosum de colchico veneno, & alexipharmaco simplici & composito, dont M. Geoffroy a donné un extrait assez étendu dans sa mat. méd. Wedelius raconte qu'il a toûjours porté depuis l'année 1668. jusqu'en 1718, de même que plusieurs autres personnes, cette racine en amulete pendue à son cou avec un heureux succès, non-seulement dans la peste, mais encore dans toutes sortes de maladies épidémiques ; & qu'il avoit trouvé ce secret dans une dissertation sur la peste universelle qui avoit régné en 1637, qui lui étoit tombée par hasard entre les mains, lorsqu'il étoit chargé (en 1668), dans une ville de la basse Silésie où régnoit une dyssenterie cruelle, de quatre cent malades attaqués de symptomes de malignité.

Wedelius & ses compagnons attacherent à leur cou une racine de colchique en amulete, & aucun d'eux ne fut attaqué de la dyssenterie pestilentielle dont nous venons de parler. Cet auteur confirme l'efficacité de son remede par plusieurs observations qu'il rapporte, & entr'autres par l'histoire de deux médecins qui ayant été appellés à Hambourg pendant la peste qui y régnoit, partirent pour cette ville après s'être mis sous la protection de Dieu, & s'être munis de cet amulete. Ces deux médecins réussirent très-bien ; & la peste étant cessée, ils s'en retournerent l'un & l'autre en bonne santé. Enfin Wedelius après avoir éprouvé pendant cinquante ans son remede, qu'il distribuoit sous le nom d'arcanum duplicatum catholicum, n'a pas hésité à le rendre public, comme étant un alexipharmaque contre la peste, les fievres ardentes, les fievres malignes, la petite vérole, la rougeole, le pourpre, la dyssenterie, &c.

Il faut observer que Wedelius ordonnoit, outre ce remede, une diete exacte ; qu'il recommandoit d'éviter tout ce qui est nuisible, & de garder la modération dans les six choses que l'on appelle non-naturelles ; ce que bien des gens regarderoient aujourd'hui comme une aussi bonne recette contre les maladies épidémiques, que l'arcanum duplicatum catholicum Wedelii. M. Geoffroy finit cet extrait par l'explication très judicieuse que Quirinus Rivinus a donnée de l'opération de cet amulete, qu'il croit être fort propre à encourager le peuple, & à l'empêcher de craindre la contagion : car il y a long-tems que l'on a observé que dans les maladies épidémiques, un des plus souverains alexipharmaques étoit le courage ou l'insensibilité. (b)


COLDING(Géog. mod.) petite ville de Danemark, dans le Nortjutland. Long. 27. lat. 55. 35.


COLDITZ(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la haute Saxe, en Misnie, sur la Mulda.


COLERES. f. (Morale) c'est, suivant la définition de Locke, cette inquiétude ou ce desordre de l'ame que nous ressentons après avoir reçu quelqu'injure, & qui est accompagné d'un desir pressant de nous venger : passion qui nous jette hors de nous-mêmes, & qui cherchant le moyen de repousser le mal qui nous menace, ou qui nous a déjà atteints, nous aveugle, & nous fait courir à la vengeance : maîtresse impérieuse & ingrate, qui récompense mal le service qu'on lui a rendu, & qui vend chérement les pernicieux conseils qu'elle donne.

Je parle ici de la colere couverte, durable, jointe à la haine : celle qui est ouverte, ingénue, semblable à un feu de paille, sans mauvaise intention, est un simple effet de la pétulance du tempérament, qui peut quelquefois être louable, ou du moins qui ne seroit repréhensible que par l'indiscrétion ou le tort qui en résulteroit. Mais cette vivacité est bien différente d'une violence qui surmonte toute affection, nous enlace & nous entrave, pour me servir d'un terme expressif de Fauconnerie. Telle étoit la colere de Coriolan, quand il vint se rendre à Tullus pour se vanger de Rome, & acheter les effets de son ressentiment aux dépens même de sa vie.

Les causes qui produisent ce desordre, sont une humeur atrabilaire, une foiblesse, mollesse, & maladie d'esprit, une fausse délicatesse, une sensibilité blâmable, l'amour-propre, l'amour des petites choses, une vaine curiosité, la legereté à croire, le chagrin d'être méprisé & injurié ; d'où vient que la colere de la femme est si vive & si pléniere : elle naît aussi dans le refus de la violence du desir.

Cette passion a souvent des effets lamentables, suivant la remarque de Charron : elle nous pousse à l'injustice ; elle nous jette dans de grands maux par son inconsidération ; elle nous fait dire & faire des choses messéantes, honteuses, indignes, quelquefois funestes & irréparables, dont s'ensuivent de cruels remords : l'histoire ancienne & moderne n'en fournissent que trop d'exemples. Horace a bien raison de dire :

Qui non moderabitur irae, &c.

Epist. ij. lib. I. vers. 60-66.

Les remedes, dit Charron, dont je vais emprunter le langage, sont plusieurs & divers, lesquels l'esprit doit être avant la main armé & bien muni, comme ceux qui craignent d'être assiégés ; car après n'est pas tems. Ils se peuvent réduire à trois chefs : le premier est de couper chemin à la colere, & lui fermer toutes les avenues ; il faut donc se délivrer de toutes les causes & occasions de colere ci-devant énoncées : le second chef est de ceux qu'il faut employer lorsque les occasions de colere se présentent, qui sont 1°. arrêter & tenir son corps en paix & en repos, sans mouvement & agitation : 2°. dilation à croire & prendre résolution, donner loisir au jugement de considérer ; 3°. se craindre soi-même, recourir à de vrais amis, & mûrir nos coleres entre leurs discours ; 4°. y faire diversion par tout ce qui peut calmer, adoucir, égayer : le troisieme chef est aux belles considérations dont il faut abreuver & nourrir notre esprit de longue main, des actions funestes & mouvemens qui résultent de la colere ; des avantages de la modération ; de l'estime que nous devons porter à la sagesse, laquelle se montre principalement à se retenir & se commander.

Il ne faut pas cependant considérer la colere comme une passion toûjours mauvaise de sa nature ; elle ne l'est pas, ni ne deshonore personne, pourvû que ses émotions soient proportionnées au sujet qu'on a de s'émouvoir. Par conséquent elle peut être légitime, quand elle n'est portée qu'à un certain point ; mais d'un autre côté elle n'est jamais nécessaire : on peut toûjours, & c'est même le plus sûr, soûtenir dans les occasions sa dignité & ses droits sans se courroucer. Si le desir de la vengeance, effet naturel de cette passion, s'y trouve joint ; alors comme cet effet est vicieux par lui-même, il lâche la colere, & l'empêche de demeurer dans de justes bornes. Donner à la vengeance émanée de la colere la correction de l'offense, seroit corriger le vice par lui-même : " La raison qui doit commander en nous, dit encore Charron, auteur admirable sur ce sujet, ne veut point de ces officiers-là qui font de leur tête sans attendre son ordonnance : elle veut tout faire par compas ; & pour ce, la violence ne lui est pas propre ".

Ceux donc qui prétendent qu'un meurtre commis dans la colere ne doit pas proprement être mis au nombre des injustices punissables, n'ont pas une idée juste du droit naturel ; car il est certain que l'injustice ne consiste essentiellement qu'à violer les droits d'autrui. Il n'importe qu'on le fasse par un mouvement de colere, par avarice, par sensualité, par ambition, &c. qui sont les sources d'où proviennent ordinairement les plus grandes injustices : c'est le propre au contraire de la justice de résister à toutes les tentations, par le seul motif de ne faire aucune breche aux lois de la société humaine. Il est pourtant vrai que les actions auxquelles on est porté par la colere, sont moins odieuses que celles qui naissent du desir des plaisirs, lequel n'est pas si brusque, & qui peut trouver plus facilement de quoi se satisfaire ailleurs sans injustice ; sur quoi Aristote remarque très-bien que la colere est plus naturelle que le desir des choses qui vont dans l'excès ; & qui ne sont pas nécessaires.

Mais lorsque ce philosophe prétend que cette passion sert par fois d'armes à la vertu & à la vaillance, il se trompe beaucoup : quant à la vertu, cela n'est pas vrai ; & quant à la vaillance, on a répondu assez plaisamment qu'en tout cas c'est une arme de nouvel usage ; car, dit Montaigne, " nous remuons les autres armes, & celle-ci nous remue ; notre main ne la guide pas, c'est elle qui guide notre main, nous ne la tenons pas ". Article de M(D.J.)

COLERE, (Médecine) cette passion irritante nous jette dans des mouvemens violens, en causant un grand desordre dans notre machine.

Nous venons de parler de cette passion en moraliste, nous allons la considérer en médecin.

Telle est sa nature, qu'elle met subitement, quelle qu'en soit la cause, tout le système nerveux dans une agitation extraordinaire par la constriction violente qu'elle produit dans les parties musculaires, & qu'elle augmente prodigieusement non-seulement le systole du coeur & de ses vaisseaux contigus, mais encore le ton des parties fibreuses de tout le corps.

Ce mouvement impétueux du sang & de l'altération du fluide nerveux dans les personnes en qui la colere est poussée à son dernier période, se manifeste évidemment par l'augmentation du pouls, la promtitude de la respiration, la soif, la chaleur, le gonflement & la rougeur du visage, la pulsation des arteres de la tête plus forte, plus élevée, sur-tout aux environs des tempes, l'éclat des yeux, le bégayement, la voix enrouée, le parler précipité, la suppression de l'urine, le tremblement des parties extérieures ; enfin une certaine précipitation remarquable dans les fonctions de l'esprit. Ces symptomes se trouvent plus ou moins rassemblés suivant le tempérament & la force de la passion ; & la Physiologie les explique sans peine par la constriction spasmodique de tout le système nerveux.

En conséquence les observations de pratique ont appris que des fievres bilieuses, inflammatoires, la jaunisse, les obstructions du foie, des hémorrhagies, des diarrhées, des pierres dans la vésicule du fiel ou dans les conduits biliaires, en étoient quelquefois la suite. La conspiration singuliere de tous les nerfs en donne la raison. D'abord la constriction violente qui se fait ici dans le genre nerveux, produit la suppression de l'urine, l'obstruction & l'embarras dans l'écoulement de la bile, d'où résulte la formation des pierres de la vésicule du fiel. C'est de cette constriction que provient la jaunisse ; d'un autre côté, les conduits biliaires formés de tuniques musculaires & nerveuses, se trouvant excessivement comprimés par l'influx rapide du liquide spiritueux contenu dans les nerfs, se resserrent, font couler la bile qu'ils contiennent ; & cette bile passe dans le duodenum & dans le ventricule. De-là les envies de vomir, la déjection de matiere bilieuse, & la diarrhée. L'abondance & l'acreté de cette bile causeront la chaleur, la soif, les fievres lentes, bilieuses, inflammatoires, &c.

La colere produisant des spasmes, & augmentant le mouvement des fluides, il est nécessaire qu'il se porte avec impétuosité, ou qu'il s'arrête dans les parties supérieures une trop grande quantité de sang ; d'où il arrive que ces parties seront trop distendues, & en conséquence le visage s'enflammera, toutes les veines de la tête, celles du front, des tempes seront gonflées, &c. Il en pourra donc résulter des hémorrhagies, soit par le nez, soit par une rupture de la veine pulmonaire, soit par les veines de l'anus, soit par la matrice. En un mot dans les parties dont les vaisseaux se trouveront les plus foibles ou les plus distendus, l'influx rapide déréglé du liquide spiritueux contenu dans les nerfs, rendra la langue bégayante, la voix enroüée, le parler précipité, le tremblement, la précipitation dans les fonctions de l'esprit.

Enfin quelques observations nous apprennent qu'il y a des personnes qui, à la suite d'une grande colere, ont perdu tour-à-tour l'oüie, la vûe & la parole, & d'autres qui sont tombés pendant plusieurs jours dans un état d'insensibilité. Ces divers accidens dépendent entierement ou de la compression des nerfs du cerveau, ou du flux arrêté des esprits, tantôt sur un organe des sens, tantôt sur l'autre.

C'est pourquoi le médecin travaillera à calmer ces spasmes, cette agitation de tout le système nerveux ; à remettre le sang & les humeurs dans un mouvement uniforme, & corriger l'acrimonie des fluides. Ainsi les réfrigérans, tels que la liqueur minérale anodyne d'Hoffman, l'esprit de nitre ou l'esprit de vitriol dulcifiés, délayés dans un liquide convenable, deviendront de vrais calmans. Si la bile s'est jettée dans les intestins, il faut l'évacuer doucement par des lénitifs, tels que la magnésie blanche, la poudre de rhubarbe mêlée avec le nitre, les décoctions de tamarins, & autres de cette espece. On corrigera l'acrimonie des fluides par des boissons opposées à cette acrimonie. S'il s'est rompu quelque vaisseau dans le tissu pulmonaire, on diminuera l'impétuosité du sang par la saignée, la dérivation, les demi-bains, les rafraîchissans. Mais l'on évitera dans la méthode curative les cathartiques & les émétiques qui sont funestes dans cet état ; car comme ils n'agissent qu'en irritant les fibres délicates de l'estomac & des intestins, & que ces fibres sont déjà attaquées de constrictions spasmodiques par la colere, de tels remedes ne feroient qu'augmenter le mal. Ce seroit bien pis dans les personnes sujettes à des spasmes hypochondriaques, hystériques, & dans celles qui sont déja tourmentées de cardialgie. Ce n'est point ici que la difficulté pour déterminer des remedes fait une des parties délicates du jugement du médecin, un peu de bon sens lui suffit. Art. de M(D.J.)


COLERETS. m. terme de Pêche ; le filet qui forme le coleret est étroit par les deux bouts, où il n'a au plus que deux piés & demi de haut ; il s'élargit ensuite, desorte qu'il a quelquefois trois à quatre brasses de chatte dans le milieu. La grandeur des mailles est à la discrétion des pêcheurs, qui se servent de cet engin défendu notamment par l'ordonnance de 1584 : tit. lxxxjv. & par celle de 1681, tit. xvj. & xxj. Le bas de ce filet est garni de plommées ou plaques de plomb roulées, pour le faire couler bas & le tenir ouvert. Le haut est garni de flottes de liége, au moyen desquelles & des plommées le filet se trouve étendu. A chacune des extrémités du filet est un bâton sur lequel il est amarré, comme on peut le voir figure de Pêche : de chacune des extrémités de ce bâton, partent des cordes qui se réunissant en une seule, qui a une brasse ou deux de distance, est ployée pour former une grande boucle ou bretelle, que les pêcheurs se passent au cou pour tirer cet instrument à-peu-près comme font les bateliers qui halent leurs petits bateaux pour remonter les rivieres. Il faut deux hommes, un à chaque bout du filet ; ils se mettent quelquefois dans l'eau jusque sous le menton, afin d'avoir une plus longue marée, cette pêche ne pouvant se faire que de basse mer.

Dans quelques endroits, les paysans indisciplinés & voisins des côtes de la mer, y descendent avec des colerets d'un très-grand volume qu'ils apportent sur des chevaux, & dont ils se servent pour tirer ces grands colerets qui font sur les sables le même mauvais effet que la dreige, lorsqu'on s'en sert près de terre : aussi cette pêche est elle une des plus nuisibles, puisqu'elle détruit tout ce qu'elle rencontre sur les sables.

Outre ces deux especes de colerets, il y en a une troisieme qui ne differe de celle-ci, qu'en ce qu'il y a au milieu une chausse ou queue de verveux, dans laquelle passe tout le poisson qui se trouve dans la route du coleret.

Une autre espece de coleret est composée de deux sortes de filets ; les mailles du haut sont de l'échantillon de 14 lignes, & celles du bas n'ont au plus que neuf lignes en quarré.

Comme les pêcheurs qui se servent de cet engin le traînent sur des côtes dures, leurs filets n'ont que quelques brasses de longueur ; & au lieu d'être garnis de plommées par le bas, ceux-ci ont ce que les pêcheurs nomment de la souillardure : c'est un rouleau de vieux filets, hors de service, avec quoi ils garnissent le corps de leurs colerets, afin de les faire toûjours traîner sur les fonds.

Nous avons dit que le coleret pouvoit être tiré par des hommes ou des chevaux ; mais il le peut être aussi par des bateaux que des rameurs font avancer ; en ce cas on l'appelle seinne, dont le coleret est une espece. Voyez SEINNE. Voyez la figure 4. Planc. V. de Pêche.


COLERETTESS. m. pl. terme de Pêche, sorte de courtines volantes & variables : ces filets ont les mailles de deux différentes grandeurs ; les plus larges ont neuf lignes en quarré, & les plus serrées ont seulement huit lignes en quarré.

Cette espece de pêche est proprement la tente du palicot des pêcheurs du busch, ou des petites pêcheries des greves de la baie de Cancale : on ne peut la faire sans bateau. On la pratique pendant toute l'année, lorsque les vents forcés & les tempêtes ne regnent point.

Quand le pêcheur veut tendre ses filets pour faire la pêche à la colerette, il embarque avec lui dans sa chaloupe des petits pieux & des rets pour former l'enceinte ; il dispose ensuite ses pieux ou petits piquets qui ont environ quatre piés au plus de haut ; les deux rangées en sont placées en long, & de maniere qu'étant un peu couchées, le haut du rets qui y est amarré par un tour mort, ne se trouve élevé au plus que de la hauteur d'un pié au-dessus du terrein : ainsi le filet n'a ni flottes, ni plomb ; il est seulement arrêté par de petits fourcillons ou crochets de bois, de quatre piés en quatre piés de distance. Les deux rangées de petits pieux sont aussi placées de maniere qu'ils s'entretouchent par les bouts pour former l'entrée. Les pêcheurs mettent encore dans le fond de la pêcherie, une espece de sac qui est un verveux simple, sans goulet & sans cercle ; il peut avoir une brasse & demie de long : les deux piquets qui tiennent l'entrée du verveux, sont placés debout. Après que le pêcheur a planté ses pieux, il remonte dans la chaloupe où il se tient pendant la marée ; & après qu'elle est finie, & son poisson resté à sec, il s'embarque avec les filets & les piquets ; si le hasard veut qu'il fasse bonne pêche & beau tems, il laisse quelquefois sa pêcherie ainsi tendue deux ou trois marées ; ce qui arrive cependant rarement.

Il faut pour cette sorte de pêcherie, le même calibre que celui que l'ordonnance a fixé pour les bas-parcs, courtines, & venets, avec des mailles de deux pouces en quarré ; on y prendra toûjours de toute sorte d'especes de poissons plats ; & ce sont ceux que l'on y prend ordinairement.

Il y a encore des colerettes ou courtines, qu'on appelle courtines à double fond, qui se tendent de différente maniere au gré des pêcheurs.

Quelques-uns mettent au fond, des verveux volans ou varvouts, sans cercle ; d'autres font encore cette même pêche d'une autre maniere : ils plantent sur les vases leurs petits pieux qu'ils relevent toutes les marées ; les bâtons en sont plantés tout droit, comme ceux des bas-parcs ; ils forment au fond une espece de varvout ou de double fond avec les mêmes piquets plantés en équerre, ou en angle aigu ; les ailes ou les bras ont environ dix brasses de long, & le bout du sac ou de la pointe du rets qui garnit la pêcherie, est tenu en état au moyen du petit piquet de bois, sur lequel il est amarré à une petite corde qui est frappée dessus. Il y a des pêcheurs qui mettent aussi des verveux, dont le sac est tenu étendu au moyen de cinq à six cercles, & dont le goulet va jusqu'aux deux tiers du verveux. Les mailles de ces verveux sont fort serrées, puisqu'elles n'ont que sept à huit lignes au plus en quarré. Ces pêcheries ne different point des bas-parcs en équerre & à fond de verveux, que l'on a trouvé sur les greves de la baie de Cancale.


COLÉTANSS. m. pl. (Hist. eccl.) freres mineurs ainsi appellés de la bienheureuse Colette de Corbie, dont ils embrasserent la réforme au commencement du quinzieme siecle. Ils conserverent ce nom pendant deux cent ans, & ne le perdirent qu'à la réunion qui se fit de toutes les réformes de l'ordre de S. François, en conséquence de la bulle que Léon X. donna en 1517.


COLIADE(Myth.) surnom de Vénus, ainsi appellée de son talent pour la danse. Il vient de , je danse. Les Grecs avoient élevé un temple à Vénus la danseuse.


COLIARTS. m. raia laevis undulata seu cinerea. Rond. (Hist. nat. Ichthiolog.) poisson cartilagineux plat & lisse, qui a de très-grandes nageoires. Il est si gros, que l'on en trouve qui pesent cent livres, & on en a vû un qui pesoit jusqu'à deux cent livres. Celui sur qui on a fait cette description, avoit trente-huit à trente-neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & vingt-huit ou vingt-neuf pouces de largeur entre les extrémités des nageoires ; son corps étoit de figure rhomboïde. La face supérieure de ce poisson est blanchâtre, ou de couleur cendrée, parsemée de plusieurs taches noirâtres ou ondoyantes, selon Lister. La face inférieure est blanchâtre & parsemée de quantité de petits points noirs ; le bec court & pointu ; les côtés sont terminés par une nageoire. Quant au reste, ce poisson ressemble à la raie à long bec, soit par la queue, par les nageoires qui entourent l'anus, par la bouche, les dents, les narines, &c. Willughby, hist. pisc. Voyez RAIE, POISSON. (I)


COLIBRIsub. m. oiseau commun dans plusieurs contrées de l'Amérique. Voyez B. fig. 1. Planc. XII. Hist. natur. Il y en a des especes fort différentes pour la grosseur, pour les couleurs, &c. Il y en a de si petits, qu'on leur donne le nom d'oiseaux mouches : ils sont très-beaux par la diversité & l'éclat de leurs couleurs, ce qui les a fait appeller rayons du soleil ; leurs plumes sont en effet si belles, qu'on les employe à faire des tapisseries & même des tableaux ; & l'oiseau entier, après avoir été desséché est encore si beau, qu'on le suspend aux oreilles pour servir d'ornement. La longueur du bec varie dans les différentes especes de colibri ; il est droit dans les uns, & courbe dans les autres. Leurs yeux sont petits & noirs ; leur vol est si rapide, qu'on les apperçoit à peine ; ils se soûtiennent pendant long-tems en l'air, & semblent y rester immobiles. On les voit dans les forêts, sur-tout le matin, recueillir la rosée ou le miel sur les fleurs, particulierement sur celles du gui. Ils font leur nid avec du coton sur des branches d'arbre, & y déposent des oeufs blancs qui ne sont pas plus gros que des pois C. Il y a en Amérique des araignées A, qui sont beaucoup plus grosses que les colibris, & qui mangent leurs oeufs. Voyez ARAIGNEE.

Lorsque les colibris ne trouvent plus de fleurs, ils se suspendent par le bec à l'écorce d'un arbre, & y restent jusqu'à ce qu'il y ait de nouvelles fleurs. Hist. des Incas, Paris, 1744, tom. II. pag. 277.

On donne aux colibris le nom de suce-fleurs, ou d'oiseau abeille (Seba Th. rer. nat. tom. I. pag. 61.), parce qu'ils sont très-petits, & qu'ils voltigent sur les fleurs comme les abeilles. Seba rapporte qu'on lui a envoyé des colibris des Indes orientales ; qu'ils sont ordinairement plus grands que les autres, & que le plumage en est gris & mêlé d'un verd éclatant.

Edwards fait mention dans son histoire naturelle des oiseaux, de plusieurs especes de colibris, & il donne les figures & les descriptions du colibri rouge à longue queue, du petit colibri brun de Surinam, du colibri verd à longue queue, du colibri à tête noire & à longue queue, du colibri dont le ventre est blanc, du colibri bleu & verd, du colibri verd dont le ventre est noir, du colibri hupé, & du colibri à gorge rouge. Il suffira de rapporter ici d'après ce même auteur la description du colibri rouge à longue queue, qui est un des plus grands & des plus beaux oiseaux de son genre ; & celle du colibri hupé, qui est un des plus petits.

" Le colibri rouge à longue queue est un des plus gros oiseaux & des plus beaux que j'aye jamais vû de ce genre. Son bec est long, mince, & courbé en-bas vers la pointe, & de couleur noire : la tête & le haut du cou sont noirs & luisans ; la gorge est d'un verd brillant, & même de couleur d'or : au-dessous de ce verd, il y a une ligne noire en forme de croissant, qui le sépare de la poitrine qui est de couleur de rose. Le dos & les petites plumes des aîles sont d'une couleur rouge orangée. Les grandes plumes des aîles & le premier rang des petites sont d'un violet. La queue a dans le milieu deux longues plumes de la même couleur violette que les aîles. Les plumes des côtés & de la queue sont d'une couleur orangée rougeâtre, comme celles du dos. Les plumes du bas du dos, celles du croupion, & les plumes qui recouvrent la queue, sont d'un beau verd. Les jambes sont très-courtes & de couleur noire, de même que les piés qui ont quatre doigts, dont trois sont en-avant & l'autre derriere, comme dans tous les autres oiseaux de ce genre.

Le colibri hupé a le bec mince, aigu par la pointe, mais pas si long que dans la plûpart des oiseaux de son genre, de couleur noire & très-peu courbé em-bas. Le haut de la tête depuis le bec jusqu'au derriere de la tête qui se termine en une hupe, est d'abord verd, & sur le derriere bleu foncé : ces deux couleurs brillent avec un lustre qui surpasse de beaucoup les métaux les plus polis & les plus éclatans ; sur-tout la partie verte qui est la plus claire en certains jours, se change de verd en couleur d'or d'une si grande beauté, qu'on ne sauroit l'exprimer par des couleurs, ni même la concevoir dans l'absence de l'objet. Les plumes de la partie supérieure du corps & des aîles, sont d'un verd foncé entremêlé de couleur d'or. Précisément au-dessous du bec, il y a une tache d'un blanc terni. La poitrine & le ventre sont d'une couleur grisâtre, ou mêlée de gris sombre & terni. Les grandes plumes sont de couleur de pourpre. La queue est d'un noir bleuâtre, un peu lustré par-dessus ; mais le dessous est encore plus brillant que le dessus, ce qui n'est pas ordinaire. Les jambes & les piés sont très-petits & noirs. Le nid composé d'une substance de coton ou de soie très-belle & très-douce, je ne saurois dire précisément ce que c'est ; c'est un composé de deux matieres, l'une rouge, & l'autre d'un blanc jaunâtre. Voyez OISEAU. (I)


COLICOLLEou CAULICOLES, s. f. pl. (Archit.) du latin caulis : ce sont de petites tiges d'où prennent naissance les volutes ou hélices du chapiteau corinthien. Ces colicolles partent de dedans des culots, composés de feuilles d'ornement qui posent elles-mêmes sur des tigettes. (P)


COLIMA(Géog. mod.) ville considérable de l'Amérique septentrionale, au Mexique, Long. 27. 33. lat. 18. 30.


COLIMBES. m. colymbus maximus caudatus, (Hist. nat. Ornith.) oiseau de riviere qui est à-peu-près de la grosseur d'une oie. Il a le corps allongé, la queue arrondie, & la tête petite. La partie supérieure du cou est recouverte de plumes si touffues, qu'elle paroît plus grosse que la tête. Les plumes du cou, des épaules & du dos, & les petites plumes du dessus des aîles, enfin les plumes de toute la face supérieure de cet oiseau, sont brunes ou plûtôt d'une couleur cendrée noirâtre, avec des taches blanches qui se trouvent en petit nombre sur le cou, & qui sont fort fréquentes sur le dos : chaque plume en a deux près de son extrémité, une de chaque côté ; ces taches sont plus grandes sur les petites plumes des aîles & sur les grandes plumes des épaules, que sur celles du dos. La gorge & la face inférieure du cou sont blanchâtres. Le dessus du cou, la poitrine, & le ventre, sont blancs : on a vû à l'endroit de l'anus une bande transversale noirâtre. Il s'est trouvé aussi un de ces oiseaux dans l'île de Jersey, qui avoit la tête noire, & un collier formé par de petits points blancs. Il y a trente grandes plumes à chaque aîle ; elles sont courtes à proportion de la grosseur de l'oiseau ; leur couleur est noire ou d'un brun obscur. La queue ressemble à celle des canards ; elle est très-courte, & composée de vingt plumes au moins. Le bec est droit, pointu, & long de près de trois pouces. La piece supérieure est noirâtre ou livide ; elle est creusée en forme de gouttiere, & garnie jusqu'aux narines de plumes qui sont un peu repliées en-dessus. La piece du dessous est blanchâtre. Il y a au milieu de chaque narine une pellicule qui tient au bord supérieur. Cet oiseau a les doigts joints ensemble par une membrane ; ceux de devant sont fort longs, sur tout le doigt extérieur ; celui de derriere est le plus court & le plus petit. La longueur des pattes est médiocre, elles sont applaties & larges ; la face extérieure est brune, & l'intérieure est de couleur plombée, ou d'un bleu pâle. Les ongles sont larges, & semblables à ceux de l'homme. Les pattes sont dirigées en-arriere de façon qu'elles touchent presqu'à la queue, & qu'il paroît que l'oiseau ne peut marcher qu'en dressant perpendiculairement son corps. Les couleurs des oiseaux de cette espece varient ; il y en a qui ont des colliers, & dont le dos, le cou & la tête, sont de couleur noire avec de petites lignes blanches ; d'autres n'ont point de collier. La couleur de toute la face supérieure du corps tire plus sur le cendré, & au lieu de petites bandes il n'y a que des points blancs ; peut-être que ceux-ci sont les femelles, & les autres les mâles. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)


COLINS. m. CANIART, ou GRISART, larus vel gravia major, (Hist. nat. Ornith.) oiseau de mer qui se trouve plus fréquemment sur les côtes de l'Océan que sur celles de la Méditerranée : il est de la taille d'une oie de médiocre grandeur ; ses plumes sont renflées & le font paroître gros, quoiqu'il n'ait pas plus de chair qu'un petit morillon. Il est de couleur grise, c'est pourquoi on l'a nommé grisart. Ses piés ressemblent à ceux d'une cane ; il nage, mais il ne plonge jamais. Sa tête est aussi grosse que celle d'un aigle royal, & le bec aussi grand que celui du plongeon de mer. L'ouverture du gosier est si large qu'il avale de fort gros poissons ; il prend ceux qui sont rejettés sur le rivage. Sa queue est ronde, & ne s'étend pas au-delà du bout des aîles ; il vole pendant long-tems sans se reposer, & il paroît en l'air aussi grand qu'un aigle ; il court assez rapidement sur terre, & son cri se fait entendre de bien loin. Sa peau est aussi dure que celle d'un chevreau ; quoiqu'il mange beaucoup, il est toûjours fort maigre : sa chair est de mauvais goût, & difficile à digérer. Belon, liv. III. de la nature des oiseaux. Voyez OISEAU. (I)


COLIN NOIRvoyez POULE D'EAU.


COLIN-MAILLARDS. m. jeu d'enfans ; on bouche les yeux à un d'entr'eux, il poursuit ainsi les autres à tâton jusqu'à ce qu'il en ait attrapé un autre qu'il est obligé de nommer, & qui prend sa place, & qu'on appelle aussi colin-maillard.


COLINILS. m. (Hist. nat. bot.) plante de l'Amérique, dont voilà le nom ; n'ayant rien à dire de ses caracteres, j'ai cru pouvoir omettre ses propriétés.


COLIOURE(Géog. mod.) petite ville de France fortifiée dans le Roussillon, au pié des Pyrenées, avec un petit port. Long. 20. 45. 2. lat. 42. 31. 45.


COLIPHIUM(Hist. anc.) sorte de pain sans levain, grossier, pesant, paitri avec le fromage mou, & qui servoit de nourriture ordinaire aux athletes. Il en est parlé dans les satyres de Juvenal. Il falloit avoir un bon estomac pour digérer aisément une pareille nourriture.


COLIQUES. f. (Méd.) douleur plus ou moins violente dans le bas-ventre.

Définition. La colique paroît tirer son nom de la douleur dans l'intestin colon ; cependant ce mot désigne en général toute douleur intérieure du bas-ventre. On auroit pû ne nommer colique, que la douleur du colon, comme on nomme passion iliaque, celle qui attaque les intestins grêles ; mais l'usage en a décidé autrement : néanmoins les douleurs de l'estomac, du foie, de la rate, des reins, de la vessie, de l'utérus, se rapportent aux maladies de ces parties ; & l'on distingue encore de la colique, les maladies qui occupent les tégumens de tout l'abdomen.

Les douleurs de colique sont si fort dans l'humanité, qu'il n'y a ni âge, ni sexe, ni pays, ni constitution, qui en soient exempts pendant le cours de la vie ; les enfans, les jeunes gens d'un tempérament chaud & bilieux, les femmes, les vieillards, les personnes d'une nature foible & délicate, & d'un sentiment vif, y sont les plus sujets.

Pour en développer la nature autant qu'il est possible, & en former le prognostic, il faut observer soigneusement si la colique est fixe, vague, changeant de place, constante, périodique, intermittente, sympathique, opiniâtre, douloureuse, aiguë, causant une métastase, &c.

Ses causes & diverses especes. Ses causes qui sont en très-grand nombre, se peuvent rédiger sous quatre chefs généraux : 1° des matieres inhérentes dans les intestins, 2° des matieres nées d'ailleurs & portées dans les entrailles, 3° la correspondance des nerfs affectés, 4° des maladies propres aux intestins & au mésentere, produisent les diverses douleurs de colique.

I. J'ai dit, 1° des matieres inhérentes dans les intestins ; telles sont les choses âcres, mordicantes, de quelque nature qu'elles soient, bilieuses, rancides, putrides, acides, muriatiques, échauffantes, spiritueuses, aromatiques, stimulantes ; les vomitifs, les purgatifs, les poisons, &c. Il faut les délayer, les faire sortir par haut ou par bas, en dompter la nature par des boissons aqueuses, & toûjours opposées au genre d'acrimonie.

Toute fermentation d'alimens qui trouble le mouvement des intestins, & par la distension excite des douleurs de colique, doit être appaisée après les remedes généraux, par des carminatifs, des anodyns, des calmans.

Lorsque la douleur cause une tension convulsive, & qu'elle paroît produite par des vents ou par la constipation, l'indication nous conduit à l'usage des clysteres émolliens, résolutifs, répétés coup sur coup ; à des linimens carminatifs, nervins, appliqués sur la partie affectée ; aux pilules balsamiques, & à des infusions ou décoctions de manne. Dans ces douleurs flatueuses des intestins, le bas-ventre s'enfle, les vents ont de la peine à sortir, le mal aigu est suivi d'anxiété ou d'oppression ; si les vents passent par haut & par bas, le malade sent du soulagement ; si cette colique venteuse procede de l'atonie du ventricule & des intestins, elle demande des carminatifs plus chauds qu'à l'ordinaire : quelquefois la flatuosité des intestins a sa source dans cette foiblesse du ton & du peu de force de ces visceres, sur-tout dans les personnes âgées, & dans celles qui ont fait un usage immodéré d'alimens flatueux, de boissons spiritueuses, dans celles dont le corps a été affoibli par les maladies ou les remedes. Pour lors on n'a de secours que la cure palliative & préservative.

Si la colique vient de vers logés dans les entrailles, on y remédiera par les vermifuges convenables. Les enfans sont sujets à cette espece de colique accompagnée quelquefois d'une douleur poignante dans le bas-ventre, & de syncopes ; ils éprouvent aussi des tranchées occasionnées par une stagnation d'un lait aigri & rendu corrosif, ce qui les jette quelquefois dans des convulsions épileptiques. Le sirop de chicorée avec la rhubarbe est le meilleur remede.

La colique bilieuse fera un petit article particulier dans lequel on indiquera ses symptomes & sa cure. Pour la colique qui naît de l'endurcissement des matieres fécales dans les gros intestins, elle se termine par la guérison de la constipation. Voyez ce mot.

II. Les humeurs viciées du corps entier ou de quelque partie, étant portées aux intestins, y causent de vives douleurs de colique, & requierent des secours opposés à la nature du vice. Telle est l'humeur de la goutte, le catharre, la cachexie, le scorbut, la galle, l'évacuation supprimée de la sueur, de l'urine, de la salive, des excrémens, d'un ulcere, d'un abcès, des hémorrhoïdes ; ou comme il arrive dans les maladies aiguës, inflammatoires, épidémiques, contagieuses, dans lesquelles maladies, les matieres âcres se jettent de toutes parts dans les intestins. Il est nécessaire de détruire la maladie même, & en attendant de lubrifier le canal intestinal par des boissons & des injections onctueuses, détergentes, adoucissantes. Lorsque la suppression du flux hémorrhoïdal & menstruel est l'origine de la colique, il faut employer la saignée du pié, les lavemens émolliens, les demi-bains, les antispasmodiques, les eaux minérales, l'exercice convenable, & le régime, qui dans toutes les douleurs d'entrailles est d'une absolue nécessité.

III. Souvent les intestins souffrent par sympathie des autres parties malades, comme de l'utérus dans les femmes grosses qui avortent, qui accouchent, qui sont en couches ou nouvellement accouchées, qui perdent leurs regles, qui ont les mois, les vuidanges supprimées, ou qui souffrent d'autres affections de la matrice. Ce même phénomene a lieu dans les maladies des reins, la pierre, la néphrétique, l'inflammation du diaphragme, du foie, &c. Toutes les douleurs de colique de ce genre, nées par sympathie, cessent par la guérison des maux dont elles émanent. Telle est encore la colique convulsive & quelquefois épileptique des enfans, qui vient des douleurs que leur fait la sortie des dents, en vertu de la correspondance qu'ont entr'elles les parties nerveuses. Telle est aussi la colique d'entrailles causée par un calcul biliaire détenu dans la vésicule du fiel, lequel irrite son conduit. Les femmes en couches éprouvent des douleurs de colique dans la suppression de leurs vuidanges, lorsqu'on néglige de leur bander le ventre comme il faut après l'accouchement, ou lorsqu'il survient du refroidissement.

IV. Les maladies propres aux intestins & au mésentere ; produisent de vives douleurs de colique ; c'est ce qui arrive dans l'obstruction des glandes du mésentere, dans les abcès de cette partie, qui s'étant portés sur les boyaux, y croupissent, corrodent les membranes & les gangrenent. On en trouve quelques exemples dans Willis, Benivenius, & Wharton. Telles sont encore les coliques qui proviennent d'un ressentiment, d'une contraction, d'un étrécissement, d'un skirrhe, d'une callosité, dans quelque portion des intestins, tous maux qui détruisent l'égalité du mouvement de ces visceres. Enfin toutes leurs maladies, ou celles des parties voisines, l'inflammation, l'hernie, l'érésipele, le rhumatisme, &c. produiront cet effet.

Especes particulieres. Quelquefois les coliques sont la suite de plusieurs maladies, comme de toute espece de fievres mal traitées, de diarrhées, de dyssenteries trop tôt arrêtées par des astringens, des vomitifs, ou des cathartiques trop violens.

Il y a encore une espece de colique spasmodique, que quelques-uns appellent colique sanguine, parce qu'elle provient du sang qui s'est amassé au-dedans des tuniques des intestins, sur-tout du colon, où ce sang croupi irrite, distend les membranes nerveuses qui sont d'un sentiment très-délicat. Les hommes robustes qui menent une vie déréglée en sont les martyrs ordinaires, & quelquefois les femmes lorsque leurs regles viennent à être supprimées. Cette colique procede aussi de la suppression d'un flux hémorrhoïdal périodique.

On connoît dans certains endroits une autre espece de colique spasmodique, que l'on peut proprement appeller endemique, parce qu'elle est commune dans certains climats & dans certains pays ; alors ces sortes de coliques tirent leur origine de l'air, des exhalaisons, des alimens, des boissons, &c. Par exemple, le bellou en Derbyshire, qui provient des exhalaisons de la mine de plomb, si funestes, que les animaux & même la volaille en souffrent. On peut citer en exemple encore, les habitans de la Moravie, de l'Autriche & de l'Hongrie ; ils sont souvent affligés d'une colique convulsive, qui n'a d'autre cause que l'habitude immodérée des vins spiritueux de ces contrées, sur-tout quand on n'a pas soin de se garantir du froid. On peut rapporter assez commodément cette derniere maladie à la colique sanguine, parce qu'elle demande les mêmes remedes, avec l'usage des boissons adoucissantes & émulsionnées, prises chaudes, pour rétablir en même tems la transpiration.

La colique spasmodique qu'on nomme colique de Poitou, autrement colique des Peintres, colique des Plombiers, parce qu'elle est causée par le plomb, l'usage des saturnins, & qu'elle commence à s'étendre dans toute l'Europe, mérite par cette raison un article particulier.

Symptomes de la colique. Les malades attaqués de la colique, éprouvent plus ou moins les symptomes suivans, à proportion des degrés de la maladie. Toute la région des intestins, ou une partie, est le siége de la douleur. Les malades ressentent dans le bas-ventre une sensation très-vive, piquante, poignante, brûlante, fixe ou vague ; ils sont pleins de mal-aise & d'inquiétudes ; ils ne peuvent dormir ; ils s'agitent, se couchent sur le ventre, sur l'un ou l'autre côté pour trouver une posture qui les soulage. Quelquefois les vents & les borborigmes se joignent à cet état, de même que la constipation, le tenesme, le pouls serré, la fievre, la suppression d'urine, la difficulté de respirer, le dégoût, la cardialgie, les nausées, les vomissemens : mais voici d'autres symptomes encore plus dangereux ; le hoquet, le frisson, le tremblement, l'abatement de toutes les forces, les syncopes, la sueur froide, le délire, & quelquefois des convulsions épileptiques, dont les suites sont la destruction de la machine. Quelquefois ces symptomes se terminent par d'autres maladies, la suppuration, la jaunisse, la diarrhée, la dyssenterie, & plusieurs autres maux, suivant les causes & la violence des accès de colique.

Prognostics. Les prognostics se tirent de la durée du mal, du nombre & de la nature des symptomes ; ainsi c'est un bon prognostic lorsque les divers symptomes qu'on vient de détailler manquent ; que la douleur est intermittente, tolérable, & qu'elle diminue : les vents soulagent le malade quand ils peuvent passer par-haut ou par-bas. La colique accompagnée de cardialgies, de nausées, de vomissemens, devient déjà dangereuse ; elle l'est beaucoup lorsqu'elle saisit le malade avec violence en même tems que le frisson, & que cet état subsiste ; car c'est un signe d'une inflammation qui dégénere en sphacele, si on néglige d'y apporter un promt remede. Elle l'est encore davantage, si conjointement à ces symptomes, se trouvent réunis la constipation, la suppression d'urine, la fievre & la difficulté de respirer. Elle l'est beaucoup plus, si la foiblesse, le délire & le hoquet surviennent : mais c'est un prognostic funeste si les forces s'épuisent, si les convulsions succedent, le froid, la sueur colliquative, une vraie ou fausse paralysie des extrémités, & finalement la stupeur des piés & des mains ; pour lors le malade est sans espérance.

Cure générale. Nous avons vû que la cure devoit toûjours être adaptée à la cause, & variée en conformité : mais quand cette cause est inconnue, que doit-on faire ? Il faut toûjours employer les remedes généraux, la saignée, pour peu que l'inflammation soit à craindre, les fomentations chaudes ou émollientes perpétuellement répétées, les lavemens relâchans, délayans, antiphlogistiques, les laxatifs, les boissons humectantes, & persister dans cet usage jusqu'à ce que le mal soit appaisé, ce qui arrive d'ordinaire sans que la cause ait été découverte par le médecin. La colique se guérit naturellement par une sueur abondante, par un saignement de nez, par un flux hémorroïdal, par un cours-de-ventre, par une diarrhée, par un écoulement d'urine, &c. mais les remedes généraux qu'on vient d'indiquer ne tendent qu'à avancer la guérison, & à la déterminer plus sûrement.

Cure préservative. Ceux qui sont sujets à des coliques ou de vives douleurs dans les intestins, ce qui est assez ordinaire aux personnes affligées de la goutte, du scorbut, des hémorrhoïdes, de l'affection hypochondriaque, hystérique, &c. doivent observer un régime sévere, éviter les passions violentes, s'abstenir des alimens de difficile digestion, gras & salés, entretenir la transpiration, sur-tout dans le bas-ventre & la région des reins, tenir les piés chauds, mettre en pratique les frictions, l'exercice de quelque espece qu'il soit, éviter les vins suspects, les liqueurs spiritueuses, les fruits d'été qui ne sont pas mûrs, &c.

Observations cliniques. Comme la plûpart des coliques sont accompagnées d'inflammation, ou que l'inflammation ne manque guere de survenir, il faut tout mettre en usage pour dompter cette inflammation ou pour la prévenir. Dans les douleurs spasmodiques des intestins, on doit s'abstenir des vomitifs, des cathartiques, des lavemens d'une qualité acrimonieuse. Si la constipation est jointe à la colique, & qu'elle soit invétérée, il est besoin de répéter les clysteres plusieurs fois de suite, d'y joindre les suppositoires & les fomentations émollientes sur le bas-ventre. La fumée de tabac, que quelques-uns recommandent d'injecter dans le fondement par le moyen d'une seringue convenable, doit être abandonnée aux Maréchaux pour les chevaux. On s'abstiendra des carminatifs, des échauffans, des sudorifiques dans toutes les coliques convulsives & inflammatoires. Enfin l'on évitera de tomber dans l'erreur des Praticiens, qui, tant que la colique est encore renfermée dans les bornes de l'inflammation, l'attribuent mal-à-propos au froid, aux flatuosités, aux vents, & la traitent par des remedes chauds, carminatifs, dont les suites sont très-funestes. Il faut espérer que cette mauvaise pratique, contraire à tous les principes, tombera dans notre pays avec les livres qui la recommandent ; c'est ici où la bonne théorie doit servir de guide, & c'est dans le traité d'Hoffman sur cette matiere qu'on la trouvera. Toutes les observations qu'on lit dans tant d'ouvrages sur la colique guérie par tels & tels remedes, par les noix de Bicuibas, hist. de l'acad. des Scienc. 1710, p. 16. par la Pareira-brava, ib. p. 57. par des teintures chimiques, 1733. Mém. p. 262. &c. tous ces remedes, dis-je, & autres les plus vantés ne servent qu'à jetter dans l'erreur.

Antiquité de la maladie. Si présentement à la diversité prodigieuse des causes de la colique on joint la connoissance de la structure de notre machine, & en particulier les intestins, qui sont le siége de cette maladie, on ne pourra douter que son existence ne soit un apanage inséparable de l'humanité. Je sais bien que le nom de cette maladie est du nombre de ceux qui ne se trouvent point dans Hippocrate ; mais il ne s'ensuit pas de-là que la maladie n'eût pas lieu de son tems. Elle est certainement comprise sous le nom de tranchées ou de douleurs de ventre, dont il parle en plusieurs endroits ; & en effet la colique est-elle autre chose ?

S'il en faut croire Pline, le nom n'étoit pas seulement nouveau du tems de Tibere, mais la maladie elle-même étoit toute nouvelle, & personne n'en avoit été attaqué avant cet empereur, ensorte qu'il ne fut pas entendu à Rome lorsqu'il fit mention de ce mal dans un édit où il parloit de l'état de sa santé. Il se peut que le nom de colique eût été inconnu jusqu'à ce tems-là, mais la conséquence du nom à la chose est pitoyable. Les médecins inventerent un nouveau mot, soit pour flatter l'empereur, soit pour se faire plus d'honneur dans la guérison de la maladie, soit pour se singulariser dans cette conjoncture : cette espece de charlatanerie n'est pas sans exemple.

Quand Mademoiselle eut, il y a quelques années, une petite vérole qui heureusement fut légere, M. Sylva son médecin, dont la pratique consistoit en Néologisme & en tournures gentilles de ces bulletins modernes qu'on compose sans reflexion pour le public, & qu'il lit sans intérêt ou sans être mieux instruit de l'état du malade ; M. Sylva, dis-je, qualifia pour lors le premier du nom de discrette la petite vérole de S. A. S. Le terme bien imaginé prit faveur : mais l'espece de petite vérole en question n'étoit pas plus nouvelle dans le monde, que la colique l'étoit du tems de Tibere. Si la petite vérole discrette devient plus rare parmi les grands, la colique y devient plus commune ; & n'eût-elle pour cause que la seule intempérance, on peut présumer sans crainte de se tromper, que ce mal subsistera jusqu'à la fin du monde. Article de M(D.J.)

COLIQUE BILIEUSE, (Médec.) espece de colique qui procede d'un débord de bile âcre dans les intestins.

Cette espece de colique est très-commune, & regne sur-tout en été & au commencement de l'automne ; elle attaque principalement les jeunes gens d'un tempérament chaud & bilieux, les personnes qui vivent d'alimens gras, huileux, alkalins & pourrissans, les gens riches qui ont ce qu'on nomme les meilleures tables, servies des plus rares poissons & du gibier le plus délicat par sa chair & son fumet.

Les symptomes de cette maladie sont des douleurs vagues & violentes dans le ventricule, les intestins, les hypochondres, le dégoût, les nausées, le vomissement, la constipation, des tiraillemens, des agitations, des sueurs froides, des syncopes, l'abattement des forces, la déjection d'une matiere jaune, verte, porracée, âcre & corrosive.

L'indication curative consiste à évacuer cette humeur, à la mitiger & à appaiser les douleurs.

On ne peut trop-tôt employer la saignée, les boissons aqueuses, simples, legeres, diluentes, en quantité ; les purgatifs doux, liquides, souvent répétés, & suivis des narcotiques après leur effet ; les clysteres, les fomentations adoucissantes sur le bas-ventre, les bains chauds faits avec les plantes émollientes, & joints avec soin à tous ces remedes. Pour confirmer la guérison & empêcher la rechûte, la diete sévere est absolument nécessaire, la boisson de crême de ris, d'orge, de gruau, les panades, le lait coupé, la promenade en voiture & ensuite à cheval. Enfin on rétablira peu-à-peu prudemment par les stomachiques le ton des visceres affoiblis : je renvoye le lecteur à Sydenham, qui a donné une description si complete & si sage de cette espece de colique, sect. jv. ch. vij. qu'elle ne laisse rien à desirer. Article de M(D.J.)

COLIQUE DE POITOU, (Médecine) espece particuliere de colique qui provient des exhalaisons, des préparations de plomb, & de l'usage des vins sophistiqués avec des préparations de ce métal ; en latin colica Pictonum.

En 1572, dit M. de Thou, t. VI. p. 537. la France fut affligée d'une maladie jusqu'alors inconnue, qu'on nomma colique de Poitou, parce qu'elle commença à se faire sentir dans cette province. Dès qu'un homme en est attaqué, ajoûte-il, son corps devient comme paralytique ; il a le visage pâle, l'esprit inquiet ; des maux de coeur, des vomissemens, un hoquet continuel, une soif ardente, une difficulté d'uriner, une douleur violente dans l'estomac, les intestins, les hypochondres, les reins : il y en a même dont les piés, les jambes, & les mains, deviennent paralytiques, après avoir été attaqués de convulsions épileptiques, &c. Ce trait historique est d'autant plus singulier, que d'un côté il renferme une description exacte des symptomes de la colique des plombiers, autrement dite colique des peintres, colique convulsive saturnine ; & que de l'autre on ne comprend guere comment elle est restée inconnue dans ce royaume jusqu'au tems où M. de Thou en rapporte la naissance. Quoi qu'il en soit, c'est une colique nerveuse, qui depuis n'a fait que trop de progrès dans l'Europe, & dont voici la cause & les symptomes.

Elle provient des vapeurs qui s'élevent des fourneaux où l'on fond le plomb, que l'on respire & que l'on avale avec la salive. Elle est très-fréquente parmi les ouvriers qui s'occupent à fondre, à purifier ce métal, ou à le séparer de l'argent dans des fourneaux d'affinage, comme le pratiquent ceux qui travaillent dans les mines de la forêt Noire en Allemagne, dans celles d'Angleterre en Derbishire, & ailleurs, où malgré l'attention que l'on a de ne dresser les fourneaux que sur des lieux élevés, & de les exposer aux vents, les exhalaisons en sont fatales aux ouvriers, aux habitans, & même en Angleterre aux animaux qui passent près des minerais de plomb. Les Potiers de terre, qui se servent de l'alquifoux, espece de plomb minéral difficile à fondre, ou de plomb en poudre, pour vernir leurs ouvrages, sont fort sujets à cette espece de colique. Les Peintres qui employent la céruse, n'y sont pas moins exposés, de même que les femmes qui mettent du blanc, composition pernicieuse par la céruse qui en fait la base, dont le moindre effet est celui de dessécher la peau, & d'avancer par les rides la vieillesse qu'elles se proposent d'éloigner.

On est encore convaincu par plusieurs expériences, que les médicamens dans la composition desquels il entre du plomb, comme la teinture antiphthisique, le suc, sel magistere ou vitriol de saturne, que les charlatans prescrivent intérieurement contre le crachement de sang, le pissement de sang, la gonorrhée, les fleurs blanches, & autres maladies semblables, produisent enfin cette malheureuse colique.

Mais l'usage que plusieurs marchands de vin font aujourd'hui de la céruse ou de la litharge pour éclaircir, corriger, édulcorer leurs vins, a si fort répandu cette cruelle maladie dans toute l'Europe, que les souverains sont intéressés à chercher les moyens les plus convenables pour en arrêter le cours. Personne n'est à l'abri des tristes effets qui résultent de cette sophistication des vins, & particulierement des vins acides, comme, par exemple, des vins du Rhin, que l'on édulcore de cette maniere en Soüabe & ailleurs avant que les envoyer en Hollande, & dans les autres pays où ces sortes de vins adoucis sont recherchés.

Il est donc certain que toutes les parties du plomb, ses exhalaisons, sa poudre, & ses préparations, produisent principalement la colique de Poitou, dont voici les symptomes.

Le malade est attaqué de douleurs aiguës & insupportables dans le bas-ventre, qui sont vagues ou fixes : il ressent une douleur lancinante & poignante, dans l'estomac, dans le nombril, dans les hypochondres, une constipation opiniâtre, qui cede à peine aux lavemens & aux laxatifs ; des agitations continuelles, le dégoût, des nausées, la pâleur, la frigidité, des sueurs, des syncopes fréquentes, l'abattement de toutes les forces, le trouble dans toutes les secrétions, le tremblement, la paralysie qui en est une suite, ou un asthme spasmodique incurable ; symptomes qui ne se manifestent dans toute leur étendue que lorsqu'il n'y a plus de remede.

Pour guérir cette maladie, quand elle n'est pas parvenue à son dernier excès, il faut employer les apéritifs, les fondans, les savonneux, les desobstruans, les lénitifs doux & détersifs en forme liquide, médiocrement chauds & en petite dose. Dans le tems des convulsions spasmodiques, on donnera les calmans, les opiates avec le savon tartareux, ou l'opium mêlé avec le castoreum, les clysteres avec le baume de Copahu. On appliquera sur le bas-ventre des flanelles trempées dans une décoction de fleurs de camomille, de baies de genievre, & de semences carminatives ; des demi-bains faits avec les plantes chaudes & nervines. On frottera tout le corps, & en particulier les vertebres & le bas-ventre, avec les spiritueux, les huiles de romarin & autres de cette espece. Si la paralysie commence à se former, il faut recourir à l'usage des eaux minérales sulphureuses.

Un médecin françois a donné il y a plus d'un siecle un traité latin in -4°. de colicâ Pictonum, qui est inutile aujourd'hui ; mais on trouvera de bonnes observations sur cette maladie dans la bibliotheque raisonnée. Article de M(D.J.)

COLIQUE, adj. en Anatomie, se dit de quelques vaisseaux qui se distribuent au colon. Voyez COLON.


COLIRS. m. (Hist. mod.) officier de l'empire de la Chine, dont la fonction est d'avoir l'inspection sur ce qui se passe dans chaque cour ou tribunal, & qui sans être membre de ces tribunaux, assiste à toutes les assemblées, & reçoit la communication de toutes les procédures. C'est proprement ce que nous appellons un inspecteur ou contrôleur.

Il a des intelligences secrettes avec la cour ; & dans l'occasion il attaque ouvertement les mandarins, & cela non-seulement sur les fautes qu'ils peuvent commettre dans leurs fonctions, mais même dans leur vie particuliere & privée.

Pour qu'il soit impartial, on le rend entierement indépendant, & sa charge est perpétuelle. Les colirs sont redoutables, même aux princes du sang. (G)


COLISS. m. terme de négoce en usage à Lyon ; il est synonyme à ballot, balle, caisse, &c. Voyez le dictionn. du Commerce.


COLISÉES. m. (Hist. anc.) On sait que chez les Romains c'étoit un amphithéatre ovale que bâtit l'empereur Vespasien, près du bassin de la maison dorée de Néron.

On y voyoit des statues qui représentoient toutes les provinces de l'empire, & dans le milieu étoit celle de Rome tenant une pomme d'or dans sa main. On donnoit encore le nom de colisée à un autre amphithéatre bâti par l'empereur Sévere.

On représentoit dans le colisée des jeux & des combats de gladiateurs & de bêtes sauvages. Ce qui reste aujourd'hui de ces édifices est très-peu de chose, le tems & la guerre les ayant réduits en ruines. Voyez AMPHITHEATRE. Dict. de Trév. & de Moreri. (G)


COLISSES. m. (Manuf. en soie) sorte de mailles entre lesquelles on prend les fils de la chaîne ou du poil, pour les faire lever & baisser à discrétion. Il y a les mailles à grand colisse, & les mailles à colisse simple. Voyez l'article VELOURS.


COLLAS. m. (Hist. nat. bot.) Lemery dit que c'est un fruit de Guinée de la grosseur d'une pomme de pin, contenant sous son écorce des fruits semblables à des châtaignes, où sont renfermées quatre petites noisettes rouges ou rougeâtres, & produit par un arbre. Voyez dans cet auteur le détail des propriétés, sur lesquelles il ne faut compter qu'à proportion de la connoissance des caracteres de la plante ; ce doit être une loi générale pour tout article de Botanique.


COLLAGou COLLAGE, s. f. (Jurispr.) dans la coûtume de Châteauneuf en Berri, tit. iij. art. 3. est un droit que le seigneur leve sur ses habitans qui ont des boeufs avec lesquels ils labourent la terre. Ce droit est de 4 sous parisis par couple de boeufs. M. de Lauriere en son glossaire, prétend que ce terme vient de colere, qui signifie cultiver ; qu'ainsi on doit dire seulement collage, & non collage : mais ne peut-on pas dire aussi qu'il vient de colla boum, & qu'il a été ainsi nommé parce qu'on le paye pour les boeufs qui sont sous le joug. C'est la même chose que le droit de cornage. Voyez CORNAGE. (A)


COLLAGE(Jurispr.) voyez COLLAGE.

COLLAGE, terme de Papeterie ; c'est la derniere préparation que l'on donne au papier, & qui le met en état de recevoir l'écriture. Cette préparation consiste à l'enduire feuille par feuille d'une colle faite avec des rognures de parchemin & de peaux de mouton, & quelques autres ingrédiens qu'on y ajoûte. Pour la maniere de coller le papier, voyez l'article PAPIER, & Pl. VII. de Papeterie, qui contient les deux manieres de coller : la premiere marquée B, consiste à étendre la feuille de papier sur un chassis I qui porte sur les bords de la cuve K, & à verser dessus de la colle avec l'écuelle H, ensorte que la feuille en soit entierement imbibée ; c'est ainsi qu'on colle les cartons : l'autre maniere représentée en C, se fait en prenant plusieurs feuilles de papier ensemble avec les reglettes D, plongeant le tout dans la chaudiere E, d'abord de la main droite, & ensuite de la gauche, que l'on ne met dans la chaudiere que lorsque la droite en est sortie : après cela l'ouvrier pose le papier sur la table de la presse D, qui a une rigole à l'entour pour retenir la colle qui s'écoule lorsqu'on l'exprime, par une ouverture E dans le seau F, d'où on la remet dans la chaudiere : cette chaudiere pose sur un trépié AE, sous lequel on met un réchaud G pour entretenir la chaleur de la colle.

La cuve ou chaudiere dans laquelle se fait la colle est posée sur un fourneau de maçonnerie C : à plomb du centre de la chaudiere est une poulie H, dessus laquelle passe une corde que l'ouvrier A devide autour d'un treuil scellé à la muraille ; au bout qui pend dans la chaudiere est attaché un panier de laiton B, dont les chaînes garnies de crochets peuvent s'attacher à l'anneau qui est au bout de la corde ; c'est dans cette espece de panier qu'on met les rognures de parchemins ou de peaux de mouton dont la colle est faite : on les fait bouillir dans l'eau de la chaudiere, en descendant le panier dedans, & on les y laisse tant & si peu long-tems que l'on veut. Voyez Pl. VII. de Papeterie.


COLLAO(Géog.) contrée de l'Amérique méridionale au Pérou, dans la province de los-Charcas.


COLLATAIRES. m. (Jurispr.) est celui que le collateur a pourvû d'un bénéfice. Cette expression est peu usitée ; on dit plus communément le pourvû par le collateur. Voyez Delacombe, jurisprud. canon. p. 146. col. 2. sect. ij. (A)


COLLATÉRALadj. en termes de Géographie, se dit d'un lieu, d'un pays, &c. situé à côté d'un autre. Ce mot est composé de cum, avec, & de latus, côté.

COLLATERAL. Points collatéraux, dans la Cosmographie, sont les points placés entre les points cardinaux. Voyez CARDINAL & POINT.

Les points collatéraux se divisent en principaux, lesquels sont ceux qui sont également éloignés des points cardinaux ; & en secondaires, qui sont à l'égard des premiers ce que ceux-ci sont à l'égard des cardinaux. Les points collatéraux secondaires se divisent ensuite en secondaires du premier & du second ordre : ceux du premier ordre sont également distans des points cardinaux & des points collatéraux principaux ; & ceux du second ordre sont également distans ou des cardinaux & des secondaires du premier ordre, ou des principaux & des secondaires du premier ordre. Voyez POINT.

Ainsi les points collatéraux principaux sont les points du nord-est, du sud-est, du sud-ouest, & du nord-ouest. Les points collatéraux secondaires du premier ordre, sont les points du nord nord-est, sud sud-est, &c. ceux du second ordre sont les points du nord quart de nord-est, sud quart de sud-est, &c.

Les vents collatéraux sont ceux qui soufflent des points collatéraux. Voyez VENT.

Tels sont les vents de nord-est, sud-est, nord-ouest, sud-ouest, &c. & leurs divisions. Chamb. (O)

COLLATERAL, (Jurispr.) est celui qui est parent de quelqu'un à latere, c'est-à-dire de côté, & non en ligne directe : les freres, les oncles, les cousins, sont des collatéraux ; ils forment ce que l'on appelle la ligne collatérale, qui est opposée à la ligne directe. On distingue deux sortes de collatéraux ; les uns qui tiennent en quelque sorte lieu de pere & de mere, tels que les oncles & tantes, grands-oncles & grandes-tantes : on les appelle collatéraux ascendans, pour les distinguer des autres qui sont en parité de degré, ou en degré inférieur, tels que les freres & soeurs, cousins, arriere-cousins. On distingue aussi les successions directes des successions collatérales ; ces dernieres sont celles auxquelles les collatéraux sont appellés. Voyez CONSANGUINITE, DEGRE, PARENTE, SUCCESSION.

COLLATERAL, à Rome, est un juge civil qui fait la fonction d'assesseur ou conseiller auprès du maréchal de cette ville, & juge avec lui les causes d'entre les bourgeois & autres habitans : il y en a deux ; l'un qu'on appelle premier collatéral, l'autre qu'on appelle second collatéral. Voyez le dict. hist. de Morery, au mot pape, à l'article des officiers du palais. (A)


COLLATÉRAUou LATÉRAUX, (Jurispr.) sont aussi les bas côtés d'une église, autrement les aîles. Dans les églises paroissiales, on distingue les collatéraux du choeur & ceux de la nef : ces derniers sont sans difficulté à la charge des habitans : à l'égard des premiers, il y a eu plus de difficulté ; quelques-uns ont prétendu que quand ces collatéraux sont de même construction que le choeur, c'est aux gros décimateurs à les réparer : mais les derniers arrêts ont jugés le contraire ; ce qui est conforme à l'édit de 1695, qui ne charge les gros décimateurs que de la réparation du choeur & cancel, c'est-à-dire de la fermeture du choeur. Voyez le traité des lois des bâtimens par Desgodets, ch. des répar. des bénéf. & les notes de Goupy, ibid. (A)


COLLATEURS. m. (Jurispr.) en général, est celui qui confere un bénéfice ecclésiastique, c'est-à-dire qui en donne les provisions ; au lieu que le patron ou présentateur, même ecclésiastique, ne fait que nommer au bénéfice, & sur sa nomination il faut ensuite obtenir des provisions de celui qui est le collateur du bénéfice.

Le pape est seul collateur en France de tous les bénéfices consistoriaux sur la nomination du Roi ; pour ce qui est des autres bénéfices, même électifs, qui ne sont pas consistoriaux, le pape en est collateur par prévention contre les archevêques, évêques, & autres qui en sont collateurs ordinaires.

A l'égard de tous les autres bénéfices qui ne sont pas consistoriaux, les archevêques & évêques en sont, chacun dans leur diocèse, les collateurs ordinaires, sauf le droit que quelques autres collateurs peuvent avoir sur certains bénéfices.

Il y a des abbés, des prieurs, des chapitres, & autres bénéficiers, qui sont collateurs de certains bénéfices.

Il y a même aussi quelques laïcs qui sont collateurs de certains bénéfices. Voyez ci-après COLLATEURS LAÏCS.

Le collateur ne peut se conférer à lui-même le bénéfice, quand même il en seroit aussi le patron ecclésiastique.

Quand le collateur inférieur néglige de conférer le bénéfice dans les six mois de la vacance, le droit de le conférer est dévolu au collateur supérieur. Si c'est un simple bénéficier qui est collateur, le droit passe à l'évêque ; si c'est l'évêque, le droit est dévolu à l'archevêque, & de celui-ci au primat, cette dévolution se faisant de gradu ad gradum.

COLLATEUR ABSOLU, se dit de celui qui est tout-à-la-fois patron & collateur du bénéfice ; on l'appelle aussi collateur direct ou plein collateur.

Il y a des abbés, des chapitres, & autres bénéficiers inférieurs à l'évêque, qui sont collateurs absolus de certains bénéfices.

Quelques laïcs joüissent même de cette prérogative. Le Roi est collateur absolu de tous les bénéfices dont il est patron : il est aussi collateur absolu, comme l'évêque l'auroit été, de tous les bénéfices qui vaquent pendant que la régale est ouverte.

Les patrons qui sont en même tems collateurs absolus, n'ont pas communément le droit de donner le visa ou institution canonique ; ce droit appartient naturellement à l'évêque. Il y a cependant des patrons collateurs, sur les provisions desquels il n'est pas nécessaire d'obtenir de visa ; & ce sont principalement ceux-là qu'on peut appeller collateurs absolus, ou pleins collateurs, parce qu'ils ont omnimodam dispositionem beneficii. L'abbé de Fécamp est collateur absolu de plus de cinquante bénéfices, qu'il confere pleinement sans que l'on ait besoin du visa des évêques diocésains.

Quelques abbesses joüissent aussi de ce droit, même pour des bénéfices-cures.

COLLATEUR ALTERNATIF, est celui qui confere alternativement avec un ou plusieurs autres collateurs, soit que chacun d'eux ait son mois ou sa semaine pour conférer les bénéfices qui peuvent y vaquer, ou que chacun confere alternativement un des bénéfices qui viennent à vaquer. Voyez COLLATION & TOUR.

COLLATEUR DIRECT, est la même chose que collateur absolu, ou plein collateur. Voyez COLLATEUR ABSOLU.

COLLATEUR ETRANGER : on considere comme tel celui dont le chef-lieu du bénéfice est situé hors l'étendue du royaume, soit que le bénéficier soit regnicole, ou qu'il soit personnellement étranger : il est également sujet aux lois du royaume pour les bénéfices étant à sa collation qui sont situés dans le royaume. Vaillant, ad regul. de infirm. resig. n. 281.

COLLATEUR INFERIEUR, est celui au préjudice duquel un autre collateur supérieur a droit de conférer par dévolution, lorsque le premier manque à conférer dans les six mois de la vacance : ainsi le droit passe du patron à l'évêque, de celui-ci au métropolitain, & de celui-ci au primat. Voyez DEVOLUTION.

COLLATEUR LAÏC, est une personne laïque qui a droit de conférer quelque bénéfice ecclésiastique. On qualifie aussi quelquefois les patrons laïcs collateurs, mais improprement, les patrons laïcs n'ayant communément que le droit de nomination, & présentation au bénéfice ; ce qui est différent de la collation. Voyez ci-après COLLATION & PATRONAGE.

Cependant il y a des laïcs qui sont réellement collateurs de certains bénéfices.

On tenoit autrefois pour principe, que la collation d'un bénéfice ecclésiastique étoit un droit purement spirituel, qui ne pouvoit appartenir qu'à des ecclésiastiques. Cap. transmiss. extr. de jure patron. Cap. messan. de elect.

Le pape Léon IX. défendoit, en l'an 1049, la vénalité des autels, c'est-à-dire des bénéfices, des dixmes & oblations. Dans le même siecle plusieurs conciles condamnerent le rachat des autels, qui se faisoit en payant à l'évêque une redevance à chaque mutation, comme il se pratique envers le seigneur pour les fiefs. Yves de Chartres refusa de permettre ces sortes de rachats, comme il paroît par son épît. xij.

Mais depuis que l'on a distingué la collation du bénéfice d'avec l'ordination du bénéficier, on a pensé que la collation n'a pas la même spiritualité que l'ordination ; que la collation des bénéfices ne concerne que la discipline extérieure de l'église, & que ce droit peut appartenir à des laïcs, d'autant qu'il fait partie des fruits du bénéfice, dont les laïcs ne sont pas incapables de joüir. Simon, traité du droit de patronage, titre ij.

La collation des bénéfices a été accordée à quelques laïcs, principalement en considération de la fondation & dotation qu'ils avoient faite de ces bénéfices. Fevret, tr. de l'abus, tome I. liv. III. ch. vj. n. 15. Il peut néanmoins y avoir de telles concessions faites pour d'autres services essentiels rendus à l'église par les laïcs auxquels ce droit a été accordé.

Le roi est collateur de toutes les dignités, prébendes, & bénéfices inférieurs des saintes-chapelles, tant celles qui sont de fondation royale, que celles qui ont été fondées par des seigneurs particuliers dont le domaine a été réuni à la couronne. Il confere aussi les bénéfices de plusieurs autres églises qui sont de fondation royale. Il confere pareillement seul tous les bénéfices à la collation de l'évêque, qui viennent à vaquer pendant l'ouverture de la régale. Mais je ne sais si le roi doit être considéré comme un collateur purement laïc, étant personne mixte, à cause de la conjonction qui se trouve en sa personne du sacerdoce & de l'empire ; ratione unctionis suae & christianitatis suae. Fevret, ibid.

Au surplus, il est constant qu'il y a plusieurs personnes purement laïques qui sont en droit & possession de conférer des bénéfices ; il y a même des abbesses qui ont ce droit. En Bourgogne, les successeurs du chancelier Rolin, & les seigneurs de Chagny, conferent les prébendes des églises de Notre-Dame d'Autun & de Saint-Georges de Châlons, qui sont de leur fondation & dotation : les seigneurs-barons de Blaison & de la Guierche en Anjou, les seigneurs marquis d'Epinay & comtes de Quintin en Bretagne, conferent les chapelles & prébendes de leurs églises collégiales. Le chapitre dilecto de testibus, fait voir que la comtesse de Flandre avoit une semblable prétention.

Il y a aussi en Normandie beaucoup de seigneurs laïcs, qui sont en même tems patrons & pleins collateurs de certains bénéfices.

Non-seulement des laïcs sont collateurs de certaines prébendes & chapelles, mais même aussi de bénéfices-cures, & à charge d'ames : par exemple, le seigneur de la baronie de Montchy-le-Châtel, celui de Lusarches près Pontoise, nomment à des cures ; mais ceux qui sont pourvûs par ces collateurs laïcs de quelque bénéfice à charge d'ames, sont obligés de prendre de l'ordinaire du lieu une institution autorisable avant qu'ils puissent exercer aucune fonction. Voyez Simon, du droit de patron. tit. xj.

COLLATEUR ORDINAIRE, est tout collateur, soit évêque ou archevêque, ou tout autre collateur, soit ecclésiastique ou laïc, auquel appartient en premier lieu la nomination & provision d'un bénéfice. L'évêque est le collateur ordinaire de tous les bénéfices de son diocèse, s'il n'y a titre ou usage contraire. On donne à ceux qui ont le premier degré de collation ce titre de collateurs ordinaires, par opposition aux collateurs supérieurs, qui en cas de négligence de l'inférieur conferent, non pas jure ordinario, mais jure devoluto, & par opposition au pape, qui confere par prévention sur tous les collateurs ordinaires, quoiqu'il n'y ait pas de négligence de leur part. Voyez l'institut au droit ecclésiast. de M. Fleury, tome I. p. 365. & la biblioth. canon. tome I. au mot collateurs ordinaires.

COLLATEUR PATRON, est celui qui est en même tems patron & collateur. Il y a des patrons laïcs qui sont collateurs, de même que des patrons ecclésiastiques. Voyez ci-devant COLLATEUR LAÏC, & PATRON.

COLLATEUR PLEIN, est la même chose que collateur absolu ou collateur direct, c'est-à-dire celui qui est en même tems patron & collateur. Ce titre ne convient proprement qu'à l'évêque, ou à certains patrons collateurs sur les provisions desquels on n'a pas besoin d'obtenir de visa.

COLLATEUR SUPERIEUR, est celui qui confere par dévolution au défaut de l'inférieur. Voyez ci-devant COLLATEUR INFERIEUR ; voyez aussi COLLATION. (A)


COLLATIE(Géog. anc.) on la place dans la premiere région de l'Italie, sur le Teveron, en allant à Tivoli, aux environs de Sabine, où est maintenant Cervara. On prétend que c'est d'elle que fut appellée la porte de Rome connue sous le nom de Collatine : il n'en reste que des ruines.


COLLATIFadj. (Jurispr.) se dit en matiere canonique, d'un bénéfice qui est à la disposition d'un seul collateur, lequel, arrivant la vacance dudit bénéfice, peut le donner à qui bon lui semble, pourvû que ce soit à quelqu'un qui ait les qualités & capacités requises.

Les bénéfices purement collatifs sont ainsi appellés, pour les distinguer des bénéfices électifs-confirmatifs, & de ceux qui sont électifs-collatifs. On appelle électifs-confirmatifs, ceux auxquels on pourvoit par élection & confirmation, c'est-à-dire auxquels il faut que l'élection soit confirmée par le supérieur : les bénéfices électifs-collatifs sont ceux que les électeurs conferent, élisant sans que l'élection ait besoin de confirmation ; au lieu que les bénéfices purement collatifs sont, comme on l'a dit en commençant, à la disposition d'un seul collateur. Voyez BENEFICE & COLLATION. (A)


COLLATINadj. (Hist. anc.) Le mont Collatin étoit une des sept montagnes de l'ancienne Rome, & la porte Collatine étoit celle qui conduisoit à Collatie. Voyez COLLATIE.


COLLATIONsub. f. (Jurispr.) Ce terme est usité tant en matiere civile qu'en matiere bénéficiale, & a différentes significations.

En matiere civile, collation signifie quelquefois la comparaison que l'on fait d'une piece avec son original, pour voir si elle y est conforme, & la mention qui est faite de cette collation sur la copie que l'on appelle alors une copie collationnée.

L'usage de ces collations doit être fort ancien ; les lettres de vidimus qui se donnoient dès le commencement du quatorzieme siecle, pour la confirmation de quelques ordonnances rendues précédemment, étoient une véritable collation de ces lettres. Les anciens auteurs se servent du terme de vidimus pour collation ; & dans quelques provinces on dit encore une copie vidimée pour copie collationnée. Voyez VIDIMUS.

Je n'ai point trouvé le terme collation employé dans aucune ordonnance avant celle de Philippe de Valois, du mois de Février 1327, portant réglement pour le châtelet de Paris ; laquelle porte, article 36, que la collation des pieces (c'est-à-dire la vérification des pieces que les parties produisoient), sera faite par telles personnes que le prevôt établira dans huit jours, qu'il sera conclu en cause ; & l'article 37 ajoûte que si aucune partie est défaillante de faire sa collation dedans le tems que les parties auront accordé à la faire, le procès sera mis au conseil pour juger. On met encore présentement dans les appointemens de conclusion, que le procès est reçû pour juger en la maniere accoûtumée, sauf à faire collation, c'est-à-dire sauf à vérifier si les productions sont complete s, & si toutes les pieces énoncées en l'inventaire de production sont jointes.

Les commis greffiers qui expédient les jugemens sur la minute ; mettent au bas de la copie ou expédition, collationné, pour dire qu'ils ont fait la collation de la copie ou expédition avec l'original.

L'ordonnance de Charles V. du 17 Janvier 1367, portant réglement pour le châtelet, dit que les avocats ne plaideront aucune cause, s'ils n'en ont fait auparavant collation, & qu'ils n'en feront point collation en jugement ; que s'ils la veulent faire, ils sortiront de l'auditoire, & la feront à part. Mais M. Secousse pense que le terme de collation signifie en cet endroit la communication des pieces que se font réciproquement les avocats : c'est en effet une espece de vérification qu'ils font des faits sur les pieces.

Les secrétaires du roi ont un droit de collation qui leur a été accordé pour la signature des lettres de chancellerie, qu'ils sont présumés ne signer qu'après les avoir collationnées ; il en est fait mention dans le sciendum de la chancellerie, que quelques-uns croyent avoir été rédigé en 1339, d'autres en 1415. Il y est dit que la collation des lettres doit se faire en papier, & le droit de collation que l'on doit payer pour chaque sorte de lettres y est expliqué.

L'ordonn. de Charles VI. du 24 Mai 1389, portant confirmation d'un réglement fait par les secrétaires du roi, pour la distribution des droits à eux appartenans pour les lettres qu'ils signent, porte que le droit de collation qui appartient aux secrétaires du roi, se partagera entr'eux ; que ce droit sera reçû par deux secrétaires du roi députés par la compagnie, & distribué, comme il est dit par cette ordonnance.

Les secrétaires du roi ont aussi le droit de délivrer des copies collationnées de toutes lettres de chancelleries, contrats & jugemens.

Les notaires peuvent aussi délivrer des copies collationnées, tant des actes qu'ils reçoivent que de tous autres actes, lettres & jugemens qui leur sont représentés ; ils distinguent la copie collationnée sur la minute de celle qui n'a été collationnée que sur la grosse, ou sur une autre expédition ou copie.

La collation a plus ou moins de force selon le plus ou moins d'authenticité de l'original sur lequel elle est faite ; ainsi la collation faite sur la minute fait plus de foi que sur la grosse ou expédition.

On distingue aussi deux sortes de collations, savoir la judiciaire & l'extrajudiciaire : la premiere est celle qui se fait en vertu d'ordonnance de justice, les parties intéressées présentes ou dûement appellées ; l'autre est celle qu'une partie fait faire de son propre mouvement, & sans y appeller ceux contre qui elle veut se servir de la copie collationnée.

L'ordonnance de 1667, tit. xij, traite de compulsoires & collations de pieces ; le compulsoire précede ordinairement la collation. L'ordonnance veut que les assignations pour assister aux compulsoires, extraits & collations de pieces, ne soient plus données aux portes des églises, ou autres lieux publics, pour de-là se transporter ailleurs, mais qu'elles soient données à comparoir au domicile d'un greffier ou notaire, & que les assignations données aux personnes ou domiciles des procureurs ayent le même effet pour les compulsoires, extraits ou collations de pieces, que si elles avoient été faites au domicile des parties.

Le procès-verbal de compulsoire & de collation ne peut être commencé qu'une heure après l'échéance de l'assignation ; & il doit en être fait mention dans le procès-verbal. Voyez COMPULSOIRE.

Ces collations judiciaires se font par le ministere du greffier ou huissier, au domicile duquel l'assignation est donnée.

Les pieces ainsi collationnées font la même foi que l'original contre ceux qui ont été présens ou appellés à la collation, pourvû que les formalités nécessaires y ayent été observées.

Les collations extrajudiciaires se font par les secrétaires du roi ou par les notaires ; on leur remet entre les mains la piece que l'on veut faire collationner ; ils en font faire une copie au bas de laquelle ils mettent : Collationné à l'original (ou autre copie) par nous.... & à l'instant remis l'original (ou autre copie). Fait à.... ce....

Les copies collationnées sur le réquisitoire d'une partie, ne font foi qu'autant qu'on veut bien y en ajoûter.

Dumolin sur l'article 5 de la coûtume de Paris, n. 63, au mot dénombrement, dit que quand quatre notaires auroient collationné une copie sur l'original, & qu'ils certifieroient que c'est le véritable original pour l'avoir bien vû & examiné, néanmoins leur copie collationnée ne fait pas une pleine foi sans la représentation de cet original ; car, dit-il, les notaires ne peuvent déposer que de ce qu'ils voyent ; & n'ayant pas vû faire l'original, ils n'en peuvent pas aussi avoir de certitude, ni rendre témoignage que la piece qu'on leur a mise entre les mains fût l'original. Il en seroit autrement si le notaire avoit lui-même reçû la minute de l'acte, ou s'il en est dépositaire ; d'ailleurs Dumolin ne parle que d'une collation extrajudiciaire faite sans partie présente ni appellée. (A)

COLLATION, (Jurispr.) en matiere bénéficiale, se prend tantôt pour le droit de conférer un bénéfice vacant de fait ou de droit, ou de fait & de droit, ou par l'acte par lequel le collateur confere le bénéfice, c'est-à-dire donne titre & provision par écrit à quelqu'un pour le posséder.

Le droit de collation ne doit pas être confondu avec celui de nomination ou présentation, ni avec celui d'institution.

Par le terme de simple nomination ou présentation, on entend le droit qui appartient aux patrons laïques ou ecclésiastiques de présenter quelqu'un à l'évêque pour être pourvû du bénéfice. Une telle nomination ou présentation est fort différente des provisions mêmes ; car l'évêque peut refuser le présenté, si celui-ci n'a pas les qualités & capacités requises pour posséder le bénéfice ; & s'il le trouve capable, il lui donne des provisions, sans lesquelles le présenté ne peut joüir du bénéfice.

On se sert néanmoins quelquefois, mais improprement, du terme de nomination pour exprimer le droit de collation, ce droit étant fort différent, comme on voit, de la simple nomination ou présentation.

Pour ce qui est du terme institution, il a trois significations différentes ; car il se prend quelquefois pour la provision que l'évêque, ou autre collateur donne sur la présentation du patron, ou pour l'autorisation que l'évêque donne sur des provisions proprement dites, mais d'un collateur qui lui est inférieur en dignité & en puissance ; enfin il signifie aussi la confirmation que le collateur fait d'une élection à un bénéfice qui est sujette à confirmation.

La collation des bénéfices appartient de droit commun à chaque évêque ou archevêque dans son diocèse, & au pape par prévention.

Il y a cependant quelques abbés, des chapitres, & autres ecclésiastiques, qui ont droit de collation sur certains bénéfices, pour lesquels le pourvû est seulement obligé de prendre le visa ou institution canonique de l'évêque, lorsqu'il s'agit d'un bénéfice à charge d'ames. Voyez INSTITUTION, NOMINATION, PRESENTATION, PROVISION.

On distingue deux sortes de collations ; savoir la collation libre ou volontaire, & la collation nécessaire, forcée ou involontaire.

La collation est libre & volontaire, lorsque l'évêque ou autre collateur, est le maître de la faire à qui bon lui semble, sans être astreint à donner le bénéfice à une personne plûtôt qu'à une autre, à cause de quelque grace expectative, telle que celle de l'indult ou des gradués, des brevetaires de joyeux avénement & de serment de fidélité.

On appelle collation nécessaire, forcée ou involontaire, celle dans laquelle le collateur est obligé de conférer le bénéfice à celui à qui il est affecté par quelque expectative, par exemple, à un gradué, soit que le collateur ait le choix entre plusieurs gradués simples, ou qu'il soit dans le cas de conférer au plus ancien gradué, qu'on appelle gradué nommé.

Le collateur, pour établir son droit de collation, n'a pas besoin de rapporter de précédentes provisions du même bénéfice données par lui ou par quelqu'un de ses prédécesseurs ; il lui suffit de prouver par des actes & titres anciens que le bénéfice dépend de lui, & qu'aucun autre collateur n'en réclame la collation. Voyez de la Combe, jurisprud. canoniq. au mot collat. sect. j. n. 7.

En fait de collation, trois actes différens, joints à une possession de quarante ans, acquierent le droit à celui qui se prétend collateur. La Rochefl. liv. I. tit. xxxjv. art. 1.

La collation même forcée étant toûjours un acte de jurisdiction volontaire ou gracieuse, peut être faite en tous lieux par le collateur, même hors de son territoire.

Ceux qui ont à leur collation des bénéfices situés hors le royaume, sont obligés de les conférer conformément aux lois qui s'observent dans le lieu de la situation de ces bénéfices ; & par une suite du même principe, les collateurs étrangers sont obligés de se conformer aux lois du royaume pour les bénéfices qui y sont situés. Dumolin, de infirm. resign. n. 281. Ainsi ils ne peuvent conférer qu'à des regnicoles. Déclarat. de Janvier 1681.

La collation du bénéfice peut être faite à un absent, & telle collation empêche la prévention ; il suffit que le pourvû accepte dans les trois ans, auquel cas son acceptation a un effet rétroactif au jour des provisions. Dumolin, ibid. & Loüet, n. 72. & 73.

Un collateur ne peut pas se conférer à lui-même le bénéfice qui est à sa collation, quand même il en seroit aussi patron & présentateur ; il ne peut pas non plus se le faire donner par son grand-vicaire, s'il en a un. Capitul. per nostras extr. de jure patron. Voyez ci-devant au mot COLLATEUR.

Dans les collations qui se font par élection, les électeurs doivent donner leur voix à un autre qu'eux ; il y a néanmoins des exemples que des cardinaux se donnent leur voix à eux-mêmes, & qu'un cardinal auquel les autres s'en étoient rapportés, s'est nommé lui-même pape, ce qui eut son effet.

Deux collations ou provisions de cour de Rome, faites le même jour & d'un même bénéfice à deux personnes différentes, se détruisent mutuellement par leur concours, cap. duobus de rescriptis, in sexto ; ce qui a lieu quand même l'une des deux collations ou provisions se trouveroit nulle.

En cas de concours de deux provisions du même jour, dont l'une est émanée du pape, l'autre du collateur ordinaire, soit l'évêque ou autre collateur supérieur ou inférieur, celle du collateur ordinaire est préférée, quand même celle de cour de Rome marqueroit l'heure. Lebret, liv. IV. décision I. Journal des aud. arrêt du 16 Mars 1661.

Lorsque l'évêque ou archevêque & leur grand-vicaire ont conféré le même jour, le pourvû par l'évêque ou archevêque est préféré, à moins que le pourvû par leur grand-vicaire n'eût pris possession le premier. Rebuffe, trait. de benef. tit. de rescript. ad benef. vac. Ruzé, privil. 46, n. 10.

Dans le cas où deux grands-vicaires ont donné le même jour des provisions, autrefois on donnoit la préférence à celle qui marquoit l'heure ; mais suivant la déclaration du 10 Novembre 1748, la seule date du jour est utile. Voyez DATE.

Un collateur ecclésiastique ne peut varier ; s'il confere à une personne indigne ou incapable, il perd pour cette fois la collation du bénéfice ; mais le collateur même ecclésiastique qui confere sur une démission ou permutation nulle, peut conférer le même bénéfice comme vacant par mort à la même personne ; cette nouvelle collation n'est pas considérée comme une variation de sa part, étant faite sub diverso respectu.

Les collateurs laïcs, soit les patrons que l'on comprend quelquefois sous ce terme, soit les collateurs proprement dits, peuvent varier dans leur collation ; ce qui ne signifie pas qu'ils puissent enlever au pourvû le droit qui lui est acquis, mais qu'ayant fait une premiere collation qui est nulle, ils en peuvent faire une seconde ou autre subséquente, pourvû qu'ils soient encore dans le tems de nommer. Voyez COLLATEURS LAICS & PATRONS.

Dans quelques églises cathédrales où l'évêque confere des bénéfices alternativement avec le chapitre, les seules lettres de collation ou provisions données par l'un des deux collateurs font tour, c'est-à-dire le remplissent pour cette fois de son droit.

Pour ce qui est des chapitres qui ont la collation de quelques bénéfices, il y en a où tout le chapitre en corps confere ; d'autres où le droit de collation s'exerce par chaque membre du chapitre alternativement, c'est-à-dire que chaque chanoine a son mois ou sa semaine, pendant lequel tems il confere tous les bénéfices qui viennent à vaquer ; & s'il n'en vaquoit aucun pendant son tems, son tour ne laisseroit pas d'être rempli.

Pour la collation libre & volontaire, le collateur n'a que six mois pour conférer ; ce tems expiré, le droit de collation est dévolu pour cette fois au collateur supérieur de degré en degré, c'est-à-dire de l'abbé ou autre ecclésiastique à l'évêque, de celui-ci à l'archevêque, & de ce dernier au primat.

Dans les collations forcées, comme celles qui se font aux indultaires, gradués, brevetaires de joyeux avénement & de serment de fidélité, l'expectant peut obliger le collateur de lui donner des provisions, même après les six mois du jour de la vacance ; il suffit que la requisition ait été faite dans les six mois. Arrêt du 21 Février 1696. Journal des aud.

Le collateur en conférant le bénéfice ne peut imposer au pourvû la condition de s'en démettre dans un certain tems, ou en cas de certains évenemens. Il ne peut pas non plus charger le pourvû de récompenser quelqu'un ; ce seroit une clause simoniaque.

Toutes provisions doivent être signées de deux témoins connus, domiciliés, non parens ni alliés, jusques & compris le degré du cousin-germain, soit du collateur soit du pourvû, à peine de nullité. Rebuffe, sur le concordat de collat. Voyez aussi l'art. jx. de l'édit de 1646.

L'édit de 1691 ordonne, article v. que tous collateurs autres que les évêques, donneront leurs provisions devant deux notaires royaux & apostoliques, ou devant un tel notaire & deux témoins. Mais l'édit ne prononce pas la peine de nullité ; & c'est apparemment par ce motif qu'une collation faite sous seing privé en présence de deux témoins, fut confirmée par arrêt du grand-conseil du 29 Juillet 1711.

Il n'est pas nécessaire que le collateur garde minute des provisions qu'il donne ; cela fut ainsi jugé par arrêt du grand-conseil du 6 Mars 1727. Jurispr. can. de de la Combe, p. 148. col. 2.

Pour la validité de l'acte de collation ou provision, il faut que cet acte contienne l'adresse du collateur à celui à qui il confere le bénéfice, le droit en vertu duquel il confere ; & si c'est sur la présentation du patron, les provisions doivent en faire mention, & de même si c'est à un gradué, indultaire, ou autre expectant, ou si c'est par droit de dévolution.

Il faut pareillement exprimer dans les provisions les qualités de celui que le collateur pourvoit du bénéfice, le genre de la vacance, la qualité du bénéfice, la collation en faveur de celui auquel le collateur veut donner le bénéfice, la date de l'acte, la signature du collateur & des notaires & témoins sur la minute ou original de l'acte, & le sceau du collateur.

Le collateur ordinaire n'est cependant pas absolument obligé d'exprimer précisément le genre de vacance du bénéfice ; & s'il n'en exprime point, tous y sont censés compris. Dumolin, de public. n. 200. Voyez COLLATEUR & PROVISIONS. (A)

COLLATION, (Economie domestique) repas très-frugal qu'on fait le soir les jours de jeûne, & d'où le poisson & même les légumes cuits sont proscrits.

Le même terme désigne un repas très-différent du précédent ; car on est quelquefois servi en viandes froides, en confitures, en pâtisserie, en fruits & en vins de toute espece. La collation prise dans ce dernier sens peut être moins somptueuse, mais elle n'a point d'heure prescrite. Elle se prend ordinairement en visite, ou à la suite de quelque fête, comme danses, bal, assemblée, &c.


COLLATIONNERverb. act. terme de Librairie ; quand on imprime un livre, & que les feuilles en ont été assemblées ainsi qu'il a été dit au mot assemblage, on les collationne, c'est-à-dire qu'on les leve par des coins pour voir si elles se suivent bien régulierement, s'il n'y a point de feuilles de trop ou de moins. On collationne pareillement un livre entier quand on veut s'assûrer s'il est complet, ce qui se voit par la suite non interrompue des lettres de l'alphabet qui se trouvent au bas de chaque feuille.

COLLATIONNER, terme d'Imprimerie, c'est voir & vérifier sur une seconde épreuve, si toutes les fautes marquées sur la premiere ont été corrigées exactement par le compositeur ; la même vérification se fait ensuite sur la troisieme épreuve, & quelquefois sur une quatrieme, avant d'imprimer.


COLLES. f. (Art méchan. & Comm.) matiere factice & tenace qui sert, quand elle est molle ou liquide, à joindre plusieurs choses, de maniere qu'on ne puisse point les séparer du tout, ou qu'on ne les sépare qu'avec peine quand elle est seche. Il y a différentes sortes de colle, dont nous allons faire mention, après avoir remarqué que M. Musschenbroeck dit que la raison pour laquelle la colle unit deux corps entre lesquels elle est étendue, c'est qu'elle s'insinue dans les cavités de leurs surfaces ; d'où il arrive que ces surfaces se touchent alors par un plus grand nombre de points ; système où l'auteur ne fait point entrer la dessiccation, condition sans laquelle toutefois les corps collés ne résistent point à leur séparation, quoique leurs surfaces se touchent, selon toute apparence, par un nombre de points plus grand avant la dessiccation qu'après.

COLLE D'ANGLETERRE ou COLLE-FORTE, est celle qui se prépare avec des piés, des peaux, des nerfs, des cartilages de boeuf qu'on fait macérer quelque tems, ensuite bouillir très-longtems jusqu'à ce que le tout devienne liquide. On le passe à-travers un tamis ou gros linge ; on le jette sur des pierres plates ou dans des moules : étant congélé on le coupe par morceaux, & on lui donne la forme que l'on veut ; & l'on a une colle qui sert aux Menuisiers pour coller & joindre leur bois, & à d'autres pour les ornemens de carton & autres ouvrages. On la tire d'Hollande ou d'Angleterre. On en fait aussi à Paris, mais elle est bien inférieure & sent mauvais. Ou prenez du fromage pourri, de l'huile d'olive la plus vieille, de la chaux vive en poudre ; mêlez bien le tout & collez promtement. Ou prenez de la chaux vive, éteignez-la dans le vin, ajoûtez de la graisse, des figues, du suif, & mêlez le tout.

COLLE POUR DORER ; faites bouillir de la peau d'anguille avec un peu de chaux dans de l'eau ; passez l'eau, & ajoûtez-y quelques blancs d'oeufs. Pour l'employer faites-la chauffer ; passez-en sur le champ une couche ; laissez-la sécher ; appliquez l'or ensuite.

COLLE DE FARINE, est celle qui se fait avec de la farine & de l'eau, qu'on fait un peu bouillir ensemble sur le feu. Elle sert à plusieurs sortes d'artisans, aux Tisserands, pour en coller les trames de leurs toiles ; aux Cartonniers, pour faire leur carton ; aux Relieurs, pour coller les couvertures de leurs livres ; aux Selliers, pour nerver leurs ouvrages ; & à beaucoup d'autres ouvriers.

Cette colle sera plus forte, si au lieu de farine de froment on prend celle de blé noir. On peut aussi la préparer avec la fleur de la farine, & y ajoûter du garum.

COLLE DE FLANDRES. La colle de Flandres est un diminutif de la colle forte d'Angleterre, parce qu'elle n'a pas la même consistance, & qu'elle ne pourroit servir à coller le bois ; elle est plus mince que la premiere & plus transparente ; elle se fait aussi avec plus de choix & de propreté. Lorsque les peaux ou nerfs qui la composent ont bien bouilli, on passe le tout à-travers un gros linge ou tamis ; on la laisse un peu refroidir ; ensuite on la coupe par tranches, & on la met sécher sur des cordes entrelacées comme un filet, afin qu'elle puisse sécher dessus comme dessous. Cette colle sert beaucoup à la Peinture ; on en fait aussi de la colle à bouche pour coller le papier, en la faisant refondre, & y ajoûtant un peu d'eau & quatre onces de sucre-candi par livre de colle.

COLLE DE GANT. La colle de gant se fait avec des rognures de gants blancs bien trempés dans de l'eau & bouillis : on en fait aussi avec les rognures de parchemin. Il faut pour que ces deux colles soient bonnes, qu'elles ayent la consistance de gelée tremblante lorsqu'elles sont refroidies.

COLLE A MIEL, est une espece de colle en usage parmi les Doreurs. On la fait en mêlant du miel avec de l'eau de colle & un peu de vinaigre qui sert à faire couler le miel. On détrempe le tout ensemble, on en fait une couche qui reste grasse & gluante à cause du miel qui aspire l'or, & s'attache fortement au corps sur lequel on le met.

Ou prenez de la gomme arabique, du miel & du vinaigre ; faites dissoudre la gomme dans de l'eau bouillante ; ajoûtez les deux autres ingrédiens, & collez.

COLLE D'ORLEANS : prenez de la colle de poisson blanche ; détrempez-la dans de l'eau de chaux bien claire ; au bout de vingt-quatre heures d'infusion tirez votre colle, faites-la bouillir dans l'eau commune, & vous en servez.

COLLE A PIERRE : prenez du marbre réduit en poudre, de la colle-forte, de la poix ; mêlez & ajoûtez quelque couleur qui convienne à l'usage que vous en voulez faire. Cette colle sert à rejoindre les marbres cassés ou écorchés.

COLLE DE POISSON, est une espece de colle faite avec les parties mucilagineuses d'un gros poisson qui se trouve très-communément dans les mers de Moscovie. Les Anglois & les Hollandois qui en font seuls le commerce, vont la chercher au port d'Archangel, & c'est d'eux que nous la tirons.

Les auteurs ne sont point d'accord sur la forme ni sur l'espece de ce poisson. Il y en a qui l'appellent huso ou exossis ; mais ils conviennent tous que les Moscovites prennent sa peau, ses nageoires, & ses parties nerveuses & mucilagineuses ; & qu'après les avoir coupées & fait bouillir à petit-feu jusqu'à consistance de gelée, ils l'étendent de l'épaisseur d'une feuille de papier, & en forment des pains ou cordons tels que nous les recevons de Hollande.

La colle de poisson, pour être bonne, doit être blanche, bien transparente, & sans aucune odeur.

Les ouvriers en soie, & principalement les Rubaniers, s'en servent pour lustrer leurs ouvrages : on en blanchit les gazes, & les Cabaretiers en font usage pour éclaircir leurs vins.

Il y a encore une autre colle de poisson qu'on tire de Hollande & d'Angleterre en petits livres : mais on prétend que ce n'est que le rebut & la partie la moins pure de la colle de poisson de Moscovie.

La colle de poisson entre dans quelques emplâtres décrits dans des anciens dispensaires. Pour s'en servir, il faut la battre, la laisser amollir dans le vinaigre, y ajoûter de l'eau commune, la faire bouillir, y mêler un peu de chaux d'étain, bien remuer, & s'en servir le plus chaud qu'on pourra.

Pour rendre la colle de poisson très-forte, on la choisira blanche & claire, on l'amincira & défera à coups de marteau, on la coupera en petits morceaux, on mettra ces morceaux dans un vaisseau de fayence à cou étroit, on les couvrira de bonne eau-de-vie, on placera le vaisseau dans un pot de terre plein d'eau, qu'on tiendra sur un feu doux jusqu'à ce que les morceaux soient fondus ; on les laissera refroidir, & ils seront préparés. Pour s'en servir, il faudra y ajoûter un peu d'eau-de-vie, faire réchauffer, & coller sur le champ.

COLLE à verre : prenez des limaçons, exposez-les au soleil, recevez dans un vaisseau la liqueur qui en distillera, extrayez le lait du tithymale ; mêlez ce lait & le suc de limaçon, collez, & exposez au soleil les verres collés.

Les Relieurs, les Chapeliers, & d'autres ouvriers ont leur colle. Voyez-en les compositions aux articles CHAPEAU, & autres.

COLLE, (Géog. mod.) petite ville d'Italie au grand duché de Toscane, dans le Florentin. Long. 28. 45. lat. 43. 24.

COLLE, (Géog. mod.) ville d'Italie en Toscane dans le Florentin, sur les confins du Siennois, près de la riviere d'Elsa.

COLLE, (la) Géog. riviere de France en Champagne, qui se jette dans la Marne près de Châlons.

COLLE à cheval, (Manége) c'est la même chose que cloué. Voyez CLOUE.


COLLECTES. f. en latin collecta, (Jurisprud.) dans les anciens titres & auteurs, signifie tantôt la perception & recouvrement qui se fait des tributs & impositions qui se levent sur certaines personnes, tantôt l'imposition même qui se leve sur ces personnes : c'est en ce dernier sens qu'il en est parlé dans Othon de Frisinge, lib. II. de gest. Friderici imper. cap. xj. Rex à toto exercitu collectam fieri jussit. Matthieu Paris, à l'an 1245, dit aussi en parlant de saint Louis : jussit quasdam collectas & tallias, tam in clero quam in populo, fieri graviores. On en trouvera encore d'autres exemples dans le glossaire de Ducange, au mot collecta. Chez les Romains, la collecte des tributs ou impositions n'étoit point considérée comme un emploi ignoble : c'est ce qui résulte de la loi x. au code de excusat. mun. laquelle ayant détaillé tous les emplois qui étoient réputés bas & sordides, n'y a point compris la collecte des tributs ; elle étoit même déférée aux décurions, qui étoient les principaux des villes, comme on voit en la l. xvij. §. exigendi ff. ad municip. & l. vij. cod. de sacros. eccles. Il n'en est pas de même parmi nous. Quoique la collecte des tailles & autres impositions n'ait rien de deshonorant, elle est mise au nombre des emplois inférieurs dont les nobles & privilégiés sont exempts, comme nous le dirons ci-après à l'article de la COLLECTE du sel & des tailles, qui sont présentement les seuls impôts dont la collecte ou recouvrement se fasse par le ministere de collecteurs proprement dits. Voyez ci-après les subdivisions des différentes sortes de COLLECTES & de COLLECTEURS. (A)

COLLECTE DES AMENDES, RESTITUTIONS, &c. est le recouvrement qui se fait des amendes & autres peines pécuniaires prononcées contre les délinquans. En matiere d'eaux & forêts, cette collecte se fait par des sergens des eaux & forêts, appellés sergens-collecteurs. L'ordonnance de 1669, titre des chasses, art. xl. dit que la collecte des amendes adjugées ès capitaineries des chasses, sera faite par les sergens-collecteurs des amendes des lieux, lesquels fourniront chaque année un état de leur recette & dépense au grand-maître. L'article dernier du titre de la pêche, porte que toutes les amendes jugées pour raison des rivieres navigables & flottables, & pour toutes les eaux du Roi, seront reçûes à son profit par le sergent-collecteur des amendes dans chaque maîtrise ou département ; qu'il en sera usé comme pour celles des forêts du Roi, & que ce qui lui en reviendra, sera payé ès mains du receveur, & par celui-ci au receveur général. Le titre suivant, qui est des peines, amendes, restitutions, &c. contient plusieurs dispositions sur la collecte des amendes prononcées pour toutes sortes de délits en fait d'eaux & forêts ; savoir que les amendes ne seront point affermées, mais levées au profit du Roi par les sergens-collecteurs des maîtrises, & par eux payées aux receveurs ; que les rôles des amendes seront mis & laissés ès mains des sergens-collecteurs de chaque maîtrise, pour en faire le recouvrement & en compter ; que les collecteurs des amendes seront tenus d'émarger les rôles de ce qu'ils recevront, & d'en donner quittance, sur peine de restitution du quadruple ; que le collecteur demeurera responsable des amendes, restitutions, &c. faute par lui dans les trois mois après qu'ils lui auront été délivrés, de justifier des exploits de perquisition d'insolvabilité des débiteurs, & de diligences suffisantes ; que ces exploits seront attestés des curés ou vicaires, ou du juge des lieux ; que les collecteurs ne seront point déchargés de la collecte qu'après avoir fourni chaque année un état au grand-maître de leur recette & diligence, & qu'il n'y ait eu un jugement qui passe les parties en non-valeur : quand il y a appel du jugement portant amende, la collecte de l'amende ne se fait qu'après le jugement de l'appel. Les sergens-collecteurs ont une certaine remise sur les amendes. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts.

Il y a un des huissiers du bureau des finances de Paris, qui a le titre de collecteur des amendes qui sont prononcées en matiere de voirie. (A)

COLLECTE d'une aide particuliere : lorsque les habitans d'une province ou ville accordoient au roi quelques aides pour les besoins de l'état, ils en faisoient faire la collecte. C'est ainsi que dans une ordonnance de Philippe V. du 17 Février 1349, il est parlé des collecteurs d'une aide ou imposition sur les marchandises & denrées ; dans une ordonnance du roi Jean, du 3 Mars 1351, & dans une autre ordonnance du même roi, du mois de Juillet 1355, on voit qu'une partie des habitans du Limosin & des pays voisins, ayant accordé à Jehan de Clermont maréchal de France, qui étoit lieutenant pour le roi dans les pays d'entre les rivieres de Loire & de Dordogne, une aide ou subside d'argent pour l'engager à demeurer dans le pays & le mettre mieux en état de le défendre, ils arrêterent que cette aide seroit levée & cueillie par bonnes gens solvables, établis & nommés par les commis & justiciers de chaque lieu : ce qui fut confirmé par le roi Jean. Ordonnances de la troisieme race. (A)

COLLECTE imposée par une ville : Philippe VI. en considération de ce que les bourgeois de Mâcon lui avoient fourni un certain nombre de gendarmes, ou dequoi les solder, leur accorda entr'autres choses, par des lettres du mois de Février 1346, que les conseillers de cette ville pourroient faire & imposer des collectes tant sur les personnes que sur les possessions & héritages de leur ville, en la maniere accoûtumée ; les recouvrer, lever ou faire lever, cueillir, & convertir au profit commun de cette ville, & à ce qui seroit nécessaire. Ces lettres furent confirmées par le roi Jean au mois d'Octobre 1362. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race. (A)

COLLECTE DU SEL ou de l'impôt du sel, est le recouvrement qui se fait de l'imposition dûe au Roi par chaque contribuable pour sa cotte de sel, dans les pays où le sel se distribue par impôt. L'ordonnance des gabelles distingue les greniers à sel d'impôt, & ceux de vente volontaire : elle fait l'énumération des lieux où le sel se distribue par impôt ; & dans le titre viij. il est dit que les asséeurs & collecteurs du sel seront nommés par les habitans assemblés en la maniere accoûtumée au son de la cloche, à l'issue de la messe paroissiale ou de vêpres, dans le mois d'Octobre de chaque année ; savoir deux dans les paroisses où le principal de l'impôt est au-dessous d'un muid de sel, quatre dans celles qui sont imposées à un muid de sel & au-dessus, & six dans celles qui portent deux muids de sel & au-dessus ; que les habitans les plus riches & les médiocres seront nommés collecteurs à leur tour, en nombre égal ; que les habitans doivent mettre au greffe du grenier à sel de leur ressort une expédition en bonne forme de la nomination des collecteurs, avant le premier Novembre de chaque année ; sinon après ce tems passé, sans autre sommation ni diligence, les collecteurs doivent être nommés d'office par les officiers du grenier à sel, suivant l'ordre qui a été expliqué. On ne doit point nommer pour asséeurs & collecteurs de l'impôt, ceux qui exercent des offices de judicature dans les justices royales, les mineurs, les septuagénaires, ceux qui font la collecte des tailles, ceux qui l'ont faite tant du sel que de la taille dans les années précédentes, les maires & échevins & syndics des paroisses dans le tems de leur charge, les regrattiers, ceux qui sont dans la premiere année de leur mariage, & généralement ceux qui sont exempts en vertu d'édits registrés à la cour des aides. Il est défendu aux cours des aides de recevoir l'appel des nominations de collecteurs du sel, sauf l'opposition devant les premiers juges, & ensuite l'appel à la cour des aides, & le tout doit être jugé sommairement de maniere qu'il y ait des collecteurs nommés avant le premier Décembre. Personne ne peut assister à la nomination des collecteurs avec les habitans, ni à l'assiete de l'impôt avec les collecteurs, excepté le notaire ou sergent qu'ils voudront choisir, pour rédiger par écrit l'acte de nomination ou le rôle, sans que le greffier du grenier à sel, ses clercs & commis y puissent vaquer directement ou indirectement. Il est enjoint aux collecteurs d'insérer au rôle qu'ils feront de l'impôt, le nombre, qualité & condition des personnes de chaque maison qui y est sujette ; de marquer à la fin les noms, surnoms, & nombre des ecclésiastiques, nobles, & autres exempts, & de mettre deux copies signées de ces rôles, l'une au greffe du grenier à sel, l'autre entre les mains du fermier des gabelles ou de ses commis. Les collecteurs ne doivent faire qu'un seul rôle pour chaque année, lequel est vérifié par les officiers du grenier à sel, qui ne peuvent augmenter ni diminuer les cottes, ni ordonner que le rôle sera refait. Après la vérification du rôle, les collecteurs doivent lever le sel de l'impôt dans les premiers huit jours du quartier de Janvier, & continuer de le lever dans les premiers huit jours de chaque quartier, & le distribuer aux contribuables dans la huitaine suivante. Ils sont obligés de porter entierement le sel dans leur paroisse le même jour qu'ils le prennent au grenier. Les deniers provenant de l'impôt du sel, doivent être payés par les collecteurs entre les mains du commis des gabelles, savoir moitié dans les six premieres semaines, & l'autre moitié à la fin de chaque quartier ; sinon ils y sont contraints solidairement par emprisonnement. Ils sont autorisés à retenir sur le dernier payement de l'impôt du sel, une certaine remise fixée par l'ordonnance. Le sel d'impôt que les collecteurs ont négligé de lever, ne leur est point délivré six semaines après l'année expirée, on leur diminue seulement le prix du marchand. Les principaux habitans des paroisses peuvent être contraints solidairement par emprisonnement pour l'impôt, lorsque tous les collecteurs ont été discutés en leurs personnes & biens. La discussion des collecteurs en leur personne est suffisante, quand ils ont gardé prison pendant un mois, ou lorsqu'il y a eu perquisition de leur personne. Les collecteurs emprisonnés pour le payement de l'impôt ne peuvent être élargis, même sous prétexte de la révérence des quatre bonnes fêtes de l'année, ou autres réjoüissances publiques, qu'en payant du moins la moitié des sommes pour lesquelles ils sont détenus. Voyez l'ordonnance des gabelles, titre viij. qui détaille plus au long les regles qui doivent être observées pour cette collecte & pour les collecteurs. Voyez aussi la déclaration du 22 Mai 1708, portant réglement pour la punition des collecteurs de l'impôt du sel qui divertissent les deniers de leur collecte ; & la déclaration du 15 Janvier 1718, portant réglement par la nomination des collecteurs de l'impôt du sel : le recueil du sieur Bellet, pag. 86. & aux mots GABELLE, GRENIER A SEL, SEL. (A)

COLLECTE DES TAILLES, est le recouvrement que les collecteurs font de la taille sur chaque taillable. L'usage de cette collecte doit être fort ancien, étant certain que dès avant S. Louis on payoit des tailles en France pour les besoins de l'état, & que S. Louis ne fit que régler la maniere de les imposer. Le terme de collecte & celui de taille étoient synonymes au commencement, soit que par le terme de collecte on entendît la taille qui se levoit sur le peuple, soit que le recouvrement de l'impôt se prît quelquefois pour l'impôt même : c'est ce que l'on voit dans Matthieu Paris, ainsi que nous l'avons déjà remarqué ci-devant sur le mot collecte en général. Il est parlé des collecteurs des paroisses dans un réglement fait par la chambre des comptes en 1304 ; mais ces collecteurs étoient préposés pour la perception des foüages. Une ordonnance de Philippe VI. de l'an 1329, fait mention de collecteurs députés pour le recouvrement d'une imposition sur les nouveaux acquêts : ce qui fait voir que le nom de collecteurs n'étoit pas propre uniquement à ceux qui levoient la taille ; qu'il se donnoit anciennement à tous ceux qui étoient chargés de la levée & recouvrement de quelque subside ou imposition. Dans des lettres du roi Jean, du mois d'Octobre 1362, qui permettent aux habitans de Soissons d'élire leurs gouverneurs, trésoriers & collecteurs ; ces derniers sont nommés collectores seu tailliatores : ce qui fait connoître que les collecteurs faisoient dès-lors l'assiete de la taille.

Il y a plusieurs choses à observer par rapport à la collecte & aux collecteurs des tailles.

Age. Les septuagénaires ne pouvant plus être contraints par corps, ne peuvent plus être forcés d'être collecteurs : néanmoins si un septuagénaire acceptoit la charge, il seroit contraignable par corps pour le fait de sa commission.

Apothicaires, ne sont exempts de la collecte. Voyez le mémoire alphabétique.

Asséeurs, est un premier titre que l'on donne aux collecteurs, parce qu'ils font d'abord l'assiete des tailles sur chaque contribuable. Les asséeurs étoient autrefois des personnes différentes des collecteurs ; ils furent substitués aux premiers élûs qui imposoient la taille ; on les choisissoit parmi les gens du lieu. Les fonctions d'asséeurs & de collecteurs furent séparées jusqu'au tems d'Henri III. qu'elles furent réunies ; l'asséeur ne faisoit auparavant que l'assiete, & le collecteur la recette : mais comme les asséeurs étoient garants de la non-valeur des assietes envers les collecteurs, ce qui causoit continuellement des procès entr'eux, on trouva plus convenable d'établir que ceux qui feroient l'assiete, feroient aussi la collecte. L'article ij. du réglement de 1600, & le xxxviij. du réglement de 1634, portent que les asséeurs seront collecteurs en la même année de leur charge. Depuis ce tems, on joint presque toûjours le titre d'asséeurs à celui de collecteurs : mais dans l'usage on dit simplement collecteurs.

Avocats, sont exempts de faire la collecte : mais ce privilége n'est pas accordé à tous ceux qui ont le titre d'avocat ; on le restreint à ceux qui exercent actuellement la profession.

Chirurgiens, ne sont point exempts de la collecte, à-moins que ce ne soit par privilége particulier ; tels que les chirurgiens du roi.

Classes ou échelles : il est permis aux habitans des paroisses d'établir, si bon leur semble, deux classes ou échelles composées l'une des plus riches habitans, & l'autre des médiocres ; afin que chaque contribuable vienne à son tour à la charge de collecteur : & quand les habitans se sont une fois soûmis à cet arrangement, il n'est plus en leur pouvoir de le changer. Déclaration de Mars 1673, art. 3.

Collecteurs, voyez ce qui est dit ci-devant, & ce qui suit, & au mot COLLECTEUR.

Décès d'un collecteur arrivant avant la confection des rôles, ou avant qu'il ait été rien reçû ; on en peut nommer un autre pour remplir sa place : mais s'il décede avant l'exécution du rôle, ceux qui restent font seuls la collecte.

Décharge ; ceux qui sont nommés collecteurs, & qui prétendent avoir des raisons pour se faire décharger de la collecte, doivent, suivant la déclaration du 28 Août 1685, se pourvoir dans la quinzaine du jour de leur nomination pardevant les officiers des élections ; autrement la quinzaine passée, ils n'y sont plus recevables, & il est défendu aux cours des aides de recevoir directement les appellations des nominations de collecteurs ; sauf aux parties, après le jugement des oppositions, à se pourvoir par appel de ces jugemens à la cour des aides. Les collecteurs nommés ne peuvent obtenir leur décharge qu'elle ne soit ordonnée avec le procureur-syndic de la paroisse. Les élûs doivent être au nombre de trois pour juger ces oppositions, & les collecteurs sont tenus de faire l'assiete & levée des deniers, jusqu'à ce qu'il y ait d'autres collecteurs nommés. Réglement de 1600, art. 13. confirmé par plusieurs autres réglemens postérieurs.

Diminution, voyez Taxe.

Domicile : suivant le réglement de Février 1663, un habitant qui transfere son domicile après sa nomination à la collecte, ne peut être déchargé.

Echelles, voyez Classes & Tableau.

Emprisonnemens, voyez Prisonniers.

Exemptions de la collecte, voyez Age, Avocats, Médecin. Par arrêt du conseil du premier Décembre 1643, les exemptions de la collecte des tailles & subsistances accordées jusqu'alors furent révoquées, à l'exception de celle des collecteurs de l'impôt du sel, & pour l'année seulement qu'ils seroient collecteurs du sel.

Maladie incurable, tel que le mal caduc ou autre qui fait perdre la raison & empêche d'agir, exempte de la collecte.

Marguilliers en charge, ne sont exempts de la collecte que pendant l'année de leur charge. Réglement de Février 1663. Mém. alphab.

Médecins, sont ordinairement déchargés de la collecte, pour la dignité & nécessité de leur emploi.

Nombre des asséeurs & collecteurs. Le réglement de 1600, article 12. dit qu'ils seront mis jusqu'au nombre de quatre chacun an, pour les grandes paroisses taxées à 300 écus de grande taille & au-dessus ; & pour les moindres paroisses deux, qui feront ensemble la recette, ou la sépareront entr'eux, s'ils veulent, par quartier ou demi-année. L'article 38. du réglement de 1634, ordonne qu'au lieu de quatre collecteurs pour les paroisses taxées à 1500 livres & au-dessus, il en sera nommé huit, & pour les moindres paroisses, quatre, afin qu'ils puissent se soulager l'un l'autre, & lever plus facilement les deniers de la taille, & qu'ils feront ensemble cette levée par quartier & demi-année, ainsi qu'ils conviendront entr'eux. La déclaration du 24 Mai 1717, pour prévenir toute difficulté en cas de partage d'avis entre les collecteurs, ordonne que dans les paroisses où il est d'usage d'avoir plus de trois collecteurs, le nombre soit à l'avenir de cinq ou sept.

Nomination des collecteurs ; elle doit être faite par les habitans des paroisses dûement assemblés à l'issue de la grand-messe, à jour de dimanche ou fête ; & l'assemblée qui se fait pour cette nomination, doit être publiée au prône des grand-messes par deux dimanches consécutifs. Ces publications faites, le procureur-syndic doit faire sonner les cloches ou battre le tambour, suivant l'usage des lieux, & se trouver devant l'église à l'issue de la messe paroissiale ou des vêpres, assisté d'un notaire ou autre personne publique, lequel rédige l'acte, & fait mention de tout ce qui a précédé : on doit y nommer par nom & surnom les habitans qui se trouvent à l'assemblée, & faire mention qu'un tel a nommé un tel, & faire signer chaque habitant, ou s'il ne sait pas signer, en faire mention. La nomination des collecteurs doit être faite dans le courant de Septembre, & signifiée aux collecteurs avant le premier Octobre. Déclaration du 28 Août 1685.

La déclaration du 2 Août 1716, & celle du 9 Août 1723, ont ordonné de faire dans chaque paroisse un tableau des habitans, suivant lequel ils viendront à la collecte chacun à leur tour d'année en année : mais ces réglemens n'ont pas encore eu par-tout une pleine & entiere exécution.

Suivant la déclaration du 28 Août 1685, faute par les habitans de faire les nominations des collecteurs, & de les avoir fait registrer en l'élection dans le dernier Septembre, il est dit qu'il sera procédé d'office à la nomination des collecteurs par les commissaires départis dans les provinces, & par les officiers des élections, sans néanmoins que les officiers des élections en puissent nommer seuls.

Ceux qui ont déjà fait la fonction de collecteurs, ne peuvent être nommés de nouveau qu'après trois années, & pour les villes murées, qu'après cinq années. Réglement de Février 1663.

D'office, voyez ci-devant Nomination.

Opposition, voyez ci-devant Décharge.

Prisonniers : les collecteurs emprisonnés faute de payement, ne peuvent être élargis sans appeller les receveurs des tailles ou leurs commis qui les ont fait emprisonner. Réglement de 1643, article 17. Si tous étoient emprisonnés, on en élargiroit un pour achever le recouvrement. Ces élargissemens se demandent ordinairement aux séances que la cour des aides tient à la conciergerie à Noël & à Pâques : mais il faut pour obtenir l'élargissement, que le collecteur paye au moins un quart de la somme pour laquelle il est emprisonné.

Rôle ou assiete des tailles, doit être faite par les collecteurs en lieu de liberté ; personne ne doit y assister que le notaire, sergent, ou autre personne choisie par les collecteurs pour écrire les taxes. Ils doivent y procéder dans la quinzaine du jour de la réception du mandement pour l'imposition de la taille. Déclarat. du mois d'Août 1683. Ils doivent marquer sur le rôle le nom & la profession de chaque taillable, l'espece de son commerce ou industrie, la quantité de terres qu'il exploite, le nom du propriétaire, le nombre de charrues ou paires de boeufs servant au labourage. Arrêt du conseil du 7 Juillet 1733. Voyez plus bas Taxe.

Solidité. Les collecteurs sont responsables solidairement du fait les uns des autres. Réglem. de 1600, art. 12. & de 1634, art. 38.

Taxe : les collecteurs ne peuvent se taxer ou cotiser ni leurs parens & alliés, à moins qu'ils l'étoient l'année précédente, ou sur le pié de leurs cottes, au cas que la taille eût augmenté ou diminué, si ce n'est qu'ils eussent souffert quelque notable perte ou dommage en leurs biens & facultés, & que pour raison de ce, les élûs au nombre de trois eussent jugé qu'il y eût lieu à un rabais. Edit de 1600, article 10, & de 1634, article 50.

Ils ne peuvent pas non plus être augmentés en sortant de charge, qu'à proportion de l'augmentation sur la taille, s'il y en a. Réglem. de 1673. article 6. Voyez le mém. alphab. des tailles, aux mots asséeurs, collecte, collecteurs, rôle, tailles, &c. (A)

COLLECTE, (Hist. ecclésiastiq. Lithurg.) dans la messe de l'église romaine, & même dans la lithurgie anglicane, signifie une priere propre à certains jours de fêtes, que le prêtre récite immédiatement avant l'épitre. Voyez LITHURGIE & MESSE.

En général toutes les oraisons de chaque office peuvent être appellées collectes, parce que le prêtre y parle toûjours au nom de toute l'assemblée, dont il résume les sentimens & les desirs par le mot oremus, prions, ainsi que l'observe le pape Innocent III. ou parce que ces prieres sont offertes lorsque le peuple est assemblé, ce qui est l'opinion de Pamelius dans ses remarques sur Tertullien.

Quelques-uns attribuent l'origine de ces collectes aux papes Gelase & S. Grégoire le Grand. Claude Despense, docteur de la faculté de Paris, a fait un traité particulier des collectes, où il parle de leur origine, de leur ancienneté, de leurs auteurs, &c.

Dans quelques auteurs anciens on trouve le nom de collecte appliqué à l'assemblée ou congrégation des fideles.

Collecte signifie aussi les quêtes qu'on faisoit dans la primitive église dans certaines provinces, pour en soulager les besoins des pauvres & du clergé d'une autre province. Il en est fait mention dans les actes & dans les épitres des apôtres. Voyez Trév. & Chambers.


COLLECTEURS. m. (Jurisprud.) est le nom que l'on donne à ceux qui sont chargés du recouvrement de quelque imposition, comme les collecteurs des tailles, ceux de l'impôt du sel ; on donnoit aussi autrefois le nom de collecteurs à ceux qui étoient préposés pour la levée de diverses autres impositions, comme on verra dans les subdivisions suivantes. Chez les Romains, les impositions ordinaires furent appellées canonica, & les collecteurs canonicarii, comme on voit en l'auth. de collatoribus, §. & hoc custodiri. Voyez ci-devant COLLECTE, & ci-après COLLECTEURS DU SEL & DES TAILLES. (A)

COLLECTEURS DE L'AIDE, voyez COLLECTE D'UNE AIDE, COLLECTEURS DE L'ASSISE, COLLECTEURS DES IMPOSITIONS & SUBSIDES. (A)

COLLECTEURS DES AMENDES, voyez ci-devant COLLECTE DES AMENDES. (A)

COLLECTEURS DE L'ASSISE ou AIDE sur les marchandises & denrées qui se vendent à Paris ; il en est parlé dans des lettres de Philippe VI. du 17 Février 1349, portant qu'il sera levé pendant un an une imposition, qui est qualifiée d'aide ou assise, sur toutes les marchandises & denrées qui seront vendues dans la ville & faubourgs de Paris ; que s'il avenoit aucuns débats ou discussion entre les collecteurs députés à la levée de ladite imposition & les bonnes gens de ladite ville de Paris, les prevôt & échevins en pourront ordonner, &c. (A)

COLLECTEURS DU DROIT D'AUBAINE. Il y en avoit du tems du roi Jean, comme il paroît par des lettres de Charles V. alors régent du royaume, du 26 Février 1362, qui défend à tous officiers, commissaires- collecteurs, & autres, d'inquiéter les aubains qui étoient membres du chapitre de Rheims. Ordonnances de la troisieme race. (A)

COLLECTEURS DES DECIMES. Il en est parlé dans les lettres du roi Jean du 12 Janvier 1351, portant commission au prieur de S. Martin des champs de Paris, envoyé par le roi dans le Languedoc pour y régler toutes les affaires qui regarderoient la finance ; le roi lui donne pouvoir de poursuivre tous receveurs, & les collecteurs & sous-collecteurs des décimes, pour les obliger de rendre compte : ces collecteurs des décimes faisoient alors la fonction que font aujourd'hui les receveurs particuliers des décimes dans les diocèses. Voyez ci-après DECIMES. (A)

COLLECTEURS députés à lever l'imposition, &c. voy. COLLECTEURS DE L'IMPOSITION sur les marchandises.

COLLECTEURS députés sur les finances des nouveaux acquêts, étoient ceux qui étoient proposés pour le recouvrement des droits dûs par les gens de mainmorte pour les nouvelles acquisitions par eux faites ; il en est parlé dans des lettres de Philippe VI. du 29 Janvier 1329, qui sont adressées au bailli de ville, & collectoribus deputatis super financiis acquestuum in Bailliviâ antedictâ. (A)

COLLECTEURS DES FOUAGES, étoient ceux qui faisoient la levée de l'imposition ou aide appellée foüage, qui se levoit sur chaque feu ou ménage ; Charles V. ordonna le 21 Novembre 1379, que ces collecteurs ne seroient plus nommés par les élûs ni par les autres officiers, mais qu'ils seroient choisis par les habitans des lieux sujets à cette imposition ; que les habitans seroient garants de leur gestion & recette ; que les asséeurs & collecteurs prêteroient serment ; que les asséeurs feroient l'assiete & donneroient aux collecteurs le rôle d'imposition un mois avant le commencement de l'année ; que les collecteurs pourroient recevoir un mois avant le terme du payement, & quinze jours après contraindre ceux qui n'auroient pas payé ; qu'un des collecteurs apporteroit au receveur les deniers de l'imposition quatre jours au plus tard après l'échéance du terme : il est dit par cette même ordonnance, que les asséeurs & collecteurs seront réputés officiers royaux, & qu'on leur obéira comme à des sergens royaux : qu'ils pourront prendre des commissions des élûs du diocèse ; que si les contribuables ne payent pas, les collecteurs en seront responsables en cas qu'ils n'ayent pas fait les poursuites nécessaires pour les faire payer : enfin que les collecteurs qui iront porter au receveur l'argent de l'imposition, auront pour le tems de leur voyage quatre sous par jour s'ils sont à cheval, & deux sols par jour s'ils sont à pié ; & que pour récompense de la peine qu'ils auront de lever l'imposition, ils en seront exempts, à moins que les habitans ne conviennent avec eux d'un autre salaire. On voit par ce détail que l'on observoit alors à-peu-près le même ordre pour les collecteurs, que l'on observe aujourd'hui pour ceux des tailles qui ont pris la place du droit de foüage, si ce n'est que les collecteurs des tailles ne sont pas exempts de l'imposition, comme l'étoient les collecteurs des foüages. Cette ordonnance contient aussi un réglement pour la gabelle, à la suite duquel il est dit que les élûs & les grenetiers feront jurer tous les ans aux collecteurs des foüages, qu'ils leur dénonceront ceux qui contreviendront à cette ordonnance dans leurs paroisses ; & que lorsqu'ils le feront, ils auront la récompense assignée aux dénonciateurs, qui est la moitié des confiscations & amendes. Voyez les recueils des ordonn. de la troisieme race, & FOUAGE. (A)

COLLECTEURS D'IMPOSITIONS. Ce nom étoit commun autrefois à tous les préposés établis pour la levée de diverses impositions ; c'est en ce sens qu'il se trouve employé dans des lettres de Philippe VI. du 3 Juin 1348, adressées à tous nos justiciers, sénéchaux, baillis, receveurs, fermiers, collecteurs des impositions, & autres qui ces présentes lettres verront ; il leur est défendu de contraindre aucun changeur à payer imposition du billon d'or ou d'argent, qu'ils auront vendu ou acheté dorénavant pour porter aux monnoies. Ordonnances de la troisieme race, tome II. (A)

COLLECTEURS DE L'IMPOSITION sur les marchandises & denrées vendues à Paris. Voyez COLLECTEURS DE L'ASSISE. (A)

COLLECTEURS DE L'IMPOT DU SEL, voyez COLLECTE DU SEL. (A)

COLLECTEUR DU PAPE en France ; il y a eu quelques papes qui, du consentement de nos rois, ont levé de tems en tems en France une imposition sur le clergé pour la Terre-sainte & autres objets de piété. Par exemple, Alexandre IV. imposa, du consentement du roi, un centieme sur le clergé de France pour la Terre-sainte. Les papes levoient aussi des procurations, dixiemes, & d'autres droits sur les bénéfices ; & pour cet effet ils avoient des collecteurs & sous-collecteurs : il en est parlé dans des lettres de Charles V. du 4 Septembre 1375 ; & plus amplement encore dans des lettres de Charles VI. du 3 Octobre 1385, par lesquelles il en révoque d'autres qui avoient ordonné de poursuivre les ecclésiastiques qui n'avoient pas payé au pape les redevances qu'il exigeoit d'eux. Le même prince dans une instruction qu'il donna le 11 Mars 1388 aux généraux des aides sur la levée des aides, dit que le pape avoit envoyé une bulle portant que les collecteurs & sous-collecteurs & autres officiers, étoient francs & exempts des aides qui étoient alors établies ; que cela porteroit un grand préjudice au roi, vû que tous ces officiers avoient coûtume de payer les aides ; pourquoi il ordonne aux généraux d'aviser le remede convenable & d'y pourvoir. Il en est encore parlé dans d'autres lettres du même prince du 28 Septembre 1390 ; & enfin par d'autres lettres du 27 Juillet 1398, il défendit à tous ses sujets, de quelqu'état qu'ils fussent, de rien payer aux collecteurs du pape des revenus & émolumens qu'il avoit coûtume de prendre dans le royaume & dans le Dauphiné : la même défense fut par lui renouvellée le 29 Décembre 1403. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race. (A)

COLLECTEURS DU SEL, voy. ci-dev. COLLECTE DU SEL. (A)

COLLECTEURS DES SUBSIDES, étoient ceux qui faisoient la levée des impositions extraordinaires que l'on mettoit en tems de guerre ; il en est parlé dans des lettres de Philippe VI. du 18 Juin 1329, adressées au bailli de Bourges, où il dit que pour cause du subside de la guerre qu'il devoit avoir en Gascogne, plusieurs commissaires, collecteurs, sergens & autres, avoient levé sur les sujets de ce bailliage plusieurs sommes d'argent & plusieurs gages. (A)

COLLECTEURS DES SUBVENTIONS, étoient les mêmes que ceux qui faisoient la levée des aides, & autres impositions ; ils sont nommés subventionum collectores dans des lettres du roi Jean du 26 Février 1361. Ordonnances de la troisieme race. (A)


COLLECTIFadj. (Gramm.) Ce mot vient du latin colligere, recueillir, rassembler. Cet adjectif se dit de certains noms substantifs qui présentent à l'esprit l'idée d'un tout, d'un ensemble formé par l'assemblage de plusieurs individus de même espece ; par exemple, armée est un nom collectif, il nous présente l'idée singuliere d'un ensemble, d'un tout formé par l'assemblage ou réunion de plusieurs soldats : peuple est aussi un terme collectif, parce qu'il excite dans l'esprit l'idée d'une collection de plusieurs personnes rassemblées en un corps politique, vivant en société sous les mêmes lois : forêt est encore un nom collectif ; car ce mot, sous une expression singuliere, excite l'idée de plusieurs arbres qui sont l'un auprès de l'autre ; ainsi le nom collectif nous donne l'idée d'unité par une pluralité assemblée.

Mais observez que pour faire qu'un nom soit collectif, il ne suffit pas que le tout soit composé de parties divisibles ; il faut que ces parties soient actuellement séparées, & qu'elles ayent chacune leur être à part, autrement les noms de chaque corps particulier seroient autant de noms substantifs ; car tout corps est divisible : ainsi homme n'est pas un nom collectif, quoique l'homme soit composé de différentes parties ; mais ville est un nom collectif, soit qu'on prenne ce mot pour un assemblage de différentes maisons, ou pour une société de divers citoyens : il en est de même de multitude, quantité, régiment, troupe, la plûpart, &c.

Il faut observer ici une maxime importante de Grammaire, c'est que le sens est la principale regle de la construction : ainsi quand on dit qu'une infinité de personnes soûtiennent, le verbe soûtiennent est au pluriel, parce qu'en effet, selon le sens, ce sont plusieurs personnes qui soûtiennent : l'infinité n'est que pour marquer la pluralité des personnes qui soûtiennent ; ainsi il n'y a rien contre la Grammaire dans ces sortes de constructions. C'est ainsi que Virgile a dit : Pars mersi tenuere ratem ; & dans Salluste, pars in carcerem acti, pars bestiis objecti. On rapporte ces constructions à une figure qu'on appelle syllepse ; d'autres la nomment synthese : mais le nom ne fait rien à la chose ; cette figure consiste à faire la construction selon le sens plûtôt que selon les mots. Voyez CONSTRUCTION. (F)


COLLÉGATAIRESS. m. pl. (Jurisprud.) sont ceux auxquels une même chose a été léguée conjointement.

Plusieurs légataires d'une même chose peuvent être conjoints en trois manieres différentes ; savoir re, verbis, aut re & verbis.

Ils sont conjoints seulement re, c'est-à-dire par la chose, lorsque la même chose leur est léguée à chacun par une disposition particuliere : par exemple, je legue à Titius ma maison de Tusculum, je legue à Moevius ma maison de Tusculum.

Ils sont conjoints de paroles seulement, verbis, lorsque la même disposition les appelle au legs d'une certaine chose, mais néanmoins en leur assignant à chacun la part qu'ils doivent y avoir : par exemple, je legue à Titius & à Moevius ma maison de Tusculum par égales portions.

On les appelle conjoints re & verbis, lorsqu'ils sont appellés ensemble & à la même chose sans distinction, comme quand le testateur dit : Je legue à Titius & à Moevius ma maison de Tusculum.

Le droit d'accroissement n'a pas lieu entre toutes sortes de collégataires, mais seulement entre ceux qui sont conjoints re, ou qui le sont tout ensemble re & verbis. Voyez inst. lib. II. tit. xx. voyez LEGATAIRE & ACCROISSEMENT. (A)


COLLEGES. m. corps ou compagnie de personnes occupées des mêmes fonctions. Collegium chez les Romains avoit le même sens ; on s'en servoit indifféremment pour ceux qui vaquoient aux affaires de la religion, à celles de l'état, aux Arts libéraux, aux Arts méchaniques, au Commerce, &c. Ce mot ne signifioit proprement qu'une compagnie, une société. Voyez SOCIETE.

Ainsi parmi eux, outre le collége des Augures & celui des Capitolins, c'est-à-dire la compagnie qui avoit la surintendance des jeux capitolins, on comptoit encore le collége des Artificiers, celui des Charpentiers, des Potiers, des Fondeurs, des Serruriers, des ouvriers pour les machines de guerre, des Bouchers, des Dendrophores, des Ravaudeurs, des Tailleurs d'habits militaires, des faiseurs de tentes, des Boulangers, des Musiciens, &c. Voyez AUGURE.

Plutarque prétend que cette division du peuple en colléges, étoit un effet de la politique de Numa, qui voulut que les différens intérêts de ceux qui composoient ces divers colléges les tenant toûjours desunis, les empêchassent de penser à aucune conspiration générale. Ces colléges étoient distingués des autres sociétés formées sans l'aveu de l'autorité publique, en ce que ceux qui composoient ces colléges traitoient pour les intérêts communs de leur corps, & qu'ils étoient autant de membres de l'état : ils avoient une bourse commune, & un argent pour solliciter leurs affaires : ils envoyoient des députés aux magistrats quand ils ne pouvoient y aller en personne : enfin ils avoient droit de faire des statuts & des réglemens pour l'administration de leurs affaires, à-peu-près comme font parmi nous les corps de métiers par leurs syndics, jurés, gardes, & autres officiers.

Il y a parmi les modernes quelques colléges, mais d'un ordre bien supérieur à ces colléges des Romains, tels que les trois colléges de l'empire. Voyez ci-dessous COLLEGES DE L'EMPIRE, & le COLLEGE DES CARDINAUX, &c.

COLLEGE DES AVOCATS. Les avocats considérés tous ensemble forment un ordre, & c'est ainsi qu'on les qualifie ordinairement ; néanmoins dans quelques provinces, comme à Roüen, à Lyon, &c. on dit le collége des avocats. Voyez AVOCATS, ORDRE DES AVOCATS.

COLLEGE DES AVOCATS AU CONSEIL, est la compagnie des avocats, qui sont chacun pourvûs d'un office d'avocat ès conseils du Roi, en vertu duquel ils peuvent seuls occuper dans toutes les instances qui se portent au conseil. Voyez AVOCATS AU CONSEIL & CONSEIL.

COLLEGE signifie aussi quelquefois un corps d'ecclésiastiques. C'est en ce sens que l'on dit le collége des cardinaux, ou le sacré collége.

Il y a aussi des colléges de chanoines & des colléges de chapelains.

On ne donne communément le titre de collége ou de collégiale aux chanoines séculiers ou réguliers, que dans les églises autres que la cathédrale.

Pour ce qui est des chapelains, il y a des églises, même cathédrales, où ils forment un corps que l'on appelle collége, comme dans l'église cathédrale de Roüen, où il y a cinq ou six colléges différens de chapelains qu'on appelle collégiaux, à la différence d'autres chapelains de la même église, qui ne forment point de corps entr'eux, & qu'on appelle non-collégiaux.

Le COLLEGE DES CARDINAUX ou le sacré collége, est le corps des cardinaux qui sont divisés en trois différens ordres ; les cardinaux évêques, les cardinaux prêtres, & les cardinaux diacres. Voyez CARDINAL.

Chaque ordre a son doyen ou chef ; celui des cardinaux évêques est toûjours l'évêque d'Ostie.

COLLEGE DES SECRETAIRES DU ROI, est la compagnie des secrétaires du Roi : il y a le grand & le petit collége.

Le grand collége est la compagnie des secrétaires du Roi, maison couronne de France & de ses finances, qui sont attachés à la grande chancellerie de France.

Cette compagnie étoit autrefois composée de six colléges différens.

Le premier, qu'on appelloit le collége ancien, ne fut d'abord composé que de soixante personnes ; savoir le Roi, & cinquante-neuf secrétaires. Ce collége fut depuis augmenté de soixante secrétaires appellés gagers, pour les distinguer des autres qu'on appelloit boursiers.

Le second, appellé le collége des cinquante-quatre, composé de cinquante-quatre nouveaux secrétaires du Roi, créés par édit de Charles IX. en 1570, & confirmé par Henri III. en 1583.

Le troisieme, appellé des soixante-six, composé de soixante-six secrétaires du roi, créés à diverses fois, & unis en collége par Henri IV. en 1608, auxquels furent joints les quarante-six créés par édit de Louis XIII. en 1641, ce qui fit en tout, dans ce collége, cent-douze secrétaires du roi.

Le quatrieme, appellé des six-vingt des finances créés à trois fois ; savoir, vingt-six par Henri IV. dix par Louis XIII. en 1605, & quatre-vingt-quatre encore par Louis XIII. en 1635.

Le cinquieme, appellé collége des vingt de Navarre, fut créé & établi en 1607 par le roi Henri IV. qui les amena en France avec la couronne de Navarre ; ils étoient ses secrétaires lorsqu'il n'étoit encore que roi de Navarre.

Le sixieme & dernier, appellé des quatre-vingt, fut créé à deux fois par Louis XIV. savoir, quarante-six en 1655, & trente-quatre en 1657.

Ces six colléges différens ont depuis été réunis en un seul & même collége, qu'on appelle le grand collége des secrétaires du roi, qui ont tous le même titre.

Le petit collége est composé des secrétaires du roi établis près des cours & petites chancelleries. Voyez SECRETAIRES DU ROI. (A)

COLLEGE, en parlant de l'Allemagne, se dit d'une célebre division de tous les états qui composent le corps germanique en trois ordres ou classes, qu'on nomme le collége des électeurs, le collége des princes, & le collége des villes libres ou impériales. Les deux premiers corps ne formoient d'abord qu'une seule & même assemblée, soit pour l'élection de l'empereur, soit pour les autres délibérations. Mais les électeurs s'étant insensiblement arrogé le droit d'élire seuls l'empereur, & de tenir leurs conférences à part, tant dans cette occasion que pour les autres affaires de l'Empire, malgré les protestations des autres princes & des villes impériales, cela fit prendre aussi à ces princes & à ces villes la résolution de s'assembler en corps séparés ; & de-là est venue la distinction des trois colléges, qui fut reçue & établie dans la diete de Francfort en 1580. Mais les villes impériales sont les dernieres qui ont fait un collége particulier : leurs priviléges néanmoins sont bien moins considérables que ceux des deux premiers corps ou colléges. Quand les deux premiers colléges étoient d'accord, le collége des villes se trouvoit obligé de consentir sans autre délibération. Mais cet ordre a changé ; si le collége des villes impériales s'oppose à l'avis unanime des deux autres colléges, pour lors on députe vers l'empereur, pour le prier d'induire les villes à donner leur consentement à l'avis des deux autres colléges supérieurs.

Le collége électoral est composé des princes électeurs, qui sont trois ecclésiastiques ; savoir, l'électeur de Mayence, l'électeur de Treves, & l'électeur de Cologne, tous trois archevêques, & de cinq séculiers, qui sont le roi de Boheme, le duc de Baviere, l'électeur de Saxe, celui de Brandebourg, & le palatin du Rhin, auxquels l'empereur Léopold ajoûta un sixieme en faveur du duc de Brunswik-Hanovre, dont la maison occupe aujourd'hui le trône d'Angleterre. L'électeur de Mayence tient le directoire, ou est directeur de ce collége, c'est-à-dire qu'il y propose les matieres & recueille les voix. Les électeurs peuvent y assister par eux-mêmes ou par leurs ambassadeurs ; quant à leurs autres prérogatives, voyez ELECTEUR.

Le collége des princes comprend tous les autres princes d'Allemagne, soit ecclésiastiques, comme archevêques, évêques, abbés, prevôts, & autres prélats princes ; soit séculiers, comme ducs, marquis, landgraves, burggraves, & autres princes. Il comprend aussi les abbés, abbesses, les autres prélats & les comtes qui sont membres relevans immédiatement de l'empereur ou de l'Empire, & qui sont non-seulement compris dans la matricule de l'Empire, mais encore contribuent à ses nécessités suivant la taxe portée par cette matricule ; car il y a plusieurs seigneurs qui ont conservé le titre de princes de l'Empire, comme les archevêques de Besançon & de Cambrai, sans avoir ni séance ni suffrage aux dietes : mais l'évêque de Strasbourg, quoique sous la domination de France, a conservé son rang à la diete de l'Empire. Il doit cette prérogative particuliere au feu empereur Charles VI. ce qui fut négocié par le savant M. Schoepflin, professeur d'Histoire & de Belles-lettres à Strasbourg. Le directoire des princes est tenu alternativement par l'archiduc d'Autriche & par l'archevêque de Saltzbourg.

Le troisieme collége est celui des villes impériales, ainsi nommées parce qu'elles sont états immédiats & indépendans de toute autre puissance que de l'empereur & de l'Empire. Depuis le traité de Westphalie elles ont voix délibérative & décisive comme les deux autres colléges. L'Allemagne avoit autrefois quatre-vingt-quatre ou quatre-vingt-cinq villes qui joüissoient de ce droit ; ce nombre est réduit à environ cinquante ; leur directoire est tenu & exercé par le premier magistrat de la ville impériale où la diete est convoquée ; & si elle ne s'assemble pas dans une ville impériale, les premieres villes des bans font exercer le directoire alternativement par un syndic ou par un avocat. Heiss. histoire de l'Empire, tome III. (G) (a)

COLLEGE DE SION, ou DU CLERGE DE LONDRES : c'étoit de tems immémorial une maison religieuse nommée tantôt prieuré, & tantôt hôpital. A sa destruction, arrivée la trente-unieme année d'Henri VIII. on l'appelloit l'hôpital d'Ehyn, du nom d'un mercier qui l'avoit fondé en 1329. Présentement ce collége est composé du collége du clergé de Londres, qui lui a été incorporé en 1631 à la requête du docteur Withe, en qualité de président des membres du collége de Sion, & d'un hôpital fondé pour dix pauvres hommes & autant de femmes.

Les officiers de ce collége sont le président, deux doyens, & quatre assesseurs ; ils sont élûs tous les ans parmi les curés & vicaires de Londres, & sont sujets à la visite de l'évêque. Ils ont une belle bibliotheque fondée par M. Simson : elle est principalement destinée à l'usage du clergé de Londres, sans en excepter cependant les autres étudians. Ils ont aussi une classe avec des chambres pour les étudians ; mais elles sont occupées communément par les ministres des paroisses voisines. Chambres.

COLLEGE DES DOCTEURS EN DROIT DE LONDRES, ordinairement appellé doctors commons, a été fondé par le docteur Harvey doyen de la cour des Arches, en faveur des professeurs de Droit civil établis à Londres, aussi-bien que pour le juge de la cour des Arches de Cantorbery, le juge de l'amirauté, de la cour de la prérogative, &c. & autres docteurs en Droit. Ils vivent tous, tant pour le logement que pour la nourriture, à la maniere des colléges, c'est-à-dire en commun, ce qui fait qu'on les appelle doctors commons. Leur maison ayant été brûlée dans le grand incendie de 1661, ils demeurerent à Exeter-house-in the Strand, jusqu'à ce que leur collége fut rebâti à leurs dépens, & avec magnificence.

Ce collége a trente procureurs qui se chargent de toutes les causes des étudians. Voyez PROCUREUR.

COLLEGE DES HERAUTS D'ARMES ; c'est une compagnie établie par des patentes du roi Richard III. qui leur a donné plusieurs priviléges, comme d'être exempts de subsides, de péages, d'offices, &c. Voyez HERAUT.

Ils ont eu une seconde patente sous le roi Edouard VI. & une maison proche celle des docteurs communs, que le comte de Derby avoit fait bâtir sous le regne d'Henri VII. leur fut donnée par le duc de Norfolk sous le regne de la reine Marie. Cette maison a été nouvellement rebâtie.

Cette compagnie a trois officiers appellés rois d'armes, reges armorum anglicorum ; six héraults & quatre poursuivans. Voyez ROI D'ARMES, HERAUT D'ARMES & POURSUIVANS D'ARMES. Chambers. (G)

COLLEGE DES MARCHANDS ; c'est ainsi que l'on nomme dans presque toutes les villes anséatiques un lieu ou place publique, où s'assemblent ordinairement les marchands & négocians pour traiter des affaires de leur commerce. C'est ce qu'on appelle ailleurs bourse, & à Lyon place du change. Voyez BOURSE, PLACE DU CHANGE & ANSEATIQUES.

On appelle aussi à Londres collége, un endroit où s'assemblent ceux qui sont de la société royale. Les Anglois ont joint à ce mot de collége celui de Gresham, nom de ce fameux marchand anglois, que la reine Elisabeth employa en qualité de résident dans les Pays-bas, & sur-tout à Anvers, pour les affaires du négoce, & auquel on érigea des statues en 1564 & en 1566 dans la place de la bourse & dans ce collége, qui a toûjours été appellé depuis Gresham collége, en considération de ce que Gresham avoit fait fleurir en Angleterre le commerce & les manufactures. Dict. de Comm. Voyez COLLEGE DE GRESHAM.

Collége signifie aussi en quelques endroits la même chose que communauté, c'est-à-dire un corps d'artisans de certains métiers, unis ensemble sous une même discipline & sous les mêmes officiers.

Nous avons emprunté ce terme des Latins, chez qui collegium avoit la même signification dans les arts & métiers qu'a parmi nous le mot de communauté, comme il paroît par plusieurs anciennes inscriptions, où l'on trouve le collége des Marchands, le collége des Forgerons, le collége des Boulangers, le collége des Bateliers. Voyez l'antiquité expliquée du P. Montfaucon.

Les Hollandois nomment aussi colléges les différentes chambres de leur amirauté, établies dans quelques-unes de leurs principales villes ; savoir, à Amsterdam, Rotterdam, Hoorn, Middelbourg & Harlingen. Voyez AMIRAUTE, & Dict. de Comm. (G)

COLLEGE, terme d'Architecture, grand bâtiment établi pour enseigner la religion, les humanités, & les Belles-lettres, composé de plusieurs chapelles, classes, & logemens, tant pour les professeurs que pour les pensionnaires & boursiers. Ces édifices doivent être bâtis avec solidité & simplicité, situés en bon air, tenus peu élevés, & être munis de grandes cours & de jardins spacieux. Celui des peres Jésuites à Rome, appellé le collége romain, est un des plus considérables pour la beauté de son architecture. On peut encore nommer celui des quatre-Nations à Paris, & celui de la Fleche en Anjou.

Il faut un assemblage de plusieurs colléges pour former une université. Voyez UNIVERSITE.

L'université d'Oxford est composée de dix-neuf colléges, & de six halls, ou lieux destinés à loger & à nourrir en commun de pauvres écoliers. Celle de Cambridge compte douze colléges & quatre halls. L'université de Paris a onze colléges de plein exercice, & plus de quarante autres fondés pour un certain nombre de boursiers, & assez vastes pour contenir encore un grand nombre d'étudians qui y logent, & qui de-là vont écouter les professeurs dans les colléges de plein exercice.

L'érection des colléges ne se peut faire en Angleterre que par le consentement & l'autorité du roi, & en France que par lettres-patentes.

Chez les Grecs les colléges les plus célebres étoient le Lycée & l'Académie : ce dernier a donné le nom à nos universités, qu'on appelle en latin academiae ; mais plus proprement encore à ces sociétés littéraires qui depuis un siecle se sont formées en Europe. Outre ces deux fameux colléges dans l'antiquité greque, la maison ou l'appartement de chaque philosophe ou rhéteur pouvoit être regardé comme un collége particulier. Voyez LYCEE & ACADEMIE.

On prétend que les Romains ne firent de pareils établissemens que sur la fin de leur empire : quoi qu'il en soit, il y avoit plusieurs colléges fondés par leurs empereurs, & principalement dans les Gaules, tels que ceux de Marseille, de Lyon, de Besançon, de Bordeaux, &c.

Les Juifs & les Egyptiens avoient aussi leurs colléges. Les principaux de ceux des Juifs étoient établis à Jérusalem, à Tibériade, à Babylone : on prétend que ce dernier avoit été institué par Ezéchiel, & qu'il a subsisté jusqu'au tems de Mahomet.

La plûpart de ces établissemens destinés à l'instruction de la jeunesse, ont toujours été confiés aux personnes consacrées à la Religion : les mages dans la Perse, les gymnosophistes dans les Indes, les druides dans les Gaules & dans la Bretagne, étoient ceux à qui l'on avoit donné le soin des écoles publiques. Voyez DRUIDE, MAGE, &c.

Après l'établissement du Christianisme il y eut autant de colléges que de monasteres. Charlemagne, dans ses capitulaires, enjoint aux moines d'élever les jeunes gens, & de leur enseigner la musique, la Grammaire, & l'Arithmétique : mais soit que cette occupation détournât trop les moines de la contemplation, & leur enlevât trop de tems, soit dégoût pour l'honorable, mais pénible fonction d'instruire les autres, ils la négligerent ; & le soin des colléges qui furent alors fondés fut confié à des personnes uniquement occupées de cet emploi. Trév. Moréry, & Chambers. (G)

Nous n'entrerons point ici dans le détail historique de l'établissement des différens colléges de Paris ; ce détail n'est point de l'objet de notre ouvrage, & d'ailleurs intéressoit assez peu le public : il est un autre objet bien plus important dont nous voulons ici nous occuper ; c'est celui de l'éducation qu'on y donne à la jeunesse.

Quintilien, un des hommes de l'antiquité qui ont eu le plus de sens & le plus de goût, examine, dans ses institutions oratoires, si l'éducation publique doit être préférée à l'éducation privée ; & il conclut en faveur de la premiere. Presque tous les modernes qui ont traité le même sujet depuis ce grand homme, ont été de son avis. Je n'examinerai point si la plûpart d'entr'eux n'étoient pas intéressés par leur état à défendre cette opinion, ou déterminés à la suivre par une admiration trop souvent aveugle pour ce que les anciens ont pensé ; il s'agit ici de raison, & non pas d'autorité, & la question vaut bien la peine d'être examinée en elle-même.

J'observe d'abord que nous avons assez peu de connoissances de la maniere dont se faisoit chez les anciens l'éducation, tant publique que privée ; & qu'ainsi ne pouvant à cet égard comparer la méthode des anciens à la nôtre, l'opinion de Quintilien, quoique peut-être bien fondée, ne sauroit être ici d'un grand poids. Il est donc nécessaire de voir en quoi consiste l'éducation de nos colléges, & de la comparer à l'éducation domestique ; c'est d'après ces faits que nous devons prononcer.

Mais avant que de traiter un sujet si important, je dois prévenir les lecteurs desintéressés, que cet article pourra choquer quelques personnes, quoique ce ne soit pas mon intention : je n'ai pas plus de sujet de haïr ceux dont je vais parler, que de les craindre ; il en est même plusieurs que j'estime, & quelques-uns que j'aime & que je respecte : ce n'est point aux hommes que je fais la guerre, c'est aux abus, à des abus qui choquent & qui affligent comme moi la plûpart même de ceux qui contribuent à les entretenir, parce qu'ils craignent de s'opposer au torrent. La matiere dont je vais parler intéresse le gouvernement & la religion, & mérite bien qu'on en parle avec liberté, sans que cela puisse offenser personne : après cette précaution, j'entre en matiere.

On peut réduire à cinq chefs l'éducation publique ; les Humanités, la Rhétorique, la Philosophie, les Moeurs, & la Religion.

Humanités. On appelle ainsi le tems qu'on employe dans les colléges à s'instruire des préceptes de la langue latine. Ce tems est d'environ six ans : on y joint vers la fin quelque connoissance très-superficielle du grec ; on y explique, tant bien que mal, les auteurs de l'antiquité les plus faciles à entendre ; on y apprend aussi, tant bien que mal, à composer en latin ; je ne sache pas qu'on y enseigne autre chose. Il faut pourtant convenir que dans l'université de Paris, où chaque professeur est attaché à une classe particuliere, les Humanités sont plus fortes que dans les colléges de réguliers, où les professeurs montent de classe en classe, & s'instruisent avec leurs disciples, en apprenant avec eux ce qu'ils devroient leur enseigner. Ce n'est point la faute des maîtres, c'est, encore une fois, la faute de l'usage.

Rhétorique. Quand on sait ou qu'on croit savoir assez de latin, on passe en Rhétorique : c'est alors qu'on commence à produire quelque chose de soi-même, car jusqu'alors on n'a fait que traduire, soit de latin en françois, soit de françois en latin. En Rhétorique on apprend d'abord à étendre une pensée, à circonduire & allonger des périodes, & peu-à-peu l'on en vient enfin à des discours en forme, toûjours ou presque toûjours, en langue latine. On donne à ces discours le nom d'amplifications ; nom très-convenable en effet, puisqu'ils consistent pour l'ordinaire à noyer dans deux feuilles de verbiage, ce qu'on pourroit & ce qu'on devroit dire en deux lignes. Je ne parle point de ces figures de Rhétorique si cheres à quelques pédans modernes, & dont le nom même est devenu si ridicule, que les professeurs les plus sensés les ont entierement bannies de leurs leçons. Il en est pourtant encore qui en font grand cas, & il est assez ordinaire d'interroger sur ce sujet important ceux qui aspirent à la maîtrise-ès-Arts.

Philosophie. Après avoir passé sept ou huit ans à apprendre des mots, ou à parler sans rien dire, on commence enfin, ou on croit commencer l'étude des choses ; car c'est la vraie définition de la Philosophie. Mais il s'en faut bien que celle des colléges mérite ce nom : elle ouvre pour l'ordinaire par un compendium, qui est, si on peut parler ainsi, le rendez-vous d'une infinité de questions inutiles sur l'éxistence de la Philosophie, sur la philosophie d'Adam, &c. On passe de-là en Logique : celle qu'on enseigne, du moins dans un grand nombre de colléges, est à-peu-près celle que le maître de Philosophie se propose d'apprendre au bourgeois-gentilhomme : on y enseigne à bien concevoir par le moyen des universaux, à bien juger par le moyen des cathégories, & à bien construire un syllogisme par le moyen des figures, barbara, celarent, darii, ferio, baralipton, &c. On y demande si la Logique est un art ou une science ; si la conclusion est de l'essence du syllogisme, &c. &c. &c. Toutes questions qu'on ne trouvera point dans l'art de penser ; ouvrage excellent, mais auquel on a peut-être reproché avec quelque raison d'avoir fait des regles de la Logique un trop gros volume. La métaphysique est à-peu-près dans le même goût ; on y mêle aux plus importantes vérités les discussions les plus futiles : avant & après avoir démontré l'existence de Dieu, on traite avec le même soin les grandes questions de la distinction formelle ou virtuelle, de l'universel de la part de la chose, & une infinité d'autres ; n'est-ce pas outrager & blasphémer en quelque sorte la plus grande des vérités, que de lui donner un si ridicule & si misérable voisinage ? Enfin dans la Physique on bâtit à sa mode un système du monde ; on y explique tout ou presque tout ; on y suit ou on y réfute à tort & à travers Aristote, Descartes, & Newton. On termine ce cours de deux années par quelques pages sur la Morale, qu'on rejette pour l'ordinaire à la fin, sans-doute comme la partie la moins importante.

Moeurs & Religion. Nous rendrons sur le premier de ces deux articles la justice qui est dûe aux soins de la plûpart des maîtres ; mais nous en appellons en même tems à leur témoignage, & nous gémirons d'autant plus volontiers avec eux sur la corruption dont on ne peut justifier la jeunesse des colléges, que cette corruption ne sauroit leur être imputée. A l'égard de la Religion, on tombe sur ce point dans deux excès également à craindre : le premier & le plus commun, est de réduire tout en pratiques extérieures, & d'attacher à ces pratiques une vertu qu'elles n'ont assûrément pas : le second est au contraire de vouloir obliger les enfans à s'occuper uniquement de cet objet, & de leur faire négliger pour cela leurs autres études, par lesquelles ils doivent un jour se rendre utiles à leur patrie. Sous prétexte que Jesus-Christ a dit qu'il faut toûjours prier, quelques maîtres, & sur-tout ceux qui sont dans certains principes de rigorisme, voudroient que presque tout le tems destiné à l'étude se passât en méditations & en catéchismes ; comme si le travail & l'exactitude à remplir les devoirs de son état, n'étoient pas la priere la plus agréable à Dieu. Aussi les disciples qui, soit par tempérament, soit par paresse, soit par docilité, se conforment sur ce point aux idées de leurs maîtres, sortent pour l'ordinaire du collége avec un degré d'imbécillité & d'ignorance de plus.

Il résulte de ce détail, qu'un jeune homme après avoir passé dans un collége dix années, qu'on doit mettre au nombre des plus précieuses de sa vie, en sort, lorsqu'il a le mieux employé son tems, avec la connoissance très-imparfaite d'une langue morte, avec des préceptes de Rhétorique & des principes de Philosophie qu'il doit tâcher d'oublier ; souvent avec une corruption de moeurs dont l'altération de la santé est la moindre suite ; quelquefois avec des principes d'une dévotion mal-entendue ; mais plus ordinairement avec une connoissance de la Religion si superficielle, qu'elle succombe à la premiere conversation impie, ou à la premiere lecture dangereuse. Voyez CLASSE.

Je sais que les maîtres les plus sensés déplorent ces abus, avec encore plus de force que nous ne faisons ici ; presque tous desirent passionnément qu'on donne à l'éducation des colléges une autre forme : nous ne faisons qu'exposer ici ce qu'ils pensent, & ce que personne d'entr'eux n'ose écrire : mais le train une fois établi a sur eux un pouvoir dont ils ne sauroient s'affranchir ; & en matiere d'usage, ce sont les gens d'esprit qui reçoivent la loi des sots. Je n'ai donc garde dans ces réflexions sur l'éducation publique, de faire la satyre de ceux qui enseignent ; ces sentimens seroient bien éloignés de la reconnoissance dont je fais profession pour mes maîtres : je conviens avec eux que l'autorité supérieure du gouvernement est seule capable d'arrêter les progrès d'un si grand mal ; je dois même avoüer que plusieurs professeurs de l'université de Paris s'y opposent autant qu'il leur est possible, & qu'ils osent s'écarter en quelque chose de la routine ordinaire, au risque d'être blâmés par le plus grand nombre. S'ils osoient encore davantage, & si leur exemple étoit suivi, nous verrions peut-être enfin les études changer de face parmi nous : mais c'est un avantage qu'il ne faut attendre que du tems, si même le tems est capable de nous le procurer. La vraie Philosophie a beau se répandre en France de jour en jour ; il lui est bien plus difficile de pénétrer chez les corps que chez les particuliers : ici elle ne trouve qu'une tête à forcer, si on peut parler ainsi, là elle en trouve mille. L'université de Paris, composée de particuliers qui ne forment d'ailleurs entr'eux aucun corps régulier ni ecclésiastique, aura moins de peine à secoüer le joug des préjugés dont les écoles sont encore pleines.

Parmi les différentes inutilités qu'on apprend aux enfans dans les colléges, j'ai négligé de faire mention des tragédies, parce qu'il me semble que l'université de Paris commence à les proscrire presque entierement : on en a l'obligation à feu M. Rollin, un des hommes qui ont travaillé le plus utilement pour l'éducation de la jeunesse : à ces déclamations de vers il a substitué les exercices, qui sont au moins beaucoup plus utiles, quoiqu'ils pussent l'être encore davantage. On convient aujourd'hui assez généralement que ces tragédies sont une perte de tems pour les écoliers & pour les maîtres : c'est pis encore quand on les multiplie au point d'en représenter plusieurs pendant l'année, & quand on y joint d'autres appendices encore plus ridicules, comme des explications d'énigmes, des ballets, & des comédies tristement ou ridiculement plaisantes. Nous avons sous les yeux un ouvrage de cette derniere espece, intitulé la défaite du Solécisme par Despautere, représentée plusieurs fois dans un collége de Paris : le chevalier Prétérit, le chevalier Supin, le marquis des Conjugaisons, & d'autres personnages de la même trempe, sont les lieutenans généraux de Despautere, auquel deux grands princes, appellés Solécisme & Barbarisme, déclarent une guerre mortelle. Nous faisons grace à nos lecteurs d'un plus grand détail, & nous ne doutons point que ceux qui président aujourd'hui à ce collége, ne fissent main-basse, s'ils en étoient les maîtres, sur des puérilités si pédantesques, & de si mauvais goût : ils sont trop éclairés pour ne pas sentir que le précieux tems de la jeunesse ne doit point être employé à de pareilles inepties. Je ne parle point ici des ballets où la Religion peut être intéressée ; je sais que cet inconvénient est rare, grace à la vigilance des supérieurs ; mais je sais aussi que malgré toute cette vigilance, il ne laisse pas de se faire sentir quelquefois. Voyez dans le journ. de Trév. nouv. littér. Sep. 1750. la critique d'un de ces ballets, très-édifiante à tous égards. Je conclus du moins de tout ce détail, qu'il n'y a rien de bon à gagner dans ces sortes d'exercices, & beaucoup de mal à en craindre.

Il me semble qu'il ne seroit pas impossible de donner une autre forme à l'éducation des colléges : pourquoi passer six ans à apprendre, tant bien que mal, une langue morte ? Je suis bien éloigné de desapprouver l'étude d'une langue dans laquelle les Horaces & les Tacites ont écrit ; cette étude est absolument nécessaire pour connoître leurs admirables ouvrages : mais je crois qu'on devroit se borner à les entendre, & que le tems qu'on employe à composer en latin est un tems perdu. Ce tems seroit bien mieux employé à apprendre par principes sa propre langue, qu'on ignore toûjours au sortir du collége, & qu'on ignore au point de la parler très-mal. Une bonne grammaire françoise seroit tout à-la-fois une excellente Logique, & une excellente Métaphysique, & vaudroit bien les rapsodies qu'on lui substitue. D'ailleurs, quel latin que celui de certains colléges ! nous en appellons au jugement des connoisseurs.

Un rhéteur moderne, le P. Porée, très-respectable d'ailleurs par ses qualités personnelles, mais à qui nous ne devons que la vérité, puisqu'il n'est plus, est le premier qui ait osé se faire un jargon bien différent de la langue que parloient autrefois les Hersan, les Marin, les Grenan, les Commire, les Cossart, & les Jouvenci, & que parlent encore quelques professeurs célebres de l'université. Les successeurs du rhéteur dont je parle ne sauroient trop s'éloigner de ses traces. Voyez LATINITE, ELOQUENCE, ETORIQUEIQUE.

Je sais que le latin étant une langue morte, dont presque toutes les finesses nous échappent, ceux qui passent aujourd'hui pour écrire le mieux en cette langue, écrivent peut-être fort mal ; mais du moins les vices de leur diction nous échappent aussi ; & combien doit être ridicule une latinité qui nous fait rire ? Certainement un étranger peu versé dans la langue françoise, s'appercevroit facilement que la diction de Montagne, c'est-à-dire du seizieme siecle, approche plus de celle des bons écrivains du siecle de Louis XIV. que celle de Geoffroy de Villehardouin, qui écrivoit dans le treizieme siecle.

Au reste, quelqu'estime que j'aye pour quelques-uns de nos humanistes modernes, je les plains d'être forcés à se donner tant de peine pour parler fort élégamment une autre langue que la leur. Ils se trompent s'ils s'imaginent en cela avoir le mérite de la difficulté vaincue : il est plus difficile d'écrire & de parler bien sa langue, que de parler & d'écrire bien une langue morte ; la preuve en est frappante. Je vois que les Grecs & les Romains, dans le tems que leur langue étoit vivante, n'ont pas eu plus de bons écrivains que nous n'en avons dans la nôtre ; je vois qu'ils n'ont eu, ainsi que nous, qu'un très-petit nombre d'excellens poëtes, & qu'il en est de même de toutes les nations. Je vois au contraire que le renouvellement des Lettres a produit une quantité prodigieuse de poëtes latins, que nous avons la bonté d'admirer : d'où peut venir cette différence ? & si Virgile ou Horace revenoient au monde pour juger ces héros modernes du parnasse latin, ne devrions-nous pas avoir grand'peur pour eux ? Pourquoi, comme l'a remarqué un auteur moderne, telle compagnie, fort estimable d'ailleurs, qui a produit une nuée de versificateurs latins, n'a-t-elle pas un seul poëte françois qu'on puisse lire ? Pourquoi les recueils de vers françois qui s'échappent par malheur de nos colléges ont-ils si peu de succès, tandis que plusieurs gens de lettres estiment les vers latins qui en sortent ? Je dois au reste avoüer ici que l'université de Paris est très-circonspecte & très-réservée sur la versification françoise, & je ne saurois l'en blâmer ; mais nous en parlerons plus au long à l'article LATINITE.

Concluons de ces réflexions, que les compositions latines sont sujettes à de grands inconvéniens, & qu'on feroit beaucoup mieux d'y substituer des compositions françoises ; c'est ce qu'on commence à faire dans l'université de Paris : on y tient cependant encore au latin par préférence, mais enfin on commence à y enseigner le françois.

J'ai entendu quelquefois regretter les theses qu'on soûtenoit autrefois en grec ; j'ai bien plus de regret qu'on ne les soûtienne pas en françois ; on seroit obligé d'y parler raison, ou de se taire.

Les langues étrangeres dans lesquelles nous avons un grand nombre de bons auteurs, comme l'anglois & l'italien, & peut-être l'allemand & l'espagnol, devroient aussi entrer dans l'éducation des colléges ; la plûpart seroient plus utiles à savoir que des langues mortes, dont les savans seuls sont à portée de faire usage.

J'en dis autant de l'Histoire & de toutes les sciences qui s'y rapportent, comme la Chronologie & la Géographie. Malgré le peu de cas que l'on paroît faire dans les colléges de l'étude de l'Histoire, c'est peut être l'enfance qui est le tems le plus propre à l'apprendre. L'Histoire, assez inutile au commun des hommes, est fort utile aux enfans, par les exemples qu'elle leur présente, & les leçons vivantes de vertu qu'elle peut leur donner, dans un âge où ils n'ont point encore de principes fixes, ni bons ni mauvais. Ce n'est pas à trente ans qu'il faut commencer à l'apprendre, à moins que ce ne soit pour la simple curiosité ; parce qu'à trente ans l'esprit & le coeur sont ce qu'ils seront pour toute la vie. Au reste, un homme d'esprit de ma connoissance voudroit qu'on étudiât & qu'on enseignât l'Histoire à-rebours, c'est-à-dire en commençant par notre tems, & remontant de-là aux siecles passés. Cette idée me paroît très-juste, & très-philosophique : à quoi bon ennuyer d'abord un enfant de l'histoire de Pharamond, de Clovis, de Charlemagne, de César, & d'Alexandre, & lui laisser ignorer celle de son tems, comme il arrive presque toûjours ; par le dégoût que les commencemens lui inspirent ?

A l'égard de la Rhétorique, on voudroit qu'elle consistât beaucoup plus en exemples qu'en préceptes ; qu'on ne se bornât pas à lire des auteurs anciens, & à les faire admirer quelquefois assez mal-à-propos ; qu'on eût le courage de les critiquer souvent, les comparer avec les auteurs modernes, & de faire voir en quoi nous avons de l'avantage ou du desavantage sur les Romains & sur les Grecs. Peut-être même devroit-on faire précéder la Rhétorique par la Philosophie ; car enfin, il faut apprendre à penser avant que d'écrire.

Dans la Philosophie, on borneroit la Logique à quelques lignes ; la Métaphysique, à un abregé de Locke ; la Morale purement philosophique, aux ouvrages de Séneque & d'Epictete ; la Morale chrétienne, au sermon de Jesus-Christ sur la montagne ; la Physique, aux expériences & à la Géométrie, qui est de toutes les logiques & physiques la meilleure.

On voudroit enfin qu'on joignît à ces différentes études, celle des beaux Arts, & sur-tout de la Musique, étude si propre pour former le goût, & pour adoucir les moeurs, & dont on peut bien dire avec Cicéron : Haec studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant, jucundas res ornant, adversis perfugium & solatium praebent.

Ce plan d'études iroit, je l'avoue, à multiplier les maîtres & le tems de l'éducation. Mais 1°. il me semble que les jeunes gens en sortant plûtard du collége, y gagneroient de toutes manieres, s'ils en sortoient plus instruits. 2°. Les enfans sont plus capables d'application & d'intelligence qu'on ne le croit communément ; j'en appelle à l'expérience ; & si, par exemple, on leur apprenoit de bonne heure la Géométrie, je ne doute point que les prodiges & les talens précoces en ce genre ne fussent beaucoup plus fréquens : il n'est guere de science dont on ne puisse instruire l'esprit le plus borné, avec beaucoup d'ordre & de méthode ; mais c'est-là pour l'ordinaire par où l'on peche. 3°. Il ne seroit pas nécessaire d'appliquer tous les enfans à tous ces objets à-la-fois ; on pourroit ne les montrer que successivement ; quelques-uns pourroient se borner à un certain genre ; & dans cette quantité prodigieuse, il seroit bien difficile qu'un jeune homme n'eût du goût pour aucun. Au reste c'est au gouvernement, comme je l'ai dit, à faire changer là-dessus la routine & l'usage ; qu'il parle, & il se trouvera assez de bons citoyens pour proposer un excellent plan d'études. Mais en attendant cette réforme, dont nos neveux auront peut-être le bonheur de joüir, je ne balance point à croire que l'éducation des colléges, telle qu'elle est, est sujette à beaucoup plus d'inconvéniens qu'une éducation privée, où il est beaucoup plus facile de se procurer les diverses connoissances dont je viens de faire le détail.

Je sais qu'on fait sonner très-haut deux grands avantages en faveur de l'éducation des colléges, la société & l'émulation : mais il me semble qu'il ne seroit pas impossible de se les procurer dans l'éducation privée, en liant ensemble quelques enfans à-peu-près de la même force & du même âge. D'ailleurs, j'en prends à témoin les maîtres, l'émulation dans les colléges est bien rare ; & à l'égard de la société, elle n'est pas sans de grands inconvéniens : j'ai déja touché ceux qui en résultent par rapport aux moeurs ; mais je veux parler ici d'un autre qui n'est que trop commun, sur-tout dans les lieux où on éleve beaucoup de jeune noblesse ; on leur parle à chaque instant de leur naissance & de leur grandeur, & par-là on leur inspire, sans le vouloir, des sentimens d'orgueil à l'égard des autres. On exhorte ceux qui président à l'instruction de la jeunesse, à s'examiner soigneusement sur un point de si grande importance.

Un autre inconvénient de l'éducation des colléges, est que le maître se trouve obligé de proportionner sa marche au plus grand nombre de ses disciples, c'est-à-dire aux génies médiocres ; ce qui entraîne pour les génies plus heureux une perte de tems considérable.

Je ne puis m'empêcher non plus de faire sentir à cette occasion les inconvéniens de l'instruction gratuite, & je suis assûré d'avoir ici pour moi tous les professeurs les plus éclairés & les plus célebres : si cet établissement a fait quelque bien aux disciples, il a fait encore plus de mal aux maîtres.

Au reste, si l'éducation de la jeunesse est négligée, ne nous en prenons qu'à nous-mêmes, & au peu de considération que nous témoignons à ceux qui s'en chargent ; c'est le fruit de cet esprit de futilité qui regne dans notre nation, & qui absorbe, pour ainsi dire, tout le reste. En France on sait peu de gré à quelqu'un de remplir les devoirs de son état ; on aime mieux qu'il soit frivole. Voyez EDUCATION.

Voilà ce que l'amour du bien public m'a inspiré de dire ici sur l'éducation, tant publique que privée : d'où il s'ensuit que l'éducation publique ne devroit être la ressource que des enfans dont les parens ne sont malheureusement pas en état de fournir à la dépense d'une éducation domestique. Je ne puis penser sans regret au tems que j'ai perdu dans mon enfance : c'est à l'usage établi, & non à mes maîtres, que j'impute cette perte irréparable ; & je voudrois que mon expérience pût être utile à ma patrie. Exoriare aliquis. (O)

COLLEGE, (Jurisprud.) les colléges destinés pour l'éducation de la jeunesse, ne sont considérés que comme des corps laïcs, quoique de fait ils soient mixtes, c'est-à-dire composés d'ecclésiastiques & de laïques.

Les places de principal ni les bourses des colléges ne sont point des bénéfices ; elles ne sont point sujettes à la régale. Voyez Chopin, de sacr. polit. lib. I. tit. v. n. 9. & suiv.

En quelques endroits, les évêques ont un droit d'inspection plus ou moins étendu sur les colléges, ce qui leur a sans-doute été ainsi accordé pour la conservation de la religion & des bonnes moeurs, mais cela dépend des titres d'établissement des colléges & de la possession de l'évêque.

Le réglement du châtelet, du 30 Mars 1636, pour la police de Paris, fait défense à tous écoliers de porter épées, pistolets, ou autres armes offensives, & enjoint aux principaux & procureurs des colléges où ils sont logés, de tenir leurs colléges fermés dès cinq heures du soir en hyver & neuf heures en été ; de faire toutes les semaines la visite dans toutes les chambres de leurs colléges pour reconnoître ceux qui y seront logés, sans qu'ils puissent y retirer ni loger autres personnes que des écoliers étudians actuellement dans l'université, ou des prêtres de bonnes moeurs & de leur connoissance, dont ils répondront, & seront tenus des délits qui se trouveront par eux commis.

Dans les colléges où il n'y a pas plein exercice, on loue ordinairement à des particuliers, soit laïcs ou ecclésiastiques, le surplus des logemens qui ne sont pas nécessaires pour les boursiers.

Mais dans aucun collége, soit de plein exercice ou autre, il ne doit point loger ni entrer de femmes ni filles.

L'arrêt du conseil du 5 Novembre 1666, qui conserve aux officiers du châtelet la police générale à l'exclusion de tous autres juges, les autorise à se transporter dans toutes les maisons, colléges, &c. & dit qu'ouverture leur en sera faite nonobstant tous prétendus priviléges. Voyez le traité de la pol. tom. I. pp. 138, 146, 154, & 161. (A)

COLLEGE DE GRESHAM ou COLLEGE DE PHILOSOPHIE, est un collége fondé par le chevalier Thomas Gresham, avec des revenus assignés sur la bourse royale. La moitié de ces revenus ont été laissés par le fondateur aux maires & aux échevins de Londres, aux conditions de choisir quatre personnes capables de faire des leçons de Théologie, de Géométrie, d'Astronomie & de Musique dans ce collége, & de leur donner à chacun, outre le logement, cinquante livres par an. L'autre moitié fut laissée par le même fondateur au corps des Merciers de Londres, pour choisir trois personnes capables d'enseigner le Droit, la Médecine & la Rhétorique sur le même pié & sous ces conditions : que chaque professeur donneroit tous les jours, excepté le Dimanche, deux leçons, l'une en latin qui se feroit le matin, & l'autre en anglois l'après-dînée. La Musique seule ne devoit être expliquée qu'en anglois.

C'est dans ce collége que la Société royale tint ses assemblées dans les premiers tems de son institution sous Charles II. Voyez SOCIETE ROYALE.


COLLÉGIALES. f. (Jurisp.) ou église collégiale, est une église desservie par des chanoines séculiers ou réguliers, dans laquelle il n'y a point de siége épiscopal, à la différence des églises cathédrales qui sont aussi desservies par des chanoines, lesquelles tirent leur nom du siége épiscopal ou chaire de l'évêque.

Pour former une église collégiale, il faut du-moins trois prêtres chanoines. Can. hoc quoque, tit. de consecr. dist. 1.

Une église qui est en patronage, soit laïc ou ecclésiastique, ne peut être érigée en collégiale sans le consentement du patron, parce que ce seroit préjudicier à ses droits, attendu que ceux qui composent le chapitre ont ordinairement le pouvoir d'élire leurs chefs & leurs membres, & que d'ailleurs ce seroit changer l'état & la discipline de cette église. Si le patron consentoit purement & simplement à ce que l'église fût érigée en collégiale, & qu'il ne se réservât pas expressément le droit de présenter, il en seroit déchû à l'avenir ; il conserveroit néanmoins toûjours les autres droits honorifiques, même le droit d'obtenir des alimens sur les revenus de l'église par lui fondée, au cas qu'il tombât dans l'indigence. Castel, mat. bénéf. tom. I. pp. 7. 58 & 59.

Entre les collégiales, plusieurs sont de fondation royale, comme les saintes-chapelles ; les autres de fondation ecclésiastique, d'autres encore ont été fondées par des laïcs.

Il y a eu autrefois des abbayes qui ont été sécularisées, & qui forment présentement de simples collégiales.

Quelques églises collégiales joüissent de certains droits épiscopaux, par exemple, dans les quatre collégiales de Lyon tous les chanoines, & même tous les chapelains, lorsqu'ils officient, portent la mitre. (A)


COLLÉGIATSS. m. pl. (Jurisprud.) que l'on ne doit pas confondre avec les collégiaux, dont il sera parlé ci-après, est le nom que l'on donne en quelques endroits à ceux qui possedent une place dans un collége ; par exemple, il y a à Toulouse le collége de saint Martial, composé de vingt-quatre collégiats ; savoir, quatre prêtres & vingt écoliers étudians en droit, ou d'autres laïques : ces places ne sont pas des bénéfices, non pas même les quatre places presbytérales, quoiqu'elles ayent annexum officium spirituale. Voyez Albert en ses arrêts, lett. R. chap. xxxviij. & la Rocheflavin, livre I. tit. 34. arrêt 2. (A)


COLLÉGIAUXS. m. pl. (Jurisprud.) est le titre que l'on donne dans certaines églises à ceux des chapelains qui forment un collége entr'eux, y ayant quelquefois dans la même église d'autres chapelains qui ne forment point de collége, & que l'on appelle non-collégiaux. Voyez COLLEGE. (A)


COLLÉGIENc'est le nom d'une certaine secte ou parti, qui s'est formé des Arminiens & des Anabaptistes dans la Hollande. Ils ont été ainsi appellés parce qu'ils s'assemblent en particulier tous les premiers Dimanches de chaque mois, & que chacun a la liberté dans ces assemblées de parler, d'expliquer l'écriture, de prier & de chanter.

Tous ces collégiens sont sociniens ou ariens. Ils ne communient jamais dans leur collége ; mais ils s'assemblent deux fois l'an de toute la Hollande à Rinsbourgh, qui est un village environ à deux lieues de Leyde, où ils font la communion. Ils n'ont point de ministres particuliers pour la donner ; mais celui qui se met le premier à la table, la donne, & l'on y reçoit indifféremment tout le monde, sans examiner de quelle secte on est.

Ils ne donnent le baptême qu'en plongeant tout le corps dans l'eau. Dictionnaires de Trévoux, Morery, & Chambers. (G)


COLLERv. act. c'est unir des corps par l'interposition de la colle. Voyez l'article COLLE.

COLLER est synonyme à apprêter. Voyez APPRET.

Coller le vin, c'est l'éclaircir ; cette opération se fait en Mars & en Avril, huit jours ou environ avant que de mettre en bouteilles. Pour cet effet prenez de la colle de poisson la plus blanche, à peu-près soixante-trois grains par piece ; faites-la dissoudre dans de l'eau ou dans du vin, ou dans de l'esprit-de-vin, ou dans de l'eau-de-vie ; maniez-la afin de la bien diviser ; passez ce qu'il y en aura de délayé ; remaniez & passez ; quand elle sera toute délayée, filtrez-la encore à-travers un linge ; prenez autant de pintes de cette solution que vous aurez de tonneaux à coller ; jettez-la dans cette quantité dans le tonneau ; remuez le vin avec un bâton pendant trois ou quatre minutes après l'y avoir jettée, & votre vin sera éclairci au bout de trois jours au plûtard. Il y en a qui font tremper la colle de poisson dans de l'eau, la fondent sur le feu, & en forment une boullette qu'ils jettent dans le tonneau.

La colle agit plus ou moins promtement, selon qu'il fait plus ou moins froid ; si elle manque son effet, on en ajoûte une demi-dose.

COLLER au jeu de billard, c'est faire toucher la bille à la bande, de façon qu'on ne puisse pas la joüer aisément. Voyez BILLARD.


COLLERAGES. m. (Jurispr.) étoit un droit que l'on payoit anciennement pour mettre le vin en coule, c'est-à-dire en perce. Il est parlé du droit de tirage & collerage dû pour le vin, au livre de l'échevinage de Paris., ch. jv. (A)


COLLETS. m. ce terme a un grand nombre d'acceptions différentes prises, pour la plûpart, de la partie de notre corps qu'on appelle le col, de sa forme, de sa position, &c. Ainsi on appelle,

COLLET, en Architecture, la partie la plus étroite, par laquelle une marche tournante tient au noyau d'un escalier. (P)

COLLET, (Artill. & Fond.) la partie du canon comprise entre l'astragale & le bourrelet. Voyez l'article CANON.

COLLET, en Botanique, la liaison, ou la couronne, ou l'endroit de l'arbre où finit la racine, & où commence la tige.

Il se dit aussi de l'endroit le plus élevé de la tige d'une fleur.

COLLET, (Bottier) la partie de la botte qui correspond au talon.

COLLET de veau, (Boucherie) morceau qui contient le quarré, le bout saigneux & la poitrine.

COLLET, chez les Chandeliers & les Ciriers, la partie de coton qui paroît à l'extrémité des flambeaux, des bougies, des chandelles, &c.

COLLET, (Charr.) se dit de la partie antérieure d'un tombereau, qui s'éleve au-dessus des gisans. Voyez les dict. de Commerce & de Trévoux.

COLLET, en termes de Chasse, un petit filet de corde ou de fil-de-laiton, tendu dans des haies ou passages étroits, avec un noeud coulant, dans lequel les lievres, les lapins, & autre gibier, se prennent & s'étranglent quand ils y passent.

Ou un filet composé de trois crins de cheval en noeud coulant, que l'on tend dans les haies aux passées, ou dans la campagne, dans lequel les oiseaux en passant se prennent par le cou ou par les pattes.

Ou un noeud coulant de grosse corde ou de gros fil-de-fer, qu'on tend sur la passée d'un cerf, d'un loup, d'un sanglier, ou tel autre animal. Le bout destiné à serrer ce noeud coulant, est attaché à l'extrémité d'un arbrisseau vigoureux : cet arbrisseau est courbé de force, de maniere que son extrémité est ramenée dans une encoche faite au corps d'un autre arbrisseau voisin, où elle tient si legerement, que l'animal ne peut passer sans l'en faire échapper, en heurtant quelque corps qui correspond à l'encoche & à l'extrémité de l'arbrisseau courbé, & dont le déplacement rend sa liberté à l'arbrisseau, qui en se restituant avec violence, serre le noeud coulant sur l'animal. Voyez dans nos Planches de Chasse, cette espece de piége.

COLLET ou COLLETIN de bufle, (Manege) est une peau de bufle préparée, formant une espece de juste-au-corps sans manches : c'est un vêtement pour les cavaliers, qui leur sert d'ornement & de défense. Dict. de Trév.

COLLET D'ETAI, (Marine) c'est ainsi qu'on appelle un tour que fait l'étai sur le ton du mât. Le collet d'étai se place au-dessus de tous les haubans, & il passe entre les deux barres de hune d'avant. (Z)

COLLET, en termes d'Orfevre en grosserie, c'est une petite partie ronde & concave, qui est au dessus & au-dessous du noeud d'une éguierre, ou telle autre piece d'orfévrerie.

COLLET, en termes d'Orfevre, c'est un cercle creux en forme de collet, qui orne un chandelier ou telle autre piece, soit dans son bassinet, soit dans sa monture & dans son pié. Voyez BASSINET, MONTURE, E PIE.

COLLET, (Serrurier) l'endroit d'une penture, le plus voisin du rempli où le gond est reçu.

Ce terme a encore dans le même art d'autres acceptions ; il se donne dans certaines occasions à des morceaux de fer en viroles ou anneaux, destinés à embrasser d'autres pieces, & à les fortifier.

COLLETS ou TIRANS, (Manufact. en soie) Voyez l'article PETITE-TIRE.

COLLETS, (Tailleur) dans un habillement, tel qu'un manteau, une redingote, un surtout, une chemise, &c. c'est la partie la plus haute, celle qui embrasse le cou : cette partie est plus ou moins large, selon la nature de l'habillement.

COLLETS, (Tourneur) on appelle ainsi les deux pieces de cuivre ou d'étain, entre lesquelles les tourillons d'un axe tournent. Voyez TOUR A LUNETTE.

COLLET de hotte, (Vannier) c'est la partie supérieure du dos, qui couvre le cou & la tête de celui qui la porte.

COLLETS, (Verrerie) c'est ainsi qu'on appelle les portions de verre qui restent attachées aux cannes, après qu'on a travaillé.


COLLETAGES. m. (Jurispr.) étoit un nom que l'on donnoit anciennement aux tailles, aides, & subsides que l'on leve sur le peuple. Voyez Monstrelet, vol. I. chap. lxxviij. (A)


COLLETEadj. en terme de Blason, se dit des animaux qui ont un collier.

Thierri, d'azur, à trois têtes de lévrier d'argent, colletées de gueules.


COLLETER(Chandelier) Colleter les chandelles, c'est à la derniere fois qu'on les plonge, les descendre dans le suif jusqu'à ce qu'il soit parvenu à l'endroit de la boucle que la meche forme à l'extrémité de la chandelle, & laisser prendre le suif sur une partie de cette boucle, pour qu'elle reste ouverte, & qu'étant ensuifée, elle prenne facilement la premiere fois qu'on l'allumera ; ce qui ne réussit pas ordinairement, la flamme du coton seul ne suffisant pas pour fondre le suif. Voyez CHANDELLE.


COLLETEURS. m. (Chasse) celui qui s'entend à tendre les collets. Voyez COLLET.


COLLÉTIQUESadj. en Médecine, ce sont des remedes qui réunissent ou qui collent ensemble les parties séparées, ou les levres d'une plaie, ou d'un ulcere, & qui les rétablissent par ce moyen dans leur union naturelle. Voyez AGGLUTINANT, PLAIE, &c. Ce mot vient du grec, , ce qui a la vertu de coller ensemble ; de , colle.

Les collétiques sont plus dessiccatifs que les sarcotiques, & moins que les épulotiques. On met au nombre des collétiques la litharge, l'aloès, la myrrhe, &c. Ce mot est très-peu d'usage. Chambers.


COLLEURS. m. on donnoit autrefois ce nom aux Cartonniers. Voyez l'article CARTON. Il est encore d'usage dans quelques atteliers. Les différentes manoeuvres sont distribuées à différens ouvriers, & où l'action de coller est une de ces manoeuvres. Ainsi dans la fabrique du papier il y a les colleurs. Il en est de même de plusieurs autres.

COLLEUR, (Manuf. d'ourdissage) c'est ainsi qu'on appelle celui qui donne l'apprêt aux chaînes, quand elles en ont besoin.


COLLIERS. m. ornement que les femmes portent au cou, qui consiste en un ou plusieurs rangs de perles ou pierres précieuses percées & enfilées. Ce sont les Lapidaires & les Joailliers qui vendent les colliers de perles, & autres perles fines ; & les Patenôtriers qui font & vendent ceux de pierres fausses.

Outre les colliers de pierres fines, les dames en portent aussi de perles fausses, qui pour leur éclat & leur eau, imitent parfaitement les perles fines. Voyez PERLES FAUSSES. Voyez la fig. 7. Planc. II. de l'Emailleur en perles fausses.

L'usage des colliers chez les Grecs & chez les Romains, est de la premiere antiquité : on en mettoit au coup des déesses ; les femmes en portoient en ornement ; on en offroit aux dieux ; c'étoit une récompense militaire, il y en avoit d'or, d'argent, de pierreries, les peuples de la Grande-Bretagne en portoient d'ivoire ; on en mettoit aux esclaves avec une inscription, pour qu'on les arrêtât s'ils s'enfuyoient.

Nos marchandes de mode donnent le nom de collier, à un autre ornement de cou, composé quelquefois d'un seul ruban, ou d'un tissu de crin garni de ruban, de blonde, de souci d'hanneton, &c. Tout collier, comme les autres pieces d'une parure, doit lui être assorti par la façon & par la matiere. Les colliers ont des noms dépendans de leurs formes, & le moindre changement dans la forme suffit pour changer le nom. Ainsi il y a le

Collier à la dauphine ; c'est un tour de cou noüé par-derriere avec un ruban, garni par-devant d'un noeud de ruban à quatre, d'un demi-cercle attaché sous le menton, & de deux pendans, dont deux bouts s'attachent autour, à côté de ceux du demi-cercle, & les deux autres tombent dans la gorge en se croisant au-dessous de ce demi-cercle. Ces colliers sont de blonde, de ruban, de guirlande, &c.

Le collier en esclavage ; il est composé d'un tour de cou & de deux ronds par-devant, l'un au-dessus de l'autre, qui tombent & couvrent la gorge en partie : au milieu de ces ronds sur le tour du cou, est un noeud à quatre.

Le collier d'homme, est un ruban noir & sans façon ni pli, noüé quelquefois d'un noeud à quatre sous le menton, quelquefois d'un noeud simple, les pendans retombant & se cachant dans la chemise : ce qu'on nomme alors collier à béquille.

Le collier d'homme aux amours, est un ruban noir noüé par-derriere aux deux coins de la bourse, orné d'une rose simple, dont les deux bouts découpés sont froncés à un doigt de leur extrémité, & forment une feuille de la rose simple.

Le collier d'un seul rang, est un tour de cou à l'usage des dames, composé de ruban bouillonné, & en chou, & orné sur le devant d'un noeud à quatre. Voilà un échantillon de la folie de nos modes.

COLLIER, (Hist. mod.) cet ornement, dans le sens que nous lui donnons ici, ne sert que pour les ordres militaires, auxquels on l'accorde comme une marque de distinction & de l'honneur qu'ils ont d'être admis dans leur ordre. C'est souvent une chaîne d'or émaillée avec plusieurs chiffres, au bout de laquelle pend une croix ou une autre marque de leur ordre.

Le collier de l'ordre de la jarretiere consiste en plusieurs S S entremêlées de roses émaillées de rouge, sur une jarretiere bleue, au bout de laquelle pend un S. Georges. Voyez JARRETIERE.

Le collier du saint-Esprit est composé de trophées d'armes espacées de fleurs-de-lys d'or cantonnées de flammes & de la lettre H couronnée, parce que c'est la lettre initiale du nom de Henri III. instituteur de cet ordre ; & au bas une croix à huit pointes, sur laquelle est une colombe ou saint-Esprit. Voyez ORDRE DU SAINT-ESPRIT.

Le collier de l'ordre de S. Michel est formé par des coquilles d'or, liées d'aiguillettes de soie à bouts ferrés d'or. Le roi François I. changea ces aiguillettes en cordelieres ou chaînettes d'or : au bas de ce collier est représenté l'archange S. Michel.

Maximilien a été le premier empereur qui ait mis un collier d'ordre autour de ses armes, étant devenu chef de celui de la toison : usage que pratiquent maintenant ceux qui sont décorés de quelqu'ordre de chevalerie, à l'exception des prélats commandeurs dans l'ordre du S. Esprit, qui ne mettent autour de leurs armes qu'un cordon ou ruban bleu d'où pend la croix de l'ordre, & n'arborent pas la marque de l'ordre de S. Michel ; aussi ne prennent-ils pas le titre de commandeurs des ordres du Roi, au lieu que les chevaliers se qualifient du titre de chevaliers des ordres du Roi.

Ordre du collier. Chevaliers du collier ou de S. Marc, ou de la médaille ; ordre de chevalerie dans la république de Venise. Mais ces chevaliers n'ont point d'habit particulier ; & comme c'est le doge & le sénat qui le conferent, ils portent seulement par distinction la chaîne que le doge leur a donnée : elle leur pend au cou, & se trouve terminée par une médaille où est représenté le lion volant de la république, qu'ils ont tiré du symbole de l'évangéliste S. Marc, qu'ils ont pris pour patron. (G) (a)

COLLIER D'ETAI, (Mar.) c'est un bout de grosse corde semblable à l'étai. L'usage du collier d'étai est d'embrasser le haut de l'étrave, & d'aller se joindre au grand étai, où il est tenu par une ride. (Z)

COLLIERS DE DEFENSE, (Marine) ce sont plusieurs cordes tortillées en rond comme un collier qu'on a à l'avant, & sur le côté des chaloupes, ou autres petits bâtimens, pour leur servir de défense & les garantir du choc contre les autres bâtimens. Voyez Planche XVI. Marine, fig. 3. lett. r, & fig. 4. lett. n, o, r. (Z)

COLLIER DU TON, (Marine) collier de chouquet, c'est un lien de fer fait en demi-cercle, qui conjointement avec le ton & le chouquet, sert à tenir les mâts de perroquet & de hune : quelquefois ce lien est fait d'une piece de bois ; alors on lui donne d'épaisseur de haut em-bas, les trois cinquiemes de l'épaisseur du chouquet. (Z)

COLLIER de boeuf, (Bouc.) morceau qui contient le premier & le second travers avec la joüe.

COLLIER de cheval, (Bourrel. & Sell.) harnois de bois couvert de cuir & rembourré, qu'on met au cou des chevaux de tirage, afin que les cordes des traits qui s'y attachent, ne les blessent point. Voyez la fig. 1. du Bourrelier.

COLLIER A LA REINE, terme de Bourserie ; c'est un collier de fer couvert de velours, qui embrasse le cou des enfans. Il est garni d'une branche de fer & couverte, qui descend sous le menton, & vient se fixer sur le bord de leur corps : ce collier leur tient la tête droite.

COLLIER, (Pêche) c'est ainsi qu'on appelle sur les rivieres, la corde qui part du bout du filet appellé verveux, & qu'on attache à l'extrémité d'un pieu qui, enfoncé dans la vase, tient cette partie du verveux au fond de la riviere. Ainsi pour placer un verveux on a deux pieux, l'un pour la tête, l'autre pour la queue. Voyez VERVEUX. On supplée quelquefois au pieu de la queue & au collier par le poids d'une pierre.

COLLIER de limier ou BOTTE, (Venerie) c'est l'attache de cuir qu'on lui passe au cou, quand on le mene au bois.


COLLIERESS. f. (Commerce de bois) ce sont des chantiers qui servent de fondement aux trains ; ils ont à leur extrémité des coches, dans lesquelles on passe les couplieres. Voyez COUPLIERES & TRAINS.


COLLINou COLLATINA, s. m. (Mytholog.) déesse qui présidoit aux montagnes & aux vallées ; c'est de son culte qu'on fait venir le verbe colere.


COLLINES. f. (Hist. anc.) une des quatre parties de Rome. Elle étoit ainsi appellée, parce que des sept collines renfermées dans cette ville, il y en avoit cinq dans cette partie ; savoir la viminale, la quirinale, la salutaire, la mutiale & la latiale. Il y avoit aussi la tribu colline. La porte située au pié de la quirinale, s'appelloit la porte colline ou la porte du sel ; parce que les Sabins qui apportoient le sel à Rome, entroient par cette porte : c'étoit-là qu'on enterroit les vestales.

La colline des jardins fut une petite montagne, renfermée dans Rome par Aurélien. Ceux qui aspiroient aux charges se montroient-là à la vûe du peuple, avant que de descendre dans le champ de Mars.


COLLIQUATIFadj. (Médecine) se dit des maladies, des poisons de toute espece, dont l'effet dans le corps humain est de faire perdre aux humeurs leur consistance naturelle, en y produisant une grande dissolution, une décomposition de leurs parties intégrantes ; d'où résulte une sorte d'altération appellée colliquation.

Ainsi on dit d'une fievre dont l'effet est de jetter en fonte les humeurs, qu'elle est colliquative : ainsi le venin du serpent des Indes appellé haemorrous : dont l'effet est le même, peut être dit colliquatif : de même les substances alkalines, le mercure, &c. pris intérieurement, au point de produire la dissolution du sang, doivent être regardés comme des poisons colliquatifs.

On applique aussi ce terme aux symptomes de maladies, produits par la colliquation : ainsi on dit de la diarrhée, de la sueur, &c. qu'elles sont colliquatives, lorsqu'elles sont des évacuations d'humeurs qui se font par une suite de la dissolution générale de leur masse. Voyez COLLIQUATION.


COLLIQUATIONS. f. , colliquatio, (Médecine) ce terme est employé pour signifier l'espece d'intempérie des humeurs animales, qui consiste dans une grande dissolution & une décomposition presque totale de leurs parties intégrantes ; ensorte que la masse qu'elles composent, paroît avoir entierement perdu la consistance & la tenacité qui lui est nécessaire, pour être retenue dans le corps, & n'être mise en mouvement que conformément aux lois de l'oeconomie de la vie saine.

La colliquation est différente, selon la différente nature du vice dominant des humeurs qui tombent en fonte : ainsi on appelle colliquation acide, celle dans laquelle il se fait un mélange informe de quelques grumeaux de sang, avec une lymphe devenue aqueuse & acescente : on nomme colliquation alkalescente putride, celle qui est le produit de certaines fievres malignes ; colliquation âcre, muriatique, celle qui s'observe dans l'hydropisie, le scorbut ; colliquation âcre, huileuse, bilieuse, celle qui résulte des fievres ardentes, &c.

Les causes diverses de la colliquation des humeurs sont, 1°. le mouvement animal excessif, les exercices violens, qui ne sont pas immédiatement suivis de sueurs : 2°. l'effet trop long-tems continué des remedes apéritifs, fondans ; tels que les martiaux, les mercuriels : 3°. les poisons qui ont une qualité puissamment dissolvante ; tels que la morsure du serpent des Indes appellé haemorrous, le virus scorbutique, la putréfaction produite par le sphacele, & par certaines maladies malignes, pestilentielles. Sauvage, pathologia methodica.

La colliquation des humeurs produit les effets suivans. Si les forces de la vie sont encore assez considérables, elle rend très-abondante & excessive l'excrétion de la transpiration de la sueur, des urines, & de tous les excrémens liquides ; d'où suivent la foiblesse, la soif, la sécheresse de tout le corps, la maigreur, le marasme : si les forces de la vie sont considérablement diminuées dans le tems que se fait la fonte des humeurs, toutes ces évacuations ne peuvent pas avoir lieu ; la matiere reste dans le corps, il s'en forme des amas, des extravasations, des hydropisies de toutes les especes. Ainsi la colliquation peut être suivie de cachexie seche & de cachexie humide.

La consomption si commune parmi les Anglois, dit M. Vanswieten, est l'effet d'une véritable colliquation causée par la nature de l'air & des alimens dont ils usent, & par le tempérament ; d'où résultent des humeurs trop fluides, dissoutes, susceptibles de sortir aisément de leurs conduits ; des organes rendus délicats, foibles, qui, s'ils ne s'affermissent pas par l'exercice, se fondent entierement en sueurs nocturnes sur-tout, ou se résolvent en salivation & en crachats. Ces malades ne peuvent pas être guéris, que leur sang ne soit condensé ; ce qui ne peut être fait que par le mouvement du corps, c'est-à-dire par l'exercice reglé ; sans ce moyen, l'usage du lait, la diete blanche incrassante, ne produisent aucun bon effet : mais c'est le comble de l'erreur que d'employer dans ce cas des remedes dissolvans.

Lorsqu'il se filtre une grande quantité de bile qui est portée & se mêle dans le sang, ou qu'elle y reflue du foie, comme dans la jaunisse, si la maladie dure long-tems, il en résulte une dissolution totale, une vraie colliquation des humeurs par l'effet de ce récrément, qui en est le dissolvant naturel & nécessaire, en tant qu'il s'oppose seulement à leur cohésion par sa qualité pénétrante ; mais qui divise & dissout leurs molécules, les dispose à la putréfaction, comme un poison, dès qu'il est trop abondant ou qu'il devient trop actif : l'ictere est presque toûjours suivi de l'hydropisie.

Dans le scorbut putride, le sang est aussi tellement dissous par l'effet de l'acrimonie muriatique dominante, qu'il ne peut pas être retenu dans les vaisseaux qui lui sont propres ; ensorte qu'il s'extravase aisément, passe dans d'autres vaisseaux d'un genre différent, produit des taches, des échymoses, ou des hémorrhagies considérables.

Le sang de ceux qui étoient infectés de la peste qui regnoit dans la ville de Breda, pendant qu'elle étoit assiégée, paroissoit livide, étoit de mauvaise odeur, & n'avoit point de consistance. Vandermye, de morbis bredanis. La dissolution du sang étoit aussi très-marquée dans la peste de Marseille, par les évacuations fréquentes & abondantes qui se faisoient de ce fluide, par toutes les voies naturelles, & par l'ouverture des bubons, &c. que l'on avoit peine à arrêter. Recueil des mémoires sur cette peste, imprimé en 1744 ; à la tête duquel est un savant discours de M. Senac, premier médecin du Roi.

Voyez sur la colliquation, ses différentes especes, leurs signes diagnostics & prognostics, & leurs caracteres ; le nouveau traité des fievres continues de M. Quesnay, premier médecin ordinaire du Roi en survivance. Voyez HUMEUR, SANG, BILE, FIEVRE hectique, colliquative, maligne, PESTE, DIARRHEE, SUEUR, DIABETES, CONSOMPTION, HYDROPISIE, &c. Ces deux articles sont de M. D'AUMONT.


COLLISIONen Méchanique, est la même chose que choc. Voyez CHOC.


COLLITIGANSadj. pris subst. (Jurisprud.) sont ceux qui plaident l'un contre l'autre. On dit communément que inter duos litigantes tertius gaudet, c'est-à-dire que souvent un tiers survient & les met d'accord, en obtenant l'héritage ou bénéfice que les deux autres se contestoient réciproquement. (A)


COLLO(Géog. mod.) ville & port d'Afrique, sur les côtes de Barbarie, au royaume de Tunis.


COLLOCATIONS. f. (Jurisprud.) est le rang que l'on donne aux créanciers dans l'ordre du prix d'un bien vendu par decret. Pour être colloqué dans un ordre, il faut rapporter la grosse de l'obligation ; si l'on ne rapporte qu'une seconde grosse, on n'est colloqué que du jour de cette grosse : l'usage est néanmoins contraire au parlement de Normandie. Voyez GROSSE.

En Artois, où il n'y a point d'ordre proprement dit, les collocations se font dans le cahier de distribution.

On colloque au premier rang les créanciers privilégiés, chacun suivant l'ordre de leur privilége ; ensuite les hypothécaires, chacun selon l'ordre de leur hypotheque ; & enfin les chirographaires, & ces derniers viennent par contribution entr'eux au sou la livre, lorsque le fonds n'est pas suffisant pour les payer.

On distingue les collocations utiles ou en ordre utile, de celles qui ne le sont pas : les premieres sont celles qui procurent au créancier colloqué son payement ; les autres sont celles sur lesquelles le fonds manque.

On distingue aussi la collocation en ordre, de celle qui se fait seulement en sousordre : la premiere se fait au profit du créancier de la partie saisie ; la seconde se fait au profit d'un créancier de celui qui est opposant dans l'ordre. Les collocations en sousordre se font entr'elles dans le même rang que celles de l'ordre. Voyez ORDRE & SOUSORDRE, OPPOSANS.

Quelquefois par le terme de collocation, on entend le montant des sommes que le créancier colloqué a droit de toucher, suivant le rang de sa collocation.

Quand l'ordre est fait, les créanciers premiers colloqués, dont les collocations ne sont pas contestées, peuvent demander à en toucher le montant, sans prendre aucune part aux contestations d'entre les autres opposans.

Mais aucun créancier, quoique utilement colloqué & pour sommes non contestées, ne peut demander à toucher les deniers de sa collocation, qu'il n'ait affirmé devant le juge que la somme pour laquelle il a été colloqué, tant en principal, intérêts que fraix, lui est bien & légitimement dûe, qu'il n'en a rien touché, & qu'il ne prête son nom directement ni indirectement, à celui dont le bien a été vendu par decret.

Il y a plusieurs cas où l'on ne peut toucher le montant des collocations, sans avoir donné caution : savoir 1°. lorsque c'est dans l'ordre du prix d'un office fait avant le sceau des provisions ; déclaration du 27 Juillet 1703 : 2°. lorsque le juge ordonne le payement de la collocation par provision : 3° lorsque l'ordre est fait par une sentence qui n'est exécutoire qu'en donnant caution.

Suivant l'usage commun, il faut que l'ordre soit achevé avant que les créanciers, utilement colloqués, puissent se faire payer de leurs collocations : cependant en quelques endroits, comme en Normandie, les créanciers peuvent se faire payer à mesure qu'ils sont colloqués. Voyez le traité de la vente des immeubles par decret, de M. d'Hericourt, p. 196. 247. 282. & 283. (A)

COLLOCATION, (Jurisprud.) est aussi une voie de poursuite usitée en Provence au lieu des saisies-réelles & decrets que l'on n'y pratique point. Les créanciers qui veulent se faire payer sur les biens de leurs débiteurs, viennent par collocation sur ces biens, c'est-à-dire qu'on leur en adjuge pour la valeur des sommes qui leur sont dûes sur le pié de l'estimation faite par des officiers qu'on appelle estimateurs. Cet usage a été confirmé pour la Provence par Louis XIII. lequel a ordonné l'exécution du statut de cette province, qui défend de procéder par decret sur les biens qui y sont situés, quand même on procéderoit en vertu de jugemens & arrêts émanés des tribunaux de quelque autre province où les decrets sont en usage. La déclaration du 20 Mars 1706, porte aussi que les exécutions sur les biens immeubles de Provence ne pourront être faites que par la voie ordinaire de la collocation. Voy. le traité de la vente des immeubles par decret, de M. d'Hericourt, ch. j. n. 10. (A)


COLLURIONvoyez PIE-GRIECHE.


COLLUSIONS. f. (Jurisprud.) est une intelligence secrette qui regne entre deux parties au préjudice d'un tiers ; cette intelligence est une véritable fraude qui n'est jamais permise, & que l'on ne manque jamais de réprimer lorsqu'elle est prouvée. Ainsi dans un acte, soit authentique ou privé, il y a collusion lorsque les parties font quelque vente ou autre convention simulée. Dans les actes judiciaires il y a collusion, lorsque deux parties qui feignent d'être opposées, passent des jugemens de concert ; ce qui est prohibé sur-tout en matiere criminelle à cause de l'intérêt public, qui demande que les délits ne demeurent point impunis. Il y a au code un titre, de collusione detegendâ, qui est le tit. xx. du liv. VII. (A)


COLLUTHIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui parurent dans l'Eglise au quatrieme siecle ; ils furent ainsi appellés de Colluthus prêtre d'Alexandrie, qui scandalisé de la condescendance que saint Alexandre patriarche de cette ville eut dans les commencemens pour Arius qu'il espéroit ramener par la douceur, fit schisme, tint des assemblées séparées, & osa même ordonner des prêtres, sous prétexte que ce pouvoir lui étoit nécessaire pour s'opposer avec succès aux progrès de l'Arianisme : il ne s'en tint pas là, & l'irrégularité passa bien-tôt de sa conduite dans ses sentimens ; il prétendit que Dieu n'avoit point créé les méchans, & qu'il n'étoit point l'auteur des maux qui nous affligent. Osius le fit condamner dans un concile qu'il convoqua à Alexandrie en 319.


COLLYRES. m. terme de Médecine, remede externe destiné particulierement pour les maladies des yeux. Voyez OEIL.

Il y en a de liquides & de secs. Les collyres liquides, , sont composés d'eaux & de poudres ophthalmiques, comme les eaux de rose, de plantain, de fenouil, d'eufraise, dans lesquelles on dissout ou on mêle de la tuthie préparée, du vitriol blanc, ou telle autre poudre convenable. Voy. OPHTHALMIQUE.

Les secs, , sont les trochisques de rhasis, le sucre candi, l'iris, la tuthie préparée, &c. qu'on souffle dans l'oeil avec un petit chalumeau.

On donne le même nom à des onguens employés pour le même effet, comme l'onguent de tuthie, & plusieurs autres.

On le donne aussi, mais improprement, à quelques remedes liquides dont on se sert pour les ulceres vénériens. Dictionn. de Trév. & Chambers.

Tel est le collyre de Lanfranc, dont voici la composition. du vin blanc, une livre ; eaux de plantain, de rose, de chaque trois onces ; orpiment, deux gros ; verd-de-gris, un gros ; myrrhe, aloës, de chaque deux scrupules : faites du tout un collyre selon l'art. (b)


COLLYRIDIENSsub. m. pl. (Hist. eccl.) anciens hérétiques qui portoient à la Vierge un hommage outré & superstitieux ; saint Epiphane qui en fait mention, dit que des femmes d'Arabie entêtées du Collyridianisme s'assembloient un jour de l'année pour rendre à la Vierge leur culte impertinent, qui consistoit principalement dans l'offrande d'un gâteau, qu'elles mangeoient ensuite en son nom. Le nom collyridien vient du mot grec collyre, petit pain ou gâteau.


COLMAR(Géog. mod.) ville considérable de France dans la haute Alsace, dont elle est capitale, près de la riviere d'Ill. Long. 25d. 2'. 11". latit. 48d. 4'. 44".


COLMARS(Géog. mod.) petite ville de France en Provence, proche des alpes. Long. 24. 30. latit. 44. 10.


COLMOGOROD(Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans une île formée par la Dwina. Long. 58. 25. lat. 64. 10.


COLNE(Géog. mod.) riviere d'Angleterre dans la province d'Essex, qui passe à Colchester.


COLOBIUM(Hist. anc.) habit senatorial ; c'étoit une espece de tunique dont on ne connoît pas bien la forme, & dont il est assez rarement parlé dans les auteurs.


COLOCASIE(Botan. exot.) plante étrangere, espece d'arum ou de pié-de-veau.

Peu de sciences ont plus de besoin de se prêter un secours mutuel que l'Histoire ancienne & la Botanique, lorsque pour l'intelligence de quantité d'usages ou mystérieux ou oeconomiques que les Egyptiens faisoient des plantes de leur pays, il s'agit de discerner celles qui se trouvent représentées sur les monumens qui nous en restent.

Les antiquaires qui se sont flatés d'y réussir, en consultant Théophraste, Dioscoride & Pline, n'en ont pas pû juger sûrement ; parce qu'aucun de ces naturalistes n'avoit vû ces plantes dans leur lieu natal, & que les descriptions qu'ils nous en ont laissées étant très-courtes, très-imparfaites & sans figures, on n'a pas pû en faire une juste application aux parties détachées des plantes que les fabricateurs de ces monumens ont voulu représenter.

C'est donc au sol de l'Egypte même & au lit du Nil, qu'il faut avoir recours pour en tirer les pieces de comparaison qui leur ont servi de types. C'est sur la vûe de ces plantes, ou rapportées seches de ce pays-là, ou transplantées dans celui-ci, ou très-exactement décrites par ceux de nos meilleurs botanistes, qui les ont dessinées d'après le naturel, comme l'a fait Prosper Alpin, que l'on peut qualifier raisonnablement celles qui ont servi d'attributs aux dieux, & de symbole aux rois & aux villes d'Egypte, des noms qui leur conviennent, suivant les genres auxquels elles ont du rapport.

C'est de cette maniere que s'y sont pris d'habiles gens pour découvrir la colocasie des anciens, & être en état de la ranger sous le genre de plante auquel elle doit appartenir.

Comme sa principale qualité se trouvoit dans sa racine dont on faisoit du pain, & que de cette racine de laquelle les Arabes font encore commerce, il naît une fleur & des feuilles du genre d'arum, on ne doute plus que ce n'en soit une espece, & tous les botanistes modernes depuis Fabius Columna, & l'ouvrage de Prosper Alpin sur les plantes d'Egypte, sont constamment de cet avis. Le nom vulgaire de culcas ou colcas qu'elle semble avoir retenu de l'ancien colocasia, doit encore contribuer à confirmer cette opinion.

Ses feuilles sont aussi larges que celles d'un chou. Sa tige est haute de trois à quatre piés, & grosse comme le pouce. Ses feuilles sont grandes, rondes, nerveuses en-dessous, attachées à des queues longues & grosses, remplies d'un suc aqueux & visqueux. Les fleurs sont grandes, amples comme celles de l'arum, de couleur purpurine, monopétales, de figure irréguliere, en forme d'oreille d'âne. Il s'éleve de chaque calice un pistil qui devient ensuite un fruit presque rond, qui contient quelques graines. La racine est charnue, bonne à manger. Cette plante naît dans l'île de Candie en Egypte, & près d'Alexandrie.

Les antiquaires reconnoîtront donc aujourd'hui la fleur de cette plante sur la tête de quelques Harpocrates, & de quelques figures panthées par sa forme d'oreille d'âne ou de cornet, dans laquelle est placé le fruit ; & il y a toute apparence qu'elle étoit un symbole de fécondité. Voyez les mémoires des Inscriptions, tome II.

Les curieux de nos pays cultivent la colocasie avec beaucoup de peine. Ils la plantent dans des pots pleins de la meilleure terre qu'il est possible d'avoir, & la tiennent toûjours dans des serres sans presque l'exposer à l'air, qui endommage promtement ses feuilles : rarement on la voit produire des fleurs. Sa racine cuite a le goût approchant de celui de la noisette. J'ignore où Bontius a pris qu'elle est d'une qualité vénéneuse, & qu'avant que d'être mangeable, il faut la macérer quelques jours dans l'eau.

Il est certain qu'en Egypte, en Syrie, en Candie, & autres régions orientales, on en mange sans aucune macération, comme on fait des navets en Allemagne. Elle a, étant crue, un peu d'amertume & d'âcreté visqueuse ; mais tout cela s'adoucit entierement par la cuisson.

Du reste cette plante n'a point de vertus médicinales.

Le chou karaïbe des Américains répond presque parfaitement à la colocasie d'Egypte ; car c'est aussi une espece d'arum d'Amérique, dont les racines sont grosses, de couleur de chair par-dehors, jaunes par-dedans, d'une odeur douce ; ses feuilles ressemblent à la grande serpentine. On fait du potage de ses feuilles & de ses racines. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COLOCHINA(Géog. mod.) ville de la Turquie en Europe, dans la Morée, sur un golfe de même nom. Long. 40. 55. lat. 36. 32.


COLOCZA(Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, capitale du comté de Bath sur le Danube. Long. 36. 55. lat. 46. 33.


COLOENAsurnom de Diane, ainsi appellée d'un temple qu'elle avoit dans l'Asie mineure, près de la mer Coloum ; on lui célébroit des fêtes, dans lesquelles on faisoit danser des singes.


COLOENIS(Mythol.) surnom de Diane : elle étoit adorée sous ce nom par les habitans de Myrrhinunte en Attique. On prétend qu'il lui venoit de Coloenus, que quelques-uns prétendent avoir regné à Athenes avant Cecrops.


COLOGNE(Géog. mod.) grande ville d'Allemagne fort commerçante, capitale de l'électorat de même nom. Elle est libre & impériale, située sur le Rhin. Long. 24. 45. lat. 50. 50.

COLOGNE, (Electorat de) pays assez grand d'Allemagne, borné au nord par les duchés de Cleves & de Gueldres, à l'orient par celui de Berg & l'électorat de Treves, au couchant par le duché de Juliers. Le Rhin qui arrose ce pays, le rend très-commerçant. L'électeur de Cologne est archichancelier de l'empereur pour l'Italie ; mais ce n'est qu'un titre qui n'entraîne aucune fonction ; un titre plus réel pour lui, c'est celui de duc de Westphalie.


COLOMAY(Géog. mod.) petite ville de Pologne dans la Russie rouge, sur la Pruth. Long. 44. lat. 48. 45.


COLOMBou COLM, ou COLMKIS, (CONGREGATION DE S.) Hist. ecclés. c'est le nom d'une congrégation de chanoines réguliers qui étoit d'une grande étendue, & composée de cent monasteres répandus dans les îles d'Angleterre. Elle avoit été établie par S. Colomb, Colm, ou Colmkis, irlandois de nation, qui vivoit dans le vj. siecle, & qu'on appelle aussi S. Columban ; mais qu'il ne faut pas confondre avec un autre S. Columban son compatriote & son contemporain, fondateur & premier abbé de Luxeuil en Franche-Comté.

Le principal monastere ou chef de l'ordre dont nous parlons, étoit selon quelques-uns à Armagh, suivant d'autres à Londondery ; d'autres enfin prétendent qu'il étoit dans l'île de Hi ou Lon, qu'on appelle maintenant Ycolmkil, au nord de l'Irlande, à quelque distance de l'Ecosse.

On voit encore une regle en vers, qu'on croit avoir été dictée par saint Colomb à ses chanoines. Voyez REGLE. (G)


COLOMBAYEen Architecture. Voyez PAN DE BOIS & COLOMBE.


COLOMBES. f. Voyez PIGEON. Il y a quelques oiseaux qui portent le nom de colombe, qui sont la colombe de la Chine, la colombe de Portugal, la colombe de Groenland, &c celle-ci est cependant absolument différente des pigeons, car c'est un oiseau aquatique. Voyez l'histoire naturelle des oiseaux, gravée par Albin, & l'ornithologie de Willughby. (I)

* COLOMBE, (Mythol.) c'est l'oiseau de Vénus ; elle le portoit à la main, elle l'attachoit à son char, elle prenoit sa forme. Jupiter fut nourri par des colombes : fable dont l'origine ressemble à celle de beaucoup d'autres ; elle vient de ce qu'en phénicien le mot colombe signifie prêtre ou curete. Les habitans d'Ascalon respectoient cet oiseau au point de n'oser ni le tuer ni le manger. Les Assyriens croyoient que Sémiramis s'étoit envolée au ciel en colombe. Il est fait mention de deux colombes fameuses ; l'une se rendit à Dodone, où elle donna la vertu de rendre des oracles à un chêne de prédilection ; l'autre s'en alla en Lybie, où elle se plaça entre les cornes d'un bélier d'où elle publia ses prophéties. Celle-ci étoit blanche, l'autre étoit d'or. La colombe d'or, qui donnoit le don de prophétie aux arbres, ne le perdit pas pour cela ; elle étoit perchée sur un chêne ; on lui sacrifioit ; on la consultoit, & ses prêtres vivoient dans l'abondance. Ce fut elle qui annonça à Hercule sa fin malheureuse. La colombe étoit le seul oiseau qu'on laissât vivre aux environs du temple de Delphes.

COLOMBE, (Ordre de la) Jean de Castille, premier du nom, l'institua à Ségovie en 1379 ; ou selon d'autres, Henri III. son fils en 1399. Les chevaliers portoient une chaîne d'or avec une colombe émaillée de blanc, les yeux & le bec de gueules : cet ordre dura peu.

COLOMBE, en Architecture, est un vieux mot qui signifioit autrefois toute solive posée debout dans les pans de bois & cloisons ; d'où l'on a fait celui de colombage.

COLOMBE, chez les Layetiers, est un instrument en forme de banc, percé à jour comme le rabot, & garni d'un fer tranchant destiné à dresser le bois. Voyez DRESSER. Voyez fig. 1. Pl. du Layetier.

COLOMBE, outil de Guainier en gros ouvrages.

Cette colombe est faite comme la colombe des Layetiers, & sert aux Guainiers en gros ouvrages pour unir & raboter les bords des planches dont ils font des caisses. Voyez l'article précédent.

COLOMBE, (Tonnelier) espece de grande varlope renversée dont le fer a trois pouces de large, & le bois quatre piés de long ; elle est soûtenue sur trois piés de bois. Les Tonneliers s'en servent pour pratiquer des joints au bois qu'ils employent.

COLOMBE, (Sainte) Géog. mod. petite ville de France dans le Forès, sur le Rhone.


COLOMBIERS. m. (Econom. rustiq.) endroit où l'on tient des pigeons ; c'est un pavillon rond ou quarré garni de boulins. Il faut le placer au milieu ou dans un angle de la basse-cour ; le plancher & le plafond doivent en être bien joints, pour en écarter les rats & autres animaux ; il faut qu'il soit blanc en-devant, parce que les pigeons aiment cette couleur ; que la fenêtre soit à coulisse, pour l'ouvrir & la fermer d'em-bas soir & matin, par le moyen d'une corde & d'une poulie, & qu'elle soit tournée au midi ; les boulins seront ou des pots ou des séparations faites de tuf ou de torchis ; on les fera grands ; le dernier rang d'em-bas sera à quatre piés de terre ou environ ; le dernier d'en-haut à trois piés du faîte ; on pratiquera au-bas de chaque boulin une avance sur laquelle le pigeon puisse se reposer.

COLOMBIERS, (Jurispr.) Les lois romaines n'ont point de disposition au sujet des colombiers, ni pour fixer le nombre des pigeons ; il étoit libre à chacun d'avoir un ou plusieurs colombiers en telle forme qu'il jugeoit à propos, & d'y avoir aussi tel nombre de pigeons que bon lui sembloit. Les lois romaines avoient seulement décidé par rapport aux pigeons, que leur naturel est sauvage, & qu'ils appartiennent à celui qui en est propriétaire tant qu'ils ont conservé l'habitude de revenir à la maison ; que s'ils perdent cette habitude, alors ils appartiennent au premier occupant. Il étoit néanmoins défendu de les tuer lorsqu'ils sont aux champs pour y chercher leur nourriture, ou de les prendre par des embuches, & ceux qui y contrevenoient étoient coupables de vol. ff. 10. tit. 2. l. 8. §. 1.

En France on a poussé beaucoup plus loin l'attention sur les colombiers & sur les pigeons ; c'est pourquoi il faut examiner à quelles personnes il est permis d'avoir des colombiers & en quelle forme ; quelle quantité de pigeons il est permis d'avoir ; si les pigeons renfermés dans un colombier sont meubles ou immeubles ; enfin les peines dont doivent être punis ceux qui prennent ou tuent les pigeons.

Il est défendu d'abord dans toutes les villes d'avoir des pigeons soit privés ou fuyards, & cela pour la salubrité de l'air ; c'est évidemment par ce motif que la coûtume de Melun, art. 340. dit que nul ne peut nourrir pigeons patés & non-patés dedans la ville de Melun. Celle d'Etampes, artic. 192. défend de nourrir dans cette ville des pigeons privés, à peine de cent sous parisis d'amende. Quelques autres coûtumes, comme celle de Nivernois, ch. x. art. 18. défendent de nourrir dans les villes différens animaux qu'elles nomment ; & quoiqu'elles ne parlent pas des pigeons, la prohibition a été étendue à ces animaux. Charles V. par des lettres patentes du 29 Août 1368, défendit expressément à toutes personnes de nourrir des pigeons dans la ville & fauxbourgs de Paris ; & la même défense fut renouvellée par une ordonnance du prevôt de Paris, du 4 Avril 1502, sur le requisitoire des avocats & procureurs du roi, à peine de confiscation & d'amende arbitraire. Traité de la police, tom. I. p. 751.

Dans les campagnes, il est permis à toutes sortes de personnes d'avoir des pigeons privés, pourvû qu'on les tienne enfermés dans une chambre ou volet, & qu'ils n'aillent point aux champs ; car de cette maniere ils ne causent aucun dommage à personne.

A l'égard des pigeons bizets ou fuyards qui vont aux champs, quelques-uns ont prétendu que suivant le droit naturel, qui permet à chacun de faire dans son fonds ce qu'il lui plaît, il étoit libre aussi d'y faire édifier tel colombier que l'on juge à-propos ; que la nourriture des pigeons ne fait point de tort aux biens de la terre, victus columbarum innocuus existimatur, can. sanctus August. 7. canon. non omnis, qu'en tous cas c'est une servitude aussi ancienne que nécessaire pour la campagne ; que le dommage qu'ils peuvent apporter par la nourriture qu'ils prennent aux champs est compensée par l'utilité de leur fiente qui réchauffe les terres.

Il est néanmoins constant que malgré cet avantage, la nourriture que les pigeons prennent aux champs est une charge, sur-tout pour ceux qui n'en ont point, & pour lesquels le bénéfice que l'on tire des pigeons n'est pas réciproque. C'est principalement dans le tems des semences qu'ils font le plus de tort, parce qu'ils enlevent & arrachent même le grain qui commence à pousser.

Aussi voyons-nous que chez les Romains même, où la liberté d'avoir des colombiers n'étoit point restrainte, on sentoit bien que la nourriture des pigeons prise aux champs, pouvoit être à charge au public. Lampride, en la vie d'Alexandre Sévere, dit qu'il mettoit son plaisir à nourrir des pigeons dans son palais, qu'il en avoit jusqu'à vingt mille ; mais de peur qu'ils ne fussent à charge, il les faisoit nourrir à ses dépens : Avia instituerat maxime columbarum quos habuisse dicitur ad viginti millia ; & ne eorum pastus gravaret annonam, servos habuit vectigales qui eos ex ovis, ac pullicinis & pipionibus alerent.

Cette considération est principalement ce qui a fait restraindre parmi nous la liberté des colombiers ; on en a fait aussi un droit seigneurial. Pour savoir donc à quelles personnes il est permis d'en avoir & en quel nombre, & en quelle forme peut être le colombier, volet ou fuie, il faut d'abord distinguer les pays de droit écrit des pays coûtumiers.

Dans les pays de droit écrit, l'on se sert plus communément du terme de pigeonnier, que de celui de colombier ; on se sert aussi du terme de fuie pour exprimer un colombier à pié ; au lieu que dans les pays coûtumiers on n'entend ordinairement par le terme de fuie, qu'un simple volet à pigeons qui ne prend point du rez-de-chaussée.

Sous le terme de colombier à pié on entend communément un édifice isolé, soit rond ou quarré, qui ne sert qu'à contenir des pigeons, & où les pots & boulins destinés à loger les pigeons vont jusqu'au rez-de-chaussée ; car si dans un colombier à pié la partie inférieure du bâtiment est employée à quelque autre usage, le colombier n'est plus réputé colombier à pié ni marque de seigneurie.

Les colombiers ou pigeonniers sur piliers, les simples volets, fuies ou volieres, sont tous colombiers qui ne commencent point depuis le rez-de-chaussée.

La liberté des colombiers est beaucoup moins restrainte en pays de droit écrit, que dans les pays coûtumiers ; ce qui est une suite de la liberté indéfinie que l'on avoit à cet égard chez les Romains : on y a cependant apporté quelques restrictions, & l'usage des différens parlemens de droit écrit n'est pas uniforme à ce sujet.

Salvaing, de l'usage des fiefs, ch. xliij. pose pour principe général, que chacun a droit de bâtir des colombiers dans son fonds sans la permission du haut-justicier, s'il n'y a coûtume ou convention au contraire ; plusieurs autres auteurs, tant des pays de droit écrit que des pays coûtumiers, s'expliquent à-peu-près de même.

Cependant il ne faut pas croire que même en pays de droit écrit, il soit permis à toutes sortes de personnes indistinctement d'avoir des colombiers à pié, cette liberté ne pourroit concerner que les simples volets.

En Dauphiné on distingue entre les nobles & les roturiers : les nobles ont le droit de faire bâtir colombier à pié ou sur piliers, comme bon leur semble, sans la permission du haut-justicier. Les roturiers au contraire, quelque étendue de terres labourables qu'ils ayent, ne peuvent avoir un colombier à pié, ou sur solives, sans le congé du haut-justicier, qui peut les obliger de les démolir ou de détruire les trous & boulins, & de faire noircir la cage pour s'en servir à tout autre usage.

En Provence au contraire, on tient que si le seigneur n'est point fondé en droit ou possession de prohiber à ses habitans de construire des colombiers de toute espece, que dans le pays on appelle colombiers à pié ou à cheval, c'est-à-dire sur piliers ou sur solives, ou garennes closes, les habitans peuvent en faire construire sans son consentement, pourvû que ces colombiers n'ayent ni crénaux ni meurtrieres, qui sont des marques de noblesse. Boniface, tit. 1. liv. III. tit. 3. ch.iij.

On observe la même chose au parlement de Toulouse & pays de Languedoc, suivant la remarque de M. d'Olive, liv. II. ch. ij. de la Rocheflav. des droits seign. ch. xxij. art. 2. & l'explication que fait Graverol sur cet article.

Au parlement de Bordeaux on distingue : chacun peut y bâtir librement des pigeonniers élevés sur quatre piliers ; mais on ne peut, sans le consentement du seigneur, y bâtir des colombiers à pié, que dans ce pays on appelle fuies. Voyez La Peyrere, édit. de 1717. lett. S. n. 9. & la note, ibid.

Tel est aussi l'usage du Lyonnois & autres pays de droit écrit du ressort du parlement de Paris. Salvaing, loco cit.

Ainsi dans ces pays & dans le pays bordelois, la liberté d'avoir un colombier sur piliers, volet ou voliere, ne dépend point de la quantité de terres que l'on a, comme à Paris ; il n'y a que les colombiers à pié qui sont une marque de justice.

On observe aussi la même chose à cet égard, dans la principauté souveraine de Dombes.

Pour ce qui est des pays coûtumiers, plusieurs coûtumes ont des dispositions sur cette matiere ; mais elles ne sont pas uniformes en certains points ; d'autres sont absolument muettes sur cette matiere, & l'on y suit le droit commun du pays coûtumier.

L'usage le plus commun & le plus général, est que l'on distingue trois sortes de personnes qui peuvent avoir des colombiers, mais différens & sous différentes conditions ; savoir les seigneurs hauts-justiciers, les seigneurs féodaux qui n'ont que la seigneurie fonciere, & les particuliers propriétaires de terre en censive.

Dans la coûtume de Paris & dans celle d'Orléans, le seigneur haut-justicier qui a des censives, peut avoir un colombier à pié, quand même il n'auroit aucune terre en domaine ; & la raison qu'en rendent nos auteurs, est qu'il ne seroit pas naturel que l'on contestât le droit de colombier à celui qui a seul droit de les permettre aux autres ; que d'ailleurs le seigneur haut-justicier ayant censives, est toûjours réputé le propriétaire primordial de toutes les terres de ses tenanciers, & qu'il n'est pas à présumer qu'en leur abandonnant la propriété ou seigneurie utile, moyennant une modique redevance, il ait entendu s'interdire la liberté d'avoir un colombier, ni les décharger de l'obligation de souffrir que ses pigeons aillent sur leurs terres. Ces coûtumes ne fixent point la quantité de censives, nécessaire pour attribuer le droit de colombier à pié au seigneur haut-justicier, qui n'a que justice & censive. Paris, art. lxjx. Orléans, clxviij.

Le droit de colombier à pié est regardé comme un droit de haute-justice dans plusieurs coûtumes ; telles que Nivernois, tit. des colomb. Bourgogne, c. xjv. Bar, art. xlvij. Tours, art. xxxvij. & de Châteauneuf, art. clij.

Le seigneur de fief non haut-justicier ayant censive, peut aussi suivant les mêmes coûtumes, avoir un colombier à pié, pourvû qu'outre le fief & ses censives il ait, dans la coûtume de Paris, cinquante arpens de terre en domaine, & dans celle d'Orléans, cent arpens. Paris, lxx. Orléans, clxxviij.

La coûtume de Tours ne donne au seigneur féodal que le droit d'avoir une fuie ou voliere à pigeons. Celle du Boulonnois dit qu'il peut avoir un colombier, sans expliquer si c'est à pié ou autrement.

Celle de Bretagne, art. ccclxxxjx. dit qu'aucun ne peut avoir de colombier, soit à pié ou sur piliers, s'il n'en est en possession de tems immémorial, ou qu'il n'ait trois cent journaux de terre en fief ou domaine noble aux environs du lieu où il veut faire bâtir le colombier.

La coûtume de Blois porte, qu'aucun ne peut avoir de colombier à pié, s'il n'en a le droit ou une ancienne possession.

On ne trouve aucune coûtume qui ait interdit aux seigneurs la liberté de faire bâtir plusieurs colombiers dans une même seigneurie ; & dans l'usage on voit nombre d'exemples de seigneurs qui en ont plusieurs dans le même lieu : il n'y a que la coûtume de Normandie qui semble avoir restraint ce droit par l'article cxxxvij. qui porte qu'en cas de division de fief, le droit de colombier doit demeurer à l'un des héritiers, sans que les autres le puissent avoir, encore que chacune part prenne titre & qualité de fief avec les autres droits appartenant à fief noble par la coûtume : que néanmoins si les paragers ont bâti un colombier en leur portion de fief, & joüi d'icelui par quarante ans paisiblement, ils ne pourront être contraints de le démolir.

Le nombre des pigeons n'est point non plus limité par rapport au seigneur, on présume qu'il n'abuse point de son droit. Les colombiers à pié ont communément deux mille boulins ; mais on en voit de plus considérables. Il y a à Châteauvilain en Champagne un colombier qui est double, c'est-à-dire dans l'intérieur duquel il y a une autre tour garnie des deux côtés de boulins ; & le tout en contient, dit-on, près de 12000.

A l'égard des particuliers qui n'ont ni justice, ni seigneurie, ni censive ; ils ne peuvent avoir que de simples volets. La coûtume de Nivernois dit qu'on en peut bâtir sans congé de justice. Celle d'Orléans permet à celui qui a cent arpens de terre, d'avoir un volet de deux cent boulins ; & Lalande, sur cet article, dit qu'on ne peut avoir qu'une paire de pigeons pour trois boulins. Celle de Calais demande pour un colombier, qu'on ait la permission du roi & cent cinquante mesures de terres en domaine ; mais pour une voliere de cinquante boulins, elle ne demande que cinquante mesures de terres. Torisand, sur la coûtume de Bourgogne, dit que les volets ne peuvent avoir que quatre cent pots ou boulins.

Dans les autres coûtumes qui n'ont point de disposition sur cette matiere, la jurisprudence a établi que ceux qui n'ont aucun fief, peuvent avoir une voliere, pourvû qu'ils ayent au moins cinquante arpens de terre en domaine dans le lieu. Par un arrêt du 2 Septembre 1739, rendu en la quatrieme chambre des enquêtes, trois gentilshommes qui avoient des colombiers à pié, furent condamnés à n'avoir que de simples volieres contenant deux boulins par arpent.

Les curés ne peuvent point avoir de colombier ni de volet, sous prétexte qu'ils ont la dixme dans leur paroisse.

Les particuliers qui ont droit d'avoir un volet, ne sont point tenus communément de renfermer leurs pigeons dans aucun tems de l'année. J'ai cependant vû une ordonnance de M. l'intendant de Champagne, rendue en 1752 à l'occasion de la disette de 1751, qui porte que tous particuliers, autres que les seigneurs & ceux qui ont droit de colombier à pié, tant dans les villes que dans les bourgs & paroisses de la généralité de Châlons, seront tenus de renfermer leurs pigeons chaque année, depuis le 10 Mars jusqu'au 20 Mai, depuis le 24 Juin jusqu'après la récolte des navettes, & depuis le tems de la moisson des seigles jusqu'au 20 Novembre suivant ; il leur est défendu de les laisser sortir pendant ce tems, à peine de cent livres d'amende applicable aux besoins les plus pressans des communautés où ils demeureront. Cela feroit près de sept ou huit mois que l'on seroit obligé de tenir les pigeons renfermés.

Quant à la qualité des pigeons, ceux des colombiers à pié sont réputés immeubles, comme faisant en quelque sorte partie du colombier : mais les pigeons de voliere sont meubles. Voyez le tr. de la police, tom. I. p. 770.

Il est défendu de dérober les pigeons d'autrui, soit en les attirant par des odeurs qu'ils aiment & autres appâts, soit en les prenant avec des filets ou autrement. Coût. d'Etampes, art. cxciij. Bretagne, cccxc. Bordeaux, cxij.

Il n'est pas non plus permis de tirer sur les pigeons d'autrui, ni même sur ses propres terres ; parce que ces animaux ne sont qu'à moitié sauvages, & que sous prétexte de tirer sur ses pigeons, qu'il est fort difficile de reconnoître, on tireroit sur les pigeons d'autrui. Ordonnance d'Henri IV. du mois de Juillet 1607. (A)

COLOMBIERS, (Mar.) ce sont deux longues pieces de bois endentées, qui servent à soûtenir un bâtiment lorsqu'on veut le lancer à l'eau. Ces pieces different des coites en ce que les colombiers suivent à l'eau avec le bâtiment, & que quand il vient à flot, les colombiers qui y sont attachés avec des cordes, flottant aussi, on les retire ; mais les coites demeurent en leur place, & le vaisseau glisse dessus & s'en va seul. Les Hollandois se servent de coites, & les François de colombier. Voyez COITES. (Z)

COLOMBIER, dans la pratique de l'Imprimerie, se dit par allusion ; c'est le trop grand espace qui se trouve entre les mots. Ce défaut répété dans une suite de lignes, produit dans une page d'impression un blanc considérable, qui devient un des défauts essentiels. Les petites formes en gros caracteres, & celles à deux colonnes, sont sujettes à cet incident : mais un ouvrier qui a de la propreté dans son ouvrage, ou n'y tombe pas, ou sait y remédier en remaniant sa composition.


COLOMBINEsorte de couleur violette, appellée aussi gorge de pigeon. Voyez COULEUR & TEINTURE.

COLOMBINE, s. f. (Jardinage) n'est autre chose que du fumier ou de la fiente de pigeon, qui est si remplie de parties volatiles, si fort en mouvement, que si on ne les laissoit modérer à l'air on couroit risque, en les répandant trop promtement, d'altérer les grains semés, & de détruire les premiers principes.

Ce fumier est peu propre aux terres labourables ; il convient aux prés trop usés, aux chenevieres & aux potagers, pourvû qu'il soit mêlé avec d'autres engrais, & qu'il soit répandu à claire voie. (K)


COLOMBO(Géog. mod.) ville forte & considérable des Indes, dans l'île de Ceylan, en Asie, avec une citadelle. Elle est aux Hollandois. Longit. 98. latit. 7.


COLOMMIERS(Géog. mod.) ville de France dans la Brie, sur le Morin. Long. 20. 40. lat. 48. 48.


COLONS. m. (Comm.) celui qui habite une colonie, qui y défriche, plante & cultive les terres. Les colons s'appellent encore en France habitans & concessionnaires. Dans les colonies angloises on leur donne le nom de planteurs, pour les distinguer des avanturiers. Voyez AVANTURIERS & PLANTEURS ; voyez COLONIE. Dict. de Comm.

COLON, (Jurispr.) du latin colonus, se dit en quelques provinces pour fermier d'un bien de campagne. Colon partiaire, est celui qui au lieu de fermage en argent, rend au propriétaire une certaine partie des fruits en nature. On l'appelle aussi quelquefois métayer ; mais ce nom ne lui convient que quand la convention est de rendre la moitié des fruits. Quelques-uns ne rendent que le tiers franc, plus ou moins ; ce qui dépend de l'usage du lieu & de la convention. (A)

COLON, (Anatom.) le second & le plus ample des gros boyaux, autrement nommé boyau culier. Quelques-uns dérivent ce mot de , retarder, parce que c'est dans ses replis que s'arrêtent les excrémens : d'autres le tirent de , creux, à cause de la grande cavité de cet intestin ; & c'est de lui, disent-ils, que la colique a pris son nom.

Quoi qu'il en soit, il commence sous le rein droit, à la fin du coecum, dont il n'est réellement que la continuation : il monte devant ce même rein, auquel il s'attache, passe sous la vésicule du fiel, qui lui communique là une teinture jaune, & il continue sa route devant la premiere courbure du duodenum, laquelle il cache en partie, & y est adhérent. Ainsi il y a dans cet endroit une connexion très-digne d'attention, entre le colon, le duodenum, le rein droit, & la vésicule du fiel.

De-là l'arc du colon se porte devant la grande convexité de l'estomac, quelquefois plus bas, après quoi il se tourne en arriere sous la rate, dans l'hypochondre gauche, & descend devant le rein gauche, auquel il est plus ou moins attaché, & sous lequel il s'incline ensuite vers les vertebres, en se terminant au rectum par un double contour, ou deux circonvolutions à contre-sens, qui représentent en quelque façon une S romaine renversée.

Ces derniers contours du colon sont quelquefois multipliés, & s'avancent même dans le côté droit du bassin : il regne le long de ces contours une espece de franges adipeuses, nommées appendices graisseuses du colon.

Toute l'étendue de la convexité du colon est divisée en trois parties longitudinales par trois bandes ligamenteuses, qui ne sont que la continuation de celles du coecum, & qui ont la même structure : il est alternativement enfoncé entre ces trois bandes par des plis transverses, & alternativement élevé en grosses bosses qui forment des loges qu'on appelle cellules du colon. Les tuniques de cet intestin concourent également à la formation de ses duplicatures & de ses cellules.

Ses cellules qui sont nombreuses, servent à retenir quelque tems les excrémens grossiers qui doivent sortir par l'anus ; car il auroit été également incommode & desagréable à l'homme de rendre continuellement les feces intestinales : aussi le colon a-t-il plusieurs contours, outre une ample capacité, afin de contenir davantage ; & à l'exception du coecum, il est le plus large & le plus ample de tous les intestins.

Le colon a aussi plusieurs valvules qui viennent des trois bandes ligamenteuses, lesquelles en retrécissant cet intestin, rendent sa structure épaisse & forte. On observe entr'autres valvules, celle qui se trouve au commencement de cet intestin : elle empêche que ce qui est entré dans les gros boyaux ne retourne dans l'iléum ; ce qui fait encore que les lavemens ne peuvent passer des gros intestins dans les grêles. C'est par rapport à cette valvule que l'iléum est placé à côté du colon ; car s'il eût été continu à ce dernier intestin en ligne droite, cette valvule auroit souffert tout le poids de la matiere qui tendroit à retourner ; au lieu qu'elle passe facilement au-dessus de la valvule, & s'amasse dans le coecum. On peut voir cette valvule après avoir lavé & retourné le boyau culier.

Il paroît par ce qu'on vient de dire, que les matieres fécales doivent s'accumuler dans le colon, y séjourner, se dessécher, & se putréfier de nouveau ; la membrane musculeuse venant ensuite à se contracter, pousse par l'action de ses fibres les excrémens jusque dans le rectum.

Je voudrois que ces détails pussent donner au lecteur quelqu'idée de la conformation du colon, de son cours, de ses ligamens musculeux, de ses cellules, & de ses valvules : mais c'est ce que je ne puis espérer ; il faut voir tout cela sur des cadavres ; même les préparations seches de cette partie en donnent une très-fausse idée. Il faut aussi consulter les tables d'Eustachi, Vésale, Ruysch, Peyer, Morgagni, Winslow.

N'oublions pas de remarquer que le colon a dans quelques sujets des contours différens, & tout-à-fait singuliers. Palfin dit avoir une fois trouvé ce boyau situé au milieu du bas-ventre, au-dessus des autres intestins. On lit dans les mém. d'Edimb. une observation sur le passage de la valvule du colon entierement couché. On lit aussi dans l'hist. de l'académ. des Sciences, ann. 1727, l'observation d'une tumeur considérable causée par le boyau culier rentré en lui-même, en conséquence d'un effort, & ce boyau formoit un long appendice intérieur.

M. Winslow prétend que la situation du colon nous instruit que pour retenir plus long-tems les lavemens, on doit se tenir couché sur le côté droit ; & que pour les rendre promtement, on doit se tenir sur le côté gauche. Art. de M. le Chev(D.J.)

COLON, (Gramm.) Ce mot est purement grec, , membre, & par extension ou métaphore, membre de période : ensuite par une autre extension quelques auteurs étrangers se sont servis de ce mot pour désigner le signe de ponctuation qu'on appelle les deux points. Mais nos Grammairiens françois disent simplement les deux points, & ne se servent de colon que lorsqu'ils citent en même tems le grec. C'est ainsi que Cicéron en a usé : In membra quaedam quae Graeci vocant, dispertiebat orationem. (Cic. Brut. cap. xljv.) Et dans orator. cap. lxij. il dit : Nescio cur, cum Graeci & nominent, nos, non rectè, incisa & membra dicamus. (F)


COLONADES. f. (terme d'Architect.) suite de colonnes disposées circulairement, comme on les voit au bosquet de Proserpine du parc de Versailles, nommé la colonade. Celles qui sont rangées sur une ligne droite s'appellent communément péristyle. Voyez PERISTYLE.

Péristyle est le terme d'art pour les colonades droites ; & colonade est le mot dont on se sert vulgairement pour ces mêmes colonades ; ainsi on employe ce terme en parlant du magnifique péristyle du vieux Louvre, monument de la grandeur de Louis XIV. du génie de Perrault & du zele de Colbert ; ouvrage que le cavalier Bernin admira en arrivant à Paris, & qu'on a masqué d'une maniere barbare par les bâtimens gothiques dont on l'a environné ; jusque-là que plusieurs habitans de Paris ne connoissent pas ce morceau d'architecture, l'un des plus beaux qu'il y ait au monde.

Une colonade palistyle est celle dont le nombre de colonnes est si grand, qu'on ne sauroit toutes les appercevoir d'un même coup-d'oeil : de ce genre est la colonade de la place de S. Pierre de Rome, qui consiste en deux cent quatre-vingt-quatre colonnes de l'ordre dorique, toutes ayant plus de quatre piés & demi de diametre, & de marbre tiburtin. (P)

COLONADES VERTES, (Jardin.) sont des ornemens extrèmement curieux dans les jardins, mais d'une exécution très-difficile : nous n'en voyons presque que dans les jardins de Marly. L'orme mâle & le charme y sont plus propres que tous les autres arbres. (K)


COLONAILLESS. f. (Vannerie) ce sont des brins d'osier ou d'autre bois plus gros que ceux dont le reste de l'ouvrage est travaillé. Ils sont distribués à quelque distance les uns des autres, & fortifient l'ouvrage de la base duquel ils s'élevent paralleles les uns aux autres jusqu'à ses bords supérieurs.


COLONAISONS. f. terme d'Architecture dont plusieurs anciens architectes se sont servis pour signifier une ordonnance de colonnes.


COLONATE(Myth.) surnom de Bacchus, ainsi appellé du temple qu'il avoit à Colone en Lucanie.


COLONELS. m. (Art milit.) officier qui commande en chef un régiment, soit de cavalerie, soit de dragons.

Skinner tire ce nom de colonie, prétendant que les chefs de colonies, appellés coloniales, pouvoient bien avoir donné le nom aux chefs militaires. Voyez COLONIE.

Dans les armées de France & d'Espagne, le nom de colonel est particulierement affecté à l'infanterie & aux dragons, ceux qui commandent la cavalerie étant appellés mestres-de-camp.

Le titre de colonel est donné à celui qui commande un régiment de dragons, parce que les dragons sont réputés du corps de l'infanterie. On le donne aussi à celui qui commande un régiment de cavalerie étrangere. Il est pareillement donné à celui qui est le chef d'un régiment de la milice bourgeoise dans une ville. Il y a à Paris seize de ces sortes de colonels, & un colonel des archers de la ville.

Les colonels d'infanterie n'ont ce titre que depuis la suppression de la charge de colonel général de l'infanterie en 1661. Voyez COLONEL GENERAL DE L'INFANTERIE FRANÇOISE.

Il y a des colonels en pié, des colonels réformés, & des colonels de commission.

Les colonels réformés ont à proportion dans les régimens d'infanterie les mêmes prérogatives, que les mestres-de-camp réformés dans les régimens de cavalerie.

Les colonels en pié ont aussi à proportion la même autorité sur leurs subalternes, que les mestres-de-camp sur les officiers inférieurs dans les régimens de cavalerie : ils ont droit d'interdire les capitaines & les subalternes de leurs régimens quand ils manquent au service.

Lorsque dans une place fermée ou dans une garnison il se rencontre un colonel, c'est lui qui y commande, s'il n'y a pas de gouverneur ou de lieutenant de roi, ou quelqu'autre officier qui ait commission de commandant de la place.

Dans un arrangement de bataille le poste de colonel est à la tête du régiment trois pas avant les capitaines ; mais dans le moment de combattre, il ne doit déborder que d'un pas environ le premier rang, pour voir plus aisément la disposition du régiment à droite & à gauche. Les armes du colonel sont l'épée, l'esponton, & les pistolets, & tout au plus, s'il veut suivre les ordonnances, la calotte de fer dans le chapeau, & la cuirasse. Voyez MESTRE-DE-CAMP.

COLONEL GENERAL DE L'INFANTERIE FRANÇOISE, étoit autrefois le premier officier de l'infanterie. Cette charge fut érigée en charge de la couronne par le roi Henri III. en faveur du duc d'Epernon.

Ce prince attribua au colonel général le pouvoir de nommer généralement à toutes les charges qui vaqueroient dans l'infanterie françoise, sans excepter même celle de mestre-de-camp du régiment des gardes. Il lui donna aussi une justice particuliere pour juger de la vie & de l'honneur des gens de guerre, sans être obligé d'y appeller d'autres officiers que les siens. Il augmenta les appointemens de sa charge, & il y attacha de plus une grosse pension. Il tiroit outre cela six deniers pour livre sur tous les payemens du régiment des gardes, ce qui montoit à une grosse somme. Les honneurs qu'on lui rendoit étoient extraordinaires : la garde étoit montée devant son logis par deux compagnies avec le drapeau, & le tambour battoit toutes les fois qu'il entroit ou sortoit. Toutes les prérogatives attribuées à cette place, qui rendoient cet officier trop puissant, & maître, pour ainsi dire, de toute l'infanterie, donnerent lieu à la suppression de cette charge. Cette suppression arriva à la mort du second duc d'Epernon, en 1661. Feu M. le duc d'Orléans régent du royaume la fit rétablir en faveur de M. le duc d'Orléans son fils, en 1721 ; mais ce prince ayant prié sa Majesté d'accepter sa démission de cet office, il fut de nouveau supprimé par l'ordonnance du 8 Décembre 1730, & sa Majesté a ordonné que les mestres-de-camp de ses régimens d'infanterie françoise & étrangere porteroient à l'avenir le titre de colonels.

Il y a en France trois colonels généraux, qui sont celui des Suisses & Grisons, celui de la cavalerie, & celui des dragons : mais outre que ces corps ne sont pas aussi considérables que celui de l'infanterie, ces colonels n'ont pas le même pouvoir sur leur corps que celui de l'infanterie en avoit sur l'infanterie. C'est le Roi qui nomme à toutes les charges ; les officiers sont seulement obligés de prendre l'attache du colonel général. Dans les corps où il y a un colonel général, les commandans des régimens portent le titre de mestres-de-camp. V. MESTRE-DE-CAMP. (Q)

COLONEL-LIEUTENANT, c'est en France, dans les régimens des princes, l'officier qui a le régiment pour le commander en leur absence. (Q)


COLONIA(Jurispr.) dans le for ou coûtume de Béarn, rubrique de penas, art. 2. signifie dommages & intérêts. (A)


COLONIES. f. (Hist. anc. mod. & Comm.) on entend par ce mot le transport d'un peuple, ou d'une partie d'un peuple, d'un pays à un autre.

Ces migrations ont été fréquentes sur la terre, mais elles ont eu souvent des causes & des effets différens : c'est pour les distinguer que nous les rangerons dans six classes que nous allons caractériser.

I. Environ 350 ans après le déluge, le genre humain ne formoit encore qu'une seule famille : à la mort de Noé, ses descendans, déjà trop multipliés pour habiter ensemble, se séparerent. La postérité de chacun des fils de ce patriarche, Japhet, Sem, & Cham, partagée en différentes tribus, partit des plaines de Sennaar pour chercher de nouvelles habitations, & chaque tribu devint une nation particuliere ; ainsi se peuplerent de proche en proche les diverses contrées de la terre, à mesure que l'une ne pouvoit plus nourrir ses habitans.

Telle est la premiere espece de colonies : le besoin l'occasionna ; son effet particulier fut la subdivision des tribus ou des nations.

II. Lors même que les hommes furent répandus sur toute la surface de la terre, chaque contrée n'étoit point assez occupée pour que de nouveaux habitans ne pussent la partager avec les anciens.

A mesure que les terres s'éloignoient du centre commun d'où toutes les nations étoient parties, chaque famille séparée erroit au gré de son caprice, sans avoir d'habitation fixe : mais dans les pays où il étoit resté un plus grand nombre d'hommes, le sentiment naturel qui les porte à s'unir, & la connoissance de leurs besoins réciproques, y avoient formé des sociétés. L'ambition, la violence, la guerre, & même la multiplicité, obligerent dans la suite des membres de ces sociétés de chercher de nouvelles demeures.

C'est ainsi qu'Inachus, phénicien d'origine, vint fonder en Grece le royaume d'Argos, dont sa postérité fut depuis dépouillée par Danaüs, autre avanturier sorti de l'Egypte. Cadmus n'osant reparoître devant Agenor son pere roi de Tyr, aborda sur les confins de la Phocide, & y jetta les fondemens de la ville de Thebes. Cécrops à la tête d'une colonie égyptienne bâtit cette ville, qui depuis sous le nom d'Athenes devint le temple des Arts & des Sciences. L'Afrique vit sans inquiétude s'élever les murs de Carthage, qui la rendit bientôt tributaire. L'Italie reçut les Troyens échappés à la ruine de leur patrie.

Ces nouveaux habitans apporterent leurs lois & la connoissance de leurs arts dans les régions où le hasard les conduisit ; mais ils ne formerent que de petites sociétés, qui presque toutes s'érigerent en républiques.

La multiplicité des citoyens dans un territoire borné ou peu fertile, allarmoit la liberté : la politique y remédia par l'établissement des colonies. La perte même de la liberté, les révolutions, les factions, engageoient quelquefois une partie du peuple à quitter sa patrie pour former une nouvelle société plus conforme à son génie.

Telle est entr'autres l'origine de la plûpart des colonies des Grecs en Asie, en Sicile, en Italie, dans les Gaules. Les vûes de conquête & d'aggrandissement n'entrerent point dans leur plan : quoiqu'assez ordinairement chaque colonie conservât les lois, la religion, & le langage de la métropole, elle étoit libre, & ne dépendoit de ses fondateurs que par les liens de la reconnoissance, ou par le besoin d'une défense commune : on les a même vûes dans quelques occasions, assez rares il est vrai, armées l'une contre l'autre.

Cette seconde espece de colonies eut divers motifs ; mais l'effet qui la caractérise, ce fut de multiplier les sociétés indépendantes parmi les nations, d'augmenter la communication entr'elles, & de les polir.

III. Dès que la terre eut assez d'habitans pour qu'il leur devînt nécessaire d'avoir des propriétés distinctes, cette propriété occasionna les différends entre eux. Ces différends jugés par les lois entre les membres d'une société, ne pouvoient l'être de même entre les sociétés indépendantes ; la force en décida : la foiblesse du vaincu fut le titre d'une seconde usurpation, & le gage du succès ; l'esprit de conquête s'empara des hommes.

Le vainqueur, pour assûrer ses frontieres, dispersoit les vaincus dans les terres de son obéissance, & distribuoit les leurs à ses propres sujets ; ou bien il se contentoit d'y bâtir & d'y fortifier des villes nouvelles, qu'il peuploit de ses soldats & des citoyens de son état.

Telle est la troisieme espece de colonies, dont presque toutes les histoires anciennes nous fournissent des exemples, sur-tout celles des grands états. C'est par ces colonies qu'Alexandre contint une multitude de peuples vaincus si rapidement. Les Romains, dès l'enfance de leur république, s'en servirent pour l'accroître ; & dans le tems de leur vaste domination, ce furent les barrieres qui la défendirent longtems contre les Parthes & les peuples du Nord. Cette espece de colonie étoit une suite de la conquête, & elle en fit la sûreté.

IV. Les excursions des Gaulois en Italie, des Goths & des Vandales dans toute l'Europe & en Afrique, des Tartares dans la Chine, forment une quatrieme espece de colonies. Ces peuples chassés de leur pays par d'autres peuples plus puissans, ou par la misere, ou attirés par la connoissance d'un climat plus doux & d'une campagne plus fertile, conquirent pour partager les terres avec les vaincus, & n'y faire qu'une nation avec eux : bien différens en cela des autres conquérans qui sembloient ne chercher que d'autres ennemis, comme les Scythes en Asie ; ou à étendre leurs frontieres, comme les fondateurs des quatre grands empires.

L'effet de ces colonies de barbares fut d'effaroucher les Arts, & de répandre l'ignorance dans les contrées où elles s'établirent : en même tems elles y augmenterent la population, & fonderent de puissantes monarchies.

V. La cinquieme espece de colonies est de celles qu'a fondées l'esprit de commerce, & qui enrichissent la métropole.

Tyr, Carthage, & Marseille, les seules villes de l'antiquité qui ayent fondé leur puissance sur le commerce, sont aussi les seules qui ayent suivi ce plan dans quelques-unes de leurs colonies. Utique bâtie par les Tyriens près de 200 ans avant la fuite d'Elissa, plus connue sous le nom de Didon, ne prétendit jamais à aucun empire sur les terres de l'Afrique : elle servoit de retraite aux vaisseaux des Tyriens, ainsi que les colonies établies à Malthe & le long des côtes fréquentées par les Phéniciens. Cadix, l'une de leurs plus anciennes & de leurs plus fameuses colonies, ne prétendit jamais qu'au commerce de l'Espagne, sans entreprendre de lui donner des lois. La fondation de Lilybée en Sicile ne donna aux Tyriens aucune idée de conquête sur cette île.

Le commerce ne fut point l'objet de l'établissement de Carthage, mais elle chercha à s'aggrandir par le commerce. C'est pour l'étendre ou le conserver exclusivement, qu'elle fut guerriere, & qu'on la vît disputer à Rome la Sicile, la Sardaigne, l'Espagne, l'Italie, & même ses remparts. Ses colonies le long des côtes de l'Afrique, sur l'une & l'autre mer jusqu'à Cerné, augmentoient plus ses richesses que la force de son empire.

Marseille, colonie des Phocéens chassés de leur pays & ensuite de l'île de Corse par les Tyriens, ne s'occupa dans un territoire stérile que de sa pêche, de son commerce, & de son indépendance. Ses colonies en Espagne & sur les côtes méridionales des Gaules, n'avoient point d'autres motifs.

Ces sortes d'établissemens étoient doublement nécessaires aux peuples qui s'adonnoient au commerce. Leur navigation dépourvûe du secours de la boussole, étoit timide ; ils n'osoient se hasarder trop loin des côtes, & la longueur nécessaire des voyages exigeoit des retraites sûres & abondantes pour les navigateurs. La plûpart des peuples avec lesquels ils trafiquoient, ou ne se rassembloient point dans des villes, ou uniquement occupés de leurs besoins, ne mettoient aucune valeur au superflu. Il étoit indispensable d'établir des entrepôts qui fissent le commerce intérieur, & où les vaisseaux pussent en arrivant faire leurs échanges.

La forme de ces colonies répondoit assez à celles des nations commerçantes de l'Europe en Afrique & dans l'Inde, elles y ont des comptoirs & des forteresses, pour la commodité & la sûreté de leur commerce. Ces colonies dérogeroient à leur institution, si elles devenoient conquérantes, à moins que l'état ne se chargeât de leur dépense ; il faut qu'elles soient sous la dépendance d'une compagnie riche & exclusive, en état de former & de suivre des projets politiques. Dans l'Inde on ne regarde comme marchands que les Anglois, parmi les grandes nations de l'Europe qui y commercent ; sans-doute, parce qu'ils y sont les moins puissans en possessions.

IV. La découverte de l'Amérique vers la fin du quinzieme siecle, a multiplié les colonies européennes, & nous en présente une sixieme espece.

Toutes celles de ce continent ont eu le commerce & la culture tout-à-la-fois pour objet de leur établissement, ou s'y sont tournées : dès-lors il étoit nécessaire de conquérir les terres, & d'en chasser les anciens habitans, pour y en transporter de nouveaux.

Ces colonies n'étant établies que pour l'utilité de la métropole, il s'ensuit :

1°. Qu'elles doivent être sous sa dépendance immédiate, & par conséquent sous sa protection.

2°. Que le commerce doit en être exclusif aux fondateurs.

Une pareille colonie remplit mieux son objet, à mesure qu'elle augmente le produit des terres de la métropole, qu'elle fait subsister un plus grand nombre de ses hommes, & qu'elle contribue au gain de son commerce avec les autres nations. Ces trois avantages peuvent ne pas se rencontrer ensemble dans des circonstances particulieres ; mais l'un des trois au moins doit compenser les autres dans un certain degré. Si la compensation n'est pas entiere, ou si la colonie ne procure aucun des trois avantages, on peut décider qu'elle est ruineuse pour le pays de la domination, & qu'elle l'énerve.

Ainsi le profit du commerce & de la culture de nos colonies est précisément, 1° le plus grand produit que leur consommation occasionne au propriétaire de nos terres, les fraix de culture déduits ; 2° ce que reçoivent nos artistes & nos matelots qui travaillent pour elles, & à leur occasion ; 3° tout ce qu'elles suppléent de nos besoins ; 4° tout le superflu qu'elles nous donnent à exporter.

De ce calcul, on peut tirer plusieurs conséquences :

La premiere est que les colonies ne seroient plus utiles, si elles pouvoient se passer de la métropole : ainsi c'est une loi prise dans la nature de la chose, que l'on doit restraindre les arts & la culture dans une colonie, à tels & tels objets, suivant les convenances du pays de la domination.

La seconde conséquence est que si la colonie entretient un commerce avec les étrangers, ou que si l'on y consomme les marchandises étrangeres, le montant de ce commerce & de ces marchandises est un vol fait à la métropole ; vol trop commun, mais punissable par les lois, & par lequel la force réelle & relative d'un état est diminuée de tout ce que gagnent les étrangers.

Ce n'est donc point attenter à la liberté de ce commerce, que de le restraindre dans ce cas : toute police qui le tolere par son indifférence, ou qui laisse à certains ports la facilité de contrevenir au premier principe de l'institution des colonies, est une police destructive du commerce, ou de la richesse d'une nation.

La troisieme conséquence est qu'une colonie sera d'autant plus utile, qu'elle sera plus peuplée, & que ses terres seront plus cultivées.

Pour y parvenir sûrement, il faut que le premier établissement se fasse aux dépens de l'état qui la fonde ; que le partage des successions y soit égal entre les enfans, afin d'y fixer un plus grand nombre d'habitans par la subdivision des fortunes ; que la concurrence du commerce y soit parfaitement établie, parce que l'ambition des négocians fournira aux habitans plus d'avances pour leurs cultures, que ne le feroient des compagnies exclusives, & dès-lors maîtresses tant du prix des marchandises, que du terme des payemens. Il faut encore que le sort des habitans soit très-doux, en compensation de leurs travaux & de leur fidélité : c'est pourquoi les nations habiles ne retirent tout au plus de leur colonies, que la dépense des forteresses & des garnisons ; quelquefois même elles se contentent du bénéfice général du commerce.

Les dépenses d'un état avec ses colonies, ne se bornent pas aux premiers faits de leur établissement. Ces sortes d'entreprises exigent de la constance, de l'opiniâtreté même, à moins que l'ambition de la nation n'y supplée par des efforts extraordinaires ; mais la constance a des effets plus sûrs & des principes plus solides : ainsi jusqu'à ce que la force du commerce ait donné aux colonies une espece de consistance, elles ont besoin d'encouragement continuel, suivant la nature de leur position & de leur terrein ; si on les néglige, outre la perte des premieres avances & du tems, on les expose à devenir la proie des peuples plus ambitieux ou plus actifs.

Ce seroit cependant aller contre l'objet même des colonies, que de les établir en dépeuplant le pays de la domination. Les nations intelligentes n'y envoyent que peu-à-peu le superflu de leurs hommes, ou ceux qui y sont à charge à la société : ainsi le point d'une premiere population est la quantité d'habitans nécessaires pour défendre le canton établi contre les ennemis qui pourroient l'attaquer ; les peuplades suivantes servent à l'aggrandissement du commerce ; l'excès de la population seroit la quantité d'hommes inutiles qui s'y trouveroient, ou la quantité qui manqueroit au pays de la domination. Il peut donc arriver des circonstances où il seroit utile d'empêcher les citoyens de la métropole de sortir à leur gré pour habiter les colonies en général, ou telle colonie en particulier.

Les colonies de l'Amérique ayant établi une nouvelle forme de dépendance & de commerce, il a été nécessaire d'y faire des lois nouvelles. Les législateurs habiles ont eu pour objet principal de favoriser l'établissement & la culture : mais lorsque l'un & l'autre sont parvenus à une certaine perfection, il peut arriver que ces lois deviennent contraires à l'objet de l'institution, qui est le commerce ; dans ce cas elles sont même injustes, puisque c'est le commerce qui par son activité en a donné à toutes les colonies un peu florissantes. Il paroîtroit donc convenable de les changer ou de les modifier, à mesure qu'elles s'éloignent de leur esprit. Si la culture a été favorisée plus que le commerce, ç'a été en faveur même du commerce ; dès que les raisons de préférence cessent, l'équilibre doit être rétabli.

Lorsqu'un état a plusieurs colonies qui peuvent communiquer entr'elles, le véritable secret d'augmenter les forces & les richesses de chacune, c'est d'établir entr'elles une correspondance & une navigation suivies. Ce commerce particulier a la force & les avantages du commerce intérieur d'un état, pourvû que les denrées des colonies ne soient jamais de nature à entrer en concurrence avec celles de la métropole. Il en accroît réellement la richesse, puisque l'aisance des colonies lui revient toûjours en bénéfice, par les consommations qu'elle occasionne : par cette même raison, le commerce actif qu'elles font avec les colonies étrangeres, des denrées pour leur propre consommation, est avantageux, s'il est contenu dans ses bornes légitimes.

Le commerce dans les colonies & avec elles, est assujetti aux maximes générales, qui par-tout le rendent florissant : cependant des circonstances particulieres peuvent exiger que l'on y déroge dans l'administration : tout doit changer avec les tems ; & c'est dans le parti que l'on tire de ces changemens forcés, que consiste la suprème habileté.

Nous avons vû qu'en général la liberté doit être restrainte en faveur de la métropole. Un autre principe toûjours constant, c'est que tout exclusif, tout ce qui prive le négociant & l'habitant du bénéfice, de la concurrence, les péages, les servitudes, ont des effets plus pernicieux dans une colonie, qu'en aucun autre endroit ; le commerce y est si resserré, que l'impression y en est plus fréquente ; le découragement y est suivi d'un abandon total : quand même ces effets ne seroient pas instantanés, il est certain que le mal n'en seroit que plus dangereux.

Ce qui contribue à diminuer la quantité de la denrée ou à la renchérir, diminue nécessairement le bénéfice de la métropole, & fournit aux autres peuples une occasion favorable de gagner la supériorité, ou d'entrer en concurrence.

Nous n'entrerons point ici dans le détail des diverses colonies européennes à l'Amérique, en Afrique, & dans les Indes orientales, afin de ne pas rendre cet article trop long : d'ailleurs la place naturelle de ces matieres est au commerce de chaque état. Voyez les mots FRANCE, LONDRES, HOLLANDE, ESPAGNE, PORTUGAL, DANEMARCK.

On peut consulter sur les colonies anciennes la Genese, chap. x. Hérodote, Thucydide, Diodore de Sicile, Strabon, Justin, la géographie sacrée de Sam. Bochart, l'histoire du commerce & de la navigation des anciens, la dissertation de M. de Bougainville sur les devoirs réciproques des métropoles & des colonies greques : à l'égard des nouvelles colonies, M. Melon dans son essai politique sur le commerce, & l'esprit des lois, ont fort bien traité la partie politique : sur le détail, on peut consulter les voyages du P. Labat, celui de don Antonio de Ulloa, de M. Fraizier, & le livre intitulé commerce de la Hollande. Cet article est de M. V. D. F.


COLONNAIRES. m. (Hist. anc.) columnarium, impôt mis sur les colonnes dont on ornoit les maisons : on dit que ce fut Jules César qui l'imagina, afin d'arrêter le luxe de l'architecture, qui se remarquoit d'une maniere exorbitante dans les bâtimens des citoyens.


COLONNES. f. terme d'Architecture, du latin columna, qui a été fait, selon Vitruve, de columen, soûtien ; l'on entend sous ce nom une espece de cylindre, qui differe du pilier en ce que la colonne diminue à son extrémité supérieure en forme de cone tronqué, & que le pilier est élevé parallelement.

Sous le nom de colonne l'on comprend les trois parties qui la composent : savoir sa base, son fust, & son chapiteau. Nous nous appliquerons ici particulierement à son fust, après avoir dit en général qu'il est cinq especes de colonnes, savoir la toscane, la dorique, l'ionique, la corinthienne, & la composite, sans en compter une infinité d'autres qui tirent leurs noms de la diversité de leur matiere, de leur construction, de leur forme, de leur disposition, de leur usage, &c. Voyez CHAPITEAU, voyez aussi BASE, renvoyé dans l'errata à la tête du III. volume.

Le fust des colonnes differe par leur diametre ; la colonne toscane en ayant sept de hauteur, la dorique huit, l'ionique neuf, la corinthienne & la composite dix. Voyez ORDRE. Les anciens & les modernes s'y sont pris différemment pour la diminution du fust des colonnes : les premiers les ont fait diminuer depuis la base jusqu'au sommet ; ensuite ils les ont seulement conservées paralleles dans leur tiers inférieur, ne les diminuant que dans les deux tiers supérieurs : la plus grande partie des modernes, tels que Philibert, Delorme, Mansart, & Perraut, les ont diminuées haut & bas, c'est-à-dire ont porté leur véritable diametre à l'extrémité supérieure du tiers inférieur, & les ont diminuées vers les deux extrémités. Cette derniere maniere, quoique assez généralement approuvée par nos Architectes françois, n'est cependant pas toûjours bonne à imiter ; car il résulte de cette maniere que le foible porte le fort, ce qui est contre toute regle de vraisemblance & de solidité ; ce qui devroit faire préférer les colonnes paralleles dans leur tiers inférieur, & les diminuer seulement depuis ce tiers jusqu'à leur sommet. Les Architectes ont aussi différé sur la quantité de diminution qu'ils devoient donner au diametre supérieur des colonnes ; Vitruve a prétendu que plus les colonnes avoient d'élévation, & moins elles devoient avoir de diminution ; parce qu'étant plus éloignées de l'oeil du spectateur, alors par l'effet de l'optique, elles diminuoient d'elles-mêmes. Ce précepte sans-doute est judicieux ; mais il n'en faut pas moins prévoir si ces colonnes sont ou colossales, ou isolées, ou flanquées, ou adossées, ou accouplées ; car, selon ces différentes situations, il convient d'augmenter ou de diminuer le fust supérieur des colonnes ; ce qui exige une expérience fort au-dessus, à cet égard, de la théorie : pour cette raison nous dirons en général, que les Architectes qui ont écrit depuis Vitruve sont assez d'accord, que les colonnes au sommet de leur diametre supérieur, ayent un sixieme de moins qu'à leur diametre inférieur, & cela indistinctement pour les cinq ordres de colonnes dont nous venons de parler ; quoique Vignole, par une contradiction qui n'est pas concevable, ait établi une moindre diminution à la colonne toscane qu'aux autres, qui ont néanmoins un caractere plus leger & plus élégant.

Il faut observer que la diminution des colonnes ne se détermine pas par deux lignes droites, mais par des courbes nommées conchoïdes (voyez CONCHOÏDES) qui donnent beaucoup de graces à leur fust en empêchant de former des jarrets qui deviendroient inévitables, si leur diminution étoit déterminée par des lignes droites : on use de ce même moyen pour les colonnes renflées, c'est-à-dire pour celles qui sont diminuées haut & bas, & dont nous avons déja parlé.

Les fusts des colonnes sont susceptibles de diverses richesses, selon qu'ils appartiennent aux différens ordres. Nous allons en parler en particulier.

Le fust toscan est le plus ordinairement tenu lice, comme ceux du Palais-Royal, de l'orangerie de Versailles, &c. cependant on revêt quelquefois son fust de bossages continus, comme ceux du Luxembourg, ou alternatifs, comme ceux du château neuf de Saint-Germain-en-Laye : ces bossages sont quelquefois vermiculés ou ornés de congelation, tels qu'il s'en remarque de cette derniere espece à la grotte du jardin du Luxembourg. L'on voit à Paris au guichet du Louvre du côté de la riviere, un ordre toscan revêtu de bossages enrichis de fort beaux ornemens ; mais dont le travail délicat & recherché n'a aucune analogie avec la rusticité de l'ordre.

Le fust dorique se tient encore assez ordinairement lice : quelquefois l'on le revêt de bossages alternatifs, comme au Luxembourg ; mais plus communément on l'orne de cannelures (voyez CANNELURES) séparées par des listeaux, comme il s'en voit au portail S. Gervais, dont le tiers inférieur est tenu lice pour plus de simplicité. Vignole a proposé des cannelures à l'ordre dorique sans listeau ; mais ces cannelures sont non-seulement trop fragiles, mais aussi elles sont peu propres à exprimer la virilité, qui est le véritable caractere de l'ordre dorique, ainsi que nous l'avons observé ailleurs.

Le fust ionique est presque toûjours orné de cannelures ; mais comme son diametre est plus élégant que le dorique, au lieu du vingt on en distribue vingt-quatre autour de sa circonférence, & l'on ajoûte aux listeaux qui les séparent, des filets ou d'autres moulures pour les enrichir, ainsi qu'on l'a observé aux colonnes ioniques des galeries du château des Tuileries, du côté des jardins, à celle des colonnes du vestibule du château de Maisons, &c. Ces cannelures regnent ordinairement dans toute la hauteur du fust des colonnes ; mais dans leur tiers inférieur l'on ajoûte des roseaux ou rudentures (voyez RUDENTURES), qui par leurs formes convexes alterent moins la solidité inférieure de la colonne : de ces roseaux sortent le plus souvent des graines, des feuilles, & des fleurons, qui forment un agréable effet ; ainsi qu'on l'a pratiqué aux colonnes des Tuileries, dont les tiges de quelques-unes sont fuselées d'une maniere inimitable. Au reste on doit observer que ce genre de richesse devroit être reservé pour l'ordre corinthien, malgré l'exemple célebre que nous citons ; & malgré celle du vestibule du château de Maisons, qui étant d'ordre dorique, en sont encore moins susceptibles, quoique renfermées dans l'intérieur du bâtiment.

L'on voit des colonnes ioniques au palais des Tuileries, où au lieu de cannelures, on a introduit des bossages à bandelettes, enrichis de membres d'architecture & d'ornemens assez précieux : mais il n'est pas moins vrai que cette sorte d'enrichissement est peu convenable à cet ordre, par la raison que les hommes intelligens, accoûtumés au genre de beauté qui se remarque en général dans le rapport de la hauteur d'une colonne avec son diametre, croyent qu'il est détruit, lorsque par des bossages horisontaux (voyez BOSSAGE) l'oeil ne peut sans obstacle parcourir son fust sans distraction.

Les fusts corinthien & composite sont susceptibles des mêmes ornemens dont nous venons de parler, c'est-à-dire de cannelures que l'on orne plus ou moins de listeaux, de rudentures, &c. Mais nous remarquerons qu'aujourd'hui où il semble qu'on porte en général toute son attention à la décoration intérieure des bâtimens, l'on fait peu d'usage des cannelures dans les dehors, même jusque dans nos édifices sacrés : exemple, les portails de saint Roch, des Petits-Peres, de l'Oratoire, &c. où le fust des colonnes qui y sont employées est sans cannelures, & où l'on a supprimé presque tous les ornemens des entablemens.

Quelquefois l'on fait le fust des colonnes en spirale, qui pour cette raison sont nommées torses (voy. TORSE) ; telles que celles qui se voyent au maître autel de S. Pierre à Rome, celles de l'abbaye S. Germain-des-Prés, des Invalides, & du Val-de-Grace à Paris : ces colonnes sont ornées de feuillages, de rinseaux, de pampres, & autres ornemens arbitraires, allégoriques, ou symboliques.

En général, lorsqu'une colonne surpasse deux ou trois piés de diametre, on la nomme colossale ; telles que celle de Trajan à Rome, d'ordre toscan, qui en a huit, & qui est ornée de bas-reliefs qui représentent les principales actions de cet empereur dans la guerre qu'il eut contre les Daces : ces bas-reliefs ont été expliqués par plusieurs savans, & Louis XIV. les a fait mouler en plâtre pour en avoir des modeles ; preuve incontestable de la beauté de cet ouvrage célebre. Il se voit encore à Rome une colonne colossale, nommée celle d'Antonin, ainsi qu'à Paris celle nommée de Medicis, dans l'emplacement de l'ancien hôtel de Soissons, qui servoit d'observatoire à la reine de ce nom, après l'avoir fait élever près de son palais, dont cette colonne est la seule chose qui ait été conservée. Ces trois colonnes colossales dont nous venons de parler, ne sont couronnées d'aucun entablement, mais seulement élevées sur des piés-d'estaux, leur extrémité supérieure étant couronnée de figure colossale ; à l'exception de celle de l'hôtel de Soissons, où l'on voit les armatures de fer, propres à porter les instrumens astronomiques dont cette reine faisoit usage. (P)

COLONNE, (Hist. anc.) Dans la premiere antiquité les colonnes ont servi de monumens historiques. Josephe, liv. I. des antiq. jud. ch. iij. rapporte que les enfans de Seth érigerent deux colonnes, l'une de pierre & l'autre de brique, sur lesquelles ils graverent les connoissances qu'ils avoient acquises dans l'Astrologie ; & il ajoûte que de son tems on voyoit encore celle de pierre dans la Syrie. Les Hébreux se servoient de colonnes pour borner leurs héritages, & les Perses & les Grecs pour marquer les limites des provinces. On écrivoit sur les colonnes les lois, les coûtumes, les traités de paix, & les alliances. Les Grecs en posoient ordinairement sur les tombeaux, avec des inscriptions ou des figures relatives aux morts qu'ils renfermoient ; & les Latins imiterent cet usage. Ils en érigeoient encore aux vainqueurs, aux empereurs, ornées de bas-reliefs & de sculptures qui représentoient leurs exploits. Telle est la colonne trajane, monument élevé à la gloire de Trajan. On en mettoit encore sur les grands chemins de mille en mille pas, qu'on nommoit par cette raison colonnes milliaires. Les Romains désignoient ces milles par ces deux lettres, M. P. avec un chiffre qui marquoit le nombre des milles ; par exemple, M. P. XXII. millia passuum viginti duo. Et les Gaulois qui comptoient par lieues, exprimoient les distances par la lettre L. avec le nombre des lieues : ainsi dans les colonnes milliaires découvertes en France, L. VII. signifie leugae ou leucae septem, sept lieues. (G)

* COLONNE ANTONINE : elle fut élevée à l'honneur de M. Aurele Antonin. Elle est creuse : on a pratiqué en-dedans un escalier de 206 marches. Elle a 175 piés de hauteur, mesure ancienne, ou 160 mesure romaine d'aujourd'hui : cinquante-six petites fenêtres l'éclairoient. Le tems & le feu l'avoient beaucoup endommagée. On la répara sous Sixte V. Ce pontife fit placer au haut une statue de S. Paul fondue en bronze & dorée, ornement assez barbare : car qu'y a-t-il de plus mauvais goût, pour ne rien dire de pis, que la statue d'un apôtre du Christianisme au haut d'un monument chargé des actions militaires d'une empereur payen ? On y voit la légion fulminante ; un orage épouvantable conserve l'armée romaine prête à périr de soif, & met en fuite l'ennemi. Elle est placée en-deçà & à droite della strada del Corso. On y entre par une porte pratiquée à son pié-d'estal : une plate-forme quarrée portant une grille de fer lui sert de chapiteau. On lit sur les faces de la plate-forme, sur la premiere, Sixtus V. sur la seconde, S. Paulo ; sur la troisieme, apost. sur la quatrieme, pont. A. IIII. Sur l'une des faces du pié-d'estal on a placé l'inscription suivante : Sixtus V. pont. max. columnam hanc ab omni impietate expurgatam, S. Paulo apostolo aerea ejus statua inaurata à summo vertice posit. D. D. an. M. D. LXXXIX. pont. IV. Sur la seconde face : Columnam hanc cochlidem, imp. Antonino dicatam, misere laceravit, ruinosamque primae formae restituit, an. M. D. LXXXIX. pont. IV. Sur la troisieme : M. Aurelius imp. Armenis, Parthis, Germanisque bello maximo devictis, triumphalem hanc columnam rebus gestis insignem, imp. Antonino pio patri dicavit. Et sur la quatrieme : Triumphalis & sacra nunc sum Christi verè Pium discipulumque ferens, qui per crucis praedicationem de Romanis Barbarisque triumphavit. C'est une erreur que d'avoir attribué cette colonne à Antonin le Pieux ; celle-ci a été trouvée dans la suite sous des maisons, d'où Clement XI. la fit tirer. Elle est de marbre tacheté de rouge, & semblable à celui qui vient de Sienne en Egypte : elle a cinquante-cinq piés de hauteur. On lit sur un de ses côtés : Divo Antonino Augusto Pio, Antoninus Augustus, & verus Augustus, filii. On voit ailleurs l'apothéose d'Antonin & une pompe funebre conduite par des gens à pié, à cheval, en chars ; ce furent ses fils qui firent sculpter ces bas-reliefs après la mort de leur pere.

COLONNE BELLIQUE, columna bellica, petite colonne placée devant le temple de Bellone à Rome derriere le cirque Flaminien, où est maintenant le couvent di Tor de specchi. Quand on déclaroit la guerre à des peuples, le consul lançoit de dessus ou contre cette colonne un dard vers la contrée qu'ils habitoient.

Hinc solent hasta belli praenuntia mitti ;

In regem & gentes, cum placet arma capi. Ov.

COLONNE DE CESAR, columna Caesaris : elle étoit de marbre de Numidie ; elle avoit vingt piés de hauteur : on l'avoit élevée in foro Romano, à l'honneur de Jules César. On y lisoit l'inscription parenti patriae. Le peuple l'avoit en telle vénération qu'il y faisoit des sacrifices, qu'il y terminoit ses différends, & qu'il y juroit par César. Dolabella la fit abattre, & Cicéron l'en loue. Il y en a qui prétendent que ce ne fut dans les commencemens qu'un autel, que le peuple & le faux Marius avoient fait construire, qu'Antoine éleva la colonne sur cet autel, & que l'inscription étoit parenti optime merito.

COLONNE DE FEU & COLONNE DE FUMEE, c'est la même qui obscure pendant le jour, lumineuse pendant la nuit, servit de signe au peuple juif pendant sa marche au sortir d'Egypte, & pendant les quarante ans de son séjour dans le desert.

COLONNES DU TABERNACLE, columnae atrii, piliers sur lesquels les rideaux furent tendus autour du tabernacle : les uns disent qu'ils étoient de bronze ; d'autres, de bois : il y en avoit vingt du côté du nord, vingt du côté du midi, dix à l'occident, dix à l'orient, ce qui fait soixante ; à moins qu'en comptant les piliers des angles pour deux, cela ne réduise le nombre à cinquante-six. Ces piliers avoient des appuis d'airain.

* COLONNE D'HERCULE. On dit qu'Hercule arrivé à Gades, aujourd'hui Cadix en Espagne, se crut aux extrémités de la terre ; qu'il sépara deux montagnes qui se touchoient, Calpé & Abyla, l'une en Afrique & l'autre en Europe ; qu'il fit communiquer l'Océan & la Méditerranée ; & qu'il éleva sur ces montagnes deux colonnes, avec cette inscription : Non ultra. Quoi qu'il en soit, on nomma cet endroit portae Gaditanae, portes de Gadira. Charles V. successeur de Ferdinand & d'Isabelle, sous qui la découverte de l'Amérique s'étoit faite, changea l'inscription, & substitua plus ultra au non ultra d'Hercule.

COLONNE LACTAIRE, columna lactaria : elle étoit dans la onzieme région de Rome ; toutes les meres y portoient leurs enfans par superstition ; quelques-unes les y laissoient exposés par indigence ou par inhumanité : on appelle maintenant le lieu de cette colonne la Piazza Montanara.

COLONNES LEGALES, (Hist. anc.) étoient chez les Lacédémoniens des colonnes élevées dans les places publiques, où étoient gravées sur des tables d'airain les lois fondamentales de l'état.

COLONNE MAENIENNE, columna Maenia ; elle étoit dans la huitieme région ; elle fut élevée, selon quelques-uns, à l'honneur du consul Maenius, après une victoire remportée sur les Antiates ; selon d'autres, par un certain Maenius qui s'étoit réservé ce droit en vendant sa maison aux censeurs Caton & Flaccon, afin de voir de-là le combat des gladiateurs ; comme la forme en étoit particuliere, on donna dans la suite aux édifices semblables le nom de Maeniana, dont on a fait le nom mignani. Il est fait mention de deux colonnes maeniennes ; c'est au pié d'une de ces colonnes que les triumvirs surnommés capitales, jugeoient les voleurs & autres bandits.

COLONNES ROSTREES, columnae rostratae ; c'étoit là qu'on attachoit les éperons des vaisseaux pris sur l'ennemi. La premiere fut élevée à l'occasion de la victoire sur mer de C. Duillius sur les Carthaginois. Elle étoit dans le marché romain ; on la trouva en 1260 près de l'arc Septimien. Le cardinal Alexandre Farnese la fit porter au capitole ; elle est de marbre blanc. Auguste en avoit fait construire au même lieu quatre autres semblables des éperons des navires qui furent pris sur Cléopatre.

COLONNE TRAJANE, (Hist. anc. Arch.) monument à l'honneur de Trajan, mort l'an 117 de J. C. à l'âge de 64 ans, dans une ville de Cilicie alors nommée Selinunte, depuis la ville de Trajan, Trajanopolis, & que les Turcs appellent à-présent Islenos.

Un des plus superbes restes de la magnificence romaine est la colonne Trajane ; qui a plus immortalisé l'empereur Trajan, que toutes les plumes des historiens n'auroient pû faire.

Elle avoit 128 piés de haut, & l'on y montoit par un escalier de 185 degrés, éclairé de 45 fenêtres : on y voyoit tout-autour en bas-reliefs tous les exploits de Trajan, dont après sa mort les cendres furent placées au haut de cette colonne dans une urne d'or.

Un prince qui le premier avoit ajoûté de son ordre cette expresse condition aux voeux publics qu'on feroit pour sa personne, " que ce ne seroit qu'autant qu'il veilleroit à la conservation de la patrie ; & que s'il faisoit rien qui y fût contraire, les dieux détournassent de dessus lui leurs regards & leur protection " : Ut Trajanum dii sospitem incolumenque praestarent, si bene rempublicam ex utilitate omnium rexerit ; sin contra, ut ab illius custodia oculos dimoverent : un prince qui pensoit que le souverain bonheur étoit de pouvoir faire tout le bien qu'on veut, & le comble de la grandeur, de pouvoir faire tout le bien qu'on peut : un prince enfin qui, comme le remarque Pline le jeune son ami, n'avoit point de plus grand modele à se proposer que lui-même ; un tel prince méritoit sans-doute les plus sublimes efforts de l'Architecture, pour célébrer sa gloire & ses vertus.

Aussi le sénat & le peuple romain lui érigerent avec zele ce mausolée, si l'on peut parler ainsi, en reconnoissance de ses rares qualités, & des grands services qu'il avoit rendus à la république.

De plus, dit M. Rollin, dont je ne puis m'empêcher de transcrire ici les réflexions, " le sénat & le peuple réunis voulant que la mémoire de Trajan fût présente à tous les siecles, & qu'elle durât autant que l'empire, ils ordonnerent que ses actions seroient gravées sur le marbre du plus riche style qui ait jamais été employé ".

L'Architecture fut l'historiographe de cet ingénieux genre d'Histoire ; & parce qu'elle devoit préconiser un romain, elle ne se servit pas des ordres grecs, quoiqu'ils fussent incomparablement plus parfaits & plus en usage dans l'Italie même, que les deux autres originaires du pays, de peur que la gloire de ce monument admirable ne se trouvât en quelque façon partagée, & pour faire voir aussi qu'il n'y a rien de si simple que l'art ne sache perfectionner. Elle choisit donc la colonne de l'ordre toscan, qui jusqu'alors n'avoit eu place que dans les choses grossieres & rustiques ; & de cette masse informe elle en fit naître le plus riche & le plus noble chef-d'oeuvre du monde, que le tems a épargné & conservé tout entier jusqu'à présent, au milieu d'une infinité de ruines dont Rome est remplie.

C'est en effet, ajoûte M. Rollin, une espece de merveille, de voir que le colisée, le théatre de Marcellus, ces grands cirques, les thermes de Dioclétien, de Caracalla, & d'Antonin, ce superbe mole de la sépulture d'Adrien, le septizone de Sévere, le mausolée d'Auguste, & tant d'autres édifices qui sembloient être bâtis pour l'éternité, soient maintenant si caducs & si délabrés, qu'à peine peut-on remarquer leur ancienne forme, pendant que la colonne Trajane, dont la structure paroissoit beaucoup moins durable, subsiste encore en son entier.

Tout le monde sait que le pape Sixte V. a relevé cette colonne sous son pontificat, & a fait mettre au-dessus la statue de S. Pierre : on en trouve par-tout des estampes. Voyez celles qui ont été gravées à Rome, & copiées dans nos beaux ouvrages des antiquités romaines. Article de M(D.J.)

Observations sur la force des colonnes. Comme on ne bâtit pas seulement avec le bois, mais aussi avec la pierre & le marbre, il seroit à souhaiter pour le bien de l'Architecture, que nous eussions des expériences bien faites sur la force des colonnes de pierre.

M. Van Musschenbroeck a déjà là-dessus fait quelques expériences, qu'il rapporte dans ses Ess. de phys. Il a pris une colonne quarrée faite de terre glaise, & aussi dure que la brique rouge durcie par le feu : cette colonne qui avoit onze pouces & demi de long, & dont chaque côté étoit de 5/12 d'un pouce, fut rompue par 195 livres : une pierre de brême longue de douze pouces 10/12, & dont chaque côté étoit de 5/12 d'un pouce, fut rompue par 150 livres : un marbre blanc un peu veiné, long de treize pouces 1/4, épais d'un côté de 4/12 d'un pouce, & qui avoit de l'autre côté l'épaisseur de 5/12 d'un pouce, fut rompu par 250 liv.

Si l'on prend un pilier de pierre fait de demi-pierres posées les unes sur les autres, ayant l'épaisseur de trois pouces, la largeur de sept pouces, & la hauteur de dix piés ; on demande quelle charge pourra supporter ce pilier de pierre, en supposant qu'il soit bâti de briques rouges durcies par le feu.

Si ce pilier étoit de la même épaisseur que celle qu'avoit la colonne dans l'expérience précédente, & qu'il fût de la hauteur de dix piés, il ne pourroit supporter deux livres, parce que les forces sont en raison inverse des quarrés des hauteurs : mais si l'on compte qu'une pierre est de la longueur de 7 pouces, c'est-à-dire dix-sept fois plus large que n'est la colonne dans l'expérience ; alors ce même pilier de mur qui a l'épaisseur de 5/12 de pouce, & la largeur de sept pouces, pourra supporter trente livres. Mais la pierre est de l'épaisseur de trois pouces, qui est le côté courbé par le poids dont il est chargé ; ce côté est donc à celui de la colonne rompue comme 36 à 5, dont les quarrés sont comme 1296 à 25 : c'est pourquoi le pilier de mur qui est de la hauteur de dix piés, ne pourra être chargé que de 1555 livres, mais s'il étoit de l'épaisseur d'une pierre entiere, il pourroit supporter un fardeau quatre fois plus pesant.

Par conséquent un mur qui sera de l'épaisseur d'une demi-pierre, & qui aura dix piés de haut, pourra être chargé de 1555 livres, autant de fois qu'il sera de la longueur des pierres entieres ou de sept pouces. Il est certain que s'il étoit fait de pierres plus dures, il pourroit supporter une charge encore plus pesante avant que d'être renversé. Si l'on compare la force d'un pilier de pierre avec celle d'un pilier de bois de chêne, qui soit aussi de la hauteur de dix piés, & dont les côtés ayent trois pouces & sept pouces, on trouvera que le bois de chêne pourra supporter presque davantage, & même presque 2800 livres.

Comme on éleve dans les églises plusieurs colonnes qui soûtiennent tout le bâtiment, si l'on prenoit une colonne de marbre blanc de la hauteur de quarante piés, & dont le diametre seroit de 4 piés, elle pourroit supporter à peu-près le poids de 105, 011, 085 livres. Ainsi l'on est en état de calculer quel poids étoient capables de soûtenir les 127 colonnes du temple de la Diane d'Ephese, qui étoient toutes d'une piece de soixante piés de hauteur.

Comme on bâtit souvent des maisons à deux portes qui donnent sur le coin des rues, desorte que tout le poids de la façade repose sur le poteau de ce coin, il n'est pas indifférent de savoir l'épaisseur qu'il convient de donner à ce poteau ; mais il seroit encore bon de calculer les avantages ou les desavantages qu'il y auroit à le former en colonnes de pierre par préférence, parce que ce poteau doit supporter sans aucun danger le poids de la façade qui repose sur lui. Voyez RESISTANCE DES SOLIDES. Cet article est de M(D.J.)

COLONNE, en terme militaire, est un corps de troupes rangé sur beaucoup de hauteur & peu de front, qui marche d'un même mouvement, en laissant assez d'intervalle entre les rangs & les files pour éviter la confusion.

Une armée marche sur une, deux, trois, ou un plus grand nombre de colonnes, suivant la nature du terrein, & le but que le général se propose.

Il ne convient point à une armée de marcher en bataille, hors le moment d'un combat, quand même, ce qui est fort rare, le terrein le permettroit ; souvent même la marche ne se fait point en-avant de l'armée : il est donc nécessaire de rompre l'armée pour faire passer les troupes les unes après les autres. Comme il y en a un grand nombre, ce ne seroit pas assez si on ne la rompoit que pour faire passer toutes les troupes dans un même endroit ; il faut, pour la facilité de la marche, diviser l'armée en plusieurs portions ou parties, qui prennent des chemins différens pour aller se rassembler au lieu où l'on a résolu de le faire : l'exécution de cette manoeuvre s'appelle mettre l'armée en colonnes.

La méthode de bien distribuer une armée sur un nombre de colonnes convenable, tant par rapport à l'armée considérée en elle-même, que par rapport au pays qu'elle a à traverser, est un objet des plus considérables & des plus importans, qui mérite toute l'attention des plus habiles généraux. Ceux qui voudront voir ce que l'on a de meilleur sur ce sujet, pourront consulter l'art de la guerre par regles & par principes de feu M. le maréchal de Puysegur, imprimé chez Jombert à Paris en 1748.

La colonne est encore un corps d'infanterie serré & suppressé, c'est-à-dire un corps rangé sur un quarré long, dont le front est beaucoup moindre que la hauteur, qui n'est pas moins redoutable par la pesanteur de son choc, que par la force avec laquelle il perce & résiste également par-tout, & contre toutes sortes d'efforts. Les rangs & les files doivent être tellement serrés & condensés, que les soldats ne conservent qu'autant d'espace qu'il leur en faut pour marcher & se servir de leurs armes.

Cette colonne est celle de M. le chevalier de Folard, & c'est sa propre définition ou description qu'on vient de donner. Elle est composée de plusieurs bataillons à la queue les uns des autres, depuis un bataillon jusqu'à six, sur plus ou moins de files & de rangs, selon la situation du pays où l'on se trouve obligé d'agir & de combattre. On a prétendu qu'à la bataille de Fontenoy, gagnée par le Roi en personne le 11 Mai 1745, les Anglois avoient combattu en colonne ; mais on sait que leur colonne s'étoit trouvée formée sans dessein : plusieurs de leurs bataillons voulant éviter le feu des François qui les prenoit en flanc, se posterent, pour l'éviter, les uns derriere les autres ; ce qui forma ainsi la colonne de M. de Folard. Au reste les plus habiles militaires conviennent que cette colonne est excellente dans plusieurs cas, mais qu'on ne doit pas la regarder comme devant être employée indifféremment dans toutes sortes d'attaques. Voyez le traité de la colonne du chevalier de Folard, tome I. de son comment. sur Polybe, & le livre intitulé sentimens d'un homme de guerre sur le nouveau système du chevalier de Folard, par rapport à la colonne, &c. (Q)

COLONNE MILITAIRE, étoit chez les Romains une colonne sur laquelle étoit gravé le dénombrement des troupes d'une armée romaine par légion, selon leur rang. Voyez COLONNE. (Q)

COLONNE, MARCHER EN COLONNE, (Marine) c'est lorsqu'une armée navale marche sur deux ou trois lignes, & que les vaisseaux de chaque ligne se suivent les uns derriere les autres. Voyez ORDRE DE MARCHE. (Z)

COLONNES DU CHATELET, (Jurispr.) ne sont autre chose que des divisions ou distributions que l'on fait de cinquante-six conseillers au châtelet de Paris en plusieurs services différens, que chaque colonne ou division remplit alternativement & successivement de mois en mois.

Ce terme de colonnes vient sans-doute de ce que le tableau ou liste qui marque cet arrangement est divisé en autant de colonnes qu'il y a de services différens.

La distinction de ces colonnes est fort ancienne ; mais elle n'a pas toûjours été faite de la même maniere : pour mieux faire entendre les changemens qu'il y a eu à cet égard, il faut expliquer séparément d'abord la distinction de différens services, ensuite le nombre des conseillers qui y est employé, & enfin la durée de chaque service.

Premierement pour ce qui est de la différence des services, anciennement il n'y en avoit que deux au châtelet, savoir le civil & le criminel.

La conservation des priviléges royaux de l'université qui avoit été démembrée du châtelet, y fut réunie par édit de 1526, registré au parlement en 1532 : mais nonobstant cette réunion, & quoique les juges de la conservation fussent transférés au châtelet, ils continuerent à connoître seuls des causes de l'université, & les juges de la prevôté continuerent à connoître seuls des matieres de la prevôté ; ce ne fut qu'en 1543 qu'on ordonna le mélange des conseillers des deux siéges, & qu'à cet effet ils seroient tous inscrits dans un même tableau par ordre de réception.

Au moyen de ce mélange il y eut alors trois services au châtelet ; savoir celui de la prevôté pour le civil ordinaire, celui de la conservation pour les causes de l'université, & le service de la chambre criminelle.

Les choses demeurerent en cet état jusqu'à l'établissement des présidiaux en 1551 ; alors le châtelet étant érigé en présidial, il continua d'y avoir trois services, celui du présidial ayant pris la place de celui de la conservation qui fut supprimé ; & il est à présumer que la chambre du conseil fut alors établie, & forma un quatrieme service pour juger ; comme il paroît par une délibération de 1678, qui porte que suivant l'ancien usage, les conseillers demeureront divisés en quatre colonnes.

Au mois d'Avril 1627, il y eut un édit portant augmentation de quelques officiers en chaque présidial, pour être avec les anciens divisés en deux services semestres, & suivant un autre édit du mois de Février 1643, on avoit créé plusieurs nouveaux officiers au châtelet de Paris, pour avec les anciens former deux semestres ; mais ces deux édits ne furent point vérifiés.

En 1674 le châtelet fut divisé en deux siéges, sous le nom d'ancien & de nouveau châtelet : on observa dans chaque tribunal la distinction des quatre services ; les affaires de rapport, tant de la prevôté & du présidial, que de la police, ce qui vraisemblablement n'avoit point encore eu lieu ; le service civil de la prevôté, ayant pû avant 1543 juger les affaires d'audience & de rapport de la prevôté, comme celui de la conservation depuis 1543 pouvoit juger les affaires d'audience & de rapport de la conservation, en supposant que ce fût à des jours différens ou à des heures différentes ; & les deux châtelets ayant été réunis en 1684, les huit services furent réduits à quatre, comme ils étoient avant la division du châtelet ; & tel est encore le dernier état confirmé par l'édit du mois de Janvier 1685.

2°. Pour le nombre des conseillers employés à chaque service, il a dû nécessairement varier à proportion que le nombre total des conseillers a été augmenté.

On ignore de quelle maniere les conseillers étoient distribués, du tems qu'il n'y avoit que le service du civil & du criminel ; il y a néanmoins apparence qu'ils étoient distribués également pour ces deux services.

Quand la conservation eut été réunie à la prévôté, & que l'on eut fait le mélange des conseillers des deux siéges, ce qui n'arriva, comme on l'a déjà dit, qu'en 1543, il n'y avoit plus que vingt conseillers, dont dix servoient à la prévôté, & dix à la conservation ; on en prenoit alternativement un certain nombre de ceux qui servoient à la prevôté, & ensuite de ceux de la conservation, pour faire le service du criminel.

Le nombre des conseillers n'étant plus que de dix-neuf, lorsque le châtelet fut érigé en présidial en 1551, on en ajoûta alors cinq, pour faire le nombre de vingt-quatre porté par l'édit, dont il y en avoit quatre seulement pour le service du criminel, & les vingt autres étoient distribués pour les trois autres services : ils avoient néanmoins la liberté d'assister & d'opiner au criminel. Il y a apparence que de ces vingt conseillers six servoient à l'audience de la prevôté, six à celle du présidial, & les huit autres en la chambre du conseil.

Il fut arrêté en 1668 qu'il y auroit à l'avenir huit conseillers au criminel : il y avoit alors en tout trente-quatre conseillers.

En 1671 on arrêta qu'il y en auroit pareil nombre de huit à l'audience, ce qui se doit entendre du parc civil & autant pour le présidial, & que le surplus des conseillers qui n'étoient point de service à l'audience ni au criminel, serviroit ès chambres du conseil & de la police. Il n'y avoit toûjours que trente-quatre conseillers ; ainsi il y en avoit dix à la chambre du conseil, & huit pour chacun des trois autres services.

Il est bon de remarquer à cette occasion que la chambre de la police n'a jamais formé une colonne particuliere pour les conseillers, mais qu'ils rapportent en la chambre du conseil toutes les affaires criminelles qui sont du ressort de la police.

Le nouveau châtelet qui fut établi en 1674 étant composé du même nombre d'officiers que l'ancien, & les services divisés de même dans les deux siéges, il y a lieu de croire aussi que le nombre de conseillers employé à chaque service étoit aussi le même dans les deux siéges, si ce n'est que la chambre du conseil de chaque siége devoient être composée de onze conseillers, attendu qu'ils étoient alors en tout trente-cinq.

En 1678 il fut arrêté dans l'un des deux châtelets, qu'au lieu de huit conseillers au criminel il y en auroit dix, & que les deux d'augmentation seroient pris de la chambre du conseil ; ce qui dut nécessairement réduire le service de la chambre du conseil de onze à neuf : ainsi de trente-cinq conseillers il y en avoit huit à l'audience du parc civil, huit à celle du présidial, dix au criminel, & neuf à la chambre du conseil.

Il y a lieu de croire que le même arrangement fut observé dans l'autre châtelet.

Depuis la réunion du nouveau châtelet à l'ancien, fait en 1684, le nombre des conseillers ayant été réduit de soixante & dix à cinquante-six, chacune des quatre colonnes ou services a été fixée à quatorze conseillers, suivant l'édit du mois de Janvier 1685.

3°. Quant à la durée du tems pendant lequel les conseillers sont employés à chaque service, il est à présumer qu'au commencement, lorsqu'il n'y avoit que le civil & le criminel, les conseillers servoient tour-à-tour, de mois en mois.

Lorsque la conservation fut réunie au châtelet, les conseillers servoient un an en la prevôté, & l'année suivante à la conservation ; & l'on prenoit alternativement un certain nombre de conseillers de la prevôté, & ensuite de la conservation, pour faire de mois en mois le service du criminel.

Depuis 1551 le service de la chambre criminelle fut fixé à deux mois ; les trois autres services étoient probablement de même durée.

En 1668 le service criminel fut fixé à trois mois ; ce qui fait encore juger que les autres services étoient aussi chacun de trois mois.

Mais en 1678 on remit le service criminel à deux mois, pour être fait alternativement par les quatre colonnes ; & il fut arrêté que les trois colonnes qui ne seroient point de service au criminel, serviroient par semaine à l'audience aussi successivement l'une à l'autre.

A l'égard de la chambre du conseil, il y a apparence que le service s'en faisoit alors par semaine alternativement par chacune des colonnes qui n'étoient pas de service au criminel.

Il est aussi à présumer que l'on observoit alors la même chose dans le nouveau châtelet pour la durée des services.

Enfin l'édit de 1685 qui confirme la division des conseillers en quatre colonnes, ordonne qu'elles serviront le premier mois à la prevôté, le second au présidial, le troisieme à la chambre du conseil, & le quatrieme à la chambre criminelle.

Suivant ce même édit l'arrangement des colonnes se fait selon l'ordre de réception ; ensorte que le premier de la liste est le doyen de la premiere colonne ; le second est le doyen de la seconde colonne ; le troisieme l'est de la troisieme ; & le quatrieme l'est de la quatrieme colonne ; le cinquieme est le second de la premiere colonne, & ainsi des autres.

Quand il arrive une mutation par le décès d'un conseiller, ou que l'un d'eux est reçu dans un autre office, ou qu'ayant vendu sa charge le nouveau titulaire a obtenu sur ses provisions une ordonnance de soit montré : alors tous ceux qui sont postérieurs en réception à celui qui opere la mutation, changent de colonne, & vont de la premiere à la quatrieme, de la seconde à la premiere, de la troisieme à la seconde, & de la quatrieme à la troisieme.

Ces quatre colonnes ou services se réunissent dans les occasions, soit pour les affaires de la compagnie, réception d'officiers, ou autres matieres importantes ; & alors l'assemblée se tient dans la chambre du conseil.

COLONNES CHARNUES, en terme d'Anatomie, appellées quelquefois lacertuli & columnae cordis, sont plusieurs petits muscles des ventricules du coeur qui sont comme détachés de leurs parois, & joints par des extrémités tendineuses aux valvules du coeur. Voyez COEUR.

Ces petites colonnes ou piliers étant attachés d'un côté aux parois du coeur, & de l'autre aux valvules tricuspides & mitrales, se raccourcissent dans la systole du coeur, poussent les valvules, & ferment par ce moyen non-seulement les orifices des veines, mais encore les ventricules dans leur systole. V. SYSTOLE, DIASTOLE, RCULATIONTION. (L)

COLONNE, (Hydraulique). On distingue dans l'Hydraulique deux sortes de colonnes, la colonne d'air & celle de l'eau.

La colonne d'air est l'air même qui entoure une fontaine ; c'est l'atmosphere qui nous environne jusqu'à la plus haute région de l'air. Le poids de cet atmosphere est égal à une colonne d'eau de base égale, & de trente-deux piés de haut, ou à une colonne de mercure de vingt-huit pouces de haut & de même base, ce que l'on connoît par le barometre.

Une colonne d'eau est le contenu d'un tuyau qui monte l'eau d'une riviere ou d'un puits dans un réservoir, par le moyen d'une machine hydraulique : c'est de même le volume d'eau du tuyau qui descend d'un réservoir, & qui à la sortie de l'ajutage tend à regagner la hauteur dont il est parti, en formant un jet-d'eau : ce même jet-d'eau est une véritable colonne d'eau qui résiste à la colonne d'air dont il est environné. Voyez AIR & ATMOSPHERE. (K)


COLOPHONES. f. (Pharm. & Arts méchan.) préparation de térébenthine qu'on a fait cuire dans de l'eau jusqu'à ce qu'elle ait pris la consistance nécessaire.

Cette préparation est d'usage en Médecine ; voyez TEREBENTHINE.

Les joüeurs d'instrumens à cordes de boyau s'en servent aussi pour frotter leurs archets, ou ce qui en fait la fonction ; l'enduit de colophone dont se chargent les crins de l'archet, les rend âpres, & les fait prendre plus fortement sur les cordes qui en deviennent plus sonores sous l'archet.

Les Musiciens ont leur colophone enfermée dans une petite boîte ; quand leur archet, ou ce qui tient lieu d'archet, a besoin d'être frotté, ils ouvrent la boîte, & le passent fortement à plusieurs allées & venues sur la colophone qui déborde la boîte.

J'ai dit leur archet ou ce qui en tient lieu, parce que les joüeurs de vielle se servent de colophone ainsi que les joüeurs de violon.


COLOQUINTES. f. (Hist. nat. Bot.) colocynthis, genre de plante qui differe des autres cucurbitacées en ce que ses feuilles sont profondément découpées, que son fruit est amer, & qu'il n'est pas bon à manger. Tournefort, institut, rei herb. Voyez PLANTE. (I)

La plante de ce genre qui s'appelle colocynthis fructu rotundo minor, C. B. C. B. T. Tourn. &c. coloquinte à fruit rond, se répand sur la terre par des branches rudes & cannelées. Les feuilles naissent seules, éloignées les unes des autres, attachées à de longues queues ; elles sont rudes, blanchâtres, velues, découpées comme les feuilles du melon d'eau, mais plus petites. Aux aisselles de ces feuilles naissent des vrilles. Les fleurs sont jaunes, évasées en cloche, découpées en cinq quartiers : les unes sont stériles, & ne portent point sur un embryon ; les autres sont fécondes, soûtenues sur un calice, & un embryon qui se change ensuite en un fruit d'une couleur herbacée d'abord, & jaunâtre lorsqu'il est parfaitement mûr, d'une odeur fort desagréable & d'un goût amer. Ce fruit sous une écorce mince, coriace, renferme une moëlle blanche divisée en trois parties, dont chacune contient deux loges dans lesquelles se trouvent de petites graines renfermant une amande blanche, huileuse & douce.

La coloquinte naît dans les îles de l'Archipel, sur les côtes maritimes de l'Orient, & dans les deux Indes où il y en a plusieurs variétés. Ceux qui seroient curieux de la cultiver dans nos climats, doivent en semer les graines dans des lits chauds de terre préparée, & en diriger la culture comme celles des concombres dont on veut hâter la maturité. Par M(D.J.)

COLOQUINTE. (Mat. médic. & Pharm.) La coloquinte est un médicament aussi ancien que la Médecine, très-connu d'Hippocrate, de Dioscoride, de Galien, de Pline, des Grecs, & enfin des Arabes. C'est un purgatif très-fort & très-violent. Tous les Médecins le recommandent pour évacuer les humeurs épaisses & visqueuses, & sur-tout la pituite qu'ils croyent que la coloquinte tire des parties les plus éloignées & les plus cachées. P. Eginet dit que la coloquinte ne purge pas tant le sang que les nerfs. On en recommande l'usage dans les maladies invétérées & opiniâtres, que l'agaric & le turbith n'ont pû guérir ; dans les maladies des nerfs, des articulations, dans les obstructions des visceres, dans les migraines invétérées, dans l'apoplexie, l'épilepsie, le vertige, l'asthme, la difficulté de respirer, les maladies froides des articulations, les douleurs de la sciatique & de la colique venteuse ; l'hydropisie, la lepre, la galle ; & enfin dans tous les cas où il faut se tirer d'un danger par un autre, dit C. Hoffman ; & il ajoûte d'après Massaria, que nous ne guérissons jamais les grandes maladies, parce que nous nous en tenons toûjours aux adoucissans. Geoffroy, mat. médic.

On ne sauroit trop insister sur l'importance de cette derniere réflexion, mais elle est d'une application trop étendue, pour que nous devions nous y arrêter dans cet article particulier. Voyez REMEDE HEROIQUE, medicatio heroica, sous le mot HEROIQUE ; voyez aussi EVACUANT & PURGATIF.

Quelques médecins sans-doute de la classe de ceux qui négligent de s'instruire de l'action des remedes par l'observation, & qui arrêtés par des préjugés invincibles puisés dans les livres des théoriciens & dans les écoles, se croiroient coupables de la plus haute témérité, s'ils osoient éprouver l'énergie des remedes de cette espece : des médecins de cette classe, dis-je, ont voulu chasser la coloquinte de la Médecine comme un poison des plus funestes ; mais l'expérience & l'autorité des praticiens les plus consommés doit rassûrer contre cette vaine terreur ; il ne s'agit que de l'appliquer avec discernement dans les cas convenables ; & ces cas ne sont pas très-rares dans la pratique de la Médecine, comme on peut voir par l'énumération des maladies contenues dans le passage de la matiere médicale de M. Geoffroy, que nous venons de rapporter.

Au reste, il suffit pour les Médecins de savoir que la coloquinte est un purgatif très-violent pour se diriger sagement dans son administration, tant par rapport aux cas où elle convient, que par rapport à ses différentes doses & à la forme sous laquelle ils la doivent prescrire.

La décoction de coloquinte & son infusion dans l'eau ou dans le vin, sont des purgatifs efficaces, mais moins violens que la coloquinte en substance. Au reste, il est très-peu de gens pour qui la grande amertume de ce remede soit supportable ; c'est pourquoi il vaudroit mieux en ce cas employer l'extrait de coloquinte sous la forme de pilules.

La coloquinte, soit en substance, soit en extrait, est très-rarement employée seule ; on la donne le plus souvent mêlée en petite dose avec les autres purgatifs.

On peut établir en général que sous cette derniere forme même, on ne doit guere la donner qu'aux gens robustes, & qui sont dans la fleur de leur âge : il faut s'abstenir de la donner aux femmes grosses ; car on prétend qu'elle est absolument mortelle pour le foetus, quand même on ne l'employeroit qu'en lavement ou en suppositoire.

L'usage de la coloquinte n'a que très-rarement lieu dans les maladies aiguës ; mais Vanhelmont la regarde comme un des plus grands remedes qu'on puisse employer dans les maladies chroniques ; il la met avec la scammonée à la tête des autres purgatifs, & il observe avec raison que c'est à ces deux drogues que doivent leurs vertus réelles toutes les préparations officinales purgatives, dont l'ancienne célébrité se soutient encore aujourd'hui à si juste titre ; que ce sont même ces deux chefs, antesignani, qui ont fait un nom aux laxatifs doux, comme la manne, la casse, la rhubarbe, &c. Voyez PURGATIF.

Les anciens & les nouveaux Grecs, les Arabes, & quelques-uns de nos auteurs de Pharmacie qui sont venus après eux, ont proposé différentes corrections de la coloquinte, comme de la faire macérer dans des liqueurs acides, alkalines, spiritueuses, &c. Riviere la faisoit macérer dans de l'urine ; mais ces especes de correctifs qui châtrent la vertu du remede, & presque toûjours à un degré indéterminé, vont directement contre le but qu'on se propose dans l'administration des remedes violens, & fournissent d'ailleurs des médicamens toûjours infideles. Voyez CORRECTIF.

La seule correction qui soit encore en usage dans nos boutiques, & qui ne fournit proprement qu'un moyen pour réduire en poudre la coloquinte, qui, sans ce secours, seroit très-difficile à pulvériser : cette unique correction, dis-je, consiste à incorporer la pulpe de coloquinte mondée de ses semences & coupée menu avec une suffisante quantité de mucilage de gomme adragant, à faire sécher exactement la masse qui en résulte, à la mettre en poudre, à incorporer cette poudre une seconde fois avec de nouveau mucilage, à faire secher cette nouvelle masse & à réduire en poudre fine ou passée au tamis, qu'on peut garder sous cette forme dans une bouteille exactement bouchée, ou qu'on peut incorporer avec de nouveau mucilage de gomme adragant pour en former des trochisques (voyez TROCHISQUE) connus dans l'art sous le nom de trochisques alhandal, du nom arabe de la coloquinte.

Il n'est pas inutile d'observer que cette derniere opération est au moins superflue, & qu'il est plus commode pour l'artiste, & peut-être plus sûr pour le malade, que cette préparation soit conservée sous la forme de poudre, puisqu'il faudra bien pulvériser le petit trochisque pour le mêler avec l'excipient dans lequel il sera prescrit, & qu'on ne peut pas se flater qu'il soit réduit en poudre aussi fine par la pulvérisation extemporanée d'une petite masse de 4 ou 5 grains, que par le tamis fin employé dans la pulvérisation officinale, & que par conséquent le trochisque pulvérisé sera distribué moins également dans deux ou trois pilules, par exemple, que si on employoit une poudre plus subtile.

On trouve dans les mémoires de l'acad. des Sciences, année 1701, une analyse de la coloquinte par M. Boulduc le pere, qui procéda à cet examen par la voie des menstrues aussi-bien que par celle de la distillation.

De huit onces de pulpe de coloquinte il a retiré par l'eau trois onces d'extrait, que cet auteur appelle extrait gommeux, selon le langage usité dans ce tems-là ; & de la même quantité de pulpe, par le moyen de l'esprit-de-vin, une demi-once de résine, qu'il appelle extrait résineux.

Il est à remarquer que l'esprit-de-vin n'a pas touché à la pulpe de coloquinte, qui avoit très-long-tems macéré dans de l'eau bouillante, & qu'au contraire l'eau appliquée à cette pulpe, auparavant macérée dans de l'esprit-de-vin, en a tiré près de deux onces d'extrait.

Il est clair par cette analyse, que l'eau peut se charger de toutes les parties solubles dans l'esprit-de-vin, & que ce dernier menstrue au contraire n'attaque que les parties de la coloquinte qui sont vraiment résineuses.

L'extrait de coloquinte donné à la dose de 10 grains, purge assez doucement, sans violence, sans douleur, & en même-tems très-copieusement ; la résine de coloquinte au contraire purge très-peu, excite de très-grandes douleurs dans le ventre ; aussi est-elle absolument exclue de l'usage médicinal.

La dose de la coloquinte en substance, ou plûtôt celle des trochisques alhandal ou de la poudre que nous avons recommandée à leur place, est de 4 ou 5 grains jusqu'à 12 ou 15. Un ou deux grains de ces trochisques réduits en poudre fine, donnés avec un absorbant terreux pendant dix ou douze matins consécutifs, est un remede éprouvé contre l'asthme.

On donne la coloquinte en décoction pour un lavement, à la dose d'un gros ou de deux, dans l'apoplexie & les autres affections soporeuses.

La pulpe de coloquinte entre dans la confection Hamech, les pilules de Rudius, l'extrait panchimagogue de Crollius, l'onguent d'Arthanita. Les trochisques alhandal entrent dans les pilules foetides, cochées & de sagapenum. Outre cela il y a un électuaire qui porte le nom de la coloquinte, & qui est connu dans les boutiques sous le nom de hiera diacolocynthidos, dont voici la composition : staechas arabique, marrube blanc, chamaedris, agaric, coloquinte, de chacun dix gros ; opopanax, sagapenum, semence de persil, aristoloche ronde, poivre blanc, de chacun cinq gros ; canelle, spicanard, myrrhe, polium, safran, de chacun quatre gros ; miel écumé, trois livres : faites du tout un électuaire selon l'art.

Cet électuaire est un puissant hydragogue qu'on peut donner dans les cas où ces remedes sont indiqués, depuis deux gros jusqu'à une once par la bouche, & depuis 1/2 once jusqu'à une once & 1/2 en lavement. (b)


COLORATIONS. f. COLORER, (Pharmacie) On colore, en Pharmacie, différentes préparations, soit pour leur donner de l'élegance, soit pour les déguiser ou cacher leur composition ; c'est dans la premiere vûe qu'on colore plusieurs ratafiats, & sur-tout ceux qu'on ne sauroit avoir parfaitement limpides (voyez RATAFIAT) ; plusieurs remedes extérieurs, comme huiles, onguens, & sur-tout ceux qui sont destinés à l'embellissement du corps, comme la pommade pour les levres qu'on colore avec l'orcanette, la poudre dentrifique qu'on colore avec la cochenille ou le carmin.

Le peu de cinnabre qui entre dans la poudre tempérante de Stahl, & dans quelques autres poudres rougies par ce minéral, ne paroît pas avoir été employé dans leur composition dans la vûe d'en augmenter la vertu, mais plûtôt dans celle de masquer les ingrédiens.

C'est apparemment parce que quelques médecins ou le public ont imaginé que l'huile ou l'onguent rosat devoit avoir la couleur des roses avec lesquelles on les prépare, & qu'il a été facile de les contenter à cet égard, que les Apoticaires se sont mis dans l'usage de colorer avec l'orcanette ces préparations, dans lesquelles il ne passe presque rien de la partie colorante des roses.

La coloration des matieres seches, comme des poudres, se fait par un simple mélange ; mais celle des préparations liquides ou molles se fait par la dissolution de différentes parties colorantes : c'est ainsi que la partie colorante de l'orcanette soluble dans toutes les substances huileuses passe dans l'onguent ou dans l'huile rosat dont nous venons de parler ; que la fécule ou partie colorante verte des plantes colore certains emplâtres & onguens, tels que l'emplâtre de ciguë, l'onguent martiatum, &c.

La coloration se fait aussi quelquefois par cette action des acides & des alkalis, par laquelle ils exaltent certaines couleurs végétales, ou les changent même entierement ; c'est ainsi qu'on exalte la couleur de la conserve de roses rouges par quelques gouttes d'acide vitriolique, celle de l'infusion de rhubarbe par l'addition d'une très-petite quantité d'alkali fixe ; qu'on pourroit donner un julep rouge préparé avec le syrop de violettes rougi par deux ou trois gouttes d'acide, &c. (b)


COLORBASIENSvoyez COLARBASIENS.


COLORÉadj. (Jurispr.) se dit d'un titre qui paroissoit valable, & qui néanmoins par l'évenement ne l'est pas ; comme quand un particulier a acquis de celui qu'il croyoit être propriétaire, il n'a qu'un titre coloré : mais ce titre joint à une possession de dix ans entre présens & vingt ans entre absens, suffit pour prescrire. Voyez PRESCRIPTION & TITRE. (A)


COLORERterme de Marqueterie & de Menuiserie de placage ; c'est donner de la couleur aux pierres & aux bois qu'on employe dans ces sortes d'ouvrages, suivant les teintes dont l'ouvrier a besoin, ou pour ses clairs ou pour ses ombres. Voyez MARQUETERIE & PIECES DE RAPPORT. Voyez aussi VERNIS. Dictionn. de Trév.


COLORISS. m. (Peinture). Le terme coloris est distingué du mot de couleur : la couleur est ce qui rend les objets sensibles à la vûe, & le coloris est l'art d'imiter les couleurs des objets naturels relativement à leur position. Par relativement à leur position, j'entens la façon dont ils sont frappés par la lumiere, ce qu'ils paroissent perdre ou acquérir de leurs couleurs locales, par l'effet que produit sur eux l'action de l'air qui les entoure, & la réflexion des corps qui les environnent, & enfin l'éloignement dans lequel ils sont de l'oeil ; car l'air qui est entre nous & les objets, nous les fait paroître de couleur moins entiere, à proportion qu'ils sont éloignés de nous. Les lumieres & les ombres sont beaucoup moins sensibles dans les objets éloignés que dans ceux qui sont proches.

La partie du coloris qui comprend aussi celle du clair-obscur, est une des plus essentielles de la Peinture, & d'autant plus recommandable, qu'on ne peut que la perfectionner par l'étude, mais non l'acquérir. Inutilement un tableau réuniroit-il toutes les autres parties de la Peinture, s'il est médiocrement colorié il ne produira jamais qu'un médiocre effet ; & quand bien les autres parties seroient foibles, la séduction sera toûjours infaillible si le coloris y est au souverain degré. Voyez de Piles & le dict. de Peint.

Quoique le terme de colorié s'étende sur tous les objets, on l'employe plus généralement sur les carnations, par la raison qu'étant plus sensibles que toutes les autres parties, on distingue plus aisément les teintes, les demi-teintes, le travail de la peau, la fonte du pinceau, enfin tout ce qu'exige cette grande partie de l'art. Le coloris étoit connu & pratiqué avant Homere ; voyez sa description du bouclier d'Achille : on y voyoit, dit-il, un laboureur ; le coutre de la charrue fendoit la terre, & à mesure qu'il avançoit, la terre de jaune qu'elle étoit sembloit devenir noire ; & ailleurs il peint une vigne d'or, dont les raisins annonçoient leur maturité par une teinte de noir, & des lions qui s'abreuvent du sang noirâtre d'un taureau. (R)

COLORIS, (Jardinage) il se dit des fruits qui mûrissent & qui prennent de la couleur, tels que les pêches, les prunes, les poires, & les abricots : même pour le leur faire prendre, souvent on dégarnit les feuilles autour du fruit, qu'alors le soleil frappe plus vivement & dore mieux. Il y a des curieux qui avec un pinceau trempé dans l'eau, le mouillent plusieurs fois dans la plus grande ardeur du soleil. (K)


COLORITES. m. (Hist. ecclés.) congrégation d'Augustins, ainsi appellée de Colorito petite montagne voisine du village de Morano, au diocèse de Cassano, dans la Calabre citérieure : ce fut dans une cabane proche d'une église dédiée à la Vierge sur le Colorito, que se retira en 1530 Bernard de Rogliano, & qu'il commença l'institution de la congrégation des Colorites.


COLORNO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans le duché de Parme près du Pô. Long. 27. 50. lat. 44. 54.


COLOSSEterme d'Architecture, du grec , composé de , grand, & , oeil, c'est-à-dire grand à la vûe. On entend sous ce nom un bâtiment d'une grandeur considérable, tels qu'étoient les pyramides en Egypte, les amphithéatres en Grece & en Italie. Colosse, se dit aussi d'une figure dont la proportion est fort au-dessus de la naturelle, telle qu'étoit celle du soleil à Rhodes & les statues des empereurs Néron & Commode, dont il reste encore quelques fragmens dans la cour du capitole à Rome. On dit aussi qu'une colonne est colossale, lorsqu'elle surpasse deux ou trois piés de diametre. Voyez COLONNE. (P)

COLOSSE DE RHODES, (Hist. anc.) statue d'airain d'une grandeur prodigieuse, située à l'entrée du port de Rhodes, & qui passoit pour une des sept merveilles du monde.

En voici l'histoire tirée principalement de M. Prideaux, part. II. liv. II.

Cette statue étoit dédiée au soleil ; elle avoit 70 coudées, ou 105 piés de haut, & le reste à proportion ; peu de gens pouvoient embrasser son pouce ; les navires passoient à pleines voiles entre ses jambes.

Démétrius, après avoir assiégé vivement la ville de Rhodes pendant un an sans pouvoir la prendre, las d'un si long siége, fit la paix avec les Rhodiens, & en s'en retournant il leur donna en présent toutes les machines de guerre qu'il avoit envoyées à ce siége. Ils les vendirent dans la suite pour trois cent talens (un million 200 mille livres ou environ), dont ils se servirent, avec l'argent qu'on y ajoûta, pour faire ce colosse. Ce fut l'ouvrage de Charès de Lindo, disciple du fameux Lysippe, qui y employa douze ans. Mais soixante-six ans après l'exécution de son entreprise, le colosse fut abattu par un grand tremblement de terre qui se fit sentir en Orient, & qui causa des désolations prodigieuses, sur-tout dans la Carie & dans l'île de Rhodes. On commença à travailler à ce fameux colosse l'an 300 avant Jesus-Christ ; il fut achevé l'an 288, & renversé l'an 222.

Les Rhodiens, pour réparer le dommage que cet accident leur avoit causé, quêterent chez tous les princes & les états grecs de nom ou d'origine, & exagérerent tellement leurs pertes, que la collecte qui se fit pour eux, sur-tout chez les rois d'Egypte, de Macédoine, de Syrie, du Pont, & de Bithynie, alla pour le moins à cinq fois autant que la véritable somme à laquelle ces pertes se montoient.

En effet, l'émulation qui regna entre les princes pour soulager cette ville desolée, est sans exemple dans l'histoire : Ptolomée roi d'Egypte fournit seul trois cent talens, que nous n'évaluerons ici que trois cent cinquante mille écus, un million de mesures de froment, des matériaux pour bâtir vingt galeres tant à cinq rames qu'à trois rames, une quantité infinie de bois pour d'autres bâtimens, & en particulier pour rétablir le colosse trois mille talens, c'est-à-dire neuf millions suivant M. Rollin, & plus de dix millions suivant le docteur Bernard. Outre les rois, toutes les villes signalerent leurs libéralités : les particuliers voulurent aussi entrer en part de cette gloire ; & l'on cite une dame appellée Chryseïs, véritablement digne de son nom, qui fournit seule cent mille mesures de froment. Que les princes d'à-présent, dit Polybe, & nous pouvons dire deux mille ans après lui, que les princes de nos jours comprennent combien ils sont éloignés de ceux dont on vient de parler. En assez peu d'années Rhodes fut rétablie dans un état plus magnifique qu'elle n'avoit jamais été, à l'exception du colosse ; car les Rhodiens au lieu d'employer une partie de cet argent, comme c'étoit la principale intention de ceux qui l'avoient donné, à relever le colosse, prétendirent fort sagement que l'oracle de Delphes le leur avoit défendu, & garderent toutes ces sommes, dont ils s'enrichirent.

Le colosse demeura abattu comme il étoit, sans qu'on y touchât pendant 894 ans, au bout desquels, l'an de Jesus-Christ 672, Moawias, le sixieme calife ou empereur des Sarrasins, ayant pris Rhodes, le vendit à un marchand juif qui en eut la charge de neuf cent chameaux ; c'est-à-dire qu'en comptant huit quintaux pour une charge, l'airain de cette statue, après le déchet de tant d'années par la rouille, &c. & ce qui vraisemblablement en avoit été volé, se montoit encore à sept cent vingt mille livres, ou à sept mille deux cent quintaux.

Ces faits presque tous rapportés par M. Prideaux, sont appuyés des témoignages d'Eusebe, chron. d'Orose, lib. IV. cap. xiij. de Polybe, liv. V. de Pline, lib. XXXIV. cap. vij. de Strabon, liv. XVI. de Zonare, annal. sub regno Constant. imper. Heraclii nepot. de Cedrenus, annal. & de Scaliger, animadv. in Euseb. chron. n. 1794.

Le colosse de Rhodes n'est pas le seul dont il soit fait mention dans les antiquités. Il y avoit à Memphis en Egypte plusieurs statues colossales de Sésostris & de sa famille ; à Apollonie dans le Pont, une statue d'Apollon de trente coudées, que Lucullus fit transporter à Rome ; dans cette ville, sept colosses, deux d'Apollon, deux de Jupiter, un de Néron, un de Domitien, un du Soleil. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COLOSTREcolostrum, (Physiologie) premier lait qui se trouve dans le sein des femmes après leur délivrance. Voyez LAIT.


COLOSTRUM(Pharmacie) quelques auteurs ont donné ce nom à une espece d'émulsion préparée avec la térébenthine & le jaune d'oeuf. Blancard. Voyez EMULSION.


COLOSWAou ALAUSENBOURG, (Géog. mod.) ville considérable de la Transylvanie, sur le petit Samos. Long. 40. 20. lat. 46. 53.


COLOURI(Géog. mod.) île de la Grece dans le golfe d'Angia. Long. 41. 40. lat. 38.


COLPORTAGES. m. (Comm.) emploi ou fonction de celui qui est colporteur. Voyez COLPORTEUR.


COLPORTERporter des marchandises dans les rues, ou de maison en maison ; il signifie aussi porter pendues à son cou dans une manne, de petites & menues merceries, comme couteaux, peignes, ciseaux, &c.

COLPORTER, en terme de Librairie, c'est porter des livres dans les maisons pour les y vendre ; c'est aussi vendre dans les rues des feuilles volantes ou papiers publics, comme arrêts, sentences, gazettes, loterie, &c. Voyez COLPORTEURS.


COLPORTEURSS. m. c'étoit anciennement des gens de mauvaise foi qui rodoient de ville en ville, vendant & achetant de la vaisselle de cuivre, d'étain, & autres semblables marchandises, qu'on ne doit vendre qu'en plein marché. C'est en ce sens que ce mot est employé dans les réglemens de la vingt-cinquieme année d'Henri VIII. chap. vj. & par d'autres de la trente-troisieme année du regne du même prince, chap. jv. C'est ce qu'on appelle en France porte-balles, coureurs, mercelots, ou brocanteurs.

Nous nommons aujourd'hui colporteurs, des gens qui font métier de porter dans les maisons des marchandises, comme étoffes, pommades, linge, &c.

Ou de petits marchands qui les crient dans les rues ; on les appelle ainsi, parce qu'ils portent & étalent ce qu'ils ont à vendre dans une petite manne ou cassette pendue à leur cou avec une large courroie de cuir, ou une sangle.

Ou des gens qui font métier de porter des livres dans les maisons, ou de vendre des papiers publics dans les rues. Comme ce sont pour l'ordinaire ces sortes de gens qui font le commerce des livres ou papiers volans non autorisés, leur état à Paris a attiré l'attention du gouvernement : leur nombre est fixé ; leurs noms doivent être enregistrés à la chambre royale & syndicale de la Librairie. Voyez COLPORTEURS. (Jurispr.)

COLPORTEURS, (Jurisprud.) dans les anciennes ordonnances sont nommés comporteurs, quia secum portant les choses qu'ils vendent par la ville. On trouve plusieurs ordonnances qui les mettent dans la même classe que les menu-fenestriers, c'est-à-dire les petits marchands qui exposent des denrées à vendre seulement sur une fenêtre. Le commerce des uns & des autres étant peu considérable, ils étoient exempts de certaines impositions. Les lettres de Philippe VI. du 17 Février 1349, disent que menus fenestriers, petits comporteurs aval la ville de Paris, ne seront tenus de rien payer de l'imposition qui étoit établie sur les marchandises & denrées qui se vendent à Paris, s'ils ne vendent en un jour dix sous de denrées ; que s'ils les vendent, ils seront tenus de payer ; & que s'ils vendent au-dessous, ils ne seront tenus de rien payer. Les lettres du Roi, du 3 Mai 1751, portent la même chose, à l'occasion d'une nouvelle aide ou imposition accordée au Roi par la ville de Paris.

Les revendeuses, petits-merciers, & autres qui portent dans les rues des marchandises vieilles ou neuves à vendre, étoient autrefois tous compris sous ce terme de colporteurs.

En tems de contagion, les colporteurs & revendeuses ne peuvent vendre ni porter par la ville aucunes hardes, habits, linges, ni autres meubles, sur peine de la hart. Il est défendu à toutes personnes, même aux Fripiers, d'en acheter sur peine d'amende & de punition corporelle. Ordonnance de police du 30 Octobre 1596. Traité de la police, tome I. page 659.

Les colporteurs qui vendent des livres dans les maisons, & les imprimés qui se crient dans les rues, tels que les ordonnances, édits, déclarations, arrêts de réglemens, sentences de police, condamnations à mort, & autres choses qui doivent être rendues publiques, vendent aussi d'autres imprimés qui ne sont faits que pour amuser le peuple : ceux qui s'adonnent à ce métier, ont pour cet effet une attache de la police, & portent à leur habit une piece de cuivre qui annonce leur état. L'arrêt du conseil du 4 Mai 1669, fait défense à tous colporteurs de vendre, ni colporter ou afficher aucunes feuilles & placards, sans permission du lieutenant de police ; & l'ordonnance de police du 17 Mai 1680, leur réitere les mêmes défenses par rapport aux affiches. Voyez le tr. de la police, tom. I. pag. 283 & 284.

On permet quelquefois aux colporteurs de vendre certaines pieces, qu'on leur défend néanmoins de crier pour éviter le grand éclat qu'elles pourroient faire parmi le bas peuple. Il ne leur est pas permis d'annoncer les pieces qu'ils vendent sous un autre titre que celui qu'elles portent, ou de la maniere qui leur est prescrite ; & ils doivent se conformer en tout aux ordres de la police. (A)


COLRAINE(Géog. mod.) ville d'Irlande dans la province d'Ulster, au comté de Londonderry, sur la riviere de Banne.


COLSATS. m. (Agriculture) espece de chou sauvage qui ne pomme point, & dont la graine fournit de l'huile.

La plus noire, la plus seche, la plus pleine, & qui paroît la plus onctueuse en l'écrasant, est la meilleure pour le moulin ; elle peut être semée avec de moindres qualités.

Elle est souvent mêlée par le défaut de maturité égale, & l'on distingue la moins mûre à sa couleur un peu rouge.

On attribue cette inégalité aux vers qui se jettent dans les racines des jeunes plantes ; il faut y regarder quand on les transplante, & rebuter celles qui en sont attaquées ; le ver doit se trouver dans le noeud.

Son prix varie selon l'abondance ou la disette ; il dépend aussi des recherches que l'on en fait plus ou moins grandes, selon la réussite des huiles de noix & autres, dans les pays qui en tirent.

On pourroit l'apprécier à 7 liv. 10 s. la rasiere, année commune, depuis dix ans : elle en vaut aujourd'hui 12 : elle pourroit monter jusqu'à 16 liv. par extraordinaire.

La rasiere est une mesure qui doit contenir à-peu-près cent livres poids de marc, la graine étant bien seche, deux rasieres font un sac de ce pays, & six avots font une rasiere.

Il en faut une livre pour semer un cent de terre, qui fait vingt-deux toises quatre piés huit pouces quarrés. C'est sur cette mesure que l'on se déterminera, & sur laquelle on peut employer les plus grands terreins.

La terre legere est la meilleure, pourvû qu'elle n'ait pas moins d'un pié de bon fond, & qu'elle ne soit pas pierreuse.

Celle où l'on seme n'est pas celle où l'on plante.

On doit préparer la premiere en la fumant ; quatre charretées de fumier suffiront : chacune peut peser environ 1400 livres.

Le fumier bien étendu, on y passe la herse pour faire prendre nourriture à la terre ; on laboure peu-après deux ou trois fois, selon qu'elle est chargée d'ordures ; enfin on l'applanit en y ramenant de nouveau la herse pour recevoir la semence, dont une livre sur un cent de terre produira de quoi planter une piece de 300.

Si-tôt après la moisson, on fume & on prépare, comme nous avons dit, la terre destinée à planter.

Au surplus, tout le monde sait que l'on fume plus ou moins, selon la chaleur des terres.

Il faut que la terre soit reposée.

On seme vers le 20 de Juillet, vieille ou nouvelle semence, pourvû qu'elle soit assez bonne, & l'on plante au commencement d'Octobre.

Quand la terre est ensemencée, il n'est plus question que de laisser croître les plantes, qui doivent être suffisamment montées à la fin de Septembre.

On les déplante pour lors par un beau jour ; on rebute les véreuses & les languissantes, & on les transporte sur l'autre terre préparée comme il a été dit : on y fait des trous avec un plantoir, à la distance de demi-pié en ligne perpendiculaire, & d'un pié en ligne horisontale : chaque trou reçoit sa plante, qu'un homme resserre avec le pié à mesure qu'un enfant la place.

Tous les huit piés, on fait une rigole en talud d'un pié d'ouverture, & autant de profondeur ; on en jette la terre à droite & à gauche, sur la distance d'un pié qu'on a laissé pour cela entre chaque plante : c'est ce qu'on appelle recouvrir. Cela se fait pour l'écoulement des eaux, & pour garantir de la gelée.

Il n'y a plus d'autre façon à donner, à moins que d'arracher les mauvaises herbes, s'il en poussoit assez pour étouffer.

Il n'y a que des évenemens extraordinaires qui puissent nuire au colsat dans toutes les saisons ; tous les tems lui sont propres, si l'on en excepte les gelées trop fortes & tardives, les grands orages, la grêle, & les grands brouillards, dans le tems de sa maturité.

On fait la récolte à la fin de Juin, quand la graine est prette à épiller ; & pour éviter cet accident, on se garde de la laisser trop mûrir pour recueillir.

On scie avec la faucille, & l'on couche les tiges sur terre comme le blé ; on les y laisse pendant deux beaux jours : si la pluie ne permet pas de les relever après ce tems, il faut attendre.

On les releve dans un drap, & on les porte au lieu préparé pour faire la meule sur la même piece de terre, afin de ne pas perdre la graine ; on y fait autant de meules que la dépouille en demande : celle de huit cent de terre doit suffire pour une meule ; & pour la faire, on forme une terrasse bien seche & bien battue, de vingt piés quarrés ; on y met un lit de paille, sur lequel on arrange les tiges la tête en-dedans ; on arrondit cette meule dès le pié jusqu'à la hauteur de trois toises plus ou moins, en terminant en pain de sucre, & l'on couvre le dessus pour être à l'abri de la pluie.

Quand les grands vents la mettent en danger de culbuter, on a soin de l'étayer.

Le colsat repose ainsi jusqu'après la moisson, à moins que l'on n'ait lieu de craindre l'échauffement de la graine ; ce qui pourroit arriver par des tems fort pluvieux, ou pour l'avoir recueillie trop verte.

Il est essentiel de choisir un beau jour pour défaire la meule, mais avant tout on prépare au pié une plate-forme battue, aussi dure que les battines de grange, & c'est là-dessus que l'on bat à mesure que la meule se défait, avec la précaution de n'enlever les tiges que dans un drap.

Dès qu'on en a battu une certaine quantité, il faut retirer avec un rateau la paille écrasée ; cela aide à bien battre le reste, & fait perdre moins de graine.

Quand tout est battu, on la nettoye par le moyen d'un puroir.

Il y en a de deux sortes. L'un est un grand tambour troüé en rond, pour y faire passer la graine : c'est le premier dont on se sert, & on rejette au rebut ce qui reste dans le tambour.

Le second est aussi un tambour dont les trous sont en long, pour y faire passer la poussiere, en y mettant ce qui a passé par le premier.

En tamisant, on a soin de retirer vers les bords ce qui peut rester de gros marc, & l'on fait toûjours la même chose jusqu'à la fin.

La graine ainsi purifiée, on la porte dans des sacs au grenier, & on l'y garde comme le blé, jusqu'à ce qu'on la vende. Si l'on y trouvoit un peu d'humidité, il faudroit la remuer.

Le plancher du grenier doit être d'autant moins ouvert, que la graine est petite. Bien des gens y étendent une grande toile pour l'y renverser.

Il est bon d'observer qu'elle ne profite pas dans le grenier ; c'est pourquoi l'on s'en défait le plûtôt que l'on en trouve un prix.

Tout ce qui reste de paille courte ou hachée, on le donne aux pauvres, ou bien on le brûle sur les lieux : c'est un engrais.

Les tiges battues servent à échauffer le four, ou pour le feu des pauvres. Les fermiers qui n'en font pas cet usage, les vendent assez ordinairement.

Il ne faut à la graine aucune façon, après qu'elle est recueillie : pour la porter au moulin, tous les tems sont propres quand il y a du vent, excepté par les gelées fortes.

Vingt rasieres de graine rendent année commune quatre tonnes d'huile, chaque tonne pesant 200 livres poids de marc, sans y comprendre la futaille.

Il faut encore observer que le marc de l'huile se met à profit : on en fait des tourteaux qui entretiennent le lait des vaches pendant l'hyver, en les délayant dans le boire.

On s'en sert aussi à fumer les terres, en les réduisant en poussiere. C'est un engrais un peu cher.

Ces tourteaux sont de la figure d'une gaufre de quatorze pouces de long & huit de large, sur demi-pouce d'épaisseur : ils doivent peser chacun huit livres & demie poids de marc, selon les ordonnances de la province.

Ils se font à la presse, que le vent fait agir dans le moulin.

Vingt rasieres de colsat rapportent ordinairement 550 tourteaux. Dans un pays où l'on ne feroit point cas des tourteaux, la diminution du profit seroit bien grande.


COLTIECOLTIE


COLUGA(Géog. mod.) ville de l'empire russien aux confins du duché de Rezan, sur la riviere d'Occa.


COLUMBARIA(Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit des trous pratiqués aux flancs des vaisseaux vers leurs bords, par où passoient les rames : ce nom leur venoit de leur ressemblance avec l'entrée des boulins ronds des colombiers.

On donnoit encore le même nom à des mausolées de familles de distinction, où l'on avoit pratiqué des cellules, & dans ces cellules des rangées de niches, placées les unes sur les autres, comme les boulins dans un colombier. Ces niches renfermoient des urnes rondes, offae ; il y en avoit aussi de quarrées. Un columbaria contenoit souvent plusieurs urnes. Voyez l'antiq. expliq.


COLUMNA(Géog. mod.) ville de l'empire russien sur la riviere d'Occa. Long. 58. 2. lat. 54. 50.


COLUMNEA(Hist. nat. bot.) genre de plante, dont le nom a été dérivé de celui de Fabius Colonne. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, & faite en forme de masque, dont la levre supérieure est un peu voûtée & concave, & l'inférieure est divisée en trois parties. Il sort du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit globuleux mou & rempli de petites semences oblongues. Plumier, nova plant. americ. gener. Voyez PLANTE. (I)


COLURES. m. se dit, en terme de Géographie & d'Astronomie, de deux grands cercles, que l'on suppose s'entrecouper à angles droits aux poles du monde. Voyez CERCLE.

L'un passe par les points solsticiaux, c'est-à-dire par les points où l'écliptique touche les deux tropiques ; & l'autre par les points équinoctiaux, c'est-à-dire par les points où l'écliptique coupe l'équateur : ce qui a fait donner au premier le nom de colure des solstices, & au second celui de colure des équinoxes. Voyez SOLSTICE & EQUINOXE.

Les colures en coupant ainsi l'équateur, marquent les quatre saisons de l'année ; car ils divisent l'écliptique en quatre parties égales, à commencer par le point de l'équinoxe du printems. Comme ces cercles passent par les poles du monde, il est évident qu'ils sont l'un & l'autre au nombre des méridiens. Voyez SAISONS.

Au reste, ces cercles étoient plus d'usage dans l'Astronomie ancienne qu'ils ne sont aujourd'hui. Ce n'est presque plus que par habitude qu'on en fait mention dans les ouvrages sur la sphere. (O)


COLUTEA(Jard.) plante de l'espece du baguenaudier : elle s'éleve peu, & donne des fleurs de couleur pourpre très-agréables ; sa feuille petite, d'un verd pâle, & faite en ombelle, ne tombe point pendant l'hyver ; son bois est mélangé de verd & de rouge, & sa forme est pyramidale ; sa graine est renfermée dans de grosses gousses.

On a soin de le serrer pendant l'hyver avec les autres arbres qui craignent le froid. (K)


COLYBESS. m. plur. (Hist. eccles.) nom que les Grecs, dans leur lithurgie, ont donné à une offrande de froment & de légumes cuits, qu'ils font en l'honneur des saints & en mémoire des morts.

Balsamon, le P. Goar, & Léon Allatius, ont écrit sur cette matiere. Voici ce qu'ils en disent en substance : les Grecs font bouillir une certaine quantité de froment, & la mettent en petits morceaux sur une assiete ; ils y ajoûtent des pois pilés, des noix coupées en fort petits morceaux, & des pepins de raisin : ils divisent le tout en plusieurs compartimens séparés par des feuilles de persil ; & c'est à cette composition qu'ils donnent le nom de .

Ils ont pour la bénédiction des colybes une formule particuliere, dans laquelle ils font des voeux pour que Dieu bénisse ces fruits & ceux qui en mangeront ; parce qu'ils sont offerts à sa gloire en mémoire de tel ou tel saint, & de quelques fideles décédés. Balsamon attribue à S. Athanase l'institution de cette cérémonie : mais Synaxari en fixe l'origine au tems de Julien l'Apostat, & dit que ce prince ayant fait profaner le pain & les autres denrées qui se vendoient aux marchés de Constantinople au commencement du carême, par le sang des viandes immolées, le patriarche Eudoxe ordonna aux Chrétiens de ne manger que des colybes ou du froment cuit, & que c'est en mémoire de cet évenement qu'on a coûtume de bénir & de distribuer les colybes aux fideles le premier samedi de carême. Au reste, les Grecs donnent encore à cet usage des interprétations mystiques, disant que les colybes sont des symboles d'une résurrection générale, & les divers ingrédiens qu'on y mêle avec le froment, des figures d'autant de différentes vertus. C'est ce qu'on peut voir dans un petit traité des colybes écrit par Gabriel de Philadelphie, pour répondre aux imputations de quelques écrivains de l'église latine, qui desapprouvoient cet usage, & que M. Simon a fait imprimer à Paris en grec & en latin, avec des remarques. (G)


COM-BOURGEOISS. m. (Commerce de mer) c'est celui qui a part avec un autre à la propriété d'un vaisseau. On dit plus communément co-bourgeois. Voyez CO-BOURGEOIS & BOURGEOIS. Dict. du Comm. & Trév. (G)


COMA(Med. pratiq.) espece d'affection soporeuse, que les anciens ont subdivisée en coma vigil, & en coma somnolentum. Les autres affections du meme genre, que l'exactitude de l'école a érigées en autant de maladies distinctes, & dont on nous a donné des histoires & des traitemens particuliers, sont le larus, la léthargie, l'apoplexie : mais il vaut beaucoup mieux, avec les médecins exacts, ne les regarder que comme les différens degrés d'une même maladie, du sommeil contre nature. Voyez SOPOREUSE (AFFECTION). (b)

COMA AUREA, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante qui porte des têtes écailleuses & inégales, qui contiennent des fleurs monopétales en fleurons proprement dits. Les embryons deviennent des semences, qui sont terminées par des écailles ou de petites membranes : ces semences mûrissent entre les écailles qui sont sur la couche. Pontedera, diss. oct. Voyez PLANTE. (I)


COMACHIO(Géog. mod.) petite ville d'Italie au Ferrarois, dans l'état de l'Eglise. Long. 29. 45. lat. 44. 45.


COMAGENES. f. (Géog. anc.) contrée de la Syrie voisine de l'Euphrate : ce qui l'a fait appeller Euphrateuse. Elle étoit bornée d'un côté par le mont Amman, de l'autre par l'Euphrate, & resserrée par derriere par le mont Taurus : au reste ces limites ne sont pas bien certaines. La capitale de cette contrée ou de ce royaume, portoit le même nom, selon quelqu'autres : d'autres disent que c'étoit Samosate, aujourd'hui Siempsat, patrie de Lucien.


COMANA(Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale sur la côte des Caraques, dans la Terre-Ferme.


COMANES. f. (Géog. anc. & mod.) nom propre de ville : il y avoit une Comane dans les vallées de l'Antitaurus ; une dans l'Arménie mineure, ou selon d'autres dans la Cappadoce : on l'appelloit Comane la Pontique ; une troisieme dans la Taprobane ; une quatrieme en Phrygie ; une cinquieme en Pysidie. Celle de l'Antitaurus s'appelle aujourd'hui Com ou Tabachzan ; celle de l'Arménie mineure est au confluent du Jar & de l'Iris, & s'appelle Arminiacha. Voyez le Trév. & la Martiniere.


COMANIE(Géog. mod.) pays d'Asie borné par la mer Caspienne, la Circassie, la Moscovie, & la Géorgie. Les habitans en sont mahométans, & sous la protection du roi de Perse.


COMAROIDES(Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs sont composées de cinq pétales disposées en rose, & soûtenues par un calice découpé : cette fleur a des étamines & des sommets ; sa partie intérieure est garnie de plusieurs embryons, dont chacun a une trompe, & devient une semence nue. Pontedera, anth. lib. III. Voyez PLANTE. (I)


COMARQUES. f. justices subalternes de Portugal, qui y sont au nombre de vingt-quatre, & qui ont beaucoup de rapport avec nos bailliages de France. Voyez le dict. de Trév. & le Quien de la Neuville.


COMATEUXadj. en Médecine, se dit de ce qui produit ou annonce le coma. Voyez COMA.


COMBATS. m. (Art milit.) se dit en général d'une querelle ou d'un différend qui se décide par la voie des armes. Voyez GUERRE, &c.

Dans une armée, les auteurs font une distinction entre un combat & une bataille ; cette derniere exprime l'action générale de toute l'armée, au lieu que le combat ne signifie qu'une escarmouche particuliere ou l'action d'une simple partie de l'armée ; desorte que le combat est proprement une partie d'une bataille. (Q)

COMBAT NAVAL, (Marine) c'est la rencontre d'un ou plusieurs vaisseaux ennemis qui se canonent & se battent. On le dit également des armées navales & des escadres qui se livrent un combat. Voyez ORDRE DE BATAILLE. (Z)

COMBAT, (Hist. mod.) ou combat singulier, signifie une épreuve formelle entre deux champions, qui se faisoit par l'épée ou par le bâton pour décider quelque cause ou quelque différend douteux.

Cette maniere de procéder étoit autrefois fort ordinaire, & avoit lieu non-seulement en matiere criminelle, mais encore dans les causes civiles : elle étoit fondée sur cette présomption, que Dieu n'accorderoit la victoire qu'à celui qui auroit le meilleur droit. Voyez DUEL.

On trouve que cette espece de combat n'est pas moins ancien que le regne d'Othon. Le dernier que l'on ait admis en Angleterre, se passa la sixieme année du regne de Charles I. entre Danald lord Rhée ou Rey, & David Ramsey, écuyer, dans la chambre peinte.

On peut voir ce qui se trouve à ce sujet dans le coûtumier de Normandie, où la cérémonie de ce combat est décrite. L'accusateur étoit obligé de protester avec serment de la vérité de son accusation : l'accusé lui donnoit le démenti, alors chacun jettoit son gage du combat, & l'on constituoit les parties prisonnieres jusqu'au jour du combat. Voyez CHAMPION.

Les historiens nous apprennent qu'Alphonse, roi de Castille, desirant abolir la lithurgie mosarabique & introduire l'office romain, comme le peuple s'y opposoit, il fut convenu de terminer le différend par la voie du combat, & d'en remettre la cause à la décision du ciel.

Philippe le Bel, en 1303, avoit défendu ces combats : malgré cette défense le roi Henri II. permit en sa présence le combat de Jarnac & la Chateigneraye ; mais depuis ces duels ont été totalement prohibés, parce qu'il étoit très-possible que le coupable demeurât vainqueur.

Ce terme de combat exprime aussi les jeux solemnels des anciens grecs & romains, tels étoient les jeux Olympiques, les jeux Pythiens, Isthmiens & Néméens, ludi actiaci Circenses, &c. Voyez aux articles qui leur sont propres, comme aux mots OLYMPIQUES, ISTHMIENS, &c. Les combats que l'on y célébroit étoient la course, la lutte, le combat à coups de poing, le ceste. Les combattans, que l'on appelloit athletes, faisoient une profession particuliere, mais servile ; & dès leur jeunesse ils s'accoûtumoient à une nourriture grossiere, à un régime fort sévere ; ils ne buvoient point de vin, & se privoient du commerce des femmes. Leur travail, comme tout le reste de leur vie, se faisoit régulierement. V. ATHLETE, GLADIATEUR, &c. Chambers & Trév. (G)

* COMBAT DU PONT DE PISE, (Hist. mod.) à la saint Antoine un quartier du côté du pont défie un quartier de l'autre côté ; les combattans s'appellent les Guelfes & les Gibelins ; ils sont divisés comme une armée, en troupe qui a ses officiers ; chaque soldat est armé de cuirasse & de casque, avec une massue de bois en forme de palette. Le pont est séparé en deux par une barricade ; les troupes s'avancent vers le pont étendards déployés ; on donne le signal ; la barriere s'ouvre ; alors les combattans s'avancent & se frappent avec leurs massues, & tachent à gagner le terrein les uns sur les autres. Il y en a d'armés de crocs, avec lesquels ils accrochent leurs antagonistes & les tirent de leur côté ; celui qui est accroché & tiré est fait prisonnier : d'autres s'élancent ; d'autres montent sur les parapets, d'où ils sont précipités dans la riviere : le combat dure jusqu'à ce que l'un des partis soit chassé hors du pont. Le parti vaincu met bas les armes & se cache ; l'autre marche triomphant. Ce combat ne finit guere sans accident. Les vainqueurs sont maîtres du quartier vaincu. Il se fait beaucoup de paris.

COMBAT-A-PLAISANCE, (Hist. mod.) Les combats-à-plaisance étoient des tournois qui se faisoient autrefois dans les occasions d'une réjouissance publique, ou à l'honneur des souverains, ou pour soûtenir la beauté & le mérite d'une maîtresse, & surtout, au rapport de la Colombiere (Théat. d'honneur & de chevalerie, ch. j.), " pour se garantir de l'oisiveté, laquelle nos ancêtres avoient en si grande horreur, que nous lisons toûjours au commencement des descriptions de leurs entreprises, que c'étoit principalement pour la fuir de toute leur puissance, comme la principale ennemie de leurs coeurs généreux ". Art. de M(D.J.)

COMBAT DE FIEF, (Jurisprud.) est la contestation qui se meut entre deux seigneurs de fief, qui prétendent respectivement la mouvance d'un même héritage, soit en fief ou en censive. Voyez FIEF. (A)


COMBATTANTS. m. c'est un terme héraldique qui se dit de deux animaux, lions ou sangliers, que l'on porte sur un écusson d'armoiries, dans l'attitude de combattans, dressés sur les piés de derriere & affrontés, ou les faces tournées l'une contre l'autre. (V)


COMBINAISONS. f. (Mathémat.) ne devroit se dire proprement que de l'assemblage de plusieurs choses deux à deux ; mais on l'applique dans les Mathématiques à toutes les manieres possibles de prendre un nombre de quantités données.

Le P. Mersenne a donné les combinaisons de toutes les notes & sons de la Musique au nombre de 64 ; la somme qui en vient ne peut s'exprimer, selon lui, qu'avec 60 chiffres ou figures.

Le P. Sébastien a montré dans les mémoires de l'académie 1704, que deux carreaux partagés chacun par leurs diagonales en deux triangles de différentes couleurs, fournissoient 64 arrangemens différens d'échiquier : ce qui doit étonner, lorsqu'on considere que deux figures ne sauroient se combiner que de deux manieres. Voyez CARREAU.

On peut faire usage de cette remarque du P. Sébastien, pour carreler des appartemens.

Doctrine des combinaisons. Un nombre de quantités étant donné avec celui des quantités qui doit entrer dans chaque combinaison, trouver le nombre des combinaisons.

Une seule quantité, comme il est évident, n'admet point de combinaison ; deux quantités a & b donnent une combinaison ; trois quantités a, b, c, combinées deux à deux, donnent trois combinaisons a b, a c, b c ; quatre en donneroient six a b, a c, b c, a d, b d, c d ; cinq en donneroient dix a b, a c, b c, a d, b d, c d, a e, b e, c e, d e.

En général la suite des nombres des combinaisons est 1, 3, 6, 10, &c. c'est-à-dire la suite des nombres triangulaires ; ainsi q représentant le nombre des quantités à combiner, q - 1/1 x q + 0/2 sera le nombre de leurs combinaisons deux à deux. Voyez NOMBRES TRIANGULAIRES.

Si on a trois quantités a, b, c, à combiner trois à trois, elles ne fourniront qu'une seule combinaison a b c ; qu'on prenne une quatrieme quantité d, les combinaisons que ces quatre quantités peuvent avoir trois à trois, seront les quatre a b c, a b d, b c d, a c d ; qu'on en prenne une cinquieme, on aura les dix combinaisons a b c, a b d, b c d, a c d, a b e, b d e, b c e, a c e, a d e ; qu'on en mette une sixieme, on aura vingt combinaisons, &c. Ensorte que la suite des combinaisons trois à trois est celle des nombres pyramidaux ; & que q exprimant toûjours le nombre des quantités données, q - 2/1 x q - 1/2 x q - 0/3, est celui de leurs combinaisons trois à trois.

Le nombre des combinaisons quatre à quatre des mêmes quantités se trouveroit de la même maniere q - 3/1 x q - 2/2 x q - 1/3 x q - 0/4 ; & en général n exprimant le nombre de lettres qu'on veut faire entrer dans chaque terme de la combinaison, la quantité (q - n + 1)/1 x (q - n + 2)/2 x (q - n + 3)/3 x (q - n + 4)/4 x ........ q/n exprimera le nombre demandé des combinaisons.

Que l'on demande, par exemple, en combien de manieres six quantités peuvent se prendre quatre à quatre, on fera q = 6 & n = 4, & l'on substituera ces nombres dans la formule précédente, ce qui donnera 6 -4 + 1/1 x 6 - 4 + 2/2 x 6 - 4 + 3/3 x 6 - 4 + 4/4 = 15.

Corollaire. Si on veut avoir toutes les combinaisons possibles d'un nombre de lettres quelconque, prises tant deux à deux que trois à trois, que 4 à 4, &c. il faudra ajoûter toutes les formules précédentes (q - 1)/1 x (q - 0)/2 ; (q - 2 x q - 1 x q - 0)/(1 x 2 x 3) ; q - 3/1 x q - 2/2 x q - 1/3 x q - 0/4, &c. c'est-à-dire que le nombre de toutes ces combinaisons sera exprimé par (q x q - 1)/(1 . 2) + (q . q - 1 . q - 2)/(2 . 3) + (q x q - 1 . q - 2 . q)/(2 . 3 . 4) - 3 + &c.

Si on compare présentement cette suite avec celle qui représente l'élévation d'un binome quelconque à la puissance q, on verra qu'en faisant égal à l'unité chacun des termes de ce binome, les deux suites sont les mêmes aux deux premiers termes près 1, & q, qui manquent à la suite précédente. De-là il suit qu'au lieu de cette suite, on peut écrire 2 q -1- q. ce qui donne une maniere bien simple d'avoir toutes les combinaisons possibles d'un nombre q de lettres. Que ce nombre soit, par exemple 5, on aura donc pour le nombre total de ses combinaisons 25 - 5 - 1 = 32 - 6 = 26. Voyez BINOME.

Un nombre quelconque de quantités étant donné, trouver le nombre des combinaisons & d'alternations qu'elles peuvent recevoir, en les prenant de toutes les manieres possibles.

Supposons d'abord qu'il n'y ait que deux quantités a, b, on aura d'abord a b & b a, c'est-à-dire le nombre 2 ; & comme chacune de ces quantités peut aussi se combiner avec elle-même, on aura encore a a & b b, c'est-à-dire que le nombre des combinaisons & alternations est en ce cas 2 + 2 = 4. S'il y a trois quantités a, b, c, & que l'exposant de leur variation soit deux, on aura trois termes pour leurs combinaisons, lesquels seront a b, b c, a c : à ces trois termes on en ajoûtera encore trois autres b a, c b, c a, pour les alternations ; & enfin trois autres pour les combinaisons a a, b b, c c, des lettres a, b, c, prise chacune avec elle-même, ce qui donnera 3 + 3 + 3 = 9. En général il sera aisé de voir que si le nombre des quantités est n, & que l'exposant de la variation soit 2, n 2 sera celui de toutes leurs combinaisons & de leurs alternations.

Si l'exposant de la variation est 3, & qu'on ne suppose d'abord que trois lettres a, b, c, on aura pour toutes les combinaisons & alternations a a a, a a b, a b a, b a a, a b b, a a c, a c a, c a a, a b c, b a c, b c a, a c b, c a b, c b a, a c c, c a c, c c a, b b a, b a b, b b b, b b c, c b b, b c b, b c c, c b c, c c b, c c c, c'est-à-dire le nombre 27 ou 33.

De la même maniere, si le nombre des lettres étoit 4, l'exposant de la variation 3, 43, ou 64, seroit le nombre des combinaisons & alternations. Et en général si le nombre des lettres étoit n, n3 seroit celui des combinaisons & alternations pour l'exposant 3. Enfin si l'exposant est un nombre quelconque, m, nm exprimera toutes les combinaisons & alternations pour cet exposant.

Si on veut donc avoir toutes les combinaisons & alternations d'un nombre n de lettres dans toutes les variétés possibles, il faudra prendre la somme de la série nn + n(n - 1) + n(n - 2) + n(n - 3) + n(n - 4) + n(n - 5) + n(n - 6) +, &c. jusqu'à ce que le dernier terme soit n.

Or comme tous les termes de cette suite sont en progression géométrique, & qu'on a le premier terme nn, le second n(n - 1), & le dernier n, il s'ensuit qu'on aura aussi la somme de cette progression, laquelle sera n - 1 n + 1 n - 1

Que n, par exemple, soit égal à 4, le nombre de toutes les combinaisons & alternations possibles sera 45 - 1/4 - 1 = 1020/3 = 340. Que n soit 24, on aura alors pour toutes les combinaisons & alternations possibles 2425 - 24/24 - 1 = 32009658644406818986777955348272600/23 = 1391724288887252999425128493402200 ; & c'est cet énorme nombre qui exprime les combinaisons de toutes les lettres de l'alphabet entr'elles.

Voyez l'ars conjectandi de Jacques Bernoulli, & l'analyse des jeux de hasard de Montmort. Ces deux auteurs, sur-tout le premier, ont traité avec beaucoup de soin la matiere des combinaisons. Cette théorie est en effet très-utile dans le calcul des jeux de hasard ; & c'est sur elle que roule toute la science des probabilités. Voyez JEU, PARI, AVANTAGE, PROBABILITE, CERTITUDE, &c.

Il est visible que la science des anagrammes (voy. ANAGRAMME) dépend de celles des combinaisons. Par exemple, dans Roma qui est composé de quatre lettres, il y a vingt-quatre combinaisons (voy. ALTERNATION) ; & de ces vingt-quatre combinaisons on en trouvera plusieurs qui forment des noms latins, armo, ramo, mora, amor, maro ; on y trouve aussi omar ; de même dans Rome, on trouve more, omer, &c. (O)

COMBINAISON, (Chimie) mot générique exprimant l'union chimique de deux ou de plusieurs principes de nature différente. Les Chimistes prennent souvent le mot mixtion dans le même sens. Voyez MIXTION & PRINCIPES. (b)


COMBLES. m. (Architecture) du latin culmen, sommet, ou culmus, chaume. Ce terme en général désigne la forme des couvertures de toutes les especes de bâtimens civils & militaires : on les appelle aussi toît, du latin tectum, fait de tegere, couvrir.

Ordinairement la construction des combles est de charpente recouverte de cuivre, de plomb, d'ardoise, de tuile, &c. Voyez CUIVRE, PLOMB, ARDOISE, TUILE, &c. Leur hauteur dépend de l'usage intérieur qu'on en veut faire, & de l'importance du bâtiment dans lequel ces sortes d'ouvrages entrent pour quelque chose quant à la décoration des façades, selon qu'ils les terminent avec plus ou moins de succès.

Dans le dernier siecle on regardoit comme un genre de beauté dans nos édifices, de faire des combles d'une élévation extraordinaire, tels qu'il s'en voit aux châteaux de Versailles du côté de l'entrée, de Meudon, de Maisons, &c. & à Paris aux palais des Tuileries & du Luxembourg ; aujourd'hui au contraire l'on regarde comme une beauté réelle de masquer les couvertures par des balustrades, à l'imitation des bâtimens d'Italie, tels que se voyent à Versailles la nouvelle façade du côté des jardins, le palais Bourbon à Paris, l'hôtel de Lassay, &c. Ce qui est certain, c'est que la nécessité d'écouler les eaux du ciel doit déterminer leur hauteur, relativement à leur largeur, afin de leur procurer une pente convenable à cette nécessité. Cette pente doit être déterminée selon la température du climat où l'on bâtit ; desorte que dans le nord l'on peut faire leur hauteur égale à leur base, afin d'écouler plus promtement les neiges qui y sont abondantes : dans les pays chauds au contraire, leur hauteur peut être réduite au quart de leur base ; & dans les pays tempérés, tels que la France, le tiers ou la moitié au plus suffit pour se préserver de l'intempérie des saisons.

Sous le nom de combles, l'on comprend aussi les dômes de forme quadrangulaire & circulaire qui terminent les principaux avant-corps des façades, tels que se remarquent ceux des châteaux des Tuileries & de la Meutte, les combles à l'impériale, en plate-forme, &c.

Dans les combles les plus ordinaires on en compte de trois especes : savoir, les combles à deux égoûts formés d'un triangle isocele, les combles brisés ou à mansardes, dont la partie supérieure est formée d'un triangle isocele, & l'inférieure d'un trapezoïde ; les combles en terrasses sont formés seulement par un trapésoïde. (P)

COMBLE, terme de Mesureur, usité sur-tout dans le commerce des grains. Il se dit de ce qui reste enfaîté au-dessus des bords de la mesure après que le mesureur l'a remplie. Il y a deux manieres de mesurer ; l'une, à mesure comble, & l'autre à mesure rase. La mesure comble est quand on donne à l'acheteur ce qui reste au-dessus des bords avec la mesure même ; & la mesure rase, quand avant de la délivrer le vendeur la racle avec un morceau de bois qu'on appelle radoire & ailleurs rouleau, & en fait tomber ce qui est au-dessus des bords. Il y a des grains & des légumes qui se vendent à mesure rase, & d'autres à mesure comble. Le charbon, le plâtre, la chaux se vendent à mesure comble. Voyez MESURE & MESURER. Dictionn. du Comm. Dish. & Trév.

COMBLE, pié comble. Voyez PIE.

COMBLES, ce sont, chez les Vanniers, tous les intervalles à jour ou pleins qu'il y a entre les faîtes d'un ouvrage.


COMBLERv. act. c'est combler autant qu'il est possible.


COMBLETTES. f. (Venerie) c'est ainsi qu'on appelle la fente du milieu du pié du cerf.


COMBLONS. m. (Artillerie) cordage qui sert, soit à traîner l'artillerie, soit à l'élever ; c'est le synonyme de combleau.


COMBRAILLES(Géog. mod.) petit district en France, dans le Limosin.


COMBRIEREsub. f. (Pêche) filet à prendre de grands poissons, tels que les thons, d'usage sur les côtes de Provence. Voyez l'article THON, sa pêche.


COMBUGERCOMBUGER


COMBUSTIONsub. f. (Chimie & Physique) les Chimistes employent ce mot pour exprimer la décomposition qu'ils operent dans les corps inflammables, lorsqu'ils les exposent à l'action du feu dans les vaisseaux ouverts ou à l'air libre, ensorte que ces corps brûlent réellement, c'est-à-dire essuient la destruction absolue de leurs principes inflammables ; & le dégagement du feu qui concouroit par une combinaison réelle à la formation de ces principes, & qui constitue après ce dégagement l'aliment du feu ou la vraie matiere de la flamme.

Cet effet de la combustion la fait différer essentiellement des opérations qui s'exécutent par le moyen du feu dans les vaisseaux fermés, dans lesquels la production de la flamme n'a jamais lieu, ni par conséquent le dégagement absolu & la dissipation du phlogistique ou du feu combiné. Voyez CALCINATION, DISTILLATION, FLAMME, FEU. (b)

COMBUSTION, terme de l'ancienne Astronomie : quand une planete est en conjonction avec le soleil, & que les centres de ces astres sont éloignés l'un de l'autre de moins que la somme de leurs demi-diametres, on dit que la planete est en combustion. Ce mot vient du latin comburere, brûler, parce qu'une planete qui est en cet état doit paroître passer sur le disque du soleil ou derriere le corps de cet astre, & par conséquent se plonger, pour ainsi dire, dans ses rayons, & en être comme brûlée.

Suivant Argolus, une planete est en combustion, quand elle n'est pas éloignée du soleil de plus de huit degrés trente minutes, à l'orient ou à l'occident. On ne se sert plus de ce mot, qui n'a été inventé que par les Astrologues. Harris & Chambers. (O)


COMCHÉ(Géog. mod.) grande ville d'Asie, au royaume de Perse, sur la route d'Ispahan à Ormus.


COME(Géog. mod.) ville d'Italie, au duché de Milan, dans le Comasque, sur un lac de même nom.


COMÉDIES. f. (Belles-Lettres) c'est l'imitation des moeurs mise en action : imitation des moeurs, en quoi elle differe de la tragédie & du poëme héroïque : imitation en action, en quoi elle differe du poëme didactique moral & du simple dialogue.

Elle differe particulierement de la tragédie dans son principe, dans ses moyens & dans sa fin. La sensibilité humaine est le principe d'où part la tragédie : le pathétique en est le moyen ; l'horreur des grands crimes & l'amour des sublimes vertus sont les fins qu'elle se propose. La malice naturelle aux hommes est le principe de la comédie. Nous voyons les défauts de nos semblables avec une complaisance mêlée de mépris, lorsque ces défauts ne sont ni assez affligeans pour exciter la compassion, ni assez révoltans pour donner de la haine, ni assez dangereux pour inspirer de l'effroi. Ces images nous font sourire, si elles sont peintes avec finesse : elles nous font rire, si les traits de cette maligne joie, aussi frappans qu'inattendus, sont aiguisés par la surprise. De cette disposition à saisir le ridicule, la comédie tire sa force & ses moyens. Il eût été sans-doute plus avantageux de changer en nous cette complaisance vicieuse en une pitié philosophique ; mais on a trouvé plus facile & plus sûr de faire servir la malice humaine à corriger les autres vices de l'humanité, à-peu-près comme on employe les pointes du diamant à polir le diamant même. C'est-là l'objet ou la fin de la comédie.

Mal-à-propos l'a-t-on distingué de la tragédie par la qualité des personnages : le roi de Thebes, & Jupiter lui-même, sont des personnages comiques dans l'Amphytrion ; & Spartacus, de la même condition que Sosie, seroit un personnage tragique à la tête de ses conjurés. Le degré des passions ne distingue pas mieux la comédie de la tragédie. Le desespoir de l'Avare lorsqu'il a perdu sa cassette, ne le cede en rien au desespoir de Philoctete à qui on enleve les fleches d'Hercule. Des malheurs, des périls, des sentimens extraordinaires caractérisent la tragédie, des intérêts & des caracteres communs constituent la comédie. L'une peint les hommes comme ils ont été quelquefois, l'autre, comme ils ont coûtume d'être. La tragédie est un tableau d'histoire, la comédie est un portrait ; non le portrait d'un seul homme, comme la satyre, mais d'une espece d'hommes répandus dans la société, dont les traits les plus marqués sont réunis dans une même figure. Enfin le vice n'appartient à la comédie, qu'autant qu'il est ridicule & méprisable. Dès que le vice est odieux, il est du ressort de la tragédie ; c'est ainsi que Moliere a fait de l'Imposteur un personnage comique dans Tartuffe, & Shakespear un personnage tragique dans Glocestre. Si Moliere a rendu Tartuffe odieux au 5e acte, c'est, comme Rousseau le remarque, par la nécessité de donner le dernier coup de pinceau à son personnage.

On demande si la comédie est un poëme ; question aussi difficile à résoudre qu'inutile à proposer, comme toutes les disputes de mots. Veut-on approfondir un son, qui n'est qu'un son, comme s'il renfermoit la nature des choses ? La comédie n'est point un poëme pour celui qui ne donne ce nom qu'à l'héroïque & au merveilleux ; elle en est un pour celui qui met l'essence de la poésie dans la peinture : un troisieme donne le nom de poëme à la comédie en vers, & le refuse à la comédie en prose, sur ce principe que la mesure n'est pas moins essentielle à la Poésie qu'à la Musique. Mais qu'importe qu'on differe sur le nom, pourvû qu'on ait la même idée de la chose ? L'Avare ainsi que Télémaque sera ou ne sera point un poëme, il ne sera pas moins un ouvrage excellent. On disputoit à Adisson que le Paradis perdu fût un poëme héroïque : hé-bien, dit-il, ce sera un poëme divin.

Comme presque toutes les regles du poëme dramatique concourent à rapprocher par la vraisemblance la fiction de la réalité, l'action de la comédie nous étant plus familiere que celle de la tragédie, & le défaut de vraisemblance plus facile à remarquer, les regles y doivent être plus rigoureusement observées. De-là cette unité, cette continuité de caractere, cette aisance, cette simplicité dans le tissu de l'intrigue, ce naturel dans le dialogue, cette vérité dans les sentimens, cet art de cacher l'art même dans l'enchaînement des situations, d'où résulte l'illusion théatrale.

Si l'on considere le nombre de traits qui caractérisent un personnage comique, on peut dire que la comédie est une imitation exagérée. Il est bien difficile en effet, qu'il échappe en un jour à un seul homme autant de traits d'avarice que Moliere en a rassemblés dans Harpagon ; mais cette exagération rentre dans la vraisemblance lorsque les traits sont multipliés par des circonstances ménagées avec art. Quant à la force de chaque trait, la vraisemblance a des bornes. L'Avare de Plaute examinant les mains de son valet lui dit, voyons la troisieme, ce qui est choquant : Moliere a traduit, l'autre, ce qui est naturel, attendu que la précipitation de l'avare a pû lui faire oublier qu'il a déjà examiné deux mains, & prendre celle-ci pour la seconde. Les autres, est une faute du comédien qui s'est glissée dans l'impression.

Il est vrai que la perspective du théatre exige un coloris fort & de grandes touches, mais dans de justes proportions, c'est-à-dire telles que l'oeil du spectateur les réduise sans peine à la vérité de la nature. Le Bourgeois gentilhomme paye les titres que lui donne un complaisant mercenaire, c'est ce qu'on voit tous les jours ; mais il avoue qu'il les paye, voilà pour le monseigneur ; c'est en quoi il renchérit sur ses modeles. Moliere tire d'un sot l'aveu de ce ridicule, pour le mieux faire appercevoir dans ceux qui ont l'esprit de le dissimuler. Cette espece d'exagération demande une grande justesse de raison & de goût. Le théatre a son optique, & le tableau est manqué dès que le spectateur s'apperçoit qu'on a outré la nature.

Par la même raison, il ne suffit pas pour rendre l'intrigue & le dialogue vraisemblable, d'en exclure ces à parte, que tout le monde entend excepté l'interlocuteur, & ces méprises fondées sur une ressemblance ou un déguisement prétendu, supposition que tous les yeux démentent, hors ceux du personnage qu'on a dessein de tromper ; il faut encore que tout ce qui se passe & se dit sur la scene soit une peinture si naïve de la société, qu'on oublie qu'on est au spectacle. Un tableau est mal peint, si au premier coup d'oeil on pense à la toile, & si l'on remarque la dégradation des couleurs avant que de voir des contours, des reliefs & des lointains. Le prestige de l'art, c'est de le faire disparoître au point que non-seulement l'illusion précede la réflexion, mais qu'elle la repousse & l'écarte. Telle devoit être l'illusion des Grecs & des Romains aux comédies de Ménandre & de Térence, non à celles d'Aristophane & de Plaute. Observons cependant, à-propos de Térence, que le possible qui suffit à la vraisemblance d'un caractere ou d'un évenement tragique, ne suffit pas à la vérité des moeurs de la comédie. Ce n'est point un pere comme il peut y en avoir, mais un pere comme il y en a ; ce n'est point un individu, mais une espece qu'il faut prendre pour modele ; contre cette regle peche le caractere unique du bourreau de lui-même.

Ce n'est point une combinaison possible, à la rigueur ; c'est une suite naturelle d'évenemens familiers qui doit former l'intrigue de la comédie, principe qui condamne l'intrigue de l'Hecyre : si toutefois Térence a eu dessein de faire une comédie d'une action toute pathétique, & d'où il écarte jusqu'à la fin avec une précaution marquée le seul personnage qui pouvoit être plaisant.

D'après ces regles que nous allons avoir occasion de développer & d'appliquer, on peut juger des progrès de la comédie, ou plûtôt de ses révolutions.

Sur le chariot de Thespis la comédie n'étoit qu'un tissu d'injures adressées aux passans par des vendangeurs barbouillés de lie. Cratès, à l'exemple d'Epicharmus & de Phormis, poëtes siciliens, l'éleva sur un théatre plus décent, & dans un ordre plus régulier. Alors la comédie prit pour modele la tragédie inventée par Eschyle, ou plûtôt l'une & l'autre se formerent sur les poésies d'Homere, l'une sur l'iliade & l'Odissée, l'autre sur le Margitès, poëme satyrique du même auteur ; & c'est-là proprement l'époque de la naissance de la comédie greque.

On la divise en ancienne, moyenne & nouvelle, moins par ses âges que par les différentes modifications qu'on y observa successivement dans la peinture des moeurs. D'abord on osa mettre sur le théatre d'Athenes des satyres en action, c'est-à-dire des personnages connus & nommés, dont on imitoit les ridicules & les vices : telle fut la comédie ancienne. Les lois, pour réprimer cette licence, défendirent de nommer. La malignité des poëtes ni celle des spectateurs ne perdit rien à cette défense ; la ressemblance des masques, des vêtemens, de l'action, désignerent si bien les personnages, qu'on les nommoit en les voyant : telle fut la comédie moyenne, où le poëte n'ayant plus à craindre le reproche de la personnalité, n'en étoit que plus hardi dans ses insultes ; d'autant plus sûr d'ailleurs d'être applaudi, qu'en repaissant la malice des spectateurs par la noirceur de ses portraits, il ménageoit encore à leur vanité le plaisir de deviner les modeles. C'est dans ces deux genres qu'Aristophane triompha tant de fois à la honte des Athéniens.

La comédie satyrique présentoit d'abord une face avantageuse. Il est des vices contre lesquels les lois n'ont point sévi : l'ingratitude, l'infidélité au secret & à sa parole, l'usurpation tacite & artificieuse du mérite d'autrui, l'intérêt personnel dans les affaires publiques, échappent à la sévérité des lois ; la comédie satyrique y attachoit une peine d'autant plus terrible, qu'il falloit la subir en plein théatre. Le coupable y étoit traduit, & le public se faisoit justice. C'étoit sans-doute pour entretenir une terreur si salutaire, que non-seulement les poëtes satyriques furent d'abord tolérés, mais gagés par les magistrats comme censeurs de la république. Platon lui-même s'étoit laissé séduire à cet avantage apparent, lorsqu'il admit Aristophane dans son banquet, si toutefois l'Aristophane comique est l'Aristophane du banquet, ce qu'on peut au moins révoquer en doute. Il est vrai que Platon conseilloit à Denis la lecture des comédies de ce poëte, pour connoître les moeurs de la république d'Athenes ; mais c'étoit lui indiquer un bon délateur, un espion adroit, qu'il n'en estimoit pas davantage.

Quant aux suffrages des Athéniens, un peuple ennemi de toute domination devoit craindre sur-tout la supériorité du mérite. La plus sanglante satyre étoit donc sûre de plaire à ce peuple jaloux, lorsqu'elle tomboit sur l'objet de sa jalousie. Il est deux choses que les hommes vains ne trouvent jamais trop fortes ; la flaterie pour eux-mêmes, la médisance contre les autres : ainsi tout concourut d'abord à favoriser la comédie satyrique. On ne fut pas longtems à s'appercevoir que le talent de censurer le vice pour être utile, devoit être dirigé par la vertu ; & que la liberté de la satyre accordée à un malhonnête homme, étoit un poignard dans les mains d'un furieux : mais ce furieux consoloit l'envie. Voilà pourquoi dans Athenes, comme ailleurs, les méchans ont trouvé tant d'indulgence, & les bons tant de sévérité. Témoin la comédie des Nuées, exemple mémorable de la scélératesse des envieux, & des combats que doit se préparer à soûtenir celui qui ose être plus sage & plus vertueux que son siécle.

La sagesse & la vertu de Socrate étoient parvenues à un si haut point de sublimité, qu'il ne falloit pas moins qu'un opprobre solemnel pour en consoler sa patrie. Aristophane fut chargé de l'infâme emploi de calomnier Socrate en plein théatre ; & ce peuple qui proscrivoit un juste, par la seule raison qu'il se lassoit de l'entendre appeller juste, courut en foule à ce spectacle. Socrate y assista debout.

Telle étoit la comédie à Athenes, dans le même tems que Sophocle & Euripide s'y disputoient la gloire de rendre la vertu intéressante, & le crime odieux, par des tableaux touchans ou terribles. Comment se pouvoit-il que les mêmes spectateurs applaudissent à des moeurs si opposées ? Les héros célébrés par Sophocle & par Euripide étoient morts ; le sage calomnié par Aristophane étoit vivant : on loue les grands hommes d'avoir été ; on ne leur pardonne pas d'être.

Mais ce qui est inconcevable, c'est qu'un comique grossier, rampant, & obscene ; sans goût, sans moeurs, sans vraisemblance, ait trouvé des enthousiastes dans le siecle de Moliere. Il ne faut que lire ce qui nous reste d'Aristophane, pour juger, comme Plutarque, que c'est moins pour les honnêtes gens qu'il a écrit, que pour la vile populace, pour des hommes perdus d'envie, de noirceur, & de débauche. Qu'on lise après cela l'éloge qu'en fait madame Dacier : Jamais homme n'a eu plus de finesse, ni un tour plus ingénieux ; le style d'Aristophane est aussi agréable que son esprit ; si l'on n'a pas lû Aristophane, on ne connoit pas encore tous les charmes & toutes les beautés du grec, &c.

Les Magistrats s'apperçûrent, mais trop tard, que dans la comédie appellée moyenne les poëtes n'avoient fait qu'éluder la loi qui défendoit de nommer ; ils en porterent une seconde, qui bannissant du théatre toute imitation personnelle, borna la comédie à la peinture générale des moeurs.

C'est alors que la comédie nouvelle cessa d'être une satyre, & prit la forme honnête & décente qu'elle a conservée depuis. C'est dans ce genre que fleurit Ménandre, poëte aussi pur, aussi élégant, aussi naturel, aussi simple, qu'Aristophane l'étoit peu. On ne peut sans regretter sensiblement les ouvrages de ce poëte, lire l'éloge qu'en a fait Plutarque, d'accord avec toute l'antiquité : c'est une prairie émaillée de fleurs, où l'on aime à respirer un air pur.... La muse d'Aristophane ressemble à une femme perdue ; celle de Ménandre à une honnête femme.

Mais comme il est plus aisé d'imiter le grossier & le bas, que le délicat & le noble, les premiers poëtes latins, enhardis par la liberté & la jalousie républicaine, suivirent les traces d'Aristophane. De ce nombre fut Plaute lui-même ; sa muse est, comme celle d'Aristophane, de l'aveu non suspect de l'un de leurs apologistes, une bacchante, pour ne rien dire de pis, dont la langue est détrempée de fiel.

Térence qui suivit Plaute, comme Ménandre Aristophane, imita Ménandre sans l'égaler. César l'appelloit un demi-Ménandre, & lui reprochoit de n'avoir pas la force comique ; expression que les commentateurs ont interprétée à leur façon, mais qui doit s'entendre de ces grands traits qui approfondissent les caracteres, & qui vont chercher le vice jusque dans les replis de l'ame, pour l'exposer en plein théatre au mépris des spectateurs.

Plaute est plus vif, plus gai, plus fort, plus varié ; Terence plus fin, plus vrai, plus pur, plus élégant : l'un a l'avantage que donne l'imagination qui n'est captivée ni par les regles de l'art ni par celles des moeurs, sur le talent assujetti à toutes ces regles ; l'autre a le mérite d'avoir concilié l'agrément & la décence, la politesse & la plaisanterie, l'exactitude & la facilité : Plaute toûjours varié, n'a pas toûjours l'art de plaire ; Térence trop semblable à lui-même, a le don de paroître toûjours nouveau : on souhaiteroit à Plaute l'ame de Térence, à Térence l'esprit de Plaute.

Les révolutions que la comédie a éprouvées dans ses premiers âges, & les différences qu'on y observe encore aujourd'hui, prennent leur source dans le génie des peuples & dans la forme des gouvernemens : l'administration des affaires publiques, & par conséquent la conduite des chefs, étant l'objet principal de l'envie & de la censure dans un état démocratique, le peuple d'Athenes, toûjours inquiet & mécontent, devoit se plaire à voir exposer sur la scene, non-seulement les vices des particuliers, mais l'intérieur du gouvernement, les prévarications des magistrats, les fautes des généraux, & sa propre facilité à se laisser corrompre ou séduire. C'est ainsi qu'il a couronné les satyres politiques d'Aristophane.

Cette licence devoit être réprimée à mesure que le gouvernement devenoit moins populaire ; & l'on s'apperçoit de cette modération dans les dernieres comédies du même auteur, mais plus encore dans l'idée qui nous reste de celles de Ménandre, où l'état fut toûjours respecté, & où les intrigues privées prirent la place des affaires publiques.

Les Romains sous les consuls, aussi jaloux de leur liberté que les Athéniens, mais plus jaloux de la dignité de leur gouvernement, n'auroient jamais permis que la république fût exposée aux traits insultans de leurs poëtes. Ainsi les premiers comiques latins hasarderent la satyre personnelle, mais jamais la satyre politique.

Dès que l'abondance & le luxe eurent adouci les moeurs de Rome, la comédie elle-même changea son âpreté en douceur ; & comme les vices des Grecs avoient passé chez les Romains, Térence, pour les imiter, ne fit que copier Ménandre.

Le même rapport de convenance a déterminé le caractere de la comédie sur tous les théatres de l'Europe, depuis la renaissance des Lettres.

Un peuple qui affectoit autrefois dans ses moeurs une gravité superbe, & dans ses sentimens une enflure romanesque, a dû servir de modele à des intrigues pleines d'incidens & de caracteres hyperboliques. Tel est le théatre espagnol ; c'est-là seulement que seroit vraisemblable le caractere de cet amant (Villa Mediana) :

Qui brûla sa maison pour embrasser sa dame,

L'emportant à-travers la flamme.

Mais ni ces exagérations forcées, ni une licence d'imagination qui viole toutes les regles, ni un raffinement de plaisanterie souvent puérile, n'ont pû faire refuser à Lopès de Vega une des premieres places parmi les poëtes comiques modernes. Il joint en effet à la plus heureuse sagacité dans le choix des caracteres, une force d'imagination que le grand Corneille admiroit lui-même. C'est de Lopès de Vega qu'il a emprunté le caractere du Menteur, dont il disoit avec tant de modestie & si peu de raison, qu'il donneroit deux de ses meilleures pieces pour l'avoir imaginé.

Un peuple, qui a mis long-tems son honneur dans la fidélité des femmes, & dans une vengeance cruelle de l'affront d'être trahi en amour, a dû fournir des intrigues périlleuses pour les amans, & capables d'exercer la fourberie des valets ; ce peuple d'ailleurs pantomime, a donné lieu à ce jeu muet, qui quelquefois par une expression vive & plaisante, & souvent par des grimaces qui rapprochent l'homme du singe, soûtient seul une intrigue dépourvûe d'art, de sens, d'esprit, & de goût. Tel est le comique italien, aussi chargé d'incidens, mais moins bien intrigué que le comique espagnol. Ce qui caractérise encore plus le comique italien, est ce mélange de moeurs nationales, que la communication & la jalousie mutuelle des petits états d'Italie a fait imaginer à leurs poëtes. On voit dans une même intrigue un bolonois, un vénitien, un napolitain, un bergamasque, chacun avec le ridicule dominant de sa patrie. Ce mélange bizarre ne pouvoit manquer de réussir dans sa nouveauté. Les Italiens en firent une regle essentielle de leur théatre, & la comédie s'y vit par-là condamnée à la grossiere uniformité qu'elle avoit eue dans son origine. Aussi dans le recueil immense de leurs pieces, n'en trouve-t-on pas une seule dont un homme de goût soûtienne la lecture. Les Italiens ont eux-mêmes reconnu la supériorité du comique françois ; & tandis que leurs histrions se soûtiennent dans le centre des beaux arts, Florence les a proscrits dans son théatre, & a substitué à leurs farces les meilleures comédie de Moliere traduites en italien. A l'exemple de Florence, Rome & Naples admirent sur leur théatre les chefs-d'oeuvre du nôtre. Venise se défend encore de la révolution ; mais elle cédera bientôt au torrent de l'exemple & à l'attrait du plaisir. Paris seul ne verra-t-il plus joüer Moliere ?

Un état où chaque citoyen se fait gloire de penser avec indépendance, a dû fournir un grand nombre d'originaux à peindre. L'affectation de ne ressembler à personne fait souvent qu'on ne ressemble pas à soi-même, & qu'on outre son propre caractere, de peur de se plier au caractere d'autrui. Là ce ne sont point des ridicules courans ; ce sont des singularités personnelles, qui donnent prise à la plaisanterie ; & le vice dominant de la société est de n'être pas sociable. Telle est la source du comique anglois, d'ailleurs plus simple, plus naturel, plus philosophique que les deux autres, & dans lequel la vraisemblance est rigoureusement observée, aux dépens même de la pudeur.

Mais une nation douce & polie, où chacun se fait un devoir de conformer ses sentimens & ses idées aux moeurs de la société, où des préjugés sont des principes, où les usages sont des lois, où l'on est condamné à vivre seul dès qu'on veut vivre pour soi-même ; cette nation ne doit présenter que des caracteres adoucis par les égards, & que des vices palliés par les bienséances. Tel est le comique françois, dont le théatre anglois s'est enrichi autant que l'opposition des moeurs a pû le permettre.

Le comique françois se divise, suivant les moeurs qu'il peint, en comique bas, comique bourgeois, & haut comique. Voyez COMIQUE.

Mais une division plus essentielle se tire de la différence des objets que la comédie se propose : ou elle peint le vice qu'elle rend méprisable, comme la tragédie rend le crime odieux ; de-là le comique de caractere : ou elle fait les hommes joüets des évenemens ; de-là le comique de situation : ou elle présente les vertus communes avec des traits qui les font aimer, & dans des périls ou des malheurs qui les rendent intéressantes ; de-là le comique attendrissant.

De ces trois genres, le premier est le plus utile aux moeurs, le plus fort, le plus difficile, & par conséquent le plus rare : le plus utile aux moeurs, en ce qu'il remonte à la source des vices, & les attaque dans leur principe ; le plus fort, en ce qu'il présente le miroir aux hommes, & les fait rougir de leur propre image ; le plus difficile & le plus rare, en ce qu'il suppose dans son auteur une étude consommée des moeurs de son siecle, un discernement juste & promt, & une force d'imagination qui réunisse sous un seul point de vûe les traits que sa pénétration n'a pû saisir qu'en détail. Ce qui manque à la plûpart des peintres de caractere, & ce que Moliere, ce grand modele en tout genre, possédoit éminemment ; c'est ce coup-d'oeil philosophique, qui saisit non-seulement les extrèmes, mais le milieu des choses : entre l'hypocrite scélérat, & le dévot crédule, on voit l'homme de bien qui démasque la scélératesse de l'un, & qui plaint la crédulité de l'autre. Moliere met en opposition les moeurs corrompues de la société, & la probité farouche du Misantrope : entre ces deux excès paroît la modération du sage, qui hait le vice & qui ne hait pas les hommes. Quel fonds de philosophie ne faut-il point pour saisir ainsi le point fixe de la vertu ! C'est à cette précision qu'on reconnoît Moliere, bien mieux qu'un peintre de l'antiquité ne reconnut son rival au trait du pinceau qu'il avoit tracé sur une toile.

Si l'on nous demande pourquoi le comique de situation nous excite à rire, même sans le concours du comique de caractere, nous demanderons à notre tour d'où vient qu'on rit de la chûte imprévûe d'un passant. C'est de ce genre de plaisanterie que Hensius a eû raison de dire : plebis aucupium est & abusus. Voyez RIRE. Il n'en est pas ainsi du comique attendrissant ; peut-être même est-il plus utile aux moeurs que la tragédie, vû qu'il nous intéresse de plus près, & qu'ainsi les exemples qu'il nous propose nous touchent plus sensiblement : c'est du moins l'opinion de Corneille. Mais comme ce genre ne peut être ni soûtenu par la grandeur des objets, ni animé par la force des situations, & qu'il doit être à-la-fois familier & intéressant, il est difficile d'y éviter le double écueil d'être froid ou romanesque ; c'est la simple nature qu'il faut saisir ; & c'est le dernier effort de l'art d'imiter la simple nature. Quant à l'origine du comique attendrissant, il faut n'avoir jamais lû les anciens pour en attribuer l'invention à notre siecle ; on ne conçoit même pas que cette erreur ait pu subsister un instant chez une nation accoûtumée à voit joüer l'Andrienne de Térence, où l'on pleure dès le premier acte. Quelque critique pour condamner ce genre, a osé dire qu'il étoit nouveau ; on l'en a cru sur sa parole, tant la légéreté & l'indifférence d'un certain public, sur les opinions littéraires, donne beau jeu à l'effronterie & à l'ignorance.

Tels sont les trois genres de comiques, parmi lesquels nous ne comptons ni le comique de mots si fort en usage dans la société, foible ressource des esprits sans talent, sans étude, & sans goût ; ni ce comique obscene, qui n'est plus souffert sur notre théatre que par une sorte de prescription, & auquel les honnêtes gens ne peuvent rire sans rougir ; ni cette espece de travestissement, où le parodiste se traîne après l'original pour avilir par une imitation burlesque, l'action la plus noble & la plus touchante : genres méprisables, dont Aristophane est l'auteur.

Mais un genre supérieur à tous les autres, est celui qui réunit le comique de situation & le comique de caractere, c'est-à-dire dans lequel les personnages sont engagés par les vices du coeur, ou par les travers de l'esprit, dans les circonstances humiliantes qui les exposent à la risée & au mépris des spectateurs. Tel est, dans l'Avare de Moliere, la rencontre d'Arpagon avec son fils, lorsque sans se connoître ils viennent traiter ensemble, l'un comme usurier, l'autre comme dissipateur.

Il est des caracteres trop peu marqués pour fournir une action soûtenue : les habiles peintres les ont grouppés avec des caracteres dominans ; c'est l'art de Moliere : ou ils ont fait contraster plusieurs de ces petits caracteres entr'eux ; c'est la maniere de Dufreny, qui quoique moins heureux dans l'oeconomie de l'intrigue, est celui de nos auteurs comiques, après Moliere, qui a le mieux saisi la nature ; avec cette différence que nous croyons tous avoir apperçu les traits que nous peint Moliere, & que nous nous étonnons de n'avoir pas remarqué ceux que Dufreny nous fait appercevoir.

Mais combien Moliere n'est-il pas au-dessus de tous ceux qui l'ont précédé, ou qui l'ont suivi ? Qu'on lise le parallele qu'en a fait, avec Térence, l'auteur du siecle de Louis XIV. le plus digne de les juger, la Bruyere. Il n'a, dit-il, manqué à Térence que d'être moins froid : quelle pureté ! quelle exactitude ! quelle politesse ! quelle élégance ! quels caracteres ! Il n'a manqué à Moliere que d'éviter le jargon, & d'écrire purement : quel feu ! quelle naïveté ! quelle source de la bonne plaisanterie ! quelle imitation des moeurs ! & quel fléau du ridicule ! mais quel homme on auroit pû faire de ces deux comiques !

La difficulté de saisir comme eux les ridicules & les vices, a fait dire qu'il n'étoit plus possible de faire des comédies de caracteres. On prétend que les grands traits ont été rendus, & qu'il ne reste plus que des nuances imperceptibles : c'est avoir bien peu étudié les moeurs du siecle, que de n'y voir aucun nouveau caractere à peindre. L'hypocrisie de la vertu est-elle moins facile à démasquer que l'hypocrisie de la dévotion ? le misantrope par air est-il moins ridicule que le misantrope par principes ? le fat modeste, le petit seigneur, le faux magnifique, le défiant, l'ami de cour, & tant d'autres, viennent s'offrir en foule à qui aura le talent & le courage de les traiter. La politesse gase les vices ; mais c'est une espece de draperie legere, à-travers laquelle les grands maîtres savent bien dessiner le nud.

Quant à l'utilité de la comédie morale & décente, comme elle l'est aujourd'hui sur notre théatre, la révoquer en doute, c'est prétendre que les hommes soient insensibles au mépris & à la honte ; c'est supposer, ou qu'ils ne peuvent rougir, ou qu'ils ne peuvent se corriger des défauts dont ils rougissent ; c'est rendre les caracteres indépendans de l'amour propre qui en est l'ame, & nous mettre au-dessus de l'opinion publique, dont la foiblesse & l'orgueil sont les esclaves, & dont la vertu même a tant de peine à s'affranchir.

Les hommes, dit-on, ne se reconnoissent pas à leur image : c'est ce qu'on peut nier hardiment. On croit tromper les autres, mais on ne se trompe jamais ; & tel prétend à l'estime publique, qui n'oseroit se montrer s'il croyoit être connu comme il se connoît lui-même.

Personne ne se corrige, dit-on encore : malheur à ceux pour qui ce principe est une vérité de sentiment ; mais si en effet le fond du naturel est incorrigible, du moins le dehors ne l'est pas. Les hommes ne se touchent que par la surface ; & tout seroit dans l'ordre, si on pouvoit réduire ceux qui sont nés vicieux, ridicules, ou méchans, à ne l'être qu'au-dedans d'eux-mêmes. C'est le but que se propose la comédie ; & le théatre est pour le vice & le ridicule, ce que sont pour le crime les tribunaux où il est jugé, & les échafauds où il est puni.

On pourroit encore diviser la comédie relativement aux états, & on verroit naître de cette division, la comédie dont nous venons de parler dans cet article, la pastorale & la féerie : mais la pastorale & la féerie ne méritent guere le nom de comédie que par une sorte d'abus. Voyez les articles FEERIE & PASTORALE. Cet article est de M. de Marmontel.

* COMEDIE, (Hist. anc.) La comédie des anciens prit différens noms, relativement à différentes circonstances dont nous allons faire mention.

Ils eurent les comédies Atellanes, ainsi nommées d'Atella, maintenant Aversa, dans la Campanie : c'étoit un tissu de plaisanteries ; la langue en étoit oscique ; elle étoit divisée en actes ; il y avoit de la musique, de la pantomime, & de la danse ; de jeunes romains en étoient les acteurs. Voyez ATELLANES.

Les comédies mixtes, où une partie se passoit en récit, une autre en action ; ils disoient qu'elles étoient partim statariae, partim motoriae, & ils citoient en exemple l'Eunuque de Térence.

Les comédies appellées motoriae, celles où tout étoit en action, comme dans l'Amphytrion de Plaute.

Les comédies appellées palliatae, où le sujet & les personnages étoient grecs, où les habits étoient grecs ; où l'on se servoit du pallium : on les appelloit aussi crepidae, chaussure commune des Grecs.

Les comédies appellées planipediae, celles qui se joüoient à pieds nuds, ou plûtôt sur un théatre de plain-pié avec le rez-de-chaussée.

Les comédies appellées praetextatae, où le sujet & les personnages étoient pris dans l'état de la noblesse, & de ceux qui portoient les togae-praetextae.

Les comédies appellées rhintonicae, ou comique larmoyant, qui s'appelloit encore hilaro tragedia, ou latina comedia, ou comedia italica. L'inventeur en fut un bouffon de Tarente nommé Rhintone.

Les comédies appellées statariae, celles où il y a beaucoup de dialogue & peu d'action, telles que l'Hecyre de Térence & l'Asinaire de Plaute.

Les comédies appellées tabernariae, dont le sujet & les personnages étoient pris du bas peuple, & tirés des tavernes. Les acteurs y joüoient en robes longues, togis, sans manteaux à la greque, palliis. Afranius & Ennius se distinguerent dans ce genre.

Les comédies appellées togatae, où les acteurs étoient habillés de la toge. Stephanius fit les premieres ; on les soûdivisa en togatae proprement dites, praetextatae, tabernariae, & Atellanae. Les togatae tenoient proprement le milieu entre les praetextatae & les tabernariae : c'étoient les opposées des palliatae.

Les comédies appellées trabeatae : on en attribue l'invention à Caïus Melissus. Les acteurs y paroissoient in trabeis, & y joüoient des triomphateurs, des chevaliers. La dignité de ces personnages si peu propres au comique, a répandu bien de l'obscurité sur la nature de ce spectacle.

COMEDIE SAINTE, (Hist. mod. théat.) Les comédies saintes étoient des especes de farces sur des sujets de piété, qu'on représentoit publiquement dans le quinzieme & le seizieme siecle. Tous les historiens en parlent.

Chez nos dévots ayeux le théatre abhorré

Fut long-tems dans la France un plaisir ignoré.

De pélerins, dit-on, une troupe grossiere

En public à Paris y monta la premiere,

Et sottement zélée en sa simplicité

Joüa les Saints, la Vierge, & Dieu par piété.

Art poétiq.

La fin du regne de Charles V. ayant vû naître le chant royal, genre de poésie de même construction que la ballade, & qui se faisoit en l'honneur de Dieu ou de la Vierge, il se forma des sociétés qui, sous Charles VI. en composerent des pieces distribuées en actes, en scenes, & en autant de différens personnages qu'il étoit nécessaire pour la représentation. Leur premier essai se fit au bourg Saint-Maur ; ils prirent pour sujet la passion de Notre-Seigneur. Le Prevôt de Paris en fut averti, & leur défendit de continuer : mais ils se pourvûrent à la cour ; & pour se la rendre plus favorable, ils érigerent leur société en confrairie, sous le titre des confreres de la passion de Notre-Seigneur. Le roi Charles VI. voulut voir quelques-unes de leurs pieces : elles lui plurent, & ils obtinrent des lettres patentes du 4 Décembre 1402, pour leur établissement à Paris. M. de la Mare les rapporte dans son tr. de pol. l. III. tom. III. ch. jx. Charles VI. leur accorda par ces lettres patentes, la liberté de continuer publiquement les représentations de leurs comédies pieuses, en y appellant quelques-uns de ses officiers ; il leur permit même d'aller & de venir par la ville habillés suivant le sujet & la qualité des mysteres qu'ils devoient représenter.

Après cette permission, la société de la passion fonda dans la chapelle de la Sainte-Trinité le service de la confrairie. La maison dont dépendoit cette chapelle avoit été bâtie hors la porte de Paris du côté de Saint-Denis, par deux gentils-hommes allemands, freres utérins, pour recevoir les pélerins & les pauvres voyageurs qui arrivoient trop tard pour entrer dans la ville, dont les portes se fermoient alors. Dans cette maison il y avoit une grande salle que les confreres de la passion loüerent : ils y construisirent un théatre & y représenterent leurs jeux, qu'ils nommerent d'abord moralités, & ensuite mysteres, comme le mystere de la passion, le mystere des actes des apôtres, le mystere le l'apocalypse, &c. Ces sortes de comédies prirent tant de faveur, que bientôt elles furent joüées en plusieurs endroits du royaume sur des théatres publics ; & la Fête-Dieu d'Aix en Provence en est encore de nos jours un reste ridicule.

Alain Chartier, dans son histoire de Charles VII. parlant de l'entrée de ce roi à Paris en l'année 1437, pag. 109. dit que, " tout au long de la grande rue saint-Denis, auprès d'un ject de pierre l'un de l'autre, étoient des eschaffaulds bien & richement tendus, où estoient faits par personnages l'annonciation Notre-Dame : la nativité Notre-Seigneur, sa passion, sa résurrection, la pentecoste, & le jugement qui séoit très-bien : car il se joüoit devant le chastelet où est la justice du roi. Et emmy la ville, y avoit plusieurs autres jeux de divers mysteres, qui seroient très-longs à racompter. Et là venoient gens de toutes parts criant Noël, & les autres pleuroient de joie.

En l'année 1486, le chapitre de l'église de Lyon ordonna soixante livres à ceux qui avoient joüé le mystere de la passion de Jésus-Christ, liv. XXVIII. des actes capitulaires, fol. 153. De Rubis, dans son histoire de la même ville, liv. III. ch. liij. fait mention d'un théatre public dressé à Lyon en 1540. " Et là, dit-il, par l'espace de trois ou quatre ans, les jours de dimanches & les fêtes après le disner, furent représentées la pluspart des histoires du vieil & nouveau Testament, avec la farce au bout, pour recréer les assistans ". Le peuple nommoit ce théatre le paradis.

François I. qui prenoit grand plaisir à la représentation de ces sortes de comédies saintes, confirma les priviléges des confreres de la passion par lettres patentes du mois de Janvier 1518. Voici le titre de deux de ces pieces, par où le lecteur pourra s'en former quelqu'idée. S'ensuit le mystere de la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, nouvellement reveu & corrigé outre les précédentes impressions, avec les additions faites par très-éloquent & scientifique maistre Jehan Michel ; lequel mystere fut joüé à Angiers moult triumphamment, & dernierement à Paris, avec le nombre des personnages qui sont à la fin dudit livre, & font en nombre cxlj. 1541. in -4.

L'autre piece contient le mystere des actes des apôtres : il fut imprimé à Paris en 1540, in -4. & on marqua dans le titre qu'il étoit joüé à Bourges. L'année suivante il fut réimprimé in-fol. à Paris, où il se joüoit. Cette comédie est divisée en deux parties. La premiere est intitulée : Le premier volume des catholiques oeuvres & actes des apôtres, rédigez en escript par saint Luc évangéliste, & hystoriographe, député par le saint-Esprit, icelui saint Luc escripvant à Théophile, avec plusieurs histoires en icelui insérées des gestes des Césars. Le tout veu & corrigé bien & duement selon la vraie vérité, & joüé par personnages à Paris en l'hostel de Flandres, l'an mil cinq cent XLI. avec privilége du roi. On les vend à la grand-salle du palais par Arnould & Charles les Angeliers freres, tenans leurs boutiques au premier & deuxieme pilier, devant la chapelle de messeigneurs les présidens : in-fol. La seconde partie a pour titre : Le second volume du magnifique mystere des actes des apôtres, continuant la narration de leurs faits & gestes selon l'Escripture saincte, avecques plusieurs histoires en icelui insérées des gestes des Césars. Veû & corrigé bien & deument selon la vraie vérité, & ainsi que le mystere est joüé à Paris cette présente année mil cinq cent quarante-ung.

Cet ouvrage fut commencé vers le milieu du xv. siecle par Arnoul Greban, chanoine du Mans, & continué par Simon Greban son frere, secrétaire de Charles d'Anjou comte du Maine : il fut ensuite revû, corrigé, & imprimé par les soins de Pierre Cuevret ou Curet, chanoine du Mans, qui vivoit au commencement du xvj. siecle. Voyez la bibliotheque de la Croix du Maine, pag. 24. 391. & 456.

Quelques particuliers entreprirent de faire joüer de cette maniere en 1542, à Paris, le mystere de l'ancien Testament, & François I. avoit approuvé leur dessein ; mais le parlement s'y opposa par acte du 9 Décembre 1541, & ce morceau des registres du parlement est très-curieux, au jugement de M. du Monteil.

La représentation de ces pieces sérieuses dura près d'un siecle & demi ; mais insensiblement les joüeurs y mêlerent quelques farces tirées de sujets burlesques, qui amusoient beaucoup le peuple, & qu'on nomma les jeux des pois pilés, apparemment par allusion à quelque scene d'une des pieces.

Ce mélange de religion & de bouffonnerie déplut aux gens sages. En 1545 la maison de la Trinité fut de nouveau convertie en hôpital, suivant sa fondation : ce qui fut ordonné par un arrêt du parlement. Alors les confreres de la passion, obligés de quitter leur salle, choisirent un autre lieu pour leur théatre ; & comme ils avoient fait des gains considérables, ils acheterent en 1548 la place & les masures de l'hôtel de Bourgogne, où ils bâtirent un nouveau théatre. Le parlement leur permit de s'y établir par arrêt du 19 Novembre 1548, à condition de n'y joüer que des sujets profanes, licites, & honnêtes, & leur fit de très-expresses défenses d'y représenter aucun mystere de la passion, ni autre mystere sacré : il les confirma néanmoins dans tous leurs priviléges, & fit défenses à tous autres, qu'aux confreres de la passion, de joüer, ni représenter aucuns jeux, tant dans la ville, fauxbourgs, que banlieue de Paris, sinon sous le nom & au profit de la confrairie : ce qui fut confirmé par lettres patentes d'Henri II. du mois de Mars 1559.

Les confreres de la passion qui avoient seuls le privilége, cesserent de monter eux-mêmes sur le théatre ; ils trouverent que les pieces profanes ne convenoient plus au titre religieux qui caractérisoit leur compagnie. Une troupe d'autres comédiens se forma pour la premiere fois, & prit d'eux à loyer le privilége, & l'hôtel de Bourgogne. Les bailleurs s'y réserverent seulement deux loges pour eux & pour leurs amis ; c'étoient les plus proches du théatre, distinguées par des barreaux, & on les nommoit les loges des maîtres. La farce de Patelin y fut joüée : mais le premier plan de comédie profane est dû à Etienne Jodelle, qui composa la piece intitulée la rencontre, qui plut fort à Henri II. devant lequel elle fut représentée. Cléopatre & Didon sont deux tragédies du même auteur, qui parurent des premieres sur le théatre au lieu & place des tragédies saintes.

Dès qu'Henri III. fut monté sur le trône, il infecta le royaume de farceurs ; il fit venir de Venise les comédiens italiens surnommés li Gelosi, lesquels au rapport de M. de l'Etoile (que je vais copier ici), " commencerent le dimanche 29 Mai 1577 leurs comédies en l'hostel de Bourbon à Paris ; ils prenoient quatre souls de salaire par teste de tous les François, & il y avoit tel concours, que les quatre meilleurs prédicateurs de Paris n'en avoient pas tous ensemble autant quand ils preschoient.... Le mercredi 26 Juin, la cour assemblée aux Mercuriales, fit défenses aux Gelosi de plus joüer leurs comédies, pour ce qu'elles n'enseignoient que paillardises.... Le samedi 27 Juillet, li Gelosi, après avoir présenté à la cour les lettres patentes, par eux obtenues du roi, afin qu'il leur fût permis de joüer leurs comédies, nonobstant les défenses de la cour, furent renvoyés par fin de non-recevoir, & défenses à eux faites de plus obtenir & présenter à la cour de telles lettres, sous peine de dix mille livres parisis d'amende, applicables à la boîte des pauvres ; nonobstant lesquelles défenses, au commencement de Septembre suivant, ils recommencerent à joüer leurs comédies en l'hôtel de Bourbon, comme auparavant, par la jussion expresse du roi : la corruption de ce tems étant telle, que les farceurs, bouffons, put.... & mignons, avoient tout crédit auprès du roi ". Journal d'Henri III. par Pierre de l'Etoile, à la Haye, 1744, in -8°. tom. I. pag. 206. 209. & 211.

La licence s'étant également glissée dans toutes les autres troupes de comédiens, le parlement refusa pendant long-tems d'enregistrer leurs lettres patentes, & il permit seulement en 1596 aux comédiens de province, de joüer à la foire saint-Germain, à la charge de payer par chacune année qu'ils joüeroient, deux écus aux administrateurs de la confrairie de la passion. En 1609, une ordonnance de police défendit à tous comédiens de représenter aucunes comédies ou farces, qu'ils ne les eussent communiquées au procureur du roi. Enfin on réunit le revenu de la confrairie de la passion à l'hôpital général. Voyez sur tout ceci Pasquier, rech. liv. VII. ch. v. De la Mare, traité de pol. liv. III. tom. III. oeuvres de Despréaux, Paris, 1747, in -8°. &c.

Les accroissemens de paris ayant obligé les comédiens à se séparer en deux bandes ; les uns resterent à l'hôtel de Bourgogne, & les autres allerent à l'hôtel d'Argent au Marais. On y joüoit encore les pieces de Jodelle, de Garnier, & de leurs semblables, quand Corneille vint à donner sa Mélite, qui fut suivie du Menteur, piece de caractere & d'intrigue. Alors parut Moliere, le plus parfait des poëtes comiques, & qui a remporté le prix de son art malgré ses jaloux & ses contemporains.

Le comique né d'une dévotion ignorante, passa dans une bouffonnerie ridicule ; ensuite tomba dans une licence grossiere, & demeura tel, ou barbouillé de lie, jusqu'au commencement du siecle de Louis XIV. Le cardinal de Richelieu, par ses libéralités, l'habilla d'un masque plus honnête ; Moliere en le chaussant de brodequins, jusqu'alors inconnus, l'éleva au plus haut point de gloire ; & à sa mort, la nature l'ensevelit avec lui. Article de M(D.J.)

COMEDIE BALLET : on donne ce nom au théatre françois, aux comédies qui ont des intermedes, comme Psiché, la princesse d'Elide, &c. Voy. INTERMEDE. Autrefois, & dans sa nouveauté, Georges Dandin & le Malade imaginaire étoient appellés de ce nom, parce qu'ils avoient des intermedes.

Au théatre lyrique, la comédie ballet est une espece de comédie en trois ou quatre actes, précédés d'un prologue.

Le Carnaval de Venise de Renard, mis en musique par Campra, est la premiere comédie ballet qu'on ait représentée sur le théatre de l'opéra : elle le fut en 1699. Nous n'avons dans ce genre que le Carnaval & la Folie, ouvrage de la Mothe, fort ingénieux & très-bien écrit, donné en 1704, qui soit resté au théatre. La musique est de Destouches.

Cet ouvrage n'est point copie d'un genre trouvé. La Mothe a manié son sujet d'une maniere originale. L'allégorie est le fond de sa piece, & c'est presque un genre neuf qu'il a créé. C'est dans ces sortes d'ouvrages qu'il a imaginés, où il a été excellent. Il étoit foible quand il marchoit sur les pas d'autrui, & presque toûjours parfait, quelquefois même sublime, lorsqu'il suivoit le feu de ses propres idées. Voyez PASTORALE & BALLET. (B)


COMÉDIENS. m. (Belles Lettres) personne qui fait profession de représenter des pieces de théatre, composées pour l'instruction & l'amusement du public.

On donne ce nom, en général, aux acteurs & actrices qui montent sur le théatre, & joüent des rôles tant dans le comique que dans le tragique, dans les spectacles où l'on déclame : car à l'opéra on ne leur donne que le nom d'acteurs ou d'actrices, danseurs, filles des choeurs, &c.

Nos premiers comédiens ont été les Troubadours, connus aussi sous le nom de Trouveurs & Jongleurs ; ils étoient tout-à-la-fois auteurs & acteurs, comme on a vû Moliere, Dancour, Montfleury, le Grand, &c. Aux Jongleurs succéderent les confreres de la passion, qui représentoient les pieces appellées mysteres, dont il a été parlé plus haut. Voyez COMEDIE SAINTE.

A ces confreres ont succédé les troupes de comédiens, qui sont ou sédentaires comme les comédiens françois, les comédiens italiens établis à Paris, & plusieurs autres troupes qui ont des théatres fixes dans plusieurs grandes villes du royaume, comme Strasbourg, Lille, &c. & les comédiens qui courent les provinces & vont de ville en ville, & qu'on nomme comédiens de campagne.

La profession de comédien est honorée en Angleterre ; on n'y a point fait difficulté d'accorder à Mlle Olfilds un tombeau à Westminster à côté de Newton & des rois. En France, elle est moins honorée. L'Eglise romaine les excommunie, & leur refuse la sépulture chrétienne, s'ils n'ont pas renoncé au théatre avant leur mort. Voyez ACTEURS. (G)

* Si l'on considére le but de nos spectacles, & les talens nécessaires dans celui qui sait y faire un rôle avec succès, l'état de comédien prendra nécessairement dans tout bon esprit le degré de considération qui lui est dû. Il s'agit maintenant, sur notre théatre françois particulierement, d'exciter à la vertu, d'inspirer l'horreur du vice, & d'exposer les ridicules : ceux qui l'occupent sont les organes des premiers génies & des hommes les plus célebres de la nation, Corneille, Racine, Moliere, Renard, M. de Voltaire, &c. leur fonction exige, pour y exceller, de la figure, de la dignité, de la voix, de la mémoire, du geste, de la sensibilité, de l'intelligence, de la connoissance même des moeurs & des caracteres, en un mot un grand nombre de qualités que la nature réunit si rarement dans une même personne, qu'on compte plus de grands auteurs que de grands comédiens. Malgré tout cela, ils ont été traités très-durement par quelques-unes de nos lois, que nous allons exposer dans la suite de cet article, pour satisfaire à la nature de notre ouvrage. Voyez GESTE, DECLAMATION, INTONATION, &c.

COMEDIENS, (Jurisprudence) Chez les Romains, les comédiens étoient dans une espece d'incapacité de s'obliger, tellement que quoiqu'ils se fussent engagés sous caution, & même par serment, ils pouvoient se retirer. Novell. 51. Cette loi ne s'observe point parmi nous.

Il a toûjours été défendu aux comédiens de représenter sur le théatre les ecclésiastiques & les religieux. Novell. 123. ch. xljv. Et l. minus cod. de episcop. aud. §. omnibus auth. de sanctiss. episcop.

Les comédiens étoient autrefois regardés comme infâmes (l. si fratres cod. ex quibus causis infamia irrogat. C. lib. II. cap. xij.) ; & par cette raison on les a regardés comme incapables de rendre témoignage. Voyez Perchambaut, sur l'art. 151. de la coûtume de Bretagne. Le canon definimus, 4. quest. j. dit qu'un comédien n'est pas recevable à intenter une accusation : & le §. causas auth. ut cum de appell. cognos. porte qu'un fils qui, contre la volonté de son pere, s'est fait comédien, encourt son indignation.

Charlemagne, par une ordonnance de l'an 789, mit aussi les histrions au nombre des personnes infâmes, & auxquelles il n'étoit pas permis de former aucune accusation en justice.

Les conciles de Mayence, de Tours, de Rheims, & de Châlons-sur-Saone, tenus en 813, défendirent aux évêques, aux prêtres, & autres ecclésiastiques, d'assister à aucun spectacle, à peine de suspension, & d'être mis en pénitence ; & Charlemagne autorisa cette disposition par une ordonnance de la même année. Voy. les capitul. tome I. col. 229. 1163. & 1170.

Mais il faut avoüer que la plûpart de ces peines ont moins été prononcées contre des comédiens proprement dits, que contre des histrions ou farceurs publics, qui mêloient dans leurs jeux toutes sortes d'obscénités ; & que le théatre étant devenu plus épuré, on a conçû une idée moins desavantageuse des comédiens.

On tient néanmoins toûjours pour certain que les comédiens dérogent ; mais il en faut excepter ceux du Roi qui ne dérogent point, comme il résulte d'une déclaration de Louis XIII. du 16 Avril 1641, registrée en parlement le 24 du même mois, & d'un arrêt du conseil du 10 Septembre 1668, rendu en faveur de Floridor comédien du roi, qui étoit gentilhomme ; par lequel il lui fut accordé un an pour rapporter ses titres de noblesse, & cependant défenses furent faites au traitant de l'inquiéter pour la qualité d'écuyer.

Les acteurs & actrices de l'opéra ne dérogent pas non plus, attendu que ce spectacle est établi sous le titre d'académie royale de Musique.

La part que chaque comédien a dans les profits peut être saisie par ses créanciers. Arrêt du 2 Juin 1693. Journ. des audiences.

Il y a plusieurs réglemens pour la profession des comédiens & pour les spectacles en général, qui sont rapportés ou cités dans le tr. de la police, tome I. liv. III. tit. iij. & dans le dictionn. des arrêts, au mot comédien. (A)


COMENOLITARI(LE) Géog. mod. grand pays de la Turquie en Europe, dans la Grece, qui comprend la Thessalie ancienne & la Macédoine.


COMETES. f. (Physiq. & Astron.) corps céleste de la nature des planetes, qui paroît soudainement & disparoît de même, & qui pendant le tems de son apparition se meut dans une orbite de même nature que celles des planetes, mais très-excentrique. Voyez ETOILE & PLANETE.

Les cometes sont distinguées principalement des autres astres, en ce qu'elles sont ordinairement accompagnées d'une queue ou traînée de lumiere toûjours opposée au soleil, & qui diminue de vivacité à mesure qu'elle s'éloigne du corps de la comete. C'est cette traînée de lumiere qui a occasionné la division vulgaire des cometes en cometes à queue, à barbe, & à chevelure : mais cette division convient plûtôt aux différens états d'une même comete, qu'aux phénomenes distinctifs de différentes cometes.

Ainsi lorsque la comete se meut à l'orient du soleil & s'en écarte, on dit que la comete est barbue, parce que sa lumiere va devant elle. Voyez BARBE.

Quand la comete va à l'occident du soleil & qu'elle le suit, on dit que la comete a une queue, parce que sa lumiere la suit.

Enfin quand la comete & le soleil sont diamétralement opposés (la terre étant entr'eux), la traînée de lumiere qui accompagne la comete étant cachée par le corps de la comete, excepté les parties les plus extérieures qui débordent un peu la comete & l'environnent, on dit que la comete a une chevelure. Voy. la fig. 25. Planch. astronom.

Nature des cometes. Les Philosophes ont été fort embarrassés sur la nature des cometes, à cause de la rareté de ces astres, & des irrégularités apparentes de leurs phénomenes. Avant Aristote on regardoit les espaces célestes comme remplis d'un nombre infini d'étoiles qui avoient chacune leur mouvement particulier, & dont la plûpart étoient trop éloignées ou trop petites pour pouvoir être apperçûes ; & l'on s'imaginoit qu'un certain nombre de ces petites étoiles venant à se rencontrer, & à ne faire pour les yeux qu'une seule masse, elles formoient par ce moyen l'apparence d'une comete, jusqu'à ce qu'elles se séparassent pour continuer leur cours. Mais comment se peut faire la rencontre & la réunion de ces étoiles ? comment peut-il en naître un corps en forme de queue qui s'oppose toûjours au soleil, & comment ces étoiles peuvent-elles ensuite se séparer après la réunion ? c'est ce qui est difficile à concevoir.

Aristote a aisément réfuté cette hypothese, & lui en a substitué une autre où il prétend que les cometes sont des feux passagers, ou des météores composés d'exhalaisons élevées au-dessus de la région de l'air dans le lieu où, suivant lui, est le feu : & il regardoit dans cette hypothese les cometes comme beaucoup au-dessous de la lune.

Cette hypothese n'a cependant pas plus de réalité que la premiere ; car il en résulte que la lumiere de la comete est indépendante du soleil ; d'où il s'ensuit évidemment que cette lumiere devroit se répandre de tous les côtés sans se disposer en forme de queue, ainsi qu'il arrive réellement : d'ailleurs, les cometes sont apperçûes en même tems des endroits de la terre les plus éloignés ; elles sont par conséquent fort élevées au-dessus de l'atmosphere terrestre, au contraire de ce qui arrive à l'égard de quelque météore que ce soit, formé dans notre air, à cause de son peu d'élévation au-dessus de la surface de la terre.

De plus le peu de parallaxe des cometes prouve qu'elles sont à une plus grande hauteur que la lune. On peut prendre pour exemple la comete de 1577 : Tycho Brahé l'observoit à Uranibourg, & Hagecius à Prague en Bohème, c'est-à-dire à environ 150 lieues sous le même méridien. Or ils trouverent que la distance de la comete à la luisante du vautour étoit la même au même instant : d'où ils ont conclu que la comete n'avoit point de parallaxe sensible ; & comme la lune en a une fort considérable, il s'ensuit que cette comete étoit fort au-delà de la lune par rapport à la terre. Voyez les inst. astr. de M. le Monnier.

Comme c'est par le défaut de parallaxe du mouvement diurne qu'on est parvenu à prouver que les cometes étoient dans des régions fort au-dessus de la lune, c'est au contraire par la quantité observée d'une autre parallaxe, qui est celle de l'orbe annuel, qu'on peut prouver que ces astres descendent dans la région des planetes. Car les cometes qui s'avancent selon la suite des signes, nous semblent vers la fin de leurs apparitions, ou ralentir trop sensiblement leurs mouvemens, ou même rétrograder, & cela lorsque la terre est entr'elles & le soleil. Au contraire elles paroissent se mouvoir trop rapidement, si la terre est en opposition, c'est-à-dire si elles se trouvent en conjonction avec le soleil : or c'est précisément ce que nous observons à l'égard des planetes. D'un autre côté celles qu'on nomme rétrogrades, parce qu'elles se meuvent en effet contre l'ordre des signes, semblent plus rapides vers la fin de leur apparition, si la terre est entr'elles & le soleil. Enfin elles paroissent ou ralentir très-sensiblement leur cours, ou même rétrograder, si la terre est dans une situation opposée, c'est-à-dire si la comete paroît en conjonction avec le soleil. Il est donc aisé de voir que la cause de ces apparences est le mouvement de la terre dans son orbite, de la même maniere qu'il arrive à l'égard des planetes : car selon que le mouvement de la terre se fait dans le même sens, ou est contraire à celui de la planete, elle paroît tantôt rétrograder, tantôt se mouvoir trop lentement, & avec trop de rapidité. Newton, l. III.

Hevelius qui a fait un grand nombre d'observations sur les cometes, prétend qu'elles sortent du soleil ; que ce sont les exhalaisons les plus grossieres que produit cet astre, & qu'elles sont de même nature que les taches du soleil.

Kepler pense, comme Aristote, que les cometes sont des exhalaisons, & croit qu'elles sont dispersées sans nombre dans le ciel ; & que si elles ne sont pas toutes visibles, c'est à cause de leur petitesse, ou parce qu'elles sont long-tems sous l'horison.

Mais indépendamment de la réfutation précédente, M. Newton a fait voir la fausseté de cette hypothese, en prouvant que la comete de 1680 auroit été entierement dissipée dans son passage auprès du soleil, si elle n'avoit été qu'un corps composé d'exhalaisons, soit du soleil, soit des planetes ; car la chaleur du soleil, comme on le sait, est en raison réciproque des quarrés des distances du soleil ; & la distance de cette comete au soleil dans son périhelie le 8 Décembre, étoit à la distance de la terre au soleil comme 6 à 1000 : d'où il suit que la chaleur communiquée par le soleil à la comete, devoit être alors à celle qu'on éprouve sur la terre au milieu de l'été, comme 1000000 à 36, ou comme 28000 à 1 : sachant ensuite par l'expérience que la chaleur de l'eau bouillante est un peu plus que triple de celle de la terre échauffée par les rayons du soleil au fort de l'été, & prenant la chaleur du fer rouge pour trois ou quatre fois plus grande que celle de l'eau bouillante, il en conclud que la chaleur du corps de la comete dans le tems de son périhelie, devoit être 2000 fois plus grande que celle du fer rouge.

La comete ayant acquis une aussi grande chaleur, doit être un tems immense à se refroidir. Le même auteur a calculé qu'un globe de fer rouge de la grosseur de la terre seroit à peine refroidi en 50000 ans. Ainsi quand même la comete se refroidiroit cent fois plus vîte que le fer rouge, elle ne laisseroit pas encore, à cause que sa chaleur est 2000 fois plus grande, de mettre un million d'années à se refroidir.

Jacq. Bernouilli, dans son Conamen novi systematis cometarum, imagine une planete principale qui fait sa révolution autour du soleil dans l'espace de quatre années & 157 jours, & qui est éloignée de cet astre de 2583 demi-diametres du grand orbe ; il veut que cette planete invisible par l'immensité de sa distance, ou par la petitesse de son disque, soit accompagnée de différens satellites plus ou moins éloignés ; & selon lui, ces satellites descendant quelquefois dans leur périgée aussi bas que l'orbite de Saturne, deviennent alors visibles pour nous, & sont ce que nous appellons cometes.

Descartes pense que les cometes sont des étoiles qui étoient d'abord fixes comme les autres, mais qui s'étant ensuite couvertes de taches & de croûtes, ont à la fin perdu entierement leur lumiere ; & que ne pouvant plus alors conserver leurs places, elles ont été entraînées par les tourbillons des étoiles voisines ; ensorte que suivant leurs différentes grandeurs & solidités elles ont pû être portées jusqu'à l'orbe de Saturne, distance à laquelle recevant les rayons du soleil avec assez de force, elles deviennent visibles. Voyez CARTESIANISME.

Mais le peu de vérité de toutes ces hypotheses saute aux yeux par les phénomenes des cometes : nous allons exposer les principaux de ces phénomenes, comme étant la pierre de touche de toutes les théories.

1°. On observe des altérations sensibles dans la vîtesse apparente des cometes, selon qu'elles sont situées par rapport à la terre ; c'est ce que nous avons déjà remarqué plus haut.

2°. Tant que leur vîtesse augmente, elles paroissent décrire à-peu-près de grands cercles ; mais vers la fin de leur course elles s'écartent un peu de ces cercles ; & dans le cas où la terre va du même côté qu'elles, elles paroissent aller du côté opposé.

3°. Elles se meuvent dans les ellipses qui ont le soleil pour un de leurs foyers, & décrivent autour de ce foyer des aires proportionnelles aux tems.

4°. La lumiere de leur corps central ou tête augmente quoiqu'elles s'éloignent de la terre, lorsqu'elles s'approchent du soleil ; & elle décroît au contraire lorsqu'elles s'éloignent du soleil, quoiqu'elles deviennent plus proches de la terre.

5°. Leurs queues sont les plus grandes & les plus brillantes immédiatement après leur périhelie.

6°. Leurs queues s'écartent un peu de la direction du soleil au noyau ou corps de la comete, & se courbent vers le côté que la comete vient de quitter.

7°. Cette déviation, toutes choses égales, est la plus petite lorsque la tête de la comete approche le plus du soleil ; & elle est moindre auprès de la tête que vers l'extrémité de la queue.

8°. Les queues sont un peu plus brillantes & plus distinctement terminées dans leur partie convexe que dans la concave.

9°. Les queues paroissent toûjours plus larges vers l'extrémité qu'auprès du centre de la comete.

10°. Les queues sont transparentes, & les plus petites étoiles peuvent s'appercevoir au-travers.

Ce sont-là les principaux phénomenes des cometes, que l'on voit aisément démentir les opinions étranges que les anciens avoient de ces astres, & peu quadrer avec les foibles conjectures de la plûpart des auteurs modernes. A la vérité il y a eu quelques anciens, comme Pline le rapporte, qui ont eu des idées plus justes sur les cometes, qui ont pensé que c'étoient des astres perpétuels qui faisoient leurs révolutions dans les orbites particulieres : il paroît même que les plus anciens philosophes avoient placé les cometes dans ces vastes régions du ciel qui sont au-dessus de l'orbite de la lune, selon le témoignage d'Aristote, de Plutarque, & de divers auteurs tant grecs que latins ; c'étoit le sentiment des Pythagoriciens & des autres philosophes de la secte italique ; c'étoit aussi celui d'Hippocrate de Chio, célebre par la quadrature des lunules qui portent son nom (voy. LUNULE) ; c'étoit enfin l'opinion de Démocrite. Séneque nous rapporte au liv. VII. ch. iij. de ses questions naturelles, ce qui en avoit été dit par ce philosophe, l'un des plus ingénieux, & peut-être le plus profond de toute l'antiquité : il dit qu'entre tous les astres qu'on avoit observés, on pourroit soupçonner qu'il y a encore un grand nombre d'autres planetes différentes de celles que nous connoissons ; ce qui doit s'entendre, comme l'on voit, des cometes, que l'on regardoit alors comme des étoiles errantes, c'est-à-dire qu'on mettoit au nombre des planetes. On ignore cependant si le nombre en a été fixé, ni si plusieurs de ces cometes ont été distinguées par des noms particuliers ; il est d'ailleurs incertain si l'on avoit quelque théorie du mouvement des cinq planetes qui nous environnent. Cependant Séneque ajoûte encore qu'Apollonius le Myndien, l'un de ceux qui avoient le plus de connoissance dans la Physique, étoit persuadé que les Chaldéens plaçoient depuis long-tems les cometes au nombre des étoiles errantes, qu'elles avoient un cours réglé, & dans les orbites particulieres qui leur étoient connues. Le même Apollonius soûtenoit aussi que les cometes étoient de véritables astres semblables au soleil & à la lune : leur cours, ajoûte-t-il, ne se fait pas dans l'univers sans être assujetti à quelque loi constante ; elles descendent & remontent alternativement au plus haut des cieux ; mais lorsqu'elles achevent de descendre, il nous est permis de les appercevoir, parce qu'elles décrivent la partie la plus basse de leur orbite.

Séneque paroît avoir adopté ce sentiment : " Je ne suis pas, dit-il, de l'opinion commune sur les cometes ; je ne les regarde pas comme des feux passagers, mais comme des ouvrages éternels de la nature. Chaque comete a un certain espace assigné à parcourir. Les cometes ne sont point détruites, mais elles se trouvent bien-tôt hors de la portée de notre vûe. Si on les met au nombre des planetes, il semble qu'elles ne devroient jamais sortir du zodiaque. Mais pourquoi le zodiaque renfermeroit-il le cours de tous les astres ? pourquoi les restraindre à un si petit espace ? Le petit nombre des corps célestes, qui sont les seuls qui paroissent se mouvoir, décrivent des orbites différentes les unes des autres ; pourquoi donc n'y auroit-il pas d'autres corps célestes qui auroient chacun leurs routes particulieres à parcourir, quoique fort éloignées de celles des planetes " ? Ce philosophe ajoûte encore qu'il faudroit, pour les reconnoître, avoir recueilli une suite non interrompue d'observation des anciennes cometes qu'on auroit vûes ; mais que faute d'un tel secours, ces observations ne lui étant pas parvenues, & l'apparition des cometes étant d'ailleurs assez rare, il ne croyoit pas qu'il fût possible, dans le siecle où il vivoit, de parvenir à regler leurs mouvemens, ni le tems de leurs révolutions périodiques ; qu'ainsi il ignore entierement le tems de leurs apparitions, & la loi suivant laquelle elles doivent revenir à la même distance de la terre ou du soleil. Enfin il ajoûte : " Le tems viendra que les secrets les plus cachés de la nature seront dévoilés & mis au plus grand jour, par la vigilance & par l'attention que les hommes y apporteront pendant une longue suite d'années. Un siecle ou deux ne suffisent pas pour une aussi grande recherche : un jour la postérité sera étonnée de ce que nous avons cherché l'explication d'un phénomene si simple, sur-tout lorsqu'après avoir trouvé la vraie méthode d'étudier la nature, quelque grand philosophe sera parvenu à démontrer dans quels endroits des cieux les cometes se répandent, & parmi quelles especes de corps célestes on doit les ranger ". Quoique ce passage soit un peu long, j'ai crû devoir le rapporter dans un ouvrage destiné principalement à l'histoire des sciences & de l'esprit. Je l'ai tiré des inst. astr. de M. le Monnier.

La prédiction de Séneque a été accomplie de nos jours par M. Newton, dont la doctrine est celle-ci.

Les cometes sont des corps solides, fixes, & durables ; en un mot c'est une espece particuliere de planetes qui se meuvent librement & vers toutes les parties du ciel dans des orbites très-excentriques, & faisant de fort grands angles avec l'écliptique. Les cometes perséverent dans leur mouvement, aussi-bien quand elles vont contre le cours des planetes ordinaires, que lorsqu'elles se meuvent du même côté ; & leurs queues sont des vapeurs fort subtiles qui s'exhalent de la tête ou noyau de la comete échauffée par la chaleur du soleil. Ce fait une fois établi, explique tous les phénomenes. Car 1°. nous avons déjà fait voir que les irrégularités dans la vîtesse apparente des cometes, viennent de ce qu'elles ne sont point dans les régions des fixes, mais au contraire dans celles des planetes, où suivant qu'elles ont des mouvemens conspirans avec celui de la terre, ou de direction opposée, elles doivent avoir les apparences d'accélération & de rétrogradation que l'on remarque dans les planetes. Voyez RETROGRADATION, &c.

2°. Si les cometes paroissent se mouvoir le plus vîte lorsque leur course est rectiligne, &c. la raison en est qu'à la fin de leur course, lorsqu'elles s'éloignent directement du soleil, la partie du mouvement apparent qui vient de la parallaxe, a dans ce cas une plus grande proportion à la totalité du mouvement apparent ; c'est-à-dire cette partie de leur mouvement apparent qui vient de la parallaxe de l'orbe annuel, devient trop considérable par rapport au mouvement propre de la comete, ou au mouvement qu'elle paroîtroit avoir si la terre demeuroit au même point de son orbe : alors ces astres paroissent se détourner de leur route ordinaire, ou s'écarter de la circonférence d'un grand cercle ; ensorte que si la terre se meut d'un côté, elles semblent au contraire être emportées suivant une direction opposée. Les différences des parallaxes qui sont causées chaque jour par le mouvement de la terre sur son orbite étant donc très-sensibles, l'observation qui en a été faite plusieurs fois a enfin fait conclure que vers le commencement ou la fin de l'apparition des cometes, leur distance n'étoit pas si excessive que quelques philosophes l'avoient supposé, mais qu'elles se trouvoient alors bien au-dessous de l'orbite de Jupiter. De-là on est bientôt parvenu à conclure qu'au tems de leur périgée ou de leur périhelie, les cometes paroissant alors sous un bien plus grand angle, parce qu'elles sont beaucoup plus proches de la terre, elles devoient descendre au-dessous des orbites de Mars & de la terre ; quelques-unes aussi ont descendu au-dessous des planetes inférieures. Inst. astr.

3°. Les cometes, suivant les observations, se meuvent dans les ellipses qui ont le soleil à un de leurs foyers, &c. cela fait bien voir que ce ne sont pas des astres errans de tourbillons en tourbillons, mais qu'elles font partie du système solaire, & qu'elles reviennent sans-cesse dans leurs mêmes orbes. Voyez ORBE.

Comme leurs orbites sont très-allongées & très-centriques, elles deviennent invisibles lorsqu'elles sont dans la partie la plus éloignée du soleil.

4°. La lumiere de leur tête augmente en s'approchant du soleil, &c. cela s'accorde avec les phénomenes des autres planetes.

Par les observations de la comete de 1680, M. Newton a trouvé que la vapeur qui étoit à l'extrémité de la queue le 25 Janvier, avoit commencé à s'élever du corps avant le 11 Décembre précédent, & qu'ainsi elle avoit employé plus de quarante-cinq jours à s'élever ; mais que toute la queue qui avoit paru le 10 Décembre, s'étoit élevée dans l'espace de deux jours écoulés depuis le périhelie.

Ainsi dans le commencement, lorsque la comete étoit proche du soleil, la vapeur s'élevoit prodigieusement vîte ; & continuant ensuite de monter en souffrant du retardement dans son mouvement par la gravité de ses particules, elle augmentoit la longueur de la queue : & cette queue, malgré l'immensité de son étendue, n'étoit autre chose qu'une simple vapeur exhalée pendant le tems du périhelie ; la vapeur qui s'étoit élevée la premiere, & qui composoit l'extrémité de la queue, ne s'évanoüit que lorsqu'elle fut trop loin du soleil pour réfléchir une lumiere sensible.

On voit aussi que les queues des cometes qui sont plus courtes, ne s'élevent pas d'un mouvement promt & continuel pour disparoître tout de suite ; mais que ce sont des colonnes permanentes de vapeurs qui sortent de la tête avec un mouvement très-modéré pendant un grand espace de tems, & qui en participant du mouvement qu'elles ont d'abord reçû de la tête, continuent à se mouvoir avec facilité dans les espaces célestes ; d'où l'on peut aisément inférer le vuide de ces espaces. Voyez VUIDE.

5°. Les queues paroissent les plus grandes & les plus brillantes immédiatement après qu'elles ont passé près du soleil. Cela suit de ce que le corps central étant alors le plus échauffé, doit exhaler le plus de vapeurs.

La lumiere du noyau ou étoile apparente de la comete, fait conclure que ces astres sont dans notre système, & qu'ils ne sont en aucune maniere dans la région des fixes, puisque dans ce cas leurs têtes ne seroient pas plus éclairées par le soleil, que les planetes ne le sont par les étoiles fixes.

6°. Les queues déclinent un peu de la ligne tirée par le soleil & par la comete, en se rapprochant vers le côté que la comete vient de quitter ; parce que toute fumée ou vapeur poussée par un corps en mouvement s'éleve obliquement, en s'éloignant un peu du côté vers lequel va le corps fumant.

7°. Cette déviation est plus petite auprès du corps de la comete que vers l'extrémité de la queue, & est la moindre lorsque la comete est dans sa plus petite distance au soleil ; parce que la vapeur monte avec plus de vîtesse auprès du corps de la comete qu'à l'extrémité de la queue, & qu'elle s'éleve aussi avec plus de vîtesse lorsque la comete est plus proche du soleil.

8°. La queue est plus brillante & mieux terminée dans sa partie convexe que dans sa partie concave ; parce que la vapeur qui est dans la partie convexe s'étant élevée la premiere, est un peu plus dense & plus propre à réfléchir la lumiere.

9°. La queue paroît plus large vers l'extrémité qu'auprès de la tête ; parce que la vapeur qui est dans un espace libre se raréfie & se dilate continuellement.

10°. Les queues sont transparentes, parce qu'elles ne sont que des vapeurs très-déliées, &c.

On voit donc que cette hypothese sur les queues des cometes s'accorde avec tous les phénomenes.

Phases des cometes. Le noyau qu'on appelle aussi corps ou tête de la comete, étant regardé au-travers d'un télescope, paroît d'une forme différente de celle des étoiles fixes ou des planetes.

Sturmius rapporte qu'en observant la comete de 1680 avec un télescope, il la trouva moins lumineuse vers les bords que dans le centre, & qu'elle lui parut plûtôt ressembler à un charbon enflammé d'un feu obscur, ou à une masse informe de matiere éclairée par une lumiere accompagnée de fumée, qu'à une étoile ronde & d'une lumiere vive.

Hevelius observant la comete de 1661, trouva que le corps étoit d'une lumiere jaunâtre, brillante, & terminée, mais sans étinceler, ayant dans le milieu un noyau rougeâtre de la grosseur de Jupiter, & environné d'une matiere beaucoup plus rare. Le 5 Février sa tête étoit un peu plus foncée & plus brillante que la couleur d'or, mais d'une lumiere plus sombre que le reste des étoiles : de plus le noyau lui parut divisé en plusieurs parties. Le 6 le disque étoit diminué, le noyau toûjours existant, mais moindre qu'auparavant : une de ces parties dont on vient de parler, celle qui étoit au bas de la comete & sur la gauche, sembloit plus dense & plus lumineuse que le reste : le corps entier étoit rond, & représentoit une étoile très-peu lumineuse, & le noyau paroissoit toûjours environné d'une matiere différente de la sienne. Le 10 la tête de la comete étoit un peu obscure, & le noyau moins terminé, mais plus brillant vers le haut que vers le bas. Le 13 la tête étoit diminuée, tant en grandeur qu'en lumiere. Le 2 Mars sa rondeur étoit altérée, & ses bords dentelés, &c. Le 28 Mars elle étoit très-pâle, & extrèmement rare, sa matiere fort dispersée, & son noyau distingué du reste.

Weigelius qui, en observant la comete de 1664, vit dans le même moment la lune & un petit nuage éclairé par le soleil, trouva que la comete, au lieu d'être d'une lumiere continue comme la lune, ressembloit au contraire à une espece de nuage : c'est ce qui lui avoit fait conclure que les cometes étoient, ainsi que les taches du soleil, des exhalaisons de cet astre. La longueur de la queue des cometes est variable ; celle de 1680, suivant Sturmius, n'avoit guere le 20 Décembre que vingt degrés de longueur : en peu de tems elle s'accrut jusqu'à soixante degrés ; ensuite elle diminua très-sensiblement. Wolf.

Formation des queues des cometes. M. Newton a fait voir que l'atmosphere des cometes peut fournir une vapeur suffisante pour former leurs queues ; il se fonde sur l'extrème dilatation de l'air à une certaine distance de la terre ; un pouce cube d'air commun élevé à la distance d'un demi-diametre de la terre, seroit suffisant pour remplir un espace aussi grand que toute la région des étoiles, c'est ce qu'a démontré M. Gregory dans son astronomie physique. Puis donc que la chevelure ou l'atmosphere de la comete est dix fois plus haute que la surface du noyau, elle doit être prodigieusement rare, & il est tout simple qu'on voye les étoiles au-travers.

Quant à l'ascension des vapeurs qui forment la queue des cometes, Newton la suppose occasionnée par la raréfaction de l'atmosphere au tems du périhelie. La fumée comme tout le monde sait, s'éleve par l'impulsion de l'air dans lequel elle nage : l'air le plus raréfié monte par la diminution de sa pesanteur spécifique, & enleve avec lui la fumée. Pourquoi ne supposeroit-on pas que la queue d'une comete seroit élevée de la même maniere par la chaleur du soleil ?

Les queues étant ainsi produites, la force qu'elles ont pour conserver leur mouvement & celle qui les pousse vers le soleil, les oblige à décrire des ellipses ainsi que la comete même, & à l'accompagner dans toute son orbite. En effet, la gravitation des vapeurs vers le soleil, n'est pas plus propre à détacher la queue d'une comete de sa tête & à la faire tomber sur le soleil, qu'à détacher la terre de son atmosphere ; mais leur gravitation commune est cause qu'elles se meuvent également, & qu'elles sont poussées de la même maniere.

Par ce moyen les queues des cometes produites pendant le tems de leurs périhelies, peuvent être entraînées avec ces astres dans les régions du ciel les plus reculées, & revenir ensuite avec les cometes au bout d'un grand nombre d'années : mais il est plus naturel qu'elles se détruisent peu-à-peu entierement, & qu'en se rapprochant du soleil les cometes en reprennent de nouvelles, d'abord très-peu sensibles, ensuite plus grandes par degrés jusqu'au périhelie, tems auquel elles reprennent toute leur grandeur, la comete étant alors la plus échauffée qu'il est possible.

Les vapeurs dont ces queues sont composées, se dilatant & se répandant dans toutes les régions célestes, sont vraisemblablement, ainsi que M. Newton l'observe, attirées par les planetes, & mêlées avec leurs atmospheres. Il ajoûte que les cometes semblent nécessaires pour l'entretien des solides qui sont sur les planetes, lesquels s'évaporent continuellement par les végétations & les putréfactions, & se convertissent en terre seche. Car comme tous les végétaux se nourrissent & s'accroissent par les fluides, & qu'ils redeviennent terre pour la plus grande partie par la putréfaction (comme on le peut voir par le limon que les liqueurs putréfiantes déposent continuellement), il s'ensuit que pendant que la terre s'accroît sans-cesse, l'eau diminueroit en même proportion, si la perte n'en étoit pas rétablie par d'autres matieres. M. Newton soupçonne que cette partie, la plus subtile & la meilleure de notre air, laquelle est absolument nécessaire pour la vie & l'entretien de tous les êtres, vient principalement des cometes.

D'après ce principe, il y auroit quelque fondement aux opinions populaires des présages des cometes, puisque les queues des cometes se mêlant ainsi avec notre atmosphere, pourroient avoir des influences sensibles sur les corps animaux & végétaux.

Il y a beaucoup de variétés dans la grandeur des cometes. Quelques-unes, indépendamment de leur queue, paroissent surpasser dans certaines circonstances favorables de leur apparition, les étoiles de la premiere & de la seconde grandeur. Enfin, si on consulte les historiens qui en ont parlé, il semble qu'aucune comete n'ait jamais paru aussi grande que celle qui fut observée du tems de Néron : cette comete, selon Seneque, égaloit le Soleil en grosseur. Hevelius en a cependant observé une autre en 1652 presqu'aussi grande que la Lune, mais elle étoit bien inférieure en lumiere à cette planete, étant extraordinairement pâle & comme enveloppée de fumées, qui, loin de lui laisser quelqu'éclat, rendoient son aspect assez triste & peu agréable aux yeux.

M. Fatio remarque que quelques-unes des cometes ayant leurs noeuds proche de l'orbite de la terre, il pourroit arriver que la terre se trouveroit dans la partie de son orbite, qui seroit voisine de ce noeud au tems où la comete viendroit à y passer ; & comme le mouvement apparent de la comete seroit alors si promt, que sa parallaxe seroit très-sensible, & que la proportion de cette parallaxe à celle du Soleil seroit donnée, on pourroit avoir en ce cas la parallaxe du Soleil déterminée plus exactement que par aucune méthode.

La comete de 1472, par exemple, avoit une parallaxe qui surpassoit plus de vingt fois celle du Soleil ; & celle de 1613 en auroit une beaucoup plus sensible, si elle fût arrivée à son noeud au commencement de Mars. Quoiqu'il en soit, aucune n'a plus menacé la terre de son voisinage que celle de 1680 ; car M. Halley a trouvé par le calcul, que le 11 Novembre cette comete avoit passé au nord de l'orbite de la terre à environ 60 demi-diametres de la terre, ensorte que si dans ce tems la terre avoit été dans cette partie de son orbite, la parallaxe de la comete auroit égalé celle de la Lune ; & il auroit peut-être résulté de ce voisinage un contact ou un choc des deux planetes : suivant M. Whiston il en seroit résulté un déluge. Voyez plus bas.

Mouvement des cometes. Le mouvement propre de chaque comete ne se fait pas, à beaucoup près, dans le même sens, puisqu'il est varié à l'infini, les unes s'avançant d'occident en orient, lorsqu'au contraire les autres se trouvent emportées contre l'ordre des signes, c'est-à-dire dans un sens opposé à celui des planetes. Bien plus, depuis que l'on observe le cours des cometes avec quelque attention, on s'est apperçu qu'il se dirigeoit tantôt vers le nord, & tantôt vers le midi, & cela avec des inclinaisons si différentes, qu'il n'a pas été possible de les renfermer dans un zodiaque de la même maniere que les planetes ; car si elles se trouvent une fois dans ce zodiaque, elles en sortent bientôt avec plus ou moins de vîtesse & par différens côtés. Regiomontanus en a observé une qui paroissoit avoir une vîtesse bien extraordinaire, puisqu'elle parcourut en un jour 40 degrés. Enfin, il y a des cometes dont le mouvement est plus rapide au commencement qu'à la fin de leur cours ; d'autres au contraire se meuvent très-rapidement au milieu, & très-lentement, soit au commencement, soit à la fin de leur apparition. Toutes ces variétés dans le mouvement des cometes, sur-tout la diversité de l'inclinaison de leurs orbites, & la direction si variée de leurs mouvemens, prouvent bien qu'elles ne sont point emportées par un fluide en tourbillon, qui devroit les diriger toutes dans le même sens, & à-peu-près dans le même plan : aussi est-ce une des objections des plus fortes contre le système des Cartésiens, & à laquelle ils n'ont jamais répondu.

Si on suppose avec quelques auteurs que les cometes parcourent des lignes exactement paraboliques, elles doivent venir d'une distance infiniment éloignée, en s'approchant continuellement du Soleil par la force centripete, & acquérir par ce moyen assez de vîtesse pour remonter l'autre branche de la parabole en s'éloignant du Soleil jusqu'à l'infini, & de cette maniere ne revenir jamais. Mais la fréquence de leur apparition semble mettre hors de doute qu'elles se meuvent comme les planetes dans des orbites elliptiques fort excentriques, & qu'elles reviennent dans des périodes fixes quoique très-longues. Voyez ORBITE & PLANETE.

Les Astronomes sont partagés sur leur retour : Newton, Flamsteed, Halley & tous les astronomes anglois sont pour le retour de ces astres ; Cassini & plusieurs autres astronomes de France l'ont regardé aussi comme très-probable ; la Hire s'y oppose avec quelques astronomes, &c. Ceux qui sont pour le retour veulent que les cometes décrivent des orbes fort excentriques : selon eux ce n'est que dans une très-petite partie de leur révolution que nous les pouvons appercevoir ; au-delà de cette partie on ne sauroit plus les découvrir, ni à la vûe simple, ni avec les meilleurs télescopes. La question du retour des cometes est du nombre de celles que notre postérité seule pourra résoudre. Cependant l'opinion de Newton est la plus vraisemblable. En voici les preuves.

On ne sauroit regarder comme deux différentes planetes, celles dont les orbites coupent l'écliptique sous le même angle, & dont la vîtesse est la même dans la périhelie ; il faut donc aussi que deux cometes vûes dans différens tems, mais qui s'accordent à l'égard de ces trois circonstances, ne puissent être autre chose que la même comete ; c'est ce qu'on a observé, suivant quelques auteurs, pour différentes cometes, comme on le verra dans la suite de cet article ; cependant il n'est pas nécessaire que l'accord soit si exact pour conclure que deux cometes sont la même. La Lune qui est si irréguliere dans toutes ces circonstances, fait penser à M. Cassini qu'il en pourroit être de même des cometes, & qu'on en a pris pour de différentes plusieurs qui n'étoient que les mêmes.

La grande objection qu'on fait contre le retour des cometes, c'est la rareté de leurs apparitions par rapport au nombre de révolutions qu'on leur suppose.

En 1702 on vit à Rome une comete, ou plûtôt la queue d'une comete, que M. Cassini prit pour la même que celle qui fut observée par Aristote, & qui avoit reparu depuis en 1668, ensorte que sa révolution seroit de 34 ans ; mais il paroît bien étrange qu'une comete qui a une révolution si courte, & qui revient par conséquent si souvent, se montrent cependant si rarement.

Dans le mois d'Avril de la même année 1702, MM. Bianchini & Maraldi observerent une comete, qu'ils regarderent comme la même que celle de 1664, tant par rapport à son mouvement qu'à sa vîtesse & à sa direction. M. de la Hire voulut que cette comete eût quelque relation à une autre qu'il avoit observée en 1698, & que M. Cassini rapporte à celle de 1652. Dans cette supposition la période de cette comete seroit de 43 mois ; & le nombre des révolutions qu'elle auroit eues de l'année 1652 à l'année 1698, seroit de quatorze.

Mais on ne peut supposer que dans un tems où le ciel est observé si soigneusement, un astre fît quatorze révolutions sans qu'on s'en apperçût, & surtout un astre dont les apparitions seroient de plus d'un mois, & souvent dégagées des crépuscules.

C'est pour cette raison que M. Cassini est très-réservé dans l'assertion du retour des cometes ; il regarde ces astres comme des planetes, à la vérité, mais sujettes à beaucoup d'irrégularités.

M. de la Hire fait une objection générale contre le système entier des cometes, qui sembleroit retrancher ces astres du nombre des planetes ; c'est que par la disposition donnée nécessairement à leurs cours, elles devroient paroître aussi petites au commencement qu'à la fin, & augmenter jusqu'à ce qu'elles arrivent à leur plus grande proximité de la terre, ou du-moins que s'il ne leur arrive d'être observées que lorsqu'elles sont d'une certaine grandeur, faute d'y avoir fait attention auparavant, il faudroit au moins qu'on les apperçût souvent avant qu'elles fussent arrivées à leur plus grand éclat ; cependant, ajoûte-t-il, aucune n'a été observée avant d'être arrivée à ce point.

Mais la comete que l'on a vûe dans le mois d'Octobre 1723, à une si grande distance qu'elle étoit trop petite & trop obscure pour être apperçûe sans télescope, peut servir à réfuter cette objection & à rétablir les cometes au rang des planetes.

Le docteur Halley a donné une table des élémens astronomiques de toutes les cometes qui ont été observées avec quelque soin, par le secours de laquelle on pourra toûjours reconnoître si quelque comete qu'on viendra à observer ne pourroit pas être quelques-unes de celles qu'il a calculées, & savoir par conséquent & le période & la position de l'axe de son orbite.

La comete observée en 1532 a plusieurs circonstances qui la doivent faire croire la même que celle qui a été observée en 1607, par Kepler & par Longomontan, & que celle que le docteur Halley a observée ensuite en 1682. Tous les élémens s'accordent, & rien ne s'oppose à cette opinion que l'inégalité des tems des révolutions : mais suivant le docteur Halley on pourroit expliquer par des causes physiques cette inégalité ; & l'on en a un exemple dans Saturne, dont le mouvement est tellement troublé par les autres planetes, & principalement par Jupiter, que sa période varie de plusieurs jours. Pourquoi donc ne supposeroit-on pas de pareilles altérations dans les cometes, qui sont beaucoup plus éloignées que Saturne, & dont la vîtesse, avec la plus petite augmentation, pourroit donner au lieu d'une orbe elliptique une orbe parabolique ?

Ce qui confirme le plus cette identité, c'est l'apparition d'une autre comete dans l'été de 1456, qui à la vérité n'a pas été observée avec précision, mais se rencontre tellement avec les trois autres par rapport à la période & aux circonstances de sa route, que Halley ne fait point de difficulté de les regarder toutes comme la même comete, & il s'est avancé jusqu'à prédire le retour de cette comete pour l'année 1758.

La période de cette comete, selon M. Halley, est de 75 ans 1/2, & il en a déjà compté quatre révolutions, sa période se faisant en beaucoup moins de tems que celle des cometes. M. Machin croit que celle de 1737 a une période d'environ 180 ans, parce qu'elle lui paroît la même que celle qui a paru en 1556. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 446. M. Halley a remarqué de plus qu'il avoit paru quatre fois de suite une comete dans l'intervalle de 575 ans ; savoir au mois de Septembre, immédiatement après la mort de Jules-César, ensuite l'an de Jesus-Christ 531 sous le consulat de Lampadius & d'Orestes, puis au mois de Février 1106, & en dernier lieu sur la fin de l'année 1680 ; ce savant astronome conjecture de-là que la période de la fameuse comete de 1680 pourroit bien être de 575 ans ; c'est ce que nos descendans pourront vérifier. Il y a une chose singuliere sur cette période, c'est qu'en remontant de 575 ans en 575 depuis l'année de la mort de Jules-César, où on croit que cette comete a paru, on tombe dans l'année du déluge ; c'est ce qui a fait penser à Whiston que le déluge universel pourroit bien avoir été occasionné par la rencontre ou l'approche de cette comete, qui se trouva apparemment alors fort près de la terre ; & cette opinion qui au fond ne doit être regardée que comme une conjecture assez legere, n'a rien en soi de contraire ni à la saine Philosophie qui nous apprend (quelque système que l'on suive) que l'approche d'un telle comete est capable de bouleverser le globe que nous habitons ; ni à la foi, qui nous apprend que Dieu se servit du déluge pour punir les crimes des hommes. Car Dieu qui avoit prévû de toute éternité cette punition, avoit pû disposer le mouvement de cette comete de maniere que par son approche elle servît à sa vengeance. Whiston croit cependant que cette queue de comete auroit fait courir à l'arche un grand péril ; mais Dieu qui avoit fait construire l'arche veilloit à sa conservation. Voyez le système solaire de Whiston, où les orbites des différentes cometes sont tracées, & où l'on trouve les périodes de plusieurs qui sont connues.

Déterminer le lieu & le cours d'une comete. Observez la distance d'une comete à deux étoiles fixes dont les longitudes & les latitudes sont connues. Par le moyen de ces distances ainsi trouvées, calculez le lieu de la comete par la trigonométrie, en suivant la méthode enseignée à l'article PLANETE. Répétant ensuite ces observations & ces opérations pendant plusieurs jours consécutifs, le cours de la comete sera déterminé.

Déterminer le cours d'une comete méchaniquement & sans les instrumens ordinaires. L'ingénieuse méthode que nous allons expliquer, est dûe à Longomontan : elle consiste à observer, par le secours d'un fil, la comete dans l'intersection des deux lignes qui passent par deux étoiles : ce qui est fort facile dans la pratique. Supposons, par exemple, que le lieu de la comete soit en A (Pl. astron. fig. 23.), entre les quatre étoiles B, C, D, E, dans l'intersection de la ligne qui passeroit par B & par D, & de celle qui passeroit par C & par E.

Ayant pris un globe où ces quatre étoiles soient marquées, on tendra un fil qui passe par B & par D, & un autre par D & par E : le point d'intersection sera le lieu de la comete. Répétant cette opération pendant plusieurs jours, on aura sur le globe le cours de la comete, qui se trouvera un grand cercle, par deux points duquel on trouvera aisément l'inclinaison à l'écliptique, & le lieu des noeuds, en observant simplement le lieu où un fil tendu sur ces deux points coupe l'écliptique. Pour déterminer la parallaxe d'une comete, voyez PARALLAXE.

Voilà à-peu-près tout ce que nous pouvons dire sur les cometes, dans un ouvrage de la nature de celui-ci. Tout ce que nous avons dit sur la nature des orbites que ces corps décrivent, & sur leurs mouvemens, peut être regardé comme vrai géométriquement. Il n'en est pas de même de leurs queues, & de la nature des particules qui les composent : nous n'avons fait qu'exposer sur cela les conjectures les plus probables. Les observations nous apprendront dans la suite ce qu'on doit penser de leur retour. Ce qu'on peut au-moins assûrer, c'est qu'il résulte des observations, que les cometes décrivent des orbites à-peu-près paraboliques, c'est-à-dire qui peuvent être traitées comme paraboliques dans la partie de l'orbite de la comete que nous pouvons appercevoir. Si ces orbites sont des ellipses, le retour de la comete est certain ; si ce sont des paraboles ou des hyperboles, le retour est impossible. Le célebre M. Newton nous a donné la méthode de calculer leurs mouvemens ; & ce problème, l'un des plus difficiles de l'Astronomie, est expliqué fort au long à la fin du troisieme livre de ses principes. M. le Monnier, de l'académie royale des Sciences, nous a aussi donné, en 1743, un ouvrage intitulé la théorie des cometes, in -8°. Cet ouvrage peut être conçu comme divisé en cinq parties. Dans la premiere, qui a pour titre discours sur la théorie des cometes, M. le Monnier expose les principaux phénomenes du mouvement des cometes, & les plus importans préceptes de l'Astronomie qui leur est propre. Il donne ensuite un précis de la doctrine de M. Newton sur les cometes ; & il termine ce discours par le calcul de l'orbite de la comete de 1742, d'après la méthode de M. Newton, à laquelle il a fait quelques changemens.

La seconde partie contient l'abregé de l'Astronomie cométique, ou la Cométographie de M. Halley, qui est imprimée en latin à la fin de l'Astronomie de Gregori, & dont M. le Monnier nous donne la traduction avec les notes de M. Whiston insérées dans le texte, & accompagnées des remarques & des explications du traducteur.

La troisieme partie est un supplément qui contient une histoire abregée de ce qu'on a fait depuis le commencement de ce siecle, pour perfectionner la théorie des cometes.

Les deux autres parties contiennent des recherches sur les positions de différentes étoiles, & sur les tables du Soleil, qui n'ont qu'un rapport indirect au fond de l'ouvrage, mais qui n'en sont pas moins utiles ni moins importantes. Cet ouvrage est encore orné du planisphere de Whiston, où sont représentées les trajectoires ou orbites de toutes les cometes les mieux connues, & les deux planispheres célestes de Flamsteed, réduits en petit avec beaucoup d'art & de propreté. Ainsi on peut assûrer qu'il est peu de livres qui dans un si petit volume, contiennent tant de choses curieuses & utiles sur la science qui en fait l'objet Aussi l'académie a-t-elle jugé, comme on le voit par l'extrait de ses registres, imprimé au commencement de ce livre, qu'un ouvrage si utile à l'avancement de l'Astronomie & au progrès de la vraie physique céleste, ne pouvoit que faire honneur à son auteur, & étoit très-digne de l'impression.

Ceux qui voudront se contenter d'une exposition plus générale & plus simple de la théorie des cometes, pourront avoir recours au petit ouvrage de M. de Maupertuis, intitulé lettre sur la comete qui parut en 1742, à l'occasion de la comete de cette année. L'auteur y explique avec beaucoup d'élégance & de clarté, le système de M. Newton sur les cometes, & y met ce système à la portée du commun des lecteurs.

M. Euler, géometre si célebre aujourd'hui dans toute l'Europe, a aussi fait imprimer à Berlin, en 1744, un ouvrage intitulé theoria planetarum & cometarum, dans lequel il donne une méthode nouvelle & différente de celle de M. Newton, pour déterminer le mouvement des cometes.

Il a paru depuis le commencement de ce siecle un assez grand nombre de cometes ; les principales ont été celle de 1723, dont M. Bradley a donné le calcul dans les Transactions philosophiques de la société royale de Londres ; celle de 1729, celle de 1737, & celle de 1744. La premiere a été calculée par M. Delisle, la seconde par M. Bradley, la troisieme par M. le Monnier, & plusieurs autres astronomes. Celle de 1723 a été rétrograde, les autres ont été directes ; celle de 1744 est la plus brillante & la plus remarquable qu'on ait vû depuis 1680.

Finissons ce long article par une observation bien propre à humilier les Philosophes. En 1596, dans un tems où l'on étoit fort ignorant sur les cometes, parut un traité des cometes du sieur Jean-Bernard Longue, philosophe & médecin, où sont réfutés les abus & témérités des vains astrologues qui prédisent ordinairement malheurs à l'apparition d'icelles, traduit par Charles Nepveu chirurgien du roi ; cependant en 1680, les Philosophes étoient encore tellement dans l'erreur sur ce sujet, que le fameux Jacques Bernoulli dit, dans son ouvrage sur les cometes, que si le corps de la comete n'est pas un signe visible de la colere du ciel, la queue en pourroit bien être un. Dans ce même traité, il prédit le retour de la comete de 1680 pour le 17 Mai 1719, dans le signe de la Balance. Aucun astronome, dit M. de Voltaire, ne se coucha cette nuit-là ; mais la comete ne parut point. (O)

COMETE, (Artificier). Les Artificiers appellent ainsi les fusées volantes dont la tête est lumineuse aussi-bien que la queue, à l'imitation des cometes : quelques-uns les appellent flamboyantes. Voyez FUSEE VOLANTE.

COMETE ou de MANILLE, (jeu de la) jeu de cartes qui se joüe de la maniere suivante : l'enjeu ordinaire est de neuf fiches, qui valent dix jettons chacune, & de dix jettons ; l'on peut, comme l'on voit, perdre au jeu deux ou trois mille jettons dans une séance. On se sert de toutes les cartes, c'est-à-dire des cinquante-deux : & l'on peut y joüer depuis deux personnes jusqu'à cinq ; le jeu à deux n'est cependant pas si beau qu'à trois & au-dessus. Il y a de l'avantage à faire au jeu de la comete. Les cartes battues, coupées à l'ordinaire, se partagent aux joüeurs trois à trois, ou quatre à quatre, & de cette maniere ; vingt-six à chacun, si on joüe deux personnes ; dix-sept, si c'est à trois, & il en reste une qu'on ne peut pas voir ; à quatre, treize ; & à cinq, dix, & il en restera encore deux qu'on ne pourra point voir non plus.

Toutes les cartes étant données, on les arrange selon l'ordre naturel en commençant par l'as, qui dans ce jeu ne vaut qu'un, par le deux, le trois, ainsi du reste jusqu'au roi. On commence à joüer par telle carte qu'on veut, mais il est plus avantageux de joüer d'abord celle dont il y a le plus de cartes de suite : ainsi en supposant qu'il y ait depuis le six des cartes qui se suivent jusqu'au roi, on les jettera toutes l'une après l'autre, en disant six, sept, huit, neuf, dix, valet, dame, & roi ; mais s'il manquoit une de ces cartes, on nommeroit celle qui est immédiatement devant, & on diroit sans telle carte, qui seroit celle qui devroit suivre celle qu'on déclare ; si c'étoit le huit, par exemple, qui manquât dans sa séquence, on diroit sept sans huit, &c. le joüeur suivant qui auroit la carte dont l'autre manqueroit, continueroit en la jettant, & diroit comme le premier jusqu'à ce qu'il lui manquât quelque nombre dans sa suite ; auquel cas un autre qui auroit ce nombre, recommenceroit de la même maniere ; s'il avoit poussé jusqu'au roi, il continueroit de joüer par telle carte qu'il voudroit. La différence des couleurs ne fait rien à ce jeu, pourvû que les cartes que l'on a forment une suite juste. Le joüeur qui vient après celui qui a dit huit sans neuf, ou toute autre carte, reprend le jeu s'il a le nombre manquant ; si ni lui, ni les autres ne l'ont, le premier qui a dit huit sans neuf, continue à jouer le reste de son jeu par telle carte qu'il lui plaît, & se fait donner un jetton de chaque joüeur. Il faut autant qu'on le peut se défaire de ses cartes les plus hautes en point, parce que l'on paye autant de jettons que l'on a de points dans toutes les cartes qui restent dans la main à la fin du coup. Ceux qui joüent petit jeu, ne donnent qu'autant de jettons qu'il leur reste de cartes. Il n'est pas moins avantageux de se défaire des as, parce que si l'on attend trop tard à les jetter, on ne se remet dedans qu'avec peine, à moins qu'on n'ait un roi pour entrer. On doit donner une fiche ou moins, selon la convention, à celui qui joüe la comete ; il n'est plus reçu à la demander dès qu'elle est couverte de quelque carte, & elle est perdue pour lui. Celui qui gagne la partie se fait donner une fiche & neuf jettons, qui sont la valeur de la comete de celui qui l'ayant dans son jeu, ne s'en est point défait dans le tour. Celui qui jette sur table des rois qu'il a dans son jeu, gagne un jetton de chaque joüeur pour chacun de ses rois ; au lieu qu'il paye un jetton à chaque joüeur, & dix au gagnant, pour chacun des rois qui lui restent : si l'on paye par point, c'est celui qui a plûtôt joüé ses cartes qui gagne la partie & les fiches que chaque joüeur a mis au jeu, sans parler des marques qu'il se fait payer de chacun, selon qu'il a plus ou moins de cartes ou de points dans sa main.

Il n'est pas permis de voir les cartes qu'on a déjà joüées, pour conduire son jeu & joüer plus avantageusement pour soi, à peine de donner un jetton à chaque joüeur ; à moins qu'on ne l'ait décidé autrement avant de commencer.

Voilà les principales & premieres regles du jeu de la comete ; elles ont beaucoup changé, & vraisemblablement elles changeront encore beaucoup, si ce jeu continue d'être à la mode. On payera plus ou moins, quand on fera opéra : faire opéra, c'est joüer toutes ses cartes sans interruption ; on chargera de conditions l'emploi de la comete ; on fera payer plus ou moins selon la carte pour laquelle on la mettra : à présent on peut la mettre pour toute carte ; on fera perdre plus ou moins à celui dans la main de qui on la fera gorger, ou rester, c'est la même chose, &c. Nous ne nous piquons guere d'exactitude sur ces choses, elles en valent peu la peine ; d'ailleurs ce qui seroit exact dans le moment où nous écrivons, cesseroit bientôt de l'être par le caprice des joüeurs, qui ajoûtent des conditions au jeu, en retranchent, ou les alterent.


COMETÉadj. terme de Blason : on dit face cometée, pour dire qu'elle a un rayon ondoyant, tel que celui de la comete caudée. Les pals cometés different des flamboyans, en ce que les cometés sont mouvans du chef, & les flamboyans de la pointe en-haut. (V)


COMEUS(Myth.) surnom d'Apollon sous lequel il étoit adoré à Seleucie, d'où sa statue fut portée à Rome, & placée dans le temple d'Apollon-Palatin. On dit que les soldats qui prirent Seleucie s'étant mis à chercher dans le temple d'Apollon Comeus des trésors qu'ils y supposoient cachés, il sortit par une ouverture qu'ils avoient faite, une vapeur empoisonnée qui répandit la peste depuis cette ville jusque sur les bords du Rhin ; c'est-à-dire que ce pillage & cette peste (si elle est vraie) arriverent en même tems, & que le peuple toûjours superstitieux & raisonnant à sa maniere ordinaire, regarda l'un de ces évenemens comme la cause de l'autre.

Apollon-Comeus, c'est-à-dire Apollon à belle chevelure : l'idée poétique de donner à Apollon une belle chevelure blonde, vient, selon toute apparence, de la maniere éparse dont on voit ses rayons lorsqu'ils tombent obliquement sur une forêt épaisse, & qu'ils passent entre les feuilles des arbres comme de longs filets lumineux & blonds. Les Naucratiens célébroient sa fête en habit blanc.


COMICESS. m. pl. (Hist. anc.) c'est ainsi qu'on appelloit les assemblées du peuple romain, qui avoient pour objet les affaires de l'état, comitia. Elles étoient convoquées & dirigées ou par un des deux consuls, ou dans la vacance du consulat, par l'interrex, par un préteur, un dictateur, un tribun du peuple, un souverain pontife, ce qui n'étoit pas ordinaire, un décemvir, ou un édile.

Les comices se tenoient ou pour l'élection d'un magistrat, ou pour quelque innovation dans les lois, ou pour une résolution de guerre, l'addiction d'un gouvernement, la déposition d'un général, le jugement d'un citoyen. On s'assembloit ou dans le champ de Mars, ou dans le marché, ou au capitole. Les citoyens habitans de Rome & les étrangers y étoient indistinctement admis : il n'y avoit point de comices les jours de fêtes, les jours de foires, ni les jours malheureux. On ne comptoit dans l'année que 184 jours de comices. Ils étoient remis quand il tonnoit ou faisoit mauvais tems ; lorsque les augures ne pouvoient ou commencer ou continuer leurs observations. La liberté des assemblées romaines fut très-gênée sous Jules César, moins sous Auguste, plus ou moins dans la suite, selon le caractere des empereurs.

La distinction des comices suivit la distribution du peuple romain. Le peuple romain étoit divisé en centuries, en curies, & en tribus : il y eut donc, surtout dans les commencemens, les comices appellés comitia tributa, les curiata, & les centuriata. Ils prirent aussi des noms différens, suivant les magistratures auxquelles il falloit pourvoir ; & il y eut les comices dits consularia, les praetoria, les aedilitia, censoria, pontificia, proconsularia, propraetoria, & tribunitia, sans compter d'autres comices dont l'objet étant particulier, le nom l'étoit aussi, tels que les calata.

Comices dits aedilitia, assemblées où l'on élisoit les édiles curules & plébéiens ; elles étoient quelquefois convoquées par les tribuns, quelquefois par les édiles ; le peuple y étoit distribué par tribus.

Comices dits calata ; le peuple y étoit distribué par curies ou par centuries. C'étoit un licteur qui appelloit les curies ; c'étoit un cornicen qui appelloit les centuries ; elles étoient demandées par le collége des prêtres ; on y élisoit dans les centuries un rex sacrificulus, & dans les curies un flamine ; on n'appelloit que dix-sept tribus : ce n'étoient donc pas proprement des assemblées qu'on pût appeller comitia, mais consilia ; on y faisoit les actes appellés adrogations, ou adoptions de ceux qui étoient leurs maîtres, sui juris ; on y passoit les testamens appellés de ce nom, testamenta calata ; on y agitoit de la cérémonie appellée detestatio sacrorum, ou de l'accomplissement des legs destinés aux choses sacrées, selon quelques-uns, ou de la consécration des édifices, selon d'autres.

Comices dits censoria, assemblées où l'on élisoit les censeurs : le peuple y étoit distribué par centuries ; un des consuls y présidoit ; le censeur élu entroit en charge immédiatement après l'élection, à moins qu'il n'y eût quelque cause de nullité.

Comices dits centuriata, assemblées où le peuple étoit distribué en 193 centuries ; on y décidoit les affaires à la pluralité des voix des centuries ; on en fait remonter l'institution jusque sous le roi Servius Tullius ; on y élisoit, au tems de la république, les consuls, les préteurs, les censeurs, les proconsuls, le rex sacrorum ; on y délibéroit des loix, des traités de paix, des déclarations de guerre, du jugement d'un citoyen in crimine perduellionis. Les consuls y présidoient ; en leur absence c'étoient les dictateurs, les tribuns militaires qui avoient puissance consulaire, les décemvirs appellés legibus scribendis, l'interrex ; on les annonçoit au peuple par des crieurs, ou par des affiches ou publications faites dans trois marchés consécutifs ; on ne les tenoit point dans la ville, parce qu'une partie du peuple s'y trouvoit en armes, c'étoit au champ de Mars ; quand les questeurs ou tribuns du peuple présidoient, il ne s'agissoit que du jugement d'un citoyen : cependant il falloit que le comice fût autorisé par le consentement d'un consul. Lorsque l'objet de l'assemblée étoit ou la publication d'une loi, ou le jugement d'un citoyen, elle n'avoit point de jour fixe ; s'il s'agissoit de l'élection d'un magistrat, elle se faisoit nécessairement avant que le tems de la fonction de cette magistrature fût expiré. Il n'y eut cependant de jour fixe qu'en 600 : on prit le premier Janvier. Il falloit toûjours l'agrément du sénat, & il dépendoit de lui d'infirmer ou de confirmer la délibération du comice. Ces actes de despotisme déplaisoient au peuple ; & Quintus Publius Philo parvint, pour les réprimer, à faire proposer au peuple les sujets de délibération, & les sentimens du sénat, par le sénat même ; ce qu'on appelloit autores fieri. Le peuple devint aussi juge des délibérations du sénat, au lieu que le sénat avoit été jusqu'alors juge des siennes. Quand le sénat vouloit des comices, on les publioit, comme nous avons dit ; le jour venu, on consultoit les augures, on sacrifioit ; & s'il ne survenoit aucun obstacle, le président conduisoit le peuple au champ de Mars : là il proposoit le sujet de la délibération, & l'avis du sénat, & disoit au peuple : rogo vos, quirites, velitis, jubeatis, &c. Aussitôt chaque citoyen se rangeoit dans sa classe & dans sa centurie ; on commençoit à prendre les voix par la premiere classe, & dans cette classe par les dix-huit centuries des chevaliers ; on passoit ensuite aux quatre-vingt centuries restantes. Quand le consentement étoit unanime, l'affaire étoit presque terminée. Si les sentimens étoient partagés, on prenoit les voix de la seconde classe ; en cas de partage des voix, on prenoit celle de la troisieme ; & ainsi de suite jusqu'à la quatre-vingt-dix-sept. En cas d'égalité de voix dans les cinq premieres classes ou dans les 192 centuries qui les composoient, la sixieme classe décidoit. On alloit rarement jusqu'à la quatrieme ou cinquieme classe.

Sous la république, on mettoit tous les noms des centuries dans un vaisseau, & l'on en tiroit au sort le rang de voter. La premiere centurie tirée, s'appelloit centuria praerogativa. Les autres centuries adhéroient ordinairement à son avis, & cette centurie à l'avis de celui qui votoit le premier. Les candidats ne négligeoient donc pas de s'assûrer de cette premiere voix. Les centuries qui donnoient leurs voix après la premiere, selon que le sort en avoit ordonné, s'appelloient jure vocatae. Il importoit encore beaucoup de s'assûrer de la voix du premier de chaque jure vocata.

Ces comices par curies représenterent dans la suite les comices par tribus ; au lieu qu'anciennement on n'entroit point en charge, sans avoir été élû par les comices appellés tributaria & centuriata. Alors le peuple votoit à haute voix ; comme cela n'étoit pas sans inconvénient, il fut arrêté en 611, sur les représentations du tribun Gabinius, que les voix se prendroient autrement. On employa des tablettes. S'il s'agissoit des lois, il y avoit dessus la tablette les lettres V. R. uti rogas, ou la lettre A. antiquo. Pour l'élection d'un magistrat, on mettoit sur la tablette la premiere lettre de son nom. On distribuoit de ces tablettes au peuple, par les diribiteurs ; puis la centurie dite praerogativa, appellée par un crieur, approchoit & entroit dans une enceinte ; on en recevoit les tables sur le pont à mesure qu'elle passoit ; on les jettoit dans des urnes gardées par les custodes, pour empêcher la fraude : quand les tablettes étoient toutes reçues, les custodes ou gardiens les tiroient des urnes, & séparoient celles qui étoient pour & contre, ce qui s'appelloit dirimere suffragia ; ils marquoient les suffrages par différence, par le moyen de points ; d'où l'on a fait omne tulit punctum. On annonçoit au peuple le côté pour lequel étoit la différence, & de combien elle étoit de points ; & ainsi des autres centuries : quand il y avoit égalité de voix pour & contre, & que par conséquent la différence étoit nulle, on n'annonçoit point cette centurie, on la passoit sans mot dire, excepté dans les affaires capitales, ou quand il s'agissoit d'emploi ; alors on faisoit tirer au sort les candidats. Pour le consulat, il falloit avoir non-seulement l'avantage des suffrages sur ses compétiteurs, mais réunir plus de la moitié des suffrages de chaque centurie. Quand l'élection étoit valable, celui qui tenoit les comices disoit : quod mihi, magistratuique meo, populo, plebique romanae bene atque feliciter eveniat, L. Muraenam consulem renuntio. Cela fait, les comices se séparoient ; on accompagnoit l'élu jusque chez lui avec des acclamations, & l'on rendoit les mêmes honneurs à celui qui sortoit de charge.

Comices consulaires : le peuple y étoit distribué par centuries ; on y élisoit les consuls. Les premiers se tinrent en 245 par Sp. Lucretius, interrex pour lors, & on y nomma consuls M. Jun. Brutus & Tarquinius Collatinus. On créa souvent un interrex pour présider à ces comices, quand l'élection des consuls ne se pouvoit faire au tems marqué. L'interrex sous lequel l'élection des consuls se commençoit, n'en voyoit pas ordinairement la conclusion, son regne n'étant que de cinq jours. On en créoit un second. Ce fut dans la suite à un exconsul à tenir les comices consulaires. Au défaut d'exconsul, on faisoit un dictateur. Ils se tenoient à la fin du mois de Juillet, ou au commencement d'Août. Lorsque les séances étoient interrompues, l'élection duroit jusqu'au mois d'Octobre. Cependant les candidats au consulat s'appelloient consuls désignés, consules designati ; & la fonction des dictateurs ne finissoit qu'au premier Janvier ; & avant qu'on eût fixé le premier Janvier, qu'au commencement de Mars. Alors les consuls désignés entroient en exercice.

Comices dits curiata ; assemblées où le peuple étoit distribué dans ses trente curies, & où l'on terminoit les affaires selon le plus grand nombre de voix des curies. On en fait remonter l'origine jusque sous Romulus. On dit qu'à la mort d'un roi, on en élisoit un autre par curies : c'étoit alors un interrex qui tenoit les comices ; dans la suite ce furent les consuls, les préteurs, les dictateurs, les interrex, les souverains pontifes, auxquels cependant les historiens n'attribuent pas ce droit unanimement. On délibéra dans ces comices des lois & des affaires capitales des citoyens ; on y procéda à l'élection des premiers magistrats, jusqu'à ce que Servius Tullius institua les comices dits centuriata, & y transféra les affaires les plus importantes. Les augures y étoient appellés, parce qu'ils ne se tenoient jamais sans les avoir consultés. On y décidoit de ce qui concerne le commandement des armées, les forces des armées, des légions qu'on accorderoit aux consuls, du gouvernement des provinces, & autres affaires relatives à la police & à la guerre. C'étoit encore dans ces assemblées que se faisoient les adoptions, les testamens, l'élection des flamines, &c. elles n'étoient composées que des habitans de Rome, parce qu'il n'y avoit qu'eux qui fussent divisés en curies : le marché romain en étoit le lieu. On y étoit convoqué par des crieurs. Celui qui y présidoit, proposoit l'affaire ; puis il ajoûtoit : si it a vobis videtur, quirites, discedite in curias & suffragium inite : chacun se rangeoit dans sa curie ; on tiroit au sort le rang des curies ; elles donnoient leurs suffrages, qu'on ne prenoit que jusqu'à ce qu'il y eût seize curies d'un même avis. Les délibérations étoient précédées par des augures, & elles n'avoient lieu qu'en cas qu'il ne s'opposât rien de leur part. Lorsqu'on eut institué les comices dits tributia, les droits des comices dits curiata se réduisirent à si peu de chose, que les trente licteurs des curies s'assemblerent seuls, & déciderent des affaires pour lesquelles on avoit auparavant convoqué les curies. Au reste ils ne se tinrent jamais qu'aux jours comitiaux, sans égard pour la saison.

Comices dits pontificia : le peuple y étoit par tribus ; on élisoit un souverain pontife ; on tiroit le rang des tribus au sort ; l'unanimité de dix-sept tribus suffisoit pour l'élection. Ce fut un pontife qui les convoqua, & qui les tint jusqu'à ce que ce droit eut été transféré aux consuls par la loi domitienne.

Comices dits praetoria : le peuple y étoit par centurie ; on y élisoit les préteurs : ils étoient tenus par un consul. Comme il y avoit quelquefois jusqu'à dix préteurs à nommer, & que le nombre des candidats étoit grand, les séances duroient si long-tems qu'on divisoit l'élection, & qu'on différoit celle de quelques préteurs. Ces comices se tenoient un, deux, trois jours, & rarement plus tard, après les comices consulaires.

Comices dits proconsularia & propraetoria : le peuple y étoit par tribus ; on y élisoit les proconsuls & les propréteurs, lorsque les cas l'exigeoient, comme plusieurs gouvernemens de provinces à remplir, plusieurs guerres à conduire, une seule guerre ou un seul gouvernement, auquel les deux consuls ou préteurs prétendoient en même tems. Quant à la maniere de les tenir, voyez les comices dits centuriata.

Comices dits quaestoria : le peuple y fut par curies ; on y élut les questeurs jusqu'à ce que ce droit fut transféré aux comices par tribus. Ils étoient tenus par un consul ; on y procédoit par curies dans le marché romain, & par tribus dans le champ de Mars.

Comices dits sacerdotum : le peuple y étoit par tribus ; on y élisoit les prêtres ; le consul y présidoit.

Comices dits tribunitia : ils se tenoient par tribus ; on y élisoit des tribuns militaires. Ils commencerent en 393 ; les uns étoient au choix du peuple, les autres au choix du général, & on les distinguoit des premiers par le nom de tribuni rufuli. Il ne faut pas confondre ces comices ni avec ceux où l'on élisoit les tribuns militaires consulari potestate, ceux-ci étoient par centuries ; ni avec ceux où l'on créoit les tribuns du peuple. Quoique le peuple y fût par tribus, ils n'étoient point tenus par un consul, mais par un tribun.

Comices dits tributa : assemblées où le peuple étoit divisé en ses trente-cinq tribus ; ils commencerent en 263, dans l'affaire de Marcius Coriolan, & la loi publilia les autorisa en 282. Dans les comices par centuries, tout dépendoit, comme on a vû, de la premiere classe ; dans ceux-ci, au contraire, c'étoit le peuple entier qui décidoit. Les capite-censi ou proletarii, ou ceux de la sixieme classe, pouvoient autant que ceux de la premiere. On y élisoit tous les magistrats compris sous la dénomination de magistratus urbani minores ordinarii ; savoir les édiles curules & plébéiens, les tribuns du peuple, les questeurs, les triumvirs dits capitales, les triumvirs nocturnes, les triumvirs dits monetales ; les magistrats dits urbani minores extraordinarii, comme les préfets des vivres, les duumvirs dits navales, les questeurs du parricide, les inspecteurs des rues & chemins, les quinquevirs muris turribusque reficiendis, les triumvirs ou quinquevirs dits mensarii ; les magistrats dits provinciales ordinarii, comme les proconsuls, propréteurs, & proquesteurs ; les magistrats dits provinciales extraordinarii, comme les triumvirs, les quinquevirs ou septemvirs coloniae deducendae aut agris dividundis, quelques-uns des tribuns militaires qu'on appelloit par cette raison tribuni comitiati, & les prêtres des colléges. On y faisoit aussi les lois appellées plébiscites ; on y jugeoit les citoyens mais non pour cause capitale ; ils pouvoient y être condamnés à l'amende ou à l'exil : on y décernoit le triomphe ; on y traitoit des priviléges des citoyens, des alliances, de l'exemption de la loi, &c. Ils étoient tenus par les dictateurs, les consuls, les tribuns militaires consulari potestate, les préteurs, & les tribuns du peuple, avec cette différence que ces derniers ne pouvoient que décider des affaires, & qu'il appartenoit aux premiers à pourvoir aux dignités. Ces assemblées se pouvoient faire sans le consentement du sénat, & les augures ne pouvoient ni les empêcher, ni les retarder. On y élisoit les magistrats dans le champ de Mars ; on y expédioit les autres affaires, ou au capitole, ou dans le marché romain. Ils se tenoient les jours comitiaux ; on n'assembloit que dix-sept tribus pour l'élection d'un prêtre ; & celui qui en avoit neuf pour lui, étoit nommé. Ces comices par tribus ne méritoient, à proprement parler, que le nom de concilia plebis ; aucun patricien n'y assistoit, n'étant point formé du peuple en entier, mais seulement du commun du peuple, plebs. Hed. lex.

* COMICE, (Hist. anc.) endroit de Rome dans la viij. région, au pié du mont Palatin, vers le capitole, proche le marché romain, où se tenoient ordinairement les comices par curies ; il n'étoit, selon toute apparence, fermé que d'un mur percé de deux portes par une desquelles une curie sortoit, tandis que la curie suivante entroit par l'autre, selon l'ordre gardé dans les ovilia ou septa au champ de Mars. Il ne fut couvert qu'en 545. On y fit aussi des portiques ; on y éleva des statues : c'étoit-là qu'étoit le pluteal libonis, ou l'autel où les magistrats prêtoient serment ; le figuier sauvage sous lequel la louve avoit alaité Remus & Romulus ; la grande pierre noire que Romulus choisit de son vivant pour sa tombe, &c. On y punissoit les malfaiteurs ; on y fouettoit à mort ceux qui avoient corrompu des vestales ; il se voit aujourd'hui entre les églises de sainte Marie la Libératrice & de saint Théodore. Les anciens y joüoient à la paume, & Caton s'y exerçoit quelquefois.


COMIQUEadj. plaisant, qui excite à rire, qui appartient à la comédie ; avanture comique, propos comique, figure comique, style comique.

COMIQUE, subst. un comique, c'est-à-dire un acteur comique, un poëte comique. Le comique, c'est-à-dire le genre de la comédie. C'est le comique de la troupe. Moliere est le modele des comiques. Le comique corrige les moeurs.

COMIQUE, pris pour le genre de la comédie, est un terme relatif. Ce qui est comique pour tel peuple, pour telle société, pour tel homme, peut ne pas l'être pour tel autre. L'effet du comique résulte de la comparaison qu'on fait, même sans s'en appercevoir, de ses moeurs avec les moeurs qu'on voit tourner en ridicule, & suppose entre le spectateur & le personnage représenté une différence avantageuse pour le premier. Ce n'est pas que le même homme ne puisse rire de sa propre image, lors même qu'il s'y reconnoît : cela vient d'une duplicité de caractere qui s'observe encore plus sensiblement dans le combat des passions où l'homme est sans-cesse en opposition avec lui-même. On se juge, on se condamne, on se plaisante, comme un tiers, & l'amour propre y trouve son compte. Voyez RAISON, SENTIMENT, IDENTITE.

Le comique n'étant qu'une relation, il doit perdre à être transplanté ; mais il perd plus ou moins en raison de sa bonté essentielle. S'il est peint avec force & vérité, il aura toûjours, comme les portraits de Vandeyk & de Latour, le mérite de la peinture, lors même qu'on ne sera plus en état de juger de la ressemblance ; & les connoisseurs y appercevront cette ame & cette vie, qu'on ne rend jamais qu'en imitant la nature. D'ailleurs si le comique porte sur des caracteres généraux & sur quelque vice radical de l'humanité, il ne sera que trop ressemblant dans tous les pays & dans tous les siecles. L'avocat patelin semble peint de nos jours. L'avare de Plaute a ses originaux à Paris. Le misantrope de Moliere eût trouvé les siens à Rome. Tels sont malheureusement chez tous les hommes le contraste & le mélange de l'amour propre & de la raison, que la théorie des bonnes moeurs & la pratique des mauvaises, sont presque toûjours & par-tout les mêmes. L'avarice, cette avidité insatiable qui fait qu'on se prive de tout pour ne manquer de rien ; l'envie, ce mélange d'estime & de haine pour les avantages qu'on n'a pas ; l'hypocrisie, ce masque du vice déguisé en vertu ; la flaterie, ce commerce infame entre la bassesse & la vanité : tous ces vices & une infinité d'autres, existeront par-tout où il y aura des hommes, & par-tout ils seront regardés comme des vices. Chaque homme méprisera dans son semblable ceux dont il se croira exempt, & prendra un plaisir malin à les voir humilier ; ce qui assûre à jamais le succès du comique qui attaque les moeurs générales.

Il n'en est pas ainsi du comique local & momentané. Il est borné pour les lieux & pour les tems, au cercle du ridicule qu'il attaque ; mais il n'en est souvent que plus loüable, attendu que c'est lui qui empêche le ridicule de se perpétuer & de se répandre, en détruisant ses propres modeles ; & que s'il ne ressemble plus à personne, c'est que personne n'ose plus lui ressembler. Ménage qui a dit tant de mots, & qui en a dit si peu de bons, avoit pourtant raison de s'écrier à la premiere représentation des précieuses ridicules : courage Moliere, voilà le bon comique. Observons, à-propos de cette piece, qu'il y a quelquefois un grand art à charger les portraits. La méprise des deux provinciales, leur empressement pour deux valets travestis, les coups de bâton qui font le dénoüement, exagerent sans-doute le mépris attaché aux airs & au ton précieux ; mais Moliere, pour arrêter la contagion, a usé du plus violent remede. C'est ainsi que dans un dénoüement qui a essuyé tant de critiques, & qui mérite les plus grands éloges, il a osé envoyer l'hypocrite à la greve. Son exemple doit apprendre à ses imitateurs à ne pas ménager le vice, & à traiter un méchant homme sur le théatre comme il doit l'être dans la société. Par exemple, il n'y a qu'une façon de renvoyer de dessus la scene un scélérat qui fait gloire de séduire une femme pour la deshonorer : ceux qui lui ressemblent trouveront mauvais le dénoüement ; tant mieux pour l'auteur & pour l'ouvrage.

Le genre comique françois, le seul dont nous traiterons ici, comme étant le plus parfait de tous (voy. COMEDIE), se divise en comique noble, comique bourgeois, & bas comique. Comme on n'a fait qu'indiquer cette division dans l'article COMEDIE, on va la développer dans celui-ci. C'est d'une connoissance profonde de leurs objets, que les Arts tirent leurs regles, & les auteurs leur fécondité.

Le comique noble peint les moeurs des grands, & celles-ci different des moeurs du peuple & de la bourgeoisie, moins par le fond que par la forme. Les vices des grands sont moins grossiers, leurs ridicules moins choquans ; ils sont même, pour la plûpart, si bien colorés par la politesse, qu'ils entrent dans le caractere de l'homme aimable : ce sont des poisons assaisonnés que le spéculateur décompose ; mais peu de personnes sont à portée de les étudier, moins encore en état de les saisir. On s'amuse à recopier le petit maître sur lequel tous les traits du ridicule sont épuisés, & dont la peinture n'est plus qu'une école pour les jeunes gens qui ont quelque disposition à le devenir ; cependant on laisse en paix l'intrigante le bas orgueilleux, le prôneur de lui-même, & une infinité d'autres dont le monde est rempli : il est vrai qu'il ne faut pas moins de courage que de talent pour toucher à ces caracteres ; & les auteurs du faux-sincere & du glorieux ont eu besoin de l'un & de l'autre : mais aussi ce n'est pas sans effort qu'on peut marcher sur les pas de l'intrépide auteur du tartuffe. Boileau racontoit que Moliere, après lui avoir lû le misantrope, lui avoit dit : vous verrez bien autre chose. Qu'auroit-il donc fait si la mort ne l'avoit surpris, cet homme qui voyoit quelque chose au-delà du misantrope ? Ce problème qui confondoit Boileau, devroit être pour les auteurs comiques un objet continuel d'émulation & de recherches ; & ne fût-ce pour eux que la pierre philosophale, ils feroient du moins en la cherchant inutilement, mille autres découvertes utiles.

Indépendamment de l'étude refléchie des moeurs du grand monde, sans laquelle on ne sauroit faire un pas dans la carriere du haut comique, ce genre présente un obstacle qui lui est propre, & dont un auteur est d'abord effrayé. La plûpart des ridicules des grands sont si bien composés, qu'ils sont à peine visibles. Leurs vices sur-tout ont je ne sai quoi d'imposant qui se refuse à la plaisanterie : mais les situations les mettent en jeu. Quoi de plus sérieux en soi que le misantrope ? Moliere le rend amoureux d'une coquette ; il est comique. Le tartuffe est un chef-d'oeuvre plus surprenant encore dans l'art des contrastes : dans cette intrigue si comique, aucun des principaux personnages ne le seroit, pris séparément ; ils le deviennent tous par leur opposition. En général, les caracteres ne se développent que par leurs mélanges.

Les prétentions déplacées & les faux airs font l'objet principal du comique bourgeois. Les progrès de la politesse & du luxe l'ont rapproché du comique noble, mais ne les ont point confondus. La vanité qui a pris dans la bourgeoisie un ton plus haut qu'autrefois, traite de grossier tout ce qui n'a pas l'air du beau monde. C'est un ridicule de plus, qui ne doit pas empêcher un auteur de peindre les bourgeois avec les moeurs bourgeoises. Qu'il laisse mettre au rang des farces Georges Dandin, le Malade imaginaire, les Fourberies de Scapin, le Bourgeois gentilhomme, & qu'il tâche de les imiter. La farce est l'insipide exagération, ou l'imitation grossiere d'une nature indigne d'être présentée aux yeux des honnêtes gens. Le choix des objets & la vérité de la peinture caractérisent la bonne comédie. Le Malade imaginaire, auquel les Médecins doivent plus qu'ils ne pensent, est un tableau aussi frappant & aussi moral qu'il y en ait au théatre. Georges Dandin, où sont peintes avec tant de sagesse les moeurs les plus licentieuses, est un chef-d'oeuvre de naturel & d'intrigue ; & ce n'est pas la faute de Moliere si le sot orgueil plus fort que ses leçons, perpétue encore l'alliance des Dandins avec les Sotenvilles. Si dans ces modeles on trouve quelques traits qui ne peuvent amuser que le peuple, en revanche combien de scenes dignes des connoisseurs les plus délicats ?

Boileau a eu tort, s'il n'a pas reconnu l'auteur du Misantrope dans l'éloquence de Scapin avec le pere de son maître ; dans l'avarice de ce vieillard ; dans la scene des deux peres ; dans l'amour des deux fils, tableaux dignes de Térence ; dans la confession de Scapin qui se croit convaincu ; dans son insolence dès qu'il sent que son maître a besoin de lui, &c. Boileau a eu raison, s'il n'a regardé comme indigne de Moliere que le sac où le vieillard est enveloppé : encore eût-il mieux fait d'en faire la critique à son ami vivant, que d'attendre qu'il fût mort pour lui en faire le reproche.

Pourceaugnac est la seule piece de Moliere qu'on puisse mettre au rang des farces ; & dans cette farce même on trouve des caracteres ; tel que celui de Sbrigani, & des situations telles que celle de Pourceaugnac entre les deux médecins, qui décelent le grand maître.

Le comique bas, ainsi nommé parce qu'il imite les moeurs du bas peuple, peut avoir, comme les tableaux flamands, le mérite du coloris, de la vérité & de la gaieté. Il a aussi sa finesse & ses graces ; & il ne faut pas le confondre avec le comique grossier : celui-ci consiste dans la maniere ; ce n'est point un genre à part, c'est un défaut de tous les genres. Les amours d'une bourgeoise & l'ivresse d'un marquis, peuvent être du comique grossier, comme tout ce qui blesse le goût & les moeurs. Le comique bas au contraire est susceptible de délicatesse & d'honnêteté ; il donne même une nouvelle force au comique bourgeois & au comique noble, lorsqu'il contraste avec eux. Moliere en fournit mille exemples. Voyez dans le Dépit amoureux, la brouillerie & la réconciliation entre Mathurine & gros-René, où sont peints dans la simplicité villageoise les mêmes mouvemens de dépit & les mêmes retours de tendresse, qui viennent de se passer dans la scene des deux amans. Moliere, à la vérité, mêle quelquefois le comique grossier avec le bas comique. Dans la scene que nous avons citée, voilà ton demi-cent d'épingles de Paris, est du comique bas. Je voudrois bien aussi te rendre ton potage, est du comique grossier. La paille rompue, est un trait de génie. Ces sortes de scenes sont comme des miroirs où la nature, ailleurs peinte avec le coloris de l'art, se répete dans toute sa simplicité. Le secret de ces miroirs seroit-il perdu depuis Moliere ? Il a tiré des contrastes encore plus forts du mélange des comiques. C'est ainsi que dans le Festin-de-Pierre, il nous peint la crédulité de deux petites villageoises, & leur facilité à se laisser séduire par un scélérat dont la magnificence les éblouit. C'est ainsi que dans le Bourgeois gentilhomme, la grossiereté de Nicole jette un nouveau ridicule sur les prétentions impertinentes & l'éducation forcée de M. Jourdain. C'est ainsi que dans l'Ecole des femmes l'imbécillité d'Alain & de Georgette si bien nuancée avec l'ingénuité d'Agnès, concourt à faire réussir les entreprises de l'amant, & à faire échoüer les précautions du jaloux.

Qu'on nous pardonne de tirer tous nos exemples de Moliere ; si Ménandre & Térence revenoient au monde, ils étudieroient ce grand maître, & n'étudieroient que lui. Cet article est de M. de Marmontel.


COMIRSS. m. pl. (Littér.) farceurs la plûpart provençaux, sachant la musique, joüant des instrumens, & débitant les ouvrages des troubadours : ils succéderent en France aux histrions, où on leur donna encore les noms de conteurs, jongleurs, musars, plaisantins, pantomimes, &c.


COMITES. m. (Marine) officier de galere qui commande la chiourme, & qui a le soin de faire ramer les forçats. Voyez Marine, Pl. II. lett. Z, le comite en fonction sur une galere à la rame. (Z)


COMITÉCOMITé


COMITTAN(Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne, province de Chiapa.


COMMAS. m. terme de Gram. & d'Impr. Ce mot est grec, , segmen, incisum. Quintilien, vers le commencement du ch. jv. du liv. IX. fait mention des incises & des membres de la période, incisa quae , membra quae . Les incises font un sens partiel qui entre dans la composition du sens total de la période, ou d'un membre de période. Voyez CONSTRUCTION & PERIODE.

On donne aussi le nom d'incise aux divers sens particuliers du style coupé : Turenne est mort ; la victoire s'arrête, la fortune chancelle ; c'est ce que Cicéron appelle incisim dicere. Cic. orat. cap. lxvj. & lxvij.

On appelle aussi comma une sorte de ponctuation qui se marque avec les deux points : c'est de toutes les ponctuations celle qui après le point indique une plus forte séparation. Le sieur Leroi, ce fameux prote de Poitiers, dans son traité de l'ortographe qui vient d'avoir l'honneur d'être augmenté par M. Restaut ; le sieur Leroi, dis-je, soûtient que la ponctuation des deux points doit être appellée comma, & que ceux qui donnent ce nom au point Virgule sont dans l'erreur. Apparemment l'usage a varié ; car Martin Fertel, Richelet, & le dictionnaire de Trévoux édition de 1721, disent que le comma est la ponctuation qui marque avec un point & une virgule : le sieur Leroi soûtient au contraire que malgré le sentiment de ces auteurs, la ponctuation du point-virgule est appellée petit-que par tous les Imprimeurs ; parce qu'en effet ce signe sert à abreger la particule latine que, quand à la suite d'un mot elle signifie & : par exemple, illaq ; hominesq ; deosq ; au lieu de illaque, hominesque, deosque. Ici il ne s'agit que d'un fait ; on n'a qu'à consulter les Imprimeurs : ainsi le prote de Poitiers pourroit bien avoir raison. Nous verrons au mot ORTOGRAPHE s'il est aussi heureux quand il s'agit de raisonnement. (F)

COMMA, terme de Musique, est un petit intervalle qui se trouve en quelque cas, entre deux sons produits sous le même nom par des progressions différentes.

On distingue trois especes de comma : 1°. le mineur, dont la raison est de 2215 à 2048 ; ce qui est la quantité dont le si dièse, que donne la quatrieme quinte de sol dièse pris comme tierce majeure de mi, est surpassé par l'ut naturel qui lui correspond. Ce comma est la différence du semi-ton moyen au semi-ton majeur.

2°. Le comma majeur est celui qui se trouve entre le mi produit par la progression triple comme quatrieme quinte en commençant par ut, & le même mi ou sa réplique considéré comme tierce majeure de cet ut : la raison en est de 80 à 81. C'est le comma ordinaire ; & il est la différence du ton majeur au ton mineur.

3°. Enfin le comma maxime, qu'on appelle comma de Pythagore, a son rapport de 524288 à 531441 ; & il est l'excès du si dièse produit par la progression triple, comme douzieme quinte de l'ut, sur le même ut élevé au degré correspondant. Voyez TEMPERAMENT. (S)


COMMANDS. m. (Jurisprud.) ce terme signifie quelquefois celui qui, soit dans un contrat d'acquisition volontaire, soit dans une adjudication par decret, déclare qu'il achete pour lui ou pour un ami élu ou à élire, & qu'il nommera dans la suite. Ce même terme command signifie plus souvent celui qui a donné charge à un autre d'acquérir pour lui.

Cette maniere d'acquérir est fort commune en Anjou & au Maine. Les coûtumes de Peronne, Cambrai, & Artois, en parlent nommément ; & elle est permise dans toutes les autres coûtumes qui ne le prohibent pas expressément.

La déclaration de ce que l'on achete pour soi ou pour un autre, doit être faite dans le contrat même, si c'est une vente volontaire.

A l'égard des ventes par decret, comme l'adjudicataire n'est pas tenu de signer l'adjudication avec son procureur, on tient que s'il ne l'a pas signée, il peut en consignant dans les délais portés par les réglemens, c'est-à-dire dans la huitaine ou quinzaine au plus, faire sa déclaration de command, c'est-à-dire que l'adjudication est pour lui ou pour son ami élu ou à élire ; ce que la coûtume d'Auvergne appelle acheter pour soi ou pour son mieux : ce mieux signifie le droit que l'acquéreur se réserve de choisir un command ou ami pour acquéreur en sa place.

A l'égard du tems dans lequel l'acquéreur ou adjudicataire doit nommer le command, c'est-à-dire l'ami pour lequel il a fait l'acquisition, les coûtumes ne sont pas uniformes ; quelques-unes veulent que cette déclaration soit faite dans quarante jours, telle que Péronne, artic. 88. celle d'Amiens accorde un an, articles 33 & 34. celle d'Artois ne fixe point le tems : dans celle de Cambrai il n'y a que quarante jours pour les fiefs, & un an pour les autres héritages : le délai de quarante jours paroît le plus convenable.

Il est indifférent que l'acquéreur ou adjudicataire ait consigné de ses deniers ou de ceux de son ami, pourvû qu'en consignant il ait fait la déclaration de command.

La nomination du command doit être faite pour le même prix, charges, clauses, & conditions ; autrement ce seroit une revente qui produiroit de nouveaux droits seigneuriaux.

Il faut aussi que lors de la nomination les choses soient entieres, c'est-à-dire que l'acquéreur n'ait pas fait acte de propriétaire en son nom, par exemple, qu'il ne se soit pas fait recevoir en foi & hommage, & payé les droits.

Si le command ou ami nommé n'ayant pas donné de pouvoir pour acquérir, refusoit d'accepter l'acquisition, le premier acquéreur demeureroit propriétaire, sans que pour cela il fût dû doubles droits. Voyez le tr. des fiefs de Guyot, tome III. ch. jv. sect. 3. & la pratique des terriers de M. de Freminville, tome I. p. 290. (A)

COMMANDS, (grands, hauts, ou petits) Jurispr. sont les injonctions ou commandemens que les secrétaires & sergens font de l'ordonnance de justice & par son mandement, pour faire délivrer la possession. Il en est parlé au style de Liége, & en la coûtume de Namur, art. 16. & dans les coûtumes des fiefs de ce comté. (A)


COMMANDANTS. m. (Hist. mod. & Art milit.) Ce nom pris en général, signifie un officier militaire qui a autorité sur une armée, un corps de troupes, & tant sur les officiers que sur les soldats.

En le restreignant à un sens plus particulier, il signifie dans les troupes de France un officier qui commande en chef à tout un bataillon. Chaque bataillon a un commandant, qui est ordinairement le plus ancien capitaine ou le capitaine des grenadiers de ce même bataillon. (Q)


COMMANDATAIRou COMMENDATAIRE, subst. masc. Cette derniere ortographe est plus ordinaire. On appelle de ce nom en Jurisprudence un ecclésiastique séculier qui est pourvû par le pape à titre de commende d'un bénéfice régulier, tel qu'une abbaye ou un prieuré, avec le droit de profiter des fruits du bénéfice tant qu'il en sera possesseur. La qualité de commendataire est opposée à celle de titulaire. Le bénéficier titulaire est celui qui est pourvû en titre du bénéfice ; le commendataire est celui qui en est pourvû en commende seulement. Il y a des abbés & des prieurs commendataires. A l'égard des évêchés & cures, on ne peut pas les conférer en commende.

Le concile d'Aix tenu en 1585, veut que les bénéficiers commendataires tiennent un milieu entre la vie des réguliers & celle des ecclésiastiques séculiers, tant dans leur vêtement que dans leur nourriture & leurs meubles : il veut qu'ils portent la tonsure plus grande que les séculiers ; qu'ils fassent attention que l'administration des biens des monasteres ne leur a pas été confiée pour vivre dans le luxe, dans la prodigalité, ni pour enrichir leurs familles ; mais pour en faire un pieux usage, comme d'un bien dont ils n'ont pas la propriété, & dont ils doivent rendre compte à Dieu. Biblioth. canon. au mot abbé.

Les abbés commendataires sont considérés dans l'Eglise comme constitués en dignité, & comme de vrais prélats ; ils prennent possession de leurs églises abbatiales, baisent l'autel, touchent les livres & ornemens, prennent séance au choeur en leur premiere place ; ils peuvent être juges délégués, & ont séance dans les conciles & autres assemblées. Dans les abbayes qui ont territoire & jurisdiction, ils exercent la jurisdiction spirituelle : ils joüissent des mêmes honneurs que les abbés titulaires, excepté qu'ils ne portent point la croix pectorale. Ils ont rang au-dessus de tous les prélats inférieurs, même titulaires ; & lorsqu'ils décedent, leur église est dite vacante.

Suivant la disposition de plusieurs conciles depuis le concile de Trente, les abbés commendataires sont tenus de se faire promouvoir à l'ordre de prêtrise dans l'an de leurs provisions, faute dequoi au bout de deux ans leurs bénéfices sont déclarés vacans & impétrables. Mais plusieurs obtiennent en cour de Rome des dispenses de non promovendo ; ces dispenses ne sont que pour un tems, mais elles se réiterent plusieurs fois.

Les abbés commendataires, quand même ils seroient cardinaux, n'ont point le droit de visite ni de correction sur les religieux de leur abbaye : ils peuvent néanmoins disposer des places monachales dans les monasteres qui ne sont pas en congrégation, à moins que les religieux ne justifient d'un usage & possession contraires ; & dans les monasteres même où les abbés commendataires ont cédé aux religieux le droit de nommer aux places monachales, ils peuvent obliger les supérieurs d'y mettre un certain nombre de religieux. Ils peuvent aussi nommer aux bénéfices dépendans de leur abbaye, & aux offices de justice, pourvû que la justice soit dans leur lot.

Il faut appliquer tout ce qui vient d'être dit des abbés aux prieurs commendataires, qui sont sujets aux mêmes regles, & joüissent des mêmes droits entant qu'ils peuvent appartenir à la qualité de prieur.

Les religieux ont leur mense conventuelle séparée de celle de l'abbé ou prieur commendataire : si leur part consiste en une pension, ils sont toûjours reçûs à demander un partage en nature.

Les commendataires ne peuvent, en faveur des religieux, diminuer les droits de leur bénéfice, au préjudice de leurs successeurs. Voyez le traité des matieres bénéf. de Fuet, liv. I. ch. des abb. & liv. II. & ch. ij. de la divis. des bénéf. & le tr. de l'abbé commendat. par de Bois-franc. (A)


COMMANDou COMMENDE, (Mat. bénéfic.) signifie garde-dépôt. Donner un bénéfice en commende, c'est donner en garde à un séculier un bénéfice régulier, lequel ne peut être conféré en titre qu'à un régulier, suivant la regle secularia secularibus, reguria regularibus, qui étoit la discipline observée dans les premiers siecles de l'Eglise.

Quelques-uns rapportent l'établissement des commendes à Urbain II. d'autres à Clement V. d'autres encore à Léon IV. mais l'usage en paroît encore plus ancien.

En effet on voit que dès le tems du troisieme concile d'Orléans, tenu sous Childebert en 538, les évêques donnoient à des clercs séculiers les monasteres qui étoient dans leurs diocèses, de même qu'ils leur donnoient des cures & des chapelles, & que l'évêque avoit le pouvoir de conserver au clerc qu'il avoit mis à la tête d'un monastere, la part qu'il avoit dans les revenus de l'église séculiere à laquelle il étoit attaché, ou de l'obliger à se contenter de ce qu'il pourroit avoir du monastere.

S. Grégoire le grand qui siégeoit sur la fin du sixieme siecle, admettoit qu'il y a des cas où la charité, qui est au-dessus des regles, autorise l'usage de donner des monasteres en commende à des clercs séculiers : Paulin évêque de Tour en Sicile, s'étant retiré en Sicile, ce saint pontife lui donna la conduite d'un monastere, comme le desiroit l'évêque du lieu.

Du tems de Clotaire, S. Leger étant archidiacre de Poitiers, eut par l'ordre de son évêque l'administration de l'abbaye de S. Maixent, qu'il gouverna pendant six ans.

On voit par-là que le pape n'étoit pas le seul qui conférât des bénéfices réguliers en commende, que les évêques en conféroient aussi sous le même titre.

Les princes donnerent même des abbayes à des laïcs : Charles Martel maitre du palais fut le premier qui disposa ainsi des abbayes, de même que des dixmes, en faveur des princes & seigneurs, pour les récompenser de la dépense qu'ils avoient faite dans la guerre contre les Sarrasins. C'est de-là que vinrent les noms d'abbates milites ou abbi-comites : ceux-ci établissoient un doyen ou prieur pour gouverner des moines. Ces especes de commendes laïques continuerent sous les rois, leurs enfans, & sous leurs successeurs, jusqu'à Hugues Capet, qui rétablit les élections dans les églises & monasteres, & restitua autant qu'il fut possible les revenus qui avoient été pris par les derniers rois de la race Carlovingienne.

Pour ce qui est des commendes ecclésiastiques, elles n'ont jamais été pratiquées parmi nous pour les évêchés ni pour les cures, mais seulement pour les abbayes & les prieurés, tant simples que conventuels.

Les commendes ecclésiastiques ne furent introduites que pour l'utilité de l'Eglise, c'est pourquoi le commendataire n'avoit pas la jouissance, mais seulement l'administration des fruits : d'abord la commende ne duroit que jusqu'à la provision : ensuite on la donna pour un tems limité, quelquefois assez long. Le pape défendit aux évêques de donner un bénéfice en commende pour plus de six mois : mais la loi ne fut point pour le législateur ; les papes donnoient en commende jusqu'à ce que le commendataire eût acquis les qualités nécessaires. Enfin en 1350 les papes, sans permettre aux évêques de donner en commende pour plus de six mois, en donnerent à vie. Discip. de Frapaolo, p. 148.

Tant que les papes & les évêques, en conférant des bénéfices réguliers en commende, n'ont eu en vûe que le bien de l'Eglise & celui des monasteres, les peres & les conciles n'ont point condamné cet usage : mais vers les viij. & jx. siecles elles dégénérerent en abus ; & lorsqu'on vit que ces commendataires laissoient tomber en ruine les monasteres, que le service divin étoit abandonné, les religieux sans chef, & manquant du nécessaire, l'Eglise s'est élevée fortement contre les commendes, par rapport au mauvais usage que les commendataires en faisoient ; & a ordonné en différentes occasions que les abbayes ne seroient plus conférées qu'à des réguliers : c'est ce que l'on trouve dans le concile de Thionville, tenu en 844.

Jean VIII. président au concile de Troyes sous le regne de Louis le Begue, y fit recevoir une constitution, qui en conformité d'un précédent concile de Rome, portoit que les abbayes, terres, & fonds de l'Eglise, ne seroient plus donnés qu'à ceux qui seroient capables de les posséder suivant les canons. Le concile de Troley tenu sous Charles le Simple, s'expliqua encore plus clairement sur ce point : après s'être élevé fortement contre l'abus que l'on avoit fait des commendes, il ordonna que l'on observeroit exactement la regle de S. Benoît, qui veut que les religieux choisissent un d'entr'eux pour gouverner le monastere en qualité d'abbé.

L'usage des commendes laïques cessa, comme nous l'avons dit, du tems de Hugues Capet, mais l'abus des commendes continua encore par rapport aux ecclésiastiques : les évêques, soit de leur autorité ou de celle du pape, retenoient encore les abbayes sous le titre de commende ; & il arriva fréquemment dans les xij. & xiij. siecles que les évêques titulaires en la Terre-sainte en étant chassés par les infideles, le pape leur donnoit d'autres évêchés ou des monasteres en commende perpétuelle.

Des cardinaux & autres prélats demanderent ces monasteres en commende, sous prétexte d'y mettre la réforme ; ce qu'ils ne firent point.

Les commendes devinrent très-communes dans le xjv. siecle, tandis que le saint-siége étoit à Avignon : Clément V. les avoit tellement multipliées, qu'il crut ne pouvoir réparer le tort que sa trop grande facilité avoit fait à l'Eglise, qu'en révoquant lui-même toutes les commendes qu'il avoit accordées. Benoît XII. révoqua celles de Jean XXII. son prédécesseur ; & Innocent VI. celles de Benoît XII. Elles furent néanmoins rétablies par Urbain VI. & par Boniface IX. mais seulement pour un tems. Paul II. en 1462 les rendit perpétuelles.

Le cinquieme concile de Latran tenu en 1512, défendit que les monasteres qui n'étoient point en commende y fussent donnés à l'avenir : mais le pape s'étant réservé la faculté d'y déroger, l'usage des commendes continua comme auparavant : il sembloit encore abrogé, du moins pour la France, par le concordat fait en 1516 entre Léon X. & François I. cependant les choses sont restées sur le même pié.

Le concile de Trente & les conciles provinciaux qui ont été tenus depuis, notamment celui de Rouen en 1581, & celui de Rheims en 1583, se sont contentés de faire des voeux pour le rétablissement de l'ancienne discipline.

Il y a présentement en France deux sortes de commendes, qui ne sont plus pour un tems comme autrefois, mais à vie.

Les premieres sont celles des abbayes & des prieurés conventuels, auxquels le Roi nomme en vertu du concordat.

Les autres sont des prieurés simples ou conventuels, qui sont à la nomination des princes, cardinaux, abbés, & autres qui ont des indults du pape enregistrés & reconnus au parlement pour les donner en commende. Mais comme les provisions en commende sont contre la disposition du Droit canonique, & que le pape seul peut dispenser de l'inhabilité des personnes, il n'y a que lui qui puisse conférer en commende avec la pleine disposition des fruits.

Au reste la commende ne change point le bénéfice de nature, quelque tems qu'il ait été possédé en commende.

Un bénéfice autrefois en commende, qui est depuis retourné en regle, c'est-à-dire qui a été conféré à un régulier, ne peut plus être possédé en commende sans obtenir une nouvelle dispense du pape.

On distingue encore deux sortes de commendes, savoir la commende libre, & la commende decretée.

La commende libre est celle à laquelle le pape n'a apposé aucune restriction, de maniere que le bénéfice peut passer d'un bénéficier à un autre à titre de commende sans nouvelle dispense du pape, lequel en ce cas ne peut refuser de le conférer en commende.

La commende decretée est lorsque dans les provisions données par le pape d'un bénéfice régulier, il y a le decret irritant ou clause que le bénéfice retournera en regle par la démission, résignation, ou décès du titulaire, cedente vel decedente.

Celui qui possede un bénéfice en commende decretée, ne peut le résigner en commende libre ; cependant s'il y avoit eu trois titulaires qui eussent successivement possédé en commende, le quatrieme ne seroit pas obligé de faire mention du decret irritant.

Quand un bénéfice possédé en commende vient à vaquer, le collateur ordinaire peut y pourvoir en titre, c'est-à-dire le conférer à un régulier.

Un séculier pourvû en commende se faisant religieux, son bénéfice vaque par sa profession. Voyez la bib. can. t. II. p. 159. Duperray, moyens can. t. II. chap. xj. pag. 328. Dumolin, de public. resig. n. 302. Loüet, ibid. Fuet, lib. III. ch. ij. le diction. de Brillon, au mot bénéfice, § commend. le tr. des lois ecclésiast. de M. d'Héricourt, aux différens endroits indiqués dans la table, aux articles abbayes & abbés commendataires ; & la jurispr. canon. au mot commende. (A)

COMMANDE ou COMMENDE, (Jurisprudence) en la coûtume de Bayonne, titre iij. article 1. signifie dépôt.

Commande, en quelques coûtumes, est un droit qui se leve sur les serfs affranchis par leur seigneur. Coût. de Chateauneuf, art. 22. la charte de l'an 1278, ch. lxviij. des coût. locales de Berry.

Commande, est aussi en quelques lieux la taille dûe par des hommes de condition servile : elle est ainsi nommée dans l'article 28. des coûtumes locales de Château-Mellian en Berry, & dans la charte d'affranchissement des habitans de Gournay, de l'an 1278, publiée par la Thaumassiere entre ses anciennes coûtumes, part. I. ch. lxxjv. p. 109.

Droit de commande, en l'ancienne coûtume de Mehun en Berry, art. 2. tit. ij. est le droit que le seigneur prend chacun an sur les veuves de condition servile, durant leur viduité, pour reconnoissance & conservation de son droit de servitude ; il est de deux deniers parisis par an. Dans la coûtume de Châteauneuf locale de Berry, titre ij. art. 22. ce droit se leve sur les femmes serves mariées à autres qu'à ceux de la condition & servitude du seigneur ; ce droit y est de quatre deniers par an. Voyez Lauriere, glossaire, au mot Commande.

Commande, en matiere bénéficiale, voyez COMMENDE.

Commande de bestiaux, est un contrat par lequel on donne à un laboureur ou à un pasteur une certaine quantité de bétail, tels que boeufs, vaches & moutons, à la charge que le preneur les nourrira & en jouira comme un bon pere de famille, & qu'au bout d'un certain tems il le représentera afin que le bailleur préleve dessus l'estimation, & que le surplus ou le croît se partage entre lui & le preneur. Quelques-uns considerent ce contrat comme une vente, d'autres comme une société, d'autres enfin comme un loüage. Cette question est amplement traitée par Revel sur les statuts de Bugey. Voyez CHEPTEL. (A)

COMMANDE, (Commerce) ordre, commission qu'un marchand donne à son commissionnaire de lui acheter, vendre ou négocier des marchandises. Dictionn. de Comm. de l'Acad. franç. & Trév.

COMMANDE, se dit aussi des ouvrages que les Manufacturiers, Marchands ou Artisans font ou font faire par ordre exprès ; ce qui les distingue des ouvrages fabriqués pour la boutique ou le magasin, qui se vendent au premier venu. On dit une étoffe de commande, &c. Dictionn. de Comm. & de Trév.

COMMANDE, (Marine) ce mot est crié par l'équipage pour répondre au maître, qui a appellé de la voix ou du sifflet pour quelque commandement qu'il va faire.

COMMANDE, (Marine) c'est ainsi qu'on appelle de petites cordes de merlin, dont les garçons de navire sont toûjours munis à la ceinture afin de s'en pouvoir servir au besoin ; elles servent à serrer les voiles, & à renforcer les autres manoeuvres. Elles sont faites de deux fils à la main dans le bond. On les appelle autrement rabans. Il y a des commandes de palans. (Z)


COMMANDEMENTS. m. (Grammaire) il se dit, & de l'action de celui qui commande, comme dans cette phrase, il est absolu dans son commandement ; & de la chose commandée, comme dans celle-ci, voici les commandemens de Dieu, & du droit de commander & de se faire obéir, comme dans celle-ci, le roi lui a confié le commandement de ses armées. Voyez, quant à cette derniere acception, l'article COMMANDANT.

COMMANDEMENT, en terme de Fortification, c'est une éminence ou une élevation de terre qui a la vûe sur quelque poste ou sur quelque place forte.

On distingue trois sortes de commandemens : 1°. le commandement de front ; c'est une hauteur opposée à la face du poste, qu'elle bat par le front, voyez FRONT : 2°. le commandement de revers, qui peut battre un poste ou une place par-derriere : 3°. le commandement d'enfilade, ou le commandement de courtine ; c'est une hauteur qui peut battre d'un seul coup toute la longueur d'une ligne droite. Voyez ENFILADE.

Le commandement est simple lorsque la hauteur qui commande est élevée de 9 piés plus que le terrein commandé. Il est double lorsqu'elle est élevée de dix-huit piés ; triple quand elle l'est de 27, & ainsi de suite en prenant toûjours 9 piés pour un commandement.

Comme les commandemens dans les environs des places, pourroient servir très-avantageusement à l'ennemi pour en foudroyer les ouvrages, on unit autant qu'il est possible le terrein autour des places à la distance de 1000 ou 1200 toises, qu'on peut considérer comme la portée ordinaire du canon. On ne souffre dans cet espace ni arbres, ni hauteurs, ni chemins creux où l'ennemi puisse se cacher ; lorsqu'il s'en trouve on les fait combler. On rase les hauteurs, sinon on s'en saisit par quelque ouvrage ou quelque piece de fortification, ou bien l'on couvre les endroits commandés par des traverses. Voyez TRAVERSES. (Q)

COMMANDEMENT, (Jurispr.) signifie en général une injonction faite à quelqu'un de la part du roi ou de la justice.

Arrêt en commandement, est un arrêt du conseil d'en-haut, qui est signé en commandement par un secrétaire d'état.

Il y a aussi d'autres dépêches que les secrétaires d'état signent en commandement, telles que les lettres patentes portant réglement général, les lettres de cachet, les brevets & dons du Roi, & les provisions ; les princes ont des secrétaires des commandemens, dont les fonctions sont de contre-signer & de sceller leurs ordonnances, mandemens, commissions, provisions d'offices & de bénéfices.

COMMANDEMENT, en terme de Pratique, est un acte extrajudiciaire fait par un huissier ou sergent, en vertu d'un jugement ou d'une obligation en forme exécutoire, par lequel cet officier interpelle quelqu'un de faire, donner ou payer quelque chose. Le commandement differe d'une simple sommation en ce que celle-ci peut être faite sans titre exécutoire, & même sans titre ; au lieu que le commandement ne peut être fait qu'en vertu d'un titre paré, dont l'huissier doit être porteur. Quoique ce commandement se fasse à la requête d'une partie, il est toûjours dit que c'est de par le Roi & justice, parce qu'il n'y a que le Roi & la justice au nom desquels on puisse user de contrainte.

Toute exécution que l'on veut faire sur la personne ou sur les biens d'un débiteur doit être précédée d'un commandement de payer, à peine de nullité ; il faut qu'il y ait du moins un jour d'intervalle entre le commandement & la saisie, ou l'emprisonnement.

Dans l'usage commun un simple commandement, non suivi d'assignation, interrompt la prescription pendant 30 ans, parce que ce n'est qu'un acte extrajudiciaire qui ne tombe point en péremption ; mais au parlement de Bordeaux le commandement est sujet à la péremption de même que les autres procédures, c'est pourquoi on le renouvelle tous les trois ans, & il n'interrompt point la prescription trentenaire. Lapeyrere, lett. P. n. 87.

C'est aussi une jurisprudence particuliere à ce parlement, qu'un simple commandement fait courir les intérêts, au lieu qu'ailleurs il faut une demande judiciaire. Voyez Bretonnier en son recueil de questions, au mot intérêt.

Itératif commandement, est celui qui a été précédé d'un autre commandement ; c'est ordinairement celui qui précede immédiatement la saisie-exécution, saisie-réelle ou emprisonnement : on fait néanmoins quelquefois plusieurs itératifs commandemens, mais deux commandemens suffisent pour en venir aux contraintes ; savoir le premier qui doit précéder de 24 heures, & l'itératif commandement qui se fait lors des contraintes.

Commandement recordé, est celui pour lequel l'huissier ou sergent est assisté de deux records ou témoins qui signent avec lui le commandement. Cette formalité qui s'observoit autrefois dans tous les exploits, a été abrogée par l'ordonnance de 1667 ; mais elle a été conservée pour certains exploits, du nombre desquels sont les commandemens qui précedent une saisie-réelle. Voyez la déclaration du 21 Mars 1671, & l'acte de notoriété du châtelet, du 23 Mai 1699. (A)


COMMANDER(Gramm.) v. act. qui a plusieurs acceptions différentes, qu'on peut voir aux articles COMMANDEMENS.

COMMANDER A LA ROUTE ; (Marine) c'est donner la route, & prescrire celle que doivent tenir les vaisseaux.

Dans une armée navale c'est l'amiral qui commande la route qu'il faut faire ; dans une escadre c'est le commandant ; dans un vaisseau de guerre c'est le capitaine ; dans un vaisseau marchand c'est le pilote. (Z)


COMMANDERIES. f. (Hist. mod.) espece de bénéfice destiné pour récompenser les services de quelque membre d'un ordre militaire. Voy. CHEVALIER.

Il y a des commanderies régulieres obtenues par l'ancienneté & par le mérite ; il y en a d'autres de grace accordées par la volonté du grand-maître. Voyez COMMANDERIE (Jurisprud.)

Il y en a aussi pour les religieux des ordres de S. Bernard & de S. Antoine. Les rois de France ont converti plusieurs hôpitaux de lépreux en commanderies de l'ordre de S. Lazare. Voyez LEPREUX, S. LAZARE.

Je ne compare point les commanderies avec les prieurés, parce que ces derniers se peuvent résigner, à moins que ce ne soient des prieurés de nomination royale ; mais de quelque nature que soit une commanderie, elle ne sauroit être résignée. Ce sont donc des biens affectés pour l'entretien du chevalier & pour le service de l'ordre.

Il y a des commanderies dans l'ordre de Malte de différentes especes ; les unes pour les chevaliers, les autres pour les chapelains, d'autres enfin pour les freres servans.

Le nom de commandeur donné à ceux qui possedent les bénéfices appellés commanderies, répond assez bien au nom de praepositus, donné à ceux qui avoient inspection sur les moines des lieux éloignés du monastere principal, & dont l'administration étoit appellée obedientia, parce qu'elles dépendoient entierement de l'abbé qui leur avoit donné la commission. Les commanderies simples de Malte sont de même plûtôt des fermes de l'ordre que des bénéfices. Ils payent une rente ou tribut appellée responsion, au trésor commun de l'ordre. Dans l'ordre du S. Esprit, les prélats qui en sont revêtus sont nommés commandeurs de l'ordre du S. Esprit, & les grands officiers sont qualifiés de commandeurs des ordres du Roi, comme les chevaliers sont nommés simplement chevaliers des ordres du Roi : mais ce titre de commandeur n'emporte avec soi nul bénéfice. Henri III. avoit dessein d'assigner un titre de bénéfice ou commanderie à chaque chevalier ; mais les affaires dont il fut accablé après l'institution de cet ordre, & sa mort fatale arrivée en 1589, empêcherent la réussite de ce dessein. Par provision il affecta une somme pour chaque chevalier ou commandeur, & aujourd'hui l'on taxe aussi à quelque somme la plûpart des charges du royaume pour le même sujet, & ces sommes particulieres se portent chez les trésoriers du marc d'or, qui font les fonctions de trésoriers pour les ordres du Roi. Il n'en est pas de même dans les ordres militaires en Espagne, où les commandeurs joüissent réellement d'un revenu plus ou moins fort, attaché aux commanderies dont le Roi en qualité de grand-maître les a gratifiés.

Les commanderies des trois ordres d'Espagne sont des conquêtes que les chevaliers de ces ordres ont faites sur les infideles, & ces commanderies sont différentes selon la nature & la valeur du terrein qui fut conquis par les chevaliers. (G) (a)

COMMANDERIE, (Jurisprudence) dans l'origine n'étoit qu'une simple administration des revenus d'un bénéfice que l'on donnoit en commende ou dépôt.

Présentement il y en a de deux sortes ; les unes, qu'on appelle régulieres ; d'autres, qu'on appelle séculiers. Les commanderies régulieres sont celles qui sont établies dans certains ordres religieux en faveur, pour être conférées à des religieux du même ordre. Il y en a dans l'ordre régulier & hospitalier du S. Esprit de Montpellier ; ces commanderies sont de vrais titres de bénéfices perpétuels & non révocables par le grand-maître ni par les autres supérieurs majeurs ; elles ne peuvent être conférées en commende, c'est-à-dire à des séculiers, pas même à des cardinaux, mais doivent être remplies par les religieux profès du même ordre. Arrêt du grand-conseil, du 14 Mai 1720. Ces bénéfices exigent une administration personnelle, une résidence actuelle & un voeu particulier dans la personne du pourvû, qu'on appelle le voeu d'hospitalité, & qui est le quatrieme que les religieux de cet ordre sont obligés de professer. Ceux qui sont pourvûs de ces commanderies sont obligés de faire les fonctions curiales dans leurs hôpitaux, & d'administrer le spirituel comme le temporel : ils ne gagnent point tous les fruits comme les autres commandeurs & commendataires, mais ne prennent que victum & vestitum, & appliquent le surplus au soulagement des pauvres.

Il y a aussi des commanderies régulieres dans l'ordre de S. Antoine de Viennois, qui sont électives, confirmatives, & ne sont pas sujettes à la nomination du Roi. Arrêt du conseil du 9 Septembre 1585.

Les commanderies séculieres sont celles qui sont établies en faveur de certains ordres militaires, dont quelques-uns sont en même tems réguliers & hospitaliers, tels que celui de S. Lazare, celui de Malte, & autres ; ces commanderies ne sont point de vrais bénéfices, mais seulement le droit de joüir des revenus d'un bénéfice que l'on confere à des laïcs qui sont chevaliers profès du même ordre. Il y a des commanderies de rigueur que les plus anciens chevaliers obtiennent à leur rang ; & d'autres de grace, que le grand-maître confere. Dans l'ordre de Malte il y a plusieurs sortes de commanderies ; il y en a d'affectées à des religieux du même ordre, d'autres aux chapelains, d'autres aux chevaliers, d'autres aux freres servans.

Dans les ordres du S. Esprit & de S. Louis, les grands officiers appellés commandeurs ne le sont que de nom, n'y ayant aucune commanderie attachée à leur dignité, mais seulement des pensions. (A)


COMMANDEURS. m. (Hist. mod.) on donne ce nom à celui qui a été pourvû d'une commanderie.

COMMANDEUR, (Comm.) nom que les Hollandois donnent ordinairement aux chefs des comptoirs qu'ils ont dans les Indes, en Perse, & autres lieux de l'Orient où ils ont porté leur commerce. Dictionn. de Comm. & de Trév.

COMMANDEUR, (Comm.) est aussi le nom qu'on donne dans les îles françoises de l'Amérique, à celui qui a inspection sur le détail d'une habitation en général, ou d'une sucrerie en particulier. Voyez HABITATION & SUCRE.

Quelques habitans veulent que leur commandeur soit un blanc, d'autres le choisissent parmi les noirs.

Les fonctions du commandeur sont d'être toûjours avec les negres sans les abandonner jamais ; de presser le travail & d'avoir l'oeil à ce qu'il soit bien fait ; d'empêcher le desordre & les querelles très-fréquentes, sur-tout parmi les négresses ; de visiter ceux qui travaillent dans les bois ; d'éveiller les negres, de les faire assister à la priere soir & matin & au catéchisme qui s'y fait, de les conduire à la messe fêtes & dimanches ; de voir si leurs maisons sont propres & leurs jardins bien entretenus ; d'appaiser les différends qui naissent dans les ménages ; de faire conduire les malades à l'infirmerie ; d'empêcher les negres étrangers de se retirer dans les cases de l'habitation ; enfin de donner avis au maître de tout ce qui se passe. Dictionn. de Comm.


COMMANDITES. f. (Comm.) c'est une société de commerce, dans laquelle une partie des intéressés n'étant point dénommés dans la raison ou signature, n'est engagée & solidaire avec les autres intéressés que jusqu'à la somme portée par l'acte de société. C'est proprement cette restriction qui forme la commandite ; car un particulier peut faire avec un autre une société générale de pertes & de profits, sans que son nom paroisse, voyez SOCIETE ; cela ne se pratique pas ordinairement, mais aucune loi ne le défend.

Il est du bon ordre que cette espece de société soit enregistrée au greffe du consulat comme la société collective ; l'édit de 1673, art. jv. le prescrit ; cependant l'inexécution de cette formalité n'annulle point l'acte en lui-même, relativement aux associés ou à leurs ayans cause. Il seroit sans-doute à souhaiter pour la confiance publique, que toutes les sociétés quelconques fussent enregistrées, mais le moyen de nullité seroit trop violent & rendroit les propriétés trop incertaines. Cette société, non plus que les autres, n'est point censée continuée si elle ne l'est par écrit.

Cette forme est fort usitée en Italie & dans les pays abondans en argent : c'est communément celle dont on se sert pour établir des facteurs dans un pays étranger.

Un négociant prudent s'informe exactement des changemens qui surviennent dans les associations de ses correspondans ; car il arrive souvent qu'un riche commanditaire retire ses fonds tout-à-coup, & qu'il est suivi d'un autre qui n'est pas en état de soûtenir les mêmes entreprises. Voyez le parfait négociant, & le dictionn. du Comm. Art. de M. V. D. F.


COMMANDO(Comm.) terme originairement italien, mais usité dans les provinces de France les plus voisines de l'Italie. On s'en sert dans les écritures mercantiles pour signifier ordre ou commande, c'est-à-dire la commission qu'un négociant donne à son commissionnaire. V. ORDRE, COMMANDE, COMMISSION, &c. Dict. de Comm.


COMMANI(Géog. mod.) petit royaume d'Afrique, sur la côte de Guinée.


COMMASSES. m. (Commerce) petite monnoie qui se fabrique, & qui a cours à Mocha. Elle vaut environ trois sous deux deniers, argent de France.


COMMEATS. m. (Hist. anc.) permission à un soldat de s'absenter de sa légion pendant un certain tems. Elle étoit accordée par le tribun ou son vicegérent, ou par l'empereur. On donnoit aussi le même nom de comméat, commeatus ou de cataplus, aux vivres de l'armée, à la flotte qui les portoit, sur-tout d'Egypte & d'Afrique ; il désignoit aussi une compagnie de voyageurs.


COMMELINA(Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Jean Commelin, sénateur d'Amsterdam, & de Gaspar Commelin médecin de la meme ville. La fleur des plantes de ce genre est composée de deux pétales situés d'un même côté, & posés sur un calice à quatre feuilles ; il s'éleve du milieu de ce calice un pistil qui devient dans la suite un fruit membraneux à trois coques, ou divisé en trois loges qui renferment chacune une semence ronde. On peut ajoûter aux caracteres de ce genre, que plusieurs fleurs sont rassemblées dans un même endroit en forme de conque. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


COMMEMORAISONest le nom d'une fête que nous appellons le jour des morts, & qui se célebre le 2 Novembre en mémoire de tous les fideles trépassés. Elle fut instituée dans le onzieme siecle par S. Odilon abbé de Cluny. Voyez FETE. (G)


COMMEMORATIFadj. signe. (Med.) Les signes commémoratifs ou anamnestiques nous apprennent ce qui s'est passé avant la maladie, & se tirent de tout ce qui l'a précédé : savoir de la maniere de vivre du malade, du pays qu'il a habité, de la constitution de ses pere & mere, des maladies auxquelles il a été sujet, ou de celles qu'il a contractées ; & s'il s'agit d'une plaie, de la position du blessé au tems de sa blessure, de la situation de la personne ou de la chose qui l'a blessée, de la grosseur & de la figure de l'instrument qui a fait la plaie, qu'on a soin de comparer avec la plaie même, &c.

Ces signes conduisent à une connoissance plus sûre de la maladie, de ses causes, de l'issue qu'elle peut avoir, & nous indiquent conjointement avec les diagnostics à employer les remedes convenables. Les signes commémoratifs en Médecine reviennent à ce qu'on nomme indices en matiere de Droit ; mais avec cette différence qu'ils ne peuvent jamais que porter la lumiere dans l'esprit du médecin, & que les indices peuvent cruellement égarer le juge : témoin en France la triste affaire du sieur d'Anglade & de sa femme ; témoin celle du pauvre Lebrun. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COMMEMORATIONS. f. (Hist. eccl. & Théol.) souvenir que l'on a de quelqu'un, ce qu'on fait en l'honneur de sa mémoire. Voyez MONUMENT.

C'est une coûtume parmi les Catholiques romains, que ceux qui meurent font quelquefois des legs à l'église, à la charge de dire tant de messes, & de faire commémoration d'eux dans les prieres. Voyez OBIT, ANNIVERSAIRE.

Commémoration se dit encore particulierement de la mémoire qu'on fait dans la récitation du breviaire, d'un saint ou quelquefois de la férie, par une antienne, un verset, une oraison aux premieres vêpres, aux laudes, & aux secondes vêpres ; & par une collecte, une secrette, & une post-communion à la messe. Voyez BREVIAIRE, FERIE, ANTIENNE, VERSET, &c.


COMMENCERCOMMENCER


COMMENSALadj. c'est ainsi qu'on désigne ceux des officiers du roi qui sont de service, & qui ont bouche en cour pendant ce tems.


COMMENSAUXCOMMENSAUX

1°. Par l'édit de Juillet 1653, leurs charges ont été exemptées de tous priviléges & hypotheques, & de tous partages & rapports dans les successions, ce qui a été confirmé par édit du mois de Janvier 1678, & par deux arrêts du conseil du 13 Août 1665 & 17 Octobre 1679, qui déclarent en outre que les gages & émolumens de ces charges ne sont pas saisissables.

2°. Ces officiers, & leurs veuves durant leur viduité, sont exempts de toutes contributions pour vivres, munitions, & conduites de gens de guerre ; tailles, aides, gros, quatrieme, huitieme, dixieme, & appétissement de vin ; de guet, gardes des portes & murailles, ponts, passages, travers, détroits, fournitures, & contributions ; d'étapes, logement de gens de guerre, charrois & chevaux d'artillerie, ban & arriere-ban, souchet, traites foraines, péages, passages, & de routes choses de leur crû ; franc-fiefs, & autres subsides, contributions & subventions quelconques.

Mais par un arrêt de la cour des aides du 10 Mai 1607, leur exemption a été restrainte aux impositions qui existoient lors de la concession ; on les a déclarés sujets aux réparations des chemins, fortifications des villes, ponts, chaussées, & autres ouvrages publics ; au droit d'appétissement de pinte, traites & impositions foraines pour marchandises qui ne sont de leur crû, & à toutes criées & levées de deniers auxquelles leurs prédécesseurs ont contribué.

3°. Ils sont exempts de tutele.

4°. Ils peuvent faire valoir par leurs mains une ferme de deux charrues, sans payer de taille.

5°. Pour joüir des exemptions de taille, il faut que les commensaux ayent au moins 60 liv. de gages, & qu'ils servent actuellement ; néanmoins les officiers des sept offices de la maison du roi en jouissent, quoique leurs gages soient moindres de 60 liv. Ceux qui n'ont point de dignité attachée à leur office, peuvent même faire trafic de marchandises, mais non pas tenir ferme d'autrui.

6°. Les commensaux ne peuvent être dispensés du service que pour cause de maladie certifiée par les médecins & par le juge & procureur du roi de leur demeure, par acte signé du greffier, qui sera signifié aux habitans du lieu de leur domicile, à l'issue de la grand'messe un jour de fête ou dimanche, & à leur procureur syndic, & encore au substitut du procureur général en l'élection.

7°. Ceux qui, au bout de vingt-cinq ans de service, obtiennent des lettres de vétérance dûment registrées, continuent à joüir de tous les priviléges.

8°. Les commensaux titulaires ou vétérans ne jouissent de l'exemption des tailles qu'au nombre de huit, dans les paroisses où le principal de la taille est de 900 liv. & au dessus, & quatre seulement dans les lieux où la taille est moindre. Ceux qui sont établis les premiers jouissent des priviléges ; les surnuméraires en jouissent à leur tour ; les veuves ne sont pas comprises dans ce nombre de huit ou quatre.

9°. Faute de payer leur capitation, ils sont déchûs de tous leurs priviléges.

10°. Ceux qui ont des bénéfices sont dispensés d'y résider pendant qu'ils servent auprès du prince.

11°. Les commensaux ont la préséance dans les cérémonies sur tous les officiers même royaux, & autres personnes dont l'état est inférieur à celui des commensaux : par exemple, les écuyers ordinaires du Roi ont rang après les conseillers des bailliages royaux, & avant les officiers des élections & greniers en sel, & autres inférieurs en ordre. Voyez le code des priviléges ; le mémorial alphabétique des tailles, aux mots Commensaux ; le dictionn. des arrêts, au même article ; le traité des matieres bénéficiales de Fuet, liv. III. ch. jv. (A)

COMMENSAUX des évêques, (Jurisprud.) suivant la disposition du Droit canonique, sont exempts de la résidence à leurs bénéfices, & gagnent les gros fruits ; mais ce privilége ne s'étend qu'à deux chanoines, soit de la cathédrale ou d'une collégiale. Cap. ad aud. 15. x. de cleric. non resid. Fuet, des mat. bénéf. liv. III. ch. jv. (A)


COMMENSURABLEadj. Les quantités commensurables, en Mathémat. sont celles qui ont quelque partie aliquote commune, ou qui peuvent être mesurées par quelque mesure commune, sans laisser aucun reste dans l'une ni dans l'autre. Voyez MESURE & INCOMMENSURABLE.

Ainsi un pié & un autre sont commensurables, parce qu'il y a une troisieme quantité qui peut les mesurer un & l'autre exactement ; savoir un pouce, lequel pris douze fois fait un pié, & pris quarante-quatre fois donne une aune. Voyez QUANTITE.

Les quantités commensurables sont l'une à l'autre comme l'unité est à un nombre entier rationnel, ou comme un nombre entier rationnel est à un autre entier rationnel. En effet, puisque les quantités commensurables ont une partie commune qui les mesure exactement, elles contiennent donc exactement cette partie : l'une, un certain nombre de fois ; l'autre, un autre nombre de fois : donc elles sont entr'elles comme ces deux nombres. Il en est autrement dans les incommensurables. Voyez INCOMMENSURABLE, NOMBRE, TIONNELNNEL.

Les nombres commensurables sont ceux qui ont quelque autre nombre qui les mesure, ou qui les divise sans aucun reste. Voyez NOMBRE.

Ainsi 6 & 8 sont l'un par rapport à l'autre, des nombres commensurables, parce que 2 les divise.

Commensurable en puissance. On dit que des lignes droites sont commensurables en puissance, quand leurs quarrés sont mesurés exactement par un même espace ou une même surface ; ou, ce qui revient au même, quand les quarrés de ces lignes ont entr'eux un rapport de nombre à nombre. Voyez LIGNE & PUISSANCE.

Les nombres sourds commensurables, sont ceux qui, étant réduits à leurs plus petits termes, sont entr'eux comme une quantité rationelle est à une autre quantité rationelle. Voyez SOURD. Ainsi 3 & 2 sont des nombres sourds commensurables, parce qu'ils sont entr'eux comme 3 à 2.

Les nombres commensurables sont proprement les seuls & vrais nombres. En effet tout nombre enferme l'idée d'un rapport, voyez NOMBRE ; & tout rapport réel entre deux quantités suppose une partie aliquote qui leur soit commune ; c'est ce qui sera plus détaillé à l'art. INCOMMENSURABLE. n'est point un nombre proprement dit, c'est une quantité qui n'existe point, & qu'il est impossible de trouver. Les fractions même ne sont des nombres commensurables, que parce que ces fractions représentent proprement des nombres entiers. En effet qu'est-ce que cette fraction 3/4 ? c'est trois fois le quart d'un tout, & ce quart est ici pris pour l'unité : il est vrai que ce quart lui-même est partie d'une autre unité dans laquelle il est contenu quatre fois. Mais cela n'empêche pas ce quart d'être regardé comme une seconde unité dans la fraction 3/4 ; cela est si vrai, qu'on en trouve la preuve dans la définition même des fractions ; le dénominateur, dit-on, compte le nombre des parties dans lesquelles le tout est divisé, & le numérateur compte combien on prend de ces parties ; ou ce qui est la même chose, combien de fois on en prend une. Cette partie est donc ici une véritable unité. Après cela, on ne doit pas être surpris que pour comparer entr'elles les fractions, on change leur rapport en celui de nombres entiers commensurables. Par exemple, pour avoir le rapport de 3/4 à 2/3, on trouve par les regles ordinaires que ce rapport est celui de 9 à 8 : cela est évident. Qu'est-ce que 3/4 ? c'est la même chose que 9/12, ou 9 fois le douzieme de l'unité. Qu'est-ce que 2/3 ? c'est la même chose que 8/12 ou 8 fois le douzieme de l'unité : donc les deux fractions comparées à la même unité (savoir 1/12), la contiennent 9 & 8 fois ; donc elles sont entr'elles comme 9 à 8 ; c'est-à-dire que la partie aliquote commune qui mesure, par exemple, les 3/4 & les 2/3 d'un pié, est la douzieme partie du pié, & que cette douzieme partie est contenue 9 fois dans la premiere & 8 dans la seconde.

De-là on peut conclure que non-seulement les nombres commensurables sont proprement les seuls & vrais membres, mais que les nombres entiers sont proprement les seuls vrais nombres commensurables, puisque tous les nombres sont proprement des nombres entiers. Voyez NOMBRE, FRACTION, &c. (O)


COMMENTAIRES. m. (Hist. anc.) livret sur lequel on jettoit tout ce qu'on craignoit d'oublier. On appelloit aussi de ce nom les registres des commentarienses. Voyez COMMENTARIENSIS.

* COMMENTAIRE, (Littér.) éclaircissement sur les endroits obscurs d'un auteur.

On donne encore le même nom à des ouvrages historiques où les faits sont rapportés avec rapidité, & qui sont écrits par ceux qui ont eu le plus de part à ce qu'on y raconte.


COMMENTARIENSIS(Hist. anc.) secrétaire de l'empereur chargé d'inscrire sur un registre tous les noms de ceux qui occupoient quelques dignités dans l'Empire. On donnoit le même nom à celui qui tenoit le journal des audiences ; à celui qui notoit l'ordre des gardes montées & descendues, & la distribution des vivres ; aux concierges des prisons, &c.


COMMENTATEURSS. m. pl. gens très-utiles dans la république des Lettres, s'ils y faisoient bien leur métier, qui est d'expliquer les endroits obscurs des auteurs anciens, & de ne pas obscurcir les endroits clairs par un fatras de verbiage.


COMMEQUIERS(Géog. mod.) petite ville de France dans le Poitou, dans les Sables d'Olone.


COMMERÇANTS. m. celui qui commerce, qui négocie, qui trafique. Voyez COMMERCE.


COMMERCES. m. On entend par ce mot, dans le sens général, une communication réciproque. Il s'applique plus particulierement à la communication que les hommes se font entr'eux des productions de leurs terres & de leur industrie.

La Providence infinie, dont la nature est l'ouvrage, a voulu, par la variété qu'elle y répand, mettre les hommes dans la dépendance les uns des autres : l'Etre suprème en a formé les liens, afin de porter les peuples à conserver la paix entr'eux & à s'aimer, & afin de réunir le tribut de leurs louanges, en leur manifestant son amour & sa grandeur par la connoissance des merveilles dont il a rempli l'univers. C'est ainsi que les vûes & les passions humaines rentrent dans l'ordre inaltérable des decrets éternels.

Cette dépendance réciproque des hommes, par la variété des denrées qu'ils peuvent se fournir, s'étend sur des besoins réels ou sur des besoins d'opinion.

Les denrées d'un pays en général, sont les productions naturelles de ses terres, de ses rivieres, de ses mers, & de son industrie.

Les productions de la terre, telles que nous les recevons des mains de la nature, appartiennent à l'Agriculture. Voyez AGRICULTURE.

Les productions de l'industrie se varient à l'infini : mais on peut les ranger sous deux classes.

Lorsque l'industrie s'applique à perfectionner les productions de la terre, ou à changer leur forme, elle s'appelle manufacture. Voyez MANUFACTURE.

Les matieres qui servent aux manufactures s'appellent matieres premieres. Voyez MATIERES PREMIERES.

Lorsque l'industrie crée de son propre fonds, sans autre matiere que l'étude de la nature, elle appartient aux Arts libéraux. Voyez ART.

Les productions des rivieres ou des mers appartiennent à la Pêche. Voyez PECHE.

La nourriture & le vêtement sont nos seuls besoins réels : l'idée de la commodité n'est dans les hommes qu'une suite de ce premier sentiment, comme le luxe à son tour est une suite de la comparaison des commodités superflues dont joüissent quelques particuliers.

Le Commerce doit son origine à ces trois sortes de besoins ou de nécessités que les hommes se sont imposées ; l'industrie en est le fruit & le soûtien tout-à-la-fois : chaque chose qui peut être communiquée à un homme par un autre pour son utilité ou pour son agrément, est la matiere du Commerce ; il est juste de donner un équivalent de ce que l'on reçoit. Telle est l'essence du Commerce, qui consiste dans un échange ; son objet général est d'établir l'abondance des matieres nécessaires ou commodes ; enfin son effet est de procurer à ceux qu'il occupe les moyens de satisfaire leurs besoins.

La communication générale entre les hommes répandus sur la terre, suppose l'art de traverser les mers qui les séparent, ou la navigation : elle fait un nouveau genre d'industrie & d'occupation entre les hommes. Voyez NAVIGATION.

Les hommes étant convenus que l'or & l'argent seroient le signe des marchandises, & depuis ayant inventé une représentation des métaux mêmes, ces métaux devinrent marchandise ; le commerce qui s'en fait est appellé commerce d'argent ou du change. Voy. CHANGE.

Les peuples intelligens qui n'ont pas trouvé dans leurs terres dequoi suppléer aux trois especes de besoins, ont acquis des terres dans les climats propres aux denrées qui leur manquoient ; ils y ont envoyé une partie de leurs hommes pour les cultiver, en leur imposant la loi de consommer les productions du pays de la domination. Ces établissemens sont appellés colonies. Voyez COLONIE.

Ainsi l'Agriculture, les Manufactures, les Arts libéraux, la Pêche, la Navigation, les Colonies, & le Change, forment sept branches du Commerce ; le produit de chacune n'est point égal, mais tous les fruits en sont précieux.

Lorsque le Commerce est considéré par rapport à un corps politique, son opération consiste dans la circulation intérieure des denrées du pays ou des colonies, l'exportation de leur superflu, & l'importation des denrées étrangeres, soit pour les consommer, soit pour les réexporter.

Lorsque le Commerce est considéré comme l'occupation d'un citoyen dans un corps politique, son opération consiste dans l'achat, la vente, ou l'échange des marchandises dont d'autres hommes ont besoin, dans le dessein d'y faire un profit.

Nous examinerons le Commerce sous ces deux points de vûe particuliers : mais auparavant il est bon de connoître comment il s'est établi dans le monde, & les diverses révolutions qu'il a essuyées.

D'après l'idée générale que nous venons d'en donner, il est constant qu'il a dû exister dès que la terre a eu des habitans ; sa premiere époque a été le partage des différentes occupations entr'eux.

Caïn cultivoit la terre, Abel gardoit les troupeaux ; depuis, Tubalcaïn donna des formes au fer & à l'airain : ces divers arts supposent des échanges.

Dans les premiers tems ces échanges se firent en nature, c'est-à-dire que telle quantité d'une denrée équivaloit à telle quantité d'une autre denrée : tous les hommes étoient égaux, & chacun par son travail se procuroit l'équivalent des secours qu'il attendoit d'autrui. Mais dans ces années d'innocence & de paix, on songeoit moins à évaluer la matiere des échanges, qu'à s'en aider réciproquement.

Avant & après le déluge les échanges dûrent se multiplier avec la population ; alors l'abondance ou la rareté de certaines productions, soit de l'art, soit de la nature, en augmenta ou en diminua l'équivalent ; l'échange en nature devint embarrassant.

L'inconvénient s'accrut encore avec le Commerce, c'est-à-dire lorsque la formation des sociétés eut distingué les propriétés, & apporté des modifications à l'égalité absolue qui regnoit entre les hommes. La subdivision inégale des propriétés par le partage des enfans, les différences dans le terroir, dans les forces, & dans l'industrie, occasionnerent un superflu de besoin chez les uns de plus que chez les autres : ce superflu dut être payé par le travail de ceux qui en avoient besoin, ou par de nouvelles commodités inventées par l'art ; son usage fut borné cependant tant que les hommes se contenterent de ce qui étoit simple.

Sujets à l'injustice, ils avoient eu besoin de législateurs : la confiance établit des juges, le respect les distingua, & bientôt la crainte les sépara en quelque façon de leurs semblables. L'appareil & la pompe furent un des apanages de ces hommes puissans ; les choses rares furent destinées à leur usage, & le luxe fut connu ; il devint l'objet de l'ambition des inférieurs, parce que chacun aime à se distinguer. La cupidité anima l'industrie : pour se procurer quelques superfluités, on en imagina de nouvelles, on parcourut la terre pour en découvrir : l'extrème inégalité qui se trouvoit entre les hommes passa jusque dans leurs besoins.

Les échanges en nature devinrent réellement impossibles : l'on convint de donner aux marchandises une mesure commune. L'or, l'argent, & le cuivre, furent choisis pour les représenter. Alors il y eut deux sortes de richesses ; les richesses naturelles, c'est-à-dire les productions de l'Agriculture & de l'industrie ; les richesses de convention ou les métaux.

Ce changement n'altéra point la nature du Commerce, qui consiste toûjours dans l'échange d'une denrée, soit pour une autre, soit pour des métaux. On peut le regarder comme une seconde époque du Commerce.

L'Asie qui avoit été le berceau du genre humain, se vit peuplée bien avant que les autres parties du monde fussent connues : elle fut aussi le premier théatre du Commerce, des grands empires, & d'un luxe dont le nôtre est effrayé.

Les vastes conquêtes des Assyriens dans ces riches contrées, le luxe de leurs rois, & les merveilles de Babylone, nous sont garants d'une grande perfection dans les Arts, & par conséquent d'un grand Commerce : mais il paroît qu'il étoit borné à l'intérieur de ces états & à leurs productions.

Les Phéniciens habitans d'une petite contrée de la Syrie, oserent les premiers franchir la barriere que les mers opposoient à leur cupidité, & s'approprier les denrées de tous les peuples, afin d'acquérir ce qui en faisoit la mesure.

Les richesses de l'Orient, de l'Afrique, & de l'Europe, se rassemblerent à Tyr & à Sydon, d'où leurs vaisseaux répandoient dans chaque contrée du monde le superflu des autres. Ce commerce, dont les Phéniciens n'étoient en quelque façon que les commissionnaires, puisqu'ils n'y fournissoient que très-peu de productions de leur crû, doit être distingué de celui des nations qui trafiquent de leurs propres denrées ; ainsi il a été appellé commerce d'oeconomie ; ç'a été celui de presque tous les anciens navigateurs.

Les Phéniciens s'ouvrirent par les ports d'Elath & d'Esiongaber sur la mer Rouge, le commerce des côtes orientales de l'Afrique, abondantes en or, & celui de l'Arabie si renommée par ses parfums. Leur colonie de Tyle, dans une île du golfe persique, nous indique qu'ils avoient étendu leur trafic sur ces côtes.

Par la navigation de la Méditerranée ils établirent des colonies (voyez COLONIE) dans toutes ses îles, en Grece, le long des côtes de l'Afrique, en Espagne.

La découverte de ce dernier pays fut la principale source de leurs richesses ; outre les cotons, les laines, les fruits, le fer & le plomb qu'ils en retiroient, les mines d'or & d'argent de l'Andalousie les rendoient maîtres du prix & de la préférence des denrées de tous les pays.

Ils pénétrerent dans l'Océan le long des côtes, & allerent chercher l'étain dans les îles Cassiterides, aujourd'hui connues sous le nom de la Grande-Bretagne : ils remonterent même jusqu'à Thule, que l'on croit communément être l'Irlande.

Tyr effaça par sa splendeur & par son commerce toutes les autres villes des Phéniciens. Enorgueillie de sa longue prospérité, elle osa se liguer contre ses anciens maîtres : toutes les forces de Nabuchodonosor roi de Babylone suffirent à peine à la soûmettre, après un siége de treize ans. Le vainqueur ne détruisit que ses murailles & ses édifices ; les effets les plus précieux avoient été transportés dans une île à une demi-lieue de la côte. Les Tyriens y fonderent une nouvelle ville, à laquelle l'activité du Commerce donna bien-tôt plus de réputation que l'ancienne n'en avoit eu.

Carthage, colonie des Tyriens, suivit à-peu-près le même plan, & s'étendit le long des côtes occidentales de l'Afrique. Pour accroître même son commerce général, & ne le partager qu'avec sa métropole, elle devint conquérante.

La Grece cependant par son industrie & sa population, vint à figurer parmi les puissances : l'invasion des Perses lui apprit à connoître ses forces & ses avantages ; sa marine la rendit redoutable à son tour aux maîtres de l'Asie : mais remplie de divisions ou de projets de gloire, elle ne songea point à étendre son commerce.

Celui d'Athenes, la plus puissante des villes maritimes de la Grece, se bornoit presqu'à sa subsistance qu'elle tiroit de la Grece même & du Pont-Euxin. Corinthe, par sa situation, fut l'entrepôt des marchandises de l'Asie & de l'Italie ; mais ses marchands ne tenterent aucune navigation éloignée : elle s'enrichit cependant par l'indifférence des autres Grecs pour le Commerce, & par les commodités qu'elle lui offroit, beaucoup plus que par son industrie.

Les habitans de Phocée, colonie d'Athenes, chassés de leur pays, fonderent Marseille sur les côtes méridionales des Gaules. Cette nouvelle république, forcée par la stérilité de son territoire de s'adonner à la Pêche & au Commerce, y réussit ; elle donna même l'allarme à Carthage, dont elle repoussa vigoureusement les attaques.

Alexandre parut ; il aima mieux être le chef des Grecs que leur maître : à leur tête il fonda un nouvel empire sur la ruine de celui des Perses. Les suites de sa conquête forment la troisieme époque du Commerce.

Quatre grands évenemens contribuerent à la révolution qu'éprouva le Commerce sous le regne de ce prince.

Il détruisit la ville de Tyr, & la navigation de la Syrie fut anéantie avec elle.

L'Egypte qui jusqu'alors ennemie des étrangers s'étoit suffi à elle-même, communiqua avec les autres peuples après sa conquête.

La découverte des Indes & celle de la mer qui est au midi de ce pays en ouvrirent le commerce.

Alexandrie bâtie à l'entrée de l'Egypte, devint la clé du commerce des Indes, & le centre de celui de l'Occident.

Après la mort d'Alexandre, les Ptolemées ses successeurs en Egypte suivirent assidument les vûes de ce prince ; ils s'en assûrerent le succès par leurs flottes sur la mer Rouge & sur la Méditerranée.

Pendant ces révolutions, Rome jettoit les fondemens d'une domination encore plus vaste.

Les petites républiques commerçantes s'appuyerent de son alliance contre les Carthaginois, dont elles minoient sourdement l'empire maritime. L'intérêt commun les unissoit.

Rhodes déjà célebre par son commerce, & plus encore par la sagesse de ses lois pour les gens de mer, fut de ce nombre. Marseille, l'ancienne alliée des Romains, leur rendit de grands services par ses colonies d'Espagne : réciproquement soûtenue par eux, elle accrut toûjours sa richesse & son crédit, jusqu'aux tems où forcée de prendre parti dans leurs guerres civiles, elle se vit leur sujette. Lors de son abaissement, Arles, Narbonne, & les autres colonies romaines dans les Gaules, démembrerent son commerce.

Enfin le génie de Rome prévalut : le commerce de Carthage fut enseveli sous ses ruines. Bientôt l'Espagne, la Grece, l'Asie, & l'Egypte à son tour, furent des provinces romaines. Mais la maîtresse de l'univers dédaigna de s'enrichir autrement que par les tributs qu'elle imposoit aux nations vaincues ; elle se contenta de favoriser le commerce des peuples qui le faisoient sous sa protection. La navigation qu'elle entretenoit pour tirer des grains de l'Afrique, ne peut être regardée que comme un objet de police.

Le siége de l'empire transféré à Bizance, n'apporta par conséquent presqu'aucun changement au commerce de Rome : mais la situation de cette ville rebâtie par Constantin sur le détroit de l'Hellespont, y en établit un considérable. Il se soûtint long-tems depuis sous les empereurs grecs, & même il trouva grace devant la politique destructive des Turcs.

La chûte de l'empire d'Occident par l'inondation des peuples du Nord, & les invasions des Sarrasins, forment une quatrieme époque pour le Commerce.

Il s'anéantit comme les autres Arts sous le joug de la barbarie : réduit presque par-tout à la circulation intérieure nécessaire dans un pays où il y a des hommes, il se réfugia en Italie. Ce pays conserva une navigation, & fit seul le commerce de l'Europe.

Venise, Gènes, Florence, Pise, se disputerent l'empire de la mer, & la supériorité dans les manufactures. Elles firent long-tems en concurrence le commerce de la Morée, du Levant, de la mer Noire ; celui de l'Inde & de l'Arabie par Alexandrie. Les califes d'Egypte entreprirent en vain de détourner le commerce de cette derniere ville en faveur du Caire, ils ne firent que le gêner : elle rentra sous les Mammelus en possession de ses droits, & elle en joüit encore aujourd'hui.

L'Occident étoit toûjours tributaire des marchands italiens ; chaque pays recevoit d'eux les étoffes même dont il leur fournissoit la matiere : mais ils perdirent une partie de ce commerce, pour n'avoir pas eu le courage de l'augmenter. Ils avoient conservé le système des Egyptiens & des Romains, de finir leurs voyages dans une même année. A mesure que leur navigation s'étendit dans le Nord, il leur fut impossible de revenir aussi souvent dans leurs ports ; ils firent de la Flandre l'entrepôt de leurs marchandises : elle devint par conséquent celui de toutes les matieres que les Italiens avoient coûtume d'enlever. Les foires de Flandre furent le magasin général du Nord, de l'Allemagne, de l'Angleterre, de la France. La nécessité établit entre ces pays une petite navigation qui s'accrut d'elle-même. Les Flamands, peuple nombreux & déjà riche par les productions naturelles de ses terres, entreprirent l'emploi des laines d'Angleterre, de leurs lins & de leurs chanvres, à l'exemple de l'Italie. Vers l'an 960 on y fabriqua des draps & des toiles. Les franchises que Baudouin le jeune comte de Flandre accorda à l'industrie, l'encouragerent au point que ces nouvelles manufactures donnerent l'exclusion à toutes les autres dans l'Occident. L'Italie se consola de cette perte par la récolte des soies qu'elle entreprit, avec succès, de faire dans ses terres dès l'an 1130, par la conservation du commerce de Cafa, du Levant, & d'Alexandrie, qui entretinrent sa navigation. Mais la Flandre devint le centre des échanges de l'Europe. A mesure que la communication augmentoit entre ces divers états, les vûes s'étendoient, le Commerce prenoit partout de nouvelles forces.

En 1164 la ville de Bremen s'associa avec quelqu'autres, pour se soûtenir mutuellement dans le commerce qu'elles faisoient en Livonie. La forme & les premiers succès de cette association promirent tant d'avantages, que toutes les villes de l'Allemagne qui faisoient quelque commerce voulurent y être aggrégées. En 1206 on en comptoit soixante-deux, depuis Nerva en Livonie jusqu'au Rhin, sous le nom de villes anséatiques. Voyez HANSE.

Plusieurs villes des Pays-Bas, de France, d'Angleterre, de Portugal, d'Espagne, & d'Italie, s'y incorporerent. La Hanse teutonique fit alors presque tout le commerce extérieur de l'Europe.

Celui de l'intérieur dans la plûpart des états avoit été jusque-là entre les mains d'un peuple errant, pour qui l'on poussoit la haine jusqu'à l'inhumanité. Les Juifs tour-à-tour bannis & rappellés, suivant les besoins des princes, eurent recours à l'invention des lettres de change, dès 1181, pour soustraire leurs richesses à la cupidité & aux recherches. Voyez LETTRE DE CHANGE.

Cette nouvelle représentation de la mesure commune des marchandises, en facilita les échanges : depuis elle forma une nouvelle branche de Commerce. Voyez CHANGE.

Tandis que la Hanse se rendoit formidable aux princes mêmes, les comtes de Flandre, en 1301, effarouchoient l'industrie par la révocation de ses franchises. Les ducs de Brabant l'attirerent par les moyens qu'y avoit employés Baudouin le jeune en Flandre, & la perdirent par la même imprudence dont les successeurs de ce comte avoient donné l'exemple. En 1404, après la sédition de Louvain, les ouvriers se répandirent en Hollande & en Angleterre ; d'autres ouvriers de Flandre les y suivirent ; tels furent les commencemens des célébres manufactures de la Grande-Bretagne.

La maniere de saler les harengs, inventée en 1400, soûtint encore quelque tems à Bruges & à l'Ecluse le commerce & les manufactures de Flandre, à la faveur d'une grande navigation.

Pendant le cours de ce siecle, Amsterdam & Anvers s'éleverent par le commerce. En 1420 les Portugais, à l'aide de la boussole déjà perfectionnée (voyez BOUSSOLE), firent de grands établissemens sur les côtes occidentales de l'Afrique. Les navigateurs de Dieppe y avoient entretenu quelque commerce dès l'an 1364 ; mais les guerres des Anglois nous firent perdre le fruit de cette découverte. La France un peu plus tranquille en 1480, vit s'établir à Tours une manufacture de soieries ; & sans les guerres d'Italie, suivies d'autres malheurs plus grands encore, il est vraisemblable que la nation auroit dès ce tems acquis dans le Commerce le rang que lui méritoient son industrie & la fertilité de ses terres.

Bruges par sa prospérité continuoit d'effacer toutes les autres villes commerçantes de l'occident de l'Europe : sa révolte contre son prince en 1487 en fut le terme ; sa ruine fut le sceau de la grandeur d'Anvers & d'Amsterdam ; mais Anvers l'emporta par son heureuse situation.

La fin de ce siecle fut célebre par deux grands évenemens qui changerent la face du Commerce. A cette cinquieme époque son histoire devint une partie de celle des états.

En 1487 Barthelemi Diaz, capitaine portugais, doubla le cap de Bonne-Espérance, & s'ouvrit la route des Indes orientales. Après lui Vasco de Gama parcourut en conquérant les presqu'îles en-deçà & au-delà du Gange ; Lisbonne fut le magasin exclusif des épiceries & des riches productions de ces contrées, qu'elle distribuoit dans Anvers.

L'Egypte qui bornoit sa navigation aux premieres côtes de la mer des Indes, ne fut pas en état de soûtenir la concurrence des Portugais ; la diminution de son commerce entraîna la chûte de celui des Italiens.

En 1492 Christophle Colomb, génois, découvrit l'Amérique pour le roi de Castille, dont les sujets coururent en foule conquérir les trésors de ce nouveau monde.

Les Espagnols, comme les premiers à habiter l'Amérique, y eurent les plus riches & les plus amples possessions.

Dès 1501 le naufrage d'Alvarès Cabra, capitaine portugais, sur les côtes du Bresil, valut à sa patrie la possession de ce vaste pays & de ses mines.

Ces deux nations négligerent les Arts & la culture d'Europe, pour moissonner l'or & l'argent dans ces nouvelles provinces, persuadées que propriétaires des métaux qui sont la mesure de toute chose, elles seroient les maîtresses du monde. Elles ont appris depuis que ce qui est la mesure des denrées appartient nécessairement à celui qui vend ces denrées.

Les François ne tarderent pas à faire des découvertes dans la partie septentrionale. En 1504 nos navigateurs découvrirent le grand banc de Terre-neuve ; & pendant le cours de ce siecle, les Basques, les Bretons, & les Normands prirent possession de plusieurs pays au nom de nos rois. La France déchirée dans son sein par les guerres de religion, fut sourde à tout autre sentiment qu'à celui de sa douleur.

La liberté de conscience & les franchises dont joüissoient les Pays-Bas, & sur-tout la ville d'Anvers, y avoient attiré un nombre infini de François & d'Allemands, qui dans cette terre étrangere n'eurent de ressource que le Commerce. Il étoit immense dans ces provinces, lorsque Philippe II. le troubla par l'établissement de nouveaux impôts & de l'inquisition.

La révolte fut générale ; sept provinces se réunirent pour défendre la liberté, & dès 1579 s'érigerent en république fédérative.

Tandis que l'Espagne faisoit la guerre à ses sujets, son prince envahit en 1580 la succession du Portugal & de ses possessions. Ce qui sembloit accroître les forces de cette monarchie, fut depuis le salut de ses ennemis.

La nécessité cependant avoit forcé les Hollandois, resserrés dans un territoire stérile & en proie aux horreurs de la guerre, de se procurer leurs besoins avec économie. La pêche les nourrissoit, & leur avoit ouvert une navigation considérable du nord au midi de l'Europe, même en Espagne sous pavillon étranger, lorsque deux évenemens nouveaux concoururent à élever leur commerce.

Les Espagnols prirent Anvers en 1584, & fermerent l'Escaut pour détourner le Commerce en faveur des autres villes de Flandre. Leur politique ne réussit qu'à leurs ennemis ; la Hollande profita seule de la pêche, de la navigation, des manufactures de toile & de laine : celles de soie passerent en Angleterre, où il n'y en avoit point encore.

L'abaissement de la Hanse teutonique fut le second évenement dont les Hollandois profiterent. Depuis l'expédition qu'elle fit en 1428 contre Erik roi de Danemark, sa puissance déclina imperceptiblement. Les princes virent avec quelque jalousie leurs principales villes engagées dans une association aussi formidable, & les forcerent de s'en retirer. Elle se borna aux villes de l'Allemagne. En Angleterre ses priviléges furent révoqués sous la reine Marie ; & dès 1588 les Anglois, sous le regne d'Elisabeth, parvinrent à commencer dans le Nord : Hambourg même les reçut dans son port. La desunion se mit entre les villes associées. Malgré leurs plaintes impuissantes, les Anglois pénétrerent dans la mer Baltique, dont les Hollandois partagerent depuis le commerce avec eux presqu'exclusivement aux autres peuples. Aujourd'hui les villes anséatiques sont réduites au nombre de six, dont quatre ont conservé un assez bon commerce dans le nord. Toûjours traversées par les Hollandois dans celui du midi, elles n'y ont quelque part qu'à la faveur des intérêts politiques de l'Europe.

L'interdiction des ports de l'Espagne & du Portugal aux sujets des Provinces-Unies, porta leur desespoir & leur fortune à son comble. Quatre vaisseaux partis du Texel en 1594 & 1595, allerent chercher dans l'Inde, à-travers des périls infinis, les marchandises dont ces provinces étoient rigoureusement privées. Trop foibles encore pour n'être pas des marchands pacifiques, ces habiles républicains intéresserent pour eux les rois Indiens, qui gémissoient sous le joug impérieux des Portugais. Ceux-ci employerent en vain la force & la ruse contre leurs nouveaux concurrens, que rien ne dégoûta. Le premier usage auquel la compagnie hollandoise destina ses richesses, ce fut d'attaquer ces rivaux à son tour. Son premier effort la rendit maîtresse d'Amboine & des autres îles Moluques en 1605. Déjà assûrée du commerce des principales épiceries, ses conquêtes furent immenses & rapides, tant sur les Portugais que sur les Indiens mêmes, qui trouverent bientôt dans ces alliés de nouveaux maîtres plus durs encore.

D'autres négocians hollandois avoient entrepris avec le même succès de partager le commerce de l'Afrique avec les Portugais. Une treve de douze ans conclue en 1609 entre l'Espagne & les Provinces-Unies, leur donnerent le tems d'accroître & d'affermir leur commerce dans toutes les parties du monde. Dès 1612 elles obtinrent des capitulations très-avantageuses dans le Levant.

En 1621 les conquêtes de la Hollande commencerent avec la guerre. Une nouvelle société de négocians, sous le nom de compagnie des Indes occidentales, s'empara d'une partie du Bresil, de Curacao, de Saint-Eustache, & fit des prises immenses sur le commerce des Espagnols & des Portugais.

Le Portugal, victime d'une querelle qui n'étoit point la sienne, s'affranchit en 1640 de la domination espagnole. Jean IV. légitime héritier de cette couronne, conclut en 1641 une treve avec les Hollandois.

Cette treve mal observée de part & d'autre, coûta aux Portugais ce qui leur restoit dans l'île de Ceylan, où croît la canelle. Ils ne conserverent dans l'Inde qu'un petit nombre de places peu importantes, dont ils reperdirent depuis une partie pour toûjours. Plus heureux en Afrique, ils y reprirent une partie de leurs établissemens. Dans l'Amérique leur succès fut complet ; les Hollandois furent entierement chassés du Bresil.

Ceux-ci plus occupés du commerce des Indes, formerent un établissement considérable au cap de Bonne-Espérance qui en est la clé, & ne garderent dans l'Amérique de postes principaux, que Surinam dans la Guiane, les îles de Curacao & de Saint-Eustache. Ces colonies sont peu importantes pour la culture, mais elles sont la source d'un grand commerce avec les colonies étrangeres.

Pendant que les Hollandois combattoient en Europe pour avoir une patrie, & dans l'Inde pour y régner, l'Angleterre s'étoit enrichie d'une maniere moins bruyante & moins hasardeuse : ses manufactures de laine, commerce aussi lucratif, & qui l'étoit encore plus dans ces tems, porterent rapidement sa marine à un degré de puissance qui fit échoüer toutes les forces de l'Espagne, & la rendit l'arbitre de l'Europe.

Dès l'an 1599, la reine Elizabeth y avoit formé une compagnie pour le commerce des Indes orientales. Mais sa prospérité ne lui donna aucune vûe de conquête ; elle établit paisiblement divers comptoirs pour son commerce, que l'état prit soin de faire respecter par ses escadres.

Quoique l'Angleterre eût pris possession de la Virginie en 1584, & qu'elle eût disputé la Jamaïque aux Espagnols dès l'an 1596, ce ne fut guere que vers le milieu du dix-septieme siecle qu'elle fit de grands établissemens dans l'Amérique. La partie méridionale étoit occupée par les Espagnols, & les Portugais trop forts pour les en chasser. Mais les Anglois ne cherchoient point de mines ; contens de joüir de celles de ces deux nations par la consommation de leurs manufactures, ils cherchoient à augmenter leur industrie en leur ouvrant de nouveaux débouchés. La pêche & la navigation furent leur second objet. L'Amérique septentrionale étoit plus propre à leurs desseins ; ils s'y répandirent & enleverent aux François sans beaucoup de résistance des terres dont ils ne faisoient point d'usage.

En France, le cardinal de Richelieu porta dès les premiers instans de la tranquillité publique ses vûes du côté des colonies & du Commerce. En 1626 il se forma par ses soins une compagnie pour l'établissement de Saint-Christophle & des autres Antilles, depuis le dixieme degré de l'équateur jusqu'au trentieme ; en 1628, une autre compagnie fut chargée de l'établissement de la nouvelle France, depuis les confins de la Floride jusqu'au pôle arctique.

Mais ce puissant génie asservi aux intrigues des courtisans, n'eut jamais le loisir de suivre les vastes projets qu'il avoit embrassés pour le bien de la monarchie. C'est cependant à ces foibles commencemens que la France doit le salut de son commerce, puisqu'ils lui assûrerent ce qui lui reste de possessions dans l'Amérique, excepté la Louisiane qui ne fut découverte qu'à la fin de ce siecle.

Les Anglois, & surtout les Hollandois, eurent long-tems le profit de ces colonies naissantes ; c'est aussi d'eux qu'elles reçûrent les premiers secours qui favoriserent leur culture. L'année 1664 est proprement l'époque de notre Commerce ; la grande influence qu'il donna à la France dans les affaires de l'Europe en fait une sixieme époque générale.

Louis XIV. communiqua à tout ce qui l'environnoit un caractere de grandeur ; son habileté lui développa M. Colbert ; sa confiance fut entiere ; tout lui réussit.

Les manufactures, la navigation, les arts de toute espece furent en peu d'années portés à une perfection qui étonna l'Europe & l'allarma. Les colonies furent peuplées ; le Commerce en fut exclusif à leurs maîtres. Les marchands de l'Angleterre & de la Hollande virent par-tout ceux de la France entrer en concurrence avec eux. Mais plus anciens que nous, ils y conserverent la supériorité ; plus expérimentés, ils prévirent que le Commerce deviendroit la base des intérêts politiques & de l'équilibre des puissances ; ils en firent une science & leur objet capital, dans le tems que nous ne songions encore qu'à imiter les opérations sans en dévoiler le principe ; l'activité de notre industrie équivalut à des maximes, lorsque la révocation de l'édit de Nantes la diminua par la perte d'un grand nombre de sujets, & par le partage qui s'en fit dans tous les pays où l'on vouloit s'enrichir : jamais plus grand sacrifice ne fut offert à la religion.

Depuis, chaque état de l'Europe a eu des intérêts de commerce, & a cherché à les aggrandir respectivement à ses forces ou à celles de ses voisins, tandis que la France, l'Angleterre & la Hollande se disputent le Commerce général.

La France à qui la Nature a donné un superflu considérable, semble s'occuper plus particulierement du commerce de luxe.

L'Angleterre, quoique très-riche, craint toujours la pauvreté, ou feint de la craindre ; elle ne néglige aucune espece de profit, aucuns moyens de fournir aux besoins des autres nations ; elle voudroit seule y pourvoir, tandis qu'elle diminue sans-cesse les siens.

La Hollande supplée par la vente exclusive des épiceries à la médiocrité de ses autres productions naturelles ; son objet est d'enlever avec économie celles de tous les peuples pour les répandre avec profit. Elle est plus jalouse qu'aucun autre état de la concurrence des étrangers, parce que son commerce ne subsiste que par la destruction de celui des autres nations.

L'histoire du Commerce nous présente trois réflexions importantes.

1°. On y a vû des peuples suppléer par l'industrie au défaut des productions de la terre, & posséder plus de richesses de convention, que ceux qui étoient propriétaires des richesses naturelles. Mais cette industrie consistoit toûjours à distribuer dans chaque pays les richesses naturelles dont il étoit dépourvû ; & réciproquement sans industrie aucun peuple n'a possédé abondamment l'or & l'argent qui sont les richesses de convention.

2°. Un peuple perd insensiblement son commerce, s'il ne fait pas tout celui qu'il pourroit entreprendre. En effet toute branche de Commerce suppose un besoin, soit réel, soit d'opinion ; son profit donne les moyens d'une autre entreprise ; & rien n'est si dangereux que de forcer d'autres peuples à se procurer eux-mêmes leurs besoins, ou à y suppléer. L'on a toûjours vû les prodiges de l'industrie éclorre du sein de la nécessité ; les grands efforts qu'elle occasionne sont semblables au cours d'un torrent impétueux, dont les eaux luttent avec violence contre les digues qui les resserrent, les renversent à la fin, & se répandent dans les plaines.

3°. Une grande population est inséparable d'un grand commerce, dont le passage est toûjours marqué par l'opulence. Il est constant que les commodités de la vie sont pour les hommes l'attrait le plus puissant. Si l'on suppose un peuple commerçant environné de peuples qui ne le sont pas, le premier aura bien-tôt tous les étrangers auxquels son commerce pourra donner un travail & un salaire.

Ces trois réflexions nous indiquent les principes du Commerce dans un corps politique en particulier. L'Agriculture & l'industrie en sont l'essence ; leur union est telle, que si l'une l'emporte sur l'autre, elle vient à se détruire elle-même. Sans l'industrie, les fruits de la terre n'auront point de valeur : si l'Agriculture est négligée, les sources du Commerce sont taries.

L'objet du Commerce dans un état est d'entretenir dans l'aisance par le travail le plus grand nombre d'hommes qu'il est possible. L'Agriculture & l'industrie sont les seuls moyens de subsister : si l'une & l'autre sont avantageuses à celui qu'elles occupent, on ne manquera jamais d'hommes.

L'effet du Commerce est de revêtir un corps politique de toute la force qu'il est capable de recevoir. Cette force consiste dans la population qui lui attirent ses richesses politiques, c'est-à-dire réelles & relatives tout-à-la fois.

La richesse réelle d'un état est le plus grand degré d'indépendance où il est des autres états pour ses besoins, & le plus grand superflu qu'il a à exporter. Sa richesse relative dépend de la quantité des richesses de convention que lui attire son commerce, comparé avec la quantité des mêmes richesses que le Commerce attire dans les états voisins. C'est la combinaison de ces richesses réelles & relatives qui constitue l'art & la science de l'administration du Commerce politique.

Toute opération dans le Commerce d'un état contraire à ces principes, est une opération destructive du Commerce même.

Ainsi il y a un commerce utile & un qui ne l'est pas : pour s'en convaincre, il faut distinguer le gain du marchand du gain de l'état. Si le marchand introduit dans son pays des marchandises étrangeres qui nuisent à la consommation des manufactures nationales, il est constant que ce marchand gagnera sur la vente de ces marchandises : mais l'état perdra, 1°. la valeur de ce qu'elles ont coûté chez l'étranger ; 2°. les salaires que l'emploi des marchandises nationales auroit procurés à divers ouvriers ; 3°. la valeur que la matiere premiere auroit produit aux terres du pays ou des colonies ; 4°. le bénéfice de la circulation de toutes ces valeurs, c'est-à-dire l'aisance qu'elle eût répandue par les consommations sur divers autres sujets ; 5°. les ressources que le prince est en droit d'attendre de l'aisance de ses sujets.

Si les matieres premieres sont du crû des colonies, l'état perdra en outre le bénéfice de la navigation. Si ce sont des matieres étrangeres, cette derniere perte subsiste également ; & au lieu de la perte du produit des terres, ce sera celle de l'échange des marchandises nationales que l'on auroit fournies en retour de ces matieres premieres. Le gain de l'état est donc précisément tout ce que nous venons de dire qu'il perdroit dans l'hypothèse proposée ; le gain du marchand est seulement l'excédent du prix de la vente sur le prix d'achat.

Réciproquement le marchand peut perdre, lorsque l'état gagne. Si un négociant envoie imprudemment des marchandises de son pays dans un autre où elles ne sont pas de défaite, il pourra perdre sur la vente ; mais l'état gagnera toûjours le montant qui en sera payé par l'étranger, ce qui aura été payé aux terres pour le prix de la matiere premiere, les salaires des ouvriers employés à la manufacturer, le prix de la navigation, si c'est par mer que l'exportation s'est faite, le bénéfice de la circulation, & le tribut que l'aisance publique doit à la patrie.

Le gain que le marchand fait sur l'état des autres sujets, est donc absolument indifférent à l'état qui n'y gagne rien ; mais ce gain ne lui est pas indifférent, lorsqu'il grossit la dette des étrangers, & qu'il sert d'encouragement à d'autres entreprises lucratives à la société.

Avant d'examiner comment les législateurs parviennent à remplir l'objet & l'effet du Commerce, j'exposerai neuf principes que les Anglois, c'est-à-dire le peuple le plus savant dans le Commerce, proposent dans leurs livres pour juger de l'utilité ou du desavantage des opérations de Commerce.

1. L'exportation du superflu est le gain le plus clair que puisse faire une nation.

2. La maniere la plus avantageuse d'exporter les productions superflues de la terre, c'est de les mettre en oeuvre auparavant, ou de les manufacturer.

3. L'importation des matieres étrangeres pour être employées dans des manufactures, au lieu de les tirer toutes mises en oeuvre, épargne beaucoup d'argent.

4. L'échange de marchandises contre marchandises est avantageux en général, hors les cas où il est contraire à ces principes mêmes.

5. L'importation des marchandises qui empêchent la consommation de celles du pays, ou qui nuisent au progrès de ses manufactures & de sa culture, entraîne nécessairement la ruine d'une nation.

6. L'importation des marchandises étrangeres de pur luxe est une véritable perte pour l'état.

7. L'importation des choses de nécessité absolue ne peut être estimée un mal ; mais une nation n'en est pas moins appauvrie.

8. L'importation des marchandises étrangeres pour les réexporter ensuite, procure un bénéfice réel.

9. C'est un commerce avantageux que de donner ses vaisseaux à fret aux autres nations.

C'est sur ce plan que doit être guidée l'opération générale du Commerce.

Nous avons défini cette opération, la circulation intérieure des denrées d'un pays ou de ses colonies, l'exportation de leur superflu, & l'importation des denrées étrangeres, soit pour les consommer, soit pour les réexporter.

Cette définition partage naturellement le Commerce en deux parties, le commerce intérieur & l'extérieur. Leurs principes sont différens, & ne peuvent être confondus sans un grand desordre.

Le commerce intérieur est celui que les membres d'une société font entr'eux. Il tient le premier rang dans le commerce général, comme l'on prise le nécessaire avant le superflu, qui n'en est pas moins recherché.

Cette circulation intérieure est la consommation que les citoyens font des productions de leurs terres & de leur industrie, dont elle est le premier soûtien. Nous avons déjà observé que la richesse réelle d'une nation est à son plus haut degré, lorsqu'elle n'a recours à aucune autre pour ses besoins. Les regles établies en conséquence dans les divers états, varient suivant l'abondance des richesses naturelles ; & l'habileté de plusieurs a suppléé par l'industrie aux refus de la nature.

La valeur du commerce intérieur est précisément la somme des dépenses particulieres de chaque citoyen pour se nourrir, se loger, se vêtir, se procurer des commodités, & entretenir son luxe. Mais il faut déduire de cette valeur tout ce qui est consommé de denrées étrangeres, qui sont une perte réelle pour la nation, si le commerce extérieur ne la répare.

La population est l'ame de cette circulation intérieure ; sa perfection consiste dans l'abondance des denrées du crû du pays en proportion de leur nécessité ; sa conservation dépend du profit que ces denrées donnent à leur propriétaire, & de l'encouragement que l'état leur donne.

Tant que les terres reçoivent la plus grande & la meilleure culture possible, l'usage des denrées de commodité & de luxe ne sauroit être trop grand, pourvû qu'elles soient du crû du pays ou de ses colonies.

Leur valeur augmente la somme des dépenses particulieres, & se répartit entre les divers citoyens qu'elles occupent.

Il est bon qu'un peuple ne manque d'aucun des agrémens de la vie, parce qu'il en est plus heureux. Il cesseroit de l'être, si ces agrémens & ces commodités épuisoient sa richesse ; il en seroit même bientôt privé, parce que les besoins réels sont des créanciers barbares & impatiens : mais lorsque les commodités & le luxe sont une production du pays, leur agrément est accompagné de plusieurs avantages ; leur appas attire les étrangers, les séduit, & procure à l'état qui les possede la matiere d'une nouvelle exportation.

Qu'il me soit permis d'étendre ce principe aux Sciences, aux productions de l'esprit, aux Arts libéraux : ce n'est point les avilir que de les envisager sous une nouvelle face d'utilité. Les hommes ont besoin d'instruction & d'amusement : toute nation obligée d'avoir recours à une autre pour se les procurer, est appauvrie de cette dépense qui tourne toute entiere au profit de la nation qui les procure.

L'art le plus frivole aux yeux de la raison, & la denrée la plus commune, sont des objets très-essentiels dans le Commerce politique. Philippe II. possesseur des mines de Potozi, rendit deux ordonnances pendant son regne, uniquement pour défendre l'entrée des poupées, des verroteries, des peignes, & des épingles, nommément de France.

Que les modes & leurs caprices soient, si l'on veut, le fruit de l'inconstance & de la legereté d'un peuple ; il n'en est pas moins sûr qu'il ne pourroit se conduire plus sagement pour l'intérêt de son commerce & de la circulation. La folie est toute entiere du côté des citoyens qui s'y assujettissent, lorsque la fortune le leur défend ; le vrai ridicule est de se plaindre des modes ou du faste, & non pas de s'en priver.

L'abus du luxe n'est pas impossible cependant, à beaucoup près, & son excès seroit l'abandon des terres & des arts de premiere nécessité, pour s'occuper des cultures & des arts moins utiles.

Le législateur est toûjours en état de réprimer cet excès en corrigeant son principe ; il saura toûjours maintenir l'équilibre entre les diverses occupations de son peuple, soulager par des franchises & par des priviléges la partie qui souffre, & rejetter les impôts sur la consommation intérieure des denrées de luxe.

Cette partie du commerce est soûmise aux lois particulieres du corps politique ; il peut à son gré permettre, restraindre, ou abolir l'usage des denrées, soit nationales, soit étrangeres, lorsqu'il le juge convenable à ses intérêts. C'est pour cette raison que ses colonies sont toûjours dans un état de prohibition.

Enfin il faut se souvenir continuellement, que le commerce intérieur s'applique particulierement à entretenir la richesse réelle d'un état.

Le commerce extérieur est celui qu'une société politique fait avec les autres : il concourt au même but que le commerce intérieur, mais il s'applique plus particulierement à procurer les richesses relatives. En effet, si nous supposons un peuple commerçant très-riche réellement en denrées dont les autres peuples ne veuillent faire que très-peu d'usage, le commerce intérieur entretiendra soigneusement cette culture ou cette industrie par la consommation du peuple ; mais le commerce extérieur ne s'attachera qu'à la favoriser, sans lui sacrifier les occasions d'augmenter les richesses relatives de l'état. Cette partie extérieure du commerce est si étroitement liée avec les intérêts politiques, qu'elle contracte de leur nature.

Les princes sont toûjours dans un état forcé respectivement aux autres princes : & ceux qui veulent procurer à leurs sujets une grande exportation de leurs denrées, sont obligés de se regler sur les circonstances, sur les principes, & les intérêts des autres peuples commerçans, enfin sur le goût & le caprice du consommateur.

L'opération du commerce extérieur consiste à fournir aux besoins des autres peuples, & à en tirer dequoi satisfaire aux siens. Sa perfection consiste à fournir le plus qu'il est possible, & de la maniere la plus avantageuse. Sa conservation dépend de la maniere dont il est conduit.

Les productions de la terre & de l'industrie sont la base de tout commerce, comme nous l'avons observé plusieurs fois. Les pays fertiles ont nécessairement un avantage pour l'exportation, sur ceux qui le sont moins. Enfin plus les denrées seront nécessaires & parfaites, plus la dépendance des étrangers sera grande.

Une grande population est un des avantages qui met un peuple en état de fournir le plus qu'il est possible aux besoins des autres peuples ; & réciproquement, son commerce extérieur occupe tous les hommes que le commerce intérieur n'auroit pû nourrir.

La population dépend de la facilité que trouvent les citoyens à se procurer une subsistance aisée par le travail, & de leur sûreté. Si ce travail ne suffit pas à leur subsistance, il est d'expérience qu'ils vont se la procurer dans d'autres états. Aussi lorsque des circonstances extraordinaires ont causé ces non-valeurs, le législateur a soin d'en prévenir les effets : il nourrit ses ouvriers, ou leur fournit du travail. De ce que la population est si nécessaire, il s'ensuit que l'oisiveté doit être réprimée : les maisons de travail sont le principal remede que les peuples policés y employent.

Un peuple ne fournira rien aux autres, s'il ne donne ses denrées à aussi bon marché que les autres peuples qui possedent les mêmes denrées : s'il les vend moins cher, il aura la préférence dans leur propre pays.

Quatre moyens y conduisent sûrement : la concurrence, l'économie du travail des hommes, la modicité des fraix d'exportation, & le bas prix de l'intérêt de l'argent.

La concurrence produit l'abondance, & celle-ci le bon marché des vivres, des matieres premieres, des artistes, & de l'argent. La concurrence est un des plus importans principes du Commerce, & une partie considérable de sa liberté. Tout ce qui la gêne ou l'altere dans ces quatre points, est ruineux pour l'état, diamétralement opposé à son objet, qui est le bonheur & la subsistance aisée du plus grand nombre d'hommes possible.

L'économie du travail des hommes consiste à le suppléer par celui des machines & des animaux, lorsqu'on le peut à moins de frais, ou que cela les conserve : c'est multiplier la population, bien loin de la détruire. Ce dernier préjugé s'est soûtenu plus longtems dans les pays qui ne s'occupoient que du commerce intérieur : en effet, si le commerce extérieur est médiocre, l'objet général ne seroit pas rempli si l'intérieur n'occupoit le plus d'hommes qu'il est possible. Mais si le commerce extérieur, c'est-à-dire la navigation, les colonies, & les besoins des autres peuples peuvent occuper encore plus de citoyens qu'il ne s'en trouve, il est nécessaire d'économiser leur travail pour remplir de son mieux tous ces objets. L'expérience démontre, comme nous l'avons déjà remarqué, que l'on perd son commerce lorsque l'on ne cultive pas tout celui que l'on pourroit entreprendre. Enfin il est évident que la force d'un corps politique dépend du meilleur & du plus grand emploi des hommes, qui lui attirent ses richesses politiques : combinaison qu'il ne faut jamais perdre de vûe. L'économie du travail des hommes ne détruira donc point la population, lorsque le législateur ne fera que détourner avec précaution leur travail d'un objet à un autre : ce qui est la matiere d'une police particuliere.

La modicité des fraix d'exportation est la troisieme source du bon marché, & par conséquent de la vente des productions d'un pays.

Ces fraix sont ceux du transport, & les droits de sortie. Le transport se fait ou par terre, ou par eau. Il est reconnu que la voiture par terre est infiniment plus coûteuse. Ainsi dans les états commerçans, les canaux pour suppléer au défaut des rivieres navigables, l'entretien & la commodité de celles-ci, la franchise absolue de cette navigation intérieure, sont une partie essentielle de l'administration.

Les droits des doüannes (voyez DOUANNE), soit à la sortie, soit dans l'intérieur, sur les productions d'une nation, sont les faits auxquels les étrangers se soûmettent avec le plus de peine. Le négociant les regarde comme un excédent de la valeur réelle, & la politique les envisage comme une augmentation de richesse relative.

Les peuples intelligens, ou suppriment ces droits à la sortie de leurs productions, ou les proportionnent au besoin que les autres peuples en ont ; sur-tout ils comparent le prix de leurs productions rendues dans le lieu de la consommation, avec le prix des mêmes productions fournies en concurrence par les nations rivales. Cette comparaison est très-importante : quoiqu'entre deux peuples manufacturiers la qualité & le prix d'achat des étoffes soient semblables, les droits de sortie ne doivent pas être les mêmes, si le prix du transport n'est pas égal : la plus petite différence décide le consommateur.

Quelquefois le législateur, au lieu de prendre des droits sur l'exportation, l'encourage par des récompenses. L'objet de ces récompenses est d'augmenter le profit de l'ouvrier, lorsqu'il n'est pas assez considérable pour soûtenir un genre de travail utile en concurrence : si la gratification va jusqu'à diminuer le prix, la préférence de l'étranger pendant quelques années, suffit pour établir cette nouvelle branche de commerce, qui n'aura bientôt plus besoin de soûtien. L'effet est certain ; & la pratique n'en peut être que salutaire au corps politique, comme l'est dans le corps humain la communication qu'un membre fait à l'autre de sa chaleur, lorsqu'il en a besoin.

Un peuple ne fourniroit point aux autres le plus qu'il est possible, s'il ne faisoit que le commerce de ses propres denrées. Chacun sait par sa propre expérience, qu'il est naturel de se pourvoir de ses besoins dans le magasin qui a les plus grands assortimens, & que la variété des marchandises provoque les besoins. Ce qui se passe chez un marchand, arrive dans la communication générale.

Les peuples commerçans vont chercher chez d'autres peuples les denrées qui leur manquent, pour les distribuer à ceux qui les consomment. Cette espece de commerce est proprement le commerce d'économie. Une nation habile ne renonce à aucun ; & quoiqu'elle ait un grand commerce de luxe, si elle a beaucoup d'hommes & beaucoup d'argent à bon marché, il est évident qu'elle les fera tous avec succès. J'avancerai plus : le moment où ses négocians y trouveront de l'avantage, sera l'époque la plus sûre de sa richesse.

Parmi ces denrées étrangeres, il en est dont le législateur a défendu l'usage dans le commerce intérieur ; mais, comme nous l'avons remarqué, il est dans un état forcé dans la partie du commerce extérieur.

Pour ne pas priver la nation du profit qu'elle peut faire sur les marchandises étrangeres, & accroître conséquemment sa richesse relative, dans quelques états on a établi des ports où l'on permet l'importation franche de tout ce qu'il est avantageux de réexporter : on les appelle ports-francs. Voyez PORT-FRANC.

Dans d'autres états on entrepose ces marchandises ; & pour faciliter la réexportation générale des denrées étrangeres, même permises, lorsqu'elle se fait on rend la totalité ou partie des droits d'entrée.

Le commerce extérieur d'un peuple ne sera point à son plus haut dégré de perfection, si son superflu n'est exporté, & si ses besoins ne lui sont importés de la maniere la plus avantageuse.

Cette exportation & cette importation se font ou par ses propres vaisseaux, ou par ceux d'une autre nation ; voyez NAVIGATION ; par des commissionnaires nationaux, ou par des commissionnaires étrangers. Voyez COMMISSIONNAIRES.

Ainsi il y a un commerce actif & un commerce passif. Il est évident que le commerce passif diminue le bénéfice de l'exportation, & augmente le prix de l'importation. Il est contraire à l'objet du commerce dans un état, puisqu'il dérobe à son peuple le travail & les moyens de subsister ; il en arrête l'effet, puisqu'il diminue la richesse relative de cet état.

Le commerce passif produit encore un autre desavantage : la nation qui s'est emparée du commerce actif d'une autre, la tient dans sa dépendance ; si leur union vient à cesser, celle qui n'a qu'un commerce passif reste sans vigueur : son agriculture, son industrie, ses colonies sont dans l'inaction, sa population diminue, jusqu'à ce que par des efforts dont les progrès sont toûjours lents & incertains, elle reprenne un commerce passif.

La différence qui résulte de la compensation des exportations & des importations pendant un certain espace de tems, s'appelle la balance du Commerce. Elle est toûjours payée ou reçûe en argent ; puisque l'échange des denrées contre les métaux qui en font la mesure, est indispensable lorsque l'on n'a plus d'autre équivalent à donner. Les états soldent entr'eux comme les particuliers.

Ainsi lorsque la balance du commerce d'une nation lui est avantageuse, son fonds capital des richesses de convention est augmenté du montant de cette balance : si elle est desavantageuse, le fonds capital est diminué de toute la somme qui a été payée.

Cette balance doit être envisagée comme particuliere & comme générale.

La balance particuliere est celle du commerce entre deux états : elle est l'objet des traités qu'ils font entr'eux, pour rétablir autant qu'il se peut l'égalité du commerce. Ces traités reglent la nature des denrées qu'ils pourront se communiquer l'un à l'autre ; les facilités qu'ils apporteront réciproquement à leur introduction ; les droits que les marchandises payeront aux doüannes soit d'entrée, soit de l'intérieur.

Si deux nations n'avoient que les mêmes especes de productions à se communiquer, elles n'auroient point de traités entr'elles que celui de l'humanité & du bon traitement des personnes ; parce que celle des deux qui auroit l'avantage sur l'autre, envahiroit enfin son commerce intérieur & extérieur : alors le commerce est réduit entre ces deux nations à celui qu'une troisieme leur occasionne par la réexportation dont nous avons parlé.

L'égalité parfaite du commerce entre deux peuples est celle des valeurs, & du nombre d'hommes nécessairement occupés de part & d'autre. Il est presqu'impossible qu'elle se rencontre, & l'on ne calcule ordinairement que l'égalité des valeurs.

Quoique l'on n'évalue pas le nombre des hommes, il semble qu'il devroit être considéré suivant la nécessité réciproque de l'échange. Si la balance n'est pas égale, la différence du nombre des hommes réciproquement employés, ne doit point être considérée par celui qui la gagne : car il est certain que la somme payée en argent augmentera chez lui la circulation intérieure, & par conséquent procurera une subsistance aisée à un plus grand nombre d'hommes.

Lorsqu'un pays est dans la disette absolue d'une denrée, la facilité que l'on apporte pour le rapprocher de l'égalité du commerce, dépend du point de concurrence où est cette denrée : car si d'autres peuples la possedent également, & qu'ils offrent de meilleures conditions, on perdra l'occasion de vendre la sienne. Si cet état n'a d'échange à offrir que des marchandises de même genre & de même espece, il convient d'abord de comparer le produit & les avantages de la vente que l'on peut y faire de sa propre denrée, avec la perte qui pourroit résulter de l'introduction des denrées étrangeres ; ensuite les moyens que l'on a pour soûtenir leur concurrence, & la rendre nulle.

Enfin la confection d'un pareil traité exige une profonde connoissance du commerce des deux nations contractantes, de leurs ressources réciproques, de leur population, du prix & de la qualité des matieres premieres, du prix des vivres & de la main-d'oeuvre, du genre d'industrie, des besoins réciproques, des balances particulieres & générales, des finances, du taux de l'intérêt, qui étant bas chez une nation & haut chez l'autre, fait que celle-ci perd où la premiere gagne : il peut arriver que la balance du commerce avec un pays soit désavantageuse, & que le commerce en soit utile, c'est-à-dire qu'il soit l'occasion ou le moyen nécessaire d'un commerce qui dédommage avec profit de cette perte.

La balance générale du commerce d'une nation est la perte ou le gain qui résulte de la compensation des balances particulieres.

Quand même le montant des exportations générales auroit diminué, si celui des importations l'est dans la même proportion, l'état n'a point perdu de son commerce utile ; parce que c'est ordinairement une preuve que son commerce intérieur aura occupé un plus grand nombre d'hommes.

Par la même raison, quoique les exportations générales soient moindres, si les importations ont diminué dans une plus grande proportion, le commerce utile s'est accru.

Il est évident qu'entre divers peuples, celui dont la balance générale est constamment la plus avantageuse, deviendra le plus puissant ; il aura plus de richesses de convention, & ces richesses en circulant dans l'intérieur, procureront une subsistance aisée à un plus grand nombre de citoyens. Tel est l'effet du Commerce, quand il est porté à sa perfection dans un corps politique : c'est à les lui procurer que tendent les soins de l'administration ; c'est par une grande supériorité de vûes, par une vigilance assidue sur les démarches, les réglemens, & les motifs des peuples en concurrence, enfin par la combinaison des richesses réelles & relatives, qu'elle y parvient. Les circonstances varient à l'infini, mais les principes sont toûjours les mêmes ; leur application est le fruit du génie qui en embrasse toutes les faces.

Les restrictions que l'intérêt politique apporte au Commerce, ne peuvent être appellées une gêne ; cette liberté si souvent citée & si rarement entendue, consiste seulement à faire facilement le commerce que permet l'intérêt général de la société bien entendu.

Le surplus est une licence destructive du commerce même. J'ai parlé de l'intérêt général bien entendu, parce que l'apparence d'un bien n'en est pas toûjours un.

Les fraudes & la mauvaise foi ne peuvent être proscrites trop séverement : l'examen de ces points exige des formalités : leur excès détruit la liberté, leur oubli total introduit la licence : on ne doit donc pas les retrancher tout-à-fait ces formalités, mais les restreindre, & pourvoir à l'extrème facilité de leur exécution.

Nous avons déjà prouvé la nécessité de la concurrence ; elle est l'ame de la liberté bien entendue.

Cette partie de l'administration est une des plus délicates : mais ses principes rentrent toûjours dans le plan qui procure à l'état une balance générale plus avantageuse qu'à ses voisins.

Nous nous sommes proposé d'examiner le Commerce comme l'occupation d'un citoyen. Nous n'en parlerons que relativement au corps politique.

Puisque le Commerce en est l'ame, l'occupation qu'un citoyen s'en fait est honnête, comme toutes celles qui sont utiles : mais à mesure que les citoyens rendent de plus grands services, ils doivent être plus distingués ; & le commerce ne sera point encouragé dans les pays qui ne savent point faire ces différences.

On peut s'occuper personnellement du Commerce de trois manieres.

Le premier objet est d'acheter les productions de la terre & de l'industrie, pour les revendre par petites parties aux autres citoyens. Ceux qui exercent cette profession sont appellés détailleurs. Voyez DETAILLEURS.

Cette occupation plus commode que nécessaire pour la société, concourt à la circulation intérieure.

Le second objet du Commerce est celui d'un citoyen dont l'industrie entreprend de guider le travail d'un nombre d'autres citoyens, pour donner des formes aux matieres premieres. Ceux qui s'y appliquent s'appellent manufacturiers. Voy. MANUFACTURIERS.

Cette industrie est très-nécessaire, parce qu'elle augmente les richesses réelles & relatives.

La troisieme espece de commerce est l'occupation d'un citoyen qui fait passer chez l'étranger les productions de sa patrie, pour les échanger contre d'autres productions nécessaires, ou contre de l'argent. Soit que ce commerce se fasse par terre ou par mer, en Europe, ou dans d'autres parties du monde, on le distingue sous le nom de commerce en gros. Celui qui s'y applique est appellé négociant. V. NEGOCIANT.

Cette profession est très-nécessaire, parce qu'elle est l'ame de la navigation, & qu'elle augmente les richesses relatives de l'état.

Ces trois manieres d'exercer le Commerce ont un devoir commun qui en fait l'activité ; c'est une bonne foi scrupuleuse : leur objet est également commun, c'est le gain : leur effet est différent en ce qu'il contribue plus ou moins à l'effet général du Commerce dans un corps politique. C'est cet effet qui doit les distinguer aux yeux de la patrie, & qui rend plus recommandable chaque particulier, à mesure qu'il y coopere davantage.

Ce n'est pas que le plan immédiat du législateur soit d'avoir des négocians très-puissans : ils lui sont précieux, parce qu'ils ont beaucoup concouru à ses vûes ; mais il seroit encore plus utile, dans le cas où le Commerce seroit borné, d'en avoir beaucoup de riches, qu'un moindre nombre de très-riches. Vingt négocians qui ont chacun cent mille écus, font plus d'affaires & ont entr'eux une plus grande somme de crédit que six millionaires. D'ailleurs les fortunes partagées sont d'une ressource infiniment plus grande pour la circulation & pour les richesses réelles : cependant la grande disproportion des fortunes par le commerce n'est pas onéreuse à l'état, en ce qu'elle circule ordinairement toute entiere au profit des arts utiles ; il seroit même à souhaiter qu'elles restassent dans le Commerce, parce qu'elles établissent beaucoup de facteurs chez l'étranger : ces facteurs y augmentent les branches du commerce de leur nation, & en outre lui rapportent le bénéfice qu'ils ont fait dans le commerce dont le pays qu'ils habitent est susceptible. Ces fortunes ne sortiroient point du Commerce, si l'état de négociant étoit aussi honoré qu'il mérite de l'être.

A l'égard des grandes entreprises de Commerce pour le gouvernement, il n'a besoin que de son propre crédit : dès qu'il offrira du profit & de la sûreté, des sociétés solides s'en chargeront au rabais.

Savoir faire le Commerce ou savoir le conduire, sont deux choses très-distinctes. Pour le bien conduire, il faut savoir comment il se fait ; pour le faire avec profit, il est inutile de savoir comment il doit se conduire. La science du négociant est celle des détails dont il s'occupe ; la science du politique est le parti que l'on peut tirer de ces détails : il faut donc les connoître, & ce n'est que par les négocians que l'on peut s'en instruire. On ne sauroit trop converser avec eux pour apprendre, pour délibérer : leurs conseils doivent être admis avec précaution. Nous avons déjà distingué le gain du marchand & le gain de l'état ; & il est clair qu'absorbés dans les détails, les négocians ont rarement le coup-d'oeil général, à moins que par leurs voyages ou par une pratique étendue & raisonnée, ils ne l'ayent acquis. Ceux qui sont dans le cas peuvent décider sûrement.

Le négociant doit à la société dont il est membre, les sentimens qu'un honnête homme, c'est-à-dire un vrai citoyen, a toûjours pour elle ; la soûmission à ses lois, & un amour de préférence. C'est être coupable devant Dieu & devant les hommes, que d'y manquer, quelque profession que l'on exerce ; mais ce principe ne sauroit être trop profondément gravé dans le coeur de ceux qui sont toûjours dans une occasion prochaine d'y manquer.

Cependant ce n'est point manquer à cet amour de préférence, que de faire passer d'un pays étranger à un autre les marchandises nécessaires à ses assortimens, quand même ces marchandises seroient proscrites par la société dont on est membre : il est évident que puisque les marchandises ont été nécessaires, c'est contribuer à la richesse relative de sa patrie, que de faire le profit qu'elles auroient donné à la nation qui les possede, si elle en eût fait elle-même la vente.

J'insiste sur cet article particulierement, par rapport aux négocians d'une nation répandus chez l'étranger : on leur reproche quelquefois ce genre de commerce, par lequel même assez souvent ils sont parvenus à acquérir à leur nation la supériorité dans le pays qu'ils habitent. C'est mal connoître la nature du Commerce, & confondre les principes du commerce extérieur avec ceux du commerce intérieur.

On en peut dire autant de la protection qu'un négociant particulier cherche à se procurer dans un pays étranger : c'est un mauvais citoyen, s'il en préfere une étrangere ; mais il a besoin d'en avoir une.

La matiere du Commerce est immense ; on n'a pu qu'ébaucher les premiers principes, dont un esprit droit & refléchissant tirera aisément les conséquences. Pour s'instruire davantage, on peut consulter l'excellent essai de M. Melon ; les réflexions politiques de M. Dutot, avec leur examen ; le parfait négociant ; le dictionnaire du Commerce ; l'esprit des lois ; les réglemens & les ordonnances de France ; les statuts d'Angleterre, & presque tous les livres anglois sur le Commerce, sont les sources les plus sûres.

Pour le commerce particulier de chaque état, voyez les mots FRANCE, GRANDE-BRETAGNE, HOLLANDE, ESPAGNE, VENISE, NAPLES, GENES, ÉTAT ECCLESIASTIQUE, PIEMONT, ALLEMAGNE, DANEMARK, SUEDE, MOSCOVIE. Article de M. de V. D. F.

COMMERCE, (Conseil de) Hist. mod. est un conseil que le roi établit en 1700 pour les affaires de Commerce. Il le composa de deux conseillers d'état, & du conseil royal des finances ; d'un secrétaire d'état, de deux maîtres des requêtes, & de douze anciens marchands députés des villes les plus commerçantes du royaume ; à savoir deux de Paris, un de Roüen, un de Lyon, un de Bordeaux, un de Marseille, un de Nantes, un de la Rochelle, un de Saint-Malo, un de Lille, un de Bayonne, & un de Dunkerque. Ce conseil ne décide pas par lui-même souverainement sur les affaires de Commerce : mais les délibérations qu'on y prend sont présentées au roi pour y pourvoir selon qu'il le juge à-propos. (H)

COMMERCE, (Jeu du) ce jeu prend son nom de l'espece de trafic qu'on y fait des cartes, en les changeant pour d'autres ou pour de l'argent. Le jeu dont on se sert est un jeu entier ; les cartes conservent leur valeur naturelle & ordinaire, excepté que l'as y vaut onze, & emporte le roi, la dame, &c.

On peut joüer au commerce jusqu'à dix, mais non au-dessous de trois. Après avoir vû à qui fera, celui qui donne les cartes en donne trois à chaque joüeur selon leur rang, en commençant par sa droite, les donnant toutes trois à-la-fois ou séparément, comme il lui plaît. Chacun met au jeu un des jettons qu'il a devant soi, & dont les joüeurs ont d'abord déterminé la valeur. On ne doit se proposer que le point, ou bien de se faire sequence ou tricon. Voyez POINT, SEQUENCE, TRICON ; & l'adresse du joüeur consiste à arranger son jeu de façon qu'il fasse l'un de ces trois jeux ; parce qu'il n'y a qu'un d'eux qui puisse gagner. Quand il n'y a point de sequence ni tricon, c'est le plus grand point ; s'il y a plusieurs séquences, c'est la plus haute ; ainsi que le plus haut tricon, lorsqu'il y en a plus d'un au jeu : ainsi l'on voit que le tricon gagne par préférence au point & à la sequence, & la sequence au point seulement. Les regles sont assez manifestées dans ce que nous avons dit de ce jeu, & de son banquier ; nous n'ajoûterons donc ici qu'une chose qui lui est commune néanmoins avec presque tous les autres jeux : c'est de refaire lorsque le jeu est faux, ou qu'il y a quelque carte retournée.

L'on joüoit quelquefois ce jeu jusqu'à ce qu'un joüeur de la compagnie eût perdu son enjeu ; ce qui faisoit durer la partie fort long-tems, & d'autres fois la faisoit finir sur le champ, selon le malheur d'un joüeur, ou le bonheur de tous.


COMMERCERNÉGOCIER, TRAFIQUER, EXERCER LE COMMERCE, voyez COMMERCE.

COMMERCER pour argent, au jeu de commerce ; c'est prendre une carte de la banque, en payant un jetton au banquier.

COMMERCER à la banque, c'est acheter la premiere carte du talon pour un jetton qu'on donne au banquier.

COMMERCER troc pour troc, c'est demander une carte à celui qui est à sa droite pour une autre qu'on lui donne, sans qu'il puisse rien exiger pour cet échange. Chacun peut commercer troc pour troc, selon sa place & son rang, jusqu'à ce que quelqu'un ait trouvé dans le jeu des autres ce qu'il cherchoit pour faire le sien.


COMMERCY(Géograph. mod.) petite ville de France, au duché de Bar, avec titre de principauté, sur la Meuse. Long. 23. 15. lat. 48. 40.


COMMERECOMMERE

On se sert d'un jeu de cartes tout entier. On peut y joüer sept ou huit personnes. Chacun prend autant de jettons que l'on veut, & dont on a déterminé la valeur. On met peu ou beaucoup au jeu, selon que l'on a intention de perdre ou de gagner de même. Celui à qui il est échû de faire, ayant mêlé & fait couper à l'ordinaire, donne trois cartes à chaque joüeur, toutes ensemble ou séparément. Les cartes ainsi distribuées on ne songe plus qu'à tirer au point, à la sequence, & au tricon, la sequence emportant le point, & le tricon la sequence & le point. Le plus fort gagne le plus foible, & s'ils sont égaux, c'est celui qui est le plus proche de celui qui a mêlé à droite. L'as vaut onze au jeu & est la premiere de toutes les cartes. Voyez TRICON, SEQUENCE & POINT.

Celui qui gagne la partie par le point ne tire que la poule ; celui qui gagne par une sequence, gagne un jetton de chaque joüeur avec la poule, & celui qui gagne avec tricon en gagne deux outre la poule.

Souvent les joüeurs ne trouvent point à s'accommoder dès la premiere donne, malgré tous les échanges qu'ils ayent pû faire, & pour lors celui qui a fait prend le talon & donne une carte à chaque joüeur, qui lui en rend une autre à la place, en commençant par la droite & mettant toûjours les cartes échangées sous le talon ; mais il faut que tous les joüeurs y consentent, sinon l'on refait.

Quand on a reçu cette carte du talon, on fait l'échange comme auparavant, en s'accommodant l'un l'autre jusqu'à ce qu'un des joüeurs ait fait son jeu. Si les joüeurs ne s'accommodoient point encore, on pourroit donner une seconde carte, ce qui pourtant n'arrive guere, non plus que de faire plus de deux donnes à ce jeu.

Celui qui donne mal n'est tenu que de faire. Lorsque le jeu est reconnu faux, le coup est nul, mais les précedens sont bons ; & si même le coup où l'on s'apperçoit que le jeu est incomplet étoit fini, & que quelqu'un eût gagné, le coup seroit estimé valide.


COMMETAGE(Corderie) réunion de plusieurs fils ou cordons par le tortillement. Voyez COMMETTRE & CORDERIE.


COMMETTRE(Gram.) a plusieurs significations ; il est synonyme à faire ; il marque seulement plus de mauvaise intention : je dis mauvaise, parce qu'alors il ne se prend qu'en mauvaise part, au lieu que faire se prend en bonne & en mauvaise ; on dit faire une bonne action, faire une mauvaise action, mais on ne dit point commettre une bonne action : exemple, quelle action avez-vous commise !

COMMETTRE son fief, (Jurisprud.) dans certaines coûtumes c'est le confisquer, ou pour mieux dire en encourir la confiscation. Voy. l'ancienne coûtume d'Amiens, art. 27. Bar, art. 20. Troyes, 39. Chaumont, art. 24 ; celle d'Artois, art. 21. dit commettre & forfaire. (A)

COMMETTRE, en termes de Commerce, c'est confier quelque chose à la conduite, à la prudence, à la fidélité d'une personne. Un marchand commet à sa femme, à son garçon le soin de sa boutique.

COMMETTRE signifie aussi employer quelqu'un à quelque négoce, à quelque entreprise, manufacture, &c. ainsi l'on dit, j'ai commis telle personne pour le recouvrement des sommes qui me sont dûes. Dict. de Comm. & de Trév.

COMMETTRE, est une des opérations principales de la Corderie ; c'est celle par laquelle on réunit ensemble, au moyen du tortillement, des fils pour faire des ficelles, des torons pour faire des aussieres, des cordons pour faire des grelins. Voyez l'article CORDERIE.


COMMILITONS. m. (Hist. anc.) soldat d'une même centurie. Les généraux s'en servoient volontiers ; il revient à notre camarade. Quand ils vouloient ôter à ce mot l'air de familiarité, & lui faire prendre un caractere de dignité, d'honneur, & de religion, ils y ajoûtoient l'épithete de sacratus, qui rappelloit au soldat son serment. Ceux qui auront jetté les yeux sur l'ouvrage original que M. le maréchal de Saxe a laissé sous le titre de mes rêveries, sentiront toute l'importance de ces ressources si petites en apparence.


COMMINATOIREadj. (Jurisprud.) se dit de certaines peines ou clauses pénales apposées dans les actes & contrats, dans les testamens, dans les lettres de chancellerie, dans les jugemens, contre ceux qui contreviendront à quelque clause ou disposition, lesquelles peines ne sont pas néanmoins encourues de plein droit, & ne s'exécutent pas toûjours à la rigueur. Les clauses pénales apposées dans les actes sont ordinairement reputées comminatoires, à moins que la partie intéressée ne prouve en justice qu'elle a souffert un préjudice réel par l'inexécution de la convention de la part de l'obligé ; car en général ces sortes de clauses ne doivent tenir lieu que de dommages & intérêts ; il dépend donc de la prudence du juge de voir s'il y a lieu d'en adjuger, & s'ils ne doivent pas être modérés, nonobstant qu'ils fussent fixés par l'acte à une somme plus forte.

Dans les lettres de chancellerie, telles que les ordonnances, édits, déclarations, & autres lettres patentes & commissions, les peines ne sont pas toûjours réputées comminatoires ; par exemple, quand le roi prononce la peine de nullité, la peine est ordinairement de rigueur, si ce n'est dans certains édits bursaux où la nullité peut se réparer en satisfaisant au droit pécuniaire qui est dû : mais les peines pécuniaires, telles que du double, triple & quadruple droit, ne sont ordinairement réputées que comminatoires ; il dépend du roi, & même du fermier, de les remettre ou modérer. Les peines prononcées par les réglemens en matiere de police, sont aussi ordinairement réputées comminatoires, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas encourues de plein droit ; le réglement prononce ordinairement la peine la plus rigoureuse, dans la vûe d'arrêter la licence ; mais lorsqu'il s'agit de savoir si elle est encourue, on peut la remettre ou la modérer, cela dépend de la prudence du juge.

Dans les jugemens rendus, soit en matiere civile ou criminelle, lorsqu'il y a quelque disposition qui ordonne à une partie de faire quelque chose dans un certain tems à peine de déchéance de quelque droit, cette disposition n'est réputée que comminatoire, c'est-à-dire que celui qui n'a pas exécuté le jugement dans le tems y porté, n'est pas pour cela déchû de son droit, à moins qu'à l'échéance l'autre partie n'ait obtenu un jugement qui l'ordonne ainsi, ou que le premier jugement ne portât la clause qu'en vertu du présent jugement, & sans qu'il en fût besoin d'autre, la partie demeureroit déchûe, &c. (A)


COMMINGES. f. (Artillerie) espece de mortier plus gros que les mortiers ordinaires, & qui jette des bombes dont le poids va jusqu'à 500 livres. (Q)

COMMINGES, (le) Géog. mod. pays de France, borné par la Gascogne, le Couserans, la Catalogne & le Bigorre : Saint-Bertrand en est la capitale.


COMMISS. m. (Gramm. & Jurispr.) se prend en général pour celui qui est préposé par un autre pour faire en son lieu & place quelque chose ; il est parlé de ces sortes de commis ou préposés dans les lois romaines : le commis du propriétaire d'un navire est appellé exercitor ; le commis ou facteur d'un marchand sur terre est appellé institor, de institoriâ & exercitoriâ actione. Voyez au code, liv. IV. tit. xxv. au digest. liv. XIV. tit iij. & aux institut. liv. IV. tit. vij. §. iij. Voy. MANDAT, MANDATAIRE, PROCURATION. (A)

COMMIS, (Comm.) ce terme est d'un grand usage chez les Financiers, dans les bureaux des doüannes, dans ceux des entrées & sorties, & chez les Marchands, Négocians, Banquiers, Agens de change, & autres personnes qui se mêlent du commerce ou d'affaires qui y ont rapport ; mais ces commis sont amovibles, aussi-bien que ceux qui travaillent dans les bureaux des secrétaires d'état.

Les principaux commis des doüannes, & particulierement de celle de Paris, sont, le receveur général & le receveur particulier, trois directeurs généraux des comptes, un contrôleur, les visiteurs, & un inspecteur général. Voyez tous ces noms sous leurs titres particuliers.

COMMIS AMBULANT, est un commis dont l'emploi consiste à parcourir certain nombre de bureaux, à y voir & examiner les registres des receveurs & contrôleurs, pour en cas de malversation en faire son procès-verbal ou son rapport, suivant l'exigence & l'importance de ce qu'il a remarqué.

COMMIS AUX PORTES ; ce sont ceux qui sont chargés de veiller aux portes & barrieres des villes où se payent des entrées pour certaines sortes de marchandises, dont ils reçoivent les droits & donnent des acquits. Voyez DROIT & ACQUIT.

COMMIS AUX DESCENTES ; ce sont certaines personnes préposées par les fermiers des gabelles, pour assister à la descente des sels lorsqu'on les sort des bateaux pour les porter aux greniers.

COMMIS AUX RECHERCHES ; on nomme ainsi, en Hollande, dans les bureaux du convoi & Licenten, ce qu'à la doüanne de Paris on nomme visiteurs. C'est à ces commis que les marchands qui veulent charger ou décharger des marchandises doivent remettre la déclaration qu'ils en ont faite, afin que ces commis en fassent la visite & justifient si elles sont conformes à la déclaration.

COMMIS, en termes de Commerce de mer, signifie sur les vaisseaux marchands, celui qui a la direction de la vente des marchandises qui en font la cargaison.

Les commis des Marchands, Négocians, Banquiers, Agens de change, sont ceux qui tiennent ou leur caisse, ou leurs livres, ou qui ont soin de leurs affaires. On les nomme autrement caissiers, teneurs de livres, & facteurs. Voyez ces noms sous leurs titres particuliers.

Sous-commis, est celui qui fait la fonction du commis en cas de mort, de maladie, ou autres empêchemens. Dictionn. de Comm.

COMMIS AUX AIDES, sont ceux que les fermiers & sous-fermiers des aides préposent sous eux, pour la perception des droits d'aides.

L'ordonnance des aides du mois de Juin 1680, titre v. veut que les commis aux aides soient âgés au moins de 20 ans, non parens ni alliés du fermier, ni intéressés dans la ferme ; qu'ils prêtent serment à l'élection dans le ressort de laquelle ils seront employés ou devant un autre juge des droits du roi, le tout sans information de vie & moeurs, & sans conclusions du ministere public. Ils peuvent aussi prêter serment à la cour des aides, auquel cas il suffit qu'ils fassent ensuite enregistrer leur serment dans l'élection de leur exercice.

Les fermiers ou sous-fermiers qui les nomment, demeurent civilement responsables de leur administration.

Les commis aux aides doivent être deux ensemble lorsqu'ils font leurs exercices, visites & procès-verbaux ; & tous deux doivent, sur leurs registres & procès-verbaux, les affirmer véritables dans le délai prescrit par l'ordonnance.

Néanmoins un procès-verbal fait par un seul commis est valable, pourvû qu'il soit assisté d'un huissier.

Les vendans vin sont obligés à la premiere sommation de leur ouvrir leurs caves, celliers & autres lieux de leur maison pour y faire la visite.

Ils joüissent de tous les priviléges accordés aux commis des fermes en général. Voyez ci-après COMMIS DES FERMES ; & le dictionnaire des Aides, au mot Commis. (A)

COMMIS DES FERMES : on comprend sous ce nom tous les directeurs, receveurs, caissiers, contrôleurs & autres simples commis ou préposés par les fermiers & sous-fermiers des droits du roi, tels que les commis aux aides, les commis à la recette du contrôle, des insinuations, &c.

L'ordonnance de 1681, titre commun pour toutes les fermes, ordonne que les fermiers & sous-fermiers auront contre leurs commis les mêmes actions, priviléges, hypotheques & droits de contrainte que le roi a contre ses fermiers, & que ceux-ci ont contre leurs sous fermiers.

Chaque fermier ou sous-fermier est responsable civilement du fait de ses commis.

Il est permis aux commis des fermes, ayant serment à justice, de porter des épées & autres armes ; ils sont sous la sauve garde du roi & des juges, maires & échevins : tous juges royaux, officiers des maréchaussées, prevôts & autres sont obligés de leur prêter main-forte en cas de besoin.

Il est même défendu par une déclaration de 1714, à tous juges de faire aucunes poursuites contre les commis qui auroient tué des fraudeurs ou leurs complices, en leur faisant violence ou rebellion.

Ils sont exempts de tutele & curatelle, collecte, logement de gens de guerre, de guet & de garde ; ils ne peuvent être imposés ni augmentés à la taille pour raison de leur commission, & joüissent généralement de tous les autres priviléges & exemptions accordées aux fermiers & sous-fermiers par les baux, résultats du conseil, ordonnances & réglemens.

Le fermier peut décerner des contraintes contre ses commis, qui sont en demeure de compter ou de payer, en vertu desquelles ils peuvent être constitués prisonniers, & ils ne sont point reçûs au bénéfice de cession.

Les gages des commis des fermes ne peuvent être saisis à la requête de leurs créanciers, sauf à ceux-ci à se pourvoir sur leurs autres biens.

Ils doivent délivrer gratis les congés, acquits, passavant, certificats, billets d'envoi, vû des lettres de voitures, & autres actes de pareille qualité ; il leur est défendu de rien exiger ni recevoir que ce qui leur est permis par les réglemens, à peine de concussion ; ils peuvent seulement se faire rembourser des fraix pour le timbre du papier.

Les marques & démarques doivent être faites par eux sans fraix sur les vaisseaux & futailles, sous peine pareillement de concussion.

Les commis des fermes doivent être âgés au moins de 20 ans ; ils doivent prêter serment, comme on l'a dit ci-devant pour les commis des aides ; ils n'ont pas besoin de justifier qu'ils sont de la religion catholique, apostolique & romaine ; ils peuvent se faire assister de tels huissiers que bon leur semble ; ils peuvent même sans aucun ministere d'huissier dénoncer leurs procès-verbaux, & assigner aux fins d'iceux, mais ils ne peuvent faire aucuns autres exploits.

Leurs procès-verbaux bien & dûement faits & affirmés en justice sont crûs jusqu'à inscription de faux. Voyez ci-devant COMMIS AUX AIDES.

L'ordonnance veut que ceux qui auront fabriqué ou fait fabriquer de faux registres, ou qui en auront délivré de faux extraits signés d'eux, ou contrefait les signatures des juges, soient punis de mort.

La même peine est prononcée contre ceux qui ayant en maniement des deniers des fermes, seront convaincus de les avoir emportés, lorsque la somme sera de 3000 livres & au-dessus ; & si la somme est moindre, ils seront punis de peine afflictive telle que les juges l'arbitreront.

Les commis ayant serment à justice, ne peuvent être décretés pour quelque délit que ce soit par eux commis dans l'exercice de leur emploi, sinon par les officiers des élections, greniers à sel, juges des traites & autres de pareille qualité, chacun pour ce qui les concerne.

Il est enjoint aux commis de mettre au-dehors sur la porte du bureau ou en autre lieu apparent, un tableau contenant les droits de la ferme pour lesquels le bureau est établi, & un tarif exact de ces droits. Voyez ci-devant au mot COMMIS AUX AIDES ; l'ordonnance des gabelles, celle des aides & des fermes, le dictionnaire des aides, au mot commis ; & le diction. des arrêts, au mot commis des fermes. (A)

COMMIS, (droit de) Jurisprud. est une espece de confiscation qui a lieu en certains pays, tant coûtumiers que de droit écrit, & en vertu duquel le fief, cens, bourdelage, ou héritage de main-morte, est acquis & confisqué au seigneur pour le forfait ou desaveu du vassal ou emphitéote. Il en est parlé dans les coûtumes des duché & comté de Bourgogne, Rheims, Nivernois & Bordeaux ; & en l'ancienne coûtume d'Auxerre quelquefois on dit commises pour commis. Au parlement de Toulouse le droit de commis n'a pas lieu pour les peines stipulées par les seigneurs dans les baux & reconnoissances du payement du double de la rente, faute par l'emphitéote de la payer, & même de la perte du fonds emphitéotique, s'il laisse passer trois années sans payer ; mais le droit de commis y a lieu pour la félonie de l'emphitéote ; ce qui s'observe présentement dans la ville, gardiage & viguerie de Toulouse, de même que dans le reste du parlement. Voyez Geraud, des droits seign. liv. II. ch. 8. n. 37. p. 314. Maynard, liv. VI. ch. 50. Larochefl. arrêt du 5. Mai 1549 ; & la coûtume de Paris, art. 43. (A)

COMMIS est dans la congrégation de saint Maur, ce qu'on appelle dans d'autres ordres frere donné, & qu'on appelloit anciennement oblat, un laïc qui se donne au couvent sans faire de voeux ni prendre l'habit, sous la condition de rendre quelque service à la maison, & quelquefois d'y payer pension. C'est ainsi qu'étoit un de messieurs Bulteau dans la congrégation de saint Maur, qui nous a donné une histoire abregée de l'ordre de saint Benoît, l'histoire monastique d'Orient, & quelques autres ouvrages de littérature ecclésiastique. (G) (a)


COMMISES. f. (Jurisprud.) en général signifie confiscation d'une chose au profit de quelqu'un ; ce terme vient du latin commissum, qui signifie confiscation. Il y a au digeste, l. XXXIX. le tit. jv. de publicandis vectigalibus & commissis : la loi ij. parle de marchandises confisquées, merces commissae. Voyez aussi la loi 14. & la loi 16. §. 8. & au code, liv. IV. tit. lxj. l. 3. Parmi nous le terme de commise ne se dit que pour la confiscation d'un héritage : cette peine est encourue de différentes manieres, selon la nature des héritages ; c'est pourquoi on distingue différentes sortes de commises, que nous allons expliquer dans les subdivisions suivantes.

COMMISE ACTIVE, est le droit que le seigneur a d'user de commise sur l'héritage de celui qui a encouru cette peine. La commise passive est la peine de la confiscation de l'héritage, encourue par le vassal ou tenancier qui se trouve dans le cas de la commise.

COMMISE BORDELIERE, ou d'un héritage tenu en bordelage ou bourdelage, est la confiscation de l'héritage tenu à ce titre, au profit du seigneur contre le propriétaire, faute par ce dernier de payer pendant trois ans la redevance dûe au seigneur pour le bordelage. Cette commise a lieu dans quelques coûtumes où le bordelage est usité ; telles que celle de Nivernois, titre des bordelages, art. 8. & celle de Bourbonnois, titre xxx. des tailles réelles, art. 502. où le défaut de payement du bordelage pendant trois ans consécutifs, emporte commise : dans la premiere, la commise a lieu par le seul défaut de payement, sans que le seigneur soit obligé d'interpeller le débiteur de payer ; celle de Bourbonnois est plus mitigée, & veut que le seigneur, avant de commettre, mette le débiteur en demeure de payer.

Si deux particuliers possedent un héritage en bordelage, il ne devroit, suivant l'équité, y avoir que la part de celui qui est en demeure de payer qui tombât en commise ; néanmoins si le seigneur n'a pas consenti à la division de l'héritage, la commise est solidaire, c'est-à-dire emporte la totalité de l'héritage.

Le seigneur ne peut rentrer dans l'héritage par droit de commise, faute de payement pendant trois ans, qu'en le faisant ordonner par justice ; & le tenancier demeure en possession jusqu'au jugement.

Si le seigneur ne se plaint pas, ou qu'il remette la commise, ce ne sera pas pour cela un nouveau bail de bourdelage ; c'est toûjours le même qui continue.

Le tenancier peut purger sa contumace ou demeure de payer, en offrant de payer les arrérages au seigneur, pourvû que ce soit avant la demande formée en justice par le seigneur à fin de commise.

Pour empêcher la commise, il faut payer en entier les arrérages qui sont dûs : le payement d'une partie ne suffiroit pas.

Si le tenancier est créancier du seigneur bordelier, il doit, pour éviter la commise demander la compensation ; car en ce cas elle ne se fait pas de plein droit, à cause de la nature de la dette, & que le tenancier doit reconnoître le bordelage envers le seigneur.

Au cas que celui-ci refusât le payement pour user de commise, le tenancier doit lui faire les offres réelles, & le faire assigner pour voir ordonner la consignation ; & lorsqu'elle est ordonnée, l'effectuer & la signifier au seigneur.

Les améliorations faites sur l'héritage qui tombe en commise, suivent le fonds, sans que le seigneur soit tenu d'en faire raison au tenancier. Voyez Coquille sur Nivernois, loc. cit. & Despommes, art. 502. de celle de Bourbonnois.

COMMISE CENSUELLE ou EN CENSIVE, est la confiscation qui se fait au profit du seigneur direct d'un héritage roturier tenu de lui en censive, pour cause de desaveu ou félonie du censitaire : cette sorte de commise n'a pas lieu dans le droit commun, suivant lequel il n'y a que les fiefs qui sont sujets à tomber en commise, au profit du seigneur ; elle est seulement reçûe dans quelques coûtumes, comme celle de Normandie, voyez Basnage sur l'art. cxxv. de cette coûtume : & dans celles d'Anjou & Maine, voy. Poquet de Livoniere, des fiefs, liv. II. ch. ij. sect. 4. Guyot, des fiefs, tr. de la commise, pag. 306. elle se regle en tout comme la commise féodale ; voyez M. de Boutaric, en son tr. des dr. seign. part. III. ch. v. de la commise des censives.

COMMISE EMPHYTEOTIQUE ou en EMPHYTEOSE, qu'on appelle aussi commis ou droit de commis, est le droit que le bailleur a de rentrer dans l'héritage par lui donné à titre d'emphytéose, faute de payement de la redevance pendant un certain tems.

Cette commise est fondée sur les lois seconde & troisieme, au code, de jure emphyteutico. La loi ij. ouvre la commise par le défaut de payement du canon ou redevance emphytéotique pendant trois années consécutives, quand même la condition de payer & la peine du défaut du payement ne seroient pas écrites au contrat. Godefroy, sur cette loi, observe qu'il falloit un jugement qui déclarât la commise ouverte.

La loi iij. marque un second cas, dans lequel il y avoit ouverture à la commise ; savoir lorsque l'emphytéote vendoit l'héritage à un autre sans le consentement du bailleur ; mais l'emphytéote avoit un moyen pour éviter cette commise ; c'étoit lorsqu'il vouloit vendre, & qu'il avoit fait le prix, d'aller trouver le bailleur & de lui offrir aux mêmes conditions. Le bailleur avoit deux mois pour délibérer & demander la prélation ou préférence ; si le bailleur laissoit écouler les deux mois sans user de son droit, l'emphytéote pouvoit vendre librement, & le bailleur ne pouvoit refuser d'admettre le nouvel emphytéote.

L'usage de la commise ou commis emphytéotique appartient plus aux pays de droit écrit qu'aux pays coûtumiers, attendu que dans ceux-ci les baux emphytéotiques ne sont ordinairement que de 99 ans, au lieu que la vraie emphytéose des pays de droit écrit est perpétuelle.

Cependant les parlemens de droit écrit n'ont pas tous également adopté la disposition des lois dont on vient de parler sur la commise emphytéotique.

MM. Salvaing & Expilly disent qu'elle n'a plus lieu en Dauphiné, même pour les fiefs, soit faute de payement de la redevance, soit pour la vente du fonds faite sans le consentement du bailleur.

Il en est de même au parlement de Toulouse : mais Despeisses dit, que si l'emphytéote s'obstinoit à ne vouloir point payer le cens, il seroit évincé de l'héritage après quelques condamnations comminatoires.

Le même auteur dit que la commise n'a pas lieu à Montpellier, & que dans le reste du royaume elle ne s'observe pas non plus à la rigueur.

Cependant en Bourgogne la commise n'a lieu, faute de payement de la redevance, que quand cela est ainsi stipulé dans le bail emphytéotique, auquel cas il n'est pas besoin d'interpellation de payer : elle y a pareillement lieu en cas de vente, sans le consentement du seigneur, lorsque le bail le porte expressément. Voyez les cahiers de réformation de la coûtume.

Dans l'emphytéose d'un bien d'église, la commise a lieu par le défaut de payement des arrérages pendant deux années. Novelle vij. ch. 3. §. 2.

La commise a aussi lieu lorsque l'emphytéote détériore le fonds, de maniere que la rente ne soit plus assurée : cela s'observe aux parlemens de Toulouse & de Dijon.

L'emphytéote qui est évincé perd ses améliorations. Voyez Despeisses, tom. III. des droits seigneur. article v. Guyot, des fiefs, tom. IV. titre du droit de commise en emphytéote.

COMMISE FEODALE, est la confiscation du fief du vassal au profit du seigneur, auquel il appartient comme réuni à sa table.

Suivant l'usage le plus général, cette commise a lieu en deux cas ; savoir pour cause de désaveu formel, & pour cause de félonie.

Le droit de commise féodale paroît avoir été établi à l'instar de la commise emphytéotique, dont il est parlé dans les lois ij. & iij. au code de jure emphyteutico.

Si ce que l'on dit de la commise encourue par Clotaire II. est vrai, l'usage de ce droit seroit fort ancien en France. Voyez ci-après COMMISE PASSIVE.

Ce qui est de certain est qu'elle avoit déjà lieu, suivant l'ancien droit des fiefs qui se trouve dans les livre des fiefs, compilés par Obert de Osto & Gerad le Noir, tous deux jurisconsultes milanois, du tems de l'empereur Frédéric qui regnoit vers l'an 1160.

Suivant ces lois de fiefs, la commise féodale avoit lieu en plusieurs cas, dont quelques-uns sont conformes à notre usage : les autres sont encore usités en Allemagne & en Flandre.

La commise avoit lieu, 1°. lorsque le nouveau vassal négligeoit d'aller demander l'investiture dans l'an & jour ; ce qui doit s'entendre de l'héritier du vassal, & non de l'acquéreur : car il n'étoit pas permis alors de vendre le fief sans le consentement du seigneur dominant. La prescription de 30 ans mettoit seulement à couvert de cette commise.

2°. Celui qui aliénoit son fief invito vel irrequisito domino, perdoit son fief ; & l'acquéreur de sa part perdoit le prix qu'il en avoit payé, lequel tournoit au profit du fisc : ce qui a encore lieu en Bourgogne où les fiefs sont de danger, non pas à la vérité pour la vente, mais pour la prise de possession.

3°. Si dans le combat, le vassal abandonnoit lâchement son seigneur.

4°. S'il avoit su quelques attentats contre son seigneur, & ne l'eût pas averti.

5°. S'il avoit été le délateur de son seigneur.

6°. S'il manquoit à quelqu'un des services auxquels il étoit obligé, comme services de plaids, auquel cas il falloit que le vassal fût contumacé pour encourir la commise : ce service de plaids est encore usité en Picardie : le vassal est appellé pere du fief dominant ; mais s'il manque à ce service, il ne perd pas pour cela son fief.

7°. Si le vassal entroit en religion ou se faisoit prêtre, il perdoit son fief, parce qu'il ne pouvoit plus en faire le service ; mais en ce cas le fief alloit ad agnatos. Il y avoit même des fiefs affectés à des ecclésiastiques.

8°. Lorsque le vassal détérioroit considérablement son fief, & sur-tout s'il abusoit du droit de justice.

9°. Le desaveu fait sciemment emportoit aussi perte du fief : mais la commise n'avoit pas lieu lorsqu'il avoüoit un autre seigneur.

10°. La commise avoit lieu pour félonie, & ce crime se commettoit de plusieurs façons ; par exemple, si le vassal avoit vécu en concubinage avec la femme de son seigneur, ou qu'il eût pris avec elle quelques familiarités deshonnêtes ; s'il avoit débauché la fille ou la petite-fille de son seigneur : la même peine avoit lieu par rapport à la soeur du seigneur non mariée, lorsqu'elle demeuroit avec son frere. Il y avoit aussi félonie, lorsque le vassal attaquoit son seigneur, ou le château de son seigneur, sachant que le seigneur ou la dame du lieu y étoient. Le meurtre du frere du seigneur n'étoit pas seul une cause de commise, mais elle avoit lieu lorsque le vassal avoit tué le frere ou le neveu du seigneur, pour avoir seul une hérédité qui leur étoit commune. Voy. FELONIE.

La commise n'étoit point encourue de plein droit, il falloit un jugement qui la prononçât, & le vassal pouvoit s'en défendre par plusieurs circonstances ; comme pour cause de maladie, absence, erreur de fait, &c. lesquelles excuses recevoient leur application selon les différens cas.

Il y avoit réciprocité de commise entre le seigneur & le vassal ; c'est-à-dire que la plûpart des cas qui faisoient perdre au vassal son fief, faisoient aussi perdre au seigneur la mouvance, lorsqu'il manquoit à quelqu'un des devoirs dont il étoit tenu envers son vassal.

En France on ne connoît, comme nous l'avons déjà dit, que deux causes qui donnoient lieu à la commise, savoir le desaveu & la félonie.

Dans les pays de droit écrit, & dans la coûtume d'Angoumois qui les avoisine, le desaveu ne fait pas encourir la commise ; il n'y a que la félonie.

En pays coûtumier, le desaveu & la félonie font ouverture à la commise.

Dans quelques coûtumes, comme Nivernois, Melun, Bourbonnois, & Bretagne, il y a un troisieme cas où la commise a lieu ; savoir lorsque le vassal, sciemment & par dol, récele quelque héritage ou droit qu'il ne comprend pas dans son aveu & dénombrement.

La commise n'a pas lieu lorsque le vassal soûtient que son fief releve du roi, parce que ce n'est pas faire injure au seigneur que de lui préférer le roi.

Mais si le procureur du roi abandonne la mouvance, & que le vassal persiste dans son desaveu, il encourt la commise.

La coûtume d'Orléans, art. lxxxj. dit que si le seigneur prouve sa mouvance par des titres qui remontent à plus de cent ans, il n'y a point de commise, parce que le vassal a pû ignorer ces titres.

Lorsque le vassal dénie que l'héritage soit tenu en fief, & prétend qu'il est en roture, si mieux n'aime le seigneur prouver qu'il est en fief, il n'y a point lieu à la commise.

Elle n'a pas lieu non plus lorsque le seigneur prétend des droits extraordinaires, & que le vassal refuse de les payer, le seigneur étant obligé d'instruire son vassal.

La confiscation du fief ne se fait pas de plein droit, il faut qu'il y ait un jugement qui l'ordonne.

Si le seigneur ne l'a point demandé pendant la vie du vassal, la peine est censée remise.

Il en est de même lorsque le seigneur ne l'a point demandé de son vivant, ses héritiers ne sont pas recevables à la demander.

Le fief confisqué, & tout ce qui a été réuni, demeure acquis au chef dominant, sans qu'il en soit dû aucune recompense à la communauté.

Il demeure chargé des dettes hypothécaires du vassal.

Un bénéficier ne peut pas commettre la propriété du fief attaché à son bénéfice, parce qu'il n'en est qu'usufruitier ; il ne perd que les fruits.

Le mari peut par son fait commettre seul les conquêts de la communauté, mais il ne peut pas par son fait personnel commettre la propriété des propres de sa femme, à moins qu'elle n'ait eu part au desaveu ou félonie ; il encourt seulement la confiscation des fruits.

La femme peut commettre ses propres, mais elle n'engage point les fruits au préjudice de son mari.

Le bailliste ou gardien ne commet que les fruits.

La commise n'est point solidaire, c'est-à-dire que si le fief servant appartient à plusieurs vassaux, il n'y a que celui qui desavoue qui commet sa portion.

Le seigneur qui commet félonie envers son vassal, perd la mouvance du fief servant.

Voyez les livres des fiefs ; Struvius, dans son syntagma juris feudalis, ch. xv. de amissione feudi ; Gudelinus & Zoezius, sur les mêmes titres ; Julius Clarus, quaest. xlvij. §. feudum. Poquet de Livoniere, Guyot, & Billecoq, en leurs tr. des fiefs ; & les articles DESAVEU & FELONIE.

COMMISE d'un héritage taillable, est la confiscation d'un héritage sujet au droit de taille seigneuriale qui a lieu au profit du seigneur, lorsque le propriétaire de l'héritage dispose de la propriété sans le consentement du seigneur. Cette commise a lieu dans la coûtume de Bourbonnois, art. ccccxc. & dans celle de la Marche, art. cxlviij. Dans ces coûtumes, le tenancier d'un héritage taillable ne le peut vendre en tout ni en partie, ni le donner ou transporter, échanger, ou autrement aliéner, ou en disposer soit entrevifs ou par testament, sans le consentement du seigneur taillablier, quand même ce seroit pour fournir à la subsistance & aux alimens du propriétaire.

On excepte néanmoins la donation en avancement d'hoirie faite à un des enfans du tenancier, laquelle ne tombe pas en commise.

Il faut aussi excepter les taillables qui tiennent un héritage par indivis ; ils ne peuvent à la vérité le démembrer, soit au profit de l'un d'eux ou d'un étranger, sans le consentement du seigneur ; mais chacun des co-personniers peut céder sa part indivise à un de ses co-personniers sans le consentement du seigneur, parce que chacun d'eux avoit déjà un droit indivis dans la totalité, & que c'est moins une nouvelle acquisition, que jure non decrescendi.

Les co-personniers taillables peuvent aussi, sans le consentement du seigneur, faire entr'eux des arrangemens pour la jouissance, mais non pas pour la propriété.

Au reste la prohibition d'aliéner l'héritage taillable sans le consentement du seigneur, ne regarde que la propriété ; car le tenancier peut librement disposer des fruits, & ses créanciers s'y venger, tant qu'il en est possesseur.

Quelques-uns tiennent que si une maison menace ruine, & que le tenancier ne soit pas en état d'y faire les réparations, il peut l'offrir en vente au seigneur ; & que si celui-ci refuse de l'acheter, le tenancier peut la vendre à un autre : ce qui paroît fondé sur l'équité.

Lorsque le tenancier n'a disposé sans le consentement du seigneur que d'une partie de l'héritage, il n'y a que cette portion qui tombe en commise.

Il ne suffit pas pour prévenir la commise de stipuler dans la vente ou autre disposition, qu'elle n'est faite que sous le bon plaisir & consentement du seigneur ; si le vendeur s'en désaisit, & que l'acquéreur en prenne possession réelle avant d'avoir obtenu l'agrément du seigneur, la commise est encourue à son profit.

Mais la vente ou disposition ne fait pas seule encourir la commise, quand même l'acte contiendroit une reserve d'usufruit au profit du vendeur, & que l'acquéreur auroit par ce moyen une possession fictive, parce que le vendeur, à cet égard, n'est censé dépouillé que par la prise de possession réelle & actuelle de l'acquéreur : jusque-là les parties peuvent se rétracter.

Celui qui a vendu ou autrement aliéné un héritage taillable sans le consentement du seigneur, n'est pas tenu de livrer l'héritage si le seigneur n'y consent ; attendu que l'héritage tomberoit en commise, & que par conséquent l'acquéreur n'en profiteroit pas : mais si l'acquéreur a pû ignorer & ignoroit effectivement que l'héritage fût taillable, il peut agir en dommages & intérêts contre le vendeur pour l'inexécution du contrat.

Quoique quelques coûtumes supposent la commise encourue ipso facto, néanmoins l'usage est que le seigneur fasse prononcer en justice la commise ; s'il n'en forme pas la demande, son silence passe pour un consentement tacite, tellement que l'acquéreur n'est tenu de rendre les fruits que du jour de la demande, & non du jour que la commise est ouverte.

Lorsque le seigneur reçoit les droits, ou approuve de quelqu'autre maniere la vente, la commise n'a pas lieu : on tient même que le consentement du mari suffit pour les héritages taillables qui sont de la censive de sa femme ; ce qui est fondé sur ce que ces droits sont in fructu, & appartiennent au mari.

Par une suite du même principe, quand le seigneur use de la commise, l'usufruitier ou fermier de la seigneurie joüit pendant le tems de sa ferme de l'usufruit de l'héritage tombé en commise, parce que la commise est considérée comme usufruit.

Le droit de commise étant de pure faculté, ne se prescrit point pour n'en avoir pas usé dans certains cas : la prescription ne commence à courir que du jour de la contradiction faite par l'acquéreur ; mais l'exercice de la commise qui est ouverte, se prescrit par trente ans comme toutes les actions personnelles.

Le Roi ni ceux qui le représentent, n'usent pas du droit de commise pour les héritages taillables qui sont tenus de lui ; mais ils ont aussi un droit de lods & ventes plus fort.

Pour ce qui est de l'Eglise, elle n'use de commise sur ses héritages taillables, que dans les lieux où elle est en possession de le faire. Voyez Despommiers sur les art. ccccxc. & ccccxcj. de la coûtume de Bourbonnois, & Jabely sur l'art. cxlviij. de celle de la Marche, & l'article TAILLE SEIGNEURIALE.

COMMISE PASSIVE est opposée à commise active, voyez ci-devant COMMISE ACTIVE.

La commise passive peut aussi s'entendre de la confiscation qui a lieu contre le seigneur pour la mouvance d'un fief, lorsqu'il s'est rendu coupable de félonie envers son vassal, c'est-à-dire lorsqu'il a commis contre lui quelque forfait & déloyauté notable. On trouve dans quelques-uns de nos historiens un exemple fameux de cette sorte de commise passive ; savoir celui de Clotaire II. qui suivant quelques-uns de nos historiens, perdit la mouvance de la seigneurie d'Yvetot dans le pays de Caux, pour le meurtre par lui commis en la personne de Gautier, seigneur d'Yvetot. Le fait à la vérité paroît justement contesté ; mais ce qui en est dit prouve toûjours qu'on étoit dès-lors dans l'opinion que la commise auroit lieu contre le seigneur en pareil cas.

COMMISE TAILLIABLIERE, voyez ci-devant COMMISE d'un héritage taillable.

COMMISE du seigneur contre le vassal & censitaire, voyez ci-devant COMMISE FEODALE & COMMISE SENSUELLE.

COMMISE du vassal contre le seigneur, voyez ci-devant COMMISE PASSIVE. (A)


COMMISSAIRESsub. m. pl. (Jurisprud.) est le nom que l'on donne à certains officiers qui sont commis, soit par le Roi directement, soit par quelque juge, pour faire certaines fonctions de justice ou police. Il y en a de plusieurs sortes : les uns qui sont en titre d'office ou commission permanente, qui sont établis par le Roi pour faire ordinairement certaines fonctions ; les autres qui n'ont qu'une simple commission pour un tems limité & pour une affaire particuliere, soit que la commission émane du Roi, ou qu'elle soit seulement émanée de quelque juge.

La premiere ordonnance où l'on trouve le terme de commissaire employé, commissarii, est celle de saint Louis en 1254 ; depuis ce tems il est devenu d'un usage fréquent ; nous expliquerons dans les subdivisions suivantes les fonctions des différentes sortes de commissaires qui ont rapport à la justice. (A)

COMMISSAIRES AU CHASTELET, (Jurisprudence) qu'on appelle aussi commissaires-enquêteurs-examinateurs, sont des officiers de robe longue établis pour faire certaines instructions & fonctions de justice & police, à la décharge des magistrats du châtelet.

Le commissaire de la Mare qui étoit fort zélé pour l'honneur de sa compagnie, prétend dans son traité de la police, tome 1. liv. I. tit. xij. que les enquêteurs-examinateurs sont plus anciens que les conseillers au châtelet.

Mais il est certain, comme nous le prouverons ci-après au mot CONSEILLERS au châtelet, que ceux-ci sont plus anciens ; que c'étoit eux qui faisoient autrefois les enquêtes, informations, partages, & toute l'instruction ; que ce qui est dit dans les anciens auteurs & dans les registres publics jusque vers l'an 1300 au sujet des auditeurs & enquêteurs, ne doit point s'entendre d'officiers qui fussent en titre pour ces fonctions, mais de conseillers ou avocats qui étoient délégués à cet effet par le prévôt de Paris, & autres juges ; il n'est donc pas étonnant qu'il soit dit en plusieurs endroits que les auditeurs & enquêteurs avoient séance & voix délibérative au châtelet, puisque c'étoient ordinairement des conseillers qui faisoient cette fonction ; & c'étoit comme conseillers qu'ils avoient cette séance.

On ne trouve point de preuve certaine qu'avant l'an 1300, il y eût au châtelet des enquêteurs ou examinateurs en titre, & dont la fonction fût permanente, & séparée de celle des conseillers. (A)

Les examinateurs, appellés depuis commissaires an châtelet, ont eux-mêmes reconnu dans deux arrêts que les conseillers du châtelet étoient plus anciens qu'eux

On voit dans le premier de ces arrêts, qui est du 5 Août 1434, qu'il fut dit par Chauvin & consorts examinateurs au châtelet, qu'ab antiquo il n'y avoit nombre d'examinateurs qui fût ordinaire ; mais que les conseillers du châtelet, qui sont douze, étoient comme les conseillers de la cour ; qu'eux-mêmes faisoient les enquêtes, & ne postuloient point en maniere d'avocats ; & que depuis fut mis certain nombre d'examinateurs.

Le second arrêt, qui est du 10 Mai 1502, fut rendu entre les seize examinateurs d'une part, & les lieutenans civil & criminel, & les conseillers au châtelet d'autre part. Les examinateurs reconnurent, du moins tacitement, que leur érection ne remontoit pas plus haut que vers l'an 1300. En effet, à l'audience du 2 Mai 1502, leur avocat parla seulement de l'ordonnance qui avoit établi les seize examinateurs, sans la dater : l'avocat des conseillers au châtelet dit qu'on avoit d'abord érigé au châtelet le prevôt de Paris & douze conseillers ; que depuis furent commis deux lieutenans, l'un civil, l'autre criminel : & l'avocat du lieutenant criminel dit que de tout tems & d'ancienneté, plus de deux cent ans, & long-tems avant l'érection des examinateurs, les lieutenans civil & criminel de la prevôté avoient accoûtumé de faire les enquêtes ; qu'il n'y avoit qu'eux qui les fissent, n'étoient les conseillers ou avocats auxquels ils les commettoient ; que depuis pour le soulagement des lieutenans, qui ne pouvoient bonnement entendre à faire les enquêtes & expéditions des procès pendans au châtelet, pour la grande multitude des causes & affluence du peuple, il fut ordonné par le roi qu'il y auroit seize examinateurs dans cette ville ès seize quartiers, sous lesdits lieutenans, pour eux s'enquérir des vagabonds & maléfices, & le rapporter au châtelet ; & aussi pour faire nettoyer les rues, visiter les boulangers, & entendre sur le fait de la police ; qu'il fut aussi dit qu'ils feroient les enquêtes des procès pendans au châtelet.

Tels sont les faits énoncés dans cet arrêt, qui ne paroissent point avoir été contredits par les examinateurs ; ce qui confirme que les conseillers ont été établis avant les examinateurs en titre, & que ces derniers l'ont eux-mêmes reconnu.

Il paroît par des lettres de Philippe-le-Bel du mois d'Avril 1301, que les notaires du châtelet se plaignirent de ce que le prevôt, les auditeurs, & les enquêteurs ou examinateurs, faisoient écrire leurs expéditions par d'autres personnes qu'eux ; & Philippe-le-Bel leur ordonne de se servir du ministere des notaires.

Au mois de Mai 1313, ce même prince trouvant que les examinateurs qui étoient alors en place avoient abusé de leurs charges, les supprima, & ordonna que les enquêtes seroient faites par les notaires, ou par d'autres personnes qui seroient nommées par les auditeurs ou par le prevôt.

Philippe V. au mois de Février 1320, ordonna que les notaires du châtelet pourroient examiner témoins en toutes les causes mûes & à mouvoir au châtelet, selon ce que le prevôt & les auditeurs du châtelet leur commettroient, & spécialement ceux que les parties requéreroient & nommeroient de commun accord.

Il ordonna cependant en même tems qu'il y auroit au châtelet huit examinateurs seulement, qui seroient loyaux & discrettes personnes choisies par les gens des comptes ; que ces examinateurs pourroient examiner les témoins en toutes causes, ayant chacun pour adjoint un notaire. Leur salaire est aussi reglé par la même ordonnance.

Celle de Philippe de Valois, du mois de Février 1327, fixa le nombre des examinateurs du châtelet à douze, qui étoient distribués deux à deux en six chambres, où l'un interrogeoit les témoins, & l'autre écrivoit les dépositions. Cette ordonnance défend aux examinateurs de se mettre au rang du siége du prevôt de Paris : elle leur défend aussi d'être avocats, notaires, pensionnaires, ni procureurs, & de tenir aucun autre office au châtelet. Elle regle aussi leurs salaires, & la maniere de leur donner les faits & articles.

Il se trouva quelques années après jusqu'à vingt-deux examinateurs pourvûs par le roi ; c'est pourquoi Philippe de Valois, par des lettres du 24 Avril 1337, en fixa le nombre à seize, qu'il choisit parmi ceux qui exerçoient alors, & ordonna que les six surnuméraires rempliroient les places qui deviendroient vacantes.

Ce nombre de seize fut confirmé par des lettres du roi Jean, du premier Juin 1353 ; de Charles V. du mois de Juin 1366 ; & de Charles VI. du mois de Juin 1380.

Ces charges étoient recherchées avec tant d'empressement, que Louis XI. en attendant qu'il y en eût de vacantes, en créa quatre extraordinaires, par édit du mois de Janvier 1464 : il en donna deux aux nommés Assailly & Chauvin, pour récompense des services qu'ils lui avoient rendus. Mais les seize ordinaires s'étant opposés à leur réception, cela donna lieu à une longue contestation ; ce qui engagea Louis XI. à supprimer les quatre nouveaux offices, par un édit du mois de Mars 1473.

Assailly eut cependant le crédit de faire rétablir pour lui un de ces offices, & y fut reçû.

Comme il s'éleva encore à ce sujet des difficultés, Louis XI. au mois de Juin 1474, créa quatre offices d'examinateurs ordinaires, & en donna un à ce nouveau pourvû. Il y eut opposition à l'enregistrement, & cette nouvelle création n'eut pas lieu.

Au mois de Décembre 1477, Louis XI. créa encore deux nouvelles charges d'examinateurs, & au mois de Février suivant un office d'examinateur extraordinaire.

Mais Charles VIII. par des lettres du 27 Septembre 1493, rétablit l'ancien nom de seize, & supprima les surnuméraires : & Louis XII. au mois d'Octobre 1507, ordonna que ce nombre demeureroit fixe, sans pouvoir être augmenté.

Cependant François I. par son édit du mois de Février 1521, en créa seize nouveaux, & leur donna à tous le titre de commissaires, qui renferme tous les autres titres qu'ils portoient autrefois. Il y eut plusieurs contestations entre les anciens & les nouveaux, qui furent terminées par arrêt du grand-conseil du premier Août 1534, portant que les uns & les autres joüiroient des mêmes droits & prérogatives.

Il fut créé le 7 Septembre 1570 un trente-troisieme office de commissaire au châtelet, & au mois de Juin 1586 huit autres, qui par une déclaration du même mois furent réduits à sept ; ce qui fit en tout le nombre de quarante.

Dans la suite ce nombre ayant paru excessif, eu égard à l'état où étoit alors la ville de Paris, il fut ordonné par édit d'Octobre 1603, que ceux qui vaqueroient seroient supprimés, jusqu'à ce qu'ils fussent réduits à trente-deux ; mais il n'y en eut qu'un qui fut remboursé.

Au mois de Décembre 1635 Louis XIII. créa vingt-un offices de commissaires au châtelet, pour faire avec les trente-neuf qui subsistoient, le nombre de soixante. Par des lettres du mois de Juillet 1638, les vingt-un nouveaux offices furent réduits à neuf, au moyen dequoi il y avoit alors quarante-huit commissaires.

Ils prennent tous le titre de maîtres ; & depuis 1668 ils prennent aussi le titre de conseillers du Roi ; en vertu des lettres patentes du mois de Juin de ladite année, qui leur ont donné le titre de conseillers du roi, commissaires enquêteurs examinateurs au châtelet de Paris.

Ces lettres leur accordent aussi le droit de parler couverts aux audiences ; le droit de vétérance au bout de vingt années d'exercice, la confirmation de leur franc-salé, & l'extension de leurs priviléges à leurs veuves. Le roi accorda aussi une pension à la compagnie, & en fit espérer de particulieres à ceux qui se distingueroient dans leur emploi.

En 1674, lorsque l'on créa le nouveau châtelet, on créa en même tems dix-neuf commissaires qui furent incorporés aux anciens, pour servir en l'un & l'autre siége. Par une déclaration du 23 d'Avril de la même année, les dix-neuf nouveaux offices furent réduits à sept, pour ne composer qu'un même corps avec les quarante-huit anciens. Enfin par succession de tems, le nombre des charges a été réduit à cinquante, dont deux ont été acquises par la compagnie, ensorte qu'il ne reste que quarante-huit titulaires.

La fonction des commissaires en matiere civile, consiste à apposer & lever les scellés dans la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris, & par suite dans toute l'étendue du royaume. Ils font les enquêtes & interrogatoires sur faits & articles, entendent les comptes de tutele, de communauté, d'exécution testamentaire ; font les partages entre héritiers, les ordres & contributions, les liquidations de dommages & intérêts, & les taxes des dépens.

Par rapport à la police, ils sont distribués dans les vingt-un quartiers différens de la ville, pour veiller au bon ordre & à la sûreté publique. Il y en a communément deux ou trois dans chaque quartier. Ils sont aussi préposés pour tenir la main à l'exécution des réglemens de police, & peuvent faire assigner les contrevenans à la police pour être condamnés en l'amende, & en telle autre peine qu'il y échet.

En matiere criminelle ils ont aussi plusieurs fonctions, qui consistent entr'autres à recevoir les plaintes qui leur sont portées, à faire d'office les informations, interrogatoires, & procès-verbaux préparatoires, lorsque l'accusé est pris en flagrant délit ; ils peuvent même le faire conduire en prison, mais ils ne peuvent pas le faire écroüer. Ils font aussi en vertu d'ordonnance du lieutenant criminel, toutes informations, procès-verbaux, interrogatoires de ceux qui sont decretés d'ajournement personnel. Ils rendent des ordonnances pour faire assigner les témoins en vertu d'ordonnance du juge qui permet d'informer, & pour assigner à comparoître au tribunal dans certains cas, comme pour répondre au rapport d'une plainte, soit au civil ou au criminel, & pour assigner en leur hôtel dans les matieres de comptes, partages, ordres, &c.

Enfin ils sont préposés pour exécuter tous les ordres, mandemens, & commissions des lieutenans civil, de police & criminel.

Ils joüissent de plusieurs prérogatives & priviléges, tels que le droit d'avoir une séance marquée aux audiences aux piés des juges, & à toutes les assemblées générales de police ; & ils peuvent se couvrir en faisant leur rapport.

Ils ont aussi le droit de garde-gardienne, committimus aux requêtes de l'hôtel & du palais, le franc-salé, exemption du droit d'aides & autres impositions pour les vins & grains de leur crû ; exemptions de tailles, emprunts, & autres subsides ordinaires & extraordinaires ; exemption de logement de gens de guerre & de suite de la cour, de toutes charges de ville & publiques, de tutele & curatelle. Le roi les dispense de payer leur paulette, au moyen d'un acquit patent qui leur est délivré, ainsi qu'à plusieurs autres officiers du châtelet. Ils joüissent aussi du droit de vétérance, & de plusieurs autres.

On trouvera un plus ample détail de ce qui concerne l'établissement, les fonctions & priviléges des commissaires au châtelet, dans le traité de la police, tome I. liv. I. tit. xij.

COMMISSAIRE DU CONSEIL, voyez ci-après CONSEIL DU ROI, à l'article Commissaires.

COMMISSAIRES conservateurs généraux de decrets volontaires, étoient des officiers établis par édit du mois de Janvier 1708, dans toutes les justices royales, pour avoir inspection sur tous les decrets volontaires qui se feroient dans leur ressort, conserver les droits des vendeurs & acquéreurs des héritages & autres immeubles decretés volontairement, & empêcher que par le dol, fraude, collusion, ni autrement, ces decrets volontaires ne devinssent forcés. L'acquéreur qui poursuivoit un decret volontaire, étoit obligé de faire enregistrer sa saisie réelle & son contrat d'acquisition au bureau de ces commissaires, avant de faire procéder aux criées. On leur donna des contrôleurs, & on attribua aux uns & aux autres des droits sur les decrets, & différens priviléges. Mais les contrôleurs furent réunis aux commissaires pour toutes les justices de la ville, fauxbourgs & généralité de Paris, par une déclaration du 19 Février 1709 ; & par une autre déclaration du 9 Avril suivant, il fut ordonné que les offices de commissaires des decrets volontaires anciens, alternatifs & triennaux, dans les cours & jurisdictions de la ville, fauxbourgs & généralité de Paris, & ceux de leurs contrôleurs, seroient exercés sous les titres d'anciens mi-triennaux, & d'alternatifs mi-triennaux.

Ces offices de commissaires furent supprimés pour la Bourgogne, par un édit du mois de Mai 1708 ; & par un autre édit du mois d'Août 1718, ils furent supprimés dans tout le reste du royaume. Cet édit a seulement reservé la moitié du droit qui se payoit pour les decrets volontaires. Voyez ce qui est dit de ces offices, dans le traité de la vente des immeubles par decret de M. d'Héricourt, part. I. chap. dernier, n. 8.

COMMISSAIRES DES DECIMES, furent créés par édit de Novembre 1703, pour faire dans chaque diocèse le recouvrement des décimes : mais par déclaration du 4 Mars 1704, ils furent réunis aux offices de receveurs généraux & particuliers.

COMMISSAIRES AUX DECRETS VOLONTAIRES, voyez ci-dev. COMMISSAIRES conservateurs généraux des decrets volontaires.

COMMISSAIRES départis par le Roi dans les provinces, voyez INTENDANS.

COMMISSAIRES ENQUETEURS, EXAMINATEURS, (Jurisp.) sont des officiers de robe longue, établis pour faire certaines instructions & fonctions de justice & police, à la charge des juges tant civils que criminels, & de police.

De la Mare, en son tr. de la police, tome I. lib. I. tit. xij. fait remonter l'origine de ces officiers jusqu'aux tems les plus reculés. Il y avoit, selon lui, de semblables officiers chez les Hébreux, chez les Grecs & chez les Romains. Il prétend que chez tous ces peuples, & en particulier chez les Romains, il y avoit deux sortes d'officiers principaux établis auprès des magistrats, & qui entroient en participation de leurs soins & de leurs fonctions ; que les uns, qui sont toûjours nommés assessores magistratuum, étoient établis pour assister le magistrat au tribunal, & lui donner avis & conseil dans le jugement & la décision des affaires les plus importantes, & que c'est de-là que le nom de conseiller tire son origine ; que les autres étoient destinés à veiller sur le peuple, à faire une partie des instructions nécessaires, & à décharger les magistrats de certaines fonctions auxquelles ils ne pouvoient suffire ; que ces officiers étoient préposés pour faire les enquêtes & entendre les témoins, & en général pour la recherche des preuves ; que c'étoient eux que l'on appelloit adjutores magistratuum, servatores loci, curatores urbis, vicarii magistratuum, defensores civitatis, quaesitores, inquisitores, auditores, discussores.

Il ajoûte que les Romains ayant conquis les Gaules, & y ayant établi le même ordre que dans l'empire pour l'administration de la justice, y instituerent des enquêteurs examinateurs ; & que nos rois ayant trouvé cet usage établi dans les Gaules, le conserverent.

Il cite un édit de Clotaire II. de l'an 615, & plusieurs autres ordonnances rendues en différens tems, & qui sont rapportées dans les capitulaires, où il est parlé de ces officiers, appellés missi, discussores, inquisitores, adjutores, seu vicarii comitum, &c.

De-là il passe au détail des différentes fonctions de police qui étoient remplies par ces officiers, dont les principales étoient, dit-il, de recevoir les lois & les ordonnances par les mains des comtes, pour les faire ensuite entendre & observer aux citoyens ; de veiller à ce que rien ne fût entrepris, ni aucuns discours tenus contre le service du roi ou le bien public ; de maintenir le bon ordre & la discipline en toutes choses, ensorte que les gens de mauvaise volonté fussent contenus dans leur devoir, les vagabonds chassés, les pauvres protégés, & que les gens de bien vécussent en sûreté & en paix ; de rechercher tous les abus, malversations & crimes qui se commettoient dans le public ; de faire arrêter les coupables, en informer & faire les autres instructions pour parvenir à les faire corriger ou punir ; d'interroger les malfaiteurs qui étoient arrêtés, & devoient d'abord être conduits devant eux ; d'empêcher le port des armes défendues, & qu'on n'en transportât aux étrangers sans ordre du roi ; de veiller sur les étrangers qui arrivoient dans leurs départemens, en tenir registre, & ne les y souffrir demeurer que le tems permis par les lois ; d'avoir l'inspection sur le Commerce, les Arts & Métiers, pour y faire observer l'ordre établi par les réglemens ; visiter les marchés, y procurer l'abondance des vivres & autres denrées nécessaires à la subsistance des citoyens ; empêcher qu'il ne se commît aucune fraude, soit en la qualité ou au prix, soit au poids ou en la mesure, & sur-tout pour les grains, le pain, le vin & la viande ; faire entretenir le pavé, nettoyer les rues, réparer les grands chemins.

Enfin, selon lui, ces commissaires avoient toute l'autorité des comtes en leur absence, & les représentoient dans toutes leurs fonctions. Ils tenoient même, à ce qu'il dit, leurs audiences ; mais ils ne connoissoient que des causes pures personnelles, & jusqu'à une certaine somme seulement.

M. de la Mare convient que dans ce même tems les comtes avoient des conseillers qui assistoient au jugement des affaires, au nombre de sept ou de douze, selon l'importance de la matiere ; que ceux-ci furent nommés en certains lieux scabini, & en d'autres rachimburgi, noms dérivés de la langue allemande : mais, selon lui, les commissaires ou enquêteurs étoient des officiers différens des conseillers.

Depuis l'an 922, tems auquel finissent les capitulaires, jusqu'au regne de Philippe Auguste, l'état fut si agité de troubles domestiques ou de guerres étrangeres, que l'administration de la justice fut fort négligée : les juges établis par les seigneurs en changerent la forme ; & M. de la Mare tient que ce ne fut plus que dans les villes royales, ou dans celles que nos rois donnoient en partage aux princes de leur sang, que l'usage des commissaires examinateurs & des conseillers des magistrats fut conservé.

Pour preuve de ce qu'il avance, il cite deux auteurs ; savoir Ughellus contemporain d'Henri I. qui écrivoit l'an 1033, & Baldricus sous Philippe I. l'an 1039 ; lesquels rapportent que de leur tems il y avoit des officiers établis pour aider les juges dans la recherche & la découverte de la vérité ; que les affaires leur étoient renvoyées pour les instruire ; qu'ils entendoient les témoins, en référoient aux juges, assistoient ensuite avec eux au jugement ; & que par rapport à leurs fonctions, ils étoient nommés inquisitores & auditores.

M. de la Mare suppose donc comme certain, que dès le commencement de la monarchie il y avoit à Paris des auditeurs ou enquêteurs examinateurs, & que la fonction de ces officiers étoit distincte & séparée de celle des conseillers, qu'il prétend n'avoir été établis qu'en 1327. Mais nous avons déjà observé ci-devant au mot COMMISSAIRES AU CHATELET, qu'il n'y a point de preuve certaine qu'il y eût des commissaires en titre avant l'an 1300, & l'on établira ci-après au mot CONSEILLERS AU CHATELET, que ceux-ci sont beaucoup plus anciens que les enquêteurs examinateurs.

Il y a donc lieu de croire que tout ce qui est dit dans les anciens auteurs des enquêteurs & examinateurs, ne doit s'entendre que des assesseurs ou conseillers des juges, qui réunissoient alors les fonctions de conseillers & celles de commissaires enquêteurs examinateurs ; & que ce ne fut que vers l'an 1300 que la fonction de ces derniers commença à être séparée à Paris, à cause de la grande affluence des affaires ; que dans les provinces ces diverses fonctions demeurerent encore long-tems unies ; enfin que si l'on nommoit quelquefois pour faire les enquêtes d'autres personnes que des conseillers, la fonction de ces commissaires n'étoit que momentanée, & que ce n'étoient point des officiers ordinaires ni en titre. Voyez ce qui est dit ci-devant au mot COMMISSAIRES.

Nous ne nous étendrons pas davantage ici sur ce qui concerne les commissaires enquêteurs examinateurs de Paris, ayant déjà traité cet objet au mot COMMISSAIRES AU CHATELET.

A l'égard des autres commissaires enquêteurs examinateurs, les différentes créations de ces offices sont marquées dans le dictionnaire des arrêts, au mot commissaires, n. 13. Leurs fonctions sont à-peu-près les mêmes que celles des commissaires au châtelet. Les réglemens intervenus à ce sujet sont rapportés par Joly, tome II. liv. III. tit. xvj.

Il y a eu des commissaires examinateurs créés pour les élections, & d'autres pour les greniers à sel ; mais ces offices ont été supprimés. (A)

COMMISSAIRES ENVOYES PAR LE ROI, voyez INTENDANS. (A)

COMMISSAIRES-EXPERTS : on donne quelquefois aux experts la qualité de commissaires, parce qu'en effet ils sont commis par justice pour faire leur rapport sur quelque chose. Voyez la pratique d'Imbert, liv. I. ch. lxj. & aux notes. (A)

COMMISSAIRES DES FOIRES, ou DES GARDES DES FOIRES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE, étoient des officiers députés par le roi aux foires de Champagne & Brie, pour la conservation des priviléges de ces foires. Ils avoient à leur tête un maître ou garde des foires, comme on voit par des lettres de Philippe VI. du mois de Décembre 1331. Ils étoient chargés de faire exécuter les mandemens du maître des foires ; comme il est dit dans une ordonnance du même roi, du mois de Juillet 1344, art. xvj. (A)

COMMISSAIRES, (Grands) voyez PARLEMENT & COMMISSAIRES. (A)

COMMISSAIRES AUX INVENTAIRES, étoient des officiers créés pour la confection des inventaires qui se font des biens des défunts. Par édit des mois de Mai 1622, & Décembre 1639, il en fut créé dans les ressorts des parlemens de Toulouse, Bordeaux & Aix, & des greffiers pour écrire sous eux ces inventaires. Il n'y eut qu'un très-petit nombre de ces offices qui furent levés, & cette création n'eût point lieu dans le ressort des autres parlemens. Ces premiers offices de commissaires aux inventaires & leurs greffiers furent supprimés par édit du mois de Mars 1702 ; lequel au lieu de ces offices, en créa d'autres sous le titre de conseillers du roi commissaires aux inventaires, dans tous les lieux où la justice appartient au roi, à l'exception de la ville de Paris, où les notaires furent confirmés dans la possession où ils sont de faire seuls les inventaires. On créa quatre de ces nouveaux commissaires dans les villes où il y a cour supérieure, deux dans chacune des autres villes où il y a présidial, bailliage ou sénéchaussée ressortissant ès cours, & un dans chaque ville & bourg où il y a jurisdiction royale ordinaire, pour procéder seuls, à l'exclusion de tous autres officiers, lorsqu'ils en seroient requis, à l'apposition & levée des scellés & aux inventaires des biens meubles & immeubles, titres, papiers & enseignemens des défunts, même aux inventaires qui seroient ordonnés par justice lors des banqueroutes & faillites des marchands, négocians, ou autres cas semblables, à l'effet de quoi ils devoient avoir chacun leur sceau pour l'apposition des scellés. On créa par le même édit pareil nombre de greffiers dans chaque ville pour écrire les inventaires. Cet édit ne fut pas exécuté dans quelques provinces, comme en Artois ; & les inconvéniens que l'on reconnut par la suite dans ces offices, déterminerent à les supprimer par une déclaration du 5 Décembre 1714. (A)

COMMISSAIRES AUX MAIN-MISES, sont ceux établis aux saisies féodales qui se font en Flandre & dans le Hainaut, que l'on appelle main-mise au lieu de saisie féodale. Par l'édit de Février 1692, on créa des commissaires receveurs des saisies réelles en Flandre & Hainaut ; & par une déclaration du 2 Janvier 1694, il fut ordonné que ces mêmes commissaires seroient établis à toutes les main-mises qui se feroient tant en Hainaut qu'en Flandre. (A)

COMMISSAIRES JURES DE LA MAREE, sont ceux qui ont inspection & jurisdiction sur les vendeurs de marée. Il en est parlé dans une ordonnance du roi Jean, du mois de Février 1350, article 99. Voyez CHAMBRE DE LA MAREE. (A)

COMMISSAIRES DEPUTES SUR LE FAIT DES MONNOIES, voyez MONNOIES. (A)

COMMISSAIRES NOMMES PAR LE ROI, sont des magistrats commis par S. M. pour certaines affaires, comme pour la vente, échange ou autre aliénation de quelques domaines, de rentes assignées sur les revenus du roi, ou pour connoître d'une affaire particuliere, soit civile ou criminelle, ou de toutes les affaires d'une certaine nature. Voyez ci-après CONSEIL, à la subdivision COMMISSAIRES. (A)

COMMISSAIRES SUR LES ORDONNANCES DU ROI, étoient des gens du conseil, que le roi commettoit pour délibérer avec le parlement sur les nouvelles ordonnances. Le roi Jean finit une ordonnance de 1351, en disant que s'il y a quelque chose à y ajoûter, changer ou interpréter, cela se fera par des commissaires qu'il députera à cet effet, & qui en délibéreront avec les gens du parlement. Ordonnance de la troisieme race, tome II. page 380. (A)

COMMISSAIRES DU PARLEMENT ; voyez, à l'article PARLEMENT, le §. Commissaires. (A)

COMMISSAIRES AD PARTES, sont ceux que l'on choisit dans le lieu même où se doit remplir la commission, à la différence de ceux qui se transportent à cet effet sur les lieux. On nomme autant que l'on peut des commissaires ad partes, pour éviter aux parties les fraix du transport. Cela se pratique en plusieurs cas ; comme lorsqu'il s'agit de faire une enquête ou une information, un interrogatoire sur faits & articles, un procès-verbal. L'ordonnance de Philippe V. du mois de Février 1318, art. 2. dit qu'au cas que les parties seront d'accord en parlement de prendre des commissaires en leur pays, il leur en sera octroyé, afin que chacun puisse poursuivre sa cause à moins de fraix, &c. Voyez la pratique d'Imbert, liv. I. ch. xxxjx. (A)

COMMISSAIRES, (Petits) voyez PARLEMENT au §. Commissaires. (A)

COMMISSAIRES DE POLICE, sont des officiers de robe établis dans certaines villes pour aider le juge de police dans ses fonctions ; comme pour faire la police dans les rues & marchés, faire des visites & procès-verbaux. Les commissaires au châtelet de Paris & les commissaires enquêteurs & examinateurs établis dans plusieurs autres villes, sont des commissaires de police qui ont des titres plus ou moins étendus, selon les édits de création de leurs charges. Voyez ce qui est dit ci-devant aux mots COMMISSAIRES AU CHATELET, & aux mots COMMISSAIRES ENQUETEURS EXAMINATEURS. (A)

COMMISSAIRES RECEVEURS ET GARDES DEPOSITAIRES DANS LES SIEGES D'AMIRAUTE, furent supprimés par l'édit du mois d'Octobre 1716. (A)

COMMISSAIRES REFORMATEURS, voyez REFORMATEURS. (A)

COMMISSAIRES AUX REQUETES DU PALAIS, voyez PARLEMENT & REQUETES DU PALAIS. (A)

COMMISSAIRES AUX SAISIES REELLES, voyez SAISIES REELLES. (A)

COMMISSAIRES SEQUESTRES, voyez SEQUESTRES. (A)

COMMISSAIRES DU ROI contre les usures, étoient ceux à qui le roi donnoit commission de réprimer les usures des Lombards, Italiens & autres qui prêtoient à un intérêt plus fort que celui qui étoit permis par les ordonnances. On trouve dans le second volume des ordonnances de la troisieme race, un mandement du roi Jean, du mois d'Avril 1350, adressé à l'abbé de Saint-Pierre d'Auxerre, commissaire sur le fait des Lombards & Italiens usuriers. (A)

COMMISSAIRES DES TAILLES, furent créés par édit du mois de Juin 1702, pour faire dans chaque élection l'exécution de toutes les contraintes décernées par les receveurs des tailles & leurs commis pour le recouvrement des tailles, crues y jointes & autres impositions. Ces commissaires furent substitués aux huissiers des tailles, pour la faculté que ceux-ci avoient de faire tous exploits en matiere de tailles : ils ont depuis été supprimés. (A)

COMMISSAIRE VERIFICATEUR DES ROLES DES TAILLES ; ce titre étoit attaché à l'office de conseiller lieutenant-criminel, créé dans chaque élection par édit du mois d'Août 1693. Sa fonction, en qualité de commissaire vérificateur, étoit de faire la vérification & signature des rôles des tailles, taillon, subsides, &c. faits par les asséeurs & collecteurs ; mais ces offices de lieutenant-criminel commissaire vérificateur, ont été supprimés par édit du mois d'Août 1715. (A)

COMMISSAIRES PROVINCIAUX, dans l'Artillerie, sont des officiers qui commandent les équipages de l'artillerie en l'absence des lieutenans, & qui doivent être présens à tous les mouvemens qui se font dans les arsenaux. Leur principaux soins sont

De voir si les armes de guerre sont bien claires & bien entretenues ;

Si les magasins sont bien fermés de portes & de fenêtres ;

S'il ne manque rien aux affuts des pieces, & si l'on pourroit s'en servir dans le besoin ;

Si les armes pour les pieces sont en bon état ;

Si les pieces ne sont point engorgées ou chambrées ;

S'il y a suffisamment de poudre dans la place pour sa défense en cas d'attaque ; enfin il doit examiner si toutes les choses qui concernent l'artillerie sont en bon état & en quantité suffisante.

Il doit avoir une clé du magasin ; le gouverneur une autre ; le contrôleur, s'il y en a un dans la place, la troisieme ; & le garde-magasin la quatrieme. Ils ne doivent pas entrer dans le magasin les uns sans les autres.

Après les commissaires provinciaux il y a les commissaires ordinaires, qui ont les mêmes fonctions, & qu'on répand indifféremment dans les places & dans les équipages.

Il y a aussi des commissaires extraordinaires qui servent de même. (Q)

COMMISSAIRE GENERAL DES FONTES, est un titre qui, dans l'Artillerie, est ordinairement la récompense des anciens & habiles fondeurs. Il dépend, aussi-bien que les appointemens & les priviléges qui s'y attachent, de la pure volonté du grand-maître. (Q)

COMMISSAIRE GENERAL DE LA CAVALERIE, est un officier, qui est le troisieme de la cavalerie, n'ayant au-dessus de lui que le mestre-de-camp général & le colonel général. La principale fonction du commissaire général est de tenir un état de la cavalerie, d'en faire la revûe lorsqu'il lui plaît ; de rendre compte au roi de la force des régimens & de la conduite des officiers. Il commande ordinairement la cavalerie dans l'armée, où il sert avec la même autorité que le colonel général & le mestre-de-camp général ; il a les mêmes honneurs & les mêmes appointemens de campagne. Cette charge vaut six mille liv. par an sans le casuel. Il a un régiment qui lui est affecté sous le nom de régiment de commissaire général. (Q)

COMMISSAIRE DES GUERRES, sont des officiers chargés de la conduite, police & discipline des troupes, & de leur faire observer les ordonnances militaires. Ils peuvent procéder contre ceux qui contreviennent aux ordonnances, par interdiction d'officiers, arrêts d'appointemens & même des personnes, suivant l'exigence des cas : ces interdictions & arrêts des personnes, ne peuvent être levées sans ordre de sa Majesté.

Ils marchent en toute occasion à la gauche du commandant de la troupe, dont ils ont la conduite & police. Dans une place de guerre ils marchent après le lieutenant de roi ; & en son absence, après celui qui commande dans la place.

Ceux qui sont employés dans les armées ont le détail des hôpitaux, du pain, de la viande, &c. sous les ordres de l'intendant. Ils font les inventaires du grain qui se trouve dans les lieux voisins de l'armée, & ils ont la conduite des convois qui se font par voiture. M. d'Héricourt, élém. de l'art milit. (Q)

COMMISSAIRE GENERAL DES VIVRES, c'est à l'armée celui qui est chargé de tout ce qui concerne la subsistance des troupes. Il doit faire les magasins dans les lieux les plus convenables, pour être prêt à faire ses fournitures lors de l'ouverture de la campagne. Il prend l'ordre du général pour la marche des convois ; il fait faire la distribution du pain de munition par des commis qui sont à la suite des caissons, ou dans les villes ; lesquels commis tiennent des registres de ce qu'ils délivrent aux majors ou aux aides majors des régimens, suivant la revûe des commissaires. Le pain de munition doit peser trois livres ; il sert pour deux jours. Il a deux tiers de froment & un tiers de seigle, dont on tire trois livres de son & quinze livres de farine, qu'on pétrit avec dix livres d'eau. (Q)

COMMISSAIRES DES MONTRES, (Marine) officier dont la fonction est de faire des revûes sur les vaisseaux hollandois, au défaut d'un conseiller de l'amirauté.

On appelle encore en Hollande commissaires des ports, ceux qui ont l'inspection sur tout ce qui entre ou sort des ports des Pays-bas ; & commissaires des ventes, ceux qui ont soin d'annoncer les ventes des choses confisquées, & d'y veiller. Chambers.

COMMISSAIRE GENERAL DES REVUES, (Art. militaire) est, en Angleterre, celui qui se fait rendre un compte exact de l'état de chaque régiment, les passe en revûe, prend soin que les cavaliers soient bien montés, & que toutes les troupes soient bien armées & bien équipées. Ibid.

Nous n'avons point en France de pareil officier ; il n'y a que le commissaire général de la cavalerie qui a bien les mêmes fonctions, mais pour la cavalerie seulement. Voyez REVUE. (Q)

COMMISSAIRE DE LA CHAMBRE DES ASSURANCES : on nomme ainsi en Hollande des juges commis pour régler les affaires de la chambre des assûrances, établie à Amsterdam en 1598. Ces juges sont au nombre de trois, qui doivent juger conformément aux réglemens statués touchant le fait des assûrances, particulierement sur ce qui regarde les avaries, dont ils ne peuvent charger les assûreurs au-delà de ce qui est porté dans ces réglemens. Ils ont néanmoins le pouvoir de condamner aux dépens. Dict. de Comm. Voyez CHAMBRE DES ASSURANCES.

COMMISSAIRES DES MANUFACTURES ; ce sont ceux qui sont commis de la part du roi à Paris & dans les provinces, pour tenir la main à l'exécution des réglemens concernant la fabrique des étoffes & des toiles. Ils sont plus connus sous le nom d'inspecteurs des manufactures. Voyez INSPECTEURS. Id. ibid.

COMMISSAIRE DES PAUVRES, (Hist. mod.) bourgeois chargé de recueillir les deniers de la taxe pour les pauvres. Cette taxe se fait tous les ans à un bureau général. Chaque paroisse a son commissaire. Il est le distributeur d'une partie des aumônes de cette paroisse ; il a soin quand un pauvre meurt, de faire vendre les meubles, & d'en porter les deniers au bureau. On donne le titre de commissaire du grand bureau des pauvres, à ceux qui ont voix active & passive à ce bureau. Le commissariat des pauvres conduit au titre de marguillier ; & le commissariat du grand bureau conduit à la direction d'hôpital.


COMMISSIONS. f. (Gram.) se dit 1°. d'un ordre qu'un supérieur dans une maison donne à un inférieur, pour être exécuté au-dehors ; 2°. de la charge de quelque achat, ou d'une autre affaire legere, & de pareille nature, donnée à quelqu'un qui veut bien la prendre ; 3°. d'un emploi ou constant ou passager, auquel on a attaché des devoirs & des émolumens. Voyez COMMIS, & les articles suivans.

* COMMISSION, (Hist. anc.) d'où nous avons fait notre verbe commettre ; c'étoit chez les anciens l'action de mettre publiquement aux prises deux gladiateurs, deux lutteurs, deux poëtes, &c. pour disputer le prix de l'habileté.

COMMISSION, (Jurisprud.) est un mandement par lequel le roi ou quelqu'un de ses officiers de justice commet un juge ou autre officier de justice, pour faire quelque fonction qui a rapport à l'administration de la justice.

Quelquefois le terme de commission se prend pour la fonction même qui est déléguée à remplir.

Toute commission en général doit être par écrit ; autrement celui qui l'a donnée pourroit la desavoüer.

Le commissaire, c'est-à-dire celui qui est commis pour le fait dont il s'agit, doit avant d'y procéder faire apparoir de sa commission, & en faire mention dans l'acte.

Lorsqu'une commission est adressée au lieutenant-général d'un siége, ou au lieutenant particulier & premier des conseillers sur ce requis, l'exécution de la commission appartient d'abord au premier officier, & à son défaut au second ; & ainsi successivement aux autres, suivant l'ordre du tableau.

Si la commission est adressée au premier huissier ou sergent royal sur ce requis, tout huissier ou sergent de cette qualité peut la mettre à exécution.

Mais lorsqu'elle est adressée à un juge nommément, il ne peut déléguer ni en commettre un autre à sa place : un autre officier du siége ne peut se charger pour lui de l'exécution, si ce n'est en cas d'absence ou autre légitime empêchement.

Il y a plusieurs sortes de commissions, qui sont la plûpart distinguées par quelque épithete particuliere : nous allons expliquer les principales dans les subdivisions suivantes.

COMMISSION attributive de jurisdiction, est celle qui renvoye le jugement d'une contestation devant quelqu'un, soit qu'il n'eût en aucune façon le caractere de juge, ou qu'il ne fût pas le juge naturel de l'affaire.

Le Roi peut donner de telles commissions à qui bon lui semble.

Pour ce qui est des juges, ils ne peuvent intervertir l'ordre des jurisdictions, si ce n'est que le juge supérieur ait quelque cause légitime pour commettre un juge inférieur autre que le juge naturel. Voyez ci-après COMMISSION EXCITATIVE.

COMMISSION DE LA CHANCELLERIE, sont des lettres royaux que l'on obtient en chancellerie, portant permission d'assigner, de mettre un jugement à exécution, ou de faire quelqu'autre exploit.

Lorsqu'on veut faire assigner quelqu'un directement au parlement, on ne peut le faire qu'en vertu d'ordonnance ou arrêt de la cour, ou en vertu d'une commission de la chancellerie.

De même lorsqu'on veut mettre un arrêt à exécution dans le ressort du parlement, on obtient une commission en chancellerie, portant pouvoir au premier huissier ou sergent royal sur ce requis de le mettre à exécution, n'y ayant que les huissiers de la cour qui puissent les mettre à exécution dans tout le ressort sans commission.

On obtient aussi en chancellerie des commissions pour divers autres objets, comme pour le parachevement d'un terrier, pour anticiper sur un appel, &c.

Il y a deux sortes de commissions de chancellerie ; les unes que l'on obtient dans les chancelleries établies près les cours supérieures ou près des présidiaux, suivant que la matiere est de leur ressort ; les autres que l'on obtient en la grande chancellerie de France : l'effet de celles-ci est qu'elles peuvent être mises à exécution dans tout le royaume, sans aucun visa ni pareatis.

COMMISSION EN COMMANDEMENT, ou par lettres de commandement, est celle qu'un juge donne à un autre juge qui lui est subordonné, pour faire quelqu'acte de justice, comme une enquête, information, interrogatoire, procès-verbal, &c.

Ces sortes de commissions sont opposées à celles que l'on appelle rogatoires.

COMMISSION de dettes des communautés de Bourgogne, est une jurisdiction établie à Dijon par commission du conseil, & exercée par le gouverneur du duché de Bourgogne & par l'intendant de la même province, pour la vérification des dettes & affaires des communautés des villes, bourgs, & paroisses du duché de Bourgogne, & des comtés de Charolois, Macon, Auxerre, & Bar-sur-Seine. On y porte aussi les instances qui concernent la levée des octrois des villes & bourgs, de même que celle des octrois de la province de Bourgogne sur la riviere de Saône, & les comptes par état des octrois des villes & bourgs du duché, & des quatre comtés adjacens. Voyez la description de Bourgogne par Garreau.

COMMISSION du conseil, ou COMMISSIONS extraordinaires du conseil, voyez ci-après au mot CONSEIL DU ROI, à l'article commissions.

COMMISSION excitative de jurisdiction, est celle qui ne contient point d'attribution de jurisdiction, & ne fait que provoquer le juge auquel elle est adressée à faire ce qui lui est indiqué par la commission. C'est ainsi que Loyseau, en son tr. des off. liv. IV. ch. v. n. 70. qualifie toutes les commissions expédiées dans les petites chancelleries.

COMMISSION en sommation, c'est une commission de chancellerie pour faire assigner quelqu'un en sommation ou garantie.

COMMISSION de pacificis possessoribus, sont des lettres obtenues en chancellerie adressantes à un juge royal ; par lesquelles il lui est mandé, que si le bénéficier qui a impétré ces lettres est possesseur triennal du bénéfice contentieux, il ait à le maintenir & garder en la possession de ce bénéfice, sans préjudice du droit des parties au principal.

COMMISSION rogatoire, est celle qui est donnée & adressée par un juge à un autre juge sur lequel il n'a point de pouvoir, par laquelle il le prie de mettre à exécution quelque jugement, ordonnance, ou autre mandement, decret ou appointement de justice dans l'étendue de sa jurisdiction, ou d'informer de quelque fait, d'interroger quelqu'un sur faits & articles, d'enregistrer quelqu'acte, ou faire quelqu'autre chose. (A)

COMMISSION dans le Commerce, ou droit de commission, c'est le droit qu'un commissionnaire reçoit pour son salaire ; & ce droit est plus ou moins fort, suivant le prix des marchandises, ou selon la convention que le marchand a faite avec son commissionnaire de lui donner tant pour cent, ou telle somme fixée pour telle affaire.

En fait de banque, on se sert plus ordinairement du terme de provision, que de celui de commission, qui ne se dit guere que pour les marchandises. Ainsi l'on dit, il m'en coûte demi pour cent de commission des marchandises que je fais venir de Lyon ; & pour affaires de banque, on dit : je donne un demi pour cent de provision à celui à qui je fais mes remises à Venise, & qui me remet ici l'argent qu'il reçoit pour moi. Voyez COMMISSIONNAIRE. Dictionn. de Commerce & de Trévoux.

COMMISSION, emploi qu'exerce un commis. Voyez COMMIS.

COMMISSION se dit aussi des lettres, provisions, ou pouvoir que les supérieurs donnent à leurs commis pour qu'ils soient reçûs à leur emploi, & qu'ils ayent droit de l'exercer. On dit en ce sens, je lui ai fait expédier sa commission. Dictionn. de Comm.

COMMISSION signifie aussi la charge ou l'ordre qu'on donne à quelqu'un, pour l'achat ou la vente de quelque marchandise, ou pour quelque négociation de banque. Id. ibid. (G)


COMMISSIONNAIRES. m. (Commerce) celui qui est chargé de commissions. Voyez COMMISSION. Si la commission consiste à acheter des marchandises pour le compte d'un autre à qui on les envoye, moyennant tant pour cent, ce qu'on appelle droit de commission, le commissionnaire s'appelle commissionnaire d'achat : si elle consiste à vendre des marchandises pour le compte d'un autre de qui on les reçoit, moyennant tant par cent, le commissionnaire s'appelle commissionnaire de vente : si elle consiste à recevoir de correspondans négocians, ou banquiers, des lettres de change, pour en procurer l'acceptation & le payement, & pour en faire passer la valeur en des lieux marqués moyennant un salaire, le commissionnaire s'appelle commissionnaire de banque : si elle consiste à recevoir dans les magasins des marchandises, pour les envoyer de-là à leur destination, moyennant aussi un salaire, le commissionnaire s'appelle commissionnaire d'entrepôt : si elle consiste à prendre des voituriers les marchandises dont ils sont chargés, & à les distribuer dans une ville aux personnes à qui elles sont adressées, le commissionnaire s'appelle commissionnaire de voituriers. On donne encore le nom de commissionnaires, & de compagnie de commissionnaires, à des facteurs anglois établis dans le Levant : ce sont des personnes alliées aux familles de la premiere distinction, qui après un apprentissage passent principalement à Smyrne : le préjugé de la noblesse qui contraint ailleurs, sous peine de déroger, de vivre dans l'ignorance, l'inutilité, & la pauvreté, permet là de trafiquer pour son compte, de servir l'état, & de faire des fortunes considérables, sans manquer à ce qu'on doit à sa naissance.


COMMISSOIRE(Jurisp.) voyez LOI COMMISSOIRE, & PACTE DE LA LOI COMMISSOIRE.


COMMISSURES. f. terme peu usité, mais qui étant le signe d'une idée très-réelle, mériteroit d'être adopté : c'est la ligne selon laquelle deux corps appliqués sont unis ensemble.

COMMISSURE, (Anatom. & Chirurg.) Ce mot signifie le lieu où s'abouchent certaines parties du corps, comme les levres. Les commissures des levres sont les endroits où elles se joignent ensemble du côté des joues. Les endroits où les ailes de la vulve s'unissent en-haut & em-bas, se nomment aussi commissures. Le lieu où les paupieres se joignent porte encore le même nom. Immédiatement au-dessous de la base du pilier antérieur du cerveau, on apperçoit un gros cordon médullaire très-blanc, court, & posé transversalement d'une hémisphere à l'autre : on l'appelle commissure antérieure du cerveau. Sur quoi je ne puis m'empêcher de remarquer que quand on est contraint d'aggrandir l'ouverture de la fistule lacrymale, ou d'y faire une incision, on doit avoir pour principe de ménager cette commissure des paupieres, parce que sa destruction cause l'éraillement de l'oeil, bien plûtôt que la section du muscle orbiculaire, qu'il ne faut pas craindre de couper s'il est nécessaire ; ce que je remarque en passant, contre l'opinion commune.

Le mot commissure est une très-bonne expression, dont la chirurgie moderne a enrichi notre langue : les termes d'articulation & de jointure, s'employent pour l'emboîtement des os. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COMMITTIMUSS. m. (Jurisp.) Ce mot latin, qui signifie nous commettons, est consacré dans le style de la chancellerie & du palais, pour exprimer un droit ou privilége que le Roi accorde aux officiers de sa maison & à quelques autres personnes, & à certaines communautés, de plaider en premiere instance aux requêtes du palais ou de l'hôtel, dans les matieres pures-personnelles, possessoires, ou mixtes, & d'y faire renvoyer ou évoquer celles où ils ont intérêt, qui seroient commencées devant d'autres juges, pourvû que la cause soit encore entiere, & non contestée à l'égard du privilégié. On entend quelquefois par le terme de committimus, les lettres de chancellerie qui autorisent à user de ce droit, & que Loyseau, dans son traité des offices, appelle l'oriflamme de la pratique.

Le droit de committimus a beaucoup de rapport avec ce que les Jurisconsultes appellent privilegium fori, aut jus revocandi domum : ce privilége consistoit à plaider devant un juge plus relevé que le juge ordinaire, ou devant un juge auquel la connoissance de certaines matieres étoit attribuée. Ainsi chez les Romains les soldats avoient leurs causes commises devant l'officier appellé magister militum. Il y avoit un préteur particulier pour les étrangers ; un autre qui ne connoissoit que du crime de faux, un autre qui ne connoissoit que des fidéi-commis.

Les empereurs romains avoient aussi pour les matieres civiles un magistrat appellé procurator Caesaris, & pour les matieres criminelles un autre appellé praeses, devant lesquels les officiers de leur maison devoient être traduits, selon la matiere dont il s'agissoit. Les sénateurs avoient aussi un juge de privilége en matiere civile & en matiere criminelle ; ils avoient pour juge celui qui étoit délégué par le prince.

L'origine des committimus en France est fort ancienne. Comme l'établissement des maîtres des requêtes de l'hôtel est beaucoup plus ancien que celui des requêtes du palais, l'usage du committimus aux requêtes de l'hôtel est aussi beaucoup plus ancien que pour les requêtes du palais. Les maîtres des requêtes avoient anciennement le droit de connoître de toutes les requêtes qui étoient présentées au roi ; mais Philippe de Valois, par une ordonnance de 1344, regla que dans la suite on ne pourroit plus assigner de parties devant les maîtres des requêtes de l'hôtel, si ce n'étoit de la certaine science du roi, ou dans les causes des offices donnés par le roi, ou dans les causes purement personnelles qui s'éleveroient entre des officiers de l'hôtel du roi, ou enfin lorsque quelques autres personnes intenteroient contre les officiers de l'hôtel du roi des actions purement personnelles, & qui regarderoient leurs offices ; ce qu'il prescrivit de nouveau en 1345.

La chambre des requêtes du palais ne fut établie que sous Philippe-le-Long, vers l'an 1320, pour connoître des requêtes présentées au parlement, comme les maîtres des requêtes de l'hôtel du roi connoissoient des requêtes présentées au roi.

Les officiers commensaux de la maison du roi pensant avoir plus promte expédition aux requêtes du palais, obtinrent en chancellerie des commissions pour intenter aux requêtes du palais leurs causes personnelles, tant en demandant qu'en défendant, même pour y faire renvoyer celles qui étoient intentées devant les maîtres des requêtes de l'hôtel.

Ces commissions furent dès leur naissance appellées committimus ; & par succession de tems on en étendit l'usage aux matieres possessoires & mixtes : on en accordoit déjà fréquemment dès 1364, suivant une ordonnance de Charles V. du mois de Novembre de cette année, qui porte que les requêtes du palais étoient déjà surchargées de causes touchant ses officiers, & autres qu'il leur commettoit journellement par ses lettres ; & les secrétaires du roi y avoient déjà leurs causes commises dès l'an 1365.

Ces committimus étoient d'abord tous au grand sceau, attendu qu'il n'y avoit encore qu'une seule chancellerie.

On donna même aux requêtes du palais le droit d'être juges de leur propre compétence, par rapport à ceux qui y viennent plaider en vertu de committimus ; ce qui fut ainsi jugé par arrêt du 8 Juillet 1367.

Les maîtres des requêtes de l'hôtel ne voulant pas endurer que leur jurisdiction fût ainsi divisée, Charles VII. en 1453, évoqua aux requêtes du palais toutes les causes de la nature dont on a parlé, qui étoient pendantes & indécises devant les maîtres des requêtes de l'hôtel.

Néanmoins dans l'usage, il est au choix de ceux qui ont committimus de se pourvoir aux requêtes de l'hôtel ou aux requêtes du palais, excepté que les officiers des requêtes du palais de Paris doivent se pourvoir aux requêtes de l'hôtel ; & pareillement ceux des requêtes de l'hôtel ont leur committimus aux requêtes du palais. Les officiers des requêtes du palais des autres parlemens ont pour juge de leur privilége le principal siége de leur ressort.

Les requêtes de l'hôtel connoissent aussi privativement aux requêtes du palais de ce qui concerne les offices.

Charles VI. voyant que chacun usurpoit le privilége du committimus, ordonna que dorénavant nul n'en joüiroit plus qu'il n'eut actuellement des gages du roi.

Le chancelier Briçonnet déclara aussi en plein parlement, le 16 Février 1497, qu'il ne délivreroit plus de committimus qu'aux domestiques du roi ; cependant il y a encore plusieurs autres personnes qui en joüissent.

L'édit de Moulins de l'an 1566, fait l'énumération de ceux qui avoient alors droit de committimus ; ce qui a reçu plusieurs extensions, tant par l'ordonnance de 1669 appellée des committimus, qui contient un titre exprès sur cette matiere, que par divers édits & déclarations postérieurs.

Depuis l'établissement des petites chancelleries on a distingué deux sortes de committimus, savoir au grand sceau & au petit sceau.

Le committimus au grand sceau est celui qui se délivre en la grande chancellerie ; il s'exécute par tout le royaume, & attire aussi de tout le royaume aux requêtes de l'hôtel ou aux requêtes du palais à Paris, au choix du privilégié. On ne peut en user lorsqu'il s'agit de distraction d'un parlement, que pour la somme de mille livres & au-dessus. On ne l'accordoit autrefois qu'aux commensaux du roi ; mais il a été étendu à plusieurs autres personnes.

Ceux qui en jouissent sont les princes du sang, & autres princes reconnus en France ; les ducs & pairs, & autres officiers de la couronne ; les chevaliers & officiers de l'ordre du S. Esprit ; les deux plus anciens chevaliers de l'ordre de S. Michel ; les conseillers d'état qui servent actuellement au conseil ; ceux qui sont employés dans les ambassades ; les maîtres des requêtes, les présidens, conseillers, avocats & procureurs généraux de Sa Majesté ; greffier en chef & premier huissier du parlement & du grand conseil ; le grand prevôt de l'hôtel, ses lieutenans, avocats & procureurs de Sa Majesté, & greffier ; les secrétaires, audienciers, & contrôleurs du roi de la grande chancellerie ; les avocats au conseil ; les agens généraux du clergé pendant leur agence ; les doyen, dignitaires, & chanoines de Notre-Dame de Paris, les quarante de l'académie françoise, les officiers, commissaires, sergent-major & son aide, les prevôt & maréchal des logis du régiment des gardes ; les officiers, domestiques, & commensaux de la maison du roi, de celles des reine, enfans de France, & premier prince du sang, dont les états sont portés à la cour des aides, & qui servent ordinairement ou par quartier aux gages de soixante liv. au moins. Tous ces officiers & domestiques sont tenus faire apparoir par certificat en bonne forme qu'ils sont employés dans ces états.

Ceux qui joüissent du committimus au petit sceau ; sont les officiers des parlemens autres que celui de Paris ; savoir les présidens, conseillers, avocats & procureurs généraux, greffier en chef civil & criminel & des présentations, secrétaires, & premier huissier ; les commis & clercs du greffe ; l'avocat & le procureur général, & le greffier en chef des requêtes de l'hôtel, & le greffier en chef des requêtes du palais ; les officiers des chambres des comptes, savoir les présidens, maîtres, correcteurs, & auditeurs ; les avocat & procureur généraux, greffier en chef, & premier huissier ; les officiers des cours des aides, savoir les présidens, conseillers, avocat & procureur généraux, greffier en chef, & premier huissier ; les officiers de la cour des monnoies de Paris, savoir les présidens, conseillers, avocat & procureur généraux, greffier en chef, & premier huissier ; les trésoriers de France de Paris ; les quatre anciens de chaque autre généralité, entre lesquels pourront être compris le premier avocat & procureur du roi, suivant l'ordre de leur réception ; les secrétaires du roi près des parlemens, chambres des comptes, cours des aides ; le prevôt de Paris, ses lieutenans généraux, civil, de police, criminel, & particulier, & le procureur du roi au châtelet ; le bailli, le lieutenant, & le procureur du roi du bailliage du palais à Paris ; les présidens & conseillers de l'élection de Paris ; les officiers vétérans de la qualité ci-dessus, pourvû qu'ils en ayent obtenu des lettres du roi ; le collége de Navarre, pour les affaires communes ; & les directeurs de l'hôpital général de Paris.

Le prevôt des marchands & les échevins de Paris pendant leurs charges, les conseillers de ville, le procureur du roi, le receveur & greffier, le colonel des trois cent archers de ville, joüissent aussi du committimus au petit sceau.

Les douze anciens avocats du parlement de Paris, & six de chacun des autres parlemens de ceux qui sont sur le tableau, joüissent du même droit.

Il y a encore quelques officiers & communautés qui joüissent du droit de committimus, en vertu de titres particuliers.

Les maris ne peuvent pas user du droit de committimus appartenant à leurs femmes servant dans les maisons royales, & employées dans les états envoyés à la cour des aides ; mais les femmes séparées joüissent du committimus de leur mari : il en est de même des veuves, tant qu'elles demeurent en viduité.

Les privilégiés peuvent user de leur committimus, soit en demandant, soit en défendant, pour renvoyer la demande formée contr'eux dans un autre siége, soit pour intervenir & renvoyer pareillement la cause ; lequel renvoi se fait par l'exploit même en vertu du committimus, sans qu'il soit besoin d'ordonnance du juge.

Les lettres de committimus ne sont plus valables après l'année, & l'exploit fait en vertu des lettres surannées seroit nul.

Il y a certains cas dans lesquels les privilégiés ne peuvent user de leur committimus.

1°. Pour transports à eux faits, si ce n'est pour dettes véritables & par actes passés devant notaires, & signifiés trois ans avant l'action intentée ; & les privilégiés sont tenus de donner copie de ces transports avec l'assignation, & même d'en affirmer la vérité en jugement, en cas de déclinatoire & s'ils en sont requis, à peine de 500 livres d'amende contre ceux qui auront abusé de leur privilége.

On excepte néanmoins de la regle précédente, pour la date des transports, ceux qui seroient faits par contrat de mariage, par des partages, ou à titre de donations bien & dûment insinuées, à l'égard desquels les privilégiés peuvent user de leur committimus quand bon leur semble.

2°. Les privilégiés ne peuvent pas se servir de leur committimus pour assigner aux requêtes de l'hôtel ou du palais les débiteurs de leurs débiteurs, pour affirmer ce qu'ils doivent, si la créance n'est établie par pieces authentiques passées trois années avant l'assignation donnée ; & ils sont de plus tenus d'affirmer, s'ils en sont requis, que leur créance est véritable, & qu'ils ne prêtent point leur nom, le tout sous les peines ci-dessus expliquées.

3°. Les committimus n'ont point lieu aux demandes pour passer déclaration ou titre nouvel de censives ou rentes foncieres, ni pour payement des arrérages qui en sont dûs, à quelque somme qu'ils puissent monter, ni aux fins de quitter la possession d'héritages ou immeubles, ni pour les élections, tuteles, curatelles, scellés & inventaires, acceptation de garde noble, ou pour matieres réelles, quand même la demande seroit aussi à fin de restitution des fruits.

4°. Les affaires concernant le domaine, & celles où le procureur du roi est seul partie, ne peuvent aussi être évoquées des siéges ordinaires en vertu des committimus.

5°. Il en est de même à l'égard du grand conseil, des chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, élections, greniers à sel, juges extraordinaires, pour les affaires qui y sont pendantes, & dont la connoissance leur appartient par le titre de leur établissement ou par attribution.

6°. Les tuteurs honoraires ou onéraires, & les curateurs, ne peuvent se servir de leur committimus pour les affaires de ceux dont ils ont l'administration.

7°. Les committimus n'ont pas lieu en matiere criminelle & de police.

8°. Ils n'ont pas lieu en Bretagne ni en Artois.

9°. On ne peut s'en servir sur les demandes formées aux consuls, ou en la conservation de Lyon, ou en la connétablie.

10°. Enfin les bénéficiers qui ont droit de committimus ne peuvent s'en servir que pour ce qui concerne leur bénéfice ; il faut néanmoins excepter les chanoines de Notre-Dame de Paris, qui peuvent s'en servir dans toutes leurs affaires ; ce qui est apparemment fondé sur quelque titre particulier. Voyez l'ordonnance de 1669, tit. jv. des committimus ; & Bornier, ibid. Pasquier, recherches de la France, liv. IV. chap. iij. dictionnaire des arrêts, au mot committimus. (A)


COMMITTITUR(Jurisp.) est une ordonnance de celui qui préside à un tribunal, apposée au bas d'une requête, par laquelle il commet un conseiller du siege pour faire quelque instruction dans une affaire, soit civile ou criminelle, comme pour faire une enquête ou une information, un interrogatoire sur faits & articles, un procès-verbal.

Dans les petites jurisdictions où il n'y a qu'un seul juge, ou lorsque les autres sont retenus par quelque empêchement, le juge qui répond la requête se commet lui-même pour faire l'instruction, c'est-à-dire qu'il ordonne qu'il procédera à l'audition des témoins, ou qu'il se transportera, &c. (A)


COMMODATS. m. (Jurisp.) ainsi nommé du latin commodatum, est un contrat par lequel on prête à quelqu'un un corps certain gratuitement & pour un certain tems, à condition qu'après ce tems expiré la chose sera rendue en espece à celui qui l'a prêtée.

Le commodat est, comme on voit, une espece de prêt ; & dans le langage ordinaire on le confond communément avec le prêt : mais en droit on distingue trois sortes de prêts ; savoir, le précaire, le prêt proprement dit, & le commodat.

Dans le contrat appellé précaire, on prête une chose à condition de la rendre en espece, mais sans limiter le tems pour lequel l'usage en est cédé ; ensorte que celui qui l'a confiée, peut la redemander quand bon lui semble.

La prêt proprement dit, appellé chez les Romains mutuum, est un contrat par lequel quelqu'un prête à un autre une chose qui se consume par l'usage, mais que l'on peut remplacer par une autre de même qualité ; pourquoi on l'appelle chose fungible, comme de l'argent, du blé, du vin, de l'huile.

Le commodat, au contraire, n'a lieu que pour les choses qui ne se consument point par l'usage, & que l'on doit rendre en espece, comme une tapisserie, un cheval, & autres semblables ; & la chose ne peut être répetée avant l'expiration du tems convenu, à moins que le commodataire n'en abuse.

Ce contrat est synallagmatique, c'est-à-dire obligatoire des deux côtés ; en effet il produit de part & d'autre une action, savoir l'action appellée directe au profit du propriétaire de la chose prêtée, qui conclut à la restitution de cette chose avec dépens, dommages & intérêts ; & l'action appellée contraire au profit du commodataire, qui conclut à ce que le propriétaire de la chose soit tenu de lui payer les fraix qu'il a été obligé de faire pour la conservation de la chose qu'il lui a prêtée ; par exemple, si c'est un cheval qui a été prêté à titre de commodat, & qu'il soit tombé malade, le commodataire peut répéter les pansemens & médicamens qu'il a déboursés, à moins que la maladie n'eût été occasionnée par sa faute ; mais il ne peut pas répéter les nourritures du cheval, ni autres impenses semblables, sans lesquelles il ne peut faire usage de la chose prêtée.

Toutes sortes de personnes peuvent prêter à titre de commodat ; la femme non commune en biens peut prêter à son mari. On peut prêter une chose que l'on possede, quoique l'on sache qu'elle appartienne à autrui. Non-seulement les effets mobiliers & les droits incorporels, mais aussi les biens fonds sont propres au commodat ; on peut même prêter un esclave afin que l'on se serve de son ministere.

Celui qui prête à ce titre ne cesse point d'être propriétaire de la chose, il lui est libre de ne pas prêter ; mais le commodat étant fait, il ne peut plus le résoudre avant le tems convenu, à moins que le commodataire n'abuse de la chose.

La chose prêtée à titre de commodat, ne peut pas être retenue par forme de compensation avec une dette, même liquide, dûe au commodataire, & encore moins pour ce qui seroit dû à un tiers ; parce que ce seroit manquer à la bonne foi qu'exige ce prêt gratuit, & que la condition étant de rendre la chose en espece, elle ne peut point être suppléée par une autre ; mais la chose peut être retenue pour raison des impenses nécessaires que le commodataire y a faites, auquel cas il doit la faire saisir entre ses mains, en vertu d'ordonnance de justice, pour sûreté de ce qui lui est dû, ne pouvant la retenir de son autorité privée.

Le véritable propriétaire de la chose a aussi une action pour la répéter, quoique ce ne soit pas lui qui l'ait prêtée ; il n'est pas même astreint aux conditions qui avoient été arrêtées sans lui.

Le commodataire est responsable du dommage qui arrive à la chose prêtée, soit par son dol ou par sa faute, même la plus legere.

Le commodat ne finit point par la mort du commodant ni du commodataire, mais seulement par l'expiration du tems convenu. Voyez au code, liv. IV. tit. xxiij. & au digeste, liv. XIII. tit. vj. & aux instit. liv. III. tit. xv. (A)


COMMODATAIRE(Jurisp.) est celui qui emprunte quelque chose à titre de commodat. Voyez ci-devant COMMODAT. (A)


COMMODAU(Géog. mod.) ville de Bohème, dans le cercle de Satz, remarquable par ses mines. Long. 31. lat. 50. 30.


COMMODAVESS. f. plur. (Myth.) surnom de quelques divinités champêtres.


COMMODITÉSS. f. pl. en Bâtiment, est un petit endroit dégagé des autres pieces d'un appartement, ordinairement au-dessus d'un escalier ou au-bas, dans lequel est un siége d'aisance, dont le haut du tuyau ou conduit de poterie, est garni d'une planche percée en rond ; il se nomme aussi lieux. Voyez LATRINE & AISANCE. (P)


COMMOTACULUou COMMENTACULUM ou COMMETACULUM, (Hist. anc.) petit bâton que les flamines avoient à la main, & avec lequel ils écartoient le peuple dans leurs sacrifices.


COMMOTES. f. (Hist. mod.) étoit un terme anciennement usité dans la province de Galles, qui signifie un demi-hundred, c'est-à-dire cinquante villages ; car hundred, signifie cent.

Autrefois la province de Galles étoit divisée en trois provinces, chacune desquelles étoit divisée en cautreds ou hundreds, ce qui est la même chose, & chaque hundred ou cautred en deux commotes.

Sylvestre Girard dit cependant dans son itinéraire ; que la commote n'est qu'un quart de hundred. Chamb.


COMMOTIAES. f. pl. (Myth.) nom des nymphes qui habitoient le lac Cutiliensis ; comme il y avoit dans ce lac une île flottante, on donna à ces déesses l'épithete ou le surnom de commotiae.


COMMOTIONsubst. f. (Gramm. & Chirurgie) secousse ou ébranlement de quelque objet ou partie. La commotion du cerveau produit des accidens auxquels un chirurgien doit être très-attentif. Lorsque le crane est frappé par quelques corps durs, il communique au cerveau une partie du mouvement qu'il a reçû. Plus le crane résiste, plus l'ébranlement du cerveau est considérable, ainsi la commotion est proportionnée à la violence du coup, & à la résistance du crane : on a remarqué que les coups avec grand fracas d'os, ne causent ordinairement aucune commotion. Voyez AME & CERVEAU.

La commotion de cerveau produit la rupture d'une infinité de petits vaisseaux qui arrosent le cerveau & ses membranes ; il en résulte une perte de connoissance & un assoupissement léthargique. Ces accidens n'indiquent point l'opération du trépan lorsqu'ils arrivent dans l'instant du coup, parce qu'ils sont l'effet de la commotion. Le saignement du nez, des yeux, de la bouche, & des oreilles ; le vomissement bilieux, l'issue involontaire des déjections, sont les effets de cet accident primitif. Dans ce cas on n'a de ressource que dans les saignées ; on les a souvent faites avec succès de deux heures en deux heures, pour procurer la résolution du sang épanché. Lorsque la perte de connoissance & l'assoupissement sont des accidens consécutifs, ils indiquent l'opération du trépan, quand même il n'y auroit point de fracture, parce qu'ils sont l'effet d'un épanchement qui s'est fait à la longue, ou le produit d'une suppuration qui n'a pû être un symptome primitif. On a vû des personnes frappées légerement à la tête, étourdies seulement par le coup ; on a vû, dis-je, ces personnes mourir plusieurs mois après par des accidens survenus peu de jours avant leur mort. On a trouvé à l'ouverture un épanchement de sang ou un abcès dans quelques coins du cerveau. Il y a apparence que cela n'arrive que parce que les vaisseaux qui ont souffert du coup étoient si fins, qu'il a fallu un tems assez long pour qu'il puisse s'échapper une quantité de liqueur suffisante pour produire des accidens & causer la mort.

De pareils exemples doivent faire recourir à la saignée & aux remedes généraux dans les plus petits coups qu'on reçoit à la tête, pour prévenir les accidens funestes, qui ne sont que trop souvent la suite de la négligence de ces moyens. Voyez TREPAN.

On trouve dans le premier volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie, un précis des observations envoyées à cette académie, sur lesquelles M. Quesnay a fondé plusieurs dogmes qui regardent l'application du trépan dans les cas douteux. Les égards dûs à la commotion y sont exposés dans tout leur jour ; & on tâche de découvrir les cas où il faut prendre son parti pour ou contre l'opération du trépan, d'après les bons & mauvais succès déterminés par les circonstances ou les particularités qui paroissent en faire distinguer la cause. (Y)

COMMOTION, (Physiq.) ce mot s'employe aussi aujourd'hui, en parlant de ce que l'on ressent, ou que l'on éprouve en faisant une expérience de l'électricité, qui de-là même a pris le nom d'expérience de la commotion ; elle s'appelle encore le coup foudroyant. Voyez ce mot, & l'article ELECTRICITE. (T)


COMMUER(Jurisp.) signifie changer une peine en une autre, ce que le prince seul peut faire. Voyez ci-après COMMUTATION DE PEINE. (A)


COMMUNadj. en termes de Grammaire, se dit du genre par rapport aux noms, & se dit de la signification à l'égard des verbes.

Pour bien entendre ce que les Grammairiens appellent genre commun, il faut observer que les individus de chaque espece d'animal sont divisés en deux ordres ; l'ordre des mâles, & l'ordre des femelles. Un nom est dit être du genre masculin dans les animaux, quand il est dit de l'individu de l'ordre des mâles ; au contraire il est du genre féminin quand il est de l'ordre des femelles : ainsi coq est du genre masculin, & poule est du féminin.

A l'égard des noms d'êtres inanimés, tels que soleil, lune, terre, &c. ces sortes de noms n'ont point de genre proprement dit. Cependant on dit que soleil est du genre masculin, & que lune est du féminin, ce qui ne veut dire autre chose, sinon que lorsqu'on voudra joindre un adjectif à soleil, l'usage veut en France que des deux terminaisons de l'adjectif on choisisse celle qui est déjà consacrée aux noms substantifs des mâles dans l'ordre des animaux ; ainsi on dira beau soleil, comme on dit beau coq, & l'on dira belle lune, comme on dit belle poule. J'ai dit en France, car en Allemagne, par exemple, soleil est du genre féminin ; ce qui fait voir que cette sorte de genre est purement arbitraire, & dépend uniquement du choix aveugle que l'usage a fait de la terminaison masculine de l'adjectif ou de la féminine, en adaptant l'une plûtôt que l'autre à tel ou tel nom.

A l'égard du genre commun, on dit qu'un nom est de ce genre, c'est-à-dire de cette classe ou sorte, lorsqu'il y a une terminaison qui convient également au mâle & à la femelle : ainsi auteur est du genre commun ; on dit d'une dame qu'elle est auteur d'un tel ouvrage : notre qui est du genre commun ; on dit un homme qui, &c. une femme qui, &c. Fidele, sage, sont des adjectifs du genre commun ; un amant fidele, une femme fidele.

En latin, civis se dit également d'un citoyen & d'une citoyenne. Conjux, se dit du mari & aussi de la femme. Parens, se dit du pere & se dit aussi de la mere. Bos, se dit également du boeuf & de la vache. Canis, du chien ou de la chienne. Felles, se dit d'un chat ou d'une chatte.

Ainsi l'on dit de tous ces noms-là, qu'ils sont du genre commun.

Observez que homo, est un nom commun, quant à la signification, c'est-à-dire, qu'il signifie également l'homme ou la femme ; mais on ne dira pas en latin mala homo, pour dire une méchante femme ; ainsi homo est du genre masculin par rapport à la construction grammaticale. C'est ainsi qu'en françois personne est du genre féminin en construction ; quoique par rapport à la signification ce mot désigne également un homme ou une femme.

A l'égard des verbes, on appelle verbes communs ceux qui, sous une même terminaison, ont la signification active & la passive, ce qui se connoît par les adjoints. Voyez la quatrieme liste de la méthode de P. R. p. 462, des déponens qui se prennent passivement. Il y a apparence que ces verbes ont eu autrefois la terminaison active & la passive : en effet on trouve criminare, crimino, & criminari, criminor, blâmer.

En grec, les verbes qui sous une même terminaison ont la signification active & la passive, sont appellés verbes moyens ou verbes de la voix moyenne. (F).

COMMUN, en Géométrie, s'entend d'un angle, d'une ligne, d'une surface, ou de quelque chose de semblable qui appartient également à deux figures, & qui fait une partie nécessaire de l'une & de l'autre. Voyez FIGURE.

Les parties communes à deux figures servent à trouver souvent l'égalité entre deux figures différentes, comme dans le théoreme des parallelogrammes sur même base & de même hauteur, dans celui de la quadrature des lunules d'Hippocrate, &c. Voyez PARALLELOGRAME, LUNULE, &c. (O)

COMMUN, (Jurisprud.) se dit des choses dont la propriété ou l'usage, & quelquefois l'un & l'autre, appartiennent à plusieurs personnes. Voyez CHOSES COMMUNES.

Etre commun en biens avec quelqu'un, signifie être & avoir des biens en commun avec lui, comme cela est fréquent entre mari & femme dans les pays coûtumiers ; ces sortes de sociétés ont aussi lieu entre d'autres personnes dans certaines coûtumes. Voyez ci-après COMMUNAUTES & SOCIETES TACITES.

Délit commun, voyez DELIT.

Droit commun, voyez DROIT.

COMMUN DE PAIX, (Jurisprud.) est un droit qui appartient au roi comme comte de Rhodez, au pays de Roüergue, en vertu duquel il leve annuellement 6 deniers sur chaque homme ayant atteint l'âge de 14 ans ; sur chaque homme marié, 12 deniers ; sur chaque paire de boeufs labourans, 2 sols ; sur chaque vache ou boeuf non labourant, 6 deniers ; sur chaque âne, 12 deniers ; sur chaque brebis ou mouton, 1 denier ; sur chaque chevre ou pourceau, 1 denier, & sur chaque moulin, 2 sols.

M. Dolive, qui traite au long de ce droit en ses quest. not. liv. II. ch. jx. prétend que ce droit a été ainsi appellé, parce que les habitans du Roüergue s'obligerent de le payer au roi, en reconnoissance de ce qu'en les défendant de l'invasion des Anglois, il maintenoit leur communauté en paix.

Mais M. de Lauriere en son glossaire, au mot commun de paix, soûtient que ce droit n'a été établi dans le Roüergue que pour y abolir entierement les guerres privées, ou pour y rendre continuelle cette suspension d'armes que l'on appelloit la treve de Dieu, qui ne duroit que depuis le mercredi au soir de chaque semaine, jusqu'au lundi matin de la semaine suivante ; c'est en effet ce que prouve une decrétale d'Alexandre III. publiée par M. de Marca dans ses notes sur le premier canon du concile de Clermont, pag. 281. elle est rapportée par M. de Lauriere, loco cit. (A)

* COMMUN, adj. (Myth.) épithete que l'on donnoit à plusieurs divinités, mais sur-tout à Mars, à Bellone & à la Victoire ; parce que sans aucun égard pour le culte qu'on leur rendoit, elles protegeoient indistinctement & l'ami & l'ennemi. Les Latins appelloient encore dii communes, ceux que les Grecs nommoient ; ils n'avoient aucun département particulier au ciel ; on les honoroit toutefois sur la terre d'un culte qui leur étoit propre ; telle étoit Cybele. On donnoit aussi l'épithete de communs, aux dieux reconnus de toutes les nations ; comme le Soleil, la Lune, Pluton, Mars, &c.

COMMUN, en Architecture, est un corps de bâtiment avec cuisines & offices, où l'on apprête les viandes pour la bouche du Roi & les officiers de Sa Majesté. Dans un hôtel c'est une ou plusieurs pieces où mangent les officiers & les gens de livrée. Voyez SALLE.

Dans une maison religieuse on appelle commun, le lieu où mangent les domestiques.

Il y a chez le Roi le grand commun & le petit commun.

COMMUN, (Hist. mod.) chez le Roi & les grands seigneurs. Le grand commun est un vaste corps de bâtiment isolé, & élevé sur la gauche du château de Versailles ; & ce bâtiment sert de demeure à un grand nombre d'officiers destinés pour la personne de nos Rois.

Le petit commun est une autre cuisine ou table, établie en 1664, différente de celle qu'on appelle le grand commun. Le petit commun ne regarde donc que les tables du grand-maître & du grand-chambellan, autrefois supprimées, & depuis rétablies par le feu roi Louis XIV. & ce petit commun, dont les dépenses sont réglées par ordonnance du Roi en 1726, a comme le grand-commun tous les officiers nécessaires pour le service de leurs tables. (G) (a)


COMMUNAGEou COMMUNAUX, (Jurisp.) voyez COMMUNAL.


COMMUNAL(Jurispr.) se dit d'un héritage qui est commun à tous les habitans d'un même lieu, tel qu'un pré ou un bois. On appelle cependant plus ordinairement les prés de cette qualité, des communes. Voyez ci-après COMMUNAUX & COMMUNES. (A)


COMMUNAUTÉS. f. (Jurispr.) en tant que ce terme se prend pour corps politique, est l'assemblée de plusieurs personnes unies en un corps, formé par la permission des puissances qui ont droit d'en autoriser ou empêcher l'établissement. On ne donne pas le nom de communauté à une nation entiere, ni même aux habitans de toute une province, mais à ceux d'une ville, bourg, ou paroisse, & à d'autres corps particuliers, qui sont membres d'une ville ou paroisse, & qui sont distingués des autres particuliers & corps du même lieu.

Les communautés ont été établies pour le bien commun de ceux qui en sont membres ; elles ont aussi ordinairement quelque rapport au bien public : c'est pourquoi elles sont de leur nature perpétuelles, à la différence des sociétés qui sont bien une espece de communauté entre plusieurs personnes, mais seulement pour un tems.

Il y avoit chez les Romains grand nombre de communautés ou confrairies, que l'on appelloit colléges ou universités. On tient que ce fut Numa qui divisa ainsi le peuple en différens corps ou communautés, afin de les diviser aussi d'intérêts, & d'empêcher qu'ils ne s'unissent tous ensemble pour troubler le repos public. Les gens d'un même état ou profession formoient entr'eux un collége, tel que le collége des augures, celui des artisans de chaque espece, &c. Ces colléges ou communautés pouvoient avoir leurs juges propres ; & lorsqu'ils en avoient, ceux qui en étoient membres ne pouvoient pas décliner la jurisdiction. Le collége succédoit à ses membres décédés intestati ; il pouvoit aussi être institué héritier & légataire : mais les colléges prohibés, tels que ceux des juifs & des hérétiques, étoient incapables de succession. On ne pouvoit en établir sans l'autorité de l'empereur, ni au préjudice des lois & sénatusconsultes qui le défendoient. Ces communautés ou colléges se mettoient chacune sous la protection de quelque famille patricienne. Le devoir des patrons étoit de veiller aux intérêts de la communauté, d'en soûtenir ou augmenter les priviléges.

A l'égard des communautés, elles étoient perpétuelles, & pouvoient posséder des biens ; avoir un coffre commun pour y mettre leurs deniers ; agir par leurs syndics ; députer auprès des magistrats, même se faire des statuts & réglemens, pourvû qu'ils ne fussent pas contraires aux lois.

En France, il y a deux sortes de communautés, savoir ecclésiastiques & laïques. Voyez ci-après COMMUNAUTES ECCLESIASTIQUES & COMMUNAUTES LAÏQUES.

Les communautés ecclésiastiques se divisent en séculieres & régulieres. Voyez au mot COMMUNAUTES ECCLESIASTIQUES.

Il n'y a point de communauté qui soit véritablement mixte, c'est-à-dire partie ecclésiastique & partie laïque ; car les universités, que l'on dit quelquefois être mixtes, parce qu'elles sont composées d'ecclésiastiques & de laïques, sont néanmoins des corps laïques, de même que les compagnies de justice où il y a des conseillers-clercs.

L'objet que l'on se propose dans l'établissement des communautés, est de pourvoir à quelque bien utile au public, par le concours de plusieurs personnes unies en un même corps.

L'établissement de certaines communautés se rapporte à la religion ; tels que les chapitres des églises cathédrales & collégiales, les monasteres, & autres communautés ecclésiastiques ; les confrairies & congrégations, qui sont des communautés laïques, ont aussi le même objet.

La plûpart des autres communautés laïques ont rapport à la police temporelle ; telles que les communautés de marchands & artisans, les corps de ville, les compagnies de justice, &c.

Il y a néanmoins quelques communautés laïques qui ont pour objet & la religion & la police temporelle ; telles que les universités dans lesquelles, outre la Théologie, on enseigne aussi les sciences humaines.

Aucune communauté, soit laïque ou ecclésiastique, ne peut être établie sans lettres patentes du prince, dûement enregistrées ; & si c'est une communauté ecclésiastique, ou une communauté laïque qui ait rapport à la religion, comme une confrairie, il faut aussi la permission de l'évêque diocésain.

Quoique l'état soit composé de plusieurs membres qui forment tous ensemble une nation, cependant cette nation n'est point considérée comme une communauté ; mais dans les provinces qu'on appelle pays d'états, les habitans forment un corps ou communauté pour ce qui regarde l'intérêt commun de la province.

Il y a dans l'état certains ordres composés de plusieurs membres, qui ne forment point un corps, tels que le clergé & la noblesse ; c'est pourquoi le clergé ne peut s'assembler sans permission du Roi. Les avocats sont aussi un ordre & non une communauté. Voy. ce qui en est dit au mot COMMUNAUTE DES AVOCATS & PROCUREURS.

Les communautés sont perpétuelles, tellement que quand tous ceux qui composent une communauté viendroient à mourir en même tems, par une peste ou dans une guerre, on rétabliroit la communauté en y mettant d'autres personnes de la qualité requise.

Chaque communauté a ses biens, ses droits, & ses statuts.

Il ne leur est pas permis d'acquérir à quelque titre que ce soit aucuns immeubles, sans y être autorisés par lettres patentes du Roi dûement enregistrées, & sans payer au Roi un droit d'amortissement. Voyez AMORTISSEMENT & MAIN-MORTE, & l'édit d'Août 1749.

Les biens & droits appartiennent à toute la communauté, & non à chaque membre qui n'en a que l'usage.

Les statuts des communautés pour être valables, doivent être revêtus de lettres patentes du Roi dûement enregistrées.

Il est d'usage dans chaque communauté de nommer certains officiers ou préposés, pour gérer les affaires communes conformément aux statuts & délibérations de la communauté ; & ces délibérations pour être valables, doivent être faites en la forme portée par les réglemens généraux, & par les statuts particuliers de la communauté. Voyez ci-après COMMUNAUTE D'HABITANS. Voyez au digeste quod cujusq. univers. nom. Domat, lois civiles, part. II. liv. I. tit. xv.

COMMUNAUTE d'artisans, ou d'arts & métiers, voyez ci-après COMMUNAUTE (Commerce).

COMMUNAUTE DES AVOCATS ET PROCUREURS de la cour, c'est-à-dire du parlement, est une jurisdiction oeconomique déléguée par la cour aux avocats & procureurs, pour avoir entr'eux l'inspection sur ce qu'ils doivent observer par rapport à l'ordre judiciaire, pour maintenir les regles qui leur sont prescrites, recevoir les plaintes qui leur sont portées contre ceux qui y contreviennent, & donner leur avis sur ces plaintes. Ces avis sont donnés sous le bon plaisir de la cour ; & pour les mettre à exécution, on les fait homologuer en la cour.

Sous le nom de communauté des avocats & procureurs, on entend quelquefois la chambre où se tient cette jurisdiction, quelquefois la jurisdiction même, & quelquefois ceux qui la composent.

Beaucoup de personnes entendant parler de la communauté des avocats & procureurs, s'imaginent que ce terme communauté signifie que les avocats & procureurs ne forment qu'une même communauté ou compagnie : ce qui est une erreur manifeste, les avocats ne formant point un corps même entr'eux, mais seulement un ordre plus ancien que l'état des procureurs, dont il a toûjours été séparé au parlement ; les procureurs au contraire formant entr'eux un corps ou compagnie qui n'a rien de commun avec les avocats, que cette jurisdiction appellée la communauté, qu'ils exercent conjointement pour la manutention d'une bonne discipline dans le palais, par rapport à l'exercice de leurs fonctions.

Pour bien entendre ce que c'est que cette jurisdiction, & de quelle maniere elle s'est établie, il faut observer qu'il y avoit en France des avocats dès le commencement de la monarchie, qui alloient plaider au parlement dans les différens endroits où il tenoit ses séances ; & depuis que Philippe-le-Bel eut en 1302 rendu le parlement sédentaire à Paris, il y eut des avocats qui s'y attacherent ; & ce fut le commencement de l'ordre des avocats au parlement.

L'institution des procureurs ad lites n'est pas si ancienne. Les établissemens de S. Louis, faits en 1270, sont la premiere ordonnance qui en parle ; encore falloit-il alors une dispense pour plaider par procureur. L'ordonnance des états tenus à Tours en 1484, fut la premiere qui permit à toutes sortes de personnes d'ester en jugement par procureur.

Il paroît néanmoins que dès 1342 les procureurs au parlement, au nombre de vingt-sept, passerent un contrat avec le curé de Sainte-Croix en la cité, pour établir entr'eux une confrairie dans son église.

Cette confrairie fut confirmée par des lettres de Philippe VI. du mois d'Avril 1342.

Les avocats n'étoient point de cette confrairie.

Cette confrairie des procureurs fut le premier commencement de leur communauté, de même que la plûpart des autres corps & communautés, qui ont commencé par de semblables confrairies.

Celle-ci ayant dans la suite été transférée en la chapelle de S. Nicolas du palais, les avocats se mirent de la confrairie, où ils ont toûjours tenu le premier rang ; & depuis ce tems, il a toûjours été d'usage de choisir un des anciens avocats pour être le premier marguillier de la confrairie ; & on lui a donné le nom de bâtonnier, à cause que c'étoit lui autrefois qui portoit le bâton de S. Nicolas.

Jusqu'alors les avocats & les procureurs n'avoient encore de commun entr'eux que cette confrairie.

Les procureurs étoient déjà unis plus particulierement entr'eux, & formoient une espece de corps, au moyen du contrat qu'ils avoient passé ensemble, & des lettres patentes de Philippe VI. confirmatives de ce contrat & de leur premiere confrairie.

Ils s'assembloient en une chambre du palais pour délibérer entr'eux, tant des affaires de la confrairie dont ils étoient principalement chargés, que de ce qui concernoit leur discipline entr'eux dans l'exercice de leurs fonctions, & cette assemblée fut appellée la communauté des procureurs. La compagnie élisoit un de ses membres, pour veiller aux intérêts communs ; & le procureur chargé de ce soin, fut appellé le procureur de la communauté.

Il paroît même que l'on en nommoit plusieurs pour faire la même fonction.

M. Boyer, procureur au parlement, dans le style du parlement qu'il a donné au public, fait mention d'un arrêt du 18 Mars 1508, rendu sur les remontrances faites à la cour par le procureur général du roi, qui enjoint aux procureurs de la communauté de faire assemblée entre les avocats & procureurs, pour entendre les plaintes, chicaneries de ceux qui ne suivent les formes anciennes, & contreviennent au style & ordonnances de la cour ; & de faire registre, le communiquer au procureur général pour en faire rapport à la cour.

Les avocats ayant été appellés à cette assemblée avec les procureurs, elle a été nommée la communauté des avocats & procureurs. Cette assemblée se tient dans la chambre de S. Louis, & non dans la chambre dite de la communauté, où les procureurs déliberent entr'eux des affaires qui intéressent seulement leur compagnie.

Le bâtonnier des avocats préside à la communauté des avocats & procureurs, & s'y fait assister, quand il le juge à propos, d'un certain nombre d'anciens bâtonniers & autres anciens avocats, en nombre égal à celui des procureurs de communauté : c'est ce qui résulte d'un arrêt de réglement du 9 Janvier 1710, par lequel, en conformité d'une délibération de la communauté des avocats & procureurs de la cour, du 9 desdits mois & an, homologuée par ledit arrêt, il a été arrêté que l'état de distribution des aumônes seroit arrêté dans la chambre de la communauté, en présence & de l'avis tant du bâtonnier des avocats & de l'ancien procureur de communauté, que de quatre anciens avocats qui y seront invités par le bâtonnier, dont il y en aura deux au moins anciens bâtonniers, & de quatre procureurs de communauté ; que si le procureur de communauté se fait assister d'autres procureurs, le bâtonnier se fera pareillement assister d'avocats en nombre égal à celui des procureurs : que s'ils se trouvent partagés d'opinions, ils se retireront au parquet des gens du Roi, pour y être reglés.

Le bâtonnier des avocats & les anciens bâtonniers & autres avocats qu'il appelle avec lui, vont, quand ils le jugent à propos, à la communauté, pour y juger les plaintes, conjointement avec les procureurs de communauté : mais comme il est rare qu'il y ait quelque chose qui intéresse les fonctions d'avocat, ils laissent ordinairement ce soin aux procureurs de communauté ; c'est pourquoi le plus ancien d'entre eux se qualifie de président de sa communauté ; ce qui ne doit néanmoins s'entendre que de leur communauté ou compagnie particuliere, & non de la communauté des avocats & procureurs, où ces derniers ne président qu'en l'absence des avocats.

COMMUNAUTE de biens entre conjoints, est une société établie entr'eux par la loi ou par le contrat de mariage, en conséquence de laquelle tous les meubles qu'ils ont de part & d'autre, & les meubles & immeubles qu'ils acquierent pendant le mariage, sont communs entr'eux. Il y a même des communautés de tous biens indistinctement : ce qui dépend de la convention.

La communauté de biens entre conjoints n'étoit point absolument inconnue aux Romains ; on en trouve des vestiges dans une loi attribuée à Romulus, où la femme est appellée socia fortunarum. Mulier viro secundum sacratas leges conjuncta, fortunarum & sacrorum socia illi esto, utque domus ille dominus, ita haec domina, filia ut patris, ita defuncto marito, haeres esto. Voyez Catal leg. antiq. pag. 9. Comme la femme étoit en la puissance de son mari, il étoit le maître de la société ou communauté.

Il faut néanmoins convenir que ce qui est dit dans les lois romaines de la société du mari & de la femme, doit s'entendre seulement de la vie commune qui est l'objet du mariage, plûtôt que d'une communauté de biens proprement dite ; au moins n'y avoit-il point parmi eux de communauté légale.

On pouvoit à la vérité en établir par convention. Il y en a une preuve en la loi alimenta, au digeste de aliment. qui parle d'un mari & d'une femme qui avoient été en communauté de tous biens. Cette communauté contractée pendant le mariage, ne fut sans-doute approuvée qu'à cause qu'il y avoit égalité de biens ; car il n'étoit pas permis aux conjoints de se faire aucun avantage entre-vifs, même sous prétexte de s'associer. lib. XXXII. §. de donat. inter vir. & ux. Ainsi la communauté ne pouvoit régulierement être stipulée que par contrat de mariage ; mais la donation faite entre conjoints par forme de société, étoit confirmée comme donation par la mort d'un des conjoints.

Il n'y a pas d'apparence cependant que la communauté de biens usitée entre conjoints dans la plûpart des pays coûtumiers, ait été empruntée des Romains, d'autant qu'elle n'a point lieu sans une convention expresse, dans les pays de droit écrit qui avoisinent le plus l'Italie, & où l'on observe les lois romaines.

Quelques-uns prétendent tirer l'origine de la communauté, de ce qui se pratiquoit chez les Gaulois : ils se fondent sur ce que César, en ses commentaires, de bello gall, lib. VI. n. 4. dit en parlant des moeurs des Gaulois, que le mari en se mariant étoit obligé de donner à sa femme autant qu'elle lui apportoit en dot, & que le tout appartenoit au survivant, avec le profit qui en étoit survenu : Quantas pecunias ab uxoribus dotis nomine acceperunt, tantas ex his bonis aestimatione factâ cum dotibus communicant. Hujus omnis pecuniae conjunctim ratio habetur fructusque servantur. Uter eorum vitâ superavit, ad eum pars utriusque cum fructibus superiorum temporum pervenit. Mais il est aisé d'appercevoir que ce don réciproque de survie est tout différent de notre communauté.

Il y a plûtôt lieu de croire que les pays coûtumiers, qui sont plus voisins de l'Allemagne que les pays de droit écrit, ont emprunté cet usage des anciens Germains, chez lesquels le tiers ou la moitié des acquêts faits pendant le mariage, appartenoit à la femme, suivant le titre viij. de la loi des Saxons : De eo quod vir & mulier simul acquisierint, mulier mediam partem accipiat ; & le tit. xxjx. de la loi ripuaire : Mulier tertiam partem de omni re quam conjuges simul collaboraverint, studeat revindicare.

Sous la premiere & la seconde race de nos rois, la femme n'avoit que le tiers des biens acquis pendant le mariage ; ce qui étoit conforme à la loi des ripuaires. La communauté avoit lieu alors pour les reines : en effet on lit dans Aimoin, que lors du partage qui fut fait de la succession de Dagobert entre ses enfans, on reserva le tiers des acquisitions qu'il avoit faites pour la reine sa veuve ; ce qui confirme que l'usage étoit alors de donner aux femmes le tiers de la communauté. Louis le Débonnaire & Lothaire son fils, en firent une loi générale : Volumus ut uxores defunctorum post obitum maritorum tertiam partem collaborationis, quam simul in beneficio collaboraverunt accipiant.

Cette loi fut encore observée pour les veuves des rois subséquens, comme Flodoard le fait connoître en parlant de Raoul roi de France, lequel aumônant une partie de ses biens à diverses églises, réserva la part de la reine son épouse : mais il ne dit pas quelle étoit la quotité de cette part. Ce passage justifie aussi qu'il n'étoit pas au pouvoir du mari de disposer des biens de la communauté, au préjudice de sa femme.

Présentement il n'y a plus de communauté entre les rois & les reines ; elles partagent seulement les conquêts faits avant l'avenement du roi à la couronne.

Le mari peut disposer des biens de la communauté par acte entrevifs, pourvû que ce soit à personne capable & sans fraude ; mais par testament il ne peut disposer que de sa moitié.

Les coûtumes de Bourgogne, rédigées en 1459, sont les premieres où il soit parlé de la communauté de biens, dont elles donnent à la femme moitié : ce qui est conforme à la loi des Saxons. Cet usage nouveau par rapport à la part de la femme, adopté dans ces coûtumes & dans la plûpart de celles qui ont été rédigées dans la suite, pourroit bien avoir été introduit en France par les Anglois, qui, comme l'on sait, sont Saxons d'origine ; & sous le regne de Charles VI. s'étoient emparés d'une partie du royaume.

Le droit de communauté est accordé à la femme, en considération de la commune collaboration qu'elle fait, ou est présumée faire, soit en aidant réellement son mari dans son commerce, s'il en a, soit par son industrie personnelle, ou par ses soins & son économie dans le ménage.

La plûpart des coûtumes établissent de plein droit la communauté entre conjoints : il y en a néanmoins quelques-unes, comme Normandie & Rheims, qui excluent cette communauté ; mais elles ont pourvû autrement à la subsistance de la femme en cas de viduité.

Les contrats de mariage étant susceptibles de toutes sortes de clauses qui ne sont pas contre les bonnes moeurs, il est permis aux futurs conjoints de stipuler la communauté de biens entr'eux, même dans les pays de droit, & dans les coûtumes où elle n'a pas lieu de plein droit.

Il leur est pareillement permis de l'admettre ou de l'exclure dans les coûtumes où elle a lieu : si la femme est exclue de la communauté, ses enfans & autres héritiers le sont aussi.

Lorsque le contrat de mariage ne regle rien à ce sujet ; pour savoir s'il y a communauté, on doit suivre la loi du lieu du domicile du mari au tems de la célébration du mariage, ou de celui où il avoit intention d'établir son domicile en se mariant, les conjoints étant présumés avoir voulu se régler suivant la loi de ce lieu.

Quoique de droit commun la communauté se partage par moitié entre le survivant & les héritiers du prédécédé, il est permis aux futurs conjoints, par contrat de mariage, de régler autrement la part de chacun des conjoints. On peut stipuler que la femme n'aura que le tiers, ou autre moindre portion ; ou que le survivant joüira seul de toute la communauté, soit en usufruit ou en propriété, & autres clauses semblables.

La communauté légale ou conventionnelle a lieu du moment de la bénédiction nuptiale, & non du jour du contrat. Il y a néanmoins quelques coûtumes, comme Anjou & Bretagne, où elle n'a lieu qu'après l'an & jour ; c'est-à-dire, que si l'un des conjoints décede pendant ce tems, la communauté n'a point lieu : mais s'il ne décede qu'après l'année, la communauté a lieu, & a effet rétroactif au jour du mariage.

Les clauses les plus ordinaires que l'on insere dans les contrats de mariage par rapport à la communauté, sont :

Que les futurs époux seront uns & communs en tous biens, meubles & conquêts immeubles, suivant la coûtume de leur domicile.

Qu'ils ne seront néanmoins tenus des dettes l'un de l'autre créées avant le mariage, lesquelles seront acquittées par celui qui les aura faites, & sur ses biens.

Que de la dot de la future il entrera une telle somme en communauté, & que le surplus lui demeurera propre à elle & aux siens de son côté & ligne.

Que le survivant prendra par préciput, & avant partage de la communauté, des meubles pour une certaine somme, suivant la prisée de l'inventaire & sans crue, ou ladite somme en deniers à son choix.

Que s'il est vendu ou aliéné quelque propre pendant le mariage, le remploi en sera fait sur la communauté ; & s'ils ne suffisent pas à l'égard de la femme, sur les autres biens du mari : que l'action de ce remploi sera propre aux conjoints & à leurs enfans, & à ceux de leur côté & ligne.

Qu'il sera permis à la future & à ses enfans qui naîtront de ce mariage, de renoncer à la communauté ; & en ce faisant, de reprendre franchement & quittement tout ce qu'elle y aura apporté, & ce qui lui sera échu pendant le mariage, en meubles & immeubles, par succession, donation, legs, ou autrement : même la future, si elle survit, ses doüaire & préciput, le tout franc & quitte de toutes dettes, encore qu'elle y eût parlé ou y eût été condamnée ; dont audit cas elle & ses enfans seront indemnisés sur les biens du mari, pour raison dequoi il y aura hypotheque du jour du contrat.

Il est aussi d'usage que le mari fixe la portion de son mobilier qu'il veut mettre en communauté, & il stipule que le surplus lui demeurera propre, & aux siens de son côté & ligne.

Le mariage une fois célébré, les conjoints ne peuvent plus faire aucune convention pour changer leurs droits par rapport à la communauté.

Un mariage nul, ou qui ne produit pas d'effets civils, ne produit pas non plus de communauté.

Quant aux biens qui entrent en la communauté, il faut distinguer.

La communauté légale, c'est-à-dire celle qui a lieu en vertu de la coûtume seule, & celle qui est stipulée conformément à la coûtume, comprend tous les meubles présens & à venir des conjoints, & tous les conquêts immeubles, c'est-à-dire ceux qu'ils acquierent pendant le mariage, à quelque titre que ce soit, lorsqu'ils ne leur sont pas propres.

La communauté conventionnelle, c'est-à-dire celle qui n'est fondée que sur la convention, & qui n'est point établie par la coûtume du lieu, ne comprend point les meubles présens, mais seulement les meubles à venir, & les conquêts immeubles.

Il est d'usage que les conjoints en se mariant mettent chacun une certaine somme en communauté ; cette mise peut être inégale. Celui des conjoints qui n'a point de meubles à mettre en communauté, ameublit ordinairement par fiction une portion de ses immeubles, & cette portion ainsi ameublie est réputée meuble à l'égard de la communauté.

Quand au contraire les conjoints n'ont que des meubles, ils peuvent en réaliser par fiction une partie pour l'empêcher d'entrer en communauté ; cette réalisation se peut faire, ou par une clause expresse de réalisation, ou par une simple stipulation d'emploi, ou par une clause que les deniers ou autres meubles que l'on veut excepter de la communauté demeureront propres aux conjoints.

La stipulation de propre simplement, ne conserveroit le mobilier stipulé propre qu'au conjoint seulement : pour transmettre le même droit à ses enfans, il faut ajoûter propre à lui & aux siens ; & si on veut étendre l'effet de la clause aux collatéraux du conjoint, il faut encore ajoûter de son côté & ligne.

La pratique d'un office entre en la communauté comme les autres meubles ; & les offices, comme les autres immeubles, excepté néanmoins les offices de la maison du roi & des gouvernemens, qui n'entrent point en communauté, suivant l'édit du mois de Janvier 1678.

Les rentes foncieres entrent pareillement en la communauté, comme les autres immeubles ; à l'égard des rentes constituées, elles y entrent comme meubles ou immeubles, suivant que la coûtume du domicile du créancier leur donne l'une ou l'autre qualité.

Les immeubles, soit propres ou acquêts, que les conjoints possédoient au tems du mariage, & ceux qui leur sont échûs depuis par succession directe ou collatérale, même par legs ou donation directe, qui sont tous biens propres, n'entrent point en communauté, à moins qu'il n'y eût clause contraire dans le contrat de mariage : il en est de même des biens qui ont été échangés contre des propres, & de ceux qui sont échûs à un des conjoints par licitation, les uns & les autres étant propres.

Pour ce qui est des fruits des propres & acquêts, ils entrent de droit en la communauté, aussi-bien que les fruits des conquêts immeubles.

Tous biens meubles ou immeubles acquis pendant le mariage sont censés acquis des deniers de la communauté, & communs entre les conjoints, soit que l'acquisition soit faite par eux conjointement ou pour eux deux, soit qu'elle ait été faite au nom d'un des conjoints seulement.

Le mari est le maître de la communauté, c'est pourquoi la femme ne peut passer aucun acte, même en sa présence, ni ester en jugement, sans être autorisée de lui, ou par justice au refus du mari, s'il y a lieu de le faire.

En qualité de maître de la communauté, le mari peut non-seulement faire seul tous actes d'administration, comme recevoir & donner quittance, faire des baux ; mais il peut aussi disposer seul entre-vifs des meubles & immeubles de la communauté, soit par obligation, aliénation, ou donation, & autrement, etiam perdendo, pourvû que ce soit à personne capable & sans fraude.

La femme, pendant la vie de son mari, n'a qu'un droit éventuel sur la communauté, pour partager ce qui se trouvera au jour de la dissolution ; ainsi elle ne peut disposer d'aucun des effets de la communauté, & si elle le fait conjointement avec son mari, c'est proprement lui seul qui dispose, puisqu'il est seul maître de la communauté.

Elle ne peut, par la même raison, empêcher son mari de vendre ou aliéner les biens de la communauté ; mais seulement, s'il y a dissipation de la part du mari, demander en justice sa séparation de biens, dont l'effet est de dissoudre la communauté pour l'avenir.

La femme ne peut pas non plus obliger la communauté par aucune emplette ou emprunt, si ce n'est lorsqu'elle est factrice de son mari, ou qu'au vû & au sçu de son mari elle fait un commerce séparé, auquel cas elle oblige son mari & la communauté.

Autrefois les réparations civiles ou confiscations prononcées contre le mari, se prenoient sur toute la communauté indistinctement ; mais suivant des lettres du 26 Décembre 1431, données par Henri VI. roi d'Angleterre, & soi disant roi de France, il fut accordé en faveur des bourgeois de Paris, que la moitié de la femme en la communauté, ne seroit pas sujette aux confiscations prononcées contre le mari.

Quelques coûtumes, comme celle de Bretagne, donnoient seulement une provision à la femme sur les biens confisqués : Dumolin s'éleva fort contre cet abus ; & c'est peut-être ce qui a donné lieu à l'arrêt de 1532, qui a jugé que la confiscation du mari ne préjudicie pas aux conventions de la femme, ni même à son droit en la communauté.

La confiscation prononcée contre la femme ne comprend que ses propres, & non sa part en la communauté, qui demeure au mari par non-décroissement : à l'égard des amendes & réparations civiles & des dépens prononcés contre la femme, même en matiere civile, lorsqu'elle n'a point été autorisée par son mari, ces condamnations ne peuvent s'exécuter sur la part de la femme en la communauté qu'après la dissolution.

Pour ce qui est des charges de la communauté, il faut distinguer les dettes créées avant le mariage, de celles qui sont créées depuis.

Les dettes immobiliaires créées avant le mariage, ne sont point une charge de communauté ; chacun des conjoints est tenu d'acquiter celles qui le concernent.

A l'égard des dettes mobiliaires, aussi créées avant le mariage, elles sont à la charge de la communauté, à moins qu'on n'ait stipulé le contraire ; cette clause n'empêche pas néanmoins le créancier de se pourvoir contre le mari, & sur les biens de la communauté, quand même ce seroit une dette personnelle de la femme ; son effet est seulement d'obliger celui des conjoints dont la dette a été payée des deniers de la communauté, d'en faire raison à l'autre ou à ses héritiers lors de la dissolution de la communauté.

Quant aux dettes contractées depuis le mariage, soit mobiliaires ou immobiliaires, elles sont toutes à la charge de la communauté : si la femme n'y a pas parlé, elle n'y est obligée qu'en cas d'acceptation à la communauté, & elle ne peut être tenue que jusqu'à concurrence de ce qu'elle ou ses héritiers amendent de la communauté, pourvû qu'après le décès du premier mourant il soit fait loyal inventaire ; à la différence du mari qui est toûjours tenu solidairement des dettes de communauté envers les créanciers, sauf son recours contre les héritiers de sa femme, pour la part dont ils en sont tenus.

Si la femme s'est obligée avec son mari, elle n'a plus le privilége de n'être tenue qu'infra vires ; elle doit remplir son obligation, sauf son recours contre les héritiers de son mari, pour ce qu'elle a été obligée de payer au-delà de la part qu'elle devoit supporter des dettes.

Les fraix de la derniere maladie du prédécédé sont une dette de communauté ; mais les fraix funéraires ne se prennent que sur la part du prédécédé & sur ses biens personnels : le deuil de la veuve est aussi à la charge de la communauté, soit qu'elle accepte ou qu'elle renonce.

Les dettes immobiliaires des successions échues aux conjoints pendant le mariage, ne sont point à la charge de la communauté ; & à l'égard des dettes mobiliaires, la communauté n'en est tenue qu'à proportion des meubles dont elle amende de la même succession.

La communauté finit par la mort naturelle ou civile d'un des conjoints, & par la séparation.

La mort civile du mari dissout tellement la communauté, que le partage en peut être aussi-tôt demandé par la femme ; au lieu que la mort civile de la femme dissout bien la communauté, mais la totalité en demeure au mari.

Pour que la séparation opere la dissolution de la communauté, il faut qu'elle soit ordonnée en justice après une enquête ; car les séparations volontaires sont réprouvées.

Après la dissolution de la communauté, la femme ou ses héritiers ont la liberté de l'accepter ou d'y renoncer ; au lieu que le mari n'a pas la liberté d'y renoncer, attendu que tout est censé de son fait.

Lorsque la femme ou ses héritiers acceptent la communauté, chacun commence par reprendre ses propres réels en nature ; ensuite on reprend sur la masse de la communauté le remploi des propres aliénés, les deniers stipulés propres, les récompenses que les conjoints se doivent pour leurs dettes personnelles qui ont été acquittées sur la communauté, ou pour les impenses faites sur leurs propres des deniers de la communauté.

Sur le surplus de la communauté le survivant préleve son préciput en meubles ou en argent, selon ce qui a été stipulé, sans être tenu de payer plus grande part de dettes pour raison de ce préciput.

Dans la coûtume de Paris, entre nobles, le survivant a de plus le droit de prendre le préciput légal, qui comprend tous les meubles étant hors la ville & fauxbourgs de Paris, à la charge de payer les dettes mobiliaires & fraix funéraires du défunt, pourvû qu'il n'y ait point d'enfans ; & s'il y a enfans, ils partagent par moitié.

Après tous ces prélevemens, le restant de la communauté se partage entre le survivant & les héritiers du prédécédé, suivant ce qui a été convenu par le contrat.

La faculté de renoncer à la communauté ne fut d'abord accordée qu'en faveur des nobles, des gentilshommes qui se croisoient contre les Infideles, lesquels étant obligés à d'excessives dépenses, engageoient souvent tous leurs biens, ou la plus grande partie. Cet usage ne commença par conséquent au plûtôt que vers la fin du xj. siecle ; Monstrelet, liv. I. ch. xviij. de son hist. dit que Philippe I. duc de Bourgogne étant mort en 1363, sa veuve renonça à ses biens-meubles, craignant ses dettes, en mettant sur la représentation sa ceinture avec sa bourse & ses clés comme il étoit de coûtume, & qu'elle en demanda acte à un notaire public. Bonne, veuve de Valeran comte de S. Pol, fit la même chose, au rapport du même auteur, ch. cxxxjx. La veuve jettoit sa bourse & ses clés sur la fosse ou sur la représentation de son mari, pour marquer qu'elle ne retenoit rien de sa maison. Il est fait mention de cette formalité dans plusieurs coûtumes, telles que Meaux, Chaumont, Vitry, Laon, Châlons, & autres, ce qui ne se pratique plus depuis long-tems. La forme nécessaire pour la validité de la renonciation, est qu'elle soit faite au greffe ou devant notaire ; qu'il y en ait minute, & qu'elle soit insinuée.

Ce privilége, qui n'étoit accordé qu'aux veuves des nobles, a été étendu par la nouvelle coûtume de Paris aux veuves des roturiers, & cela est aujourd'hui de droit commun.

La renonciation pour être valable, doit être précédée d'un inventaire fait avec un légitime contradicteur.

Si la femme ou ses héritiers renoncent à la communauté, en ce cas ils reprennent, tant sur les biens de la communauté, que sur tous les autres biens du mari indistinctement, les deniers dotaux de la femme stipulés propres, son apport mobilier quand il y a clause de reprise, ses remplois de propres, les réparations qui sont à faire sur ses propres existans, son doüaire préfix ou coûtumier si elle survit, & même son préciput au cas que cela ait été stipulé ; elle reprend aussi sur ces mêmes biens les dons qui lui ont été faits par son mari par contrat de mariage, & elle a sur ces mêmes biens une indemnité contre son mari ou ses héritiers, pour les dettes auxquelles il l'a fait obliger durant la communauté, avec hypotheque pour cette indemnité du jour du contrat de mariage.

La femme peut être privée de son droit en la communauté pour cause d'adultere, & dans le cas où elle a abandonné son mari, & a persisté à vivre éloignée de lui, nonobstant les sommations qu'il lui a fait de revenir dans sa maison ; mais le défaut de payement de la dot n'est pas une raison pour la priver de la communauté.

Lorsqu'au jour de la dissolution de la communauté il y a des enfans mineurs nés du survivant & du prédécédé, & que le survivant néglige de faire inventaire, il est au choix des mineurs de prendre la communauté en l'état qu'elle étoit au jour de la dissolution, ou de demander la continuation de communauté jusqu'au jour de l'inventaire, s'il en a été fait un depuis ; ou jusqu'au jour du partage, s'il n'y a point eu d'inventaire.

La majorité survenue aux mineurs depuis la dissolution de la communauté, n'empêche pas qu'elle ne continue jusqu'à-ce qu'il soit fait inventaire valable.

Quand les mineurs optent la continuation de communauté, les enfans majeurs peuvent aussi faire la même option.

Pour empêcher la continuation de communauté, il faut que le survivant fasse faire un inventaire solemnel avec un légitime contradicteur ; il faut même, à Paris & dans quelques autres coûtumes, que cet inventaire soit clos en justice.

La communauté continuée est composée de tous les meubles de la premiere communauté, des fruits des conquêts, & des fruits des propres du prédécédé ; tout ce qui écheoit au survivant, qui est de nature à entrer en communauté, entre aussi dans cette continuation ; mais ce qui écheoit aux enfans ou qu'ils acquierent de leur chef depuis la dissolution de la communauté, n'entre point dans la continuation ni pour le fonds ni pour les fruits.

Le second mariage du survivant n'opere point la dissolution de la communauté continuée ; en ce cas si les enfans mineurs optent la continuation de communauté, elle se partage par tiers entr'eux avec le survivant & son second conjoint.

Après la dissolution de la communauté, le survivant des conjoints doit rendre compte de la communauté aux héritiers du prédécédé : quand le survivant a été tuteur de ses enfans, ce compte se confond avec celui de la tutele ; enfin après le compte on procede au partage.

On peut voir sur cette matiere les traités de la communauté par de Renusson & Lebrun, & les commentateurs des coûtumes sur le titre de la communauté ; Pasquier en ses recherches, liv. IV. ch. xxj. de Lauriere en son gloss. au mot communauté de biens, au mot ceinture, au mot clé. (A)

COMMUNAUTE CONJUGALE, est la communauté de biens qui a lieu entre conjoints, en vertu de la coûtume ou du contrat de mariage. Voyez ci-devant COMMUNAUTE DE BIENS.

COMMUNAUTE CONTINUEE, voyez COMMUNAUTE DE BIENS.

COMMUNAUTE CONVENTIONNELLE, est celle qui est stipulée entre conjoints par le contrat de mariage. Voyez COMMUNAUTE DE BIENS.

COMMUNAUTE COUTUMIERE ou LEGALE, est celle qui a lieu de plein droit en vertu de la coûtume, & qui n'a point été réglée par le contrat de mariage. Voyez ci-devant COMMUNAUTE DE BIENS, & ci-après COMMUNAUTE LEGALE. (A)

COMMUNAUTES ECCLESIASTIQUES, (Hist. eccl. & mod.) corps politiques composés de personnes ecclésiastiques qui ont des intérêts communs. Ces communautés sont de deux sortes ; savoir régulieres, & séculieres. Les communautés régulieres sont les colléges ou chapitres de chanoines réguliers, les maisons conventuelles de religieux, les couvents de religieuses : ceux qui composent ces communautés régulieres vivent ensemble & en commun ; ils ne possedent rien en propre. Voyez CHANOINES REGULIERS, COUVENT, MONASTERE, RELIGIEUX, RELIGIEUSES.

Les communautés ecclésiastiques séculieres sont les chapitres des églises cathédrales & collégiales, les séminaires & autres maisons composées d'ecclésiastiques qui ne font point de voeux & ne sont astraints à aucune regle particuliere.

On ne peut établir aucune communauté ecclésiastique sans le concours des deux puissances : il faut la permission de l'évêque diocésain pour le spirituel, & des lettres patentes du roi dûment enregistrées, pour autoriser l'établissement quant au temporel.

Les universités sont des corps mixtes, en ce qu'ils sont composés de laïques & d'ecclésiastiques ; mais considérés en général, ce sont des corps laïques. Voyez UNIVERSITES.

On attribue à S. Augustin l'origine & l'institution des communautés ecclésiastiques séculieres. Il est certain qu'il en forma une des clercs près de sa ville épiscopale, où ils mangeoient & logeoient avec leur évêque, étant tous nourris & vêtus aux dépens de la communauté, usant des habits & des meubles ordinaires sans se faire remarquer par aucune singularité. Ils renonçoient à tout ce qu'ils avoient en propre, mais ne faisoient voeu de continence que quand ils recevoient les ordres auxquels il étoit attaché.

On trouve beaucoup d'exemples de ces communautés ecclésiastiques dans l'Occident depuis le tems de S. Augustin ; & l'on croit qu'elles ont servi de modele aux chanoines réguliers, qui se font aujourd'hui honneur de porter le nom de S. Augustin ; mais on n'en trouve qu'un dans l'histoire de l'église greque. Il est vrai qu'en Orient le grand nombre de monasteres suppléoit à ces communautés.

Julien de Pomere dit qu'il y avoit des communautés composées de trois sortes de clercs : les uns n'avoient jamais eu de patrimoine, les autres avoient abandonné celui qui leur appartenoit, d'autres l'avoient conservé & en faisoient part à la communauté. En Espagne il y avoit plusieurs communautés ecclésiastiques, où l'on formoit les jeunes clercs aux lettres & à la piété, comme il paroît par le II. concile de Tolede. C'étoient ce que sont aujourd'hui nos séminaires.

L'histoire ecclésiastique fait aussi mention de communautés ecclésiastiques & monastiques tout ensemble ; tels étoient les monasteres de S. Fulgence, évêque de Vuspe en Afrique, & celui de S. Grégoire le grand.

Nous appellons aujourd'hui communautés ecclésiastiques, toutes celles qui ne tiennent à aucun ordre ou congrégation établie par lettres patentes. Il y a aussi plusieurs communautés religieuses de l'un & de l'autre sexe, qui forment des maisons particulieres ; & d'autres de filles ou veuves qui ne font point de voeux, ou au-moins de voeux solemnels, & qui sont en très-grand nombre. Thomass. discip. ecclés. part. I. liv. I. ch. xxxjx. xl. & xlj. part. II. liv. I. ch. xxx. (G)

COMMUNAUTE D'HABITANS : c'est le corps des habitans d'une ville, bourg, ou simple paroisse, considérés collectivement pour leurs intérêts communs. Quoiqu'il ne soit pas permis d'établir dans le royaume aucune communauté sans lettres patentes, cependant les habitans de chaque ville, bourg, ou paroisse, forment entr'eux une communauté, quand même ils n'auroient point de charte de commune : l'objet de cette communauté consiste seulement à pouvoir s'assembler pour délibérer de leurs affaires communes, & avoir un lieu destiné à cet effet ; à nommer des maire & échevins, consuls & syndics, ou autres officiers, selon l'usage du lieu, pour administrer les affaires communes ; des asséeurs & collecteurs dans les lieux taillables, pour l'assiette & recouvrement de la taille, des messiers, & autres préposés pour la garde des moissons, des vignes, & autres fruits.

Les assignations que l'on donne aux communautés d'habitans doivent être données un jour de dimanche ou fête, à l'issue de la messe paroissiale ou des vêpres, en parlant au syndic, ou en son absence au marguillier, en présence de deux habitans au-moins que le sergent doit nommer dans l'exploit, à peine de nullité ; & à l'égard des villes où il y a maire & échevins, les assignations doivent être données à leurs personnes ou domiciles.

Les communautés d'habitans ne peuvent intenter aucun procès sans y être autorisées par le commissaire départi dans la province ; & en général ils ne peuvent entreprendre aucune affaire, soit en demandant ou défendant, ni faire aucune députation ou autre chose concernant la communauté, sans que cela ait été arrêté par une délibération en bonne forme, & du consentement de la majeure partie des habitans.

Ces délibérations doivent être faites dans une assemblée convoquée régulierement, c'est-à-dire que l'assemblée soit convoquée au son de la cloche ou du tambour, selon l'usage du lieu, à l'issue de la messe paroissiale, un jour de dimanche ou fête, & que l'acte d'assemblée & délibération soit rédigé par un notaire, & signé des habitans qui étoient présens & qui savoient signer ; & pour ceux qui ne le savoient pas, qu'on en fasse mention.

La maniere dont ils doivent nommer les asséeurs & collecteurs, est expliquée ci-devant au mot COLLECTEUR ; & ce qui concerne les surtaux & la taille, sera dit aux mots SURTAUX & TAILLE.

Les communautés d'habitans possedent en certains lieux des biens communaux, tels que des maisons, terres, bois, prés, pâturages, dont la propriété appartient à toute la communauté, & l'usage à chacun des habitans, à moins qu'ils ne soient loüés au profit de la communauté, comme cela se pratique ordinairement pour les maisons & les terres : les revenus communs qu'ils en retirent sont ce que l'on appelle les deniers patrimoniaux.

Dans la plûpart des villes les habitans possedent des octrois, c'est-à-dire certains droits qui leur ont été concédés par le roi, à prendre sur marchandises & denrées qui entrent ou sortent de ces villes, ou qui s'y débitent.

L'édit de 1683, & la déclaration du 2 Août 1687, défendent aux communautés d'habitans de faire aucunes ventes ni aliénations de leurs biens patrimoniaux, communaux, & d'octroi, ni d'emprunter aucuns deniers pour quelque cause que ce soit, sinon en cas de perte, ou pour logement & ustensiles des troupes, & réédification des nefs des églises tombées par vétusté ou incendie, & dont ils peuvent être tenus ; & dans ces cas mêmes il faut une assemblée en la maniere accoûtumée, que l'affaire passe à la pluralité des voix, & que le greffier de la ville, s'il y en a un, sinon un notaire, rédige l'acte, & qu'on y fasse mention de ce qui doit être fait. Cet acte doit être ensuite porté à l'intendant, pour être par lui autorisé, s'il le juge à-propos ; & s'il s'agit d'un emprunt, il en donne avis au roi, pour être par lui pourvû au remboursement.

La forme en laquelle on doit faire le procès aux communautés d'habitans & autres, lorsqu'il y a lieu, est prescrite par l'ordonnance de 1670, tit. xxj. Il faut que la communauté nomme un syndic ou député, suivant ce qui sera ordonné, sinon on nomme d'office un curateur. Le syndic député, ou curateur, subit interrogatoire, & la confrontation des témoins ; il est employé dans toutes les procédures en la même qualité : mais le dispositif du jugement est rendu contre la communauté même. Les condamnations ne peuvent être que de réparation civile, dommages & intérêts envers la partie, d'amende envers le Roi, privation de leur privilége, & autres punitions qui marquent publiquement la peine que la communauté a encourue par son crime. On fait aussi en particulier le procès aux principaux auteurs du crime & à leurs complices ; & s'ils sont condamnés à quelques peines pécuniaires, ils ne sont pas tenus de celles qui ont été prononcées contre la communauté.

COMMUNAUTES LAÏQUES, qu'on appelle aussi communautés séculieres, sont des corps & compagnies composées de personnes laïques unies pour leurs intérêts communs ; telles sont les corps de ville & les communautés d'habitans ; les compagnies de justice composées des magistrats d'un même tribunal ; les autres compagnies d'officiers, telles que celles des procureurs, notaires, huissiers, & autres semblables ; le collége des secrétaires du Roi, les universités, & même chaque collége qui en dépend, les hôpitaux, & autres corps semblables.

COMMUNAUTE légale de biens, est celle qui a lieu de plein droit entre conjoints, en vertu de la loi ou de la coûtume, sans qu'elle ait été stipulée par le contrat de mariage.

COMMUNAUTE DE MARCHANDS, voyez à l'article COMMUNAUTE (Commerce), & ci-après MARCHAND.

COMMUNAUTE DES PROCUREURS, est l'assemblée de ceux des procureurs au parlement qui sont préposés pour administrer les affaires de la compagnie, & qu'on appelle par cette raison procureurs de communauté. Cette assemblée se tient dans une chambre du palais qui est près de la chapelle S. Nicolas, & qu'on appelle la communauté. On ne doit pas confondre cette assemblée avec la communauté des avocats & procureurs. Voyez ci-devant COMMUNAUTE DES AVOCATS, &c.

COMMUNAUTE, (Procureurs de) voyez ci-devant au mot COMMUNAUTE DES AVOCATS & PROCUREURS, & ci-après au mot PROCUREURS.

COMMUNAUTES REGULIERES, sont des maisons composées de personnes unies en un même corps, qui vivent selon une regle canonique ou monastique ; tels sont les chapitres de chanoines réguliers, les couvens de chanoinesses régulieres, & tous les couvens & monasteres de religieux & de religieuses en général.

COMMUNAUTES SECULIERES. On comprend sous ce nom deux sortes de communautés ; savoir les communautés laïques & les communautés ecclésiastiques séculieres, que l'on appelle ainsi par opposition aux communautés régulieres.

COMMUNAUTES TACITES, sont des sociétés qui se forment sans contrat par écrit dans certaines coûtumes & entre certaines personnes, par la demeure & vie commune pendant un an & jour, avec intention de vivre en communauté.

Ces sociétés ou communautés tacites avoient lieu autrefois dans tout le pays coûtumier ; mais lors de la rédaction des coûtumes par écrit, l'usage n'en a été retenu que dans un petit nombre de coûtumes, où il se pratique même diversement. Ces coûtumes sont Angoumois, Saintonge, Poitou, Berri, Bourbonnois, Nivernois, Auxerre, Sens, Montargis, Chartres, Château-neuf, Dreux, Chaumont, & Troyes.

Quelques-unes de ces coûtumes n'admettent de communauté tacite qu'entre freres demeurans ensemble, comme celle de Bourbonnois.

D'autres les admettent entre tous parens & lignagers, comme Montargis, Chartres, Dreux, &c.

La plûpart les reçoivent entre toutes sortes de personnes, parens ou autres.

A Troyes elles ont lieu entre nobles & roturiers ; en Angoumois, Saintonge, & Poitou, entre roturiers seulement ; & dans ces dernieres coûtumes, les ecclésiastiques roturiers qui demeurent avec des personnes de même condition, deviennent communs de même que les séculiers.

Ceux entre lesquels se forment ces communautés tacites, sont appellés communs, communiers, copersonniers ou compersonniers, & personniers, consorts, &c.

Lorsqu'un des communiers se marie, sa femme n'entre point en chef dans la communauté générale ; elle ne fait qu'une tête avec son mari.

Les mineurs n'entrent point dans ces communautés tacites, à moins que leur pere n'eût été de la communauté ; auquel cas, s'il n'y a point eu d'inventaire, les enfans mineurs ont la faculté de demander la continuation de la communauté.

Les conditions requises par les coûtumes pour que la communauté ait lieu, sont,

1°. Que les parens ou autres associés soient majeurs.

2°. Qu'ils soient usans de leurs droits : ainsi un fils de famille ne peut être en communauté avec son pere, en la puissance duquel il est, si ce n'est qu'il mette son pécule castrense, ou quasi-castrense, en communauté.

3°. Les associés doivent avoir une même demeure, & vivre en commun ; ce que les coûtumes appellent vivre à commun pot, sel & dépense. Quelques coûtumes veulent qu'outre la vie commune, il y ait aussi mélange de biens, & communication de gains & de pertes.

4°. Il faut avoir vécu ensemble de cette maniere pendant an & jour.

Enfin pour que la communauté tacite ait lieu, il faut que ceux qui demeurent ensemble n'ayent point fait d'acte qui annonce une intention de leur part d'exclure la communauté ; qu'au contraire il paroisse que leur intention est d'être en société, & que les actes qu'ils passent soient faits au nom commun.

Quant aux biens qui entrent dans ces communautés tacites, ce sont tous les meubles présens & à venir, & les conquêts immeubles ; les propres n'y sont pas compris, à moins qu'il n'y eût quelqu'acte qui marquât une intention des copersonniers de mettre en communauté tous leurs biens.

On établit ordinairement un maître ou chef de la communauté tacite, lequel a le pouvoir d'en régir les biens, & d'engager la communauté : mais si elle est de tous biens, on restraint son pouvoir à la libre disposition des meubles & conquêts immeubles ; il ne peut même en aucun cas aliéner les immeubles à titre gratuit.

Le facteur ou agent de la communauté a le même droit que celui qui en est le chef, pour l'administration & la disposition des biens ; il oblige pareillement les associés.

S'il n'y a ni chef ni facteur établi, chacun des personniers peut agir pour la communauté.

La mort naturelle d'un des associés fait finir la communauté, même à l'égard des autres associés, à moins qu'il n'y eût convention au contraire.

Elle finit aussi par la condamnation d'un des associés à une peine qui emporte mort civile.

Elle se dissout encore par l'inexécution de la condition sous laquelle elle s'étoit formée.

Un des associés peut renoncer à la communauté, pourvû que ce ne soit pas en fraude de ses associés ; & dans le cas où la renonciation est valable, elle opere la dissolution de la communauté, tant à son égard que pour les autres associés.

La discussion générale des biens d'un associé opere aussi le même effet.

Celui qui gere les biens & affaires de la communauté peut être contraint d'en rendre compte chaque année.

En cas de dissolution de la communauté, chaque associé peut demander partage des biens qui sont de nature à pouvoir être partagés. Voyez le traité des communautés ou sociétés tacites de Lebrun ; Boucheul, sur l'art. 231. de la coût. de Poitou ; & ci-devant aux mots COMMUNAUX, COMMUNAUTE D'HABITANS, & ci-après COMMUNES. (A)

COMMUNAUTE, (Commerce). On entend par ce mot la réunion des particuliers qui exercent un même art ou un même métier, sous certaines regles communes qui en forment un corps politique.

Les Romains sont le seul peuple qui nous fournisse dans l'antiquité l'exemple de ces sortes de corporations : l'origine en étoit dûe à la sage politique de Numa. Il les imagina, dit Plutarque, pour multiplier les intérêts particuliers dans une société composée de deux nations, & pour détourner les esprits d'une partialité qui séparoit trop entr'eux les descendans des Romains & des Sabins, devenus citoyens de la même ville. Ces communautés étoient connues à Rome sous le nom de colléges. Ce mot s'est long-tems conservé dans les villes Anséatiques, pour signifier l'assemblée des marchands, & enfin le lieu où ils s'assemblent pour négocier entr'eux.

Il est assez difficile de décider quelle a été l'origine du renouvellement des communautés dans les empires fondés par les Barbares sur les ruines de celui des Romains : il est vraisemblable que la tradition conserva le souvenir de cet usage des Romains, & que les seigneurs particuliers le firent revivre dans leurs districts par un motif différent. D'abord ce fut sans-doute pour honorer les Arts, & les encourager par des priviléges ou des distinctions. On en voit même encore quelques traces dans l'esprit actuel de ces diverses communautés, qui se disputent sans-cesse de prééminence, d'ancienneté, & qui cherchent à s'isoler ; à moins que ce ne soit l'idée générale de tout ce qui forme une société particuliere.

Ces corps politiques n'entrerent pas toûjours dans les vûes des législateurs, & dans les tems de troubles ils faciliterent quelquefois la rébellion. On les a vû à Gand s'armer contre leurs maîtres en 1301. Jacques d'Artevel, en 1336, de brasseur de biere, devint le chef des Flamands par son crédit parmi les communautés : en 1404, les ouvriers de Louvain égorgerent leurs magistrats.

Chez des peuples plus fideles, les souverains en ont retiré d'assez grands secours.

En Angleterre ces priviléges forment une partie de la liberté politique. Ces corporations s'y appellent mistery, nom qui convient assez à leur esprit. Par-tout il s'y est introduit des abus. En effet ces communautés ont des lois particulieres, qui sont presque toutes opposées au bien général & aux vûes du législateur. La premiere & la plus dangereuse, est celle qui oppose des barrieres à l'industrie, en multipliant les fraix & les formalités des réceptions. Dans quelques communautés même où le nombre des membres est limité, & dans celles où la faculté d'en être membre est restrainte aux fils des maîtres, on ne voit qu'un monopole contraire aux lois de la raison & de l'état, une occasion prochaine de manquer à celles de la conscience & de la religion.

Le premier principe du Commerce est la concurrence ; c'est par elle seule que les Arts se perfectionnent, que les denrées abondent, que l'état se procure un grand superflu à exporter, qu'il obtient la préférence par le bon marché, enfin qu'il remplit son objet immédiat d'occuper & de nourrir le plus grand nombre d'hommes qu'il lui est possible.

Il n'est aucune exception à cette regle, pas même dans les communautés où il se présente de grandes entreprises. Dans ces circonstances, les petites fortunes se réunissent pour former un capital considérable, les intérêts de la société en sont plus mêlés : le crédit de ces fortunes divisées est plus grand que s'il étoit réuni sur deux ou trois têtes ; & dans le cas même où elles ne se réuniroient pas, dès qu'il y a beaucoup d'argent dans une nation, il est constant qu'aucune entreprise lucrative ne manquera d'actionnaires.

Les profits des particuliers diminueront, mais la masse générale du gain sera augmentée ; c'est le but de l'état.

On ne peut citer dans ces matieres une autorité plus respectable que celle du célebre Jean de Wit : voici ce qu'il dit au ch. x. de la premiere partie de ses mémoires.

" Le gain assûré des corps de métiers ou de marchands, les rend indolens & paresseux, pendant qu'ils excluent des gens fort habiles, à qui la nécessité donneroit de l'industrie : car il est constant que la Hollande qui est si chargée, ne peut conserver l'avantage de tenir les autres peuples hors du Commerce, que par le travail, l'industrie, la hardiesse, le bon ménage, & la sobriété des habitans.... Il est certain que les Hollandois n'ont jamais perdu aucun commerce en Europe par le trop grand transport des marchandises, tant que le trafic a été libre à un chacun ".

Ce qu'a dit ce grand homme pour le commerce & les manufactures de sa patrie, peut être appliqué à tous les pays. L'expérience seule peut ajoûter à l'évidence de son principe : comme de voir des communautés dont les apprentis ne peuvent être mariés ; réglement destructif de la population d'un état : des métiers où il faut passer sept années de sa vie en apprentissage ; statut qui décourage l'industrie, qui diminue le nombre des artistes, ou qui les fait passer chez des peuples qui ne leur refusent pas un droit que mérite leur habileté.

Si les communautés des marchands ou des artistes veulent se distinguer, ce doit être en concourant de tout leur pouvoir au bien général de la grande société : elles demanderont la suppression de ceux de leurs statuts qui ferment la porte à l'industrie : elles diminueront leurs fraix, leurs dettes, leurs revenus ; revenus presque toûjours consommés en mauvais procès, en repas entre les jurés, ou en autres dépenses inutiles ; elles conserveront ceux qu'employent les occasions nécessitées, ou quelque chose de plus, pour récompenser d'une main équitable, soit les découvertes utiles relatives à leur art, soit les ouvriers qui se seront le plus distingués chaque année par leurs ouvrages.

L'abus n'est pas qu'il y ait des communautés, puisqu'il faut une police ; mais qu'elles soient indifférentes sur le progrès des Arts mêmes dont elles s'occupent ; que l'intérêt particulier y absorbe l'intérêt public, c'est un inconvénient très-honteux pour elles. Sur le détail des communautés, consultez le dictionn. du Comm. & les différens articles de celui-ci. Art. de M. V. D. F.


COMMUNAUX(Jurispr.) voyez ci-dev. COMMUNAL, & ci-après COMMUNES.


COMMUNou COMMUNES, (Jurispr.) signifie quelquefois le menu peuple d'une ville ou bourg. C'est aussi une espece de société que les habitans ou bourgeois d'un même lieu contractent entr'eux par la permission de leur seigneur, au moyen de laquelle ils forment tous ensemble un corps, ont droit de s'assembler & délibérer de leurs affaires communes, de se choisir des officiers pour les gouverner, percevoir les revenus communs, d'avoir un sceau & un coffre commun, &c.

L'origine des concessions de communes est fort ancienne : on tient que les Gaulois joüissoient de ce droit sous les Romains ; & il y a quelques priviléges semblables accordés par les rois de la seconde race.

Louis-le-Gros passe néanmoins communément pour le premier qui les ait établi. La plûpart de ses sujets, même de ceux qui habitoient les villes, étoient encore serfs ; ils ne formoient point de corps entr'eux, & ne pouvoient par conséquent s'assembler : c'est pourquoi ils se racheterent, moyennant une somme considérable qu'ils payoient au roi ou autre seigneur pour toute redevance.

La premiere charte de commune qui soit connue, est celle que Louis-le-Gros accorda à la ville de Laon en 1112 ; elle excita une sédition contre l'évêque. La commune d'Amiens fut étable en 1114. Louis-le-Jeune & Philippe Auguste multiplierent l'établissement de ces communes, dont l'objet étoit de mettre les sujets à couvert de l'oppression & des violences des seigneurs particuliers, de donner aux villes des citoyens & des juges, & aux rois des affranchis en état de porter les armes.

Ceux qui composoient la commune se nommoient proprement bourgeois, & élisoient de leur corps des officiers pour les gouverner, sous les noms de maire, jurés, échevins, &c. c'est l'origine des corps de ville. Ces officiers rendoient la justice entre les bourgeois.

La commune tenoit sur pié une milice reglée où tous les habitans étoient enrôlés, & imposoit, lorsqu'il étoit nécessaire, des tailles extraordinaires.

Le roi n'établissoit des communes que dans ses domaines, & non dans les villes des hauts seigneurs ; excepté à Soissons, dont le comte n'étoit pas assez puissant pour l'empêcher.

Il n'y en avoit cependant pas dans toutes les villes : c'est ce que dit Philippe VI. dans des lettres du mois de Mars 1331. Ces villes qui n'avoient point de communes étoient gouvernées par les officiers du roi.

Les villes de communes étoient toutes réputées en la seigneurie du roi : elles ne pouvoient sans sa permission prêter à personne, ni faire aucun présent, excepté de vin, en pots ou en barrils. La commune ne pouvoit députer en cour que le maire, le greffier, & deux autres personnes ; & ces députés ne devoient pas faire plus de dépense que si c'eût été pour eux. Les deniers de la commune devoient être mis dans un coffre. La commune pouvoit lever annuellement une taille sur elle-même pour ses besoins. C'est ce que l'on trouve dans deux réglemens faits par S. Louis en 1256.

Quelques villes du premier ordre, telles que Paris, étoient tenues pour libres, & avoient leurs officiers, sans avoir jamais obtenu de charte ou concession de commune.

Les seigneurs, & sur-tout les ecclésiastiques, conçûrent bien-tôt de l'ombrage de l'établissement des communes, parce que leurs terres devenoient desertes par le grand nombre de leurs sujets qui se réfugioient dans les lieux de franchise : mais les efforts qu'ils firent pour ôter aux villes & bourgs le droit de commune, hâta la destruction de leur tyrannie ; car dès que les villes prenoient les armes, le roi venoit à leur secours ; & Louis VIII. déclara qu'il regardoit comme à lui appartenantes toutes les villes dans lesquelles il y avoit des communes.

La plûpart des seigneurs, à l'imitation de nos rois, affranchirent aussi leurs sujets, & les hauts seigneurs établirent des communes dans les lieux de leur dépendance. Le comte de Champagne en accorda une en 1179 pour la ville de Meaux.

Il ne faut cependant pas confondre les simples affranchissemens avec les concessions de commune : la Rochelle étoit libre dès 1199, avant l'établissement de la commune.

Les concessions de communes faites par le roi, & celles faites par les seigneurs, lorsqu'elles ont été confirmées par le roi, sont perpétuelles & irrévocables, à moins que les communautés n'ayent mérité d'en être privées par quelque mauvaise action ; comme il arriva aux habitans de la ville de Laon sous Louis VI. pour avoir tué leur évêque, & aux Rochelois sous Louis XIII. à cause de leur rebellion.

La plûpart des priviléges qui avoient été accordés aux communes, tels que la justice, le droit d'entretenir une milice sur pié, de faire des levées extraordinaires, leur ont été ôtées peu-à-peu par nos rois. L'ordonnance de Moulins, art. 71. leur ôta la justice civile, leur laissant encore l'exercice de la justice criminelle & de la police. Mais cela a encore depuis été beaucoup restreint, & dans la plûpart des villes les officiers municipaux n'ont plus aucune jurisdiction ; quelques-uns ont seulement une portion de la police.

Sur l'établissement des communes, voyez Chopin, de dom. lib. III. tit. xx. n. 5. & seq. La Thaumassiere, sur les coûtumes locales de Berri, ch. xjx. Ducange, gloss. lat. verb. communantia ; Hauteserre, de ducibus, cap. jv. in fine ; Desid. Heraldus, quaest. quotid. p. 93. & 94. les auteurs de la préface de la bibliotheque des coûtumes ; le recueil des ordonn. de la troisieme race ; hist. ecclésiastiq. de Fleury, tome XIV. in -12. liv. LXVI. p. 157 & 158. le président Bouhier, en ses observ. sur la coûtume de Bourgogne, ch. lj. p. 31. & le président Hénault, à la fin de son abregé de l'hist. de France. (A)

COMMUNE, (Jurispr.) en tant que ce terme s'applique à quelque pâturage, signifie tout pâturage appartenant à une communauté d'habitans, soit que ce pâturage soit un bas pré, ou que ce soit quelque autre lieu de pascage, tel que les landes & bruyeres ; soit en plaine ou sur les montagnes & côteaux. En quelques endroits on les nomme uselles, quasi usalia ; en d'autres usines : ce qui vient toûjours du mot usage.

La propriété des communes appartient à toute la communauté ensemble, de maniere que chaque habitant en particulier ne peut disposer seul du droit qu'il a dans la propriété : la communauté même ne peut en général aliéner ses communes ; & s'il se trouve des cas où elle est autorisée en justice à le faire, ce n'est qu'avec toutes les formalités établies pour l'aliénation des biens des gens de main-morte.

On tient aussi pour maxime, que les communes ne peuvent être saisies réellement, ni vendues par decret, même pour dettes de la communauté ; que l'on peut seulement imposer la dette commune sur les habitans, pour être par eux acquittée aux portions & dettes convenables. Voyez ci-devant COMMUNAUTE D'HABITANS.

Quant à l'usage des communes, il appartient à chaque habitant, tellement que chacun peut y faire paître tel nombre de bestiaux qu'il veut, même un troupeau étranger, pourvû qu'il soit hebergé dans le lieu dont dépend la commune, en quoi il y a une différence essentielle entre les communes & les terres des particuliers sujettes à la vaine pâture : car dans ces dernieres auxquelles on n'a droit de pascage que par une société tacite, l'usage de ce droit doit être proportionné aux terres que chacun possede dans le lieu ; ensorte que ceux qui n'y ont point de terres, ne peuvent faire pâturer leurs bestiaux sur celles des autres ; & ceux qui ont des terres, ne peuvent envoyer des bestiaux dans les vaines pâtures, qu'à proportion de la quantité de terres qu'ils possedent dans la paroisse : ils ne peuvent avoir qu'une bête à laine par arpent de terre en labour ; & à l'égard des autres bestiaux, ils ne peuvent y envoyer que ceux qui sont nécessaires pour leur usage, & qu'ils sont en état de nourrir pendant l'hyver du produit de leur récolte : au lieu que dans les communes, chaque habitant a la liberté d'envoyer tant de bestiaux que bon lui semble, pourvû néanmoins que le pâturage y puisse suffire ; autrement chacun ne pourroit en user qu'à proportion de ce qu'il supporte de charges dans la paroisse.

Le seigneur du lieu participe à l'usage des communes, comme premier habitant ; il peut même demander qu'il lui en soit fait un triage, c'est-à-dire qu'on en distingue un tiers qui ne soit que pour son usage : mais pour savoir en quel cas il peut demander ce triage, il faut distinguer.

Si la commune a été cédée aux habitans à la charge de la tenir du seigneur, moyennant un cens ou autre redevance, soit en argent, grain, corvées, ou autrement ; en ce cas la concession est présumée faite à titre onéreux, quand même le titre primitif n'en seroit pas rapporté par les habitans ; & comme il y a eu aliénation de la propriété utile de la part du seigneur au profit des habitans, le seigneur ne peut pas rentrer dans cette propriété en tout ni en partie ; & par une suite du même principe, il ne peut demander partage ou triage pour joüir de son tiers séparément.

Mais si la concession de la commune a été faite gratuitement par le seigneur ou par ses auteurs, qu'ils n'ayent donné aux habitans que l'usage de la commune, & non la propriété ; en ce cas le seigneur est toûjours réputé propriétaire de la commune ; il peut en tout tems demander un partage ou triage pour avoir son tiers à part & divis, pourvû que les deux autres tiers suffisent pour l'usage des habitans, sinon le partage n'auroit pas lieu, ou du moins on le régleroit autrement.

Ce partage ou triage n'est admis que pour les communes de grande étendue, parce qu'on ne présume pas qu'il soit préjudiciable : mais pour les petites communes, par exemple au-dessous de cinquante arpens, on ne reçoit pas le seigneur à en demander le triage.

Quand il y a plusieurs seigneurs, il faut qu'ils demandent tous conjointement à faire le triage.

Les seigneurs qui ont leur tiers à part, ne peuvent plus ni eux, ni leurs fermiers, user du surplus des communes.

Lorsqu'une même commune sert pour plusieurs paroisses, villages, hameaux, les habitans de ces différens lieux peuvent aussi demander qu'il soit fait un triage ou partage, pourvû qu'il soit fait avec toutes les parties intéressées, présentes ou dûement appellées : au moyen du partage qui est fait entr'eux, chaque paroisse, chaque village ou hameau, & même quelquefois chaque canton de village, a son triage distinct & séparé ; auquel cas, le terme de triage ne signifie pas toûjours un tiers de la commune : car les parts que l'on assigne aux habitans de chaque lieu, sont plus ou moins fortes, selon le nombre des lieux & des habitans qui les composent.

L'ordonnance de 1669, tit. xxjv. art. 7. porte que si dans les pâtures, marais, prés, & pâtis échus au triage des habitans, ou tenus en commun sans partage, il se trouvoit quelques endroits inutiles & superflus, dont la communauté pût profiter sans incommoder le pâturage, ils pourront être donnés à ferme, après un résultat d'assemblée faite dans les formes, pour une, deux, ou trois années, par adjudication des officiers des lieux, sans fraix ; & le prix employé aux réparations des paroisses dont les habitans sont tenus, ou autres urgentes affaires de la communauté.

Chaque habitant en particulier ne peut demander qu'on lui assigne sa part de la commune ; ce seroit contrevenir directement à l'objet que l'on a eu lors de la concession de la commune, & anéantir l'avantage que la communauté en doit retirer à perpétuité.

Mais chaque habitant peut céder ou loüer son droit indivis de pâturage dans la commune à un étranger, pourvû que celui-ci en use comme auroit fait son cédant, & n'y mette pas plus de bestiaux qu'il en auroit mis. Voyez le journ. des aud. arrêt du 1. Septembre 1705.

En 1667 le roi fit remise aux communautés d'habitans du tiers ou triage, qu'il étoit en droit de leur demander dans les communes relevantes de lui. La même chose fut ordonnée pour les droits de tiers ou triage, que les seigneurs particuliers pouvoient s'être fait faire depuis l'an 1630. Les triages plus anciens furent conservés aux seigneurs, en rapportant leur titre. Voyez le journ. des aud. aux arrêts des 25 Avril 1651, & 24 Mai 1658 ; Despeisses, tom. I. pag. 124. Basnage, sur l'article lxxxij. de la coût. de Normandie ; & le dict. des arrêts, au mot communes & usages.

Les amendes & confiscations qui s'adjugent pour les prés & pâtis communs contre les particuliers, appartiennent au seigneur haut-justicier, excepté en cas de réformation, où elles appartiennent au Roi ; mais les restitutions & dommages & intérêts appartiennent toûjours à la paroisse, & doivent être mis ès mains d'un syndic ou d'un notable habitant, nommé à cet effet à la pluralité des suffrages, pour être employés aux réparations & nécessités publiques. Ordonn. de 1669. tit. xxjv. art. 21. & 22.

On comprend aussi quelquefois les bois des communautés sous le titre de communes ; mais on les appelle plus ordinairement bois communs ou bois communaux. Voyez l'ordonn. de 1669. tit xxjv.

COMMUNE, (Jurispr.) femme commune ou commune en biens, est celle qui est en communauté de biens avec son mari, ou en continuation de communauté avec les enfans de son mari décédé.

Femme non commune, est celle qui a été mariée dans un pays où la communauté n'a pas lieu, ou qui a stipulé en se mariant qu'il n'y auroit point de communauté.

Il ne faut pas confondre la femme séparée de biens, avec la femme non commune.

Une femme peut être séparée de biens par contrat de mariage, ou depuis ; & dans l'un & l'autre cas, elle a l'administration de son bien : au lieu que la femme qui est simplement non commune, ne peut devenir telle que par le contrat exprès ou tacite du mariage ; & elle n'a pas pour ce l'administration de ses biens, si ce n'est de ses paraphernaux. Voyez ci-devant COMMUNAUTE, & ci-après PARAPHERNAUX.

COMMUNE RENOMMEE, (Jurisp.) voyez PREUVE par commune renommée. (A)

COMMUNES, (Hist. mod.) nom qu'on donne en Angleterre à la seconde chambre du parlement, ou à la chambre basse, composée des députés des provinces ou comtés, des villes, & des bourgs. Voyez PARLEMENT, CHAMBRE HAUTE, DEPUTE.

Tout le peuple donnoit anciennement sa voix aux élections de ces députés. Mais, dans le xv. siecle, le roi Henri VI. pour éviter le tumulte trop ordinaire dans les grandes assemblées tenues à ce sujet, ordonna le premier, que personne ne pourroit voter pour la nomination des députés de la province, que les ycomans ou les possesseurs de francs-fiefs au moins de 40 schelins de revenu annuel, & qui habitoient dans la même province ; que les personnes élûes pour les provinces, seroient de condition noble, & au-moins écuyers ou gentilshommes, qualifiés pour être chevaliers, anglois de naissance, ou au-moins naturalisés, de l'âge de vingt-un ans & non au-dessous, & que personne ne pourroit prendre séance dans la chambre des communes, s'il étoit juge ou prevôt d'une comté, ou ecclésiastique.

Pendant la séance du parlement, tous les membres de la chambre basse joüissent des mêmes priviléges que ceux de la chambre haute ; c'est-à-dire qu'eux, & tous les serviteurs & domestiques, sont exempts de toutes poursuites, arrêts, & emprisonnemens, à-moins qu'ils ne soient accusés de trahison, de meurtre, ou de rupture de paix. Tous les meubles nécessaires qu'ils transportent avec eux pendant la séance, sont aussi exempts de saisie. Ce privilége s'étendoit autrefois depuis le moment de leur départ de chez eux, jusqu'à celui de leur retour : mais par un acte du parlement, passé de nos jours sous le regne de Georges I. il fut ordonné qu'aussi-tôt que le parlement seroit dissous ou prorogé, les créanciers seroient en droit de poursuivre tous les membres qui auroient contracté des dettes.

Les membres de la chambre des communes n'ont ni robes de cérémonie comme les pairs, ni rang & places marquées dans leur chambre ; ils y siégent tous confusément : il n'y a que l'orateur qui ait un fauteuil ou une espece de siége à bras, situé vers le haut bout de la chambre ; son clerc & son assistant sont assis à côté de lui. Ces trois officiers sont aussi les seuls qui ayent des robes, aussi-bien que les députés pour la ville de Londres & quelquefois les professeurs en Droit pendant le tems de la plaidoierie.

Le premier jour que s'assemble un nouveau parlement, avant qu'on entame aucune affaire, tous les membres des communes prêtent serment entre les mains du grand-maître de la maison du roi, & dans la cour des pupilles. Ensuite ils procedent à l'élection d'un orateur, & après cette élection, & que l'orateur a été agréé par le roi, ils prêtent serment une seconde fois. Voyez ORATEUR.

Les principaux priviléges de la chambre des communes sont, que tous les bills pour lever de l'argent sur les sujets, sortent immédiatement de la chambre des communes ; parce que c'est sur eux que se leve la plus grande partie des impositions : ils ne souffrent pas même que les seigneurs fassent aucun changement à ces sortes de bills. Les communes sont proprement les grandes enquêtes du royaume ; elles ont le privilége de proposer des lois, de représenter les calamités publiques, d'accuser les criminels d'état, même les plus grands officiers du royaume, & de les poursuivre comme partie publique à la chambre des seigneurs, qui est la suprème chambre de justice de la nation ; mais elles n'ont pas droit de juger, comme elles l'ont elles-mêmes reconnu en 1680 sous le roi Charles II.

Autrefois on accordoit aux membres des communes, des sommes pour leurs dépenses pendant la séance du parlement, rationabiles expensas : ce sont les termes des lettres circulaires ; c'est-à-dire tels appointemens que le roi, en considérant le prix des choses jugera à-propos d'imposer au peuple, que ces députés représentent, & aux dépens duquel ceux-ci devoient être défrayés. Dans l'article xvij. du réglement d'Edoüard II. ces appointemens étoient a ors de dix groats pour chaque député de la province, & de cinq pour ceux des bourgs, somme modique relativement au taux présent des monnoies, & au prix des choses ; mais qui étoit alors suffisante, & même considérable. Depuis ils monterent jusqu'à 4 schelins par jour pour ceux qui étoient chevaliers, & 2 schelins pour les autres. Aujourd'hui les communes ne reçoivent plus d'appointemens ; l'impôt ne laisse pas que de se lever : mais ces fonds sont employés à d'autres dépenses. On a cru que de bons citoyens étoient assez indemnisés par l'honneur qu'ils reçoivent de soûtenir les intérêts de la nation, sans vendre leurs services pour une modique rétribution.

Les communes, ou plûtôt le tiers état, en Angleterre, se dit par opposition aux nobles & aux pairs, c'est-à-dire de toutes sortes de personnes au-dessous du rang de baron, car dans ce royaume il n'y a des nobles, suivant la loi, que les barons ou les seigneurs membres de la chambre haute : tout le reste, comme les chevaliers, écuyers, &c. ne sont pas nobles ; on les regarde seulement comme étant d'une bonne famille. Ainsi un gentilhomme n'est autre chose qu'un homme issu d'une famille honnête, qui porte des armes, & qui a un certain revenu. Le tiers état comprend donc les chevaliers, les écuyers, les gentilshommes, les fils de la noblesse qui ne sont pas titrés, & les ycomans. Voyez ÉCUYER, GENTILHOMME, YCOMAN ou YEMAN. (G)


COMMUNIBUSCOMMUNIBUS

Ainsi on lit dans quelques auteurs anglois, que l'Océan est d'un quart de mille de profondeur, communibus locis, dans les lieux moyens ou communs, en prenant un milieu entre les profondeurs de différens endroits de l'Océan. Le mille d'Angleterre est le tiers d'une lieue commune de France ; desorte qu'un quart de mille répond à environ un douzieme de nos lieues, ou à-peu-près deux cent toises. Nous doutons que la profondeur moyenne de l'Océan ne soit pas plus grande. (O)


COMMUNICANTSS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'Anabaptistes dans le seizieme siecle : ils furent ainsi nommés de la communauté de femmes & d'enfans qu'ils avoient établie entr'eux, à l'exemple des Nicolaïtes. Prateole, 5. comm. Sanderus, her. 198. Gautier, dans sa chron. xvj. siecle. (G)


COMMUNICATION(Gram.) ce terme a un grand nombre d'acceptions, qu'on trouvera ci-après. Il désigne quelquefois l'idée de partage ou de cession, comme dans communication du mouvement ; celle de contiguité, de communauté, & de continuité, comme dans communication de deux canaux, portes de communication ; celle d'exhibition par une personne à une autre, comme dans communication de pieces, &c.

COMMUNICATION DU MOUVEMENT, est l'action par laquelle un corps qui en frappe un autre, met en mouvement le corps qu'il frappe.

L'expérience nous fait voir tous les jours, que les corps se communiquent du mouvement les uns aux autres. Les Philosophes ont enfin découvert les lois suivant lesquelles se fait cette communication, après avoir long-tems ignoré qu'il y en eût, & après s'être long-tems trompé sur les véritables. Ces lois confirmées par l'expérience & par le raisonnement, ne sont plus révoquées en doute de la plus saine partie des Physiciens. Mais la raison métaphysique, & le principe primitif de la communication du mouvement, sont sujets à beaucoup de difficultés.

Le P. Malebranche prétend que la communication du mouvement n'est point nécessairement dépendante de principes physiques, ou d'aucune propriété des corps, mais qu'elle procéde de la volonté & de l'action immédiate de Dieu. Selon lui, il n'y a pas plus de connexion entre le mouvement ou le repos d'un corps, & le mouvement ou le repos d'un autre, qu'il n'y en a entre la forme, la couleur, la grandeur, &c. d'un corps & celle d'un autre ; & ce philosophe conclut de-là, que le mouvement du corps choquant n'est point la cause physique du mouvement du corps choqué.

Il n'y a point de doute que la volonté du Créateur ne soit la cause primitive & immédiate de la communication du mouvement, comme de tous les autres effets de la nature. Mais il nous est permis d'entrer dans les vûes de l'Etre suprème, nous devons croire que les lois de la communication du mouvement qu'il a établies, sont celles qui convenoient le mieux à la sagesse & à la simplicité de ses desseins. Ce principe du P. Malebranche, qu'il n'y a pas plus de connexion entre le mouvement d'un corps & celui d'un autre, qu'entre la figure & la couleur de ces corps, ne paroît pas exactement vrai : car il est certain que la figure & la couleur d'un corps n'influe point sur celle d'un autre ; au lieu que quand un corps A en choque un autre B, il faut nécessairement qu'il arrive quelque changement dans l'état actuel de l'un de ces corps, ou dans l'état de tous les deux ; car le corps B étant impénétrable, le corps A ne peut continuer son chemin suivant la direction qu'il avoit, à-moins que le corps B ne soit déplacé ; ou si le corps A perd tout son mouvement, en ce cas ce corps A change par la rencontre du corps B son état de mouvement en celui de repos. C'est pourquoi il faut nécessairement que l'état du corps B change, ou que l'état du corps A change.

De-là on peut tirer une autre conséquence ; c'est que l'impénétrabilité des corps, qui est une de leurs propriétés essentielles, demandant nécessairement que le choc de deux corps produise du changement dans leur état, il a été nécessaire au Créateur d'établir des lois générales pour ces changemens : or quelques-unes de ces lois ont dû nécessairement être déterminées par la seule impénétrabilité, & en général par la seule essence des corps ; par exemple, deux corps égaux & semblables sans ressort, venant se frapper directement avec des vîtesses égales, c'est une suite nécessaire de leur impénétrabilité qu'ils restent en repos. Il en est de même, si les masses de ces corps sont en raison inverse de leurs vîtesses. Or si d'après ce principe, on peut déterminer généralement les lois de la communication du mouvement, ne sera-t-il pas bien vraisemblable que ces lois sont celles que le Créateur a dû établir par préférence, puisque ces lois seroient fondées sur des principes aussi simples qu'on pourroit le desirer, & liées en quelque maniere à une propriété des corps aussi essentielle que l'impénétrabilité ? On peut voir ce raisonnement plus développé dans l'article PERCUSSION.

Lois de la communication du mouvement. Dans la suite de cet article nous appellerons mouvement d'un corps ou degré de mouvement, un nombre qui exprime le produit de la masse de ce corps par sa vîtesse ; & en effet, il est évident que le mouvement d'un corps est d'autant plus grand que sa masse est plus grande, & que sa vîtesse est plus grande ; puisque plus sa masse & sa vîtesse sont grandes, plus il a de parties qui se meuvent, & plus chacune de ces parties a de vîtesse.

Si un corps qui se meut frappe un autre corps déjà en mouvement, & qui se meuve dans la même direction, le premier augmentera la vîtesse du second, mais perdra moins de sa vîtesse propre, que si ce dernier avoit été absolument en repos.

Par exemple, si un corps en mouvement triple d'un autre corps en repos, le frappe avec 32d de mouvement, il lui communiquera 8d de son mouvement, & n'en gardera que 24 : si l'autre corps avoit eu déjà 4d de mouvement, le premier ne lui en auroit communiqué que 5, & en auroit gardé 27, puisque ces 5d. auroient été suffisans par rapport à l'inégalité de ces corps, pour les faire continuer à se mouvoir avec la même vîtesse. En effet dans le premier cas, les mouvemens après le choc étant 8 & 24, & les masses 1 & 3, les vîtesses seront 8 & 8, c'est-à-dire égales ; & dans le second cas, on trouvera de même que les vîtesses seront 9 & 9.

On peut déterminer de la même maniere les autres lois de la communication du mouvement, pour les corps parfaitement durs & destitués de toute élasticité. Mais tous les corps durs que nous connoissons étant en même tems élastiques, cette propriété rend les lois de la communication du mouvement fort différentes, & beaucoup plus compliquées. Voyez ÉLASTICITE & PERCUSSION.

Tout corps qui en rencontre un autre, perd nécessairement une partie plus ou moins grande du mouvement qu'il a au moment de la rencontre. Ainsi un corps qui a déjà perdu une partie de son mouvement par la rencontre d'un autre corps, en perdra encore davantage par la rencontre d'un second, d'un troisieme. C'est pour cette raison qu'un corps qui se meut dans un fluide, perd continuellement de sa vîtesse, parce qu'il rencontre continuellement des corpuscules auxquels il en communique une partie.

D'où il s'ensuit, 1°. que si deux corps homogenes de différentes masses, se meuvent en ligne droite dans un fluide avec la même vîtesse, le plus grand conservera plus long-tems son mouvement que le plus petit : car les vîtesses étant égales par la supposition, les mouvemens de ces corps sont comme leurs masses, & chacun communique de son mouvement aux corps qui l'environnent, & qui touchent la surface en raison de la grandeur de cette même surface. Or quoique le plus grand corps ait plus de surface absolument que le plus petit, il en a moins à proportion, comme nous l'allons prouver ; donc il perdra à chaque instant moins de son mouvement que le plus petit.

Supposons, par exemple, que le côté d'un cube A soit de deux piés, & celui d'un cube B d'un pié ; les surfaces seront comme 4 à 1, & les masses comme 8 à 1 ; c'est pourquoi si ces corps se meuvent avec la même vîtesse, le cube A aura huit fois plus de mouvement que le cube B : donc, afin que chacun parvienne au repos en même tems, le cube A doit perdre à chaque moment huit fois plus de son mouvement que le cube B, mais cela est impossible ; car leurs surfaces étant l'une & l'autre comme 4 à 1, le corps A ne doit perdre que quatre fois plus de mouvement que le corps B, en supposant (ce qui n'est pas fort éloigné du vrai) que la quantité de mouvement perdue est proportionnelle à la surface : c'est pourquoi quand le cube B deviendra parfaitement en repos, A aura encore une grande partie de son mouvement.

2°. De-là nous voyons la raison pourquoi un corps fort long, comme un dard, lancé selon sa longueur, demeure en mouvement beaucoup plus longtems, que quand il est lancé transversalement ; car quand il est lancé suivant sa longueur, il rencontre dans sa direction un plus petit nombre de corps auxquels il est obligé de communiquer son mouvement, que quand il est lancé transversalement. Dans le premier cas, il ne choque que fort peu de corpuscules par sa pointe ; & dans le second cas, il choque tous les corpuscules qui sont disposés suivant la longueur.

3°. De-là il suit qu'un corps qui se meut presque entierement sur lui-même, desorte qu'il communique peu de son mouvement aux corps environnans, doit conserver son mouvement pendant un long tems. C'est pour cette raison qu'une boule de laiton polie, d'un demi-pié de diametre, portée sur un axe délié & poli, & ayant reçu une assez petite impulsion, tournera sur elle-même pendant un tems considérable. Voyez RESISTANCE, &c.

Au reste, quoique l'expérience & le raisonnement nous ayent instruits sur les lois de la communication du mouvement, nous n'en sommes pas plus éclairés sur le principe métaphysique de cette communication. Nous ignorons par quelle vertu un corps partage, pour ainsi dire, avec un autre le mouvement qu'il a ; le mouvement n'étant rien de réel en lui-même, mais une simple maniere d'être du corps, dont la communication est aussi difficile à comprendre que le seroit celle du repos d'un corps à un autre corps. Plusieurs philosophes ont imaginé les mots de force, de puissance, d'action, &c. qui ont embrouillé cette matiere au lieu de l'éclaircir. Voyez ces mots. Tenons-nous en donc au simple fait, & avoüons de bonne foi notre ignorance sur la cause premiere. (O)

COMMUNICATION D'IDIOMES, (Théol.) terme consacré parmi les Théologiens en traitant le mystere de l'Incarnation, pour exprimer l'application d'un attribut d'une des deux natures en Jesus-Christ à l'autre nature.

La communication d'idiomes est fondée sur l'union hypostatique des deux natures en Jesus-Christ. C'est par communication d'idiomes qu'on dit que Dieu a souffert, que Dieu est mort, &c. choses qui à la rigueur ne se peuvent dire que de la nature humaine, & signifient que Dieu est mort quant à son humanité, qu'il a souffert en tant qu'homme ; car, disent les Théologiens, les dénominations qui signifient les nature ou les propriétés de nature, sont des dénominations de supposita, c'est-à-dire de personnes. Or comme il n'y a en Jesus-Christ qu'une seule personne, qui est celle du Verbe, c'est à cette personne qu'il faut attribuer les dénominations des deux natures, & de leurs propriétés. Mais on ne sauroit par la communication d'idiomes attribuer à J. C. ce qui feroit supposer qu'il ne seroit pas Dieu ; car ce seroit détruire l'union hypostatique, qui est le fondement de la communication d'idiomes. Ainsi l'on ne sauroit dire que J. C. soit un pur homme, qu'il soit faillible, &c.

Les Nestoriens rejettoient cette communication d'idiomes, ne pouvant souffrir qu'on dit que Dieu avoit souffert, qu'il étoit mort : aussi admettoient-ils dans Jesus-Christ deux personnes. Voyez NESTORIENS.

Les Luthériens sont tombés dans l'excès opposé, en poussant la communication d'idiomes, & en prétendant que Jesus-Christ, non-seulement en tant qu'il est une des trois personnes divines, & à raison de sa divinité, mais encore en tant qu'homme, & à raison de son humanité, est immortel, immense. Voyez UBIQUISTES & UBIQUITE. (G)

COMMUNICATION, (Belles lett.) figure de rhétorique par laquelle l'orateur, sûr de la bonté de sa cause ou affectant de l'être, s'en rapporte sur quelque point à la décision des juges, des auditeurs, même à celle de son adversaire. Cicéron l'employe souvent ainsi dans l'oraison pour Ligarius : Qu'en pensez-vous, dit-il à César, croyez-vous que je sois fort embarrassé à défendre Ligarius ? Vous semble-t-il que je sois uniquement occupé de sa justification ? ce qu'il dit après avoir poussé vivement son accusateur Tuberon. Et dans celle pour Caius Rabirius, il s'adresse ainsi à Labienus son adversaire : Qu'eussiez-vous fait dans une occasion aussi délicate, vous qui prîtes la fuite par lâcheté, tandis que la fureur & la méchanceté de Saturnin vous appelloient d'un côté au capitole, & que d'un autre les consuls imploroient votre secours pour la défense de la patrie & de la liberté ? Quelle autorité auriez vous respectée ? Quelle voix auriez-vous écoutée ? Quel parti auriez-vous embrassé ? Aux ordres de qui vous seriez-vous soûmis ? Cette figure peut produire un très-grand effet, pourvû qu'elle soit placée à-propos. (G)

COMMUNICATION DE PIECES, (Jurisprudence) est l'exhibition, & même quelquefois la remise qui est faite d'une piece à la partie intéressée pour l'examiner ; sous ce terme de pieces on entend toutes sortes d'écrits, soit publics ou privés, tels que des billets & obligations, des contrats, jugemens, procédures, &c.

On ne doit pas confondre la signification ni l'acte de baillé copie d'une piece avec la communication ; on signifie une piece en notifiant en substance, par un exploit, ce qu'elle contient ; avec cette signification on donne ordinairement en même tems copie de la piece ; mais tout cela n'est pas encore la communication de la piece même. Celui qui en a copie a souvent intérêt d'en voir l'original pour examiner s'il y a des ratures ou interlignes, des renvois & apostilles si l'écriture & les signatures sont véritables ; c'est pour cela que l'on communique la piece même. Cette communication se fait ou de la main à la main sans autre formalité, ou sous le récepissé du procureur, ou par la voie du greffe, ou devant le rapporteur ; le greffier remet quelquefois la piece sous le récepissé du procureur, quelquefois aussi la communication se fait sans déplacer ; enfin on donne quelquefois en communication les sacs entiers, & même tout un procès ; on communique aussi au parquet : nous expliquerons séparément chacune de ces différentes sortes de communications.

Un des principaux effets de la communication, est qu'elle rend les pieces communes à toutes les parties, c'est-à-dire que celui contre qui on s'en est servi peut aussi argumenter de ces pieces en ce qu'elles lui sont favorables ; & cela a lieu, quand même celui qui a produit les pieces les retireroit de son dossier ou de son sac & production, & quoiqu'il n'en auroit pas été donné copie.

COMMUNICATION SANS DEPLACER, est celle qui se fait au greffe, ou en l'hôtel du rapporteur ou autre juge, en exhibant seulement les pieces pour les examiner en présence du juge ou greffier, sans qu'il soit permis à la partie ni à son procureur d'emporter ces pieces pour les examiner ailleurs.

COMMUNICATION AUX GENS DU ROI, ou au ministere public, ou au parquet, est la remise que l'on fait aux gens du Roi dans les justices royales, ou aux avocats & procureurs fiscaux dans les justices seigneuriales, des pieces sur lesquelles ils doivent donner des conclusions, afin qu'ils puissent auparavant les examiner.

Cette communication se fait en plusieurs manieres & pour différens objets.

L'on communique au ministere public les ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, pour l'enregistrement desquels ils doivent donner des conclusions. Le roi envoye ordinairement ces nouveaux réglemens à son procureur général dans les cours souveraines ; pour les autres siéges royaux inférieurs, & autres ressortissant nuement ès cours souveraines, c'est le procureur général qui envoye les réglemens au procureur du roi de chaque siége.

Dans les affaires civiles où le ministere public doit porter la parole, qui sont celles où le Roi, l'Eglise ou le public a intérêt, les parties sont obligées de communiquer leurs pieces au ministere public, quand même la partie n'auroit point d'autre contradicteur : cette communication se fait par le ministere des avocats ; & lorsque le ministere public est partie, il communique aussi ses pieces à l'avocat qui est chargé contre lui.

Cette communication de pieces entre le ministere public & les avocats, se fait de la main à la main sans aucun récepissé, & c'est une suite de la confiance réciproque que les avocats ont mutuellement entr'eux ; en effet ceux qui sont chargés du ministere public ont toûjours été choisis parmi les avocats, & considérés comme membres de l'ordre des avocats.

On appelle aussi communication au ministere public, une brieve exposition que les avocats font verbalement de leurs moyens à celui qui doit porter la parole pour le ministere public, afin que celui-ci soit pleinement instruit de l'affaire : cette communication verbale des moyens n'est point d'obligation de la part des avocats ; en effet, les anciennes ordonnances portent bien que si dans les causes dont les avocats sont chargés, ils trouvent quelque chose qui touche les intérêts du roi ou du public, de hoc curiam avisabunt ; mais il n'y a aucune ordonnance qui oblige les avocats d'aller au parquet communiquer leurs moyens ; & lorsqu'il est ordonné par quelque jugement que les parties communiqueront au parquet, on n'entend autre chose sinon qu'elles donneront leurs pieces : en un mot il n'y a aucune loi qui oblige les avocats de faire ouverture de leurs moyens ailleurs qu'à l'audience.

Il est vrai qu'ordinairement les avocats, soit par considération personnelle pour ceux qui exercent le ministere public, soit pour l'intérêt même de leurs parties, communiquent leurs moyens en remettant leurs pieces : mais encore une fois cette communication des moyens est volontaire ; & lorsque les avocats se contentent de remettre leurs pieces, on ne peut rien exiger de plus.

L'usage des communications, soit de pieces ou de moyens, au ministere public, est sans-doute fort ancien ; on en trouve des exemples dans les registres du châtelet dès l'an 1323, où il est dit que les statuts des Megissiers furent faits après avoir oüi les avocats & procureur du roi qui en avoient eu communication.

Autrefois les communications des causes se faisoient avec moins d'appareil qu'aujourd'hui. Dans les premiers tems où le parlement de Paris fut rendu sédentaire à Paris, les avocats du roi qui n'étoient point encore en titre d'office, n'avoient point encore de parquet ou lieu particulier destiné à recevoir ces communications : ils plaidoient eux-mêmes souvent pour les parties dans les causes où le ministere public n'étoit pas intéressé, au moyen de quoi les communications de pieces & de moyens se faisoient debout & en se promenant dans la grand-salle en attendant l'heure de l'audience.

Mais depuis que les ordonnances ont attribué aux avocats du roi la connoissance de certaines affaires que les avocats vont plaider devant eux, & que l'on a établi pour les gens du roi, dans chaque siége, un parquet ou lieu dans lequel ils s'assemblent pour vaquer à leurs affaires, on a aussi construit dans chaque parquet un siége où les gens du roi se placent avec un bureau devant eux, soit pour entendre les causes dont ils sont juges, soit pour recevoir les communications ; il semble néanmoins que ce siége ait été établi pour juger plûtôt que pour recevoir les communications, cette derniere fonction n'étant point un acte de puissance publique.

Mais comme l'expédition des causes & les communications se font suivant qu'elles se présentent sans distinction, les gens du roi restent ordinairement à leur bureau pour les unes comme pour les autres, si ce n'est en hyver où ils se tiennent debout à la cheminée du parquet, & y entendent également les causes dont ils sont juges & les communications.

Au parlement & dans les autres siéges royaux où les gens du roi ont quelque sorte de jurisdiction, les avocats leur communiquent debout ; mais ils ont droit de se couvrir, quoiqu'ils ne le fassent pas toûjours : les procureurs qui y plaident ou communiquent, doivent toûjours parler découverts.

Dans les autres sieges inférieurs lorsque ceux qui exercent le ministere public s'asseyent à leur bureau, les avocats qui communiquent y prennent place à côté d'eux.

En tems de vacations c'est un substitut du procureur général qui reçoit les communications au parquet ; mais l'usage est que l'on y observe une parfaite égalité, c'est-à-dire que s'il s'assied au bureau, l'avocat qui communique doit être assis à côté de lui.

On observe aussi une espece de confraternité dans les communications qui se font aux avocats généraux & avocats du roi ; car en parlant aux avocats ils les appellent messieurs, à la différence des procureurs, que les avocats y qualifient seulement de maîtres, & que les gens du roi appellent simplement par leur nom.

L'ordonnance de Moulins, article 61. veut que les requêtes civiles ne soient plaidées qu'après avoir été communiquées aux avocats & procureurs généraux, à peine de nullité.

L'ordonnance de 1667, tit. xxxv. art. 27. ordonne la même chose.

L'article suivant veut que lors de la communication au parquet aux avocats & procureurs généraux, l'avocat qui communique pour le demandeur en requête civile, représente l'avis des avocats qui ont été consultés sur la requête civile.

L'article xxxjv. met au nombre des ouvertures de requête civile, si ès choses qui concernent le Roi, l'Eglise, le public ou la police, il n'y a point eu de communication aux avocats ou procureurs généraux.

Dans quelques tribunaux on communique aussi les causes où il y a des mineurs, ou lorsqu'il s'agit de lettres de rescision. Les arrêts des 7 Septembre 1660, & 26 Février 1661, rapportés au journal des audiences, rendus l'un pour le siége royal de Dreux, l'autre pour la duché-pairie de la Roche-sur-Yon, ont ordonné de communiquer aux gens du roi les causes où il s'agit d'aliénations de biens des mineurs : on les communique aussi au châtelet de Paris, mais non pas au parlement ; ainsi cela dépend de l'usage de chaque siége, les ordonnances ne prescrivant rien à ce sujet.

Au parlement, toutes les causes qui se plaident aux grandes audiences des lundi, mardi & jeudi matin, sont communiquées sans distinction ; ce qui vient apparemment de ce que ces causes étant ordinairement de celles qu'on appelle majeures, le public est toûjours présumé y avoir intérêt.

Dans les instances ou procès appointés dans lesquels le procureur général ou son substitut doit donner des conclusions, on leur communique tout le procès lorsqu'il est sur le point d'être jugé, pour l'examiner & donner leurs conclusions.

L'édit du mois de Janvier 1685, portant réglement pour l'administration de la justice au châtelet, ordonne, article xxjv. que le plus ancien des avocats du roi résoudra en l'absence ou autre empêchement du procureur du roi, toutes les conclusions préparatoires & définitives sur les informations & procès criminels, & sur les procès civils qui ont accoûtumé d'être communiqués au procureur du roi, &c. Il y a eu divers autres réglemens à ce sujet pour les gens du roi de différens siéges royaux.

En matiere criminelle on communique aux gens du roi les charges & informations, c'est ce qu'on appelle apprêter les charges aux gens du roi. L'ordonnance de Louis XII. du mois de Mars 1498, art. 98. ordonne aux baillifs, sénéchaux & autres juges avant de donner commission sur les informations, de les communiquer aux avocats & procureur de Sa Majesté, ce qui a été confirmé par plusieurs ordonnances postérieures.

COMMUNICATION AU GREFFE ou PAR LA VOIE DU GREFFE, est l'exhibition qui se fait d'une piece au greffe, ce qui arrive lorsqu'une partie demande à voir une piece originale, & qu'on ne veut pas la lui communiquer sous le récepissé de son procureur : on met la piece au greffe, dont le greffier dresse un acte que l'on signifie, afin que celui qui a demandé la piece l'aille voir entre les mains du greffier.

COMMUNICATION DU JUGEMENT, est la connoissance que le greffier donne aux parties de la teneur du jugement qui est intervenu entre les parties. L'ordonnance de 1669, titre des épices & vacations, art. vj. veut que l'on donne cette communication aux parties, quoique les épices n'ayent pas été payées.

COMMUNICATION DE LA MAIN A LA MAIN, est celle qui se fait en confiant des pieces pour les examiner, sans en exiger de récepissé ou reconnoissance de celui auquel on les remet ; comme cette confiance est volontaire, la justice n'ordonne point que les parties ni leurs procureurs se communiqueront de la main à la main, mais par la voie du greffe ou sous le récepissé du procureur. Il n'est pas non plus d'usage entre les procureurs, de se communiquer leurs pieces de la main à la main ; ils ne le font que par l'une des deux voies que l'on vient de dire. Pour ce qui est des avocats, ils se communiquent entr'eux de la main à la main toutes les pieces même les plus importantes de leurs cliens ; ce qui se fait avec tant d'honneur & de fidélité, qu'il est sans exemple qu'il y ait jamais eu aucune plainte contre un avocat pour raison de ces sortes de communications. Dans les causes où le ministere public est partie, l'avocat général ou l'avocat du roi qui doit porter la parole, & les avocats des autres parties, se communiquent de même mutuellement leurs pieces de la main à la main ; au lieu que le ministere public ne communique aucune piece aux procureurs que sous leur récepissé ou par la voie du greffe, & les avocats ne leur communiquent point leurs pieces en aucune façon : lorsqu'un procureur veut avoir communication des pieces qui sont entre les mains de l'avocat de sa partie adverse, l'avocat remet les pieces au procureur de sa partie, & celui-ci les communique à son confrere sous son récepissé ou par la voie du greffe.

COMMUNICATION AU PARQUET, voyez ci-devant COMMUNICATION AUX GENS DU ROI.

COMMUNICATION D'UNE PRODUCTION, INSTANCE ou PROCES ; ce sont les procureurs qui prennent en communication les instances & procès, & les productions nouvelles & autres, pour les examiner & debattre, & fournir de leur part des réponses, contredits, salvations & autres écritures nécessaires.

Suivant l'ordonnance de 1667, titre xjv. art. 9. la communication des pieces produites par une partie, ne doit être donnée à l'autre qu'après que celle qui la demande a produit de sa part ou renoncé de produire, par un acte signé de son procureur & signifié.

L'article 10. du même titre, ordonne que cette communication se fera par les mains du rapporteur, & non pas sous un simple récepissé de procureur à procureur.

Lorsqu'un procureur qui a pris des pieces en communication les retient trop long-tems pour éloigner le jugement, on obtient contre lui une contrainte pour lui faire rendre les pieces ; ce qui s'exécute contre lui-même par corps.

Les procureurs au parlement prennent aussi quelquefois entr'eux la voie de rendre plainte à la communauté des avocats & procureurs contre celui qui retient les pieces : on rend jusqu'à trois plaintes ; sur la premiere, la compagnie ordonne que le procureur viendra répondre à la plainte ; sur la seconde, on ordonne que le procureur rendra les pieces dans tel tems & sous telle peine ; & sur la troisieme plainte, la peine est déclarée encourue. Voyez le recueil des réglemens concernant les procureurs, pag. 125. 172. & 190. où il y a plusieurs délibérations de la communauté à ce sujet.

COMMUNICATION DES SACS, est celle qui se fait entre les avocats des différentes parties, qui se confient mutuellement leurs sacs de la main à la main pour les examiner avant la plaidoirie de la cause. Voyez COMMUNICATION DE LA MAIN A LA MAIN.

COMMUNICATION, en terme de Fortification, est l'ouverture faite pour aller à un fort, un bastion ou lieu semblable, ou un passage pour y aller & pour en venir. Voyez FORT, BASTION, FORTIFICATION, &c.

On appelle communication, dans l'attaque des places, des chemins en forme de tranchées ou de paralleles qu'on construit pour joindre les différentes parties des attaques & des logemens. On fait aussi de ces communications pour joindre les batteries aux places d'armes, c'est-à-dire pour aller à couvert de ces places ou paralleles aux batteries. Ces communications servent à lier ensemble tous les travaux de l'attaque ; elles servent aussi à donner plus de sûreté aux assiégeans pour aller d'un endroit à un autre. Voyez BATTERIES ; voyez aussi les articles TRANCHEE, PARALLELE, &c. (Q)


COMMUNIONS. f. (Théol.) créance uniforme de plusieurs personnes, qui les unit sous un même chef dans une même église. Voyez UNITE, EGLISE.

C'est dans ce sens que l'on dit que les Luthériens & les Calvinistes ont été retranchés de la communion de l'Eglise romaine. Dès les premiers tems le mot de communion est pris en ce sens, comme il paroît par les canons du concile d'Elvire. Le pape est le chef de la communion catholique, & l'Eglise ou le siége de Rome en est le centre : on ne peut s'en séparer sans être schismatique. Voyez UNITE & SCHISME.

COMMUNION DES SAINTS, c'est l'union, la communication qu'ont entr'elles l'Eglise triomphante, l'Eglise militante, & l'Eglise souffrante, c'est-à-dire les saints qui regnent dans le ciel, les ames qui sont dans le purgatoire, & les fideles qui vivent sur la terre : ces trois parties d'une seule & même Eglise forment un corps dont Jesus-Christ est le chef invisible ; le pape, vicaire de Jesus-Christ, le chef visible, & dont les membres sont unis entr'eux par les liens de la charité, & par une correspondance mutuelle d'intercession & de prieres. De-là l'invocation des saints, la priere pour les défunts, & la confiance au pouvoir des bienheureux auprès du trône de Dieu. La communion des saints est un dogme de foi, un des articles du symbole des apôtres. Credo.... sanctorum communionem. Elle se trouve assez clairement exprimée au II. liv. des Macchab. ch. xij. vers. 44. & suiv. & elle a été constamment reconnue par toute la tradition.

COMMUNION est aussi l'action par laquelle on reçoit le corps & le sang de Jesus-Christ au très-saint sacrement de l'eucharistie. Cette action, la plus auguste de notre Religion, est ainsi décrite par saint Paul, prem. aux Cor. ch. x. Calix benedictionis cui benedicimus, nonne communicatio sanguinis Christi est ? & panis quem frangimus, nonne participatio corporis Domini est ? L'apôtre au même endroit explique l'esprit de cette cérémonie religieuse : Unus panis & unum corpus multi summus, omnes qui de uno panne & de uno calice participamus. On peut voir dans l'apologétique de Tertullien, & dans la seconde apologie de S. Justin, avec quelle ferveur & quelle pureté les premiers fideles célébroient cette action, à l'occasion de laquelle les payens les noircissoient des plus horribles calomnies. Voyez EUCHARISTIE & PRESENCE REELLE.

COMMUNION SOUS LES DEUX ESPECES, c'est-à-dire sous l'espece du pain & sous l'espece du vin. Il est constant par plusieurs monumens des premiers siecles, que l'Eglise n'a pas jugé la communion sous les deux especes nécessaire, & qu'elle a cru que Jesus-Christ étant tout entier sous chaque espece, on le recevoit également sous chaque espece séparée, comme sous les deux especes réunies. Mais sa discipline a varié sur cet article, quoique sa foi ait toûjours été la même. Dans le jx. siecle on donnoit la communion sous les deux especes, ou plûtôt on donnoit l'espece du pain trempée dans celle du vin. Acta SS. Bened. saec. iij. M. de Marca dans son histoire de Béarn, liv. V. ch. x. §. 3. observe aussi qu'on la recevoit dans la main ; & il croit que la communion sous une seule espece a commencé en Occident sous le pape Urbain II. l'an 1096, au tems de la conquête de la Terre-sainte.

Le vingt-huitieme canon du concile de Clermont auquel ce pape présida, ordonne que l'on communie sous les deux especes séparément : mais il ajoûte cependant deux exceptions, l'une de nécessité, & l'autre de précaution, nisi per necessitatem aut cautelam ; la premiere pour les malades, & la seconde en faveur des abstèmes, ou de ceux qui auroient horreur du vin.

Cette observation prouve combien étoient mal fondées les instances qu'ont faites par la suite les Hussites, les Calixtins, & après eux Carlostad, pour faire rétablir l'usage de la communion sous les deux especes. Le retranchement de la coupe étoit une discipline depuis long-tems établie pour remédier à mille abus, & sur-tout au danger de la profanation du sang de Jesus-Christ. L'indulgence qu'eut l'Eglise de s'en relâcher par le compactatum du concile de Constance en faveur des Hussites, ne produisit aucun des bons effets qu'on s'en étoit promis : ces hérétiques persévérerent dans leur révolte contre l'Eglise, & n'en furent pas moins acharnés à inonder de sang leur patrie. La même question fut agitée depuis au concile de Trente, où l'empereur Ferdinand & le roi de France Charles IX. demandoient qu'on rendît au peuple l'usage de la coupe. Le sentiment contraire prévalut d'abord ; mais à la fin de la vingt-deuxieme session les peres laisserent à la prudence du pape à décider s'il étoit expédient ou non d'accorder cette grace. En conséquence Pie IV. à la priere de l'empereur Ferdinand, l'accorda à quelques peuples d'Allemagne, qui n'usoient pas mieux de cette condescendance que n'avoient fait les Bohémiens. Une foule de monumens d'antiquité ecclésiastique, qu'on peut voir dans les théologiens catholiques, prouvent que la communion sous les deux especes n'est nécessaire ni de précepte divin ni de précepte ecclésiastique, & par conséquent qu'il n'y a nulle nécessité de changer la discipline présente de l'Eglise romaine, que les Protestans n'attaquent d'ailleurs que par de mauvaises raisons.

COMMUNION FREQUENTE. La communion est de précepte divin pour les adultes, selon ces paroles de Jesus-Christ, en S. Jean, ch. vj. vers. 45. Nisi manducaveritis carnem Filii hominis, & biberitis ejus sanguinem, non habebitis vitam in vobis. Mais Jesus-Christ n'ayant fixé ni le tems ni les circonstances où ce précepte oblige, c'est à l'Eglise seule à les déterminer. Dans les premiers siecles de l'Eglise la ferveur & la piété des fideles étoient si grandes, qu'ils participoient fréquemment à l'eucharistie. On voit dans les actes des apôtres que les fideles de Jérusalem persévéroient dans la priere & dans la fraction du pain ; ce que les interpretes entendent de l'eucharistie. Lorsque la persécution étoit allumée, les Chrétiens se munissoient tous les jours de ce pain des forts, pour résister à la fureur des tyrans : considerantes idcirco, dit S. Cyprien, épit. 56. se quotidie calicem sanguinis Christi bibere, ut possint & ipsi propter Christum sanguinem fundere. Mais quand la paix eut été rendue à l'Eglise, cette ferveur se ralentit, l'Eglise même fut obligée de faire des lois pour fixer le tems de la communion. Le dix-huitieme canon du concile d'Agde enjoint aux clercs de communier toutes les fois qu'ils serviront au sacrifice de la messe, tome IV. concil. p. 1586. Mais il ne paroît pas qu'il y en eût encore de bien précise pour obliger les laïcs à la communion fréquente. S. Ambroise en exhortant les fideles à s'approcher souvent de la sainte table, remarque qu'en Orient il y en avoit beaucoup qui ne communioient qu'une fois l'année : Si quotidianus est panis, cur post annum sumis, quemadmodum Graeci facere in Oriente consueverunt ? lib. V. de sacram. c. jv. Et S. Chrysostome rapporte que de son tems les uns ne communioient qu'une fois l'année, les autres deux fois, & d'autres enfin plus souvent : Multi hujus sacrificii semel in toto anno sunt participes ; alii autem bis, alii saepe. Homil. 17. in epist. ad Hebr. Et le jugement qu'en porte ce pere est très-remarquable : Quid ergo, ajoûte-t-il ? quinam erunt nobis magis accepti ? an qui semel ? an qui saepe ? an qui raro ? nec hi, nec illi ; sed qui cum mundâ conscientiâ, qui cum mundo corde, qui cum vitâ quae nulli est affinis reprehensioni.

Gennade prêtre de Marseille, qui vivoit au v. siecle, dans son livre des dogmes ecclésiastiques qu'on a autrefois attribué à S. Augustin, & qui se trouve imprimé dans l'appendix du tome VIII. des ouvrages de ce pere, parle ainsi de la communion journaliere : Quotidie eucharistiae communionem percipere, nec laudo, nec vitupero : omnibus tamen dominicis diebus communicandum suadeo & hortor ; si tamen mens in affectu peccandi non sit : nam habentem adhuc voluntatem peccandi, gravari dico magis eucharistiae perceptione, quam purificari. Ces peres, & une infinité d'autres que nous pourrions citer, en exhortant les fideles à la communion fréquente, & même très-fréquente, & leur intimant la menace de Jesus-Christ, nisi manducaveritis carnem, &c. ne manquoient jamais de leur remettre sous les yeux ces paroles terribles de S. Paul aux Corinthiens : Quicumque manducaverit panem hunc, vel biberit calicem Domini indignè, reus erit corporis & sanguinis Domini... Probet autem se ipsum homo.... Non potestis participes esse mensae Domini, & mensae daemoniorum. C'est-à-dire qu'ils ne séparoient jamais ces deux choses, le desir ou la fréquentation du sacrement, & le respect ou les dispositions nécessaires pour s'en approcher dignement, & le recevoir avec fruit. Mais ils n'ont jamais parlé de la communion fréquente, encore moins de la communion journaliere, comme d'une chose prescrite par aucun précepte divin ou ecclésiastique.

Ce ne fut que vers le huitieme siecle que l'Eglise voyant la communion devenue très-rare, obligea les Chrétiens à communier trois fois l'année, c'est-à-dire à Pâque, à la Pentecôte, & à Noel. C'est ce que nous voyons par le chapitre etsi non frequentius, de consecr. dist. secund. & par la decrétale que Gratien attribue au pape S. Fabien, mais que la critique a fait voir être un ouvrage du huitieme siecle. Vers le treizieme siecle la tiédeur des fideles étoit encore devenue plus grande, ce qui obligea le quatrieme concile de Latran à ordonner de recevoir au moins à Pâque le sacrement de l'eucharistie, sous les peines portées par le canon suivant : Omnis utriusque sexûs fidelis, postquam ad annos discretionis pervenerit, omnia sua peccata, saltem semel in anno, confiteatur proprio sacerdoti, & injunctam sibi paenitentiam studeat pro viribus adimplere, suscipiens reverenter ad minus in Paschâ eucharistiae sacramentum, nisi forte de consilio proprii sacerdotis, ob aliquam rationabilem causam, ad tempus ab ejus perceptione duxerit abstinendum ; alioquin & vivens ab ingressu ecclesiae arceatur, & moriens christianâ careat sepulturâ. Il est bon de remarquer dans ce canon, que par le mot ad minus le concile montre qu'il souhaite que les fideles ne se bornent point à communier à Pâque, mais qu'ils le fassent plus souvent, pour ramener la pratique des premiers siecles où l'on communioit plus fréquemment : 2°. que le concile laisse à la prudence du confesseur à décider si dans certaines occasions il n'est pas expédient de différer la communion même paschale, eu égard aux dispositions du pénitent ; ce qui prouve que le concile n'a pas eu moins d'attention que les peres à la nécessité de ces dispositions.

Le concile de Trente a renouvellé le même canon, sess. 13. ch. xjx. Mais pour ce qui regarde la communion fréquente, voici comme il s'exprime dans la même session, ch. viij. Paterno affectu admonet sancta synodus per viscera misericordiae Dei nostri.... ut panem illum supersubstantialem frequenter fideles percipere possint. Et dans la session 22. ch. vj. Optaret quidem sancta synodus ut in singulis missis fideles adstantes, non solum spirituali affectu, sed sacramentali etiam eucharistiae perceptione communicarent, quo ad eos sanctissimi hujus sacrificii fructus uberior perveniret. Tel est le voeu de l'Eglise sur la fréquente communion ; mais ce n'est ni une ordonnance ni un decret formel. Quant aux dispositions à la communion en général, outre que le concile exige l'état de grace ou l'exemption de péché mortel pour ne pas recevoir indignement l'eucharistie, qui, selon le langage de l'école, est un sacrement des vivans & non des morts, il exige encore que pour communier avec fruit, on s'en approche avec des dispositions plus éminentes ; & quant à la communion fréquente, voici ce qu'il enseigne, sess. 13. ch. viij. Haec sacra mysteria corporis & sanguinis Domini omnes & singuli, ea fidei constantia & firmitate, ea animi devotione ac pietate & cultu credant & venerentur, ut panem illum supersubstantialem frequenter suscipere possint. Il enseigne encore dans la meme session, qu'un chrétien ne doit pas s'approcher de l'eucharistie sans un grand respect & une grande sainteté. Nous verrons bien-tôt ce que les peres & les maîtres de la vie spirituelle entendent par cette sainteté.

La nécessité ou la suffisance des dispositions requises pour la communion fréquente, ont jetté divers théologiens modernes dans des excès & des erreurs bien opposées à la doctrine des peres & à l'esprit de l'Eglise. Les uns uniquement occupés de la grandeur & de la dignité du sacrement, & de la distance infinie qu'il y a entre la majesté de Dieu & la bassesse de l'homme, ont exigé des dispositions si sublimes, que non-seulement les justes, mais les plus grands saints, ne pourroient communier même à Pâque. Telle est la pernicieuse doctrine condamnée dans ces deux propositions par le pape Alexandre VIII. Sacrilegi judicandi sunt, qui jus ad communionem percipiendam praetendunt, antequam condignam de delictis suis paenitentiam egerint.... Similiter arcendi sunt à sacrâ communione quibus nondum inest amor Dei purissimus, & omnis mixtionis expers. Les autres oubliant le respect dû à J. C. présent dans l'eucharistie, & uniquement attentifs aux avantages qu'on retire ou qu'on peut retirer de la communion fréquente & même journaliere, n'ont cherché qu'à en faciliter la pratique, en négligeant d'insister ou d'appuyer sur les dispositions que demande un sacrement si auguste. Ils ont donc enseigné que la seule exemption du péché mortel suffit pour communier souvent, très-souvent, & même tous les jours : que les dispositions actuelles de respect, d'attention, de desir, & la pureté d'intention, ne sont que de conseil : qu'il est meilleur & plus salutaire de recevoir la communion, & même tous les jours, sans ces dispositions, que de la différer pendant quelque tems pour les acquérir : que jamais, & dans aucune occasion, il n'est permis à un juste de s'éloigner de la communion par respect : que tout pécheur, coupable même de crimes énormes & multipliés, doit communier aussi-tôt après l'absolution reçûe : qu'il ne faut ni plus de disposition ni plus de perfection pour communier tous les jours, que pour communier rarement : que les confesseurs ne doivent jamais imposer pour pénitence le délai de la communion, quelque court qu'il puisse être ; que les pénitens sont seuls juges par rapport à eux dans cette matiere : que pour communier plus ou moins souvent, ils ne doivent ni demander conseil à leurs directeurs, ni suivre leur avis, surtout s'il tend à les éloigner de la sainte table, ne fût-ce que pour quelque tems : enfin ils taxent d'imprudence les regles des communautés religieuses qui fixent le nombre des communions, quoique ces regles soient approuvées par les souverains pontifes, & autorisées par l'usage constant de tous les ordres religieux.

Comme on a accusé M. Arnauld d'avoir établi le rigorisme dans son livre de la fréquente communion, & qu'on taxe le pere Pichon jésuite de favoriser ouvertement le relâchement dans son ouvrage intitulé l'Esprit de Jesus-Christ & de l'Eglise sur la fréquente communion, nous allons donner au lecteur une idée de ces deux fameux écrits.

Le livre de la fréquente communion fut composé par M. Arnauld à cette occasion. Le pere de Saismaisons jésuite ayant vû, par le moyen d'une de ses pénitentes, une instruction que M. de S. Cyran avoit dressée pour la direction de madame la princesse de Guimené qui se conduisoit par ses avis, crut y trouver des maximes dangereuses, & entreprit aussi-tôt de le réfuter par un écrit intitulé question, s'il est meilleur de communier souvent que rarement. Cette réfutation étant tombée entre les mains de M. Arnaud, il se crut obligé d'y répondre.

Cet ouvrage est divisé en trois parties. Dans la premiere, M. Arnauld traite de la véritable intelligence de l'Ecriture & des peres, que le pere de Saismaisons allegue pour la fréquente communion ; 2°. des conditions d'un bon directeur pour régler les communions ; 3°. si l'on doit porter indifféremment toutes sortes de personnes à communier tous les huit jours ; 4°. de l'indisposition que les péchés véniels peuvent apporter à la fréquente communion. Dans les vingt-sept premiers chapitres ce docteur discute les passages de l'Ecriture & des peres allégués par le jésuite. Depuis le chapitre xxviij. jusqu'au xxxjv. inclusivement, on expose les qualités prescrites par le pere de Saismaisons même pour un bon directeur. Le troisieme objet remplit les chapitres xxxv. xxxvj. xxxvij. & xxxviij. où l'on combat encore des raisons assez legeres que le pere de Saismaisons avoit alléguées pour prouver qu'on peut permettre indifféremment la communion à toutes sortes de personnes tous les huit jours. Les deux chapitres suivans sont destinés à prouver, par des témoignages des peres & par des exemples des saints, qu'on a eu égard aux péchés véniels pour régler les communions.

Dans la seconde partie M. Arnauld examine cette question, s'il est meilleur & plus utile aux ames qui se sentent coupables de péchés mortels, de communier aussi-tôt qu'elles se sont confessées, ou de prendre quelque tems pour se purifier par la pénitence avant que de se présenter au saint autel. Il divise sa réponse en trois points : 1°. il examine les autorités de l'Ecriture, des peres, & des conciles, dont le P. de Saismaisons appuyoit son sentiment : 2°. il examine si ce n'a jamais été la pratique de l'Eglise de faire pénitence plusieurs jours avant que de communier ; & sur ce point il conclut de la discipline de l'Eglise primitive sur la pénitence, à l'usage présent de l'Eglise ; & c'est sans-doute ce qui a donné occasion à ce rigorisme introduit dans la spéculation & dans la pratique, & qui a fait dire sans distinction, que c'est une conduite pleine de sagesse, de lumiere & de charité, de donner aux ames le tems de porter avec humilité & de sentir l'état du péché, de demander l'esprit de pénitence & de contrition, & de commencer au moins à satisfaire à la justice de Dieu avant que de les reconcilier ; c'est la quatre-vingt-septieme proposition du P. Quesnel condamnée par la bulle, & évidemment fausse dans sa généralité ; 3°. Mr. Arnauld s'efforce de prouver que c'est à tort qu'on condamne de témérité ceux qui s'efforcent de fléchir la miséricorde de Dieu par la mortification de leur chair & l'exercice des bonnes oeuvres avant que de s'approcher du sanctuaire ; & il le prouve assez bien par différentes autorités qui concernent les péchés mortels publics ou d'habitude. Mais on sait assez jusqu'où les rigoristes ont porté les conséquences de ce principe, qui est vrai & incontestable à quelques égards.

La troisieme partie roule sur quelques dispositions plus particulieres pour communier avec fruit : M. Arnaud y examine si l'on doit s'approcher de l'eucharistie sans aucune crainte, dans quelque froideur, indévotion, inapplication aux choses de Dieu, privation de grace, plénitude de l'amour de soi-même, & prodigieux attachement au monde que l'on se trouve, & si le délai ne peut point servir à communier avec plus de révérence & meilleure disposition : il montre qu'au moins pour la communion fréquente on doit avoir beaucoup d'égards à toutes ces indispositions.

Il résulte de cet ouvrage que M. Arnauld, & tous ceux qui pensent comme lui, exigent pour la fréquente communion des dispositions bien sublimes, & par conséquent rares dans la plûpart des chrétiens : aussi leurs adversaires les ont-ils accusés de retirer d'une main la communion aux fideles, tandis qu'ils la leur présentoient de l'autre.

Quoi qu'il en puisse être des intentions & de la conduite de M. Arnauld & de ses partisans, dans la pratique ; le livre de la fréquente communion parut imprimé en 1643, muni des approbations de seize archevêques & évêques de France, & de vingt-quatre docteurs de Sorbonne : on peut les voir à la tête de l'ouvrage. A ces premiers prélats se joignit deux ans après, la province ecclésiastique d'Ausch, composée de son archevêque & de dix évêques suffragans, qui avec quantité d'ecclésiastiques du second ordre, approuverent le livre tout d'une voix dans une assemblée provinciale tenue en 1645.

Cet ouvrage dès sa naissance excita des plaintes très-vives. Il fut dénoncé à Rome. Les seize évêques premiers approbateurs en écrivirent, en 1644, au pape Urbain VIII. une longue lettre, où ils font l'éloge du livre, & s'en déclarent les défenseurs. Les mêmes évêques, excepté trois qui étoient morts, écrivirent l'année d'après, sur le même sujet, au pape Innocent X. qui avoit succédé à Urbain VIII. Ces deux lettres furent rendues au pape par M. Bourgeois, l'un des vingt-quatre docteurs de Sorbonne qui avoient approuvé le livre ; & il lui présenta depuis une procuration signée de quatre archevêques & de seize évêques, qui lui donnoient le pouvoir de comparoître pour eux & en leur nom devant le pape, pour y défendre le livre de la fréquente communion. Ce docteur fut reçû par la congrégation en qualité de contradicteur ; on lui communiqua les plaintes & accusations : il y répondit par des mémoires : il instruisit les cardinaux, les officiers, & les théologiens de la congrégation ; & enfin l'affaire ayant été rapportée & mise en délibération, tous les cardinaux conclurent d'une voix à laisser le livre sans atteinte ; & jamais depuis le livre de la fréquente communion n'a été condamné à Rome. Les lettres des évêques approbateurs aux papes Urbain VIII. & Innocent X. se trouvent à la fin des nouvelles éditions de cet ouvrage.

Cependant le P. Nouet jésuite, avoit prêché publiquement dans Paris contre le livre de la fréquente communion, sans ménager l'auteur ni les évêques approbateurs. D'un autre côté, le fameux P. Petau entra en lice, tant par une lettre qu'il adressa à la reine régente Marie Anne d'Autriche, que par un autre écrit plus étendu, où il combattit méthodiquement le livre de M. Arnauld : celui-ci répondit à l'un & à l'autre, 1°. par un avertissement sur quelques sermons prêchés à Paris ; 2°. par une lettre à la reine, & par une préface qu'on trouve à la tête de la tradition de l'Eglise, sur le sujet de la pénitence & de la communion.

Le livre du P. Pichon jésuite, dont nous avons déjà rapporté le titre, parut en 1745, muni des approbations ordinaires, & annoncé avec éloge par le journaliste de Trévoux, Octobre 1745, art. lxxxvij. Il fut depuis approuvé formellement par M. l'archevêque de Besançon, par M. l'évêque de Marseille, & par M. l'évêque & prince de Bâle. Les archevêques de Paris, de Sens, de Tours, de Roüen ; les évêques d'Evreux, de Lodève, de Saint-Pons, &c. n'en porterent pas le même jugement.

Ces prélats furent donc choqués d'entendre le P. Pichon enseigner, 1°. que lorsque l'apôtre dit, probet autem se ipsum homo, c'est comme s'il disoit : " avant de communier tous les jours, à quoi il exhorte, examinez bien si vous êtes exempt de péché mortel ; & si vous l'êtes, communiez ; si vous ne l'êtes pas, purifiez-vous au plûtôt, afin de ne pas manquer à la communion quotidienne ". Entret. II. pag. 212.

2°. " Que la coûtume de l'Eglise déclare que cette épreuve consiste en ce que nulle personne sentant sa conscience souillée d'un péché mortel, quelque contrition qu'il lui semble en avoir, ne doit s'approcher de la sainte eucharistie sans avoir fait précéder l'absolution sacramentelle ; ce que le saint concile de Trente ordonne devoir être observé par tous les Chrétiens, & même par les prêtres qui se trouvent obligés de célébrer par le devoir de leur emploi ". Les évêques déclarent que le P. Pichon a puisé cette maxime dans le livre de Molinos sur la fréquente communion, & ils la condamnent, aussi-bien que le commentaire suivant qu'en fait le jésuite à la page 283 de son ouvrage.

" Le concile ne demande point en rigueur d'autre disposition, parce qu'il n'en connoît point d'autre qui soit absolument nécessaire : autrement il n'auroit pas manqué un point d'une aussi grande conséquence, sur-tout pour les prêtres qui communient tous les jours. L'exemption du péché mortel, ou l'état de grace, est donc la seule disposition nécessaire : elle est donc une disposition suffisante pour bien communier. Bien plus, le concile exhorte à la communion de tous les jours, sans dire un mot d'une plus grande disposition : il le pouvoit, & s'il eût été nécessaire, il le devoit ; cependant il se tient ferme à dire, que les prêtres obligés par office de célébrer tous les jours, sont obligés seulement, s'ils sont coupables d'un péché mortel, de s'en confesser, sans quoi ils ne peuvent pas célébrer. Avec cette disposition, ils le peuvent donc faire. Cette disposition est donc suffisante, & seule commandée. Une comparaison, ajoûte le P. Pichon, rendra la chose sensible. Vous voulez acheter une charge ; on exige dix mille livres ; ce n'est qu'à ce prix que vous la posséderez : ne suffit-il pas de donner ce qu'on exige ? est-il nécessaire de donner quelque chose de plus, puisqu'on n'exige rien au-delà ? Concluons : les PP. assemblés au concile de Trente, ne demandent point d'autre disposition que l'exemption du péché mortel.... La sainteté commandée par Jesus-Christ, par l'apôtre, & par l'Eglise, pour recevoir dignement l'eucharistie, consiste donc précisément à être en état de grace, & exempt de péché mortel. Voilà l'oracle qui a parlé, qui osera dire le contraire " ?

3°. De la distinction de sainteté commandée & de sainteté conseillée ou de bienséance, qui est la clé de tout l'ouvrage & la base du système du P. Pichon. Il est nécessaire de rapporter ici le texte de l'auteur, quoique fort étendu. Il se trouve aux pages 264, 265 & suiv. de son livre.

" L'abbé. Il faut être saint pour communier dignement ; les sacrés mysteres ne se donnent qu'aux saints, sancta sanctis, disoit autrefois le diacre à ceux qui devoient communier.

Le docteur. Je le dis aussi-bien que vous, & aussi-bien que l'Eglise par la bouche du diacre ; mais de quelle sainteté est-il ici question ? Distinguons-en de deux sortes ; sainteté de précepte, ou sainteté conseillée : la sainteté de précepte est absolument nécessaire, & sans elle on communie indignement & sacrilégement : elle consiste dans l'actuelle exemption du péché mortel, & à être par une foi animée de la charité en état de grace. La sainteté de conseil est l'actuelle exemption de péchés véniels, dans une actuelle disposition de ferveur, de dévotion proportionnée aux graces présentes. On a la sainteté commandée quand on est en état de grace ; alors on est juste, on est saint, on est séparé des pécheurs : c'est en ce sens que les apôtres ont appellé les fideles des saints....

L'abbé. Quoi, la seule nécessaire & indispensable disposition pour recevoir dignement Jesus-Christ, c'est l'exemption de tout péché mortel : ensorte qu'étant en état de grace, & possédant Dieu par la charité, je puis communier & espérer que ma communion sera bonne, chrétienne, qu'elle plaira à Dieu, qu'elle augmentera la grace en moi ? cela supposé, tout juste peut donc approcher de ce sacrement ; c'est-là votre sentiment ?

" Le docteur. C'est mon sentiment, parce que c'est celui de Jesus-Christ & celui de l'Eglise ; ni l'un ni l'autre ne demandent rien davantage : c'est-là une vérité catholique qu'on ne peut combattre sans errer dans la foi. Concevez bien ma pensée.

L'abbé. Je la conçois bien : vous ne parlez que de la sainteté commandée, & vous dites que l'état de grace suffit, & qu'il est nécessairement requis pour communier dignement ; & vous ajoûtez que c'est-là une vérité catholique que l'on ne peut combattre sans errer dans la foi : vos idées sont nettes, & faute de cela je vois bien maintenant qu'on l'on confond tout, que l'on brouille tout ; c'est la ressource des novateurs, que j'ai trop écoutés pour mon malheur....

L'abbé. Cela est positif ; j'en conviens : mais ne déguisons rien ; les saints peres sont bien contraires à cette décision ; que d'années de pénitence n'exigeoient-ils pas avant que d'admettre à la communion ?

Le docteur. Errez-vous toûjours avec vos novateurs ? 1°. Il n'est question ici que des justes, que des ames exemptes de péché, que des chrétiens en état de grace. 2°. Tous les peres ont toûjours pensé que selon Jesus-Christ l'exemption du péché mortel étoit une disposition indispensable pour la fréquente communion ; mais ils ont aussi pensé que cette disposition étoit suffisante....

Voici donc la vérité catholique décidée par l'Eglise : l'exemption de tout péché mortel dont on a obtenu la remission dans le sacrement de pénitence, c'est la grande sainteté qui nous rend dignes de communier ; tout le reste est conseillé ; tout le reste est une sainteté qui n'est pas commandée pour pouvoir communier. Je me fixe là avec l'Eglise, & je conclus : dès-lors que ma conscience ne me reproche aucun péché mortel, soit à cause de l'innocence de ma vie, soit à cause d'une bonne confession où je me suis purifié, j'ai la grande sainteté commandée, la sainteté nécessaire & suffisante pour communier & bien communier : je ne profanerai donc pas le sacrement ; je n'y recevrai donc pas ma mort, ma condamnation, mon jugement ; ma communion ne sera donc pas indigne ni sacrilége. Si je suis donc assez heureux pour être souvent exempt de fautes mortelles par la demeure du S. Esprit en moi, je puis souvent communier, & communier dignement. Et si par un bonheur encore plus digne d'envie, je suis toûjours exempt de fautes mortelles, je puis toûjours communier, & j'aurai la consolation d'apporter à la communion la grande sainteté commandée par l'Eglise. Voilà ma religion, c'est l'Eglise qui me l'enseigne.

L'abbé. Excluez-vous la sainteté conseillée ; & pourvû que l'on soit sans péché mortel, ne demanderiez-vous rien autre chose ? Si cela est, n'est-ce pas donner dans un autre excès, & permettre les communions imparfaites, & même celles que l'on feroit avec des péchés véniels ?

Le docteur. La sainteté conseillée, ou l'exemption de péché véniel, & d'affection au péché véniel ou à des imperfections, je les conseille aussi, autant que la fragilité humaine en est capable.

L'abbé. S. François de Sales ordonne que pour communier souvent, & même tous les huit jours, on soit exempt de tout péché véniel, & même de toute affection au péché véniel.

Le docteur. Jesus-Christ ni l'Eglise ne l'ordonnant pas, ce saint n'avoit garde de le faire ; il étoit trop habile théologien pour cela ; mais il le conseille. Cette affection est une volonté délibérée de persévérer dans ses fautes : or quel chrétien, communiant en chrétien ne tâche pas de se purifier de tout ce qui peut en lui déplaire à Dieu.

L'abbé. Dieu me parle par votre bouche, & je me sens animé de plus en plus à communier souvent. Vous exigez avec l'Eglise une préparation sage, digne de Dieu, qui ne desespere point, qui ôte toute inquiétude : vous fixez pour tous une sainteté commandée, une sainteté que tous peuvent aisément avoir : car qui voudroit communier en haïssant Dieu ? Vous conseillez toûjours une sainteté plus parfaite ; vous y exhortez, & vous en donnez le moyen dans la fréquente communion : c'est le vrai esprit de Jesus-Christ & de l'Eglise ".

4°. On a été révolté d'entendre dire au pere Pichon, " qu'on peut donner pour pénitence de communier souvent, puisque selon les saints conciles la fréquente communion est le moyen le plus efficace & le plus abregé de conversion & de sanctification ; qu'un pénitent, quand il est assez heureux pour trouver un directeur qui lui impose pareille pénitence, est sûr d'être conduit par l'esprit de Jesus-Christ & de l'Eglise ; qu'il n'y a que l'enfer, les libertins, les mauvais chrétiens, les novateurs, qui blâment cette pratique. Pag. 496. 497 ".

En conséquence d'avoir substitué la fréquente communion aux oeuvres satisfactoires, voici ces paroles, pag. 336. " Vous ne comptez pour pénitence que de vivre dans un desert, de coucher sur la dure, de porter le cilice : ah, messieurs ce n'est-là que l'extérieure de la pénitence ! Et aux pages 473. & 474. Pour la plûpart des chrétiens il n'y a guere, moralement parlant, d'autre moyen de salut que la fréquente communion. Venons à la preuve. Combien ne peuvent pas jeûner ? combien ne peuvent pas faire de longues prieres ? l'aumône est impossible à tous les pauvres : la solitude & la fuite du monde ne conviennent pas à ceux qui sont mariés & à ceux qui sont en place. Pour se sauver, ajoûte-t-il, il faudroit une priere fervente & continuelle ; les gens du monde sont trop occupés, trop dissipés : il faudroit faire l'aumône ; une nombreuse famille met hors d'état de la faire : il faudroit jeûner, dompter sa chair rébelle ; un tempérament délicat & infirme s'y oppose : il faudroit par un travail assidu se tirer d'une dangereuse oisiveté ; les richesses donnent un funeste repos : votre salut demanderoit la fuite du monde, une profonde solitude ; une épouse, des enfans, retiennent dans le tracas du siecle. Que faire donc ? Comparons, dit-il page 369. les moyens de salut marqués dans l'Evangile : auquel de ces moyens vous déterminerez-vous ? est-ce à une priere continuelle, à un jeûne continuel, à une solitude profonde, à la distribution de tout votre bien aux pauvres, aux exercices les plus humilians de la charité dans les hôpitaux, dans les prisons, à la pratique d'une pureté virginale ? chacun de ces moyens allarme l'amour-propre, effraye les sens, & desespere une foible volonté comme la nôtre : mais communier souvent, souvent nous unir à Jesus-Christ, est une voie bien plus aisée. Et à la page 372. le pauvre & le riche, l'homme d'épée & l'homme de robe, l'artisan & le marchand, tout le monde enfin peut aisément participer à ce sacrement adorable, sans ruiner sa santé, sans abandonner sa famille, son commerce, son emploi ; on ne peut y opposer raisonnablement aucune impossibilité : disons mieux, on a pour communier souvent toutes les facilités imaginables. D'où cet auteur conclut, p. 472. que c'est un grand mal que de ne pas employer un remede qui est, pour ainsi dire, à la main, qui nous est si proportionné, & qui peut suppléer à tous les autres remedes. Or il avoit dit de ce remede, page 470. qu'il corrige nos défauts sans amertume ; qu'il guérit nos plaies sans douleur ; qu'il purifie notre coeur sans violence ; qu'il sanctifie sans allarme, & presque sans combat ; qu'il nous détache & sépare de nous-mêmes, sans nous donner les convulsions de la mort ; & qu'il nous arrache aux créatures & nous unit à Dieu sans agonie. N'est-ce pas enseigner assez clairement qu'il n'y a guere pour les gens du monde de pénitence plus facile & plus abregée que la fréquente communion " ?

5°. On lui a reproché d'avoir dit, page 355. qu'il en est de l'eucharistie comme du baptême, qui agit sur les enfans & donne la grace sans aucune autre disposition.

6°. D'avoir parlé avec peu de décence de la pénitence publique autrefois en usage dans l'Eglise, en l'appellant, page 323. une pénitence de cérémonie.

7°. D'avoir tronqué, altéré, falsifié des passages des peres, des papes, des conciles, pour en tirer des preuves en faveur de son sentiment.

8°. D'avoir imaginé ou allégué des histoires apocryphes, pour l'appuyer & en tirer des conséquences favorables à ses opinions.

Ce livre fit tant de bruit, que l'auteur se crut obligé de se rétracter : & c'est ce qu'il fit par une lettre datée de Strasbourg le 24 de Janvier 1748, & adressée à M. l'archevêque de Paris, qui la rendit publique. Cette rétractation mit à couvert la personne de l'auteur ; mais elle ne garantit pas son livre de la condamnation qu'en porterent vingt évêques de France, les uns par des remarques, les autres par des mandemens ou instructions pastorales, par lesquels ils interdirent la lecture de ce livre dans leurs diocèses. M. l'archevêque de Besançon & M. l'évêque de Marseille rétracterent les approbations qu'ils avoient d'abord données à l'ouvrage ; & les évêques se crurent d'autant plus en droit de le condamner, malgré la soûmission de l'auteur, que, comme dit l'un d'entre ces prélats, " un auteur qui condamne de bonne foi son ouvrage, qui se repent amérement devant Dieu de l'avoir donné au public, desire sincerement qu'il ne soit point épargné : plein d'indignation contre ses malheureuses productions, qui ont allarmé tous les gens de bien, il les livre à l'autorité de la justice la plus respectable : plus il déteste toutes les erreurs qui lui ont échappé, plus il souhaite qu'il n'y en ait aucune qui soit exempte de condamnation ". Avis de M. l'archevêque de Tours aux fideles de son diocèse.

Les principales autorités qu'on a proposées au pere Pichon sont, outre les passages de S. Chrysostome & de Gennade, que nous avons rapportés au commencement de cet article, 1°. cet endroit de la dix-septieme homélie de S. Chrysostome sur l'épître aux Hébreux : " Les choses saintes sont pour les saints, sancta sanctis : le cri plein de majesté que le diacre, élevant sa main & se tenant debout, fait retentir au milieu du silence qui regne dans la célébration des saints mysteres, est comme une main invisible qui repousse les uns, pendant qu'elle appelle & fait approcher les autres : comme si le ministre sacré disoit, si quelqu'un n'est pas saint, qu'il se retire. Il ne dit pas, si quelqu'un n'est pas purifié de ses péchés, mais si quelqu'un n'est pas saint ; car c'est la seule habitation du S. Esprit, & l'abondance des bonnes oeuvres, & non la seule exemption du péché, qui fait les saints. Ce n'est donc pas assez que vous soyez lavés de la boue, j'exige encore que vous soyez éclatans par la blancheur & par la beauté de votre ame. Que ceux-là donc approchent, & touchent avec respect à la coupe sacrée du roi ". 2°. Cet endroit de S. Thomas, in. 4. dist. jx. art. 4. Non esset consulendum alicui quod statim post peccatum mortale, etiam contritus & confessus, ad eucharistiam accedere ; sed deberet, nisi magna necessitas urgeret, per aliquod tempus propter reverentiam abstinere. Autorités qui paroissent bien diamétralement opposées à ce qu'a avancé le P. Pichon, que l'exemption du péché mortel étoit la seule disposition nécessaire & suffisante pour communier fréquemment.

2°. Qu'outre cette exemption de péché mortel, le concile de Trente exige, du moins pour la communion fréquente, d'autres dispositions de ferveur : Si non decet ad sacras ullas functiones quempiam accedere nisi sanctè ; certe quo magis sanctitas & divinitas coelestis hujus sacramenti viro christiano comperta est, diligentius cavere debet, ne absque magnâ reverentiâ & sanctitate ad id percipiendum accedat. Sess. 13. ch. vij.

3°. A sa distinction de sainteté commandée & de sainteté conseillée, on a opposé ce passage de Salazar jésuite, dans son traité de la pratique & de l'usage de la communion, ch. viij. où à l'exemption du péché mortel il ajoûte la droiture d'intention, l'attention, la révérence, & la dévotion ou desir. " Prétendre, comme le disent quelques-uns, que le défaut d'attention n'est pas contraire à la sainte communion, est une doctrine fausse, contraire à la raison, à la doctrine des saints peres, & de S. Thomas en particulier ". Et à la fin du même chapitre : " Il se collige clairement de tout ce qui a été dit jusqu'ici : Combien se trompent lourdement ceux qui disent que toutes ces dispositions sont seulement de conseil, & précisément volontaires, excepté l'état de grace & la confession sacramentelle, supposé quelque péché mortel. Car cela est grandement éloigné de la vérité, & ce sont doctrines qui n'ont jamais été oüies en l'Eglise de Dieu, qui sont contraires à ce que nous ont enseigné les SS. peres & les docteurs scholastiques.

A ce que le P. Pichon avoit répondu à son interlocuteur, que S. François de Sales étoit trop habile théologien pour avoir exigé l'exemption de toute affection au péché véniel, comme une disposition nécessaire à la fréquente communion, mais qu'il la conseilloit seulement, on lui a opposé ce texte du saint évêque de Geneve, qui n'a pas besoin de commentaire. " De recevoir la communion de l'eucharistie tous les jours, ni je ne loue, ni je ne blâme : mais de communier tous les jours de dimanche, je le conseille, & y exhorte un chacun, pourvû que l'esprit soit sans aucune affection de pécher.... Pour communier tous les huit jours, il est requis de n'avoir ni péché mortel, ni aucune affection au péché véniel, & d'avoir un grand desir de communier : mais pour communier tous les jours, il faut avoir surmonté la plûpart des mauvaises inclinations, & que ce soit par l'avis du pere spirituel ". Ces mots, il est requis, ne peuvent jamais s'entendre d'une sainteté de conseil & de bienséance.

4°. On a fait voir par une foule de passages de l'Ecriture, des peres, & des conciles, que la pénitence étant un baptême laborieux, qui demande des combats, des efforts, qui coûte à la nature, on ne pouvoit regarder comme une pénitence l'eucharistie, qui est le prix de ces combats & de ces efforts, ni assigner comme un moyen de conversion, un sacrement qui suppose la conversion ; & l'on a fait voir que tant pour la communion en général, que pour la communion fréquente, il falloit avoir égard aux dispositions des pénitens ; qu'il étoit quelquefois à propos de leur différer la communion, suivant l'esprit du concile de Trente sur la pénitence, & les regles prescrites par S. Charles Borromée aux confesseurs ; regles adoptées par le clergé de France en 1700, & renouvellées par les évêques dans leurs mandemens, qu'on peut consulter à cet égard : on y verra qu'ils ont aussi pris la sage précaution de ne pas faire dégénérer cette épreuve en une sévérité outrée, propre à désespérer le pécheur ; & dans quel sens l'assemblée de 1714 a condamné la quatre-vingt-septieme proposition du P. Quesnel.

5°. On n'a pas eu de peine à faire sentir le faux de la comparaison entre le baptême & l'eucharistie : c'est une des premieres notions du catéchisme, que l'un agit sur les enfans sans aucune disposition, & que l'autre en demande de très-grandes dans les adultes.

6°. On a cru que le P. Pichon en appellant l'ancienne pénitence publique une pénitence de cérémonie, approchoit beaucoup de ces expressions de Mélanchton : Scholastici viderunt in Ecclesiâ esse satisfactiones, sed non animadverterunt illa spectacula instituta esse, tum exempli causâ, tum ad probandos hos qui petebant recipi ab Ecclesiâ : in summâ non viderunt esse disciplinam & rem prorsus politicam. Apolog. confess. August. art. de confess. & satisf.

Quant au septieme & au huitieme article, on peut consulter les remarques de M. l'archevêque de Sens, & les mandemens des autres prélats. (G)

COMMUNION LAIQUE : c'étoit autrefois une espece de châtiment pour les clercs qui avoient commis quelque faute, que d'être réduits à la communion des laïques, c'est-à-dire à la communion sous une seule espece.

COMMUNION ETRANGERE, étoit aussi un châtiment de même nature, quoique sous un nom différent, auquel les canons condamnoient souvent les évêques & les clercs. Cette peine n'étoit ni une excommunication, ni une déposition, mais une espece de suspense de fonctions de l'ordre, avec la perte du rang que l'on tenoit. Ce nom de communion étrangere vient de ce qu'on n'accordoit la communion à ces clercs, que comme on la donnoit aux clercs étrangers. Si un prêtre étoit réduit à la communion étrangere, il avoit le dernier rang parmi les prêtres, & avant les diacres, comme l'auroit eu un prêtre étranger ; & ainsi des diacres & des soûdiacres. Le second concile d'Agde veut qu'un clerc qui refuse de fréquenter l'église, soit réduit à la communion étrangere.

COMMUNION, dans la Lithurgie, est la partie de la messe où le prêtre prend & consume le corps & le sang de N. S. J. C. consacré sous les especes du pain & du vin. Ce terme se prend aussi pour le moment où l'on administre aux fideles le sacrement de l'eucharistie. On dit en ce sens, la messe est à la communion.

COMMUNION se dit aussi de l'antienne que récite le prêtre après avoir pris les ablutions, & avant les dernieres oraisons qu'on nomme postcommunion. Voyez POSTCOMMUNION. (G)

COMMUNION, s. f. (Jurisp.) se prend quelquefois pour société de biens entre toutes sortes de personnes ; c'est sous ce nom qu'elle est le plus connue dans les deux Bourgognes. C'est une maxime en droit, que in communione nemo invitus detinetur ; cod. lib. III. tit. xxxvij. l. 5. Dans quelques provinces, comme dans les deux Bourgognes, la communauté de biens entre mari & femme n'est guere connue que sous le terme de communion. On se sert aussi quelquefois de ce même terme en Bourgogne, pour désigner la portion de la dot qui entre en communauté : enfin c'est le nom que l'on donne aux associations qui ont lieu en certaines provinces entre toutes sortes de personnes, & singulierement entre main-mortables. Cette communion entre main-mortables est une espece de société qui a ses regles particulieres ; elle doit être de tous biens ; elle se contracte expressément ou tacitement. La communion tacite est celle qui se contracte par le seul fait, par le mélange des biens & la demeure commune par an & jour. Cette communion tacite a lieu entre le pere & les enfans main-mortables, & entre les enfans de l'un des communiers décédé & les autres communiers survivans. Si les enfans sont mineurs & que la continuation de communion leur soit onéreuse, ils sont restituables dans la coûtume de Nivernois. La communion tacite a lieu entre les pere & mere & leurs enfans mariés lorsqu'ils continuent de demeurer avec eux par an & jour, à moins qu'il n'y ait quelque acte à ce contraire ; en Bourgogne la communion n'a pas lieu dans ce cas. La communion par convention expresse se peut contracter entre toutes sortes de personnes capables de contracter, soit parens entr'eux ou étrangers, soit avec une personne franche ou avec un main-mortable ; ils n'ont même pas besoin pour cet effet du consentement du seigneur de la main-morte. Cependant la coûtume de Bourgogne veut que les communiers qui se sont séparés ne puissent se remettre en communion sans le consentement du seigneur ; mais cette disposition exorbitante du droit commun doit être renfermée dans ce cas particulier. Il faut aussi excepter les communions qui ne seroient contractées qu'en fraude du seigneur, & pour le frustrer d'une succession qui lui seroit échûe. Le fils émancipé peut contracter une communion expresse avec son pere, & la femme de ce fils participe à cette société ; mais les mineurs ne peuvent contracter aucune nouvelle communion, soit expresse ou tacite. Pour que les main-mortables soient en communion de biens à l'effet d'exclure le seigneur de son droit d'échûte, il ne suffit pas qu'ils se communiquent tous leurs revenus & le produit de leur travail, il faut de plus qu'ils demeurent ensemble, & qu'ils ayent un même pain & un même feu. L'absence d'un des communiers ne rompt point la communion, tant qu'il n'a point pris ailleurs d'établissement pour perpétuelle demeure. L'émancipation expresse ou tacite ne rompt pas non plus la communion du pere avec le fils, à moins qu'il n'y ait habitation séparée, & une séparation volontaire, ou que le pere en mariant son fils ait souffert que celui-ci ait stipulé une communauté particuliere de biens entre lui & sa femme. L'habitation séparée rompt aussi la communion entre les héritiers, soit directs ou collatéraux : la vente & le partage produisent aussi le même effet. Cette matiere est amplement traitée par M. le président Bouhier, en ses observations sur la coûtume de Bourgogne, article lxjx. où l'on trouvera encore beaucoup d'autres questions qui y ont rapport. Voyez aussi Coquille sur Nivernois, ch. viij. §. 7. Dunod, de la main-morte, ch. iij. sect. 1. p. 77. (A)


COMMUTATIONsubst. f. terme d'Astronomie ; l'angle de commutation est la distance entre le véritable lieu du Soleil vû de la Terre, & le lieu d'une planete réduit à l'écliptique. Voyez LIEU.

Ainsi l'angle E S R (Planc. d'Astronomie, fig. 26.) qui a pour base la distance entre le vrai lieu du Soleil S vû de la Terre en Q, & celui d'une planete réduit à l'écliptique en R, est l'angle de commutation.

C'est pourquoi on trouve l'angle de commutation en soustrayant la longitude du Soleil, de la longitude héliocentrique de la planete, ou au contraire. Voy. HELIOCENTRIQUE. Harris & Chambers. (O)

COMMUTATION DE PEINE, (Jurisprudence) est le changement qui se fait d'une peine afflictive à laquelle un criminel a été condamné, en une moindre peine ; par exemple, lorsqu'au lieu d'une peine qui emportoit la mort naturelle, on ordonne que le condamné subira seulement la peine des galeres ou du bannissement, soit perpétuel ou à tems, ou qu'il gardera prison, ou enfin qu'il subira quelque peine pécuniaire.

Cette commutation de peine ne se peut faire que par l'autorité du prince, en obtenant de la part du condamné des lettres en la grande-chancellerie, portant commutation de peine ; & ces lettres, pour avoir leur exécution, doivent être entérinées.

La commutation de peine ne donne point atteinte au jugement de condamnation, desorte que le condamné ne recouvre point la vie civile, si le jugement est de nature à la lui faire perdre ; il n'est pas non plus relevé de l'infamie, ce n'est que la peine corporelle qui est adoucie. Voyez Anne Robert, liv. II. ch. xv. ordonnance d'Henri II. de 1549. art. 7. Louet & Brodeau, lett. Q. n. 8. Maynard, liv. VIII. ch. xlv. & xlvj. Ferrerius, sur la question 179. de Guypape ; Bouchel, en sa bibliotheque, au mot commutation. (A)


COMMUTATIVE(Jurisprud.) Voyez JUSTICE COMMUTATIVE.


COMORE(Géog. mod.) grande ville de la haute Hongrie, capitale d'un comté de même nom, dans une île formée par le Danube. Long. 36. lat. 47. 50.


COMORIN(LE CAP) Géog. mod. promontoire de l'Inde, en-deçà du Gange.


COMORRES(LES ILES) Géog. mod. île de la mer des Indes, dans le canal de Mosambique, entre le Zanguebar & l'île de Madagascar.


COMPACT(Jurisprud.) on appelle ainsi un accord ou pacte, compactum, fait entre les cardinaux avant l'élection de Paul IV. que celui qui seroit élû ne pourroit déroger aux indults des cardinaux par quelques paroles & en quelque maniere que ce fût. Paul IV. après son élection ratifia, en 1555, cet accord par une bulle fameuse, appellée bulle du compact ; elle fut registrée au grand-conseil le 13 Février 1558, en conséquence des lettres patentes du roi Henri II. du 16 Janvier précédent. Les articles principaux de ce compact sont 1°. que le nombre des cardinaux sera réduit par mort à 40 ; que les deux freres, ni l'oncle & le neveu, ne pourront être cardinaux en même tems. 2°. Qu'ils pourront disposer de leurs biens par donation ou testament ; & que s'ils meurent intestats, leurs biens ne seront point appliqués à la chambre apostolique, mais appartiendront à leurs héritiers. 3°. Qu'il sera pourvû aux cardinaux pauvres, de biens ou de pensions jusqu'à 6000 ducats de rente. 4°. Qu'ils seront exempts de toutes décimes & gabelles dans l'état ecclésiastique (sous ce mot gabelles on entend ici toutes sortes d'impositions). 5°. Qu'ils pourront conférer librement tous bénéfices étant de leur collation, excepté la réserve continuae familiaritatis du pape ; & enfin que les papes ne pourront, au préjudice de la collation des cardinaux, déroger à la regle des 20 jours, seu de infirmis resignantibus, qui est la dix-huitieme regle de chancellerie, ni déroger à aucun des indults accordés aux cardinaux ad instantiam regum & principum. Voyez la pratique de cour de Rome, de Castel, tome I. pag. 94. & suiv. Brillon, dict. des arrêts, au mot Bulle, n. 19. (A)

COMPACT DE L'ALTERNATIVE, est un accord qui fut fait entre Martin V. & Charles VI. pour user en France de la regle de chancellerie dite de l'alternative, qui avoit été faite par Innocent VII. dès 1404, qui établit l'alternative pour la collation des bénéfices entre le pape & les évêques, en faveur de la résidence. Ensuite du compact de Martin V. il y eut une ordonnance de Charles VI. en vertu de laquelle l'on commença à user de l'alternative pour cinq ans. Voyez le tr. des mat. bénéfic. de Fuet, liv. IV. ch. vj. p. 434. (A)

COMPACT BRETON, est un accord fait entre le pape & le S. siége d'une part, & tous les collateurs & la nation bretonne d'autre, pour la partition des mois par rapport à la collation des bénéfices. Suivant cet accord, les collateurs ordinaires ont droit de conférer les bénéfices qui vaquent pendant quatre mois de l'année, qui sont les derniers de chaque quartier, savoir Mars, Juin, Septembre & Décembre, & les huit autres mois appartiennent au pape, lequel est obligé de conférer dans les 6 mois de la vacance, suivant le concile de Latran ; & au moyen de cet accord il s'est départi du droit de concours & de prévention. Quelques-uns ont prétendu que ce fut au concile de Constance que fut dressé ce compact ; mais M. le président Henault tient qu'on doit rapporter cet arrangement à une bulle d'Eugene IV. & il est certain que ce n'est point en vertu de la regle de mensibus que le pape jouit en Bretagne des mois réservés ; c'est en vertu d'un édit d'Henri II. du 14 Juin 1549, qui ordonne, entr'autres choses, que les réserves apostoliques & autres regles de chancellerie soient reçues en Bretagne ; ce qu'il confirma par différentes déclarations des 29 Juillet 1550, 18 Avril & 29 Octobre 1553.

Les collateurs ordinaires de Bretagne, autres que les évêques, n'ont suivant le compact que quatre mois pour conférer les bénéfices vacans per obitum, sans pouvoir être prévenus ; les huit autres mois appartiennent au pape : mais les évêques qui ont les six mois de l'alternative, ont en outre ces quatre mois, dont deux, savoir Juin & Décembre, font partie de leurs six mois d'alternative ; & les deux autres, qui sont Mars & Septembre, en vertu du compact ; ce qui fait en tout pour eux huit mois.

On tient en Bretagne que les évêques peuvent être prévenus dans les deux mois qui leur sont accordés par le compact ou partition, outre leurs six mois d'alternative.

Lorsqu'un siége épiscopal en Bretagne est vacant, le chapitre ne peut pas conférer les bénéfices qui viennent à vaquer per obitum, dans les mois de l'alternative de l'évêque, & qui ne sont pas sujets à la régale ; mais il peut conférer ceux dont la collation auroit appartenu à l'évêque par le compact ou partition des mois pendant les quatre mois. (A)


COMPACTEadj. en Physique, signifie un corps dense, pesant, dont les parties sont fort serrées, & dont les pores sont petits ou en petite quantité, au moins par rapport à un autre corps. Voyez CORPS, PORE, DENSITE, &c.

Les métaux les plus pesans, comme l'or & le plomb, sont les plus compactes, c'est-à-dire sont ceux qui ont le plus de matiere propre.

Le mot compacte n'est proprement qu'un terme relatif ; car il n'y a point de corps absolument compacte, puisqu'il n'y en a point qui ne renferme beaucoup plus de pores que de parties solides. Voyez PORE. (O)


COMPAGNECOMPAGNE


COMPAGNIES. f. (Gram.) se dit en général d'une association libre de plusieurs particuliers, qui ont un ou plusieurs objets communs. Il y a des associations de personnes religieuses, militaires, commerçantes, &c. ce qui forme plusieurs sortes de compagnies différentes par leur objet.

COMPAGNIE, c'est, dans l'Art militaire, un certain nombre de gens de guerre sous la conduite d'un chef appellé capitaine. Les régimens sont composés de compagnies.

Il y a plusieurs compagnies en France qui ne sont point enrégimentées, ou qui ne composent point de régimens ; telles sont celles des grenadiers-à-cheval, des gardes-du-corps, des gendarmes & chevaux-legers de la garde, des mousquetaires, des gendarmes, des compagnies d'ordonnance, &c. Voyez toutes ces compagnies aux articles qui leur conviennent, c'est-à-dire voyez GRENADIERS-A-CHEVAL, GARDES-DU-CORPS, &c. (Q)

COMPAGNIE D'ORDONNANCE ; c'étoit dans l'origine quinze compagnies de gendarmes créées par Charles VII. de cent hommes d'armes chacune. Voyez HOMME D'ARMES.

Ces compagnies, dont plusieurs princes & grands seigneurs étoient capitaines, ont subsisté jusque vers le tems de la paix des Pyrenées, sous le regne de Louis XIV. Celles des seigneurs furent alors supprimées ; on ne conserva que celles des princes.

Le roi est aujourd'hui capitaine de toutes les compagnies de gendarmerie, & les commandans de ces compagnies n'ont que le titre de capitaine-lieutenant. Elles sont fort différentes des anciennes compagnies d'ordonnance ; cependant pour distinguer les gendarmes qui les composent, des gendarmes de la garde du roi, on les appelle ordinairement gendarmes des compagnies d'ordonnance. Voyez GENDARME & GENDARMERIE.

COMPAGNIES. On a ainsi appellé autrefois en France des especes de troupes de brigands, que les princes prenoient à leur solde dans le besoin, pour s'en servir dans les armées.

Ces troupes n'étoient ni angloises ni françoises, mais mêlées de diverses nations. On leur donne dans l'histoire divers noms, tantôt on les appelle cotteraux, coterelli, tantôt routiers, ruptarii, rutarii, & tantôt Brabançons, Brabantiones. Nos anciens historiens françois appelloient ces troupes les routes ou les compagnies.

Cette milice, dont le P. Daniel croit que Philippe Auguste fut le premier qui commença à se servir, subsista jusqu'au regne de Charles V. Ce prince surnommé le Sage, & dont en effet la sagesse fut le principal caractere, trouva le moyen de délivrer la France de ces brigands par l'entremise de Bertrand du Guesclin. Ce seigneur engagea les compagnies & les routes à le suivre en Espagne, pour aller faire la guerre à Pierre le Cruel, roi de Castille, en faveur du comte de Transtamare frere bâtard de ce prince. Du Guesclin réussit si bien, qu'il détrôna Pierre le Cruel, & mit sur le trône Henri de Transtamare. Les compagnies dans les deux expéditions d'Espagne périrent presque tous ou se dissiperent ; & le roi donna de si bons ordres par-tout, qu'en peu d'années elles furent entierement exterminées en France. Le P. Daniel, histoire de la milice françoise. (Q)

COMPAGNIE, (Jurispr.) on appelle compagnies de justice, les tribunaux qui sont composés de plusieurs juges. Ils ne se qualifient pas de compagnie dans les jugemens ; les cours souveraines usent du terme de cour, les juges inférieurs usent du terme collectif nous. Mais dans les délibérations qui regardent les affaires particulieres du tribunal, & lorsqu'il s'agit de cérémonies, les tribunaux, soit souverains ou inférieurs, se qualifient de compagnie ; ils en usent de même pour certains arrêtés concernant leur discipline ou leur jurisprudence ; ces arrêtés portent que la compagnie a arrêté, &c. (A)

COMPAGNIES SEMESTRES, sont des cours ou autres corps de justice, dont les officiers sont partagés en deux colonnes, qui servent chacune alternativement pendant six mois de l'année. Voyez SEMESTRES. (A)

COMPAGNIES SOUVERAINES ou COURS SUPERIEURES, sont celles qui sous le nom & l'autorité du roi, jugent souverainement & sans appel dans tous les cas, de maniere qu'elles ne reconnoissent point de juges supérieurs auxquels elles ressortissent ; tels sont les parlemens, le grand-conseil, les chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, les conseils supérieurs, &c.

Les présidiaux ne sont pas des compagnies souveraines, quoiqu'ils jugent en dernier ressort au premier chef de l'édit ; parce que leur pouvoir est limité à certains objets. Voyez Loiseau, des seign. chap. iij. n. 23. (A)

COMPAGNIE DE COMMERCE : on entend par ce mot une association formée pour entreprendre, exercer ou conduire des opérations quelconques de commerce.

Ces compagnies sont de deux sortes, ou particulieres, ou privilégiées.

Les compagnies particulieres sont ordinairement formées entre un petit nombre d'individus, qui fournissent chacun une portion des fonds capitaux, ou simplement leurs conseils & leur tems, quelquefois le tout ensemble, à des conditions dont on convient par le contrat d'association. Ces compagnies portent plus communément la dénomination de sociétés. Voy. SOCIETE.

L'usage a cependant conservé le nom de compagnie, à des associations ou sociétés particulieres, lorsque les membres sont en grand nombre, les capitaux considérables, & les entreprises relevées soit par leur risque, soit par leur importance. Ces sortes de sociétés-compagnies sont le plus souvent composées de personnes de diverses professions, qui peu entendues dans le commerce, confient la direction des entreprises à des associés, ou à des commissionnaires capables, sous un plan général. Quoique les opérations de ces compagnies ne reçoivent aucune préférence publique sur les opérations particulieres, elles sont cependant toûjours regardées d'un oeil mécontent dans les places de commerce ; parce que toute concurrence diminue les bénéfices. Mais cette raison même doit les rendre très-agréables à l'état, dont le commerce ne peut être étendu & perfectionné que par la concurrence des négocians.

Ces compagnies sont utiles aux commerçans, même en général ; parce qu'elles étendent les lumieres & l'intérêt d'une nation sur cette partie toûjours enviée & souvent méprisée, quoiqu'elle soit l'unique ressort de toutes les autres.

L'abondance de l'argent, le bas prix de son intérêt, le bon état du crédit public, l'accroissement du luxe, tous signes évidens de la prospérité publique, sont l'époque ordinaire de ces sortes d'établissemens ; ils contribuent à leur tour à cette prospérité, en multipliant les divers genres d'occupation pour le peuple, son aisance, ses consommations, & enfin les revenus de l'état.

Il est un cas cependant où ils pourroient être nuisibles ; c'est lorsque les intérêts sont partagés en actions, qui se négocient & se transportent sans autre formalité ; par ce moyen les étrangers peuvent éluder cette loi si sage, qui dans les états policés défend d'associer les étrangers non-naturalisés ou non-domiciliés dans les armemens. Les peuples qui ont l'intérêt de l'argent à meilleur marché que leurs voisins, peuvent à la faveur des actions s'attirer de loin tout le bénéfice du commerce de ces voisins ; quelquefois même le ruiner, si c'est leur intérêt : c'est uniquement alors que les négocians ont droit de se plaindre. Autre regle générale : tout ce qui peut être la matiere d'un agiotage, est dangereux dans une nation qui paye l'intérêt de l'argent plus cher que les autres.

L'utilité que ces associations portent aux intéressés, est bien plus équivoque que celle qui en revient à l'état. Cependant il est injuste de se prévenir contre tous les projets, parce que le plus grand nombre de ceux qu'on a vû éclorre en divers tems, a échoüé. Les écueils ordinaires sont le défaut d'économie, inséparable des grandes opérations ; les dépenses fastueuses en établissemens, avant d'avoir assûré les profits ; l'impatience de voir le gain ; le dégoût précipité ; enfin la mesintelligence.

La crédulité fille de l'ignorance, est imprudente ; mais il est inconséquent d'abandonner une entreprise qu'on savoit risquable, uniquement parce que ses risques se sont déployés. La fortune semble prendre plaisir à faire passer par des épreuves ceux qui la sollicitent ; ses largesses ne sont point reservées à ceux que rebutent ses premiers caprices.

Il est quelques regles générales, dont les gens qui ne sont point au fait du commerce, & qui veulent s'y intéresser, peuvent se prémunir. 1°. Dans un tems où les capitaux d'une nation sont augmentés dans toutes les classes du peuple, quoiqu'avec quelque disproportion entr'elles, les genres de commerce qui ont élevé de grandes fortunes, & qui soûtiennent une grande concurrence de négocians, ne procurent jamais des profits bien considérables ; plus cette concurrence augmente, plus le desavantage devient sensible. 2°. Il est imprudent d'employer dans des commerces éloignés & risquables, les capitaux dont les revenus ne sont point superflus à la subsistance : car si les intéressés retirent annuellement ou leurs bénéfices, ou simplement leurs intérêts à un taux un peu considérable, les pertes qui peuvent survenir retombent immédiatement sur le capital ; ce capital lui-même se trouve quelquefois déjà diminué par les dépenses extraordinaires des premieres années ; les opérations languissent, ou sont timides ; le plan projetté ne peut être rempli, & les bénéfices seront certainement médiocres, même avec du bonheur. 3°. Tout projet qui ne présente que des profits, est dressé par un homme ou peu sage, ou peu sincere. 4°. Une excellente opération de commerce est celle où, suivant le cours ordinaire des évenemens, les capitaux ne courent point de risque. 5°. Le gain d'un commerce est presque toûjours proportionné à l'incertitude du succès ; & l'opération est bonne, si cette proportion est bien claire. 6°. Le choix des sujets qui doivent être chargés de la conduite d'une entreprise, est le point le plus essentiel à son succès. Tel est capable d'embrasser la totalité des vûes, & de diriger celles de chaque opération particuliere à l'avantage commun, qui réussira très-mal dans les détails : l'aptitude à ceux-ci marque du talent, mais souvent ne marque que cela. On peut sans savoir le commerce, s'être enrichi par son moyen ; si les lois n'étoient point chargées de formalités, un habile négociant seroit sûrement un bon juge ; il seroit dans tous les cas un grand financier : mais parce qu'un homme sait les lois, parce qu'il a bien administré les revenus publics, ou qu'il a beaucoup gagné dans un genre de négoce, il ne s'ensuit pas que son jugement doive prévaloir dans toutes les délibérations de commerce.

On n'a jamais vû tant de plans & de projets de cette espece, que depuis le renouvellement de la paix ; & il est remarquable que presque tous ont tourné leurs vûes vers Cadix, la Martinique, & Saint-Domingue. Cela n'exigeoit pas une grande habileté ; & pour peu qu'on eût voulu raisonner, il étoit facile de prévoir le sort qu'ont éprouvé les intéressés. Il en a résulté que beaucoup plus de capitaux sont sortis de ces commerces, qu'il n'en étoit entré d'excédens.

Si l'on s'étoit occupé à découvrir de nouvelles mines, qu'on eût établi de solides factories dans des villes moins connues, comme à Naples, à Hambourg ; si des compagnies avoient employé de grands capitaux, sagement conduits dans le commerce de la Louisiane ou du Nord ; si elles avoient formé des entreprises dans nos Antilles qui en sont susceptibles comme à la Guadeloupe, à Cayenne, on eût bientôt reconnu qu'il y a encore plus de grandes fortunes solides à faire dans les branches de commerce qui ne sont pas ouvertes, qu'il n'en a été fait jusqu'à-présent. Les moyens de subsistance pour le peuple & les ressources des familles, eussent doublé en moins de dix ans.

Ces détails ne seroient peut-être pas faits pour un dictionnaire ordinaire ; mais le but de l'Encyclopédie est d'instruire, & il est important de disculper le commerce des fautes de ceux qui l'ont entrepris.

Les compagnies ou communautés privilégiées, sont celles qui ont reçu de l'état un droit ou des faveurs particulieres pour certaines entreprises, à l'exclusion des autres sujets. Elles ont commencé dans des tems de barbarie & d'ignorance, où les mers étoient couvertes de pirates, l'art de la navigation grossier & incertain, & où l'usage des assûrances n'étoit pas bien connu. Alors il étoit nécessaire à ceux qui tenoient la fortune au milieu de tant de périls, de les diminuer en les partageant, de se soûtenir mutuellement, & de se réunir en corps politiques. L'avantage que les états en retiroient, firent accorder des encouragemens & une protection spéciale à ces corps ; ensuite les besoins de ces états & l'avidité des marchands, perpétuerent insensiblement ces priviléges, sous prétexte que le commerce ne se pouvoit faire autrement.

Ce préjugé ne se dissipa point entierement à mesure que les peuples se poliçoient, & que les connoissances humaines se perfectionnoient ; parce qu'il est plus commode d'imiter que de raisonner : & encore aujourd'hui bien des gens pensent que dans certains cas il est utile de restreindre la concurrence.

Un de ces cas particuliers que l'on cite, est celui d'une entreprise nouvelle, risquable ou coûteuse. Tout le monde conviendra sans-doute que celles de ce genre demandent des encouragemens & des graces particulieres de l'état.

Si ces graces & ces encouragemens sont des exemptions de droits, il est clair que l'état ne perd rien à ce qu'un plus grand nombre de sujets en profite, puisque c'est une industrie nouvelle qu'il favorise. Si ce sont des dépenses, des gratifications, ce qui est le plus sûr & même indispensable, on sent qu'il résulte trois conséquences absolues de la concurrence. La premiere, qu'un plus grand nombre d'hommes s'enrichissant, les avances de l'état lui rentrent plus sûrement, plus promtement. La seconde, que l'établissement sera porté plûtôt à sa perfection, qui est l'objet des dépenses, à mesure que de plus grands efforts y contribueront. La troisieme, que ces dépenses cesseront plûtôt.

Le lecteur sera mieux instruit sur cette matiere, en mettant sous ses yeux le sentiment d'un des plus habiles hommes de l'Angleterre dans le commerce ; je parle de M. Josias Child, au ch. iij. d'un de ses traités, intitulé Trade, and interest of money considered.

Personne n'est en droit de se flater de penser mieux ; & ce que je veux dire, soûtenu d'une pareille autorité, donnera moins de prise à la critique. Il est bon d'observer que l'auteur écrivoit en 1669, & que plusieurs choses ont changé depuis ; mais presque toutes en extension de ses principes.

" Nous avons parmi nous, dit M. J. Child, deux sortes de compagnies de commerce. Dans les unes, les capitaux sont réunis comme dans la compagnie des Indes orientales ; dans celle de Morée, qui est une branche de celle de Turquie ; & dans celle de Groenland, qui est une branche de la compagnie de Moscovie. Dans les autres associations ou compagnies de commerce, les particuliers qui en sont membres trafiquent avec des capitaux séparés, mais sous une direction & des regles communes. C'est ainsi que se font les commerces de Hambourg, de Turquie, du Nord & de Moscovie.

Depuis plusieurs années, on dispute beaucoup sur cette question, savoir s'il est utile au public de réunir les marchands en corps politiques.

Voici mon opinion à ce sujet.

1°. Les compagnies me paroissent absolument nécessaires pour faire le commerce dans les pays avec lesquels S. M. n'a point d'alliances, ou n'en peut avoir ; soit à raison des distances, soit à cause de la barbarie des peuples qui habitent ces contrées, ou du peu de communication qu'ils ont avec les princes de la Chrétienté ; enfin par-tout où il est nécessaire d'entretenir des forts & des garnisons. Tel est le cas des commerces à la côte d'Afrique & aux Indes orientales.

2°. Il me paroît évident que la plus grande partie de ces deux commerces doit être faite par une compagnie dont les fonds soient réunis ". (Depuis ce tems les Anglois ont trouvé le secret de mettre d'accord la liberté & la protection du commerce à la côte d'Afrique. Voyez GRANDE-BRETAGNE, son commerce.)

" 3°. Il me paroît fort difficile de décider qu'aucune autre compagnie de commerce privilégiée, soit utile ou dommageable au public.

4°. Je ne laisse pas de conclure en général, que toutes les restrictions de commerce sont nuisibles ; & conséquemment que nulle compagnie quelconque, soit qu'elle trafique avec des capitaux réunis ou simplement sous des regles communes, n'est utile au public ; à moins que chaque sujet de S. M. n'ait en tout tems la faculté de s'y faire admettre à très-peu de fraix. Si ces fraix excedent au total la valeur de vingt livres sterlings, c'est beaucoup trop, pour trois raisons.

La premiere, parce que les Hollandois dont le commerce est le plus florissant en Europe, & qui ont les regles les plus sûres pour s'enrichir par son moyen, admettent librement & indifféremment, dans toutes leurs associations de marchands & même de villes, non-seulement tous les sujets de l'état, mais encore les Juifs & toutes sortes d'étrangers.

La seconde, parce que rien au monde ne peut nous mettre en état de soûtenir la concurrence des Hollandois dans le commerce, que l'augmentation des commerçans & des capitaux ; c'est ce que nous procurera une entrée libre dans les communautés qui s'en occupent. Le grand nombre des hommes & la richesse des capitaux sont aussi nécessaires pour pousser avantageusement un commerce, que pour faire la guerre.

Troisiemement, le seul bien qu'on puisse espérer des communautés ou associations, c'est de régler & de guider le commerce. Si l'on rend libre l'entrée à des compagnies, les membres n'en seront pas moins soûmis à cet ordre qu'on veut établir ; ainsi la nation en retirera tous les avantages qu'elle a pû se promettre.

Le commerce du Nord consomme, outre une grande quantité de nos productions, une infinité de denrées d'Italie, d'Espagne, du Portugal & de France. Le nombre de nos négocians qui font ce commerce, est bien peu de chose, si nous le comparons avec le nombre des négocians qui en Hollande font le même commerce. Nos négocians du Nord s'occupent principalement de ce commerce au-dedans & au-dehors, & conséquemment ils sont bien moins au fait de ces denrées étrangeres ; peut-être même ne sont-ils pas assez riches pour en entreprendre le négoce. Si d'un autre côté on fait attention que par les chartes de cette compagnie, nos autres négocians qui connoissent parfaitement bien les denrées d'Italie, d'Espagne, du Portugal & de France, sont exclus d'en faire commerce dans le Nord ; ou qu'au moins, s'ils reçoivent permission de la compagnie d'y en envoyer, ils ne l'ont pas d'en recevoir les retours, il sera facile de concevoir que les Hollandois doivent fournir par préférence le Danemark, la Suede & toutes les côtes de la mer Baltique, de ces mêmes denrées étrangeres. C'est ce qui arrive réellement.

Quoique les Hollandois n'ayent point de compagnies du Nord, ils y font dix fois plus de commerce que nous.

Notre commerce en Portugal, en Espagne, en Italie, n'est point en compagnies, & il est égal à celui que la Hollande fait dans ces pays, s'il n'est plus considérable ".

(Si dans cette position des choses, le commerce de l'Angleterre étoit égal à celui de la Hollande dans les pays qu'on vient de nommer, il est évident ou que ce commerce eût augmenté par la liberté de la navigation du Nord, ou que l'Angleterre revendoit à la Hollande une partie de ses retours, & se privoit ainsi d'une portion considérable de leur bénéfice. C'est l'effet de toutes les navigations restreintes, parce que les grands assortimens procurent seuls de grandes ventes).

" Nous avons des compagnies pour le commerce de la Russie & du Groenland ; mais il est presque entierement perdu pour nous, & nous n'y en faisons pas la quarantieme partie autant que les Hollandois, qui n'ont point eu recours aux compagnies pour l'établir.

De ces faits il résulte.

1°. Que les compagnies restreintes & limitées ne sont pas capables de conserver ou d'accroître une branche de commerce.

2°. Qu'il arrive que des compagnies limitées, quoiqu'établies & protégées par l'état, font perdre à la nation une branche de son commerce.

3°. Qu'on peut étendre avec succès notre commerce dans toute la Chrétienté, sans établir de compagnies.

4°. Que nous avons plus déchû, ou si l'on veut, que nous avons fait moins de progrès dans les branches confiées à des compagnies limitées, que dans celles où tous les sujets de S. M. indifféremment ont eu la liberté du négoce.

On fait contre cette liberté diverses objections, auxquelles il est facile de répondre.

Premiere objection. " Si tous ceux qui veulent faire un commerce en ont la liberté, il arrivera que de jeunes gens, des détaillans, & d'autres voudront s'ériger en marchands ; leur inexpérience causera leur ruine & portera préjudice au commerce, parce qu'ils acheteront cher ici pour vendre à bon marché dans l'étranger ; ou bien ils acheteront à haut prix les denrées étrangeres, pour les revendre à leur perte.

A cela je réponds, que c'est une affaire personnelle, chacun doit être son propre tuteur. Ces personnes, après tout, ne feront dans les branches de commerce qui sont aujourd'hui en compagnies, que ce qu'elles ont fait dans celles qui sont ouvertes à tous les sujets. Les soins des législateurs embrassent la totalité du peuple, & ne s'étendent pas aux affaires domestiques. Si ce qu'on allegue se trouve vrai, que nos marchandises se vendront au-dehors à bon marché, & que les denrées étrangeres seront données ici à bas prix, j'y vois deux grands avantages pour la nation.

II. objection. Si la liberté est établie, les boutiquiers ou détaillans qui revendent les denrées que nous importent en retour les compagnies, auront un tel avantage dans ces commerces sur les marchands, qu'ils s'empareront de toutes les affaires.

Nous ne voyons rien de pareil en Hollande, ni dans nos commerces libres ; tels que celui de France, de Portugal, d'Espagne, d'Italie, & de toutes nos colonies : de plus, cela ne peut arriver. Un bon détail exige des capitaux souvent considérables, & il est d'une grande sujétion ; le commerce en gros de son côté révendique les mêmes soins : ainsi il est très-difficile qu'un homme ait tout-à-la-fois assez de tems & d'argent pour suivre également ces deux objets. De plusieurs centaines de détaillans qu'on a vû entreprendre le commerce étranger, il en est très-peu qui au bout de deux ou trois ans d'expérience, n'ayent renoncé à l'une de ces occupations pour s'adonner entierement à l'autre. Quoi qu'il en soit, cette considération est peu touchante pour la nation, dont l'intérêt général est d'acheter à bon marché, quel que soit le nom ou la qualité du vendeur, soit gentilhomme, négociant ou détaillant.

III. objection. Si les boutiquiers ou autres gens ignorans dans le commerce étranger, le peuvent faire librement, ils négligeront l'exportation de nos productions, & feront entrer au contraire des marchandises étrangeres, qu'ils payeront en argent ou en lettres de change ; ce qui sera une perte évidente pour la nation.

Il est clair que ces personnes ont comme toutes les autres, leur intérêt personnel pour premiere loi ; si elles trouvent de l'avantage à exporter nos productions, elles le feront ; s'il leur convient mieux de remettre de l'argent ou des lettres de change à l'étranger, elles n'y manqueront pas : dans toutes ces choses, les négocians ne suivront point d'autres principes.

IV. objection. Si le commerce est libre, que gagnera-t-on par l'engagement de sept années de services, & par les sommes que les parens payent à un marchand pour mettre leurs enfans en apprentissage ? quels sont ceux qui prendront un tel parti ?

Le service de sept années, & l'argent que donnent les apprentis, n'ont pour objet que l'instruction de la jeunesse qui veut apprendre l'art ou la science du commerce, & non pas l'acquisition d'un monopole ruineux pour la patrie. Cela est si vrai, qu'on contracte ces engagemens avec des négocians qui ne sont incorporés dans aucune communauté ou compagnie ; & parmi ceux qui y sont incorporés, il en est auxquels on ne voudroit pour rien au monde confier des apprentis ; parce que c'est la condition du maître que l'on recherche, suivant sa capacité, sa probité, le nombre, & la nature des affaires qu'il fait, sa bonne ou sa mauvaise conduite, tant personnelle que dans son domestique.

V. objection. Si le commerce est rendu libre, ne sera-ce pas une injustice manifeste à l'égard des compagnies de négocians, qui par eux-mêmes ou par leurs prédécesseurs ont dépensé de grandes sommes pour obtenir des priviléges au-dehors, comme font la compagnie de Turquie & celle de Hambourg ?

Je n'ai jamais entendu dire qu'aucune compagnie sans réunion de capitaux, ait déboursé d'argent pour obtenir ses priviléges, qu'elle ait construit des forteresses, ou fait la guerre à ses dépens. Je sais bien que la compagnie de Turquie entretient à ses fraix un ambassadeur & deux consuls ; que de tems en tems elle est obligée de faire des présens au grand-seigneur, ou à ses principaux officiers ; que la compagnie de Hambourg est également tenue à l'entretien de son ministre ou député dans cette ville : aussi je pense qu'il seroit injuste que des particuliers eussent la liberté d'entreprendre ces négoces, sans être soûmis à leur quote-part des charges des compagnies respectives. Mais je ne conçois point par quelle raison un sujet seroit privé de ces mêmes négoces, en se soûmettant aux réglemens & aux dépenses communes des compagnies, ni pourquoi son association devroit lui coûter fort cher.

Sixieme objection. Si l'entrée des compagnies est libre, elles se rempliront de boutiquiers à un tel point, qu'ils auront la pluralité des suffrages dans les assemblées : par ce moyen les places de directeurs & d'assistans seront occupées par des personnes incapables, au préjudice des affaires communes.

Si ceux qui font cette objection sont négocians, ils savent combien peu elle est fondée : car c'est beaucoup si une vingtaine de détaillans entrent dans une année dans une association ; & ce nombre n'aura pas d'influence dans les élections. S'il s'en présente un plus grand nombre, c'est un bonheur pour la nation, & ce n'est point un mal pour les compagnies ; car l'intérêt est l'appât commun de tous les hommes ; & ce même intérêt commun fait desirer à tous ceux qui s'engagent dans un commerce, de le voir réglé & gouverné par des gens sages & expérimentés. Les voeux se réuniront toûjours pour cet objet ; & la compagnie des Indes en fournit la preuve, depuis que tout anglois a pû y entrer en achetant une action, & en payant cinq livres pour son association. Les contradicteurs sur cette matiere ont dû se convaincre que la compagnie a été appuyée sur de meilleurs fondemens, & mieux gouvernée infiniment que dans les tems où l'association coûtoit cinquante livres sterlings.

Le succès a justifié cet arrangement, puisque la nouvelle compagnie étayée par des principes plus profitables, a triplé son capital ; tandis que l'ancienne plus limitée, a déchû continuellement, & enfin s'est ensevelie sous ses ruines, quoique commencée avec le plus de succès. "

Ce qui regarde les diverses compagnies de l'Europe, est renvoyé au commerce de chaque état. Cet article est de M. V. D. F.

La regle de COMPAGNIE, en Arithmétique, est une regle dont l'usage est très-nécessaire pour arrêter les comptes entre les marchands & propriétaires de vaisseaux ; lorsqu'un certain nombre de personnes ayant fait ensemble un fonds, on propose de partager le gain ou la perte proportionnellement entr'eux.

La regle de trois répétée plusieurs fois est le fondement de la regle de compagnie, & satisfait pleinement à toutes les questions de cette espece ; car la mise de chaque particulier doit être à sa part du gain ou de la perte, comme le fonds total est à la perte ou au gain total : donc il faut additionner les différentes sommes d'argent que les associés ont fournies, pour en faire le premier terme ; le gain ou la perte commune sera le second ; chaque mise particuliere sera le troisieme ; & il faudra répéter la régle de trois autant de fois qu'il y a d'associés.

Cette regle a deux cas : il y a différens tems à observer, ou il n'y en a point.

La regle de compagnie, sans distinction de tems, est celle dans laquelle on ne considere que la quantité de fonds que chaque associé a fourni, sans avoir égard au tems que cet argent a été employé, parce que l'on suppose que tous les fonds ont été mis dans le même tems. Un exemple rendra cette opération facile.

A, B, & C, ont chargé un vaisseau de 212 tonneaux de vin ; A a fourni 1342 liv. B 1178 liv. & C 630 liv. toute la cargaison est vendue à raison de 32 liv. chaque tonneau. On demande combien il revient à chacun.

Trouvez le produit entier du vin en multipliant 212 par 32, qui revient à 6784 liv. ensuite ajoûtant ensemble les mises particulieres 1342 liv. 1178 liv. & 630 liv. qui font 3150 liv. l'opération sera

La raison pour laquelle on n'a point d'égard aux tems dans cette regle, c'est qu'étant le même pour chaque mise, il doit influer également sur le gain ou la perte que chacune doit porter. Mais il n'en est pas de même, lorsque le tems de chaque mise est différent.

C'est ce qu'on appelle regle de compagnie par tems, & qu'il est bon d'expliquer avec clarté, d'autant que plusieurs de ceux qui en ont parlé y ont laissé des difficultés. Supposons deux particuliers que, pour plus de facilité, je distinguerai par A & par B, qui ayent fait ensemble une société. L'un met au premier Janvier la somme a, & au premier Avril la somme b ; le second met au premier Janvier la somme c, au premier Juillet la somme d ; & au bout de quinze mois il leur vient la somme e qu'il faut partager entr'eux. On demande de quelle maniere on la doit partager.

Il est évident que la mise de chacun doit être regardée comme un fonds qui travaille pendant tout le tems qui s'écoule depuis cette remise jusqu'au tems du profit ; que par conséquent on peut le regarder comme de l'argent placé à un certain denier x, dont la quantité dépend de la somme e. De plus ce denier doit être le même pour chacun des intéressés, il n'y aura que le plus ou moins de tems qui fera varier le profit ; ensorte que si x a est le denier x de a pour un mois, x b, x c, x d, seront aussi le denier de b c, &c. pour un mois.

Il faut savoir maintenant sur quel pié l'intérêt doit être envisagé ici, s'il est simple ou composé. Voyez INTERET. C'est une chose qui dépend uniquement de la convention entre les intéressés. C'est ce qu'on a déjà fait sentir à l'article ARRERAGES, & qui sera expliqué plus en détail à l'article INTERET. On regarde ordinairement l'intérêt comme simple dans ces sortes de calculs ; nous allons d'abord le considérer sous ce point de vûe.

1°. Supposons que l'intérêt soit simple, que x soit le denier de la somme a pour un mois, il est certain que la somme a mise au 1er Janvier, doit au bout de quinze mois produire a (1 + 15 x) ; que la somme b mise au premier Avril, & travaillant pendant douze mois, doit au bout des quinze mois produire b (1 + 12 x) ; que la somme c mise au premier Janvier produira c (1 + 15 x) ; & que la somme d mise au premier Juillet, & travaillant pendant neuf mois, doit produire d (1 + 9 x). Or ces quatre quantités prises ensemble doivent être égales à la somme retirée e. Donc a + b + c + d + 15 a x + 12 b x + 15 c x + 9 d x = e.

Donc x = (e - a - b - c - d) /(15 a + 12 b + 15 c + 9 d).

Donc la somme a + 15 a x + b + 12 b x gagnée par le premier sera (a + b + 15 a e - 15 a a - 15 b a - 15 a c - 15 a d)/(15 a + 12 b + 15 c + 9 d) + (12 b e - 12 a b - 12 b b - 12 b c - 12 b d)/(15 a + 12 b + 15 c + 9 d), laquelle sera = (15 a e - 3 b a - 6 a d)/(15 a + 12 b + 15 c + 9 d) + (12 b e + 3 a b + 3 b c - 3 d b)/(15 a + 12 b + 15 c + 9 d), & ainsi des autres.

Si l'intérêt est composé, en ce cas au lieu de a (1 + 15 x), il faudra a (1 + x)15, &c. & l'on aura a (1 + x)15 + b (1 + x)12 + c (1 + x)15 + d (1 + x)9 = e. Equation beaucoup plus difficile à résoudre que la précédente, mais dont on peut venir à bout par approximation.

Il me semble que dans les regles de compagnie on devroit traiter l'intérêt comme composé ; car tout intérêt est tel par sa nature, à-moins qu'il n'y ait entre les intéressés une convention formelle du contraire ; voyez INTERET & ARRERAGES. Mais il semble que l'usage, sans qu'on sache trop pourquoi, est de regarder l'intérêt comme simple dans ces sortes d'associations.

Quand le tems des mises est égal, alors soit qu'on regarde l'intérêt comme simple ou comme composé, il est inutile d'avoir égard au tems. En effet supposons que les deux mises soient a & c, on a dans le premier cas (1 + 15 x) + c (1 + 15 x) = e ; donc x = (e - a - c) /(15 a + 15 c) & a + 15 a x = (15 a a + 15 a e + 15 a e - 15 a a - 15 a e)/(15 a + 15 c) = (a e)/(a + c) ; d'où l'on voit que le gain de a est à la mise comme le gain total e est à la mise total a + c, ainsi que le donne la regle de compagnie, où on n'a point d'égard au tems.

Si l'intérêt est composé, on aura a (1 + x)15 + c (1 + x15) = e ; donc (1 + x)15 = e/(a + c) ; donc a (1 + 15 x)15 = (a e)/(a + c), ce qui donne encore la même analogie.

Il y a cependant une observation à faire dans la regle de compagnie par tems, quand l'intérêt est simple. Je suppose, comme ci-dessus, que l'intéressé A mette a au mois de Janvier & b au mois d'Avril, il est évident qu'au premier Avril a (1 + 3 x) exprimera ce que l'intéressé A doit retirer, ou plûtôt sa véritable mise ; & cette mise étant augmentée de b, on aura a (1 + 3 x) + b pour sa mise au premier Avril. Or cette mise étant multipliée par (1 + 12 x) donnera (a (1 + 3 x) + b) x (1 + 12 x) pour la mise totale de A à la fin des quinze mois, ce qui differe de a + 15 a x + b + 12 b x qu'on a trouvé ci-dessus pour la mise totale de A puisque cette mise est plus petite de la quantité 3 b a x x ; comment accorder tout cela ? en voici le dénouement.

Tout dépend ici de la convention mutuelle des intéressés ; c'est précisément le même cas que nous avons touché dans l'article ARRERAGES, en supposant que le débiteur rembourse au créancier une partie de son dû. En multipliant a (1 + 3 x) par (1 + 12 x), l'intérêt cesse d'être simple rigoureusement parlant, puisque l'intérêt de a qui devroit être 15 a x, est 15 a x + 3 b a x x. C'est pourquoi l'intérêt étant supposé simple, il faut prendre simplement a + 15 a x + b + 12 b x pour la mise de A, à-moins qu'il n'y ait entre les intéressés une convention formelle pour le contraire. Cet inconvénient n'a pas lieu dans le cas de l'intérêt composé ; car a (1 + x)15 + b (1 + x)12 ou (a (1 + x)3 + b) + (1 + x)12 sont la même chose : ce qui prouve, pour le dire en passant, que l'intérêt doit par sa nature être regardé comme composé, puisqu'on trouve le même résultat de quelque maniere qu'on envisage la question.

Si un des intéressés, par exemple B, retire de la société la somme f au bout de trois mois, alors dans le cas de l'intérêt composé il faudra ajoûter à la mise de A la somme f (1 + x)12, & retrancher de la mise de B la même somme, & achever le calcul, comme ci-dessus, en faisant la somme des deux mises égales à e. Si l'intérêt est simple, il faudra retrancher f (1 + 12 x) de la mise de B, & l'ajoûter à la mise de A, ou (si la convention entre les intéressés est telle) il faudra prendre pour la mise de A. (a (1 + 3 x) + f + b) (1 + 12 x) & pour celle de B il faudra d'abord prendre (c (1 + 3 x) - f) + (1 + 3 x) ; ajoûter cette quantité à d, & multiplier le tout par 1 + 9 x, puis faire la somme des deux mises égales à e.

Il est évident que quel que soit le nombre des intéressés, on pourra employer la même méthode pour trouver le gain ou la perte de chacun. Ainsi nous n'en dirons pas davantage sur cette matiere. Nous aurions voulu employer un langage plus à la portée de tout le monde que le langage algébrique ; mais nous eussions été beaucoup plus longs, & nous eussions été beaucoup moins clairs ; ceux qui entendent cette langue n'auront aucune difficulté à nous suivre.

On peut rapporter aux regles de compagnie ou de partage cette question souvent agitée. Un pere en mourant laisse sa femme enceinte, & ordonne par son testament que si la femme accouche d'un fils, elle partagera son bien avec ce fils, de maniere que la part du fils soit à celle de la mere comme a à b ; & que si elle accouche d'une fille, elle partagera avec la fille, de maniere que la part de la mere soit à celle de la fille comme c à d. On suppose qu'elle accouche d'un fils & d'une fille, on demande comment le partage se doit faire.

Soit A le bien total du pere, x, y, z, les parts du fils, de la mere, & de la fille. Il est évident, 1°. que x + y + z = A ; 2°. que, suivant l'intention du testateur, x doit être à y comme a est à b. Donc y = (b x)/a ; 3°. que suivant l'intention du même testateur, y doit être à z comme c à d. Donc z = (d y)/c = (d b x)/(a c). Donc x + (b x)/a + (d b x)/(a c) = A. Equation qui servira à résoudre le problème.

Plusieurs arithméticiens ont écrit sur cette question qui les a fort embarrassés. La raison de leur difficulté étoit qu'ils vouloient la résoudre de maniere que les deux parts du fils & de la fille fussent entre elles comme a est à d, & qu'outre cela la part du fils fût à celle de la mere comme a est à b, & celle de la mere à celle de la fille comme c est à d. Or cela ne peut avoir lieu que quand b = c. Leur difficulté se seroit évanoüie s'ils avoient pris garde que le cas du fils & de la fille n'ayant été nullement prévû par le testateur, il n'a eu aucune intention de régler le partage entre le fils & la fille, c'est uniquement entre le fils & la mere ou entre la fille & la mere, qu'il a voulu faire un partage. Ainsi, en faisant x : y : : a : b, & y : z : : c : d, on a satisfait à la question suivant l'intention du testateur, & il ne faut point s'embarrasser du rapport qu'il doit y avoir entre x & z. Une preuve que ce prétendu rapport est illusoire, c'est que si au lieu du rapport de c à d, on mettoit celui de n c à n d, qui lui est égal, il faudroit donc alors que x & z, au lieu d'être entr'eux comme a est à d, fussent entr'eux comme a est à n d. Ainsi comme n peut être pris pour un nombre quelconque, la question auroit une infinité de solutions, ce qui seroit ridicule. (O)


COMPAGNONS. m. se dit de celui qui en accompagne un autre, soit en voyage, soit dans un travail, soit dans quelqu'autre action ou circonstance. On dit compagnon de fortune ; mais il désigne particulierement dans les Arts ceux qui au sortir de leur apprentissage travaillent chez les maîtres, soit à la journée, soit à leurs pieces. Il y a encore les compagnons de Marine, & les compagnons de Riviere : les premiers sont les matelots de l'équipage ; les seconds sont ceux qui travaillent sur les ports à charger & décharger les marchandises.


COMPAGNONAGES. m. (Arts méch.) c'est le tems qu'il faut travailler chez les maîtres avant que d'aspirer à la maîtrise. Ce tems varie selon les différens corps de métiers ; il y en a même où l'on n'exige point de compagnonage : alors on peut se présenter au chef-d'oeuvre immédiatement après l'apprentissage.


COMPANS. m. (Comm.) petite monnoie d'argent fabriquée, qui a cours à Patane & dans quelques autres endroits des Indes orientales. Elle vaut argent de France neuf sous cinq deniers ; & quelquefois elle baisse jusqu'à quatre deniers. Voyez les dictionn. du Com. & de Trév.


COMPARAISONS. f. (Philos. Log.) opération de l'esprit dans laquelle nous considérons diverses idées, pour en connoître les relations par rapport à l'étendue, aux degrés, au tems, au lieu, ou à quelqu'autre circonstance.

Nous comparons en portant alternativement notre attention d'une idée à l'autre, ou même en la fixant en même tems sur plusieurs. Quand des notions peu composées font une impression assez sensible pour attirer notre attention sans effort de notre part, la comparaison n'est pas difficile : mais on y trouve de plus grandes difficultés à mesure qu'elles se composent davantage, & qu'elles font une impression plus legere. Elles sont, par exemple, communément plus aisées en Géométrie qu'en Métaphysique.

Avec le secours de cette opération de l'esprit, nous rapprochons les idées les moins familieres de celles qui le sont davantage ; & les rapports que nous y trouvons établissent entr'elles des liaisons très-propres à augmenter & à fortifier la mémoire, l'imagination, & par contre-coup la réflexion.

Quelquefois après avoir distingué plusieurs idées, nous les considérons comme ne faisant qu'une même notion : d'autres fois nous retranchons d'une notion quelques-unes des idées qui la composent ; c'est ce qu'on nomme composer & décomposer ses idées. Par le moyen de ces opérations nous pouvons les comparer sous toutes sortes de rapports, & en faire tous les jours de nouvelles combinaisons.

Il n'est pas aisé de déterminer jusqu'à quel point cette faculté de comparer se trouve dans les bêtes : mais il est certain qu'elles ne la possedent pas dans un fort grand degré, & qu'elles ne comparent leurs idées que par rapport à quelques circonstances sensibles attachées aux objets mêmes. Pour ce qui est de la puissance de comparer qu'on observe dans les hommes, qui roule sur les idées générales & ne sert que pour les raisonnemens abstraits, nous pouvons assûrer probablement qu'elle ne se rencontre pas dans les animaux.

Il n'y a rien que l'esprit humain fasse si souvent, que des comparaisons : il compare les substances avec les modes ; il compare les substances entr'elles, & les modes entr'eux ; il s'applique à démêler ce qu'ils ont de commun d'avec ce qu'ils ont de différent, ce qu'ils ont de liaison d'avec ce qu'ils ont de contrariété ; & par tous ces examens il tâche de découvrir les relations que les objets ont entr'eux.

Toute comparaison roule pour le moins sur deux objets ; & il faut 1°. que ces objets que l'on compare existent, ou puissent exister : car l'impossible ne se conçoit pas, & si on le concevoit, il ne seroit pas impossible : 2°. il faut avoir l'idée de l'un & de l'autre, sans quoi l'esprit ne sauroit ce qu'il fait quand il les compare : 3°. appercevoir ces deux idées d'un seul coup, & se les rendre présentes en même tems.

Quand on compare, par exemple, deux pieces de monnoie, ou on les regarde l'une & l'autre d'un seul coup-d'oeil, ou l'on conserve l'idée de la premiere qu'on a vûe, & on la consulte dans le tems qu'on jette les yeux sur la seconde ; car si l'on n'avoit plus d'idée de cette premiere, il ne seroit pas possible de décider si elle est égale à la seconde, ou si elle en differe.

Deux objets nous peuvent être présens en même tems, sans que nous les comparions : il y a donc un acte de l'esprit qui fait la comparaison ; & c'est cet acte qui constitue l'essence de ce qu'on appelle relation, rapport, lequel acte est tout entier chez nous.

Comme en comparant des objets ensemble, il regne entr'eux divers rapports de figure, d'étendue, de durée, & d'autres accidens, on se sert de ces rapports en qualité d'images & d'exemples pour illustrer ses pensées, soit en conversation, soit par écrit : mais il ne faut pas leur donner une valeur plus étendue, ni prendre les similitudes pour des identités ; ce seroit une source féconde d'erreurs & de méprises, dont on doit d'autant plus se garder, que nous sommes naturellement disposés à y donner notre acquiescement. Il est commode à l'esprit humain de trouver dans une idée familiere, l'image ressemblante d'un objet nouveau : voilà pourquoi ces images qui roulent sur les rapports lui plaisent ; & comme il les aime, parce qu'elles lui épargnent du travail, il ne se fatigue pas à les examiner, & il se persuade aisément qu'elles sont exactes. Bien-tôt il se livre aux charmes de cette idée, qui ne peut cependant tendre qu'à gâter le jugement, & à rendre l'esprit faux.

Quelquefois même ce goût à chercher des rapports de ressemblance, fait qu'on en suppose où il n'y en a point, & qu'on voit dans les objets tout ce que l'imagination présente. Mais quand on ne supposeroit rien, quand ces ressemblances existeroient, quelqu'exactes qu'elles puissent être entre deux objets de différente espece, elles ne forment point une identité ; elles ne concluent donc rien en matiere de raisonnement. C'est pourquoi la Logique abandonne les images, les ressemblances, à la Rhétorique & à la Poésie, qui s'en sont emparées sous le nom de comparaisons, pour en faire le plus brillant usage, ainsi qu'on le verra dans l'article suivant. Cet article est de M(D.J.)

COMPARAISON, s. f. (Rhét. & Poés.) figure de Rhétorique & de Poésie, qui sert à l'ornement & à l'éclaircissement d'un discours ou d'un poëme.

Les comparaisons sont appellées par Longin, & par d'autres rhéteurs, icones, c'est-à-dire images ou ressemblances. Telle est cette image, pareil à la foudre, il frappe, &c. il se jette comme un lion, &c. Toute comparaison est donc une espece de métaphore. Mais voici la différence. Quand Homere dit qu'Achille va comme un lion, c'est une comparaison ; mais quand il dit du même héros, ce lion s'élançoit, c'est une métaphore. Dans la comparaison ce héros ressemble au lion ; & dans la métaphore, le héros est un lion. On voit par-là que quoique la comparaison se contente de nous apprendre à quoi une chose ressemble, sans indiquer sa nature, elle peut cependant avoir l'avantage au-dessus de la métaphore, d'ajoûter, quand elle est juste, un nouveau jour à la pensée.

Pour rendre une comparaison juste, il faut 1°. que la chose que l'on y employe soit plus connue, ou plus aisée à concevoir que celle qu'on veut faire connoître : 2°. qu'il y ait un rapport convenable entre l'une & l'autre : 3°. que la comparaison soit courte autant qu'il est possible, & relevée par la justesse des expressions. Aristote reconnoît dans sa rhétorique, que si les comparaisons sont un grand ornement dans un ouvrage quand elles sont justes, elles le rendent ridicule quand elles ne le sont pas : il en rapporte cet exemple ; ses jambes sont tortues ainsi que le persil.

Non-seulement les comparaisons doivent être justes, mais elles ne doivent être ni basses, ni triviales, ni usées, ni mises sans nécessité, ni trop étendues, ni trop souvent répétées. Elles doivent être bien choisies. On peut les tirer de toutes sortes de sujets, & de tous les ouvrages de la nature. Les-doubles comparaisons qui sont nobles & bien prises, font un bel effet en poésie ; mais en prose l'on ne doit s'en servir qu'avec beaucoup de circonspection. Les curieux peuvent s'instruire plus amplement dans Quintilien, liv. V. ch. ij. & liv. VIII. ch. iij.

Quoique nous adoptions les comparaisons dans toutes sortes d'écrits en prose, il est pourtant vrai que nous les goûtons encore davantage dans ceux qui tracent la peinture des hommes, de leurs passions, de leurs vices, & de leurs vertus. Article de M(D.J.)

COMPARAISON D'ECRITURES, (Jurispr.) est la vérification qui se fait d'une écriture ou signature dont on ne connoît pas l'auteur, en la comparant avec une autre écriture ou signature reconnue pour être de la main de celui auquel on attribue l'écriture ou signature contestée.

C'est une des preuves que l'on peut employer pour connoître quel est le véritable auteur d'une écriture ou signature : car la vérification peut en être faite en trois manieres ; savoir par la déposition des témoins qui attestent avoir vû faire en leur présence l'écriture dont il s'agit ; ou par la déposition de témoins qui n'ont pas à la vérité vû faire l'écrit, mais qui attestent qu'ils connoissent que l'écriture & signature est d'un tel, pour l'avoir vû écrire & signer plusieurs fois ; & enfin la derniere sorte de preuve que l'on employe en cette matiere, est la déposition des experts, qui après comparaison faite des deux écritures, déclarent si elles leur paroissent de la même main, ou de deux mains différentes.

La comparaison d'écritures est usitée, tant en matiere civile qu'en criminelle.

L'usage de cette preuve en matiere civile est fort ancien ; il en est parlé en quelques endroits du code & des novelles.

Comme on admettoit pour pieces de comparaison des écritures privées, Justinien ordonna d'abord par la loi comparationes, ch. de fide instrum. qu'on se serviroit de pieces authentiques, & qu'on ne pourroit se servir d'écritures privées qu'elles ne fussent signées de trois témoins.

Par sa novelle 49. il mit deux exceptions à cette loi pour les écritures privées, qu'il permit d'employer pour pieces de comparaison, lorsqu'elles étoient produites par celui contre lequel on vouloit se servir de pieces de comparaison ; ou lorsque l'écriture privée étoit tirée d'un dépôt public.

Mais par sa novelle 73. il restreignit tellement l'usage de la preuve par comparaison d'écritures, qu'il est vrai de dire que son intention étoit qu'on y eût peu d'égard, du-moins en matiere civile.

Dans la préface de cette novelle, il dit que quelques-uns de ses prédécesseurs avoient admis cette preuve, que d'autres l'avoient rejettée ; que ces derniers en avoient reconnu l'abus, en ce que les faussaires s'exerçoient à contrefaire toutes sortes d'écritures ; & qu'on ne peut bien juger de la qualité d'un acte faux par le seul rapport qu'il a avec un acte véritable, attendu que la fausseté n'est autre chose que l'imitation d'une chose vraie ; qu'il avoit lui-même reconnu les inconvéniens de cette preuve, étant arrivé qu'en Arménie un contrat d'échange tenu pour faux par les experts, fut néanmoins reconnu véritable par tous les témoins qui l'avoient signé.

La disposition de cette novelle est assez compliquée : l'empereur défend de vérifier aucune piece par comparaison d'écritures, si la piece que l'on veut faire vérifier n'est signée de trois témoins dignes de foi, ou d'un notaire, ou de deux témoins sans reproche, ou du-moins si elle n'est passée en présence de trois témoins irréprochables. Il veut de plus que le notaire & les témoins qui auront signé avec la partie, reconnoissent leur signature au bas de l'acte : que si le notaire reconnoît la sienne, en ce cas c'est une piece publique, qui n'a point besoin d'être vérifiée par comparaison : que si c'est un acte signé de trois témoins, ou seulement écrit en leur présence sans être signé d'eux, ou même s'il est reçu par un notaire en présence de deux témoins, mais que le notaire soit depuis décédé, ou ne soit plus en état de déposer ; en ce cas Justinien veut qu'outre la vérification par comparaison d'écritures, les témoins qui ont signé reconnoissent tous leur seing ; & qu'en outre, soit qu'ils ayent signé ou non, ils déposent si l'écriture vérifiée par experts a été faite en leur présence de la même main dont les experts ont jugé qu'elle étoit écrite : que si les témoins & le notaire ne sont plus vivans, leur signature soit vérifiée ainsi que celle de la partie : que si l'acte ne se trouve pas signé du nombre de personnes publiques ou de témoins qui est ordonné, la seule comparaison d'écritures ne sera jamais suffisante pour que l'on y ajoûte foi ; & qu'en ce cas, après la vérification faite, le juge s'en rapportera au serment décisoire de la partie qui veut se servir de la piece contestée. Enfin la novelle ajoûte encore que si les contrats sont de peu d'importance, ou passés à la campagne, on n'y desire pas ces formalités ; mais qu'à l'égard de tous les autres, la seule comparaison d'écritures ne suffit pas pour y faire ajoûter foi ; & la raison qu'en donne la loi, c'est que la ressemblance des écritures est trop suspecte ; que c'est une voie qui a souvent induit en erreur, & que l'on ne doit pas s'y rapporter tant que l'on ne voit pas de meilleure preuve.

Les interpretes du droit ont tous parlé de la comparaison d'écritures, conformément à la novelle 73. & entr'autres Cujas, qui tient que la simple comparaison d'écritures ne fait point de foi ; qu'elle ne peut être regardée au plus que comme une semi-preuve qui peut obliger le juge de déférer le serment à la partie qui soûtient la vérité de l'acte ; & que pour faire preuve il faut que le rapport des experts soit appuyé de la signature des témoins & de leur déposition.

Il y a beaucoup de docteurs qui pensent que dans les cas mêmes portés par la novelle 73. on doit encore être fort reservé sur la foi qu'on ajoûte à la ressemblance des écritures : d'autres vont jusqu'à dire qu'elle ne fait pas toûjours une semi-preuve ; & quelques-uns enfin nient qu'elle fasse même la plus legere présomption.

Il est néanmoins certain dans notre usage que la preuve par comparaison d'écritures est admise, tant en matiere civile qu'en matiere criminelle.

Elle est admise en matiere civile par l'ordonnance d'Orléans, art. 145. par celle de 1539, art. 92. par celle de Charles IX. du mois de Janvier 1565 ; & enfin par l'ordonnance de 1667, tit. xij. art. 5.

La forme en est réglée pour les matieres civiles par cette derniere ordonnance : il y est dit que les reconnoissances & vérifications d'écritures privées se feront partie présente ou dûement appellée, pardevant le rapporteur ; ou s'il n'y en a point, pardevant l'un des juges qui sera commis sur une simple requête, pourvû, & non autrement ; que la partie contre laquelle on prétend se servir des pieces, soit domiciliée ou présente au lieu où l'affaire est pendante, sinon que la reconnoissance se fera devant le juge royal ordinaire du domicile de la partie ; & que s'il échet de faire quelque vérification, elle sera faite pardevant le juge où le procès principal est pendant.

Les pieces & écritures dont on poursuit la reconnoissance ou vérification, doivent être communiquées à la partie en présence du juge ou commissaire.

Faute par le défendeur de comparoir à l'assignation, on donne défaut contre lui, pour le profit duquel si on prétend que l'écriture soit de sa main, elle est tenue pour reconnue ; & si elle est d'une autre main, on permet de la vérifier tant par témoins, que par comparaison d'écritures publiques ou authentiques.

La vérification par comparaison d'écritures se fait par experts sur les pieces de comparaison dont les parties conviennent, & à cette fin on les assigne au premier jour.

Enfin si au jour de l'assignation l'une des parties ne compare pas, ou ne veut pas nommer des experts, la vérification se fait sur les pieces de comparaison par les experts nommés par la partie présente, & par ceux qui seront nommés par le juge au lieu de la partie refusante & défaillante.

Telles sont les formalités prescrites par l'ordonnance de 1667, pour les vérifications d'écritures privées par piece de comparaison en matiere civile.

Cette preuve étoit aussi admise en matiere criminelle chez les Romains, du moins en matiere de faux, comme il paroît par une loi de l'empereur Constantin, qui est la seconde au code théodosien, & la vingt-deuxieme dans le code Justinien, ad legem corneliam de falsis.

M. le Vayer de Boutigny célebre avocat au parlement, & depuis maître des requêtes, a fait une savante dissertation dans la cause fameuse de Jean Maillart, où il s'attache d'abord à faire voir en général qu'il y a peu de certitude dans la comparaison d'écritures, & qu'elle ne fait pas seule preuve, même en matiere civile : il prétend qu'elle ne doit point avoir lieu, sur-tout en matiere criminelle ; qu'elle n'a été admise par aucune loi dans ces sortes de matieres ; que la loi n'y admet que trois sortes de preuves, savoir la preuve par titres, la preuve par témoins, & les indices indubitables & plus clairs que le jour.

Mais malgré l'érudition qui regne dans cet ouvrage, il est certain présentement que la preuve par comparaison d'écritures est admise en matiere criminelle aussi-bien qu'en matiere civile, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance criminelle de 1670, & de l'ordonnance du mois de Juillet 1737, concernant le faux principal & incident.

La premiere de ces deux ordonnances, tit. jx. du faux principal & incident, ne dit autre chose de la preuve par comparaison d'écritures, sinon que les moyens de faux étant trouvés pertinens ou admissibles, la preuve en sera ordonnée tant par titres que par témoins, & par comparaison d'écritures & signatures, par experts qui seront nommés d'office par le même jugement, sauf à les récuser : que les pieces inscrites de faux & celles de comparaison, seront mises entre les mains des experts, après avoir prêté serment & leur rapport délivré au juge, suivant qu'il est prescrit par l'art. 12. du titre de la descente sur les lieux, de l'ordonnance de 1667 ; que s'il y a charge, les juges pourront decréter & ordonner que les experts seront répétés séparément en leur rapport, recollés & confrontés ainsi que les autres témoins.

L'ordonnance du faux regle les formalités de la preuve par comparaison d'écritures.

Il est dit, tit. j. du faux principal, que sur la requête ou plainte en faux, soit par la partie publique ou par la partie civile, il sera ordonné qu'il sera informé des faits portés en la requête ou plainte, & ce tant par titres que par témoins, comme aussi par experts, ensemble par comparaison d'écritures ou signatures, le tout selon que le cas le requerra ; que lorsque le juge n'aura pas ordonné en même tems ces différens genres de preuve, il pourra y être suppléé, s'il y échet, par une ordonnance ou un jugement.

Que quand la preuve par comparaison d'écritures aura été ordonnée, les procureurs du Roi ou ceux des hauts-justiciers, & la partie civile, s'il y en a, pourront seuls fournir les pieces de comparaison, sans que l'accusé puisse être reçû à en présenter de sa part ; si ce n'est comme il sera dit ci-après, & ceci doit être observé, à peine de nullité.

On ne peut admettre pour piece de comparaison, que celles qui sont authentiques par elles-mêmes ; & on regarde comme telles les signatures apposées aux actes passés devant notaires ou autres personnes publiques, tant séculieres qu'ecclésiastiques, dans les cas où elles ont droit de recevoir des actes en cette qualité.

On répute aussi authentiques à cet effet les signatures étant aux actes judiciaires faits en présence du juge & du greffier, & aussi les pieces écrites & signées par celui dont il s'agit de comparer l'écriture, en qualité de juge, greffier, notaire, procureur, huissier, sergent, & en général comme faisant, à quelque titre que ce soit, fonction de personne publique.

On peut aussi admettre pour pieces de comparaison, les écritures ou signatures privées qui auroient été reconnues par l'accusé ; mais hors ce cas, ces sortes d'écritures & signatures ne peuvent être reçues pour pieces de comparaison, quand même elles auroient été vérifiées avec l'accusé sur la dénégation qu'il en auroit faite, à peine de nullité.

L'ordonnance laisse à la prudence du juge, suivant l'exigence des cas, & notamment lorsque l'accusation de faux ne tombe que sur un endroit de la piece qu'on prétend être faux ou falsifié, d'ordonner que le surplus de la piece servira de piece de comparaison.

Si les pieces indiquées pour comparaison sont entre les mains de dépositaires publics ou autres, le juge doit ordonner qu'elles seront apportées, suivant ce qui est ordonné pour les pieces arguées de faux ; & les pieces admises pour comparaison doivent demeurer au greffe pour servir à l'instruction, & ce quand même les dépositaires d'icelles offriroient de les représenter toutes les fois qu'il seroit nécessaire, sauf aux juges à y pourvoir autrement, s'il y échet, pour les registres des baptêmes, mariages & sépultures, & autres dont les dépositaires auroient continuellement besoin.

Sur la présentation des pieces de comparaison par la partie publique ou civile, & sans qu'il soit besoin de requête, il doit être dressé procès-verbal de ces pieces au greffe ou autre lieu du siége destiné aux instructions, en présence de la partie publique & de la partie civile, s'il y en a, à peine de nullité.

L'accusé ne peut être présent à ce procès-verbal, aussi à peine de nullité.

A la fin de ce procès-verbal, & sur la requisition ou les conclusions de la partie publique, le juge doit statuer sur l'admission ou rejet des pieces, à-moins qu'il n'ordonne qu'il en sera réferé par lui au siége, auquel cas il y doit être pourvû par le conseil, après que le procès-verbal a été communiqué à la partie publique & civile.

Si les pieces de comparaison sont rejettées, la partie civile, s'il y en a, ou la partie publique, sont tenues d'en rapporter ou indiquer d'autres dans le délai qui leur a été prescrit, sinon il y sera pourvû.

Dans tous les cas où les pieces de comparaison sont admises, elles doivent être paraphées, tant par le juge que par la partie publique & par la partie civile, s'il y en a & si elle peut signer ; sinon il faut en faire mention, le tout à peine de nullité.

En procédant à l'audition des experts, ce qui se fait toûjours dans cette matiere par voie d'information & non de rapport, les pieces de comparaison, lorsqu'il en a été fourni, le procès-verbal de présentation de ces pieces, & l'ordonnance ou jugement qui les a reçûes, doivent être remis à chacun des experts, pour les voir & examiner séparément & en particulier sans déplacer ; & il faut faire mention de la remise & examen de ces pieces dans la déposition de chaque expert, sans qu'il en soit dressé aucun procès-verbal.

On ne doit point représenter les pieces de comparaison aux autres témoins, à-moins que le juge en procédant à l'information, récolement ou confrontation de ces témoins, ne juge à-propos de leur représenter ces pieces ou quelques-unes d'icelles, auquel cas elles doivent être paraphées par les témoins.

Les pieces de comparaison ou autres qui doivent être représentées aux experts, ne peuvent être représentées aux accusés avant la confrontation.

En tout état de cause les juges peuvent ordonner d'office ou sur la requête de la partie publique ou civile, que l'accusé sera tenu de faire un corps d'écriture tel qu'il lui sera dicté par les experts, ce qui sera fait par procès-verbal au greffe ; & à la fin du procès-verbal le juge peut ordonner que ce corps d'écriture sera reçû par piece de comparaison, & que les experts seront entendus par voie de déposition sur ce qui peut résulter du corps d'écriture comparé avec les pieces fausses ; ce qui a lieu quand même ils auroient déjà déposé sur d'autres pieces de comparaison : le juge peut néanmoins en ce cas nommer d'autres experts ou en adjoindre de nouveaux aux premiers, mais cela doit être fait par délibération du siége.

Si les experts sont incertains ou d'avis différens, le juge peut ordonner qu'il sera fourni de nouvelles pieces de comparaison.

Lors du récolement des experts & de la confrontation, les pieces de comparaison doivent être représentées aux experts & aux accusés, à peine de nullité.

En cas que l'accusé demande par requête qu'il soit remis de nouvelles pieces de comparaison entre les mains des experts, les juges ne pourront y avoir égard qu'après l'instruction achevée & par délibération de conseil sur le vû du procès, à peine de nullité.

Si la requête de l'accusé est admise, le jugement doit lui être prononcé dans les 24 heures, & le juge l'interpellera d'indiquer les pieces, ce qu'il sera tenu de faire sur le champ : le juge peut néanmoins lui accorder un délai ; mais ce délai ne peut être prorogé ; & l'accusé ne peut présenter dans la suite d'autres pieces que celles qu'il a indiquées, sauf à la partie publique ou civile à les contester.

Les écritures ou signatures privées de l'accusé ne peuvent être reçûes pour pieces de comparaison, encore qu'elles eussent été par lui reconnues ou vérifiées avec lui, si ce n'est du consentement de la partie publique & civile, s'il y en a, à peine de nullité.

Le procès-verbal de présentation des pieces indiquées par l'accusé, doit être fait en sa présence & par lui paraphé, s'il le peut ou veut faire ; sinon il en sera fait mention, à peine de nullité ; & si l'accusé n'est pas prisonnier & ne se présente pas au procès-verbal, il y sera procédé en son absence, lui dûement appellé.

En procédant à l'information sur ces pieces, on remettra aussi les anciennes aux experts, avec les procès-verbaux de présentation & les ordonnances ou jugemens de réception.

La partie civile & publique peuvent produire de nouvelles pieces de comparaison en tout état de cause, quand même on n'auroit pas permis à l'accusé d'en indiquer.

Lorsqu'il y a des pieces indiquées de part & d'autre, le juge peut ordonner sur le tout une même information par experts.

Si l'accusé demande de nouveaux experts sur les pieces de comparaison anciennes ou nouvelles, on ne peut l'ordonner qu'après l'instruction achevée par délibération de conseil, à peine de nullité.

Les nouveaux experts doivent toûjours être nommés d'office, à peine de nullité.

La nouvelle information peut être jointe au procès.

Dans le cas du faux incident, l'ordonnance veut que si les moyens de faux sont jugés admissibles, il soit ordonné qu'on en informera tant par titres que par témoins, par experts & par comparaison d'écritures ou signature sans qu'il puisse être ordonné que les experts feront leur rapport sur les pieces prétendues fausses, ou qu'il sera procédé préalablement à la vérification d'icelles, à peine de nullité.

Les pieces de comparaison doivent être fournies par le demandeur ; & celles que présenteroit le défendeur ne peuvent être reçûes, si ce n'est du consentement du demandeur & de la partie publique, à peine de nullité ; sauf aux juges après l'instruction achevée à admettre le défendeur à fournir de nouvelles pieces de comparaison, s'il y échet.

On observe au surplus dans cette matiere, les mêmes regles qu'en matiere de faux principal, sur la qualité des pieces de comparaison & sur l'apport de ces pieces, sur la représentation qui en est faite aux témoins, & sur le paraphe des pieces.

Le procès verbal de présentation des pieces de comparaison doit être fait en présence des parties ou elles dûement appellées ; les parties peuvent y comparoître par procureur, à moins que cela ne soit autrement ordonné : on y fait mention si le défendeur convient ou non des pieces : si elles ne sont pas reçues, on ordonne que le demandeur en fournira d'autres dans un certain délai.

Les pieces de comparaison sont remises aux experts de la même maniere qu'il a été dit ci-devant.

On observe aussi les mêmes regles quand le défendeur ou accusé demande à fournir de nouvelles pieces de comparaison, ou qu'il soit entendu de nouveaux experts.

Lorsqu'il s'agit de procéder à la reconnoissance des écritures & signatures en matiere criminelle, si l'accusé nie l'écriture, ou s'il est en défaut ou contumace, on ordonne que l'écriture sera vérifiée sur pieces de comparaison.

Le procès-verbal de présentation des pieces de comparaison se fait en présence de la partie publique & civile, s'il y en a, & de l'accusé, lequel pour cet effet est amené des prisons par ordre du juge, pour assister au procès-verbal sans aucune sommation ou sommation préalable ; on n'en fait point non plus lorsque la contumace est instruite contre l'accusé.

Quand il n'est pas dans les prisons & que la contumace n'est pas instruite, on le somme de comparoître au procès-verbal, comme en matiere de faux principal ; cette sommation se fait en la forme prescrite par l'édit de Décembre 1680, concernant l'instruction de la contumace ; & faute par l'accusé de comparoître, on passe outre au procès-verbal.

Si l'accusé y est présent, on lui représente les pieces de comparaison pour en convenir ou les contester sur le champ ; on ne lui accorde ni délai ni conseil. Les pieces qui sont admises doivent être par lui paraphées, s'il le peut ou veut faire, sinon on en fait mention ; & dans tous les cas elles sont aussi paraphées par le juge, par la partie publique, & par la partie civile, si elle peut & veut les parapher, sinon on en doit faire mention, à peine de nullité.

Au cas que les pieces ne soient pas reçûes, la partie civile, s'il y en a, ou la partie publique, doivent en rapporter d'autres dans le délai qui sera prescrit, sinon il sera passé outre.

Les experts qui procedent à la vérification, doivent être nommés d'office & entendus séparément par forme de déposition : on ne peut pas ordonner qu'ils feront préalablement leur rapport, le tout à peine de nullité.

En procédant à l'audition des experts, on doit leur représenter les pieces de comparaison.

On peut aussi dans cette matiere, ordonner que l'accusé sera tenu de faire un corps d'écriture.

Enfin on y suit une grande partie des regles prescrites pour la comparaison d'écritures en matiere de faux principal, ainsi que l'ordonnance de 1737 l'explique, ce qu'il seroit trop long de détailler ici.

De ces différentes formalités prescrites par les ordonnances pour la preuve par comparaison d'écritures, il résulte bien clairement que cette preuve est admise, tant en matiere civile qu'en matiere criminelle, & non-seulement dans le cas du faux principal ou incident, mais aussi lorsqu'il s'agit de reconnoissance d'écriture ou signature en général.

Mais il est certain que la déposition même uniforme des experts, ne fait jamais seule une preuve complete ; elle n'est considérée que comme une semi-preuve, à cause de l'incertitude de leur art pour la vérification des écritures. Voyez le commentaire de Boiceau, sur l'article ljv. de l'ordonnance de Moulins, chap. v. & Danty, de la preuve par témoins, ibid. le traité de la preuve par comparaison d'écritures, de M. Levayer ; celui de la vérification des écritures, par M. de Blegny, & les ordonnances qui ont été citées. (A)


COMPARANTadj. pris subst. (Jurispr.) ce terme qui vient de comparoir ou comparoître, a deux usages différens en style de Pratique. Dans les qualités des jugemens où on dénomme d'abord les parties litigantes, chaque partie est dite comparante par tel & tel ses avocat & procureur, c'est-à-dire qu'elle est représentée par eux dans les procès-verbaux qui se font devant un juge ou devant notaire. On appelle quelquefois comparant la partie même qui comparoît ; & non-comparant celui qui ne se présente pas. Voyez ci-après COMPAROIR, DEFAUT FAUTE DE COMPAROIR. (A)


COMPARATIFadj. pris subst. terme de Grammaire. Pour bien entendre ce mot, il faut observer que les objets peuvent être qualifiés ou absolument sans aucun rapport à d'autres objets, ou relativement, c'est-à-dire par rapport à d'autres.

1°. Lorsque l'on qualifie un objet absolument, l'adjectif qualificatif est dit être au positif. Ce premier degré est appellé positif, parce qu'il est comme la premiere pierre qui est posée pour servir de fondement aux autres degrés de signification ; ces degrés sont appellés communément degrés de comparaison : César étoit vaillant, le soleil est brillant ; vaillant & brillant sont au positif.

En second lieu quand on qualifie un objet relativement à un autre, ou à d'autres, alors il y a entre ces objets ou un rapport d'égalité, ou un rapport de supériorité, ou enfin un rapport de prééminence.

S'il y a un rapport d'égalité, l'adjectif qualificatif est toûjours regardé comme étant au positif ; alors l'égalité est marquée par des adverbes aeque ae, tam quam, it a ut, & en françois par autant que, aussi que : César étoit aussi brave qu'Alexandre l'avoit été ; si nous étions plus proches des étoiles, elles nous paroîtroient aussi brillantes que le soleil ; aux solstices, les nuits sont aussi longues que les jours.

2°. Lorsqu'on observe un rapport de plus ou un rapport de moins dans la qualité de deux choses comparées, alors l'adjectif qui énonce ce rapport est dit être au comparatif ; c'est le second degré de signification, ou, comme on dit, de comparaison, Petrus est doctior Paulo, Pierre est plus savant que Paul ; le soleil est plus brillant que la lune ; où vous voyez qu'en latin le comparatif est distingué du positif par une terminaison particuliere, & qu'en françois il est distingué par l'addition du mot plus ou du mot moins.

Enfin le troisieme degré est appellé superlatif. Ce mot est formé de deux mots latins super, au-dessus, & latus, porté, ainsi le superlatif marque la qualité portée au suprème degré de plus ou de moins.

Il y a deux sortes de superlatifs en françois, 1°. le superlatif absolu que nous formons avec les mots très ou avec fort, extrèmement ; & quand il y a admiration, avec bien : il est bien raisonnable ; très vient du latin ter, trois fois très-grand, c'est-à-dire trois fois grand ; fort est un abregé de fortement.

2°. Nous avons encore le superlatif relatif : il est le plus raisonnable de ses freres.

Nous n'avons en françois de comparatifs en un seul mot que le meilleur, pire & moindre.

" Notre langue, dit le P. Bouhours, n'a point pris de superlatifs du latin, elle n'en a point d'autre que généralissime, qui est tout françois, & que M. le cardinal de Richelieu fit de son autorité allant commander les armées de France en Italie, si nous en croyons M. de Balzac ". Doutes sur la langue françoise, p. 60.

Nous avons emprunté des Italiens cinq ou six termes de dignité, dont nous nous servons en certaines formules, & auxquels nous nous contentons de donner une terminaison françoise, qui n'empêche pas de reconnoître leur origine latine ; tels sont, révérendissime, illustrissime, excellentissime, éminentissime.

Il y a bien de l'apparence que si le comparatif & le superlatif des Latins n'avoient pas été distingués du positif par des terminaisons particulieres, comme le rapport d'égalité ne l'est point ; il y a, dis-je, bien de l'apparence que les termes de comparatif & de superlatif nous seroient inconnus.

Les Grammairiens ont observé qu'en latin le comparatif & le superlatif se forment du cas en i, du positif en ajoûtant or pour le masculin & pour le féminin, & us pour le genre neutre. On ajoûte ssimus au cas en i pour former le superlatif : ainsi on dit sanctus, sancti ; sanctior, sanctius, sanctissimus ; fortis, fortis, forti ; fortior, fortius, fortissimus.

Les adjectifs dont le positif est terminé en er, forment aussi leur comparatif du cas en i, pulcher, pulchri, pulchrior, pulchrius ; mais le superlatif se forme en ajoûtant rimus au nominatif masculin du positif, pulcher, pulcherrimus.

Les adjectifs en lis suivent la regle générale pour le comparatif, facilis, facilior, facilius ; humilis, humilior ; similis, similior : mais au superlatif on dit, facillimus, humillimus, simillimus ; d'autres suivent la regle générale, utilis, utilior, utilissimus.

Plusieurs noms adjectifs n'ont ni comparatif, ni superlatif ; tels sont, Romanus, patrius, duplex, legitimus, claudus, unicus, dispar, egenus, &c. Quand on veut exprimer un degré de comparaison, & que le positif n'a ni comparatif ni superlatif, on se sert de magis pour marquer le comparatif, & de valdè ou de maximè pour le superlatif : ainsi l'on dit, magis pius, ou maximè pius.

On peut aussi se servir des adverbes magis & maximè, avec les adjectifs qui ont un comparatif & un superlatif : on dit fort bien, magis doctus, & valdè, ou maximè doctus.

Les noms adjectifs qui ont au positif une voyelle devant us, comme arduus, pius, n'ont point ordinairement de comparatif, ni de superlatif. On évite ainsi le bâillement que feroit la rencontre de plusieurs voyelles de suite, si on disoit arduior, piior : on dit plûtôt magis arduus, magis pius ; cependant on dit piissimus, qui n'est pas si rare que piior. Ce mot piissimus étoit nouveau du tems de Cicéron. Marc-Antoine l'ayant hasardé, Cicéron le lui reprocha en plein sénat (Philipp. XIII. c. xjx. n. 42.) : Piissimos quaeris ; & quod verbum omninò nullum in linguâ latinâ est, id propter tuam divinam pietatem novum inducis. On trouve ce mot dans les anciennes inscriptions, & dans les meilleurs auteurs postérieurs à Cicéron. Ainsi ce mot qui commençoit à s'introduire dans le tems de Cicéron, fut ensuite autorisé par l'usage.

Il ne sera pas inutile d'observer les quatre adjectifs suivans, bonus, malus, magnus, parvus ; ils n'ont ni comparatif ni superlatif qui dérivent d'eux-mêmes : on y supplée par d'autres mots qui ont chacun une origine particuliere.

Vossius croit que melior vient de magis velim, ou malim ; Martinius & Faber le font venir de , qui veut dire curae est, gratum est, , cura. Quand une chose est meilleure qu'une autre, on en a plus de soin, elle nous est plus chere ; mea cura, se disoit en latin de ce qu'on aimoit. Perrotus dit que melior est une contraction de mellitior, plus doux que le miel, comme on a dit Neronior, plus cruel que Néron. Plaute a dit Paenior, plus Carthaginois, c'est-à-dire plus fourbe qu'un Carthaginois ; & c'est ainsi que Malherbe a dit, plus que Mars que Mars de la Thrace.

Isidore le fait venir de mollior, non dur, plus tendre. M. Dacier croit qu'il vient du grec , qui signifie meilleur. C'est le sentiment de Scaliger & de l'auteur du Novitius.

Optimus vient de optatissimus, maxime optatus, très-souhaité, desirable ; & par extension, très-bon, le meilleur.

A l'égard de pejor, Martinius dit qu'en saxon beus veut dire malus ; qu'ainsi on pourroit bien avoir dit autrefois en latin peus pour malus : on sait le rapport qu'il y a entre le b & p ; ainsi peus, génitif, peï, comparatif, peïor, & pour plus de facilité pejor.

Pessimus vient de pessum, en-bas, sous les piés, qui doit être foulé aux piés. Ou bien de pejor, on a fait peissimus, & ensuite pessimus par contraction.

Major vient naturellement de magnus, prononcé en mouillant le gn à la maniere des Italiens, & comme nous le prononçons en magnifique seigneur, enseigner, &c. Ainsi on a dit ma-ïgnus, ma-ïgnior, major.

Maximus vient aussi de magnus ; car le x est une lettre double qui vaut autant que cs, & souvent gs : ainsi au lieu de magnissimus, on a écrit par la lettre double maximus.

Minor vient du grec , parvus.

Minimus vient de minor ; on trouve même dans Arnobe minissimus digitus, le plus petit doigt. Les mots qui reviennent souvent dans l'usage sont sujets être abregés.

Au reste les adverbes ont aussi des degrés de signification, bien, mieux, fort bien ; benè, melius, optimè.

Les Anglois dans la formation de la plûpart de leurs comparatifs & de leurs superlatifs, ont fait comme les Latins ; ils ajoûtent er au positif, pour former le comparatif, & ils ajoûtent est pour le superlatif. Rich, riche, richer, plus riche ; the richest, le plus riche.

Ils se servent aussi à notre maniere de more, qui veut dire plus, & de most, qui signifie très-fort, le plus ; honest, honnête ; more honest, plus honnête ; most honest, très-honnête, le plus honnête.

Les Italiens ajoûtent au positif più, plus, ou meno, moins, selon que la chose doit être ou élevée ou abaissée. Ils se servent aussi de molto pour le superlatif, quoiqu'ils ayent des superlatifs à la maniere des Latins : bellissimo, très-beau ; bellissima, très-belle ; buonissimo, très-bon ; buonissima, très-bonne.

Chaque langue a sur ces points ses usages, qui sont expliqués dans les grammaires particulieres. (F)


COMPARATIONpunctum ex comparatione, c'est ainsi qu'Appollonius appelle l'un des foyers de l'ellipse ou de l'hyperbole. Voyez FOYER. (O)


COMPARERv. act. qui designe l'acte de l'entendement, appellé comparaison. Voyez COMPARAISON.

COMPARER des équations, est une expression dont on se sert quelquefois dans l'Analyse, pour réduire plusieurs équations en une seule. Soit par exemple, x = 2 a y y & x = aa - yy, comparant ensemble les deux valeurs de x que fournissent ces équations, on a 2 a y y = aa - yy ; équation qui ne renferme plus qu'une inconnue. Cet exemple très-simple suffit pour en faire imaginer d'autres. Voyez EVANOUISSEMENT & REDUCTION. (O)


COMPARESS. f. pl. (Jurispr.) sont des usages & redevances prétendues par les vicomtes de Narbonne contre l'évêque du même lieu. Il en est parlé dans la vie d'Aymeri III. liv. IV. des mém. de Languedoc, page 586. (A)


COMPAROIou COMPAROITRE, v. n. (Jurisprud.) signifie se présenter devant le juge, greffier, notaire, ou autre officier public, pour répondre à une sommation ou assignation. Voyez ci-dev. COMPARANT.

Il y a des défauts faute de comparoir. Voyez au mot DEFAUT.

Anciennement lorsqu'un bourgeois de Bourges, mandé par le prevôt ou par le voyer, n'avoit pas comparu, & étoit condamné à l'amende ; si ce bourgeois vouloit être déchargé de l'amende, prétendant qu'il n'avoit pas reçû l'avertissement, il falloit qu'il se battît en duel, suivant la coûtume barbare de ce tems-là, où le duel passoit pour un moyen de s'assûrer de la vérité des faits. Louis VI. abolit cette mauvaise coûtume & ordonna que quand un bourgeois de Bourges affirmeroit qu'il n'avoit pas reçû l'avertissement, il seroit quitte de l'amende, & qu'il n'y auroit plus de duel comme auparavant. Cette ordonnance de Louis VI. fut confirmée par Louis VII. en 1145, & par Louis VIII. en 1224. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race. (A)


COMPARTIMENTS. m. en Architecture, Peinture, Sculpture, & autres arts, est la disposition de figures régulieres, formées de lignes droites ou courbes & paralleles, & divisées avec symmétrie pour les lambris, les plafonds de plâtre, de stuc, de bois, &c. & pour les pavemens de pierre dure, de marbre, de mosaïque, &c.

Compartimens polygones, sont ceux qui sont formés de figures régulieres & répétées, & qui peuvent être compris dans un cercle, comme les compartimens du Val-de-Grace & de l'Assomption à Paris.

Compartimens de rues, est la distribution réguliere des rues, îles, & quartiers d'une ville.

Compartimens de tuiles, est l'arrangement symmétrisé de tuiles blanches, rouges, & vernissées, pour la décoration des couvertures & des combles.

Compartimens de vitres, sont les différentes figures que forment les panneaux des vitres blanches ou peintes.

Compartimens de parterre, ce sont les différentes pieces qui donnent la forme à un parterre dans un jardin. (P)


COMPARTITEURS. m. (Jurisp.) quasi partitor, est celui des juges qui a ouvert le premier un avis contraire à celui du rapporteur, & qui a commencé le partage d'opinions ; ce qui n'arrive que par partage d'opinions dans les procès par écrit ou instances appointées en matiere civile ; car en matiere criminelle il n'y a jamais de partage, c'est-à-dire que quand les avis sont partagés, le jugement passe à l'avis le plus doux ; & dans les affaires civiles d'audience, lorsque les avis sont partagés, on ordonne un délibéré ou appointement.

Au parlement, lorsqu'une affaire se trouve partagée, elle est portée dans une autre chambre pour y être jugée ; le rapporteur & le compartiteur vont dans cette chambre exposer chacun les motifs & les raisons de leur avis. Voyez PARTAGE. (A)


COMPARUITS. m. (Jurispr.) est un acte que le juge délivre à l'une des parties litigantes, pour certifier sa comparution, lorsque l'autre partie est défaillante ou décédée ; pour faire appeller de nouveau en cause le défaillant ou ses héritiers ; pour reprendre l'instance, & procéder suivant les derniers erremens. Il en est parlé dans la coûtume de Lille, art. cxxxvij. de l'ancienne ; & en la nouvelle, titre de l'action, art. xx. & en l'ancienne coûtume de Boulenois, à la fin ; & celle de Dreux, art. lvij. où ce terme semble signifier le défaut que le demandeur fait à l'assignation qu'il a fait donner au défendeur. Dans l'usage présent, la cédule de présentation que le procureur de chaque partie doit prendre au greffe, tient lieu d'acte de comparuit. Voyez le gloss. de M. de Lauriere à ce mot comparuit. (A)


COMPARUTIONS. f. (Jurisp.) est l'acte que fait celui qui se présente en justice, ou devant un notaire, ou autre officier public. Il y a des actes de justice où la comparution doit être fait en personne : par exemple, en matiere civile, lorsqu'une partie doit subir interrogatoire ou prêter serment ; en matiere criminelle, lorsque l'accusé est décrété d'assigné pour être oüi, ou d'ajournement personnel.

Il y a d'autres actes de justice où la comparution est néanmoins différente de la présentation proprement dite, par laquelle on entend l'acte par lequel un procureur se constitue pour sa partie.

La comparution peut être faite par la partie en personne, ou par le ministere de son avocat & de son procureur, comme dans les matieres civiles ordinaires.

La comparution devant un notaire, ou autre officier public, pour des actes extrajudiciaires, se fait aussi par la partie en personne, ou par le ministere de son procureur ad lites ; mais elle peut aussi être faite par le ministere d'un procureur ad negotia, qu'on appelle communément un fondé de procuration.

Le demandeur ou autre personne qui provoque le ministere du juge ou autre officier public, fait sa comparution de son propre mouvement ; au lieu que le défendeur fait la sienne en conséquence d'une sommation ou d'une assignation, & quelquefois en conséquence d'une ordonnance ou autre jugement, qui ordonne un procès-verbal ou autre acte extrajudiciaire, où les parties doivent comparoître en personne.

Dans les procès-verbaux & autres actes faits par les juges, notaires, ou autres officiers publics, dans lesquels les parties doivent comparoître en personne ou par procureur, on donne acte respectivement aux parties ou à leurs procureurs, de leurs comparutions, dires, & requisitions, défenses au contraire ; & s'il y a des défaillans, on donne défaut contr'eux. Voyez ci-devant COMPARANT & COMPAROIR, & PRESENTATION. (A)


COMPASS. m. instrument de Mathématique, dont on se sert pour décrire des cercles & mesurer des lignes, &c. Voyez CERCLE, LIGNE, &c.

Le compas ordinaire est composé de deux jambes ou branches de laiton, de fer, ou de quelqu'autre métal, pointues par em-bas, & jointes en-haut par un rivet, sur lequel elles se meuvent comme sur un centre.

On attribue l'invention du compas à Talaüs, neveu de Dédale par sa soeur. Selon les Poëtes, Dédale conçut une telle envie contre Talaüs, qu'il le tua. L'auteur du labyrinthe de Crete ne devoit pourtant point être jaloux d'un compas.

Nous avons aujourd'hui des compas de différentes especes & constructions, comme des

COMPAS A TROIS BRANCHES. Leur construction est semblable à celle des compas ordinaires, excepté qu'ils ont une branche de plus. Ils servent à prendre trois points à-la-fois, & ainsi à former des triangles, à placer trois positions à-la-fois d'une carte que l'on veut copier, &c.

Le COMPAS A VERGE consiste en une longue branche ou verge, portant deux curseurs ou boîtes de laiton, l'une fixée à un bout, l'autre pouvant glisser le long de la verge avec une vis, pour l'assujettir suivant le besoin. On peut visser à ses curseurs des pointes de toute espece, soit d'acier, ou de quelqu'autre chose semblable. On s'en sert pour décrire de grands cercles, ou prendre de grandes longueurs.

Le COMPAS D'ARTISAN est fort & solide, son usage ordinaire étant de servir à couper le carton, le cuivre, &c. Il est traversé par un quart de cercle, afin qu'on puisse l'arrêter fixement à une ouverture, en serrant une vis qui appuie sur le quart de cercle.

Le COMPAS A L'ALLEMANDE a ses branches un peu courbées, ensorte que les pointes ne se joignent que par les bouts.

COMPAS A POINTES CHANGEANTES : on appelle ainsi des compas qui ont différentes pointes, que l'on peut ôter & remettre selon le besoin. Ils sont fort utiles dans les desseins d'Architecture, où il s'agit assez souvent de faire des traits bien formés, bien distincts, & très-déliés.

COMPAS A RESSORT : ce compas est fait tout d'acier trempé, & sa tête est contournée de maniere qu'il s'ouvre de lui-même par son ressort ; la vis qui le traverse en arc, sert à l'ouvrir & à le fermer à volonté par le moyen d'un écrou. Cette sorte de compas est fort commode pour prendre de petites mesures, & faire de petites divisions : mais ils doivent être un peu courts, & trempés de maniere qu'ils fassent bien ressort, & qu'ils ne cassent pas.

COMPAS A POINTES TOURNANTES ; c'est une nouvelle invention de compas pour éviter l'embarras de changer de pointes ; son corps est semblable au compas ordinaire ; vers le bas & en-dehors, on ajoûte aux pointes ordinaires deux autres pointes, dont l'une porte un crayon, & l'autre sert de plume ; elles sont ajustées toutes deux de maniere qu'on puisse les tourner au besoin.

Quant à la trempe de ces compas, les pointes des petits se trempent par le moyen d'un chalumeau & d'une lampe ; on les fait chauffer jusqu'à ce qu'ils soient rouges ; on les laisse refroidir, & elles sont trempées, c'est-à-dire durcies. Les pointes plus grosses se trempent au feu de charbon, & avec le chalumeau ; on les chauffe jusqu'à ce qu'elles soient d'un rouge cerise, & on les plonge ensuite dans l'eau. Voyez TREMPE. Harris & Chambers. (E)

COMPAS DE PROPORTION : cet instrument de Mathématiques, que les Anglois appellent secteur, est d'un grand usage pour trouver des proportions entre des quantités de même espece, comme entre lignes & lignes, surfaces & surfaces, &c. c'est pourquoi on l'appelle en France, compas de proportion.

Le grand avantage du compas de proportion sur les échelles communes, consiste en ce qu'il est fait de telle sorte, qu'il convient à tous les rayons & à toutes les échelles. Par les lignes des cordes, des sinus, &c. qui sont sur le compas de proportion, on a les lignes des cordes, des sinus, &c. d'un rayon quelconque, comprises entre la longueur & la largeur du secteur ou compas de proportion, quand il est ouvert. Voyez ECHELLE & LIGNE.

Le compas de proportion est fondé sur la quatrieme proposition du sixieme livre d'Euclide, où il est démontré que les triangles semblables ont leurs côtés homologues proportionnels. Voici comment on peut en prendre une idée. Supposons que les lignes A B, AC (fig. 26. Géom.) soient les jambes du compas, & que A D, A E représentent deux sections égales qui passent par le centre, ou qui partent du centre ; si alors on joint les points C B, & D E, les lignes C B, D E seront paralleles : c'est pourquoi les triangles A D E, A C B sont semblables, & par conséquent les côtés A D, D E, A B, & B C sont proportionnels ; c'est-à-dire que A D. D E : : A B. B C : donc si A D est la moitié, le tiers, ou le quart de A B, D E, sera aussi la moitié, le tiers, ou le quart de B C. Il en est de même de tout le reste. C'est pourquoi si A D est corde, sinus, ou tangente d'un nombre quelconque de degrés pour le rayon A B, D E sera la même chose pour le rayon BC. Voyez CORDE, SINUS, &c.

Description du compas de proportion. Cet instrument consiste en deux regles ou jambes égales, de cuivre ou d'autre matiere, rivées l'une à l'autre, ensorte néanmoins qu'elles peuvent tourner librement sur leur charniere. Voyez sa figure, Plan. géom. fig. 15. Sur les faces de cet instrument sont tracées plusieurs lignes, dont les principales sont la ligne des parties égales, la ligne des cordes, la ligne des sinus, la ligne des tangentes, la ligne des sécantes, & la ligne des polygones.

La ligne des parties égales, que l'on appelle aussi lignes des lignes, marquée L, est une ligne divisée en 100 parties égales ; & quand la longueur de la jambe le permet, chaque partie est subdivisée en moitiés & quarts. Cette ligne se trouve sur chaque jambe du compas, & du même côté, avec les divisions marquées 1, 2, 3, 4, &c. jusqu'à 10, qui est vers l'extrémité de chaque jambe. Remarquez que dans la pratique, 1 est pris pour 10, ou 100, ou 1000, ou 10000, &c. suivant le besoin ; en ce cas, 2 représente 20, ou 200, ou 2000, &c. & ainsi du reste. La ligne des cordes marquée C sur chaque jambe est divisée suivant la maniere ordinaire, & numérotée 10, 20, 30, &c. jusqu'à 60. Voyez CORDE. La ligne des sinus marquée sur chaque jambe par la lettre S, est une ligne des sinus naturels numérotée 10, 20, 30, &c. jusqu'à 90. Voyez SINUS.

La ligne des tangentes, marquée sur chaque jambe par la lettre T, est une ligne des tangentes naturelles numerotée, 10, 20, 30, &c. jusqu'à 45. Outre cela, il y a une autre petite ligne des tangentes sur chaque jambe, qui commence à 48° & s'étend jusqu'à 75° ; elle est marquée par la lettre t. Voyez TANGENTE. La ligne des sécantes marquée sur chaque jambe par la lettre S, est une ligne des sécantes naturelles numerotée 10, 20, 30, &c. jusqu'à 75 ; cette ligne ne part pas du centre de l'instrument ; son commencement en est distant de deux pouces. Voyez SECANTE. La ligne des polygones marquée par la lettre P sur chaque jambe, est numerotée 4, 5, 6, &c. jusqu'à 12 ; elle commence à trois pouces du centre de l'instrument. Voyez POLYGONE.

Outre ces lignes, qui sont essentielles au compas de proportion, il y en a d'autres proche de ses bords extérieurs sur l'une & l'autre face, & paralleles à ces bords ; elles servent aussi à des usages particuliers, dont nous parlerons.

Les lignes que l'on trouve par le moyen du compas de proportion sont de deux especes ; elles sont latérales ou paralleles. Les premieres sont celles que l'on trouve sur la longueur des côtés de cet instrument, comme A B, A C, (fig. 62.) ; & les dernieres, celles qui traversent d'une jambe à l'autre, comme D E, C B. Remarquez que l'ordre ou l'arrangement des lignes sur les compas de proportion les plus modernes, est différent de celui qui est observé sur les anciens ; car la même ligne n'est pas mise aujourd'hui à la même distance du bord de chaque côté ; mais la ligne des cordes, par exemple, est la plus intérieure d'un côté, & la ligne des tangentes sur l'autre. L'avantage en est que quand l'instrument est mis à un rayon pour les cordes, il sert aussi pour les sinus & les tangentes, sans que l'on soit obligé d'en changer l'ouverture ; car la parallele entre les nombres 60 & 60 des cordes, celle qui est entre les nombres 90 & 90 des sinus, & celle qui est entre les nombres 45 & 45 des tangentes, sont toutes égales. Chambers.

La description que l'on vient de donner de cet instrument, est conforme à la construction angloise. Les compas de proportion qui composent ce que l'on appelle en France un étui de mathématiques, consistent aussi en deux regles assemblées, comme ci-dessus, dont chacune a pour l'ordinaire 6 pouces de long, 6 à 7 lignes de large, & environ 2 lignes d'épaisseur. On en fait de plus petits, pour avoir la commodité de les porter dans la poche, & de plus grands pour travailler sur le terrein, dont on proportionne la largeur & l'épaisseur. On a coûtume d'y tracer 6 sortes de lignes ; savoir la ligne des parties égales, celle des plans & celle des polygones d'un côté ; la ligne des cordes, celle des solides & celle des métaux de l'autre côté des jambes de cet instrument.

On met encore ordinairement sur le bord d'un côté une ligne divisée, qui sert à connoître le calibre des canons, & de l'autre côté une ligne qui sert à connoître le diametre & le poids des boulets de fer, depuis un quart jusqu'à 64 livres.

Usage de la ligne des parties égales du compas de proportion. Pour diviser une ligne donnée en un nombre quelconque des parties égales, par exemple, en sept ; prenez la ligne donnée avec votre compas ; mettez une de ses pointes sur une division de la ligne des parties égales, ensorte que cette longueur puisse être exactement divisée par 7 ; mettez-la, par exemple, sur 70, dont la septieme partie est 10 ; ouvrez la section ou plûtôt le compas de proportion, jusqu'à ce que l'autre pointe tombe exactement sur le nombre 70 de la même ligne des parties égales tracée sur l'autre jambe : dans cette disposition, si l'on met une pointe du compas au nombre 10 de la même ligne, & qu'on lui donne une ouverture telle que son autre pointe tombe au nombre 10 de la même ligne tracée sur l'autre jambe, cette ouverture sera la septieme partie de la ligne donnée. Remarquez que si la ligne à diviser est trop longue pour être appliquée aux jambes du compas de proportion, on en divisera seulement une moitié ou une quatrieme partie par 7, & le double ou le quadruple de cette ligne sera la septieme partie de la ligne totale.

2°. Pour mesurer les lignes du périmetre d'un polygone, dont un des côtés contient un nombre donné de parties égales ; prenez la ligne donnée avec votre compas, & mettez-la sur la ligne des parties égales, au nombre de parties sur chaque côté qui exprime sa longueur ; le compas de proportion restant dans cet état, mettez la longueur de chacune des autres lignes parallelement à la premiere, & les nombres où chacune d'elles tombera exprimeront la longueur de ces lignes.

3°. Une ligne droite étant donnée & le nombre des parties qu'elle contient, par exemple 120, pour en retrancher une plus petite qui contienne un nombre quelconque des mêmes parties égales, par exemple 25, prenez la ligne donnée avec le compas ordinaire ; ouvrez le compas de proportion jusqu'à ce que les deux pointes tombent sur 120 de chaque côté ; alors la distance de 25 à 25 donnera la ligne demandée.

4°. Pour trouver une troisieme proportionnelle à deux lignes données ou une quatrieme à trois, dans le premier cas prenez avec votre compas la longueur de la premiere ligne donnée, & mettez-la sur la ligne des parties égales depuis le centre jusqu'au nombre où elle se termine ; alors ouvrez le compas de proportion, jusqu'à ce que la longueur de la seconde ligne soit renfermée dans l'ouverture comprise entre les extrémités de la premiere. Le compas de proportion restant ainsi ouvert, mettez la longueur de la seconde ligne sur l'une des jambes de l'instrument, en commençant au centre, & remarquez où elle se termine ; la distance qui est comprise entre ce nombre & le même qui lui répond sur l'autre jambe, donne la troisieme proportionnelle : dans le second cas, prenez la seconde ligne avec votre compas, & ouvrant le compas de proportion, appliquez cette étendue aux extrémités de la premiere, que l'on a portée sur les deux jambes de l'instrument depuis le centre. Le compas de proportion restant ainsi ouvert, portez la troisieme ligne comme ci-dessus depuis le centre, alors l'étendue, qui est entre le nombre où elle se termine sur les deux jambes, est la quatrieme proportionnelle.

5°. Pour diviser une ligne en une raison donnée quelconque, par exemple en deux parties qui soient l'une à l'autre comme 40 est à 70, ajoûtez ensemble les deux nombres donnés, leur somme est 110 ; alors prenez avec votre compas la ligne proposée que l'on suppose 165, & ouvrez l'instrument jusqu'à ce que cette distance s'étende de 110 à 110 sur les deux jambes ; le secteur demeurant ainsi ouvert, prenez la distance de 40 à 40, comme aussi celle de 70 à 70 ; la premiere donnera 60, & la derniere 105, qui seront les parties que l'on proposoit de trouver ; car 40. 70 : : 60. 105.

6°. Pour ouvrir le compas de proportion desorte que les deux lignes des parties égales fassent un angle droit, trouvez trois nombres comme 3, 4, & 5, ou leurs équimultiples, 60, 80, 100, qui puissent exprimer les côtés d'un triangle rectangle ; prenez alors avec votre compas la distance du centre à 100, & ouvrez l'instrument jusqu'à ce qu'une des pointes de votre compas étant mise sur 80, l'autre pointe tombe sur le point 60 de l'autre jambe, alors les deux lignes des parties égales renferment un angle droit.

7°. Pour trouver une ligne droite égale à la circonférence d'un cercle ; comme le diametre d'un cercle est à sa circonférence à-peu-près comme 50 est à 157, prenez le diametre avec votre compas, & mettez ce diametre sur les jambes de l'instrument de 50 à 50 ; en le laissant ainsi ouvert, prenez avec le compas la distance de 157 à 157, elle sera la circonférence demandée.

Usage de la ligne des cordes du compas de proportion. 1°. Pour ouvrir cet instrument ensorte que les deux lignes des cordes fassent un angle d'un nombre quelconque de degrés, par exemple 40 ; prenez sur la ligne des cordes la distance depuis la charniere jusqu'à 40, nombre des degrés proposés ; ouvrez l'instrument jusqu'à ce que la distance de 60 à 60 sur chaque jambe soit égale à la distance susdite de 40 ; alors la ligne des cordes fait l'angle requis.

2°. L'instrument étant ouvert, pour trouver les degrés de son ouverture, prenez l'étendue de 60 à 60 ; mettez-la sur la ligne des cordes en commençant au centre, le nombre où elle se terminera fera voir les degrés de son ouverture. En mettant des visieres ou des pinnules sur la ligne des cordes, le compas de proportion peut servir à prendre des angles sur le terrein, de même que l'équerre d'arpenteur, le demi-cercle ou le graphometre.

3°. Pour faire un angle d'un nombre donné de degré quelconque sur une ligne donnée, décrivez sur la ligne donnée un arc de cercle, dont le centre est le point où doit être le sommet de l'angle ; mettez le rayon de 60 à 60 ; & l'instrument restant dans cette situation, prenez sur chaque jambe la distance des deux nombres qui expriment les degrés proposés, & portez-la de la ligne donnée sur l'arc qui a été décrit ; enfin tirant une ligne du centre par l'extrémité de l'arc, cette ligne fera l'angle proposé.

4°. Pour trouver les degrés que contient un angle donné, autour du sommet décrivez un arc, & ouvrez le compas de proportion jusqu'à ce que la distance de 60 à 60 sur chaque jambe soit égale au rayon du cercle ; prenant alors avec le compas ordinaire la corde de l'arc, & la portant sur les jambes de cet instrument, voyez à quel même nombre de degrés sur chaque jambe tombent les pointes du compas ; ce nombre est la quantité de degrés que contient l'angle donné.

5°. Pour retrancher un arc d'une grandeur quelconque de la circonférence d'un cercle, ouvrez l'instrument jusqu'à ce que la distance de 60 à 60 soit égale au rayon du cercle donné : prenez alors l'étendue de la corde du nombre de degrés donné sur chaque jambe de l'instrument, & mettez-la sur la circonférence du cercle donné. Par ce moyen on peut inscrire dans un cercle donné un polygone régulier quelconque, aussi-bien que par la ligne des polygones.

Usage de la ligne des polygones du compas de proportion. 1°. Pour inscrire un polygone régulier dans un cercle donné, prenez avec le compas ordinaire le rayon du cercle donné, & ajustez-le au nombre 6 de la ligne des polygones sur chaque jambe de l'instrument ; en le laissant ainsi ouvert, prenez la distance des deux mêmes nombres qui expriment le nombre des côtés que doit avoir le polygone ; par exemple, la distance de 5 à 5 pour un pentagone, de 7 à 7 pour un eptagone, &c. ces distances portées autour de la circonférence du cercle, la diviseront en un pareil nombre de parties égales.

2°. Pour décrire un polygone régulier, par exemple un pentagone, sur une ligne droite donnée, avec le compas ordinaire, prenez la longueur de la ligne, appliquez-la à l'étendue des nombres 5, 5 sur les lignes des polygones ; l'instrument demeurant ainsi ouvert, prenez sur les mêmes lignes l'étendue de 6 à 6, cette distance sera le rayon du cercle dans lequel le polygone proposé doit être inscrit ; alors si des extrémités de la ligne donnée l'on décrit avec ce rayon deux arcs de cercle, leur intersection sera le centre du cercle cherché.

3°. Pour décrire sur une ligne droite un triangle isocele, dont les angles sur la base soient doubles chacun de l'angle au sommet, ouvrez l'instrument jusqu'à ce que les extrémités de la ligne donnée tombent sur les points 10 & 10 de chaque jambe ; prenez alors la distance de 6 à 6, elle sera la longueur de chacun des deux côtés égaux du triangle cherché.

Usage de la ligne des plans du compas de proportion. On voudroit construire un triangle A B C semblable au triangle donné a b c, & triple en surface (Planc. d'Arpentage, fig. 13.) ; il n'y a qu'à prendre avec un compas commun la longueur du côté a b, la porter sur la ligne des plans à l'ouverture du premier plan : le compas de proportion restant ainsi ouvert, on prendra avec le compas commun l'ouverture du troisieme plan, & l'on aura la longueur du côté homologue au côté a b : on trouvera de la même maniere les côtés homologues aux deux autres côtés du triangle proposé, & de ces trois côtés l'on en formera le triangle A B C, qui sera semblable au triangle donné a b c, & triple en surface.

Si le plan proposé a plus de trois côtés, on le réduira en triangles par une ou plusieurs diagonales : si c'est un cercle qu'il s'agisse de diminuer ou d'augmenter, on fera sur son diametre l'opération que nous venons de décrire.

Etant données deux figures planes semblables (fig. 14.), trouver quel rapport elles ont entr'elles.

Prenez lequel vous voudrez des côtés de l'une de ces figures, & le portez à l'ouverture de quelque plan ; prenez ensuite le côté homologue de l'autre figure, & voyez à l'ouverture de quel plan il convient ; les deux nombres auxquels conviennent les deux côtés homologues, expriment la raison que les plans proposés ont entr'eux : si le côté a b, par exemple, de la plus petite convient au quatrieme plan, & que le côté homologue A B de l'autre convienne au sixieme plan, les deux plans proposés seront entr'eux comme 4 est à 6, ou comme 2 est à 3. Mais si le côté d'une figure ayant été mis à l'ouverture d'un plan, le côté homologue ne peut s'ajuster à l'ouverture d'aucun nombre entier, il faudra mettre ledit côté de la premiere figure à l'ouverture de quelque autre plan, jusqu'à ce qu'on trouve un nombre entier, dont l'ouverture convienne à la longueur du côté homologue de l'autre figure, afin d'éviter les fractions.

Si les figures proposées sont si grandes qu'aucun de leurs côtés ne se puisse appliquer à l'ouverture des jambes du compas de proportion, prenez les moitiés, les tiers ou les quarts, &c. de chacun des deux côtés homologues desdites figures, & les comparant ensemble vous aurez la portion des plans.

Entre deux lignes droites données trouver une moyenne proportionnelle. Portez chacune des deux lignes données sur la ligne des parties égales du compas de proportion, afin de savoir le nombre que chacune en contient ; & supposé, par exemple, que la moindre ligne soit de 20 parties égales, & la plus grande de 45, portez cette plus grande à l'ouverture du quarante-cinquieme plan, qui dénote le nombre de ses parties : le compas de proportion restant ainsi ouvert, prenez l'ouverture du vingtieme plan, qui marque le nombre des parties égales de la plus petite ligne ; cette ouverture qui doit contenir trente des mêmes parties, donnera la moyenne proportionnelle ; car 20 sont à 30 comme 30 sont à 45.

Mais comme le plus grand nombre de la ligne des plans est 64, si quelqu'une des lignes proposées contenoit un plus grand nombre de parties égales, on pourroit faire ladite opération sur leurs moitiés, tiers ou quarts, &c. en cette sorte : supposant, par exemple, que la moindre des lignes proposées soit de 32 & l'autre de 72 ; portez la moitié de la grande ligne à l'ouverture du trente-sixieme plan, & prenez l'ouverture du seizieme ; cette ouverture étant doublée donnera la moyenne proportionnelle que l'on cherche.

Usage de la ligne des solides du compas de proportion. Augmenter ou diminuer des solides semblables quelconques selon une raison donnée.

Soit proposé, par exemple, un cube duquel on en demande un qui soit double en solidité : portez le côté du cube donné sur la ligne des solides à l'ouverture de tel nombre que vous voudrez, comme, par exemple, de 20 à 20 ; prenez ensuite l'ouverture d'un nombre double, comme est en cet exemple le nombre 40 ; cette ouverture est le côté d'un cube double du proposé.

Si l'on propose un globe ou sphere, & qu'on veuille en faire une autre qui soit trois fois plus grosse, portez le diametre de la sphere proposée à l'ouverture de tel nombre qui vous plaira, comme par exemple de 20 à 20, & prenez l'ouverture de 60, ce sera le diametre d'une autre sphere triple en solidité.

Si les lignes sont trop grandes pour être appliquées à l'ouverture du compas de proportion, prenez-en la moitié, le tiers ou le quart ; ce qui en proviendra après l'opération, sera moitié, tiers ou quart des dimensions que l'on demande.

Etant donnés deux corps semblables, trouver quel rapport ils ont entr'eux. Prenez lequel vous voudrez des côtés de l'un des corps proposés ; & l'ayant porté à l'ouverture de quelque solide, prenez le côté homologue de l'autre corps, & voyez à quel nombre des solides il convient ; les nombres auxquels ces deux côtés homologues conviennent, indiquent le rapport de deux corps semblables proposés.

Si le premier ayant été mis à l'ouverture de quelque solide, le côté homologue du second ne peut s'accommoder à l'ouverture d'aucun nombre ; portez le côté du premier corps à l'ouverture de quelqu'autre solide, jusqu'à ce que le côté homologue du second corps s'accommode à l'ouverture de quelque nombre des solides.

Usage de la ligne des métaux. Etant donné, le diametre d'un globe ou boulet de quelqu'un des six métaux, trouver le diametre d'un autre globe de même poids & duquel on voudra desdits métaux.

Prenez le diametre donné & le portez à l'ouverture des deux points marqués du caractere qui dénote le métal du boulet ; & le compas de proportion demeurant ainsi ouvert, prenez l'ouverture des points cotés du caractere qui signifie le métal dont on veut faire le boulet : cette ouverture sera son diametre.

Si au lieu de globes on propose des corps semblables ayant plusieurs faces, faites la même opération que ci-dessus pour trouver chacun des côtés homologues, les uns après les autres, afin d'avoir les longueurs, largeurs & épaisseurs des corps qu'on veut construire.

Usages des lignes des sinus, des tangentes, des sécantes, lorsqu'il y en a de tracées sur le compas de proportion. Par plusieurs lignes qui sont placées sur cet instrument, nous avons des échelles pour différens rayons ; ensorte qu'ayant une longueur ou un rayon donné, qui n'excede pas la plus grande étendue de l'ouverture de l'instrument, on en trouve les cordes, les sinus, &c. Par exemple, supposons que l'on demande la corde, le sinus, ou la tangente de dix degrés pour un rayon de trois pouces ; donnez trois pouces à l'ouverture de l'instrument entre 60 & 60 sur les lignes des cordes des deux jambes, alors la même longueur s'étendra de 45 à 45 sur la ligne des tangentes, & de 90 à 90 sur la ligne des sinus de l'autre côté de l'instrument ; ensorte que la ligne des cordes étant mise à un rayon quelconque, toutes les autres se trouvent mises au même rayon. C'est pourquoi si dans cette disposition on prend avec le compas ordinaire l'ouverture entre 10 & 10 sur les lignes des cordes, cela donnera la corde de dix degrés ; en prenant de la même maniere l'ouverture de 10 en 10 sur les lignes des sinus, on aura le sinus de dix degrés ; enfin si l'on prend encore de la même maniere l'ouverture de 10 en 10 sur les lignes des tangentes, cette distance donnera la tangente de dix degrés.

Si l'on veut la corde ou la tangente de 70 degrés, pour la corde on peut prendre l'ouverture de la moitié de cet arc, c'est-à-dire 35 ; cette distance prise deux fois donne la corde de 70d. Pour trouver la tangente de 70d pour le même rayon, on doit faire usage de la petite ligne des tangentes, l'autre s'étendant seulement jusqu'à 45d : c'est pourquoi donnant trois pouces à l'ouverture entre 45 & 45 sur cette petite ligne, la distance en 70 & 70 degrés sur la même ligne, sera la tangente de 70 degrés pour un rayon de trois pouces.

Pour trouver la sécante d'un arc, faites que le rayon donné soit l'ouverture de l'instrument entre 0 & 0 sur la ligne des sécantes ; alors l'ouverture de 10 en 10, ou de 70 entre 70 sur lesdites lignes, donnera la tangente de 10 ou de 70 degrés.

Si l'on demande la converse de quelqu'un des cas précédens, c'est-à-dire si l'on demande le rayon dont une ligne donnée est le sinus, la tangente ou la sécante, il n'y a qu'à faire que la ligne donnée, si c'est une corde, soit l'ouverture de la ligne des cordes entre 10 & 10, alors l'instrument sera ouvert au rayon requis ; c'est-à-dire que le rayon demandé est l'ouverture entre 60 & 60 sur ladite ligne. Si la ligne donnée est un sinus, une tangente, ou une sécante ; il n'y a qu'à faire qu'elle soit l'ouverture du nombre donné de degrés ; alors la distance de 90 à 90 sur les sinus, de 45 à 45 sur les tangentes, de 0 à 0 sur les sécantes, donnera le rayon.

Usage du compas de proportion en Trigonométrie. 1°. La base & la perpendiculaire d'un triangle rectangle étant données, trouver l'hypothénuse. Supposons la base A C (Pl. Trigonom. fig. 2.) = 40 milles, & la perpendiculaire A B = 30 ; ouvrez l'instrument jusqu'à ce que les deux lignes des lignes, c'est-à-dire les deux lignes des parties égales, fassent un angle droit ; puis pour la base prenez 40 parties de la ligne des parties égales sur une jambe, & pour la perpendiculaire 30 parties de la même ligne sur l'autre jambe ; alors la distance du nombre 40 sur l'une des jambes, au nombre 30 sur l'autre jambe, étant prise avec le compas ordinaire sera la longueur de l'hypothénuse, cette ligne se trouvera = 50 milles.

2°. Etant donnée la perpendiculaire A B d'un triangle rectangle A B C = 30, & l'angle B C A = 37d ; pour trouver l'hypothénuse B C, prenez le côté A B donné, & mettez-le de chaque côté sur le sinus de l'angle donné A C B ; alors la distance parallele du rayon, ou la distance de 90 à 90, sera l'hypothénuse B C, laquelle mesurera 50 sur la ligne des sinus.

3°. L'hypothénuse & la base étant donnés, trouver la perpendiculaire. Ouvrez l'instrument jusqu'à ce que les deux lignes des lignes soient à angles droits ; alors mettez la base donnée sur l'une de ces lignes depuis le centre ; prenez l'hypothénuse avec votre compas, & mettant l'une de ses pointes à l'extrémité de la base donnée, faites que l'autre pointe tombe sur la ligne des lignes de l'autre jambe ; la distance depuis le centre jusqu'au point où le compas tombe, sera la longueur de la perpendiculaire.

4°. L'hypothénuse étant donnée, & l'angle A C B, trouver la perpendiculaire. Faites que l'hypothénuse donnée soit un rayon parallele, c'est-à-dire étendez-la de 90 à 90 sur les lignes des lignes ; alors le sinus parallele de l'angle A C B, sera la longueur du côté A B.

5°. La base & la perpendiculaire A B étant données, trouver l'angle B C A. Mettez la base A C sur les deux côtés de l'instrument depuis le centre, & remarquez son étendue ; alors prenez la perpendiculaire donnée, ouvrez l'instrument à l'étendue de cette perpendiculaire placée aux extrémités de la base ; le rayon parallele sera la tangente de l'angle B C A.

6°. En tout triangle rectiligne, deux côtés étant donnés avec l'angle compris entre ces côtés, trouver le troisieme côté. Supposez le côté A C = 20, le côté B C = 30, & l'angle compris A C B = 110 degrés ; ouvrez l'instrument jusqu'à ce que les deux lignes des lignes fassent un angle égal à l'angle donné, c'est-à-dire un angle de 110 degrés ; mettez les côtés donnés du triangle depuis le centre de l'instrument sur chaque ligne des lignes ; l'étendue entre leurs extrémités est la longueur du côté A B cherché.

7°. Les angles C A B & A C B étant donnés avec le côté C B, trouver la base A B. Prenez le côté C B donné, & regardez-le comme le sinus parallele de son angle opposé C A B ; & le sinus parallele de l'angle A C B sera la longueur de la base A B.

8°. Les trois angles d'un triangle étant donnés, trouver la proportion de ses côtés. Prenez les sinus latéraux de ces différens angles, & mesurez-les sur la ligne des lignes ; les nombres qui y répondront donneront la proportion des côtés.

9°. Les trois côtés étant donnés, trouver l'angle A C B. Mettez les côtés A C, C B, le long de la ligne des lignes depuis le centre, & placez le côté A B à leurs extrémités ; l'ouverture de ces lignes fait que l'instrument est ouvert de la grandeur de l'angle A C B.

10°. L'hypothénuse A C (fig. 3.) d'un triangle rectangle sphérique A B C donné, par exemple, de 43d, & l'angle C A B de 20d, trouver le côté C B. La regle est de faire cette proportion : comme le rayon est au sinus de l'hypothénuse donnée = 43d, ainsi le sinus de l'angle donné = 20d, est au sinus de la perpendiculaire C B. Prenez alors 20d avec votre compas sur la ligne des sinus depuis le centre, & mettez cette étendue de 90 à 90 sur les deux jambes de l'instrument ; le sinus parallele de 43d qui est l'hypothénuse donnée, étant mesuré depuis le centre sur la ligne des sinus, donnera 13d 30' pour le côté cherché.

11°. La perpendiculaire B C & l'hypothénuse A C étant données, pour trouver la base A B faites cette proportion : comme le sinus du complement de la perpendiculaire B C est au rayon, ainsi le sinus du complément de l'hypothénuse est au sinus du complément de la base. C'est pourquoi faites que le rayon soit au sinus parallele de la perpendiculaire donnée, par exemple, de 76d 30'; alors le sinus parallele du complément de l'hypothénuse, par exemple, de 47d, étant mesuré sur la ligne des sinus, sera trouvé de 49d 25', qui est le complément de la base cherchée ; & par conséquent la base elle-même sera de 40d. 35'.

Usages particuliers du compas de proportion en Géométrie, &c. 1°. Pour faire un polygone régulier dont l'aire doit être d'une grandeur donnée quelconque, supposons que la figure cherchée soit un pentagone dont l'aire = 125 piés ; tirez la racine quarrée de 1/5 de 125 que l'on trouvera = 5 : faites un quarré dont le côté ait 5 piés, & par la ligne des polygones, ainsi qu'on l'a déjà prescrit, faites le triangle isocele C G D (Pl. géomet. fig. 14. n. 2.), tel que C G étant le demi-diametre d'un cercle, C D puisse être le côté d'un pentagone régulier inscrit à ce cercle, & abaissez la perpendiculaire G E ; alors continuant les lignes E G, E C, faites E F égal au côté du quarré que vous avez construit, & du point F tirez la ligne droite F H parallele à G C ; alors une moyenne proportionnelle entre G E & E F, sera égale à la moitié du côté du polygone cherché ; en le doublant on aura donc le côté entier. Le côté du pentagone étant ainsi déterminé, on pourra décrire le pentagone lui-même, ainsi qu'on l'a prescrit ci-dessus.

2°. Un cercle étant donné, trouver un quarré qui lui soit égal. Divisez le diametre en 14 parties égales, en vous servant de la ligne des lignes, comme on l'a dit ; alors 12. 4 de ces parties trouvées par la même ligne seront le côté du quarré cherché.

3°. Un quarré étant donné, pour trouver le diametre d'un cercle égal à ce quarré, divisez le côté du quarré en 11 parties égales par le moyen de la ligne des lignes, & continuez ce côté jusqu'à 12. 4 parties ; ce sera le diametre du cercle cherché.

4°. Pour trouver le côté d'un quarré égal à une ellipse dont les diametres transverses & conjugués sont donnés, trouvez une moyenne proportionnelle entre le diametre transverse & le diametre conjugué, divisez-la en 14 parties égales ; 12 4/10 de ces parties seront le côté du quarré cherché.

5°. Pour décrire une ellipse dont les diametres ayent un rapport quelconque, & qui soit égale en surface à un quarré donné, supposons que le rapport requis du diametre transverse au diametre conjugué, soit égal au rapport de 2 à 1 ; divisez le côté du quarré donné en 11 parties égales ; alors comme 2 est 1, ainsi 11 x 14 = 154 est à un quatrieme nombre, dont le quarré est le diametre conjugué cherché : puis comme 1 est à 2, ainsi le diametre conjugué est au diametre transverse. Présentement,

6°. Pour décrire une ellipse dont les diametres transverse & conjugué sont donnés, supposons que A B & E D (Planche des coniq. fig. 21.) soient les diametres donnés : prenez A C avec votre compas, donnez à l'instrument une ouverture égale à cette ligne, c'est-à-dire ouvrez l'instrument jusqu'à ce que la distance de 90 à 90 sur les lignes des sinus, soit égale à la ligne A C : alors la ligne A C peut être divisée en ligne des sinus, en prenant avec le compas les étendues paralleles du sinus de chaque degré sur les jambes de l'instrument, & les mettant depuis le centre C. La ligne ainsi divisée en sinus (dans la figure on peut se contenter de la diviser de dix en dix), de chacun de ces sinus élevez des perpendiculaires des deux côtés, alors trouvez de la maniere suivante des points par lesquels l'ellipse doit passer ; prenez entre les jambes de votre compas l'étendue du demi-diametre conjugué C E, & ouvrez l'instrument jusqu'à ce que son ouverture de 90 en 90 sur la ligne des sinus soit égale à cette étendue ; prenez alors les sinus paralleles de chaque degré des lignes des sinus du compas de proportion, & mettez-les sur ces perpendiculaires tirées par leurs complémens dans les lignes des sinus A C ; par-là vous aurez deux points dans chaque perpendiculaire par lesquels l'ellipse doit passer. Par exemple, le compas de proportion restant toûjours le même, prenez avec le compas ordinaire la distance de 80 à 80 sur les lignes des sinus, & mettant un pié de ce compas au point 10 sur la ligne A C, avec l'autre marquez les points a, m sur les perpendiculaires qui passent par ce point ; alors a & m seront deux points dans la perpendiculaire, par lesquels l'ellipse doit passer. Si l'on joint tous les autres points trouvés de la même maniere, ils donneront la demi-ellipse D A E. On construira l'autre moitié de la même maniere.

Usage du compas de proportion dans l'Arpentage. Etant donnée la position respective de trois lieues, comme A, B, C (Pl. d'Arpent. fig. 4. n. 2.), c'est-à-dire étant donnés les trois angles A B C, B C A, & C A B, & la distance de chacun de ces endroits à un quatrieme point D pris entr'eux, c'est-à-dire les distances B D, D C, A D, étant données, trouver les distances respectives des différens endroits A, B, C, c'est-à-dire déterminer les longueurs des côtés A B, B C, A C. Ayant fait le triangle E F G (fig. 4. n. 3.) semblable au triangle A B C, divisez le côté E G en H, de telle sorte que E H soit à H G, comme A D est à D C, ainsi qu'on l'a déjà prescrit ; & de la même maniere E F doit être divisé en I ; tellement que E I soit à I F, comme A D est à D B. Alors continuant les côtés E G, E F, dites : comme E H - H G est à H G, ainsi E H + H G est à G K ; & comme E I - I F est à I F, ainsi E I + I F est à F M : ces proportions se trouvent aisément par la ligne des parties égales sur le compas de proportion. Cela fait, coupez H K & I M aux points L, N, & de ces points, comme centres, avec les distances L H & I N, décrivez deux cercles qui s'entrecoupent au point O, auquel du sommet des angles E F G, tirez les lignes droites E O, F O & O G, qui auront entr'elles la même proportion que les lignes A D, B D, D C. Présentement si les lignes E O, F O & G O, sont égales aux lignes données A D, B D, D C, les distances E F, F G & E G, seront les distances des lieux que l'on demande. Mais si E O, O F, O G, sont plus petites que A D, D B, D C, prolongez-les jusqu'à ce que P O, O R & O Q, leur soient égales : alors si l'on joint les points P, Q, R, les distances P R, R Q & P Q, seront les distances des lieux cherchés. Enfin si les lignes E O, O F, O G, sont plus grandes que A D, D B, D C, retranchez-en des parties qui soient égales aux lignes A D, B D, D C, & joignez les points de section par trois lignes droites, les longueurs de ces trois lignes droites seront les distances des trois endroits cherchés. Remarquez que si E H est égal à H G, ou E I à I F, les centres L & N seront infiniment distans de H & de I ; c'est-à-dire qu'aux points H & I il doit y avoir des perpendiculaires élevées sur les côtés E F, F G, au lieu de cercles, jusqu'à ce qu'elles s'entrecoupent : mais si E H est plus petit que H G, le centre L tombera sur l'autre côté de la base prolongée ; & l'on doit entendre la même chose de E I & I F.

Le compas de proportion sert particulierement à faciliter la projection, tant orthographique que stéréographique. Voyez PROJECTION & STEREOGRAPHIE. (E)

COMPAS A COULISSE ou COMPAS DE REDUCTION ; il consiste en deux branches (Pl. de Géomét. fig. 3.) dont les bouts de chacune sont terminés par des pointes d'acier. Ces branches sont évidées dans leur longueur pour admettre une boîte ou coulisse, que l'on puisse faire glisser à volonté dans toute l'étendue de leur longueur ; au milieu de la coulisse il y a une vis qui sert à assembler les branches, & à les fixer au point où l'on veut.

Sur l'une des branches du compas, il y a des divisions qui servent à diviser les lignes dans un nombre quelconque de parties égales, pour réduire des figures, &c. sur l'autre, il y a des nombres pour inscrire toute sorte de polygones réguliers dans un cercle donné. L'usage de la premiere branche est aisé. Supposez, par exemple, qu'on veuille diviser une ligne droite en trois parties égales ; poussez la coulisse jusqu'à ce que la vis soit directement sur le nombre 3, & l'ayant fixée-là, prenez la longueur de la ligne donnée, avec les parties du compas les plus longues ; la distance entre les deux plus courtes, sera le tiers de la ligne donnée. On peut de la même maniere diviser une ligne dans un nombre quelconque de parties.

Usage de la branche pour les polygones. Supposez, par exemple, qu'on veuille inscrire un pentagone régulier dans un cercle ; poussez la coulisse jusqu'à ce que le milieu de la vis soit vis-à-vis de 5, nombre des côtés d'un pentagone ; prenez avec les jambes du compas les plus courtes, le rayon du cercle donné ; l'ouverture des pointes des jambes les plus longues, sera le côté du pentagone qu'on vouloit inscrire dans le cercle. On en fera de même pour un polygone quelconque.

COMPAS DE REDUCTION avec les lignes du compas de proportion. La construction de ce compas, quoiqu'un peu plus parfaite que celle du compas de réduction ordinaire, lui est cependant si semblable, qu'elle n'a pas besoin d'une description particuliere. (Fig. 4. Pl. de Géométrie.) Voyez plus haut l'article COMPAS DE PROPORTION.

Sur la premiere face il y a la ligne des cordes, marquées cordes, qui s'étend jusqu'à 60 ; & la ligne des lignes, marquées lignes, qui est divisée en cent parties inégales, dont chaque dixieme partie est numérotée.

Sur l'autre face sont tracées la ligne des sinus qui va jusqu'à 90d, & la ligne des tangentes jusqu'à 45d. Sur le premier côté l'on trouve les tangentes depuis 45 jusqu'à 71d 34'; sur l'autre les sécantes, depuis 0d jusqu'à 70d 30'.

Maniere de se servir de ce compas. 1°. Pour diviser une ligne dans un nombre quelconque de parties égales, moindre que 100 ; divisez 100 par le nombre des parties requises ; faites avancer la coulisse jusqu'à ce que la ligne marquée sur la queue d'aronde mobile, soit parvenue vis-à-vis le quotient sur l'échelle des lignes : alors prenant toute la ligne entre les pointes les plus éloignées du centre, l'ouverture des autres donnera la division cherchée. 2°. Une ligne droite étant donnée, que l'on suppose divisée en 100 parties ; pour prendre un nombre quelconque de ces parties, avancez la ligne marquée sur la queue d'aronde, jusqu'au nombre des parties requises, & prenez la ligne entiere avec les pointes du compas les plus distantes du centre, l'ouverture des deux autres sera égale au nombre des parties demandées. 3°. Un rayon étant donné, trouver la corde de tout arc au-dessous de 60d ; amenez la ligne marquée sur la queue d'aronde, jusqu'au degré que l'on demande sur la ligne des cordes, & prenez le rayon entre les pointes les plus éloignées du centre de la coulisse, l'ouverture des autres pointes donnera la corde cherchée, pourvû que l'arc soit au-dessus de 29d ; car s'il étoit au-dessous, la différence du rayon & de cette ouverture seroit alors la corde cherchée. 4°. Si la corde d'un arc au-dessous de 60d est donnée, & qu'on en cherche le rayon ; faites avancer la ligne marquée sur la queue d'aronde, jusqu'au degré proposé sur la ligne des cordes ; prenez ensuite la corde donnée entre les pointes les plus proches du centre, l'ouverture des autres pointes donnera le rayon cherché. 5°. Un rayon étant donné, trouver le sinus d'un arc quelconque ; amenez la ligne marquée sur la queue d'aronde, jusqu'au degré de la ligne des sinus dont on veut avoir le sinus ; prenez le rayon entre les pointes les plus éloignées du centre, l'ouverture des autres donnera le sinus cherché : mais si le sinus cherché étoit au-dessous de 30d, alors la différence des ouvertures des pointes opposées donneroit le sinus cherché. 6°. Un rayon étant donné, trouver la tangente d'un arc quelconque au-dessous de 71d, si la tangente cherchée est au-dessous de 26d 30'; faites glisser la ligne de la queue d'aronde jusqu'au degré proposé sur la ligne des tangentes ; prenez le rayon entre les pointes les plus distantes du centre, l'ouverture des autres donnera la tangente cherchée, si la tangente requise est au-dessus de 26d 30': mais au-dessous de 45d, la ligne de la coulisse doit être amenée jusqu'au nombre de degrés donnés sur la ligne des tangentes ; alors en prenant le rayon entre les pointes les plus distantes du centre, l'ouverture des autres donnera la tangente. (E)

COMPAS SPHERIQUE ou D'EPAISSEUR : on se sert de cet instrument pour prendre les diametres, l'épaisseur, ou le calibre des corps ronds ou cylindriques ; tels que des canons, des tuyaux, &c. Ces sortes de compas consistent en quatre branches assemblées en un centre, dont deux sont circulaires, & deux autres plates, un peu recourbées par les bouts.

Pour s'en servir, on fait entrer une des pointes plates dans le canon, & l'autre par dehors ; lesquelles étant serrées, les deux pointes opposées marquent l'épaisseur. Voyez CALIBRE.

Il y a aussi des compas sphériques, qui ne different des compas communs, qu'en ce que leurs jambes sont recourbées pour prendre les diametres des corps ronds. Chambers. (E)

COMPAS ELLIPTIQUES : ils servent à décrire toutes sortes d'ellipses ou d'ovales. On en a imaginé de différentes sortes, dont la construction est fondée sur différentes propriétés de l'ellipse. Par exemple soient deux droites C G, G L (fig. 2. Géom.) égales chacune à la moitié de la somme, ou de la différence de deux axes C B, C A, attachées l'une à l'autre par leur extrémité commune G, ensorte qu'elles puissent se mouvoir autour de ce point, comme les jambes d'un compas autour de sa tête. Soit le point C fixe au centre de l'ellipse, & soit L B = C A, le point B décrira l'ellipse. Cette construction est démontrée article 69 des sect. coniq. de M. de l'Hopital, & nous y renvoyons le lecteur. Au reste, cette espece de compas, ainsi que tous les autres semblables, est assez peu commode par toutes sortes de raisons.

Ceux qui ont besoin de décrire souvent des ellipses & autres sections coniques, dit M. le marquis de l'Hopital, préferent la méthode de les décrire par plusieurs points ; parce que les méthodes de les décrire par des mouvemens continus sont fautives, & peu exactes dans la pratique. (O)

COMPAS AZIMUTHAL ; ce compas revient au compas de variation, & differe du compas de mer ordinaire de plusieurs manieres : en voici la description. Sur la boîte qui contient la rose est adapté un large cercle A B (Plan. de la Navigat. fig. 15.) dont une moitié est divisée en 90d, & subdivisée diagonalement en minutes. Sur le cercle A B est posé un index b c mobile autour du centre ou point b, ayant une pinule b a élevée perpendiculairement, & mobile sur une charniere. Une soie fort fine a e va du milieu de l'index au haut de la pinule, pour former une ombre sur la ligne du milieu de l'index. Enfin le cercle A B est traversé à angles droits par deux fils, des extrémités desquels quatre lignes sont tirées dans l'intérieur de la boîte ; & sur la rose, il y a pareillement quatre lignes tirées à angles droits. La boîte ronde, sa rose, le cercle gradué & l'index ; tout cela est suspendu sur deux cercles de laiton B B, & ces cercles sont ajustés dans la boîte quarrée c c.

Usage du compas azimuthal pour trouver l'azimuth du Soleil, ou plûtôt son amplitude magnétique, peur en déduire ensuite la variation du compas. Si l'on veut, par exemple, observer l'amplitude orientale du Soleil, ou son azimuth, on fera parvenir le centre de l'index b c sur la pointe oüest de la rose ; desorte que les quatre lignes de l'extrémité de la rose, répondent aux quatre autres qui sont dans l'intérieur de la boîte. Si au contraire on veut observer l'amplitude occidentale, ou l'azimuth après midi, on tournera le centre de l'index directement au-dessus de la pointe & de la rose. Ceci étant fait, on tournera l'index b c jusqu'à ce que l'ombre du fil a e tombe positivement sur la fente de la pinule, & le long de la ligne du milieu de l'index : alors son bord intérieur marquera sur le cercle le degré & la minute de l'amplitude du Soleil, prise ou du côté du nord, ou du côté du sud.

Mais l'on remarquera que si le compas étant ainsi placé, l'azimuth du Soleil se trouve à moins de 45d du sud, l'index ne marquera plus, passant alors au-delà des divisions du limbe : en ce cas, on tournera le compas d'un quart de tour, c'est-à-dire qu'on fera répondre le centre de l'index à la pointe nord ou sud de la rose, selon l'aspect du Soleil ; alors le bord de l'index marquera le degré de l'azimuth magnétique du Soleil, en comptant du nord comme ci-devant. Voyez AMPLITUDE.

L'amplitude magnétique étant une fois trouvée, on déterminera la variation de l'aiguille aimantée de cette façon. Exemple.

Etant en mer, le 15 Mai 1715, à 45d de latitude nord, les tables me donnent la latitude du Soleil de 19d au nord, & son amplitude orientale de 27d 25' nord, & je trouve par le compas azimuthal l'amplitude orientale du Soleil entre 62 & 63d, en comptant depuis le nord vers l'est, c'est-à-dire entre 27d & 28d, en comptant de l'est vers le nord ; partant l'amplitude magnétique étant égale à la vraie amplitude, l'aiguille n'aura point de variation.

Mais si l'amplitude orientale que donne le compas s'étoit trouvée entre 52d & 53d, en comptant toûjours du nord vers l'est, ou auroit eu en comptant de l'est vers le nord, l'amplitude magnétique entre 37d & 38d, plus grande de 10d que la vraie amplitude ; ce qui donne la variation de 10d au nord-est.

Si l'amplitude orientale trouvée par l'instrument est moindre que la vraie amplitude, leur différence donnera la variation occidentale.

Si la vraie amplitude orientale est méridionale, de même que l'amplitude donnée par l'instrument, & que celle-ci soit la plus grande, la variation sera au nord-oüest, & vice versa.

Ce que l'on a dit de l'amplitude nord-est, est le même pour l'amplitude sud-oüest : comme ce que l'on a dit pour l'amplitude sud-est, est vrai de l'amplitude nord-oüest. Voyez AMPLITUDE.

Enfin si on trouve les amplitudes de différentes dénominations, comme par exemple la vraie amplitude de 6d nord, & l'amplitude magnétique de 5d sud, la variation qui dans ce cas-là est nord-est, sera égale à la somme des amplitudes vraies & magnétiques. On doit entendre la même chose des amplitudes occidentales.

On peut trouver de même la variation par les azimuths, mais il faut alors que la déclinaison du Soleil, la hauteur, & la latitude du lieu soient données, pour trouver l'azimuth. Voyez AZIMUTH. (T)

COMPAS DE VARIATION, voyez COMPAS AZIMUTHAL & VARIATION.

COMPAS DE MER, voyez BOUSSOLE.

COMPAS D'APPAREILLEUR, est un instrument de fer composé de deux branches A B, A D (fig. 8. de la Coupes des pierres), unies ensemble au point A ; aux extrémités B & D il y a deux pointes B C, D E ; la branche A B, qui est la branche femelle, est fendue pour recevoir la branche mâle A D. La rivure de ce compas doit être assez serrée, pour que l'ayant mis dans une certaine ouverture, il ne s'en ôte pas facilement. Les branches doivent être droites, afin que dans l'occurrence il puisse servir de sauterelle. (D)

COMPAS D'EPAISSEUR, à l'usage des Arquebusiers ; ce compas a la tête faite comme les compas ordinaires, & a les deux branches recourbées en-dedans au lieu d'être droites, & sert aux Arquebusiers pour mesurer l'épaisseur de quelque chose.

COMPAS A LUNETTE, à l'usage des Arquebusiers ; ce compas fait comme un 8, est arrêté au milieu avec un clou rivé, & s'ouvre des deux côtés. Il sert aux Arquebusiers pour mesurer & compasser des choses rondes, comme des chevilles, des vis, &c.

COMPAS A POINTE, à l'usage des Arquebusiers ; ce compas est de fer, n'a rien de particulier, & ressemble au compas des Serruriers, &c. Les Arquebusiers s'en servent à différens usages.

COMPAS A TETE, à l'usage des Arquebusiers ; ce compas est de fer, a la tête faite comme les petits compas ordinaires, & a une branche pointue ; l'autre pointe est beaucoup plus grosse par em-bas, & faite comme une fraise unie. Les Arquebusiers s'en servent pour mesurer une piece qui est percée, en posant la pointe à fraise dans le trou, & posant la branche pointue où ils veulent.

COMPAS A RESSORT, à l'usage des Arquebusiers ; c'est une bande de fer plate qui est reployée par le milieu, & forme une tête ronde & large. Les branches de ce compas sont un peu larges, & finissent en pointe comme un compas ordinaire : ces deux branches sont percées par le milieu, & traversées d'une vis qui est arrêtée à demeure à une des branches ; cette vis se serre avec un écrou à oreille, & fait fermer & ouvrir les branches de fer du compas selon le besoin. Les Arquebusiers s'en servent à différens usages.

COMPAS A QUART DE CERCLE, à l'usage des Bijoutiers, est un compas garni d'un quart de cercle fixe dans l'une des branches du compas, qui coule dans l'autre, & y est retenu par une vis pour fixer le compas au point où l'on veut le mettre. Ses deux pointes sont postiches, & sont retenues dans le corps du compas chacun par une vis.

Les Bijoutiers appellent aussi compas, un instrument avec lequel ils mesurent les pieces lorsqu'ils les taillent.

COMPAS, (grand) à l'usage des Charrons ; ce sont deux morceaux de fer plats de la longueur de deux ou trois piés, enchâssés par en-haut, & arrêtés avec un clou rivé, & par em-bas les pointes de ces branches sont arrondies & pointues. Cela sert aux Charrons pour égaliser, compasser, & arrondir leurs ouvrages.

COMPAS, (petit) à l'usage des Charrons ; ce compas est fait comme le grand, & sert aux Charrons pour les mêmes usages, excepté qu'il est plus petit.

COMPAS, à l'usage des Charpentiers ; il est ordinaire : ces ouvriers s'en servent à prendre de petites mesures pour tracer leurs ouvrages.

COMPAS A CYLINDRE, est un compas par le moyen duquel on peut connoître les plus petites différences des diametres d'un cylindre fait sur le tour, & qui l'empêchent d'être un cylindre parfait.

Ce compas est composé d'une fourchette A B C D de fer ou de cuivre, de grandeur proportionnée au diametre du cylindre que l'on veut vérifier. Aux extrémités A & B de cette fourchette, sont articulées par ginglime ou charniere, des branches de même matiere A G, B F, à-peu-près égales au rayon de la base du cylindre. A l'extrémité D de la partie C D, est assemblée une semblable branche D E, qui a une vis E : la tête de cette vis est une des pointes du compas, l'autre pointe étant l'extrémité a du levier o e a : toutes ces branches sont affermies & fixées dans les jointures par les vis A, B, D. Les extrémités G & F des deux branches supérieures, traversent une platine de laiton G F m n ; sur cette platine, qui est représentée séparément dans la figure, sont fixés deux leviers & deux ressorts. Le premier levier a e o, & qui est courbé en S, est traversé en e par une vis qui l'assujettit sur la platine, ensorte toutefois qu'il peut se mouvoir autour de cette vis ; l'extrémité a est continuellement poussée en en-haut par le ressort x, & par conséquent l'extrémité a du même levier tend toûjours à descendre. L'extrémité o de ce premier levier s'applique contre le second r s, lequel fait charniere au point r par le moyen d'une vis dont son deuil est traversé & qui lui sert de centre. Le petit ressort, lequel doit être très-foible, sert seulement à tenir ce second levier qu'on appelle index, appliqué sur la crosse o du premier. On le fait très-flexible, pour qu'il puisse céder facilement à l'action du grand ressort X, qui releve les deux leviers par le moyen l'un de l'autre.

Vers la pointe s de l'index est un arc de cercle t u, divisé en degrés, minutes ou autres parties quelconques, sur lesquelles l'index marque des quantités proportionnelles aux plus petites inégalités.

Pour faire usage de ce compas, il faut appliquer une regle bien droite I H parallelement à l'axe du cylindre, & l'affermir en cette situation. On prendra ensuite le compas par la poignée C, & on l'appliquera sur la regle, ensorte que les deux vis K L portent dessus : on inclinera ensuite la branche D E ; il faut que la pointe de la vis F, soit très-polie & non tout-à-fait aiguë, pour qu'elle ne puisse rayer le cylindre : on arrêtera la branche en cette situation en serrant la vis D ; on fera la même opération aux branches A G, B E, que l'on fléchira jusqu'à ce que la pointe a du levier o e a touche sur le cylindre ; cette pointe doit être polie comme celle de la vis E ; la platine G F m n doit être perpendiculaire à la surface du cylindre, & la ligne qui joint les pointes E a doit être un diametre de ce même cylindre. Pour remplir cette derniere indication, on se sert des vis K L, dont les pointes sont polies comme celle de la vis E, au moyen desquelles on approche ou éloigne le compas pour faire rencontrer les pointes E a sur la plus grande largeur du cylindre que l'on veut vérifier : on tourne ensuite la vis F jusqu'à ce que la pointe s de l'index r s réponde vis-à-vis de la fleur-de-lys qui partage en deux également l'arc de ce cercle t u, ce qui se fait en tournant cette vis, si la pointe de l'index est dans la partie inférieure u ; & en la détournant, si elle répond dans la partie supérieure t. On observera que pour ne point forcer le ressort x, le compas doit être en équilibre sur la regle aux points où les vis K L y sont appliquées, ce qu'il est facile de faire en augmentant ou diminuant la pesanteur de la poignée C, que pour cette raison on doit faire creuse, afin de la remplir de grenailles de plomb autant qu'il est nécessaire. On fera ensuite glisser toute cette machine doucement le long de la regle I H, observant que les pointes des vis K L soient toûjours appliquées sur la surface du cylindre. Pendant cette opération si l'index r s a toûjours marqué le même point sur l'arc de cercle t u, on peut être assûré d'avoir un cylindre parfait : mais si au contraire il a parcouru plusieurs divisions de cet arc de cercle, on est assûré qu'il n'est pas d'un même diametre dans toute sa longueur ; car s'il se présente entre les points E a un diametre moindre que celui sur lequel est appliqué en commençant le compas, la force du ressort x qui doit être assez grande, fera lever l'extrémité o du levier o e a, & baisser l'extrémité a jusqu'à ce qu'elle touche la surface du cylindre : mais à cause que le compas est en équilibre sur les vices K L, le ressort x continuera d'agir sur le levier o e a, qui devient en cet instant du second genre, puisqu'il trouve un point d'appui immobile en surface du cylindre où il vient de s'appliquer. Ainsi l'effet de l'action du ressort x passera au point e aussi-bien que la platine G F m n, jusqu'à ce que la pointe de la vis E venant à toucher la surface du cylindre, mette un terme à ce mouvement. En cet état l'extrémité o sera plus élevée qu'elle n'étoit auparavant, mais elle n'aura pas pû s'élever sans élever d'une pareille quantité le point du levier r s contre lequel elle s'applique ; mais cette action, à cause que le levier r s est fixé au point r, sera transmise entierement à l'autre extrémité s qui s'élevera vers t. Le contraire arrivera si un plus grand diametre vient à se présenter entre les pointes F a du compas ; car il fera élever la derniere a & baisser l'autre extrémité o, contre laquelle le ressort x fera appliquer le levier r s, dont l'extrémité s descendra au-dessous de la fleurs-de-lys dans la partie de l'arc de cercle s u.

Pour avoir à-présent le rapport de l'espace parcouru par l'extrémité S de l'index, à la différence des diametres qui ont passé entre les pointes du compas, il faut remarquer que la marche de la pointe a est double de la différence des rayons, & par conséquent que celle de l'extrémité o est égale à celle de la pointe a multipliée par le rapport des parties o e. e a du levier. On a donc o = a x mais le mouvement de la pointe S de l'index, qui est un levier du second genre, est égal à celui du point o multiplié par le rapport de r s à r o ; on a donc S = o x ; & en substituant dans cette derniere équation la valeur de o prise de la premiere, on aura le mouvement de l'extrémité S de l'index (en nommant le rapport o e. e a = f & le rapport r s. r o = g, exprimé en parties multiples de a) en cette équation s = a f g, qui est une quantité considérable par rapport aux différences des diametres du cylindre. Voyez l'explication des Planches d'Arts.

COMPAS à l'usage des Fondeurs de cloches, est une regle de bois terminée d'un bout par un talon du crochet, dans lequel on fait entrer un des bords de la cloche, pendant que l'on frotte l'autre bout de la regle, qui est divisée en piés & pouces, contre le bord de la cloche diamétralement opposé. Le point le plus éloigné du talon où la cloche atteint est son vrai diametre. Voyez CLOCHE.

COMPAS DE CONSTRUCTION à l'usage des Fondeurs de cloches, est un arbre de fer qui a deux bras qui retiennent la planche sur laquelle est tracé le profil ou échantillon de la cloche, laquelle sert à former le noyau, le modele, la chape en faisant tourner cette planche autour de l'axe, qui roule en-bas par un pivot sur une crapaudine de fer, & en-haut par un tourillon dans un collet de même métal. Voy. la fig. 3. Pl. de la Fonderie des cloches, & l'art. FONTE DES CLOCHES.

COMPAS à l'usage des Cordonniers ; ils s'en servent pour prendre les mesures. Il est composé de deux coulisses qui vont l'une dans l'autre, desorte que les deux semblent n'en faire qu'une ; au bout d'une est un talon fixe, & au bout de l'autre est un talon pareil & aussi fixe sur sa branche ; desorte qu'en tirant une de ces branches, le talon qui y est fixé la suit & s'écarte de l'autre talon, & laisse un espace entre les deux qui est la mesure du pié. La coulisse mobile est marquée par parties égales numérotées ; ensorte que l'ouvrier puisse retrouver chez lui le même intervalle entre les deux talons, pour choisir une forme de même grandeur que le pié de celui pour qui on fait la chaussure. Voyez la Planche du Cordonnier. (D)

COMPAS à l'usage des Ecrivains, c'est un compas ordinaire dont ils se servent pour mesurer la hauteur ou longueur des lignes, des figures qui renferment les différens objets d'un état, d'un bordereau, d'un compte, & pour fixer l'endroit où l'on doit tracer chaque figure, afin d'observer l'ordre & la proportion.

COMPAS à l'usage des Epingliers. Ces ouvriers s'en servent pour tracer la lame d'étain dont ils se proposent de faire des plaques. Voyez éPINGLIER.

COMPAS à l'usage des Ferblantiers ; il est de fer & est fait comme tout autre compas. Il sert aux Ferblantiers pour mesurer, compasser, marquer des ronds & des demi-cercles, selon le besoin, sur les feuilles de fer-blanc qu'ils employent.

COMPAS COURBE à l'usage des Guainiers : il est fait par en-haut comme le compas droit, & a les deux branches par em-bas recourbées en-dedans ; il sert aux Guainiers pour compasser le diametre des moules de leurs ouvrages.

COMPAS DROIT à l'usage des Guainiers. Ce compas n'a rien de particulier ; il est de fer, & sert aux Guainiers pour mesurer leurs ouvrages.

COMPAS, en Horlogerie ; voyez l'explication des Planches de cet Art. Il y en a de deux especes : le premier A ne differe des compas ordinaires que par son arc A qui sert à lui donner plus de solidité : cet arc a encore un autre avantage, c'est qu'on peut à volonté le fixer à la jambe N en serrant la vis I ; & par-là, au moyen de l'écrou D, faire parcourir aux pointes du compas des distances très-petites ; parce que cet écrou tournant dans la jambe M, mais sans aucun mouvement progressif, il fait avancer ou reculer la vis V qui fait partie de l'arc, & par conséquent augmente ou diminue la distance entre les deux pointes. La plaque Q est divisée en une espece de petit cadran, de façon qu'au moyen d'un index qui est sur l'écrou, on peut estimer en degrés de combien on l'a tournée. Les vis S S servent comme aux autres pour serrer les pointes P P du compas, dont on change à volonté.

Les Faiseurs d'instrumens de mathématiques & les Horlogers s'en servent beaucoup, sur-tout ceux qui travaillent en pendule : ce compas en général est un des meilleurs.

Le compas B d'acier trempé est plus en usage parmi les Horlogers en petit ou qui travaillent en montres : ils l'appellent ordinairement compas d'Angleterre ou compas à ressort. La partie B doit être grande autant qu'il est possible, pour que le ressort en soit plus liant : la seule inspection de la figure fait voir comme on s'en sert. (T)

COMPAS D'EPAISSEUR ou HUIT DE CHIFFRE, voyez l'explication des figures d'Horlogerie, est un compas qui sert à prendre des grandeurs, des épaisseurs, &c. On s'en sert dans la pratique de plusieurs arts, comme dans l'Orfévrerie, l'Horlogerie, &c. Les Horlogers s'en servent beaucoup pour prendre l'épaisseur de certaines parties courbées, comme de la cuvette d'une boîte de montre, de la virole d'un barillet, &c. Sa perfection consiste dans la grande égalité des distances C E, C B, C F, G G qui doivent être précisément les mêmes, sans quoi on prend de fausses épaisseurs, le compas ne s'ouvrant pas également des deux côtés.

K H D est une piece qu'on ajuste quelquefois sur un de ces compas, pour mettre des balanciers ou des roues droites : cette piece est mobile en K & en H, de façon qu'on peut approcher son extrémité D fort près du bord du balancier monté dans le compas au moyen de deux petits trous qu'on perce dans chacune des parties B & E ; par-là on voit si en tournant sur son axe, tous les points de son bord sont toûjours également distans de D, & par conséquent si le balancier est droit. Ce compas sert encore pour mettre des balanciers de pesanteur. (T)

COMPAS AU TIERS, voyez encore l'explication des fig. d'Horlog. est un outil dont se servent les Horlogers pour avoir tout-d'un-coup le tiers d'une grandeur. Cet instrument est composé de deux branches A B, A B : mobiles sur un centre C comme le calibre à prendre les hauteurs ou maître à danser ; la seule différence, c'est qu'au lieu que les parties AC, CB soient d'égale longueur comme dans ce calibre, elles sont dans le rapport de 3 à 1, c'est-à-dire que B C est trois fois plus long qu'A C.

Cet instrument sert particulierement à prendre la grosseur de l'arbre du barillet, dont le diametre doit être le tiers du diametre interne du barillet. Il sert aussi pour la rosette, que l'on fait aussi un tiers plus petite, ou à peu-près, que le rateau. (T)

COMPAS à l'usage des Menuisiers, il n'a rien de particulier ; ces ouvriers s'en servent pour prendre des mesures.

COMPAS D'EPAISSEUR, à l'usage des Orfévres en grosserie ; il est composé de deux branches retenues ensemble vers le milieu par une charniere ; à une de leurs extrémités elles forment un cercle parfait, & à l'autre la moitié d'un quarré. C'est au plus ou moins d'éloignement de ces branches, que l'on connoît l'égalité ou la différence d'épaisseur, en plaçant le compas sur plusieurs endroits de l'ouvrage successivement.

COMPAS à l'usage des Facteurs d'orgue ; il est représenté fig. 61. Planche d'orgue, & ils s'en servent pour couper la partie arrondie des bouches ovales des tuyaux de montre. Voyez BOUCHE OVALE. Ce compas est composé de deux équerres b c g, a d e.

La premiere équerre est composée d'une poignée a, d'une noix K, par l'ouverture de laquelle passe la verge b c de l'autre équerre qui peut y être fixée par la vis K, d'une autre noix d, dans laquelle la verge d e est rivée, & d'une pointe conique f qu'on place au centre des arcs que l'on veut décrire avec l'autre pointe g. L'autre équerre est composée de la verge b c & de la branche c h. c est une noix dans laquelle la verge b c est rivée ; h est une noix dans laquelle passe la verge d e de l'autre équerre qui y peut être fixée par la vis h, ensorte que lorsque les deux vis k & h sont desserrées, on peut approcher ou éloigner à volonté remontant c h du montant a d. i est une boîte dans laquelle on met la pointe tranchante g.

Pour se servir de cet outil, la pointe f fixée au centre de l'arc que l'on veut couper sur la table d'étain ou de plomb étendue sur l'établi, la distance f g entre les pointes égales au rayon des arcs que l'on veut couper, on appuye le creux de la main sur la poignée a pour faire entre la pointe f dans le centre de l'arc que l'on veut couper : on conduit de l'autre main la pointe g, qui est tranchante, sur la table de plomb ou d'étain que l'on coupe par ce moyen.

COMPAS à l'usage des Peintres, Dessinateurs, &c. Il doit être pointu, ferme, & ses pointes d'acier très-délicates : on s'en sert peu, mais il en faut avoir un pour le besoin.

COMPAS CAMBRE A ATURE, à l'usage des Relieurs-Doreurs ; ils s'en servent pour coucher l'or sur les tranches ; il doit être de fer ; il a à la tête un clou rivé dessus & dessous à 3 pouces de la tête ; les branches de 6 pouces de long, tels qu'on les voit Pl. II. fig. B de la Relieure ; il est cambré dans ses deux branches pour avoir plus aisément moyen de s'en servir dans les gouttieres, dans les bouts des livres ; c'est ce qu'on appelle ature.

Les Relieurs-Doreurs, se servent aussi d'un compas ordinaire en cuivre, pour mesurer la place où ils ont à mettre de l'or, & n'en couper qu'à proportion. Voyez DORER.

COMPAS COURBE & BRISE à l'usage des Sculpteurs ; ils s'en servent pour mesurer les grosseurs des corps ronds, parce qu'il embrasse les parties, ce que ne peuvent pas faire ceux à jambes droites.

Les Graveurs s'en servent aussi pour trouver le véritable endroit d'une planche qu'ils veulent repousser & graver. Voyez GRAVURE au BURIN.

COMPAS DE FORGE, à l'usage des Serruriers & autres ouvriers ; c'est un grand compas ordinaire dont on use pour prendre les longueurs sur le fer chaud.

Les Serruriers en ont d'autres de différentes grandeurs, qu'ils appellent compas d'établi.

COMPAS D'EPAISSEUR, à l'usage des Serruriers ; c'est un compas dont les branches sont courbes, & qui sert à l'usage indiqué par son nom.

COMPAS DROIT ET COURBE, à l'usage des ouvriers qui travaillent en pierres de rapport, & en tabletterie ; voyez la Planche de Marqueterie en pierres de rapport.

COMPAS, à l'usage des Tonneliers, est un instrument dont ils se servent pour former & marquer les douves des fonds de leurs futailles en figure sphérique. Cet instrument est fait d'un seul jet de bois pliant, mais élastique, dont les deux bouts servent de branches à l'instrument, & sont garnis chacun d'une pointe & d'une virole de fer : ces deux branches peuvent s'approcher & s'éloigner au moyen d'un arc de bois à vis qui les traverse.

Les Tonneliers ont aussi parmi les outils de leurs métiers, des compas ordinaires qui sont de fer, & dont les branches n'ont pas plus de huit pouces de longueur.

COMPAS, à l'usage des Vergettiers, est une espece de mesure marquée de points, à chaque bout de laquelle est en-travers d'un côté seulement, un morceau de bois travaillé, haut d'environ un pouce & demi, pour retenir le pié sur la mesure. Les Cordonniers s'en servent pour mesurer la longueur du pié de ceux qu'ils ont à chausser.

Outre les compas dont nous venons de faire mention, il y en a un grand nombre d'autres à l'usage des différens ouvriers. Ces compas seront décrits aux articles où nous ferons le détail des ouvrages, quand ils en vaudront la peine. Il n'y a presque point d'artiste qui n'ait son compas.


COMPASSERv. act. c'est prendre des mesures avec le compas. Voyez COMPAS.


COMPASSIONS. f. (Morale) affliction qu'on éprouve à la vûe, au récit, ou au souvenir des maux de quelqu'un. C'est un sentiment auquel on se livre avec une sorte de plaisir :

Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas ;

Sed quibus ipse malis careas, quia cernere suave est.

Le plaisir qu'on y éprouve vient encore du témoignage qu'on se rend à soi-même qu'on a de l'humanité.

Plus on a été malheureux, plus on est susceptible de compassion. Non ignara mali, &c. Non-seulement on ne se refuse point à ce sentiment, on cherche même quelquefois les occasions de l'exciter ; c'est pour cela, & non par un sentiment barbare, que le peuple court aux exécutions des criminels. (O)


COMPATIBILITÉS. f. (Jurispr.) est la faculté qu'une même personne a de posséder en même tems plusieurs bénéfices ou offices, ou un bénéfice & un office. Les bénéfices & offices entre lesquels il n'y a point d'incompatibilité prononcée par aucune loi, sont de droit compatibles. Il y en a d'autres qui le deviennent au moyen d'une dispense, laquelle pour les bénéfices s'obtient en cour de Rome. A l'égard des offices, on obtient à cet effet en chancellerie des lettres, qu'on appelle lettres de compatibilité. Voyez ci-après COMPATIBLE & INCOMPATIBLE. (A)


COMPATIBLEadj. (Jurispr.) se dit des bénéfices & des charges qui peuvent être possédés ensemble par une même personne sans dispense. Tous les bénéfices & offices, entre lesquels il n'y a point d'incompatibilité prononcée par la loi, sont compatibles : ainsi un bénéfice simple est compatible avec un autre de même nature, pourvû qu'il ne soit pas sub eodem tecto. L'office de secrétaire du roi est compatible avec celui de conseiller de cour souveraine, & avec plusieurs autres emplois, &c. Voyez ci-devant COMPATIBILITE, & INCOMPATIBLE. (A)


COMPENDIUMS. m. (Philos.) terme à l'usage des écoles de Philosophie ; il désigne un abregé des principales matieres contenues dans la Logique. On commence par-là, afin de faciliter l'étude même de la Logique aux écoliers qui s'instruisent dans cet abregé des mots qui sont le plus en usage dans cette partie de la Philosophie, & qu'on y exerce à la maniere de raisonner syllogistique sur plusieurs questions qui pourroient être mieux choisies & plus intéressantes. Voyez COLLEGE.


COMPENSATION(Jurispr.) est la confusion qui se fait d'une dette mobiliaire liquide, avec une autre dette de même nature. Elle tient lieu de payement ; ou si l'on veut, c'est un payement réciproque, mais fictif & sans bourse délier de part ni d'autre.

La compensation est fondée sur l'équité naturelle, & elle a pour objet d'éviter un circuit inutile, qui auroit lieu si un débiteur étoit obligé de payer à son créancier la même somme qu'il est en état de lui demander ; il y auroit même dans ce cas une espece de dol à demander le payement d'une somme qu'il faudroit à l'instant rendre à la même personne.

L'exception tirée de la compensation est admise en pays coûtumier, aussi-bien qu'en pays de droit écrit ; & c'est un moyen de droit que l'on peut opposer en tout état de cause, & sans qu'il soit besoin pour cet effet de lettres de chancellerie.

Il n'est pas non plus nécessaire que les deux dettes soient égales ; la compensation ne laisse pas d'avoir lieu jusqu'à dûe concurrence ; & le créancier auquel étoit dûe la somme la plus forte, ne peut répéter que l'excédent qui reste dû après la compensation faite.

C'est une maxime fondamentale de cette matiere, que la compensation n'a lieu que de liquide à liquide, c'est-à-dire qu'il faut que les deux dettes que l'on veut compenser soient toutes deux certaines, liquides, & non litigieuses ; qu'elles soient l'une & l'autre exigibles au tems où l'on prétend que la compensation doit avoir lieu, & qu'elles ne puissent point être annullées ou éteintes par quelque exception péremptoire, telle que la prescription.

Le cessionnaire est sujet à la compensation, de même que l'auroit été son cédant ; mais il ne peut pas obliger de compenser une dette exigible, telle qu'une obligation, contre une dette non exigible, telle que le principal d'une rente fonciere ou constituée.

De même, une dette dont le terme est incertain ou n'est pas encore échû, ne peut être compensée avec une dette pure & simple & actuellement exigible ; une dette portant intérêt ne peut être compensée avec une autre qui n'en porte point, à moins que les intérêts ne soient comptés jusqu'au jour de la compensation. Pareillement ce qui est dû en vertu d'une sentence dont il y a appel, ne peut être compensé contre une dette dûe par obligation ou jugement qui ne sont point attaqués.

Il y a encore plusieurs autres cas où la compensation n'a pas lieu, quoique les deux dettes soient liquides de part & d'autre.

Par exemple, on ne peut obliger de compenser un chose fongible avec un corps certain & déterminé ; ni une chose fongible d'une certaine espece, contre une autre chose fongible d'une espece différente, comme du blé contre du vin ; mais quand ces choses sont estimées de part & d'autre, la compensation a lieu pour l'estimation.

La compensation n'a lieu qu'entre personnes qui ont de leur chef la double qualité de créancier & de débiteur ; desorte qu'un tuteur qui demande ce qui est dû à son mineur, ou un mandataire qui agit pour son commettant, ne sont pas obligés de compenser ce qui leur est dû personnellement avec la dette de celui pour lequel ils stipulent.

On ne peut pas non plus opposer la compensation en matiere de dépôt, soit volontaire ou nécessaire, ni en matiere de commodat ; parce que ce seroit manquer de bonne foi que d'user dans ce cas d'une telle exception.

Elle n'a pas lieu non plus contre les droits du roi, parce que ces droits sont privilégiés.

De même en matiere de retrait lignager, parce que le remboursement doit être actuel & effectif.

On ne peut aussi compenser les arrérages de cens ni des rentes seigneuriales ou emphytéotiques, parce que ces redevances sont dûes principalement en reconnoissance de la directe.

Les pensions viageres & alimens ne se compensent point, à cause de la faveur de ces sortes de dettes qui ne doivent pas souffrir de retardement.

En matiere de complainte & de réintégrande il n'y a point de compensation, parce que spoliatus ante omnia restituendus est.

Enfin la compensation n'a pas lieu en matiere de délits, ce qui se doit entendre par rapport à la peine dûe pour la vindicte publique ; mais les peines pécuniaires, telles que réparations & intérêts civils, dommages & intérêts, peuvent être compensées, Voyez au digeste & au code, le titre de compensationibus ; Mornac, ibid. Henrys, tom. II. liv. II. quest. xv. Guypape, quest. clxxiij. & dlxvij. Papon, liv. XII. tit. vj. Voyez aussi Despeisses, tom. I. part. IV. tit. iij. les arrêtés de M. le P. P. de Lamoignon ; les lois civiles, titre de la compensation ; Dumolin, tr. de usuris, quaest. xlij. n. 322. Journ. des aud. tome I. liv. I. ch. lx xvj. (A)


COMPENSERv. act. qui exprime l'acte de la compensation. Voyez COMPENSATION.


COMPERSONNIERSS. m. pl. (Jurispr.) sont ceux qui tiennent ensemble un même tenement ou domaine, à la charge d'une redevance envers le seigneur, pour laquelle ils sont obligés solidairement.

On appelle aussi compersonniers ceux qui vivent en commun & en société au même pain & au même feu, comme cela se pratique sur-tout entre main-mortables dans quelques provinces, telles que celles de Bourgogne, Nivernois, & Champagne. Voyez le titre viij de la coûtume de Nivernois ; & Coquille, ibid. & le gloss. du droit françois, au mot personnier. (A)


COMPESS. m. pl. (Manufact. en drap.) especes de droguets croisés, drapés, qui se fabriquent au Treuil-barret, la Chasteigneraye, &c. qui doivent avoir 1/2 aune de large sur 40 de long, apprêtés ; ou 3/4 de large sur 48 de long en toile, au sortir du métier. La chaîne en est de 48 portées au moins, & chaque portée de 16 fils. Voyez le réglem. des Manufact. tom. III. pag. 15.

* COMPES, s. m. (Hist. anc.) espece de chaussure des Romains. Voyez l'article CHAUSSURE.

C'étoit aussi une sorte d'entraves de fer fort lourdes ; on les consacroit à Saturne, quand on en étoit délivré. Les esclaves qui en étoient chargés, même en travaillant à la culture des terres, s'appelloient compediti, alligati. C'étoit encore une maniere de donner la question aux criminels, qui consistoit à leur mettre les jambes dans des planches percées de trous circulaires, qu'on serroit avec des coins.


COMPÉTENCES. f. (Jurispr.) est le droit qui appartient à un juge de prendre connoissance d'une affaire.

Le principe général, en matiere de compétence, est que actor sequitur forum rei, c'est-à-dire que le défendeur doit être assigné devant le juge de son domicile.

Il y a néanmoins plusieurs causes qui peuvent rendre un autre juge compétent, pour connoître de l'affaire ; savoir,

1°. Le privilége du demandeur ou du défendeur : par exemple, si le défendeur est ecclésiastique, & qu'il s'agisse d'une matiere personnelle, il peut demander son renvoi devant le juge d'église ; de même si le demandeur a droit de committimus, il peut assigner devant le juge de son privilége ; ou si c'est le défendeur qui a ce droit, il peut demander son renvoi.

2°. L'attribution générale qui est faite à un juge de certaines matieres, le rend seul compétent pour en connoître : ainsi les élections & les cours des aides connoissent seuls des tailles ; les juges des eaux & forêts connoissent seuls des matieres d'eaux & forêts, sauf l'appel au parlement.

3°. Un juge peut être compétent en vertu d'une attribution particuliere qui lui est faite d'une seule affaire, ou de certaines affaires qui ont rapport les unes aux autres.

4°. En vertu d'une évocation ordonnée pour cause de connexité ou litispendance, un juge peut devenir compétent, quoiqu'il ne soit pas le juge du domicile du défendeur.

5°. En matiere criminelle, la connoissance du délit appartient au juge du lieu où il a été commis, sauf le privilége des ecclésiastiques, des gentilshommes, & de certains officiers qui peuvent demander d'être renvoyés devant le juge de leur privilége.

Tous juges sont compétens pour informer d'un délit ; ce qui a été ainsi établi pour empêcher le dépérissement de la preuve.

Un juge qui seroit compétent peut être prévenu par un autre juge qui a droit de prévention sur lui. Voyez PREVENTION.

Les prevôts des maréchaux & les lieutenans criminels ne peuvent juger en dernier ressort un accusé, qu'ils n'ayent préalablement fait juger leur compétence par le présidial ; si le présidial a prévenu, il est lui-même juge de sa compétence ; & si l'accusé attaque le jugement de compétence par la voie de la cassation, c'est au grand-conseil qu'il doit se pourvoir.

L'ordonnance criminelle, tit. j. ordonne que la compétence sera jugée au présidial dans le ressort duquel la capture a été faite, dans trois jours au plûtard ; encore que l'accusé n'ait point proposé de déclinatoire.

Que les jugemens de compétence ne pourront être rendus que par sept juges au moins, qui signeront la minute.

Que la compétence ne pourra être jugée, que l'accusé n'ait été oüi en la chambre en présence de tous les juges ; qu'il en sera fait mention dans le jugement ainsi que du motif de la compétence.

Que le jugement de compétence sera prononcé & signifié sur le champ à l'accusé.

Que si le prevôt des maréchaux est déclaré incompétent, l'accusé sera transféré dans deux jours au plûtard ès prisons du lieu du délit.

Enfin, que le prevôt qui aura été déclaré compétent, sera tenu de procéder incessamment à la confection du procès avec son assesseur, sinon avec un conseiller du siége où il devra être jugé.

Les appels comme de juge incompétent, tant au civil qu'au criminel, se relevent au parlement omisso medio.

En matiere civile, tous juges sont compétens pour reconnoître une promesse ; c'est-à-dire, que quoiqu'il y ait lieu de renvoyer le fond devant le juge d'attribution ou du privilége, néanmoins le juge qui est saisi de l'affaire, peut donner acte de la reconnoissance ou dénégation d'une promesse.

Sur la compétence des juges, voyez ci-apr. INCOMPETENCE, JUGE D'ATTRIBUTION, JUGE D'ÉGLISE, JUGE DE PRIVILEGE, JUGE DE SEIGNEUR, & JUSTICE SEIGNEURIALE ; PREVOT DES MARECHAUX, PRESIDIAL, PROCES CRIMINEL ; le dictionnaire de droit, au mot compétence, & le traité de la compétence des juges en matiere criminelle ; & aux decrétales, le titre de foro competenti. (A)


COMPÉTENTvoyez ci-devant COMPETENCE.


COMPIEGNE(Géog. mod.) ville de France, dans l'île de France. Long. 20d. 29'. 41". lat. 49d. 24'. 59".


COMPILATEURS. m. (Belles Lettres) écrivain qui ne compose rien de génie, mais qui se contente de recueillir & de répéter ce que les autres ont écrit. La plûpart des Lexicographes ne sont que des compilateurs. Les qualités les plus nécessaires à ceux qui font des compilations, sont l'exactitude & le discernement, pour ne présenter au lecteur que des choses dignes de son attention. Autrefois le nom de compilateur se prenoit en mauvaise part, & équivaloit à plagiaire. Horace a dit en ce sens à la fin de sa premiere satyre :

Ne me Crispini scrinia lippi

Compilasse putes.

Quelques-uns font venir les mots compilation & compilateur du grec , qui signifie resserrer, condenser ; parce que les voleurs, disent-ils, resserrent leur larcin en plus petit volume qu'ils peuvent afin de l'emporter plus aisément. Les anciens Latins en avoient formé pilare, compilare, d'où nous avons fait compilation & compilateur. Voyez PLAGIAIRE. (G)


COMPILATIONS. f. (Bell. Lett.) recueil formé de morceaux pris çà & là dans le même ou dans divers auteurs. Plusieurs ouvrages des modernes ne sont que des compilations de ceux des anciens. Il y a des compilations estimables : celles, par exemple, où les textes de divers auteurs dont le style n'est pas uniforme, sont si bien fondus qu'ils paroissent être sortis de la même plume ; telle est l'histoire ancienne de M. Rollin : d'autres ne sont que des copies seches ou informes de lambeaux mal cousus ; on peut les comparer à un amas de matériaux bruts, & les autres à un édifice : celles-ci demandent du goût ; les autres ne supposent que du tems, des recherches, & la patience infatigable de copier mot à mot. Voyez ABREGE. (G)


COMPITALESS. f. (Mythol.) fêtes instituées en l'honneur des dieux lares ou penates. On les célébroit dans les carrefours, per compita. Les affranchis & les esclaves en étoient les ministres & les prêtres ; c'étoit un tems de liberté pour ces derniers. Sous les rois on y sacrifioit des enfans ; mais Brutus, après l'expulsion des Tarquins, substitua aux têtes humaines que les oracles avoient demandées, & qui devoient tomber dans les compitales, des têtes d'ail & de pavot. Il y avoit dans les carrefours des poteaux élevés : on plaçoit sur ces poteaux des images & des figures d'hommes & de femmes. Les figures représentoient les dieux lares, & il y avoit autant d'images que de personnes libres dans la famille. Les compitales n'étoient que pour les esclaves. Elles furent instituées par Tarquin le premier ou par Servius Tullius ; elles se célébroient peu après les saturnales ; les jours n'en étoient pas fixes ; c'étoit cependant toûjours en Janvier ; le préteur en indiquoit le jour. On y sacrifioit une truie. Les esclaves offroient des balles de laine.


COMPLAIGNANTadj. pris subst. (Jurisprud.) signifie la même chose que plaignant ou accusateur en matiere criminelle ; il ne faut pas confondre le complaignant avec le demandeur en complainte, soit profane ou bénéficiale ; celui-ci sembleroit devoir être appellé complaignant plûtôt que l'autre, à cause qu'il intente la complainte ; ce terme est même usité en ce sens dans quelques provinces, mais dans l'usage commun on n'entend par le terme de complaignant, que l'accusateur ; celui qui intente complainte est qualifié demandeur en complainte. (A)


COMPLAINTES. f. (Jurisprud.) est une action possessoire, par laquelle celui qui est troublé en la possession d'un héritage, ou droit réel, ou d'un bénéfice, se plaint à la justice de ce trouble, & demande contre celui qui en est l'auteur d'être maintenu dans sa possession, & que défenses soient faites de l'y troubler.

Le propriétaire, l'usufruitier, l'usager & l'emphytéote peuvent intenter complainte ; mais il faut qu'ils ayent possédé, non vi, non clam, non precario, c'est-à-dire publiquement & sans violence, & à autre titre que de possesseur précaire ; c'est pourquoi un simple fermier ou locataire ne peut pas user de complainte.

Aucun sujet ne peut l'intenter contre le roi, parce qu'on ne présume jamais que le roi ait causé du trouble ; l'apanager joüit aussi à cet égard du même privilége que le roi.

Les vassaux & censitaires ne peuvent pareillement intenter complainte contre leur seigneur, pour raison des héritages qui sont mouvans de lui.

Pour intenter complainte il faut avoir possédé an & jour, former sa demande en complainte dans l'an & jour du trouble, & que cette demande soit formée & jugée avant d'en venir au pétitoire.

Elle ne peut être intentée que pour héritages ou droits réels, tels que des servitudes, dixmes inféodées, droits de patronage, droits seigneuriaux & honorifiques, rentes foncieres, &c. Les rentes constituées n'étant point réelles, même dans les lieux où elles sont réputées immeubles, ne peuvent faire la matiere d'une complainte.

Elle a lieu pour des bénéfices & droits réels qui y sont attachés, tels que les dixmes ecclésiastiques.

On ne peut intenter complainte pour choses mobiliaires, à moins qu'il ne s'agisse d'une universalité de meubles.

On peut être troublé de fait, ou par paroles, ou par quelque acte qui tend à former un trouble, & dans tous ces cas la complainte a lieu.

Chaque juge connoît des complaintes dans son territoire, & les juges royaux n'ont à cet égard aucune préférence ni prévention sur les juges de seigneur.

Le juge d'église ne peut connoître d'aucune complainte soit profane soit bénéficiale, il faut se pourvoir devant le juge laïc.

La complainte s'intente par exploit, & quelquefois par opposition. Celui qui est assigné en complainte ne peut pas intenter lui-même complainte pour le même objet, en disant qu'il prend la demande en complainte pour trouble.

Celui qui a été dépossédé de l'héritage n'intente pas une simple complainte, mais l'action appellée réintégrande. Voyez Louet & Brodeau, lettre B. n. 11. l'ordonnance de 1667, tit xv. Papon, liv. VIII. tit. jv. Loisel, liv. V. tit. jv. Belordeau, en ses controverses, lett. C. art. 25.

COMPLAINTE BENEFICIALE ou EN MATIERE BENEFICIALE, est une action possessoire par laquelle celui qui est en possession d'un bénéfice, de fait ou de droit seulement, se plaint du trouble qui lui est fait par un autre prétendant droit au même bénéfice, & conclut à fin d'être maintenu & gardé en sa possession, avec défenses à sa partie adverse de l'y troubler ; & à ce que pour l'avoir fait, il soit condamné en ses dommages & intérêts & dépens.

Les juges royaux connoissent de la complainte en matiere bénéficiale, parce que c'est une action possessoire. On voit dans une ordonnance de Philippe Auguste de l'an 1214, que dès ce tems-là c'étoit le juge laïc qui connoissoit de ces sortes de complaintes ; & le pape Martin V. par une bulle de l'an 1429, a reconnu que c'étoit au roi & à ses officiers à maintenir les possesseurs des bénéfices, & non au juge d'église.

Anciennement le parlement connoissoit en premiere instance de toutes sortes de complaintes, même en matiere bénéficiale ; mais présentement la connoissance en appartient d'abord aux juges royaux, & par appel au parlement.

Les baillis & sénéchaux étoient d'abord les seuls qui en pussent connoître en premiere instance, suivant un arrêt de l'an 1277 ; mais suivant l'édit de Cremieu, de l'an 1536, & l'édit d'Henri II. du mois de Juin 1559, les juges royaux inférieurs en peuvent connoître chacun dans leur ressort ; les baillis & sénéchaux ont seulement sur eux le droit de prévention pour ces matieres.

Les juges des seigneurs ne peuvent en aucun cas prendre connoissance d'une complainte bénéficiale, quand même il s'agiroit de bénéfices de la fondation des seigneurs ou de leurs auteurs, & qu'ils en auroient la présentation ou collation. Ordonnance de 1667, tit. xv. art. 4.

La connoissance du pétitoire appartient de droit au juge d'église ; mais quand la complainte est jugée, celui des deux contendans qui a perdu devant le juge laïque, ne peut plus se pourvoir devant le juge d'église pour le pétitoire, parce que les juges laïques ne jugent pas le possessoire en matiere bénéficiale sur les actes de possession seulement, mais aussi sur les titres des parties dont ils examinent la validité : desorte que le possessoire étant jugé par le mérite du fond, il ne seroit pas juste de reporter la même question devant le juge d'église.

La complainte bénéficiale differe de la profane en ce que celle-ci ne peut être intentée que par ceux qui sont en possession actuelle & de fait ; au lieu que celui qui a été pourvû d'un bénéfice trouvant la place remplie par un autre, peut prendre possession de droit seulement, & prendre pour trouble la possession de fait de son adversaire, & intenter complainte contre lui.

Il n'y a jamais de complainte contre le roi ; c'est pourquoi en matiere de régale, l'état ou récréance est toûjours adjugé par provision au régaliste.

La complainte bénéficiale doit être intentée dans l'an & jour du trouble, de même qu'en matiere profane. Ordonnance de 1539, art. 61.

Le demandeur en complainte doit exprimer dans sa demande le titre de sa provision, & le genre de vacance sur lequel il a été pourvû ; par exemple si c'est par mort, résignation, permutation ou dévolut, & donner avec le même exploit au défendeur copie de ses titres & capacités, signée de lui & de l'huissier ou du sergent.

Si le demandeur ignore le domicile de son adversaire, & ne peut le faire assigner en parlant à sa personne, il faut signifier l'exploit dans le chef-lieu du bénéfice.

On prenoit autrefois deux appointemens sur une complainte ; l'un pour communiquer les titres & capacités, l'autre pour écrire par mémoires : mais ces formes inutiles ont été abrogées par l'ordonnance de 1667.

Lorsque la cause peut se juger à l'audience, le juge maintient en la possession du bénéfice celui qui se trouve en avoir été canoniquement pourvû ; si l'affaire ne peut pas se juger à l'audience, on appointe les parties en droit, & cependant on adjuge la récréance à celui qui a le droit le plus apparent ; & si le droit est fort problématique, on ordonne le sequestre ; le grand-conseil prend ordinairement ce parti, & accorde rarement la récréance.

Pour la validité d'une sentence de maintenue ou de récréance & de sequestre, il faut qu'il y ait au moins cinq juges de nommés dans la sentence ; & si elle est rendue sur une instance appointée, ils doivent tous signer la minute de la sentence : cela n'est cependant pas observé aux requêtes de l'hôtel & du palais.

La sentence de maintenue peut être exécutée nonobstant l'appel, pourvû qu'elle ait été donnée par des juges ressortissans immédiatement en la cour, & qu'ils fussent au nombre de cinq, & en donnant par l'intimé bonne & suffisante caution de rendre les fruits, s'il est ainsi ordonné sur l'appel ; telle est la disposition de l'ordonnance de Louis XII. de l'an 1498, art. 83.

Lorsque l'appel est d'une sentence de récréance, elle doit être exécutée nonobstant l'appel à la caution juratoire de celui au profit duquel elle aura été rendue ; il étoit autrefois obligé de donner bonne & suffisante caution, mais cela a été changé par l'ordonnance de 1667.

La sentence de récréance doit être entierement exécutée avant que l'on puisse procéder sur la pleine maintenue. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. xv. & POSSESSOIRE. (A)

COMPLAINTE EN MATIERE PROFANE, est celle qui n'a point pour objet un bénéfice ni aucun droit annexé à un bénéfice.

COMPLAINTE EN CAS DE NOUVELLETE, est celle qui s'intente dans l'an & jour du trouble, que l'on appelloit autrefois nouvelleté ; on l'appelle aussi complainte en cas de saisine & de nouvelleté, ou complainte simplement. Voyez COMPLAINTE.

COMPLAINTE POSSESSOIRE, est la même chose que ce qu'on appelle simplement complainte, cette action étant toûjours possessoire.

COMPLAINTE EN CAS DE SIMPLE SAISINE, étoit une complainte particuliere, qui pouvoit autrefois être intentée par celui qui avoit joüi d'une rente fonciere sur un héritage avant & depuis dix ans, & pendant la plus grande partie de ce tems il pouvoit intenter le cas de simple saisine contre celui qui l'avoit troublé, & demander d'être remis en sa possession. Cette complainte avoit lieu lorsque celui qui pouvoit intenter l'action de nouvelleté en avoit laissé passer le tems ou y avoit succombé. Dans cette complainte il falloit prouver une possession qui remontât au-dessus de dix ans ; la coûtume de Paris, art. 98. fait mention de cette complainte : mais présentement elle n'est plus d'usage ; & quand celui qui pouvoit intenter complainte en cas de nouvelleté en a laissé passer le tems ou y a succombé, il ne peut plus agir qu'au pétitoire & doit rapporter un titre. Voyez Brodeau, Tronçon, Guerin, & le Maistre sur l'art. 98. de la coûtume de Paris. (A)


COMPLAISANCES. f. (Morale). La complaisance est une condescendance honnête, par laquelle nous sacrifions notre volonté à celle des autres : je dis une condescendance honnête ; car déférer en tout indistinctement à la volonté d'autrui, ce seroit plûtôt lâcheté ou complicité que complaisance.

La complaisance consiste à ne contrarier le goût de qui que ce soit dans ce qui est indifférent pour les moeurs, à s'y prêter même autant qu'on le peut, & à le prévenir lorsqu'on l'a sû deviner. Ce n'est peut-être pas la plus excellente de toutes les vertus, mais c'en est une du-moins bien utile & bien agréable dans la société. (G)

COMPLAISANCE, (Jurisprudence) droit de complaisance aux quatre cas, est la même chose que les loyaux-aides que le vassal est tenu de payer au seigneur dans les quatre cas, c'est-à-dire en cas de chevalerie du fils aîné, de mariage d'enfans, de voyage d'outre-mer, & de rançon du seigneur. Il en est parlé dans un arrêt du 20 Juillet 1624, dont M. de Lauriere fait mention en son glossaire, au mot complaisance. (A)


COMPLANTS. m. (Jurisprud.) est la concession que l'on fait à quelqu'un d'un héritage, à la charge d'y faire quelque plantation d'arbres & sur-tout des vignes, moyennant la redevance d'une portion des fruits qui se perçoit dans le champ, comme le terrage ou champart.

Quand le complant est fait par le seigneur de l'héritage, la redevance est seigneuriale. On comprend aussi sous le terme de complant, le droit même que le bailleur s'est reservé de percevoir une portion des fruits.

Il est fait mention de ce droit dans la coûtume de Saint-Jean d'Angely, art. 18. & dans celle de Poitou, art. 82. (A)


COMPLANTERv. neut. (Jurisp.) signifie percevoir le droit de complant : il n'est pas permis d'enlever les fruits sujets à ce droit avant que le seigneur ait complanté. Voyez la coûtume de Poitou, art. 82. & ci-devant COMPLANT. (A)


COMPLANTERIES. f. (Jurisp.) c'est le terroir où le seigneur a droit de percevoir le droit de complant. Il en est parlé dans l'article 75. de la coûtume de Poitou. Voyez ci-devant COMPLANT.


COMPLÉMENTsub. m. se dit en général d'une partie qui, ajoûtée à une autre, formeroit un tout ou naturel ou artificiel.

COMPLEMENT arithmétique d'un logarithme, c'est ce qui manque à un logarithme pour être égal à 10.0000000, en supposant les logarithmes de neuf caracteres. Voyez LOGARITHME. Ainsi le complément arithmétique de 7.1079054 est 2.8920946. (O)

COMPLEMENT de la hauteur d'une étoile, en Astronomie, se dit de la distance d'une étoile au zénith, ou de l'arc compris entre le lieu de l'étoile au-dessus de l'horison & le zénith. Voyez ZENITH.

On appelle ainsi la distance de l'étoile au zénith, parce qu'elle est véritablement le complément à 90 degrés de la hauteur au-dessus de l'horison, c'est-à-dire l'excès de 90 degrés ou de l'angle droit sur l'angle ou l'arc qui donne la hauteur de l'étoile. Voyez COMPLEMENT. (O)

COMPLEMENT DE LA COURTINE, se dit, en Fortification, de la courtine augmentée d'une demi-gorge, c'est-à-dire c'est le côté intérieur du polygone diminué d'une demi-gorge. Voyez COURTINE, voyez GORGE. (Q)

COMPLEMENT, d'un angle ou d'un arc, en Géométrie, est ce qui reste d'un angle droit ou de quatre-vingt-dix degrés, après qu'on en a retranché cet angle ou cet arc. Voyez ARC, ANGLE.

Ainsi l'on dit que le complément d'un angle ou d'un arc de 30 degrés est de 60 degrés, puisque 60 + 30 = 90.

L'arc & son complément sont des termes relatifs, qui ne se disent que de l'un à l'égard de l'autre.

On appelle co-sinus le sinus du complément d'un arc, & co-tangente, la tangente du complément. Voyez CO-SINUS & CO-TANGENTE, &c. Voyez aussi SINUS. Chambers. (E)

On appelle complément d'un angle à 180 degrés, l'excès de 180 degrés sur cet angle : ainsi le complément à 180 degrés d'un angle de 100 degrés, est 80 degrés ; mais complément tout court ne se dit que du complément à 90. (O)

Les complémens d'un parallélogramme sont deux parallélogrammes que la diagonale ne traverse pas, & qui résultent de la division de ce parallélogramme par deux lignes tirées d'un point quelconque de la diagonale parallélement à chacun de ses côtés. Tels sont les parallélogrammes C & M, Plan. de Géomét. fig. 5. n. 2. L'on démontre que dans tout parallélogramme les complémens C & M sont égaux : car Z + C x O = R + M + x, à cause que les deux grands triangles sont égaux (la diagonale divisant le parallélogramme en deux également) ; & de même Z = R, & O = x : c'est pourquoi les parallélogrammes restans C & M sont égaux. Voyez PARALLELOGRAMME. (O)

COMPLEMENT D'UN INTERVALLE, en Musique, est la quantité qui lui manque pour arriver à l'octave : ainsi le complément de la seconde est la septieme ; de la tierce, la sixte ; & de la quarte, la quinte : & réciproquement le complément de la quinte est la quarte ; de la sixte, la tierce ; de la septieme, la seconde. Ainsi complément & renversement signifient la même chose, toutes les fois qu'il n'est question que d'un intervalle. Voyez INTERVALLE & RENVERSEMENT. (S)

COMPLEMENT DE ROUTE, terme de Navigation ; c'est le complément de l'angle que la route ou le rhumb que l'on suit fait avec le méridien du lieu où on est, c'est-à-dire la différence de cet angle à 90 degrés. Voyez COMPLEMENT en Géométrie. (O)


COMPLEXEadj. terme de Philosophie ; il se dit d'une proposition, & des différens termes d'une proposition : ces termes sont simples quand ils ne désignent qu'une seule idée ; ils sont complexes quand ils en comprennent plusieurs. Il se dit de la proposition lorsqu'elle a plusieurs membres.

COMPLEXE : une quantité complexe, en Algebre, est une quantité comme a + b - c, composée de plusieurs parties a, b, c, jointes ensemble par les signes + & -. (O)


COMPLEXIONS. f. figure de Rhétorique qui contient en même tems une répétition & une conversion, c'est-à-dire dans laquelle divers membres de phrase commencent & finissent par le même mot, comme dans ce trait de Cicéron, qui contient de plus une interrogation : Quis legem tulit ? Rullus. Quis majorem partem populi suffragiis privavit ? Rullus. Quis comitiis praefuit ? Rullus. (De leg. agr. contra Rull.)

Cette figure est commune & triviale, parce que l'auditeur a à peine entendu la question, qu'il prévient la réponse. Voyez CONVERSION & REPETITION. (G)

COMPLEXION, habitude, disposition naturelle du corps. Voyez CONSTITUTION.

Quelques anciens philosophes distinguent quatre complexions générales & principales dans l'homme : la complexion sanguine répond, selon eux, à l'air ; elle en a les qualités, elle est chaude & humide. Elle est ainsi nommée parce que le sang y domine. Voyez SANGUIN.

La complexion flegmatique, qui tire son nom de la pituite ou du flegme dont elle abonde, répond à l'eau ; elle est froide & humide. Voyez FLEGMATIQUE.

La complexion bilieuse est la nature du feu ; elle est chaude & seche. Voyez CHOLERIQUE.

La complexion mélancholique tient de la nature de la terre ; elle est froide & seche. Voyez MELANCHOLIQUE. Dict. de Trév. & Chambers.

On ne fait plus guere d'attention à toutes ces sortes de divisions : l'expérience a ouvert les yeux sur bien des préjugés ou des opinions, dont il faut cependant rendre compte, afin que chacun puisse en faire l'usage ou le mépris qu'il jugera à-propos.


COMPLEXUSen Anatomie, nom de quatre muscles de la tête, dont deux ont été appellés les grands complexus, & les deux autres les petits complexus.

Le grand complexus vient de la ligne demi-circulaire inférieure de l'os occipital, & se termine aux apophyses obliques des vertebres du cou, & de trois ou quatre des vertebres supérieures du dos.

Le petit complexus ou mastoïdien latéral, vient des apophyses transverses des six vertebres inférieures du cou, & se termine à l'apophyse mastoïde postérieurement. (L)


COMPLICATIONS. f. terme plus d'usage en Médecine qu'en aucune autre occasion : il désigne généralement un assemblage de causes, d'effets, ou de circonstances tellement liées les unes aux autres, qu'il est difficile d'en appercevoir distinctement tous les rapports.

COMPLICATION, (Médecine) complexio, confusio : ce terme est employé en différens sens par les Pathologistes.

Le plus grand nombre d'entr'eux appellent compliquée, une maladie à laquelle est jointe une autre maladie dans le même sujet : ainsi une hémorrhagie habituelle des narines qui dépend de la lésion de quelque viscere du bas-ventre, est une maladie compliquée ; de même que l'épilepsie qui est produite conséquemment à une maladie de la matrice : le virus vénérien joint avec le virus scrophuleux, constitue une maladie compliquée qui est la vérole, &c. Telle est l'idée que donnent des auteurs pathologistes, de ce qu'ils appellent maladie compliquée, par opposition à ce qu'ils nomment maladie simple, qui, quoiqu'elle soit accompagnée de plusieurs symptomes différens qui en dépendent, n'est jointe à aucune autre maladie distinguée. Ainsi la fievre tierce, la pleurésie, la douleur aux dents, prises séparément, & considérées comme existantes seules dans un sujet, sont des maladies simples.

D'autres, tels que M. Astruc, entendent par maladies compliquées, celles qui, quoique considérées chacune en particulier, constituent des lésions de fonction dans l'économie animale de plusieurs manieres, par opposition aux maladies simples, qui ne troublent les fonctions que d'une maniere. Ainsi la péripneumonie, par exemple, est une maladie compliquée, parce qu'elle affecte en même tems les parties solides & les parties fluides des poumons, & chacune de ces parties de différente maniere : 1°. entant qu'elle constitue une tumeur inflammatoire, par laquelle les solides sont viciés à l'égard de leur volume qui est augmenté, de leur figure qui est changée, des conduits qui sont engorgés, & des fibres même dont ils sont composés, qui sont ou relâchées & affoiblies, ou resserrées & rendues trop roides : 2°. entant qu'elle donne lieu à la fievre, par laquelle les solides sont viciés à l'égard de leur mouvement qui est augmenté, de la chaleur qui est plus forte, de la qualité des humeurs qui est différemment altérée, & de leur volume qui est souvent plus considérable, à cause de la pléthore vraie ou fausse.

Mais comme dans ces différentes significations que l'on donne aux complications des maladies, on n'y donne pas une idée distincte de ce qu'on appelle maladie, & de ce qui en est le symptome : de ce qui caractérise une maladie simple & une maladie compliquée ; il paroît plus utile & plus clair d'appeller avec Pitcarne (élém. phys. mathém.) maladie simple, ce que les auteurs d'institution de Médecine appellent symptome ; & de donner le nom de maladie compliquée, à ce qu'ils appellent simplement maladie, c'est-à-dire à la jonction, au concours de plusieurs symptomes : par-là on évite une grande confusion dans la Pathologie.

Il résulte de ce qui vient d'être dit, que la complication dans les maladies n'est autre chose que la réunion des conditions requises pour former une maladie compliquée, dans lequel des sens mentionnés qu'on puisse prendre ce terme.

Au reste il paroît que par maladie compliquée, les auteurs entendent la même chose que par maladie composée. Galien, lib. de typ. cap. iij. Voyez MALADIE. Cet article est de M. D'AUMONT.

COMPLICATION, (Jurispr.) se dit en matiere criminelle, lorsque l'accusé se trouve prévenu de plusieurs crimes : on dit aussi de la procédure ou d'une affaire en général, qu'elle est fort compliquée, lorsqu'il y a un grand nombre d'objets & de demandes respectives qui se croisent mutuellement. (A)


COMPLICES. m. (Jurispr.) est celui auquel on impute d'avoir eu part à quelque fraude ou à quelque délit, soit pour avoir donné conseil, ou avoir aidé à commettre l'action dont il s'agit.

Quand on ordonne quelqu'information contre les complices d'un accusé, on joint ordinairement au terme de complices, ceux de fauteurs, participes, & adhérens, pour désigner toutes les différentes manieres dont les complices peuvent avoir eu part au délit.

Celui qui est complice d'un délit ou de quelque fraude repréhensible, est souvent aussi coupable que l'auteur même du délit, & doit être puni également ; ce qui dépend néanmoins des circonstances, par lesquelles on connoît le plus ou moins de part que le complice a eu à l'action : par exemple, celui qui a sû le dessein qu'un autre avoit de commettre un crime, & qui ne l'a pas empêché pouvant le faire, est coupable au moins d'une négligence qui approche beaucoup du délit ; mais celui qui a conseillé le délit, ou qui a aidé à le commettre, est encore plus coupable.

Un homme qui s'est trouvé par hasard en la compagnie de quelqu'un qui a commis un crime, n'en est pas pour cela réputé complice, pourvû qu'il n'y ait eu en effet aucune part.

La déclaration ou déposition des complices ne fait point une foi pleine & entiere contre le principal accusé, ni pour un complice contre un autre ; elle sert seulement d'indice pour parvenir à tirer la preuve du crime par le moyen de la question ou torture ; & si l'accusé n'avoue rien, il doit être absous.

Il faut même observer que la déposition d'un seul complice, quand il n'y a pas quelqu'autre adminicule de preuve, n'est pas suffisante pour faire appliquer ses complices à la question ; il faut du moins en ce cas la déposition de deux ou trois complices.

On excepte néanmoins de cette regle certains crimes, tels que ceux de lese-majesté, sacrilége, conjuration, fausse monnoie, hérésie, & assassinat, où la déposition d'un complice fait pleine foi contre un autre. Voyez Clarus, lib. V. sent. quaest. xxj. n. 8. & seq. Fachin, lib. IX. cap. lxxxviij. (A)


COMPLICITÉS. f. (Jurispr.) est la part que quelqu'un a eu à la fraude ou au crime commis par un autre. Voyez ci-devant COMPLICE. (A)


COMPLIESS. f. pl. (Hist. ecclés.) c'est dans l'Eglise romaine la derniere partie de l'office du jour. Elle est composée du Deus in adjutorium, de trois pseaumes sous une seule antienne, d'une hymne, d'un capitule & d'un répons bref, puis du cantique de Siméon Nunc dimittis, & de quelques prieres ou versets, du Confiteor avec l'absolution, d'un oremus, & enfin d'une antienne à la Vierge, avec son verset & son oraison.

On ne connoît pas au juste le tems de l'institution de cette partie de l'office, dans laquelle l'Eglise a en vûe d'honorer la mémoire de la sépulture de Jesus-Christ, ainsi-que le porte la glose, cap. x. de celebr. missar. tumulo completta reponit.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle étoit inconnue dans la primitive Eglise, comme le prouve contre Bellarmin le cardinal Bona, de psalmod. ch. xj. car les anciens terminoient leur office à none ; & il paroît même par S. Basile, major. regular. quaest. 37. qu'ils y chantoient le pseaume 90 que nous récitons aujourd'hui à complies. On ne trouve dans Tertullien & dans les autres anciens nulle trace des complies : il est vrai que l'auteur des constitutions apostoliques parle de l'hymne du soir, & que Cassien décrit la pratique des moines d'Egypte pour l'office du soir ; mais c'étoit ce que nous appellons proprement vêpres. Voyez VEPRES. Voyez les antiq. ecclés. de Bingham, tome V. lib. XIII. ch. jx. §. 8. (G)


COMPLIMENTS. m. (Morale) discours par lequel on témoigne de vive voix ou par écrit à quelqu'un l'estime qu'on a pour lui, ou la part que l'on prend à quelque chose d'intéressant qui lui arrive. C'est ordinairement, ou une fadeur, ou une inutilité, ou un mensonge ; ce qui n'empêche pas que ce ne soit quelquefois un devoir. (O)


COMPLIMENTAIRES. m. terme de Commerce : on appelle quelquefois le complimentaire d'une société, celui des associés sous le nom duquel se fait tout le commerce de la société. Voyez SOCIETE. Diction. du Comm. & de Trév.


COMPLIQUÉadj. (Gramm.) il se dit en général de tout ce qui contient un grand nombre de rapports, qu'il est difficile d'embrasser & de concevoir distinctement. Il y a cette différence entre une affaire délicate & une affaire compliquée, que les rapports de la premiere peuvent être en petit nombre, au lieu que ceux de la seconde sont nécessairement en grand nombre.


COMPOIXS. m. (Hist. mod.) synonyme à cadastre : c'est en Languedoc & en Provence l'état des fonds de chaque communauté, avec leur estimation, leur qualité, & les noms de ceux qui les tiennent.


COMPONCTIONterme de Théologie, douleur qu'on a dans l'ame d'avoir offensé Dieu. Voyez CONTRITION.

La confession n'est bonne que quand on a un vif repentir, une grande componction de coeur. Voyez CONFESSION.

Componction, dans la vie spirituelle, a une signification plus étendue ; elle se prend non-seulement pour la douleur qu'on a d'avoir offensé Dieu, mais aussi pour un sentiment pieux de douleur, de tristesse, de dégoût, qui a différens motifs. Les miseres de la vie, le danger où l'on est de se perdre dans le monde, l'aveuglement des mondains, sont pour les gens de bien des sujets de componction. Trév. & Chamb. (G)


COMPONÉadj. terme de Blason. On dit une bordure componée, de celle qui est formée ou composée d'un rang de parties angulaires, ou qui est échiquetée de deux couleurs.

Componé se dit aussi généralement d'une bordure, d'un pal, ou d'une fasce composée de deux différentes couleurs ou émaux disposés alternativement, séparés & divisés par des filets, excepté dans les coins, où les jonctions ont la figure d'un pié de chevre.

La bordure de Bourgogne & la bande de Vallin sont componées : la bordure de Seve est contre-componée, parce que leur écu étant fascé d'or & de sable, & la bordure componée de même, les compons d'or répondent aux faces de sable, & ceux de sable aux faces d'or.

Vallin en Dauphiné, de gueules à la bande componée d'argent & d'azur. (V)


COMPONENDES. f. (Jurisprud.) est une espece de composition ou taxe que l'on paye à la chambre apostolique de Rome pour certains actes, tels que les dispenses de mariage, les unions, suppressions, érections, coadjutoreries, pensions sans causes, les absolutions & nouvelles provisions, & généralement pour tout ce qui procede de fruits mal perçûs par ceux qui ont joüi sans titre légitime des bénéfices, & qui n'ont pû en gagner les fruits, comme sont les confidentiaires. Mais cette prétention de la cour de Rome sur les fruits mal perçûs n'est point reconnue en France ; car le pape n'a pas le pouvoir d'appliquer à la chambre apostolique les fruits des bénéfices de ce royaume, & l'on n'y souffre point que les intrus, les confidentiaires, les simoniaques, & autres qui ont joüi des fruits sans titre légitime, en composent au préjudice des églises auxquelles ils sont tenus de les restituer, pour être employés aux ornemens & aux réparations.

Outre ces matieres de grace, absolutions, ou restitutions sujettes à la taxe des componendes, la plus grande partie des abbayes consistoriales paye la troisieme partie de la taxe qui est dans les livres de la chambre, lorsque les parties ne peuvent ou ne veulent pas les faire passer par le consistoire.

Amidenius, de stylo dat. cap. xviij. dit qu'Alexandre VI. a été le premier auteur des componendes, & qu'il avoit vû une lettre d'Isabelle & de Ferdinand roi d'Espagne, où ils se plaignoient de cette nouvelle charge, à laquelle ils se sont néanmoins ensuite soûmis.

Il y a à la daterie un office ou bureau des componendes ; c'est le lieu où l'on compose, c'est-à-dire où l'on regle les taxes appellées de ce nom. Celui qui exerce cet office s'appelle de dépositaire, ou trésorier, ou préfet des componendes : c'est un officier dépendant du dataire, dont l'emploi est de recevoir les sommes taxées pour les matieres sujettes à componende : il avoit été créé en titre perpétuel par le pape Pie V. mais il fut depuis supprimé pour être exercé par un officier amovible. Il est du devoir des reviseurs de la daterie, lorsque les suppliques qui passent par leurs mains sont sujettes à componende, de mettre au bas de la supplique un C, pour marquer qu'il est dû componende, auquel cas il faut les porter à l'office des componendes. Voyez la pratique de cour de Rome de Castel, tom. I. page 49. & suiv. & pag. 242. (A)


COMPOSÉ(ETRE) Métaphysique ; c'est celui qui a plusieurs parties distinctes l'une de l'autre. Le corps humain est un composé, dont les parties sont la tête, le tronc, &c. Chaque membre est à son tour un composé ; la tête des yeux, du nez, &c. & cette analyse peut être poussée tant qu'il reste des parties distinctes dans celle que l'on considere.

Chaque être composé est un tout, dont l'essence consiste dans la maniere dont certaines parties données sont liées entr'elles. Il faut d'abord certaines parties, doüées de telles ou telles qualités. On ne sauroit faire une maison avec de l'air, de l'eau, & du feu ; il faut des pierres, des briques, & d'autres matériaux convenables : mais ces matériaux étant donnés, pour achever de déterminer l'essence d'une maison, il s'agit de les arranger d'une certaine maniere ; car d'autres assemblages produiroient des ouvrages différens d'une maison. De même l'essence du triangle consiste d'abord en trois lignes ; plus ou moins ne feroient pas cette figure : mais de plus ces trois lignes doivent être disposées d'une certaine façon qui complete l'essence du triangle ; laquelle comme toutes celles des êtres composés, consiste donc & dans la qualité des parties, & dans leur liaison. Ainsi ce n'est pas assez pour connoître l'essence d'un composé, de ne savoir que l'une ou l'autre de ces choses. Celui qui voit toutes les pieces d'une montre étalées, ignore l'essence de la montre, s'il ne sait pas comment ces pieces s'ajustent & influent l'une sur l'autre ; tout de même que celui qui voit la montre montée & en mouvement, en ignore l'essence, s'il n'est pas instruit des différentes parties qui la composent.

C'est donc dans ces deux choses, savoir la qualité des parties & leur combinaison, que consiste la raison de tout ce qui convient au composé. C'est par la nature des pieces d'un moulin, & par la structure de cette machine, qu'on explique comment le blé peut y être réduit en farine, & la farine être séparée du son. C'est de même par les parties du corps humain, des animaux, des plantes, & par leur structure, qu'on rend raison de ce qui se passe dans ces corps organisés.

Les êtres composés sont semblables, si les parties & l'arrangement des parties se ressemblent ; ils sont dissemblables, soit que les parties different, soit que l'arrangement varie.

Les genres & les especes des composés se déterminent par les qualités des parties, & par leur liaison. Les quadrupedes, par exemple, ont les mêmes parties : mais les qualités de ces parties, longueur, grosseur, couleur, &c. servent à les distinguer.

Un être composé est produit, & passe de la simple possibilité à l'acte, sans qu'aucune création intervienne ; il est détruit sans anéantissement, car les composés ne sont que des assemblages des parties qui existent également avant la naissance & après la destruction du composé. Il y a une circulation perpétuelle dans la nature, & il ne s'y perd pas le moindre atome de substance. Génération & corruption ne sont que des variations de la scene du monde, qui font paroître les choses sous diverses apparences, mais qui laissent toûjours subsister la même quantité de substance réelle. Article de M. FORMEY.

COMPOSE, adj. (Arithmét.) On dit qu'un nombre est composé, quand il peut être mesuré ou divisé exactement, & sans reste, par quelque nombre différent de l'unité : tel est le nombre 12, qui peut être mesuré ou divisé par 2, 3, 4, 6.

Les nombres composés entr'eux sont ceux qui ont quelque mesure commune différente de l'unité : comme les nombres 12 & 15, dont l'un & l'autre peut être exactement mesuré ou divisé par 3. Chambers (E)

Au reste cette dénomination est peu en usage. On se sert plus communément des expressions suivantes : tel nombre a des diviseurs, ou n'est pas un nombre premier ; ces deux nombres ont un diviseur commun. Voyez NOMBRE, PREMIER, DIVISEUR.

La raison composée est celle qui résulte du produit des antécédens de deux ou de plusieurs raisons, & de celui de leurs conséquens.

Ainsi 6 est à 12 en raison composée de 2 à 6, & de 3 à 2. Voyez ANTECEDENT, CONSEQUENT, PROPORTION. (O)

COMPOSE, en Méchanique ; mouvement composé, est le mouvement résultant de l'action de plusieurs puissances concourantes ou conspirantes. Voy. PUISSANCE.

On dit que des puissances conspirent ou concourent, lorsque la direction de l'une n'est pas directement opposée à celle de l'autre ; comme lorsqu'on conçoit qu'un point se meut le long d'une ligne horisontale qui se meut elle-même verticalement. Voy. à l'article COMPOSITION DU MOUVEMENT, les lois du mouvement composé.

Tout mouvement dans une ligne courbe est composé ; car un corps tend de lui-même à se mouvoir en ligne droite, & il se meut en effet de cette maniere tant que rien ne l'en détourne : par conséquent pour qu'il se meuve en ligne courbe, il faut nécessairement qu'il soit poussé au moins par deux forces à chaque point de cette courbe. Voyez FORCE CENTRALE & MOUVEMENT.

Tout le monde sait ce théorème de Méchanique, que dans un mouvement composé uniforme, la puissance unique produite par les puissances concourantes, est à chacune de ces puissances séparément, comme la diagonale d'un parallélogramme, dont chaque côté exprime la direction & l'énergie de chaque puissance, est à chacun de ces côtés. Voy. MOUVEMENT & DIAGONALE. (O)

COMPOSE, (pendule) en Méchanique, signifie celui qui consiste en plusieurs poids, conservant constamment la même position entr'eux & la même distance au centre du mouvement, autour duquel ils font leurs vibrations. Ainsi une verge AB (figure 22. Méch.) chargée de plusieurs poids B, H, F, D, qui sont attachés à cette verge, est un pendule composé, & tous les pendules sont réellement de cette nature : car dans un pendule même qui paroît simple, c'est-à-dire composé d'une verge & d'un seul poids, toutes les particules de la verge sont chacune autant de poids placés à différentes distances du centre de suspension ; & le poids même qui est attaché au bout n'étant pas infiniment petit, est un composé de plusieurs petits poids, dont les distances au centre de suspension sont réellement différentes. Le problème des centres d'oscillation consiste à trouver les vibrations d'un pendule composé. Voyez OSCILLATION. (O)

COMPOSE & COMPOSITION, (Pharmacie) on nomme médicament composé ou composition, tout remede à la préparation duquel on a employé plusieurs drogues.

Les médicamens composés sont ou officinaux ou magistraux.

Le plus grand nombre de préparations officinales sont des compositions. Les électuaires, les confections, les pilules, les emplâtres, &c. sont toûjours des médicamens composés ; & les Apothicaires préparent des médicamens composés dans toutes les formes sous lesquelles ils conservent leurs préparations simples : ainsi ils ont des sirops composés, des eaux distillées composées, des poudres composées, &c. comme des sirops simples, des eaux simples, des poudres simples, &c. Voyez SIROP, POUDRE, EAU DISTILLEE, VIN, EXTRAIT, MPLE (Pharmacie,) &c) &c.

Le mot composé s'employe surtout en Pharmacie, par opposition au mot simple, pour désigner une préparation pharmaceutique, qui porte le nom d'une des drogues qui entrent dans sa composition ; lorsqu'il existe dans l'art une autre préparation, dont la même drogue fait l'unique ingrédient médicamenteux. C'est ainsi qu'on appelle sirop de guimauve composé, un sirop dans lequel, outre la guimauve, entrent aussi plusieurs racines, feuilles, semences, &c. & qu'on le distingue par cette dénomination du sirop de guimauve simple, dans la préparation duquel on n'employe que la guimauve.

On n'ajoûte pas l'épithete de composé au nom des préparations composées, lorsqu'il n'en existe point de simple dans l'art ; c'est pour cela qu'on ne dira point sirop de karabé composé, quoique le sirop qu'on connoît en Pharmacie sous le nom de sirop de karabé, soit composé.

Au reste, il faut observer qu'on ne compte point au nombre des drogues, dont la pluralité constitue la qualité de composé ; qu'on ne compte point, dis-je, celle qui sert d'excipient, celle qui fait l'assaisonnement, celle à laquelle est dûe l'aromatisation ou la coloration dans les préparations aromatisées ou colorées ; on n'a égard qu'à la drogue qui constitue ou qui est censée constituer la vertu du remede : ainsi on peut avoir des sirops simples, quoiqu'on ait besoin nécessairement d'eau & de sucre pour mettre un médicament sous cette forme, &c.

Les juleps, les potions, les mixtures, les apozemes, les bouillons médicamenteux, &c. sont des compositions magistrales. Voyez la méthode générale de procéder aux compositions officinales, aux articles MIXTION (Pharmacie), & DISPENSATION ; & les regles que le medecin doit observer en prescrivant les compositions magistrales, au mot FORMULE (Pharmacie).

L'usage général d'employer dans le traitement des maladies des remedes presque toûjours composés, est sans contredit un des principaux obstacles aux progrès de cette partie de la Médecine qui s'occupe de la vertu des médicamens. Il ne seroit pourtant pas sage de vouloir les abandonner absolument pour n'employer que les remedes simples, puisque l'observation est favorable à beaucoup de ces remedes composés, & que nous ne savons pas assez comment leurs différens ingrédiens se modifient entr'eux, pour oser prononcer qu'une certaine drogue simple pouvoit produire le même effet médicinal, qu'une certaine composition. Ainsi quoiqu'il soit évident que c'est à l'ignorance, au préjugé, à la charlatanerie, que nous devons la thériaque, le diascordium, les potions purgatives, les apozemes composés, &c. tant que l'observation raisonnée ne nous aura pas fourni de remedes simples plus efficaces, ou au moins également efficaces, il faudra s'en tenir aux remedes composés que l'observation empyrique aura déclaré bons. (b)

COMPOSE ; quantités composées, en Algebre, se dit de l'assemblage de plusieurs quantités liées ensemble par les signes + & - : ainsi a + b - c & bb - ac, sont des quantités composées.

On les appelle autrement quantités complexes ou multinomes, pour les distinguer des quantités simples ou monomes, lesquelles ne consistent que dans un terme. Voyez MONOME & MULTINOME. (O)

COMPOSEES DE SIMPLES, glandes composées de simples, en Anatomie, sont celles dans lesquelles plusieurs conduits concourent à la sortie de leur follicule, comme des rameaux veineux, dans un grand conduit excréteur commun à plusieurs follicules. On peut rapporter à ce genre les glandes intestinales, le trou borgne. Voyez SECRETION. (L)


COMPOSERv. act. qui désigne l'action qu'on appelle composition. Voy. COMPOSITION. Il ne s'applique guere qu'aux productions des Arts qui supposent de l'invention & du génie ; tels que les beaux Arts, la Peinture, la Sculpture, la Méchanique, &c.

COMPOSER, (Comm.) assembler plusieurs parties pour faire un corps, plusieurs sommes pour en faire un total.

On dit, dans le style marchand, composer la cargaison d'un vaisseau, composer le fond d'une boutique, composer une facture ; pour désigner l'assemblage ou l'assortiment des diverses marchandises dont on charge un vaisseau, dont on fait le fonds d'une boutique ; & de même, les marchandises que l'on comprend dans un état ou mémoire, que les marchands appellent facture.

Composer de ses dettes avec ses créanciers, ou passer avec eux un contrat, faire un accommodement, en obtenir une remise, ou du tems pour payer.

Composer une somme totale, soit de la recette, soit de la dépense, soit du finito d'un compte, en termes de teneur de livres, c'est ajoûter ensemble les sommes qui font toutes les parties d'un compte, les calculer, & par diverses opérations arithmétiques voir à quoi toutes ces choses se montent. Dictionn. de Comm. de Trév. & de Chamb.


COMPOSITEterme d'Architect. Voyez ORDRE.


COMPOSITEURS. m. (Jurisp.) amiable compositeur, est celui qui est choisi par les parties pour juger leur différend, ou pour le terminer à l'amiable selon l'équité, sans être astreint aux rigueurs du droit ni de la forme, à la différence de l'arbitre qui doit juger selon les lois. Voyez ARBITRE & ARBITRATEUR. (A)

COMPOSITEUR : quoique composition se dise dans tous les Arts libéraux, compositeur ne se dit guere qu'en Musique & en Imprimerie ; c'est celui qui compose ou qui fait la composition. Voyez au mot COMPOSITION, une esquisse des connoissances nécessaires pour savoir composer. Ce n'est pas encore assez pour faire le bon compositeur. Toute la science possible ne suffit point, sans le génie qui la met en oeuvre : quelque effort que l'on puisse faire, il faut être né pour cet art ; autrement on n'y fera jamais rien que de médiocre. Il en est du compositeur comme du poëte, si son astre en naissant ne l'a formé tel :

S'il n'a reçu du ciel l'influence secrette ;

Pour lui Phoebus est sourd, & Pégase est rétif.

Ce que j'entens par génie, n'est point ce goût bizarre & capricieux qui seme par-tout le baroque & le difficile, & qui ne sait embellir ou varier l'harmonie qu'à force de bruit ou de dissonnances, c'est ce feu intérieur qui inspire sans-cesse des chants nouveaux & toûjours agréables ; des expressions vives, naturelles & qui vont au coeur ; une harmonie pure, touchante, majestueuse. C'est ce divin guide qui a conduit Corelli, Vinci, Hasse, Gluck & Rinaldo di Capua dans le sanctuaire de l'harmonie ; Leo Pergolese & Terradellas dans celui de l'expression & du beau chant. (S)

C'est lui qui inspira Lulli dans l'enfance de la musique, & qui brille encore en France dans les opéras de M. Rameau, à qui nos oreilles ont tant d'obligation. (O)

COMPOSITEUR, dans la pratique de l'Imprimerie, s'entend de l'ouvrier qui travaille uniquement à l'arrangement des caracteres, c'est-à-dire à la casse, dans laquelle il leve, les unes après les autres, ce nombre prodigieux de lettres dispersées dans les différens cassetins, dont l'assemblage dirigé suivant la copie & suivant le format desiré, donne les formes ou planches destinées à être imprimées.


COMPOSITIONen Rhétorique, s'entend de l'ordre & de la liaison que doit mettre l'orateur dans les parties d'un discours.

C'est à la composition qu'appartient l'art d'assembler & d'arranger les mots dont le style est formé, & qui servent à le rendre coulant, leger, harmonieux, vif, &c. D'elle aussi dépend l'ordre que les matieres doivent garder entr'elles, suivant leur nature & leur dignité ; conformément à ce précepte d'Horace commun à l'Eloquence & à la Poésie :

Singula quaeque locum teneant sortita decenter.

La grande regle imposée par Cicéron aux orateurs, quant au choix & à la distribution des parties du discours & des moyens propres à persuader, c'est d'y observer une sorte de gradation en commençant par les choses moins importantes, & en s'élevant successivement jusqu'à celles qui doivent faire le plus d'impression : semper augeatur & crescat oratio. Voyez PERIODE & DISCOURS. (G)

COMPOSITION, en Arithmétique : supposons que l'on ait deux rapports tels, que l'antécédent du premier soit à son conséquent, comme l'antécédent du second est à son conséquent ; alors on saura par composition de raison, que la somme de l'antécédent & du conséquent du premier rapport, est à l'antécédent ou au conséquent du même rapport, comme la somme de l'antécédent & du conséquent du second rapport à l'antécédent, ou au conséquent du même rapport.

Par exemple, si A : B : : C : D, on aura par composition de raison cette autre proportion A + B : A ou B : : C + D : C ou D. (O)

COMPOSITION DU MOUVEMENT est la réduction de plusieurs mouvemens à un seul. La composition du mouvement a lieu lorsqu'un corps est poussé ou tiré par plusieurs puissances à-la-fois. Voyez MOUVEMENT. Ces différentes puissances peuvent agir toutes suivant la même direction, ou suivant des directions différentes ; ce qui produit les lois suivantes.

Si un point qui se meut en ligne droite est poussé par une ou plusieurs puissances dans la direction de son mouvement, il se mouvra toûjours dans la même ligne droite : sa vîtesse seule changera, c'est-à-dire augmentera ou diminuera toûjours en raison des forces impulsives. Si les directions sont opposées, par exemple, si l'une tend em-bas & l'autre en-haut ; la ligne de tendance du mouvement sera cependant toûjours la même. Mais si les mouvemens composans, ou, ce qui est la même chose ; les puissances qui les produisent n'ont pas une même direction, le mouvement composé n'aura aucune de leurs directions particulieres, mais en aura une autre toute différente qui sera dans une ligne ou droite ou courbe, selon la nature & la direction particuliere des différens mouvemens composans.

Si les deux mouvemens composans sont toûjours uniformes, quelque angle qu'ils fassent entr'eux, la ligne du mouvement composé sera une ligne droite, pourvû que les mouvemens composans fassent toûjours le même angle. Il en est de même, si les mouvemens ne sont point uniformes, pourvû qu'ils soient semblables, c'est-à-dire qu'ils soient accélérés ou retardés en même proportion, & pourvû qu'ils fassent toûjours le même angle entr'eux.

Ainsi si le point a (Planche de Méchanique, fig. 6.) est poussé par deux forces de directions différentes, savoir en-haut vers b, & en-avant vers d ; il est clair que quand il aura été en-avant jusqu'en c, il devra nécessairement être monté jusqu'au point c de la ligne c e ; desorte que si les mouvemens, suivant a d & a b, étoient uniformes, il se mouvroit toûjours dans la diagonale a e c. Car comme les lignes a i, i e, sont toûjours en proportion constante, & que par l'hypothese le mouvement, suivant a d, & le mouvement perpendiculaire à celui-ci, sont tous deux uniformes ; il s'ensuit que les lignes a i, i e, seront parcourues dans le même tems ; & qu'ainsi tandis que le point a parcourra a i par un de ses mouvemens, il parcourra en vertu de l'autre mouvement la ligne c i. D'où il s'ensuit qu'il se trouvera successivement sur tous les points e de la diagonale : & que par conséquent il parcourra cette ligne.

Dans la fig. 6. on a fait les lignes a i, i e, égales entr'elles, c'est-à-dire qu'on a supposé que non-seulement les mouvemens étoient uniformes, mais encore qu'ils étoient égaux. Cependant la démonstration précédente auroit toûjours lieu, quand même les mouvemens, suivant a d & a b, ne seroient point égaux, pourvû que ces mouvemens fussent uniformes, ou du moins qu'ils gardassent toûjours entre eux la même proportion. Par exemple, si le mouvement, suivant a d, est double du mouvement suivant a b au commencement, le point a parcourra toûjours la diagonale a c, quelque variation qu'il arrive dans chacun des mouvemens, suivant a d & a b, pourvû que le premier demeure toûjours doublé du second.

De plus, il est évident que la diagonale a c sera parcourue dans le même tems que l'un des côtés a d ou a b auroit été parcouru, si le point a n'avoit eu qu'un seul des deux mouvemens. Si un corps est poussé à-la-fois par plus de deux forces, par exemple par trois, on cherche d'abord le mouvement composé qui résulte de deux de ces forces ; ensuite regardant ce mouvement composé comme une force unique, on cherche le nouveau mouvement composé qui résulte de ce premier mouvement & de la troisieme force. Par-là on a le mouvement composé qui résulte des trois forces.

S'il y avoit quatre forces au lieu de trois, il faudroit chercher le mouvement composé de la quatrieme force & du second mouvement composé, & ainsi des autres.

Mais si les mouvemens composans ne gardent pas entr'eux une proportion constante, le point a décrira une courbe par son mouvement composé.

Si un corps comme b (fig. 5.) est poussé ou tiré par trois différentes forces dans trois différentes directions b a, b c, b d, desorte qu'il ne cede à aucune, mais qu'il reste en équilibre ; alors ces trois forces ou puissances seront entr'elles comme trois lignes droites paralleles à ces lignes, terminées par leur concours mutuel, & exprimant leurs différentes directions, c'est-à-dire que ces trois puissances seront entr'elles comme les lignes b e, b c & b d.

Voilà des principes généraux dont tous les Méchaniciens conviennent. Ils ne sont pas aussi parfaitement d'accord sur la maniere de les démontrer. Il est certain qu'un corps poussé par deux forces uniformes, qui ont différentes directions & qui agissent continuellement sur lui, décrit la diagonale d'un parallélogramme formé sur les directions de ces forces ; car le point a, par exemple, étant poussé continuellement, suivant a d & suivant a b, ou plûtôt suivant des directions paralleles à ces deux lignes, il est dans le même cas que s'il étoit sur une regle a d qu'il parcourût d'un mouvement uniforme, tandis que cette regle a d se mouvroit toûjours parallelement à elle-même, suivant d c ou a b.

Or dans cette supposition, on démontre sans peine que le point a décrit la diagonale a c. Mais lorsque le point a reçoit une impulsion suivant a d, & une autre en même tems suivant a b, & que les forces qui lui donnent ces impulsions l'abandonnent tout-à-coup, il n'est pas alors aussi facile de démontrer en toute rigueur que ce point a décrit la diagonale a c. Il est vrai que presque tous les auteurs ont voulu réduire ce second cas au premier, & il est vrai aussi qu'il doit s'y réduire. Mais on ne voit pas, ce me semble, assez évidemment l'identité de ces deux cas pour la supposer sans démonstration. On peut prouver qu'ils reviennent au même, de la maniere suivante. Supposons que les deux puissances agissent sur le point a durant un certain tems, & qu'elles l'abandonnent ensuite, il est certain que durant le premier tems il décrira la diagonale, & qu'étant abandonné par ces puissances, il tendra de même à la décrire, & continuera à s'y mouvoir avec un mouvement uniforme, soit que le tems pendant lequel elles ont agi, soit long ou court. Ainsi puisque la longueur du tems pendant lequel les puissances agissent, ne détermine rien ni dans la direction du mobile, ni dans le degré de son mouvement, il s'ensuit qu'il décrira la diagonale dans le cas même où il n'auroit reçû des deux puissances qu'une impulsion subite.

M. Daniel Bernoulli a donné dans le premier volume des mémoires de l'académie de Petersbourg, une dissertation où il démontre la composition des mouvemens par un assez long appareil de propositions. Comme il s'est proposé de la démontrer d'une maniere absolument rigoureuse, on doit moins être surpris de la longueur de sa démonstration. Cependant il semble que le principe dont il s'agit étant un des premiers de la Méchanique, il doit être fondé sur des preuves plus simples & plus faciles ; car telle est la nature de presque toutes les propositions dont l'énoncé est simple.

L'auteur du traité de Dynamique, imprimé à Paris en 1743, a aussi essayé de démontrer en toute rigueur le principe de la composition des mouvemens. C'est aux savans à décider s'il a réussi.

Sa méthode consiste à supposer que le corps soit sur un plan, & que ce plan puisse glisser entre deux coulisses par un mouvement égal & contraire à l'un des mouvemens composans, tandis que les deux coulisses emportent le plan par un mouvement égal & contraire à l'autre mouvement composant. Il est facile de voir que le corps dans cette supposition demeure en repos dans l'espace absolu. Or il n'y demeureroit pas, s'il ne décrivoit la diagonale. Donc, &c. On peut voir ce raisonnement plus développé dans l'ouvrage que nous venons de citer. Pour lui donner encore plus de force, ou plûtôt pour ôter tout lieu à la chicane, il n'y a qu'à supposer que la ligne que le corps décrit en vertu des deux forces composantes, soit tracée sur le plan en forme de rainure ; en ce cas il arrivera de deux choses l'une ; ou cette rainure sera la diagonale même, & en ce cas il n'y a plus de difficulté ; ou si elle n'est pas la diagonale, on n'aura nulle peine à concevoir comment les parois de la rainure agissent sur le corps & lui communiquent les deux mouvemens du plan pour chaque instant ; d'où l'on conclura par le repos absolu dans lequel le corps doit être, que cette rainure sera la diagonale même. C'est d'ailleurs une supposition très-ordinaire, que d'imaginer un corps sur un plan qui lui communique du mouvement, & qui l'emporte avec lui.

Au reste, les lois de la composition des forces suivent celles de la composition des mouvemens, & on en déduit aussi les lois de l'équilibre des puissances. Par exemple, que b e (fig. 5.) représente la force avec laquelle le corps b est poussé de b vers a, alors la même ligne droite b e représentera la force contraire égale, par laquelle il doit être poussé de b vers e pour rester en repos ; mais par ce qui a été dit ci-dessus, la force b e se peut résoudre dans deux forces agissantes, selon les deux directions b d & b c ; & sa force poussant de b vers e, est à ces forces comme b e est à b d, & à b c ou d e respectivement. Donc les deux forces qui agissent suivant les directions b d, b c, seront équivalentes à la force agissant suivant la direction b a, & elles seront à cette force agissant selon la direction b a comme b d, b c, sont à b a ; c'est-à-dire que si le corps est poussé par trois différentes puissances dans les directions b a, b d, b c, lesquelles fassent équilibre entr'elles, ces trois forces seront l'une à l'autre respectivement comme b a, b d, & b e ou b c. Ce théorème & ses corollaires servent de fondement à toute la méchanique de M. Varignon, & on en peut déduire immédiatement la plûpart des théorèmes méchaniques de Borelli, dans son traité de motu animalium, & calculer d'après ce théorème la force des muscles. (O)

COMPOSITION, (Hist. & droit des Barbar.) satisfaction, stipulation qui se faisoit chez les nations barbares par une convention réciproque entre les parens de la personne offensée & ceux de l'offenseur.

Cette satisfaction regardoit celui qui avoit été offensé, s'il pouvoit la recevoir ; & les parens, si l'injure ou le tort leur étoit commun, ou si par la mort de celui qui avoit été offensé la composition leur étoit dévolue.

Tacite en parle dans les moeurs des Germains, de même que la loi des Frisons, qui laissoit le peuple, pour ainsi dire, dans l'état de nature, & où chaque famille pouvoit à sa fantaisie exercer sa vengeance, jusqu'à ce qu'elle eût été satisfaite par la composition.

Depuis, les sages des nations barbares mirent un prix juste à la composition que devoit recevoir celui à qui on avoit fait quelque tort ou quelqu'injure, & leurs lois y pourvûrent avec une exactitude admirable.

La principale composition étoit celle que le meurtrier devoit payer aux parens du mort. La différence des conditions en mettoit une dans les compositions : ainsi dans la loi des Angles, la composition étoit de six cent sous pour la mort d'un adalingue, de deux cent pour celle d'un homme libre, & de trente pour celle d'un serf. Il semble que dans notre façon de penser nous ayons retenu quelque chose de cette loi. La grandeur de la composition établie sur la tête d'un homme constituoit donc une de ses grandes prérogatives ; car outre la distinction qu'elle faisoit de sa personne, elle établissoit pour lui parmi des nations violentes une plus grande sûreté.

Toutes ces compositions étoient à prix d'argent ou de denrées, dont la loi arbitroit même la valeur : ce qui explique comment avec si peu d'argent il y avoit chez les peuples barbares tant de peines pécuniaires. Ces lois s'attacherent à marquer avec précision la différence des torts, des injures, des crimes, afin que chacun connût au juste le montant de la composition qu'il devoit avoir, & qu'il n'en reçût pas davantage. Dans ce point de vûe, celui qui se vengeoit après la satisfaction reçûe, commettoit un grand crime. Un autre crime étoit de ne vouloir point faire la satisfaction. Nous voyons dans divers codes des lois de ces peuples, que les législateurs y obligeoient absolument.

Il auroit été injuste d'accorder une composition aux parens d'un voleur tué dans l'action du vol, ou à ceux d'une femme qui avoit été renvoyée après une séparation pour crime d'adultere. La loi des Bavarois ne donnoit point de composition dans des cas pareils, & punissoit les parens qui en poursuivoient la vengeance.

Il n'est pas rare de trouver dans leurs codes des compositions pour des actions involontaires. La loi des Lombards est presque toûjours sensée ; elle vouloit que dans ce cas on composât suivant sa générosité, & que les parens ne pussent plus poursuivre la vengeance.

Clotaire II. fit un decret très-sage : il défendit à celui qui avoit été volé de recevoir sa composition en secret, & sans l'ordonnance du juge. Voici la raison de cette derniere partie de la loi qui requéroit l'ordonnance du juge.

Il arriva par laps de tems, qu'outre la composition qu'on devoit payer aux parens pour les meurtres, les torts, ou les injures, il fallut payer en outre un certain droit que les codes des lois des Barbares appellent fredum, c'est-à-dire, autant qu'on peut rendre ce mot dans nos langues modernes, une récompense de la protection accordée contre le droit de vengeance.

Quand la loi ne fixoit pas ce fredum, il étoit ordinairement le tiers de ce qu'on donnoit pour la composition, comme il paroît dans la loi des Ripuaires ; & c'étoit le coupable qui payoit ce fredum, lequel étoit un droit local pour celui qui jugeoit dans le territoire. La grandeur du fredum se proportionna à la grandeur de la protection ; cela étoit tout simple : ainsi le droit pour la protection du roi fut plus grand que le droit accordé pour la protection du comte ou des autres juges.

On voit déjà naître ici la justice des seigneurs. Les fiefs comprenoient de grands territoires ; ceux qui obtinrent des fiefs, en obtinrent tous les émolumens possibles ; & comme un des plus grands étoit les profits judiciaires, freda, celui qui avoit le fief avoit aussi la justice, c'est-à-dire le soin de faire payer les compositions de la loi, & sur-tout celui d'en exiger les amendes. Ainsi les compositions ont produit par filiation les justices des seigneurs.

Ensuite les églises ayant acquis des biens très-considérables, firent aussi payer les droits des compositions dans leurs fiefs ; c'est encore ce qu'on devine sans-peine : & comme ces droits emportoient nécessairement celui d'empêcher les officiers royaux d'entrer dans leurs territoires pour exiger ces freda, le droit qu'eurent les ecclésiastiques de rendre la justice dans leurs domaines, fut appellé immunité dans le style des formules, des chartes, & des capitulaires. Voilà donc encore l'origine des immunités ecclésiastiques ; & je n'en dirai pas davantage, sinon que cet article est extrait de l'esprit des lois, livre où l'auteur dégage perpétuellement des inconnues, & en trouve la valeur par des grandeurs connues. Art. de M(D.J.)

COMPOSITION, (Jurisprud.) signifie dans cette matiere, accord, transaction, remise, diminution. Il est parlé dans plusieurs anciennes ordonnances de compositions faites avec des officiers qui avoient malversé dans leurs offices, & avec ceux qui avoient contrevenu aux ordonnances sur le fait des monnoies, au moyen de quoi ils ne pourroient plus être inquiétés à ce sujet. Le réglement de Charles V. du mois de Septembre 1376, défend aux officiers des eaux & forêts de plus faire de compositions dans les procès pendans devant eux, & leur ordonne de les juger conformément aux lois. Il y a aussi des lettres de remission, du mois de Septembre 1374, accordées au maître particulier de S. Aventin, qui avoit malversé dans son office, après que par composition faite avec les gens du grand-conseil du roi & les généraux des maîtres des monnoies, il eut promis de payer mille livres au roi. Ordonn. de la troisieme race, VI. vol. On voit par-là que le terme de composition signifie quelquefois une amende qui n'est point décernée en jugement, mais dont celui qui est en faute convient en quelque sorte à l'amiable.

COMPOSITIONS DE RENTES, à tems, à vie, à héritage, ou à volonté. Cette expression se trouve dans une ordonnance de Charles V. du dernier Février 1378, & paroît signifier un acte par lequel une personne à laquelle il est dû une rente, consent de perdre une partie du fonds ou des arrérages.

Composition signifie aussi quelquefois une espece d'imposition qui a été concertée avec les habitans d'une province ou d'une ville, ou certains impôts pour lesquels on avoit la liberté de s'abonner. Il en est parlé comme d'une imposition en général, dans l'ordonnance de Charles V. du 2 Juin 1380. (A)

COMPOSITION, en Musique ; c'est l'art d'inventer & noter des chants, de les accompagner d'une harmonie convenable, & de faire en un mot une piece de musique complete avec toutes ses parties.

La connoissance de l'harmonie & de ses regles, est le fondement de la composition ; mais elle ne suffit pas pour y réussir : il faut outre cela bien connoître la portée & le caractere des voix & des instrumens ; les chants qui sont de facile ou difficile exécution ; ce qui fait de l'effet & ce qui n'en fait pas ; sentir le caractere des différentes mesures, celui des différentes modulations, pour appliquer toûjours l'une & l'autre à-propos ; savoir toutes les regles particulieres que le goût a établies, comme les fugues, les imitations, les canons, les basses-contraintes (voyez ces mots) ; & enfin être capable de saisir ou de former l'ordonnance de tout un ouvrage, d'en suivre les nuances, & de se remplir en quelque maniere de l'esprit du poëte, sans s'amuser à courir après les mots. C'est avec raison que nos musiciens ont donné le nom de paroles aux poëmes qu'ils mettent en chant. On voit bien en effet par leur maniere de les rendre, que ce ne sont pour eux que des paroles.

Les regles fondamentales de la composition sont toûjours les mêmes ; mais elles reçoivent plus ou moins d'extension ou de relâchement, selon le nombre des parties : car à mesure qu'il y a plus de parties, la composition devient plus difficile, & les regles sont aussi moins séveres. La composition à deux parties s'appelle duo, quand les deux parties chantent également, & que le sujet (voyez ce mot) est partagé entr'elles. Que si le sujet est dans une partie seulement, & que l'autre ne fasse qu'accompagner, on appelle alors la premiere récit, ou solo, & l'autre accompagnement, ou basse-continue si c'est une basse. Il en est de même du trio ou de la composition à trois parties, du quatuor, du quinque, &c. Voyez ces mots.

On compose, ou pour les voix seulement, ou pour les seuls instrumens, ou pour les instrumens & les voix. Les chansons sont les seules compositions qui ne soient que pour les voix ; encore y joint-on souvent quelqu'accompagnement pour les soûtenir. Voyez ACCOMPAGNEMENT. Les compositions instrumentales sont pour un choeur d'orchestre, & alors elles s'appellent symphonies, concerto ; ou pour quelqu'espece particuliere d'instrument, & elles s'appellent sonates. Voyez ces mots.

Quant aux compositions destinées pour les voix & pour les instrumens, elles se divisent parmi nous en deux especes principales ; savoir musique latine ou musique d'église, & musique françoise. Les musiques destinées pour l'église, soit pseaumes, hymnes, antiennes, répons, portent le nom générique de motets. Voyez ce mot. La musique françoise se divise encore en musique de théatre, comme nos opéra, & en musique de chambre, comme nos cantates ou cantatilles. Voyez aussi les mots CANTATE, OPERA, &c. En général la musique latine demande plus de science de composition ; la musique françoise, plus de génie & de goût. Voyez COMPOSITEUR. (S)

* COMPOSITION, en Peinture, c'est la partie de cet art qui consiste à représenter sur la toile un sujet quel qu'il soit, de la maniere la plus avantageuse. Elle suppose 1°. qu'on connoît bien, ou dans la nature, ou dans l'histoire, ou dans l'imagination, tout ce qui appartient au sujet ; 2°. qu'on a reçû le génie qui fait employer toutes ces données avec le goût convenable ; 3°. qu'on tient de l'étude & de l'habitude au travail le manuel de l'art, sans lequel les autres qualités restent sans effet.

Un tableau bien composé est un tout renfermé sous un seul point de vûe, où les parties concourent à un même but, & forment par leur correspondance mutuelle un ensemble aussi réel, que celui des membres dans un corps animal, ensorte qu'un morceau de peinture fait d'un grand nombre de figures jettées au hasard, sans proportion, sans intelligence, & sans unité, ne mérite non plus le nom d'une véritable composition, que des études éparses de jambes, de nez, d'yeux, sur un même carton, ne méritent celui de portrait, ou même de figure humaine.

D'où il s'ensuit que le peintre est assujetti dans sa composition aux mêmes lois que le poëte dans la sienne ; & que l'observation des trois unités, d'action, de lieu, & de tems, n'est pas moins essentielle dans la peinture historique que dans la poésie dramatique.

Mais les lois de la composition étant un peu plus vagues dans les autres peintures que dans l'historique, c'est à celle-ci sur-tout que nous nous attacherons, observant seulement de répandre dans le cours de cet article les regles communes à la représentation de tous les sujets, historiques, naturels, ou poétiques.

De l'unité de tems en Peinture. La loi de cette unité est beaucoup plus sévere encore pour le peintre que pour le poëte : on accorde vingt-quatre heures à celui-ci, c'est-à-dire qu'il peut, sans pécher contre la vraisemblance, rassembler dans l'intervalle de trois heures que dure une représentation, tous les évenemens qui ont pû se succéder naturellement dans l'espace d'un jour. Mais le peintre n'a qu'un instant presque indivisible ; c'est à cet instant que tous les mouvemens de sa composition doivent se rapporter : entre ces mouvemens, si j'en remarque quelques-uns qui soient de l'instant qui précede ou de l'instant qui suit, la loi de l'unité de tems est enfreinte. Dans le moment où Calchas leve le couteau sur le sein d'Iphigénie, l'horreur, la compassion, la douleur, doivent se montrer au plus haut degré sur les visages des assistans ; Clitemnestre furieuse s'élancera vers l'autel, & s'efforcera, malgré les bras des soldats qui la retiendront, de saisir la main de Calchas, & de s'opposer entre sa fille & lui ; Agamemnon aura la tête couverte de son manteau, &c.

On peut distinguer dans chaque action une multitude d'instans différens, entre lesquels il y auroit de la mal-adresse à ne pas choisir le plus intéressant ; c'est, selon la nature du sujet, ou l'instant le plus pathétique, ou le plus gai ou le plus comique ; à moins que des lois particulieres à la peinture n'en ordonnent autrement ; que l'on ne regagne du côté de l'effet des couleurs, des ombres & des lumieres, de la disposition générale des figures, ce que l'on perd du côté du choix de l'instant & des circonstances propres à l'action ; ou qu'on ne croye devoir soûmettre son goût & son génie à une certaine puérilité nationale, qu'on n'honore que trop souvent du nom de délicatesse de goût. Combien cette délicatesse qui ne permet point au malheureux Philoctete de pousser des cris inarticulés sur notre scene, & de se rouler à l'entrée de sa caverne, ne bannit-elle pas d'objets intéressans de la Peinture !

Chaque instant a ses avantages & ses desavantages dans la Peinture ; l'instant une fois choisi, tout le reste est donné. Prodicus suppose qu'Hercule dans sa jeunesse, après la défaite du sanglier d'Erimanthe, fut accueilli dans un lieu solitaire de la forêt par la déesse de la gloire & par celle des plaisirs, qui se le disputerent : combien d'instans différens cette fable morale n'offriroit-elle pas à un peintre qui la choisiroit pour sujet ? on en composeroit une galerie. Il y a l'instant où le héros est accueilli par les déesses ; l'instant où la voix du plaisir se fait entendre ; celui où l'honneur parle à son coeur ; l'instant où il balance en lui-même la raison de l'honneur & celle du plaisir ; l'instant où la gloire commence à l'emporter ; l'instant où il est entierement décidé pour elle.

A l'aspect des déesses il doit être saisi d'admiration & de surprise : il doit s'attendrir à la voix du plaisir ; il doit s'enflammer à celle de l'honneur : dans l'instant où il balance leurs avantages, il est rêveur, incertain, suspendu ; à mesure que le combat intérieur augmente, & que le moment du sacrifice approche, le regret, l'agitation, le tourment, les angoisses, s'emparerent de lui : & premitur ratione animus, vincique laborat.

Le peintre qui manqueroit de goût au point de prendre l'instant où Hercule est entierement décidé pour la gloire, abandonneroit tout le sublime de cette fable, & seroit contraint de donner un air affligé à la déesse du plaisir qui auroit perdu sa cause ; ce qui est contre son caractere. Le choix d'un instant interdit au peintre tous les avantages des autres. Lorsque Calchas aura enfoncé le couteau sacré dans le sein d'Iphigénie, sa mere doit s'évanoüir ; les efforts qu'elle feroit pour arrêter le coup sont d'un instant passé : revenir sur cet instant d'une minute, c'est pécher aussi lourdement que d'anticiper de mille ans sur l'avenir.

Il y a pourtant des occasions où la présence d'un instant n'est pas incompatible avec des traces d'un instant passé : des larmes de douleur couvrent quelquefois un visage dont la joie commence à s'emparer. Un peintre habile saisit un visage dans l'instant du passage de l'ame d'une passion à une autre, & fait un chef-d'oeuvre. Telle est Marie de Medicis dans la galerie du Luxembourg ; Rubens l'a peinte de maniere que la joie d'avoir mis au monde un fils n'a point effacé l'impression des douleurs de l'enfantement. De ces deux passions contraires, l'une est présente, & l'autre n'est pas absente.

Comme il est rare que notre ame soit dans une assiette ferme & déterminée, & qu'il s'y fait presque toûjours un combat de différens intérêts opposés, ce n'est pas assez que de savoir rendre une passion simple ; tous les instans délicats sont perdus pour celui qui ne porte son talent que jusque-là : il ne sortira de son pinceau aucune de ces figures qu'on n'a jamais assez vûes, & dans lesquelles on apperçoit sans-cesse de nouvelles finesses à mesure qu'on les considere : ses caracteres seront trop décidés pour donner ce plaisir ; ils frapperont plus au premier coup-d'oeil, mais ils rappelleront moins.

De l'unité d'action. Cette unité tient beaucoup à celle de tems : embrasser deux instans, c'est peindre à-la-fois un même fait sous deux points de vûe différens ; faute moins sensible, mais dans le fond plus lourde que celle de la duplicité de sujet. Deux actions ou liées, ou même séparées, peuvent se passer en même tems, dans un même lieu ; mais la présence de deux instans différens implique contradiction dans le même fait ; à moins qu'on ne veuille considérer l'un & l'autre cas comme la représentation de deux actions différentes sur une même toile. Ceux d'entre nos poëtes qui ne se sentent pas assez de génie pour tirer cinq actes intéressans d'un sujet simple, fondent plusieurs actions dans une, abondent en épisodes, & chargent leurs pieces à proportion de leur stérilité. Les peintres tombent quelquefois dans le même défaut. On ne nie point qu'une action principale n'en entraîne d'accidentelles ; mais il faut que celles-ci soient des circonstances essentielles à la précédente : il faut qu'il y ait entr'elles tant de liaison & tant de subordination, que le spectateur ne soit jamais perplexe. Variez le massacre des Innocens en tant de manieres qu'il vous plaira ; mais qu'en quelqu'endroit de votre toile que je jette les yeux, je rencontre par-tout ce massacre ; vos épisodes, ou m'attacheront au sujet, ou m'en écarteront ; & le dernier de ces effets est toûjours un vice. La loi d'unité d'action est encore plus sévere pour le peintre que pour le poëte. Un bon tableau ne fournira guere qu'un sujet, ou même qu'une scene de drame ; & un seul drame peut fournir matiere à cent tableaux différens.

De l'unité de lieu. Cette unité est plus stricte en un sens & moins en un autre pour le peintre que pour le poëte. La scene est plus étendue en peinture, mais elle est plus une qu'en poésie. Le poëte qui n'est pas restreint à un instant indivisible comme le peintre, promene successivement l'auditeur d'un appartement dans un autre ; au lieu que si le peintre s'est établi dans un vestibule, dans une salle, sous un portique, dans une campagne, il n'en sort plus. Il peut à l'aide de la perspective aggrandir son théatre autant qu'il le juge à-propos, mais sa décoration reste ; il n'en change pas.

De la subordination des figures. Il est évident que les figures doivent se faire remarquer à proportion de l'intérêt que j'y dois prendre ; qu'il y a des lieux relatifs aux circonstances de l'action, qu'elles doivent occuper naturellement, ou dont elles doivent être plus ou moins éloignées ; que chacune doit être animée & de la passion & du degré de passion qui convient à son caractere ; que s'il y en a une qui parle, il faut que les autres écoutent ; que plusieurs interlocuteurs à-la-fois font dans un tableau un aussi mauvais effet que dans une compagnie ; que tout étant également parfait dans la nature, dans un morceau parfait toutes les parties doivent être également soignées, & ne déterminer l'attention que par le plus ou moins d'importance seulement. Si le sacrifice d'Abraham étoit présent à nos yeux, le buisson & le bouc n'y auroient pas moins de vérité que le sacrificateur & son fils ; qu'ils soient donc également vrais sur votre toile, & ne craignez pas que ces objets subalternes fassent négliger les objets importans. Ils ne produisent point ces effets dans la nature, pourquoi le produiroient-ils dans l'imitation que vous en ferez ?

Des ornemens, des draperies & autres objets accessoires. On ne peut trop recommander la sobriété & la convenance dans les ornemens : il est en Peinture ainsi qu'en Poésie une fécondité malheureuse ; vous avez une crêche à peindre, à quoi bon l'appuyer contre les ruines de quelque grand édifice, & m'élever des colonnes dans un endroit où je n'en peux supposer que par des conjectures forcées ? Combien le précepte d'embellir la nature a gâté de tableaux ! ne cherchez donc pas à embellir la nature. Choisissez avec jugement celle qui vous convient, & rendez-la avec scrupule. Conformez-vous dans les habits à l'histoire ancienne & moderne, & n'allez pas dans une passion mettre aux Juifs des chapeaux chargés de plumets.

Chassez de votre composition toute figure oiseuse, qui ne l'échauffant pas, la refroidiroit ; que celles que vous employerez ne soient point éparses & isolées ; rassemblez-les par grouppes ; que vos grouppes soient liés entr'eux ; que les figures y soient bien contrastées, non de ce contraste de positions académiques, où l'on voit l'écolier toûjours attentif au modele & jamais à la nature ; qu'elles soient projettées les unes sur les autres, de maniere que les parties cachées n'empêchent point que l'oeil de l'imagination ne les voye tout entieres ; que les lumieres y soient bien entendues ; point de petites lumieres éparses qui ne formeroient point de masses, ou qui n'offriroient que des formes ovales, rondes, quarrées, paralleles ; ces formes seroient aussi insupportables à l'oeil, dans l'imitation des objets qu'on ne veut point symmétriser, qu'il en seroit flaté dans un arrangement symmétrique. Observez rigoureusement les lois de la perspective ; sachez profiter du jet des draperies : si vous les disposez convenablement, elles contribueront beaucoup à l'effet ; mais craignez que l'art ne s'apperçoive & dans cette ressource, & dans les autres que l'expérience vous suggérera, &c.

Telles sont à-peu-près les regles générales de la composition ; elles sont presqu'invariables ; & celles de la pratique de la Peinture ne doivent y apportes que peu ou point d'altération. J'observerai seulement que de même que l'homme de lettres raconte un fait en historien ou en poëte, un peintre en fait le sujet d'un tableau historique ou poétique. Dans le premier cas, il semble que tous les êtres imaginaires, toutes les qualités métaphysiques personnifiées, en doivent être bannis ; l'histoire veut plus de vérité ; il n'y a pas un de ces écarts dans les batailles d'Alexandre ; & il semble dans le second cas, qu'il ne soit guere permis de personnifier que celles qui l'ont toûjours été, à moins qu'on ne veuille répandre une obscurité profonde dans un sujet fort clair. Aussi je n'admire pas autant l'allégorie de Rubens dans l'accouchement de la reine, que dans l'apothéose de Henri : il m'a toûjours paru que le premier de ces objets demandoit toute la vérité de l'histoire, & le second tout le merveilleux de la poésie.

On appelle compositions extravagantes, celles où les figures ont des formes & des mouvemens hors de la nature ; compositions forcées, celles où les mouvemens & les passions pechent par excès ; compositions confuses, celles où la multitude des objets & des incidens éclipsent le sujet principal ; compositions froides, celles où les figures manquent de passions & de mouvemens ; compositions maigres, celles où le peintre n'a pas sû tirer parti de son sujet, ou dont le sujet est ingrat ; compositions chargées, celles où le peintre a montré trop d'objets, &c.

Une composition peut aisément être riche en figures & pauvre d'idées, une autre composition excitera beaucoup d'idées, ou en inculquera fortement une seule, & n'aura qu'une figure. Combien la représentation d'un anachorete ou d'un philosophe absorbé dans une méditation profonde, n'ajoûtera-t-elle pas à la peinture d'une solitude ? il semble qu'une solitude ne demande personne ; cependant elle sera bien plus solitude si vous y mettez un être pensant. Si vous faites tomber un torrent des montagnes, & que vous vouliez que j'en sois effrayé, imitez Homere, placez à l'écart un berger dans la montagne, qui en écoute le bruit avec effroi.

Nous ne pouvons trop inviter les Peintres à la lecture des grands poëtes, & réciproquement les poëtes ne peuvent trop voir les ouvrages des grands peintres ; les premiers y gagneront du goût, des idées, de l'élévation ; les seconds, de l'exactitude & de la vérité. Combien de tableaux poétiques qu'on admire, & dont on sentiroit bien-tôt l'absurdité si on les exécutoit en peinture ? Il n'y a presque pas un de ces poëmes appellés temples, qui n'ait un peu ce défaut. Nous lisons ces temples avec plaisir ; mais l'architecte qui réalise dans son imagination les objets à mesure que le poëte les lui offre, n'y voit selon toute apparence qu'un édifice bien confus & bien maussade.

Un peintre qui aime le simple, le vrai & le grand, s'attachera particulierement à Homere & à Platon. Je ne dirai rien d'Homere, personne n'ignore jusqu'où ce poëte a porté l'imitation de la nature. Platon est un peu moins connu de ce côté, j'ose pourtant assûrer qu'il ne le cede guere à Homere. Presque toutes les entrées de ses dialogues sont des chefs-d'oeuvre de vérité pittoresque : on en rencontre même dans le cours du dialogue ; je n'en apporterai qu'un exemple tiré du banquet. Le banquet qu'on regarde communément comme une chaîne d'hymnes à l'Amour, chantés par une troupe de philosophes, est une des apologies les plus délicates de Socrate. On sait trop le reproche injuste auquel ses liaisons étroites avec Alcibiade l'avoient exposé. Le crime imputé à Socrate étoit de nature que l'apologie directe devenoit une injure ; aussi Platon n'a-t-il garde d'en faire le sujet principal de son dialogue. Il assemble des philosophes dans un banquet : il leur fait chanter l'Amour. Le repas & l'hymne étoient sur la fin, lorsqu'on entend un grand bruit dans le vestibule ; les portes s'ouvrent, & l'on voit Alcibiade couronné de lierre & environné d'une troupe de joüeuses d'instrumens. Platon lui suppose cette pointe de vin qui ajoûte à la gaieté & qui dispose à l'indiscrétion. Alcibiade entre ; il divise sa couronne en deux autres ; il en remet une sur sa tête, & de l'autre il ceint le front de Socrate : il s'informe du sujet de la conversation ; les philosophes ont tous chanté le triomphe de l'Amour. Alcibiade chante sa défaite par la Sagesse, ou les efforts inutiles qu'il a faits pour corrompre Socrate. Ce récit est conduit avec tant d'art, qu'on n'y apperçoit par-tout qu'un jeune libertin que l'ivresse fait parler, & qui s'accuse sans ménagement des desseins les plus corrompus & de la débauche la plus honteuse : mais l'impression qui reste au fond de l'ame, sans qu'on le soupçonne pour le moment, c'est que Socrate est innocent, & qu'il est très-heureux de l'avoir été ; car Alcibiade entêté de ses propres charmes, n'eût pas manqué d'en relever encore la puissance, en dévoilant leur effet pernicieux sur le plus sage des Athéniens. Quel tableau, que l'entrée d'Alcibiade & de son cortege au milieu des philosophes ! n'en seroit-ce pas encore un bien intéressant & bien digne du pinceau de Raphael ou de Vanloo, que la représentation de cette assemblée d'hommes vénérables enchaînés par l'éloquence & les charmes d'un jeune libertin, pendentes ab ore loquentis ? Quant aux parties de la peinture dont la composition suppose la connoissance, voyez COLORIS, DESSEIN, DRAPERIES, PERSPECTIVE, GROUPPES, COULEURS, PEINTURE, CLAIR-OBSCUR, OMBRE, LUMIERES, &c. Nous n'avons dû exposer dans cet article que ce qui en concernoit l'objet particulier.

COMPOSITION, dans le Commerce, se dit d'un contrat passé entre un débiteur insolvable & ses créanciers, par lequel ceux-ci consentent à recevoir une partie de la dette en compensation du tout, & en conséquence donnent une quittance générale.

Composition, se dit aussi dans le Commerce, du bon marché qu'on donne d'une chose ; faire bonne composition de sa marchandise, c'est se relâcher sur le prix.

COMPOSITION, (Pharm.) voyez COMPOSE.

COMPOSITION, en termes d'Imprimerie, s'entend de l'arrangement des lettres, qui, levées les unes après les autres, forment un nombre de lignes, de pages, & de feuilles. Un ouvrier compositeur interrogé pour savoir où il en est de sa composition, répond : il me reste à faire 6 pages 20 lignes de composition pour parfaire ma feuille.


COMPOSTELLE(Géog. mod.) ville fameuse d'Espagne à cause du pélerinage de S. Jacques, dont on croit que les reliques y reposent, sur les rivieres de Tambra & d'Ulla. Long. 9. 28. lat. 42. 54.

COMPOSTELLE, (la nouvelle) Géog. mod. ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, dans la province de Xalisco. Long. 270. 15. lat. 21.


COMPOSTEURS. m. instrument d'Imprimerie, & particulier à l'ouvrier compositeur. C'est un morceau de fer ou de cuivre, plat, poli, de neuf à dix pouces de long, sur cinq à six lignes de large, & portant un rebord de deux à trois lignes de haut dans toute sa longueur ; il est terminé à son extrémité antérieure en forme d'équerre ; l'autre extrémité en est arrondie : le corps est une espece de lame percée de plusieurs trous de distance en distance, pour recevoir par-dessous une vis, & par-dessus l'écrou de cette vis ; cet écrou est échancré par les deux côtés, & destiné à serrer ou desserrer deux petites coulisses de trois ou quatre pouces de long posées l'une sur l'autre, & sur la lame, dont elles n'excedent pas la largeur, maintenues entre la vis & l'écrou, & appuyées contre le rebord, avec lequel leurs extrémités antérieures forment une autre équerre : ces coulisses ou plus ou moins avancées sur la lame, déterminent la longueur des lignes d'une page. C'est dans l'espace que laissent entr'elles les deux équerres, que le compositeur tient de la main gauche, qu'il pose le pié de la lettre qu'il leve de la main droite, jusqu'à ce qu'il ait rempli sa ligne. Voyez, dans nos Planches d'Imprimerie, le composteur entier & par pieces séparées. Il y a une autre sorte de composteur qui sert à composer de la note, des vignettes, de l'algebre ; il ne differe du premier qu'en ce que celui-ci porte un rebord de douze à quatorze lignes géométriques, ce qui donne la faculté de pouvoir y faire entrer cinq à six lignes de composition les unes sur les autres.

Il y a aussi un composteur de bois de près de deux piés de longueur, fait pour composer les grosses lettres ou caracteres des affiches. Voyez l'article IMPRIMER.

COMPOSTEUR, (Fonderie en caracteres d'imprimerie) il sert à donner aux lettres les dernieres façons ; ce sont des morceaux de bois de dix-huit à vingt pouces de long, sur un de large. D'un côté & dans toute la longueur est un petit rebord pour arrêter le pié de la lettre, qui est arrêtée aussi au commencement par une petite languette de bois menu de deux pouces de long, qui est collée sur le composteur qui sert à le tenir. Depuis cette languette jusqu'à un pouce de l'autre extrémité, on arrange les lettres à côté les unes des autres, pour pouvoir ensuite les faire tomber toutes à-la-fois dans le justifieur, les couper & les reprendre de même à-la-fois. C'est aussi sur des composteurs qu'on leur donne la derniere façon, & qu'on les apprête. Voyez l'article CARACTERE.

* COMPOSTEUR, Manufacture en soie, petite baguette de bois, sur laquelle on passe les portées de la chaîne pour la plier. Le composteur se place dans une cavité qu'on lui a pratiquée dans l'ensuple & où il est retenu. Voy. les articles CHANEE & VELOURS.


COMPOTES. f. en terme de Confiseur, est une sorte de confiture de peu de garde, parce que les fruits dont elle est faite ne sont pas cuits au degré nécessaire pour être conservé long-tems. Compote est donc proprement une confiture dont les fruits ne sont pas assez confits.

COMPOTE, en terme de Cuisine, est une maniere d'accommoder des pigeons & des canards, en les passant dans du lard, du beurre, ou même du saindoux, & les emportant ensuite avec du jus ou du bouillon assaisonné, un bouquet de persil, de l'écorce de citron, &c.


COMPRÉHENSIONS. f. terme de Théologie : ce terme marque l'état de ceux qui joüissent de la vision béatifique, & qu'on appelle compréhenseurs, par opposition à ceux qui vivent sur la terre, & qu'on appelle voyageurs. Voyez VISION.

COMPREHENSION, en Rhétorique, trope par lequel on donne au tout le nom de la partie, ou à la partie le nom du tout, ou à une chose un nombre déterminé pour un nombre indéterminé. Ainsi M. de Voltaire a dit de l'Angleterre, en parlant du regne d'Elisabeth.

Sur ce sanglant théatre où cent héros périrent,

Sur ce trône glissant, dont cent rois descendirent,

Une femme à ses piés enchaînant les destins,

De l'éclat de son regne étonnoit les humains.

Henriad. ch. j.

Voyez METONIMIE. (G)


COMPRENDREv. act. terme de Philosophie, c'est appercevoir la liaison des idées dans un jugement, ou la liaison des propositions dans un raisonnement. Ainsi cet acte de l'entendement doit précéder l'affirmation ou la négation. Ce que l'on comprend peut être vrai ou faux : s'il est vrai, on en convient ; s'il est faux, on le nie. Voyez JUGER, RAISONNER. Il a, en Théologie, une autre acception relative à l'étendue de nos facultés ; ainsi comprendre Dieu, c'est connoître de cet être infini tout ce qui en peut être connu par une créature finie dans ce monde & dans l'autre.


COMPRESSES. f. terme de Chirurgie, est un linge plié en plusieurs doubles & posé sous le bandage, pour empêcher la plaie de saigner, ou pour y tenir les médicamens appliqués.

Ce mot vient du latin comprimere, qui signifie presser avec force.

Scultet, dans son Armam. chirurg. observe que les anciens faisoient leurs compresses de lin cardé, ou de duvet de plume, cousus entre deux linges, & les appelloient coussins ou coussinets. Chambers.

Les compresses sont destinées à être placées sur une partie offensée, soit pour y contenir les médicamens, y remplir les vuides, servir d'appui aux bandes, soit pour comprimer quelque partie molle ou dure.

Les compresses doivent avoir les mêmes conditions que les bandes, c'est-à-dire qu'il faut qu'elles soient de linge à demi-usé, sans ourlet ni lisiere.

On divise les compresses en simples & en composées. Les simples ne sont faites que d'un seul lai de linge, telles que sont les premieres compresses dont on se sert pour les fractures simples de la jambe ou du bras.

Les composées sont de deux sortes, unies ou irrégulieres. Les composées unies sont ployées également ; elles sont de différente figure & de diverse grandeur. Les irrégulieres ou graduées sont égales ou inégales.

Les égales sont celles qui étant de différente grandeur & par dégrés, s'appliquent les unes sur les autres, commençant par les plus étroites. Voy. ce que nous en avons dit au sujet de l'anevrisme qui peut se guérir par compression.

Les compresses graduées inégales sont faites d'une seule piece de linge, qui étant ployée plusieurs fois sur elle-même, se trouve plus épaisse d'un côté que de l'autre. Ces sortes de compresses s'employent avec les bandages expulsifs, & sont fort utiles. L'application méthodique des compresses expulsives vuides des sinus, procure le récolement de la peau dilacérée, empêche de faire plusieurs incisions & contr'ouvertures, & évite par-là beaucoup de douleurs aux malades. Voyez CONTRE-OUVERTURE & COMPRESSION.

On appelle aussi les compresses, contentives, unissantes, divisives, &c. Voyez, Planche II. figure 12. de Chirurgie, compresse quarrée ; figure 13. & 14. compresses oblongues figure 15. compresse triangulaire pour l'oeil, l'aine, &c. fig. 16. compresse en croix de malthe pour les amputations des membres & les extrémités des doigts. On se sert aussi d'une compresse de cette figure pour panser l'extrémité de la verge ; on fait alors un petit trou dans son milieu, pour répondre à l'orifice de l'urethre. Figure 17. compresses longuettes pour les amputations. Figure 18. compresse fendue ou à deux chefs. Figure 19. compresse à quatre chefs. Planche XXXI. fig. 11. compresse graduée inégale. (Y)


COMPRESSIBLEadj. se dit d'un corps capable de compression. Voyez COMPRESSION (O)


COMPRESSIONS. f. (Physique) est l'action de presser ou de serrer un corps, & de laquelle il résulte qu'il occupe moins d'espace, & que ses parties se trouvent plus près les unes des autres. La compression est donc une pression dont l'effet est une diminution de volume dans le corps pressé ; & c'est par-là que la compression differe de la pression prise en général. Voyez PRESSION & VOLUME.

La compression, selon quelques auteurs, differe de la condensation en ce que celle-ci est produite par l'action du froid, & l'autre par celle d'une forme extérieure. Voyez CONDENSATION. Mais cette distinction paroît assez frivole.

L'eau est incapable de compression : après qu'elle a été bien purgée d'air, il n'y a point de force capable d'en rapprocher les parties, ni d'en diminuer le volume. L'eau ayant été violemment pressée, dans une expérience de l'académie del cimento, elle s'ouvrit un passage à-travers les pores d'une boule d'or, plûtôt que de souffrir la compression. Voyez EAU.

La compression de l'air par son propre poids, est très-surprenante. Il paroît, par le calcul, que l'air ordinaire que nous respirons proche la surface de la terre, est condensé par le poids de l'atmosphere jusqu'à n'occuper plus que la 1/13679e partie de l'espace qu'il occuperoit, s'il étoit en liberté. Voyez ATMOSPHERE.

Mais nous pouvons, par le secours de l'art, comprimer l'air encore davantage ; & il paroît par les expériences de M. Boyle, que l'espace que l'air remplit dans sa plus grande dilatation, est à celui qu'il occupe dans sa plus grande compression, comme cinq cent cinquante mille est à un. Voyez AIR.

M. Newton prétend qu'il est possible d'expliquer cette grande compression & dilatation de l'air, en supposant ses particules élastiques & branchues, ou en forme de petites aiguilles entrelacées en cercles. Cet auteur l'explique par une force répulsive, dont il suppose ces parties revêtues ; & en vertu de laquelle, quand elles sont en liberté, elles se fuient mutuellement les unes les autres. Voyez ATTRACTION & REPULSION. Harris & Chambers.

Au reste il ne faut point (rigoureusement parlant) confondre la compression avec la condensation, quoique dans l'usage ces mots se confondent assez souvent. Compression est proprement l'action d'une force qui presse un corps, soit qu'elle le réduise en un moindre volume ou non ; condensation est l'état d'un corps qui par l'action de quelque force est réduit à un moindre volume : ainsi ces deux mots expriment, l'un la force, l'autre l'effet qu'elle produit ou tend à produire. (O)

COMPRESSION, (Med.) maladie, & quelquefois excellent remede : c'est ce qu'il convient d'expliquer succinctement.

La compression, en tant que maladie, est le retrécissement des parois opposées des vaisseaux ou des cavités, par une cause quelconque qui les rapproche au point de se toucher, ou beaucoup plus que dans leur état naturel.

Cette maladie peut être produite par une infinité de causes différentes, externes ou internes.

Les vaisseaux sont extérieurement comprimés par le poids du corps tranquillement couché sur une partie, par des ligatures, par des bandages, par des vêtemens trop étroits, par diverses machines comprimantes, par l'air plus pesant, par le frottement, &c. Si de ces causes comprimantes il en résulte l'interruption de la circulation des fluides, l'embarras, l'obstruction, la mortification, il faut promtement ôter la cause qui produit ces ravages, changer souvent la posture du lit quand la compression vient du poids du corps, relâcher les ligatures, &c.

La compression arrive intérieurement par quelque os, par une fracture, une luxation, une esquille, la distorsion, la distraction des parties dures qui compriment des vaisseaux, une pierre, une excroissance, une exostose, &c. Le remede est de recourir à une promte réduction, ou d'enlever la cause s'il est possible.

La compression des vaisseaux peut encore arriver par une tumeur voisine, molle ou dure ; pléthorique, inflammatoire, emphysémateuse, purulente, skirrheuse, chancreuse, oedémateuse, ampoullée, variqueuse, anévrismale, topheuse, lymphatique, pituiteuse, calculeuse, calleuse ; il faut appliquer la méthode curative indiquée à chacune de ces especes de tumeurs ; diminuer la pléthore, guérir l'inflammation, évacuer le pus, la lymphe ; extirper par l'art les apostèmes qu'on ne peut résoudre, &c.

La compression qui naît des excrémens endurcis, se guérit en rendant le ventre libre ; celle qui vient de la grossesse, s'évanoüit par l'accouchement : ainsi dans quelque compression que ce soit des vaisseaux & des visceres, on doit employer les remedes propres à détruire la cause comprimante connue.

Mais pour entendre le mal qu'occasionne une longue & trop forte compression, il faut bien connoître 1° les effets qui en dérivent, 2° la nature de la partie comprimée. Or on conçoit qu'une violente compression en retrécissant les parois du vaisseau au point de se toucher, procure leur cohésion, leur consolidation, interrompt par conséquent la circulation des humeurs. La circulation ne peut être interrompue dans une partie, sans causer le froid, la stupeur, l'insensibilité, la sécheresse, la paralysie, &c. Les fluides qui se portoient continuellement dans cette partie, viennent à se jetter dans d'autres vaisseaux qu'ils dilatent plus qu'ils ne l'étoient dans leur état naturel : ces vaisseaux ne peuvent être ainsi dilatés, que leur ressort ne diminue, ne se perde, ou qu'il n'arrive une rupture, selon que leur dilatation est plus ou moins grande, subsiste plus ou moins long-tems ; ce qui produit l'embarras, l'épanchement, la corruption, la corrosion, la suppuration, la mortification, le sphacele. Les effets de la compression sont plus ou moins nuisibles, suivant la nature, la structure, la situation de la partie comprimée : de-là vient le danger de la compression du cerveau, dont l'importance exige un article à part.

Cependant nous avons donné la compression pour un excellent remede, & cela est encore très-vrai : mais celle que nous vantons ainsi, doit être artificielle, générale, modérée, & mise en usage par degrés ; c'est alors qu'elle fournit à la Médecine un des plus puissans secours dans les maladies nombreuses qui naissent de la débilité & du relâchement des fibres. On a vû de telles maladies qu'on regardoit comme desespérées, guérir par la compression générale de tous les vaisseaux affoiblis, prudemment ménagée ; car en diminuant un peu de leur capacité, il arrive qu'ils acquierent de l'élasticité, & qu'ils ne sont plus trop distendus par les fluides qu'ils contiennent. Or, par exemple, les vêtemens, les bandages & les appareils qui pressent sur la chair, en donnant aux vaisseaux une espece de soûtien & de point d'appui, produisent ce que ne sauroient faire les solides trop affoiblis, c'est-à-dire qu'ils empêchent que les vaisseaux ne se dilatent à l'excès.

Qui ne sait les avantages de cette compression dans les hydropisies anasarques & ascites ? Dans la premiere, dès que toute l'eau est écoulée, les cuisses & les jambes restent immédiatement après, non-seulement flasques & plissées, mais elles ne tardent guere ensuite à s'enfler de nouveau, à moins qu'elles ne soient fortifiées & soûtenues par un bandage convenable. Dans la seconde, quand les eaux ont été évacuées par la ponction de l'abdomen, si l'on n'a soin de comprimer le ventre aussi-tôt par des bandages, il succede quelquefois une syncope mortelle, ou du moins l'hydropisie redevient bien-tôt aussi terrible qu'auparavant.

Qui ne connoît dans les jambes qui deviennent variqueuses, l'utilité des bandages ou des chaussures étrécies, pour prévenir les accidens des varices & pour empêcher les fluides de se loger dans les vaisseaux trop dilatés des parties ? Enfin qui peut ignorer les belles cures opérées par les frictions, cette espece simple de compression méchanique, & de relâchement alternatif des vaisseaux, qui rétablit l'action & la réaction des solides & des fluides, d'où dépend l'intégrité de toutes les fonctions du corps. Article de M(D.J.)

COMPRESSION DU CERVEAU, (Chir.) pression de ce viscere par quelque coup violent qui a contus, enfoncé le crâne en-dedans avec fracture, ou sans fracture.

Lorsque la tête est frappée par quelque coup, ou que dans une chûte elle rencontre quelque corps dur, il en peut résulter deux tristes effets : 1°. la commotion du cerveau, voy. COMMOTION : 2°. sa compression, dont voici les signes & les suites.

Symptomes de la compression du cerveau. 1°. La rougeur du visage, l'inflammation des yeux, le saignement du nez, des oreilles, &c. 2°. le frissonnement, 3°. l'engourdissement des sens, 4°. l'assoupissement, 5°. la léthargie, 6°. le vertige, 7°. le tintement dans les oreilles, 8°. le délire, 9°. le vomissement bilieux, 10°. les douleurs de tête, 11°. les convulsions, 12°. la paralysie, 13°. la décharge involontaire des urines & de la matiere fécale, 14°. l'apoplexie. Voilà les symptomes de la compression du cerveau, qui se trouvent plus ou moins rassemblés, & dont nous allons tâcher de donner l'explication.

Explication physiologique de ces symptomes. On apprend, en Géométrie, que de toutes les figures d'une égale circonférence, le cercle est celle qui comprend le plus grand espace : or la figure du crâne est à-peu-près sphérique ; par conséquent s'il est pressé en-dedans, il faut que sa capacité diminue. On sait aussi par la Physiologie, que la cavité du crâne est toûjours pleine dans l'état de santé. Si donc la figure du crâne est changée par la compression, il faut nécessairement que cette compression agisse aussi sur le cerveau qui y est contenu.

Comme la vie de l'homme & toutes ses fonctions naturelles dépendent de ce qui est contenu dans la capacité du crâne, & que toute la substance du cerveau, extrèmement molle, est facile à comprimer, il est clair que toutes les fonctions qui dépendent de l'intégrité du cerveau, seront troublées par la compression ; & comme le cervelet est plus à couvert que le cerveau, il s'ensuit que les fâcheux effets de la compression ne parviendront à détruire l'action du cervelet d'où dépend la vie, qu'après avoir affecté auparavant les actions dépendantes du cerveau.

Il est sans difficulté que les effets de ce desordre varient à raison des différentes portions du cerveau qui sont comprimées, ou selon que la cause comprimante agit avec plus ou moins de violence, ou selon la quantité de la liqueur épanchée par la compression, ou enfin selon que les fragmens aigus de l'os pénetrent plus ou moins avant dans la substance du cerveau.

Il est vrai que la plus legere compression du cerveau peut troubler son action ; c'est ce que justifie un cas fort singulier, rapporté dans l'hist. de l'acad. des Sc. Une femme qui avoit la moitié du crâne enlevé, ne laissoit pas d'aller en cet état dans les rues, mendiant de porte en porte : si quelqu'un lui touchoit la dure-mere qu'elle avoit toute découverte, avec le bout du doigt seulement, & le plus legerement qu'il fût possible, elle faisoit un grand cri, & disoit qu'elle avoit vû mille chandelles. Il ne faut donc pas être surpris que la compression du cerveau puisse produire tous les symptomes rassemblés ici.

Premierement, la rougeur du visage, l'inflammation des yeux, le saignement de nez, des oreilles, &c. pourront être les effets de la compression. La circulation du sang dans les vaisseaux du cerveau étant obstruée, les yeux deviennent rouges par la quantité de sang qu'y portent les branches de la carotide interne : cette quantité augmentant insensiblement par la circulation, il en résultera un saignement du nez, des yeux, des oreilles, &c. d'ailleurs, le sang qui se décharge par ces parties, donne lieu de craindre que les vaisseaux sanguins qui entrent dans le cerveau, ne soient aussi rompus.

2°. Le frissonnement est un mauvais symptome, parce qu'il désigne qu'il se décharge du sang de vaisseaux rompus, sur-tout quand il n'est pas réglé ; il indique encore un dérangement dans le siége des sensations.

3°. L'engourdissement des sens est un symptome ordinaire, même de la plus legere compression du cerveau ; parce que dès que la substance médullaire du cerveau est affectée, les sensations qui en émanent doivent être engourdies : ensorte que cet effet résultera proportionnellement à la force de la compression ; & de plus il durera pendant toute la vie, si la cause comprimante subsiste toûjours. Nous avons un exemple qui le prouve dans Hildanus, cent. III. obs. xxj. On observe même cet engourdissement dans tous les sens, lorsque le sang trop abondant dans les pléthoriques, distend leurs gros vaisseaux ; ou dans les maladies aiguës, lorsque par sa vélocité il se raréfie au point de dilater les vaisseaux, qui alors pressent sur la substance médullaire du cerveau.

4°. Si la compression est plus forte, l'assoupissement suit nécessairement ; parce que la libre circulation des esprits & du sang dans la substance corticale du cerveau est alors empêchée : ce qui produit l'assoupissement.

5°. La léthargie indique qu'il y a encore une plus grande compression sur le cerveau : aussi-tôt que les causes qui produisent l'assoupissement sont augmentées, elles forment la léthargie. Il faut remarquer ici qu'elle est plus considérable quand la compression vient de quelque portion d'os, ou d'un épanchement, que lorsque la dure-mere est piquée ou déchirée par quelques esquilles ; mais dans ce dernier cas la douleur est la plus profonde, & la pesanteur de la tête plus considérable.

6°. Le vertige est un des plus legers desordres qui arrivent au cerveau dans la compression. Si le malade perd la vûe, c'est une marque que le mal augmente. Le cerveau étant comprimé, les esprits ne coulent plus aussi librement de l'origine de la moëlle du cerveau par les nerfs du cerveau ; il en résulte une rotation apparente des objets. Si le mouvement impétueux du sang presse davantage le cerveau, & qu'il forme un obstacle dans les vaisseaux par lesquels le sang provient du cerveau, il s'en suit un vertige ténébreux, & à la fin le malade tombe à terre.

7°. Le tintement dans les oreilles procede ici de la même cause qui produit le vertige, & est presque toûjours la suite d'un violent coup à la tête qui a comprimé le cerveau. Il faut bien le distinguer de ce tintement d'oreilles qu'on éprouve en santé, qui ne vient que d'un leger desordre dans l'organe de l'oüie ; desordre qu'on dissipe en enfonçant simplement le doigt dans l'oreille, ou en le passant autour, ou en comprimant le tragus, ou en ôtant la cire des oreilles.

8°. Quant au délire, on sent bien que dans la compression du cerveau il faut nécessairement qu'il s'ensuive un dérangement dans les perceptions de l'ame qui dépendent de l'action libre & continue du cerveau, & que nous nommons délire.

9°. A l'égard du vomissement de la bile, il naît de la communication étonnante qu'il y a entre la tête & les visceres, puisqu'ils font des impressions si réelles l'un sur l'autre. Dans l'état même de santé, quelqu'un qui n'est point accoûtumé au mouvement d'un bateau, ou qui tourne avec force pendant quelque tems, éprouve d'abord un vertige qui annonce que le cerveau est affecté, & bientôt après il vomit de la bile. Il suit de-là, que comme le vomissement de bile procede de causes si legeres, il ne faut pas tirer un prognostic fatal de ce symptome dans les coups de tête, à moins qu'il ne soit accompagné d'autres symptomes dangereux.

10°. Pour ce qui regarde les douleurs de tête, il semble que ce soit un désordre particulier au crâne & à ses tégumens. Comme elles dénotent que les fonctions du cerveau ne sont pas détruites, il ne faut pas les mettre au rang des mauvais présages : car quand les fonctions du cerveau sont extrèmement dérangées, on ne peut pas déterminer si l'on ressent ou non, des douleurs dans cette partie.

11°. Les convulsions marquent clairement que la compression, la lésion du cerveau, a dérangé l'égalité de l'affluence des esprits dans les nerfs qui servent au mouvement musculaire.

12°. La paralysie arrive quand le cerveau est tellement blessé, que cette lésion a totalement arrêté le cours des esprits qui affluent dans les nerfs qui donnent le mouvement aux muscles ; selon qu'une partie ou une autre du cerveau aura été comprimée, la paralysie affectera, ou tous les muscles, ou ceux d'un côté du corps seulement, ou bien simplement quelque muscle particulier : c'est un très-mauvais prognostic, puisqu'il dénote la violente compression de la substance médullaire du cerveau.

13°. La décharge involontaire d'urine & de matiere fécale, est ici un des plus funestes symptomes ; car les nerfs qui servent aux muscles sphincters de la vessie & de l'anus, tirent leur origine des derniers nerfs de la moëlle spinale, qui passe par les trous de l'os sacrum : d'où il est naturel de conclure que l'origine de la moëlle spinale dans le cerveau doit être lésée en même tems.

14°. Pour ce qui est de l'apoplexie & de la fievre qui l'accompagne, elle montre une compression du cerveau qui a détruit toutes les sensations internes & externes, aussi-bien que les mouvemens spontanés. Cet état apoplectique est presque toûjours accompagné d'un pouls fort & vif, pendant lequel l'action du cervelet continue encore ; parce qu'étant à l'abri sous la dure-mere, il est bien plus difficilement comprimé.

15°. Enfin quand le cervelet vient aussi à être comprimé, parce que dans la compression du cerveau toute la force du sang qui devroit circuler agit presqu'entierement sur le cervelet ; la structure du cervelet se détruit par une augmentation de mouvement, d'où la mort suit nécessairement.

Cause de la compression du cerveau. Ces divers accidens que produit sa compression, naissent dans les coups reçûs à la tête, par l'enfoncement du crâne avec ou sans fracture. Alors il peut arriver que du sang ou quelque autre liqueur soit épanchée sur la dure-mere, entre cette membrane & la pie-mere, entre celle-ci & le cerveau, ou dans la propre substance du cerveau. Il peut y avoir quelque portion d'os déplacée entierement, ou en partie ; une pointe d'os qui pique la dure-mere ; le corps qui a fait la plaie s'il reste dedans ; l'inflammation des méninges occasionnée par une petite division, ou par la contusion du péricrâne. Voilà les causes immédiates de la compression du cerveau.

Cure. La cure consiste à rétablir le crâne dans son état naturel, & à l'y maintenir. On connoît l'enfoncement du crâne par l'attouchement du crâne, ou par la vûe seule, sur-tout quand les tégumens sont levés. Il faut cependant ici quelquefois de l'habileté & de la prudence pour ne pas s'y méprendre. Si l'enfoncement du crâne est si sensible, qu'il ne faille que des yeux pour le voir, il est pour lors bien avéré ; & quand par la violence des symptomes on s'est cru obligé de lever les tégumens, & de mettre l'os à nud, on voit bien aussi ce qui en est.

S'il n'est question que de la contusion du péricrâne, on y remédie par la saignée ; ou si elle ne réussit pas, par une incision cruciale qu'on fait à cette partie avec un bistouri droit, dont on porte obliquement la pointe sous la peau, afin que cette incision s'étende plus sur le péricrâne que sur le cuir chevelu. Par ce moyen, on débride cette membrane, on donne issue aux liqueurs, on fait cesser l'inflammation & les symptomes qui en sont les suites. On panse cette plaie simplement ; on met sur l'os & sur le pericrâne, un plumaceau trempé dans une liqueur spiritueuse, telle que l'eau-de-vie ; on couvre d'un digestif simple la plaie des tégumens, & l'on applique sur toute la tête des résolutifs spiritueux.

Dans le cas d'épanchement, on a ordinairement recours au trépan : mais avant que de faire cette opération, il faut tâcher de connoître le lieu où est le desordre, & il n'est pas toûjours aisé de le deviner ; cependant si les symptomes menaçans, causés par la compression du cerveau, sont extrèmement urgens, il faudra appliquer le trépan à un endroit, ou à plusieurs endroits du crâne s'il est nécessaire, pour faire cesser la compression, & évacuer la matiere épanchée ; car il paroît plus raisonnable, après avoir prévenu les assistans sur l'incertitude du succès de l'opération, de tenter un remede douteux dans cette conjoncture, que de n'en point tenter du tout.

Lorsque quelque pointe d'os pique la dure-mere, ou blesse le cerveau, il faut l'ôter au plûtôt ; car il en résulte les plus cruels symptomes. Lorsque l'os enfoncé plie ou cede sous le trépan, on doit faire un trou dans le crâne à côté de la fracture, par lequel trou on introduira l'élévatoire pour soûlever l'os enfoncé.

Réflexion. Dans tous ces cas l'on ne peut qu'être effrayé de la plûpart des tristes symptomes dont nous avons fait le détail : cependant l'on ne manque pas d'observations d'heureuses cures arrivées dans les enfoncemens, des fractures du crâne très-considérables, dans le déchirement des méninges, dans la perte même d'une partie de la substance du cerveau. Ces faits consolans confondent notre foible raison, & nous prouvent que le Créateur en cachant à nos yeux le siége de l'ame, lui a donné des ressources pour sa conservation qui nous seront toûjours inconnues. Article de M(D.J.)

COMPRESSION, terme de Chirurgie, action de presser une partie par le moyen d'un appareil & d'un bandage.

La compression est un des meilleurs moyens d'arrêter le sang. Voyez HEMORRHAGIE.

Un appareil compressif appliqué avec intelligence sur la peau qui recouvre un sinus, procure quelquefois le recolement de ses parois, & évite des incisions douloureuses. Voyez COMPRESSE & CONTRE-OUVERTURE.

Il est des cas où la compression est nécessaire pour retenir le pus dans les sinus, afin de mettre le chirurgien à portée de faire plus sûrement les incisions & contre-ouvertures nécessaires. C'est ainsi que M. Petit a imaginé de tamponner l'intestin rectum dans la fistule interne de l'anus, pour faire séjourner le pus dans le sinus fistuleux, & faire prononcer une tumeur à la marge du fondement, laquelle sert à indiquer le lieu où il faut faire l'opération. Voy. FISTULE A L'ANUS.

Cette méthode de comprimer l'endroit par où le pus sort, s'employe avec succès dans d'autres parties pour faire l'ouverture des sacs qui fournissent les suppurations. Le séjour du pus qu'on occasionne par ce moyen, procure souvent très-efficacement la fonte des duretés calleuses, ce qui dispense de l'application des cathérétiques qu'il auroit fallu employer ensuite pour parvenir à une parfaite guérison. (Y)


COMPROMETTREv. n. se rapporter de la décision d'une consultation au jugement de quelqu'un, prendre des arbitres pour régler ses différends. Cette maniere de finir les affaires est assez ordinaire entre les marchands. Il y a même dans le réglement pour les assûreurs & les polices d'assûrance un article exprès, qui oblige à compromettre & à s'en rapporter à des arbitres sur les contestations en fait d'assûrances. Voyez ASSURANCE & ASSUREUR ; voyez aussi COMPROMIS. Dictionn. du Comm.


COMPROMIS(Jurisprud.) est un écrit signé des parties par lequel elles conviennent d'un ou de plusieurs arbitres, à la décision desquels elles promettent de se tenir, à peine par le contrevenant de payer la somme spécifiée dans le compromis.

On peut par compromis, au lieu d'arbitres, nommer un ou plusieurs arbitrateurs, c'est-à-dire amiables compositeurs. Voyez ci-devant COMPOSITEUR.

Pour la validité du compromis, il faut,

1°. Que l'on y fixe le tems dans lequel les arbitres doivent juger.

2°. Que l'on y exprime la soûmission des parties au jugement des arbitres.

3°. Que l'on y stipule une peine pécuniaire contre la partie qui refusera d'exécuter le jugement.

Le pouvoir résultant du compromis est borné aux objets qui y sont exprimés, & ne peut être étendu au-delà.

Celui qui n'est pas content de la sentence arbitrale, peut en interjetter appel, quand même les parties y auroient renoncé par le compromis ; mais l'appellant, avant de pouvoir être écouté sur son appel, doit payer la peine portée au compromis ; & elle seroit toûjours dûe, quand même il renonceroit dans la suite à son appel, ou que par l'évenement la sentence seroit infirmée.

Il étoit libre chez les Romains de stipuler par le compromis une peine plus forte que l'objet même du compromis ; mais parmi nous quand la peine paroît excessive, le parlement peut la modérer en jugeant l'appel.

On peut compromettre sur un procès à mouvoir, de même que sur un procès déjà mû, & généralement de toutes choses qui concernent les parties, & dont elles peuvent disposer.

Il y a certaines choses dont il n'est pas permis de compromettre, telles que les droits spirituels d'une église, les choses qui intéressent le public, ni sur des alimens laissés par testament pour ce qui en doit échoir dans la suite.

On ne peut pas non plus compromettre sur la punition des crimes publics ; mais on peut compromettre sur les intérêts civils & sur les dépens d'un procès criminel, même sur les délits que l'on ne poursuit que civilement.

Ceux qui ne peuvent pas s'engager, ne peuvent pas compromettre, tels qu'une femme en puissance de mari, si ce n'est de son autorité ; un fondé de procuration ne le peut sans un pouvoir spécial ; le prodigue ou furieux ne le peut, sans être assisté de son curateur.

Le mineur ne peut pareillement compromettre ; & s'il l'a fait, il est aisément relevé de la peine portée au compromis ; mais un bénéficier mineur n'en seroit pas relevé, étant réputé majeur pour les droits de son bénéfice.

Les communautés, soit laïques ou ecclésiastiques, ne sont pas non plus relevées de la peine portée au compromis, quoiqu'elles joüissent ordinairement des mêmes priviléges que les mineurs.

Le compromis subsistant & suivi de poursuites devant les arbitres à l'effet d'empêcher la péremption & la prescription, le pouvoir donné aux arbitres ou arbitrateurs par le compromis, est résolu.

1°. Par la mort d'un des arbitres ou arbitrateurs, ou par celle d'une des parties.

2°. Par l'expiration du tems porté par le compromis, à-moins qu'il ne soit prorogé.

3°. Lorsque les parties transigent sur le procès qui faisoit l'objet du compromis.

Anciennement, lorsque les évêques connoissoient de différentes matieres appartenantes à la justice séculiere, c'étoit seulement par la voie de compromis, comme on voit par des lettres de Philippe-le-Bel du 15 Juin 1303.

Voyez au digest. l. IV. tit. viij. & au cod. 2. tit. lvj. les lois civiles, liv. I. tit. xjv. sect. 1. Brodeau sur Louet, lett. c. somm. 4. Chassanée sur la coûtume de Bourg. tit. des droits des gens mariés, §. verbo en puissance, n. 19. Bardet, tome II. liv. V. ch. ij. Hevin sur Frain, p. 31. de ses additions aux notes ; Papon, liv. VI. tit. iij. la Peyrere, au mot arbitre ; & ARBITRE, & SENTENCE ARBITRALE. (A)


COMPROMISSAIRE(Jurisprud.) ce terme est usité en Droit, & dans quelque pays de droit écrit, pour signifier un arbitre. Ceux qui passent un compromis sont nommés compromissores, & les arbitres compromissarii. Voyez le trésor de Brederode, au mot compromissarius. (A)


COMPS(Géog.) petite ville de France en Provence, sur la riviere de Nartabre.


COMPTABILITÉsub. f. (Jurisprud.) Voyez ci-après l'article de la chambre des comptes qui est à la suite du mot compte, vers la fin dudit article.


COMPTABLES. m. (Jurisprud.) en général est celui qui manie des deniers dont il doit rendre compte. Ainsi un tuteur est comptable envers son mineur, un héritier bénéficiaire envers les créanciers de la succession, un exécuteur testamentaire envers les héritiers-légataires & créanciers ; un sequestre ou gardien est comptable des effets à lui confiés & des fruits par lui perçûs, envers la partie saisie & les créanciers, & ainsi des autres.

Tout comptable est réputé débiteur jusqu'à ce qu'il ait rendu compte & payé le reliquat, s'il en est dû un, & remis toutes les pieces justificatives. Ordonnance de 1667, tit. xxjx. art. 1.

L'article suivant porte que le comptable peut être poursuivi de rendre compte devant le juge qui l'a commis ; ou s'il n'a pas été commis par justice, devant le juge de son domicile.

Mais si le comptable est privilégié, il peut demander son renvoi devant le juge de son privilége.

Pour ce qui concerne les comptables de la chambre des comptes, voyez ci-après l'article de cette chambre, qui est à la suite du mot compte, vers la fin de l'article. (A)

COMPTABLE, (Quittance). On appelle quittances comptables les quittances & décharges qui sont en bonne forme, & qui peuvent être reçûes dans un compte pour en justifier les dépenses. Au contraire les quittances non comptables sont celles que l'oyant compte peut rejetter comme n'étant pas en forme compétente, & ne justifiant pas assez l'emploi des deniers. (G)

COMPTABLE signifie aussi en Guyenne, particulierement à Bordeaux, le fermier ou receveur du droit qu'on nomme comptablie. Voyez COMPTABLIE à l'article suivant. (G)


COMPTABLIECOMPTABLIE

Pour entendre ce que c'est que ce droit de comptablie, & en quoi il differe des droits qui se payent ailleurs, il faut observer que la généralité de Bordeaux est toute entiere hors l'étendue des cinq grosses fermes, & par conséquent réputée étrangere à l'égard du reste du royaume. C'est pourquoi l'on a établi dans cette généralité divers droits d'entrée & de sortie pour toutes les marchandises. Les deux especes les plus générales de ces droits, sont ceux de coûtume & de comptablie, & ceux de convoi. Les premiers, c'est-à-dire les droits de coûtume & de comptablie, sont locaux, & se perçoivent spécialement dans la sénéchaussée de Bordeaux à l'entrée & à la sortie de toutes les marchandises, vivres & denrées.

Ce droit de comptablie qui produisoit peu de chose dans son origine, appartenoit autrefois à l'abbaye de Sainte-Croix ; les religieux s'en défirent en faveur de la ville de Bordeaux, sur laquelle ce droit a été dans la suite confisqué avec celui de convoi au profit du roi Louis XIV. lorsque cette ville eut le malheur de lui déplaire.

Depuis ce tems, dans tous les baux des fermes générales on comprend nommément la ferme du convoi & comptablie de Bordeaux, de même que celles des doüannes de Lyon & de Valence, Patente de Languedoc, &c.

Pour ce qui est des droits de convoi, voyez ci-après au mot CONVOI DE BORDEAUX. (A)


COMPTANTsub. m. terme qui dans le Commerce a plusieurs significations.

Il se dit ordinairement entre négocians pour signifier de l'argent réel & effectif qu'on donne & qu'on reçoit sur le champ pour le prix convenu de quelque marchandise. J'ai vendu comptant, j'ai acheté comptant ; & en ce sens il est opposé à crédit. Voyez CREDIT.

2°. Comptant signifie le fonds qui se trouve en argent monnoyé chez un banquier ou négociant, &c.

3°. Comptant, argent comptant, s'entend des monnoies ayant cours, ou des especes sonnantes dont on stipule que certains payemens seront faits, par opposition aux billets, écritures, ou papiers. Ainsi payer comptant, c'est payer en argent & non en lettres de change ou promesses.

Comptant, en terme de Finances ; on appelle ordonnance de comptant, une ordonnance que le Roi donne pour être payée & acquittée au trésor royal, où il n'est point expliqué la destination des sommes accordées, & pour le payement desquelles il n'est besoin d'aucunes formalités. Voyez le dictionnaire du Commerce, Trévoux & Chambers.


COMPTES. m. (Commerce) est un état calculé ou non calculé d'effets possédés, administrés, acquis, reçûs, dûs, ou dépensés. Ce terme a un grand nombre d'acceptions différentes dans le Commerce. On dit en ce sens que trois sortes de comptes sont absolument nécessaires pour la clôture des livres en parties doubles ; le compte de capital, le compte de profits & pertes, & le compte de bilan.

Le compte de capital est un compte particulier ouvert au débit du grand livre : il contient tous les effets d'un négociant, c'est-à-dire son argent comptant, ses marchandises, billets, promesses, obligations, parties arrêtées, meubles meublans, immeubles, & généralement tout ce qui lui appartient, franc & quitte de toutes dettes & hypotheques.

Le compte de profits & de pertes est ouvert sur le grand livre : il est composé de tous les gains ou pertes qu'un négociant a pû faire dans son négoce. Les pertes s'écrivent au crédit, & les profits se portent au débit. Voyez CREDIT & DEBIT.

Le compte de bilan ne s'ouvre au grand livre que pour la clôture des livres. Quand il s'agit de la sortie des livres, on l'appelle compte de bilan de sortie ; & lorsqu'il est question de prendre de nouveaux livres, on le nomme compte de bilan d'entrée. Dans le premier on porte au débit tout ce qui est dû, & au crédit tout ce que l'on doit. Dans le second on porte au débit tout ce qui est au crédit du compte de bilan de sortie, & au crédit tout ce qui est au débit de ce même compte de bilan de sortie.

COMPTES (livres de), ce sont des journaux, registres, sur lesquels les marchands, négocians, banquiers, & autres, portent leurs effets, leur recette, & leur dépense.

Ouvrir un compte, c'est le placer pour la premiere fois dans le grand livre, ce qui se fait en écrivant en gros caracteres les nom, surnom & demeure de celui avec qui on entre en compte ouvert ; ensuite on le charge des articles, soit en débit, soit en crédit, à mesure que les affaires se présentent ; & l'on fait en même tems mention de ce compte sur le répertoire ou alphabet. Voyez ALPHABET & REPERTOIRE.

Apostiller un compte, c'est mettre des notes & apostilles à côté de chaque article, aux uns pour les alloüer, aux autres pour les débattre.

Vérifier un compte, c'est l'examiner.

Clorre un compte, c'est l'arrêter, & en fixer le reliquat.

Finito de compte, se prend pour l'arrêté même du compte.

Coucher une somme sur un compte, c'est enregistrer sur le grand livre, soit en crédit, soit en débit, les parties dont les particuliers deviennent débiteurs ou créditeurs.

Pointer les parties d'un compte, c'est mettre un point à côté de chaque partie que le teneur de livres vérifie, pour justifier que la rencontre est juste.

Contre-partie d'un compte, en termes de banque & de commis aux bureaux des fermes du Roi ; c'est le registre que tient le contrôleur, sur lequel il enregistre toutes les parties dont le teneur de livres, si c'est pour la banque, ou le receveur, si c'est pour les fermes du Roi, charge le sien.

Ordre d'un compte, c'est sa division en chapitre de recette, dépense, & reprise.

Examiner un compte, c'est le lire exactement, en pointer les articles, en vérifier le calcul, pour voir s'il n'y a point d'erreur.

Solder un compte, c'est le calculer, le régler, l'arrêter, en faire la balance. Voyez BALANCE & SOLDE.

Passer en compte, c'est tenir compte à quelqu'un d'une somme qu'on a reçûe de lui ou pour lui.

Rendre compte, c'est, lorsqu'on est comptable, fournir l'état de sa recette & de sa dépense.

Apurer un compte, c'est en juger tous les débats, & en faire lever toutes les souffrances ou apostilles mises en marge. Voyez SOUFFRANCE & APOSTILLE.

Bordereau de compte, c'est l'extrait d'un compte, dans lequel on comprend toutes les sommes d'un compte tirées hors de ligne, tant de la recette que de la dépense. Voyez BORDEREAU.

Debet de compte, c'est la somme dont la recette excede la dépense.

Solde de compte, c'est la somme dont le débit excede le crédit, ou le crédit excede le débit, quand le compte est bien vérifié & arrêté, & que la balance en est faite.

Ligne de compte, c'est la somme qu'on tire à la marge blanche qu'on laisse à côté d'un compte sur la droite. Elle contient en chiffres la somme couchée en toutes lettres dans le corps ou texte de l'article qui y répond.

Affirmer un compte, c'est jurer & assûrer qu'il est véritable. Les comptables, quand ils présentent leurs comptes, ont coûtume de mettre à la marge de la premiere page ces mots : présenté & affirmé véritable.

Débattre un compte, c'est faire des remarques sur les divers articles d'un compte, soit pour en augmenter la recette, soit pour en faire diminuer la dépense.

COMPTE EN BANQUE, c'est un fonds que les marchands, négocians, banquiers, ou autres particuliers, déposent dans la caisse commune d'une banque, pour s'en servir au payement des billets, lettres de change, &c.

COMPTE EN PARTICIPATION, est une espece de compte qui se fait entre deux marchands ou négocians, pour raison d'une société anonyme qu'on appelle société participe ou société par participation. Voyez SOCIETE.

COMPTE est aussi un terme relatif qui concerne une société, quand deux ou trois personnes font des recettes ou des dépenses les unes pour les autres. On dit en ce sens : cet homme est de bon compte.

COMPTE se dit encore d'un calcul ou dénombrement qui se fait de plusieurs choses ou quantités séparées qui sont d'une même espece. Du bois de compte, est en ce sens une certaine quantité de bûches qui composent une voie.

COMPTE, (grand) ou COMPTE MARCHAND, & PETIT COMPTE, sont des termes usités dans le Commerce, pour signifier un certain nombre de morues ou de poignées de morues. A Orléans & en Normandie le cent de morues est de cent trente-deux morues, ou de soixante-six poignées ; c'est ce qu'on nomme grand compte : & à Paris il n'est que de cent huit morues ; ce qui s'appelle petit compte.

COMPTES FAITS, sont de certaines tables ou tarifs où on trouve des réductions toutes faites de poids, de mesures, de changes, d'escomptes, d'intérêts, de monnoies, &c. tels sont les comptes faits de Barrême.

COMPTE signifie encore gain, profit, avantage, bon marché. Faire son compte, trouver son compte, &c. Il se dit encore des déboursés & fraix volontaires qu'on ne pourra se faire passer en compte. S'il dépense au-delà de ses ordres, ce sera sur son compte.

COMPTE se dit encore de plusieurs petites choses qui se prennent à la main, ou qu'on jette ensemble pour compter avec plus de promtitude. Ainsi un cent de noix est composé de vingt comptes, avec les quatre au cent. Voyez les dict. de Trév. du Com. Dish. Chambers. (G)

COMPTE, (Jurisp.) il se prend ici pour l'état de recette & de dépense de biens dont on a eu l'administration.

Toute personne qui a géré le bien d'autrui doit en rendre compte lorsque sa gestion est finie ; & jusqu'à ce que ce compte soit rendu & apuré, & les pieces justificatives remises, le comptable est toûjours réputé débiteur.

Ainsi le mari ou ses héritiers, après la dissolution de la communauté, doivent en rendre compte à la femme ou à ses héritiers ; le tuteur, protuteur, curateur, doit un compte à son mineur après la tutele finie ; l'héritier bénéficiaire doit un compte de la succession aux créanciers ; celui des associés qui a géré l'affaire commune, en doit rendre compte aux autres : un marguillier comptable doit pareillement compter de son administration ; enfin un fondé de procuration, les fermiers judiciaires, sequestres, gardiens, & généralement tous ceux qui ont administré le bien d'autrui, doivent un compte.

Entre majeurs on peut rendre compte à l'amiable ou en justice ; mais on ne peut compter qu'en justice vis-à-vis des mineurs & autres qui joüissent du même privilége.

Quand le compte est rendu en justice, il est exécutoire pour le reliquat, s'il y en a un, sans qu'il soit besoin d'attendre le jugement pour cet objet ; sauf en jugeant à augmenter le reliquat, s'il y a lieu.

Le compte peut être rendu par bref état, ou être dressé dans toutes les formes, par recette, dépense, & reprise.

L'intitulé du compte contient les noms & qualités du rendant compte & de l'oyant.

On explique ensuite ordinairement dans le préambule les objets du compte.

On porte ensuite successivement la recette, la dépense & les reprises, & chacun de ces objets est quelquefois divisé en plusieurs chapitres, selon que la matiere y est disposée.

Si le comptable a été commis par justice, on ne peut le poursuivre que devant le même juge pour rendre compte : mais quand il n'a pas été commis par justice, il faut le poursuivre devant son juge.

Si le comptable refuse de rendre compte, on le condamne à payer quelque somme, pour tenir lieu de ce qui en pourroit revenir à l'oyant ; & si c'est un dépositaire de deniers royaux ou publics, on le condamne par corps.

En matiere de compte on appointe ordinairement les parties à fournir débats & soûtenemens, parce que ces sortes de discussions ne peuvent guere être faites à l'audience.

Le jugement qui intervient sur un compte doit en fixer le reliquat.

Le compte jugé, on ne peut point en demander la revision ; mais s'il y a des erreurs de calcul, omissions de recette, faux & doubles emplois, on peut en demander la réformation : ces sortes d'erreurs ne se couvrent point, mais elles se réforment aux fraix du rendant ; excepté pour l'erreur de calcul, au cas qu'elle ne vînt pas de son fait, mais de celui du juge. Voyez l'ordonn. de 1667, tit. xxjx.

COMPTE DE BENEFICE D'INVENTAIRE, voyez BENEFICE D'INVENTAIRE, & HERITIER BENEFICIAIRE.

COMPTE PAR BREF ETAT, est celui qui se rend par un simple mémoire ; à la différence d'un compte en regle, qui doit être en la forme prescrite par l'ordonnance de 1667, tit. xxjx. art. 17. Suivant l'art. 22. du même tit. les majeurs peuvent compter devant des arbitres ou à l'amiable ; on ordonne même en justice que les parties compteront par bref état, lorsque c'est entre majeurs. Voyez ci-devant COMPTE.

COMPTE DE CLERC A MAITRE, est celui où le comptable porte en recette tout le bénéfice qu'il a pû faire dans sa commission, & en dépense tous les fraix qu'il a été obligé de faire, & les pertes qu'il a essuyées. Les fermiers du Roi sont toûjours reçûs à compter de clerc à maître du produit de leurs baux, & ne sont point tenus d'en payer le prix au-delà du bénéfice qu'ils en ont retiré, ou pû retirer.

COMPTE PAR COLONNES, est celui dans lequel la recette & la dépense, quoique liquidées à la fin de chaque année, ne sont compensées qu'à la fin de la derniere année seulement, ou de trois en trois ans ; à la différence du compte par échelette, où la compensation se fait année par année. Chorier, en sa Jurispr. de Guypape, p. 294. rapporte plusieurs arrêts pour l'une & l'autre façon de compter : mais le compte par échelette est le plus usité, & paroît en effet le plus équitable. Voyez le dict. des arr. au mot compte.

COMPTE DES COMPTABLES DE LA CHAMBRE DES COMPTES, voyez ci-après à la fin de l'article de la CHAMBRE DES COMPTES, qui est sous ce même mot, COMPTE.

COMPTE DE COMMUNAUTE, voyez ci-devant COMMUNAUTE DE BIENS.

COMPTE PAR ECHELETTE, est celui dans lequel l'imputation de la dépense se fait sur la recette année par année ; à la différence du compte par colonnes, où la dépense & la recette sont bien liquidées à la fin de chaque année ; mais la compensation & imputation ne s'en fait qu'à la derniere année seulement. Voyez ci-devant COMPTE PAR COLONNES.

COMPTE PAR LIVRES, SOUS & DENIERS : l'usage en fut introduit dès l'an 755. Il fut ordonné de la pratiquer par Philippe VI. le 22 Août 1343, & encore le 26 Octobre suivant, & en 1347 & 1348. Le roi Jean ordonna la même chose en 1351, 1353 & 1354. Voyez le recueil des ordonn. de la troisieme race.

Cette maniere de compter fut abrogée par édit de l'an 1577, qui ordonna de compter par écu.

Mais le compte par livres, sous & deniers, fut rétabli par Henri IV. en 1602. Ess. polit. sur le Com. p. 247.

Anciennement on avoit la liberté de stipuler & de compter par livres, sous & deniers parisis, ou en même valeur tournois ; ce qui venoit de la différence de monnoies parisis & tournois qui avoient cours en même tems, ou qui l'avoient eu précédemment. Mais l'ordonnance de 1667, tit. xxvij. art. 18. ordonne de compter par livres, sous & deniers tournois, & non par parisis ; ce qui s'entend pour les conventions nouvelles : car pour les anciennes redevances qui sont dûes en livres, sous & deniers parisis, il est toûjours permis de les compter suivant l'ancien usage, conformément au titre, sauf à les évaluer & réduire en sommes tournois.

Les Hollandois comptent par florins ou livres de gros ; les Anglois, par livres sterling ; les Vénitiens, par ducats. Ibid. pag. 380.

COMPTE NUMERAIRE, signifie le compte d'une ou plusieurs sommes, par livres, sous & deniers.

COMPTE DE SOCIETE, voyez SOCIETE.

COMPTE DE TUTELE, voyez TUTELE.


COMPTEPASS. m. instrument qui sert à mesurer le chemin qu'on a fait à pié, ou même en voiture. On l'appelle aussi odometre. V. ODOMETRE. (O)


COMPTER(ART DE) Métaph. Logiq. faculté de l'ame, attent. mém. opération de l'esprit qui joint par des noms & des signes différens, plusieurs choses d'une même espece, comme sont les unités, & par ce moyen forme l'idée distincte d'une dixaine, d'une vingtaine, d'une centaine ; dix, 10 ; vingt, 20 ; cent, 100.

La plûpart des hommes savent compter, sans entendre le moins du monde cette méchanique, sans se rappeller la peine & les soins qu'ils ont eu pour l'apprendre, comment ils y sont parvenus, pourquoi ils ne confondent pas les noms & les signes, pourquoi cette variété de noms & de signes ne cause cependant pas d'erreur, quelle en est la raison, &c. Le lecteur pourra trouver ces explications dans l'ouvrage de Locke sur l'entendement humain, & dans celui de M. de Condillac sur l'origine des connoissances humaines. Nous nous bornerons à la simple exposition qu'ils donnent de l'opération que l'esprit doit faire pour compter.

Compter, est joindre à l'idée que nous avons de l'unité qui est la plus simple, une unité de plus dont nous faisons une idée collective que nous nommons deux ; ensuite avancer en ajoûtant toûjours une unité de plus à la derniere idée collective ; enfin donner au nombre total, regardé comme compris dans une seule idée, un nom & un signe nouveau & distinct, par lesquels on puisse discerner ce nombre de ceux qui sont devant & après, & le distinguer de chaque multitude d'unités, qui est plus petite ou plus grande.

Celui donc qui fait ajoûter un à un, 1 à 1, ce qui force l'idée complexe de deux, 2, & avancer de cette maniere dans son calcul, marquant toûjours en lui-même les noms distincts qui appartiennent à chaque progression, & qui d'autre part ôtant une unité de chaque collection, peut les diminuer autant qu'il veut ; celui-là est capable d'acquérir toutes les idées des nombres dont les noms & les signes sont en usage dans sa langue : car comme les différens modes des nombres ne sont dans notre esprit que tout autant de combinaisons d'unités qui ne changent point, & ne sont capables d'aucune autre différence que du plus ou du moins ; il s'ensuit que des noms & des signes particuliers sont plus nécessaires à chacune de ces combinaisons distinctes, qu'à aucune autre espece d'idées. La raison de cela est que sans de tels noms & signes qui les caractérisent, nous ne pouvons faire aucun usage des nombres en comptant, sur-tout lorsque la combinaison est composée d'une grande multitude d'unités ; car alors il seroit difficile, ou presque impossible, d'empêcher que de ces unités étant jointes ensemble sans avoir distingué cette collection particuliere par un nom & un signe précis, il ne s'en fasse un parfait chaos.

C'est-là la raison pourquoi certains peuples ne peuvent en aucune maniere compter au-delà de vingt, de cent, de mille ; parce que leur langue uniquement accordée au peu de besoins d'une pauvre & simple vie, n'a point de mots qui signifient vingt, cent, mille ; desorte que lorsqu'ils sont obligés de parler de quelque grand nombre, ils montrent les cheveux de leur tête ; pour marquer en général une grande multitude qu'ils ne peuvent nombrer.

Jean de Léry qui a été chez les Toupinambes, peuple sauvage de l'Amérique méridionale du Bresil, nous apprend dans son voyage fait en la terre du Bresil, ch. xx. qu'ils n'avoient point de nombre au-dessus de cinq ; & que lorsqu'ils vouloient exprimer quelque nombre au-delà, ils montroient leurs doigts & les doigts des autres personnes qui étoient avec eux. Leur calcul n'alloit pas plus loin ; ce qui prouve que des noms distincts sont absolument nécessaires pour compter, & que pour aller aux progressions les plus étendues du calcul, les langues ont besoin de dénominations propres & de signes propres, que nous appellons chiffres, pour exprimer ces progressions. Or voici comment cela s'exécute dans notre langue.

Lorsqu'il y a plusieurs chiffres sur une même ligne, pour éviter la confusion, on les coupe de trois en trois par tranche, ou seulement on laisse un petit espace vuide, & chaque tranche ou chaque ternaire a son nom. Le premier ternaire s'appelle unité ; le second, mille ; le troisieme, million ; le quatrieme, billion ; le cinquieme, trillion ; le sixieme, quatrillion ; puis quintillion, sextillion, septillion ; ainsi de suite, la dénomination des nombres & des signes peut être infinie.

Les enfans commencent assez tard à compter, & ne comptent point fort avant ni d'une maniere fort assûrée, que long-tems après qu'ils ont l'esprit rempli de quantité d'autres idées ; soit que d'abord il leur manque des mots pour marquer les différentes progressions des nombres, ou qu'ils n'ayent pas encore la faculté de former des idées complexes de plusieurs idées simples & détachées les unes des autres ; de les disposer dans un certain ordre régulier, & de les retenir ainsi dans leur mémoire, comme il est nécessaire pour bien compter. Quoi qu'il en soit, on peut voir tous les jours des enfans qui parlent & raisonnent assez bien, & ont des notions fort claires de bien des choses, avant que de pouvoir compter jusqu'à vingt.

Il y a des personnes qui faute de mémoire ne pouvant retenir différentes combinaisons de nombres, avec les noms qu'on leur donne par rapport aux rangs distincts qui leur sont assignés, ni la dépendance d'une si longue suite de progressions numérales dans la relation qu'elles ont les unes avec les autres, sont incapables durant toute leur vie de compter, ou de suivre régulierement une assez petite suite de nombres : car qui veut compter quatre-vingt, ou avoir une idée de ce nombre, doit savoir que soixante-dix-neuf le précede, & connoître le nom ou le signe de ces deux nombres, selon qu'ils sont marqués dans leur ordre ; parce que dès que cela vient à manquer, il se fait une breche, la chaîne se rompt, & il n'y a plus aucune progression.

Il est donc nécessaire, pour bien compter, 1°. que l'esprit distingue exactement deux idées, qui ne different l'une de l'autre que par l'addition ou la soustraction d'une unité : 2°. qu'il conserve dans sa mémoire les noms des différentes combinaisons depuis l'unité jusqu'à ce nombre qu'il a à compter, & cela sans aucune confusion, & selon cet ordre exact dans lequel les nombres se suivent les uns les autres : 3°. qu'il connoisse sans aucune erreur chaque chiffre ou signe distinct, inventé pour représenter précisément la collection des diverses unités, qui ont aussi chacune leurs noms distincts & particuliers. Il doit savoir bien que le signe 9 réprésente la collection que nous appellons neuf ; que les deux chiffres 19 représentent cette collection que nous appellons dix-neuf, tandis que les deux chiffres 91 représentent la collection que nous appellons quatre-vingt-onze, & ainsi de suite pour l'assemblage de toutes les collections.

Nous ne discernons différentes collections, que parce que nous avons des chiffres qui sont eux-mêmes fort distincts. Otons ces chiffres, ôtons tous les signes en usage, & nous appercevrons qu'il nous est impossible d'en conserver les idées. Le progrès de nos connoissances dans les nombres, vient uniquement de l'exactitude avec laquelle nous avons ajoûté l'unité à elle-même, en donnant à chaque progression un nom & un signe qui la fait distinguer de celle qui la précede & de celle qui la suit. Je sai que cent (100) est supérieur d'une unité à quatre-vingt-dix-neuf (99), & inférieur d'une unité à cent un (101) ; parce que je me souviens que 99, 100, 101, sont les trois signes choisis pour désigner ces trois nombres qui se suivent.

Il ne faut pas se faire illusion, en s'imaginant que les idées des nombres séparées de leurs signes soient quelque chose de clair & de déterminé : il est même hors de doute que quand un homme ne voudroit compter que pour lui, il seroit autant obligé d'inventer des signes, que s'il vouloit communiquer ses comptes.

Voilà comme s'exécute l'opération que nous nommons compter. Cette opération est la mesure de tout ce qui existe ; la Métaphysique, la Morale, la Physique, toutes les sciences y sont soûmises. Concluons avec M. l'abbé de Condillac, que pour avoir des idées sur lesquelles nous puissions refléchir, nous avons besoin des signes qui servent de liens aux différentes collections d'idées simples ; & pour le dire en un mot, nos notions ne sont exactes qu'autant que nous avons inventé avec ordre les signes qui doivent les fixer. Des gestes, des sons, des chiffres, des lettres, c'est avec des instrumens aussi étrangers à nos idées, que nous les mettons en oeuvre pour nous élever aux connoissances les plus sublimes. Les matériaux sont les mêmes chez tous les hommes ; mais l'adresse à s'en servir les distingue. Voyez ARITHMETIQUE, BINAIRE, CALCUL, CARACTERE, CHIFFRE, MBREMBRE. Article de M(D.J.)

COMPTER, (Comm.) on compte aux jettons ou à la plume ; c'est dans l'un & l'autre cas exécuter les différentes opérations d'arithmétique. Il se dit 1°. des payemens qui se font en especes on monnoies courantes ; il m'a compté 400 livres : 2°. relativement aux arrêtés de payement ou de compte que font entr'eux les Marchands ou Négocians. Les Marchands doivent compter tous les six mois, tous les ans au moins avec les personnes auxquelles ils font crédit, pour éviter les fins de non-recevoir.

COMPTER PAR BREF ETAT ; c'est compter sommairement sur de simples mémoires ou bordereaux de compte. Voyez BORDEREAU.

COMPTER EN FORME ; c'est lorsque le compte qu'on présente est en bonne forme, ou bien libellé. On le dit encore lorsqu'on examine un compte avec le légitime contradicteur.

COMPTER DE CLERC A MAITRE ; c'est lorsqu'un comptable ne compte que de ce qu'il a reçû, sans qu'on le rende responsable d'autre chose que de la recette des deniers.

COMPTER une chose à quelqu'un, c'est quelquefois lui en tenir compte, & quelquefois la mettre sur son compte.

COMPTER PAR PIECES, c'est compter en détail ; ce qui est opposé à compter en gros. Voyez les diction. de Comm. Trév. Dish. Chamb.


COMPTES(CHAMBRES DES +) regiarum rationum curiae, sont des cours établies principalement pour connoître & juger en dernier ressort de ce qui concerne la manutention des finances, & la conservation du domaine de la couronne.

Dans l'origine il n'y avoit que la chambre des comptes de Paris, qui est présentement la premiere & la principale de toutes. On en parlera dans l'article suivant.

Depuis il en a été établi plusieurs autres en différens tems.

On voit qu'avant 1566 il y avoit, outre la chambre des comptes de Paris, celles de Dijon, de Grenoble, d'Aix, de Nantes, de Montpellier & de Blois.

Les quatre premieres étoient des chambres des comptes établies par le duc de Bourgogne, le dauphin de Viennois, le comte de Provence, le duc de Bretagne. La chambre des comptes qui avoit été établie pour l'apanage des comtes de Blois, fut créée par François I. en titre de chambre des comptes, par édit de 1525, lequel détermina l'étendue de son ressort.

Celle de Montpellier fut établie par François I. par son édit du mois de Mars 1522.

Elles furent toutes supprimées par l'ordonnance de Moulins, de Février 1566, & la chambre des comptes de Paris demeura la seule chambre des comptes du royaume.

Par édit du mois d'Août 1568, le roi Charles IX. rétablit ces six chambres des comptes ; savoir,

Dijon, dont le ressort comprend le duché de Bourgogne.

Grenoble, qui comprend le Dauphiné.

Aix, qui comprend la Provence, à laquelle est aussi unie la cour des aides.

Nantes, qui comprend le duché de Bretagne.

Montpellier, qui comprend le Languedoc ; la cour des aides y a été unie.

Et Blois, dont le ressort est très-peu étendu.

La chambre des comptes de Rouen a été créée & établie par édit de Juillet 1580 : elle comprend le duché de Normandie, qui contient les généralités de Rouen, de Caën & Alençon ; la cour des aides de Normandie y a été unie.

La chambre des comptes de Pau comprend le royaume de Navarre, & avoit été établie par les rois de Navarre. Celle de Nérac y fut réunie par édit d'Avril 1624. Elle est aujourd'hui réunie au parlement de Pau, ainsi que la cour des aides.

La chambre des comptes de Dole comprend le comté de Bourgogne, autrement nommé la Franche-Comté, & avoit été établie par les anciens comtes de Bourgogne. Elle a été confirmée depuis la conquête faite par Louis XIV. de cette province, par édit d'Août 1692. La cour des aides y a été unie.

La chambre des comptes de Metz comprend les trois évêchés de Metz, Toul & Verdun. Elle est unie au parlement de Metz, ainsi que la cour des aides & la cour des monnoies.

Outre ces chambres des comptes, il y en eut d'autres d'établies en différens tems, soit par les reines pour les domaines à elles donnés pour leurs doüaires : soit par des enfans de France pour leurs apanages : mais il n'y en a actuellement aucune ; & la chambre des comptes de Paris connoît de l'apanage de M. le duc d'Orléans, qui est le seul qui subsiste aujourd'hui.

COMPTES DE PARIS, (Chambre des) est l'une des deux compagnies matrices du royaume.

Les rois ont toûjours regardé l'administration de la justice comme une des plus nobles fonctions de la royauté. Dans les premiers tems ils la rendoient eux-mêmes, ou la faisoient rendre en leur présence. Dans la suite les affaires s'étant multipliées, & le gouvernement intérieur & extérieur de leur état exigeant d'eux des soins continuels, ils s'attacherent principalement à établir des lois, & à veiller à leur observation.

Ils en confierent l'exécution au parlement & à la chambre des comptes ; l'un eut en partage l'exercice de la justice qui avoit rapport à la tranquillité des citoyens, & l'autre celui qui concernoit l'administration des finances.

Il paroît que la chambre des comptes étoit sédentaire sous le regne de S. Louis : il se trouve au registre croix, fol. 35. une ordonnance de ce prince de l'an 1256, qui ordonne aux mayeurs & prud'hommes de venir compter devant les gens des comptes à Paris ; preuve certaine que ce tribunal y étoit dès-lors établi.

Les rois dans tous les tems ont donné à cette compagnie des marques de la plus parfaite estime ; plusieurs l'ont honoré de leur présence. Philippe de Valois, Charles V. Charles VI. & Louis XII. y sont venus pour délibérer sur les plus importantes affaires de leur état. Ce fut à la chambre que l'on examina

+ Comme toutes les cours & compagnies souveraines du royaume ne sont pas parfaitement d'accord entr'elles sur leur origine, ni sur leurs dignités & prérogatives, nous ne hasardons pas notre avis sur des discussions si importantes, & nous nous contentons d'exposer fidelement a chaque article les prétentions de chaque compagnie. Ainsi à l'occasion de cet article CHAMBRES DES COMPTES, voyez les articles PARLEMENT, COUR DES AIDES, BUREAU DES FINANCES, &c.

s'il convenoit de donner connoissance au peuple du traité de Bretigny conclu en 1359, & qu'il fut résolu qu'on le rendroit public.

Le conseil secret, que l'on appelloit alors grand-conseil, se tenoit souvent à la chambre des comptes, en présence des princes, des grands du royaume, du chancelier, des cardinaux, archevêques & évêques, des présidens, maîtres des requêtes, conseillers au parlement, & autres conseillers dudit conseil. On traitoit dans ces assemblées des affaires de toute nature, soit concernant la finance & la justice, soit concernant le fait & état du royaume ; & les résolutions qui y étoient prises formoient les ordonnances qui sont connues sous le titre d'ordonnances rendues par le conseil tenu en la chambre des comptes. Voyez les huit premiers volumes des ordonnances royaux.

Dans d'autres occasions, les officiers de la chambre des comptes étoient mandés près de la personne du roi, & étoient admis aux délibérations qui se prenoient dans le conseil privé.

Philippe de Valois, l'un des plus sages & des plus vaillans princes de notre monarchie, donna pouvoir à la chambre, par lettres du 13 Mars 1339, d'octroyer pendant le voyage qu'il alloit faire en Flandre, toutes lettres de grace, d'annoblissemens, légitimations, amortissemens, octrois, &c. & il permit à cette compagnie, par autres lettres du dernier Janvier 1340, d'augmenter ou diminuer le prix des monnoies d'or ou d'argent.

Des officiers de la chambre des comptes furent chargés de l'exécution des testamens de Charles V. & de Charles VI.

Outre ces marques d'honneur & de confiance que la chambre a reçû de ses souverains, ils lui ont accordé des prérogatives & des priviléges considérables. Les officiers de cette compagnie ont la noblesse au premier degré ; ils ont le titre & les droits de commensaux de la maison du Roi ; ils ne doivent payer aucunes décimes pour les bénéfices qu'ils possedent ; plusieurs d'entr'eux ont même joüi du droit d'indult que Charles VII. en 1445, avoit demandé au pape d'accorder aux officiers de cette compagnie ; ils sont exempts de droits seigneuriaux, quints & requints, reliefs en rachats, & lods & ventes dans la mouvance du Roi, de toutes les charges publiques, de ban & arriere-ban, de logemens de gens de guerre, de tailles, corvées, péages, subventions, aides, gabelles, &c.

Un grand nombre d'édits & de déclarations, & notamment celles du 13 Août 1375, 7 Décembre 1460, 23 Novembre 1461, 26 Février 1464, & 20 Mars 1500, ont confirmé à la chambre les droits & exemptions ci-dessus exprimés, comme étant cour souveraine, principale, premiere, seule, & singuliere du dernier ressort en tout le fait des comptes & des finances, l'arche de repositoire des titres & enseignemens de la couronne & du secret de l'état, gardienne de la régale, & conservatrice des droits & domaines du Roi.

Les titres dont le dépôt est confié à cette compagnie sont si importans, que l'ordonnance de Décembre 1460 expose que les Rois se rendoient souvent en personne en la chambre, pour y examiner eux-mêmes les registres & états du domaine ; afin, est-il dit, d'obvier aux inconvéniens qui pourroient s'ensuivre de la révélation & portation d'iceux.

Pour donner une idée plus particuliere de la chambre des comptes, il faut la considérer, 1° eu égard aux officiers dont elle est composée, 2° à la forme dont on y procede à l'instruction & au jugement des affaires, 3° à l'étendue de la jurisdiction qu'elle exerce.

Les officiers qui la composent sont divisés en plusieurs ordres : il y a outre le premier président, douze autres présidens, soixante-dix-huit maîtres, trente-huit correcteurs, quatre-vingt-deux auditeurs, un avocat, & un procureur général, deux greffiers en chef, un commis plumitif, deux commis du greffe, trois contrôleurs du greffe, un payeur des gages qui remplit les trois offices, & trois contrôleurs desdits offices, un premier huissier, un contrôleur des restes, un garde des livres, vingt-neuf procureurs, & trente huissiers.

Les officiers de la chambre servent par semestre ; les uns depuis le premier Janvier jusqu'au dernier Juin, les autres depuis le premier Juillet jusqu'au dernier Décembre. Le premier président, les gens du Roi, & les greffiers en chef, sont les seuls officiers principaux dont le service soit continuel.

Les semestres s'assemblent pour registrer les édits & déclarations importantes, pour délibérer sur les affaires qui intéressent le corps de la chambre, pour procéder à la réception de ces officiers, &c. Dans ces assemblées M M. les présidens & maîtres qui ne sont point de semestre y prennent le rang que leur donne l'ancienneté de leur réception.

A l'égard du service ordinaire, la chambre est partagée en deux bureaux : les trois anciens présidens du semestre sont du grand bureau, & les trois autres du second. Les maîtres des comptes changent tous les mois de l'un à l'autre bureau : ces deux bureaux s'assemblent pour délibérer sur les édits, déclarations, & autres affaires, qui par leur objet ne demandent pas à être portées devant les semestres assemblés.

La forme dans laquelle se dressent & se jugent les comptes, est principalement réglée par les ordonnances de 1598 & de 1669. On suit la disposition de l'ordonnance de 1667 dans les affaires civiles, & celle de 1670 pour l'instruction & jugement des affaires criminelles.

C'est au second bureau que se jugent tous les comptes, à l'exception de celui du trésor royal, de celui des monnoies, & de ceux qui se présentent pour la premiere fois. Lorsque la chambre faisoit l'examen des finances dont le Roi vouloit faire le remboursement, c'étoit au second bureau qu'on y procédoit, & que se dressoient les avis de finance.

C'est au grand bureau que s'expédient les autres affaires, & que se donnent les audiences dont les jours sont fixés, par l'ordonnance de 1454, aux mercredis & samedis : c'est dans ce tribunal que les ordres du Roi sont apportés, que les invitations sont faites, que les députations s'arrêtent, que les instances de correction & les requêtes d'apurement sont rapportées & jugées.

On peut distinguer en trois parties les fonctions que les officiers de la chambre exercent : 1° pour l'ordre public ; 2° pour l'administration des finances ; 3° pour la conservation des domaines du Roi & des droits régaliens.

On peut comprendre dans la premiere classe l'envoi qui se fait en la chambre de tous les édits, ordonnances, & déclarations qui ferment le droit général du royaume, par rapport à la procédure & aux dispositions des différentes lois que les citoyens sont tenus d'observer.

L'enregistrement que fait cette compagnie des contrats de mariage de nos Rois, des traités de paix, des provisions des chanceliers, gardes des sceaux, secrétaires d'état, maréchaux de France, & autres grands officiers de la couronne & officiers de la maison du Roi.

Celui des édits de création & suppression d'offices, de concession de priviléges & octrois aux villes, de toutes les lettres d'érection de terres en dignités, d'établissemens d'hôpitaux, de communautés ecclésiastiques & religieuses, d'union & désunion des bénéfices, de lettres de noblesse, de légitimation & de naturalité, &c.

Les commissions qui lui étoient données conjointement avec les officiers du parlement, pour aller tenir l'échiquier de Normandie avec la création du parlement de Rouen ; l'admission de ses principaux officiers aux assemblées des notables, pour délibérer sur la réformation des abus ; la convocation de ses officiers à la chambre de saint Louis, pour statuer sur les objets concernant la grande police ; l'invitation qui lui est faite de la part du roi pour assister aux cérémonies publiques, où elle marche à côté & prend sa place vis-à-vis du parlement ; dans celle qui doit se faire le vendredi d'après Pâques, ces deux compagnies sont mêlées, & semblent n'en faire plus qu'une ; le plus ancien officier du parlement est suivi du plus ancien officier de la chambre, & les autres se placent alternativement l'un après l'autre dans le même ordre.

La chambre, comme toutes les autres compagnies souveraines, a la police sur tous les officiers qui la composent, exerce la jurisdiction civile & criminelle contre ceux qui commettent des délits dans l'enceinte de son tribunal, & a connoissance des contraventions & de tout ce qui a rapport à l'exécution de ses arrêts. Voyez COURS DES AIDES.

Le second objet qui concerne l'administration de la finance, doit comprendre l'enregistrement de toutes les déclarations & lettres patentes qui reglent la forme des comptes, les délais dans lesquels ils doivent être présentés, & les condamnations d'amendes & intérêts, &c.

La réception des ordonnateurs, tels que le grand-maître de l'artillerie & le contrôleur général, & tels qu'étoient le surintendant des finances, le surintendant des bâtimens, le surintendant des mers & navigations, &c.

Les grands-maîtres des eaux & forêts, les trésoriers de France, tous les comptables & leurs contrôleurs, sont tenus de se faire recevoir & de prêter serment en la chambre.

Sur le jugement des comptes, on observera qu'anciennement les prevôts, baillifs, & sénéchaux, venoient rendre leurs comptes en la chambre, & qu'elle nommoit à leurs offices. Depuis, le recouvrement des deniers royaux & des villes a été confié à des receveurs particuliers qui ont été créés en titre d'office. La chambre des comptes de Paris connoît de tous les comptes des recettes générales des domaines, & de celles des finances ; des recettes & des tailles & de celles des octrois des dix-huit généralités de son ressort : mais elle juge beaucoup d'autres comptes, dont plusieurs semblent étendre sa jurisdiction dans tout le royaume ; puisque les recettes & dépenses qu'ils renferment, se font dans toutes les provinces. Les plus importans de ces comptes sont ceux du trésor royal, de l'extraordinaire des guerres, de la marine, des monnoies, des fortifications, des ponts & chaussées, des colonies, &c.

Les charges qui sont prononcées au jugement des comptes, doivent être élevées en vertu de requêtes d'apurement présentées par les comptables, lesquels prennent souvent la précaution de faire corriger leurs comptes ; ce qui leur devient nécessaire dans plusieurs circonstances.

Tous ceux qui obtiennent des lettres de don, lettres de pension, gages intermédiaires, indemnités, modérations d'amendes & d'intérêts, sont obligés de les faire registrer dans cette compagnie.

La chambre peut fermer la main aux comptables, & commettre à leurs exercices. Elle rend des arrêts sur le référé des maîtres des comptes distributeurs, pour les obliger par différentes peines à ne pas retarder la présentation & le jugement de leurs comptes. Elle fait apposer les scellés chez ceux qui décedent dans la généralité de Paris, fonction qu'elle n'exerce que dans le cas de nécessité, chez ceux qui sont domiciliés dans les Provinces, & dans laquelle les trésoriers de France sont autorisés à la suppléer par Arrêt du 19 Octobre 1706. Voyez BUREAU DES FINANCES. Elle accorde la main-levée de ses scellés aux héritiers des comptables chez qui elle les a apposés, lorsqu'elle juge par leur soûmission que les intérêts du roi sont en sûreté. S'il y avoit quelque crainte à cet égard, ou qu'il n'y eût point de soûmission de faite pour tous les héritiers, elle procéderoit à l'inventaire, à la vente des meubles, & au jugement de toutes les contestations qui naîtroient incidemment à cette opération.

Les poursuites qui résultent des charges subsistantes sur les comptes, se font à la requête du procureur général, par le ministere du contrôleur des restes, & sous les ordres des commissaires de la chambre, jusques & compris la saisie réelle.

Troisieme objet. La chambre vérifie toutes les ordonnances qui concernent la conservation & la manutention du domaine ; les édits qui permettent l'aliénation à tems des parties des domaines, & les déclarations qui en ordonnent la réunion. C'est dans ses dépôts que doivent en être remis les titres de propriété, & que sont conservés les foi & hommages, aveux & dénombremens, les terriers & les déclarations de temporel des ecclésiastiques.

La chambre reçoit les actes de féodalité de tous les vassaux de S. M. dans l'étendue de son ressort, lorsqu'ils ne les ont pas rendus entre les mains de M. le chancelier. Ceux qui ne possedent que de simples fiefs hors la généralité de Paris, peuvent aussi s'acquiter de ces devoirs devant les trésoriers de France, qui sont obligés d'en remettre tous les ans les actes originaux à la chambre. Les oppositions qui se forment devant elle à la réception des hommages, aveux, & dénombremens, sont renvoyées à l'audience pour y être statué.

La chambre a souvent ordonné des ouvrages publics & royaux, des poids & mesures, des ponts & chaussées, droit de péage & barrage ; lesquels ne peuvent être établis ni concédés qu'en vertu de lettres patentes dûement registrées par cette compagnie.

On voit par ses registres qu'anciennement elle passoit les baux des fermes, qu'elle commettoit plusieurs de ses officiers pour faire des recherches sur les usurpations & dégradations des domaines : elle a même l'administration des monnoies, dont elle a reçu les généraux jusqu'en 1552, que la cour des monnoies a été établie : depuis lequel tems elle a connu de cette partie avec moins d'étendue.

Ceux qui obtiennent des lettres de prélation, lettres d'amortissement, lettres de don, de confiscation, deshérence, ou bâtardise, sont obligés de les faire registrer à la chambre.

La chambre des comptes de Paris connoît privativement à toutes autres de ce qui concerne la régale. Lorsque les droits s'en percevoient au profit du Roi, les comptes en étoient régulierement rendus devant elle : depuis, Charles VII. ayant jugé à propos par ses lettres du 10 Décembre 1438, d'en destiner le produit à l'entretien de la Sainte-Chapelle, la chambre qui a l'administration de cette église, établit une somme pour traiter avec les nouveaux pourvûs des bénéfices, des revenus qui étoient échus pendant qu'ils avoient vaqué ; & cette espece de forfait s'appelloit composition de régale. Enfin Louis XIII. par ses lettres patentes de Décembre 1641, ayant résolu de donner aux bénéficiers les revenus échus pendant la vacance, retira de la Sainte Chapelle le don qu'il lui en avoit fait. C'est dans cet état que se trouve actuellement la régale ; les archevêques & évêques qui y sont soûmis, ne touchent leur revenu & ne disposent des bénéfices qui en dépendent, que du jour que les lettres qui s'expédient sur leur serment de fidélité, & celles qui leur accordent le don des fruits, ont été registrées en la chambre. On avoit douté si les archevêques & évêques exempts de la régale étoient obligés de faire registrer leur serment de fidélité ; mais le Roi, par sa déclaration de 1749, s'est expliqué sur la nécessité où ils sont de remplir ce devoir, dont ils ne peuvent s'acquiter qu'en la chambre des comptes de Paris.

Les archevêques & évêques qui sont élevés à la dignité du cardinalat, sont obligés de prêter un nouveau serment entre les mains du Roi, & de le faire registrer en la chambre : jusque-là leurs bénéfices retombent & demeurent en régale.

Les lettres concernant les apanages des enfans de France, les doüaires des Reines, & les contrats d'échange, sont adressées à la chambre. Ces différentes lettres ne sont d'abord registrées que provisoirement, & jusqu'à ce qu'il ait été fait évaluation des domaines qui les composent par les commissaires de la chambre, en la forme prescrite par l'édit d'Octobre 1711, & la déclaration du 13 Août 1712. Il s'expédie sur ces évaluations des lettres de ratification, qui sont envoyées à la chambre pour être par elle procédé à leur enregistrement définitif.

Dans quelque détail que l'on soit entré sur ce qui concerne la chambre des comptes, on n'a pû donner qu'une idée incomplete d'une compagnie, dont l'établissement remonte aux tems les plus reculés, qui joüit des prérogatives les plus éminentes, & dont les fonctions s'étendent sur un aussi grand nombre d'objets différens.

Premier président. Dès l'origine de la chambre des comptes il y a eu deux présidens. Le premier de ces offices étoit presque toujours exercé par des archevêques & évêques ; c'est sans-doute par cette raison qu'on lui a attribué le titre de premier président clerc, qu'on lui donne encore à-présent.

La réception du premier président ne consiste que dans une simple prestation de serment : il prend ensuite sa place sans y être installé ; le président qui l'a reçû lui fait alors un discours François, auquel il répond de la même maniere.

Les plus grands personnages du royaume, soit par leur naissance, soit par leurs dignités, soit par leurs talens, ont rempli la charge de premier président de la chambre : elle a été possédée par Jacques de Bourbon arriere-petit-fils de S. Louis ; par Gaucher de Chatillon, connétable ; par Matthieu de Trie & Robert Bernard, maréchaux de France ; par Henri de Sully, Guillaume de Melun, Enguerrand de Coucy, Valeran de Luxembourg, comte de Saint-Paul ; enfin par plusieurs cardinaux, archevêques & évêques, & par plusieurs grands officiers de la couronne.

Les premiers présidens de la chambre ont donné, comme les autres magistrats, plusieurs chanceliers à l'état ; mais il n'y a que parmi eux qu'on trouve un premier président qui avoit été précédemment le chef de la justice. Sous Louis XI. Pierre Doriole, après avoir été chancelier de France, devint premier président de la chambre des comptes.

Jean de Nicolay, maître des requêtes, fut revêtu de cet office en 1506 : il avoit servi Charles VIII. & Louis XII. en plusieurs négociations importantes, & avoit exercé la place de chancelier au royaume de Naples. Le roi en lui écrivant, lui donnoit le titre de mon cousin. La postérité de Jean de Nicolay a mérité, par sa fidélité & ses services, d'être continuée dans la possession de cet office ; Aymard Jean de Nicolay, qui l'exerce aujourd'hui, est le huitieme de pere en fils qui le remplit sans aucune interruption.

Le premier président de la chambre est de tout semestre & de tout bureau ; mais il ne prend place que rarement au second, & siége presque toûjours au grand bureau, où se traitent les affaires les plus importantes.

Le procureur général, avant de présenter à la chambre tous les édits, déclarations, & lettres patentes dont il est chargé de requérir l'enregistrement, les remet au premier président, avec une lettre de cachet qui lui est personnellement adressée.

Le grand-maître des cérémonies lui apporte celles que S. M. lui écrit, pour le prévenir des ordres qu'il envoye à la compagnie pour assister à différentes cérémonies.

Les lettres de cachet qui sont adressées à la compagnie sont ouvertes par le premier président, qui les donne à un maître des comptes pour en faire la lecture.

Dans toutes les occasions où la compagnie est admise à l'audience du Roi, c'est le premier président qui porte la parole ; c'est lui qui répond au nom de la compagnie à toutes les invitations qui lui sont faites.

Il donne des audiences extraordinaires aux jours qu'il lui plaît d'indiquer : outre celles qui sont fixées par l'ordonnance de 1454 aux mercredi & samedi.

Il distribue aux maîtres, aux correcteurs & auditeurs des comptes, les différentes affaires qui les concernent, & leur donne jour pour en faire le rapport au bureau.

C'est lui qui fait prêter serment à tous les officiers qui sont reçûs à la chambre ; c'est entre ses mains que les vassaux du roi y rendent leur foi & hommage.

Il nomme aux commissions que la chambre établit, auxquelles il préside de droit. Il est presque toûjours de celles que le roi forme, soit pour la réunion ou aliénation des domaines, soit pour faire l'évaluation des terres données en apanage, en échange, ou pour les doüaires des Reines.

Il présente à la chambre les personnes qui remplissent les différens emplois dont elle dispose.

La garde du grand trésor de la Sainte-Chapelle lui est confiée. Il est ordonnateur de ce qui concerne l'administration & l'entretien de cette église, conjointement avec un de MM. les maîtres qu'il choisit pour l'aider à remplir cette fonction.

Le premier président de la chambre a le titre de conseiller du Roi en tous ses conseils d'état & privé ; il est compris au nombre de ceux qui reçoivent des droits d'écurie & de deuil dans les états de la maison du roi ; il drappe lorsque S. M. prend le grand deuil.

Il est le seul des premiers présidens de cours souveraines qui joüisse de cette distinction.

La robe de cérémonie du premier président de la chambre est de velours noir, semblable à celle des autres présidens de cette compagnie.

Présidens de la chambre des comptes. Les présidens de la chambre sont au nombre de douze, non compris le premier président : six servent par chaque semestre, suivant qu'ils y sont destinés par la nature de leurs charges. Les trois plus anciens de chaque semestre servent toûjours au grand bureau, & les trois autres font leur service au second bureau.

Les présidens de la chambre sont à l'égard de cette cour, ce que sont les présidens du parlement dans leur compagnie, ayant été maintenus par la déclaration du roi du 30 Novembre 1624, dans le rang & préséance qu'ils avoient toûjours eu sur les maîtres des requêtes, qui ont eux-mêmes la préséance sur les présidens des enquêtes.

Suivant la disposition des édits des mois de Décembre 1665, d'Août 1669, de Février 1672, on ne peut être reçû dans les charges de présidens de la chambre, non plus que dans celles des présidens du parlement, ni des autres cours, qu'à l'âge de quarante ans accomplis, & sans avoir précédemment exercé pendant dix années un office de judicature dans une cour supérieure ; ils sont dispensés par cette raison, lors de leur réception en la chambre, d'y faire de discours, d'y exposer une loi, & d'y être interrogés.

Suivant les statuts de l'ordre du S. Esprit, du mois de Décembre 1598, l'un des présidens de la chambre devoit assister aux chapitres généraux de cet ordre, pour procéder avec le chancelier & cinq commandeurs dudit ordre commis par le chapitre, à l'examen du compte de ses deniers.

On voit au grand honneur de ces officiers, par une épitaphe qui est dans la chapelle de la Trinité de l'église de l'abbaye de S. Denis, que Charles V. accorda à Jean Patourel, président de la chambre des comptes, en considération de ses services, le privilége de sépulture dans cette église pour Sedille de Sainte-Croix sa femme.

En l'absence du premier président, le plus ancien des présidens séant au grand bureau, occupe sa place & remplit les fonctions.

Celles du président qui préside au second bureau, sont :

De donner jours aux conseillers-auditeurs pour le rapport des comptes qu'ils ont examinés.

D'en distribuer le bordereau à un des conseillers-maîtres du bureau, qui suivant les réglemens doit écrire les arrêts que la chambre prononce au jugement de ces comptes, dont ils signent la clôture conjointement.

De porter la parole quand le bureau juge à-propos de mander les conseillers-correcteurs, le procureur général, les greffiers, le garde des livres, les comptables ou leurs procureurs, pour leur faire part des ordres de la chambre.

De prendre le serment des comptables, auxquels il est accordé une indemnité pour les fraix de leurs voyages à Paris & du séjour qu'ils y font, pour y suivre le jugement de leurs comptes.

Les présidens, lorsqu'ils sont de semestre, sont compris de droit dans les députations de la chambre.

Ils ne font aucun autre rapport que celui des créances dont ils ont été chargés.

Ils sont le plus souvent compris dans le nombre des commissaires nommés pour les évaluations des domaines du roi, ou pour d'autres affaires importantes.

Ils peuvent venir à la chambre hors de leur semestre, y prendre séance suivant leur ancienneté ; ils y ont voix délibérative sans y pouvoir présider, que lorsque les semestres sont assemblés.

C'est le dernier des présidens qui installe les présidens & conseillers-maîtres qui sont reçûs à la chambre.

La robe de cérémonie des présidens de la chambre est de velours noir.

Maîtres des comptes. Depuis l'établissement des compagnies supérieures, les charges de conseillers-maîtres en la chambre des comptes de Paris, ont toûjours été distinguées par leurs dignités & les prérogatives d'honneur qui leur ont été accordées.

On trouve dans les registres de la chambre, des maîtres des requêtes, présidens des enquêtes & requêtes, & conseillers du grand-conseil, qui ont passé de leurs offices dans ceux de maîtres des comptes.

Le titre de maîtres qu'on leur a donné leur étoit commun avec les magistrats du parlement, qu'on nommoit autrefois maîtres du parlement. Ils étoient partagés de la même maniere, en maîtres clercs & maîtres laïcs : mais les dernieres créations de leurs offices ne parlent plus de cette distinction.

Ils ont la qualité de maîtres ordinaires, soit pour les distinguer des maîtres extraordinaires, qui ont existé jusqu'en l'année 1511, soit à cause du droit qu'ils ont de prendre séance en la chambre hors de leur semestre, avec voix délibérative, & d'y achever le rapport des affaires qu'ils ont commencées.

Le nombre des maîtres des comptes est actuellement de 78, dont moitié pour le semestre de Janvier, & l'autre moitié pour celui de Juillet ; ceux qui sont de semestre se partagent en deux colonnes, qui se succedent mutuellement l'une à l'autre au commencement de chaque mois pour le service du grand & du second bureau.

Les conseillers-maîtres sont juges de toutes les matieres de la compétence de la chambre, conjointement avec les présidens ; & en l'absence de ceux-ci ils ont le droit de présider, suivant l'ordonnance de Charles VII. du premier Décembre 1436.

Ce sont eux qui sont rapporteurs au grand bureau des ordonnances, édits, déclarations du Roi, & de toutes les lettres patentes qui y sont présentées, soit par le ministere public, ou par les particuliers qui les ont obtenus ; comme aussi de toutes les instances de correction & autres, & généralement de toutes requêtes de quelque nature qu'elles soient, à l'exceptions des requêtes d'apurement : mais quoique ces dernieres soient rapportées par les conseillers-auditeurs, elles sont néanmoins décrétées comme toutes les autres par les conseillers-maîtres, & les arrêts qui interviennent, signés de l'un d'eux & du président.

Pour ce qui concerne le jugement des comptes, l'un des conseillers maîtres tient la liasse des acquits pour les vérifier & pour canceller les quittances des comptables, ainsi que les contrats dont le remboursement a été fait par le Roi ; un autre suit le compte précédent, pour connoître si le comptable a satisfait aux arrêts de la chambre, & examine d'où proviennent les mutations survenues dans le compte suivant ; un autre enfin est chargé du bordereau original, en marge duquel il écrit chapitre par chapitre les arrêts de la chambre, & signe à la fin la clôture du compte avec celui qui préside.

Dans les affaires où la chambre ordonne préalablement des informations, les maîtres des comptes sont toûjours commis pour les faire. Ils sont pareillement chargés des commissions les plus importantes, telles que celle de suivre la distribution & le jugement des comptes, celle de l'apposition & levée des scellés de la chambre chez les comptables décédés ou en faillite, suivie quelquefois de l'inventaire de leurs effets & de la vente de leurs meubles, quand le cas y échet ; celle d'ordonner & de diriger les poursuites du contrôleur général des restes pour l'apurement des comptes & le payement des débets ; celle de l'examen des foi & hommages, aveux & dénombremens, dont les originaux doivent être envoyés à la chambre par tous les bureaux des finances dans l'étendue de son ressort, &c. Ils sont aussi nommés commissaires dans toutes les évaluations des domaines de la couronne, & doivent assister au nombre de quatorze dans les députations de la chambre.

Quatre d'entr'eux, qui sont pourvûs des plus anciennes charges de conseillers clercs, ont droit de bourse en la grande chancellerie. Le doyen des maîtres est le seul à qui appartienne le titre de doyen de la chambre, & il joüit en cette qualité de plusieurs prérogatives.

La robe de cérémonie des conseillers-maîtres est de satin noir.

Correcteurs, correction des comptes. Les conseillers-correcteurs ont été établis par l'ordonnance de Charles VI. du 14 Juillet 1410. Les corrections des comptes étoient faites auparavant par des maîtres & clercs, ainsi qu'il est porté par l'ordonnance du mois de Janvier 1319.

Leur nombre s'est accru, ainsi que celui des autres officiers de la chambre des comptes. Il y a actuellement 38 correcteurs, 19 de chaque semestre. Leur robe de cérémonie est de damas noir.

Le lieu où ils s'assemblent se nomme la chambre de la correction ; elle joint au dépôt des contrôles, dont la garde leur est confiée comme nécessaire à la vérification des recettes & dépenses des comptes dont ils font la correction. On y trouve plusieurs doubles des comptes jugés dans les autres chambres des comptes du royaume, lesquels s'y remettoient anciennement, & dont il ne doit plus y être envoyé que des extraits, conformément à l'édit d'Août 1669.

Les correcteurs ont séance au grand bureau, au banc qui est en face de celui des présidens, au nombre de deux seulement.

1°. Au jugement des instances de correction.

2°. Dans les affaires qui intéressent le corps de la chambre : dans ces deux cas ils ont voix délibérative au grand bureau.

3°. Lorsqu'ils y sont mandés pour leur faire part des arrêts qui ont ordonné le renvoi de comptes à la correction.

4°. Lorsqu'ils y viennent apporter les avis de correction.

5°. Enfin lorsque la chambre reçoit des lettres de cachet ou ordres du roi concernant quelque invitation aux cérémonies ; qu'elle fait quelque députation pour complimenter le Roi, les Reines, les princes & autres, ou dans les cérémonies qui intéressent le corps de la chambre : dans ces cas seulement le greffier plumitif se transporte en leur chambre, & les avertit de députer deux d'entr'eux au grand bureau, où étant, celui qui préside leur fait part du sujet qui donne lieu à l'invitation.

Le renvoi des comptes à la correction, se fait toûjours par distributions générales ou particulieres ; ces dernieres sont celles ordonnées par des arrêts de la chambre.

Le conseiller-correcteur à qui la correction est distribuée, s'associe un de ses confreres pour travailler à la vérification des comptes, & examiner s'il y a matiere à correction.

Les comptes, états, pieces, & acquits doivent leur être administrés par le garde des livres, envers lequel ils s'en chargent sur un registre particulier à ce destiné ; les procureurs les leur administrent quand ce sont les comptables ou leurs héritiers qui provoquent la correction de leurs comptes.

L'objet principal des corrections est de réformer les omissions de recette, faux ou doubles emplois, les erreurs de calcul & de fait qui ont pû se glisser dans les comptes.

Les conseillers-correcteurs mettent par écrit leurs observations de ce qu'ils trouvent former la matiere de la correction ; & après avoir fait mention sur les comptes qu'ils en ont fait la correction, ils font ensuite le rapport de leurs observations à leurs confreres.

Sur ce rapport, les conseillers-correcteurs opinent entr'eux sur chaque article, & suivent ce qui est décidé à la pluralité des voix. Les deux correcteurs qui ont fait la correction rédigent l'avis par écrit sur papier timbré, sans le signer, & l'apportent ensuite au grand bureau, où ils rendent compte succinctement de l'objet de l'avis de correction.

Cet avis ayant été remis à celui qui préside, il le donne au greffier pour faire mention enfin du jour du rapport & de la remise qui en est faite à l'instant au procureur-général, laquelle mention est signée d'un greffier en chef.

Le procureur-général fait signifier cet avis de correction au comptable au domicile de son procureur, soit que la correction concerne les comptes de ses exercices ou de ceux de ses prédécesseurs dont il est tenu, ou aux héritiers des comptables, & les fait assigner en la chambre pour y procéder sur l'avis de correction, & en voir ordonner l'entérinement.

On observe dans ces instances les formalités prescrites par l'ordonnance pour les instructions & jugemens des défauts faute de comparoir ou faute de défendre.

La partie assignée fournit des défenses à cette demande, ce qui forme la matiere d'une instance, qui s'instruit en la forme prescrite par l'ordonnance civile du mois d'Avril 1667, si ce n'est qu'elle ne peut être jugée à l'audience, suivant les réglemens du 18 Avril & 10 Juin, & la déclaration du 15 Septembre 1684 donnée à ce sujet en interprétation de l'art. 9. du tit. xj. de l'ordonnance de 1667.

Suivant cette déclaration sur les défenses, il doit être pris un appointement au greffe, soit par le procureur-général, soit par le procureur du défendeur, sauf à renvoyer à l'audience les tierces oppositions ou autres incidens : deux des conseillers-correcteurs assistent avec voix délibérative à ces audiences, conformément au réglement des 17 & 20 Mars 1673. L'instruction de l'instance se fait de la part du procureur-général & des défendeurs par production respective, contredits & salvations, ainsi que dans les autres procès par écrit.

La production faite, le procès est distribué à un maître des comptes. L'instruction de l'instance se continue, & lorsqu'elle est achevée, le procureur-général donne ses conclusions par écrit & cachetées.

Le maître des comptes fait ensuite son rapport à la chambre de l'instance, auquel assistent les deux correcteurs qui ont dressé l'avis de correction, lesquels ont voix délibérative au jugement de l'instance.

Dans le cas où celui qui défend à la demande du procureur-général à fin d'entérinement de l'avis de correction, déclare par requête employée pour défense à cette demande, qu'il n'a aucun moyen pour empêcher cet entérinement, & que par conséquent il n'y a pas lieu à contestation ; en ce cas cette requête est distribuée à un maître des comptes, communiquée au procureur-général ; & après qu'il a donné ses conclusions par écrit sur le tout, le rapport & le jugement de l'instance se fait en la même forme que les instances dans lesquelles il a été pris un appointement.

Auditeurs des comptes. Les conseillers du roi auditeurs en la chambre des comptes de Paris, sont au nombre de 82, dont 41 pour le semestre de Janvier, & pareil nombre pour le semestre de Juillet.

Ils sont distribués en six chambres appellées du trésor, de France, de Languedoc, de Champagne, d'Anjou, & des monnoies.

Tous les comptes qui se rendent à la chambre, sont répartis dans ces six chambres.

Douze auditeurs des comptes de chaque semestre sont distribués dans la chambre du trésor, huit en celle de France, huit en celle de Languedoc, quatre en celle de Champagne, quatre en celle d'Anjou, & cinq en celle des monnoies : ils ne peuvent être nommés rapporteurs que des comptes attachés à chacune de ces chambres, dont ils sont changés tous les trois ans, conformément aux ordonnances des 3 Avril 1388 & 23 Décembre 1454, afin qu'ils puissent connoître toutes les différentes natures des comptes.

Anciennement les conseillers-auditeurs travailloient aux comptes qui leur étoient distribués dans les différentes chambres où ils étoient distribués, & où ils avoient des bureaux particuliers.

Mais depuis que les comptes se sont multipliés & sont devenus très-considérables, ils les examinent chez eux.

On voit par l'ordonnance de Philippe V. dit le Long, du mois de Janvier 1319, & par celle de Philippe dit de Valois, du 14 Décembre 1346, que les conseillers-auditeurs étoient appellés clercs.

Louis XII. les a qualifiés du nom d'auditeurs, dans son édit du mois de Décembre 1511.

Henri II. par édit de Février 1551, leur a donné le titre de conseillers, attendu l'importance de leurs charges & états ; & par lettres en forme d'édit du mois de Juin 1552, il leur a accordé voix délibérative dans les affaires dont ils seroient rapporteurs, soit pour fait de comptes ou autres charges & commissions où ils seroient appellés.

La fonction qui les occupe le plus, est l'examen ou le rapport de tous les comptes qui se rendent en la chambre, & qui leur sont distribués.

Le conseiller-auditeur qui est nommé rapporteur d'un compte, en fait l'examen sur les états du roi & au vrai, sur le compte qui précede celui qu'il examine, sur l'original du compte qui est à juger, & sur les pieces justificatives appellées acquits ; en même tems qu'il examine la validité des pieces rapportées sur chaque partie de ce compte, il met à la marge gauche du compte, à l'endroit où chaque piece est énoncée, le mot vû ; & à l'endroit où les pieces sont dites être rapportées, le mot vrai ; à la marge droite il met les mêmes cottes qui sont sur chacune des pieces, lesquelles sont enliassées & cotées par premiere & derniere ; & il a une copie du bordereau du compte qui doit lui servir à faire son rapport, sur laquelle il fait mention des pieces rapportées & de celles qui manquent.

Lorsqu'il a fini son travail, il rapporte le compte au bureau, après quoi il transcrit sur l'original de ce compte les arrêts qui ont été rendus ; il fait ensuite le calcul des recettes & dépenses, & met l'état final en fin du compte. Voyez au mot COMPTE le rapport que fait au bureau le conseiller-auditeur rapporteur, & les autres opérations qui suivent son rapport.

Les conseillers-auditeurs du semestre de Janvier ne peuvent rapporter que les comptes des années paires, ceux du semestre de Juillet, que les comptes des années impaires, à l'exception de ceux qui étant dans leur premiere année de novice, sont réputés de tout semestre & de toutes chambres.

Les comptes des exercices pairs devoient être jugés dans le semestre de Janvier, & ceux des exercices impairs dans le semestre de Juillet ; mais en l'année 1716, le roi ayant considéré que le recouvrement de ses deniers avoit été retardé, & que les états n'en avoient pû être arrêtés régulierement, ce qui avoit beaucoup reculé la présentation & jugement des comptes, au préjudice de son service ; & voulant rétablir l'ordre dans ses finances, qui dépend principalement de la reddition des comptes, a ordonné par une déclaration du 15 Juillet 1716, que tous les comptes qui avoient été ou seroient présentés à la chambre des comptes par les comptables des exercices pairs & impairs, seroient jugés indistinctement dans les semestres de Janvier & Juillet pendant trois ans, à commencer du premier Juillet 1716. Ce délai a été prorogé par différentes déclarations, jusqu'en l'année 1743, que le Roi, par une déclaration du 26 Mars, a permis aux officiers de la chambre des comptes de Paris, de juger les comptes des exercices pairs & impairs dans les semestres de Janvier & Juillet, sans aucune distinction ni différence d'années d'exercice, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par sa Majesté ; au moyen de quoi les conseillers-auditeurs des semestres de Janvier & de Juillet rapportent indistinctement dans les deux semestres.

Lorsqu'un conseiller-auditeur est dans sa premiere année de service, il est réputé des deux semestres ; & il est aussi de toutes chambres jusqu'à ce qu'il s'en fasse une nouvelle distribution. Les conseillers-auditeurs sont aussi rapporteurs des requêtes de rétablissement ; ils exécutent sur les comptes originaux les arrêts qui interviennent au jugement de ces requêtes, & aussi ceux qui se rendent dans les instances de corrections.

En 1605 Henri IV. a ordonné que les comptes du revenu du collége de Navarre seroient rendus chaque année par le proviseur de ce collége, qui seroit tenu de mettre son compte & les pieces justificatives de ses recettes & dépenses entre les mains du conseiller auditeur nommé par la chambre, qui se transporteroit au collége de Navarre où ses comptes seroient rendus en sa présence ; & que les débats qui surviendroient au jugement de ces comptes, seroient jugés sommairement par la chambre au rapport du conseiller-auditeur & en présence des députés du collége.

Les conseillers-auditeurs ont de tems immémorial la garde du dépôt des fiefs, qui comprend les originaux de foi & hommages rendus au Roi, entre les mains de M. le chancelier, ou en la chambre & aux bureaux des finances du ressort de la chambre, & les aveux & dénombremens de toutes les terres relevantes du Roi, & aussi les déclarations du temporel des archevêchés, évêchés, abbayes, prieurés, & autres bénéfices de nomination royale, & les sermens de fidélité des ecclésiastiques.

Tous ces actes ne sont admis dans ce dépôt qu'en vertu d'arrêts de la chambre ; & il n'en est donné d'expédition qu'en exécution d'arrêts de la chambre, rendus sur la requête des parties qui en ont besoin.

Les conseillers-auditeurs ont seuls le droit d'expédier les attaches & commissions adressées aux juges des lieux, pour donner les main-levées des saisies faites faute des devoirs de fiefs non faits & non rendus ; ils signent ces attaches & les scellent d'un cachet du Roi dont ils sont dépositaires ; & pour vaquer plus spécialement à cette fonction, & administrer les pieces aux personnes qui ont à faire des recherches dans le dépôt des fiefs, ils nomment au commencement de chaque semestre deux d'entr'eux qu'ils chargent des clés de ce dépôt, & qui viennent tous les jours à la chambre.

Louis XIV. par édit de Décembre 1691, a créé un dépôt particulier pour rassembler toutes les expéditions des papiers terriers faits en exécution de ses ordres dans les provinces & généralités tant du ressort de la chambre des comptes de Paris, que des autres chambres du royaume & pays conquis, les doubles des inventaires des titres du domaine de Sa Majesté qui sont dans les archives des chambres des comptes, greffes des bureaux des finances, jurisdictions royales & autres dépôts publics du royaume, & les états de la consistance, de la valeur, & des revenus du domaine, lesquels avoient été ou devoient être dressés par les trésoriers de France, suivant les arrêts du conseil.

Une grande partie de ce dépôt a été détruite par l'incendie arrivé en la chambre le 27 Octobre 1737 : mais il seroit fort aisé de le rétablir parfaitement, parce qu'il subsiste des doubles de tous les titres qui avoient été remis dans ce dépôt, qui, s'il étoit rétabli, seroit extrèmement utile, puisqu'il réuniroit tous les renseignemens du domaine en un même lieu.

Par le même édit Louis XIV. a créé un office de conseiller dépositaire de ces titres, qu'il a uni à ceux de conseillers-auditeurs, & les a chargés de veiller à la conservation des terriers, inventaires & états, & des autres titres qui seroient remis dans ce dépôt, & d'en délivrer des extraits aux parties qui les requéreroient sur les conclusions du procureur-général du Roi & de l'ordonnance de la chambre.

Les conseillers-auditeurs nomment aussi au commencement de chaque semestre un d'entr'eux, qui vient tous les jours à la chambre pour vaquer plus particulierement aux fonctions de cet office, & délivrer des extraits des registres & volumes desdits terriers, inventaires & états & autres titres aux fermiers & receveurs des domaines, & aux parties qui en ont besoin.

Ils ont seuls le droit de collationner les pieces qui se trouvent dans ces deux dépôts, & dans celui du garde des livres, & ils collationnent aussi les pieces qui peuvent servir aux jugemens des comptes, ou des requêtes de rétablissement de parties, tendantes à apurer les comptes.

Les conseillers-auditeurs sont du corps de la chambre ; ils sont compris dans les députations qui se font au nom de cette compagnie. Dans les affaires qui regardent l'honneur & l'intérêt du corps de la chambre, ils ont le droit d'assister au bureau au nombre porté par le réglement de la chambre du 20 Mars 1673, avec voix délibérative, dans leurs places qui sont dans un banc à côté des présidens : dans les invitations ils sont avertis de la part de messieurs du bureau, par le commis au plumitif, de se rendre en leurs places au bureau, pour y entendre les ordres adressés par le roi à la chambre, & pour y satisfaire. Ils assistent aux cérémonies publiques en robes noires de taffetas ou moire : dans les commissions particulieres où ils sont du nombre des commissaires, ils ont séance sur le même banc que les conseillers maîtres, & ont voix délibérative. Ils joüissent des mêmes priviléges que les présidens & les conseillers maîtres, ainsi qu'il se voit par un arrêt du conseil d'état du Roi, du 11 Octobre 1723, & lettres patentes sur icelui du 16 Novembre suivant, registrées en parlement, en la chambre des comptes & à la cour des aides, les 4, 13, & 16 Décembre de la même année.

Avocat général. La charge d'avocat général de la chambre des comptes a été établie par lettres du roi Louis XI. du 24 Septembre 1479, à-peu-près dans le même tems que celle de procureur-général, dont on fixe l'établissement au 22 Novembre 1459.

Avant ces établissemens le ministere public étoit exercé en la chambre des comptes par les mêmes officiers qui l'exerçoient au parlement.

Cette charge a été possédée par des personnes distinguées par leur naissance & leur mérite. Jean Bertrand, lieutenant criminel au châtelet de Paris, en fut pourvû en 1570.

Etienne, & Nicolas Pasquier son fils, Simon, Guillaume, & Jean Dreux, Jean Aymard Nicolay, qui dans la suite a été premier président, en ont été revêtus.

L'avocat général de la chambre des comptes précede & a rang & séance avant le procureur-général ; il porte la parole, & prend des conclusions sur les édits & déclarations, lorsque la publication s'en fait en l'audience ; mais il n'a aucune des fonctions qui concernent & dépendent de la plume, qui appartiennent au procureur-général, suivant le réglement du conseil du 18 Avril 1684.

La robe de cérémonie de l'avocat général, ainsi que du procureur-général, est de satin, comme celle des maîtres des comptes.

Procureur-général. Avant l'année 1454, le ministere public étoit exercé à la chambre des comptes par le procureur-général du parlement, comme on l'a déjà dit dans l'article précédent.

Le roi Charles VII. jugea nécessaire pour le bien de son service, qu'il y eût à la chambre un officier uniquement destiné à remplir cette fonction, & en créa un en titre d'office par son ordonnance du 23 Décembre 1454.

Le ministere public ayant pour objet l'exécution des ordonnances & la défense des droits du roi, son concours est presque toujours nécessaire dans les affaires qui se jugent à la chambre, parce que pour l'ordinaire le roi s'y trouve intéressé.

Les principales fonctions du procureur-général de la chambre sont de requérir l'enregistrement des édits, ordonnances, déclarations, & lettres-patentes qui sont adressées à la chambre avec les ordres du roi ; de donner ses conclusions sur toutes lettres obtenues par des particuliers, de quelque nature qu'elles soient ; de faire exécuter par les comptables les ordonnances qui les concernent ; les obliger de présenter leurs comptes à la chambre ; pourvoir à la sûreté des deniers du roi pendant le cours de leurs exercices & après leur décès ; de veiller à ce que les vassaux de Sa Majesté rendent leurs hommages, aveux, & dénombremens, dans le délai prescrit par les coûtumes.

Il doit en général requérir tout ce qu'il croit utile pour le bon ordre, l'exécution des lois, & la conservation des intérêts du roi.

C'est lui qui donne aux comptables le quittus après l'apurement total de leurs comptes, en leur donnant son certificat comme ils sont entierement quittes envers le roi & les parties prenantes.

En l'absence de l'avocat général il le supplée dans ses fonctions.

Le procureur-général porte la robe de satin, comme les conseillers maîtres, dans les cérémonies.

Greffe, greffiers en chef, & autres. Il y a de toute ancienneté en la chambre des comptes deux greffiers en chef, qui sont qualifiés notaires & greffiers par l'ordonnance du 2 Mars 1330.

Ces deux greffiers en chef ayant été créés en titre d'office, l'on n'a admis aucun de ceux qui ont été pourvûs de ces offices à en faire les fonctions, qu'ils ne fussent en même tems revêtus de charges de secrétaires du roi.

Il fut créé un office de greffier en chef triennal par édit de Décembre 1639, qui a été réuni dans la suite aux deux anciens offices qui ont le titre d'ancien & mi-triennal, & d'alternatif & mi-triennal, & dont les fonctions s'exercent conjointement & sans distinction de semestre.

Par le même édit il fut créé trois offices de contrôleurs du greffe, qui sont chargés de contrôler les expéditions des arrêts.

Les fonctions de greffier en chef de la chambre sont les mêmes que celles des greffiers en chef du parlement & autres cours souveraines.

Ils sont chargés de l'un des principaux dépôts de la chambre, qu'on appelle le dépôt du greffe.

Il contient un grand nombre de registres & de pieces, dont les principaux sont les registres des chartes, qui comprennent toutes les lettres de naturalité, légitimation, anoblissement, amortissement, établissement d'hôpitaux & de communautés ecclésiastiques, séculieres, & régulieres ; les registres des mémoriaux, comprenant tous les édits, ordonnances, déclarations, & lettres patentes de toute nature registrées en la chambre, qui ne sont point chartes ; les traités de paix, contrats de mariage des rois, & toutes les provisions des officiers reçûs en la chambre & qui y prêtent serment, ensemble les arrêts de leurs réceptions, &c.

Les registres journaux, comprenant tous les arrêts rendus sur requêtes de particuliers, pour quelque cause que ce soit.

Le plumitif, contenant les extraits des mêmes arrêts avec leurs dispositifs, & de tout ce qui se traite & se décide journellement en la chambre.

Les registres des audiences, comprenant tous les arrêts qui se prononcent à l'audience, soit contradictoirement, soit par défaut.

Les registres cérémoniaux, comprenant les procès-verbaux de toutes les cérémonies où la chambre assiste en corps, ou la relation des députations qu'elle fait au roi & à la reine dans différentes occasions.

Les registres des créances, qui comprenoient tous les rapports & témoignages que les officiers de la chambre ou autres officiers députés par le roi faisoient à la compagnie, au sujet d'enregistremens d'édits, ordonnances, & lettres patentes : ces registres sont discontinués, & les objets dont ils étoient composés font partie du plumitif établi en 1574.

Ce dépôt contient encore une infinité d'autres registres, cartulaires, titres, & enseignemens concernant les droits du roi & le domaine de la couronne ; les procès-verbaux d'évaluation des échanges, apanages, & doüaires des reines ; les informations faites de l'ordonnance de la chambre ; les minutes des arrêts par elle rendus sur toutes sortes de matieres ; & toutes les autres pieces qu'elle juge à-propos d'y faire déposer.

Les greffiers en chef en sont chargés pour ce qui les concerne, chacun sur un registre particulier.

Ce dépôt a été endommagé par l'incendie du 27 Octobre 1737. L'exécution des déclarations du Roi des 26 Avril 1738, 21 Décembre 1739, & 14 Mars 1741, qui ont ordonné la représentation des titres en la chambre ; les soins, les attentions, les travaux, & les dépenses des officiers de cette compagnie, ont infiniment contribué à son rétablissement.

Outre les deux greffiers en chef, il y a un principal commis ou greffier pour tenir le plumitif : il est chargé de la rédaction de ce registre, & des arrêts de la chambre rendus au rapport des conseillers-maîtres sur toutes sortes de matieres : ses fonctions sont très-importantes ; il est le greffier de la chambre dans les affaires criminelles.

Enfin il y a deux commis du greffe qui sont présentés par les greffiers en chef & approuvés par la chambre, en laquelle ils prêtent serment. Ils peuvent servir de greffiers lors de l'apposition & levée des scellés de la chambre, dans les inventaires qu'elle fait des biens & effets des comptables, & dans toutes les commissions où sont employés les officiers de la chambre.

Contrôleur général des restes. Cet office avoit été établi en 1556 sous le nom de solliciteur général des restes : il fut supprimé par édit de Novembre 1573, qui a créé celui de contrôleur général des restes de la chambre des comptes & bons d'état du conseil en commission ; & depuis il fut créé en titre d'office par édit de Décembre 1604, & supprimé par édit de Décembre 1684, & rétabli de nouveau par édit de Mai 1690 avec les mêmes titres. Mais par édit de Novembre 1717 cet office fut supprimé, & il fut créé par le même édit deux offices distincts & séparés ; l'un sous le titre de contrôleur général des restes de la chambre des comptes, & l'autre sous celui de contrôleur général des bons d'état du conseil.

Le contrôleur général des restes de la chambre est chargé de la poursuite de tous les débats des comptables, & des charges prononcées contr'eux au jugement de leurs comptes.

Il exerce ses fonctions sous l'autorité de la chambre, & en conséquence des ordres des commissaires par elle établis pour veiller aux poursuites nécessaires pour accélerer l'apurement des comptes & les payemens des débets dûs au roi par les comptables, de quelque nature qu'ils soient.

Pour faire les poursuites il prend copie de tous les états finaux des comptes sur un registre du parquet où ils sont inscrits aussi-tôt qu'ils sont jugés ; & d'après les débets & charges qui résultent de ces états finaux, il dresse ses contraintes & les fait signifier au comptable par un huissier de la chambre : si le comptable ne se met pas en regle, en payant les débets par lui dûs, & présentant ses requêtes en la chambre pour l'apurement de ses comptes, alors il lui fait un itératif commandement, enfin un commandement recordé.

Cette procédure est suivie de la vente de ses effets mobiliers ; & si le prix ne suffit pas pour payer ce qu'il doit au roi, & les fraix des apuremens de ses comptes, alors le contrôleur des restes, à la requête du procureur-général de la chambre, fait saisir réellement l'office de ce comptable & ses autres immeubles ; il continue ensuite sa procédure en la cour des aides, pour parvenir à la vente, & à l'ordre qui doit être dressé en conséquence.

Pour éviter ces poursuites du contrôleur des restes, les comptables doivent faire apurer leurs comptes, & rapporter les pieces nécessaires pour obtenir le rétablissement des charges sur leurs comptes : cette opération faite, ils doivent faire signifier les états finaux des comptes ainsi apurés au contrôleur des restes, qui en doit faire mention sur ses registres, en lui payant les droits de rétablissement qui lui sont dûs pour raison de ses poursuites, outre le sou pour livre de toutes les sommes qui sont portées par le comptable au trésor royal, en conséquence de ses diligences.

Le contrôleur général doit deux différens comptes de sa gestion à la chambre.

Le premier est le compte des diligences qu'il a fait contre les comptables, pour raison des charges & débets subsistans sur leurs comptes.

Le second est le compte du montant des droits de rétablissement par lui reçûs des comptables qui ont apuré leurs comptes, qu'il doit rendre tous les cinq ans, attendu qu'il ne lui appartient que 15000 liv. en cinq ans pour les droits de rétablissement ; & s'ils montoient à plus forte somme, l'excédent appartient à Sa Majesté.

Toute requête tendante à être déchargé des poursuites du contrôleur des restes, lui est communiquée, & n'est jugée qu'après avoir vû ses réponses.

Premier huissier. Cet office est établi de toute ancienneté en la chambre, dont il est concierge ; & en conséquence il a son logement dans l'intérieur de ses bâtimens, & la garde des clés lui est confiée.

Il étoit autrefois payeur des gages, commis à la recette des menues nécessités, buvettier, & relieur ; mais ces fonctions ont été depuis détachées de son office.

Celles qu'il exerce actuellement consistent à prendre garde si les officiers de semestre entrent en la chambre, afin de les piquer sur une feuille où tous les noms des officiers de service sont écrits ; il fait un relevé des absens, qu'il apporte au premier président lorsque le grand bureau a pris place : quand l'heure de la levée de la chambre est sonnée, il en avertit le bureau, & fait sonner la cloche de la chambre, lorsqu'il lui est commandé, pour avertir qu'on peut sortir.

Il doit avoir attention qu'il n'entre point d'autres personnes que les officiers de la chambre, les comptables avec leurs procureurs & leurs clercs, si ce n'est avec permission de la chambre.

Il doit à la levée de la chambre, en hyver, faire éteindre tous les feux, pour éviter les accidens d'incendie.

Il joüit des mêmes priviléges que les officiers de la chambre, & de plusieurs droits, entr'autres du droit de chambellage, qui lui est dû à chaque foi & hommage que les vassaux du roi font en la chambre, & qui lui est taxé par celui de MM. les présidens qui reçoit l'hommage, eu égard à la dignité & valeur de la terre.

Sa robe de cérémonie est de taffetas ou moire noire, comme les auditeurs.

Substitut du procureur général de la chambre des comptes. Il fut créé un office de substitut du procureur général en la chambre, par édit de Mai 1586, portant création des substituts des procureurs généraux des cours souveraines.

Mais en 1606 cet office fut réuni à ceux d'avocat général & procureur général en la chambre des comptes.

Par édit d'Octobre 1640 il fut créé deux offices de substitut du procureur général, qui furent acquis par le procureur général, & réunis à son office.

Enfin par édit de Décembre 1690 il fut encore créé un pareil office de substitut, qui est celui qui existe aujourd'hui.

Cet officier fait les mêmes fonctions à la chambre, que les substituts des autres procureurs généraux font dans les autres cours.

Il assiste en l'absence du procureur général à l'apposition & levée des scellés des comptables, aux inventaires & ventes de leurs meubles & effets.

Il assiste pareillement aux descentes & commissions qui se font de l'autorité de la chambre.

C'est lui qui présente les comptes au bureau en l'absence du procureur général, & signe les conclusions des édits & déclarations après qu'elles ont été arrêtées par l'avocat général. Enfin en l'absence du procureur général, les fonctions qu'il exerceroit sont remplies par son substitut, à l'exception de la présentation des édits & déclarations, qui est encore reservée à l'avocat général par le réglement du conseil du 10 Juillet 1692.

Garde des livres. Par édit d'Août 1520, le roi François I. créa & établit en la chambre un officier pour avoir la garde des comptes, registres, livres, & papiers étant ès chambres des conseillers-auditeurs, & autres anciennes chambres, afin qu'ils ne fussent plus détournés de leurs fonctions, & qu'ils pussent plus aisément vaquer à l'exercice de leurs offices.

Jusqu'à cette époque les auditeurs avoient été chargés de la garde des comptes & acquits, & les greffiers, des autres registres & papiers de la chambre : aussi s'opposerent-ils à la réception du premier pourvû de cet office, & il ne fut reçû qu'à la charge de ne faire d'autre fonction que celle de porter & rapporter les comptes devant les présidens & maîtres, quand besoin seroit.

Le roi Henri II. créa un second office pareil par édit de Février 1551 ; & celui qui en fut pourvû, fut reçû à la même condition.

Ces deux offices subsisterent jusqu'à l'édit d'Août 1564, qui supprima l'office créé en 1551, & le réunit à l'ancien office.

Ces deux offices furent rétablis par édit de Septembre 1571 : les officiers qui furent pourvûs de ces offices, furent chargés de la garde des comptes & acquits par inventaires faits & dressés par des commissaires de la chambre ; ce qui a toûjours été pratiqué depuis à la réception de leurs successeurs.

Ils furent supprimés par édits d'Avril 1671, & Juin 1675 ; & il fut établi au lieu de ces deux offices un garde des livres par commission ; ce qui a duré jusqu'à l'édit d'Avril 1704, qui rétablit en titre d'office formé & héréditaire un conseiller garde des livres de la chambre, pour le pourvû de cet office faire les mêmes fonctions que celui qui en joüissoit par commission.

Cet officier est chargé lors de sa réception, par inventaire fait par les commissaires de la chambre, de tout ce qui est contenu dans ce dépôt, & il est garant & responsable de ce qui se trouveroit perdu ou adhiré.

Le dépôt du garde des livres contient tous les originaux des comptes de toute nature, qui ont été jugés en la chambre depuis plus de 450 ans ; ensemble tous les acquits & pieces justificatives rapportées pour le jugement de ces comptes, & toutes les pieces produites lors de leurs apuremens, avec les états du roi, & au vrai.

Ce dépôt est très-considérable par le nombre de volumes & la quantité de sacs d'acquits qu'il contient. Lorsque les comptes & acquits sont remis après leurs jugemens au dépôt du garde des livres par les conseillers-auditeurs rapporteurs, il leur donne son certificat en ces termes : HABUI les acquits & les premiers volumes. A l'égard du dernier volume, le procureur général le retient pour faire transcrire l'état final sur un registre, ensuite son secrétaire le rend au garde des livres, qui s'en charge sur un registre du parquet à ce destiné.

Il est tenu en outre d'inscrire ensuite de son inventaire des comptes & acquits qui lui sont remis.

Quand quelques officiers de la chambre ont besoin de comptes étant au dépôt du garde des livres, il s'en charge sur un registre, en signant qu'ils ont reçû tel compte du garde des livres ; & lorsqu'ils lui rapportent ce compte, il raye la signature de l'officier.

A la réception des correcteurs des comptes, il vient certifier au bureau que le prédécesseur du récipiendaire n'étoit chargé envers lui d'aucuns comptes ni acquits ; il donne un certificat à la même fin pour la réception des conseillers-auditeurs.

Procureurs des comptes. On voit par les registres de la chambre, que dès 1344 il y avoit dix procureurs, dont le nombre fut dans la suite augmenté jusqu'à vingt-neuf ; qui n'étoient que postulans, tenans leur pouvoir de la chambre, qui en faisoit alors le choix & les recevoit pour en exercer les fonctions.

Ils furent créés en titre d'office au nombre de 30 par deux différens édits de 1579 & 1620 ; mais ces créations n'eurent pas lieu, & furent révoquées par édit d'Octobre 1640, qui leur permit d'exercer leurs fonctions comme auparavant, avec augmentation de leurs droits moyennant finance.

Enfin ils furent créés en titre d'office par édit de Février 1668, & leur nombre fixé à 29, tels qu'ils étoient alors & qu'ils sont encore actuellement, ayant réuni le 30e. office créé par édit d'Août 1705.

L'hérédité de ces offices leur fut accordée par déclaration du mois de Mars 1672, puis révoquée & rétablie par édits d'Août 1701, & Décembre 1743.

Ils ont encore réuni à leurs charges les deux offices de procureurs tiers référendaires taxateurs des dépens, créés par édit de Novembre 1689 ; les 40 offices d'écrivains des comptes, créés par édit d'Août 1692 ; les deux offices de contrôleurs des dépens, créés par édit de Mars 1694 ; celui de trésorier de leur bourse commune, créé par édit d'Août 1696 ; & les deux offices de procureurs syndics, créés avec le trentieme office par édit d'Août 1705. Ils joüissent de différens droits & priviléges, & entr'autres de celui de ne point déroger à la noblesse en exerçant leurs charges, suivant la déclaration du 6 Septembre 1500 ; privilége fondé sur la nature de leurs fonctions & sur l'obligation qu'ils contractent par leur serment, de veiller autant aux intérêts du roi qu'à ceux des comptables dont ils sont procureurs.

L'usage & la possession leur ont conservé sans aucune contradiction cette prérogative, en conséquence de laquelle on a vû & l'on voit encore des nobles de naissance posséder ces charges & joüir des priviléges de la noblesse ; d'autres pourvûs de ces charges l'être en même tems d'office de secrétaire du roi du grand collége. Ils font entr'eux bourse commune de portion de leurs droits & vacations, dont le produit n'est point saisissable, suivant différens arrêts & réglemens. Ils ont préférence à tous créanciers sur le prix des offices comptables vendus par decret, pour le payement des fraix de reddition & apurement des comptes. Enfin ils ont droit de committimus, dans lequel ils ont été maintenus & confirmés par lettres-patentes du mois d'Août 1674, dûement registrées, & joüissent d'un demi-minot de franc-salé, en vertu de la déclaration du 22 Août 1705.

Leurs fonctions principales consistent à dresser & présenter à la chambre tous les comptes qui s'y rendent, & toutes les requêtes des parties tendantes à l'apurement & correction desdits comptes, vérification & enregistrement de lettres de toute nature, réceptions d'officiers, foi & hommages ; enfin ils occupent généralement dans toutes les affaires & instances qui se traitent & instruisent en la chambre, où ils ont droit de plaider sur les oppositions & demandes susceptibles de l'audience.

Le réglement de cette cour du 21 Mai 1670, fait défenses à toutes autres personnes, sous peine de 500 liv. d'amende, de faire aucune des fonctions qui appartiennent aux charges de procureurs des comptes. C'est dans le nombre des procureurs que la chambre choisit le contrôleur de la Sainte-Chapelle, qui est chargé d'expédier tous les mandemens & ordonnances pour le payement des dépenses de cette église, de les contrôler, & de veiller sous MM. les commissaires de la chambre aux réparations & fournitures nécessaires pour l'entretien de ladite Sainte-Chapelle.

Suivant la déclaration du 2 Mars 1602, ils peuvent amener à la chambre un ou deux clercs. Ces clercs ont entr'eux une jurisdiction appellée empire de Galilée, semblable à la basoche, qui est celle des clercs des procureurs au parlement.

Huissiers de la chambre. Ils sont de fort ancienne institution, puisqu'on trouve dans les registres de la chambre, dès 1354, qu'ils avoient alors la qualité de messagers de la chambre & du trésor.

Ils étoient dix-huit en 1455 ; il en a été créé depuis en différens tems douze autres, desorte qu'ils sont aujourd'hui au nombre de trente.

Leurs fonctions sont d'exécuter tous les commandemens de la chambre, tant dedans que dehors d'icelle, & particulierement de saisir féodalement les vassaux du roi à la requête du procureur général du roi, & d'assigner tous les comptables, commissionnaires & fermiers du ressort de la chambre afin de venir compter ; de faire tous exploits & significations pour les parties au procureur général, au contrôleur des restes, & autres, en exécution des arrêts de la chambre.

Ce sont eux qui sont chargés des contraintes du contrôleur des restes, & de les mettre à exécution, soit à Paris ou dans les provinces, où ils ne peuvent aller sans le congé & permission de la chambre.

Ils ont droit d'exploiter par tout le royaume, par édit de Février 1551, & lettres-patentes du 11 Novembre 1559.

Ils sont obligés de départir cinq d'entr'eux, pour servir aux jours & heures d'entrée de la chambre, afin d'exécuter les ordres qui leur sont donnés, soit pour assembler les semestres, ou pour toute autre considération.

Comptabilité. Comptabilité est un terme nouveau, & dont on ne fait guere usage que dans les chambres des comptes ; il signifie une nature particuliere de recette & de dépense dont on doit compter ; par exemple le trésor royal, la marine, les fortifications, sont autant de comptabilités différentes.

Comptes des deniers royaux & publics, sont ceux des revenus & impositions destinées à l'entretien de la personne du roi & de l'état, & ceux que sa Majesté a permis aux villes de percevoir, ou de s'imposer pour leurs propres besoins.

Ils doivent se rendre à la chambre des comptes, suivant les plus anciennes ordonnances, & notamment suivant celle du 18 Juillet 1318, registre croix, fol. 89.

La forme dans laquelle ces comptes & leurs doubles doivent être dressés par les procureurs des comptables, est prescrite par les ordonnances & réglemens des 23 Décembre 1454, 20 Juin 1514, 18 Juin 1614, 8 Octobre 1640, 7 Juillet 1643, & 14 Janvier 1693.

Tous les comptes doivent être présentés une année après celle de l'exercice expiré, aux termes de l'ordonnance de 1669, à moins qu'il n'y soit expressément dérogé par édits, déclarations du roi, ou lettres-patentes registrées en la chambre ; qui accordent aux comptables un plus long délai ; & faute par eux de les avoir présentés dans le tems qui leur est prescrit, ils sont condamnables en 50 livres d'amende pour chaque mois de retard.

Pour présenter un compte & le faire juger, il faut, outre le compte original, un bordereau, les états du roi, & au vrai, & les acquits.

Le bordereau & l'abrégé sommaire du montant de chaque chapitre de recette & dépense du compte ; il doit être signé du comptable quand il est présent, & toûjours par son procureur.

L'état du roi est un état arrêté au conseil, de la recette & dépense à faire par le comptable.

L'état au vrai est un état arrêté, soit au conseil, soit au bureau des finances, de la recette & dépense faite par le comptable.

Les acquits sont les pieces justificatives de la recette & de la dépense du compte ; ils doivent être cotés par premier & dernier.

Lorsque les comptables sont à Paris, ils sont tenus d'assister en personne, avec leurs procureurs, à la présentation de leurs comptes ; en leur absence ils sont présentés par leurs procureurs seuls.

La forme de cette présentation est que le procureur général apporte au grand bureau les bordereaux des comptes qui sont à présenter, après quoi on fait entrer les comptables & leurs procureurs.

Les comptables font serment qu'aux comptes qu'ils présentent ils font entiere recette & dépense ; qu'ils ne produisent aucuns acquits qu'ils n'estiment en leur ame & conscience bons & valables, & que toutes les parties employées dans leurs comptes sont entierement payées & acquittées ; les procureurs affirment que leurs comptes sont faits & parfaits.

La date de la présentation mise en fin des bordereaux de chaque compte, est signée sur le champ par celui qui préside & par l'un des conseillers-maîtres, qui paraphe en outre toutes les feuilles du bordereau.

Après la présentation des comptes, la distribution de ceux des exercices pairs se fait aux auditeurs du semestre de Janvier, & ceux des exercices impairs aux auditeurs du semestre de Juillet, en observant de ne leur donner que les comptes attachés aux chambres dans lesquelles ils sont départis ; ces chambres sont celles du trésor, de France, du Languedoc, de Champagne, d'Anjou, & des monnoies.

Cette distribution se fait en écrivant le nom du conseiller-auditeur rapporteur au haut de chaque bordereau ; une partie des comptes est distribuée par M. le premier président, & l'autre par un conseiller-maître commis à la distribution des comptes au commencement de chaque semestre.

Ces bordereaux sont ensuite déposés au parquet, où ils sont inscrits sur des registres, & ils y restent jusqu'à ce que les conseillers-auditeurs rapporteurs viennent s'en charger pour faire le rapport des comptes.

Quand le conseiller-auditeur rapporteur a fait l'examen du compte qui lui est distribué, & qu'il a eu jour du président pour rapporter ce compte, il vient au bureau & présente à celui qui préside les états du roi, & au vrai, & le bordereau ; il a soin aussi de faire mettre sur le bureau les acquits du compte qu'il rapporte, & le compte précédent. Le président garde les états, distribue le bordereau à un conseiller-maître, & deux autres conseillers-maîtres se chargent, l'un de suivre le compte précédent, & l'autre d'examiner les acquits, & de canceller les quittances comptables, quittances de finances, & contrats remboursés qui peuvent s'y trouver.

Les arrêts s'écrivent sur le bordereau par le conseiller-maître auquel il a été distribué ; d'abord on juge si le comptable est dans le cas de l'amende : il la peut encourir pour s'être immiscé sans titre, & sans avoir prêté serment, pour n'avoir donné caution, ou pour n'avoir présenté dans les délais & termes qui lui sont prescrits ; alors il est condamné aux différentes amendes dont on a rendu compte ci-devant. S'il n'est pas dans le cas de l'amende, on prononce n'échet amende.

Après le jugement de l'amende, on juge en détail les différens chapitres de la recette & dépense du compte.

Sur la recette, on prononce qu'elle est admise ou indécise, ou rayée ou rejettée, augmentée ou diminuée. Si le comptable a omis une recette qu'il auroit dû faire, on le force, & on le condamne même au quadruple, suivant l'exigence des cas & les dispositions de l'ordonnance.

Sur la dépense, on prononce qu'elle est passée lorsque les quittances & autres pieces nécessaires sont rapportées ; en souffrance, lorsque les quittances des parties prenantes, ou que quelques-unes des pieces justificatives des droits de ces parties prenantes, se trouvent manquer ; & rayée, faute de quittances comptables, ou lorsqu'elles ne sont pas contrôlées dans le mois de leur date, ou que l'emploi de la partie n'a pas dû être fait.

Si dans le compte il se trouve des sommes payées au trésor royal, dont les quittances soient de date postérieure au tems où le compte a dû être clos, le comptable est condamné aux intérêts à raison du denier de l'ordonnance, à compter du jour que le compte a dû être clos, jusqu'au jour & date de la quittance lorsque le débet total du compte excede la somme de 200. liv.

Si le comptable se trouve omissionnaire de recette ou avoir fait de faux emplois, il est condamné à la peine du quadruple au jugement de son compte.

Lorsque le compte est jugé, la date de la clôture s'inscrit en fin par le conseiller-maître qui l'a tenu, & est signé de lui & de celui qui préside, & ensuite il est déposé au greffe comme minute des arrêts rendus sur ce compte.

Le conseiller-auditeur rapporteur reprend sur le bureau le compte précédent, les acquits, & les états du roi, & au vrai, & se retire pour mettre sur le compte original les arrêts rendus au jugement du compte, qu'il a eu soin d'écrire sur une copie du bordereau, qui lui a servi à faire le rapport de ce compte.

Ces arrêts s'écrivent par le rapporteur en tête de chaque chapitre de recette & dépense du compte original, & en fin de chaque chapitre il écrit la somme totale à laquelle il monte.

Ensuite il procede à la vérification du calcul total de la recette & de la dépense du compte, dans lequel il ne doit entrer pour la dépense que le montant des parties passées : il dresse en conséquence de ce calcul, un état qu'on nomme état final, qu'il écrit en fin du compte.

Par cet état, il constate d'abord si la recette excede la dépense ou non : si la recette excede la dépense, il distingue dans le débet qui en résulte, d'abord le montant des parties tenues en souffrance, premierement pour débets de quittance, secondement pour formalités, c'est-à-dire pour rapporter pieces justificatives ; ensuite le montant des parties rayées faute de titres & quittances, ou faute de titres seulement ; enfin le débet clair, s'il s'en trouve, lequel provient ou de sommes rayées faute de quittances comptables, ou d'excédent de fonds.

Aux termes de la déclaration du 19 Mars 1712, & arrêt de la chambre du premier Avril 1745, le fonds des souffrances pour débets de quittances ne doit rester que deux ans entre les mains du comptable, à compter du jour de la clôture du compte ; & quant aux souffrances pour formalités, il est tenu d'en porter le montant au trésor royal au bout de trois ans.

Quant aux parties rayées faute de titres & quittances, ou faute de titres seulement, elles sont destinées par l'état final à être payées aussi-tôt après la clôture du compte, ainsi que les sommes qui composent le débet clair, au trésor royal ou aux différens trésoriers auxquels elles sont destinées : par rapport à celles qui doivent être payées au trésor royal, le comptable est condamné aux intérêts, à compter du jour que le compte a dû être clos, jusqu'au jour & date de la quittance du trésor royal. Mais ces condamnations d'intérêts ne se prononcent que lors de l'apurement du compte.

Si au contraire le comptable se trouve en avance parce que la dépense excede la recette, en ce cas l'avance est rayée, pour ne rendre le roi redevable ; sauf au comptable à se pourvoir pour son remboursement.

Enfin le conseiller-auditeur rapporteur fait mention dans l'état final des sommes tenues indécises sur la recette du compte, des sommes qui ont été passées, & à compter par différens comptables à qui elles ont été payées, & qui en doivent faire recette dans les comptes qu'ils rendront de leurs maniemens, & en dernier lieu des sommes admises & passées pour le comptable & tenues indécises, rayées ou en souffrance sur quelques parties prenantes ou autres ; après quoi il date le jour qu'il a assis l'état final de ce compte, au commencement duquel il fait mention en marge du jour que le compte a été clos, & des noms des juges qui ont assisté au jugement, & signé son nom.

Il a deux mois pour écrire les arrêts sur le compte qu'il a rapporté, & pour asseoir l'état final ; & après l'expiration de ce délai, il doit remettre le compte au parquet du procureur général, & se faire décharger sur le registre, auquel il s'est chargé du bordereau, avant que de faire son rapport.

Pour parvenir à cette décharge, il fait remettre les acquits du compte avec les états du roi & au vrai, au garde des livres, avec le compte original, sur lequel le garde des livres met en fin de l'état final, HABUI les acquits ; & quand le compte est composé de plusieurs volumes, il ajoûte, & les premiers volumes au nombre de... & il rend au conseiller-auditeur rapporteur le volume du compte, ou le dernier volume, sur lequel il a mis l'habui ; lequel va au parquet où il représente ce volume, & alors on raye le nom du rapporteur sur le registre où il s'est chargé du bordereau, en faisant mention sur ce registre des jours que le compte a été clos & remis au parquet.

Aussi tôt que ce compte est remis au parquet, on y transcrit sur un registre à ce destiné, l'état final, afin que le contrôleur général des restes en prenne copie pour poursuivre les débets & charges qui se trouvent sur ce compte.

Après que l'état final a été copié sur le registre du parquet, on remet le compte au garde des livres qui s'en charge sur un registre du parquet à ce destiné : le garde des livres charge sur le champ le relieur de la chambre, du compte pour être relié, & il le décharge lorsqu'il lui remet ce compte.

Souvent les comptables attentifs n'attendent pas les poursuites du contrôleur général des restes, dont on a parlé ci-devant sur l'article du contrôleur des restes, pour procéder à l'apurement de leurs comptes.

Pour y parvenir, les comptables présentent une ou plusieurs requêtes, qu'on appelle requêtes d'apurement, qui contiennent en détail les charges mises sur leurs comptes, & les pieces qu'ils représentent pour en opérer les décharges. Ces requêtes sont decretées par un conseiller-maître ; & lorsque le procureur général a donné ses conclusions, elles sont distribuées par M. le premier président, ou par celui qui préside au grand bureau, à un conseiller-auditeur pour en faire l'examen, & ensuite le rapport au grand bureau.

Quand le conseiller-auditeur a eu jour pour rapporter, il remet à celui qui préside la requête originale ; & il a eu soin de faire mettre sur le bureau les pieces rapportées pour servir à cet apurement, avec les comptes de l'apurement desquels il s'agit, & ceux qui y sont relatifs ; & ensuite il fait son rapport sur une copie de la requête originale.

Le rapport fini, il écrit au haut de cette requête l'arrêt que la chambre a rendu, & le fait signer de celui qui a présidé, & d'un conseiller-maître qui a assisté au jugement ; il y fait mention des juges qui ont été présens, & ensuite il la remet au greffe.

Le procureur chargé de cet apurement, retire cette requête du greffe, la transcrit en fin du compte sur lequel elle sert, & la fait collationner par un conseiller-auditeur, & la remet avec le compte au conseiller-auditeur rapporteur, pour faire l'exécution de cet arrêt sur tous les articles du compte, où il sert à faire mention en l'état final des décharges opérées en conséquence ; après quoi le rapporteur remet la requête & les pieces rapportées, après les avoir cotées, à la suite d'une des liasses des acquits du compte sur lequel l'apurement a été fait.

Lorsqu'un comptable a fait entierement apurer ses comptes, il doit en faire signifier les états finaux au contrôleur-général des restes, avec les mentions des décharges opérées par l'apurement ; alors le contrôleur général des restes est obligé de lui donner son certificat qu'il ne subsiste plus de charges ni débets sur ses comptes.

Malgré cette espece de décharge complete , les comptables pour être entierement tranquilles, doivent faire corriger leurs comptes pour constater qu'il n'y a pas eu d'erreur de calcul, d'omission de recette, de faux ou doubles emplois, suivant les formes & dans les cas expliqués ci-après sur l'article des correcteurs.

Pour ce qui concerne le dépôt des comptes & la communication qui en est faite à ceux qui peuvent en avoir besoin, voyez ci-devant l'article du garde des livres.

Il me reste à observer qu'après avoir fait un projet de cet article de la chambre des comptes, je l'ai communiqué à plusieurs des premiers magistrats de cette cour, qui ont bien voulu concourir par leurs recherches & par leurs lumieres, à mettre cet article dans l'état où il est présentement. Je les nommerois bien volontiers, si leur modestie ne m'avoit imposé silence sur les obligations que je leur ai. (A)

Les comptables de la chambre des comptes sont ceux qui reçoivent les deniers royaux & les deniers publics, & qui en conséquence sont tenus d'en rendre compte à la chambre des comptes.

Les uns ont le titre & fonctions des trésoriers ou payeurs, d'autres de receveurs, d'autres de fermiers ou régisseurs, & d'autres sont simplement commis à tous ces exercices.

Jusqu'au regne de François I. les baillifs, sénéchaux, prevôts, & vicomtes, comptoient en la chambre de la recette des domaines du roi, dont ils étoient chargés de faire le recouvrement ; en conséquence ils étoient reçus en la chambre, & y prêtoient serment.

François I. créa différentes charges comptables en titres d'offices ; avant son regne il n'y avoit que des commissions.

Henri II. en 1554, créa des offices comptables alternatifs, qui furent supprimés en 1559, & rétablis en 1560.

Henri IV. créa les offices triennaux en 1597, & il permit en 1601, aux anciens & alternatifs de rembourser les offices triennaux. En 1615, Louis XIII. rétablit de nouveau les offices triennaux. En 1645, Louis XIV. créa les offices quatriennaux.

Ce furent les besoins de l'état qui donnerent lieu aux créations d'offices triennaux & quatriennaux, qui depuis ont été supprimés ; & afin que les titulaires n'eussent point à craindre ce partage & cette diminution dans leurs attributions, la plûpart des charges de cette nature ont été unies ; savoir l'office triennal à l'ancien, & l'office quatriennal à l'alternatif : & dans le cas où l'office quatriennal n'a pas subsisté, le triennal a été partagé par moitié entre l'ancien & l'alternatif.

Les étrangers non naturalisés sont incapables d'exercer aucun office comptable, suivant l'ordonnance de Janvier 1319, registre pat. fol. 60. verso.

Nul ne peut s'immiscer en un office comptable sans lettres de provisions ou de commissions du roi, registrées en la chambre, & sans y avoir prêté serment, suivant l'ordonnance du 18 Janvier 1347, Mal. C. f°. 21. verso, & autres postérieures, notamment celle d'Août 1669.

Il se trouve cependant des circonstances où la chambre, pour le service du roi, prend la précaution de commettre à l'exercice d'un comptable.

Tout comptable est tenu de donner bonne & suffisante caution, suivant l'ordonnance du 4 Mai 1347, qui porte qu'elle sera d'une année de son maniement : depuis, cette caution a été déterminée à des sommes fixes ; quelques-uns ont obtenu dispense d'en donner en payant des finances, & les premiers pourvûs sont les seuls qui en ont joüi ; quelqu'autres ont obtenu cette dispense indéfiniment, & elle a été transmise à leurs successeurs.

Les comptables qui s'immiscent en leurs offices sans rapporter lettres de provisions ou commissions registrées en la chambre, ou sans y avoir prêté serment, sont condamnés en 3000 liv. d'amende, de même que ceux qui ne rapportent point d'acte de cautionnement, suivant l'ordonnance du mois d'Août 1669.

Les mineurs ne peuvent être reçus ès offices comptables, qu'en vertu de lettres de dispense registrées en la chambre ; & ils sont tenus, outre la caution ordinaire, d'en donner une indéfinie jusqu'à leur majorité.

Tous les comptables sont obligés de faire élection de domicile chez un procureur des comptes, afin qu'on puisse faire avec plus de facilité toutes les procédures qui les peuvent concerner. Ordonn. de 1557, art. xvj. & xvij. & arrêt & réglem. du 19. Fév. 1687.

Ils sont tenus de compter en la chambre des comptes de leur maniement, à peine de suspension de leurs offices, & d'emprisonnement de leurs personnes. Ordonn. du 1. Févr. 1366. de présenter leurs comptes, & de les faire affiner dans les tems à eux prescrits, sans autres délais, à peine d'amende. Ordonn. du 24. Mars 1416, & d'Août 1669.

Tout comptable étant à Paris, doit présenter son compte pour le faire juger en personne, à peine d'amende arbitraire. Ord. de 1454, art. xvij. & Août 1598, art. iij.

Un comptable ne peut posséder deux offices comptables ; il ne peut même passer d'un office comptable à un autre, sans avoir rendu & apuré les comptes de sa premiere comptabilité ; & ce n'est que dans des circonstances favorables que le roi déroge à cette regle par des lettres de dispense, qui n'ont d'exécution qu'après leur enregistrement en la chambre.

Dans le cas où un comptable prévariqueroit dans ses fonctions, il s'exposeroit à être poursuivi extraordinairement en la chambre, qui est seule compétente sur cette matiere ; & s'il y avoit divertissement de deniers, il seroit puni de mort. Ord. des 4 Avril 1530, & 8 Janv. 1532, 1 Mars 1545, Janv. 1629, & 3 Juin 1701.

Lorsqu'il est en retard de présenter son compte, de le faire juger, ou de le faire apurer, on procede contre lui par la voie civile.

C'est le procureur général qui fait les poursuites contre les comptables, pour les obliger de présenter leurs comptes, soit de son chef, soit en vertu d'arrêts de la chambre. Ces poursuites operent des condamnations d'amendes extraordinaires, quelquefois même saisie de leurs biens, & emprisonnement de leurs personnes.

Les poursuites, faute de mettre les comptes en état d'être jugés, se font en vertu d'arrêts de la chambre, rendus sur le référé des conseillers-maîtres, commis à la distribution des comptes. Ces arrêts prononcent différentes peines contre les comptables, qui sont poursuivis en conséquence par le procureur général.

Lorsqu'il s'agit de l'apurement des comptes, c'est le contrôleur général des restes qui fait les poursuites, sous l'autorité des commissaires de la chambre préposés à cet effet : il commence par décerner sa contrainte, qui contient toutes les charges subsistantes en l'état final du compte, avec commandement d'en porter le montant au trésor royal : ensuite il lui fait un itératif commandement ; & s'il ne satisfait pas, il lui fait un commandement recordé, établit garnison chez lui, & fait faire la vente de ses meubles. Lorsqu'il est obligé de procéder à la saisie de ses immeubles, elle se fait par le procureur général de la chambre ; mais la suite de cette procédure est portée à la cour des aides.

Le roi a privilége sur les meubles des comptables, après ceux à qui la loi donne la préférence sur ces sortes d'effets ; il a aussi privilége sur leurs offices, même avant le vendeur : mais il ne l'a sur les autres immeubles acquis depuis la réception du comptable, qu'après le vendeur & ceux qui ont prêté leurs deniers pour l'acquisition de ces immeubles. Quant aux immeubles acquis par le comptable avant sa réception, S. M. n'a hypotheque que du jour qu'il est entré en exercice. Les droits du roi sur les effets des comptables, sont réglés par un édit particulier du mois d'Août 1669.

Les comptables ne peuvent obtenir séparation de biens avec leurs femmes, valablement à l'égard du roi, que lorsqu'elle est faite en présence & du consentement du procureur général du roi en la chambre. Décl. du 11. Déc. 1647.

La chambre des comptes met le scellé chez tous les comptables décédés, absens ou en faillite, même chez ceux qui n'exercent plus, lorsqu'ils n'ont pas rendu tous les comptes de leur maniement.

Quand un comptable meurt hors du ressort de la chambre des comptes dont il est justiciable, celle dans le ressort de laquelle il se trouve, appose le scellé sur ses effets.

Les comptables ni leurs enfans ne peuvent être reçus dans aucuns offices de la chambre, qu'après qu'ils n'exercent plus leurs offices ou commissions, & que leurs comptes ont été apurés & corrigés, & qu'après que le récolement des acquits ayant été fait, ils ont été renfermés dans un coffre.

Les principales ordonnances qui concernent les comptables, sont celles de Décembre 1557, d'Août 1598, de Févier 1614, de Janvier 1629, & d'Août 1669. (A)


COMPTEURCOMPTABLE ou RECEVEUR, s. m. (Hist. mod.) est un officier de l'échiquier, dont la fonction est de recevoir tous les deniers qui sont dûs à la couronne d'Angleterre : à mesure qu'il reçoit, il fait passer un billet par une pipe dans la cour des tailles, où ce billet est ramassé par les clercs de l'auditeur, qui se tiennent là pour écrire les mots portés par ledit billet sur une taille, & pour remettre ensuite le même billet aux clercs des peaux ou à ses substituts. Voyez ECHIQUIER, TAILLE, &c.

Cela fait, les deux chamberlans députés fendent la taille : ils ont chacun leur sceau ; & pendant que le plus ancien député fait la lecture d'une moitié de la taille, le plus jeune, assisté des deux autres clercs, examine l'autre partie.

Les compteurs sont au nombre de quatre. Leurs places se donnent par le roi ; & outre le maître clerc ou député, ils ont quatre autres clercs pour faire des expéditions. Voyez ECHIQUIER. Cet usage est singulierement propre à l'Angleterre ; les autres nations ont une autre maniere de recette pour les revenus de leurs états ou souveraineté. Voy. CHAMBRE DES COMPTES. Chambers. (G)

COMPTEUR, dans le Commerce, celui qui compte, qui fait des payemens.

COMPTEUR est aussi le nom qu'on donne à Paris à dix officiers de police, appellés jurés compteurs & déchargeurs de poisson de mer frais, sec & salé, dont les fonctions sont de compter & décharger toutes les marchandises de cette espece, à mesure qu'elles arrivent dans les halles & qu'elles y sont vendues, moyennant un certain droit pour chaque cent, millier, tonne ou barril, somme ou panier, de ces marchandises.

Les jurés mesureurs de sel, étalonneurs des mesures de bois, qui sont d'autres officiers de police, sont aussi qualifiés de compteurs de salines sur la riviere ; parce qu'ils sont proposés pour compter toutes les marchandises de salines qui arrivent par bateaux, & qui sont déchargées dans les ports. Dict. de Com. Trév. & Chamb. (G)


COMPTOIRS. m. (Com.) a deux acceptions, l'une simple, & l'autre figurée : comptoir au simple, c'est une table ou un bureau sur lequel le négociant expose ses marchandises, paye ou reçoit de l'argent &c. Au figuré, il se dit d'un lieu que les Européens ont fait, & qu'ils regardent comme le centre de leur commerce dans l'Inde en Afrique, &c.


COMPTORISTES. m. (Comm.) terme qui parmi les Négocians signifie un homme de cabinet expert dans les comptes, ou un habile teneur de livres.


COMPULSER(Jurispr.) c'est contraindre par autorité de justice une personne publique à exhiber un acte qui est entre ses mains pour en tirer copie, partie présente ou dûement appellée, afin que cette copie fasse foi contre la partie qui a été présente ou appellée au compulsoire. Voyez ci-après COMPULSOIRE. (A)


COMPULSEURS. m. (Hist. anc.) nom d'office sous les empereurs romains. Les compulseurs étoient des gens envoyés par la cour dans les provinces, pour faire payer à l'épargne ce qui ne l'avoit pas été dans le tems prescrit.

Ces compulseurs firent de si grandes exactions, sous prétexte de remplir leur devoir, que l'empereur Honorius les cassa par une loi donnée en 412.

Les lois des Visigoths font mention des compulseurs de l'armée. Les Goths appelloient ainsi ceux qui obligeoient les soldats d'aller au combat ou à l'attaque.

Cassien appelle aussi compulseurs, ceux qui dans les monasteres indiquoient les heures de l'office canonique, & qui avoient soin que les moines se rendissent à l'office à ces heures. C'est ce qu'on nomme encore aujourd'hui dans les communautés ecclésiastiques réglementaire, homme chargé de veiller à l'exécution des réglemens. Chambers. (G)


COMPULSOIRE(Jurispr.) du latin compellere, est un mandement émané de l'autorité souveraine ou de justice, en vertu duquel le dépositaire d'une piece est tenu de la représenter.

L'usage des compulsoires nous vient des Romains : on en trouve des vestiges dans le code Théodosien, tit. de edend. l. 6. & au même titre du code de Justinien, l. 2.

Par cette loi, qui est des empereurs Sévere & Antonin, il est dit que le juge devant lequel la cause est pendante, ordonnera que l'on présente aux parties les actes publics, tant civils que criminels, afin que les parties les examinent, & puissent s'éclaircir de la vérité de ces actes.

Il y a long-tems que les compulsoires sont aussi d'usage parmi nous ; en effet il en est parlé dans l'ordonnance de Charles VII. de l'an 1446, art. 36. qui porte que les parties produiront dans les trois jours sans espérance d'autre délai, sous ombre de compulsoire ni autrement.

L'ordonnance de Charles VIII. de l'an 1493, art. 31. ordonne qu'aucun délai & compulsoire ne soit accordé par la cour, outre les délais ordinaires pour produire, sinon que ce délai & compulsoire eût été demandé en jugement en plaidant la cause.

Le même réglement fut renouvellé par Louis XII. en 1507, art. 81. & par François I. en Octobre 1535, ch. xv. art. 2.

François I. par son ordonnance de 1539, art. 177. a encore prévû le cas du compulsoire, en défendant aux notaires & tabellions de ne montrer & communiquer leurs registres, livres, & protocolles, sinon aux contractans, leurs héritiers & successeurs, ou autres auxquels le droit de ces contrats appartiendroit notoirement, ou qu'il fût ordonné par justice.

Enfin l'ordonnance de 1667 contient un titre exprès des compulsoires & collations de pieces ; c'est le titre xij.

A l'égard des coûtumes, je ne connois que celle de Bourbonnois, rédigée en 1520, qui fasse mention des compulsoires. L'article 433. dit que les notaires & tabellions sont tenus & peuvent être contraints, par compulsoire ou autrement, d'exhiber aux lignagers, seigneurs féodaux & directs, la note & contrat d'aliénation par eux reçû, & leur en donner copie à leurs dépens s'ils en sont requis, &c.

La coûtume de Nivernois, ch. xxxj. art. 15. contient une disposition à-peu-près semblable pour l'exhibitions des pieces qui est dûe par les notaires ; mais elle ne parle pas de compulsoire.

Anciennement l'ordonnance du juge suffisoit pour autoriser une partie à compulser une piece ; mais depuis que l'on a introduit l'usage des lettres de justice en chancellerie, il est nécessaire d'obtenir des lettres de compulsoire.

Ces lettres sont adressées à un huissier ; ensorte qu'il n'y a qu'un huissier qui puisse les mettre à exécution.

Elles contiennent l'exposé qui a été fait par l'impétrant, qu'il a intérêt d'avoir connoissance de certaines pieces, dont on lui refuse ou dont on pourroit lui refuser la communication sous de vains prétextes ; qu'il desire en avoir une copie authentique, & qui puisse faire foi contre sa partie.

Les lettres donnent ensuite pouvoir à l'huissier de faire commandement à tous notaires, tabellions, greffiers, curés, vicaires, gardes-registres, & autres personnes publiques, de représenter tous les titres, contrats, aveux, registres, & autres actes qui seront requis par l'impétrant, pour en être par l'huissier fait des copies, extraits, vidimus & collations, partie présente ou dûement appellée, pour servir à l'impétrant au procès dont il s'agit, & par-tout ailleurs ; & en cas d'opposition, refus ou délai, l'huissier est autorisé à assigner pour en dire les causes.

On voit par-là qu'un compulsoire peut avoir deux objets.

L'un d'avoir communication d'une piece que l'on n'a pas, pour en prendre une copie en entier ou par extraits, ou pour vidimer & collationner la copie que l'on a avec l'original, & confronter si elle est pareille.

L'autre objet que l'impétrant se propose en appellant sa partie au compulsoire, est d'avoir une copie qui puisse faire foi à l'égard de celui contre lequel il veut s'en servir ; c'est pour cela que l'on assigne la partie pour être présente, si bon lui semble, au procès-verbal de compulsoire.

Autrefois on assignoit la partie à se trouver à la porte d'une église ou autre lieu public, pour de-là se transporter ailleurs ; mais l'ordonnance de 1667 a abrogé ce circuit inutile, & veut que l'assignation soit donnée à comparoir au domicile d'un greffier ou notaire, soit que les pieces soient en leur possession ou entre les mains d'autres personnes.

Quoique l'ordonnance ne nomme que les greffiers & notaires, l'usage est que l'on peut aussi assigner au domicile des curés, vicaires, & autres personnes publiques, pour les pieces dont ils sont dépositaires.

Il en est de même lorsque l'on veut compulser une piece entre les mains de l'avocat de la partie adverse ; l'assignation se donne au domicile de l'avocat, & le compulsoire se fait entre les mains du clerc, qui est personne publique en cette partie.

Un avocat qui a en communication le sac de son confrere, ne fait point compulser les pieces entre ses mains ; il commence par le remettre, pour ne point manquer à la fidélité qu'ils observent dans ces communications : mais la partie peut faire compulser la piece, comme on vient de le dire, entre les mains du clerc de l'avocat adverse, parce que la communication des sacs rend les pieces communes, au moyen dequoi on ne peut empêcher le compulsoire des pieces qui y sont.

Du reste on ne peut obliger un particulier de laisser compulser des pieces qu'il a entre ses mains, mais qu'il n'a pas produit ni communiqué ; car la regle en cette matiere est que nemo tenetur edere contra se. Liv. I. §. 3. & leg. 4. cod. de edendo.

Ainsi, hors le cas de pieces produites ou communiquées par la partie, on ne peut compulser que les pieces qui sont dans un dépôt public, ou qu'un tiers veut bien représenter devant un officier public.

Les sentences, arrêts & autres jugemens, les ordonnances, édits, déclarations, les registres des insinuations & autres actes semblables, qui par leur nature sont destinés à être publics, doivent être communiqués par ceux qui en sont dépositaires, à toutes sortes de personnes, sans qu'il soit besoin pour cet effet de lettres de compulsoire.

Ces sortes de lettres ne sont nécessaires que pour les contrats, testamens & autres actes privés ; lesquels aux termes des ordonnances, ne doivent être communiqués qu'aux parties, leurs héritiers, successeurs ou ayans cause. C'est pourquoi lorsqu'un tiers prétend avoir intérêt de les compulser, il faut qu'il y soit autorisé par des lettres.

Si celui qui est dépositaire de la piece refuse de la communiquer nonobstant les lettres, en ce cas on le fait assigner pour dire les causes de son refus, & la justice en décide en connoissance de cause.

Les assignations données aux personnes ou domiciles des procureurs des parties, ont le même effet pour les compulsoires que si elles avoient été données au domicile des parties.

Le procès-verbal de compulsoire & de collation de pieces, ne peut être commencé qu'une heure après l'échéance de l'assignation, & le procès-verbal doit en faire mention.

Enfin si la partie qui a requis le compulsoire ne compare pas, ou son procureur pour lui, à l'assignation qu'il a donnée, il sera condamné à payer à la partie qui aura comparu, la somme de vingt liv. pour ses dépens, dommages & intérêts, & les fraix de son voyage, s'il y échet ; ce qui sera payé comme fraix préjudiciaux. Voyez le recueil des ordonnances de Néron ; la conférence de Guenois, liv. III. tit. jv. des délais & défauts ; Bornier, sur le tit. xij. de l'ordonnance. (A)


COMPUTS. m. (Chronol.) signifie proprement calcul ; mais ce mot s'applique particulierement aux calculs chronologiques, nécessaires pour construire le calendrier, c'est-à-dire pour déterminer le cycle solaire, le nombre d'or, les épactes, les fêtes mobiles, &c. Voyez ces différens mots. (O)


COMPUTISTES. m. (Hist. ecclés.) est un officier de la cour de Rome, dont la fonction est de recevoir les revenus du sacré collége.


COMTES. m. (Hist. anc.) les uns font remonter ce titre jusqu'au tems d'Auguste ; d'autres jusqu'au tems d'Adrien. Les premiers prétendent qu'Auguste prit plusieurs sénateurs pour l'accompagner dans ses voyages, & lui servir de conseil dans la décision des affaires ; ils ajoûtent que Galien supprima ces comites ou comtes, défendit aux sénateurs d'aller à l'armée, & que ses successeurs ne prirent point de comites ou comtes. Les seconds disent que les comtes furent des officiers du palais, qui ne s'éloignoient jamais de la personne de l'empereur, & qu'on en distinguoit du premier, du second & du troisieme ordre, selon le degré de considération & de faveur qu'ils avoient auprès du prince.

Il y a apparence qu'en dérivant le nom de comte du comes des Latins, comme il est vraisemblable qu'il en vient, ce titre est beaucoup plus ancien qu'on ne le fait. Au tems de la république, on appelloit comites les tribuns, les préfets, les écrivains, &c. qui accompagnoient les proconsuls, les propréteurs, &c. dans les provinces qui leur étoient départies, & ils étoient leurs vice-gérens & leurs députés dans les occasions où ces premiers magistrats en avoient besoin.

Sous quelques empereurs, le nom de comte fut plûtôt une marque de domesticité, qu'un titre de dignité. Ce ne fut que sous Constantin qu'on commença à désigner par le nom de comte une personne constituée en dignité. Eusebe dit que ce prince en fit trois classes, dont la premiere fut des illustres, la seconde des clarissimes ou considérés, & la troisieme des très-parfaits : ces derniers avoient des priviléges particuliers ; mais il n'y avoit que les premiers & les seconds qui composassent le sénat.

Mais à peine le nom de comte fut-il un titre, qu'il fut ambitionné par une infinité de particuliers, & qu'il devint très-commun, & par conséquent peu honorable. Il y eut des comtes pour le service de terre, pour le service de mer, pour les affaires civiles, pour celles de la religion, pour la jurisprudence, &c. Nous allons exposer en peu de mots les titres & les fonctions des principaux officiers qui ont porté le nom de comte, selon l'acception antérieure à celle qu'il a aujourd'hui dans l'Europe.

On nomma comes Egypti, un ministre chargé de la caisse des impôts sur la soie, les perles, les aromates & autres marchandises précieuses. Son pouvoir étoit grand ; il ne rendoit compte qu'à l'empereur. Le gouvernement d'Egypte étoit attaché à sa dignité. On le désignoit aussi quelquefois par comes rationalis summarum. Comes aerarii, ou comes largitionum ; une espece d'intendant des finances, le garde de leurs revenus, & le distributeur de leurs largesses. Comes Africae, ou dux limitaneus ; un gouverneur en Afrique des forteresses & places frontieres ; il commandoit à seize sous-gouverneurs. Comes Alanus, le chef d'une compagnie de soldats Alains ; il étoit subordonné au magister militum. Comes annonae, un officier chargé par l'empereur de l'approvisionnement & de la subsistance générale de Constantinople. Comes archiatrorum sacri palatii, un chef des archiatres du sacré palais, ou le premier médecin de l'empereur ; il fut du premier, du second, ou du troisieme ordre, selon le plus ou le moins de crédit qu'il eut auprès du prince. Comes Argentoratensis, un commandant de la garnison de Strasbourg. Comes auri, un garde de la vaisselle d'or & d'argent de l'empereur, ou un officier chargé de mettre en or l'argent des coffres de l'empereur ; on l'appelloit aussi, le directeur scrinii aureae massae, ou un inspecteur général des mines. Comes Britanniae, celui qui commandoit sur les côtes de cette province pour les Romains ; il s'appelloit aussi comes maritimi tractus, comes littoris, comes littoris Saxonici per Britanniam. Comes buccinatorum, un chef des trompettes, un inspecteur & juge de cette troupe. Comes castrensis, un chef des officiers de cuisine ou un pourvoyeur général du camp ; ou dans des tems plus reculés, un seigneur d'un château fortifié. Comes cataphractarius, un chef de cuirassiers. Comes civitatis, le premier magistrat d'une ville. Comes clibanarius, le même que cataphractarius. Comes commerciorum, un inspecteur général du commerce ; il avoit sous lui les intendans du commerce de l'Orient, de l'Egypte, de la Mésie, de la Scythie, du Pont, & de l'Illyrie ; ils veilloient tous aux importations, exportations, &c. & ils étoient soûtenus dans leurs fonctions par une milice particuliere. Comes sacri consistorii, un officier de confiance de l'empereur ; il assistoit à la réception des ambassadeurs, il avoit place au conseil, lors même qu'on y délibéroit des affaires les plus secrettes : ce comte fut du premier ordre. Comes contariorum, un chef des piquiers. Comes dispositionum, un ministre de la guerre ; il avoit sa caisse, dont il étoit appellé princeps sui scrinii, in capite constitutus, prior in scrinio. Comes domesticorum, un chef des gardes de l'empereur ; sa fonction en paix & en guerre étoit de veiller à la personne de l'empereur, sans s'en éloigner : il abusa quelquefois de sa place. Il y avoit des gardes domestiques à pié & à cheval ; on appelloit ceux-ci protectores, & on les comprenoit tous sous le nom de praetoriani. Comes domorum, un inspecteur des bâtimens royaux ; il portoit en Cappadoce le nom de comes domûs divinae. Comes equorum regiorum, un grand écuyer de l'empereur. Comes excubitorum, un chef des gardes de nuit. Comes exercitus, comes rei militaris, un général d'armée. Comes foederatorum, un chef des soldats étrangers & des soûdoyés. Comes formarum, un inspecteur des aqueducs ; on l'appelloit aussi aedilis, ou curator formarum. Forma signifioit une charpente destinée à soûtenir un canal de brique ou de pierre. Cet inspecteur étoit subordonné au praefectus urbis. Comes gildoniaci, un inspecteur des domaines que Gildo possédoit en Espagne, & qu'il perdit avec la vie ; il étoit subordonné au comes rerum privatarum. Comes horreorum, un inspecteur des greniers. Comes Italiae, le gouverneur des frontieres de l'Italie. Comes Italicianus ou Gallicanus, le trésorier de la chambre des domaines des Gaules & d'Italie ; on l'appella quelquefois comes largitionum, quand son district fut borné à un diocèse. Comes largitionum comitatensium, un trésorier de l'empereur, & un distributeur de ses bienfaits privés ; il suivoit en voyage ; ses commis s'appelloient largitionales comitatenses, de largitionibus, de privatis, de sacris, de comitatensibus, &c. synonymes entr'eux, comme largitio, aerarium, fiscus, &c. Comes largitionum privatarum, un contrôleur des revenus personnels & propres de l'empereur, & dont il ne devoit aucun compte à l'état ; ses subalternes s'appelloient rationales rei privatae ; leur chef portoit le nom de praefectus ou procurator rei privatae ; il veilloit aux bona caduca, vaga municipia, &c. Comes largitionum sacrarum, un contrôleur des finances destinées aux charges de l'état, comme les honoraires des magistrats, la paye des militaires, &c. on l'appelloit quelquefois comes sacrarum, comes largitionum, comes sacrarum remunerationum. Il régloit les affaires du fisc ; il en faisoit exécuter les débiteurs ; il fournissoit à l'entretien des édifices publics ; il avoit un district très-étendu ; il jugeoit à mort ; il connoissoit des trésors trouvés, des impôts, des péages, du change, des réparations, des confiscations, &c. Comes legum, un professeur en droit. Comes limitis ou limitaneus, un gouverneur de forteresses limitrophes. Comes marcarum, le même que limitaneus. Comes maritimae, un gouverneur des côtes ; ses subalternes s'appelloient vice-comites maritimae. Comes matronae, un officier chargé d'accompagner une femme ou une fille : c'étoit une imprudence que de n'en avoir point. Comes metallorum per Illyricum, un inspecteur des mines de ce pays ; il étoit soûmis au comes largitionum sacrarum. Comes notariorum, un chef des gens de robe, autrefois un chancelier. Comes numeri cohortis, un chef d'une troupe de six compagnies de soldats qu'on appelloit numerus. Comes obsequii, un maréchal des logis de l'empereur en voyage. Comes officiorum, le chef de tous les officiers servans au palais de l'empereur. Comes Orientis, un vice-gérent du praefectus praetorii Orientis ; il s'appelloit aussi praeses Orientis. Comes pagi, un baillif d'un village. Comes portuum, un inspecteur des ports, sur-tout de Rome & de Ravennes. Comes palatinus, ou comes à latere, un juge de toutes les affaires qui concernoient l'empereur, ses officiers, son palais, sa maison : c'est de-là que descendent les princes palatins d'aujourd'hui, & les comtes palatins. Il y avoit quatre princes palatins, un en Baviere, un en Suabe, un en Franconie, & un en Saxe : il n'en reste que deux, qui ont conservé le vicariat de l'empire. Voyez ci-après COMTES PALATINS, & à PALATINS l'article PRINCES PALATINS. Comes patrimonii sacri, contrôleur des revenus propres de l'empire ; il étoit subordonné au comes privatarum domûs divinae. Comes praesens, un chef des gardes de service. Comes provinciae, ou rector provinciae, un gouverneur de province ; il étoit comte du premier ordre ; il commandoit les troupes en guerre ; il jugeoit à mort pendant la paix : les landgraves de l'Allemagne y font remonter leur origine. Comes rei militaris seu exercitus ou militum, un général chargé de la conservation d'une province menacée de guerre. Comes rei privatae, ou rerum privatarum, ou largitionum, voyez plus haut. Comes remunerationum sacrarum, voyez plus haut. Comes riparum & alvei, ou plus anciennement curator alvei, un inspecteur du Tibre ; il étoit subordonné au préfet de la ville. Comes sagittarius, un chef d'archers : ces archers faisoient partie de la garde à cheval de l'empereur. Comes scholae, un chef de classe, les officiers du palais étoient distribués en classes ; il y avoit celles des cutariorum, des vexillariorum, des silentiariorum, des exceptorum, des chartulariorum, &c. Ceux qui composoient ces classes se nommoient scholares ; & leurs chefs, comites scholarum. Ils étoient subordonnés au magister officiorum. Comes vacans, un officier vétéran. Comes vestiarii, un garde du linge de l'empereur ; il s'appelloit aussi lineae vestis magister : il étoit sous le comes largitionum privatarum.

Tous ces comtes jettent beaucoup d'obscurité & d'embarras dans les auteurs du droit romain, qui en ont fait mention. On honora de ce titre, outre les officiers dont nous venons de parler, ceux qui avoient bien mérité de l'état ; comme des professeurs en droit qui avoient vingt ans d'exercice. Dans le bas empire, le premier comte s'appella protocomes.

* COMTE, (Hist. mod.) la qualité de comte differe beaucoup aujourd'hui de ce qu'elle étoit anciennement : elle n'est ni aussi importante qu'au tems des premiers comtes de la nation, ni aussi commune qu'au tems des derniers comtes de l'empire.

Le comte que les Latins appelloient comes à commeando, ou à comitando, que les Allemands appellent graaf, que les anciens Saxons ont appellé eolderman, que les Danois nomment earlus, & les Anglois earl, est parmi nous un homme noble qui possede une terre érigée en comté, & qui a droit de porter dans ses armes une couronne perlée, ou un bandeau circulaire orné de trois pierres précieuses, & surmonté ou de trois grosses perles, ou d'un rang de perles qui se doublent ou se triplent vers le milieu & le bord supérieur du bandeau, & sont plus élevées que les autres.

Ce titre d'honneur ou degré de noblesse, est immédiatement au-dessus de celui de vicomte, & au-dessous de celui de marquis.

Les empereurs firent des premiers Comtes de leurs palais, des généraux d'armées, & des gouverneurs de provinces. Ceux qui avoient été vraiment comtes de l'empereur avant que de passer à d'autres dignités, retinrent ce titre : d'où il arriva que ceux qui leur succéderent dans ces dignités, se firent appeller comtes, quoiqu'ils ne l'eussent point été réellement. Les anciens comtes du palais, sous les empereurs, s'appelloient d'abord comites & magistri ; ils supprimerent dans la suite le magistri. Dans ces tems les ducs n'étoient distingués des comtes que par la nature de leurs fonctions. Les comtes étoient pour les affaires de la paix ; les ducs pour celles de la guerre. La grande distinction qui existe maintenant entre ces dignités, n'est pas fort ancienne.

Les François, les Allemands, &c. en se répandant dans les Gaules, n'abolirent point la forme du gouvernement romain, & conserverent les titres de comtes & de ducs que portoient les gouverneurs de provinces & de villes. Sous Charlemagne, les comtes étoient gouverneurs & juges des villes & des provinces. Les comtes qui jugeoient & gouvernoient des provinces, supérieurs des comtes qui ne jugeoient & ne gouvernoient que des villes, étoient les égaux des ducs qui ne jugeoient & gouvernoient des provinces que comme eux, & qui étoient pareillement amovibles.

Ce fut sous les derniers de nos rois de la seconde race, que ces seigneurs rendirent leurs dignités héréditaires ; ils en usurperent même la souveraineté, lorsque Hugues Capet, qui en avoit fait autant lui-même pour le duché de France & le comté de Paris, parvint à la couronne. Son autorité ne fut pas d'abord assez affermie pour s'opposer à ces usurpations ; & c'est de-là qu'est venu le privilége qu'ils ont encore de porter une couronne dans leurs armes. Peu-à-peu les comtés sont revenus à la couronne, & le titre de comte n'a plus été qu'un titre accordé par le roi, en érigeant en comté une terre où il se réserve jurisdiction & souveraineté.

D'abord la clause de réversion du comté à la couronne au défaut d'enfans mâles, ne fut point mise dans les lettres patentes d'érection ; mais pour obvier à la fréquence de ces titres, Charles IX. l'ordonna en 1564. Cette réversion ne regarde que le titre, & non le domaine, qui passe toûjours à ceux à qui il doit aller selon les lois, mais sans attribution de la dignité.

Il y a eu entre les marquis & les comtes des contestations pour la préséance. On alléguoit en faveur des comtes qu'il y avoit des comtes pairs, & non des marquis ; cependant la chose a été décidée pour les marquis : ils précedent les comtes, quoique leur titre soit très-moderne en France ; il ne remonte pas au-delà de Louis XII. qui créa marquis de Trans un seigneur de l'illustre & ancienne maison de Villeneuve. Le titre de marquis est originaire d'Italie.

Comme on donnoit anciennement le nom de comte aux gouverneurs de villes & de provinces, dont une des fonctions étoit de conduire la noblesse à l'armée, & que quelques capitaines prirent le même titre, sans y être autorisés par un gouvernement de ville ou de province, on fit dans la suite du nom de comte celui de comite, qui est resté à ceux qui commandent les forçats sur nos galeres ; on fit aussi celui de vicomte, qui de même que les anciens comtes étoient juges dans leurs villes ou provinces, sont restés juges dans quelques-unes de la Normandie, & ailleurs ; à Paris même, le prevôt de la ville délégué par le comte, est encore juge dans le vicomté de Paris.

Nos ambassadeurs & plénipotentiaires sont dans l'usage de prendre le titre de comte, quoiqu'ils n'ayent point de comtés ; ils croyent ce relief nécessaire pour avoir dans les cours de leur négociation, un degré de considération proportionné à l'importance de leurs fonctions.

En Angleterre, on appelle comtes les fils des ducs, & vicomtes les fils des comtes. Le titre de comte s'éteignoit originairement avec celui qui le portoit ; Guillaume le Conquérant le rendit héréditaire, en récompensa quelques grands de sa cour, l'annexa à plusieurs provinces, & accorda au comte pour soûtenir son rang, la troisieme partie des deniers des plaidoyeries, amendes, confiscations, & autres revenus propres du prince, dans toute l'étendue de son comté. Cette somme se payoit par l'échevin de la province. Aujourd'hui les comtes sont créés par chartre ; ils n'ont ni autorité, ni revenus dans les comtés dont ils portent les noms : le titre de comte ne leur vaut qu'une pension honoraire sur l'échiquier. Le nombre des comtes étant devenu plus grand que celui des comtés proprement dits ; il y en a dont le comté est désigné par le nom d'une portion distinguée d'une province ou d'un autre comté, par celui d'une ville, d'un village, d'un bourg, d'un château, d'un parc. Il y a même deux comtes sans nom de terre ; le comte de Rivers, & le comte Poulet. Il y a une charge qui donne le titre de comte-maréchal. Voyez ci-après COMTE-MARECHAL.

La cérémonie de création de comte se fait en Angleterre par le roi, en ceignant l'épée, mettant le manteau sur l'épaule, le bonnet & la couronne sur la tête, & la lettre patente à la main, à celui qui est créé, que le roi nomme consanguineus noster, mon cousin, & à qui il donne le titre de très-haut & très-noble seigneur. Les perles de la couronne du comte anglois sont placées sur des pointes & extrémités de feuillages. On y fait moins de façon en France. Lorsque la terre est érigée en comté par lettres patentes, le titulaire & sa postérité légitime prennent le titre de comte, sans autre cérémonie que les enregistremens requis des lettres d'érection.

* COMTE-MARECHAL, (Hist. mod.) c'est en Angleterre un officier de la couronne. Il avoit anciennement plusieurs tribunaux, tels que la cour de chevalerie, presque ensevelie dans l'oubli, & la cour d'honneur qu'on a rétablie depuis peu. Il juge, à la cour de la maréchaussée, les criminels pris dans les lieux privilégiés. L'officier, immédiatement sous le comte-maréchal, s'appelle chevalier-maréchal. Le collége des hérauts-d'armes est sous la jurisdiction du comte. Cette dignité est héréditaire dans la famille de Howard. La branche principale en est maintenant revêtue ; mais des raisons d'état n'en permettent l'exercice que par députés.

* COMTES DE LYON, DE BRIOUDE, DE SAINT-PIERRE, DE MACON, &c. ce sont des chanoines décorés de ce titre ; parce qu'anciennement ils étoient seigneurs temporels des villes où leurs chapitres sont situés. Nos rois ont retiré la plûpart de ces seigneuries, & n'ont laissé que le nom de comtes aux chapitres. Il n'y a plus que quelques prélats, comme les comtes & pairs, à qui il reste, avec le titre des droits seigneuriaux, mais subordonnés à ceux de la souveraineté.

COMTES PALATINS, (Jurisp. & Hist.) Il y a dans l'Empire un titre de Palatin qui n'a rien de commun avec celui des princes palatins du Rhin ; c'est une dignité dont l'empereur décore quelquefois des gens de Lettres : on les appelle comtes palatins ; & selon le pouvoir que leur donnent les lettres patentes de l'empereur, ils peuvent donner le degré de docteur, créer des notaires, légitimer des bâtards, donner des couronnes de laurier aux poëtes, annoblir des roturiers, donner des armoiries, autoriser des adoptions & des émancipations, accorder des lettres de bénéfice d'âge, &c. mais cette dignité de comte est vénale & s'accorde facilement ; on fait aussi peu de cas de ce qui est émané de ces comtes. Les papes font aussi de ces comtes palatins. Jean Navar, chevalier & comte palatin, fut condamné par arrêt du parlement de Toulouse, prononcé le 25 Mai 1462, à faire amende honorable & demander pardon au roi pour les abus par lui commis, en octroyant en France des lettres de légitimation, de notariat, & autres choses dont il avoit puissance du pape ; ce qui étant contraire à l'autorité du roi, le tout fut déclaré nul & abusif. Voyez le tableau de l'empire germanique, page 107. & les arrêts de Papon, page 248. (A)


COMTÉS. m. (Hist. anc.) L'empire fut divisé sous Constantin en deux départemens appellés comitatus ; ainsi le mot comté n'a pas dans cet article une acception relative au mot comte, Hist. anc. Ces comtés étoient des conseils dont les préfets s'appelloient comites. Il y en a cependant qui font remonter l'origine de nos comtes à ces préfets.

COMTE, (Hist. mod.) signifie le domaine d'un seigneur qualifié du titre de comte. Voyez COMTE.

En Angleterre le mot de comté est synonyme à celui de shire : or une shire est une 52e partie du royaume d'Angleterre, y compris la province de Galles, le royaume ayant été divisé en 52 portions, pour en rendre le gouvernement plus facile, & l'administration de la justice, dans les différentes provinces, plus ponctuelle & mieux réglée.

Ces comtés sont subdivisés en rapes, comme l'est celle de Sussex, ou en lathes, ou en wapentakes, ou en hundreds, c'est-à-dire en centaines ; & ces portions de comtés en dixaines.

On nomme tous les ans, à la S. Michel, des officiers appellés sherifs, pour la manutention des lois dans ces différentes comtés ; excepté celles de Cumberland, de West-Morland, & de Durham.

Cet officier a deux fonctions différentes ; l'une de simple exécuteur des ordres qui lui sont adressés par les cours de justice ; l'autre, de présider lui-même à deux différens tribunaux, dont l'un s'appelle la séance du sherif, l'autre la cour de la comté.

Les autres officiers des différens comtés, sont un lord-lieutenant, qui a le commandement de la milice du comté, les gardes des rôles, les juges de paix, les baillis, le grand connétable, & le coroner.

Des cinquante-deux comtés, il y en a quatre distingués parmi les autres, qu'on appelle pour cette raison comtés palatins, qui sont Lancastre, Chester, Durham & Ely. Pembroke & Hexam étoient autrefois aussi des comtés palatins ; celui-ci appartenoit à l'archevêque d'York, & a été demembré de son domaine, & dépouillé de son privilége sous le regne d'Elisabeth, & n'est plus à-présent qu'une portion du comté de Northumberland.

Les gouverneurs en chef de ces comtés palatins par concession spéciale du roi, adressoient aux officiers du comté toutes les ordonnances en leur nom, & administroient la justice d'une maniere aussi absolue que le roi lui-même dans les autres comtés, si ce n'est qu'ils le reconnoissoient comme leur maître : mais Henri VIII. modéra cette étendue de pouvoir. Voyez PALATINAT. Chambers. (G)

N'oublions pas d'observer que le mot comté est quelquefois féminin ; on dit la comté de Bourgogne, la Franche- comté, &c. Tout cela dépend de l'usage.

COMTES-PAIRIES, (Jurispr.) Les comtés-pairies sont des grands fiefs de la couronne, de grandes dignités de même nature que les duchés-pairies, & en tout semblables à ces derniers excepté par le nom, & auxquelles on a attaché une jurisdiction semblable à celle des duchés-pairies.

Le privilége attaché à ces grands fiefs est de relever immédiatement de la couronne ; car il ne peut pas exister de pairie qui ne soit dans la mouvance directe & immédiate de la couronne, à la différence de comtés simples ou du second ordre, mais qui ne sont point pairies, & parmi lesquelles il peut y en avoir qui ne relevent ni du roi ni de la couronne.

Il y a eu dans le royaume un grand nombre de comtés-pairies dont les unes ont été éteintes, d'autres érigées en duchés-pairies, & quelques-unes que l'on a fait revivre par de nouvelles lettres d'érection.

Il y en a trois que l'on peut appeller ecclésiastiques ; elles sont attachées aux évêchés de Beauvais, de Châlons, & de Noyon.

Les justices de ces grands fiefs, ainsi que celles des duchés-pairies, sont toutes justices royales. L'érection d'une terre en comté-pairie mettant nécessairement cette terre dans la mouvance directe & immédiate de la couronne, il seroit absurde que la justice attachée à une dignité, à un fief de cette nature, fût seigneuriale. Voyez JUSTICE & PAIRIE. (A)


COMUSS. m. (Myth.) dieu des festins. Il y a tout lieu de croire que c'étoit le même que le chamos des Moabites, ou beelphegor ou baalpéor, Priape & Bacchus. On le représentoit sous la figure d'un jeune-homme, le visage rouge & échauffé, la tête panchée & l'air assoupi, appuyé du côté gauche sur un dard de chasseur, tenant de la main droite un flambeau renversé, & la tête couronnée de fleurs. On plaçoit sa statue à l'entrée de l'appartement de l'époux & de la nouvelle mariée ; son pié-d'estal étoit jonché de fleurs. Il y en a qui font venir le mot comédie de comus, & qui croient que , est la même chose que como digna canere. Cette étymologie est d'autant mieux fondée, que ce fut dans des festins que l'on joüa les premieres farces, qui perfectionnées, produisirent la comédie telle que nous l'avons. Voyez COMEDIE.


CONARDou CORNARDS, sub. m. plur. nom d'une ancienne société qui subsistoit autrefois dans les villes d'Evreux & de Rouen, & qui y a fleuri pendant plus d'un siecle. L'objet de cette compagnie étoit ridicule, & ressembloit assez à celle des fous & à celle de la mere folle de Dijon.

Le premier but cependant étoit de corriger les moeurs en riant ; mais cette liberté ne demeura pas long-tems dans les bornes qu'elle s'étoit prescrites ; & les railleries, ou pour mieux dire les satyres, devinrent si sanglantes, que l'autorité royale, de concert avec la puissance ecclésiastique, détruisit cette compagnie. On appelloit le chef l'abbé des conards ou des cornards. Cette place qu'on n'obtenoit qu'à la pluralité des voix, étoit fort enviée, comme on le voit par deux vers de ce tems-là :

Conards sont les Busots & non les Rabillis,

O fortuna potens quàm variabilis !

Les Busots & les Rabillis sont deux familles qui subsistent encore à Evreux ou dans le pays, & qui avoient fourni des abbés à la compagnie. Les conards avoient droit de jurisdiction pendant leur divertissement, & ils l'exerçoient à Evreux dans le lieu où se tenoit alors le bailliage, mais qui n'est plus le même depuis l'établissement du présidial. Tous les ans ils obtenoient un arrêt sur requête du parlement de Paris avant l'établissement de celui de Rouen, & de celui-ci depuis le xvj. siecle, pour exercer leurs facéties. Taillepied, dans son livre des antiquités & singularités de la ville de Rouen, dit que dans cette ville les conards avoient leur confrairie à Notre-Dame de bonnes-nouvelles, où ils avoient un bureau pour consulter de leurs affaires : " ils ont succedé, dit-il, aux Coque-luchiers, qui se présentoient le jour des rogations en diversité d'habits ; mais parce qu'on s'amusoit plûtôt à les regarder qu'à prier Dieu, cela fut reservé pour les jours gras à ceux qui joüent des faits vicieux qu'on appelle vulgairement conards ou cornards, auxquels par choix & élection préside un abbé mitré, crossé, & enrichi de perles, quand solennellement il est traîné en un chariot à quatre chevaux le dimanche gras & autres jours de bacchanales ". A Evreux on le menoit avec beaucoup moins de pompe ; on le promenoit par toutes les rues & dans tous les villages de la banlieue monté sur un âne & habillé grotesquement. Il étoit suivi de sa compagnie, qui pendant la marche chantoit des chansons burlesques moitié latin moitié françois, & la plûpart du tems très-satyriques ; ce dernier excès fit supprimer la compagnie des conards, dont la principale fête se célebroit à la saint Barnabé ; & à sa place Paul de Capranic nommé à l'évêché d'Evreux en 1420, établit une confrairie dite de S. Barnabé, pour réparer, dit-il, les crimes, malfaçons, excès, & autres cas inhumains commis par cette compagnie de conards, au deshonneur & irréverence de Dieu notre créateur, de S. Barnabé, & de la sainte Eglise. Voyez le glossaire de Ducange, & le supplément de Morery. Il y a dans de vieux imprimés des arrêts de l'abbé des conards ou des cornards ; lorsque ces pieces misérables se trouvent, on les achete fort chérement. Quis leget haec ? (G)


CONARIOou CONOIDE, s. m. terme d'Anat. est la même chose que ce qu'on appelle la glande pinéale : c'est une petite glande de la grosseur d'un pois, placée à la partie supérieure du trou qu'on appelle anus, & qui est située dans le troisieme ventricule du cerveau, & attachée par quelques fibres à la partie qu'on appelle les nattes. V. GLANDE, CERVEAU, &c.

Elle est composée de la même substance que le reste du cerveau, & a seulement cela de particulier qu'elle est unique, au lieu que toutes les autres parties du cerveau sont doubles ; c'est ce qui a fait supposer à Descartes qu'elle étoit le siége immédiat de l'ame. Voyez SENSORIUM, AME, &c. Chambers. (L)


CONCA(Géog. mod.) riviere d'Italie qui prend sa source dans l'état de l'Eglise, & se jette dans le golfe de Venise.


CONCARNEAUX(Géog. mod.) petite ville de France en Bretagne, au pays de Cornouaille.


CONCASSERv. act. (Pharm.) c'est réduire en poudre grossiere, ou même en petits fragmens, par le moyen du pilon ou du marteau, les matieres assez dures & assez cassantes pour être divisées par ces instrumens.

La concassation est une de ces opérations méchaniques, que nous appellons préparatoires. Celle-ci est employée dans l'art pour ouvrir certains corps, multiplier leurs surfaces, & les disposer ainsi à être plus facilement attaqués par différens dissolvans qu'on a dessein de leur appliquer, soit qu'on se propose de les dissoudre entierement, soit qu'on en veuille tirer des teintures ou des extraits.

C'est ainsi qu'on concasse l'antimoine qu'on veut faire bouillir avec une lessive alkaline pour la préparation du kermès, certaines racines, semences & écorces dont on veut faire la décoction ou l'infusion, &c. (b)


CONCAVEadj. (Gram. Géom. & Physiq.) se dit de la surface intérieure d'un corps creux, particulierement s'il est circulaire.

Concave est proprement un terme relatif : une ligne ou surface courbe concave vers un côté, est convexe du côté opposé. Voyez SURFACE, CONVEXITE, &c.

Concave, se dit particulierement des miroirs & des verres optiques. Les verres concaves sont ou concaves des deux côtés, qu'on appelle simplement concaves ; ou concaves d'un côté & plans de l'autre, qu'on appelle plans concaves ou concaves plans ; ou enfin concaves d'un côté & convexes de l'autre. Si dans ces derniers la convexité est d'une moindre sphere que la concavité, on les appelle ménisques ; si elle est de la même sphere, sphériques concaves ; & si elle est d'une sphere plus grande, convexo-concaves. Voyez PLAN CONCAVE, &c.

Les verres concaves ont la propriété de courber en-dehors, & d'écarter les uns des autres les rayons qui les traversent, au lieu que les verres convexes ont celle de les courber en-dedans & de les rapprocher, & cela d'autant plus, que leur concavité ou leur convexité sont des portions de moindres cercles. Voyez LENTILLE & MIROIR.

D'où il s'ensuit que les rayons paralleles, comme ceux du soleil, deviennent divergens, c'est-à-dire s'écartent les uns des autres après avoir passé à-travers un verre concave, que les rayons déjà divergens le deviennent encore davantage, & que les rayons convergens sont rendus, ou moins convergens ou paralleles, ou même divergens. Voyez RAYON.

C'est pour cette raison que les objets vûs à-travers des verres concaves, paroissent d'autant plus petits, que les concavités des verres sont des portions de plus petites spheres. Voyez un plus grand détail sur ce sujet aux articles LENTILLE, REFRACTION, &c.

Les miroirs concaves ont un effet contraire aux verres concaves ; ils refléchissent les rayons qu'ils reçoivent, de maniere qu'ils les rapprochent presque toûjours les uns des autres, & qu'ils les rendent plus convergens qu'avant l'incidence : & ces rayons sont d'autant plus convergens, que le miroir est portion d'une plus petite sphere. Harris & Chambers.

Je dis presque toûjours ; car cette regle n'est pas générale : quand l'objet est entre le sommet & le centre du miroir, les rayons sont rendus moins convergens par la reflexion. Mais quand les rayons viennent d'au-delà du centre, ils sont rendus plus convergens ; & c'est pour cela que les miroirs concaves exposés au soleil, brûlent les objets placés à leur foyer. Voyez l'article ARDENT. (O)


CONCAVITÉS. f. (Gram. & Géom.) se dit de la surface concave d'un corps, ou de l'espace que cette surface renferme. Voyez CONCAVE. (O)


CONCENTRATIONS. f. (Chimie) on nomme ainsi certaines opérations chimiques, lorsqu'on les considere comme employées à rapprocher les parties d'un corps dissous dans une quantité de liqueur plus que suffisante pour sa dissolution ; en enlevant entierement ou en partie la portion surabondante du menstrue. C'est ainsi qu'on nomme concentration, l'évaporation ou la distillation par laquelle on sépare de l'huile de vitriol une partie de l'eau dans laquelle l'acide y est dissous ; la distillation, par laquelle on enleve à une teinture une partie de l'esprit-de-vin employé à la préparation de cette teinture ; la congelation, par laquelle on retire du vin ou du vinaigre une certaine quantité de leur eau ; l'affusion de l'acide vitriolique très-déflegmé dans un acide moins avide d'eau ; par exemple le nitreux, auquel le premier l'enleve selon les lois d'affinité connues. Voyez ACIDE VITRIOLIQUE au mot VITRIOL. Voyez VIN, VINAIGRE, TEINTURE, ACIDE NITREUX, au mot NITRE. (b)


CONCENTRIQUEadj. terme de Géométrie & d'Astronomie. On donne ce nom à deux ou plusieurs cercles ou courbes qui ont le même centre. Voyez CENTRE.

Ce mot est principalement employé lorsqu'on parle des figures & des corps circulaires ou elliptiques, &c. mais on peut s'en servir aussi pour les polygones dont les côtés sont paralleles, & qui ont le même centre. Voyez CERCLE, POLYGONE, &c.

Concentrique est opposé à excentrique. Voyez EXCENTRIQUE. Harris & Chambers. (E)


CONCEPTIONS. f. (Logiq.) La conception ou la compréhension, est cette opération de l'entendement par laquelle il lie les idées des choses en les considérant sous certaines faces, en saisit les différentes branches, les rapports, & l'enchaînement.

Elle réunit les sensations & les perceptions qui nous sont fournies par l'exercice actuel des facultés intellectuelles. Mais souvent l'esprit, faute d'avoir ces sensations & ces perceptions bien disposées, faute d'attention & de réflexion, ne saisit pas les rapports des choses sous leur véritable point de vûe ; d'où il arrive qu'il ne les conçoit pas, ou les conçoit mal. Suivant la judicieuse remarque de M. l'abbé de Condillac, une condition essentielle pour bien concevoir, c'est de se représenter toûjours les choses sous les rapports qui leur sont propres. Quand les sujets qu'on présente à l'entendement lui sont familiers, il les conçoit avec promtitude, il en connoît les rapports : il les embrasse tous, pour ainsi dire, en même tems ; & quand il en parle, l'esprit les parcourt avec assez de rapidité pour devancer toûjours la parole, à-peu-près comme l'oeil de quelqu'un qui lit haut devance la prononciation.

Il arrive encore que l'ame est quelquefois entraînée de conception en conception par la liaison des idées qui quadrent avec son intérêt présent : alors il se fait un enchaînement successif de proche en proche d'une étendue de compréhension à une autre, de-là encore à une autre, & toûjours par le secours de l'intérêt, qui lui fournit des connoissances selon lesquelles elle se détermine plus ou moins convenablement.

La progression de la conception est plus ou moins étendue, selon le degré de perfection du sensorium commune : plus il est parfait, plus l'ame peut recevoir de perceptions distinctes à-la-fois. L'étendue & le degré de perfection de la conception, regle l'étendue & la promtitude du bon sens ; elle fournit même souvent le fond & la forme des raisonnemens, sans le secours de la raison : mais quand elle est trop bornée, ou trop irréguliere, elle fait toûjours naître des décisions vicieuses.

Il résulte de ce détail, qu'il est très-important de tâcher de concevoir les choses sous les idées qui leur sont propres, de se rendre la conception familiere par l'attention, & de l'étendre par l'exercice : elle ne fait pas le génie, mais elle y contribue quand elle agit promtement ; & lorsqu'elle est active, elle donne l'industrie, mere de l'invention, si nécessaire dans les Arts, & si profitable à certains peuples. Art. de M(D.J.)

CONCEPTION, (Méd. Physiol.) voyez GENERATION & GROSSESSE.

CONCEPTION IMMACULEE, (Théol.) voyez IMMACULEE CONCEPTION.

CONCEPTION, (la) Géog. mod. ville de l'Amérique méridionale dans le Chili, avec un bon port, sur la mer du Sud. Long. 304. 27. 30. lat. mérid. 36. 42.

CONCEPTION, (la) Géog. mod. ville de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne, dans l'audience de Guatimala.

CONCEPTION, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale dans le Paraguai, à l'endroit où la riviere des Limaçons se jette dans celle de la Plata.


CONCERTS. m. (Musique) assemblée de voix & d'instrumens qui exécutent des morceaux de musique. On le dit aussi pour exprimer la musique même qu'on exécute. Les Indes galantes sont gravées en concert, c'est-à-dire qu'elles sont disposées dans la gravure pour former des concerts. (B)

On ne se sert guere du mot concert que pour une assemblée d'au-moins quatre ou cinq musiciens, & pour une musique à plusieurs parties, tant vocale qu'instrumentale. Quant aux anciens, comme il paroît qu'ils ne connoissoient pas la musique à plusieurs parties, leurs concerts ne s'exécutoient probablement qu'à l'unisson ou à l'octave. (S)

On fait des concerts d'instrumens sans voix, dans lesquels on n'exécute que des symphonies. Dans quelques villes considérables de province, plusieurs particuliers se réunissent pour entretenir à leurs dépens des musiciens qui forment un concert. On dit le concert de Marseille, de Toulouse, de Bordeaux, &c. Celui de Lyon est établi en forme par lettres patentes, & a le titre d'académie royale de Musique. Il est administré par des directeurs élûs par les particuliers associés, & c'est un des meilleurs qu'il y ait en province. Par un des statuts de cet établissement, chaque concert doit finir par un motet à grand choeur. Il n'est guere de ville en Europe où on ait tant de goût pour les Arts, dont les habitans soient aussi bons citoyens, & où les grands principes des moeurs soient si bien conservés : l'opulence ne les a point détruits, parce qu'elle n'y fleurit que par le travail & l'industrie. Le Commerce seul fait la richesse de la ville de Lyon, & la bonne foi est le grand ressort de cette utile & honnête maniere d'acquérir.

Le 24 Août, veille de S. Louis, on éleve auprès de la grande porte des Tuileries, du côté du jardin, une espece d'amphithéatre : tous les symphonistes de l'opéra s'y rendent ; & à l'entrée de la nuit on forme un grand concert composé des plus belles symphonies des anciens maîtres françois. C'est un hommage que l'académie royale de Musique rend au Roi. On ignore pourquoi l'ancienne musique, beaucoup moins brillante que la nouvelle, & par cette raison moins propre aujourd'hui à former un beau concert, est pourtant la seule qu'on exécute dans cette occasion : peut-être croit-on devoir la laisser joüir encore de cette prérogative, dans une circonstance où personne n'écoute. (B)

CONCERT SPIRITUEL, (Hist. mod.) spectacle public dans lequel on exécute, pendant les tems que tous les autres spectacles sont fermés, des motets & des symphonies. Il est établi dans la salle des suisses des Tuileries. On y a fait construire des loges commodes & un grand orchestre ; & ce spectacle a été plus ou moins fréquenté, selon le plus ou le moins d'intelligence des personnes qui en ont été chargées. Anne Daveau, dit Philidor, ordinaire de la musique du Roi, en donna l'idée en 1725. C'est un spectacle tributaire de l'académie royale de Musique : elle l'a régi pendant quelque tems elle-même, & il est actuellement affermé à M. Royer, maître à chanter des Enfans de France.

C'est le plus beau concert de l'Europe, & il peut fort aisément devenir le meilleur qu'il soit possible d'y former, parce que par son établissement il n'est point borné à de simples symphonies ou à des motets ; on y peut faire exécuter des cantates, des airs italiens des excellens maîtres, des morceaux de chant neufs & détachés, &c. En 1727 on y donna avec succès la cantate du Retour des dieux sur la terre, dont les paroles sont de M. Tanevot, & la musique de M. Colin de Blamont ; & en 1729, la cantate qui a pour titre la Prise de Lerida, & plusieurs ariettes italiennes y attirerent beaucoup de monde.

Lorsqu'il paroît à Paris quelque joüeur d'instrumens de réputation, & quelque cantatrice ou chanteur étrangers, c'est-là qu'on est sûr de les bien entendre. Le nombre de bons instrumens dont ce concert est composé, les choeurs qui sont choisis parmi les meilleurs musiciens des églises de Paris, les actrices de l'opéra les plus goûtées du public, & les voix de la chapelle & de la chambre du Roi les plus brillantes qu'on a le soin d'y faire paroître, le rendent fort agréable aux amateurs de la Musique ; & lorsqu'on a l'art de varier les morceaux qu'on y exécute, le public y court en foule.

Ce n'est que là, au reste, & à la chapelle du Roi, qu'on peut joüir des beaux motets de M. Mondonville. Ce célebre compositeur dans ce genre de musique, est au concert spirituel ce que M. Rameau est à l'opéra : il a saisi dans ses compositions sacrées la grande maniere que cet illustre artiste a portée dans ses ouvrages dramatiques ; mais il l'a saisie en homme original ; il a vû la lumiere dès qu'elle a paru ; & il a composé de façon qu'on juge sans peine qu'il étoit capable de se frayer de nouvelles routes dans son art, quand même M. Rameau ne les auroit pas ouvertes avant lui. Voyez CHANT. (B)


CONCERTANTadj. parties concertantes, sont en Musique, selon l'abbé Brossard, celles qui ont quelque chose à réciter dans la piece, & ce mot sert à les distinguer des parties qui ne sont que de choeur.

Ce mot est vieilli en ce sens ; on dit aujourd'hui parties récitantes ; mais on se sert de celui de concertant en parlant du nombre de musiciens qui exécutent dans un concert, & l'on dit fort bien : Nous étions vingt-cinq concertans ; un concert de huit à dix concertans. (S)


CONCERTOmot italien francisé, en Musique, signifie une piece de symphonie faite pour être exécutée par tout un orchestre.

Il y a des concerto faits pour quelque instrument particulier qui joue seul de tems en tems avec un simple accompagnement, après quoi tout l'orchestre reprend, & la piece continue toûjours ainsi alternativement entre le même instrument & l'orchestre. C'est-là ce qu'on appelle proprement concerto. Quant à ceux où tout se joue en choeur, & où nul instrument ne récite, les Italiens les appellent aussi symphonies. (S)


CONCESSIONS. f. figure de Rhétorique par laquelle l'orateur, sûr de la bonté de sa cause, semble accorder quelque chose à son adversaire, mais pour en tirer soi-même avantage, ou pour prévenir les incidens inutiles par lesquels on pourroit l'arrêter. Par exemple : je ne veux pas contester la réalité du contrat, mais je me récrie contre son injustice ; c'est contr'elle que j'implore le secours des lois... Elle est belle, il est vrai, mais ne devroit-elle pas témoigner au ciel sa reconnoissance des faveurs qu'il lui a prodiguées, par un vertueux usage de sa beauté ?

Cette figure est très-fréquente dans les plaidoyers de Cicéron : nous n'en citerons que ce trait de la cinquieme verrine ; Esto, eripe haereditatem propinquis, praedere in bonis alienis, everte leges, &c. num etiam amicum bonis exturbare oportuit ? &c. (G)

CONCESSION, (Jurispr.) c'est ou ce qui est accordé par grace, comme sont les brevets & priviléges accordés par le prince ; ou une certaine étendue de terrein que le roi accorde à quelqu'un dans les colonies françoises, à la charge de le faire défricher ; ou un abenevis, c'est-à-dire la faculté de prendre une certaine quantité d'eau d'un étang, ou d'une riviere ou ruisseau, pour faire tourner un moulin ou autre artifice, ou pour arroser un pré ; ou la distribution que le bureau de la ville fait aux particuliers qui ont acheté de l'eau. Voyez PRIVILEGE. (A)

CONCESSION, (Comm.) c'est ou toute l'étendue d'un pays où il est permis à une compagnie de s'établir ou de faire son négoce privativement à toute autre ; ou le terrein que ces compagnies donnent aux habitans pour le défricher, le cultiver & le faire valoir, en leur rendant quelque redevance ou droit annuel. Dans le premier sens la concession doit être obtenue du prince, qui l'accorde par les édits, déclarations, chartes, lettres patentes, arrêts du conseil, &c. Dans le second sens, ce sont les directeurs qui donnent les concessions, par des contrats ou arrêtés de leurs compagnies dont ils chargent le registre de leurs délibérations. Voyez les dictionn. du Comm. de Trév. & Chambers. (G)


CONCESSIONNAIREsub. m. (Comm.) celui à qui appartient une concession. En France on les nomme autrement colons ou habitans. En Angleterre on leur donne le nom de planteurs. Voyez l'article PLANTEURS. (G)

C'est aussi le nom que l'on donne aux particuliers qui achetent de l'eau du prevôt des marchands & échevins de la ville de Paris ; ce droit d'avoir de l'eau s'appellant concession, comme on l'a dit.


CONCESSUMCONCESSUM


CONCETTIS. m. (Gramm. & Rhétoriq.) Ce mot nous vient des Italiens, où il n'est pas pris en mauvaise part comme parmi nous. Nous nous en sommes servis pour distinguer indistinctement toutes les pointes d'esprit recherchées que le bon goût proscrit.


CONCHES(Géog. mod.) petit ville de France en Normandie, dans le pays d'Onche. Long. 18d. 26'. 6". lat. 48d. 57'. 53".


CONCHITES. m. (Hist. nat.) espece de pétrification : c'est, selon M. Tournefort, une véritable pierre dont les germes liquides se sont insinués dans les creux de la coquille appellée conque, dont ils ont pris le relief. Voyez les mém. de l'acad. p. 241. ann. 1702. D'autres prétendent au contraire que cette pétrification n'est qu'une marne délayée qui est entrée dans la coquille vuide, où elle s'est ensuite durcie. On voit encore dans des ruines de bâtimens à Mégare, de la pierre blanche appellée conchite, qu'on ne trouvoit que dans cette contrée.


CONCHOIDES. f. (Géom.) c'est le nom d'une courbe géométrique qui a une asymptote. V. ASYMPTOTE & COURBE. En voici la description.

Ayant tiré deux lignes B D, AC (Pl. Anal. fig. 1.) perpendiculaires l'une à l'autre, & placé sur la ligne AEC les trois points A, F, C, dont les deux premiers soient à égale distance de E, on tirera par le point C autant de droites C F E A, C O M, C Q N, CM, &c. qu'on voudra avoir de points de la courbe : on prendra ensuite sur ces lignes, tant au-dessus de B D qu'au-dessous, les parties Q M, Q N, Q M, &c. toutes égales à A E. Cela fait, les deux lignes M M A M M, N F N terminées par les extrémités de ces lignes droites, seront les deux parties d'une même courbe géométrique appellée conchoïde ; le point C est appellé le pole de cette conchoïde ; la ligne B D est son asymptote, & la partie constante A E sa regle. Si E F = C E la courbe a un point de rebroussement en F ; si E F < C E,elle a un noeud en F. On peut la tracer ainsi.

A E D K G, (fig. 2.) est un équerre dans la branche AD de laquelle est pratiquée une coulisse qui représente l'asymptote de la courbe, & qui a dans son autre branche un clou K qui doit être le pole de la conchoïde. C F K B, est une regle à laquelle est attaché un clou F qui passe dans la coulisse A D, où il a la liberté de glisser. C & c sont deux stylets ou crayons attachés à la même regle, & à égale distance du clou F. O K est une coulisse pratiquée dans cette regle, & dont le commencement O est placé à la même distance de F que K de A D.

Cela posé, si on fait mouvoir la regle C D, de maniere que le clou F ne sorte jamais de la coulisse A D, & que la coulisse O B passe toûjours dans le clou K, les deux crayons placés en C & en c décriront les deux branches C H, c h de la conchoïde. Nous avons dit que la ligne A D est asymptote de cette courbe, c'est-à-dire qu'elle en approche toûjours sans jamais la rencontrer ; cela est aisé à comprendre par sa description, puisque la ligne constante C F s'inclinant toûjours sans se coucher jamais sur A B, le point C doit toûjours approcher de la droite A D sans jamais y arriver.

Nicomede est l'inventeur de cette courbe ; & on ajoûte ordinairement au nom de conchoïde celui de Nicomede, afin de la distinguer d'autres courbes analogues qui pourroient avoir ce nom.

Par exemple, la courbe M M A M (fig. 1.) que l'on formeroit en prenant Q M, non constant comme on vient de faire, mais de telle grandeur de C E m : C Q m : : Q M m : AE m seroit une courbe qui auroit encore B D pour asymptote, & qu'on peut nommer aussi conchoïde. Voyez, sur les propriétés générales de la conchoïde, la derniere section de l'application de l'Algebre à la Géométrie, par M. Guisnée.

MM. de la Hire & de la Condamine nous ont donné plusieurs recherches sur les conchoïdes ; l'un dans les mém. de l'académ. de 1708 ; l'autre dans ceux de 1733 & 1734. M. de Mairan, dans les mém. de l'académie de 1735, a remarqué avec raison que l'espace conchoïdal, c'est-à-dire l'espace renfermé par la conchoïde, & son asymptote, étoit infini & non fini, comme quelques auteurs l'ont prétendu. En effet, soit A E = a, CE = b, & E Q = x, on trouve que A E Q M est < que ab (log. x + b - log. b). Or cette quantité est lorsque x = . Donc, &c. (O)


CONCHYS. m. espece de canelle des Indes, dont il se fait commerce au Caire.


CONCHYLEvoyez COQUILLAGE, POURPRE.


CONCIERGEest celui qui a la garde d'une maison royale ou seigneuriale. On confond quelquefois les termes de concierge & de geolier ; l'ordonnance de 1670 nomme, en quelques endroits, les concierges & geoliers conjointement ; en d'autres elle nomme le geolier avant le concierge ; en d'autres elle ne parle que de geolier : ce qui fait voir que ces termes sont synonymes. Et en effet, le concierge d'une prison est le geolier ou garde de la geole ; ce n'est que dans les prisons les plus considérables que l'on distingue le concierge des geoliers. Le concierge est le premier geolier, & les geoliers & guichetiers sont ceux qui sont préposés sous lui pour la garde des prisons.

L'ordonnance de 1670, tit. xiij. veut que tous concierges & geoliers exercent en personne, & non par aucun commis ; qu'ils sachent lire & écrire, & que dans les lieux où ils ne le sauroient pas, il en soit nommé d'autres dans six semaines, à peine contre les seigneurs de privation de leur droit.

Pour ce qui concerne les fonctions des concierges & geoliers, voyez GEOLE, GEOLIERS, GUICHETIERS, PRISONS. (A)

CONCIERGE DU PALAIS, (Hist. mod. & Jurispr.) étoit un juge royal auquel a succédé le bailli du palais. Sous la premiere & la seconde race de nos rois, la justice étoit rendue dans le palais par le maître ou maire du palais, auquel succéda le comte. En 988, cet office fut exercé, quant à la justice dans le palais, sous le titre de concierge du palais, avec moyenne & basse justice, dont le territoire étoit peu étendu. Philippe-Auguste, par des lettres de l'an 1202, y ajoûta le fauxbourg saint-Jacques & Notre-Dame des Champs, & le fief royal de S. André qui y est situé. Le concierge ou bailli du palais y avoit encore la justice en 1667.

Les mêmes lettres assignent au concierge du palais des gages, droits & priviléges.

En 1286, au commencement du regne de Philippe-le-Bel, le palais que nous voyons aujourd'hui fut bâti par les soins d'Enguerrand de Marigny, général des finances. La conciergerie qui sert aujourd'hui de prison, étoit le logement du concierge du palais. Par un arrêt de l'année 1316, elle fut réunie au domaine du roi, avec ses appartenances. En 1348, du tems de Philippe-de-Valois, le concierge fut érigé sous le titre de bailli : mais on a joint les deux titres de concierge-bailli. En l'an 1348, Philippe de Savoisy écuyer, fut concierge du palais royal à Paris. Joly, en ses offices de France, a donné une liste de tous ceux qui ont depuis rempli celui-ci jusqu'en 1624, dont plusieurs étoient des personnes de grande considération. Sous le roi Jean, Charles V. alors régent du royaume, accorda, par des lettres du mois de Janvier 1358, plusieurs droits au concierge du palais : ces lettres font mention qu'il a justice moyenne & basse dans l'enceinte du palais ; qu'il y tient sa cour & jurisdiction par lui, son lieutenant ou garde de sa justice, & ses officiers ; qu'il connoît entre quelques personnes que ce soit, de tous les cas civils, criminels, & de police ; que nul autre juge n'a jurisdiction temporelle dans l'enceinte du palais, si ce n'est les gens des comptes, du parlement, des requêtes du palais, & des requêtes de l'hôtel : ces mêmes lettres lui attribuent différens droits, entr'autres la justice sur les auvents ou petites boutiques adossées aux murs du palais, des cens & rentes sur plusieurs maisons ; le droit de donner & ôter les places aux merciers qui vendent dans les allées de la mercerie, & en-haut & em-bas au palais, & les lettres lui permettent d'en recevoir un présent une fois l'an : il y est encore dit qu'il a la justice moyenne & basse, & la seigneurie censuelle sur treize maisons situées à Notre-Dame des Champs ; au lieu nommé les Mureaux (proche les Carmelites du fauxbourg saint Jacques) différens droits. Quand on faisoit un nouveau boucher en la boucherie du châtelet, le concierge du palais devoit avoir, à cause de sa conciergerie, trente livres & demie, la moitié d'un quarteron & la moitié de demi-quarteron pesant de chair moitié boeuf & moitié porc ; la moitié d'un chapon plumé, demi-septier de vin, & deux gâteaux : & celui qui les alloit chercher, devoit donner deux deniers au chanteur qui étoit en la salle des bouchers. Il avoit seul le droit de faire enlever les arbres secs qui étoient entre toutes les voiries & chemins royaux de la banlieue & vicomté de Paris. Il avoit aussi un droit de foüage dans la forêt d'Yveline, & quelque inspection sur les greniers à blé du roi. Lorsqu'il écrivoit à Gonesse pour faire venir du blé & autre chose au grenier du roi, les écorcheurs de la boucherie de Paris étoient tenus de porter ou envoyer ses lettres à leurs fraix sous peine d'amende. Il avoit toutes les clés du palais, excepté celles de la porte de devant ; & avoit inspection sur le portier & sur les sentinelles du Palais. Enfin, suivant ces lettres, il étoit voyer dans l'étendue de sa justice. En 1413, la reine tint la conciergerie en ses mains, le roi lui en ayant fait don ; & sur l'empêchement qui lui fut fait à ce sujet par le procureur général, disant qu'entre mari & femme donation n'avoit lieu, elle répondit que cette loi n'avoit pas lieu pour elle, dont il y a arrêt des 29 Juillet 1412, & 22 Mai 1413. Juvenal Chevalier sieur de Traynel, fut fait concierge-bailli du palais : mais par arrêt du 3 Janvier 1416, cet office fut de nouveau uni au domaine, & on ordonna qu'il n'y auroit plus au palais qu'un gardien, qui auroit trois sous parisis par jour & un muid de blé par an. Cependant ceux qui ont été pourvûs de cet office depuis 1461, ont tous été qualifiés de baillis du palais.

La jurisdiction de la conciergerie, qu'on appelle présentement le bailliage du palais, est composée d'un bailli d'épée, d'un lieutenant général, un procureur du roi, un greffier, plusieurs huissiers. Les avocats au parlement y plaident, & les procureurs au parlement y occupent. Cette jurisdiction ne s'étend présentement que dans l'enceinte du palais.


CONCIERGERIECONCIERGERIE

CONCIERGERIE ou GEOLE DE LA CONCIERGERIE DU PALAIS, ainsi qu'elle est nommée par les ordonnances, est la prison qui est dans l'enceinte du palais : on l'appelle ainsi, parce que le concierge du palais y logeoit anciennement avant qu'il eût l'endroit appellé depuis l'hôtel du bailliage, & qu'il y avoit sa prison. Il y fait encore mettre ses prisonniers. (A)


CONCILES. m. concilium, (Hist. anc.) assemblée publique chez les Romains, où il ne se trouvoit aucun patricien : elle étoit tenue & convoquée par les tribuns du peuple ; s'il s'y trouvoit quelques patriciens, l'assemblée s'appelloit comice. Voyez COMICE. Les auteurs ont souvent confondu les comices avec les conciles.

CONCILE, (Hist. ecclés. & Jurispr. canoniq.) Le concile est une assemblée de prélats catholiques, convoquée pour décider les questions de foi, ou régler ce qui concerne la discipline. Nous le définissons une assemblée de prélats, parce que suivant la discipline moderne, les simples prêtres n'ont point séance ni droit de suffrage dans les conciles. A l'égard des premiers siecles de l'Eglise, quelques-uns pensent que non-seulement les évêques, mais même les prêtres & les diacres y étoient admis ; & il faut convenir que plusieurs textes leur sont favorables. Nous voyons dans le concile de Jérusalem, le plus ancien de tous, & dans lequel on décida la fameuse question qui s'étoit élevée à Antioche sur l'observation des cérémonies légales ; nous voyons, dis-je, que les prêtres y prirent séance avec les apôtres ; convenerunt apostoli & seniores videre de verbo hoc, disent les actes des apôtres, c. xv. ver. 6. Le mot latin seniores, & le mot grec , ne signifient point autre chose que les prêtres. Au verset 22 du même chapitre, où l'on conclud d'envoyer à Antioche avec Paul & Barnabé, deux hommes choisis & des premiers d'entre les freres, Barsabas & Silas, & où on les charge d'une lettre qui contient la décision du concile, cette résolution paroît être également l'avis des prêtres comme celui des évêques ; tunc placuit apostolis & senioribus, &c. Suivant même le texte grec, la lettre est conçûe au nom des apôtres, des prêtres, & de tous les freres : . Il y a lieu de croire pareillement qu'au concile de Nicée les prêtres & les diacres prirent séance avec les évêques ; & que dans le nombre des trois cent dix-huit peres dont ce concile fut composé, on ne doit compter que deux cent cinquante évêques, ensorte que les autres étoient des prêtres & des diacres. En effet Eusebe, vie de Constantin, liv. III. ch. viij. dit qu'il y eut à ce concile plus de deux cent cinquante évêques & un nombre considérable de prêtres, de diacres, d'acolytes & autres. Le témoignage d'Eustathe rapporté par Théodoret, liv. I. de son hist. eccl. chap. viij. vient à l'appui de celui d'Eusebe. Eustathe prétend que plus de 270 évêques se trouverent au concile de Nicée. Or Eusebe de Césarée & Eustathe d'Antioche sont des témoins oculaires. L'opinion néanmoins la plus générale, est que les évêques étoient au nombre de trois cent dix-huit, rassemblés de toutes les provinces de l'Empire. Voyez Socrate, liv. I. chap. v. Théodoret liv. I. chap. vij. Athanase dans sa lettre à l'empereur Jovien ; Epiphane, hérésie lxjx. Rufin, liv. I. ch. j. Et si dans les actes qui nous restent de ce concile, nous ne trouvons pas ce nombre d'évêques par les souscriptions, il faut l'attribuer à l'injure des tems. Mais quoi qu'il en soit, ceux qui veulent que les prêtres & les diacres ont eu anciennement droit de suffrage conjointement avec les évêques, se fondent sur ce que ces différens auteurs font mention qu'Athanase, pour lors diacre d'Alexandre, patriarche d'Alexandrie, assista au concile & y soûtint tout le poids des affaires ; que Vite & Vincent, simples prêtres, y représenterent le pape Sylvestre ; d'où ils concluent en général que les prêtres & les diacres y prirent séance, & y souscrivirent. Ils s'autorisent encore d'un endroit des actes du concile d'Aquilée tenu en l'année 381. S. Valérien d'Aquilée tenoit le premier rang dans ce concile, & S. Ambroise en étoit l'ame : celui-ci interrogeant le prêtre Attale, lui demanda s'il avoit souscrit au concile de Nicée ; mais Attale qui favorisoit la cause de Pallade & des Ariens, gardant le silence, saint Ambroise insista en ces termes : Attalus presbyter, licet inter Arianos sit, tamen habet autoritatem loquendi ; profiteatur utrum subscripserit tractatu concilii sub episcopo suo Aggrippino, an non ; tom. II. des conciles, pag. 979. & suiv. Ces paroles, disent-ils, annoncent clairement que les simples prêtres avoient le droit de parler dans les conciles, & pouvoient souscrire aux actes qu'on y dressoit. Ils tirent un nouvel avantage de ce qu'Eusebe, liv. VII. ch. xxjx. & xxxjx. dit qu'on tint à Antioche un concile contre Paul de Samosate ; que Malchion qui, de préfet de l'école d'Antioche, avoit été promû à l'ordre de prêtrise à cause de la pureté de sa foi, & qui d'ailleurs étoit fort savant & grand philosophe, convainquit l'hérésiarque, découvrit ses artifices, & manifesta malgré lui ses sentimens. Or il paroît que dans ce concile, les prêtres opinerent aussi-bien que les évêques, si l'on fait attention à l'inscription de la lettre synodale adressée aux autres églises après la condamnation des dogmes impies de Paul. Eusebe nous a conservé cette lettre, dont voici l'inscription : Dionisio & Maximo, & omnibus per universum orbem comministris nostris, episcopis, presbyteris, & ecclesiae quae sub coelo est, Helenus & Hymaeneus, Theophylus, &c. & reliqui omnes qui nobiscum sunt vicinarum urbium & provinciarum episcopi, presbyteri ac diaconi, & ecclesiae Dei ; carissimis fratribus in Domino salutem. Enfin, pour derniere preuve de ce qu'ils avancent, ils font valoir l'autorité que Louis Aleman, vulgairement appellé le cardinal d'Arles, employe dans la harangue qu'il prononça au concile de Bâle, pour réfuter Panorme & Louis Romain qui soûtenoient l'opinion contraire, & du témoignage que cet illustre prélat rend en cette occasion sur un fait qui lui est personnel. L'autorité qu'il employe est celle de S. Augustin in tractatu 5°. in Joan. cap. xij. Suivant ce saint docteur, les clés ont été données en la personne de S. Pierre à toute l'Eglise, & par conséquent aux évêques & aux prêtres ; de-là ce cardinal infere que les prêtres font partie du concile, quoiqu'il soit principalement composé d'évêques. Ensuite il ajoûte que pour lui il s'est trouvé & a donné sa voix au concile de Constance, dans le tems qu'il n'étoit que docteur & simple prêtre, & que les conciles précédens fournissent d'autres exemples de ce genre. Cela s'accorde parfaitement avec le système du célebre Gerson chancelier de l'université de Paris, d'Almain professeur en Théologie à Navarre, & de Simon Vigor conseiller au grand conseil, qui pensent que les prélats du second ordre, c'est-à-dire les curés, doivent avoir dans le concile voix décisive. Voyez Gerson, de origine juris & legum ; Almain, de supremâ potestate ecclesiae ; & Vigor, de statu & regimine ecclesiae, liv. IV. cap. ult. Cependant M. Doujat, homme versé dans les matieres du droit canon, est d'un sentiment opposé ; il prétend que les évêques joüissent seuls de la prérogative de donner leurs suffrages, tant aux conciles oecuméniques que nationaux & provinciaux ; & que si quelquefois dans les anciens conciles il est fait mention de prêtres & de clercs, ou d'abbés & autres personnes religieuses dans ceux qui sont plus récens, tels que les conciles de Latran, on doit entendre simplement qu'ils étoient consultés, & non pas qu'ils ayent eu voix. Praenot. can. lib. II. cap. j. Il s'appuie principalement sur ces paroles du concile de Chalcédoine, synodus episcoporum est, non clericorum ; superfluos foras mittite. Action j. t. IV. des conc. p. 111. Mais on réplique que ces paroles ne sont autre chose que les clameurs qu'exciterent dans le concile les évêques d'Egypte. Ils étoient du parti de Dioscore qui avoit tenu le faux concile d'Ephese contre Flavien de Constantinople. Ces évêques voyant que Dioscore étoit sur le point d'être condamné, & que les clercs qui avoient assisté au faux concile d'Ephese s'excusoient d'y avoir souscrit sur les menaces & la violence qu'on leur avoit faites, demanderent à grands cris & en se servant de ces paroles, qu'on chassât les clercs du concile. Ils ajoûtoient pour raison, que l'empereur n'avoit mandé que les évêques, ibid. pag. 115. mais ils ne furent point écoutés, & les clercs ne sortirent point. Cette réponse est celle que fit autrefois le cardinal d'Arles à l'objection qu'on tire de ce passage, dans la harangue citée ci-dessus. Enée Sylvius, depuis le pape Pie II. l'a rapportée toute entiere, liv. I. des mém. sur ce qui s'est passé au concile de Bâle. Cette harangue est d'une éloquence mâle, & mérite d'être lûe. Nous avouerons ici de bonne foi que l'éloignement des tems jette sur cette matiere une grande obscurité : si d'un côté on cite des exemples de simples prêtres qui ont souscrit aux conciles, & même ont opiné comme membres de l'assemblée ; d'un autre côté on peut dire 1°. que la souscription toute seule n'est pas une preuve qu'on ait eu la qualité de juge dans le concile, mais uniquement une marque de soûmission & d'acquiescement à ses décisions : 2°. que même dans les cas où il est manifeste que des prêtres & des diacres ont donné leurs voix, ce sont des exceptions du droit commun, fondées vraisemblablement sur ce qu'ils étoient des représentans, soit du pape, comme dans le concile de Nicée, soit des évêques. C'est ainsi que les Théologiens, pour la plûpart, expliquent les divers passages qu'on allegue en faveur des prêtres & autres clercs. Au reste, nous nous abstiendrons de prononcer sur ces difficultés, qui ne regardent, comme nous l'avons déjà observé, que les premiers siecles de l'Eglise, la discipline des tems postérieurs étant certaine. Nous allons maintenant examiner l'origine des conciles, nous passerons ensuite à leurs divisions, & nous développerons les principes de chacun d'eux en particulier.

Isidore, dans le premier canon de la distinction dix-septieme du decret de Gratien, fait remonter l'origine des conciles au tems de Constantin. Avant lui, dit-il, pendant le cours des persécutions on n'avoit pas la liberté d'instruire les peuples ; c'est ce qui donna lieu aux diverses sectes d'hérétiques qui s'éleverent parmi les Chrétiens. Pour remédier à ces desordres, Constantin accorda aux évêques la permission de s'assembler. On célebra différens conciles, dont le plus remarquable est celui de Nicée, où l'on dressa un second symbole, à l'imitation des apôtres. Il faut avouer néanmoins qu'avant ce concile il s'en étoit déjà tenu plusieurs nationaux, par exemple en Afrique du tems de S. Cyprien, & d'autres particuliers, tels que celui d'Elvire au commencement du jv. siecle, & celui d'Icone en l'an 251. Ainsi ce que dit Isidore doit s'appliquer aux conciles généraux. En effet si vous en exceptez celui de Jérusalem, du tems des apôtres, le premier concile général est celui de Nicée, célebré dans un tems où la paix fut rendue à l'Eglise, & où elle se vit à l'abri des persécutions des Payens. Mais quoique les conciles, & principalement ceux qui sont généraux, ne remontent de fait qu'au tems où les prélats ont pû s'assembler & traiter ouvertement de la foi & de la discipline, il n'en est pas moins vrai qu'ils prennent leur source dans la nature même de l'Eglise. Le corps de l'Eglise composé de plusieurs membres, est lié par la charité & la communion des Saints. J. C. lui-même est la base de cette union, & le Saint-Esprit y coopere, épître premiere aux Corinth. ch. xij. Et dans l'épître aux Ephésiens, ch. v. il est dit que J. C. est le chef & l'époux de l'Eglise, dont il est le sauveur ; qu'il a aimé l'Eglise, & s'est livré à la mort pour elle ; qu'il l'a fait paroître devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais étant sainte & irrépréhensible ; qu'il la nourrit & l'entretient, parce que nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair & de ses os. Ce langage de l'apôtre est conforme à celui de J. C. dans S. Matthieu, ch. xv. vers. 18. où après avoir donné les clés à ses disciples, c'est-à-dire la puissance de lier & de délier, il leur adresse ces paroles : Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram, de omni re quamcumque petierint, fiet illis à patre meo qui est in coelis ; ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum. Et dans S. Jean, chap. xvij. après avoir prié son pere pour les apôtres, il le prie encore pour ceux qui doivent croire en lui par leur parole ; & il ajoûte, vers. 23. Ego in eis, & tu in me, ut sint consummati in unum. Or l'Eglise a toûjours crû qu'elle ne pouvoit jamais mieux représenter cette unité, & n'avoit point de moyen plus efficace pour l'affermir, pour conserver la communion de la foi lorsque les impies s'efforcent d'y porter atteinte, que de rassembler les évêques envoyés par Jesus-Christ en la personne des apôtres, pour apprendre aux nations la parole de la foi qui leur a été transmise. Ce sont eux qui sont les dépositaires de la promesse qu'il a faite d'être avec son Eglise jusqu'à la consommation des siecles, d'empêcher que les portes de l'enfer ne prévalent jamais contr'elle ; S. Matthieu, ch. xvj. vers. 18. ch. xxviij. vers. 20. Aussi voyons-nous que le cardinal Bellarmin, lib. I. de conciliis & ecclesiâ, cap. ij. fonde la nécessité des conciles. 1°. sur ces paroles de Jesus-Christ, ubi sunt duo vel tres, &c. qui doivent s'entendre des conciles, suivant l'interprétation du concile de Chalcédoine dans la lettre synodale au pape Léon : 2°. sur ce que les apôtres ont pratiqué eux-mêmes ; quoique chacun d'eux eût une autorité suffisante pour décider les contestations qui s'élevoient, ils ne voulurent pas cependant, sans un concile, prononcer sur l'observation des cérémonies légales, dans la crainte de paroître négliger une voie que Jesus-Christ leur avoit enseignée : 3°. sur la coûtume que l'Eglise a observée dans tous les siecles, de tenir concile toutes les fois qu'il s'agissoit de questions douteuses. C'est donc au soin important de conserver l'unité de la foi, c'est à la nécessité d'avoir le sentiment général de l'Eglise, qu'il faut rapporter l'origine des conciles. Un nombre infini de passages des SS. peres, sur-tout l'homélie xxjx. de S. Basile, adversus calumniatores sanctae Trinitatis, & sa lettre lxxxij. nous confirment que l'usage de les convoquer est établi sur ces puissans motifs. Les conciles en sont d'autant plus respectables aux yeux des Fideles, puisqu'on leur doit la même vénération qu'à l'Eglise qu'ils représentent.

On divise les conciles en généraux & particuliers. Les généraux ou oecuméniques sont ceux où l'on appelle les évêques de toute la chrétienté. Ces conciles, qui tiennent avec raison le premier rang, offrent une matiere dont les principes ne sont pas admis universellement ; c'est pourquoi nous tâcherons de les discuter avec la plus scrupuleuse exactitude : voici l'ordre que nous nous proposons de suivre : Nous verrons 1°. par qui ces conciles doivent être indiqués ; 2°. comment on doit les convoquer ; 3°. quelle est la matiere qu'on y traite ; 4°. la forme suivant laquelle se tient le concile ; 5°. quelle est l'autorité des conciles généraux. A l'égard de la premiere question, si l'on consulte les neuf premiers siecles de l'Eglise, ils semblent déposer en faveur des princes. En effet, nous trouvons que pendant ce long espace de tems, les princes ont été en possession de convoquer les conciles généraux ; c'est ce qu'il nous est facile de démontrer en marquant la suite des conciles. Le premier concile général, tenu à Nicée l'an 325, sous le consulat de Paulin & de Julien, fut indiqué & convoqué par l'empereur Constantin, suivant le témoignage d'Eusebe auteur contemporain, vie de Constantin, liv. III. chap. vj. où il dit que ce prince convoqua le concile & invita par ses lettres les évêques de s'y trouver au-plûtôt. Socrate, liv. I. ch. viij. Sozomene, liv. I. ch. xvij. & enfin Théodoret, liv. I. ch. vij. non-seulement sont d'accord sur ce point avec Eusebe, mais même aucun de ces écrivains ne fait mention que le pape Sylvestre eut part à cette convocation, ce qu'ils n'eussent point omis, s'il étoit vrai qu'on eût assemblé le concile par les ordres du pape. M. Bignon, qui est de cet avis, cite Rufin, liv. X. ch. j. où cet auteur rapporte que le concile fut indiqué par Constantin d'après le sentiment des évêques. Mais les paroles de Rufin ne signifient rien autre chose, sinon que l'empereur avant d'assembler le concile demanda aux évêques leur avis, ce qui n'empêche pas qu'il n'ait, en le convoquant, fait un acte d'autorité ; les princes ne rougissent point de consulter ceux de leurs sujets en qui ils ont le plus de confiance, & les ordres qu'ils donnent ensuite n'en sont pas moins émanés du trône. Le second concile général, ou le premier de Constantinople, qui se tint l'an 381, sous le consulat de Siagre & d'Eucher, fut convoqué par l'autorité seule de Théodose le Grand. Aucun historien n'attribue la convocation de ce concile au pape Damase, qui occupoit alors le saint siége ; personne même n'y assista de sa part. M. Doujat néanmoins pense le contraire, se fondant sur le témoignage tiré dans la lettre synodale que rapporte Théodoret, liv. I. ch. xj. Dans cette lettre les PP. du concile de Constantinople assûrent le pape Damase qu'ils se sont assemblés dans cette ville, conformément, disent-ils, aux lettres que votre révérence a écrites l'année précédente, après le concile d'Aquilée, au très-religieux empereur Théodose. Mais il est à remarquer, 1°. que cette lettre n'est pas simplement adressée au pape Damase, mais encore à Ambroise, Britton, & plusieurs autres, dont les noms sont à la tête de la lettre, & même à tous les évêques qui pour lors tenoient un concile à Rome : 2°. que cette lettre n'est point des PP. du premier concile de Constantinople, mais d'un autre concile de Constantinople qu'on ne compte point parmi les conciles oecuméniques, & qui se tint l'année suivante 382, après le concile d'Aquilée. Dans le courant de l'année 381, immédiatement après le premier concile de Constantinople, on avoit tenu celui d'Aquilée ; & dans ce concile les peres écrivirent à Théodose, & le supplierent d'assembler un concile à Alexandrie pour appaiser les dissensions de l'église d'Orient. L'empereur touché de la misere des Occidentaux, convoqua un autre concile, non à Alexandrie, mais à Constantinople ; c'est de la convocation de ce second concile de Constantinople dont parlent les Orientaux dans la lettre dont il est ici question, & qu'ils adresserent aux mêmes évêques qui s'étoient auparavant assemblés au concile d'Aquilée. Le troisieme concile général, ou le premier d'Ephese, tenu l'an 431, sous le consulat d'Annius Bassus & de Flavius Antiochus, fut convoqué par Théodose le jeune : nous en avons la preuve dans la lettre de ce prince à Cyrille, patriarche d'Alexandrie, & aux métropolitains, partie premiere du concile d'Ephese, ch. xxxij. tom. III. des conciles, pag. 436. Théodose leur ordonne par cette lettre, de se trouver après la Pâque prochaine, le jour même de la Pentecôte, dans la ville d'Ephese pour y tenir concile. Le pape Célestin non-seulement envoya ses légats pour se conformer aux intentions de l'empereur, mais il reconnoît encore expressément que le concile fut convoqué par ce prince, dans la lettre qu'il lui écrit. Ces paroles de la lettre sont remarquables : Huic synodo, dit le pape, quam esse jussistis, nostram praesentiam in his quos mittimus, exhibemus : tome III. des conciles, pag. 609. Le concile de Chalcedoine, ou le quatrieme concile général, fut célebré l'an 451, à la vérité sur les vives instances de S. Léon, pour lors souverain pontife ; mais ce fut l'empereur Marcien qui le convoqua, comme le prouvent deux lettres impériales, à la tête desquelles sont les noms de Valentinien & de Marcien. L'une de ces lettres est adressée à tous les évêques de ce tems-là, & l'autre à Anastase évêque de Constantinople, partie premiere du concile de Chalcedoine, ch. xxxvj. & xxxvij. tom. IV. des conciles, pp. 66. & 67. Marcien leur enjoint de s'assembler aux prochaines kalendes de Septembre, dans la ville de Nicée de la province de Bithinie, pour y tenir concile. On a une autre lettre de l'empereur, par laquelle il transfere le concile de Nicée à Chalcedoine, tom. IV. des conciles, p. 70. La raison de ce changement fut qu'il vouloit assister au concile, & que ne pouvant aller à Nicée, il lui étoit plus commode qu'on le tînt à Chalcedoine, ville située dans le voisinage de la capitale de l'Empire. Le pape Léon est bien éloigné de desavoüer que cette convocation du concile ait été faite par le prince : Fraterna universitas, dit-il lettre lxj. ou lxxxvij. suivant les nouvelles éditions, & omnium fidelium corda cognoscant, me non solum per fratres qui vicem meam exsecuti sunt, sed etiam per approbationem gestorum synodalium propriam vobiscum inivisse sententiam, in solâ videlicet fidei causâ, quod saepe dicendum est, propter quam generale concilium ex praecepto christianorum principum & ex consensu apostolicae sedis placuit congregari. On voit assez clairement par ces paroles, que Léon distingue l'ordre des princes du consentement du saint siége. D'ailleurs plusieurs autres lettres de ce pape nous apprennent qu'il avoit consenti avec peine que le concile se tînt en Orient, aimant mieux qu'il se célebrât en Italie. Or s'il eût crû que le droit d'indiquer le concile lui eût appartenu, il n'eût pas manqué, vû les dispositions où il étoit, de le convoquer dans une des villes d'Italie. Le cinquieme concile oecuménique, ou le second de Constantinople, fut indiqué par Justinien. Evagre, liv. IV. ch. xxxvij. Nicephore, liv. XVII. chap. xxvij. Nous avons de plus une lettre de cet empereur, dans laquelle il annonce qu'il a mandé à Constantinople les métropolitains ; &, ce qui est digne de remarque, il y prescrit aux peres du concile l'ordre suivant lequel on y traitera les différentes affaires, tome V. des conciles, pag. 419. Vigile, sous le pontificat duquel se tint le concile l'an 553, étoit pour lors à Constantinople. Il fut invité d'y assister, mais il le refusa ; & quoiqu'il eût condamné par son judicatum la doctrine impie de Théodore de Mopsueste, il desapprouva au commencement la conduite du concile, en ce qu'il prononçoit l'excommunication & l'anathème contre des morts, qui, selon lui, devoient être abandonnés au jugement de Dieu. Cependant le pape dans la suite changea d'avis, & six mois après la conclusion du concile, ratifia tout ce qui s'y étoit passé. Le sixieme concile général, ou le troisieme de Constantinople, fut indiqué par l'empereur Constantin Pogonat, & tenu contre les Monothelites l'an 680 & 681, en présence des légats d'Agathon, souverain pontife. Constantin avoit écrit à ce sujet au pape Domne, prédécesseur d'Agathon, & l'avoit invité d'envoyer au concile des personnes qui pussent y être utiles, qui fussent versées dans la connoissance des saintes écritures, & recommandables par leur modestie. La lettre est rapportée tom. VI. des conciles, pag. 594. on y trouve aussi la réponse d'Agathon, successeur du pape Domne, dont on fit lecture dans l'action quatrieme du même concile, tom. VI. pag. 630. Il déclare dans cette réponse, que pour obéir efficacement & comme il le doit aux ordres de l'empereur, il a fait choix de personnes telles que le prince les demande, & qu'il les envoie à Constantinople. Le septieme concile général, ou le second de Nicée, fut convoqué l'an 785 par l'impératrice Irene & Constantin son fils. C'est ce que nous apprend la lettre impériale adressée au pape Adrien premier, par laquelle on l'invite de se trouver au concile qui devoit se tenir incessamment, tom. VII. des conciles, pag. 32. Ce souverain pontife envoya en effet des légats qui assisterent au concile, & lui-même ensuite en ratifia les actes. Enfin le huitieme concile général ou le quatrieme de Constantinople, fut indiqué par l'empereur Basile surnommé le Macédonien, dans un tems où Rome & l'Italie ne faisoient plus partie de l'empire d'Orient. Ce concile se tint l'an 869 sous le pontificat d'Adrien II. qui en approuva la décision. Nous trouvons la preuve que la convocation fut faite par l'empereur Basile, dans l'histoire de ce concile écrite par Anastase le bibliothécaire, & dans l'action cinquieme du même concile, telle qu'Anastase l'a traduite en latin. On y rapporte qu'Hélie prêtre & syncelle de l'église de Jérusalem voulant prouver la légitimité du concile, adressa la parole en ces termes aux peres dont il étoit composé : Scitis quia in praeteritis temporibus imperatores erant qui congregabant synodos, & ex toto terrarum orbe vicarios ad dispositionem hujusmodi causarum colligebant ; quorum more, & Dei cultor imperator noster universalem hanc synodum fecit, &c. Anastase remarque dans une note marginale qu'il est ici question des conciles généraux, & que les conciles particuliers n'ont jamais, ou rarement, été convoqués par les empereurs. Nous verrons dans la suite si cette observation est juste.

On ne peut donc pas douter que pendant un tems très-considérable les princes n'ayent convoqué les conciles généraux. Mais étoient-ils en droit de le faire ? étoit-ce une usurpation de leur part ? c'est ce qu'une simple réflexion va décider. Les princes ont été établis par Dieu même pour gouverner les peuples & maintenir l'ordre public dans l'étendue de leur domination : d'un autre côté la conservation de la religion contribue au bien & à la tranquillité de l'état ; or il n'y a point de voie plus sûre pour préserver la religion de toute atteinte, que d'assembler des conciles ; c'est par eux que la vérité se fait jour, que la saine doctrine se trouve raffermie jusque dans ses fondemens, que les liens de la charité & de la communion fraternelle sont resserrés entre les fideles. Cela étant ainsi, on a crû avec raison pendant les premiers siecles de l'Eglise, que le droit de convoquer les conciles appartenoit à celui qui en vertu de la dignité dont il est revêtu, se trouve chargé du soin de veiller au bien de l'état. Ajoutez à cela que lorsqu'il s'agit de la foi & des moeurs, les hommes impies ou déréglés se servent de toutes sortes de ruses, soit pour éviter une condamnation, soit pour se soustraire à la peine prononcée contr'eux ; que d'ailleurs l'Eglise n'a point de puissance coactive, mais simplement la voie de l'exhortation, & ne peut mettre en usage que les peines spirituelles & médicinales. Il est donc nécessaire de recourir à ceux qui sont armés du glaive, c'est-à-dire aux princes, afin que personne n'ose résister aux conciles assemblés par leur autorité.

Ce sentiment à la vérité est entierement opposé à celui qu'embrasse Gratien dans la distinction dix-septieme de son decret, où il suppose comme un principe incontestable, que le droit de convoquer les conciles généraux n'appartient qu'au saint siége. De-là même les interpretes ont conçû ainsi la rubrique de cette distinction : papae est generalia concilia congregare. Gratien y a rassemblé tous les canons qu'il a cru favorables à cette prétention des souverains pontifes. Mais un court examen de ces canons appuyé sur la saine critique, en détruira bien-tôt l'authenticité.

Dans le premier canon il est dit que l'empereur ne peut régulierement célébrer un concile sans l'autorité du pape, ni condamner un évêque si-tôt qu'il a une fois appellé au saint siége : mais ce canon est tiré de la fausse decrétale du pape Marcel au tyran Maxence. Nous disons qu'elle est fausse, non-seulement parce que ce vice est commun à toutes les decrétales attribuées aux souverains pontifes qui ont précédé le pape Sirice, mais encore parce que le contexte entier de la lettre qui est remplie de barbarismes, & qui contient divers passages de l'Ecriture tirés de la version appellée vulgate, très-postérieure au pape Marcel, nous fournit des preuves de fausseté qui sont particulieres à cette decrétale. D'ailleurs, est-il vraisemblable que le tyran Maxence, prince idolatre, ait jamais pensé à assembler un concile d'évêques, & conséquemment que le pape Marcel ait eu lieu de lui tenir un pareil langage, savoir qu'il ne peut célébrer un concile sans l'autorité du saint siége ? Enfin, quand même Maxence n'auroit point été livré à la superstition du paganisme, le pape auroit-il pû lui dire qu'il n'a plus le droit de condamner un évêque si-tôt que celui-ci a appellé au saint siége, comme si, du-moins avant cet appel, la condamnation d'un évêque étoit du ressort de la jurisdiction d'un prince séculier ? Le second canon renferme la même maxime, que l'autorité du pape est nécessaire pour la célébration des conciles généraux ; aussi n'a-t-il pas une source plus pure. Il est tiré d'une lettre faussement attribuée au pape Jules I. qui contient un rescrit contre les Orientaux en faveur d'Athanase. M. Bignon, dans ses notes, avoue que cette decrétale est altérée, pleine de fautes, & composée de différens fragmens. Le pere Labbé va plus loin, & n'hésite point à dire qu'elle est entierement fausse, & forgée à plaisir, tom. III. des conc. p. 483. & 494. Elle paroît écrite en haine du concile d'Antioche, tenu l'an 341 ; & c'est ce qui en fait voir la fausseté ; car elle est adressée aux consuls Félicien & Titien, qui, suivant les fastes consulaires, étoient consuls en l'an 337, par conséquent quatre ans avant la tenue du concile qu'elle blâme. Les canons iij. & jv. sur lesquels Gratien croit pouvoir fonder son opinion, & qu'il cite dans cette vûe, ne prouve nullement que le concile oecuménique doive être convoqué par l'autorité du pape. Dans le canon iij. on y statue en général, que personne n'ait la témérité de s'arroger ce qui n'appartient qu'au souverain pontife, sous peine d'être privé de tous les honneurs ecclésiastiques. Cette décision ainsi conçûe d'une façon générale, ne regarde en aucune maniere les conciles, si ce n'est en ce qu'elle est tirée de la lettre qui passe pour être la quatrieme de celles qui sont attribuées au pape Damase, & adressées à Etienne archevêque d'Afrique, & aux conciles de la même province. Or la fausseté de cette lettre paroît, tant par les reserves fréquentes qu'on y fait au saint siége des causes majeures (quoiqu'elles fussent alors inconnues de nom & d'effet), que par la date du consulat qui rapporte la lettre à l'an 400, quoique le pape Damase fût mort dès l'année 384. Dans le canon jv. il est question de quelques évêques qui, lorsqu'il s'élevoit des doutes sur ce qui avoit été statué par les conciles généraux, s'assembloient dans des conciles particuliers, & là jugeoient le concile général ; ce que le pape Pélage I. condamne. Il desapprouve donc qu'un concile particulier ose juger un concile universel, dont la décision est celle de toute l'Eglise ; & il ordonne que dans le cas où les évêques auront quelques doutes sur les statuts des conciles généraux, ils en écrivent au plûtôt aux siéges apostoliques, c'est-à-dire fondés par les apôtres, dans les archives desquels on gardoit les vrais actes des conciles, afin qu'ils trouvent là sûrement ce qu'ils cherchent. On ajoûte dans ce canon, que si ces évêques sont tellement opiniâtres qu'ils refusent d'être instruits, alors il est nécessaire qu'ils soient attirés au salut de quelque façon que ce soit par les siéges apostoliques, ou qu'ils soient réprimés suivant les canons par les puissances séculieres. Cette addition nous semble suspecte, en ce que nous ne voyons pas comment les siéges apostoliques peuvent attirer au salut ceux qui refusent opiniâtrement d'être instruits : ainsi nous présumons que la fin du canon n'est point de Pélage I. peut-être même la lettre entiere, d'où le canon est tiré, est-elle fausse. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle ne se trouve pas parmi les lettres de Pélage, & qu'elle n'a paru que depuis environ un siecle, tems auquel Luc Holstein nous l'a restituée d'après plusieurs fragmens. Le canon v. est tiré de la lettre qui porte le nom de Pélage II. avec cette inscription : Dilectissimi fratribus, universis episcopis qui illicitâ vocatione Joannis Constantinopolitani episcopi ad synodum Constantinopolim convenerunt, Pelagius. On reconnoît la supposition de cette lettre à tant de marques, que le pere Labbé, tom. V. des conc. pag. 948. assûre avec confiance dans une note marginale, que ce seroit être de mauvaise foi que de ne pas la mettre au rang des fausses decrétales dont Isidore nous a infectés ; qu'à la vérité Pélage II. avoit écrit à ce sujet, mais qu'on a perdu la véritable lettre, & qu'on y a substitué celle-ci qui a été fabriquée à dessein, comme le démontrent le style, qui n'est pas celui du tems, & plusieurs autres choses renfermées dans le contexte de la lettre. De-là on peut juger de quel poids est ce canon, lorsqu'il prononce qu'on ne doit pas célebrer de concile sans l'avis du souverain pontife ; qu'autrement ce n'est point un concile, mais un conciliabule. Le mot latin sententia, dont se sert ici l'imposteur, signifie la convocation dans le sens qu'il lui donne, au lieu que nous nous contentons de dire qu'il faut demander le consentement du saint siége. A l'égard du canon vj. on ne peut lui imputer d'être falsifié ; mais c'est mal-à-propos que Gratien le cite pour appuyer son système ; il n'en peut rien conclure qui lui soit favorable. Voici en peu de mots l'histoire & l'exposition de ce canon. Les patriciens Faustinus & Probinus intenterent divers chefs d'accusation contre le pape Simmaque, pardevant Théodoric roi d'Italie, qui renvoya la connoissance de cette affaire au concile de Rome. Simmaque ayant été déchargé de ces accusations dans le quatrieme concile de Rome, ses ennemis écrivirent contre le concile, & donnerent ce titre à leur ouvrage : Adversus synodum absolutionis incongruae. Ennodius évêque de Pavie entreprit l'apologie du concile, & cette apologie fut approuvée dans le cinquieme concile. Dans cette apologie Ennodius fait tous ses efforts pour relever l'autorité du saint siege & du pape ; il lui arrive même très-souvent de passer les bornes légitimes : par exemple, il prétend que le successeur de S. Pierre ne peche jamais ; il fonde ce privilége de ne point pécher, tant sur les mérites du chef des apôtres, que sur la prééminence de la dignité en laquelle le pape lui a succédé. C'est de cette apologie rapportée tom. IV. des conciles pag. 1340. jusqu'à la page 1359. qu'est tiré le canon dont nous parlons ici. Les adversaires d'Ennodius objectoient ce qui se lit au commencement du canon : Numquid ob id quod praesentiam papae non habuerint, instituta ex regulis ecclesiasticis per singulos annos in quibusque provinciis concilia, eâ ratione invalida sint ? ce qui seroit absurde, de l'aveu même des correcteurs romains. Ennodius répond : Legistis, insanissimi, &c. & il se laisse tellement emporter à son zele, qu'il soûtient qu'on ne trouve rien d'établi dans les conciles provinciaux contre la décision du saint siege, & même que les causes majeures doivent y être renvoyées ; ce qu'il faut entendre des provinces voisines de Rome, & non des autres, où certainement on célébroit alors des conciles provinciaux sans que le pape s'en mêlât, & qu'il y eût la moindre part. Il est donc évident qu'il ne s'agit point dans ce canon des conciles oecuméniques ; & d'ailleurs l'on voit par les faits qui ont donné lieu à l'apologie d'Ennodius, combien dans ces tems-là le pape étoit peu respecté en Italie.

Nous avons démontré le peu de solidité des autorités compilées par Gratien, pour établir que le pape a le droit de convoquer les conciles généraux à l'exclusion de toute autre puissance. Nous sommes parvenus à ce but en arrachant le masque de l'antiquité que portoient la plûpart de ces autorités, ou en rendant sensible la fausseté des applications. Par-là les réflexions que nous avons faites pour justifier la conduite des empereurs qui ont convoqué des conciles, demeurent dans toute leur force : s'ils ont cessé d'exercer ce droit après l'époque que nous avons marquée, c'est-à-dire après les huit premiers conciles, nous devons l'attribuer sans-doute aux changemens arrivés depuis dans la Chrétienté. Lorsqu'elle n'obéissoit qu'à un souverain, il lui étoit facile d'ordonner par un édit aux évêques de s'assembler dans un certain lieu pour y tenir concile ; mais depuis que l'empire a été divisé, & que le monde chrétien s'est partagé en divers royaumes, cela est devenu, pour ainsi dire, impraticable : car les évêques étant soûmis à différens princes, dont l'un est indépendant de l'autre, il faudroit autant de convocations qu'il y a de souverains ; qu'ils convinssent d'abord du lieu de l'assemblée, pour y convoquer ensuite les métropolitains & les évêques de leur royaume. Les inconvéniens qui auroient résulté de la difficulté de s'accorder entr'eux, ont été cause que le droit de convoquer les conciles oecuméniques a été déféré au pape par l'usage & du consentement des églises. On a jugé convenable que celui qui occupe la chaire de S. Pierre, d'où naît l'unité sacerdotale, fût chargé du soin d'assembler l'Eglise universelle. Observons néanmoins à ce sujet que le pape ne peut pas convoquer un concile général, à moins que les princes chrétiens n'y consentent ; premierement parce que les évêques sont sujets du prince, & par cette raison ne peuvent quitter leurs églises sans son consentement ; secondement parce que c'est le seul moyen de maintenir l'union entre le sacerdoce & l'empire, sans laquelle la société ne peut subsister. Le concours des deux puissances étant donc essentiel dans les choses qui regardent la foi, il en faut conclure que le consentement des princes chrétiens est nécessaire toutes les fois qu'il est question de célébrer un concile oecuménique. Ajoûtez à cela que le consentement des princes représente celui des peuples ; car dans chaque état le prince est le représentant de la nation. Or ce consentement des peuples opere celui de toute l'Eglise, qui, selon la réponse de Philippe-le-Bel à une bulle de Boniface VIII. n'est pas seulement composée du clergé, mais encore des laïcs. Une autre observation à faire est que les princes chrétiens n'ont pas perdu irrévocablement le droit de convoquer les conciles oecuméniques. En effet, comme ils sont obligés en qualité de magistrats politiques de veiller à ce que le bien de l'état, qui est intimement lié avec celui de la religion, ne reçoive aucune atteinte ; il résulte de-là que s'il arrivoit qu'ils convinssent unanimement de la tenue d'un concile, du lieu de l'assemblée, & qu'ils ordonnassent par leurs édits aux évêques leurs sujets de s'y trouver, pour lors le concile seroit convoqué légitimement ; un usage contraire, introduit par la seule difficulté de se concilier sur un même objet, n'ayant pû les faire décheoir de leurs droits.

On a même été plus loin pendant le schisme d'Avignon. La chaire de S. Pierre, quoiqu'indivisible, étant occupée dans ce tems-là par deux contendans, dont l'un sous le nom de Grégoire XII. siégeoit à Rome, l'autre à Avignon sous le nom de Benoît XIII. & aucun des deux ne voulant abdiquer le pontificat, ce qui étoit cependant le seul moyen de rétablir l'union & la concorde, les cardinaux se séparerent, tant de Grégoire que de Benoît ; & s'étant assemblés à Livourne afin de délibérer sur les mesures à prendre pour éteindre le schisme, & célébrer un concile, on éleva la question, si dans le cas où deux papes, au mépris manifeste de leur serment, diviseroient l'Eglise, & par une collusion frauduleuse entretiendroient le schisme, les cardinaux ne pourroient pas convoquer le concile. Sur cette question Laurent Rodolphe, célebre docteur ès droits, soûtint dans une dispute qui dura trois jours, que le concile convoqué dans ce cas par les cardinaux seroit légitime, M. Lenfant, hist. du conc. de Pise, liv. III. chap. vij. Gerson prouva la même chose dans son traité de auferibilitate papae ab Eccles. savoir que dans un tems de schisme, lorsqu'il s'agit de juger le pape, le droit de convoquer le concile cesse de lui appartenir, comme étant partie intéressée, & que ce soin regarde les cardinaux & les évêques, conjointement avec les princes temporels. Dans le siecle suivant, lorsque les fameuses divisions du pape Jules II. & de Louis XII. éclaterent, cinq cardinaux, Bernardin de Carjaval, François de Borgia, René de Prié, Fréderic de S. Severin, & Guillaume Briçonnet, ne pouvant plus supporter l'ambition de ce pontife, & mécontens de ce qu'il ne tenoit pas de concile général, comme il avoit promis avec serment de le faire deux ans après son exaltation, l'abandonnerent dans son voyage de Rome à Bologne, se rendirent à Milan & delà à Pise, où ils assemblerent un concile l'an 1511, sous le bon plaisir de Maximilien empereur & de Louis XII. Dans ce tems-là on agita de nouveau la question, si le pouvoir d'assembler l'Eglise appartenoit aux cardinaux, ou même à la plus petite partie d'entr'eux. Philippe Décius de Milan, docteur ès droits, assez connu par ses écrits, se signala dans cette occasion, & devint par-là si agréable au roi Louis XII. qu'il en obtint une place de conseiller au parlement de Grenoble. On a sa consultation qui parut la même année 1511, & le discours qu'il publia ensuite pour la justification du concile de Pise. Dans ces deux ouvrages, Décius après avoir accumulé les uns sur les autres & textes & glossateurs, suivant la méthode de raisonner de son tems, conclud qu'il y a des cas où les cardinaux, même en plus petit nombre, sont en droit de convoquer un concile ; par exemple, si le pape & les cardinaux de son parti négligent ou refusent de le faire, quoique les besoins de l'Eglise le demandent. Il eût pris une voie plus simple pour rendre sensible cette vérité, s'il se fût restreint à dire, comme quelques-uns l'osent avancer, que depuis long-tems les cardinaux constituent le collége de l'église romaine, & que le droit de convoquer le concile n'a pas tant été accordé à la personne du pape, qu'au siége qu'il occupe ; qu'ainsi dans les cas dont nous parlons, l'église romaine à laquelle président les cardinaux qui lui sont demeurés fidelement attachés, peut inviter les autres évêques à s'assembler avec elle pour tenir concile.

Mais si ce droit appartient quelquefois aux seuls cardinaux, à plus forte raison un concile général peut-il en indiquer un autre, du consentement des princes, puisqu'il représente l'Eglise universelle, qui certainement a le pouvoir de s'assembler elle-même. Nous en avons un exemple illustre dans le respectable concile de Bâle, que la France a reçû solennellement, & dont Charles VII. a fait insérer les decrets dans la pragmatique-sanction. Ce concile fut indiqué par ceux de Constance & de Sienne, c'est-à-dire que dans la session 24 du concile de Constance, du 19 Avril 1418, on indiqua le concile à Pavie, tome XII. des conc. pag. 257. Il y commença l'an 1423 ; mais à cause de la peste qui ravageoit Pavie il fut bien-tôt transféré à Sienne, où l'on convint le 19 Février 1424, que le prochain concile qu'on devroit assembler sept ans après en exécution du decret du concile de Constance, se tiendroit dans la ville de Bâle. Voyez tome XII. des conc. pag. 463. où l'on rapporte le decret du concile de Sienne, qui fut lû dans la premiere session de celui de Bâle.

Le droit de ceux auxquels il appartient de convoquer les conciles, selon les diverses circonstances, étant solidement établi, il faut expliquer la maniere dont se fait cette convocation. Les exemples dont nous nous sommes servis pour faire voir que les princes ont été en possession d'indiquer les conciles, prouvent en même tems qu'ils rendoient à ce sujet des édits par lesquels ils mandoient au concile les prélats, sur-tout l'évêque de Rome & ceux des principaux siéges, tels que Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem. A l'égard de l'évêque de Rome, comme il est de droit divin le chef de l'Eglise, il est de regle qu'on ne peut tenir de concile général, à moins qu'on ne demande en forme son consentement, & qu'on ne l'invite d'y assister : aussi cet usage a-t-il été constamment pratiqué dans l'Eglise dès les premiers tems, si nous en croyons tous les historiens ecclésiastiques. Socrate, liv. II. chap. viij. reproche entr'autres choses au concile d'Antioche, que Jules évêque de Rome n'y ait point assisté, ni envoyé personne à sa place, quoiqu'il soit, dit-il, ordonné par les canons de ne statuer sur rien dans l'Eglise sans que l'évêque de Rome en ait connoissance. Sozomene, liv. III. chap. x. rapporte qu'après la condamnation d'Athanase, le pape Jules écrivit aux évêques qui avoient tenu le concile d'Antioche, & se plaignit amerement de ce que, contre les lois ecclésiastiques, on ne l'avoit point appellé au concile. On doit pareillement inviter les évêques de l'univers entier ; car si l'on ne convoque que ceux d'une certaine nation, ou d'une certaine province, alors le concile n'est point oecuménique, mais simplement national ou provincial : ainsi pour qu'il soit réputé universel, il est nécessaire d'observer les deux regles que Bellarmin propose, lib. I. de concil. cap. xvij. La premiere de ces regles est que la convocation soit notifiée à toutes les grandes provinces de la Chrétienté. Cette notification se fait par les métropolitains, qui autrefois après avoir reçû les ordres des empereurs, les communiquoient aux évêques de leurs provinces, & les amenoient avec eux au concile. Depuis que la coûtume a déféré au pape le droit de convoquer les conciles, il adresse aux princes & aux métropolitains une bulle solemnelle d'indiction, qui marque le tems & le lieu du concile. Par cette bulle il exhorte les princes d'y assister, ou du moins d'envoyer leurs ambassadeurs conjointement avec les évêques de leurs royaumes, & enjoint à ces mêmes évêques de s'y trouver. Ensuite lorsque les métropolitains ont obtenu la permission du souverain, ils avertissent leurs suffragans par des lettres circulaires d'aller au concile. La seconde regle de Bellarmin est qu'on ne donne l'exclusion à aucun évêque, de quelqu'endroit qu'il vienne, pourvû qu'il soit constant qu'il est évêque, & qu'il n'est pas excommunié. Au reste, quoique tous les évêques doivent être appellés au concile, il n'est cependant pas nécessaire que tous s'y trouvent, autrement il n'y auroit pas encore eu dans l'Eglise de concile général. " N'est-ce pas assez, dit M. Bossuet, qu'il en vienne tant & de tant d'endroits, & que les autres consentent si évidemment à leur assemblée, qu'il sera clair qu'on y aura porté le sentiment de toute la terre " ? Hist. des variations, liv. XV. n°. 100. Nous ne nous étendrons pas davantage sur la maniere de convoquer les conciles, & nous verrons aussi en peu de mots quelles sont les matieres qu'on y traite.

Nous avons déjà indiqué au commencement de cet article, en donnant la définition du concile, que les décisions ecclésiastiques ont deux objets principaux, la foi & la disciple ; ce qui est conforme à la lettre des peres du concile de Nicée aux Egyptiens, où ils se servent de ces deux mots grecs, , c'est-à-dire dresser des articles de foi, & faire des canons ; ainsi ces deux points font la matiere des conciles généraux. La foi est contenue dans les dogmes qui la proposent, dans les symboles ou formules qui distinguent les fideles des payens, des juifs & des hérétiques, & qui sont comme la marque à laquelle on reconnoît les troupes de J. C. Elle est aussi renfermée dans les lettres synodales dans lesquelles les évêques assemblés au concile exposent leur croyance ; & enfin dans les decrets & anathèmes prononcés contre les hérétiques. On ne peut rien statuer de nouveau par rapport à la foi, parce qu'elle est un don de Dieu auquel les hommes ne peuvent rien ajoûter, comme ils n'en peuvent rien ôter. L'Eglise déclare seulement ce qui est de foi ou non ; mais elle fait des lois par rapport à la discipline. Or ce qui appartient à la discipline a coûtume d'être expliqué dans les canons, ainsi appelles du mot grec , qui signifie regle. Isidore, liv. VI. etymologiarum, cap. xvj. nous apprend la raison pour laquelle on s'est servi de ce mot : Regula dicta est canon, eo quod rectè ducit, nec aliquando aliorsum trahit : alii dixerunt regulam dictam, vel quod regat, vel quod normam rectè vivendi praebeat, vel quod distortum pravumque corrigat. Il y a une autre différence très-remarquable entre les dogmes & les canons. La foi est une, & immuable ; regula fidei una est, omnino sola, immobilis & irreformabilis. Tertull. lib. I. de velandis virginibus. La discipline au contraire peut être différente, suivant la différence des nations & des lieux : car on doit regarder comme indifférent, & ne se faire aucune peine d'observer ce qui ne blesse ni la foi ni les bonnes moeurs, afin que par-là on conserve l'union avec ceux avec qui l'on vit. La diversité de ces regles n'empêche pas les églises d'entretenir la concorde, lorsqu'elles sont réunies dans la foi ; & pour nous servir des paroles de Fulbert évêque de Chartres : Ubi fidei non scinditur unitas, nos non offendit ecclesiae diversitas ; sic enim stat sancta Ecclesia regina à dextris Dei in vestitu deaurato circumdata varietate. De-là naît encore une autre différence entre les dogmes & les canons : les dogmes ont par eux-mêmes le sceau de l'autorité, & astreignent également tous les fideles ; au lieu que les canons ont besoin d'acceptation & du concours des deux puissances, pour avoir à l'extérieur leur exécution. Cette même raison que la foi est une, & la discipline différente, suivant la différence des lieux, est cause qu'on traite séparément dans les conciles de ces deux objets. Il est même arrivé que dans plusieurs conciles on n'a examiné que des questions de foi, & dans d'autres que ce qui regarde la discipline. Par exemple, le cinquieme & le sixieme conciles se sont contentés de condamner les hérétiques ; & dans celui de Trulle, qui a été comme une suite de ces conciles, on n'a fait que des canons pour le maintien de la discipline, & il ne s'est point agi de la foi.

Quelquefois encore dans les conciles on agite les causes ecclésiastiques, & elles y sont terminées par un jugement de l'Eglise assemblée. Souvent celui qui avoit été excommunié par son évêque ou par un premier concile, obtenoit que sa cause seroit examinée de nouveau ; & quelquefois il parvenoit à se faire absoudre ; comme Théodoret, qui après avoir été condamné dans le concile d'Ephese, fut admis & restitué dans celui de Chalcédoine. C'est pourquoi Zonare sur le canon 7 du concile de Laodicée, observe que les conciles se tiennent pour finir les disputes qui s'élevent sur la vérité des dogmes, ou sur l'équité des peines, ou pour y traiter les autres affaires ; & attendu que les générales intéressent toute l'Eglise, il est d'usage qu'on traite d'abord de celles-là avant de passer aux particulieres, ainsi que l'ordonne le premier canon du premier concile d'Auvergne, qui a été parmi nous un concile national.

Ce que nous venons de dire sur la matiere des conciles, nous paroît suffire ; mais nous ne pouvons nous dispenser en parlant de la forme suivant laquelle se tient le concile, d'entrer dans un plus grand détail. Cette forme consiste principalement dans l'ordre de la séance, dans le partage du concile en différentes assemblées, & enfin dans la liberté des suffrages.

Il est évident par la nature même du concile oecuménique, que l'un des prélats dont il est composé, doit y présider ; car étant une assemblée de l'Eglise universelle, il est d'une nécessité absolue que quelqu'un recueille les voix, & prononce les décisions du concile sur chaque question. Jesus-Christ est le chef de toute l'Eglise. Dans chaque église particuliere il est représenté par l'évêque ; mais il s'agit de savoir lorsque les évêques sont assemblés, quel est celui parmi eux qui doit être à leur tête. Les peres du concile de Chalcédoine nous l'apprennent dans la lettre synodale au pape Leon. Si enim, disent-ils, ubi sunt duo aut tres congregati in nomine ejus (Christi), ibi se Christus in medio eorum fore perhibuit, quantam circa quingentos viginti sacerdotes familiaritatem potuit demonstrare, qui & patriae & labori suae confessionis notitiam praetulerunt ? Quibus tu quidem, sicut membris caput praeeras, in his qui tuum tenebant ordinem, benevolentiam praeferens, imperatores vero fideles ad ordinandum decentissimè praesidebant, sicut Zorobabel & Jesus, ecclesiae tanquam Jerusalem, aedificationem, circa dogmata renovare annitentes. Ce passage fait voir que les peres du concile de Chalcédoine distinguent deux sortes de présidences dans les conciles : l'une qui appartient aux pontifes, & l'autre aux princes. En effet le prince étant seul armé du glaive, & ayant seul la force coactive, il doit y présider, afin que tout s'y passe d'une maniere conforme aux lois & aux canons dont il est le protecteur. Au reste pour ne parler ici que de la présidence hiérarchique, il paroît par ces paroles, sicut membris caput praeeras in his qui tuum tenebant ordinem, qu'elle est déférée à l'évêque de Rome. Cela mérite cependant quelque explication. Il est bien vrai que dans le cas où le souverain pontife assiste en personne au concile, tous les canonistes reconnoissent pour incontestable le droit qu'il a d'y présider, comme étant l'évêque du premier siége, le centre de l'unité catholique, & le chef de toutes les églises : mais ils ne conviennent point également que cette prérogative dans les premiers tems ait passé aux légats. Plusieurs d'entr'eux ne font pas remonter l'origine de ce droit plus haut que le concile de Chalcedoine ; d'autres pensent que dès le concile de Nicée, les légats du pape ont présidé.

Parmi ces derniers se trouve M. de Marca, qui dans son fameux traité de concordia sacerdotii & imperii, lib. V. cap iij. jv. v. vj. & vij. réduit la question de la prééminence du pape dans les conciles, à trois chefs principaux qu'il s'efforce de démontrer ; savoir à la prérogative de la séance, au droit de recueillir les voix, à la ratification de tout ce qui a été fait ; & il prétend que cette ratification ne nuit point à la liberté des suffrages qui est absolument nécessaire, mais il la compare au rapport qu'autrefois les consuls & qu'ensuite les princes faisoient au sénat, afin qu'il eut à prononcer, ensorte que le sénat néanmoins décidoit ce qu'il jugeoit à-propos. Le souverain pontife, dit cet illustre prélat, exerce un droit semblable dans les conciles, ce qui n'empêche pas qu'on n'y joüisse de la liberté des suffrages. Il ajoûte, chap. vij. que cette prérogative passe à ses légats, & même nécessairement, puisqu'il est certain que les papes n'ont point été présens aux premiers conciles, & qu'ils se sont contentés d'y envoyer des légats. La comparaison que fait M. de Marca n'est point du tout exacte, & ne s'accorde pas avec ce que nous avons prouvé ci-dessus, que ce sont les empereurs qui ont convoqué les premiers conciles, & y ont invité les papes par leurs édits. De plus si on attribuoit ce droit de rapport dans les premiers siecles au souverain pontife, ce seroit lui donner par-là une autorité suprème de l'Eglise ; car ce droit de rapport faisoit partie de la souveraineté. Les termes de la loi royale renouvellée sous Vespasien, que cite M. de Marca, en sont une preuve authentique. Les voici : Ut ei senatum habere, relationem facere, remittere, senatusconsultum per relationem, discussionemque facere liceat. M. de Marca n'appelle-t-il pas lui-même ce droit jus imperatorium, & n'est-il pas constant que sans ce rapport, le sénatusconsulte ne pouvoit avoir lieu ? Nous en avons un exemple dans Tacite, lib. XV. ann. c. 22. où après avoir rapporté le Discours que Thraseas prononça au sénat, il ajoûte tout de suite ces paroles : magno assensu celebratae sententia, non tamen sctm eâ de re perfici potuit, abnuentibus consulibus eâ de re relatum. Ce passage montre assez que quoique ce droit de rapport n'ôtât pas tout-à-fait la liberté des suffrages, cependant celui de délibérer & de décider du tems de la république dépendoit de la volonté des consuls, & dans la suite, des empereurs, qui même en ont entierement privé le sénat. Novelle 78. de Léon surnommé le philosophe. Or il est manifeste que les conciles, sur-tout dans les premiers siecles, ne dépendoient en aucune façon de la volonté du pape. Ainsi réduisons le droit de présider à deux chefs ; au droit de tenir le premier rang de la séance, & à celui de recueillir les voix : séparons-en celui de la ratification, puisque nous venons de voir que c'est pour concilier ce droit-là avec la liberté du concile, que M. de Marca a imaginé le droit de rapport & la comparaison qu'il en fait. Le même M. de Marca veut prouver d'après l'histoire, que le droit de présidence a passé aux légats des souverains pontifes. Il soûtient qu'Osius évêque de Cordoue, présida en cette qualité au concile de Nicée. Il se fonde sur ce qu'Athanase appelle cet évêque l'ame & le chef des conciles ; lib. de fugâ suâ & epistolâ ad solitarios ; & sur ce que Socrate, liv. I. ch. jx. de la version latine, ou ch. xiij. de l'original grec, en faisant l'énumération des prélats les plus distingués qui assisterent au concile, commence par Osius évêque de Cordoue, Vite & Vincent prêtres, & nomme ensuite Alexandre d'Egypte, Eustathe d'Antioche, Macaire de Jérusalem. M. de Marca ajoûte, que personne n'assista de la part du pape au second concile oecuménique, qu'il ne fut composé que d'évêques orientaux, & qu'il ne devint général que par l'acquiescement de l'église d'Occident, à la décision de celle d'Orient ; que Cyrille présida au troisieme concile, & qu'il représentoit le pape Célestin I. comme l'annoncent les lettres de ce pontife adressées tant au clergé & au peuple de Constantinople, qu'à Cyrille lui-même.

D'un autre côté Simon Vigor, lib. de conciliis, cap. vij. prétend que la premiere place dans les conciles est dûe aux patriarches, & qu'ils y président tous conjointement ; mais que parmi eux la préséance est réservée au souverain pontife, de façon cependant que s'il est absent, ses légats ne succedent point à sa place, mais le second patriarche ; & au défaut du second, le troisieme. Ainsi ce ne fut point, selon lui, le pape Sylvestre qui étoit absent, qui présida au concile de Nicée ; ni Alexandre, patriarche d'Alexandrie, qui en quelque maniere étoit partie intéressée, puisqu'il s'agissoit d'Arius qu'il avoit le premier condamné dans un concile tenu dans son patriarchat. Cet auteur conclud que le concile fut présidé par Eustathe d'Antioche, & il le prouve par la lettre qu'écrivit le pape Felix III. à l'Empereur Zenon, contre Pierre Fullon évêque d'Antioche. Cette lettre est conçûe en ces termes : Petrus primogenitus diaboli filius, & qui sanctae ecclesiae Antiochenae se indignissime ingessit, sanctamque sedem Ignatii martyris polluit, qui Petri dextrâ ordinatus est, Eustathiique confessoris ac praesidentis trecentorum decem & octo patrum qui in Nicaea convenerunt, ausus est dicere, &c. Voyez tome IV. des conciles, pag. 1069. Il faut avouer que ces dernieres paroles sont favorables au sentiment de Vigor.

Mais M. Richer, célebre docteur de Sorbonne, contrebalance cette autorité dans son histoire des conciles généraux, liv. I. ch. ij. num. 7. en rapportant, d'après Socrate & d'après Théodoret, livre I. ch. jx. la lettre synodale des PP. de Nicée aux Alexandrins, où ils disent que si le concile a statué quelque chose outre ce dont ils leur parlent, ils l'apprendront d'Alexandre leur patriarche, qui ayant eu part & ayant présidé aux décisions du concile, leur en rendra un compte plus exact. Voilà le sens que donne Richer au texte grec dans la traduction qu'il en fait, & on ne peut disconvenir qu'il est conforme à l'original. Au reste ce docteur s'accorde avec Vigor, en ce qu'il pense, comme lui, que le pape doit présider au concile lorsqu'il est présent, mais que cette prérogative est attachée à sa personne & au siége qu'il occupe ; que ses légats n'y succedent point, & qu'en effet ils n'ont pas présidé aux conciles généraux jusqu'à celui de Chalcédoine, où cela leur fut accordé pour la premiere fois.

S'il nous est permis de dire notre sentiment à ce sujet, nous n'adoptons ni ne rejettons entierement l'opinion de M. de Marca ; & nous en faisons de même à l'égard de celle de Vigor & de Richer. Nous convenons avec chacun d'eux, que le droit de présider appartient au pape en vertu de sa dignité, qu'il appartient encore aux autres patriarches. Nous croyons pareillement avec Richer & Vigor, que les légats n'ont point présidé jusqu'au concile de Chalcédoine ; qu'à l'exception cependant du premier concile de Constantinople, ils y ont assisté, & qu'ils y ont eu une place honorable, quoique ce ne fût point la premiere. Examinons d'abord la chose par rapport à Osius. Il est certain qu'il fut présent au concile de Nicée. Eusebe, témoin oculaire, dit, liv. III. chap. vij. de la vie de Constantin, que cet homme venu d'Espagne & exalté par beaucoup de personnes, assista au concile & prit séance avec les autres ; que l'évêque de la ville impériale, c'est-à-dire le pape Sylvestre (suivant l'interprétation d'Henri de Valois) ne s'y trouva point à cause qu'il étoit d'un âge fort avancé ; qu'il envoya des prêtres pour le représenter. Socrate, d'après Eusebe, rapporte la même chose, liv. I. c. v. Ni l'un ni l'autre n'exprime si Osius assista au concile comme légat de Sylvestre, ou bien jure suo, comme évêque de Cordoue. Et même Sozomene liv. I. ch. xvj. & Théodoret, liv. I. ch. vij. sans faire aucune mention de lui, disent simplement que Vite & Vincent prêtres, vinrent au concile à la place de l'évêque de Rome ; d'ailleurs Sozomene se trompe en ce qu'il donne au pape le nom de Jules, quoique ce ne fût point encore lui, mais Sylvestre qui occupât pour lors le saint siége. Ces différens passages semblent prouver qu'Osius ne fut point légat du souverain pontife.

Mais, dira-on, Osius eut la préséance sur tous les autres évêques. Or elle n'étoit certainement point dûe à son siége, inférieur de beaucoup à ceux des patriarches, auxquels il convenoit de la céder ; c'est donc en vertu de sa légation qu'il a obtenu cette préséance. Joignez à cela le témoignage de Gelase de Cyzique, qui vers l'an 689 a recueilli les actes du concile de Nicée. Cet auteur avance qu'Osius tint la place de Sylvestre évêque de l'ancienne Rome, conjointement avec les prêtres Vite & Vincent. Pour répondre à ces objections, nous commencerons par observer avec tous les savans, principalement avec l'auteur de l'avertissement qui est à la tête de l'édition de Rome des conciles, & qu'on trouve tom. II. des conciles de Labbé, pag. 103. nous observerons, dis je, que l'histoire de Gelase de Cyzique ne mérite pas qu'on y ajoûte foi, parce qu'elle renferme beaucoup de choses qui ne s'accordant pas avec ce que disent les meilleurs écrivains, la rendent suspecte à juste titre. C'est pourquoi on ne doit point assûrer qu'Osius présida au nom de Sylvestre, sur le seul témoignage de Gelase. Celui de S. Athanase qui appelle l'évêque de Cordoue, l'ame & le chef des conciles, est sans contredit d'une plus grande autorité, & jetteroit plus de doute sur le rang que celui-ci eut au concile de Nicée, si ce n'est qu'il suffisoit à S. Athanase pour tenir un pareil langage, d'envisager le personnage important que fit Osius dans l'affaire d'Arius. Cette hérésie dès sa naissance ayant excité beaucoup de troubles & de divisions dans l'Eglise, l'empereur Constantin employa tous ses soins pour rétablir la paix. Ce fut dans cette vûe qu'avant de convoquer le concile de Nicée, il envoya à Alexandrie Osius en qui il avoit une confiance particuliere, & le chargea d'une lettre adressée conjointement à Alexandre & à Arius, où il parle de leur différend suivant l'idée qu'on lui en avoit alors donnée, & les exhorte à se réunir. Eusebe de Nicomédie, partisan secret d'Arius, avoit eu l'adresse de faire entendre à l'empereur que la cause du mal étoit l'aversion de l'évêque Alexandre contre le prêtre Arius, & qu'il étoit de sa piété de faire usage de son autorité pour lui imposer silence. Mais l'empereur ayant appris par Osius le peu d'effet de sa lettre, & la grandeur des maux de l'Eglise qui exigeoient un remede plus efficace, il assembla le concile où Osius eut occasion de se signaler. Quelque tems après ce concile, le même Osius fut encore le principal moteur de la tenue du concile de Sardique : ce qui irrita contre lui les Ariens. Ils le détestoient comme un de leurs plus puissans adversaires, & ils mirent tout en oeuvre pour l'abattre. Il n'est donc point étonnant que S. Athanase parle en termes extrèmement honorables d'un vieillard digne de vénération, évêque depuis trente ans, confesseur dans la persécution de Maximien, renommé par toute l'Eglise, & qui récemment venoit de rendre à la bonne cause des services essentiels. Au reste il ne dit rien d'où il faille absolument conclure qu'Osius tint au concile la place de légat du pape. Enfin si à la tête des souscriptions du concile, telles que nous les avons aujourd'hui, nous trouvons le nom d'Osius, & qu'il soit suivi de ceux de Vite & de Vincent, cela vient de ce que les évêques ont souscrit suivant l'ordre de leurs provinces, d'abord les Occidentaux, & ensuite ceux des différentes provinces d'Orient. Les Occidentaux souscrivirent les premiers, attendu que le patriarchat d'Occident qui embrasse la moitié du monde chrétien, est le premier de tous. Osius est à leur tête comme étant le seul évêque de ce patriarchat, & après lui se trouvent les prêtres Vite & Vincent. Après les souscriptions des Latins, l'on compte celles des évêques de la province d'Egypte, ayant à leur tête Alexandre patriarche d'Alexandrie ; ensuite les évêques qui lui sont soûmis, savoir ceux de l'Egypte, de la Thébaïde, & de la Lybie : pour lors le patriarchat d'Alexandrie suivoit immédiatement celui de Rome. Après le patriarchat d'Alexandrie, l'on trouve les évêques de celui de Jérusalem qui est le troisieme, & à la tête Macaire leur patriarche. Vient ensuite le patriarchat d'Antioche, à la tête duquel étoit Eustathe. Ainsi les présidens du concile furent Osius, Alexandre, Macaire, & Eustathe, que nous avons vû ci-dessus dénommé président par le pape Felix III. & qui en cette qualité adressa un discours à Constantin. Osius & les autres évêques se trouverent tous au concile jure suo, en vertu de leur dignité, & non d'aucun droit de légation. Cette description de la présidence du concile, faite d'après le concile même, détruit entierement la prétendue présidence de Vite & de Vincent. Pour résumer en deux mots tout ceci, si Osius eût présidé au concile comme légat du pape Sylvestre, les prêtres Vite & Vincent, certainement envoyés par le pape en cette qualité, eussent présidé conjointement avec lui. Nous venons de voir qu'ils n'ont point présidé : donc ce n'est point comme légat qu'Osius a été un des présidens du concile. Dans les deux conciles généraux qui suivirent, & qui se tinrent avant celui de Chalcédoine, les légats du pape ne paroissent pas y avoir présidé. Nous avons vû plus haut qu'au premier concile de Constantinople, il ne se trouva aucun évêque de l'église d'occident, & que les Grecs même s'en plaignirent : mais ce concile fut ensuite reçû par le pape Damase & les autres évêques de l'église latine ; c'est pourquoi on l'a toûjours reconnu pour oecuménique. Les légats du pape Célestin I. Arcadius & Projectus évêques, & Philippe prêtre, assisterent au concile d'Ephese ; mais ils n'y présiderent point : ce fut Cyrille d'Alexandrie qui présida ; ce droit lui appartenoit au défaut de Nestorius patriarche de Constantinople, qui étoit absent & accusé, car dès ce tems-là le patriarche de Constantinople avoit le second rang. Il est bien vrai que dans ce concile le pape Célestin commit Cyrille à sa place ; mais comme il avoit d'ailleurs, à raison de son siége, le droit de présider, on ne peut inférer d'un pareil exemple que les légats du pape présidassent alors au concile jure suo. Enfin le concile de Chalcédoine qui condamna & déposa Dioscore, fut présidé par les légats du pape S. Léon, savoir Paschasin & Lucentius évêques, & Boniface prêtre. Vigor, lib. de conciliis, cap. vij. prétend que cela se passa ainsi, parce que tous les patriarches, à l'exception de celui de Constantinople, étoient au nombre des accusés, vû qu'ils s'étoient joints à Dioscore pour condamner Flavien dans le faux concile d'Ephese, & par conséquent ne pouvoient présider à un concile où ils devoient être jugés. Mais il paroît par les souscriptions rapportées tome IV. des conciles, pag. 448. & suiv. qu'Anatole patriarche de Constantinople, souscrivit après les légats, & après lui Maxime d'Antioche : ce qui réfute l'opinion de Vigor. Il est très-vraisemblable que l'empereur Marcien, prince religieux, seconda la déférence qu'on eut en cette occasion pour le saint siége. Quoi qu'il en soit, c'est d'après cet exemple que les légats du pape ont présidé dans tous les conciles.

A l'égard de l'ordre suivant lequel les autres évêques assistent au concile, le dernier canon de la distinction dix-sept du decret de Gratien, établit pour regle que les évêques doivent se conformer à la date de leur ordination, tant pour le rang qu'ils occupent dans la séance, que pour celui des souscriptions. On décida la même chose dans le premier concile de Brague, canon vj. & cette discipline fut pareillement observée dans l'église d'Afrique, où l'on ordonna que pour terminer les contestations qui s'élevoient au sujet de la préséance, chaque évêque seroit tenu de rapporter des lettres de celui dont il auroit reçû la consécration, & qui en continssent la date. Canons viij. & jx. du code des canons de l'église d'Afrique. On s'est néanmoins quelquefois écarté de cette regle en faveur de plusieurs siéges privilégiés.

Outre l'ordre de la séance, la forme du concile consiste encore dans la division des assemblées, & la liberté des suffrages. Comme tout ce dont on doit traiter dans un concile, ne peut se finir en un jour, on a coûtume de partager les affaires en différens tems, & de distinguer les diverses assemblées en actions ou cessions, ainsi qu'on les appelle aujourd'hui : dans ces actions ou sessions, on propose les questions & on prononce les decrets ; ce qui ne se fait cependant qu'après avoir tenu des congrégations, c'est-à-dire des assemblées privées d'évêques. Les peres du concile déliberent entr'eux d'abord dans une congrégation particuliere, sur ce qui fait la matiere de la question. Ensuite on fait le rapport de ce qui y a été agité dans une congrégation plus générale, où l'on convoque ceux même des évêques qui n'ont point assisté à la premiere. De cette façon aucun d'eux n'ignore ce dont il s'agit. On discute de nouveau la question, & on la décide avant que de la porter dans la session publique. Cela a été introduit afin qu'il ne restât plus aucun sujet d'altercation entre les évêques, & que les sessions publiques se passassent avec plus de décence : cette précaution néanmoins ne s'est prise que dans les derniers conciles. On ne trouve rien de semblable dans les anciens, & chaque affaire se discutoit dans les actions publiques. Il étoit pareillement d'usage autrefois de prendre les voix de chaque membre de l'assemblée ; ce qui a été observé jusqu'au concile de Constance, où il parut nécessaire de recueillir les suffrages par nation, c'est-à-dire que chaque évêque opinoit dans sa nation, & qu'on rapportoit dans le concile les suffrages des nations. De puissantes raisons obligerent les peres du concile de Constance d'introduire cette nouveauté. Il y avoit pour lors trois contendans à la papauté, Gregoire XII. Benoît XIII. & Jean XXIII. Chacun d'eux avoit ses adhérans parmi les évêques. Il étoit à craindre si on comptoit les voix suivant l'ancien usage, que les évêques d'une nation l'emportant par le nombre sur les autres, on ne pût parvenir au rétablissement de la paix & à l'extinction du schisme, qui étoient le but principal de la tenue du concile. On suivit la même méthode au concile de Basle, & il est sensible que c'est un moyen sûr pour réunir le consentement de toute l'Eglise. Quant à la liberté des suffrages, elle doit être très-grande ; autrement le concile cesse d'être oecuménique, & ne contient plus la décision de l'Eglise universelle. Il n'y a point de marque plus certaine pour connoître si un concile a été oecuménique, ou non, que la liberté des suffrages. Nous en avons un exemple dans le faux concile d'Ephese, tenu par Dioscore, & cassé par celui de Chalcédoine. Ce faux concile avoit été convoqué dans la même forme que les trois précédens conciles généraux. Théodose le grand avoit interposé son autorité pour la convocation de ce concile, le pape S. Léon avoit donné son consentement & envoyé ses légats ; ainsi rien ne paroissoit manquer à l'extérieur, de ce qui constitue la forme des conciles. Mais on n'y eut point la liberté de délibérer ; les évêques, les prêtres & les clercs furent forcés par les soldats à coups d'épée & de bâton de signer un papier blanc. Plusieurs moururent de cette violence, entr'autres Flavien de Constantinople. Dioscore avoit conspiré sa perte, & il le fit condamner & déposer par ces voies de fait dans cette assemblée ; c'est pourquoi on l'a toûjours regardée comme un conciliabule. Il est donc très-important d'avoir une regle sûre pour discerner si le concile a la liberté des suffrages ; car il est à craindre que sous ce prétexte quelqu'un ne s'éleve contre l'autorité des conciles généraux la mieux fondée, & ne veuille s'y soustraire, en disant que le concile n'a pas été libre. Or on peut juger qu'il a été libre par l'acquiescement de l'Eglise universelle ; si au contraire toutes les églises se plaignent, & rejettent les décisions du concile, c'est une preuve manifeste qu'il n'a joui d'aucune liberté. Par exemple on réclama de toute part contre le brigandage du faux concile d'Ephese ; on demanda un autre concile, & il parut évidemment que celui d'Ephese n'avoit point été libre ; c'est ce que prouvent les actes du concile de Chalcédoine. L'Eglise universelle réclama pareillement contre le faux concile de Rimini, où l'on avoit également employé la violence, & à la formule duquel le pape Libere avoit souscrit.

Maintenant pour terminer ce qui concerne les conciles généraux, nous allons examiner quelle est leur autorité. Divers passages de l'Ecriture, & la tradition constante de l'Eglise nous enseignent, qu'il n'y en a point de plus respectable. Nous avons déjà eu occasion de citer ces paroles de Jesus-Christ, ubi sunt duo vel tres, &c. Nous avons vû que les peres de Chalcédoine en font l'application aux conciles, & en tirent cette conséquence, qu'à plus forte raison Jesus-Christ ne refusera point son assistance à cinq cent vingt évêques assemblés en son nom. Nous ajoûterons ici que le cinquieme concile général, ou le second de Constantinople, prend dans le même sens ce texte de l'évangile, & reconnoît l'autorité suprême des conciles généraux, qu'il démontre en se servant de différentes preuves. Il se fonde 1°. sur ce que les apôtres, quoiqu'ils fussent tellement remplis de la grace du Saint-Esprit qu'ils n'eussent pas besoin les uns des autres pour être instruits de ce qu'ils devoient faire, cependant ne voulurent rien statuer à l'égard des cérémonies légales, qu'ils n'eussent délibéré ensemble, & que chacun d'eux n'eût appuyé son avis sur les saintes Ecritures. 2°. Sur ce que la décision des apôtres conçûe en ces termes, visum est spiritui sancto & nobis, &c. témoigne assez qu'elle est faite & prononcée en commun. L'on peut étendre plus loin la réflexion des peres de Constantinople, & avancer avec confiance comme une suite naturelle de cette réflexion, que les apôtres en attribuant à l'inspiration divine ce qu'ils ont défini, nous autorisent à regarder comme décidé par le Saint-Esprit, tout ce qui l'est par l'Eglise assemblée. 3°. Sur l'exemple non interrompu de l'Eglise : car les saints peres en différens tems (c'est le concile qui parle), se sont assemblés dans les conciles pour décider en commun les questions qui s'étoient élevées, & pour condamner les hérésies, parce qu'ils étoient fermement persuadés que les examens qui se font en commun, & où l'on pese les raisons alléguées de part & d'autre, faisoient briller la lumiere de la vérité, & dissipoient les ténebres du mensonge ; tom. V. des conciles, pag. 461. & suivantes. Mais non-seulement les peres de Chalcédoine & ceux de Constantinople relevent l'autorité des conciles oecuméniques au-dessus de toute autre, nous voyons encore que les souverains pontifes ont tenu le même langage. Célestin premier nous en donne une haute idée dans une lettre au concile d'Ephese, où il dit que les apôtres ont été instruits par Jesus-Christ, que les évêques ont succédé aux apôtres, qu'ils ont reçû leur puissance du même Jesus-Christ ; par conséquent que le concile est saint, & mérite la plus profonde vénération ; tome III. des conciles, pag. 914. Gregoire le grand est encore plus énergique sur ce sujet, dans une lettre adressée aux patriarches Jean de Constantinople, Elogius d'Alexandrie, Jean de Jérusalem, Anastase d'Antioche, pour leur faire part de son élection & leur envoyer sa profession de foi, suivant l'usage de ce tems-là, observé par les papes & autres évêques des grands siéges, nouvellement élûs. Voici comme ce saint pontife s'exprime vers la fin de cette lettre : sicut sancti evangelii quatuor libros, sic quatuor concilia suscipere ac venerari me fateor... & quisquis eorum soliditatem non tenet, etiamsi lapis esse cernitur, tamen extra aedificium jacet.... cunctas vero, quas praefata concilia veneranda personas respuunt, respuo ; quas venerantur, amplector ; quia dum universali sunt consensu constituta, se, & non illa destruit, quisquis presumit aut solvere quos ligant, aut ligare quos solvunt. Lib. I. regesti, epist. 24. Le commencement du canon 3. de la distinction 15. renferme à-peu-près les mêmes sentimens. Gratien attribue ce canon à Gelase, mais il est incertain qu'il soit de ce pape ; quelques-uns le donnent à Damase, & d'autres sur la foi de plusieurs manuscrits, prétendent qu'il est du pape Hormisdas. M. Baluze dans sa note sur ce canon, conjecture que le decret qu'il contient, a d'abord été fait par le pape Damase, & ensuite renouvellé par Gelase & Hormisdas. Quoi qu'il en soit, l'auteur de ce canon déclare que la sainte église romaine après les livres de l'ancien & du nouveau Testament, ne reçoit rien avec plus de respect que les quatre premiers conciles. En effet la vénération pour ces conciles a été poussée si loin, que Gregoire le grand, comme nous venons de le voir, les compare aux quatre évangiles ; & Isidore de Seville dans le canon premier, paragraphe premier de la même distinction, assûre qu'ils renferment toute la foi, étant comme quatre évangiles, & autant de fleuves du paradis. Les papes ont reçû avec le même respect les quatre conciles qui ont suivi ces premiers ; c'est ce que prouve la profession de foi qu'ils faisoient d'une maniere solemnelle, & sous la religion du serment, si-tôt qu'ils étoient élevés au pontificat, avant même que d'être consacrés. Cette profession de foi étoit ensuite rédigée par écrit par les notaires de l'église romaine, & déposée sur l'autel & le corps de saint Pierre. On en trouve la formule dans le diurnal romain & dans les notes de M. Bignon sur le huitieme concile général, tome VIII. des conciles, pag. 492. Suivant cette formule, le nouveau pape promettoit d'observer en tout & avec le dernier scrupule les huit conciles généraux, d'avoir pour eux la vénération convenable, d'enseigner ce qu'ils enseignoient, & de condamner de coeur & de bouche ce qu'ils condamnoient.

Ces témoignages non suspects en faveur des conciles, font voir combien il est déraisonnable de penser que les conciles oecuméniques soient sujets à l'erreur. Ceux qui n'ont pas là-dessus des idées saines, abusent d'un passage de S. Augustin, lib. II. de baptismo contra donatistas, cap. iij. où ce saint docteur enseigne que les conciles qui se tiennent dans chaque province, cedent à l'autorité des conciles universels composés de toute la chrétienté ; mais que ces mêmes conciles universels, lorsque l'expérience nous a appris ce que nous ignorions, sont souvent réformés par d'autres qui leur sont postérieurs, & qui ont également l'avantage d'être oecuméniques. Ipsa concilia (ce sont les propres termes de ce pere) quae per singulas religiones vel provincias fiunt, plenariorum conciliorum autoritati, quae fiunt ex universo orbe christiano, sine ullis ambagibus cedunt : ipsaque plenaria, saepe priora posterioribus emendantur, cum aliquo experimento rerum aperitur quod clausum erat, & cognoscitur quod latebat. Quelques-uns croyent écarter la difficulté que ce passage semble faire naître, en l'appliquant au concile général d'une nation, de l'Afrique par exemple ; mais cette conjecture est détruite par cela seul, que saint Augustin appelle ici les conciles généraux, ceux qui sont composés de toute la chrétienté. On ne répond pas avec plus de solidité, en disant que ces paroles doivent s'entendre des statuts des conciles généraux, dans les causes de fait & de pure discipline, & non des questions de foi. En effet ce saint pere dans cet ouvrage traite la fameuse question, si on doit réitérer le baptême conféré par les hérétiques, qui avoit été agitée auparavant entre saint Cyprien & le pape Etienne : or cette question appartient certainement à la foi & à la doctrine de l'Eglise, & non à la pure discipline. Saint Augustin réfute en cet endroit les Donatistes qui objectoient l'autorité de saint Cyprien & des conciles tenus à l'occasion de la dispute sur le baptême, & il dit que les conciles, &c. Je crois donc qu'il faut ici expliquer saint Augustin, non par les noms, mais par la chose même, & la forme intérieure suivant laquelle les conciles ont été célébrés. Il y a des conciles qui paroissent généraux à cause de la forme extérieure dont ils sont revêtus, mais qui ont un vice intérieur qui porte atteinte à leur validité. Ces conciles, eu égard à ce vice, ne doivent point être réputés généraux ; ils ne le sont que de nom & nullement d'effet ; tels sont les faux conciles d'Ephese & de Rimini, dont nous avons déjà parlé : les conciles de cette espece, peuvent être réformés par des conciles vraiment oecuméniques, & qui ne donnent aucune prise pour les attaquer. Voilà, si je ne me trompe, le sens de saint Augustin ; ces paroles, saepe priora posterioribus emendantur, semblent l'indiquer. Saepe, dit-il, c'est-à-dire que cela arrivoit non pas quelquefois, mais fréquemment ; & cependant nous ne trouvons nulle part aucun exemple que des conciles reconnus pour oecuméniques par toute l'Eglise, ayent jamais été réformés par d'autres conciles postérieurs ; ainsi c'est une entreprise téméraire que de vouloir jetter des doutes sur l'infaillibilité des conciles généraux. Il n'est pas moins absurde, & contraire à l'esprit des anciens papes, de prétendre qu'ils n'ont de validité qu'autant que les souverains pontifes les approuvent. Les défenseurs de cette opinion ont eu recours, pour établir leur système, aux canons de la distinction 17 ; la critique que nous en avons faite, suffit pour ruiner de fond en comble les inductions qu'on veut tirer de ces canons. Nous avons lieu au contraire de conclure d'après les passages que nous avons rapportés, que les conciles tirent d'eux-mêmes leur autorité, & qu'ils n'ont pas besoin de la confirmation du pape.

Nous ne dissimulons point que le consentement du souverain pontife ne soit d'un grand poids, & qu'il ne soit à desirer que l'évêque du premier siége, le chef visible & ministériel de l'Eglise catholique, acquiesce à ce qu'elle a décidé ; afin qu'on puisse opposer avec plus de force & d'une façon plus évidente le consentement de l'Eglise universelle à ceux qui veulent en troubler la paix. Mais si le pape refuse de souscrire au concile, s'il n'adopte point la décision de l'Eglise universelle, alors le concile général peut exercer envers lui son autorité comme envers les autres membres de l'Eglise ; c'est ce qu'a décidé formellement le concile de Constance, sess. 3. & celui de Bâle, sess. 2. Cette décision que les ultramontains qualifient d'erronée, contient la doctrine de l'église gallicane & des universités du royaume, principalement de celle de Paris. Elle a été soûtenue par Gerson chancelier de cette université, par Pierre d'Ailly grand-maître de la maison de Navarre, ensuite évêque de Cambrai & cardinal, & par un nombre infini de théologiens & de canonistes. Charles VII. roi de France, qui connoissoit bien les droits de sa couronne, l'a fait insérer dans la pragmatique sanction, de l'avis de tous les ordres du royaume : voici les paroles tirées tant du decret du concile de Bâle, que de la pragmatique sanction. Et primo declarat quod ipsa synodus, in Spiritu sancto legitimè congregata, generale concilium faciens, & ecclesiam militantem representans, potestatem habet à Christo immediatè. Cui quilibet cujuscumque status, conditionis, vel dignitatis, etiamsi papalis existat, obedire tenetur in his quae pertinent ad fidem, & extirpationem schismatis, & generalem reformationem ecclesiae Dei, in capite & in membris. prag. sanct. tit. j. p. 3. & 4. On trouve cette doctrine mise dans tout son jour dans le chapitre douzieme des preuves des libertés de l'église gallicane, & dans M. Dupin, docteur de Sorbonne, dissert. 6. de antiquâ ecclesiae disciplinâ, & vetutissimae disciplinae monumentis, où il démontre 1°. que l'autorité du concile général est supérieure à celle du pape : 2°. que le concile général a la puissance de faire des canons qui astreignent même le pape : 3°. que le concile général a le droit de juger le pape, & de le déposer s'il erre dans la foi. Il est donc suivant nos moeurs permis d'appeller des décisions du pape au concile général, comme d'un juge inférieur à un supérieur, chapit. 12. des mêmes preuves, où l'on rapporte des exemples très-remarquables de ces sortes d'appels, tel que celui de Philippe-le-Bel de la bulle de Boniface VIII. celui des prélats, des sujets & des universités du royaume dans la même cause ; tels sont encore les appels au futur concile, interjettés par les procureurs généraux, lorsqu'il fut question d'abroger la pragmatique sanction, & plusieurs autres de cette espece interjettés en diverses occasions par l'université de Paris, & conçus dans les termes les plus forts. Nous renvoyons le lecteur aux sources que nous venons d'indiquer.

Au reste, ce que nous avons dit de l'autorité suprème des conciles ne regarde que la foi qui est immuable, & non la discipline qui peut changer ; & c'est pourquoi les différentes églises ont reçû ou rejetté divers canons des conciles, suivant qu'elles les ont jugés conformes ou contraires à leurs usages. Par exemple l'église de Rome a reçû les canons du concile de Sardique, en vertu desquels il étoit permis à un évêque qui se croyoit injustement condamné, de s'adresser au pape, & de faire examiner de nouveau sa cause : les Orientaux & les Grecs n'ont point voulu les admettre, comme étant contraires aux canons des conciles de Nicée & d'Antioche. De même ceux du concile d'Antioche ont été adoptés par l'Eglise universelle, quoiqu'elle ait constamment rejetté la foi de ce concile où les Ariens furent les maîtres. D'un autre côté, l'église romaine a souscrit au symbole du second concile général, mais elle a toûjours refusé d'admettre le cinquieme canon de ce concile, qui ordonne que l'évêque de Constantinople aura la place d'honneur après l'évêque de Rome, attendu que Constantinople étoit la nouvelle Rome. Le canon vingt-huitieme du concile de Chalcédoine, par lequel on étend & on augmente les priviléges déjà accordés à l'église de Constantinople, déplut pareillement aux Romains ; les légats du pape S. Léon résisterent vigoureusement à ce decret, & S. Léon lui-même témoigna beaucoup de zele contre cette entreprise. A l'égard de la définition de foi, il se hâta d'en faire part aux églises d'Occident, de leur apprendre que la vérité avoit triomphé, & que l'hérésie avoit été condamnée avec ses auteurs & ses partisans. Enfin la foi du concile de Trente a été reçûe par l'église gallicane ; mais elle en a rejetté tous les points de discipline qui ne s'accordent ni avec l'ancienne ni avec nos moeurs.

Après avoir rempli les différens objets que nous nous étions proposés par rapport aux conciles généraux, il nous reste à parler des conciles particuliers, sur lesquels nous nous étendrons peu, cette matiere étant & plus simple & moins importante. Ces conciles sont de trois sortes, savoir les nationaux, les provinciaux, & les diocésains.

Les conciles nationaux sont ceux qui sont convoqués, soit par le prince, soit par le patriarche, soit par le primat, & où l'on rassemble les évêques de toutes les provinces du royaume. Nous disons que ces conciles sont convoqués soit par le prince, soit par le patriarche, ou même le primat ; car il n'est pas douteux que ce droit n'appartienne aux souverains, nos conciles de France fournissent à ce sujet une foule d'exemples. Du tems de l'empire romain, nous voyons les conciles des Gaules convoqués par les empereurs, comme le concile d'Arles qui fut convoqué par Constantin l'an 314, dans la cause des Donatistes ; celui d'Aquilée, qui est plûtôt un concile d'Italie que des Gaules, convoqué par Gratien l'an 381. Nous lisons dans les actes de ce concile ces paroles de S. Ambroise : Nos in Occidentis partibus constituti, convenimus ad Aquileiensium civitatem, juxta imperatoris praeceptum. Et dans la lettre synodale du même concile adressée aux empereurs, les peres les remercient de ce que pour terminer les disputes ils ont eu soin de les assembler. Cette forme de convoquer les conciles de France a subsisté sous nos rois. Le premier concile d'Orléans a été convoqué par Clovis l'an 511 ; le second, par Childebert & les rois ses freres, l'an 533 ; le concile d'Auvergne, par Théodebert, l'an 535 ; le troisieme concile d'Orléans, par Childebert, l'an 549, pour ne rien dire des autres qui se sont tenus fréquemment sous la premiere race, & qui ont été indiqués par nos rois. Mais sous la seconde race principalement, la puissance royale a paru à cet égard dans tout son éclat : c'est dans les conciles tenus sous cette race qu'ont été faits nos capitulaires ; & non-seulement nos rois convoquoient ces conciles, mais même ils y assistoient, & étoient les arbitres & les moteurs de tout ce qui s'y passoit. Nous nous contenterons de citer l'action premiere du concile de Rome tenu sous Léon III. contre Félix évêque d'Urgel, qui prouve que nos rois, pour lors maîtres de l'Italie, ont pareillement indiqué les conciles dans ce pays, & que les papes, conformément aux ordres du prince, y ont assisté. Depuis que la troisieme race a commencé à régner, les rois ont continué de joüir de la même prérogative, ils ont convoqué tous les conciles qui se sont tenus ; ensorte que c'est une regle certaine parmi nous, que les évêques ne peuvent s'assembler ni délibérer entr'eux sur quoi que ce soit, sans la permission du prince. Les papes les plus recommandables par leur sainteté ont reconnu ce droit dans la personne de nos rois ; entr'autres S. Grégoire le grand, liv. vij. reg. ep. 113. & 114. Dans la premiere de ces lettres il supplie la reine Brunehaut d'ordonner la tenue d'un concile, & dans la seconde il fait la même priere aux rois Théodoric & Théodebert, afin qu'on puisse y prendre les moyens d'abolir la pernicieuse coûtume qui s'étoit introduite dans le royaume de vendre les ordinations. Le lecteur peut consulter sur ce droit de nos rois le chap. xj. des preuves des libertés de l'église gallicane ; & M. de Marca, lib. VI. de concordiâ sacerdotii & imperii, cap xvij. & suiv.

L'autorité des conciles nationaux est considérable dans l'Eglise ; comme ils en font une partie, ils approchent beaucoup des conciles oecuméniques, & c'est pour cela qu'on leur a donné quelquefois ce nom. Cette autorité est plus grande dans le royaume où ils ont été célébrés, que chez les autres nations de la Chrétienté. En effet, une nation n'ayant aucun empire sur une autre nation également libre & indépendante, elle ne peut l'astreindre par les lois & les regles qu'elle établit. Néanmoins les conciles nationaux de France ont été en grande vénération chez les peuples étrangers, & leur ont souvent servi de modeles : c'est le fruit de la sagesse de l'église gallicane, & de l'attachement inviolable qu'elle a témoigné dans tous les tems pour l'ancienne discipline.

Les conciles provinciaux sont ceux qui sont convoqués par le métropolitain ou l'archevêque, & dans lesquels il rassemble tous les évêques & autres clercs de sa province. La lettre du clergé de Rome à S. Cyprien, & qui est la vingt-sixieme parmi celles de ce pere, nous apprend que les prêtres, les diacres, & autres clercs, assistoient & opinoient anciennement à ces conciles. Consultis, dit la lettre, episcopis, presbyteris, diaconis, confessoribus, & ipsis stantibus laicis. On agite & on décide dans ces conciles les questions qui s'élevent sur la foi ; on y fait des statuts concernant la discipline, l'administration des biens ecclésiastiques, la réformation des abus, & la perfection des moeurs. Ils doivent être convoqués par les métropolitains, canon xx. du concile d'Antioche ; ensorte qu'il n'est pas permis aux évêques de la province de célébrer un concile sans le consentement de l'archevêque. Mais d'un autre côté, si celui-ci ne le convoque pas au moins une fois l'année, il encourt les peines canoniques. Le canon vj. du septieme concile général, excepté cependant les cas où la nécessité, la violence, ou quelqu'autre raison légitime, l'ont empêché de le faire.

Lorsque le métropolitain veut convoquer un concile provincial, il avertit chacun de ses suffragans de s'y trouver, & cela par des lettres qu'on appelloit autrefois tractoires ou tractatoires, du même nom que les ordonnances qu'on délivroit à ceux qui voyageoient par ordre du prince, & en vertu desquelles on leur fournissoit libéralement les voitures, les chevaux, & la commodité de ce que les Romains appelloient la course publique. Depuis on a donné à ces lettres du métropolitain le nom de lettres évocatoires, encycliques ou circulaires.

Les évêques de la province convoqués par le métropolitain sont obligés de se trouver au concile, canon xl. du concile de Laodicée ; & ce concile en donne une raison qui mérite d'être remarquée, savoir que les évêques qui négligent de le faire paroissent s'accuser eux-mêmes, c'est-à-dire avoir été détournés d'aller au concile par les remords de leur conscience, qui leur font craindre qu'on n'y découvre les fautes qu'ils ont commises, & qu'on ne leur inflige la peine qui leur est dûe. Le canon vj. du concile de Chalcédoine prescrit la même chose ; & il ajoûte que ceux qui ne s'y trouveront pas subiront l'admonition de la charité fraternelle. Les conciles d'Afrique ont été plus séveres, comme il paroît par le canon xxj. du quatrieme concile de Carthage, & le canon x. du cinquieme. Suivant ces canons, ceux qui n'auront point eu d'obstacle légitime, ou qui n'en auront point fait mention dans la lettre circulaire, ou enfin qui n'en auront point rendu compte au primat, sont menacés de l'excommunication épiscopale. Nous l'appellons épiscopale, parce qu'il ne s'agit point ici d'une véritable excommunication qui retranche le coupable de la communion des fideles & du corps de l'Eglise, ou le prive de la participation des sacremens ; mais d'une sorte d'excommunication qui étoit en usage alors entre les évêques ; de façon que celui qui l'avoit encourue ne communioit avec aucun évêque, si ce n'étoit dans l'étendue de son diocèse ; lett. 209. de S. August. n. 8. & pour me servir des termes du canon x. du cinquieme concile de Carthage, il devoit se contenter de la communion de son église. Nous avons un exemple de cette espece d'excommunication dans la lettre 40 (nouv. édit. 60e) de saint Léon, adressée à Anatole de Constantinople. Ce pape ordonne dans cette lettre que les évêques qui auront eu part au faux concile d'Ephese, se restreignent à la communion de leur église. Nous en trouvons un autre exemple dans le canon lxxxvij. du code des canons de l'église d'Afrique, dans l'affaire de Quodvultdeus : Placuit, dit le canon, omnibus episcopis ut nullus ei communicet, donec causa ejus terminum sumat.

L'église gallicane a tenu une conduite aussi rigoureuse à l'égard des évêques qui manquoient de venir au concile de leur province, canon xvij. du concile d'Arles, l'an 452. Cette sévérité s'est étendue à ceux qui abandonnoient le concile avant qu'il fût terminé, canon xxxv. du concile d'Agde, l'an 506. Ce qui a pareillement été statué dans le premier canon du deuxieme & troisieme concile de Tours. L'Espagne a embrassé la même discipline dans ses conciles, & on y a décidé que l'évêque qui étant averti par son métropolitain négligeroit de venir au concile, seroit privé jusqu'à la tenue du concile suivant de la communion de tous les évêques, canon vj. du concile de Tarragone, l'an 516. Les causes qui peuvent dispenser un évêque mandé au concile de s'y trouver, sont exprimées dans ces différens conciles : telles sont l'urgente nécessité, l'âge avancé, l'infirmité habituelle, la maladie, les ordres du roi qui retiennent l'évêque dans un autre endroit.

Les conciles provinciaux, suivant le canon v. du concile de Nicée, se tenoient deux fois tous les ans ; une fois au printems, une fois à l'automne. Le premier devoit se tenir avant le carême, afin, dit le concile, que toute animosité étant effacée, on présente à Dieu une offrande pure. Ce canon a été longtems en vigueur ; & il n'étoit pas difficile de l'observer, parce que le nombre des évêques étoit grand sous chaque métropolitain, ensorte qu'ils pouvoient venir tour-à-tour, leurs confreres résidant pendant ce tems-là, & prenant soin de l'église des absens. Les conciles furent négligés dans la suite : les évêques les moins zélés craignoient la fatigue & la dépense de ces fréquens voyages ; & vers le viij. siecle on se réduisit à les obliger de tenir au moins un concile par an ; c'est l'ordonnance du concile de Trulle, qui fut confirmée par le septieme & le huitieme concile oecuménique. En Occident les conciles provinciaux furent rares sous la seconde race de nos rois, tant à cause des assemblées d'état qui se tenoient deux fois par an, & où tous les évêques étoient obligés de se trouver, qu'à cause des guerres civiles, des incursions des Normands qui infesterent le royaume depuis Charles-le-Chauve, & de la division des petits seigneurs qui fut un nouvel obstacle. Ainsi dans le onzieme & douzieme siecle on ne tint presque pas de ces conciles. Néanmoins Innocent III. au concile de Latran renouvella la regle des conciles annuels, mais elle fut mal observée. Dans le siecle suivant un concile de Valence en Espagne les ordonna seulement tous les deux ans, jusqu'à ce qu'enfin le concile de Bâle réduisit à trois ans l'obligation de les tenir ; ce que le concile de Trente a confirmé sous les peines portées par les canons. En France l'édit de Melun, celui de 1610, & une déclaration de 1646, ont ordonné l'exécution du decret du concile de Trente. Des lois aussi sages ont été sans aucun fruit & n'ont pû faire revivre la coûtume de célébrer, sinon tous les trois ans, du moins fréquemment, des conciles provinciaux. De nos jours il ne s'en est point tenu d'autre que celui d'Embrun en 1728, où un des prélats les plus distingués parmi les appellans de la constitution Unigenitus, fut condamné, suspendu des fonctions d'évêque & de prêtre, & réduit à la communion laïque.

Les conciles diocésains, qu'on appelle proprement synodes, suivant l'usage moderne, sont ceux qui sont célébrés par chaque évêque, & composés des abbés, des prêtres, diacres, & autres clercs de son diocèse. Le canon vj. du seizieme concile de Tolede nous apprend la raison pour laquelle on tient ces sortes de conciles ; c'est afin, dit-il, que l'évêque notifie à son clergé & à ses oüailles tout ce qui s'est passé & tout ce qui a été décidé au concile provincial ; & l'évêque qui manque à ce devoir est privé de la communion pendant deux mois. Mais quoique les conciles provinciaux ne soient plus en usage, néanmoins on tient encore les synodes, & on doit les célébrer tous les ans dans chaque diocèse ; c'est-là principalement que les prélats veillent à réformer ou à prévenir les abus.

Nous n'en dirons pas davantage sur les conciles particuliers. Au reste nous croyons n'avoir rien avancé dans tout cet article des conciles (telle a été du moins notre intention) qui ne soit conforme à l'esprit de la religion, aux maximes du royaume, & qu'on ne puisse concilier avec le vrai respect dû au saint siége. Cet article est de M. BOUCHAUD, docteur aggrégé en la faculté de Droit.


CONCILIABULE(Jurisp.) diminutif de concile, voyez CONCILE. Il se dit en général de petits conciles tenus par des hérétiques, contre les regles & les formalités ordinaires de la discipline de l'Eglise.

* CONCILIABULE, s. m. (Hist. anc.) conciliabulum, endroit d'une province où les préteurs, proconsuls, propréteurs, faisoient assembler le peuple des pays adjacens pour leur rendre la justice. On y tenoit aussi des marchés indiqués par les mêmes magistrats, & on appelloit ces lieux conciliabula, & non fora. Par la suite ce droit fut réservé aux villes municipales.


CONCLAMATIONS. f. (Hist. anc.) On appelloit ainsi le signal qu'on donnoit aux soldats romains pour plier bagage & décamper, d'où l'on fit l'expression conclamare vasa : conclamari ad arma étoit au contraire le signal de se tenir prêts à donner ; les soldats répondoient par des cris à cette conclamation. Conclamen a encore une autre acception dans les anciens auteurs latins : lorsque quelqu'un étoit mort, on l'appelloit trois fois par son nom ; & pour signifier qu'il n'avoit point répondu parce qu'il étoit décédé, on disoit, conclamatum est.

C'est dans ce sens, pris au figuré, que quelques auteurs ont dit ; de republicâ romanâ conclamatum est ; pour dire la république romaine n'est plus.


CONCLAVES. m. (Hist. mod. ecclés.) assemblée de tous les cardinaux qui sont à Rome pour faire l'élection du pape. Voyez PAPE, ELECTION, &c.

Le conclave n'a commencé qu'en 1270. Clément IV. étant mort à Viterbe en 1268, les difficultés qui survinrent à l'occasion de l'élection de son successeur, déterminerent les cardinaux à se séparer & à abandonner Viterbe. Les habitans de cette ville ayant eu connoissance de cette résolution, fermerent les portes de la ville par le conseil de S. Bonaventure : enfermerent les cardinaux dans le palais, & leur firent savoir qu'ils n'en sortiroient point que l'élection ne fût faite. C'est de-là qu'est venu la coûtume de renfermer les cardinaux dans un seul palais pour l'élection d'un pape.

Le conclave est aussi le lieu où se fait l'élection du pape. C'est une partie du palais du Vatican que l'on choisit, selon la diversité des saisons. Il est composé de salles, de chambres, & de corridors qui se rencontrent en cet endroit, & les salles & les chambres sont partagées en plusieurs petites cellules pour les cardinaux ; telle salle contiendra six chambres, & autant pour les conclavistes, & on en laisse quelques-unes de libres pour y faire du feu, desorte que les chambres des cardinaux n'ont point de cheminée : elles sont toutes meublées fort modestement, d'une même serge verte ou violette : les armes sont sur la porte des chambres, qui sont presque toutes obscures à cause que toutes les fenêtres sont murées, à la reserve du panneau d'en-haut. Il y a plusieurs officiers, comme médecins, & chaque cardinal a deux conclavistes, ou trois s'il est malade & qu'il le demande. Ils font serment de ne point révéler les secrets du conclave. On les reconnoît le lendemain de la clôture. Il y a d'autres serviteurs avec une casaque violette pour les usages communs. Les conclavistes ont tous une robe de chambre conforme. Il y a un guichet à la porte du conclave que l'on ouvre pour donner audience. Il y a cinq maîtres de cérémonies qui joüissent de ce bienfait ; chaque cardinal leur donne tous les jours deux pistoles, outre quelque plat de régal. Relation du conclave d'Alexandre VII.

Dans l'interregne, le sacré collége prétend qu'il lui est dû plus de respect qu'à la personne même du pape, parce qu'étant composé de toutes les nations chrétiennes, il représente toute la hiérarchie de l'Eglise. C'est pour cette raison que les ambassadeurs allant à l'audience du collége mettent un genou en terre, & ne se levent qu'après que le cardinal doyen leur a fait signe.

Le chef de la maison Savelli garde les clés du conclave, comme maréchal héréditaire de l'Eglise. Mais les clés du dedans sont gardées par le cardinal camerlingue & par le maître des cérémonies. Mém. de M. Amelot de la Houssaye, tome II. au mot conclave.


CONCLAVISTES. m. (Jurisprud.) est un domestique qu'un cardinal enfermé dans le conclave pour l'élection d'un pape, tient avec lui pour le servir. Chaque cardinal en peut avoir deux, & même trois s'il est prince.

Quoique la qualité de domestique présente une idée humiliante, les fonctions d'un conclaviste ne le sont pas. Ces places sont fort recherchées, & nos jeunes abbés françois de la plus haute distinction ne font pas difficulté de s'y assujettir, la connoissance du conclave étant nécessaire à un homme qui peut prétendre aux dignités ecclésiastiques les plus éminentes. Quand le conclave est fini, on leur accorde ordinairement le gratis pour les bulles d'un des bénéfices consistoriaux qu'ils pourront obtenir par la suite.


CONCLUREv. act. & neut. a plusieurs acceptions : quelquefois il est synonyme à terminer, & l'on dit terminer & conclure une affaire ; il signifie quelquefois tirer une conséquence des propositions qu'on a avancées. En Jurisprudence, c'est prendre des conclusions dans une cause, instance, ou procès. Voyez ci-après CONCLUSIONS.

Conclure en procès par écrit, ou conclure un procès, c'est passer, c'est-à-dire signer un appointement appellé appointement de conclusion sur l'appel d'une sentence rendue en procès par écrit : cet appointement porte que le procès par écrit d'entre tel & tel est reçu & conclu pour juger en la maniere accoûtumée, & que les parties sont appointées à fournir griefs, réponses, faire productions nouvelles, & icelles contredire s'il y échet, & sauf à faire collation. Cette derniere clause vient de ce qu'anciennement, lorsque les parties mettoient au greffe leur production principale, avant de conclure le procès, le greffier la collationnoit pour voir si elle étoit complete ; ce qui ne se fait plus présentement.

Congé faute de conclure, est le défaut qui est donné à l'intimé lorsque l'appellant refuse de conclure le procès par écrit. Le profit de ce défaut emporte la déchéance de l'appel, & la confirmation de la sentence.

Défaut faute de conclure, est le défaut qui est accordé à l'appellant lorsque l'intimé refuse de conclure le procès par écrit : le profit de ce défaut est que l'intimé est déclaré déchû du profit de la sentence. (A)


CONCLUSIONS. f. (Logiq.) c'est ainsi qu'on appelle la proposition qu'on avoit à prouver, & qu'on déduit des prémisses. Voyez SYLLOGISME.

On donne aussi le même nom généralement en Logique, Métaphysique, Morale, & Physique scholastique, aux différentes propositions qu'on y démontre, & aux démonstrations qu'on employe à cet effet. Ainsi l'existence de Dieu est une conclusion de Métaphysique. On intitule en ce sens les theses qui ne sont que des positions de Philosophie rédigées par paragraphes, conclusions de Philosophie, conclusiones Philosophiae.

CONCLUSION, dans l'art Oratoire, c'est la derniere partie du discours, celle qui le termine. Elle comprend elle-même deux parties, ou pour mieux dire elle a deux sortes de fonctions : la premiere consiste à faire une courte récapitulation des principales preuves ; la seconde consiste à exciter dans l'ame des juges ou des auditeurs les sentimens qui peuvent conduire à la persuasion. La premiere partie demande beaucoup de précision, d'adresse, & de discernement, pour ne dire que ce qu'il faut, & pour rappeller en peu de mots & par des tours variés l'essentiel & la substance des preuves qu'on a déployées dans le discours. Mais l'éloquence réserve sa plus grande force pour la seconde partie : c'est par le secours du pathétique qu'elle domine & qu'elle triomphe. Voyez ANACEPHALEOSE, PERORAISON, PASSION, RECAPITULATION. (G)

CONCLUSIONS, (Jurisp.) sont les fins auxquelles tend une demande formée en justice.

Un huissier prend des conclusions par un exploit de demande.

Les procureurs en prennent par des requêtes verbales & autres, même par des défenses, dires, brevets, & autres procédures ; mais au parlement où la procédure se fait plus régulierement que dans la plûpart des autres tribunaux, on ne reconnoît de conclusions valables en la forme que celles qui sont prises par une requête, & qui sont dans la derniere partie de la requête destinée à contenir les conclusions.

Les avocats prennent aussi des conclusions en plaidant & en écrivant.

Le ministere public prend pareillement des conclusions verbalement & par écrit.

Enfin il y a différentes sortes de conclusions que nous expliquerons chacune séparément.

La forme des conclusions est aussi différente, selon les divers objets auxquels elles tendent.

On peut corriger, changer, augmenter ou restreindre ses conclusions tant que les choses sont entieres, c'est-à-dire tant que la partie adverse n'en a pas demandé acte, ou qu'il ne lui a pas été octroyé.

Il y a encore un cas où l'on ne peut pas changer ses conclusions, c'est lorsqu'on s'est restreint à la somme de 100 liv. pour être admis à la preuve testimoniale ; on ne peut plus demander l'excédent lorsque la preuve est ordonnée.

Celui qui varie dans ses conclusions & qui occasionne par-là des dépens, doit les supporter comme fraix frustratoires.

CONCLUSIONS ALTERNATIVES, sont celles où l'on donne à la partie adverse l'option de deux choses qu'on lui demande.

CONCLUSIONS DES AVOCATS sont de deux sortes ; les unes qu'ils prennent en plaidant, les autres en écrivant.

Ils ne peuvent à l'audience prendre d'autres conclusions que celles qui sont portées par leurs pieces, à moins qu'ils ne soient assistés de la partie ou du procureur ; auquel cas ils peuvent prendre de nouvelles conclusions sur le barreau, qu'on appelle aussi conclusions judiciaires, parce qu'elles sont prises en jugement, c'est-à-dire à l'audience.

Anciennement au parlement de Paris les avocats ne prenoient point les conclusions des causes qu'ils plaidoient ; c'étoit le procureur qui assistoit à la plaidoirie, lequel à la fin de la cause prenoit les conclusions, & l'on n'alloit aux opinions qu'après que les conclusions avoient été prises ; c'est ce que l'on voit dans les anciens arrêts rédigés en latin, où immédiatement avant le dispositif il est dit postquam conclusum fuit in causâ.

Mais depuis long-tems il est d'usage que les conclusions se prennent au commencement de la plaidoirie, ce qui a été introduit afin que les juges connoissent tout d'abord quel est l'objet des faits & des moyens qui vont leur être exposés ; & pour faciliter l'expédition des affaires, on a dispensé les procureurs d'assister à la plaidoirie des avocats, lesquels en conséquence prennent eux-mêmes les conclusions au commencement de la plaidoirie ; & comme en cette partie ils suppléent le procureur absent, il est d'usage qu'ils soient découverts en prenant les conclusions, au lieu qu'en plaidant ils sont toûjours couverts.

Il est néanmoins demeuré quelques vestiges de l'ancien usage, en ce que quand les juges veulent aller aux opinions avant que les plaidoiries soient finies, le président ordonne aux avocats de conclure, sur-tout pour ceux qui n'ont pas encore parlé ; & dans les causes du grand rôle, quoique les avocats prennent leurs conclusions en commençant à plaider au barreau, ils les reprennent en finissant, & pour cet effet descendent du barreau où ils plaident, dans le parquet ou enceinte de l'audience.

Les avocats prennent aussi des conclusions dans les écritures qui sont de leur ministere ; mais pour la validité de la procédure il faut qu'elles soient reprises par requête, parce que le procureur est dominus litis, & a seul le pouvoir d'engager sa partie.

CONCLUSIONS SUR LE BARREAU, sont celles que les avocats ou les procureurs prennent verbalement sur le barreau, sans qu'elles ayent été prises auparavant par requête ni par aucune autre procédure. Voyez ce qui en est dit dans l'article précédent par rapport aux avocats.

CONCLUSIONS CONDITIONNELLES, sont celles que l'on ne prend que relativement aux cas & conditions qui y sont exprimés.

CONCLUSIONS DEFINITIVES, sont celles qui tendent à la décision du fond de l'affaire, au lieu que les conclusions interlocutoires ou préparatoires ne tendent qu'à faire ordonner quelque instruction ou procédure qui paroît préalable à la décision du fond.

Le terme de conclusion définitive n'est guere usité qu'en matiere criminelle, où le ministere public après avoir donné de premieres conclusions préparatoires, en donne ensuite de définitives lorsque le procès est instruit. Ces conclusions doivent être données par écrit & cachetées, & elles ne doivent point expliquer les raisons sur lesquelles elles sont fondées. Ordonnance de 1670, tit. xxjv.

Quand ces conclusions sont à la décharge de l'accusé, elles commencent par ces mots, je n'empêche pour le roi ; & lorsqu'elles tendent à quelque condamnations, elles commencent en ces termes, je requiers pour le roi ; & si ces conclusions tendent à peine afflictive, l'accusé est interrogé sur la sellette. V. ci-après CONCLUSIONS PREPARATOIRES.

CONCLUSIONS JUDICIAIRES ou SUR LE BARREAU, voyez ci-devant CONCLUSIONS SUR LE BARREAU.

CONCLUSIONS DES GENS DU ROI, ou DU MINISTERE PUBLIC, ou DU PARQUET, ou DU PROCUREUR GENERAL, ou DU PROCUREUR DU ROI, sont celles que le ministere public prend dans les causes & procès, soit civils ou criminels, dans lesquels le roi, l'église, ou le public sont intéressés. Il y a des tribunaux où le ministere public donne aussi des conclusions dans les affaires des mineurs ; mais cela n'est pas d'usage au parlement de Paris. Voyez CONCLUSIONS DEFINITIVES & CONCLUSIONS PREPARATOIRES.

CONCLUSIONS PREPARATOIRES, sont celles qui ne tendent qu'à un interlocutoire, & à faire ordonner quelque instruction ou procédure : ce terme est principalement usité pour les conclusions prises par le ministere public avant ses conclusions définitives. Voyez CONCLUSIONS DEFINITIVES.

CONCLUSIONS PRINCIPALES, sont les premieres que l'on prend pour une partie, & dont on demande l'adjudication par préférence aux conclusions qui sont ensuite prises subsidiairement.

CONCLUSIONS SUBSIDIAIRES, sont opposées aux conclusions principales, & ne sont prises que pour le cas où le juge feroit difficulté d'adjuger les premieres : on peut prendre différentes conclusions subsidiaires les unes aux autres ; elles sont principalement usitées dans les tribunaux qui jugent en dernier ressort, parce qu'il faut y défendre à toutes fins ou événemens. (A)


CONCOMBRES. m. (Hist. nat. bot.) cucumis, genre de plante à fleurs monopétales faites en forme de cloches, ouvertes & découpées. Les unes sont stériles & n'ont point d'embrion ; les autres sont fécondes & portées sur un embrion qui devient dans la suite un fruit charnu, ordinairement fort allongé, qui est divisé en trois ou quatre loges, & qui renferme des semences oblongues. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CONCOMBRE, (Pharmac. & Diete) le concombre ordinaire est beaucoup plus employé dans nos cuisines que dans les boutiques des apothicaires : on les fait entrer dans les potages & dans différens ragoûts. La chair de ce fruit est réellement un peu alimenteuse ; mais il est peu d'estomacs à qui sa fadeur & son inertie ne devinssent nuisibles à la longue : il est vrai qu'on corrige ordinairement ces qualités par divers assaisonnemens, mais cette précaution est le plus souvent insuffisante. Voyez LEGUMES & DIGESTION.

Quelques médecins recommandent l'usage interne des concombres dans les maladies des reins & de la vessie, & sur-tout dans le calcul : mais il ne paroît pas qu'on doive compter beaucoup sur cette vertu lythontriptique ; au-moins peut-on avancer que si cette qualité est réelle, elle est assûrément très-occulte.

La pulpe de concombre appliquée extérieurement sur la tête, est fort vantée pour la phrénésie par Bartholet & Borelli.

La graine de concombre, qui est émulsive, est une des quatre semences froides. Voyez SEMENCES FROIDES.

Les concombres verds & lorsqu'ils ne sont encore gros que comme le pouce ou à-peu-près, sont appellés cornichons. Dans cet état on les conserve dans le vinaigre & le sel, ou dans la saumure, pour s'en servir dans le courant de l'année.

On mange les cornichons en salade seuls ou avec d'autres plantes ; on les fait entrer aussi dans différens ragoûts.

A ce degré d'immaturité le concombre ne peut guere passer que pour un assaisonnement, en général assez indifférent quant à l'utilité ou aux inconvéniens diétetiques, qui ne convient point cependant aux estomacs foibles & relâchés, ou peu familiarisés avec les légumes, je dirois presque avec les cornichons ; car sur cette matiere nous sommes extrèmement pauvres en préceptes généraux, & l'expérience de chaque particulier sur chaque aliment particulier est presque le seul fondement sur lequel nous puissions établir encore les lois diétetiques. Voyez DIETE, LEGUME, ASSAISONNEMENT. (b).

CONCOMBRE SAUVAGE, voyez ELATERIUM.


CONCOMITANTadj. (Gramm. & Théol.) qui accompagne ; se dit particulierement en Théologie, d'une grace que Dieu nous donne durant le cours d'une action pour la faire & la rendre méritoire. Voyez GRACE.


CONCORDANCES. f. terme de Grammaire. Ce que je vais dire ici sur ce mot, & ce que je dis ailleurs sur quelques autres de même espece, n'est que pour les personnes pour qui ces mots ont été faits, & qui ont à enseigner ou à en étudier la valeur & l'usage ; les autres feront mieux de passer à quelque article plus intéressant. Que si malgré cet avis ils veulent s'amuser à lire ce que je dis ici sur la concordance, je les prie de songer qu'on parle en anatomiste à S. Cosme, en jurisconsulte aux écoles de Droit, & que je dois parler en grammairien quand j'explique quelque terme de Grammaire.

Pour bien entendre le mot de concordance, il faut observer que selon le système commun des Grammairiens, la syntaxe se divise en deux ordres ; l'un de convenance, l'autre de régime, méthode de P. R. à la tête du traité de la syntaxe, pag. 355. La syntaxe de convenance, c'est l'uniformité ou ressemblance qui doit se trouver dans la même proposition ou dans la même énonciation, entre ce que les Grammairiens appellent les accidens des mots, dictionum accidentia ; tels sont le genre, le cas (dans les langues qui ont des cas), le nombre & la personne ; c'est-à-dire que si un substantif & un adjectif font un sens partiel dans une proposition, & qu'ils concourent ensemble à former le sens total de cette proposition, ils doivent être au même genre, au même nombre, & au même cas. C'est ce que j'appelle uniformité d'accidens, & c'est ce qu'on appelle concordance ou accord.

Les Grammairiens distinguent plusieurs sortes de concordances.

1°. La concordance ou convenance de l'adjectif avec son substantif : Deus sanctus, Dieu saint ; sancta Maria, sainte Marie.

2°. La convenance du relatif avec l'antécédent Deus quem adoramus, le Dieu que nous adorons.

3°. La convenance du nominatif avec son verbe Petrus legit, Pierre lit ; Petrus & Paulus legunt, Pierre & Paul lisent.

4°. La convenance du responsif avec l'interrogatif, c'est-à-dire de la réponse avec la demande : D. Quis te redemit ? R. Christus.

5°. A ces concordances, la méthode de P. R. en ajoûte encore une autre, qui est celle de l'accusatif avec l'infinitif, Petrum esse doctum ; ce qui fait un sens qui est, ou le sujet de la proposition, ou le terme de l'action d'un verbe. On en trouvera des exemples au mot CONSTRUCTION.

A l'égard de la syntaxe de régime, régir, disent les Grammairiens, c'est lorsqu'un mot en oblige un autre à occuper telle ou telle place dans le discours ou qu'il lui impose la loi de prendre une telle terminaison, & non une autre. C'est ainsi que amo régit, gouverne l'accusatif, & que les prépositions de, ex, pro, &c. gouvernent l'ablatif.

Ce qu'on dit communément sur ces deux sortes de syntaxes ne me paroît qu'un langage métaphorique, qui n'éclaire pas l'esprit des jeunes gens, & qui les accoûtume à prendre des mots pour des choses. Il est vrai que l'adjectif doit convenir en genre, en nombre & en cas avec son substantif : mais pourquoi ? Voici ce me semble ce qui pourroit être utilement substitué au langage commun des Grammairiens.

Il faut d'abord établir comme un principe certain, que les mots n'ont entr'eux de rapport grammatical, que pour concourir à former un sens dans la même proposition, & selon la construction pleine ; car enfin les terminaisons des mots & les autres signes que la Grammaire a trouvés établis en chaque langue, ne sont que des signes du rapport que l'esprit conçoit entre les mots, selon le sens particulier qu'on veut lui faire exprimer. Or dès que l'ensemble des mots énonce un sens, il fait une proposition ou une énonciation.

Ainsi celui qui veut faire entendre la raison grammaticale de quelque phrase, doit commencer par ranger les mots selon l'ordre successif de leurs rapports, par lesquels seuls on apperçoit après que la phrase est finie, comment chaque mot concourt à former le sens total.

Ensuite on doit exprimer tous les mots sous-entendus. Ces mots sont la cause pourquoi un mot énoncé a une telle terminaison ou une telle position plûtôt qu'une autre. Ad Castoris, il est évident que la cause de ce génitif Castoris n'est pas ad, c'est aedem qui est sous-entendu ; ad aedem Castoris, au temple de Castor.

Voilà ce que j'entens par faire la construction ; c'est ranger les mots selon l'ordre par lequel seul ils font un sens.

Je conviens que selon la construction usuelle, cet ordre est souvent interrompu ; mais observez que l'arrangement le plus élégant ne formeroit aucun sens, si après que la phrase est finie l'esprit n'appercevoit l'ordre dont nous parlons. Serpentem vidi. La terminaison de serpentem annonce l'objet que je dis avoir vû ; au lieu qu'en françois la position de ce mot qui est après le verbe, est le signe qui indique ce que j'ai vû.

Observez qu'il n'y a que deux sortes de rapports entre ces mots, relativement à la construction.

I. Rapport, ou raison d'identité (R. id. le même).

II. Rapport de détermination.

1. A l'égard du rapport d'identité, il est évident que le qualificatif ou adjectif, aussi-bien que le verbe, ne sont au fond que le substantif même considéré avec la qualité que l'adjectif énonce, ou avec la maniere d'être que le verbe attribue au substantif : ainsi l'adjectif & le verbe doivent énoncer les mêmes accidens de Grammaire, que le substantif a énoncé d'abord ; c'est-à-dire que si le substantif est au singulier, l'adjectif & le verbe doivent être au singulier, puisqu'ils ne sont que le substantif même considéré sous telle ou telle vûe de l'esprit.

Il en est de même du genre de la personne & du cas, dans les langues qui ont des cas. Tel est l'effet du rapport d'identité, & c'est ce qu'on appelle concordance.

2. A l'égard du rapport de détermination, comme nous ne pouvons pas communément énoncer notre pensée tout-d'un-coup en une seule parole, la nécessité de l'élocution nous fait recourir à plusieurs mots, dont l'un ajoûte à la signification de l'autre, ou la restreint & la modifie ; ensorte qu'alors c'est l'ensemble qui forme le sens que nous voulons énoncer. Le rapport d'identité n'exclut pas le rapport de détermination. Quand je dis l'homme savant, ou le savant homme, savant modifié détermine homme ; cependant il y a un rapport d'identité entre homme & savant, puisque ces deux mots n'énoncent qu'un même individu qui pourroit être exprimé en un seul mot, doctor.

Mais le rapport de détermination se trouve souvent sans celui d'identité. Diane étoit soeur d'Apollon ; il y a un rapport d'identité entre Diane & soeur ; ces deux mots ne font qu'un seul & même individu ; & c'est pour cette seule raison qu'en latin ils sont au même cas, &c. Diana erat soror. Mais il n'y a qu'un rapport de détermination entre soeur & Apollon : ce rapport est marqué en latin par la terminaison du génitif destinée à déterminer un nom d'espece, soror Apollinis ; au lieu qu'en françois le mot d'Apollon est mis en rapport avec soeur par la préposition de, c'est-à-dire que cette préposition fait connoître que le mot qui la suit détermine le nom qui la précede.

Pierre aime la vertu : il y a concordance ou rapport d'identité entre Pierre & aime ; & il y a rapport de détermination entre aime & vertu. En françois, ce rapport est marqué par la place ou position du mot ; ainsi vertu est après aime : au lieu qu'en latin ce rapport est indiqué par la terminaison virtutem, & il est indifférent de placer le mot avant ou après le verbe ; cela dépend ou du caprice & du goût particulier de l'écrivain, ou de l'harmonie, du concours plus ou moins agréable des syllabes des mots qui précedent ou qui suivent.

Il y a autant de sortes de rapports de détermination, qu'il y a de questions qu'un mot à déterminer donne lieu de faire : par exemple, le roi a donné, quoi ? une pension : voilà la détermination de la chose donnée ; mais comme pension est un nom appellatif ou d'espece, on le détermine encore plus précisément en ajoûtant, une pension de cent pistoles : c'est la détermination du nom appellatif ou d'espece. On demande encore, à qui ? on répond, à N. c'est la détermination de la personne à qui, c'est le rapport d'attribution. Ces trois sortes de déterminations sont aussi directes l'une que l'autre.

Un nom détermine 1°. un nom d'espece, soror Apollinis.

2°. Un nom détermine un verbe, amo Deum.

3°. Enfin un nom détermine une proposition ; à morte Caesaris, depuis la mort de César.

Pour faire voir que ces principes sont plus féconds, plus lumineux, & même plus aisés à saisir que ce qu'on dit communément, faisons-en la comparaison & l'application à la regle commune de concordance entre l'interrogatif & le responsif.

Le responsif, dit-on, doit être au même cas que l'interrogatif. D. Quis te redemit ? R. Christus : Christus est au nominatif, dit-on, parce que l'interrogatif qui est au nominatif.

D. Cujus est liber ? R. Petri : Petri est au génitif, parce que cujus est au génitif.

Cette regle, ajoûte-t-on, a deux exceptions. 1°. Si vous répondez par un pronom, ce pronom doit être au nominatif. D. Cujus est liber ? R. Meus. 2°. Si le responsif est un nom de prix, on le met à l'ablatif. D. Quanti emisti ? R. Decem assibus.

Selon nos principes, ces trois mots quis te redemit font un sens particulier, avec lequel les mots de la réponse n'ont aucun rapport grammatical. Si l'on répond Christus, c'est que le répondant a dans l'esprit Christus redemit me : ainsi Christus est au nominatif, non à cause de quis, mais parce que Christus est le sujet de la proposition du répondant qui auroit pû s'énoncer par la voix passive, ou donner quelqu'autre tour à sa réponse sans en altérer le sens.

D. Cujus est liber ? R. Petri, c'est-à-dire hic liber est liber Petri.

D. Cujus est liber ? R. Meus, c'est-à-dire hic liber est liber meus.

D. Quanti emisti ? R. Decem assibus. Voici la construction de la demande & celle de la réponse.

D. Pro praetio quanti aeris emisti ? R. Emi pro decem assibus.

Les mots étant une fois trouvés & leur valeur, aussi-bien que leur destination, & leur emploi étant déterminé par l'usage, l'arrangement que l'on en fait dans la préposition selon l'ordre successif de leurs relations, est la maniere la plus simple d'analyser la pensée.

Je sai bien qu'il y a des Grammairiens dont l'esprit est assez peu philosophique pour desapprouver la pratique dont je parle, comme si cette pratique avoit d'autre but que d'éclairer le bon usage, & de le faire suivre avec plus de lumiere, & par conséquent avec plus de goût : au lieu que sans les connoissances dont je parle, on n'a que des observations méchaniques qui ne produisent qu'une routine aveugle, & dont il ne résulte aucun gain pour l'esprit.

Priscien grammairien célebre, qui vivoit à la fin du v. siecle, dit que comme il y a dans l'écriture une raison de l'arrangement des lettres pour en faire des mots, il y a également une raison de l'ordre des mots pour former les sens particuliers du discours, & que c'est s'égarer étrangement que d'avoir une autre pensée.

Sicut recta ratio scripturae docet litterarum congruam juncturam, sic etiam rectam orationis compositionem ratio ordinationis ostendit. Solet quaeri causa ordinis elementorum, sic etiam de ordinatione casuum & ipsarum partium orationis solet quaeri. Quidam suae solatium imperitiae quaerentes, aiunt non oportere de hujuscemodi rebus quaerere suspicantes fortuitas esse ordinationis positiones, quod existimare penitus stultum est. Si autem in quibusdam concedunt esse ordinationem, necesse est etiam in omnibus eam concedere. (Priscianus de constructione, lib. XVII. sub initio).

A l'autorité de cet ancien je me contenterai d'ajoûter celle d'un célebre grammairien du xv. siecle, qui avoit été pendant plus de trente ans principal d'un fameux collége d'Allemagne.

In Grammaticâ dictionum Syntaxi, puerorum plurimum interest ut inter exponendum non modo sensum pluribus verbis utcunquè ac confusè coacervatis reddant, sed digerant etiam ordine Grammatico voces alicujus periodi quae alioqui apud autores acri aurium judicio consulentes, Rhetoricâ compositione commistae sunt. Hunc verborum ordinem à pueris in interpretando ad unguem exigere quidnam utilitatis afferat, ego ipse qui duos & triginta jam annos phrontisterii sordes, molestias ac curas pertuli, non semel expertus sum illi enim hac viâ, fixis, ut aiunt, oculis, intuentur accuratusque animadvertum quot voces sensum absolvant, quo pacto dictionum structura cohaereat, quot modis singulis omnibus singula verba respondeant ; quod quidem fieri nequit, praecipuè in longius aulâ periodo, nisi hoc ordine veluti per scalarum gradus, per singulas periodi partes progrediantur. (Grammaticae artis institutio per Joannem Susenbrotum Ravenspurgi Ludi magistrum, jam denuò accuratè consignata. Basileae, anno 1529).

C'est ce qui fait qu'on trouve si souvent dans les anciens commentateurs, tels que Cornutus, Servius, Donat, ordo est ; &c. la construction est, &c. C'est aussi le conseil que le P. Jouvenci donne aux maîtres qui expliquent des auteurs latins aux jeunes gens : le point le plus important, dit-il, est de s'attacher à bien faire la construction. Explanatio in duobus maximè constitit : 1°. in exponendo verborum ordine ac structura orationis : 2°. in vocum obscuriorum expositione. (Ratio discendi & docendi Jos. Jouvenci. S. J. Parisiis, 1725). Peut-être seroit-il plus à-propos de commencer par expliquer la valeur des mots, avant que d'en faire la construction. M. Rollin, dans son traité des études, insiste aussi en plus d'un endroit sur l'importance de cette pratique, & sur l'utilité que les jeunes gens en retirent.

Cet usage est si bien fondé en raison, qu'il est recommandé & suivi par tous les grands maîtres. Je voudrois seulement qu'au lieu de se borner au pur sentiment, on s'élevât peu-à-peu à la connoissance de la proposition & de la période ; puisque cette connoissance est la raison de la construction. Voy. CONSTRUCTION. (F)

CONCORDANCE, (Théolog.) est un dictionnaire de la bible, où l'on a mis par ordre alphabétique tous les mots de la bible, afin de les pouvoir conférer ensemble, & voir par ce moyen s'ils ont la même signification par-tout où ils sont employés. Ces sortes de concordances ont encore un autre usage, qui est d'indiquer les passages dont on a besoin, lorsqu'on ne les sait qu'en partie.

Ces dictionnaires qui servent à éclaircir bien des difficultés, & qui font disparoître les contradictions que les incrédules & les prétendus esprits forts croyent trouver dans les livres saints, sont d'une extrème utilité : aussi il n'y a guere de langues savantes dans lesquelles on n'en ait composé. Il y en a en latin, en grec, en hébreu, &c. Voyez-en le détail dans le dictionnaire de Trévoux. (G)


CONCORDATS. m. (Jurispr.) en général signifie accord, transaction ; ce terme n'est guere usité qu'en parlant d'actes fort anciens. On qualifie de concordats, quelques traités faits entre des princes séculiers ; par exemple, il y en a un du 25 Janvier 1571 pour le Barrois, passé devant deux notaires au Châtelet de Paris, entre le roi & le duc de Lorraine comme duc de Bar : néanmoins le terme de concordat est plus usité en matiere bénéficiale, pour exprimer d'anciens accords qui ont été faits pour régler la disposition ou les droits spirituels & temporels de quelques bénéfices. Ces sortes de concordats doivent être faits gratuitement, autrement ils sont symoniaques ; c'est pourquoi s'ils contiennent quelque réserve de pension ou autre droit, il faut qu'ils soient homologués en cour de Rome. Ils sont cependant bons entre ceux qui les ont passés, lesquels ne peuvent pas se faire un moyen de leur propre turpitude. Voyez Louet & Brodeau, let. C. n°. 40. & let. P. n°. 33. Duperray, de l'état & capacité des ecclésiast. tom. II. liv. IV. chap. v. pag. 137. & suiv. (A)

CONCORDAT pour la Bretagne, est la même chose que ce qu'on appelle plus communément Compact Breton. Voyez ci-devant COMPACT BRETON. (A)

CONCORDAT fait entre le pape Léon X. & le roi François I. qu'on appelle communément simplement le concordat, est un traité fait entr'eux à Boulogne en Italie, en 1516, dont le principal objet a été d'abolir la pragmatique-sanction qui fut faite sous Charles VII. à Bourges, en 1438.

Les états assemblés à Bourges par ordre de Charles VII. ayant examiné les vingt-trois decrets que le concile de Bâle avoit fait jusqu'alors, les accepterent tous, & en modifierent seulement quelques-uns : ce fut ce qui composa la pragmatique sanction, qui entr'autres choses rétablit les élections des bénéfices, prive le pape des annates, & soûtient que les conciles généraux ont le pouvoir de réformer le chef & les membres.

Depuis Charles VII. tous les papes avoient sollicité la révocation de cette pragmatique. Louis XI. y avoit consenti ; mais les lettres de révocation ne furent point vérifiées dans les parlemens. Le clergé s'opposa aussi fortement à la révocation de la pragmatique, & sur-tout les universités. Charles VIII. & Louis XII. firent observer la pragmatique, & ce fut un des sujets de différend entre Jules II. & Louis XII.

Jules II. cita ce prince au concile de Latran pour défendre la pragmatique, & étoit sur le point de la condamner lorsqu'il mourut.

François I. étant passé en Italie, en 1515, pour reprendre le duché de Milan qui lui appartenoit, & ayant pris la ville de Milan, sut par son ambassadeur, que le pape & le concile de Latran avoient décerné contre S. M. une citation finale & péremptoire, pour alléguer les raisons qui empêchoient d'abolir la pragmatique. Il résolut de traiter avec Léon X. lequel de son côté chercha à faire sa paix avec ce prince, & pour cet effet se rendit à Boulogne où ils eurent une entrevue le 11 Décembre 1515 ; après quoi François I. retourna à Milan, laissant le chancelier du Prat pour convenir des conditions du traité avec les cardinaux d'Ancone & Sanctiquattro que le pape avoit commis pour cette négociation. Le concordat fut ainsi conclu le 15 Août 1516, & inséré dans les actes du concile de Latran, comme une regle que les François devoient suivre à l'avenir en matiere ecclésiastique & bénéficiale.

Ce traité ne parle point de l'autorité des conciles. La pragmatique-sanction fut abolie, non pas en entier, mais le nom de pragmatique qui étoit odieux aux papes fut aboli, aussi-bien que les articles qui étoient contraires aux prétentions des papes. La plûpart des autres articles ont été conservés.

Le concordat est divisé en douze rubriques ou titres.

Le premier abolit les élections des évêques, abbés, & prieurs conventuels, qui étoient vraiment électifs, & accorde au pape le droit d'y pourvoir sur la nomination du roi ; & dit que quand ces mêmes bénéfices vaqueront en cour de Rome, le pape y pourvoira sans attendre la nomination du roi.

Le second abolit les graces expectatives, spéciales, ou générales ; & les réserves pour les bénéfices qui vaqueront, sont abolies.

Le troisieme établit le droit des gradués.

Le quatrieme réserve à chaque pape la faculté de donner un mandat apostolique, afin de pourvoir d'un bénéfice sur un collateur qui aura dix bénéfices à sa collation ; & il est dit que dans les provisions des bénéfices, on exprimera leur vraie valeur ordinaire.

Le cinquieme ordonne que les causes & appellations soient terminées sur les lieux par les juges qui ont droit d'en connoître par coûtume ou privilége, excepté les causes majeures qui sont dénommées dans le droit ; & pour les appellations de ceux qui sont soûmis au S. siége, il est dit que l'on commettra des juges sur les lieux jusqu'à la fin du procès.

Les 6e, 7e, 8e, 9e, 10e titres qui traitent des possesseurs paisibles, des concubinaires, des excommuniés, des interdits, de la preuve que l'on peut tirer de ce qui est énoncé dans les lettres ou bulles du pape, sont conformes à ce qui est porté par la pragmatique-sanction.

Le onzieme titre est pour l'abolition de la Clémentine litteris.

Et le dernier est pour assûrer l'irrévocabilité du concordat.

Le pape envoya à François I. la révocation de la pragmatique & le concordat, & demanda que ces deux actes fussent enregistrés par les parlemens de France. Le roi ne voulut pas que l'on publiât la révocation de la pragmatique ; mais il alla lui-même au parlement de Paris pour y faire enregistrer le concordat, ce que le parlement refusa alors de faire : il y eut aussi de fortes oppositions du clergé & de l'université.

Les motifs des oppositions étoient les inconvéniens que l'on trouvoit dans l'abolition des élections, l'évocation des causes majeures à Rome, & dans l'obligation d'exprimer la vraie valeur des bénéfices dans les provisions.

Ces motifs furent expliqués dans des remontrances, & envoyés au roi : mais le chancelier du Prat répondit que si l'on n'avoit pas fait le concordat, la pragmatique n'auroit pas moins été révoquée par le concile ; que la nomination du roi aux grands bénéfices n'étoit pas un droit nouveau, que nos rois en avoient joüi sous les deux premieres races ; que le roi nommoit presque toûjours aux évêchés : le droit de nomination qui étoit d'abord commun à tous les fideles, ne s'exerçant pas bien en commun, passa au souverain comme ayant le gouvernement de l'état, dont l'Eglise fait partie.

En conséquence le roi n'eut point d'égard aux remontrances du parlement ; il envoya par le seigneur de la Tremoille un ordre précis au parlement d'enregistrer le concordat sans délibérer davantage : ce qui fut fait enfin le 22 Mars 1517, mais avec protestation que c'étoit du très-exprès commandement du roi réitéré plusieurs fois, & que l'on continueroit d'observer la pragmatique.

En effet, dans les contestations qui se présenterent ensuite concernant les nominations aux évêchés & abbayes, le parlement jugeoit suivant la pragmatique ; au contraire, le grand-conseil auquel Louise de Savoie, régente du royaume pendant la prison de François I. renvoya ces causes, les jugeoit suivant le concordat : c'est pourquoi le roi, lorsqu'il fut de retour, par une déclaration de 1527, attribua pour toûjours la connoissance de ces sortes de matieres au grand-conseil ; ce qui contribua beaucoup à augmenter cette jurisdiction.

Par diverses bulles postérieures au concordat, les dispositions par rapport à l'expression de la valeur des bénéfices & aux mandats, furent révoquées ; la nomination du roi fut étendue, même aux évêchés & abbayes qui avoient privilége d'élire.

Le parlement, le clergé, & les états assemblés, ont fait de tems en tems diverses instances pour le rétablissement des élections ; on a même fait longtems des prieres publiques, pour demander à Dieu l'abolition du concordat : mais le concordat est demeuré dans le même état, & est présentement observé sans aucune contradiction.

Dans les pays conquis & autres qui ont été réunis à la France postérieurement au concordat, le roi nomme aux bénéfices en vertu d'indults particuliers qui ont été accordés en divers tems par les papes.

Plusieurs auteurs ont écrit contre le concordat & contre le chancelier du Prat, avec lequel il fut conclu.

Il faut néanmoins convenir, comme l'observe M. le président Henaut, que les annates contre lesquelles on s'est beaucoup récrié, n'ont point été établies par le concordat, mais par une bulle qui suivit de près ; & elles furent depuis restreintes aux bénéfices consistoriaux : qu'à l'égard du concordat, il est juste en ce que pour la nomination aux grands bénéfices, il n'a fait que rendre au roi un droit dont ses prédécesseurs avoient long-tems joüi ; que nos rois ayant fondé la plûpart des grands bénéfices, la collation doit leur en appartenir ; que c'est au roi à exercer les droits qu'exerçoient les premiers fideles, & qu'ils lui ont remis lorsque l'Eglise a été reçue dans l'état pour prix de la protection que le roi accordoit à la religion ; que les élections étant devenues une simonie publique, les grands siéges étoient souvent remplis par des gens de néant peu propres à gouverner ; & qu'à choses égales, il vaut mieux que ce soit la noblesse. Voyez les historiens de France aux années 1515 & suivantes ; le texte du concordat, & le commentaire de Rebuffe, & les traités de Genebrard & Dupuy. (A)

CONCORDAT entre Sixte IV. & Louis XI. est un accord qui fut fait entr'eux en 1472. Il est rapporté dans les extravagantes communes, chap. j. de trenga & pace, ch. j. & commence par ces mots : ad universalis ecclesiae. Par ce concordat Sixte IV. voulant pacifier les dissentions qui subsistoient entre la cour de Rome & la France, à l'occasion de la pragmatique-sanction, donna aux collateurs ordinaires six mois libres pour conférer les bénéfices ; savoir, Février, Avril, Juin, Août, Octobre & Décembre, au lieu qu'ils n'avoient auparavant que quatre mois libres, pendant lesquels ils n'étoient pas sujet aux graces expectatives ; il se réserva néanmoins la faculté d'accorder six graces ; il se réserva aussi jusqu'à un certain tems la disposition des bénéfices de France, possédés par les cardinaux & par leurs familiers ; il fit aussi quelques réglemens sur le jugement des causes & appellations, & ordonna que les taxes faites par Jean XXII. pour les bénéfices seroient observées ; mais ce concordat ne fut pas exécuté : le procureur général de Saint-Romain s'y opposa comme étant contraire aux decrets des conciles de Constance & de Basle, selon la remarque & note marginale de Dumolin sur l'extravag. ad universalis, sur le mot proh. dolor. Voyez les notes sur les indults, par Pinson, tome I. p. 32. (A)

CONCORDAT GERMANIQUE, est un accord fait en 1447 entre le légat du saint siége, l'empereur Fréderic III. & les princes d'Allemagne, pour raison des églises, monasteres & autres bénéfices d'Allemagne, confirmé par le pape Nicolas V.

Par ce concordat, le pape se réserve tous les bénéfices mentionnés dans les extravagantes execrabilis 4. & ad regimen 13. aux modifications suivantes.

1°. Il conserve ou plûtôt il rétablit la liberté des élections dans les églises cathédrales, métropolitaines & monasteres, & s'oblige de les confirmer ; à moins que pour de justes causes & de l'avis des cardinaux, il ne fût nécessaire de pourvoir un sujet plus digne & plus capable.

2°. Il laisse les confirmations des élections, dans l'ordre commun aux supérieurs, & promet qu'il ne disposera point des prélatures des moniales, à moins qu'elles ne soient exemptes, auquel cas même il n'en disposera que par commission ad partes.

3°. Il abolit les expectatives pour tous les autres bénéfices inférieurs, & en donne aux ordinaires la libre disposition pendant six mois, semblable à l'alternative des évêques de Bretagne.

4°. Si dans les trois mois du jour que la vacance sera connue, le pape n'a pas pourvû pendant les mois qu'il s'est réservé, il sera permis à l'ordinaire de pourvoir.

5°. Il est dit que le tems pour accepter cette alternative commencera à courir à l'égard du pape, à compter du premier Juin lors prochain ; & durera à l'avenir, s'il n'en est autrement ordonné du consentement de la nation germanique dans le prochain concile.

6°. Les fruits de la premiere année des bénéfices vacans seront payés par forme d'annate, suivant la taxe délivrée par la chambre, appellée communs services.

7°. Que si les taxes sont excessives, elles seront modérées, & qu'à cet effet il sera nommé des commissaires qui informeront de la qualité des choses, des circonstances, des tems & des lieux.

8°. Que les taxes seront payées moitié dans l'an du jour de la possession paisible, & l'autre dans l'année suivante ; & que si le bénéfice vaque plusieurs fois dans une année, il ne sera néanmoins dû qu'une seule taxe.

9°. Que celle des autres bénéfices inférieurs se payera pareillement dans l'an de la possession paisible ; mais qu'on ne payera rien pour les bénéfices qui n'excéderont point vingt-quatre florins ou ducats d'or de la chambre.

Enfin ce concordat veut que pour l'observation de ce qui est réglé, l'Allemagne proprement dite ne soit point distinguée de la nation germanique en général.

Il y eut en 1576 une déclaration du pape Grégoire XIII. au sujet de la reversion du droit de conférer, en cas que le pape n'ait pas pourvû dans les trois mois, par laquelle il est dit que les trois mois commencent du jour que la vacance est connue au saint siége.

Le bénéfice doit être obtenu dans les trois mois, & conféré par le saint siége ; mais il faut que la publication soit faite dans les trois mois du jour de la vacance, comme dans le lieu du bénéfice.

L'empereur Maximilien ordonna en 1518, que ce concordat seroit reçû à Liege ; & Charles-Quint par édit de Février 1554 en ordonna l'exécution dans l'église de Cambrai.

L'église de Metz est aussi comprise sous ce concordat, en vertu d'un indult ampliatif.

Il y a eu de semblables indults accordés par differens papes, pour d'autres églises, dont il est fait mention dans le recueil des principales décisions sur les bénéfices, par Drapier, tome II. ch. xxij. p. 234. les oeuvres de Cochin, tome I. 5. consultation. (A)

CONCORDAT TRIANGULAIRE, est un accord fait entre trois bénéficiers, par lequel le premier résigne son bénéfice au second ; celui-ci résigne un autre bénéfice à un troisieme bénéficier, lequel en résigne aussi un en faveur du premier des trois résignans : ces cercles de résignations qu'on appelle concordats triangulaires, ne sont point considérés comme des permutations canoniques, parce que chacun des résignans reçoit bien un bénéfice, mais il ne le tient pas de celui auquel il résigne le sien. Il se fait aussi de ces concordats quatriangulaires, c'est-à-dire entre quatre bénéficiers. Souvent ces concordats ne sont point portés à Rome, mais en conséquence chacun des résignans passe une procuration que l'on se contente de faire admettre en cour de Rome, ce qui ne suffit pas.

En effet, ces sortes de concordats ne sont point licites ; c'est une espece de simonie, quae ex pacto oritur, à moins que pour des considérations particulieres ils ne soient admis en cour de Rome. Le concile de Malines tenu au commencement de ce siecle les a réprouvés. Les docteurs les appellent des contrats innomés, & tous les docteurs françois, espagnols, italiens les condamnent. Gonzales dit que de son tems le pape les rejettoit, & n'en admettoit aucun, ainsi qu'il l'assûre sur la regle de mensibus & alternativâ, & il y a des arrêts qui les ont proscrits : ils ne peuvent donc avoir leur effet, à moins qu'ils n'ayent été admis en cour de Rome, & non pas seulement les procurations. Voyez Duperray, de l'état & capacité des ecclésiastiq. tom. II. liv. IV. ch. v. pag. 152. (A)

CONCORDAT VENITIEN, est un accord fait entre le pape & la république de Venise, pour la nomination des principaux bénéfices de cet état ; ce concordat est à-peu-près semblable à celui qui fut fait entre Leon X. & François I. Voyez Thuana, p. 354. (A)


CONCORDES. f. déesse : les Grecs l'adoroient sous le nom de . Elle avoit un culte à Olimpie ; les Romains lui éleverent un temple superbe dans la huitieme région, à la persuasion de Camille, lorsqu'il eut rétabli la tranquillité dans la ville. Ce temple fût brûlé, & le sénat & le peuple le firent réédifier. Tibere l'augmenta & l'orna : on y tenoit quelquefois le conseil ou les assemblées du sénat ; il en reste encore des vestiges, entr'autres sept colonnes très-belles avec leurs chapiteaux ; on doute cependant qu'elles ayent appartenu à ce temple. La Concorde avoit encore deux autres temples, l'un dans la troisieme région, & l'autre dans la quatrieme. On célébroit sa fête le 16 Janvier, jour auquel on avoit fait la dédicace de son temple. Elle étoit représentée en femme en longue draperie, entre deux étendarts, quand elle étoit militaire ; mais la Concorde civile étoit une femme assise, portant dans ses mains une branche d'olivier & un caducée, plus ordinairement une coquille & un sceptre, ou une corne d'abondance dans la main gauche. Son symbole étoit les deux mains unies, ou plus simplement le caducée.

CONCORDE, (le pays de la) Géog. mod. les Hollandois le nomment t'land van eendracht ; c'est un pays sur la côte des terres australes, sous le tropique du capricorne, au midi de l'île de Java.


CONCORDIA(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au duché de la Mirandole, sur la Sechia. Long. 28. 34. lat. 44. 51.


CONCOURANTES(PUISSANCES) Méchaniq. sont celles dont les directions concourent, c'est-à-dire ne sont point paralleles, soit que les directions de ces puissances concourent effectivement, soit qu'elles tendent seulement à concourir, & ne concourent en effet qu'étant prolongées. On appelle aussi puissances concourantes celles qui concourent à produire un effet, pour les distinguer des puissances opposées, qui tendent à produire des effets contraires. Voyez PUISSANCES CONSPIRANTES. (O)


CONCOURIROn dit en Géométrie que deux lignes, deux plans concourent, lorsqu'ils se rencontrent & se coupent, ou du moins lorsqu'ils sont tellement disposés qu'ils se rencontreroient étant prolongés. Voyez CONCOURS. (O)


CONCOURSterme de Géométrie. Point de concours de plusieurs lignes, est le point dans lequel elles se rencontrent, ou dans lequel elles se rencontreroient, si elles étoient prolongées. Point de concours de plusieurs rayons. Voyez FOYER. (O)

CONCOURS, s. m. (Métaphysiq.) Le concours est l'action réciproque de différentes personnes, ou choses, agissant ensemble pour un même effet & pour une même fin. Les scholastiques distinguent deux sortes de concours, le médiat, & l'immédiat ; le premier qui consiste à donner le pouvoir, ou la faculté d'agir ; le second qui est l'influence contemporaine de deux causes pour produire un effet ; ainsi l'ayeul concourt médiatement à la production du petit-fils, parce qu'il a donné au pere la puissance d'engendrer : mais le pere concourt, immédiatement avec la mere pour le produire. On convient généralement que Dieu concourt médiatement avec toutes les créatures, pour les rendre capables d'agir : nous ne pensons, nous ne parlons, & nous n'agissons que parce que Dieu nous en a donné la faculté ; & sans cette providence contre laquelle les impies s'élevent, ils seroient encore dans le néant, & la terre ne seroit pas chargée du poids de ces ingrats. Mais on dispute dans les écoles, si le concours médiat est suffisant, & s'il n'est pas de plus nécessaire qu'elle concoure immédiatement avec les créatures par une nouvelle influence, pour la production de chaque acte, de la même maniere que le pere concourt avec la mere pour la production de l'enfant. Le torrent des scholastiques est pour l'affirmative. Durand de S. Portien évêque de Meaux, assez hardi pour le tems où il écrivoit, & d'autant plus hardi que tous les esprits étoient subjugués, se déclara pour le concours médiat ; voici les raisons sur lesquelles il appuie son sentiment. Si Dieu concouroit immédiatement avec les créatures, ou ce seroit par la même action numérique, ou ce seroit par une action différente ; on ne peut dire ni l'un ni l'autre. 1°. Ce n'est point par la même action numérique que Dieu concourt avec les créatures, parce que la même action numérique ne peut émaner de deux agens, à moins qu'elles n'ayent la même faculté numérique, telle qu'elle est dans le Pere & dans le Fils qui produisent le Saint-Esprit par la même aspiration numérique. En second lieu, Dieu ne concourt point par une action qui lui seroit personnelle ; car ou l'action de Dieu précéderoit l'action de la créature, ou elle en seroit précédée, ou ces deux actions seroient simultanées. Si l'action de Dieu précede l'action de la créature, il ne reste donc rien à faire pour la créature ; de même si c'est l'action de la créature qui précede celle de Dieu, l'influence de Dieu est inutile, parce que l'effet est produit par l'action qui précede, soit que cette action vienne de Dieu, soit qu'elle appartienne à la créature. Enfin si deux actions sont simultanées, l'une des deux devient inutile, parce qu'une seule suffit pour produire l'effet. Voilà apparemment ce que nieront les auteurs qui soûtiennent le concours immédiat ; ils en fondent la nécessité sur le souverain domaine que Dieu a sur toutes les créatures, & plus encore sur la conservation qui, selon eux, est une création continuée. Voici comme ils raisonnent. La conservation étant une création continuée, Dieu est obligé de produire des substances dans tous les instans. Or Dieu ne peut pas produire des substances, qu'il ne les produise revêtues de leur modification ; il ne les produit pas sans-doute comme des êtres sans formes & comme des especes, ou quelqu'autre des universaux de Logique. Or parmi les modifications dont les substances sont doüées, on y doit comprendre tous les actes par lesquels elles se modifient : donc Dieu les produit immédiatement avec les créatures : donc il faut admettre le concours immédiat. Mais ce sentiment paroît blesser la liberté, c'est du-moins la conséquence que tire M. Bayle ; jugez s'il est conséquent dans son raisonnement. Il me semble, dit cet auteur, qu'il en faut conclure que Dieu a fait tout ce qui n'avoit point dans toutes les créatures, des causes premieres, secondes, & même occasionnelles, comme il est aisé de le prouver ; car en ce moment où je parle, je suis tel que je suis avec mes circonstances, avec telle pensée, avec telle action, assis ou debout : que si Dieu m'a créé au commencement tel que je suis, comme on doit nécessairement le dire dans ce système, il m'a créé avec telle pensée, telle action, tel mouvement, & telle détermination ; on ne peut dire que Dieu m'a créé existant, qu'il ne produise avec moi mes mouvemens & mes déterminations. Cela est incontestable pour deux raisons. La premiere est que quand il me crée & me conserve à cet instant, il ne me conserve pas comme un être sans forme, comme une espece, ou quelqu'autre des universaux de Logique ; je suis un individu, il me crée & me conserve comme tel, étant tout ce que je suis dans cet instant. M. Bayle pousse encore davantage cette objection. Quoi, dit-il, rejetterons-nous la subsistance continue des créatures à cause des fâcheuses conséquences ? Sont-elles à comparer avec celles dont nous venons de parler ci-dessus ? L'hypothese de ces gens-là est une pure imagination inconcevable.

Il vient au concours immédiat, qui est une suite de la création sans-cesse renouvellée, & dit que si on veut que Dieu soit l'auteur immédiat de toutes les déterminaisons & de toutes les fonctions, il sera vrai aussi que nous serons de purs automates, de simples sujets purement passifs, & incapables d'aucun penchant, ni d'aucune détermination ; & si cela est, que deviendra le péché ? Car enfin qu'il soit néant tant qu'il voudra, l'homme ne sera néant que par son inaction qui lui est essentielle, & Dieu ne lui peut demander compte du mauvais usage d'une faculté qu'il ne lui a jamais donnée ; ainsi ce sentiment n'est pas compatible avec l'idée la plus saine qu'on puisse avoir du péché.

Telles sont les objections de M. Bayle contre le concours immédiat. Il est certain que quelque système qu'on suive sur cet article, il restera toûjours de l'obscurité ; mais il est encore plus certain que la toute-puissance de Dieu & la liberté de l'homme sont deux vérités incontestables.

Le système qui attribue aux ames le pouvoir de remuer les corps, outre qu'il n'est pas chargé de fâcheuses conséquences, est un sentiment si naturel & si général, qu'on ne devroit point s'y opposer, à moins qu'il ne fût combattu par des raisons convaincantes, ou prises de la question en elle-même, ou prises de la gloire de Dieu. Mais, dira-t-on, nous ne pouvons concevoir comment une ame qui est intelligente, peut remuer la matiere qui est une substance étendue. Mais conçoit-on mieux le concours ? D'ailleurs est ce une raison suffisante pour nier une chose, de dire je ne la conçois pas ? Savez-vous comment l'ame forme ses volitions ? Vous ne la dépouillerez pas sans-doute de ce pouvoir, à moins que vous n'en fassiez une simple machine.

Les anges sont appellés dans l'Ecriture les exécuteurs de la loi divine. Quand Dieu envoya l'ange exterminateur qui fit mourir tous les premiers nés d'Egypte, dans la supposition que Dieu est le principe de l'activité des intelligences & du mouvement du corps, que faisoit cet ange ? son dessein étoit de tuer tous les premiers nés, il venoit de l'ordre de Dieu immédiatement ; l'action physique qui fit mourir les premiers nés n'en venoit pas moins ; c'étoit donc Dieu qui agissoit alors immédiatement ; encore un coup, qu'y faisoit la présence de l'ange ? Saint Paul nous dit que la loi a été donnée par le ministere des anges ; si les intelligences n'ont aucun pouvoir de remuer la matiere, ce fut Dieu lui-même qui immédiatement fit paroître ces éclairs, ces tonnerres, cette voix éclatante qui a prononcé la loi ; les démons même sont représentés comme ayant le pouvoir de remuer la matiere : ferez-vous intervenir Dieu dans toutes les actions machinales du démon ? sera-ce Dieu qui, à l'occasion des possédés, les obligera à se jetter sur les passans ? Si cela est, lorsque le diable par des prestiges tente tous les hommes, ce sera par le ministere de Dieu même, puisque c'est le prestige qui séduit les hommes. Voici toutes les conséquences que je tire de tout ce que je viens de dire. Si les intelligences qui ne sont pas réunies à la matiere ont le pouvoir de la remuer, pourquoi le refuser à l'ame ? Une autre conséquence qui suit de ce principe, est que le concours immédiat, la prémotion physique, & la création renouvellée, tombent par-là, se détruisent & renversent deux partis, qui ne sachant pas garder un juste milieu, tombent dans ces excès sous prétexte de mieux combattre les propositions de leurs adversaires. On peut encore presser ainsi les défenseurs du concours immédiat : votre concours immédiat est ou simultané, ou prévenant ; il n'y a point-là de milieu : or il ne peut être ni l'un ni l'autre. Il ne peut être simultané ; car en quoi consiste le concours simultané ? n'est-ce pas dans deux causes paralleles, qui ne tirant leur force & leur activité que d'elles-mêmes, agissent de concert pour produire le même effet, de maniere pourtant que l'effet soit divisé & partagé entr'elles ? Or ceci ne peut avoir lieu dans l'hypothese du concours immédiat ; 1°. parce que les créatures étant subordonnées à Dieu, tirent de lui toutes leurs forces & toute leur activité ; 2°. parce que les actions des créatures étant spirituelles & par-là simples & indivisibles, si Dieu les produit par l'influence qu'il verse dans les créatures, il faut nécessairement qu'il les produise toutes entieres ; deux conséquences qui renversent absolument le concours immédiat. Il reste donc que le concours immédiat soit prévenant ou déterminant. Or ce concours se confond avec la prémotion physique, & par conséquent il doit être enveloppé dans ses ruines. Voyez l'article PREMOTION.

CONCOURS, (Jurispr.) en matiere civile, se dit lorsque plusieurs personnes prétendent chacune avoir droit au même objet.

Le concours de priviléges attributif de jurisdiction opere que si l'un des priviléges est plus fort que l'autre, le premier l'emporte ; s'ils sont égaux, ils se détruisent mutuellement : c'est ce que l'on dit communément, que concursu mutuo se se impediunt partes.

Plusieurs actions peuvent concourir en faveur du créancier pour une même créance ; il peut avoir l'action personnelle jointe à l'hypothécaire, & dans ce cas elle dure quarante ans.

En cas de concours de priviléges entre créanciers, si les priviléges ne sont pas égaux, les plus favorables passent les premiers, chacun selon leur rang ; s'ils sont égaux, les créanciers viennent par contribution. Il en est de même en cas de concours d'hypotheques, ou de saisies qui sont du même jour. Voyez CONCURRENCE, CREANCIER, PRIVILEGE, SAISIE.

CONCOURS, en matiere bénéficiale, arrive de deux manieres différentes ; savoir lorsqu'un collateur a donné le même bénéfice à deux personnes le même jour & sur le même genre de vacance, ou lorsque deux collateurs différens ont pourvû en même tems.

Au premier cas, c'est-à-dire quand les provisions sont du même collateur, & que l'on ne peut justifier par aucune circonstance laquelle des deux est la premiere, les deux provisions se détruisent mutuellement, suivant la maxime qui a été rapportée ci-devant en parlant du concours de priviléges.

Il en seroit de même de deux signatures ou provisions de cour de Rome ; & l'on ne donne pas plus de privilége en France à celles qui sont émanées du pape même, qu'à celles qui sont faites par le chancelier ou vice-chancelier.

Une signature ou provision nulle ne fait pas de concours ; mais il faut que la nullité soit intrinseque à la provision.

Pour ne pas tomber dans l'inconvénient du concours dans les vacances, par mort ou par dévolut, il est d'usage de retenir en cour de Rome plusieurs dates, afin que si plusieurs impétrans ont obtenu des provisions du même jour & sur un même genre de vacance, on puisse enfin en obtenir sur une date pour laquelle il n'y ait point de concours.

En cas de concours entre le pape & l'ordinaire, le pourvû par l'ordinaire est préféré.

De deux pourvûs le même jour, l'un par l'évêque, l'autre par son grand-vicaire, le premier est préféré ; mais si le pourvû par le grand-vicaire a pris possession le premier, il sera préféré. Quelques auteurs sont néanmoins d'avis que le pourvû par l'évêque est toûjours préféré. Cap. si à sede de praebend. in 6°. Pastor, lib. II. tit. xvij. Chopin, de sacrâ polit. lib. l. tit. vj. Bouchel, somm. bénéf. verbo prise de possession. Castel, defin. can. au mot concours. Brodeau sur Loüet, let. M. n. 10. Papon, Rebuffe, Gonzales, Drapier des bénéf. tome I. ch. x.

CONCOURS POUR LES CURES, est en quelques provinces un examen que l'évêque ou les commissaires par lui nommés font de tous ceux qui se présentent pour remplir une cure vacante, à l'effet de connoître celui qui en est le plus digne & le plus capable.

Il se pratique dans les évêchés de Metz & de Toul, lorsqu'une cure vient à vaquer au mois du pape ; l'évêque fait publier dans la ville de son siége le jour auquel il y aura concours, & l'heure à laquelle il commencera.

Le concours fini, l'évêque donne acte au sujet qu'il estime le plus capable, soit sur sa propre connoissance ou sur le rapport de ceux qu'il a commis pour assister au concours ; & sur cet acte, celui qui est préféré obtient sans difficulté des bulles en cour de Rome, pourvû qu'il ne s'y trouve d'ailleurs aucun empêchement.

Si l'évêque laissoit passer quatre mois sans donner le concours, la cure seroit impétrable en cour de Rome.

Ce concours avoit aussi lieu autrefois en Artois ; mais depuis que cette province a été réunie à la couronne, il y a été aboli par arrêt du 12 Janvier 1660.

Autrefois pour les cures de Bretagne, le concours se faisoit à Rome ; mais par une bulle de Benoît XIV. revêtue de lettres patentes dûement enregistrées au parlement de Bretagne, & suivie d'une déclaration du roi du 11 Août 1742, le concours doit se faire devant l'évêque diocésain, & six examinateurs par lui choisis, dont deux au moins doivent être gradués ; & tous doivent remplir ce ministere gratuitement. Le concours doit être ouvert dans les quatre mois de la vacance de la cure. Les originaires de la province sont seuls admis au concours ; & en cas d'égalité de mérite, les originaires du diocèse où est la cure doivent être préférés. Nul n'est admis au concours d'une cure vacante, qu'il n'ait exercé les fonctions curiales pendant deux années au moins en qualité de vicaire ou dans une place équivalente, ou qu'il n'ait pendant trois ans travaillé au ministere des ames ; & si l'aspirant est d'un autre diocèse que celui où est la cure, il faut qu'il prouve quatre ans de service. Les évêques peuvent néanmoins accorder des dispenses aux gradués en Théologie. Ceux qui sont déjà paisibles possesseurs d'une cure ne peuvent être admis au concours. Il faut aussi, pour y être admis, savoir & parler aisément la langue bretonne, si la cure est dans un lieu où on parle cette langue. La déclaration regle aussi la forme du concours pour l'examen des aspirans, & pour le choix d'un d'entr'eux. Enfin le roi déclare qu'il ne sera rien innové en ce qui concerne l'alternative dont les évêques jouissent en Bretagne, ni pour le droit des patrons laïcs ou ecclésiastiques, & pour les maximes & usages reçûs dans la province, qui seront observés comme par le passé. (A)

CONCOURS ENTRE GRADUES, c'est lorsque plusieurs gradués ont tous requis un même bénéfice en vertu de leurs grades. Voyez GRADES & GRADUES. (A)


CONCRESSAUT(Géog. mod.) petite ville de France en Berri, sur la Sandre.


CONCRETadj. (Gramm. & Philos.) c'est l'opposé & le corrélatif d'abstrait. Voyez ABSTRACTION.

Le terme concret marque la substance même revêtue de ses qualités, & telle qu'elle existe dans la nature. L'abstrait désigne quelqu'une de ses qualités considérée en elle-même, & séparée de son sujet.

CONCRET ; nombre concret est opposé à nombre abstrait : c'est un nombre par lequel on désigne telle ou telle chose en particulier. Voyez ABSTRAIT. Ainsi quand je dis trois en général, sans l'appliquer à rien, c'est un nombre abstrait ; mais si je dis trois hommes, ou trois heures, ou trois piés, &c. trois devient alors un nombre concret. On ne multiplie point des nombres concrets les uns par les autres : ainsi c'est une puérilité que de demander, comme font certains arithméticiens, le produit de 3 livres 3 sous 3 deniers, par 3 livres 3 sous 3 deniers. En effet la multiplication ne consiste qu'à prendre un certain nombre de fois quelque chose ; d'où il s'ensuit que dans la multiplication, le multiplicateur est toûjours censé un nombre abstrait. On peut diviser des concrets par des abstraits ou par des concrets ; ainsi je puis diviser 6 sous par 2 sous, c'est-à-dire chercher combien de fois 2 sous est contenu dans 6 sous ; & le quotient sera alors un nombre abstrait. On peut aussi diviser un concret par un abstrait : par exemple 6 sous par 3, c'est-à-dire chercher le tiers de 6 sous ; & le quotient sera alors un nombre concret, savoir 2 sous. Dans les opérations arithmétiques on dépouille les nombres des idées d'abstrait & de concret, pour faciliter ces opérations ; mais il faut les leur rendre après l'opération pour se former des idées bien nettes. Voyez MULTIPLICATION, DIVISION, ARITHMETIQUE, &c. (O)

CONCRET, (Chim.) synonyme à épaissi, condensé. Voyez CONCRETION.


CONCRÉTIONS. f. se dit en général, en Phys. de l'action par laquelle des corps mous ou fluides deviennent durs ; & se prend indifféremment pour condensation, coagulation, &c. Voyez CONDENSATION, COAGULATION, &c. Concrétion se dit aussi quelquefois de l'union de plusieurs petites particules, pour former une masse sensible, en vertu dequoi cette masse acquiert telle ou telle figure, & a telles ou telles propriétés. Ce mot est d'usage sur-tout en Histoire naturelle & en Médecine. (O)

* CONCRETION, (Hist. naturelle) on appelle de ce nom les substances terreuses, pierreuses ou minérales, dont les parties, après avoir été desunies & décomposées, se sont rapprochées & rassemblées pour former un nouveau tout, un autre corps ; ou plus généralement, des substances qui se forment en des lieux particuliers de matieres qu'on n'y soupçonnoit pas. Elles ont en général les propriétés suivantes : 1°. ce sont ou des substances qui ont appartenu à quelqu'une des classes du regne minéral, & qui se sont reproduites avec la consistance de pierres, après avoir souffert la décomposition ou la desunion ; ou des substances appartenantes à d'autres regnes, qui se sont unies avec des matieres du regne minéral, ou des substances minérales déguisées par des accidens sous des formes singulieres observées par les Naturalistes ; ou enfin des substances tout-à-fait étrangeres au regne minéral, & qu'on n'appelle concrétions, que par la ressemblance & l'analogie qu'elles ont avec quelques substances minérales. 2°. Elles sont toutes d'une composition, d'un tissu, & d'une forme étrangere au regne minéral. Ces corps ont trop occupé les Lythographes. On en peut former quatre divisions, les pores ou pierres poreuses, comme la pierre-ponce, les incrustations, la stalactite, la pisolithe, l'oolithe, les tufs, &c. V. PORES. Les pétrifications, comme les plantes, les bois, les racines pétrifiées, minéralisées, les lytophites, ou coraux, les madrepores, les millepores, la tabulite, les astroïtes, les hippurites, &c. Voyez PETRIFICATIONS. Les pierres figurées, dont il y a beaucoup d'especes. Voyez PIERRES FIGUREES. Et les calculs ou pierres végétales & animales. V. l'art. PIERRES.

CONCRETION, (Méd.) maladies des parties solides & des fluides. Parlons d'abord de la concrétion des solides.

On entend généralement par concrétion, la jonction de plusieurs molécules d'un corps réunies en une masse presque solide ; mais en particulier l'adhérence, l'union de nos parties solides qui doivent être naturellement séparées pour l'exercice aisé de leurs mouvemens, est ce qu'on appelle en Médecine concrétion. On peut citer pour exemple de cette concrétion, l'union des doigts, des narines, des paupieres, des parois du vagin, &c. La seule force vitale est la cause qui réunit ; mais elle est empêchée dans son action par l'interposition de l'épiderme, à moins que ce rempart ne soit détruit par des accidens, tels que la corrosion, l'excoriation, la brûlure, l'ulcere, &c. au contraire tout ce qui conserve la cohérence des parties nues, concourt à produire la concrétion. Si elle arrive dans les ouvertures naturelles, elle s'oppose à la sortie des matieres destinées à passer par ces ouvertures ; si elle se fait dans les vaisseaux, il en résulte la cessation de la circulation, le changement du vaisseau en ligament ; si c'est dans les parties molles, il en provient l'empêchement de leur action, la roideur, l'anchylose, &c. Comme la partie solide qui est une fois cohérente ne perd point sa concrétion d'elle-même, il faut pour y remédier séparer son adhérence par une section artificielle. Passons à la concrétion des fluides.

On nomme concrétion des fluides, la cohérence de leurs parties portée au point de la cessation du mouvement entr'elles, par l'action de la vie & de la santé. La concrétion de nos humeurs est proprement le changement de la figure sphérique de leurs parties, de la réunion de plusieurs de leurs molécules en une seule masse. Ce desordre procede d'une infinité de causes différentes ; du repos des humeurs, de leur mouvement affoibli, sur-tout si la violence de la circulation a précédé ; de l'évacuation, de la transpiration, de la dissipation, de l'absorption des parties les plus fluides, ou du desséchement ; d'une chaleur brûlante, ou d'un froid glacial ; d'une forte compression du vaisseau ; de l'usage ou de l'application des coagulans, des astringens, des acides austeres, spiritueux ; des matieres visqueuses, huileuses, agglutinantes ; de poisons, &c. Or, suivant la diversité de la partie & le genre de concrétion, il en résulte un grand nombre de différentes maladies, mais nécessairement la diminution ou la destruction de la circulation du fluide, la stagnation, l'obstruction, l'induration, &c. La cure consiste donc à former insensiblement, s'il est possible, la résolution de la concrétion, & à redonner ensuite aux humeurs leur premier mouvement.

Pour ce qui regarde les concrétions particulieres de tout genre, & principalement les deux plus formidables du corps humain, connues sous les noms de pierre & de polype, voyez ces articles. Cet article est de M(D.J.)


CONÇUpartic. (Jurispr.) c'est une maxime en Droit, que ceux qui sont conçûs sont censés nés, lorsqu'il s'agit de leur intérêt ; il suffit donc qu'un enfant soit conçû au tems que la succession ou substitution est ouverte, pour qu'il soit habile à la recueillir.

Mais la conception d'un enfant qui n'est pas encore né, n'est d'aucune considération pour procurer à un tiers quelque avantage. Voyez leg. 7. ff. de statu hominum ; Henrys, tom. II. liv. VI. quest. 26. (A)


CONCUBINAGES. m. (Jurisprud. & Hist. anc.) ce terme a deux significations différentes ; il signifie quelquefois une espece de mariage moins solemnel, qui avoit lieu chez les anciens, & qui se pratique encore en quelques pays. Parmi nous il signifie ordinairement le commerce charnel d'un homme & d'une femme libres, c'est-à-dire qui ne sont point mariés ensemble ni avec un autre.

Si nous remontons au premier âge du monde, nous voyons que quelques-uns des patriarches avoient en même tems plusieurs femmes. Le premier qui en usa de la sorte fut Lamech fils de Mathusael (c'étoit la cinquieme génération de l'homme). Lamech eut deux femmes nommées Ada & Sella, qui sont également qualifiées uxores.

Il paroît que les descendans de Seth en userent autrement ; qu'ils avoient plusieurs femmes à-la-fois, mais que toutes n'avoient pas le titre d'épouses ; car il est dit dans la Genese acceperunt sibi uxores, ex omnibus quas elegerant ; ce qui attira la colere de Dieu sur l'homme qui étoit charnel, dit l'Ecriture.

Depuis Noé jusqu'à Abraham on ne voit point que la pluralité de femmes fût usitée : mais Sara ayant été long-tems stérile, ce qui étoit alors un opprobre pour une femme, excita son mari à connoître sa servante Agar, dans l'espérance qu'il auroit d'elle des enfans. Agar ne devint pas pour cela l'épouse d'Abraham, elle resta toûjours soûmise à Sara comme sa servante ; & lorsque Sara eut mis au monde Isaac, Agar & son fils Ismael furent chassés de la maison d'Abraham à la sollicitation de Sara, disant que le fils de sa servante n'hériteroit pas avec Isaac.

Dans le même tems il étoit commun chez les autres nations d'avoir des concubines ; en effet on voit que Sara femme d'Abraham, fut enlevée pour Pharaon roi d'Egypte, & quelque tems après pour Abimelech roi de Gerar. Mais il paroît aussi qu'il étoit dès-lors défendu de prendre pour concubine la femme d'autrui ; car il ne fut point attenté à l'honneur de Sara, parce que l'on connut qu'elle étoit femme d'Abraham.

Jacob fut le premier des patriarches qui eut à-la-fois deux femmes & deux concubines, qui étoient les servantes de ces deux femmes. Il eut des unes & des autres plusieurs enfans, qui furent tous traités également.

Esaü son frere eut à-la-fois trois femmes d'égale condition : Eliphas, l'un de ses fils, eut une concubine, c'est ainsi qu'elle est qualifiée ; il n'est pas dit que ce fût la servante de sa femme.

Le concubinage fut depuis commun chez les Hébreux & les Juifs ; il y eut diverses lois faites à ce sujet.

Il est dit au chapitre xjx. du Lévitique, que si un homme a commerce avec l'esclave d'autrui, si elle n'est pas préalablement rachetée, quoiqu'elle fût noble, tous deux seront fustigés, parce que cette esclave n'étoit pas libre ; que pour ce délit l'homme offrira à la porte du tabernacle un bélier.

Le chapitre suivant contient des peines contre l'adultere & contre la débauche commise avec des parentes ou alliées.

On distinguoit dès-lors les concubines, des femmes livrées à une prostitution publique.

Le concubinage fut toléré chez les Juifs à cause de leur endurcissement ; mais il y eut toûjours une distinction entre les femmes qui avoient le titre d'épouses légitimes & les concubines, quoiqu'alors le concubinage fût une espece de mariage moins solemnel, qui avoit ses lois particulieres.

Salomon eut jusqu'à sept cent femmes & trois cent concubines. Les premieres quoiqu'en nombre excessif, avoient toutes le titre de reines, au lieu que les concubines ne participoient point à cet honneur.

On vit quelque chose de semblable chez les Perses. Darius, outre la reine son épouse, avoit jusqu'à 365 concubines, dont il se faisoit suivre à l'armée.

Cette coûtume a continué dans tout l'Orient. L'empereur de la Chine a dans son palais jusqu'à deux ou trois mille concubines. Le sophi de Perse & le grand-seigneur en ont aussi un très-grand nombre.

Les Grecs en userent de même que les Perses. Alexandre roi de Macédoine, avoit plusieurs concubines, dont il céda la plus belle & celle qu'il chérissoit le plus, à Apelles qui en étoit devenu amoureux.

Nous passons rapidement sur tous ces tems éloignés, pour venir à ce qui se pratiquoit chez les Romains, dont les lois font encore partie de nos usages.

On distinguoit chez les Romains deux sortes de mariages légitimes, & deux sortes de concubinages.

Le mariage le plus honnête, étoit celui qui se faisoit solennellement & avec beaucoup de cérémonie. La femme qui étoit ainsi mariée étoit nommée uxor, justa uxor, conjux, mater-familias.

L'autre sorte de mariage se contractoit sans autre formalité, que d'avoir eu pendant un an entier une femme dans sa maison ; ce que l'on appelloit uxorem usucapere. La femme ainsi mariée s'appelloit uxor tantum ou matrona.

Le concubinage étoit alors tellement autorisé, qu'on le considéroit comme une troisieme espece de mariage, qu'on appelloit injustae nuptiae.

Mais ce concubinage étoit de deux sortes. L'un nommé injustae nuptiae & legitimae, c'est la liaison que l'on avoit avec des concubines romaines de naissance, qui n'étoient ni soeurs, ni meres, ni filles de celui avec qui elles habitoient, & qui n'étoient point de condition servile.

L'autre espece de concubinage, appellée injustae nuptiae & illegitimae, s'entendoit de ceux qui habitoient avec des concubines incestueuses, étrangeres ou esclaves.

Numa Pompilius fit une loi qui défendoit à la concubine, soit d'un garçon, soit d'un homme marié, de contracter un mariage solemnel & d'approcher de l'autel de Junon ; ou si elle se marioit, elle ne devoit point approcher de l'autel de Junon, qu'elle n'eût auparavant coupé ses cheveux & immolé une jeune brebis. Cette concubine y est désignée par le terme de pellex, par lequel on entendoit une femme qui n'étant point mariée, vivoit néanmoins avec un homme comme si elle l'étoit. Il signifioit, comme on voit, également une concubine simple & une concubine adultere. On se servoit encore de ce terme sous Jules César & sous Auguste, tems auquel on commença à substituer le mot concubina à l'ancien terme pellex.

Ainsi, suivant l'ancien Droit, le concubinage étoit permis à Rome à ceux qui restoient dans le célibat, ou qui ayant été mariés, ne vouloient pas contracter un second mariage, par considération pour leurs enfans du premier lit. Mais depuis que la loi des douze tables & autres lois postérieures eurent réglé les conditions pour les mariages, il fut ordonné que l'on ne pourroit prendre pour concubines, que des filles que l'on ne pouvoit pas prendre pour femmes à cause de la disproportion de condition, comme des filles de condition servile, ou celles qui n'avoient point de dot, & qui n'étoient pas les unes ni les autres destinées à contracter alliance avec les honnêtes citoyens.

Ainsi les filles ou femmes de condition libre, appellées ingenuae, ne pouvoient pas être prises pour concubines, cela passoit pour un viol ; & il étoit défendu d'habiter avec elles sur un autre pié que sur celui d'épouses, à moins qu'elles n'eussent dégénéré en exerçant des métiers bas & honteux, auquel cas il étoit permis de les prendre pour concubines.

On voit par-là que le concubinage n'étoit pas absolument deshonorant chez les Romains. Les concubines, à la vérité, ne joüissoient pas des effets civils par rapport aux droits des femmes mariées ; mais elles ne différoient des épouses que pour la dignité de leur état & pour l'habillement : du reste elles étoient loco uxoris. On les appelloit semi-conjuges, & le concubinage semi matrimonium. Le concubinage secret n'étoit pas permis par les lois romaines ; & le nom de concubine, quand le concubinage étoit public, étoit un titre honnête & bien différent de celui de maîtresse, que l'on appelloit scortum.

Jules César avoit permis à chacun d'épouser autant de femmes qu'il jugeroit à-propos, & Valentinien permit d'en épouser deux ; mais il n'étoit pas permis d'avoir plusieurs concubines à-la-fois. Celle qui étoit de condition libre, ne devenoit pas esclave lorsque son maître la prenoit pour concubine ; au contraire celle qui étoit esclave devenoit libre. La concubine pouvoit être accusée d'adultere. Le fils ne pouvoit pas épouser la concubine de son pere.

Suivant l'ancien Droit romain, il étoit permis de donner à sa concubine ; elle ne pouvoit cependant être institué héritiere universelle, mais seulement pour une demi-once, qui faisoit un vingt-quatrieme du total. On permit ensuite de donner trois onces, tant pour la mere que pour les enfans, ce qui fut étendu jusqu'à six onces ; & on leur accorda deux onces ab intestat, dont la mere auroit une portion virile, le tout dans le cas où il n'y auroit ni enfans ni femme légitimes.

Les enfans procréés des concubines n'étoient pas soûmis à la puissance paternelle, & n'étoient ni légitimes ni héritiers de leur pere, si ce n'est dans le cas où il n'avoit point d'autres enfans légitimes ; ils ne portoient pas le nom de leur pere, mais on ne les traitoit pas de spurii, comme ceux qui étoient les fruits de la débauche ; ils portoient publiquement le nom de leur mere & le surnom de leur pere ; & quoiqu'ils ne fussent point de la famille paternelle, leur état n'étoit point honteux, & ils n'étoient point privés du commerce des autres citoyens.

Le concubinage, tel qu'on vient de l'expliquer, fut long-tems autorisé chez les Romains : on ne sait pas bien certainement par qui il fut aboli ; les uns disent que ce fut Constantin le grand, d'autres que ce fut l'empereur Léon ; tous deux en effet eurent part à ce changement.

Constantin le grand commença à restreindre indirectement cet usage, en ordonnant aux citoyens d'épouser les filles qu'ils auroient eues auparavant pour concubines ; & que ceux qui ne voudroient pas se conformer à cette ordonnance, ne pourroient avantager leurs concubines, ni les enfans naturels qu'ils auroient eu d'elles.

Valentinien adoucit cette défense, & permit de laisser quelque chose aux enfans naturels.

Ceux qui épouserent leurs concubines suivant l'ordonnance de Constantin, légitimerent par ce moyen leurs enfans comme l'empereur leur en avoit accordé le privilége.

Justinien donna le même effet au mariage subséquent ; mais le concubinage n'étoit point encore aboli de son tems : on l'appelloit encore licita consuetudo, & il étoit permis à chacun d'avoir une concubine.

Ce fut l'empereur Léon qui défendit absolument le concubinage par sa novelle 91. laquelle ne fut observée que dans l'empire d'Orient. Dans l'Occident le concubinage continua d'être fréquent chez les Lombards & les Germains ; il fut même long-tems en usage en France.

Le concubinage est encore usité en quelques pays, où il s'appelle demi-mariage, ou mariage de la main gauche, mariage à la morganatique : ces sortes de mariages sont communs en Allemagne, dans les pays où l'on suit la confession d'Augsbourg.

Suivant le droit canon, le concubinage, & même la simple fornication, sont expressément défendus : Haec est voluntas Domini, dit S. Paul aux Thessaloniciens, ut abstineatis à fornicatione ; & S. Augustin, distinct. 24. Fornicari vobis non licet, sufficiant vobis uxores ; & si non habetis uxores, tamen non licet vobis habere concubinas. Ducange observe que suivant plusieurs épîtres des papes, les concubines paroissent avoir été autrefois tolérées ; mais cela se doit entendre des mariages, lesquels quoique moins solemnels, ne laissoient pas d'être légitimes. C'est aussi dans le même sens que l'on doit prendre le dix-septieme canon du premier concile de Tolede, qui porte que celui qui avec une femme fidele a une concubine, est excommunié ; mais que si la concubine lui tient lieu d'épouse, desorte qu'il n'ait qu'une seule femme à titre d'épouse ou concubine à son choix, il ne sera point rejetté de la communion. Quelques auteurs prétendent qu'il en étoit de même des concubines de Clovis, de Théodoric, & de Charlemagne ; que c'étoient des femmes épousées moins solennellement, & non pas des maîtresses.

Comme les ecclésiastiques doivent donner aux autres l'exemple de la pureté des moeurs, le concubinage est encore plus scandaleux chez eux que dans les laïcs. Cela arrivoit peu dans les premiers siecles de l'Eglise ; les prêtres étoient long-tems éprouvés avant l'ordination ; les clercs inférieurs étoient la plûpart mariés.

Mais dans le dixieme siecle le concubinage étoit si commun & si public, même chez les prêtres, qu'on le regardoit presque comme permis, ou au moins toléré.

Dans la suite on fit plusieurs lois pour réprimer ce desordre. Il fut défendu au peuple d'entendre la messe d'un prêtre concubinaire ; & on ordonna que les prêtres qui seroient convaincus de ce crime, seroient déposés.

Le concile provincial de Cologne, tenu en 1260, dénote pourtant que le concubinage étoit encore commun parmi les clercs.

Cet abus régnoit pareillement encore parmi ceux d'Espagne, suivant le concile de Valladolid, tenu en 1322, qui prononce des peines plus grieves contre ceux dont les concubines n'étoient pas chrétiennes.

Le mal continuant toûjours, la rigueur des peines s'est adoucie.

Suivant le concile de Bâle, les clercs concubinaires doivent d'abord être privés pendant trois mois des fruits de leurs bénéfices, après lequel tems ils doivent être privés des bénéfices mêmes, s'ils ne quittent leurs concubines ; & en cas de rechûte, ils doivent être déclarés incapables de tous offices & bénéfices ecclésiastiques pour toûjours.

Ce decret du concile de Bâle fut adopté par la pragmatique-sanction, & ensuite compris dans le concordat.

Le concile de Trente a encore adouci la peine des clercs concubinaires ; après une premiere monition, ils sont seulement privés de la troisieme partie des fruits ; après la seconde, ils perdent la totalité des fruits, & sont suspendus de toutes fonctions ; après la troisieme, ils sont privés de tous leurs bénéfices & offices ecclésiastiques, & déclarés incapables d'en posséder aucun ; en cas de rechûte, ils encourent l'excommunication.

En France, le concubinage est aussi regardé comme une débauche contraire à la pureté du Christianisme, aux bonnes moeurs, non-seulement par rapport aux clercs, mais aussi pour les laïcs : c'est un délit contraire à l'intérêt de l'état. Reipublicae enim interest legitimâ sobole repleri civitatem.

Si les ordonnances n'ont point prononcé directement de peines contre ceux qui vivent en concubinage, c'est que ces sortes de conjonctions illicites sont le plus souvent cachées, & que le ministere public n'a pas coûtume d'agir pour réprimer la débauche, à moins qu'elle n'occasionne un scandale public.

Mais nos lois réprouvent toutes donations faites entre concubinaires : c'est la disposition des coûtumes de Tours, art. 246. Anjou, 342. Maine, 354. Grandperche, art. 100. Lodunois, ch. xxv. art. 10. Cambrai, tit. iij. art. 7. Celle de Normandie, art. 437 & 438. défend même de donner aux bâtards.

La coûtume de Paris n'en parle pas : mais l'article 282. défendant aux mari & femme de s'avantager, à plus forte raison ne permet-elle pas de le faire entre concubinaires qui sont moins favorisés, & entre lesquels la séduction est encore plus à craindre.

L'ordonnance du mois de Janvier 1629, art. 132. défend toutes donations entre concubinaires.

Conformément à cette ordonnance, toutes donations de cette nature faites entre-vifs ou par testament, sont nulles, ou du moins réductibles à de simples alimens ; car on peut donner des alimens à une concubine, & aux enfans naturels ; on accorde même quelquefois, outre les alimens, quelques dommages & intérêts à la concubine, eu égard aux circonstances : par exemple, si la fille qui a été séduite est jeune, de bonne famille, & que sa conduite soit d'ailleurs sans reproche ; si le garçon est plus âgé qu'elle, & qu'il soit riche, &c.

Ce que le mari donne à sa concubine ne doit pas se prendre sur la masse de la communauté, mais sur la part du mari seulement, ou sur ses autres biens ; ou si cela est pris sur la masse de la communauté, il en est dû récompense pour moitié à la femme.

Si la concubine donataire est une femme mariée ou une fille livrée à une débauche publique, la donation en ce cas ne doit avoir aucun effet ; il n'est dû ni alimens, ni dommages & intérêts.

Les reconnoissances faites au profit des concubinaires sont nulles, aussi-bien que les donations ; parce que de telles reconnoissances sont toûjours réputées simulées, & que qui non potest dare non potest confiteri. Voyez au ff. 25. tit. vij. & au code 5. tit. xxvij. Ricard, des donat. part. I. ch. iij. sect. 8. n. 416. Dumolin, sur le conseil 196 de Decius. Duplessis, tr. de la comm. liv. I. chap. iij. Cujas, sur la novelle 18. Louet, lett. D. somm. 43. Dupineau, nouvelle édition, liv. VI. des arrêts, ch. xiij. Plaid. de Gillet, tome I. pag. 280. L'hist. de la jurisprud. rom. de Terrasson, pag. 45. & 48. Causes célébres, tom. VII. pag. 92. Ferrieres sur Paris, article 292. gloss. 2. n. 26. & suiv. (A)


CONCUBINAIRES. m. (Jurispr.) voyez ce qui est dit ci-devant au mot CONCUBINAGE. (A)


CONCUPISCENCES. f. parmi les Théologiens, signifie l'appétit, ou le desir immodéré, ou la convoitise des choses sensuelles, inhérent à l'homme depuis sa chûte.

Le P. Malebranche définit la concupiscence, un effort naturel que les traces, les impressions du cerveau font sur l'ame pour l'attacher aux choses sensibles. L'empire & la force de la concupiscence sont, selon lui, ce que nous appellons le péché originel.

Il attribue l'origine de la concupiscence à ces impressions faites sur le cerveau de nos premiers parens, au tems de leur chûte, qui se sont transmises & qui se transmettent continuellement à leurs descendans : car de même, dit-il, que les animaux produisent leurs semblables, & avec les mêmes traces dans le cerveau (ce qui produit les mêmes sympathies, & antipathies, & la même conduite dans les mêmes occasions) ; de même nos premiers parens ayant après leur chûte reçu des traces si profondes dans le cerveau, par l'impression des objets sensibles, on peut supposer avec raison qu'ils les communiquerent à leurs enfans. Mais on doit se borner à croire ce mystere, sans l'expliquer.

Les Scholastiques se servent du terme d'appétit concupiscible, pour signifier l'envie que nous avons de posséder un bien, en opposition à celui d'appétit irascible qui nous porte à fuir un mal.

S. Augustin, dans ses écrits contre Julien évêque d'Eclane, liv. IV. chap. xjv. distingue quatre choses dans la concupiscence ; la nécessité, l'utilité, la vivacité, & le desordre du sentiment ; & il ne trouve de mauvais que cette derniere qualité. La concupiscence considérée sous ce dernier rapport, est ce penchant que nous avons tous au mal, & qui reste dans les baptisés & dans les justes comme une suite & une peine du péché originel, & pour servir d'exercice à leur vertu. Voyez PECHE ORIGINEL. (G)


CONCURREMMENT(Jurisp.) voyez ci-après CONCURRENCE.


CONCURRENCES. f. s'entend en général de l'exercice de la prétention que plusieurs personnes ont sur un même objet : selon la qualité de l'objet, la concurrence s'appelle rivalité. Voyez ces acceptions en Jurisprudence & dans le Commerce.

CONCURRENCE, (Jurisprud.) est une égalité de droit d'hypotheque ou de privilége sur une même chose.

Il y a concurrence d'hypotheque entre deux créanciers, lorsque leur titre est de la même date, & qu'on ne peut connoître lequel est le plus ancien.

La concurrence de privilége arrive entre deux créanciers qui ont saisi tous deux en même tems les meubles de leur débiteur, ou lorsque leurs créances sont de même nature, ou également favorables.

Il y a certaines matieres dont la connoissance est attribuée à différens juges ; mais c'est par prévention entr'eux, & non pas par concurrence. Voyez ce qui est dit ci-devant au mot CONCOURS. (A)

CONCURRENCE, en fait de Commerce. Ce mot présente l'idée de plusieurs personnes qui aspirent à une préférence : ainsi lorsque divers particuliers s'occupent à vendre une même denrée, chacun s'efforce de la donner meilleure ou à plus bas prix, pour obtenir la préférence de l'acheteur.

On sent au premier coup-d'oeil que la concurrence est l'ame & l'aiguillon de l'industrie, & le principe le plus actif du commerce.

Cette concurrence est extérieure ou intérieure.

La concurrence extérieure du commerce d'une nation, consiste à pouvoir vendre au-dehors les productions de ses terres & de son industrie en aussi grande quantité que les autres nations vendent les leurs, & en proportion respective de la population, des capitaux, de l'étendue & de la fertilité des terres. Celle qui ne soûtient pas cette concurrence dans les proportions dont nous venons de parler, a immanquablement une puissance relativement inférieure à la puissance des autres ; parce que ses hommes sont moins occupés, moins riches, moins heureux, dèslors en plus petit nombre relativement ; enfin moins en état, dans le même rapport, de secourir la république. On ne peut trop le répéter, la balance du commerce est véritablement la balance des pouvoirs.

Cette concurrence extérieure ne s'obtient point par la force ; elle est le prix des efforts que fait l'industrie pour saisir les goûts du consommateur, les prévenir même & les irriter.

La concurrence intérieure est de deux sortes : l'une entre les denrées de l'état & les denrées étrangeres de même nature, ou de même usage ; & celle-là privant le peuple des moyens de subsister, doit en général être proscrite. Ceux qui contribuent à l'introduire, soit en vendant, soit en achetant, sont réellement coupables envers la société d'augmenter ou d'entretenir le nombre des pauvres qui lui sont à charge.

L'autre espece de concurrence intérieure est celle du travail entre les sujets : elle consiste à ce que chacun d'eux ait la faculté de s'occuper de la maniere qu'il croit la plus lucrative, ou qui lui plaît davantage.

Elle est la base principale de la liberté du commerce ; elle seule contribue plus qu'aucun autre moyen, à procurer à une nation cette concurrence extérieure, qui l'enrichit & la rend puissante. La raison en est fort simple. Tout homme est naturellement porté (je ne dois peut-être pas dire par malheur à s'occuper), mais il l'est du moins à se procurer l'aisance ; & cette aisance, salaire de son travail, lui rend ensuite son occupation agréable : ainsi dès que nul vice intérieur dans la police d'un état ne met des entraves à l'industrie, elle entre d'elle-même dans la carriere. Plus le nombre de ses productions est considérable, plus leur prix est modique ; & cette modicité des prix obtient la préférence des étrangers.

A mesure cependant que l'argent entre dans un état par cette voie, à mesure que les moyens de subsister se multiplient pour le peuple, le nombre ou la concurrence des consommateurs s'accroît, les denrées doivent être représentées par une plus grande somme : cette augmentation du prix de chaque chose est réelle, & le premier effet des progrès de l'industrie ; mais un cercle heureux de nouvelles concurrences y apporte les tempéramens convenables. Les denrées qui sont l'objet de la consommation deviennent journellement plus abondantes, & cette abondance modere en partie leur augmentation ; l'autre partie se partage insensiblement entre tous ceux qui font les ouvrages, ou qui en trafiquent, par la diminution de leurs bénéfices ; la diminution de ce bénéfice se trouve enfin compensée elle-même par la diminution de l'intérêt de l'argent : car le nombre des emprunteurs se trouvant plus foible que celui des prêteurs, l'argent perd de son prix, par une convention unanime, comme toutes les autres marchandises. Cette baisse des intérêts est, comme on le voit, l'effet d'un grand commerce : ainsi nous observerons en passant que pour connoître si une nation qui n'a point de mines fait autant de commerce que les autres, en proportion des facilités respectives qu'elles ont pour commercer, il suffit de comparer le taux des intérêts de l'argent dans chacune ; car il est certain que si la concurrence de ces intérêts n'est pas égale, il n'y aura point d'égalité dans la concurrence extérieure des ventes & de la navigation.

Lorsqu'on apperçoit à ces signes évidens un accroissement continuel dans le commerce d'un état, toutes ses parties agissent & se communiquent un mouvement égal ; il joüit de toute la vigueur dont il est susceptible.

Une pareille situation est inséparable d'un grand luxe ; il s'étend sur les diverses classes du peuple, parce qu'elles sont toutes heureuses : mais celui qui produit l'aisance publique, par l'augmentation du travail, n'est jamais à craindre ; sans-cesse la concurrence extérieure en arrête l'excès, qui seroit bien-tôt le terme fatal de tant de prospérités. L'industrie s'ouvre alors de nouvelles routes, elle perfectionne ses méthodes & ses ouvrages ; l'économie du tems & des forces multiplie les hommes en quelque façon ; les besoins enfantent les arts, la concurrence les éleve, & la richesse des artistes les rend savans.

Tels sont les effets prodigieux de ce principe de la concurrence, si simple à son premier aspect, comme le sont presque tous ceux du commerce. Celui-ci en particulier me paroît avoir un avantage très-rare, c'est de n'être sujet à aucune exception. Cet article est de M. V. D. F.


CONCURRENSadj. pl. (Hist. & Chron.) dans l'ancienne chronologie, est le nom qu'on donnoit aux jours, qui dans les années tant communes que bissextiles, sont surnuméraires au-delà du nombre de semaines que l'année renferme. Voici ce que c'est. L'année ordinaire a cinquante-deux semaines & un jour, l'année bissextile cinquante-deux semaines & deux jours : or ce jour ou ces deux jours surnuméraires sont nommés concurrens, parce qu'ils concourent pour ainsi dire avec le cycle solaire. Par exemple, la premiere année de ce cycle on compte un concurrent, la seconde deux, la troisieme trois, la quatrieme quatre, la cinquieme six au lieu de cinq (parce que cette année est bissextile), la sixieme sept, la septieme un, &c. & ainsi de suite. Le concurrent 1 répond à la lettre dominicale F, c'est-à-dire à l'année où le premier jour de l'an est un mardi, & ainsi de suite. Ces concurrens s'appellent aussi quelquefois épactes du soleil. On n'en fait plus d'usage depuis l'invention des lettres dominicales. Voyez sur ce sujet l'art de vérifier les dates. Paris, 1750. pag. xxx. de la préface. (O)


CONCUSSIONS. f. (Jurispr.) appellée en droit crimen repetundarum, est l'abus que fait de son pouvoir un homme constitué en dignité, charge, commission, ou emploi public, pour extorquer de l'argent de ceux sur lesquels il a quelque pouvoir.

Il en est parlé dans les titres du digeste & du code, ad legem juliam repetundarum, où l'on peut remarquer entr'autres choses, que celui qui donnoit de l'argent pour être juge au préjudice du serment qu'il avoit fait de n'avoir rien donné, pouvoit être poursuivi comme coupable, aussi-bien que celui qui avoit reçu l'argent ; que le juge qui se laissoit corrompre par argent étoit réputé coupable de concussion, aussi-bien que celui qui acheteroit des droits litigieux. Il étoit même défendu à tous magistrats d'acquérir aucune chose par achat, donation, ou autrement dans les provinces où ils étoient établis, pendant leur administration, sous peine de concussion.

Cette prohibition d'acquérir faite aux magistrats étoit autrefois usitée parmi nous ; du moins ils ne pouvoient acquérir dans leur jurisdiction sans permission du Roi, comme il paroît par les ordonnances de S. Louis & de Philippe-le-Bel ; mais cet usage est depuis long-tems aboli, attendu que les magistratures étant parmi nous perpétuelles, & non pas annales, ou triennales comme elles l'étoient chez les Romains, les juges & magistrats seroient interdits de pouvoir jamais acquérir dans leur pays.

Tout ce qui nous est resté de l'ancien usage, est la prohibition aux juges d'acquérir les biens qui se décretent dans leurs siéges.

Il faut encore remarquer que chez les Romains le duc ou gouverneur de province étoit tenu de rendre non-seulement les exactions qu'il avoit faites personnellement, mais aussi ce qui avoit été reçû par ses subalternes & domestiques.

Le crime de concussion n'étoit mis au nombre des crimes publics, que quand il étoit commis par un magistrat ; & lorsqu'il étoit commis par une personne de moindre qualité, ce n'étoit qu'un crime privé ; mais cela n'est point usité parmi nous, ce n'est pas la qualité des personnes qui rend les crimes publics ou privés, mais la nature des crimes.

Les anciennes ordonnances un peu trop indulgentes pour les juges, leur laissoient la liberté de recevoir certaines choses, comme du vin en bouteilles.

Mais l'ordonnance de Moulins, art. 19. & 20. défendit aux juges de rien prendre des parties, sinon ce qui leur est permis par l'ordonnance, & aux procureurs du Roi de rien prendre du tout ; mais cela a été changé pour les derniers.

L'ordonnance de Blois, art. 114. est conçûe en termes plus généraux : elle défend à tous officiers royaux & autres, ayant charge & commission de S. M. de quelque état, qualité & condition qu'ils soient, de prendre ni recevoir de ceux qui auront affaire à eux aucuns dons & présens de quelque chose que ce soit, sur peine de concussion.

Il y a encore plusieurs autres ordonnances qui défendent à divers officiers toutes sortes d'exactions.

L'accusation pour crime de concussion peut être intentée, non-seulement par celui contre qui le crime a été commis, mais aussi par le ministere public, attendu que le crime est public.

Chez les Romains, il falloit que l'accusation fût intentée dans l'année depuis l'administration finie ; mais parmi nous l'action dure 20 ans comme pour les autres crimes.

On peut agir contre les héritiers du concussionnaire, pour la répétition du gain injuste qu'il a fait.

A l'égard de la peine qui a lieu pour concussion, elle est arbitraire comme celle de tous les autres crimes : quelques concussionnaires n'ont été condamnés qu'à une peine pécuniaire, d'autres au bannissement ou aux galeres, quelques-uns ont même été punis de mort ; cela dépend des circonstances.

Voyez l'ordonnance de 1539, art. 84. celle d'Orléans, art. 43. 77. 132. Blois, art. 94. 114. 157 ; le réglement du Conseil du mois de Novembre 1601, art. 43. le dictionn. des arrêts, au mot concussion. (A)


CONDAMNATION(Hist. anc.) c'étoit une action du préteur qui, après avoir vû sur les tablettes des juges, quelles étoient leurs opinions, se dépouilloit de sa prétexte, & disoit, videtur fecisse ; ou, non jure videtur fecisse. Les juges qui devoient déterminer le préteur, lorsqu'ils croyoient l'accusé coupable, ne mettoient qu'un C sur leurs tablettes, ce qui signifioit condemno ; le préteur étoit obligé d'énoncer le crime & la punition ; par exemple, videtur vim fecisse, at que eo nomine aquae & igni, illi interdico. On appelloit aussi condamnation ce qu'on faisoit payer au coupable. Voyez l'article suivant. La condamnation des édifices, condemnatio aedium, consistoit à détruire la maison du coupable, après lui avoir ôté la vie.

CONDAMNATION, (Jurisprud.) est un jugement qui condamne quelqu'un à faire, donner, ou payer quelque chose, ou qui le déclare déchû de ses prétentions.

Passer condamnation, c'est se désister de sa demande.

Subir sa condamnation, signifie être condamné, quelquefois c'est acquiescer au jugement, quelquefois c'est subir la peine portée par le jugement ; c'est en ce dernier sens qu'on l'entend ordinairement en matiere criminelle.

On entend quelquefois aussi par le terme de condamnations, les choses même auxquelles la partie est condamnée, telles qu'une somme d'argent, les intérêts & fraix. C'est en ce sens que l'on dit, offrir & payer le montant des condamnations, acquiter les condamnations.

C'est un axiome commun, qu'on ne condamne personne sans l'entendre, c'est-à-dire sans l'avoir entendu, ou du-moins sans l'avoir mis en demeure de venir se défendre ; car en matiere civile on donne défaut contre les défaillans, & en matiere criminelle il y a des défauts & jugemens par contumace contre ceux qui ne se présentent pas ; on peut même condamner un accusé absent à une peine capitale s'il y a lieu, en quoi notre usage est différent de celui des Romains, dont les lois défendoient expressément de condamner les absens accusés de crime capital. L. 1. cod. de requir. reis. l. 1. ff. eod. l. 6. c. de accus. & l. 5. ff. de poenis. Ce qui étoit autrefois observé en France, comme il paroît par les capitulaires de Charlemagne, lib. VIII. cap. 202. & 354. mais depuis l'usage a changé.

Toute condamnation est donc précédée d'une instruction, & l'on ne doit prononcer aucune condamnation même contre un défaillant ou contumace, qu'il n'y ait des preuves suffisantes contre lui ; & dans le doute en matiere criminelle, il vaut mieux absoudre un coupable que de condamner un homme qui peut être innocent.

On prononce néanmoins quelquefois en Angleterre une condamnation sans formalité & sans preuve juridique ; mais cela ne se fait qu'en parlement, & pour crime de haute trahison, que nous appellons ici de lese-majesté : il faut même que le cas soit pressant, & qu'il y ait des considérations importantes pour en user ainsi ; car c'est l'exercice le plus redoutable de l'autorité souveraine : par exemple, si les preuves juridiques manquent, quoiqu'il y ait d'ailleurs des preuves moralement certaines ; ou bien lorsque l'on veut éviter un conflit entre les deux chambres, ou si l'on ne veut pas apprendre au public certains secrets d'état, &c. dans tous ces cas sans témoins oüis, sans interrogatoire, on déclare cet homme atteint & convaincu du crime : l'acte qui contient cette déclaration & condamnation, s'appelle un atteinder. Voyez la seconde suite des réflex. pour la maison d'Hanovre ; à Lancastre, 1746.

Il n'y a que les juges qui puissent prononcer une condamnation proprement dite, car c'est improprement que l'on dit qu'un homme a été condamné par les avocats qu'il a consultés, les avocats ne donnant qu'un avis par lequel ils approuvent ou improuvent ce qui leur est exposé ; mais des arbitres choisis par un compromis peuvent condamner de même que des juges ordinaires.

En Bretagne & dans quelques autres provinces, les notaires se servent du terme de condamnation, pour obliger ceux qui contractent devant eux : après la reconnoissance ou promesse de la partie, le notaire ajoûte ces mots, dont nous l'avons jugé & condamné ; ce qui vient de ce qu'autrefois tous les actes publics étoient rédigés sous les yeux du juge par les notaires qui faisoient en même tems les fonctions de greffiers ; c'est pourquoi les actes passés devant notaire sont encore intitulés du nom du juge ; les notaires sont même appellés juges chartulaires, & ont une jurisdiction volontaire sur les contractans ; ce qui a encore pû leur donner lieu de se servir du terme condamner.

Tout juge qui a pouvoir de condamner quelqu'un, a aussi le pouvoir de le décharger ou absoudre de la demande ou accusation formée contre lui.

On présume toûjours que la condamnation est juste, jusqu'à ce qu'elle soit anéantie par les voies de droit, & par un juge supérieur.

Les condamnations portées par des jugemens rendus à l'audience, sont prononcées à haute voix aux parties, ou à leurs avocats & procureurs. A l'égard des affaires qui se jugent à la chambre du conseil, il faut distinguer les affaires civiles & les affaires criminelles.

Dans les affaires civiles, autrefois on devoit prononcer les jugemens aux parties aussi-tôt qu'ils étoient mis au greffe, à peine de nullité, même sans attendre le jour ordinaire des prononciations, si l'une des parties le requéroit ; cette formalité a été abrogée comme inutile par l'ordonnance de 1667.

Dans les affaires criminelles on prononce le jugement aux accusés qui sont présens, & les condamnations à peine afflictive doivent être exécutées le même jour.

L'accusé doit tenir prison jusqu'à ce qu'il ait payé les condamnations pécuniaires, soit envers le Roi, ou envers la partie civile.

Les condamnations sont ordinairement personnelles ; cependant en matiere de délits, les peres sont responsables civilement des faits de leurs enfans étant en leur puissance ; les maîtres, des faits de leurs domestiques, en l'emploi dont ils les ont chargés.

Il y a même quelques exemples en matiere criminelle, que la peine a été étendue sur les enfans du condamné, & sur toute sa postérité, en les dégradant de noblesse ou autrement ; ce qui ne se pratique que dans des cas très-graves, comme pour crime de lese-majesté. Du tems de Louis XI. lorsque Jacques d'Armagnac duc de Nemours eût la tête tranchée le 4 Août 1477 aux halles, on mit de l'ordre du roi les deux enfans du coupable sous l'échafaud, afin que le sang de leur pere coulât sur eux.

Les condamnations à quelque peine qui emporte mort naturelle ou civile, n'ont leur effet pour la mort civile, que du jour qu'elles sont exécutées réellement si l'accusé est présent ; ou s'il est absent, il faut qu'elles soient exécutées par effigie s'il y a peine de mort, ou par l'apposition d'un tableau seulement si c'est quelqu'autre peine afflictive qui n'emporte pas mort naturelle.

Mais les condamnations à mort naturelle ou civile annullent le testament du condamné, quoique antérieur à sa condamnation ; parce que pour tester valablement, il faut que le testateur ait les droits de cité au tems du décès.

Les lettres de grace empêchent bien l'exécution de la sentence, quant à la peine afflictive, mais elles ne détruisent pas la condamnation ni la flétrissure qui en résulte ; il n'y a qu'un jugement portant absolution, ou bien des lettres d'innocentation, qui effacent entierement la tache des condamnations.

Lorsque les condamnations sont pour délit militaire, & prononcées par le conseil de guerre, elles n'emportent point de mort civile, ni de confiscation, ni même d'infamie. Voyez ARRET, CONDAMNE, JUGEMENT, SENTENCE, PEINE.

CONDAMNATION CONSULAIRE, est celle qui est portée par une sentence des consuls, & qui emporte la contrainte par corps. Voyez CONSULS & CONTRAINTE PAR CORPS.

CONDAMNATION CONTRADICTOIRE, est celle qui est prononcée contre un défendeur, qui a été oüi par lui ou par son avocat ou procureur, ou en matiere criminelle contre un accusé présent.

CONDAMNATION PAR CONTUMACE, est celle qui est prononcée contre un accusé absent. Voyez CONTUMACE.

CONDAMNATION PAR CORPS, est celle qui emporte la contrainte par corps, telles que celles qui sont prononcées en matiere civile contre les fermiers des biens de campagne, lorsqu'ils s'y sont soûmis par leurs baux ; en matiere de stellionat, pour dépens montans à 200 livres & au-dessus, pour dettes entre marchands, & en matiere criminelle pour les intérêts & réparations civiles.

CONDAMNATION FLETRISSANTE, est celle qui imprime quelque tache au condamné, quoiqu'elle ne lui ôte pas la vie civile, & même qu'elle n'emporte pas infamie, comme lorsqu'un homme est admonesté.

CONDAMNATION INFAMANTE, est celle qui prive le condamné de l'honneur qui fait une partie de la vie civile ; toutes les condamnations à peine afflictive sont infamantes. Voyez INFAMIE.

CONDAMNATION ad omnia citra mortem, c'est lorsque quelqu'un est condamné au foüet, à être marqué & aux galeres.

CONDAMNATION PECUNIAIRE, est celle qui ordonne de payer quelque somme d'argent, comme une amende, une aumône, des intérêts civils, des dommages & intérêts, des réparations civiles ; ce terme est principalement usité en matiere criminelle pour distinguer ces sortes de condamnations de celles qui tendent à peine afflictive.

CONDAMNATION A PEINE AFFLICTIVE, voyez PEINE AFFLICTIVE.

CONDAMNATION SOLIDAIRE, est celle qui s'exécute solidairement contre plusieurs condamnés, comme pour dette contractée solidairement, ou pour dépens en matiere criminelle. (A)


CONDAMNÉpartic. (Jurisprud.) est celui qui a subi son jugement, soit en matiere civile ou en matiere criminelle.

Le condamné à mort naturelle ou civile est déchû des effets civils aussi-tôt que son jugement lui est prononcé, parce que cette prononciation est le commencement de l'exécution, & qu'à l'instant le condamné est remis entre les mains de l'exécuteur de la haute-justice.

Mais s'il y a appel de la sentence, l'état du condamné demeure en suspens jusqu'au jugement de l'appel, & même jusqu'à ce que le jugement qui intervient sur l'appel lui ait été prononcé.

Si le condamné meurt avant la prononciation du jugement, il meurt integri status.

Si par l'évenement de l'appel la sentence est confirmée, en ce cas la mort civile a un effet rétroactif au jour de la prononciation de la sentence.

Anciennement les condamnés à mort étoient privés de tous les sacremens ; mais depuis 1360 on leur offre le sacrement de pénitence.

Ceux qui sont exécutés à mort sont ordinairement privés des honneurs de la sépulture.

A l'égard de ceux qui sont condamnés par contumace à mort naturelle ou civile, ils n'encourent la mort civile que du jour que le jugement est exécuté contr'eux par effigie, attendu que ne pouvant pas leur prononcer le jugement de contumace, il ne commence à être exécuté que par l'apposition de leur effigie. Voyez ci-devant CONDAMNATION. (A)


CONDAPOLI(Géog. mod.) ville forte d'Asie dans la presqu'île de l'Inde, en-deçà du Gange, au royaume de Golconde.


CONDAVERA(Géog. mod.) ville d'Asie dans la presqu'île de l'Inde, au royaume de Canate, sur la côte de Malabar.


CONDÉ(Géog. mod.) petite ville très-forte de France aux Pays-Bas dans le Hainaut, près du confluent de la Haine & de l'Escaut. Long. 21. 15. 33. lat. 50. 26. 55.

CONDE, (Géog. mod.) petite ville de France en Normandie, dans le Bessin sur le Nereau. Long. 16. 58. lat. 48. 50.


CONDELVAI(Géog. mod.) ville forte d'Asie dans les Indes dans l'Indostan, au royaume de Decan sur la riviere de Mangera, aux frontieres du royaume de Golconde.


CONDENSATEURS. m. (Physiq.) est le nom que quelques auteurs donnent à une machine qui sert à condenser de l'air dans un espace donné. On peut y faire tenir trois, quatre, cinq, & même dix fois autant d'air, qu'il en tient dans un pareil espace hors de la machine. Voyez CONDENSATION.

Il y a différens moyens de condenser l'air : on en peut voir plusieurs aux articles ARQUEBUSE A VENT, FONTAINE, &c. En général les moyens de condenser l'air sont l'inverse des moyens de le raréfier. Voulez-vous condenser l'air dans un globe creux, faites-y entrer de l'air avec un piston, & adaptez à l'ouverture intérieure du trou fait au globe, une soûpape qui permette à l'air d'entrer, & qui l'empêche de sortir. C'est ainsi qu'on condense l'air dans un ballon, par exemple. On pourroit aussi par une opération contraire à celle dont on se sert pour raréfier l'air dans le récipient de la machine pneumatique, condenser l'air dans ce même récipient ; c'est ce qu'on verra avec un peu d'attention ; mais il faut pour cette opération que le récipient soit bien lutté contre la platine, & qu'il ait assez de force pour résister à la pression intérieure de l'air condensé, très-capable de le briser par son effort. Voyez MACHINE PNEUMATIQUE. (O)


CONDENSATIONS. f. (Physique) action par laquelle un corps est rendu plus dense, plus compact & plus lourd. Voyez DENSITE & COMPRESSION.

La condensation consiste à rapprocher les parties d'un corps les unes des autres, & augmenter leur contact, au contraire de la raréfaction qui les écarte les unes des autres, diminue leur contact, & par conséquent leur cohésion, & rend les corps plus legers & plus mous. Voyez RAREFACTION.

Wolfius & quelqu'autres auteurs restreignent l'usage du mot condensation à la seule action du froid, appellant compression tout ce qui se fait par l'application d'une force extérieure. Voyez COMPRESSION.

L'air se condense aisément, soit par le froid, soit artificiellement ; pour l'eau, elle ne se condense jamais ; & elle pénetre les corps les plus solides, l'or même, plûtôt que de rien perdre de son volume. Voyez EAU.

On trouva à l'observatoire pendant le grand froid de l'année 1670, que les corps les plus durs, jusqu'aux métaux, au verre, & au marbre même, étoient sensiblement condensés par le froid, & qu'ils étoient devenus plus durs & plus cassans qu'auparavant ; ce qui dura jusqu'au dégel, qu'ils reprirent leur premier état.

L'eau est le seul fluide qui paroisse se dilater par le froid ; tellement que lorsqu'elle est gelée, elle occupe plus de place qu'elle n'en occupoit auparavant : mais on doit attribuer cet effet plûtôt à l'introduction de quelque matiere étrangere, comme des particules de l'air environnant, qu'à aucune raréfaction particuliere de l'eau causée par le froid. Voyez FROID & CONGELATION.

Si on fait entrer beaucoup d'air dans un vase fermé, ce vase deviendra plus pesant ; & si ensuite on laisse échapper l'air, il sortira avec beaucoup de violence, & le vase reprendra sa premiere pesanteur. Or il suit de cette expérience, 1°. que l'air étoit réduit à un moindre volume que celui qu'il occupe ordinairement, & qu'il est par conséquent compressible. Pour la mesure de sa compression, voyez COMPRESSION & AIR.

2°. Qu'il est sorti autant d'air qu'il en étoit entré, ce que prouve le rétablissement de la pesanteur du vase ; donc l'air comprimé se restitue dans son premier état, si la force comprimante est ôtée, & conséquemment il est élastique. Voyez ELASTICITE.

3°. Que puisque le poids du vase est augmenté par l'air injecté, l'air est par conséquent pesant, & qu'il presse perpendiculairement à l'horison les corps environnans, selon les lois de la gravité. Voyez GRAVITE.

4°. Que c'est un signe certain de la compression de l'air quand en ouvrant l'orifice d'un vaisseau, on observe qu'il en sort de l'air.

L'air condensé produit des effets directement opposés à ceux de l'air raréfié. Les oiseaux y paroissent plus gais & plus vivans que dans l'air ordinaire, &c. Chambers. (O)


CONDESCENDANCES. f. (Morale) déférence aux idées, aux sentimens, aux desirs, & aux volontés d'autrui. Cette déférence peut être louable ou blâmable, une vertu ou un vice.

La condescendance louable a sa source dans la modération, la douceur du caractere, & l'envie d'obliger. Elle est pure, droite, également éloignée de la bassesse & de l'adulation, comme de la dureté & de l'esprit de contradiction. Elle souffre dans la société les vagues réflexions, les raisonnemens peu justes, & le débit des beaux sentimens ; elle laisse Aronce parler proverbe, chasse, & bonne chere ; Mélinde parler d'elle-même, de son chat, de son perroquet, de ses vapeurs, de ses insomnies, de ses migraines. Elle écoute patiemment de telles personnes sans les goûter & sans leur rompre en visiere.

La condescendance blâmable applaudit à tout, & sacrifie sans scrupule ce qui est honnête & vertueux à ses seuls intérêts, à la bassesse d'ame, & au desir de plaire. Le caractere de celui qui veut mériter de quelqu'un par ses adulations, rentre dans celui de l'homme plein d'une condescendance sans bornes. On n'est jamais plus flatté, plus ménagé, plus soigné, plus approuvé de personne pendant la vie, que de celle qui croit gagner beaucoup à notre mort, & qui desire qu'elle arrive promptement.

Celui qui sans honteuse condescendance pour les idées & les volontés des autres, loue la vertu pour la vertu, blâme le vice comme vice, & se conduit ainsi sans affectation, sans politique, sans humeur, & sans esprit de contradiction, celui-là donne un bon exemple & remplit un devoir.

Il n'est pas nécessaire de reprendre tout ce qui peut être mal ; mais il est nécessaire de ne déférer, de ne condescendre qu'à ce qui est véritablement louable, autrement on jette dans l'illusion ceux qu'on loue sans sujet, & l'on fait tort à ceux qui méritent de véritables louanges, en les rendant communes à ceux qui n'en méritent pas. L'on détruit toute la foi du langage, en faisant que nos expressions ne sont plus des signes de nos pensées, mais seulement d'une civilité extérieure, comme est une révérence. Enfin quand la fausseté ne seroit que dans les paroles & non dans l'esprit, cela suffit pour en éloigner tous ceux qui aiment sincerement la vérité. (D.J.)


CONDIGNITÉS. f. (Théologie) mérite de condignité, ou, comme s'expriment les scholastiques, mérite de condigno. C'est le mérite auquel Dieu, en vertu de sa promesse & de la proportion des bonnes oeuvres avec sa grace, doit une récompense à titre de justice. Cette condignité exige des conditions de la part de l'homme, de la part de l'acte méritoire, & de la part de Dieu. De la part de l'homme, les conditions sont, 1°. qu'il soit juste ; 2°. qu'il soit encore dans la voie, c'est-à-dire sur la terre. L'acte méritoire doit être libre, moralement bon, surnaturel dans son principe, c'est-à-dire fait par le mouvement de la grace, & rapporté à Dieu. Enfin de la part de Dieu, il faut qu'il y ait une promesse ou obligation de récompenser. De ces principes, les Théologiens concluent que l'homme ne peut mériter de condigno, ni la premiere grace sanctifiante, ni le don de la persévérance, mais que les justes peuvent mériter la vie éternelle d'un mérite de condignité. Voyez GRACE, MERITE, &c. (G)


CONDINSKou CONDORA, (Géog. mod.) province à l'orient de la Russie avec titre de duché. Elle est remplie de forêts & de montagnes ; les habitans sont idolâtres, & payent au czar un tribut en fourrures & pelletteries.


CONDITS. m. (Pharmacie) on entend par condit, en Pharmacie, la même chose que l'on entend en général par le mot de confiture.

Les Apothicaires confisoient autrefois un grand nombre de racines, d'écorces, de fruits, &c. qu'ils renfermoient sous la dénomination de condit, tant pour les usages de la Medecine, que pour les délices de la bouche.

Mais à présent à peine trouve-t-on deux ou trois condits dans les boutiques des Apothicaires ; ils ne gardent guere sous cette forme que la racine d'eringium, celle de satyrium, & celle de gingembre, qu'ils reçoivent toute confite des Indes. Voyez la maniere de confire l'une ou l'autre des deux premieres racines.

Prenez des racines de satyrium ou d'eringium bien nettoyées & bien mondées, une livre, par exemple ; faites-les bouillir jusqu'à ce qu'elles soient bien ramollies dans une suffisante quantité d'eau commune, après quoi vous les retirerez de l'eau & les égoutterez bien. Vous ferez cuire dans l'eau de la décoction une livre & demie de sucre, que vous clarifierez avec le blanc d'oeuf, après quoi vous y ajoûterez vos racines, & ferez bouillir le tout ensemble jusqu'à ce que le sirop ait une consistance fort épaisse ; vous verserez le tout, racines & sirop, dans un pot, que vous ne fermerez qu'après un refroidissement parfait.

Les conserves, qu'on pourroit ranger sous le nom générique de condit, different de l'espece de confiture que nous venons de décrire, par le manuel de leur préparation. Voyez CONSERVE. (b)


CONDITEUR(Myth.) conditor ; dieu champêtre qui veilloit après les moissons à la récolte des grains, ainsi que son nom l'annonce. On appelloit aussi conditor le chef des factions du cirque. Voyez CIRQUE.


CONDITION(Gram. & Jurisp.) est une clause qui fait dépendre l'exécution d'un acte de quelqu'évenement incertain, ou de l'accomplissement de quelque clause particuliere : par exemple, quelqu'un s'oblige de payer une somme au cas qu'elle soit encore dûe, & qu'il ne s'en trouve pas de quittance ; ou bien si celui au profit de qui l'obligation est passée acheve un ouvrage qu'il a commencé.

On peut apposer des conditions dans une convention, dans une disposition de derniere volonté, ou dans un jugement.

Il n'y a point de forme déterminée pour établir une condition ; la plus naturelle est celle qui est conçûe dans ces termes, à condition de faire telle chose : mais une condition peut aussi être apposée en d'autres termes équipollens, selon la nature de la condition : par exemple, si telle chose est faite dans un certain tems, ou au cas que cela soit fait dans tel tems, ou pourvû que telle chose soit faite, &c.

On distingue dans un acte la cause, le mode, & la démonstration, d'avec la condition.

La cause est le principe qui fait agir ; par exemple, je donne à un tel pour la bonne amitié qu'il a pour moi, cela ne forme pas un acte conditionnel : mais la cause finale est la même chose qu'une condition, comme lorsqu'on donne pour bâtir une maison.

Le mode est aussi la même chose que la cause finale : c'est lorsqu'on dit je legue à un tel pour achever sa maison, ou afin qu'il paye ses dettes ; c'est-là un mode, & non une condition : la différence qu'il y a de l'un à l'autre est que la condition fait une partie essentielle de l'acte, ensorte que la chose donnée ou léguée sous condition ne peut être exigée qu'après l'accomplissement de la condition ; au lieu que le legs ou la donation qui ne renferment qu'un mode, peuvent être demandés sans attendre ce qui pourra être fait par la suite relativement au mode.

Le mode est une charge imposée à la convention ou disposition ; il ne differe point de la condition potestative. Voyez MODE.

La démonstration est une désignation de quelque personne ou chose. Une démonstration vicieuse ne rend pas la disposition nulle : par exemple, si le testateur legue à un tel son neveu majeur, & que le neveu soit mineur, ou qu'il lui ait légué son cheval noir, & que le cheval soit d'une autre couleur, le legs n'est pas moins valable, parce que le testateur n'a pas fait dépendre sa disposition de la qualité du légataire, ni de la qualité qu'il a donnée à la chose léguée ; la disposition n'est pas conditionnelle.

Dans les conventions & dispositions dont l'accomplissement dépend de l'évenement d'une condition, tout demeure en suspens comme s'il n'y avoit pas eu de convention ou de disposition, jusqu'à ce que la condition soit arrivée ou remplie ; & si la condition n'arrive pas, la convention ou disposition est anéantie par la clause même qui la fait dépendre de la condition : par exemple, dans une vente qui doit s'accomplir par l'évenement d'une condition, l'acheteur n'a qu'un droit éventuel, & le vendeur demeure propriétaire de la chose vendue, & fait les fruits siens jusqu'à ce que la condition soit arrivée.

L'accomplissement de la condition donne effet à l'acte, & cet effet est même quelquefois rétroactif, suivant ce qui a été convenu ou ordonné à ce sujet par l'acte qui renferme la condition.

Lorsque la convention ou disposition est déjà exécutée, mais qu'elle peut être résolue par l'évenement d'une condition, les choses demeurent dans l'état où elles sont, suivant la convention ou disposition, jusqu'à ce que la condition soit arrivée ; & dans ce cas le profit & la perte tombent sur celui qui joüit en vertu de l'acte ; & quand la condition est accomplie, soit qu'elle confirme ou qu'elle résolve la convention ou disposition, le gain & la perte regardent celui qui se trouve maître de la chose.

Les conditions qui se rapportent au présent ou au passé, produisent leur effet du moment même de l'acte, desorte que si l'on ignore d'abord l'état des choses par rapport à la condition, c'est-à-dire si elle se trouve remplie ou non, l'exécution ou résolution de l'acte est seulement en suspens, & la condition a un effet rétroactif au jour de l'acte.

Quand on a apposé quelque condition impossible ou contre les bonnes moeurs, si c'est dans un testament, elle est regardée comme non écrite ; si c'est dans une convention, la condition est non-seulement vicieuse en elle-même, mais elle vicie aussi le reste de l'acte.

Pour ce qui est des conditions inutiles, dans quelqu'acte que ce soit, elles sont regardées comme non écrites.

Si celui qui a promis de remplir quelque condition vient à décéder avant de l'avoir fait, son héritier est tenu de remplir le même engagement, supposé qu'il soit tel qu'une personne puisse le remplir pour une autre ; autrement il se résoudroit en dommages & intérêts.

Quoiqu'on ait fixé dans l'acte le tems dans lequel la condition potestative doit être remplie, la justice peut néanmoins proroger ce délai suivant les circonstances, sur-tout si le retardement n'a causé aucun préjudice à celui qui a stipulé la condition, ou que le dommage puisse être réparé.

Si quelqu'une des parties empêche l'accomplissement de la condition pour éluder l'exécution de son engagement, la condition sera censée arrivée à son égard, & la convention ou disposition sera exécutée.

Le nombre des diverses especes de conditions que l'on peut apposer dans un acte n'est pas limité ; il y en a autant que de différentes clauses : dans les conventions, les unes sont relatives à des évenemens passés, présens, ou à venir ; d'autres tendent à obliger quelqu'un de donner quelque chose, ou à faire ou à ne pas faire quelque chose. Nous expliquerons ici seulement les conditions qui ont un nom particulier.

CONDITION AFFIRMATIVE, est celle qui est conçûe en termes positifs ou affirmatifs : par exemple, j'institue un tel mon héritier si un vaisseau arrive de l'Asie ; elle est opposée à la condition négative, qui est conçûe en termes négatifs, comme si on dit, j'institue un tel mon héritier s'il n'est pas engagé dans les ordres. Ces sortes de conditions affirmatives & négatives peuvent l'une & l'autre être potestatives, casuelles, ou mixtes, & conférées à la volonté d'un tiers. Voyez ci-après CONDITION CASUELLE, MIXTE & POTESTATIVE, & CONDITION NEGATIVE.

CONDITIONS ALTERNATIVES ; elles sont de cette espece lorsque l'acte en contient plusieurs, & que celui à qui elles sont imposées a le choix de remplir l'une ou l'autre de ces conditions. Elles sont aussi alternatives lorsque de deux conditions casuelles qui sont stipulées, il suffit qu'il en arrive une.

CONDITION CASUELLE, est celle dont l'évenement dépend du hasard, comme si un legs est fait sous la condition si navis ex Asiâ venerit : elle est appellée en Droit non promiscua, parce qu'elle dépend entierement du hasard ; à la différence de la potestative, qu'on appelle en Droit promiscua, parce qu'elle dépend toûjours en partie du hasard. Voyez CONDITION POTESTATIVE.

CONDITIONS CONJOINTES ; c'est lorsqu'il y a plusieurs considérations qui doivent être remplies pour que la disposition ait son effet.

CONDITION DERISOIRE ; on regarde comme telle une condition qui n'a point d'objet sérieux, aucun intérêt légitime, & qui tend à obliger de faire quelque chose de ridicule, comme si un homme ordonnoit à quelqu'un de se promener dans la ville avec des cornes sur la tête ; ces sortes de conditions doivent être mises dans la classe des conditions inutiles.

CONDITION DESHONNETE ; on appelle ainsi celle qui blesse l'honnêteté ou les bonnes moeurs, & que les lois appellent probrosa : telle seroit, par exemple, la clause qui imposeroit à un homme marié la condition de faire divorce avec sa femme. Ces sortes de conditions sont rejettées dans les testamens ; & si elles se trouvent dans une convention, elles annullent l'acte. L. 20. ff. de condit. & demonstr. & l. si quis 112. §. 3. de legat. 1.

CONDITION DIVIDUE, est celle qui porte sur un fait qui est dividu ; elle est opposée à la condition individue, qui porte sur un fait individu, c'est-à-dire qui ne souffre point de division : tel est le cas où deux légataires sont chargés par forme de condition de construire une maison ; comme ce fait ne souffre point de division, la condition ne doit pas être divisée. Voyez Dumolin, tr. de divid. & individ. part. II. n. 386. les lois 56. & 112. au digest. de condit. & demonstr. & l. 13. ff. de manum. testam.

CONDITION DE DROIT ou LEGALE, est celle que la loi impose à quelqu'un ; elle est toûjours suppléée, quand même elle ne seroit point écrite dans l'acte. Il y a des conditions légales pour les contrats, d'autres pour les donations, d'autres pour les testamens & autres actes : ces conditions ne sont pas suspensives, mais négatives & résolutives. Voyez le tr. de Brussel conseiller de l'empereur Charles V. de conditionibus, où il traite d'un grand nombre de ces conditions légales.

CONDITION EXPRESSE, est celle qui est exprimée dans l'acte ou dans la loi ; au lieu que la condition tacite qui n'y est pas exprimée se supplée. Voyez CONDITION TACITE.

CONDITION DE FAIT ; c'est ainsi qu'on appelle celle qui a pour objet des faits affirmatifs ou négatifs, & imposés par l'acte, tels que la condition de donner ou de faire quelque chose, ou au contraire de ne point donner ou ne point faire telle chose, ou si tel évenement arrive ou n'arrive pas. Les conditions de fait sont opposées aux conditions de droit, lesquelles ne sont point imposées par la disposition de l'homme, mais par celle de la loi.

CONDITION FAUSSE, se dit par opposition à condition vraie. Voyez ci-après CONDITION VRAIE.

CONDITION de futuro, est celle qui se rapporte à un évenement à venir, comme quand un testateur ordonne que l'on donnera à un tel une certaine somme lorsqu'il se mariera : ces sortes de conditions de futuro sont les seules qui ont un effet suspensif. Leg. 39. ff. de reb. credit.

CONDITION HONNETE ou LICITE, se dit de celle qui porte sur un fait, lequel n'est point contraire aux bonnes moeurs : elle est opposée à condition deshonnête. Voyez ci-devant CONDITION DESHONNETE.

CONDITION IMPOSSIBLE, est celle qui ne peut pas être accomplie : l'impossibilité provient ou ex naturâ rei, comme d'empêcher le vent ou la pluie, ou de la loi qui défend de faire ce qui est porté par la condition, ou du fait de celui qui est chargé de la condition, comme de prouver la légitimité. Ces sortes de conditions sont regardées comme non écrites dans les testamens ; & si c'est dans une convention, elles vicient l'acte. Voyez ce qui est dit au commencement sur les CONDITIONS en général.

CONDITION INDIVIDUE, s'entend de celle que chacun est tenu d'accomplir en entier, & qui ne peut pas se diviser entre ceux qui en sont chargés. Voyez ci-devant CONDITION DIVIDUE.

CONDITION INEPTE, tient quelquefois beaucoup de la condition dérisoire ; elle forme néanmoins encore un genre particulier, & marque plus d'imbécillité que de folie : telle seroit, par exemple, la condition qu'un testateur imposeroit d'enterrer avec lui ses habits & ses livres ; ces sortes de conditions sont rejettées. L. 113. ff. de legat. j.

CONDITION INVOLONTAIRE, voyez CONDITION NECESSAIRE.

CONDITION INUTILE ; on qualifie ainsi celle qui n'opere aucun effet, qui est regardée comme non écrite, & qui ne peut suspendre ni résoudre l'effet de la convention ou disposition, laquelle est regardée comme pure & simple, nonobstant l'apposition de la condition inutile ou superflue ; ce qui arrive lorsque la condition est rejettée comme impossible ou comme contraire aux lois, à l'honnêteté, & aux bonnes moeurs, ou comme incapable de produire son effet naturel, quand ce n'est qu'une expression d'une chose inhérente, & qui est toûjours tacitement sousentendue dans l'acte.

CONDITIONS JOINTES, voyez CONDITIONS CONJOINTES.

CONDITION de jurer ou de faire serment sur un fait passé, présent, ou à venir, étoit rejettée chez les Romains dans les testamens & autres dispositions de derniere volonté ; l. 8. ff. de condit. instit. mais elle étoit valable dans les contrats entre-vifs. L. 39. ff. de jure jurando. Parmi nous cette condition est rejettée dans tous les actes, soit entre-vifs ou à cause de mort, excepté dans les jugemens, parce que la religion du serment ne devant point être prodiguée, il n'y a que le juge qui puisse imposer cette condition. Les notaires reçoivent néanmoins le serment des parties dans les inventaires, & les commissaires dans les procès-verbaux, enquêtes, & informations ; mais la raison est qu'ils font en cette partie la fonction de juge.

CONDITION LEGALE, voyez ci-devant CONDITION DE DROIT.

CONDITION LICITE, est celle qui n'est point prohibée par les lois, & qui n'est point contraire aux bonnes moeurs.

CONDITION DE SE MARIER, soit en général, ou avec une certaine personne, ou avec une personne de telle ville ou tel lieu, est une condition licite, & qui n'a rien contre les bonnes moeurs, pourvû que ce ne soit pas avec une personne indigne.

CONDITION DE NE SE POINT MARIER, est rejettée dans les testamens, & elle annulle les actes entrevifs, comme étant contraire à l'intérêt public, qui est que l'on procure des sujets à l'état : mais la condition de rester en viduité peut être apposée dans un acte, soit entre-vifs ou à cause de mort. Voyez ci-après CONDITION DE VIDUITE.

CONDITION MIXTE, est celle qui est partie casuelle & partie potestative, c'est-à-dire qui dépend à la fois du hasard & du pouvoir de celui auquel elle est imposée, ou lorsqu'elle dépend aussi en partie du fait d'un tiers. L. unic. §. 7. de caducis tollen.

CONDITION MOMENTANEE ; on appelle ainsi toute condition qui peut être accomplie par un seul évenement, & qui peut arriver dans un instant ; par exemple, si navis ex Asiâ venerit : on regarde même comme momentanée celle qui demande du tems pour être accomplie, telle que la condition de bâtir une maison, quoiqu'il faille un certain tems pour la bâtir ; parce que la condition s'accomplit toûjours en ce cas dans un seul instant, qui est celui où la maison est achevée.

CONDITION NECESSAIRE, est celle qui est de la nature de l'acte : c'est ainsi que la substitution vulgaire doit être conçûe en termes qui marquent que le premier institué ne sera point héritier. Voyez Fernand, ad. leg. ult. cod. de posthum. hered. instit.

CONDITION NEGATIVE, qui est opposée à la condition affirmative, est celle qui est conçûe en termes négatifs : par exemple, je donne à un tel au cas qu'il ne se remarie pas ; au lieu que l'affirmative seroit au cas qu'il se remarie. La négative peut être potestative, casuelle, ou mixte, de même que l'affirmative. Voyez CONDITION CASUELLE, MIXTE, TESTATIVETIVE.

CONDITION PENDANTE, c'est-à-dire celle qui n'est pas encore arrivée, qui néanmoins n'a point manqué, & dont le terme n'est pas expiré.

CONDITION POSSIBLE ; on ne comprend pas sous ce terme toute condition qui peut être accomplie de fait, mais seulement celles qui peuvent l'être légitimement, & qui ne sont point prohibées par les lois ou contraires aux bonnes moeurs.

CONDITION POTESTATIVE, est celle qui dépend du fait & du pouvoir de celui auquel elle est imposée. Quelques-uns distinguent deux sortes de conditions potestatives, l'une purement potestative, l'autre potestative casuelle ; & même une troisieme sorte qui est la potestative négative, qui consiste dans le pouvoir de ne pas faire quelque chose : il est néanmoins certain qu'il n'y a point de condition purement potestative affirmative, parce que malgré l'intention que l'on peut avoir d'accomplir une telle condition, il peut néanmoins arriver qu'elle manque par quelque cas fortuit ; c'est pourquoi cette condition est appellée en droit promiscua ; il n'y a que la négative qui soit toûjours potestative : car on est toûjours le maître de ne pas faire une chose ; au lieu que quand on veut la faire, souvent on ne le peut pas. Cujas, observ. liv. XIV. ch. ij.

CONDITION de praesenti, se rapporte au tems présent, comme si on dit, j'institue mon neveu mon héritier, au cas qu'il remporte le prix de l'académie.

CONDITION de praeterito, se rapporte à un évenement passé, tel que seroit cette clause ; je legue à un tel au cas qu'il ait remporté le prix. Voyez ci-devant CONDITION de futuro.

CONDITION REDOUBLEE : ce terme usité en matiere de substitution, se réfere ordinairement à la condition si sine liberis decesserit. La condition est simple lorsque le testateur dit : j'institue Maevius ; & s'il meurt sans enfans, je lui substitue Sempronius. Mais si le testateur dit : j'institue Maevius ; & s'il meurt sans enfans, & ses enfans sans enfans, je lui substitue, &c. c'est ce que l'on appelle une condition redoublée, parce qu'elle s'applique tant au pere qu'aux enfans.

CONDITION REDUPLICATIVE, est la même chose que redoublée.

CONDITION RESOLUTIVE ; c'est celle qui par l'évenement d'un cas prévû, résout & anéantit l'acte qui avoit déjà eu son exécution. Voyez ci-après CONDITION SUSPENSIVE.

CONDITION RESPECTIVE, est celle qui n'est pas imposée purement & simplement, mais relativement à quelqu'un.

CONDITION RESOLUTIVE, est celle dont l'arrivée opere la résolution de la disposition : elle est opposée à la condition suspensive, qui tient la disposition en suspens jusqu'à ce que la condition soit arrivée.

CONDITION DU SERMENT, voyez ci-devant CONDITION DE JURER.

CONDITION SUCCESSIVE, est celle qui ne s'accomplit pas dans un seul instant ni par un seul fait, mais dont l'exécution doit se continuer autant de tems qu'il est porté dans l'acte. Voyez ci-devant CONDITION MOMENTANEE.

CONDITION SUSPENSIVE ; on entend par ce terme celle qui fait dépendre l'effet & la validité de l'acte d'un évenement à venir : cette espece de condition est celle que les lois appellent proprement condition ; car la résolutive ne suspend point l'effet ni l'exécution de l'acte, mais elle l'anéantit lorsque le cas est arrivé ; & la condition négative, la charge, & le mode quand il est fondé sur une cause finale, ne sont pas des conditions proprement dites, leur effet n'étant pas de suspendre l'exécution de l'acte, mais de l'anéantir.

CONDITION TACITE, est celle qui est inhérente à la chose, & qui résulte de la nature du contrat ou de la loi, de maniere qu'elle est toûjours sousentendue, & produit son effet comme si elle avoit été exprimée : telle est dans les contrats de vente la garantie de droit, c'est-à-dire l'obligation de faire joüir de la chose vendue, qui est toûjours une condition tacite de la vente, à moins qu'il ne soit dit qu'elle est faite sans garantie.

CONDITION DE VIDUITE ou DE NE POINT SE REMARIER, est licite, sur-tout lorsque la personne a des enfans d'un premier mariage ; on présume que cette condition est apposée pour l'interêt de la famille.

CONDITION VOLONTAIRE, est celle sans laquelle l'acte peut subsister. & qui procede seulement de la volonté de celui qui l'impose ; à la différence de la condition involontaire ou nécessaire, qui est de l'essence de l'acte pour sa validité. Voyez ci-dev. CONDITION NECESSAIRE.

CONDITION VRAIE ; on entend par-là, non pas celle qui est arrivée & qui se vérifie, mais celle qui peut arriver & se vérifier ; à la différence de la condition fausse, qui est celle où se trouve mêlé quelque fait qui ne peut pas être accompli parce qu'il est impossible.

CONDITION UTILE, est celle qui produit son effet naturel, qui est de suspendre ou de résoudre la convention ou disposition : on l'appelle ainsi par opposition aux conditions inutiles. Voyez ci-dev. CONDITION INUTILE.

Sur la qualité & l'effet des différentes conditions, on peut voir au digeste le tit. de condit. & demonstrat. & au code le tit. de condit. insert. legat. & fideicomm. & plusieurs autres où il en est parlé. Cette matiere est très-bien traitée par M. Furgoles, dans son tr. des testam. tome II. ch. vij. sect. 2. (A)

CONDITION, (Jurisp.) dans quelques coûtumes où il y a des serfs & gens de main-morte ou mortaillables, signifie les gens de condition serve ou la condition de main-morte ; par exemple la coûtume d'Auvergne, chap. xxvij. dit que toutes personnes sont francs & de franche condition, encore qu'en quelques lieux il y ait des héritages tenus à condition de main-morte. Cette même coûtume appelle quelquefois condition simplement le droit de main-morte ; droit de condition, le droit de main-morte appartenant au seigneur direct ; & conditionné ou emphitéote conditionné, celui qui tient en main-morte ; & héritage conditionné ou sujet à condition, celui qui est main-mortable. Voyez CONDITIONNE. (A)

* CONDITION, (Comm.) terme relatif à la qualité d'une marchandise ; si elle peche par quelqu'endroit ou en quelque point, la condition, dit-on, en est mauvaise ; si elle a toute la perfection qu'on a coûtume d'en desirer, on dit que la condition en est bonne. On a fait de condition le participe conditionné.


CONDITIONNÉadj. (Jurisp.) dans la coûtume d'Auvergne, est un homme de serve condition, de main-morte ou de suite. Ce nom paroît venir de ce que dans l'origine, les serfs & main-mortables ont été soûmis aux conditions qu'il a plû au seigneur de leur imposer. Suivant la coûtume d'Auvergne, chap. xxvij. toutes personnes étans & demeurans audit pays sont francs & de franche condition, posé qu'en aucuns lieux y ait héritages tenus à condition de main-morte ; mais au pays de Combraille y a aucuns de serve condition, de main-morte & de suite, & les autres francs & affranchis. Le seigneur direct qui a audit pays droit de condition de main-morte, succede à son emphitéote conditionné de ladite condition séparé & divis de ses parens ou lignagers, qui trépasse sans descendans de son corps en loyal mariage, à l'héritage conditionné de ladite condition seulement ; le conditionné (l'emphitéote conditionné) peut aliéner & disposer desdits biens conditionnés à ladite condition, & de ses autres biens par contrat entre-vifs pur & simple à son plaisir & volonté ; mais le conditionné ne peut par testament, contrat de mariage, association, ni autre acte faire héritier ou convention de succéder au préjudice du seigneur direct ayant le droit de condition ; l'emphitéote conditionné est tenu à ladite condition, depuis qu'il est parti ou divis de ses freres & soeurs ou autres lignagers ; il ne peut faire pacte de succéder par contrat d'association ni autrement avec ses freres lignagers ou autres, au préjudice du seigneur direct ayant le droit de condition, pour empêcher que ce seigneur ne lui succede à défaut de descendans en loyal mariage ès biens-meubles de ladite condition. On ne peut dire ni juger qu'il y ait eu partage entre le conditionné & ses freres ou lignagers, par la seule demeure séparée du conditionné & de ses autres freres ou parens par quelque laps de tems que ce soit, s'il n'y a partage formel fait entre le conditionné & ses freres ou lignagers, ou commencement de partage par le partement du chanteau. Le seigneur direct ayant le droit de condition, ne succede point à la fille mariée de son conditionné qui meurt sans descendans, encore qu'il lui ait été constitué en dot l'héritage sujet à la condition ; ce sont les lignagers, & à leur défaut le seigneur, quant à l'héritage conditionné donné en dot. Mais aussi le seigneur n'est pas préféré en la succession de son emphitéote conditionné à ladite condition, à la fille mariée du conditionné, encore qu'il n'y eût point d'autres enfans du conditionné ; & nonobstant que la fille eût été mariée du vivant de son pere & hors sa maison, la fille est toûjours préférée au seigneur direct. (A)

CONDITIONNE, (Comm.) Voyez CONDITION (Commerce.)


CONDITIONNELadj. (Gramm.) ce qui n'est point absolu ; ce qui est sujet à des restrictions & des conditions.

Les théologiens arméniens soûtiennent que tous les decrets de Dieu, relatifs au salut ou à la damnation des hommes, sont conditionnels ; les Gomaristes au contraire soûtiennent qu'ils sont absolus, &c.

En Logique, les propositions conditionnelles admettent toutes sortes de contradictions, comme, par exemple : si ma mule transalpine s'est envolée, ma mule transalpine avoit des aîles. Voyez PROPOSITION. Chambers.

CONDITIONNEL, (Jurisp.) signifie tout ce qui est ordonné ou convenu sous quelque condition, soit par jugement, soit par disposition entre-vifs ou de derniere volonté, soit par convention ou obligation verbale & par écrit, sous seing privé ou devant notaire ; ainsi on dit une disposition, institution & un legs conditionnel, une obligation conditionnelle, &c. Voyez CONDITION. (A)


CONDITIONNERv. act. (Comm.) c'est donner à une marchandise toutes les façons nécessaires pour la rendre vénale ; il a encore une autre acception, il se prend pour certaines façons arbitraires, qu'on ne donne à la marchandise que quand elle est sur le point d'être livrée, & que l'acheteur exige cette façon : il est encore synonyme à assortir dans quelques occasions. On dit conditionner la soie. Voyez SOIE.


CONDOM(Géog. mod.) ville de France en Gascogne, capitale du Condomois, sur la Gelise. Long. 18. 2. lat. 44.


CONDOMOIS(LE) Géog. mod. petit pays de France en Gascogne, dans la Guienne, dont Condom est la capitale.


CONDORvoyez CUNTUR.


CONDORE(ISLES DE) Géog. mod. îles d'Asie dans la mer des Indes, au midi du royaume de Camboge ; les habitans en sont idolâtres. Lat. 8. 4.


CONDORINS. m. (Comm.) sorte de petit poids dont les Chinois, particulierement ceux de Canton, se servent pour peser & débiter l'argent dans le commerce : il est estimé un sou de France. Voyez les dict. du Comm. & de Trév.


CONDORMANTS. m. (Théol.) nom de sectes ; il y en a eu deux de ce nom. Les premiers Condormans sont du xiij. siecle, & n'infecterent que l'Allemagne. Ils eurent pour chef un homme de Toléde. Ils s'assembloient dans un lieu près de Cologne, & là ils adoroient, dit-on, une image de Lucifer, & y recevoient ses réponses & ses oracles. La légende ajoûte qu'un ecclésiastique y ayant porté l'eucharistie, l'idole se brisa en mille pieces. On les appella Condormans, parce qu'ils couchoient tous ensemble, hommes & femmes, dans la même chambre sous prétexte de charité.

Les autres, qui s'éleverent dans le xvj. siecle, étoient une branche des Anabaptistes. Ils faisoient coucher dans une même chambre plusieurs personnes de différens sexes, sous prétexte de charité évangélique. Voyez les diction. de Moreri, de Trévoux, & de Chambers. (G)


CONDRIEU(Géog. mod.) petite ville de France au Lyonnois, près du Rhône, remarquable par ses vins. Long. 22. 28. lat. 45. 28.


CONDRILLES. f. (Hist. nat. bot.) chondrilla ; genre de plante dont la fleur est un bouquet à demi-fleurons portés chacun sur un embrion, & soûtenus par un calice qui est un tuyau cylindrique. Lorsque la fleur est passée, chaque embrion devient une semence garnie d'une aigrette. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CONDROZ(LE) Géog. mod. petit pays d'Allemagne, au cercle de Westphalie, dans le pays de Liége, dont Huy est la capitale.


CONDUCTEURS. m. (Gramm.) celui qui en conduit un autre, qui lui sert de guide de peur qu'il ne s'égare. Ce terme se prend au simple & au figuré. Voyez les articles suivans.

CONDUCTEUR, (Physiq.) depuis quelque tems se dit aussi, en parlant d'expériences d'électricité, d'un corps isolé, c'est-à-dire soûtenu sur des cordons de soie, sur du verre, &c. considéré comme communiquant ou transmettant à un ou à plusieurs corps la vertu électrique qu'il reçoit d'un autre ; ainsi une corde mouillée, une chaîne, un fil-d'archal, & en général tout corps électrisable par communication (voyez ÉLECTRICITE), regardé comme chargé de transmettre cette vertu d'un corps à un ou à plusieurs autres, est dit un conducteur.

D'après cette définition on pourroit conclure que dans un système de corps électrisés par un globe, un tube, &c. on devroit appeller la plûpart de ces corps conducteurs, puisqu'ils sont presque tous dans le cas de se transmettre successivement l'électricité ; cependant ce seroit contre l'usage, qui ne leur donne ce nom qu'autant qu'ils sont envisagés, ainsi que nous venons de le dire, comme chargés de cette fonction. Dès que cette considération cesse, ils le perdent, & rentrent dans la classe des corps électriques ordinaires.

On appelle encore conducteur ou plûtôt le conducteur, un corps isolé, électrisable par communication, qui reçoit la vertu électrique immédiatement d'un globe ou d'un tube pour faire différentes expériences, quoique souvent il ne serve nullement à transmettre cette vertu à aucun corps : mais comme on l'emploie aussi à cet usage, auquel cas il devient le premier de tous les conducteurs, les autres corps quelconques électrisés ne l'étant que par la vertu électrique qu'il leur communique, on lui a donné le nom de cette fonction en l'appellant simplement le conducteur, comme pour dire le premier de tous. Voyez les Planches de l'Electricité, Planches physiques.

Avant de rien dire de particulier sur ces deux différens conducteurs, il est à-propos de rapporter quelques faits au moyen desquels nous serons en état de déterminer plus précisément tout ce qu'il faut observer à leur égard.

Ces faits peuvent se réduire aux trois suivans : 1°. l'eau, les métaux & quelques êtres animés, comme un homme par exemple, sont les seules substances connues qui transmettent l'électricité en entier, voy. ÉLECTRICITE ; les autres la transmettant plus imparfaitement & plus difficilement, & en arrêtant d'autant plus qu'elles sont plus électrisables par frottement, voyez ÉLECTRICITE : 2°. dans un corps électrique, les pointes, les angles, & en général toutes les parties saillantes sur sa surface, dont les extrémités sont aiguës, sont autant d'issues ainsi que nous l'a appris M. Franklin, par où se dissipe le fluide électrique ; & les aigrettes de feu que l'on voit à ces parties ne sont formées que par ce fluide qui en sort ; car l'électricité a cela de remarquable, qu'elle passe & se fait jour à-travers les pointes & les angles des corps, comme le font les fluides à-travers les ouvertures des vases dans lesquels ils sont retenus. Ainsi de même qu'un réservoir dans lequel se décharge une source qui coule toûjours également, paroîtra plus ou moins plein, selon qu'il aura des fentes ou des trous plus ou moins grands, ou plus ou moins multipliés par où l'eau pourra s'écouler ; de même, en regardant l'électricité fournie par le globe comme constante ou toûjours la même, elle paroîtra plus ou moins forte dans le système des corps électrisés par ce globe, selon qu'ils auront moins ou plus de ces parties aiguës par où le fluide électrique pourra s'échapper. Enfin le verre & les autres substances électrisables par frottement, ont la propriété de repousser, si cela se peut dire, le fluide électrique, de façon qu'elles l'empêchent de s'échapper. Ainsi une aigrette partant de la pointe d'un corps électrique quelconque dans une certaine direction, en prendra une autre dès qu'on en approchera du verre, & cette nouvelle direction sera telle que l'aigrette paroîtra comme le fuir. On trouve à la suite des lettres de M. l'abbé Nollet, pag. 255. un fait observé par cet habile physicien, qui confirme pleinement ce que nous venons d'avancer. Il dit dans cet endroit, qu'il parut évident par les aigrettes que donnoient à voir les quatre angles d'une tringle de fer recouverte d'un tuyau de verre, & par la vivacité des étincelles qu'on en tiroit, que cette enveloppe rendoit l'électricité bien plus forte qu'à l'ordinaire ; desorte, continue-t-il, qu'on peut dire que c'est un nouveau moyen de faire prendre ou de conserver aux conducteurs une plus grande vertu.

Ces faits une fois connus, on voit que par rapport aux conducteurs en général, ou lorsqu'on veut simplement transmettre l'électricité d'un corps à un autre, il faut employer les substances les plus électrisables par communication qu'il est possible, comme l'eau, les métaux, &c. L'eau même a cet avantage, que toutes sortes de substances, comme pierres, bois, &c. qui en sont bien imbues, peuvent devenir par-là de fort bons conducteurs, quelque peu électrisables par communication qu'elles soient d'ailleurs ; parce qu'alors elles ne forment plus, pour ainsi dire, que des especes de supports contenant des filets d'eau qui transmettent le fluide électrique : il faut aussi que les conducteurs soient cylindriques, cette forme étant de toutes celles qu'on peut leur donner celle qui a le moins de parties angulaires ; qu'ils n'ayent en aucun endroit de ces parties aiguës, quelque petites qu'elles soient, par où le fluide électrique puisse se dissiper ; & ainsi qu'ils soient fort lisses, ce fluide s'échappant souvent par les plus petites éminences ou rugosités ; enfin pour mieux empêcher l'électricité de se dissiper, & la rendre en même tems plus forte, il est à-propos de recouvrir les conducteurs de tuyaux de verre ou de rubans de soie bien roulés les uns par-dessus les autres, sur-tout lorsque ces conducteurs passent dans des endroits où ils ne sont pas assez éloignés des corps qui peuvent leur dérober l'électricité.

Il se présente ici naturellement plusieurs questions. On demandera si quel que soit le volume de ces conducteurs, la quantité du fluide électrique transmise sera la même ; si pareillement la force de l'électricité n'augmentera ou ne diminuera pas, quelle que soit leur longueur ; enfin si cette force sera la même dans un conducteur fort long, à la partie la plus éloignée du globe, selon le cours de l'électricité, qu'à celle qui en est plus près selon le même cours. Nous répondrons, quant à la premiere question, que le volume est ici indifférent, la quantité d'électricité transmise étant toûjours la même, de quelque grosseur que soit le conducteur, comme nous l'avons prouvé M. le chevalier d'Arcy & moi, dans un mémoire inséré dans le volume de l'Académie de l'année 1749 ; en effet on s'en assûrera facilement en transmettant alternativement l'électricité à deux corps, tantôt par une barre de fer ; & tantôt par un fil-de-fer fort délié ; car on verra alors que ces deux corps seront électrisés au même degré, soit qu'ils reçoivent l'électricité par la barre, soit qu'ils la reçoivent par le fil-de-fer ; ce qui, pour le dire en passant, prouve que le fluide électrique a la propriété de tous les autres fluides qui se répandent toûjours également, quels que soient les canaux de communication ; c'est-à-dire que dans plusieurs réservoirs qui communiquent ensemble, l'eau, par exemple, est toûjours de niveau, de quelque grosseur que soient les tuyaux de communication. De ce principe de fait on tire la réponse à la troisieme question ; savoir, que l'électricité ne peut être plus forte à une extrémité du conducteur qu'à l'autre, puisque si cela étoit, elle ne se distribueroit pas également, ce qui seroit contraire à ce principe : enfin par rapport à la seconde question, nous répondrons que par toutes les expériences que l'on a faites, on n'a pas remarqué que l'électricité diminuât, quelle que fût la longueur du conducteur, quoiqu'on en ait employé qui avoient plus de 1300 piés. Il y a plus : selon ce que dit M. le Monnier le médecin, pag. 463. des mémoires de l'Académie de 1746, plus les corps électrisés ont d'étendue en longueur, plus l'électricité paroît forte. Quoiqu'il en soit, il est constant qu'à quelque distance qu'on ait transmis l'électricité jusqu'ici (& cette transmission s'est toujours faite dans un tems inassignable), on n'a pas remarqué que sa force en fût diminuée.

Passons à ce qu'on appelle particulierement le conducteur. Ce que nous venons de dire des conducteurs en général, par rapport à leur figure & à la substance dont ils doivent être formés, étant également applicable à ceux dont il est actuellement question, il s'ensuit qu'ils doivent être, comme les premiers, de métal ou revêtus d'une substance métallique, de figure cylindrique, & aussi lisses qu'il est possible. Nous n'ajoûterions rien à leur égard, si ce n'est que devant servir à différentes expériences, il est à-propos de parler de la grandeur qu'ils doivent avoir pour acquérir & conserver beaucoup d'électricité.

C'est un principe de fait, que plus ces sortes de conducteurs sont grands, plus les étincelles qu'on en tire sont fortes ; car il est essentiel de remarquer que quoique la quantité d'électricité transmise par un corps soit la même, qu'il soit grand ou qu'il soit petit, l'attraction, la repulsion, & tous les phénomenes de l'électricité paroissent cependant plus considérables dans le grand que dans le petit. Mais ces phénomenes augmentent-ils selon l'augmentation de la masse du conducteur, ou simplement selon l'augmentation de sa surface ? ou, en d'autres mots, l'intensité de l'électricité dans les corps augmente-t-elle dans la raison de leurs masses ou dans celle de leurs surfaces ? C'est une question qui a déjà beaucoup exercé les Physiciens, & sur laquelle ils sont fort partagés. Les uns, comme M. l'abbé Nollet, pensent que l'électricité augmente avec les masses, non pas à la vérité dans la raison directe de ces masses, mais cependant dans une plus grande raison que celle qui devroit résulter de la simple augmentation des surfaces ; enfin qu'une plus grande masse est susceptible d'acquérir plus d'électricité qu'une plus petite : les autres, comme M. le Monnier le médecin, pensent qu'elle augmente seulement comme les surfaces, & c'est ce qui a paru résulter aussi d'un grand nombre d'expériences que nous avons faites M. d'Arcy & moi, rapportées dans le mémoire déjà cité ; voyez là-dessus l'article ELECTRICITE. Quoiqu'il en soit, il est toûjours mieux d'avoir un grand conducteur cylindrique, comme nous l'avons dit ; & quand même il seroit creux pourvû qu'il ait une certaine épaisseur, les étincelles que l'on en tirera seront très belles & très-fortes.

En Allemagne, en Hollande, & en Angleterre, on se sert ordinairement pour conducteur d'un canon de fusil : mais de pareils conducteurs ne paroissent pas devoir nous donner des phénomenes aussi considérables que celui de M. Franklin, par exemple, qui, ainsi qu'il nous l'apprend dans ses lettres, a dix piés de long & un pié de diametre. Selon cet auteur, lorsque son conducteur est bien chargé, on peut en tirer des étincelles à près de deux pouces de distance, qui causent une douleur assez sensible dans la jointure du doigt. Il est composé de feuilles de carton formant un cylindre, & ces feuilles sont recouvertes d'un papier d'Hollande relevé en bosses en plusieurs endroits, & doré presque par-tout.

Pour terminer, nous dirons deux mots de la maniere dont le conducteur doit recevoir l'électricité du globe, c'est à quoi il nous paroît qu'on n'a pas fait assez d'attention jusqu'ici. On se contente pour l'ordinaire de faire toucher legerement au globe du clinquant, des galons de métal effilés, ou quelque chose de cette nature électrisable par communication, qui ne puisse point l'endommager, & qui ne cause que peu ou point de frottement. Les uns disposent ces matieres de façon qu'elles embrassent une certaine partie du globe ; & cette pratique paroît la meilleure : les autres se contentent de les faire porter dans un petit espace. Mais l'électricité se dissipant, comme nous l'avons dit plus haut, par les parties aiguës & pointues des corps électrisés, il s'ensuit qu'il doit s'en dissiper beaucoup par tous les angles & toutes les pointes qui se trouvent au clinquant & aux galons, &c. Aussi lorsqu'on électrise un globe, voit-on toutes ces parties briller d'un grand nombre d'aigrettes & de gerbes de feu électrique. Pour remédier à cette dissipation de l'électricité, voici comme nous nous y prenons. Nous attachons du clinquant au bord inférieur de la masse d'un entonnoir de fer-blanc, dont le diametre est égal à la grandeur de la partie du globe que l'on veut embrasser ; nous faisons déborder ce clinquant d'un-demi pouce ou environ, & nous le découpons comme à l'ordinaire, pour qu'il puisse poser sur le globe & le toucher dans un grand nombre de points sans aucun frottement considérable : ensuite nous recouvrons le tout par un entonnoir de verre, dont le bord excede celui de l'entonnoir de fer-blanc, d'un quart de pouce ou à-peu-près, afin qu'il puisse être fort près du globe sans cependant le toucher. Par ce moyen l'électricité ne peut se dissiper par les angles des feuilles du clinquant, ces feuilles se trouvant environnées du verre, qui, comme on l'a vû plus haut, repousse le fluide électrique & l'empêche de se dissiper. Nous ne parlerons point de la maniere d'adapter cet entonnoir au conducteur, la chose étant trop facile pour s'y arrêter. (T)

CONDUCTEUR, instrument de Chirurgie dont on se sert dans l'opération de la taille. On le fait ordinairement d'acier ou d'argent. Il y en a de deux sortes, le mâle & la femelle. Ils ont l'un & l'autre la figure d'une croix, & sont fort polis, pour ne point blesser la vessie dans laquelle on les introduit, ni les parties par où ils passent. Leur corps est large d'environ trois lignes, arrondi en-dehors, plat en-dedans. La partie postérieure comprend trois branches applaties ; deux font les bras de la croix, & la troisieme en compose la tête ou le manche : celle-ci doit être fort renversée en-dehors, afin de donner plus d'espace aux tenettes qu'on introduit entre les deux. Tout le long de la face plate du corps ou branche antérieure, regne une crête dans le milieu d'environ deux lignes de saillie : cette crête commence peu-à-peu dès le milieu du manche, afin que l'opérateur l'apperçoive mieux. Elle finit insensiblement vers la fin du conducteur mâle, & se termine par une languette longue de six lignes relevée & recourbée en-dedans, applatie sur les côtés : cette languette fait l'extrémité de l'instrument qu'on place dans la cannelure d'une sonde qui doit être mise auparavant dans la vessie. La crête dans l'autre espece de conducteur ne s'étend pas si loin ; l'extrémité antérieure est un peu recourbée en-dedans, & terminée par une échancrure qui lui a fait donner le nom de conducteur femelle. Voyez les figures 4. & 5. Pl. XI. de Chirurgie.

La maniere de se servir de ces deux instrumens, consiste à introduire d'abord le conducteur mâle dans la vessie, à la faveur d'une sonde cannelée, la tête en-haut, le dos em-bas ; ensuite on retire la sonde, & on glisse le conducteur femelle par son échancrure, le dos en-haut sur la crête du mal. Ces deux instrumens ainsi introduits, forment par leurs crêtes parallelement opposées, une espece de coulisse qui sert à conduire les tenettes dans la vessie pour charger la pierre.

On ne se sert pas beaucoup des conducteurs pour la taille des hommes ; on leur a substitué le gorgeret. Voyez GORGERET. Les conducteurs sont en usage pour la taille des femmes. Voyez LITHOTOMIE DES FEMMES. (Y)


CONDUIREv. act. (Gramm.) c'est indiquer le chemin en accompagnant sur la route ; mais cette acception a été détournée d'une infinité de manieres différentes : on a dit, conduire une voiture, conduire dans les bonnes voies, conduire des eaux, conduire des troupes, &c. Voyez-en quelques-uns ci-après.

CONDUIRE, (Drapier ou Marchand d'étoffes) est synonyme à auner. Mener doucement l'étoffe le long de l'aune, sans la tirer, pour la faire courir davantage, c'est la conduire bois à bois.

CONDUIRE LES EAUX, (Hydrauliq.) La maniere de conduire l'eau dans une ville, n'est pas la même que dans la campagne & dans un jardin.

Dans une ville on n'a d'autre sujétion que de se servir de tuyaux de plomb, assez gros pour fournir les fontaines publiques & la quantité d'eau concédée aux particuliers, en la faisant tomber dans les cuvettes de distribution. Si dans la pente des rues l'eau est obligée de remonter ou de se mettre de niveau après la pente, ou enfin si on soude une branche sur le gros tuyau, on fait dans cet endroit un regard avec un robinet, pour arrêter cette charge & conserver les tuyaux : cela sert encore à les vuider dans les fortes gelées.

Dans la campagne on n'a ordinairement à conduire que des eaux roulantes ; après l'avoir amassée par des écharpes, des rameaux, des rigoles, dans des pierrées, l'avoir amenée dans un regard de prise, on la fait entrer dans des tuyaux de grès ou de bois, selon la nature du lieu ; s'il y a des contrefoulemens où l'eau soit obligée de remonter, on la fait couler dans des aqueducs, ou au moins dans des tuyaux assez forts pour y résister. On sent bien qu'il seroit ridicule d'y employer des tuyaux de plomb, qui seroient trop exposés à être volés ; ceux de fer sont à préférer. On les enfoncera de quatre à cinq piés, pour éviter le vol & la malice des paysans.

Le plus difficile à ménager en conduisant les eaux pendant un long chemin, ce sont les fonds & les vallées appellées ventre ou gorges ; ils se trouvent dans l'irrégularité du terrein de la campagne, & interrompent le niveau d'une conduite : alors on est obligé de faire remonter l'eau sur la montagne vis-à-vis pour en continuer la route ; c'est dans cette remontée que l'eau contrefoulée a tant de peine à s'élever, que les tuyaux y crevent en peu de tems.

Soit la montagne A (fig. 1. Hydraul.) d'où descend l'eau qu'on suppose amenée depuis la prise par un terrein plat, dans des tuyaux de grès ou des pierrées. B est la seconde montagne où se trouve la contrepente opposée à la pente de la premiere montagne A, d'où vient la source C conduite dans des tuyaux de grès. D D est le ventre ou gorge, où l'eau se trouve forcée par-tout. E E est la ligne de mire ou nivellement, pour connoître la hauteur du contrefoulement B. La conduite qu'on posera dans cette gorge ou fondriere D D, sera de fer, ainsi que dans la contrepente où l'eau force le plus, jusqu'à-ce qu'elle se soit remise de niveau sur la montagne B ; on reprendra alors des tuyaux de grès ou des pierrées pour éviter la dépense, jusqu'au réservoir, parce que l'eau n'y fait que rouler, & ne force que dans le ventre & la remontée.

Si dans un long chemin il se rencontroit deux ou trois contrepentes, ce qui peut encore arriver en ramassant des eaux de plusieurs endroits, on les conduiroit de la même maniere. Quand la gorge n'est pas longue, comme seroit celle F F de la figure 2. un bout d'aqueduc ou un massif de blocailles est le meilleur parti qu'on puisse prendre, & l'eau y roulera de la même maniere que depuis le regard de prise dans des tuyaux de grès, ou des pierrées continuées sur des massifs de blocailles. Lorsque cette gorge est longue, & que le contrefoulement est élevé de vingt à trente piés, les tuyaux de fer coûteront moins, & dureront plus long-tems.

Si le contrefoulement étoit plus haut que cent piés, il faudroit y bâtir un aqueduc, parce que les tuyaux de fer auroient de la peine à résister ; alors le niveau étant continué par l'élévation de l'aqueduc, l'eau y rouleroit & y regagneroit l'autre montagne, d'où elle rentreroit dans des auges ou tuyaux jusqu'au réservoir.

On peut encore éviter un contrefoulement, en faisant suivre une conduite le long d'un côteau, & regagnant petit-à-petit le niveau de la contrepente : mais il faut qu'il n'y ait pas un grand circuit à faire dans cette situation appellée poële ou bassin ; parce que la longueur d'une conduite ainsi circulaire, quoiqu'en grès ou en pierrée, coûte plus que d'amener l'eau en droite ligne par des tuyaux capables de résister au contrefoulement.

Dans les jardins, en supposant l'eau amassée dans le réservoir au haut d'un parc, il ne se rencontre pas tant de difficultés : le terrein y est dressé, & les conduites descendent plûtôt en pente douce qu'elles ne remontent. On se servira dans les eaux forcées de tuyaux de fer, de plomb ou de bois, suivant le pays, & même de grès bien conditionnés, pourvû que la chûte ne passe pas quinze à vingt piés. Ces conduites étant parvenues jusqu'aux bassins, on y fera un regard pour loger un robinet de cuivre d'une grosseur convenable au diametre de la conduite ; on soudera ensuite debout une rondelle ou collet de plomb un peu large autour du tuyau, & dans le milieu de l'endroit du corroi ou massif du bassin où il passe ; afin que l'eau ainsi arrêtée par cette plaque, ne cherche point à se perdre le long du tuyau. Quand ce sont des tuyaux de fer, on les pose de maniere qu'une de leurs brides soit dans le milieu du corroi, ce qui sert de rondelle : cette regle est générale pour tous les tuyaux qui traversent les corrois & massifs d'un bassin ; comme aussi de ne jamais engager les tuyaux, & de les faire passer à découvert sur le plafond d'un bassin.

Dans le centre du bassin, à l'endroit même où doit être le jet, on soudera sur la conduite un tuyau montant appellé souche, au bout duquel ou soudera encore un écrou de cuivre sur lequel se visse l'ajustage : il faut que cette souche soit de même diametre que la conduite ; si elle étoit retrécie, elle augmenteroit le frottement, & retarderoit la vîtesse & la hauteur du jet. A deux piés environ par-delà la souche, on coupera la conduite, & on la bouchera par un tampon de bois de chêne, avec une rondelle de fer chassée à force au bout du tuyau, ou par un tampon de cuivre à vis que l'on y soudera. Ces tampons facilitent le moyen de dégorger une conduite.

Evitez les coudes, les jarrets, & les angles droits qui diminuent la force des eaux ; prenez-les d'un peu loin pour en diminuer la roideur : & même il ne sera pas mal d'employer des tuyaux plus gros dans les coudes pour éviter les frottemens.

Dans les conduites un peu longues & fort chargées, on place des ventouses d'espace en espace pour la sortie des vents : on les fait ordinairement de plomb ; on les branche sur la tige de quelque grand arbre, en observant qu'elles soient de deux ou trois piés plus hautes que le niveau du réservoir, afin qu'elles ne dépensent pas tant d'eau ; de cette maniere il n'y a que les vents qui sortent. Quand après une pente roide les conduites se remettent de niveau, il faut placer dans cet endroit des robinets pour arrêter cette charge ; ce qui sert encore à trouver les fautes, & à tenir les conduites en décharge pendant l'hyver.

Faites toûjours passer les tuyaux dans les allées, pour en mieux connoître les fautes, & y remédier sans rien déplanter ; & les conduites sous des terrasses ou sous des chemins publics, passeront sous des voûtes afin de les visiter de tems en tems. Les eaux de décharge rouleront dans des pierrées faites en chatieres, ou dans des tuyaux de grès sans chemise, quand ces eaux vont se perdre dans quelque puisart ou cloaque ; mais quand elles servent à faire joüer des bassins plus bas, on les entourera d'une bonne chemise de ciment, ou l'on y employera des tuyaux ordinaires comme étant des eaux forcées. Tenez toûjours les tuyaux de décharge, tant de la superficie que du fond d'un bassin, plus gros que le reste de la conduite, afin que l'eau se perde plus vîte qu'elle ne vient, que le tuyau ne s'engorge point, & de peur que l'eau passant par-dessus les bords, ne détrempe toutes les terres qui soûtiennent le bassin, & n'en affaisse le niveau. (K)

CONDUIRE, (Jard.) voyez ÉLEVER.

CONDUIRE son cheval étroit ou large, terme de Manege : étroit signifie le mener en s'approchant du centre du manege ; & large, en s'approchant des murailles du manege. L'écuyer d'académie dit quelquefois à l'écolier, conduisez votre cheval, lorsque l'écolier laisse aller son cheval à sa fantaisie. (V)

CONDUIRE, en Peinture, diriger, distribuer. On dit une belle conduite dans la distribution des objets, une lumiere bien conduite, &c. pour marquer que ces choses sont ménagées avec un discernement éclairé. (R)


CONDUIT(Physiq.) canal ou tuyau de plomb, de fer, de bois, de pierre, &c. servant au transport de l'eau, ou de tout autre fluide. Voyez TUYAU, AQUEDUC.

On a expliqué à l'article CONDUIRE les eaux, ce qui a rapport à cette partie de l'Hydraulique : elle est une des plus importantes ; il paroît par les aqueducs des anciens qu'ils connoissoient bien cette partie, & que s'ils étoient moins forts que nous sur la théorie, ils l'étoient du moins autant sur la pratique.

On dit qu'il y a dans la province du nouveau Mexique un conduit soûterrain en forme de grotte, qui s'étend en longueur l'espace de 200 lieues. Chambers rapporte ce fait ; nous ne prétendons point le garantir. (O)

CONDUIT, en Anatomie, nom de différentes cavités qu'on appelle aussi canal. Voyez CANAL.

CONDUIT AUDITIF, (LE) meatus auditorius, est l'entrée de l'oreille. C'est un conduit cartilagineux, divisé irrégulierement en plusieurs endroits par des cloisons charnues & membraneuses, à-peu-près comme les bronches des poumons, sinon que les fibres charnues du conduit sont plus grosses. La partie interne, c'est-à-dire du côté du cerveau, est osseuse. Il est tapissé dans toute son étendue d'une tunique mince qui vient de la peau, & qui se continue jusque sur la membrane du tympan, où elle devient plus mince.

Dès le commencement du conduit jusque presqu'à mi-chemin s'élevent quantité de petits poils, à la racine desquels sort le cerumen ou cire de l'oreille qui s'embarrasse dans les poils, afin de mieux rompre l'impétuosité de l'air extérieur, & d'empêcher qu'il ne se jette trop précipitamment sur la membrane du tympan.

CONDUIT CYSTIQUE, est un conduit biliaire de la grosseur d'une plume d'oie, lequel environ à deux pouces de distance de la vésicule du fiel, se joint au conduit hépatique, & tous deux ensemble forment le conduit commun ou cholidoque. Voyez BILE & CYSTIQUE.

CONDUIT URINAIRE, dans les femmes, est fort court ; il est tapissé intérieurement d'une tunique très-mince, & ensuite d'une autre d'une substance blanche : cette derniere donne passage à plusieurs petits canaux qui viennent de certaines lacunes qu'on y observe, & ces petits canaux déchargent une matiere claire & visqueuse, qui sert à enduire l'extrémité du conduit urinaire. Chambers. (L)


CONDUIT A VENT(Architecture) en bâtimens, sont des soûpiraux ou lieux souterrains où les vents se conservent frais & froids, & sont communiqués par des tubes, tuyaux ou voûtes dans les chambres ou autres appartemens d'une maison, pour les rafraîchir dans les tems où il fait trop chaud.

Ils sont fort en usage en Italie, où on les nomme ventidotti ; en France on les nomme prisons des vents, ou palais d'Eole. (P)

CONDUITE D'EAU, (Hydraulique) est une suite de tuyaux pour conduire l'eau d'un lieu à un autre, que Vitruve appelle canalis fluctilis. Si les tuyaux sont de fer, on la nomme conduite de fer ; s'ils sont de plomb, conduite de plomb ; s'ils sont de terre ou de grès cuit, conduit de terre ou de poterie ; enfin s'ils sont de bois, on l'appelle conduite de tuyaux de bois. Voyez TUYAU. (P)


CONDUITES. f. (Gram.) c'est l'ordre que l'on met dans ses actions, relatif au but que l'on s'est proposé. Si les actions sont conséquentes, la conduite est bonne ; si elles ne sont pas conséquentes, la conduite est mauvaise. Il est évident qu'il ne s'agit que d'une bonté ou d'une méchanceté virtuelle, & non morale. Pour que la conduite soit moralement bonne ou mauvaise, il faut que le but soit bon & honnête, ou deshonnête ou mauvais ; d'où il s'ensuit que la conduite virtuelle peut être mauvaise quoique le but soit bon, & bonne quoique le but soit mauvais. Conduite a encore quelqu'autres acceptions relatives aux verbes conduire, diriger.

CONDUITE, s. f. terme d'Horlogerie ; il signifie une tringle de fer T E (voyez la fig. 71. Horl.) qui porte à ses deux extrémités des roues R, R, appellées molettes, voyez MOLETTE. Les conduites servent dans les grosses horloges à transmettre le mouvement à des distances de l'horloge trop grandes pour qu'on pût le faire par les moyens ordinaires, comme par exemple, pour faire mouvoir une aiguille qui marqueroit l'heure sur un cadran, éloigné de l'horloge de 10 ou 12 toises. En général on appelle dans une grosse horloge conduites, la partie qui sert à faire tourner des aiguilles qui en sont fort éloignées ; soit que ces conduites soient faites comme nous venons de le dire, soit qu'elles le soient autrement.

Lorsqu'on veut changer la direction d'un mouvement, on en employe de différentes especes. Veut-on, par exemple, changer un mouvement horisontal en un vertical, on met sur la conduite une roue de champ au lieu d'une roue plate ; & situant cette conduite verticalement, on change par-là la direction du mouvement de celle qui est horisontale dans laquelle la roue de champ engrene. Quand on veut dans un même plan changer la direction d'un mouvement, tantôt on fait engrener deux molettes ensemble, de façon que leurs axes ou conduites fassent entr'eux un angle droit, & qu'ils soient dans ce même plan ; voyez figure 72. tantôt lorsque l'angle que l'on veut que ces conduites fassent entr'elles est trop obtus, comme dans la fig. 73. Pour employer ce dernier moyen on se sert d'une machine M H E, dont les mouvemens sont semblables à ceux de la lampe de Cardan, c'est-à-dire, que le cercle ou globe G se meut sur les pivots P P, tandis que la queue de la conduite Q peut aussi se mouvoir circulairement autour du centre du cercle C. Il est bon de remarquer que lorsque l'angle formé au centre C par les deux queuës M & Q est de 45 degrés, ou un peu au-dessous, on ne peut guere se servir de cette machine. Enfin c'est à l'adresse de l'horloger à imaginer des moyens simples de changer la direction des mouvemens qui doivent se faire toûjours avec le moins de frottement & le moins de jeu qu'il est possible. Dans l'horloge des Missions étrangeres qui a été faite sous les yeux de mon pere, les conduites ont en place de molettes d'un côté un petit coude C, fig. 74, & de l'autre un coude pareil D, dans lequel il y a un trou pour recevoir l'extrémité E du coude C ; par ce moyen on supprime non-seulement les jeux & les frottemens de leurs dentures, mais encore beaucoup d'ouvrage. Voyez HORLOGE, MOLETTE, &c. (T)


CONDUR(Géog. mod.) petite ville d'Asie, dans la presqu'île de l'Inde en deçà du Gange, au royaume de Bisnagar.


CONDYLES. m. terme d'Anatomie, c'est le nom que les anatomistes donnent à une petite éminence ronde, à l'extrémité de quelques os. Voyez O s. Telle est celle de la mâchoire inférieure, qui est reçue sur l'apophyse transverse de l'os des tempes. Voyez OS TEMPORAL.

Quand cette éminence est large, on la nomme tête. Voyez TETE. Chambers. (T)


CONDYLEATIS(Mythol.) surnom de Diane, adorée à Condyleis en Arcadie. Ce surnom fut changé dans la suite en celui d'Apanchemen qui veut dire étranglée, parce que de jeunes gens lui mirent par passe-tems une corde au cou ; irréverence qui les fit lapider par les Caphiens, & punition qui déplut à la déesse qui fit avorter toutes les Caphiennes, à qui l'oracle conseilla de rendre les honneurs funebres aux jeunes gens, & d'appaiser leurs manes.


CONDYLOIDEadj. en Anatomie se dit des apophyses, qui se nomment condyles. Voyez CONDYLE. (L)


CONDYLOIDIENadj. en Anatomie, se dit des parties relatives à des éminences appellées condyles. Voyez CONDYLE.

CONDYLOME, s. m. terme de Chirurgie, est une excroissance qui vient quelquefois à la tunique interne de l'anus, & aux muscles de cette partie, ou au col de la matrice.

Ce mot vient du grec , article ou jointure, parce qu'ordinairement le condylome a des rides ou plis semblables à ceux des jointures.

Le condylome par succession de tems devient charnu, & pousse quelquefois une espece de tige en-dehors : & alors on l'appelle ficus. Voyez FICUS.

Les condylomes sont souvent des symptomes de maux vénériens, & dégenerent en chancres si on les néglige. On employe efficacement à leur cure des onctions mercurielles, & des escarotiques propres à les consumer ; mais on les extirpe encore mieux par la ligature ou l'incision, si la situation ou la nature de la partie le permet. Il faut quelquefois procurer la salivation au malade pour faciliter la cure & la rendre complete .

CONDYLOME, est aussi quelquefois synonyme à condyle. Voyez CONDYLE. (Y)


CONES. m. on donne ce nom en Géometrie, à un corps solide, dont la base est un cercle, & qui se termine par le haut en une pointe que l'on appelle sommet. Voyez Pl. des coniq. fig. 2. Voyez aussi SOLIDE, & TRONQUE.

Le cone peut être engendré par le mouvement d'une ligne droite K M, qui tourne autour d'un point immobile K, appellé sommet, en rasant par son autre extrémité la circonférence d'un cercle M N, qu'on nomme sa base.

On appelle en général axe du cone, la droite tirée de son sommet au centre de sa base.

Quand l'axe du cone est perpendiculaire à sa base, alors ce solide prend le nom de cone droit ; si cet axe est incliné ou oblique, c'est un cone scalene : les cones scalenes se divisent encore en obtusangles & acutangles.

Si l'axe A B (fig. 3.) est plus grand que le rayon C B de la base, le cone est acutangle ; s'il est plus petit, le cone est obtusangle ; enfin c'est un cone rectangle, quand l'axe est égal au rayon de la base.

Quelques auteurs définissent en général, le cone une figure solide, dont la base est un cercle comme C D, (fig. 3.), & qui est produite par la révolution entiere du plan d'un triangle rectangle C A B, autour du côté perpendiculaire A B ; mais cette définition ne peut regarder que le cone droit, c'est-à-dire, celui dont l'axe tombe à angles droits sur sa base.

Afin donc d'avoir une description du cone, qui convienne également au cone droit & à l'oblique, supposons un point immobile A, (fig. 4.) au-dehors du plan du cercle B D E C ; & soit tirée par ce point une ligne droite A E, prolongée indéfiniment de part & d'autre, qui se meuve tout-autour de la circonférence du cercle : les deux surfaces engendrées par ce mouvement, sont appellées surfaces coniques ; & quand on les nomme relativement l'une à l'autre, elles s'appellent des surfaces verticalement opposées ou opposées par le sommet, ou simplement des surfaces opposées.

Voici les principales propriétés du cone. 1°. L'aire ou la surface de tout cone droit, faisant abstraction de la base, est égale à un triangle, dont la base est la circonférence de celle du cone, & la hauteur le côté du cone. Voyez TRIANGLE. Ou bien, la surface courbe d'un cone droit est à l'aire de sa base circulaire, comme la longueur de l'hypoténuse A C, (fig. 3.) du triangle rectangle générateur est à C B, base du même triangle, c'est-à-dire, comme le côté du cone au demi-diametre de la base.

D'où il suit que la surface d'un cone droit est égale à un secteur de cercle, qui a pour rayon le côté du cone, & dont l'arc est égal à la circonférence de la base de ce solide : d'où il est aisé de conclure que cet arc est à 360 degrés, comme le diametre de la base est au double du côté du cone.

On a donc une méthode très-simple de tracer une surface ou un plan, qui enveloppe exactement celle d'un cone droit proposé. Car sur le diametre de la base A B, l'on n'a qu'à décrire un cercle (Pl. des coniq. fig. 6.) ; prolonger le diametre jusqu'en C, ensorte que A C, soit égal au côté du cone ; chercher ensuite une quatrieme proportionnelle aux trois grandeurs 2 A C, A B, 360d ; & du centre C, avec le rayon C A, décrire un arc D E, qui ait le nombre de degrés trouvés par la quatrieme proportionnelle ; alors le secteur C D E, avec le cercle A B, sera une surface propre à envelopper exactement le cone proposé.

A-t-on un cone droit tronqué, dont on voudroit avoir le développement ? que l'on porte le côté de ce cone de A en F ; que l'on décrive un arc G H avec le rayon F ; & que l'on cherche ensuite une quatrieme proportionnelle à 360d, au nombre de degrés de l'arc G H, & au rayon C F ; afin de déterminer par ce moyen le diametre du cercle I F, & l'on aura une figure plane, dont on pourra envelopper le cone tronqué.

Car C D B A E enveloppera le cone entier ; C G F I H enveloppera le cone retranché ; il faut donc que D B E H I G soit propre à envelopper le cone tronqué.

2°. Les cones de même base & de même hauteur sont égaux en solidité. Voyez PYRAMIDE.

Or il est démontré que tout prisme triangulaire peut être divisé en trois pyramides égales ; & qu'ainsi une pyramide triangulaire est la troisieme partie d'un prisme de même base & de même hauteur.

Puis donc que tout corps multangulaire ou polygone, peut être résolu en solides triangulaires ; que toute pyramide est le tiers d'un prisme de même base & de même hauteur ; qu'un cone peut être considéré comme une pyramide infinitangulaire, c'est-à-dire, d'un nombre infini de côtés ; & le cylindre comme un prisme infinitangulaire, il est évident qu'un cone est le tiers d'un cylindre de même base & de même hauteur.

L'on a donc une méthode très-simple pour mesurer la surface & la solidité d'un cone : par exemple pour avoir la solidité d'un cone, il n'y a qu'à trouver celle d'un prisme ou d'un cylindre de même base & de même hauteur que le cone (voyez PRISME & CYLINDRE) ; après quoi l'on en prendra le tiers, qui sera la solidité du cone ou de la pyramide. Si la solidité d'un cylindre est 605592960 piés cubes, on trouvera que celle du cone vaut 201864320 piés cubes.

Quant aux surfaces, on a celle d'un cone droit en multipliant la moitié de la circonférence de la base par le côté de ce cone, & ajoûtant à ce produit l'aire de la base.

Si l'on veut avoir la surface & la solidité d'un cone droit tronqué A B C D (fig. 7.) ; sa hauteur C H & les diametres des bases A B, C D, étant donnés, on déterminera d'abord leurs circonférences : ensuite on ajoûtera au quarré de la hauteur C H le quarré de la différence A H des rayons ; & extrayant la racine quarrée de cette somme, on aura le côté A C du cone tronqué : on multipliera ensuite la demi-somme des circonférences par le côté A C, & cette multiplication donnera la surface du cone tronqué.

Pour en avoir la solidité, on fera d'abord cette proportion ; la différence A H des rayons est à la hauteur C H du cone tronqué, comme le plus grand rayon A F est à la hauteur F E du cone entier : cette hauteur étant trouvée, on en soustrayera celle du cone tronqué, & l'on aura la hauteur E G du cone supérieur. Que l'on détermine présentement la solidité du cone C E D & celle du cone A E B, & que l'on ôte la premiere de la seconde, il restera la solidité du cone tronqué A C D B.

Sur les sections du cone, voyez CONIQUE ; sur le rapport des cones & des cylindres, voyez CYLINDRE ; & sur les centres de gravité & d'oscillation du cone, voyez CENTRE.

Le nom de cone se donne encore à d'autres solides qu'à ceux dont les surfaces sont produites par le mouvement d'une ligne autour de la circonférence d'un cercle ; il s'étend à toutes les especes de corps que l'on peut former de la même maniere, en prenant une courbe quelconque pour circonférence de la base.

La méthode pour déterminer la solidité d'un cone oblique, est la même que celle pour déterminer la solidité du cone droit ; tout cone en général est le produit de sa base par le tiers de sa hauteur, c'est-à-dire par le tiers de la ligne menée du sommet perpendiculairement à la base. Dans les cones droits, cette ligne est l'axe même ; dans les autres, elle est différente de l'axe.

Mais la surface du cone oblique est beaucoup plus difficile à trouver que celle du cone droit ; on ne peut la réduire à la mesure d'un secteur de cercle, parce que dans le cone oblique toutes les lignes tirées du sommet à la base, ne sont pas égales. Voyez le mémoire que M. Euler a donné sur ce sujet, dans le tome I. des nouv. mém. de Petersbourg. Barrow, dans ses lectiones geometricae, donne une méthode ingénieuse pour trouver la surface d'un cone qui a pour base une ellipse, lorsque ce cone fait portion d'un cone droit. Voici en deux mots sa méthode. Du point où l'axe du cone droit coupe l'ellipse, il imagine des perpendiculaires sur les différens côtés du cone ; & comme ces perpendiculaires sont égales, il n'a pas de peine à prouver que la solidité de cone elliptique est égale au produit de sa surface par le tiers de l'une de ces perpendiculaires. Or cette même solidité est aussi égale au tiers de la hauteur du cone, multiplié par la base elliptique. Donc comme la perpendiculaire ci-dessus désignée est à la hauteur du cone, ainsi la base elliptique est à la surface cherchée.

On appelle, en Optique, cone de rayons, l'assemblage des rayons qui partent d'un point lumineux quelconque, & tombent sur la prunelle ou sur la surface d'un verre ou d'un miroir. Voyez RAYON. (O)

CONE, terme de Botanique ; voyez ci-après CONIFERE.

CONE, (Chimie) espece de moule de fer fondu, dans lequel les Chimistes versent les substances métalliques (appellées régules dans ce cas) qu'ils se proposent de séparer de leurs scories par l'opération qu'ils nomment en latin precipitatio fusoria. Voyez REGULE, PRECIPITATION, SIONSION.

Ce moule a la forme d'un cone renversé ; & c'est de cette forme qu'il tire son nom & son usage. Une substance métallique quelconque étant plus pesante que les scories dont on la sépare, & étant immiscible avec ces scories, doit lorsque l'un & l'autre de ces corps sont en belle fonte dans un même vaisseau, en gagner le fond, dès que le feu ne les agite plus. Et la forme conique du moule dont nous parlons, est très-propre à rassembler le régule en une masse qu'on peut facilement séparer des scories. (b)


CONFARRÉATIONS. f. (Hist. anc.) cérémonie romaine qui consistoit à faire manger, en présence de dix témoins, d'un pontife, ou d'un flamine diale, d'un même pain ou gâteau aux personnes que l'on marioit, & qui destinoient leurs enfans au sacerdoce. Voyez MARIAGE.

La confarréation étoit la plus sacrée des trois manieres de conférer le mariage, qui étoient en usage chez les Romains : elle étoit appellée confarréation, du gâteau salé, à farre & molâ salsâ. Cette cérémonie soustrayoit une fille à la puissance paternelle : elle ne dura qu'un tems. Quand un mariage contracté par la confarréation se rompoit, on disoit qu'il y avoit diffarréation. On offroit aussi dans la diffarréation le gâteau salé.

La confarréation & la diffarréation avoient chacune leur formule & leur cérémonie. On prétend qu'on répandoit sur les victimes une portion du gâteau.


CONFECTEURconfector, (Hist. anc.) sorte de gladiateur chez les anciens Romains, qu'on loüoit pour se battre dans l'amphithéatre contre les bêtes féroces. Voyez GLADIATEUR.

Les confecteurs s'appelloient ainsi, à conficiendis bestiis, à cause qu'ils massacroient & tuoient les bêtes. Les Grecs les appelloient , c'est-à-dire téméraire, déterminé ; d'où les Latins ont emprunté les noms de parabolani & de parabolarii. Les Chrétiens étoient quelquefois condamnés à ces sortes de combats. Voyez le dict. de Trév. & Chambers. (G)


CONFECTIONS. f. (Pharm.) On a donné en Pharmacie le nom de confection à certaines compositions officinales qui sont du genre des électuaires, dont elles ne different ni par leur consistance, ni par le manuel de leur préparation. Voyez ELECTUAIRE.

On trouve dans les dispensaires un assez grand nombre d'électuaires décrits sous le nom de confection, qui presque tous sont stomachiques & cordiaux ; ce qui feroit croire que c'étoit principalement à ceux de cette espece qu'on donnoit originairement ce nom. Il s'en trouve cependant aussi, mais très-peu, qui sont narcotiques : il y en a même un qui est purgatif.

De toutes les confections décrites dans la pharmacopée universelle de Lémery (environ 30), il n'y en a que trois qui soient aujourd'hui en usage parmi nous ; savoir la confection hyacinthe & alkerme, qui sont toutes deux réputées cordiales & stomachiques, & la confection hamec qui est purgative. Nous allons donner la composition de ces trois préparations.

Confection d'hyacinthe réformée de Lémery : des hyacinthes préparées, une once & demie ; du corail rouge préparé, de la terre sigillée, du santal citrin, de chacun une once ; de la rapure de corne de cerf, six gros ; de l'os de coeur de cerf, de la racine de tormentille, de fraxinelle, des feuilles de dictame de Crete, du safran, de la myrrhe, des roses rouges, des semences d'oseille, de citron, de pourpier, de chacun trois gros ; des yeux d'écrevisses préparés quatre scrupules ; des écorces extérieures de citron, d'orange aigre, de chaque quatre scrupules ; du musc & de l'ambre-gris, de chacun dix grains ; du sirop de kermès, une once ; du sirop d'oeillet, trois liv. N. B. que la livre dont se sert Lémery n'est que de douze onces.

Si jamais les Médecins galénistes firent une préparation monstrueuse, on peut dire que ç'a été la confection hyacinthe : tous les éloges qu'on lui a donnés, & qu'on lui donne encore tous les jours, ne font rien en sa faveur ; & malgré les corrections qu'on a faites à la description que nous avoient laissée les anciens, on peut assûrer hardiment que cet électuaire ne peut pas avoir de grandes vertus, sur-tout à la dose où on le donne ordinairement : il suffit pour s'en convaincre de jetter les yeux sur la nature des poudres, & sur la quantité & la qualité qui sert à les incorporer.

La poudre est composée de végétaux, à qui on a accordé une vertu astringente, tels que la tormentille, les roses rouges ou cordiales, tels sont la racine de fraxinelle, le santal citrin, le safran, les feuilles de dictame, la myrrhe ; ou enfin vermifuge, (car on attribue aussi cette propriété à la confection hyacinthe) comme les semences de citron, de pourpier, d'oseille : les autres poudres sont réputées absorbantes ; & quelques-unes le sont en effet, savoir le corail & les yeux d'écrevisses, la corne de cerf & l'os du coeur du même animal, sont du genre des remedes qu'on appelle incrassans.

Il y a une autre espece d'ingrédiens dont les vertus médicinales, je crois, ne sont pas trop bien connues ; je veux dire les terres argilleuses, qui sont le bol d'Arménie & la terre sigillée.

Je ne parle point de l'ambre-gris, ni du musc ; on n'y en met jamais.

Quand aux pierres précieuses qui entroient autrefois dans cette préparation, Lémery les a toutes retranchées à l'exception des hyacinthes. Je ne sais pas trop pourquoi il a fait grace à celle-ci : les raisons qui ont fait rejetter les émeraudes, les saphirs, devoient faire rejetter aussi les hyacinthes ; mais sans-doute que comme elles donnent leur nom à cette confection, il n'a pas osé les en bannir.

La poudre qui résulte des ingrédiens énoncés, & qui est connue dans les boutiques sous le nom d'espece de confection hyacinthe, pourroit avoir de bons effets dans certains cas, donnée au poids d'un demi-gros ou d'un gros : mais il n'arrive jamais qu'on les prescrive, ces especes ; on a toûjours recours à la confection, c'est-à-dire à une petite portion de la poudre, & une très-grande au contraire de sirop. En effet la dose ordinaire de ce remede étant d'un gros, le malade à qui on le prescrit ne prend que 12 grains de la poudre, & 60 grains de sirop. Ajoûtez à cela, que la plûpart de celle qui se débite à Paris, & qui vient pour la plûpart de Montpellier & de Lyon, est faite avec le sirop de limon, sirop acide qui ne manque pas de saturer les alkalins terreux, sur la vertu desquels on ne peut plus compter. Il est vrai que la plus grande partie des apothicaires de Paris, conformément à la description corrigée par Lémery, ne se servent que de sirop d'oeillet, ou même d'un sirop blanc, c'est-à-dire fait avec l'eau commune & le sucre ; en ce cas les absorbans conservent toute leur propriété : mais comme il en entre une si petite quantité dans la dose que l'on prescrit ordinairement de cette confection, on ne doit pas beaucoup compter sur eux.

La confection hyacinthe passe pour fortifier le coeur, l'estomac, & le cerveau ; elle tue les vers, & elle a, dit-on, la propriété d'arrêter le cours de ventre & le vomissement. On pourroit en faire prendre hardiment jusqu'à une demi-once ; à cette grande dose même, le malade ne prendroit que 48 grains de la poudre.

Confection alkerme. La confection alkerme étoit aussi dans son origine une préparation très-imparfaite ; & Mesué qui en est l'auteur, y avoit fait toute les fautes, que feront toûjours ceux qui mêlangeront différentes drogues sans être instruits des principes de Chimie. En effet cet auteur faisoit infuser de la soie crue, teinte avec le kermès, dans du suc de pommes & dans de l'eau-rose ; il faisoit ensuite cuire avec du sucre cette infusion en consistance de sirop : quoi de plus contraire à l'art que d'employer de l'eau-rose, que l'on doit ensuite faire évaporer ? Pourquoi falloit-il que la soie fut teinte avec le kermès ? ne valoit-il pas mieux se servir du kermès lui-même. De quelle utilité peut être une infusion de soie ? Il y a long-tems que Zwelfer a fait sentir le ridicule d'une pareille préparation, & à-présent il n'est plus question dans les boutiques de la confession alkerme de Mesué ; plusieurs auteurs l'ont corrigée : nous l'allons donner telle qu'elle est dans la pharmacopée de Paris.

grains de kermès une once, santal citrin une once & demi, bois d'aloès demi-once, bois de rose un gros & demi, des roses rouges six gros, de la canelle trois onces, du cassia-lignea trois gros, de la cochenille deux gros, des perles orientales préparées, du corail rouge préparé, de chaque une once, des feuilles d'or un scrupule ; faites du tout une poudre fine : ensuite prenez sirop de kermès quatre onces, que vous ferez chauffer au bain-marie, & passerez à-travers un tamis ; après quoi ajoûtez-y sucre blanc une demi-once ; faites un peu épaissir le sirop, & y ajoûtez lorsqu'il sera presque refroidi de la poudre susdite quatre gros : mêlez bien le tout, & la confection sera faite.

On a rejetté avec raison de cette composition le lapis lazuli, toûjours au moins suspect par le cuivre qu'il contient, malgré la correction prétendue opérée par sa calcination.

Les feuilles d'or sont sans-doute demandées ici pour suivre un ancien usage, car jamais or ne fut si inutilement employé.

La dose de cette confection est d'un demi-gros, mais on pourroit hardiment la pousser jusqu'à demi-once ; car on n'apperçoit pas les inconvéniens qu'il y auroit à craindre de l'administration d'une pareille dose, & on peut observer en général que les Médecins sont trop timides dans l'administration des remedes purement altérans, & que c'est parce qu'ils ne les donnent qu'à de très-foibles doses, que ces remedes sont le plus souvent inutiles.

La confection alkerme est un assez bon stomachique & cordial : c'est à ce dernier titre qu'elle est le plus communément en usage : elle entre dans presque toutes les potions cordiales, & elle est un ingrédient très-utile.

Confection hamec de Lémery : prenez de raisins mondés une demi-livre, du polypode de chêne concassé une once & demie, de l'épythime une once, des feuilles d'absynthe, de roses rouges, de thym, des semences d'anis, de fenouil, de la fumeterre, de chacun demi-once ; du gingembre & du spicanard, de chacun deux dragmes ; faites bouillir le tout dans trois pintes de petit-lait & une pinte d'eau de fumeterre jusqu'à diminution de moitié ; dissolvez ensuite dans la colature bien exprimée, du miel écumé & du sucre blanc, de chacun une livre & demie ; cuisez le tout ensuite jusqu'à la consistance d'un électuaire mou ; puis après avoir retiré la bassine de dessus le feu, dissolvez-y de la pulpe de casse huit onces, de celle de pruneaux six onces ; ajoûtez-y sur la fin de la poudre de myrobolas citrins, de sené mondé, de chacun trois onces, de l'agaric trois onces, des trochisques Alhandal, de la rubarbe, de chacun une once & demie ; de la scammonée, semence de violette, de chacun une once, du sel de fumeterre & d'absynthe, de chacun trois gros : faites-en une confection selon l'art.

La confection hamec est un purgatif hydragogue très-efficace, à la dose de deux gros jusqu'à six ; elle a été sur-tout célébrée pour les maladies vénériennes & les maladies de la peau : mais sa grande amertume en rend l'usage presque impossible à la plûpart des maladies. (b)


CONFÉDÉRATIONS. f. (Gram. Hist. anc. & mod.) alliance ou ligue entre différens princes & états. Voyez LIGUE & ALLIANCE.

Confédération se dit aussi en Pologne pour les ligues ou associations que font entr'eux les nobles & les grands en Pologne, même sans l'aveu du souverain, & quelquefois contre ses vûes, pour maintenir la liberté de la république. Ce mot est tiré du latin cum, avec, ensemble ; & foedus, alliance ou traité. (G)


CONFÉRENCES. f. (Jurispr.) a dans cette matiere deux significations différentes. Il se prend pour le rapprochement & la comparaison qui est faite de différentes lois. Il y a, par exemple, des conférences du droit romain avec le droit françois ; une conférence des ordonnances où Guenois a rapproché les dispositions des différentes ordonnances qui sont intervenues sur chaque matiere ; une conférence des coûtumes par le même auteur, pour faire voir le rapport & la diversité des coûtumes entr'elles ; une conférence de Bornier sur les ordonnances de Louis XIV. où il a rapporté sous chaque article les dispositions des anciennes ordonnances, & plusieurs autres conférences semblables.

Conférence se prend aussi, en terme de Palais, pour une assemblée composée de magistrats ou d'avocats, & quelquefois des uns & des autres, dans laquelle on traite des matieres de jurisprudence.

On peut voir dans M. Auzanet, les mémoires & arrêts qui sont sortis des conférences célebres qui se tenoient chez M. le premier président de Lamoignon, pour parvenir à rendre la jurisprudence uniforme : les conférences de la bibliotheque publique de l'ordre des avocats sont aussi connues ; une partie des questions qui y ont été agitées dans le commencement de son institution, a été imprimée & inserée dans le second tome des oeuvres de M. Duplessis, sous le titre de consultations. (A)


CONFÉRER(Jurisp.) on dit en matiere bénéficiale conférer un bénéfice, c'est-à-dire en donner des provisions. Les patrons laïques & ecclésiastiques qui n'ont que la simple nomination ou présentation, ne conferent pas le bénéfice, non plus que ceux qui ont simplement le droit d'élection ; il n'y a que le collateur ordinaire ou le pape qui confere véritablement. Voy. BENEFICES COLLATIFS, & ci-devant COLLATEUR, COLLATION. (A)


CONFESSEURS. m. (Hist. ecclés. & Théolog.) chrétien qui a professé hautement & publiquement la foi de Jesus-Christ, qui a enduré des tourmens pour la défendre jusqu'à la mort exclusivement, & qui étoit disposé à la souffrir.

On donne à un saint le nom de confesseur, pour le distinguer des apôtres, des évangélistes, des martyrs, &c. Voyez SAINT, MARTYR.

On trouve souvent dans l'histoire ecclésiastique le mot confesseur, pour signifier un martyr. On a donné dans la suite ce nom à ceux qui, après avoir été tourmentés par les tyrans, ont vécu & sont morts en paix. Enfin on a appellé confesseurs ceux qui, après avoir bien vécu, sont morts en opinion de sainteté.

On n'appelloit point, dit S. Cyprien, du nom de confesseur, celui qui se présentoit de lui-même au martyre & sans être cité, mais on le nommoit professeur. Si quelqu'un par la crainte de manquer de courage & de renoncer à la foi, abandonnoit son bien, son pays, &c. & s'exiloit lui-même volontairement, on l'appelloit extorris, exilé.

Confesseur est aussi un prêtre séculier ou religieux, qui a pouvoir d'oüir les pécheurs dans le sacrement de pénitence, & de leur donner l'absolution.

L'Eglise l'appelloit en latin confessarius, pour le distinguer de confessor, nom consacré aux saints. Les confesseurs des rois de France, si on en excepte l'illustre M. l'abbé Fleury, ont été constamment Jésuites, depuis Henri IV. Avant lui, les Dominicains & les Cordeliers étoient presque toûjours confesseurs des rois de France. Les confesseurs de la maison d'Autriche ont aussi été pour l'ordinaire des Dominicains & des Cordeliers ; les derniers empereurs ont jugé à-propos de prendre des Jésuites. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


CONFESSIONS. f. (Hist. ecclés. & Théolog.) est une déclaration, un aveu, une reconnoissance de la vérité, dans quelque situation que l'on se trouve.

La confession, dans un sens théologique, est une partie du sacrement de pénitence : c'est une déclaration que l'on fait à un prêtre de tous ses péchés pour en recevoir l'absolution. Voyez ABSOLUTION.

La confession doit être vraie, entiere, détaillée, & tout ce qui s'y dit doit être enseveli dans un profond silence, sous les peines les plus rigoureuses contre celui qui sera convaincu de l'avoir révélé. Voyez REVELATION. Elle est de droit divin nécessaire à ceux qui sont tombés après le baptême. Elle étoit autrefois publique ; mais l'Eglise pour de très-fortes raisons, ne l'exige plus depuis un grand nombre de siecles, & n'a retenu que la confession auriculaire qui est de toute ancienneté.

Les Théologiens catholiques, & les controversistes, comme Bellarmin, Valentia, &c. soûtiennent que son usage remonte jusqu'aux premiers siecles. M. Fleury avoüe que le premier exemple de la confession générale que l'on trouve, est celui de S. Eloi, qui étant venu en âge mûr, confessa devant un prêtre tout ce qu'il avoit fait depuis sa jeunesse. Mais il paroît par les peres grecs des premiers siecles, & même par l'histoire de Nectaire, si souvent objectée aux Catholiques par les Protestans, que la confession auriculaire étoit en usage dans l'Eglise dès la premiere antiquité. L'Eglise assemblée dans le concile quatrieme de Latran (an. 1215) a ordonné que tout fidele qui seroit parvenu à l'âge de discrétion, confesseroit ses péchés au moins une fois l'an. (G)

Anciennement les meubles de celui qui étoit mort après avoir refusé de se confesser, étoient confisqués au profit du roi, ou du seigneur haut justicier, ainsi qu'il est dit dans les établissemens de S. Louis, c. 89.

Quand quelqu'un étoit décédé intestat, ou sans avoir laissé quelque chose à l'église, on appelloit cela mourir deconfés, c'est-à-dire sans confession. Le défunt étoit présumé ne s'être point confessé ; ou au cas qu'il se confessât, on lui refusoit l'absolution, s'il ne donnoit rien à l'église : ainsi il étoit toûjours réputé mort deconfés, c'est-à-dire sans confession. Voyez les notes de M. de Lauriere, sur le chap. lxxxjx. cité ci-devant.

Il étoit d'usage de tems immémorial dans les provinces de France qui sont régies par le droit coûtumier, de ne point accorder la confession aux criminels qui étoient condamnés à mort ; quoique dans les pays de Languedoc & ailleurs elle ne leur fût point refusée.

L'usage particulier du pays coûtumier fut condamné par le concile de Vienne, & le pape Grégoire XI. en écrivit à Charles V. pour le faire abolir. Philippe de Mazieres, l'un des conseillers de ce prince, lui persuada de faire réformer cet usage qui lui paroissoit trop dur, à quoi Charles V. étoit tout disposé : mais ayant fait mettre la chose en délibération dans son parlement, il y trouva tant d'opposition, qu'il déclara qu'il ne changeroit rien là-dessus de son vivant.

Les représentations qui furent faites sur cette matiere par le seigneur de Craon à Charles VI. l'engagerent à assembler les princes du sang, les gens du grand-conseil, plusieurs conseillers du parlement, du châtelet, & autres, par l'avis desquels il donna des lettres le 12 Février 1396, qui abolissent l'ancienne coûtume, ordonnent d'offrir le sacrement de pénitence à tous ceux qui seront condamnés à mort, avant qu'ils partent du lieu où ils sont détenus, pour être menés au lieu de l'exécution ; & il est enjoint aux ministres de la justice, d'induire les criminels à se confesser, au cas qu'ils fussent si émûs de tristesse qu'ils ne songeassent point à le demander.

Cette loi fut pratiquée dès 1397 pour des moines qui avoient accusé faussement le duc d'Orléans d'avoir jetté un sort sur Charles VI.

L'ordonnance de 1670, tit. xxvj. art. 4. porte que le sacrement de confession sera offert aux condamnés à mort, & qu'ils seront assistés d'un ecclésiastique jusqu'au lieu du supplice.

Il n'est pas permis à un confesseur de révéler la confession de son pénitent, & il ne peut y être contraint. Can. sacerdos, dist. vj. & capit. omnis extra de poenit. & remissionib. Voyez Papon, liv. XXIV. tit. vij. Carondas, rep. liv. VII. ch. clxxviij.

Un confesseur n'est pas non plus tenu, & ne doit pas révéler les complices du criminel qu'il a confessé ; parce qu'outre le secret qu'exige la confession, une telle révélation ne seroit qu'un oüi-dire qui ne feroit pas une preuve contre les complices : M. d'Héricourt tient même que l'on ne pourroit pas se servir contre un accusé d'un papier sur lequel il auroit écrit sa confession, quoiqu'il s'y reconnût coupable du crime dont il seroit accusé. (A)

Les Indiens, au rapport de Tavernier, ont aussi chez eux une espece de confession & de pénitence publique. Il en est de même des Juifs. Ces derniers ont des formules pour ceux qui ne sont pas capables de faire le détail de leurs péchés ; ils en ont d'ordinaire une composée selon l'ordre de l'alphabet : chaque lettre renferme un péché capital, & qui se commet le plus fréquemment. Ils font ordinairement cette confession le lundi, le jeudi, & tous les jours de jeûne, aussi bien que dans d'autres occasions. Quelques-uns la disent tous les soirs avant que de se coucher, & tous les matins quand ils se levent. Lorsque quelqu'un d'eux se voit près de la mort, il mande dix personnes plus ou moins selon sa volonté, dont il faut qu'il y en ait un qui soit rabbin, & en leur présence il récite la confession dont on vient de parler. Voyez Léon de Modene, cérém. des Juifs.

Confession de foi, est une liste ou dénombrement & déclaration des articles de la foi de l'Eglise. Voyez FOI.

La confession d'Augsbourg est celle des Luthériens, présentée à Charles-Quint en 1530. Voyez AUGSBOURG.

Au concile de Rimini, les évêques catholiques blâmoient les dates dans une confession de foi, & soûtenoient que l'Eglise ne les datoit point.

CONFESSION, terme de Liturgie & d'Histoire ecclésiastique, étoit un lieu dans les églises, placé pour l'ordinaire sous le grand autel, où reposoient les corps des martyrs & des confesseurs. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)

CONFESSION, (Jurisp.) est une déclaration ou une reconnoissance verbale ou par écrit de la vérité d'un fait.

La confession faite en jugement est appellée judicielle ; elle a lieu dans les déclarations qui sont faites par une partie à l'audience ou dans un interrogatoire, soit en matiere civile ou criminelle.

Lorsqu'elle est faite hors jugement, comme dans un acte devant notaire, elle est appellée extrajudicielle.

En matiere civile, la confession judicielle fait une preuve complete contre celui qui l'a faite ; confessus in judicio pro judicato habetur, l. ff. de confess. mais elle ne nuit point à un tiers.

On ne divise point ordinairement la confession en matiere civile, c'est-à-dire que celui qui veut s'en servir ne peut pas invoquer ce qui est à son avantage, & rejetter ce qu'il croit lui être contraire ; il faut ou prendre droit par toute la déclaration, ou ne s'en servir aucunement. Henrys rapporte néanmoins dans sa sixieme question posthume, deux cas où la confession se divise en matiere civile ; savoir lorsqu'il y a une forte présomption contraire au fait que l'on ne veut pas diviser, ou lorsqu'on a une preuve testimoniale de ce même fait. Il y a même la loi 26. §. dernier, ff. deposit. qui permet de diviser la déclaration ; cela dépend des circonstances.

Au contraire en matiere criminelle on peut diviser la confession de l'accusé ; mais elle ne sert pas de conviction parfaite contre lui, parce qu'on craint qu'elle ne soit l'effet du trouble & du desespoir ; elle fait seulement un commencement de preuve, & peut donner lieu de faire appliquer l'accusé à la question, quand il se trouve d'ailleurs quelques autres indices contre lui : en quoi notre jurisprudence est beaucoup plus sage que celle de bien d'autres nations. Par exemple, chez les Juifs on condamnoit à mort un accusé sur sa seule déclaration, sans qu'il fût besoin de témoins : c'est ce que nous apprenons dans l'Evangile, où l'on voit que Jesus-Christ ayant répondu qu'il étoit le Fils de Dieu, les princes des prêtres s'écrierent : Quid adhuc desideramus testimonium ? ipsi enim audivimus de ore ejus. Ce fut sur cette réponse qu'ils condamnerent injustement comme coupable, celui qui est la justice & la vérité même.

Il en étoit de même chez les Romains ; l'accusé pouvoit être condamné sur sa seule déclaration, de même que le débiteur en matiere civile.

La confession faite par un accusé à la question, peut être par lui révoquée, sans qu'elle soit considérée comme un nouvel indice ni comme une variation de sa part ; on présume que la violence des tourmens a pû lui faire dire des choses qui ne sont pas véritables.

Pour ce qui est de la confession que fait un criminel condamné à mort, elle ne fait pas preuve contre un tiers, parce que le témoignage d'un criminel condamné est suspect, & qu'il pourroit par desespoir & par méchanceté chercher à envelopper dans son malheur quelques personnes auxquelles il voudroit du mal ; sa déclaration fait seulement un commencement de preuve.

Pour que l'on puisse tirer avantage d'une confession contre celui qui l'a faite, il faut qu'elle ait été faite librement par une personne capable ; desorte que si c'est un mineur, il faut qu'il soit assisté de son tuteur ou curateur ; si c'est un fondé de procuration, la procuration doit être spéciale : il faut aussi que la confession soit certaine & déterminée, qu'elle concerne un fait qui ne soit pas évidemment faux, & qu'il n'y ait pas erreur dans la déclaration.

Enfin si la confession, même en matiere civile, est faite devant un juge incompétent, elle n'emporte pas condamnation, elle fait seulement un commencement de preuve. Il en est de même de la confession faite hors jugement.

C'est encore une maxime en matiere de confession ou reconnoissance, que qui non potest dare, non potest confiteri ; c'est-à-dire qu'on ne peut pas avantager par forme de reconnoissance des personnes prohibées, auxquelles il est défendu de donner. Voyez la loi 1. & l. 6. §. 3. ff. de confess. la loi uniq. au code eod. l. pénult. ff. de cess. bon. & l. 56. ff. de re judic. cap. jv. extra de jud. Chorier sur Guypape, pag. 311. Boyer, décis. 239. Delordeau, lett. C, art. 11. Henrys, tome I. liv. IV. ch. vj. quest. 86. (A)


CONFESSIONNALS. m. (Hist. ecclésiast.) est une espece de niche en boiserie, fermée d'une porte à jour ou grillée, & placée dans une église ou une chapelle, où le confesseur est assis pour entendre les pénitens, qui se placent à genoux dans deux autres niches en prie-dieu, ouverts, & pratiqués aux côtés de la niche du confesseur, qui les entend par une petite fenêtre grillée.


CONFESSIONNISTEou PROTESTANS, sub. m. pl. (Hist. ecclés.) Luthériens ainsi appellés de la confession de foi qu'ils présenterent à l'empereur Charles-Quint à Augsbourg en 1530, d'où on l'a nommée la confession d'Augsbourg. Sleidan. Les catholiques allemands ne les nommerent point autrement dans les actes de la paix de Westphalie. Voyez CONFESSION D'AUGSBOURG, au mot AUGSBOURG ; voy. aussi PROTESTANS. (G)


CONFESSOIRE(Jurisp.) voyez ACTION CONFESSOIRE.


CONFIANCES. f. (Gramm.) est un effet de la connoissance & de la bonne opinion que nous avons des qualités d'un être, relatives à nos vûes, à nos besoins, à nos desseins, & plus généralement à quelqu'intérêt marqué, qui consiste à nous en reposer sur lui quelquefois plus parfaitement que sur nous-mêmes, de ce qui concerne cet intérêt. Cette définition est générale, & peut s'appliquer à confiance prise au simple & au figuré, & considérée par rapport aux êtres intelligens & aux êtres corporels.


CONFIDENCES. f. (Gramm.) est un effet de la bonne opinion que nous avons conçûe de la discrétion & des secours d'une personne, en conséquence de laquelle nous lui révélons des choses qu'il nous importe de laisser ignorer aux autres ; d'où il s'ensuit que la confidence perd son caractere, & cesse plus ou moins à marquer de l'estime, à mesure qu'elle devient plus générale.

CONFIDENCE, (Jurisprud.) est une paction simoniaque & illicite, & une espece de fidéicommis en matiere bénéficiale, qui a lieu lorsque le titulaire d'un bénéfice ne l'acquiert qu'à condition de le conserver à un autre, & de le lui résigner dans un certain tems ; ou lorsqu'il conserve le titre pour lui, mais à la charge de donner les fruits du bénéfice en tout ou en partie au résignant, au collateur, ou à quelqu'autre personne désignée dans la convention.

On dit communément que la confidence est la soeur de la simonie, parce qu'en effet rien n'approche plus de la simonie que la confidence, & qu'il y a de la simonie dans ces sortes de pactions, puisque c'est traiter de quelque chose de spirituel pour un objet temporel.

Le premier exemple que l'on trouve de confidence en matiere de bénéfice, est celui du nonce Tryphon, lequel en 928 consentit, contre les regles, de n'être ordonné que pour un tems patriarche de Constantinople, & de remettre cette dignité à Théophilacte fils de l'empereur Romain I. dit Lecapene, quand il seroit en âge de la posséder. Il n'avoit alors que seize ans.

On voit aussi dans Froissart un autre exemple fameux de confidence, qui est à-peu-près du même tems que le précédent. Herbert comte de Vermandois s'étant emparé de l'archevêché de Rheims pour son fils Hugues qui n'étoit encore âgé que de cinq ans, convint avec Odalric évêque d'Aix, que celui-ci feroit les fonctions épiscopales de l'archevêché de Rheims jusqu'à ce que Hugues fût en âge ; & en attendant on accorda à Odalric la joüissance de l'abbaye de S. Thimothée, avec une prébende canoniale.

Ce desordre fut fort commun en France dans le xvj. siecle, & sur-tout vers la fin ; plusieurs grands bénéfices, & même des évêchés, étoient possédés par des séculiers, par des hérétiques, par des femmes, auxquels certains ecclésiastiques confidentiaires prêtoient leur nom.

Cependant les lois canoniques & civiles se sont toûjours élevées fortement contre un si grand abus.

Le concile de Rouen tenu en 1501, oblige les confidentiaires, & même leurs héritiers, à restituer les fruits qu'ils ont indûement perçûs.

Les bulles de Pie IV. & de Pie V. des 17 Octobre 1564 & 5 Juin 1569, marquent les présomptions par lesquelles on peut établir la confidence ; savoir 1°. lorsqu'après la résignation le résignant continue à percevoir les fruits du bénéfice ; 2°. si le résignataire donne procuration au résignant où à ses proches pour passer les baux du bénéfice, & en recevoir les fruits ; 3°. si le résignant fait tous les fraix des provisions, & autres expéditions de son résignataire ; 4°. si celui qui a employé le bénéfice pour un autre, ou qui s'y est employé, s'ingere ensuite dans la disposition des choses qui concernent le bénéfice.

Mais comme ces bulles n'ont point été reçûes en France, ni enregistrées dans aucune cour souveraine, les juges qui connoissent des contestations où il peut se trouver des questions de confidence, ne doivent admettre que les présomptions qui sont de droit commun ; il faut qu'elles soient juris & de jure : or la troisieme de celles qui sont marquées dans les bulles dont on a parlé, est fort équivoque, sur-tout si c'étoit un oncle qui eût fait les fraix des provisions pour son neveu, & que celui-ci n'eût aucun bien ; la derniere de ces présomptions est très-foible : cela dépend donc beaucoup des circonstances & de la prudence du juge.

Le concile de Bourges tenu en 1584, déclare les bénéfices obtenus ou donnés par voie de confidence ; vacans de plein droit, & oblige à la restitution ceux qui en ont perçû les fruits ; & non-seulement il prive les confidentiaires de tous les bénéfices ou pensions qu'ils possedent, mais même les déclare incapables d'en obtenir d'autres.

L'édit du mois de Septembre 1610, art. 1. porte que pour ôter les crimes de simonie & de confidence, qui ne sont que trop communs en ce royaume, si quelqu'un est desormais convaincu pardevant les juges auxquels la connoissance en appartient, d'avoir commis simonie, ou de tenir bénéfices en confidence, il sera pourvû auxdits bénéfices comme vacans, incontinent après le jugement donné ; savoir par nomination du Roi, si le bénéfice est du nombre de ceux auxquels il a droit de nommer par les concordats ; ou par les collateurs ordinaires, s'ils dépendent de leur collation.

Cette disposition se trouve rappellée dans l'art. 18. de l'ordonnance de 1669 ; elle veut de plus qu'il soit procédé séverement contre les personnes qui auront commis les crimes de simonie & de confidence, & que les preuves de ces crimes soient reçûes suivant les bulles & constitutions canoniques sur ce faites ; ce qu'il faut néanmoins entendre seulement des bulles reçûes dans le royaume.

Peleus, quest. 127. dit qu'on ne peut contraindre un confidentiaire à résigner un bénéfice, à moins qu'il n'y ait une promesse par écrit ; & en effet on n'est pas admis à vérifier la confidence par la seule preuve testimoniale ; mais elle est admise lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit ; autrement il seroit presque toûjours impossible de prouver la confidence, attendu que ceux qui la commettent ont ordinairement soin de déguiser leurs conventions, & de cacher la confidence.

Le juge royal peut connoître de la confidence incidemment au possessoire du bénéfice.

Le titulaire confidentiaire ne peut pas s'aider de la possession triennale, parce qu'il n'est pas possible qu'il n'ait eu connoissance de la confidence. Rebuffe, de pacif. possess. n. 241. (A)


CONFIDENTIAIREvoyez l'art. précédent CONFIDENCE (Jurisprud.)


CONFIGURATIONS. f. (Physiq.) forme extérieure ou surface qui borne les corps, & leur donne une figure particuliere. Voyez FIGURE & SURFACE.

Ce qui fait la différence spécifique entre les corps, selon plusieurs philosophes, c'est la diverse configuration & la diverse situation des parties. Selon ces philosophes, les élémens de tous les corps sont les mêmes ; par exemple, ceux de l'or & du plomb : la différente maniere dont ces élémens sont arrangés, est tout ce qui constitue la différence de l'or & du plomb. Voilà pourquoi Descartes disoit : Donnez-moi de la matiere & du mouvement, & je ferai un monde ; ce que nous expliquerons plus bas.

Le sentiment des philosophes dont il s'agit n'est pas sans vraisemblance ; quelle autre différence pouvons-nous imaginer entre les corps, que celle qui résulte de la figure & de la disposition différente de leurs parties ? Car en vertu de cette différence, ils pourront 1°. réfléchir des rayons de différentes couleurs, & par conséquent être différemment colorés, voyez COULEUR : 2°. Ils pourront avoir différens degrés de mollesse, de dureté, ou d'élasticité. Voyez ces mots. Cependant cette hypothese pour expliquer la différence des corps, élude la question plûtôt qu'elle ne la résout : il reste toûjours deux difficultés considérables. En premier lieu, on peut demander quels sont en général les élémens ou particules composantes des corps ; si on dit que ce sont des corps, on n'avance point ; car ces corps auront eux-mêmes des particules ou élémens, & ne seront point par conséquent les particules ou élémens primitifs des corps qui tombent sous nos sens : si on dit que ce ne sont point des corps, on dit une absurdité ; car comment concevoir qu'avec ce qui n'est point corps, on fasse un corps ? Des deux côtés les difficultés sont à-peu-près égales. Voyez CORPS.

En second lieu, supposons que les particules des corps soient des corps ; ces particules ont-elles une dureté primitive, ou leur dureté vient-elle de la pression d'un fluide ? deux questions également difficiles à résoudre. Voyez l'article DURETE.

Il résulte de ces réflexions, que nous ne voyons & ne connoissons, pour ainsi dire, que la surface des corps, encore très-imparfaitement, & que le tissu intérieur nous en échappe : c'est sans-doute parce qu'ils nous ont été donnés uniquement pour nos besoins, & qu'il n'est pas nécessaire pour nos besoins que nous en sachions davantage.

Au reste, quand Descartes disoit, donnez-moi de la matiere, &c. ce grand philosophe ne prétendoit pas nier, comme l'ont dit quelques imposteurs, que la matiere fût créée, ni qu'elle eût besoin d'un souverain moteur ; il vouloit dire seulement que ce souverain moteur n'employoit que la figure & le mouvement pour composer les différens corps ; mais cette opération est toûjours l'ouvrage d'une intelligence infinie.

CONFIGURATION ou ASPECT DES PLANETES, en Astrologie, sont certaines distances que les planetes ont entr'elles dans le zodiaque, par lesquelles, selon les Astrologues, elles s'aident ou se nuisent les unes les autres. Ces distances se mesurent par le nombre des degrés du zodiaque qui séparent ces deux planetes. Tant que l'Astrologie a été en honneur, on a eu beaucoup d'égard à la configuration des planetes ; elle est fort négligée aujourd'hui avec raison. Voyez ASPECT & ASTROLOGIE.


CONFINERCONFINER

Anciennement confiner signifioit quelquefois reléguer quelqu'un hors des confins d'un certain territoire. Voyez BANNIR. (A)


CONFINSS. m. pl. (Jurisprud.) sont les limites d'un héritage, d'une paroisse, ou du territoire d'une dixmerie, d'une seigneurie, justice, &c. fines agrorum seu territorii. Il ne faut pas confondre les bornes avec les confins. On entend par confins les limites d'un héritage ; au lieu que les bornes sont des signes extérieurs qui servent à marquer les limites.

La loi des douze tables avoit ordonné de laisser un espace de cinq piés de large entre les héritages appartenans à différentes personnes ; ce qui formoit un sentier de communication par lequel chacun pouvoit aller à son héritage, & même tourner tout-autour, sans passer sur celui du voisin. Ces sentiers étoient appellés viae agrariae, & cet espace de cinq piés ne pouvoit être prescrit. Il paroît que l'objet des décemvirs, en obligeant chacun de laisser cet espace autour de son héritage, étoit que l'on pût facilement labourer à la charrue sans anticiper sur le voisin, & aussi pour que la distinction des héritages fût mieux marquée. Il y a apparence que les deux propriétaires qui avoient chacun un héritage contigu à l'autre, devoient laisser chacun la moitié de cet espace de cinq piés.

Mamilius tribun du peuple fit dans la suite une loi appellée de son nom Mamilia, & par corruption, qui conformément à la loi des douze tables ordonna qu'il y auroit un espace de cinq à six piés entre des fonds voisins l'un de l'autre, & qui régloit les différends qui s'élevoient à ce sujet entre des particuliers.

Il est aussi parlé de cet espace de cinq piés dans la loi derniere au code Théodosien, finium regundorum, qui en ce point paroît avoir suivi la loi des douze tables.

La loi quinque pedum, au code finium regundorum, énonce aussi que l'espace de cinq piés qui sépare les héritages ne peut pas se prescrire ; ce qui suppose que cet usage de laisser un espace de cinq piés entre les héritages étoit encore observé.

Il étoit cependant d'usage de mettre des bornes chez les Romains ; ce qui sembleroit superflu au moyen de cet espace de cinq piés : mais les bornes pouvoient toûjours servir à empêcher que l'on ne déplaçât le sentier de séparation.

Quoiqu'il en soit, il est certain que depuis longtems il n'est plus d'usage que les différens propriétaires d'héritages voisins laissent un espace entre leurs héritages, à moins que l'un ne fasse une muraille ou un fossé, ou ne plante une haie ; hors ces cas chacun laboure jusqu'à l'extrémité de son héritage ; ce qui ne se peut faire à la vérité sans que la moitié de la charrue pose sur l'héritage du voisin ; ce qui est regardé comme une servitude nécessaire & réciproque entre voisins.

Les autres dispositions du titre finium regundorum, sont que dans une vente l'on ne considere point les anciens confins, mais ceux qui sont désignés par le contrat, parce que le propriétaire qui vend une partie de son fonds peut changer les limites ou confins, & les déterminer comme il le juge à-propos ; qu'ils peuvent pareillement changer par le fait & le consentement des différens propriétaires qui se succedent ; que quand il s'agit de régler les confins ou limites, on a égard à la propriété & possession, & que pour la mesure des terres le juge commet un mesureur (ce que nous appellons aujourd'hui arpenteur), sur le rapport duquel il ordonne ensuite que les bornes seront posées ; que si pendant le procès l'un des contendans anticipe quelque chose sur l'autre, il sera condamné non-seulement à rendre ce qu'il a pris, mais encore à en donner autant du sien ; qu'on peut se pourvoir pour faire régler les confins lorsqu'il s'agit d'un modique espace de terrein, de même que s'il étoit plus considérable ; enfin que l'on ne prescrit les confins ou limites que par l'espace de trente ans.

La position des confins peut être établie de trois manieres ; ou par les bornes, ou par les titres, ou par témoins ; par bornes, lorsque l'on en reconnoît qui ont été mises d'ancienneté, voyez BORNES ; par titres, lorsque l'étendue de l'héritage ou du territoire y est marquée ; & par témoins, lorsque les témoins disent que de tems immémorial, ou depuis un tel tems, ils ont toûjours vû un tel joüir, labourer, ou dixmer jusqu'à tel endroit.

On entend aussi souvent par le terme de confins, les tenans & aboutissans, c'est-à-dire les endroits auxquels un héritage tient de chaque côté. Il y a des confins immuables, tels qu'un chemin, une riviere ; d'autres sont sujets à changer, tels que les héritages des particuliers ; non-seulement il arrive changement de propriétaire & changement de nom, mais souvent même les héritages qui confinent changent de nature ; une piece de terre est partagée en plusieurs portions, ce qui étoit en bois ou vigne est mis en terre, aut contrà ; c'est pourquoi on ne sauroit avoir trop d'attention à bien expliquer tout ce qui peut désigner les confins.

Il est même bon de marquer les anciens & nouveaux confins, c'est-à-dire d'expliquer que l'héritage tient à un tel, qui étoit au lieu d'un tel. Il y a des terriers où l'on rappelle ainsi les confins de l'un à l'autre, en remontant jusqu'au titre le plus ancien.

Pour mieux reconnoître les confins, il faut les orienter, c'est-à-dire les désigner chacun par aspect du soleil : par exemple, en parlant d'un héritage ou territoire, on dira : tenant d'une part, du côté d'orient, au chemin qui conduit de tel lieu à tel autre ; d'un bout, du côté du midi, à la riviere ; d'autre part du côté d'occident, à Pierre Vialard, au lieu de Simon Hugonet, qui étoit au lieu de Jean ; d'autre bout, du côté du septentrion, à la terre de Nicolas Roche, qui étoit ci-devant en bois.

L'usage de marquer les confins dans les terriers n'a commencé que vers l'an 1300, & en d'autres endroits vers l'an 1450.

L'ordonnance de 1667, tit. jx. art. 3. veut que ceux qui forment quelque demande pour des censives ou pour la propriété de quelque héritage, rente fonciere, charge réelle, ou hypotheque, déclarent, à peine de nullité, par le premier exploit, le bourg, village ou hameau, le terroir ou la contrée, où l'héritage est situé ; sa consistance, ses nouveaux tenans & aboutissans, du côté du septentrion, midi, orient, occident, &c. ensorte que le défendeur ne puisse ignorer pour quel héritage il est assigné.

Dans les déclarations ou reconnoissances, aveux & dénombremens, contrats de vente, baux à rente, échanges, baux à ferme, & autres actes concernant la propriété ou possession d'un héritage ou territoire, il est également important d'en bien désigner les confins, pour en assûrer l'étendue. (A)


CONFIREv. act. (Confiseur) c'est donner à un fruit, à une plante, ou à une herbe, une sorte de préparation en l'infusant dans du sucre, sirop, eau-de-vie, ou vinaigre, pour leur donner un goût agréable, ou pour les conserver plus long-tems. Voyez CONFIT, NFITURETURE.

CONFIRE, terme de Chamoiseur, Pelleterie, &c. c'est donner une certaine préparation aux peaux de mouton, d'agneau, de lievre, &c. dans une cuve appellée confit, avec du sel, de l'eau, de la farine, &c. Ainsi l'on dit, il faut confire ces peaux, c'est-à-dire, il faut les mettre dans le confit avec les ingrédiens nécessaires pour les préparer. Voyez CHAMOISEUR.


CONFIRMATIONS. f. (Théolog.) sacrement de la loi nouvelle, qui outre la grace sanctifiante confere à l'homme baptisé des graces spéciales pour confesser courageusement la foi de Jesus-Christ ; c'est la définition qu'en donnent quelques théologiens catholiques.

Ils sont divisés sur ce qui constitue la matiere essentielle de ce sacrement ; les uns veulent que ce soit la seule imposition des mains, & que l'onction du saint chrême ne soit que matiere accidentelle ou intégrante ; c'est le sentiment du P. Sirmond & de M. de Sainte-Beuve. Les autres comme Grégoire de Valence soûtiennent que les apôtres employoient & l'imposition des mains & l'onction du saint chrême ; mais que l'onction est devenue par l'usage matiere essentielle, & l'imposition des mains matiere accidentelle : d'autres réunissent en quelque sorte ces deux sentimens, en soûtenant que l'imposition des mains & l'onction du saint chrême sont également matiere essentielle. Enfin un quatrieme sentiment veut que Jesus-Christ ait institué l'une & l'autre comme matiere, en laissant à l'église à user selon sa sagesse de l'une ou de l'autre. De ces sentimens le troisieme est le plus généralement suivi.

Selon celui qu'on embrasse sur la matiere de ce sacrement, on en prend un sur sa forme, c'est-à-dire, sur l'oraison ou la priere qui accompagne l'imposition des mains ou l'onction du saint chrême.

Parmi les Grecs & dans tout l'orient, on donne ce sacrement immédiatement après le baptême ; mais dans l'église d'occident, on le réserve jusqu'à ce que les enfans ayent atteint l'âge de raison.

Quoiqu'on trouve des preuves très-fortes de son existence dans les actes des apôtres, ch. vij. vers. 14. & suiv. & chap. xjx. vers. 5. & de sa pratique ou administration dans Tertullien, l. du baptême, ch. vij. de la résurrection de la chair, chap. viij. dans saint Cyprien, épit. 73. à Jubaïen, épist. 76. à Janvier ; dans saint Jérôme, Dialog. contre les Lucifériens, & dans saint Augustin, liv. XV. de la Trinit. ch. xxvj. les Luthériens & les Calvinistes n'ont pas laissé que de le retrancher du nombre des sacremens.

Il paroît par toute l'antiquité, que les évêques ont toûjours été en droit de conférer le sacrement de confirmation ; saint Cyprien & la plûpart des peres marquent très-distinctement la tradition & l'usage de la confirmation, par l'imposition des prélats de l'église depuis les apôtres jusqu'à eux. M. Fleury, & la plûpart des théologiens modernes établissent comme un caractere distinctif entre les fonctions des prêtres ou des diacres, & celles des évêques, que les premiers puissent administrer le baptême, au lieu qu'il n'appartient qu'aux évêques de conférer la confirmation en qualité de successeurs des apôtres.

Il est certain que parmi les Grecs, le prêtre qui donne le baptême confere aussi la confirmation ; & Luc Holstenius assûre que cet usage est si ancien dans l'église orientale, que le pouvoir de confirmer est devenu comme ordinaire aux prêtres qui l'ont reçû des évêques. De-là pour ne pas condamner la pratique de cette église, les Théologiens pensent que l'évêque est le ministre ordinaire de la confirmation, & que les prêtres peuvent la donner, & l'ont souvent donnée comme ministres extraordinaires, & par délégation. La confirmation est un des trois sacremens qui impriment caractere. Voyez CARACTERE.

On donnoit autrefois la confirmation aux fêtes solemnelles de Pâques & de la Pentecôte, & aux approches de la persécution. Le concile de Roüen prescrit que celui qui donne la confirmation, & ceux qui la reçoivent, soient à jeun. Sur les cérémonies qui appartiennent à l'administration de ce sacrement, on peut voir les anciens rituels & les théologiens qui en ont traité. (G)

CONFIRMATION, (Belles-Lettres) en Rhétorique, est la troisieme partie d'un discours, selon la division des anciens, dans laquelle l'orateur doit prouver par lois, raisons, autorité ou autres moyens, la vérité des faits ou des propositions qu'il a avancés, soit dans la narration, soit dans sa division. C'est ce que nous appellons preuves & moyens. Voyez DISCOURS & ORAISON.

La confirmation est directe ou indirecte : la premiere renferme ce que l'orateur a avancé pour fortifier sa cause ou développer son sujet : la seconde qu'on appelle autrement confutation ou réfutation, est la replique aux objections de la partie adverse. Voyez CONFUTATION & REFUTATION. On comprend quelquefois ces deux parties sous le titre général de contention.

Cette partie est comme l'ame de l'oraison ; c'est sur elle qu'est fondée la principale force des argumens ; c'est pourquoi Aristote l'appelle , fides, ce qui fait impression sur l'esprit des auditeurs, & concilie leur créance à l'orateur. C'est la partie la plus essentielle de l'éloquence ; toute l'adresse & toute la force de l'art y sont renfermées, car elle consiste principalement à convaincre & à émouvoir. Dans toutes les questions qu'on y traite, il faut autant qu'il est possible, remonter à un principe lumineux ; le présenter à ses auditeurs par tous les côtés qui peuvent le faire connoître, & ne le point quitter qu'on ne l'ait placé dans son véritable jour. On doit descendre ensuite aux conséquences par un chemin droit, & par des liaisons naturelles, ensorte que l'on voye la conclusion naître du principe établi dans le commencement. Ainsi le but de la confirmation est de prouver une chose qui paroît douteuse, par une autre qui est tenue pour certaine.

La forme des preuves est différente, & l'art de l'orateur consiste à entremêler les enthymemes aux exemples, aux inductions, aux dilemmes, & à les revêtir de figures, pour ne leur pas donner un air uniforme qui deplairoit infailliblement.

Mais en rassemblant tous les argumens qui établissent sa cause, l'orateur doit être attentif à les arranger dans un ordre convenable, en mettant au commencement & à la fin les meilleures preuves, & les plus foibles dans le milieu ; c'est le sentiment de Cicéron dans son traité de l'orateur. (G)


CONFIRMER(Jurispr.) c'est déclarer ou reconnoître valable un acte. Une donation ou un testament sont confirmés par l'acquiescement que l'on donne à leur exécution ; ils sont aussi confirmés, & d'une maniere plus solemnelle, lorsqu'ayant été débattus de nullité en justice, il intervient un jugement qui les déclare valables, & en ordonne l'exécution.

Le Roi confirme des statuts & priviléges, & autres actes, par des lettres-patentes ; mais il faut observer qu'il y a deux maximes en fait de confirmation : l'une est que, qui confirmat nihil dat, c'est-à-dire, que la confirmation n'ajoûte rien à ce qui est confirmé, si ce n'est l'approbation & l'autorité qu'elle y donne.

La seconde maxime est, que la simple confirmation d'un acte qui est nul de plein droit ne le rend pas valable, à moins que l'approbation qui est faite de l'acte ne soit émanée de celui qui avoit intérêt de le contester ; par exemple, si le fils exhérédé a approuvé le testament de son pere, il ne peut plus intenter la querelle d'inofficiosité.

Lorsqu'il y a appel d'une sentence, le juge supérieur peut la confirmer ou l'infirmer, si l'appel est pendant dans une cour souveraine : lorsque l'on confirme la sentence, on prononce que la cour met l'appellation au néant, & ordonne que ce dont est appel sortira son plein & entier effet, & elle condamne l'appellant en l'amende & aux dépens ; néanmoins en matiere de grand criminel, la cour, lorsqu'elle confirme, dit seulement qu'il a été bien jugé, mal & sans grief appellé.

Cette derniere forme de confirmer est la seule dont les juges inférieurs puissent user, soit en matiere civile ou criminelle.

On peut confirmer un jugement ou autre acte, dans une partie, & l'infirmer ou desapprouver dans l'autre.

Voyez au code 5. tit. xvj. l. 14. & au digeste 27. tit. jx. l. 2. & lib. XXIX. tit. vij. l. 7. & lib. XXXVII. tit. xjv. l. fin. Dumolin sur l'art. 5. de l'anc. coût. verbo, dénombrement, nn. 87 & suiv. Mornac ad leg. de jurisdic. & le Prêtre, cent. 4. ch. xlv. (A)

CONFIRMER un cheval, (Manége) c'est achever de le dresser aux airs du manége. Voyez AIR, MANEGE, &c. (V)


CONFISCATIONS. f. (Jurisprud.) est l'adjudication qui se fait d'une chose au profit du fisc, ou de ceux qui en ont les droits ; c'est une peine prononcée par les lois contre ceux qui sont coupables de quelque délit, & qui est plus ou moins étendue selon la nature du délit : cette peine s'étend sur les héritiers du criminel qui sont privés de ses biens ; ce que l'on a ainsi établi pour contenir d'autant plus les hommes dans le devoir par la crainte de laisser leur famille dans l'indigence.

C'est un usage reçû chez toutes les nations, mais pratiqué diversement selon les tems, les lieux, & les circonstances.

Chez les Romains, la confiscation fut inconnue dans l'âge d'or de la république, comme le remarque Cicéron dans l'oraison, pro domo suâ : Tam moderata judicia populi sunt à majoribus constituta, ut ne poena capitis cum pecunia conjugatur.

Ce fut pendant la tyrannie de Silla que l'on fit la loi Cornelia, de proscript. qui déclaroit les enfans des proscrits incapables de posséder aucune dignité, & déclaroit les biens confisqués.

Sous les empereurs la confiscation des biens avoit lieu en plusieurs cas, qui ne sont pas de notre usage : par exemple, tous les biens acquis par le crime étoient confisqués ; la dot de la femme étoit confisquée pour le délit du mari ; celui qui avoit accusé (sans le prouver) un juge de s'être laissé corrompre dans une affaire criminelle, perdoit ses biens ; il en étoit de même de l'accusé qui avoit laissé écouler un an sans comparoître, & ses biens ne lui étoient point rendus, quand même par l'évenement il auroit prouvé son innocence : la maison ou le champ dans lesquels on avoit fabriqué de la fausse monnoie étoient confisqués, quoique le délit eût été commis à l'insû du propriétaire. On confisquoit aussi les biens de ceux qui n'étoient pas baptisés, de ceux qui consultoient les aruspices, d'un curateur nommé par collusion aux biens d'un mineur ; d'un décurion qui avoit commerce avec sa servante ; les maisons où l'on avoit tenu des assemblées illicites, & où l'on faisoit des sacrifices prohibés ; celles où l'on joüoit aux chevaux de bois, qui étoit un jeu défendu ; les biens de ceux qui souffroient que l'on commît fornication dans leur maison, ou dans leur champ, de ceux qui étoient condamnés aux mines, & de ceux qui fréquentoient les spectacles un jour de Dimanche.

On voit par ce détail, que les lois romaines étoient plus séveres que les nôtres dans bien des occasions ; mais la plûpart des empereurs ne se prévaloient pas de la rigueur de ces lois. Trajan remettoit entierement la peine de la confiscation ; ce qui lui a mérité ce bel éloge de Pline : quae praecipua tua gloria est, saepius vincitur fiscus, cujus mala causa nusquam est nisi sub bono principe.

Antonin le pieux en faisoit don aux enfans du condamné ; Marc Antonin leur en remettoit la moitié. Il est fait mention dans le digeste de bonis damnat. l. 7. §. 3 d'une loi par laquelle Adrien avoit ordonné, que si un homme condamné à mort laissoit un enfant, on donnât à cet enfant la douzieme partie des biens de son pere ; & que si le condamné laissoit plusieurs enfans, alors tous les biens du pere leur appartinssent, sans que la confiscation pût avoir lieu.

Valentinien en fit grace entiere aux enfans, ce que Théodose le grand étendit aux petits-enfans ; & au défaut de descendans, il accorda le tiers aux ascendans : enfin Justinien par sa novelle 17, abolit entierement le droit de confiscation ; il excepta seulement par sa novelle, le crime de lese-majesté.

En France la confiscation a été établie dès le commencement de la monarchie. Dagobert I. dans un édit de l'an 630, concernant l'observation du Dimanche, défend entr'autres choses de voiturer aucune chose par terre, ni par eau, à peine à l'égard des voitures par terre, de la confiscation du boeuf attaché du côté droit ; on trouve une semblable ordonnance de Pepin, dont l'année est incertaine, mais que l'on croit être de l'an 744.

Du tems de Philippe V. & même avant, les confiscations qui échéyoient au roi, devoient être employées à payer les aumônes dûes sur le trésor. Il n'en pouvoit faire don à héritage, c'est-à-dire à perpétuité que dans son grand-conseil ; il fut même réglé depuis que l'on ne donneroit plus les biens confisqués, mais seulement une somme préfixe sur ces biens, lesquels seroient vendus. Le roi devoit mettre hors de sa main dans l'an & jour les biens confisqués dans les terres des seigneurs, & les remettre à des personnes qui pûssent s'acquiter des devoirs féodaux, ou en indemniser les seigneurs ; & quand il les indemnisoit, ses officiers faisoient hommage pour lui. La confiscation des monnoies étrangeres fut accordée aux seigneurs hauts-justiciers dans leurs terres, lorsque c'étoient leurs officiers qui avoient saisi : le roi s'en réserva seulement la moitié, déduction faite sur le total du quart accordé au dénonciateur. Le chancelier ne devoit sceller aucun don de confiscation, qu'il n'eût déclaré au conseil ce que la chose donnée pouvoit valoir par an.

A Limoges, la confiscation appartenoit au vicomte, à moins que quelques habitans ne fussent depuis 30 ans en possession de les percevoir.

A Ville-franche en Périgord, les biens d'un homicide condamné à mort appartenoient au roi, ses dettes préalablement payées ; mais lorsqu'un homme y étoit pendu pour vol, ses dettes payées, le roi prenoit dix francs sur ses biens, & le reste passoit à ses héritiers.

A Langres, la veuve d'un homme exécuté à mort pour crime reprenoit ses biens & son doüaire, & partie dans les acquêts & dans les meubles, comme elle eût fait si son mari fût mort naturellement. Si c'étoit une femme qui fût exécutée à mort pour crime, l'évêque de Langres avoit par droit de confiscation la portion des biens du mari, que les héritiers de cette femme auroient eue si elle fût morte naturellement avant lui.

Lorsqu'un bourgeois ou habitant de Tournay blessoit ou tuoit un étranger qui l'avoit attaqué, il n'étoit point puni, & ses biens n'étoient point confisqués ; parce que les biens d'un étranger qui en se défendant auroit tué un bourgeois ou un habitant de Tournay, n'auroient pas été confisqués, ainsi que cela est expliqué dans des lettres de Charles V. du 20 Janvier 1370.

A Avesnes où la seigneurie étoit partagée entre le dauphin & d'autres seigneurs, en cas de contravention par rapport au vin, l'amende étoit pour les seigneurs particuliers ; & le vin étoit pour le dauphin.

Il y avoit aussi un usage singulier à Saint-Amand-en-Peule, diocèse de Tournay : anciennement les maisons des bourgeois qui étoient condamnés à mort étoient brûlées, au moyen de quoi leurs biens n'étoient pas confisqués ; mais il fut ordonné en 1366 que les maisons ne seroient plus brûlées, & que leurs héritiers ou ayans cause, pourroient les racheter, payant dix livres pour une maison de pierre, & 60 sols pour une maison de bois ou d'autre matiere.

Les confiscations avoient été destinées pour les dépenses de l'ordre de l'Etoile, & pour les réparations du palais ; mais en 1358 Charles V. lors régent du royaume, ordonna qu'elles seroient employées pour la rançon du roi Jean.

L'usage n'est pas encore uniforme dans tout le royaume.

Dans les pays de droit écrit, la confiscation n'a pas lieu, si ce n'est pour crime de lese-majesté divine & humaine. Il faut aussi en excepter le parlement de Toulouse, dans tout le ressort duquel la confiscation a lieu suivant le droit commun ; mais ce parlement réservoit autrefois la moitié des biens du condamné à ses enfans. Présentement il ne leur en accorde que le tiers : la femme du condamné est admise au partage de ce tiers avec les enfans ; & quand il n'y a point d'enfans, elle profite seule de ce tiers ; elle n'en perd pas même la propriété en se remariant.

A l'égard du pays coûtumier, on distingue les coûtumes en cinq classes, par rapport à la confiscation.

La premiere est composée de quelques coûtumes, qui ne l'admettent que dans le cas du crime de lese-majesté divine & humaine : telles sont les coûtumes de Berry, Touraine, Laudunois, la Rochelle, Angoumois, Calais, Boulenois, Lille, Tournay, Cambray, Bayonne, Saint-Sever.

La seconde est, des villes d'Arras, Lille & Saint-Omer, où par un privilége particulier la confiscation n'a lieu qu'en deux cas, savoir pour hérésie & lese-majesté.

La troisieme est des coûtumes qui admettent la confiscation pour les meubles seulement, & non pour les immeubles, telles que les coûtumes de Normandie, Bretagne, Anjou, Maine, Poitou, Ponthieu, le Perche.

La quatrieme comprend la coûtume de Paris, & les autres coûtumes semblables qui forment le plus grand nombre, lesquelles posent pour maxime que, qui confisque le corps confisque les biens.

La cinquieme classe enfin est composée des coûtumes qui n'ont point de disposition sur cette matiere, & dans lesquelles la confiscation n'a point lieu, à moins qu'elle ne soit prononcée dans les pays où la confiscation est admise : elle a lieu au profit du roi pour les biens situés dans l'étendue des justices royales, & au profit des seigneurs hauts-justiciers, pour les biens qui sont situés dans l'étendue de leur haute-justice, quand même la condamnation auroit été prononcée par le juge royal ; de maniere que les biens d'un condamné peuvent appartenir partie au roi, & partie à différens seigneurs, chacun d'eux n'ayant droit de prendre que ce qui est situé dans sa haute-justice ; mais sur les confiscations qui appartiennent aux seigneurs hauts-justiciers, on leve une amende au profit du roi, pour réparation du crime envers le public.

On préleve aussi les dettes du condamné sur les biens confisqués.

Lorsqu'un usufruitier joüit de la haute-justice, il a les confiscations, attendu qu'elles font partie des fruits.

Il est encore à remarquer que dans cette matiere, les dettes actives suivent le domicile du condamné : mais les meubles ne suivent pas la personne ni le domicile du condamné ; ils appartiennent au roi, ou autre seigneur dans la justice duquel ils se trouvent de fait ; desorte que s'il y en a dans plusieurs justices appartenantes à différens seigneurs, chacun ne prend que les meubles situés dans sa justice, comme cela se pratique pour les immeubles.

On trouve cependant une décision du conseil du premier Décembre 1742, qui adjugea au fermier du domaine de Paris tous les meubles d'un condamné domicilié à Paris, même ceux qu'il avoit à Versailles, à l'exclusion du fermier du domaine de Versailles ; mais cela fut sans-doute fondé sur ce que le roi est également seigneur de Paris & de Versailles, ainsi cela ne détruit point le principe que l'on a posé, qui n'a lieu qu'entre deux seigneurs différens.

Il y a seulement une exception pour le crime de lese-majesté, où la confiscation appartient toûjours au roi seul sans aucun partage avec les seigneurs ; elle est même dévolue au roi, omisso medio, c'est-à-dire, à l'exclusion du seigneur dans la justice duquel le procès auroit été fait.

La confiscation des condamnés pour fausseté commise au sceau des lettres de chancellerie, appartient à M. le chancelier.

Dans les pays où la confiscation est admise, & où l'on suit la maxime, qui confisque le corps confisque les biens, toute condamnation qui emporte mort naturelle ou civile, emporte aussi de plein droit la confiscation.

Mais pour que la confiscation ait lieu, il faut que le jugement soit irrévocable, & que la mort civile soit encourue, & pour cet effet que le jugement soit commencé à être exécuté ; ce qui se fait, pour les jugemens contradictoires, par la prononciation à l'accusé & pour les jugemens par contumace, par le procès-verbal d'effigie, s'il y a condamnation à mort naturelle ; & par l'apposition d'un simple tableau, s'il n'y a pas peine de mort portée par le jugement.

Quand il y a appel de la condamnation, l'état du condamné est en suspens, tant pour la confiscation que pour les autres peines, jusqu'à ce que l'appel soit jugé.

Si le condamné meurt dans la prison avant d'avoir été exécuté, ou bien dans le transport des prisons du juge supérieur au premier juge, la confiscation n'a point lieu.

Si par l'évenement la sentence est confirmée, la confiscation aura lieu du jour de la sentence.

A l'égard des sentences par contumace, au bout de cinq ans elles sont réputées contradictoires, & la mort civile & par conséquent la confiscation sont encourues du jour de l'exécution de la sentence de contumace : le condamné peut néanmoins obtenir des lettres pour ester à droit ; & si le jugement qui intervient en conséquence porte absolution ou n'emporte pas de confiscation, les meubles & immeubles sur lui confisqués lui seront rendus en l'état qu'ils se trouveront, sans pouvoir néanmoins prétendre aucune restitution des fruits des immeubles, &c.

Dans le cas d'une condamnation par contumace, les receveurs du domaine du Roi, les seigneurs ou autres auxquels la confiscation appartient, peuvent pendant les cinq années percevoir les fruits & revenus des biens des condamnés, des mains des fermiers & autres redevables ; mais il ne leur est pas permis de s'en mettre en possession ni d'en jouir par leur mains, à peine du quadruple applicable moitié au Roi, moitié aux pauvres du lieu, & des dépens, dommages & intérêts des parties.

Le Roi ni les seigneurs hauts-justiciers ne peuvent aussi, pendant les cinq années de la contumace, faire aucun don des confiscations, sinon pour les fruits des immeubles seulement.

Après les cinq années expirées, les receveurs du domaine, les donataires & les seigneurs auxquels la confiscation appartiendra, sont tenus de se pourvoir en justice pour avoir la permission de s'en mettre en possession ; & avant d'y entrer, ils doivent faire faire procès-verbal de la qualité & valeur des meubles & effets mobiliaires ; ils en jouissent ensuite en pleine propriété.

Dans le cas de crimes d'hérésie, lese-majesté humaine, péculat, concussion, fausse monnoie, sacrilege & apostasie, la confiscation est acquise du jour du délit.

Le mari ne confisque que ses propres & la moitié des meubles & conquêts, quand il y a communauté. Il en est de même de la femme, si ce n'est dans quelques coûtumes, où sa part de la communauté demeure au mari, comme dans celle d'Auxerre, article 29.

Sur la confiscation des biens des criminels, voyez au digeste, liv. XLVIII. tit. xx. & au code, liv. IX. ubique passim ; Carondas, liv. VII. rep. 115. Despeisses, tom. II. p. 694. & tom. III. p. 116. Le Maître sur Paris, art. 183. Coquille sur Nivernois, ch. ij.

Il y a encore plusieurs autres sortes de confiscations qui ont lieu au profit de différentes personnes, savoir,

1°. Celle qui a lieu au profit des traitans, comme subrogés à cet égard aux droits du Roi.

Il en est de même de la confiscation qui a lieu au profit des fermiers des messageries, contre ceux qui entretiennent sur leur privilege & exploitation, & de la confiscation qui a lieu au profit des communautés des Marchands, d'Arts & Métiers, contre ceux qui entreprennent sur leur état.

Dans toutes ces matieres, la confiscation n'est pas de tous biens, mais seulement des effets trouvés en contravention, tels que les marchandises & effets prohibés, les instrumens & outils qui ont servi à les fabriquer, & les charrettes, chevaux, & autres voitures & instrumens qui servoient à les transporter lorsque l'on a procédé à la saisie des effets trouvés en contravention.

Ceux auxquels ces sortes de confiscations appartiennent, ne les ont pas jure proprio, mais seulement par concession du Roi, & en vertu des statuts & réglemens par lui autorisés sur les marchandises & effets trouvés en contravention aux réglemens.

2°. En matiere féodale le vassal confisque son fief, c'est-à-dire que son fiel est confisqué au profit du dominant, lorsqu'il le fait tomber en commise pour cause de félonie ou de desaveu.

3°. La commise de l'héritage taillable, celle de l'héritage donné à titre d'emphitéose, la commise censuelle dans les coûtumes où elle a lieu sont aussi une espece de confiscation de l'héritage qui a lieu au profit du seigneur. Voyez COMMISE. (A)


CONFISERIES. f. l'art de faire des confitures de toutes les especes, & plusieurs autres ouvrages en sucre, comme biscuits, massepains, macarons, &c. Il semble que cet art n'ait été inventé que pour flater le goût en autant de façons qu'il produit d'ouvrages différens. Il n'y a pas de fruits, de fleurs, de plantes, quelque bons qu'ils soient naturellement, à qui il ne puisse donner un goût plus flateur & plus agréable. Il adoucit l'amertume des fruits les plus aigres, & en fait des mets délicieux. Il fournit aux tables des grands seigneurs leur plus bel ornement. La confiserie peut exécuter en sucre toutes sortes de desseins, de plans, de figures, & même des morceaux d'architecture considérables.


CONFISEUou CONFITURIER, sub. m. marchand qui fait & qui vend des confitures, ou qui en fait venir des pays étrangers & des provinces du royaume où l'on excelle à les faire, pour les débiter en gros & en détail.

A Paris les Confiseurs font partie du corps d'épicerie, qui est le second des six corps des Marchands. Voyez éPICIER.


CONFITS. m. Pelletier, Chamoiseur, Maroquinier, &c. a deux acceptions ; il se dit d'une certaine composition nécessaire pour la préparation des peaux. Voyez les articles PEAUX, CHAMOIS, TANNERIE, MAROQUIN, &c. Il se dit aussi de la cuve où l'on tient cette préparation.


CONFITUREsubst. f. (Confiseur) nom que l'on donne aux fruits, aux fleurs, aux racines, & à certains sucs lorsqu'ils sont bouillis & préparés avec du sucre ou du miel, pour les rendre de garde ou plus agréables au goût.

Les anciens confisoient seulement avec du miel, aujourd'hui on se sert plus fréquemment de sucre.

Confitures demi-sucrées, sont celles qui sont couvertes seulement d'un peu de sucre, afin qu'elles conservent davantage un goût de fruit.

On réduit toutes les confitures à huit sortes ; savoir confitures liquides, marmelades, gelées, pâtes, confitures seches, conserves, fruits candis, & dragées.

Confitures liquides, sont celles dont les fruits, ou tout entiers, ou en morceaux, ou en graines, sont confits dans un sirop fluide, transparent, qui prend sa couleur de celle des fruits qui y ont bouilli ; il y a beaucoup d'art à les bien préparer : si elles ne sont pas assez sucrées, elles se tournent ; si elles le sont trop, elles se candissent. Les plus estimées des confitures liquides sont les prunes, particulierement celles de mirabelle, l'épine-vinette, les groseilles, les abricots, les cerises, la fleur d'orange, les petits citrons verds de Madere, la casse verte du Levant, les myrobolans, le gingembre, & les clous de girofle, &c.

Les marmelades sont des especes de pâtes à demi-liquides, faites de la pulpe des fruits ou des fleurs, qui ont quelque consistance, comme les abricots, les pommes, les poires, les prunes, les coins, les oranges & le gingembre ; la marmelade de gingembre vient des grandes Indes par la Hollande : on la regarde comme excellente pour ranimer la chaleur naturelle des vieillards. Voyez MARMELADE.

Les gelées sont faites de jus de fruits, où l'on a fait dissoudre du sucre, & qu'ensuite on a fait bouillir jusqu'à une consistance un peu épaisse ; desorte qu'en se refroidissant il ressemble à une espece de glu fine transparente. On fait des gelées d'un grand nombre de fruits, particulierement de groseilles, de pommes & de coins ; il y a d'autres gelées que l'on fait de viande, de poisson, de corne de cerf, mais elles ne se gardent pas, étant fort sujettes à se gâter.

Les pâtes sont une sorte de marmelade épaissie par l'ébullition, au point de garder toutes sortes de formes, lorsqu'après les avoir mises dans des moules elles sont séchées au four. Les plus en usage sont celles de groseilles, de coins, de pommes, d'abricots, de fleur d'orange : on estime fort celle de pistaches ; il y en a de gingembre qui vient des Indes.

Les confitures seches sont celles dont les fruits, après avoir bouilli dans le sirop, sont tirés, égouttés, & séchés dans un four. Celles-ci se font d'un si grand nombre de fruits, qu'on ne pourroit les nommer tous : les plus estimés sont le citron & l'écorce d'orange, les prunes, les poires, les cerises, les abricots, &c.

Les conserves sont une espece de confiture seche, faite avec du sucre & des pâtes de fleurs ou de fruits ; & les plus en usage sont celles de bétoine, de mauve, de romarin, de capillaires, de fleur d'orange, de violette, de jasmin, de pistaches, de citrons & de roses.

Nota, que les Apothicaires entendent sous le titre de conserve, toutes sortes de confitures seches ou liquides, préparées avec du sucre ou du miel pour être conservées, soit de fleurs, de fruits, de graines, de racines, d'écorces, de feuilles, &c. V. CONSERVE.

Les candis ou plûtôt les fruits candis, sont ordinairement des fruits entiers, qui, après avoir bouilli dans le sirop, restent couverts de sucre candi, ce qui les fait paroître comme les crystaux de différentes couleurs & figures, selon les fruits qu'ils contiennent. Les meilleurs candis viennent d'Italie. Voyez CANDIR.

Les dragées sont une espece de confiture seche, faite de petits fruits, ou de graines, ou de petits morceaux d'écorce, ou de racines aromatiques & odoriférantes, recouvertes d'un sucre fort dur ordinairement très-blanc. Il y en a de beaucoup de sortes, distinguées toutes par leur nom : les unes sont faites de framboise, d'autres d'épine-vinette, de graine de melon, de pistaches, d'avelines, d'amandes, de cannelle, d'écorce d'orange, de coriandre, d'anis, & de graines de carvi, &c. Chambers.


CONFLAGRATIONS. f. (Physiq.) se dit quelquefois de l'incendie général d'une ville ou de toute autre place considerable.

Cependant ce mot est plus ordinairement restreint à signifier ce grand incendie que la foi nous apprend devoir arriver à la fin des siecles, & dans lequel la terre sera consumée par un déluge de feu.

Les Pythagoriciens, les Platoniciens, les épicuriens, & les Stoïciens, paroissent avoir eu quelques idées de cet incendie futur : mais il seroit difficile de dire d'où ils les ont tirées, à moins que ce ne soit des livres sacrés, ou des Phéniciens, qui eux-mêmes les avoient reçues des Juifs.

Séneque dit expressement : Tempus adveniet quo sidera sideribus incurrent ; & omni flagrante materia une igne, quidquid nunc ex deposito lucet, ardebit. Les Stoïciens appellent cette dissolution générale , inflammation. Il en est aussi fait mention dans les écrits de Sophocle, d'Ovide, de Lucain, &c. Le docteur Burnet, après le pere Tachard & d'autres, rapporte que les Siamois croyent qu'à la fin du monde la terre sera toute desséchée par la chaleur ; que les montagnes disparoîtront ; que toute la surface de la terre deviendra plate & unie, & qu'alors elle sera toute consumée par le feu. De plus, les bramines siamois soûtiennent que non-seulement toute la terre sera détruite par le feu, mais encore qu'il en renaîtra une autre des cendres de la premiere. Les auteurs ont des sentimens très-partagés, non sur la cause premiere de cet incendie, qui est sans contredit la volonté divine, mais sur la cause seconde. Les uns croyent qu'il sera produit par un miracle, comme par le feu du ciel. Les autres disent que Dieu produira cet incendie par des causes naturelles & agissantes selon les lois des Méchaniques. Quelques-uns pensent que l'irruption d'un feu central suffira pour le produire ; & ils ajoûtent que cette éruption peut arriver de différentes manieres, soit parce que la violence du feu central sera augmentée, soit parce que les parties de la terre seront devenues plus inflammables, soit parce que la résistance des couches terrestres deviendra moindre par la consommation des parties centrales, ou par la diminution de l'adhérence des parties de notre globe. D'autres en cherchent la cause dans l'atmosphere : selon eux, une quantité extraordinaire des météores s'y engendrant, & éclatant avec une violence extraordinaire par le concours de différentes circonstances, sera capable de produire ce feu. Les Astrologues l'expliquent par la conjonction de toutes les planetes dans le signe du Cancer, de même que le déluge arriva, selon eux, par la conjonction des planetes dans le signe du Capricorne. Cela ne vaut pas la peine d'être refuté.

Enfin, d'autres ont recours à une cause selon eux plus puissante & plus efficace. Ils pensent qu'une comete s'approchant trop de nous en revenant du Soleil, causera cet incendie. A la vérité on pourroit craindre de la part de ces corps quelque bouleversement, étant capables par leur mouvement au-travers de l'orbite de la terre, par leur prodigieuse grosseur, & par l'intensité du feu dont ils sont embrasés dans leur retour du périhélie, de produire les plus grands changemens & les plus grandes révolutions dans notre système. Voyez COMETE.

M. Newton a calculé que la comete de 1680 a dû éprouver dans son périhélie une chaleur 2000 fois plus grande qu'un fer rouge : si lorsque cette comete a traversé l'orbite de la terre, la terre se fût trouvée proche du point de cette orbite où la comete a passé, il ne paroît pas douteux qu'elle n'eût pû causer sur la masse de notre globe de grandes altérations. Whiston a prétendu que cette comete, dont la période paroît être d'environ 575 ans, avoit dû paroître l'année du déluge, & qu'elle en a peut-être été la cause. Quoi qu'il en soit de tous ces systèmes physiques, il faut toûjours y reconnoître la volonté divine comme cause premiere : Dieu saura bien réduire notre terre en cendres quand il lui plaira ; il n'aura besoin pour cela, ni de feu central, ni de comete ; sa seule volonté suffira. Et pourquoi ne pas vouloir que la fin du monde & sa destruction soit un miracle ? la création en est bien un : il n'est pas plus difficile de détruire que de construire. Dieu même, suivant plusieurs théologiens, ne fait que créer continuellement quand il conserve. Il n'a qu'à cesser de créer pour que tout soit anéanti. (O)


CONFLANS-EN-JARNISY(Géog.) petite ville de France, en Lorraine, sur les frontieres de la Franche-Comté, au confluent des rivieres d'Iron & d'Orn. Long. 23. 50. lat. 47. 45.


CONFLITCONFLIT

Lorsque le conflit est formé entre deux jurisdictions inférieures, indépendantes l'une de l'autre, mais ressortissantes toutes deux devant un même juge, on peut se pourvoir devant ce juge supérieur, pour faire régler dans laquelle des deux jurisdictions inférieures on doit procéder. Si ces deux jurisdictions ne ressortissent pas l'une & l'autre en une même cour, il faut se pourvoir en réglement de juge au conseil ; c'est ce que l'ordonnance de 1681, titre commun pour toutes les fermes, artic. 37. ordonne pour les conflits qui surviennent entre les juges ordinaires & les élûs.

Les conflits qui surviennent entre les deux chambres des requêtes du palais, sont jugés par les doyens des deux chambres, auxquels on remet les pieces.

Si c'est entre la grand'chambre & une chambre des enquêtes, ou entre deux chambres des enquêtes, le conflit se plaide au parquet devant les trois avocats généraux.

A l'égard des conflits formés entre deux cours, comme entre le parlement & la cour des aides, les avocats généraux de la cour des aides viennent au parquet du parlement, où la cause se rapporte par le ministere d'un substitut du procureur général du parlement, & les avocats généraux des deux cours décident ; s'ils se trouvent partagés, on se pourvoit au conseil en réglement de juges. Voyez l'ordonnance de 1669, tit. ij. art. 1. (A)


CONFLUENTS. m. (Géog.) lieu où deux rivieres se joignent & mêlent leurs eaux. Voyez RIVIERE.

Le village nommé Conflans, proche de Paris, est ainsi nommé parce que c'est proche de ce village que se fait la réunion de la Seine & de la Marne.

Quand deux rivieres se rencontrent, il faut qu'elles se joignent pour aller desormais ensemble avec une direction commune, qui ne sera ni l'une ni l'autre des deux différentes qu'elles avoient auparavant. L'angle du confluent, c'est-à-dire celui sous lequel les deux rivieres se rencontrent, étant posé, il est clair que si elles se rencontrent avec des forces parfaitement égales, la direction commune qu'elles prendront divisera cet angle exactement en deux moitiés égales ; mais hors de ce cas-là, qui est unique & extrèmement rare, l'angle ne sera point divisé également, parce que la direction commune formée ou résultante des deux particulieres, tiendra plus de celle qui aura appartenu à la riviere plus forte que de l'autre ; & cela d'autant plus que l'inégalité de forces sera plus grande. Donc la direction commune s'approchera plus de l'une des deux particulieres que de l'autre ; donc elle ne coupera pas en deux également l'angle du confluent formé par ces deux directions. Il s'agit ici de déterminer en général quelle sera la division de cet angle, ou, ce qui est le même, la position de la direction commune. Voici, selon M. Pitot, comment on la détermine.

Les deux rivieres ne prennent une direction commune, qu'après avoir en quelque sorte combattu, & s'être mises en équilibre ; de maniere qu'il n'y aura plus de combat, & qu'elles suivront paisiblement le même cours : la ligne de la direction commune est l'axe de cet équilibre, puisqu'il se fait à ses deux côtés & sur lui, comme sur une suite continue de points d'appui. Les deux forces des deux rivieres sont donc égales aux deux côtés de la ligne de direction commune, & il ne faut plus que les exprimer algébriquement. Ce sont l'une & l'autre les produits de trois quantités : 1°. la masse d'eau de l'une ou de l'autre riviere ; 2°. sa vîtesse ; 3°. sa distance à l'axe de l'équilibre ; car cette distance est à considérer toutes les fois qu'il s'agit d'équilibre : or ici l'axe d'équilibre est la même ligne que la direction commune.

De ces trois quantités les deux premieres sont connues, ou supposées connues : reste la troisieme, que l'on tirera aisément d'une équation algébrique.

La distance de l'une des rivieres, ou plûtôt celle de son action sur l'axe d'équilibre, étant perpendiculaire à cet axe ou à la ligne de la direction commune, ce sera aussi le sinus de l'angle que fait avec cette direction la direction primitive de la riviere. On aura donc l'une des deux parties de l'angle du confluent divisé par sa direction commune, & l'on aura en même tems l'autre partie.

Si les forces que les deux rivieres ont par elles-mêmes, c'est-à-dire les produits des masses par les vîtesses, sont des quantités égales, il est évident que la direction commune divise en deux moitiés égales l'angle du confluent.

Pour prendre de tout ceci une idée encore plus nette, il sera bon de voir quelle sera la position de la direction commune par rapport aux directions particulieres ou primitives, toûjours dans la supposition de cette égalité de force des rivieres, mais en y ajoûtant celle de différens angles du confluent.

Si cet angle est infiniment petit ou aigu ; la direction commune sera infiniment inclinée, ou, ce qui est le même, parallele aux deux directions particulieres, ou même confondue avec elles.

Si l'angle du confluent est droit, la direction commune fait angle de 45 degrés avec chacune des deux particulieres.

Si l'angle du confluent est infiniment obtus, c'est-à-dire si les directions des deux rivieres ne font qu'une même ligne droite, si elles se rencontrent de front, on concevra, ou qu'il ne se forme point de direction commune, ou que s'il y en a une, elle traversera les deux rivieres perpendiculairement à l'une & à l'autre des deux directions particulieres.

Donc la direction ayant commencé par le premier des deux cas extrèmes par avoir la même position que les directions particulieres, & finissant dans le second cas par en avoir une la plus opposée à la leur qui soit possible, il faut que dans tous les cas moyens, à commencer par le premier extrème, elle en ait une toûjours plus différente, & en un mot d'autant plus différente, que l'angle du confluent sera plus grand.

Si l'on ne suppose plus l'égalité des forces naturelles des deux rivieres, il est clair en général que la direction commune n'aura plus la même position à l'égard des deux particulieres, mais qu'elle se portera vers le côté le plus fort.

La direction commune des deux rivieres étant déterminée & connue, la vîtesse commune qu'elles prendront ne l'est pas encore : cette vîtesse sera, comme dans tous les mouvemens composés, moindre que la somme des deux vîtesses primitives ; & voici comment M. Pitot le prouve. La vîtesse des rivieres dépend uniquement de la pente du terrein où elles coulent ; que cette pente immédiatement après la jonction soit la même qu'elle étoit immédiatement auparavant, il y aura égalité entre la somme des deux masses d'eau multipliées chacune par la vîtesse particuliere qu'elle avoit avant la jonction, & la somme des mêmes deux masses multipliée par la vîtesse commune qui sera après la jonction. De cette égalité exprimée algébriquement, on tire la valeur de la vîtesse commune, moindre que la somme des deux particulieres & primitives.

Cela paroît bien contraire à ce que M. Guillelmini prétend, que l'union de deux rivieres les fait couler plus vîte (voyez FLEUVE) ; mais il ne parloit que de causes physiques particulieres, que nous ne considérons pas ici : elles se combinent avec le pur géométrique, & le dérangent beaucoup. Tout ceci est tiré de l'histoire académique, 1738.

On peut rapporter à cet article les expériences de MM. Dufay & Varignon sur les mouvemens de deux liquides qui se croisent. Deux tuyaux étant soudés l'un à l'autre, & se croisant, on suppose que l'on pousse une liqueur dans un des tuyaux, & une liqueur différente dans l'autre ; M. Varignon a prétendu, après des expériences qu'il avoit faites, que chaque liqueur sortoit par le tuyau par lequel on l'avoit poussée, & qu'ainsi les deux liqueurs se croisoient. Mais M. Dufay ayant répété cette expérience avec soin, a trouvé que les liqueurs ne se croisoient point, qu'elles se réfléchissoient, pour ainsi dire, au point de concours, pour sortir chacune par le tuyau par lequel elle n'avoit pas été poussée. Voy. mém. acad. des Scienc. 1736. (O)


CONFLUENTEépithete qu'on donne en Médecine à cette espece de petite vérole dont les pustules se confondent les unes dans les autres. Voyez PETITE VEROLE.


CONFORMATIONS. f. (Physiq.) se dit de la contexture & consistance particuliere des parties d'un corps quelconque, & de leur disposition pour former un tout. Voyez CONFIGURATION.

Les Newtoniens disent que les corps, suivant leur différente conformation, réfléchissent les différentes couleurs de la lumiere. Voyez COULEUR. Chambers.

Conformation se dit aussi principalement en parlant du corps humain ; ce qui fait que ce mot est principalement d'usage en Médecine & en Anatomie. Une bosse est un défaut de conformation. Voyez BOSSE, & l'article suivant. (O)

CONFORMATION, (Médecine) structure, forme, arrangement des diverses parties qui composent le corps humain dans l'un & dans l'autre sexe.

Cette structure est bonne ou mauvaise : elle est bonne quand elle se rapporte à l'ordre général de la nature, & qu'elle ne produit aucun mal ; elle est mauvaise quand elle procure quelque fâcheuse difformité, quelqu'inconvénient considérable, quand elle peche en grandeur, en figure, en nombre, en situation, &c. & c'est ce qu'on appelle vice de conformation.

Ces vices de conformation sont de naissance ou accidentels ; quelles que soient leurs causes, ils produisent plusieurs maladies organiques, que les Médecins ont assez commodément divisées en quatre classes.

La premiere classe contient les maladies qui naissent de la grandeur disproportionnée de quelque partie ; telles sont les tumeurs contre nature, soit de naissance, soit par accident : ou bien ces maladies émanent de la petitesse disproportionnée d'une partie, qui par cette raison tombe en atrophie ; ou encore lorsqu'un bras ou une jambe sont plus courts d'un côté que de l'autre. On voit bien qu'il ne s'agit pas ici d'un vice de proportion arbitraire des parties du corps considérées séparément, & formant par leur structure ce qu'on appelle laideur ; mais qu'il s'agit d'un défaut de proportion en grandeur ou en petitesse, tel qu'il en résulte une maladie réelle.

La seconde classe comprend les maladies qui procedent de la mauvaise figure d'une partie. Cette mauvaise figure peut exister de naissance, comme le bec-de-lievre, un doigt fait comme une raie, le crâne extraordinairement allongé, applati, saillant, enfoncé, le sternum creusé en-dedans, & l'épine du dos tortueuse, &c. comme dans le célebre Malebranche ; ou être causée par accident, comme par le déplacement des pieces d'une partie fracturée.

La troisieme classe rassemble les maladies qui consistent dans le nombre extraordinaire de certaines parties, comme dans celui de quatre ou cinq lobes de poumon, de quatre ou de six doigts, d'un seul rein, d'une double matrice, &c.

La quatrieme classe renferme les maladies qui ont leur source dans la situation déplacée des parties ; telles sont de naissance le nombril qui ne se rencontre pas à sa place ordinaire, le dérangement, la transposition de quelque viscere ; ou accidentellement, les luxations, les hernies, &c.

Mais il y a plusieurs maladies particulieres de conformation, qu'on ne peut guere rapporter à aucune des classes précédentes : telles sont, par exemple, 1°. les maladies qui tirent leur origine d'un défaut d'articulation, ou d'un manque de quelqu'organe, comme du manque des yeux, de la langue, &c. ou de l'obstruction naturelle de quelqu'autre organe, comme du nez, des oreilles, &c. 2°. Les maladies qui de naissance ou par accident proviennent de la cohérence des parties qui doivent être séparées ; par exemple, des doigts, des paupieres, des levres unies, du conduit de la pudeur, &c. 3°. On connoît des maladies de conformation qui résultent de l'imperforation d'un canal destiné à être ouvert, d'une ouverture de ce canal percée ailleurs que dans l'endroit ordinaire, ou de deux ouvertures au lieu d'une ; le rectum & l'urethre fournissent quelquefois ces trois exemples. 4°. Des maladies qui dérivent de constriction ou d'allongement contre nature d'une partie membraneuse ; le prépuce présente quelquefois ces deux cas. 5°. On apporte encore en naissant des vices de conformation, qui consistent en excroissances de diverse figure, couleur, grandeur, consistance, & qui paroissent sur plusieurs parties du corps : ce sont-là ces maladies de premiere formation, dont les uns pensent qu'on doit entreprendre la cure, & d'autres qu'il n'y faut pas songer : opinions également fausses, puisque s'il y a de ces sortes d'indispositions qu'on ne peut détruire sans récidive & sans péril, l'expérience prouve qu'il y en a d'autres qu'on traite sans retour avec le plus grand succès. 6°. Enfin on a vû des maladies compliquées avoir pour principe plusieurs vices de conformation réunis dans un même sujet, à divers égards, tant intérieurement qu'extérieurement.

La cure palliative ou radicale de ce grand nombre de maladies mentionnées jusqu'ici, requiert les lumieres combinées les plus étendues de la Médecine, de la Chirurgie, & de l'Anatomie : tout nous apprend que l'art est long, la vie courte, le corps sujet à mille infirmités, même dès sa premiere origine ; & que pour comble de maux, l'esprit partage souvent sans remede les vices de conformation du corps. Cet article est de M(D.J.)

CONFORMATION, (Chirurg.) l'art de rapprocher dans les fractures les bouts des os rompus, en embrassant le membre avec les mains, & en cas d'esquilles adhérentes aux autres parties, & qui ne nuisent point à la cure, en les poussant doucement dans leur place avec les doigts.

Les Chirurgiens après avoir fait l'extension & la contre-extension nécessaires pour remettre en place les os fracturés, doivent procéder à la conformation. On peut la faire, soit avec la paume des mains, le gras des pouces, ou les doigts ; soit même dans certains cas avec les instrumens, comme le tire-fond, l'élévatoire & autres. De quelque façon qu'on fasse cette conformation, il faut, autant qu'il est possible, que la force qui tend à replacer les pieces fracturées soit dirigée de maniere à ne point pousser les chairs contre des pointes d'os ou des esquilles ; on évitera par cette précaution des solutions de continuité, & des divulsions qui pourroient causer de fâcheux accidens.

A l'égard du degré de force qu'on employe pour agencer & replacer les os, il doit être proportionné 1°. à la solidité & à l'épaisseur des os, qui résistent d'autant plus qu'ils sont plus épais & plus solides : 2°. à l'épaisseur des chairs, puisque cette épaisseur diminue l'effet de la pression sur les os : enfin la force de cette pression doit être proportionnée à la quantité du déplacement suivant l'épaisseur. Pour finir la cure, quand la conformation est faite, on maintient l'os réduit par l'appareil & la situation. Tout cela s'écrit & se conçoit à merveille ; mais on ne sait pas assez combien l'exécution requiert quelquefois pour le succès, de lumieres réunies, d'adresse & d'habitude. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONFORMISTES(NON -) (car on ne dit point ce mot sans la négation) s'entend en Angleterre de ceux qui suivent un rit différent du rit anglican, tels que sont les Presbytériens & les Quakers.


CONFORMITÉS. f. (Gramm.) terme qui désigne l'existence des mêmes qualités dans plusieurs sujets différens. Voilà ce qu'il a de commun avec ressemblance. Mais ressemblance se dit des sujets intellectuels & des sujets corporels. Par exemple, il y a beaucoup de ressemblance entre ces deux pensées, entre ces deux airs, entre ces deux visages, entre leurs façons d'agir ; au lieu que conformité ne s'applique qu'aux objets intellectuels, & même plus souvent aux puissances qu'aux actes. Il semble qu'il ne faille que la présence d'une seule & même qualité dans deux sujets pour faire la ressemblance ; au lieu qu'il faut la présence de plusieurs qualités pour faire conformité. Ainsi on dit, il y a conformité entre ces deux projets ; il y a conformité entre leur maniere d'agir & de penser ; il y a conformité dans leurs caracteres. Ainsi ressemblance peut s'employer presque par-tout où l'on peut se servir de conformité ; mais il n'en est pas de même de celui-ci.


CONFORTE-MAINS. m. (Jurispr.) Lettres de conforte-main, sont une commission du roi obtenue en chancellerie par un seigneur féodal ou censier, qui n'a point de droit de justice attaché à son fief, à l'effet de pouvoir en vertu de ces lettres, faire saisir ou conforter, c'est-à-dire corroborer la saisie déjà faite par le seigneur sur le fief de son vassal, ou sur un héritage censuel.

Quelques-uns prétendoient autrefois que le seigneur féodal avoit une justice fonciere, en vertu de laquelle il pouvoit sur son seul mandement faire saisir par le ministere d'un huissier : mais pour fortifier ce mandement, quelques seigneurs obtenoient des lettres de conforte-main, & l'huissier, tant en vertu du mandement du seigneur qu'en vertu de ces lettres, procédoit à la saisie ; ou bien la saisie étant faite en vertu du mandement du seigneur, on apposoit la main du roi en vertu des lettres de conforte-main. C'est ainsi que l'explique Bacquet, tr. des dr. de just. chap. jv. n. 23. Il en est aussi parlé dans la coûtume d'Angoumois, art. 11. & dans celle d'Auvergne, ch. xxij. art. 2. Berri, tit. v. art. 26. Blois, art. 39. & dans du Tillet, pag. 21. On trouve la forme de ces lettres dans des anciens protocoles de chancellerie.

Imbert dans sa pratique, liv. I. chap. ij. dit qu'on avoit coûtume, & principalement en Saintonge, d'user d'une clause dans les conforte-mains que les seigneurs féodaux obtenoient de la chancellerie ou du sénéchal de Saintonge ; ce qui nous fait voir en passant, que les sénéchaux donnoient des lettres de conforte-main aussi-bien que la chancellerie. Il étoit mandé par cette clause, de conforter la main mise du seigneur, d'ajourner les opposans ou refusans, pour dire les causes de leur refus ou opposition, l'exploit & la saisie tenant nonobstant opposition ou appellation quelconques, & sans préjudice d'icelles : sur quoi Imbert remarque que cela n'étoit pas raisonnable ; 1° parce que c'étoit commencer l'exécution, 2° que c'étoit procéder nonobstant l'appel dans un cas où cela n'est pas permis par les ordonnances : qu'aussi par un arrêt du 10 Mai 1526, rendu sur l'appel de l'exécution de lettres royaux qui contenoient une telle clause, il fut dit qu'il avoit été mal procédé & exécuté par le sergent, & défendu de plus user de telles clauses.

Au surplus la forme de prendre des lettres de conforte-main qui étoit vicieuse & inutile, n'est plus usitée présentement. Le seigneur qui n'a point de justice & qui veut saisir, doit s'adresser au juge ordinaire du lieu où est situé le fief servant, ou l'héritage qu'il veut faire saisir, & obtenir de ce juge commission à cet effet : cela suffit pour la validité d'une telle saisie, & le seigneur n'a pas besoin de lettres de conforte-main. Voyez la coûtume de Ribemont, art. 20. Duplessis, tit. des fiefs, liv. V. ch. iij. (A)


CONFOULENS(Géog. mod.) petite ville de France aux confins de la Marche & du Poitou. Long. 18. 28. lat. 46. 55.


CONFRAIRIES. f. (Hist. ecclés.) congrégation ou société de plusieurs personnes pieuses, établie dans quelque église en l'honneur d'un mystere ou d'un saint que ces personnes honorent particulierement. Il y a des confrairies du Saint-Sacrement, de la sainte Vierge, de saint Roch, &c. dont quelques-unes sont établies par des bulles du pape & ont des indulgences. Dans les provinces méridionales de France, sur-tout en Languedoc, il y a des confrairies de pénitens, de la passion, &c. V. PENITENS. (G)

CONFRAIRIES, (Jurisprud.) elles ne peuvent être établies sans le consentement de l'évêque ; il faut en outre des lettres patentes du roi bien & dûement vérifiées.

Les biens des confrairies sont sujets aux mêmes regles que ceux des autres communautés pour leur administration ; mais ces biens ne forment pas des bénéfices : c'est pourquoi le juge royal a droit d'en connoître, de même que des questions de préséance entre deux confrairies.

Chacun de ceux qui sont membres d'une confrairie, doit porter sa part des charges communes, à moins qu'il ne soit exempt de quelques-unes, comme d'être marguillier. Au reste on peut en tout tems se retirer d'une confrairie, & par ce moyen on est quitte des charges pour l'avenir. Tr. de la pol. t. I. liv. II. tit. xij. (A)


CONFRERESS. m. pl. nom qu'on donne aux hommes qui sont d'une confrairie. Les confreres ont entr'eux des officiers qu'ils se choisissent, comme un administrateur pour régir les deniers provenans des réceptions, quêtes, &c.


CONFRONTATIONS. f. (Jurispr.) est la représentation d'une personne ou d'une chose vis-à-vis d'une autre. Dans le Languedoc & quelques autres provinces, on l'appelle acarement ou acaration.

L'usage le plus ordinaire de la confrontation est, en matiere criminelle, pour représenter à l'accusé les témoins qui ont déposé contre lui, afin qu'ils le reconnoissent & qu'ils déclarent si c'est de lui qu'ils ont entendu parler dans leur déposition ; que l'accusé puisse fournir contr'eux ses reproches, s'il en a, & les témoins y répondre.

C'étoit la coûtume chez les Hébreux, que les témoins mettoient leurs mains sur la tête de celui contre lequel ils avoient déposé au sujet de quelque crime, ce qu'ils pratiquoient en conséquence d'un précepte du Lévitique, ch. xxjv. v. 14. C'est de-là que dans l'histoire de Susanne il est dit, que les deux vieillards qui l'accuserent mirent leurs mains sur sa tête : cela servoit de confirmation de leur déposition, & tenoit lieu chez eux de la confrontation dont on use aujourd'hui.

Nous lisons dans Dion, liv. LX. que du tems de l'empereur Claude, un soldat ayant accusé de conspiration Valérius-Asiaticus, il prit à la confrontation pour Asiaticus un pauvre homme qui étoit tout chauve ; ce qui fait voir que la confrontation étoit aussi usitée chez les Romains, & que pour éprouver la fidélité des témoins, on leur confrontoit quelquefois une autre personne au lieu de l'accusé.

On en usa de même dans un concile des Ariens, où S. Athanase fut accusé par une femme de l'avoir violée. Timothée prêtre se présentant à elle, & feignant d'être Athanase, découvrit la fourberie des Ariens & l'imposture de cette femme.

Le recolement des témoins n'étoit point en usage chez les Romains ; mais on y pratiquoit la confrontation.

Elle a pareillement lieu suivant le droit canon, & se pratique dans les officialités ; comme il résulte du chapitre praesentium xxxj. extra de testibus & attestationibus.

On pratiquoit en France la confrontation dès les premiers tems de la monarchie. En effet on voit dans Grégoire de Tours, liv. VI. f°. 363. que Chilperic, lequel commença à régner en 450, ayant interrogé lui-même deux particuliers porteurs de lettres injurieuses à S. M. manda un évêque qu'on en vouloit rendre complice, les confronta les uns aux autres, même à ceux qu'ils chargeoient par leurs réponses.

Il y a plusieurs anciennes ordonnances qui font mention de la confrontation des témoins.

Celle de François I. en 1536, ch. ij. art. 4. en prescrit la forme : mais comme ce n'étoit qu'une loi particuliere pour la Bretagne, nous ne nous arrêterons qu'à celle de 1539, qui est générale pour tout le royaume.

Elle ordonne, art. 14. & suiv. que les témoins seront recollés & confrontés à l'accusé dans le délai ordonné par justice, selon la distance des lieux, la qualité de la matiere & des parties, à moins que l'affaire ne fut si legere, qu'il n'y eût lieu de recevoir les parties en procès ordinaire ; que dans les matieres sujettes à confrontation, les accusés ne seront élargis pendant les délais qui seront donnés pour faire la confrontation ; que quand les témoins comparoîtront pour être confrontés, ils seront d'abord recollés en l'absence de l'accusé ; & que sur ce qu'ils persisteront, & qui sera à la charge de l'accusé, ils lui seront aussi-tôt confrontés séparément & à part l'un après l'autre ; que pour faire la confrontation, l'accusé & le témoin comparoîtront devant le juge, lequel en la présence l'un de l'autre, leur fera faire serment de dire vérité ; qu'ensuite il demandera à l'accusé s'il y a quelques reproches à fournir contre le témoin qui est présent, & lui enjoindra de les dire promtement, qu'autrement il n'y sera plus reçu ; que si l'accusé n'allegue aucuns reproches & déclare ne le vouloir faire, & se vouloir arrêter à la déposition des témoins, ou s'il demande un délai pour fournir ses reproches, ou enfin s'il a mis par écrit ceux qu'il auroit allégué sur le champ. Dans tous ces cas il sera procédé à la lecture de la déposition du témoin pour confrontation, après laquelle il ne sera plus reçû à proposer aucun reproche ; que les confrontations faites & parfaites, le procès sera mis entre les mains du ministere public pour prendre des conclusions, &c.

L'ordonnance de 1670 contient un titre exprès des recollemens & confrontations, qui est le quinzieme. Il est dit que si l'accusation mérite d'être instruite, le juge ordonnera que les témoins seront recollés en leurs dépositions, & si besoin est, confrontés à l'accusé ; l'ordonnance dit si besoin est, parce que si les témoins se rétractoient au recolement & qu'il n'y eut plus de charges contre l'accusé, il seroit inutile de lui confronter les témoins.

Il est ordonné que les témoins seront recollés & confrontés ; la déposition de ceux qui n'auront point été confrontés, ne fera point de preuve s'ils ne sont décédés pendant la contumace. Il en est de même s'ils sont morts civilement pendant la contumace, ou si à cause d'une longue absence, d'une condamnation aux galeres ou bannissement à tems, ils ne pouvoient être confrontés, suivant ce qui est dit tit. xvij. art. 22. & 23. Voyez aussi ci-après les articles CONFRONTATION FIGURATIVE & LITTERALE.

Dans les crimes qui peuvent mériter peine afflictive, le juge peut ordonner le recolement & la confrontation des témoins, si cela n'a pas été fait, & que les dépositions chargent considérablement l'accusé.

En voyant le procès, on fait lecture de la déposition des témoins qui vont à la décharge de l'accusé, quoiqu'ils n'ayent été ni recollés ni confrontés, pour y avoir par les juges égard.

Les accusés qui sont decrétés de prise de corps, doivent tenir prison pendant le tems de la confrontation, & on en doit faire mention dans la procédure si ce n'est que les cours en jugeant l'appel en ordonnassent autrement.

Les confrontations doivent être écrites en un cahier séparé, & chacune en particulier paraphée & signée du juge dans toutes les pages, par l'accusé & par le témoin, s'ils savent ou veulent signer, sinon on doit faire mention de la cause de leur refus.

L'accusé étant mandé après le serment prêté par lui & par le témoin en présence l'un de l'autre, le juge les interpellera de déclarer s'ils se connoissent.

On fait lecture à l'accusé des premiers articles de la déposition du témoin, contenant son nom, âge, qualité & demeure, la connoissance qu'il aura dit avoir des parties, & s'il est leur parent ou allié.

L'accusé est ensuite interpellé par le juge de fournir sur le champ ses reproches contre le témoin, si aucuns il a ; & le juge doit l'avertir qu'il n'y sera plus reçu après avoir entendu lecture de la déposition, & on en doit faire mention.

Les témoins sont enquis de la vérité des reproches, & tout ce que l'accusé & eux disent doit être rédigé par écrit.

Après que l'accusé a fourni ses reproches, ou déclaré qu'il n'en veut point fournir, on lui fait lecture de la déposition & du recolement du témoin, avec interpellation de déclarer s'ils contiennent vérité, & si l'accusé est celui dont il a entendu parler dans ses dépositions & recolement, & tout ce qui est dit de part & d'autre doit pareillement être écrit.

L'accusé n'est plus reçu à fournir de reproches contre le témoin, après qu'il a entendu lecture de sa déposition ; il peut néanmoins en tout état de cause proposer des reproches, s'ils sont justifiés pas écrit.

Si l'accusé remarque dans la déposition du témoin quelque contrariété ou circonstance qui puisse éclaircir le fait & justifier son innocence, il peut requérir le juge d'interpeller le témoin de les reconnoître, sans pouvoir lui-même faire interpellation du témoin ; & ces remarques, interpellations, reconnoissances & réponses, sont aussi rédigées par écrit.

Quoique l'accusé refuse de répondre aux interpellations qui lui sont faites, on ne laisse pas de procéder à la confrontation du témoin.

Si le témoin que l'on veut confronter est malade, la confrontation se fait en sa maison, & pour cet effet on y transfere l'accusé.

Les experts entendus en information sur ce qui est de leur art, doivent être confrontés comme les autres témoins.

On observe les mêmes formalités dans les confrontations qui sont faites des accusés ou complices les uns aux autres. Ils peuvent fournir des reproches les uns contre les autres : mais cette confrontation ne doit être faite qu'après celle des témoins.

Lorsque dans un même procès il y a des accusés laïques prisonniers dans les prisons royales, & des accusés clercs dans les prisons de l'officialité, & qu'il s'agit de les confronter les uns aux autres, on amene les accusés & complices laïques des prisons royales à l'officialité ; & Decombes dit qu'en pareil cas la confrontation des laïques à l'accusé clerc, fut faite par les deux juges, c'est-à-dire par le juge laïque & par l'official conjointement : mais que la confrontation de l'accusé clerc aux laïques, fut faite par le juge laïque seul, les accusés étant laïques. Voyez Imbert, liv. III. ch. xiiij. Decombes, recueil des procédures de l'officialité ; Bornier, sur les titres xv. & xvij. de l'ordonnance.

CONFRONTATION DES ACCUSES les uns aux autres, voyez ci-devant à la fin du mot CONFRONTATION.

CONFRONTATION DES COMPLICES, voyez ibid.

CONFRONTATION D'ECRITURES, voyez ci-devant COMPARAISON D'ECRITURES.

CONFRONTATION D'EXPERTS, voyez ci-devant vers la fin du mot CONFRONTATION.

CONFRONTATION FIGURATIVE, est la confrontation que l'on fait d'un témoin à l'accusé, sans néanmoins lui représenter ce témoin. Elle a lieu lorsque le témoin est décédé ou absent pour cause légitime, & se fait par l'affirmation tacite de la déposition du côté de la partie civile, s'il y en a une, ou à la requête de la partie publique ; sauf à l'accusé à proposer ses reproches, s'il en a quelqu'un à opposer pour sa justification, & pour atténuer la déposition. On demande donc à l'accusé s'il a connu le témoin défunt ou absent, s'il l'estimoit homme de bien, s'il veut & entend s'en tenir à sa déposition ; & après ses réponses à chaque question, qui doivent être rédigées par écrit avec les reproches, s'il en a proposé, on lui fait lecture de la déposition du témoin : c'est ensuite à la partie civile, s'il y en a une, ou au ministere public, à justifier s'il se peut par actes ou autrement, ce qui étoit des bonnes vie & moeurs du témoin défunt ou absent, afin de faire tomber les reproches. Il est parlé de cette confrontation figurative, dans le style du parlement de Toulouse par Cayron, l. IV. tit. xviij. c'est ce qu'il appelle acaration figurative, selon le langage du pays. Il y a des exemples que la confrontation figurative s'est aussi pratiquée en certains cas dans les autres parlemens, ainsi qu'il fut observé dans le procès de MM. de Cinqmars & de Thou, en 1642 : on fit même dans ce procès une espece de confrontation figurative. Monsieur, frere du roi, ayant une déclaration à faire, avoit obtenu du roi qu'il ne seroit point confronté aux accusés. M. le chancelier reçut sa déposition avec les mêmes formes avec lesquelles on a coûtume de prendre la déposition des autres témoins ; on prit seulement de plus la précaution de la relire à Monsieur en présence de M. le chancelier & de sept ou huit conseillers d'état ou maîtres des requêtes, qui la signerent avec lui, après qu'il eut persisté avec serment à ce qu'elle contenoit ; & comme le droit & les ordonnances veulent que tout témoin soit confronté, le procureur général crut que dans ce cas il falloit user de quelques formalités pour suppléer à la confrontation ; & pour cet effet il requit que la déclaration de Monsieur lui fût lûe après que les accusés auroient déclaré s'ils avoient des reproches à fournir contre lui, ce qu'ils pourroient faire avec plus de liberté en l'absence de Monsieur, qu'en sa présence ; qu'ensuite les reproches & réponses des accusés lui seroient communiqués : ce qui fut ordonné par arrêt, & exécuté par M. le chancelier.

L'ordonnance de 1670 ne parle pas nommément de la confrontation figurative ; mais elle dit, titre xv. art. 8. que la déposition des témoins non confrontés ne fera pas preuve, s'ils ne sont décédés pendant la contumace ; ce qui suppose que dans ce cas il y a quelque formalité qui tient lieu de la confrontation ordinaire. Et dans le titre xvij. art. 22. & 23. il est parlé de la confrontation littérale, qui est la même chose que la confrontation figurative. Voyez ci-après CONFRONTATION LITTERALE, & Bornier, sur l'art. 8. du tit. xv.

CONFRONTATION LITTERALE, est celle qui est faite à l'accusé de la déposition d'un témoin, qui après avoir été recollé en sa déposition, est décédé ou mort civilement pendant la contumace de l'accusé : dans ce cas, au lieu de confronter à l'accusé la personne du témoin, on lui confronte seulement sa déposition, dont on lui fait lecture en forme ordinaire pour les confrontations. On en use de même pour les témoins, qui ne peuvent être confrontés à cause d'une longue absence, d'une condamnation aux galeres ou bannissement à tems, ou quelque autre empêchement légitime, pendant le tems de la contumace.

Dans cette confrontation littérale, les juges ne doivent avoir aucun égard aux reproches, s'ils ne sont justifiés par pieces. Voyez l'ordonnance de 1670, tit. xvij. art. 22. & 23. & ci-devant CONFRONTATION FIGURATIVE. (A)

CONFRONTATION DE TEMOINS, voyez ci-devant CONFRONTATION. (A)

CONFRONTATION EN TOURBE ou TURBE, se fait lorsque l'accusé soupçonne le témoin de fausseté ; il peut requérir qu'on montre avec lui d'autres personnes au témoin, afin de voir si le témoin reconnoîtra l'accusé, ou si faussement il accuse l'un pour l'autre. Il dépend de la prudence du juge de le permettre quelquefois ; au lieu d'user de cette confrontation par turbe, on présente seulement une autre personne au lieu de l'accusé, pour voir si le témoin le reconnoîtra. Voyez Despeisses, tom. II. part. I. tit. viij. n. 11. (A)


CONFUSadj. (Gram.) il désigne toûjours le vice d'un arrangement, soit naturel, soit artificiel de plusieurs objets, & il se prend au simple & au figuré : ainsi il y a de la confusion dans ce cabinet d'histoire naturelle ; il y a de la confusion dans ses pensées. De l'adjectif confus, on a fait le substantif confusion. La confusion n'est quelquefois relative qu'à nos facultés ; il en est de même de presque toutes les autres qualités & vices de cette nature. Tout ce qui est susceptible de plus ou de moins, soit au moral, soit au physique, n'est ce que nous en assûrons que selon ce que nous sommes nous-mêmes.


CONFUSION(Jurispr.) d'actions & de droits, est lorsqu'une même personne réunit en elle les droits actifs & passifs qui concernent un même objet. Cette confusion opere l'extinction des droits & actions ; elle a lieu lorsque l'héritier pur & simple, le légataire ou donataire universel, se trouvent créanciers ou débiteurs du défunt auquel ils succedent : mais l'héritier bénéficiaire a le privilége de ne pas confondre ses créances.

Il y a aussi confusion de droits, lorsque le propriétaire du fonds dominant devient propriétaire du fonds servant. Voy. leg. debitori, ff. de fide juss. l. licet cod. ad leg. falcid. Belordeau, lett. A. art. 22. & lett. C. art. 33. Despeisses, tom. I. part. IV. tit. vij. Brodeau sur Louet, lett. F. somm. v. (A)

CONFUSION, (Chimie). Les chimistes modernes désignent par ce mot le mélange de plusieurs différentes substances, qui ne contractent point d'union chimique ; tel que celui qui constitue les poudres pharmaceutiques composées, les potions troubles, &c.

Les corps mêlés par confusion peuvent être séparés par des moyens méchaniques ; les ingrédiens d'une potion trouble, par exemple, par la résidence ou repos ; ceux d'une poudre composée, par le lavage, &c.

Les différentes substances mêlées par confusion, joüissent chacune de toutes leurs qualités spécifiques, soit physiques, soit chimiques, soit médicinales.

C'est par ces deux propriétés que la confusion differe de la mixtion, qui n'est pas dissoluble par les moyens méchaniques, & qui ne laisse subsister aucune des propriétés spécifiques des corps mixtionnés. Voyez MIXTION.

Quelques chimistes employent le mot de confusion pour exprimer la façon d'être de différentes substances très-analogues entr'elles, & si intimement mêlées, qu'elles ne sauroient être séparées ni par les moyens méchaniques, ni par les moyens chimiques : l'eau & le vin, deux diverses huiles essentielles, deux liqueurs vineuses différentes, comme le vin & la biere, &c. constituent par leur mélange une confusion de cette classe.

Cette confusion consiste évidemment dans une distribution exacte & uniforme des parties d'un des corps, confondues parmi les parties de l'autre. Or cette distribution uniforme dépendant de l'extrème analogie des divers corps confondus, il est clair que la confusion dont nous parlons peut être regardée comme une espece d'aggrégation, puisque le formel de ce dernier genre d'union consiste dans l'homogénéité des parties. Voyez la nature & les propriétés de l'aggrégé, au mot CHIMIE, pag. 402. & suiv.

M. Henckel, qui a compté la confusion parmi les especes de la conjonction chimique, regarde comme des confusions l'union de diverses substances métalliques entr'elles, celles des diverses terres vitrifiées ensemble, celles des huiles essentielles avec les huiles par expression, &c. (voyez son appropriatio, sect. III.) mais la plûpart de ces unions pouvant être détruites par des précipitans, elles rentrent dans la classe des mixtions. Voyez MIXTION.

Quelques anciens chimistes ont employé fort improprement le mot de confusion dans le même sens que nous prenons aujourd'hui ceux de solution, dissolution, combinaison ; mais c'est la vraie dissolution chimique qu'ils ont prétendu exprimer par le nom de confusion : ainsi ce n'est que le mot qu'on peut leur reprocher. Les Physiciens expliquent la dissolution par la confusion ; ils ont assûré que l'union des corps solubles n'étoit qu'une confusion, en prenant cette expression dans le premier sens que nous lui avons donné dans cet article : c'est la chose qu'on a droit de reprocher à ceux-ci. (b)


CONFUTATIONS. f. (Rhétoriq.) partie du discours qui, selon la division des anciens, consiste à répondre aux objections de son adversaire, & à résoudre ses difficultés.

On réfute les objections, soit en attaquant & détruisant les principes sur lesquels l'adversaire a fondé ses preuves, soit en montrant que de principes vrais en eux-mêmes, il a tiré de fausses conséquences. On découvre les faux raisonnemens de son adversaire, en faisant voir tantôt qu'il a prouvé autre chose que ce qui étoit en question, tantôt qu'il a abusé de l'ambiguité des termes, ou qu'il a tiré une conclusion absolue & sans restriction, de ce qui n'étoit vrai que par accident, ou à quelques égards, &c.

On peut de même développer les faux raisonnemens dans lesquels l'intérêt, la passion, l'entêtement, &c. l'ont jetté ; relever avec adresse tout ce que l'animosité & la mauvaise foi lui ont fait hasarder : quelquefois il est de l'art de l'orateur de tourner les objections desorte qu'elles paroissent ou ridicules, ou incroyables, ou contradictoires entr'elles, ou étrangeres à la question. Il y a aussi des occasions où le ridicule qu'on répand sur les preuves de l'adversaire, produit un meilleur effet que si l'on s'attachoit à les combattre sérieusement. Cette partie du discours comporte la plaisanterie, pourvû qu'elle soit fine, délicate, & ménagée à-propos. Voyez REFUTATION.


CONGES. m. (Hist. anc. & Pharm.) en latin congius ; sorte de mesure des anciens, qu'on croit être la même que le chus ou le choa attique, qui contenoit neuf livres d'huile, dix livres de vin, & treize livres & demie de miel, selon Galien. Castel, lexic.

Les Littérateurs ont distingué le conge romain du conge attique, & ils ne sont point d'accord sur la capacité respective de chacune de ces mesures. Rieger, introduct.

Le galon des Anglois, qu'ils appellent congius en latin, qui est une mesure fort en usage chez leurs apothicaires, & dont il est souvent question dans l'ancienne pharmacopée de Londres & dans celle d'Edimbourg, contient huit livres d'eau, ou quatre pintes de Paris. (b)


CONGÉS. m. (Gramm.) c'est en général une permission qu'un supérieur accorde à son inférieur de faire une chose, par laquelle celui-ci encoureroit un châtiment s'il la faisoit de son autorité privée.

CONGE, (Hist. anc. & mod. & Art. mil.) c'étoit anciennement, comme aujourd'hui, une permission donnée aux soldats de s'absenter de l'armée, ou de quitter tout-à-fait le service. On en distinguoit de plusieurs sortes chez les Romains, comme parmi nous.

Le congé absolu mérité par l'âge & le service, & accordé aux vétérans, se nommoit missio justa & honesta ; ils pouvoient en conséquence disposer librement de leurs personnes.

Le congé à tems étoit appellé commeatus ; quiconque abandonnoit l'armée sans cette précaution étoit puni comme deserteur, c'est-à-dire battu de verges & vendu comme esclave.

Il y avoit une espece de congé absolu qui, quoique différent du premier, ne laissoit pas que d'être de quelque considération ; parce que les généraux l'accordoient pour raison de blessures, de maladies & d'infirmités. Tite-Live & Ulpien en font mention sous le titre de missio causaria. Ce congé n'excluoit pas ceux qui l'avoient obtenu des récompenses militaires.

La troisieme espece de congé étoit de pure faveur, gratiosa missio ; les généraux la donnoient à ceux qu'ils vouloient ménager : mais pour peu que la république en souffrît, ou que les censeurs fussent de mauvaise humeur, cette grace étoit bien-tôt révoquée.

Enfin il y en avoit une quatrieme véritablement infamante, turpis & ignominiosa missio. C'est ainsi qu'au rapport d'Hirtius Pansa, dans l'histoire de la guerre d'Afrique, César, en présence de tous les tribuns & les centurions, chassa de son armée A. Avienus, homme turbulent, & qui avoit commis des exactions ; & A. Fontéius, comme mauvais citoyen & mauvais officier.

Sous les empereurs, Auguste fit deux degrés du congé légitime ; il appella le premier exauctoratio, privilége accordé aux soldats qui avoient servi le nombre d'années prescrit par la loi, & en vertu duquel ils étoient dégagés de leur serment, & affranchis des gardes, des veilles, des fardeaux, & en un mot de toute charge militaire, excepté de combattre contre l'ennemi : pour cet effet séparés des autres troupes, & vivans sous un étendart particulier, vexillum veteranorum, ils attendoient qu'il plût à l'empereur de les renvoyer avec la récompense qui leur avoit été solennellement promise ; & c'étoit le second degré qu'ils appelloient plena missio. Auguste y avoit attaché une récompense certaine & réglée, soit en argent, soit en fonds de terre, pour empêcher les murmures & les séditions. Mém. de l'acad. tome IV. (G)

CONGE, (Jurispr.) signifie quelquefois décharge, renvoi ; quelquefois il signifie permission ; quelquefois aussi il signifie une procédure faite pour avertir un locataire de sortir dans le tems qui est indiqué.

CONGE D'ADJUGER, est un jugement portant qu'un bien saisi réellement sera vendu & adjugé par decret quarante jours après ce jugement. Lorsque les criées sont faites, & que les oppositions à fin d'annuller & de charge, s'il y en a, ont été jugées, on obtient le congé d'adjuger ; cela s'appelle interposer le congé d'adjuger. Au parlement & aux requêtes du palais on ne reçoit plus d'opposition à fin d'annuller, de distraire, ou de charge, après le congé d'adjuger : il faut que la saisie réelle soit enregistrée un mois avant l'obtention du congé d'adjuger ; autrement, & faute d'avoir fait cet enregistrement dans le tems qui vient d'être dit, un privilégié pourroit évoquer la saisie réelle aux requêtes du palais, nonobstant l'interposition du congé d'adjuger. Quoique le jugement qui l'accorde permette d'adjuger quarante jours après, l'adjudication ne se fait que sauf quinzaine, & après cette quinzaine on accorde encore quelquefois plusieurs remises, suivant que le bien paroît porté plus ou moins à sa valeur.

CONGE FAUTE DE CONCLURE, est un défaut qui se donne contre l'intimé, faute par son procureur de signer l'appointement de conclusion dans un procès par écrit, dans le tems & en la maniere portée par l'art. 19. du tit. xj. de l'ordonnance de 1667.

CONGE DE COUR, signifie renvoi de la demande ; cour est pris en cet endroit pour toute jurisdiction en général.

CONGE DECHU DE L'APPEL, c'est le défaut que prend l'intimé à l'audience lorsque l'appellant ne se présente pas. Le terme congé signifie que l'intimé est renvoyé de l'intimation ; & déchû de l'appel, que l'appellant est déchû de son appel ; ce qui emporte la confirmation de la sentence.

CONGE FAUTE DE VENIR PLAIDER, est un défaut qui se donne à l'audience au défendeur contre le demandeur qui ne comparoît pas, ni personne pour lui. Ce congé emporte décharge de la demande.

CONGE FAUTE DE SE PRESENTER, est un acte délivré au procureur du défendeur sur le registre des présentations, contre le demandeur qui ne se présente pas dans les délais portés par l'ordonnance.

CONGE D'ENTREE, est un acquit que les commis des aides délivrent, à l'effet de pouvoir enlever des vins ou autres marchandises, & les faire entrer dans une ville sujette aux droits d'aides.

CONGE DE REMUAGE, est une permission que l'on prend au bureau des aides pour transporter des vins d'un lieu à un autre ; sans ce congé, les vins & la voiture qui les transporte, pourroient être saisis & confisqués.

CONGE, en fait de Marine, est une permission de l'amiral, ou de ceux qui sont par lui préposés, de mettre des vaisseaux & autres bâtimens de mer à la voile, après que la visite en a été faite, & qu'il ne s'y est rien trouvé en contravention. Suivant l'ordonnance de Marine, aucun navire ne peut sortir des ports du royaume pour aller en mer sans prendre un congé de l'amiral, qui doit être enregistré au greffe de l'amirauté. Ce congé doit contenir le nom du maître, celui du navire, son port, sa charge, le lieu de son départ, & celui de sa destination.

CONGE, en fait de loüage, est une déclaration que le propriétaire ou le principal locataire d'une maison, ferme, ou autre héritage, fait à un locataire à un sous-locataire, fermier ou sous-fermier, qu'il ait à vuider les lieux pour le terme indiqué par ladite déclaration.

On appelle aussi congé la déclaration que celui qui occupe les lieux fait au propriétaire ou principal locataire, qu'il entend sortir à un tel terme.

Le congé, soit de la part du bailleur ou de la part du preneur, doit être donné quelque tems d'avance ; & ce tems est différent, selon l'importance de la location, afin que chacun ait le tems de se pourvoir.

Pour un logement dont le prix est au-dessous de 200 livres, il suffit de donner congé six semaines avant le terme avant lequel on veut sortir ou faire sortir.

Si le bail est de 200 livres & au-dessus, il faut que le congé soit donné trois mois d'avance.

Si c'est une maison entiere, ou une portion de maison avec boutique, il faut donner congé six mois d'avance.

Pour une ferme de campagne, le congé doit être donné un an d'avance.

Un congé donné verbalement ne suffit pas ; si on l'accepte à l'amiable, il faut en faire un écrit double ; si on refuse de l'accepter, il faut le faire signifier par un huissier, avec assignation devant le juge du domicile pour le voir déclarer valable pour le terme indiqué.

Quand il y a un bail par écrit, il n'est pas nécessaire de donner congé à la fin du bail, parce que l'expiration du bail tient lieu de congé : mais si le preneur continue à joüir par tacite réconduction, alors pour le faire sortir il faut un congé. Voyez BAIL TACITE, RECONDUCTION.

CONGE DU SEIGNEUR, est la permission que le seigneur donne à son vassal ou à son censitaire, de disposer d'un héritage qui est mouvant de lui. (A)

CONGE, (Comm.) est encore une licence ou une permission qu'un prince, ou ses officiers en son nom, donnent & accordent à quelques particuliers de faire un commerce qui est interdit aux autres, tels que sont dans le Canada les congés pour la traite du castor.

Ces congés pour faire la traite avec deux canots, & dont le roi s'est réservé vingt-cinq par an en faveur des vieux officiers ou pauvres gentilshommes du Canada, auxquels ils sont distribués par le gouverneur général, durent un an : celui qui en obtient un peut le faire valoir lui-même, ou le céder à un autre pour le faire valoir sous son nom ; & leur prix ordinaire, quand on les vend, est de 600 écus. Trévoux, Chambers, & Dictionn. du Comm.

CONGE AU MENU, (Comm.) on nomme ainsi à Bordeaux les permissions données aux marchands par les commis des grands bureaux des fermes du roi, pour faire charger sur les vaisseaux qui sont en chargement de marchandises en détail.

CONGE, (Comm.) se dit pareillement dans les communautés des Arts & Métiers, des permissions par écrit que les garçons & compagnons sont tenus de prendre des maîtres chez qui ils travaillent lorsqu'ils en sortent, pour justifier que c'est de leur bon gré qu'ils les quittent, que le tems pour lequel ils se sont engagés chez eux est fini, & que les ouvrages qu'ils ont entrepris sont faits ; & défenses faites aux autres maîtres, sous peine d'amende, de recevoir les compagnons sans ces congés. Dict. de Comm. (G)

CONGE, (aller au) chez les Rubaniers & autres Artisans. Lorsqu'un maître prend un nouvel ouvrier, il est obligé d'aller chez celui d'où l'ouvrier sort, s'informer du sujet du départ de l'ouvrier, savoir s'il n'est pas dû au maître qu'il quitte, s'arranger au gré de tous trois pour le payement, relativement au tems qu'il le gardera : sans cette précaution, le maître prenant un nouvel ouvrier se trouveroit chargé & responsable, en son propre & privé nom, de tout ce qu'il peut devoir au précédent maître qu'il a quitté depuis le dernier chez qui l'on a été au congé.


CONGÉABLE(Jurisp.) voyez DOMAINE CONGEABLE.


CONGÉDIER(Vénerie) voyez ABANDONNER.


CONGELATIONS. f. terme de Physique, c'est la fixation d'un fluide, ou la privation de sa mobilité naturelle de l'action du froid ; ou enfin c'est le changement d'une substance fluide en un corps concret, solide & dur, qu'on appelle glace. Voyez GLACE & FROID.

Les Cartésiens définissent la congelation, le repos ou l'immobilité d'un fluide durci par le froid. Cette définition suit assez naturellement de l'idée qu'ils ont de la fluidité, puisqu'ils supposent que c'est le mouvement continuel des parties du fluide entr'elles qui la constitue. Voyez FLUIDE.

En effet l'opinion de ces philosophes sur la congelation est, que l'eau ne se congele que parce que ses parties perdent leur mouvement naturel, & adherent fortement les unes avec les autres. Voyez SOLIDITE.

Les principaux phénomenes de la congelation sont 1°. Que l'eau & tous les fluides, excepté l'huile, se dilatent en se congelant, c'est-à-dire qu'ils occupent plus d'espace, & qu'ils sont spécifiquement plus legers qu'auparavant.

L'augmentation du volume de l'eau par la congelation fournit matiere à beaucoup d'expériences ; & il est à-propos d'examiner ici, & de suivre la nature dans cette opération.

Le vaisseau B D (Pl. de Pneum. figure 20) rempli d'eau jusqu'à E, étant plongé dans un vase où il y ait de la glace mêlée avec du sel R S T V, l'eau s'éleve d'abord de E jusqu'en F ; ce qui paroît venir de la condensation subite du vaisseau qui a été promtement plongé dans un milieu froid : bien-tôt après l'eau se condense à son tour, & descend continuellement de F jusqu'à ce qu'elle soit en G, où elle s'arrête pendant quelque tems ; mais bien-tôt elle reprend des forces, venant à se dilater, elle s'éleve de G en H ; de-là bien-tôt après, par un violent mouvement, elle s'éleve en I ; & alors l'eau paroît en B toute trouble, ressemblant à un nuage, & c'est alors qu'elle commence à se congeler, & se convertit en glace. Il faut ajoûter que pendant que la glace se durcit de plus en plus, & qu'une partie de l'eau contiguë au cou du vaisseau B se congele, l'eau continue toûjours à s'élever de I vers D, & elle s'écoule enfin du vaisseau qui la contenoit.

2°. Que non-seulement les fluides perdent de leur pesanteur spécifique dans la congelation, mais qu'ils perdent aussi de leur poids absolu ; desorte qu'après qu'ils sont dégelés on les trouve sensiblement plus legers qu'avant leur congelation ; ce qui peut venir de leur dissipation, parce qu'il y a lieu de croire qu'il se fait une espece de transpiration même des corps glacés.

3°. Que l'eau glacée n'est pas aussi transparente que quand elle est fluide, & que les corps se voyent moins nettement.

4°. Que l'eau s'évapore presqu'autant quand elle est glacée que quand elle est fluide.

5°. Que l'eau ne se congele point dans le vuide, & qu'elle demande pour se glacer la présence & le contact immédiat de l'air.

6°. Que l'eau bouillie & refroidie se congele aussi vîte que celle qui n'a pas bouilli.

7°. Que quand la surface de l'eau est couverte d'huile d'olive, elle ne se congele pas si promtement que quand il n'y en a point ; & que l'huile de noix l'empêche de se glacer à un froid violent, ce que l'huile d'olive ne feroit point.

8°. Que l'esprit-de-vin, l'huile de noix, & l'huile de térébenthine, se congelent rarement.

9°. Que la surface de l'eau qui se congele paroît toute ridée ; que ces rides sont quelquefois paralleles & d'autres fois comme des rayons qui viennent tous d'un centre, & tendent à la circonférence.

Les théories & les hypotheses différentes par lesquelles on explique ce phénomene sont en grand nombre : les principes que différens auteurs ont posés là-dessus se réduisent à ceux-ci ; savoir, ou que c'est quelque matiere étrangere qui s'introduit dans les interstices du fluide, & que par son moyen le fluide se fixe & augmente de volume, &c. ou que quelque matiere naturellement contenue dans le fluide en est chassée, & que le fluide est fixé par la privation de cette matiere, &c.

Selon d'autres, c'est une altération qui arrive aux particules qui composent le fluide, ou d'autres parties que le fluide contient.

Tous les systèmes connus sur la congelation peuvent se réduire à quelques-uns de ces principes : les Cartésiens qui l'attribuent au repos des parties du fluide qui étoit auparavant en mouvement, expliquent la congelation par la matiere subtile qui s'échappe de dedans les pores de l'eau ; ils soûtiennent que c'est l'activité de cette matiere éthérée ou subtile qui mettoit auparavant en mouvement les particules des fluides, & que dès que cette matiere s'échappe il n'y a plus de fluidité.

Quelques autres philosophes de la même secte attribuent le changement de l'eau en glace, à une diminution de la force & de l'efficacité ordinaire de la matiere subtile, causée par le changement de la température de l'air ; car cette matiere subtile ainsi altérée, n'aura plus assez d'énergie pour mettre en mouvement les parties du fluide comme de coûtume.

Les Gassendistes, & les autres philosophes corpusculaires, attribuent avec assez peu de clarté la congelation de l'eau à l'introduction d'une multitude de particules frigorifiques, qui s'introduisant en foule dans le fluide, & s'y distribuant de tous côtés, s'insinuent dans les plus petits interstices qui se trouvent entre les particules de l'eau, empêchent leur mouvement accoûtumé, & les fixent en un corps dur & solide qu'on appelle glace. C'est de l'introduction de ces particules que vient l'augmentation du volume de l'eau, & son plus grand froid, &c.

Ils supposent cette introduction des particules frigorifiques essentielle à la congelation, comme ce qui la caractérise & la distingue de la coagulation : la derniere est produite indifféremment par un mélange chaud ou froid, tandis que la premiere ne doit son origine qu'à un mélange froid. Voyez COAGULATION.

Il est fort difficile de déterminer de quel genre sont les particules frigorifiques, & de quelle maniere elles produisent leur effet : c'est aussi cette difficulté qui a fait produire plusieurs systèmes.

Quelques-uns ont dit que c'étoit l'air commun qui dans la congelation s'introduisoit dans l'eau, & qui s'embarrassoit avec les particules de ce fluide, empêchoit leur mouvement, & formoit cette quantité de bulles qu'on apperçoit dans la glace ; que de cette façon il augmentoit le volume de l'eau, & par ce moyen la rendoit spécifiquement plus legere. Mais M. Boyle a combattu cette opinion, en prétendant que l'eau gele dans les vaisseaux fermés hermétiquement, & dans lesquels l'air ne peut aucunement s'introduire ; cependant il y a autant de bulles que dans celle qui s'est congelée en plein air : il ajoûte que l'huile se condense en se gelant ; d'où il conclud que l'air ne peut point être la cause de sa congelation.

D'autres, & c'est le plus grand nombre, veulent que la matiere de la congelation soit un sel, soûtenant qu'un froid excessif peut bien rendre les parties de l'eau immobiles, mais qu'il ne se formera jamais de glace sans sel. Les particules salines, disent-ils, dissoutes & combinées dans une juste proportion, sont la cause principale de la congelation, car la congelation a beaucoup de rapport avec la crystallisation. Voyez CRYSTALLISATION.

Ils supposent que le sel est du genre du nitre, & que l'air chargé, comme tout le monde en convient, d'une grande quantité de nitre, fournit ce sel.

Il est très-facile d'expliquer comment les particules du nitre peuvent faire perdre à l'eau sa fluidité. On suppose que les particules de ce sel sont des aiguilles roides & pointues ; qu'elles entrent facilement dans les parties ou globules de l'eau ; ces particules ainsi hérissées de pointes venant à se mêler, elles s'embarrassent les unes dans les autres, leur mouvement diminue peu-à-peu, & il se détruit enfin totalement.

Cet effet n'est produit que dans le plus fort de l'hyver : en voici la raison ; c'est que dans ce tems, les pointes du nitre qui agissent pour diminuer le mouvement ont plus de force que la puissance ou que le principe qui met les fluides en mouvement, ou qui les dispose à se mouvoir. Voyez FLUIDE.

L'expérience si connue de la glace artificielle confirme cette opinion. On prend du salpêtre commun, on le mêle avec de la neige ou de la glace pilée, on fait fondre ce mélange sur le feu, en plongeant une bouteille pleine d'eau dans ce mélange ; tandis qu'il se fond, l'eau contenue dans la bouteille & contigue à ce mélange se congelera, quand même on feroit l'expérience dans un air chaud. On conclut de cette expérience, que les pointes du sel, par la pesanteur du mélange & de l'atmosphere, sont introduites dans l'eau au-travers des pores du verre. Il paroît évident que cet effet est uniquement dû au sel, puisque nous sommes assûrés que les particules d'eau ne peuvent point passer par les pores du verre. Dans les congelations artificielles, à quelqu'endroit qu'on applique le mélange, soit au fond, aux côtés ou vers la surface de l'eau contenue dans le verre, il s'y formera une petite lame de glace. Ce phénomene suit, de ce qu'il y a toûjours dans tout le mélange une suffisante quantité de particules salines, capable d'empêcher l'action de la matiere ignée, au lieu que dans les congelations naturelles l'eau doit se congeler à sa surface, parce que les particules salines y sont en plus grande quantité.

L'auteur de la nouvelle conjecture pour expliquer la nature de la glace, fait plusieurs objections contre ce système. Il ne paroît point, dit-il, que le nitre entre dans la composition de la glace ; car si cela étoit, on rendroit difficilement raison des principaux phénomenes. Comment, par exemple, les particules du nitre en s'introduisant dans les pores de l'eau, & en fixant toutes ses parties, pourroient-elles augmenter le volume de ce fluide & le rendre spécifiquement plus leger qu'il n'étoit auparavant ? elles devroient au contraire naturellement augmenter son poids. Cette difficulté, jointe à quelques autres, fait sentir la nécessité d'une nouvelle théorie. L'auteur donc propose la suivante, qui paroît satisfaire à l'explication des phénomenes d'une façon qui paroît d'abord beaucoup plus facile & beaucoup plus simple : elle est indépendante de cette introduction & expulsion de matieres étrangeres.

L'eau ne se congele que pendant l'hyver, parce qu'alors ses parties plus intimement unies ensemble s'embarrassent réciproquement l'une & l'autre, & perdent le mouvement qu'elles avoient auparavant. L'air, ou pour mieux dire l'altération de son élasticité & de sa force, sont la cause de son union plus étroite aux particules de l'eau. L'expérience démontre qu'il y a une quantité prodigieuse d'air grossier répandu entre les globules de l'eau : on convient que chaque particule d'air a une vertu élastique. L'auteur soûtient que les petits ressorts de l'air grossier qui est mêlé avec l'eau, sont beaucoup plus forts & beaucoup plus tendus dans l'hyver que dans tout autre tems. Quand d'un côté ces ressorts viennent à se débander, tandis que de l'autre l'air continue à peser sur la surface de l'eau, les parties de l'eau pressées & rapprochées les unes des autres par cette double force, perdront leur fluidité & formeront un corps solide, qui restera tel jusqu'à ce que les petits ressorts de l'air, relâchés par une augmentation de chaleur, permettent aux parties du fluide de reprendre leurs premieres dimensions, & laissent assez d'espace entre les globules du fluide pour qu'ils puissent se mouvoir entr'eux. Mais ce système a son foible, & le principe sur lequel il est fondé peut être démontré faux. Le froid n'augmente point le ressort ni l'élasticité de l'air, au contraire il les diminue. L'air se raréfie par la chaleur, & se condense par le froid ; & il est démontré en Aërométrie, que la force élastique de l'air raréfié, est à la force de ce même air, qui est dans un état de condensation, comme son volume, quand il est raréfié, est à son volume quand il est condensé. Voyez ÉLASTICITE & AIR.

Je ne sais pas si c'est trop la peine de faire mention de l'hypothese de quelques auteurs, dans laquelle ils expliquent d'où vient l'augmentation du volume & la diminution de la gravité spécifique de l'eau convertie en glace. Ils soutiennent que les particules de l'eau dans leur état naturel, approchent de la figure cubique, & qu'ainsi il n'y a que très-peu d'interstices entre les parties des fluides ; mais que ces petits cubes sont changés par la congelation en autant de spheres, qui laissent entr'elles beaucoup d'espace vuide. Les particules cubiques sont certainement beaucoup moins propres à constituer un fluide, que les particules sphériques, de même que les particules sphériques sont bien moins disposées à former un corps solide que ne le sont les cubiques ; c'est ce que la nature de la fluidité & de la solidité nous suggere assez facilement.

Au fond, pour nous faire une théorie de la congelation, nous devons recourir, soit aux particules frigorifiques des philosophes corpusculaires, considérées sous le jour & avec tous les avantages que leur a donné la philosophie de Newton, soit à la matiere subtile des Cartésiens, avec tous les correctifs de M. Gauteron, dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1709.

Nous joindrons ici l'un & l'autre système, pour laisser au lecteur la liberté du choix. Je commence par le premier. Lorsqu'une quantité de particules frigorifiques & salines s'est introduite par les pores entre les globules de l'eau, elles peuvent être si proches les unes des autres, qu'elles se trouvent dans leur sphere d'attraction : il suivra de-là que les parties cohéreront ensemble & formeront un corps solide jusqu'à ce que la chaleur les sépare, les agite, rompe leur union & les éloigne assez l'une de l'autre pour qu'elles ne soient plus dans la sphere d'attraction, mais pour qu'elles soient au contraire exposées à la force répulsive, & qu'alors l'eau reprenne sa fluidité. Il paroît probable que le froid & la gelée doivent leur origine à une substance saline naturelle qui nage dans l'air ; en effet, tous les sels, & particulierement quelques-uns mêlés avec de la neige ou de la glace, augmentent considérablement la force & les effets du froid. On peut ajoûter que tous les corps salins donnent de la roideur & de la rigidité aux parties des corps dans lesquelles ils sont introduits.

Les observations qu'on a faites sur les sels avec les microscopes, font voir que les particules de quelques sels, avant qu'ils soient réduits en un corps solide, paroissent très-fines, & ont la figure de petits coins ; c'est pourquoi elles se soûtiennent dans l'eau lorsqu'elles sont élevées, quoiqu'elles soient spécifiquement plus pesantes que l'eau.

Ces petites pointes des sels introduites dans les pores de l'eau, & qui sont en quelque façon soûtenues par ce moyen, même dans l'hyver (quand la chaleur du soleil n'a pas assez de force pour tenir les sels suspendus dans le fluide, pour émousser leurs pointes ou pour les entretenir dans un mouvement continuel) ; ces petites pointes, dis-je, venant à perdre leur arrangement & devenant plus libres de s'approcher les unes des autres, elles forment alors des crystaux de la maniere que nous l'avons expliqué ci-dessus, qui s'introduisant par leurs extrémités dans les plus petites parties de l'eau, la convertissent de cette façon en un corps solide, qui est la glace.

Outre cela, il y a encore une grande quantité de particules d'air dispersées çà & là, tant dans les pores des particules de l'eau, que dans les interstices formés par les globules sphériques. Les particules salines s'introduisant dans les particules d'eau, en chassent les petites bulles d'air ; celles-ci s'unissant plusieurs ensemble, forment un plus grand volume & acquierent par cette union une plus grande force d'expansion que quand elles étoient dispersées. De cette façon elles augmentent le volume, & diminuent la pesanteur spécifique de l'eau convertie en glace.

Nous pouvons concevoir de-là comment l'eau impregnée de soufre, de sels & de terre, qui ne se dissolvent que difficilement, peut être changée en métaux, minéraux, gommes & autres fossiles : les parties de ces différens mixtes formant avec l'eau une espece de ciment, ou s'introduisant dans les pores des particules de l'eau, se trouvent changées en différentes substances. Voyez SEL & EAU.

Quant au second système, comme on suppose que la matiere éthérée est généralement la cause du mouvement des fluides (voyez ÉTHER), & que l'air ne doit son mouvement qu'à ce même principe, il suit de-là que tous les fluides doivent rester dans un état de repos & de fixité, lorsque cette matiere subtile perd de la force qu'elle doit avoir. Par conséquent l'air étant moins échauffé dans l'hyver à cause de l'obliquité des rayons du soleil, il est plus dense & plus fixe dans ce tems que dans toute autre saison. Outre cela on s'est convaincu par plusieurs expériences, que l'air contient un sel qu'on suppose être de la nature du nitre. Cela accordé, & supposant la condensation de l'air : il suit que les particules du nitre doivent être rapprochées par la condensation de l'air, & qu'au contraire elles doivent être divisées & éloignées les unes des autres par sa raréfaction & sa plus grande fluidité. Si la même chose arrive à toutes liqueurs qui sont saoulées ou qui tiennent un sel en dissolution ; si la chaleur de la liqueur tient le sel exactement divisé ; si la fraîcheur d'une cave ou de la glace, fait que les molécules d'un sel dissous se rapprochent les unes des autres, se réunissent plusieurs ensemble & forment des crystaux ; pourquoi l'air, qui est reconnu pour un fluide, seroit-il exempt de la loi générale des fluides ?

Il est vrai que le nitre de l'air étant plus grossier quand il fait froid que quand il fait chaud, devroit perdre de sa vîtesse ; mais aussi le produit de sa masse par sa vîtesse, qui reste la même, augmentant, il aura un plus grand mouvement ou une plus grande quantité de mouvement. Il n'en faut pas davantage pour que le sel agisse avec plus de force sur les parties des fluides. C'est aussi probablement pour cette raison que l'évaporation est si considérable dans un tems de gelée.

Ce nitre aërien doit être cause de la concrétion des fluides : ce n'est point l'air ni le nitre qu'il contient qui donnent le mouvement aux fluides, puisque c'est la matiere subtile : donc quand cette matiere subtile perd de sa force, tout le fluide perd en même tems une partie de son mouvement.

Mais la matiere éthérée, assez foible d'elle-même dans l'hyver, doit de nouveau perdre beaucoup de sa force, agissant contre un air condensé & chargé de molécules de sel assez considérables ; elle doit donc perdre de sa force dans le tems de froid, & pour cela elle a moins d'aptitude à entretenir le mouvement des fluides ; en un mot lorsqu'il gele, on peut regarder l'air comme la glace impregnée de sel, avec laquelle nous faisons glacer nos liqueurs en été. Probablement ces liqueurs se congelent à cause de la diminution du mouvement de la matiere éthérée par son action contre la glace & le sel mêlés ensemble : alors l'air malgré sa grande chaleur n'est point en état d'empêcher la concrétion. Chambers. (M)

CONGELATION, en Chimie, est une espece de fixation : elle se dit du changement qui arrive à un fluide, lorsqu'il devient une masse solide ou molle en perdant sa fluidité, soit que ce changement se fasse par l'air froid, comme lorsqu'un métal fondu ou de la cire fondue au feu se congelent, ou par de la glace qui congele les liqueurs grasses & les aqueuses, ou par quelqu'autre moyen que ce soit, comme par les acides qui congelent certaines liqueurs. Voyez COAGULATION. (M)

Le terme de la congelation, en parlant d'un thermometre, est le point où la liqueur s'arrête dans le tuyau lorsqu'on plonge la boule dans une eau mêlée de glace. Voyez THERMOMETRE. (M)


CONGELERc'est ôter la fluidité de ce qui étoit liquide : des sels moyens, des alkalis, des acides, & même des esprits mêlés avec de la neige ou de la glace, peuvent congeler la plûpart des liqueurs. On produit un degré de froid très-considérable par le mélange de l'acide du vitriol ou de celui du nitre avec de la neige. On tient cette expérience de M. Boyle.

M. Homberg observe qu'on fait un froid artificiel, en mêlant ensemble parties égales de sublimé corrosif & de sel ammoniac, avec quatre fois autant de vinaigre distillé.

L'art de congeler est une chose fort agréable en été, & d'un grand usage pour faire des glaces. (M)


CONGENEREadj. en Anatomie ; nom des muscles qui concourent tous à la même action, soit à la flexion ou à l'extension des parties. Voyez MUSCLE.

CONGENERE, (Botan.) il se dit des plantes comprises sous un même genre.


CONGERIE(Physique) mot dont on s'est servi quelquefois pour dire l'amas ou l'assemblage de plusieurs particules ou corps unis dans une même masse. Ce mot signifie proprement un tas de plusieurs choses réunies ensemble sans ordre. On ne s'en sert plus. (O)


CONGESTIONS. m. (Médecine) maladie des humeurs.

La congestion est l'amas de quelque matiere morbifique des humeurs, qui se fait lentement dans une partie du corps.

Les humeurs ne pouvant être contenues dans leurs vaisseaux, qu'autant que la capacité des vaisseaux le permet, elles doivent suivre dans leur circulation le cours qui leur est destiné par la nature pour les besoins de la vie. Or toutes les fois que ce cours s'arrête, elles se rassemblent nécessairement en plus grande quantité dans quelque partie du corps, & c'est cette accumulation qu'on appelle congestion. Elle résulte 1°. ou de l'inaction de la partie solide, incapable de dompter & de chasser la matiere qui commence à se former : 2°. ou de la dérivation de la matiere peccante, déjà formée ailleurs dans la partie maintenant affectée. Cette dérivation se fait par diverses causes que nous allons exposer, & qui constituent le principe de toutes les maladies avec matiere.

1°. Les humeurs s'accumulent dans les lieux voisins par la solution de continuité des vaisseaux, comme par des blessures, des ruptures, des piquûres, & des contusions : 2°. elles se répandent dans les vaisseaux les plus amples, les plus relâchés, & qui manquent de soûtien : 3°. elles s'épanchent au-dessus des parties obstruées, liées, comprimées : 4°. le défaut, ou la diminution du mouvement dans les solides & dans les liquides, forment des congestions : 5°. l'excès de mouvement & le frottement produisent le même effet : 6°. le manque d'absorption occasionne encore des congestions d'humeurs.

Quand elles sont faites, elles causent l'enflure de la partie dans laquelle elles se sont déposées, aggravent cette partie & l'appesantissent : elles se corrompent & se putréfient par la stagnation ; elles compriment la partie voisine, rendent son action plus pénible, ou la détruisent. Quelquefois les humeurs ainsi accumulées s'endurcissent & forment des concrétions incurables ; d'autres fois elles dégénerent en abcès, en suppuration, en ichorosités, en colliquation, &c. En un mot, elles produisent mille sortes de desordres.

Dans le premier genre de causes de ce mal énoncées ci-dessus, il faut diriger la cure, soit à l'ouverture du dépôt, soit à l'évacuation, suivant les circonstances. Dans le second genre de causes, il faut mettre en usage par art des soûtiens, des points d'appui, & se servir en même tems des corroborans. Dans le troisieme, après avoir ôté l'obstacle qui procuroit l'obstruction ou la compression, on se conduira comme dans le premier cas. Dans le quatrieme, on doit employer les stimulans, & les discussifs. Dans le cinquieme, suivre une méthode opposée, diminuer la violence du mouvement, calmer, évacuer. Enfin dans le sixieme, rendre la matiere plus fluide, la faire rétrograder dans de plus grands vaisseaux, animer les fibres par des liqueurs chaudes, tenues, aromatiques, appliquer les moyens qui tendent à augmenter l'absorption.

Les congestions de matieres morbifiques paroissent sous tant de faces, que la Médecine pour tâcher de les caractériser, se sert des divers termes de collection, fluxion, dépôt, apostême, délitescence, métastase, toutes expressions assez synonymes dans l'usage, & dont l'art même est embarrassé à crayonner la différence avec précision : voici l'idée que je m'en suis faite, & que je soumets aux lumieres des experts.

Je regarde la collection & la congestion comme signifiant absolument la même chose ; & tandis qu'elles se forment lentement, la fluxion se fait promtement. Le dépôt me paroît un amas d'humeurs dans quelque partie, ordinairement accompagné de douleurs, & souvent de fluxion. Ce mot est encore particulierement consacré en Chirurgie, pour désigner un des accidens qui suivent quelquefois la saignée. Je définirois l'apostême, toute tumeur générale des parties molles contre nature, procédant de matieres humorales, ou réduisibles aux humeurs. Je crois que l'abcès est cette tumeur particuliere contenant du pus, & qui est une suite de l'inflammation. La délitescence pourroit être définie, une rétrocession de matiere provenant d'épanchemens imparfaits. La métastase me semble être un transport d'humeurs morbifiques d'une partie dans une autre, & qui prend le nom de délitescence, quand elle survient aux apostêmes. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONGIAIRES. m. (Hist. anc.) terme de Médailliste, don ou présent représenté sur une médaille.

Ce mot vient de celui de conge, congius, parce que les premiers présens que l'on fit au peuple consistoient en huile & en vin, qui se mesuroient par conges. Voyez CONGE.

Le congiaire étoit proprement un présent que les empereurs faisoient au peuple romain ; ceux que l'on faisoit aux soldats ne s'appelloient point congiaires, mais donatifs. Voyez DONATIF.

L'inscription des congiaires est congiarium, ou liberalitas.

Tibere donna pour congiaires 300 pieces de monnoie à chaque citoyen ; Auguste en donna 250, 300, 400 ; Caligula donna deux fois trois cent sesterces par tête. Néron en donna quatre cent ; c'est le premier dont les congiaires soient marqués sur les médailles. Adrien donna des épiceries, du baume, du safran ; Commode, 725 deniers ; Aurélien, des gâteaux de deux livres, du pain, de l'huile, du porc & d'autres mets. Voyez SESTERCE.

Les enfans n'étoient point exclus de cette libéralité du tems d'Auguste, quoiqu'auparavant il n'y eût que les enfans au-dessus de douze ans qui y eussent part.

Il n'est plus fait mention de congiaires dans les médailles des empereurs depuis Quintillus, soit que les monetaires ayent alors cessé de représenter ces sortes de libéralités sur la monnoie ; soit que ces princes n'ayent pas eu le moyen de destiner à ces dépenses leurs revenus, qui pouvoient à peine suffire à soûtenir les guerres considérables qui ravageoient l'empire. (G)


CONGLETON(Géog. mod.) ville d'Angleterre, dans la province de Cheshire, sur la riviere Dan.


CONGLOBÉ(Médecine, Physiolog.) glande conglobée. Voyez GLANDE.


CONGLOMERÉ(Médecine, Physiologie) glande conglomerée. Voyez GLANDE.


CONGLUTINATIONS. f. (Physiq.) à la lettre signifie l'action de joindre ou de cimenter deux corps ensemble, au moyen de matieres gluantes & tenaces. Voyez CIMENT, GLU, &c.

Ce terme s'employe particulierement en Médecine, pour signifier l'apposition ou l'adhérence de quelque nouvelle substance, ou l'accroissement de consistance dans les fluides des animaux, afin de les rendre plus nourrissans. Voyez ACCROISSEMENT & NUTRITION. (L)


CONGLUTINÉ(Médecine, Physiologie) glande conglutinée. Voyez GLANDE.


CONGO(Géog. mod. & Comm.) grand pays de l'Afrique, qui comprend plusieurs royaumes ; il est borné au nord par la riviere de Zaïre, à l'orient par les royaumes de Macacou & Anzico, par les Monsoles, les Jagas, & le Matamba ; au midi par la riviere de Dende ; & au couchant par la mer. Ce pays est habité par des Negres, parmi lesquels il y en a grand nombre de chrétiens. Les Portugais y ont de grands établissemens. Ce sont eux qui l'ont découvert en 1484 ; ils s'en emparerent en 1491 ; leur résidence principale est à Loanda ; la traite des esclaves est leur plus important commerce. Les meilleurs negres sont de San-Salvador & de Sondy ; le pays produit du morfil, de la cire, & de la civette : on y porte des étoffes d'or, d'argent, des velours, du galon, de la vaisselle de cuivre, des chapeaux, des armes, des eaux-de-vie, des vins, &c. Il y a dans le royaume du fer & du cuivre en mines.


CONGRÉGATIONS. f. (Physiq.) est un terme dont s'est servi M. Grew pour signifier le plus petit degré de mélange des parties d'un mixte, c'est-à-dire celui par lequel les parties du mixte n'entrent point les unes dans les autres, ou n'adherent point ensemble, mais se touchent dans un point. Harris.

Cet auteur pense que les particules de tous les fluides se touchent, ou que leur cohésion n'est qu'une congrégation. Quelque sentiment qu'on suive sur la nature des fluides, on ne peut se dispenser de convenir que les particules de ces corps peuvent se mouvoir librement entr'elles, & cedent avec facilité au mouvement qu'on leur imprime ; aussi plusieurs auteurs croyent-ils que ces particules ont peu d'adhérence, & se touchent par un très-petit nombre de points. C'est ce qui fait que ces mêmes auteurs les ont considérées comme des globules très-petits, qui se touchent, & qui peuvent glisser les uns sur les autres, & être déplacés facilement. Mais cela ne suffit pas pour nous donner une idée de la nature des fluides, & pour expliquer les phénomenes qu'on y observe, comme l'égalité de pression en tout sens. Voyez FLUIDE, PRESSION, HYDROSTATIQUE, ADHERENCE, &c. (O)

CONGREGATION, (Hist. mod.) est une assemblée de plusieurs personnes qui forment un corps, mais singulierement d'ecclésiastiques. Voyez ASSEMBLEE, &c.

Ce terme s'employe plus particulierement des différens bureaux de cardinaux commis par le pape, & distribués en plusieurs chambres pour la direction de certaines affaires ; comme sont les différentes commissions ou bureaux des affaires qui sont portées au conseil d'état. Voyez CARDINAL.

La premiere est la congrégation du saint office, ou l'inquisition, composée de douze cardinaux & même davantage, selon qu'il plaît au pape ; on y joint plusieurs prélats & théologiens de divers ordres religieux, qui portent le titre de consulteurs de l'inquisition : le cardinal qui en est chef, tient le cachet ou sceau de l'inquisition. La seconde, celle qui a une jurisdiction sur les évêques & sur les réguliers ; elle connoît des différends qui naissent en Italie entre les évêques & leurs diocésains, & même entre les moines & religieux ; elle répond aux consultations que lui font les évêques : elle est composée de plusieurs cardinaux habiles dans les matieres canoniques. La troisieme est celle de l'immunité ecclésiastique ; elle a été établie pour savoir si certains délinquans doivent joüir de cette immunité, c'est-à-dire si on les doit prendre dans l'église ou non, lorsqu'ils s'y sont retirés : outre plusieurs cardinaux qui y président, elle a encore un clerc de chambre, un auditeur de rote, & un référendaire. La quatrieme est celle du concile, pour expliquer les difficultés qui naissent sur celui de Trente, qui est le dernier concile général. La cinquieme est celle des coûtumes, cérémonies, préséances, canonisations ; on l'appelle la congrégation des rits. La sixieme est celle de la fabrique de S. Pierre ; elle connoît des legs pour oeuvres pies, dont une partie appartient à l'église de S. Pierre. La septieme est celle des eaux, cours des rivieres, ponts & chaussées. La huitieme, celle des fontaines & des rues, dont le chef est le cardinal camerlingue. La neuvieme, celle de l'index, qui est chargée de la révision des livres ou imprimés ou à imprimer. La dixieme est le conseil d'état, pour toutes les affaires qui concernent le domaine du pape & de l'église, & se tient souvent devant sa sainteté : on l'appelle la consulte. L'onzieme est la congrégation de bono regimine (du bon gouvernement) : le cardinal neveu est le président de ces deux dernieres. La douzieme est celle de la monnoie, qui donne son avis sur les monnoies déjà battues ou à battre, & qui met le prix à toutes celles des princes étrangers. La treizieme, celle des évêques, où l'on examine les sujets qui doivent être promûs aux évêchés d'Italie ; elle se tient en présence du pape. La quatorzieme est celle des matieres consistoriales, dont le cardinal-doyen est le président. La quinzieme est celle de propagandâ fide (de la propagande) établie pour régler ce qui concerne les missions. Il y a encore la congrégation des aumônes, qui a le soin de ce qui concerne la subsistance de Rome & de tout l'état de l'Eglise. Ces congrégations changent quelquefois, selon la volonté des papes qui en établissent de nouvelles selon l'exigence des cas ; comme dans les autres pays les souverains créent des tribunaux ou commissions à tems & pour certaines affaires. (G) (a)

CONGREGATION se dit aussi d'une compagnie ou société de religieux, qui fait partie d'un ordre entier, & forme plusieurs monasteres ou maisons religieuses sous une même regle & sous un même chef ; telles que la congrégation de France pour les chanoines réguliers de S. Augustin, les congrégations de Cluni, de S. Vannes, & de S. Maur, toutes trois de Bénédictins. Voyez les articles BENEDICTINS & BLANCS-MANTEAUX ; nous y avons parlé des services que l'ordre de S. Benoît a rendus & rend encore aux Lettres & à l'Eglise. Il ne sera peut-être pas inutile ici de donner la liste des ouvrages considérables que font ou qu'ont fait des Bénédictins actuellement vivans, dont la plûpart sont de la congrégation de saint Maur, & les autres de celle de S. Vannes. Voici les principaux : l'histoire littéraire de la France, la collection des historiens de France, le Gallia christiana ; la nouvelle diplomatique, l'art de vérifier les dates, l'histoire des Gaulois, l'histoire de Bretagne, celle de Languedoc, l'histoire des auteurs sacrés & ecclésiastiques, les ouvrages nombreux & savans de dom Calmet, l'ouvrage de dom Charles Walmesley sur le calcul intégral, les ouvrages de D. Prudent Maran, & plusieurs éditions des peres, &c. Nous n'indiquons ici qu'une partie de ces travaux ; mais nous saisissons avec plaisir l'occasion de rendre justice à cette savante congrégation, qui ne paroît point déchûe de son ancienne ardeur pour le travail, qui rend à la littérature de vrais services par ses ouvrages, & donne à l'Eglise & aux autres ordres religieux un exemple bien digne d'être imité. (O)

CONGREGATION se dit encore d'une assemblée de personnes pieuses en forme de confrairie, comme en ont particulierement les Jésuites en l'honneur de la Vierge, &c. Voyez CONFRAIRIE.

CONGREGATION DE PENITENCE, voyez PENITENCE.

CONGREGATION DE LA SAINTE TRINITE ; voyez TRINITE.

CONGREGATION DE L'IMMACULEE CONCEPTION, voyez IMMACULEE CONCEPTION.

CONGREGATION DE LATRAN, voyez l'article LATRAN.


CONGRESS. m. (Hist. mod.) se dit d'une assemblée de députés ou d'envoyés de différentes cours, réunis pour traiter de la paix, ou pour concerter ce qui peut être avantageux à leur bien commun.

Le congrès de la Haye qui se tint pendant le cours de la guerre terminée en 1697 par le traité de Riswick, étoit composé des ambassadeurs de France, & des envoyés de tous les princes ligués contre la France. Nous avons eu depuis, les congrès de Cambrai & de Soissons, dans lesquels rien ne fut ni réglé ni décidé. Chambers. (G) (a)

CONGRES, (Jurispr.) c'étoit une preuve juridique à laquelle on avoit recours autrefois dans les causes de mariage, lorsqu'on en prétendoit la nullité pour fait d'impuissance.

Cette sorte de preuve, inconnue dans le droit civil aussi-bien que dans le droit canonique, avoit été introduite dans les officialités vers le milieu du xvj. siecle.

On en attribue l'origine à l'effronterie d'un jeune homme, lequel étant accusé d'impuissance, offrit de faire preuve du contraire en présence de chirurgiens & de matrones. L'official trop facile ayant déféré à sa demande, cette preuve, toute contraire qu'elle étoit à la pureté de nos moeurs, devint en usage dans les officialités, & fut même autorisée par les arrêts.

Cette preuve scandaleuse se faisoit en présence de chirurgiens & de matrones, nommés par l'official.

On a depuis reconnu l'indécence d'une telle preuve, & le peu de certitude même que l'on en pouvoit tirer : c'est pourquoi l'usage en fut très-sagement défendu par un arrêt du parlement du 18 Février 1677, rapporté au journal du palais. (A)


CONGRIERS. m. (Jurispr.) du latin congregare. Le droit de congrier est la faculté que quelqu'un a de faire une espece de garenne à poisson dans une riviere. Le congrier est une enceinte formée par de gros pieux enfoncés dans la riviere joints l'un près de l'autre, & sortans hors de l'eau. Ce terme est usité en Anjou, comme il paroît par un aveu du 23 Novembre 1598, où un vassal reconnoît devoir à son seigneur une certaine redevance, pour avoir droit de congrier en la riviere de Sartes, dont il est fait mention dans le glossaire de M. de Lauriere ; mais la note est de M. Galland. (A)


CONGRUE(Jurisprud.) voyez PORTION CONGRUE.


CONGRUENCES. f. (Métaph.) égalité & similitude de deux choses. Par exemple, deux triangles semblables & égaux sont congruens. Supposez pareillement deux corps humains où se trouvent les mêmes qualités & les mêmes dimensions, un tout correspondra exactement à l'autre, & chaque partie à la partie semblable. La congruence consiste donc dans l'identité des quantités & des qualités. Prenons les deux triangles congruens ; chaque ligne de la circonférence de l'un est égale à la pareille de l'autre, les quantités des angles sont les mêmes, & la grandeur d'une aire couvre exactement celle de l'autre. Voilà pour les quantités. Il en est de même pour les qualités, savoir de l'espece, des signes, de la proportion des angles, &c. de-là résulte la possibilité de leur substitution. Vous démontriez quelque chose sur l'un, mettez l'autre à sa place, votre démonstration procédera toûjours de même. C'est ce qu'on fait souvent en Géométrie, où la congruence & l'égalité des bornes des figures sert dans plusieurs théorèmes. On appelle borne ou limite, ce au-delà dequoi on ne conçoit plus rien qui appartienne au sujet. Par exemple, on ne suppose dans la ligne qu'une étendue en longueur. Ses bornes sont donc ses deux derniers points ; l'un à une extrémité, l'autre à l'autre, au-delà desquels on n'en sauroit assigner d'autres qui appartiennent à la ligne. En largeur, elle n'a point de bornes concevables, puisqu'on exclut de la ligne l'idée de cette dimension. Voyez COINCIDENCE.

Cette notion de la congruence s'accorde avec l'usage ordinaire & avec la signification reçûe par les Mathématiciens. Euclide se bornant à la notion confuse de la congruence, s'est contenté de mettre entre les axiomes cette proposition : Quae sibi mutuo congruunt, ea inter se aequalia sunt. Or il paroît par l'application de cet axiome, qu'une grandeur appliquée à l'autre lui est congruente, lorsque leurs bornes sont les mêmes : ainsi, suivant la pensée d'Euclide, une ligne droite est congrue à une autre, si étant posée sur elle, les points de ses extrémités, & tous ceux qui sont placés entre deux, couvrent exactement les points qui y répondent dans la ligne posée dessous. Les Géometres donc qui définissent la congruence par la coincidence des bornes, suivent l'idée d'Euclide. Quoique cet ancien ne se serve de la congruence que pour prouver l'égalité des grandeurs, il suppose pourtant dans sa notion la ressemblance jointe à l'égalité, car il ne démontre l'égalité par la congruence que dans les grandeurs semblables, & il est même impossible de la démontrer dans d'autres grandeurs. Mais il s'en est tenu à la notion de la congruence, qui répondoit à son axiome susdit, sans l'approfondir davantage. C'est ce qui arrive pour l'ordinaire dans nos idées confuses. Nous ne tournons notre attention que sur ce dont nous avons besoin ; & négligeant le reste, il semble qu'il n'existe point. Mais des yeux philosophiques qui se proposent d'épuiser la connoissance des sujets, cherchent dans une notion non-seulement ce qu'elle a d'utile pour un certain but, mais en général tout ce qui lui convient & la caractérise. C'est-là le moyen d'arriver aux notions distinctes & complete s. Article de M. FORMEY.


CONGRUISMES. m. (Théol.) (N. B. l'anglois porte congruitz, que j'ai crû devoir rendre par congruisme ; terme très-usité dans nos Théologiens, pour exprimer le système dont il s'agit ici) ; système sur l'efficacité de la grace, imaginé par Suarez, Vasquez, & autres, qui ont voulu adoucir le système de Molina. Voyez MOLINISME.

Voici l'ordre que ces théologiens mettent dans les decrets de Dieu, & en même tems toute la suite de leur système : 1°. Dieu, de tous les ordres possibles des choses, a choisi librement celui qui existe maintenant, & dans lequel nous nous trouvons : 2°. dans cet ordre Dieu veut, d'une volonté antécédente, le salut de toutes ses créatures libres, mais à condition qu'elles le voudront elles-mêmes : 3°. il a résolu de leur donner des secours suffisans pour acquérir la béatitude éternelle : 4°. il connoît, par la science moyenne, ce que chacune de ces créatures fera dans toutes & chacune des circonstances où elle se rencontrera, s'il lui donne telle ou telle grace : 5°. supposé cette prévision, il en choisit quelques-unes par une volonté de bon plaisir, & par un decret absolu & efficace : 6°. il donne à celles qu'il a choisies de la sorte, & non aux autres, une suite de graces qui ont un rapport de convenance ou une congruité, avec la disposition de leur libre-arbitre & de leur volonté : 7°. il connoît par sa science de vision, qui sont celles qui doivent être sauvées, qui sont celles au contraire qui seront réprouvées : 8°. en conséquence de leurs mérites ou démérites, il leur décerne des peines ou des châtimens éternels. Tout ce système, par rapport à l'efficacité de la grace, se réduit donc à dire que Dieu qui connoît parfaitement la nature de la grace, & les dispositions futures de la volonté de l'homme dans les circonstances où il se trouvera, lui donne des graces par lesquelles, en vertu de leur congruité ou convenance avec sa volonté considérée dans ces circonstances, il fera toûjours infailliblement, quoique sans être nécessité, ce que Dieu voudra qu'il fasse ; parce que la volonté, selon le langage des congruistes, choisit toûjours infailliblement, quoique librement, ce qui paroît le meilleur, dès qu'elle est aidée de ces sortes de graces. (G)


CONGRUISTESS. m. pl. (Théol.) théologiens auteurs ou défenseurs du système appellé congruisme. Voyez CONGRUISME. (G)


CONGRUITÉS. f. (Théol.) conformité ou rapport de convenance d'une chose avec une autre ; de la grace avec la volonté.

Les Théologiens distinguent deux sortes de congruité : l'une intrinseque, qui vient de la force & de l'énergie intérieure de la grace, & de son aptitude à incliner le consentement de la volonté : cette congruité est l'efficacité de la grace par elle-même.

L'autre, extrinseque, qui vient de la convenance de la proportion de la grace avec le génie, le caractere, les penchans de la créature, conjointement avec la volonté de laquelle la grace doit agir, supposé telles ou telles circonstances prévûes de Dieu par la science moyenne, & dans lesquelles il accordera telle ou telle grace, afin qu'elle ait son effet. C'est cette derniere espece de congruité qu'admet Vasquez, elle est la base de son système. Tournel, de grat. part. II. quaest. v. art. 11. paragr. 4. (G)


CONI(Géog. mod.) ville très-forte d'Italie dans le Piémont, capitale du pays du même nom, au confluent de la Gesse & de la Sture. Long. 25. 20. latit. 44. 23.


CONIFERE(ARBRE), adj. Hist. nat. bot. Les Botanistes appellent arbres coniferes, ceux qui portent des fruits de figure conique, comme le cedre du Liban, le pin, le sapin, le picéa, la méleze, &c. On prétend que ces arbres sont à l'épreuve de la corruption & des impressions du tems : mais c'est beaucoup trop prétendre ; & ce seroit assez de dire, que ces sortes d'arbres sont, choses égales, généralement moins sujets à la pourriture & à la corruption que les autres, à cause que leur bois est plus compact, plus solide, & qu'ils sont remplis de seve, ou d'un suc abondant, gras & amer. Il paroît qu'ils viennent presque tous d'une semence ; & Bodoeus de Stapel, dans son commentaire sur Théophraste, dit avoir souvent essayé si les arbres coniferes ne pourroient point se reproduire en en plantant un jet ou une branche en terre, mais qu'ils n'ont jamais bourgeonné, & que toutes ses peines ont été infructueuses. Il est sûr qu'on n'a pas assez multiplié les expériences en ce genre, & je crois que Stapel est dans l'erreur.

Le fruit des arbres coniferes porte en Botanique le nom de cone, qui designe des fruits écailleux, secs, & durs, faits en forme de pyramide, contenant pour l'ordinaire deux semences sous chaque rejetton. Ray comprend aussi sous ce nom, sans égard à la figure pyramidale, les fruits qui sont composés de plusieurs parties crustacées, ligneuses, étroitement unies, & s'ouvrant quand le fruit est mûr, comme est celui du cyprès. Ludwig adopte le sentiment de son compatriote, & définit un cone, un fruit composé d'un amas fort serré de couches ligneuses, attaché à un axe commun, dont les interstices sont remplis de semences. Ainsi quoique, suivant Saumaise, un fruit ne mérite le nom de cone que lorsqu'il a une base ronde, & qu'il est terminé en pointe, l'usage a prévalu sur la dénomination tirée de la figure, & ce seroit un grand bonheur s'il n'étendoit pas plus loin son empire à d'autres égards. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONIL(Géog. mod.) petite ville d'Espagne en Andalousie, sur le golfe de Cadix.


CONIN(Géog. mod.) ville de la grande Pologne au palatinat de Posnanie.


CONIQUEadj. (Géom.) se dit en général de tout ce qui a rapport au cone, ou qui lui appartient, ou qui en a la figure. On dit quelquefois les coniques, pour exprimer cette partie de la Géométrie des lignes courbes, où l'on traite des sections coniques.

CONIQUE, (Géom.) section conique, ligne courbe que donne la section d'un cone par un plan. Voyez CONE & SECTION.

Les sections coniques sont l'ellipse, la parabole & l'hyperbole, sans compter le cercle & le triangle, qu'on peut mettre au nombre des sections coniques : en effet le cercle est la section d'un cone par un plan parallele à la base du cone ; & le triangle en est la section par un plan qui passe par le sommet. On peut en conséquence regarder le triangle comme une hyperbole dont l'axe transverse ou premier axe est égal à zéro.

Quoique les principales propriétés des sections coniques soient expliquées en particulier à chaque article de l'ellipse, de la parabole & de l'hyperbole ; nous allons cependant les exposer toutes en général, & comme sous un même point de vûe ; afin qu'en les voyant plus rapprochées, on puisse plus aisément se les rendre familieres : ce qui est nécessaire pour la haute Géométrie, l'Astronomie, la Méchanique, &c.

1. Si le plan coupant est parallele à quelque plan qui passe par le sommet, & qui coupe le cone ; ou ce qui revient au même, si le plan coupant étant prolongé rencontre à-la-fois les deux cones opposés, la section de chaque cone s'appelle hyperbole. Pour représenter sous un même nom les deux courbes que donne chaque cone, lesquelles ne font réellement ensemble qu'une seule & même courbe, on les appelle hyperboles opposées.

2. Si le plan coupant est parallele à quelque plan qui passe par le sommet du cone, mais sans couper le cone ni le toucher, la figure que donne alors cette section est une ellipse.

3. Si le plan passant par le sommet, & auquel on suppose parallele le plan de la section, ne fait simplement que toucher le cone, le plan coupant donnera alors une parabole.

Mais au lieu de considérer les sections coniques par leur génération dans le cone, nous allons, à la maniere de Descartes & des autres auteurs modernes, les examiner par leur description sur un plan.

Description de l'ellipse. H, I, (fig. 13. conique) étant deux points fixes sur un plan ; si l'on fait passer autour de ces deux points un fil I H B, que l'on tende par le moyen d'un crayon ou stylet en B, en faisant mouvoir ce stylet autour des points H & I jusqu'à ce qu'on revienne au même point B, la courbe qu'il décrira dans ce mouvement sera une ellipse.

On peut regarder cette courbe comme ne différant du cercle qu'autant qu'elle a deux centres au lieu d'un. Aussi si on imagine que les points H, I se rapprochent, l'ellipse sera moins éloignée d'un cercle, & en deviendra un exactement, lorsque ces points H & I se confondront.

Suivant les différentes longueurs que l'on donnera au fil B H I, par rapport à la distance ou longueur H I, on formera différentes especes d'ellipses ; & toutes les fois qu'on augmentera l'intervalle H I, & la longueur du fil H B I, en même raison, l'ellipse restera de la même espece ; les limites des différentes ellipses sont le cercle, & la ligne droite dans laquelle cette courbe se change lorsque les points H & I sont éloignés à leur plus grande distance ; c'est-à-dire, jusqu'à la longueur entiere du fil. La différence frappante qui est entre le cercle, qui est la premiere de toutes les ellipses, & la ligne droite ou ellipse infiniment allongée qui est la derniere, indique assez que toutes les ellipses intermédiaires doivent être autant d'especes d'ellipses différentes les unes des autres ; & il seroit aisé de le démontrer rigoureusement.

Dans une ellipse quelconque D F K R, (fig. 14.) le point C est appellé le centre ; les points H & I, les foyers ; D K, le grand axe, ou l'axe transverse, ou bien encore le principal diametre ou le principal diametre transverse ; F R le petit axe. Toutes les lignes passant par C sont nommées diametres : les lignes terminées à deux points de la circonférence, & menées parallelement à la tangente M , au sommet d'un diametre, sont les ordonnées à ce diametre. Les parties comme M , terminées entre le sommet M du diametre, & les ordonnées, sont les abscisses. Le diametre mené parallelement aux ordonnées d'un diametre, est son diametre conjugué ; enfin la troisieme proportionnelle à un diametre quelconque, & à son diametre conjugué est le parametre de ce diametre quelconque. Voyez CENTRE, FOYER, AXE, DIAMETRE, &c.

Propriétés de l'ellipse. 1°. Les ordonnées d'un diametre quelconque sont toutes coupées en deux parties égales par ce diametre.

2°. Les ordonnées des axes ou diametres principaux sont perpendiculaires à ces axes. Mais les ordonnées aux autres diametres leur sont obliques. Dans les ellipses de différentes especes, plus les ordonnées sont obliques sur leur diametre à égale distance de l'axe, plus les axes different l'un de l'autre. Dans la même ellipse plus les ordonnées seront obliques sur leurs diametres, plus ces diametres seront écartés des axes.

3°. Il n'y a que deux diametres conjugués qui soient égaux entr'eux ; & ces diametres M G, V T, sont tels que l'angle F C M = F C V.

4°. L'angle obtus V C M, des deux diametres conjugués égaux, est le plus grand de tous les angles obtus que forment entr'eux les diametres conjugués de la même ellipse ; c'est le contraire pour l'angle aigu V C B.

5°. Les lignes P & B étant des demi-ordonnées à un diametre quelconque M G, le quarré de P est au quarré de B, comme le rectangle M + G est au rectangle M + G. Cette propriété est démontrée par MM. de l'Hopital, Guisnée, &c.

6°. Le parametre du grand axe, qui suivant la définition précédente doit être la troisieme proportionnelle aux deux axes, est aussi égal à l'ordonnée M I (fig. 13.), qui passe par le foyer I.

7°. Le quarré d'une demi-ordonnée quelconque P à un diametre M G (fig. 14.), est moindre que le produit de l'abscisse M par le parametre de ce diametre. C'est ce qui a donné le nom à l'ellipse, , signifiant défaut.

8°. Si d'un point quelconque B (fig. 13.) on tire les droites B H & B I aux foyers, leur somme sera égale au grand axe ; & si l'on divise par la ligne B a l'angle I B H que font ces deux lignes, en deux parties égales, cette ligne B a sera perpendiculaire à l'ellipse dans le point B.

9°. Un corps décrivant l'ellipse D F K autour du foyer H, est dans sa plus grande distance à ce foyer H, lorsqu'il est en K ; dans sa plus petite, lorsqu'il est en D ; & dans ses moyennes distances, lorsqu'il est en F & en E.

10°. De plus, cette moyenne distance F H & E H est égale à la moitié du grand axe.

11°. L'aire d'une ellipse est à celle du cercle circonscrit D m K, comme le petit axe est au grand axe. Il en est de même de toutes les parties correspondantes M I K, m i K de ces mêmes aires. Cette propriété suit de celle-ci, que chaque demi-ordonnée M I de l'ellipse, est à la demi-ordonnée m I du cercle dans la raison du petit axe au grand. Ce seroit le contraire, si on comparoit un cercle à une ellipse circonscrite, c'est-à-dire qui auroit pour petit axe le diametre de ce cercle.

12°. Tous les parallélogrammes décrits autour des diametres conjugués des ellipses, sont égaux entr'eux. Le parallélogramme (fig. 14.) par exemple, est égal au parallélogramme

. M. Euler a étendu cette propriété à d'autres courbes. Voyez le premier volume de l'histoire françoise de l'académie de Berlin, 1745.

13°. Si la ligne droite B I passant par l'un des foyers, se meut en telle sorte que l'aire qu'elle décrit soit proportionnelle au tems, le mouvement angulaire de B H autour de l'autre foyer, lorsque l'ellipse ne differe pas beaucoup du cercle, est fort approchant d'être uniforme ou égal. Car dans une ellipse qui differe peu d'un cercle, les secteurs quelconques B I D, F I D, &c. sont entr'eux à très-peu près comme les angles correspondans B H D. Voyez Inst. Astron. de M. le Monnier, pag. 506. & suiv.

Description de la parabole. Y L K (fig. 15. sect. coniq.) est une équerre dont on fait mouvoir la branche Y L le long d'une regle fixe Y I ; P F est un fil dont une extrémité est attachée en X à cette équerre, & l'autre en F à un point fixe F. Si pendant le mouvement de cette équerre on tend continuellement le fil par le moyen d'un stylet P, qui suive toûjours l'équerre, le stylet décrira la courbe appellée parabole.

La ligne L I est nommée la directrice ; F le foyer ; le point T qui divise en deux parties égales la perpendiculaire F I à la directrice, est le sommet de la parabole. La droite T F, prolongée indéfiniment, l'axe.

Toute ligne comme n i parallele à l'axe, est appellée un diametre. Les lignes comme Hl terminées à deux points H, l de l'ellipse, & menées parallelement à la tangente au sommet d'un diametre, sont les ordonnées à ce diametre. Les parties i q sont les abscisses. Le quadruple de la distance du point i au point F, est le parametre du diametre i n : d'où il suit que le quadruple de F T est le parametre de l'axe, qu'on appelle aussi le parametre de la parabole.

Propriétés de la parabole. 1°. Les ordonnées à un diametre quelconque, sont toûjours coupées en deux parties égales par ce diametre.

2°. Les ordonnées à l'axe lui sont perpendiculaires, & sont les seules qui soient perpendiculaires à leur diametre ; les autres sont d'autant plus obliques, que le diametre dont elles sont les ordonnées, est plus éloigné de l'axe.

3°. Le quarré d'une demi-ordonnée quelconque q l, est égal au rectangle de l'abscisse correspondante i q, par le parametre du diametre i n de ces ordonnées : c'est de cette égalité qu'est tiré le nom de la parabole, , signifiant égalité ou comparaison.

4°. Le parametre de la parabole, c'est-à-dire le parametre de l'axe, est égal à l'ordonnée à l'axe, laquelle passe par le foyer F, & se termine de part & d'autre à la parabole.

5°. La distance P F d'un point quelconque P de la parabole au foyer F, est égale à la distance P L du même point à la directrice L I ; cette propriété suit évidemment de la description de la courbe.

6°. Lorsque l'abscisse est égale au parametre, la demi-ordonnée est aussi de la même longueur.

7°. Les quarrés des deux ordonnées au même diametre, qui répondent à deux différens points de la parabole, sont entr'eux dans la même proportion que les deux abscisses de ces ordonnées.

8°. L'angle h i n entre la tangente h t au point quelconque i, & le diametre i n au même point, est toûjours égal à l'angle t i F, que cette tangente fait avec la ligne i F tirée au foyer. Ainsi, si H i l représente la surface d'un miroir exposée aux rayons de lumiere de maniere qu'ils viennent parallelement à l'axe, ils seront tous refléchis au point F, où ils brûleront par leur réunion : c'est ce qui fait qu'on a nommé ce point le foyer. Voyez MIROIR ARDENT.

9°. La parabole est une courbe qui s'étend à l'infini à droite & à gauche de son axe.

10°. La parabole à mesure qu'elle s'éloigne du sommet, a une direction plus approchante du parallelisme à l'axe, & n'y arrive jamais qu'après un cours infini.

11°. Si deux paraboles ont le même axe & le même sommet, leurs ordonnées à l'axe répondant aux mêmes abscisses, seront toûjours entr'elles en raison sous-doublée de leurs parametres, ainsi que les aires terminées par ces ordonnées.

12°. La valeur d'un espace quelconque i q H, renfermé entre un arc de parabole, le diametre i q au point i, & l'ordonnée H q au point H, est toûjours le double de l'espace i h H renfermé entre le même arc i H, la tangente i h, & le parallele h H à i q ; ou ce qui revient au même, l'espace i H q est toûjours les deux tiers du parallélogramme circonscrit.

13° Si d'un point quelconque H de la parabole, on mene une tangente H m à cette courbe, la partie i m comprise entre le point où cette tangente rencontre un diametre quelconque & le point i sommet de ce diametre, est toûjours égale à l'abscisse i q, qui répond à l'ordonnée q H de ce diametre pour le point H.

14°. Toutes les paraboles sont semblables entr'elles & de la même espece, ainsi que les cercles.

15°. Si on fait passer un diametre par le concours de deux tangentes quelconques, ce diametre divisera en deux parties égales la ligne qui joint les deux points de contact : cette propriété est commune à toutes les sections coniques.

Description de l'hyperbole. La regle I B T, (fig. 16.) est attachée au point fixe I, autour duquel elle a la liberté de tourner. A l'extrémité T de cette regle est attaché un fil H B T, dont la longueur est moindre que I T ; l'autre bout de ce fil est attaché à un autre point fixe H, dont la distance au premier l est plus grande que la différence qui est entre le fil & la regle I T, & plus petite que la longueur de cette regle. Cela posé, si pendant que la regle I T tourne autour du point I, on tend continuellement le fil par le moyen d'un stylet qui suive toûjours cette regle, ce stylet décrira la courbe appellée hyperbole.

Les points H & I sont appellés les foyers. Le point C qui divise en deux parties égales l'intervalle I H, est le centre. Le point D qui est celui où tombe le point B, lorsque la regle I T tombe sur la ligne I H, est le sommet de l'hyperbole. La droite D K double de D C, est l'axe transverse ; la figure S K L égale & semblable à B D T, que l'on décriroit de la même maniere en attachant la regle en H, au lieu de l'attacher en I, seroit l'hyperbole opposée à la premiere.

Le rapport qui est entre la distance des points H & I, & la différence du fil à la regle, est ce qui caractérise l'espece de l'hyperbole.

Il y a une autre maniere de décrire l'hyperbole, qui rend plus facile la démonstration de la plûpart de ses propriétés. Voici cette méthode.

L L & M M (fig. 17.) étant deux droites quelconques données de position qui se coupent en un point C, & c D d C un parallélogramme donné, si on trace une courbe e D h qui ait cette propriété qu'en menant de chacun de ses points e les paralleles e d, & e c à LL & MM, le parallélogramme c e dC soit égal au parallélogramme D c C d, cette courbe sera une hyperbole.

La courbe égale & semblable à cette courbe que l'on décriroit de la même maniere dans l'angle opposé des lignes MM, LL, seroit l'hyperbole opposée.

Les deux hyperboles que l'on décriroit avec le même parallélogramme entre les deux autres angles qui sont les complémens à deux droits des deux premiers, seroient les deux courbes appellées les hyperboles conjuguées aux premiers. Voyez CONJUGUE.

Le point C où les deux droites M M, L L, se rencontrent, est le centre de toutes ces hyperboles.

Toute ligne passant par le centre, & terminée aux deux hyperboles opposées, est un diametre de ces hyperboles. Toutes les droites menées parallelement à la tangente au sommet de ce diametre & terminées par l'hyperbole, sont des ordonnées à ce diametre ; & les parties correspondantes du prolongement de ce diametre, lesquelles sont terminées par le sommet de ce diametre & par les ordonnées, sont les abscisses.

Un diametre quelconque de deux hyperboles opposées, a pour diametre conjugué celui des hyperboles conjuguées qui a été mené parallelement aux ordonnées du premier.

Le parametre d'un diametre quelconque, est la troisieme proportionnelle à ce diametre & à son conjugué.

Les lignes L L, M M sont appellées les asymptotes, tant des hyperboles opposées que des conjuguées. Voyez ASYMPTOTE.

Propriétés de l'hyperbole. 1°. Les ordonnées à un diametre quelconque sont toûjours coupées en deux parties égales par ce diametre.

2°. Les ordonnées à l'axe sont les seules qui soient perpendiculaires à leur diametre ; les autres sont d'autant plus obliques, que le diametre est plus écarté de l'axe ; & en comparant deux hyperboles de différentes especes, les diametres qui seront à même distance de l'axe, auront des ordonnées d'autant plus obliques, que la différence de l'angle L C M à son complément sera plus grande.

3°. Le quarré d'une ordonnée à un diametre quelconque est au quarré d'une autre ordonnée quelconque au même diametre, comme le produit de l'abscisse correspondante à cette premiere ordonnée par la somme de cette abscisse & du diametre, est au produit de l'abscisse correspondante à la seconde ordonnée, par la somme de cette abscisse & du diametre.

4°. Le parametre de l'axe transverse est égal à l'ordonnée qui passe par le foyer.

5°. Le quarré d'une demi-ordonnée à un diametre est plus grand que le rectangle de l'abscisse correspondante par le parametre de ce diametre. C'est de cet excès, appellé en grec , qu'est venu le nom de l'hyperbole.

6°. Si d'un point quelconque B (fig. 16.) on tire deux lignes B H, B I aux foyers, leur différence sera égale au grand axe ; ce qui suit évidemment de la premiere description de l'hyperbole.

7°. Si on divise en deux parties égales l'angle H B I, compris les deux lignes qui vont d'un point quelconque aux foyers, la ligne de bissection sera tangente à l'hyperbole en B.

8°. Les lignes droites L L, M M (fig. 17.) dans lesquelles sont renfermées les deux hyperboles opposées & leurs conjuguées, sont asymptotes de ces quatre hyperboles, c'est-à-dire qu'elles en approchent continuellement sans jamais les rencontrer, mais qu'elles peuvent en approcher de plus près que d'une distance donnée, si petite qu'on la suppose.

9°. L'ouverture de l'angle que font les asymptotes des deux hyperboles opposées, caractérise l'espece de cette hyperbole. Lorsque cet angle est droit, l'hyperbole s'appelle équilatere, à cause que son axe (latus transversum) & son parametre (latus rectum) sont égaux entr'eux. Cette hyperbole est à l'égard des autres, ce que le cercle est à l'égard des ellipses. Si par exemple sur le même axe, en variant l'axe conjugué, on construit différentes hyperboles, les ordonnées de ces différentes hyperboles qui auront les mêmes abscisses, seront à l'ordonnée correspondante de l'hyperbole équilatere, comme l'axe conjugué est à l'axe transverse.

10°. Si par le sommet d'un diametre quelconque on tire une tangente à l'hyperbole, l'intervalle retranché sur cette tangente par les asymptotes, est toûjours égal au diametre conjugué.

11°. Si par un point quelconque m de l'hyperbole (fig. 29.) on tire à volonté des lignes K m H, r m R qui rencontrent les deux asymptotes, on aura M R = m r, H E = m K : ce qui fournit une maniere bien simple de décrire une hyperbole, dont les asymptotes C Q, C T soient données, & qui passe par un point donné m : car menant par m une ligne quelconque K m H, & prenant H E = m K, le point E sera à l'hyperbole. On trouvera de même un autre point M de l'hyperbole, en menant une autre ligne r m R, & prenant M R = m r ; & ainsi des autres.

12°. Si sur l'une des asymptotes O M (fig. 17.) l'on prend les parties C I, C I I, C I I I, C I V, C V, &c. qui soient en progression géométrique, & qu'on mene par les points C I, C I I, C I I I, C I V, les paralleles Ii, II 2, III 3, IV 4, V 5, &c. à l'autre asymptote, les espaces I 2, II 3, III 4, IV 5, V 6, &c. seront tous égaux. D'où il suit que si l'on prend les parties C I, C I I, C I I I, &c. suivant l'ordre des nombres naturels ; les espaces I 2, I I 3, I I I 4, &c. représenteront les logarithmes de ces nombres.

De toutes les propriétés des sections coniques on peut conclure : 1°. que ces courbes font toutes ensemble un système de figures régulieres, tellement liées les unes aux autres, que chacune peut dans le passage à l'infini, changer d'espece & devenir successivement de toutes les autres. Le cercle, par exemple, en changeant infiniment peu le plan coupant, devient une ellipse ; & l'ellipse en reculant son centre à l'infini, devient une parabole, dont la position étant ensuite un peu changée, elle devient la premiere hyperbole : toutes ces hyperboles vont ensuite en s'élevant, jusqu'à se confondre avec la ligne droite, qui est le côté du cone.

On voit, 2°. que dans le cercle le parametre est double de la distance du sommet au foyer ou centre ; dans l'ellipse, le parametre de tout diametre est à l'égard de cette distance dans une raison qui est entre la double & la quadruple, dans la parabole cette raison est précisément le quadruple, & dans l'hyperbole la raison passe le quadruple.

3°. Que tous les diametres des cercles & des ellipses se coupent au centre & en-dedans de la courbe ; que ceux de la parabole sont tous paralleles entr'eux & à l'axe ; que ceux de l'hyperbole se coupent au centre, aussi-bien que ceux de l'ellipse, mais avec cette différence que c'est en-dehors de la courbe.

On peut s'instruire des principales propriétés des sections coniques, dans l'application de l'Algebre à la Géométrie, par M. Guisnée : ceux qui voudront les apprendre plus en détail, auront recours à l'ouvrage de M. le marquis de l'Hopital, qui a pour titre, traité analytique des sections coniques : enfin on trouvera les propriétés des sections coniques traitées fort au long dans l'ouvrage in-folio de M. de la Hire, qui a pour titre, sectiones conicae in novem libros distributae ; mais les démonstrations en sont pour la plûpart très-longues, & pleines d'une synthese difficile & embarrassée. Enfin M. de la Chapelle, de la société royale de Londres, vient de publier sur cette matiere un traité instructif & assez court, approuvé par l'académie royale des Sciences.

Les sections coniques, en y comprenant le cercle, composent tout le système des lignes du second ordre ou courbes du premier genre, la ligne droite étant appellée ligne du premier ordre. Ces lignes du second ordre ou courbes du premier genre, sont celles dans l'équation desquelles les indéterminées x, y, montent au second degré. Ainsi pour représenter en général toutes les sections coniques, il faut prendre une équation dans laquelle x, y, montent au second degré, & qui soit la plus composée qui se puisse ; c'est-à-dire qui contienne, outre les quarrés x x & y y, 1°. le plan x y, 2°. un terme qui renferme x linéaire, 3°. un terme qui contienne y linéaire, & enfin un terme tout constant. Ainsi l'équation générale des sections coniques sera y y + p x y + b x x + c x + a = 0.

+ q y

Cela posé, voici comment on peut réduire cette équation à représenter quelqu'une des sections coniques en particulier.

Soit y + px /2 + q /2 = z, on aura z z - p2 x2/4 - 2 p q x/4 + b x x - q q/4 + c x + a = 0. Equation qu'on peut changer en celle-ci.

z z + A x x + B x + C = 0. On verra facilement que les nouvelles coordonnées de la courbe sont z, & une autre ligne u qui est en rapport donné avec x, desorte qu'on peut supposer x = m u ; ainsi l'équation pour les coordonnées z, u, sera

z z + D u u + F u + G = 0.

Or, 1°. si D = 0, la courbe est une parabole : 2°. si D est négatif, la courbe est une ellipse ; & elle sera un cercle, si D = - 1, & que l'angle des coordonnées z & u soit droit : 3°. si D est positif, la courbe sera une hyperbole. Au reste il arrivera quelquefois que la courbe sera imaginaire, lorsque la valeur de z en u sera imaginaire.

C'est ainsi qu'on pourroit parvenir à donner un traité vraiment analytique des sections coniques ; c'est-à-dire où les propriétés de ces courbes seroient déduites immédiatement de leur équation générale, & non pas comme dans l'ouvrage de M. le marquis de l'Hopital, de leur description sur un plan. M. l'abbé de Gua a fait sur ce sujet de fort bonnes réflexions dans son ouvrage intitulé, usage de l'analyse de Descartes, & il y trace le plan d'un pareil traité.

M. le marquis de l'Hopital, après avoir donné dans les trois premiers livres de son ouvrage les propriétés de chacune des sections coniques en particulier, a consacré le quatrieme livre à exposer les propriétés qui leur sont communes à toutes : par exemple, que toutes les ordonnées à un même diametre soient coupées en deux également par ce diametre, que les tangentes aux deux extrémités d'une même ordonnée aboutissent au même point du diametre, &c.

Les anciens avoient considéré d'abord les sections coniques dans le cone où elles sont nées ; & la meilleure maniere de traiter ces courbes, seroit peut-être de les envisager d'abord dans le cone, d'y chercher leur équation, & de les transporter ensuite sur le plan pour trouver plus facilement par le moyen de cette équation leurs autres propriétés ; c'est ce que M. de la Chapelle s'est proposé de faire dans l'ouvrage dont nous avons parlé.

Quelques auteurs, non contens de démontrer les propriétés des sections coniques sur le plan, ont encore cherché le moyen de démontrer ces propriétés, en considérant les sections coniques dans le cone même. Ainsi M. le marquis de l'Hopital a consacré le sixieme livre de son ouvrage à faire voir comment on retrouve dans le solide les mêmes propriétés des sections coniques démontrées sur le plan : il a rempli cet objet avec beaucoup de clarté & de simplicité. Dans cet article nous avons envisagé les sections coniques de la maniere qui demande le moins d'apprêt, mais qui n'est peut-être pas la plus naturelle : la méthode que nous avons suivie convenoit mieux à un ouvrage tel que celui-ci ; & celle que nous proposons conviendroit mieux à un ouvrage en forme sur les sections coniques. Voyez les articles COURBE, LIEU, CONSTRUCTION, &c.

Pour démontrer les propriétés des sections coniques dans le cone, il est bon de prouver d'abord que toute section conique est une courbe du second ordre, c'est-à-dire où les inconnues ne forment pas une équation plus haute que le second degré. Cela se peut prouver très-aisément par l'Algebre, en imaginant un cercle qui serve de base à ce cone, en faisant les ordonnées de la section conique paralleles à celles du cercle, & en formant des triangles semblables qui ayent pour sommet commun celui du cone, & pour bases les ordonnées paralleles, &c. Nous ne faisons qu'indiquer la méthode : les lecteurs intelligens la trouveront sans peine ; & les autres peuvent avoir recours à la théorie des ombres dans l'ouvrage de M. l'abbé de Gua, qui a pour titre usages de l'analyse de Descartes, &c.

Cela bien démontré, il est visible que la section d'un cone par un plan qui le traverse entierement, ne peut être qu'une ellipse ou un cercle ; car cette section rentre en elle-même, & ne sauroit être par conséquent ni hyperbole ni parabole : de plus, son équation ne monte qu'au second degré, ainsi elle ne peut être que cercle ou ellipse. Mais on n'a pas trop bien démontré dans quel cas la section est un cercle ou une ellipse.

1°. Elle est un cercle, lorsqu'elle est parallele à la base du cone.

2°. Elle est encore un cercle, lorsqu'elle forme une section sous-contraire, & lorsqu'elle est de plus perpendiculaire au triangle passant par l'axe du cone, & perpendiculaire lui-même à la base ; cela est démontré dans plusieurs livres. Voyez SOUS-CONTRAIRE.

3°. Il est aisé de conclure de la démonstration qu'on donne d'ordinaire de cette proposition, & qu'on peut voir, si l'on veut, dans le traité des sections coniques de M. de la Chapelle, que toute section perpendiculaire au triangle par l'axe, & qui ne fait pas une section sous-contraire, est une ellipse. Mais si la section n'est pas perpendiculaire à ce triangle, il devient un peu plus difficile de le démontrer. Voici comment il faut s'y prendre.

En premier lieu, si dans cette hyperbole la section conique passe par une autre ligne que celle que forme la section sous-contraire avec le triangle par l'axe, il est aisé de voir que le produit des segmens de deux lignes tirées dans le plan de la courbe ne sera pas égal de part & d'autre ; & qu'ainsi la courbe n'est pas un cercle, puisque dans le cercle les produits des segmens sont égaux.

En second lieu, si dans cette même hypothese le plan de la courbe passe par une ligne que forme la section sous-contraire avec le triangle par l'axe, il n'y a qu'à imaginer un autre triangle perpendiculaire à celui-ci, & passant par l'axe ; on verra aisément 1°. que ce triangle sera isocele ; 2°. que la section de ce triangle avec la section sous-contraire, sera parallele à la base ; 3°. que par conséquent le plan dont il s'agit étant différent de la section sous-contraire (hyp.), coupera ce nouveau triangle suivant une ligne oblique à la base ; & il est très-aisé de voir que les segmens de cette ligne font un produit plus grand que celui des segmens de la ligne parallele à la base. Or ce second produit est égal au produit des segmens de la section sous-contraire, puisque cette section est un cercle ; donc le premier produit est plus grand ; donc la section est une ellipse. Je ne sache pas que cette proposition ait été démontrée dans aucun livre. Ceux qui travailleront dans la suite sur les coniques, pourront faire usage des vûes qu'on leur donne ici. (O)

CONIQUE, en Artillerie, se dit d'une piece d'artillerie dont l'ame est plus large vers la bouche que vers la culasse.

Les premiers canons étoient coniques, selon Diego Uffano ; c'est-à-dire que l'intérieur de l'ame de la piece finissoit en pointe, & que l'ame de la piece alloit en augmentant jusqu'à sa bouche. Cette figure n'étoit guere convenable à faire agir la poudre sur le boulet avec tout l'effort dont elle est capable. D'ailleurs, les pieces se trouvoient par cette construction avoir moins de métal à la partie où elles en ont le plus de besoin, c'est-à-dire à la culasse. Aussi cette forme n'a-t-elle pas duré long-tems ; on trouva qu'il étoit plus avantageux de faire l'ame également large dans toute son étendue : c'est ce qu'on observe encore aujourd'hui. Voyez CANON. (Q)


CONISALUSS. m. (Myth.) dieu des Athéniens dont parle Strabon, & que l'on conjecture être le même que Priape. Voyez PRIAPE.


CONISES. f. (Hist. nat. bot.) conyza, genre de plante à fleur composée de fleurons découpés portés sur des embryons, & soûtenus par un calice écailleux ordinairement cylindrique, les embryons deviennent dans la suite des semences garnies d'aigrettes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CONISE, (Mat. med.) La fumée de la conise chasse les bêtes venimeuses, les moucherons, & les puces, selon Dioscoride. D'ailleurs il n'est d'aucun usage en Médecine, quoique quelques auteurs lui ayent attribué la propriété d'exciter les regles, de pousser par les urines, &c. & qu'elle puisse être de quelqu'utilité dans les lotions contre la galle, les dartres, &c. (b)


CONISTERIUM(Hist. anc.) lieu dans les gymnases où l'on rassembloit de la poussiere dont les athletes se servoient après s'être frottés d'huile, afin de pouvoir se prendre plus facilement. On l'appelloit chez les Grecs, & chez les Latins pulverarium. Celle dont on se servoit venoit d'Egypte. Voyez GYMNASE.


CONITZ(Géog. mod.) ville de la Prusse Polonoise, à quinze milles de Dantzic. Il s'y fait du commerce.


CONIUS(Mythol.) surnom sous lequel Jupiter fut adoré par les habitans de Megare, où il avoit un temple sans toît, ce qui lui fit donner le nom de Conius, ou de Jupiter le poudreux.


CONJECTURES. f. (Gram.) jugement fondé sur des preuves qui n'ont qu'un certain degré de vraisemblance, c'est-à-dire sur des circonstances dont l'existence n'a pas une liaison assez étroite avec la chose qu'on en conclut, pour qu'on puisse assûrer positivement que les unes étant, l'autre sera ou ne sera pas : mais qu'est-ce qui met en état d'apprécier cette liaison ? l'expérience seule. Qu'est-ce que l'expérience, relativement à cette liaison ? Un plus ou moins grand nombre d'essais, dans lesquels on a trouvé que telle chose étant donnée, telle autre l'étoit ou ne l'étoit pas ; ensorte que la force de la conjecture, ou la vraisemblance de la conclusion, est dans le rapport des évenemens connus pour, aux évenemens connus contre : d'où il s'ensuit que ce qui n'est qu'une foible conjecture pour l'un, devient ou une conjecture très-forte, ou une même démonstration pour l'autre. Pour que le jugement cesse d'être conjectural, il n'est pas nécessaire qu'on ait trouvé dans les essais que telles circonstances étant présentes, tel évenement arrivoit toûjours, ou n'arrivoit jamais. Il y a un certain point indiscernable où nous cessons de conjecturer, & où nous assûrons positivement ; ce point, tout étant égal d'ailleurs, varie d'un homme à un autre, & d'un instant à un autre dans le même homme, selon l'intérêt qu'on prend à l'évenement, le caractere, & une infinité de choses dont il est impossible de rendre compte. Un exemple jettera quelque jour sur ceci. Nous savons par expérience, que quand nous nous exposons dans les rues par un grand vent, il peut nous arriver d'être tués par la chûte de quelque corps ; cependant nous n'avons pas le moindre soupçon que cet accident nous arrivera : le rapport des évenemens connus pour, aux évenemens connus contre, n'est pas assez grand pour former le doute & la conjecture. Remarquez cependant qu'il s'agit ici de l'objet le plus important à l'homme, la conservation de sa vie. Il y a dans toutes les choses une unité qui devroit être la même pour tous les hommes, puisqu'elle est fondée sur les expériences, & qui n'est peut-être la même ni pour deux hommes, ni pour deux actions de la vie, ni pour deux instans : cette unité réelle seroit celle qui résulteroit d'un calcul fait par le philosophe stoïcien parfait, qui se comptant lui-même & tout ce qui l'environne pour rien, n'auroit d'égard qu'au cours naturel des choses ; une connoissance au-moins approchée de cette unité vraie, & la conformité des sentimens & des actions dans la vie ordinaire à la connoissance qu'on en a, sont deux choses presqu'indispensables pour constituer le caractere philosophique ; la connoissance de l'unité constituera la philosophie morale spéculative ; la conformité de sentimens & d'actions à cette connoissance, constituera la philosophie morale pratique.


CONJOINTadj. (Musique) tétracorde conjoint, est dans l'ancienne musique, celui dont la corde la plus grave est à l'unisson de la corde la plus aiguë du tétracorde, qui est immédiatement au-dessous de lui. C'est ainsi que dans le système des Grecs, le tétracorde Synnemenon étoit conjoint au tétracorde Meson. Voyez TETRACORDE. (S)

Le système de la musique ancienne étoit composé de quatre tétracordes, si ut re mi, mi fa sol la, si ut re mi, mi fa sol la, dont le premier & le second, ainsi que le troisieme & le quatrieme, étoient conjoints, c'est-à-dire avoient la corde mi commune ; au lieu que le second & le troisieme étoient disjoints, c'est-à-dire n'avoient point de cordes communes, puisque le second finissoit par le son la, & le troisieme commençoit par le son si. Voyez GAMME. (O)

Dans la musique moderne on appelle par degré conjoint, la marche d'une note à celle qui la suit immédiatement, sur le plus voisin degré au-dessus ou au-dessous d'elle. Voyez DEGRE. (S)

Ainsi le chant ut re mi re mi fa mi re mi fa sol fa mi re ut, est par degré conjoint. Voyez DISJOINT. (O)

CONJOINTS, adj. pris subst. (Jurispr.) on appelle de ce nom ceux qui sont unis par le lien du mariage.

On considere leur état avant & après le mariage.

Avant le mariage, les futurs conjoints peuvent se faire tels avantages qu'ils jugent à-propos.

Depuis le mariage, ils n'ont plus la même liberté ; dans les pays de droit écrit, ils ne peuvent s'avantager que par testament ; dans la plûpart des pays coûtumiers, ils ne peuvent s'avantager ni entre-vifs, ni à cause de mort.

On considere aussi l'état des conjoints par rapport à la communauté de biens, quand elle a lieu entre eux ; par rapport à l'autorisation de la femme, & à la faculté d'ester en jugement ; & enfin pour les reprises des conjoints en cas de décès de l'un d'eux. Voyez COMMUNAUTE, DOUAIRE, PRECIPUT, REPRISES, DONATION ENTRE CONJOINTS.

CONJOINTS : on donne aussi cette qualité à ceux qui ont quelque droit ou quelque titre commun, tels que sont des collégataires ; ils peuvent être conjoints en trois manieres différentes, savoir re, verbis, ou bien re & verbis.

Ils sont conjoints re seulement, lorsque la même chose est léguée à chacun d'eux nommément, comme si le testateur dit : je legue ma maison de Paris à Titius, je legue ma maison de Paris à Maevius.

Ils sont conjoints verbis tantum, lorsque la même chose leur est léguée par une même phrase, mais divisément : par exemple, je legue à Titius & à Maevius ma maison de Paris, à chacun par moitié.

Enfin ils sont conjoints re & verbis, lorsque le testateur dit : je legue à Titius & à Maevius ma maison de Paris.

Le droit d'accroissement a lieu entre ceux qui sont conjoints re, ou re & verbis ; mais non pas entre ceux qui ne sont joints que verbis tantum. Voyez institut. lib. II. tit. ij. & au mot ACCROISSEMENT (Jurispr.) (A)


CONJONCTIFIVE, adj. terme de Grammaire, qui se dit premierement de certaines particules qui lient ensemble un mot à un mot, ou un sens à un autre sens ; la conjonction & est une conjonctive, on l'appelle aussi copulative.

La disjonctive est opposée à la copulative. Voyez CONJONCTION.

En second lieu, le mot conjonctif a été substitué par quelques grammairiens à celui de subjonctif, qui est le nom d'un mode des verbes, parce que souvent les tems du subjonctif sont précédés d'une conjonction ; mais ce n'est nullement en vertu de la conjonction que le verbe est mis au subjonctif, c'est uniquement parce qu'il est subordonné à une affirmation directe, exprimée ou sous-entendue. L'indicatif est souvent précédé de conjonctions, sans cesser pour cela d'être appellé indicatif.

On doit donc conserver la dénomination du subjonctif ; l'indicatif affirme directement & ne suppose rien, au lieu que les terminaisons du subjonctif sont toûjours subordonnées à un indicatif exprimé ou sous-entendu. Le subjonctif est ainsi appellé, dit Priscien, parce qu'il est toûjours dépendant de quelque autre verbe qui le précede, quod alteri verbo omnimodo subjungitur. Perisonius dans ses notes sur la Minerve de Sanctius, observe que l'indicatif est souvent précédé de conjonctions, & que le subjonctif est toûjours précédé & dépendant d'un verbe de quelque membre de période. Etiam indicativus conjunctiones dum, quum, quando, quanquam, si, &c. sibi praemissas habet, & vel maximè sibi subjungit alterum verbum. At subjunctivi proprium est omnimodo, & semper subjungi verbo alterius commatis. Perisonius in Sanctii Minervâ. l. I. c. xiij. n. 1. Ainsi conservons le terme de subjonctif, & regardons-le comme mode adjoint & dépendant, non d'une conjonction, mais d'un sens énoncé par un indicatif. (F)


CONJONCTIONS. f. terme de Grammaire. Les conjonctions sont de petits mots qui marquent que l'esprit, outre la perception qu'il a de deux objets, apperçoit entre ces objets un rapport ou d'accompagnement, ou d'opposition, ou de quelque autre espece : l'esprit rapproche alors en lui-même ces objets, & les considere l'un par rapport à l'autre selon cette vûe particuliere. Or le mot qui n'a d'autre office que de marquer cette considération relative de l'esprit est appellé conjonction.

Par exemple, si je dis que Cicéron & Quintilien sont les auteurs les plus judicieux de l'antiquité, je porte de Quintilien le même jugement que j'énonce de Cicéron : voilà le motif qui fait que je rassemble Cicéron avec Quintilien ; le mot qui marque cette liaison est la conjonction.

Il en est de même si l'on veut marquer quelque rapport d'opposition ou de disconvenance ; par exemple, si je dis qu'il y a un avantage réel à être instruit, & que j'ajoûte ensuite sans aucune liaison qu'il ne faut pas que la science inspire de l'orgueil, j'énonce deux sens séparés : mais si je veux rapprocher ces deux sens, & en former l'un de ces ensembles qu'on appelle période, j'apperçois d'abord de la disconvenance, & une sorte d'éloignement & d'opposition qui doit se trouver entre la science & l'orgueil.

Voilà le motif qui me fait réunir ces deux objets, c'est pour en marquer la disconvenance ; ainsi en les rassemblant j'énoncerai cette idée accessoire par la conjonction mais ; je dirai donc qu'il y a un avantage réel à être instruit, mais qu'il ne faut pas que cet avantage inspire de l'orgueil ; ce mais rapproche les deux propositions ou membres de la période, & les met en opposition.

Ainsi la valeur de la conjonction consiste à lier des mots par une nouvelle modification ou idée accessoire ajoûtée à l'un par rapport à l'autre. Les anciens grammairiens ont balancé autrefois, s'ils placeroient les conjonctions au nombre des parties du discours, & cela par la raison que les conjonctions ne représentent point d'idées de choses. Mais qu'est-ce qu'être partie du discours ? dit Priscien, " sinon énoncer quelque concept, quelque affection ou mouvement intérieur de l'esprit : " Quid enim est aliud pars orationis, nisi vox indicans mentis conceptum id est cogitationem ? (Prisc. lib. XI. sub. initio), Il est vrai que les conjonctions n'énoncent pas comme font les noms, des idées d'êtres ou réels ou métaphysiques, mais elles expriment l'état ou affection de l'esprit entre une idée & une autre idée, entre une proposition & une autre proposition ; ainsi les conjonctions supposent toûjours deux idées & deux propositions, & elles font connoître l'espece d'idée accessoire que l'esprit conçoit entre l'une & l'autre.

Si on ne regarde dans les conjonctions que la seule propriété de lier un sens à un autre, on doit reconnoitre que ce service leur est commun avec bien d'autres mots : 1°. le verbe, par exemple, lie l'attribut au sujet : les pronoms lui, elle, eux, le, la, les, leur, lient une proposition à une autre ; mais ces mots tirent leur dénomination d'un autre emploi qui leur est plus particulier.

2°. Il y a aussi des adjectifs relatifs qui font l'office de conjonction ; tel est le relatif qui, lequel, laquelle : car outre que ce mot rappelle & indique l'objet dont on a parlé, il joint encore & unit une autre proposition à cet objet, il identifie même cette nouvelle proposition avec l'objet ; Dieu que nous adorons est tout-puissant ; cet attribut, est tout-puissant, est affirmé de Dieu entant qu'il est celui que nous adorons.

Tel, quel, talis, qualis ; tantus, quantus ; tot, quot, &c. font aussi l'office de conjonction.

3°. Il y a des adverbes qui, outre la proprieté de marquer une circonstance de tems ou de lieu, supposent de plus quelqu'autre pensée qui précéde la proposition où ils se trouvent : alors ces adverbes font aussi l'office de conjonction : tels sont afin que : on trouve dans quelques anciens, & l'on dit même encore aujourd'hui en certaines provinces, à celle fin que, ad hunc finem secundum quem, où vous voyez la préposition & le nom qui font l'adverbe, & de plus l'idée accessoire de liaison & de dépendance. Il en est de même de, à cause que, propterea quod. Parce que, quia ; encore, adhuc ; déjà, jam, &c. ces mots doivent être considérés comme adverbes conjonctifs, puisqu'ils font en même tems l'office d'adverbe & celui de conjonction. C'est du service des mots dans la phrase qu'on doit tirer leur dénomination.

A l'égard des conjonctions proprement dites, il y en a d'autant de sortes, qu'il y a de différences dans les points de vûe sous lesquels notre esprit observe un rapport entre un mot & un mot, ou entre une pensée & une autre pensée ; ces différences font autant de manieres particulieres de lier les propositions & les périodes.

Les Grammairiens, sur chaque partie du discours, observent ce qu'ils appellent les accidens ; or ils en remarquent de deux sortes dans les conjonctions : 1°. la simplicité & la composition ; c'est ce que les Grammairiens appellent la figure. Ils entendent par ce terme, la propriété d'être un mot simple ou d'être un mot composé.

Il y a des conjonctions simples, telles sont &, ou, mais, si, car, ni, aussi, or, donc, &c.

Il y en a d'autres qui sont composées, à moins que, pourvû que, desorte que, parce que, par conséquent, &c.

2°. Le second accident des conjonctions, c'est leur signification, leur effet ou leur valeur ; c'est ce qui leur a fait donner les divers noms dont nous allons parler, sur quoi j'ai crû ne pouvoir mieux faire que de suivre l'ordre que M. l'abbé Girard a gardé dans sa grammaire au traité des conjonctions (les véritab. princ. de la Lang. franç. xij. disc.) L'ouvrage de M. l'abbé Girard est rempli d'observations utiles, qui donnent lieu d'en faire d'autres que l'on n'auroit peut-être jamais faites, si on n'avoit point lû avec réflexion l'ouvrage de ce digne académicien.

1°. CONJONCTIONS COPULATIVES. Et, ni, sont deux conjonctions qu'on appelle copulatives, du latin copulare, joindre, assembler, lier. La premiere est en usage dans l'affirmation, & l'autre dans la négative ; il n'a ni vice ni vertu. Ni vient du nec des Latins, qui vaut autant que &-non. On trouve souvent & au lieu de ni dans les propositions négatives, mais cela ne me paroît pas exact :

Je ne connoissois pas Almanzor & l'Amour.

J'aimerois mieux ni l'Amour. De même : la Poésie n'admet pas les expressions & les transpositions particulieres, qui ne peuvent pas trouver quelquefois leur place en prose dans le style vif & élevé. Il faut dire avec le P. Buffier, la Poésie n'admet ni expression ni transposition, &c.

Observez que comme l'esprit est plus promt que la parole, l'empressement d'énoncer ce que l'on conçoit, fait souvent supprimer les conjonctions, & surtout les copulatives : attention, soins, crédit, argent, j'ai tout mis en usage pour, &c. cette suppression rend le discours plus vif. On peut faire la même remarque à l'égard de quelques autres conjonctions, sur-tout dans le style poétique, & dans le langage de la passion & de l'enthousiasme.

2°. CONJONCTIONS AUGMENTATIVES ou ADVERBES CONJONCTIFS-AUGMENTATIFS. De plus, d'ailleurs ; ces mots servent souvent de transition dans le discours.

3°. CONJONCTIONS ALTERNATIVES. Ou, sinon, tantôt. Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ; lisez ou écrivez. Pratiquez la vertu, sinon vous serez malheureux. Tantôt il rit, tantôt il pleure ; tantôt il veut, tantôt il ne veut pas.

Ces conjonctions, que M. l'abbé Girard appelle alternatives parce qu'elles marquent une alternative, une distinction ou séparation dans les choses dont on parle ; ces conjonctions, dis-je, sont appellées plus communément disjonctives. Ce sont des conjonctions, parce qu'elles unissent d'abord deux objets, pour nier ensuite de l'un ce qu'on affirme de l'autre ; par exemple, on considere d'abord le soleil & la terre, & l'on dit ensuite que c'est ou le soleil qui tourne autour de la terre, ou bien que c'est la terre qui tourne autour du soleil. De même en certaines circonstances on regarde Pierre & Paul comme les seules personnes qui peuvent avoir fait une telle action ; les voilà donc d'abord considérés ensemble, c'est la conjonction ; ensuite on les desunit, si l'on ajoûte c'est ou Pierre ou Paul qui a fait cela, c'est l'un ou c'est l'autre.

4°. CONJONCTIONS HYPOTHETIQUES. Si, soit, pourvû que, à moins que, quand, sauf, M. l'abbé Girard les appelle hypothétiques, c'est-à-dire conditionnelles, parce qu'en effet ces conjonctions énoncent une condition, une supposition ou hypothese.

Si ; il y a un si conditionnel, vous deviendrez savant si vous aimez l'étude : si vous aimez l'étude, voilà l'hypothese ou la condition. Il y a un si de doute, je ne sai si, &c.

Il y a encore un si qui vient du sic des Latins ; il est si studieux, qu'il deviendra savant ; ce si est alors adverbe, sic, adeò, à ce point, tellement.

Soit, sive ; soit goût, soit raison, soit caprice, il aime la retraite. On peut regarder soit, sive, comme une conjonction alternative ou de distinction.

Sauf désigne une hypothese, mais avec restriction.

5°. CONJONCTIONS ADVERSATIVES. Les conjonctions adversatives rassemblent les idées & font servir l'une à contrebalancer l'autre. Il y a sept conjonctions adversatives : mais, quoique, bien que, cependant, pourtant, néanmoins, toutefois.

Il y a des conjonctions que M. l'abbé Girard appelle extensives, parce qu'elles lient par extension de sens ; telles sont jusque, encore, aussi, même, tant que, non plus, enfin.

Il y a des adverbes de tems que l'on peut aussi regarder comme de véritables conjonctions ; par exemple, lorsque, quand, dès que, tandis que. Le lien que ces mots expriment, consiste dans une correspondance de tems.

6°. D'autres marquent un motif, un but, une raison, afin que, parce que, puisque, car, comme aussi, attendu que, d'autant que ; M. l'abbé Girard prétend (t. II. p. 280.) qu'il faut bien distinguer dautant que, conjonction qu'on écrit sans apostrophe, & d'autant adverbe, qui est toûjours séparé de que par plus, mieux ou moins, d'autant plus que, & qu'on écrit avec l'apostrophe. Le P. Joubert, dans son dictionnaire, dit aussi dautant que, conjonction ; on l'écrit, dit-il, sans apostrophe, quia, quoniam. Mais M. l'abbé Regnier, dans sa Grammaire, écrit d'autant que, conjonction, avec l'apostrophe, & observe que ce mot, qui autrefois étoit fort en usage, est renfermé aujourd'hui au style de chancellerie & de pratique ; pour moi je crois que d'autant que & d'autant mieux que sont le même adverbe, qui de plus fait l'office de conjonction dans cet exemple, que M. l'abbé Girard cite pour faire voir que d'autant que est conjonction sans apostrophe ; on ne devoit pas si fort le loüer, d'autant qu'il ne le méritoit pas ; n'est-il pas évident que d'autant que répond à ex eo quod, ex eo momento secundùm quod, ex eâ ratione secundùm quam, & que l'on pourroit aussi dire, d'autant mieux qu'il ne le méritoit pas. Dans les premieres éditions de Danet on avoit écrit dautant que sans apostrophe, mais on a corrigé cette faute dans l'édition de 1721 ; la même faute est aussi dans Richelet. Nicot, dictionnaire 1606, écrit toûjours d'autant que avec l'apostrophe.

7°. On compte quatre conjonctions conclusives, c'est-à-dire qui servent à déduire une conséquence, donc, par conséquent, ainsi, partant : mais ce dernier n'est guere d'usage que dans les comptes où il marque un résultat.

8°. Il y a des conjonctions explicatives, comme lorsqu'il se présente une similitude ou une conformité, en tant que, savoir, sur-tout.

Auxquelles on joint les cinq expressions suivantes qui sont des conjonctions composées, de sorte que, ainsi que, de façon que, c'est-à-dire si bien que.

On observe des conjonctions transitives, qui marquent un passage ou une transition d'une chose à une autre, or, au reste, quant à, pour, c'est-à-dire à l'égard de ; comme quand on dit : l'un est venu ; pour l'autre, il est demeuré.

9°. La conjonction que : ce mot est d'un grand usage en françois, M. l'abbé Girard l'appelle conjonction conductive, parce qu'elle sert à conduire le sens à son complément : elle est toûjours placée entre deux idées, dont celle qui précede en fait toûjours attendre une autre pour former un sens, de maniere que l'union des deux est nécessaire pour former une continuité de sens : par exemple, il est important que l'on soit instruit de ses devoirs : cette conjonction est d'un grand usage dans les comparaisons ; elle conduit du terme comparé au terme qu'on prend pour modele ou pour exemple : les femmes ont autant d'intelligence que les hommes, alors elle étoit comparative. Enfin la conjonction que sert encore à marquer une restriction dans les propositions négatives ; par exemple, il n'est fait mention que d'un tel prédicateur, sur quoi il faut observer que l'on présente d'abord une négation, d'où l'on titre la chose pour la présenter dans un sens affirmatif exclusivement à tout autre : Il n'y avoit dans cette assemblée que tel qui eût de l'esprit ; nous n'avons que peu de tems à vivre, & nous ne cherchons qu'à le perdre. M. l'abbé Girard appelle alors cette conjonction restrictive.

Au fond cette conjonction que n'est souvent autre chose que le quod des Latins, pris dans le sens de hoc. Je dis que vous êtes sage, dico quod, c'est-à-dire dico hoc, nempè, vous êtes sage. Que vient aussi quelquefois de quam ou de quantum ou enfin de quot.

Au reste on peut se dispenser de charger sa mémoire des divers noms de chaque sorte de conjonction, parce qu'indépendamment de quelqu'autre fonction qu'il peut avoir, il lie un mot à un autre mot ou un sens à un autre sens, de la maniere que nous l'avons expliqué d'abord : ainsi il y a des adverbes & des prépositions qui sont aussi des conjonctions composés, comme afin que, parce que, à cause que, &c. ce qui est bien différent du simple adverbe & de la simple préposition, qui ne font que marquer une circonstance ou une maniere d'être du nom ou du verbe. (F)

CONJONCTION, en Astronomie, se dit de la rencontre apparente de deux astres ou de deux planetes dans le même point des cieux, ou plûtôt dans le même degré du zodiaque. Voyez PLANETE, PHASE, &c.

Pour que deux astres soient censés en conjonction, il n'est pas nécessaire que leur latitude soit la même ; il suffit qu'ils ayent la même longitude. Voyez LONGITUDE & LATITUDE.

Si deux astres se trouvent dans le même degré de longitude & de latitude ; une ligne droite tirée du centre de la terre, par celui de l'un des astres, passera par le centre de l'autre. La conjonction alors s'appellera conjonction vraie & centrale.

Si la ligne qui passe par le centre des deux astres, ne passe pas par le centre de la terre, on l'appelle conjonction partiale : si les deux corps ne se rencontrent pas précisément dans le même degré de longitude, mais qu'il s'en faille quelque chose, la conjonction est dite apparente. Ainsi lorsqu'une ligne droite, que l'on suppose passer par le centre des deux astres, ne passe pas par le centre de la terre, mais par l'oeil de l'observateur, l'on dit que la conjonction est apparente. Du reste les astronomes se servent assez généralement du mot de conjonction, pour exprimer la situation de deux astres, dont les centres se trouvent avec le centre de la terre dans un même plan perpendiculaire au plan de l'écliptique. Voyez ÉCLIPTIQUE.

On divise aussi les conjonctions en grandes, & en très-grandes. Les grandes conjonctions sont celles qui n'arrivent qu'au bout d'un tems considérable, comme celle de Saturne & de Jupiter, qui arrivent tous les vingt ans.

Les conjonctions très-grandes sont celles, qui arrivent dans des tems extrèmement éloignés ; comme celle des trois planetes supérieures, Mars, Jupiter, & Saturne, qui n'arrive que tous les 500. ans. Cette conjonction est arrivée en 1743 : ces trois planetes furent vûes ensemble, plusieurs mois dans la constellation du lion : mais elles ne se trouverent que successivement à la même longitude, & en opposition avec le soleil ; savoir, Mars le 16 Février, Saturne le 21, & Jupiter le 28 ; ce qui ne fait qu'un intervalle de douze jours, & ce qui arrive très-rarement : l'oeil placé successivement sur chacune de ces planetes, auroit donc vû dans le même ordre trois conjonctions de la terre au soleil. On trouvera dans l'histoire & les mémoires de l'académie de 1743, un plus ample détail sur ce sujet. Au reste on ne se sert que peu ou point de cette distinction des conjonctions, qui n'est fondée que sur des notions imaginaires des prétendues influences des corps célestes, dans tels & tels aspects. Voyez INFLUENCE.

Il est bon de remarquer encore que pour que deux astres soient en conjonction par rapport à la terre, il faut qu'ils se trouvent tous deux d'un même côté par rapport à la terre ; au lieu que dans l'opposition la terre se trouve entre deux. C'est une suite de la définition ci-dessus.

La conjonction est le premier ou le principal des aspects, & celui auquel tous les autres commencent ; comme l'opposition est le dernier, & celui où ils finissent. Voyez ASPECT & OPPOSITION.

Les observations des planetes dans leurs conjonctions sont très-importantes dans l'Astronomie ; ce sont autant d'époques qui servent à déterminer les mouvemens des corps célestes, les routes qu'ils tiennent, & la durée de leur cours.

Les planetes inférieures, savoir Venus & Mercure, ont de deux sortes de conjonctions. L'une arrive lorsque la planete se trouve entre le soleil & la terre, & par conséquent se trouve le plus près de la terre ; on la nomme conjonction inférieure : l'autre arrive quand la planete est le plus éloignée de la terre qu'il est possible, c'est-à-dire que le soleil se trouve entre la terre & elle : on appelle cette conjonction, conjonction supérieure.

La lune se trouve en conjonction avec le soleil tous les mois. Voyez LUNE & MOIS. On appelle ses conjonctions & ses oppositions du nom général de syzygies. Voyez SYZYGIE. Il n'y a jamais d'éclipse de soleil que lorsque sa conjonction avec la lune se fait proche les noeuds de l'écliptique, ou dans ces noeuds même. Voyez ÉCLIPSE. (O)


CONJONCTIVES. f. (Anat.) premiere tunique de l'oeil, autrement nommée albuginée, parce qu'elle forme ce qu'on appelle le blanc de l'oeil qu'elle couvre. Elle s'unit avec les deux paupieres, paroît dans toute son étendue après qu'on a levé les muscles orbiculaires de ces voiles des yeux, & s'avance jusqu'au haut de leurs parties internes. Faisons connoître un peu plus au long son origine, sa structure, & son usage : nous serons courts, & nous dirons tout.

La figure sphérique de nos yeux, & leur connexion libre au bord de l'orbite par le moyen de la conjonctive, leur permet d'être mûs librement de tous côtés, selon la situation de l'objet que nous voulons voir. Cette tunique est mince, blanche dans son état naturel, membraneuse, nerveuse, vasculeuse, lâche, & flexible. Elle prend son origine du périoste qui recouvre les bords de l'orbite, & s'étend sur toute la partie antérieure du globe, jusqu'à l'extrémité de la sclérotique, où elle se joint à la cornée qu'elle couvre d'un tiers de ligne, ou d'une demi-ligne.

Elle est elle-même recouverte extérieurement d'une autre membrane très-fine & très-polie, à laquelle elle est si étroitement adhérente, qu'elles paroissent ne faire ensemble qu'une seule membrane, quoiqu'il y en ait réellement deux distinctes, qu'il est aisé de séparer. L'une d'elles est, comme on l'a dit, une continuation du périoste de l'orbite, & l'autre de la membrane interne des paupieres.

Ces deux membranes sont doüées d'un sentiment exquis, & entre-tissues de quantité de vaisseaux sanguins, lâchement attachés, au point de représenter par leur gonflement dans les violentes ophtalmies sur-tout, le blanc de l'oeil comme une excroissance charnues d'un rouge très-vif.

Ce fait mérite d'être remarqué, non-seulement parce qu'il peut paroître difficile à concevoir à plusieurs personnes, mais même en imposer à un oculiste inattentif ou sans expérience, qui pourroit regarder cette maladie comme une excroissance incurable de la cornée elle-même. M. Woolhouse, à qui cette cruelle inflammation de la conjonctive n'étoit pas inconnue, employoit d'abord les remedes généraux pour la dissiper ; après lesquels il mettoit en pratique de legeres scarifications sur ces vaisseaux, ce qu'il appelloit la saignée de l'oeil ; mais nous n'oserions trop approuver l'usage de ce remede, à cause de la délicatesse de l'organe.

Pour ce qui concerne la legere inflammation de la conjonctive, procédant du simple relâchement de ses vaisseaux sanguins, elle est facile à guérir dans son commencement ; car en bassinant souvent les yeux avec de l'eau fraîche, les vaisseaux resserrés par cette fraîcheur repoussent la partie rouge du sang qui s'y étoit introduite en les dilatant.

Voici quel est l'usage de la conjonctive. 1°. Elle assujettit ou affermit le bulbe de l'oeil, sans diminuer aucunement son extrème mobilité. 2°. Elle empêche que les corps étrangers n'entrent dans l'intérieur de l'oeil. 3°. Elle aide par son poli à rendre insensible la friction des paupieres sur les parties de l'oeil qu'elle couvre. Art. de M. le Ch(D.J.)


CONJONCTURES. f. (Gram.) coexistence dans le tems de plusieurs faits relatifs, à un autre qu'ils modifient, soit en bien, soit en mal ; si les faits étoient coexistans dans la chose, ce seroient des circonstances ; celui qui a profondément examiné la chose en elle-même seulement, en connoîtra toutes les circonstances, mais il pourra n'en pas connoître toutes les conjonctures ; il y a même telle conjoncture qu'il est impossible à un homme de deviner, & réciproquement, tel homme connoîtra parfaitement les conjonctures, qui ne connoîtra pas les circonstances. Voyez l'article CIRCONSTANCE, & le corrigez sur celui-ci, en ajoûtant après ces mots, plus ou moins fâcheux, ceux-ci, plus ou moins agréable : les conjonctures, seroient, s'il étoit permis de parler ainsi, les circonstances du tems, & les circonstances seroient les conjonctures de la chose.


CONJUGAISONS. f. terme de Grammaire, conjugatio : ce mot signifie jonction, assemblage. R conjungere. La conjugaison est un arrangement suivi de toutes les terminaisons d'un verbe, selon les voix, les modes, les tems, les nombres, & les personnes ; termes de Grammaire qu'il faut d'abord expliquer.

Le mot voix est pris ici dans un sens figuré : on personnifie le verbe, on lui donne une voix, comme si le verbe parloit ; car les hommes pensent de toutes choses par ressemblance à eux-mêmes ; ainsi la voix est comme le ton du verbe. On range toutes les terminaisons des verbes en deux classes différentes ; 1°. les terminaisons, qui font connoître que le sujet de la proposition fait une action, sont dites être de la voix active, c'est-à-dire que le sujet est considéré alors comme agent ; c'est le sens actif : 2°. toutes celles qui sont destinées à indiquer que le sujet de la proposition est le terme de l'action qu'un autre fait, qu'il en est le patient, comme disent les Philosophes, ces terminaisons sont dites être de la voix passive, c'est-à-dire que le verbe énonce alors un sens passif. Car il faut observer que les Philosophes & les Grammairiens se servent du mot pâtir, pour exprimer qu'un objet est le terme ou le but d'une action agréable ou desagréable qu'un autre fait, ou du sentiment qu'un autre a : aimer ses parens, parens sont le terme ou l'objet du sentiment d'aimer. Amo, j'aime, amavi, j'ai aimé, amabo, j'aimerai, sont de la voix active ; au lieu que amor, je suis aimé, amabar, j'étois aimé, amabor, je serai aimé, sont de la voix passive. Amans, celui qui aime, est de la voix active ; mais amatus, aimé, est de la voix passive. Ainsi de tous les termes dont on se sert dans la conjugaison, le mot voix est celui qui a le plus d'étendue ; car il se dit de chaque mot, en quelque mode, tems, nombre ou personne que ce puisse être.

Les Grecs ont encore la voix moyenne. Les Grammairiens disent que le verbe moyen a la signification active & passive, & qu'il tient une espece de milieu entre l'actif & le passif : mais comme la langue grecque est une langue morte, peut-être ne connoit-on pas aussi-bien que l'on croit la voix moyenne.

Par modes on entend les différentes manieres d'exprimer l'action. Il y a quatre principaux modes, l'indicatif, le subjonctif, l'impératif, & l'infinitif, auxquels en certaines langues on ajoûte l'optatif.

L'indicatif énonce l'action d'une maniere absolue, comme j'aime, j'ai aimé, j'avois aimé, j'aimerai ; c'est le seul mode qui forme des propositions, c'est-à-dire qui énonce des jugemens ; les autres modes ne font que des énonciations. Voyez ce que nous disons à ce sujet au mot CONSTRUCTION, où nous faisons voir la différence qu'il y a entre une proposition & une simple énonciation.

Le subjonctif exprime l'action d'une maniere dépendante, subordonnée, incertaine, conditionnelle, en un mot d'une maniere qui n'est pas absolue, & qui suppose toûjours un indicatif : quand j'aimerois, afin que j'aimasse ; ce qui ne dit pas que j'aime, ni que j'aye aimé.

L'optatif que quelques grammairiens ajoûtent aux modes que nous avons nommés, exprime l'action avec la forme de desir & de souhait : plût-à-Dieu qu'il vienne. Les Grecs ont des terminaisons particulieres pour l'optatif. Les Latins n'en ont point ; mais quand ils veulent énoncer le sens de l'optatif, ils empruntent les terminaisons du subjonctif, auxquelles ils ajoûtent la particule de desir utinam, plût-à-Dieu que. Dans les langues où l'optatif n'a point de terminaisons qui lui soient propres, il est inutile d'en faire un mode séparé du subjonctif.

L'impératif marque l'action avec la forme de commandement, ou d'exhortation, ou de priere ; prens, viens, va donc.

L'infinitif énonce l'action dans un sens abstrait, & n'en fait par lui-même aucune application singuliere, & adaptée à un sujet ; aimer, donner, venir ; ainsi il a besoin, comme les prépositions ; les adjectifs, &c. d'être joint à quelqu'autre mot, afin qu'il puisse faire un sens singulier & adapté.

A l'égard des tems, il faut observer que toute action est relative à un tems, puisqu'elle se passe dans le tems. Ces rapports de l'action au tems sont marqués en quelques langues par des particules ajoûtées au verbe. Ces particules sont les signes du tems ; mais il est plus ordinaire que les tems soient désignés par des terminaisons particulieres, au moins dans les tems simples : tel est l'usage en grec, en latin, en françois, &c.

Il y a trois tems principaux ; 1°. le présent, comme amo, j'aime ; 2°. le passé ou prétérit, comme amavi, j'ai aimé ; 3°. l'avenir ou futur, comme amabo, j'aimerai.

Ces trois tems sont des tems simples & absolus, auxquels on ajoûte les tems relatifs & combinés, comme je lisois quand vous êtes venu, &c. Voyez TEMS, terme de Grammaire.

Les nombres. Ce mot, en terme de Grammaire, se dit de la propriété qu'ont les terminaisons des noms & celles des verbes, de marquer si le mot doit être entendu d'une seule personne, ou si on doit l'entendre de plusieurs, Amo, amas, amat, j'aime, tu aimes, il aime ; chacun de ces trois mots est au singulier : amamus, amatis, amant, nous aimons, vous aimez, ils aiment ; ces trois derniers mots sont au pluriel, du-moins selon leur premiere destination ; car dans l'usage ordinaire on les employe aussi au singulier : c'est ce qu'un de nos grammairiens appelle le singulier de politesse. Il y a aussi un singulier d'autorité ou d'emphase ; nous voulons, nous ordonnons.

A ces deux nombres les Grecs en ajoûtent encore un troisieme, qu'ils appellent duel : les terminaisons du duel sont destinées à marquer qu'on ne parle que de deux.

Enfin il faut savoir ce qu'on entend par les personnes grammaticales ; & pour cela il faut observer que tous les objets qui peuvent faire la matiere du discours sont 1°. ou la personne qui parle d'elle-même ; amo, j'aime.

2°. Ou la personne à qui l'on adresse la parole ; amas, vous aimez.

3°. Ou enfin quelqu'autre objet qui n'est ni la personne qui parle, ni celle à qui on parle ; rex amat populum, le roi aime le peuple.

Cette considération des mots selon quelqu'une de ces trois vûes de l'esprit, a donné lieu aux Grammairiens de faire un usage particulier du mot de personne par rapport au discours.

Ils appellent premiere personne celle qui parle, parce que c'est d'elle que vient le discours.

La personne à qui le discours s'adresse est appellée la seconde personne.

Enfin la troisieme personne, c'est tout ce qui est considéré comme étant l'objet dont la premiere personne parle à la seconde.

Voyez combien de sortes de vûes de l'esprit sont énoncées en même tems par une seule terminaison ajoûtée aux lettres radicales du verbe : par exemple, dans amare, ces deux lettres a, m, sont les radicales ou immuables ; si à ces deux lettres j'ajoûte o, je forme amo. Or en disant amo, je fais connoître que je juge de moi, je m'attribue le sentiment d'aimer ; je marque donc en même tems la voix, le mode, le tems, le nombre, la personne.

Je fais ici en passant cette observation, pour faire voir qu'outre la propriété de marquer la voix, le mode, la personne, &c. & outre la valeur particuliere de chaque verbe, qui énonce ou l'essence, ou l'existence, ou quelqu'action, ou quelque sentiment, &c. le verbe marque encore l'action de l'esprit qui applique cette valeur à un sujet, soit dans les propositions, soit dans les simples énonciations ; & c'est ce qui distingue le verbe des autres mots, qui ne sont que de simples dénominations. Mais revenons au mot conjugaison.

On peut aussi regarder ce mot comme un terme métaphorique tiré de l'action d'atteler les animaux sous le joug, au même char & à la même charrue ; ce qui emporte toûjours l'idée d'assemblage, de liaison, & de jonction. Les anciens Grammairiens se sont servis indifféremment du mot de conjugaison, & de celui de déclinaison, soit en parlant d'un verbe, soit en parlant d'un nom : mais aujourd'hui on employe declinatio & declinare, quand il s'agit des noms ; & on se sert de conjugatio & de conjugare, quand il est question des verbes.

Les Grammairiens de chaque langue ont observé qu'il y avoit des verbes qui y énonçoient les modes, les tems, les nombres, & les personnes, par certaines terminaisons, & que d'autres verbes de la même langue avoient des terminaisons toutes différentes, pour marquer les mêmes modes, les mêmes tems, les mêmes nombres, & les mêmes personnes : alors les Grammairiens ont fait autant de classes différentes de ces verbes, qu'il y a de variétés entre leurs terminaisons, qui malgré leurs différences, ont cependant une égale destination par rapport au tems, au nombre, & à la personne. Par exemple, amo, amavi, amatum, amare ; j'aime, j'ai aimé, aimé, aimer ; moneo, monui, monitum, monere, avertir ; lego, legi, lectum, legere, lire ; audio, audivi, auditum audire, entendre. Ces quatres sortes de terminaisons différentes entr'elles, énoncent également des vûes de l'esprit de même espece : amavi, j'ai aimé ; monui, j'ai averti ; legi, j'ai lû ; audivi, j'ai entendu : vous voyez que ces différentes terminaisons marquent également la premiere personne au singulier & au tems passé de l'indicatif ; il n'y a de différence que dans l'action que l'on attribue à chacune de ces premieres personnes, & cette action est marquée par les lettres radicales du verbe, am, mon, leg, aud.

Parmi les verbes latins, les uns ont leurs terminaisons semblables à celles d'amo, les autres à celles de moneo, d'autres à celles d'audio. Ce sont ces classes différentes que les Grammairiens ont appellées conjugaisons. Ils ont donné un paradigme, , exemplar, c'est-à-dire un modele à chacune de ces différentes classes ; ainsi amare est le paradigme de vocare, de nuntiare, & de tous les autres verbes terminés en are : c'est la premiere conjugaison.

Monere doit être le paradigme de la seconde conjugaison, selon les rudimens de la méthode de P. R. à cause de son supin monitum ; parce qu'en effet, il y a dans cette conjugaison un plus grand nombre de verbes qui ont leur supin terminé en itum, qu'il n'y en a qui le terminent comme doctum.

Legere est le paradigme de la troisieme conjugaison ; & enfin audire l'est de la quatrieme.

A ces quatre conjugaisons des verbes latins, quelques grammairiens pratiques en ajoûtent une cinquieme qu'ils appellent mixte, parce qu'elle est composée de la troisieme & de la quatrieme ; c'est celle des verbes en ere, io ; ils lui donnent accipere, accipio pour paradigme ; il y a en effet dans ces verbes des terminaisons qui suivent legere, & d'autres audire. On dit audior, audiris, au lieu qu'on dit accipior, acciperis, comme legeris, & l'on dit accipiuntur, comme audiuntur, &c.

Ceux des verbes latins qui suivent quelqu'un de ces paradigmes sont dits être réguliers, & ceux qui ont des terminaisons particulieres, sont appellés anomaux, c'est-à-dire irréguliers, (R. privatif, & , regle) comme fero, fers, fert ; volo, vis, vult, &c. on en fait des listes particulieres dans les rudimens ; d'autres sont seulement défectifs, c'est-à-dire qu'ils manquent ou de prétérit ou de supin, ou de quelque mode, ou de quelque tems, ou de quelque personne, comme oportet, poenitet, pluit, &c.

Un très-grand nombre de verbes s'écartent de leur paradigme, ou à leur prétérit, ou à leur supin ; mais ils conservent toûjours l'analogie latine ; par exemple, sonare fait au prétérit sonui, plûtôt que sonavi ; dare fait dedi, & non pas davi, &c. On se contente d'observer ces différences, sans pour cela regarder ces verbes comme des verbes anomaux. Au reste ces irrégularités apparentes viennent de ce que les Grammairiens n'ont pas rapporté ces prétérits à leur véritable origine ; car sonui vient de sonere, de la troisieme conjugaison, & non de sonare : dedi est une syncope de dedidi prétérit de dedere. Tuli, latum, ne viennent point de fero. Tuli qu'on prononçoit touli, vient de tollo ; sustuli vient de sustulo ; & latum vient de par syncope de , suffero, sustineo.

L'auteur du Novitius dit que latum vient du prétendu verbe inusité, lare, lo, mais il n'en rapporte aucune autorité. Voyez VOSSIUS, de art. gramm. t. II. p. 1. 150.

C'est ainsi que fui ne vient pas du verbe sum : nous avons de pareilles pratiques en françois : je vas, j'ai été, j'irai, ne viennent point d'aller. Le premier vient de vadere, le second de l'italien stato, & le troisieme du latin ire.

S'il eût été possible que les langues eussent été le résultat d'une assemblée générale de la nation, & qu'après bien des discussions & des raisonnemens, les philosophes y eussent été écoutés & eussent eu voix délibérative ; il est vraisemblable qu'il y auroit eu plus d'uniformité dans les langues. Il n'y auroit eu, par exemple, qu'une seule conjugaison & un seul paradigme, pour tous les verbes d'une langue ; mais comme les langues n'ont été formées que par une sorte de métaphysique d'instinct & de sentiment, s'il est permis de parler ainsi ; il n'est pas étonnant qu'on n'y trouve pas une analogie bien exacte, & qu'il y ait des irrégularités : par exemple, nous désignons la même vûe de l'esprit par plus d'une maniere ; soit que la nature des lettres radicales qui forment un mot, amene cette différence, ou par la seule raison du caprice & d'un usage aveugle ; ainsi nous marquons la premiere personne au singulier, quand nous disons j'aime ; nous désignons aussi cette premiere personne en disant je finis, ou bien je reçois, ou je prends, &c. Ce sont ces différentes sortes de terminaisons auxquelles les verbes sont assujettis dans une langue, qui font les différentes conjugaisons, comme nous l'avons déjà observé. Il y a des langues où les différentes vûes de l'esprit sont marquées par des particules, dont les unes précedent & d'autres suivent les radicales : qu'importe comment, pourvû que les vûes de l'esprit soient distinguées avec netteté, & que l'on apprenne par usage à connoître les signes de ces distinctions ?

Parmi les auteurs qui ont composé des grammaires pour la langue hébraïque, les uns comptent sept conjugaisons, d'autres huit : Masclef n'en veut que cinq, & il ajoûte qu'à parler exactement ces cinq devroient être réduites à trois. Quinque illae, accurate loquendo, ad tres essent reducendae. Gramm. Hebraïc. ch. jv. n. 4. p. 79. édit. 2.

Nous nous contenterons d'observer ici que les verbes hébreux ont voix active & voix passive. Ils ont deux nombres, le singulier & le pluriel ; ils ont trois personnes, & en conjuguant on commence par la troisieme personne, parce que les deux autres sont formées de celle-là, par l'addition de quelques lettres.

En hébreu, les verbes ont trois genres, comme les noms, le genre masculin, le féminin, & le genre commun ; ensorte que l'on connoît par la terminaison du verbe, si l'on parle d'un nom masculin, ou d'un nom féminin ; mais dans tous les tems la premiere personne est toûjours du genre commun. Au reste les Hébreux n'ont point de genre neutre ; mais lorsque la même terminaison sert également pour le masculin ou pour le feminin, on dit que le mot est du genre commun ; c'est ainsi que l'on dit en latin, hic adolescens, ce jeune homme, & haec adolescens, cette jeune fille ; civis bonus, bon citoyen, & civis bona, bonne citoyenne ; & c'est ainsi que nous disons, sage, utile, fidele, tant au masculin qu'au féminin ; on pourroit dire aussi que dans les autres langues, telles que le grec, le latin, le françois, &c. toutes les terminaisons des verbes dans les tems énoncés par un seul mot sont du genre commun ; ce qui ne signifieroit autre chose sinon qu'on se sert également de chacune de ces terminaisons, soit qu'on parle d'un nom masculin ou d'un nom féminin.

Les Grecs ont trois especes de verbes par rapport à la conjugaison ; chaque verbe est rapporté à son espece suivant la terminaison du thême. On appelle thême, en termes de grammaire grecque, la premiere personne du présent de l'indicatif. Ce mot vient de pono, parce que c'est de cette premiere personne que l'on forme les autres tems ; ainsi l'on pose d'abord, pour ainsi dire, ce présent, afin de parvenir aux formations régulieres des autres tems.

La premiere espece de conjugaison est celle des verbes qu'on appelle barytons, de , grave, & de , ton, accent, parce que ces verbes étoient prononcés avec l'accent grave sur la derniere syllabe ; & quoique aujourd'hui cet accent ne se marque point, on les appelle pourtant toûjours barytons : tendo, verbero, sont des verbes barytons.

2. La seconde sorte de conjugaison, est celle des verbes circonflexes : ce sont des verbes barytons qui souffrent contraction en quelques-unes de leurs terminaisons, & alors ils sont marqués d'un accent circonflexe ; par exemple amo, est le baryton, & le circonflexe.

Les barytons & les circonflexes sont également terminés en à la premiere personne du présent de l'indicatif.

3. La troisieme espece de verbes grecs, est celle des verbes en , parce qu'en effet ils sont terminés en , sum.

Il y a six conjugaisons des verbes barytons ; elles ne sont distinguées entr'elles que par les lettres qui précedent la terminaison.

On distingue trois conjugaisons de verbes circonflexes : la premiere est des barytons en : la seconde de ceux en , & la troisieme de ceux en : ces trois sortes de verbes deviennent circonflexes par la contraction en .

On distingue quatre conjugaisons des verbes en ; & ces quatre jointes à celles des verbes barytons, & à celles des circonflexes, cela fait treize conjugaisons dans les verbes grecs.

Tel est le système commun des Grammairiens ; mais la méthode de P. R. réduit ces treize conjugaisons à deux : l'une des verbes en qu'elle divise en deux especes : 1. celle des verbes qui se conjuguent sans contraction, & ce sont les barytons : 2. celle de ceux qui sont conjugués avec contraction, & alors ils sont appellés circonflexes. L'autre conjugaison des verbes grecs est celle des verbes en .

Il y a quatre observations à faire pour bien conjuguer les verbes grecs : 1. il faut observer la terminaison. Cette terminaison est marquée ou par une simple lettre, ou par plus d'une lettre.

2. La figurative, c'est-à-dire, la lettre qui précede la terminaison ; on l'appelle aussi caractéristique, ou lettre de marque. On doit faire une attention particuliere à cette lettre 1. au présent, 2. au prétérit parfait, 3. & au futur de l'indicatif actif ; parce que c'est de ces trois tems que les autres sont formés. La subdivision des conjugaisons, & la distinction des tems des verbes, se tire de cette lettre figurative, ou caractéristique.

3. La voyelle, ou la diphthongue qui précede la terminaison.

4. Enfin, il faut observer l'augment. Les lettres que l'on ajoûte avant la premiere syllabe du thême du verbe, ou le changement qui se fait au commencement du verbe, lorsqu'on change une breve en une longue, est ce qu'on appelle augment ; ainsi il y a deux sortes d'augments. 1. L'augment syllabique qui se fait en certains tems des verbes qui commencent par une consonne, par exemple, , verbero, est le thême sans augment ; mais dans , verberabam, est l'augment syllabique, qui ajoûte une syllabe de plus à .

2. L'augment temporel se fait dans les verbes qui commencent par une voyelle breve, que l'on change en une longue, par ex. , traho, , trahebam.

Ainsi non seulement les verbes grecs ont des terminaisons différentes, comme les verbes latins ; mais de plus, ils ont l'augment qui se fait en certains tems, & au commencement du mot.

Voilà une premiere différence entre les verbes grecs, & les verbes latins.

2. Les Grecs ont un mot de plus ; c'est l'optatif, qui en grec a des terminaisons particulieres, différentes de celles du subjonctif ; ce qui n'est pas en latin.

3. Les verbes grecs ont le duel, au lieu qu'en latin ce nombre est confondu avec le pluriel. Les Grecs ont un plus grand nombre de tems ; ils ont deux aoristes, deux futurs, & un paulò-post futur dans le sens passif, à quoi les Latins suppléent par des adverbes.

5. Enfin les Grecs n'ont ni supins, ni gérondifs proprement dits ; mais ils en sont bien dédommagés par les différentes terminaisons de l'infinitif, & par les différens participes. Il y a un infinitif pour le tems présent, un autre pour le futur premier, un autre pour le futur second, un pour le premier aoriste, un pour le second, un pour le prétérit parfait ; enfin il y en a un pour le paulò-post futur, & de plus il y a autant de participes particuliers pour chacun de ces tems-là.

Dans la langue allemande, tous les verbes sont terminés en en à l'infinitif, si vous en exceptez seyn, être, dont l'e se confond avec l'y. Cette uniformité de terminaison des verbes à l'infinitif, a fait dire aux Grammairiens, qu'il n'y avoit qu'une seule conjugaison en allemand ; ainsi il suffit de bien savoir le paradigme ou modele sur lequel on conjugue à la voix active, tous les verbes réguliers, & ce paradigme, c'est lieben, aimer ; car telle est la destination des verbes qui expriment ce sentiment, de servir de paradigme en presque toutes les langues : on doit ensuite avoir des listes de tous les verbes irréguliers.

J'ai dit que lieben étoit le modele des verbes à la voix active ; car les Allemands n'ont point de verbes passifs en un seul mot : tel est aussi notre usage, & celui de nos voisins ; on se sert d'un verbe auxiliaire auquel on joint ou le supin qui est indéclinable, ou le participe qui se décline.

Les Allemands ont trois verbes auxiliaires ; haben, avoir ; seyn, être ; werden, devenir. Ce dernier sert à former le futur de tous les verbes actifs ; il sert aussi à former tous les tems des verbes passifs, conjointement avec le participe du verbe ; surquoi il faut observer qu'en allemand, ce participe ne change jamais, ni pour la différence des genres, ni pour celle des nombres ; il garde toûjours la même terminaison.

A l'égard de l'anglois, la maniere de conjuguer les verbes de cette langue n'est point analogue à celle des autres langues : je ne sai si elle est aussi facile qu'on le dit pour un étranger qui ne se contente pas d'une simple routine, & qui veut avoir une connoissance raisonnée de cette maniere de conjuguer. Wallis, qui étoit anglois, dit que comme les verbes anglois ne varient point leur terminaison, la conjugaison qui fait, dit-il, une si grande difficulté dans les autres langues, est dans la sienne une affaire très-aisée, & qu'on en vient fort aisément à bout, avec le secours de quelques mots ou verbes auxiliaires. Verborum flexio seu conjugatio, quae in reliquis linguis maximam sortitur difficultatem, apud anglos levissimo negotio peragitur... verborum aliquot auxiliarium adjumento ferè totum opus perficitur. Wallis, gramm. ling. Ang. ch. viij. de verbo.

C'est à ceux qui étudient cette langue à décider cette question par eux-mêmes.

Chaque verbe anglois semble faire une classe à part ; la particule prépositive to, est comme une espece d'article destiné à marquer l'infinitif ; desorte qu'un nom substantif devient verbe, s'il est précédé de cette particule : par exemple, murder, veut dire meurtre, homicide ; mais to murder, signifie tuer : lift, effort ; to lift, enlever : love, amour, amitié, affection ; to love, aimer, &c. Ces noms substantifs qui deviennent ainsi verbes, sont la cause de la grande différence qui se trouve dans la terminaison des infinitifs ; on peut observer presque autant de terminaisons différentes à l'infinitif, qu'il y a de lettres à l'alphabet, a, b, c, d, e, f, g, &c. to flea, écorcher ; to rob, voler, dérober ; to find, trouver ; to love, aimer ; to quaff, boire à longs traits ; to jog, secoüer, pousser ; to cath, prendre, saisir ; to thank, remercier ; to call, appeller ; to lam, battre, frapper ; to run, courir ; to help, aider ; to wear, porter ; to toss, agiter ; to rest, se reposer ; to know, savoir ; to box, battre à coups de poing ; to marry, marier, se marier.

Ces infinitifs ne se conjuguent pas par des changemens de terminaison, comme les verbes des autres langues ; la terminaison de ces infinitifs ne change que très-rarement. Ils ont deux participes ; un participe présent toûjours terminé en ing, having, ayant, being, étant ; & un participe passé terminé ordinairement en ed ou 'd, loved, aimé : mais ces participes n'ont guere d'analogie avec les nôtres ; ils sont indéclinables, & sont plûtôt des noms verbaux qui se prennent tantôt substantivement & tantôt adjectivement : ils énoncent l'action dans un sens abstrait ; par exemple, your marrying signifie votre marier, l'action de vous marier plûtôt que votre mariant. Coming est le participe présent de to come, arriver, & signifie l'action d'arriver, de venir, ce que notre participe arrivant ne rend point. Les Anglois disent his coming, son arrivée, sa venue, son action d'arriver, & l'idée qu'ils ont alors dans l'esprit, n'a pas la même forme que celle de la pensée que nous avons quand nous disons venant, arrivant. C'est de la différence du tour, de l'imagination, ou de la différente maniere dont l'esprit est affecté, que l'on doit tirer la différence des idiomes & du génie des langues.

C'est avec l'infinitif & avec les deux noms verbaux ou participes dont nous venons de parler, que l'on conjugue les verbes anglois, par le secours de certains mots & de quelques verbes auxiliaires. Ces verbes sont proprement les seuls verbes. Ces auxiliaires sont to have, avoir ; to be, être ; to do, faire, & quelques autres. Les personnes se marquent par les pronoms personnels i, je ; thou, tu ; he, il ; she, elle : & au pluriel, we, nous ; you, vous ; they, ils ou elles, sans que cette différence de pronoms apporte quelque changement dans la terminaison du nom verbal que l'on regarde communément comme verbe.

Les grammaires que l'on a faites jusqu'ici pour nous apprendre l'Anglois, du moins celles dont j'ai eu connoissance, ne m'ont pas paru propres pour nous donner une idée juste de la maniere de conjuguer des Anglois. On rend l'anglois par un équivalent françois, qui ne donne pas l'idée juste du tour littéral anglois, ce qui est pourtant le point que cherchent ceux qui veulent apprendre une langue étrangere ; par exemple, i do dine, on traduit je dîne ; thou dost dine, tu dînes ; he does dine, il dîne. i, marque la premiere personne ; do, veut dire faire ; & dine, dîner : il faudroit donc traduire, je ou moi faire dîner, tu fais dîner, il ou lui fait dîner. Et de même there is, on traduit au singulier, il y a ; there, est un adverbe qui veut dire là, & is est la troisieme personne du singulier du présent du verbe irrégulier to be, être, & are sert pour les trois personnes du pluriel ; ainsi il falloit traduire there is, là est, & there are, là sont, & observer que nous disons en françois, il y a.

Le sens passif s'exprime en anglois, comme en allemand & en françois, par le verbe substantif, avec le participe du verbe dont il s'agit, i am loved, je suis aimé.

Pour se familiariser avec la langue angloise, on doit lire souvent les listes des verbes irréguliers qui se trouvent dans les grammaires, & regarder chaque mot d'un verbe comme un mot particulier, qui a une signification propre ; par exemple, i am, je suis ; thou art, tu es ; he is, il est : we are, nous sommes ; ye are, vous êtes ; they are, ils sont, &c. Je regarde chacun de ces mots-là avec la signification particuliere, & non comme venant d'un même verbe. Am, signifie suis, comme sun signifie soleil, ainsi des autres.

Les Espagnols ont trois conjugaisons, qu'ils distinguent par la terminaison de l'infinitif. Les verbes dont l'infinitif est terminé en ar, font la premiere conjugaison : ceux de la seconde se terminent en er : enfin ceux de la troisieme en ir.

Ils ont quatre auxiliaires, haver, tener, ser & estar. Les deux premiers servent à conjuguer les verbes actifs, les neutres & les réciproques : ser & estar sont destinés pour la conjugaison des verbes passifs.

La maniere de conjuguer des Espagnols, est plus analogue que la nôtre à la maniere des Latins. Leurs verbes ne sont précédés des pronoms personnels, que dans les cas où ces pronoms seroient exprimés en latin par la raison de l'énergie ou de l'opposition. Cette suppression des pronoms vient de ce que les terminaisons espagnoles font assez connoître les personnes.

Ce n'est pas ici le lieu de suivre toute la conjugaison, ce détail ne convient qu'aux grammaires particulieres ; je n'ai voulu que donner ici une idée du génie de chacune des langues dont je parle par rapport à la conjugaison.

Les Italiens, dont tous les mots, si l'on en excepte quelques prépositions ou monosyllabes, finissent par une voyelle, n'ont que trois conjugaisons comme les Espagnols. La premiere est en are, la seconde en re long ou en re bref, & la troisieme en ire.

On doit avoir des listes particulieres de toutes les terminaisons de chaque conjugaison réguliere, rangées par modes, tems, nombres & personnes ; ensorte qu'en mettant les lettres radicales devant les terminaisons, on conjugue facilement tout verbe régulier. On a ensuite des listes pour les irréguliers, sur quoi on peut consulter la méthode italienne de Veneroni, in -4°. 1688.

A l'égard du françois, il faut d'abord observer que tous nos verbes sont terminés à l'infinitif ou en er, ou en ir ou en oir, ou en re, ainsi ce seul mot technique er-ir-oir-re, énonce par chacune de ces syllabes chacune de nos quatre conjugaisons générales.

Ces quatre conjugaisons générales sont ensuite subdivisées en d'autres à cause des voyelles, ou des diphthongues, ou des consonnes qui précedent la terminaison générale ; par exemple, er est une terminaison générale, mais si er est précédé du son mouillé foible, comme dans envo-yer, ennu-yer, ce son apporte quelques différences dans la conjugaison ; il en est de même dans re, ces deux lettres sont quelquefois précédées de consonnes, comme dans vaincre, rendre, battre, &c.

Je crois que plûtôt que de fatiguer l'esprit & la mémoire de regles, il vaut mieux donner une paradigme de chacune de ces quatre conjugaisons générales, & mettre ensuite au-dessus une liste alphabétique des verbes que l'usage a exceptés de la regle.

Je crois aussi que l'on peut s'épargner la peine de se fatiguer après les observations que les Grammairiens ont faites sur les formations des tems ; la seule inspection du paradigme donne lieu à chacun de faire ses remarques sur ce point.

D'ailleurs les Grammairiens ne s'accordent point sur ces formations. Les uns commencent par l'infinitif : il y en a qui tirent les formations de la premiere personne du présent de l'indicatif : d'autres de la seconde, &c. l'essentiel est de bien connoître la signification, l'usage & le service d'un mot. Amusez-vous ensuite tant qu'il vous plaira à observer les rapports de filiation ou de paternité que ce mot peut avoir avec d'autres. Nous croyons pouvoir nous dispenser ici de ce détail, que l'on trouvera dans les grammaires françoises. (F)

CONJUGAISON, en Anatomie, s'entend d'une paire de nerfs ou de deux nerfs, ayant la même origine & servant à la même opération de sentiment ou de mouvement, n'y ayant presqu'aucun nerf qui n'ait son semblable. Voyez NERF.

Les anciens Médecins ne connoissent que sept paires ou conjugaisons de nerfs ; les modernes en ont découvert quarante. Voyez NERF. Chambers. (L)


CONJUGUÉadj. Dans les sections coniques on appelle diametres conjugués, ceux qui sont réciproquement paralleles à leurs tangentes au sommet. V. DIAMETRE, SECTION CONIQUE.

Axe conjugué, est le nom que plusieurs auteurs donnent au plus petit des diametres ou au petit axe d'une ellipse. Voyez ELLIPSE.

Il est démontré 1°. que dans une ellipse le quarré de l'axe conjugué est au quarré de l'axe transverse, comme le quarré de la demi-ordonnée à l'axe conjugué est au rectangle des segmens de cet axe : 2°. que toute ligne droite tirée du foyer aux extrémités du demi axe conjugué, est égale au demi-axe transverse. De-là il suit que les deux axes étant donnés, on a aussi-tôt les foyers, par le moyen desquels il est aisé ensuite de tracer l'ellipse. Voyez FOYER.

L'axe conjugué dans une ellipse ou hyperbole, est le moyen proportionnel entre l'axe transverse & le parametre. Voyez HYPERBOLE, AXE TRANSVERSE, PARAMETRE.

Ovale conjuguée, dans la haute Géométrie, se dit d'une ovale qui appartient à une courbe, & qui se trouve placée sur le plan de cette courbe, de maniere qu'elle est comme isolée & séparée des autres branches ou portions de la courbe. On trouve de ces sortes d'ovales dans les courbes du second genre ou lignes du troisieme ordre, comme M. Newton l'a remarqué. Quelques-unes de ces courbes sont composées de plusieurs branches infinies, telles qu'on les voit (fig. 43. analyse), & d'une ovale A séparée des autres branches, & placée dans le plan de la courbe.

Il y a des cas où l'ovale A se réduit à un seul point, & cette ovale s'appelle alors point conjugué.

Quelquefois l'ovale conjuguée touche la courbe, & le point conjugué y est adhérent.

M. l'abbé de Gua, dans son livre qui a pour titre usages de l'analyse de Descartes, remarque & prouve que la courbe appellée cassinoïde ou ellipse de M. Cassini, doit dans certains cas être composée de deux ovales conjuguées, telles que A, B, (fig. 44. analyse) distantes l'une de l'autre, & que ces ovales peuvent même se réduire chacune à un seul point conjugué, ensorte que la courbe dont il s'agit n'aura alors d'ordonnées réelles que dans deux de ses points, & se réduira par conséquent à deux points conjugués uniques & isolés, placés à une certaine distance l'un de l'autre sur le plan de la courbe.

Pour qu'une courbe se réduise à un point conjugué, il faut que la valeur de y en x soit telle, que cette valeur ne soit réelle que quand x a elle-même une certaine valeur déterminée ; par exemple, la courbe dont l'équation seroit y y + x x = 0, ou y = , se réduit à un point conjugué ; car c'est l'équation d'un cercle dont le rayon est nul ou zero ; ce cercle se réduit donc à un point. La valeur de y est nulle lorsque x = 0, & imaginaire si x est réelle.

Ceux qui ont peu réflechi sur la nature des lignes courbes, entant qu'elle est représentée par des équations, trouveront d'abord fort extraordinaires ces ovales & ces points conjugués, isolés & séparés du reste de la courbe. Comme les courbes les plus familieres & les plus connues n'en ont point, savoir le cercle, les sections coniques, la conchoïde, &c. & que ces différentes courbes se décrivent ou peuvent se décrire par un mouvement continu ; ces autres courbes dont les parties sont pour ainsi dire détachées, paroissent d'abord fort singulieres ; cependant on pourroit observer que l'hyperbole nous fournit en quelque maniere un exemple de ces courbes, dont les parties sont détachées ; car les deux hyperboles opposées paroissent n'avoir entr'elles rien de commun, & appartiennent pourtant à une seule & même courbe.

Tout ce mystere prétendu disparoîtra, si on fait réflexion qu'une courbe représentée par une équation, n'est proprement que le lieu des différens points qui peuvent servir à résoudre un problème indéterminé ; que les ordonnées qui répondent aux différentes valeurs de x, ne sont autre chose que les valeurs de y, qu'on auroit en résolvant séparément cette équation par chaque valeur de x ; & que si la valeur de x est telle que l'y correspondante soit imaginaire, l'ordonnée sera imaginaire ; qu'ainsi un point conjugué dans une courbe ne signifie autre chose sinon que la valeur de x qui répond à ce point conjugué, donne une valeur réelle pour y, & que si on prend x un peu plus grande ou un peu plus petite, la valeur de y sera imaginaire ; ce qui n'a plus rien de merveilleux. C'est ainsi qu'avec des idées nettes & précises, on peut ôter à bien des vérités certain air paradoxe que quelques savans ne sont pas fâchés de leur donner, & qui en fait souvent tout le mérite. (O)

CONJUGUE, se dit aussi, en Botanique, des feuilles ou autres parties qui partent d'un même endroit de la plante, & qui s'en vont en divergeant l'une d'un côté l'autre de l'autre.

CONJUGUEES. (Hyperboles) On appelle ainsi deux hyperboles opposées, que l'on décrit dans l'angle vuide des asymptotes des hyperboles opposées, & qui ont les mêmes asymptotes que ces hyperboles, & le même axe, avec cette seule différence, que l'axe transverse des opposées est le second axe des conjuguées, & réciproquement.

Quelques géometres se sont imaginés que le système des hyperboles conjuguées & des hyperboles opposées formoit un seul & même système de courbes, mais ils étoient dans l'erreur. Prenons pour exemple, les hyperboles opposées équilateres. L'équation est y y = x x - a a, d'où l'on voit que x < adonne y imaginaire ; & qu'ainsi dans l'angle des asymptotes, autre que celui où sont les hyperboles opposées, on ne peut tracer de courbes qui appartiennent au même système ; car alors x < adonneroit y réel. On peut encore s'assûrer sans calcul, que les hyperboles conjuguées & les hyperboles opposées, ne forment point un même système, parce que l'on trouve bien dans un cône & dans son opposé les hyperboles opposées, mais jamais les conjuguées. Mais, dira-t-on, si je formois cette équation 2 - a4 = 0, cette équation représenteroit le système des quatre hyperboles ; car on auroit y y - x x = + a a ; & y = + , y = + , d'où l'on voit aisément que les deux premieres valeurs de y représentent les hyperboles opposées, & les deux autres les hyperboles conjuguées ; ainsi, conclura-t-on, le système des hyperboles conjuguées & opposées appartiennent à une même courbe, dont l'équation est 2 - a4 = 0. Mais il faut remarquer que cette équation se divise en deux autres, y y - x x + a a = 0, y y - x x - a a = 0 ; & qu'une équation n'appartient jamais à un seul & même système de courbes, que lorsqu'elle ne peut se diviser en deux autres équations rationnelles. Ainsi y y - a a = 0, ne représente point un seul & même système de courbes, parce que cette équation se divise en y - x = 0, y + x = 0 ; mais y y - x x + a a représente un seul & même système, parce qu'on ne peut diviser cette équation qu'en ces deux-ci, y - = 0, & y + = 0, qui ne sont pas rationnelles. Voyez COURBE. Cette remarque est très-importante pour les commençans, qui ne la trouveront guere ailleurs. (O)


CONJURATIONS. f. (Hist. mod.) complot de personnes mal-intentionnées contre le prince ou contre l'état. Voyez Salluste & l'abbé de Saint-Réal.

* CONJURATION, (Hist. anc.) cérémonie qui se pratiquoit dans les grands dangers : alors les soldats juroient tous ensemble de remplir leur devoir. Le général se rendoit au capitole, y plaçoit un étendart rouge pour l'infanterie, & un bleu pour les chevaux, & disoit qui vult rempublicam salvam, me sequatur ; les soldats qui s'étoient rassemblés répondoient à cette invitation par un cri, & marchoient de là contre l'ennemi.

CONJURATION, s. f. (Divinat.) parole, caractere, ou cérémonie, par lesquels on évoque ou l'on chasse les esprits malins, on détourne les tempêtes, les maladies, & les autres fléaux.

Dans l'église catholique & romaine on employe, pour expulser les démons des corps des possédés, certaines conjurations ou exorcismes, & on les asperge d'eau-benite avec des prieres & des cérémonies particulieres. Voyez EXORCISME.

Il y a cette différence entre conjuration & sortilége, que dans la conjuration on agit par des prieres, par l'invocation des saints, & au nom de Dieu, pour forcer les diables à obéir. Le ministre qui conjure par la fonction sainte qu'il exerce, commande au diable, & l'esprit malin agit alors par pure contrainte : au lieu que dans le sortilége on agit en s'adressant au diable, que l'on suppose répondre favorablement en vertu de quelque pacte fait avec lui, ensorte que le magicien & le diable n'ont entr'eux aucune opposition. Voyez SORTILEGE.

L'un & l'autre different encore de l'enchantement & des maléfices, en ce que dans ces derniers on agit lentement & secrettement par des charmes, par des caracteres magiques, &c. sans jamais appeller le diable, ni avoir aucun entretien avec lui. Voyez CHARME & MALEFICE.

Quelques démonographes ont prétendu qu'un moyen très-efficace de reconnoître les sorciers dans les exorcismes, étoit de les conjurer par les larmes de Jesus-Christ ; & que si par cette conjuration on pouvoit leur en tirer à eux-mêmes, c'étoit une marque de leur innocence ; & qu'au contraire si elle ne leur en arrachoit pas, c'étoit un signe de magie. Modus autem conjurandi, disent-ils, ad lacrymas veras si innoxia fuerit & cohibere lacrymas falsas, talis vel consimilis practicari in sententia à judice potest seu presbytero, manum super caput delati seu delatae ponendo : conjuro te per amarissimas lacrymas à nostro salvatore Domino, &c. Delrio, qui cite cette pratique & cette formule, regarde avec raison l'une & l'autre comme superstitieuses : & d'ailleurs, quel moyen facile de justification n'offriroit-elle pas aux sorciers, & sur-tout aux sorcieres, qui sont d'un sexe à qui l'on sait que les larmes ne coûtent rien ? Voyez Delrio, disquisit. magicar. liv. V. sect. jx. pag. 741. & suiv.

Les Payens avoient coûtume de conjurer les animaux nuisibles aux biens & aux fruits de la terre, & entr'autres les rats. C'étoit au nom de quelque divinité fabuleuse, qu'on interdisoit à ces animaux destructeurs l'entrée des maisons, des jardins, ou des campagnes. Aldrovandus, dans son ouvrage sur l'histoire naturelle, pag. 438. a pris soin de nous en conserver cette formule : Adjuro vos, omnes mures, qui hic comistitis, ne mihi inferatis injuriam : assigno vobis hunc agrum, in quo si vos posthac deprehendero, matrem deorum testor, singulos vestrum in septem frusta discerpam. Mais il ne dit pas l'effet que produisoit ce talisman. Voyez TALISMAN. Celui qui voudra connoître jusqu'où peut aller la méchanceté de l'homme, n'aura qu'à lire l'histoire de la conjuration des diables de Loudun, & la mort d'Urbain Grandier. (G)


CONJURES. f. (Jurispr.) dans quelques coûtumes signifie la semonce faite par le bailli, ou gouverneur, ou par son lieutenant, aux hommes de fief, ou cottiers, de venir juger une affaire qui est de leur compétence : ce qui n'a lieu que dans certaines coûtumes des Pays-bas, où l'exercice de la justice féodale appartient aux hommes de fief conjointement avec le juge du seigneur, & aux hommes cottiers ou roturiers, lorsque le seigneur n'a dans sa mouvance que des roturiers, comme dans les coûtumes d'Artois, de Saint-Omer, de Valenciennes, &c.

On prétend que l'étymologie de ce mot vient de ce que le seigneur ou son juge appelloit les hommes de fief ou cottiers en ces termes : voilà une telle affaire, je vous conjure d'y faire droit ; que c'est de-là qu'on a dit, la conjure du seigneur, du bailli, du gouverneur, ou de son lieutenant ; que sans cette conjure, le pouvoir des hommes de fief ou cottiers est simplement habituel, & qu'il ne peut produire aucun effet : desorte que les jugemens & actes judiciaires rendus sans légitime conjure préalable, sont nuls.

Anciennement le seigneur pouvoit lui-même conjurer ses hommes. C'est ainsi que le comte de Flandre conjura les siens pour prendre le parti du roi d'Angleterre contre la France, & Philippe-le-Bel conjura ses pairs pour faire jugement contre le roi d'Angleterre.

Présentement le seigneur ne peut pas lui-même conjurer ses hommes pour rendre la justice ; la conjure doit être faite par son bailli, ou par le lieutenant.

On pourroit aussi par le terme de conjure entendre que c'est l'assemblée de ceux qui ont prêté ensemble serment de rendre la justice conformément à ce que l'on trouve dans les lois saliques, ripuaires & autres lois anciennes, où les conjurés, conjuratores, sont ceux qui après avoir prêté ensemble serment, rendoient témoignage en faveur de quelqu'un.

Cour de conjure, est la justice composée d'hommes de loi conjurés pour juger. C'est en ce sens qu'il est dit dans la somme rurale, faire droit entre les parties par conjure d'hommes ou d'échevins ; & que la coûtume de Lille, titre des plaintes à loi, dit semondre & conjurer de loi les hommes de fief, échevins & juges.

Conjure signifie aussi quelquefois dans ces coûtumes, demande & semonce, comme dans celle d'Hainaut, chap. lvj. Ainsi conjurer la cour ou le juge de la loi, c'est former une demande devant lui. Voyez le gloss. de M. de Lauriere au mot conjure, & Maillart en ses notes sur le titre j. de la coûtume d'Artois. (A)


CONJURÉS. m. membre d'une conjuration. Voyez CONJURATION, (Gram.)


CONJUREMENTS. m. (Jurisprud.) est la même chose que conjure. Ce terme est usité à Aire, à Lille & autres villes de Flandre. Il en est parlé en plusieurs endroits du troisieme tome des ordonnances de la troisieme race, pag. 5. 464. 564. & 565. Voyez ci-devant CONJURE. (A)


CONNAUGHT(Géog. mod.) grande province d'Irlande, bornée par celles de Leinster, d'Ulster, de Munster, & par la mer. Sa capitale est Galloway.


CONNECTICUTE(Géog.) voyez BAYE des Matachusets, à l'article MATACHUSETS.


CONNÉTABLEou GRAND CONNÉTABLE, s. m. (Hist. mod.) est le nom d'un ancien officier de la couronne, qui ne subsiste plus ni en France, ni en Angleterre.

Quelques-uns le dérivent du saxon, & le font signifier originairement le stay, ou le soûtien du roi. D'autres le tirent avec plus de probabilité du comes stabuli, ou grand écuyer, supposant que cette dignité qui n'étoit au commencement que civile, devint ensuite militaire, & que le grand écuyer fut fait général des armées.

La fonction du connétable d'Angleterre consistoit à connoître & à juger des faits d'armes & des matieres de guerre. C'est à la cour du connétable & à celle des maréchaux, qu'appartenoit la connoissance des contrats & des faits d'armes hors du royaume, & des combats & des armoiries au-dedans. Voyez MARECHAL.

Le premier connétable d'Angleterre fut créé par Guillaume le Conquérant : cette charge devint ensuite héréditaire jusqu'à la treizieme année du regne de Henri VIII. qu'elle fut abolie, étant devenue si puissante, qu'elle en étoit insupportable au roi. Depuis ce tems-là les connétables n'ont été créés que par occasion pour des causes importantes, & supprimés aussi-tôt après la décision de la cause.

Edouard I. créa dans la treizieme année de son regne, par une ordonnance de Winchester, d'après ces connétables d'Angleterre qui avoient été si puissans, d'autres connétables inférieurs, que l'on a appellés depuis connétables des cantons ; & ce roi ordonna qu'il y auroit deux de ces connétables dans chaque canton pour la conservation de la paix, & la révision des armes.

C'est ceux-ci qu'ils appellent présentement constabularii capitales, ou principaux connétables ; parce que la suite des tems & l'augmentation du peuple en ayant occasionné d'autres dans chaque ville d'une autorité inférieure, ils ont été appellés petits connétables ou sub constabularii. La nomination du petit connétable appartient aux seigneurs de différentes seigneuries, jure feudi.

Mais outre ceux-ci, il y en a encore qui tirent leurs noms de différentes places, comme le connétable de la tour du château de Douvre, du château de Windsor, de celui de Caernarvan, & de beaucoup d'autres châteaux de la province de Galles, que l'on prend pour autant de palais appartenans au roi, ou pour un fort : ainsi le château de Windsor n'est qu'une maison royale, & le château de Douvre une forteresse, de même que celui de Caernarvan. Leur charge est la même que celle des châtelains ou gouverneurs de châteaux. Chambers.

En France, le connétable est devenu insensiblement le premier officier de la couronne. Il est vrai que d'abord il n'étoit pas plus puissant que le grand chambellan & le chancelier : mais depuis que le connétable eut été regardé comme le général né des armées, sa dignité devint bien supérieure. Il commandoit à tous les généraux, même aux princes du sang, & gardoit l'épée du roi qu'il recevoit toute nue, & dont il faisoit hommage aux princes. Cette charge n'étoit que personnelle, & non héréditaire, le roi y nommant qui il lui plaisoit. Le connétable régloit tout ce qui concerne le militaire ; comme la punition des crimes, le partage du butin, la reddition des places, la marche des troupes, &c. Il avoit un prevôt de la connétablie, pour juger les délits commis par les soldats. Cette charge fut supprimée par Louis XIII. en 1627. Cependant au sacre des rois, un seigneur de la premiere distinction représente le connétable ; le maréchal d'Etrées en fit les fonctions au sacre de Louis XIV. & le maréchal de Villars à celui de Louis XV. Son autorité & jurisdiction particulieres sont exercées par le corps des maréchaux de France, sous le nom de tribunal de la connétablie, qui se tient à Paris sous le plus ancien des maréchaux. Voyez MARECHAL. Depuis la suppression de la charge de connétable, on a imaginé en France un nouveau titre militaire qui est le maréchal général des camps & armées du roi ; mais il s'en faut beaucoup que l'autorité de cet officier soit aussi étendue que l'étoit celle de l'ancien connétable. Voyez MARECHAL GENERAL. (G)


CONNÉTABLIES. f. & MARÉCHAUSSÉE DE FRANCE, (Jurispr.) est la jurisdiction du connétable & des maréchaux de France sur les gens de guerre, & sur tout ce qui a rapport à la guerre directement ou indirectement, tant en matiere civile que criminelle.

On l'appelle connétablie & maréchaussée, parce que quand il y avoit un connétable, cet officier & les maréchaux de France ne faisoient qu'un corps dont le connétable étoit le chef, & rendoit avec eux la justice dans cette jurisdiction.

Depuis la suppression de l'office de connétable, cette jurisdiction a cependant toûjours retenu le nom de connétablie, & est demeurée aux maréchaux de France, dont le premier qui représente le connétable pour tout le corps des maréchaux de France, est le chef de cette jurisdiction.

Elle est la premiere des trois jurisdictions qui sont comprises & dénommées sous le titre général de siége de la table de marbre du palais à Paris ; savoir la connétablie, l'amirauté, & les eaux & forêts. Leur dénomination commune vient de ce qu'autrefois ces jurisdictions tenoient leurs séances sur la table de marbre qui étoit en la grand-salle du palais, & qui fut détruite lors de l'incendie arrivé en 1618.

Cette jurisdiction a aussi le titre de justice militaire.

On tenta en 1602 d'établir une connétablie à Roüen ; mais ce projet n'ayant pas eu lieu, la connétablie est la seule jurisdiction de son espece pour toute l'étendue du royaume.

L'établissement de la connétablie paroît être aussi ancien que celui du connétable, qui remonte jusqu'aux premiers tems de la monarchie. Les grands officiers de la couronne avoient chacun une jurisdiction pour ce qui étoit de leur ressort : ainsi il est probable que le connétable ayant été décoré du titre d'officier de la couronne, & étant ensuite devenu le premier des officiers militaires, exerça dès-lors une jurisdiction sur ceux qui étoient soûmis à son commandement.

On ne trouve point d'ordonnance qui ait institué cette jurisdiction : mais dans un mémoire dressé au siége en 1655, il est dit que ce siége subsistoit depuis 400, ce qui feroit remonter son institution jusqu'en 1255. Miraulmont dit qu'anciennement elle s'exerçoit à la suite de nos rois ; que le connétable & les maréchaux de France avoient des prevôts qui avoient jurisdiction criminelle au camp & durant la guerre, & en tems de paix, sur les vagabonds & non domiciliés ; qu'ils connoissoient des matieres de leur compétence à la suite du camp & armée, & des connétable & maréchaux de France : mais que depuis l'établissement du parlement à Paris, cette jurisdiction fut fixée au siége de la table de marbre.

Le plus ancien vestige que l'on trouve dans le siége de son ancienneté, est une sentence du 9 Février 1316, dont l'appel fut porté au parlement ; & un arrêt de cette cour du 22 Janvier 1361, qui sur l'appel d'une sentence du même siége, la qualifie sentence de l'audience de la cour des maréchaux, qui probablement étoit la même jurisdiction que la connétablie.

Miraulmont rapporte que Charles V. ordonna le 13 Décembre 1374, que les assignations devant les maréchaux de France se feroient pour comparoir en la ville de Paris, & non ailleurs ; que les ajournemens seroient libellés & non royaux, & faits par les sergens royaux des lieux, & non par aucun commis-sergent, ou officier des maréchaux : ce qui se fit, dit-il, afin d'établir la jurisdiction des connétable & maréchaux de France au palais à Paris.

Les connétables, & depuis eux les maréchaux de France tenoient autrefois cette jurisdiction en fief du roi comme un domaine de la couronne, dont la propriété appartenoit au roi, & qui leur avoit été inféodée à cause de leurs offices : ils en faisoient hommage lors de leur prestation de serment. On en voit des exemples dans le Feron en 1424, 1631, 1637, & 1655 : mais depuis ce tems, cette jurisdiction est devenue royale, & les officiers ont le titre de conseillers du Roi.

Cette jurisdiction étoit d'abord ambulatoire à la suite du connétable près de la personne du Roi, & ne fut rendue sédentaire à Paris que vers le tems où le parlement y fut fixé. Dans cette ville, le siége se tenoit en 1543, au-dessus de l'auditoire du bailliage du palais. Il fut transféré en 1549 aux Augustins, & en 1590 à Tours, puis rétabli à Paris en 1594 ; en 1671, il fut placé, où il est présentement, dans la galerie des prisonniers ; & depuis le 22 Septembre 1741 jusqu'au milieu d'Avril 1742, il se tint par emprunt dans la chambre des eaux & forêts, pendant qu'on travailloit à la galerie des prisonniers.

Comme les officiers de la couronne avoient anciennement le droit d'établir tels officiers qu'ils jugeoient à propos, pour exercer sous eux & en leur nom les mêmes fonctions dont ils étoient chargés, le connétable & les maréchaux de France ne pouvant vaquer continuellement à l'expédition de la justice à cause de leurs occupations militaires, ils instituerent un lieutenant général & un procureur d'office, pour juger conjointement avec eux, & juger seuls en leur absence les affaires qui sont portées à ce tribunal. L'établissement d'un lieutenant particulier dans ce siége, résulte de la création des lieutenans particuliers, faite en 1581 dans tous les siéges royaux.

La connétablie est composée présentement d'un lieutenant général, un lieutenant particulier, un procureur du roi ; il y avoit aussi un office d'avocat du roi, dont Me. Simon le Norman étoit pourvû en 1562, & par le décès duquel il fut uni à celui de procureur du roi, suivant des lettres du 8 Juillet 1563 ; un greffier en chef, un commis-greffier, trois huissiers-audienciers, & un très-grand nombre d'autres huissiers de la connétablie qui sont répandus dans les bailliages du royaume pour le service de la connétablie, & compris sous les différentes dénominations d'huissiers, archers, archers-huissiers, archers-gardes, huissiers-sergens royaux & d'armes, lesquels joüissent de plusieurs priviléges, notamment du droit d'exploiter par tout le royaume : ils sont justiciables de la connétablie pour leur service & fonctions de leur charge.

Les maréchaux de France sont les présidens de cette jurisdiction, & y viennent quand ils le jugent à propos ; ils y viennent ordinairement en corps, habillés comme les ducs & pairs en petit manteau, & avec des chapeaux ornés de plume, le premier maréchal de France étant accompagné des gardes de la connétablie, avec deux trompettes à la tête, qui sonnent jusqu'à la porte de l'auditoire ; & en sortant de l'audience, ils sont reconduits dans le même ordre & avec la même pompe.

Le lieutenant général va prendre les opinions des maréchaux de France, qui en matieres sommaires opinent assis, mais découverts, & en s'inclinant. Si c'est une affaire de discussion, les maréchaux de France se réunissent près du doyen, & donnent leur avis debout & découverts. Le lieutenant général a seul la parole & prononce.

En l'absence des maréchaux de France, c'est lui qui préside. Il a en outre plusieurs autres droits curieux par leur ancienneté, & qui ont été cédés à cet officier par le maréchal de France, auquel ils appartenoient à cause de son office ; entr'autres une redevance dûe par les habitans d'Argenteuil, pour les îles dites de la maréchaussée, situées vis-à-vis d'Argenteuil : cette redevance consiste de la part des habitans à venir faire la foi & hommage à chaque nouveau lieutenant général ; à venir tous les ans la veille de la Pentecôte, par eux ou par leurs syndics & marguilliers, inviter le lieutenant général à se trouver à la fête du lieu, qui est ordinairement le lundi de la Pentecôte. Lorsque le lieutenant général accepte d'y aller, ils doivent venir au-devant de lui jusqu'à l'entrée de l'île, & le recevoir avec tous les honneurs convenables ; lui payer trois sous parisis de cens, quarante sous tournois d'argent, & lui donner à dîner & à sa compagnie. Le lieutenant général s'y transporta, en 1525, avec son greffier & un huissier, accompagné du prevôt à la suite du maréchal d'Aubigny, assisté de ces archers & de deux notaires au châtelet. Les marguilliers vinrent au-devant de lui avec les hautbois & autres instrumens : ils lui offrirent au nom des habitans du pain, du vin, & une tarte, les trois sous de cens, & à dîner ; ce qu'il accepta. Mais par arrêt du parlement de 15 Juin 1624, ce dîner a été évalué à cinquante sols tournois, au moyen dequoi la redevance en argent est présentement de quatre livres dix sous, outre les trois sous de cens.

Les habitans de Nanterre doivent aussi une redevance au lieutenant général pour l'île de la maréchaussée située dans ce lieu. La redevance étoit d'un denier de cens, & en outre d'un pain blanc de la largeur d'un fer-à-cheval. Ce pain a été depuis converti en neuf sous parisis d'argent, ensuite évalué à seize sous parisis & un agneau gras, & enfin en 1603 arbitré à quarante sous tournois.

Il a encore un droit appellé ceinture de la reine à prendre sous le pont de Neuilly, qui consiste à prendre sur tous les bateaux montans ou descendans sous le pont de Neuilly, depuis la veille de la Notre Dame de Mars jusqu'à la S. Jean-Baptiste, dix-huit deniers parisis pour chaque bateau chargé, & douze deniers parisis pour chaque bateau vuide, & un droit de neuvage de trois sous parisis sur chaque bateau neuf, sous peine de confiscation des bateaux & d'amende arbitraire.

C'est lui qui a la garde du sceau du premier maréchal de France, dont on se sert pour sceller toutes les expéditions de ce siége. Ce sceau qui contient les armoiries du connétable, & au-dessous celles du premier maréchal, leur a été accordé par nos Rois, comme on voit par des lettres de Charles IX. du 6 Décembre 1568 ; il change à l'avenement de chaque maréchal de France ; l'empreinte des armes du connétable est néanmoins toûjours la même : mais l'écusson des armes du doyen des maréchaux de France, qui est au-dessous des armes du connétable, change à chaque mutation de doyen ; c'est pourquoi chaque doyen donne un nouveau sceau. Le privilége de ce sceau est d'être exécutoire par tout le royaume, sans visa ni pareatis.

Comme il n'y a que deux juges dans ce siége, dans les procès criminels on y appelle pour conseil un troisieme gradué ; & depuis long-tems le lieutenant général, ou en son absence celui qui préside, sont dans l'usage d'inviter pour cet effet un ou plusieurs avocats du parlement.

A l'égard des affaires civiles, il y en a quelques-unes d'une nature particuliere où le lieutenant général invite en tel nombre qu'il juge à-propos les commissaires, contrôleurs, & trésoriers des guerres, lesquels en ce cas y ont séance & voix délibérative, dans les contestations entre les trésoriers & leurs commis. Les commissaires des guerres s'y assemblent en outre les premiers lundis de chaque mois, pour y délibérer des affaires de leur compagnie.

On y a quelquefois appellé des maîtres des comptes, lorsqu'il s'agissoit de finance.

Des maîtres des requêtes y ont aussi assisté quelquefois pour différens objets, en vertu de mandemens & de lettres de jussion à eux adressées.

Le prévôt de la connétablie y a séance & voix délibérative dans toutes sortes d'affaires après le lieutenant particulier. Pour ce qui est de ses lieutenans, & des autres prévôts & lieutenans des maréchaux de France, ils n'ont de séance que sur les bas-siéges, & quant à la voix délibérative, ils ne l'ont que quand ils apportent des procès prevôtaux à juger.

Le connétablie connoît premierement de tous excès, dommages, crimes, & délits commis par les gens de guerre, à pié ou à cheval, au camp, en garnison, en y allant ou revenant, ou tenant les champs ; des excès & violences qui peuvent leur être faits ; des infractions de sauve-garde, & des gardes enfreintes ; logement de gens de guerre sans commission & sans route, ou qui se font dans les maisons des exempts & des privilégiés ; & de tous crimes & délits commis à l'occasion des faits dont on vient de parler.

2°. Elle connoît de tous procès & différends procédans du fait de la guerre & gendarmerie, comme des rançons, butins, prisonniers de guerre, espions, proditeurs, transfuges, deserteurs, enrollemens forcés, destitution & cassation de gens de guerre ; de la reddition des villes, châteaux & forteresses rendus aux ennemis du Roi, par faute & malversation des gentilshommes sujets au ban & arriere-ban ; des actions & poursuites qui en peuvent être faites, & des appellations interjettées des maires & échevins, sur le fait de la milice, guet, & garde des bourgeois & habitans ; des délits & différends survenus entre eux ou autres particuliers dans les corps-de-garde desdites villes ; & de tous cas & crimes commis par gens étant sous les armes ; comme aussi de l'appel des sentences rendues par les prevôts des compagnies bourgeoises d'arquebusiers, fusiliers, & chevaliers de la fleche ou de l'arc.

C'est à cause de ce ressort d'appel, & de la supériorité que la connétablie a sur toute la maréchaussée & gendarmerie de France, qu'il y a deux degrés ou marches pour monter au siége sur lequel s'asseyent les juges de la connétablie.

3°. Elle connoît des actions personnelles que les gens de guerre peuvent avoir, en vertu de contrats, cédules, promesses, obligations faites entr'eux ou autres personnes, pour prêt de deniers, vente de vivres, armes, chevaux, ou autres munitions & équipages de guerre, en demandant, ou défendant, ou intervenant, nonobstant les priviléges de committimus aux requêtes, & attributions du scel du châtelet.

4°. Des montres & revûes, payement de gages, soldes, appointemens, taxations, droits de paye & de registres, & autres droits prétendus par les gens de guerre à pié ou à cheval, mortes-payes, prevôts, vice-baillifs, vice-sénéchaux, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, leurs officiers & archers, commissaires & contrôleurs des guerres, trésoriers-payeurs, hérauts-d'armes, capitaines & conducteurs des charrois, munitionnaires, & autres officiers de la gendarmerie & des guerres, & des poursuites qui se peuvent faire contre les trésoriers généraux de l'ordinaire & extraordinaire des guerres ; cavalerie legere, artillerie, payeurs, receveurs, ou leurs commis ; du prêt fait aux armées, réponses, obligations faites au camp ou en garnison ; lesquels commissaires des guerres, contrôleurs, trésoriers, & payeurs, sont tenus deux mois après l'expédition de leurs lettres de provision, de les faire enregistrer au greffe de la connétablie ; ce qui ne se fait qu'après information de vie & moeurs : les payeurs sont aussi obligés d'y faire enregistrer les actes de réception de leurs cautions deux mois après leur réception.

5°. Elle connoît encore des différends qui surviennent à l'occasion des comptes, assignations, mandemens, rescriptions, récépissés, ordonnances, billets & lettres de change que les trésoriers des guerres, payeurs, leurs clercs & commis, se donnent les uns aux autres, pour le fait de leurs charges, commissions, maniemens, & entremises ; des abus & malversations que ces officiers pourroient commettre en leurs offices & commissions ; des procès & différends des commissaires des guerres, contrôleurs & trésoriers payeurs & leurs commis, capitaines & conducteurs des charrois & artillerie, munitionnaires, & autres officiers de guerre ; & ce nonobstant tout committimus.

6°. Des actions qui peuvent être intentées pour l'exécution ou explication des traités faits pour les offices de prévôts, vice-baillifs, vice-sénéchaux, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, leurs officiers & archers ; & des commissaires, contrôleurs, trésoriers des guerres & payeurs, & autres officiers de milice ; vente de tous offices de gendarmerie par autorité de justice ; des décrets interposés sur les biens des condamnés par jugement prevôtal ; procès & différends qui peuvent naître à cause des armes & blasons des familles nobles.

7°. Des causes & actions personnelles des domestiques des connétables & maréchaux de France, maîtres armuriers-arquebusiers, fourbisseurs, s'agissant du fait d'armes & de leur négoce, vente & achat entr'eux & les particuliers, pour le fait des marchandises de contrebande ; & encore les marchands tailleurs & artisans qui fournissent aux gens de guerre les sayes, casaques, & habits d'ordonnance, & autres choses pour le fait de la guerre.

8°. Les maréchaux de France, ou leur lieutenant général en la connétablie, connoissent par prévention de tous crimes & cas prevôtaux, lesquels sont jugés en la connétablie au nombre porté par les ordonnances, qui doit être rempli en appellant des avocats ou autres gradués ; même de tous autres délits & contre toutes sortes de personnes, sauf à en faire le renvoi, s'il est requis, après l'information & le decret exécuté ; comme aussi des contraventions faites aux édits de S. M. sur le fait des duels & rencontres, contre toutes personnes & en tous lieux ; des contraventions aux ordonnances touchant le port d'armes ; & de tous crimes ordinaires royaux commis hors les villes closes où il y a bailliage & sénéchaussée ; & ce par prévention & à la charge de l'appel.

9°. Les prevôts des maréchaux, tant généraux, provinciaux, que particuliers, vice-baillifs, vice-sénéchaux, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, leurs lieutenans, assesseurs, procureurs du Roi, greffiers, commissaires & contrôleurs à faire les montres, trésoriers de la solde, receveurs & payeurs de leur compagnie, doivent être reçûs en la connétablie après information de vie & moeurs, & les oppositions à leur réception doivent y être jugées.

10°. Elle connoît aussi des fautes & délits des prevôts des maréchaux, vice-baillifs, vices sénéchaux, leurs lieutenans, assesseurs, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, officiers & archers de leur compagnie, en l'exercice de leurs charges & commissions, des excès & rébellions à eux faites, & à ceux par eux appellés en aide ; des reglemens faits entr'eux pour leurs états ; des procès qui surviennent entr'eux pour raison de leurs fonctions ; des provisions, nominations, destitutions ou suspensions de leurs archers ; taxe de leur salaire & vacations ; des montres, police, & discipline de leur compagnie ; des appellations interjettées desdits prevôts ; savoir, en matiere criminelle, par ceux qui ne sont pas de leur gibier, ou en cas de déni de justice ; & en matiere civile, des destitutions, suspensions ou interdictions par eux faites de leurs officiers & archers, taxes de leurs salaires & vacations.

Enfin elle connoît de toutes lettres d'abolition, pardon, & innocence, qui s'obtiennent pour les délits faits par les gens de guerre & par les officiers ci-dessus dénommés, ou autres personnes qui se trouvent prévenus de quelqu'un des délits exprimés ci-devant. Voyez le recueil de la connétabl. & maréchaussée par Pinson de la Martiniere ; celui de Saugrain ; celui de Joly, ses remontrances & son traité de la justice militaire ; l'histoire des connétables & maréchaux de France par le Feron ; Miraumont ; & le diction. de la maréchaussée de M. de Beauclas. (A)


CONNEXIONCONNEXION


CONNIDIESS. f. (Hist. anc.) fêtes qui se célebroient à Athenes la veille de la fête de Thésée, en l'honneur de Connidas son tuteur qu'on avoit mis au rang des dieux, & à qui l'on sacrifioit un bélier.


CONNIVENCES. f. (Gramm.) terme relatif à la conduite de celui qui favorise une action prohibée. Il ne se prend jamais qu'en mauvaise part.


CONNIVENTESadj. en Anatomie, se dit des plis en forme de cellules qui s'observent sur les parois internes du canal intestinal. Kerkring les a nommés valvules conniventes, après Fabrice d'Aquapendente, Glisson, &c. (L)


CONNOISSANCES. f. (Métaph.) M. Locke définit la connoissance la perception de la liaison & convenance, ou de l'opposition & disconvenance qui se trouve entre deux de nos idées : par-tout où se trouve cette perception, il y a de la connoissance ; & où elle n'est pas, nous ne saurions parvenir à la connoissance.

On peut réduire cette convenance ou disconvenance à ces quatre especes, selon M. Locke : 1°. identité ou diversité ; 2°. relation ; 3°. coexistence ; 4°. existence réelle : & pour ce qui est de la premiere espece de convenance ou de disconvenance, qui est l'identité ou la diversité, le premier pas que fait l'esprit humain dans la connoissance de la vérité, c'est d'appercevoir les idées qu'il a, & de voir ce que chacune est en elle-même ; & par conséquent de connoître qu'une idée n'est pas l'autre, quand ces deux idées sont différentes. Ces premieres connoissances s'acquierent sans peine, sans effort, sans faire aucune déduction, & dès la premiere vûe, par la puissance naturelle que nous avons d'appercevoir & de distinguer les choses.

Mais en quoi consiste la convenance ou l'identité d'une idée avec une autre ? Elle consiste en ce qu'un objet de notre pensée formé par un acte de notre esprit, soit le même qu'un objet formé par un autre acte de notre esprit, ensorte que l'esprit ne trouve nulle différence entre l'objet formé par ces deux actes. Par exemple, si l'objet de ma pensée est le nombre deux, & que par un autre acte de mon esprit l'objet de ma pensée se trouve encore le nombre deux ; je connois que deux est deux : voilà le premier pas, & l'exercice le plus simple dont notre esprit soit capable dans l'action de penser.

Lorsque mon esprit par un second acte me représente un objet différent de l'objet représenté par le premier, alors je juge que l'un n'est pas l'autre. Par exemple, si dans le second acte je me représente le nombre trois, après m'être représenté par le premier acte le nombre deux ; je juge que le nombre trois n'est pas le nombre deux, comme le nombre deux n'est pas le nombre trois.

Cette connoissance, qu'un objet est ce qu'il est, est le principe de toute connoissance réflexive de Logique, & elle renferme la lumiere la plus vive dont notre esprit soit capable : toute autre évidence ou certitude de Logique se trouvera avoir d'autant plus ou d'autant moins de certitude & d'évidence, qu'elle approchera plus ou moins de cette premiere certitude ou évidence, qu'un objet est ce qu'il est, & n'est pas un autre. Cette connoissance est appellée intuitive, parce qu'elle se forme du premier & du plus simple regard de l'esprit.

M. Locke ne me paroît pas exact, quand il apporte pour exemple de connoissance intuitive que trois est plus que deux, & trois est égal à deux & un. Il semble qu'il y a quelque chose de plus intime ou de plus immédiat à l'esprit que ces deux connoissances, savoir que trois est trois, & que trois n'est pas deux. Cette différence semble imperceptible, mais elle n'en est pas moins réelle.

Cette proposition, trois n'est point deux, énonce seulement que trois & deux ne sont point la même pensée, & elle n'énonce que cela : la proposition trois est plus que deux, énonce de plus par quel endroit l'objet deux n'est point l'objet trois, en indiquant que pour égaler deux à trois, il faudroit ajoûter une unité à deux, ou en retrancher une à trois. Or c'est-là une circonstance ou modification qui ne se trouve point dans la premiere proposition ; trois n'est point deux.

De même encore il se trouve quelque différence entre dire trois est trois, & trois est égal à deux & un. Dans le premier jugement, l'esprit en deux perceptions apperçoit également pour objet de l'une & de l'autre le nombre trois, & se dit simplement, l'objet de mes deux perceptions est le même : au lieu qu'en disant trois est égal à deux & un, l'objet de ces deux perceptions, savoir trois, puis deux & un, n'est plus tout-à-fait & précisément le même. La seconde perception représente séparé en deux ce qui est réuni dans la premiere. J'avoue que cette modification de trois considéré comme séparé en deux est un, est si imperceptible, que l'esprit voit presqu'aussi-tôt que trois est deux & un, qu'il voit que trois est trois. Mais quelque imperceptible qu'elle soit, elle fait la différence essentielle entre les propositions identiques & les propositions logiques. Les propositions identiques ne sont autres que celles qui expriment une connoissance intuitive, par laquelle notre esprit, dans les deux perceptions, trouve également en l'une & en l'autre précisément le même objet, sans aucune ombre de modification d'un côté qui ne soit pas de l'autre côté. Ainsi trois est trois fait une proposition identique, qui exprime une connoissance intuitive ; au lieu que trois est égal à deux & un, fait une proposition qui n'est plus identique, mais conjonctive & logique, parce qu'il se trouve dans celle-ci une modification qui n'est pas dans l'autre.

A mesure que ces sortes de modifications surviennent à la connoissance intuitive, à mesure aussi se forme une connoissance conjonctive plus composée, & par conséquent plus obscure, étant plus éloignée de la simplicité de la connoissance intuitive. En effet, l'esprit alors est plus occupé pour découvrir certains endroits par lesquels deux idées soient les mêmes, tandis qu'elles sont différentes par d'autres endroits : or ces endroits sont justement les idées des modifications survenues à la connoissance intuitive. Ce sont aussi ces endroits qu'il faut écarter, ou du moins auxquels il ne faut point avoir d'égard, pour découvrir & retrouver pleinement dans la connoissance conjonctive, l'identité ou ressemblance d'idées qui fait la connoissance intuitive. Ainsi pour retrouver la connoissance intuitive dans cette proposition, l'homme est animal, j'écarte de l'idée totale de l'homme les idées partiales, qui sont de surérogation à l'idée totale d'animal ; telles que l'idée de capable d'admiration, l'idée de raisonnable, &c. & alors il ne reste plus dans l'idée d'homme, que les idées de végétal, vivant, &c. qui forment l'idée d'animal, & qui sont communes à l'idée d'homme & à l'idée d'animal.

Ces réflexions aussi vraies que subtiles, sont tirées de la logique du P. Buffier.

La seconde sorte de convenance ou de disconvenance que l'esprit apperçoit dans quelqu'une de ses idées, peut être appellée relative ; & ce n'est que la perception du rapport qui est entre deux idées, de quelque espece qu'elles soient, substances, modes, ou autres. Ainsi deux est deux, trois est trois, ont un rapport de convenance, parce que dans ces deux propositions c'est le même objet formé par deux actes de l'esprit : toute la différence qui se trouve entre la convenance d'identité & la convenance de relation, c'est que l'une est une identité numérique, & l'autre une identité spécifique ou de ressemblance. La premiere se trouve marquée dans cette proposition, le cercle A est le cercle A ; & la seconde dans celle-ci, le cercle A est le même que le cercle B.

La troisieme espece de convenance ou de disconvenance, qu'on peut trouver dans nos idées, & sur laquelle s'exerce la perception de notre esprit, c'est la coexistence, ou la non-coexistence dans le même sujet ; ce qui regarde particulierement les substances. Ainsi quand nous affirmons touchant l'or, qu'il est fixe, la connoissance que nous avons de cette verité se réduit uniquement à ceci, que la fixité ou la puissance de demeurer dans le feu sans se consumer, est une idée qui se trouve toûjours jointe avec cette espece particuliere de jaune, de pesanteur, de fusibilité, de malléabilité, & de capacité d'être dissous dans l'eau régale, qui compose notre idée complexe, que nous désignons par le mot or.

La derniere & quatrieme espece de convenance, c'est celle d'une existence actuelle & réelle, qui convient à quelque chose dont nous avons l'idée dans l'esprit. Toutes nos connoissances sont renfermées dans ces quatre sortes de convenance ou de disconvenance.

Avant d'examiner les différens degrés de notre connoissance, il ne sera pas hors de propos de parler des divers sens du mot de connoissance. Il y a différens états dans lesquels l'esprit se trouve imbu de la vérité, & auxquels on donne le nom de connoissance.

1°. Il y a une connoissance actuelle qui est la perception présente, que l'esprit a de la convenance, ou de la disconvenance de quelqu'une de ses idées, ou du rapport qu'elles ont l'une à l'autre.

2°. On dit qu'un homme connoît une proposition, lorsque cette proposition ayant été une fois présente à son esprit, il a apperçu évidemment la convenance ou la disconvenance des idées dont elle est composée, & qu'il l'a placée de telle maniere dans sa mémoire, que toutes les fois qu'il vient à réfléchir sur cette proposition, il la voit par le bon côté, sans douter ni hésiter le moins du monde ; c'est ce qu'on appelle connoissance habituelle. Suivant cela, on peut dire d'un homme, qu'il connoît toutes les vérités, dont sa mémoire conserve le précieux dépôt, en vertu d'une pleine & évidente perception qu'il en a eue auparavant, & sur laquelle l'esprit se repose hardiment sans avoir le moindre doute ; que s'il n'en a pas une perception actuelle, du moins il a un sentiment intime d'avoir eu cette perception. En effet, nos lumieres étant aussi bornées qu'elles le sont, & notre perception actuelle ne pouvant s'étendre qu'à peu de choses à-la-fois, si nous ne connoissions que ce qui est l'objet actuel de nos pensées, nous serions tous extrèmement ignorans, & nous ne pourrions nullement étendre nos connoissances.

Il y a aussi deux degrés de connoissance habituelle.

L'un regarde ces vérités mises comme en reserve dans la mémoire qui ne se présentent pas plûtôt à l'esprit qu'il voit le rapport qui est entre ces idées : ce qui se rencontre dans toutes les vérités dont nous avons une connoissance intuitive.

Le deuxieme degré de connoissance habituelle appartient à ces vérités, dont l'esprit ayant été une fois convaincu, conserve le souvenir de la conviction sans en retenir les preuves. Ainsi un homme qui se souvient certainement qu'il a démontré que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, est assûré qu'il connoît la vérité de cette proposition, parce qu'il ne sauroit en douter. Il ne faut pas s'imaginer que cette croyance, qu'on donne plus à la mémoire qu'à la perception de la vérité même, soit une connoissance mêlée de quelques nuages, & qui tienne le milieu entre l'opinion & la certitude. Cette connoissance renferme une parfaite certitude. Ce qui d'abord pourroit nous faire illusion ; c'est que l'on n'a pas une perception actuelle de toutes les idées intermédiaires, par le moyen desquelles on avoit rapproché les idées contenues dans la proposition lorsqu'on se la démontra pour la premiere fois. Par exemple, dans cette proposition, les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits ; quiconque a vû & apperçû clairement la démonstration de cette vérité, connoît que cette proposition est véritable, lors même que la démonstration lui est échappée de l'esprit, qu'il ne la voit plus, & qu'il ne peut se la rappeller ; mais il le connoît d'une autre maniere qu'il ne faisoit auparavant. C'est par l'intervention d'autres idées, que celles qui avoient accompagné sa démonstration, qu'il apperçoit la convenance des deux idées qui sont jointes dans la proposition. L'immutabilité des mêmes rapports entre les mêmes choses immuables, est présentement l'idée qui fait voir que si les trois angles d'un triangle ont été une fois égaux à deux droits, ils ne cesseront jamais de l'être, parce que les essences des choses sont éternelles & immuables.

C'est sur ce fondement que dans les Mathématiques les démonstrations particulieres fournissent des connoissances générales. En effet, si la connoissance n'étoit pas si fort établie sur cette perception, que les mêmes idées doivent toûjours avoir les mêmes rapports, il ne pourroit y avoir aucune connoissance de propositions générales dans les Mathématiques : car nulle démonstration mathématique ne seroit que particuliere ; & lorsqu'un homme auroit démontré une proposition touchant un triangle ou un cercle, sa connoissance ne s'étendroit point au-delà de cette figure particuliere. Personne ne niera que M. Newton ne connût certainement que cette suite de propositions, qu'il avoit liées & enchaînées, ne fût véritable, quoiqu'il n'eût pas actuellement devant les yeux cette chaîne admirable d'idées moyennes, par lesquelles il en avoit découvert la vérité. Mais parce que le simple souvenir n'est pas toûjours si clair que la perception actuelle ; & que par succession de tems elle déchoit plus ou moins, dans la plûpart des hommes ; il me semble qu'il en résulte nécessairement que la connoissance démonstrative n'a pas la même vivacité d'évidence que la connoissance intuitive, comme nous l'allons voir.

On ne peut nier que l'évidence n'ait différens degrés ; & cette différence de clarté que je confonds ici avec l'évidence, consiste dans la différente maniere dont notre esprit apperçoit la convenance ou la disconvenance de ses propres idées. Car si nous réfléchissons sur notre maniere de penser, nous trouverons que quelquefois l'esprit apperçoit la convenance ou la disconvenance des deux idées, immédiatement par elles-mêmes, sans l'intervention d'aucune autre ; c'est-là ce qu'on appelle connoissance intuitive. L'esprit ne fait aucun effort pour saisir une telle vérité ; il l'apperçoit comme l'oeil voit la lumiere. Cette connoissance est la plus claire & la plus certaine dont la foiblesse humaine soit capable. Elle agit d'une maniere irrésistible, semblable à l'éclat d'un beau jour, elle se fait voir immédiatement, & comme par force, dès que l'esprit se tourne vers elle, sans qu'il lui soit possible de se soustraire à ses rayons qui le percent de toutes parts. C'est-là le plus haut degré de certitude où nous puissions prétendre. La certitude dépend si fort de cette intuition, que dans le degré suivant de connoissance, que je nomme démonstration, cette intuition est absolument nécessaire dans toutes les connexions des idées moyennes ; desorte que sans elle nous ne saurions parvenir à aucune connoissance ou certitude.

Il se présente ici une question, savoir si parmi les connoissances intuitives l'une est plus aisée à former que l'autre. Il ne paroît pas d'abord que cela puisse se faire ; car la connoissance intuitive ne consistant qu'à découvrir d'une simple vûe, telle chose est telle chose, toutes les connoissances intuitives devroient, ce me semble, être également aisées à former.

Il est vrai, qu'il est également aisé de voir le rapport qu'a une chose avec celle qui est la même en ressemblance ; c'est-à-dire, à trouver une parfaite ressemblance entre deux actes de notre esprit, qui ont précisément le même objet : mais certain objet est plus aisé à découvrir que l'autre ; & un objet simple s'apperçoit plus aisément qu'un objet composé.

Lorsque deux tableaux représentent parfaitement le même objet, si l'objet de ces deux tableaux n'est qu'un seul personnage, je verrai plus aisément que les deux tableaux représentent le même sujet, que si l'objet dans les deux tableaux étoit composé de différens personnages : la facilité ou la difficulté ne tombe donc pas sur l'identité de rapport entre l'un & l'autre, mais sur la multiplicité des objets partiaux dont est composé chaque objet total. L'objet total ne pouvant s'appercevoir d'une simple vûe, demande en quelque sorte autant d'attentions différentes de l'esprit, qu'il se trouve d'objets partiaux d'un côté ; entre chacun desquels il faut voir le rapport avec chacun des objets partiaux qui sont de l'autre côté.

La connoissance démonstrative & de raisonnement consiste dans la ressemblance, ou identité d'idées que l'esprit apperçoit en deux objets, dans l'un desquels se trouve quelque modification d'idées qui ne sont pas dans l'autre : au lieu que s'il ne se trouvoit ni dans l'un ni dans l'autre, nulle modification d'idées, ou nulle idée particuliere différente, alors la connoissance seroit intuitive, & non pas seulement démonstrative ou conjonctive, quoique la démonstrative supposant l'intuitive, doive la renfermer par certain endroit. Lors donc que dans un des deux objets il se trouve quelque modification d'idées qui ne sont pas dans l'autre, l'esprit a quelquefois besoin, pour appercevoir leur convenance ou leur disconvenance, de l'intervention d'une ou de plusieurs autres idées ; & c'est ce que nous appellons raisonner ou démontrer. Ces idées qu'on fait intervenir pour montrer la convenance des deux autres, on les nomme des preuves, & c'est de la facilité qu'on a à trouver ces idées moyennes qui montrent la convenance ou la disconvenance de deux autres idées, que dépend la sagacité de l'esprit.

Cette espece de connoissance ne frappe pas si vivement ni si fortement les esprits, que la connoissance intuitive. Elle ne s'acquiert que par ceux qui s'appliquent fortement & sans relâche, qui envisagent leur objet par toutes ses faces, & qui s'engagent dans une certaine progression d'idées, dont tout le monde n'est pas capable de suivre le fil aussi long-tems qu'il est nécessaire pour découvrir la vérité.

Une autre différence qu'il y a entre la connoissance intuitive & la connoissance démonstrative, c'est qu'encore qu'il ne reste aucun doute dans cette derniere, lorsque par l'intervention des idées moyennes on apperçoit une fois la convenance ou la disconvenance des idées qu'on considere, il y en avoit avant la démonstration ; ce qui dans la connoissance intuitive ne peut arriver à un esprit attentif. Il est vrai que la perception qui est produite par voie de démonstration, est aussi fort claire : mais cette évidence est bien différente de cette lumiere éclatante qui sort de la connoissance intuitive. Cette premiere perception, qui est produite par voie de démonstration, peut être comparée à l'image d'un visage réflechi par plusieurs miroirs de l'un à l'autre. Aussi long-tems qu'elle conserve de la ressemblance avec l'objet, elle produit de la connoissance, mais toûjours en perdant, à chaque réflexion successive, quelque partie de cette parfaite clarté qui est dans la premiere image, jusqu'à ce qu'enfin après avoir été éloignée plusieurs fois elle devient fort confuse, & n'est plus d'abord si reconnoissable, & sur-tout à des yeux foibles. Il en est de même à l'égard de la connoissance qui est produite par une longue suite de preuves. Quand les conséquences sont si fort éloignées du principe dont on les tire, il faut avoir une certaine étendue de génie pour trouver le noeud des objets qui paroissent desunis ; pour saisir d'un coup-d'oeil tous les rameaux des choses ; pour les réunir à leur source & dans un centre commun, & pour les mettre sous un même point de vûe. Or cette disposition est extrèmement rare, & par conséquent aussi le nombre de ceux qui peuvent saisir des démonstrations compliquées, & remonter des conséquences jusqu'aux principes.

Mais pourquoi certaines conséquences sont-elles plus éloignées que d'autres du principe, dont on les tire toutes ?

Voici sur cela les raisonnemens du pere Buffier. Il suppose d'abord que le principe est une connoissance dont on tire une autre connoissance, qu'on appelle conséquence. Une premiere connoissance, dit-il, sert de principe à une seconde connoissance qui en est la conséquence, quand l'idée de la premiere contient l'idée de la seconde ; ensorte qu'il se trouve entre l'une & l'autre une idée commune, ou semblable, ou la même idée. Cependant la premiere connoissance renferme outre cette idée commune, d'autres idées particulieres ou circonstances & modifications d'idées, lesquelles ne se trouvent pas dans la seconde connoissance : or plus la premiere, qui sert de principe, renferme de ces idées particulieres différentes de l'idée qui est commune au principe & à la conséquence, plus aussi la conséquence est éloignée : moins elle est chargée de ces idées particulieres, & moins la conséquence est éloignée.

Ce qui unit donc la conséquence au principe, c'est une idée commune à l'un & à l'autre : mais cette idée commune est enveloppée, dans le principe, de modifications, parmi lesquelles il est plus difficile dans les conséquences éloignées, de reconnoître & de démêler cette idée commune ; au lieu que dans les conséquences prochaines, l'idée commune n'est accompagnée dans le principe, que d'un petit nombre de modifications particulieres qui la laissent plus aisément discerner. Une épingle ne se trouve pas aussi facilement dans un tas de foin, que dans une boîte où il n'y aura que cette épingle avec une aiguille ; quoique l'épingle soit aussi véritablement dans le tas de foin, que dans l'enceinte de la boîte.

On voit aussi plus facilement la ressemblance qu'une figure représentée seule dans un tableau, peut avoir avec la même figure représentée dans un second tableau, lorsque dans le premier tableau elle n'est point accompagnée de diverses autres figures, parmi lesquelles il faudroit plus de soin & d'attention à la reconnoître : la multiplicité d'objets dont un objet particulier est environné, l'empêche d'être apperçu lui-même si aisément & si distinctement.

Quoi qu'il en soit, une conséquence qui ne differe de son principe que par une ou deux circonstances ou idées particulieres, lui ressemble bien plus qu'une connoissance qui en differe par cinq ou six circonstances. Celle qui ne differe que par une ou deux circonstances, sera la conséquence immédiate ou prochaine ; & celle qui differe par cinq ou six circonstances, sera une conséquence plus éloignée.

Si je dis, par exemple, cet homme use de finesses, donc il mérite punition ; cette conséquence mérite punition, est par un endroit la même idée que son principe, il use de finesses. Mais le principe est revêtu de diverses circonstances qui empêchent que l'identité ou ressemblance d'idées ne soit reconnue d'abord. On reconnoîtra cette identité ou ressemblance, en écartant peu-à-peu les circonstances qui font differer le principe de la conséquence. Découvrant ainsi peu-à-peu l'identité des idées, c'est-à-dire l'idée commune qui se trouve des deux côtés, je dirai, 1°. un homme qui use de finesses se prévaut de l'inattention d'autrui : 2°. celui qui se prévaut de l'inattention d'autrui agit par surprise : 3°. agissant par surprise, il abuse de leur bonne foi : 4°. abusant de leur bonne foi il les trompe : 5°. les trompant il est coupable : 6°. étant coupable il mérite punition.

Il est aisé d'appercevoir comment un homme qui use de finesses, & un homme qui se prévaut de l'inattention des autres, est la même idée, à peu de circonstances près ; desorte qu'en certaines occasions on leur donne le même nom : cependant le terme homme qui use de finesses, renferme quelques circonstances que ne renferme point l'homme qui profite de l'inattention d'autrui : mais ces circonstances ne sont pas en assez grand nombre pour empêcher de reconnoître bien-tôt ce qu'ils ont de commun. De même aussi, entre profiter de l'inattention des autres & les surprendre, il y a peu de circonstances différentes, desorte qu'on apperçoit encore aisément ce qu'ils ont de commun. Il faut dire le même de la différence qui se trouve entre surprendre & tromper, entre tromper & être coupable, entre être coupable & mériter punition. Ainsi l'idée de mériter punition, étoit renfermée dans l'idée user de finesses ; mais on ne le démêloit pas d'abord, à cause de beaucoup d'idées de circonstances qui accompagnent l'idée d'être fin ou user de finesses ; comme d'avoir de l'esprit, de la vigilance, de l'adresse, du discernement des choses, de la souplesse, du manége ; c'est au milieu de tout cela qu'il falloit découvrir l'idée de mériter punition ; c'est ce qu'on fait peu-à-peu & par degrés, employant des idées qui servent de milieu entre le principe & la conséquence, chacune desquelles est dite pour cela moyen terme. Voilà donc comment les conséquences se tirent plus ou moins immédiatement, selon que le même principe qui renferme la conséquence, est plus ou moins chargé de circonstances particulieres, ensorte que les conséquences seront d'autant plus immédiates, qu'elles différeront moins du principe en nombre de circonstances.

On peut supposer des esprits si pénétrans, qu'ils reconnoissent par-tout & tout d'un coup la même idée en plusieurs propositions, soit qu'elle se trouve d'un côté avec plus ou moins, avec peu ou beaucoup de circonstances qui ne seront point de l'autre côté. Ceux-là voyent tout d'un coup toutes les conséquences d'un principe, c'est-à-dire toutes les connoissances qui peuvent se tirer d'une premiere connoissance. Il en est peu de ce caractere, ou pour mieux dire point du tout ; mais ceux qui en approchent le plus, sont les plus grands esprits & les plus grands philosophes. Ce qui est certain, c'est que les esprits étant différens, les uns voyent plûtôt certaines conséquences, & d'autres certaines autres conséquences. Par-là ce qui est conséquence immédiate pour l'un, ne le sera pas pour l'autre ; parce que l'un verra plûtôt que l'autre la ressemblance ou identité d'idées qui se trouve entre deux objets, au-travers de la multiplicité d'idées particulieres qui sont d'un côté plûtôt que de l'autre.

Quelque éloignée que soit une conséquence de son principe, il n'y a cependant guere de personnes qui ne puissent parcourir tous les milieux qui sont l'entre-deux, si ce n'est pas en volant comme les intelligences supérieures, du moins en se traînant lentement & avec effort d'une vérité à l'autre. Les démonstrations qui rebutent si fort par les difficultés dont elles sont hérissées, ne consistant que dans un tissu de connoissances ou propositions liées & assorties si immédiatement l'une à l'autre, qu'il n'y ait pas plus de difficulté pour atteindre la dixieme que quand on sait la neuvieme, ni la vingt & unieme quand on sait la vingtieme, qu'il n'y a de difficulté à savoir la seconde quand on sait la premiere de toutes. Or il n'est aucun esprit raisonnable qui ne soit capable d'avancer d'une premiere proposition à une seconde.

S'il se trouve quelquefois plus de difficulté dans la liaison de certaines propositions, par exemple, entre la neuvieme & la dixieme, qu'il n'y en aura eu entre la premiere & la seconde, c'est qu'alors la proposition qu'on a mise pour la dixieme, n'auroit pas dû suivre immédiatement la neuvieme ; il falloit mettre entre les deux quelques idées intermédiaires, qui menassent l'esprit de la derniere proposition conçue nettement à celle où il se trouve de la difficulté, ensorte que les degrés fussent plus voisins & plus immédiats par rapport à celui qui est instruit.

Quoi qu'il en soit, tout homme est capable d'acquérir une connoissance, qui par rapport à lui suive immédiatement une autre connoissance : il est donc capable d'atteindre degré à degré & de connoissance immédiate en connoissance immédiate à toutes les vérités & à toutes les sciences du monde.

La difficulté qu'il y a à étendre ses connoissances, ne vient pas, comme on se figure d'ordinaire, du côté de l'intelligence, mais du côté de la mémoire. On pourroit conduire par degrés & par la méthode géométrique tout esprit raisonnable à chacune des connoissances, dont le total forme ce qui s'appelle posséder une science. Le grand point seroit de lui faire retenir en même tems toutes ces diverses connoissances. L'inconvénient donc le plus ordinaire dans le progrès des sciences est le défaut de mémoire, qui laissant échapper une idée précédente, nous empêche de concevoir ce qu'on nous dit actuellement ; parce qu'il est nécessairement lié avec cette idée précédente qui ne se présente plus à l'esprit.

Il faut observer qu'une démonstration n'est exacte, qu'autant que la raison apperçoit par une connoissance intuitive la convenance ou la disconvenance de chaque idée, qui lie ensemble les idées entre lesquelles elle intervient, pour montrer la convenance ou la disconvenance des deux idées extrèmes ; car sans cela, on auroit encore besoin de preuves pour faire voir la convenance ou la disconvenance que chaque idée moyenne a avec celles entre lesquelles elle est placée, puisque sans la perception d'une telle convenance ou disconvenance il ne sauroit y avoir aucune connoissance. Si elle est apperçue par elle-même, c'est une connoissance intuitive ; & si elle ne l'est pas il faut que quelqu'autre idée moyenne intervienne pour servir, en qualité de mesure commune, à montrer leur convenance ou leur disconvenance ; d'où il paroît évidemment, que dans le raisonnement chaque degré qui produit de la connoissance, a une certitude intuitive. Ainsi pour n'avoir aucun doute sur une démonstration, il est nécessaire que l'esprit retienne exactement cette perception intuitive de la convenance ou disconvenance des idées intermédiaires dans tous les degrés par lesquels il s'avance. Mais parce que la mémoire dans la plûpart des hommes, sur-tout quand il est question d'une longue suite de preuves, n'est pas souple & docile pour recevoir tant d'idées dont elle est comme surchargée, il arrive que cette connoissance, qu'enfante la démonstration, est toûjours couverte de quelques nuages, qui empêchent qu'elle ne soit aussi claire & aussi parfaite que la connoissance intuitive. De-là les erreurs que les hommes prennent souvent de la meilleure foi du monde pour autant de vérités.

Voilà donc les deux degrés de notre connoissance, l'intuition & la démonstration. Mais à ces deux degrés on peut en ajoûter encore deux autres, qui vont jusqu'à la plus parfaite certitude, je veux dire le rapport uniforme de nos sens, & les évenemens connus, incontestables & authentiques. Ces deux connoissances embrassent la Physique, le Commerce, tous les Arts, l'Histoire & la Religion. Dans ce que nous apprenons par le rapport de nos sens, comme dans ce que nous connoissons au-dedans de nous-mêmes, l'objet peut être très-obscur : mais le motif qui nous détermine à en porter quelque jugement peut être clair & distinct. Ce motif, c'est le rapport réitéré de nos sens ; c'est l'expérience qui nous assure la réalité & l'usage de chaque chose. Rien n'empêche que nous ne donnions le nom d'évidence à tout ce qui nous est attesté par les sens & par le témoignage des hommes : il n'y a même rien qui nous touche davantage que ce qui nous est évident en cette maniere, ou ce qui vient en notre connoissance par le témoignage des sens : & il est aisé de voir que c'est pour suppléer à l'embarras & à l'incertitude des raisonnemens, que Dieu nous rappelle par-tout à la simplicité de la preuve testimoniale & sensible. Elle fixe tout dans la société, dans la Physique, dans la regle de la foi, & dans la regle des moeurs.

Nous avons donc quatre sortes de connoissances, dont nous acquérons les unes par la simple intuition de nos idées, les autres par le raisonnement pur, les troisiemes par le rapport uniforme de nos sens, & les dernieres enfin par des témoignages sûrs & incontestables. La premiere s'appelle connoissance intuitive, la seconde démonstrative, la troisieme sensitive, & la quatrieme testimoniale.

Après avoir fixé les différens degrés par lesquels nous pouvons nous élever à la vérité, il est nécessaire de nous assûrer jusqu'où nous pouvons étendre nos connoissances, & quelles sont les bornes insurmontables qui nous arrêtent.

1°. La connoissance consistant, comme nous l'avons déjà dit, dans la perception de la convenance ou disconvenance de nos idées, il s'ensuit de-là,

1°. Que nous ne devons avoir aucune connoissance où nous n'avons aucune idée.

2°. Que nous ne saurions avoir de connoissance, qu'autant que nous appercevons cette convenance ou cette disconvenance ; ce qui se fait 1°. ou par intuition, en comparant immédiatement deux idées ; 2°. ou par raison, en examinant la convenance ou la disconvenance de deux idées, par l'intervention de quelques autres idées moyennes ; 3°. par sensation, en appercevant l'existence des choses particulieres ; 4°. ou enfin par des évenemens connus, incontestables & authentiques.

3°. Que nous ne saurions avoir une connoissance intuitive qui s'étende à toutes nos idées, parce que nous ne pouvons pas appercevoir toutes les relations qui se trouvent entr'elles, en les comparant immédiatement les unes avec les autres ; par exemple, si j'ai des idées de deux triangles, l'un oxygone & l'autre amblygone, tracés sur une base égale & entre deux lignes paralleles, je puis appercevoir par une simple connoissance de vûe que l'un n'est pas l'autre : mais je ne saurois connoître par ce moyen si ces deux triangles sont égaux ou non, parce qu'on ne sauroit appercevoir leur égalité ou inégalité en les comparant immédiatement. La différence de leurs figures rend leurs parties incapables d'être exactement & immédiatement appliquées l'une sur l'autre ; c'est pourquoi il est nécessaire de faire intervenir une autre quantité pour les mesurer, ce qui est démontrer ou connoître par raison.

4°. Que notre connoissance raisonnée ne peut point embrasser toute l'étendue de nos idées, parce que nous manquons d'idées intermédiaires que nous puissions lier l'une à l'autre par une connoissance intuitive dans toutes les parties de la déduction ; & partout où cela nous manque, la connoissance & la démonstration nous manquent aussi.

Nous avons observé que la convenance ou disconvenance de nos idées consistoit, 1°. dans leur identité ou diversité ; 2°. dans leur relation ; 3°. dans leur co-existence ; 4°. dans leur existence réelle.

1°. A l'égard de l'identité & de la diversité de nos idées, notre connoissance intuitive est aussi étendue que nos idées mêmes ; car l'esprit ne peut avoir aucune idée qu'il ne voye aussi-tôt par une connoissance simple de vûe, qu'elle est ce qu'elle est, & qu'elle est différente de toute autre.

2°. Quant à la connoissance que nous avons de la convenance, ou de la disconvenance de nos idées, par rapport à leur co-existence ; il n'est pas si aisé de déterminer quelle est son étendue. Ce qu'il y a de certain, 1°. c'est que dans les recherches que nous faisons sur la nature des corps, notre connoissance ne s'étend point au-delà de notre expérience. La connoissance intuitive de la nature est refusée à notre intelligence. Ce degré de lumiere qui nous manque, a été remplacé par les témoignages de nos sens, qui nous apprennent de tous les objets ce que nous avons besoin d'en savoir. Nous ne comprenons rien à la nature, ou à l'opération de l'aimant, qui nous indique le pole dans le tems le plus ténébreux. Nous n'avons aucune idée de la structure du soleil, cet astre qui nous procure la chaleur, les couleurs & la vûe de l'univers ; mais une expérience sensible nous force à convenir de son utilité. 2°. Les idées complexes que nous avons des substances se bornent à un certain nombre d'idées simples, qu'une expérience suivie & constante nous fait appercevoir réunies & coexistantes dans un même sujet. 3°. Les qualités sensibles, autrement dites les secondes qualités, font presque seules toute la connoissance que nous avons des substances. Or comme nous ignorons la liaison, ou l'incompatibilité qui se trouve entre ces secondes qualités, attendu que nous ne connoissons pas la source d'où elles découlent, je veux dire, la grosseur, la figure & la contexture des parties insensibles d'où elles dépendent ; il est impossible que nous puissions connoître quelles autres qualités procedent de la même constitution de ces parties insensibles, ou sont incompatibles avec celles que nous connoissons déjà. 3°. La liaison, qui se trouve entre les secondes qualités des corps, se dérobe entierement à nos regards : desorte que nous ne saurions nous assûrer si ces qualités, que nous voyons coexister dans un même sujet, ne pourroient pas exister isolées les unes des autres, ou si elles doivent toûjours s'accompagner. Par exemple, toutes les qualités dont nous avons formé l'idée complexe de l'or, savoir, la couleur jaune, la pesanteur, la malléabilité, la fusibilité, la fixité, & la capacité d'être dissous dans l'eau régale ; toutes ces qualités, dis-je, sont-elles tellement liées & unies ensemble, qu'elles soient inséparables, ou bien ne le sont-elles pas ? M. Locke prétend que nous ne pouvons le savoir ; & que par conséquent, nous ne pouvons nous assurer qu'elles sont rassemblées & réunies dans plusieurs substances semblables, si ce n'est par l'expérience que nous ferons sur chacune d'elles en particulier. Ainsi voilà deux pieces d'or ; je ne puis connoître si elles ont toutes deux toutes les qualités que nous renfermons dans l'idée complexe de l'or, à moins que nous ne tentions des expériences sur chacune d'elles. Avant l'expérience, nous ne connoissons qu'elles ont toutes les qualités de l'or, que d'une maniere à la vérité fort probable, mais qui pourtant ne va pas jusqu'à la certitude ; ainsi pense M. Locke. 4°. Quoique nous n'ayons qu'une connoissance fort imparfaite & fort défectueuse des premieres qualités des corps ; il en est cependant quelques-unes dont nous connoissons la liaison intime ; connoissance qui nous est absolument interdite par rapport aux secondes qualités, dont aucune ne nous paroît supposer l'autre. Ainsi la figure suppose nécessairement l'étendue ; & la réception ou la communication de mouvement par voie d'impulsion suppose la solidité ; ainsi la divisibilité découle nécessairement de la multiplicité de parties substantielles. 5°. La connoissance de l'incompatibilité des idées dans un même sujet, s'étend plus loin que celle de leur co-existence. Par exemple, une étendue particuliere, une certaine figure, un certain nombre de parties, un mouvement particulier exclut toute autre étendue, toute autre figure, tout autre mouvement & nombre de parties. Il en est certainement de même de toutes les idées sensibles particulieres à chaque sens ; car toute idée de chaque sorte qui est présente dans un sujet, exclut toute autre de cette espece. Par exemple, aucun sujet ne peut avoir deux odeurs, ou deux couleurs dans un même tems, & par rapport à la même personne. 6°. L'expérience seule peut nous fournir des connoissances sûres & infaillibles, sur les puissances tant actives que passives des corps ; c'est-là le seul fonds où la Physique puise ses connoissances.

Ces choses ainsi supposées, on peut en quelque façon déterminer quelle est l'étendue de nos connoissances par rapport aux substances corporelles. Ce qui contribue à les étendre beaucoup plus que ne se l'est imaginé M. Locke, c'est que nous avons pour connoître les corps, outre les sens, le témoignage des hommes avec qui nous vivons, & l'analogie : moyens que le philosophe anglois n'a point fait entrer dans les secours que nous fournit l'auteur de notre être, pour perfectionner nos connoissances. Les sens, le témoignage & l'analogie ; voilà les trois fondemens de l'évidence morale que nous avons des corps. Aucun de ces moyens n'est par lui-même, c'est-à-dire, par sa nature, la marque caractéristique de la vérité ; mais réunis ensemble, ils forment une persuasion convaincante, qui entraîne tous les esprits. Voyez ANALOGIE.

L'être souverainement bon, dit M. s'Gravesande, a accordé une grande abondance de biens aux hommes, dont il a voulu qu'ils fissent usage durant leur séjour sur la terre ; mais si les hommes n'avoient point les sens, il leur seroit impossible d'avoir la moindre connoissance de ces avantages ; & ils seroient privés des commodités que l'usage leur en peut procurer ; par où il paroît que Dieu a donné aux hommes les sens, pour s'en servir dans l'examen de ces choses, & pour y ajoûter foi.

La sagesse suprème tomberoit en contradiction avec elle-même, si après avoir accordé tant de biens aux hommes, & leur avoir donné les moyens de les connoître, ces moyens mêmes induisoient en erreur ceux à qui ces bienfaits ont été accordés. Ainsi, les sens conduisent à la connoissance de la vérité, parce que Dieu l'a voulu ainsi ; & la persuasion de la conformité des idées, que nous acquérons dans l'ordre naturel par les sens, avec les choses qu'elles représentent, est complete .

Cependant la maniere dont les sens nous menent à la connoissance des choses, n'est pas évidente par elle-même. Un long usage & une longue expérience sont nécessaires pour cela. Voyez l'art. des SENS, où nous expliquons comment dans chaque circonstance nous pouvons déterminer exactement ce que nous pouvons déduire de nos sensations, d'une maniere qui ne nous laisse pas le moindre doute.

Les sens seuls ne suffisent pas pour pouvoir acquérir une connoissance des corps conforme à notre situation. Il n'y a point d'homme au monde, qui puisse examiner par lui-même toutes les choses qui lui sont nécessaires à la vie ; dans un nombre infini d'occasions il doit être instruit par d'autres, & s'il n'ajoûte pas foi à leur témoignage, il ne pourra tirer aucune utilité de la plûpart des choses que Dieu lui a accordées ; & il se trouvera réduit à mener sur la terre une vie courte & malheureuse.

D'où nous concluons que Dieu a voulu que le témoignage fût aussi une marque de la vérité ; il a d'ailleurs donné aux hommes la faculté de déterminer les qualités que doit avoir un témoignage, pour qu'on y ajoûte foi.

Les jugemens, qui ont pour fondement l'analogie, nous conduisent aussi à la connoissance des choses ; & la justesse des conclusions, que nous tirons de l'analogie, se déduit du même principe ; c'est-à-dire, de la volonté de Dieu, dont la providence a placé l'homme dans des circonstances, qui lui imposent la nécessité de vivre peu & misérablement, s'il refuse d'attribuer aux choses, qu'il n'a point examinées, les propriétés qu'il a trouvées à d'autres choses semblables, en les examinant.

Qui pourroit sans le secours de l'analogie, distinguer du poison de ce qui peut être utile à la santé ? Qui oseroit quitter le lieu qu'il occupe ? Quel moyen y auroit-il d'éviter un nombre infini de périls ?

3°. Pour ce qui est de la troisieme espece de connoissance, qui est la convenance ou la disconvenance de quelqu'une de nos idées, considérées dans quelque autre rapport que ce soit ; comme c'est-là le plus vaste champ de nos connoissances, il est bien difficile de déterminer jusqu'où il peut s'étendre. Comme les progrès qu'on peut faire dans cette partie de notre connoissance, dépendent de notre sagacité à trouver des idées intermédiaires, qui puissent faire voir les rapports des idées dont on ne considere pas la coexistence ; il est difficile de dire, quand nous sommes au bout de ces sortes de découvertes.

Ceux qui ignorent l'Algebre, ne sauroient se figurer les choses étonnantes qu'on peut faire en ce genre par le moyen de cette science. Il n'est pas possible de déterminer quels nouveaux moyens de perfectionner les autres parties de nos connoissances, peuvent être encore inventés par un esprit pénétrant. Quoi qu'il en soit, l'on peut assûrer que les idées qui regardent les nombres & l'étendue, ne sont pas les seules capables de démonstration ; mais qu'il y en a d'autres qui font peut-être la plus importante de nos spéculations, d'où l'on pourroit déduire des connoissances aussi certaines, si les vices, les passions, des intérêts dominans, ne s'opposoient directement à l'exécution d'une telle entreprise.

L'idée d'un Etre suprème, infini en puissance, en bonté, en sagesse, qui nous a faits, & de qui nous dépendons ; & l'idée de nous-mêmes comme de créatures intelligentes & raisonnables : ces deux idées, dis-je, bien approfondies, conduiroient à des conséquences sur nos devoirs envers Dieu, aussi nécessaires & aussi intimement liées, que toutes les conséquences qu'on tire des principes mathématiques. On auroit du juste & de l'injuste des mesures aussi précises & aussi exactes que celles que nous avons du nombre & de l'étendue. Par exemple, cette proposition ; il ne sauroit y avoir de l'injustice où il n'y a point de propriété, est aussi certaine qu'aucune démonstration qui soit dans Euclide ; car l'idée de propriété étant un droit à une certaine chose, & l'idée qu'on désigne par le nom d'injustice étant l'invasion ou la violation d'un droit ; il est évident que ces idées étant ainsi déterminées, & ces noms leur étant attachés, je puis connoître aussi certainement que cette proposition est véritable, que je connois qu'un triangle a trois angles égaux à deux droits. Autre proposition d'une égale certitude, nul gouvernement n'accorde une absolue liberté ; car comme l'idée de gouvernement est un établissement de société sur certaines regles ou lois dont il exige l'exécution, & que l'idée d'une absolue liberté emporte avec elle le droit de faire tout ce que l'on veut ; je puis être aussi certain de la vérité de cette proposition, que d'aucune qu'on trouve dans les Mathématiques.

Ce qui a donné à cet égard l'avantage aux idées de quantité, c'est :

1°. Qu'on peut les représenter par des marques sensibles, qui ont une plus grande & plus étroite correspondance avec elles, que quelques mots ou sens qu'on puisse imaginer. Des figures tracées sur le papier sont autant de copies des idées qu'on a dans l'esprit, qui ne sont pas sujettes à l'incertitude que les mots ont dans leur signification. Un angle, un cercle, ou un quarré qu'on trace avec des lignes, paroît à la vûe sans qu'on puisse s'y méprendre, il demeure invariable, & peut être considéré à loisir ; on peut revoir la démonstration qu'on a faite sur son sujet, & en considérer plus d'une fois toutes les parties, sans qu'il y ait aucun danger que les idées changent le moins du monde. On ne peut pas faire la même chose à l'égard des idées morales ; car nous n'avons point de marques sensibles qui les représentent, & par où nous puissions les exposer aux yeux. Nous n'avons que des mots pour les exprimer ; mais quoique ces mots restent les mêmes quand ils sont écrits, cependant les idées qu'ils signifient, peuvent varier dans le même homme ; & il est fort rare qu'elles ne soient pas différentes en différentes personnes.

2°. Une autre chose qui cause une plus grande difficulté dans la morale ; c'est que les idées morales sont ordinairement plus complexes que celles des figures, qu'on considere ordinairement dans les Mathématiques ; d'où naissent ces deux inconvéniens : le premier, que les noms des idées morales ont une signification plus incertaine, parce qu'on ne convient pas si aisément de la collection d'idées simples qu'ils signifient précisément ; & par conséquent le signe qu'on met toûjours à leur place, lorsqu'on s'entretient avec d'autres personnes, & souvent en méditant en soi-même, n'emporte pas constamment avec lui la même idée. Un autre inconvénient qui naît de la complication des idées morales, c'est que l'esprit ne sauroit retenir aisément ces combinaisons précises d'une maniere aussi exacte & aussi parfaite qu'il est nécessaire pour examiner les rapports, les convenances ou les disconvenances de plusieurs de ces idées comparées l'une à l'autre ; & sur-tout lorsqu'on n'en peut juger que par de longues déductions, & par l'intervention de plusieurs autres idées complexes, dont on se sert pour montrer la convenance de deux idées éloignées. Il est donc certain que les vérités morales ont une étroite liaison les unes avec les autres, qu'elles découlent d'idées claires & distinctes par des conséquences nécessaires, & que par conséquent elles peuvent être démontrées.

3°. Quant à la connoissance que nous avons de l'existence réelle & actuelle des choses, elle s'étend sur beaucoup de choses. Nous avons une connoissance intuitive de notre existence, voyez le Discours Préliminaire : une connoissance démonstrative de l'existence de Dieu ; voyez DIEU : une connoissance sensitive de tous les objets qui frappent nos sens ; & une testimoniale de plusieurs évenemens qui sont parvenus jusqu'à nous, à-travers l'espace des siecles, purs & sans altération. Voyez VERITE.

Il est constant, par tout ce que nous venons de dire, qu'il y a des connoissances certaines, puisque nous appercevons de la convenance ou de la disconvenance entre plusieurs de nos idées. Mais toutes nos connoissances sont-elles réelles ? qui peut savoir ce que sont ces idées, dont nous voyons la convenance ou la disconvenance ? y a-t-il rien de si extravagant que les imaginations qui se forment dans le cerveau des hommes ? où est celui qui n'a pas quelque chimere dans la tête ? & s'il y a un homme d'un sens rassis & d'un jugement tout-à-fait solide, quelle différence y aura-t-il, en vertu de nos regles, entre la connoissance d'un tel homme & celle de l'esprit le plus extravagant du monde. Ils ont tous deux leurs idées ; & ils apperçoivent tous deux la convenance ou la disconvenance qui est entr'elles. Si ces idées different par quelque endroit, tout l'avantage sera du côté de celui qui a l'imagination la plus échauffée, parce qu'il a des idées plus vives & en plus grand nombre ; desorte que selon nos propres regles, il aura aussi plus de connoissance. S'il est vrai que toute la connoissance consiste dans la perception de la convenance ou de la disconvenance de nos propres idées, il y aura autant de certitude dans les visions d'un enthousiaste, que dans les raisonnemens d'un homme de bon sens. Il n'importe ce que les choses sont en elles-mêmes, pourvû qu'un homme observe la convenance de ses propres imaginations, & qu'il parle conséquemment ; ce qu'il dit est certain, c'est la vérité toute pure. Tous ces châteaux bâtis en l'air seront d'aussi fortes retraites de la vérité, que les démonstrations mathématiques. Mais de quel usage sera toute cette belle connoissance des imaginations des hommes, à celui qui cherche à s'instruire de la réalité des choses ? qu'importe de savoir ce que sont les fantaisies des hommes ? ce n'est que la connoissance des choses qu'on doit estimer ; c'est cela seul qui donne du prix à nos raisonnemens, & qui fait préférer la connoissance de ce que les choses sont réellement en elles-mêmes, à une connoissance de songes & de visions. Voilà la difficulté proposée dans toute sa force par M. Locke. Voici comme il y répond.

Si la connoissance que nous avons de nos idées se termine à ces idées sans s'étendre plus avant lorsqu'on se propose quelque chose de plus, nos plus sérieuses pensées ne seront pas d'un beaucoup plus grand usage que les rêveries d'un cerveau déréglé ; & les vérités fondées sur cette connoissance, ne seront pas d'un plus grand poids que les discours d'un homme qui voit clairement les choses en songe, & les débite avec une extrème confiance ; velut aegri somnia, vanae fingentur species.

Il est évident que l'esprit ne connoît pas les choses immédiatement, mais par l'intervention des idées qui les lui représentent ; & par conséquent notre connoissance n'est réelle, qu'autant qu'il y a de la conformité entre nos idées & la réalité des choses. Mais quel sera ici notre criterion ? comment l'esprit, qui n'apperçoit rien que ses propres idées, connoîtra-t-il qu'elles conviennent avec les choses mêmes ? Quoique cela ne semble pas exempt de difficulté, on peut pourtant assûrer avec toute la certitude possible, qu'il y a du moins deux sortes d'idées, qui sont conformes aux choses.

Les premieres sont les idées simples ; car puisque l'esprit ne sauroit en aucune façon se les former à lui-même, il faut nécessairement qu'elles soient produites par des choses qui agissent naturellement sur l'esprit, & y font naître les perceptions auxquelles elles sont proportionnées par la sagesse de celui qui nous a faits. Il s'ensuit de-là que les idées simples ne sont pas des fictions de notre propre imagination, mais des productions naturelles & régulieres des choses existantes hors de nous, qui operent réellement sur nous ; & qu'ainsi elles ont toute la conformité à quoi elles sont destinées, ou que notre état exige : car elles nous représentent les choses sous les apparences que les choses sont capables de produire en nous ; par où nous devenons capables nous-mêmes de distinguer les especes des substances particulieres, de discerner l'état où elles se trouvent, & par ce moyen de les appliquer à notre usage. Ainsi l'idée de blancheur ou d'amertume, telle qu'elle est dans l'esprit, étant exactement conforme à la puissance qui est dans un corps d'y produire une telle idée, a toute la conformité réelle qu'elle peut ou doit avoir avec les choses qui existent hors de nous ; & cette conformité qui se trouve entre nos idées simples & l'existence des choses, suffit pour nous donner une connoissance réelle.

En second lieu, toutes nos idées complexes, excepté celles des substances, étant des archetypes que l'esprit a formés lui-même, qu'il n'a pas destinés à être des copies de quoi que ce soit, ni rapportés à l'existence d'aucunes choses comme à leurs originaux, elles ne peuvent manquer d'avoir toute la conformité nécessaire à une connoissance réelle : car ce qui n'est pas destiné à représenter autre chose que soi-même, ne peut être capable d'une fausse représentation. Or excepté les idées des substances, telles sont toutes nos idées complexes, qui sont des combinaisons d'idées, que l'esprit joint ensemble par un libre choix, sans examiner si elles ont aucune liaison dans la nature. De-là vient que toutes les idées de cet ordre sont elles-mêmes considérées comme des archetypes, & les choses ne sont considérées qu'en tant qu'elles y sont conformes. Par conséquent toute notre connoissance touchant ces idées est réelle, & s'étend aux choses mêmes ; parce que dans toutes nos pensées, dans tous nos raisonnemens, & dans tous nos discours sur ces sortes d'idées, nous n'avons dessein de considérer les choses qu'autant qu'elles sont conformes à nos idées ; & par conséquent nous ne pouvons manquer d'acquérir sur ce sujet une réalité certaine & indubitable.

Quoique toute notre connoissance, en fait de Mathématiques, roule uniquement sur nos propres idées, on peut dire cependant qu'elle est réelle, & que ce ne sont point de simples visions, & des chimeres d'un cerveau fertile en imaginations frivoles. Le mathématicien examine la vérité & les propriétés qui appartiennent à un rectangle ou à un cercle, à les considérer seulement tels qu'ils sont en idée dans son esprit ; car peut-être n'a-t-il jamais trouvé en sa vie aucune de ces figures qui soient mathématiquement, c'est-à-dire, précisément & exactement véritables : ce qui n'empêche pourtant pas que la connoissance qu'il a de quelque vérité ou de quelque propriété que ce soit, qui appartient au cercle ou à toute autre figure mathématique, ne soit véritable & certaine, même à l'égard des choses réellement existantes ; parce que les choses réelles n'entrent dans ces sortes de propositions & n'y sont considérées, qu'autant qu'elles conviennent réellement avec les archetypes, qui sont dans l'esprit du mathématicien. Est-il vrai de l'idée du triangle que ses trois angles soient égaux à deux droits ? La même chose est aussi véritable d'un triangle, en quelque endroit qu'il existe réellement. Mais que toute autre figure actuellement existante ne soit pas exactement conforme à l'idée du triangle qu'il a dans l'esprit, elle n'a absolument rien à démêler avec cette proposition : & par conséquent le mathématicien voit certainement que toute sa connoissance touchant ces sortes d'idées est réelle ; parce que ne considérant les choses qu'autant qu'elles conviennent avec ces idées qu'il a dans l'esprit, il est assûré que tout ce qu'il sait sur ces figures, lorsqu'elles n'ont qu'une existence idéale dans son esprit, se trouvera aussi véritable à l'égard de ces mêmes figures, si elles viennent à exister réellement dans la matiere : ses réflexions ne tombent que sur ces figures, qui sont les mêmes, soit qu'elles existent ou qu'elles n'existent pas.

Il s'ensuit de-là, que la connoissance des vérités morales est aussi susceptible d'une certitude réelle, que celle des vérités mathématiques. Comme nos idées morales sont elles-mêmes des archetypes, aussi-bien que les idées mathématiques, & qu'ainsi ce sont des idées complete s, toute la convenance ou la disconvenance que nous découvrirons entr'elles, produira une connoissance réelle, aussi-bien que dans les figures mathématiques.

Pour parvenir à la connoissance & à la certitude, il est nécessaire que nous ayons des idées déterminées ; & pour faire que notre connoissance soit réelle, il faut que nos idées répondent à leurs archetypes : au reste l'on ne doit pas trouver étrange qu'on place la réalité de notre connoissance dans la considération de nos idées, sans se mettre fort en peine de l'existence réelle des choses ; puisqu'après y avoir bien pensé, l'on trouvera, si je ne me trompe, que la plûpart des discours sur lesquels roulent les pensées & les disputes, ne sont effectivement que des propositions générales & des notions, auxquelles l'existence n'a aucune part. Tous les discours de Mathématiciens sur la quadrature du cercle, sur les sections coniques, ou sur toute autre partie des Mathématiques, ne regardent point du tout l'existence d'aucune de ces figures. Les démonstrations qu'ils font sur cela, & qui dépendent des idées qu'ils ont dans l'esprit, sont les mêmes, soit qu'il y ait un quarré ou un cercle actuellement existant dans le monde, ou qu'il n'y en ait point. De même, la vérité des discours de morale est considérée indépendamment de la vie des hommes, & de l'existence actuelle de ces vertus ; & les offices de Cicéron ne sont pas moins conformes à la vérité, parce qu'il n'y a personne qui en pratique exactement les maximes, & qui regle sa vie sur le modele d'un homme de bien, tel que Cicéron nous l'a dépeint dans cet ouvrage, & qui n'existoit qu'en idée lorsqu'il l'écrivoit. S'il est vrai dans la spéculation, c'est-à-dire en idée, que le meurtre mérite la mort, il le sera aussi à l'égard de toute action réelle qui est conforme à cette idée de meurtre. Quant aux autres actions, la vérité de cette proposition ne les touche en aucune maniere. Il en est de même de toutes les autres especes de choses qui n'ont point d'autre essence que les idées mêmes qui sont dans l'esprit de l'homme.

En troisieme lieu, il y a une autre sorte d'idées complexes, qui se rapportant à des archetypes qui existent hors de nous, peuvent en être différentes ; & ainsi notre connoissance touchant ces idées peut manquer d'être réelle. Telles sont nos idées de substance, qui consistant dans une collection d'idées simples, peuvent pourtant être différentes de ces archetypes, dès-là qu'elles renferment plus d'idées ou d'autres idées que celles qu'on peut trouver unies dans les choses mêmes ; dans ce cas-là elles ne sont pas réelles, n'étant pas exactement conformes aux choses mêmes. Ainsi pour avoir des idées des substances, qui étant conformes aux choses puissent nous fournir une connoissance réelle, il ne suffit pas de joindre ensemble, ainsi que dans les modes, des idées qui ne soient pas incompatibles, quoiqu'elles n'ayent jamais existé auparavant de cette maniere ; comme sont, par exemple, des idées de sacrilége ou de parjure, &c. qui étoient aussi véritables & aussi réelles avant qu'après l'existence d'aucune action semblable. Il en est tout autrement à l'égard de nos idées de substances ; car celles-ci étant regardées comme des copies qui doivent représenter des archetypes existans hors de nous, elles doivent être toûjours formées sur quelque chose qui existe ou qui ait existé ; & il ne faut pas qu'elles soient composées d'idées, que notre esprit joigne arbitrairement ensemble, sans suivre aucun modele réel d'où elles ayent été déduites, quoique nous ne puissions appercevoir aucune incompatibilité dans une telle combinaison. La raison de cela est, que ne sachant pas quelle est la constitution réelle des substances d'où dépendent nos idées simples, & qui est effectivement la cause de ce que quelques-unes d'elles sont étroitement liées ensemble dans un même sujet, & que d'autres en sont exclues, il y en a fort peu dont nous puissions assûrer qu'elles peuvent ou ne peuvent pas exister ensemble dans la nature, au-delà de ce qui paroît par l'expérience & par des observations sensibles. Par conséquent toute la réalité de la connoissance que nous avons des substances, est fondée sur ceci : que toutes nos idées complexes des substances doivent être telles qu'elles soient uniquement composées d'idées simples, qu'on ait reconnues co-exister dans la nature. Jusque-là nos idées sont véritables ; & quoiqu'elles ne soient peut-être pas des copies fort exactes des substances, elles ne laissent pourtant pas d'être les sujets de la connoissance réelle que nous avons des substances ; connoissance bornée, à la vérité, mais qui n'en est pas moins réelle, tant qu'elle peut s'étendre.

Enfin, pour terminer ce que nous avions à dire sur la certitude & la réalité de nos connoissances ; par-tout où nous appercevons la convenance ou la disconvenance de quelqu'une de nos idées, il y a une connoissance certaine ; & par-tout où nous sommes assûrés que ces idées conviennent avec la réalité des choses, il y a une connoissance certaine & réelle.

Mais, direz-vous, notre connoissance n'est réelle qu'autant qu'elle est conforme à son objet extérieur : or nous ne pouvons le savoir ; car, ou notre idée est conforme à l'objet, ou elle n'y est pas conforme : si elle n'y est pas conforme, nous n'en avons pas l'idée : si nous disons qu'elle y est conforme, comment le prouverons-nous ? Il faudroit que nous connussions cet objet avant que d'en avoir l'idée, afin que nous puissions dire & être assûrés que notre idée y est conforme. Mais loin de cela, nous ne saurions pas si cet objet existe, si nous n'en avions l'idée, & nous ne le connoissons que par l'idée que nous en avons : au lieu qu'il faudroit que nous connussions cet objet-là avant toutes choses, pour pouvoir dire que l'idée que nous avons est l'idée de cet objet. Je ne puis connoître la vérité de mon idée, que par la connoissance de l'objet dont elle est l'idée ; mais je ne puis connoître cet objet, que par l'assûrance que j'aurai de la vérité de mon idée. Voilà donc deux choses telles que je ne saurois connoître la premiere que par la seconde, ni la seconde que par la premiere ; & par conséquent je ne saurois connoître avec une pleine certitude ni l'une ni l'autre. D'ailleurs pourquoi voulons-nous que l'idée que nous avons d'un arbre soit plus conforme à ce qui est hors de nous, que l'idée que nous avons de la douceur ou de l'amertume, de la chaleur ou du froid, des sons & des couleurs ? Or on convient qu'il n'y a rien hors de nous & dans les objets qui soit semblable à ces idées que nous avons en leur présence : donc nous n'avons aucune preuve démonstrative qu'il y ait hors de nous quelque chose qui soit conforme à l'idée que nous avons, par exemple, d'un arbre ou de quelque autre objet ; donc nous ne sommes assûrés d'aucune connoissance réelle.

Rien n'est moins solide que cette objection, quoiqu'elle soit une des plus subtiles qui ayent été proposées par Sextus Empiricus. L'objection suppose que nous croyons avoir l'idée d'un arbre, par exemple, sans que nous soyons sûrs de l'avoir. Voici donc ce que je réponds. L'idée est de sa nature & de son essence une image, une représentation. Or toute image, toute représentation suppose un objet quel qu'il soit. Je demande maintenant si cet objet est possible ou impossible. Qu'il ne soit pas impossible, un pur être de raison, cela se conçoit aisément. Il suffit que nous ne puissions pas plus nous en former l'idée, qu'un peintre peut tracer sur une toile un cercle quarré, un triangle rond, un quarré sans quatre côtés. L'impossibilité du peintre pour peindre de telles figures, nous garantit l'impossibilité où nous sommes de concevoir un être qui implique contradiction. Il reste donc que l'objet représenté par l'idée, soit du moins possible. Or cet objet possible est ou interne, ou externe. S'il est interne, il se confond avec notre idée même, & par conséquent nous avons de lui la même perception intime que celle que nous avons de notre idée. S'il est externe, la connoissance que j'en ai par l'idée qui le représente, est aussi réelle que lui, parce que cette idée lui est nécessairement conforme. Mais pour connoître si l'idée est vraie, il faudroit que je connusse déjà l'objet. Point du tout ; car l'idée porte avec elle sa vérité, sa vérité consistant à représenter ce qu'elle représente, & à ne pouvoir pas ne point représenter ce qu'elle représente. L'objection suppose faux, en disant qu'une des deux choses, soit l'idée, soit l'objet, précede la connoissance de l'autre. Ce sont deux corollaires qui se connoissent en même tems. Mais pendant que je m'imagine avoir l'idée d'un arbre, ne peut-il pas se faire que j'aye l'idée de tout autre objet ? Cela n'est pas plus possible qu'il le seroit de voir du noir quand on croit voir du blanc, de sentir de la douleur quand on croit n'avoir que des sentimens de plaisir. La raison de cela est que l'ame ayant une perception intime de tout ce qui se passe chez elle, elle ne peut jamais prendre une idée pour l'autre ; & par conséquent, si elle croit voir un arbre, c'est que réellement elle en a l'idée.

Quant à ce qu'on ajoûte, que l'idée que nous avons d'un arbre ne doit pas être plus conforme à ce qui est hors de nous, que l'idée que nous avons de la douceur ou de l'amertume, de la chaleur ou du froid, des sons & des couleurs, sensations qui n'existent pas certainement hors de nous, cela ne souffre aucune difficulté. La notion d'un arbre dépouillé de toutes les qualités sensibles que lui donne un jugement précipité, & considéré du côté de son étendue, de sa grandeur, & de sa figure, n'est que l'idée de plusieurs êtres qui nous paroissent les uns hors des autres : c'est pourquoi en supposant au-dehors quelque chose de conforme à cette idée, nous nous le représentons toûjours d'une maniere aussi claire, que si nous ne le considérions qu'en l'idée même. Il en est tout autrement des couleurs, des odeurs, des goûts, &c. Tant qu'en refléchissant sur ces sensations, nous les regardons comme à nous, comme nous étant propres, nous en avons des idées fort claires : mais si nous voulons, pour ainsi dire, les détacher de notre être, & en enrichir les objets, nous faisons une chose dont nous n'avons plus d'idée ; nous ne sommes portés à les leur attribuer, que parce que d'un côté nous sommes obligés d'y supposer quelque chose qui les occasionne, & que de l'autre cette cause nous est tout-à-fait cachée. Voyez Locke, le P. Buffier, Chambers, M. Formey.

CONNOISSANCES, (Ven.) indices de l'âge & de la forme du cerf, par la tête, le pié, les fumées, &c.


CONNOISSEMENTsub. m. (Commerce de mer) c'est une espece d'acte ou de reconnoissance sous signature privée, que le maître ou capitaine d'un navire donne à un marchand, des marchandises qu'il a fait charger, avec soûmission de les porter à leur destination moyennant un certain prix.

Le mot de connoissement n'est guere en usage que sur l'Océan : sur la Méditerranée on dit police de chargement, qui a la même signification.

Suivant l'ordonnance de la Marine du mois d'Août 1681, les connoissemens doivent être signés par le maître ou l'écrivain du vaisseau, faire mention de la quantité, qualité des marchandises, de leur destination, du prix convenu pour le port ou fret, &c. Chaque connoissement doit être triple ; l'un pour le marchand qui fait le chargement, l'autre pour celui à qui les marchandises sont destinées, le troisieme pour le maître ou capitaine, auquel les marchands sont tenus de les présenter vingt-quatre heures après le chargement du vaisseau pour les signer, & de lui fournir les acquits nécessaires, sous peine de payer les fraix du retardement. Voyez dans le dictionnaire du Comm. de Savary, tome II. pag. 582 & suiv. le reste des détails qui concernent les connoissemens, & le modele qu'il donne de ces sortes d'actes. (G)


CONNOISSEURS. m. (Littér. Peint. Musiq. &c.) n'est pas la même chose qu'amateur. Exemple. Connoisseur, en fait d'ouvrages de Peinture, ou autres qui ont le dessein pour base, renferme moins l'idée d'un goût décidé pour cet art, qu'un discernement certain pour en juger. L'on n'est jamais parfait connoisseur en peinture, sans être peintre ; il s'en faut même beaucoup que tous les Peintres soient bons connoisseurs. Il y en a d'assez ignorans pour voir la nature comme ils la font, ou pour croire qu'il ne faut pas la rendre comme ils la voyent. On dit : Vous pourriez être flaté des loüanges de tel ; c'est un grand connoisseur. Voyez le dictionn. de Peinture.

Il n'y a point d'art qu'on ne puisse substituer dans cet article à la Peinture, que nous avons prise pour exemple ; l'application sera également juste. (R)


CONNOITREv. act. qui désigne l'opération de l'entendement qu'on appelle connoissance. Voyez CONNOISSANCE.

CONNOITRE les éperons, les talons, la bride, &c. en Maréchallerie, c'est de la part du cheval sentir avec justesse ce que le cavalier demande ; lorsqu'il approche les éperons, les jambes, ou les talons, & qu'il tire ou rend la bride. (V)


CONNOR(Géog.) ville d'Irlande dans la province d'Ulster, au comté d'Antrim.


CONODISS. m. (Comm.) petite monnoie de billon très-commun fabriquée, & qui a cours à Goa & dans le royaume de Cochin : elle vaut sept deniers argent de France. Voyez les dict. de Trév. & du Comm.


CONOIDES. m. (Géom.) nom que l'on donne à un corps solide formé par la révolution d'une courbe quelconque autour de son axe, & qu'on donne quelquefois aussi à d'autres solides qui au lieu d'être composés, comme celui-ci, de tranches circulaires perpendiculaires à l'axe, sont composés d'autres especes de tranches. Voyez AXE.

Le conoïde prend le nom de la courbe qui l'a produit par sa révolution. Un conoïde parabolique, qu'on appelle aussi un paraboloïde, est le solide produit par la révolution de la parabole autour de son axe, &c.

Archimede a fait un livre des conoïdes & des sphéroïdes, dans lequel ce grand géometre a donné les dimensions des solides ou conoïdes paraboliques, elliptiques, hyperboliques, &c.

Comme l'ellipse a deux axes, elle produit aussi deux conoïdes, selon qu'on la fait tourner autour de l'un ou l'autre de ces axes. Chacun de ces conoïdes s'appelle sphéroïde. L'hyperbole produit aussi deux conoïdes par sa révolution autour de l'un ou de l'autre de ces axes. Mais Archimede n'a examiné que le conoïde produit par la révolution de l'hyperbole autour de son axe transverse ou premier, & M. Parent (voyez hist. acad. 1709.) s'est appliqué à considérer le conoïde formé par la révolution de l'hyperbole autour de son second axe. Ce conoïde s'appelle cylindroïde, à cause qu'il ressemble plus à un cylindre qu'à un cone, ne se terminant pas en pointe comme les autres conoïdes. Car quoique le mot de conoïde s'applique assez généralement à tous les solides formés par la révolution des courbes autour de leur axe, cependant ce mot, qui est dérivé de cone, convient encore d'une maniere plus particuliere à ceux qui se terminent en pointe, ou qui, comme le cone, ont un sommet.

Nous donnerons à cette occasion une méthode particuliere pour mesurer la surface courbe d'un conoïde : cette méthode est assez simple ; nous la croyons nouvelle, & elle peut être utile en quelques cas.

D'un point quelconque de la courbe qui engendre le conoïde, soit menée une ordonnée perpendiculaire à l'axe de rotation, & une perpendiculaire à la courbe qui aboutisse à l'axe : soit prolongée l'ordonnée hors de la courbe jusqu'à ce que le prolongement soit égal à l'excès de la perpendiculaire sur l'ordonnée ; & imaginant que l'on fasse la même chose à chaque point de la courbe, soit supposée une nouvelle courbe qui passe par les extrémités des ordonnées ainsi prolongées : je dis que la surface courbe du conoïde sera à l'aire de cette nouvelle courbe, comme la circonférence du cercle est au rayon. Cette proposition est fondée sur ces deux-ci : 1°. l'élément de la surface du conoïde est le produit du petit côté de la courbe par la circonférence du cercle dont l'ordonnée est le rayon : 2°. la perpendiculaire est à l'ordonnée, comme l'élément de la courbe est à l'élément de l'abscisse ; deux propositions dont la démonstration est très-facile.

Par le moyen de cette proposition on peut trouver aisément la surface courbe du conoïde qu'une section conique quelconque engendre en tournant autour de son axe. Car on trouvera que la courbe formée par les ordonnées prolongées est toûjours une section conique ; & par conséquent la mesure de la surface courbe se réduira à la quadrature de quelque section conique, c'est-à-dire à la quadrature de la parabole, qui est connue depuis long-tems, ou à la quadrature du cercle, ou à celle de l'hyperbole. Voyez CYLINDROÏDE. (O)

CONOÏDE ou CONARIUM, voyez CONARIUM & PINEALE.


CONONITESS. m. pl. (Hist. ecclésiastiq.) hérétiques du vj. siecle qui suivoient les rêveries d'un certain Conon d'Alexandrie : ces rêveries servirent de fondement à celles des Séveriens, Théodosiens, & Trithéites, dont on trouvera les dogmes en leur place. Voyez SEVERIENS, THEODOSIENS, TRITHEITES. Dictionn. de Moréri & Chambers. (G)


CONQUE-ANATIFEREvoyez BERNACLE.

* CONQUE SPHERIQUE ou GLOBOSITE, globositi, espece de coquille fossile ; elle est globuleuse, grosse au milieu, presque point en volute, & ordinairement sphérique comme des noix. La bouche en est grande & large ; elle a communément un noeud ou bouton au sommet, ou à l'endroit où se terminent les spirales. On l'appelle aussi tonnite, tonniti ; tinus maris lapideae ; bullae lapideae. Minéral. de Wallerius.

CONQUE, en terme d'Anatomie, est le nom qu'on donne à la seconde cavité ou cavité interne de l'oreille externe, qui est au-devant du conduit auditif. Voyez OREILLE.

Ce nom lui vient de la ressemblance qu'il a avec une coquille de mer qui se nomme en latin concha.

Quelques-uns donnent le même nom à la premiere cavité de l'oreille interne, que d'autres appellent la caisse du tambour. D'autres le donnent encore au vestibule du labyrinthe, qui est dans la seconde cavité de l'oreille interne. Voyez TAMBOUR & VESTIBULE. Chambers.

On donne aussi ce nom aux cornets du nez. Voyez NEZ & CORNET. (L)

* CONQUE, (Hist. anc.) mesure de liquide ; elle tenoit la moitié du ciathus, ou deux mistra, ou pesoit cinq drachmes & un scrupule & vingt grains d'huile.

C'étoit encore un vase à boire & à mettre des feves apprêtées avec de l'huile sans être écossées, nourriture des pauvres. Dans les églises, la conque en étoit la partie où le maître-autel est placé.

CONQUE, (Comm.) mesure de grains dont on se sert à Bayonne & à Saint-Jean-de-Luz.

Trente conques font le tonneau de Nantes ; ce qui revient à neuf septiers & demi de Paris. Il faut environ trente-huit conques pour le tonneau de Vannes & de Bordeaux, c'est-à-dire environ dix pour cent plus que pour celui de Nantes.

On se sert aussi de la conque à Bayonne pour mesurer les sels, & deux conques y composent un sac mesure de Dax. Voyez les dict. de Trév. du Comm. & de Chamb.


CONQUET(le) Géog. mod. petite ville maritime de France en basse Bretagne, au pays de Cornouailles, avec un bon port.


CONQUETES. f. (Droit des gens) acquisition de la souveraineté par la supériorité des armes d'un prince étranger, qui réduit enfin les vaincus à se soûmettre à son empire.

Il est très-important d'établir le juste pouvoir du droit de conquête, ses lois, son esprit, ses effets, & les fondemens de la souveraineté acquise de cette maniere. Mais pour ne point m'égarer faute de lumieres dans des chemins obscurs & peu battus, je prendrai des guides éclairés, connus de tout le monde, qui ont nouvellement & attentivement parcouru ces routes épineuses, & qui me tenant par la main m'empêcheront de tomber.

On peut définir le droit de conquête, un droit nécessaire, légitime & malheureux, qui laisse toûjours à payer une dette immense, pour s'acquiter envers la nature humaine.

Du droit de guerre dérive celui de conquête, qui en est la conséquence. Lorsqu'un peuple est conquis, le droit que le conquérant a sur lui suit quatre sortes de lois : la loi de la nature, qui fait que tout tend à la conservation des especes : la loi de la lumiere naturelle, qui veut que nous fassions à autrui ce que nous voudrions qu'on nous fît : la loi qui forme les sociétés politiques, qui sont telles que la nature n'en a point borné la durée : enfin la loi tirée de la chose même.

Ainsi un état qui en a conquis un autre, le traite d'une des quatre manieres suivantes ; ou il continue à le gouverner selon ses lois, & ne prend pour lui que l'exercice du gouvernement politique & civil ; ou il lui donne un nouveau gouvernement politique & civil ; ou il détruit la société, & la disperse dans d'autres ; ou enfin il extermine tous les citoyens.

Les deux premieres manieres sont conformes au droit des gens que nous suivons aujourd'hui. J'observerai seulement sur la seconde, que c'est une entreprise hasardée dans le conquérant, de vouloir donner ses lois & ses coûtumes au peuple conquis : cela n'est bon à rien, parce que dans toutes sortes de gouvernemens on est capable d'obéir. Les deux dernieres manieres sont plus conformes au droit des gens des Romains ; sur quoi l'on peut juger à quel point nous sommes devenus meilleurs. Il faut rendre hommage à nos tems modernes, à la raison présente, à la religion d'aujourd'hui, à notre philosophie, à nos moeurs. Nous savons que la conquête est une acquisition, & que l'esprit d'acquisition porte avec lui l'esprit de conservation & d'usage, & non pas celui de destruction.

Les auteurs de notre droit public, fondés sur les histoires anciennes, étant sortis des cas rigides, sont tombés dans de grandes erreurs ; ils ont donné dans l'arbitraire ; ils ont supposé dans les conquérans un droit, je ne sai quel, de tuer ; ce qui leur a fait tirer des conséquences terribles comme le principe, & établir des maximes que les conquérans eux-mêmes lorsqu'ils ont eu le moindre sens, n'ont jamais prises. Il est clair que lorsque la conquête est faite, le conquérant n'a plus le droit de tuer, puisqu'il n'est plus dans le cas de la défense naturelle & de sa propre conservation.

Ce qui a fait penser ainsi nos auteurs politiques, c'est qu'ils ont cru que le conquérant avoit droit de détruire la société ; d'où ils ont conclu qu'il avoit celui de détruire les hommes qui la composent ; ce qui est une conséquence faussement tirée d'un faux principe : car de ce que la société seroit anéantie, il ne s'ensuivroit pas que les hommes qui la forment dûssent aussi être anéantis. La société est l'union des hommes, & non pas les hommes ; le citoyen peut périr, & l'homme rester.

Du droit de tuer dans la conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire en servitude ; mais la conséquence est aussi mal fondée que le principe.

On n'a droit de réduire en servitude, que lorsqu'elle est nécessaire pour la conservation de la conquête. L'objet de la conquête est la conservation : la servitude n'est jamais l'objet de la conquête ; mais il peut arriver qu'elle soit un moyen nécessaire pour aller à la conservation.

Dans ce cas, il est contre la nature de la chose que cette servitude soit éternelle ; il faut que le peuple esclave puisse devenir sujet. L'esclavage dans la conquête est une chose d'accident ; lorsqu'après un certain espace de tems toutes les parties de l'état conquérant se sont liées avec celles de l'état conquis, par des coûtumes, des mariages, des lois, des associations, & une certaine conformité d'esprit, la servitude doit cesser. Car les droits du conquérant ne sont fondés que sur ce que ces choses-là ne sont pas, & qu'il y a un éloignement entre les deux nations, tel que l'une ne peut pas prendre confiance en l'autre.

Ainsi le conquérant qui réduit le peuple en servitude, doit toûjours se réserver des moyens (& ces moyens sont sans nombre) pour l'en faire sortir le plûtôt qu'il est possible.

Ce ne sont point-là, ajoûte M. de Montesquieu, des choses vagues, ce sont des principes, & nos peres qui conquirent l'empire romain les pratiquerent. Les lois qu'ils firent dans le feu, dans l'action, dans l'impétuosité, dans l'orgueil de la victoire, ils les adoucirent : leurs lois étoient dures, ils les rendirent impartiales. Les Bourguignons, les Goths & les Lombards vouloient toûjours que les Romains fussent le peuple vaincu : les lois d'Euric, de Gondebaud & de Rotharis, firent du Barbare & du Romain des concitoyens.

Au lieu de tirer du droit de conquête des conséquences si fatales, les politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce droit peut quelquefois apporter au peuple vaincu. Ils les auroient mieux sentis, si notre droit des gens étoit exactement suivi, & s'il étoit établi dans toute la terre. Quelquefois la frugalité d'une nation conquérante l'a mise en état de laisser aux vaincus le nécessaire que leur ôtoit leur propre prince. On a vû des états opprimés par les traitans, être soulagés par le conquérant, qui ne se trouvoit pas dans les engagemens ni les besoins qu'avoit le prince légitime. Une conquête peut détruire des préjugés nuisibles, & mettre, si on ose le dire, une nation sous un meilleur génie. Quel bien les Espagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Mexicains, & par leurs conquêtes destructives quels maux ne leur firent-ils pas ? Je supprime les détails sur les regles de conduite que doivent observer les divers états conquérans, pour le bien & la conservation de leurs conquêtes ; on les trouvera dans l'illustre auteur de l'esprit des lois.

Il y auroit plusieurs remarques à faire sur la conquête considérée comme un moyen d'acquérir la souveraineté ; je dois encore me borner aux principales.

1°. La conquête considérée en elle-même, est plûtôt l'occasion d'acquérir la souveraineté, que la cause immédiate de cette acquisition. La cause immédiate de l'acquisition de la souveraineté, c'est toûjours le consentement du peuple ou exprès ou tacite : sans ce consentement l'état de guerre subsiste toûjours entre deux ennemis, & l'on ne sauroit dire que l'un soit obligé d'obéir à l'autre. Tout ce qu'il y a, c'est que le consentement du vaincu est extorqué par la supériorité du vainqueur.

2°. Toute conquête légitime suppose que le vainqueur ait eu un juste sujet de faire la guerre au vaincu ; sans cela la conquête n'est pas elle-même un titre suffisant ; car on ne peut pas s'emparer de la souveraineté d'une nation par la loi du plus fort, & par la seule prise de possession, comme d'une chose qui n'est à personne. Que l'on ne parle point de la gloire du prince à faire des conquêtes, sa gloire seroit son orgueil ; c'est une passion, & non pas un droit légitime. Ainsi lorsqu'Alexandre porta la guerre chez les peuples les plus éloignés, & qui n'avoient jamais entendu parler de lui, certainement une pareille conquête n'étoit pas un titre plus juste d'acquérir la souveraineté, que le brigandage n'est un moyen légitime de s'enrichir. La qualité & le nombre des personnes ne changent point la nature de l'action ; l'injure est la même, le crime est égal.

Mais si la guerre est juste, la conquête l'est aussi ; car premierement elle est une suite naturelle de la victoire ; & le vaincu qui se rend au vainqueur, ne fait que racheter sa vie. D'ailleurs, les vaincus s'étant engagés par leur faute dans une guerre injuste, plûtôt que d'accorder la juste satisfaction qu'ils devoient, ils sont censés avoir tacitement consenti d'avance aux conditions que le vainqueur leur imposeroit, pourvû qu'elles n'eussent rien d'injuste ni d'inhumain.

Que faut-il penser des conquêtes injustes, & d'une soûmission extorquée par la violence ? Peut-elle donner un droit légitime ? Puffendorf (liv. VII. ch. vij.) répond qu'il faut distinguer si l'usurpateur a changé une république en monarchie, ou bien s'il a dépossédé le légitime monarque. Dans le dernier cas il est indispensablement obligé de rendre la couronne à celui qu'il en a dépouillé, ou à ses héritiers, jusqu'à ce que l'on puisse raisonnablement présumer qu'ils ont renoncé à leurs prétentions ; & c'est ce qu'on présume toûjours, lorsqu'il s'est écoulé un tems considérable, sans qu'ils ayent voulu ou pû faire effort pour recouvrer la couronne.

Le droit des gens admet donc une espece de prescription entre les rois ou les peuples libres, par rapport à la souveraineté ; c'est ce que demande l'intérêt & la tranquillité des sociétés. Il faut qu'une possession soûtenue & paisible de la souveraineté, la mette une fois hors d'atteinte, autrement il n'y auroit jamais de fin aux disputes touchant les royaumes & leurs limites, ce qui seroit une source de guerres perpétuelles, & à peine y auroit-il aujourd'hui un souverain qui possédât l'autorité légitimement.

Il est effectivement du devoir des peuples de résister dans les commencemens à l'usurpateur de toutes leurs forces, & de demeurer fideles à leur souverain ; mais si malgré tous leurs efforts leur souverain a du dessous, & qu'il ne soit plus en état de faire valoir son droit, ils ne sont obligés à rien de plus, & ils peuvent pourvoir à leur conservation.

Les peuples ne sauroient se passer de gouvernement ; & comme ils ne sont pas tenus de s'exposer à des guerres perpétuelles pour soûtenir les intérêts de leur premier souverain, ils peuvent rendre légitime par leur consentement le droit de l'usurpateur ; & dans ces circonstances, le souverain dépouillé doit se consoler de la perte de ses états comme d'un malheur sans remede.

A l'égard du premier cas, si l'usurpateur a changé une république en monarchie, s'il gouverne avec modération & avec équité, il suffit qu'il ait regné paisiblement pendant quelque tems, pour donner lieu de croire que le peuple s'accommode de sa domination, & pour effacer ainsi ce qu'il y avoit de vicieux dans la maniere dont il l'avoit acquise ; c'est ce qu'on peut appliquer au regne d'Auguste ; ou si l'on ne veut pas lui faire l'application, on ne doit pas moins recevoir notre maxime, que par laps de tems.

Les usurpateurs des provinces

En deviennent les justes princes

En donnant de plus justes lois.

Que si au contraire le prince qui s'est rendu maître du gouvernement d'une république l'exerce tyranniquement ; s'il maltraite les citoyens & les opprime, on n'est point alors obligé de lui obéir ; dans ces circonstances la possession la plus longue n'emporte autre chose qu'une longue continuation d'injustice.

Au reste, rien ne doit mieux corriger les princes de la folie des usurpations & des conquêtes lointaines, que l'exemple des Espagnols & des Portugais, & de toutes autres conquêtes moins éloignées, que leur inutilité, leur incertitude & leurs revers. Mille exemples nous apprennent combien peu il faut compter sur ces sortes d'acquisitions. Il arrive tôt ou tard qu'une force majeure se sert des mêmes moyens pour les enlever à celui qui les a faites, ou à ses enfans. C'est ainsi que la France perdit sous le regne de Jean, ce que Philippe-Auguste & S. Louis avoient conquis sur les Anglois ; & qu'Edoüard III. perdit les conquêtes qu'il avoit lui-même faites en France. On vit ensuite un des successeurs d'Edoüard (Henri V.) réparer avantageusement toutes les pertes de ses prédécesseurs ; & enfin les François à leur tour recouvrer peu de tems après tout ce que ce prince leur avoit enlevé.

Les conquêtes se font aisément, parce qu'on les fait avec toutes ses forces & qu'on profite de l'occasion ; elles sont difficiles à conserver, parce qu'on ne les défend qu'avec une partie de ses forces. L'aggrandissement des états d'un prince conquérant, montre de nouveaux côtés par où on peut le prendre, & on choisit aussi pour cet effet des conjonctures favorables. C'est le destin des héros de se ruiner à conquérir des pays qu'ils perdent ensuite. La réputation de leurs armes peut étendre leurs états ; mais la réputation de leur justice en augmenteroit la force plus solidement. Ainsi comme les monarques doivent avoir de la sagesse pour augmenter légitimement leur puissance, ils ne doivent pas avoir moins de prudence afin de la borner. Art. de M. le Ch(D.J.)


CONQUISITEURconquisitor, (Hist. anc.) gens à Rome qu'on envoyoit pour rassembler les soldats qui se cachoient, ou que les parens retenoient ; on employoit quelquefois à cette fonction des sénateurs ou des députés, legati, ou quelquefois des triumvirs, mais toûjours des hommes sans reproches & nés libres.


CONSANGUIN(Jurispr.) se dit de celui qui est du même sang qu'un autre. On appelle freres & soeurs consanguins, ceux qui sont enfans d'un même pere, à la différence des freres & soeurs utérins, qui sont ceux issus d'une même mere. Lorsqu'ils sont tous procréés des mêmes pere & mere, on les appelle freres & soeurs germains. Chez les Romains on appelloit consanguins en général, tous les parens du côté paternel. Les consanguins ou agnats formoient le premier ordre d'héritiers ab intestat, au défaut d'enfans héritiers de leur pere & mere. Parmi nous on ne donne la qualité de consanguins qu'aux freres & soeurs qui sont enfans d'un même pere. (A)


CONSANGUINITÉS. f. (Jurisprud.) est la parenté & la liaison qui est entre plusieurs personnes sorties d'un même sang.

Chez les Romains le lien de consanguinité avoit lieu, suivant la loi des douze tables, entre tous les descendans d'un même pere, soit mâles ou femelles.

Dans la suite, par la loi Voconia les femmes furent excluses des priviléges de l'agnation, & conséquemment de succéder avec les mâles, à moins qu'elles ne fussent dans le degré de consanguinité, c'est-à-dire excepté la soeur de celui qui étoit mort ab intestat. Justinien rétablit les femmes dans les droits de l'agnation.

Mais le droit de consanguinité n'étoit pas précisément la même chose que le droit d'agnation en général, c'étoit seulement une des especes d'agnation ; car il y avoit deux sortes d'agnats ou parens du côté paternel, les uns naturels & les autres adoptifs, & pour pouvoir qualifier les agnats de consanguins, il falloit qu'ils fussent freres naturels & non adoptifs ; qu'ils fussent procréés d'un même pere, il importoit peu qu'ils fussent de la même mere ou non.

On ne connoît point parmi nous ces différences d'agnation ni de cognation, & l'on entend ordinairement par le terme de consanguinité, la parenté qui est entre ceux qui sont sortis d'un même sang.

Lorsque le terme de consanguinité est opposé à la qualité de freres & soeurs germains ou de freres & soeurs utérins, il s'entend de la parenté qui est entre freres & soeurs procréés d'un même pere, mais non pas d'une même mere.

Le privilége du double lien, c'est-à-dire des freres & soeurs germains, dans les coûtumes où il a lieu, est plus fort que le droit de consanguinité proprement dite, au moyen de quoi dans ces coûtumes les freres & soeurs germains excluent les freres & soeurs consanguins.

Lorsqu'on parle des degrés de consanguinité, on entend ordinairement les degrés de parenté en général ; & comme le terme de consanguinité est présentement moins usité en ce sens que celui de parenté qui est plus générique, nous expliquerons au mot PARENTE, la maniere d'en compter les degrés de consanguinité ou de parenté ; ce qui est la même chose. (A)


CONSBACH(Géog. mod.) ville du royaume de Suede, dans la province de Halland.


CONSCIENCES. f. (Phil. Logiq. Métaphysiq.) L'opinion ou le sentiment intérieur que nous avons nous-mêmes de ce que nous faisons ; c'est ce que les Anglois expriment par le mot de consciousness, qu'on ne peut rendre en françois qu'en le périphrasant.

Puisque, de l'aveu de tout le monde, il y a dans l'ame des perceptions qui n'y sont pas à son insu ; ce sentiment qui lui en donne la connoissance, & qui l'avertit du moins d'une partie de ce qui se passe en elle, M. l'abbé de Condillac l'appelle avec raison conscience. Si, comme le veut Locke, l'ame n'a point de perceptions dont elle ne prenne connoissance, ensorte qu'il y ait contradiction qu'une perception ne lui soit pas connue, la perception & la conscience doivent être prises pour une seule & même opération. Si au contraire il y a dans l'ame des perceptions dont elle ne prend jamais connoissance, ainsi que les Cartésiens, les Mallebranchistes & les Leibnitiens le prétendent, la conscience & la perception sont deux opérations très-distinctes. Le sentiment de Locke semble le mieux fondé ; car il ne paroît pas qu'il y ait des perceptions dont l'ame ne prenne quelque connoissance plus ou moins forte ; d'où il résulte que la perception & la conscience ne sont réellement qu'une même opération sous deux noms. Entant qu'on ne considere cette opération que comme une impression dans l'ame, on peut lui conserver le nom de perception ; & entant qu'elle avertit l'ame de sa présence, on peut lui donner celui de conscience. Article de M(D.J.)

CONSCIENCE, (Cas de) Voyez CAS DE CONSCIENCE & CASUISTE.

CONSCIENCE, (Droit nat. Mor.) acte de l'entendement, qui indique ce qui est bon ou mauvais dans les actions morales, & qui prononce sur les choses qu'on a faites ou omises ; d'où il naît en nous-mêmes une douce tranquillité ou une inquiétude importune, la joie & la sérénité, ou ces remords cruels si bien figurés par le vautour de la fable, qui déchiroit sans-cesse le coeur de Promethée.

Ainsi la conscience, cette regle immédiate de nos actions, ce for intérieur qui nous juge, a ses diverses modifications suivant les divers états de l'ame. Elle peut être décisive, douteuse, droite, mauvaise, probable, erronée, irrésolue, scrupuleuse, &c. Définissons exactement tous ces mots d'après M. Barbeyrac. Ce sera remplir les vûes auxquelles cet ouvrage est principalement destiné, je veux dire, de fixer les principes les plus importans sur chaque matiere. Par rapport aux détails des diverses questions qui sont agitées sur ce sujet, le lecteur pourra consulter, s'il le juge à-propos, les écrits de Cumberland, de Puffendorf, de Titius, de Buddaeus & de Thomasius.

La conscience (pour la définir avec exactitude), est le jugement que chacun porte de ses propres actions, comparées avec les idées qu'il a d'une certaine regle nommée loi ; ensorte qu'il conclud en lui-même que les premieres sont ou ne sont pas conformes aux dernieres.

Nous disons comparées avec les idées qu'il a de la loi, & non pas avec la loi même ; parce que la loi ne sauroit être la regle de nos actions qu'autant qu'on la connoît. Il ne resulte pourtant pas de-là que chacun puisse se déterminer à faire une chose, du moment qu'il s'imagine qu'elle est permise ou prescrite par la loi, de quelque maniere qu'il se le soit mis dans l'esprit. Mais voici deux regles très-faciles, & que les plus simples peuvent & doivent suivre dans chaque occasion particuliere.

I. Avant que de se déterminer à suivre les mouvemens de la conscience, il faut bien examiner si l'on a les lumieres & les secours nécessaires pour juger de la chose dont il s'agit ; car si l'on manque de ces lumieres & de ces secours (& en ce cas-là il ne faut que la bonne foi & le sens commun pour s'en convaincre), on ne sauroit rien décider, moins encore rien entreprendre, sans une témérité inexcusable & très-dangereuse. On peut appliquer cette regle à tant de gens qui prennent parti sur des disputes de la religion, ou sur des questions difficiles de Morale, de Politique, sur des matieres de Droit, des procès délicats, des traitemens de maladies compliquées, &c.

II. Supposé qu'en général on ait les lumieres & les secours nécessaires pour juger de la chose dont il s'agit, il faut voir si l'on en a fait usage actuellement, ensorte qu'on puisse se porter sans autre examen à ce que la conscience suggere. Dans le Négoce, par exemple, & dans les autres affaires de la vie civile, on se laisse aller tranquillement à des obliquités & des injustices, dont on verroit aisément la turpitude si l'on faisoit attention à des principes très-clairs, dont on ne peut s'écarter, & que l'on reconnoît d'ailleurs en général.

Comme il est nécessaire de distinguer entre le jugement que l'ame porte avant l'action, & celui qu'elle porte après l'action, on a nommé ces deux choses en termes scholastiques assez commodes, conscience antécédente, & conscience subséquente. Il n'y a quelquefois dans les actions que le dernier de ces jugemens, lorsque, par exemple (ce qui est assez ordinaire), on se détermine à agir sans examiner ni penser seulement si l'on fera bien ou mal.

Quand les deux jugemens ont été produits par rapport à une seule & même action, ils sont quelquefois conformes, ce qui arrive lorsque l'on a agi contre ses lumieres ; car alors on se condamne encore plus fortement après l'action. Il y a peu de gens qui, ou acquierent en si peu de tems des lumieres capables de leur persuader que ce qu'ils croyent mauvais est légitime, ou révoquent si-tôt leur propre sentence en matiere d'une chose effectivement contraire à la loi. Quelquefois aussi il y a de la diversité dans ces jugemens ; ce qui a lieu, ou lorsque l'on s'est déterminé à quelque chose sans une pleine & entiere délibération, soit par passion ou par précipitation, de maniere qu'on n'a pas eu la liberté d'envisager suffisamment la nature & les suites de l'action ; ou lorsque, quoiqu'on ait agi avec une pleine délibération, on s'est déterminé sur un examen très-leger : car l'idée de la chose faite frappe plus vivement que l'idée de la chose à faire, & les réflexions viennent commencer ou achever après coup l'examen.

Voici les divers actes du jugement anticipé, selon les différens états où l'ame se trouve alors.

La conscience est ou décisive ou douteuse, selon le degré de persuasion dans lequel on est au sujet de la qualité de l'action à faire. Quand on prononce décisivement que telle ou telle chose est conforme ou contraire à la loi, c'est une conscience décisive qui doit être divisée en démonstrative & probable.

La conscience démonstrative est celle qui est fondée sur des raisons démonstratives, autant que le permet la nature des choses morales ; & par conséquent elle est toûjours droite ou conforme à la loi. La conscience probable est celle qui n'est fondée que sur des raisons vraisemblables, & qui par conséquent est ou droite ou erronée, selon qu'il se trouve que l'opinion en elle-même est ou n'est pas conforme à la loi.

Lorsque l'on agit contre les mouvemens d'une conscience décisive, ou l'on se détermine sans aucune répugnance, & alors c'est une conscience mauvaise qui marque un grand fonds de méchanceté, ou bien on succombe à la violence de quelque passion qui flatte agréablement, ou à la crainte d'un grand mal, & alors c'est un péché de foiblesse, d'infirmité. Que si l'on suit les mouvemens d'une conscience décisive, ou l'on se détermine sans hésiter & avec plaisir, & alors c'est une bonne conscience, quand même on se tromperoit, comme il paroît par l'exemple de S. Paul, act. xxiij. 1. ou bien on agit avec quelque répugnance ; & alors, quoique l'action en elle-même soit bonne, elle n'est point réputée telle à cause de la disposition peu convenable qui l'accompagne.

Les fondemens de la conscience probable véritablement telle, sont l'autorité & l'exemple soûtenus par un certain sentiment confus de la convenance naturelle qu'il y a dans les choses qui font la matiere de nos devoirs, & quelquefois aussi par des raisons populaires qui semblent tirées de la nature des choses, Comme tous ces fondemens ne sont pas si solides qu'on ait lieu de s'y reposer absolument, il ne faut s'en contenter que quand on ne peut faire mieux ; & ceux qui se conduisent par une telle conscience, doivent employer tous leurs efforts pour augmenter le degré de vraisemblance de leurs opinions, & pour approcher autant qu'il est possible de la conscience démonstrative.

La conscience douteuse, que nous avons opposée à la décisive est ou irrésolue ou scrupuleuse. La conscience irrésolue, c'est lorsqu'on ne sait quel parti prendre à cause des raisons qui se présentent de part & d'autre, sinon parfaitement égales, du moins telles qu'il n'y a rien d'un côté ni d'autre qui paroisse assez fort pour que l'on fonde là-dessus un jugement sûr. Dans un tel cas quelle conduite faut-il tenir ? La voici : il faut s'empêcher d'agir tant que l'on ne sait pas si l'on fera bien ou mal. En effet, lorsque l'on se détermine à agir avant que les doutes qu'on avoit soient entierement dissipés, cela emporte ou un dessein formel de pécher, ou du moins un mépris indiscret de la loi, à laquelle il peut arriver que l'action se trouve effectivement contraire.

La conscience scrupuleuse est produite par des difficultés très-legeres ou frivoles, qui s'élevent dans l'esprit, pendant qu'on ne voit de l'autre côté aucune bonne raison de douter. Comme le scrupule ne vient d'ordinaire que d'une fausse délicatesse de conscience, ou d'une grossiere superstition, on en sera bientôt délivré, si l'on veut examiner la chose sérieusement & dans toutes ses faces.

LIBERTE DE CONSCIENCE.. Entre plusieurs questions que l'on fait au sujet de la conscience errante, il y en a quatre de grande importance sur lesquelles on ne sauroit se refuser de dire un mot : les autres pourront se décider d'après les mêmes principes.

I. On demande si celui qui se trompe est obligé de suivre les mouvemens de sa conscience. On répond que oui, soit que l'erreur soit invincible ou vincible : car dès-là qu'on est fermement persuadé, comme nous le supposons, qu'une chose est prescrite ou défendue par la loi, on viole directement le respect dû au législateur, si l'on agit contre cette persuasion, quoique mal fondée.

II. Mais s'ensuit-il delà que l'on soit toûjours excusable, en suivant les mouvemens d'une conscience erronée ? Nullement : cela n'a lieu que quand l'erreur est invincible.

III. Un homme peut-il juger du principe des erreurs d'un autre homme en matiere de conscience ? C'est la troisieme question, sur laquelle on répondra d'abord, qu'il n'est pas toûjours absolument impossible aux hommes de savoir si quelqu'un est dans l'erreur de mauvaise foi, ou s'il se fait illusion à lui-même : mais pour porter un tel jugement, il ne faut pas moins que des preuves de la derniere évidence ; & il arrive rarement que l'on ait de si sortes preuves. Je ne sai si on pourroit rapporter à ceci l'erreur autrefois si commune chez les Grecs & les Romains, de ceux qui croyoient qu'il étoit permis à un pere ou une mere d'exposer leurs enfans. Mais il semble du moins qu'on y peut rapporter une autre erreur presque aussi grossiere des Juifs du tems de Jesus-Christ, qui la leur reproche fortement. Matth. xv. 4-5. Car on a de la peine à concevoir que des gens qui avoient la loi de Moyse si claire & si expresse sur la nécessité d'honorer & d'assister un pere ou une mere, pussent de bonne foi être persuadés qu'on étoit dispensé de ce devoir par un voeu téméraire, ou plûtôt impie.

Pour ce qui est de savoir si l'erreur d'un homme qui se trompe de bonne foi est vincible ou invincible, il faut convenir que mettant à part les principes les plus généraux du droit naturel, & les vérités dont les Chrétiens, quoique divisés en différentes sectes, sont convenus de tout tems, tout le reste est de nature, qu'un homme ne peut sans témérité juger en aucune maniere du principe de l'ignorance, & des erreurs d'autrui : ou s'il peut dire en général qu'il y a des circonstances qui rendent vincibles telles ou telles erreurs, il lui est extrèmement difficile de rien déterminer là-dessus par rapport à quelqu'un en particulier, & il n'est jamais nécessaire qu'il le fasse.

IV. La derniere question est si, en conséquence du jugement que l'on fait de l'ignorance ou des erreurs d'autrui en matiere de conscience, on peut se porter à quelque action contre ceux que l'on croit être dans cette ignorance ou dans ces erreurs ? Ici nous répondons que lorsque l'erreur ne va point à faire ou à enseigner des choses manifestement contraires aux lois de la société humaine en général, & à celles de la société civile en particulier, l'action la plus convenable par rapport aux errans, est le soin charitable de les ramener à la vérité par des instructions paisibles & solides.

Persécuter quelqu'un par un motif de conscience, deviendroit une espece de contradiction ; ce seroit renfermer dans l'étendue d'un droit une chose qui par elle-même détruit le fondement de ce droit. En effet, dans cette supposition on seroit autorisé à forcer les consciences, en vertu du droit qu'on a d'agir selon sa conscience. Et il n'importe que ce ne soit pas la même personne dont la conscience force, & est forcée : car outre que chacun auroit à son tour autant de raison d'user d'une pareille violence, ce qui mettroit tout le genre humain en combustion, le droit d'agir selon les mouvemens de la conscience, est fondé sur la nature même de l'homme, qui étant commune à tous les hommes, ne sauroit rien autoriser qui accorde à aucun d'eux en particulier la moindre chose qui tende à la diminution de ce droit commun. Ainsi le droit de suivre sa conscience emporte par lui-même cette exception, hors les cas où il s'agiroit de faire violence à la conscience d'autrui.

Si l'on punit ceux qui font ou qui enseignent des choses nuisibles à la société, ce n'est pas à cause qu'ils sont dans l'erreur, quand même ils y seroient de mauvaise foi ; mais parce qu'on a droit pour le bien public de réprimer de tels gens, par quelques principes qu'ils agissent.

Nous laissons à part toutes ces autres questions sur la conscience qui ont été tant agitées dans le siecle passé, & qui n'auroient pas dû paroître dans des tems d'une morale éclairée. Quand la boussole donna la connoissance du monde, on abandonna les côtes d'Afrique ; les lumieres de la navigation changerent la face du commerce, il ne fut plus entre les mains de l'Italie ; toute l'Europe se servit de l'aiguille aimantée comme d'un guide sûr pour traverser les mers sans périls & sans allarmes. Voyez TOLERANCE. Article de M(D.J.)

CONSCIENCE, conseil de conscience, (Jurisprud.) Voyez ci-après au mot CONSEIL.


CONSCRIPTadj. (Hist. anc.) terme usité dans l'histoire romaine en parlant des sénateurs qui étoient appellés peres conscripts ; à cause que leurs noms étoient écrits dans le registre, ou dans le catalogue du sénat. Voyez SENATEUR & PERES.

Tite-Live nous apprend, liv. I. ch. j. que lorsque Brutus eut rempli les places des sénateurs détruits par Tarquin, par d'autres choisis parmi l'ordre des chevaliers, ces nouveaux sénateurs reçurent le nom de peres conscripts. Ce qu'il y a de certain, c'est que par la suite tous les sénateurs indistinctement furent appellés peres conscripts. Chambers. (G)


CONSÉCRATIONS. f. (Théolog.) acte par lequel on sanctifie une chose commune ou profane, par le moyen de certaines cérémonies, prieres, & bénédictions destinées à cet usage.

La consécration est le contraire du sacrilége & de la profanation, qui consiste à employer à des usages profanes une chose qui n'étoit destinée qu'à des usages pieux.

L'évêque consacre une église ou un calice. Le pape consacre des médailles, des agnus Dei, & accorde des indulgences à ceux qui les portent sur eux avec dévotion.

La consécration ou dédicace d'une église est une cérémonie épiscopale, qui consiste en un grand nombre de bénédictions, d'aspersions, & d'onctions sur les murailles, tant dedans que dehors. Voyez EGLISE.

Voici les principales cérémonies qu'on y observe, selon le pontifical romain & le droit canon. Le plan de l'église étant tracé, l'évêque fait planter une croix au lieu où doit être l'autel, puis il bénit la premiere pierre & les fondemens, avec des prieres qui font mention de Jesus-Christ la pierre angulaire, & des mysteres signifiés par cette construction matérielle. Lorsque le bâtiment est achevé, l'évêque doit en faire au plûtôt la dédicace ou consécration, qui est la plus solemnelle & la plus longue de toutes les cérémonies ecclésiastiques. On s'y prépare par le jeûne, & par les vigiles que l'on chante devant les reliques qui doivent être mises sous l'autel ou dedans. Le matin, l'évêque consacre la nouvelle église par plusieurs bénédictions & aspersions qu'il fait dedans & dehors : il y employe l'eau, le sel, le vin, & la cendre, matieres propres à purifier ; puis il la parfume d'encens, & fait aux murailles plusieurs onctions avec le saint-chrême. Il consacre ensuite l'autel. On ne réitere point la consécration tant que la bâtiment subsiste ; mais si l'église est profanée, on la réconcilie. Voyez RECONCILIATION. Fleury, instit. au droit eccles. tom. I. part. II. ch. vij. p. 314.

L'usage de consacrer à Dieu les hommes destinés à son service, & au ministere de ses temples & de ses autels, les lieux, les vases, les instrumens, & les vêtemens qui y servent, est très-ancien : Dieu l'avoit ordonné dans l'ancienne loi, & il en avoit prescrit toutes les cérémonies.

Dans la loi nouvelle, quand ces consécrations regardent les hommes, & qu'elles se font par un sacrement institué par Jesus-Christ, nous les nommons en françois ordinations, excepté celles des évêques & des rois, que nous appellons consécrations. Voyez EVEQUE, ROI, DINATIONTION.

Quand elles se font seulement par une cérémonie instituée par l'église, nous les nommons bénédictions. Voyez BENEDICTION.

Quand elles se font pour des temples, des autels, des vases, des vêtemens, nous disons dédicace. Voyez DEDICACE.

CONSECRATION signifie plus particulierement l'action par laquelle un prêtre qui célebre la messe consacre le pain & le vin. Voyez EUCHARISTIE.

Les catholiques romains la définissent la conversion du pain & du vin en corps & en sang de J. C. & une preuve que c'est-là le sentiment de leur Eglise, c'est que le prêtre éleve l'hostie immédiatement après la consécration pour la faire adorer au peuple. Voyez ELEVATION.

Il y a de grandes difficultés entre l'église grecque & latine touchant les paraboles de la consécration : l'opinion la plus commune & la plus conforme à la doctrine de S. Thomas & de l'école, est que la consécration du pain & du vin consiste en ces mots. Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Les Grecs au contraire attribuent, au moins en partie, le changement du pain & du vin en corps & en sang de J. C. à une certaine priere qu'ils appellent l'invocation du S. Esprit, qui se fait après que le prêtre a récité ces paroles, ceci est mon corps, ceci est mon sang, que les mêmes Grecs ne croyent nécessaires que pour la consécration des symboles, parce qu'elles renferment l'histoire de l'institution de ce sacrifice.

CONSECRATION, signifie, chez les Médaillistes, la même chose qu'apothéose : c'est l'apothéose d'un empereur après sa mort, sa translation, & sa réception dans le ciel parmi les dieux. Voyez APOTHEOSE.

Les consécrations sont ordinairement exprimées sur les médailles de la maniere suivante. D'un côté est la tête de l'empereur couronnée de laurier, & souvent voilée, & dans l'inscription on lui donne le titre de divus : au revers il y a un temple ou un autel, ou un bûcher, ou un aigle sur un globe qui prend son essor pour s'élever au ciel ; quelquefois l'aigle est sur un autel ou sur un cippe. Dans d'autres médailles l'empereur paroît dans les airs porté sur un aigle qui l'enleve au ciel, & pour inscription toûjours consecratio.

Ce sont-là les types les plus ordinaires. Antonin Pie a cependant quelquefois au revers de ses consécrations la colonne Antonine. Au lieu d'un aigle, les impératrices ont un paon.

Pour les honneurs rendus après la mort aux empereurs, qui consistent à les mettre au nombre des dieux, ils sont expliqués par les mots consecratio, pater, divus, & deus.

Quelquefois on met autour des temples & des autels, memoria felix, ou memoriae aeternae ; quelquefois aux princesses aeternitas, ou syderibus recepta ; & du côté de la tête, diva ou . Voyez le P. Jobert, les dictionn. de Trév. & Chambers. (G)

Nous voyons dans plusieurs auteurs anciens les cérémonies qu'on pratiquoit à la consécration des empereurs ou des princes. On peut s'en former une idée dans Tacite, en lisant tout ce que dit cet historien au sujet de la mort de Germanicus, des honneurs qu'on lui avoit refusés, & des murmures du peuple à cette occasion. On plaçoit l'image du prince sur un lit, on chantoit des vers en son honneur, on faisoit son éloge funebre, on le pleuroit, enfin on contrefaisoit au moins la douleur. C'est ce que Tacite exprime par ces mots : Praepositam toro effigiem, & laudationem, & lacrymas, & doloris imitamenta. C'est ainsi que les Romains consacroient après la mort dans le ciel le nom des princes, qui souvent avoient le plus mal gouverné la terre. Il y a apparence que c'étoit une vaine cérémonie, dont le peuple même n'étoit point la dupe : du moins il est certain que les grands ne l'étoient pas ; & quelquefois ceux qui devoient en être l'objet s'en mocquoient hautement. Vespasien devenant vieux & infirme, plaisantoit d'avance sur son apothéose future, & disoit à ses courtisans : Il me semble que je commence à devenir dieu. C'est ainsi qu'on doit traiter la superstition du peuple. Il est vrai que ce n'est pas le moyen de le corriger, du moins d'abord ; mais la lumiere se répand peu-à-peu, & la vérité chasse le mensonge. Voyez APOTHEOSE.

La consécration ou apothéose du prince lui valoit l'épithete de divus, qui équivaut à celle de dieu. C'est ainsi que l'on trouve divus Augustus, divus Vespasianus, &c. Mais comme la consécration étoit une pure cérémonie, l'épithete de divus n'étoit aussi apparemment qu'une épithete d'honneur, une espece de titre qu'on accordoit au mort, & qui n'engageoit les vivans à rien ; & s'il étoit permis de parler ainsi, il est fort vraisemblable que les Romains aimoient mieux divus Nero (c'est-à-dire Neron mort), que vivus Nero. Ce qu'il y a de singulier, & ce qui prouve que le mot divus étoit une pure épithete de cérémonie, c'est que même après que les empereurs eurent embrassé le Christianisme, ils conserverent encore ce titre assez long-tems.

CONSECRATION des pontifes Romains, (Hist. anc.) Voici la description que nous en a laissé Prudence. On faisoit descendre le pontife élu ou désigné, & revêtu des habits pontificaux, dans une fosse qu'on couvroit d'une planche percée de plusieurs trous ; alors le victimaire, & les autres ministres servans aux sacrifices, amenoient sur la planche un taureau orné de guirlandes, & lui ayant enfoncé un couteau dans la gorge, ils en épanchoient le sang qui découloit par les trous sur le pontife, & dont il se frottoit les yeux, le nez, les oreilles, & la langue, parce qu'on croyoit que cette cérémonie le purifioit de toutes souillures : ensuite on le tiroit de la fosse tout dégouttant de sang, & on le saluoit par cette formule, salve pontifex maxime ; il changeoit d'habits, & on le reconduisoit en pompe à sa maison, où la solennité se terminoit par un grand repas. Voyez TAUROBOLE. (G)


CONSEILAVIS, AVERTISSEMENT, subst. masc. (Gramm. Synonym.) Ces termes désignent en général l'action d'instruire quelqu'un d'une chose qu'il lui importe de faire ou de savoir actuellement eu égard aux circonstances. On donne le conseil d'agir, on donne avis qu'on a agi, on avertit qu'on agira. L'ami donne des conseils à son ami, & le supérieur des avis à son inférieur. La punition d'une faute est un avertissement de n'y plus retomber. On prend conseil de soi-même, on reçoit une lettre d'avis, on obéit à un avertissement de payer. On vous conseille de tendre un piége à quelqu'un, on vous donne avis que d'autres vous en ont tendu, on vous avertit de vous tenir sur vos gardes. Le Roi tient conseil avec ses ministres, il les fait avertir de s'y trouver, chacun y dit son avis. On dit un homme de bon conseil, un conseil de pere, un avis de parens, un avis au public, l'avertissement d'un ouvrage. L'avis & l'avertissement importent quelquefois à celui qui le donne, le conseil importe toûjours à celui qui le reçoit. (O)

CONSEIL, (Jurisprud. Hist. anc. & mod.) signifie quelquefois simplement un avis que quelqu'un donne sur une affaire ; quelquefois sous le nom de conseil on entend celui ou ceux qui donnent avis ; quelquefois encore le terme de conseil signifie une assemblée de plusieurs personnes qui déliberent sur certaines affaires ; enfin le terme de conseil est le titre que prennent plusieurs tribunaux & compagnies.

Conseil se prend aussi pour la décision d'un jurisconsulte sur une question qui lui a été proposée. Nous avons grand nombre de ces conseils, tels que ceux de Decius, de Dumolin, &c. (A)

CONSEIL ou AVIS que l'on donne à quelqu'un dans une affaire où l'on n'a point d'intérêt, n'est pas obligatoire, & celui qui le donne n'est pas responsable des suites en général : nemo ex consilio obligatur, Institut. de mand. §. 6.

Cette regle reçoit néanmoins quelques exceptions ; savoir, 1° lorsque le conseil est frauduleux, liv. LXVII. ff. de rei juris ; 2° en matiere de délits celui qui a donné le conseil de les commettre, est puni de même que ceux qui ont commis le délit, Decius ad dictam legem. 47. (A)

CONSEIL ou AVOCAT. Il est d'usage que les avocats dans leurs consultations par écrit se qualifient eux-mêmes de conseil ; la consultation commence ordinairement par ces mots, le conseil soussigné, &c. On ne doit pas confondre un avocat consultant avec un avocat au conseil : tout avocat qui donne une consultation est avocat consultant en cette partie, & y prend le titre de conseil ; au lieu que par le terme d'avocat au conseil on ne doit entendre que ceux des avocats qui sont pourvûs d'un office d'avocat ès conseils du Roi, en vertu duquel ils peuvent seuls occuper dans les affaires contentieuses qui sont portées aux conseils du Roi.

La justice nomme aussi quelquefois un avocat pour conseil à diverses sortes de personnes : savoir, 1° à un téméraire plaideur, à l'effet qu'il ne puisse plus entreprendre aucun procès sans l'avis par écrit de l'avocat qui lui est nommé pour conseil ; 2° à un homme interdit pour cause de démence ou de dissipation, auquel cas l'interdit ne peut rien faire sans l'avis de son conseil ; quelquefois on nomme un conseil à quelqu'un sans l'interdire absolument ; & en ce cas celui à qui on a donné ce conseil, ne peut faire aucun acte entre-vifs qu'en la présence & par l'avis de son conseil, mais il n'est pas assujetti à l'appeller pour faire un testament : 3° on donnoit anciennement un conseil à tous les accusés ; mais l'ordonnance de 1670, tit. xjv. article 8. ordonne que les accusés, de quelque qualité qu'ils soient, seront tenus de répondre par leur bouche sans ministere de conseil, & qu'on ne pourra leur en donner même après la confrontation, nonobstant tous usages contraires, si ce n'est pour crime de péculat, concussion, banqueroute frauduleuse, vol de commis ou associés en affaires de finances ou de banque, fausseté de pieces, supposition de part, & autre crime où il s'agira de l'état des personnes, ou à l'égard desquels les juges pourront ordonner, si la matiere le requiert, que les accusés après l'interrogatoire communiqueront avec leur conseil ou leur commis.

Il est aussi d'usage, quand le criminel est pris en flagrant délit dans l'auditoire, & qu'on lui fait son procès sur le champ, de lui nommer un avocat pour conseil, avec lequel on lui permet de conférer de ce qu'il doit dire pour sa défense. On rapporte à ce sujet qu'un célebre avocat plaidant, ayant été nommé pour conseil à un homme qui avoit commis un vol dans l'audience de la grand'chambre, il dit tout bas à l'accusé que le meilleur conseil qu'il pouvoit lui donner étoit de se sauver ; comme on faisoit mauvaise garde, l'accusé profita de l'avis de son conseil. Le premier président ayant demandé ce qu'étoit devenu l'accusé, l'avocat déclara ingénuement le conseil qu'il lui avoit donné ; & qu'au surplus n'étant point chargé de l'accusé, il ne savoit ce qu'il étoit devenu ; le procès commencé en demeura là. (A)

Conseil se prend aussi quelquefois pour opinions des juges : par exemple, lorsqu'ils opinent à diverses reprises, cela s'appelle le premier & le second conseil ; quand ils opinent en plusieurs parties, on dit le premier, le second bureau. (A)

Droit de conseil est un émolument que les procureurs ont droit d'exiger de leurs parties, pour avoir délibéré sur les défenses, repliques, interrogatoires, & autres procédures les plus essentielles. Ce droit s'employe dans la taxe des dépens ; il est différent du droit de consultation. Voyez le réglement de 1665, & ci-après au mot CONSULTATION. (A)

Conseil signifie aussi quelquefois le rapport d'une instance appointée. L'usage en est fort ancien, puisque dans une ordonnance de Philippe de Valois du mois de Février 1327 pour le châtelet, il est parlé du cas où le procès doit être mis au conseil pour y faire droit ; il est aussi parlé de conseil ou rapport au parlement dès l'an 1344, dans l'ordonnance faite pour régler le service de cette cour. (A)

Conseil se prend aussi quelquefois pour un corps d'officiers de justice. Ce terme se trouve usité en ce sens dans plusieurs anciennes ordonnances ; dans les endroits où la justice appartenoit au Roi, ce corps d'officiers s'appelloit le conseil du Roi, comme le conseil du Roi au châtelet ou au parlement ; dans d'autres endroits où la justice appartenoit à des seigneurs particuliers, ce conseil portoit le nom du seigneur ou de son juge, comme le conseil du comte de Montfort, le conseil du sénéchal de Carcassonne. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome VI. aux endroits indiqués dans la table au mot conseil. (A)

CONSEIL DES AFFAIRES ETRANGERES est la même chose que le conseil d'état du Roi ; c'est une des séances de ce conseil dans laquelle se traitent les affaires étrangeres, c'est-à-dire tout ce qui peut avoir trait aux négociations avec les étrangers.

Sous la minorité du Roi, il y eut pendant quelque tems une séance particuliere du conseil appellée conseil des affaires étrangeres : elle étoit composée du maréchal d'Uxelles qui avoit le titre de président de ce conseil, & de trois conseillers d'état : savoir, l'abbé d'Estrées, le marquis de Canillac, & le comte de Chiverny ; il y avoit un secrétaire particulier pour cette assemblée. Ce conseil ou bureau fut supprimé au mois d'Octobre 1718, & les affaires étrangeres ont depuis toûjours fait l'objet du conseil d'état. Voyez ci-après à l'article du conseil du Roi, où il est parlé de la séance de ce conseil appellée conseil d'état. (A)

CONSEIL D'ALSACE est une cour supérieure qui tient lieu de parlement dans la province d'Alsace. Ce conseil fut d'abord établi par édit du mois de Septembre 1657, pour les provinces de l'une & l'autre Alsace, Zuntgau, &c. sa séance fut assignée en la ville d'Ensisheim, & l'on créa au mois de Novembre 1658, une chancellerie près de ce conseil. Au mois de Novembre 1661 ce conseil souverain & la chancellerie furent supprimés ; il fut établi un conseil provincial dans la même ville, & il fut ordonné que les appellations des sentences de ce conseil seroient portées au parlement de Metz. Au mois d'Avril 1674 on le transféra dans la ville de Brissac, & au mois de Novemb. 1679 on lui attribua la justice supérieure & le pouvoir de juger en dernier ressort & sans appel tous les procès civils & criminels entre les sujets du pays, & dont la connoissance lui avoit été attribuée en premiere instance lors de sa création. On rétablit en 1694 une chancellerie près de ce conseil ; & il y eut différentes créations de nouveaux officiers, tant pour le conseil que pour la chancellerie ; enfin en 1698 il a été transféré à Colmar où il est présentement ? ce conseil est composé de deux chambres. (A)

CONSEIL DU COMTE D'ARMAGNAC étoit un conseil que ce seigneur avoit près de lui, en qualité de lieutenant pour le roi Jean, en la province de Languedoc, il en est parlé dans des lettres du 8 Mai 1353, en forme d'ordonnance faite par lui par délibération de ce conseil ; & à la fin il est dit, par M. le lieutenant en son conseil. Ordonnances de la troisieme race, tome II. page 516. (A)

CONSEIL D'ARTOIS est un conseil provincial qui fut créé pour l'Artois par l'empereur Charles-Quint le 12 Mai 1530. Il est composé de deux présidens, dont le second n'a été créé qu'en 1693, deux chevaliers d'honneur, & quinze conseillers, dont six d'ancienne création, deux créés au mois de Janvier 1678, pour deux personnes qui avoient été conseillers au conseil d'Artois séant à Saint-Omer, & sept créés par déclaration de Janvier 1687, un chancelier provincial créé par l'édit de Février 1693, qui a établi près du conseil d'Artois une chancellerie provinciale à l'instar des chancelleries présidiales.

Son pouvoir & ses prérogatives ont été réglés par différens placards, déclarations & réglemens, tant de ce prince que de ses successeurs de la maison d'Autriche ; il joüit encore des mêmes droits & use du même style, excepté dans les matieres où il a été dérogé par quelque loi nouvelle qui y ait été enregistrée.

Le conseil d'Artois nommoit autrefois trois personnes au prince qui en choisissoit une pour remplir les offices vacans de conseillers, procureurs ou avocats généraux de ce conseil ; mais par édits de Février 1692 & 1693, & des déclarations postérieures, tous les offices d'Artois ont été rendus venaux & héréditaires.

Les officiers du conseil d'Artois sont exempts de tous impôts & autres charges publiques ; ils sont en possession de la noblesse personnelle & de la qualité d'écuyer. Les présidens ont même la noblesse transmissible. A l'égard des conseillers, voyez ce qui est dit par l'auteur des notes sur Artois sur le placard de 1544. n. 126. Les officiers du conseil d'Artois ont aussi le droit de ne pouvoir être traduits en premiere instance ailleurs qu'à ce conseil.

Pour ce qui est du pouvoir du conseil d'Artois, il faut d'abord observer qu'il réunit tous les droits de jurisdiction & de ressort que les juges royaux de dehors l'Artois y exerçoient avant l'an 1521 ; & quoique les autres bailliages appartenans au Roi en soient les justices ordinaires & royales, ces justices royales ordinaires n'ont, suivant le placard du 12 Mai 1530, pas plus de droit présentement qu'elles n'en avoient lorsqu'elles appartenoient au comte d'Artois, qui étoit vassal du Roi, à moins qu'il ne leur ait été fait depuis, quelque attribution particuliere.

Le conseil d'Artois connoît seul, à l'exclusion de tous les juges inférieurs, en premiere instance, de toutes affaires civiles & criminelles qui, avant 1521, étoient portées en premiere instance, & privativement aux juges d'Artois, devant les juges royaux, ou autres qui n'étoient pas de l'Artois.

Il connoit aussi, suivant le placard du 5 Juillet 1530, en premiere instance, à l'exclusion de tous autres, du possessoire des bénéfices situés en Artois ; & suivant la déclaration du mois de Juin 1715, il connoît aussi de l'entérinement des lettres de grace, & du crime pour raison duquel il y a conflit.

Il connoît encore en premiere instance, par prévention sur tous les juges inférieurs, des affaires dont les juges royaux, & autres du dehors de l'Artois, connoissoient par prévention ; elles sont détaillées dans un concordat du 4 Juillet 1499 ; mais on en excepte à présent le cas de la soumission au scel royal, & autres cas que les réglemens postérieurs ont reservés aux juges royaux ordinaires.

Par une déclaration du 25 Mars 1704, le conseil d'Artois a été maintenu en possession de pouvoir être accepté à juge par les contractans.

Il connoît en premiere instance, au lieu des autres juges inférieurs, des cas où il s'agit d'obvier à la multiplication des procès ; ce qui a lieu, principalement quand on est obligé d'intenter une même action contre différentes personnes demeurantes en diverses jurisdictions ; ou en matiere de révendication, ou hypotheque, ou propriété sur différens héritages situés en différentes jurisdictions, indépendantes les unes des autres, mais dont une ressortit immédiatement au conseil d'Artois : il connoît par appel, tant au civil qu'au criminel, des jugemens rendus par les juges inférieurs de la province, à l'exception néanmoins des appels comme de juge incompétent, qui sont portés recta au parlement.

Il juge en dernier ressort & par arrêt les affaires de grand criminel. Par une déclaration du 27 Octobre 1708, les habitans d'Artois ont été confirmés dans le privilége de ne pouvoir être jugés en dernier ressort en matiere criminelle, que par le conseil d'Artois.

En matiere de petit criminel ou civile, les jugemens du conseil d'Artois sont sujets à l'appel.

Il a droit de juger par arrêt toutes les appellations interjettées des élus d'Artois ; & à l'occasion de ce droit il juge de même par arrêt toutes les appellations des autres juges en matiere de tailles & d'impôts, toutes les affaires portées au conseil d'Artois en premiere instance, qui sont de la compétence des élus d'Artois, entr'autres celles qui concernent les qualités de messire, de chevaliers, d'écuyers, & de nobles.

L'appel des sentences rendues au conseil d'Artois en matiere civile, autres que celles ci-dessus spécifiées, étoit porté au grand conseil de Malines, lorsque l'Artois étoit sous la domination de la maison d'Autriche ; mais par une déclaration du 15 Février 1641, il a été attribué au parlement de Paris.

Le conseil d'Artois peut faire exécuter, nonobstant & sans préjudice de l'appel, ses jugemens interlocutoires réparables en définitif, ceux rendus en matiere de complainte, sommaire & provisoire, même les jugemens définitifs en matiere réelle, s'ils n'excedent pas la somme ou valeur de 500 liv.

Lorsqu'une des parties qui plaident ne demeure pas en Artois, elle est obligée de donner caution resséante pour les dépens.

Les habitans d'Artois ne peuvent être traduits ailleurs, en premiere instance, que devant leurs juges naturels, sous prétexte de quelque privilége que ce soit. Ce droit est fondé sur des concessions de nos rois antérieures à la cession de la souveraineté ; la maison d'Autriche les a confirmés dans ce droit ; & ils y ont été maintenus depuis la soumission de l'Artois à la France, par des déclarations des 23 Août 1661, 7 Septembre suivant, & 16 Juin 1687 ; néanmoins dans l'usage ils sont sujets aux évocations particulieres ordonnées par le Roi. Voy. le commentaire de M. Maillart sur la coûtume d'Artois, aux notes sur le placard de 1544. p. 173 & suiv. (A)

CONSEIL AULIQUE est un des deux tribunaux supérieurs qui subsistent en Allemagne, l'autre est la chambre impériale ; on peut en certains cas appeller à l'un de ces tribunaux des jugemens rendus dans les tribunaux particuliers d'Allemagne, quoique chaque prince souverain ait droit de justice souveraine dans l'étendue de sa domination. La chambre impériale est le tribunal suprême de l'empire, au lieu que le conseil aulique est le conseil de l'empereur. C'est lui qui l'établit, & qui en nomme tous les officiers ; il tient ses séances à Vienne, & est composé d'un président catholique, d'un vice-président que l'électeur de Mayence présente, de dix-huit conseillers, dont six protestans ; & parmi ceux-ci il faut qu'il y ait un réformé ; ils sont divisés en deux bancs, dont l'un pour les nobles, l'autre pour les jurisconsultes. Ce tribunal connoît de toutes causes civiles entre les princes & particuliers de l'empire ; son pouvoir finit avec la vie de l'empereur. C'est pourquoi la chambre impériale qui subsiste pendant la vacance de l'empire, prétend le pas sur le conseil aulique. Celui-ci ne connoît point des affaires d'état ; il n'enregistre point d'édits, mais seulement ses propres jugemens. Les mémoires de Pollnitz, tome II. p. 238. disent que le pouvoir de ce conseil est plus borné que celui des parlemens de France, qui ont le privilége de faire des remontrances : d'où il résulte que le conseil aulique n'a pas le même droit. (A)

CONSEIL DE BRESSE étoit un conseil souverain établi pour le pays de Bresse ; il fut formé de treize officiers qui composoient la cour des aides de Vienne en Dauphiné, laquelle fut transférée à Bourg en Bresse où elle fut érigée en conseil souverain en 1658. Ce conseil fut dans la suite joint au parlement de Metz ; les officiers de ce conseil, avant & depuis leur incorporation au parlement de Metz, ont été conservés par divers arrêts du conseil privé du Roi dans la prérogative de noblesse transmissible au premier degré, dont jouissoient les cours souveraines du Dauphiné dont ils avoient fait partie. Voyez la Roque, tr. de la noblesse, ch. xxxvj. & ci-après PARLEMENT DE METZ. (A)

CONSEIL DE BRETAGNE ou DES DUCS DE BRETAGNE, étoit d'abord le conseil des ducs souverains de cette province. On appelloit des juges de seigneur devant les juges du duc séant à Rennes ou à Nantes, lesquels connoissoient des appellations de toute la province aux plaids généraux. On se pourvoyoit aussi souvent par appel de ces jugemens, même de simples interlocutoires, au conseil du duc, & du conseil du duc aux grands jours, autrement dits parlement ou états de la province ; & comme ces parlemens n'étoient ordinairement convoqués que tous les deux ans, & même quelquefois plus rarement, le duc Jean tenant son parlement en 1404 ou 1424 rendit une ordonnance portant que toutes appellations qui seroient faites sur interlocutoires qui n'emporteroient pas principal de cause, seroient terminées comme de parlement une fois l'an devant son président & son conseil, qui seroit à Vannes ou ailleurs en quelque autre ville de Bretagne, que ce conseil commenceroit le jeudi après jubilate, & qu'en ce tems comparoîtroient les sénéchaux de Rennes & de Nantes, & autres sénéchaux du duc, & ses procureurs généraux & particuliers & autres gens de son conseil qu'il y feroit appeller pour la décision de ces appellations & la réformation des faits qui toucheroient la justice & police du pays.

Lorsque la Bretagne fut réunie à la France, Charles VIII. y établit un conseil ou chambre de justice, pour connoître en son nom de toutes les matieres dont connoissoit auparavant le conseil des ducs de Bretagne.

Ce nouveau conseil royal fut composé d'un président & de quatre conseillers ; & comme il y avoit beaucoup d'affaires à expédier, Charles VIII. augmenta quelque tems après ce même conseil de deux conseillers, & lui confirma la connoissance, cour & jurisdiction en premiere instance, des chapitres, églises & possessoires des bénéfices, comme le conseil des ducs en avoit toujours connu.

On défendit à ce conseil d'évoquer aucune affaire ni matiere de devant les juges ordinaires, parce qu'alors toutes les jurisdictions ressortissoient par contredit, c'est-à-dire par appel, devant le sénéchal de Rennes ou devant celui de Nantes.

Lorsque Charles VIII. supprima l'office de chancelier de Bretagne, il établit le chancelier de Montauban gouverneur & garde-scel de la chancellerie de Bretagne, & le fit président de son conseil au même pays.

Mais les choses ne resterent pas long-tems en cet état ; car dès l'an 1493 le même roi créa un parlement pour cette province. Voyez PARLEMENT DE BRETAGNE. Voyez le Mémoire rapporté dans l'hist. du conseil par Guillard, p. 578. (A)

CONSEIL DE BRISSAC. Voyez CONSEIL D'ALSACE. (A)

CONSEIL DU CABINET, est la même chose que conseil d'état. Voyez ci-après CONSEIL DU ROI, à l'article où il est parlé du conseil d'état. (A)

CONSEIL DE CHANCELLERIE. Voyez ci-après CONSEIL DU ROI à l'article Conseil de chancellerie. (A)

CONSEIL DE COLMAR. Voyez ci-devant CONSEIL D'ALSACE. (A)

CONSEIL DU COMMERCE. Voyez ci-après CONSEIL DU ROI à l'article Conseil de Commerce. (A)

CONSEIL COMMUN DU ROI, est un titre que l'on a donné à deux sortes d'assemblées ou conseils, savoir 1° au parlement, lequel dans son origine étant émané du conseil du Roi, étoit appellé quelquefois le conseil du parlement ou le conseil commun, comme étant un tribunal public & destiné à expédier les affaires de tous les particuliers, à la différence du conseil, qui resta près de la personne du roi, qu'on appella le conseil privé, quasi intra privatos parietes, comme étant le conseil particulier du prince. Dans l'ordonnance de Philippe le Bel de l'an 1302, qui porte que le parlement tiendra deux fois l'an à Paris, & dans une ordonnance du roi Jean, du mois d'Octobre 1351, le roi qualifie le parlement de notre cour & conseil commun, & ordonne que s'il y a quelque chose à interpreter ou réformer à ses arrêts, il s'en réserve à soi & à son conseil la connoissance. 2°. On appelloit aussi conseil commun une assemblée composée de gens du conseil privé du roi & de ceux du parlement, qui y étoient appellés par ordre du roi dans les affaires extraordinaires ; le roi y présidoit presque toûjours. On trouve beaucoup d'arrêts donnés par le conseil privé & par le parlement. On y appelloit aussi quelquefois les gens des comptes. C'est de-là que ce conseil se tenoit quelquefois dans la chambre du parlement, c'est-à-dire en la grand-chambre, & quelquefois en la chambre des comptes : mais aucun des gens du parlement ni de la chambre n'étoit du conseil ; ils n'y assistoient que comme mandés par le roi pour donner leur avis sur des questions difficiles, ou sur des affaires de finances, qui étoient décidées par le conseil du roi, auquel le chancelier présidoit toûjours & prononçoit les arrêts comme à l'ordinaire. Le roi Jean craignant que ces convocations du parlement au conseil, qui étoient trop fréquentes, ne tirassent à conséquence, que les affaires en fussent moins secrettes, & que la justice ordinaire ne demeurât sans expédition, ordonna que les gens de son parlement ne se mêleroient plus des affaires d'état, & commença à en appeller quelques-uns d'eux en particulier en son conseil ; ce qui fut suivi depuis, mais rarement, jusqu'à la minorité de Charles IX. (A)

CONSEIL COMMUN DE VILLE, signifie le corps des officiers municipaux, qui sont établis pour déliberer entr'eux des affaires communes. Voyez ci-après CONSEIL DE VILLE. (A)

CONSEIL DE CONSCIENCE ; Gonzales de Illescas, en la vie de Sixte V, cap. lxxvij. dit que ce pape ayant regret de voir les procès devenir éternels, avoit commencé à établir un conseil de conscience ; lequel, avec une autorité souveraine, devoit terminer les différens. On ne voit pas ce que devint ce conseil de Rome.

En France le conseil de conscience étoit une séance particuliere du conseil du roi, destinée à examiner ce qui concernoit la Religion & l'Eglise, & principalement à l'effet de pourvoir aux bénéfices étans à la nomination du roi. Elle fut établie pour la premiere fois après la mort de Louis XIII. Le cardinal Mazarin premier ministre présidoit à ce conseil : on y faisoit la proposition de la vacance des évêchés & abbayes, & on délibéroit d'y nommer ; sur quoi le cardinal de Mazarin faisoit un billet de sa main comme une espece de certificat de la nomination faite par le roi, lequel étoit délivré au secrétaire d'état pour expédier le brevet & les lettres de nomination.

Louis XIV avoit aussi son conseil de conscience, où l'archevêque de Paris assistoit avec le confesseur du roi : dans les derniers tems le confesseur du roi étoit seul avec lui. C'étoit là que le roi se déterminoit pour la nomination des bénéfices, évêchés, abbayes & autres bénéfices de nomination royale. Ce conseil se tenoit tous les vendredis, & aussi les jours que le roi communioit. L'origine de cet usage étoit fort ancienne ; car on trouve dès 1352 & dans les années suivantes, plusieurs lettres de sauve-garde accordées à des abbayes par le roi dans son conseil, auquel étoit présent son confesseur.

Après la mort de Louis XIV, le conseil du Roi fut divisé en plusieurs séances particulieres, l'une desquelles étoit le conseil de conscience qui se tenoit à l'archevêché. Il étoit composé du cardinal de Noailles, de l'archevêque de Bordeaux, de M. le procureur général, & de M. l'abbé Pucelle ; il y avoit un secrétaire du conseil : ce conseil fut supprimé au mois d'Octobre 1/18. (A)

CONSEIL DU DEDANS DU ROYAUME : on donna ce nom à une des différentes séances du conseil du Roi, qui furent établies pendant la minorité. Ce conseil s'assembloit au louvre deux fois la semaine ; il étoit composé du duc d'Antin, qui y présidoit, de deux autres seigneurs, & de plusieurs présidens & conseillers au parlement. Cette séance du conseil étoit à-peu-près la même que celle qu'on appelle présentement conseil des dépêches. Elle fut supprimée au mois d'Octobre 1718. Voy. ci-après au mot CONSEIL DU ROI, à la subdivision du Conseil des Dépêches. (A)

CONSEIL DELPHINAL, étoit le conseil du dauphin de Viennois : il fut institué par le dauphin Humbert I. en 1336. Ce n'étoit d'abord qu'un conseil pour la direction de ses affaires ; mais en 1337 on vit paroître à Beauvoir des officiers pour juger les différends des parties ; ils furent ensuite transferés à S. Marcelin, & en 1340 à Grenoble. Il étoit composé de six conseillers, dont deux devoient être nobles & faisant profession des armes ; les autres devoient être des docteurs reçus dans l'université de Grenoble. Le chancelier étoit le chef de ce conseil, & l'on y rapportoit toutes les lettres expédiées en chancellerie avant de les mettre au sceau. On préferoit pour conseillers ceux qui demeuroient à Grenoble ou dans le Graisivodan, afin qu'ils fussent plus à portée de leur emploi. On leur donna pour gages à chacun 120 florins d'or. Il n'y avoit alors ni épices ni vacations ; il étoit seulement permis à ceux qui avoient exercé la profession d'avocat, de donner conseil aux parties lorsqu'ils ne pouvoient être leurs juges, & d'en retirer quelque retribution. Humbert ordonna que ce tribunal seroit nommé conseil delphinal ; qu'il jugeroit en dernier ressort tant au civil qu'au criminel ; qu'il connoîtroit par appel de tous procès mûs devant les juges inférieurs, tant du Dauphiné que des autres terres qui étoient soumises à l'obéissance du dauphin.

Les conseillers étoient les conservateurs du domaine du prince, c'est pourquoi ils avoient soin de faire réparer ses châteaux & de les pourvoir de munitions de guerre & de bouche nécessaires pour l'entretien des garnisons ; les procès concernant les mouvances de fiefs directes & autres droits seigneuriaux, étoient portés devant eux.

Les jugemens ou arrêts de ce conseil devoient être scellés d'un sceau particulier, au milieu duquel étoit empreinte la figure d'un dauphin avec cette légende, sigillum consilii delphinalis Gratianopoli residentis ; ce sceau étoit donné en garde à un des conseillers, qui tenoit un registre de l'émolument & en comptoit tous les mois devant les maîtres rationaux.

Comme ce conseil avoit sous sa direction la guerre, la justice & les finances, & que par cette raison on y avoit admis des militaires & des docteurs, on jugea à-propos aussi, par rapport à la finance, d'y donner entrée aux maîtres rationaux ou maîtres des comptes & aux trésoriers, pour assister aux délibérations que l'on y feroit dans les affaires de finance, & dans toutes celles qui seroient de leur compétence.

Humbert II. dauphin de Viennois, ayant donné le Dauphiné à Philippe de Valois en 1349, le conseil delphinal continua de subsister sous le même titre jusqu'en 1450, qu'il fut érigé sous le titre de parlement de Grenoble, depuis la réunion du Dauphiné à la France. Les officiers de ce conseil, soit avant ou depuis leur érection en parlement, ont toujours été conservés & maintenus dans les priviléges dont ils jouissoient sous les dauphins de Viennois, & notamment dans la noblesse transmissible au premier degré, que le droit Romain observé dans les pays de droit écrit attribue à tous les sénateurs. Voyez PARLEMENT DE GRENOBLE. Voyez aussi l'Histoire de Dauphiné par M. de Valbonay, chap. des officiers de justice. (A)

CONSEIL DES DEPECHES. Voyez ci-après au mot CONSEIL DU ROI, à l'article CONSEIL DES DEPECHES. (A)

CONSEIL DE DIRECTION. Voyez ci-après au mot CONSEIL DU ROI, où il est parlé de la grande & petite direction. (A)

CONSEIL DES DIX, étoit un petit conseil secret qui fut établi à Paris du tems de la ligue, par les seize ou colonels des seize quartiers. Il étoit composé de dix personnes choisies entre celles qui étoient du conseil des seize, qu'on appelloit aussi le conseil des quarante, & qui étoit même devenu beaucoup plus nombreux. L'objet de ce conseil étoit d'aviser, tant au sujet de l'arrêt rendu en faveur de Brigard procureur du roi au bureau de la ville, que de toutes les affaires qui concernoient la ville en général, sans qu'ils fussent tenus d'en rendre raison ni d'en avertir la compagnie quand ils le jugeroient à-propos. Le duc de Mayenne supprima tout à la fois le conseil des dix & le conseil des seize, Voyez les Lettres de Pasquier, liv. XVII. lett. B. (A)

CONSEIL SOUVERAIN DE DOMBES, ou CONSEIL D'ETAT ET PRIVE DE DOMBES, est l'assemblée des officiers que le prince souverain de Dombes a près de sa personne, pour l'aider de leurs conseils sur le gouvernement de sa principauté, tant au-dedans qu'au-dehors, sur l'administration des finances de cette même principauté. On y juge aussi certaines affaires contentieuses des sujets du prince de Dombes, telles que les demandes en cassation des arrêts du parlement de Dombes séant à Trevoux, ville capitale de la principauté, les affaires sujettes à évocation, les reglemens de juges, les requêtes respectives présentées à ce conseil, & généralement toutes les affaires de la même nature que celles qui sont portées au conseil du Roi en France ; ce conseil souverain de Dombes étant pour la principauté de Dombes, ce que le conseil d'état & privé du Roi est pour la France.

Il est composé du prince souverain de Dombes, lequel y prend séance lorsqu'il le juge à-propos, du chancelier de Dombes, qui est le chef de ses conseils, du secrétaire d'état, du garde des sceaux, & du contrôleur général des finances, lorsque ces fonctions sont séparées de l'office de chancelier, comme elles l'ont été quelquefois ; présentement elles sont toutes réunies en la personne du chancelier, lequel siége au conseil en habit de chancelier.

Le conseil est encore composé de plusieurs conseillers, qui sont ordinairement au nombre de dix, & quelquefois jusqu'à onze ou douze au plus. Le nombre n'en est point fixé ; mais de tems immémorial il a toûjours été tel qu'on vient de le dire. Ils sont tous gradués, & la plûpart choisis dans l'ordre des avocats ; c'est le prince de Dombes qui les nomme par un brevet, dont il reste minute au greffe du conseil. L'original en parchemin, qui est signé du prince & du chancelier, & scellé du grand sceau du prince, demeure entre les mains du pourvû : on y fait mention du serment que le pourvû prête entre les mains du chancelier. Les conseillers sont tous ordinaires, & en ont le titre par leur brevet : ils siégent au conseil en petit manteau avec le rabat plissé ; ce sont eux qui font le rapport de tous les mémoires & requêtes présentés aux différentes séances du conseil, & des affaires contentieuses entre les parties. Il y en a un d'entr'eux qui a une commission particuliere, pour faire la fonction d'inspecteur du domaine, dans les affaires où le domaine de la souveraineté est intéressé ; enfin plusieurs d'entr'eux ont été choisis pour remplir les places de chancelier & de garde des sceaux de Dombes.

Le secrétaire greffier en chef du conseil tient la plume dans tous les conseils, & délivre les expéditions de tout ce qui y est arrêté ou jugé.

Le conseil de Dombes est divisé comme celui de France en plusieurs séances ou départemens ; savoir le conseil d'état pour ce qui concerne le corps de la principauté & les affaires étrangeres ; le conseil des dépêches pour l'administration de l'intérieur ; le conseil des finances pour la direction des finances de la principauté & pour les affaires contentieuses qui y ont rapport, soit entre le prince & ses sujets, soit entre ses sujets seulement ; enfin le conseil d'état privé ou des parties pour les autres affaires contentieuses, qui sont de nature à être portées au conseil du prince, telles que les cassations, évocations & autres, ainsi qu'on l'a expliqué en commençant.

L'origine du conseil de Dombes est aussi ancienne que la souveraineté même de Dombes, qui fut formée au commencement du xj. siecle, des débris du second royaume de Bourgogne, lequel avoit été uni à l'empire ; les sires de Baugé & les sires de Villars auxquels succéderent ceux de Thoire, possédoient en souveraineté chacun une partie de la Dombes ; chacun d'eux avoit près de lui dans sa capitale un conseil souverain qui formoit son conseil d'état, & où il jugeoit aussi en dernier ressort les appels interjettés de ses juges inférieurs. Chacun de ces deux conseils étoit composé de quelques ecclésiastiques, de plusieurs gentilshommes & de quelques docteurs en droit.

Les seigneurs de Beaujeu acquirent peu-à-peu dans les xij. & xiij. siecles, tant par conquête que par alliance & à prix d'argent, tout ce que les sires de Baugé possédoient en Dombes à titre de souveraineté, & une partie de ce que les sires de Thoire & de Villars y possédoient aussi au même titre. Ils avoient d'abord leur conseil souverain à Villefranche en Beaujolois, où ils faisoient leur séjour ; mais ayant fait bâtir en Dombes la ville de Beauregard, présentement ruinée, ils y transporterent le siége de leur conseil souverain.

Louis de Bourbon II. du nom, prince de Dombes, transféra ce même conseil à Moulins où il faisoit sa demeure ordinaire.

Ce conseil subsista dans cet état jusqu'en 1522, que Charles de Bourbon, connétable de France & prince de Dombes, ayant pris le parti de Charles-Quint, le roi François I. s'empara de la Dombes par droit de conquête, & cassa aussi-tôt le conseil qui étoit à Moulins.

Par des lettres patentes du mois de Novembre 1523, le roi François I. créa pour le pays de Dombes un nouveau conseil souverain, qui dans la suite a été qualifié de parlement. Il ordonna que ce conseil auroit sa séance à Lyon, & lui attribua la connoissance de toutes les appellations qui étoient auparavant portées au conseil de Moulins : mais il n'attribua point à ce nouveau conseil de Dombes le pouvoir de juger les cassations, évocations, reglemens de juges, & autres affaires qui sont de nature à être portées directement au conseil du prince. Lorsqu'il se présentoit en Dombes quelques affaires de cette qualité, on les portoit au conseil du roi, attendu que la Dombes étoit alors soûmise à la France, & que le roi n'a qu'un seul conseil d'état & privé pour tous les pays de sa domination.

Ainsi les fonctions qu'avoit auparavant le conseil de Moulins furent alors partagées entre le conseil du roi & le nouveau conseil de Dombes, appellé depuis parlement ; ensorte que l'institution de ce parlement ne fut proprement qu'un démembrement de fonctions du conseil de Moulins, & que le conseil du roi prit alors la place de celui de Moulins pour les affaires qui sont naturellement du ressort du conseil du prince.

La principauté de Dombes ayant été délaissée en 1527 à Louise de Savoie, mere de François I. comme plus proche parente de Susanne de Bourbon femme du connétable, pour en jouir sa vie durant en toute souveraineté, le conseil de France cessa alors de prendre connoissance des affaires de Dombes, lesquelles furent portées au conseil souverain que la princesse avoit près de sa personne ; mais ce conseil fut supprimé après le decès de cette princesse arrivé en 1531, & le conseil de France prit pour la seconde fois connoissance des affaires de Dombes.

Enfin par transaction du 27 Novembre 1560, le roi François II. restitua la principauté de Dombes à Louis de Bourbon duc de Montpensier, son légitime souverain, pour en joüir en tous droits de souveraineté, tels que les avoient Anne de France & Charles de Bourbon ses prédécesseurs ; souveraineté qui a encore été reconnue depuis dans tous les tems, notamment par Louis XIV. dans des lettres patentes du mois de Mars 1682, registrées au parlement.

Aussi-tôt que le duc de Montpensier fut rentré dans sa principauté de Dombes, il rétablit près de sa personne un conseil souverain ou conseil d'état & privé pour les affaires de sa principauté.

Il en est fait mention dans le premier édit ou ordonnance que ce prince donna le 15 Septembre 1561. Cet édit est adressé au parlement de Dombes, & le prince annonce qu'il l'a fait avec grande & mûre délibération du conseil étant lez nous ; & l'édit est donné à Champigny par monseigneur prince souverain de Dombes étant en son conseil. Ce Champigny est une ville de Touraine dont il étoit seigneur.

Dans un autre édit du mois de Juillet 1576, il qualifie son conseil de conseil d'état, il fait mention de diverses ordonnances faites par lui & son conseil d'état, notamment une cotisation faite dans ce conseil pour les fortifications & réparations des murailles des villes. Il casse un arrêt du parlement de Dombes contraire à ces ordonnances.

L'édit par lui donné sur la même matiere, le premier Juin 1587, porte que le parlement de Dombes avoit envoyé faire des remontrances par le sieur de Langes conseiller, duquel le prince avoit entendu en son conseil le motif du parlement ; qu'il avoit fait dresser en son conseil des articles pour une information, laquelle avoit été envoyée pardevers lui & son conseil, auquel ayant été mûrement vûe & considérée, de l'avis de son conseil il fait un réglement.

L'ordonnance qu'il fit au mois de Juin de la même année ; contenant un réglement général pour l'administration de la justice, n'est donné qu'après avoir eu sur ce l'avis des principaux de ses officiers de justice & gens de son conseil.

Henry de Montpensier donna en 1594 trois ordonnances au sujet des monnoies qui se fabriquoient dans sa principauté, suivant le droit que les princes de Dombes en ont toujours eu : ces ordonnances sont faites en son conseil & par l'avis d'icelui.

On voit aussi par les minutes & registres du conseil de Dombes, que dès l'an 1642 ce conseil étoit déjà qualifié de conseil souverain ; que dans tous les actes de ce conseil mademoiselle de Montpensier souveraine de Dombes, est qualifiée Madame ; que depuis 1651, tems auquel elle étoit entrée en jouissance de ses biens, son conseil se tenoit souvent en sa présence ; qu'il y a même plusieurs arrêts qui sont signés de cette princesse ; & que l'on traitoit dans ce conseil de tout ce qui regardoit les finances, les monnoies, & généralement de toutes les affaires de la principauté tant du dedans que du dehors.

Les autres souverains de Dombes en ont tous usé de même à l'égard de leur conseil, auquel ils ont toujours fait l'honneur de le consulter sur les affaires les plus importantes de leur principauté. Il suffit, pour dernier exemple, de citer la déclaration du 17 Mai 1736, de Louis-Auguste de Bourbon actuellement prince de Dombes, sur son avenement à la souveraineté, qui est donnée de l'avis de son conseil ; ce qui confirme que ce conseil n'est pas seulement un conseil privé ou des parties, mais qu'il est aussi le conseil d'état du prince & qu'il en a toujours fait les fonctions.

Ce conseil étant à la suite du prince & près de sa personne, a tenu ses séances dans les différens lieux où les princes de Dombes ont fait leur séjour. On a vû que dans l'origine il se tenoit à Baugé & à Villars ; que les seigneurs de Beaujeu le transférerent à Villefranche en Beaujolois, qu'ils le transférerent de-là à Beauregard en Dombes, & les ducs de Bourbonnois à Moulins.

Du tems de Louise de Savoie il se tenoit à Paris au louvre, où cette princesse demeuroit ordinairement.

Sous Louis & François ducs de Montpensier, c'est-à-dire depuis 1560 jusqu'en 1592, il se tenoit ordinairement à Champigny.

Depuis le duc Henri de Montpensier, c'est-à-dire depuis 1592, le conseil de Dombes s'est tenu ordinairement à Paris ; savoir, d'abord à l'hôtel de Montpensier, ensuite lorsque Gaston de France eut épousé la princesse Marie de Montpensier princesse de Dombes, le conseil se tint pendant quelque tems au louvre, où Gaston avoit son logement, ensuite au palais d'Orléans dit Luxembourg, & quelquefois à Choisi près Paris, qui étoit la maison de plaisance de mademoiselle de Montpensier.

Après son decès, arrivé le 5 Avril 1693, M. le duc du Maine étant devenu souverain de Dombes, en vertu de la donation que Mademoiselle lui en avoit fait en 1681, le conseil de Dombes tint ordinairement ses séances dans une des salles de l'arsenal, qui dépendoit de M. le duc du Maine comme grand-maître de l'artillerie : le conseil fut néanmoins convoqué plusieurs fois à Sceaux, & à Clagni lorsque le prince y étoit & qu'il y avoit quelques affaires urgentes.

Enfin depuis le décès de M. le duc du Maine, arrivé le 14 Mai 1736, le conseil se tient à l'hôtel du Maine.

L'autorité du conseil de Dombes a été reconnue en France, de même que l'indépendance & la souveraineté de Dombes, par divers édits, déclarations, lettres patentes & arrêts, notamment par trois arrêts du conseil d'état du roi, des 24 Avril 1672, 30 Septembre & 30 Décembre 1679, qui énoncent plusieurs arrêts du conseil de Dombes, lequel y est partout qualifié conseil souverain, & renvoyent les parties à se pourvoir à ce conseil pour des affaires de Dombes.

Les officiers du conseil souverain de Dombes joüissent de plusieurs droits, honneurs & priviléges, entr'autres de la noblesse transmissible à leurs enfans au premier degré ; le chancelier a le titre de chevalier.

Leur noblesse tire son origine des lois Romaines, qui sont le droit commun observé en Dombes : la loi onze au code de dignitatibus, attribue la noblesse aux enfans des sénateurs : c'est pourquoi le conseil de Dombes, qui a été tout à la fois le sénat du pays & le conseil du prince, joüit du même privilége, lequel lui est commun avec le parlement de Dombes ; avec ceux de Dauphiné & de Besançon, qui étoient originairement les conseils des dauphins de Viennois & des comtes de Bourgogne ; avec les capitouls de Toulouse ; qui dans l'origine étoient le conseil des comtes de Toulouse, & avec les conseils & sénat de Savoie, de Turin, de Milan & de toute l'Italie, qui joüissent pareillement de la noblesse transmissible au premier degré, pour laquelle ils n'ont point d'autre titre primitif que le droit Romain, l'usage & la possession.

Ce privilége des officiers du conseil de Dombes a été confirmé & amplifié par plusieurs édits & déclarations des princes de Dombes, registrés en leur parlement, auquel ces titres sont aussi communs.

Le premier est l'édit de Louis de Bourbon prince de Dombes, duc de Montpensier, donné à Paris le 2 Avril 1571, par lequel il confirme les gens de son conseil souverain & ceux de son parlement, dans tous leurs priviléges, honneurs, prérogatives de noblesse pour eux & leur postérité, conformément aux anciens nobles du pays & souveraineté de Dombes.

Le second est la déclaration d'Henri de Bourbon duc de Montpensier, du 24 Mars 1604 : il ordonne que les gens, tant de son conseil que de son parlement, jouissent des mêmes priviléges, immunités, prérogatives & franchises que les anciens nobles de sa souveraineté, & leurs enfans nés & à naître en loyal mariage, tant qu'ils ne dérogeront point.

Le troisieme titre est la déclaration, qui est du mois de Novembre 1694, donnée par M. le duc du Maine : il annonce dans le préambule, qu'il veut à l'exemple de ses prédecesseurs, maintenir & confirmer les officiers de son conseil souverain & ceux de son parlement dans tous les honneurs qui leur sont dûs, & en conséquence il confirme à perpétuité tous les conseillers en son conseil souverain, le greffier en chef de ce conseil, & ceux des officiers de son parlement de Dombes qui sont nommés dans cette déclaration, en la qualité d'anciens nobles & au titre de noblesse, leur veuves demeurant en viduité, leurs enfans nés & à naître, voulant qu'ils en joüissent & leur postérité à perpétuité, ensemble des mêmes droits, priviléges, franchises, immunités, rangs, séances & prééminences que les autres nobles de race, barons & gentilshommes de sa souveraineté ; qu'ils soient capables de posseder tous fiefs & parvenir à tous honneurs, charges & dignités possedés par les anciens nobles ; pourvû toutefois que ces officiers ayent servi pendant 20 ans accomplis, ou qu'ils décedent dans le service actuel de leurs charges, nonobstant qu'ils ne fussent issus de noble & ancienne race ; & quant à ceux qui sont nobles d'extraction, que cette loi leur serve d'ampliation d'honneur & de gloire.

Les officiers du conseil de Dombes ont toûjours joüi de ces priviléges, tant en Dombes qu'ailleurs, & notamment en France ; ce qui est fondé en général sur ce que la noblesse & les priviléges qui y sont attachés sont des droits qui suivent partout la personne, & singulierement sur ce que les Dombistes sont réputés regnicoles en France, que les François joüissent réciproquement en Dombes des mêmes priviléges qu'ils ont en France, & notamment de la noblesse pour ceux qui sont nobles ; que nos rois ont permis à leurs sujets de prendre des charges en Dombes, & les ont déclarées compatibles avec celles de France, & ont même ordonné que le service fait dans les charges de Dombes serviroit en France pour parvenir à d'autres charges plus élevées ; enfin que par divers édits, déclarations, lettres patentes & arrêts, ils ont confirmé les nobles & autres habitans & officiers de Dombes dans tous les priviléges à eux attribués par les lois de leur pays, & leur en ont même accordé encore d'autres en France. Voyez l'abregé de l'histoire de la souveraineté de Dombes, & le recueil des priviléges du parlement de Dombes.

CONSEIL DES ENFANS ET PETITS-ENFANS DE FRANCE, voyez ci-après CONSEIL DES PRINCES DU SANG. (A)

CONSEIL D'EN-HAUT, voyez ci-après à la suite de Conseil de guerre & au mot Conseil du Roi, à l'article CONSEIL D'ETAT. (A)

CONSEIL D'ENSISHEIM, voyez CONSEIL SOUVERAIN D'ALSACE. (A)

CONSEIL D'ETAT ou DES AFFAIRES ETRANGERES, voyez ci-après à l'article du CONSEIL DU ROI, (A)

CONSEIL ETROIT ou SECRET, étoit la même chose que le conseil privé ou grand-conseil du Roi : on l'appelloit étroit, pour dire qu'il étoit étroitement attaché à la personne du Roi, parce qu'il étoit à sa suite. On lui donnoit encore ce titre vers la fin du quatorzieme siecle, comme on voit dans des lettres de Charles VI. du 11 Avril 1390, où il est parlé du grand & étroit conseil. (A)

CONSEIL DES FINANCES, ou CONSEIL ROYAL DES FINANCES, voyez ci-après au mot CONSEIL DU ROI, à l'article des Finances.

Les princes du sang qui ont une maison sur l'état, ont aussi un conseil des finances. Voyez ci-après CONSEIL DES PRINCES. (A)

CONSEIL DU ROI, (grand) étoit dans son origine le conseil d'état & privé du Roi : il connoît présentement de plusieurs matieres, tant civiles, que bénéficiales & criminelles.

Le titre de grand que l'on a donné à ce conseil, tire son origine tant du nombre des conseillers qui y étoient admis, que de l'importance des matieres qui y étoient traitées ; car il y avoit dès-lors un conseil secret ou étroit, c'est-à-dire peu nombreux, dans lequel se traitoient les affaires qui demandoient plus de secret.

Cette compagnie est la seule de son espece dans le royaume ; elle n'a point de territoire particulier, mais sa jurisdiction s'étend dans tout le royaume ; c'est pourquoi sa devise est unico universus.

Avant l'établissement du conseil du Roi dont il sera parlé ci-après, le grand-conseil connoissoit principalement des affaires d'état, du domaine, & des finances ; on y portoit peu d'affaires contentieuses, si ce n'est celles qui sont de nature à être portées au conseil du Roi, telles que les cassations, les reglemens de juges, & de toutes les matieres que le Roi évoquoit à soi.

Ce fut dans ce tribunal que se traita en 1302 la question de rendre le parlement sédentaire à Paris : & on lit dans Bonfons à l'article du parlement une ordonnance du grand-conseil à cette fin, qui est ainsi intitulée : Ci est l'ordonnance du parlement faite par le grand-conseil.

Le premier établissement des cours des aides a été fait par ordonnances rendues par le grand-conseil ; & la cour des aides de Paris a eu dans son institution recours au grand-conseil pour avoir un reglement de discipline intérieure, ainsi qu'on le voit par les registres du grand-conseil.

Tout ce qui concernoit la guerre, la marine, l'amirauté, les prises sur mer, les prisonniers, leur rançon, les lettres d'abolition pour défection au service du Roi ou pour rébellion, & la réintégration des coupables dans leurs biens & honneurs par la grace du prince ; ce qui avoit rapport aux tailles, au Commerce, tout cela étoit du ressort du grand conseil : la raison est qu'il y avoit alors peu d'offices particuliers, & notamment qu'il n'y en avoit point pour ces sortes d'affaires, qui se traitoient alors sommairement.

Dans la suite nos rois instituerent successivement divers officiers de la couronne & autres, à chacun desquels ils attribuerent la direction de certaines matieres dont le grand-conseil avoit coûtume de connoître : on attribua à un maréchal de France & au connêtable tout ce qui a rapport au militaire ; les gens des comptes, le grand trésorier de France, & le grand-maître des eaux & forêts, eurent chacun leur département.

Les grands baillifs qui sont devenus par la suite des officiers ordinaires, étoient appellés au grand-conseil, & y prenoient séance lorsqu'il s'agissoit d'affaires de leur ressort.

La coûtume où l'on étoit de traiter au grand-conseil les affaires dont la connoissance fut attribuée à ces divers officiers, donna lieu à de fréquentes évocations au grand-conseil.

D'un autre côté, le bouleversement que les guerres des Anglois sous le regne de Charles VI. avoient occasionné dans les possessions des particuliers, donna lieu à une multitude infinie de demandes qui furent toutes portées au grand-conseil, & y resterent pour la plûpart indécises pendant tout le regne de Louis XI. à cause de l'absence continuelle des maîtres des requêtes & autres officiers du conseil, qui étoient occupés aux ambassades & autres commissions importantes du dedans & du dehors du royaume.

Toutes ces différentes affaires dont le grand-conseil étoit surchargé, donnerent lieu aux états assemblés à Tours en 1483 à l'avenement de Charles VIII. à la couronne, de demander que le roi eût auprès de soi son grand-conseil de la justice, auquel presideroit le chancelier assisté de certain nombre de notables personnages, de divers états & pays, bien renommés & experts au fait de la justice ; que ces conseillers prêteroient serment, & seroient raisonnablement stipendiés.

Ce fut ce qui engagea Charles VIII. quelque tems après à établir dans ce conseil un corps, cour & collége d'officiers en titre ; ce qu'il fit par un édit du 2 Août 1497, par lequel il fut ordonné que le chancelier présideroit au grand-conseil, qu'il y seroit assisté des maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel, qui y présideroient en son absence selon leur rang d'ancienneté ; & il fut en même tems créé dix-sept conseillers ordinaires, tant d'église que lays.

Charles VIII. étant décédé le 7 Avril 1498, Louis XII. par un édit du 13 Juillet suivant, confirma l'établissement du grand-conseil, & augmenta le nombre des conseillers d'un prélat & de deux autres conseillers, ce qui composoit en tout le nombre de vingt conseillers, qu'il distribua en deux semestres.

Le grand-conseil ainsi composé & réformé par Louis XII. continua de connoître de toutes les mêmes affaires dont il avoit connu auparavant. Son occupation la plus continuelle étoit celle du reglement des cours & des officiers ; il connoissoit aussi de tous les dons & brevets du roi, de l'administration de ses domaines, de toutes les matieres qui étoient sous la direction des grands & principaux officiers, & des affaires tant de justice que de police de la maison du Roi, & des officiers de la suite de la cour : beaucoup d'affaires particulieres y étoient aussi introduites, soit par le renvoi que le roi lui faisoit des placets qui lui étoient présentés, soit du consentement des parties.

Depuis ce tems nos rois lui ont attribué exclusivement la connoissance de plusieurs matieres, presque toutes relatives à sa premiere institution.

Ainsi c'est en vertu de sa premiere destination que le grand-conseil connoît encore aujourd'hui des contrariétés & nullités d'arrêts, nonobstant l'établissement qui a été fait depuis du conseil d'état. Cette attribution semble lui avoir été faite par des lettres patentes de 1531 & de 1537 ; mais ces lettres ne sont que la confirmation de l'ancien usage.

C'est relativement à la véritable institution du grand-conseil, que la conservation de la jurisdiction des présidiaux & des prevôts des maréchaux, qui s'exerce par la voie de reglement de juges, avec les parlemens, lui a été attribuée.

Il en est de même de l'attribution exclusive des procès concernant les archevêchés, évêchés & abbayes, à laquelle donna lieu la résistance que le parlement fit à l'exécution du concordat. Depuis que la nomination de tous les grands bénéfices a été accordée au Roi, le grand-conseil a dû connoître de l'exécution de ses brevets : c'est par la même raison qu'il connoît de l'indult du parlement, qui est regardé comme étant de nomination royale ; des brevets de joyeux avenement & de serment de fidélité ; de l'exercice du droit de litige dans la Normandie ; & en général de tous les brevets que le Roi accorde pour des bénéfices.

L'attribution qui lui fut faite par une déclaration du 15 Septembre 1576, de la connoissance des droits de francs-fiefs & nouveaux acquêts, est une suite de la part qu'il a pris de toute ancienneté à l'administration & régie des domaines du roi, ainsi que l'attribution des affaires concernant les droits de tabellionage, par déclaration du 7 Août 1548.

Les contestations pour le payement des dix livres tournois qui sont dûes par les prélats après leur nomination, celles concernant les oblats, ainsi que la réformation des hôpitaux & maladreries, ont été attribuées au grand-conseil du chef du grand aumônier.

De même toute la police des eaux minérales, & des brevets pour vendre les remedes, & de la chirurgie & barberie, lui ont été attribués du chef du premier medecin & du premier chirurgien.

Le Roi a encore de tout tems employé le grand-conseil pour établir une jurisprudence uniforme dans tout le royaume sur certaines matieres, telles que les usures, les banqueroutes, les recélés des corps morts des bénéficiers.

C'est par une raison à-peu-près semblable que la plûpart des grands ordres ont obtenu le droit d'évocation au grand-conseil, afin que le régime & la discipline de ces grands corps ne soient point intervertis par la diversité de jurisprudence, & qu'ils ne soient pas obligés de disperser leurs membres dans tous les tribunaux.

Les secrétaires du Roi ont de tout tems joüi du même droit : les trésoriers de France l'ont aussi obtenu.

Enfin le grand-conseil a souvent suppléé les cours souveraines pour le jugement de certaines affaires qui en ont été évoquées : on lui attribua même au mois de Février 1659 tous les procès du ressort du parlement de Dijon.

Il ne seroit pas possible d'entrer ici dans le détail de toutes les différentes attributions dont le grand-conseil a joüi plus ou moins long-tems ; il suffit d'avoir donné par quelques exemples l'idée de celles qui conviennent à son institution.

On doit seulement encore ajoûter que la jurisdiction de la prevôté de l'hôtel y ressortit en matiere civile ; & cette attribution fort ancienne, est en même tems un privilége pour les officiers de la maison du Roi, la conséquence de sa destination à connoître des matieres qui sont sous la direction des grands & principaux officiers, & la preuve de la confiance que les rois ont eue de tout tems en ce tribunal pour les affaires de leur cour & suite.

Le grand-conseil a continué d'être ambulatoire à la suite de nos rois, & il joüit en conséquence du droit d'avoir à sa suite un marchand & un artisan privilégiés de chaque art & métier.

Il a tenu ses séances à Paris en différens endroits, notamment au Louvre, aux Augustins, & dans le cloître de S. Germain de l'Auxerrois.

Par un arrêt du conseil d'état du 6 Juillet 1686, le roi permit aux officiers du grand-conseil d'établir leur séance en l'hôtel d'Aligre, & d'en passer bail aux clauses & conditions qu'ils aviseroient bon être ; il y eut le 17 du même mois des lettres patentes pour la translation du grand-conseil, & depuis ce tems il a toûjours tenu ses séances en ce lieu.

Ce tribunal est présentement composé de M. le chancelier, qui est le seul chef & président né de cette compagnie ; d'un conseiller d'état commis par lettres patentes du Roi pour y présider pendant un an ; de huit maîtres des requêtes, qui sont aussi présidens par commission pendant quatre années ; il y en a quatre dans chaque semestre ; les anciens présidens honoraires, dont les offices ont été supprimés, qui ont rang de maîtres des requêtes ; les conseillers d'honneur, dont le nombre n'est pas fixe, mais qui sont présentement au nombre de trois ; cinquante-quatre conseillers qui sont distribués également dans les deux semestres, & dont deux sont en même tems grands rapporteurs & correcteurs des lettres du sceau ; deux avocats généraux, un procureur général, un greffier en chef, douze substituts du procureur général ; un greffier de l'audience, un pour la chambre, un pour les présentations & affirmations, un greffier des dépôts civil & criminel ; cinq secrétaires du Roi servans près le grand-conseil ; un premier huissier, un trésorier payeur des gages, trois contrôleurs, vingt-trois procureurs, dix-neuf huissiers ; un medecin & un chirurgien pour les visites & rapports ; un maréchal des logis, un fourrier, un juré trompette, & autres officiers subalternes.

Tous ces officiers joüissent de plusieurs priviléges, notamment de ceux de commensaux de la maison du Roi & des officiers des cours souveraines.

Les audiences des grand & petit rôle se tenoient ci-devant le lundi & mardi matin ; elles ont été transférées au vendredi & samedi par une déclaration du 6 Mars 1738.

L'audience des placets qui se tenoit autrefois les jeudis, a été transférée par la même déclaration aux mercredis.

Après les grandes audiences qui finissent à onze heures, les mêmes juges donnent une audience pour les causes d'instruction.

Le lieu destiné à faire les exécutions des arrêts rendus au grand-conseil en matiere criminelle, & qui emportent peine afflictive, est la place de la Croix-du-Trahoir.

Le Roi adresse souvent à cette compagnie ses ordonnances, édits, déclarations, pour y être enregistrés.

Lorsqu'il s'agit de quelque reception d'officier, ou de délibérer sur quelque point de discipline de la compagnie, les deux semestres s'assemblent.

Le grand-conseil n'est point dans l'usage d'assister en corps ni par députés aux cérémonies publiques ; mais il va en députation nombreuse complimenter le Roi, la Reine, & les Princes & Princesses de la famille royale sur les évenemens remarquables, & jetter l'eau-benite à ceux qui sont décédés.

Présidens. Le chancelier a été de tout tems & est encore le seul premier président du grand-conseil.

Suivant l'édit de 1497, il devoit être assisté des maîtres des requêtes, lesquels avoient droit de présider en son absence suivant leur rang d'ancienneté.

En l'absence des maîtres des requêtes, c'étoit le plus ancien conseiller-lai qui présidoit à l'audience, & le plus ancien conseiller d'église qui présidoit au conseil, comme on voit par un reglement qui fut fait par les conseillers en 1521.

Au mois d'Octobre 1540 il fut créé un office de président au grand-conseil en faveur de Guy de Breslay, pour présider en l'absence du chancelier : mais par un édit du 6 Mars 1543, cet office fut révoqué, & les maîtres des requêtes rétablis dans leur droit de présider au grand-conseil, comme ils faisoient auparavant.

Quelque tems après le Roi créa deux offices de présidens, & le premier Mai 1557 on en créa encore deux autres : mais au mois de Septembre 1559 François II. à son avenement à la couronne, supprima les offices de présidens au grand-conseil, jusqu'à ce qu'ils fussent réduits au nombre de deux, vacation arrivant par mort ou forfaiture.

L'ordonnance de Blois, art. 221. les fixa à deux : mais Henri III. par un édit du 12 Juillet 1586, créa quatre offices de présidens au grand-conseil.

En 1610 & en 1634 il y avoit huit présidens, & en 1635 on en créa encore deux qui furent dispensés d'être maîtres des requêtes, comme cela étoit alors nécessaire pour posséder ces offices de présidens.

Mais tous ces offices de présidens furent depuis supprimés ; & par édit du mois de Février 1690 il fut créé un office de premier président, & huit autres offices de présidens auxquels le roi donna rang de maîtres des requêtes.

Les choses sont demeurées dans cet état jusqu'à l'édit de Janvier 1738, qui a encore supprimé toutes les charges de présidens, & a établi un conseiller d'état commis pour faire la fonction de premier président, en l'absence de M. le chancelier, pendant un an, & huit maîtres des requêtes pour faire la fonction de présidens pendant quatre ans.

Les présidens du grand conseil ont toûjours été distribués en deux semestres, dont l'un commence en Janvier & l'autre en Juillet, au lieu que ceux des conseillers commencent en Avril & Octobre.

L'habit des présidens à l'audience en hyver est la robe de velours, en été la robe de satin. En la chambre du conseil ils portent la robe & le chaperon de laine, avec la simare & la ceinture de soie.

Conseillers. Anciennement les conseillers au grand-conseil étoient des officiers des cours souveraines ou des principaux siéges, auxquels le roi accordoit des brevets d'honneur, avec entrée au grand-conseil.

Au commencement du quinzieme siecle le grand-conseil se trouva chargé de tant d'affaires, que l'on fut obligé d'augmenter le nombre des conseillers : la premiere création d'officiers en titre sous ce nom est celle de 1497, qui fut de dix-sept conseillers, tant clercs que lais.

Louis XII. en confirmant cet établissement en 1498, augmenta le nombre des conseillers d'un prélat & de deux autres conseillers, ce qui faisoit en tout le nombre de vingt, qu'il distribua en deux semestres ; & il défendit qu'aucuns autres conseillers, de quelque dignité ou condition qu'ils fussent, entrassent dorénavant au grand-conseil, même au jugement des procès, à moins qu'ils n'y fussent appellés par le chancelier.

Le nombre des conseillers fut dans la suite augmenté jusqu'à quarante ; on en créa encore quatre en 1547, mais qui furent aussi-tôt supprimés.

L'ordonnance de Blois, art. 221. les réduisit à vingt-quatre.

Mais en 1597 on en créa six, & deux en 1631. Il y en avoit plus de quarante en 1634 ; on en créa encore dix en 1635 ; & présentement le nombre est de cinquante-quatre.

Outre ces cinquante-quatre offices de conseillers, il y a ordinairement plusieurs conseillers d'honneur, dont le nombre n'est pas fixe. Ils siégent les premiers du côté des présidens.

En l'absence de M. le chancelier & des autres présidens, c'est le plus ancien conseiller-lai qui doit présider à l'audience, & le plus ancien conseiller d'église qui doit présider en la chambre du conseil, comme il est dit dans le reglement fait par les conseillers en 1521, ce qui fut aussi ordonné par Henri III. en 1586.

Ils sont partagés en deux semestres, dont l'un commence en Avril & l'autre en Octobre.

Leur habit de cérémonie est la robe de satin noir.

Ils jouissent de tous les privileges accordés aux conseillers de cour souveraine, & ont en outre plusieurs droits qui leur sont propres : savoir,

1°. Ils ont entrée, séance, & voix délibérative dans toutes les cours souveraines : cet usage n'a cependant plus lieu au parlement de Paris.

2°. Ils peuvent présider dans tous les présidiaux où ils se trouvent.

Grands rapporteurs & correcteurs des lettres du sceau. Il y a deux charges, dont l'une existe de toute ancienneté ; la seconde a été créée par Henri II. au mois de Mai 1552 : elles sont affectées aux conseillers du grand-conseil. Ils rapportent les lettres au sceau, & anciennement ils venoient souvent au grand-conseil prendre l'avis de la compagnie sur les affaires qui paroissoient souffrir quelque difficulté.

Avocats généraux. Il y en a deux qui servent par semestre ; mais depuis 1738 le Roi a donné une déclaration qui les autorise à porter la parole hors le tems de leur service, le choix des causes demeurant à celui qui est de semestre. Le premier office fut créé en 1522, l'autre du tems d'Henri II. ce second office fut supprimé en 1583 ; il a depuis été rétabli.

Procureur genéral. L'édit de 1498 portant confirmation de l'établissement du grand-conseil, prouve qu'il y avoit déjà un procureur général : il y sert toute l'année. Comme les avocats généraux n'avoient la parole chacun que dans leur semestre, c'étoit au procureur général à la porter dans celui qui étoit vacant ; mais ordinairement il commettoit pour cette fonction un de ses substituts, comme il fait encore en cas d'absence ou autre empêchement des avocats généraux.

Greffier en chef. Il fut créé par Louis XII. en 1498. Il y a en outre un greffier de l'audience, un greffier de la chambre, un greffier des présentations & affirmations, & un greffier des dépôts civil & criminel.

Substituts du procureur général, furent créés premierement en 1586 au nombre de huit ; mais ces charges n'ayant pas été alors levées, on les créa de nouveau en 1672. Ils sont au nombre de douze, & portent la parole aux audiences en l'absence ou autre empêchement de MM. les avocats généraux. Voyez ci-devant Procureur général.

Par une autre déclaration registrée le 28 Octobre 1674, on leur a accordé le titre de conseillers du Roi, substituts, &c. un minot de sel de franc-salé, & tous les droits & privileges des officiers du grand-conseil, committimus au grand sceau. Ils sont reçus au droit annuel sans prest. En l'absence ou recusation du procureur général, ils signent les conclusions, & assistent avec les conseillers du grand-conseil aux descentes & à toutes instructions des procès civils & criminels, auxquelles les fonctions du procureur général sont nécessaires.

Secrétaires du Roi. Il y en avoit anciennement deux attachés au grand-conseil, dont l'un faisoit la fonction de greffier. Ils sont présentement au nombre de cinq, sans compter le greffier en chef qui doit être secrétaire du Roi du grand collége. L'un des cinq existoit dès l'année 1498 ; les quatre autres furent créés par édit du mois de Février 1635, confirmés par un autre édit du mois d'Août 1636, portant qu'ils jouiront des honneurs, prérogatives, droits, priviléges, & exemptions dont les secrétaires du parlement de Paris jouissent.

Premier huissier, est aussi ancien que l'établissement du grand-conseil ; il est en même tems, par le droit de sa charge, le premier des huissiers ordinaires du Roi en sa grande chancellerie.

Pour ce qui est des autres huissiers, originairement c'étoient les sergens d'armes qui exécutoient les mandemens & arrêts du grand-conseil. En 1513 on créa vingt huissiers sergens ordinaires, qui furent réduits à huit aux états de Blois en 1579. Il y eut encore depuis quelque changement ; car le 25 Juin 1582 on en créa cinq pour faire le nombre de vingt, outre le premier huissier ; on en créa encore quatre en 1635. Ils ne sont présentement en tout que dix-neuf, sans compter le premier huissier.

Trésorier payeur des gages, a été établi par l'édit de Charles VIII. en 1497. Il y a trois contrôleurs, dont les édits de 1628 & 1635 font mention, ainsi que des droits des receveurs des amendes & payeur des gages du grand-conseil.

Avocat au grand-conseil. Les avocats reçus dans les parlemens plaident & écrivent dans les affaires pendantes au grand-conseil. Il y a aussi des avocats qui sont reçus au grand-conseil, & qui en cette qualité ont le droit d'exercer dans tous les parlemens & autres cours souveraines : on les met à leur rang sur le tableau des avocats au parlement.

Procureurs. Il y en avoit au grand-conseil dès 1489, comme il paroît par un réglement du 13 Octobre de cette année qui fut fait pour leur réception, portant que les clercs qui auroient servi dix ans les procureurs seroient préférés aux autres.

Le 8 Avril 1524 le grand-conseil leur donna un style, en attendant qu'il y eut été pourvû par le Roi & par M. le chancelier.

Au mois de Septembre 1679 ils ont été créés en titre d'office au nombre de vingt-trois.

Sur le grand conseil, voyez Chopin, de sacr. polit. liv. III. tit. ij. n. 10. Boerius, de autoritate magni consilii ; Pasquier, en ses recherches, liv. II. chap. vj. Loysel, opuscules. Style du grand conseil de Ducrot. Fontanon, tome I. liv. I. tit. xxiij. Joly, tome I. liv. II. tit. iij. & aux addit. p. 314. Bibliot. de Bouchel, au mot grand conseil ; & le rec. des ordonn. de la trois. race. (A)

CONSEIL DU DUC D'ANJOU, (grand) c'étoit le conseil que ce seigneur avoit comme lieutenant de Roi en Languedoc ; on voit dans le VI. tome des ordonnances de la troisieme race, p. 501. des lettres de ce duc d'Anjou, au bas desquelles il est dit, par. M. le duc en son grand conseil. Voyez ci-après GRAND CONSEIL DU ROI DE PAR-DEÇA. (A)

CONSEIL DU COMTE D'EVREUX PHILIPPE COMTE DE MELUN, (grand) c'étoit le conseil de ce seigneur ; il en est parlé dans des lettres par lui données l'an 1320, qui sont au III. vol. des ordonnances, page 140. (A)

CONSEIL DE MALINES, (grand) voyez CONSEIL DE MALINES. (A)

CONSEIL DU ROI DE PAR-DEÇA, (grand) il paroît que c'étoit un détachement du conseil ou grand-conseil du roi Charles V. que ce prince avoit envoyé pour rendre justice dans les pays qui sont au-delà de la Loire vers le septentrion ; que ce conseil étoit le même dont il est parlé ci-devant sous le titre de grand conseil du duc d'Anjou, lequel duc étoit lieutenant général pour le Roi dans les pays de Languedoc ; que néanmoins ce n'étoit pas un conseil particulier du duc d'Anjou, mais un détachement du conseil du Roi qui lui étoit donné pour lui aider à administrer la justice ; puisque Charles V. en parlant de ce conseil dans un mandement du 5 Déc. 1367, rappelle une ordonnance qu'il avoit faite par l'avis des gens de notre grand conseil de par-deçà. Voyez le V. tome des ordonnances de la troisieme race, p. 90. (A)

CONSEIL DE VALENCIENNES, (grand) voyez CONSEIL DE VALENCIENNES. (A)

CONSEIL DE GRANDE DIRECTION, voyez ci-après au mot CONSEIL DU ROI, où il est parlé de la grande direction. (A)

CONSEIL DE GUERRE est de deux especes : la premiere est le conseil que le Roi tient avec ses ministres & principaux conseillers sur le fait de la guerre. Cette matiere se traite ordinairement dans le conseil d'état où l'on discute aussi d'autres affaires ; mais lorsqu'on y délibere sur ce qui concerne la guerre, on dit que le Roi a tenu conseil de guerre. Il appelle quelquefois extraordinairement dans ce conseil des maréchaux de France, & autres principaux officiers, pour donner leur avis. Il y eut même pendant la minorité du Roi une séance particuliere du conseil du Roi, établie sous le titre de conseil de guerre, composée de seigneurs & officiers, & du secrétaire d'état ayant le département de la guerre ; il y avoit un président & un vice-président. Ce conseil se tenoit au louvre trois fois la semaine ; on y traitoit non seulement de la guerre, mais de tout ce qui y avoit rapport & aux troupes : ce conseil ou bureau fut supprimé au mois d'Octobre 1718.

L'autre espece de conseil de guerre est celui que les officiers tiennent à l'armée, en garnison ou quartier, soit pour délibérer entr'eux sur le parti qu'ils doivent prendre dans le service en quelque rencontre difficile, soit pour attaquer ou pour défendre, ou autrement, soit pour faire quelque acte de justice militaire, comme faire quelque réglement pour la police & la discipline des troupes, ou pour juger quelque délit militaire.

Les regles établies pour l'administration de la justice militaire dans le conseil de guerre, sont :

Que les officiers ne peuvent tirer de prison leurs soldats emprisonnés pour quelque excès ou desordre, sans la permission du gouverneur de la place, ou qu'ils n'ayent été jugés au conseil de guerre, si le cas le requiert.

Dès qu'un soldat est arrêté prisonnier, le sergent major de la place, & en son absence, celui qui en fait la fonction, doit lui faire faire son procès, sans qu'aucun soldat prisonnier pour crime puisse sortir de prison, qu'il n'en ait été ordonné par le conseil de guerre.

Les juges ordinaires des lieux où les troupes tiennent garnison, connoissent de tous crimes & délits qui peuvent être commis dans lesdits lieux par les gens de guerre, de quelque qualité & nation qu'ils soient, auxquels les habitans des lieux ou autres sujets de S. M. ont intérêt, nonobstant tous priviléges à ce contraires, sans que les officiers des troupes en puissent connoître en aucune maniere ; & néanmoins les juges ordinaires sont tenus d'appeller le prévôt des bandes ou du régiment, en cas qu'il y en ait, pour assister à l'instruction & au jugement des procès de tout crime de soldat à habitant ; & s'il n'y a point de prevôt, on doit appeller le sergent major ou l'aide-major, ou l'officier commandant le corps de la troupe.

Les officiers des troupes connoissent seulement des crimes ou délits qui se commettent de soldat à soldat, à l'égard desquels, s'ils ont été constitués prisonniers, les officiers ne peuvent pas les retirer ou faire retirer des prisons où ils auroient été mis, sous prétexte qu'ils doivent connoître de leurs crimes ; ils peuvent seulement requérir les juges de l'autorité desquels ils ont été emprisonnés, de les leur faire remettre ; & en cas de refus, ils doivent se pourvoir devers le Roi.

Les chefs & officiers ne peuvent s'assembler pour tenir conseil de guerre, sans la permission expresse du gouverneur ou commandant.

Lorsqu'il s'agit de tenir conseil de guerre dans une place pour la punition des crimes des soldats, ou pour empêcher qu'il ne s'en commette à l'avenir, l'assemblée qui se fait pour le jugement doit être tenue dans le logis du gouverneur, & en son absence dans celui du lieutenant de Roi ou commandant en la place où est la compagnie dont le soldat accusé est membre.

Tous les officiers de la garnison, de quelque corps qu'ils soient, peuvent assister au conseil de guerre ; & le gouverneur ou, en son absence, le lieutenant de Roi ou commandant y doit présider.

S'il ne se trouve pas dans la place des officiers en nombre suffisant pour le jugement des soldats, il est permis au gouverneur, & en son absence, à celui qui commande d'y appeller le nombre nécessaire d'officiers d'infanterie étant dans les garnisons les plus voisines, lesquels sont tenus de s'y rendre lorsqu'ils en sont requis.

A défaut de nombre suffisant d'officiers d'infanterie, on appelle de même des officiers de cavalerie, soit de la place ou des places voisines, lesquels prennent leur séance à gauche de celui qui préside, & opinent les premiers.

A défaut d'officiers, le commandant peut admettre dans le conseil de guerre des sergens de la garnison jusqu'au nombre nécessaire.

S'il s'agit de juger un cavalier, & qu'il n'y ait pas assez d'officiers de cavalerie dans la place, les officiers d'infanterie de la place ou des places voisines sont obligés d'assister au conseil de guerre quand ils en sont requis, & ils siégent & opinent comme il a déjà été dit.

La justice qui se fait pour les soldats d'infanterie est exercée au nom du Roi, comme colonel général de l'infanterie ; & pour les cavaliers, elle est rendue au nom du colonel général de la cavalerie.

Les sergens majors des places donnent les conclusions nécessaires dans les conseils de guerre pour le jugement des procès, préférablement & à l'exclusion des sergens majors des régimens.

Les jugemens rendus dans le conseil de guerre, même ceux qui emportent peine de mort, ou autre peine afflictive, n'emportent point de confiscation ni même d'infamie. Voyez le code militaire du baron de Sparre : liv. IV. tit. vj. (A)

CONSEIL D'EN-HAUT, c'est le conseil d'état du Roi, celui dans lequel on traite des affaires qui regardent le corps de l'état, telle que la paix & la guerre, les alliances, négociations, & autres affaires étrangeres : c'est le même que l'on a d'abord appellé grand conseil, conseil étroit ou secret, ensuite conseil du cabinet, puis conseil d'en-haut, & présentement conseil d'état. Voyez ce qui est dit de ces conseils sous chacune de ces différentes dénominations. (A)

CONSEIL D'HOSTEL : ce terme se trouve employé au bas des lettres patentes d'Henri. II. du 23 Février 1547, adressées au parlement de Dombes lors séant à Lyon. Il est fait mention que dedans le repli de ces lettres étoient ces mots, sic requiro pro rege, délibéré au conseil d'hôtel. C'étoient, comme on voit, les conclusions du procureur général du parlement de Dombes qu'il donnoit en son hôtel. (A)

CONSEIL LAI ou CONSEIL DES LAIS, étoit le conseil du Roi, lorsqu'il n'étoit composé que de barons & autres personnes non gradués ; car les gradués étoient alors ordinairement désignés sous le nom de clerc ; & le terme de lai étoit opposé à celui de clerc ou gradué ; cette expression se trouve dans des lettres de Charles VI. du 11 May 1388, & autres lettres & ordonnances postérieures ; on trouve aussi plusieurs lettres royaux du même tems à la fin desquelles il y a, par le roi à la relation du conseil des lais, ce que l'on doit entendre dans le même sens. V. le VII. vol. des ordonnances, pages 186. 211. 386. 478. 493. (A)

CONSEIL D'UN LIEUTENANT DE ROI ; chaque lieutenant de Roi dans les provinces avoit son conseil : il en est parlé dans plusieurs ordonnances du conseil du duc d'Anjou lieutenant de Roi en Languedoc. (A)

CONSEIL DE LORRAINE, voyez CONSEIL DE LUNEVILLE & CONSEIL DE NANCY. (A)

CONSEIL DE LUNEVILLE est le conseil d'état & privé des ducs de Lorraine ; il est ainsi appellé, parce qu'il se tient ordinairement à Luneville. Ce conseil, tel qu'il a été établi par le roi Stanislas duc de Lorraine & de Bar, par édit du 27 Mai 1737 ; est composé du chancelier garde des sceaux, qui est chef des conseils, de deux conseillers secrétaires d'état, & de six conseillers d'état ordinaires. Les premiers présidens & procureurs généraux de la cour souveraine de Lorraine & Barrois, & chambre des comptes de Lorraine, les président & procureur général de la chambre des comptes de Bar ; ont aussi le titre de conseillers d'état, voix, séance & rang dans ce conseil, du jour des commissions qui leur en sont expédiées. Ce conseil est divisé en deux séances ou départemens, l'une pour le conseil d'état ; l'autre distinguée sous le titre de conseil royal des finances & du commerce, établi par édit du premier Juin 1737 : ce dernier conseil n'est composé que du chancelier & de quatre conseillers d'état. (A)

CONSEIL DE MALINES ou GRAND CONSEIL DE MALINES ; c'étoit dans son origine le conseil des ducs de Bourgogne qui étoient en même tems comtes de Flandre & d'Artois. Ce conseil étoit d'abord ambulatoire près de leurs personnes ; en 1385 le duc Philippe le Hardi créa le conseil de Flandre qu'il établit à Lille : il attribua la jurisdiction contentieuse à une partie de ce conseil, & à l'autre la connoissance des comptes de son domaine. En 1409 le duc Jean divisa le conseil de Flandre en deux ; il en laissa une partie à Lille avec le titre de chambre des comptes ; il établit l'autre à Gand pour y exercer la jurisdiction contentieuse sur toute la Flandre, à la charge de l'appel au parlement de Paris indistinctement. Par le traité d'Arras du 10 Décembre 1435 : Charles VII. ayant durant sa vie déchargé le duc Philippe le Bon de tout hommage, ressort & souveraineté, le duc en 1455 donna à son grand-conseil la faculté de connoitre en dernier ressort de l'appel des juges ordinaires de Flandre & d'Artois, &c. Le parlement de Paris ne reconnut point cet établissement. Par le traité de Peronne du 14 Octobre 1468, on convint que ce grand-conseil subsisteroit pendant la vie de Charles le Téméraire, & que les vassaux & tenanciers qui étoient du ressort du parlement de Paris, auroient la liberté de se pourvoir, soit au parlement, soit au grand-conseil de Flandre.

Au mois de Décembre 1473, Charles le Téméraire dernier duc de Bourgogne établit une partie de ce grand-conseil à Malines, sous le titre de parlement, pour y juger en dernier ressort les appels de tous les Pays bas, même de ceux qui étoient du ressort de France. Ce grand-conseil ou parlement fut composé de trente-cinq membres, y compris le duc & son chancelier. Ce parlement ne subsista que jusqu'à la mort de Charles arrivée le 5 Janvier 1476.

Philippe I. roi d'Espagne, par un placard du 22 Janvier 1503, divisa en deux le grand-conseil des Pays-bas ; il en mit une partie à Bruxelles sous le titre de conseil privé, & l'autre à Malines sous le titre de grand-conseil. Les historiens tiennent que ce fut alors qu'il devint sédentaire, au lieu qu'il avoit été jusque-là ambulatoire. Ces deux jurisdictions ont chacune à leur égard exercé leur supériorité sur l'Artois, tandis qu'il a été soumis à la maison d'Autriche. Les styles du parlement ou grand-conseil de Malines sont même registrés au conseil provincial d'Artois. (A)

CONSEIL DE LA MAREE étoit une assemblée composée de plusieurs personnes choisies pour avoir l'inspection sur le commerce du poisson de mer, du tems de saint Louis. Ce conseil étoit composé du prevôt de Paris & de quatre jurés ou prudhommes, dont l'élection se faisoit tous les ans devant le prevôt de Paris ; il recevoit leur serment : c'étoit à son tribunal qu'ils faisoient leur rapport des contraventions. Il étoit très-étroitement défendu à toutes personnes de les troubler ou de leur dire des injures dans l'exercice de leurs fonctions, & ils étoient sous la protection & sauve-garde du Roi & du parlement pendant l'année de leur jurande. On leur accordoit la moitié des amendes prononcées sur leurs rapports, & ils étoient exempts du service du guet de nuit que les bourgeois faisoient en ce tems-là. Le nombre de ces jurés ou prudhommes fut depuis augmenté jusqu'à six ; on les choisissoit parmi les marchands de poisson les plus estimés pour leur probité. Le roi Jean par son ordonnance du 30 Janvier 1350, y joignit le procureur du Roi du châtelet, les jurés-vendeurs, & ceux des plus notables habitans que le prevôt de Paris jugeroit à propos d'y appeller. Le commerce de la marée ayant été interrompu pendant la guerre, le roi Jean par des lettres du mois d'Avril 1361, ordonna au prevôt de Paris conservateur & gardien du commerce de la marée, de pourvoir à ce qui seroit nécessaire pour le maintenir ; le prevôt de Paris permit en conséquence aux marchands & voituriers de poisson de mer de s'assembler pour prendre avec leur conseil toutes les mesures nécessaires pour la police de leur commerce & la manutention de leurs priviléges. L'assemblée se fit le 19 Novembre 1363 ; les marchands nommerent douze d'entr'eux, dont le prevôt de Paris en choisit quatre, deux de Picardie & deux de Normandie : ces élus choisirent ensuite pour leur conseil quatre des plus célebres avocats de ce tems-là, ce qui fut confirmé par des lettres patentes du 23 Avril 1364. L'un de ces quatre avocats qui étoit Guillaume de Saint-Romain ayant été pourvû de l'office de procureur général au parlement, Charles V. subrogea en sa place au conseil de la marée Me Etienne de Mareuil, par des lettres patentes du 28 Juin 1364. Les réglemens qui sont au I. volume des métiers de la ville de Paris, portent que les quatre élus prêteroient serment en présence des commissaires du parlement, du prevôt de Paris & de son lieutenant ; qu'ils s'informeroient soigneusement des torts & griefs qui pourroient être faits aux marchands forains ou voituriers, pour le faire savoir en diligence au conservateur & au conseil de la marée.

Il y est dit aussi qu'outre les quatre élus, il y auroit pour le conseil de la marchandise trois avocats & un procureur de la cour, qui se nommeroit le procureur général de la marchandise de poisson de mer, deux avocats & un procureur au châtelet ; leurs fonctions & droits y sont expliqués.

C'étoit alors les plus notables habitans des villes maritimes qui frettoient des vaisseaux pour la pêche, & faisoient le commerce de la marée ; mais depuis que ce négoce n'a plus été exercé que par de simples voituriers connus sous le nom de chasse-marée, l'usage du conseil de la marée s'est insensiblement aboli. Les jurés prudhommes n'ont plus d'autre soin, que de visiter les maisons où se font les trempis pour en empêcher les falsifications, & autres abus préjudiciables à la santé, & de visiter les marchés les jours des dimanches & fêtes qui arrivent en carême, pour y interdire le commerce des salines. Le surplus de la police sur le commerce de marée & sur les officiers qui y sont préposés, appartient aux commissaires de la marée & au prevôt de Paris. Voyez l'article CHAMBRE DE LA MAREE & le traité de la police, tome III. liv. V. chap. j. (A)

CONSEIL DE MARINE, étoit une séance particuliere du conseil du Roi, dans laquelle on traitoit de toutes les affaires qui concernoient la marine.

On voit que dès 1608 il y avoit un conseil pour la Marine, comme il paroît par un arrêt du conseil d'état, du 19 Janvier 1608, rendu par le roi étant en son conseil, concernant le fait de la marine. Voy. Fontanon, tom. IV. p. 667.

Après que la charge d'amiral eut été supprimée en 1626, il fut établi un conseil de Marine qui se tenoit chez M. le chancelier : il en est fait mention dans l'histoire du Conseil par Guillard, p. 88. il fut supprimé en 1669 lorsque la charge d'amiral fut rétablie.

Pendant la minorité du Roi il fut encore établi un conseil de marine, par ordonnance du 3 Novembre 1715.

La forme de ce conseil fut changée par deux autres ordonnances des 11 Juillet 1716 & 31 Août 1720.

Suivant le dernier de ces reglemens, ce conseil se tenoit deux fois la semaine, & même plus souvent s'il étoit nécessaire.

Il étoit composé du comte de Toulouse amiral, du maréchal d'Estrées qui avoit la qualité de président du conseil, de plusieurs seigneurs officiers de marine & autres, & de quelques magistrats.

Il étoit chargé, 1°. de tout ce qui concernoit la marine du Levant & du Ponant, les galeres, les consulats, les colonies, pays & concessions des Indes orientales & occidentales & d'Afrique, les fortifications des places maritimes, la construction, entretien & réparations des arsenaux, quais, formes, bassins, écluses, jettées & batteries, pour la conservation, l'entrée & la défense des ports & rades, & l'entretien des corps-de-garde dans les capitaineries-garde-côtes.

2°. De l'inspection sur les négocians qui composent en chaque échelle le corps de la nation en tout ce qui ne regardoit point le détail de leur commerce.

3°. De maintenir les priviléges des négocians sous la banniere de France, de réprimer les abus du pavillon & les fraudes de ceux qui prêtent leur nom aux étrangers.

4°. De la direction des compagnies des Indes orientales du Sénégal & autres pour tout ce qui regardoit la guerre & les établissemens où il y a des troupes & des commandans.

5°. Du soin de faciliter aux vaisseaux marchands les secours dont ils auroient besoin dans les pays étrangers, & de faire cesser les troubles & les obstacles qu'ils y pourroient recevoir par des saisies ou autres empêchemens dans leur navigation.

6°. Il devoit proposer l'expédition des ordres nécessaires pour ouvrir & fermer les ports, & de ceux pour l'envoi des escadres ou escortes destinées à la protection du commerce & à la sûreté des côtes & des bâtimens marchands ; & les ordres expédiés pour ouvrir & fermer les ports devoient être envoyés par le conseil de marine aux commandans, intendans & ordonnateurs des ports, & par l'amiral aux officiers de l'amirauté.

7°. Il étoit aussi chargé des négociations & traités avec les puissances d'Alger, de Tunis, de Tripoli, & avec le roi de Maroc ; du rachat & de l'échange des esclaves, & de la protection des saints lieux de Jérusalem.

Les mémoires en forme d'instruction concernant la marine pour les ambassadeurs & envoyés, devoient être donnés par ce conseil, & portés par le comte de Toulouse au conseil de régence ; & après y avoir été approuvés, ils étoient communiqués au secrétaire d'état ayant le département des affaires étrangeres.

Les marchés pour les fournitures générales & particulieres de la marine se faisoient à ce conseil ; ou s'il convenoit de faire quelque marché dans les ports, il devoit être approuvé par le conseil.

Les comptes de recette & dépense des invalides de la marine, y étoient arrêtés chaque année.

Les affaires étant délibérées dans le conseil, le comte de Toulouse devoit recueillir les voix. S'il y avoit partage, la sienne étoit prépondérante, de même qu'en son absence celle du président, & en l'absence du président celle du conseiller qui avoit présidé.

Le comte de Toulouse devoit se rendre aux jours ordonnés chez le régent, pour lui rendre compte des affaires sur lesquelles il étoit nécessaire de recevoir ses ordres.

Lorsqu'il y en avoit qui ne concernoient que les galeres, le comte de Toulouse en avertissoit le chevalier d'Orléans géneral des galeres, qui se rendoit avec lui chez le régent, & y faisoit le rapport.

Le comte de Toulouse rapportoit au conseil de régence les affaires qui devoient y être rapportées, avec les déliberations du Conseil de Marine sur chaque affaire. Il pouvoit néanmoins, quand il le jugeoit à-propos, proposer au régent d'appeller au conseil de régence le maître des requêtes conseiller au conseil de marine, pour y faire le rapport des affaires qui lui avoient été distribuées.

Les dépêches & autres expéditions faites au nom du conseil étoient signées par le comte de Toulouse seul, à l'exception de celles concernant le service des galeres, qui étoient signées conjointement par lui & par le général des galeres, & de celles concernant les fortifications des places maritimes, qui étoient aussi signées conjointement par lui & par le marquis d'Asfeld qui étoit aussi de ce conseil.

Tel étoit le dernier état de ce conseil jusqu'au mois de Mars 1723, que les fonctions de secrétaire d'état de la marine furent rétablies en faveur du comte de Morville, comme elles étoient à la fin du regne de Louis XIV, au moyen de quoi le conseil de marine fut supprimé. Voyez ci-après CONSEIL DES PRISES & MARINE, SECRETAIRE D'ÉTAT. (A)

CONSEIL SUPERIEUR DE LA MARTINIQUE, est le tribunal souverain de cette île ; il réside au Fort-Royal. Il est composé du gouverneur général des îles Françoises, de l'intendant, du gouverneur particulier de la Martinique, de douze conseillers, un procureur général, & deux lieutenans de Roi, qui y ont voix déliberative.

Ce conseil s'assemble tous les deux mois, & juge en dernier ressort toutes les causes qui y sont portées directement, & les appels des sentences du juge royal & de ses lieutenans.

Le gouverneur géneral y préside ; & en son absence, l'intendant ou le plus ancien des conseillers recueille les voix & prononce.

Les places de conseiller n'y sont point vénales ; les conseillers n'ont point de gages, mais seulement quelques émolumens pour leurs vacations, & le privilége de la noblesse pour ceux qui meurent dans l'exercice de ces places, ou qui après 20 ans d'exercice obtiennent des lettres d'honoraire. (A)

CONSEIL SOUVERAIN DE NANCY, fut établi par édit du mois d'Octobre 1635 ; on lui attribua la même jurisdiction qu'avoit le parlement de S. Mihiel, lequel fut alors supprimé. Ce conseil tient lieu de parlement pour la Lorraine ; c'est pourquoi on l'appelle présentement la cour souveraine de Nancy, pour distinguer ce tribunal du conseil d'état, qui se tient ordinairement à Luneville. Voyez CONSEIL DE LUNEVILLE ; voyez Joly, des Offices de France, tom. I. aux additions, p. 233. (A)

CONSEIL DE PERPIGNAN. Voyez ci-après CONSEIL DE ROUSSILLON. (A)

CONSEIL (petit) est un nom que l'on a quelquefois donné au conseil privé du Roi, que l'on appelloit aussi souvent étroit conseil ou conseil secret ; & ce qui paroîtroit plus singulier, c'est que ce conseil est aussi le même que l'on appelloit grand conseil : on l'appelloit petit par opposition au conseil commun, qui étoit plus nombreux, étant composé des gens du conseil, des gens du parlement, de ceux de la chambre des comptes & autres qui y étoient appellés : on l'appella ensuite grand par excellence & pour marquer sa supériorité. Voyez le traité de la Pairie, p. 104. où il est dit que le conseil du Roi appellé le grand & le petit conseil se forma presqu'aussi-tôt que le parlement de Paris fut rendu sédentaire. Ibid. p. 113. & 114. il dit que ce conseil est appellé conseil étroit dans le livre Croix de la chambre des comptes. (A)

CONSEIL DE PETITE DIRECTION. Voyez ci-après au mot CONSEIL DU ROI, la subdivision qui traite de la petite direction. (A)

CONSEIL DE PIGNEROL, qui étoit d'abord souverain, fut confirmé sur ce pié par un édit de Louis XIV, du mois de Novembre 1643, portant création d'un office de président garde des sceaux, quatre offices de conseillers, un procureur général du Roi & autres officiers. Depuis par un édit du mois d'Août 1683, il fut ordonné que l'appel des jugemens rendus par ce conseil seroit porté au parlement de Grenoble : mais par un édit du mois de Mars 1694, ce conseil fut rétabli sur le pié de conseil souverain pour juger conformément à l'édit de 1643. La ville de Pignerol ayant été rendue au duc de Savoie en exécution du traité de 1696, ce conseil est devenu un tribunal étranger pour la France. (A)

CONSEIL POLITIQUE, c'est le nom que l'on donne dans quelques villes de Languedoc aux officiers qui composent le corps de ville. Il y a un conseil de cette espece à Lusignan ; il en est fait mention dans un arrêt du conseil d'état du Roi du 17 Octobre 1733, qui casse un arrêt de la cour des aides de Montpellier au sujet de la nomination de ce conseil politique de la communauté de Lusignan, & confirme l'ordonnance rendue à ce sujet par l'intendant. Voyez CONSEIL DE VILLE & CORPS DE VILLE, MAIRE & ÉCHEVINS, PREVOT DES MARCHANDS & ÉCHEVINS, CAPITOULS, JURATS, SYNDICS, CONSULS, BAILE. (A)

CONSEILS DES PRINCES DU SANG, sont des assemblées composées de certains officiers de leur maison & finances.

Le droit d'avoir un conseil en titre n'appartient qu'aux enfans & petits-enfans de France, & au premier prince du sang, qui ont une maison couchée sur l'état du Roi.

Le conseil des princes qui ont un apanage, est composé d'un chancelier garde des sceaux, qui est chef du conseil, d'un surintendant des maisons, domaines & finances, quelques fois cette fonction de surintendant est unie à celle de chancelier ; deux secrétaires des commandemens & du cabinet, un contrôleur général des finances, deux intendans des finances, un trésorier, plusieurs conseillers, il y en a ordinairement quatre ou cinq ; deux secrétaires du conseil qui servent par semestres, un audiencier garde des rôles de la chancellerie, un chauffe-cire, deux agens des affaires, & deux huissiers servans par semestre.

C'est dans ce conseil que l'on fait toutes les déliberations & expéditions nécessaires pour l'apanage, comme les provisions & commissions d'officiers, l'adjudication des baux des terres, maisons & autres biens.

Ce conseil est ordinairement appellé le conseil des finances, pour le distinguer du conseil particulier qui se tient pour les affaires contentieuses que le prince peut avoir. Les officiers de ce conseil des finances ont pour cette fonction un brevet signé du prince, & prêtent serment entre les mains de son chancelier, s'il en a un, sinon entre les mains du surintendant des finances.

Les princesses douairieres des princes qui avoient un apanage, ont aussi un conseil pour leur maison & finances ; mais elles n'ont point de chancelier parce qu'elles n'ont point d'apanage. Leur conseil est composé d'un chef du conseil, un secrétaire des commandemens, deux conseillers, un trésorier des maison & finances, deux agens des affaires, & un secrétaire du conseil.

On délibere dans ce conseil sur tout ce qui concerne les maison & finances de la princesse.

Ces conseils des princes & princesses du sang, qu'on appelle ordinairement conseil des finances, font des déliberations, des résultats & des décisions ; ils donnent des mandemens & font diverses expéditions ; mais ils ne rendent aucun jugement & n'ont point de jurisdiction. (A)

CONSEIL DES PRISES, est une commission extraordinaire que le Roi établit en tems de guerre près de l'amiral, pour juger en premiere instance les prises qui sont faites en mer sur les ennemis, soit par les vaisseaux du Roi, soit par les vaisseaux de ses sujets qui ont commission pour armer en course.

Cette commission est composée de l'amiral, qui en est le chef & chez qui elle se tient, de neuf ou dix conseillers d'état, quatre ou cinq maîtres des requêtes, un secrétaire général de la marine qui a voix déliberative dans ce conseil, un greffier, & autres officiers nécessaires.

Les ordonnances ont toujours attribué à l'amiral la connoissance des prises ; mais anciennement c'étoit en la jurisdiction de l'amirauté que les prises étoient jugées.

Dans la suite on a établi en divers tems une commission appellée conseil des prises, pour connoître de ces sortes de matieres.

Le plus ancien réglement que j'aye trouvé qui concerne le conseil des prises, ce sont des lettres patentes du 20 Décembre 1659, portant que le conseil des prises réglera le salaire des officiers de l'amirauté.

La minorité du comte de Vermandois amiral de France, donna lieu d'établir en 1672 une commission du conseil, où les prises étoient jugées souverainement, & les arrêts expédiés au nom du roi. Cette commission cessa lorsque M. le comte de Toulouse amiral de France, fut par sa majorité rétabli dans le droit de juger les prises.

L'ordonnance de la marine du mois d'Août 1681 ne fait cependant point mention du conseil des prises, quoiqu'elle contienne un titre exprès des prises. Cette matiere y est traitée comme étant de la compétence des officiers de l'amirauté.

Le conseil des prises fut rétabli en 1695, & il fut fait le 9 Mars un réglement, qui est le premier que l'on trouve avoir donné une forme certaine à cette commission.

Il est dit dans le préambule de ce réglement, que la minorité du comte de Vermandois, & ensuite celle du comte de Toulouse, avoient suspendu jusqu'à sa réception une partie des fonctions les plus honorables, attachées à la charge d'amiral au sujet des prises qui se font en mer ; que le Roi désirant maintenir l'amiral de France dans son ancienne jurisdiction, vû que le comte de Toulouse étoit alors en âge de l'exercer par lui-même, s'étoit fait représenter les ordonnances tant anciennes que nouvelles, arrêts & réglemens rendus sur la maniere d'instruire & de juger les prises ; & en conséquence il fait un nouveau réglement dont voici la substance.

Il est dit que les prises seront jugées par des ordonnances, qui seront rendues par l'amiral & par les commissaires, qui seront choisis & nommés de nouveau par S. M. pour tenir conseil près de l'amiral, sans qu'il y ait un procureur pour S. M. dans cette commission.

Les commissaires doivent s'assembler à cet effet dans la maison de l'amiral, soit qu'il soit présent ou absent, aux jours & heures par lui indiqués.

L'amiral préside à ce conseil, & en cas de partage d'opinions, sa voix doit prévaloir.

Il distribue les procès & requêtes à ceux des commissaires qu'il juge à-propos, & en son absence le plus ancien des commissaires préside & distribue comme lui.

L'amiral & les commissaires connoissent aussi des partages des prises & de tout ce qui leur est incident, même des échouemens des vaisseaux ennemis qui arriveront pendant la guerre.

Si l'amiral & les commissaires ordonnent quelque estimation ou liquidation par experts, ils doivent commettre les officiers de l'amirauté pour donner leur avis.

Toutes les requêtes sont adressées à l'amiral seul : les ordonnances sont intitulées de son nom & signées de lui & des commissaires, de maniere que la signature de l'amiral est seule sur la premiere colonne & toutes les autres signatures sont sur la seconde ; & en son absence les ordonnances sont signées de même, & toûjours intitulées de son nom.

Les instructions qui concernent les échouemens ou les prises, partage d'icelles, circonstances & dépendances, doivent être faites par les officiers de l'amirauté dans le ressort desquels elles sont amenées, sans néanmoins qu'ils puissent les juger : ils peuvent seulement pour les prises qui sont constamment ennemies, faire vendre judiciairement les marchandises & cargaison pour en empêcher le dépérissement & prévenir la diminution du prix.

L'appel des ordonnances rendues au conseil des prises est porté & jugé au conseil royal des finances, où l'amiral assiste & prend le rang que sa naissance & sa charge lui donnent.

Le secrétaire d'état ayant le département de la marine, rapporte seul dans le conseil royal les affaires qui s'y portent par appel ou autrement, & les oppositions ou autres incidens qui peuvent survenir ; & les arrêts qui interviennent sur ces matieres sont expédiés en commandement par le même secrétaire d'état.

Le conseil des prises fut continué par un arrêt du conseil d'état du 12 Mai 1702, qui rappelle le réglement de 1695, & il est dit que S. M. ayant été satisfaite des services rendus par les commissaires, qui furent alors nommés pendant le cours de la précédente guerre, elle estimoit nécessaire de les continuer pour le jugement des affaires, que la conjoncture lors présente pouvoit faire naître ; & en conséquence cet arrêt ordonne l'exécution du réglement de 1695 & des arrêts & réglemens rendus depuis sur le fait des prises.

Jusqu'alors c'étoit le secrétaire général de la marine qui expédioit les ordonnances données par l'amiral & par les commissaires : il signoit aussi les expéditions qui en étoient délivrées aux parties : mais par un arrêt du conseil d'état, du 13 Août 1707, il fut ordonné que le secrétaire général de la Marine auroit à l'avenir séance & voix déliberative, dans les assemblées qui se tiendroient pour juger les prises ; & le roi nomma un greffier de l'assemblée pour dresser en cette qualité les ordonnances, en signer les expéditions en parchemin, & faire toutes les fonctions nécessaires, sans avoir néanmoins entrée ni séance dans cette assemblée. Il fut aussi ordonné que chacun des commissaires écriroit dorénavant de sa main, tout ce qui seroit jugé sur chacune des affaires dont il auroit fait le rapport, le roi dérogeant à cet égard au réglement de 1695.

La guerre ayant été déclarée à l'Espagne au mois de Janvier 1719, le Roi voulant pourvoir à l'instruction & au jugement des prises qui pourroient être faites sur les Espagnols, fit un réglement le 12 Février suivant pour l'établissement du conseil des prises.

Ce réglement est assez conforme aux précédens ; il ordonne seulement de plus que si les commissaires sont partagés en l'absence de l'amiral, l'affaire lui sera rapportée au conseil suivant, & qu'en cas de voyage ou de maladie elle seroit portée au conseil de régence qui subsistoit alors, pour y être fait droit comme sur les appels ; enfin il étoit dit que les appellations des ordonnances du conseil des prises seroient rapportées au conseil de régence par ceux des commissaires du conseil des prises qui avoient entrée au conseil de régence.

Il y eut le 3 Novembre 1733 un nouveau réglement pour l'établissement du conseil des prises, à l'occasion de la guerre déclarée à l'empereur le 10 Octobre précédent. Ce réglement est en tout point conforme aux précédens, si ce n'est qu'au lieu de porter les appels au conseil de régence comme il étoit dit par le dernier réglement, il est dit par celui-ci que les appels seront portés & jugés au conseil royal des finances où l'amiral assistera, comme il est dit par le réglement de 1695.

Enfin le Roi ayant déclaré la guerre le 15 Mars 1744 au roi d'Angleterre électeur d'Hanovre, fit un réglement le 22 Avril de ladite année pour l'établissement du conseil des prises, qui rappelle tous les précédens réglemens à partir de celui de 1695, & est conforme à celui de 1733.

Présentement ce conseil ne subsiste plus au moyen de la paix, qui est rétablie entre les puissances de l'Europe. Voyez AMIRAL, AMIRAUTE, CONSEIL DE MARINE, RINERINE, SECRETAIRE D'ETAT POUR LA MARINE. (A)

CONSEIL PROVINCIAL, est une jurisdiction royale établie dans la principale ville d'une province, pour juger les appellations de tous les juges royaux inférieurs. Ces sortes de conseils sont ainsi appellés pour les distinguer des conseils souverains ou supérieurs, qui jugent en dernier ressort & sans appel ; au lieu que les conseils provinciaux ne jugent qu'à la charge de l'appel au parlement ou conseil souverain dans le ressort duquel ils sont établis. Néanmoins le conseil d'Artois rend des arrêts en certaines matieres. Voyez CONSEIL D'ARTOIS. (A)

CONSEIL DES QUARANTE, étoit une assemblée établie à Paris par le duc de Mayenne nommé par la ligue lieutenant général du royaume, pour délibérer sur la police générale : il voulut montrer par-là que son intention n'étoit pas d'entreprendre rien de lui-même. Cette assemblée étoit composée de personnes de divers états ; elle députa deux conseillers au parlement pour aller faire une visite chez Molan trésorier de l'épargne, où l'on trouva caché plus de cent quatre-vingt mille écus, somme considérable, sur-tout pour ce tems-là. Voyez les lettres de Pasquier, liv. XIII. lett. 9. (A)

CONSEIL DE QUEBEC, est le tribunal souverain du Canada résident à Quebec. Il est composé de douze conseillers de capa y de spada, ce que nous appellons conseillers d'épée. L'intendant prétend avoir le droit d'y présider ; mais le gouverneur y prend aussi séance, de maniere qu'étant tous deux face-à-face, & ayant tous deux les juges à leurs côtés, ils semblent également y présider. Il n'y a ni avocats ni procureurs, chacun a la liberté d'y plaider sa cause ; & il n'en coûte aux parties, ni frais ni épices, les juges étant pensionnés du roi. (A)

CONSEIL DE RAISON, étoit une espece de conseil des finances, ou plûtôt de réformation des finances, qui fut établi sous Henri IV. en 1596. Il en est parlé dans les Mémoires de Sully, tome III. mais ce conseil ne subsista pas long-tems. (A)

CONSEIL DE REGENCE, est un conseil d'état que l'on établit pendant la minorité du prince, pour aider le régent ou la régente du royaume dans l'administration des affaires d'état, tant du dedans que du dehors.

L'établissement de ces sortes de conseils est fort ancien.

En effet on voit que Philippe III. ayant nommé en Décembre 1271 Pierre de France comte d'Alençon pour tuteur de ses enfans & régent du royaume, voulut que du conseil du royaume fussent les évêques de Langres & de Bayeux, les archidiacres de Dunois en l'église de Chartres & de Bayeux, Jean d'Acre bouteiller de France, Erard sieur de Valery chambrier de France, connétable de Champagne, Ymbert de Beaujeu connétable de France, Simon de Nesle, Julien de Peronne & Geoffroi de Villette chevaliers, Jean Sarrazin & Pierre de la Brosse, avec ceux que le comte d'Alençon, ou celui de Blois après lui, voudroient appeller.

Charles V. voulant pareillement pourvoir à la conservation de l'état, en cas qu'il décédât avant la majorité de son fils qu'il venoit de fixer à 14 ans, nomma au mois d'Octobre 1374 la reine Jeanne sa femme tutrice principale, gouvernante & garde de leurs enfans & du royaume, avec Philippe duc de Bourgogne son frere, & Louis duc de Bourbon frere de sa femme, & leur donna pour conseil les archevêques, grands officiers & seigneurs dénommés dans la liste qu'il en fit, où il comprit deux présidens & deux conseillers au parlement, quatre maîtres des comptes, un général des aides, Me. Jean Day avocat, & six bourgeois de la ville de Paris, tels que la reine & les tuteurs choisiroient.

Cet exemple fut suivi par Charles VI. en 1392, & par Louis XII. en 1505.

Après la mort de Louis XIV. arrivée en 1715, il fut établit un conseil de régence pendant la minorité du Roi, composé de M. le duc d'Orléans régent du royaume, de plusieurs autres princes du sang, de M. le chancelier, plusieurs autres seigneurs, un évêque, & un secrétaire d'état ; ce conseil avoit inspection sur tous les autres conseils particuliers qui furent établis en même tems, tels que le conseil de conscience, le conseil des affaires étrangeres, celui de guerre, celui des finances, le conseil du dedans du royaume, celui de la Marine, & celui du Commerce. Le conseil de régence cessa à la majorité du Roi, arrivée le 15 Février 1724. Voyez Dutillet, chap. des régences, & l'hist. du conseil par Guillard, p. 31. (A)

CONSEIL DE LA REINE, n'est pas un tribunal comme celui du Roi, mais seulement un conseil oeconomique & d'administration pour la maison & finances de la Reine. Il est composé du chancelier de la Reine, du surintendant des finances, des secrétaires des commandemens, maison & finance, du procureur général & de l'avocat général, des secrétaires du conseil, & autres officiers nécessaires. La reine Jeanne veuve de Philippe V. dans des lettres par elle données le 10 Février 1367, parle d'une information vûe par les gens de son conseil en son hôtel, à bonne & mûre délibération, & qu'elle avoit eu avis avec eux sur cela. Voyez le VI. tome des ordonn. p. 472. & CHANCELIER DE LA REINE. (A)

CONSEIL DES RETENTIONS, est un conseil établi dans l'ordre de Malthe pour regler provisoirement les affaires qui n'ont pû être terminées dans le chapitre général. Voyez l'hist. de Malte par M. l'abbé de Vertot, tom. V. p. 368. de l'édit. in -12. (A)

CONSEIL DE ROUSSILLON, est un conseil souverain établi à Perpignan capitale de cette province. Avant que ce conseil fût érigé comme il est présentement, il y avoit à Perpignan un conseil royal particulier qui avoit été institué par les rois d'Espagne, auxquels appartenoit alors le Roussillon. L'établissement de ce conseil de la part de la France est de 1642, tems où le Roussillon fut réuni à la couronne. Cependant il ne reçut sa perfection qu'en 1660, après la paix des Pyrenées conclue en 1659. Il est composé d'un premier président, de deux autres présidens, deux conseillers d'honneur, d'un commissaire clerc & de six laïcs, deux avocats généraux & un procureur général. Le gouverneur de la province, & en son absence le lieutenant général qui y commande, ont droit d'assister à ce conseil, & même d'y présider. Son ressort comprend la viguerie du Roussillon, celle de Conflans, celle de Capsir & Cerdaigne qui sont unies ensemble, & dont le siége est à Montlouis. Par une déclaration du 7 Décembre 1688, le roi unit à ce conseil le consistoire de son domaine dans le pays de Roussillon : c'est de-là que ce conseil a deux sortes de fonctions ; la premiere est de juger par appel & souverainement toutes les affaires civiles & criminelles qui y sont portées, en quoi ce conseil est semblable à toutes les autres cours supérieures du royaume ; l'autre fonction de ce conseil est de connoître en premiere instance, par députés ou commissaires, des affaires qui concernent le domaine du Roi : ce sont le procureur général & les deux avocats généraux, avec deux présidens & conseillers à tour de rôle, qui sont juges de ces matieres ; le président ou conseiller qui se trouve de service en cette jurisdiction, prend alors la qualité de conseiller du domaine. L'appel de leurs jugemens est porté au conseil souverain, devant les autres juges qui n'en ont pas connu en premiere instance. Voyez le mémoire dressé en 1710 pour la généralité de Perpignan, par ordre de M. le Duc de Bourgogne. (A)

CONSEIL DU ROI, est l'assemblée de ceux que le Roi juge à propos d'appeller auprès de sa personne, pour les consulter sur tout ce qui concerne l'ordre & l'administration de son royaume.

L'institution de ce conseil est aussi ancienne que la monarchie. Nos Rois ne pouvant remplir par eux-mêmes tous les objets du gouvernement de leurs états, ont dans tous les tems appellé près d'eux quelques-uns de leurs sujets en qui ils ont reconnu le plus de capacité, d'expérience, & d'affection à leur service, pour les consulter & même se reposer sur eux d'une partie de cette administration ; ils en ont aussi choisi d'autres pour rendre la justice à leurs sujets. Les premiers ont formé leur conseil, & les seconds les tribunaux de justice.

Pharamond avoit son conseil composé seulement de quatre personnes, par l'avis desquelles il rédigea les lois saliques en un seul corps de lois.

Merouée augmenta ce conseil de plusieurs graves & doctes personnages ; il en fit le chef de son grand référendaire, c'est-à-dire le chancelier de France.

Childebert & ses successeurs avoient aussi un conseil particulier, & séparé des assemblées générales de la nation.

Pepin partant pour faire la guerre aux Lombards, laissa en France quelques personnes de son conseil pour veiller en son absence à l'administration des affaires publiques, & il retint les autres auprès de sa personne.

Il y avoit toujours auprès de Charlemagne deux ou trois des gens de son conseil, qui se relevoient successivement, pour être toujours prêts lorsqu'il jugeoit à propos de les consulter : il assembloit souvent son conseil, & y faisoit discuter devant lui les affaires les plus importantes.

Les autres rois de la seconde & de la troisieme race en ont tous usé de même pour leur conseil, lequel a toujours eu pour objet tout ce qui peut avoir trait à l'administration de l'état.

Le grand nombre & la diversité des affaires qui sont de nature à être portées au conseil, ont engagé nos Rois à le partager en différentes séances ou départemens, dont chacun a pris le nom de la matiere qui y est traitée.

Louis XI. fut le premier qui partagea ainsi son conseil en trois séances. Cet arrangement subsista jusqu'en 1526, que François I. réunit les diverses séances du conseil en une seule. Henri II. en forma deux, & sous Louis XIII. il y en avoit cinq, comme encore à présent : mais il est arrivé plusieurs changemens, tant par rapport à l'objet de chaque séance, que pour leur dénomination.

Celles qui subsistent présentement sont le conseil des affaires étrangeres ou conseil d'état proprement dit, celui des dépêches, le conseil royal des finances, le conseil royal de commerce, & le conseil d'état privé ou des parties ; de cette derniere séance dépendent encore plusieurs autres assemblées particulieres appellées la grande direction des finances, la petite direction, l'assemblée qui se tient pour la signature des contrats avec le clergé, & le conseil de chancellerie.

Toutes ces différentes séances ou assemblées du conseil, quoique distinguées chacune par une dénomination qui lui est propre, ne forment qu'un seul & même conseil d'état du Roi, ensorte que tout ce qui émane de chacune de ces séances a la même autorité, étant également au nom du Roi. Le rang de tous ceux qui composent ces différentes séances est le même, & dépend uniquement du jour qu'ils ont pris place pour la premiere fois dans l'une de ces séances.

Le conseil du Roi ne differe pas moins dans son objet que dans sa forme extérieure des tribunaux de justice, son objet n'étant point comme le leur, la justice distributive, mais seulement la manutention de l'ordre établi pour la rendre, & pour l'administration de l'état ; c'est la raison pour laquelle on ne met point ici le grand-conseil au nombre des différentes séances du conseil du Roi. En effet, quoique dans son origine & dans sa forme présente il ait similitude avec les autres séances du conseil du Roi, qu'il soit en certaines parties occupé comme le conseil privé au reglement des tribunaux de justice, qu'il soit à la suite du Roi, & qu'il ait le chancelier de France pour chef, néanmoins il en differe en ce qu'il est en même tems tribunal de justice ordinaire ; c'est pourquoi l'on a traité séparément ce qui le concerne en son lieu, dans une des subdivisions précédentes de cet article. Voyez ci-devant CONSEIL (grand).

Ceux qui sont du conseil du Roi ne forment point une compagnie comme les cours ; ils ne marchent jamais en corps comme elles ; ils sont toûjours à la suite du Roi, & s'acquitent des devoirs de cour chacun en particulier comme les autres courtisans.

C'est le Roi qui tient chaque assemblée de son conseil, & en son absence le chancelier de France qui est le chef du conseil. Depuis long-tems nos Rois se sont ordinairement reposés sur ce premier officier de la couronne, du soin de tenir la séance du conseil des parties, & se sont réservé de tenir eux-mêmes toutes les autres, comme touchant encore de plus près aux objets les plus intéressans du gouvernement : cependant le feu roi a tenu quelquefois lui-même son conseil des parties.

Lorsqu'il y a un garde des sceaux, il a séance en tous les conseils aprés le chancelier de France. Voyez GARDES DES SCEAUX.

La séance du conseil appellée conseil des affaires étrangeres ou conseil d'état proprement dit, est destinée à l'examen de tout ce qui peut avoir trait aux négociations avec les étrangers, & par conséquent à la paix & à la guerre. Le Roi a coûtume de choisir un petit nombre de personnes les plus distinguées de son royaume, en présence desquelles le secrétaire d'état qui a le département des affaires étrangeres rend compte au roi de celles qui se présentent ; le choix du Roi imprime à ceux qui assistent à ce conseil le titre de ministre d'état, qui s'acquiert par le seul fait & sans commission ni patentes, c'est-à-dire par l'honneur que le roi fait à celui qu'il y appelle de l'envoyer avertir de s'y trouver ; & ce titre honorable ne se perd plus, quand même on cesseroit d'assister au conseil : mais il ne donne d'autre rang dans le conseil, que celui que l'on a d'ailleurs, soit par l'ancienneté au conseil, soit par la dignité dont on est revêtu lorsqu'on y prend séance.

Ce département existoit dès le tems de Louis XI. il ne fut plus distingué sous François I. depuis qu'en 1526 il eut ordonné qu'il n'y auroit plus qu'une seule séance du conseil ; mais celle-ci fut rétablie par Charles IX. en 1568.

On appelle conseil des dépêches, l'assemblée en laquelle se portent les affaires qui concernent l'administration de l'intérieur du royaume : il paroît avoir été établi en 1617, & a pris ce nom de ce que les décisions qui en émanent se donnoient en forme de dépêches par des lettres signées en commandement par un des secrétaires d'état ; ce sont eux qui y rapportent les affaires de leur département. Ce conseil est composé du chancelier de France, des quatre secrétaires d'état, du contrôleur général : tous ceux qui sont ministres, comme étant du conseil des affaires étrangeres, y assistent aussi.

Il se tient une troisieme séance du conseil pour les affaires concernant l'administration des finances, d'où elle a été nommée le conseil royal des finances. Il est composé du chancelier, d'un des principaux seigneurs de la cour, auquel le Roi donne le titre de chef du conseil royal, du contrôleur général des finances, & de deux conseillers d'état de robe choisis parmi les autres pour assister à ce conseil. Les affaires y sont rapportées par le contrôleur général.

Ce département fut formé par Louis XI. & subsista jusqu'à la réunion des différens départemens du conseil faite en 1526. Il fut rétabli sous Henri II. Ce conseil ne se tint pas tant que la charge de surintendant des finances subsista, c'est-à-dire depuis Charles IX. jusqu'en 1661 ; mais dès qu'elle eut été supprimée, il fut rétabli par un reglement du 15 Septembre 1661, & a toûjours subsisté depuis.

La séance du conseil où se portent les affaires qui concernent le commerce, se nomme le conseil royal de commerce : il ne paroît avoir été établi que depuis 1730. Il est composé du chancelier, du contrôleur général, du secrétaire d'état qui a le commerce dans son département, du conseiller d'état qui tient le bureau où ce genre d'affaires s'examine avant qu'elles soient portées au conseil, & quelquefois d'un autre des conseillers d'état de ce bureau. Le contrôleur général y rapporte les affaires comme au conseil royal des finances.

Il y a aussi un bureau du commerce qui paroît avoir été établi pour la premiere fois en 1607 sous Henri IV. Ayant cessé à sa mort, il fut rétabli sous le ministere du cardinal de Richelieu. On ne voit pas qu'il y en ait eu depuis la mort de Louis XIII. jusqu'en 1700, que Louis XIV. forma celui qui subsiste aujourd'hui. Il est composé de quatre conseillers d'état, de l'intendant de Paris, du lieutenant de police, & des intendans du commerce ; il y assiste aussi des députés des principales villes de commerce du royaume.

Le nombre de ceux qui assistent aux quatre séances du conseil dont on vient de parler, dépend de la volonté du Roi. Indépendamment de ceux qu'il nomme pour y assister habituellement, il y appelle assez souvent quelques-uns des conseillers d'état, pour lui rendre compte d'affaires importantes qu'il les a chargé d'examiner pour lui en dire leur avis : alors c'est l'un d'eux qui en fait le rapport, assis & couvert ; mais le plus ordinairement cette fonction est donnée à un maître des requêtes, qui la remplit debout & découvert, au côté droit du fauteuil du Roi.

L'on porte dans une autre assemblée du conseil, appellée le conseil des parties, ou le conseil d'état privé, certaines affaires contentieuses qui se meuvent entre les sujets du Roi. Ces affaires sont celles qui ont un rapport particulier à la manutention des lois & des ordonnances, & à l'ordre judiciaire ; telles que les demandes en cassation d'arrêts rendus par les cours supérieures, les conflits entre les mêmes cours, les contestations & les reglemens à faire entr'elles, ou même quelquefois entre leurs principaux officiers, les évocations sur parentés & alliances ; les oppositions au titre des offices, & autres matieres de ce genre sur lesquelles il n'y a que le Roi qui puisse statuer.

La séance du conseil des parties est beaucoup plus nombreuse que celles dont on a parlé précédemment. Il est composé des trente conseillers d'état, des quatre secrétaires d'état, du contrôleur général, des intendans des finances qui y ont entrée & séance, ainsi que les doyens de quartier des maîtres des requêtes ; mais il n'y a que le grand doyen qui joüisse de cette prérogative toute l'année, les trois autres ne l'ont qu'après les trois mois qu'ils sont de quartier au conseil. L'ordre de la séance se regle entre eux comme entre tous ceux qui sont au conseil, du jour qu'ils y ont pris leur place.

Les maîtres des requêtes ont aussi entrée & voix délibérative au conseil des parties, & y servent par quartier ; mais depuis long-tems ils ont le droit d'y entrer, même hors de leur quartier. Comme le Roi y est toûjours réputé présent, ils y assistent, & rapportent debout, à l'exception de leur grand doyen, qui a la prérogative de remplir cette fonction assis & couvert. Voyez MAITRES DES REQUETES.

Il est permis aux deux agens généraux du Clergé d'entrer au conseil des parties, pour y faire les représentations & réquisitions qu'ils jugent à propos dans les affaires qui peuvent intéresser le Clergé ; ils se retirent ensuite avant que les opinions soient ouvertes.

Il n'est au surplus permis à personne d'entrer dans la salle où se tient le conseil, à l'exception seulement des deux premiers secrétaires du chancelier de France, du greffier, & des deux huissiers qui y sont de service : les premiers se tiennent debout derriere le fauteuil du chancelier pour y recevoir ses ordres, & son premier secrétaire y tient la plume en l'absence du greffier : les huissiers sont aux portes de la salle en-dedans.

C'est au conseil des parties que les nouveaux conseillers d'état prêtent serment ; les autres personnes qui ont seulement entrée & séance en ce conseil n'y prêtent point de serment.

Le doyen du conseil y est assis vis-à-vis du chancelier de France ; & s'il est absent, sa place n'est point remplie, il ne la cede qu'aux officiers de la couronne.

Des vingt-quatre conseillers d'état de robe, douze servent en ce conseil pendant toute l'année, & sont appellés ordinaires ; les douze autres ne sont obligés d'y servir que pendant six mois, & sont appellés semestres ; mais il est d'usage depuis long-tems qu'ils servent aussi pendant toute l'année.

Les conseillers d'état d'église & d'épée servent pendant toute l'année, & sont par conséquent ordinaires.

Le conseil des parties suit toûjours le Roi, & s'assemble dans une salle du palais qu'il habite : lorsque le Roi est à l'armée ou à quelque maison de plaisance, & qu'il dispense son conseil de le suivre, le chancelier de France tient ce conseil dans son appartement.

Ce conseil s'assemble au moins une fois la semaine, aux jours & heures qu'il plaît au chancelier : les affaires y sont rapportées par les maîtres des requêtes, à côté du fauteuil du Roi ; les commissaires qui les ont examinées auparavant opinent les premiers ; le doyen du conseil opine le dernier, & le chancelier se couvre en lui demandant son avis.

Il n'y a point de nombre de juges déterminé pour pouvoir rendre arrêt au conseil ; les affaires s'y jugent à la pluralité des suffrages : les voix ne s'y confondent point entre ceux qui sont parens, en certains cas, comme dans les cours : il n'y a jamais de partage, une seule voix de plus suffit pour faire arrêt ; & en cas d'égalité, la voix du chancelier est prépondérante.

La grande direction des finances est une assemblée où se portent les affaires contentieuses qui peuvent intéresser le domaine & les finances ; c'est le principal des départemens dépendans du conseil des parties.

Suivant l'usage actuel, elle est composée du chef du conseil royal, du contrôleur général des finances, des deux conseillers d'état qui sont ordinaires au conseil royal, & des autres conseillers qui sont des bureaux où ces deux sortes d'affaires sont examinées.

Tous les maîtres des requêtes y ont entrée & séance, parce que le Roi n'est point censé y être présent ; mais celui d'entre eux qui rapporte, est debout.

Cette assemblée au surplus, est tenue par le chancelier, comme le conseil des parties, dans le même lieu, & les arrêts s'y expédient dans la même forme.

Le contrôleur général opine toûjours après les commissaires, & il a le droit de demander au chancelier, avant que les opinions soient ouvertes, de lui faire remettre l'affaire pour en rendre compte au Roi.

C'est aussi en la grande direction que ce fait la réponse au cahier des états des provinces ; le gouverneur de la province y a séance, & c'est le secrétaire d'état dans le département duquel est cette province, qui fait le rapport des demandes portées par les cahiers : la réponse y est délibérée en la forme ordinaire ; ensuite le chancelier fait entrer les députés, qui se tiennent vis-à-vis de lui debout & découverts : quand ils entrent, il se découvre, ainsi que tous les conseillers d'état, & se couvre pendant la réponse qu'il leur fait, où il leur annonce que le conseil a délibéré sur le cahier, & que S. M. leur fera savoir la réponse. Il n'est pas d'usage que les maîtres des requêtes assistent à cette assemblée.

La petite direction des finances est encore une assemblée dépendante du conseil des parties : on y expédie des affaires de la même nature que celles qui sont portées à la grande direction, c'est-à-dire concernant le domaine & les finances ; si ce n'est que l'on porte ici celles que les commissaires des bureaux où elles sont vues d'abord trouvent trop legeres pour être portées à la grande direction : c'est pourquoi on appelle celle-ci la petite direction des finances.

Le chef du conseil royal la tient dans son appartement, dans le palais où le Roi habite ; & il n'y a que le contrôleur général, les deux conseillers d'état ordinaires au conseil royal, les deux qui sont à la tête des bureaux du domaine & des finances, qui y assistent.

Les maîtres des requêtes y ont entrée, ils y rapportent assis ; mais le rapporteur y a seul voix délibérative.

Les contrats que le Roi passe avec le clergé se signent dans une autre assemblée, qui se tient chez le chancelier, composée du chef du conseil royal, du secrétaire d'état qui a le clergé dans son département, du contrôleur général des finances, & de ceux des conseillers d'état & intendans des finances que le chancelier fait avertir de s'y trouver. Ordinairement ils sont en nombre égal à celui des prélats : ils sont assis à la droite du bureau, les prélats à la gauche, tous sur des fauteuils, & les députés du second ordre sur des chaises derriere les prélats.

Le notaire du clergé fait la lecture du contrat ; le chancelier le signe le premier, & ensuite il est signé alternativement par l'un de ceux du conseil & par l'un des prélats, chacun suivant son rang : les premiers signent à la droite au-dessous de la signature du chancelier, sur la même colonne ; les prélats signent à la gauche, & les ecclésiastiques du second ordre après eux.

Cette assemblée est précédée d'une conférence entre les mêmes personnes, qui se tient aussi chez le chancelier, pour y discuter les articles du cahier.

Les affaires qui concernent l'Imprimerie & la Librairie, l'obtention des lettres en relief de tems pour pouvoir agir après l'expiration des délais des ordonnances, la distribution du prix des offices qui se vendent au sceau, & les contraventions aux réglemens des chancelleries, sont examinés dans un bureau particulier, & sont jugés sur le compte que les commissaires en rendent au chancelier, dans une assemblée qui se tient chez lui, & qu'on appelle le conseil de chancellerie.

C'est le chancelier qui nomme ceux qui y assistent ; ils n'y ont que voix consultative, & les arrêts qui en émanent, portent qu'ils sont rendus de l'avis de monsieur le chancelier.

Les conseillers d'état sont ceux que le Roi choisit pour servir dans son conseil, & y donner leur avis sur les affaires qui s'y traitent.

On les appelle en latin comites consistoriani, à l'exemple de ces comtes qui étoient du consistoire ou conseil des Empereurs.

Anciennement le nombre des conseillers d'état varioit suivant la volonté du roi ; mais comme il s'étoit trop augmenté, il fut réduit à 15 par l'article 207 de l'ordonnance de 1413 : en 1664, il fut porté à 20 ; enfin il fut fixé irrévocablement par le réglement de 1673 à 30 conseillers ; savoir 3 d'église, 3 d'épée, & 24 de robe.

La place de conseiller d'état n'est point un office, mais un titre de dignité qui est donné par des lettres patentes adressées à celui que le Roi a choisi en considération de ses services. S. M. mande par ces lettres au chancelier de France, de recevoir son serment ; il le reçoit au conseil, où le greffier fait d'abord la lecture des lettres du nouveau conseiller d'état ; & après qu'il a prêté serment debout & découvert, M. le chancelier lui dit de prendre sa place. C'est de ce jour que le rang est réglé entre les conseillers d'état d'église, d'épée, & de robe, quelque rang qu'ils eussent d'ailleurs, à l'exception de ceux qui sont officiers de la couronne, qui conservent entre eux le rang de cette dignité, & précedent ceux qui ne le sont pas.

Lorsqu'il vaque une des douze places de conseiller d'état ordinaire, S. M. la donne à l'un des semestres ; le plus ancien est ordinairement préféré, & on lui expédie de nouvelles lettres patentes, mais il ne prête point de nouveau serment.

Le doyen du conseil joüit de plusieurs prérogatives, dont quelques-unes ont déjà été remarquées en leur lieu : on ajoutera seulement ici, que la place de chancelier étant vacante par la mort de M. Seguier, le Roi ordonna par un réglement du conseil du 8 Février 1673, que le conseil d'état, tant pour les finances que pour les parties, continueroit comme par le passé, & qu'il seroit tenu par le sieur d'Aligre doyen de ses conseils, dans l'appartement de son château de S. Germain destiné à cet effet. Le doyen du conseil assista à la signature d'un traité de renouvellement d'alliance avec les Suisses, en robe de velours violet, comme représentant le chancelier de France qui étoit indisposé.

Après le décès de M. d'Ormesson doyen du conseil, M. de Machault, conseiller d'état de robe, prit la place de doyen sans aucune contestation de la part de M. de Chaumont conseiller d'état d'épée, qui avoit pris séance au conseil long-tems avant lui.

En 1680, M. Poncet conseiller d'état ordinaire, & M. de Villayer seulement conseiller d'état semestre, prétendirent respectivement le titre de doyen ; & par l'arrêt du conseil du 9 Déc. 1680, il fut ordonné qu'ils feroient les fonctions de doyen chacun pendant 6 mois ; que cependant M. de Villayer précéderoit M. Poncet en toutes assemblées, & qu'à l'avenir le plus ancien seroit doyen seul ; que s'il n'étoit que semestre de ce jour, il deviendroit ordinaire.

Il fut décidé par arrêt du conseil, rendu en 1704 en faveur de M. l'archevêque de Rheims, qu'un conseiller d'état d'église, qui se trouve le plus ancien du conseil d'état, a son rang, joüit de la place & de la qualité de doyen, & des prérogatives qui y sont attachées. Pour ce qui concerne le service des conseillers d'état, voy. ce qui est dit ci-devant à l'article des Conseils.

Le Roi accorde quelquefois à certaines personnes de simples brevets de conseillers d'état : on les appelle conseillers d'état à brevet ou par brevet ; mais ce n'est qu'un titre d'honneur, qui ne donne point d'entrée au conseil du Roi, ni aucune autre fonction.

Habillement des personnes du conseil. Henri III. avoit fait un réglement sur les habits dans lesquels on devoit assister au conseil, qui n'est plus observé. L'usage présent est que les conseillers d'état de robe & les doyens des maîtres des requêtes y assistent avec une robe de soie en forme de simare, qui étoit autrefois l'habit ordinaire des magistrats ; les conseillers d'état d'église, qui ne sont pas évêques, en ont une pareille depuis quelque tems, & ceux qui sont évêques, y viennent en manteau long ; les intendans des finances, en manteau court ; les conseillers d'état d'épée, aussi bien que les secrétaires d'état & le contrôleur-général, avec leurs habits ordinaires ; les maîtres des requêtes en robe de soie, pareille au surplus à celle des officiers des parlemens. Les conseillers d'état de robe & les maîtres des requêtes font leur cour au Roi en manteau court, ou en manteau long dans les occasions de deuil, où les personnes qui sont à la cour se présentent avec cet habillement.

Au sacre du Roi, les conseillers d'état de robe ont des robes de satin avec une ceinture garnie de glands d'or, des gants à frange d'or, & un cordon d'or à leur chapeau : ils portent des robes de satin sans ces ornemens, lorsqu'ils accompagnent le chancelier aux Te Deum : l'habit des conseillers d'état d'épée, dans ces occasions, est le même que celui des gens d'épée qui ont séance au parlement ; le rochet & le camail est l'habit de cérémonie de ceux qui sont d'église, du moins s'ils sont évêques.

Dans tous les conseils, les ministres, conseillers & secrétaires d'état ont toujours été assis en présence du Roi. Autrefois les dépêches s'expédioient ordinairement dans la forme d'un simple travail particulier dans le cabinet du Roi, à qui chaque secrétaire d'état rendoit compte debout des affaires de son département, & ils ne prenoient séance que quand S. M. assembloit un conseil pour les dépêches ; ce qui arrivoit principalement quand il y appelloit quelque conseiller d'état pour des affaires importantes dont il leur avoit renvoyé l'examen. A présent les ministres sont assis pendant leur travail particulier, ainsi que les conseillers d'état qui en ont un avec le Roi, comme pour les oeconomats, S. Cyr, &c. Le Roi ayant fait asseoir le chancelier le Tellier, à cause d'une indisposition, accorda depuis la même grace au maréchal de Villeroi, chef du conseil royal. Mémoires de Choisi, tom. I. pag. 131 & 132.

Instruction des affaires au conseil. La maniere d'instruire & de juger les affaires, est la même dans tous les départemens du conseil des parties. Aucune affaire n'y est portée qu'elle n'ait été auparavant discutée, à-peu-près comme on le voit, de petit commissaire, dans les cours, par un petit nombre de conseillers d'état commis à cet effet par le chancelier, & qui forment ce que l'on appelle les bureaux du conseil, ou par les maîtres des requêtes de quartier au conseil.

Forme des arrêts du conseil. Les arrêts qui émanent des différens départemens du conseil du Roi, étoient originairement expédiés en forme de résultat ou récit de ce qui y avoit été proposé & arrêté par S. M. c'est pourquoi l'on n'y parle qu'en style indirect, c'est-à-dire en marquant ce qui s'y est passé en ces termes ; vû par le Roi, &c. ou le Roi étant informé, &c. Lorsqu'ils sont rendus de son propre mouvement, souvent ils sont suivis de lettres patentes, dans lesquelles le Roi parle directement, en y répétant les dispositions de l'arrêt. Les arrêts du conseil sont tous signés par le chancelier & par le rapporteur ; leur expédition est signée ou par un secrétaire d'état, ou par un secrétaire des finances, ou par un greffier du conseil, chacun dans leur département.

Les matieres qui sont examinées par des personnes du conseil, donnent souvent lieu de rédiger des édits, déclarations, ordonnances, & autres lois générales. Elles sont toutes regardées comme des décisions données par S. M. après avoir consulté des personnes de son conseil ; c'est pourquoi elles portent toûjours, de l'avis de notre conseil, &c.

Les affaires contentieuses dont le conseil connoît, exigeant une instruction & quelque procédure, il y a eu au conseil, de toute ancienneté, des avocats, des greffiers, & des huissiers pour le service des parties qui sont obligées d'y avoir recours.

Avocats aux conseils ; dans l'origine ils étoient choisis parmi ceux des cours, & le chancelier de France leur donnoit une matricule pour les autoriser à instruire les affaires du conseil : le nombre s'en étant multiplié, il fut réduit à dix par un reglement du 25 Janvier 1585, portant qu'ils pourroient seuls y faire les procédures & écritures nécessaires, Mais comme on entendoit alors les parties au conseil, les autres avocats étoient admis à y plaider, & depuis la création des charges d'avocats au conseil, qui fut faite en 1645, il y en a eu encore quelques exemples, lorsque le chancelier le jugeoit à propos.

Le nombre de ces charges étoit de 170, & fut même augmenté par différentes créations qui n'ont subsisté que jusqu'en 1672. En 1738, les 170 charges d'avocats au conseil furent supprimées, & il en fut créé 70 nouvelles, ce nombre ayant été jugé suffisant pour l'expédition des affaires du conseil.

La fonction de ces avocats consiste à faire & signer, à l'exclusion de tous autres, toutes les requêtes, écritures, mémoires, & procédures qui peuvent être faites dans tous les départemens du conseil du Roi, même dans les commissions extraordinaires qui en sont émanées, lorsqu'elles s'exécutent à la suite du conseil, ou à Paris.

Par des lettres patentes du 6 Février 1704, enregistrées au parlement, il fut reglé que dans les assemblées générales & particulieres, consultations, arbitrages, & ailleurs, les avocats au conseil & ceux du parlement, garderoient entre eux le rang & la préséance, suivant la date de leur matricule.

Les avocats au conseil sont commensaux de la maison du Roi ; ils ont droit de committimus au grand sceau ; ils joüissent de l'exemption du logement des gens de guerre ; ils sont à la nomination du chancelier de France ; ils lui payent l'annuel, & leurs offices tombent dans ses parties casuelles.

Les 70 avocats au conseil forment un college, à la tête duquel est un doyen avec quatre syndics & un greffier électif de l'agrément du chancelier de France : ces officiers sont chargés de veiller à la police du college & à l'exécution des réglemens. Il se tient à cet effet, toutes les semaines, dans une chambre aux requêtes de l'hôtel, une assemblée de ces avocats pour tout ce qui peut concerner cette discipline. Leurs officiers en rendent compte au chancelier de France, sans l'agrément & sans l'approbation duquel les délibérations qu'ils y prennent ne peuvent être exécutées.

L'on ne peut être admis dans ces charges sans avoir été reçu avocat au parlement ou au grand-conseil, ni sans avoir fréquenté le barreau au-moins pendant deux ans ; & la réception est toûjours précédée d'une information de vie & de moeurs, faite par un maître des requêtes.

Greffier du conseil. L'on voit qu'avant 1300 il y a eu des officiers au conseil sous le nom de notaires de France, de clercs du secret, de secrétaires du Roi, & de clercs de notaires, chargés de signer & expédier les lettres & arrêts émanés du conseil.

De ces offices, les uns ont formé le collége des secrétaires du Roi, qui signent & expédient les lettres de chancellerie signées par le Roi en son conseil.

Les autres sont restés attachés au service particulier du conseil. Dès 1519 quatre d'entr'eux faisoient toutes les expéditions des finances, comme ils les font encore aujourd'hui sous le nom de secrétaires du conseil d'état & direction des finances ; ils y font la même fonction que les greffiers du conseil font au conseil des parties.

Le surplus des secrétaires des finances étoit destiné au service du conseil des parties ; & ce ne fut qu'en 1676 que le nombre en fut réduit aux quatre qui remplissent aujourd'hui ces fonctions sous le titre de secrétaires des finances & greffiers du conseil d'état privé ; elles consistent à tenir registre de tout ce qui émane de ce conseil, & à expédier les ordonnances & arrêts : ces quatre greffiers sont à la nomination du chancelier de France, & lui payent le droit de survivance.

Ils ont sous eux huit clercs commis & quatre greffiers garde-sacs, qui servent par quartier au greffe du conseil : & ils ont réuni à leurs charges différens autres offices de greffiers particuliers créés en différens tems pour le conseil ; tous ces officiers sont commensaux de la maison du Roi.

Huissiers du conseil : ces huissiers ne sont pas moins anciens. Il y en avoit quatre en titre d'office dès le regne de François I. Ils réunirent en 1604 l'office d'huissier garde-meuble du conseil, qui n'avoit d'autre fonction que d'en préparer la salle ; & il en fut créé six autres en 1655, ensorte qu'ils sont actuellement au nombre de dix.

Leur fonction est, en premier lieu, de garder en-dedans les portes de la salle du conseil & de la grande & petite direction des finances ; & ils y ont été confirmés par un arrêt du 15 Mai 1657 contre les gardes du corps du Roi, qui ont été restreints à les garder en-dehors seulement, quand S. M. assiste au conseil. Ils gardent aussi, mais en-dehors seulement, les portes de la salle où le chancelier tient le conseil des dépêches & des finances en l'absence du Roi, & ils ont quelquefois fait ces mêmes fonctions chez S. M. même, en l'absence des huissiers du cabinet.

En second lieu, ils font dans les assemblées du conseil toutes les publications qui peuvent y être à faire, soit pour des ventes d'offices, soit pour adjudications.

En troisieme lieu, ils font toutes les significations des oppositions au sceau, des procédures & arrêts du conseil, même des jugemens des commissions qui en sont émanées, & ils exécutent par tout le royaume les arrêts & jugemens, sans qu'ils soient revêtus d'une commission du grand sceau.

Il y a aussi quatre huissiers de la grande chancellerie, dont un créé dès 1473, un autre en 1597, & les derniers en 1655. Le premier est en même-tems premier huissier du grand-conseil ; il en remplit les fonctions en robe de soie, rabat plat, & toque de velours, & joüit des priviléges de la noblesse.

La fonction de ces quatre huissiers est 1°. de garder en-dedans les portes de la salle où se tient le sceau : 2°. d'y faire les publications qui doivent y être faites, & de dresser les procès-verbaux d'affiches, de publications, remises, & adjudications, parce qu'il n'y a pas de greffier pour le sceau : 3°. de faire avec les huissiers du conseil les significations & exécutions dont on a parlé.

Dans les cérémonies où le chancelier de France assiste, il est toûjours précédé de deux huissiers du conseil, & de deux de la grande chancellerie : ces deux derniers portent ses masses. Leur habillement est la robe de satin noir, le rabat plissé, la toque de velours à cordon d'or, les gants à frange d'or, & des chaînes d'or à leur cou ; ceux du conseil ont de plus une médaille d'or pendante à leur chaîne, & ceux de la grande chancellerie ne peuvent la porter suivant un arrêt de 1676. Ce fut Henri II. qui leur donna ces chaînes d'or un jour qu'il sortoit du conseil. Louis XIII. y ajouta sa médaille, qui leur a été donnée depuis par Louis XIV. & par Louis XV. à leur avênement à la couronne. Hors les cérémonies, ils font leur service en manteau court & rabat plissé : ils sont tous commensaux de la maison du Roi, & à la nomination du chancelier à qui ils payent un droit de survivance.

Commissions extraordinaires du conseil. On appelle ainsi des attributions passageres que l'importance de certaines affaires, ou des circonstances particulieres déterminent le Roi à confier à des juges, qui soient à portée de les terminer avec plus de célérité & moins de frais qu'elles ne le seroient dans les tribunaux ordinaires. Elles ne s'accordent que rarement ; & si on les a vû dans des tems se multiplier, on a vû aussi qu'elles ont été réduites aux seuls cas qui méritent une exception.

Le choix de ceux qui composent ces commissions se fait le plus ordinairement parmi les personnes qui ont l'honneur de servir dans le conseil ; alors elles sont composées de quelques conseillers d'état & de quelques maîtres des requêtes. On leur associe quelquefois des officiers du grand-conseil & d'autres tribunaux ; quelquefois aussi les parties conviennent entr'elles de magistrats ou d'avocats qu'elles proposent au Roi pour être leurs juges, & S. M. les autorise par un arrêt du conseil ; cela arrive surtout entre de proches parens qui veulent terminer des affaires de famille avec plus de célérité & moins d'éclat.

Il y a aussi des cas où les intendans & commissaires départis sont commis pour juger certaines affaires avec des officiers dont le choix leur est ordinairement confié ; & toutes ces différentes especes de commissions sont établies, ou pour juger en dernier ressort, ou pour ne juger qu'à la charge de l'appel au conseil.

Enfin le Roi établit aussi quelquefois, mais beaucoup plus rarement, des commissions pour juger des affaires criminelles : mais c'est alors une espece de chambre criminelle qu'il forme à cet effet par lettres patentes, soit à l'arsenal ou ailleurs, & la procédure s'y fait en la forme ordinaire.

En matiere civile les affaires s'instruisent dans les commissions du conseil, dans la forme la plus sommaire qui est pratiquée au conseil.

Il y a eu des greffiers particuliers créés pour les commissions extraordinaires du conseil, qui s'exercent à sa suite ou à Paris. Ils sont au nombre de six, & ils remettent au dépôt du louvre leurs minutes dès que la commission est finie.

Les huissiers du conseil servent dans ces commissions, de même qu'au conseil, pour les publications & les significations ; il n'y a, comme on l'a vu, que les avocats au conseil qui puissent y instruire les affaires quand la commission s'exécute à Paris ou à la suite du conseil. (A)

CONSEIL DU ROI DU CHASTELET ; c'est le tribunal composé du prevôt de Paris, de ses lieutenans, & des conseillers ; il en est parlé dans une ordonnance de Philippe de Valois de l'an 1327. Il y a apparence que le titre de conseil donné aux juges du châtelet vient non-seulement de ce qu'ils rendent la justice au nom du Roi, mais singulierement de ce que nos rois de la premiere & de la seconde race, & entr'autres S. Louis, alloient souvent rendre la justice en personne au châtelet. (A)

CONSEIL DU ROI AU PARLEMENT, se disoit quelquefois anciennement pour désigner le parlement même, comme étant dans son origine le conseil du Roi, ou du-moins un démembrement du conseil du Roi. Voyez ci-devant au mot CONSEIL COMMUN DU ROI. (A)

CONSEIL DU ROYAUME, c'est ainsi que l'on appelloit anciennement le conseil de Régence. Voyez ci-devant CONSEIL DE REGENCE. (A)

CONSEIL DE SANTE, est une assemblée composée de magistrats & autres personnes choisies que l'on établit ordinairement, en conséquence d'un arrêt du parlement, dans les villes qui sont affligées de la contagion, pour régler & ordonner tout ce qui peut être nécessaire, soit dans les lieux infectés pour en chasser la maladie, soit dans les lieux sains pour empêcher qu'elle n'en approche. Voyez le traité de la police, tom. I. liv. IV. tit. xjv. (A)

CONSEIL DES SEIZE, étoit l'assemblée des seize quarteniers de la ville du tems de la ligue : on l'appella aussi le conseil de l'union, & le conseil des quarante ; il devint même encore plus nombreux. Voyez ci-devant CONSEIL DES DIX, CONSEIL DES QUARANTE, & ci-après CONSEIL DE L'UNION. (A)

CONSEIL SECRET DU ROI, ainsi appellé en 1350 ; chaque conseiller avoit 1000 livres de gages. Lorsqu'il y avoit des déclarations & interprétations à faire sur les ordonnances des foires de Brie & de Champagne, elles devoient être faites par les gens du secret conseil du Roi à Paris, & en cas qu'ils ne pûssent y vaquer, par les gens des comptes. Chaque année les gardes & le chancelier des foires de Champagne & de Brie devoient faire aux gens du conseil secret du Roi, ou aux gens de la chambre des comptes, le rapport de l'état de ces foires. Ordonnances de la troisieme race, tome II. p. 314. (A)

CONSEIL SOUVERAIN, est une compagnie supérieure établie pour rendre la justice.

Il y a des conseils souverains qui sont le conseil d'état & privé du prince, tels que le conseil du Roi, dont nous avons parlé ci-devant ; d'autres sont établis à l'instar des parlemens & autres cours souveraines, pour connoître des appellations des juges inférieurs de leur ressort & autres matieres de leur compétence ; tels sont les conseils d'Alsace à Colmar, de Roussillon à Perpignan, le conseil de Lorraine à Nancy. (A)

CONSEIL SUPERIEUR, est la même chose que conseil souverain. (A)

CONSEIL SOUVERAIN DE TOURNAI, fut créé par édit du mois d'Avril 1668. Ce tribunal fut composé de deux présidens, deux chevaliers d'honneur, de sept conseillers, un procureur général, &c. Le nombre des conseillers fut augmenté en 1670, & l'on forma deux chambres. Le ressort de ce tribunal qui étoit alors borné aux conquêtes de la campagne précédente, fut augmenté par deux édits de 1678 & 1679. En 1680, on établit une chancellerie près de ce conseil ; & la charge de garde-scel fut attachée pour toûjours à celle de premier président : en 1685, le roi donna à ce conseil le titre de parlement. Voy. à l'article des PARLEMENS. (A)

CONSEIL DE TUTELE, est une assemblée particuliere composée de parens du mineur, d'avocats, procureurs, & autres personnes qui sont choisies pour veiller à la bonne administration d'une tutele, & délibérer sur ce qu'il convient faire pour l'intérêt du mineur dans ses affaires, soit contentieuses, ou autres.

Lorsqu'on nomme un conseil de cette espece, cela se fait ordinairement par l'acte de tutele, c'est-à-dire par la même sentence qui nomme le tuteur ; mais on n'en établit pas communément pour toutes sortes de tutele. Ces sortes de conseils ne sont guere établis que pour les tuteles des princes, & autres personnes de grande considération, ou pour des mineurs qui ont de grands biens & beaucoup d'affaires.

Dans les conseil de tutele des princes il y a ordinairement à la tête quelque magistrat.

Ce sont communément les parens du mineur qui choisissent ceux qui doivent composer le conseil de tutele ; mais si les parens ne s'accordent pas, la justice en décide.

Le tuteur assiste au conseil de tutele, & l'on en rédige les délibérations par écrit, afin qu'il puisse s'y conformer : ces délibérations sont datées & signées de ceux qui ont assisté au conseil, afin qu'elles servent de titre & de décharge au tuteur.

On traite dans ce conseil toutes les affaires des mineurs, telles que les baux de leurs biens, les réparations, la vente de leurs bois, & les affaires contentieuses qu'ils peuvent avoir. On y regle aussi les comptes des tuteurs onéraires.

Les articles placités du parlement de Rouen de 1666, proposent l'établissement d'un conseil de tutele, afin que le tuteur ne puisse intenter de procès qu'avec raison, ou du moins avec apparence de raison : c'est en l'article 32. qui porte que, lors de l'institution de la tutele, les nominateurs pourront choisir deux ou trois parens, des avocats ou autres personnes, par l'avis desquels le tuteur sera tenu de se conduire aux affaires ordinaires de la tutele, sans néanmoins qu'ils puissent délibérer & résoudre du lieu de la demeure, éducation ou mariage des mineurs, qu'en la présence des nominateurs.

En Bretagne, le tuteur ne peut intenter de procès sans avis de conseil, à peine d'être tenu de l'indemnité du mineur, s'il succombe. L'article 513 de la coûtume de Bretagne l'ordonne en ces termes : Tuteur & curateur ne doivent intenter procès pour leur mineur sans conseil ; autrement, s'ils succomboient, seroient tenus de dédommager le mineur. (A)

CONSEIL DE VALENCIENNES, étoit un conseil provincial établi pour cette ville & ses dépendances, par édit du mois d'avril 1706. Ce conseil a depuis été supprimé ; l'appel du bailliage de Valenciennes, & autres justices royales, est porté au parlement de Doüai.

Il y a encore deux autres conseils à Valenciennes, mais qui ne sont que des conseils de ville, & seulement pour l'administration des affaires communes : l'un qui est nommé le conseil particulier, qui est composé de vingt-cinq notables ; l'autre qu'on nomme général ou grand-conseil, qui est composé de deux cent personnes ; mais il ne s'assemble jamais que pour les affaires extraordinaires. (A)

CONSEIL DE VILLE, est l'assemblée des officiers municipaux d'une ville qui s'assemblent pour délibérer de leurs affaires communes. A Paris & dans quelques autres villes, ce conseil est composé du prevôt des marchands & des échevins ; dans d'autres villes, c'est un maire qui est le chef de cette assemblée ; à Toulouse, ceux qui composent le conseil de ville sont nommés capitouls ; à Bordeaux, & dans quelques autres villes, on les appelle jurats : dans d'autres, bailes & consuls, syndics, &c.

A Paris, outre les échevins, il y a des conseillers de ville ; mais ces sortes de charges ne sont qu'ad honores, & ces conseillers n'ont point entrée au bureau où l'on tient conseil sur les affaires de la ville. (A)

CONSEIL DE L'UNION. Du tems de la ligue étoit l'assemblée des seize, à laquelle on donna ce nom en 1589. Ce conseil déclara le duc de Mayenne lieutenant général du royaume : il avoit été augmenté jusqu'au nombre de quarante ; & le duc de Mayenne y avoit joint quatorze personnes. Après la mort d'Henri III. le duc de Mayenne cassa ce conseil. Voy. l'Abrégé chronolog. de M. le présid. Henault. (A).


CONSEILLERS. m. (Jurisprud.) dans sa signification propre est celui qui est établi pour donner ses conseils sur une certaine matiere.

Il y a plusieurs sortes de conseillers, les uns que le prince choisit pour l'aider de leurs conseils dans le gouvernement de l'état ; d'autres qui portent aussi le titre de conseillers du Roi, qui ne sont pas néanmoins auprès du Roi directement, mais auprès des juges royaux ; d'autres qui prennent ce même titre par honneur, sans faire aucune fonction de judicature. Les juges des seigneurs & les principaux officiers des villes ont aussi leurs conseillers ; & chaque classe de ces conseillers se subdivise encore en plusieurs especes que nous expliquerons dans les articles suivans.

L'origine des conseillers proprement dits qui assistent le principal juge de leurs conseils, est fort ancienne ; elle remonte jusqu'aux tems des Hébreux. Dieu ayant établi Moyse pour conducteur & juge de son peuple, lui ordonna de se choisir un conseil qui seroit composé de soixante-dix des anciens & maîtres du peuple, de les amener à l'entrée du tabernacle de l'alliance où ils demeureroient avec lui. Moyse ayant exécuté cet ordre divin, le Seigneur, dit l'écriture, descendit dans la nuée, parla à Moyse, prit de l'esprit qui étoit en lui, & le donna à ces soixante-dix hommes. Ainsi les premiers conseillers furent d'institution divine de même que les juges, & reçurent de Dieu la grace du même esprit dont Moyse étoit rempli. On les nomma zekenim, c'est-à-dire les anciens du peuple, seniores ; d'où l'on a fait ensuite le titre de senatores, pour marquer que la sagesse & l'expérience qui se trouvent dans un âge avancé, est nécessaire aux juges & à ceux qui les assistent de leurs conseils.

Moyse & ceux qui lui succéderent en la fonction de juges, eurent toujours de même des conseillers ; & ce conseil suprême qui fut dans la suite nommé sanhedrin, a subsisté dans Jérusalem tant que l'état des Juifs a subsisté.

Les autres villes des Juifs avoient aussi deux sortes de conseillers, les uns préposés pour l'administration des affaires communes ; les autres qui étoient au nombre de sept dans chaque ville, rendoient la justice en premiere instance, & l'appel de leurs jugemens étoit porté au sanhedrin : ils étoient élus par le peuple, qui prenoit ordinairement ceux qui étoient distingués par leur sagesse & leur probité ; on y ajouta dans la suite deux lévites, parce que ceux de cette tribu étoient les plus versés dans l'étude des lois. C'est peut-être à l'imitation de cet ancien usage, qu'est venu long-tems après celui d'admettre un certain nombre de conseillers-clercs dans les siéges royaux. Nous en parlerons plus particulierement ci-après.

Il y eut aussi toûjours des conseillers chez les Grecs pour rendre la justice ; le nom qu'on leur donnoit du tems des rois signifioit amis du roi ; & en effet ils rendoient la justice avec lui ; & quand il étoit absent, l'un d'eux présidoit à sa place.

Sous les archontes, ces conseillers prirent un nom équivalent à celui d'assesseurs.

Du tems des républiques de la Grece, les Athéniens avoient deux tribunaux supérieurs : l'un appellé sénat des cinq cent, qui étoit pour le gouvernement civil & la manutention des lois ; l'autre étoit ce fameux aréopage où présidoit un des archontes avec trois cent conseillers qu'on appelloit aréopagites : il connoissoit de la police, des matieres criminelles, & de quelques autres affaires privilégiées. Il y avoit encore alors dans la Grece huit autres tribunaux composés chacun d'un président & de plusieurs conseillers, dont le nombre étoit de deux jusqu'à cinquante : ceux-ci étoient nommés simplement assesseurs ; ils devoient être âgés de trente ans, gens de bien & sans aucun reproche, d'une famille notable de citoyens. On n'y admettoit point ceux qui étoient comptables au trésor public ; & avant de les recevoir, ils étoient examinés sur leur conduite passée devant le sénat des cinq cent. Le premier magistrat ou président interrogeoit les parties & les témoins ; le procès étant ainsi instruit, le juge le donnoit à ses assesseurs pour l'examiner, & ensuite ils lui donnoient conseil pour le jugement.

Il y eut pareillement des conseillers chez les Romains dès le tems de leur premier établissement. Romulus se forma un conseil de cent notables citoyens, dont il prenoit l'avis dans les affaires qu'il avoit à décider : il les nomma sénateurs. C'est de ces cent premiers conseillers ou sénateurs que toutes les anciennes familles patriciennes tiroient leur origine & leur noblesse.

Les Rois successeurs de Romulus, & après eux les consuls, rendirent de même la justice avec leurs conseillers ou sénateurs ; le peuple connoissoit cependant de certaines affaires, & alors chacun opinoit, ou bien l'assemblée établissoit un conseil pour juger l'affaire.

Les consuls se trouvant assez occupés du gouvernement de l'état, établirent le préteur pour rendre la justice en leur place. On ne lui donna point de conseillers ; mais il choisissoit lui-même pour chaque affaire des juges qui faisoient près de lui la fonction de conseillers : il ne les prenoit d'abord que parmi les sénateurs ou les chevaliers ; ensuite il y admit aussi des plébéïens.

Le préteur forma encore une autre classe de conseillers qu'il tira d'entre ceux qui s'appliquoient à l'étude des lois, & qui prenoient le titre de jurisconsultes, parce qu'on les consultoit souvent sur les procès qui étoient à juger. Il en prit cinq des plus habiles dans chacune des trente-cinq tribus, ce qui faisoit en tout cent soixante-quinze : on les appella cependant par abréviation les centumvirs. Lorsque le préteur avoit à décider quelque question de droit, il prenoit des juges ou conseillers parmi les centumvirs ; au lieu que pour les questions de fait, il prenoit des juges dans les trois ordres de citoyens indifféremment.

Les proconsuls, préteurs ou présidens, qui étoient les gouverneurs & magistrats des provinces, avoient aussi la liberté de choisir eux-mêmes leurs assesseurs ou conseillers. Ils en prenoient à Rome ou dans les provinces ; mais si c'étoit dans leur gouvernement, ces assesseurs devoient être changés au bout de quatre mois, & il falloit ensuite qu'ils en fissent venir d'ailleurs. Les uns & les autres devoient être choisis parmi ceux qui avoient étudié les lois ; ils assistoient le magistrat de leurs conseils dans les jugemens, & le représentoient en son absence. C'est pourquoi on les qualifioit consiliarii & comites magistratuum ; le magistrat leur renvoyoit l'instruction & l'examen des procès ; mais il étoit obligé de juger lui-même, ce qu'il faisoit sur le rapport & l'avis de ses conseillers.

On voit par ce qui vient d'être dit, que chez les Romains les simples conseillers ou assesseurs des magistrats n'étoient point eux-mêmes considérés comme magistrats ; ce n'étoient que des assesseurs que le magistrat appelloit pour l'aider de leurs conseils, & qui par eux-mêmes n'avoient aucun caractere d'officiers publics.

Nous avons déjà observé ci-devant au mot conseil du Roi, qu'en France nos rois ont toûjours eu près d'eux, dès le commencement de la monarchie, un conseil composé de personnes choisies pour les aider dans le gouvernement de l'état & dans l'administration de la justice ; que ceux qui sont admis dans ce conseil, ont été appellés successivement conseillers du roi ou grands conseillers du roi, conseillers du secret, conseillers d'état.

Les comtes des provinces & des villes ayant succédé en France aux magistrats Romains, on établit aussi près d'eux un conseil pour les assister dans leurs jugemens, tant au civil qu'au criminel, & pour représenter le magistrat en cas d'empêchement de sa part. La loi salique nomme ces conseillers rachinburgi, mot dérivé de l'Allemand, & qui signifioit juges. Ils conserverent ce nom sous les rois de la premiere race, & en quelques endroits, jusqu'à la fin de la seconde : on les appelloit plus communément en d'autres endroits scabini, échevins, c'est-à-dire juges ou hommes savans.

Ces rachinbourgs ou échevins étoient élus par le magistrat avec les principaux citoyens. On ne prenoit que des gens d'une sagesse & d'une probité reconnue ; ils prêtoient serment entre les mains du magistrat de ne jamais commettre sciemment aucune injustice. Si par la suite on en reconnoissoit quelqu'un qui n'eût pas les qualités ou les sentimens convenables, il pouvoit être destitué par les commissaires du Roi appellés missi dominici, qui en pouvoient mettre en place un autre, dont le choix se faisoit de la même maniere qui a été expliquée. On envoyoit au roi les noms de ceux qui étoient élus, soit pour qu'il confirmât l'élection, soit afin qu'il connût ceux qui étoient en place ; le juge en appelloit deux ou trois, & quelquefois jusqu'à douze, plus ou moins, selon l'importance de l'affaire ; & quand ils n'étoient pas en nombre suffisant, le magistrat pouvoit y suppléer, en appellant d'autres citoyens des plus capables à son choix.

Sous la troisieme race, les baillifs, prevôts, châtelains, vicomtes & viguiers, qui succéderent aux comtes pour l'administration de la justice, n'avoient point d'abord de conseillers en titre. Les affaires legeres étoient décidées par le bailli ou autre juge seul ; quant à celles qui étoient plus importantes & qui méritoient de prendre l'avis de quelqu'un, le juge appelloit avec lui deux, trois ou quatre personnes telles qu'il vouloit, d'autant que les lois étoient alors dans l'oubli, & qu'on ne se conduisoit que suivant des usages & coûtumes que chacun connoissoit.

Le juge pouvoit, en cas d'absence, déléguer un certain nombre d'assesseurs pour rendre la justice ; mais il étoit responsable des fautes de ceux qu'il avoit commis ; & les assesseurs eux-mêmes étoient punis. Dès que le juge reprenoit ses fonctions, ces assesseurs délégués redevenoient personnes privées. A chaque affaire qui méritoit quelque discussion, le juge se choisissoit un nouveau conseil.

Comme les nobles avoient le privilége de ne point être jugés que par leurs pairs ou égaux, le seigneur ou son bailli, quand il s'agissoit des causes des nobles, appelloit avec lui pour conseillers un certain nombre des pairs du seigneur ; au lieu que pour les causes des roturiers, le juge appelloit pour assesseurs telles personnes qu'il vouloit, lesquels faisoient serment, à chaque cause, de juger en leur conscience. On les appelloit alors prudhommes ou jugeurs.

On voit dans les établissemens de S. Louis & dans les auteurs contemporains, que le nombre des juges devoit toûjours être de deux, trois, quatre ou sept, selon l'importance de la matiere ; que si le seigneur n'avoit pas assez de vassaux pour fournir ce nombre de pairs, on avoit recours au seigneur le plus proche ; & en cas de refus, au seigneur suzerain ; que les nobles qui refusoient cet emploi étoient contraints de l'accepter par saisie de leurs fiefs, & les roturiers par prison ; que le ministere des uns & des autres étoit purement gratuit ; que les juges & par conséquent ceux qui faisoient fonction de conseillers, étoient garants de leurs jugemens ; qu'en cas de plainte, les nobles étoient obligés de les soutenir par gages de bataille, & les roturiers par de bonnes raisons ; qu'autrement ils étoient condamnés aux dommages & intérêts des parties.

L'administration de la justice étant devenue plus paisible sous Philippe le Bel, les baillifs & autres juges eurent la liberté de choisir un conseil tel que bon leur sembloit, sans avoir égard à la qualité des parties, mais seulement à la nature de l'affaire : ils appelloient ordinairement des avocats de leur siége ; mais tous ces conseillers n'avoient que des fonctions passageres.

Le prevôt de Paris était le seul au commencement de la troisieme race, qui eût conservé son conseil ordinaire composé de l'avocat & du procureur du roi, & de plusieurs conseillers, dont les uns étoient appellés auditeurs, les autres examinateurs, ainsi qu'on l'expliquera ci-après à l'article des CONSEILLERS AU CHASTELET.

La premiere création de conseillers en titre d'office, est celle qui fut faite par Philippe de Valois en 1327, de huit conseillers au châtelet, quatre clercs & quatre laïcs ; le nombre en fut ensuite augmenté en différens tems.

Lorsque le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, le roi envoyoit tous les ans au commencement de la tenue des parlemens l'état des présidens & conseillers, tant clercs que lais, qui devoient y siéger ; mais vers l'an 1400, les rôles ou états ayant cessé d'être envoyés, les officiers du parlement ne sachant à qui s'adresser à cause des troubles, se continuerent d'eux-mêmes & devinrent perpétuels.

Les baillifs & sénéchaux ayant perdu par succession de tems la liberté qu'ils avoient de choisir leurs conseillers ; & le roi s'étant réservé le droit de les nommer, ils prirent le titre de conseillers du roi : il y en avoit dès le commencement du xiv. siecle.

Pour ce qui est des siéges royaux ressortissans aux bailliages & sénéchaussées, Charles IX. fut le premier qui y créa des conseillers par édit du mois d'Octobre 1571.

A l'égard des conseillers des autres siéges, voyez ce qui en est dit sous les noms qui leur sont propres.

Les fonctions des conseillers étant les mêmes que celles des autres juges en général, on n'entrera ici dans aucun détail à ce sujet.

Ce sont eux qui font le rapport des instances & procès appointés : ils ont ordinairement des clercs ou secrétaires qui en font l'extrait ; mais il y en a peu qui se fient à cet extrait, dans la crainte qu'ils ne fût défectueux ou infidele. C'est pourquoi les ordonnances les obligent d'écrire eux-mêmes leurs extraits, tellement qu'on voit dans le style de chancellerie de Dusault un modele de dispense à ce sujet pour cause d'incommodité. (A)

CONSEILLER A L'AMIRAUTE, Voyez AMIRAUTE & TABLE DE MARBRE. (A)

CONSEILLER-AUDITEUR, Voyez au mot COMPTES, à l'article CHAMBRE DES COMPTES. (A)

CONSEILLER-AVOCAT, advocatus consiliarius ; les avocats consultans sont ainsi qualifiés dans des ordonnances de l'an 1344. (A)

CONSEILLERS AU CHATELET, sont des magistrats qui sont revêtus d'un office de conseiller du Roi au châtelet de Paris.

Leur établissement est aussi ancien que celui du tribunal du châtelet, & par conséquent l'on peut dire qu'il est aussi ancien que celui de la ville de Paris.

En effet, cette ville ayant été considérée dès sa naissance comme un poste important par rapport à sa situation, il y eut sans doute dès-lors des Officiers préposés pour rendre la justice. Jules César, après avoir fait la conquête des Gaules, y transféra le conseil souverain des Gaules, qui devoit s'assembler tous les ans. Le proconsul gouverneur général des Gaules qui présidoit à ce conseil, établit sa demeure à Paris. Ce proconsul avoit sous lui un préfet à Paris pour y rendre la justice, appellé praefectus urbis, qui en 666 prit le titre de comte ; & celui-ci dans la suite se déchargea du soin de rendre la justice sur un prevôt, lequel par l'évenement demeura seul au lieu & place du comte.

Ainsi comme chez les Romains les préfets des villes se choisissoient eux-mêmes des conseillers ou assesseurs, que l'on appelloit consiliarii seu assessores, inquisitores, discussores, il est à croire aussi que ces usages passerent dans les Gaules avec la domination des Romains, & que le magistrat de Paris eut toûjours des conseillers, soit par rapport à la dignité de la capitale, soit par rapport au grand nombre d'affaires dont il étoit chargé, & sur-tout à cause de l'importance & de la difficulté des affaires de grand criminel.

Les conseillers du magistrat de Paris furent aussi sans doute appellés de différens noms, comme ceux des autres comtes, c'est-à-dire que sous la premiere race de nos rois on les appella rachinburgi, & sous la seconde scabini : c'est de-là qu'il est dit en quelques endroits, que le comte de Paris ou son prevôt jugeoit avec les échevins ; mais par ce terme scabini, on entendoit alors des conseillers & non pas des officiers municipaux, tels que les échevins d'aujourd'hui qui n'ont été établis que long-tems après.

Pendant les troubles qui agiterent la France au commencement de la troisieme race, les juges même royaux n'avoient point d'assesseurs ou conseillers ordinaires ; ils n'en appelloient que dans les affaires difficiles.

Le prevôt de Paris fut le seul qui conserva son conseil ordinaire, qui étoit composé de l'avocat & du procureur du Roi, qui faisoient aussi fonction de conseillers, & de plusieurs autres conseillers.

Il est à présumer que du tems de S. Louis le prevôt de Paris choisissoit lui-même ses conseillers.

Depuis ils furent électifs. Suivant l'ordonnance de 1327, ils devoient être mis par le prevôt de Paris & quatre maîtres du parlement ; ils étoient ordinairement tirés du corps des avocats au châtelet.

Enfin le Roi s'en est réservé la nomination.

Le prevôt de Paris qui dans le premier âge de ces offices avoit le droit d'y nommer, pouvoit sans doute les faire révoquer ; mais ce pouvoir fut ensuite modifié, & il lui a enfin été entierement ôté, de même que par rapport à ses lieutenans.

Dans l'origine, il pouvoit juger seul les causes legeres ; mais dans la suite il se déchargea vraisemblablement de l'expédition de ces petites causes sur deux conseillers de son siége, auxquels il fut donné une commission particuliere à cet effet, d'où est venue la jurisdiction du juge-auditeur.

A l'égard des autres affaires, il paroît que le prevôt de Paris a toûjours été assisté de conseillers.

Leurs fonctions étoient de trois sortes, comme le sont encore celles des conseillers des cours supérieures : les uns assistoient à l'audience avec le prevôt de Paris, & on les appelloit auditeurs de causes ; les autres étoient commis pour l'instruction des affaires, & on les appelloit enquêteurs-examinateurs ; d'autres enfin entendoient les rapports qui étoient faits au conseil, & on les appelloit jugeurs.

L'administration des prevôts de Paris fermiers ayant pris fin sous S. Louis, & ce prince ayant nommé en 1235 pour prevôt de Paris Etienne Boileau, il assigna dans le même tems des gages aux conseillers ainsi qu'au prevôt de Paris ; ce qui prouve que les conseillers au châtelet étoient déjà établis plus anciennement, & qu'ils étoient dès-lors officiers royaux ; & il est à croire que depuis qu'ils eurent ce titre ils étoient à la nomination du roi, & que le prevôt de Paris avoit seulement conservé le droit de présenter des sujets pour remplir les places vacantes.

On trouve énoncé dans un arrêt du 5 Août 1474, que les conseillers du châtelet étoient plus anciens que les examinateurs ; & dans un autre arrêt du 10 Mai 1502, il est dit que de tout tems & d'ancienneté, plus de deux cent ans avant l'érection des examinateurs, les lieutenans civil & criminel de la prevôté avoient accoutumé de faire les enquêtes, & qu'il n'y avoit qu'eux qui les fissent, n'étoient les conseillers ou avocats auxquels ils les commettoient ; ce qui confirme qu'il y avoit des conseillers dés avant l'an 1300.

On trouve aussi dès 1311 des conseillers au châtelet dénommés dans des actes publics, qui sont ainsi qualifiés tous du conseil du roi au châtelet. Il y en a quatre nommés dans l'enregistrement des lettres de Philippe le Bel, du 18 Décembre 1311, sans compter le procureur du roi, qui faisoit aussi alors la fonction de conseiller.

Les lettres données par Charles IV. le 25 Mai 1325 pour la réformation du châtelet, qui font mention des plaintes faites contre différens officiers du châtelet, n'imputent rien aux conseillers.

Quelques auteurs ont cru par erreur que les conseillers au châtelet n'avoient été institués que par les lettres de Philippe VI. du mois de Février 1327, qui en fixent le nombre à huit : mais il est évident par ces lettres mêmes qu'ils étoient déjà plus anciens, & qu'il ne fit qu'en réduire le nombre. Quant à ceux, dit-il, qui sont de par nous à notre conseil du châtelet, dont ils étoient plusieurs clercs & lais, nous ordonnons qu'il y en ait huit tant seulement, desquels il y en aura quatre clercs & quatre lais ; & s'y assembleront au châtelet deux jours en la semaine, pour voir d'un accord & d'un assentement les procès & les causes avec notre prevôt, & viendront au mandement dudit prevôt toutes les fois qu'il les mandera.

A prendre littéralement ce qui est dit ici des quatre conseillers-clercs, on pourroit croire que c'étoient des places affectées à des ecclésiastiques, & l'on ne trouve aucun édit qui en ait changé la qualité. Cependant on tient communément que comme alors le terme de clerc signifioit également l'homme d'église & l'homme lettré ou gradué, les quatre places de conseillers-clercs du châtelet étoient seulement affectées à des gradués. Quoi qu'il en soit, on ne voit point qu'aucun de ces quatre anciens offices de conseillers-clercs soit demeuré affecté à des ecclésiastiques, soit qu'en effet dans l'origine ils ne fussent réellement pas affectés à des ecclésiastiques, soit que dans la suite de simples clercs y ayant été admis, les ayent fait insensiblement passer dans l'état laïc en se mariant, au préjudice du serment qu'ils faisoient à leur réception de prendre les ordres dans l'année.

Les lettres de Philippe VI. du mois de Février 1327, dont on a déjà parlé, portent encore que les conseillers du châtelet ne seront avocats, procureurs, ni pensionnaires de personnes demeurantes en la vicomté de Paris ni ès ressorts, ni d'autres qui ayent affaire audit siége, de quelqu'état & condition qu'ils soient ; qu'ils prendront chacun 40 livres parisis de pension par an, & qu'ils y seront mis par le chancelier, appellés avec lui quatre du parlement & le prevôt de Paris.

Qu'ils seront tenus de rapporter dans quinze jours les procès où il y aura lieu à un interlocutoire, & dans un mois ceux qui peuvent être jugés définitivement, ou plutôt si faire se peut.

Que les procès leur seront donnés si secrettement par le prevôt, que les parties ne puissent savoir ceux à qui ils seront donnés ; & qu'ils ne recevront rien des parties par aucune voie pour mettre les actes, si ce n'est par le prevôt.

Charles V. étant régent du royaume, commit le prevôt de Paris en 1359 pour donner des statuts aux teinturiers de la ville de Paris, en appellant avec lui son conseil du châtelet, c'est-à-dire les conseillers ; ce qui fut ainsi exécuté. Ils ont encore concouru avec le prevôt de Paris pour donner divers autres statuts aux arts & métiers.

Le nombre des procureurs au châtelet ayant été réduit à quarante par Charles V. en 1378. ce prince ordonna qu'ils seroient choisis par le prevôt de Paris, avec deux ou trois conseillers des plus expérimentés.

Lorsque Charles VI. fit un reglement en 1396, portant que, dorénavant le sacrement de pénitence seroit offert aux criminels condamnés à mort, il fit appeller pour cet effet dans son conseil des princes du sang, les gens du grand-conseil, & plusieurs conseillers tant du parlement que du châtelet.

Le nombre des conseillers au châtelet qui avoit été réduit à huit en 1327, fut augmenté jusqu'à douze. On ne trouve point l'édit de création ; mais deux arrêts des... Mai 1481 & 11 Août 1485, font mention qu'il y avoit alors douze conseillers en la prévôté.

Les choses demeurerent dans cet état jusqu'au mois de Mai 1519, que le roi créa douze nouveaux offices de conseillers au châtelet. Les douze anciens conseillers s'opposerent à la vérification de cet édit, Au mois de Février 1522, le roi ecclipsant de la prevôté de Paris la jurisdiction de la conservation des privileges royaux de l'université, qu'on appella aussi le bailliage de Paris, ordonna que les douze conseillers nouvellement créés serviroient en la conservation, quoique la création n'en fut pas vérifiée.

Ce nouveau tribunal fut réuni à la prevôté de Paris par édit du mois de Mai 1526, qui ne fut registré au parlement que le 23 Décembre 1532. Cet édit porte que les douze offices de conseillers en la conservation s'éteindroient à mesure qu'ils vacqueroient par le décès des titulaires. Il y en avoit déjà quatre d'éteints par mort, lorsqu'en 1543 les huit restans furent réunis & incorporés aux douze de la prevôté par édit du mois de Mai de ladite année. Suivant cet édit, les vingt offices devoient s'éteindre par mort indistinctement, jusqu'à ce que le nombre en fût réduit à seize.

Lors de la création des présidiaux en 1551, il subsistoit encore quelques offices de conseillers créés pour la conservation en 1522, mais qui n'avoient plus d'autre titre que celui de conseillers en la prevôté. Il y avoit alors en tout dix-neuf offices remplis.

L'art. 32. de l'édit des présidiaux porte établissement au châtelet & siége présidial de Paris de vingt-quatre conseillers, compris les anciens déjà créés ; ainsi comme il y en avoit alors dix-neuf, le nombre fut augmenté de cinq.

Il ne subsiste plus présentement que quinze de ces anciens offices ; savoir dix de la prévôté, un de la conservation, & quatre de ceux créés en 1551 pour le présidial. On ne voit pas comment les autres ont été éteints, excepté un qui fut supprimé comme vacant par mort en 1564.

Il y en eut deux autres créés par édit d'Avril 1557 ; mais ils furent supprimés peu de tems après.

En 1567 il en fut créé sept par édit du mois d'Octobre audit an.

En 1573, sur les représentations du clergé, fut créé l'office de conseiller-clerc ; ce qui justifie que les quatre places de conseillers-clercs mentionnés en l'ordonnance de 1327, n'étoient pas dans l'origine affectées à des ecclésiastiques, ou que par succession de tems on les avoit réputées offices laïcs.

Au mois de Mai 1581, il fut créé un autre office de conseiller-lai, pour tenir lieu des deux offices créés en 1578, qui devoient être affectés aux deux avocats du roi. Ces deux offices n'avoient pas été levés.

Il y eut encore au mois de Septembre 1586 une création de quatre conseillers, mais qui n'eut lieu que pour deux seulement.

Au mois de Février 1622, il en fut encore créé deux autres, & autant au mois de Mars 1634.

En Décembre 1635 il en fut encore créé quatre, dont deux laïcs & deux clercs ; mais par déclaration du 10 Juillet 1645, ces deux derniers offices furent déclarés laïcs.

Il avoit été créé au mois d'Avril 1635 un office de conseiller honoraire, qui fut supprimé en 1678, & qui d'ailleurs avoit toûjours été uni à un des offices créés en 1634, & possédé par un seul & même titulaire, suivant un concordat fait dans la compagnie, revêtu de lettres patentes, depuis enregistrées au parlement.

Ainsi en 1635 il y avoit trente-quatre offices de conseillers au châtelet.

Les choses étoient encore au même état en 1674, lors de la création qui fut faite d'un nouveau châtelet, avec pareil nombre d'officiers qu'à l'ancien, si ce n'est que dans l'ancien châtelet il n'y avoit qu'un office de conseiller-clerc, au lieu que pour le nouveau il en fut créé deux, lesquels furent compris dans la suppression faite en 1684, dont on parlera dans un moment.

On créa aussi par le même édit de 1674 deux offices de conseillers garde-scel, un pour l'ancien châtelet, & l'autre pour le nouveau, avec les mêmes droits & prérogatives des autres conseillers ; ce qui faisoit en tout trente-cinq conseillers pour l'ancien châtelet, & autant pour le nouveau, y compris les deux conseillers garde-scel.

En 1684, lors de la suppression du nouveau châtelet, on supprima l'office de conseiller garde-scel de l'ancien châtelet, & on laissa subsister celui du nouveau châtelet, mais sous le titre de conseiller seulement, suivant l'édit de 1685 : enfin on supprima treize offices de conseillers du nouveau châtelet, au moyen de quoi le nombre fut fixé à cinquante-six, tel qu'il est aujourd'hui, dont onze sont d'ancienne création, & les quarante-cinq autres ont été créés en divers tems, soit en 1551, lors de l'établissement du présidial, ou depuis.

Ces cinquante-six conseillers sont divisés en quatre services ou quatre colonnes ; savoir le parc civil, le présidial, la chambre du conseil, & le criminel : ils passent successivement d'un service à l'autre, suivant l'ordre de ces quatre colonnes qui changent tous les mois.

Ces quatre colonnes se réunissent dans les occasions, soit pour affaires de la compagnie, réceptions d'officiers, ou autres matieres importantes ; & alors l'assemblée se tient en la chambre du conseil.

Les conseillers au châtelet assistent à certaines cérémonies, notamment aux publications de paix & aux services qui se font à S. Denis, où ils ont la droite sur les officiers de ville.

Ceux qui sont de la colonne du parc civil assistent avec le prevôt de Paris & le lieutenant civil à l'audience de la grand'chambre du parlement, à l'ouverture du rôle de Paris. (A)

CONSEILLER-CLERC ou CONSEILLER D'EGLISE, est un conseiller d'un siége royal dont l'office est affecté à un ecclésiastique. Tous les clercs ou ecclésiastiques qui sont conseillers, ne sont pas pour cela conseillers-clercs. Ceux qui sont pourvus d'offices de conseillers-lais, sont conseillers-lais, & il n'y a véritablement de conseillers-clercs que ceux qui sont pourvus d'un office affecté à un clerc.

Dans les tribunaux où il y a deux sortes d'offices de conseillers, les uns affectés à des laïcs, les autres à des clercs, les offices de chaque espece doivent être remplis par des personnes de la même qualité, c'est-à-dire que les offices de conseillers-lais doivent être remplis par des lais, & les offices de conseillers-clercs par des clercs, conformément à une déclaration faite pour le parlement le 23 Mars 1484.

L'objet que l'on a eu en créant ainsi deux sortes de conseillers-clercs & lais, a été sans doute que les deux ordres concourussent également à l'administration de la justice ; qu'il y eut des clercs pour soutenir les priviléges des ecclésiastiques, & des laïcs pour soûtenir les droits de l'état contre les entreprises des ecclésiastiques : c'est pourquoi les offices de conseillers-lais ne peuvent sans dispense être remplis par des clercs, de même que ceux de clercs ne peuvent aussi sans dispense être remplis par des laïcs.

L'établissement des conseillers-clercs est fort ancien : les premiers conseillers-clercs ont été les évêques & archevêques, qui en cette qualité avoient autrefois tous entrée au conseil du roi & au parlement, d'où ils ont encore conservé le titre de conseillers du Roi en ses conseils. Dans la suite il fut ordonné qu'il n'y auroit au conseil du Roi que ceux qui y seroient appellés : & Philippe VI. se faisant conscience d'empêcher que les prélats ne vaquassent à leurs spiritualités, ordonna qu'il n'y en auroit plus au parlement ; il n'y eut que l'évêque de Paris & l'abbé de S. Denis qui y conserverent leur entrée, comme étant plus à portée que les autres d'y venir sans manquer à leurs autres fonctions.

Les six pairs ecclésiastiques qui ont aussi conservé leur séance au parlement, sont aussi proprement des conseillers-clercs, puisque ces places ne peuvent être remplies que par des ecclésiastiques ; mais ils sont distingués par le titre de ducs & de comtes & pairs ecclésiastiques, & l'on n'a pas coutume de les désigner sous le titre de conseillers, quoiqu'ils en fassent réellement la fonction ; ce sont des conseillers-clercs nés en vertu de leur dignité de pair.

L'archevêque de Paris & l'abbé de Cluny sont encore des conseillers-clercs du parlement, mais ils sont distingués des autres par le titre de conseillers d'honneur nés.

Le châtelet de Paris est peut-être le premier tribunal où il y ait eu des places de conseillers affectées à des clercs sans autre dignité. En effet on a déjà remarqué, en parlant de ce tribunal, qu'en 1327 il y avoit huit clercs & huit lais ; mais soit que par ce terme de clercs on entendît alors seulement des gens lettrés, ou que ces offices de clercs ayent par succession de tems passé à des laïcs, il est certain qu'il ne subsiste aucun vestige de ces anciens offices de conseillers-clercs, & que l'on n'y en connoît point d'autre que les deux qui y furent créés, de même que dans tous les autres présidiaux, par édit du mois d'Août 1575.

Depuis que le parlement a été rendu sédentaire à Paris, il y a toûjours eu, outre ces prélats qui y avoient alors entrée, des places de conseillers affectées à des clercs. Le nombre en a varié selon les conjonctures ; il est présentement de douze à la grand-chambre, & de douze qui sont distribués aux enquêtes.

Il y en a aussi un certain nombre dans les autres parlemens.

Pour posséder un office de conseiller-clerc, il faut réguliérement être dans les ordres sacrés ; mais on accorde quelquefois à de simples clercs des dispenses pour posséder ces offices.

Les conseillers-clercs ne vont point à la tournelle ; ils n'instruisent point les procès criminels, & n'assistent point au jugement : cet usage est fort ancien ; car on voit au registre du parlement de l'an 1475 une protestation faite le 23 Août par les gens d'Eglise, sur ce qu'étant présens à la prononciation du jugement du connétable Saint-Pol qui fut fait à la bastille, quod non erant per modum consilii, auxilii, autoritatis, consensus seu appunctamenti.

Cependant au parlement de Grenoble il est d'usage que les conseillers-clercs instruisent les procès criminels, & assistent même au jugement comme juges, si la peine des accusés ne doit point être afflictive au corps.

Les conseillers-clercs des parlemens qui sont en même tems chanoines, sont dispensés de la résidence à leur canonicat, & ne laissent pas de gagner les gros fruits. Les jours de fêtes ils portent la robe rouge au choeur sous leur surplis.

A la grand'chambre du parlement où les conseillers-clercs siégent tous de suite, leur place est à la gauche des présidens : ils ne sont nommés qu'après les conseillers-laïcs ; ils opinent cependant les premiers avec les présidens. Dans les autres chambres & tribunaux, ils n'ont rang que du jour de leur réception.

Un conseiller-clerc qui se trouve le plus ancien des conseillers de sa compagnie, peut décaniser, c'est-à-dire jouir de tous les honneurs & priviléges de doyen, & présider à la compagnie en cas d'absence des présidens ou autres chefs. Voyez le tr. de M. Petitpied, du droit & des prérogatives des ecclésiastiques dans l'administration de la justice séculiere. (A)

CONSEILLERS COMMISSAIRES DEPUTES DES DIOCESES, voyez CHAMBRE SOUVERAINE DU CLERGE. (A)

CONSEILLERS COMMUNS ET PUBLICS ; ce sont les avocats consultans qui sont ainsi nommés dans une ordonnance de Charles V. de l'an 1356, qui défend aux juges royaux de les prendre pour leurs lieutenans, ne voulant pas qu'une même personne exerce deux offices. (A)

CONSEILLERS DE LA COMMUNE DE ROUEN ET DE FALAISE, sont les conseillers municipaux de ces deux villes : ils sont ainsi qualifiés dans des lettres du mois de Novembre 1204, rapportées dans le V. tome des ordonn. de la troisieme race, page 671. (A)

CONSEILLER AU CONSEIL ROYAL, est le titre que l'on donne à ceux qui ont entrée & séance au conseil royal des finances. Voyez ci-devant au mot CONSEIL DU ROI, l'article du Conseil des finances. (A)

CONSEILLERS DEPUTES DES MARCHANDS FORAINS DU POISSON DE MER EN LA VILLE DE PARIS : Charles V. leur adressa des lettres du 23 Avril 1364, concernant le salaire des vendeurs de marée ; il les autorise à augmenter ou diminuer ce salaire, après s'être informé de l'état des choses, & avoir pris l'avis des marchands ; & il ordonne au prevôt de Paris, conservateur, gardien & commissaire général de la marée, de faire observer ce qui auroit été reglé par eux. Il paroît que ces conseillers n'étoient que des députés des marchands de poisson, auxquels on donnoit la qualité de conseillers relativement à la commission dont ils étoient chargés. (A)

CONSEILLERS DE LA DOUANNE, sont les assesseurs des juges de la jurisdiction des traites foraines de Lyon, qu'on appelle communément en ce pays la jurisdiction de la douanne. Ils sont au nombre de six. Leur création est en titre de l'année 1692, de même que celle des autres officiers de ce siége qui étoient auparavant en commission. L'un de ces conseillers a le titre de garde des sceaux, parce qu'il a la fonction de sceller les expéditions de ce tribunal. Le lieutenant en la maîtrise des ports, ponts & passages de la même ville, est le dernier de ces six conseillers, & ce droit est attaché à son office de lieutenant en la maîtrise. Voyez DOUANNE & TRAITES. (A)

CONSEILLER D'EGLISE, est la même chose que conseiller-clerc, & on leur donne plus communément ce dernier nom. Voyez ci-devant CONSEILLER-CLERC. (A)

CONSEILLER A L'ELECTION, ou EN L'ELECTION est un des conseillers d'un siége d'élection, c'est-à-dire d'un de ces tribunaux qui connoissent en premiere instance des contestations au sujet des tailles. Voyez ELECTION & ELUS. (A)

CONSEILLERS D'EPEE, sont des officiers d'épée qui ont entrée, séance, & voix déliberative en qualité de conseillers dans quelque compagnie de justice.

On peut mettre dans cette classe les princes du sang & les ducs & pairs qui siégent au parlement l'épée au côté, les conseillers d'état d'épée qui sont du conseil du Roi, les chevaliers d'honneur qui sont établis dans certaines compagnies ; il y a aussi quelques officiers d'épée, tels que des gouverneurs de province qui sont conseillers-nés dans certaines cours souveraines. Enfin les baillifs & sénéchaux, les grands-maîtres des eaux & forêts, & autres qui siégent en épée à la tête de certains tribunaux, sont bien des juges d'épée, mais on ne les désigne pas ordinairement sous le titre de conseillers d'épée. Voyez ce qui est dit ci-devant des conseillers d'état d'épée à l'article du CONSEIL DU ROI. (A)

CONSEILLERS-FACTEURS DE LA VILLE DE VERDUN, étoient deux officiers municipaux que les bourgeois de cette ville voulans former une espece de république, choisirent en 1340, & auxquels ils attribuerent la même autorité que les consuls avoient chez les Romains. Voyez l'hist. de Verdun, p. 334. (A)

CONSEILLER GARDE-NOTE. V. NOTAIRE. (A)

CONSEILLER-GARDE-SCEL. V. NOTAIRE. (A)

CONSEILLERS DU ROYAUME (Grands), c'est le nom que l'on donnoit quelquefois aux conseillers du grand conseil ou conseil secret du Roi, comme on voit dans une ordonnance de Charles V. alors régent du royaume du mois de Mars 1356. (A)

CONSEILLER AU GRAND CONSEIL ; voyez ci-devant CONSEILLERS (Grands), & plus haut au mot CONSEIL, l'article du Grand Conseil, où il est parlé des conseillers de cette cour. (A)

CONSEILLER AU GRENIER A SEL, est un des conseillers d'un siége royal où sont portées en premiere instance les contestations qui s'élevent au sujet de l'imposition, vente & distribution du sel. Voy. GABELLES & GRENIER A SEL. (A)

CONSEILLERS D'HONNEUR, sont des personnes qui, sans être ni avoir été titulaires d'un office de conseiller, ont néanmoins entrée & voix déliberative dans une cour souveraine, avec le titre de conseiller d'honneur, & une séance distinguée au-dessus de tous les conseillers titulaires, à la différence des conseillers honoraires, qui sont des officiers vétérans & ne prennent dans la compagnie que leur rang ordinaire. Il y a encore d'autres conseillers honoraires ou ad honores différens des conseillers d'honneur. Voy. ci-après CONSEILLERS HONORAIRES.

Il y a des conseillers d'honneur-nés, c'est-à-dire qui le sont en vertu de quelqu'autre dignité à laquelle le titre & la fonction de conseiller d'honneur sont attachés ; d'autres qui le sont en vertu d'un brevet du prince qui leur confere cette qualité. Il y a des conseillers d'honneur dans la plûpart des cours souveraines : le parlement de Paris est la premiere où il y en ait eu & où ils sont encore en plus grand nombre.

L'origine des conseillers d'honneur au parlement vient de ce que cette cour ayant été tirée du conseil du Roi, il y eut pendant long-tems beaucoup de relation entre ces deux compagnies : les gens du parlement étoient souvent appellés au conseil du Roi, & réciproquement les gens du conseil venoient souvent au parlement. Ils n'étoient cependant pas membres du parlement, ce n'étoit qu'une séance d'honneur qui leur étoit accordée : mais il devoit toûjours y en avoir au-moins un ou deux, & tous y avoient entrée quand ils jugeoient à-propos d'y venir ; c'est ce que dénote le grand nombre de conseillers dénommés dans les anciens registres du parlement, qui sont qualifiés en même tems conseillers au conseil privé & conseillers en la cour.

Comme cette affluence de monde causoit de l'embarras & de la confusion, le parlement voulut, en 1551, exclure de ses assemblées tous les gens du conseil ; c'est pourquoi les conseillers d'état se pourvûrent devers Henri II, lequel, par des lettres du 26 Mars 1556, les confirma dans le droit dont ils avoient joüi jusqu'alors.

Le parlement ayant fait des remontrances sur ces lettres, elles furent presqu'aussi-tôt révoquées, le roi se contentant que ceux de son conseil auxquels il accorderoit des lettres fussent reçûs en la cour ; c'est ce qui a donné à ces places la forme qu'elles ont aujourd'hui.

Cet arrangement fut observé paisiblement tant que nos rois n'accorderent des lettres de conseiller d'honneur qu'à des personnes de leur conseil ou qui étoient revêtues d'emplois honorables ; mais comme la faveur & le crédit faisoient accorder trop facilement de ces lettres à toutes sortes de personnes, on fit difficulté au parlement de recevoir tous ceux qui se présentoient ; on exigea qu'ils fussent actuellement conseillers au conseil privé & de service au conseil, & l'on ne voulut les admettre que pendant le tems qu'ils seroient de quartier.

Il ne paroît pas que l'on eût encore fait difficulté sur le nombre de ces conseillers, ni que l'on demandât un réglement sur cette matiere.

Ce ne fut qu'au mois de Janvier 1627, lorsque M. de Bullion surintendant des finances fut reçu conseiller d'honneur, qu'il fut arrêté que la cour ne délibereroit plus sur de pareilles lettres qu'il n'eut été fait un réglement à ce sujet, attendu la conséquence de l'affaire.

Cet arrêté ne fut pourtant pas suivi ; & quoiqu'il n'eût pas été fait de réglement, on reçut dans le même tems plusieurs conseillers d'honneur, entr'autres le cardinal de Richelieu, le 27 Mars 1627.

En 1632, lorsqu'on enregistra des lettres semblables accordées à M. de la Ville-aux-clercs secrétaire d'état, il fut de nouveau arrêté qu'on ne recevroit plus aucun conseiller d'honneur, soit d'épée ou de robe longue, au-delà du nombre qu'il y en avoit alors ; ils étoient au moins dix ; on arrêta même qu'on n'en recevroit plus que de robe longue.

Mais cela ne fut encore point exécuté ; & l'on en reçut aussi-tôt de toute espece, & sans que le nombre en eût été fixé.

En 1651, lorsque l'on reçut MM. les maréchaux de Villeroi & d'Estampes, on arrêta encore qu'à l'avenir il ne seroit plus reçu aucun maréchal de France ni autre, qu'il n'eût été fait réglement sur le nombre des conseillers d'honneur.

Cependant au mois de Juillet suivant, M. Amelot de Chaillou conseiller d'état fut reçu conseiller d'honneur, mais avec arrêté que l'on n'en recevroit plus aucun que le nombre ne fût réduit à six.

On reçut encore, le 20 Février 1652, MM. d'Aligre & de Barillon, & même sans faire aucun arrêté pour l'avenir.

Mais le 17 Juin 1654, lorsqu'on reçut M. d'Estampes, qui étoit conseiller d'état, & M. de Mesgrigni président au parlement de Rouen, il fut ordonné que dorénavant il n'y auroit que six conseillers d'honneur d'épée & six de robe longue ; qu'on n'en recevroit plus aucun qu'ils ne fussent réduits à ce nombre ; qu'il faudroit avoir exercé pendant 25 ans quelque emploi distingué ; enfin qu'ils n'auroient séance en la cour que quatre de chaque ordre ensemble, c'est-à-dire quatre d'épée & autant de robe.

Il y en avoit pourtant alors quatorze, savoir MM. Molé de Champlatreux, de Bullion de Bonnelle, de Mesme d'Irval, d'Ormesson, d'Aligre, Barillon de Morangis, d'Estampes, de Mesgrigni, de Bellievre, MM. les maréchaux de Grammont, de Villeroi, d'Etrées & d'Estampes, & M. de la Ville-aux-clercs secrétaire d'état.

En 1657 on reçut encore MM. de Roquelaure, du Plessis-Praslin, & de la Meilleraye.

On tint néanmoins ensuite pendant quelque tems la main à la réduction déjà tant de fois proposée.

En effet, MM. de Seve & Boucherat qui avoient présenté leurs lettres dès 1659., ne furent reçus qu'en 1671 ; & l'on réitera l'arrêté précédemment fait, qu'il n'en seroit plus reçu aucun que le nombre ne fût réduit à six.

Ce dernier arrêté n'a pourtant pas été mieux exécuté que les précédens, puisque depuis ce tems il y en a toujours eu huit, neuf, dix, & quelquefois davantage : & au lieu que, suivant l'ancien usage, ces places étoient affectées principalement à des conseillers d'état ; qu'on n'en donnoit extraordinairement qu'à des cardinaux, des maréchaux de France, des amiraux, des secrétaires d'état, à des premiers présidens de cours souveraines ; elles sont présentement la plûpart remplies par des maîtres des requêtes, des présidens aux enquêtes, & même quelquefois par de simples conseillers.

Ces conseillers d'honneur ont entrée, séance & voix délibérative dans toutes les assemblées, mais ils ne rapportent point & n'ont aucune part aux épices & autres émolumens.

Il y a au parlement de Paris deux conseillers d'honneur-nés ; savoir l'archevêque de Paris, & l'abbé de Cluni. Les autres conseillers d'honneur qui acquierent cette qualité par lettres du Roi, sont tous de robe, tels que des conseillers d'état, des présidens, des maîtres des requêtes ; on a vu aussi quelques évêques conseillers d'honneur, notamment en 1720 M. Fontaine évêque de Nevers.

Il y a aussi des conseillers d'honneur dans les autres parlemens, & dans quelques-uns il y a de ces conseillers-nés, tels que l'Abbé de Cîteaux qui est conseiller d'honneur né au parlement de Dijon.

On ne voit point de conseillers d'honneur dans les chambres des comptes, mais il y en a au grand-conseil ; il y en a aussi dans les cours des aides & autres compagnies supérieures ; on a vû récemment dans la cour des aides de Paris M. de Lamoignon de Malesherbes, qui en est actuellement premier président, y remplir une place de conseiller d'honneur, tandis qu'il n'avoit encore que la survivance de celle de premier président, qui étoit alors remplie par M. de Lamoignon son pere, à present chancelier de France.

Ceux auxquels le Roi accorde des lettres de conseillers d'honneur dans ces cours, sont la plûpart d'anciens avocats & procureurs généraux de ces cours mêmes, ou d'anciens premiers présidens de quelques autres cours ; c'est pourquoi le nombre n'en est point fixe.

Au présidial de Nantes on appelle conseillers d'honneur, deux conseillers qui sont pourvûs d'offices de conseillers honoraires ou ad honores ; ce sont des offices qui peuvent être possédés par des non-gradués, ils peuvent siéger en robe ou en habit court avec l'épée au côté ; ils n'ont rang & séance qu'après les quatre plus anciens conseillers. Voyez ce qui est dit ci-après de ces conseillers honoraires. (A)

CONSEILLERS HONORAIRES, sont ceux qui ont obtenu des lettres d'honoraires au bout de 20 ans de service : on leur en accorde quelquefois plutôt. Ils ont entrée, séance & voix délibérative aux audiences & conseils, tant civils que criminels ; mais ils ne peuvent instruire ni rapporter aucune affaire, & ne prennent aucune part aux épices ni autres droits.

Suivant l'usage du châtelet, les conseillers honoraires marchent suivant l'ordre de leur réception dans les rencontres particulieres de processions, offrandes & enterremens où les conseillers au châtelet ne se trouvent point en corps. Lorsque la compagnie des conseillers se trouve en corps, le doyen des conseillers honoraires doit ceder le pas au plus ancien des conseillers titulaires qui sont présens, quoique le doyen des honoraires fût plus ancien en réception que le plus ancien des conseillers titulaires présens : il en est de même pour la séance aux audiences & conseils. Il faut même observer qu'aux audiences, les honoraires ne peuvent se trouver qu'au nombre de deux, au lieu qu'ils peuvent tous assister à la chambre du conseil & aux assemblées de la compagnie, & y prendre séance suivant l'ordre de leur réception, sous la condition toutefois ci-dessus exprimée, que le doyen des honoraires ne pourra avoir en aucun cas la préséance sur le plus ancien des conseillers présens, Voyez HONORAIRES & LETTRES D'HONORAIRES. (A)

Conseillers honoraires, sont aussi des offices particuliers quasi ad honores, & néanmoins différens de ceux des conseillers d'honneur.

Au mois d'Avril 1635, Louis XIII. créa en chaque bailliage & siége présidial un office de conseiller honoraire. Cet édit porte que ces offices pourront être possédés par toutes sortes de personnes ecclésiastiques ou séculieres, nobles ou autres, gradués ou non gradués ; que les pourvûs de ces offices auront rang & séance immédiatement après les quatre anciens du siége, en habit long ou court, avec l'épée au côté ou sans épée, selon leur profession & qualité ; qu'ils seront exempts de toutes tailles, taillon, crûes & autres levées de deniers, & qu'il sera procédé à leur réception & installation par les juges présidiaux de chaque ressort, & à leur refus par le premier des maîtres des requêtes ou autres juges royaux trouvés sur les lieux, après une information de vie & moeurs, & sans aucun autre examen.

Leurs droits, de même que celui des autres conseillers honoraires ou vétérans, se bornent à avoir entrée, séance, & voix déliberative aux audiences & conseils, tant civils que criminels ; ils ne peuvent pas non plus instruire ni rapporter, & n'ont point de part aux épices & émolumens des procès.

Il subsiste encore de ces offices dans plusieurs bailliages & siéges présidiaux ; dans d'autres ils ont été réunis aux autres offices de conseillers.

Au châtelet, l'office de conseiller honoraire fut uni en 1638 à un autre office de conseiller créé en 1634, sans aucune réserve de préséance que celle d'ancienneté en l'ordre de réception ; & par une déclaration du 28 Octobre 1679 cet office fut totalement supprimé. Au mois de Février 1674, le roi en créant le nouveau châtelet, y avoit aussi créé un office de conseiller honoraire comme dans l'ancien châtelet ; mais ce nouvel office n'ayant pas été levé, le roi le supprima & en créa un pour les deux châtelets, avec pouvoir, au cas qu'il fût gradué, d'instruire & rapporter toutes sortes de procès, sans néanmoins participer aux épices & émolumens, ni en percevoir à son profit pour les procès jugés à son rapport. Les deux châtelets ayant été réunis en un en 1684, & le nombre des conseillers réduit à 56, sans parler de l'office de conseiller honoraire, cet office qui n'avoit pas été levé depuis 1683, est demeuré tacitement éteint.

Au présidial de Nantes il y a deux de ces offices de conseillers honoraires ; on les appelle dans le pays conseillers d'honneur, quoique leur vrai titre suivant les édits de création soit conseiller honoraire : ils n'ont rang & séance qu'après les quatre plus anciens conseillers. Voyez ci-devant CONSEILLER D'HONNEUR. (A)

CONSEILLERS JUGEURS : on appelloit ainsi anciennement les assesseurs d'un juge, dont la fonction étoit spécialement de juger avec lui les procès, à la différence de ceux qu'on appelloit rapporteurs, qui faisoient simplement l'exposition des enquêtes, c'est-à-dire non-seulement des enquêtes proprement dites, mais aussi des informations, des titres, & en général de toutes les preuves de fait : on les appelloit aussi quelquefois jugeurs simplement.

L'ordonnance du mois de Juillet 1316, contenant le rôle de ceux qui devoient composer le parlement, met après la grand'chambre les jugeurs des enquêtes, qui étoient au nombre de 14, les quatre premiers clercs, savoir deux évêques & deux abbés, & les autres lais ; ensuite sont nommés les huit rapporteurs d'enquêtes.

Dans l'ordonnance du mois de Décembre suivant, les jugeurs clercs, qui sont au nombre de six, sont nommés séparément, & ensuite les jugeurs lais au nombre de sept.

Il y avoit alors, comme on voit, au parlement, deux sortes de conseillers, les jugeurs & les rapporteurs, dont les uns étoient tirés de la noblesse, les autres choisis parmi les citoyens ; ce qui demeura dans cet état jusqu'à l'ordonnance du 11 Mars 1344 (que M. le président Henault date du 10 Avril), par laquelle les conseillers jugeurs & les rapporteurs furent unis en un même corps, le roi ayant ordonné que tous les conseillers des enquêtes rapporteroient, s'ils n'étoient excusés par leurs présidens ; car tous, dit cette ordonnance, doivent être rapporteurs & jugeurs. Voyez Dutillet, rec. des rangs, &c.

Il y avoit aussi dès-lors en la chambre des comptes deux sortes de conseillers comme au parlement ; les jugeurs, qui sont les maîtres des comptes, & les rapporteurs ou petits clercs des comptes, appellés présentement auditeurs. Voyez au mot COMPTES l'article de la Chambre des Comptes, & Pasquier, rech. liv. II. ch. v.

Il en étoit à-peu-près de même dans la plûpart des siéges royaux où il y avoit des conseillers, comme au châtelet ; les uns étoient occupés au siége pour juger avec le prevôt de Paris, les autres faisoient simplement la fonction d'auditeurs & examinateurs de témoins, & ne jugeoient point. Voyez l'article du CHASTELET. Voyez aussi au mot JUGEURS. (A)

CONSEILLERS JURES DE LA VILLE DE POITIERS, sont les conseillers du corps de cette ville, qui ont séance après les échevins. Voyez les lettres de Charles V. du mois de Décembre 1372, qui leur accordent la noblesse. (A)

CONSEILLERS MAGISTRATS, est le titre que le roi donna en 1551 aux conseillers des présidiaux, ils le portent encore présentement. Voyez ce qui en est dit ci-après à l'article CONSEILLER DU ROI. (A)

CONSEILLER AU PARLEMENT. Voyez PARLEMENT. (A)

CONSEILLERS DE POLICE, furent créés par édit de Novembre 1706, au nombre de deux dans chacun des bailliages, sénéchaussées, & autres siéges où il y a des lieutenans de police ; mais par une déclaration du 18 Octobre 1707, ils furent réunis aux corps & communautés d'officiers, tant à bourse commune que d'arts & métiers. (A)

CONSEILLER AU PRESIDIAL. Voyez PRESIDIAL. (A)

CONSEILLERS-PRESIDIAUX, sont les mêmes que les conseillers au présidial. Voyez ci-après l'article CONSEILLERS DU ROI & PRESIDIAL. (A)

CONSEILLER A LA PREVOTE. V. PREVOTE. (A)

CONSEILLER-RAPPORTEUR, anciennement étoit un de ceux qui étoient employés uniquement à faire le rapport des enquêtes, c'est-à-dire des titres & preuves. Ces conseillers ne jugeoient point ; cela étoit réservé à ceux que l'on appelloit jugeurs. Voyez ci-devant au mot CONSEILLERS-JUGEURS.

Présentement on appelle conseiller-rapporteur ou rapporteur simplement, celui des conseillers qui est chargé de faire le rapport d'une affaire appointée. Voyez RAPPORT & RAPPORTEUR. (A)

CONSEILLERS RAPPORTEURS DES CRIEES, étoient des officiers créés par Henri IV. dans chaque jurisdiction royale de Normandie, auxquels il avoit attribué le droit de faire seuls les rapports des criées, & de rapporter les affaires d'une autre nature concurremment avec les officiers du siége. Ces offices furent supprimés, de même que toutes les anciennes charges de rapporteurs & de vérificateurs des saisies & criées, par l'édit du mois d'Octobre 1694, par lequel le roi créa en même tems de nouvelles charges de certificateurs des criées. Voyez le traité de la vente des immeubles par decret de M. d'Héricourt, ch. viij. & ci-devant CERTIFICATEURS, & ci-après CRIEES. (A)

CONSEILLER DU ROI, est un titre commun à plusieurs sortes d'officiers de justice ; on l'a aussi communiqué à plusieurs sortes d'officiers militaires & de finances, & même à des gens de lettres.

Ce titre pris dans sa véritable signification ne convient naturellement qu'à ceux dont le Roi prend conseil pour ses affaires. Et en effet ceux qui sont des conseils d'état & privé du Roi, sont les premiers qui ayent porté ce titre de conseiller du Roi, qui est juste à leur égard, puisque le Roi les assemble pour donner leur avis en sa présence sur les affaires qu'il fait mettre en délibération dans son conseil. Les ecclésiastiques, les gens d'épée & ceux de robe, dont ce conseil est composé, prennent tous également le titre de conseiller du Roi en ses conseils ; les évêques prennent encore tous cette qualité, parce qu'autrefois ils avoient tous entrée au conseil du Roi.

Loyseau, en son traité des offices, liv. I. chap. vij. n. 57. dit que le titre de conseiller du Roi étoit autrefois si honorable, que les moindres officiers qui le portoient étoient les baillifs & sénéchaux ; que ce titre valoit autant qu'à présent celui de conseiller d'état, parce qu'au commencement ceux qui portoient ce titre, étoient des gens du conseil du Roi, qui étoient envoyés pour gouverner les provinces & rendre la justice ; que depuis il fut communiqué aux lieutenans généraux des baillifs, lorsqu'ils furent érigés en titre d'office, & qu'ils succéderent au fait de la justice en la fonction entiere des baillifs & sénéchaux ; qu'encore en 1551, lors de l'érection des conseillers-présidiaux, on ne voulut pas leur communiquer ce titre ; qu'on aima mieux en forger exprès un autre, & emprunter pour eux des Romains la qualité de magistrat, quoiqu'en effet ils ne soient pas vrais magistrats ; que cela fut fait ainsi, ou afin qu'il y eût une distinction d'honneur entre eux & leurs chefs, qui sont les lieutenans du siége, ou plutôt afin de les distinguer d'avec les anciens avocats, qui auparavant servoient d'assesseurs & conseillers aux magistrats, & que par cette raison on appelloit anciennement en France conseillers. De sorte, dit-il, que les conseillers-présidiaux furent appellés conseillers-magistrats, c'est-à-dire, conseillers en titre d'office.

Mais Loyseau ajoute que depuis, ce titre a été communiqué pour de l'argent (& pour ainsi dire par impôt) aux élus, & à d'autres petits financiers dont on a voulu parer les offices de ce titre afin de les mieux vendre ; qu'il en est arrivé comme des anneaux d'or qui étoient jadis l'enseigne de la noblesse Romaine, laquelle les jetta & quitta par dépit d'un commun consentement, lorsque Flavius affranchi d'Appius Clodius fut fait édile-currule, & par ce moyen acquit le droit de porter l'anneau d'or ; de même que les honnêtes femmes de France quitterent la ceinture d'or qui étoit autrefois leur marque & ornement, lorsqu'elles virent que les femmes publiques affectoient d'en porter contre la prohibition du roi S. Louis, dont est venu le proverbe, Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée, que de même le titre de conseiller du roi fut tellement, méprisé, que les conseillers-présidiaux le refuserent, lorsqu'on voulut le leur attribuer pour de l'argent.

Loyseau ne parle pas des conseillers au châtelet de Paris ; ce sont néanmoins les premiers après les gens du conseil qui ont porté le titre de conseiller du roi. Ce tribunal est le premier où il y ait eu des conseillers ; & le titre de conseiller du roi leur convenoit d'autant mieux, que nos rois, entr'autres S. Louis, alloient souvent en personne rendre la justice au châtelet ; & c'est sans doute par cette raison que le prevôt de Paris avec les conseillers de son siége, s'appelloient le conseil du roi au châtelet.

Depuis que le roi eut fixé à Paris une portion de son conseil d'état sous le titre de parlement, ceux qui ont été établis pour former cette compagnie, ont aussi pris le titre de conseiller du roi, pour lequel ils sont fondés en double titre : l'un, en ce qu'ils ont été tirés du conseil du roi, & qu'ils en ont encore fait long-tems les fonctions, lorsque le roi assembloit son conseil étroit & privé avec le parlement pour tenir son conseil commun ; l'autre titre est que, depuis l'institution du parlement, nos rois ont coutume de venir quand ils jugent à propos tenir leur lit de justice au parlement, & d'y délibérer de leurs affaires avec ceux qui composent le parlement, lequel par cette raison est nommé dans les anciens titres & auteurs, la cour du roi. Dans des lettres du roi Jean du 16 Novembre 1353, les conseillers du roi au parlement sont dits tenants le parlement.

Nos rois ayant par succession de tems établi des conseillers dans les bailliages & sénéchaussées, & dans la plûpart des autres siéges royaux, on donna aussi aux conseillers de ces différens siéges le titre de conseillers du roi, à l'instar de ceux du châtelet. Ceux qui l'avoient d'abord négligé, l'ont dans la suite reçu, & présentement ce titre est commun à tous les conseillers des siéges royaux.

Il a été attribué non-seulement à tous les conseillers proprement dits établis dans les siéges royaux, mais encore à beaucoup d'autres officiers de justice, dont le titre propre & principal n'est cependant pas celui de conseiller, tels que les présidens des cours souveraines, des conseils souverains & provinciaux, & des présidiaux, les maîtres des requêtes & maîtres des comptes, les correcteurs-auditeurs, les lieutenans généraux, civils, particuliers, criminels & de police, les assesseurs, les greffiers en chef des cours, & autres siéges royaux ; les trésoriers de France, les secrétaires du Roi, les notaires, les commissaires au châtelet de Paris, & beaucoup d'autres officiers des justices royales.

Le connétable prenoit aussi le titre de conseiller du roi ; & on trouve des exemples qu'on l'a donné anciennement à quelques maréchaux de France.

La plûpart des trésoriers, receveurs & payeurs des deniers royaux, & leurs contrôleurs, ont aussi le titre de conseillers du roi.

Enfin il y a encore quelques officiers du Roi qui ne sont ni de justice, ni militaires, ni de finances, mais que l'on peut plutôt placer dans la classe des gens de lettres, qui ont aussi le titre de conseiller du roi, comme le premier medecin, & ceux qui ont un brevet d'historiographe de France.

Il n'est pas vrai, comme quelques-uns se l'imaginent, que ce titre ait été communiqué jusqu'aux langayeurs de porcs. C'est une plaisanterie par laquelle on a voulu faire entendre que ce titre fort honorable en lui-même a été prodigué à beaucoup de petits officiers, & que chacun a eu l'ambition d'en être décoré. (A)

CONSEILLERS DU ROI REFORMATEURS GENERAUX.

On donnoit ce titre à ceux que le roi envoyoit avec une commission dans quelque province pour y réformer l'administration de la justice. Cette qualité est donnée à Bertrand prieur de S. Martin des Champs, dans des lettres du mois de Décembre 1351. (A)

CONSEILLERS A LA TABLE DE MARBRE, Voyez TABLE DE MARBRE. (A)

CONSEILLERS DU ROI GENERAUX TRESORIERS SUR LE FAIT DE L'AIDE POUR LA RANÇON DU ROI. Dans des lettres de Charles V. du 28 Juin 1364, cette qualité est donnée à ceux qui avoient été ordonnés sur le fait de l'aide pour la rançon du roi Jean. (A)

CONSEILLERS VERIFICATEURS & RAPPORTEURS DES DEFAUTS FAUTE DE COMPAROIR ET DE DEFENDRE. Par édit du mois de Mars 1691, Louis XIV. créa deux de ces offices de conseillers en chaque présidial, bailliage & sénéchaussée du royaume, avec attribution de trente sols en toutes affaires excédentes 20 liv. & exemption de la taille, & autres impositions généralement quelconques ; logement de gens de guerre, guet & garde, tutele & curatelle, & autres charges publiques. Le motif exprimé dans cet édit, étoit d'éviter les surprises fréquentes qui proviennent de ce que la plûpart des juges n'examinent que légérement les piéces justificatives des demandes en profit de défaut. Peu de tems après, le roi par une déclaration du 7 Août 1691, réunit ces conseillers au corps des officiers de chaque siége. Ces offices ont depuis été totalement supprimés par édit du mois d'Août 1716. Au châtelet de Paris chaque conseiller rapporte à son tour pendant une semaine les défauts faute de comparoir. (A)

CONSEILLERS DE VILLE, sont ceux qui sont du conseil d'une ville : ils sont aussi appellés prudhommes & élus ; & en quelques autres endroits, consuls-bailes. Il y en avoit quarante à Aurillac, comme il paroît par une ordonnance de Charles V. de 1359. A Villefranche en Perigord, on les appelloit jurés. (A)


CONSENSS. m. (Jurisprud.) terme usité en matiere bénéficiale, qui vient du Latin consensus, dont il paroît être une abréviation.

Le consens est une petite note sommaire, portant qu'un tel procureur constitué par la procuration pour résigner, a l'expédition de la présente signature, & que l'original de la procuration est demeuré à la chancellerie ou à la chambre apostolique. Ce consens est daté du jour même de la provision.

Les vingt jours pendant lesquels le résignant doit survivre pour faire valoir la résignation, ne se comptent que du jour de la prestation du consens par le résignant à l'expédition de la provision : mais comme on donne date aux François du jour de l'arrivée du courier, les ordinaires de France ne tirent aucun avantage de la clause qui veut que les vingt jours ne soient comptés que depuis la prestation du consens.

Le consens est étendu au dos de la signature par le notaire de la chancellerie, ou par un des notaires de la chambre, & contient l'année, le jour du mois, le nom du résignant, le nom & surnom du fondé de procuration pour résigner, que l'on remplit dans le blanc de la résignation, & la souscription du notaire en la forme suivante :

Die quinta Julii 1753,

retroscriptus Joannes per D.

Petrum Garnier, in Romanâ

curiâ sollicitatorem procuratorem

suum, resignationi & litterarum

expeditioni consensit & juravit, &c.

Est in camer. apostolicâ

Lucius Antamorus.

C'est ainsi que les notaires de la chambre étendent le consens : mais lorsque l'extension en est faite par le notaire de la chancellerie, la forme en est différente ; au commencement le notaire met :

Anno Incarnationis Dominicae 1753 :

die quintâ Julii, &c.

& au bas est in cancellariâ.

Il est au choix du banquier, qui est ordinairement porteur de la procuration pour résigner, de faire mettre le consens par le notaire de la chancellerie, ou par un des notaires de la chambre apostolique.

Quoique la procuration ne soit remise entre les mains du notaire de la chancellerie ou d'un des notaires de la chambre, qu'après la date de la résignation admise, & même souvent qu'elle ne soit remise que long-tems après la date retenue, cependant l'extension du consens ne se fait pas seulement du jour que la procuration a été admise au Notaire, mais du jour que la résignation a été admise ; ensorte que la date de la résignation & celle du consens qui est au dos de la signature, sont toûjours du même jour.

Si le résignant se réserve une pension, & que le résignataire ait été présent à la procuration, & ait consenti à la pension, la procuration ad resignandum doit faire mention de la présence & du consentement du résignataire, & qu'il a accepté la résignation aux conditions y portées : mais si le résignataire n'a point été présent, & conséquemment qu'il n'ait pas consenti à la pension, on met en ce cas la clause suivante.

Et cum derogatione regulae

de praestando consensu, attento quod

resignatarius absens & orator qui pacificè

possidet, aliter resignare non intendit.

Lorsque le résignataire a consenti à la pension, on ne met point cette clause ; mais en même tems que l'on fait étendre le consens sur la résignation, le notaire étend le consens au dos de la signature de pension en cette maniere.

Die, &c. (si c'est à la chambre) & si c'est à la chancellerie, anno Incarnationis Dominicae, retroscriptus D. Joannes per illustrem virum D. procuratorem suum reservationi retroscriptae & litterarum expeditioni consensit, &c. juravit, &c.

Le consens ne se met qu'aux résignations & aux signatures de pension. Voyez le recueil des décisions sur les matieres bénéficiales de Drapier, tome I. pp. 168. 492. & 493. (A)


CONSENTEMENTAGRÉMENT, PERMISSION, (gramm.) termes rélatifs à la conduite que nous avons à tenir dans la plûpart des actions de la vie, où nous ne sommes pas entierement libres, & où l'évenement dépend en partie de nous, en partie de la volonté des autres. Le consentement se demande aux personnes intéressées ; la permission se donne par les supérieurs qui ont le droit de veiller sur nous, & de disposer de nos occupations ; l'agrément s'obtient de ceux qui ont quelqu'autorité ou inspection sur la chose dont il s'agit. Nul contrat sans le consentement des parties : les moines ne sortent point de leurs maisons sans une permission : on n'acquiert point de charge à la cour sans l'agrément du Roi. On se fait quelquefois prier pour consentir à ce qu'on souhaite ; tel supérieur refuse des permissions, qui s'accorde des licences ; un concurrent protégé rend quelquefois l'agrément impossible.

* CONSENTEMENT, sub. m. (Logiq. & Morale) c'est un acte de l'entendement, par lequel tous les termes d'une proposition étant bien conçus, un homme apperçoit intérieurement, & quelquefois désigne au-dehors, qu'il y a identité absolue entre la pensée & la volonté de l'auteur de la proposition, & sa propre pensée & sa propre volonté. La négation & l'affirmation sont, selon les occasions, des signes de consentement. L'esprit ne donne qu'un seul consentement à une proposition, si composée qu'elle puisse être ; il faut donc bien distinguer le consentement du signe du consentement : le signe du consentement peut être forcé ; il n'en est pas de même du consentement. On a beau m'arracher de la bouche que mon sentiment est le même que celui de tel ou de tel, cela ne change point l'état de mon ame. Le consentement est ou exprès, ou tacite, ou présumé, ou supposé : il s'exprime par les paroles ; on l'apperçoit, quoique tacite, dans les actions ; on le présume par l'intérêt & la justice ; on le suppose par la liaison des membres avec le chef. Les misantropes rejetteront sans doute le consentement présumé ; mais c'est une injure gratuite qu'ils feront à la nature humaine ; il est fondé sur les principes moraux les plus généraux & les plus forts : les difficultés qu'on pourroit faire sur le consentement supposé, ne sont pas plus solides que celles qu'on feroit sur le présumé. Le pacte exprès naît du consentement exprès ; le tacite, du tacite ; le présumé, du présumé, & le supposé du supposé. Le consentement de l'enfance, de la folie, de la fureur, de l'ivresse, de l'ignorance invincible, est réputé nul : il en est de même de celui qui est arraché par la crainte, ou surpris par adresse ; en toute autre circonstance, le consentement fonde l'apparence de la faute, & le droit de châtiment & de représaille. Voyez PACTE.

CONSENTEMENT des parties, (Oeconom. anim.) s'entend d'une certaine relation ou sympathie, par le moyen de laquelle, lorsqu'une partie est immédiatement affectée, une autre à une distance se trouve affectée de la même façon.

Ce rapport mutuel ou ce consentement des parties, est sans doute produit par la communication des nerfs, & par leur distribution & leurs ramifications admirables par tout le corps. Voyez NERF.

Cet effet est si sensible, qu'il se manifeste aux yeux des medecins : ainsi une pierre dans la vessie, en tiraillant ses fibres, les affectera & les mettra dans de telles convulsions, que les tuniques des intestins seront affectées de la même maniere par le moyen des fibres nerveuses ; ce qui produira une colique. Ces tiraillemens s'étendent même quelquefois jusqu'à l'estomac, où ils occasionnent des vomissemens violens : c'est pourquoi le remede en pareil cas doit regarder la partie originairement attaquée.

Les Naturalistes supposent que la ramification de la cinquieme paire des nerfs aux parties de l'oeil, de l'oreille, à celles de la bouche, des joues, du diaphragme, & des parties environnantes, &c. est la cause du consentement extraordinaire de ses parties : c'est de-là qu'une chose savoureuse vûe ou sentie, excite l'appétit, & affecte les glandes & les parties de la bouche ; qu'une chose deshonnête vûe ou entendue, fait monter le rouge au visage ; que si elle plaît, elle affecte le diaphragme, & excite au rire les muscles de la bouche & du visage ; & qu'au contraire si elle afflige, elle affecte les glandes des yeux & les muscles du visage, tellement qu'elle occasionne des larmes.

Le docteur Willis, cité par M. Derham, attribue le plaisir du baiser, l'amour, & même la luxure que ce plaisir excite, à cette paire de nerfs qui, se ramifiant & aux levres & aux parties génitales, occasionne une irritation dans celles-ci par l'irritation des premieres.

Le docteur Sach pense que c'est du consentement des levres de l'utérus à celles de la bouche, qu'une femme grosse étant effrayée de voir des levres galeuses, il lui survint des pustules toutes semblables aux levres de l'utérus. Chambers.

Il ne faut au reste regarder toutes ces explications que comme de pures conjectures. La maniere dont nos sensations sont produites, est une matiere qui restera toûjours remplie d'obscurité pour les Physiciens. Voyez SYMPATHIE.


CONSENTESadj. (Mythol.) Les Romains appelloient ainsi leurs douze grands dieux, de l'ancien verbe Latin conso, conseiller, parce qu'on les supposoit admis au conseil de Jupiter. Ces dieux consentes étoient ceux du premier ordre, & l'on en comptoit six mâles ; savoir Jupiter, Neptune, Mars, Apollon, Mercure, & Vulcain, & six déesses, Junon, Vesta, Minerve, Diane, Cerès, & Venus. Varron semble reconnoître deux sortes de dieux consentes. J'invoquerai, dit-il, livre I. de re rusticâ, les douze dieux consentes, non pas ces dieux dont les statues dorées sont au grand marché de la ville, ces dieux dont six sont mâles & six femelles, mais les douze dieux qui aident ceux qui s'adonnent à l'agriculture. On pense que les Grecs ont aussi connu ces dieux sous le même nom, & qu'ils y ajoûterent Alexandre le grand comme dieu des conquêtes ; mais les Romains ne lui firent pas le même honneur. Ces douze dieux avoient en commun un temple à Pise en Italie ; & les fêtes qu'on célébroit en leur honneur portoient le nom de Consentia. Chambers. (G)


CONSENTIEou CONSENTIENNES, adject. pris subst. (Mythol.) fêtes instituées à l'honneur des dieux consentes, par plusieurs familles ou compagnies qui, concourant à la solemnité de ces fêtes à frais communs, marquoient la vénération particuliere qu'elles portoient à ces divinités. Il paroît qu'on ne s'est pas contenté de trouver un seul fondement au nom de ces fêtes, & qu'on a voulu qu'elles s'appellassent consenties, parce qu'il y avoit société de dieux & société d'adorateurs.


CONSEQUENCECONCLUSION, (Gramm. synon.) termes qui désignent en général une dépendance d'idées, dont l'une est la suite de l'autre.

On dit la conclusion d'un syllogisme, la conséquence d'une proposition, la conclusion d'un ouvrage, la conséquence qu'on doit tirer d'une lecture. Voyez SYLLOGISME ; voyez aussi CONSEQUENT. (O)

* CONSEQUENCE, s. f. (Logiq.) c'est dans un raisonnement la liaison d'une proposition avec les prémisses dont on l'a déduite : ainsi il est indifférent que les prémisses soient vraies ou fausses pour que la liaison soit bonne, & pour que la conséquence soit accordée ou niée. Exemple. Si les bons étoient suffisamment récompensés dans ce monde par les plaisirs de la vertu, & les méchans suffisamment punis par les suites fâcheuses du vice, il n'y auroit aucune récompense ni aucune peine à venir, sans qu'on pût accuser Dieu d'injustice : or les bons sont suffisamment récompensés dans ce monde par les plaisirs de la vertu, & les méchans suffisamment punis par les suites du vice ; donc il n'y auroit aucune récompense ni aucune peine à venir, sans qu'on pût accuser Dieu d'injustice. On peut avoüer ce donc, sans convenir des prémisses auxquelles il a rapport. La conséquence est bien tirée, mais il est de foi que la mineure est fausse. Il est évident que le conséquent peut être distingué, mais non la conséquence : on nie ou l'on accorde qu'il y a liaison. Voyez CONSEQUENT.


CONSEQUENTadj. (Arith.) c'est ainsi que l'on appelle en Arithmétique le dernier des deux termes d'un rapport, ou celui auquel l'antécédent est comparé. V. ANTECEDENT, RAPPORT & PROPORTION.

Ainsi dans le rapport de b à c, la grandeur c est le conséquent, & la grandeur b l'antécédent. (O)

* CONSEQUENT, (le) adj. pris sub. (Logiq.) c'est la proposition qu'on infere des prémisses d'un raisonnement. Exemp. Il semble que si les hommes étoient naturellement méchans, c'est de la vertu & non du vice qu'ils devroient avoir des remords : or c'est du vice seulement qu'ils ont des remords ; donc ils ne sont pas naturellement méchans. Ils ne sont pas naturellement méchans ; voilà le conséquent : donc est le signe de la conséquence ou de la liaison qu'on suppose entre le conséquent & les prémisses. Si le conséquent est équivoque, c'est-à-dire s'il y a un sens dans lequel il soit bien déduit des prémisses, & un sens dans lequel il soit mal déduit des prémisses, on dit en répondant au raisonnement, je distingue le conséquent ; en ce sens j'avoue la conséquence ; en cet autre sens je nie la conséquence, ou j'avoue la liaison de la proposition avec les prémisses, ou je nie la liaison de la proposition avec les prémisses. Voyez CONSEQUENCE, PREMISSES, SYLLOGISME, RAISONNEMENT.


CONSEQUENTIAterme Latin en usage dans l'Astronomie. On dit qu'une étoile, une planete, ou une comete, ou tout autre point du ciel se meut ou paroît se mouvoir in consequentia, lorsqu'elle se meut ou paroît se mouvoir d'occident en orient, suivant l'ordre des signes du Zodiaque. Ce mot est opposé à antecedentia. Voyez ANTECEDENTIA. (O)


CONSERANou COUSERANS, (le) Géog. petit pays de France en Gascogne, borné par le comté de Foix, le Comminges, & la Catalogne.


CONSERVATEURS. m. (Jurispr.) est un officier public établi pour la conservation de certains droits ou priviléges. Il y en a de plusieurs sortes : les uns qu'on appelle greffiers-conservateurs, dont la fonction est de tenir registre de certains actes pour la conservation des droits de ceux que ces actes intéressent, tels que les conservateurs des hypotheques, les conservateurs des rentes, les conservateurs du domaine, les conservateurs des priviléges des bourgeois de Paris ; d'autres qu'on appelle juges-conservateurs, qui ont jurisdiction pour conserver certains droits & priviléges, tels que les conservateurs des priviléges royaux & apostoliques des universités, les conservateurs des foires, &c. Voyez ci-après les subdivisions de cet article. (A)

CONSERVATEUR APOSTOLIQUE, ou DES PRIVILEGES APOSTOLIQUES DES UNIVERSITES. Les universités ont deux sortes de priviléges savoir apostoliques & royaux, & elles ont aussi des conservateurs différens pour chaque sorte de priviléges. On entend par priviléges apostoliques, ceux qui ont été concédés par les papes. L'université de Paris a pour conservateur de ses priviléges royaux le prevôt de Paris, & pour conservateurs de ses priviléges apostoliques, les évêques de Beauvais, Senlis, & Meaux, quand elle fait choix de l'un d'eux, & qu'il veut bien accepter la commission au nom du pape. Charles V. dans des lettres du 18 Mars 1366, portant confirmation des priviléges de l'université de Paris, fait mention en plusieurs endroits du conservateur de ces priviléges ; ce qui ne peut s'entendre du prevôt de Paris, comme la suite le fait connoître. Il est parlé d'abord en général des priviléges accordés à l'université, tant par le saint siége que par les prédécesseurs de Charles V. & il est dit que le conservateur des priviléges, le garde du scel de cette cour, sont exemts de tout péage & exaction ; qu'en vertu des priviléges qui leur ont été accordés par le saint siége, il doit connoître du refus fait aux écoliers étudians dans l'université, de leur donner les fruits de leurs bénéfices, & des contestations qu'auront les écoliers & principaux officiers de l'université au sujet des péages dont ils sont exemts, même quand les parties adverses de ces écoliers & officiers résideroient hors du royaume ; qu'il peut employer les censures ecclésiastiques contre les parties adverses de ces écoliers & officiers ; que néanmoins le parlement, le prevôt de Paris, & autres juges, troubloient journellement le conservateur dans la connoissance de ces matieres, disant qu'elles étoient réelles. Sur quoi Charles V. déclare que quoique la connoissance de ces matieres appartienne à lui & à sa jurisdiction, cependant, par grace pour l'université, il permet au conservateur d'en connoître, pourvû que la conclusion du libelle soit personnelle ; & en conséquence il ordonne à tous ses juges, & nommément au prevôt de Paris, de faire joüir le conservateur de cette concession. Le prevôt de Paris étant alors conservateur des priviléges royaux de l'université, on ne peut entendre ce qui est dit dans ces lettres, que du conservateur des priviléges apostoliques. Urbain VI. à la priere de Charles V. ordonna par une bulle du 14 Mars 1367, que quand le pape seroit en Italie, nul ecclésiastique ne pourroit faire assigner aucun habitant de France hors du royaume, devant les conservateurs à lui accordés par les papes dans la forme prescrite par le concile de Vienne ; & que nul ecclésiastique, en vertu d'une cession de droits, ne pourroit faire assigner, même en France, devant ces conservateurs aucun habitant du royaume. L'exécution de cette bulle fut ordonnée dans le même tems par Charles V. (A)

CONSERVATEUR DES CASTILLANS TRAFIQUANS DANS LE ROYAUME. Charles V. dans les priviléges qu'il accorda à ces marchands au mois d'Avril 1364, leur donne pour conservateurs de ces priviléges le doyen de l'église de Rouen, & le bailli & le vicomte de cette ville. (A)

CONSERVATEURS DES DECRETS VOLONTAIRES, furent créés par édit du mois de Janvier 1708, sous le titre de commissaires-conservateurs généraux des décrets volontaires ; on créa aussi par le même édit des contrôleurs de ces commissaires-conservateurs. Suivant cet édit, tous ceux qui vouloient faire un decret volontaire pour purger les hypotheques de leur vendeur, étoient obligés de faire enregistrer par le commissaire-conservateur & par son contrôleur la saisie-réelle & le contrat de vente, avant que le poursuivant pût faire procéder aux criées, à peine de nullité & de 500 liv. d'amende ; & l'acquéreur devoit payer un certain droit au conservateur & au contrôleur. On ne pouvoit délivrer la grosse du decret volontaire, que ce droit n'eût été préalablement payé, à peine du triple droit contre les acquéreurs, leurs procureurs, & contre les greffiers & scelleurs.

Mais les droits attribués à ces officiers ayans paru trop onéreux au public, leurs offices ont été supprimés par édit du mois d'Août 1718 : le Roi a seulement reservé la moitié des droits pour en employer le produit au remboursement de ces officiers. Voy. le traité de la vente par decret de M. d'Hericour. (A)

CONSERVATEURS DU DOMAINE, furent créés par édit du mois de Mai 1582, pour la conservation du domaine du Roi. Ils avoient le titre de conservateurs & gardes des fiefs, domaines, titres, & pancartes du roi ; il y en avoit un dans chaque bailliage & sénéchaussée. Ces offices furent supprimés par édit du mois de Mai 1639, & rétablis par un autre édit du mois de Septembre 1645. Il paroît que ceux-ci furent encore supprimés ; car on recréa de nouveau un office de conservateur des domaines aliénés dans chaque province & généralité, par édit du mois d'Octobre 1706 ; & le 27 Septembre 1707 il y eut une déclaration pour l'exécution de l'édit de 1706, portant création des offices de conservateurs des domaines aliénés : mais par édit du mois de Juillet 1708, ces offices furent encore supprimés ; & en leur place, on créa par le même édit des inspecteurs-conservateurs généraux des domaines du roi aliénés, qui sont encore entre ses mains ; & leurs fonctions & droits furent réglés par une déclaration du 13 Août 1709. Ces inspecteurs conservateurs du domaine furent aussi depuis supprimés ; on en a établi deux par commission au conseil. Voyez DOMAINE & INSPECTEURS DU DOMAINE. (A)

CONSERVATEURS GENERAUX DES DOMAINES, V. ci-devant CONSERVATEURS DU DOMAINE. (A)

CONSERVATEURS DES ETUDES, sont les mêmes que les conservateurs des universités ou des priviléges royaux des universités. Ils sont ainsi nommés dans des lettres de Charles VI. du 6 Juillet 1388. Voyez ci-après au mot CONSERVATEUR DES PRIVILEGES ROYAUX. (A)

CONSERVATEURS DES FOIRES ou JUGE-CONSERVATEUR DES PRIVILEGES DES FOIRES, est un juge établi pour la manutention des franchises & priviléges des foires, & pour connoître des contestations qui y surviennent entre marchands, & autres personnes fréquentant les foires de son ressort, & y faisant négoce.

Les anciens comtes de Champagne & de Brie furent les premiers instituteurs de ces sortes d'officiers, aussi-bien que des foires franches de Brie & de Champagne ; dont ils les établirent conservateurs.

On les nomma d'abord simplement gardes des foires, ensuite gardes-conservateurs ; & vers la fin du xv. siecle, ils prirent le titre de juges-conservateurs des priviléges des foires, comme on les appelle encor présentement.

Quoiqu'ils ne prissent pas d'abord le titre de juges, ils avoient néanmoins la jurisdiction contentieuse sur les marchands fréquentant les foires.

Il y avoit dans chaque foire deux gardes ou conservateurs, un chancelier qui étoit dépositaire du sceau particulier des foires, & deux lieutenans, un pour les gardes, l'autre pour le chancelier.

Aucun jugement ne pouvoit être rendu par un des gardes seul ; en l'absence de l'un, le chancelier avoit voix délibérative avec l'autre.

Dans les causes difficiles, on appelloit quelques notables marchands, ou autres qui avoient longtems exercé le commerce.

Les conservateurs avoient sous eux plusieurs notaires pour expédier les actes, & des sergens pour exécuter leurs mandemens.

Les gardes ou conservateurs & leur chancelier devoient, à peine de perdre leurs appointemens, se trouver à l'ouverture des foires de leur ressort, & y rester jusqu'à ce que les plaidoiries fussent finies. Après quoi ils pouvoient y laisser leurs lieutenans, à la charge d'y revenir lors de l'échéance des payemens.

C'étoit à eux à visiter les halles, & autres lieux où l'on exposoit les marchandises. Ils avoient aussi le droit de nommer deux prudhommes de chaque métier pour visiter ces mêmes marchandises.

L'appel de ces conservateurs étoit dévolu aux gens tenans les jours de S. M. c'est-à-dire tenans les grands jours, comme il est dit dans les lettres patentes de Philippe de Valois de l'an 1349.

Les gardes ou conservateurs des foires de Brie & Champagne transférées dépuis à Lyon, avoient une telle autorité, qu'on arrêtoit en vertu de leurs jugemens, même dans les pays étrangers.

Présentement la conservation des priviléges des foires dans la plûpart des villes est unie à la justice ordinaire.

Par exemple, à Paris, c'est le prevôt de Paris qui est le conservateur des priviléges des foires qui se tiennent dans cette ville ; & en conséquence c'est le lieutenant général de police qui en fait l'ouverture.

Dans quelques villes, la conservation des priviléges des foires est unie au tribunal établi pour le commerce ; comme à Lyon, où la jurisdiction des consuls, le bureau de la ville, & la conservation des foires, sont unis sous le titre de conservation. Voyez le recueil des priviléges des foires de Lyon & les additions à la bibliotheque de Bouchel, tome I. p. 18. (A)

CONSERVATEUR DE LA GABELLE. C'étoit le juge des gabelles ; il en est parlé dans une ordonnance du roi Jean du 20 Avril 1363. (A)

CONSERVATEUR DES HYPOTHEQUES, dont le vrai titre est greffiers-conservateurs des hypotheques, sont des officiers établis pour la conservation des hypotheques sur les offices, qui, par les édits de leur création ou par des arrêts du conseil rendus en conséquence, peuvent être exercés sans provisions.

Pour bien entendre quelle est la fonction de ces sortes d'officiers, & en quoi ils ressemblent & different avec les gardes des rôles, il faut observer que par édit du mois de Mars 1631, le roi créa en titre d'office des gardes des rôles des offices de France, pour conserver les hypotheques & droits des créanciers sur les offices. Ceux qui prétendent quelque droit sur un office, pour l'exercice duquel on a besoin de provisions prises en chancellerie, forment opposition au sceau ou au titre des provisions, à ce que les provisions ne soient scellées qu'à la charge de l'opposition, le sceau ayant pour les offices l'effet de purger les hypotheques, de même que le decret pour les autres immeubles.

Mais comme il y a grand nombre d'offices qui sont possédés en vertu de simples quittances de finances, pour lesquels on n'a pas besoin de provision, & qui sont d'un prix trop médiocre pour supporter les frais d'un decret, les créanciers, & autres prétendant droit à ces offices, ne savoient de quelle maniere se pourvoir pour conserver leurs droits sur ces sortes d'offices.

L'édit du mois de Mars 1673, portant établissement d'un greffe des enregistremens, ou, comme on l'appelloit communément, un greffe des hypotheques dans chaque bailliage & sénéchaussée, sembloit y avoir pourvû, en ordonnant en général que tous ceux qui auroient hypotheque, en vertu de quelque titre que ce fût, sur héritages, rentes foncieres ou constituées, domaines engagés, offices domaniaux, & autres immeubles, pourroient former leurs oppositions au greffe des hypotheques de la situation des immeubles auxquels ils auroient droit. L'objet de cet édit étoit de rendre publiques toutes les hypotheques, & de faire en ce point une loi générale de ce que quelques coûtumes particulieres ont ordonné de faire par la voie des saisines & des nantissemens ; mais les inconvéniens que l'on trouva dans cette publicité des hypotheques, furent cause que l'édit de 1673 fut révoqué par un autre du mois d'Avril 1674, qui ordonna que pour la conservation des hypotheques, on en useroit comme pour le passé.

On créa aussi par un autre édit du mois de Mars 1673, des conservateurs des hypotheques sur les rentes dont nous parlerons dans l'article suivant.

Ce ne fut qu'au mois de Mars 1706, que le roi créa dans chaque province & généralité un conseiller du roi greffier-conservateur des hypotheques sur les offices, qui, par les édits de création, ou arrêts donnés en conséquence, peuvent être exercés sans provision.

Cet édit ordonne que dans un mois les propriétaires de ces offices, & droits y réunis, soient tenus de faire enregistrer au greffe du conservateur, par extrait seulement, leurs quittances de finance, ou autres titres concernans la propriété d'iceux, à peine d'interdiction de leurs fonctions & privation de leurs gages & droits.

Que toutes les oppositions qui seront formées à la vente de ces offices, & les saisies-réelles qui en pourront être faites, seront enregistrées dans ce greffe, à peine de nullité des oppositions & saisies.

Qu'à cet effet les greffiers-conservateurs tiendront deux registres paraphés de l'intendant, sur l'un desquels ils écriront les saisies & oppositions qui leur auront été signifiées, & dont ils garderont les exploits & main-levées, & que sur l'autre registre ils mettront les enregistremens des titres de propriété.

Qu'en cas d'opposition au titre des offices & droits, il ne sera point procédé à l'enregistrement des titres de propriété, que l'opposition n'ait été jugée.

Qu'à l'égard des oppositions pour deniers, les enregistrement ne pourront être faits qu'à la charge d'icelle, à peine par les greffiers-conservateurs des hypotheques d'en demeurer responsables en leurs noms pour la valeur des offices & droits.

Les créanciers opposans à l'enregistrement des titres de propriété desdits offices & droits y réunis, sont préférés sur le prix aux autres créanciers non opposans, quand même ils seroient privilégiés.

Les offices & droits y réunis, dont les titres de propriété ont été enregistrés sans opposition, demeurent purgés de tous priviléges & hypotheques, excepté néanmoins des douaires & des substitutions.

Toutes oppositions qui seroient faites ailleurs qu'entre les mains desdits conservateurs, pour raison de ces sortes d'offices & droits, sont nulles.

Les notaires qui passent des actes contenans vente ou transport de ces sortes d'offices, doivent en donner dans quinzaine des extraits au conservateur des hypotheques.

L'édit de création attribue au conservateur un droit pour l'enregistrement de chaque quittance de finance & opposition des gages, un minot de franc-salé à chacun, exemption de taille, tutele, curatelle, guet & garde. (A)

CONSERVATEURS DES HYPOTHEQUES SUR LES RENTES, sont des officiers établis par édit du mois de Mars 1673, pour la conservation des hypotheques que les particuliers peuvent avoir sur les rentes dûes par le Roi, appartenantes à leurs débiteurs. L'édit de création veut que pour conserver à l'avenir les hypotheques sur les rentes dûes par le Roi sur les domaines, tailles, gabelles, aides, entrées, décimes & clergé ; dons gratuits, & autres biens & revenus du Roi, les créanciers ou autres prétendans droit sur les propriétaires & vendeurs de ces rentes, seront tenus de former leur opposition entre les mains du conservateur des hypotheques sur lesdites rentes ; que ces oppositions conserveront pendant une année les hypotheques & droits prétendus sur lesdites rentes, sans qu'il soit besoin de faire d'autres diligences ; que pour sûreté de ceux qui demeureront propriétaires de ces rentes par acquisitions, partages, ou autres titres, ils seront seulement tenus à chaque mutation de prendre sur leurs contrats ou extraits d'iceux, des lettres de ratification scellées en la grande chancellerie ; que si avant le sceau de ces lettres il ne se trouve point d'opposition de la part des créanciers ou prétendans droit, & après qu'elles seront scellées sans opposition, les rentes seront purgées de tous droits & hypotheques. Pour recevoir les oppositions qui peuvent être formées au sceau de ces lettres par les créanciers & autres prétendans droit sur lesdites rentes pour la conservation de leurs hypotheques, & délivrer des extraits des oppositions à ceux qui en ont besoin, l'édit crée quatre offices de greffiers-conservateurs des hypotheques desdites rentes, & à chacun un commis. Il est dit que ces conservateurs auront chacun entrée au sceau, & exerceront les offices par quartier ; qu'ils tiendront fidele registre des oppositions formées entre leurs mains, & garderont les exploits pour y avoir recours au besoin ; qu'avant que les lettres soient présentées au sceau, ils seront tenus de vérifier sur leurs registres s'il y a des oppositions. L'édit attribue à ces officiers une certaine retribution pour l'enregistrement des oppositions, & pour délivrer les extraits, & les mêmes priviléges qu'ont les officiers de la grande chancellerie. Cette derniere prérogative leur a été confirmée par un édit du mois de Juillet 1685 : Les quatre offices de conservateurs des hypotheques sur les rentes ont dépuis été réunis, & sont exercés par un seul & même titulaire ; il y a néanmoins un conservateur particulier pour les hypotheques des rentes sur la ville. (A)

CONSERVATEUR DES JUIFS ou DES PRIVILEGES DES JUIFS, étoit un juge particulier que le roi Jean avoit accordé aux Juifs étant dans le royaume pour la conservation de leurs priviléges. Il en est parlé dans une ordonnance de ce prince du mois de Mars 1360, où il est dit, que toutes lettres contre les priviléges des Juifs ne seront d'aucune force & vertu, si elles ne sont vûes ou acceptées par le conservateur ou gardien qu'il leur a accordé par ses autres lettres. Charles V. par des lettres du 4 Octobre 1364, permit au comte d'Estampes gardien & conservateur général des Juifs & Juives, & leur juge en toutes les causes qu'ils avoient contre les Chrétiens dans le royaume, ou les Chrétiens contr'eux, de nommer des commis en sa place, & à ceux-ci de nommer des substituts pour juger les affaires des Juifs. La charge de conservateur des Juifs fut abolie, & les Juifs soûmis à la jurisdiction du prevôt de Paris, & des autres juges ordinaires du lieu de leur demeure, par des lettres de Charles VI. du 15 Juillet 1394. (A)

CONSERVATEUR ou JUGE-CONSERVATEUR DE LYON, voy. ci-apr. CONSERVATION DE LYON. (A)

CONSERVATEUR DES MARCHANDISES ; on établissoit autrefois des commissaires généraux, auxquels on donnoit le titre de gardiens & conservateurs sur les vivres & les marchandises. (A)

CONSERVATEUR DE LA MAREE ; le prevôt de Paris fut établi juge, conservateur, gardien, & commissaire des affaires des vendeurs de marée, par des lettres du roi Jean, du mois d'Avril 1361, comme il l'étoit anciennement ; mais cela fut attribué en 1369 à la chambre souveraine de la marée. Il rentra encore dans ses fonctions en 1379 ; mais les commissaires de la marée continuerent à connoître de certaines contestations sur cet objet, & enfin depuis 1678 le châtelet n'a retenu que les réceptions des jurés-compteurs, déchargeurs & vendeurs de marée. Voyez CHAMBRE DE LA MAREE. (A)

CONSERVATEUR ou JUGE-CONSERVATEUR DES PRIVILEGES ROYAUX DE L'UNIVERSITE DE PARIS, est le juge établi par nos rois pour la conservation des priviléges qu'ils ont accordés à cette université ; cette fonction est présentement réunie à celle de prevôt de Paris ; mais les choses n'ont pas toujours été à cet égard dans le même état.

Il y a apparence que cet office de conservateur fut établi dès le commencement de l'université, c'est-à-dire par Charlemagne même son fondateur. Car ce prince étant obligé d'être presque toûjours hors du royaume pour contenir les peuples voisins, établit deux juges pour les affaires de sa maison & de son état, l'un desquels, appellé comes sacri palatii, avoit l'intendance de la justice sur tous les sujets laïques, nobles & roturiers ; l'autre appellé apocrisiarius ou archicapellanus, custos palatii ou responsalis negotiorum ecclesiasticorum, rendoit la justice à ceux de la maison du prince, & à tous les ecclésiastiques & religieux.

Adhelard, autrefois abbé de Corbie & parent de Charlemagne, fit un livre de l'ordre du palais, que Hincmar ministre d'état sous Charles le Chauve, mit en lumiere : on y voit que des trois ordres qui étoient dans le palais, le second étoit des maîtres & écoliers, ensorte que cet ordre étoit comme les autres sous la direction de l'apocrisiaire.

Les révolutions qui arriverent dans la forme du gouvernement depuis environ l'an 900, furent sans-doute la cause de l'extinction du titre & office d'apocrisiaire ; & il est à croire que dans ces tems de trouble les affaires de l'université allerent très-mal.

Mais Hugues Capet étant monté sur le throne, Robert son fils, qui lui succéda en 997, aimant les lettres & ceux qui en faisoient profession, en rétablit les exercices, & probablement constitua le prevôt de Paris juge des différends de l'université, au-moins en ce qui concernoit les procès civils & criminels.

Cet établissement dura jusqu'en l'an 1200, que l'université s'étant plainte à Philippe-Auguste contre Thomas prevôt de Paris, dont les sergens avoient emprisonné quelques écoliers & en avoient tué d'autres, ce prince ordonna que desormais le prevôt de Paris prêteroit serment à l'université en ce qui regarde le fait de police, & au surplus renvoya la décision des procès à l'évêque de Paris.

Mais l'université n'ayant pas été contente de l'évêque de Paris ni de ses officiaux, la connoissance des procès de l'université fut rendue au prevôt de Paris par des lettres du 31 Décembre 1340, confirmées par d'autres lettres du 21 Mai 1345.

On voit par ce qui vient d'être dit, que l'origine du serment que le prevôt de Paris prêtoit à l'université, remonte jusqu'à l'an 1200, & qu'elle vient de la qualité de juge-conservateur des priviléges royaux de l'université, attribuée au prevôt de Paris. En effet, l'ordonnance de 1200 porte que le prevôt de Paris & ses successeurs, chacun à son avênement, seront tenus, sous quinzaine à compter du jour qu'ils auront été avertis, de faire serment dans une des églises de Paris, en présence des députés de l'université, qu'ils conserveront les priviléges de la même université.

Cette ordonnance fut confirmée par S. Louis au mois d'Août 1228, par Philippe le Hardi en Janvier 1275, & par Philippe le Bel en 1285.

Ce dernier ordonna encore en 1301, que tous les deux ans, le premier dimanche après la Toussaints, lecture seroit faite en présence du prevôt de Paris & de ses officiers & des députés de l'université, du privilége de l'université ; qu'ensuite le prevôt de Paris feroit faire serment à ses officiers de ne point donner atteinte à ce privilége. Cette ordonnance fut faite à l'occasion de l'emprisonnement de Guillaume le Petit, fait par ordre de Guillaume Thiboust lors prevôt de Paris.

Le vendredi après l'octave de l'épiphanie 1302, Philippe le Bel ordonna que la lecture & le serment ordonnés l'année précédente seroient faits dans l'église S. Julien le Pauvre ; & au mois de Février 1305 il renouvella son ordonnance de 1285.

Le 10 Octobre 1308, Pierre le Feron prevôt de Paris prêta serment dans l'église des Bernardins ; le recteur observa que le prevôt de Paris n'avoit point comparu au jour indiqué par l'université, qu'il s'étoit absenté malicieusement, & conclut, en disant que le prevôt de Paris devoit être puni très-séverement pour sa desobéissance & son mépris des priviléges de l'université ; le prevôt de Paris proposa ses excuses, qui furent reçues.

On trouve dans l'histoire de l'université par du Boulay, les actes de prestation de ce serment par les prevôts de Paris qui ont succédé à Pierre le Feron, en date des 8 Mai 1349, 13 Juin 1361, 10 Octobre 1367, 23 Juin 1370, 29 Mai 1421, 24 Mars 1446, 23 Avril 1466, 29 Juin 1479, 21 Novembre 1509, 24 Avril 1508, 13 Avril 1541, & 13 Juin 1592.

Il y a eu de tems en tems des contestations de la part des prevôts de Paris pour se dispenser de ce serment ; le dernier acte qui y a rapport est celui du 2 Mars 1613, par lequel le sieur Turgot proviseur du collége d'Harcourt, fut député pour aller trouver le nouveau prevôt de Paris (Louis Séguier), & l'avertir de venir prêter le serment que tous ses prédécesseurs ont prêté à l'université. Il paroît que depuis ce tems l'université a négligé de faire prêter ce serment, quoiqu'il n'y ait eu aucune ordonnance qui en ait dispensé les prevôts de Paris.

Au mois de Février 1522, le titre de bailli conservateur des priviléges royaux de l'université fut démembré de la charge de prevôt de Paris, par l'érection du tribunal de la conservation. Ce nouveau tribunal fut composé d'un bailli, un lieutenant, douze conseillers, & autres officiers nécessaires.

L'office de bailli conservateur fut réuni à la charge de prevôt de Paris, après la mort de Jean de la Barre seul & unique titulaire de cette charge de bailli conservateur ; il mourut en 1533.

Le siége du bailliage ou conservation des priviléges royaux de l'université avoit d'abord été établi en l'hôtel de Nesle ; il fut de-là transferé au petit châtelet, & réuni à la prevôté de Paris par édit de 1526, qui ne fut registré au parlement qu'en 1532. Mais nonobstant cette réunion & translation, les officiers de la conservation continuoient de connoître seuls des causes de l'université, & s'assembloient dans une des chambres du grand châtelet, que l'on appelloit la chambre de la conservation. Ce ne fut qu'en 1543 que la réunion fut pleinement exécutée par le mêlange qui se fit alors des huit conseillers restans de ceux qui avoient été créés pour la conservation avec les conseillers de la prevôté.

Depuis cette réunion il y a toûjours eu des jours particuliers d'audience destinés pour les causes de l'université. Un édit du mois de Juillet 1552 ordonne que le prevôt de Paris tiendroit l'audience deux fois la semaine, pour y juger par préférence les causes de l'université.

On trouve dans le recueil des priviléges de l'université des actes des 5 Mai 1561, 5 Mai 1569, 7 Octobre 1571, & 19 Avril 1583, par lesquels l'université a député au prevôt de Paris, pour l'avertir qu'il étoit obligé de donner deux jours par semaine pour les causes de l'université.

Enfin l'on voit que le 3 Mars 1672, M. le Camus lieutenant civil rendit une ordonnance portant que, pour décider les procès que pourroient avoir les recteur, régens, docteurs, suppôts, écoliers, jurés, messagers, & autres de l'université ayant privilége, dont le chatelet est le juge conservateur, il leur sera donné audience le mercredi pour les causes du présidial, & le samedi pour les causes qui se devront traiter à la chambre civile par préférence.

L'université joüit toûjours de ce privilége d'avoir ses causes commises au châtelet ; c'est ce que l'on appelle le privilége de scholarité.

Depuis 1340 que la connoissance des causes de l'université a été attribuée au châtelet, sans aucune interruption jusqu'à présent, le prevôt de Paris a toûjours pris le titre de conservateur des priviléges royaux de l'université de Paris ; on en trouve un exemple en 1458 dans un acte rapporté au livre rouge vieil du châtelet, du 10 Février de cette année.

Il y a de semblables conservateurs des priviléges royaux des autres universités dans les autres villes où il y a université. Cet office de conservateur est joint presque partout à celui de prevôt. (A)

CONSERVATEURS DES SAISIES ET OPPOSITIONS FAITES AU THRESOR ROYAL, sont des officiers établis pour la conservation des droits des créanciers sur les remboursemens ou autres payemens qui sont à recevoir au thrésor royal. Ils furent premierement créés au nombre de quatre par édit du mois de Mai 1706, sous le titre de greffiers conservateurs, mais plus connus sous le nom seul de conservateurs des saisies & oppositions qui se font ès mains des gardes du thrésor royal, à l'instar des greffiers conservateurs des hypotheques des rentes sur la ville ; il fut ordonné qu'à l'avenir ces saisies & oppositions se feroient entre les mains de ces nouveaux officiers, à peine de nullité, à la réserve des remboursemens des rentes sur la ville, & des augmentations de gages, dont les oppositions & saisies ont toûjours dû être faites entre les mains des greffiers conservateurs des hypotheques sur les rentes. Ces trois conservateurs des saisies & oppositions concernant les remboursemens & payemens au thrésor royal, furent supprimés par édit du mois d'Août 1716. On en recréa deux seulement en 1719 sous le titre d'ancien & d'alternatif, parce qu'il n'y avoit alors que deux gardes du thrésor royal ; mais ayant été créé un troisieme garde du thrésor royal en 1722, on créa aussi en 1723 un greffier conservateur triennal des saisies & oppositions, avec les mêmes droits qui étoient attribués par l'édit de 1706 : présentement il n'y a que deux de ces conservateurs, ayant réuni à leurs offices la troisieme charge. (A)

CONSERVATEURS DES VILLES ou DES PRIVILEGES DES VILLES, sont des juges royaux qui ont été établis en certaines villes pour la conservation des priviléges accordés à ces villes par nos rois. Il est parlé dans différentes ordonnances de ces conservateurs, entr'autres du conservateur & juge des bourgeois de Montpellier. En un autre endroit il est dit que le sénéchal de Cahors sera conservateur des priviléges de cette ville. On trouve aussi que le sénéchal & le connétable de Carcassonne furent établis conservateurs & juges de cette ville pour une affaire particuliere. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome III. pp. 327. 421. & 627.

Cette fonction de conservateur des villes a quelque rapport avec celle des officiers appellés chez les Romains defensores civitatum, lesquels étoient les juges du menu peuple & conservoient ses priviléges contre les entreprises des grands ; mais ils ne connoissoient que des affaires sommaires & de la fuite des esclaves : à l'égard des affaires importantes, ils les renvoyoient devant les gouverneurs des provinces.

Lorsque les Gaules eurent passé sous la domination des Romains, on y adopta insensiblement leurs lois & leurs usages. On voit dans les capitulaires de nos rois, que les officiers des villes étoient pareillement nommés defensores civitatis, curatores urbis, servatores loci ; il y a beaucoup d'apparence que les conservateurs établis dans plusieurs villes sous la troisieme race, succéderent à ces officiers appellés servatores loci, dont le nom a été rendu en notre langue par celui de conservateurs. Voyez le traité de la Police, tome I. liv. I. tit. xij. l'hist. de la Jurisprud. Rom. de M. Terrasson, p. 36. (A)

CONSERVATEURS DES UNIVERSITES. Voyez CONSERVATEUR APOSTOLIQUE & CONSERVATEUR DES PRIVILEGES ROYAUX, &c. (A)


CONSERVATIONsubst. f. (Métaphysiq.) La conservation du monde a été de tout tems un grand objet de méditation & de dispute parmi les Philosophes. On voit bien que toute créature a besoin d'être conservée. Mais la grande difficulté, c'est d'expliquer en quoi consiste l'action de Dieu dans la conservation.

Plusieurs, après Descartes, soûtiennent qu'elle n'est autre chose qu'une création continuée. Ils croient que nous dépendons de Dieu, non-seulement parce qu'il nous a donné l'existence, mais encore parce qu'il la renouvelle à chaque instant. Cette même action créatrice se continue toûjours, avec cette seule différence, que dans la création elle a tiré notre existence du néant, & que dans la conservation elle soûtient cette existence, afin qu'elle ne rentre pas dans le néant. Une comparaison va rendre la chose sensible. Nous formons des images dans notre imagination : leur présence dépend d'une certaine opération de notre ame, qu'on peut comparer, en quelque façon, à la création. Pendant que cette opération dure, l'image reste présente : mais sitôt qu'elle cesse, l'image cesse aussi d'exister. De même pendant que l'opération créatrice de Dieu dure, l'existence des choses créées dure aussi : mais aussi-tôt que l'autre cesse, celle-ci cesse aussi.

Pour prouver leur sentiment, les Cartésiens se servent de plusieurs raisonnemens assez spécieux. Ils disent que chaque chose ayant été dépendante dans le premier moment de son existence, elle ne peut pas devenir indépendante dans les suivans. Il faut donc qu'elle garde, tout le tems qu'elle existe, la même dépendance qu'elle a eu dans le premier moment de sa création. Ils ajoûtent à cela, qu'il paroit même impossible de créer des êtres finis qui puissent exister d'eux-mêmes ; tout être fini étant indifférent à l'existence & à la non-existence, comme la matiere en elle-même est indifférente au mouvement & au repos.

Ce système a des avantages à quelques égards. Il donne une grande idée du domaine que Dieu a sur ses créatures. Il met l'homme dans la plus grande dépendance où il puisse être par rapport à Dieu. Nous ne sommes rien de nous-mêmes. Dieu est tout.

C'est en lui que nous voyons, que nous nous mouvons, que nous agissons. Si Dieu cessoit un moment de nous conserver, nous rentrerions dans le néant dont il nous a tiré. Nous avons besoin à chaque moment, non d'une simple permission qu'il nous donne d'exister, mais d'une opération efficace, réelle, & continuelle qui nous préserve de l'anéantissement. Toutes ces reflexions sont assûrément très-belles : mais d'un autre côté les conséquences qu'on tire de ce système ne sont pas moins effrayantes.

Voici les conséquences odieuses dont il est impossible de se défaire dans ce système ; conséquences que M. Bayle a exposées en détail dans différens articles de son dictionnaire. Dans l'article de Pyrrhon il dit, que si Dieu renouvelle à chaque moment l'existence de notre ame, nous n'avons aucune certitude que Dieu n'ait pas laissé retomber dans le néant l'ame qu'il avoit continué de créer jusqu'à ce moment, pour y substituer une autre ame modifiée comme la nôtre. Dans l'article des Pauliciens, il dit que nous ne pouvons concevoir que l'être créé soit un principe d'action, & que recevant dans tous les momens de sa durée son existence, il crée en lui-même des modalités par une vertu qui lui soit propre ; d'où il conclut qu'il est impossible de comprendre que Dieu n'ait fait que permettre le peché. " Nous ne pouvons avoir, dit-il, dans l'article des Manichéens, aucune idée distincte qui nous apprenne comment un être qui n'existe point par lui-même, agit par lui-même. Enfin il dit encore dans l'article de Sennart : les scholastiques demandent si les actes libres de l'ame sont distincts de l'ame : s'ils n'en sont pas distincts, l'ame de l'homme en tant qu'elle veut le crime, est créée : ce n'est donc point elle qui se forme cet acte de volonté ; car puisqu'il n'est pas distinct de la substance de l'ame, & qu'elle ne sauroit se donner à elle-même son existence, il s'ensuit manifestement qu'elle ne peut se donner aucune pensée. Elle n'est pas plus responsable de ce qu'elle veut le crime hîc & nunc, que de ce qu'elle existe hîc & nunc ". Ceci doit nous apprendre combien les philosophes chrétiens doivent être circonspects à ne jamais rien hasarder dont on puisse abuser, & qu'il faille ensuite révoquer par diverses limitations pour en prévenir les fâcheuses conséquences.

Voyons maintenant l'opinion de Poiret. Suivant ce philosophe Dieu a donné à chaque être, dès la création même, la faculté de continuer son existence. Il suffisoit de commencer. Ils sont formés de telle façon qu'ils se soûtiennent eux-mêmes. Tout ce que le Créateur a maintenant à faire, c'est de les laisser exister & de ne pas les détruire par un acte aussi positif que celui de la création. Le monde est une horloge, qui étant une fois montée continue aussi longtems que Dieu s'est proposé de la laisser aller.

On appuie principalement ce sentiment sur la puissance infinie de Dieu. Dieu, dit-on, n'auroit-il pas un pouvoir suffisant pour créer des êtres qui puissent d'eux-mêmes continuer leur existence ? Sa seule volonté ne suffit-elle pas pour les faire de telle sorte qu'ils n'ayent pas besoin d'un soutient continuel & d'une création réitérée sans cesse ? N'a-t-il pû leur donner une force permanente, en vertu de laquelle ils ne cesseront d'exister que quand il trouvera à-propos de les détruire ?

Ce sentiment ne donne pas seulement une grande idée de la puissance divine, mais il a encore des avantages qu'aucun des autres systèmes ne présente pour décider des questions, qui depuis long-tems embarrassent les philosophes. La liberté de l'homme n'est nulle part aussi bien établie que dans cette opinion. L'homme n'est dépendant qu'entant qu'il est créature, & qu'il a en Dieu la raison suffisante de son existence. Du-reste il agit de son propre fond. Il est créateur de ses actions. Il peut les diriger comme il veut. De cette liberté suit naturellement un autre avantage non moins important. Aucun système ne nous offre une apologie plus parfaite de Dieu touchant le mal moral. L'homme fait tout. Il est l'auteur de tout le mal & de tout le bien qui se trouve dans ses actions. Il en est seul responsable. Tout doit lui être imputé. Dieu ne lui a donné que l'existence & les facultés qu'il doit avoir nécessairement, c'est à lui à s'en servir suivant les lois prescrites : s'il les observe, il en a le mérite ; s'il ne les observe pas, il en est seul coupable.

Mais il ne faut pas dissimuler les difficultés qui se trouvent dans ce système. Il est vrai que d'un côté on éleve la puissance créatrice de Dieu : mais aussi de l'autre côté on anéantit presqu'entierement sa providence. Les créatures se soutenant d'elles-mêmes, Dieu n'influe plus sur elles qu'indirectement. Tout ce qu'il a à faire, c'est de ne pas les détruire. Pour le reste il est dans un parfait repos, excepté quand il trouve nécessaire de se faire sentir aux hommes par un miracle extraordinaire. Et enfin, pour bien établir ce sentiment, il faudroit démontrer avant toutes choses, que ce n'eût pas été une contradiction que d'être fini & d'être indépendant dans la continuation de son existence. Tout ce que nous pouvons dire sur cette matiere bien épineuse, se réduit à ceci : pour que les créatures continuent à exister, il faut que Dieu veuille leur existence. Cette volonté n'étant pas une simple velléité, mais un acte & une volonté efficace, il est sûr que Dieu influe sur la continuation de leur existence très-efficacement, & avec une opération directe. Article de M. Formey.

C'est ainsi que dans les questions métaphysiques fort élevées, on se retrouve après bien des détours au même point d'où l'on étoit parti, & où on auroit dû rester.

* CONSERVATION, sub. f. (Morale.) La loi de conservation est une des lois principales de la nature : elle est par rapport aux autres lois, ce que l'existence est par rapport aux autres qualités ; l'existence cessant, toutes les autres qualités cessent ; la loi de conservation étant enfreinte, le fondement des autres lois est ébranlé. Se détruire, de quelque maniere que ce soit, c'est se rendre coupable de suicide. Il faut exister le plus long-tems qu'il est possible pour soi, pour ses amis, pour ses parens, pour la société, pour le genre humain ; toutes les relations qui sont honnêtes & qui sont douces nous y convient. Celui qui peche contre la loi de conservation les foule aux piés ; c'est comme s'il disoit à ceux qui l'environnent : Je ne veux plus être votre pere, votre frere, votre époux, votre ami, votre fils, votre concitoyen, votre semblable. Nous avons contracté librement quelques-uns de ces rapports, il ne dépend plus de nous de les dissoudre sans injustice. C'est un pacte où nous n'avons été ni forcés ni surpris ; nous ne pouvons le rompre de notre propre autorité ; nous avons besoin du consentement de ceux avec qui nous avons contracté. Les conditions de ce traité nous sont devenues onéreuses ; mais rien ne nous empêchoit de le prévoir ; elles pouvoient le devenir aux autres & à la société ; dant ce cas on ne nous eût point abandonné. Demeurons donc. Il n'y a moralement personne sur la surface de la terre d'assez inutile & d'assez isolé, pour partir sans prendre congé que de soi-même : l'injustice d'un pareil procédé sera plus ou moins grande ; mais il y aura toûjours de l'injustice. Fais ensorte que toutes tes actions tendent à la conservation de toi-même, & à la conservation des autres ; c'est le cri de la nature : mais sois par-dessus tout honnête homme. Il n'y a pas à choisir entre l'existence & la vertu.

CONSERVATION DES ARTS, MAITRISES, ET JURANDES, (Jurisprud.) est une jurisdiction de police pour les arts & métiers : il y en a dans plusieurs villes qui sont établies sous ce titre de conservation ; par exemple, à Nantes, le tribunal de la police & voirie qui se tient à l'hôtel-de-ville, a aussi le titre de conservation des arts, maîtrises & jurandes. Il est composé du lieutenant général de police, du président-présidial-sénéchal-maire, des six échevins, du procureur du Roi syndic, d'un autre procureur du Roi, un greffier, cinq commissaires de police, & deux huissiers. A Lyon le consulat a aussi une direction & une jurisdiction contentieuse sur tous les arts & métiers de la ville, dans chacun desquels il choisit tous les ans deux maîtres & gardes pour veiller aux contraventions qui se font aux statuts & reglemens, & en faire leur rapport à celui de MM. les échevins qui est particulierement préposé pour le fait des contraventions, sur lesquelles il donne ses décisions, & regle les parties à l'amiable, sinon il les renvoye au consulat, dont les ordonnances s'exécutent en dernier ressort jusqu'à la somme de 1501. & au-dessous. L'appel va au parlement. Mais l'on n'a pas donné à cette jurisdiction le titre de conservation, sans doute à cause que ce nom est donné au tribunal qui connoît des matieres de commerce, on l'appelle simplement la jurisdiction des arts & métiers. A Paris, c'est le procureur du Roi du châtelet qui connoît de tout ce qui concerne le corps des marchands, arts & métiers, maîtrises, réceptions de maîtres, & jurandes. Il donne ses jugemens qu'il qualifie d'avis ; il faut ensuite faire confirmer ces avis par le lieutenant général de police, qui les confirme ou infirme. Lorsqu'il y a appel d'un avis, on le releve au parlement. (A)

CONSERVATION DE LYON, qu'on appelle aussi souvent la conservation simplement, est une jurisdiction établie en la ville de Lyon pour la conservation des priviléges des foires de Lyon, & généralement pour le fait du commerce qui se fait en cette ville, & pour décider des contestations entre les marchands & négocians qui ont contracté sous le scel des foires de Lyon, ou dont l'un s'est obligé en payement, c'est-à-dire de payer à l'un des quatre termes ou échéances des foires de Lyon.

Cette jurisdiction est la premiere des jurisdictions de commerce établies dans le royaume, par rapport à l'étendue de sa compétence & de ses priviléges.

Elle a succédé à la jurisdiction du juge-conservateur des foires de Brie & de Champagne, lesquelles, comme l'on sait, furent rétablies dans leur ancien état par Philippe de Valois le 6 Août 1349, pour le bien & le profit commun de toutes les provinces, tant du royaume qu'étrangeres. On leur donna pour juges & conservateurs de leurs priviléges deux gardes & un chancelier, qui prêtoient serment en la chambre des comptes. Tous les princes Chrétiens & mécréans, ce sont les termes des lettres, en considération des priviléges & franchises que le roi donnoit dans ces foires à leurs sujets, & de la liberté qu'ils avoient de négocier en toute sûreté dans le royaume, & de venir franchement à ces foires, donnerent leur consentement à leur création & établissement, & aux ordonnances & statuts d'icelles, & à ce que leurs sujets fussent soûmis à la jurisdiction de ces foires, & que même étant de retour en leur pays, ils fussent obligés de comparoir & plaider devant le juge conservateur des priviléges de ces foires, toutes fois & quantes ils y seroient appellés ; ce qui est encore si ponctuellement observé sous l'autorité de la conservation de Lyon, qui a succédé au conservateur des foires de Brie & de Champagne, que les sentences & commissions de cette jurisdiction sont exécutées sans aucune difficulté dans tous les pays étrangers, du consentement de ceux qui en sont souverains.

Charles VII. n'étant encore que régent du royaume, sous le roi Charles VI. son pere, donna en cette qualité des lettres patentes le 4 Février 1419, portant établissement de deux foires franches à Lyon de six jours chacune, avec mêmes priviléges que celles de Champagne, Brie, & du Landi.

Ces priviléges furent encore augmentés par différentes lettres patentes & édits.

Louis XI. au mois de Mars 1762, accorda qu'il y auroit quatre foires par an de quinze jours chacune, & il établit pour conservateur & gardien de ces foires le bailli de Macon, qui étoit alors en cette qualité sénéchal de Lyon, ou son lieutenant présent & à venir ; il leur donna pouvoir de juger & de terminer sans long procès & figure de plaids, tous les débats qui se pourroient mouvoir entre les officiers du roi & les marchands fréquentans ces foires, & durant le tems d'icelles, ainsi qu'ils verroient être à faire par raison : il donna en même tems pouvoir aux conseillers de Lyon, c'est-à-dire aux échevins, d'établir deux grabeleurs pour lever les droits accoûtumés sur les marchandises d'épicerie qui se vendent à ces foires.

Dans d'autres lettres du 14 Novembre 1467, confirmatives des mêmes priviléges, il mande au bailli de Macon sénéchal de Lyon, qu'il qualifie de gardien conservateur desdites foires, & à tous autres juges, chacun en droit soi, de tenir la main à l'exécution de ces lettres.

Par un édit du mois de Juin 1594, Charles VIII. donna pouvoir aux conseillers de Lyon d'élire & commettre un prudhomme suffisant & idoine, toutes les fois qu'il seroit nécessaire, qui prendroit garde pendant les foires qu'aucun sergent ni autre officier ne fit aucune extorsion ou vexation aux marchands ; que ce garde commis appointeroit, c'est-à-dire regleroit toutes les questions & débats qui surviendroient entre les marchands durant les foires & à cause d'icelles ; qu'il les accorderoit amiablement, s'il étoit possible, sinon qu'il leur feroit élire deux marchands non suspects pour les regler ; & que si ceux-ci ne pouvoient y parvenir, ils renverroient les parties devant le juge auquel la connoissance en devoit appartenir, & certifieroient ce qui auroit été par eux fait.

Il donna pareillement pouvoir à ces mêmes conseillers de Lyon d'élire un prudhomme sur chaque espece de marchandise qui seroit vendue aux foires, pour connoître de tous les débats qui se pourroient mouvoir entre ces marchands durant les foires au sujet des marchandises que l'on prétendoit n'être pas de bonne qualité.

Qu'ils pourroient pareillement élire & nommer au bailli de Macon sénéchal de Lyon, ou son lieutenant, les courtiers qu'il conviendroit d'élire pour la facilité des négociations dans ces foires ; que le bailli de Macon sénéchal de Lyon ou son lieutenant seroit tenu de les confirmer.

On a vû ci-devant que la garde & conservation des priviléges des foires de Lyon avoit été confiée au bailli de Macon sénéchal de Lyon ; & suivant des lettres de François I. du 11 Février 1524, il paroît que c'étoit toûjours le sénéchal de Lyon qui en cette qualité étoit conservateur des priviléges des foires : mais il fut depuis établi un tribunal particulier qu'on appella la conservation, & le juge créé pour y rendre la justice fut appellé juge-conservateur. On ne trouve point l'époque précise de cette création ; on connoît seulement qu'elle doit avoir été faite peu de tems après les lettres de 1524 : car l'édit du mois de Février 1535, donné pour regler la compétence de ce juge-conservateur, en fait mention comme d'un établissement qui étoit antérieur de plusieurs années à cet édit. Ce tribunal y est qualifié de cour de la conservation, titre dont elle est encore en possession, & dans lequel elle paroît avoir été confirmée par l'édit de 1569 dont on parlera ci-après, qui lui donne pouvoir de juger souverainement jusqu'à cinq cent livres, & lui attribue à cet effet toute cour, jurisdiction, &c.

Le même édit de 1535 attribue au juge-conservateur, le droit de connoître de toutes les affaires faites à Lyon en tems de foire, ou qui y ont rapport, & l'autorise à procéder contre les débiteurs, leurs facteurs & négociateurs, jusqu'à sentence & exécution de garnison, & consignation desdites dettes, à quelques sommes qu'elles montent, & ce par prise de corps & de biens ; & que les sentences provisionnelles de garnison ou interlocutoires s'exécuteront par tout le royaume, sans visa ni pareatis.

La jurisdiction du juge-conservateur fut confirmée, aussi-bien que les priviléges des foires de Lyon, par divers édits & autres reglemens, notamment par un arrêt du conseil privé tenu à Lyon, du 15 Septembre 1542 ; par deux édits d'Henri II. d'Octobre 1547 & Novembre 1550 ; par François II. en 1559, & par Charles IX. en 1569 ; par Henri III. le 18 Février 1578 ; par Henri IV. le 2 Décembre 1602, par Louis XIII. le 8 Avril 1621, & par Louis XIV. le 6 Décembre 1643.

En 1655, les prevôt des marchands & échevins de la ville de Lyon ayant acquis l'office de juge-conservateur des priviléges royaux des foires de la même ville, l'office de lieutenant, & ceux des deux avocats du roi & du greffier héréditaire des présentations, ils en obtinrent la réunion au corps consulaire par édit du mois de Mai de la même année, qui porte que la conservation sera composée du prevôt des marchands, des quatre échevins, & de six juges, de deux desquels le roi se reserve la nomination ; on les appelle pour cette raison hommes du Roi. Il est aussi ordonné qu'il y ait toûjours deux gradués dans la jurisdiction ; qu'ils ne prendront épices, salaires, ni vacations ; qu'ils jugeront au nombre de cinq en matiere civile, & de sept en matiere criminelle.

Enfin au mois de Juillet 1669, Louis XIV. donna encore un édit célebre, portant reglement pour la jurisdiction civile & criminelle de la conservation.

Cet édit lui attribue le droit de connoître, privativement à la sénéchaussée & présidial de Lyon & à tous juges, de tous procès mûs & à mouvoir pour le fait du négoce & commerce de marchandises, circonstances & dépendances, soit en tems de foire ou hors foire, en matiere civile & criminelle ; de toutes les négociations faites pour raison desdites foires & marchandises, circonstances & dépendances ; de toutes sociétés, commissions, trocs, changes, rechanges, viremens de partie, courtages, promesses, obligations, lettres de change, & toutes autres affaires entre marchands & négocians en gros & en détail, manufacture de choses servant au négoce, & autres de quelque qualité & condition qu'ils soient, pourvû que l'une des parties soit marchand ou négociant, & que ce soit pour fait de négoce, marchandise, ou manufacture.

Suivant ce même édit, tous ceux qui vendent des marchandises & qui en achetent pour les revendre, qui portent bilan & tiennent livre de marchand, ou qui stipulent des payemens en tems de foire, sont justiciables de la conservation pour raison desdits faits de marchandises & de foires ou payemens.

La conservation connoît aussi privativement à la sénéchaussée & présidial, & à tous autres juges, des voitures des marchandises & denrées dont les marchands font commerce seulement.

Elle connoît pareillement de toutes lettres de répi, banqueroutes, faillites, & déconfitures de marchands, négocians, & manufacturiers, ce qui a lieu quoique les faillis demeurent hors la ville de Lyon ; des choses servant au négoce, de quelque nature qu'elles soient ; & en cas de fraude elle peut seule procéder extraordinairement contre les faillis & leurs complices, mettre le scellé, faire inventaire & vente judiciaire des meubles & effets, même de leurs immeubles, par saisies, criées, vente & adjudication par décret, & distribution des deniers en provenans, sans qu'aucune des parties puisse se pourvoir ailleurs, sous prétexte de committimus, incompétence, ni autrement, à peine de trois mille livres d'amande, & de tous dépens, dommages & intérêts ; à la charge seulement que les criées seront certifiées par les officiers de la sénéchaussée.

La conservation connoît de toutes ces matieres souverainement & en dernier ressort jusqu'à la somme de cinq cent livres, & pour les sommes excédentes cinq cent livres, les sentences sont exécutées par provision.

Toutes les sentences de ce tribunal, soit provisionnelles ou définitives, sont exécutées dans toute l'étendue du royaume sans visa ni pareatis, comme si elles étoient scellées du grand sceau.

Il est défendu à la sénéchaussée & siége présidial de Lyon de prononcer par contrainte par corps & exécution provisionnelle de leurs ordonnances & jugemens, conformément aux rigueurs de la conservation, à peine de nullité, cassation, &c. la faculté de prononcer ainsi étant réservée à la conservation.

L'édit du mois d'Août 1714 a encore expliqué que les contraintes par corps émanées de la conservation s'exécutent par tout le royaume.

Ce tribunal est donc composé du prevôt des marchands & échevins, & de six autres juges bourgeois ou marchands, dont le premier est toûjours un avocat ancien échevin ; les second & troisieme sont les deux hommes du Roi. Les gens du Roi du bureau de la ville servent aussi à la conservation, & le secrétaire de la ville y exerce en cette qualité les droits & fonctions de greffier en chef ; il a sous lui un commis greffier. Il y a aussi pour le service de ce tribunal deux huissiers audienciers & jurés crieurs, & un juré trompette.

Les avocats ès cours de Lyon avoient été admis à plaider à la conservation dès 1689, par un arrêt du 23 Avril de ladite année ; ils avoient néanmoins négligé pendant un certain tems de fréquenter ce tribunal, d'où les procureurs se prétendoient en droit de les en exclure : mais par arrêt du 20 Août 1738, enregistré au siége le 24 Novembre suivant, les avocats ont été confirmés dans le droit de plaider à la conservation, comme ils font depuis cet arrêt.

Outre la jurisdiction principale de la conservation, il y a aussi dans l'enclave du même tribunal la jurisdiction du parquet, qui fait partie de la cour de la conservation. Par arrêt du conseil d'état du Roi & lettres patentes en forme d'édit enregistré au parlement, les charges d'avocat & de procureur général de la ville de Lyon ont été réunies à celle de procureur du Roi en la conservation, & c'est en cette derniere qualité que le procureur général de la ville juge gratuitement & en dernier ressort jusqu'à la somme de cent livres de principal. Ses sentences sont aussi exécutoires par corps. (A)

CONSERVATION ou BAILLIAGE DU CHATELET DE PARIS, voyez au mot CHATELET, à la subdivision Bailliage ; & ci-devant au mot CONSERVATEUR, à la subdivision CONSERVATEUR DES PRIVILEGES ROYAUX DE L'UNIVERSITE. (A)

CONSERVATION, (Pharmacie) La conservation est une partie essentielle de la Pharmacie, qui consiste à préserver d'une altération nuisible à la perfection du médicament toutes les drogues, soit simples, soit composées ; que l'apothicaire est obligé de garder dans sa boutique, & qu'il lui seroit ou impossible ou peu commode de se procurer chaque jour.

L'humidité & la chaleur sont les deux grands instrumens de la corruption des substances médicales, qui sont les sujets de la conservation pharmaceutique ; c'est donc à prévenir l'action destructive de ces deux agens, que doivent tendre tous les moyens qu'on y employe.

C'est à l'une ou à l'autre de ces causes que se rapportent principalement la plûpart des effets qu'on attribue vaguement au contact de l'air, ou à la communication avec l'air libre. Il est pourtant quelques-uns de ces effets qui ne pourroient pas y être rapportés avec assez d'exactitude ; telle est la dissipation de certaines substances très-volatiles, qui, quoiqu'elles soient à-peu-près proportionnelles au degré de chaleur du milieu dans lequel ces substances sont gardées, a pourtant lieu dans la température de ce milieu qu'on appelle froid. On ne prévient cette dissipation qu'en interrompant exactement cette communication entre ces substances & l'air.

C'est pour cela que la conservation des eaux aromatiques distillées, des eaux spiritueuses, des huiles essentielles, dépend moins de ce qu'on les tient dans un lieu frais, que de ce qu'on a soin de boucher exactement le vaisseau qui les contient. On conserve plus sûrement encore ces dernieres substances, on prévient ou on retarde leur épaississement en les conservant sous l'eau, lorsqu'elles sont spécifiquement plus pesantes que ce dernier liquide, ou sur l'eau dans des bouteilles renversées, lorsqu'elles sont plus legeres.

Il est une exception assez singuliere à la regle de boucher exactement les vaisseaux qui contiennent des substances volatiles aromatiques ; le degré de parfum qui fait la sensation agréable ne se trouve dans quelques-unes de ces substances, qu'après qu'elles ont perdu une partie de leur odeur. Le fait est sensible dans l'eau de fleurs d'oranges. Aussi les bons Apothicaires ne couvrent-ils que d'un papier la bouteille à l'eau de fleurs d'oranges qui sert actuellement au détail de la boutique.

On ne sait pas non plus assez distinctement quelle autre vûe on pourroit avoir en supprimant toute communication entre l'air & certains sucs qu'on conserve sous l'huile, que l'exclusion même de cette communication. L'observation nous a appris qu'ils moisissoient à leur surface, & qu'ils se corrompoient facilement lorsqu'on ne prenoit pas la précaution de les couvrir d'un peu d'huile ; & cette observation suffit sans-doute pour autoriser cette méthode.

Nous revenons aux deux principaux instrumens de la corruption des médicamens officinaux, & premierement à l'humidité ou à l'eau. Ce principe nuisible à leur conservation, doit être considéré ou dans les matieres mêmes, ou dans l'atmosphere.

On prévient l'effet de l'eau inhérente aux matieres mêmes, ou par la dessiccation (Voyez DESSICCATION), ou par une espece d'assaisonnement qui occupe cette eau, qui la fixe, qui la rend inactive. C'est principalement le sucre ou le miel que l'on employe à cet assaisonnement, qui fournit les boutiques des syrops, des conserves, des électuaires, &c. Voyez SYROP, CONSERVE, ELECTUAIRE, &c. Aussi l'unique regle pour rendre ces préparations durables, consiste-t-elle à les priver de toute eau libre, ou à les réduire par la cuite en une consistance qui constitue leur état durable, & qui doit varier selon que ces préparations doivent être gardées plus ou moins long-tems, conservées dans un lieu convenable, ou transportées plus ou moins loin, & dans différens climats, &c.

C'est sur les mêmes vûes qu'est fondé l'assaisonnement avec l'esprit-de-vin, fort peu usité dans nos boutiques, & presque uniquement pour la teinture de Mars (Voyez FER) ; & celui auquel on employe le sel marin, qui n'est point du tout en usage parmi nous, & dont on pourroit se servir, comme les Allemands, au lieu de la dessiccation pour conserver certaines fleurs, comme les roses. Voyez ROSE.

La plûpart des matieres végétales & animales seches, comme feuilles, racines, viperes, & cloportes séchées, &c. les poudres sont sur-tout exposées à cette altération, par la multiplicité des surfaces qu'elles présentent à l'air. On doit donc tenir toutes ces substances dans des lieux secs & dans des vaisseaux bien bouchés, ou des boîtes exactement fermées. L'importance de cette méthode est très-sensible, par la comparaison des plantes seches que les herboristes gardent en plein air dans leurs boutiques, & de celles qui ont été soigneusement serrées dans des boîtes ; les premieres, quelque exactement qu'elles ayent été desséchées, deviennent noires, molles, à demi-moisies ; les dernieres au contraire sont aussi vertes & aussi saines qu'au moment qu'on les a renfermées. On doit aussi principalement tenir dans un lieu sec certaines tablettes sujettes à se ramollir par l'humidité de l'air, comme celles de diacarthami, de citron, &c. & les poudres dans lesquelles il entre du sucre. Les sels déliquescens qu'on veut garder sous la forme seche, tels que la pierre à cautere, la terre foliée, &c. doivent être sur-tout scrupuleusement préservées de toute communication avec l'air, toûjours assez humide pour les faire tomber en liqueur.

La trop grande chaleur est sur-tout nuisible aux matieres molles ou liquides, dans lesquelles elle pourroit exciter un mouvement de fermentation, ou une espece de digestion toûjours nuisible : tels sont les syrops, les miels, les vins médicamenteux, les sucs, les eaux distillées, les huiles essentielles ; on doit tenir toutes ces matieres dans un lieu frais. Les Apothicaires les placent ordinairement dans leurs caves.

On doit aussi tenir dans un lieu frais, ou du moins à l'abri de l'action d'un air sec & chaud, les sels qui sont sujets à perdre, par une legere chaleur, l'eau de leur crystallisation, comme le vitriol de Mars, le sel de Glauber, le sel d'ebsom, lorsqu'on veut garder ces sels sous leur forme crystalline.

Outre la chaleur, l'humidité, & la communication avec l'air libre, qui sont les causes les plus générales de la corruption du médicament, il en est une plus particuliere, dont il est assez difficile de préserver certaine drogues ; savoir la vermoulure ou les vers : ce sont les fruits doux, comme les dattes, les figues, les jujubes, &c. qui y sont particulierement sujets. On prévient cet inconvénient, autant qu'il est possible, en tenant ces fruits auparavant bien séchés dans un lieu sec : mais le moyen le plus sûr, c'est de les renouveller tous les ans, & heureusement ils se gardent assez bien d'une récolte à l'autre.

Il est aussi quelques racines, principalement celles de chardon roland, de satyrium, qui sont singulierement sujettes aux vers, & qu'on garde pour cette raison sous la forme de confitures, qui les en met exactement à l'abri. La méthode de passer au four, ou d'exposer à un dégré de chaleur capable de détruire les insectes & leurs oeufs, les drogues particulierement sujettes aux vers, ne peut être que bien rarement employée en Pharmacie, parce que la plûpart de ces drogues seroient déparées par cette opération, & peut-être même réellement altérées : certaines racines dures & ligneuses, telles que la squine, pourroient pourtant y être soûmises sans danger, & on en tireroit même dans ce cas un avantage réel, qu'on a tort de négliger.

La plûpart des moyens de conservation que les Naturalistes ont imaginés, comme les vernis ou les enduits résineux, graisseux, &c. les différens mastics destinés à boucher exactement les vaisseaux, &c. sont trop imparfaits pour pouvoir être de quelqu'usage dans cet art. (b)


CONSERVATOIRES. m. (Hist. mod.) maison où l'on reçoit des femmes & des filles que la misere pourroit entraîner dans la débauche. Il y en a en Italie plusieurs. On donne le même nom à un hôpital d'une autre espece fondé à Rome pour de pauvres orphelines ; enfin on appelle ainsi en Italie les écoles de musique, dont les plus célebres sont à Naples, & d'où sont sortis de grands hommes en ce genre.


CONSERVATRICE(Mythologie) épithete qu'on donne communément à Junon. Junon conservatrice a pour symbole la biche aux cornes d'or, qu'elle sauva de la poursuite de Diane dans les plaines de Thessalie, où la déesse de la chasse n'en put atteindre que quatre de cinq qu'elles étoient.


CONSERVE(Marine) On donne ce nom à un navire de guerre qui accompagne & escorte des vaisseaux marchands. Conserve, aller de conserve, se dit de plusieurs vaisseaux qui font voile ensemble & de compagnie, pour se secourir les uns les autres. (Z)

CONSERVE, s. f. (Pharmacie) espece de confiture préparée en mêlant exactement certaines fleurs, feuilles, fruits, ou racines exactement pilées ou réduites en pulpe, avec une certaine quantité de sucre.

On s'est proposé dans la préparation des conserves (comme dans celle de tous les assaisonnemens par le moyen du sucre) deux vûes principales : la premiere, de conserver des matieres végétales dont on n'auroit pû retenir aussi parfaitement la vertu par aucun autre moyen ; & la seconde, de rendre ces remedes plus agréables aux malades.

Les conserves ont encore une troisieme utilité dans l'art ; elles fournissent un excipient commode dans la préparation des opiates, pilules, & autres prescriptions extemporanées ou magistrales, sous formes solides. Nous allons donner des modeles des différentes especes de conserve. Voici d'abord celle d'une fleur.

Conserve de violettes. Prenez des fleurs de violettes nouvellement cueillies & bien épluchées, une demi-livre, du sucre blanc une livre & demie. On pilera dans un mortier de marbre les violettes jusqu'à ce qu'elles soient en forme de pulpe ; on fera cependant cuire le sucre dans cinq ou six onces d'eau commune en consistance de tablettes ; on les retirera de dessus le feu ; & lorsqu'il sera à demi-refroidi, on y mêlera les violettes pilées, & on versera cette conserve encore chaude dans un pot, & on l'y laissera refroidir sans la remuer.

On demande en général dans cette espece de conserve deux parties de sucre & une partie de fleurs ; mais cette proportion doit varier selon que les fleurs sont plus ou moins aqueuses, ensorte qu'on en fasse entrer davantage pour les conserves des fleurs succulentes, comme on peut le remarquer dans la conserve de violettes que nous avons donné pour exemple.

Dans le cas où les plantes seroient peu succulentes, Zwelfer prescrit de prendre jusqu'à deux parties & demi de sucre sur une partie de fleurs ; mais il ajoute une certaine quantité d'eau distillée de la plante qui fait la base de la conserve. Les racines qu'on destine à être mises sous la forme de conserve, se préparent d'une façon un peu différente. Voici cette préparation.

Conserve de racine d'enula campana. Prenez des racines fraîches d'enula campana bien épluchées & bien nettoyées, autant que vous voudrez : faites-les bouillir dans une suffisante quantité d'eau de fontaine, jusqu'à ce qu'elles soient bien ramollies : mettez-les alors sur un tamis pour les séparer de l'eau dans laquelle elles ont bouilli ; après quoi vous les pilerez & les réduirez en pulpe que vous passerez par un tamis de crin. A une demi-livre de cette pulpe vous ajoûterez deux livres de sucre cuit en consistance de tablette dans la décoction des racines : vous mêlerez le tout exactement ; & la conserve sera faite.

Conserve de cynorrhodon. Prenez des fruits mûrs de cynorrhodon, connus en François sous le nom de grattecus ; ôtez-en les pepins avec soin ; & après les avoir arrosés D'un peu de vin blanc, mettez-les à la cave où vous les laisserez une couple de jours ; il s'excitera un petit mouvement de fermentation qui les ramollira ; & en cet état ils pourront facilement être pilés dans un mortier de marbre, pour être réduits en pulpe que vous passerez par le tamis de crin ; vous prendrez une livre & demie de sucre que vous ferez cuire en consistance de tablettes, & que vous mêlerez sur le champ avec une livre de la pulpe ; & la conserve sera faite.

Conserve de cochlearia. Prenez des feuilles de cochlearia deux onces, pilez-les exactement dans un mortier de marbre, & y ajoûtez du sucre blanc six onces : continuez à piler jusqu'à ce que le sucre & la plante soient bien unis, la conserve sera faite.

Cette conserve se fait à froid, autrement la chaleur dissiperoit les parties volatiles de cette plante.

Toutes les conserves que nous venons de décrire sont appellées dans les boutiques conserves molles, pour les distinguer d'une autre espece qu'on nomme solides, dont nous allons donner un exemple.

Conserve de roses solide. Prenez de roses rouges bien séchées & pulvérisées subtilement, trois onces ; arrosez-les avec une demi-dragme, ou environ, d'esprit de vitriol ; après cela, prenez du sucre blanc trois livres, de l'eau de roses distillée une suffisante quantité, avec laquelle vous ferez cuire le sucre en consistance de tablettes ; & étant retiré du feu, vous y mêlerez la poudre de rose, & en ferez des tablettes selon l'art.

Nota. L'esprit de vitriol est mis ici pour exalter la couleur des roses. Voyez COLORATION. Cette conserve devroit plûtôt être appellée tablettes de rose ; & en effet c'en sont de véritables. Voy. TABLETTE. (b)


CONSERVÉadj. se dit en général de tout ce qui n'a éprouvé du tems & des accidens auxquels les productions de la nature & de l'art sont exposées dans les serres, les armoires, les cabinets, aucun effet très-sensible de destruction. Ainsi on dit qu'un tableau s'est bien conservé, lorsque les couleurs n'en sont pas changées ; qu'il n'a point été frotté, ciré ; enfin qu'il n'a point souffert d'altération, & qu'il est pur comme il est sorti de la main du maître.


CONSERVERv. act. (Jurisprud.) opposition afin de conserver. Voyez OPPOSITION.


CONSERVESsubst. f. pl. (Optique) c'est une espece de lunette qui ne doit point grossir les objets, mais affoiblir la lumiere qui en rejaillit, & qui pourroit blesser la vûe : c'est de cette propriété que leur est venu le nom de conserves. Voy. LUNETTES.


CONSEou CONSULS, s. m. pl. (Jurisprud.) comme par abréviation & contraction de consules : c'est le nom que l'on donne en Provence aux échevins. (A)


CONSEVIUou CONSIVIUS, s. m. (Myth.) dieu ainsi appellé du verbe consero, je seme, & de sa fonction qui consistoit à présider à la conception des hommes qu'il favorisoit à sa maniere, dont on ne nous instruit point. L'acte de la génération avoit paru aux anciens de telle importance, qu'ils avoient placé autour de ceux qui s'en occupoient un grand nombre de dieux & de déesses, dont les fonctions seroient d'un détail contraire à l'honnêteté. Il y en a qui prétendent que ce Consevius est le même que Janus.


CONSIDERABLEGRAND, adj. (Synonym. Gramm.) Ces deux mots désignent en général l'attention que mérite une chose par sa quantité ou sa qualité.

La collection des arrêts seroit un ouvrage considérable. L'esprit des lois est un grand ouvrage. Un courtisan accrédité est un homme considérable. Corneille étoit un grand homme ; on dit de grands talens, & un rang considérable. (O)


CONSIDÉRATIONÉGARDS, RESPECT, DÉFÉRENCE, (Gramm.) termes qui désignent en général l'attention & la retenue dont on doit user dans les procédés à l'égard de quelqu'un.

On a du respect pour l'autorité, des égards pour la foiblesse, de la considération pour la naissance, de la déférence pour un avis. On doit du respect à soi-même, des égards à ses égaux, de la considération à ses supérieurs, de la déférence à ses amis. Le malheur mérite du respect, le repentir des égards, les grandes places de la considération, les prieres de la déférence.

On dit, j'ai des égards, du respect, de la déférence pour M. un tel ; & on dit passivement, M. un tel a beaucoup de considération.

Il ne faut point, dit un auteur moderne, confondre la considération avec la réputation : celle-ci est en général le fruit des talens ou du savoir-faire ; celle-là est attachée à la place, au crédit, aux richesses, ou en général au besoin qu'on a de ceux à qui on l'accorde. L'absence ou l'éloignement, loin d'affoiblir la réputation, lui est souvent utile ; la considération au contraire est toute extérieure, & semble attachée à la présence. Un ministre incapable de sa place a plus de considération & moins de réputation qu'un homme de lettres, ou qu'un artiste célebre. Un homme de lettres, riche & sot a plus de considération & moins de réputation qu'un homme de mérite pauvre. Corneille avoit de la réputation, comme auteur de Cinna ; & Chapelain de la considération, comme distributeur des graces de Colbert. Newton avoit de la réputation, comme inventeur dans les Sciences ; & de la considération, comme directeur de la monnoie. Il y a telle nation où un chanteur est plus considéré qu'un philosophe ; parce que les hommes aiment mieux être desennuyés qu'éclairés. (O)


CONSIGou CONSIVE. (Comm.) A Lyon, le livre de consige est celui sur lequel un maître des coches consigne & enregistre les balles, ballots, &c. dont il se charge pour en faire la voiture.

En Provence, c'est le registre où les commis & les receveurs des bureaux des droits du Roi, enregistrent les sommes qu'un marchand ou voiturier leur dépose, pour sûreté que les marchandises déclarées auront été conduites à leur destination ; lesquelles sommes ils ne leurs restituent, qu'en rapportant l'acquit à caution déchargé par les commis des bureaux des lieux pour lesquels ces marchandises étoient destinées.

La somme que l'on consigne pour caution, s'appelle aussi consige dans les mêmes bureaux. Voyez les dict. de Trév. du Comm. & de Dish. (G)


CONSIGNATIONS. f. (Jurisprud.) est un dépôt de deniers que le débiteur fait par autorité de justice entre les mains de l'officier public destiné à recevoir ces sortes de dépôts ou consignations, à l'effet de se libérer envers celui auquel les deniers sont dûs, lorsque celui-ci ne veut pas les recevoir, ou qu'il n'est pas en état d'en donner une décharge valable, ou qu'il n'offre pas de remplir les conditions nécessaires.

Le terme consigner, d'où l'on a fait consignation, vient du latin consignare, qui signifie cacheter, sceller ensemble ; parce qu'anciennement on scelloit & cachetoit dans des sacs l'argent que l'on déposoit par forme de consignation.

Les Athéniens étoient tellement soigneux de ces sortes de dépôts judiciaires, qu'ils les mettoient en leur thrésor ou palais public, appellé prytanée ; d'où les choses ainsi consignées, étoient aussi appellées prytanées, ainsi que Budée l'observe dans ses commentaires.

Chez les Romains on faisoit du dépôt judiciaire un acte de religion ; c'est pourquoi Varron l'appelle sacramentum, & on le mettoit dans leurs temples, de même que le thrésor public.

Ainsi chez ces deux nations, ce n'étoient pas les personnes, mais les lieux que l'on choisissoit pour assûrer le dépôt judiciaire. On ne livroit pas non plus les deniers déposés par compte numéraire ; on les scelloit & cachetoit, comme on a dit, dans des sacs, ce qu'ils appelloient obsignatio ou consignatio ; desorte qu'alors la consignation étoit une formalité & une précaution qui précédoit le dépôt judiciaire, & néanmoins comme le dépôt suivoit immédiatement la consignation, on s'accoûtuma insensiblement à prendre la consignation, proprement dite, pour le dépôt même ; & le dépôt judiciaire fut appellé consignation. Celui qui retiroit les deniers consignés ne les demandoit pas par compte de somme ; il ne s'agissoit que de lui représenter le même nombre de sacs, & de reconnoître les sceaux & cachets entiers.

En France, on a retenu le terme de consignation pour exprimer le dépôt judiciaire, quoiqu'il n'y soit pas d'usage de cacheter les sacs, mais de donner les deniers en compte au dépositaire : il doit néanmoins rendre les mêmes deniers in specie ; & il ne lui est pas permis de les détourner, ni de s'en servir, ni d'y substituer d'autres especes, quand elles seroient de même valeur. Le dépôt doit être inviolable ; & le dépositaire doit rendre en nature le même corps qui lui a été confié : c'est pourquoi la perte ou diminution qui survient sur les effets consignés, n'est point à sa charge ; il ne profite pas non plus de l'augmentation qui peut arriver sur les especes ; la perte & le gain ne regardent que celui qui est propriétaire des deniers consignés.

Anciennement il étoit libre aux parties intéressées à la consignation de choisir le lieu & la personne auxquels on remettoit les deniers. Avant l'érection des receveurs des consignations, & dans les lieux où il n'y en a point encore, le greffe a toûjours été naturellement le lieu où les consignations doivent être faites, & le greffier est le dépositaire né de ces sortes de dépôts ; car le greffe est la maison d'office & la maison publique où l'on doit garder non-seulement les actes publics, mais aussi toutes les autres choses qui sont mises sous la main de la justice, autant que faire se peut. C'est pourquoi en Droit consigner s'appelle apud acta deponere. Cependant autrefois il étoit libre aux parties de convenir d'un notaire, d'un marchand, ou d'un autre notable bourgeois, entre les mains duquel on laissoit les deniers. On avoit égard pour ce choix à ce qui étoit proposé par le plus grand nombre ; mais si les parties ne s'accordoient pas, la consignation se faisoit au greffe : c'est ce que les anciennes ordonnances appellent consigner en cour, ou en main de cour, ou en justice.

Loyseau dit que de son tems il étoit encore d'usage dans quelques justices subalternes, que la consignation se faisoit entre les mains du juge : ce qui étoit aussi indécent par rapport à son caractere, que dangereux pour les parties, les juges étant toûjours de difficile discussion, & ceux de village sur-tout contre lesquels il y a ordinairement peu de ressource. Mais cet abus paroît avoir été réprimé depuis par divers arrêts de réglemens qui ont défendu à tous juges d'ordonner aucuns dépôts, non-seulement entre leurs mains, mais même en celles de leurs clercs, parens & domestiques, ni de s'intéresser directement ni indirectement dans la recette.

Il n'y a guere plus de sûreté avec la plûpart des greffiers de village, qui sont communément de simples praticiens peu solvables. Il est vrai que Loyseau, liv. II. chap. vj. prétend que le seigneur est responsable subsidiairement de la consignation ; mais au chapitre suivant, où il s'explique plus particulierement à ce sujet, il convient que le propriétaire du greffe n'est pas responsable du fait du greffier, quand celui-ci a été reçu solemnellement en justice, mais seulement que l'office de greffier répond des dommages & intérêts des particuliers.

L'édit de 1580, qui rendit les greffes héréditaires dit que c'est afin que les consignations, & autres choses que les greffiers ont en garde, soient mieux assûrées ; de sorte que les consignations étoient alors confiées ordinairement aux greffiers, à la différence des commissaires & des huissiers qui ne sont chargés qu'extraordinairement de certains dépôts.

On n'a cependant jamais considéré les greffiers comme des officiers, dont le principal ministere fût de garder des effets consignés. C'est pourquoi l'ordonnance de l'an 1548, article 34. & celle de l'an 1535, article 6. portent que les greffiers ne seront tenus des consignations, que comme simples dépositaires, c'est-à-dire non pas comme des officiers comptables. C'est pourquoi Loyseau dit qu'il n'y a pas hypotheque sur leurs biens du jour de leur reception pour la restitution des effets consignés, mais seulement du jour de chaque consignation : ils en sont néanmoins chargés par corps, & sans être admis au bénéfice de cession, de même que tous dépositaires de biens de justice.

Henri III. est le premier qui ait établi des receveurs des consignations en titre d'office. Le préambule de l'édit de création, qui est du mois de Juin 1578, nous apprend de quelle maniere on en usoit alors pour les consignations. Il est dit que le roi avoit reçu plusieurs plaintes des abus qui se commettoient au maniment des deniers consignés par ordonnance de justice ès mains des greffiers, notaires, tabellions, commissaires-examinateurs, huissiers, sergens, & autres : que quoique par l'établissement de leurs offices on ne leur eût pas donné le pouvoir de garder des deniers de cette espece, cependant jusqu'alors les consignations étoient faites à l'option des juges, qui y commettoient telles personnes que bon leur sembloit, lesquels pour être payés de la garde des deniers commettoient beaucoup d'exactions ; que l'on consignoit aussi quelquefois entre les mains de marchands qui la plûpart étoient parens & alliés des juges ; que si les parties ne leur accordoient pas ce qu'ils vouloient exiger d'eux, ils se faisoient faire des taxes excessives, trafiquant des deniers avec les officiers publics ; qu'ils prolongeoient le plus qu'ils pouvoient les procès pour se servir des deniers ; que les procès finis, on étoit contraint le plus souvent de faire procéder contre les dépositaires par saisies & emprisonnemens de leurs personnes & biens ; que pendant ces poursuites il arrivoit que les marchands faisoient cession & s'enfuyoient avec les deniers, ou que les ayant prêtés on avoit de la peine à en retirer une partie ; que les huissiers & sergens, pour garder les deniers, recevoient toutes sortes d'oppositions, & même en suscitoient de simulées ; qu'ils se trouvoient le plus souvent insolvables, & qu'il y avoit peu de ressource dans leur caution, qui n'excédoit pas 200 liv. au plus.

Pour éviter tous ces inconvéniens, le roi crée par cet édit un receveur des consignations en chaque justice royale ou seigneuriale pour faire la recette, & se charger comme pour deniers du roi de tous ceux qui seront consignés par ordonnance. Cet édit leur attribuoit même le droit de recevoir tous dépôts volontaires entre marchands & particuliers, tous sequestres & exécutions, même tous deniers arrêtés entre les mains des huissiers ou sergens ; mais leur fonction a depuis été restrainte, comme on le dira dans un moment.

L'édit leur attribuoit pour tous droits six deniers pour livre, ce qui a depuis été augmenté par divers édits & déclarations, & fixé différemment selon les divers cas dans lesquels se font les consignations.

Les receveurs sont obligés de donner caution pour eux & leurs commis, laquelle étoit fixée pour le parlement à 15000 livres, pour les présidiaux à la moitié, & dans les autres siéges inférieurs à l'arbitrage du juge : mais elle a depuis été fixée, pour les cours souveraines à 20000 livres, pour les requêtes de l'hôtel & du palais, bailliages & sénéchaussées à 6000 livres, & pour les autres justices à 1000 livres. Ils donnent cette caution en se faisant recevoir dans la jurisdiction de leur exercice. Il est aussi défendu par l'édit de 1578, d'ordonner aucune consignation ou dépôt, si ce n'est entre les mains de ces receveurs.

Ces offices de receveurs des consignations furent dans la suite divisés en plusieurs autres de receveurs anciens, alternatifs, triennaux & quatriennaux, de contrôleur & principaux commis ; ce qui causoit beaucoup d'embarras dans leur exercice, ce qui engagea Louis XIV. à donner un édit au mois de Février 1689, par lequel il réunit tous ces offices en un seul office de receveur des consignations, qu'il établit dans chaque jurisdiction royale, avec le titre de receveur héréditaire & domanial.

Comme on faisoit difficulté de consigner entre les mains de ces receveurs royaux, le prix des biens vendus par decret dans les justices seigneuriales, il y eut une déclaration le 2 Août suivant, qui ordonna que l'on consigneroit entre les mains de ces receveurs le prix des biens vendus dans les justices seigneuriales & autres sommes sujettes à consignation, avec défenses aux juges des seigneurs d'ordonner ailleurs aucune consignation, à peine d'en répondre en leur nom ; & aux greffiers & à tous autres de s'y ingérer à peine de 3000 livres d'amende. Quelques seigneurs de grandes terres ont acquis l'office de receveur des consignations, & le font exercer par des commis, ou l'ont réuni à leur greffe. Dans les autres justices seigneuriales où ces offices ne sont pas réunis, on ne peut ordonner de consignations qu'entre les mains du receveur royal du ressort.

Par une déclaration du mois de Décembre 1633, on leur donna le titre de conseillers du Roi ; ils furent aussi déchargés de l'obligation de donner caution, & on les autorisa à rembourser les commissaires aux saisies réelles pour les réunir & incorporer à leurs offices ; mais ces deux dernieres dispositions n'ont point eu lieu.

Suivant les déclarations des 29 Février 1648, 13 Juillet 1659, 16 Juillet 1669, 27 Novembre 1674, l'édit du mois de Février 1689, la déclaration du 12 Juin 1694, & autres déclarations & arrêts postérieurs, portans réglemens pour les fonctions & droits des receveurs des consignations, tous adjudicataires ou acquéreurs d'immeubles saisis, réellement vendus ou délaissés par le débiteur ou ses créanciers, dont le contrat d'abandonnement ou de vente est homologué par arrêt ou jugement, sont tenus d'en consigner le prix entre les mains du receveur.

Le délaissement fait en justice à un héritier bénéficiaire d'immeubles saisis réellement, & qui lui sont donnés en payement de son dû, comme créancier n'est point sujet au droit de consignation ; mais si le prix du délaissement excede les créances pour lesquelles il est colloqué utilement, & qu'il soit tenu d'en payer l'excédent aux créanciers suivant l'ordre qui en sera fait, il est tenu de consigner le surplus du prix, & le droit de consignation de ce qui appartiendra aux créanciers sera payé.

Les adjudicataires ou acquéreurs sont tenus de consigner ès mains des receveurs des consignations le prix des immeubles saisis réellement, qui seront vendus ou adjugés dans les assemblées de créanciers en vertu de contrats d'abandonnement homologués en justice, ou dans le cas de faillite ouverte, & les droits doivent être payés au receveur, pourvû néanmoins que la saisie réelle ait été enregistrée, & qu'elle soit encore subsistante lors du contrat d'abandonnement ou de la faillite ouverte. Il est cependant permis aux créanciers de choisir telle personne qu'ils jugeront à-propos, ès mains de laquelle les deniers provenans du prix des immeubles seront déposés ; en payant au receveur le droit de consignation.

Mais les receveurs ne peuvent exiger aucun droit de consignation pour le prix des immeubles non saisis réellement, qui sont vendus & adjugés dans les assemblées des créanciers, en vertu de contrats d'abandonnement, même homologués en justice.

Il leur est pareillement défendu d'exiger aucun droit sur le prix des immeubles saisis réellement, qui sont vendus & adjugés dans les assemblées de créanciers en vertu de contrats d'abandonnement non homologués en justice.

Les deniers mobiliers pour lesquels il y a instance de préférence, doivent être déposés entre les mains des receveurs des consignations, & les droits leur en sont dûs suivant les édits.

Les adjudications par licitation qui sont faites en justice à des co-héritiers ou co-propriétaires, ne sont point sujettes à consignation ni à aucuns droits ; mais lorsqu'elles sont faites au profit d'autres qu'à des co-héritiers ou co-propriétaires, il doit être payé pour droit de consignation six deniers pour livre, sans néanmoins que dans ce cas les adjudicataires soient tenus de consigner le prix, si ce n'est qu'au jour de l'adjudication il y eût saisie réelle ou des oppositions subsistantes sur le total ou sur partie du prix, auquel cas la consignation doit être faite du total ou de partie, à moins que dans quinzaine après l'adjudication, on ne rapportât main-levée pure & simple de la saisie réelle & des oppositions.

Lorsqu'aux termes de l'adjudication le prix doit rester entre les mains de l'adjudicataire ou une partie dudit prix, on ne peut pas obliger l'adjudicataire de consigner ce qui doit rester entre ses mains, mais le droit en est dû au receveur.

Tous deniers provenans du prix des meubles vendus par ordonnance des juges royaux, doivent être déposés entre les mains du receveur des consignations un mois après la vente achevée, pourvû que la somme excede 100 livres, & qu'il y ait au moins deux opposans.

Il ne suffit pas à un débiteur qui veut se libérer, de faire des offres réelles pour être déchargé des intérêts, il faut que ces offres soient suivies d'une consignation effective.

Il n'est dû aucun droit de consignation en conséquence d'adjudication ou de contrats qui sont annullés, & le receveur en ce cas doit restituer le droit.

Il est défendu aux receveurs des consignations par un arrêt de réglement du parlement de Paris du 3 Septembre 1667, de se rendre adjudicataires directement ni indirectement des biens vendus pour dettes par vente publique au siége de leur recette, ni de les acquérir des adjudicataires, sinon après trois ans de la vente, à peine de nullité de l'adjudication & de perte du prix, ils peuvent néanmoins acquérir par contrat, & ensuite faire un decret volontaire.

Dans les pays où l'ordre se fait avant l'adjudication, & où l'on ne consigne que ce qui est contesté entre les créanciers, le droit est dû en entier au receveur, même pour ce qui n'a point été consigné.

Il en est de même dans les pays où l'on ne fait point de decret, le droit est dû au receveur sur le pié de l'estimation pour laquelle on adjuge au créancier des biens en payement.

Les secrétaires du Roi sont exemts des droits de consignation pour les immeubles qui se vendent sur eux en justice, mais ils doivent les droits pour ceux dont ils se rendent adjudicataires. Voyez au code 8. tit. 43. l. 9. & au dig. 40. tit. 7. l. 4. & liv. XLIII. tit. 5. leg. fin. Loyseau, des offices, liv. II. ch. vj. le recueil des réglemens concernant les consignations, & le tr. de la vente des immeubles par decret de M. d'Hericourt ; il faut y joindre la déclaration du 7 Août 1748. (A)

CONSIGNATION D'AMENDE, est le payement que l'on fait entre les mains du receveur d'une amende, qui, par l'évenement d'une contestation, peut être encourue. Ainsi il n'est pas permis de poursuivre le jugement d'un appel, que l'on n'ait consigné l'amende. De même en matiere de requête civile, les impétrans en présentant leur requête doivent consigner l'amende, & en matiere de faux-incident le demandeur en faux doit consigner une amende ; toutes ces amendes ne sont consignées que par forme de dépôt & de caution ; car s'il n'y a pas lieu par l'évenement, elles sont rendues à celui qui les a consignées. Voyez AMENDE, APPEL, FAUX-INCIDENT & REQUETE CIVILE. Voyez l'édit du mois d'Août 1669, & la déclaration du 21 Mars 1671, l'ordonnance du faux. (A)

CONSIGNATION DE LA DOT EN NORMANDIE, est un emploi ou remplacement de la dot de la femme, fait & stipulé vis-à-vis de son mari par le contrat de mariage ou par la quittance des deniers dotaux de la femme. Cette consignation ou emploi se fait sur tous les biens du mari. La femme acquiert par ce moyen une hypotheque spéciale sur les biens de son mari, parce que le mari constitue par-là sur lui & sur ses biens les deniers dotaux de sa femme. Mais pour que la femme joüisse de ce droit, il faut que la dot ait été réellement faite & soit justifiée. Voyez Basnage sur l'art. 365. de la Coûtume de Normandie ; cet article porte que la femme prenant part aux conquêts faits par son mari, constant le mariage, demeure néanmoins entiere à demander sa dot sur les autres biens de son mari, en cas qu'il y ait consignation actuelle de la dot faite sur les biens du mari ; & où il n'y auroit point de consignation, la dot sera prise sur les meubles de la succession, & s'ils ne suffisent, sur les conquêts. Le cas dont parle cet article, où il n'y auroit point de consignation, c'est-à-dire s'il n'y avoit qu'une simple promesse par le mari, dans le contrat du mariage, de faire emploi ou remplacement des deniers dotaux de la future épouse, la femme en ce cas ne prendroit ses deniers dotaux que sur les meubles trouvés après le decès de son mari, & s'ils ne sont pas suffisans, sur la part que le mari a dans les conquêts immeubles, les propres n'y sont sujets que subsidiairement. L'article 366 ordonne que si le mari reçoit, constant le mariage, le raquit des rentes qui lui ont été baillées pour la dot de sa femme, la dot est tenue pour consignée, encore que par le traité de mariage ladite consignation n'eût été stipulée ; c'est ce qu'on appelle la consignation tacite. Enfin l'article 69 du réglement de 1666, veut que le doüaire soit pris sur l'entiere succession, & la dot sur ce qui revient à l'héritier après la distraction du doüaire, pourvû qu'il y ait consignation actuelle de ladite dot. Et en effet, cessant cette consignation actuelle, la dot ne seroit pas reprise sur les biens des héritiers du mari, & la veuve qui prendroit part aux meubles & acquêts de son mari seroit tenue de contribuer elle-même au remploi de sa dot, à proportion de ce qu'elle prendroit aux meubles & acquêts, au lieu qu'elle n'y contribueroit point si sa dot avoit été actuellement consignée sur les biens de son mari. La dot actuellement consignée ou non, tient toûjours nature d'immeubles & retourne aux héritiers des propres ou aux héritiers des acquêts lorsqu'elle tient nature d'acquêts, comme il fut jugé par arrêt du 26 Mars 1607. Voyez les Commentateurs de la Coûtume de Normandie sur les articles qu'on a cités. (A)

CONSIGNATION EN MATIERE DE RETRAIT LIGNAGER, c'est le payement & dépôt que l'adjudicataire par retrait fait du prix du retrait, lorsque l'acquéreur évincé refuse de le recevoir, entre les mains du receveur des consignations, ou s'il n'y en a point dans le lieu, entre les mains du greffier. Voy. RETRAIT LIGNAGER.

CONSIGNATION TACITE DE DOT. Voyez ci-devant CONSIGNATION DE DOT. (A)

CONSIGNATION DES VACATIONS, est le payement qui se fait par anticipation entre les mains du receveur des épices & vacations d'un tribunal, d'une certaine somme, pour les vacations des juges qui doivent voir un procès de grand ou de petit commissaire, pour leur être délivrée à chacun à proportion du nombre de vacations qu'ils y auront employées. Voyez COMMISSAIRES, RECEVEUR DES éPICES ET VACATIONS & VACATIONS. (A)


CONSIGNEsubst. f. est, dans l'Art militaire, ce qu'il est ordonné à une sentinelle d'observer pendant qu'elle est dans son poste, & qu'elle doit rendre au soldat qui la releve.

C'est aussi l'instruction que l'officier & le sergent qui descendent la garde donnent à l'officier & au sergent qui la montent, touchant ce que ceux-ci doivent observer dans le poste qu'ils vont occuper. (Q)

CONSIGNE (le) subst. m. Art milit. c'est, dans les places de guerre, un particulier qui est placé à chaque porte pour s'informer des étrangers qui entrent dans la ville, prendre leurs noms, & savoir les endroits où ils se proposent de loger s'ils doivent séjourner dans la ville. Après les avoir interrogés, il doit les faire conduire à l'officier commandant la garde, lequel les interroge aussi pareillement, & les envoie ensuite au commandant accompagnés d'un ou de deux fusiliers, qui ne doivent les quitter qu'après en avoir reçu l'ordre du commandant ou d'un officier major. C'est de-là qu'on a fait en ce sens le verbe consigner quelqu'un. (Q)


CONSIGNERverb. act. (Comm.) synonyme à remettre & adresser. Je vous consigne cent livres de bois d'inde, &c. ou je vous adresse cent livres de bois d'inde, c'est la même chose. Dans le même sens consigner un vaisseau, c'est le remettre entre les mains du marchand qui en doit faire le chargement.

C'est aussi enregistrer des marchandises sur les livres des messagers, maîtres des coches, & autres voituriers publics. Voyez CONSIGE, CONSIGNER quelqu'un à une porte, à un passage, &c. terme tiré de l'Art militaire. Voyez l'article CONSIGNE. (G)


CONSISTANCES. f. (Physiq.) est cet état du corps dans lequel ses parties composantes sont tellement liées entr'elles, qu'elle résiste plus ou moins à la séparation les unes des autres. Voyez l'article COHESION.

La consistance differe de la continuité, en ce que la consistance suppose une difficulté de séparer les parties continues, ce que ne suppose pas la continuité ; l'idée de la continuité d'une chose n'emportant que la contiguité de ses parties. Voyez CONTINUITE.

Consistance se dit particulierement par rapport aux corps considérés entant qu'ils sont plus mous ou plus durs, plus liquides ou plus secs. Voyez FLUIDITE, DURETE, &c.

Les formes extérieures & visibles des médicamens, boles, syrops, onguens, &c. different principalement par la couleur & par la consistance. Chamb. (O)

CONSISTANCE, (Phys.) état de perfection où les choses susceptibles d'accroissement ou de décroissement demeurent pendant quelque tems, comme dans un état permanent, sans augmenter ni diminuer.

Ce terme se dit particulierement des arbres, pour signifier l'âge au-delà duquel ils ne croissent plus, & où cependant ils ne commencent point encore à décliner. Voyez ARBRE, &c.

Ainsi l'on distingue trois états dans un arbre, la crue, la consistance, & le retour, qui sont communs à tous les arbres, même aux fruitiers.

La consistance du chêne est depuis cinquante ans à cent soixante ; quelques-uns cependant soûtiennent que leur consistance ne commence qu'à cent ans, assûrant qu'ils croissent jusqu'à ce tems-là, & qu'ils continuent dans cette vigueur jusqu'à l'âge de deux cent ans. Chambers. (O)

CONSISTANCE, en termes de pratique, ce en quoi consistent ou à quoi montent les effets d'une succession, ou les domaines & dépendances d'un héritage, en un mot la totalité d'une chose quelconque. (H)


CONSISTANTadj. (Phys.) corps consistans, expression fort usitée par M. Boyle, pour désigner ce que nous entendons ordinairement par corps fixes & solides, par opposition aux corps fluides. Voyez SOLIDITE & FLUIDE.

Cet auteur a fait un essai particulier sur l'atmosphere des corps consistans, dans lequel il montre que tous les corps même les plus solides, les plus durs, les plus pesans, & les plus fixes, ont une atmosphere formée des particules qui s'en exhalent. Voyez ATMOSPHERE, ÉMANATION, &c. Chambers. (O)


CONSISTER(Gramm.) verbe neutre relatif 1°. à l'essence & aux attributs d'un être ; ainsi quand on demande en quoi cela consiste-t-il ? c'est comme si l'on demandoit quelle est l'essence de telle chose, quels sont ses attributs essentiels : 2°. à la collection des différentes parties d'un tout : ainsi quand on demande en quoi consiste son revenu, c'est comme si l'on demandoit quels sont les rentes ou objets particuliers qui forment son revenu ; & l'on répond, ce sont des maisons, des bénéfices, un patrimoine, des contrats, &c.


CONSISTOIRES. m. (Hist. anc. & mod. & Jurisprud.) ce terme a trois significations différentes ; il y avoit autrefois le consistoire des empereurs, il y a encore le consistoire du pape, enfin il y avoit aussi le consistoire des religionnaires.

CONSISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS, étoit leur conseil intime & secret. Le mot consistorium, qui vient de sistere, signifioit proprement le lieu où s'assembloit ce conseil ; ensuite on a pris le nom du lieu où il se tenoit pour le conseil même, & on a appellé de-là comites consistoriani ceux qui étoient de ce conseil ; ils étoient qualifiés du titre de viri spectabiles, qui étoit le second dégré dans l'ordre de la noblesse, ceux qui avoient ce titre étant au-dessus de ceux que l'on qualifioit clarissimi, & précédés seulement par ceux qui avoient le titre d'illustres ou superillustres, qui n'étoit accordé qu'aux premiers officiers de l'empire. Ces comtes ou conseillers du consistoire étoient égaux en tout aux proconsuls pour les honneurs & priviléges. Ces mêmes officiers, leurs femmes, enfans, serviteurs, & fermiers, joüissoient aussi des mêmes priviléges en plaidant, soit en demandant ou en défendant, que l'empereur Zénon avoit accordé aux clarissimes princes de l'école. Voyez au cod. liv. XII. tit. x. (A)

CONSISTOIRE DU PAPE, est l'assemblée des cardinaux convoqués par le pape qui y préside ; c'est proprement le conseil du pape : il a été nommé consistoire, à l'exemple de celui des empereurs Romains & des autres princes, dont les conseillers d'état sont appellés comites consistoriani. Le pape tient deux sortes de consistoires ou conseils avec les cardinaux, savoir le consistoire public & le consistoire secret : le consistoire public est celui dans lequel il reçoit les princes, & donne audience aux ambassadeurs ; le pape y est assis sur un throne fort élevé couvert d'écarlate ; son siége est de drap d'or ; à sa droite sont les cardinaux prêtres & évêques ; à gauche les cardinaux diacres : le consistoire secret est le conseil où le pape pourvoit aux églises vacantes, telles que les évêchés & certaines abbayes consistoriales. Ce consistoire se tient dans une chambre plus secrette, qu'on appelle la chambre du pape gai : le siége du pape n'y est élevé que de deux dégrés ; il n'y reste avec lui que deux cardinaux dont il prend les avis, que l'on qualifie de sentences.

Les bénéfices consistoriaux sont les archevêchés & évêchés, comme aussi les abbayes qui sont taxées dans les livres de la chambre apostolique au-dessus de 66 florins 2/3. On appelle ces bénéfices consistoriaux, parce que les nominations faites par le Roi sont proposées en plein consistoire ; ce qui s'entend néanmoins du consistoire secret.

La cédule consistoriale est un abrégé du rapport qui a été fait en consistoire par le cardinal proposant.

Ceux qui sont nommés aux bénéfices consistoriaux, sont proposés au pape en plein consistoire par le cardinal protecteur des affaires de France, en présence des cardinaux qui sont alors à Rome, auxquels il est obligé de donner des mémoires la veille du jour qu'ils doivent entrer au consistoire. On explique dans ces mémoires le genre de vacance du bénéfice, le nom, surnom, qualité, & capacité de celui qui est nommé par le Roi.

Les bénéfices consistoriaux sont à la nomination du Roi. Le pourvû doit obtenir des bulles, & pour cela paye un droit d'annate. Ces bénéfices se donnent en forme gracieuse, c'est-à-dire sans être obligé de se présenter à l'ordinaire, & sans être examiné. Ils ne peuvent être conférés par dévolution. Si l'incapacité du pourvû les fait vaquer, on ne peut les impétrer que du Roi. Ils ne sont point sujets aux regles de chancellerie, à la prévention, aux gradués, ni autres expectatives.

Quoique régulierement les abbayes consistoriales doivent être proposées au consistoire, cependant le pape s'en dispense souvent, sur-tout lorsque ceux qui en doivent être pourvûs ont quelque défaut d'âge, ou d'autre qualité & capacité requise, qui obligeroit les cardinaux à refuser la grace demandée : en ce cas le pape donne au pourvû des provisions par daterie & par chambre, avec dérogation expresse à la consistorialité ; & il accorde les dispenses nécessaires.

Il faut donc, pour expédier par consistoire, que le pourvû ait toutes les qualités requises ; car le consistoire ne souffre même aucune expression douteuse ni conditionnelle dans les provisions.

Quand les expéditions sont faites hors consistoire & par la daterie, la supplique est signée du pape seul, & les provisions sont expédiées en la forme des bénéfices inférieurs.

On prend souvent la voie de la daterie plûtôt que celle du consistoire, soit pour obvier au défaut de quelque qualité nécessaire, soit parce que l'on trouve de cette maniere plus de facilité pour l'expédition des provisions ; car elle se peut faire tous les jours par la daterie, au lieu que la voie du consistoire est plus longue, le consistoire ne se tenant que dans certains tems ; mais il en coûte un tiers de plus pour faire expédier par la chambre. Voyez le traité de l'usage & pratique de la cour de Rome de Castel, tome I. pag. 54. & tome II. pag. 107. & suiv. (A)

CONSISTOIRE : on donnoit aussi ce nom aux assemblées que les Religionnaires tenoient pour le reglement de la discipline de leur religion, & aux lieux destinés à tenir ces sortes d'assemblées.

Ayant cessé d'être permises au moyen de la révocation de l'édit de Nantes, il y a eu une déclaration du Roi du 21 Août 1684, portant que les biens immeubles, rentes, & pensions données ou léguées aux pauvres de la religion Prétendue Réformée, ou aux consistoires pour leur être distribués, lesquels se trouvoient possédés par lesdits consistoires, ou aliénés depuis le mois de Juin 1662, seroient délaissés aux hôpitaux des lieux où étoient lesdits consistoires ; & en cas qu'il n'y en eût point, à l'hôpital le plus prochain. Voyez la déclaration du 19 Octobre 1623, & autres postérieures, concernant la religion Prétendue Réformée. (A)

CONSISTOIRE DE LA BOURSE, (Commerce) c'est à Toulouse le bureau où s'assemblent les prieur & consuls des marchands de cette ville, pour y tenir leur jurisdiction, juger les affaires des particuliers, ou y traiter de ce qui concerne celles de la bourse même. Voyez BOURSE, & les dictionn. du Com. & de Dish. (G)


CONSISTORIALadj. (Jurispr.) est ce qui appartient au consistoire. Cela se dit ordinairement des bénéfices qui s'expédient par la voie du consistoire. Voyez ci-devant CONSISTOIRE DU PAPE, & au mot BENEFICE. (A)


CONSISTORIALITÉS. f. (Jurisp.) s'entend de la qualité de ce qui est consistorial, ou de la forme observée dans les expéditions du consistoire. Voyez ci-devant CONSISTOIRE DU PAPE. (A)


CONSIVES. f. (Myth.) la même divinité qu'Ops, Rhea, & la Terre. Ses fêtes, qu'on appelloit Opeconsives, se célébroient le 25 d'Août. Elle présidoit à la fertilité des campagnes.


CONSOLATS. m. (Jurispr.) consolatus Vapinci ; c'est ainsi qu'on appelle un droit qui se leve dans la ville de Gap sur tous les grains qu'on y apporte pour être vendus au marché. Ce même droit est nommé cosse ou layde en d'autres endroits. Voyez l'histoire de Dauphiné par M. de Valbonay, aux preuves, n. 202. (A)


CONSOLATIONS. f. (Morale & Rhétor.) est un discours par lequel on se propose de modérer la douleur ou la peine des autres. Voyez LIEU.

Dans la consolation on doit avoir une attention principales aux circonstances & aux rapports des personnes intéressées. Scaliger examine ceci fort bien dans son art poétique. " Le consolateur, dit-il, est ou supérieur, ou inférieur, ou égal, par rapport à la qualité, l'honneur, la richesse, la sagesse, ou l'âge : car Livie doit consoler Ovide d'une maniere fort différente de celle dont Ovide console Livie. Ainsi quant à l'autorité, un pere & un fils, Cicéron & Pompée, doivent consoler d'une maniere fort différente : de même par rapport à la richesse, si un client vouloit consoler Crassus ; par rapport à la sagesse, comme lorsque Séneque console Polybe & sa mere. Quant à l'âge, on n'a pas besoin d'exemples.

Un supérieur peut interposer son autorité, & même réprimander. Un homme sage peut disputer, alléguer des sentences. Un inférieur doit montrer du respect & de l'affection, & avoüer que ce qu'il avance, il le tient de personnes sages & savantes. Pour les égaux, il les faut rappeller à l'amitié réciproque. Chambers.

Malherbe a adressé à son ami Duperrier une très-belle ode pour le consoler de la mort de sa fille, & qui commence ainsi :

Ta douleur, Duperrier, sera donc éternelle, &c.

C'est-là qu'on trouve ces stances si nobles, où le poëte personnifiant la mort, la représente comme un tyran qui n'épargne personne, & des coups duquel on doit d'autant plus se consoler qu'ils sont inévitables dans toutes les conditions.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles, &c.

On pourroit dire à tous ceux qui s'affligent de quelque perte : Le tems fera presque nécessairement ce que la raison & la religion n'auront pas fait, & vous aurez perdu tout le mérite du sacrifice. Un sentiment assez singulier, & qui n'est pas hors de la nature, c'est celui d'un amant qui s'affligeoit de ce qu'il se consoleroit un jour de la perte de celle qu'il aimoit.

* CONSOLATION (Hist. ecclés.) cérémonie des Manichéens Albigeois, par laquelle ils prétendoient que toutes les fautes de la vie étoient effacées : ils la conféroient à l'article de la mort ; ils l'avoient substituée à la pénitence & au viatique. Elle consistoit à imposer les mains, à les laver sur la tête du pénitent, à y tenir le livre des évangiles, & à réciter sept Pater avec le commencement de l'évangile selon S. Jean. C'étoit un prêtre qui en étoit le ministre. Il falloit pour son efficacité qu'il fût sans péché mortel. On dit que lorsqu'ils étoient consolés, ils seroient morts au milieu des flammes sans se plaindre, & qu'ils auroient donné tout ce qu'ils possédoient pour l'être. Exemple frappant de ce que peuvent l'enthousiasme & la superstition, lorsqu'ils se sont une fois emparés fortement des esprits.

CONSOLATION, terme de jeu : on donne ce nom dans plusieurs jeux à une espece de tribut qu'on paye, soit à ceux qui ne jouent point, soit à ceux qui jouent & qu'on fait perdre, soit même à ceux qui gagnent, soit à celui qui perd, selon les conventions bisarres des jeux, où l'on a voulu quelquefois que la consolation fût faite par celui qui perd, & qui par conséquent devroit être consolé.


CONSOLES. f. en Architecture, est un ornement en saillie, taillé sur la clé d'une arcade, ou qui sert à porter de petites corniches, figures, bustes, vases, &c.

Console avec enroulemens, est celle qui a des volutes en-haut & en-bas.

Console arasée, est celle dont les enroulemens affleurent les côtés, comme il s'en voit sous le porche de la Sorbonne.

Console gravée, est celle qui a des gliphes ou gravures.

Console plate, celle qui est en maniere de mutile ou corbeau, avec gliphes & gouttes.

Console en encorbellement, est toute console qui porte les ménianes & balcons, & qui a des enroulemens, nervures, & autres ornemens qui la distinguent du corbeau, comme celles du balcon du Palais-Royal du côté du jardin à Paris.

Console coudée, est celle dont le contour est interrompu par quelqu'angle ou partie droite.

Console renversée ; est toute console dont le plus grand enroulement est en-bas, & sert d'adoucissement dans les ornemens.

Console rampante, est celle qui suit la pente d'un fronton pointu ou circulaire, pour en soûtenir les corniches, comme au portail latéral de l'église de S. Germain-des-Prés.

Console en adoucissement, voyez PILIER BUTANT EN CONSOLE, (P).

CONSOLES, termes de Charron ; ce sont deux morceaux de bois quarrés qui sont enchâssés dans des mortaises faites au lisoit de devant, & qui servent à supporter la coquille. Voyez les Planches du Sellier & leurs explications.


CONSOLIDATION(Physiq. & Chir.) est l'action par laquelle la nature réunit les os fracturés, ou les levres d'une plaie. Voy. CALUS & CICATRICE. (Y)

CONSOLIDATION, (Jurisprud.) est la réunion de l'usufruit à la propriété d'un bien ; ce qui arrive quand l'usufruitier en acquiert la propriété, aut vice versâ ; en l'un & l'autre cas l'usufruit est éteint. Cette confusion est fondée sur ce qu'une même chose ne peut pas devoir une servitude à celui à qui elle appartient, suivant la regle nemini res sua servit, liv. XVII. ff. quibus mod. ususfr. vel us. amit. (A)


CONSOMMATIONS. f. (Gramm.) est synonyme à accomplissement : ainsi on dit le sacrifice est consommé. Il a encore d'autres acceptions.

CONSOMMATION DU MARIAGE, (Jurisprud.) est l'union charnelle du mari & de la femme.

L'effet de cette consommation est que le mariage étant valablement contracté, ne peut plus être dissous que par la mort de l'un des deux conjoints, au lieu qu'avant la consommation il peut être dissous par la profession monastique des deux conjoints.

Il y a quelques coûtumes singulieres dans lesquelles il ne suffit pas que le mariage ait été célébré, pour que la femme gagne ses conventions matrimoniales, & qui veulent que le mariage ait été consommé, ou du moins soit réputé l'avoir été ; telles que la coutume de Normandie, art. 367. qui porte que la femme gagne son douaire au coucher. Voyez DOUAIRE, MARIAGE, &c. (A)

CONSOMMATION, (Marine.) c'est tout ce qui s'est employé au service du vaisseau pendant le voyage, comme cordage, toile de voile, poudre, balles, &c. L'écrivain doit tenir un registre de la consommation. (Z)

CONSOMMATION, (Comm.) terme usité parmi les négocians pour signifier la distribution qui se fait des marchandises. Quand le commerce ne va pas, ils disent qu'il n'y a pas de consommation. (G)


CONSOMMÉS. m. (Cuisine.) c'est un bouillon fort de viandes, & qui se réduit en gelée ferme quand il est refroidi. On a laissé les viandes bouillir longtems, afin qu'elles déposassent tous leurs sucs dans l'eau qui fait avec eux le bouillon, & c'est de-là qu'il a été appellé consommé.


CONSOMMERCONSUMER. (Gramm. Syn.) on dit, le prêtre a consumé l'hostie, & consommé le sacrifice. (O)


CONSOMPTION(Medecine.) voyez MARASME & PHTISIE.


CONSONNANCES. f. terme de Grammaire ou plûtôt de Rhetorique. On entend par consonnance la ressemblance des sons des mots dans la même phrase ou période. Les consonnances ont de la grace en Latin, pourvû qu'on n'en fasse pas un usage trop fréquent dans le même discours, & qu'elles se trouvent dans une position convenable en l'un & en l'autre des membres relatifs. Par exemple, si non praesidio inter pericula, tamen solatio inter adversa. Apud Quintil. l. IV. c. iij. La consonnance entre solatio & praesidio, est également au milieu de l'une & de l'autre incise, elle y est placée comme un hémistiche, autrement elle ne seroit pas sensible. Voici un exemple de consonnance à la fin des incises, sine invidiâ culpa plectatur, & sine culpâ invidia ponatur. Id. ibid. En voici encore un autre exemple tiré du même chapitre de Quintilien, nemo potest alteri dare matrimonium, nisi quem penes sit patrimonium. Cette figure a de la grace, dit Quintilien, accedit & ex illa figura gratia. Id. ibid. sur-tout quand la consonnance se fait sentir en des positions égales, in quibus initia sententiarum & fines consentiunt. Paribus cadant, & eodem desinant modo. Id. ibid.

Les Rhéteurs donnent divers noms à cette figure, selon la différente sorte de consonnance, & selon la variété de la position des mots : ils appellent paranomasie la consonnance qui résulte du jeu des mots par la différence de quelques lettres ; par exemple, inceptio est amentium haud amantium. Terenc. Andr. act. I. sc. jv. v. 13. c'est un projet d'insensés, & non de personnes qui s'aiment & qui ont le sens commun. Cum lectum petis, de letho cogita. En ces occasions la consonnance est appellée paranomasie de , près, proche, & de , nom, c'est-à-dire jeu entre les mots, à cause de l'approximation de sons. Il y a encore similiter desinens, similiter cadens. Il suffit de comprendre ces différentes manieres sous le nom général de consonnance. L'usage de cette figure demande du goût & de la finesse. La ressemblance de sons en des mots trop proches, & dont il y en a plus de deux qui se ressemblent, produit plûtôt une cacophonie qu'une consonnance.

O fortunatam natam me consule Romam !

Cette figure mise en oeuvre à-propos a de la grace en latin selon Quintilien ; mais pourquoi n'a-t-elle pas le même avantage en françois ? Je crois que c'est par la même raison que Quintilien dit que les hémistiches des vers latins sont déplacés dans la prose. Quand les Latins lisoient la prose, ils étoient surpris d'y trouver des moitiés de vers ou des vers entiers, qui y paroissoient comme suite du discours & non comme citation. Non erat locus his. Vitium est apud nos si quis poetica vulgaribus misceat. Quint. I. VIII. c. iij. c'est confondre les différens genres d'écrire ; c'est tomber, dit-il, dans le défaut dont parle Horace au commencement de sa poétique : Humano capiti, &c. Versum in oratione fari multo foedissimum est. Id. l. IX. c. jv. Comme la rime ou consonnance n'entroit point dans la structure des vers latins, cette consonnance loin de les blesser flattoit l'oreille, pourvû qu'il n'y eût point d'affectation & que l'usage n'en fût pas trop fréquent ; reproche qu'on fait à S. Augustin.

Mais en françois, comme la rime entre dans le méchanisme de nos vers, nous ne voulons la voir que là, & nous sommes blessés, comme les Latins l'étoient, lorsque deux mots de même son se trouvent l'un auprès de l'autre : par exemple, les beaux esprits pour prix, &c. si Cicéron, &c. mais même, &c. que quand, &c. jusqu'à quand, &c. Un de nos bons auteurs parlant de la bibliotheque d'Athenes dit, que dans la suite Sylla la pilla, ce qui pouvoit être facilement évité en s'exprimant par la voix passive. Vaugelas & le P. Bouhours (Doutes, pag. 273.) disent que nous devons éviter en prose non-seulement les rimes, mais encore les consonnances, telles que celle qui se trouve entre soleil & immortel.

Je conviens que ce sont-là des minuties auxquelles les lecteurs judicieux ne prennent pas garde. Cependant il faut convenir que si un écrivain évitoit ces négligences, l'ouvrage ne perdroit rien de sa valeur intrinseque.

J'ajouterai que les consonnances sont fort autorisées parmi nous dans les proverbes : qui langue a à Rome va : à bon chat, bon rat : quand il fait beau, prens ton manteau ; quand il pleut, prens-le si tu veux : il flatte en présence, il trahit en absence : belles paroles & mauvais jeu trompent les jeunes & les vieux : qui terre a guerre a ; amour & seigneurie ne veulent point de compagnie. (F)

CONSONNANCE, en Musique, est, selon le sens propre du mot, l'effet de deux ou plusieurs sons entendus à la fois, mais on restraint ordinairement la signification de ce terme aux intervalles formés par deux sons dont l'accord plaît à l'oreille, & c'est en ce sens que nous en parlerons dans cet article.

De cette infinité d'intervalles dont les sons sont susceptibles, il n'y en a qu'un très-petit nombre qui forment des consonnances, tous les autres choquent l'oreille & sont appellés pour cela dissonnances ; ce n'est pas que plusieurs de celles-ci ne soient employées dans l'harmonie, mais c'est toûjours avec des précautions dont les consonnances, étant agréables par elles-mêmes, n'ont pas également besoin.

Les Grecs n'admettoient que cinq consonnances ; savoir, la quarte, l'onzieme qui est sa réplique, la quinte, la réplique de la quinte, & l'octave. Nous y ajoûtons les tierces & les sixtes majeures & mineures, les octaves doubles & triples, & en un mot les diverses repliques de tout cela, sans exception, selon toute l'étendue du système.

On distingue les consonnances en parfaites ou justes, dont l'intervalle ne varie point ; & en impar faites, qui peuvent être majeures ou mineures. Les consonnances parfaites sont la quarte, la quinte, & l'octave. Les imparfaites sont les tierces & les sixtes.

Le caractere physique des consonnances se tire de leur production par un même son, ou si l'on veut, du frémissement des cordes. De deux cordes bien d'accord, formant entr'elles un intervalle d'octave ou de douzieme, qui est l'octave de la quinte, ou de dix-septieme majeure, qui est la double octave de la tierce majeure, si l'on fait sonner la plus grave, l'autre frémit & rend du son. A l'égard de la sixte majeure & mineure, de la tierce mineure, de la tierce majeure simple, & de la quarte, qui toutes sont des combinaisons ou des renversemens des précédentes consonnances, elles se trouvent entre les diverses cordes qui frémissent au même son.

Si je touche la corde ut, les cordes montées à son octave ut, à la quinte sol de cette même octave, à la tierce majeure mi de la double octave, & même aux octaves de tout cela, frémiront toutes en même tems. Voilà donc l'octave, la tierce majeure, & la quinte directes. Les autres consonnances se trouveront aussi ; savoir, la tierce mineure du mi au sol, la sixte mineure du même mi à l'ut qui est plus haut, la quarte du sol à ce même ut, & la sixte majeure du même sol au mi, qui est au-dessus de lui.

Telle est la génération de toutes les consonnances : il s'agiroit maintenant de rendre raison des phénomenes.

Premierement, le frémissement des cordes s'explique par l'action de l'air & le concours des vibrations. Voyez UNISSON. 2°. Que le son d'une seule corde soit toûjours accompagné de ses harmoniques (voyez ce mot), cela paroît une propriété du son qui en est inséparable, & qu'on ne sauroit expliquer qu'avec des hypotheses qui ont leurs difficultés 3°. A l'égard du plaisir que les consonnances font à l'oreille à l'exclusion de tout autre intervalle, on en voit clairement la source dans leur génération. Les consonnances naissent toutes de l'accord parfait produit par un son unique ; & réciproquement l'accord parfait se forme de l'assemblage des consonnances. Il est donc naturel que l'harmonie de cet accord se communique à ses parties, que chacune d'elles y participe, & que tout autre intervalle qui ne fait pas partie de cet accord n'y participe pas. Or la Nature qui a mis dans les objets de chaque sens, des qualités propres à le flatter, a voulu qu'un son quelconque fût toûjours accompagné d'autres sons agréables, comme elle a voulu qu'un rayon de lumiere fût toûjours formé de l'assemblage des plus belles couleurs. Que si l'on presse la question, & qu'on demande encore d'où naît ce plaisir que cause l'accord parfait à l'oreille, tandis qu'elle est choquée du concours de tout autre son ; que pourroit-on répondre à cela, si ce n'est de demander à son tour pourquoi le verd plutôt que le gris me réjoüit la vûe, ou pourquoi le parfum du jasmin m'enchante, tandis que l'odeur du pavot me fait peine.

Ce n'est pas que les Physiciens n'ayent expliqué tout cela ; & que n'expliquent-ils point ? mais que toutes ces explications sont conjecturales, & qu'on leur trouve peu de solidité quand on les examine de près ! Je ne m'attache ici qu'au sentiment le plus général pour en rendre compte au lecteur.

Ils disent donc que la sensation du son étant produite par les vibrations du corps sonore, propagées jusqu'au tympan par celle que l'air reçoit de ce même corps, lorsque deux sons se font entendre ensemble, l'organe de l'oüie est affecté à la fois de leurs diverses vibrations. Si ces vibrations sont de même durée, qu'elles s'accordent à commencer & finir ensemble, ce concours forme l'unisson, & l'oreille, qui saisit l'accord de ses retours égaux & bien concordans, en est affectée très-agréablement. Si les vibrations de l'un des sons sont doubles en durée de celle de l'autre, durant chaque vibration du plus grave, l'aigu en fera justement deux, & à la troisieme ils partiront ensemble ; ainsi, de deux en deux, chaque vibration impaire de l'aigu concourra avec chacune des vibrations du grave, & cette fréquente concordance qui constitue l'octave, selon eux moins douce à l'oreille que l'unisson, le sera plus qu'aucune autre consonnance. Après vient la quinte, dont l'un des sons fait deux vibrations tandis que l'autre en fait trois, de sorte qu'ils ne s'accordent qu'à chaque troisieme vibration de l'aigu ; ensuite la double octave, dont l'un des sons fait quatre vibrations pendant que l'autre n'en fait qu'une, s'accordant seulement à chaque quatrieme vibration de l'aigu : pour la quarte, les vibrations se répondent de quatre en quatre de l'aigu & de trois en trois du grave. Celles de la tierce majeure sont comme 4 & 5, de la sixte majeure comme 3 & 5, de la tierce mineure comme 5 & 6 ; & de la sixte mineure comme 5 & 8. Au-delà de ces nombres il n'y a plus que leurs multiples qui produisent des consonnances, c'est-à-dire des octaves de celles-ci, tout le reste est dissonant.

D'autres trouvant l'octave plus agréable que l'unisson, & la quinte plus agréable que l'octave, en donnent pour raison, que les retours égaux des vibrations dans l'unisson, & leur concours trop fréquent dans l'octave, confondent, identifient les sons au point d'empêcher que l'oreille n'en apperçoive la diversité : pour qu'elle puisse avec plaisir comparer les sons, il faut bien, disent-ils, que les vibrations s'accordent par intervalles, mais non pas qu'elles se confondent absolument, autrement au lieu de deux sons on croiroit n'en entendre qu'un. C'est ainsi que du même principe on tire à son gré le pour & le contre, selon qu'on juge que les expériences l'exigent. Qu'il me soit permis de faire quelques observations sur celui dont il s'agit ici.

Premierement, toute cette explication n'est fondée, comme on voit, que sur le plaisir qu'on prétend que l'ame reçoit par l'organe de l'oüie du concours des vibrations, ce qui dans le fond n'est déjà qu'une pure supposition : de plus, il faut encore supposer, pour l'établissement de ce système, que la premiere vibration de chacun des deux corps sonores commence exactement avec celle de l'autre, car si l'une précédoit un peu, elles ne concouroient plus selon le rapport déterminé, ou peut-être ne concouroient jamais, & par conséquent l'intervalle devroit changer, la consonnance n'existeroit plus ou ne seroit plus la même. Enfin, il faut supposer que les diverses vibrations des deux sons d'une consonnance frappent l'organe sans confusion, & transmettent l'accord au cerveau sans se nuire réciproquement ; chose qui me paroît impossible à concevoir, & que j'aurai occasion d'examiner ailleurs. Voyez SON.

Mais sans disputer sur tant de suppositions, voyons ce qui s'ensuit de ce systême. Les vibrations ou les sons de la derniere consonnance, qui est la tierce mineure, sont comme 5 & 6, & la consonnance en est fort agréable. Que doit-il naturellement résulter de deux autres sons dont les vibrations seroient entre elles comme 6 & 7 ? une consonnance un peu moins harmonieuse à la vérité, mais encore assez agréable à cause de la petite différence des raisons ; car elles ne différent que d'un 36e. Mais qu'on me dise comment il se peut faire que deux sons, dont l'un fait 5 vibrations pendant que l'autre en fait 6, produisent une consonnance agréable, & que deux sons, dont l'un fait 6 vibrations pendant que l'autre en fait 7, produisent une si affreuse dissonnance. Quoi, dans l'un de ces rapports les vibrations s'accordent de six en six, & mon oreille est charmée ; dans l'autre elles s'accordent de sept en sept, & mon oreille est écorchée ? Il y a plus, & je demande encore comment il se fait qu'après cette premiere dissonnance la dureté des accords n'augmente pas à mesure que les rapports des vibrations qui les forment deviennent plus composés ; pourquoi, par exemple, la dissonnance qui résulte du rapport de 89 à 90, n'est pas plus choquante que celle qui résulte de celui de 12 à 13. Si le retour plus ou moins fréquent du concours des vibrations, étoit la cause du sentiment de plaisir ou de peine que me causent les accords, l'effet seroit proportionné à cette cause, & je n'y vois aucune proportion, donc ce plaisir & cette peine tirent leur origine d'ailleurs.

Il reste encore à faire attention aux altérations dont la quinte & d'autres consonnances sont susceptibles sans cesser d'être agréables à l'oreille, quoique ces altérations dérangent entierement le concours périodique des vibrations, & que ce concours même devienne plus tardif à mesure que l'altération est moindre. Il reste à considérer que l'accord de l'orgue & du clavecin ne devroit offrir à l'oreille qu'une cacophonie, d'autant plus effroyable, que ces instrumens seroient accordés avec plus de soin, puisqu'excepté l'octave il ne s'y trouve aucune consonnance dans son rapport exact.

Voilà quelques objections qu'il eût peut-être été bon de résoudre avant que d'admettre un système, qui, bien qu'ingénieux, se trouve si manifestement contredit par l'expérience.

Un écrivain judicieux, qui nous a donné nouvellement des principes d'Acoustique laissant à part tous ces concours de vibrations, a rendu raison du plaisir que les consonnances font à l'oreille par la simplicité des rapports entre les sons qui les forment. Selon lui, le plaisir diminue à mesure que les rapports deviennent plus composés : & quand l'esprit ne les saisit plus, ce sont de véritables dissonnances. Mais quoique cette doctrine s'accorde parfaitement avec le résultat des premieres divisions harmoniques, quoiqu'elle soit très-bien soutenue & qu'elle s'étende facilement à d'autres phénomenes qui se remarquent dans les beaux arts, s'il se trouve qu'elle ne soit pas en tout d'accord avec l'expérience, s'il n'y a toûjours une proportion exacte entre les rapports des sons & le degré de plaisir ou de peine dont ils nous affectent, je dis que cette hypothese est fort vraisemblable, mais qu'il ne la faut pas regarder comme démontrée. Voyez TEMPERAMENT. (S)

Nous devons avertir ici que M. Briseux architecte, a donné depuis peu au public un traité, dans lequel il se propose de prouver que les proportions qu'on doit observer dans l'Architecture, sont les mêmes que celles qui reglent les consonnances dans la Musique. Nous en parlerons plus au long à l'article PROPORTION. (O)


CONSONNES. f. terme de Grammaire : on divise les lettres en voyelles & en consonnes. Les voyelles sont ainsi appellées du mot voix, parce qu'elles se font entendre par elles-mêmes : elles forment toutes seules un son, une voix. Les consonnes, au contraire, ne sont entendues qu'avec l'air qui fait la voix ou voyelle ; & c'est de-là que vient le nom de consonne, consonnans, c'est-à-dire, qui sonne avec une autre.

Il n'y a aucun être particulier qui soit voyelle, ni aucun qui soit consonne ; mais on a observé des différences dans les modifications que l'on donne à l'air qui sort des poumons, lorsqu'on en fait usage pour former les sons destinés à être les signes des pensées. Ce sont ces différentes considérations ou précisions de notre esprit à l'occasion des modifications de la voix ; ce sont, dis-je, ces précisions qui nous ont donné lieu de former les mots de voyelle, de consonne, d'articulation, & autres : ce qui distingue les différens points de vûe de notre esprit sur le méchanisme de la parole, & nous donne lieu d'en discourir avec plus de justesse. Voy. ABSTRACTION.

Mais avant que d'entrer dans le détail des consonnes, & avant que d'examiner ce qui les distingue des voyelles, qu'il me soit permis de m'amuser un moment avec les réflexions suivantes.

La nature nous fait agir sans se mettre en peine de nous instruire ; je veux dire que nous venons au monde sans savoir comment : nous prenons la nourriture qu'on nous présente sans la connoître, & sans avoir aucune lumiere sur ce qu'elle doit opérer en nous, ni même sans nous en mettre en peine ; nous marchons, nous agissons, nous nous transportons d'un lieu à un autre, nous voyons, nous regardons, nous entendons, nous parlons, sans avoir aucune connoissance des causes physiques, ni des parties internes de nous-mêmes que nous mettons en oeuvre pour ces différentes opérations : de plus, les organes des sens sont les portes & l'occasion de toutes ces connoissances, au point que nous n'en avons aucune qui ne suppose quelque impression sensible antérieure qui nous ait donné lieu de l'acquérir par la réflexion ; cependant combien peu de personnes ont quelques lumieres sur le méchanisme des organes des sens ? C'est bien dequoi on se met en peine, id populus curat scilicet ? Ter. And. act. II. sc. 2.

Après-tout, a-t-on besoin de ces connoissances pour sa propre conservation, & pour se procurer une sorte de bien être qui suffit ?

Je conviens que non : mais d'un autre côté si l'on veut agir avec lumiere, & connoître les fondemens des Sciences & des Arts qui embellissent la société, & qui lui procurent des avantages si réels & si considérables, on doit acquérir les connoissances physiques qui sont la base de ces Sciences & de ces Arts, & qui donnent lieu de les perfectionner.

C'étoit en conséquence de pareilles observations, que vers la fin du dernier siecle un medecin nommé Amman qui résidoit en Hollande, apprenoit aux muets à parler, à lire, & à écrire. Voyez l'art de parler du P. Lamy, pag. 193. Et parmi nous M. Pereyre, par des recherches & par des pratiques encore plus exactes que celles d'Amman, opere ici (à Paris, quai des Augustins) les mêmes prodiges que ce medecin opéroit en Hollande.

Mon dessein n'est pas d'entrer ici, comme ces deux philosophes, dans l'examen & dans le détail de la formation de chaque lettre particuliere, de peur de m'exposer aux railleries de madame Jourdain & à celles de Nicole. Voyez le Bourgeois gentilhomme de Moliere. Mais comme la méchanique de la voix est un sujet intéressant, que c'est principalement par la parole que nous vivons en société, que d'ailleurs un dictionnaire est fait pour toutes sortes de personnes, & qu'il y en a un assez grand nombre qui seront bien-aises de trouver ici sur ce point des connoissances qu'ils n'ont point acquises dans leur jeunesse ; j'ai cru devoir les dédommager de cette négligence, en leur donnant une idée générale de la méchanique de la voix, ce qui d'ailleurs fera entendre plus aisément la différence qu'il y a entre la consonne & la voyelle.

D'abord il faut observer que l'air qui sort des poumons est la matiere de la voix, c'est-à-dire du chant & de la parole. Lorsque la poitrine s'éleve par l'action de certains muscles, l'air extérieur entre dans les vésicules des poumons, comme il entre dans une pompe dont on éleve le piston.

Ce mouvement par lequel les poumons reçoivent l'air, est ce qu'on appelle inspiration.

Quand la poitrine s'affaisse, l'air sort des poumons ; c'est ce qu'on nomme espiration.

Le mot de respiration comprend l'un & l'autre de ces mouvemens ; ils en sont les deux especes.

Le peuple croit que le gosier sert de passage à l'air & aux alimens ; mais l'Anatomie nous apprend qu'au fond de la bouche commencent deux tuyaux ou conduits différens, entourés d'une tunique commune.

L'un est appellé ésophage, , c'est-à-dire porte-manger, c'est par où les alimens passent de la bouche dans l'estomac ; c'est le gosier.

L'autre conduit, le seul dont la connoissance appartienne à notre sujet, est situé à la partie antérieure du cou ; c'est le canal par où l'air extérieur entre dans les poumons & en sort : on l'appelle trachée-artere ; trachée, c'est-à-dire rude, à cause de ses cartilages ; , féminin de asper ; artere, d'un mot grec qui signifie receptacle, parce qu'en effet ce conduit reçoit & fournit l'air qui fait la voix : , garder l'air.

On confond communément l'un & l'autre de ces conduits sous le nom de gosier, guttur, quoique ce mot ne doive se dire que de l'ésophage ; les Grammairiens même donnent le nom de gutturales aux lettres que certains peuples prononcent avec une aspiration forte, & par un mouvement particulier de la trachée-artere.

Les cartilages & les muscles de la partie supérieure de la trachée-artere forment une espece de tête, ou une sorte de couronne oblongue qui donne passage à l'air que nous respirons ; c'est ce que le peuple appelle la pomme ou le morceau d'Adam. Les Anatomistes la nomment larynx, , d'où vient , clamo, je crie. L'ouverture du larynx est appellée glotte, ; & suivant qu'elle est resserrée ou dilatée par le moyen de certains muscles, elle forme la voix ou plus grêle, ou plus pleine.

Il faut observer qu'au-dessus de la glotte il y a une espece de soûpape, qui dans le tems du passage des alimens couvre la glotte ; ce qui les empêche d'entrer dans la trachée-artere, on l'appelle épiglotte ; , super, sur, & ou .

M. Ferrein, célebre anatomiste, a observé à chaque levre de la glotte une espece de ruban large d'une ligne, tendu horisontalement ; l'action de l'air qui passe par la fente ou glotte, excite dans ces rubans des vibrations qui les font sonner comme les cordes d'un instrument de musique : M. Ferrein appelle ces rubans cordes vocales. Les muscles du larynx tendent ou relâchent plus ou moins ces cordes vocales ; ce qui fait la différence des tons dans le chant, dans les plaintes, & dans les cris. Voyez le Mémoire de M. Ferrein, Histoire de l'académie des Sciences, année 1741. pag. 409.

Les poumons, la trachée-artere, le larynx, la glotte & ses cordes vocales, sont les premiers organes de la voix, auxquels il faut ajoûter le palais ; c'est-à-dire la partie supérieure & intérieure de la bouche, les dents, les levres, la langue, & même ces deux ouvertures qui sont au fond du palais, & qui répondent aux narines ; elles donnent passage à l'air quand la bouche est fermée.

Tout air qui sort de la trachée-artere n'excite pas pour cela du son ; il faut pour produire cet effet que l'air soit poussé par une impulsion particuliere, & que dans le tems de son passage il soit rendu sonore par les organes de la parole : ce qui lui arrive par deux causes différentes.

Premierement, l'air étant poussé avec plus ou moins de violence par les poumons, il est rendu sonore par la seule situation où se trouvent les organes de la bouche. Tout air poussé qui se trouve resserré dans un passage dont les parties sont disposées d'une certaine maniere, rend un son ; c'est ce qui se passe dans les instrumens à vent, tels que l'orgue, la flûte, &c.

En second lieu, l'air qui sort de la trachée-artere est rendu sonore dans son passage par l'action ou mouvement de quelqu'un des organes de la parole ; cette action donne à l'air sonore une agitation & un trémoussement momentanée, propre à faire entendre telle ou telle consonne : voilà deux causes qu'il faut bien distinguer ; 1°. simple situation d'organes ; 2°. action ou mouvement de quelque organe particulier sur l'air qui sort de la trachée-artere.

Je compare la premiere maniere à ces fentes qui rendent sonore le vent qui y passe, & je trouve qu'il en est à-peu-près de la seconde, comme de l'effet que produit l'action d'un corps solide qui en frappe un autre. C'est ainsi que la consonne n'est entendue que par l'action de quelqu'un des organes de la parole sur quelque autre organe, comme de la langue sur le palais ou sur les dents, d'où résulte une modification particuliere de l'air sonore.

Ainsi l'air poussé par les poumons, & qui sort par la trachée-artere, reçoit dans son passage différentes modifications & divers trémoussemens, soit par la situation, soit par l'action des autres organes de la parole de celui qui parle ; & ces trémoussemens parvenus jusqu'à l'organe de l'oüie de ceux qui écoutent, leur font entendre les différentes modulations de la voix & les divers sons des mots, qui sont les signes de la pensée qu'on veut exciter dans leur esprit.

Les différentes sortes de parties qui forment l'ensemble de l'organe de la voix, donnent lieu de comparer cet organe selon les différens effets de ces parties, tantôt à un instrument à vent, tel que l'orgue ou la flûte ; tantôt à un instrument à corde, tantôt enfin à quelqu'autre corps capable de faire entendre un son, comme une cloche frappée par son battant, ou une enclume sur laquelle on donne des coups de marteau.

Par exemple, s'agit-il d'expliquer la voyelle, on aura recours à une comparaison tirée de quelque instrument à vent. Supposons un tuyau d'orgue ouvert, il est certain que tant que ce tuyau demeurera ouvert, & tant que le soufflet fournira de vent ou d'air, le tuyau rendra le son, qui est l'effet propre de l'état & de la situation où se trouvent les parties par lesquelles l'air passe. Il en est de même de la flûte ; tant que celui qui en joüe y souffle de l'air, on entend le son propre au trou que les doigts laissent ouvert : le tuyau d'orgue ni la flûte n'agissent point, ils ne font que se préter à l'air poussé, & demeurent dans l'état où cet air les trouve.

Voilà précisément la voyelle. Chaque voyelle exige que les organes de la bouche soient dans la situation requise pour faire prendre à l'air qui sort de la trachée-artere la modification propre à exciter le son de telle ou telle voyelle. La situation qui doit faire entendre l'a, n'est pas la même que celle qui doit exciter le son de l'i ; ainsi des autres.

Tant que la situation des organes subsiste dans le même état, on entend la même voyelle aussi longtems que la respiration peut fournir d'air. Les poumons sont à cet égard ce que les soufflets sont à l'orgue.

Selon ce que nous venons d'observer, il suit que le nombre des voyelles est bien plus grand qu'on ne le dit communément.

Tout son qui ne résulte que d'une situation d'organes sans exiger aucun battement ni mouvement qui survienne aux parties de la bouche, & qui peut être continué aussi long-tems que l'espiration peut fournir d'air ; un tel son est une voyelle. Ainsi a, â, é, è, ê, i, o, ô, u ou eu, & sa foible e muet, & les nazales an, en, &c. Tous ces sons-là sont autant de voyelles particulieres, tant celles qui ne sont écrites que par un seul caractere, telles que a, e, i, o, u, que celles qui, faute d'un caractere propre, sont écrites par plusieurs lettres, telles que ou, eu, oient, &c. Ce n'est pas la maniere d'écrire qui fait la voyelle, c'est la simplicité du son qui ne dépend que d'une situation d'organes, & qui peut être continué : ainsi au, eau, ou, eu, ayent, &c. quoiqu'écrits par plus d'une lettre, n'en sont pas moins de simples voyelles. Nous avons donc la voyelle u & la voyelle ou ; les Italiens n'ont que l'ou, qu'ils écrivent par le simple u. Nous avons de plus la voyelle eu, feu, lieu ; l'e muet en est la foible, & est aussi une voyelle particuliere.

Il n'en est pas de même de la consonne ; elle ne dépend pas comme la voyelle d'une situation d'organes, qui puisse être permanente, elle est l'effet d'une action passagere, d'un trémoussement, ou d'un mouvement momentanée (écrivez momentanée par deux ee, telle est l'analogie des mots françois, qui viennent de mots latins eu, eus, c'est ainsi que l'on dit les champs élisées, les monts pyrenées, le colisée, & non le colisé, le fleuve alphée, & non le fleuve alphé, fluvius alpheus. Voyez le dictionn. de l'Académie, celui de Trévoux, & celui de Joubert aux mots momentanée & spontanée) de quelque organe de la parole, comme de la langue, des levres, &c. ensorte que si j'ai comparé la voyelle au son qui résulte d'un tuyau d'orgue ou du trou d'une flute, je crois pouvoir comparer la consonne à l'effet que produit le battant d'une cloche, ou le marteau sur l'enclume ; fournissez de l'air à un tuyau d'un orgue ou au trou d'une flûte, vous entendrez toûjours le même son, au lieu qu'il faut répéter les coups du battant de la cloche & ceux du marteau de l'enclume : pour avoir encore le son qu'on a entendu la premiere fois ; de même si vous cessez de répéter le mouvement des levres qui a fait entendre le be ou le pe ; si vous ne redoublez point le trémoussement de la langue qui a produit le re, on n'entendra plus ces consonnes. On n'entend de son que par les trémoussemens que les parties sonores de l'air reçoivent des divers corps qui les agitent : or l'action des levres ou les agitations de la langue, donnent à l'air qui sort de la bouche la modification propre à faire entendre telle ou telle consonne. Or si après une telle modification, l'émission de l'air qui l'a reçue dure encore, la bouche demeurant nécessairement ouverte pour donner passage à l'air, & les organes se trouvant dans la situation qui a fait entendre la voyelle, le son de cette voyelle pourra être continué aussi long-tems que l'émission de l'air durera ; au lieu que le son de la consonne n'est plus entendu après l'action de l'organe qui l'a produite.

L'union ou combinaison d'une consonne avec une voyelle, ne peut se faire que par une même émission de voix ; cette union est appellée articulation. Il y a des articulations simples, & d'autres qui sont plus ou moins composées : ce que M. Harduin secrétaire de la société litteraire d'Arras, a extrèmement bien développé dans un mémoire particulier. Cette combinaison se fait d'une maniere successive, & elle ne peut être que momentanée. L'oreille distingue l'effet du battement & celui de la situation : elle entend séparément l'un après l'autre : par exemple, dans la syllabe ba, l'oreille entend d'abord le b, ensuite l'a ; & l'on garde ce même ordre quand on écrit les lettres qui font les syllabes, & les syllabes qui font les mots.

Enfin cette union est de peu de durée, parce qu'il ne seroit pas possible que les organes de la parole fussent en même tems en deux états, qui ont chacun leur effet propre & différent. Ce que nous venons d'observer à l'égard de la consonne qui entre dans la composition d'une syllabe, arrive aussi par la même raison dans les deux voyelles qui font une diphtongue, comme ui, dans luit, nuit, bruit, &c. L'u est entendu le premier, & il n'y a que le son de l'i qui puisse être continué, parce que la situation des organes qui forme l'i, a succédé subitement à celle qui avoit fait entendre l'u.

L'articulation ou combinaison d'une consonne avec une voyelle fait une syllabe ; cependant une seule voyelle fait aussi fort souvent une syllabe. La syllabe est un son ou simple ou composé, prononcé par une seule impulsion de voix, a-jou-té, ré-u-ni, crè-é, cri-a, il-y-a.

Les syllabes qui sont terminées par des consonnes sont toûjours suivies d'un son foible, qui est regardé comme un e muet ; c'est le nom que l'on donne à l'effet de la derniere ondulation ou du dernier tremoussement de l'air sonore, c'est le dernier ébranlement que le nerf auditif reçoit de cet air : je veux dire que cet e muet foible n'est pas de même nature que l'e muet excité à dessein, tel que l'e de la fin des mots vu-e, vi-e, & tels que sont tous les e de nos rimes féminines. Ainsi il y a bien de la différence entre le son foible que l'on entend à la fin du mot Michel & le dernier du mot Michelle, entre bel & belle, entre coq & coque, entre Job & robe ; bal & balle, cap & cape, Siam & ame, &c.

S'il y a dans un mot plusieurs consonnes de suite, il faut toûjours supposer entre chaque consonne cet e foible & fort bref, il est comme le son que l'on distingue entre chaque coup de marteau quand il y en a plusieurs qui se suivent d'aussi près qu'il est possible. Ces réflexions font voir que l'e muet foible est dans toutes les langues.

Recueillons de ce que nous avons dit, que la voyelle est le son qui resulte de la situation où les organes de la parole se trouvent dans le tems que l'air de la voix sort de la trachée-artere, & que la consonne est l'effet de la modification passagere que cet air reçoit de l'action momentanée de quelque organe particulier de la parole.

C'est relativement à chacun de ces organes, que dans toutes les langues on divise les lettres en certaines classes où elles sont nommées du nom de l'organe particulier, qui paroît contribuer le plus à leur formation. Ainsi les unes sont appellées labiales, d'autres linguales, ou bien palatiales, ou dentales, ou nazales, ou gutturales. Quelques-unes peuvent être dans l'une & dans l'autre de ces classes, lorsque divers organes concourent à leur formation.

1°. Labiales, b, p, f, v, m.

2°. Linguales, d, t, n, l, r.

3°. Palatiales, g, j, c fort, ou k, ou q ; le mouillé fort ille, & le mouillé foible ye.

4°. Dentales ou sifflantes, s ou c doux, tel que se si ; z, ch ; c'est à cause de ce sifflement que les anciens ont appellé ces consonnes, semivocales, demi-voyelles ; au lieu qu'ils appelloient les autres muettes.

5°. Nazales, m, n, gn.

6°. Gutturales ; c'est le nom qu'on donne à celles qui sont prononcées avec une aspiration forte, & par un mouvement du fond de la trachée-artere. Ces aspirations fortes sont fréquentes en Orient & au Midi : il y a des lettres gutturales parmi les peuples du Nord. Ces lettres paroissent rudes à ceux qui n'y sont pas accoûtumés. Nous n'avons de son guttural que le hé, qu'on appelle communément ache aspirée : cette aspiration est l'effet d'un mouvement particulier des parties internes de la trachée-artere ; nous ne l'articulons qu'avec les voyelles, le héros, la hauteur.

Les Grecs prononçoient certaines consonnes avec cette aspiration. Les Espagnols aspirent aussi leur j, leur g & leur x.

Il y a des Grammairiens qui mettent le h au rang des consonnes ; d'autres au contraire soutiennent que ce signe ne marquant aucun son particulier, analogue aux sons des autres consonnes, il ne doit être consideré que comme un signe d'aspiration.

Ils ajoutent que les Grecs ne l'ont point regardé autrement ; qu'ils ne l'ont point mis dans leur alphabet entant que signe d'aspiration, & que dans l'écriture ordinaire ils ne le marquent que comme les accents au-dessus des lettres ; & que si dans la suite il a passé dans l'alphabet latin, & de-là dans ceux des langues modernes ; cela n'est arrivé que par l'indolence des copistes qui ont suivi le mouvement des doigts, & écrit de suite ce signe avec les autres lettres du mot, plûtôt que d'interrompre ce mouvement pour marquer l'aspiration au-dessus de la lettre.

Pour moi, je crois que puisque les uns & les autres de ces Grammairiens conviennent de la valeur de ce signe ; ils doivent se permettre réciproquement de l'appeller ou consonne ou signe d'aspiration, selon le point de vûe qui les affecte le plus.

Les lettres d'une même classe se changent facilement l'une pour l'autre ; par exemple, le b se change facilement ou en p, ou en v, ou en f ; parce que ces lettres étant produites par les mêmes organes, il suffit d'appuyer un peu plus ou un peu moins pour faire entendre ou l'une ou l'autre.

Le nombre des lettres n'est pas le même partout. Les Hébreux & les Grecs n'avoient point le l mouillé, ni le son du gn. Les Hébreux avoient le son du che, , schin : mais les Grecs ni les Latins ne l'avoient point. La diversité des climats cause des différences dans la prononciation des langues.

Il y a des peuples qui mettent en action certains organes, & même certaines parties des organes, dont les autres ne font point d'usage. Il y a aussi une forme ou maniere particuliere de faire agir les organes. De plus, en chaque nation, en chaque province, & même en chaque ville, on s'énonce avec une sorte de modulation particuliere, c'est ce qu'on appelle accent national ou accent provincial. On en contracte l'habitude par l'éducation ; & quand les esprits animaux ont pris une certaine route, il est bien difficile, malgré l'empire de l'ame, de leur en faire prendre une nouvelle. De-là vient aussi qu'il y a des peuples qui ne sauroient prononcer certaines lettres ; les Chinois ne connoissent ni le b, ni le d, ni le r ; en revanche ils ont des consonnes particulieres que nous n'avons point. Tous leurs mots sont monosyllabes, & commencent par une consonne & jamais par une voyelle. Voyez la Grammaire Chinoise de M. Fourmont.

Les Allemans ne peuvent pas distinguer le z d'avec le s ; ils prononcent zele comme sel : ils ont de la peine à prononcer les l mouillés, ils disent file au lieu de fille. Ces l mouillés sont aussi fort difficiles à prononcer pour les personnes nées à Paris : elles le changent en un mouillé foible, & disent Versayes au lieu de Versailles, &c. Les Flamans ont bien de la peine à prononcer la consonne j. Il y a des peuples en Amérique qui ne peuvent point prononcer les lettres labiales b, p, f, m. La lettre th des Anglois est très-difficile à prononcer pour ceux qui ne sont point nés Anglois. Ces réflexions sont fort utiles pour rendre raison des changemens arrivés à certains mots qui ont passé d'une langue dans une autre. Voyez la dissertation de M. Falconet, sur les principes de l'étymologie ; Histoire de l'Acad. des Belles-Lettres.

A l'égard du nombre de nos consonnes, si l'on ne compte que les sons & qu'on ne s'arrête point aux caracteres de notre alphabet, ni à l'usage souvent déraisonnable que l'on fait de ces caracteres, on trouvera que nous avons d'abord dix-huit consonnes, qui ont un son bien marqué, & auxquelles la qualification de consonne n'est point contestée.

Nous devrions donner un caractere propre, déterminé, unique & invariable à chacun de ces sons ; ce que les Grecs ont fait exactement, conformément aux lumieres naturelles. Est-il en effet raisonnable que le même signe ait des destinations différentes dans le même genre, & que le même objet soit indiqué tantôt par un signe tantôt par un autre ?

Avant que d'entrer dans le compte de nos consonnes, je crois devoir faire une courte observation sur la maniere de les nommer.

Il y a cent ans que la Grammaire générale de P. R. proposa une maniere d'apprendre à lire facilement en toutes sortes de langues. I. part. chap. vj. Cette maniere consiste à nommer les consonnes par le son propre qu'elles ont dans les syllabes où elles se trouvent, en ajoûtant seulement à ce son propre celui de l'e muet, qui est l'effet de l'impulsion de l'air nécessaire pour faire entendre la consonne ; par exemple, si je veux nommer la lettre B que j'ai observée dans les mots Babylone, Bibus, &c. je l'appellerai be, comme on le prononce dans la derniere syllabe de tombe, ou dans la premiere de besoin.

Ainsi du d, que je nommerai de, comme on l'entend dans ronde ou dans demande.

Je ne dirai plus effe, je dirai fe, comme dans fera, étoffe ; je ne dirai plus elle, je dirai le ; enfin je ne dirai ni emme ni enne, je dirai me, comme dans aime, & ne, comme dans sone ou dans bonne, ainsi des autres.

Cette pratique facilite extrèmement la liaison des consonnes avec les voyelles pour en faire des syllabes, fe, a, fa, fe, re, i, fri, ensorte qu'épeler c'est lire. Cette méthode a été renouvellée de nos jours par MM. de Launay pere & fils, & par d'autres maîtres habiles : les mouvemens que M. Dumas s'est donnés pendant sa vie pour établir son bureau typographique, ont aussi beaucoup contribué à faire connoître cette dénomination, ensorte qu'elle est aujourd'hui pratiquée, même dans les petites écoles.

Voyons maintenant le nombre de nos consonnes ; je les joindrai, autant qu'il sera possible, à chacune de nos huit voyelles principales.

Comme je ne cherche que les sons propres de chaque lettre de notre langue, désignés par un seul caractere incommunicable à tout autre son, je ne donne ici au c que le son fort qu'il a dans les syllabes ca, co, cu. Le son doux ce, ci, appartient au s ; & le son ze, zi, appartient à la lettre z.

Je ne donne ici à ce caractere que le son qu'il a devant a, o, u ; le son foible ge, gi, appartient au j.

Le son du j devant i a été donné dans notre ortographe vulgaire au g doux, gibier, gîte, giboulée, &c. & souvent malgré l'étymologie, comme dans ci-gît, hîc jacet. Les partisans de l'ortographe vulgaire ne respectent l'étymologie, que lorsqu'elle est favorable à leur préjugé.

Je ne mets pas ici la lettre x, parce qu'elle n'a pas de son qui lui soit propre. C'est une lettre double que les copistes ont mise en usage pour abréger. Elle fait quelquefois le service des deux lettres fortes c s, & quelquefois celui des deux foibles g z.

A la fin des mots, l'x a en quelques noms propres le son de c s : Ajax, Pollux, Styx, on prononce Ajacs, Pollucs, Stycs. Il en est de même de l'adjectif préfix, on prononce préfics.

Mais dans les autres mots que les maîtres à écrire, pour donner plus de jeu à la plume, ont terminé par un x, ce x tient seulement la place du s, comme dans je veux, les cieux, les yeux, la voix, six, dix, chevaux, &c.

Le x est employé pour deux s dans soixante, Bruxelles, Auxonne, Auxerre, on dit Ausserre, soissante, Brusselles, Ausone, à la maniere des Italiens qui n'ont point de x dans leur alphabet, & qui employent les deux ss à la place de cette lettre : Alessandro, Alessio.

On écrit aussi, par abus, le x au lieu du z, en ces mots sixieme, deuxieme, quoiqu'on prononce sizieme, deuzieme. Le x tient lieu du c dans excellent, prononcez eccellent.

Voilà déjà quinze sons consonnes désignés par quinze caracteres propres ; je rejette ici les caracteres auxquels un usage aveugle a donné le son de quelqu'un des quinze que nous venons de compter, tels sont le k & le q, puisque le c dur marque exactement le son de ces lettres. Je ne donne point ici au c le son du s, ni au s le son du z. C'est ainsi qu'en Grec le u cappa est toûjours cappa, le s sigma toûjours sigma ; de sorte que si en Grec la prononciation d'un mot vient à changer, ou par contraction, ou par la forme de la conjugaison, ou par la raison de quelque dialecte, l'ortographe de ce mot se conforme au nouveau son qu'on lui donne. On n'a égard en Grec qu'à la maniere de prononcer les mots, & non à la source d'où ils viennent, quand elle n'influe en rien sur la prononciation, qui est le seul but de l'ortographe. Elle ne doit que peindre la parole, qui est son original ; elle ne doit point en doubler les traits, ni lui en donner qu'il n'a pas, ni s'obstiner à le peindre à présent tel qu'il étoit il y a plusieurs années.

Au reste les réflexions que je fais ici n'ont d'autre but, que de tâcher de découvrir les sons de notre langue. Je ne cherche que le fait. D'ailleurs je respecte l'usage, dans le tems même que j'en reconnois les écarts & la déraison, & je m'y conforme malgré la réflexion sage du célebre prote de Poitiers & de M. Restaut, qui nous disent qu'il est toûjours louable en fait d'ortographe de quitter une mauvaise habitude pour en contracter une meilleure, c'est-à-dire plus conforme aux lumieres naturelles & au but de l'art. Traité de l'ortographe en forme de dictionnaire, édit. de 2739, page 421. & IV. édition corrigée par M. Restaut, 1752, page 635.

Que si quelqu'un trouve qu'il y a de la contrariété dans cette conduite, je lui répons que tel est le procédé du genre humain. Agissons-nous toujours conformément à nos lumieres & à nos principes ?

Aux quinze sons que nous venons de remarquer, on doit en ajoûter encore quatre autres qui devroient avoir un caractere particulier. Les Grecs n'auroient pas manqué de leur en donner un, comme ils firent à l'e long, à l'o long, & aux lettres aspirées. Les quatre sons dont je veux parler ici, sont le ch qu'on nomme che, le gn qu'on nomme gne, le ll ou lle qui est un son mouillé fort, & le y qu'on nomme yé qui est un son mouillé foible.

Nous devrions avoir aussi un caractere particulier destiné uniquement à marquer le son de l mouillé. Comme ce caractere nous manque, notre ortographe n'est pas uniforme dans la maniere de désigner ce son ; tantôt nous l'indiquons par un seul l, tantôt par deux ll, quelquefois par lh. On doit seulement observer que l mouillé est presque toujours précédé d'un i ; mais cet i n'est pas pour cela la marque caractéristique du l mouillé, comme on le voit dans civil, Nil, exil, fil, file, vil, vile, où le l n'est point mouillé, non plus que dans Achille, pupille, tranquille, qu'on feroit mieux de n'écrire qu'avec un seul l.

Il faut observer qu'en plusieurs mots, l'i se fait entendre dans la syllabe avant le son mouillé, comme dans péril, on entend l'i, ensuite le son mouillé pé-ri-l.

Il y a au contraire plusieurs mots où l'i est muet, c'est-à-dire qu'il n'y est pas entendu séparément du son mouillé ; il est confondu avec ce son, ou plûtôt ; ou il n'y est point quoiqu'on l'écrive, ou il y est bien foible.

Le son mouillé du l est aussi marqué dans quelques noms propres par lh. Milhaud ville de Rouergue, M. Silhon, M. de Pardalhac.

On a observé que nous n'avons point de mots qui commencent par le son mouillé.

Du yé ou mouillé foible. Le peuple de Paris change le mouillé fort en mouillé foible ; il prononce fi-ye au lieu de fille, Versa-yes pour Versailles. Cette prononciation a donné lieu à quelques grammairiens modernes d'observer ce mouillé foible. En effet il y a bien de la différence dans la prononciation de ien dans mien, tien, &c. & de celle de moy-en, pa-yen, a-yeux, a-yant, Ba-yone, M a-yance, Bla-ye ville de Guiene, fa-yance, em-plo-yons à l'indicatif, afin que nous emplo-i-yons, que vous a-i-yez, que vous so-i-yez au subjonctif. La ville de No-yon, le duc de Ma-yene, le chevalier Ba-yard, la Ca-yene, ca-yer, fo-yer, bo-yaux.

Ces grammairiens disent que ce son mouillé est une consonne. C'est ce que j'ai entendu soûtenir il y a long-tems par un habile grammairien, M. Faiguet qui nous a donné le mot CITATION. M. du Mas qui a inventé le bureau typographique, dit que " dans les mots pa-yer, emplo-yer, &c. yé est une espece d'i mouillé consonne ou demi-consonne ". Bibliotheque des enfans, III. vol. page 209, Paris 1733.

M. de Launay dit que " cette lettre y est amphibie ; qu'elle est voyelle quand elle a la prononciation de i, mais qu'elle est consonne quand on l'employe avec les voyelles, comme dans les syllabes ya, yé, &c. & qu'alors il la met au rang des consonnes ", Méthode de M. de Launay, p. 39 & 40. Paris 1741.

Pour moi, je ne dispute point sur le nom. L'essentiel est de bien distinguer & de bien prononcer cette lettre. Je regarde ce son yé dans les exemples ci-dessus, comme un son mixte, qui me paroît tenir de la voyelle & de la consonne, & faire une classe à part.

Ainsi, en ajoûtant le che & les deux sons mouillés gn & ll, aux quinze premieres consonnes, cela fait dix-huit consonnes, sans compter le h aspiré, ni le mouillé foible ou son mixte ye.

Je vais finir par une division remarquable entre les consonnes. Depuis M. l'abbé de Dangeau, nos Grammairiens les divisent en foibles & en fortes, c'est-à-dire que le même organe poussé par un mouvement doux produit une consonne foible, & que s'il a un mouvement plus fort & plus appuyé, il fait entendre une consonne forte. Ainsi B est la foible de P, & P est la forte de B. Je vais les opposer ici les unes aux autres.

Par ce détail des consonnes foibles & des fortes, il paroît qu'il n'y a que les deux lettres nazales m, n, & les deux liquides l, r, dont le son ne change point d'un plus foible en un plus fort, ni d'un plus fort en un plus foible ; & ce qu'il y a de remarquable à l'égard de ces quatre lettres, selon l'observation que M. Harduin a faite dans le mémoire dont j'ai parlé, c'est qu'elles peuvent se lier avec chaque espece de consonne, soit avec les foibles, soit avec les fortes, sans apporter aucune altération à ces lettres. Par exemple, imbibé, voilà le m devant une foible ; impitoyable, le voilà devant une forte. Je ne prétens pas dire que ces quatre consonnes soient immuables, elles se changent souvent, sur-tout entr'elles, je dis seulement qu'elles peuvent précéder ou suivre indifféremment ou une lettre foible ou une forte. C'est peut-être par cette raison que les anciens ont donné le nom de liquides à ces quatre consonnes m, n, l, r.

Au lieu qu'à l'égard des autres, si une foible vient à être suivie d'une forte, les organes prenant la disposition requise pour articuler cette lettre forte, font prendre le son fort à la foible qui précede, ensorte que celle qui doit être prononcée la derniere change celle qui est devant en une lettre de son espece, la forte change la foible en forte, & la foible fait que la forte devient foible.

C'est ainsi que nous avons vû que le x vaut tantôt c s, qui sont deux fortes, & tantôt g z, qui sont deux foibles. C'est par la même raison qu'au préterit le b de scribo se change en p, à cause d'une lettre forte qui doit suivre : ainsi on dit scribo, scripsi, scriptum. M. Harduin est entré à ce sujet dans un détail fort exact par rapport à la langue françoise ; & il observe que, quoique nous écrivions absent, si nous voulons y prendre garde, nous trouverons que nous prononçons apsent. (F)


CONSORTS. m. nom d'une société du tiers ordre de S. François, composée d'hommes & de femmes, & établie à Milan où on lui avoit confié la distribution des aumônes, & où elle s'en acquitta avec tant de fidélité, qu'elle mérita dans la suite qu'on lui restituât cette fonction délicate dont on l'avoit privée. Il fallut la médiation du pape Sixte IV. pour la déterminer à la reprendre : ce qui prouveroit qu'elle n'y trouvoit que des peines méritoires pour une autre vie ; avantage que la piété solide a une infinité de voies différentes de recouvrer. Le débat le plus scandaleux qui pourroit survenir entre des Chrétiens, ce seroit celui qui auroit pour objet l'oeconomat du bien des pauvres.

CONSORTS, s. m. pl. (Jurisprud.) sont ceux qui ont le même intérêt, ou qui sont engagés dans une même affaire dont l'évenement doit leur être commun ; ainsi on appelle quelquefois consorts ceux qui vivent en communauté ou société, de même qu'on appelle compersonniers, les co-tenanciers solidaires d'un même tenement, soit à titre de cens, emphitéose, ou loyer. On appelle aussi consorts tous ceux qui plaident conjointement par le ministere d'un même procureur ; il est d'usage dans le style judiciaire, que le procureur ne dénomme qu'une de ses parties, & se contente de désigner les autres sous le nom de & consorts. Cela est bon pour abréger les qualités dans le courant des écritures ; mais il est important que toutes les parties soient dénommées, du moins au commencement, & dans les premiers & principaux actes, tels que dans les demandes, dans les appels, & dans les jugemens ; autrement il pourroit arriver que celui qui auroit obtenu une condamnation contre plusieurs adversaires sous le titre de consorts, seroit arrêté pour l'exécution par quelques-uns d'entr'eux, qui prétendroient n'avoir pas été parties dans les contestations, pour n'y avoir pas été dénommés. (A)


CONSOUDES. m. (Bot.) symphitum ; genre de plante à fleur monopétale, dont la forme approche de celle d'un entonnoir oblong, ou en quelque façon de celle d'une cloche. Le pistil sort d'un calice découpé presque jusqu'à sa base, attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences ressemblantes à des têtes de viperes. Ces semences se mûrissent dans le calice qui s'aggrandit. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CONSOUDE, (grande) Mat. méd. & Pharmac. ce n'est presque que la racine de cette plante qui est employée en Medecine.

Elle contient beaucoup de mucilage, qui est sa partie utile & vraiement médicamenteuse.

Les anciens auteurs avoient attribué à la racine de cette plante je ne sai quelle vertu agglutinative, styptique, ou vulnéraire, par laquelle ils la croyoient propre à arrêter toute sorte d'hémorragie, soit interne soit externe, à consolider les plaies, à réduire les hernies, à fortifier les ligamens des articulations distendus ou relâchés par des luxations, à hâter même la réunion des os : il s'en trouve même qui ont avancé que cette racine cuite avec différens morceaux de viande, les réunissoit en un seul.

Sennert rapporte que cette plante étoit en recommandation parmi les filles de son pays, ad sophisticationem virginitatis ; mais c'est une assez mauvaise ressource en ce cas.

L'usage de cette plante est cependant d'une utilité réelle dans l'hémophthisie, la dyssenterie, le pissement de sang, les ulceres des reins & de la vessie, certains dévoiemens, &c. mais c'est comme mucilagineuse, c'est-à-dire adoucissante ou relâchante ; car la vertu inviscante ou incrassante attribuée à certains remedes, & notamment aux mucilages, est une pure chimere. Voyez INCRASSANT. On ordonne la racine de consoude, dans les cas que nous venons de rapporter, en décoction très-legere, soit seule, soit avec quelques matieres farineuses ou douces, comme le ris, la réglisse, &c. La précaution de ne la faire bouillir qu'un instant est essentielle ; car une ébullition trop forte en extrairoit un mucilage trop abondant & trop visqueux, qui non-seulement en rendroit la boisson très-désagréable au malade, mais même qui fatigueroit son estomac.

On peut employer aussi avec succès extérieurement cette racine réduite en poudre, dans les cataplasmes émolliens, relâchans, & legerement discussifs.

On trouve dans les boutiques un syrop simple & un syrop composé de grande consoude. Voici la préparation du dernier qui est de Fernel.

Prenez des racines & des sommités de grande & de petite consoude, de chacune trois poignées ; de roses rouges, de la bétoine, du plantain, de la Pimprenelle, de la renouée, de chaque deux poignées ; de la scabieuse, du pas-d'âne, de chaque deux poignées : tirez le suc de toutes ces plantes & l'épurez, puis mêlez-y deux livres & demie de sucre blanc, & le cuisez en syrop selon l'art.

Ce syrop est plus usité que le simple, qui se fait avec la décoction de racine de consoude seule. Voyez SYROP SIMPLE.

Le syrop de consoude composé est réellement astringent ; propriété qu'il doit à plusieurs de ses ingrédiens qui possedent cette vertu, comme le plantain, la renouée, &c.

La racine de consoude entre dans les compositions officinales suivantes de la pharmacopée de Paris ; savoir, les pilules astringentes ; la poudre contre l'avortement, l'emplâtre contre la rupture, le baume oppodeldoc. Ses feuilles, aussi-bien que sa racine, entrent dans l'eau vulnéraire. Ses feuilles entrent dans le baume des fioraventi, dans le baume vulnéraire. Le suc de la plante entre dans l'emplâtre oppodeldoc. (b)


CONSPIRANTadj. (Méch.) puissances conspirantes, en Méchanique, sont celles qui n'agissent pas dans des directions opposées. Les puissances sont d'autant plus conspirantes, que leurs directions sont moins opposées : on peut même dire qu'à proprement parler il n'y a de puissances véritablement conspirantes, que celles qui agissent suivant la même direction ; car alors l'effet produit par les deux puissances agissant ensemble, est égal à la somme des effets que chacune agissant en particulier auroit produit : mais quand les directions font un angle entre elles, l'effet produit par les deux puissances conjointes est plus petit que la somme des deux effets pris séparément, par la raison que la diagonale d'un parallélogramme est moindre que la somme des deux côtés. Voyez COMPOSITION. Cela vient de ce que deux puissances dont les directions sont angles, sont en partie conspirantes & en partie opposées. Il peut même arriver que l'angle des puissances soit si obtus, que la puissance qui en résulte soit moindre que chacune d'elles ; & alors les puissances ne seroient appellées conspirantes que fort improprement, puisqu'elles détruisent alors mutuellement une partie de leur effet. Voyez PUISSANCE & MOUVEMENT. (O)


CONSPIRATIONCONJURATION, s. f. (Gramm.) union de plusieurs personnes dans le dessein de nuire à quelqu'un ou à quelque chose.

On dit la conjuration de plusieurs particuliers, & une conspiration de tous les ordres de l'état ; la conjuration de Catilina, la conspiration des élémens ; la conjuration de Venise, la conspiration des poudres ; la conjuration pour faire périr un prince, la conspiration pour en faire regner un autre ; une conjuration contre l'état, une conspiration contre un courtisan ; tout conspire à mon bonheur, tout semble conjurer ma perte. (O)


CONSTANCES. f. (Morale) c'est cette vertu par laquelle nous persistons dans notre attachement à tout ce que nous croyons devoir regarder comme vrai, beau, bon, décent, & honnête. On ne peut compter sur ce que dit le menteur ; on ne peut compter sur ce que fait l'homme inconstant : l'un anéantit, autant qu'il est en lui, le seul signe que les hommes ayent pour s'entendre ; l'autre anéantit le seul fondement qu'ils ayent de se reposer les uns sur les autres. Si l'inconstance étoit aussi grande & aussi générale qu'il est possible de l'imaginer, il n'y auroit rien de permanent sur la surface de la terre, & les choses humaines tomberoient dans un chaos épouvantable. Si l'attachement est mal placé, la constance prend le nom d'opiniâtreté, & l'inconstance celui de raison. Les anciens avoient fait de la constance une divinité, dont on voit souvent l'image sur leurs médailles.

CONSTANCE, (Géog.) ville impériale très-considérable du cercle de Souabe, située sur un lac de même nom. Sa long. est de 26. 58. & sa lat. de 47. 35. Elle est fameuse par le concile qui commença à s'y tenir en 1414. & qui finit en 1418. Voyez en l'histoire curieuse par M. Lenfant. C'est dans ce fameux concile oecuménique que fut décidée la supériorité du concile général au-dessus du pape ; que Jean XXIII. accusé de toutes sortes de crimes fut déposé, & que Jean Hus fut brûlé vif pour ses erreurs, malgré le sauf-conduit qui lui avoit été donné par l'empereur Sigismond : c'est, dit-on, ce qui a dégoûté les protestans de venir au concile de Trente, ou plutôt ce qui leur a servi de prétexte pour s'en dispenser. Mais on a répondu solidement à leurs objections. V. CONCILE, PROTESTANS, ENTEENTE. Le célebre Jean Gerson joua un grand rôle à ce concile. L'évêque de constance joüit d'un très-grand diocese, avec la qualité de prince de l'empire. Le lac de Constance a environ sept milles d'Allemagne, ou plutôt sept mille deux cent soixante-quinze toises de long, suivant la mesure qu'en prirent deux bourgeois de la ville qui furent curieux de le toiser en marchant sur la glace l'an 1596, que ce lac gela dans toute son étendue.


CONSTANSvents constans ; sont les vents qui soufflent toûjours suivant une même direction, ou dont le cours suit une loi constante, & a des périodes reglées : tels sont les vents alisés & les moussons. Voyez ALISE & MOUSSONS. (O)


CONSTANTFERME, INÉBRANLABLE, INFLEXIBLE : ces mots désignent en général la qualité d'une ame que les circonstances ne font point changer de disposition. Les trois derniers ajoûtent au premier une idée de courage, avec ces nuances différentes, que ferme désigne un courage qui ne s'abat point, inébranlable un courage qui résiste aux obstacles, & inflexible un courage qui ne s'amollit point. Un homme de bien est constant dans l'amitié, ferme dans les malheurs, & lorsqu'il s'agit de la justice, inébranlable aux menaces & inflexible aux prieres. (O)


CONSTANTE(QUANTITE) On appelle ainsi, en Géométrie, une quantité qui ne varie point par rapport à d'autres quantités qui varient, & qu'on nomme variables. Ainsi le parametre d'une parabole, le diametre d'un cercle, sont des quantités constantes, par rapport aux abscisses & ordonnées qui peuvent varier tant qu'on veut. Voy. PARAMETRE, COORDONNEES, &c. En Algebre, on marque ordinairement les quantités constantes par les premieres lettres de l'alphabet, & les variables par les dernieres.

Quand on a intégré une différentielle, on y ajoûte une constante qui est quelquefois nulle, mais qui souvent aussi est une quantité réelle, dont l'omission seroit une faute dans la solution. C'est à quoi les commençans doivent sur-tout prendre garde. La regle la plus facile & la plus ordinaire pour bien déterminer la constante, est de supposer que la différentielle represente l'élément de l'aire d'une courbe, dont l'abscisse soit x, de faire x = 0, de voir ce que la différentielle devient en ce cas, & d'ajoûter ce resultat avec un signe contraire. Par exemple, soit d x , la quantité à intégrer.

On peut la regarder comme l'élément de l'aire d'une courbe, dont x est l'abscisse, & l'ordonnée. L'aire de cette courbe ou l'intégrale de cet élément doit être nulle, lorsque x = 0. Or l'intégrale de d x x + a est 2/3 3/2 + C, C désignant une constante quelconque ; on aura donc, lorsque x = 0, 2/3 a3/2 + C = 0. Donc C = - 2/3 a3/2. Donc l'intégrale cherchée est 2/3 3/2 - 2/3 a3/2. Ainsi on voit que la constante C n'est autre chose que 2/3 3/2, en faisant x = 0, & changeant le signe. Cet exemple suffit pour démontrer & faire sentir la regle. On trouvera un plus grand détail dans le traité de M. de Bougainville le jeune sur le calcul intégral. (O)


CONSTANTINE(Géog.) ville considérable d'Afrique au royaume d'Alger, capitale d'une province de son nom. Long. 25. 12. lat. 36. 4.

CONSTANTINE, (Géog.) petite ville d'Espagne en Andalousie, capitale d'un petit pays de même nom.


CONSTANTINOPLE(Géog. & Comm.) l'une des plus grandes & plus riches villes de l'Europe, à l'extrémité de la Romanie, capitale de l'empire Ottoman, & la résidence des sultans. Elle étoit autrefois capitale de l'empire des Grecs en Orient. Elle est sur le détroit qui sépare l'Europe de l'Asie. Long. 46. 33. lat. 41. 4. Il s'y fait un commerce immense. C'est l'ancienne Bysance. Elle a été bâtie par Constantin : ce fut cet empereur qui y transporta le siége de l'empire. On l'appella la nouvelle Rome, & ce fut à juste titre : car il y eut un sénat, un cirque, des théatres, un capitole, & en un mot tout ce qui se remarquoit dans l'ancienne Rome. Les Turcs s'en emparerent en 1453. Les nations Chrétiennes y ont presque toutes un ministre protecteur de leurs commerçans. Les Anglois, les Hollandois, & les Vénitiens, y portent des draps. Il faut que ces marchandises soient bien teintes, bien travaillées, bien aulnées. Il leur en vient aussi d'Espagne. On y commerce aussi beaucoup d'étoffes précieuses, en soie, or, & argent. Les François y débitent beaucoup de papier. Le reste des marchandises convenables pour ce lieu consiste en quincaillerie, aiguilles, rocailles, pierre de mine, fer-blanc, or & argent filés ; de la bonnetterie ; quelques préparations pharmaceutiques, comme huile d'aspic, verdet, tartre, &c. certaines épiceries, comme sucre, camfre, vif-argent, cochenille, céruse, plomb, &c. On reçoit en échange des lettres, quelques laines, quelques peaux, de la potasse, de la cire, &c. On y vend beaucoup d'esclaves de l'un & de l'autre sexe : ils viennent principalement de Georgie, de Mingrelie, de Circassie, & de divers lieux voisins de la mer noire. La vente s'en fait au jassir-barat ou marché des esclaves. C'est un endroit fermé de murailles & planté de grands arbres. On commence par prier pour le sultan. Les jeunes filles sont nues, sous une couverture qui les enveloppe ? un crieur en publie le prix : le marchand visite la marchandise ; si elle lui convient, il la paye & l'emmene.


CONSTANTINOW(Géog.) petite ville de Pologne dans la Volhinie, sur la riviere de Slucza. Long. 46. 12. lat. 49. 46.


CONSTATERv. act. (Jurispr.) signifie établir un fait, le rendre constant & certain. On constate des faits par des titres, par une enquête ; par un procès-verbal, Voyez ci-après CONSTER. (A)


CONSTELLATIONsubst. f. en Astronomie, est l'assemblage de plusieurs étoiles, exprimées & représentées sous le nom & la figure d'un animal ou quelqu'autre chose : on l'appelle aussi un astérisme. Voyez ÉTOILE.

Les anciens astronomes ne se sont pas seulement attachés à distribuer les étoiles selon leurs différentes grandeurs ; comme on le verra à l'art. ÉTOILE ; mais ils ont encore imaginé, pour les faire reconnoître plus facilement, de faire plusieurs cartes qui expriment la situation propre, & la disposition des unes à l'égard des autres dans les différentes régions du ciel. Pour cet effet ils ont partagé le firmament en plusieurs parties ou constellations, réduisant un certain nombre d'étoiles sous la représentation de certaines figures, afin d'aider l'imagination & la mémoire à concevoir & à retenir leur nombre, leur arrangement, & même pour distinguer les vertus qu'ils leur attribuoient : c'est dans ce sens qu'ils disoient qu'un homme étoit né sous une heureuse constellation, c'est-à-dire sous une heureuse disposition des corps célestes. Voyez ASTROLOGIE.

La division des cieux en constellations est fort ancienne, & paroît l'être autant que l'Astronomie même ; au moins a-t-elle été connue des plus anciens auteurs qui nous restent, soit sacrés soit profanes. Il en est fait mention dans le livre de Job, témoin cette apostrophe : peux-tu arrêter les douces influences des Pleïades ou détacher les bandes d'Orion ? On peut observer la même chose dans les plus anciens écrivains payens, Homere & Hésiode qui repetent souvent le nom de plusieurs constellations. En un mot il est vraisemblable que les Astronomes ont senti dès le commencement la nécessité de partager ainsi les régions du ciel. Comme la distance de toutes les étoiles est immense par rapport à nous, il importe peu en quel endroit de notre système solaire seroit placé l'observateur qui les regarde ; car soit qu'on le suppose dans le soleil, sur la terre, ou dans Saturne, qui est la derniere & la plus éloignée de toutes les planetes, il est certain que, de chacun des différens points de notre système solaire, il appercevroit également les étoiles fixes dans le même endroit du ciel : effectivement quelque soin qu'il employât à examiner les différentes régions de cette vaste étendue, les étoiles lui paroîtroient exactement dans une même situation les unes par rapport aux autres, sans que leurs distances parussent jamais altérées malgré les différens points de vûe qu'il occupe à mesure qu'il a changé de lieu. Il s'ensuit donc que dans toutes les planetes, on doit voir de la même maniere le ciel étoilé ; & qu'il en est de même que s'il n'y avoit qu'une seule & unique voûte, ou un même monde qui environneroit chaque planete en particulier & précisément de la même maniere.

Cette raison a engagé les Astronomes à diviser le ciel étoilé en trois parties principales, dont celle du milieu, appellée zodiaque, renferme toutes les étoiles qui se trouvent ou aux environs de la route des planetes pendant leurs révolutions, ou dans les plans de leurs orbites ; & le zodiaque s'étend de plus jusqu'aux limites au-delà desquelles les planetes ne sauroient s'écarter. Cette zone ou bande est terminée par deux régions immenses du ciel, dont l'une s'appelle boréale & est au nord du zodiaque, l'autre qui est au midi se nomme australe. Inst. astr.

Les constellations des anciens ne comprenoient que ce qui étoit visible dans le firmament, ou que ce dont ils pouvoient s'appercevoir : elles étoient au nombre de 48, dont les douze qui comprennent le zodiaque furent nommées Aries, Taurus, Gemini, Cancer, Leo, Virgo, Libra, Scorpius, Sagittarius, Capricornus, Aquarius, Pisces ; en françois, le Bélier, le Taureau, les Gemeaux, l'Ecrevisse, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau, les Poissons ; d'où les signes du zodiaque & de l'écliptique ont pris leur nom, quoique depuis long-tems ils ne soient plus contigus aux constellations d'où ils l'ont tiré. Voyez ZODIAQUE & PRECESSION.

Les autres étoiles au nord du zodiaque dans la partie boréale, furent rangées sous 21 constellations, savoir, Ursa major & minor, Draco, Cepheus, Bootes, Corona septentrionalis, Hercules, Lyra, Cygnus, Cassiopeia, Perseus, Andromeda, Triangulum, Auriga, Pegasus, Equuleus, Delphinus, Sagitta, Aquila, Ophiuchus ou Serpentarius, & Serpens ; en françois, la grande Ourse, la petite Ourse, le Dragon, Cephée, le Bouvier, la couronne septentrionale, Hercule, la Lyre, le Cygne, Cassiopée, Persée, Andromede, le Triangle, le Cocher, Pegase, le petit Cheval, le Dauphin, la Fleche, l'Aigle, le Serpentaire & le Serpent. On y a ajouté quelques siecles après d'autres constellations, formées par quelques étoiles qui se trouvoient entre ces anciennes constellations, & qu'on nommoit pour cette raison étoiles informes. Ces nouvelles sont Antinoüs proche l'Aigle, & la Chevelure de Bérenice, ou Coma Berenices. Voyez ces mots.

On distribua celles du Sud en 15 constellations, dont les noms sont Cetus, Eridanus fluvius, Lepus, Orion, Canis major & minor, Argo, Hydra, Crater, Corvus, Centaurus, Lupus, Ara, Corona meridionalis, & Piscis australis ; en françois, la Baleine, l'Eridan, le Lievre, Orion, le grand Chien, le petit Chien, le navire Argo, l'Hydre, la Coupe, le Corbeau, le Centaure, le Loup, l'Autel, la Couronne australe, & le Poisson méridional ; auxquels on en a ajoûté douze depuis, savoir, Phoenix, Grus, Pavo, Indus, Apus, Triangulum australe, Musca, Cameleo, Piscis volans, Toucan, Hydrus & Xiphias ; en françois, le Phenix, la Grue, le Paon, l'Indien, l'Oiseau du Paradis, le Triangle austral, la Mouche, le Cameleon, le Poisson volant, le Toucan ou l'Oie d'Amérique, l'Hydre, Xiphias ou la Dorade. Les positions des étoiles qui composent ces douze dernieres ont été déterminées par le célebre M. Halley, qui alla exprès pour cela à l'Isle de Ste. Helene en 1677. Voyez chaque constellation & les étoiles qu'elle contient sous son propre article.

De ces constellations, les 15 dernieres & la plus grande partie du navire Argo, du Centaure, & du Loup, ne sont pas visibles sur notre horison.

Les Astronomes modernes depuis ont fait de nouvelles constellations. Voyez INFORMES & SPORADES.

C'est ainsi qu'Hévélius a placé Leo minor entre Leo & Ursa major ; Lynx entre Ursa minor & Auriga ; & au-dessus de Gemini & sous la queue d'Ursa major, Canes venatici, &c.

Les étoiles sont ordinairement distinguées dans ces constellations par la partie de la figure qu'elles occupent. Bayer, de plus, les distingue encore par les lettres de l'alphabet grec, & il y en a même beaucoup qui ont leurs noms particuliers, comme Arcturus entre les pieds du Bouvier ; la Luisante dans Corona septentrionalis ; Palilicium ou Aldebaran dans l'oeil du Taureau ; Pleïades dans le dos, & Hyades dans le front du Taureau : Castor & Pollux dans les têtes de Gemini ; Capella avec Hoedi dans l'épaule d'Auriga ; Regulus dans le coeur du Lion, l'épi dans la main de la Vierge, la Vendangeuse dans son épaule ; Antares ou le coeur du Scorpion, Fomahaut dans la bouche du Poisson austral ; Rigel dans le pié d'Orion ; Sirius dans la bouche du Canis major ; & l'étoile polaire qui est la derniere de la queue d'Ursa minor. Voyez SIRIUS, &c.

On peut voir dans Hyginus, Noel le Comte, & Riccioli, les fables absurdes & bisarres que les poetes Grecs & Romains ont tirées de l'ancienne théologie sur l'origine des constellations. C'est pour cela que quelques personnes se sont donné la peine assez inutile de changer ou les figures des constellations, ou au moins leurs noms.

Ainsi, le vénérable Bede, au lieu des noms & des figures profanes des douze constellations du zodiaque, substitua celles des douze apôtres ; quelques astronomes modernes venus depuis ont suivi son exemple, & achevé cette reforme, en donnant à toutes les constellations des noms tirés de l'Ecriture sainte.

Alors Aries, ou le Bélier, devint S. Pierre ; Taurus, ou le Taureau, S. André ; Andromede, le Sepulchre de Jesus-Christ ; la Lyre, la Crêche de Jesus-Christ ; Hercule, les Mages venant de l'Orient ; Canis major, David, &c.

Weigelius professeur en mathématiques dans l'université de Jene, fit un nouvel ordre de constellations, changeant le firmament dans un coelum heraldicum, en substituant les armes de tous les princes de l'Europe aux anciennes constellations. Ainsi il transforma l'Ursa major, dans l'Elephant du roi de Danemark ; Ophiunchus, dans la Croix de Cologne ; le Triangle, dans le Compas, qu'il appelle le symbole des Artistes ; & les Pleïades, dans l'Abacus Pythagoricus, qu'il appelle celui des Marchands. Voy. ABAQUE. Chambers & Wolf.

Mais les plus savans Astronomes n'ont jamais approuvé de pareilles innovations qui ne servent qu'à introduire de la confusion dans l'Astronomie. C'est pourquoi on a gardé les noms des anciennes constellations, pour conserver une plus grande correspondance & uniformité entre l'ancienne Astronomie & la nouvelle. Voy. ASTRONOMIE. Voy. aussi à la fin des Planches d'Astronomie deux cartes des constellations d'après M. le Monnier. Cet habile astronome a ajoûté quelques constellations à celles qu'on connoissoit déjà : par exemple, le Reene, proche le pole arctique. (O)


CONSTEverb. neut. (Jurisprud.) est un ancien terme de Pratique, qui signifie la même chose que constater. Les praticiens de province disent encore il conste par tel acte, pour dire qu'un tel fait est constaté par cet acte. (A)


CONSTERNATIONS. f. c'est le dernier degré de la frayeur. On y est jetté par l'attente ou la nouvelle de quelque grand malheur. Je dis l'attente ou la nouvelle, parce qu'il me semble que le mal arrivé cause de la douleur, mais que la consternation n'est l'effet que du mal qu'on craint. La perte d'une grande bataille ne répandroit pas la consternation dans les provinces, si elles n'en craignoient les suites les plus fâcheuses. Aussi en pareil cas n'y a-t-il proprement que les provinces voisines du champ de bataille qui soient consternées. Si la mort de Germanicus eût été naturelle, Rome n'auroit été plongée que dans la plus grande douleur ; mais comme on y soupçonna le poison, les sujets tournerent les yeux avec effroi sur les monstres qui les gouvernoient, & la douleur fut mêlée de consternation.


CONSTIPATIONsubst. f. (Medecine) rétention des excrémens causée par leur secheresse & par leur dureté. Ces qualités des excrémens dépendent d'une diminution considérable de l'excrétion des humeurs intestinales, qui dans l'état naturel les humectent, les ramollissent, & facilitent ainsi leur expulsion.

La constipation suppose aussi ordinairement les gros intestins disposés à pomper & à absorber toute l'humidité des excrémens, à les essuyer parfaitement, souvent même malgré une boisson abondante.

La constipation est l'affection exactement contraire à la diarrhée. Voyez DIARRHEE.

Les gens vigoureux & actifs, les paysans & les ouvriers occupés d'exercices violens, sont ordinairement constipés, sur-tout dans les tems chauds. La constipation est aussi commune chez les vieillards. Quoique la complexion des femmes soit foible, c'est-à-dire lâche, laxa, & humide, & qu'elles ayent par conséquent le ventre très-lâche, laxa alvus, comme les enfans, on trouve cependant beaucoup de femmes constipées ; presque toutes les vaporeuses ont le ventre resserré ; la plûpart des mélancoliques des deux sexes sont dans le même cas. En général la constipation peut être regardée comme un symptome presque concomitant de l'affection mélancolique & de l'hystérique. Voyez passion hystérique & affection mélancolique aux mots HYSTERIQUE & MELANCOLIQUE.

Le mouvement des voitures à roues & celui du cheval disposent ordinairement à la constipation.

La constipation n'est pas toûjours maladive ; elle l'est même rarement par elle-même, malgré le préjugé vulgaire ou la manie presque générale d'avoir le ventre libre, & même d'éprouver ce qu'on appelle des bénéfices de nature. Les vieillards, par exemple, ne se portent bien communément qu'autant qu'ils sont constipés, quoiqu'il soit très-ordinaire de les entendre se plaindre de la secheresse & de la paucité de leurs excrémens, comme d'un mal réel. On voit assez communément aussi des personnes qui ne vont à la selle que tous les cinq ou six jours, quelquefois même plus rarement, & qui joüissent néanmoins d'une parfaite santé. Il faut donc soigneusement distinguer la constipation habituelle, saine ou naturelle, de la constipation contre nature ou maladive.

Cette derniere même n'est qu'une incommodité qu'on désigne dans le langage ordinaire par le mot d'échauffement. Les premiers accidens par lesquels la constipation devient incommodité, sont ce qu'on appelle des feux, des vapeurs ou des bouffées de chaleur, qu'on sent au visage & aux autres parties de la tête, & qui sont quelquefois accompagnés d'étourdissemens & de pesanteur de tête, de migraine, de rougeur aux yeux, d'éblouissemens plus ou moins fréquens, &c.

Les remedes ordinaires dans la constipation sont les lavemens d'eau commune, auxquels on peut ajoûter une ou deux cuillerées d'huile d'olive ou d'huile d'amandes douces, les lavemens avec le lait, ceux qui sont préparés avec les décoctions émollientes ordinaires ; les purgatifs legers, comme la casse, la manne, la décoction de tamarin ; les sels purgatifs doux, comme le sel végétal, le sel de seignette, le sel de Glauber ; les eaux minérales legerement purgatives, & l'eau commune même prise à jeun & à grande dose ; le lait, le petit-lait, les émulsions, &c. en un mot tous les laxatifs & purgatifs doux. Voyez LAXATIF. Il faut observer cependant que le secours qu'on peut tirer des purgatifs, sur-tout des sels contre la constipation, n'est pas un bien durable ; le ventre lâché par ces remedes se resserre bien-tôt de nouveau, & quelquefois même plus qu'auparavant, les émolliens vrais ou aqueux & mucilagineux, les muqueux-huileux, &c. n'ont pas cet inconvénient. Le bain froid est plus exactement curatif encore. Voyez BAIN.

Une observation très-ancienne en Medecine, connue dans l'art dès le tems d'Hyppocrate, c'est une espece d'alternative d'excrétion entre la peau & le canal intestinal ; ensorte que ceux qui transpirent abondamment ont le ventre sec, & réciproquement ceux à qui le ventre coule abondamment, ne perdent que peu par la transpiration. Il faudroit pourtant bien se garder d'en conclure qu'on peut réparer une de ces excrétions par l'autre ; & qu'ainsi il est indifférent dans tous les cas, tout étant d'ailleurs égal, d'évacuer par les sueurs ou par les selles. Ce corollaire, quoique déduit avec quelque apparence de justesse, est pourtant faux en soi, c'est-à-dire comme conclusion & en bonne logique ; & il seroit, ce qui est bien pire, appliqué très-malheureusement à la pratique de la Medecine. Voyez EXCRETION.

Il ne faut pas confondre la constipation dont on vient de parler, & qui suppose nécessairement la présence des excrémens dans les gros intestins, avec la secheresse du ventre ou la suppression de l'excrétion intestinale, qui est en soi, & sans égard à la rétention des excrémens, un symptome presque toûjours fâcheux de plusieurs maladies aigues. Voyez SECHERESSE DU VENTRE & PURGATIF. (b)


CONSTITUANTadj. (Jurispr.) Ce terme est usité dans deux sortes d'actes, savoir dans les procurations qui se donnent, soit ad lites ou ad negotia. Le constituant est celui qui donne pouvoir à un autre d'agir pour lui. On s'en sert aussi dans les contrats de constitution, pour exprimer celui qui constitue la rente au profit d'un autre. Le terme constituant signifie aussi quelquefois établissant. C'est ainsi que dans certains actes, on met constituant à cet effet pour procureur le porteur des présentes, &c. Voyez ci-après CONSTITUER & CONSTITUTION DE RENTE, PROCURATION (A)


CONSTITUÉES(RENTES) voyez RENTES CONSTITUEES. (A)


CONSTITUER(Gramm.) terme relatif, 1°. aux attributs d'une chose : qu'est-ce qui constitue la vertu ? 2°. aux parties d'un tout : qu'est-ce qui constitue l'homme ? 3°. à une qualité particuliere & prise individuellement : qu'est-ce qui le constitue tel ? 4°. à une dignité, une fonction, un poste, &c. qu'est-ce qui vous a constitué en dignité ? &c.

CONSTITUER, v. act. (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

1°. On dit constituer en dot un bien ou une somme. Le pere constitue tant en dot à sa fille ; la femme se constitue en dot tous ses biens ou seulement une partie. Voyez DOT & PARAPHERNAUX.

2°. Constituer une rente, signifie la créer, l'établir. Cela ne se dit guere que des rentes créées à prix d'argent ou des rentes de libéralités, & non des rentes véritablement foncieres. Voyez RENTES CONSTITUEES.

3°. On dit aussi constituer une servitude sur son bien, c'est-à-dire l'imposer sur son bien & s'y soûmettre.

4°. Constituer procureur ad lites, ou coter procureur, c'est déclarer par un exploit qu'un tel procureur occupera. Le procureur se constitue ensuite lui-même par un acte d'occuper. Voy. ci-apr. CONSTITUTION DE PROCUREUR & CONSTITUTION DE NOUVEAU PROCUREUR.

5°. Constituer quelqu'un pour son procureur ad negotia, c'est lui donner pouvoir d'agir. On se sert de ce terme, tant pour les procurations ad negotia, que pour celles ad lites. Voyez PROCURATION. (A)


CONSTITUE(SE), signifioit anciennement se contenir, suivant les loix, suivant le premier précepte du Droit, honeste vivere, c'est ainsi qu'on doit l'entendre dans les anciens usages d'Artois, qui ont été imprimés en tête de la nouvelle édition du commentaire de cette coutume ; c'est dans le prologue, nombre 15. où il est dit que constituer soi, est le premier commandement des loix, qui dit que l'on vive honnêtement, &c.


CONSTITUTS. m. (Jurisprud.) Chez les Romains étoit un contrat par lequel on s'engageoit à donner ou faire quelque chose, sans employer la formule solemnelle des stipulations proprement dites, où le créancier interrogeoit le débiteur, & celui-ci répondoit ; au lieu que la formule du constitut étoit simplement en ces termes, satisfaciam tibi, satisfiet tibi à me & ab illo, ou bien habes penes me. Voyez au code le titre de constitutâ pecuniâ, & la glose & les interpretes sur ce titre.

En France, on n'admet point ces distinctions de formules du constitut & de la stipulation proprement dites ; il n'y a point de formule particuliere pour chaque convention.

Constitut, parmi nous ; est tout autre chose que chez les Romains. C'est une clause par laquelle celui qui possede naturellement & corporellement un bien meuble ou immeuble, reconnoît que c'est sans aucun droit de propriété ou de possession civile, & que la jouissance ne lui en a été donnée ou laissée par le propriétaire, qu'à ce titre de constitut.

Cette clause se met dans la donation ou dans la vente d'un fonds qui est donné ou vendu, avec réserve d'usufruit au profit du donateur ou du vendeur, lesquels déclarent par cette clause qu'ils ne retiennent la chose qu'à titre de constitut ; on ajoûte aussi ordinairement ces termes, & de précaire, c'est-à-dire par souffrance & comme par emprunt.

Quoique l'on joigne ordinairement ces termes, constitut & précaire, ils ne sont pas synonymes ; car toute possession à titre de constitut est bien précaire : mais la simple possession précaire, telle, par exemple, que celle d'un fermier ou de celui auquel on a prêté une chose, n'est pas à titre de constitut.

La clause de constitut produit deux effets : l'un, de faire ensorte que le donateur ou le vendeur jouissent de l'usufruit qu'ils se sont réservé ; l'autre est de transférer en la personne du donataire ou de l'acheteur une possession feinte, par le moyen de laquelle ils acquierent la possession civile qui produit le même effet que produiroit la possession réelle & actuelle.

Mais pour transférer ainsi la possession civile par le moyen de la clause de constitut ou de précaire, il faut que le contrat soit valable ; que l'objet en soit certain & déterminé, & non pas un droit vague dans la chose ; que le donateur ou le vendeur soit réellement alors en possession, & qu'il soit présent à la stipulation du constitut ou précaire.

L'article 275 de la coutume de Paris, dit que ce n'est pas donner & retenir, quand il y a clause de constitut ou précaire.

Cette clause n'est point valable par rapport à des meubles vendus ou donnés, à moins que le contrat n'en contienne un état, ou qu'il n'en soit fait un séparément.

On appose quelquefois la clause de constitut ou précaire dans les contrats de constitution de rentes à prix d'argent. Celui qui constitue sur lui la rente, y oblige tous ses biens, spécialement certains fonds dont il déclare qu'il se désaisit jusqu'à concurrence du capital de la rente, & qu'il ne joüira plus de ces fonds hypothéqués spécialement qu'à titre de constitut & de précaire ; mais cette clause a peu d'effets ; car quand on n'a pas fait au créancier une tradition réelle de l'héritage, la clause n'empêche pas un tiers d'agir sur ce même fonds ; & quand on y ajoûteroit la défense d'aliéner, le créancier seroit toujours obligé de discuter les autres biens du débiteur, excepté dans la coûtume de Paris, à cause de l'article 101. qui dispense formellement le créancier hypothécaire de faire aucune discussion. Voyez Guypape, quest. 208. 312. & 504. & Chorier, ibid. Basset, tome II. liv. V. tit. j. chap. ij. (A)


CONSTITUTAIRE(Jurisprud.) est celui qui jouit à titre de constitut, c'est-à-dire qui n'a qu'une jouissance précaire. Voyez CONSTITUANT. (A)


CONSTITUTIONS. f. (Jurisprud.) signifie en général établissement de quelque chose. Ce terme s'applique en Droit à différents objets.

CONSTITUTION DE DOT, est un acte ou une clause d'un acte qui établit ce que les futurs époux apportent en dot. La dot peut être constituée, c'est-à-dire promise par les pere & mere ou autres parens, ou même par un étranger ; les futurs conjoints peuvent aussi eux-mêmes se constituer en dot leurs biens ou une partie seulement. Dans les pays coûtumiers où il n'y a point de paraphernaux, tout ce qu'une femme apporte en mariage forme sa dot ; mais dans les pays de droit il n'y a de biens dotaux, que ceux qui sont constitués nommément en dot ; les autres sont réputés paraphernaux. Voyez DOT & PARAPHERNAUX. (A)

CONSTITUTIONS ECCLESIASTIQUES, sont des lois faites pour le gouvernement de l'Eglise par ceux qui ont le pouvoir d'en faire.

Anciennement on ne donnoit pas le nom de lois aux constitutions ecclésiastiques ; on les appelloit communément regles : mais comme l'Eglise a ses prélats & ses censures, qui se prononcent contre ceux qui sont réfractaires à ces regles, on les a appellé constitutions ou lois ecclésiastiques, droit canonique ou ecclésiastique. Voyez CONCILES, DROIT CANONIQUE, LOIS ECCLESIASTIQUES, ATUTS SYNODAUXDAUX. (A).

CONSTITUTIONS GENERALES, sont des lois de l'Eglise qui obligent tous les fideles, ou des lois de l'état qui obligent tous les sujets, à la différence des constitutions particulieres qui n'obligent que certaines personnes. Cette distinction est du droit Romain aux institut. liv. I. tit. ij. §. 6.

Ainsi, entre les lois de l'Eglise, les conciles oecuméniques sont des constitutions générales ; au lieu que les conciles nationaux & provinciaux ne sont que des constitutions particulieres pour les nations ou pour les provinces, dont le clergé a tenu ces conciles.

En fait de lois politiques, les constitutions générales sont les ordonnances, édits & déclarations, qui obligent tous les sujets du prince. C'est pourquoi elles sont publiées & enregistrées dans les cours supérieures & autres tribunaux, afin que la loi soit certaine & connue.

CONSTITUTIONS PARTICULIERES, sont des réglemens particuliers qui ne se publient point, & qui ne concernent que certaines personnes, corps ou communautés & compagnies ; ensorte qu'elles n'ont point force de loi à l'égard des autres ; tels sont les lettres patentes & les brevets accordés à certaines personnes. Voy. LETTRES PATENTES, LOIS, RESCRITS, & ci-apr. CONSTITUTIONS DU PRINCE. (A)

CONSTITUTIONS DU PRINCE. On comprend sous ce nom tout ce qu'il plaît au prince d'ordonner, soit par forme d'ordonnances, édits & déclarations, soit par lettres patentes ou autrement. C'est ainsi que chez les Romains tout ce que les rois & les empereurs jugeoient à propos d'ordonner, soit par lettres ou par édit, avoit force de loi, & cela s'appelloit constitutiones principum, comme il est dit dans les instit. tit. ij. §. 6. quod principi placuit legis habet vigorem.... quodcumque ergo imperator per epistolam constituit, vel cognoscens decrevit, vel edicto praecepit, legem esse constat haec : sunt quae constitutiones appellantur.

Ces constitutions sont ou générales ou particulieres. Voyez ci-devant CONSTITUTIONS GENERALES, &c. (A)

CONSTITUTION DE PROCUREUR, est l'acte ou la clause d'un exploit par lequel on déclare qu'un tel procureur occupera. Dans les justices où le ministere des procureurs est nécessaire, tout premier exploit de demande doit contenir une constitution de procureur de la part du demandeur, suivant l'article 16. du tit. ij. de l'ordonnance de 1667.

Outre cette constitution de procureur qui est faite par la partie, il faut que le procureur qui est coté par l'exploit se constitue ensuite lui-même pour sa partie, en se présentant & faisant signifier au défendeur ce que l'on appelle un acte d'occuper, lequel se signifie de procureur à procureur.

Il faut aussi que le défendeur constitue procureur, ce qui se fait de même par un acte d'occuper.

CONSTITUTION DE NOUVEAU PROCUREUR, est celle qui se fait quand le procureur d'une des parties est décédé. Si cette partie ne constitue pas un autre procureur, en ce cas la partie adverse peut l'assigner en constitution de nouveau dans le même tribunal où la contestation s'instruisoit avec le procureur décédé. Cette demande doit être formée par un exploit à personne ou domicile, & avec les mêmes formalités que les autres demandes principales.

Argent donné ou placé à CONSTITUTION. voyez ci-aprés CONSTITUTION DE RENTE & RENTE CONSTITUEE.

Prêt à CONSTITUTION, est un prêt d'argent dont le principal est aliéné, & pour lequel le débiteur constitue sur lui une rente au profit du prêteur. (A)

CONSTITUTION DE RENTE, signifie en général l'établissement d'une rente, soit de libéralité ou à prix d'argent. Celui qui donne une rente, la constitue sur soi & sur ses biens ; celui qui emprunte de l'argent à constitution de rente, constitue pareillement sur soi une rente que l'on appelle constituée à prix d'argent, ou simplement rente constituée, pour la distinguer des rentes foncieres & de libéralité. V. RENTES CONSTITUEES. (A)

CONSTITUTION, (Hist. mod.) ce terme rélativement à l'empire d'Allemagne, a deux significations différentes. Sous la premiere on comprend les lois générales qui servent de regle à tout l'Empire, & que Melchior Goldaste a recueillies sous le titre de collectio constitutionum imperialium.

La seconde signification de ce terme regarde l'état du gouvernement de ce vaste corps, & c'est en ce sens que nous avons dessein d'en parler ici.

Sous la race de Charlemagne, fondateur ou restaurateur de ce nouvel Empire d'Occident, la constitution ou le gouvernement étoit héréditaire & absolu, & le titre d'empereur & d'empire regardoit plutôt Rome & l'Italie, que la France & l'Allemagne. Après la mort de ce fondateur, & après celle de Louis-le-Debonnaire, les vastes états de ces deux princes furent partagés & divisés. Le titre d'empereur & l'Italie furent déférés l'an 840 à Lothaire fils aîné de Louis, & il eut pour successeur en 855 son fils aîné Louis II. Les autres eurent différents états, savoir, Lothaire le royaume de Lorraine, auquel il donna son nom, Lotharingia. Charles, IIIe. fils de Louis II. fut roi de Provence l'an 875. Charles-le-Chauve, quatrieme fils de Louis-le-Debonnaire, qui étoit déjà roi de France, fut déclaré empereur, comme le plus proche du sang, étant oncle de Louis II. L'an 877 Charles eut pour successeur son fils Louis-le-Begue, qui mourut l'an 879. La couronne impériale passa ensuite sur la tête de Charles-le-Gros, depuis l'an 880 jusqu'à la fin de 887, que ce prince tomba dans une foiblesse d'esprit si étrange, que les grands de Germanie reconnurent pour souverain Arnoul fils naturel de Carloman, lequel étoit fils aîné de Louis I. roi de Germanie. Le titre d'empereur commença pour lors à se faire connoître en Allemagne, car il y avoit des rois d'Italie, savoir Bérenger, Gui, Lambert, & Louis III. mais aucun d'eux ne fut généralement reconnu comme empereur. Vers la fin du mois de Mars 896, Arnoul reçut à Rome la couronne impériale : Louis son fils lui succéda, tant en qualité de roi de Germanie que d'empereur. A ce dernier prince, qui mourut au plûtard au mois de Janvier 912, on voit finir en Allemagne la postérité masculine de Charlemagne, que je n'ai détaillée que pour montrer que l'empire étoit alors successif, & qu'il passoit au plus proche du sang du dernier empereur. Sa volonté avoit force de loi ; cependant ils avoient soin de consulter des personnes sages, éclairées & prudentes ; c'est ce qui fait encore admirer aujourd'hui les lois qui nous en restent sous le titre de capitulaires.

Conrad comte de Franconie, fut élû roi de Germanie l'an 912, sans prendre la qualité d'empereur, qui fut long-tems disputée, aussi-bien que la souveraineté d'Italie, par cinq différens princes ; savoir, Bérenger I., Rodolphe, Hugues I., Lothaire, & Bérenger II. jusqu'en 964.

Henri duc de Saxe, surnommé l'oiseleur, ne laissa pas de posséder le throne de Germanie, mais sans la qualité d'empereur, qu'il ne prit jamais dans aucune de ses lettres patentes ou de ses diplomes ; il s'y qualifie roi de Germanie, quelquefois roi de la France orientale, & même d'advocatus Romanorum, c'est-à-dire de protecteur & défenseur des Romains. Henri étant mort le 2 Juillet de l'an 936, Othon I. son fils aîné fut choisi pour roi en sa place ; mais il ne fut couronné empereur qu'au commencement de l'an 962. Depuis ce tems les Allemands ont toûjours possédé le titre & la couronne impériale.

De l'empereur. Pour commencer par la constitution ou état de l'Empire, tel qu'il a été depuis Othon I. je dois remarquer que l'élection de l'empereur se faisoit par tous les grands de l'Allemagne. Ces grands n'étoient autres que les premiers officiers des derniers empereurs & les gouverneurs des provinces, qui pratiquerent en Allemagne ce qu'avoient fait en France les gouverneurs des provinces, qui s'attribuerent à eux & à leur postérité leurs gouvernemens ; mais reconnoissant toûjours ou le roi de Germanie ou l'empereur comme suzerain, dont ils ne faisoient pas difficulté de se dire les premiers vassaux.

L'empereur Othon I. soûtint le sceptre impérial avec une dignité qui lui a mérité le surnom de Grand : il ajoûta au titre de Cesar celui de Romanorum imperator augustus, comme Fréderic Barberousse, élû en 1152, se fit nommer semper augustus. Après Othon-le-grand, l'empire languit pendant quelque tems : son fils Othon II. se vit méprisé, & Othon III. son petit-fils poussa l'amour de la justice jusqu'à la cruauté. Il y eut une révolution en 1105 ; & après la mort d'Henri IV. arrivée l'année suivante, on fit une constitution, par laquelle il fut reglé que les enfans des rois, quoique dignes, quoique capables de gouverner, ne pourroient pas cependant prétendre à l'empire par droit de succession, mais seulement par la voie d'une élection libre & volontaire : ce sont les termes de la constitution. Alors la succession commença insensiblement à s'abolir.

Quoique les grands, c'est-à-dire les évêques, la haute noblesse ou les grands vassaux, eussent la principale autorité dans l'élection de l'empereur ; cependant le peuple, c'est-à-dire les grandes villes, y avoient aussi quelque part, moins par leur voix, que par leur approbation, ce qui a duré jusqu'au milieu du xiij. siecle. Alors les principaux princes, qui prirent vers ce tems le titre d'électeurs, s'attribuerent l'élection du chef de l'Empire. Voyez à l'article EMPEREUR la maniere dont se fait cette élection.

Elle se fait à Francfort sur le Mein, suivant la bulle d'or ; cependant il y a eu des empereurs élus à Ratisbonne. L'empereur Joseph fut élu roi des Romains en 1690 à Augsbourg, parce que l'Empire avoit alors la guerre avec la France, & que les armées étoient trop près de Francfort pour hasarder d'y faire une aussi importante & si auguste cérémonie.

Autrefois lorsque les électeurs se rendoient au lieu désigné pour l'élection, leur cortege étoit limité par la bulle d'or ; mais aujourd'hui, lorsqu'ils s'y trouvent, ils y vont en telle & aussi grande compagnie qu'ils le jugent à-propos. L'assemblée d'élection qui devroit s'ouvrir au jour marqué par l'électeur de Mayence, est presque toujours différée sur divers prétextes, ou par conjonctures, ou par des affaires importantes au bien du corps germanique : c'est ainsi que l'élection de l'empereur Léopold fut différée pendant onze mois, jusqu'à ce qu'il eut atteint l'âge nécessaire pour son élection.

Etats de l'Empire : Collége des Electeurs. L'empereur étant déclaré chef, il doit y avoir un corps d'états à la tête duquel il soit. Ce corps est divisé en trois classes ou colleges ; savoir, celui des électeurs, celui des princes de l'Empire, & enfin le collége des villes impériales. Cette distinction fut établie à la diete de Francfort en 1580.

Le collége électoral a pour directeur l'électeur de Mayence, & se trouve composé de neuf électeurs. Il est difficile de marquer en quel tems le titre d'électeur leur a été donné, & depuis quand ils ont le privilege d'élire l'empereur, à l'exclusion de tous les autres princes de l'empire. On a crû pendant plus de 250 ans, c'est-à-dire depuis l'an 1250 jusqu'en 1500, que le collége électoral avoit été établi par le pape Grégoire V. & par l'empereur Othon III. c'est-à-dire sur la fin du x. siecle. Les auteurs ne différoient alors qu'en ce que les uns donnoient la préférence au pape, & d'autres à l'empereur, selon que les écrivains étoient portés pour les uns ou pour les autres. Onuphrius Panvinius, célebre Augustin italien du xvj. siecle, paroît être le premier qui ait attaqué cette opinion par un traité qu'il a fait de l'élection de l'empereur, & son sentiment est aujourd'hui communément reçu. Sa raison étoit que personne n'a pû trouver jusqu'alors ni depuis, aucune constitution ni bulle qui porte cet établissement. Le premier qui en a parlé, est Martinus Polonus, qui écrivoit au milieu du xiij. siecle, tems où vivoit Fréderic II. ainsi 250 ans après Othon III. & son témoignage, qui n'est appuyé d'aucunes preuves, ne suffit pas pour porter l'établissement des électeurs jusqu'au x. siecle. On croit cependant que du tems de Fréderic II. les grands officiers de l'empire, ou plutôt des empereurs, s'attribuerent peu-à-peu le droit d'élire leur souverain ; mais cette espece d'usurpation n'eut un état fixe & constant que par la bulle d'or publiée par l'empereur Charles IV. Cette bulle qui avoit fixé à sept le nombre des électeurs, leur avoit accordé en même tems des charges d'honneur ; mais elle avoit aussi attaché à certains états la dignité électorale, de sorte que quiconque les possede légitimement, devient en même tems électeur de l'empire.

Quoique la bulle d'or ne parle que de sept électeurs, cependant il s'en trouve aujourd'hui neuf. On sait que l'électeur palatin Fréderic V. ayant accepté en 1619 la couronne de Bohème, au préjudice de la maison d'Autriche, fut entierement défait en 1620 à la bataille de Prague ; & qu'en conséquence Ferdinand II. le mit au ban de l'empire en 1623, & le priva de son électorat, qui fut accordé la même année à Maximilien duc de Baviere. Fréderic Palatin se vit contraint de se retirer en Hollande, où il mourut au mois de Novembre 1631. Mais au traité de Westphalie, qui termina en 1648 la fameuse guerre de trente années, Charles-Louis, fils de Fréderic V. fut rétabli dans la dignité électorale, sans néanmoins en priver le duc de Baviere, ce qui forma pour lors le nombre de huit électeurs.

Vers la fin du siecle dernier, l'empereur Léopold créa un neuvieme électorat en faveur de la maison de Brunswick-Hanovre, qui lui étoit fort attachée. Cette maison est constamment l'une des plus anciennes & des plus illustres de l'empire d'Allemagne ; & Léopold, pour reconnoître par cette dignité l'affection de la branche d'Hanovre, créa en faveur du duc Ernest-Auguste un neuvieme électorat le 19 Décembre 1692. Ce fut néanmoins avec le consentement extracollégial des électeurs de Mayence, de Baviere, de Saxe, & de Brandebourg ; mais comme cette affaire n'avoit pas été discutée ni conclue collégialement par les électeurs, le nouvel électeur souffrit alors beaucoup de difficultés, même après l'investiture électorale que Sa Majesté impériale lui avoit conférée à Vienne. Ces difficultés ne furent levées que depuis que la maison d'Autriche & les amis de celle d'Hanovre eurent trouvé moyen d'obtenir le consentement collégial des électeurs de Treves, de Cologne & Palatin : ainsi après une longue opposition, ils sont enfin convenus que le duc d'Hanovre joüiroit du titre d'électeur ; & quoiqu'ils se fussent réservé la discussion définitive des conditions sous lesquelles le nouvel électeur devroit être mis dans la possession totale, & dans l'exercice de son titre, tout s'est terminé à l'avantage de la maison d'Hanovre. Cette dispute du neuvieme électorat se trouve expliquée avec autant de lumieres que d'exactitude, dans un écrit inséré dans les Lettres historiques de M. Dumont, au mois de Février 1698. Voy. à l'art. ELECTEUR ce qui constitue cette dignité en général ; mais il ne sera pas inutile de connoître ce qui concerne chaque électeur en particulier.

Dans la décadence de la maison de Charlemagne, les grands officiers de ces premiers empereurs avoient des gouvernemens, qu'ils rendirent successifs & héréditaires à leur postérité ; ainsi que firent les seigneurs françois qui étoient auparavant ducs ou comtes bénéficiaires des grands fiefs de la couronne ; & qui se les attribuerent en propre. Les seuls princes ecclésiastiques ne firent aucune usurpation : ils eurent leurs grands domaines de la libéralité de Charlemagne, de ses successeurs, & même des premiers rois de Germanie & des anciens empereurs Allemands.

Mayence & les deux autres électeurs ecclésiastiques possedent les charges d'archi-chancelier, qui sont des charges de l'état, & ne sont pas regardés comme domestiques. Le premier est archi-chancelier de l'empire pour l'Allemagne. Cette dignité est purement élective, & dépend du chapitre composé de vingt-quatre chanoines, qu'on nomme capitulaires, parce qu'ils forment particulierement le haut chapitre : les autres chanoines, au nombre de dix-huit, sont nommés domiciliaires ; & comme ils sont admis & qu'ils ont fait leurs preuves de seize quartiers, ils viennent à leur tour à être aggrégés au nombre des capitulaires. Le revenu & l'étendue des états de ce prince sont assez limités. Il nomme ordinairement un vice-chancelier qui réside à Vienne, séjour actuel de l'empereur, & là il prend soin des affaires du corps germanique, qui se traitent à la cour impériale. La ville de Mayence, capitale de cet électorat, étoit autrefois une ville impériale ; mais elle fut privée de cet avantage en punition de l'assassinat d'Arnoul de Zellenoven son archevêque, qui fut commis par la bourgeoisie de cette ville l'an 1160. Henri II. de Wimberg est le premier archevêque de Mayence, qui fut déclaré électeur au tems de la publication de la bulle-d'or, & qui mourut en 1353. L'électeur de Mayence prend pour le temporel l'investiture de l'empereur comme un des grands vassaux de l'empire, à cause des fiefs qu'il a reçus de ses prédécesseurs. Il garde les archives & la matricule de l'empire ; il a inspection sur le conseil aulique, & sur la chambre impériale, & il est arbitre de la plûpart des affaires publiques de l'Empire : c'est à lui, comme premier ministre, que les princes étrangers s'adressent pour les propositions qu'ils ont à faire au corps germanique, comme les princes de l'Empire lui portent leurs plaintes. Sa résidence ordinaire est Aschaffenbourg sur le Mein, au-dessus de Francfort, & rarement il demeure à Mayence.

L'électeur de Treves est archi-chancelier de l'Empire pour les Gaules. Les prétentions qu'ont eues autrefois les empereurs sur le royaume d'Arles, ont donné lieu à la création de cette charge ; mais elle est sans aucun exercice. Cet électeur, qui est le second du collége électoral, occupe le siége le plus ancien de toute l'Allemagne.

Le chapitre de Treves suit la même coûtume que celui de Mayence, de n'admettre jamais de princes dans son corps, & fort rarement des comtes : ces bénéfices sont réservés pour les gentilshommes qui peuvent faire leurs preuves de seize quartiers. Dans les assemblées de l'Empire, l'électeur de Treves est le premier qui dit son avis ; il est assis au milieu de la salle vis-à-vis l'empereur. Tous les fiefs qui relevent de son archevêché lui sont reversibles en cas de mort des feudataires sans héritiers mâles. Outre Treves, il a encore Coblentz & Hermanstein ; la premiere, sur la rive occidentale du Rhin, au confluent de la Moselle dans ce grand fleuve ; & la seconde, vis-à-vis de la premiere, sur la rive orientale du même fleuve : ces deux places servent de résidence ordinaire à cet électeur, lequel dans les guerres que l'empereur a quelquefois avec la France, conserve la neutralité autant qu'il peut. Baudouin, comte de Luxembourg & frere de l'empereur Henri VII. paroît avoir été le premier des archevêques de Treves qui fut fait électeur de l'Empire. Il fut mis sur ce siége en 1308, & mourut au mois de Janvier 1354.

L'archevêque de Cologne, quoique le troisieme & dernier des électeurs ecclésiastiques, est cependant l'un des plus puissans d'entr'eux : il porte le titre d'électeur de Cologne, ville située sur le Rhin, mais qui est impériale, qui ne dépend nullement de son archevêque ; sa résidence ordinaire est à Bonne, place ordinairement forte, quelques lieues au-dessus de Cologne, & sur le même fleuve. Son chapitre, composé de princes & de comtes, sans qu'on y reçoive ni barons ni simples gentilshommes, est composé de soixante chanoines, dont les vingt-quatre premiers sont capitulaires, & concourent seuls à l'élection de leur archevêque. Cet électeur est archi-chancelier de l'Empire, pour ce qui regarde les états d'Italie ; mais comme l'Empire ne possede plus rien dans ce continent, cet électeur n'est pas plus employé dans sa charge d'archi-chancelier, que celui de Treves. Cependant le feu électeur Joseph Clément de Baviere ne laissa pas de réclamer ses droits au commencement de la guerre de 1701, au sujet de la succession d'Espagne ; comme l'empereur Léopold porta ses armes en Italie, l'électeur demanda son rétablissement en sa charge, puisque l'on attaquoit des provinces dont il étoit reconnu comme premier ministre. Il le fit par un manifeste ; mais n'ayant pas des forces suffisantes, il ne fut point écouté. Depuis l'apostasie de Gebhard Truchsès de Waldebourg, arrivée en 1583, les princes ecclésiastiques de la maison de Baviere sont en possession de cet électorat, auquel souvent on a joint sur la même tête plusieurs autres évêchés de conséquence, tels qu'Osnabruck, Hildesheim, Munster, Paderborn ; parce que ces prélatures étant fort ambitionnées par les princes protestans, on est obligé d'y nommer un prince d'une maison puissante, en état de se soûtenir, soit par lui-même, soit par les princes de son nom. En comptant l'archevêque Ernest duc de Baviere, qui fut élû aussi-tot après l'apostasie de Truchsès, il y a eu cinq électeurs de cette illustre maison, & le premier archevêque de cette ville décoré du titre électoral, fut vraisemblablement Wabrame, comte de Juliers, qui mourut en 1349.

Le premier des électeurs séculiers est le roi de Bohème. Dans les premiers tems, ce royaume avoit seulement le titre de duché ; & le premier duc que l'on connoisse, est, dit-on, Czechus qui vivoit l'an 325 ; ce qui est assez incertain : d'autres, qui donnent dans un sentiment plus vraisemblable, mettent pour premier duc en 722 Primislas, qui fit bâtir la ville de Prague, & mourut en 745. Le premier roi de cet état fut reconnu à ce titre l'an 1086 : c'étoit Uladislas, mort en 1092. Après bien des révolutions, ce royaume entra dans la maison d'Autriche par le mariage de Ferdinand I. frere de Charles-Quint avec la princesse Anne, soeur du roi Louis qui périt à la bataille de Mohatz en 1526 : par cette alliance, la branche allemande de la maison d'Autriche eut un électorat, & ce royaume y subsiste encore aujourd'hui. Le duché de Silésie est maintenant séparé de la Bohème ; il en faisoit la partie la plus considérable & la plus riche : il est possédé par le roi de Prusse électeur de Brandebourg. Le comté de Lusace qui est un fief de la Bohème, appartient presque tout à l'électeur de Saxe roi de Pologne, à l'exception de quelques cantons qui sont au roi de Prusse : aussi il n'y a plus de grand fief de ce royaume que le marquisat de Moravie, qui est resté à l'héritiere de la maison d'Autriche. Autrefois le roi de Bohème n'avoit voix & séance parmi les électeurs, que quand il s'agissoit de choisir un empereur : mais en 1708, on fit un decret ou constitution impériale, qui donne à ce roi droit de séance & de suffrage dans le collége électoral, & cet acte de la diete est appellé réadmission ; en conséquence, son ambassadeur a droit d'assister à toutes les délibérations de l'Empire.

La maison électorale de Saxe est incontestablement l'une des plus anciennes & des plus illustres de l'Allemagne, où elle a été connue même avant le x. siecle : elle ne fut néanmoins investie du duché électoral de Saxe qu'en 1423, en la personne de Frédéric le Belliqueux ; il ne joüit que cinq ans de cette grande dignité, & mourut au mois de Juin 1428. Mais il y eut en 1547, une révolution considérable : Jean Frédéric surnommé le Magnanime, s'étant déclaré pour les nouvelles opinions de Luther, fut attaqué, battu, & fait prisonnier par l'empereur Charles-Quint, qui le mit au ban de l'Empire, & le dépouilla de la dignité électorale, aussi bien que du duché de Saxe. Le prince Maurice de Saxe, cousin de Jean Frédéric, en fut revêtu la même année ; il mourut en 1553 sans postérité, & laissa ses états au prince Auguste son frere : & c'est de ce dernier que descend la maison de Saxe, qui subsiste depuis long-tems avec beaucoup de dignité dans l'Empire, & de considération dans toute l'Europe. La religion dominante de cet électorat est la protestante ou luthérienne. Cependant l'électeur Frédéric Auguste ayant été élû roi de Pologne en 1697, embrassa la religion catholique, & le roi régnant aujourd'hui, son fils & son successeur, fit son abjuration à Rome dans le cours de ses voyages, & il la déclara publiquement en 1717. Son zele pour la religion Catholique ne le porte à aucune aigreur contre les protestans, persuadé comme il l'est, que la douceur dont son ame est pénétrée, convertit, touche, & persuade beaucoup plus les hommes, que toutes les rigueurs que l'on pourroit employer. Ce prince a de grands priviléges ; outre que pendant la vacance du siége impérial, il est l'un des vicaires de l'Empire, dignité dont nous parlerons bientôt ; la justice se rend chez lui en dernier ressort, sans appel à la chambre aulique qui réside auprès de l'empereur, ni à la chambre impériale de Wetzlar. Les états qu'il possede comme électeur, sont la haute-Saxe, la Misnie qu'il tient de ses premiers ayeux, & la haute & basse-Lusace que ses ancêtres ont acquis des princes de la maison d'Autriche, comme rois de Bohème. La ville de Dresde située sur l'Elbe, est le lieu de sa résidence ordinaire.

La branche cadette de la maison Palatine ou de Baviere, nommée communément dans l'Empire Guillelmine, ne possede l'électorat que depuis l'an 1623, après que Frédéric électeur Palatin, eut accepté en 1619 la couronne de Bohème. Cette maison est incontestablement l'une des plus anciennes de l'Empire. Et feu M. l'abbé du Bos, dans le manifeste qu'il fit paroître au commencement de la guerre d'Espagne, en faveur & sous le nom de Maximilien Emanuel, va jusqu'à dire : " qu'on trouveroit dans l'histoire que la maison de Baviere étoit déjà une des plus illustres d'Allemagne, quand celle d'Habsbourg n'étoit pas encore fort célebre ". Cette illustre maison, branche de la Palatine, étoit très-connue vers le milieu de l'onzieme siecle, lorsqu'Othon, comte de Schyren & de Vittesspach, fut fait comte Palatin de Baviere. Le bas Palatinat lui vint ensuite. Il ne faut pas croire cependant qu'Othon de Schyren ne remonte point à des tems beaucoup plus éloignés. Les historiens de Baviere ont développé toute la dignité & l'illustration de cette maison par la généalogie qu'ils en ont publiée : l'on y voit qu'elle a produit des rois, aussi bien que des empereurs ; & c'est de Louis de Baviere, élevé à la dignité impériale en 1314, & mort en 1347, que descend la branche des ducs de Baviere. Quoiqu'elle ne possede la dignité électorale que depuis 1623, cette dignité lui fut confirmée avec le haut-Palatinat, au traité de Westphalie en 1648 : cependant elle étoit ou devoit être électorale long-tems auparavant, cette illustre dignité appartenant alternativement à la branche Rodolphine, qui est l'aînée, & à la Guillelmine qui est la seconde : telle étoit la convention faite à Pavie entre l'empereur Louis de Baviere, & Adolphe fils de Rodolphe & frere de Louis. Mais Charles IV. ennemi déclaré de Louis de Baviere, dont il fut quelques années le compétiteur avant que d'en être le successeur, priva par la bulle d'or la branche de Baviere de l'électorat, pour l'attribuer à la seule branche Palatine ; & par-là il ôta l'alternative. Le traité de Westphalie n'a pas laissé de confirmer la maison de Baviere dans l'électorat : quoiqu'on y rendît cette dignité à la maison Palatine, il y a cependant une difficulté qui n'est pas encore entierement terminée. Pendant la vacance du siége impérial, l'électeur Palatin étoit vicaire de l'Empire dans les principautés qui suivent le droit de Soüabe & de Franconie ; celui de Baviere comme subrogé aux droits du Palatin, prétendit aussi être vicaire de l'Empire : mais il y a eu de nos jours quelque sorte de convention entre les deux électeurs ; en attendant une résolution définitive.

Ces deux branches ont produit de grands hommes, soit dans plusieurs rois de Suede, soit en quelques électeurs de la branche Rodolphine, qui a été revêtue de l'électorat Palatin ; soit dans la branche Guillelmine, qui a donné le célebre Louis de Baviere, qui a soûtenu avec tant de courage la dignité impériale contre tous ses ennemis. Et de nos jours nous avons eu ce prince si respectable, Maximilien Emanuel, qui s'est distingué par son inviolable fidélité pour la France. L'empereur Léopold dont il étoit gendre, le regrettoit, & ne pouvoit oublier qu'il avoit sacrifié dans les guerres de Hongrie plus de trente millions de florins de l'Empire, que l'électeur Ferdinand Marie son pere avoit amassés dans les neutralités qu'il sut conserver dans toutes les guerres de son tems. Léopold pour le détacher des intérêts de Louis XIV. & de Philippe V. lui offrit le royaume des deux Siciles (c'est ce que j'appris étant à sa cour) ; mais ce fut inutilement, Maximilien ne connoissoit qu'un parti, c'étoit celui de l'honneur ; il n'étoit point capable de manquer ainsi à des engagemens pris avec autant de réflexions. A peine Léopold fut mort, que l'empereur Joseph son plus cruel ennemi, le mit au ban de l'Empire dans le conseil aulique, contre toutes les lois impériales. Les Etats-Généraux de Hollande, toûjours remplis d'équité & d'estime pour un si grand prince, le firent assûrer que jamais la paix ne se feroit qu'il ne fût entierement rétabli ; & je fus chargé de lui en porter la parole. Ce qui fut effectué en 1714.

Malgré l'ancienneté & l'illustration de la maison de Brandebourg, qui date dès le jx. siecle, elle n'est parvenue au point de grandeur où nous la voyons aujourd'hui, que par degrés & peu à peu. Outre la dignité électorale qui est entrée dans cette maison en 1417, avec la Marche, c'est-à-dire avec le marquisat de Brandebourg, elle possede de plus grands domaines qu'aucun autre prince de l'Empire ; savoir la Prusse, érigée en royaume l'année 1701 ; le duché de Cleves ; les principautés de Magdebourg, d'Alberstad, & de Minden, avec les comtés de Ravensperg & de la Marck ; & en dernier lieu le comté d'Embden, & le duché de Silésie, à l'exception de quelques petits cantons.

La justice est rendue dans ses états, suivant les diverses coûtumes de chaque province, & les appellations en sont relevées au conseil souverain de l'électeur, dont on ne sauroit appeller ni au conseil aulique, ni à la chambre impériale. La situation des divers états de ce prince, en rend les provinces si éloignées les unes des autres, qu'il est obligé à d'extrèmes ménagemens dans les alliances & les traités qu'il fait avec les différentes puissances. L'électeur est de la religion P. R. cependant il y a dans ses états beaucoup de Catholiques, qui y sont protégés plus que dans les autres états protestans, & les luthériens y sont tolérés par ce prince. Outre les diverses branches de la maison électorale de Brandebourg, qui sont celles de Bareith & d'Anspach, cet électeur a encore trois freres, dont l'aîné a plusieurs princes. Berlin, qui est rempli d'un grand nombre de réfugiés François, est le séjour ordinaire de l'électeur.

La maison électorale Palatine, malgré son rétablissement en 1648, n'a pas laissé de perdre son rang, & de n'être plus aujourd'hui que dans le huitieme. Nous avons marqué ci-dessus sa parenté avec la maison électorale de Baviere. Ce que nous pouvons dire aujourd'hui, est que cet électeur est catholique, mais presque tout son électorat suit la religion P. R. comme il est des princes de Sultzbach, il vient d'un rameau de la maison Palatine aînée de celle de Baviere. On sait qu'après Venceslas qui fut déposé, Robert comte Palatin fut mis sur le throne impérial, l'an 1400 ; & que la branche de Deux-Ponts, cadette de celle de Sultzbach, a donné trois rois & une reine à la Suede. Son pays est le bas-Palatinat.

Nous avons déjà marqué les difficultés qu'a essuyé le duc d'Hanovre, pour devenir tranquille possesseur de la dignité électorale, qui lui étoit justement dûe, si l'on a égard à l'ancienneté & à l'illustration de cette maison. Si l'empereur Léopold a témoigné sa reconnoissance aux ducs d'Hanovre en les établissant électeurs, on peut dire aussi qu'ils usent d'un sage retour à l'égard de la maison d'Autriche, dont ils soûtiennent & défendent les prétentions comme les leurs propres ; ce qu'on ne sauroit assez estimer dans des princes.

Cette maison, qui se retira d'Italie en Allemagne dans le x. siecle, vient de l'ancienne maison d'Est ; elle ne tarda guere à se distinguer dans l'Empire, où elle a possédé le duché de Saxe, & même le throne impérial, l'an 1208, dans la personne d'Othon IV. & la branche de Brunswick-Hanovre, qui est la cadette, a fait une plus éclatante fortune que la branche aînée, qui est celle de Brunswick-Wolfembutel, laquelle cependant est à la tête des princes de l'Empire. Depuis 1714, Georges I. deuxieme électeur d'Hanovre, est monté sur le throne d'Angleterre ; & l'an 1727, Georges II. son fils lui a succédé ; & ses états ont été extrèmement augmentés par l'achat de plusieurs principautés, que Georges I. a eu soin d'acquérir du roi de Danemark, qui les avoit conquises sur le roi Charles XII. Ainsi on le peut regarder aujourd'hui comme un des plus puissans princes de l'Empire.

Outre la dignité électorale, & les divers états possédés par ces princes, ils ont encore des titres, c'est-à-dire des charges héréditaires, qu'on nomme aujourd'hui charges de l'Empire ; mais anciennement elles étoient, sur-tout celles des électeurs séculiers, attachées aux anciens empereurs comme domestiques, dont ils font les fonctions au festin du couronnement de l'empereur. Et pour peu qu'on ait lû nos histoires, on sait que la qualité de domestiques des anciens empereurs étoit un titre très-honorable, & ne s'accordoit qu'aux plus grands seigneurs. C'est ce qui leur procuroit les grands gouvernemens qu'ils ont eus, tant en France qu'en Allemagne, & qu'ils se sont enfin attribués à eux & à leur postérité.

Les trois électeurs ecclésiastiques sont archi-chanceliers de l'Empire : savoir, celui de Mayence en Allemagne ; celui de Treves dans les Gaules, c'est-à-dire dans le royaume d'Arles, ce qui comprend seulement cette partie de la Gaule qui étoit du royaume de Bourgogne, & qui fut jointe à l'Allemagne dans l'onzieme siecle. Enfin, l'électeur de Cologne est archi-chancelier pour l'Italie. Le premier de ces trois a conservé les fonctions de cette charge, mais les deux autres n'en ont que le titre, titre même qui est sans aucun exercice.

Le roi de Bohème est archi-échanson, & dans les cérémonies il donne à boire à l'empereur la premiere fois. L'électeur de Baviere est archi-maître-d'hôtel, & dans les fonctions publiques il porte la pomme impériale, comme au festin de l'élection il sert le premier plat sur la table du nouvel empereur ; Saxe, comme archi-maréchal, porte l'épée nue devant l'empereur.

Celui de Brandebourg, comme archi-chambelland, présente de l'eau à l'empereur, & porte le sceptre impérial dans les cérémonies. Le comte Palatin du Rhin en qualité d'archi-thrésorier jette des pieces d'or & d'argent au peuple, quand on conduit l'empereur après son couronnement ; & le duc d'Hanovre est archi-porte-enseigne. On voit que tous ces offices, à l'exception des trois premiers & du dernier, tiennent quelque chose de l'ancienne domesticité des seigneurs qui étoient auprès des empereurs de la race de Charlemagne, & des premiers d'entre les Allemans. C'est pour cela qu'aux repas de cérémonies ces officiers ne mangent point avec l'empereur, mais sur des tables rangées des deux côtés de la salle du festin, & qui sont d'un degré moins élevées que celles où mange le chef de l'Empire. Mais la dignité de ces grands officiers étant augmentée avec le tems, on en a fait des charges de l'état ; ce qui est aussi arrivé en France, où les suprèmes dignités de connétable, de maréchaux, de grand-maîtres, de grand-écuyers, & plusieurs autres, sont passées de la fonction d'offices domestiques, à celle de charges de la couronne.

J'ai qualifié toutes ces charges des électeurs du titre d'archi-chancelier, archi-échanson, &c. parce que c'est le terme dont on se sert dans l'Empire pour les distinguer des mêmes charges, qui sont aussi en titre d'offices chez tous les électeurs, & même chez tous les princes de l'Empire, qui ont chacun leur grand-chancelier, leur grand-échanson, leur grand-maître, qui exercent auprès de leurs souverains les mêmes fonctions que les électeurs auprès de l'empereur : & lorsque les princes ne sauroient assister aux cérémonies impériales, ils sont remplacés par un substitut qui les représente ; c'est ainsi que l'électeur de Mayence nomme lui-même son vice-chancelier, qu'il met & change suivant sa volonté ; mais les autres sont représentés par des lieutenans qui sont en titre d'offices. Ainsi le roi de Bohème a pour lieutenant le comte de Limbourg, l'électeur de Baviere le comte de Valbourg, celui de Saxe le comte de Pappenheim ; Brandebourg a le comte de Hohenzollern, & le Palatin est représenté par le comte de Suitzendorf. Tous ces lieutenans font auprès de l'empereur, dans les grandes cérémonies, ce que feroient les princes dont ils sont comme les substituts.

L'électeur de Saxe & le comte Palatin étoient autrefois les deux seuls vicaires de l'Empire pendant l'inter-regne ; mais ce dernier ayant été mis au ban impérial & dépouillé de sa dignité électorale, l'empereur Ferdinand II. en revêtit le duc de Baviere en 1623 : & dans le traité de Munster, en 1648, il fut arrêté " que la dignité électorale que les princes Palatins avoient ci-devant possedée, demeureroit au seigneur Maximilien comte palatin, duc de Baviere, & à ses enfans ". En conséquence l'électeur de Baviere prétendit que le vicariat de l'Empire lui appartenoit à l'exclusion du comte Palatin. D'un autre côté l'électeur Palatin nouvellement rétabli, soûtint que le vicariat ne dépendoit point de la dignité électorale, mais de celle de comte Palatin du Rhin, suivant l'ancien usage & la bulle d'or, chapitre v, où il est marqué expressément que le comte Palatin du Rhin est vicaire de l'empire à cause de sa principauté & du privilége du comte Palatin. Ce prince en vertu du vicariat a pouvoir d'administrer la justice, de nommer aux bénéfices ecclésiastiques, de recevoir les revenus de l'Empire, d'investir des fiefs, & de se faire prêter la foi & hommage de la part & au nom du saint Empire. Ces foi & hommages cependant doivent être renouvellés au roi des Romains dès qu'il aura été élû : mais les fiefs des princes, & ceux qui se donnent ordinairement avec l'étendard, sont spécialement réservés à l'empereur seul ou au roi des Romains ; & s'il vient à vaquer des fiefs, le comte Palatin comme vicaire de l'Empire ne sauroit les aliéner pendant le tems de son administration. Telle est la loi de l'Empire reglé par la bulle d'or, & le duc de Saxe jouit du même droit dans l'étendue de son vicariat ; car leurs départemens sont totalement séparés. Celui du Palatin s'étend le long du Rhin, & dans les provinces qui suivent le droit de Suabe ou de Franconie ; mais le pouvoir du duc de Saxe n'a lieu que dans les endroits, territoires, & principautés où le droit saxon est observé.

Cependant le vicariat palatin a déjà souffert plusieurs difficultés ; d'abord après la mort de l'empereur Ferdinand III, arrivée en 1657, l'électeur de Baviere disputa le vicariat au Palatin. Ce dernier s'opposa aux prétentions de son compétiteur ; il y eut beaucoup d'écrits publiés de part & d'autre, & tout se trouva partagé dans l'Empire : mais dans l'élection de l'empereur François de Lorraine il y eut une espece de partage, & chacun des deux électeurs usa de son droit dans une certaine étendue de pays, jusqu'à ce que la diete de l'empire prononçât sur ce différend lorsqu'il seroit porté à son tribunal.

Des Princes de l'Empire. Après les électeurs vient le collége des princes de l'Empire, plus étendu pour le nombre, mais moins puissant que le collége électoral, lequel avec l'empereur est à la tête du corps germanique. Ainsi que les électeurs, ils sont divisés en deux classes ; savoir, en ecclésiastiques & en séculiers.

Les premiers sont aujourd'hui l'archevêque de Saltzbourg, le plus distingué après les trois archevêques électeurs de l'Empire. Son revenu est très-considérable. Il a trente-six chambellans, lesquels, comme ceux des électeurs, portent la clé d'or à leur côté. Il est primat de Germanie, & son chapitre est composé de vingt-quatre chanoines capitulaires, qui ont droit d'élire leur archevêque, comme ils ont droit d'être élûs. Il y a aussi des chanoines domiciliaires qui deviennent capitulaires à leur tour suivant leur ancienneté. L'archevêque de Saltzbourg a un privilége particulier, que n'ont aucuns des autres archevêques de l'Empire ; il nomme seul aux évêchés de Lavautz dans la basse Carinthie, & de Chiemsée petite ville du cercle de Baviere. Aussi ces deux évêques ne sont pas princes de l'Empire.

Bamberg siége ensuite au banc des princes ecclésiastiques, comme premier évêque de l'Empire ; il en est un des plus puissans, & ne reconnoît que le pape pour supérieur au spirituel. Son chapitre est composé de vingt chanoines capitulaires, qui ont droit d'élire & d'être élûs. Ce prélat est souverain dans ses états ; il a pour vassaux de quelques portions de leurs pays les quatre électeurs, de Bohème, de Saxe, de Baviere, & de Brandebourg.

Wirtzbourg a un évêque qui prend le titre de duc de Franconie, quoique cette province dépende de plusieurs princes séculiers. Lorsqu'il célebre la messe pontificale, son grand-maréchal y assiste avec son épée sur l'épaule ; de-là est venu le proverbe en Allemagne, Herbipolis sola pugnat ense & stolâ. Vingt-quatre chanoines capitulaires composent son chapitre ; & pour y être admis il faut non-seulement faire preuve de noblesse ; mais encore souffrir une cérémonie ridicule, qui est de passer entre deux rangées de chanoines, & de recevoir sur les épaules, à nud, des coups de verges de la main de leurs confreres. On prétend que cet usage a été introduit pour empêcher les princes, les comtes, & les barons d'aspirer à entrer dans ce chapitre.

L'évêché de Worms est un des moins considérables pour le revenu ; sa situation sur le Rhin ne le rend pas pour cela plus considérable, non plus que celui de Spire, qui est un peu au-dessus, situé sur le même fleuve, & au moindre mouvement de guerre ces deux états sont ordinairement ou ruinés ou abandonnés, parce qu'ils n'ont point assez de forces pour se pouvoir soûtenir par eux-mêmes.

L'évêque d'Augsbourg, quoiqu'au milieu de l'Empire, n'a point à craindre les mêmes inconvéniens : mais son pouvoir, tant au spirituel qu'au temporel, est extrèmement borné, puisqu'il ne lui est permis de rester dans sa ville épiscopale, qu'autant que son chapitre y consent. D'ailleurs Augsbourg est une ville libre & impériale, qui ne releve que de l'Empire & de l'empereur. L'évêque de Constance, sur un lac du même nom, n'est pas plus puissant ; il ne laisse pas néanmoins d'avoir sous lui 1800 paroisses, & a été fondé par nos rois de la premiere race. La ville de Constance, autrefois impériale, ayant refusé l'interim en 1548, fut mise au ban de l'Empire, & la maison d'Autriche se l'attribua pour lors, & en jouit encore aujourd'hui.

L'évêque de Paderborn fut établi par Charlemagne, qui en fit édifier l'église l'an 777. Cet évêché est presque environné de princes protestans, qui ambitionneroient fort de s'en rendre maîtres ; c'est ce qui oblige son chapitre de choisir toûjours un prince puissant, en état de les soûtenir & de les rendre indépendans de leurs ennemis. Pour en être reçu chanoine il faut avoir étudié dans une université de France ou d'Italie, & y avoir demeuré un an & six semaines sans découcher de la ville. Paderborn étoit autrefois libre & impériale ; mais ayant voulu faire quelque mouvement dans le xvj. siecle en faveur des protestans, elle fut mise au ban de l'Empire, & soûmise à son évêque.

Hildesheim, dont l'évêché n'est pas moins ambitionné par les protestans que celui de Paderborn, doit sa fondation à Louis le Débonnaire, qui le transféra dans cette ville l'an 814 ; car Charlemagne l'avoit auparavant établi dans le bourg d'Eltze. Quoique la plûpart des habitans soient protestans, ils ne laissent pas de reconnoître l'évêque pour leur souverain aussi-bien que le font les Catholiques. C'est peut-être la seule église qui ait des chorevêques ; & lorsqu'un chanoine a fait sa résidence pendant trois mois, il peut être absent pendant six ans, savoir deux ans pour voyager, deux autres par dévotion, & enfin deux années pour raison de ses études.

Ratisbonne, ville située sur le Danube, est une des plus anciennes de l'Allemagne : son évêque établi vers l'an 740, est prince de l'Empire, & ne releve que du saint-siege pour le spirituel ; mais il n'est pas maître dans sa ville, qui est libre & impériale dès la fin du xij. siecle. Elle sert aujourd'hui de lieu d'assemblée pour les dietes de l'Empire, & c'est ce qui la rend si considérable. Les Catholiques y possédent la cathédrale & plus de vingt autres églises ; mais ils y ont si peu de crédit, qu'ils sont exclus non-seulement de la magistrature, mais même du droit de bourgeoisie.

Osnabruk, beaucoup moins ancienne, doit sa fondation à Charlemagne en 776, & elle en conserve précieusement les titres. Son évêque est souverain d'un pays riche & abondant, qui s'étend dans la Westphalie. Les luthériens ont quatre chanoines qui entrent au chapitre de cette église, & l'évêque est alternativement catholique & protestant ; mais ce dernier doit être choisi dans la maison de Brunswick Lunebourg. Alors l'archevêque de Cologne, comme métropolitain, a soin de pourvoir au spirituel, & le pape y nomme un vicaire apostolique.

L'évêché & principauté de Munster est une des plus considérables de l'Empire ; son évêque fut établi l'an 794 à la sollicitation de Charlemagne, qui le dota de grands biens. Mais comme Munster n'étoit pas encore bâtie, la fondation se fit à Mimingerode ; & au commencement du jx. siecle, le second évêque nommé Herman fit bâtir un monastere, & c'est du nom de monasterium que la ville qui se forma pour lors prit son nom. Cet évêque n'est devenu prince de l'Empire qu'en 1246. L'empereur Fréderic II, qui nommoit à cet évêché, y renonça & remit au chapitre le droit d'élire son évêque. C'est dans cette ville que fut conclu, en 1648, le fameux traité par lequel le roi d'Espagne reconnoît les états généraux des Provinces Unies, comme des souverains, libres & indépendans. C'est une obligation des plus essentielles que la Hollande doit à la France, par laquelle les états avoient toûjours été soutenus & secourus depuis le commencement de la révolution.

Les évêchés d'Aichstet & de Strasbourg sont moins étendus, & fournissent beaucoup moins aux charges de l'empire. Le premier, situé entre le haut Palatinat & la Baviere, doit son établissement à S. Boniface archevêque de Mayence, qui le fonda l'an 748. La dignité de prince de l'Empire, avec séance à la diete, fut conservée à l'évêque de Strasbourg par l'Empereur Charles VI, quoique la plus grande partie du territoire de ce prélat soit aujourd'hui sous la domination de la France : mais il en a conservé beaucoup au-delà du Rhin sur les terres de l'Empire, où s'étend sa jurisdiction tant spirituelle que temporelle.

Quoique l'évêché de Liege soit enclavé dans les Pays-Bas, il ne laisse pas d'être un des princes les plus puissans du cercle de Westphalie. Sa fondation, qui se fit à Tongres, est du commencement du jv. siecle ; mais il fut transféré à Liege l'an 709, & les rois de France en ont toûjours été les protecteurs.

Quoique l'évêque soit souverain dans la ville, on ne laisse pas néanmoins de remarquer qu'il n'y a pas moins de caractere républicain que de marques de souveraineté, & c'est ce qui en a causé autrefois les révolutions.

Les évêchés de Frisinghe & de Passau, dans le cercle de Baviere, sont peu considérables ; mais ils ont toûjours rang & séance parmi les princes ecclésiastiques, aussi-bien que Basle en Suisse, & Coire chez les Grisons, Trente sur les frontieres d'Italie, & Brixen qui avoisine la Carinthie & le Frioul, qui donnent à leurs évêques la qualité & la séance de princes de l'Empire ; & ils sont souverains dans leurs villes épiscopales, & sous la protection de la maison d'Autriche : de laquelle néanmoins ils ne relevent pas.

Lubeck, son évêque quoique luthérien a toûjours conservé la voix & séance à la diete comme prince ecclésiastique. La maison d'Holstein s'est comme attribuée cette prélature, & l'élection du chapitre n'est à proprement parler qu'une simple cérémonie. La ville fut déclarée libre & impériale en 1181, ce qui fut renouvellé & confirmé en 1227. Ainsi l'évêque n'a aucun droit temporel sur la ville, quoiqu'il ait toûjours conservé sa jurisdiction spirituelle : dans les séances de la diete il siége sur un banc particulier, séparé des autres évêques.

Avant les révolutions de religion, arrivées en Allemagne dans les premieres années du xvj. siecle, il y avoit encore beaucoup d'autres princes ecclésiastiques qui avoient voix & séance dans les dietes de l'Empire ; mais ils sont aujourd'hui sécularisés & convertis en principautés purement temporelles, possédées par divers électeurs & autres princes de l'Empire : telles sont Magdebourg autrefois archevêché & primat de Germanie, Bremen aussi archevêché ; les évêchés sont Halberstadt, Verden ou Ferden, Mersbourg, Nawmbourg, Meissen, Havelberg, Brandebourg, Lebus, Ratzebourg, Swrem, & Camin.

Besançon & Cambrai, quoique qualifiés toûjours de princes de l'Empire, n'ont plus ni voix ni séance aux états, non plus que les archevêchés & évêchés de Bohème, Silésie, Moravie, Hongrie, & Autriche, qui même dans les anciens tems ne l'avoient pas.

Il faut compter parmi les princes ecclésiastiques le grand-maître de l'ordre teutonique, qui a voix & séance avant tous les évêques. Il étoit autrefois établi dans la Prusse ducale, qui est aujourd'hui royaume. Albert, de la maison de Brandebourg, s'empara de cette principauté dans les premiers années du seizieme siecle, & s'y établit l'an 1525 en titre de duc, après y avoir introduit les nouvelles opinions de Luther, & en avoir reçu l'investiture de la Pologne. Cette grande maîtrise a souffert dans l'Empire beaucoup de révolutions, aussi-bien que l'état du grand prieur de Malthe, qui siége aussi, comme prince, dans les dietes impériales.

Les abbés viennent ensuite, dont le premier est celui de Fulde, qui est le primat & le chef des abbés : prince, & comme archi-chancelier de l'impératrice, il a crû autrefois pouvoir disputer la préséance aux électeurs séculiers, mais ç'a toûjours été inutilement. D'ailleurs quoique son pays, ou pour mieux dire ses états, ayent été ruinés pendant les longues guerres de l'Empire, il est encore demeuré très-riche avec de grandes prérogatives : on peut dire même qu'il est le plus riche de tous les abbés de l'Europe, & peut entretenir beaucoup de troupes. Son abbaye doit sa fondation à S. Boniface évêque de Mayence, qui l'établit l'an 744. La ville est assez belle, & toute la principauté assez bien cultivée.

Il s'en faut beaucoup qu'il soit égalé par les autres abbés de l'Empire, tant pour les richesses que pour la dignité & les prérogatives. Tels sont ceux de Kempten dans la Suabe, d'Elwangen dans le même cercle, sécularisé en 1460 ; de Murbach en Alsace, du grand-prieur de Malte, de Bergstolsgade enclavée dans le diocèse de Saltzbourg, de Weissembourg, de Prum unie à l'archevêché de Treves, de Stavelo unie à Malmedy dans l'évêché de Liege : Corwey ou la nouvelle Corbie dans le cercle de Westphalie, fut fondée l'an 822 & 823 par S. Adelard abbé de Corbie en France. Les autres prélats qui sont immédiats n'ont qu'une voix unis ensemble, aussi-bien que les abbesses, qui sont réprésentées par leurs députés.

Les princes séculiers n'ont séance qu'après les ecclésiastiques : ce sont principalement ceux de Baviere & Palatins des différentes branches, de Saxe, de Brandebourg, de Brunswick, sans parler de beaucoup d'autres princes qui alternent pour le suffrage ; de ce nombre sont Meckelbourg, Wirtemberg, Hesse, & Baden.

Les comtes immédiats de l'Empire sont divisés en quatre classes ; savoir ceux de Veteravie, de Suabe, de Franconie, & de Westphalie, & chacune de ces classes a une seule voix. Cependant tous ces comtes réunis vont environ à cent dix.

Les villes impériales forment un troisieme collége dans les dietes de l'Empire, & se divisent en deux bancs ; savoir, le banc du Rhin, qui en a vingt, & celui de Suabe, qui en a trente-six. Mais il ne faut pas croire que toutes ayent le même crédit. A l'exception de Cologne, de Lubeck, de Francfort, & de Hambourg dans le banc du Rhin, la plûpart des autres n'ont pour toute richesse qu'une apparence de liberté. Mais il y en a d'aussi importantes dans le banc de Suabe ; savoir, Ratisbonne, Augsbourg, Nuremberg, Ulm, & quelques autres. Le plus grand nombre qui vient ensuite, se contente de joüir de sa liberté. Tout le corps de ces villes a été jadis si considérable dans l'Empire, que l'on y a quelquefois appréhendé qu'elles n'y causassent une révolution générale : mais leur abaissement procuré par les différentes guerres, a fait évanoüir cette crainte. Elles n'ont que deux voix dans les dietes ; savoir, le banc du Rhin une, & celui de Suabe la sienne particuliere. Il y a néanmoins une observation importante sur la voix de ces villes : lorsque les deux colléges des électeurs & des princes sont d'accord, le collége des villes est obligé d'obéir & de consentir aux décisions de ces deux colléges, sans rien consulter entr'elles.

Des cercles de l'Empire. Outre les dietes ou assemblées générales, il s'en tient encore de particulieres dans les cercles : ces cercles sont des especes de généralités ou de grandes provinces, dans lesquelles les princes, les prélats, les comtes, & les villes impériales qui les composent, s'assemblent pour régler leurs affaires communes. Ils doivent leur établissement à l'empereur Maximilien I. qui d'abord l'an 1500 en établit six, qui sont ceux de Franconie, de Baviere, de Suabe, du Rhin, de Westphalie, & de basse Saxe. En 1512 il y ajoûta ceux d'Autriche, de Bourgogne, du bas Rhin, & de haute Saxe. Charles-quint son petit-fils confirma cette division à la diete de Nuremberg en 1522 ; & depuis ce tems-là elle a toûjours été en usage & subsiste toûjours ; il n'y a que le cercle de Bourgogne qui est indépendant de l'Empire, & qui ne contribue plus à ses charges, en conséquence du traité de Munster en 1648.

Chaque cercle a ses directeurs & un colonel. Les premiers convoquent l'assemblée des états de leur cercle, pour y régler de concert les affaires publiques. Le colonel commande les gens de guerre, & a soin de l'artillerie & des munitions nécessaires pour la servir. Les états de chaque cercle doivent contribuer aux besoins de l'Empire, dont ils sont membres : c'est le sujet de la taxe qui leur est imposée pour l'entretien des troupes & pour les nécessités publiques, à raison de tant de cavaliers & de fantassins, ou d'une somme d'argent par mois.

Le cercle d'Autriche, que la seule dignité de la maison d'Autriche fait ordinairement mettre le premier, comprend les pays héréditaires de cette maison, avec les duchés de Stirie, Carinthie, & Carniole : on y joint le Comté de Tirol & la Suabe autrichienne, quoique séparés de ces premieres provinces. Les princes ecclésiastiques de ce cercle sont les évêques de Trente & de Brixen. Les princes séculiers sont l'archiduc d'Autriche qui en est le seul directeur ; les autres sont les comtes d'Aversberg, de Dietrichstein, & de Piccolomini : on y joint même les quatre villes forestieres qui sont en Suisse, mais qui appartiennent à la maison d'Autriche.

Le cercle de Baviere, dont le duc de Baviere & l'archevêque de Saltzbourg sont directeurs, est situé entre la Boheme, la Franconie, la Suabe, le Tirol, & l'Autriche. Outre l'archevêque de Saltzbourg, les autres princes ecclésiastiques sont les évêques de Freysingue, de Ratisbonne, & de Passau, avec le prevôt de Berchtolsgade, les abbayes de Waldsachsen, de Keysershein, de S. Emmeran, de Nides, & d'Obermunster. Les princes séculiers sont les ducs de Baviere & de Neubourg, le prince de Sulzbach ; les comtes d'Ortembourg & de Sternstein, d'Eggemberg & de Lobkowitz. Ratisbonne est la seule ville impériale de ce cercle.

Le cercle de Suabe, pays fertile & abondant, comprend pour princes ecclésiastiques les évêques de Constance & d'Augsbourg, aussi-bien que les abbayes de Kempten, d'Elwangen, de Lindau, de Buchaw, & plusieurs autres moins considérables au nombre de vingt-une, en y comprenant la commanderie teutonique d'Altschausen. Les princes séculiers sont le duc de Wirtemberg, les marquis de Bade-Baden & Bade-Dourlach, avec les principautés & comtés de Hohenzollern, & de Furstenberg, aussi-bien que douze autres comtés moins importans. Les principales villes impériales sont Augsbourg, Ulin, Heilbron, & un assez grand nombre bien moins considérables. Les directeurs de ce cercle sont l'évêque de Constance & le duc de Wirtemberg.

Le cercle de Franconie n'a pas moins de quarante lieues d'étendue, soit en longueur soit en largeur. Dans les premiers tems il fut habité par les Francs ou François, & c'est ce que sous la premiere & seconde race de nos rois on appelloit la France orientale. Pepin & Charlemagne donnerent à l'évêque de Wirtzbourg tout ce qu'ils possédoient dans la Franconie. Ce pays eut des ducs qui furent rois de Germanie après l'extinction de la maison de Charlemagne. Les princes & états de ce cercle sont les évêques de Bamberg, Wirtzbourg, & Aichstet, avec le grand-maître de l'ordre teutonique. Les états séculiers sont les marquis de Culembach & d'Onspach, aussi-bien que les comtes de Henneberg, de Schwartzenberg, & sept ou huit autres moins considérables. La ville de Nuremberg est la plus riche & la plus importante de celles qui sont impériales. Ce cercle a pour directeurs l'évêque de Bamberg & le marquis de Culembach, qui est de la maison de Brandebourg.

Le cercle de haute-Saxe n'a qu'un seul directeur, qui est l'électeur de ce nom, & n'a point de villes impériales. Ses princes sont aujourd'hui tous séculiers ; savoir les électeurs de Saxe & de Brandebourg, avec les princes possesseurs des évêchés sécularisés de Mersbourg & de Nawmbourg, tous deux unis aujourd'hui au duché de Saxe. Il s'y trouve aussi quelques abbayes, dont plusieurs sont restées en titre, quoiqu'on y ait embrassé la communion luthérienne. Presque tous les princes de la maison de Saxe ont leurs états dans ce cercle, aussi-bien que le duché de Poméranie qui appartient au Brandebourg. On y trouve de même la principauté d'Anhalt.

Le cercle de basse-Saxe occupé autrefois par les premiers Saxons, est un des plus étendus de l'Empire. Il a peu de principaux ecclésiastiques, il a les évêchés d'Hildesheim & de Lubeck ; ce dernier est Luthérien. Avant les révolutions de religion on y trouvoit les archevêchés de Magdebourg & de Bremen, qui ont été convertis en duchés par le traité de Westphalie en 1648. D'ailleurs il y a des princes séculiers fort puissans ; tels sont le duché & électorat d'Hanovre, les duchés de Brunswick, Lunebourg, Meckelbourg, Holstein, Magdebourg, & Saxe-Lawembourg. Ce dernier est possédé par l'électeur d'Hanovre. Ses villes impériales sont Lubeck, Bremen, & Hambourg ; les autres sont peu de chose. Sa direction est alternativement sous le duc électeur d'Hanovre comme duc de Bremen, & sous l'électeur de Brandebourg en qualité de duc de Magdebourg, avec l'aîné des ducs de Brunswick & de Lunebourg.

Le cercle de Westphalie est assez considérable, très-fertile, & l'un des plus puissans de l'Empire. Il a pour directeurs les ducs de Juliers & de Cleves, qui le sont alternativement aussi-bien que l'évêque de Munster. Les princes ecclésiastiques de ce cercle sont les évêques de Paderborn, de Liége, d'Osnabrug, & de Munster ; avec les abbés de Stablo, de Corwey, de Saint-Cornelis, Munster, & deux autres moins puissans. Les princes séculiers sont les ducs de Juliers & de Berg, qui est à présent l'électeur Palatin. Le duc de Cleves est l'électeur de Brandebourg, en qualité de comte de la Marck, & même prince d'Oostfrise & prince de Minden, évêché sécularisé par la paix de Westphalie : mais la principauté de Ferden appartient au duc d'Hanovre, qui l'acheta en 1712 du roi de Danemark. A l'exception des états de la maison de Nassau & du comté de Revensberg qui est à l'électeur de Brandebourg, les autres états sont bien moins considérables. Les villes impériales sont celles de Cologne, d'Aix-la-Chapelle, & de Dortmund.

Le cercle électoral ou du bas Rhin a ces deux noms ; l'un parce qu'il comprend quatre électorats, & le second parce qu'il est dans la partie inférieure du Rhin. Il est plus considérable par les électeurs qu'il contient, que par les autres princes ou états qui le composent. Ces électeurs sont ceux de Mayence, de Treves, de Cologne, & Palatin. Mayence & Palatin en sont les directeurs ; & dans les autres états de ce cercle, les comtés de Nassaw-Beilstein, du Bas-Isembourg, & d'Aremberg, sont les plus distingués.

Le cercle du haut Rhin étoit anciennement plus étendu qu'il ne l'est aujourd'hui. Les directeurs de ce cercle sont l'évêque de Wormes, & l'électeur Palatin comme duc de Simmeren. Les autres princes ecclésiastiques sont les évêques de Strasbourg, pour les états qu'ils possedent au-delà du Rhin, celui de Spire & de Bâle ; avec les abbayes de Fulde, de Prum, & le grand-prieur de l'ordre de Malte en Allemagne. Les principaux princes séculiers sont le Palatin du Rhin, le duc des Deux-Ponts, le landgrave de Hesse, le prince d'Hirschfeld, les comtes de Hanaw, de Nassaw-Wisbaden, & quelques autres fort distingués par rapport à leur naissance, mais moins puissans que ces premiers. Les villes impériales sont Wormes, Spire, Francfort sur le Mein, place très-considérable de toutes manieres, soit par ses richesses, soit par son commerce : mais celles de Wetzlar, de Gelnhausen, & de Friedberg, le sont beaucoup moins.

Enfin il y avoit le cercle de Bourgogne, qui comprenoit la Franche-Comté & les Pays-bas : mais aujourd'hui tous ces états sont indépendans de l'Empire, & n'entrent plus aux dietes, & par conséquent ne forment aucun cercle.

Des lois de l'Empire. Les lois de l'Empire d'Allemagne se divisent en deux classes, savoir en lois qui regardent les états du corps germanique en général, & en lois qui regardent les affaires des particuliers.

La premiere des lois générales de l'Empire est la bulle d'or, ainsi nommée à cause du sceau d'or dont elle est scellée. C'est un édit ou constitution que l'empereur Charles IV. de la maison de Luxembourg publia en 1356, du consentement de l'Empire, pour l'utilité du corps germanique. L'acte authentique & original qui est en latin, fut déposé dans les archives de la ville de Francfort sur le Mein. Cet empereur y a renfermé les droits, charges & prérogatives des électeurs : son intention étoit, lorsqu'il fit cette loi si respectable, de jetter les fondemens inébranlables des électeurs, & de conserver en même tems la dignité impériale purement & librement élective à perpétuité. Cependant depuis quelques siecles il semble qu'on ait voulu attenter à cette liberté. Il est vrai que quelques Allemands assûrent que c'est plus pour l'avantage de l'Empire que de l'auguste maison d'Autriche, qui a soûtenu plus que les autres la dignité du corps germanique. Charles IV. qui s'étoit montré si zélé pour le maintien de cette loi, fut lui-même le premier à y contrevenir, parce qu'il s'agissoit de l'intérêt particulier de sa famille : Il engagea les électeurs à lui faire succéder son fils Wenceslas qui n'avoit que dix ans, & il leur promit à chacun cent mille ducats pour leur suffrage. Tout le monde sait que depuis Albert II. prince de la maison d'Autriche, on a élu jusqu'à ces derniers tems tous les empereurs de la même famille : on a même donné aux empereurs vivans une espece de coadjuteur & successeur nécessaire sous le titre de roi des Romains, contre la défense expresse de la bulle d'or, quoiqu'on ne l'ait fait cependant en cette occasion & en quelques autres, que du consentement du corps germanique.

La deuxieme de ces loix sont les capitulations impériales. Elles ne sont pas anciennes : elles tirent leur origine de la juste appréhension où s'est trouvé l'Empire de se voir asservi à un prince trop puissant. Cette loi doit ou son établissement ou son renouvellement au tems de l'empereur Charles-quint, en 1520. J'ai dit que ce pouvoit être un renouvellement d'une loi plus ancienne. On sait que l'an 860 il se fit une fameuse convention à Coblentz, par laquelle Louis le Germanique promit de ne rien décerner dans les matieres importantes qui regardoient les états ecclésiastiques & séculiers, sans le conseil & le consentement des premiers membres de ce vaste corps ; & ce fut à l'imitation de cette premiere loi qu'on a formé depuis environ 250 ans les capitulations impériales. La grande puissance de Charles-quint y donna lieu. Cette loi est un contrat écrit que les électeurs font avec celui qu'ils veulent mettre sur le throne impérial ; & il s'oblige par serment à l'observation de tous les articles de ce contrat sous un nouvel empereur. On les change quelquefois selon les tems & les circonstances ; on en retranche ou on y ajoûte ce qui convient aux conjonctures. Le chef que le corps germanique a choisi sous ces conditions, est toûjours responsable de leur observation ; & le corps germanique a toûjours le droit, ou de l'obliger à les observer, ou de le déclarer déchû de l'empire s'il vient à y manquer.

Une troisieme loi est celle de la paix publique. L'idée que les princes & seigneurs allemands ont toujours eue de leur liberté & de leur indépendance, étoit cause des différends qui s'élevoient quelquefois entr'eux, & qui souvent ne se terminoient qu'à main armée ; ce qui arrivoit souvent ou dans les tems de trouble ou dans les interregnes, & ne pouvoit tourner qu'au détriment de l'Empire. Aussi dès le xij. siecle les états de l'Empire convinrent avec l'empereur d'empêcher ces voies de fait, & de terminer le tout dans les dietes ou dans les assemblées du corps germanique ; & l'on décida en conséquence de faire administrer aux divers particuliers la justice selon le droit & l'équité. Les ordonnances émanées en vertu de cet accord sont connues sous le nom de paix prophane, civile, ou publique ; & l'on a puni en effet, ou par le ban impérial, ou par des amendes pécuniaires, ceux qui avoient la témérité d'y contrevenir. Cette convention si nécessaire fut renouvellée par Maximilien I. dans la diete de Wormes, l'an 1495, & confirmée depuis à Augsbourg l'an 1500 ; & depuis ce tems-là il est rare que les membres de l'Empire y ayent manqué.

La quatrieme loi est connue sous le nom de paix religieuse. C'est une suite des mouvemens & des révolutions de religion arrivées dans les premieres années du xvj. siecle. Cette convention se fit à Passau en 1552, & depuis elle fut confirmée à Augsbourg en 1555. L'empereur & les membres de l'Empire, catholiques & protestans, s'obligerent alors à ne faire aucune violence aux princes & états qui auroient embrassé les nouvelles opinions de Luther, ou qui persisteroient dans l'ancienne & véritable religion : ils se promirent que leur union ne pourroit être troublée par la diversité de communion. Charles-quint fut soupçonné dans ces premiers troubles de vouloir saisir cette occasion pour ses intérêts propres, & pour asservir les états & rendre l'Empire héréditaire dans sa maison : & peut-être y auroit-il réussi sans le roi de France Henri II. dont les princes de l'Empire implorerent le secours, & sans la valeur du prince Maurice électeur de Saxe. Les deux partis las de la guerre, firent en 1552 le traité de paix, par lequel l'empereur, outre la liberté du landgrave de Hesse qu'il avoit arrêté prisonnier contre la foi publique, accorda beaucoup de choses aux Luthériens, nommés protestans pour avoir protesté contre le recès de l'Empire de la diete de Spire. On vouloit par ce recès obliger tous les membres du corps germanique à se conformer à l'ancienne doctrine de l'Eglise catholique ; & cette transaction de Passau en 1552 fut affermie & confirmée à Augsbourg l'an 1555. Et c'est ce double traité qui est devenu si célebre sous le nom de paix religieuse, qu'on a étendu aux prétendus réformés ou Calvinistes par la paix de Westphalie, en 1648. Et comme la France avoit concouru dans cette occasion à maintenir la liberté des princes de l'Empire, ils crurent devoir céder au roi Henri II. & à ses successeurs les trois évêchés de Metz, Toul & Verdun, pour être toûjours en état de se voir secourus par nos rois dans les tems de trouble ; ce qui depuis a été confirmé par la paix de Westphalie & par les autres traités.

Ce traité est la cinquieme loi de l'Empire ; & vint après cette longue guerre nommée la guerre de trente années, commencée par le grand Gustave roi de Suede en 1618, & qui ne fut terminée qu'en 1648, long-tems après la mort de ce prince. Elle fut traitée en même tems à Munster & à Osnabruck, & c'est ce qu'on appelle la paix de Westphalie, où l'on rétablit la liberté chancelante du corps germanique, lequel depuis Charles-quint & Ferdinand I. son frere, ne laissoit pas d'avoir souffert beaucoup d'atteintes, par les infractions qu'on avoit faites aux lois antérieures. La liberté germanique a depuis été confirmée de nouveau par les traités de Nimegue, de Riswick, de Rastadt & Baden, & enfin par le dernier traité d'Aix-la-Chapelle en 1748, où la France a toûjours eu soin de stipuler l'entier affermissement des princes & états de l'Empire.

Enfin les dernieres lois sont les recès de l'Empire, c'est-à-dire les constitutions & les decrets dont les princes & états du corps germanique sont convenus dans les dietes générales, du consentement de l'empereur, sans la ratification duquel aucunes lois, résolues même par les trois colléges, n'ont la force de lois publiques.

Nous n'avons ici parlé que des dernieres lois impériales : ce n'est pas qu'il n'y en ait de très-anciennes recueillies par Lindenbroge, aussi-bien que dans nos capitulaires, & par Goldaste ; mais elles servent moins pour le droit public de l'Empire, que pour l'histoire de ce vaste corps. Celles qui sont d'usage ont été données par une infinité d'écrivains, qui les ont expliquées, commentées, & comparées les unes avec les autres ; c'est un travail & une étude suivie de les connoître toutes. V. DROIT GERMANIQUE.

Par rapport aux lois qui regardent les particuliers, elles sont la plûpart émanées des coûtumes des provinces, des cercles de l'Empire, ou même des princes qui ont droit d'en faire pour leurs sujets, & pour terminer les différends qui s'élevent entr'eux. Les difficultés sont ordinairement décidées en premiere instance par les juges établis dans les villes principales de chaque cercle, état, comté, ou principauté ; & les appellations s'en relevent à la chambre impériale de Wetzlar, autrefois établie à Spire, ou bien elles sont réglées par le conseil aulique qui réside prés de l'empereur. Il y a néanmoins des princes de l'Empire dont les jugemens sont sans appel à ces deux tribunaux : tels sont les électeurs de Saxe & de Brandebourg. Mais on s'est toûjours plaint qu'on ne voyoit jamais finir les affaires ni régler les contestations, dès qu'elles étoient portées à la chambre impériale ou au conseil aulique, où d'ailleurs les dépenses sont excessives.

Peines imposées aux membres de l'Empire. Mais dès qu'il s'agit des difficultés qui naissent entre les princes & états de l'Empire, elles ne peuvent être réglées que par la diete générale de ce vaste corps ; autrement c'est une infraction faite aux lois fondamentales de l'état. C'est pourquoi l'empereur ne sauroit de son autorité punir un membre de l'Empire, le condamner au ban de l'Empire, c'est-à-dire au bannissement ou à la proscription, ni priver un prince de ses états. Il faut que le corps de l'Empire, sur la connoissance & la conviction du crime, prononce son jugement. En effet, le ban impérial étant une peine qui passe aux enfans, en ce qu'ils ne succedent point aux biens de leur pere, il est juste & même nécessaire que cette proscription se fasse avec l'approbation de tous les états.

Il y a deux exemples notables de ce ban : le premier fut celui de Jean Fréderic électeur de Saxe, proscrit par l'empereur Charles-quint, & dont les états passerent au prince Maurice de Saxe cousin de Jean Fréderic, mais d'une branche puînée. A sa mort arrivée sans laisser d'enfans mâles, en 1553, son électorat passa à son frere Auguste, qui mourut en 1586 ; & c'est de lui que descend la maison de Saxe qui possede aujourd'hui toutes les terres & les dignités de la branche aînée.

La seconde proscription fut celle de Fréderic V. électeur Palatin, qui mourut dépouillé de ses états en 1631 : mais son fils Charles Louis fut rétabli en 1648, avec le titre de huitieme électeur. Ceux de Saxe & de Brandebourg ne laisserent pas de se plaindre du ban publié & exécuté contre l'électeur Palatin : c'est ce qui obligea les électeurs d'insérer dans la capitulation de Léopold & dans les suivantes, que l'empereur ne pourra mettre personne au ban de l'Empire, même en cas de notoriété, sans le conseil & le consentement des électeurs.

Lorsqu'il s'agit de mettre un prince ecclésiastique au ban de l'Empire, il faut que les deux puissances y concourent ; c'est-à-dire le saint-siége ou le pape, & la puissance temporelle, c'est-à-dire l'empereur avec le consentement des électeurs.

Une autre peine, mais qui n'est soûtenue d'aucune loi positive, est la déposition de l'empereur. C'est néanmoins ce qui est arrivé plus d'une fois. Adolfe de Nassau fut déposé en 1298 par les électeurs, pour avoir négligé ce que ses prédécesseurs avoient religieusement observé dans l'administration de l'Empire, ou même pour avoir méprisé les avis des électeurs ; pour avoir engagé une guerre injuste & préjudiciable au bien commun du corps germanique, enfin pour avoir fomenté des divisions entre plusieurs états de l'Empire.

Le deuxieme exemple est celui de Wenceslas fils de l'empereur Charles IV. qui fut déposé vingt-deux ans après son élection, pour avoir démembré l'Empire par la vente qu'il fit du Milanois aux Viscomti, & même de plusieurs autres états d'Italie ; enfin pour avoir massacré de sa propre main ou fait massacrer plusieurs ecclésiastiques : ces excès engagerent les électeurs à le déclarer indigne de l'Empire, dont il fut privé, & l'on élut en sa place Robert comte Palatin, l'an 1400 ; Wenceslas ne mourut qu'en 1418, dans le royaume de Boheme où il s'étoit retiré, & dont il étoit roi. (a)

CONSTITUTIONS APOSTOLIQUES, sont un recueil de reglemens attribués aux apôtres, qu'on suppose avoir été fait par S. Clement, dont elles portent le nom.

Elles sont divisées en huit livres, qui contiennent un grand nombre de préceptes touchant les devoirs des Chrétiens, & particulierement touchant les cérémonies & la discipline de l'Eglise.

La plûpart des savans conviennent qu'elles sont supposées, & constatent par des preuves assez palpables, qu'elles sont bien postérieures au tems des apôtres, & n'ont commencé à paroître que dans le quatrieme ou cinquieme siecle, & que par conséquent S. Clément n'en est pas l'auteur.

M. Wisthon n'a pas craint de se déclarer contre ce sentiment universel, & a employé beaucoup de raisonnemens & d'érudition pour établir que les constitutions apostoliques sont un ouvrage sacré, dicté par les apôtres dans leurs assemblées, écrit sous leur dictée par S. Clément ; & il les regarde & veut les faire regarder comme un supplément au nouveau Testament, ou plûtôt comme un plan ou un exposé de la foi chrétienne & du gouvernement de l'Eglise. Voyez son essai sur les constitutions apostoliques, & sa préface historique, où il décrit toutes les démarches qu'il a faites pour parvenir à cette prétendue découverte.

Une raison très-forte contre le sentiment de M. Wisthon, c'est que ces constitutions qu'il attribue aux apôtres, sentent en quelques endroits l'arianisme, sans parler des anachronismes & des opinions singulieres sur plusieurs points de la religion, qu'on y rencontre presqu'à chaque page. (G).

CONSTITUTION, (Medecine) voyez TEMPERAMENT.


CONSTITUTIONNAIRES. m. (Théol.) nom que l'on donne à ceux qui ont accepté la bulle Unigenitus. (G)


CONSTRICTEURS. m. (Anat.) épithete des muscles dont l'action est de resserrer quelque partie. Le constricteur des paupieres, voyez ORBICULAIRE.

Les constricteurs des aîles du nez, paire de muscles communs aux aîles du nez & à la levre supérieure. Voyez NEZ, MYRTIFORME. (L).


CONSTRICTIONS. f. (Med.) vice des solides ou organiques. Le mot constriction exprime l'état d'une partie solide ou organique, qui éprouve actuellement une tension violente & contre nature, un resserrement convulsif ou spasmodique. Voy. SPASME. (b).


CONSTRUCTIONS. f. terme de Grammaire ; ce mot est pris ici dans un sens métaphorique, & vient du latin construere, construire, bâtir, arranger.

La construction est donc l'arrangement des mots dans le discours. La construction est vicieuse quand les mots d'une phrase ne sont pas arrangés selon l'usage d'une langue. On dit qu'une construction est greque ou latine, lorsque les mots sont rangés dans un ordre conforme à l'usage, au tour, au génie de la langue greque, ou à celui de la langue latine.

Construction louche ; c'est lorsque les mots sont placés de façon qu'ils semblent d'abord se rapporter à ce qui précede, pendant qu'ils se rapportent réellement à ce qui suit. On a donné ce nom à cette sorte de construction, par une métaphore tirée de ce que dans le sens propre les louches semblent regarder d'un côté pendant qu'ils regardent d'un autre.

On dit construction pleine, quand on exprime tous les mots dont les rapports successifs forment le sens que l'on veut énoncer. Au contraire la construction est elliptique lorsque quelqu'un de ces mots est sousentendu.

Je crois qu'on ne doit pas confondre construction avec syntaxe. Construction ne présente que l'idée de combinaison & d'arrangement. Cicéron a dit selon trois combinaisons différentes, accepi litteras tuas, tuas accepi litteras, & litteras accepi tuas : il y a là trois constructions, puisqu'il y a trois différens arrangemens de mots ; cependant il n'y a qu'une syntaxe ; car dans chacune de ces constructions il y a les mêmes signes des rapports que les mots ont entr'eux, ainsi ces rapports sont les mêmes dans chacune de ces phrases. Chaque mot de l'une indique également le même correlatif qui est indiqué dans chacune des deux autres ; ensorte qu'après qu'on a achevé de lire ou d'entendre quelqu'une de ces trois propositions, l'esprit voit également que litteras est le déterminant d'accepi, que tuas est l'adjectif de litteras ; ainsi chacun de ces trois arrangemens excite dans l'esprit le même sens, j'ai reçu votre lettre. Or ce qui fait en chaque langue, que les mots excitent le sens que l'on veut faire naître dans l'esprit de ceux qui savent la langue, c'est ce qu'on appelle syntaxe. La syntaxe est donc la partie de la Grammaire qui donne la connoissance des signes établis dans une langue pour exciter un sens dans l'esprit. Ces signes, quand on en sait la destination, font connoître les rapports successifs que les mots ont entr'eux ; c'est pourquoi lorsque celui qui parle ou qui écrit s'écarte de cet ordre par des transpositions que l'usage autorise, l'esprit de celui qui écoute ou qui lit, rétablit cependant tout dans l'ordre en vertu des signes dont nous parlons, & dont il connoît la destination par usage.

Il y a en toute langue trois sortes de constructions qu'il faut bien remarquer.

I°. Construction nécessaire, significative ou énonciative, c'est celle par laquelle seule les mots font un sens : on l'appelle aussi construction simple & construction naturelle, parce que c'est celle qui est la plus conforme à l'état des choses, comme nous le ferons voir dans la suite, & que d'ailleurs cette construction est le moyen le plus propre & le plus facile que la nature nous ait donné pour faire connoître nos pensées par la parole ; c'est ainsi que lorsque dans un traité de Géométrie les propositions sont rangées dans un ordre successif qui nous en fait appercevoir aisément la liaison & le rapport, sans qu'il y ait aucune proposition intermédiaire à suppléer, nous disons que les propositions de ce traité sont rangées dans l'ordre naturel.

Cette construction est encore appellée nécessaire, parce que c'est d'elle seule que les autres constructions empruntent la propriété qu'elles ont de signifier, au point que si la construction nécessaire ne pouvoit pas se retrouver dans les autres sortes d'énonciations, celles-ci n'exciteroient aucun sens dans l'esprit, ou n'y exciteroient pas celui qu'on vouloit y faire naître ; c'est ce que nous ferons voir bien-tôt plus sensiblement.

II°. La seconde sorte de construction, est la construction figurée.

III°. Enfin, la troisieme est celle où les mots ne sont ni tous arrangés suivant l'ordre de la construction simple, ni tous disposés selon la construction figurée. Cette troisieme sorte d'arrangement est le plus en usage ; c'est pourquoi je l'appelle construction usuelle.

1. De la construction simple. Pour bien comprendre ce que j'entens par construction simple & nécessaire, il faut observer qu'il y a bien de la différence entre concevoir un sens total, & énoncer ensuite par la parole ce que l'on a conçu.

L'homme est un être vivant, capable de sentir, de penser, de connoître, d'imaginer, de juger, de vouloir, de se ressouvenir, &c. Les actes particuliers de ces facultés se font en nous d'une maniere qui ne nous est pas plus connue que la cause du mouvement du coeur, ou de celui des piés & des mains. Nous savons par sentiment intérieur, que chaque acte particulier de la faculté de penser, ou chaque pensée singuliere est excitée en nous en un instant, sans division, & par une simple affection intérieure de nous-mêmes. C'est une vérité dont nous pouvons aisément nous convaincre par notre propre expérience, & sur-tout en nous rappellant ce qui se passoit en nous dans les premieres années de notre enfance : avant que nous eussions fait une assez grande provision de mots pour énoncer nos pensées, les mots nous manquoient, & nous ne laissions pas de penser, de sentir, d'imaginer, de concevoir, & de juger. C'est ainsi que nous voulons par un acte simple de notre volonté, acte dont notre sens interne est affecté aussi promptement que nos yeux le sont par les différentes impressions singulieres de la lumiere. Ainsi je crois que si après la création l'homme fût demeuré seul dans le monde, il ne se seroit jamais avisé d'observer dans sa pensée un sujet, un attribut, un substantif, un adjectif, une conjonction, un adverbe, une particule négative, &c.

C'est ainsi que souvent nous ne faisons connoître nos sentimens intérieurs que par des gestes, des mines, des regards, des soupirs, des larmes, & par tous les autres signes, qui sont le langage des passions plûtôt que celui de l'intelligence. La pensée, tant qu'elle n'est que dans notre esprit, sans aucun égard à l'énonciation, n'a besoin ni de bouche, ni de langue, ni du son des syllabes ; elle n'est ni hébraïque, ni greque, ni latine, ni barbare, elle n'est qu'à nous : intùs, in domicilio cogitationis, nec haebrea, nec graeca, nec latina, nec barbara... sine oris & linguae organis, sine strepitu syllabarum. S. August. confess. l. XI. c. iij.

Mais dès qu'il s'agit de faire connoître aux autres les affections ou pensées singulieres, & pour ainsi dire, individuelles de l'intelligence, nous ne pouvons produire cet effet qu'en faisant en détail des impressions, ou sur l'organe de l'ouïe par des sons dont les autres hommes connoissent comme nous la destination, ou sur l'organe de la vûe, en exposant à leurs yeux par l'écriture, les signes convenus de ces mêmes sons ? or pour exciter ces impressions, nous sommes contraints de donner à notre pensée de l'étendue, pour ainsi dire, & des parties, afin de la faire passer dans l'esprit des autres, où elle ne peut s'introduire que par leurs sens.

Ces parties que nous donnons ainsi à notre pensée par la nécessité de l'élocution, deviennent ensuite l'original des signes dont nous nous servons dans l'usage de la parole ; ainsi nous divisons, nous analysons, comme par instinct, notre pensée ; nous en rassemblons toutes les parties selon l'ordre de leurs rapports : nous lions ces parties à des signes, ce sont les mots dont nous nous servons ensuite pour en affecter les sens de ceux à qui nous voulons communiquer notre pensée : ainsi les mots sont en même tems, & l'instrument & le signe de la division de la pensée. C'est de-là que vient la différence des langues & celle des idiotismes ; parce que les hommes ne se servent pas des mêmes signes partout, & que le même fond de pensée peut être analysé & exprimé en plus d'une maniere.

Dès les premieres années de la vie, le penchant que la nature & la constitution des organes donnent aux enfans pour l'imitation, les besoins, la curiosité & la présence des objets qui excitent l'attention, les signes qu'on fait aux enfans en leur montrant les objets, les noms qu'ils entendent en même tems qu'on leur donne, l'ordre successif qu'ils observent que l'on suit, en nommant d'abord les objets, & en énonçant ensuite les modificatifs & les mots déterminans ; l'expérience répétée à chaque instant & d'une maniere uniforme, toutes ces circonstances & la liaison qui se trouve entre tant de mouvemens excités en même tems : tout cela, dis-je, apprend aux enfans, non-seulement les sons & la valeur des mots, mais encore l'analyse qu'ils doivent faire de la pensée qu'ils ont à énoncer, & de quelle maniere ils doivent se servir des mots pour faire cette analyse, & pour former un sens dans l'esprit des citoyens parmi lesquels la providence les a fait naître.

Cette méthode dont on s'est servi à notre égard, est la même que l'on a employée dans tous les tems & dans tous les pays du monde, & c'est celle que les nations les plus policées & les peuples les plus barbares mettent en oeuvre pour apprendre à parler à leurs enfans. C'est un art que la nature même enseigne. Ainsi je trouve que dans toutes les langues du monde, il n'y a qu'une même maniere nécessaire pour former un sens avec les mots : c'est l'ordre successif des relations qui se trouvent entre les mots, dont les uns sont énoncés comme devant être modifiés ou déterminés, & les autres comme modifiant ou déterminant : les premiers excitent l'attention & la curiosité, ceux qui suivent la satisfont successivement.

C'est par cette maniere que l'on a commencé dans notre enfance à nous donner l'exemple & l'usage de l'élocution. D'abord on nous a montré l'objet, ensuite on l'a nommé. Si le nom vulgaire étoit composé de lettres dont la prononciation fût alors trop difficile pour nous, on en substituoit d'autres plus aisées à articuler. Après le nom de l'objet on ajoûtoit les mots qui le modifioient, qui en marquoient les qualités ou les actions, & que les circonstances & les idées accessoires pouvoient aisément nous faire connoître.

A mesure que nous avancions en âge, & que l'expérience nous apprenoit le sens & l'usage des prépositions, des adverbes, des conjonctions, & surtout des différentes terminaisons des verbes, destinées à marquer le nombre, les personnes & les tems, nous devenions plus habiles à démêler les rapports des mots & à en appercevoir l'ordre successif, qui forme le sens total des phrases, & qu'on avoit grande attention de suivre en nous parlant.

Cette maniere d'énoncer les mots successivement selon l'ordre de la modification ou détermination que le mot qui suit donne à celui qui le précede, a fait regle dans notre esprit. Elle est devenue notre modele invariable, au point que, sans elle, ou du moins sans les secours qui nous aident à la rétablir, les mots ne présentent que leur signification absolue, sans que leur ensemble puisse former aucun sens. Par exemple ;

Arma virumque cano, Trojae qui primus ab oris,

Italiam, fato profugus, Lavinaque venit

Littora. Virg. Aeneid. Liv. I. vers prem.

Otez à ces mots latins les terminaisons ou désinances, qui sont les signes de leur valeur relative, & ne leur laissez que la premiere terminaison qui n'indique aucun rapport, vous ne formerez aucun sens ; ce seroit comme si l'on disoit :

Armes, homme, je chante, Troie, qui premier, des côtes,

Italie, destin, fugitif, Laviniens, vint, rivages.

Si ces mots étoient ainsi énoncés en latin avec leurs terminaisons absolues, quand même on les rangeroit dans l'ordre où on les voit dans Virgile, non-seulement ils perdroient leur grace, mais encore ils ne formeroient aucun sens ; propriété qu'ils n'ont que par leurs terminaisons relatives, qui, après que toute la proposition est finie, nous les font regarder selon l'ordre de leurs rapports, & par conséquent selon l'ordre de la construction simple, nécessaire, & significative.

Cano arma atque virum, qui vir, profugus à fato, venit primus ab oris Trojae in Italiam, atque ad littora Lavina ; tant la suite des mots & leurs desinances ont de force pour faire entendre le sens.

Tantum series juncturaque pollet.

Hor. Art. poet. v. 240.

Quand une fois cette opération m'a conduit à l'intelligence du sens, je lis & je relis le texte de l'auteur, je me livre au plaisir que me cause le soin de rétablir sans trop de peine l'ordre que la vivacité & l'empressement de l'imagination, l'élégance & l'harmonie avoient renversé ; & ces fréquentes lectures me font acquérir un goût éclairé pour la belle latinité.

La construction simple est aussi appellée construction naturelle, parce que c'est celle que nous avons apprise sans maître, par la seule constitution méchanique de nos organes, par notre attention & notre penchant à l'imitation : elle est le seul moyen nécessaire pour énoncer nos pensées par la parole, puisque les autres sortes de construction ne forment un sens, que lorsque par un simple regard de l'esprit nous y appercevons aisément l'ordre successif de la construction simple.

Cet ordre est le plus propre à faire appercevoir les parties que la nécessité de l'élocution nous fait donner à la pensée ; il nous indique les rapports que ces parties ont entr'elles ; rapports dont le concert produit l'ensemble, & pour ainsi dire, le corps de chaque pensée particuliere. Telle est la relation établie entre la pensée & les mots, c'est-à-dire, entre la chose & les signes qui la font connoître : connoissance acquise dès les premieres années de la vie, par des actes si souvent répétés, qu'il en résulte une habitude que nous regardons comme un effet naturel. Que celui qui parle employe ce que l'art a de plus séduisant pour nous plaire, & de plus propre à nous toucher, nous applaudirons à ses talens ; mais son premier devoir est de respecter les regles de la construction simple, & d'éviter les obstacles qui pourroient nous empêcher d'y réduire sans peine ce qu'il nous dit.

Comme par-tout les hommes pensent, & qu'ils cherchent à faire connoître la pensée par la parole, l'ordre dont nous parlons est au fond uniforme partout ; & c'est encore un autre motif pour l'appeller naturel.

Il est vrai qu'il y a des différences dans les langues ; différence dans le vocabulaire ou la nomenclature qui énonce les noms des objets & ceux de leurs qualificatifs ; différence dans les terminaisons qui sont les signes de l'ordre successif des correlatifs ; différence dans l'usage des métaphores, dans les idiotismes, & dans les tours de la construction usuelle : mais il y a uniformité en ce que par-tout la pensée qui est à énoncer est divisée par les mots qui en représentent les parties, & que ces parties ont des signes de leur relation.

Enfin cette construction est encore appellée naturelle, parce qu'elle suit la nature, je veux dire parce qu'elle énonce les mots selon l'état où l'esprit conçoit les choses ; le soleil est lumineux. On suit ou l'ordre de la relation des causes avec les effets, ou celui des effets avec leur cause ; je veux dire que la construction simple procede, ou en allant de la cause à l'effet, ou de l'agent au patient ; comme quand on dit, Dieu a créé le monde ; Julien Leroi a fait cette montre ; Auguste vainquit Antoine ; c'est ce que les Grammairiens appellent la voix active ; ou bien la construction énonce la pensée en remontant de l'effet à la cause, & du patient à l'agent, selon le langage des philosophes ; ce que les Grammairiens appellent la voix passive : le monde a été créé par l'Etre tout puissant ; cette montre a été faite par Julien Leroi, horloger habile ; Antoine fut vaincu par Auguste. La construction simple présente d'abord l'objet ou sujet, ensuite elle le qualifie selon les propriétés ou les accidens que les sens y découvrent, ou que l'imagination y suppose.

Or dans l'un & dans l'autre de ces deux cas, l'état des choses demande que l'on commence par nommer le sujet. En effet, la nature & la raison ne nous apprennent-elles pas 1°. qu'il faut être avant que d'opérer, prius est esse quam operari ; 2°. qu'il faut exister avant que de pouvoir être l'objet de l'action d'un autre ; 3°. enfin qu'il faut avoir une existence réelle ou imaginée, avant que de pouvoir être qualifié, c'est-à-dire avant que de pouvoir être considéré comme ayant telle ou telle modification propre, ou bien tel ou tel de ces accidens qui donnent lieu à ce que les Logiciens appellent des dénominations externes : il est aimé, il est haï, il est loüé, il est blâmé.

On observe la même pratique par imitation, quand on parle de noms abstraits & d'êtres purement métaphysiques : ainsi on dit que la vertu a des charmes, comme l'on dit que le roi a des soldats.

La construction simple, comme nous l'avons déjà remarqué, énonce d'abord le sujet dont on juge, après quoi elle dit, ou qu'il est, ou qu'il fait, ou qu'il souffre, ou qu'il a, soit dans le sens propre, soit au figuré.

Pour mieux faire entendre ma pensée, quand je dis que la construction simple suit l'état des choses, j'observerai que dans la réalité l'adjectif n'énonce qu'une qualification du substantif ; l'adjectif n'est donc que le substantif même considéré avec telle ou telle modification ; tel est l'état des choses : aussi la construction simple ne sépare-t-elle jamais l'adjectif du substantif. Ainsi quand Virgile a dit,

Frigidus, agricolam, si quando continet imber.

Géorg. liv. I. v. 259.

l'adjectif frigidus étant séparé par plusieurs mots de son substantif imber, cette construction sera, tant qu'il vous plaira, une construction élégante, mais jamais une phrase de la construction simple, parce qu'on n'y suit pas l'ordre de l'état des choses, ni du rapport immédiat qui est entre les mots en conséquence de cet état.

Lorsque les mots essentiels à la proposition ont des modificatifs qui en étendent ou qui en restraignent la valeur, la construction simple place ces modificatifs à la suite des mots qu'ils modifient : ainsi tous les mots se trouvent rangés successivement selon le rapport immédiat du mot qui suit avec celui qui le précede : par exemple, Alexandre vainquit Darius, voilà une simple proposition ; mais si j'ajoûte des modificatifs ou adjoints à chacun de ses termes, la construction simple les placera successivement selon l'ordre de leur relation. Alexandre fils de Philippe & roi de Macédoine vainquit avec peu de troupes Darius roi des Perses qui étoit à la tête d'une armée nombreuse.

Si l'on énonce des circonstances dont le sens tombe sur toute la proposition, on peut les placer ou au commencement ou à la fin de la proposition : par ex. en la troisieme année de la cxij. olympiade, 330 ans avant Jesus-Christ, onze jours après une éclipse de lune, Alexandre vainquit Darius ; ou bien Alexandre vainquit Darius en la troisieme année, &c.

Les liaisons des différentes parties du discours, telles que cependant, sur ces entrefaites, dans ces circonstances, mais, quoique, après que, avant que, &c. doivent précéder le sujet de la proposition où elles se trouvent, parce que ces liaisons ne sont pas des parties nécessaires de la proposition ; elles ne sont que des adjoints, ou des transitions, ou des conjonctions particulieres qui lient les propositions partielles dont les périodes sont composées.

Par la même raison, le relatif qui, quae, quod, & nos qui, que, dont, précedent tous les mots de la proposition à laquelle ils appartiennent ; parce qu'ils servent à lier cette proposition à quelque mot d'une autre, & que ce qui lie doit être entre deux termes : ainsi dans cet exemple vulgaire, Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est toutpuissant, quem précede adoramus, & que est avant nous adorons, quoique l'un dépende d'adoramus, & l'autre de nous adorons, parce que quem détermine Deus. Cette place du relatif entre les deux propositions correlatives, en fait appercevoir la liaison plus aisément, que si le quem ou le que étoient placés après les verbes qu'ils déterminent.

Je dis donc que pour s'exprimer selon la construction simple, on doit 1°. énoncer tous les mots qui sont les signes des différentes parties que l'on est obligé de donner à la pensée, par la nécessité de l'élocution, & selon l'analogie de la langue en laquelle on a à s'énoncer.

2°. En second lieu la construction simple exige que les mots soient énoncés dans l'ordre successif des rapports qu'il y a entr'eux, ensorte que le mot qui est à modifier ou à déterminer précede celui qui le modifie ou le détermine.

3°. Enfin dans les langues où les mots ont des terminaisons qui sont les signes de leur position & de leurs relations, ce seroit une faute si l'on se contentoit de placer un mot dans l'ordre où il doit être selon la construction simple, sans lui donner la terminaison destinée à indiquer cette position : ainsi on ne dira pas en latin, diliges Dominus Deus tuus, ce qui seroit la terminaison de la valeur absolue, ou celle du sujet de la proposition ; mais on dira, diliges Dominum Deum tuum, ce qui est la terminaison de la valeur relative de ces trois derniers mots. Tel est dans ces langues le service & la destination des terminaisons ; elles indiquent la place & les rapports des mots ; ce qui est d'un grand usage lorsqu'il y a inversion ; c'est-à-dire lorsque les mots ne sont pas énoncés dans l'ordre de la construction simple ; ordre toûjours indiqué, mais rarement observé dans la construction usuelle des langues dont les noms ont des cas, c'est-à-dire des terminaisons particulieres destinées en toute construction à marquer les différentes relations ou les différentes sortes de valeurs relatives des mots.

II. De la construction figurée. L'ordre successif des rapports des mots n'est pas toûjours exactement suivi dans l'exécution de la parole : la vivacité de l'imagination, l'empressement à faire connoître ce qu'on pense, le concours des idées accessoires, l'harmonie, le nombre, le rythme, &c. font souvent que l'on supprime des mots, dont on se contente d'énoncer les correlatifs. On interrompt l'ordre de l'analyse ; on donne aux mots une place ou une forme, qui au premier aspect ne paroît pas être celle qu'on auroit dû leur donner. Cependant celui qui lit ou qui écoute, ne laisse pas d'entendre le sens de ce qu'on lui dit, parce que l'esprit rectifie l'irrégularité de l'énonciation, & place dans l'ordre de l'analyse les divers sens particuliers, & même le sens des mots qui ne sont pas exprimés.

C'est en ces occasions que l'analogie est d'un grand usage : ce n'est alors que par analogie, par imitation, & en allant du connu à l'inconnu, que nous pouvons concevoir ce qu'on nous dit. Si cette analogie nous manquoit, que pourrions-nous comprendre dans ce que nous entendrions dire ? ce seroit pour nous un langage inconnu & inintelligible. La connoissance & la pratique de cette analogie ne s'acquiert que par imitation, & par un long usage commencé dès les premieres années de notre vie.

Les façons de parler dont l'analogie est pour ainsi dire l'interprete, sont des phrases de la construction figurée.

La construction figurée est donc celle où l'ordre & le procédé de l'analyse énonciative ne sont pas suivis, quoiqu'ils doivent toûjours être apperçus, rectifiés, ou suppléés.

Cette seconde sorte de construction est appellée construction figurée, parce qu'en effet elle prend une figure, une forme, qui n'est pas celle de la construction simple. La construction figurée est à la vérité autorisée par un usage particulier ; mais elle n'est pas conforme à la maniere de parler la plus réguliere, c'est-à-dire à cette construction pleine & suivie dont nous avons parlé d'abord. Par exemple, selon cette premiere sorte de construction, on dit, la foiblesse des hommes est grande ; le verbe est s'accorde en nombre & en personne avec son sujet la foiblesse, & non avec des hommes. Tel est l'ordre significatif ; tel est l'usage général. Cependant on dit fort bien la plûpart des hommes se persuadent, &c. où vous voyez que le verbe s'accorde avec des hommes, & non avec la plûpart : les savans disent, les ignorans s'imaginent, &c. telle est la maniere de parler générale ; le nominatif pluriel est annoncé par l'article les. Cependant on dit fort bien, des savans m'ont dit, &c. des ignorans s'imaginent, &c. du pain & de l'eau suffisent, &c.

Voilà aussi des nominatifs, selon nos Grammairiens ; pourquoi ces prétendus nominatifs ne sont-ils point analogues aux nominatifs ordinaires ? Il en est de même en latin, & en toutes les langues. Je me contenterai de ces deux exemples.

1°. La préposition ante se construit avec l'accusatif ; tel est l'usage ordinaire : cependant on trouve cette préposition avec l'ablatif dans les meilleurs auteurs, multis ante annis.

2°. Selon la pratique ordinaire, quand le nom de la personne ou celui de la chose est le sujet de la proposition, ce nom est au nominatif. Il faut bien en effet nommer la personne ou la chose dont on juge, afin qu'on puisse entendre ce qu'on en dit. Cependant on trouve des phrases sans nominatif ; & ce qui est plus irrégulier encore, c'est que le mot qui, selon la regle, devroit être au nominatif, se trouve au contraire en un cas oblique poenitet me peccati, je me repens de mon péché ; le verbe est ici à la troisieme personne en latin, & à la premiere en françois.

Qu'il me soit permis de comparer la construction simple au droit commun, & la figurée au droit privilégié. Les jurisconsultes habiles ramenent les priviléges aux lois supérieures de droit commun, & regardent comme des abus que les législateurs devroient réformer, les priviléges qui ne sauroient être réduits à ces lois.

Il en est de même des phrases de la construction figurée ; elles doivent toutes être rapportées aux lois générales du discours, entant qu'il est signe de l'analyse des pensées & des différentes vûes de l'esprit. C'est une opération que le peuple fait par sentiment, puisqu'il entend le sens de ces phrases. Mais le Grammairien philosophe doit pénétrer le mystere de leur irrégularité, & faire voir que malgré le masque qu'elles portent de l'anomalie, elles sont pourtant analogues à la construction simple.

C'est ce que nous tâcherons de faire voir dans les exemples que nous venons de rapporter. Mais pour y procéder avec plus de clarté, il faut observer qu'il y a six sortes de figures qui sont d'un grand usage dans l'espece de construction dont nous parlons, & auxquelles on peut réduire toutes les autres.

1°. L'ellipse, c'est-à-dire manquement, défaut, suppression ; ce qui arrive lorsque quelque mot nécessaire pour réduire la phrase à la construction simple n'est pas exprimé ; cependant ce mot est la seule cause de la modification d'un autre mot de la phrase. P. ex. ne sus Minervam ; Minervam n'est à l'accusatif, que parce que ceux qui entendent le sens de ce proverbe se rappellent aisément dans l'esprit le verbe doceat. Cicéron l'a exprimé (Cic. acad. 1 c. jv.) ; ainsi le sens est sus non doceat Minervam, qu'un cochon, qu'une bête, qu'un ignorant ne s'avise pas de vouloir donner des leçons à Minerve déesse de la science & des beaux arts. Triste lupus stabulis, c'est-à-dire lupus est negotium triste stabulis. Ad Castoris, suppléez ad aedem ou ad templum Castoris. Sanctius & les autres analogistes ont recueilli un grand nombre d'exemples où cette figure est en usage : mais comme les auteurs latins employent souvent cette figure, & que la langue latine est pour ainsi dire toute elliptique, il n'est pas possible de rapporter toutes les occasions où cette figure peut avoir lieu ; peut-être même n'y a-t-il aucun mot latin qui ne soit sousentendu en quelque phrase. Vulcani item complures, suppléez fuerunt ; primus coelo natus, ex quo Minerva Apollinem, où l'on sousentend peperit (Cic. de nat. deor. liv. III. c. xxij.) & dans Térence (eunuc. act. I. sc. I.), ego ne illam ? quae illum ? quae me ? quae non ? Sur quoi Donat observe que l'usage de l'ellipse est fréquent dans la colere, & qu'ici le sens est, ego ne illam non ulciscar ? quae illum recipit ? quae exclusit me ? quae non admisit ? Priscien remplit ces ellipses de la maniere suivante : ego ne illam dignor adventu meo ? quae illum praeposuit mihi ? quae me sprevit ? quae non suscepit heri ? Quoi j'irois la voir, elle qui a préféré Thrason, elle qui m'a hier fermé la porte ?

Il est indifférent que l'ellipse soit remplie par tel ou tel mot, pourvû que le sens indiqué par les adjoints & par les circonstances soit rendu.

Ces sousententes, dit M. Patru (notes sur les remarques de Vaugelas, tome I. page 291. édit. de 1738.) sont fréquentes en notre langue comme en toutes les autres. Cependant elles y sont bien moins ordinaires qu'elles ne le sont dans les langues qui ont des cas ? parce que dans celles-ci le rapport du mot exprimé avec le mot sousentendu, est indiqué par une terminaison relative ; au lieu qu'en françois & dans les langues, dont les mots gardent toûjours leur terminaison absolue, il n'y a que l'ordre, ou observé, ou facilement apperçû & rétabli par l'esprit, qui puisse faire entendre le sens des mots énoncés. Ce n'est qu'à cette condition que l'usage autorise les transpositions & les ellipses. Or cette condition est bien plus facile à remplir dans les langues qui ont des cas : ce qui est sensible dans l'exemple que nous avons rapporté, sus Minervam ; ces deux mots rendus en françois n'indiqueroient pas ce qu'il y a à suppléer. Mais quand la condition dont nous venons de parler peut aisément être remplie, alors nous faisons usage de l'ellipse, sur-tout quand nous sommes animés par quelque passion.

Je t'aimois inconstant ; qu'aurois-je fait fidele ?

Racine, Androm. act. IV. sc. v.

On voit aisément que le sens est, que n'aurois-je pas fait si tu avois été fidele ? avec quelle ardeur ne t'aurois-je pas aimé si tu avois été fidele ? Mais l'ellipse rend l'expression de Racine bien plus vive, que si ce poëte avoit fait parler Hermione selon la construction pleine. C'est ainsi que lorsque dans la conversation on nous demande quand reviendrez-vous, nous répondons la semaine prochaine, c'est-à-dire je reviendrai dans la semaine prochaine ; à la mi-Août, c'est-à-dire à la moitié du mois d'Août ; à la S. Martin, à la Toussaint, au lieu de à la fête de S. Martin, à celle de tous les SS. Dem. Que vous a-t-il dit ? R. rien ; c'est-à-dire il ne m'a rien dit, nullam rem ; on sousentend la négation ne. Qu'il fasse ce qu'il voudra, ce qu'il lui plaira ; on sousentend faire, & c'est de ce mot sousentendu que dépend le que apostrophé devant il. C'est par l'ellipse que l'on doit rendre raison d'une façon de parler qui n'est plus aujourd'hui en usage dans notre langue, mais qu'on trouve dans les livres mêmes du siecle passé ; c'est & qu'ainsi ne soit, pour dire ce que je vous dis est si vrai que, &c. cette maniere de parler, dit Danet (verbo ainsi), se prend en un sens tout contraire à celui qu'elle semble avoir ; car, dit-il, elle est affirmative nonobstant la négation. J'étois dans ce jardin, & qu'ainsi ne soit, voilà une fleur que j'y ai cueillie ; c'est comme si je disois, & pour preuve de cela voilà une fleur que j'y ai cueillie, atque ut rem ita esse intelligas. Joubert dit aussi & qu'ainsi ne soit, c'est-à-dire pour preuve que cela est, argumento est quod, au mot ainsi. Moliere, dans Pourceaugnac, act. I. sc. xj. fait dire à un medecin que M. de Pourceaugnac est atteint & convaincu de la maladie qu'on appelle mélancholie hypochondriaque ; & qu'ainsi ne soit, ajoûte le medecin, pour diagnostic incontestable de ce que je dis, vous n'avez qu'à considérer ce grand sérieux, &c.

M. de la Fontaine, dans son Belphégor qui est imprimé à la fin du XII. livre des fables, dit :

C'est le coeur seul qui peut rendre tranquille ;

Le coeur fait tout, le reste est inutile.

Qu'ainsi ne soit, voyons d'autres états, &c.

L'ellipse explique cette façon de parler : en voici la construction pleine, & afin que vous ne disiez point que cela ne soit pas ainsi, c'est que, &c.

Passons aux exemples que nous avons rapportés plus haut : des savans m'ont dit, des ignorans s'imaginent : quand je dis les savans disent, les ignorans s'imaginent, je parle de tous les savans & de tous les ignorans ; je prens savans & ignorans dans un sens appellatif, c'est-à-dire dans une étendue qui comprend tous les individus auxquels ces mots peuvent être appliqués : mais quand je dis des savans m'ont dit, des ignorans s'imaginent, je ne veux parler que de quelques-uns d'entre les savans ou d'entre les ignorans ; c'est une façon de parler abregée. On a dans l'esprit quelques-uns ; c'est ce pluriel qui est le vrai sujet de la proposition ; de ou des ne sont en ces occasions que des prépositions extractives ou partitives. Sur quoi je ferai en passant une legere observation ; c'est qu'on dit qu'alors savans ou ignorans sont pris dans un sens partitif : je crois que le partage ou l'extraction n'est marqué que par la préposition & par le mot sousentendu, & que le mot exprimé est dans toute sa valeur, & par conséquent dans toute son étendue, puisque c'est de cette étendue ou généralité que l'on tire les individus dont on parle ; quelques-uns de les savans.

Il en est de même de ces phrases, du pain & de l'eau suffisent, donnez-moi du pain & de l'eau, &c. c'est-à-dire quelque chose de, une portion de, ou du, &c. Il y a dans ces façons de parler syllepse & ellipse : il y a syllepse, puisqu'on fait la construction selon le sens que l'on a dans l'esprit, comme nous le dirons bientôt : & il y a ellipse, c'est-à-dire suppression, manquement de quelques mots, dont la valeur ou le sens est dans l'esprit. L'empressement que nous avons à énoncer notre pensée, & à savoir celle de ceux qui nous parlent, est la cause de la suppression de bien des mots qui seroient exprimés, si l'on suivoit exactement le détail de l'analyse énonciative des pensées.

3°. Multis ante annis. Il y a encore ici une ellipse : ante n'est pas le correlatif de annis ; car on veut dire que le fait dont il s'agit s'est passé dans un tems qui est bien antérieur au tems où l'on parle : illud fuit gestum annis multis ante hoc tempus. Voici un exemple de Cicéron, dans l'oraison pro L. Corn. Balbo, qui justifie bien cette explication : Hospitium, multis annis ante hoc tempus, Gaditani cum Lucio Cornelio Balbo fecerant, où vous voyez que la construction selon l'ordre de l'analyse énonciative est Gaditani fecerunt hospitium cum Lucio Cornelio Balbo in multis annis ante hoc tempus.

4°. Poenitet me peccati, je me repens de mon péché. Voilà sans doute une proposition en latin & en françois. Il doit donc y avoir un sujet & un attribut exprimé ou sousentendu. J'apperçois l'attribut, car je vois le verbe poenitet me ; l'attribut commence toûjours par le verbe, & ici poenitet me est tout l'attribut. Cherchons le sujet, je ne vois d'autre mot que peccati : mais ce mot étant au génitif, ne sauroit être le sujet de la proposition ; puisque selon l'analogie de la construction ordinaire, le génitif est un cas oblique qui ne sert qu'à déterminer un nom d'espece. Quel est ce nom que peccati détermine ? Le fond de la pensée & l'imitation doivent nous aider à le trouver. Commençons par l'imitation. Plaute fait dire à une jeune mariée (Stich. act. I. sc. j. v. 50.), & me quidem haec conditio nunc non poenitet. Cette condition, c'est-à-dire ce mariage ne me fait point de peine, ne m'affecte pas de repentir ; je ne me repens point d'avoir épousé le mari que mon pere m'a donné : où vous voyez que conditio est le nominatif de poenitet. Et Ciceron, sapientis est proprium, nihil quod poenitere possit, facere (Tusc. liv. V. c. 28.), c'est-à-dire non facere nihil quod possit poenitere sapientem est proprium sapientis ; où vous voyez que quod est le nominatif de possit poenitere : rien qui puisse affecter le sage de repentir. Accius (apud Gall. n. A. l. XIII. c. ij.) dit que, neque id sane me poenitet ; cela ne m'affecte point de repentir.

Voici encore un autre exemple : Si vous aviez eû un peu plus de déférence pour mes avis, dit Cicéron à son frere ; si vous aviez sacrifié quelques bons mots, quelques plaisanteries, nous n'aurions pas lieu aujourd'hui de nous repentir. Si apud te plus autoritas mea, quam dicendi sal facetiaeque valuisset, nihil sane esset quod nos poeniteret ; il n'y auroit rien qui nous affectât de repentir. Cic. ad Quint. Fratr. l. I. ep. ij.

Souvent, dit Faber dans son thrésor au mot poenitet, les anciens ont donné un nominatif à ce verbe : veteres & cum nominativo copularunt.

Poursuivons notre analogie. Ciceron a dit, conscientia peccatorum timore nocentes afficit (Parad. V.) ; & Parad. II. tuae libines torquent te, conscientiae maleficiorum tuorum stimulant te ; vos remords vous tourmentent : & ailleurs on trouve, conscientia scelerum improbos in morte vexat ; à l'article de la mort les méchans sont tourmentés par leur propre conscience.

Je dirai donc par analogie, par imitation, conscientia peccati poenitet me, c'est-à-dire afficit me poena ; comme Ciceron a dit, afficit timore, stimulat, vexat, torquet, mordet ; le remords, le souvenir, la pensée de ma faute m'affecte de peine, m'afflige, me tourmente ; je m'en afflige, je m'en peine, je m'en repens. Notre verbe repentir est formé de la préposition inséparable, re, retro, & de peine, se peiner du passé : Nicot écrit se pèner de ; ainsi se repentir, c'est s'affliger, se punir soi-même de ; quem poenitet, is, dolendo, à se, quasi poenam suae temeritatis exigit. Martinius V. Poenitet.

Le sens de la période entiere fait souvent entendre le mot qui est sousentendu : par exemple, Felix qui potuit rerum cognoscere causas (Virg. Georg. l. II. vers. 490.), l'antécédent de qui n'est point exprimé ; cependant le sens nous fait voir que l'ordre de la construction est ille qui potuit cognoscere causas rerum est felix.

Il y a une sorte d'ellipse qu'on appelle zeugma, mot grec qui signifie connexion, assemblage. Cette figure sera facilement entendue par les exemples. Salluste a dit, non de tyranno, sed de cive : non de domino, sed de parente loquimur ; où vous voyez que ce mot loquimur lie tous ces divers sens particuliers, & qu'il est sousentendu en chacun. Voilà l'ellipse qu'on appelle zeugma. Ainsi le zeugma se fait lorsqu'un mot exprimé dans quelque membre d'une période, est sousentendu dans un autre membre de la même période. Souvent le mot est bien le même, eu égard à la signification ; mais il est différent par rapport au nombre ou au genre. Aquilae volarunt, haec ab oriente, illa ab occidente : la construction pleine est haec volavit ab oriente, illa volavit ab occidente ; où vous voyez que volavit qui est sousentendu, differe de volarunt par le nombre : & de même dans Virgile (Aen. l. I.) hîc illius arma, hîc currus fuit ; où vous voyez qu'il faut sousentendre fuerunt dans le premier membre. Voici une différence par rapport au genre : utinam aut hic surdus, aut haec muta facta sit (Ter. And. act. III. sc. j.) ; dans le premier sens on sousentend factus sit, & il y a facta dans le second. L'usage de cette sorte de zeugma est souffert en latin ; mais la langue Françoise est plus délicate & plus difficile à cet égard. Comme elle est plus assujettie à l'ordre significatif, on n'y doit sousentendre un mot déjà exprimé, que quand ce mot peut convenir également au membre de phrase où il est sousentendu. Voici un exemple qui fera entendre ma pensée : Un auteur moderne a dit, cette histoire achevera de desabuser ceux qui méritent de l'être ; on sousentend desabusés dans ce dernier membre ou incise, & c'est desabuser qui est exprimé dans le premier. C'est une négligence dans laquelle de bons auteurs sont tombés.

II. La seconde sorte de figure est le contraire de l'ellipse ; c'est lorsqu'il y a dans la phrase quelque mot superflu qui pourroit en être retranché sans rien faire perdre du sens ; lorsque ces mots ajoûtés donnent au discours ou plus de grace ou plus de netteté, ou enfin plus de force ou d'énergie, ils font une figure approuvée. Par ex. quand en certaines occasions on dit, je l'ai vû de mes yeux, je l'ai entendu de mes propres oreilles, &c. je me meurs ; ce me n'est-là que par énergie. C'est peut-être cette raison de l'énergie qui a consacré le pléonasme en certaines façons de parler : comme quand on dit, c'est une affaire où il y va du salut de l'état ; ce qui est mieux que si l'on disoit, c'est une affaire où il va, &c. en supprimant y qui est inutile à cause de où. Car, comme on l'a observé dans les remarques & décisions de l'académie Françoise, 1698, p. 39. il y va, il y a, il en est, sont des formules autorisées dont on ne peut rien ôter.

La figure dont nous parlons est appellée pléonasme, mot grec qui signifie surabondance. Au reste la surabondance qui n'est pas consacrée par l'usage, & qui n'apporte ni plus de netteté, ni plus de grace, ni plus d'énergie, est un vice, ou du moins une négligence qu'on doit éviter : ainsi on ne doit pas joindre à un substantif une épithete qui n'ajoûte rien au sens, & qui n'excite que la même idée ; par ex. une tempête orageuse. Il en est de même de cette façon de parler, il est vrai de dire que ; de dire est entierement inutile. Un de nos auteurs a dit que Cicéron avoit étendu les bornes & les limites de l'éloquence. Défense de Voiture, pag. 1. Limites n'ajoûte rien à l'idée de bornes ; c'est un pléonasme.

III. La troisiéme sorte de figure est celle qu'on appelle syllepse ou synthese : c'est lorsque les mots sont construits selon le sens & la pensée, plûtôt que selon l'usage de la construction ordinaire ; par exemple, monstrum étant du genre neutre, le relatif qui suit ce mot doit aussi être mis au genre neutre, monstrum quod. Cependant Horace, lib. I. od. 37. a dit, fatale monstrum, quae generosius perire quaerens : mais ce prodige, ce monstre fatal, c'est Cléopatre ; ainsi Horace a dit quae au féminin, parce qu'il avoit Cléopatre dans l'esprit. Il a donc fait la construction selon la pensée, & non selon les mots. Ce sont des hommes qui ont, &c. sont est au pluriel aussi-bien que ont, parce que l'objet de la pensée c'est des hommes plûtôt que ce, qui est ici pris collectivement.

On peut aussi résoudre ces façons de parler par l'ellipse ; car ce sont des hommes qui ont, &c. ce, c'est-à-dire les personnes qui ont, &c. sont du nombre des hommes qui, &c. Quand on dit la foiblesse des hommes est grande, le verbe est étant au singulier, s'accorde avec son nominatif la foiblesse ; mais quand on dit la plûpart des hommes s'imaginent, &c. ce mot la plûpart présente une pluralité à l'esprit ; ainsi le verbe répond à cette pluralité, qui est son correlatif. C'est encore ici une syllepse ou synthese, c'est-à-dire une figure, selon laquelle les mots sont construits selon la pensée & la chose, plûtôt que selon la lettre & la forme grammaticale : c'est par la même figure que le mot de personne, qui grammaticalement est du genre féminin, se trouve souvent suivi de il ou ils au masculin ; parce qu'alors on a dans l'esprit l'homme ou les hommes dont on parle qui sont physiquement du genre masculin. C'est par cette figure que l'on peut rendre raison de certaines phrases où l'on exprime la particule ne, quoiqu'il semble qu'elle dût être supprimée, comme lorsqu'on dit, je crains qu'il ne vienne, j'empêcherai qu'il ne vienne, j'ai peur qu'il n'oublie, &c. En ces occasions on est occupé du desir que la chose n'arrive pas ; on a la volonté de faire tout ce qu'on pourra, afin que rien n'apporte d'obstacle à ce qu'on souhaite : voilà ce qui fait énoncer la négation.

IV. La quatrieme sorte de figure, c'est l'hyperbate, c'est-à-dire confusion, mêlange de mots : c'est lorsque l'on s'écarte de l'ordre successif de la construction simple ; Saxa vocant Itali, mediis, quae in fluctibus, aras (Virg. Aeneid. l. I. v. 113.) ; la construction est Itali vocant aras illa saxa quae sunt in fluctibus mediis. Cette figure étoit, pour ainsi dire, naturelle au latin ; comme il n'y avoit que les terminaisons des mots, qui, dans l'usage ordinaire, fussent les signes de la relation que les mots avoient entr'eux, les Latins n'avoient égard qu'à ces terminaisons, & ils plaçoient les mots selon qu'ils étoient présentés à l'imagination, ou selon que cet arrangement leur paroissoit produire une cadence & une harmonie plus agréable ; mais parce qu'en françois les noms ne changent point de terminaison, nous sommes obligés communément de suivre l'ordre de la relation que les mots ont entre eux. Ainsi nous ne saurions faire usage de cette figure, que lorsque le rapport des correlatifs n'est pas difficile à appercevoir ; nous ne pourrions pas dire comme Virgile :

Frigidus, ô pueri, fugite hinc, latet anguis in herbâ.

Eclog. III. v. 93.

L'adjectif frigidus commence le vers, & le substantif anguis en est séparé par plusieurs mots, sans que cette séparation apporte la moindre confusion. Les terminaisons font aisément rapprocher l'un de l'autre à ceux qui savent la langue : mais nous ne serions pas entendus en françois, si nous mettions un si grand intervalle entre le substantif & l'adjectif ; il faut que nous disions fuyez, un froid serpent est caché sous l'herbe.

Nous ne pouvons donc faire usage des inversions, que lorsqu'elles sont aisées à ramener à l'ordre significatif de la construction simple ; ce n'est que relativement à cet ordre, que lorsqu'il n'est pas suivi, on dit en toute langue qu'il y a inversion, & non par rapport à un prétendu ordre d'intérêt ou de passions qui ne sauroit jamais être un ordre certain, auquel on peut opposer le terme d'inversion : incerta haec si tu postules ratione certa facere, nihilo plus agas, quam si des operam ut cum ratione insanias. Ter. Eun. act. I. sc. j. v. 16.

En effet on trouve dans Cicéron & dans chacun des auteurs qui ont beaucoup écrit ; on trouve, dis-je, en différens endroits, le même fond de pensée énoncé avec les mêmes mots, mais toûjours disposés dans un ordre différent. Quel est celui de ces divers arrangemens par rapport auquel on doit dire qu'il y a inversion ? Ce ne peut jamais être que relativement à l'ordre de la construction simple. Il n'y a inversion que lorsque cet ordre n'est pas suivi. Toute autre idée est sans fondement, & n'oppose inversion qu'au caprice ou à un goût particulier & momentanée.

Mais revenons à nos inversions françoises. Madame Deshoulieres dit :

Que les fougueux aquilons,

Sous sa nef, ouvrent de l'onde

Les gouffres les plus profonds. Deshoul. Ode.

La construction simple est, que les aquilons fougueux ouvrent sous sa nef les gouffres les plus profonds de l'onde. M. Fléchier, dans une de ses oraisons funebres, a dit, sacrifice où coula le sang de mille victimes ; la construction est, sacrifice où le sang de mille victimes coula.

Il faut prendre garde que les transpositions & le renversement d'ordre ne donnent pas lieu à des phrases louches, équivoques, & où l'esprit ne puisse pas aisément rétablir l'ordre significatif ; car on ne doit jamais perdre de vûe, qu'on ne parle que pour être entendu : ainsi lorsque les transpositions même servent à la clarté, on doit, dans le discours ordinaire, les préférer à la construction simple. Madame Deshoulieres a dit :

Dans les transports qu'inspire.

Cette agréable saison,

Où le coeur, à son empire

Assujettit la raison.

L'esprit saisit plus aisément la pensée, que si cette illustre dame avoit dit : dans les transports, que cette agréable saison, où le coeur assujettit la raison à son empire, inspire. Cependant en ces occasions-là même l'esprit apperçoit les rapports des mots, selon l'ordre de la construction significative.

V. La cinquieme sorte de figure, c'est l'imitation de quelque façon de parler d'une langue étrangere, ou même de la langue qu'on parle. Le commerce & les relations qu'une nation a avec les autres peuples, font souvent passer dans une langue non-seulement des mots, mais encore les façons de parler, qui ne sont pas conformes à la construction ordinaire de cette langue. C'est ainsi que dans les meilleurs auteurs latins on observe des phrases greques, qu'on appelle des hellenismes : c'est par une telle imitation qu'Horace a dit (l. III. ode 30. v. 12.) Daunus agrestium regnavit populorum. Les Grecs disent . Il y en a plusieurs autres exemples ; mais dans ces façons de parler greques, il y a ou un nom substantif sousentendu, ou quelqu'une de ces prépositions greques qui se construisent avec le génitif, ici on sousentend , comme M. Dacier l'a remarqué, regnavit regnum populorum : Horace a dit ailleurs, regnata rura. (l. II. ode vj. v. 21.) Ainsi quand on dit que telle façon de parler est une phrase greque, cela veut dire que l'ellipse d'un certain mot est en usage en grec dans ces occasions, & que cette ellipse n'est pas en usage en latin dans la construction usuelle ; qu'ainsi on ne l'y trouve que par imitation des Grecs. Les Grecs ont plusieurs prépositions qu'ils construisent avec le génitif ; & dans l'usage ordinaire ils suppriment les prépositions, ensorte qu'il ne reste que le génitif. C'est ce que les Latins ont souvent imité. (Voyez Sanctius, & la méthode de P. R. de l'hellenisme, page 559.) Mais soit en latin, soit en grec, on doit toûjours tout réduire à la construction pleine & à l'analogie ordinaire. Cette figure est aussi usitée dans la même langue, sur-tout quand on passe du sens propre au sens figuré. On dit au sens propre, qu'un homme a de l'argent, une montre, un livre ; & l'on dit par imitation, qu'il a envie, qu'il a peur, qu'il a besoin, qu'il a faim, &c.

L'imitation a donné lieu à plusieurs façons de parler, qui ne sont que des formules que l'usage a consacrées. On se sert si souvent du pronom il pour rappeller dans l'esprit la personne déjà nommée, que ce pronom a passé ensuite par imitation dans plusieurs façons de parler, où il ne rappelle l'idée d'aucun individu particulier. Il est plûtôt une sorte de nom métaphysique idéal ou d'imitation ; c'est ainsi que l'on dit, il pleut, il tonne, il faut, il y a des gens qui s'imaginent, &c. Ce il, illud, est un mot qu'on employe par analogie, à l'imitation de la construction usuelle qui donne un nominatif à tout verbe au mode fini. Ainsi il pleut, c'est le ciel ou le tems qui est tel, qu'il fait tomber la pluie ; il faut, c'est-à-dire cela, illud, telle chose est nécessaire, savoir, &c.

VI. On rapporte à l'hellenisme une figure remarquable, qu'on appelle attraction : en effet cette figure est fort ordinaire aux Grecs ; mais parce qu'on en trouve aussi des exemples dans les autres langues, j'en fais ici une figure particuliere.

Pour bien comprendre cette figure, il faut observer que souvent le méchanisme des organes de la parole apporte des changemens dans les lettres des mots qui précedent, ou qui suivent d'autres mots ; ainsi au lieu de dire régulierement ad-loqui aliquem, parler à quelqu'un, on change le d de la préposition ad en l, à cause de l'l qu'on va prononcer, & l'on dit al-loqui aliquem plûtôt que ad-loqui ; & de même ir-ruere au lieu de in-ruere, col-loqui au lieu de cum ou con-loqui, &c. ainsi l'l attire une autre l, &c.

Ce que le méchanisme de la parole fait faire à l'égard des lettres, la vûe de l'esprit tournée vers un mot principal le fait pratiquer à l'égard de la terminaison des mots. On prend un mot selon sa signification, on n'en change point la valeur : mais à cause du cas, ou du genre, ou du nombre, ou enfin de la terminaison d'un autre mot dont l'imagination est occupée, on donne à un mot voisin de celui-là une terminaison différente de celle qu'il auroit eu selon la construction ordinaire ; ensorte que la terminaison du mot dont l'esprit est occupé, attire une terminaison semblable, mais qui n'est pas la réguliere. Urbem quam statuo, vestra est (Aeneid. l. I.) ; quam statuo a attiré urbem au lieu de urbs : & de même populo ut placerent quas fecisset fabulas, au lieu de fabulae. (Ter. And. prol.)

Je sai bien qu'on peut expliquer ces exemples par l'ellipse ; haec urbs, quam urbem statuo, &c. illae fabulae, quas fabulas fecisset : mais l'attraction en est peut-être la véritable raison. Dii non concessere poetis esse mediocribus (Hor. de arte poetica.) ; mediocribus est attiré par poetis. Animal providum & sagax quem vocamus hominem (Cic. leg. I. 7.), où vous voyez que hominem a attiré quem ; parce qu'en effet hominem étoit dans l'esprit de Ciceron dans le tems qu'il a dit animal providum. Benevolentia qui est amicitiae fons (Ciceron) ; fons a attiré qui au lieu de quae. Benevolentia est fons, qui est fons amicitiae. Il y a un grand nombre d'exemples pareils dans Sanctius, & dans la méthode latine de P. R. on doit en rendre raison par la direction de la vûe de l'esprit qui se porte plus particulierement vers un certain mot, ainsi que nous venons de l'observer. C'est le ressort des idées accessoires.

De la construction usuelle. La troisieme sorte de construction est composée des deux précédentes. Je l'appelle construction usuelle, parce que j'entens par cette construction l'arrangement des mots qui est en usage dans les livres, dans les lettres, & dans la conversation des honnêtes gens. Cette construction n'est souvent ni toute simple, ni toute figurée. Les mots doivent être, simples, clairs, naturels, & exciter dans l'esprit plus de sens, que la lettre ne paroît en exprimer ; les mots doivent être énoncés dans un ordre qui n'excite pas un sentiment desagréable à l'oreille ; on doit y observer autant que la convenance des différens styles le permet, ce qu'on appelle le nombre, le rythme, l'harmonie, &c. Je ne m'arrêterai point à recueillir les différentes remarques que plusieurs bons auteurs ont faites au sujet de cette construction. Telles sont celles de MM. de l'académie Françoise, de Vaugelas, de M. l'abbé d'Olivet, du P. Bouhours, de l'abbé de Bellegarde, de M. de Gamaches, &c. Je remarquerai seulement que les figures dont nous avons parlé, se trouvent souvent dans la construction usuelle, mais elles n'y sont pas nécessaires ; & même communément l'élégance est jointe à la simplicité ; & si elle admet des transpositions, des ellipses, ou quelque autre figure, elles sont aisées à ramener à l'ordre de l'analyse énonciative. Les endroits qui sont les plus beaux dans les anciens, sont aussi les plus simples & les plus faciles.

Il y a donc 1°. une construction simple, nécessaire, naturelle, où chaque pensée est analysée relativement à l'énonciation. Les mots forment un tout qui a des parties ; or la perception du rapport que ces parties ont l'une à l'autre, & qui nous en fait concevoir l'ensemble, nous vient uniquement de la construction simple, qui, énonçant les mots suivant l'ordre successif de leurs rapports, nous les présente de la maniere la plus propre à nous faire appercevoir ces rapports & à faire naître la pensée totale.

Cette premiere sorte de construction est le fondement de toute énonciation. Si elle ne sert de base à l'orateur, la chûte du discours est certaine, dit Quint. nisi oratori fundamenta fideliter jecerit, quidquid superstruxerit corruet. (Quint. Inst. or. l. I. c. jv. de gr.) Mais il ne faut pas croire, avec quelques grammairiens, que ce soit par cette maniere simple que quelque langue ait jamais été formée ; ç'a été après des assemblages sans ordre de pierres & de matériaux, qu'ont été faits les édifices les plus réguliers ; sont-ils élevés, l'ordre simple qu'on y observe cache ce qu'il en a coûté à l'art. Comme nous saisissons aisément ce qui est simple & bien ordonné, & que nous appercevons sans peine les rapports des parties qui font l'ensemble, nous ne faisons pas assez d'attention que ce qui nous paroît avoir été fait sans peine est le fruit de la réflexion, du travail, de l'expérience, & de l'exercice. Rien de plus irrégulier qu'une langue qui se forme ou qui se perd.

Ainsi, quoique dans l'état d'une langue formée, la construction dont nous parlons soit la premiere à cause de l'ordre qui fait appercevoir la liaison, la dépendance, la suite, & les rapports des mots ; cependant les langues n'ont pas eu d'abord cette premiere sorte de construction. Il y a une espece de métaphysique d'instinct & de sentiment qui a présidé à la formation des langues ; surquoi les Grammairiens ont fait ensuite leurs observations, & ont apperçu un ordre grammatical, fondé sur l'analyse de la pensée, sur les parties que la nécessité de l'élocution fait donner à la pensée, sur les signes de ces parties, & sur le rapport & le service de ces signes. Ils ont observé encore l'ordre pratique & d'usage.

2°. La seconde sorte de construction est appellée construction figurée ; celle-ci s'écarte de l'arrangement de la construction simple, & de l'ordre de l'analyse énonciative.

3°. Enfin il y a une construction usuelle, où l'on suit la maniere ordinaire de parler des honnêtes gens de la nation dont on parle la langue, soit que les expressions dont on se sert se trouvent conformes à la construction simple, ou qu'on s'énonce par la figurée. Au reste, par les honnêtes gens de la nation, j'entens les personnes que la condition, la fortune ou le mérite élevent au-dessus du vulgaire, & qui ont l'esprit cultivé par la lecture, par la réflexion, & par le commerce avec d'autres personnes qui ont ces mêmes avantages. Trois points qu'il ne faut pas séparer : 1° distinction au-dessus du vulgaire, ou par la naissance & la fortune, ou par le mérite personnel ; 2° avoir l'esprit cultivé ; 3° être en commerce avec des personnes qui ont ces mêmes avantages.

Toute construction simple n'est pas toûjours conforme à la construction usuelle : mais une phrase de la construction usuelle, même de la plus élégante, peut être énoncée selon l'ordre de la construction simple. Turenne est mort ; la fortune chancelle ; la victoire s'arrête ; le courage des troupes est abattu par la douleur, & ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile : (Fléch. or. fun. de M. de Tur.) Quoi de plus simple dans la construction ? quoi de plus éloquent & de plus élégant dans l'expression.

Il en est de même de la construction figurée ; une construction figurée peut être ou n'être pas élégante. Les ellipses, les transpositions, & les autres figures se trouvent dans les discours vulgaires, comme elles se trouvent dans les plus sublimes. Je fais ici cette remarque, parce que la plûpart des grammairiens confondent la construction élégante avec la construction figurée, & s'imaginent que toute construction figurée est élégante, & que toute construction simple ne l'est pas.

Au reste, la construction figurée est défectueuse quand elle n'est pas autorisée par l'usage. Mais quoique l'usage & l'habitude nous fassent concevoir aisément le sens de ces constructions figurées, il n'est pas toujours si facile d'en réduire les mots à l'ordre de la construction simple. C'est pourtant à cet ordre qu'il faut tout ramener, si l'on veut pénétrer la raison des différentes modifications que les mots reçoivent dans le discours. Car, comme nous l'avons déjà remarqué, les constructions figurées ne sont entendues que parce que l'esprit en rectifie l'irrégularité par le secours des idées accessoires, qui font concevoir ce qu'on lit & ce qu'on entend, comme si le sens étoit énoncé dans l'ordre de la construction simple.

C'est par ce motif, sans doute, que dans les écoles où l'on enseigne le latin, sur-tout selon la méthode de l'explication, les maîtres habiles commencent par arranger les mots selon l'ordre dont nous parlons, & c'est ce qu'on appelle faire la construction ; après quoi on accoûtume les jeunes gens à l'élégance, par de fréquentes lectures du texte dont ils entendent alors le sens, bien mieux & avec plus de fruit que si l'on avoit commencé par le texte sans le réduire à la construction simple.

Hé ! n'est-ce pas ainsi que quand on enseigne quelqu'un des Arts libéraux, tel que la Danse, la Musique, la Peinture, l'Ecriture, &c. on mene long-tems les jeunes éleves comme par la main, on les fait passer par ce qu'il y a de plus simple & de plus facile ; on leur montre les fondemens & les principes de l'art, & on les mene ensuite sans peine à ce que l'art a de plus sublime.

Ainsi, quoi qu'en puissent dire quelques personnes peu accoûtumées à l'exactitude du raisonnement, & à remonter en tout aux vrais principes, la méthode dont je parle est extrèmement utile. Je vais en exposer ici les fondemens, & donner les connoissances nécessaires pour la pratiquer avec succès.

Du discours considéré grammaticalement, & des parties qui le composent. Le discours est un assemblage de propositions, d'énonciations, & de périodes, qui toutes doivent se rapporter à un but principal.

La proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différents rapports qu'ils ont entr'eux, énoncent un jugement ou quelque considération particuliere de l'esprit, qui regarde un objet comme tel.

Cette considération de l'esprit peut se faire en plusieurs manieres différentes, & ce sont ces différentes manieres qui ont donné lieu aux modes des verbes.

Les mots, dont l'assemblage forme un sens, sont donc ou le signe d'un jugement, ou l'expression d'un simple regard de l'esprit qui considere un objet avec telle ou telle modification : ce qu'il faut bien distinguer.

Juger, c'est penser qu'un objet est de telle ou telle façon ; c'est affirmer ou nier ; c'est décider relativement à l'état où l'on suppose que les objets sont en eux-mêmes. Nos jugemens sont donc ou affirmatifs ou négatifs. La terre tourne autour du soleil ; voilà un jugement affirmatif. Le soleil ne tourne point autour de la terre ; voilà un jugement négatif. Toutes les propositions exprimées par le mode indicatif énoncent autant de jugemens : je chante, je chantois, j'ai chanté, j'avois chanté, je chanterai ; ce sont là autant de propositions affirmatives, qui deviennent négatives par la seule addition des particules ne, non, ne pas, &c.

Ces propositions marquent un état réel de l'objet dont on juge : je veux dire que nous supposons alors que l'objet est ou qu'il a été, ou enfin qu'il sera tel que nous le disons indépendamment de notre maniere de penser.

Mais quand je dis soyez sage, ce n'est que dans mon esprit que je rapporte à vous la perception ou idée d'être sage, sans rien énoncer, au moins directement de votre état actuel ; je ne fais que dire ce que je souhaite que vous soyez : l'action de mon esprit n'a que cela pour objet, & non d'énoncer que vous êtes sage ni que vous ne l'êtes point. Il en est de même de ces autres phrases, si vous étiez sage, afin que vous soyez sage ; & même des phrases énoncées dans un sens abstrait par l'infinitif, Pierre être sage. Dans toutes ces phrases il y a toujours le signe de l'action de l'esprit qui applique, qui rapporte, qui adapte une perception ou une qualification à un objet, mais qui l'adapte, ou avec la forme de commandement, ou avec celle de condition, de souhait, de dépendance, &c. mais il n'y a point là de décision qui affirme ou qui nie relativement à l'état positif de l'objet.

Voilà une différence essentielle entre les propositions : les unes sont directement affirmatives ou négatives, & énoncent des jugemens ; les autres n'entrent dans le discours que pour y énoncer certaines vûes de l'esprit ; ainsi elles peuvent être appellées simplement énonciations.

Tous les modes du verbe, autre que l'indicatif, nous donnent de ces sortes d'énonciations, même l'infinitif, sur-tout en latin ; ce que nous expliquerons bien-tôt plus en détail. Il suffit maintenant d'observer cette premiere division générale de la proposition.

Proposition directe énoncée par le mode indicatif.

Proposition oblique ou simple énonciation exprimée par quelqu'un des autres modes du verbe.

Il ne sera pas inutile d'observer que les propositions & les énonciations sont quelquefois appellées phrases : mais phrase est un mot générique qui se dit de tout assemblage de mots liés entr'eux, soit qu'ils fassent un sens fini, ou que ce sens ne soit qu'incomplet.

Ce mot phrase se dit plus particulierement d'une façon de parler, d'un tour d'expression, entant que les mots y sont construits & assemblés d'une maniere particuliere. Par exemple, on dit est une phrase françoise ; hoc dicitur est une phrase latine : si dice est une phrase italienne : il y a long-tems est une phrase françoise ; e molto tempo est une phrase italienne : voilà autant de manieres différentes d'analyser & de rendre la pensée. Quand on veut rendre raison d'une phrase, il faut toujours la réduire à la proposition, & en achever le sens, pour démêler exactement les rapports que les mots ont entr'eux selon l'usage de la langue dont il s'agit.

Des parties de la proposition & de l'énonciation. La proposition a deux parties essentielles : 1°. le sujet : 2°. l'attribut. Il en est de même de l'énonciation.

1°. Le sujet ; c'est le mot qui marque la personne ou la chose dont on juge, ou que l'on regarde avec telle ou telle qualité ou modification.

2°. L'attribut ; ce sont les mots qui marquent ce que l'on juge du sujet, ou ce que l'on regarde comme mode du sujet.

L'attribut contient essentiellement le verbe, parce que le verbe est dit du sujet, & marque l'action de l'esprit qui considere le sujet comme étant de telle ou telle façon, comme ayant ou faisant telle ou telle chose. Observez donc que l'attribut commence toujours par le verbe.

Différentes sortes de sujets. Il y a quatre sortes de sujets : 1°. sujet simple, tant au singulier qu'au pluriel : 2°. sujet multiple : 3°. sujet complexe : 4°. sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

1°. Sujet simple, énoncé en un seul mot : le soleil est levé, le soleil est le sujet simple au singulier. Les astres brillent, les astres sont le sujet simple au pluriel.

2°. Sujet multiple, c'est lorsque pour abreger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens : la foi, l'espérance, & la charité sont trois vertus théologales ; ce qui est plus court que si l'on disoit la foi est une vertu théologale, l'espérance est une vertu théologale, la charité est une vertu théologale ; ces trois mots ; la foi, l'espérance, la charité sont le sujet multiple. Et de même, S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, &c. étoient apôtres : S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, voilà le sujet multiple ; étoient apôtres, en est l'attribut commun.

3°. Sujet complexe ; ce mot complexe vient du latin complexus, qui signifie embrassé, composé. Un sujet est complexe, lorsqu'il est accompagné de quelque adjectif ou de quelqu'autre modificatif : Alexandre vainquit Darius, Alexandre est un sujet simple ; mais si je dis Alexandre fils de Philippe, ou Alexandre roi de Macédoine, voilà un sujet complexe. Il faut bien distinguer, dans le sujet complexe, le sujet personnel ou individuel, & les mots qui le rendent sujet complexe. Dans l'exemple ci-dessus, Alexandre est le sujet personnel ; fils de Philippe ou roi de Macedoine, ce sont les mots qui n'étant point séparés d'Alexandre, rendent ce mot sujet complexe.

On peut comparer le sujet complexe à une personne habillée. Le mot qui énonce le sujet est pour ainsi dire la personne, & les mots qui rendent le sujet complexe, ce sont comme les habits de la personne. Observez que lorsque le sujet est complexe, on dit que la proposition est complexe ou composée.

L'attribut peut aussi être complexe ; si je dis qu'Alexandre vainquit Darius roi de Perse, l'attribut est complexe, ainsi la proposition est composée par rapport à l'attribut. Une proposition peut aussi être complexe par rapport au sujet & par rapport à l'attribut.

4°. La quatrieme sorte de sujet, est un sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

Il n'y a point de langue qui ait un assez grand nombre de mots, pour suffire à exprimer par un nom particulier chaque idée ou pensée qui peut nous venir dans l'esprit : alors on a recours à la périphrase ; par exemple, les Latins n'avoient point de mot pour exprimer la durée du tems pendant lequel un prince exerce son autorité : ils ne pouvoient pas dire comme nous sous le regne d'Auguste ; ils disoient alors, dans le tems qu'Auguste étoit empereur, imperante Caesare Augusto ; car regnum ne signifie que royaume.

Ce que je veux dire de cette quatrieme sorte de sujets, s'entendra mieux par des exemples. Differer de profiter de l'occasion, c'est souvent la laisser échapper sans retour. Différer de profiter de l'occasion, voilà le sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, dont on dit que c'est souvent laisser échapper l'occasion sans retour. C'est un grand art de cacher l'art : ce hoc, à savoir, cacher l'art, voilà le sujet, dont on dit que c'est un grand art. Bien vivre est un moyen sûr de désarmer la médisance : bien vivre est le sujet ; est un moyen sûr de désarmer la médisance, c'est l'attribut. Il vaut mieux être juste que d'être riche, être raisonnable que d'être savant. Il y a là quatre propositions selon l'analyse grammaticale, deux affirmatives & deux négatives, du moins en françois.

1°. Il, illud : ceci, à savoir être juste, vaut mieux que l'avantage d'être riche ne vaut. Etre juste est le sujet de la premiere proposition, qui est affirmative ; être riche est le sujet de la seconde proposition, qui est négative en françois, parce qu'on sous-entend ne vaut ; être riche ne vaut pas tant.

2°. Il en est de même de la suivante, être raisonnable vaut mieux que d'être savant : être raisonnable est le sujet dont on dit vaut mieux, & cette premiere proposition est affirmative : dans la correlative être savant ne vaut pas tant, être savant est le sujet. Majus est certeque gratius prodesse hominibus, quam opes magnas habere. (Cicér. de nat. deor. l. II. c. xxv.) Prodesse hominibus, être utile aux hommes, voilà le sujet, c'est de quoi on affirme que c'est une chose plus grande, plus loüable, & plus satisfaisante, que de posseder de grands biens. Remarquez, 1°. que dans ces sortes de sujets il n'y a point de sujet personnel que l'on puisse séparer des autres mots. C'est le sens total, qui résulte des divers rapports que les mots ont entr'eux, qui est le sujet de la proposition ; le jugement ne tombe que sur l'ensemble, & non sur aucun mot particulier de la phrase. 2°. Observez que l'on n'a recours à plusieurs mots pour énoncer un sens total, que parce qu'on ne trouve pas dans la langue un nom substantif destiné à l'exprimer. Ainsi les mots qui énoncent ce sens total suppléent à un nom qui manque : par exemple, aimer à obliger & à faire du bien, est une qualité qui marque une grande ame ; aimer à obliger & à faire du bien, voilà le sujet de la proposition. M. l'abbé de S. Pierre a mis en usage le mot de bienfaisance, qui exprime le sens d'aimer à obliger & à faire du bien : ainsi au lieu de ces mots, nous pouvons dire la bienfaisance est une qualité, &c. Si nous n'avions pas le mot de nourrice, nous dirions une femme qui donne à teter à un enfant, & qui prend soin de la premiere enfance.

Autres sortes de propositions à distinguer pour bien faire la construction.

II. Proposition absolue ou complete : proposition relative ou partielle.

1°. Lorsqu'une proposition est telle, que l'esprit n'a besoin que des mots qui y sont énoncés pour en entendre le sens, nous disons que c'est là une proposition absolue ou complete .

2°. Quand le sens d'une proposition met l'esprit dans la situation d'exiger ou de supposer le sens d'une autre proposition, nous disons que ces propositions sont relatives, & que l'une est la correlative de l'autre. Alors ces propositions sont liées entr'elles par des conjonctions ou par des termes relatifs. Les rapports mutuels que ces propositions ont alors entre elles, forment un sens total que les Logiciens appellent proposition composée ; & ces propositions qui forment le tout, sont chacune des propositions partielles.

L'assemblage de différentes propositions liées entr'elles par des conjonctions ou par d'autres termes relatifs, est appellé période par les Rhéteurs. Il ne sera pas inutile d'en dire ici ce que le grammairien en doit savoir.

De la période. La période est un assemblage de propositions liées entr'elles par des conjonctions, & qui toutes ensemble font un sens fini : ce sens fini est aussi appellé sens complet. Le sens est fini lorsque l'esprit n'a pas besoin d'autres mots pour l'intelligence complete du sens, ensorte que toutes les parties de l'analyse de la pensée sont énoncées. Je suppose qu'un lecteur entende sa langue ; qu'il soit en état de démêler ce qui est sujet & ce qui est attribut dans une proposition, & qu'il connoisse les signes qui rendent les propositions correlatives. Les autres connoissances sont étrangeres à la Grammaire.

Il y a dans une période autant de propositions qu'il y a de verbes, sur-tout à quelque mode fini ; car tout verbe employé dans une période marque ou un jugement ou un regard de l'esprit qui applique un qualificatif à un sujet. Or tout jugement suppose un sujet, puisqu'on ne peut juger qu'on ne juge de quelqu'un ou de quelque chose. Ainsi le verbe m'indique nécessairement un sujet & un attribut : par conséquent il m'indique une proposition, puisque la proposition n'est qu'un assemblage de mots qui énoncent un jugement porté sur quelque sujet. Ou bien le verbe m'indique une énonciation, puisque le verbe marque l'action de l'esprit qui adapte ou applique un qualificatif à un sujet, de quelque maniere que cette application se fasse.

J'ai dit sur-tout à quelque mode fini ; car l'infinitif est souvent pris pour un nom, je veux lire : & lors même qu'il est verbe, il forme un sens partiel avec un nom, & ce sens est exprimé par une énonciation qui est ou le sujet d'une proposition logique, ou le terme de l'action d'un verbe, ce qui est très-ordinaire en latin. Voici des exemples de l'un & de l'autre ; & premierement d'une énonciation, qui est le sujet d'une proposition logique. Ovide fait dire au noyer, qu'il est bien fâcheux pour lui de porter des fruits, nocet esse feracem ; mot à mot, être fertile est nuisible à moi, où vous voyez que ces mots, être fertile, font un sens total qui est le sujet de est nuisible, nocet. Et de même, magna ars est, non apparere artem ; mot à mot, l'art ne point paroître est un grand art : c'est un grand art de cacher l'art, de travailler de façon qu'on ne reconnoisse pas la peine que l'ouvrier a eue ; il faut qu'il semble que les choses se soient faites ainsi naturellement. Dans un autre sens cacher l'art, c'est ne pas donner lieu de se défier de quelque artifice ; ainsi l'art ne point paroître, voilà le sujet dont on dit que c'est un grand art. Te duci ad mortem, Catilina, jam pridem oportebat. (Cic. primo Catil.) mot à mot, toi être mené à la mort, est ce qu'on auroit dû faire il y a long-tems. Toi être mené à la mort, voilà le sujet : & quelques lignes après Cicéron ajoûte, interfectum te esse Catilina convenit : toi être tué Catilina convient à la république : toi être tué, voilà le sujet ; convient à la république c'est l'attribut. Hominem esse solum, non est bonum ; hominem esse solum, voilà le sujet, non est bonum, c'est l'attribut.

2°. Ce sens formé par un nom avec un infinitif, est aussi fort souvent le terme de l'action d'un verbe : cupio me esse clementem : Cic. prim. Catil. sub initio. Cupio, je desire : & quoi ? me esse clementem, moi être indulgent : où vous voyez que me esse clementem fait un sens total qui est le terme de l'action de cupio. Cupio hoc nempe, me esse clementem. Il y a en latin un très-grand nombre d'exemples de ce sens total, formé par un nom avec un infinitif ; sens qui étant équivalent à un nom, peut également être ou le sujet d'une proposition, ou le terme de l'action d'un verbe.

Ces sortes d'énonciations qui déterminent un verbe, & qui en font une application, comme quand on dit je veux être sage ; être sage, détermine je veux : ces sortes d'énonciations, dis-je, ou de déterminations ne se font pas seulement par des infinitifs, elles se font aussi quelquefois par des propositions même, comme quand on dit, je ne sai qui a fait cela ; & en latin nescio quis fecit, nescio uter, &c.

Il y a donc des propositions ou énonciations qui ne servent qu'à expliquer ou à déterminer un mot d'une proposition précédente : mais avant que de parler de ces sortes de propositions, & de quitter la période, il ne sera pas inutile de faire les observations suivantes.

Chaque phrase ou assemblage de mots qui forme un sens partiel dans une période, & qui a une certaine étendue, est appellée membre de la période, . Si le sens est énoncé en peu de mots, on l'appelle incise, , segmen, incisum. Si tous les sens particuliers qui composent la période sont ainsi énoncés en peu de mots ; c'est le style coupé : c'est ce que Cicéron appelle incisim dicere, parler par incise. C'est ainsi, comme nous l'avons déjà vû, que M. Fléchier a dit : Turenne est mort ; la victoire s'arrête ; la fortune chancelle ; tout le camp demeure immobile : voilà quatre propositions qui ne sont regardées que comme des incises, parce qu'elles sont courtes ; le style périodique employe des phrases plus longues.

Ainsi une période peut être composée, ou seulement de membres, ce qui arrive lorsque chaque membre a une certaine étendue ; ou seulement d'incises, lorsque chaque sens particulier est énoncé en peu de mots ; ou enfin une période est composée de membres & d'incises.

III. Proposition explicative, proposition déterminative. La proposition explicative est différente de la déterminative, en ce que celle qui ne sert qu'à expliquer un mot, laisse le mot dans toute sa valeur sans aucune restriction ; elle ne sert qu'à faire remarquer quelque propriété, quelque qualité de l'objet : par exemple, l'homme, qui est un animal raisonnable, devroit s'attacher à regler ses passions ; qui est un animal raisonnable, c'est une proposition explicative qui ne restreint point l'étendue du mot d'homme. L'on pourroit dire également, l'homme devroit s'attacher à regler ses passions : cette proposition explicative fait seulement remarquer en l'homme une propriété, qui est une raison qui devroit le porter à regler ses passions.

Mais si je dis, l'homme qui m'est venu voir ce matin, ou l'homme que nous venons de rencontrer, ou dont vous m'avez parlé, est fort savant ; ces trois propositions sont déterminatives ; chacune d'elles restreint la signification d'homme à un seul individu de l'espece humaine ; & je ne puis pas dire simplement l'homme est fort savant, parce que l'homme seroit pris alors dans toute son étendue, c'est-à-dire qu'il seroit dit de tous les individus de l'espece humaine. Les hommes qui sont créés pour aimer Dieu, ne doivent point s'attacher aux bagatelles ; qui sont créés pour aimer Dieu, voilà une proposition explicative, qui ne restreint point l'étendue du mot d'hommes. Les hommes qui sont complaisans se font aimer ; qui sont complaisans, c'est une proposition déterminative, qui restreint l'étendue d'hommes à ceux qui sont complaisans ; ensorte que l'attribut se font aimer n'est pas dit de tous les hommes, mais seulement de ceux qui sont complaisans.

Ces énonciations ou propositions, qui ne sont qu'explicatives ou déterminatives, sont communément liées aux mots qu'elles expliquent ou à ceux qu'elles déterminent par qui, ou par que, ou par dont, duquel, &c.

Elles sont liées par qui, lorsque ce mot est le sujet de la proposition explicative ou déterminative ; celui qui craint le seigneur, &c. les jeunes gens qui étudient, &c.

Elles sont liées par que, ce qui arrive en deux manieres.

1°. Ce mot que est souvent le terme de l'action du verbe qui suit : par exemple, le livre que je lis ; que est le terme de l'action de lire. C'est ainsi que dont, duquel, desquels, à qui, auquel, auxquels, servent aussi à lier les propositions, selon les rapports que ces pronoms relatifs ont avec les mots qui suivent.

2°. Ce mot que est encore souvent le représentatif de la proposition déterminative qui va suivre un verbe : je dis que ; que est d'abord le terme de l'action je dis, dico quod ; la proposition qui le suit est l'explication de que ; je dis que les gens de bien sont estimés. Ainsi il y a des propositions qui servent à expliquer ou à déterminer quelque mot avec lequel elles entrent ensuite dans la composition d'une période.

IV. Proposition principale, proposition incidente. Un mot n'a de rapport grammatical avec un autre mot, que dans la même proposition : il est donc essentiel de rapporter chaque mot à la proposition particuliere dont il fait partie, sur-tout quand le rapport des mots se trouve interrompu par quelque proposition incidente, ou par quelqu'incise ou sens détaché.

La proposition incidente est celle qui se trouve entre le sujet personnel & l'attribut d'une autre proposition qu'on appelle proposition principale, parce que celle-ci contient ordinairement ce que l'on veut principalement faire entendre.

Ce mot incidente vient du latin incidere, tomber dans : par exemple, Alexandre, qui étoit roi de Macédoine, vainquit Darius ; Alexandre vainquit Darius, voilà la proposition principale ; Alexandre en est le sujet ; vainquit Darius, c'est l'attribut : mais entre Alexandre & vainquit il y a une autre proposition, qui étoit le roi de Macedoine ; comme elle tombe entre le sujet & l'attribut de la proposition principale, on l'appelle proposition incidente, qui en est le sujet : ce qui rappelle l'idée d'Alexandre qui, c'est-à-dire lequel Alexandre ; étoit roi de Macédoine, c'est l'attribut. Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est toutpuissant : Deus est omnipotens, voilà la proposition principale ; quem adoramus, c'est la proposition incidente ; nos adoramus quem Deum, nous adorons lequel Dieu.

Ces propositions incidentes sont aussi des propositions explicatives ou des propositions déterminatives.

V. Proposition explicite, proposition implicite ou elliptique. Une proposition est explicite, lorsque le sujet & l'attribut y sont exprimés.

Elle est implicite, imparfaite, ou elliptique, lorsque le sujet ou le verbe ne sont pas exprimés, & que l'on se contente d'énoncer quelque mot qui, par la liaison que les idées accessoires ont entr'elles, est destiné à réveiller dans l'esprit de celui qui lit le sens de toute la proposition.

Ces propositions elliptiques sont fort en usage dans les devises & dans les proverbes : en ces occasions les mots exprimés doivent réveiller aisément l'idée des autres mots que l'ellipse supprime.

Il faut observer que les mots énoncés doivent être présentés dans la forme qu'ils le seroient si la proposition étoit explicite, ce qui est sensible en latin : par exemple, dans le proverbe dont nous avons parlé, ne sus Minervam. Minervam n'est à l'accusatif, que parce qu'il y seroit dans la proposition explicite, à laquelle ces mots doivent être rapportés ; sus non doceat Minervam, qu'un ignorant ne se mêle point de vouloir instruire Minerve. Et de même ces trois mots Deo optimo maximo, qu'on ne désigne souvent que par les lettres initiales D. O. M. font une proposition implicite dont la construction pleine est, hoc monumentum, ou thesis haec, dicatur, vovetur, consecratur Deo optimo maximo.

Sur le rideau de la comédie Italienne on lit ces mots tirés de l'art poétique d'Horace, sublato jure nocendi, le droit de nuire ôté. Les circonstances du lieu doivent faire entendre au lecteur intelligent, que celui qui a donné cette inscription a eu dessein de faire dire aux comédiens, ridemus vitia, sublato jure nocendi, nous rions ici des défauts d'autrui, sans nous permettre de blesser personne.

La devise est une représentation allégorique, dont on se sert pour faire entendre une pensée par une comparaison. La devise doit avoir un corps & une ame. Le corps de la devise, c'est l'image ou représentation ; l'ame de la devise, sont les paroles qui doivent s'entendre d'abord littéralement de l'image ou corps symbolique ; & en même tems le concours du corps & de l'ame de la devise doit porter l'esprit à l'application que l'on veut faire, c'est-à-dire à l'objet de la comparaison.

L'ame de la devise est ordinairement une proposition elliptique. Je me contenterai de ce seul exemple : on a représenté le soleil au milieu d'un cartouche, & autour du soleil on a peint d'abord les planetes ; ce qu'on a négligé de faire dans la suite : l'ame de cette devise est nec pluribus impar ; mot à mot, il n'est pas insuffisant pour plusieurs. Le roi Louis XIV. fut l'objet de cette allégorie : le dessein de l'auteur fut de faire entendre que comme le soleil peut fournir assez de lumiere pour éclairer ces différentes planetes, & qu'il a assez de force pour surmonter tous les obstacles, & produire dans la nature les différens effets que nous voyons tous les jours qu'il produit ; ainsi le Roi est doué de qualités si éminentes, qu'il seroit capable de gouverner plusieurs royaumes ; il a d'ailleurs tant de ressources & tant de forces, qu'il peut résister à ce grand nombre d'ennemis ligués contre lui & les vaincre : de sorte que la construction pleine est, sicut sol non est impar pluribus orbibus illuminandis, ita Ludovicus decimus quartus non est impar pluribus regnis regendis ; nec pluribus hostibus profligandis. Ce qui fait bien voir que lorsqu'il s'agit de construction, il faut toûjours réduire toutes les phrases & toutes les propositions à la construction pleine.

VI. Proposition considérée grammaticalement, proposition considérée logiquement. On peut considérer une proposition ou grammaticalement ou logiquement : quand on considere une proposition grammaticalement, on n'a égard qu'aux rapports réciproques qui sont entre les mots ; au lieu que dans la proposition logique, on n'a égard qu'au sens total qui résulte de l'assemblage des mots : ensorte que l'on pourroit dire que la proposition considérée grammaticalement est la proposition de l'élocution ; au lieu que la proposition considérée logiquement est celle de l'entendement, qui n'a égard qu'aux différentes parties, je veux dire aux différens points de vûe de sa pensée : il en considere une partie comme sujet, l'autre comme attribut, sans avoir égard aux mots ; ou bien il en regarde une comme cause, l'autre comme effet ; ainsi des autres manieres qui sont l'objet de la pensée : c'est ce qui va être éclairci par des exemples.

Celui qui me suit, dit Jesus-Christ, ne marche point dans les ténebres : considérons d'abord cette phrase ou cet assemblage de mots grammaticalement, c'est-à-dire selon les rapports que les mots ont entr'eux ; rapports d'où resulte le sens : je trouve que cette phrase, au lieu d'une seule proposition, en contient trois.

1°. Celui est le sujet de ne marche point dans les ténebres ; & voilà une proposition principale ; celui étant le sujet, est ce que les Grammairiens appellent le nominatif du verbe.

Ne marche point dans les ténebres, c'est l'attribut ; marche est le verbe qui est au singulier, & à la troisieme personne, parce que le sujet est au singulier, & est un nom de la troisieme personne, puisqu'il ne marque ni la personne qui parle, ni celle à qui l'on parle ; ne point est la négation, qui nie du sujet l'action de marcher dans les ténebres.

Dans les ténebres, est une modification de l'action de celui qui marche, il marche dans les ténebres ; dans est une préposition qui ne marque d'abord qu'une modification ou maniere incomplete ; c'est-à-dire que dans étant une préposition, n'indique d'abord qu'une espece, une sorte de modification ; qui doit être ensuite singularisée, appliquée, déterminée par un autre mot, qu'on appelle par cette raison le complément de la préposition : ainsi les ténebres est le complément de dans ; & alors ces mots, dans les ténebres, forment un sens particulier qui modifie marche, c'est-à-dire qui énonce une maniere particuliere de marcher.

2°. Qui me suit, ces trois mots font une proposition incidente qui détermine celui, & le restreint à ne signifier que le Disciple de Jesus-Christ, c'est-à-dire celui qui regle sa conduite & ses moeurs sur les maximes de l'Evangile : ces propositions incidentes énoncées par qui, sont équivalentes à un adjectif.

Qui est le sujet de cette proposition incidente ; me suit est l'attribut : suit est le verbe ; me est le déterminant ou terme de l'action de suit : car selon l'ordre de la pensée & des rapports, me est après suit ; mais selon l'élocution ordinaire ou construction usuelle, ces sortes de pronoms précedent le verbe. Notre langue a conservé beaucoup plus d'inversions latines qu'on ne pense.

3°. Dit Jesus-Christ, c'est une troisieme proposition qui fait une incise ou sens détaché ; c'est un adjoint : en ces occasions la construction usuelle met le sujet de la proposition après le verbe : Jesus-Christ est le sujet, & dit est l'attribut.

Considérons maintenant cette proposition à la maniere des Logiciens : commençons d'abord à en séparer l'incise dit Jesus-Christ ; il ne nous restera plus qu'une seule proposition, celui qui me suit : ces mots ne forment qu'un sens total ; qui est le sujet de la proposition logique, sujet complexe ou composé, car on ne juge de celui, qu'entant qu'il est celui qui me suit : voilà le sujet logique ou de l'entendement. C'est de ce sujet que l'on pense & que l'on dit qu'il ne marche point dans les ténebres.

Il en est de même de cette autre proposition : Alexandre, qui étoit roi de Macédoine, vainquit Darius. Examinons d'abord cette phrase grammaticalement. J'y trouve deux propositions : Alexandre vainquit Darius, voilà une proposition principale ; Alexandre en est le sujet ; vainquit Darius, c'est l'attribut. Qui étoit Roi de Macédoine, c'est une proposition incidente ; qui en est le sujet, & étoit Roi de Macédoine, l'attribut. Mais logiquement ces mots, Alexandre qui étoit roi de Macédoine, forment un sens total équivalent à Alexandre roi de Macédoine : ce sens total est le sujet complexe de la proposition ; vainquit Darius, c'est l'attribut.

Je crois qu'un Grammairien ne peut pas se dispenser de connoître ces différentes sortes de propositions, s'il veut faire la construction d'une maniere raisonnable.

Les divers noms que l'on donne aux différentes propositions, & souvent à la même, sont tirés des divers points de vûe sous lesquels on les considere : nous allons rassembler ici celles dont nous venons de parler, & que nous croyons qu'un Grammairien doit connoître.

TABLE des divers noms que l'on donne aux propositions, aux sujets, & aux attributs.

Il faut observer que les Logiciens donnent le nom de proposition composée à tout sens total qui résulte du rapport que deux propositions grammaticales ont entr'elles ; rapports qui sont marqués par la valeur des différentes conjonctions qui unissent les propositions grammaticales.

Ces propositions composées ont divers noms selon la valeur de la conjonction ou de l'adverbe conjonctif, ou du relatif qui unit les simples propositions partielles, & en fait un tout. Par exemple, ou, aut, vel, est une conjonction disjonctive ou de division. On rassemble d'abord deux objets pour donner ensuite l'alternative de l'un ou celle de l'autre. Ainsi après avoir d'abord rassemblé dans mon esprit l'idée du soleil & celle de la terre, je dis que c'est ou le soleil qui tourne, ou que c'est la terre : voilà deux propositions grammaticales relatives dont les Logiciens ne font qu'une proposition composée, qu'ils appellent proposition disjonctive.

Telles sont encore les propositions conditionnelles qui résultent du rapport de deux propositions par la conjonction conditionnelle si ou pourvû que : si vous étudiez bien, vous deviendrez savant ; voilà une proposition composée qu'on appelle conditionnelle. Ces propositions sont composées de deux propositions particulieres, dont l'une exprime une condition d'où dépend un effet que l'autre énonce. Celle où est la condition s'appelle l'antécédent, si vous étudiez bien ; celle qui énonce l'effet qui suivra la condition, est appellée le conséquent, vous deviendrez savant.

Il est estimé parce qu'il est savant & vertueux. Voilà une proposition composée que les Logiciens appellent causale, du mot parce que qui sert à exprimer la cause de l'effet que la premiere proposition énonce. Il est estimé, voilà l'effet ; & pourquoi ? parce qu'il est savant & vertueux, voilà la cause de l'estime.

La fortune peut bien ôter les richesses, mais elle ne peut pas ôter la vertu : voilà une proposition composée qu'on appelle adversative ou discrétive, du latin discretivus (Donat), qui sert à séparer, à distinguer, parce qu'elle est composée de deux propositions dont la seconde marque une distinction, une séparation, une sorte de contrariété & d'opposition, par rapport à la premiere ; & cette séparation est marquée par la conjonction adversative mais.

Il est facile de démêler ainsi les autres sortes de propositions composées ; il suffit pour cela de connoître la valeur des conjonctions qui lient les propositions particulieres, & qui par cette liaison forment un tout qu'on appelle proposition composée. On fait ensuite aisément la construction détaillée de chacune des propositions particulieres, qu'on appelle aussi partielles ou correlatives.

Je ne parle point ici des autres sortes de propositions, comme des propositions universelles, des particulieres, des singulieres, des indéfinies, des affirmatives, des négatives, des contradictoires, &c. Quoique ces connoissances soient très-utiles, j'ai crû ne devoir parler ici de la proposition, qu'autant qu'il est nécessaire de la connoître pour avoir des principes sûrs de construction.

DEUX RAPPORTS GENERAUX : entre les mots dans la construction : I. rapport d'identité : II. rapport de détermination. Tous les rapports particuliers de construction se réduisent à deux sortes de rapports généraux.

I. Rapport d'identité. C'est le fondement de l'accord de l'adjectif avec son substantif, car l'adjectif ne fait qu'énoncer ou déclarer ce que l'on dit qu'est le substantif ; ensorte que l'adjectif c'est le substantif analysé, c'est-à-dire considéré comme étant de telle ou telle façon, comme ayant telle ou telle qualité : ainsi l'adjectif ne doit pas marquer, par rapport au genre, au nombre, & au cas, des vûes qui soient différentes de celles sous lesquelles l'esprit considere le substantif.

Il en est de même entre le verbe & le sujet de la proposition, parce que le verbe énonce que l'esprit considere le sujet comme étant, ayant, ou faisant quelque chose : ainsi le verbe doit indiquer le même nombre & la même personne que le sujet indique ; & il y a des langues, tel est l'hébreu, où le verbe indique même le genre. Voilà ce que j'appelle rapport ou raison d'identité, du latin idem.

II. La seconde sorte de rapport qui regle la construction des mots, c'est le rapport de détermination.

Le service des mots dans le discours, ne consiste qu'en deux points :

1°. A énoncer une idée ; lumen, lumiere ; sol, soleil.

2°. A faire connoître le rapport qu'une idée a avec une autre idée ; ce qui se fait par les signes établis en chaque langue, pour étendre ou restreindre les idées & en faire des applications particulieres.

L'esprit conçoit une pensée tout d'un coup, par la simple intelligence, comme nous l'avons déjà remarqué ; mais quand il s'agit d'énoncer une pensée, nous sommes obligés de la diviser, de la présenter en détail par les mots, & de nous servir des signes établis, pour en marquer les divers rapports. Si je veux parler de la lumiere du soleil, je dirai en latin, lumen solis, & en françois de le soleil, & par contraction, du soleil, selon la construction usuelle : ainsi en latin, la terminaison de solis détermine lumen à ne signifier alors que la lumiere du soleil. Cette détermination se marque en françois par la préposition de, dont les Latins ont souvent fait le même usage, comme nous l'avons fait voir en parlant de l'article, templum de marmore, un temple de marbre. Virg. &c.

La détermination qui se fait en latin par la terminaison de l'accusatif, diliges Dominum Deum tuum, ou Dominum Deum tuum diliges ; cette détermination, dis-je, se marque en françois par la place ou position du mot, qui selon la construction ordinaire se met après le verbe, tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Les autres déterminations ne se font aujourd'hui en françois que par le secours des prépositions. Je dis aujourd'hui, parce qu'autrefois un nom substantif placé immédiatement après un autre nom substantif, le déterminoit de la même maniere qu'en latin ; un nom qui a la terminaison du génitif, détermine le nom auquel il se rapporte, lumen solis, liber Petri, al tens Innocent III. (Villehardouin) au tems d 'Innocent III. l'Incarnation notre Seigneur (Idem), pour l'Incarnation de notre Seigneur ; le service Deu (Id.), pour le service de Dieu ; le frere l'empereor (Baudoin, id. p. 163.) pour le frere de l'empereur : & c'est de là que l'on dit encore l'hôtel-Dieu, &c. Voyez la préface des antiquités gauloises de Borel. Ainsi nos peres ont d'abord imité l'une & l'autre maniere des Latins : premierement, en se servant en ces occasions de la préposition de ; templum de marmore, un temple de marbre : secondement, en plaçant le substantif modifiant immédiatement après le modifié ; frater imperatoris, le frere l'empereor ; domus Dei, l'hôtel-Dieu. Mais alors le latin désignoit par une terminaison particuliere l'effet du nom modifiant ; avantage qui ne se trouvoit point dans les noms françois, dont la terminaison ne varie point. On a enfin donné la préférence à la premiere maniere qui marque cette sorte de détermination par le secours de la préposition de : la gloire de Dieu.

La syntaxe d'une langue ne consiste que dans les signes de ces différentes déterminations. Quand on connoît bien l'usage & la destination de ces signes, on sait la syntaxe de la langue : j'entends la syntaxe nécessaire, car la syntaxe usuelle & élégante demande encore d'autres observations ; mais ces observations supposent toûjours celles de la syntaxe nécessaire, & ne regardent que la netteté, la vivacité, & les graces de l'élocution ; ce qui n'est pas maintenant de notre sujet.

Un mot doit être suivi d'un ou de plusieurs autres mots déterminans, toutes les fois que par lui même il ne fait qu'une partie de l'analyse d'un sens particulier ; l'esprit se trouve alors dans la nécessité d'attendre & de demander le mot déterminant, pour avoir tout le sens particulier que le premier mot ne lui annonce qu'en partie. C'est ce qui arrive à toutes les prépositions, & à tous les verbes actifs transitifs : il est allé à ; à n'énonce pas tout le sens particulier : & je demande où ? on répond, à la chasse, à Versailles, selon le sens particulier qu'on a à désigner. Alors le mot qui acheve le sens, dont la préposition n'a énoncé qu'une partie, est le complément de la préposition ; c'est-à-dire que la préposition & le mot qui la détermine, font ensemble un sens partiel, qui est ensuite adapté aux autres mots de la phrase ; ensorte que la préposition est, pour ainsi dire, un mot d'espece ou de sorte, qui doit ensuite être déterminé individuellement : par exemple, cela est dans, dans marque une sorte de maniere d'être par rapport au lieu : & si j'ajoûte dans la maison, je détermine, j'individualise, pour ainsi dire, cette maniere spécifique d'être dans.

Il en est de même des verbes actifs : quelqu'un me dit que le Roi a donné ; ces mots a donné ne font qu'une partie du sens particulier, l'esprit n'est pas satisfait, il n'est qu'ému, on attend, ou l'on demande, 1°. ce que le roi a donné, 2°. à qui il a donné. On répond, par exemple, à la premiere question, que le roi a donné un régiment : voilà l'esprit satisfait par rapport à la chose donnée ; régiment est donc à cet égard le déterminant de a donné, il détermine a donné. On demande ensuite, à qui le roi a-t-il donné ce régiment ? on répond à monsieur N. ainsi la préposition à, suivie du nom qui la détermine, fait un sens partiel qui est le déterminant de a donné par rapport à la personne, à qui. Ces deux sortes de relations sont encore plus sensibles en latin où elles sont marquées par des terminaisons particulieres. Reddite (illa) quae sunt Caesaris, Caesari : & (illa) quae sunt Dei Deo.

Voilà deux sortes de déterminations aussi nécessaires & aussi directes l'une que l'autre, chacune dans son espece. On peut, à la vérité, ajoûter d'autres circonstances à l'action, comme le tems, le motif, la maniere. Les mots qui marquent ces circonstances ne sont que des adjoints, que les mots précedens n'exigent pas nécessairement. Il faut donc bien distinguer les déterminations nécessaires d'avec celles qui n'influent en rien à l'essence de la proposition grammaticale, ensorte que sans ces adjoints on perdroit à la vérité quelques circonstances de sens ; mais la proposition n'en seroit pas moins telle proposition.

A l'occasion du rapport de détermination, il ne sera pas inutile d'observer qu'un nom substantif ne peut déterminer que trois sortes de mots : 1°. un autre nom, 2° un verbe, 3° ou enfin une préposition. Voilà les seules parties du discours qui ayent besoin d'être déterminées ; car l'adverbe ajoûte quelque circonstance de tems, de lieu, ou de maniere, ainsi il détermine lui-même l'action ou ce qu'on dit du sujet, & n'a pas besoin d'être déterminé. Les conjonctions lient les propositions ; & à l'égard de l'adjectif, il se construit avec son substantif par le rapport d'identité.

1°. Lorsqu'un nom substantif détermine un autre nom substantif, le substantif déterminant se met au génitif en latin lumen, solis ; & en françois ce rapport se marque par la préposition de surquoi il faut remarquer que lorsque le nom déterminant est un individu de l'espece qu'il détermine, on peut considérer le nom d'espece comme un adjectif, & alors on met les deux noms au même cas par rapport d'identité : urbs Roma, Roma quae est urbs ; c'est ce que les Grammairiens appellent apposition. C'est ainsi que nous disons le mont Parnasse, le fleuve Don, le cheval Pegase, &c. Mais en dépit des Grammairiens modernes, les meilleurs auteurs Latins ont aussi mis au génitif le nom de l'individu, par rapport de détermination. In oppido Antiochiae (Cic.) ; & (Virg.) celsam Butroti ascendimus urbem (Aen. l. III. v. 293) ; exemple remarquable, car urbem Butroti est à la question quo. Aussi les commentateurs qui préférent la regle de nos Grammairiens à Virgile, n'ont pas manqué de mettre dans leurs notes, ascendimus in urbem Butrotum. Pour nous qui préférons l'autorité incontestable & soutenue des auteurs Latins, aux remarques frivoles de nos Grammairiens, nous croyons que quand on dit maneo Lutetiae, il faut sousentendre in urbe.

2°. Quand un nom détermine un verbe, il faut suivre l'usage établi dans une langue pour marquer cette détermination. Un verbe doit être suivi d'autant de noms déterminans, qu'il y a de sortes d'émotions que le verbe excite nécessairement dans l'esprit. J'ai donné : quoi ? & à qui ?

3°. A l'égard de la préposition, nous venons d'en parler. Nous observerons seulement ici qu'une préposition ne détermine qu'un nom substantif, ou un mot pris substantivement ; & que quand on trouve une préposition suivie d'une autre, comme quand on dit pour du pain, par des hommes, &c. alors il y a ellipse pour quelque partie du pain, par quelques-uns des hommes.

Autres remarques pour bien faire la construction. I. Quand on veut faire la construction d'une période, on doit d'abord la lire entierement ; & s'il y a quelque mot de sousentendu, le sens doit aider à le suppléer. Ainsi l'exemple trivial des rudimens, Deus quem adoramus, est défectueux. On ne voit pas pourquoi Deus est au nominatif ; il faut dire Deus quem adoramus est omnipotens : Deus est omnipotens, voilà une proposition ; quem adoramus en est une autre.

II. Dans les propositions absolues ou complete s, il faut toûjours commencer par le sujet de la proposition, & ce sujet est toûjours ou un individu, soit réel, soit métaphysique, ou bien un sens total exprimé par plusieurs mots.

III. Mais lorsque les propositions sont relatives, & qu'elles forment des périodes, on commence par les conjonctions ou par les adverbes conjonctifs qui les rendent relatives ; par exemple, si, quand, lorsque, pendant que, &c. on met à part la conjonction ou l'adverbe conjonctif, & l'on examine ensuite chaque proposition séparément ; car il faut bien observer qu'un mot n'a aucun accident grammatical, qu'à cause de son service dans la seule proposition où il est employé.

IV. Divisez d'abord la proposition en sujet & en attribut le plus simplement qu'il sera possible ; après quoi ajoûtez au sujet personnel, ou réel, ou abstrait, chaque mot qui y a rapport, soit par la raison de l'identité, ou par la raison de la détermination ; ensuite passez à l'attribut en commençant par le verbe, & ajoûtant chaque mot qui y a rapport selon l'ordre le plus simple, & selon les déterminations que les mots se donnent successivement.

S'il y a quelque adjoint ou incise qui ajoûte à la proposition quelque circonstance de tems, de maniere, ou quelqu'autre ; après avoir fait la construction de cet incise, & après avoir connu la raison de la modification qu'il a, placez-le au commencement ou à la fin de la proposition ou de la période, selon que cela vous paroîtra plus simple & plus naturel.

Par exemple, imperante Caesare Augusto, unigenitus Dei filius Christus, in civitate David, quae vocatur Bethleem, natus est. Je cherche d'abord le sujet personnel, & je trouve Christus ; je passe à l'attribut, & je vois est natus : je dis d'abord Christus est natus. Ensuite je connois par la terminaison, que filius unigenitus se rapporte à Christus par rapport d'identité ; & je vois que Dei étant au génitif, se rapporte à filius par rapport de détermination : ce mot Dei détermine filius à signifier ici le fils unique de Dieu ; ainsi j'écris le sujet total, Christus unigenitus filius Dei.

Est natus, voilà l'attribut nécessaire. Natus est au nominatif, par rapport d'identité avec Christus ; car le verbe est marque simplement que le sujet est, & le mot natus dit ce qu'il est né ; est natus, est né, est celui qui naquit ; est natus, comme nous disons il est venu, il est allé. L'indication du tems passé est dans le participe venu, allé, natus, &c.

In civitate David, voilà un adjoint qui marque la circonstance du lieu de la naissance. In, préposition du lieu déterminée par civitate David. David, nom propre qui détermine civitate. David, ce mot se trouve quelquefois décliné à la maniere des Latins, David, Davidis ; mais ici il est employé comme nom hébreu, qui passant dans la langue latine sans en prendre les inflexions, est considéré comme indéclinable.

Cette cité de David est déterminée plus singulierement par la proposition incidente, quae vocatur Bethleem.

Il y a de plus ici un autre adjoint qui énonce une circonstance de tems, imperante Caesare Augusto. On place ces sortes d'adjoints ou au commencement ou à la fin de la proposition, selon que l'on sent que la maniere de les placer apporte ou plus de grace ou plus de clarté.

Je ne voudrois pas que l'on fâtigât les jeunes gens qui commencent, en les obligeant de faire ainsi eux-mêmes la construction, ni d'en rendre raison de la maniere que nous venons de le faire ; leur cerveau n'a pas encore assez de consistance pour ces opérations refléchies. Je voudrois seulement qu'on ne les occupât d'abord qu'à expliquer un texte suivi, construit selon ces idées ; ils commenceront ainsi à les saisir par sentiment : & lorsqu'ils seront en état de concevoir les raisons de la construction, on ne leur en apprendra point d'autres que celles dont la nature & leurs propres lumieres leur feront sentir la vérité. Rien de plus facile que de les leur faire entendre peu-à-peu sur un latin où elles sont observées, & qu'on leur a fait expliquer plusieurs fois. Il en résulte deux grands avantages ; 1°. moins de dégoût & moins de peine : 2°. leur raison se forme, leur esprit ne se gâte point, & ne s'accoûtume pas à prendre le faux pour le vrai, les ténebres pour la lumiere, ni à admettre des mots pour des choses. Quand on connoît bien les fondemens de la construction, on prend le goût de l'élégance par de fréquentes lectures des auteurs qui ont le plus de réputation.

Les principes métaphysiques de la construction sont les mêmes dans toutes les langues. Je vais en faire l'application sur une ydile de madame Deshoulieres.

Construction grammaticale & raisonnée de l'ydile de madame Deshoulieres, Les moutons.

Hélas petits moutons ; que vous êtes heureux !

Vous êtes heureux, c'est la proposition.

Hélas petits moutons, ce sont des adjoints à la proposition, c'est-à-dire que ce sont des mots qui n'entrent grammaticalement ni dans le sujet, ni dans l'attribut de la proposition.

Hélas est une interjection qui marque un sentiment de compassion : ce sentiment a ici pour objet la personne même qui parle ; elle se croit dans un état plus malheureux que la condition des moutons.

Petits moutons, ces deux mots sont une suite de l'exclamation ; ils marquent que c'est aux moutons que l'auteur adresse la parole ; il leur parle comme à des personnes raisonnables.

Moutons, c'est le substantif, c'est-à-dire le suppôt ; l'être existant, c'est le mot qui explique vous.

Petits, c'est l'adjectif ou qualificatif : c'est le mot qui marque que l'on regarde le substantif avec la qualification que ce mot exprime ; c'est le substantif même considéré fous un tel point de vûe.

Petit, n'est pas ici un adjectif qui marque directement le volume & la petitesse des moutons ; c'est plutôt un terme d'affection & de tendresse. La nature nous inspire ce sentiment pour les enfans & pour les petits des animaux, qui ont plus besoin de notre secours que les grands.

Petits moutons ; selon l'ordre de l'analyse énonciative de la pensée, il faudroit dire moutons petits, car petits suppose moutons : on ne met petits au pluriel & au masculin, que parce que moutons est au pluriel & au masculin. L'adjectif suit le nombre & le genre de son substantif, parce que l'adjectif n'est que le substantif même considéré avec telle ou telle qualification ; mais parce que ces différentes considérations de l'esprit se font intérieurement dans le même instant, & qu'elles ne sont divisées que par la nécessité de l'énonciation, la construction usuelle place au gré de l'usage certains adjectifs avant, & d'autres après leurs substantifs.

Que vous êtes heureux ! que est pris adverbialement, & vient du latin quantum, ad quantum, à quel point, combien : ainsi que modifie le verbe ; il marque une maniere d'être, & vaut autant que l'adverbe combien.

Vous, est le sujet de la proposition, c'est de vous que l'on juge. Vous, est le pronom de la seconde personne : il est ici au pluriel.

Etes heureux, c'est l'attribut ; c'est ce qu'on juge de vous.

Etes, est le verbe qui outre la valeur ou signification particuliere de marquer l'existence, fait connoître l'action de l'esprit qui attribue cette existence heureuse à vous ; & c'est par cette propriété que ce mot est verbe : on affirme que vous existez heureux.

Les autres mots ne sont que des dénominations ; mais le verbe, outre la valeur ou signification particuliere du qualificatif qu'il renferme, marque encore l'action de l'esprit qui attribue ou applique cette valeur à un sujet.

Etes : la terminaison de ce verbe marque encore le nombre, la personne, & le tems présent.

Heureux est le qualificatif, que l'esprit considere comme uni & identifié à vous, à votre existence ; c'est ce que nous appellons le rapport d'identité.

Vous paissez dans nos champs sans souci, sans allarmes.

Voici une autre proposition.

Vous en est encore le sujet simple : c'est un pronom substantif ; car c'est le nom de la seconde personne, en tant qu'elle est la personne à qui l'on adresse la parole ; comme roi, pape, sont des noms de personnes en tant qu'elles possedent ces dignités. Ensuite les circonstances font connoître de quel roi ou de quel pape on entend parler. De même ici les circonstances, les adjoints font connoître que ce vous, ce sont les moutons. C'est se faire une fausse idée des pronoms que de les prendre pour de simples vicegérens, & les regarder comme des mots mis à la place des vrais noms : si cela étoit, quand les Latins disent Cerès pour le pain, ou Bacchus pour le vin, Cerès & Bacchus seroient des pronoms.

Paissez est le verbe dans un sens neutre, c'est-à-dire que ce verbe marque ici un état de sujet ; il exprime en même tems l'action & le terme de l'action : car vous paissez est autant que vous mangez l'herbe. Si le terme de l'action étoit exprimé séparément, & qu'on dît vous paissez l'herbe naissante, le verbe seroit actif transitif.

Dans nos champs, voilà une circonstance de l'action.

Dans est une préposition qui marque en vûe de l'esprit par rapport au lieu : mais dans ne détermine pas le lieu ; c'est un de ces mots incomplets dont nous avons parlé, qui ne font qu'une partie d'un sens particulier, & qui ont besoin d'un autre mot pour former ce sens : ainsi dans est la préposition, & nos champs en est le complément. Alors ces mots dans nos champs font un sens particulier qui entre dans la composition de la proposition. Ces sortes de sens sont souvent exprimés en un seul mot, qu'on appelle adverbe.

Sans souci, voilà encore une préposition avec son complément ; c'est un sens particulier qui fait un incise. Incise vient du latin incisum, qui signifie coupé : c'est un sens détaché qui ajoûte une circonstance de plus à la proposition. Si ce sens étoit supprimé, la proposition auroit une circonstance de moins ; mais elle n'en seroit pas moins proposition.

Sans allarmes est une autre incise.

Aussitôt aimés qu'amoureux,

On ne vous force point à répandre des larmes.

Voici une nouvelle période ; elle a deux membres.

Aussitôt aimés qu'amoureux, c'est le premier membre, c'est-à-dire le premier sens partiel qui entre dans la composition de la période.

Il y a ici ellipse, c'est-à-dire que pour faire la construction pleine, il faut suppléer des mots que la construction usuelle supprime, mais dont le sens est dans l'esprit.

Aussitôt aimés qu'amoureux, c'est-à-dire comme vous êtes aimés aussitôt que vous êtes amoureux.

Comme est ici un adverbe relatif qui sert au raisonnement, & qui doit avoir un correlatif comme, c'est-à-dire, & parce que vous êtes, &c.

Vous est le sujet, êtes aimés aussitôt est l'attribut : aussitôt est un adverbe relatif de tems, dans le même tems.

Que, autre adverbe de tems ; c'est le correlatif d'aussitôt. Que appartient à la proposition suivante, que vous êtes amoureux : ce que vient du latin in quo, dans lequel, cùm.

Vous êtes amoureux, c'est la proposition correlative de la précédente.

On ne vous force point à répandre des larmes : cette proposition est la correlative du sens total des deux propositions précédentes.

On est le sujet de la proposition. On vient de homo. Nos peres disoient hom : nou y a hom sus la terre. Voy. Borel au mot hom. On se prend dans un sens indéfini, indéterminé ; une personne quelconque, un individu de votre espece.

Ne vous force point à répandre des larmes. Voilà tout l'attribut : c'est l'attribut total ; c'est ce qu'on juge de on.

Force est le verbe qui est dit de on ; c'est pour cela qu'il est au singulier & à la troisieme personne.

Ne point, ces deux mots font une négation : ainsi la proposition est négative. Voyez ce que nous avons dit de point, en parlant de l'article vers la fin.

Vous : ce mot, selon la construction usuelle, est ici avant le verbe ; mais, selon l'ordre de la construction des vûes de l'esprit, vous est après le verbe, puisqu'il est le terme ou l'objet de l'action de forcer.

Cette transposition du pronom n'est pas en usage dans toutes les langues. Les Anglois disent, I dress my self ; mot à mot, j'habille moi-même : nous disons je m'habille, selon la construction usuelle ; ce qui est une véritable inversion, que l'habitude nous fait préférer à la construction réguliere. On lit trois fois au dernier chapitre de l'évangile de S. Jean, Simon diligis me ? Simon amas me ? Pierre aimez-vous moi ? nous disons Pierre m'aimez-vous ?

La plûpart des étrangers qui viennent du Nord disent j'aime vous, j'aime lui, au lieu de dire je vous aime, je l'aime, selon notre construction usuelle.

A répandre des larmes : répandre des larmes, ces trois mots font un sens total, qui est le complément de la préposition à. Cette préposition met ce sens total en rapport avec force, forcer, à cogere ad. Virgile a dit, cogitur ire in lacrymas (Aen. l. IV. v. 413.), & vocant ad lacrymas Aen. l. XI. v. 96.

Répandre des larmes : des larmes n'est pas ici le complément immédiat de répandre ; des larmes est ici dans un sens partitif ; il y a ici ellipse d'un substantif générique : répandre une certaine quantité de les larmes ; ou, comme disent les Poëtes Latins, imbrem lacrymarum, une pluie de larmes.

Vous ne formez jamais d'inutiles desirs.

Vous, sujet de la proposition ; les autres mots sont l'attribut.

Formez, est le verbe à la seconde personne du présent de l'indicatif.

Ne, est la négation qui rend la proposition négative. Jamais, est un adverbe de tems. Jamais, en aucun tems. Ce mot vient de deux mots latins, jam, & magis.

D'inutiles desirs, c'est encore un sens partitif ; vous ne formez jamais certains desirs, quelques desirs qui soient du nombre des desirs inutiles. D'inutiles desirs : quand le substantif & l'adjectif sont ainsi le déterminant d'un verbe ou le complément d'une préposition dans un sens affirmatif, si l'adjectif précede le substantif, il tient lieu d'article, & marque la sorte ou espece, vous formez d'inutiles desirs ; on qualifie d'inutiles les desirs que vous formez. Si au contraire le substantif précede l'adjectif, on lui rend l'article ; c'est le sens individuel : vous formez des desirs inutiles ; on veut dire que les desirs particuliers ou singuliers que vous formez, sont du nombre de les desirs inutiles. Mais dans le sens négatif on diroit, vous ne formez jamais, pas, point, de desirs inutiles : c'est alors le sens spécifique ; il ne s'agit point de déterminer tels ou tels desirs singuliers ; on ne fait que marquer l'espece ou sorte de desirs que vous formez.

Dans vos tranquilles coeurs l'amour suit la nature.

La construction est, l'amour suit la nature dans vos coeurs tranquilles. L'amour est le sujet de la proposition, & par cette raison il précede le verbe ; la nature est le terme de l'action de suit, & par cette raison ce mot est après le verbe. Cette position est dans toutes les langues, selon l'ordre de l'énonciation & de l'analyse des pensées : mais lorsque cet ordre est interrompu par des transpositions, dans les langues qui ont des cas, il est indiqué par une terminaison particuliere qu'on appelle accusatif ; ensorte qu'après que toute la phrase est finie, l'esprit remet le mot à sa place.

Sans ressentir ses maux, vous avez ses plaisirs.

Construction, vous avez ses plaisirs, sans ressentir ses maux. Vous est le sujet ; les autres mots sont l'attribut.

Sans ressentir ses maux. Sans est une préposition, dont ressentir ses maux est le complément. Ressentir ses maux, est un sens particulier équivalent à un nom. Ressentir, est ici un nom verbal. Sans ressentir, est une proposition implicite, sans que vous ressentiez. Ses maux, est après l'infinitif ressentir, parce qu'il en est le déterminant ; il est le terme de l'action de ressentir.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,

Qui font tant de maux parmi nous,

Ne se rencontrent point chez vous.

Cette période est composée d'une proposition principale & d'une proposition incidente. Nous avons dit qu'une proposition qui tombe entre le sujet & l'attribut d'une autre proposition, est appellée proposition incidente, du latin incidere, tomber dans ; & que la proposition dans laquelle tombe l'incidente est appellée proposition principale, parce qu'ordinairement elle contient ce que l'on veut principalement faire entendre.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,

Ne se rencontrent point chez vous.

Voilà la proposition principale.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture ; c'est là le sujet de la proposition : cette sorte de sujet est appellé sujet multiple, parce que ce sont plusieurs individus qui ont un attribut commun. Ces individus sont ici des individus métaphysiques, des termes abstraits, à l'imitation d'objets réels.

Ne se rencontrent point chez vous, est l'attribut : or on pouvoit dire, l'ambition ne se rencontre point chez vous ; l'honneur ne se rencontre point chez vous ; l'intérêt, &c. ce qui auroit fait quatre propositions. En rassemblant les divers sujets dont on veut dire la même chose, on abrege le discours, & on le rend plus vif.

Qui font tant de maux parmi nous, c'est la proposition incidente : qui en est le sujet ; c'est le pronom relatif ; il rappelle à l'esprit l'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture, dont on vient de parler.

Font tant de maux parmi nous, c'est l'attribut de la proposition incidente.

Tant de maux, c'est le déterminant de font, c'est le terme de l'action de font.

Tant, vient de l'adjectif, tantus, a, um. Tant est pris ici substantivement ; tantum malorum, tantum malorum, une si grande quantité de maux.

De maux, est le qualificatif de tant ; c'est un des usages de la préposition de, de servir à la qualification.

Maux, est ici dans un sens spécifique, indéfini, & non dans un sens individuel : ainsi maux n'est pas précédé de l'article les.

Parmi nous, est une circonstance de lieu ; nous est le complément de la préposition parmi.

Cependant nous avons la raison pour partage,

Et vous en ignorez l'usage.

Voilà deux propositions liées entr'elles par la conjonction &.

Cependant, adverbe ou conjonction adversative, c'est-à-dire qui marque restriction ou opposition par rapport à une autre idée ou pensée. Ici cette pensée est, nous avons la raison ; cependant malgré cet avantage, les passions font tant de maux parmi nous. Ainsi cependant marque opposition, contrariété, entre avoir la raison & avoir des passions. Il y a donc ici une de ces propositions que les Logiciens appellent adversative ou discrétive.

Nous, est le sujet ; avons la raison pour partage, est l'attribut.

La raison pour partage : l'auteur pouvoit dire la raison en partage ; mais alors il y auroit eu un bâillement ou hiatus, parce que la raison finit par la voyelle nasale on, qui auroit été suivie de en. Les Poëtes ne sont pas toûjours si exacts, & redoublent l'n en ces occasions, la raison-n-en partage ; ce qui est une prononciation vicieuse : d'un autre côté, en disant pour partage, la rencontre de ces deux syllabes, pour, par, est desagréable à l'oreille.

Vous en ignorez l'usage ; vous, est le sujet ; en ignorez l'usage, est l'attribut. Ignorez, est le verbe ; l'usage, est le déterminant de ignorez ; c'est le terme de la signification d'ignorer ; c'est la chose ignorée. C'est le mot qui détermine ignorez.

En, est une sorte d'adverbe pronominal. Je dis que en est une sorte d'adverbe, parce qu'il signifie autant qu'une préposition & un nom ; en, inde ; de cela, de la raison. En est un adverbe pronominal, parce qu'il n'est employé que pour réveiller l'idée d'un autre mot, vous ignorez l'usage de la raison.

Innocens animaux, n'en soyez point jaloux.

C'est ici une énonciation à l'impératif.

Innocens animaux : ces mots ne dépendent d'aucun autre qui les précede, & sont énoncés sans articles : ils marquent en pareil cas la personne à qui l'on adresse la parole.

Soyez, est le verbe à l'impératif : ne point, c'est la négation.

En, de cela, de ce que nous avons la raison pour partage.

Jaloux, est l'adjectif ; c'est ce qu'on dit que les animaux ne doivent pas être. Ainsi, selon la pensée, jaloux se rapporte à animaux, par rapport d'identité, mais négativement, ne soyez pas jaloux.

Ce n'est pas un grand avantage.

Ce, pronom de la troisieme personne ; hoc, ce, cela, à savoir que nous avons la raison n'est pas un grand avantage.

Cette fiere raison, dont on fait tant de bruit,

Contre les passions n'est pas un sûr remede.

Voici proposition principale & proposition incidente.

Cette fiere raison n'est pas un remede sûr contre les passions, voilà la proposition principale.

Dont on fait tant de bruit, c'est la proposition incidente.

Dont, est encore un adverbe pronominal ; de laquelle, touchant laquelle. Dont vient de unde, par mutation ou transposition de lettres, dit Nicot ; nous nous en servons pour duquel, de laquelle, de qui, de quoi.

On, est le sujet de cette proposition incidente.

Fait tant de bruit, en est l'attribut. Fait, est le verbe ; tant de bruit, est le déterminant de fait : tant de bruit, tantum jactationis, tantam rem jactationis.

Un peu de vin la trouble. Un peu, peu est un substantif, parum vini, une petite quantité de vin. On dit le peu, de peu, à peu, pour peu. Peu est ordinairement suivi d'un qualificatif : de vin, est le qualificatif de peu. Un peu : un & le sont des adjectifs prépositifs qui indiquent des individus. Le & ce indiquent des individus déterminés ; au lieu que un indique un individu indéterminé : il a le même sens que quelque. Ainsi un peu est bien différent de le peu ; celui-ci précede l'individu déterminé, & l'autre l'individu indéterminé.

Un peu de vin ; ces quatre mots expriment une idée particuliere, qui est le sujet de la proposition.

La trouble, c'est l'attribut : trouble, est le verbe ; la, est le terme de l'action du verbe. La est un pronom de la troisieme personne ; c'est-à-dire que la rappelle l'idée de la personne ou de la chose dont on a parlé ; trouble la, elle, la raison.

Un enfant (l'Amour) la séduit ; c'est la même construction que dans la proposition précédente.

Et déchirer un coeur qui l'appelle à son aide.

Est tout l'effet qu'elle produit.

La construction de cette petite période mérite attention. Je dis période, grammaticalement parlant, parce que cette phrase est composée de trois propositions grammaticales ; car il y a trois verbes à l'indicatif, appelle, est, produit.

Déchirer un coeur est tout l'effet, c'est la premiere proposition grammaticale ; c'est la proposition principale.

Déchirer un coeur, c'est le sujet énoncé par plusieurs mots, qui font un sens qui pourroit être énoncé par un seul mot, si l'usage en avoit établi un. Trouble, agitation, repentir, remords, sont à-peu-près les équivalens de déchirer un coeur.

Déchirer un coeur, est donc le sujet ; & est tout l'effet, c'est l'attribut.

Qui l'appelle à son aide, c'est une proposition incidente.

Qui en est le sujet ; ce qui est le pronom relatif qui rappelle coeur.

L'appelle à son aide, c'est l'attribut de qui ; la est le terme de l'action d'appelle ; appelle elle, appelle la raison.

Qu'elle produit, elle produit lequel effet.

c'est la troisieme proposition.

Elle, est le sujet : elle est un pronom qui rappelle raison.

Produit que, c'est l'attribut d'elle : que est le terme de produit ; c'est un pronom qui rappelle effet.

Que étant le déterminant ou terme de l'action de produit, est après produit, dans l'ordre des pensées, & selon la construction simple : mais la construction usuelle l'énonce avant produit ; parce que le que étant un relatif conjonctif, il rappelle effet, & joint elle produit avec effet. Or ce qui joint doit être entre deux termes ; la relation en est plus aisément apperçûe, comme nous l'avons déjà remarqué.

Voilà trois propositions grammaticales ; mais logiquement il n'y a là qu'une seule proposition.

Et déchirer un coeur qui l'appelle à son aide : ces mots font un sens total, qui est le sujet de la proposition logique.

Est tout l'effet qu'elle produit, voilà un autre sens total qui est l'attribut ; c'est ce qu'on dit de déchirer un coeur.

Toûjours impuissante & sévere ;

Elle s'oppose à tout, & ne surmonte rien.

Il y a encore ici ellipse dans le premier membre de cette phrase. La construction pleine est : La raison est toûjours impuissante & sévere ; elle s'oppose à tout, parce qu'elle est sévere ; & elle ne surmonte rien, parce qu'elle est impuissante.

Elle s'oppose à tout ce que nous voudrions faire qui nous seroit agréable. Opposer, ponere ob, poser devant, s'opposer, opposer soi, se mettre devant comme un obstacle. Se, est le terme de l'action d'opposer. La construction usuelle le met avant son verbe, comme me, te, le, que, &c. A tout, Cicéron a dit, opponere ad.

Ne surmonte rien ; rien est ici le terme de l'action de surmonte. Rien est toûjours accompagné de la négation exprimée ou sousentendue ; rien, nullam rem.

Sur toutes riens garde ces points. Mehun au testament, où vous voyez que sur toutes riens veut dire sur toutes choses.

Sous la garde de votre chien

Vous devez beaucoup moins redouter la colere

Des loups cruels & ravissans,

Que, sous l'autorité d'une telle chimere.

Nous ne devons craindre nos sens.

Il y a ici ellipse & synthese : la synthese se fait lorsque les mots se trouvent exprimés ou arrangés selon un certain sens que l'on a dans l'esprit.

De ce que (ex eo quod, propterea quod) vous êtes sous la garde de votre chien, vous devez redouter la colere des loups cruels & ravissans beaucoup moins ; au lieu que nous, qui ne sommes que sous la garde de la raison, qui n'est qu'une chimere, nous n'en devons pas craindre nos sens beaucoup moins.

Nous n'en devons pas moins craindre nos sens, voilà la synthese ou syllepse qui attire le ne dans cette phrase.

La colere des loups. La poésie se permet cette expression ; l'image en est plus noble & plus vive : mais ce n'est pas par colere que les loups & nous nous mangeons les moutons. Phedre a dit, fauce improbâ, le gosier, l'avidité ; & la Fontaine a dit la faim.

Beaucoup moins, multo minus, c'est une expression adverbiale qui sert à la comparaison, & qui par conséquent demande un correlatif que, &c. Beaucoup moins, selon un coup moins beau, moins grand. Voyez ce que nous avons dit de BEAUCOUP en parlant de l'article.

Ne vaudroit-il pas mieux vivre, comme vous faites,

Dans une douce oisiveté ?

Voilà une proposition qui fait un sens incomplet, parce que la correlative n'est pas exprimée ; mais elle va l'être dans la période suivante, qui a le même tour.

Comme vous faites, est une proposition incidente.

Comme, adverbe ; quomodo, à la maniere que vous le faites.

Ne vaudroit-il pas mieux être, comme vous êtes,

Dans une heureuse obscurité,

Que d'avoir, sans tranquillité,

Des richesses, de la naissance,

De l'esprit & de la beauté ?

Il n'y a dans cette période que deux propositions relatives, & une incidente.

Ne vaudroit-il pas mieux être, comme vous êtes, dans une heureuse obscurité ; c'est la premiere proposition relative, avec l'incidente comme vous êtes.

Notre syntaxe marque l'interrogation en mettant les pronoms personnels après le verbe, même lorsque le nom est exprimé. Le Roi ira-t-il à Fontainebleau ! Aimez-vous la vérité ? Irai-je ?

Voici quel est le sujet de cette proposition : il, illud, ceci, à savoir. Etre dans une heureuse obscurité ; sens total énoncé par plusieurs mots équivalens à un seul ; ce sens total est le sujet de la proposition.

Ne vaudroit-il pas mieux ? voilà l'attribut avec le signe de l'interrogation. Ce ne interrogatif nous vient des Latins, Ego ne ? Térence, est-ce moi ? Adeo ne ? Térence, irai-je ? Superat ne ? Virg. Aenéid. III. vers 339. vit-il encore ? Jam ne vides ? Cic. voyez-vous ? ne voyez-vous pas ?

Que, quam, c'est la conjonction ou particule qui lie la proposition suivante, ensorte que la proposition précédente & celle qui suit sont les deux correlatives de la comparaison.

Que la chose, l'agrément d'avoir, sans tranquillité, l'abondance des richesses, l'avantage de la naissance, de l'esprit, & de la beauté ; voilà le sujet de la proposition correlative.

Ne vaut, qui est sousentendu, en est l'attribut. Ne parce qu'on a dans l'esprit, ne vaut pas tant que votre obscurité vaut.

Ces prétendus thrésors, dont on fait vanité,

Valent moins que votre indolence.

Ces prétendus thrésors valent moins, voilà une proposition grammaticale relative.

Que votre indolence ne vaut, voilà la correlative.

Votre indolence n'est pas dans le même cas ; elle ne vaut pas ce moins ; elle vaut bien davantage.

Dont on fait vanité, est une proposition incidente : on fait vanité desquels, à cause desquels : on dit faire vanité, tirer vanité de, dont, desquels. On fait vanité ; ce mot vanité entre dans la composition du verbe, & ne marque pas une telle vanité en particulier ; ainsi il n'a point d'article.

Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels.

Ils (ces thrésors, ces avantages), ils est le sujet.

Livrent nous sans cesse à, &c. c'est l'attribut.

A des soins criminels, c'est le sens partitif ; c'est-à-dire que les soins auxquels ils nous livrent sont du nombre des soins criminels ; ils en font partie : ces prétendus avantages nous livrent à certains soins, à quelques soins qui sont de la classe des soins criminels.

Sans cesse, façon de parler adverbiale, sine ulla intermissione.

Par eux plus d'un remords nous ronge.

Plus d'un remords, voilà le sujet complexe de la proposition.

Ronge nous par eux ; à l'occasion de ces thrésors, c'est l'attribut.

Plus d'un remords ; plus est ici substantif, & signifie une quantité de remords plus grande que celle d'un seul remords.

Nous voulons les rendre éternels,

Sans songer qu'eux & nous passerons comme un songe.

Nous, est le sujet de la proposition.

Voulons les rendre éternels sans songer, &c. c'est l'attribut logique.

Voulons, est un verbe actif. Quand on veut, on veut quelque chose. Les rendre éternels, rendre ces thrésors éternels : ces mots forment un sens qui est le terme de l'action de voulons ; c'est la chose que nous voulons.

Sans songer qu'eux & nous passerons comme un songe.

Sans songer : sans, préposition : songer est pris ici substantivement ; c'est le complément de la préposition sans, sans la pensée que. Sans songer peut aussi être regardé comme une proposition implicite ; sans que nous songions.

Que est ici une conjonction, qui unit à songer la chose à quoi l'on ne songe point.

Eux & nous passerons comme un songe : ces mots forment un sens total, qui exprime la chose à quoi l'on devroit songer. Ce sens total est énoncé dans la forme d'une proposition ; ce qui est fort ordinaire en toutes les langues. Je ne sai qui a fait cela, nescio quis fecit ; quis fecit est le terme ou l'objet de nescio : nescio hoc, nempe quis fecit.

Il n'est, dans ce vaste univers,

Rien d'assûré, rien de solide.

Il, illud, nempè, ceci, à savoir, rien d'assûré, rien de solide : quelque chose d'assûré, quelque chose de solide, voilà le sujet de la proposition ; n'est (pas) dans ce vaste univers, en voilà l'attribut : la négation ne rend la proposition négative.

D'assûré : ce mot est pris ici substantivement ; nihilum quidem certi. D'assûré est encore ici dans un sens qualificatif, & non dans un sens individuel, & c'est pour cela qu'il n'est précédé que de la préposition de sans article.

Des choses d'ici bas la fortune décide

Selon ses caprices divers.

La fortune, sujet simple, terme abstrait personnifié ; c'est le sujet de la proposition. Quand nous ne connoissons pas la cause d'un évenement, notre imagination vient au secours de notre esprit, qui n'aime pas à demeurer dans un état vague & indéterminé ; elle le fixe à des phantômes qu'elle réalise, & auxquels elle donne des noms, fortune, hasard, bonheur, malheur.

Décide des choses d'ici bas selon ses caprices divers, c'est l'attribut complexe.

Des choses, de les choses ; de signifie ici touchant.

D'ici bas détermine chose : ici bas est pris substantivement.

Selon ses caprices divers, est une maniere de décider : selon est la préposition ; ses caprices divers, est le complément de la préposition.

Tout l'effort de notre prudence

Ne peut nous dérober au moindre de ses coups.

Tout l'effort de notre prudence, voilà le sujet complexe ; de notre prudence détermine l'effort, & le rend sujet complexe. L'effort de est un individu métaphysique & par imitation, comme un tel homme ne peut, de même tout l'effort ne peut.

Ne peut dérober nous : & selon la construction usuelle, nous dérober.

Au moindre, à le moindre ; à est la préposition ; le moindre est le complément de la préposition.

Au moindre de ses coups, au moindre coup de ses coups ; de ses coups est dans le sens partitif.

Paissez, moutons, paissez, sans regle & sans science ;

Malgré la trompeuse apparence,

Vous êtes plus heureux & plus sages que nous.

La trompeuse apparence, est ici un individu métaphysique personnifié.

Malgré : ce mot est composé de l'adjectif mauvais, & du substantif gré, qui se prend pour volonté, goût. Avec le mauvais gré de, en retranchant le de, à la maniere de nos peres qui supprimoient souvent cette préposition, comme nous l'avons observé en parlant du rapport de détermination. Les anciens disoient maugré, puis on a dit malgré ; malgré moi, avec le mauvais gré de moi, cum meâ malâ gratiâ, me invito. Aujourd'hui on fait de malgré une préposition : malgré la trompeuse apparence, qui ne cherche qu'à en imposer & à nous en faire accroire, vous êtes au fond & dans la réalité plus heureux & plus sages que nous ne le sommes.

Tel est le détail de la construction des mots de cette idylle. Il n'y a point d'ouvrage, en quelque langue que ce puisse être, qu'on ne pût réduire aux principes que je viens d'exposer, pourvû que l'on connût les signes des rapports des mots en cette langue, & ce qu'il y a d'arbitraire qui la distingue des autres.

Au reste, si les observations que j'ai faites paroissent trop métaphysiques à quelques personnes, peu accoûtumées peut-être à réfléchir sur ce qui se passe en elles-mêmes ; je les prie de considérer qu'on ne sauroit traiter raisonnablement de ce qui concerne les mots, que ce ne soit relativement à la forme que l'on donne à la pensée & à l'analyse que l'on est obligé d'en faire par la nécessité de l'élocution, c'est-à-dire pour la faire passer dans l'esprit des autres ; & dès-lors on se trouve dans le pays de la Métaphysique. Je n'ai donc pas été chercher de la métaphysique pour en amener dans une contrée étrangere, je n'ai fait que montrer ce qui est dans l'esprit relativement au discours & à la nécessité de l'élocution. C'est ainsi que l'anatomiste montre les parties du corps humain, sans y en ajoûter de nouvelles. Tout ce qu'on dit des mots, qui n'a pas une relation directe avec la pensée ou avec la forme de la pensée ; tout cela, dis-je, n'excite aucune idée nette dans l'esprit. On doit connoître la raison des regles de l'élocution, c'est-à-dire de l'art de parler & d'écrire, afin d'éviter les fautes de construction, & pour acquérir l'habitude de s'énoncer avec une exactitude raisonnable, qui ne contraigne point le génie.

Il est vrai que l'imagination auroit été plus agréablement amusée par quelques réflexions sur la simplicité & la vérité des images, aussi bien que sur les expressions fines & naïves par lesquelles cette illustre dame peint si bien le sentiment.

Mais comme la construction simple & nécessaire est la base & le fondement de toute construction usuelle & élégante ; que les pensées les plus sublimes aussi-bien que les plus simples perdent leur prix, quand elles sont énoncées par des phrases irrégulieres ; & que d'ailleurs le public est moins riche en observations sur cette construction fondamentale : j'ai cru qu'après avoir tâché d'en développer les véritables principes, il ne seroit pas inutile d'en faire l'application sur un ouvrage aussi connu & aussi généralement estimé, que l'est l'idylle des moutons de madame Deshoulieres. (F)

CONSTRUCTION, s. f. (Géométrie) Ce mot exprime, en Géométrie, les opérations qu'il faut faire pour exécuter la solution d'un problème. Il se dit aussi des lignes qu'on tire, soit pour parvenir à la solution d'un problème, soit pour démontrer quelque proposition. Voyez PROBLEME, &c.

La construction d'une équation, est la méthode d'en trouver les racines par des opérations faites avec la regle & le compas, ou en général par la description de quelque courbe. Voyez ÉQUATION & RACINE. Nous allons donner d'abord la construction des équations du premier & du second degré.

Pour construire une équation du premier degré, il n'y a autre chose à faire que de réduire à une proportion la fraction qui exprime la valeur de l'inconnue, ce qui s'entendra très-facilement par les exemples suivans.

1°. Supposons qu'on ait x = (a b)/c on en tirera c : a = b : x ; ainsi x sera facile à avoir par la méthode de trouver une quatrieme proportionnelle.

2°. Qu'on ait x = (a b c)/(e d) : on commencera par construire (a b)/d à l'aide de la proportion d : a = b : (a b)/d. Ayant trouvé (a b)/d & l'ayant nommé g pour abreger, on fera la proportion e : g = c : x, c'est-à-dire, que l'on aura x par la quatrieme proportionnelle à c, g, e.

3°. Que l'on ait x = (a a - b b)/c : comme a a - b b est le produit de a - b par a + b, on n'aura autre chose à faire qu'à construire la proportion c : a - b = a + b : x.

4°. Que x = (a2 b - b c2)/ (a d) ; par le premier cas on trouve une ligne g = (a b)/d = (a2 b)/(a d), & une ligne h = (b c)/d. De plus, par le même cas on construit aussi une ligne i = (h c)/a ; donc x qui est alors = g - i, sera la différence des deux lignes g & i construites par ces proportions.

5°. Que x = (a2 b + b c d)/(a f + c g) ; on cherchera d'abord (c g)/a & on fera h = f + (c g)/a, ce qui donnera a h = a f + c g, & par conséquent x = (a2 b + b c d)/(a h) : ainsi la difficulté sera réduite au cas précédent.

6°. Que x = (a2 b - b a d)/(a f + b c) : on cherchera (a f)/b & on fera (a f)/b + c = h, ce qui donnera a f + b c = b h, & par conséquent x = (a2 b - b a d)/(a f + b c) = (a2 - a d)/h, d'où l'on tirera h : a = a - d : x.

7°. Si x = (a2 + b b)/c : on construira le triangle rectangle A B C (Planc. Algebre, fig. 1.) dont le côté A B soit a, B C, b & l'hypothenuse sera alors : faisant A C = m on aura x = (m m)/c, & par conséquent c : m = m : x.

8°. Si x = (a2 - b2)/ c, sur A B = a (fig. 2.) on décrira un demi cercle, & l'on prendra A C = b, ce qui donnera B C = ; faisant donc C B = m, on aura x = (m m)/c, c'est-à-dire c : m = m : x.

9°. Si x = (a2 b + b c d)/(a f + b c), on cherchera (f a)/b & l'on fera h = (f a)/b + c, ce qui donnera b c + a f = b h, & par conséquent x = (a2 b + b c d)/(b h) = (a 2 + c d)/h. Trouvant alors entre A C = c (fig. 3.) & C B = d la moyenne proportionnelle C D = & faisant C E = a, on aura D E = , qui étant nommée m, donnera x = (m m)/h : & partant h : m = m : x.

Il est à remarquer que les constructions que nous venons de donner des trois derniers exemples, ne sont que pour plus d'élégance & de simplicité ; car on pourroit les construire, & on en a déjà construit plusieurs autrement ci-dessus, n°. 3 & 5.

La construction des équations du second degré, lorsque l'inconnue est délivrée, ne demande pas d'autres regles que celles qu'on vient de donner. Qu'on ait, par exemple, x2 = a b, on en tirera x = a b que l'on construit en trouvant la moyenne proportionnelle D C entre A C = a & B C = b.

Si l'équation a un second terme comme x x + a x = ± b b, qui donne x = - 1/2 a ± <1/4aa+bbRacine>, toute la difficulté consistera à construire ou . Pour le premier cas on fera comme dans les constructions précédentes, (fig. 1.) A B = 1/2 a & B C = b, ce qui donnera A C = . Dans le second on fera (figure 2.) A C = b & A B = 1/2 a, ce qui donnera C B = .

Les équations du troisieme degré peuvent se construire, 1°. par l'intersection d'une ligne droite & d'un lieu du troisieme degré. Par exemple, soit x3 + a x2 - b b x + c3 = 0 ; on construira le lieu ou la courbe E M B C F (fig. 4 Algebr.) dont l'équation soit x3 + a x2 - b b x + c3 = y, en prenant les variables A P pour x & P M pour y ; & les points B, C, D, où cette courbe rencontrera son axe, donneront les racines A B, A C, A D, de l'équation ; car dans ces points y est = 0, puisque y exprime en général la distance P M de chaque point M de la courbe à son axe A D : par conséquent on a x3 + a x2 - b b x + c3 = 0 ; 1°. lorsque x est = A B : 2°. lorsque x = A C : 3°. lorsque x = A D. Donc les valeurs de l'inconnue x, propres à rendre x3 + a x x - b b x + c3 = 0 sont A B, A C, A D. Les racines de l'équation seront positives ou négatives, selon que les points B, C, D, tomberont d'un côté ou de l'autre par rapport à A, & si la courbe ne coupoit pas son axe en trois points, ce seroit une marque qu'il y auroit des racines imaginaires.

Je rapporte ici cette méthode de construire les équations du troisieme degré, parce qu'elle peut s'appliquer généralement aux degrés plus élevés à l'infini, & qu'elle est peut-être aussi commode & aussi simple qu'aucune autre. Ainsi en général l'équation xn + a x(n - 1) + b b x(n - 2) + &c. + en = 0 peut se construire par la courbe dont l'équation seroit xn + a x(n - 1) + b b x(n - 2) + &c. + en = y, dont les intersections avec son axe donneront les racines de l'équation. Ces sortes de courbes où l'indéterminé y ne monte qu'à un degré, s'appellent courbes de genre parabolique. Et je dois remarquer ici que M. l'abbé de Gua s'est servi avec beaucoup de sagacité de la considération de ces sortes de courbes, pour découvrir & démontrer de fort beaux théorèmes sur les racines des équations. Voyez RACINE ; voyez aussi les Mémoires de l'Acad. des Scienc. de Paris, de 1741, & l'article COURBE.

Mais en général la méthode de résoudre les équations du troisieme & du quatriéme degré consiste à y employer deux sections coniques, & ces deux sections coniques doivent être les plus simples qu'il se puisse ; c'est pourquoi on construit toutes ces équations par le moyen du cercle & de la parabole. Voici une légere idée de cette méthode. Soit proposé de construire x3 = b b c : on suppose d'abord x4 = b b c x en multipliant le tout par x ; ensuite on suppose x x = b y, qui est l'équation d'une parabole, & on a par la substitution x4 = b b y y = b b c x, & y y = c x, qui est l'équation d'une parabole. Ainsi on pourroit resoudre le problême en construisant les deux paraboles B A C, D A, (fig. 5.), qui ont pour équation y y = c x & x x = b y ; le point d'intersection C de ces paraboles donneroit la valeur O C de l'inconnue x. Car l'inconnue x doit être telle que x x = b y & que y y = c x : or nommant en général A P, x, P, R, y, ou A, S, y, S, R, x ; il n'y a que le seul point C où l'on ait à la fois x x = b y & y y = c x. Mais comme le cercle est plus facile à construire que la parabole, au lieu d'employer deux paraboles on n'en emploie qu'une ; par exemple, celle qui a pour équation x x = b y, & on combine ensemble les deux équations x x = b y & y y = c x de maniere qu'elles donnent une équation au cercle, ce qui se fait en ajoûtant une de ces équations à l'autre ou en l'en retranchant, comme on le peut voir expliqué plus au long dans l'application de l'Algebre à la Géométrie de M. Guisnée, & dans le neuvieme livre des sections coniques de M. le marquis de l'Hôpital. Par exemple, dans le cas dont il s'agit ici, on aura c x - x x = y y - b y qui est une équation au cercle ; & si on construit ce cercle, ses points d'intersection avec la parabole qui a pour équation x x = b y donneront les racines de l'équation.

On voit par-là que pour construire une équation du troisieme degré, il faut d'abord en la multipliant par x la changer en une du quatrieme : on peut en ce cas la regarder comme une équation du quatrieme degré, dont une des racines seroit = 0. Car, soient x = a, x = b, x = c, les racines d'une équation du troisiéme degré, x3 + p x x + q x + r = 0, si on multiplie cette équation par x, on aura x4 + p x3 + q x x + r x, dont les racines seront x = 0, x = a, x = b, x = c. Aussi lorsque l'équation est du troisieme degré, l'équation au cercle qu'on en déduit n'a point de terme constant ; d'où il s'ensuit qu'en faisant dans cette équation y = 0, x est aussi = 0 ; V. COURBE & EQUATION ; & comme dans l'équation à la parabole x x = b y, y = 0 rend aussi x = 0, on voit que quand l'équation est du troisieme degré, le cercle & la parabole se coupent dans le point qui est l'origine des x & de y, & c'est cette intersection qui donne la racine x = 0 ; les trois autres intersections donnent les trois racines. C'est ainsi qu'en Géométrie tout s'accorde & se rapproche.

Les équations des degrés plus composés se construisent de même par l'intersection de courbes plus élevées ; par exemple, un lieu du sixieme degré par l'intersection de deux courbes du troisieme, qu'il faut toûjours choisir de maniere que leur équation soit la plus simple qu'il se puisse, selon plusieurs auteurs : cependant selon d'autres, cette regle ne doit pas être suivie à la rigueur, parce qu'il arrive souvent qu'une courbe dont l'équation est composée, est plus facile à décrire qu'une courbe dont l'équation est fort simple. Voyez sur cela l'article COURBE, ainsi que sur la construction des équations différentielles. (O)

CONSTRUCTION, terme d'Architecture, est l'art de bâtir par rapport à la matiere. Ce mot signifie aussi l'ouvrage bâti. Voyez ARCHITECTURE, MAÇONNERIE, CHARPENTERIE, MENUISERIE, &c.

Construction de pieces de trait, est le développement des lignes rallongées du plan par rapport aux profils d'une piece de trait. (P)

CONSTRUCTION, en terme de Marine, signifie l'art de bâtir des vaisseaux. L'on a plusieurs ouvrages qui développent les principes généraux de la construction, & qui donnent des méthodes particulieres pour construire différentes sortes de bâtimens. Les plus détaillés sont

1°. L'architecture navale du sieur Dassié, imprimée à Paris en 1695. 2°. L'art de bâtir des vaisseaux. 3°. Le traité du navire, de sa construction, & de ses mouvemens, par M. Bouguer, de l'académie des Sciences, Paris 1746 ; ouvrage profond, & qu'il seroit à souhaiter que tous les constructeurs étudiassent & entendissent bien 4°. Elémens de l'Architecture navale, ou traité pratique de la construction des vaisseaux par M. Duhamel, de la même académ. Paris 1752 : celui-ci dépouillé d'algebre & de démonstrations, se renferme dans la pratique, & offre des méthodes si simples & si claires, qu'il peut mettre en état quiconque le posséderoit bien, de dresser les plans de toutes sortes de bâtiments, & de régler les proportions les plus avantageuses pour toutes les parties qui entrent dans leurs constructions. Ainsi c'est à ces deux excellens ouvrages que nous renvoyons, dont nous emprunterons cependant le plus qu'il nous sera possible pour former le détail de cet article, & de beaucoup d'autres répandus dans ce Dictionnaire.

Le premier objet qui se présente dans la construction des vaisseaux, c'est la grandeur & la proportion qu'on veut donner au bâtiment ; & c'est ce qui a été reglé par l'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de Marine, du 15 Avril 1689. liv. XIII. tit. ij. art. 1. " Les vaisseaux du premier rang auront 163 piés de longueur de l'étrave à l'étambord par-dehors, 44 piés de largeur en-dehors les membres, & 20 piés 4 pouces de creux à prendre sur la quille au-dessus des bouts du banc en droite ligne. Article 2. Il y aura deux différentes grandeurs de vaisseaux parmi ceux du second & du troisieme rang, qui seront distingués par premier & second ordre. Article 3. Les vaisseaux du second rang premier ordre auront 150 piés de longueur, 41 piés six pouces de largeur, & 19 piés de creux. Article 4. Ceux du second rang second ordre auront 146 piés de longueur, 40 de largeur, & 18 piés 3 pouces de creux. Art. 5. Les vaisseaux du troisieme rang premier ordre auront 140 piés de longueur, 38 de largeur, & 17 piés six pouces de creux. Article 6. Ceux du troisieme rang second ordre auront 136 piés de longueur, 37 de largeur, & 16 piés 6 pouces de creux. Article 7. Les vaisseaux de quatrieme rang 120 piés de longueur, 32 & 1/2 de largeur, & 14 & 1/2 de creux. Article 8. Et ceux du cinquieme rang 110 piés de longueur, 27 & 1/2 de largeur, & 14 de creux.

Il est bon de remarquer que ces proportions sont très-différentes de celles que l'on suit aujourd'hui ; l'expérience ayant fait connoître qu'il étoit nécessaire de s'en écarter. Ainsi pour déterminer la longueur d'un vaisseau, il faut fixer combien il y a de sabords à la premiere batterie, quelle largeur doivent avoir ces sabords ; combien de distance on peut donner de l'un à l'autre, à quoi on ajoûte deux distances ou deux distances & demie d'entre les sabords pour l'avant, à compter du premier sabord de l'avant au-dehors de l'étrave ; & une distance & demie pour l'arriere, à compter du dernier sabord de l'arriere dans la sainte-barbe, au-dehors de l'étambord. On additionne ensuite toutes ces sommes, & le produit donne la longueur du vaisseau de l'étrave à l'étambord. Ainsi le nombre de canons dont on veut qu'un vaisseau soit monté, & la grosseur de leur calibre, décide de son rang & de sa longueur. Un vaisseau du premier rang de 112 canons (voyez au mot RANG) sera percé à la premiere batterie de 15 sabords pour des canons de 48 ou 36 livres de balle ; à la deuxieme, de 16 pour des canons de 24, à la troisieme de 15 sabords, pour des canons de 12 livres de balle, sur le gaillard d'arriere, 5 canons de 8 livres de balles ; sur le château d'avant, 3 de 8 livres ; & sur la dunette, 2 de 4 livres.

La largeur des sabords se fixe suivant la grosseur des canons. Pour des canons du calibre de 48, la largeur des sabords sera de 3 piés 2 pouces. Pour du 36, 3 piés ou 3 piés 1 pouce. Pour du 24, 2 piés 9 à 10 pouces. Pour du 18, 2 piés 7 à 8 pouces. Pour du 12, 2 piés 5 à 6 pouces. Pour du 8, 2 piés 2 à 3 pouces. Pour du 6, 1 pié 10 pouces ou 2 piés. Pour du 4, 1 pié 8 à 9 pouces. La largeur des sabords fixée, reste à donner leur distance, qui pour les canons de 36, peut être de 7 piés 6 à 7 pouces. Pour ceux de 24, 7 piés 4 à 5 pouces. Pour ceux de 18, 7 piés 3 à 4 pouces. Pour les canons de 12, 7 piés 2 à 3 pouces ; & pour ceux de 8 & de 6, 7 piés. Il est bon d'observer que la distance que l'on vient de donner entre les sabords pour les canons de 12, de 8, & de 6, ne convient que pour les frégates à deux ponts, & qu'elle seroit trop grande pour celles qui n'auroient qu'un pont, pour lesquelles il suffiroit de mettre 6 piés 1 pouce pour les canons de 12, six piés pour ceux de 8, & 5 piés pour ceux de 6 ; cependant toutes ces mesures peuvent varier, & les divers constructeurs ont différentes méthodes qui réussissent fort bien.

Après ce qu'on vient de dire sur la largeur des sabords & leurs distances, il est aisé de décider la longueur du vaisseau, de la rablûre de l'étambord à la rablûre de l'étrave : il faut additionner la distance du dernier sabord de l'avant à la rablûre de l'étrave ; celle du dernier sabord de l'arriere à la rablûre de l'étambord, avec la largeur de tous les sabords de la premiere batterie, & toutes les distances qui doivent être entre chaque sabord. Le produit de ces sommes donnera la longueur du vaisseau de rablûre en rablûre. Ainsi un vaisseau de 74 canons, auroit 14 sabords à sa premiere batterie, & 166 piés de longueur ; & un vaisseau de 64 auroit 13 sabords & 151 piés de longueur. Ces deux exemples suffisent.

La longueur que l'on veut donner au vaisseau que l'on projette étant décidée, il faut en fixer la plus grande largeur au maître-bau ; ce qui varie encore suivant les différentes méthodes, dont nous allons rapporter quelques exemples.

Il y a des constructeurs qui pour la plus grande largeur des vaisseaux, prennent entre le tiers & le quart de leur longueur ; c'est-à-dire que si un vaisseau a 168 piés de longueur, on divise cette somme par 3, ce qui fait 56. On divise ensuite la même somme de 168 par 4, ce qui fait 42. Enfin on ajoûte 56 piés avec 42, dont on prend la moitié, & l'on a 49 piés pour la largeur d'un vaisseau de 168 piés de longueur.

Quelques constructeurs ayant trouvé cette largeur trop grande pour les vaisseaux du premier rang, soustrayent un douzieme de la longueur totale 168, pour la queste & l'élancement ; il reste 154 piés, surquoi ils operent comme nous venons de le dire ; & la largeur alors est de 44 piés 11 pouces, plus petite de 4 piés 1 pouce que la précédente.

D'autres donnent de largeur aux vaisseaux du premier rang 3 pouces 3 lignes par piés de la longueur : par cette méthode le vaisseau de 168 piés de long auroit 45 piés 6 pouces de large.

Il y en a qui pour les vaisseaux du premier & du second rang, prennent un tiers de la longueur dont ils soustrayent une sixieme partie, & le restant est leur largeur : ainsi un vaisseau de 168 piés de longueur, a 46 piés 8 pouces de largeur.

Pour les vaisseaux du troisieme & du quatrieme rang, ils prennent 3 pouces 3 lignes par piés de la longueur.

A l'égard des frégates qu'on veut faire fines voilieres, on leur donne seulement pour largeur un quart de leur longueur.

Enfin il y a des constructeurs qui pour avoir la largeur des vaisseaux de 76 canons & au-dessus, prennent 3 pouces 4 lignes 9 points par piés de la longueur ; & suivant cette regle, un vaisseau de 168 piés auroit 47 piés 6 pouces 7 lignes de largeur.

Pour les vaisseaux de 74 canons, ils prennent 3 pouces 4 lignes par pié de la longueur.

Pour un vaisseau de 62 canons, 3 pouces 3 lignes 5 points.

Pour un vaisseau de 56 canons, 3 pouces 3 lignes & demie.

Pour un vaisseau de 50 canons, 3 pouces 3 lignes.

Pour un vaisseau de 46 canons, 3 pouces 2 lignes 9 points.

Pour une frégate de 32 canons, 3 pouces 2 lignes 6 points.

Pour une frégate de 28 canons, 3 pouces 2 lignes 5 points.

Pour une frégate de 22 canons, 3 pouces 2 lignes 2 points.

Pour une frégate de 16 canons, 3 pouces 2 lignes.

Pour une corvette de 12 canons, 3 pouces 6 lignes

Suivant ce que nous venons de dire, les constructeurs ont beaucoup varié sur la maniere d'établir la largeur des vaisseaux, qui se trouve assez différente quand on les compare à la longueur.

Il nous reste encore à parler du creux. Le creux est la distance qu'il y a entre le dessus de la quille & le dessus du bau du premier pont, non compris le bouge de ce pont. Anciennement la plûpart des constructeurs faisoient le creux au maître-gabari, égal à la huitieme partie de la longueur du vaisseau. Suivant cette regle, un vaisseau du premier rang qui avoit 168 piés de longueur, auroit eu 21 piés de creux ; mais comme on s'est apperçu que ce creux n'étoit pas suffisant, on y a ajoûté un pié pour donner plus d'élévation à la batterie, & plus de capacité au fond de cale : sur ce pié un vaisseau de 168 piés de longueur, auroit 22 piés de creux. Cette regle n'est pas bonne, car le creux seroit d'autant plus grand, que le vaisseau seroit plus long ; au lieu que le creux doit diminuer à proportion qu'on allonge le vaisseau.

Dans la plûpart des vaisseaux, le creux au milieu est égal à la moitié de la largeur : ainsi si la largeur du vaisseau qui nous vient de servir d'exemple étoit de 47 piés, le creux seroit de 23 piés & demi à un tel vaisseau ; mais ceux-là font leur varangue plate. Cette regle ne doit pas être générale pour tous les bâtimens ; car un vaisseau qui a peu de largeur, aura immanquablement sa batterie noyée, si on n'augmente pas beaucoup le creux.

Aussi les constructeurs qui donnent au creux la moitié de la largeur du vaisseau, ne suivent exactement cette regle que pour les vaisseaux depuis 46 canons jusqu'au-dessus ; mais pour une frégate de 28 ou de 32 canons, ils prennent pour le creux 5 pouces 8 lignes par pié de la largeur : ainsi on donneroit au vaisseau qui auroit 29 piés de largeur, 13 piés 8 pouces 4 lignes de creux. Pour une frégate de 22, de 16, & de 12 canons, ils prennent 6 pouces 6 lignes par pié de la largeur.

Ces trois dimensions du vaisseau (longueur, largeur, & creux,) étant reglées, il s'agit de fixer les proportions des différentes pieces qui entrent dans la construction. On en trouve une table extrèmement étendue dans le traité de construction pratique que nous avons cité ci-dessus, auquel nous renvoyons ceux qui veulent faire une étude particuliere de la construction ; & nous nous contentons de donner ici le devis d'un vaisseau où les proportions des membres & des principales parties sont fixées, avec l'ordre dans lequel on les travaille & l'on les met en place.

Devis d'un vaisseau du premier rang de 155 piés de long. Cette longueur est prise de l'étrave à l'étambord. Le vaisseau a 36 piés de bau ou de largeur de dedans en-dedans, prise sous le maître-bau, & 12 piés de creux au premier pont, 17 au second pont, 24 au troisieme pont, & 3 piés 6 pouces de vibord.

La quille est de trois pieces ; les écarts en sont de 10 piés de long, & à leurs bouts de 4 pouces d'épaisseur : ils sont assemblés chacun par 25 gournables, qui sont une sorte de chevilles à qui l'on donne 1 pouce de diametre par chaque 100 piés que le vaisseau a de longueur.

L'étrave mesurée en-dehors sur sa rondeur, est de 37 piés 2 pouces de long ; & à l'équerre dans l'angle en-dedans, 27 piés 9 pouces : elle a de ligne courbe 7 piés ; d'épaisseur en-dehors 1 pié 5 pouces, en-dedans 1 pié 3 pouces ; de largeur par le bas 3 piés 9 pouces, par le milieu 2 piés 8 pouces, par le haut 3 piés 5 pouces ; de queste 22 piés.

L'étambord a 28 piés 3 pouces à l'équerre : il a d'épaisseur en-dedans 1 pié 6 pouces, d'épaisseur en-dehors par le haut 1 pié 1 pouce, & par le bas 10 pouces ; sa rablure est de 7 piés : il a de courbure en-dedans 1 pié 2 pouces, & de queste 3 piés 6 pouces.

La lisse de hourdi, ou grande barre d'arcasse, a 25 piés 6 pouces de longueur par derriere ; de largeur 2 piés ; d'épaisseur par son milieu 1 pié 7 pouces ; par ses bouts 1 pié 5 pouces ; de tonture un pié.

Les estains mesurés depuis leurs bouts du bas en-dehors de la lisse de hourdi jusqu'à leurs bouts du haut, ont 14 piés 9 pouces ; 1 pié 1 pouce d'épaisseur, 2 piés 3 pouces de largeur par leur milieu, & 2 piés par leurs bouts, & 3 pouces de rondeur par derriere.

Les contre-lisses, ou barres de contre-arcasse, ont d'épaisseur sur l'étambord 1 pié 1 pouce, & de haut en bas 1 pié 2 pouces : la plus haute est posée à 2 piés 2 pouces du dessous de la lisse de hourdi ; les sabords sont à 2 piés de l'étambord, & ont 2 piés 4 pouces de largeur, les courbes d'arcasse ont 8 pouces d'épaisseur ; les cornieres ou allonges de poupe montent jusqu'à 27 piés 6 pouces au-dessus de la lisse de hourdi, & il y a 3 piés 3 pouces de distance entr'elles par le haut.

Des deux grands gabarits, le premier en venant de l'avant, est posé à 36 piés du dernier écart de l'étrave : il a dans les fleurs 3 piés 2 pouces à l'équerre ; à demi-pié de hauteur du plafond, il a 30 piés de largeur ; & à hauteur de 17 piés, il a 36 piés aussi de largeur ; l'autre grand gabarit est à 10 piés de celui-ci vers l'arriere, & entr'eux il y a six varangues dont chacune a 10 pouces de largeur, & elles sont posées à 7 pouces l'une de l'autre.

Le devant du premier gabarit de l'avant est à 8 pouces du dernier écart de l'étrave : il a 28 piés de longueur jusqu'à la baloire en-dessus, à mesurer de la droite ligne de la baloire par la ligne perpendiculaire sur la trace du milieu de la quille ; de sorte qu'il a 7 piés 8 pouces de tonture, & 35 piés 5 pouces de large entre les baloires des deux côtés.

Le dernier gabarit de l'arriere est posé à 18 piés 6 pouces du talon de la quille ; sa longueur, aussi prise du dessus de la baloire par sa ligne directe sur la perpendiculaire, tombant sur la trace ou le milieu de la quille, est de 38 piés six pouces ; de maniere qu'il y a 5 piés 3 pouces de tonture, & 31 piés 9 pouces entre les baloires des deux côtés.

Les baloires, mesures prises dans l'avant, à la ligne ou raie du milieu, à 6 piés de l'étrave en-dedans, viennent à 6 piés 6 pouces de hauteur ; & mesurées à 12 piés de l'étrave, elles sont à 11 piés 8 pouces de hauteur ; à 18 piés de l'étrave, elles sont à 15 piés 7 pouces ; à 24 piés de l'étrave, elles sont à 17 piés 4 pouces ; à 30 piés de l'étrave, elles sont à 17 piés 10 pouces ; à l'avant elles sont à 1 pié 8 pouces au-dessus du creux du vaisseau, & à l'arriere à 12 piés.

Les côtés ont sur la quille 1 pié d'épaisseur ; dans les fleurs 10 pouces & 1/2 ; sur la ligne du fort 8 pouces, sur la lisse du vibord 5 pouces : celles de l'avant & de l'arriere sont un peu plus minces.

Chaque coté du vaisseau a été formé sur 15 lisses de gabarit ; savoir 11 au-dessous de la ligne du gros & 4 au-dessus, & encore 1 autre pour chaque herpe.

La carlingue a 1 pié d'épaisseur, & 2 piés 5 pouces de largeur ; mais elle est un peu plus mince & plus étroite à l'avant & à l'arriere.

Les vaigres du milieu des fleurs ont 6 pouces d'épaisseur, & 1 pié 5 pouces de largeur ; celles qui sont au-dessous & au-dessus de celles-ci, aussi dans les fleurs, ont 5 pouces d'épaisseur & 1 pié 5 pouces de largeur : toutes les vaigres du milieu des côtés ont 4 pouces d'épaisseur, & 3 pouces à l'avant & à l'arriere.

Les serre-bauquieres du premier pont ont 5 1/2 d'épaisseur, & 2 piés de largeur ; elles descendent 4 pouces plus bas que le dessus des baux : celles du second pont ont 6 pouces d'épaisseur, & la même largeur de 2 piés, descendant aussi de 4 pouces au-dessous des baux : celles du troisieme pont ont 5 pouces d'épaisseur, & 1 pié 9 pouces de largeur.

Les baux du premier pont ont 1 pié 3 pouces d'épaisseur, & 1 pié 4 pouces de largeur, peu plus ou peu moins, à la demande du bois : ils ont 7 pouces de tonture ; ils sont à 7 piés l'un de l'autre, à la grande écoutille, à 9 piés au-dessus de la soute au biscuit : & la plûpart des autres sont à quatre piés six pouces de distance l'un de l'autre.

Ceux du second pont sont un peu plus forts, & posés droits au-dessus de ceux du bas pont ; à la hauteur de 5 piés, au milieu du vaisseau, & de 4 piés 6 pouces à l'avant : ceux qui sont sur les soutes aux biscuits, sont posés une fois plus près l'un de l'autre que ceux du bas-pont.

Les barrots du haut-pont ont 1 pié 1 pouce de largeur, les uns un peu plus, les autres moins, & 10 pouces d'épaisseur ; & sur 28 piés de longueur, 9 pouces de tonture, la plûpart étant à 4 piés 6 pouces l'un de l'autre : les barrots du château d'avant ont 8 pouces d'épaisseur, & 10 de largeur.

Les barrots du demi-pont & de la chambre du capitaine ont 9 pouces d'épaisseur & 1 pié de largeur : ils ont un peu plus de tonture que ceux du haut-pont, à mesurer de dessus le pont ; & proche du grand mât, ils sont posés à la hauteur de 7 piés ; & à la hauteur de 7 piés 6 pouces à l'arriere, aux trépots. Les barrotins des dunettes ont 6 pouces d'épaisseur en quarré, & sont à 2 piés 8 pouces de distance les uns des autres ; ils ont un peu plus de tonture que les barrots de la chambre du capitaine. Les courbatons qui lient les barrotins & les bordages, ont sous la serre-bauquiere en-dedans la même épaisseur que les barrotins auxquels ils sont joints par le haut. Les courbatons du demi-pont & de la chambre du capitaine, passent derriere le serrage.

Les aiguillettes qui sont de chaque côté pour renforcer le vaisseau, ont 10 à 11 pouces de largeur prise par la longueur du vaisseau, & 13 à 14 pouces d'épaisseur prise en travers.

Les entremises qui regnent autour des serre-gouttieres du pont d'en-bas, ont 2 piés 8 pouces de long & 8 pouces d'épais ; les entremises du second pont ont 9 pouces d'épaisseur par le côté qui joint le bord & 6 pouces par le côté opposé qui est en-dedans : il en est de même des entremises du premier pont, qui ont aussi en-dedans 3 pouces de moins que du côté du bordage.

Les serre-bauquieres du pont d'en-bas ont 9 pouces d'épaisseur, & 2 piés de largeur ; celles du second pont sont de la même largeur & épaisseur : celles du troisieme pont ont 1 pié 9 pouces de largeur, & 5 pouces d'épaisseur.

Les faix du premier & du second pont ont 6 pouces d'épaisseur, & 1 pié 5 pouces de largeur ; ceux du pont d'en-haut ont 5 pouces d'épaisseur : mais devant le mât, où est le caillebotis, leur épaisseur est de 8 pouces, & les carreaux du caillebotis y sont assemblés.

Cinq guerlandes affermissent l'avant ou les joues, & les défendent contre la force de la mer ; la plus haute supporte le bout du second pont ; la plus basse embrasse & couvre l'écart de la quille & de l'étrave ; les deux qui sont au-dessus de cette plus basse, sont jointes pour affermir la carlingue du pié du mât de misene.

Les façons de l'arriere sont aussi fortifiées en-dedans d'un pareil nombre de varangues acculées, & par des fourcats, les varangues ayant à chaque côté leurs genoux de revers, & la derniere de ses courbes.

A l'endroit de l'avant où la premiere porque est posée, & où commencent les soutes au biscuit, il y a, selon la maniere angloise, une croix pour empêcher que les façons ou virures qui y ont une si grande rondeur ne viennent à s'enfoncer en-dedans, ou qu'à cause de la grande hauteur qui s'y trouve, le dessus ne soit pas assez bien soûtenu : cette croix est assemblée à queue d'aronde à la porque & au bau. Les pieces de la croix ont 10 pouces d'épaisseur par la longueur du vaisseau, & 1 pié 2 pouces par son travers.

Le grand cabestan qui passe sur le second pont, y a sept taquets ou fuseaux ; mais sous le pont il n'en a que six : son épaisseur à la tête est de deux piés 5 pouces, à la carlingue d'un pié 7 pouces, sur l'écuelle d'un pié 5 pouces ; la tête 5 piés 5 pouces de hauteur.

La tête du petit cabestan a 1 pié 6 pouces d'épaisseur, & 4 piés 4 pouces de hauteur : il y a 5 fuseaux autour ; il tourne sur une écuelle frappée sur les barrots.

Les têtes des piliers de bittes ont 5 piés 4 pouces de hauteur, & 1 pié 9 pouces d'épaisseur par la longueur du bâtiment, & 1 pié 8 pouces par le travers ; le traversin a 9 piés 3 pouces de long, & 1 pié 8 pouces d'épais en quarré ; les têtes ont 2 piés de hauteur au-dessus du traversin, qui à chaque bout s'étend 2 piés au-delà des piliers, & est garni par derriere d'une planche lavée, pour mieux conserver le cable.

Le diametre des trous des écubiers est d'un pié 4 pouces ; ils sont percés à deux piés de l'étrave, & à 8 pouces l'un de l'autre.

Le grand sep de drisse a de hauteur, au-dessus du pont, 4 piés 8 pouces ; en y comprenant la tête : il a d'épaisseur par la longueur du bâtiment 1 pié 10 pouces, & en travers 2 piés 1 pouce ; la tête a 1 pié 2 pouces de hauteur.

Le sep de drisse de misene a, du château d'avant jusqu'à ses épaules, 2 piés 8 pouces de haut, & la tête 1 pié. Les seps ou blocs qui servent à manoeuvrer les écoutes & les cargues du grand hunier, ont 1 pié d'épaisseur par la longueur du vaisseau, & dix piés en travers, & sont posés à 5 piés l'un de l'autre, à mesurer par leurs côtés. Les trous qui servent aux écoutes de hune, ont 2 pouces & 1/2 de diametre, & ceux des cargues en ont 1 pouce & demi.

A chaque côté des bords du château d'avant sous la vergue de misene, il y a deux blocs dont les deux premiers servent à manoeuvrer les cargues point de misene, & les deux qui sont derriere servent aux balancines : ils ont 7 pouces en quarré, & les roûets joüent par la longueur du vaisseau, les trous étant percés en biais pour cet effet.

Derriere le mât de misene au milieu du château d'avant, il y a quatre seps ou blocs d'une même épaisseur, dans chacun desquels il y a deux roüets qui jouent aussi par la longueur du vaisseau, pour manoeuvrer tant les cargues bouline, que les cargues fond de misene, la drisse du petit hunier, & les boulines du grand hunier : ces quatre blocs, ou plûtôt bittons, ont un traversin qui a 9 pouces en quarré.

Vers le bord par derriere & tout proche du grand mât, il y a encore de semblables blocs dont les roüets jouent par le travers du vaisseau.

Il y en a encore deux autres aux bords de chaque côté, proche du mât d'artimon, pareillement quarrés, de l'épaisseur de sept pouces, dont les roüets des deux premiers, c'est-à-dire d'un de chaque côté, jouent par la longueur du vaisseau, & servent à manoeuvrer les bras du grand hunier ; & les deux qui sont derriere ces deux premiers, & dont les roüets jouent en travers, servent à manoeuvrer les écoutes de la voile du perroquet de foule. Derriere les deux qui sont à babord, est le sep ou bloc de drisse de la vergue d'artimon, qui a 8 pouces d'épais & 10 de large, & dont le roüet joue par la longueur du vaisseau ; & derriere celui-ci il y en a encore un petit, pour la drisse ou perroquet de foule.

La longueur de la chambre du capitaine prise des allonges de poupe en-dedans, est de 21 piés, aussi-bien que le château d'arriere ; & la longueur du château d'avant est de 33 piés.

La cuisine qui est à stribord, a 9 piés 6 pouces de long, & 8 piés 2 pouces de large. Le derriere de la cheminée est à 4 piés 5 pouces de la cloison du derriere de la cuisine : la barre de fer de derriere est à 21 pouces de la maçonnerie ; & celle du devant à 7 pouces, & élevée d'un pié au-dessus du pavé : le tuyau par où la fumée passe a 24 pouces de largeur par la longueur du vaisseau, & 31 pouces en travers.

La dépense, qui est vis-à-vis de la cuisine, a 9 piés de long, & 7 piés 9 pouces de large, le tout à mesurer en-dehors.

La fosse aux cables, qui est le second pont, est de 26 piés 6 pouces, à mesurer de l'étrave en-dedans. La sainte-barbe a 27 piés de longueur, à mesurer de la lisse de hourdi. La soute aux poudres a 6 piés de haut, à prendre sur les vaigres proche de la carlingue. L'archipompe a 3 piés 3 pouces de diametre : aux deux côtés il y a deux soutes au biscuit, & une troisieme droit par derriere ; & dans cette derniere il y a un petit espace où l'on tient les ferrailles. Tous ces ouvrages sont faits de planches fort seches, & doubles l'une sur l'autre. Deux des soutes au biscuit sont garnies de fer-blanc, & la troisieme est enduite de poix-résine.

Les sabords du second pont sont percés à 23 pouces au-dessus de la serregouttiere, à prendre du dessus des seuillets d'embas. Les seuillets du haut sont à pareille distance de ceux du bas, à-plomb ; & les sabords ont 27 à 28 pouces de largeur par la longueur du bâtiment : ceux de l'arriere sont à 8 piés 4 pouces des estains en-dedans. La plûpart des autres ont environ 8 piés de distance entr'eux, hormis ceux entre lesquels se trouvent la cuisine & la dépense, qui sont à 14 piés 6 pouces l'un de l'autre.

Il y a trois sabords de chaque côté dans le château d'avant, & deux dans le château d'arriere ; ils ont de largeur par la longueur du vaisseau, 2 piés de 12 pouces.

Le grand mât, sur le second pont, est par son côté qui regarde l'avant un pié plus vers l'arriere que la moitié de la longueur du vaisseau, à mesurer de l'étrave à l'étambord. Le mât de misene est posé par le centre de son diametre, à 12 piés 7 pouces de l'étrave prise en-dedans. Le milieu de la carlingue du mât d'artimon, pris sur le haut pont, est à la distance de 20 piés 6 pouces des allonges de poupe en-dedans.

Les pompes sont à 34 piés de l'étambord, dans le plus bas des façons de l'arriere : elles sont élevées aussi de 34 pouces au-dessus du troisieme pont. Les potences s'élevent de 21 pouces au-dessus des pompes, & y font 14 pouces de saillie sur le devant ; ensorte que dans les verges qui ont 10 piés 3 pouces de longueur, & 14 pouces d'épaisseur, les trous des chevilles sont à 14 pouces l'un de l'autre. Le trou pour la manche est percé à 16 pouces du bout d'en-haut de la pompe.

Il n'y a sous les sabords d'entre les deux ponts qu'une ceinte, & une autre piece qui de l'arcasse s'étend en-dedans jusqu'au revêtement. Cette ceinte a 14 pouces de largeur & 8 d'épaisseur. La fermure ou base des sabords a 42 pouces de large par le milieu du vaisseau ; mais vers l'avant & l'arriere elle en a un peu moins, & elle a 4 pouces d'épais. La ceinte qui est au-dessus a 13 pouces de largeur ; & 7 d'épaisseur. Les couples ont 14 pouces de largeur, & 3 1/2 d'épaisseur. La ceinte au-dessus a 12 pouces de largeur, & 6 pouces d'épaisseur. La base des sabords sous la lisse de vibord a 20 pouces de largeur, & 3 d'épaisseur. La lisse de vibord a 10 pouces de largeur, & 6 d'épaisseur.

Le premier bordage qui est au-dessus de la lisse de vibord, & qui la joint par l'arriere, a 14 pouces de largeur, & 2 d'épaisseur ; & l'esquain, dont la plûpart est de 9 pouces de large & de 10 pouces à l'arriere, s'emboîte dans sa rablure. Il y a dans le vaisseau cinq herpes, dont chacune embrasse deux bordages. Les lisses ont 7 pouces de largeur, & 4 d'épaisseur : le vuide ou jour de l'entre-deux est de 8 pouces.

La plus basse des aiguilles de l'éperon a 26 piés de long, mesurée par son dessus, & le bestion ou lion 12 piés : il a par son devant 28 pouces d'épaisseur de haut en bas, & 20 pouces par son derriere. L'aiguille a 16 pouces d'épaisseur de haut en bas contre l'étrave, & 11 contre le lion, & 6 entre ses griffes de devant. Les frises ont 21 pouces de largeur contre l'étrave, & 14 en-devant contre le lion.

Les plus hauts porte-vergues qui, à 9 piés de leur longueur prise par-derriere sont ornés de marmots, ont de largeur avec ces tètes, à l'endroit où elles sont, 20 pouces, & 10 d'épaisseur : ils ont contre le devant de l'étrave 10 pouces de largeur, & 6 d'épaisseur ; & au revers de l'éperon ils en ont 6 de largeur, & 4 d'épaisseur. Le plus bas porte-vergue a de largeur par son bout de derriere 8 pouces 1/2, & par son bout de devant 4 pouces 1/2, & d'épaisseur 4 pouces. Pour soutenir les porte-vergues & fortifier tout l'éperon, il y a cinq couples de joutteraux ou courbatons aux deux côtés, dont le second de la quatrieme couple s'entretiennent en-devant chacun par un petit traversin courbé naturellement, & sans le secours de la main du charpentier. Les herpes de l'éperon sont à 13 piés 3 pouces de l'étrave, & sont par leur bout du haut à la distance de 24 piés 9 pouces l'une de l'autre.

Les bossoirs, qui ont 15 pouces d'épaisseur en quarré, font saillie en mesurant de leur milieu, jusqu'à 36 pouces au-delà les porte-vergues. Le traversin de herpes a 24 piés de longueur, & 10 ou 11 pouces d'épaisseur en quarré, & fait saillie de 11 piés au-delà des porte-vergues.

Les porte-haubans de misene ont 28 piés de long, & 20 pouces de large par-devant, & 16 par derriere : ils ont 4 pouces d'épais en-dedans, & 3 1/2 en-dehors : il y a neuf couples de haubans sur chacun de ces porte-haubans, avec une cadene plate pour le palan qui est placée entre le troisieme & le quatrieme. Les grands porte-haubans ont 35 piés de long, & la même largeur que ceux de misene, tant par-devant que par derriere ; mais ils ont, tant en-dehors qu'en-dedans, un demi-pouce d'épaisseur, & il y en a dix couples avec une cadene placée comme la précédente. Ceux du mât d'artimon ont 16 piés 6 pouces de long, & 15 de large par-devant, 12 par derriere, avec 3 pouces & demi d'épaisseur en-dedans & 3 en-dehors. Les pendeurs de palan sont placés entre le second & le troisieme couple des haubans, qui y sont au nombre de cinq couples.

Le gouvernail a 52 pouces de largeur par le bas, & 26 pouces à la jaumiere : il a par le haut 19 pouces d'épaisseur en-dehors, & 16 en-dedans. La jaumiere a 12 pouces de hauteur en-dedans, & 10 de largeur, c'est-à-dire en-travers du vaisseau, mais en-dehors, elle n'a que 10 pouces de hauteur, & 8 de largeur : les gonds de la ferrure pour prendre le gouvernail sont au nombre de sept, & ont 4 pouces moins un quart de diametre. Le timon ou la barre a de largeur de haut en bas 12 pouces, & 11 en travers, c'est-à-dire proche de la jaumiere en-dedans.

Le traversin ou quart de rond de la barre de gouvernail est posé à 21 piés du voutis, en prenant la mesure du dessus de la lisse de hourdi : il a 9 pouces en quarré ; & dans la longueur de 18 piés qui est entre les chevilles, & qui soutient la barre dans le mouvement qu'elle fait dessus comme celui d'un sas, d'où il est aussi appellé sassoire & tamisaille, il est arqué de 4 pouces.

La manuelle, souvent aussi appellée barre de gouvernail, de même que le timon, a 12 piés 3 pouces de long, sans y comprendre la boucle. Le moulinet ou la noix qui est dans le hulot, par le moyen de laquelle la barre joue, a 14 pouces de long entre les chevilles. Le retranchement ou couvert où la barre joue, est élevé de 23 pouces au-dessus de la tugue, ayant 11 piés de long en travers du vaisseau, & 13 pouces de large : il y a une petite écoutille au-dessus, par laquelle le pilote peut facilement parler & se faire entendre du timonnier.

Le grand habitacle qui est devant le timonnier a 6 piés 6 pouces de longueur, 5 piés de largeur, & 16 pouces dans les entre-deux, étant séparé en cinq. Le petit habitacle a 3 piés 6 pouces de long, 3 piés 4 pouces de haut, & 13 pouces dans les entre-deux : il est aussi divisé en trois appartemens ou fenêtres.

L'architrave qui est au-dessus de la lisse de hourdi, a 18 pouces de largeur par son milieu, & 16 pouces à chacun de ses bouts, & 5 pouces d'épaisseur : elle a autant d'arc en arriere que la lisse de hourdi, & autant de tonture au bas que les baux du troisieme pont ; mais au haut elle est arquée de deux pouces de plus : elle fait saillie de 5 piés 6 pouces derriere les allonges de poupe, & par son milieu elle est 10 pouces au-dessus des bordages du pont d'en haut qui y aboutissent : elle est soutenue par 14 montans de revers qui ont 7 pouces de large & 6 d'épais : les deux du milieu, entre lesquels le gouvernail passe en jouant, sont à 32 pouces l'un de l'autre : il y a sur le voutis une bonne planche de chêne, & il est bordé de planches de 2 pouces d'épaisseur.

La planche ou frise qui est au-dessus de l'architrave a 3 pouces & demi d'épaisseur, & fait saillie de 4 pouces par le haut, étant attachée & clouée par le bas à l'architrave, pour être plus ferme, avec des clous frappés en biaisant : elle passe aussi de 11 pouces sur les côtés au-delà des bordages, sur lesquels côtés le pié de la galerie est assemblé à joints perdus.

La simaise qui est au-dessus des fenêtres de la galerie, est en-dedans à 7 piés du derriere des allonges de poupe ; & à mesurer depuis le haut de la frise qui est au-dessus de l'architrave en biaisant jusqu'au haut de la simaise, celle-ci se trouve placée 6 piés 4 pouces au-dessus de l'autre, ayant par son milieu 15 pouces de large, par ses bouts 18 pouces, & autant d'arc que l'architrave qui est au-dessous. Son épaisseur qui est de 4 pouces & demi, rentre en-dedans d'un pouce & demi autour des montans de la galerie, l'autre frise qui a 2 pouces d'épaisseur, est par le haut, dans son milieu, 36 pouces au-dessus de la plus basse frise ; & la lisse qui est au-dessus fait par derriere saillie de 12 pouces au-delà des planches.

Le pié ou le support de la galerie a 10 piés de longueur : il y a en-dedans 7 courbatons de 6 pouces de large & de 5 d'épais, & il y en a autant sous le couvert : ils font saillie de 36 pouces au-delà des allonges de poupe, vers le corps du vaisseau.

Le fronteau de la galerie est placé à 39 pouces en-devant, du côté de derriere des allonges : la planche qui est debout, & ouvragée de reliefs sur le côté de la galerie, est de 18 pouces de large par-derriere, & de 13 pouces par-devant. Les montans, avec leurs figures & ornemens, ont 12 piés de largeur, & autant d'épaisseur que les reliefs ont pû le permettre. Les termes des angles sont de même ; mais les autres sont un peu moins puissans.

La table de la chambre du capitaine a 32 pouces de hauteur, & les bans en ont 22.

Après avoir donné le détail & les proportions des principales pieces qui entrent dans la construction d'un vaisseau du premier rang, il convient de faire voir l'ordre que l'on suit pour disposer & placer chaque partie.

Premierement on prépare la quille, puis

2. L'étrave.

3. L'étambord.

4. La lisse de hourdi.

5. Les estains.

6. Le taquet de la clé des estains.

7. La clé des estains.

8. Les barres d'arcasse ou contrelisses.

9. Les allonges de poupe. Ensuite

10. On met la quille sur le chantier, c'est-à-dire sur les tins.

11. On ôte les allonges de poupe & les barres d'arcasse.

12. On leve l'étrave.

13. On éleve l'étambord ; on y assemble les barres d'arcasse, sur lesquelles on pose les allonges de poupes ou de trepot, autrement les cormieres.

14. On pose une courbe sur la quille & contre l'étambord.

15, On fait la trace & le jarlot.

16. On perce les trous pour les gournables dans l'étrave, l'étambord & la quille.

17. On assemble les gabords avec la quille ; puis

18. Les ribords, & l'on fait le platfond au niveau.

19. On pose une varangue sous l'embelle, avec un genou à chaque côté.

20. Puis on borde les fleurs, &

21. On les met à niveau quand elles ont leurs façons. Après cela

22. On fait les gabarits des trois allonges, auxquelles on joint les traversins des triangles.

23. Sur quoi on met les planches de triangle.

24. On met la baloire tout-au-tour, & les autres lisses de gabarit au-dessus, à niveau ;

25. Et aussi les arcboutans aux bouts du haut & les accores.

26. Les varangues, les genoux, les genoux de revers, les fourcats, les barres de contre-arcasses ou les contrelisses.

27. Les entremises & les taquets pour renfler.

28. On apprête les baux.

29. On dresse & l'on coud les bordages des fleurs.

30. On vaigre les fleurs.

31. On fait le triangle pour poser les baux, & de dessus.

32. On dresse les allonges, où la serrebanquiere doit être cousue.

33. On attache la serrebanquiere.

34. On pose les baux, avec la vaigre de pont au-dessous.

35. On porte le triangle au haut.

36. On présente les gabarits de la seconde & de la troisieme allonge.

37. On coud le serrage, d'entre les fleurs & les baux,

38. Aux allonges.

39. On met les lisses de gabarit autour, & on y attache les arcboutans & les accores.

40. On pose en place les courbes, on vaigre le platfond ; on pose les porques, la carlingue ou contrequille, & l'on fait les carlingues des mâts.

41. On dresse la serregoutiere du haut pont.

42. On la pose.

43. Et l'on coud une ou deux vaigres au-dessus.

44. On pose les barrots du pont d'en-haut & de la sainte-barbe.

45. Ensuite on coud la serrebauquiere.

46. Et les autres serres au-dessous.

47. On gournable les fleurs.

48. On assemble l'arcasse avec les faix de pont.

49. On pose les courbatons, & l'on fait scier les barrotins.

50. On retourne au-dehors, & l'on coud le bordage sous les sabords.

51. On recoud les coutures des fleurs & les rablures.

52. On coud les bordages au-dessous de la premiere préceinte.

53. On acheve de mettre le bâtiment en état ; puis

54. On le tourne sur le côté.

55. On le redresse.

56. On attache les roses à l'étambord, & une plaque sur la quille.

57. On fait le modele du gouvernail.

58. On prépare tout pour lancer le bâtiment à l'eau, puis on le lance.

59. Quand il y est, on fait les échafauds au-dehors & par l'arriere.

60. On met les seuillets du haut des sabords tout-au-tour du vaisseau.

61. Et l'on coud les plus bas bordages ; puis après

62. On borde & éleve les hauts tout-au-tour ; l'on coud les ceintes, les couples, les lisses de vibord, le premier bordage de l'esquain, l'acastillage, & les herpes.

63. Ensuite on pose la plus haute serregoutiere,

64. Et sa vaigre au-dessus.

65. Les barrotins du premier pont,

66. Et les entremises au-dessous.

67. L'écarlingue du cabestan, & celle du mât d'artimon.

68. L'aiguille de l'éperon.

69. Les hiloires des caillebotis du pont d'en haut.

70. Les étembraies du mât d'artimon & du cabestan.

71. On pose les barrots de la chambre du capitaine sur leurs taquets, & de même ceux du château-d'avant.

72. La serrebauquiere au-dessous, avec les autres serres.

73. Les barrotins du haut pont.

74. On tient prêts les blocs ou marmots du gaillard d'avant, & on les met en place.

75. Les entremises du gaillard-d'avant. Et au-dessous des barrots

76. On pose les piliers de bittes.

77. Le grand sep de drisse ou bloc, & celui du mât d'avant.

78. On borde le tillac.

79. Ensuite on travaille à la croix des montans ou allonges de poupe dans la chambre du capitaine, & au fronteau.

80. A l'éperon.

81. Aux galeries.

82. Aux sabords.

83. Aux écubiers.

84. Aux courbatons de bittes.

85. Aux accotards.

86. Au traversin de bittes.

87. On borde le château-d'avant ou gaillard.

88. On y pose les gouttieres ou gathes,

89. Et sur la dunette, & l'on y assemble les barrots & les barrotins.

90. On y coud la serregoutiere & les autres serres au-dessous.

91. On borde par-dessus, & l'on travaille aux haubans.

92. On fait les fronteaux ou cloisons de la chambre du capitaine, & l'on y fait les cabanes ou cajates.

93. On travaille aux étambraies.

94. On y fait passer les piés des mâts, & on les pose.

95. Et l'on couche le mât de beaupré.

96. On pose le cabestan.

97. On place les cadences des haubans.

98. On fait les fronteaux du demi-pont,

99. Et le fronteau du château-d'avant,

100. Et les caillebotis.

101. Ensuite on fait les écoutilles à panneaux à boîte.

102. Les dalots ou gouttieres, les pompes, & le tuyau pour l'aisement.

103. Le fronteau de la dunette.

104. Les platbords.

105. Les taquets.

106. Le fronteau de la sainte-barbe.

107. La dépense.

108. La cuisine.

109. Les bossoirs.

110. Le gouvernail.

111. Les blocs ou taquets d'écoutes.

112. On met les fargues, si on le juge nécessaire.

113. Comme aussi les lisses au-dessus du platbord, s'il en est besoin.

114. On fait les dogues d'amure.

115. Les pompes.

116. La soute au biscuit & la fosse à lion.

117. Le traversin des petites bittes sur le gaillard-d'avant.

118. Les bittons, taquets & chevillots.

119. L'arceau au-dessus de la manuelle ou barre du gouvernail, s'il y en faut. Puis on se prend à

120. Recourir tout-autour par le dehors,

121. A souffler ou mettre le doublage, s'il en est besoin.

122. Et l'on garnit l'étambord & le gouvernail de plaques de cuivre.

Après ces pieces principales on travaille aux menus ouvrages, comme fenêtres, portes, bancs, chambres, & retranchement : ensuite on braie, on goudronne, on peint, &c.

Tout ce qu'on vient de voir ne regardant que le corps du vaisseau, il nous reste encore à parler de la matiere des voiles & des cordages ; articles qui demandent beaucoup de détail, & pour lesquels nous renvoyons aux mots MATS, VOILES, CORDAGES. V. aussi NAVIRE. (Z)


CONSUALES(Hist. anc. & Myth.) fêtes à l'honneur du dieu Consus, c'est-à-dire Neptune, différentes de celles qu'on appelloit neptunales. Voyez NEPTUNALES.

On y faisoit une cavalcade magnifique, parce que Neptune passoit pour avoir donné le cheval aux hommes : de-là lui venoit son surnom d'équestre, .

On dit que c'est Evandre qui institua le premier cette fête. Romulus la rétablit sous le nom de Consus, parce que ce lieu lui avoit suggéré le dessein d'enlever les Sabines. Car Romulus ayant institué les jeux consuales, y invita ses voisins, & se servit de la solennité des sacrifices & des jeux pour enlever les Sabines qui étoient venues à la cérémonie. Pour y attirer plus de monde, il avoit répandu de tous côtés qu'il avoit trouvé sous terre un autel qu'il vouloit consacrer, en faisant des sacrifices au dieu à qui cet autel avoit été érigé.

Ceux qui prétendent expliquer les mysteres de la théologie payenne, disent que l'autel caché sous terre est un symbole du dessein caché que Romulus avoit d'enlever les femmes de ses voisins.

Les consuales étoient du nombre des jeux que les Romains appelloient sacrés, parce qu'ils étoient consacrés à une divinité. Dans les commencemens ces fêtes & ces jeux ne différoient point de ceux du cirque ; & de-là vient que Valere Maxime dit que l'enlevement des Sabines se fit aux jeux du cirque. Voy. CIRQUE.

On couronnoit & on laissoit reposer les chevaux & les ânes ces jours-là, parce que c'étoit la fête de Neptune équestre, dit Plutarque.

Festus dit que l'on célébroit ces jeux avec des mulets, parce qu'on croyoit que c'étoit le premier animal qui eût servi à traîner le char.

Servius dit que les consuales tomboient au 13 d'Août. Plutarque, dans la vie de Romulus, les met au 18 ; & le calendrier Romain au 21 du même mois. Voy. le dictionn. de Trév. de Moréri, & le dictionn. de Myth. (G)


CONSUBSTANTIATEURSS. m. pl. (Théolog.) nom donné par les Théologiens catholiques aux Luthériens, qui soûtiennent la consubstantiation. Voy. CONSUBSTANTIATION.

CONSUBSTANTIATEURS, est aussi le nom de ceux qui croient le verbe ou le fils de Dieu consubstantiel à son pere ; du moins M. Pelisson employe-t-il ce terme en ce sens, lorsqu'il prétend qu'après le concile de Nicée les Ariens appellerent les catholiques Homoousiens, c'est-à-dire, consubstantiels ou consubstantiateurs, comme les Protestans nous appellent transubstantiateurs. Je ne sai si cette étymologie de M. Pelisson est bien juste & bien analogue au génie de notre langue. On forme très-bien consubstantiateurs & transubstantiateurs, de consubstantiation & de transubstantiation : mais dans consubstantialité trouvera-t-on également la racine de consubstantiateurs ; M. Pelisson vouloit faire voir que nos freres réformés donnoient à l'exemple des Ariens des noms odieux aux Catholiques ; & il a cru pouvoir traduire homoousiens par consubstantiateurs. Ceux qui entendent la force du mot grec , décideront si cet écrivain, d'ailleurs exact, a bien réussi. Voyez CONSUBSTANTIATION & CONSUBSTANTIEL. (G)


CONSUBSTANTIATIONS. f. (Théol.) terme par lequel les Luthériens expriment leur croyance sur la présence réelle de Jesus-Christ dans l'eucharistie. Ils prétendent qu'après la consécration le corps & le sang de N. S. Jesus-Christ sont réellement présens avec la substance du pain, & sans que celle-ci soit détruite. C'est ce qu'ils appellent consubstantiation ou impanation. Voyez IMPANATION (Luthéranisme)

Je crois, disoit Luther (de captiv. Babyl. tom. II.), je crois, avec Wiclef, que le pain demeure ; & je crois, avec les Sophistes (c'est ainsi qu'il nommoit les Théologiens catholiques), que le corps de Jesus-Christ y est. Il expliquoit, dit M. Bossuet, sa doctrine en plusieurs façons, & la plûpart fort grossieres. Tantôt il disoit que le corps est avec le pain, comme le feu est avec le fer brûlant : quelquefois il ajoutoit à ces expressions, que le corps étoit dans le pain, sous le pain, comme le vin est dans & sous le tonneau.

De-là ces propositions si usitées parmi les Luthériens, in, sub, cum, qui veulent dire que le corps de Jésus-Christ est dans le pain, sous le pain, & avec le pain. Mais comme Luther sentit que ces paroles, ceci est mon corps, signifioit quelque chose de plus, il les expliqua ainsi, ce pain est mon corps substantiellement : explication inoüie & plus absurde que la premiere. Hist. des variat. tom. I. l. II. n. 2.

Pour expliquer sa premiere comparaison, il disoit que le vrai corps & le vrai sang de Jesus-Christ sont dans le pain & dans le vin, comme le feu se mêle dans un fer chaud avec le métal ; ensorte que comme chaque partie de fer rouge est fer & feu, de même chaque parcelle du pain & du vin est tout ensemble pain & vin, & le corps & le sang de Jesus-Christ. Il ne laisse pas de dire, qu'il permet l'une & l'autre opinion de la transubstantiation & de la consubstantiation, & qu'il leve seulement le scrupule de ceux qui ne voudroient pas admettre la premiere ; & dans un autre ouvrage, comme on lui reprochoit qu'il faisoit demeurer le pain dans l'eucharistie, il l'avoue : " mais je ne condamne pas, dit-il, l'autre opinion ; je dis seulement que ce n'est pas un article de foi ". Respons. ad articul. extract. de captiv. Babylon. tom. II. fol. 172. Mais bientôt il en vint jusqu'à nier ouvertement la transubstantiation. Voyez TRANSUBSTANTIATION.

Luther dans ses propres principes se trompoit en admettant la consubstantiation. C'est ce que Zuingle & tous les défenseurs du sens figuré lui démontroient clairement. Ils remarquoient que J. C. n'a pas dit, mon corps est ici, ou mon corps est sous ceci, & avec ceci, ou ceci contient mon corps ; mais simplement ceci est mon corps. Ainsi ce qu'il veut donner aux fideles n'est pas une substance qui contienne son corps, ou qui l'accompagne, mais son corps sans aucune autre substance étrangere. Il n'a pas dit non plus, ce pain est mon corps, qui est l'autre explication de Luther ; mais il a dit ceci est mon corps par un terme indéfini, pour montrer que la substance qu'il donne n'est plus du pain, mais son corps : & quand Luther expliquoit, ceci est mon corps, ce pain est mon corps réellement & sans figure, il détruisoit sans y penser sa propre doctrine. Car on peut bien dire avec l'Eglise Catholique, que le pain devient le corps au même sens que S. Jean a dit que l'eau fut faite vin aux noces de Cana en Galilée, c'est-à-dire par changement de l'un en l'autre. On peut dire pareillement que ce qui est pain en apparence, est en effet le corps de notre Seigneur ; mais que du vrai pain en demeurant tel, fût en même tems le vrai corps de notre Seigneur, comme Luther le prétendoit, les défenseurs du sens figuré lui soûtenoient, aussi-bien que les Catholiques, que c'est un discours qui n'a point de sens, & concluoient qu'il falloit admettre avec eux un simple changement moral, ou le changement de substance avec ceux que Luther appelloit Papistes. Contin. de Fleury, ad an. 1526. (G)


CONSUBSTANTIELterme de Théologie ; Coëssentiel, qui est de la même substance. Voyez SUBSTANCE. Les orthodoxes croient que le fils de Dieu est consubstantiel à son pere. Voyez TRINITE, PERE, &c.

Le terme , consubstantiel, fut choisi & adopté par les peres du concile de Nicée, pour exprimer la doctrine de l'Eglise avec plus de précision, & pour servir de barriere & de précaution contre les erreurs & les surprises des Ariens qui convenoient de toutes choses, excepté de la consubstantialité. Voyez ARIANISME & HOMOOUSIOS.

Ils alloient jusqu'à reconnoître que le fils étoit véritablement Dieu, parce qu'il avoit été fait Dieu ; mais ils nioient qu'il fût un même Dieu & une même substance que le pere. Aussi firent-ils toujours tout ce qu'ils purent pour abolir l'usage de ce terme. On persécuta les défenseurs de ce terme. Constance fit tous ses efforts pour obliger les évêques à supprimer le terme de consubstantiel dans le symbole, mais la vérité triompha, & ce terme s'est conservé jusqu'aujourd'hui.

Sandius prétend que le terme de consubstantiel étoit inconnu avant le concile de Nicée ; mais on l'avoit déjà proposé au concile d'Antioche, lequel condamna Paul de Samosate, en rejettant pourtant le mot de consubstantiel. Courcel au contraire a soûtenu que le concile de Nicée avoit innové dans la doctrine, en admettant une expression dont le concile d'Antioche avoit aboli l'usage.

Selon S. Athanase, le mot de consubstantiel ne fut condamné par le concile d'Antioche, qu'entant qu'il renferme l'idée d'une matiere préexistente, & antérieure aux choses qui ont été formées, & que l'on appelle coëssentielles. Or en ce sens le pere & le fils ne sont point consubstantiels, parce qu'il n'y a point de matiere préexistente. Voyez le dict. de Trév. (G)


CONSUEGRA(Géog.) petite ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, entre le Tage & la riviere de Guadiane.


CONSULS. m. (Hist. anc.) ce fut, après l'expulsion de Tarquin le Superbe, le dernier roi, mais non le dernier tyran de Rome, le premier magistrat de la république. Cette dignité commença l'an 245 de la fondation de la ville. On créoit tous les ans deux consuls ; ils gouvernoient ensemble la république. L. Junius Brutus, & L. Tarquinius Collatinus mari de Lucrece, furent les premiers honorés de cette dignité. Qu'il fut doux au peuple, qui avoit servi jusqu'alors comme un esclave, de se voir assemblé par centuries, en comices, se choisissant lui-même des magistrats annuels, amovibles, tirés de la masse commune par sa voix, & y retombant au bout de l'année ! Cette élection fut conduite par un interrex selon quelques-uns ; selon d'autres, par un préfet de la ville : mais ces deux fonctions qu'on vit réunies dans la personne de Sp. Lucretius Tricepetinus, n'étant point incompatibles, celui qui présida aux premiers comices libres du peuple Romain put les exercer ensemble. Les deux premiers consuls ne finirent point leur année ; le peuple cassa Collatinus qui lui parut plus ennemi du roi que de la royauté ; & Brutus & Aronce fils de Tarquin, s'entretuerent à coups de lance.

Le nom de consul rappelloit sans cesse à ce magistrat son premier devoir, & les limites de sa charge ; c'est qu'il n'étoit que le conseiller du peuple Romain, & qu'il devoit en toute occasion lui donner le conseil qui lui sembloit le plus avantageux pour le bien public. On créa deux consuls, & on rendit leur dignité annuelle, afin qu'il ne restât pas même l'ombre de l'autorité royale, dont les caracteres particuliers sont l'unité & la perpétuité. Ils ne tenoient leur autorité que du peuple, & le peuple ne voulut point qu'ils pussent, sans son consentement, ni faire battre de verges, ni mettre à mort un citoyen. Il paroît cependant que ces limites n'étoient point encore assez étroites pour prévenir les vexations, puisque dès l'an 260, c'est-à-dire quinze ans après la création des consuls, le peuple fut obligé de se faire des protecteurs dans les tribuns. Leur autorité cessa l'an 302 ; on la remplaça par celle des decemvir legum scribendarum ; elle reprit l'an 306 ; elle cessa encore en 310 : la république eut alors ses tribuns militaires, consulari potestate. Après plusieurs révolutions, le consulat rétabli dura depuis l'année 388 de Rome jusqu'en 541 de J. C. qu'il finit dans la personne de Fl. Basilius dernier consul, qui l'étoit sans collegue. Ce fut Justinien qui en abolit le nom & la charge : cette innovation lui attira la haine publique, tant ce vieux simulacre étoit encore cher & respecté. Sa durée fut de 1047 ou 9 ans. Cette dignité ne conserva presque rien de ses prérogatives sous Jules César & ses successeurs. Les empereurs la conférerent à qui bon leur sembloit : on en étoit revêtu quelquefois que pour trois mois, six mois, un mois. Plus un homme étoit vil, plus son consulat duroit. Avant ces tems malheureux, l'élection des consuls se faisoit dans le champ de Mars. Un des consuls en charge étoit le président des comices : il les ouvroit en ces termes, quae res mihi, magistratuique meo, populo plebique Romanae feliciter eveniat ; consules designo. Le peuple accompagnoit jusques chez eux, avec des acclamations, les consuls désignés. La désignation se faisoit ordinairement à la fin du mois de Juillet ; les fonctions ne commencerent, du moins à compter depuis l'an 599 ou 600, qu'au premier de Janvier. On accordoit ce tems aux compétiteurs. Si l'on parvenoit à démontrer que la désignation étoit illégitime, qu'il y avoit eu de la brigue, des largesses, des corruptions, des menées basses, le désigné étoit exclu. Ce réglement étoit trop sage pour qu'il durât longtems, & que l'observation en fût rigoureuse. Au premier de Janvier, le peuple s'assembloit devant la maison des désignés ; il les accompagnoit au capitole ; chaque consul y sacrifioit un boeuf ; on se rendoit delà au sénat ; l'un des consuls prononçoit un discours de remerciment au peuple. Sous les empereurs, il se faisoit dans cette cérémonie des distributions de monnoie d'or & d'argent : il y eut jusqu'à cent livres d'or destinées à cet emploi. Valens & Marcian abolirent cet usage. Justinien le rétablit avec la restriction, qu'on ne distribueroit que de petites pieces d'argent. Mais les désordres occasionnés par cette espece de largesse, qui excluoit encore du consulat quelques honnêtes gens qui avoient plus de mérite, que d'écus, comme cela arrive assez souvent, la fit entierement supprimer par l'Empereur Léon : on donna seulement un repas aux sénateurs & aux chevaliers, & on leur envoya quelques présens qui s'appellerent munera consularia. Les consuls juroient immédiatement après leur élection de ne rien entreprendre contre les lois ; ils haranguoient le peuple aux rostres ; ils avoient prêté serment devant le consul à leur désignation ; à leur entrée en charge, ils le pretoient devant le peuple : tout ce cérémonial duroit cinq jours au plus. Les Consuls furent d'abord tous patriciens ; mais le peuple obtint par force en 388, qu'il y en auroit toujours un de son ordre. L. Sextus Lateranus fut le premier de cette création. On ne pouvoit briguer le consulat avant quarante-un ans, & même quarante-trois. César enfreignit cette loi, appellée lex annuaria, en nommant consul Dolabella qui n'étoit âgé que de vingt-cinq. Les empereurs qui lui succéderent firent des consuls qui n'avoient pas même de barbe ; ils pousserent l'abus jusqu'à désigner leurs enfans avant qu'ils eussent l'usage de la parole. Dans ces tems où la dignité de consul n'étoit qu'un vain nom, il étoit assez indifférent à qui on la conférât. On n'avoit auparavant dérogé à cette sage institution que dans des cas extraordinaires, en faveur de personnages distingués, tels que le fils adoptif de Marius qui entra en charge à vingt-six ans, & Pompée à trente-quatre, avant que d'avoir été questeur. Il falloit avoir été préteur pour être consul ; il y avoit même un interstice de deux ans, fixé entre le consulat & la dignité prétorienne, & un interstice de dix ans entre la sortie du consulat & la rentrée dans la même fonction. Le peuple s'étoit déjà relâché du premier de ces usages sous Marius ; les empereurs foulerent aux piés l'un & l'autre ; & le peuple, à qui ils avoient appris à souffrir de plus grandes avanies, n'avoit garde de se récrier contre ces bagatelles. Les faisceaux furent originairement les marques de la dignité consulaire ; ils en avoient chacun douze, qui étoient portés devant eux par autant de licteurs. On ne les baissoit que devant les vestales. Cet appareil effaroucha le peuple ; il craignit de ne s'être débarrassé d'un tyran, que pour s'en donner deux ; & il fallut lui sacrifier une partie de cette ostentation de souveraineté : on portoit des faisceaux devant un des consuls ; l'autre n'étoit précédé que par les licteurs. Ils eurent alternativement de mois en mois les licteurs & les faisceaux. Après la mort de Brutus, Valerius dont le peuple se méfioit, détermina même son collegue à quitter les faisceaux dans la ville, & à les faire baisser dans les assemblées. La loi Julienne décerna dans la suite les faisceaux au plus âgé des consuls ; ils appartinrent aussi de préférence, ou à celui qui avoit le plus d'enfans, ou à celui qui avoit encore sa femme, ou à celui qui avoit déjà été consul. Lorsque les haches furent supprimées, pour distinguer le consul en fonction, de son collegue, on porta les faisceaux devant celui-là, & on les porta derriere l'autre. Sous les empereurs, le consulat eut des intervalles d'éclat ; & on lui conserva quelquefois les faisceaux. La chaire curule fut encore une des marques de la dignité consulaire : il ne faut pas oublier la toge prétexte, qui restoit le premier jour de leur magistrature devant les penates, & qui se transportoit le jour suivant au capitole pour y être exposée à la vue du peuple ; le bâton d'ivoire terminé par l'aigle ; & sous les empereurs la toge peinte ou fleurie, les lauriers autour des faisceaux, les souliers brodés en or, & d'autres ornemens qui décoroient le stupide consul à ses yeux & aux yeux de la multitude, mais qui ne lui conferoient pas le moindre dégré d'autorité. Le pouvoir du consulat fut très-étendu dans le commencement ; il autorisoit à déclarer la guerre, à faire la paix, à former des alliances, & même à punir de mort un citoyen. Mais bientôt on appella de leur jugement à celui du peuple, & l'on vit leurs sentences suspendues par le vetamus d'un tribun. Il y avoit des circonstances importantes, où l'on étendoit leurs privileges ; viderent ne quid detrimenti respublica caperet : mais ils ne furent jamais dispensés de rendre compte de leur conduite. Si les consuls étoient si petits en apparence devant le peuple, ils n'en étoient pas moins grands aux yeux des étrangers, & ils ont eu des rois parmi leurs cliens. Les autres magistrats leur étoient subordonnés, excepté les tribuns du peuple ; ils commandoient en chef à la guerre, alors ils punissoient de mort ; ils influoient beaucoup dans les élections des tribuns, des centurions, des préfets, &c. ils étoient tout-puissans dans les provinces ; ils avoient droit de convoquer le peuple : ils faisoient des lois ; ils leur imposoient leurs noms ; ils recevoient les dépêches des pays éloignés ; ils convoquoient les autres magistrats ; ils donnoient audience aux envoyés ; ils proposoient dans les assemblées ce qui leur paroissoit convenable ; ils recueilloient les voix. Sous les empereurs, ils affranchissoient les esclaves ; ils avoient l'inspection du commerce & de ses revenus ; ils présidoient aux spectacles, &c. Auparavant l'un d'eux restoit ordinairement à Rome, à la tête du sénat & des affaires politiques ; l'autre commandoit les armées ; leur magistrature étant de peu de durée, & chacun se proposant de fixer la mémoire de son année par quelque chose d'important, on vit & l'on dut voir par ce seul moyen les édifices somptueux, les actions les plus éclatantes, les lois les plus sages, les entreprises les plus grandes, les monumens les plus importans se multiplier à l'infini : telle fut la source de la splendeur du peuple Romain dans Rome, la jalousie du peuple & l'inquiétude de ses maîtres qui, pour n'en être pas dévorés au-dedans, étoient obligés de le lâcher au-dehors sur des ennemis qu'ils lui présentoient sans cesse, furent la source de ses guerres, de ses triomphes, & de sa puissance prodigieuse au-dehors. Après l'année du consulat, le consul faisoit une harangue aux rostres ; il juroit avoir rempli fidelement ses fonctions ; lorsque le peuple en étoit mécontent, il lui interdisoit ce serment ; & Cicéron, nonobstant tout le bruit qu'il fit de son consulat, essuya cette injure publique. On passoit communément du consulat à la dignité de proconsul & à un gouvernement de province. Les gouvernemens se tiroient au sort, à moins que les consuls ne prissent entr'eux des arrangemens particuliers, ce qui s'appelloit par are cum collega ou comparare. C'est-là qu'ils se dédommageoient des dépenses qu'ils avoient faites pendant leur consulat. Les pauvres provinces pillées, désolées, payoient tout ; & tel Romain s'étoit illustré à la tête des affaires, qui alloit se deshonorer en Asie, ou ailleurs, par des concussions épouventables. La création & succession des consuls sont dans la chronologie des époques très-sûres. On a vû plus haut ce que c'étoit que l'état du consul désigné. Il y eut sous Jules César des consuls honoraires, consul honorarius : c'étoient quelques particuliers qu'il plaisoit à l'empereur d'illustrer, de ces gens qui croyoient sottement qu'il dépendoit d'un homme d'en faire un autre grand, en lui disant : sois grand, car telle est ma volonté. L'empereur leur conféroit les marques & le rang de la dignité consulaire. Ces titulaires sont bien dignes d'avoir pour instituteur un tyran. La race en fut perpétuée par les successeurs de Jules César. Celui des deux consuls qui étoit de service, & devant qui l'on portoit les faisceaux, dans le tems où on les distinguoit en les faisant porter devant ou derriere, s'appelloit consul major. Il y en a qui prétendent que l'épithete de major a une autre origine, & qu'on la donna à celui qui avoit été le premier désigné. Le consul qui entroit en charge le premier Janvier s'appella consul ordinarius, pour le distinguer de celui qui entroit dans le courant de l'année. Lorsqu'un des deux consuls ordinaires venoit à mourir ou à être déposé, on l'appelloit suffectus. Il y en eut sous l'empereur Commode jusqu'à vingt-cinq dans la même année : c'étoit une petite manoeuvre par laquelle on parvenoit à s'attacher beaucoup de gens qui faisoient assez de cas de cet éclat d'emprunt, & assez peu d'eux-mêmes pour se vendre à ce prix.

CONSUL, (Jurispr.) est un titre commun à plusieurs sortes d'officiers de justice : tels que les consuls de la nation Françoise dans les pays étrangers, & les consuls des nations étrangeres dans les pays de la domination de France ; les consuls des villes, & les consuls des marchands. (A)

CONSULS DES COMMUNAUTES D'ARTS ET METIERS, est le titre que prennent en certains lieux les syndics & officiers de ces communautés. Il y en a quelques-unes dans le Languedoc qui ont leurs consuls comme les villes. Il est parlé des consuls des tailleurs de Montpellier dans des lettres du roi Jean du 22 Janvier 1351. Voyez ci-après CONSULS DES VILLES ET BOURGS. (A)

CONSULS DES MARCHANDS, qu'on appelle aussi les juge & consuls & plus communément les consuls simplement, sont des marchands & négocians faisant actuellement commerce, ou qui l'ont fait précédemment ; lesquels sont choisis pour faire pendant un an la fonction de juges dans une jurisdiction consulaire, & y connoître dans leur ressort de toutes les contestations entre marchands & négocians pour les affaires qui ont rapport au commerce.

Quelquefois par le terme de consuls on entend la jurisdiction même que ces juges exercent, quelquefois aussi le lieu où ils tiennent leurs séances.

On trouve dans l'antiquité des vestiges de semblables jurisdictions.

Les Grecs avoient entr'eux certains juges qu'ils appelloient , jus dicentes nautis, qui se transportoient eux-mêmes sur le port, entroient dans les navires, entendoient les différends des particuliers, & les terminoient sur le champ sans aucune procédure ni formalité, afin que le commerce ne fût point retardé.

Demosthene dans son oraison , & encore en celle qu'il fit contre Phormion, fait mention de certains juges institués seulement pour juger les causes des marchands ; ce qui prouve qu'il y avoit des especes de juges consulaires à Athenes & à Rome.

Il y avoit à Rome plusieurs corps de métier, tels que les bouchers, les boulangers, & autres semblables, qui avoient chacun leurs jurés appellés primates professionum, qui étoient juges des différends entre les gens de leur corps auxquels il n'étoit pas permis de décliner leur jurisdiction ; ainsi qu'il est dit dans la loi vij. au code de jurisdictione omnium judicum : & dans la loi premiere, au titre de monopoliis.

Cet usage de déférer le jugement des affaires de chaque profession à des gens qui en sont, est fondé sur ce principe que Valere Maxime pose, liv. VIII. chap. xj. que sur chaque art il faut s'en rapporter à ceux qui y sont experts, plutôt qu'à toute autre personne : artis suae quibusque peritis de eadem arte potius quam cuipiam credendum. Ce qui est aussi conforme à plusieurs textes de droit.

En France les marchands, négocians, & les gens d'arts & métiers, n'ont eu pendant long-tems d'autres juges que les juges ordinaires, même pour les affaires de leur profession.

La premiere confrairie de marchands qui s'établit à Paris, fut celle des marchands fréquentans la riviere ; ils avoient un prevôt qui régloit leurs différends ; les échevins de Paris mirent à leur tête ce prevôt, qu'on appelloit alors le prevôt de la marchandise de l'eau, & que l'on a depuis appellé simplement le prevôt des marchands : mais cet officier ni les échevins n'ont jamais été juges de tous les marchands de Paris ; ils n'ont de jurisdiction que sur les marchands fréquentans la riviere.

Les jurés & gardes des communautés de marchands & des arts & métiers, n'ont sur les membres de leur communauté qu'une simple inspection sans jurisdiction.

Le juge conservateur des privileges des foires de Brie & de Champagne, auquel a succédé le juge conservateur des foires de Lyon, & les autres conservateurs des foires établis à l'instar de ceux-ci en différentes villes, n'ayant droit de connoître que des priviléges des foires, les autres affaires de commerce qui n'étoient faites en tems de foire, étoient toujours de la compétence des juges ordinaires jusqu'à ce qu'on ait établi des jurisdictions consulaires.

La plus ancienne de ces jurisdictions est celle de Toulouse, qui fut établie par édit du mois de Juillet 1549.

On prétend que les chambres de commerce de Marseille & de Rouen étoient aussi établies avant celle de Paris.

Ce qui donna lieu à l'établissement de celle-ci, fut que Charles IX. ayant assisté en la grand-chambre du parlement, au jugement d'un procès entre deux marchands que l'on renvoya sans dépens, après avoir consumé la meilleure partie de leur bien à la poursuite de ce procès pendant dix ou douze années, le roi fut si touché de cet inconvénient par rapport au commerce, qu'il résolut d'établir des tribunaux dans toutes les principales villes, où les différends entre marchands se vuideroient sans frais. Et en effet, par édit du mois de Novembre 1563, il établit d'abord à Paris une jurisdiction composée d'un juge & de quatre consuls, qui seroient choisis entre les marchands.

Il en créa dans la même année & dans les deux suivantes dans les plus grandes villes, comme à Rouen, Bordeaux, Tours, Orléans, & autres.

Par un édit de 1566, on en créa dans toutes les villes où il y avoit grand nombre de marchands.

Aux états de Blois les députés du tiers état firent des plaintes sur ce nombre excessif de jurisdictions consulaires, & en demanderent la suppression ; ce qui ne leur fut pas pleinement accordé. Mais par l'article 239 de l'ordonnance qui fut faite dans ces états, il fut ordonné qu'il n'y auroit plus de consuls que dans les villes principales & capitales des provinces, dans lesquelles il y a un commerce considérable ; ce qui fut encore depuis restraint aux villes où le roi a seul la police, par arrêt rendu aux grands jours de Clermont le 19 Novembre 1582.

Il y a cependant eu depuis plusieurs créations de jurisdictions consulaires en différentes villes, & notamment en 1710 & 1711. On en donnera le dénombrement à la fin de cet article.

Toutes ces justices consulaires sont royales de même que les justices royales ordinaires, & elles sont toutes reglées à l'instar de celle de Paris, suivant l'article 1, du titre 12. de l'ordonnance du commerce, qui a déclaré l'édit de 1563 & tous autres concernant les consuls de Paris, dûment registrés au parlement, communs pour tous les siéges des consuls.

A Paris & dans plusieurs autres villes elles sont composées d'un juge & de quatre consuls ; dans plusieurs autres villes, il n'y a qu'un juge & deux consuls.

Le juge est proprement le premier consul, ou pour mieux dire il est le juge, c'est-à-dire le chef du tribunal, & les consuls sont ses conseillers ; on l'appelle vulgairement grand juge-consul, pour le distinguer des autres consuls : mais les ordonnances ne lui donnent d'autre titre que celui de juge.

A Toulouse, à Rouen, & dans quelques autres villes, on les nomme prieur & consul.

A Bourges, le juge est nommé prevôt.

La conservation de Lyon qui comprend la jurisdiction consulaire, a pour chef le prevôt des marchands qui y siége, avec les échevins & plusieurs autres assesseurs qui y font la fonction de consuls.

Les juge & consuls siégent en robe & avec le rabat. La véritable robe consulaire n'est proprement qu'un manteau. A Paris depuis quelques années, les juge & consuls portent une robe comme celle des gens de palais.

Il y a dans chaque jurisdiction consulaire un greffier en titre d'office, & plusieurs huissiers. A Paris les huissiers du châtelet font les significations, concurremment avec les huissiers des consuls.

Le premiere élection des juge & consuls à Paris en 1563, fut faite par les prevôt des marchands & échevins, qui assemblerent à cet effet cent notables bourgeois, avec lesquels ils procéderent à l'élection.

La charge ou fonction du juge & des consuls ne dure qu'un an, soit à Paris ou dans toutes les autres villes où il y a une jurisdiction consulaire.

Trois jours avant la fin de leur année, les juges & consuls font assembler soixante marchands bourgeois de Paris, qui en élisent trente d'entr'eux, dont quatre sont choisis pour scrutateurs ; & ces trente marchands élus, sans partir du lieu & sans discontinuer, procedent à l'instant avec les juges & consuls, à l'élection des cinq nouveaux juge & consuls.

A Toulouse & à Bordeaux, ces élections se font avec des formalités particulieres, qui sont détaillées dans le dictionnaire de commerce, tom. II, pag. 601, & suiv.

Quatre qualités sont nécessaires pour être juge & consul à Paris, & de même dans plusieurs autres villes ; il faut être actuellement marchand, ou l'avoir été ; être natif & originaire du royaume ; être demeurant dans la ville où se tient la jurisdiction.

Le juge-consul doit avoir au moins quarante ans, & les autres consuls vingt-sept ans, à peine de nullité de leur élection.

On choisit le juge dans le college des anciens consuls, en suivant cependant l'ordre du tableau. Ce juge est presque toujours de l'un des huit corps ou communautés, dont les officiers sont électeurs de droit.

Les consuls qui doivent juger avec lui ne peuvent être du même commerce, suivant la déclaration du mois de Mars 1728, qui ordonne expressément que tant le juge & les quatre consuls seront tous de commerce différens, au moyen de quoi des cinq places il y en a deux à remplir alternativement par des marchands du corps de la Pelleterie, Orfévrerie, Bonnetterie, Librairie, & par des Marchands de vin ; les trois autres places sont presque toujours remplies par la Draperie, l'Epicerie, l'Apothicairerie, & la Mercerie.

Les nouveaux juge & consuls sont présentés par les anciens pour prêter serment. A Paris, ils le pretent en la grand-chambre du parlement. Ceux des autres villes du ressort pretent le serment au bailliage ou sénéchaussée du lieu où ils sont établis.

En cas de mort du juge ou de quelqu'un des consuls pendant leur année, on en élit un autre.

Ceux qui sont élus ne peuvent se dispenser d'accepter cette charge sans cause légitime, & ils peuvent y être contraints, de même que pour les autres charges publiques.

Si quelqu'un d'eux est obligé de s'absenter pour long-tems ; il doit en avertir le consulat, demander son congé, & il doit être remplacé par un des anciens.

Ils ne peuvent être destitués du consulat que pour cause d'infamie, ou pour d'autres causes graves.

Les consuls de Paris ont d'abord tenu leur séance en la salle de la maison abbatiale de saint Magloire, qui étoit alors rue saint-Denis : mais leur auditoire fut transféré quelques années après au cloître saint Mery, où il est présentement. Ils donnent audience trois fois la semaine de matin & de relevée, & sont dans l'usage de ne point désemparer le siége, qu'ils n'ayent expédié toutes les causes qui se présentent ; tellement qu'il leur arrive souvent de tenir l'audience jusqu'à minuit. On compte quelquefois jusqu'à 56 mille sentences rendues aux consuls de Paris dans une même année.

Il est défendu aux juge & consuls de prendre aucunes épices, don, ni autre chose des parties directement ni indirectement, sous peine de concussion : le greffier a seulement un sou de chaque rôle des sentences.

Les parties assignées doivent comparoître en personne à la premiere assignation pour être ouies par leur bouche, si elles n'ont point d'excuse légitime de maladie ou absence, auxquels cas elles doivent envoyer leurs réponses par écrit signées de leur main propre, ou au cas de maladie signées d'un de leurs parens, voisins, ou amis, ayant de ce charge & procuration spéciale, dont il doit justifier à la premiere assignation : le tout sans aucun ministere d'avocat ni de procureur.

Il n'y a point de procureurs en titre ni par commission aux consuls, chacun y peut plaider sa cause ; ceux qui ne peuvent comparoître, ou qui n'ont pas assez de capacité pour défendre leurs droits, peuvent commettre qui bon leur semble : de-là vient que dans plusieurs jurisdictions consulaires il y a des praticiens versés dans les affaires de commerce, qui s'adonnent à plaider les causes. Ils sont avoués du juge & des consuls pour ce ministere ; c'est pourquoi on les appelle improprement postulans & même procureurs des consuls : mais ils sont sans titre, & n'ont d'autre retribution que celle qui leur est donnée volontairement par les parties.

Si la demande n'est pas en état d'être jugée sur la premiere assignation, les consuls peuvent ordonner que ceux qui n'ont pas comparu seront réassignés, suivant l'arrêt du conseil du 24 Décembre 1668 ; usage qui est particulier à ces jurisdictions.

Quand les parties sont contraires en faits, les consuls doivent leur donner un délai préfixe à la premiere comparution, pour produire leurs témoins, lesquels sont oüis sommairement en l'audience ; & sur leur déposition le différend est jugé sur le champ, si faire se peut.

Les consuls ne peuvent accorder qu'un seul délai, selon la distance des lieux & qualité de la matiere, pour produire les pieces & témoins.

Il est d'usage dans les jurisdictions consulaires d'admettre la preuve par témoins pour toutes sortes de sommes, même au-dessus de 100 livres, quand il n'y en auroit pas de commencement de preuve par écrit ; cette exception étant autorisée par l'ordonnance de 1677, en faveur de la bonne foi qui doit être l'ame du commerce.

Les consuls peuvent juger au nombre de trois ; ils peuvent appeller avec eux tel nombre de personnes de conseil qu'ils aviseront, si la matiere y est sujette, & qu'ils en soient requis par les parties.

Les matieres de leur compétence sont,

1°. Tous billets de change faits entre marchands & négocians, dont ils doivent la valeur.

2°. Ils connoissent entre toutes personnes des lettres-de-change ou remises d'argent faites de place en place, parce que c'est une espece de trafic qui rend celui qui tire ou endosse une lettre-de-change justiciable des consuls.

Cependant si celui qui a endossé une lettre-de-change étoit connu notoirement pour n'être point marchand ni de qualité à faire commerce, & qu'il parût que l'on n'a pris ce détour que pour avoir contre lui la contrainte par corps ; en ce cas le parlement reçoit quelquefois le débiteur appellant comme de juge incompétent des sentences des consuls : ce qui dépend des circonstances.

3°. Les consuls connoissent de tous différends pour ventes faites, soit entre marchands de même profession pour revendre en gros ou en détail, soit à des marchands de quelque autre profession, artisans ou gens de métier, afin de revendre ou de travailler de leur profession ; comme à des tailleurs d'habits, pour des étoffes, passemens, & autres fournitures ; boulangers & pâtissiers, pour blé & farine ; à des maçons, pour pierre, moilon, plâtre, chaux, &c. à des charpentiers, menuisiers, charrons, tonneliers, & tourneurs, pour des bois ; à des serruriers, maréchaux, taillandiers, armuriers, pour du fer ; à des plombiers, fontainiers, pour du plomb ; & autres semblables.

Les marchands qui ont cessé de faire commerce ne laissent pas d'être toûjours justiciables des consuls pour les négociations qu'ils ont faites par le passé.

Toutes personnes qui font commerce, c'est-à-dire qui achetent pour revendre, deviennent à cet égard justiciables des consuls, quand même ce seroient des ecclésiastiques, ou autres privilégiés ; parce qu'en trafiquant ils renoncent à leur privilége.

4°. Les femmes marchandes publiques de leur chef, & les veuves qui continuent le commerce de leurs maris, sont aussi justiciables des consuls pour raison de leur commerce.

Les héritiers des marchands & artisans qui ne sont pas de leur chef justiciables des consuls, ne sont pas tenus d'y procéder comme héritiers, à moins que ce ne fût en reprise d'une instance qui y étoit pendante avec le défunt.

5°. Les consuls connoissent des gages, salaires, pensions des commissionnaires, facteurs, ou serviteurs des marchands, pour le fait du trafic seulement.

6°. Du commerce fait pendant les foires tenues dans le lieu de leur établissement, à moins qu'il n'y ait dans le lieu un juge-conservateur des priviléges des foires, auquel la connoissance de ces contestations soit attribuée.

7°. Ils peuvent connoître de l'exécution des lettres patentes du Roi, lorsqu'elles sont incidentes aux affaires de leur compétence, pourvû qu'il ne soit pas question de l'état & qualité des personnes.

8°. Les gens d'église, gentilshommes, bourgeois, laboureurs, vignerons, & autres, qui vendent les grains, vins, bestiaux, & autres denrées provenant de leur crû, ne sont pas pour cela justiciables des consuls ; mais il est à leur choix de faire assigner les acheteurs devant les juges ordinaires, ou devant les consuls du lieu, si la vente a été faite à des marchands & artisans faisant profession de revendre.

Les consuls ne peuvent connoître des contestations pour nourriture, entretien, & ameublement, même entre marchands, si ce n'est qu'ils en fassent profession.

Ils ne peuvent pareillement connoître des inscriptions de faux incidentes aux instances pendantes devant eux ; ce sont les juges ordinaires qui en doivent connoître.

Lorsqu'il y a procès-verbal de rebellion à l'exécution des sentences des consuls, il faut se pourvoir en la justice ordinaire pour faire informer & décréter.

Les sentences des consuls ne s'expédient qu'en papier timbré, & non en parchemin.

Elles peuvent être exécutées par saisie de biens meubles & immeubles ; mais si on passe outre aux criées, il faut se pourvoir devant le juge ordinaire.

Elles emportent aussi la contrainte par corps pour l'exécution des condamnations qui y sont prononcées.

Quand la condamnation n'excede pas 500 livres, elles sont exécutoires, nonobstant opposition ou appellation quelconque. Celles qui excedent 500 liv. à quelque somme qu'elles montent, sont exécutoires par provision en donnant caution.

Il est défendu à tous juges d'entreprendre sur la jurisdiction des consuls, & d'empêcher l'exécution de leurs sentences.

Les appellations qui en sont interjettées vont directement à la grand-chambre du parlement, lequel n'accorde point de défenses contre ces sentences ; & lorsque la condamnation n'excede pas 500 livres, le parlement déclare l'appellant non-recevable en son appel.

Lorsque l'appel d'une sentence des consuls est interjetté comme de juge incompétent, la cause se plaide devant un des avocats généraux ; si l'appel est interjetté tant comme de juge incompétent qu'autrement, la cause est plaidée en la grand-chambre ; & en l'un & en l'autre cas si les consuls sont trouvés incompétens, on déclare la procédure nulle.

On n'accorde point de lettres de répi contre les sentences des consuls.

Il y a présentement soixante-sept jurisdictions consulaires dans le royaume. En voici la liste par ordre alphabétique, avec la date de leur création, autant qu'on a pu la recouvrer.

Voyez le recueil des réglemens concernant les consuls, & les institutes du droit consulaire, par Toubeau ; le praticien des consuls. (A)

CONSULS FRANÇOIS DANS LES PAYS ETRANGERS, sont des officiers du Roi établis en vertu de commission ou de lettres de provisions de S. M. dans les villes & ports d'Espagne, d'Italie, de Portugal, du Nord, dans les Echelles du Levant & de Barbarie, sur les côtes d'Afrique, & autres pays étrangers où il se fait un commerce considérable.

La fonction de ces consuls est de maintenir dans leur département les priviléges de la nation Françoise, suivant les capitulations qui ont été faites avec le souverain du pays ; d'avoir inspection & jurisdiction, tant au civil qu'au criminel, sur tous les sujets de la nation Françoise qui se trouvent dans leur département, & singulierement sur le commerce & les négocians.

Ces sortes de commissions ne s'accordent qu'à des personnes âgées de trente ans.

Ceux qui sont nommés consuls, doivent avant de partir prêter serment & faire enregistrer leurs provisions dans l'amirauté la plus prochaine de leur consulat, & les faire aussi enregistrer en la chambre du commerce, s'il y en a une de ce côté.

En arrivant dans le lieu de son consulat, il doit faire publier ses provisions en l'assemblée des marchands François qui se trouvent dans le lieu, & les faire enregistrer en la chancellerie du consulat.

Lorsqu'il s'agit d'affaires générales du commerce & de la nation, il doit convoquer tous les marchands, capitaines, & patrons des vaisseaux François qui sont sur les lieux ; & toutes ces personnes sont obligées d'y assister, sous peine d'amende arbitraire applicable au rachat des captifs. Sur les résolutions prises dans ces assemblées, le consul donne des mandemens, qui doivent être exécutés, & dont il envoye tous les trois mois des copies au lieutenant général de l'amirauté la plus prochaine, & en la chambre du commerce aussi la plus prochaine.

La jurisdiction de ces consuls embrasse plusieurs objets ; car non-seulement elle tient lieu d'amirauté dans le pays & de jurisdiction consulaire, mais même de justice ordinaire.

Les jugemens du consulat doivent être exécutés par provision en matiere civile, en donnant caution, à quelque somme que la condamnation se monte ; en matiere criminelle, définitivement & sans appel, lorsqu'il n'y écheoit point de peine afflictive, pourvû qu'ils soient rendus avec deux députés de la nation, ou à leur défaut, avec deux des principaux négocians François, suivant la déclaration du Roi du 25 Mai 1722. Quand il y écheoit peine afflictive, le consul doit instruire le procès, & l'envoyer avec l'accusé par le premier vaisseau François, pour être jugé par les officiers de l'amirauté du premier port où le vaisseau doit faire sa décharge.

Le consul peut aussi faire sortir du lieu de son établissement les François qui y tiendroient une conduite scandaleuse, suivant l'art. 15. du tit. jx. de l'ordonnance de 1681, qui enjoint aussi à tout capitaine & maître de vaisseau de les embarquer sur les ordres du consul, à peine de 500 liv. d'amende applicable au rachat des captifs.

L'appel des consuls des Echelles du Levant & des côtes d'Afrique & de Barbarie, se releve au parlement d'Aix ; l'appel des autres consulats est porté au parlement le plus prochain.

Si le consul a quelque différend avec les négocians du lieu, les parties doivent se pourvoir en l'amirauté la plus prochaine, suivant l'art. 19. du tit. jx. de l'ordonnance de 1681.

Il y a dans quelques-unes des échelles du Levant & de Barbarie un vice-consul, pour faire les fonctions du consulat dans les endroits où le consul ne peut être en personne.

Le consul a sous lui une espece de greffier qu'on nomme chancelier ; & la chancellerie est le dépôt des actes ou archives du consulat. Voyez CHANCELIER & CHANCELLERIE.

Il nomme aussi des huissiers & sergens pour l'exécution de ses mandemens, & leur fait prêter serment.

Il y a diverses ordonnances du Roi qui ont attribué aux consuls différens droits sur les marchandises qui se négocient par ceux de leur nation.

Voici l'état des CONSULATS DE FRANCE.

Quand la France est en guerre avec les puissances des lieux où sont établis ces consuls, & que le commerce est interrompu, les consuls sont obligés de se retirer en France.

Il y avoit aussi autrefois un consul de France en Hollande, & les Hollandois en avoient un en France ; mais il n'y en a plus de part ni d'autre depuis le traité de commerce & de navigation conclu entre ces deux puissances en 1697.

La plûpart des autres puissances ont aussi des consuls de leur nation à-peu-près dans les mêmes lieux, sur-tout les Anglois & les Hollandois. On distingue ordinairement ces consuls par le nom de leur nation. Par exemple, on dit le consul de la nation Françoise à Smyrne ; le consul de la nation Angloise à Alep. Voyez le tit. jx. de l'ordonn. de 1681. (A)

CONSULS DES VILLES ET BOURGS, sont des officiers municipaux choisis d'entre les bourgeois du lieu, pour administrer les affaires communes. Leur fonction est la même que celle des échevins. Dans le Languedoc on les appelle consuls ; à Bordeaux, jurats ; à Toulouse, capitouls ; & ailleurs, échevins.

Ce nom de consuls paroît avoir été imité de celui des consuls Romains, qui avoient le gouvernement des affaires publiques : mais le pouvoir des consuls des villes n'est pas à beaucoup près si étendu.

On peut aussi leur avoir donné ce nom, pour dire qu'ils sont conseillers des villes. (A)


CONSULAIREadj. (Hist. anc.) un homme consulaire étoit, au tems de la république, celui qui avoit été consul. Mais sous les empereurs on donna le même titre à ceux qui n'ayant jamais exercé le consulat, avoient cependant été honorés du rang & des marques de cette dignité. L'état de ceux-ci & leur dignité ne se désignoient pas par le mot consulatus, mais par celui de consularitas. Le titre de consulaire devint dans la suite encore plus commun, & conséquemment moins honorable.

CONSULAIRE, (Jurisprud.) se dit de tout ce qui appartient à la qualité de consul des marchands ou de consul des villes.

Billets-consulaires, sont ceux dont on peut poursuivre le payement aux consuls, & qui emportent la contrainte par corps. Tels sont les billets causés pour valeur reçûe en une lettre de change fournie, ou pour une lettre à fournir. Tels sont encore les billets à ordre ou au porteur entre marchands & négocians, & les billets pour valeur reçûe faits par des traitans & gens d'affaire.

Charges consulaires, sont les places & fonctions des consuls, tant des marchands que des villes.

Condamnation consulaire, est celle qui est émanée d'une jurisdiction consulaire de marchands, & qui emporte la contrainte par corps.

Corps consulaire, se dit pour désigner l'assemblée des prévôts des marchands & échevins des villes. Par exemple, l'édit du mois de Mai 1655 unit la jurisdiction de la conservation de Lyon au corps consulaire de la même ville.

Délibération consulaire, c'est celle qui est formée dans l'assemblée des consuls des villes.

Dette consulaire : on appelle ainsi toute dette pour laquelle on peut être assigné devant les juges & consuls des marchands ; telles que sont toutes les dettes entre marchands pour fait de leur commerce, & les dettes contractées pour lettres de change entre toutes sortes de personnes.

Droit consulaire : on entend par ce terme les ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, arrêts, & autres reglemens concernant la jurisdiction consulaire, & les regles qui doivent être observées entre marchands & négocians pour raison de leur commerce. Voyez les instit. du droit consulaire : ou les élémens de la jurisprud. des marchands par Toubeau.

Election consulaire, s'entend de l'élection des juge & consuls des marchands, & aussi de l'élection des consuls des villes dans les lieux où leurs officiers portent ce nom.

Fastes consulaires, voyez FASTES.

Goutte consulaire, se dit par métaphore pour exprimer les condamnations consulaires qui empêchent un débiteur de sortir de chez lui, de peur d'être arrêté & constitué prisonnier ; on dit qu'il a la goutte consulaire, comme si c'étoit la goutte qui l'empêchoit de sortir.

Hôtel consulaire, c'est la maison où les juge & consuls des marchands rendent la justice : ils la qualifient ordinairement ainsi dans les procès verbaux & délibérations qu'ils y font hors de l'audience.

Jurisdiction consulaire, est une justice royale qui est exercée par les juge & consuls des marchands élus pour ce fait.

Jugement consulaire, signifie en général tout jugement émané de la jurisdiction des consuls des marchands : mais on entend plus particulierement par-là les jugemens rendus par les consuls, qui prononcent des condamnations qui doivent être exécutées par corps.

Justice consulaire, est à-peu-près la même chose que jurisdiction consulaire, si ce n'est que par le terme de justice on peut entendre plus particulierement le tribunal consulaire ; & par le terme de jurisdiction, le pouvoir que les consuls exercent.

Livrée consulaire, c'est la robe, le chaperon, & autres ornemens que les consuls des villes ont droit de porter. Il ne leur est pas permis de porter indifféremment des robes ou livrées consulaires mi-parties de rouge & de noir ; ils doivent porter les livrées accoûtumées, comme il a été reglé par plusieurs arrêts. Voyez la biblioth. de Bouchel, au mot Consuls.

Maison consulaire ou hôtel consulaire, c'est le lieu où s'assemblent les consuls, où ils déliberent de leurs affaires & rendent la justice.

Manteaux consulaires, sont les robes que portent les consuls, soit des villes ou des marchands. Voyez ci-devant livrée consulaire, & ci-après robe consulaire.

Matieres consulaires, sont toutes les affaires de la compétence des consuls des marchands. Voyez ci-devant CONSULS.

Ornemens consulaires, voyez ci-dev. livrée. Voyez aussi CONSULS, à l'article de l'Hist. anc.

Robe consulaire, est une robe d'une forme particuliere affectée aux consuls des villes & des marchands. Cette robe n'est proprement qu'un manteau, & non une robe ample ni à grandes manches. Les consuls de quelques villes se sont ingérés de porter la robe de palais comme les gradués, sous prétexte que plusieurs d'entr'eux l'étoient. Les consuls des marchands de Paris ont fait la même chose depuis quelques années, quoiqu'aucun d'eux ne soit gradué par état, de sorte que c'est une nouveauté introduite de leur part sans aucun titre.

Sentence consulaire, est la même chose que jugement consulaire : on dit plus communément une sentence consulaire ou des consuls. Voyez ci-devant CONSULS. (A)


CONSULTANTS. m. (Med. & Jurisprud.) c'est en Droit & en Medecine un homme très expérimenté, dont on va prendre l'avis dans les circonstances épineuses.


CONSULTATIONS. f. (Jurispr.) est l'examen d'une question de fait ou de droit, & l'avis qui est donné sur ce qui en résulte.

Ce sont ordinairement des avocats qui donnent des consultations sur les matieres de droit & de coûtume, & sur tout ce qui a rapport à l'administration de la justice.

Leurs consultations ont beaucoup de rapport avec ces décisions des jurisconsultes, qu'on appelloit chez les Romains responsa prudentum. Ces jurisconsultes étoient les seuls qui avoient la liberté d'interpreter les lois ; & ce furent leurs décisions qui servirent à former le digeste. Il en est à-peu-près de même parmi nous ; quoique toutes sortes de personnes versées dans le Droit & dans la pratique puissent donner des avis à ceux qui leur en demandent, néanmoins les avocats ont seuls caractere pour donner des consultations authentiques. En effet, les ordonnances veulent qu'en certaines matieres on soit muni de la consultation d'un avocat avant d'être admis à plaider, comme dans les requêtes civiles, où les lettres de chancellerie ne sont expédiées que sur une consultation signée de deux anciens avocats, & de celui qui a fait le rapport. Il faut aussi pour les appels comme d'abus une consultation signée de deux anciens avocats ; & ces consultations s'attachent aux lettres de chancellerie. La plûpart des commissaires départis dans les provinces sont aussi dans l'usage de ne point autoriser les communautés d'habitans à intenter aucune demande, que sur une consultation d'avocat, afin de ne point les autoriser trop légerement à entreprendre de mauvaises contestations. Enfin ceux qui sont interdits, ou auxquels on a donné un conseil, ne peuvent intenter aucune demande sans la consultation par écrit de l'avocat qui leur a été nommé pour conseil.

Les anciennes ordonnances distinguent les avocats en trois classes ; savoir les avocats conseillers, consiliarii, c'est-à-dire consultans ; les avocats plaidans, & les avocats écoutans, qui sont les jeunes avocats : cette distinction suppose qu'il n'y avoit autrefois que les anciens avocats qui eussent droit de donner des consultations. Cette qualité d'ancien s'acquéroit autrefois au bout de dix ans ; présentement il faut vingt années d'exercice. Il est constant que les anciens avocats sont communément plus propres à la consultation que les jeunes, parce qu'ils ont eu le tems d'acquérir plus de connoissance & d'expérience dans les affaires. Aussi les ordonnances qui requierent une consultation, veulent-elles qu'elle soit signée de deux anciens avocats. Dans toute autre matiere il est libre de consulter ou de ne pas consulter, & de s'adresser à tel avocat que l'on juge à propos, ancien ou jeune.

Les consultations se font verbalement ou par écrit : celles qui se donnent par écrit, commencent ordinairement par ces mots : Le conseil soussigné qui a vû le mémoire & les pieces y jointes, &c. est d'avis, &c. elles finissent ordinairement par ces mots : Délibéré à tel endroit ; ensuite la date & la signature des consultans. Il n'y a cependant pas de forme essentielle ; chacun peut les rédiger comme bon lui semble.

Avant de s'embarquer dans une affaire, il est bon de commencer par consulter, & de ne pas imiter ces plaideurs téméraires & obstinés, qui ne consultent que pour chercher des moyens de soûtenir une cause desespérée. Il faut consulter un homme sage & expérimenté, qui ne soit pas un simple praticien, mais qui ait un fond de principes ; qui écoute avec attention & avec modération ce qu'on lui expose, & les raisons qu'on allegue pour combattre les siennes ; qui ne soit ni indécis ni trop entreprenant, qui ne se détermine ni par humeur ni par vivacité, mais par des raisons solides, & avec beaucoup de circonspection ; qui ne soûtienne point son avis avec trop de chaleur ni par entêtement, ou par un faux point d'honneur ; mais il faut que ce soit par des réflexions judicieuses, & qu'il fasse gloire de se réformer, si on lui fait voir qu'il est dans l'erreur, comme cela peut quelquefois arriver aux plus habiles gens.

On peut consulter plusieurs avocats ensemble ou séparément. Quelques-uns préferent de les consulter chacun en particulier, pensant par-là tirer d'eux plus de lumieres, & que les avis séparés sont plus libres ; que dans une assemblée de consultans, il s'en trouve quelquefois un qui a de l'ascendant sur l'esprit des autres, & qui leur impose ; & que les autres n'ayant pas la fermeté de lui résister, adoptent son avis par condescendance ; ce que l'on appelle vulgairement des consultations moutonnieres. Il est certain que quand chacun rédige séparément son avis par écrit, on trouve communément dans ces différentes consultations une plus grande abondance d'idées, qu'il n'y en auroit dans une seule & même rédaction. Cependant si l'on a l'attention de choisir plusieurs consultans d'égale force, & pour rédacteur un avocat vif & pénétrant, qui ne laisse rien échapper, cette voie paroît la plus sûre pour avoir une bonne consultation, & plus propre à se déterminer ; parce que les différens consultans discutant ensemble les raisons que chacun d'eux propose, elles sont communément bien mieux débattues que par un seul ; & tel qui a donné son avis tout seul, auroit quelquefois été d'un avis opposé, s'il eût prévû les raisons qui ont déterminé l'autre : plus vident oculi quam oculus.

Lorsque plusieurs avocats concourent pour une même consultation, c'est le plus jeune qui fait le rapport du fait & des pieces, & qui est chargé de rédiger la consultation : il la signe le premier comme rédacteur, & la présente ensuite à signer à ses anciens ; ce qui se fait ordinairement par ordre de matricule : cependant cela ne s'observe pas toûjours exactement.

Les consultations par écrit sont mises le plus souvent en suite du mémoire à consulter, & en ce cas elles sont relatives au mémoire pour les pieces & les faits qui y sont énoncés. Lorsque la consultation est rédigée séparément du mémoire, il est à-propos de faire mention en tête des mémoires & pieces qui ont été communiqués : & cela sert à justifier le consultant, si on a omis de lui communiquer quelque piece essentielle, comme font quelquefois ceux qui consultent, soit par inadvertance ou par un esprit de ruse mal-entendu ; car c'est s'abuser soi-même que de ne pas déclarer tout à son conseil, même ce qu'il y a de plus fort contre soi.

Il seroit bon de désigner de quelle part on a été consulté, pour ne pas tomber dans l'inconvénient de consulter pour & contre ; car quoique la vérité soit une dans son langage, il n'est pas séant que celui qui a eu le secret d'une partie puisse le communiquer à son adversaire.

Les consultations ne doivent avoir pour but que la justice & la vérité ; un avocat qui plaide une cause qu'il croit bonne ou au moins problématique, peut employer tous les moyens légitimes qu'il croit propres à la soûtenir : mais un consultant ne doit épouser les intérêts d'aucune partie ; il doit condamner sans ménagement celui qui le consulte s'il est mal-fondé, & ne point lui dissimuler la difficulté que peut souffrir la question.

Il ne suffit pas au-surplus au consultant de dire son avis séchement, viventis non est autoritas ; c'est pourquoi il doit appuyer son avis de toutes les raisons & autorités qui peuvent être utiles pour le soutien de la cause.

On appelle pilier des consultations, le premier pilier de la grand-salle du palais, où les avocats consultans se rassemblent le matin depuis onze heures environ jusqu'à une heure.

Les chambres des consultations sont différentes chambres situées dans l'enclos du palais, où les avocats se retirent pour donner des consultations : la plus grande de ces chambres, qu'on appelle la grand-chambre des consultations, sert aussi quelquefois pour certaines assemblées de discipline.

Les consultations de charité se donnent en la bibliotheque des avocats un jour de chaque semaine. On nomme à cet effet, pour chaque fois, six d'entre ceux qui ont au moins dix ans de palais, & un avocat plus jeune pour faire le rapport des questions & rédiger les consultations.

Le roi Stanislas duc de Lorraine & de Bar, a fondé à Nancy des consultations de charité.

On appelle aussi consultation un droit que les procureurs comprennent dans leurs mémoires de frais & dans la taxe des dépens ; ce droit a été établi en certains cas où le procureur est censé avoir consulté un avocat, comme pour former la demande introductive, pour produire, sur un interrogatoire, sur des criées, &c.

Il ne faut pas confondre ces droits de consultation avec le droit de conseil que les procureurs ont sur les défenses, repliques, & autres procédures.

Consultation est aussi employée dans quelques ordonnances pour déliberations & arrêts du parlement. Charles V. alors régent du royaume, dans des lettres du 18 Octobre 1358 adressées aux gens du parlement leur ordonne, judicetis & consultationes vestras atque judicia pronuncietis, &c. (A)

CONSULTATION, (Medecine) , consultatio, deliberatio : on entend par ce terme la partie de l'exercice de la profession du medecin, qui consiste dans l'examen qu'il fait, soit en particulier soit en commun, avec un ou plusieurs de ses confreres, de l'état présent d'une personne en santé ou en maladie, des causes & des conséquences qu'on peut tirer de cet état, & des moyens qu'il convient d'employer relativement aux indications que présentent ces considérations ; pour conserver la santé si elle est actuellement existante, pour préserver des maladies que l'on peut avoir à craindre & que l'on peut prévenir, pour guérir celles qui troublent présentement l'oeconomie animale, ou au moins pour les pallier si elles ne sont pas jugées susceptibles de guérison, lesquels moyens doivent être dirigés par la juste application de la méthode prescrite par les regles de l'art.

Cet examen, qui forme la consultation & d'où resulte un jugement porté sur le cas proposé, peut être fait, soit sur l'exposé de la personne qui a besoin de conseil pour sa santé & qui le demande elle-même, soit sur la relation qui est faite de son état de vive voix ou par écrit.

Ce jugement d'un ou de plusieurs medecins, qui est le résultat de la consultation, est ce qu'on appelle l'avis du ou des medecins. Ceux de cette profession qui sont actuellement ou habituellement consultés, sont dits conséquemment medecins consultans : on donne particulierement cette épithete à ceux qui ont spécialement la fonction de donner leurs avis sur la santé ou sur les maladies des princes. Voyez sur tout ce qui regarde la consultation & les regles qui la concernent, la préface de Fréderic Hoffman à la tête du tome IV. de ses oeuvres, qui sert d'introduction à son recueil de consultations & de réponses médicinales. Voyez MEDECIN, MEDECINE. Article de M. d'Aumont.


CONSULTEURS. m. (Hist. eccl. & prof.) à Rome, on donne ce nom à des théologiens chargés par sa sainteté d'examiner les livres & les propositions déferées à ce tribunal ; ils en rendent compte dans les congrégations où ils n'ont point voix déliberative : à Venise, à des jurisconsultes dont la république prend les avis dans des cas difficiles, tant en matiere ecclésiastique que civile : dans certains ordres monastiques, à des religieux qui transmettent des avis au général, & qui sont comme son conseil.


CONSUMERv. act. qui marque destruction, dissolution : il se dit du tems, du feu, du mal ; mais ce n'est le propre que du feu. Consommer marque fin, perfection, accomplissement. Le substantif consommation est commun aux deux verbes, & participe de leurs différentes acceptions. Voyez CONSOMMER.


CONSUSS. m. (Mythol.) dieu du conseil ; il avoit un autel dans le cirque. Cet autel étoit couvert, ce qui n'a pas besoin d'être expliqué. Ce fut, à ce qu'on dit, pendant les fêtes qu'on célebroit à son honneur, que Romulus fit enlever les Sabines. Ces fêtes s'appellent consuales ; voyez CONSUALES. Il y en a qui prétendent que Consus est le même que Neptune équestre.


CONTACTS. m. (Géom.) point de contact, punctum contactûs, est le point où une ligne droite touche une ligne courbe, ou dans lequel deux lignes courbes se touchent.

Angle de contact. Voyez ANGLE DE CONTINGENCE au mot CONTINGENCE.

CONTACT, (Physiq.) est l'état relatif de deux choses qui se touchent, ou de deux surfaces qui se joignent l'une & l'autre sans laisser d'interstices. Le contact de deux spheres n'est qu'un point, de même que celui de la tangente d'un cercle & de sa circonférence.

Comme il y a peu de surfaces capables de se toucher de toutes parts, & que la cohésion des corps est proportionnelle à leur contact, les corps qui sont capables du plus grand contact, sont ceux qui adherent ensemble le plus fortement. V. COHESION. (O)

CONTACT, (Medec.) attouchement ; c'est une des causes externes de quelques maladies très-fâcheuses.

On range le contact parmi les causes extérieures de diverses maladies, parce que par l'attouchement ou la respiration, sorte d'attouchement involontaire, il se fait dans le corps humain l'introduction de matieres morbifiques ou de myasmes contagieux.

Quatre especes de contact peuvent produire les maladies : 1°. la respiration d'un mauvais air : 2°. l'attouchement simple d'une personne mal-saine, ou de quelque chose qu'elle aura touché récemment : 3°. le congrès d'une personne saine avec une personne gâtée : 4°. l'attouchement accompagné de piqûure ou de morsure d'animaux vénimeux, comme de la vipere ou d'un animal enragé, &c. La premiere espece de contact donne la peste, le scorbut, &c. La seconde fait naître la gale ou quelque accident analogue. La troisieme occasionne encore la vérole, qu'on me passe ce terme ; il doit être permis au medecin de ne point périphraser par écrit. La quatrieme espece de contact cause l'introduction dans le sang, d'une humeur vénéneuse ou d'un virus hydrophobique.

Plusieurs auteurs sont persuadés que le virus vérolique ne fait point d'impression sur les parties du corps qui sont revêtues de la peau toute entiere, mais seulement sur celles qui en sont dépourvûes, comme le fondement, la vulve, le gland de la verge, la face interne du prépuce, l'intérieur de la bouche, la langue, le fonds du nez, le gosier, & les parties voisines.

Il seroit à souhaiter que cette expérience fût certaine & sans exception ; cependant elle devient très-douteuse par quelques attestations contraires, & on en cite de singulieres dans la personne de ceux qui accouchent fréquemment des femmes gâtées. En voici deux exemples particuliers que nous fournit le traducteur françois du traité des maladies vénériennes de Charles Musitan, cet auteur Italien né pour la pratique de ce genre de maladies, qu'il exerça si noblement, & même quoique prêtre, en vertu de la permission du pape Clement IX.

Le premier de ces exemples est celui du sieur Simon, l'un des chirurgiens de l'hôtel-Dieu de Paris, qui fut attaqué d'un ulcere vérolique à l'un de ses doigts, après avoir accouché une de ces femmes de mauvaise vie qui vont faire leurs couches à cet hôpital ; & cet ulcere fut suivi de si fâcheux symptomes, qu'après avoir souffert un traitement de la vérole sans aucun succès, il eut le malheur de périr dans un second traitement. L'autre exemple est celui de madame de la Marche, maîtresse sage-femme de cet hôpital, qui fut attaquée à un de ses doigts d'un semblable ulcere, après avoir fait un accouchement tout pareil, & qui se trouva bientôt toute couverte de pustules véroliques, dont elle ne guérit que par le traitement qui convient à ce mal.

En effet, l'expérience de la communication d'autres maladies par l'attouchement, la connoissance du nombre prodigieux de petits vaisseaux exhalans situés sous toute l'épiderme, la purgation des enfans par de simples frictions extérieures de coloquinte & semblables purgatifs, tout cela rend probable la possibilité des faits qu'on allegue sur cette matiere : & quoique les exemples de ce genre soient des phénomènes très-rares, il peut être cependant quelquefois avantageux aux gens du métier d'en connoître l'existence pour en profiter dans l'occasion, en évitant une conduite téméraire, & en imitant Fabius, qui mettoit l'espérance du salut dans les précautions tendantes à la sûreté ; je dis dans les précautions tendantes à la sûreté, parce qu'il n'est pas plus raisonnable de prendre par terreur panique, ou par foiblesse d'esprit, des précautions inutiles, que de négliger les nécessaires. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONTAGIONS. f. (Med.) qualité d'une maladie, par laquelle elle peut passer du sujet affecté à un sujet sain, & produire chez le dernier une maladie de la même espece.

Les maladies contagieuses se communiquent, soit par le contact immédiat, soit par celui des habits ou de quelques meubles ou autres corps infectés, soit même par le moyen de l'air qui peut transmettre à des distances assez considérables certains myasmes ou semences morbifiques.

Ces myasmes sont plus ou moins legers, plus ou moins mobiles, selon l'espece de maladie contagieuse à laquelle ils appartiennent : ceux de la gale par exemple, ne s'étendent presque pas au-delà de la surface de la partie affectée : ceux de la rage, qui ne se communiquent que par l'application immédiate de la bave de l'animal enragé sur une partie blessée, ou recouverte seulement d'une peau très-mince, comme les levres, la langue, &c. ceux de la rage, dis-je, paroissent plus fixes encore : le virus vérolique n'a pas non plus, pour le bien de l'espece humaine, une atmosphere fort étendue. Voy. GALE, RAGE, ROLEROLE. Les myasmes pestilentiels, au contraire, ceux de la dyssenterie, ceux de la petite vérole & de la plûpart des maladies éruptives, se répandent assez loin, supposé pourtant qu'ils existent réellement ; car c'est précisément par la peste & les maladies pestilentielles ou malignes, qu'a commencé l'incrédulité des medecins sur la contagion des maladies. Voyez PESTE.

Rien n'est peut-être moins décidé en Medecine que l'existence ou la non-existence de la contagion de cette derniere classe de maladies, & de beaucoup d'autres que le peuple croit contagieuses sans le moindre doute, & que plusieurs medecins déclarent non-contagieuses sans avoir assez douté : mais l'explication de ce phénomene qu'ils sont contraints d'avoüer pour la gale, la rage, les maladies vénériennes, & un petit nombre d'autres, est un problême bien plus embarrassant encore dans la doctrine regnante : les humoristes modernes, sur-tout, n'en trouveront la solution qu'avec peine dans les épaississemens, les dissolutions, les acrimonies des humeurs, leurs hérences, stagnations, arrêts, orgasmes, &c. ils ne trouveront que très-difficilement, dis-je, le rapport de quelqu'un de ces vices considérés comme effets, comme dûs à des myasmes, avec l'action de cette matiere insensible, son énergie, son aptitude à disposer les humeurs & les organes de la façon nécessaire pour produire une maladie d'une espece déterminée.

Cette spécification de la maladie produite, ou ce qui revient au même, cette qualité exactement séminale du myasme, laissera vraisemblablement encore long-tems une lacune dans la théorie pathologique ; à moins cependant qu'on ne voulût recevoir pour des explications les ingénieuses métaphores de Vanhelmont, recourir à cet ordre de causes qu'il désignoit sous les noms de lumieres, d'idées irradiées, de semences incorporelles, de gas, &c.

Mais dans le fond & à examiner la chose de près, sommes-nous bien fondés à rejetter ces explications ? Ne nous fournissent-elles pas de legeres approximations ? Pouvons-nous prétendre à davantage, toutes les fois qu'il s'agit d'expliquer des vertus séminales ? Et ne vaut-il pas mieux se contenter de signes proportionnés à l'obscurité de l'idée que nous avons de ces agens insensibles, que de tomber dans des erreurs manifestes, en s'obstinant, pour s'en former des notions plus claires, à les ramener aux lois méchaniques si peu faites pour ces corps ? On seroit fort mal reçu, à la vérité, si on vouloit en faire encore aujourd'hui des êtres moyens entre la matiere & l'esprit, ou entre la substance & l'accident : mais en ramenant ces anciennes idées au ton de notre philosophie, il doit nous être permis d'avancer que les agens séminaux doivent être regardés comme les extrèmes dans la classe des êtres matériels, comme placés, pour ainsi dire, sur les confins par lesquels ces derniers touchent aux êtres abstraits. Or les signes réels, les expressions propres, doivent nécessairement nous manquer pour des êtres de cette espece : on est donc forcé de se contenter d'une image à peine sensible, qu'il sera toûjours très-ingénieux de saisir, & très-utile de présenter, & qui vaudra mieux sans contredit qu'une ombre vaine, que l'obscurité absolue, & surtout que l'erreur. Voy. MYASME, MEDICAMENT, POISON, SEMENCE, GENERATION.

Par exemple, pour nous en tenir au cas particulier de la contagion, ces énonciations indéterminées vaudront mieux que l'opinion de M. Cheyne, qui a assuré dans une petite dissertation sur la contagion, que les myasmes étoient de nature alkaline volatile : opinion déclarée vraisemblable par un célebre professeur en Medecine. Ces deux auteurs ont expressément admis la prétendue qualité septique des alkalis volatils, & la tendance spontanée des fluides des animaux à l'alkalinité : deux dogmes du Boerhavisme également gratuits, & également démentis par l'expérience. Celle de M. Pringle qui n'a pas trouvé d'assaisonnement plus efficace pour la conservation des viandes que l'alkali volatil, est sur-tout remarquable dans cette occasion. Le dernier des partisans du sentiment que nous venons d'exposer, après l'avoir proposé en ces mots, verisimile est... hasce lues esse indolis alkalinae, corosivae, septicae, in quam animalium omnium fluida sponte tendunt ; ajoûte forte insecta quaedam Americana venenatissima hisce affluviis originem dederunt, ut canes, lupi virus hydrophobicum primi parant, &c. (Sauvages, patholog.) J'observerai à propos de ce soupçon, que la premiere origine ou la matrice des myasmes, nous est aussi inconnue que leur nature.

Au reste il ne faut pas oublier que les semences morbifiques n'operent pas indistinctement sur tous les sujets, mais seulement sur ceux qui sont disposés de leur côté d'une maniere propre à recevoir l'impression du venin, & à concourir à son action. La nécessité de ce rapport a été observée dans toutes les maladies contagieuses. Toutes les personnes mordues par des chiens enragés n'ont pas contracté la rage, lors même qu'elles ont négligé l'usage des préservatifs ordinaires (voyez RAGE) : toutes celles qui ont eu des commerces impurs n'ont pas été infectées du virus vénérien (voyez VEROLE), &c. mais le concours de cette disposition du sujet est encore plus sensible & remarquable par plus de circonstances dans la petite vérole. Voyez PETITE VEROLE. Voyez les moyens généraux de se garantir autant qu'il est possible des impressions des myasmes & de l'air infecté au mot PRESERVATIF ; & les secours découverts ou proposés contre chaque différent myasme, aux articles particuliers, RAGE, VEROLE, PESTE, DYSSENTERIE, &c. (b)


CONTAILLESS. f. (Comm.) est une des sortes de bourre de soie, qu'on appelle aussi strasses & rondelettes. Voyez SOIE. Voy. les diction. du Comm. & de Trév.


CONTAURS. m. construction de bâtiment de mer ; piece de bois dont l'épaisseur est de trois pouces sans la fourrure, & la largeur de treize ou quatorze, qui va en diminuant du milieu vers les extrémités de la proue à la poupe, & qui est placée dans la galere au-dessus de l'enceinte ou cordon. Voyez les dict. de Trév. & du Comm.


CONTES. m. (Belles-Lettres) c'est un récit fabuleux en prose ou en vers, dont le mérite principal consiste dans la variété & la vérité des peintures, la finesse de la plaisanterie, la vivacité & la convenance du style, le contraste piquant des évenemens. Il y a cette différence entre le conte & la fable, que la fable ne contient qu'un seul & unique fait, renfermé dans un certain espace déterminé, & achevé dans un seul tems, dont la fin est d'amener quelque axiome de morale, & d'en rendre la vérité sensible ; au lieu qu'il n'y a dans le conte ni unité de tems, ni unité d'action, ni unité de lieu, & que son but est moins d'instruire que d'amuser. La fable est souvent un monologue ou une scene de comédie ; le conte est une suite de comédies enchaînées les unes aux autres. La Fontaine excelle dans les deux genres, quoiqu'il ait quelques fables de trop, & quelques contes trop longs.

CONTE, FABLE, ROMAN, syn. (Gramm.) désignent des récits qui ne sont pas vrais : avec cette différence que fable est un récit dont le but est moral, & dont la fausseté est souvent sensible, comme lorsqu'on fait parler les animaux ou les arbres ; que conte est une histoire fausse & courte qui n'a rien d'impossible, ou une fable sans but moral ; & roman un long conte. On dit les fables de La Fontaine, les contes du même auteur, les contes de madame d'Aunoy, le roman de la princesse de Cleves. Conte se dit aussi des histoires plaisantes, vraies ou fausses, que l'on fait dans la conversation. Fable, d'un fait historique donné pour vrai, & reconnu pour faux ; & roman, d'une suite d'avantures singulieres réellement arrivées à quelqu'un. (O)


CONTEMPLATIONS. f. (Théologie) selon les mystiques, se définit un regard simple & amoureux sur Dieu, comme présent à l'ame. On dit que cette contemplation consiste dans des actes si simples, si directs, si uniformes, si paisibles, qu'ils n'ont rien par où l'ame puisse les saisir pour les distinguer.

Dans l'état contemplatif, l'ame doit être entierement passive par rapport à Dieu ; elle doit être dans un repos continuel sans aucune secousse ou mouvement, exempte de toutes les activités des ames inquietes qui s'agitent pour sentir leurs opérations ; de-là quelques-uns appellent la contemplation une priere de silence & de repos. La contemplation n'est point, ajoûtent-ils, un ravissement ou une suspension extatique de toutes les facultés de l'ame ; c'est quelque chose de passif, c'est une paix ou une souplesse infinie, laissant l'ame parfaitement disposée à être mue par les impressions de la grace, & dans l'état le plus propre à suivre l'impulsion divine. L'habitude de la contemplation est le comble de la perfection chez les mystiques ; & la vie contemplative, l'opposée de la vie active. Voyez MYSTIQUE. (G)

* Mais, selon les Philosophes, la contemplation est l'action de fixer une même idée ou objet dans son entendement, & de l'envisager par toutes les faces différentes ; ce qui est une des voies les plus sûres d'acquérir une connoissance exacte & profonde des choses, & de s'avancer vers la vérité.


CONTEMPORAINadj. qui se prend quelquefois subst. (Gramm.) qui est du même tems. Il y a peu de fond à faire sur le jugement favorable, ou défavorable, même unanime, que les contemporains d'un auteur portent de ses ouvrages. Ce Ronsard si vanté par tous les hommes de son siecle, n'a plus de nom. Ce Perrault si peu estimé pendant sa vie, commence à avoir de la célébrité ; je ne parle pas du fameux architecte du péristile du Louvre, je parle de l'auteur encore trop peu connu aujourd'hui du Parallele des anciens & des modernes, ouvrage au-dessus des lumieres & de la philosophie de son siecle, qui est tombé dans l'oubli pour quelques lignes de mauvais goût & quelques erreurs qu'il contient, contre une foule de vérités & de jugemens excellens.


CONTENANCES. f. habitude du corps, soit en repos, soit en mouvement, qui est relative à des circonstances qui demandent de l'assûrance, de la fermeté, de l'usage, de la présence d'esprit, de l'aisance, du courage, ou d'autres qualités convenables à l'état ; & qui marque qu'on a vraiment ces dispositions, soit dans le coeur, soit dans l'esprit. Je dis, ou d'autres qualités convenables à l'état ; parce que chaque état a sa contenance. La magistrature la veut grave & sérieuse ; l'état militaire, fiere & délibérée, &c. d'où il s'ensuit qu'il ne faut avoir de la contenance, que quand on est en exercice, mais qu'il faut avoir partout & en tout tems le maintien honnête & décent ; que le maintien est pour la société, & que la contenance est pour la représentation ; qu'il y a une infinité de contenances différentes, bonnes & mauvaises, mais qu'il n'y a qu'un bon maintien.


CONTENTSATISFAIT, CONTENTEMENT, SATISFACTION ; (Synon.) ces mots désignent en général le plaisir de joüir de ce qu'on souhaite. Voici leurs différences : on dit, une passion satisfaite ; content de peu, content de quelqu'un ; on demande satisfaction d'une injure ; contentement passe richesse. Pour être satisfait, il faut avoir desiré ; on est souvent content sans avoir desiré rien. (O)


CONTENTEMENTSATISFACTION, (Gram.) l'un de ces deux mots n'a point de pluriel, c'est celui de satisfaction ; & l'autre appliqué au monde désigne ses amusemens, ses plaisirs, &c. Ces deux termes au singulier ont encore quelque différence bien remarquée par M. l'abbé Girard.

Le contentement est plus dans le coeur ; la satisfaction est plus dans les passions. Le premier est un sentiment qui rend toûjours l'ame tranquille ; le second est un succès qui jette quelquefois l'ame dans le trouble. Un homme inquiet, craintif, n'est jamais content : un homme possédé d'avarice ou d'ambition, n'est jamais satisfait. Il n'est guere possible à un homme éclairé d'être satisfait de son travail, quoiqu'il soit content du choix du sujet. Callimaque qui tailloit le marbre avec une délicatesse admirable, étoit content du cas singulier qu'on faisoit de ses ouvrages, tandis que lui-même n'en étoit jamais satisfait. On est content lorsqu'on ne souhaite plus, quoique l'on ne soit pas toûjours satisfait, lorsqu'on a obtenu ce qu'on souhaitoit. Combien de fois arrive-t-il qu'on n'est pas content après s'être satisfait ? Vérité qui peut être d'un grand usage en morale. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONTENTIEUXadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui fait l'objet d'une contestation, comme un héritage contentieux. On dit aussi un bénéfice contentieux, mais plus ordinairement un bénéfice en litige. (A)


CONTENTIONS. f. (Gramm. & Métaph.) application longue, forte, & pénible de l'esprit à quelque objet de méditation. La contention suppose de la difficulté, & même de l'importance de la part de la matiere, & de l'opiniâtreté & de la fatigue de la part du philosophe. Il y a des choses qu'on ne saisit que par la contention. Contention se dit aussi d'une forte & attentive application des organes : ainsi ce ne sera pas sans une contention de l'oreille, qu'on s'assûrera que l'on fait ou que l'on ne fait pas dans la prononciation de la premiere syllabe de trahir, un e muet entre le t & l'r. Il n'y a entre la contention & l'application, de différence que du plus au moins ; entre la contention & la méditation, que les idées d'opiniâtreté, de durée, & de fatigue, que la contention suppose, & que la méditation ne suppose pas. La contention est une suite d'efforts réitérés.


CONTENTOR(Jurisprud.) dans l'usage s'entend d'un droit de registre qui appartient aux audienciers des chancelleries. Ce terme tire son étymologie de contentare, qui dans la basse latinité signifioit contenter. L'officier écrivoit ce mot contentor comme une quittance de son droit, pour dire je suis content, on m'a satisfait, sans dire ce que l'on avoit payé ; & comme cette forme de quittance étoit propre aux audienciers des chancelleries, on s'est imaginé que contentor signifioit le droit même qui étoit payé. L'usage de ce droit est fort ancien, puisqu'on trouve une ordonnance du mois d'Août 1363, à la fin de laquelle il y a ces mots, visa contentor. Henri II. par son édit du mois de Janvier 1551, autorise l'ancien audiencier à prendre pour droit de registre ou contentor de chaque chartre, la somme de 40 sous tournois comme il faisoit dès-lors. Il donne le même droit aux autres audienciers nouvellement créés. Anciennement cette mention du contentor se mettoit aussi par les audienciers de la grande chancellerie. Présentement il n'est plus usité que par les audienciers des petites chancelleries sur les lettres, sur lesquelles ils perçoivent en particulier un droit ; tel que les rémissions & provisions d'officiers qui s'y reçoivent.

L'édit du mois d'Octobre 1571, & celui du mois d'Août 1576, en parlant de ce même droit, l'appellent droit de registrata. (A)


CONTENUadj. (Physiq.) est un terme assez souvent employé pour exprimer la capacité d'un vaisseau, ou l'aire d'un espace, ou la quantité de matiere que contient un corps. Voyez AIRE ; voyez aussi SURFACE & SOLIDE.

Ainsi on dit mesurer le contenu d'un tonneau, d'une pinte &c. & quelquefois aussi trouver le contenu d'une surface ou d'un corps solide, quoique ce terme soit plus en usage pour désigner la capacité des vaisseaux vuides ou supposés tels. (O)


CONTEOURSsub. m. pl. (Hist. litt.) farceurs fort en vogue avant le regne de François I. ils récitoient des vers, joüoient des instrumens, & chantoient.


CONTERIES. f. (Comm.) espece de verroterie qui vient de Venise en cordons, qu'on transporte en Guinée ou au Canada, & dont les Sauvages, avec qui on en trafique, ornent leurs capots, & forment une espece de broderie. On distingue la conterie de Conto, le grenat de couleur, & la conterie de poids, dont les frais de douanne sont différens. Dictionn. du Comm. & de Trév.


CONTESSA(Géog.) ville considérable de la Turquie européenne, avec un port, dans la Macédoine. Long. 41, 35. lat. 40, 58.


CONTESTATIONDISPUTE, DEBAT, ALTERCATION, syn. (Gram.) Dispute se dit ordinairement d'une conversation entre deux personnes qui différent d'avis sur une même matiere, & se nomme altercation lorsqu'il s'y mêle de l'aigreur. Contestation se dit d'une dispute entre plusieurs personnes, ou entre deux personnes considérables, sur un objet important, ou entre deux particuliers pour une affaire judiciaire. Débat est une contestation tumultueuse entre plusieurs personnes. La dispute ne doit jamais dégénérer en altercation. Les rois de France & d'Angleterre sont en contestation sur tel article d'un traité. Il y a eu au concile de Trente de grandes contestations sur la résidence. Pierre & Jacques sont en contestation sur les limites de leurs terres. Le parlement d'Angleterre est sujet à de grands débats. (O)

CONTESTATION, (Jurisprud.) signifie en général dispute, querelle, procès. (A)

CONTESTATION EN CAUSE, conflictus utriusque partis ; c'est le premier reglement ou appointement qui intervient sur les demandes & défenses des parties. Les défenses ne suffisent donc pas pour former la contestation en cause, il faut qu'il intervienne quelque reglement préparatoire.

Chez les Romains la contestation en cause devoit être formée dans deux mois au plus tard.

La coûtume de Paris, art. 104. dit que la contestation en cause est quand il y a reglement sur les demandes & défenses des parties, ou que le défendeur est défaillant, & débouté des défenses. Ces déboutés de défenses ont été abrogés par l'art. 2. du tit. j. de l'ordonnance de 1667 ; & l'art. 13. du tit. xjv. tient la cause pour contestée par le premier reglement, appointement, ou jugement après les défenses.

Avant la contestation en cause, on ne peut point appeller ; & après la contestation on ne peut plus recuser le juge, parce qu'il est saisi de l'affaire, & qu'on a procédé volontairement devant lui.

On n'étoit censé constitué en mauvaise foi chez les Romains, que du jour de la contestation en cause, & non pas du jour de la demande : mais parmi nous la demande suffit, & la restitution des fruits est dûe à compter du jour de la demande.

La coûtume de Paris, art. 102. porte que quand un tiers détenteur est poursuivi pour raison d'une rente dont est chargé l'héritage qui lui a été vendu sans la charge de cette rente, & dont il n'avoit pas connoissance, en renonçant à l'héritage avant contestation en cause, il n'est point tenu de la rente ni des arrérages, encore qu'ils fussent échûs de son tems & auparavant cette énonciation.

Il peut aussi, suivant l'art. 103. déguerpir après contestation en cause ; mais en ce cas il est tenu des arrérages de son tems jusqu'à la concurrence des fruits par lui perçûs, si mieux il n'aime rendre ces fruits.

La péremption d'instance n'avoit lieu autrefois qu'après que la cause avoit été contestée ; mais présentement la cause contestée ou non tombe en péremption par le laps de trois ans. Voyez PEREMPTION.

Mornac, sur la loi j. au code de litis contestatione, & M. Cujas en ses observat. liv. X X. chap. xxj. sont d'avis qu'en matiere criminelle la contestation en cause se forme dès l'instant que l'accusé a subi interrogatoire, ou qu'il est contumace : cependant l'opinion commune est qu'en cette matiere la contestation en cause n'est formée que par le recolement & la confrontation. Voyez au code, liv. I. tit. xx. l. 2. liv. III. tit. jx. l. 1. & tit. xxxj. l. 1. § 1. Brodeau sur Louet, lett. C, ch. jv. (A)

CONTESTATION PLUS AMPLE, signifie une plus ample instruction. Lorsque le juge ne trouve pas sa religion suffisamment instruite pour juger sur ce qui a été plaidé ou produit devant lui, il ordonne une plus ample contestation, ou que les parties contesteront plus amplement.

Mauvaise contestation, signifie celle qui est faite depuis que celui qui la soûtient a été constitué en mauvaise foi par la communication des pieces justificatives de la demande : on conclud aux dépens du jour de la mauvaise contestation seulement, lorsque l'on ne peut pas prétendre les dépens du jour de la premiere demande, parce qu'elle n'étoit pas suffisamment établie.

Téméraire contestation, est celle qui est évidemment mal fondée ; celui qui s'en plaint demande que pour la téméraire contestation son adversaire soit condamné aux dépens, & même quelquefois en des dommages & intérêts, si le cas y échet. (A)


CONTEXTES. m. (Théol.) mot usité parmi les Théologiens, & formé du latin contextus, mais équivoque.

Quelquefois dans leurs écrits il signifie simplement le texte des écritures, ou d'un auteur, d'un pere, &c.

Quelquefois il signifie cette partie de l'Ecriture-sainte, ou de tout autre livre, qui se trouve avec le texte, soit devant, soit après, soit entre-mêlé ; & alors c'est proprement une glose. Il faut quelquefois consulter le contexte, pour entendre parfaitement le sens du texte. Voyez TEXTE. (G)


CONTEXTURES. f. terme d'usage, soit en parlant des ouvrages de la nature, soit en parlant des ouvrages de l'art : il marque enchaînement, liaison de parties disposées les unes par rapport aux autres, & formant un tout continu. Ainsi l'on dit la contexture des fibres, des muscles, &c. la contexture d'une chaîne, &c. mais on dit le tissu de la peau, le tissu d'un drap. Tissu a un rapport plus direct que la contexture à cette disposition particuliere des parties qui naît de l'ourdissage : ainsi contexture paroît plus général que tissu.


CONTIGLIANO(Géog.) petite ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, au duché de Spolete.


CONTIGNATIONS. f. (Charpent.) assemblage de pieces de bois destinées à soutenir des fardeaux, comme planchers, plafonds, toits, &c. Il est propre à la construction des maisons.


CONTIGUPROCHE, syn. (Gramm.) Ces mots désignent en général le voisinage ; mais le premier s'applique principalement au voisinage d'objets considérables, & désigne de plus un voisinage immédiat : ces deux terres sont contigues ; ces deux arbres sont proches l'un de l'autre. (O)

CONTIGU, adj. (Phys.) terme relatif, s'entend des choses placées si près l'une de l'autre, que leurs surfaces se joignent ou se touchent. On dit que les parties d'un corps sont contiguës, lorsqu'elles sont simplement placées les unes auprès des autres, & qu'il ne faut aucun effort pour les séparer. On dit qu'elles sont continues, lorsqu'elles sont jointes ensemble. Les parties des corps durs sont continues ; celles des fluides sont contiguës. Voyez l'article CONGREGATION. (O)

CONTIGU, en Géométrie, deux espaces ou solides sont dit contigus, lorsqu'ils sont placés immédiatement l'un auprès de l'autre.

Les angles contigus, en Géométrie, sont ceux qui ont un côté commun : on les appelle autrement angles adjacens, par opposition à ceux qu'on appelle opposés au sommet, qui sont produits par la continuation des côtés des angles au-delà de leur sommet. Voyez ANGLE & ADJACENT. (O)


CONTINENCES. f. vertu morale par laquelle nous résistons aux impulsions de la chair. Il semble qu'il y a entre la chasteté & la continence cette différence, qu'il n'en coûte aucun effort pour être chaste, & que c'est une des suites naturelles de l'innocence ; au lieu que la continence paroît être le fruit d'une victoire remportée sur soi-même. Je pense que l'homme chaste ne remarque en lui aucun mouvement d'esprit, de coeur, & de corps, qui soit opposé à la pureté ; & qu'au contraire l'état de l'homme continent est d'être tourmenté par ces mouvemens, & d'y résister : d'où il s'ensuivroit qu'il y auroit réellement plus de mérite à être continent, qu'à être chaste. La chasteté tient beaucoup à la tranquillité du tempérament, & la continence à l'empire qu'on a acquis sur sa fougue. Le cas qu'on fait de cette vertu n'est pas indifférent dans un état populaire. Si les hommes & les femmes affichent l'incontinence publiquement, ce vice se répandra sur tout, même sur le goût : mais ce qui s'en ressentira particulierement, c'est la propagation de l'espece, qui diminuera nécessairement à proportion que ce vice augmentera ; il ne faut que refléchir un moment sur sa nature, pour trouver des causes physiques & morales de cet effet.

CONTINENCE, (mesure de) Com. se dit par opposition à mesure d'étendue. Les mesures de continence sont le boisseau, le minot, le litron, le muid, le demi-muid, la pinte, la chopine. Voyez MESURE.

CONTINENCE, en terme de jaugeage, est la quantité de mesures, comme de pots ou de pintes, que l'on trouve par la jauge être contenue dans une futaille jaugée. Voyez JAUGE.

Continence se dit aussi de l'espallement que les commis des aides font chez les brasseurs de biere, de leurs cuves, chaudieres, & bacs, pour évaluer le droit du Roi suivant qu'ils contiennent plus ou moins de cette boisson. Voyez le dictionn. du comm. (G)


CONTINENTS. m. (Géog.) terre ferme, grande étendue de pays, qui n'est ni coupée ni environnée par les mers. Continent est opposé à île. Voyez TERRE, OCEAN.

On tient que la Sicile a été autrefois détachée du continent de l'Italie : haec loca, dit Virgile, vi quondam & vasta convulsa ruina dissiluisse ferunt, cum protinus utraque tellus una foret, & vraisemblablement l'Angleterre faisoit autrefois partie du continent de France. Voyez la dissertation de M. Desmarêts sur ce sujet, 1753.

La preuve s'en tire, dit M. de Buffon, des lits de terre & de pierre, qui sont les mêmes des deux côtés du pas de Calais, & du peu de profondeur de ce détroit. On peut ajouter, dit M. Ray, qu'il y avoit autrefois des loups, & même des ours, dans cette île ; & il n'est pas à présumer qu'ils y soient venus à la nage, ou qu'on les y ait transportés.

Les habitans de Ceylan disent que leur île a été séparée de la presqu'île de l'Inde par une irruption de l'Océan. Les Malabares assurent que les Maldives faisoient autrefois partie du continent de l'Inde. Une preuve que les Maldives formoient autrefois un continent, ce sont les cocotiers qui sont au fond de la mer. Voyez hist. nat. tome I. art. 19. pag. 586. & seq. Voyez TERRAQUE & TERRE, &c.

On divise ordinairement la terre en deux grands continents connus, l'ancien & le nouveau : l'ancien comprend l'Europe, l'Asie, & l'Afrique ; le nouveau comprend les deux Amériques, septentrionale & méridionale.

On a appellé l'ancien continent, le continent supérieur, parce que, selon l'opinion du vulgaire, il occupe la partie supérieure du globe. V. ANTIPODES.

On n'est pas encore certain si plusieurs terres connues sont des îles ou des continens.

Quelques auteurs prétendent que les deux grands continens n'en forment qu'un seul, s'imaginant que les parties septentrionales de l'ancien continent sont jointes à celles de l'Amérique septentrionale.

On suppose un troisieme continent vers le midi, que l'on peut appeller le continent antarctique méridional à notre égard, & que l'on nomme terre australe, terre inconnue, terre Magellanique, & de Quir.

Terre australe, parce qu'elle est située vers le midi à notre égard ; inconnue, du peu de connoissance que nous en avons ; Magellanique, de Magellan le premier Européen qui en ait approché, & qui ait donné occasion dans la suite d'en avoir plus de connoissance ; terre de Quir, de Fernand de Quir, le premier qui l'a découverte, & nous en a donné une connoissance plus certaine.

L'on pourra faire un quatrieme continent des terres arctiques, si elles sont contigues entr'elles, & qu'elles fassent un corps séparé de l'Amérique, & ce continent sera appellé septentrional ou arctique, de sa situation. Introd. à la Géog. par Samson. (O)


CONTINGENCES. f. (Géométrie) On appelle angle de contingence un angle tel que l'angle L A B (fig. 23. n°. 1. Géomet.) qu'un arc de cercle A L fait avec la tangente B A, au point A, où la ligne B A touche le cercle. Voyez ANGLE.

Euclide a démontré que la droite B A élevée perpendiculairement sur le rayon C A, touche le cercle en un seul point, & qu'on ne peut tirer aucune ligne droite entre le cercle & cette tangente.

De-là il s'ensuit que l'angle de contingence est moindre qu'un angle rectiligne, & que l'angle que le cercle fait avec son rayon, est plus grand qu'aucun angle aigu. La nature de l'angle de contingence a fait autrefois le sujet de beaucoup de disputes. Un auteur, par exemple, a soutenu contre Clavius, que l'angle de contingence étoit aussi hétérogene aux angles rectilignes, que la ligne l'est à la surface. Wallis qui a fait un traité particulier de l'angle de contingence, & de celui que le cercle fait avec son rayon, soutient le même sentiment. Chambers. Voy. TANGENTE.

Depuis que les Géometres se sont appliqués à examiner une infinité d'autres courbes que le cercle, ils ont nommé en général angle de contingence, l'angle compris entre l'arc d'une courbe quelconque, & la ligne qui touche cet arc à son extrémité.

Quant à la dispute sur l'angle de contingence, elle pourroit bien n'être qu'une question de nom ; tout dépend de l'idée qu'on attache au mot angle. Si on entend par ce mot une portion finie de l'espace compris entre la courbe & sa tangente, il n'est pas douteux que cet espace ne soit comparable à une portion finie de celui qui est renfermé par deux lignes droites qui se coupent. Si on veut y attacher l'idée ordinaire de l'angle formé par deux lignes droites, on trouvera, pour peu qu'on y refléchisse, que cette idée prise absolument & sans modification, ne peut convenir à l'angle de contingence, parce que dans l'angle de contingence une des lignes qui le forme est courbe. Il faudra donc donner pour cet angle une définition particuliere ; & cette définition, qui est arbitraire, étant une fois bien exposée & bien établie, il ne pourra plus y avoir de difficulté. Une bonne preuve que cette question est purement de nom, c'est que les Géometres sont d'ailleurs entierement d'accord sur toutes les propriétés qu'ils démontrent de l'angle de contingence ; par exemple, qu'entre un cercle & sa tangente on ne peut faire passer de lignes droites ; qu'on y peut faire passer une infinité de lignes circulaires, &c.

M. Newton remarque dans le scholie du lem. xj du premier livre de ses principes, qu'il y a des courbes telles, qu'entre elles & leur tangente on ne peut faire passer aucun cercle, & qu'ainsi on peut dire qu'à cet égard l'angle de contingence de ces courbes est infiniment moindre que l'angle de contingence du cercle. Ce grand géometre mesure l'angle de contingence d'une courbe en un point quelconque, par la courbure de cette courbe en ce point, c'est-à-dire par le rayon de sa développée. Voyez COURBURE & OSCULATION. D'après ce principe il fait voir que l'angle de contingence d'une courbe peut en ce sens être infiniment moindre ou infiniment plus grand que l'angle de contingence d'une autre courbe. Les courbes dans lesquelles le rayon de la développée est = à l'infini en certains points, ont à ces points l'angle de contingence = o, & infiniment plus petit que l'angle de contingence du cercle. Les courbes au contraire qui ont en quelque point le rayon de la développée = o, ont en ce point l'angle de contingence infiniment plus grand, pour ainsi dire, que l'angle de contingence du cercle, parce que tout cercle d'un rayon fini, quelque petit qu'il soit, peut passer entre la courbe & la tangente.

Soit y = xm, m étant une fraction positive, on trouvera que si m est < 1/2, le rayon de la développée est infini à l'origine, & qu'il est o si m > 1/2. Voyez DEVELOPPEE.

Ligne de contingence, dans la Gnomonique, est une ligne qui coupe la soustylaire à angles droits. Dans les cadrans horisontaux, équinoctiaux, polaires, &c. la ligne de contingence est perpendiculaire à la méridienne, ainsi que dans tous les cadrans où la soustylaire & la méridienne se confondent. Cette ligne, dans les cadrans horisontaux, est la ligne de section ou de rencontre du plan du cadran, avec un plan parallele à l'Equateur, qu'on imagine passer par le bout du style. Voyez SOUSTYLAIRE & GNOMONIQUE. (O)


CONTINGENTadject. (Métaphys.) terme relatif. C'est ce qui n'est pas nécessaire, ou dont l'opposé n'implique aucune contradiction. La chaleur d'une pierre exposée aux rayons du soleil, est contingente ; car il n'est pas impossible qu'elle se dissipe, & que le froid lui succede.

Tout ce qui est changeant est contingent, & tout contingent est sujet au changement. Ce qui est une fois absolument nécessaire, ne peut jamais devenir contingent. Ainsi c'est la nécessité absolue qui détruit la contingence ; mais il n'en est pas de même de la nécessité hypothétique qui peut subsister avec elle. Il y a long-tems que les Théologiens l'ont reconnu dans leurs disputes contre les Sociniens ; mais ils ne l'ont pas tous fait sentir avec la même évidence, la démonstration en est pourtant aisée. Le contingent ne devient nécessaire qu'en vertu de quelque nouvelle détermination ajoutée à l'essence. Rien ne peut exister avant qu'il soit nécessaire qu'il existe ; car le contingent en soi-même est indifferent par rapport à l'existence. La nécessité qui lui survient d'ailleurs, & qui le détermine, soit à être, soit à avoir certains modes, ne l'empêche pas d'être contingent de sa nature, puisqu'il y a eu un tems où il n'a pas été, & où il auroit pû ne pas être.

Le mot de contingent est très-équivoque dans les écrits de la plûpart des philosophes. Il y en a qui envisagent la contingence comme si elle étoit opposée à toute sorte de nécessité ; mais elle ne sauroit être soutenue dans ce sens. Tous les jours nous nommons nécessaire ce qui n'est l'effet que d'une nécessité morale, que personne ne sauroit regarder comme incompatible avec la contingence. Nous disons encore qu'une chose contingente, que Dieu a prévûe, est nécessaire. Le langage ordinaire étend l'idée de nécessité jusqu'aux bienséances. Je ne saurois, dit-on, me dispenser de rendre telles visites, d'écrire telle lettre : ce sont des choses nécessaires. Cependant & le vulgaire & les philosophes sont obligés d'en revenir aux notions que nous proposons de la nécessité & de la contingence. Dans un cas d'absolue nécessité, demandez à un homme destitué des connoissances philosophiques, pourquoi la chose n'est pas autrement, pourquoi il ne fait pas jour & nuit en même tems ; il vous répondra tout court que cela ne sauroit être autrement. Mais demandez-lui pourquoi cet arbre n'a point de feuilles, il vous répondra que c'est que les chenilles l'ont rongé, ou telle autre cause qui occasionne la nécessité hypothétique de cette nudité de l'arbre. Le vulgaire sent donc & distingue le cas de nécessité absolue & de nécessité conditionnelle. Article de M. Formey.

CONTINGENT, s. m. (Commerce & Histoire mod.) terme de Commerce & de Police Impériale, qui signifie la quote part que chaque personne doit fournir lorsque l'Empire est engagé dans une guerre qui regarde ou l'empereur ou le corps germanique : chaque prince d'Allemagne doit fournir tant d'hommes, d'argent & de munitions pour son contingent. Par le nouveau traité d'Hanovre il est stipulé qu'en cas de rupture avec l'empereur, les rois de Prusse & de la Grande-Bretagne fourniront leurs contingens comme vassaux de l'Empire, quoiqu'ils soient en guerre avec l'empereur. Chambers.

La lenteur ordinaire avec laquelle ces contingens sont reglés & fournis, fait échouer la plûpart des entreprises que formeroit l'Empire, & facilite le succès de celles de ses ennemis. (G)


CONTINUadj. (Physiq.) Nous appellons ainsi ce qui a des parties rangées les unes auprès des autres, ensorte qu'il soit impossible d'en ranger d'autres entre-deux dans un autre ordre ; & généralement on conçoit de la continuité par-tout où l'on ne peut rien placer entre deux parties.

Ainsi nous disons que le poli d'une glace est continu, parce que nous ne voyons point de parties non polies entre celles de cette glace, qui en interrompent la continuité ; & nous appellons le son d'une trompette continu, lorsqu'il ne cesse point, & qu'on ne peut point mettre d'autre son entre-deux. Mais lorsque deux parties d'étendue se touchent simplement & ne sont point liées ensemble, ensorte qu'il n'y a point de raison interne, comme celle de la cohésion ou de la pression des corps environnans, pourquoi l'on ne pourroit point les séparer & mettre quelque chose entre-deux, alors on les nomme contiguës. Ainsi dans le contigu la séparation des parties est actuelle, au lieu que dans le continu elle n'est que possible. Deux hémispheres de plomb, par exemple, sont deux parties actuelles de la boule, dont ils sont les moitiés ; & ces deux parties seront contiguës, si on les place l'une auprès de l'autre, ensorte qu'il n'y ait rien entre-deux : mais si on joignoit les deux hémispheres ensemble, de maniere à former un seul tout, ce tout deviendroit un continu, & la contiguité de ses parties seroit alors simplement possible, en tant que l'on conçoit qu'il est possible de séparer cette boule en deux hémispheres, comme avant la réunion. Il résulte de-là, suivant quelques Métaphysiciens, que l'idée de l'espace absolu doit nous le représenter comme un continu ; mais ce n'est qu'une abstraction. Voyez ESPACE & CONTIGU. Article de M. Formey.

Les Philosophes demandent si le continu est divisible à l'infini, c'est-à-dire, s'il est divisible dans une infinité de parties. Voyez DIVISIBILITE.

Les anciens attribuoient l'élevation de l'eau dans les pompes, à l'amour de la nature pour la continuité, & à son horreur pour le vuide, la pesanteur & l'élasticité de l'air leur étant inconnues. Voyez AIR & VUIDE.

Les Mathématiciens divisent la quantité en discrette & continue. Voyez QUANTITE.

La quantité continue est l'étendue, soit des lignes, soit des surfaces, soit des solides ; elle est l'objet de la Géométrie. Voyez LIGNE & GEOMETRIE.

La quantité discrette, c'est les nombres qui sont le sujet de l'Arithmétique. Voyez NOMBRE. L'étendue est une quantité continue, parce qu'on ne remarque point d'intervalle entre ses parties ; qu'entre deux portions d'étendue on ne peut en imaginer une autre : au lieu que les nombres sont une quantité discrette, & dans laquelle il n'y a point de continuité : car il n'y a point de nombres si peu différens entre lesquels on n'en puisse imaginer un, plus grand que le moindre des deux nombres donnés, & plus petit que le plus grand.

La proportion continue, en Arithmétique, est celle dans laquelle le conséquent de la premiere raison est l'antécedent de la seconde, comme 3. 6 : : 6. 12 : Voyez PROPORTION.

Si au contraire le conséquent de la premiere raison est différent de l'antécedent de la seconde, la proportion s'appelle discrette, comme 3 : 6 : : 4. 8. (O)


CONTINUATEURSS. m. pl. (Litt.) on appelle ainsi dans la Littérature, ceux qui continuent des ouvrages laissés imparfaits par leurs auteurs. On remarque que les continuations sont presque toujours inférieures aux ouvrages commencés. La continuation de Dom Quichotte, celle du Roman comique, sont misérables ; celle de l'Histoire universelle de M. Bossuet ne peut pas se lire. Il en est de même de beaucoup d'autres. Deux raisons font que les continuations sont presque toujours mauvaises : la premiere, c'est que les ouvrages qu'on continue, & qui en valent la peine, sont pour l'ordinaire de bons ouvrages, faits par des hommes de génie ou de mérite, difficiles à remplacer : la seconde, c'est que le continuateur, même quand il est homme de mérite, se trouve gêné en travaillant d'après les idées d'autrui ; on ne réussit guere qu'en travaillant d'après les siennes. Cela est si vrai, que souvent des ouvrages médiocres ont eu des continuateurs plus médiocres encore. Au reste on a continué quelquefois des ouvrages finis ; témoin le treizieme livre ridiculement ajouté à l'Enéide par un poëte moderne. (O)


CONTINUATIONSUITE, (Gramm.) termes qui désignent la liaison & le rapport d'une chose avec ce qui la précede.

On donne la continuation de l'ouvrage d'un autre, & la suite du sien. On dit la continuation d'une vente, & la suite d'un procès : on continue ce qui n'est pas achevé ; on donne une suite à ce qui l'est. (O)

CONTINUATION DU MOUVEMENT, (Physiq.) c'est une loi de la nature, que tout corps une fois mis en mouvement par quelque cause, continue à se mouvoir de lui-même uniformément, à moins que quelque cause ne l'en empêche, en accélérant ou en retardant son mouvement primitif. Voyez MOUVEMENT & PROJECTILE. (O)

CONTINUATION DE COMMUNAUTE, voy. COMMUNAUTE DE BIENS. (A)

CONTINUATION, (Lettres de) c'est ainsi qu'on a quelquefois appellé des especes de lettres d'état. Dans une ordonnance du roi Jean du 28 Décembre 1355, il est accordé en faveur de ceux qui payeront l'aide octroyé ci-devant, que toutes dettes seront poursuivies nonobstant lettres d'état, de répit, & de continuation, accordées par le roi, ses lieutenans, ou autres, pourvû qu'il paroisse que les débiteurs y ayent renoncé. (A)


CONTINUELadj. (Gramm.) terme qui est relatif aux actions de l'homme & aux phénomenes de la nature, considérés par rapport à toute la durée successive du tems, ou seulement à une portion indéterminée de cette durée, & qui marque qu'il n'y a aucun instant de la durée prise sous l'un ou l'autre de ces aspects, pendant lequel l'action ou le phénomene ne subsiste pas. Un seul exemple suffira pour éclaircir cette définition. Quand on parle du mouvement continuel d'un corps céleste, on n'entend pas la même chose que quand on parle du mouvement continuel d'un enfant ; il me semble qu'on rapporte l'un à une portion successive indéterminée de la durée, & l'autre à la durée en général. Il y a cette différence entre continu & continuel, que continu se dit de la nature même de la chose, & que continuel se dit de son rapport avec le tems ; l'exemple en est évident dans un mouvement continu & un mouvement continuel.


CONTINUER(Gramm. & verbe) s'employe diversement, mais il a toujours rapport à une chose commencée & à un tems passé. On dit : Il a commencé ses études, & il les continue ; il a eu avec moi de bons procédés & il continue, tout court ; ou il continue d'en avoir ; mais non il les continue. Cet ouvrage se continue ; le bruit continue. Continuer peut être relatif à continué & à continu : quand il est relatif à continu, il ne marque point d'interruption ; quand il est relatif à continué, il en peut marquer ; car le continu n'a point cessé, & le continué a pû cesser.

CONTINUER l'audience à un tel jour, (Jurisprud.) signifie que la cause commencée continuera d'être plaidée le jour qui est indiqué ; ce qui est fort différent de remettre l'audience ou la cause à un tel jour, en ce qu'une remise ne fait pas que la cause soit réputée commencée, & n'est pas réputée une journée de la cause. Cette distinction est de conséquence dans certaines matieres, comme en retrait lignager, où il faut des offres à chaque journée de la cause. (A)


CONTINUITÉS. f. (Physiq.) se définit ordinairement, chez les scholastiques, la cohésion immédiate des parties dans un même tout. D'autres la définissent un mode du corps par lequel ses extrêmes ne deviennent qu'un : d'autres enfin, l'état d'un corps résultant de l'union intime de ses parties. Voyez CONTINU, &c.

Il y a deux sortes de continuité, l'une mathématique ; & l'autre physique. La premiere est l'état d'un corps dont on suppose les parties immédiatement voisines les unes des autres, & se touchant par-tout : elle est purement imaginaire & de supposition, puisqu'elle suppose des parties réelles ou physiques où il n'y en a point. Voyez PORE.

La continuité physique est cet état de deux ou de plusieurs parties ou particules, dans lequel elles paroissent adhérer ou former un tout non interrompu ou continu, ou entre lesquelles nous n'appercevons aucun espace intermédiaire. Voyez CONTINU.

Les scholastiques distinguent encore deux sortes de continuité ; l'une homogene, l'autre hétérogene : la premiere est celle où nos sens n'apperçoivent pas les extrémités des parties, ou plutôt leur distinction ; telle est celle des parties de l'air & de l'eau : la seconde est celle où nos sens apperçoivent à la vérité l'extrémité de certaines parties, mais en même tems où ils découvrent que ces mêmes parties, soit par leur figure, soit par leur situation, sont étroitement enchaînées les unes avec les autres ; c'est celle qu'on observe dans les corps des plantes & des animaux.

La continuité des corps est un état purement relatif à la vûe & au toucher ; c'est-à-dire que si la distance de deux objets séparés est telle, que l'angle sous lequel on les voit soit insensible aux yeux, ce qui arrivera s'il est au-dessous de seize secondes, ces deux corps séparés paroîtront contigus. Or la continuité est le résultat de plusieurs objets contigus : donc si des objets visibles en nombre quelconque sont placés à une telle distance les uns des autres, qu'on voye leur distance sous un angle au-dessous de seize secondes, ils paroîtront ne former qu'un corps continu. Donc comme nous pouvons déterminer la distance à laquelle un espace quelconque devient invisible, il est aisé de trouver à quelle distance deux corps quelconques, quelque éloignés qu'ils soient, paroîtront comme contigus, & où plusieurs corps n'en formeront qu'un continu. Pour la cause physique de la continuité, voyez COHESION, Chambers. (O)

CONTINUITE, (loi de) c'est un principe que nous devons à M. Leibnitz, & qui nous enseigne que rien ne se fait par saut dans la nature, & qu'un être ne passe point d'un état dans un autre, sans passer par tous les différens états qu'on peut concevoir entr'eux. Cette loi découle, suivant M. Leibnitz, de l'axiome de la raison suffisante. En voici la déduction. Chaque état dans lequel un être se trouve, doit avoir sa raison suffisante pourquoi cet être se trouve dans cet état plutôt que dans tout autre ; & cette raison ne peut se trouver que dans l'état antécédent. Cet état antécédent contenoit donc quelque chose qui a fait naître l'état actuel qui l'a suivi ; ensorte que ces deux états sont tellement liés, qu'il est impossible d'en mettre un autre entre deux : car s'il y avoit un état possible entre l'état actuel & celui qui l'a précédé immédiatement, la nature auroit quitté le premier état, sans être encore déterminée par le second à abandonner le premier ; il n'y auroit donc point de raison suffisante pourquoi elle passeroit plûtôt à cet état qu'à tout autre état possible. Ainsi aucun être ne passe d'un état à un autre, sans passer par les états intermédiaires ; de même que l'on ne va pas d'une ville à une autre, sans parcourir le chemin qui est entre-deux. Cette loi s'observe dans la Géométrie avec une extrême exactitude. Tous les changemens qui arrivent dans les lignes qui sont unes, c'est-à-dire dans une ligne qui est la même, ou dans celles qui font ensemble un seul & même tout ; tous ces changemens, dis-je, ne se font qu'après que la figure a passé par tous les changemens possibles qui conduisent à l'état qu'elle acquiert. Les points de rebroussement qui se trouvent dans plusieurs courbes, & qui paroissent violer cette loi de continuité, parce que la ligne semble se terminer en ce point, & rebrousser subitement en un sens contraire, ne la violent cependant point : on peut faire voir qu'à ces points de rebroussement il se forme des noeuds, dans lesquels on voit évidemment que la loi de continuité est suivie ; car ces noeuds étant infiniment petits, prennent la forme d'un seul & unique point de rebroussement. Ainsi dans la fig. 104. de la Géométrie, si le noeud A D s'évanoüit, il deviendra le point de rebroussement T. Voyez NOEUD & REBROUSSEMENT.

La même chose arrive dans la nature. Ce n'est pas sans raison que Platon appelloit le Créateur, l'éternel Géometre. Il n'y a point d'angles proprement dits dans la nature, point d'inflexions ni de rebroussemens subits ; mais il y a de la gradation dans tout, & tout se prépare de loin aux changemens qu'il doit éprouver, & va par nuances à l'état qu'il doit subir. Ainsi un rayon de lumiere qui se refléchit sur un miroir, ne rebrousse point subitement, & ne fait point un angle pointu au point de la réflexion ; mais il passe à la nouvelle direction qu'il prend en se refléchissant par une petite courbe, qui le conduit insensiblement par tous les degrés possibles qui sont entre les deux points extrêmes de l'incidence & de la réflexion. Il en est de même de la réfraction : le rayon de lumiere ne se rompt pas au point qui sépare le milieu qu'il pénetre & celui qu'il abandonne ; mais il commence à subir une inflexion avant que d'avoir pénétré dans le nouveau milieu ; & le commencement de sa réfraction est une petite courbe qui sépare les deux lignes droites qu'il décrit en traversant deux milieux hétérogenes & contigus.

Les partisans de ce principe prétendent qu'on peut s'en servir pour trouver les loix du mouvement. Un corps, disent-ils, qui se meut dans une direction quelconque, ne sauroit se mouvoir dans une direction opposée, sans passer de son premier mouvement au repos par tous les degrés de retardation intermédiaires, pour repasser ensuite par des degrés insensibles d'accélération du repos au nouveau mouvement qu'il doit éprouver. Presque toutes les loix du mouvement proposées par Descartes sont fausses selon les Leibnitiens, parce qu'elles violent le principe de continuité. Telle est, par exemple, celle qui veut que si deux corps B & C se rencontrent avec des vitesses égales, mais que le corps B soit plus grand que le corps C ; alors le seul corps C retournera en arriere, & le corps B continuera son chemin, tous deux avec la même vitesse qu'ils avoient avant le choc. Cette regle est démentie par l'expérience, & ne s'accorde point avec le principe de continuité, auquel il est fort important de se rendre attentif ; imitant en cela la nature, qui ne l'enfreint jamais dans aucune de ses opérations. Lisez le chap. j. des instit. de Physiq. de Mad. Duchatelet, depuis le §. 13. jusqu'à la fin.

On prétend encore prouver par ce principe, qu'il n'y a point de corps parfaitement dur dans la nature. La gradation qu'exige la loi de continuité, ne sauroit avoir lieu dans le choc des corps parfaitement durs ; car ces corps passeroient tout-d'un-coup du repos au mouvement, & du mouvement en un sens au mouvement dans un sens contraire. Ainsi tous les corps ont un degré d'élasticité qui les rend capables de satisfaire à cette loi de continuité que la nature ne viole jamais. Sur quoi voyez PERCUSSION. Nous devons cet article à M. Formey. (O)

CONTINUITE, (Belles-Lettr.) dans le poëme dramatique, c'est la liaison qui doit regner entre les différentes scenes d'un même acte.

On dit que la continuité est observée, lorsque les scenes qui composent un acte se succedent immédiatement, sans vuide, sans interruption, & sont tellement liées, que la scene est toujours remplie. Voyez TRAGEDIE.

On dit, en matiere de littérature & de critique, qu'il doit y avoir une continuité, c'est-à-dire une connexion entre toutes les parties d'un discours.

Dans le poëme épique particulierement, l'action doit avoir une continuité dans la narration, quoique les évenemens & les incidens ne soient pas continus. Si-tôt que le poëte a entamé son sujet, & qu'il a amené ses personnages sur la scene, l'action doit être continuée jusqu'à la fin ; chaque caractere doit agir, & il faut absolument écarter tout personnage oisif. Le Paradis perdu de Milton s'écarte souvent de cette regle, dans les longs discours que l'auteur fait tenir à l'ange Raphael, & qui marquent à la vérité beaucoup de fécondité dans l'auteur pour les récits, mais nuisent à l'action principale du poëme, qui se trouve comme noyée dans cette multitude de discours. Voyez ACTION.

Le P. le Bossu remarque qu'en retranchant les incidens insipides & languissans, & les intervalles vuides d'action qui rompent la continuité, le poëme acquiert une force continue qui le fait couler d'un pas égal & soutenu ; ce qui est d'autant plus nécessaire dans un poëme épique, qu'il est rare que tout y soit d'une même force ; puisqu'on a bien reproché à Homere, & avec vérité, qu'il sommeilloit quelquefois ; mais aussi l'a-t-on excusé sur l'étendue de l'ouvrage. (G)


CONTOBABDITESsub. m. plur. , (Théolog.) hérétiques qui parurent dans le sixieme siecle. Leur premier chef fut Sévere d'Antioche, auquel succéda Jean le grammairien surnommé Philoponus, & un certain Théodose dont les sectateurs furent appellés Théodosiens.

Une partie de ces hérétiques qui ne voulut pas recevoir un livre que Théodose avoit composé sur la Trinité, firent bande à part, & furent appellés Contobabdites, de je ne sai quel lieu que Nicephore ne nomme point, & qui étoit apparemment celui où ils tenoient leurs assemblées.

Les Contobabdites ne recevoient point d'évêques. C'est tout ce que cet historien nous en apprend. Voy. le Trév. & le Moréri. (G)


CONTORNIATES(Médailles, Art numismat.) le dictionnaire de Trévoux dit contourniates, qui me paroît moins bon. On appelle contorniates, des médailles de cuivre terminées dans leur circonférence par un cercle d'une ou de deux lignes de largeur, continu avec le métal, quoiqu'il semble en être détaché par une rainure assez profonde qui regne à l'extrémité du champ, de l'un & l'autre côté de la médaille. Cette sorte particuliere de cercle fait aisément distinguer les médailles contorniates, de celles qui sont enchâssées dans les bordures du même ou d'un différent métal. Quoiqu'on pût dire que le nom de contorniate vient du mot conturnus, contour, employé dans nos vieux titres, comme on voit dans le glossaire de M. Ducange ; cependant M. Mahudel prétend qu'il en faut chercher l'origine en Italie, où ces médailles sont appellées medaglioni contornati : mais tout cela revient au même.

Les antiquaires conviennent assez qu'elles n'ont jamais servi de monnoie. Le cercle qui les termine, plus parfait que celui des médailles qui servoient de monnoie ; l'éminence de ce cercle, qui rend ces médailles moins propres à être maniées ; la difficulté qu'il y a eu de former la vive-arrête qu'on voit des deux côtés de ce cercle, & qui demandoit un tems trop considérable ; la damasquinure qu'on apperçoit sur plusieurs de ces médailles dans le champ du côté de la tête, & sur quelques-unes des figures du revers, ouvrage dont la longueur ne s'accorde pas avec la célérité & la multiplication nécessaire pour la monnoie courante ; le défaut de sous-division en moitiés & en quarts, nécessaires dans le commerce de la monnoie pour remplir toutes les valeurs, comme on en trouve dans les autres médailles d'or, d'argent, & de cuivre ; & celui du decret ou de l'autorité qui paroît sur les médailles qui servoient de monnoie, tel qu'étoit la formule de senatus-consulto, ou le nom du magistrat qui les faisoit frapper : tout cela prouve que les contorniates n'ont jamais servi de monnoie. Il est vrai que l'on voit sur plusieurs de ces médailles des lettres, comme P. E. mais ces lettres sont le monogramme ou la marque des ouvriers qui fabriquoient ces pieces, & qui vouloient par-là se faire connoître.

M. Spanheim & M. Ducange ont cru que ces médailles étoient du tems des premiers empereurs dont les têtes y sont gravées, mais qu'elles avoient été retouchées sous leurs successeurs ; & ils les appellent nummi restituti. Le P. Hardouin pense bien différemment ; car il prétend que ce n'est que dans le xiij. siecle qu'elles ont été fabriquées. M. Mahudel fixe la premiere époque de leur fabrication à la fin du iij. siecle, & leur durée jusqu'au milieu du jv.

Quoiqu'il en soit, premierement pour ce qui regarde les contorniates qui représentent des têtes d'hommes illustres, il est évident qu'elles ne sont pas de leur tems, puisque l'ortographe de leurs noms y est mal observée. Dans celle sur laquelle est la tête d'Homere, son nom est écrit avec un au lieu d'un O ; & dans celle de Salluste, avec une seule L, Salustius, au lieu de Sallustius, comme on le trouve dans les inscriptions lapidaires de son tems. On y voit aussi le nom d'auteur écrit autor, au lieu d'auctor, comme Quintilien l'écrit en parlant de ce même Salluste ; outre qu'à parler exactement, l'emploi de ce terme est contre le bon usage, & que du tems de cet historien on auroit dit historiae scriptor, & non pas auctor. 2°. Dans les contorniates où il y a des têtes greques, on trouve des légendes latines, comme dans celle qui représente Alexandre, dont la légende Alexander magnus : quelle apparence que les Grecs de ce tems-là ayent employé une langue étrangere ? 3°. Une nouvelle preuve que les contorniates qui ont la tête des premiers empereurs ne sont pas de leur tems, c'est la parfaite ressemblance de ces médailles avec celles qui représentent les empereurs des tems postérieurs, soit dans le goût, soit dans la gravure plate & grossiere, dans le volume, dans les marques des ouvriers, dans le style des légendes, & dans la formation des caracteres ; uniformité qu'on ne croira pas s'être soutenue depuis Alexandre jusqu'à Honorius. 4°. Ajoutez à cela que l'on voit également sur les médailles qu'on pourroit soupçonner être du haut empire, & sur celles qui sont d'un tems moins éloigné, les mêmes figures de rameaux, de palmes, d'étoiles, &c. ce qui supposeroit que les mêmes monétaires ont vécu plusieurs siecles. 5°. Enfin les mêmes types sont répétés dans des contorniates qui représentent des princes qui ont regné dans différens tems.

Mais quoique ces médailles soient postérieures aux hommes illustres qu'elles représentent, il n'en faut pas conclure qu'elles soient méprisables : car outre qu'elles peuvent par leurs légendes nous apprendre beaucoup de choses d'un siecle éloigné, elles sont intéressantes en ce qu'elles nous ont conservé l'histoire de la Gymnastique. Voyez la dissert. de M. Mahudel, dans les mém. de l'acad. royale des Inscript. tome III. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONTORSIONS. f. l'action de tordre ou de tourner une partie du corps hors de sa situation naturelle.

Les danseurs de cordes s'accoutument dès leur jeunesse aux contorsions de leurs membres, pour rendre les fibres de leurs articulations plus lâches, plus souples, & par-là plus propres pour toutes sortes de postures. Voyez POSTURE.

On se sert du mot de contorsion, pour marquer l'état d'une chose qui est de travers, comme un membre, &c.

La contorsion du cou, ou le torticolis, est occasionnée, selon Nucke, par le relâchement ou la paralysie de l'un des muscles mastoïdiens ; car de-là il arrive que son antagoniste, dont l'effort n'est plus contrebalancé, se contracte par sa propre force & tire la tête de son côté. Voyez PARALYSIE.

Il ajoute qu'on ne peut remédier trop tôt à cette maladie, & il prescrit dès le commencement des linimens capables de relâcher & de ramollir les fibres, qu'on doit appliquer non-seulement sur le muscle en contraction, mais aussi & principalement sur le muscle paralytique relâché, qui est le siege de la maladie. Chambers. (Y)

CONTORSION, en Peinture, se dit des attitudes outrées, quoique possibles, soit du corps soit du visage. Le peintre en voulant donner de l'expression à ses figures, ne leur fait faire souvent que des contorsions. (R)


CONTOUR(Peint.) on appelle ainsi les extrémités d'un corps ou d'une figure, ou les traits qui la terminent & qui la renferment en tous sens. Dufresnoy recommande que les contours soient polis, grands, coulans, sans cavités, ondoyans, semblables à la flamme ou au serpent.

Il est bon de se souvenir de ces préceptes ; mais lorsqu'on veut que ce qu'on fait ait un certain degré de perfection, il est infiniment plus sûr de mettre devant soi un bon modele dans l'attitude dont on a besoin. Dictionn. de peint. (R)


CONTOURNÉadj. dans le Blason, se dit des animaux représentés en place ou courants, le visage tourné vers le côté gauche de l'écu ; parce que l'on suppose qu'ils doivent regarder naturellement le côté droit. Voyez le Trévoux.

Les anciens comtes de Charolois, de gueules au lion d'or, la tête contournée. (V)


CONTR'ABOUT(Jurisprud.) est un héritage qui appartient à un preneur à cens ou rente, & qui 'affecte & hypotheque au bailleur, outre l'héritage qui lui est accensé, pour sûreté du payement de la rente ou du cens. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, & au mot ABOUT. (A)


CONTR'ÉCARTS. m. terme de Blason, est la partition en quatre quartiers d'un quartier d'écu. Voyez QUARTIER.

Il y a des écus contr'écartelés qui ont vingt ou vingt-cinq quartiers.

Contr'écart se dit de la partie même du quartier écartellé, c'est-à-dire des divisions ou écussons dont l'écu est chargé, comme lorsqu'on place dans le même champ les armes de plusieurs familles à raison de mariages, alliances, &c. Voyez QUARTIER, ÉCU, CHAMP, ÉCUSSON.

La Colombiere observe que le plus grand nombre de contr'écarts usité en France, est celui de trente-deux ; mais qu'en Angleterre & en Allemagne ils vont quelquefois jusqu'à quarante : il en cite pour exemple l'écu du comte de Leicester ambassadeur extraordinaire en France en 1639, qui avoit quarante contr'écarts ; & il ajoûte que quelques-uns en ont jusqu'à soixante-quatre.

Mais ce grand nombre de quartiers cause de la confusion : aussi tous les auteurs d'armoriaux se récrient contre cet usage, comme contre un abus.

Guillaume Wickley observe que ces écarts de quartiers ou contr'écarts sont plus propres pour une carte généalogique, où ils servent à constater les alliances & les titres d'une famille, que dans les armoiries dont on fait parade. Chambers. (V)


CONTR'ENQUÊTEsub. f. (Jurisprud.) se dit d'une enquête par opposition à une autre enquête qu'elle a pour objet de contredire. V. ENQUETE. (A)


CONTR'ÉPREUVES. f. (Imprimerie en Taille-douce) c'est l'empreinte que l'on fait d'une estampe fraîchement imprimée sur une autre feuille de papier blanc. Le noir de l'estampe qui n'est point encore sec, se détache en partie de l'épreuve, & s'attache à la feuille de papier blanc ; ce qui donne le même dessein, mais en sens contraire & beaucoup plus pâle.

Pour faire une contr'épreuve, on étend l'estampe fraîchement imprimée sur un cuivre uni, posé sur la table de la presse. Le côté blanc sur le cuivre par dessus l'estampe, on étend une feuille de papier blanc mouillé comme le papier pour imprimer doit l'être : on couvre le tout avec les langes, & on le fait passer entre les rouleaux de la presse, de même que lorsque l'on imprime une planche. Voyez IMPRIMERIE EN TAILLE-DOUCE.


CONTR'ÉPROUVERest passer sous la presse un dessein à la mine de plomb, au crayon rouge, ou à la pierre noire, après avoir humecté avec une éponge le derriere du dessein & le papier qu'on employe à la contr'épreuve. Voyez IMPRIMER EN TAILLE-DOUCE. Voyez aussi l'article précédent.


CONTR'ESPALIERS. m. (Jardin.) c'est une file d'arbres fruitiers destinés à demeurer nains, espacés à égale distance, amenés à une figure réguliere, & assujettis par un treillage isolé, à former une ligne droite dans les jardins potagers & fruitiers. Les contr'espaliers se mettent ordinairement dans le milieu de larges plates-bandes qui bordent les allées, & qui servent de quadre aux quarrés de ces jardins. Cet arrangement d'arbres a été appellé contr'espalier, parce qu'il se trouve souvent placé à l'opposite de l'espalier qui regne contre les murs. On donne aux arbres en contr'espalier la même forme qu'à ceux de l'espalier ; on les conduit également, & on les cultive de même, si ce n'est que l'on ne permet pas aux arbres en contr'espalier de s'élever autant que ceux en espalier, qui d'ailleurs ne présentent qu'une face, au lieu que ceux en contr'espalier en ont deux.

Un contr'espalier bien ordonné, doit être retenu à peu-près à hauteur d'appui, & au plus à quatre piés d'élévation, pour laisser la vûe libre sur les quarrés, & pour n'empêcher que le moins qu'il est possible l'action du soleil & du grand air sur les légumes. La figure d'arbres fruitiers en buisson, qui prit de mode dans le dernier siecle, a prévalu pendant quelque tems sur le contr'espalier ; mais on s'est enfin apperçû que ces buissons sur le bord des quarrés, offusquoient & contrarioient l'alignement des allées ; & on en est revenu au contr'espalier, qui convient infiniment mieux pour border des lignes droites, que les arbres en buisson, & ceux-ci conviennent mieux pour former des quinconces de fruitiers dans le milieu des quarrés. Voy. ESPALIER. (c)


CONTR'EXTENSIONS. f. terme de Chirurgie, action par laquelle on retient une partie luxée ou fracturée, contre l'extension qu'on fait pour la remettre dans sa situation naturelle. Voyez EXTENSION. (Y)


CONTR'ONGLEà CONTR'ONGLE, terme de Chasse. Prendre le pié de la bête à contr'ongle, c'est voir le talon où est la pince.


CONTR'ORDRou CONTREMANDEMENT, (Jurisprud.) c'est la révocation d'un ordre antérieur par un ordre postérieur.


CONTR'OUVERTURES. f. terme de Chirurgie, incision qu'on fait à une partie dans un endroit plus ou moins éloigné d'une plaie ou d'un ulcere. Les contr'ouvertures sont souvent nécessaires pour faire l'extraction des corps étrangers qui n'ont pû être tirés par la plaie, ou dont l'extraction eut été difficile ou dangereuse par cette voie. On fait aussi des contr'ouvertures pour donner issue au pus ou au sang épanchés. On ne doit faire les contr'ouvertures que lorsqu'il n'est pas possible de déterminer la sortie des matieres purulentes, & de recoller les parois du sinus ou du sac qui les fournit, par le moyen des compresses expulsives soutenues d'un bandage convenable. Ce moyen n'a pas ordinairement lieu dans les épanchemens de sang, parce que la coagulation de ce fluide ne le rend point soûmis à l'action d'un bandage expulsif. Voyez COMPRESSION.

L'usage des injections peut souvent dispenser de faire des contr'ouvertures. Voyez INJECTION.

Il est quelquefois nécessaire de dilater les plaies pour faire facilement les contr'ouvertures. Voyez DILATATION.

On tire beaucoup de fruit de l'usage des contr'ouvertures dans les grands abcès. Voyez ABCES. Au moyen des incisions placées convenablement à différens points de la tumeur, on ménage la peau, on découvre moins de parties ; les suppurations sont moins abondantes, & les cures sont de moindre durée & plus faciles à obtenir, chaque lêvre de division fournissant des points d'appui à la formation d'une petite cicatrice. Tous ces avantages sont démontrés, & l'expérience journaliere fait voir la difficulté & le tems qu'il faut pour réparer une grande déperdition de substance. M. Petit a imaginé un trocar pour les contr'ouvertures. Voyez TROCAR.

Il y a des cas où les matieres épanchées sous le crâne viennent de trop loin chercher une issue faite par le trépan ou par une fracture ; ensorte qu'elles ne peuvent s'évacuer qu'en partie, quelque industrie qu'on employe pour en faciliter l'écoulement. Il faut alors multiplier les trépans ; mais il n'est pas toûjours nécessaire d'en appliquer tout le long du trajet que parcourent les matieres épanchées. On peut, comme dans les parties molles, faire une contr'ouverture à l'endroit où les matieres s'accumulent. M. Chauvin l'a pratiqué avec succès ; on peut en lire l'observation dans un mémoire sur la multiplicité des trépans dans le I. tome des mémoires de l'académie royale de Chirurgie. On verra en même tems qu'il est des cas où les injections peuvent suppléer à la contr'ouverture. Voyez INJECTION. (Y)


CONTRAVoyez HAUTE-CONTRE.


CONTRA-SCRIBAS. m. (Hist. anc.) officier des grandes maisons Romaines dont la fonction, si nous la rapportons à celle de l' de Julius Pollux, étoit de recevoir les comptes de l'oeconomie dispensator, de les apostiller, & de les corriger ; fonction qui répond à celle qu'Isidore appelle revisor rationum, & que nous rendrions dans nos usages par celles de contrôleur de la maison, contrôleur de la bouche, &c. officiers connus dans la basse latinité sous le nom de contrarotulatores, chargés de l'examen des rôles. Mém. de l'acad. tome IX. (G)


CONTRACTATIONsub. f. (Comm.) tribunal établi en Espagne pour les affaires & le commerce des Indes occidentales.

Ce conseil est composé d'un président, de deux assesseurs, d'un fiscal, de deux écrivains, & d'un officier chargé des comptes. Jusqu'à l'an 1717 il étoit toujours resté à Seville, où s'étoit fait son premier établissement ; mais pour procurer une plus prompte expédition dans les affaires du négoce, il a été transféré à Cadix avec la jurisdiction consulaire, dont le conseil fut réduit à trois personnes. Dictionn. de Comm. (G)


CONTRACTIONS. f. (terme de Gramm.) C'est la réduction de deux syllabes en une. Ce mot est particulierement en usage dans la Grammaire greque. Les Grecs ont des déclinaisons de noms contractés ; par exemple, on dit sans contraction en cinq syllabes, & par contraction en quatre syllabes. L'un & l'autre est également au génitif, & signifie de Demosthene. Les Grecs font aussi usage de la contraction dans les verbes. On dit sans contraction , facio, & par contraction , &c. Les verbes qui se conjuguent avec contraction, sont appellés circonflexes, à cause de leur accent.

Il y a deux sortes de contractions ; l'une qu'on appelle simple, c'est lorsque deux syllabes se réunissent en une seule, ce qui arrive toutes les fois que deux voyelles qu'on prononce communément en deux syllabes, sont prononcées en une seule, comme lorsqu'au lieu de prononcer en trois syllabes, on dit en deux syllabes. Cette sorte de contraction est appellée synchrese. Il y a une autre forte de contraction que la méthode de P. R. appelle mêlée, & qu'on nomme crase, mot grec qui signifie mêlange ; c'est lorsque les deux voyelles se confondant ensemble, il en résulte un nouveau son, comme , muri, & par crase en deux syllabes. Nous avons aussi des contractions en François ; c'est ainsi que nous disons le mois d'Oust au lieu d'Aoust. Du est aussi une contraction, pour de le ; au pour à le ; aux pour à les, &c. L'empressement que l'on a à énoncer la pensée, a donné lieu aux contractions & à l'ellipse dans toutes les Langues. Le mot générique de contraction suffit, ce me semble, pour exprimer la réduction de deux syllabes en une, sans qu'il soit bien nécessaire de se charger la mémoire de mots pour distinguer scrupuleusement les différentes especes de contraction. (F)

CONTRACTION, en Physique, signifie la diminution de l'étendue des dimensions d'un corps, ou le resserrement de ses parties, par lequel il devient d'un moindre volume, &c. Voy. CONDENSATION.

Contraction pris dans ce sens, est opposé à dilatation. Voyez DILATATION, &c. Chambers.

La plûpart des corps se contractent par le froid, & se dilatent ou se raréfient par la chaleur. Voyez FROID, CHALEUR, RAREFACTION, &c.

A l'égard du méchanisme par lequel cette contraction & cette dilatation s'operent, c'est ce que les Physiciens veulent expliquer, mais qu'ils ignorent encore, & qu'apparemment ils ignoreront long-tems.

Force de Contraction ou force contractive, s'entend de cette propriété ou force inhérente à certains corps, par laquelle, lorsqu'ils sont étendus, ils peuvent se rétablir dans leur premier état. Telle est la force par laquelle une corde à boyau fortement tendue & allongée par ses deux extrémités, se rétablit, dès qu'on la relâche, dans sa longueur naturelle. Voyez CORDE, ÉLASTIQUE. (O)

CONTRACTION, (Médecine) terme de Physiologie. Contraction des muscles, Voyez MOUVEMENT MUSCULAIRE. Contraction du coeur, des arteres, voy. CIRCULATION, PHYSIOLOGIE.


CONTRACTUELadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui dérive d'un contrat. Une succession, institution ou substitution contractuelle, est celle qui est reglée par contrat de mariage ou autre acte entre-vifs. Un héritier contractuel est celui qui est appellé par ce contrat à recueillir la succession. Voyez le traité des institut. contract. de M. de Lauriere. (A)


CONTRADICTEURS. m. (Jurispr.) est celui qui contredit ou peut contredire un acte judiciaire ou extrajudiciaire.

Un acte est fait sans contradicteur, lorsqu'il est fait par défaut, ou que l'on n'y a point appellé ceux qui auroient eu intérêt de le contredire.

Légitime contradicteur est celui qui a intérêt ou qualité pour contredire.

On ne peut pas diriger des actions contre une succession vacante, sans qu'il y ait un contradicteur ; c'est pourquoi on y fait nommer un curateur.

De même lorsque le tuteur a des intérêts à discuter avec son mineur, il ne peut faire un inventaire valable sans un légitime contradicteur qui puisse veiller aux intérêts du mineur : c'est pour cet effet que l'on nomme un subrogé tuteur qui assiste à l'inventaire. Les mineurs peuvent demander continuation de communauté, si leur pere ou mere survivant, ne fait faire inventaire avec personne capable & légitime contradicteur. Coût. de Paris, art. 240. (A)


CONTRADICTIONS. f. (Métaphys.) On appelle contradiction ce qui affirme & nie la même chose en même tems. Ce principe est le premier axiome sur lequel toutes les vérités sont fondées. Tout le monde l'accorde sans peine, & il seroit même impossible de le nier, sans mentir à sa propre conscience ; car nous sentons que nous ne pouvons point forcer notre esprit à admettre qu'une chose est & n'est pas en même tems, & que nous ne pouvons pas ne pas avoir une idée pendant que nous l'avons, ni voir un corps blanc comme s'il étoit noir, pendant que nous le voyons blanc. Les Pyrrhoniens même, qui faisoient gloire de douter de tout, n'ont jamais nié ce principe : ils nioient bien à la vérité qu'il n'y eût aucune réalité dans les choses, mais ils ne doutoient point qu'ils eussent une idée, pendant qu'ils l'avoient.

Cet axiome est le fondement de toute certitude dans les sciences humaines ; car si on accordoit une fois que quelque chose pût exister & n'exister pas en même tems, il n'y auroit plus aucune vérité, même dans les nombres, & chaque chose pourroit être ou n'être pas, selon la fantaisie de chacun : ainsi deux & deux pourroient faire quatre ou six également, & même à la fois.

Le principe de contradiction a été de tout tems en usage dans la Philosophie. Aristote, & après lui tous les Philosophes s'en sont servis, & Descartes l'a employé dans sa philosophie, pour prouver que nous existons ; car il est certain que celui qui douteroit s'il existe, auroit dans son doute même une preuve de son existence, puisqu'il implique contradiction que l'on ait une idée quelle qu'elle soit, & par conséquent un doute, & que l'on n'existe pas. Ce principe suffit pour toutes les vérités nécessaires, c'est-à-dire pour les vérités qui ne sont déterminables que d'une seule maniere ; car c'est ce que l'on entend par le terme de nécessaire : mais quand il s'agit de vérités contingentes, alors il faut recourir au principe de la raison suffisante. Voy. son Article. Cet Article est de M. Formey, sur quoi voy. l'article AXIOME.

* CONTRADICTION, se prend en Morale pour un jugement opposé à un autre jugement déjà porté. Il y a des esprits qui y sont portés naturellement ; ce sont ceux qui n'ont aucun principe fixe : ils sont incommodes dans la société, sur-tout pour ceux qui n'aiment point à prouver ce qu'ils avancent.


CONTRADICTOIREadj. (Jurispr.) se dit de ce qui est fait en présence des parties intéressées. Un inventaire, un procès-verbal de visite, un rapport d'experts sont contradictoires, lorsque toutes les parties y sont présentes, ou du moins qu'il y a quelqu'un qui stipule pour elles. Un jugement est contradictoire, lorsqu'il est prononcé en présence de la partie, ou de son avocat ou de son procureur qui se sont présentés pour défendre la cause. Les actes faits par défaut sont opposés aux actes contradictoires. Voyez DEFAUT. (A)


CONTRAIGNABLEadj. (Jurispr.) se dit de celui qui peut être forcé par quelque voie de droit à donner ou faire quelque chose. L'obligé peut être contraignable par différentes voies, savoir, par saisie & exécution de ses meubles, par saisie-réelle de ses immeubles, même par corps, c'est-à-dire par emprisonnement de sa part, ce qui dépend de la qualité du titre & de l'obligé. Les femmes ne sont point contraignables par corps, si ce n'est qu'elles soient marchandes publiques, ou pour stellionat procédant de leur fait. Quand on dit qu'un obligé est contraignable par les voies de droit, on entend par-là toutes les contraintes qui peuvent être exercées contre lui. Voyez ci-après CONTRAINTE. (A)


CONTRAINDREOBLIGER, FORCER, v. act. (Gramm.) termes qui désignent en général quelque chose que l'on fait contre son gré. On dit : Le respect me force à me taire, la reconnoissance m'y oblige, l'autorité m'y contraint. Le mérite oblige les indifférens à l'estimer, il y force un rival juste, il y contraint l'envie. On dit une fête d'obligation, un consentement forcé, une attitude contrainte. On se contraint soi-même, on force un poste, & on oblige l'ennemi d'en décamper. (O)


CONTRAINTen Musique. Ce mot s'applique soit à l'harmonie, soit au chant, soit au mouvement ou à la valeur des notes, quand par la nature du dessein on s'est assujetti à une loi d'uniformité dans quelqu'une de ces trois parties. Voyez BASSE CONTRAINTE. (R)


CONTRAINTES. f. (Jurispr.) est un terme de pratique, dont on se sert pour exprimer les différentes voies permises que l'on prend pour forcer quelqu'un de faire ce à quoi il est obligé ou condamné.

Les commandemens, les saisies & arrêts, saisie-exécution, & ventes de meubles, saisies réelles & adjudication par decret, l'emprisonnement du débiteur qu'on appelle contrainte par corps, sont autant de contraintes différentes dont on peut user contre l'obligé : mais il n'est pas toujours permis d'en user indifféremment ni de les cumuler toutes ; par exemple, on ne peut pas saisir-exécuter, ni saisir réellement ou emprisonner, que l'on n'ait fait un commandement préalable pour mettre l'obligé en demeure. Si le débiteur est mineur, il faut discuter ses meubles avant de saisir réellement ses immeubles ; & l'on ne peut prendre la voie de la saisie réelle que pour une dette qui soit au moins de 200 livres. Enfin la contrainte par corps n'a lieu qu'en certains cas & contre certaines personnes, ainsi qu'on l'expliquera ci-après ; du reste lorsqu'on a droit d'user de plusieurs contraintes, on peut les cumuler toutes, c'est-à-dire que pour une même dette on peut tout à la fois saisir & arrêter, saisir-exécuter, saisir réellement, & même emprisonner si le titre emporte la contrainte par corps.

On entend aussi par contrainte le titre même qui autorise à user de contrainte, tel qu'un jugement ou ordonnance qui permet de saisir, de vendre, ou emprisonner.

Enfin on appelle encore plus particulierement contraintes, des mandemens ou commissions décernées par certains officiers publics, auxquels ce pouvoir est attribué par le Roi chacun dans leur district, tels que les fermiers, receveurs, & autres préposés au recouvrement des deniers royaux, & les receveurs des consignations, lesquels décernent des contraintes contre ceux qui sont redevables de quelques droits : les commissaires aux saisies-réelles en décernent aussi contre les fermiers judiciaires pour le prix de leurs baux, & celles-là emportent la contrainte par corps, parce que les fermiers judiciaires sont considérés comme dépositaires de deniers de justice.

Pour décerner ces sortes de contraintes, il faut avoir serment à justice.

Les officiers qui n'ont point de jurisdiction, ne peuvent faire exécuter leurs contraintes si elles ne sont visées d'un juge ; par exemple, les élûs visent celles que les receveurs des aides décernent contre les redevables. (A)

CONTRAINTE PAR CORPS, se prend, tantôt pour le jugement, ordonnance ou commission qui permet au créancier de faire emprisonner son débiteur en matiere civile, tantôt pour le droit que le créancier a d'user de cette voie contre son débiteur, tantôt enfin pour l'arrêt & emprisonnement qui est fait en conséquence de la personne du débiteur.

Il n'étoit pas permis chez les Egyptiens de s'obliger par corps, Boccoris en avoit fait une loi, & Sesostris l'avoit renouvellée.

Les Grecs au contraire permettoient d'abord l'obligation & la contrainte par corps, c'est pourquoi Diodore dit qu'ils étoient blamables, tandis qu'ils défendoient de prendre en gage les armes & la charrue d'un homme, de permettre de prendre l'homme même ; aussi Solon ordonna-t-il à Athenes qu'on n'obligeroit plus le corps pour dettes, loi qu'il tira de celle d'Egypte.

La contrainte par corps avoit lieu chez les Romains contre ceux qui s'y étoient soumis ou qui y étoient condamnés, pour stellionat ou dol : mais si le débiteur faisoit cession, on ne pouvoit plus l'emprisonner : on ne pouvoit pas non plus arrêter les femmes pour dettes civiles, même pour deniers du fisc.

En France autrefois il étoit permis de stipuler la contrainte par corps dans toutes sortes d'actes ; elle avoit lieu de plein droit pour dettes fiscales, & il y avoit aussi certains cas où elle pouvoit être prononcée par le juge quoiqu'elle n'eût pas été stipulée.

L'édit du mois de Février 1535, concernant la conservation de Lyon, ordonne que les sentences de ce tribunal seront exécutées par prise de corps & de biens dans tout le royaume sans visa ni pareatis, ce qui s'observe encore de même présentement.

Charles IX. en établissant la jurisdiction consulaire de Paris par son édit de 1563, ordonna que les sentences des consuls provisoires ou définitives qui n'excéderont la somme de 500 liv. tournois, seront exécutées par corps.

La contrainte par corps n'avoit point encore lieu pour l'exécution des autres condamnations : mais par l'ordonnance de Moulins, art. 48. il fut dit que pour faire cesser les subterfuges, délais, & tergiversations des débiteurs, tous jugemens & condamnations de sommes pécuniaires, pour quelque cause que ce fût, seroient promtement exécutés par toutes contraintes & cumulations d'icelles jusqu'à l'entier payement & satisfaction ; que si les condamnés n'y satisfaisoient pas dans les quatre mois après la condamnation à eux signifiée à personne ou domicile, ils pourroient être pris au corps & tenus prisonniers jusqu'à la cession & abandonnement de leurs biens, & que si le débiteur ne pouvoit pas être pris ou que le créancier le demandât, il seroit procédé par le juge pour la contumace du condamné au doublement & tiercement des sommes adjugées.

Les prêtres ne pouvoient cependant être contraints par corps en vertu de cette ordonnance, ainsi que cela fut déclaré par l'art. 57. de l'ordonnance de Blois.

L'usage des contraintes par corps après les quatre mois, qui avoit été établi par l'ordonnance de Moulins, a été abrogé pour les dettes purement civiles par l'ordonnance de 1667, tit. xxxjv. art. 1. qui défend aux cours & à tous juges de les ordonner à peine de nullité, & à tous huissiers & sergens de les exécuter à peine de dépens, dommages & intérêts.

La contrainte par corps peut néanmoins, suivant l'art. 2. du même tit. être ordonnée après les quatre mois pour dépens adjugés, s'ils montent à 200 liv. ou au-dessus ; ce qui a lieu pareillement pour la restitution des fruits & pour les dommages & intérêts au-dessus de 200 liv.

Les tuteurs & curateurs peuvent aussi être contraints par corps après les quatre mois pour les sommes par eux dûes à cause de leur administration, lorsqu'il y a sentence, jugement ou arrêt définitif, & que la somme est liquide & certaine.

Les juges mêmes supérieurs ne peuvent prononcer aucune condamnation par corps en matiere civile, si ce n'est en cas de réintegrande pour délaisser un héritage en exécution d'un jugement, pour stellionat, dépôt nécessaire, consignation faite par ordonnance de justice ou entre les mains de personnes publiques, représentation de biens par les sequestres, commissaires ou gardiens, lettres de change quand il y a remise de place en place, dettes entre marchands pour fait de la marchandise dont ils se mêlent.

L'ordonnance de 1667 déclare aussi que Sa Majesté n'a point entendu déroger au privilege des deniers royaux, ni à celui des foires, ports, étapes & marchés, & des villes d'arrêt.

Elle défend de passer à l'avenir aucuns jugemens, obligations, ou autres conventions portant contrainte par corps contre les sujets du roi, à tous greffiers, notaires & tabellions de les recevoir, & à tous huissiers & sergens de les exécuter, encore que les actes ayent été passés hors le royaume, à peine de tous dépens, dommages & intérêts.

Il est seulement permis aux propriétaires des terres & héritages situés à la campagne, de stipuler par les baux les contraintes par corps.

Les femmes & filles ne peuvent s'obliger ni être contraintes par corps, à moins qu'elles ne soient marchandes publiques, ou pour cause de stellionat procédant de leur fait. Voyez STELLIONAT.

L'édit du mois de Juillet 1680, explique en quel cas les femmes & les filles peuvent être emprisonnées pour stellionat procédant de leur fait, savoir, lorsqu'elles sont libres & hors la puissance de leurs maris, ou qu'étant mariées elles se sont réservé par leur contrat de mariage l'administration de leurs biens, ou qu'elles sont séparées de biens d'avec leurs maris ; sans que les femmes qui se seroient obligées conjointement, avec leurs maris, avec lesquels elles sont en communauté de biens, puissent être reputées personnellement stellionataires, mais qu'elles seront solidairement sujettes au payement des dettes pour lesquelles elles se seront obligées avec leurs maris par saisie & vente de leurs biens propres, acquêts ou conquêts, mais qu'elles ne pourront être contraintes par corps.

Au parlement de Toulouse on n'ordonne point la contrainte par corps contre une femme marchande publique, à moins qu'il n'y ait du dol, l'ordonnance de 1667 ayant seulement dit que les femmes pourront en ce cas être contraintes par corps. On suit dans ce parlement la disposition du droit & celle de l'ordonnance de 1629, qui déchargent les femmes de la contrainte par corps pour dettes civiles.

Les septuagenaires ne peuvent être emprisonnés pour dettes purement civiles, si ce n'est pour stellionat recelé, & pour dépens en matiere criminelle, & que les condamnations soient par corps ; le privilége de la conservation de Lyon l'emporte néanmoins sur celui des septuagenaires.

Pour obtenir la contrainte par corps après les quatre mois dans les cas exprimés en l'article second de l'ordonnance, le créancier doit faire signifier le jugement à la personne ou domicile de la partie, avec commandement de payer & déclaration qu'il y sera contraint par corps après les quatre mois.

Les quatre mois passés, à compter du jour de la signification, le créancier leve au greffe un jugement portant que dans la quinzaine la partie sera contrainte par corps, & il le fait signifier ; au moyen de quoi la quinzaine étant expirée, la contrainte par corps peut être exécutée sans autres procédures. Il faut seulement observer que toutes les significations dont on a parlé, soient faites avec toutes les formalités ordonnées pour les ajournemens.

Si le débiteur appelle de la sentence ou s'oppose à l'exécution de l'arrêt ou jugement portant condamnation par corps, la contrainte doit être sursise jusqu'à ce que l'appel ou l'opposition ayent été jugés ; mais si avant la signification de l'appel ou opposition les huissiers ou sergens s'étoient saisis de la personne du condamné, il ne seroit point sursis à la contrainte.

Les poursuites & contraintes par corps n'empêchent pas les saisies, exécutions, & ventes des biens de ceux qui sont condamnés.

Il n'est pas permis d'arrêter pour dettes les dimanches & fêtes, ni de prendre le débiteur dans sa maison, conformément à un arrêt de réglement du 19 Décembre 1702, à moins qu'il n'y en ait une permission expresse. Les jugemens de la conservation de Lyon ont cependant le privilége de pouvoir être exécutés par corps, même dans les maisons, sans aucun visa ni pareatis. Edit d'Août 1714, & arrêt du 14 Septembre 1715.

Tous dépositaires de justice sont contraignables par corps à la représentation des effets dont ils sont chargés : néanmoins par arrêt du conseil & lettres patentes des 25 Janvier & 23 Août 1737, registrés en la cour des monnoies & au grand-conseil les 3 & 10 Septembre 1737, il a été fait défenses à tous juges de prononcer aucunes condamnations par corps contre les maîtres & gardes des six corps des marchands de la ville de Paris, pour la représentation & restitution des marchandises qui auront été saisies dans le cours de leurs visites, & à tous huissiers & autres personnes de les y contraindre ; la raison est sans doute qu'ils ne sont point personnellement dépositaires des effets saisis.

Les billets d'une communauté n'assujettissent pas non plus à la contrainte par corps, ceux qui les ont signés au nom de la communauté.

La contrainte par corps n'a pas lieu non plus entre associés, à cause de l'espece de fraternité que la société forme entre les associés, ce qui a lieu même pour les fermes du Roi, à moins que l'un des associés n'eût fait des avances au Roi pour les autres, suivant la déclaration du 13 Juin 1705. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. xxxjv, celle de 1673, tit. vij. (A)

CONTRAINTE SOLIDAIRE, est le mandement pour exécuter solidairement contre chacun de plusieurs débiteurs, ou l'exécution même qui est faite solidairement contre l'un d'eux. Les receveurs des tailles ne peuvent décerner aucune contrainte solidaire contre aucun des habitans pour le payement de la taille, si ce n'est en cas de rébellion des habitans, ou qu'ils eussent négligé d'élire des asséeurs & collecteurs, ou que ceux qu'ils auroient nommés se trouveroient insolvables, ce qui doit être jugé préalablement par les élûs ; & afin qu'il n'y ait point d'abus dans l'exécution de ces contraintes, les principaux de la paroisse qui doivent être contraints solidairement pour la communauté, doivent être nommés par noms, surnoms, & qualités dans les contraintes des receveurs & ordonnances des élûs. Voyez le réglement pour les tailles, du mois de Janvier 1634, art. 55. (A)


CONTRAIREOPPOSé, synon. (Gramm.) Le nord est opposé au midi. Les navigateurs ont souvent le vent contraire. (O)

CONTRAIRE, adj. (Logiq.) Voyez PROPOSITION.

CONTRAIRE, (Jurisp.) Il y a action contraire & faits contraires.

Action contraire, en Droit, étoit opposée à l'action directe ; elle avoit lieu dans tous les contrats synallagmatiques, tels que le loüage, la vente, &c. Par exemple, dans le contrat de location, celui qui donnoit quelque chose à loyer, avoit une action directe contre le preneur pour être payé du prix de la location ; & l'action contraire étoit donnée au preneur pour obliger le bailleur de le faire joüir de la chose à lui donnée à loyer. Voyez instit. lib. III. tit. xxv. in princip. Il y avoit aussi une action contraire en matiere de tutele ; voyez au ff. de contrariâ tutelae actione.

Etre contraire en faits, c'est lorsqu'une partie allegue que les choses se sont passées d'une façon, & que l'autre partie allegue que les choses se sont passées autrement.

Faits contraires, sont des faits opposés les uns aux autres ; comme lorsqu'une partie soûtient qu'elle a possedé l'héritage contentieux, & que l'autre partie prétend aussi l'avoir possedé.

Etre appointé en faits contraires, c'est lorsque les parties sont appointées à faire preuve respective de leurs faits. Voyez ENQUETE, FAITS, PREUVE. (A)

CONTRAIRE, en Rhétorique, sont les choses opposées les unes aux autres. Le P. de Colonia pose trois sortes de contraires en Rhétorique, les adversatifs, les privatifs, & les contradictoires.

Les adversatifs sont ceux qui different absolument l'un de l'autre, comme la vertu & le vice, la paix & la guerre. Ainsi Cicéron a dit : si stultitiam fugimus, sapientiam sequamur ; & bonitatem si malitiam : & Quintilien ; malorum causa bellum est, erit emendatio pax. Drancés raisonne ainsi dans Virgile : nulla salus bello, pacem te poscimus omnes. Les privatifs sont les habitudes & les privations ; voyez PRIVATIF. Les contradictoires sont ceux dont l'un affirme, & l'autre nie la même chose ou le même sujet ; voyez PROPOSITIONS CONTRADICTOIRES. Chambers.

Le pere Jouvenci ajoute deux autres especes de contraires.

1°. Les relatifs, comme pere & fils, disciple & maître.

2°. Les repugnans, repugnantia, comme dans ce raisonnement : il l'aime, donc il ne lui a point fait de tort ; car il repugne qu'une personne qui en aime une autre lui fasse du tort. Il ne paroît pas néanmoins que les relatifs soient véritablement opposés. Voyez RELATIFS. (G)


CONTRARIANSadj. pris subst. (Hist. mod.) c'est un terme consacré à une signification particuliere dans les affaires d'Angleterre. Le comte de Lancastre ayant pris parti avec les barons contre le roi Edouard II. en considération de leur grand pouvoir on n'osa pas les qualifier de rebelles ou de traîtres, on les appella simplement contrarians. On garde encore une liste de ceux qui entrerent dans ce parti, qu'on appelle le rôle des contrarians. Chambers. (H)


CONTRARIÉTÉS. f. (Jurispr.) appointement de contrariété, c'est lorsque les parties se trouvant contraires en fait ; elles sont appointées à faire preuve respectivement de leurs faits.

CONTRARIETE D'ARRETS, est un moyen & une voie de droit pour se pourvoir au grand-conseil contre un arrêt, lorsqu'il s'en trouve un précédent rendu dans un autre tribunal entre les mêmes parties, pour raison du même fait, dont les dispositions sont contraires en tout ou partie au premier arrêt.

La connoissance des contrariétés d'arrêts a été attribuée au grand-conseil, par édit du mois de Septembre 1552.

La forme en laquelle on y procede est que sur la requête qui lui est présentée, s'il trouve qu'il y ait une contrariété apparente, il accorde une commission pour assigner les parties. Cette commission surseoit l'exécution des deux arrêts ; & si par l'évenement le grand-conseil juge qu'il y a de la contrariété entre les deux arrêts, c'est toûjours le dernier qu'il casse, & il ordonne l'exécution du précédent.

Lorsque deux arrêts rendus dans une même cour, mais en deux chambres différentes, se trouvent contraires, on se pourvoit au grand-conseil, comme s'ils étoient émanés de deux cours différentes. Voyez l'ordonn. de 1667. tit. xxxv. art. 34. (A)


CONTRASTES. m. en Peinture ; il consiste dans une position variée des objets présentés sous des formes agréables à la vûe.

Les grouppes d'objets qui entrent dans la composition d'un tableau, doivent se contraster, c'est-à-dire ne se point ressembler par la forme, par les lumieres, par les couleurs ; parce que tel grouppe qui seroit satisfaisant à tous les égards, deviendroit desagréable dans la répétition. Voyez COMPOSITION. Chaque figure doit contraster dans le grouppe dont elle fait partie. Il n'y a point de regle fixe pour le contraste : le grand art du peintre consiste à le cacher. Cette manoeuvre est une portion du génie & de la facilité donnée par la nature. Le balancement dans une figure seule peut lui-même faire contraste. Les draperies, les ciels, les ornemens, tout contribue au contraste, mais il n'est beau que quand il paroît nécessaire. Voyez de Piles, & le diction. de Peint.

On dit, ce grouppe, cette figure, font un beau contraste ; ce peintre fait bien contraster. (R)


CONTRASTERv. act. c'est éviter les répétitions de choses pareilles pour plus grande variété, comme lorsqu'on mêle alternativement dans une façade des frontons cintrés & triangulaires, ainsi que M. Mansart l'a pratiqué à la place de Vendôme. (P)


CONTRAT(Jurisp.) en général est une convention faite entre plusieurs personnes, par laquelle une des parties, ou chacune d'elles, s'oblige de donner ou de faire quelque chose, ou consent qu'un tiers donne ou fasse quelque chose, duorum vel plurium in idem placitum consensus.

Ainsi contrat en général & convention ne sont qu'une même chose ; & ce qui forme le contrat, c'est le consentement mutuel & réciproque des parties contractantes ; d'où il suit que ceux qui ne sont pas en état de donner un consentement libre, ne peuvent pas faire de contrats, tels que les mineurs, les fils de famille, les imbécilles. Ceux qui sont détenus prisonniers ne peuvent pas non plus contracter, à moins qu'ils ne soient amenés entre deux guichets comme en lieu de liberté.

La plûpart des contrats tirent leur origine du droit des gens, c'est-à-dire qu'ils sont de tous les tems & de tous les pays, ayant été introduits pour l'arrangement de ceux qui ont quelques intérêts à regler ensemble ; tels sont les contrats de loüage, d'échange, de vente, de prêt, & plusieurs autres semblables que l'on appelle contrats du droit des gens, quant à leur origine, mais qui sont devenus du droit civil quant à la forme & aux effets.

Les contrats qu'on appelle du droit civil, sont ceux qui tirent leur origine du droit civil de chaque nation.

Chez les Juifs, dans les premiers siecles, les contrats se passoient devant des témoins & publiquement à la porte des villes, qui étoit le lieu où se rendoit la justice. L'Ecriture en fournit plusieurs exemples, entr'autres celui d'Abraham, qui acquit une piece de terre dans le territoire de Chanaan en présence de tous ceux qui entroient dans la ville d'Hebron. L'histoire de Ruth fait mention de quelque chose de semblable. Moyse n'avoit ordonné l'écriture que pour l'acte de divorce. Il y avoit cependant des contrats que l'on rédigeoit par écrit, & la forme de ceux-ci y est marquée dans le contrat de vente dont il est parlé au ch. xxxij. de Jérem. v. 10. " J'achetai de Hanaméel fils de mon oncle, dit ce prophete, le champ qui est situé à Anathoth, & je lui donnai l'argent au poids sept sicles & dix pieces d'argent ; j'en écrivis le contrat & le cachetai en présence des témoins, & lui pesai l'argent dans la balance, & je pris le contrat de l'acquisition cacheté, avec ses clauses, selon les ordonnances de la loi, & les sceaux qu'on avoit mis au-dehors, & je donnai ce contrat d'acquisition à Baruch, fils de Neri, fils de Mansias, en présence d'Hanaméel mon cousin-germain, & des témoins dont les noms étoient écrits dans le contrat d'acquisition ".

Vatable, sur ce passage, dit qu'il fut fait deux actes : l'un, qui fut plié & cacheté ; l'autre, qui demeura ouvert ; que dans le premier, qui tenoit lieu de minute ou original, outre le nom de la chose vendue & le prix, on inséra les conditions de la vente & le tems du rachat ou rémeré ; que pour les tenir secrettes & éviter toute fraude, on cacheta cet acte d'un sceau public, & qu'après qu'il fut cacheté les parties & les témoins signerent au dos ; qu'à l'égard de l'autre double, on le présenta ouvert aux témoins, qui le signerent aussi avec les contractans, comme on avoit coûtume de faire en pareille occasion.

Vatable ajoûte qu'en justice on n'avoit égard qu'au contrat cacheté ; que les contractans écrivoient eux-mêmes le contrat & le signoient avec les témoins ; qu'on se servoit pourtant quelquefois d'écrivains ou tabellions publics suivant ce passage, lingua mea calamus scribae velociter scribentis.

Les Grecs qui emprunterent leurs principales lois des Hébreux, en usoient aussi à-peu-près de même pour leurs contrats ; les Athéniens les passoient devant des personnes publiques, que l'on appelloit comme à Rome argentarii. Ces actes par écrit avoient leur exécution parée, & l'on n'admettoit point de preuve au contraire.

Les Romains, qui emprunterent aussi beaucoup de choses des Grecs, passoient leurs contrats devant des argentiers, qui étoient des especes de banquiers auxquels on donnoit encore différens autres noms, tels que nummularii, coactores, &c.

On divisoit d'abord les contrats en contrats du droit des gens & en contrats du droit civil. Nous avons déjà expliqué ce qui concerne les premiers.

Les contrats du droit civil, chez les Romains, étoient certains contrats particuliers, qui tiroient leur forme & leurs effets du droit civil ; tels étoient les contrats appellés stipulations conventionnelles, qui se formoient par l'interrogation d'une part & par réponse de l'autre : Vis ne solvere ? Volo. C'étoit le plus efficace de tous les contrats.

L'obligation qui provient de l'écriture, & l'emphitéose, étoient aussi considerées comme des contrats du droit civil, étant inconnus selon le droit des gens.

Toutes ces conventions, soit du droit des gens ou du droit civil, étoient divisées en contrats proprement dits & en simples pactes.

Le contrat étoit une convention qui avoit un nom ou une cause, en vertu de laquelle un des contractans, ou tous les deux, étoient obligés.

Le pacte au contraire étoit une nue convention qui n'avoit ni nom ni cause, qui ne produisoit qu'une obligation naturelle, dont l'accomplissement ne dépendoit que de la bonne foi de celui qui étoit obligé ; il ne produisoit point d'obligation civile jusqu'à ce que l'une des parties eût exécuté la convention.

On divisoit aussi les contrats, chez les Romains, en contrats nommés, c'est-à-dire qui avoient un nom propre, comme le loüage, la vente, & contrats innommés, qui n'avoient point de nom particulier. Voyez ci-après CONTRATS NOMMES & CONTRATS INNOMMES.

On les divisoit encore les uns & les autres en contrats synallagmatiques, c'est-à-dire obligatoires des deux côtés, comme la vente : & en contrats simplement obligatoires d'un côté, comme une obligation proprement dite, où le débiteur s'oblige à payer une somme à son créancier.

Il y avoit encore une distinction des contrats de bonne foi, de ceux qu'on appelloit stricti juris, mais qui n'est plus d'usage, tous les contrats étant reputés de bonne foi.

Toutes ces distinctions subtiles ne sont point admises parmi nous ; on distingue seulement les contrats ou obligations, par les différentes manieres dont ils se forment, savoir, re, verbis, litteris, & solo consensu.

On contracte par la chose ou par le seul fait : par exemple, lorsque l'on prête quelque chose à une autre personne, ce contrat & autres semblables qui se forment par la tradition de la chose, ne sont pas faits parmi nous, comme chez les Romains, par la tradition.

Le contrat se forme par paroles, lorsque l'un promet verbalement de donner ou faire quelque chose au profit d'un autre.

On contracte litteris, c'est-à-dire par écrit, lorsque quelqu'un s'oblige par écrit envers un autre.

L'écriture n'est pas par elle-même de l'essence du contrat ; ce n'est pas elle qui constitue le contrat proprement dit, elle n'en est que la preuve : car il ne faut pas confondre le contrat matériel avec la convention qui se forme toûjours par le consentement.

Mais il est plus avantageux de rédiger le contrat par écrit que de le faire verbalement, pour ne pas tomber dans l'inconvénient de la preuve par témoins.

D'ailleurs comme suivant l'ordonnance de Moulins & celle de 1667, la preuve par témoins n'est point admise pour une somme au-dessus de 100 livres, à moins qu'il n'y en ait un commencement de preuve par écrit, il est devenu par-là nécessaire de rédiger par écrit toutes les conventions pour somme au-dessus de 100 liv.

Il y a aussi certains contrats, qui par leur nature doivent être rédigés par écrit, quand même il s'agiroit de somme au-dessous de 100 livres, tels que les contrats de mariage, les prêts sur gage.

Les contrats qui sont parfaits par le seul consentement, sont ceux où la tradition de la chose ni l'écriture ne sont pas nécessaires, & dans lesquels le consentement même n'a pas besoin d'être exprimé verbalement, comme dans le contrat de location, qui se peut faire entre des absens par l'entremise d'un tiers qui consent pour eux.

Mais personne ne peut engager un tiers sans son consentement ; ainsi l'on ne peut contracter qu'en personne ou par un fondé de pouvoir.

Les contrats qui sont rédigés par écrit sont ou sous seing privé, ou devant notaire, ou se forment en jugement.

Ceux que l'on passe devant notaire doivent être reçus par un notaire en présence de deux témoins, ou s'il n'y a pas de témoins, il faut qu'ils soient signés d'un notaire en second.

Chez les Romains, les contrats étoient d'abord écrits en notes par les notaires, qui étoient ordinairement des esclaves publics, ou bien par les clercs des tabellions. Cette premiere rédaction n'étoit point authentique, & les contrats n'étoient point obligatoires ni parfaits qu'ils n'eussent été transcrits en lettres & mis au net par un tabellion, ce qu'on appelloit mettre un contrat in purum seu in mundum, c'étoit proprement la grosse du contrat. Tant que cette seconde rédaction n'étoit pas faite, il étoit permis aux contractans de se départir du contrat.

Quand l'acte étoit mis au net, les contractans le souscrivoient, non pas de leur nom comme on fait aujourd'hui, mais en écrivant ou faisant écrire au bas de la grosse qu'ils approuvoient le contrat, & en mettant leur sceau ou cachet à la suite de cette souscription.

Le tabellion devoit écrire le contrat tout au long, mais il n'étoit pas nécessaire qu'il le souscrivît non plus que les témoins ; il suffisoit de faire mention de leur présence.

En France les minutes des notaires sont les véritables contrats, les grosses & expéditions n'en sont que des copies.

Avant l'ordonnance d'Orléans, on étoit obligé d'écrire les contrats jusqu'à-trois fois. Les tabellions les écrivoient d'abord en plumitif ou minute, ce qui avoit assez de rapport aux notes que faisoient les notaires de Rome ; ils les transcrivoient ensuite dans leurs registres reliés, qui devoient être écrits tout de suite, c'est-à-dire sans aucun blanc & à mesure que les actes étoient passés, ce que l'ordonnance de 1535 appelle écrire tout d'un dactyle, terme qui en le prenant à la lettre voudroit dire tout d'une main, mais on entendoit seulement par-là écrire tout de suite ; enfin les tabellions écrivoient les contrats en grosse pour les délivrer aux parties.

Présentement les notaires ou tabellions ne sont plus obligés de tenir de registre des contrats ; ils les reçoivent seulement en minute ou brevet, selon qu'il plaît aux parties & que les actes le demandent ; & sur la minute ou brevet déposé pour minute, ils en délivrent des expeditions ou copies, tant en papier qu'en parchemin, suivant que les parties le demandent.

La premiere expédition d'un contrat qui est en forme exécutoire s'appelle grosse ; on la délivre ordinairement en parchemin, il y a néanmoins des pays où on ne les fait qu'en papier. Il y a des expéditions ou copies tirées sur la minute, d'autres qui sont seulement collationnées sur une précédente expédition. Les premieres sont les plus authentiques.

Les contrats passés en jugement sont ceux qui résultent des déclarations, consentemens, & acquiescemens faits dans des actes judiciaires ; car on contracte en jugement aussi-bien que dehors.

Avant qu'un contrat soit parfait, il est libre aux parties de ne le pas faire : mais dès qu'une fois il est fait, il ne leur est plus permis de s'en écarter, le contrat fait leur loi : contractus sunt ab initio voluntatis, ex post facto necessitatis.

Le contrat produit l'obligation, & celle-ci produit l'action pour contraindre l'obligé à exécuter son engagement.

Pour pouvoir mettre un contrat à exécution par les voies de la justice, il faut qu'il soit en forme exécutoire.

Les contrats passés devant notaire & en jugement emportent hypotheque sur tous les biens de l'obligé : mais ceux qui sont passés en pays étranger n'emportent hypotheque sur les biens situés dans le royaume, que du jour qu'ils y ont été reconnus, soit devant notaire ou en justice.

Un contrat peut renfermer plusieurs conventions, les unes valables & les autres nulles. S'il y a des conventions illicites, elles sont nulles de plein droit. Il y en a d'autres qui peuvent être annullées par des moyens de coûtume ou d'ordonnance ; & le contrat peut être valable en partie & nul pour le surplus, à moins que les conventions ne soient dépendantes les unes des autres.

Comme les regles que l'on suit pour interpreter les conventions & les vices qui peuvent s'y trouver, s'appliquent à chaque convention en particulier, plûtôt qu'au contrat en général, entant qu'on le prend ordinairement pour un acte qui peut renfermer plusieurs conventions ; nous en expliquerons les principes au mot CONVENTION. (A)

CONTRAT D'ABANDONNEMENT, voyez ABANDONNEMENT.

CONTRAT D'ACCENSE ou D'ACCENSEMENT, est la même chose que bail à cens. V. CENS & CENSIVE.

CONTRAT ALEATOIRE, est celui dont le sort dépend du hasard. On met dans cette classe les gageures & les promesses, & obligations faites pour argent du jeu ; quand ces fortes de contrats sont pour une cause illicite, ou pour des jeux défendus, ils ne produisent point d'action. Cette matiere est traitée au long par Dumolin, en son traité des contrats usuraires, quest. 816. & dans le traité de la preuve par témoins, de Danty, aux additions sur le chapitre x.

CONTRAT D'ARRENTEMENT, voyez BAIL A RENTE, RENTE FONCIERE.

CONTRAT D'ASSURANCE, voyez ASSURANCE,

CONTRAT D'ATERMOYEMENT, voyez ATERMOYEMENT, (A)

CONTRATS DE BONNE-FOI, chez les Romains étoient ceux dont les clauses ne se prenoient pas toûjours à la lettre, mais que le juge pouvoit interpreter selon l'équité, tels que les contrats de vente, de loüage, le mandat, le dépôt, la société, la tutele, &c. à la différence des autres contrats extraordinaires que l'on appelloit stricti juris, où le juge ne pouvoit rien suppléer. La loi xvj. §. 4. au digest. de minoribus, dit que dans le contrat de vente il est permis aux contractans de se tromper mutuellement. La loi xj. § 5. au digest. de institutoriâ actione, & la loi lj. au code de episcopis & clericis, semblent ne défendre de tromper les contractans qu'après le contrat. Aujourd'hui tous les contrats & les actions qui en résultent, sont de bonne-foi, comme le remarquent Jason & Zasius c'est-à-dire doivent être traités selon la bonne-foi & l'équité. Il n'est point permis aux contractans de se tromper mutuellement ; & si l'acheteur n'est pas relevé pour cause de lésion, c'est parce que l'achat est volontaire, & qu'il peut y avoir un prix d'affection qui est indéterminé. On dit communément qu'en mariage trompe qui peut, c'est-à-dire que chacun se fait ordinairement passer pour plus riche qu'il n'est en effet, & la lésion n'est point considérée dans ce contrat. Mais du reste il n'est pas plus permis dans ce contrat que dans tout autre aux contractans de se tromper mutuellement. Voyez ACTION, BONNE-FOI, LESION, MARIAGE, VENTE. (A)

CONTRAT CIVIL, est celui qui est autorisé par les lois civiles. On se sert de cette expression en différens sens : par exemple, le contrat civil est opposé à l'obligation naturelle ; le fils de famille qui emprunte est obligé naturellement, mais il n'y a point d'action contre lui, parce qu'il n'y a point de contrat civil. Le mariage est un contrat civil élevé à la dignité de sacrement : le contrat civil en cette matiere se forme par le consentement des deux parties ; lorsqu'il est légitime & solemnel, c'est-à-dire lorsqu'il est donné par des personnes d'âge compétent, libres, & non en puissance d'autrui, ou si elles y sont, avec le consentement de ceux en la puissance desquels ils sont, & avec toutes les qualités & conditions personnelles & toutes les formalités requises par les lois. Ce contrat civil, qui est la matiere, la base, le fondement, & la cause du sacrement de mariage, doit être parfait en sa substance & en sa matiere pour être élevé à la dignité de sacrement ; de sorte que quand le contrat est nul par le défaut de consentement légitime, le sacrement n'y est point appliqué. Il y a néanmoins des mariages nuls, quant aux effets civils, qui ne laissent pas de valoir quant au sacrement ; tels que les mariages clandestins, ceux faits in extremis, & ceux contractés avec des personnes mortes civilement. Mais la raison pour laquelle ces mariages sont valables, quant au sacrement, c'est que le contrat civil, c'est-à-dire le consentement des parties, n'est pas nul, quoiqu'il manque d'ailleurs à ce contrat d'autres formalités nécessaires pour lui faire produire les effets civils. (A)

CONTRAT DE CONSTITUTION, voyez ci-devant CONSTITUTION DE RENTE, & RENTE CONSTITUEE. (A)

CONTRAT CONTROLE, voyez CONTROLE DES ACTES DES NOTAIRES. (A)

CONTRAT DE DIRECTION, voyez DIRECTION. (A)

CONTRATS DU DROIT CIVIL, sont ceux qui tirent leur origine du droit civil, aussi bien que leur forme & leurs effets : tels étoient chez les Romains le contrat appellé stipulation, l'obligation qui provient de l'écriture & l'emphitéose. Ces contrats du droit civil étoient distingués de ceux du droit des gens. Présentement parmi nous on ne distingue plus les contrats du droit civil de ceux du droit des gens, si ce n'est quant à leur premiere origine ; du reste ils sont soûmis aux mêmes regles, quant à leur forme & à leurs effets. Voy. ci-apr. CONTRATS DU DROIT DES GENS. (A)

CONTRATS DU DROIT DES GENS, sont ceux qui tirent leur premiere origine du droit des gens ; tels que le prêt, le loüage, la vente, l'échange, le dépôt, la société. La plûpart des contrats qui sont présentement en usage, tirent leur origine du droit des gens. On les qualifie toûjours de contrats du droit des gens, à cause de leur premiere origine, quoiqu'ils soient réglés par le droit civil, quant à la forme & aux effets. (A)

CONTRATS DE DROIT ETROIT, appellés en Droit stricti juris, étoient chez les Romains ceux que l'on prenoit à la lettre, sans pouvoir les interpreter selon l'équité. Voyez ci-devant CONTRATS DE BONNE-FOI. (A)

CONTRAT D'ECHANGE, voyez ÉCHANGE.

CONTRAT EN FORME EXECUTOIRE, est celui qui est revêtu de la forme extérieure, nécessaire pour pouvoir être mis à exécution par la voie de la justice. Voyez EXECUTION PAREE, FORME EXECUTOIRE. (A)

CONTRAT D'ENGAGEMENT, voyez ENGAGEMENT. (A)

CONTRAT EN SAISINE, voyez ENSAISINEMENT & SAISINE. (A)

CONTRAT EXECUTOIRE, voyez EXECUTION PAREE, FORME EXECUTOIRE. (A)

CONTRAT GRACIEUX : Loyseau appelle ainsi les ventes avec clause de rémeré & faculté de rachat, apparemment à cause que cette faculté est une espece de grace accordée au vendeur pour rentrer dans son héritage. Voyez le tr. du déguerp. liv. I. chap. vij. n. 15. (A)

CONTRAT A LA GROSSE ou A LA GROSSE AVENTURE, voyez GROSSE AVENTURE. (A)

CONTRAT GROSSOYE, est celui dont on a expédié une premiere ou seconde grosse, c'est-à-dire une expédition en forme exécutoire, soit en parchemin ou en papier, selon l'usage du pays. Voyez FORME EXÉCUTOIRE. (A)

CONTRAT ILLICITE, est celui qui contient quelque convention contraire ou aux bonnes moeurs, ou qui est expressément défendue par les lois. (A)

CONTRAT INFEODE, voyez INFEODATION. (A)

CONTRATS INNOMMES, chez les Romains étoient ceux qui n'avoient point de nom particulier qui leur eût été donné ou confirmé par le droit civil, & qui de simples conventions qu'ils étoient d'abord, devenoient ensuite contrats par l'accomplissement de la convention de la part d'une des parties. Ces sortes de contrats avoient la même force qu'un mandat ; ils ne produisoient point une action qui leur fût propre comme faisoient les contrats nommés, mais ils en produisoient une qui leur étoit commune à tous, & qu'on appelloit en droit, actio in factum, actio utilis, ou actio praescriptis verbis.

Le nombre des contrats innommés n'est point limité ; il y en a autant de sortes que l'on peut former de différentes conventions : néanmoins les jurisconsultes Romains les ont tous rangé sous quatre classes, savoir ceux où la convention est do ut des ; tel que l'échange d'une chose contre une autre, qui est le plus ancien de tous les contrats. Les conventions do ut facias, & celles qui se font vice versâ, facio ut des ; comme quand l'un donne du grain, de l'argent, ou autre chose à un autre, pour l'engager à faire un voyage ou quelque ouvrage. Enfin les conventions facio ut facias ; par exemple quand un marchand fait pour un autre des emplettes dans un lieu, à condition que l'autre marchand en fera pareillement pour lui dans quelque autre endroit.

Toutes ces différentes sortes de conventions chez les Romains ne formoient point par elles-mêmes de contrat proprement dit, ce n'étoient que de simples pactes ; mais lorsqu'une des parties avoit commencé à exécuter la convention, elle devenoit aussitôt un contrat innommé, & produisoit une action telle qu'on l'a expliqué ci-devant : cette action appartenoit à celui qui avoit exécuté la convention, & tendoit à obliger l'autre de faire le semblable de sa part ; & comme il pouvoit arriver qu'il ne fût plus à tems de demander l'exécution de la convention, ou qu'il ne voulût pas se jetter dans l'embarras d'une liquidation de dommages & intérêts, il lui étoit aussi permis de se départir de la convention, faute d'avoir été exécutée par l'autre ; & pour répéter ce qu'il lui avoit donné, il avoit une action appellée conditio causâ datâ, causâ non secutâ : action qui naissoit de l'équité naturelle, & non pas du contrat, puisqu'elle tendoit au contraire à le faire resoudre.

La distinction des contrats innommés d'avec les contrats nommés, & des différentes actions que les uns & les autres produisoient, n'est point admise. Parmi nous, tous les contrats y sont innommés, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune différence entr'eux quant à leur forme, ni quant à leur effet ; & que l'action qui en résulte dépend des termes de la convention, n'y ayant point non plus parmi nous de formule particuliere pour chaque action. Voyez ci-après CONTRATS NOMMES. (A)

CONTRAT INSINUE, voyez INSINUATION. (A)

CONTRAT EN JUGEMENT, est la convention qui se forme en justice par le mutuel consentement des parties & l'autorité du juge.

Lorsqu'une des parties ou son procureur fait quelque déclaration ou reconnoissance, ou donne quelque consentement à l'audience ou par écrit, que l'autre partie en a demandé acte, & que le juge le lui a octroyé, cela forme un contrat en jugement ; c'est-à-dire que celui qui a déclaré, reconnu, ou consenti quelque chose, est lié par sa déclaration, reconnoissance, ou consentement, de même que s'il l'avoit fait par un acte devant notaire : c'est pourquoi l'on dit communément que l'on contracte en jugement aussi-bien que dehors.

Mais ce contrat n'est point formé par une simple déclaration, reconnoissance, ou consentement d'une des parties, quand même ce seroit par écrit ; il ne suffit pas non plus que l'autre partie en ait demandé acte, il faut que le juge l'ait octroyé : jusque-là celui qui a fait quelque déclaration ou reconnoissance, ou donné quelque consentement, peut les révoquer, les choses étant encore entieres, même quand l'autre partie en auroit déjà demandé ; parce qu'il se peut faire que la déclaration, reconnoissance, ou consentement, eussent été tirés par surprise, & que celui qui les a donnés ne sentit pas alors l'avantage qu'on en pourroit tirer contre lui. Il dépend donc de la prudence du juge, de donner acte de la déclaration, reconnoissance, ou consentement, ou de le refuser ; ce qui dépend des circonstances. (A)

CONTRAT LECTURE, voyez LECTURE. (A)

CONTRAT LIBELLAIRE, chez les Romains contractus libellarius seu datio ad libellam, étoit une espece de bail à cens d'un héritage. Ce bail étoit perpétuel ; mais il différoit du bail à location perpétuelle, appellé aussi contrat perpétuel, contractus perpetuarius seu locatio perpetua, en ce que la redevance du contrat libellaire étoit plus petite que celle de la location perpétuelle ; car libella signifie une petite piece d'argent. Les Romains usoient de ce mot libella, & non du terme de cens comme parmi nous ; parce qu'à Rome le cens étoit un droit de souveraineté qui ne pouvoit appartenir qu'au fisc. La commise & réversion n'avoit point lieu dans ce contrat comme dans l'emphytéose. Loiseau, tr. du déguerp. liv. I. ch. jv. n. 29. trouve que ce contrat revenoit beaucoup à celui que la novelle vij. appelle colonarium jus. M. Cujas explique très-bien la nature de ce contrat libellaire, sur le titre ij. du livre premier des fiefs. (A)

CONTRAT DE MARIAGE, voyez MARIAGE. (A)

CONTRAT MARITIME, est celui qui est fait pour quelque négociation qui a rapport au commerce par mer ; tels sont les contrats faits pour l'armement d'un navire, les actes d'affretement, les chartes parties, les polices d'assûrance. Voyez l'ordonnance de la Marine de 1681, liv. III. & le livre du consulat, contenant les lois, statuts, & coûtumes touchant les contrats & négociations maritimes. (A)

CONTRAT MOHATRA, voyez MOHATRA. (A)

CONTRATS NOMMES, sont ceux à chacun desquels le droit civil avoit attribué un nom propre qui les distinguoit les uns des autres, & des contrats innommés qui n'avoient point de nom propre. Ainsi l'on mettoit au nombre des contrats nommés le prêt, le commodat, le dépôt, le gage, la stipulation proprement dite, l'obligation qui se contracte par écrit, la vente, le loüage, la société, & le mandat.

La permutation & la transaction n'étoient pas des contrats nommés, parce que ces noms convenoient à plusieurs sortes d'affaires, & que l'action qu'ils produisoient, suivant le droit civil, n'étoit pas propre à une seule sorte de convention.

L'origine des contrats nommés vient de ce que les jurisconsultes qui composerent la loi des douze tables, choisirent les conventions qui leur parurent les plus ordinaires & les plus nécessaires pour le commerce de la société civile, & donnerent à chacune de ces conventions un nom propre pour la distinguer des autres, dont ils abandonnerent l'exécution à la bonne-foi des parties, ne croyant pas juste que celui qui auroit promis trop légerement quelque chose, pût être contraint de l'exécuter.

Ceux qui interpreterent la loi des douze tables crurent devoir suppléer à cette loi, en ajoûtant que les autres conventions ne laisseroient pas de produire une obligation civile lorsqu'elles auroient une cause légitime, & qu'elles seroient exécutées par l'une des parties ; mais comme ils ne donnerent point de nom particulier à chacune de ces conventions, elles furent appellées contrats innommés : & de-là vint la distinction des contrats nommés & des contrats innommés. Voyez CONTRATS INNOMMES. (A)

CONTRAT DEVANT NOTAIRE, est celui qui est passé devant deux notaires ou tabellions, ou devant un notaire & deux témoins. Voyez NOTAIRE. (A)

CONTRAT NUL, est celui qui ne peut produire aucun effet, soit que la nullité en ait lieu de plein droit par quelque vice de la convention, soit qu'elle ait été prononcée en justice, ou consentie par les parties. Voyez NULLITE. (A)

CONTRAT EN PARCHEMIN, est celui qui est expédié sur parchemin, soit que ce soit la grosse du contrat en forme exécutoire, ou une simple expédition en parchemin. Voyez FORME EXECUTOIRE. (A)

CONTRAT PERPETUEL, signifie en général tout contrat qui est fait pour perpétuelle demeure, & non pour un tems seulement ; ainsi la vente est un contrat perpétuel, au lieu que la location est un contrat à tems.

Il y avoit chez les Romains une espece particuliere de contrat appellé perpétuel, contractus perpetuarius, qui étoit un bail à location perpétuelle ; c'est pourquoi on l'appelloit aussi locatio perpetua. C'est de ce contrat qu'il est parlé en la loi x. au code de locato conducto, l. I. §. qui in perpetuum, & au dig. si ager vectigalis vel emphit. pet. Au commencement ce contrat étoit différent de l'emphytéose, parce que celle-ci étoit alors seulement à tems ; mais depuis que l'on eut admis l'emphytéose perpétuelle, il n'y eut plus de différence entre cette sorte d'emphytéose & le contrat perpétuel, ou de location perpétuelle. Ce même contrat est encore usité au parlement de Toulouse, sous le titre de bail à locaterie perpétuelle. Voyez le traité des droits seign. de Boutarie. (A)

CONTRAT DE POISSY, est un traité qui fut fait à Poissy en 1561 entre Charles IX. & le clergé de France, lequel se trouvoit alors assemblé dans ce lieu à l'occasion du colloque qui s'y tint, appellé le colloque de Poissy. Par ce traité le clergé s'obligea de payer au roi pendant six ans 1600000 l. par an, revenant le tout à 9600000 liv. il s'obligea de plus d'acquiter & racheter dans les dix autres années suivantes le sort principal des rentes alors constituées sur la ville de Paris, montant à 7560056 livres 16 sous 8 den. & cependant de payer les arrérages de ces rentes en l'acquit du roi, à compter du premier Janvier 1658. Ce contrat est le premier de ceux que le roi a passé avec le clergé, à l'occasion des subventions qu'il est obligé de fournir au Roi. Pour l'exécution de ce contrat, il fut nécessaire d'assembler plusieurs fois le clergé ; & c'est de-là qu'est venu l'usage des assemblées que le clergé tient de tems en tems par rapport aux subventions : au lieu qu'avant ce contrat ces sortes d'assemblées étoient fort rares, & que les levées sur le clergé se faisoient quelquefois sans attendre le consentement des ecclésiastiques.

Ce contrat de Poissy est rapporté dans Fontanon, tome IV. des ordonnances, tit. xxjv. n°. 3. & 9. & dans les mémoires du clergé, tome I. part. III. tit. jv. n. 1. Il en est parlé dans le mémoire de Patru sur les assemblées du clergé, & dans son mémoire sur les décimes. (A)

CONTRAT PIGNORATIF, est un contrat de vente d'un héritage fait par le débiteur à son créancier, avec faculté au vendeur de retirer l'héritage pendant un certain tems, & convention que le vendeur joüira de ce même héritage à titre de loyer, moyennant une somme par an, qui est ordinairement égale aux intérêts de la somme prêtée, & pour laquelle la vente a été faite.

Ce contrat est appellé pignoratif, parce qu'il ne contient qu'une vente simulée, & que son véritable objet est de donner l'héritage en gage au créancier, & de procurer au créancier des intérêts d'un prêt, en le déguisant sous un autre nom.

Le Droit civil & le Droit canon ont également admis ces sortes de contrats, pourvû qu'il n'y ait pas de fraude.

Ils sont reçus dans certaines coûtumes, comme Touraine, Anjou, Maine & quelques autres. Comme dans ces coûtumes un acquéreur qui a le tenement de cinq ans, c'est-à-dire qui a possedé paisiblement pendant cinq années, peut se défendre de toutes rentes, charges & hypoteques ; les créanciers, pour éviter cette prescription, acquierent par vente la chose qui leur est engagée, afin d'en conserver la possession fictive jusqu'à ce qu'ils soient payés de leur dû.

Les contrats pignoratifs different de la vente à faculté de rémeré & de l'antichrese, en ce que la premiere transmet à l'acquéreur la possession de l'héritage, & n'est point mêlée de relocation ; & à l'égard de l'antichrese, elle a bien pour objet, comme le contrat pignoratif, de procurer les intérêts d'un prêt : mais avec cette différence que dans l'antichrese c'est le créancier qui jouit de l'héritage, pour lui tenir lieu de ses intérêts ; au lieu que dans le contrat pignoratif c'est le débiteur qui jouit lui-même de son héritage, & en paye le loyer à son créancier, pour lui tenir lieu des intérêts de sa créance.

Quoique ces sortes de contrats semblent contenir une vente de l'héritage, cette vente est purement fictive, tellement qu'après l'expiration du tems stipulé pour le rachat, l'acquéreur, au lieu de prendre possession réelle de l'héritage, proroge au contraire la faculté de rachat & la relocation ; ou, à la fin, lorsqu'il ne veut plus la proroger, il fait faire un commandement au vendeur de lui payer le principal & les arrérages sous le nom de loyers ; & faute de payement il fait saisir réellement l'héritage en vertu du contrat : ce qui prouve bien que la vente n'est que simulée.

Dans les pays où ces contrats sont usités, ils sont regardés comme favorables au débiteur, pourvû qu'il n'y ait pas de fraude, & que le créancier ne déguise pas le contrat, pour empêcher le débiteur d'user de la faculté de rachat.

Les circonstances qui servent à connoître si le contrat est pignoratif, sont 1°. la relocation, qui est la principale marque d'impignoration : 2°. la vilité du prix : 3°. consuetudo foenerandi, c'est-à-dire lorsque l'acheteur est connu pour un usurier. La stipulation de rachat perpétuel peut aussi concourir à prouver l'impignoration ; mais elle ne formeroit pas seule une preuve, attendu qu'elle peut être accordée dans une vente sérieuse. Les autres circonstances ne formeroient pas seules une preuve, il faut au moins le concours des trois premieres.

Les principales regles que l'on suit en cette matiere, sont que le tems du rachat étant expiré, le débiteur doit rendre la somme qu'il a reçue, comme étant le prix de son héritage, sinon il ne peut en empêcher la vente par décret, sans qu'il puisse forcer son créancier à proroger la grace, ni à consentir la conversion du contrat pignoratif en constitution de rente.

Il est aussi de regle que les intérêts courent sans demande, du jour que le tems du rachat est expiré, & alors le créancier peut demander son remboursement ; mais jusqu'à ce que le remboursement soit fait, le contrat pignoratif est réputé immeuble, quand même il y auroit déja un jugement qui condamneroit à rembourser.

Voyez ANTICHRESE & ENGAGEMENT ; Filleau, part. IV. quest. 89. Hevin sur Frain, pag. 309. Louet, let. p. n. 8. 9. 10. 11. 12. & 41. Carondas, liv. VI. rep. 89. Bacquet, des droits de Justice, ch. 21. n. 234. (A)

CONTRATS (Quasi -) sont des engagemens résultans de certains faits qui produisent obligation, & que néanmoins on ne peut pas nommer contrats, parce que la convention expresse ou tacite qui est l'ame du contrat, ne s'y rencontre point.

Les Romains ont appellé ces engagemens des quasi-contrats.

On met dans cette classe les obligations réciproques, l'obligation du tuteur & de son mineur, celles du pro-tuteur, du curateur & autres administrateurs ; ainsi quand un homme absent n'a point laissé de procuration pour agir dans ses affaires, & que ses parens ou ses amis en prennent soin, il y a une obligation réciproque, sçavoir, de la part de celui qui a géré, de rendre compte de sa gestion ; & de la part de celui pour qui on a géré, de rembourser les dépenses nécessaires ou utiles qui ont été faites pour lui.

Celui qui se sert de la chose commune, est obligé à récompenser les autres, & ils sont tous obligés de se rembourser mutuellement ce qu'ils ont dépensé pour la conservation de la chose commune, quoique souvent ils n'ayent point contracté ensemble, comme il arrive entre co-héritiers ou co-légataires qui se trouvent en communauté sans leur participation.

L'adition ou acceptation d'hérédité est aussi une espece de quasi-contrat ; l'héritier se soûmet par-là à payer toutes les dettes du défunt ; ou s'il ne se porte héritier que par bénéfice d'inventaire, il s'oblige tacitement de les payer jusqu'à concurrence de ce qu'il amende, & de rendre compte.

Il se forme aussi un quasi-contrat entre celui qui paye par erreur une somme qu'il ne devoit pas, & celui qui reçoit cette somme ; le premier a action contre l'autre, pour répeter ce qu'il lui a payé.

Les jugemens forment pareillement une espece de quasi-contrat contre ceux qui y sont condamnés à donner ou faire quelque chose. Ils sont obligés de les exécuter, quand même ils se prétendroient condamnés injustement, sauf les voies de droit qu'ils peuvent avoir pour se pourvoir contre ces jugemens.

Enfin celui qui a employé un autre à ses affaires ou à quelqu'ouvrage, doit lui payer son salaire, quoiqu'il ne lui eût rien promis : c'est encore un quasi-contrat.

Voyez aux Instit. liv. III. tit. 28. de obligat. quae ex quasi-contractu nascuntur ; Argon. tom. I. liv. III. ch. 36. (A)

CONTRAT SIMULE est celui où l'on parle différemment de ce que l'on a fait, ou que l'on a eu intention de faire : Aliud dictum. aliud factum. Voyez CONTRE-LETTRE & FRAUDE. (A)

CONTRAT DE SOCIETE. Voyez SOCIETE.

CONTRAT SUPERFICIAIRE, superficiarius chez les Romains étoit le bail à rente d'une place que l'on donnoit à la charge de bâtir, à condition que le preneur joüiroit de la maison par lui bâtie tant qu'elle dureroit, & qu'étant ruinée & démolie, la place retourneroit franchement à son ancien maître, lequel en conservoit même toûjours le domaine direct, pour raison de quoi on lui payoit pendant le bail une certaine redevance appellée solarium, quod pro solo penderetur, & non pas salarium, comme quelques vieux Interpretes l'ont lû in l. idem Julianus, §. haeres, de leg. 1. l. etiam, ff. qui potiores in pign. l. hactenus, ff. de usufructu. (A)

CONTRATS SYNALLAGMATIQUES sont ceux qui obligent de part & d'autre, comme le loüage, la vente, & plusieurs autres dans lesquels chacun des contractans a ses engagemens à remplir envers l'autre ; par exemple, dans le loüage le bailleur doit faire jouir de la chose qu'il donne à loyer ou à ferme, il doit tenir les lieux clos & couverts ; le preneur de sa part doit en user en bon pere de famille, payer le prix convenu, & rendre les lieux en bon état de réparations locatives. Ces contrats sont opposés à ceux qui n'obligent que d'un côté, tels que le prêt d'argent, où l'emprunteur est le seul qui s'oblige envers le prêteur. (A)

CONTRAT TACITE est une convention présumée, qui n'a été faite ni verbalement ni par écrit, mais qui résulte du silence & consentement tacite des parties. Ce contrat a lieu dans plusieurs cas, & notamment entre futurs conjoints, lorsqu'ils se marient sans faire de contrat par écrit. On présume dans ce cas qu'ils se sont rapportés à la loi ou à la coutume du lieu sur leurs conventions matrimoniales, & que leur intention a été d'adopter les conventions ordinaires, telles que la communauté & le doüaire, ou l'augment de dot dans les pays où il a lieu : la loi forme pour eux un contrat tacite résultant de leur consentement. (A)

CONTRAT DE VENTE. Voyez VENTE.

CONTRAT D'UNION. Voyez UNION.

CONTRAT USURAIRE. Voyez USURE.

Sur les contrats en général, voyez au digeste & aux institutes de obligationibus ; Coquille tom. II. instit. p. 119. Despeisses tom. 1. p. 239. la Bibliotheque de Bouchel & celle de Jouet, au mot CONTRAT. (A)


CONTRAVENTIONDESOBÉISSANCE, s. f. (Gramm.) ces termes désignent en général l'action de s'écarter d'une chose qui nous est commandée. La contravention est aux choses, la desobéissance aux personnes. La contravention à un reglement est une desobéissance au souverain. La contravention suppose une loi juste ; la desobéissance est quelquefois légitime. (O)

CONTRAVENTION, (Jurisprud.) est ce qui est fait au mepris de quelque loi, reglement, jugement, convention, testament, ou autre acte.

On appelle singulierement contraventions, les fraudes qui sont commises au préjudice des droits du Roi.

Les contraventions aux reglemens de police ou aux droits du Roi, sont punies de différentes peines pécuniaires, & même de peines afflictives, selon la nature du délit.

Les contraventions aux actes qui n'intéressent que les parties, se réduisent ordinairement en dommages & intérêts. (A)


CONTRAYERVAS. m. (Bot. exot.) plante Américaine dont la racine est d'usage.

Il y a plusieurs plantes connues des Botanistes sous le nom de contrayerva ; & c'est un grand inconvénient, une source d'erreurs : mais du moins M. Houston chirurgien Anglois étant en Amérique, a recueilli dans les montagnes auprès de l'ancienne Vera-Crux, la racine qu'on nomme contrayerva dans les boutiques, & il a découvert que c'étoit une espece de dorstenia, qu'il appelle, comme le P. Plumier, dorstenia dentaria radice, dont il a donné la description & la figure dans les Trans. phil. an. 1731, n. 421.

François Drack, si fameux par son voyage autour du monde, par ses expéditions & ses victoires contre les Espagnols, apporta le premier cette racine en Europe en 1580 ; c'est pourquoi Clusius l'appelle racine de Drack, Drakena radix.

La racine de cette plante ressemble beaucoup aux racines du sceau de Salomon ordinaire, ou de la dentaire ; car elle pousse plusieurs noeuds qui paroissent écailleux ; elle s'enfonce obliquement dans la terre, & y répand beaucoup de fibres branchues qui s'étendent de tous côtés ; enfin elle a un goût brûlant comme est celui de la pyrethre ordinaire. Il sort de son sommet six ou huit feuilles semblables à celles de la berce, quoique beaucoup plus petites, de la longueur de quatre ou cinq pouces, découpées profondément, ou partagées en plusieurs pieces pointues & dentelées, un peu rudes au toucher, & d'un verd brun des deux côtés, dont les queues ont cinq ou six pouces.

Du même sommet de cette racine s'élevent trois ou quatre pédicules un peu plus longs que les queues, qui soûtiennent des fleurs d'une figure particuliere ; car, selon M. Linnaeus qui a décrit cette fleur desséchée, gen. 840. chaque pedicule s'évase vers son extrémité, & forme une enveloppe commune, unie, anguleuse, grande, un peu renflée en-dessous, lisse & verte, & presque applatie en-dessus ; sur laquelle naît un placenta commun, où sont logées beaucoup de fleurs très-petites qui en occupent le centre, lesquelles sont entourées de petites écailles noirâtres qui bordent la circonférence.

Ces fleurs n'ont point de pétales ; elles n'ont qu'un calice ou enveloppe particuliere à chaque fleur, quadrangulaire, concave, plongé dans le placenta, & faisant corps avec lui, garni de quatre étamines dont les sommets sont un peu arrondis. L'embryon est sphérique, & porte un style simple & un stygmate obtus. Le placenta commun devient une substance charnue, dans laquelle sont nichées plusieurs graines arrondies & pointues, très-tendres & très-blanches. Cette plante croît dans le Pérou & le Mexique, d'où les Espagnols nous l'apportent. Art. de M(D.J.)

CONTRAYERVA, (Mat. med. & Pharmac.) Le contrayerva est un bon sudorifique : son odeur, sa saveur vive & piquante, & plus encore l'expérience, nous assûrent de cette propriété pour laquelle il a été célebré : mais la vertu alexipharmaque qu'on lui a aussi accordée, en prenant même le terme dans sa signification la plus étendue, peut lui être contestée avec raison ; 1°. parce que les contre-poisons généraux sont des êtres assez imaginaires ; 2°. parce que les alexipharmaques sudorifiques ou proprement dits, avoient été imaginés contre certains venins coagulans dont les observations modernes ont démenti l'existence, ou du moins ont bien diminué le nombre ; 3°. parce que la maniere de traiter les maladies qu'on appelloit malignes ou venéneuses, par les sudorifiques, a presque été absolument abandonnée, ou du moins restrainte à un certain nombre de cas qui ne sont pas les plus ordinaires.

Par conséquent on ne peut employer la racine de contrayerva avec confiance, que dans les cas où les sueurs sont indiquées en général (Voyez SUDORIFIQUE), & point du tout dans les cas de morsures, même des bêtes venimeuses, où l'on guérit par des sueurs abondantes, comme dans celles de la vipere, lorsqu'on a raison de soupçonner que l'alkali volatil employé dans ce cas peut agir par une qualité spécifique : il faut du moins qu'on ait constaté par des expériences suffisantes qu'on peut attendre le même succès d'un sudorifique quelconque.

Schulzius recommande en particulier cette racine contre les maladies malignes accompagnées de dyssenteries qui regnent souvent dans les armées. On peut la donner en substance depuis un scrupule jusqu'à un gros ; ou bien en infusion dans une chopine de vin ou d'eau, depuis deux gros jusqu'à une demi-once.

L'esprit-de-vin tire du contrayerva une teinture assez chargée, que le même Schulzius recommande à la dose d'un demi-gros, mais qu'on peut augmenter sans danger selon le cas.

Neumann prétend que son infusion dans de l'eau est plus sûre & plus efficace que cette teinture, parce que l'eau se charge plus des parties de cette racine que l'esprit-de-vin, & qu'on n'a pas à craindre de l'eau les mêmes inconvéniens que des menstrues spiritueux. On peut compter que la matiere extraite par l'esprit-de-vin ou par l'eau est de la même nature ; car on ne peut pas soupçonner Neumann, qui la désigne dans les deux cas par le nom d'extrait, d'avoir confondu une résine avec un extrait.

Le contrayerva entre dans l'eau thériacale, dans l'opiate de Salomon de la pharmacopée de Paris, dans la confection hyacinthe, & l'eau générale de cette même pharmacopée. L'extrait de cette racine entre dans la thériaque céleste.

Le contrayerva donne son nom à une composition fort connue dans les boutiques, principalement parmi les Anglois, sous le nom de lapis contrayervae, & dont la dispensation varie chez les différens auteurs, tels que Manget, Charas, Burnet, Bateus, & Fuller, qui donne à cette composition le nom de lapis alexiterius.

Préparation de la pierre de contrayerva. corne de cerf calcinée & préparée, corail rouge préparé, de chaque deux gros ; perles préparées, ambre blanc, yeux d'écrevisse, de chaque deux gros ; racine de contrayerva pulvérisée, pattes d'écrevisse préparées, de chaque demi-once : mêlez le tout exactement, & avec le mucilage de gomme arabique, faites-en une pâte dont vous formerez de petites boules de la grosseur d'une noix muscade.

On attribue à cette pierre les mêmes vertus qu'au contrayerva. Elle passe pour un sudorifique & un alexitaire excellent, & comme un bon préservatif contre la peste, la petite vérole, & les fievres malignes. Les réflexions que nous avons faites au commencement de cet article, en rapportant les prétendues vertus alexipharmaques du contrayerva, ont lieu ici dans le même sens. (b)


CONTRE(Gramm.) préposition qui marque ou proximité ou opposition : ainsi dans toutes ces phrases, il écrit contre les athées, il s'est élevé contre mon avis, il parle contre sa pensée, contre marque de l'opposition considérée sous différentes faces : & dans celles-ci, il est assis contre le mur, il est placé contre le feu, contre marque proximité. Contre entre en composition avec un grand nombre de mots de la langue.

CONTRE, (parer au) Escrim. c'est parer en dégageant. Voyez DEGAGER. Ainsi lorsque l'ennemi dégage en allongeant l'estocade, vous dégagez & la parez ; d'où il suit que vous parez de quarte une estocade de tierce, & de tierce une estocade de quarte.

Pour bien parer au contre, il faut, aussi-tôt que l'ennemi dégage, dégager aussi, & au même instant parer comme il a été enseigné, suivant le coup qu'il vous porte, de quarte ou de tierce, &c.

CONTRE DU CONTRE, (parer au) ou PARADE DU CERCLE, Escrim. c'est parer au contre du contre-dégagement ; ou pour mieux m'expliquer, c'est doubler, tripler, &c. la parade au contre.

CONTRE, en terme de Formier, est un instrument long & large, peu tranchant, avec lequel les Formiers fendent leur bois. Voyez Pl. du Form. fig. 3.


CONTRE-ALLÉE(Jardinage) voyez ALLEE.


CONTRE-AMIRALS. m. (Marine) c'est un officier qui commande l'arriere-garde ou la derniere division d'une armée navale. Il n'y a point de contre-amiral en France sur l'état de la Marine ; c'est une simple qualité qui ne subsiste que pendant un armement considérable où les officiers généraux sont employés. Dans ces occasions le plus ancien chef d'escadre porte le pavillon de contre-amiral, qui est blanc, de figure quarrée, & qui s'arbore à l'artimon. (Z)


CONTRE-APPELS. m. (Escrime) appel contraire à celui que l'ennemi a fait : ainsi si l'appel a été d'engagement à l'épée par le dedans, le contre-appel sera d'engagement à l'épée par le dehors.


CONTRE-APPROCHESsubst. f. pl. dans l'Art militaire, sont des lignes ou tranchées que font les assiégés pour venir attaquer ou reconnoître les lignes des assiégeans.

La ligne de contre-approche est une tranchée que font les assiégés, depuis leur chemin couvert jusqu'à la droite & à la gauche des attaques, pour découvrir ou envelopper les travaux des ennemis. On la commence à l'angle de la place d'armes de la demi-lune qui n'est point attaquée, à cinquante ou soixante toises des attaques, & on la continue aussi loin qu'il est nécessaire pour voir l'ennemi dans ses tranchées & dans ses lignes. Cette ligne doit partir précisément du chemin-couvert & de la demi-lune, afin que si l'ennemi vient à s'en emparer, elle ne lui soit d'aucune utilité. Le gouverneur enverra souvent pendant la nuit, au moyen de cette ligne, des partis de cavalerie ou d'infanterie, pour faire quitter aux travailleurs leurs postes, & enlever si l'on peut les ingénieurs qui conduisent les travaux. Savin, nouv. écol. milit. p. 280.

La ligne de contre-approche ne se pratique guere, parce qu'elle devient trop dangereuse en s'éloignant de la place. M. Goulon propose au lieu de cette ligne, de placer pendant la nuit une rangée de tonneaux ou de gabions, en s'avançant dans la campagne, à la distance de 30 ou 50 pas de l'angle saillant du chemin-couvert de la demi-lune collatérale de l'attaque, afin de pouvoir le matin enfiler la tranchée de derriere ces tonneaux. Mais pour faire cette manoeuvre, il faut que l'ennemi n'ait pas de batteries tournées de ce côté-là ; autrement il culbuteroit avec son canon toute cette espece de ligne. On remplit ces tonneaux ou gabions de matiere combustible, pour être en état de les brûler lorsqu'on ne peut plus les soûtenir, & que l'ennemi vient pour s'en saisir. Celui qui est le plus près de la palissade du chemin-couvert, en doit être au moins éloigné de la longueur d'une halebarde, afin qu'il ne puisse y mettre le feu.

M. le chevalier de Folard dit, dans son traité de la défense des places des anciens, qu'il n'y a aucun exemple formel des lignes de contre-approche depuis le siége de Belgrade par Mahomet II. en 1456, c'est-à-dire depuis environ 300 ans. Cependant elles ont été employées fort utilement au siége de Bergopzoom, en 1622. Fritach le rapporte en ces termes dans son traité de fortification.

" Au siége de Bergopzoom il y avoit quantité de contre-approches, desquelles les assiégés travaillerent tellement l'ennemi, qu'il ne s'en pouvoit approcher que d'un pié ; outre qu'ils avoient avancé dans la campagne toutes sortes d'ouvrages extérieurs, par le moyen desquels, comme aussi du secours, les Espagnols furent contraints de quitter le siége, &c. " Voilà évidemment les contre-approches en usage depuis Mahomet II. Il y a grande apparence que cet exemple n'est pas le seul. Mais quoi qu'il en soit, si l'on est en état de soûtenir une ligne de contre-approche, on le sera encore davantage de faire de bonnes sorties qui pourront faire plus de mal à l'assiégeant. Le Blond, traité de la défense des places. (Q)


CONTRE-BARRÉadj. terme de Blason, signifie bandé à senestre par une bande contre-changée. Voyez BANDE. (V)


CONTRE-BASSES. f. (Luth.) instrument de Musique représenté Pl. XI. fig. 6. de Lutherie ; il ne differe de la basse de violon décrite à l'article basse de violon, qu'en ce qu'il est plus grand, & qu'il sonne l'octave au-dessous, & l'unisson du 16 piés. Voyez la table du rapport de l'étendue des instrumens de Musique.


CONTRE-BATTERIES. f. (Art milit.) c'est une batterie opposée à celle de l'ennemi, & par laquelle on tâche de démonter son canon. Voyez BATTERIE. (Q)


CONTRE-BISEAUS. m. (Luth.) Dans les jeux d'orgue qui sont de bois, il y a une piece de même matiere ajustée au bas du tuyau, pour en fermer entierement l'ouverture. Cette piece doit être bien collée au corps du tuyau, & avoir au milieu un trou où s'emboîte le pié du tuyau percé d'outre en outre. Voy. la fig. 30. n. 1. Pl. d'orgue. 22 est le contre-biseau, A le pied qui reçoit le vent du sommier, & le porte dans la chambre, B, d'où il passe entre le biseau C & la levre inférieure 3 dans le corps D E du tuyau.


CONTRE-BRODÉadject. pris subst. espece de rassade blanche & noire. Voyez RASSADE.


CONTRE-CARENES. f. (Marine) C'est une piece de bois mise dessus la carene ou quille du vaisseau. Voyez QUILLE. Contre-carene ou contre-quille, c'est la même chose. Voyez Pl. IV. fig. 1. n. 5. la contre-quille. (Z)


CONTRE-CHANGES. m. (Jurisp.) est l'abandonnement que l'on fait d'une chose au profit de celui qui en a cedé une autre à titre d'échange. Ce terme est usité particulierement en fait d'échange d'un immeuble contre un bien de même qualité. Voy. ÉCHANGE. (A)


CONTRE-CHANGÉadj. terme de Blason, se dit de l'écu dont la couleur du change & des pieces est interrompue & variée par des lignes de partition

Tel est l'écu du fameux Chaucer auteur & poëte Anglois fort célebre dans le quatorzieme siecle. Il porte parti par pal, d'argent & de gueules ; une bande contre-changée, c'est-à-dire que la partie de la bande regnante sur la partie du champ qui est d'argent, est de gueules, & vise versâ. (V)


CONTRE-CHARGES. f. (Rubanier) c'est la pierre que l'on met au bout de la corde des contrepoids. Voy. CONTRE-POIDS.


CONTRE-CHARMES. m. (Divinat.) c'est un charme par lequel on détruit l'effet d'un autre charme. Dans le systême de la Théologie payenne, où l'on admettoit des génies bien ou malfaisans de divers ordres, il n'étoit pas étonnant qu'on supposât que tel ou tel génie avoit de la supériorité sur tel ou tel autre, & par conséquent que les charmes d'un magicien aidé par un génie moins puissant, cédassent aux charmes d'un magicien protégé par un génie d'un ordre supérieur ; mais dans la vraie religion il n'est pas démontré qu'il y ait une hiérarchie bien établie entre les démons, ni que l'un détruise ce que l'autre a fait, autrement ils tomberoient dans le cas dont parle Jesus-Christ dans l'évangile : Si satanas adversùs satanam divisus est, quomodo stabit regnum ejus ? Il est bien vrai que l'écriture parle du prince des démons, mais elle insinue en même tems qu'ils conspirent également à faire du mal aux hommes, ainsi les contre-charmes pourroient bien n'être aux charmes que ce qu'une plus grande imposture est à une moindre. (G)


CONTRE-CHASSISS. m. chassis de verre ou de papier à l'usage de plusieurs artistes, qu'on place au-devant des chassis ordinaires, pour rendre la lumiere du jour plus douce & plus égale.


CONTRE-CHEVRONNÉadj. terme de Blason ; se dit d'un écu qui porte plusieurs chevrons séparés par des lignes de partition, opposés l'un à l'autre, en telle sorte que le métal soit opposé à la couleur, & la couleur au métal. (V)


CONTRE-CLÉS. m. (Architect.) voussoir joignant la clé, soit à droite, soit à gauche.


CONTRE-COEURS. m. (Archit.) est le fond d'une cheminée entre les jambages & le foyer : il doit être de brique ou de tuileau, & doit avoir six pouces de plus d'épaisseur en talut qu'en contre-haut.

Contre-coeur de fer est une grande plaque de fer fondu, souvent ornée de sculpture en bas-relief, non-seulement pour conserver la maçonnerie du contre-coeur, mais aussi pour renvoyer la chaleur. (P)


CONTRE-COMPONÉadj. terme de Blason, se dit d'un écu dont le champ étant parti de deux métaux, la bordure l'est aussi, mais de sorte que ses compons ne tombent pas sur la couleur du champ, semblable à la leur ; ainsi l'on dit fascé d'or & de sable, à la bordure contre-componée de même, c'est-à-dire que l'écu étant fascé d'or & de sable, les compons d'or de la bordure répondent aux fasces de sable, & les compons de sable aux fasces d'or. Chamb.

Seve à Lyon & à Paris, originaire de Piémont, fascé d'or & de sable, à la bordure contre-componée de même. (V)


CONTRE-COSTÉadj. terme de Blason ; coupé de gueules & de sable, au tronc contre-côté d'or.

Pianelle vers la riviere de Genes, & à Lyon, coupé de gueules & de sable, au tronc contre-côté d'or, péri en fasce sur le tout. (V)


CONTRE-COUPS. m. terme de Chirurgie ; fracture du crâne dans un endroit différent de celui où l'on a reçu le coup. Voy. CONTRE-FISSURE. (Y)


CONTRE-DÉGAGEMENTS. m. (Escrime) C'est l'action de dégager dans le même tems que l'ennemi dégage (voyez DEGAGER) ; d'où il suit que les épées sont toûjours dans la même position.


CONTRE-ÉTAMBOTS. m. (Mar.) c'est une piece courbe, triangulaire ; qui lie l'étambot sur la quille. Voy. la figure de cette piece, Pl. VI. fig. 65. & sa situation dans le vaisseau, Pl. IV. fig. 1. cotte 7. (Z)


CONTRE-ÉTRAVES. f. (Marine) c'est une piece de bois courbe posée au-dessus de la quille & de l'étrave, pour faire liaison conjointement ensemble. Voyez la figure de cette piece, Pl. VI. n. 63. & sa position dans le vaisseau, Pl. IV. fig. 1. n. 6. (Z)


CONTRE-FAÇONS. f. terme de Librairie, qui signifie édition ou partie d'édition d'un livre contrefait, c'est-à-dire imprimé par quelqu'un qui n'en a pas le droit, au préjudice de celui qui l'a par la propriété que lui en a cédée l'auteur ; propriété rendue publique & authentique par le privilége du Roi, ou autres lettres du sceau équivalentes. Voy. CONTREFAIRE.


CONTRE-FINESSou CONTRE-RUSE, s. f. (Art milit.) est une ruse par laquelle on prévient l'effet d'une autre ruse. Voy. RUSE, PIEGE. (Q)


CONTRE-FISSURES. f. terme de Chirurgie ; est une fente ou fissure du crane, au côté opposé à celui où a été porté le coup qui la cause. Voyez FRACTURE & FISSURE.

Celse a parlé de cette sorte de fracture, l. VIII. c. jv. ce qui n'a pas empêché Paul Eginete, & depuis lui Gorroeus & plusieurs autres modernes, de soûtenir qu'elle ne peut pas arriver. La principale raison qu'ils en donnent, c'est que le crane n'est pas d'un seul os, mais qu'il est divisé par des sutures qui empêchent l'effet du coup de se communiquer à la partie opposée, & le bornent à celle qui a été frappée ; ainsi, disent-ils, si le crane se trouve fendu au côté opposé à celui qui a reçu le coup, ou en quelqu'autre endroit, cela vient de quelqu'autre coup que le malade a reçu en même tems, & dont il ne se souvient pas, à cause de l'étourdissement que lui a causé le premier. Mais il y a de si fortes preuves pour le sentiment opposé, qu'il n'y a presque plus personne à présent qui doute de la réalité des contre-fissures. Voyez Checkren. observ. medic. chirurg. c. j. pag. 20. Dion. op. biblioth. anat. med. tom. I. pag. 560.

Les symptomes ordinaires de la contre-fissure sont le délire, quelquefois un saignement par le nez & par la bouche, la stupeur, l'émission involontaire de l'urine & des excrémens, les convulsions, &c.

Si ces symptomes arrivent, & qu'après avoir examiné la partie qui a reçu le coup, le crane n'y paroisse ni fracturé ni enfoncé, il y a lieu de soupçonner une contre-fissure, surtout si le malade sent de la douleur au côté opposé au coup.

La contre-fissure est la même chose que le contre-coup. Les fractures par contre-coup ont non-seulement lieu d'une partie de la tête à l'autre partie opposée, mais encore d'un os à l'autre os voisin, & d'une partie d'un os à la partie opposée du même os. Les auteurs en fournissent plusieurs exemples M. de Garenjeot entr'autres rapporte plusieurs faits de cette nature dans son traité d'opérations. Ces faits doivent inspirer beaucoup d'attention aux Chirurgiens, & doivent les porter à faire des recherches scrupuleuses pour découvrir le point où le crane est fracturé par ces sortes de contre-coups, afin de sauver la vie au malade en lui faisant l'opération du trépan. Voyez TREPAN.

Souvent la table interne du crane est fracturée à l'endroit où l'on a reçu le coup, quoique la premiere table soit sans fracture ; c'est une espece de contre-coup que l'expérience fait voir très-souvent. (Y)


CONTRE-FLAMBANTadj. terme de Blason. D'argent à un bâton de gueules, flambant & contre-flambant de dix pieces de même.

Prandtner en Styrie, d'argent à un bâton de gueules, flambant & contre-flambant de dix pieces de même. (V)


CONTRÉ-FLEURÉadj. terme de Blason, qui se dit d'un écu dont les fleurons sont alternés & opposés, en sorte que la couleur répond au métal.

Bossut, au pays de Liege, d'or au double trescheur, fleuré, contre-fleuré de synople au sautoir de gueules brochant sur le tout. (V)


CONTRE-FORTSsub. m. pl. terme d'Architect. sont des piliers de maçonnerie qu'on fait pour appuyer ou soûtenir des murailles ou des terrasses qui poussent & menacent d'écrouler. Voyez éPERON & ARC-BOUTANT.

Ces sortes d'ouvrages sont bandés en berceaux à distance les uns des autres.

Quand on bâtit sur la pente d'une montagne, il faut faire des contre-forts ou éperons bien liés avec le mur qui soûtient les terres, distans de deux toises les uns des autres. (P)

CONTRE-FORTS, en terme de Fortification, sont des avances dans le rampart, qui prennent racine au revêtement, qui sont de la même matiere, & qui aident le revêtement à soûtenir la poussée du rampart. On les construit de 18 piés en 18 piés.

Suivant une table particuliere de M. le maréchal de Vauban, l'épaisseur du contre-fort d'un revêtement de 10 piés de haut, est de 2 piés à son extrémité, c'est-à-dire à sa partie parallele & opposée au revêtement. Elle augmente ensuite de 8 pouces par 10 piés d'élévation, ensorte qu'à un revêtement de 36 piés, elle est d'environ 3 piés 8 pouces. L'épaisseur du contre-fort d'un revêtement de 10 piés de haut, suivant la même table, est de 3 piés à sa racine, c'est-à-dire à sa partie adossée ou liée au revêtement. Elle augmente ensuite d'un pié par 10 piés d'élévation, en sorte qu'à un revêtement de 36 piés de hauteur, l'épaisseur du contre-fort à sa racine doit être d'environ 5 piés 6 pouces.

A l'égard de la longueur du contre-fort, elle est de 4 piés 2 un revêtement de 10. Elle augmente après cela de 2 piés par 10 d'élévation, de maniere qu'à un revêtement de 36 piés de hauteur, le contre-fort doit avoir 9 piés de longueur. Cette longueur se mesure par une perpendiculaire tirée de la racine du contre-fort à son extrémité.

Le contre-fort s'appelle quelquefois éperon. Voyez éPERON.

Lorsqu'on construit quelqu'ouvrage sur la pente d'une montagne, on doit le soûtenir avec des contre-forts bien liés au rampart, à la distance d'environ 12 piés l'un de l'autre.

Les contre-forts ou éperons qu'on employe pour soûtenir les murs ou les revêtemens des terrasses dans les bâtimens d'Architecture civile, se construisent en-dehors des revêtemens. On ne les dispose pas ainsi dans l'Architecture militaire, parce que la partie du revêtement comprise entre les contreforts, ne pourroit être flanquée, & qu'elle serviroit de couvert à l'ennemi. (Q)

CONTRE-FORT, (Marine) Voyez CLE DES ESTAINS. (Z)

CONTRE-FORTS, en terme de Bottier, sont des pieces que l'on coud par la tige, pour rendre la botte plus forte.


CONTRE-FOULLEMENTS. m. (Hydraul.) se fait lorsqu'en conduisant des eaux forcées, les tuyaux descendent d'une montagne dans une gorge, & qu'on est obligé de les faire remonter sur une hauteur vis-à-vis, où l'eau se trouve alors contre-foulée & forcée si vivement, qu'il n'y a que les bons tuyaux qui puissent y résister. (K)


CONTRE-FRUITS. m. (Architect.) le fruit d'un mur est une diminution de bas en haut sur son épaisseur, telle que le dedans soit à-plomb, & que le dehors soit un peu en talud : le contre-fruit produit en-dedans le même effet que le fruit en-dehors ; ensorte que le mur a une double inclinaison, & que sa base étant plus forte que ses parties plus élevées, il en est d'autant plus solide.


CONTRE-FUGUES. f. (Musiq.) ou fugue renversée, est en Musique une fugue dont la marche est contraire à celle d'une autre fugue qu'on a établie auparavant. Ainsi quand la fugue s'est fait entendre en montant de la tonique à la dominante, ou de la dominante à la tonique, la contre-fugue se doit faire entendre en descendant de la dominante à la tonique, ou de la tonique à la dominante ; du reste ses regles sont toutes semblables à celles de la fugue. Voyez FUGUE. (R)


CONTRE-GAGES. m. (Jurispr.) est un droit en vertu duquel un seigneur peut se saisir des effets d'un autre seigneur ou de ceux de ses sujets, lorsque ce dernier seigneur a commencé à s'emparer des effets du premier ou de ceux de ses sujets, ou lui a fait quelque tort. Voyez Ducange, au mot contragagium, & Lauriere, au mot gage. Il en est parlé dans les priviléges de la ville d'Aigues-Mortes, du mois de Février 1350. Voyez le IV. vol. des ordonn. de la trois. race. (A)


CONTRE-GARDE(LA) est, dans la Fortification, un ouvrage composé de deux faces qui forment un angle saillant vis-à-vis l'angle flanqué du bastion. La contre-garde est aussi appellée conserve, parce qu'elle couvre & conserve le bastion.

Pour construire une contre-garde devant un bastion X, (Plan. IV. de Fortific. fig. 2.) les demi-lunes 4 & 5 proche de ce bastion étant tracées avec leur contrescarpe ou le bord extérieur du fossé, on prendra sur ces contrescarpes les parties A D & T V, chacune de 16 toises, & des points D & V on menera des paralleles D C, C V, aux lignes A G, S T de la contrescarpe du bastion X : ces paralleles se couperont dans un point C qui sera le sommet de l'angle saillant de la contre-garde, dont les lignes C D, C V seront les faces.

Le rempart, le parapet, & le fossé de la contre-garde, se menent parallelement à ses faces. Le terre-plein du rempart est égal à la largeur du parapet, c'est-à-dire qu'il est de trois toises : on ne lui donne pas une plus grande largeur, afin que l'ennemi s'étant emparé de la contre-garde, n'y trouve pas suffisamment de terre pour se couvrir du feu du bastion, & établir des batteries pour le battre en breche.

La contre-garde est flanquée par les faces des demi-lunes 4 & 5.

On donnoit autrefois des flancs aux contre-gardes : ils étoient formés par le prolongement des faces du bastion. Cet ouvrage ne couvroit alors que la pointe du bastion ; & comme toute sa gorge formoit un arc étant prise sur l'arrondissement de la contrescarpe, on lui donnoit le nom de demi-lune. C'est celui que lui donnent les anciens auteurs, & même l'auteur des travaux de Mars, dans la derniere édition de cet ouvrage en 1684. Mais l'usage a changé depuis ; la demi-lune est vis-à-vis la courtine, & la contre-garde vis-à-vis le bastion. Voyez RAVELIN.

La contre-garde sert à couvrir le bastion devant lequel elle est construite, de même que les flancs des bastions voisins qui le défendent, ensorte que l'ennemi ne peut les découvrir qu'après s'être emparé de cet ouvrage.

On appelle aussi contre-gardes les especes de bastions détachés que M. le maréchal de Vauban construit dans son second & son troisieme système devant les tours bastionnées. Voyez les constructions de ce célebre ingénieur à la suite de l'article du mot FORTIFICATION. (Q)


CONTRE-HACHERv. act. (Dess. & Grav.) c'est fortifier des ombres formées par des lignes paralleles, en traçant sur ces paralleles d'autres paralleles qui les coupent selon l'obliquité convenable aux formes qu'on veut représenter.


CONTRE-HARMONIQUE(Géom.) trois nombres sont en proportion contre-harmonique, lorsque la différence du premier & du second est à la différence du second & du troisieme, comme le troisieme est au premier Voyez PROPORTION.

Par exemple, 3, 5, & 6, sont des nombres en proportion contre-harmonique ; car 2 : 1 : : 6. 3. Pour trouver un moyen proportionnel contre-harmonique entre deux quantités données, la regle est de diviser la somme des deux nombres quarrés par la somme des racines ; le quotient sera un moyen proportionnel contre-harmonique entre les deux racines. Car soient a, b, les deux nombres, & x le moyen proportionnel qu'on cherche ; on aura donc par la définition x - a : b - x : : b. a ; dont a x - a a = b b - b x, donc a a + b b = a x + b x, & x = (a a + b b)/(a + b). Voyez HARMONIQUE. (O)


CONTRE-HATIERS. m. (Cuisine) chenet qui a plusieurs crampons, & qui peut porter plusieurs broches chargées de viande les unes au-dessus des autres.


CONTRE-HAUTvoyez CONTRE-BAS.


CONTRE-HERMINES. f. terme de Blason, est le contraire de l'hermine, c'est-à-dire un champ de sable moucheté d'argent, au lieu que l'hermine est un champ d'argent moucheté de sable. Voyez HERMINE. Chambers.


CONTRE-INDICATIONsub. f. (Medec.) indication qui empêche d'ordonner ce que l'état de la maladie sembloit indiquer. Voyez INDICATION.

Supposez, par exemple, que dans le cours d'une maladie on juge un vomitif convenable, si le malade est sujet à vomir le sang, c'est une contre-indication suffisante pour le défendre, &c.


CONTRE-ISSANTadj. terme de Blason, se dit des animaux adossés, dont la tête & les piés de devant sortent d'une des pieces de l'écu.

Becuti au royaume de Naples, d'azur au chevron d'or, à deux lions adossés & contre-issants des flancs du chevron de même. (V)


CONTRE-JAUGERCONTRE-JAUGER


CONTRE-JOURsub. m. (Architect.) lumiere ou fenêtre opposée à quelqu'objet, qui le fait paroître desavantageusement. Un simple contre-jour suffit pour dérober la beauté du plus beau tableau. (P)


CONTRE-JUMELLESen Architecture ; ce sont dans le milieu des ruisseaux les pavés qui se joignent deux à deux, & font liaison avec les caniveaux & les morces. (P)


CONTRE-LAMESS. m. pl. (Gazier) tringles de bois qui servent au mouvement des lisses. Voyez GAZE.


CONTRE-LATTEen Architecture, est une tringle de bois mince & large, qu'on attache en hauteur contre les lattes entre les chevrons d'un comble. Les contre-lattes sont ordinairement de la longueur des lattes.

Contre-lattes de fentes, est un bois fendu par éclats minces pour les tuiles.

Contre-latte de sciage, c'est celle qui est refendue à la scie, & sert pour les ardoises. On la nomme aussi latte-volice (P)


CONTRE-LATTERen Architecture, est latter une cloison ou un pan de bois devant & derriere, pour le couvrir de plâtre. (P)


CONTRE-LATTOIRS. m. (Couvreur) cet outil est de fer ; il est long d'un pié ou environ, sur quatre à cinq lignes en quarré, terminé d'un bout par un crochet qui sert à tirer la latte, & traversé de l'autre par une cheville qui lui tient lieu de poignée.


CONTRE-LETTRES. f. Jurisp.) du latin contra litteras, est un acte secret par lequel on fait quelque paction ou déclaration contraire à un acte précédent, comme quand celui au profit de qui on a passé une obligation reconnoît que la somme ne lui est point dûe.

La déclaration qui est passée au profit d'un tiers differe de la contre-lettre, en ce qu'elle ne détruit pas l'acte, & ne fait qu'en appliquer le profit à une autre personne ; au lieu que la contre-lettre est une reconnoissance que le premier acte n'étoit pas sérieux.

Avant que l'usage de l'écriture fût devenu commun, on appelloit lettres toutes sortes d'actes : quelques-uns ont encore conservé ce nom, comme les lettres royaux ou lettres de chancellerie, les lettres patentes, les lettres de cachet, les lettres de garde-gardienne ; & dans quelques tribunaux, comme au châtelet de Paris, on dit encore donner lettres, pour dire donner acte.

C'est de-là que s'est formé le mot contre-lettre, pour exprimer un acte par lequel on reconnoît qu'un acte précédent ou quelques-unes de ses clauses sont simulés.

Comme la verité est une dans son langage, & que l'on ne devroit jamais tenir d'autre langage dans les actes, les contre-lettres devroient être proscrites, étant presque toûjours faites pour tromper quelqu'un ; c'est pourquoi Pline le jeune, liv. V. ep. j. rapporte qu'étant sollicité par son fils de passer un acte simulé dont son fils offroit de faire une contre-lettre, il le refusa ; Curianus filius orabat ut sibi donarem portionem meam, seque praejudicio juvarem, eandem tacitâ conventione salvam mihi pollicebatur ; respondebam non convenire moribus meis, aliud palàm, aliud agere secreto.

Il y a néanmoins des cas où les contre-lettres peuvent avoir un objet fort légitime & fort innocent, comme quand un homme qui veut faire faire sur lui un decret volontaire, passe à cet effet une obligation simulée au profit du poursuivant, dont celui-ci lui passe une contre-lettre.

Quoi qu'il en soit, les contre-lettres sont permises en général : il en est parlé dans la coûtume de Paris, art. 258. dans celle de Berri, tit. v. art. 51. & Calais, art. 59. mais elles sont peu favorables, sur-tout lorsqu'elles paroissent faites en fraude de quelqu'un.

On passe ordinairement la contre-lettre devant notaire, & au même instant que l'acte auquel elle est relative, afin de lui donner une date certaine contre des tiers, & que la relation des deux actes soit mieux marquée. On peut cependant passer la contre-lettre quelque tems après ; car il est permis en tout tems de reconnoître la vérité : la contre-lettre est seulement plus suspecte lorsqu'elle est ainsi faite après coup ; & lorsqu'elle est seulement sous seing privé, comme cela se peut faire hors le cas de contrat de mariage, elle ne laisse pas d'être valable entre ceux qui l'ont passée ; toute la différence est qu'elle n'a point de date certaine contre des tiers.

Un des cas où les contre-lettres peuvent être le plus préjudiciables, c'est par rapport aux contrats de mariage ; car c'est sur la foi de ces contrats que deux personnes s'unissent, & que deux familles s'allient : c'est pourquoi les contre-lettres qui tendent à anéantir ou à changer quelque clause du contrat de mariage, doivent être passées devant notaire, afin qu'elles ayent une date certaine, & que les conjoints ne puissent par ce moyen se faire aucun avantage, ni déroger à leurs conventions matrimoniales par un acte qui seroit postérieur au mariage.

Il faut aussi, suivant l'art. 258. de la coûtume de paris, que ces sortes de contre-lettres soient passées en présence de tous les parens qui ont assisté au contrat de mariage ; autrement le contrat ne seroit censé avoir été fait que pour en imposer à la famille, & la contre-lettre seroit nulle, même par rapport aux conjoints qui l'auroient signée.

La raison est que souvent les futurs conjoints, épris d'une folle passion l'un pour l'autre, renonceroient inconsidérément à tout ce que les parens auroient stipulé pour leurs intérêts, & que d'ailleurs les contrats de mariage ne regardent pas seulement les futurs conjoints, mais aussi les enfans qui en peuvent venir.

On doit y appeller les parens, tant du mari que de la femme, qui ont signé au contrat, lorsque la contre-lettre les intéresse également. Mais si l'avantage résultant de la contre-lettre n'est qu'au profit d'un des conjoints, il suffit d'appeller les parens de l'autre conjoint qui ont signé au contrat de mariage.

Les arrétés de M. le premier président de Lamoignon, tit. de la commun. des biens, art. 5. & 6. portent que toutes contre-lettres faites au préjudice de ce qui a été convenu & accordé par le contrat de mariage, sont nulles, & même à l'égard de ceux qui ont signé les contre-lettres ; que les conjoints ne peuvent durant le mariage y déroger par aucun acte, de quelque qualité qu'il soit, même en la présence & par l'avis de tous les parens qui ont assisté au contrat de mariage, quand même la réformation seroit faite pour réduire les conventions au droit commun de la coûtume ; mais que les contre-lettres faites devant notaires avant la célébration du mariage, du consentement des futurs conjoints, en présence de leurs principaux & plus proches parens, sont valables.

Au reste les conditions & formalités que l'on exige pour ces sortes de contre-lettres, ne sont nécessaires que quand il s'agit d'un acte qui donne atteinte au contrat de mariage ; car si la contre-lettre étoit, par exemple, une promesse de la part des parens d'augmenter la dot, ou seulement une explication de quelque clause obscure & douteuse, sans préjudicier aux droits résultans du contrat, l'acte seroit valable, & seroit moins considéré comme une contre-lettre que comme une addition faite au contrat de mariage.

Il y a des cas où les contre-lettres sont prohibées ; savoir,

1°. Pour l'acquisition des charges & pratiques de procureurs, suivant l'arrêt du 7 Décembre 1691, code Gillet.

2°. Les comptables ne peuvent user de contre-lettres au fait de leurs charges, à peine d'amende arbitraire, Déclarat. du 16 Mai 1532. Fontanon, tome I. page 630.

3°. Il est aussi défendu par un arrêt du 3 Mars 1663, rapporté au journal des audiences, de faire aucunes contre-lettres contre les contrats de fondation & dotation des couvents & communautés séculieres ou régulieres, à peine de 10000 livres d'amande ; defenses sont faites aux notaires de les recevoir, à peine de faux, & de 2000 livres d'amende.

4°. Une contre-lettre ou déclaration qu'une rente n'est point dûe, n'a point d'effet contre un tiers à qui la rente a été cédée. Journ. des aud. tome I. liv. II. ch. cxvij.

Voyez les arr. de Louet, tome I. lett. C. n. 28. le tr. des conventions de succéder par Boucheul, chap. vij. (A)


CONTRE-LISSESS. f. pl. (Marine) voyez BARRES D'ARCASSE. (Z)


CONTRE-MAILLESCONTREMAILLER : on dit un filet contre-maillé, c'est-à-dire un filet à mailles doubles. Voyez MAILLES.


CONTRE-MAITRES. m. (Marine) c'est un officier de l'équipage qui est l'aide du maître. Voyez MAITRE.

L'ordonnance de la Marine de 1689, tit. xvij. dit : Le contre-maître étant établi pour soulager le maître, doit exécuter ses ordres, & en son absence faire les choses qui sont de la fonction du maître. Il fera faire la manoeuvre du mât d'artimon & de beaupré sur la parole du maître ; mouiller & lever les ancres, les bosser & mettre en place, fourrer les cables, & virer au cabestan, quand le vaisseau appareille. (Z)

CONTRE-MAITRE, dans les Raffineries de sucre, est proprement le directeur de la raffinerie ; c'est lui qui prend la preuve, & ordonne tout ce qui se fait dans la raffinerie. C'est pour cela qu'il faut un homme intelligent, & qui sache prendre son parti sur les accidens qui peuvent arriver malgré sa prévoyance.


CONTRE-MANCHÉadj. (Blason) parti coupé & contre-manché, de sable & d'argent de l'un à l'autre.


CONTRE-MANDsubst. m. (Jurisp.) étoit une raison proposée en justice pour remettre ou différer l'assignation : il différoit de l'exoine en ce que celui qui contre-mandoit remettoit l'ajournement à un jour certain, sans être obligé d'affirmer ni d'alléguer aucune autre raison ; au lieu qu'en cas d'exoine, il falloit affirmer qu'elle étoit vraie ; & comme on ne pouvoit pas savoir quand elle cesseroit, la remise, par cette raison, n'étoit jamais à un jour certain.

Beaumanoir, chap. iij. dit qu'il y a grande différence entre contre-mans & essoines ; qu'en toutes querelles (causes) où il échet contre-mans, on en peut prendre trois avant que l'on vienne à court, dont chacun des trois contient quinze jours ; qu'il n'est pas nécessaire de faire serment ni de dire pourquoi, mais que pour l'essoinement (exoine) on n'en peut avoir qu'un entre deux jours de cour ; qu'il doit être fait sans jour, parce que nul ne sait quand il doit être hors de son exoine, & qu'il faut jurer l'exoine si la partie le requiert quand on vient à court. Qu'en toutes querelles où il y a contre-mand l'on peut exoiner une fois s'il y a lieu ; mais que dans toutes les querelles où l'on peut exoiner, l'on ne peut pas contre-mander, parce qu'on ne peut contre-mander si la semonce n'est faite simplement, &c.

Celui qui étoit obligé d'user de contre-mans ou d'exoines, ne pouvant les proposer lui-même, avoit recours au ministere d'un messager pour les proposer s'il ne vouloit pas avoir de procureur, & en ce cas il ne lui falloit ni grace ni le consentement de son adversaire. Voyez l'auteur du grand coûtumier, liv. III. ch. vij. (A)


CONTRE-MARCHES. f. (Art milit.) est un changement de la face ou des ailes d'un bataillon, par laquelle les hommes qui étoient à la tête du bataillon passent à la queue. On a recours à cet expédient lorsque le bataillon est chargé en queue, & qu'on veut que les chefs des files, qui sont pour l'ordinaire des gens choisis, prennent la place des serre-files.

La contre-marche se fait par files ou par rangs ; par files, lorsqu'on met les hommes de la tête du bataillon à la queue ; par rangs, en faisant passer un des flancs du bataillon sur le terrein de l'autre flanc. On se sert encore de ce terme, dans la Marine. Voyez plus bas CONTRE-MARCHE (Marine) Chambers.

Il est fort parlé de la contre-marche dans nos Tacticiens françois, comme Castelnau, &c. mais elle n'est plus d'un grand usage, parce qu'elle suppose les files fort au large & distantes les unes des autres, ce qui n'est plus la coutume d'à-présent. Comme cette manoeuvre est d'assez grand détail, & qu'elle est expliquée tout au long dans la tactique d'Elien, on y renvoye ceux qui seront curieux de la connoître plus au long, en les avertissant seulement que l'on appelle en françois,

1°. Contre-marche en perdant le terrein, ce que les anciens appelloient évolution macédonique.

2°. Contre-marche en gagnant du terrein, ce qui étoit appellé évolution laconique.

3°. Contre-marche sans changer de terrein, ce qui étoit nommé évolution crétoise. (Q)

CONTRE-MARCHE, (Marine) Faire la contre-marche, cela se dit quand tous les vaisseaux d'une armée ou d'une division, qui sont en ligne, vont derriere le dernier jusqu'à un certain lieu pour revirer ou changer de bord. (Z)


CONTRE-MARCHÉadject. (Rubanerie) lorsqu'un ouvrage est d'un dessein tel que la fin en ressemble parfaitement au commencement, alors il est non-seulement contre-marché, mais encore fourché ; Voyez FOURCHE. Voici comme la contre-marche s'exécute : l'on suppose un ouvrage qui ait six retours, l'ouvrier étant parvenu au dernier, ayant marché ses marches du centre à l'extrémité, comme cela se pratique ordinairement ; étant parvenu, dis-je, au dernier, au lieu de tirer le premier retour comme cela se fait aux ouvrages qui ne sont pas contre-marchés, il travaille une seconde fois ce dernier retour, mais en sens contraire, c'est-à-dire qu'après avoir marché ce retour du centre à l'extrémité, il revient sur ses pas en marchant de l'extrémité au centre : après ce retour travaillé ainsi une seconde fois, il tire le cinquieme retour pour finir par le premier, qui sera de même travaillé deux fois de suite de même en sens contraire ; puis il tirera le second qui ne sera travaillé qu'une fois, de même que les autres, n'y ayant que le premier & le dernier qui se travaillent comme il vient d'être dit : on observera que tous les retours contre-marchés doivent être marchés de l'extrémité au centre quand on a une fois commencé, jusqu'à ce que la contre-marche soit achevée.


CONTRE-MARCHESCONTRE-MARCHES


CONTRE-MARCSS. m. pl. traits dont les Charpentiers se servent, & qu'ils tracent sur leurs bois à mesure qu'ils les achevent, afin de les reconnoître quand ils en feront l'assemblage.


CONTRE-MARÉES. f. (Marine) marée différente ; il y a des contre-marées dans certains endroits où la mer est resserrée. Voyez MAREE. (Z)


CONTRE-MARQUECONTRE-MARQUE

Les contre-marques des médailles paroissent être des fautes ou des pailles qui en défigurent le champ, soit du côté de la tête ou du côté du revers, surtout dans les larges médailles de cuivre & celles de médiocre grandeur : cependant les curieux regardent ces contre-marques comme des beautés, en conséquence desquelles ils en estiment les médailles bien davantage ; parce qu'ils prétendent connoître par-là les différens changemens de valeur survenus en differens tems à ces médailles.

Les antiquaires ne sont cependant pas bien d'accord sur la signification des caracteres que portent ces médailles ; sur quelques-unes on trouve ces lettres N. PROB. sur d'autres N. CAPR. & sur d'autres CASR. RM. NT. AUG. SC. d'autres ont pour contre-marque une tête d'empereur, d'autres une corne d'abondance, & d'autres emblèmes.

Il ne faut pas confondre les monogrammes avec les contre-marques, il est aisé d'en faire la distinction. Les contre-marques ayant été frappées après coup, sont enfoncées dans la médaille ; au lieu que les monogrammes qui ont été frappés en même tems que la médaille, ont au contraire un peu de relief.

M. de Boze, dans une lettre à M. le Baron de la Bastie insérée dans la nouvelle édition de la science des médailles du P. Jobert, éclaircit parfaitement ce qui regarde les contre-marques des Romains, & prouve très-bien que les contre-marques n'ont jamais été en usage du tems de la république ; que cet usage n'a commencé que vers l'empire d'Auguste, & ne s'est guere étendu au-delà du regne de Trajan ; qu'après avoir repris quelque-tems vigueur sous Justin & sous Justinien, il cessa bien-tôt après ; enfin qu'il n'eut jamais lieu sur les médailles d'or ou d'argent, mais simplement sur celles de bronze : d'où il conclut que les contre-marques n'ont jamais été un caractere d'augmentation aux monnoies, puisque ces augmentations ne furent jamais plus fréquentes que du tems de la république dont on ne trouve aucune piece contre-marquée. 2°. qu'elles ne signifierent non plus nulle augmentation de monnoie sous les empereurs, dont pour une médaille en bronze contre-marquée on en trouve cent du même type qui ne le sont pas, & qu'aucune de leurs médailles d'or ou d'argent ne porte la contre-marque : 3°. que ces médailles contre-marquées étoient des monnoies qu'on distribuoit aux ouvriers occupés aux travaux publics, afin qu'en les rapportant à la fin du jour, ils reçussent leur salaire : 4°. qu'on en avoit usé ainsi dans les monnoies obsidionales, soit pour multiplier les especes, soit pour leur donner une valeur proportionnée aux circonstances. Il remarque aussi que dans les monnoies ou médailles d'argent, les contre-marques sont des têtes de héros ou des divinités, des fleurs, des fruits, &c. faits avec beaucoup d'art & de soin, ce qui peut marquer une augmentation de valeur ; au lieu que celles des Romains ne consistent qu'en caracteres séparés ou liés ensemble, & très-faciles à contrefaire : inconvénient auquel les princes & les monétaires ne se fussent jamais livrés, si par la contre-marque ils avoient eu en vûe de surhausser les monnoies. (G)

CONTRE-MARQUE, (Comm.) est une seconde ou troisieme marque apposée sur une chose déjà marquée. Voyez MARQUE.

Ce terme se dit dans le Commerce, des différentes marques qu'on met sur des ballots de marchandises auxquelles plusieurs personnes sont intéressées, afin qu'ils ne puissent être ouverts qu'en présence de tous les intéressés, ou de personnes par eux commises. (G)

CONTRE-MARQUE, en terme de Manége, est une fausse marque, imitant le germe de la feve, qu'un maquignon fait adroitement dans une cavité qu'il a creusée lui-même à la dent, lorsque le cheval ne marque plus, pour déguiser son âge, & faire croire qu'il n'a que six ans. Voyez MARQUE. (V)

CONTRE-MARQUE, en terme d'Orfévrerie, est la marque ou le poinçon de la communauté, ajoûté à la marque de l'orfevre, pour marquer que le métal est de bon aloi.


CONTRE-MINEsub. f. terme de Fortification, est une voûte soûterraine qui regne tout du long sous une muraille, large de trois piés & haute de six, avec plusieurs ouvertures ou trous de place en place, pour empêcher l'effet des mines, si les ennemis en pratiquoient sous la muraille pour la renverser. Voyez MINE.

Cette sorte de mine n'est plus guere en usage. La contre-mine d'à présent est un puits & une galerie ou rameau qu'on a fait exprès pour aller rencontrer la mine des ennemis, quand on sait à-peu-près où ils travaillent. Chambers.

On appelle contre-mine au figuré une ruse par laquelle on prévient l'effet d'une autre ruse. (Q)


CONTRE-MURS. m. (Architect.) est une petite muraille contiguë à une autre pour la fortifier & la garantir du dommage qu'on pourroit recevoir des édifices qui sont auprès. Voyez MUR.

Suivant la coûtume de Paris, lorsqu'on bâtit une écurie contre un mur mitoyen, il doit y avoir un contre-mur de huit pouces d'épaisseur. M. Bullet remarque que le contre-mur ne doit jamais faire corps avec le mur propre. (P)

CONTRE-MUR, en Fortification, se dit d'un mur extérieur bâti autour d'un mur principal d'une ville. Voyez MUR, REMPART, &c. (Q)


CONTRE-PALÉadj. terme de Blason, se dit de l'écu où les pals sont opposés l'un à l'autre & alternés ; ensorte que la couleur des pals opposés répond au métal, & le métal à la couleur. Chambers.

Meirans en Provence, contre-palé d'argent & d'azur à la fasce d'or.


CONTRE-PANS. m. (Jurisprud.) signifie en général contre-gage. Ce mot est formé du latin contrà, & de pannum qui signifie gage.

Contre-pan signifie quelquefois hypotheque ; c'est en ce sens que la coûtume de Hainaut, chap. lxxxxv. parle d'héritages mis en contre-pan, & que dans le style des cours séculieres de Liége, chap. jv. article 17. il est dit gage ou contre-pan, & au chap. xviij. oeuvres de contre-pans.

Contre-pan signifie aussi en certains pays ce que l'on donne pour être admis au rachat d'un héritage. Par exemple, dans le même style de Liége, chapitre xviij. l'ordinaire & coûtumier contre-pan est le huitieme de la valeur de l'héritage donné à cens ou à rente que l'on paye pour être admis au rachat conventionnel. (A)


CONTRE-PANNERc'est compenser, suivant Bouthillier en sa somme rurale.

Rentes contre-pannées sur héritages, sont des rentes foncieres hypothéquées sur d'autres héritages que ceux qui sont donnés à la charge de la rente ; il en est parlé dans la coûtume de Hainaut, ch. lxxxxv. & dans celle de Mons, chap. xxxjv. c'est la même chose que ce que la coutume de Namur, article 11. appelle avoir une rente, contre-pans & héritages. (A)


CONTRE-PARTIES. f. est proprement la partie d'une chose opposée à l'autre partie. Ce terme ne s'emploie qu'en Musique, pour signifier chacune des deux parties d'un duo, considérée par rapport à l'autre. (S)

CONTRE-PARTIE, (Comm.) c'est chez le banquier le registre que tient le contrôleur, sur lequel il couche & enregistre les parties dont le teneur de livres charge le sien. Voyez COMPTE & BANQUE, & le dict. de Trév. & du Comm.


CONTRE-PASSANTadj. (Blason) se dit de deux animaux, dont l'un paroît avancer & passer dans un sens tout contraire à l'autre. Voy. PASSANT.

Du Chêne, d'argent à deux écureuils de gueules l'un sur l'autre, l'un passant & l'autre contre-passant. (V)


CONTRE-PASSATIONCONTRE-PASSATION

La contre-passation d'ordre se fait lorsqu'un ordre a été passé au dos d'une lettre de change, par une personne au profit d'une autre, & que cet autre redonne la même lettre de change en payement à la personne qui la lui avoit déjà donnée, & qu'elle passe son ordre en sa faveur, de même que s'il se passoit au profit d'une troisieme personne qui lui payeroit comptant le contenu en la lettre de change. (G)


CONTRE-PENTEvoyez CONTRE-FOULEMENT.


CONTRE-PIprendre le contre-pié, en Vénerie, c'est retourner par où la bête est venue.


CONTRE-PLEIGES. m. (Jurispr.) est le certificateur de la caution, dans les pays où la caution est nommée pleige, comme en Normandie. Voy. CAUTION, CERTIFICATEUR, PLEIGE. (A)


CONTRE-POIDSS. m. se dit en général de toute force qui sert à diminuer l'effort d'une force contraire. Le contre-poids a lieu dans une infinité de machines différentes ; tantôt il est égal au moment qui lui est opposé, tantôt il est plus grand ou plus petit. Voyez le METIER A BAS. Le contre-pouce a son contre-poids ; la machine à filer l'or a ses contrepoids.

CONTRE-POIDS (les) du métier des Rubaniers, ce sont une ou plusieurs pierres attachées aux deux bouts d'une longue corde, que l'on entortille de plusieurs tours dans les moulures des ensuples ; ce qui ne les empêche pas de se rouler lorsque l'on les tire à soi. Il faut savoir ménager la force de ces contrepoids ; si la charge de celui qui est suspendu est très-forte, il entraînera l'autre ; si la charge de celui qui porte à terre est trop forte, elle empêchera l'autre de descendre. Pour conserver entr'eux l'équilibre, on ne donne à la contre-charge que le tiers de la charge. L'usage de ces contre-poids est de tenir les soies tendues, sans les empêcher de céder à l'ouvrier qui les tire à lui suivant son besoin. On donne encore chez les mêmes ouvriers, le nom de contre-poids à des morceaux de plomb. Afin de les avoir tous d'égal poids, ils pesent chacun environ deux gros ; ils sont percés d'outre en outre, pour être suspendus par une petite ficelle, que l'on pose sur la moulure des petits roquetins, & sans tourner à l'entour comme les autres contre-poids. L'usage de ceux-ci est de tenir en équilibre chaque roquetin de glacis (Voyez GLACIS) ; ce qui est suffisant pour empêcher le roquetin de dérouler, sinon lorsqu'on le tire à soi pendant le travail.

CONTRE-POIDS (le), chez l'Epinglier, est la piece a, qui par sa pesanteur vient former la tête de l'épingle enfermée dans les deux têtoirs v & z ; il se leve par une espece de bascule c d e, qu'on fait joüer avec le pié par une marche g f, à laquelle est attachée une corde f e. La marche est arrêtée à une cheville g, enfoncée dans le plancher de la chambre. Il est soûtenu dans la ligne perpendiculaire qu'il décrit par sa traverse y y, qui glisse le long des broches x, x. Voyez BROCHES, & la fig. 10. Pl. II. de l'Epinglier, & les fig. 11. & 12. Pl. I. du même art.

CONTRE-POIDS (le) des métiers des étoffes de soie ; il y en a de plusieurs sortes : ils sont ordinairement de pierre brute, & proportionnés aux divers genres d'étoffes. Il en faut pour chaque chaîne, pour les cordons & cordeleries, &c.

CONTRE-POIDS (le) des Balanciers est un morceau de métal, ordinairement de cuivre, de fer, ou de plomb, qui fait partie de la balance romaine, ou peson. On le nomme quelquefois la poire de la romaine à cause de sa figure, ou la masse à cause de sa pesanteur.

CONTRE-POIDS (le) des danseurs de corde, est un bâton armé de fer ou de plomb par les deux bouts, qu'ils jettent à droite ou à gauche, en-devant ou en-arriere, & qui les tient en équilibre.

CONTRE-POIDS (le) des machines d'opéra, est un corps pesant qui, en se haussant ou se baissant, en fait hausser ou baisser un autre. C'est par ce moyen si simple que s'exécutent les descentes, les vols, &c. Voyez VOL, MACHINE, &c. (B)

Tout le calcul des contre-poids se réduit à celui du levier, des mouffles, des poulies, &c. Voyez ces machines à leurs articles.

CONTRE-POIDS, (Manege) se dit de la liberté d'assiette du corps que garde le cavalier, pour demeurer toûjours dans le milieu de la selle, sans pancher de côté ni d'autre, & également sur les deux étriers ; quelque mouvement que fasse le cheval, pour lui donner les aides à propos. Un cavalier doit si bien garder le contre-poids, qu'il soit toûjours préparé contre les surprises & les desordres du cheval. (V)


CONTRE-POINÇONS. m. des Graveurs pour la fonte des caracteres, est un poinçon d'acier de deux pouces ou environ de long, taillé selon la forme du blanc de la lettre qui sert à former le creux du poinçon. Voyez la fig. 52. Pl. III. de la Gravure, qui représente le contre-poinçon de la lettre B, & l'article GRAVURE DES POINÇONS A LETTRE.

CONTRE-POINÇON, (Serrurerie) c'est une sorte de poinçon camus, plus large par sa pointe que le trou auquel on l'applique, qui sert à épargner la peine de fraser le trou, & le rend propre à recevoir une rivure : cela s'appelle contre-percer. Il y en a de quarré, d'oblong, d'ovale, &c.


CONTRE-POINTS. m. est en Musique à-peu-près la même chose que composition, si ce n'est que composition peut se dire de l'invention des chants & d'une seule partie, & que contre-point ne se dit que de l'invention de l'harmonie & d'une composition à deux ou plusieurs parties différentes.

Aujourd'hui le mot de contre-point s'applique spécialement aux parties ajoûtées sur un sujet donné, pris ordinairement du plein-chant. Le sujet peut être à la taille, ou à quelque autre partie supérieure ; & l'on dit alors que le contre-point est sous le sujet : mais il est ordinairement à la basse, ce qui met le sujet sous le contre-point. Quand le contre-point est syllabique, ou note sur note, on l'appelle contre-point simple ; contre-point figuré, quand il s'y trouve différentes figures ou valeurs de notes, & qu'on y fait des desseins, des fugues, des imitations : on sent bien que tout cela ne peut se faire qu'à l'aide de la mesure, & que le plein-chant devient alors de véritable musique. Une composition faite & exécutée ainsi sur le champ & sans préparation, s'appelle chant sur livre, contrapunctum extemporaneum ; parce qu'alors chacun compose sa partie ou son chant sur le livre du choeur.

Ce mot contre-point vient de ce qu'anciennement les notes ou signes des sons étoient de simples points ; & qu'en composant plusieurs parties, ces points se trouvoient ainsi l'un sur l'autre, ou l'un contre l'autre. (S)


CONTRE-POINTÉadj. terme de Blason, se dit des chevrons placés les deux pointes l'une contre l'autre ; l'un étant en-bas dans sa situation ordinaire, la pointe en en-haut ; l'autre en-haut, la pointe en embas, de sorte que les deux pointes se regardent.

Les chevrons peuvent être aussi contre-pointés d'un autre sens, comme lorsqu'ils sont couchés sur le côté dans le champ de l'écu, les deux pointes tournées l'une contre l'autre : ce qu'on appelle contre-pointé en fasce. Chambers. (V)


CONTRE-POISON(Mat. med.) Voyez ALEXIPHARMAQUE.


CONTRE-PORTERdans le Commerce, signifie vendre des marchandises ou ouvrages en cachette, les porter dans les rues ou dans les maisons des particuliers ; ce qui est défendu aux maîtres même de quelque profession que ce soit, à moins que ce ne soit des ouvrages de commande, ou que le bourgeois n'ait envoyé chercher l'ouvrier. Voyez COLPORTER. Voyez les dict. de Trév. & du Comm. (G)


CONTRE-PORTEURnom qui, dans les anciens réglemens de la plûpart des Arts & Métiers, signifie la même chose que ce que nous appellons à présent colporteur Voyez COLPORTEUR.

Il est défendu au contre-porteur de vendre par la ville des ouvrages & marchandises qui sont reservées aux maîtres des corps de métiers érigés en jurande, sous peine de confiscation & d'amende. Voyez les dict. de Trév. & de Comm. (G)


CONTRE-POSÉadj. en terme de Blason, se dit de ce qui est posé l'un sur l'autre de haut en-bas d'un sens différent, comme de deux dards dont le fer de l'un a sa pointe en-haut, & celui de l'autre en-bas.

Wolloviez en Lithuanie, de gueules à deux phéons ou fers de dard triangulaires contre-posés en pal d'or. (V).


CONTRE-POTENCES. f. (Horlogerie) piece d'une montre ; c'est une espece de pié ou de petit pilier qui sert à porter le bouchon, dans lequel roule le pivot de la roue de rencontre : elle est apposée à la potence. Voyez la fig. 44. Pl. X. de l'Horlogerie, lettre O. Voyez BOUCHON DE CONTRE-POTENCE, POTENCE, ROUE DE RENCONTRE, &c. (T)


CONTRE-POTENCÉadj. terme de Blason, se dit d'un écu chargé de plusieurs potences posées en différens sens, de sorte que les unes ayent la traverse en-haut, & les autres l'ayent en-bas. Voyez POTENCE. Chambers.

Cambray, de gueules, à la fasce potencée & contre-potencée d'argent remplie de sable, accompagnée de trois loups d'or. (V)


CONTRE-POUCES. m. piece du bas au métier. Voyez BAS AU METIER.


CONTRE-PROMESSES. f. (Jurispr.) est une déclaration de celui au profit duquel une promesse est faite, que cette promesse est simulée, ou qu'il ne prétend point s'en servir : c'est la contre-lettre d'une promesse. Voyez ci-devant CONTRE-LETTRE. (A)


CONTRE-QUEUECONTRE-QUEUE


CONTRE-QUILLE(Marine) voyez CARLINGUE. (Z)


CONTRE-RAMPANTadj. terme de Blason, qui se dit des animaux qui rampent tournés l'un contre l'autre. Chambers.

Merea à Gènes, d'azur à deux griffons d'or, contre-rampans à un arbre de synople. (V)


CONTRE-REMONTRANT(Théol.) Les Contre-remontrans sont, parmi les Calvinistes, ceux qui suivent le sentiment de Gomar. Tout le monde sait la diversité d'opinion qui regne entre les Gomaristes & les Arminiens, sur la prédestination absolue, sur l'inadmissibilité de la grace, & sur quelques autres points de Théologie. Leur dispute fit grand bruit en Hollande au commencement du siecle passé. Les Arminiens ayant présenté aux états en 1611 une requête contenant les articles de leur foi, dans laquelle requête ils se servirent du nom de Remontrans ; ce nom leur demeura, & ils s'en sont toûjours fait honneur. Les Gomaristes présenterent à leur tour une requête, dans laquelle ils prirent la qualité de Contre-remontrans. Pendant quelque tems les deux partis ne furent connus que sous ces deux noms : mais dans la suite celui de Contre-remontrant s'est presque perdu, pendant que le public a continué aux sectateurs d'Arminius, celui de Remontrans ou d'Arminiens. Voyez ARMINIEN. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CONTRE-RETABLES. m. (Sculpt.) c'est le fond du lambris contre lequel le tabernacle & ses gradins sont adossés, & où l'on place un tableau sur l'autel. Dictionn. de Dish.


CONTRE-RONDES. f. (Art milit.) est une ronde faite par des officiers, pour voir si une ronde qui a dû être faite, l'a été exactement. V. RONDE. (Q)


CONTRE-SABORDS(Marine) Voy. MANTELETS. (Z)


CONTRE-SAILLANTadj. terme de Blason ; se dit de deux animaux sur l'écu, qui semblent sauter en s'écartant l'un de l'autre directement en sens contraire. Voyez SAILLANT. Chambers. (V)


CONTRE-SALUTS. m. (Marine) V. SALUER & PAVILLON. (Z)


CONTRE-SANGLESS. f. terme de Sellier ; ce sont de petites courroies de cuir assujetties avec des clous aux arçons de la selle, pour y attacher les sangles d'un cheval ou autre bête de somme. Dict. du Comm. de Trév. & Dish.


CONTRE-SCELS. m. (Jurispr.) est un petit sceau différent du grand, que l'on applique à gauche des lettres de chancellerie, sur un tiret ou lacet qui attache ensemble plusieurs pieces.

Les contre-sceaux ont été établis pour assurer la vérité des sceaux ; les plus anciens sont du treizieme siécle. Le P. Montfaucon, tome II. de ses monumens de la monarchie Françoise, dit que Philippe Auguste est le premier qui se soit servi d'un contre-scel ; que celui de ce prince étoit une fleur-de-lys. Voyez le journal des savans de Janvier 1731, p. 10. & les dissertat. histor. de M. le Beuf, tom. I. (A)


CONTRE-SEINGS. m. (Jurispr.) est la signature d'une personne subordonnée, au-dessous de celle d'un supérieur. Voyez CONTRE-SIGNER. (A)


CONTRE-SEMPLERv. neut. (Manufact. en soie) c'est transporter un dessein déja lû sur un semple, dans un autre semple sur lequel il n'y a rien, sans se servir du ministere de la liseuse. Pour cet effet on arrête une semple de 400 cordes aux 400 arcades au-dessus des mailles du corps ; on étend le semple dans sa longueur. Quand les cordes sont bien ajustées, on tire tous les lacs du semple lû les uns après les autres ; chaque lac tiré fait faire aux cordes du semple tendu, une séparation à laquelle on passe une embarbe, de maniere qu'un semple qui aura occupé une bonne liseuse pendant deux jours, sera lû par ce moyen dans deux heures Voy. SEMPLE, LIRE, EMBARBE & VELOURS CISELE.


CONTRE-SENSsubst. m. vice dans lequel on tombe quand le discours rend une autre pensée que celle qu'on a dans l'esprit, ou que l'auteur qu'on interprete y avoit. Ce vice naît toûjours d'un défaut de logique, quand on écrit de son propre fond ; ou d'ignorance, soit de la matiere, soit de la langue, quand on écrit d'après un autre.

Ce défaut est particulier aux traductions. Avec quelque soin qu'on travaille un auteur ancien, il est difficile de n'en faire aucun. Les usages, les allusions à des faits particuliers, les différentes acceptions des mots de la langue, & une infinité d'autres circonstances, peuvent y donner lieu.

Il y a une autre espece de contre-sens dont on a moins parlé, & qui est pourtant plus blâmable encore, parce qu'il est, pour ainsi dire, plus incurable ; c'est celui qu'on fait en s'écartant du génie & du caractere de son auteur. La traduction ressemble alors à un portrait qui rendroit grossierement les traits sans rendre la physionomie, ou en la rendant autre qu'elle n'est, ce qui est encore pis. Par exemple, une traduction de Tacite, dont le style ne seroit point vif & serré, quoique bien écrite d'ailleurs, seroit en quelque maniere un contre-sens perpétuel, & ainsi des autres. Que de traductions sont dans le cas dont nous parlons, sur-tout la plûpart de nos traductions de poëtes !

La Musique, & sur-tout la Musique vocale, n'étant & ne devant être qu'une traduction des paroles qu'on met en chant, il est visible qu'on peut aussi, & qu'on doit même souvent y tomber dans des contre-sens : contre-sens dans l'expression, lorsque la Musique est triste au lieu d'être gaie, gaie au lieu d'être triste ; légere au lieu d'être grave, grave au lieu d'être légere, &c. contre-sens dans la prosodie, lorsqu'on est bref sur les syllabes longues, long sur des syllabes breves ; qu'on n'observe point l'accent de la langue, &c. contre-sens dans la déclamation, lorsqu'on y exprime par la même modulation des sentimens différens ou opposés, lorsqu'on y peint les mots plus que le sentiment, lorsqu'on s'y appesantit sur des détails sur lesquels on doit glisser, lorsque les répétitions sont entassées sans nécessité : contre-sens dans la ponctuation, lorsque la phrase de Musique se termine par une cadence parfaite dans les endroits où le sens littéral est suspendu.

Il y a un contre-sens frappant de cette derniere espece, entre beaucoup d'autres, dans un endroit de l'opéra d'Omphale ; le musicien a noté les paroles suivantes, comme si elles étoient ainsi ponctuées :

Que nos jours sont dignes d'envie !

Quand l'amour répond à nos voeux,

L'amour même le moins heureux

Nous attache encore à la vie.

Où l'on voit que le premier vers est entierement séparé du second, auquel il doit être nécessairement joint ; la cadence parfaite ne doit tomber que sur le second vers. Le musicien a fait une phrase du premier vers, & une des trois autres, ce qui forme un galimathias ridicule.

Les Italiens, si on en croit toute l'Europe, ayant poussé en Musique l'expression fort loin, il n'est pas extraordinaire qu'ils tombent quelquefois dans des contre-sens, parce qu'ils outrent l'expression en voulant trop la rendre. D'ailleurs, comme ils ont beaucoup de compositeurs & de musique, il est nécessaire qu'ils en ayent beaucoup de mauvaise. A l'égard de notre Musique Françoise, quoique les étrangers l'accusent de manquer souvent d'expression, elle n'en est pas moins sujette aux contre-sens, c'est ce que nous pourrions prouver par les Operas de Lulli même, auquel nous rendons d'ailleurs la justice qui lui est dûe. Nous parlons ici des contre-sens pris dans la rigueur du mot ; mais le manque d'expression est peut-être le plus énorme de tous, & cela est vrai en général dans tous les beaux arts. Les fautes grossieres de Paul Veronese contre le costume, font moins de tort à ses tableaux que n'auroit fait une expression froide & languissante. (O)


CONTRE-SIGNERv. act. (Jurisprud.) signifie apposer une signature contre une autre. Tout ce que le Roi signe en finance ou autrement, est contre-signé par un secrétaire d'état, qui signe, Par le Roi, N.... Ce fut sous Louis XI. en 1481, qu'il fut arrêté que le Roi ne signeroit rien qu'il ne le fît contre-signer par un secrétaire d'état, sans quoi on n'y auroit nul égard.

Les princes font aussi contre-signer leurs expéditions par les secrétaires de leurs commandemens.

Les archevêques & évêques, & autres officiers publics, font pareillement contre-signer leurs dépêches par leur secrétaire. (A)


CONTRE-SOMMATIONS. f. (Jurisprud.) est un acte opposé à la sommation. Ce terme est usité en matiere de garantie. La demande qui est formée contre le garant, s'appelle demande en recours de garantie, ou demande en sommation, parce que le garant est sommé de prendre le fait & cause de garantie. Si celui qui est assigné en garantie prétend avoir lui-même un garant, il lui dénonce la demande en recours ou sommation qui est formée contre lui, & le somme de sa part de prendre son fait & cause ; il dénonce ensuite cette nouvelle demande au premier demandeur en garantie, & cette dénonciation s'appelle contre-sommation : il contre-somme même quelquefois au premier demandeur en garantie sa propre demande (A)


CONTRE-SOMMIERS. m. (Parchemin) peau de parchemin en cosse, ainsi nommée de ce que quand l'ouvrier rature le parchemin avec le fer, il place cette peau entre le sommier & le parchemin. Voy. PARCHEMIN.


CONTRE-TAILLES. f. on appelle ainsi indistinctement une des deux tailles sur lesquelles on marque quelque chose régulierement. V. TAILLE.


CONTRE-TAILLESCONTRE-TAILLES


CONTRE-TEMSS. m. en terme de Danse, ce sont trois manieres différentes de sauter ; la premiere est sautée avant le pas, la seconde après le pas, & la troisieme en faisant le pas. Soit le menuet pour exemple.

La premiere maniere s'exécute après avoir fini le pas de menuet ; on porte entierement le corps sur le pié gauche, auprès duquel on approche le droit à la premiere position : ensuite on plie dessus le gauche, & l'on se releve en sautant. C'est ce qu'on appelle sauter à cloche-pié, & sauter avant le pas.

La seconde se fait ayant le corps sur le pié gauche ; on replie une seconde fois dessus, puis étant plié, on glisse le pié droit devant soi à la quatrieme position, & l'on se releve dessus en sautant. C'est sauter après le pas.

La troisieme, c'est plier dessus le droit sur lequel le corps est posé, en approchant le gauche tout auprès ; puis en s'élevant on le passe devant doucement, & on se laisse tomber dessus en sautant. C'est sauter en faisant le pas.

CONTRE-TEMS DE GAVOTTE, ou CONTRE-TEMS EN AVANT, terme de Danseur, pour exprimer des pas sautés qui animent la danse par les différentes manieres de les faire.

Si on les fait du pié droit, il faut avoir le corps posé sur le gauche à la quatrieme position, le pié droit derriere le talon levé ; plier ensuite sur le gauche, & se relever en sautant dessus. Alors la jambe droite qui étoit prête à partir, passe du même tems pardevant, & se porte à la quatrieme position sur la pointe du pié, & les deux jambes sont fort étendues ; on fait ensuite un autre pas du pié gauche en avant & à la quatrieme position, ce qui fait le contre-tems complet.

Il se fait de la même maniere en arriere ; par exemple, le pié gauche étant derriere à la quatrieme position, le corps posé dessus, il faut plier sur le même pié, & du même tems lever la jambe droite, la tenir fort étendue, & se porter derriere à la quatrieme position. On fait ensuite un autre pas en arriere du pié gauche & sur la pointe des piés ; mais à ce dernier pas il faut poser le talon, ce qui met le corps en son repos. Ce pas se fait dans l'étendue d'une mesure à deux tems légers, ou d'une à trois tems : il occupe le même tems d'un pas de bourrée ordinaire.

CONTRE-TEMS DE COTE, il se fait différemment du contre-tems en avant, sur-tout lorsqu'il est croisé. La différence qu'il y a, c'est qu'il faut plier sur un pié pour le contre-tems en avant, & sur les deux piés dans celui-ci. Si l'on doit faire un contre-tems en venant du côté gauche, ce doit être du pié droit, ayant les deux piés à la seconde position, & le corps droit dans son à-plomb ; se plier, puis se relever en sautant. Comme le mouvement que l'on prend pour sauter, est plus forcé que celui que l'on prend pour s'élever au demi-coupé, cela est cause que la jambe droite, lorsqu'on s'éleve, rejette le corps sur le pié gauche, & reste en l'air fort étendue à côté, & tout de suite on fait un pas de cette même jambe, en la croisant jusqu'à la cinquieme position, en posant le corps dessus ; puis on fait de suite un autre pas du pied gauche, en le portant à côté à la deuxieme position.

CONTRE-TEMS DE CHACONNE, ou CONTRE-TEMS OUVERTS, ces pas se font comme le contre-tems en avant. En approchant le pié gauche devant, & le corps posé dessus, la jambe droite s'approche derriere ; on plie, & l'on se releve en sautant sur le pié gauche, & la jambe droite qui est en l'air, se porte à côté à la seconde position, & le pié gauche derriere où devant à la cinquieme position, ce qui en fait l'étendue. On se sert ordinairement de ces pas pour aller de côté, ainsi il est composé d'un mouvement sauté & de deux pas marchés sur la pointe ; mais au dernier il faut poser le talon, afin que le corps soit ferme pour faire tel autre pas que l'on veut. Cette maniere est celle dont on se sert pour aller du côté droit, & l'on revient du côté gauche, en commençant par sauter sur le pié droit.

Il faut observer de retomber à la même place, lorsque l'on plie & que l'on saute.

CONTRE-TEMS BALONNE ou A DEUX MOUVEMENS ; il se fait en avant, en arriere, & de côté, l'un comme les autres.

Le premier se fait du pié droit, ayant le gauche devant à la quatrieme position, le corps posé dessus. Il faut plier & se relever en sautant sur le même pié, & passer pardevant la jambe droite qui est derriere, & cela dans le même tems que l'on plie, en la tenant en l'air, l'espace de ce premier mouvement, fort étendue. On reprend tout de suite un second mouvement en pliant sur le pié gauche, ce qui rejette sur le pié droit en formant un jetté. Ce pas est donc composé de deux mouvemens différens ; savoir plier & sauter sur un pié, plier sur le même pié, & se rejetter sur l'autre.

Le second, qui se fait en arriere, s'exécute en observant les mêmes regles ; savoir en pliant & en sautant sur le pié qui est posé derriere, & en levant celui de devant dans l'instant du premier mouvement ; & en restant en l'air, le passer derriere lorsque l'on fait le second mouvement, ce qui est un demi-jetté où se termine ce pas.

Le troisieme & celui qui se fait de côté, se prend ordinairement après un pas de bourrée dessus & dessous ; ainsi on plie & on saute sur le pié qui vient de finir le pas de bourrée, & celui qui est devant se leve. Au second mouvement on se laisse tomber sur ce pié, en le jettant à la deuxieme position. Voyez Rameau.

CONTRE-TEMS, (Escrime) Voy. COUP-FOURRE.

CONTRE-TEMS, terme de Manege ; c'est une mesure ou cadence interrompue en maniant, soit par la malice du cheval, soit par le peu de soin du cavalier qui le monte, comme lorsque le cheval continue des ruades, au lieu de lever le devant. On dit : " Ce cheval a rompu la justesse & la mesure de son manege, a interrompu sa cadence par deux contre-tems, & le cavalier, par les aides du talon, a mal secondé celles de la bride. " (V)


CONTRE-TERRASSES. f. terrasse appuyée contre une autre, ou élevée au-dessus.


CONTRE-TIRERc'est tracer toutes les lignes ou contours des objets représentés dans un dessein, dans un tableau, sur une étoffe fine, sur du papier mince, ou autre matiere transparente qu'on applique sur le tableau ou dessein, & au travers de laquelle on apperçoit les objets. On contre-tire quelquefois avec le pentagraphe ou parallelograme. Ce mot n'est guere d'usage en peinture : le calque dit tout. Voyez CALQUER, & le dict. de Peint. (R)


CONTRE-TRANCHÉESS. f. pl. terme de Fortification, est une tranchée faite contre les assiégeans, lesquels par conséquent ont leur parapet tourné du côté des ennemis. Voyez TRANCHEE, CONTRE-APPROCHE.

Elles ont d'ordinaire communication avec plusieurs endroits de la place, afin d'empêcher les ennemis d'en faire usage, en cas qu'ils parvinssent à s'en rendre maîtres. (Q)


CONTRE-VERGES. f. instrument du métier des étoffes de soie ; c'est une baguette ronde sans écorce, qui sert à apprêter les verges quand il y a du poil, à fixer les divers composteurs dont on se sert au métier, & séparer le poil de la chaîne, pour donner la facilité d'habiller les fils & de remettre.


CONTRE-VISITES. f. (Jurisprud.) dans les matieres où il échet de faire visiter les lieux par experts, lorsqu'une partie a fait faire une premiere visite, & que l'autre partie prétend que le rapport est nul ou défectueux, elle demande ordinairement une nouvelle visite pour établir le contraire de la premiere ; & cette seconde visite est ce que l'on appelle quelquefois contre-visite. (A)

CONTRE-VISITE, (Police) se dit des secondes visites non prévûes ni annoncées que font les inspecteurs des manufactures, les commis des droits du Roi, les maîtres & gardes des six corps marchands, ou les jurés des communautés des arts & métiers, pour empêcher ou découvrir les fraudes qui pourroient avoir été faites dans les visites fixées & ordonnées par les reglemens & statuts. Voyez VISITE.


CONTREBANDES. f. (Comm. & Police) La contrebande est en général tout commerce qui se fait contre les lois d'un état. Mais dans l'usage ordinaire on distingue la contrebande proprement dite, de la fraude.

Chaque société a deux objets principaux dans son administration intérieure. Le premier est d'entretenir dans l'aisance le plus grand nombre d'hommes qu'il est possible : le second, fondé sur le premier, est de lever sur les peuples les dépenses nécessaires, non à l'aggrandissement des domaines de la société, ce qui seroit le plus souvent contraire à son bonheur, mais celles qu'exigent sa sûreté & le maintien de la majesté de ceux qui gouvernent.

Pour remplir le premier objet, il a été nécessaire de prohiber l'entrée de plusieurs denrées étrangeres, dont la consommation intérieure eût privé le peuple de son travail ou de son aisance, & l'état de sa population : cette prohibition s'est même étendue à la sortie de quelques denrées nationales en conséquence du même principe.

Pour satisfaire aux besoins publics de la société, on a imposé des droits, soit sur les marchandises étrangeres permises, soit sur les marchandises nationales.

Le mot de contrebande s'applique aux contraventions de la premiere espece ; le mot de fraude à celles de la seconde espece.

Il est clair que la contrebande proprement dite est réputée telle, uniquement par la volonté du législateur ; dès qu'il a parlé, tout homme qui joüit des avantages de la société, doit se soûmettre à ses lois ; s'il ose les enfreindre, il est criminel, quoique souvent digne de pitié : mais il est toûjours très-méprisable, si l'intérêt seul d'un vain luxe ou d'une singularité frivole, le rend complice de la contrebande au préjudice du travail des pauvres.

Quoique la loi doive être sainte pour tous dans un état, il est possible que ses motifs ne soient pas toûjours également favorables au bien général.

On a pû remarquer qu'il y a deux sortes de prohibitions, l'une d'entrée, & l'autre de sortie : examinons-en les motifs.

Les prohibitions utiles sur l'entrée des denrées étrangeres, sont celles que dicte une connoissance profonde des balances particulieres du commerce, de ses diverses circulations, & de la balance générale ; c'est-à-dire celles qu'un examen sérieux & médité prouve être nécessaires à l'aisance ou au travail du peuple.

Prohiber l'entrée des grains étrangers, lorsque les terres nationales peuvent fournir abondamment à la subsistance publique, est une police très-sage.

Prohiber une manufacture étrangere, uniquement parce qu'on est dans le dessein de l'imiter, n'est pas toûjours un trait de prudence ; car les étrangers ont de leur côté un droit de prohibition. Lorsque les Anglois, par exemple, ont dernierement proscrit l'usage de nos linons & de nos batistes, ils ne se sont pas apperçus que la France avoit le droit de prohiber encore plus efficacement l'entrée des quincailleries d'Angleterre, dont on tolere une consommation si abondante parmi nous, sous le nom & en payant les droits de celles d'Allemagne.

Il convient donc de peser très-scrupuleusement la perte & le gain qui peuvent résulter d'une prohibition, avant de l'ordonner. Le calcul est la boussole du commerce ; sans lui on ne peut presque jamais rien déterminer sur l'application des principes généraux, parce que les cas particuliers se varient à l'infini.

Les prohibitions absolues ne sont pas les seules : les peuples intelligens dans le commerce en ont encore introduit une autre espece plus mitigée. Lorsqu'ils sont dans la nécessité, soit réelle, soit politique, d'importer une denrée étrangere, ils en permettent l'introduction sur les navires nationaux seulement : mais on a soin de n'employer cet expédient que dans le cas où l'on achete plus chez un peuple qu'on ne lui vend, ou pour gagner un commerce englouti par les nations qui font celui d'oeconomie.

Le droit de prohibition est naturel à toute société indépendante : cependant il est des cas où la sûreté de toutes peut exiger que quelques-unes y renoncent. Lorsqu'elles y sont astreintes par un traité de paix, cette convention devient loi du droit public ; on ne peut y contrevenir sans injustice.

Dans tous les états d'une certaine étendue, il est presque impossible de déraciner la contrebande, si elle présente un profit considérable. Aussi a-t-on regardé par-tout la punition de ceux qui font usage des denrées prohibées, comme l'expédient le plus court & le plus simple pour faire périr ce ver rongeur. Les acheteurs sont en effet toûjours aussi coupables que les vendeurs, & leurs motifs sont en général encore plus honteux.

Tout relâchement sur cette police est d'une telle conséquence, qu'il devient souvent impossible au législateur d'en réparer les funestes effets : ce peut même être une prudence nécessaire que de céder à la corruption générale, si le profit qu'on trouve à éluder la loi, le nombre des facilités, & le caprice de la multitude, sont plus forts que la loi même : alors la simple tolérance est d'un exemple dangereux ; les étrangers ne laissent pas de s'enrichir, l'état perd ou le produit de ses domaines, ou l'occasion d'un travail qui pourroit du moins remplacer en partie celui qui s'anéantit.

Dans plusieurs états, la contrebande qui se pratique par les gens dont c'est la profession, pour ainsi dire, & la ressource, n'est pas la plus dangereuse. On veille sans cesse sur eux ; il est rare qu'ils ne soient surpris tôt ou tard, & la punition éclatante d'un seul en corrige plusieurs.

Je parle de la contrebande que font les commis des doüannes, soit à leur profit particulier, soit pour celui de leurs fermiers, en facilitant sous des noms supposés & sous des droits arbitraires, l'entrée des denrées prohibées. Cette contrebande sur laquelle personne ne veille, est un moyen sourd & très-assûré d'épuiser un état : d'autant plus que le remede est difficile ; car la régie des doüannes, quoique démontrée la meilleure de toutes les formes qu'elles peuvent recevoir, n'a pas réussi dans tous les pays ; comme une expérience de physique bien constatée peut manquer dans des mains différentes.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que de la contrebande d'entrée : celle de sortie consiste à exporter les denrées que l'état défend de vendre aux étrangers. Le nombre en est toûjours médiocre, parce qu'en général cette méthode n'est utile que dans le cas où les sujets seroient privés, soit du nécessaire, soit d'une occasion de travail. C'est ainsi que la sortie des laines est défendue en Angleterre, parce que leur qualité est réputée unique ; en France, celle du vieux linge, du salpetre, &c.

L'exportation des armes & des munitions est sujette à des restrictions dans presque tous les états, excepté en Hollande. Ces sages républicains savent que l'argent de tout le monde est bon à gagner, & reservent les prohibitions pour les occasions extraordinaires. En effet, il n'en est point des fusils, des épées, des balles, des canons, comme des matieres, par exemple, du brai & du goudron, que tous les pays ne fournissent pas, & dont le transport peut être défendu utilement dans certaines circonstances, parce qu'il seroit difficile de les remplacer. Mais si la Suede & le Danemark imaginoient en tems de paix de prohiber la sortie de ces matieres pour la France ; ce seroit lui rendre & à ses colonies du continent de l'Amérique, un service très-signalé.

Dans les pays où le commerce n'est point encore sorti de son enfance, l'exportation de l'or & de l'argent est défendu sous les peines les plus rigoureuses. L'exemple de l'Espagne, du Portugal, & même celui de la France dans le tems des refontes lucratives au thrésor royal, prouvent l'impuissance de cette prohibition chimérique. A voir les craintes répétées de l'auteur du dictionnaire du Commerce sur la quantité d'argent qui sort de l'Angleterre, on seroit tenté de croire qu'il n'imaginoit pas qu'il y en pût rentrer. Si l'ouvrage étoit moins estimable, on ne feroit pas cette remarque : mais en rendant justice au zele & à l'application de l'auteur, il est bon de ne pas s'abandonner à ses principes.

La fraude consiste à éluder le payement des droits imposés sur les marchandises nationales ou étrangeres, soit dans la consommation intérieure, soit à l'importation ou à l'exportation : ainsi elle peut être considérée dans ces trois circonstances différentes.

Les droits se perçoivent dans la consommation intérieure, ou aux entrées des lieux où elle se fait, ou à l'entrée des provinces, ou enfin sur des denrées dont l'état s'est reservé le monopole.

Toute fraude est criminelle assûrément : indépendamment du mépris de la loi, c'est voler la patrie ; c'est anéantir les effets de ce principe si auguste qui fit les rois, & le plus essentiel de leurs devoirs, la justice distributive : mais comme il est rare que tout un peuple soit guidé par l'esprit public, il convient de lui faire aimer la loi que l'on veut qu'il respecte. Le peuple se persuade mal-aisément que l'usage d'une denrée nécessaire, & qui se trouve facilement sous sa main à bon marché, puisse lui être justement défendu, à moins qu'il ne l'achete cherement & avec des formalités gênantes.

Si cette denrée est nécessaire, soit à quelque partie de l'Agriculture, soit à quelque manufacture, la fraude s'établira & les recherches redoubleront, ou bien ces parties si essentielles de l'occupation des hommes diminueront, & avec elles la population. Plus les motifs de la fraude sont séduisans, plus la loi devient sévere. Rien peut-être n'est plus funeste à la probité d'un peuple, que cette disproportion dans la peine des crimes ; & les juges établis pour y veiller, se voyent exposés chaque jour à la déplorable nécessité de retrancher de la société, des citoyens qui lui eussent été utiles, si les lois eussent été meilleures. Quand même il ne seroit pas aussi possible qu'il le paroît toûjours, de remplacer cette espece d'impôt ; il est évident que les peuples seroient soulagés d'un grand fardeau, si l'état convertissoit en une somme d'argent fixe ce qu'il retire net de chaque sujet, à raison de cette branche des revenus publics.

Le monopole que l'état se réserve sur des denrées de pur agrément, est beaucoup plus doux : mais souvent il n'est pas plus favorable à la population, puisqu'il limite l'occupation des citoyens, & diminue les moyens de grossir la balance du commerce.

Un principe constant des finances bien entendues, c'est que le produit des revenus s'accroît en raison du nombre des sujets, de leur occupation, de leur aisance : tels sont les seuls ressorts actifs & durables de cette partie aussi belle qu'essentielle de l'administration. Le monopole dont nous parlons entraîne les mêmes inconvéniens que l'autre par rapport aux peines & aux formalités : une opération très-simple cependant pourroit remédier à tout, & doubler le revenu.

La fraude sur les droits qui se perçoivent de province à province, est commune en raison du profit qu'elle donne à celui qui la fait ; & la barriere qu'il est absolument nécessaire d'établir contr'elle exige tant de dépenses, que ces sortes de droits ne rendent jamais le quart de ce qu'ils coûtent aux peuples. Mais leur plus grand inconvénient est d'arrêter la circulation intérieure & extérieure des denrées, & dèslors de nuire à l'occupation des sujets, à la population. On ne sauroit trop répéter, que ce n'est presque jamais autant en raison de la valeur de ces droits, que parce que les formalités se multiplient sans cesse en proportion de la facilité qu'il y a de les éluder. D'un autre côté, sans ces formalités la recette s'anéantiroit ; ainsi quoique cette fraude n'emporte point avec elle de supplices comme les précédentes, l'occasion n'en sauroit être regardée que comme un principe vicieux dans un corps politique.

La fraude sur les droits qui se perçoivent dans le lieu même de la consommation, est beaucoup moins commune, parce qu'il est plus facile de la découvrir, & parce que ces droits, lorsqu'on en connoît bien la portée, ne sont jamais assez considérables pour laisser un grand profit au fraudeur. Si cette proportion n'étoit pas observée, non-seulement la recette perdroit tout ce qui seroit consommé clandestinement, mais la consommation même diminueroit, & avec elle le revenu de l'état, le travail & l'aisance des sujets.

Lorsque c'est sur les facultés du peuple que ces sortes de droits sont proportionnés, ils sont payés d'une maniere imperceptible ; & comme ils sont très-favorables à son industrie, toûjours retardée par les impositions arbitraires, sa sûreté les lui fait envisager tranquillement. Les riches seuls en sont mécontens pour l'ordinaire, parce que cette méthode est la plus propre à établir l'équilibre entre les sujets. Le célebre M. Law disoit en 1700 au parlement d'Ecosse, que le poids des impôts sur les revenus & l'industrie d'une nation, étoit au poids des impôts sur les consommations, comme un est à quatre.

Les droits qui se perçoivent dans les ports & sur les frontieres, sur les denrées importées ou exportées, présentent des facilités à la fraude suivant les circonstances locales, & principalement suivant la fidélité des commis ; car il est très-rare que cette fraude réussisse à leur insçû. Si elle est également illicite à l'exportation & à l'importation, il convient du moins d'en bien distinguer les effets dans la société, & par la même raison le châtiment.

Lorsqu'on élude le payement des droits à la sortie des denrées nationales, on a volé les revenus publics ; mais le peuple n'a point perdu de son occupation, ni l'état sur sa balance. Si même la denrée exportée n'a pû l'être qu'à la faveur du bénéfice de la fraude, l'état auroit gagné dans tous les sens. Cependant comme il n'est pas permis aux particuliers d'interpreter la loi, c'est au législateur à leur épargner cette tentation ; à bien examiner la proportion des droits de sortie compatibles avec son commerce & l'aisance de son peuple ; à distinguer le plus qu'il sera possible les especes générales, afin d'entretenir l'équilibre entre toutes les qualités de terres & toutes ses provinces : cette considération restraindra immanquablement les droits, & les autres branches des revenus accroîtront d'autant.

La fraude sur les importations étrangeres emporte avec elle des suites si fâcheuses pour la société en général, que celui qui la commet devroit être soûmis à deux sortes de peines, celle de la fraude & celle de la contrebande. En effet la confiscation étant la peine de la fraude simple, il n'est pas naturel que celui qui contribue à diminuer la balance générale du commerce, qui force les pauvres de rester dans l'oisiveté, enfin qui détruit de tout son pouvoir la circulation des denrées nationales, ne soit sujet qu'à la même punition.

Des casuistes très-relâchés & très-repréhensibles ont osé avancer que la fraude étoit licite. Cette erreur s'est principalement accréditée en Espagne ; parce que le clergé y étoit très-intéressé à la soûtenir. En France où les ministres du Seigneur savent que le sacerdoce ne peut priver le prince de ses droits indélébiles sur tous ses sujets également, les Théologiens ont pensé unanimement que la fraude blesse les lois divines, comme les lois humaines. Cependant après avoir parcouru un grand nombre d'examens de conscience très-amples, je n'en ai trouvé aucun où cette faute fût rappellée au souvenir des pénitens. Article de M. V. D. F.

CONTRE-BANDE, dans le Blason ; c'est la barre qui coupe l'écu dans un sens contraire. Voy. BARRE.

On dit aussi contre-chévron, contre-pal, &c. quand il y en a deux de même nature qui sont opposés l'un à l'autre ; de sorte que la couleur soit opposée au métal, & le métal à la couleur. On dit qu'un écu est contre-palé, contre-bandé, contre-fessé, contre-componé, contre-barré, quand il est ainsi divisé. Voy. CONTRE-CHEVRONNE, CONTRE-PALE, &c.

CONTRE-BANDE, terme de Blason, signifie bandé de six par bande senestre contre-changée. Voyez BANDE. V. Chambers, Trévoux, & le P. Menétrier.

Hoibler en Stirie, parti & contre-bandé d'or & de gueules. (V)


CONTREBANDIERS. m. (Comm.) celui qui se mêle de faire la contrebande. V. CONTREBANDE.

Du côté de Lyon on appelle ces sortes de gens camelotiers. Les ordonnances pour les cinq grosses fermes du Roi statuent différentes peines contre les contrebandiers, même celle de mort, en cas d'attroupement, port d'armes ou rébellion. Diction. de Comm. (G)


CONTREBASCONTREHAUT, termes à l'usage des traceurs, des nivelleurs, des terrassiers, &c. Le premier marque la direction du haut en-bas, & le second la direction du bas en-haut.


CONTREBITTEScourbes de débittes (Marine) Voyez BITTES. (Z)


CONTREBOUTERvoyez ARCBOUTER.


CONTREBRETESSÉadject. se dit en termes de Blason, dans le même sens que contre-barré, c'est-à-dire, d'une piece dont les bretesses sont opposées. Voyez BRETESSES.

De Paola à Genes, d'azur au pal contrebretessé d'or. (V)


CONTRÉCARTELÉadj. terme de Blason ; on appelle écu contrécartelé, celui dont un des quartiers de son écartelûre est derechef écartelé. Voy. ÉCARTELER.


CONTRÉCARTELERverbe, (Blason) c'est diviser en quatre quartiers un des quartiers de l'écu qui est déjà écartelé, ensorte que l'écu ait seize quartiers. Voy. QUARTIER. (V)


CONTRECHIQUETÉadj. terme de Blason ; fascé d'argent & de gueules, à la bordure contrechiquetée de même.

Die Tangel en Turinge, fascé d'argent & de gueules à la bordure contrechiquetée de gueules & d'argent de deux tires.


CONTREDANSES. f. danse qui s'exécute à quatre, à six & à huit personnes. L'invention en est moderne : elle est composée de pas différens, selon la nature des airs sur lesquels on danse. Au bal de l'Opera on danse dans les deux bouts de la salle des contredanses différentes. On n'exécute guere dans les bals ni dans les assemblées, la Bretagne, l'Allemande, la Mariée, &c. qui étoient autrefois à la mode. La contredanse est plus gaïe ; elle occupe plus de monde, & l'exécution en est aisée : il n'est pas étonnant qu'elle ait prévalu sur toutes les autres. On fait des contredanses sur tous les airs nouveaux qui ont de la gaïeté. Celle des fêtes de Polimnie, ballet de M. Rameau, représenté en 1745, fut si goûtée, qu'on n'a guere fait depuis de ballet sans contredanse ; c'est par-là qu'on termine pour l'ordinaire le dernier divertissement, afin de renvoyer le spectateur sur un morceau de gaïeté. (B)


CONTREDIAMETREsubst. m. (Géom.) Voyez COURBE & DIAMETRE.


CONTREDITSS. m. pl. (Jurispr.) quasi contraria dicta, sont des écritures ou procédures intitulées contredits, qui sont signifiées par une partie contre la production de l'autre, par lesquelles elle débat les inductions que l'autre a tirées de ses pieces dans son inventaire de production.

L'usage des contredits est fort ancien, puisque l'ordonnance de François I. de l'an 1539, enjoint la communication des productions, pour les contredire.

On ne fournit de contredits que dans les affaires appointées. Le juge appointe les parties à écrire, produire & contredire dans les délais de l'ordonnance, qui sont de huitaine en huitaine.

Il y a deux sortes de contredits, savoir, les contredits de production simplement, & les contredits de production nouvelle. Les contredits de production sont ceux que l'on fournit contre la premiere production qui est faite dans une instance appointée : chaque partie a la liberté de contredire la production de son adversaire. Les contredits de production nouvelle sont ceux que l'on fournit contre les productions qui surviennent depuis la premiere production. On ne contredit point en cause d'appel la production de cause principale, parce qu'elle doit avoir été déjà contredite. Les requêtes de production nouvelle sont répondues d'une ordonnance portant que les pieces seront communiquées à la partie, pour y fournir, si bon lui semble, de contredits : le délai n'est quelquefois que de trois jours. Quelquefois on met dans huit, c'est-à-dire dans le jour, cela dépend de l'état de l'instance ; mais ces délais ne sont ordinairement que comminatoires. Ce sont les avocats qui font les contredits ; quand les procureurs en font, ils les mettent en forme de requêtes. Les reponses aux contredits s'appellent salvations.

Le terme de contredits est quelquefois pris pour opposition : par exemple, en la coûtume d'Artois, art. 23. il est parlé de l'opposition ou contredit que l'héritier peut former à la saisie féodale.

Autrefois en Bretagne le terme de contredit signifioit aussi appel de la sentence d'un juge inférieur devant le juge supérieur. (A)


CONTREFACÉadj. terme de Blason ; il se dit des pieces dont les faces sont opposées.

Verterholl en Allemagne, contrefacé de sable & d'argent de trois pieces. (V)


CONTREFACTEURS. m. nom que l'on donne en Librairie à celui qui sans aucun droit imprime un livre dont un autre est propriétaire, par le transport que l'auteur lui a fait de ses droits.


CONTREFAIREv. act. en terme de Librairie, c'est faire contre le droit d'un tiers, & à son préjudice, une édition d'un livre qu'il a seul droit d'imprimer, en vertu de la cession que l'auteur lui a faite de tous ses droits sur son ouvrage, & de la permission ou du privilege du Roi. Il y a dans ces privileges des peines portées contre ceux qui contrefont, ou qui achetent & vendent des livres contrefaits ; mais outre ces peines, il y a un deshonneur réel attaché à ce commerce illicite, parce qu'il rompt les liens les plus respectables de la société, la confiance & la bonne foi dans le commerce. Ces peines & ce deshonneur n'ont lieu que dans un pays soûmis à une même domination ; car d'étrangers à étrangers, l'usage semble avoir autorisé cette injustice. Voyez PRIVILEGE.

CONTREFAIRE, IMITER, COPIER, verb. act. (Gramm.) termes qui désignent en général l'action de faire ressembler. On imite par estime, on copie par stérilité, on contrefait par amusement. On imite les écrits, on copie les tableaux, on contrefait les personnes. On imite en embellissant, on copie servilement ; on contrefait en chargeant. (O)


CONTREFANON(Marine) Voyez CARGUE-BOULINE. (Z)


CONTREFENDISS. m. pl. (Ardois.) lorsque ceux qui travaillent dans les ardoisieres ont séparé des quartiers d'ardoises de la masse ou du banc, des ouvriers s'occupent à les diviser, soûdiviser, jusqu'à ce qu'on les ait réduits en portions minces, & telles que celles dont nous couvrons nos édifices. Les noms de fendis, de contrefendis, contrefendis seconds, & autres, sont du nombre de ceux dont les ouvriers se servent pour marquer certaines divisions des quartiers. Voyez l'article ARDOISE.


CONTREFICHES. f. (Charp.) piece de bois qui est mise en pente contre une autre, ou contre une muraille, pour la soûtenir & l'étayer.


CONTREGARDES. m. (terme de Monnoie) c'est le nom d'un officier qui tient le registre des matieres qu'on apporte à la monnoie pour les fondre.

Les gardes & les contregardes furent créés dans les monnoies en 1214, par Philippe Auguste, qui ordonna qu'ils prendroient leur commission des généraux-maîtres des monnoies ; mais Charles VII. leur donna des provisions. Les fonctions de contregardes sont de tenir registre exact de toutes les matieres d'or, d'argent, & de billon, qui sont apportées dans la monnoie pour servir de contrôle aux registres des maîtres : de tenir un autre registre des brevets qui seront livrés aux ouvriers & aux monnoyeurs, & de ce qui sera par eux rendu : d'assister aux délivrances qui seront faites aux maîtres des monnoies : d'arrêter le compte entre le maître & les marchands & autres personnes, sur le prix des matieres d'or & d'argent : de faire fondre les matieres suspectes, & en faire faire l'essai. Voyez l'ordonnance de 1670.


CONTRESCARPES. f. terme de Fortification ; est le penchant ou talud du fossé qui regarde la campagne. Voyez nos Planches de Fortification. Voyez aussi ESCARPE & FOSSE.

Contrescarpe se dit aussi quelquefois du chemin couvert & du glacis. Quelquefois les contrescarpes sont de pierre, & ne sont point en talud.

Etre logé sur la contrescarpe, c'est être logé sur le glacis ou sur le chemin couvert. Voyez CHEMIN COUVERT. (Q)


CONTREVAIRÉadj. en terme de Blason, se dit des fourrures dont les pots sont mis base contre base, métal contre métal, & couleur contre couleur.

Eltersdore en Baviere, vairé & contre-vairé de quatre tires à la fasce d'or. (V)


CONTREVALLATIONS. f. (LIGNE DE) c'est, dans l'attaque des places, une espece de retranchement semblable à la circonvallation, dont l'objet est de couvrir l'armée qui fait un siége contre les entreprises de la garnison.

Cette ligne differe de la circonvallation, en ce que celle-ci est destinée à s'opposer aux entreprises de l'ennemi qui est hors de la place, & que la contrevallation a pour objet de fortifier le camp contre les attaques des assiégés : c'est pourquoi elle ne se construit que lorsque la garnison est assez nombreuse pour inquiéter l'armée assiégeante.

La contrevallation se construit à la queue du camp, de la même maniere & suivant les mêmes regles que la circonvallation. Elle doit être éloignée de la place d'environ 1200 toises. Comme elle n'est faite que pour résister à un corps de troupes moins considérable que celui qui peut attaquer la circonvallation, elle peut avoir moins d'épaisseur à son parapet, & moins d'épaisseur à son fossé. On peut y observer les dimensions du sixieme profil de la circonvallation. Voyez CIRCONVALLATION. Voyez aussi Plan. XIV. de Fortification, une partie d'une circonvallation & une partie d'une ligne de contrevallation, & la position des camps des troupes entre ces deux lignes.

Il est assez rare de voir des siéges où l'on construise aujourd'hui une ligne de contrevallation, parce que l'armée assiégeante est toûjours si supérieure à la garnison de la place, que cette garnison ne pourroit guere s'exposer à en sortir pour attaquer le camp, sans un péril évident. Elle étoit bien plus ordinaire chez les anciens ; mais aussi leurs garnisons étoient plus fortes que les nôtres : car comme les habitans des villes agissoient pour leur défense de la même maniere que le soldat, il y avoit alors autant de troupes pour la défense d'une place, qu'elle avoit d'habitans.

La circonvallation & la contrevallation sont d'un usage très-ancien : on en trouve des exemples dans l'Ecriture & dans les historiens de la plus haute antiquité. Cependant l'auteur de l'histoire militaire de Louis le grand prétend que César en est le premier inventeur. On peut voir dans l'attaque & la défense des places de M. le chevalier Folard, combien cette opinion est peu fondée. Cet auteur prétend, avec beaucoup de vraisemblance, que ces lignes sont aussi anciennes que la méthode d'enfermer les villes de murailles, c'est-à-dire de les fortifier. Attaque des places par M. Leblond. (Q)


CONTREVENTS. m. (Charpent.) pieces de bois qui se placent aux grands combles en contre-fiche ou croix de S. André, pour entretenir du haut d'une ferme en bas de l'autre, & empêcher le hiement des fermes & chevrons, ou leur agitation dans les grands vents.

CONTREVENTS, s. m. pl. (Charpent.) ce sont des pieces de bois qui se mettent aux grands combles en croix de S. André ou en contre-fiche. Voyez la figure 17. Pl. du Charpent.

CONTREVENT, (grosses-Forges) c'est une des quatre tacques de fonte qui forment les paremens du creuset. Voyez GROSSES-FORGES.


CONTRIBUTIONS. f. (Jurisprud.) signifie la répartition d'une chose sur plusieurs personnes : ainsi l'on dit la contribution aux tailles & aux autres impositions. Quelquefois le terme de contribution est pris pour toutes sortes d'impositions en général. Voyez AIDES, TAILLES, SUBSIDES, IMPOSITIONS.

La contribution aux dettes d'un défunt entre héritiers & aux autres successeurs à titre universel, est la répartition qui se fait sur eux de la masse des dettes, afin que chacun d'eux en supporte la portion qui est à sa charge.

Suivant le droit Romain, les dettes se payent in viriles, c'est-à-dire que chacun paye sa part des dettes à proportion de celle qu'il prend dans la succession, mais sans compter les prélegs ; de sorte que si deux personnes sont instituées héritiers conjointement, & que l'un d'eux ait un prélegs, ou que chacun d'eux en ait un, mais qu'ils soient inégaux, ils contribuent néanmoins également aux dettes, sans considérer que l'un amende plus que l'autre de la succession. Leg. ex facto 35. §. unde scio, ff. de haered. instit.

En pays coûtumier les héritiers donataires & légataires universels contribuent aux dettes chacun à proportion de l'émolument, comme il est dit dans la coûtume de Paris, art. 334. Voyez DETTES.

Suivant la derniere Jurisprudence il ne se fait point de contribution entre les différens donataires pour la légitime dûe à l'un des enfans ; elle se prend sur la derniere donation, & en cas d'insuffisance sur la donation précédente ; & ainsi en remontant de degré en degré. Voyez LEGITIME. (A)

CONTRIBUTION AU SOU LA LIVRE ou AU MARC LA LIVRE, est la distribution qui se fait d'une somme mobiliaire entre plusieurs créanciers saisissans ou opposans, lorsqu'il y a déconfiture, c'est-à-dire lorsque tous les biens du débiteur ne suffisent pas pour payer ses dettes : en ce cas le premier saisissant, ni aucun autre créancier, n'est préféré ni payé en entier ; on donne à chacun une portion des deniers, à proportion de sa créance : par exemple, à celui auquel il est dû vingt francs, on donne vingt sous ; à celui auquel il est dû quarante francs, on donne quarante sous ; & ainsi des autres. Cette portion est plus ou moins forte, selon le nombre de créanciers, le montant de leurs créances, & la somme qui est à contribuer. Voyez DECONFITURE. (A)

CONTRIBUTIONS, (Art milit.) signifie les impositions que les habitans des frontieres payent à l'armée ennemie, pour se sauver du pillage & de la ruine de leur pays.

Les paysans labourent la terre sous la foi des contributions, aussi tranquillement que dans une paix profonde.

La guerre seroit bien onéreuse au prince, s'il falloit qu'elle se fît entierement à ses dépens. Sa précaution peut bien lui faire craindre, & l'engager à prendre des mesures justes avec ses finances, pour ne point manquer d'argent ; mais il y en a aussi de très-raisonnables à prendre avec son général, pour l'épargne & l'augmentation de ses fonds. Ces mesures sont les contributions. Il y en a de deux sortes, celles qui se tirent en subsistances ou commodités, & celles qui se tirent en argent.

Celles qui se tirent en subsistances ou commodités, sont les grains de toute espece, les fourrages, les viandes, les voitures tant par eau que par terre, les bois de toute espece, les pionniers, le traitement particulier des troupes dans les quartiers d'hiver, & leurs logemens.

Il faut, avant que de faire aucune levée, avoir un état juste du pays qu'on veut imposer, afin de rendre l'imposition la plus équitable & la moins onéreuse qu'il se peut : il seroit, par exemple, injuste de demander des bois aux lieux qui n'ont que des grains ou des prairies ; des chariots, aux pays qui font leurs voitures par eau. Il faut même que toutes ces especes de levées ayent des prétextes qui en adoucissent la charge au peuple. Celle des blés ne se doit faire que sur le pays qui aura fait paisiblement sa récolte, & comme par forme de reconnoissance de la tranquillité dont il a joüi par le bon ordre & la discipline de l'armée. Son utilité est de remplir les magasins des places.

Celle des avoines & autres grains pour la nourriture des chevaux, outre ces mêmes prétextes, doit avoir celui du bon ordre ; ce qui consomme infiniment moins le pays, que si on l'abandonnoit à l'avidité des officiers & cavaliers, en les laissant les maîtres d'enlever les grains indifféremment où ils les trouveroient, & sans ordre ni regle.

Celle des fourrages est de même ; il faut seulement observer que cette imposition doit être faite en tems commode pour les voiturer dans les lieux où l'on a résolu de les faire consommer par les troupes.

Celle des viandes ne doit se faire, s'il est possible, que sur le pays où l'on ne peut faire hyverner les troupes, afin qu'elle ne porte pas de disette dans celui où seront les quartiers d'hyver. Le prétexte en doit être celui de la discipline, difficile à conserver lorsque l'armée manque de viande ; & le profit du prince est la diminution de la fourniture qu'il en fait à ses troupes.

Les voitures, tant par terre que par eau, s'exigent pour remplir les magasins de munitions de guerre & de bouche faits dans les derrieres, ou pour la conduite de la grosse artillerie & des munitions devant une place assiégée, ou pour le transport des malades & des blessés, ou pour l'apport des matériaux destinés à des travaux.

Les impositions de bois se font ou pour des palissades, ou pour la construction des casernes ou écuries, ou pour le chauffage des troupes pendant l'hiver.

On assemble des pionniers, ou pour fortifier des postes destinés à hyverner des troupes, ou pour faire promtement des lignes de circonvallation autour d'une place assiégée, ou pour la réparation des chemins & ouvertures des défilés, ou pour la construction des lignes que l'on fait pour couvrir un pays & l'exempter des contributions, ou pour combler des travaux faits devant une place qui aura été prise.

L'ustensile pour les troupes se tire sur le pays de deux manieres : les lieux où elles hyvernent effectivement ne la doivent point fournir, autant qu'il se peut, que dans les commodités que le soldat trouve dans la maison de son hôte, supposé qu'il n'y ait ni ne puisse y avoir de casernes dans ce lieu : mais en cas qu'il y ait des casernes, il faut que la contribution en argent soit compensée avec ces commodités, & par conséquent moindre que celle qui se leve sur le plat pays, ou dans les villes où il n'y a point de troupes legeres.

La contribution en argent doit s'étendre le plus loin qu'il est possible.

On l'établit de deux manieres : volontairement sur le pays à portée des places & des lieux destinés pour les quartiers d'hiver ; par force, soit par l'armée même lorsqu'elle est avancée, soit par les gros partis qui en sont détachés pour pénétrer dans le pays qu'on veut soumettre à la contribution.

Elle s'établit même derriere les places ennemies & les rivieres par la terreur, soit par des incendiaires déguisés qui sement des billets, soit par les différentes manieres dont on peut faire passer des rivieres à de petits partis, qui doivent s'attacher ou à enlever quelques personnes considérables du pays, ou à brûler une grosse habitation.

En général il doit être tenu des états de toutes les sortes de contributions qui se levent ; & le prince doit avoir une attention bien grande sur les personnes qu'il en charge, parce qu'il n'est que trop ordinaire qu'elles en abusent pour leur profit particulier. Mémoires de M. le marquis de Feuquiere. (Q)


CONTRITIONS. f. (Théol.) vient du verbe conterere, qui signifie broyer, briser. C'est une métaphore empruntée des corps, pour marquer l'état d'une ame que son repentir déchire & pénetre de la plus vive douleur : ce que les coups redoublés d'un marteau font sur le fer pour l'amollir, la douleur le fait, pour ainsi dire, sur l'ame pour la convertir.

Ce terme est affecté à la religion, pour exprimer le sentiment de l'ame qui revient de ses égaremens, & qui passe de l'état du péché à celui de la grace ; & il est consacré par le langage des Ecritures : Scindite corda vestra, Joël, xj. vers. 13. Cor contritum & humiliatum Deus non despicies. Ps. 50.

Le concile de Trente, sess. 14. ch. jv. définit ainsi la contrition en général : Contritio est animi dolor ac detestatio de peccato commisso, cum proposito non peccandi de caetero ; définition qui convient à la contrition, telle qu'elle a été nécessaire dans tous les tems pour obtenir la remission des péchés. Mais sous la loi évangélique elle exige de plus le voeu de remplir tout ce qui est nécessaire pour recevoir dignement le sacrement de pénitence. C'est ce que les anciens scholastiques ont exprimé par cette définition rapportée dans S. Thomas, part. III. quest. j. art. 1. in corpor. Contritio est dolor de peccato assumptus, cum proposito confitendi & satisfaciendi.

Luther s'est étrangement écarté de ces notions, quand il a réduit la pénitence à cette maxime, optima poenitentia nova vita. Il prenoit la partie pour le tout ; & selon lui, nulle contrition pour le passé, nulle nécessité de s'accuser de sa faute. Il étoit aisé de lui opposer une foule d'autorités, & entr'autres ces paroles de S. Augustin à Sévere, Ep. 63. Quasi non dolenda sint quae male gesta sunt, etiamsi quantum possunt, postea corrigantur. Et celles-ci du même pere, serm. 351. Non sufficit mores in melius mutare & à factis malis recedere, nisi etiam de his quae facta sunt, satisfiat per poenitentiae dolorem, per humilitatis gemitum, per contriti cordis sacrificium. Le concile de Trente, sess. 14. canon v. a condamné expressément cette erreur de Luther.

Les conditions ou propriétés de la contrition en général sont qu'elle soit libre, surnaturelle, vraie & sincere, vive & véhémente.

Elle doit être libre ; c'est un acte de la volonté, & non un sentiment extorqué par les remords de la conscience, comme l'a enseigné Luther, qui a prétendu que la crainte des peines éternelles & la contrition, loin de disposer l'homme à la grace, ne servoient qu'à le rendre hypocrite & pécheur de plus en plus : doctrine affreuse reprouvée par le concile de Trente, sess. 14. canon v.

Elle doit être surnaturelle, tant à raison de la grace, sans le secours de laquelle on ne peut avoir de véritable contrition de ses péchés, qu'à raison du motif qui l'excite. Quelques casuistes relâchés ayant avancé que l'attrition conçue par un motif naturel, pourvû qu'il soit honnête, suffit dans le sacrement de pénitence, l'assemblée générale du clergé de France en 1700 censura cette proposition, comme hérétique.

La contrition doit être vraie & sincere : une contrition fausse, mais qu'on croiroit vraie, ne seroit nullement suffisante, ni pour recevoir la grace du sacrement, ni pour recevoir le sacrement même.

Enfin elle doit être vive & véhémente, soit quant à l'appréciation, c'est-à-dire, quant à la disposition du coeur, de préférer Dieu à tout, & d'aimer mieux mourir que de l'offenser ; soit quant à l'intention ou à la vivacité du sentiment qui porte l'ame vers Dieu, & qui l'éloigne du péché ; soit quant à l'extension ou à l'universalité : car la contrition, pour être bonne, doit s'étendre à tous les péchés qu'on a commis, sans en excepter aucun.

La contrition est nécessaire pour le péché ; elle est de précepte. Mais quand ce précepte oblige-t-il ? C'est un point sur lequel l'Eglise n'a rien décidé. Le sentiment le plus sûr dans la pratique, est qu'il faut détester le péché dès qu'on l'a commis, & s'en purifier le plûtôt qu'il est possible par le sacrement de pénitence.

Voilà ce que la plus saine partie des Théologiens enseigne sur la contrition en général ; & il n'y a guere de partage d'opinions à cet égard, si ce n'est de la part des auteurs relâchés, dont les opinions ne font pas la loi.

Tous les Théologiens distinguent encore deux sortes de contrition ; l'une qu'ils appellent parfaite, & qui retient le nom de contrition ; l'autre imparfaite, & qu'ils nomment attrition.

La contrition parfaite est celle qui est conçue par le motif de l'amour de Dieu ou de la charité proprement dite ; & elle suffit pour reconcilier le pécheur avec Dieu, même avant la réception actuelle du sacrement de pénitence, mais toûjours avec le voeu ou le desir de recevoir ce sacrement ; voeu ou desir que renferme la contrition parfaite. Ce sont les termes du concile de Trente, sess. 14. ch. jv.

Selon le même concile, l'attrition ou la contrition imparfaite est une douleur & une détestation du péché, conçûe par la considération de la laideur du péché, ou par la crainte des peines de l'enfer ; & le concile déclare que, si elle exclut la volonté de pécher, & si elle renferme l'espérance du pardon, non-seulement elle ne rend point l'homme hypocrite & plus pécheur qu'il n'étoit (comme l'avoit avancé Luther), mais qu'elle est même un don de Dieu & un mouvement du S. Esprit, qui n'habite pas encore à la vérité dans le pénitent, mais qui l'excite à se convertir. Le concile ajoûte que, quoique l'attrition par elle-même, & sans le sacrement de pénitence, ne puisse justifier le pécheur, elle le dispose cependant à obtenir la grace de Dieu dans le sacrement de pénitence. Id. ibid. Voyez ATTRITION.

Il est bon d'observer ici d'après Estius & le P. Morin, que le terme d'attrition a été inconnu à la premiere antiquité, qu'il doit sa naissance aux scholastiques, & qu'on ne le trouve dans aucun écrit en matiere de doctrine avant Alexandre de Halès, Guillaume de Paris, & Albert le grand ; c'est-à-dire qu'il a commencé à être usité après l'an 1220, un peu plus d'un siecle après l'origine de la théologie scholastique.

C'est sur-tout depuis le concile de Trente qu'on a vivement disputé sur les limites qui séparent la contrition d'avec l'attrition : c'est ici que commencent les divisions théologiques. Les uns prétendent que le passage de l'attrition à la contrition se fait par des nuances imperceptibles, à peu-près comme dans la peinture on passe d'une couleur à l'autre ; que la contrition ne differe de l'attrition que par la vivacité de la douleur, qui, pour mériter ce nom, doit être portée jusqu'à un certain degré connu de Dieu seul ; de sorte que ces deux sentimens d'un coeur repentant ne different entr'eux, que par le plus ou moins de douleur qui les accompagne. Les autres ne mesurent point leur différence par les degrés de douleur qui rendent ces deux sentimens plus ou moins vifs, mais par le motif qui s'unit à la douleur : si la crainte des peines de l'enfer, ou cette honte qui suit le péché, animent la douleur, dès-lors elle n'est qu'une simple attrition, quel que soit l'excès du sentiment qui pénétre l'ame. Mais ce motif est-il l'amour de Dieu ? dès-lors la douleur que cet amour échauffe devient contrition.

Ceux qui se déclarent pour le premier sentiment, reconnoissent que l'attrition est mêlée de quelqu'amour de Dieu ; & c'est en l'envisageant sous cet aspect, qu'ils soutiennent qu'elle suffit avec le sacrement pour nous reconcilier avec Dieu. Mais ils ne pensent pas tous de la même maniere sur l'amour, Leur division a sa source dans le passage du concile de Trente, où il est dit que la contrition parfaite justifie toûjours le pécheur, même avant qu'il reçoive le sacrement, quoique cette reconciliation soit attachée au voeu de le recevoir. Voici le passage en original : Circa contritionem perfectam duo docet sacro-sancta synodus : primum contingere aliquando eam charitate perfectam esse, hominemque Deo reconciliare, priusquam sacramentum poenitentiae actu suscipiatur : alterum, reconciliationem hanc ipsi contritioni, sine sacramenti voto, quod in illâ includitur, non esse adscribendam.

Il est vrai que quelques théologiens rigoristes ont chicané sur cet adverbe aliquando qu'on lit dans le texte du concile, & qu'ils en ont inféré que la justification n'étoit point attachée à la contrition parfaite, mais qu'elle ne l'accompagnoit que dans quelques circonstances, telle que seroit celle où un homme prêt à expirer, sans pouvoir se procurer le sacrement, trouveroit alors sa justification dans le seul sentiment d'un coeur contrit & humilié. Mais il est clair que ces théologiens n'ont nullement saisi le sens du concile, puisqu'il est évident par le texte même, que l'adverbe aliquando, dont ils se prévalent ici pour autoriser leur sentiment, tombe sur la contrition, qui rarement est parfaite dans ceux qui s'approchent du sacrement, & nullement sur la justification, qu'elle produit toûjours indépendamment même du sacrement.

Ce passage a produit parmi ceux qui tiennent pour l'amour dans le sacrement de pénitence, deux sentimens opposés sur le motif qui constitue la contrition parfaite & la contrition imparfaite. Les uns font dépendre la perfection de la contrition des degrés de l'amour, & les autres de l'amour même dans quelque degré qu'il soit, plus ou moins parfait, suivant le motif qui l'anime. Les premiers ne reconnoissent qu'une sorte d'amour, qu'ils appellent charité, & ils prétendent qu'il ne justifie le pécheur avant le sacrement, que lorsqu'il est parvenu à un certain degré d'ardeur, que Dieu a marqué pour la justification, & sur lequel il ne lui a pas plû de nous instruire, pour nous tenir continuellement dans la crainte & dans le tremblement. Les autres, outre cet amour de charité, en admettent un autre qu'ils lui subordonnent, & qu'ils nomment amour d'espérance ou amour de concupiscence. Le premier, disent-ils, nous fait aimer Dieu pour lui-même ; le second nous le fait aimer pour notre propre bonheur, que nous ne trouvons, il est vrai, que dans la jouissance de cet Etre suprème : le premier, selon ces théologiens, tire de la noblesse de son motif la perfection qu'il communique à la contrition, & qui la rend justifiante, sans le secours du sacrement : le second au contraire anime l'attrition, & opére avec le sacrement.

On a accusé M. Tournely & M. Languet archevêque de Sens, d'avoir imaginé cette distinction des deux amours. Mais on en trouve des traces assez fortes dans S. Thomas, dont voici les paroles. Secunda secundae quest. 17. Spes & omnis appetitivus motus ex amore derivatur.... amor autem quidam est perfectus ; quidam imperfectus. Perfectus quidem amor est quo aliquis secundum se amatur.... imperfectus amor est quo quis aliquid amat non secundùm ipsum, sed ut illud bonum sibi proveniat, sicut homo amat rem quam concupiscit. Primus autem amor pertinet ad charitatem quae inhaeret Deo secundum se ipsum. Sed spes pertinet ad secundum amorem, quia ille qui sperat sibi aliquid obtinere intendit. Et ideo in viâ generationis spes est prior charitate.... Spes introducit ad charitatem, in quantum aliquis sperans remunerari à Deo, accenditur ad amandum Deum, & servandum preceptum ejus.

Ce système n'est donc pas d'imagination ; il est fondé. Mais voici probablement l'avantage qu'en ont voulu tirer le professeur de Sorbonne & l'archevêque de Sens, pour la consolation des ames timorées. Ils marchoient entre deux écueils : d'un côté le concile de Trente a reconnu que la contrition est parfaite, quand elle est animée par la charité proprement dite ; d'un autre il exige aussi-bien que le clergé de France assemblé en 1700, que ceux qui se disposent à recevoir les sacremens, & sur-tout celui de pénitence, commencent à aimer Dieu comme source de toute justice. Il faut donc pour l'attrition un amour distingué de la charité proprement dite, qui est le motif spécifique de la contrition parfaite. Or l'amour d'espérance est un véritable amour distingué de la charité proprement dite : donc il peut constituer l'attrition ; & cela d'autant mieux qu'en s'éloignant par-là du rigorisme qui exige la contrition parfaite, ils s'écartoient également du relâchement qui ne demande nul amour. Car les casuistes relâchés ayant avancé cette proposition : Attritio ex gehennae metu sufficit etiam sine ullâ Dei dilectione, l'assemblée du clergé de 1700 déclare : Neque vero satis adimpleri potest utrique sacramento necessarium vitae novae inchoandae ac servandi mandat a divina propositum, si poenitens primi ac maximi mandati, quo Deus toto corde diligitur, nullam cur am gerat. Le clergé exige donc aussi quelque amour : mais est-ce un amour de charité proprement dite, est-ce un amour d'espérance ? C'est ce que ni le concile ni le clergé de France ne décident ; & il me semble que dans une pareille indécision des théologiens qui proposent un sentiment probable & éloigné des excès, sont beaucoup moins suspects que ceux qui, par prévention pour la doctrine outrée ou relâchée, demandent pour la reception du sacrement des dispositions angéliques, ou se contentent d'en admettre de purement humaines.

Passons maintenant au sentiment qui donne l'exclusion à l'amour dans l'attrition même qu'on prétend suffisante dans le sacrement de pénitence. Suarez, Canitolus, & Sanchez, ont reconnu que cette opinion n'étoit ni fort ancienne, ni fort commune ; mais elle a acquis depuis de nombreux partisans, entr'autres Filiutius, Azor, Tambourin, les PP. Pinthereau & Antoine Sirmond. Nous n'entrerons point à cet égard dans le détail des preuves & des raisons qu'ils ont employées, on peut les voir dans les Provinciales & dans les notes de Wendrock, ou mieux encore dans les écrits de ces casuistes. Nous ne rapporterons qu'un argument des attritionnaires, que nous réfuterons par un raisonnement fort simple.

Si pour obtenir le pardon de nos fautes, disent-ils, il nous est commandé d'aimer Dieu ; quel avantage nous autres Chrétiens, qui sommes les enfans, avons-nous sur les Juifs qui étoient les esclaves ? A quoi sert le sacrement de pénitence, s'il ne supplée pas au défaut de l'amour, & s'il ne nous décharge pas de l'obligation pénible d'aimer Dieu actuellement ?

Il est difficile de concevoir comment la dispense d'aimer Dieu seroit le privilége de la loi évangélique sur la loi judaïque, & comment cette dispense auroit été achetée de tout le sang de Jesus-Christ. On veut que le Juif qui vivoit sous une loi plus caractérisée par la crainte que par l'amour, fût obligé d'aimer son Dieu ; & l'on dispensera de cette obligation le Chrétien qui vit sous une loi plus caractérisée par l'amour que par la crainte. Haec est, dit Saint Augustin (lib. contra adimant. Manich. cap. xvij.), haec est brevissima & apertissima differentia duorum testamentorum, timor & amor : illud ad veterem, hoc ad novum hominem pertinet. Ce que le même pere explique ainsi dans son ouvrage, de morib. Ecclesiae, c. xxviij. n°. 56. Quanquam utrumque (timor & amor) sit in utroque (Testamento), praevalet tamen in vetere timor, amor in novo. Or, selon les attritionnaires, ce n'est plus le Juif qui est esclave, mais le Chrétien ; puisque l'amour est fait pour le Juif, & la crainte pour le Chrétien. On nous a donc trompés, quand on nous a dit tant de fois que la crainte étoit l'apanage de la loi judaïque, comme l'amour est l'ame de la loi évangélique. Dans la théologie des attritionnaires, c'est tout le contraire. N'est-il donc pas plus conforme à la doctrine des peres & à la raison, de penser que le même sentiment qui justifie le Chrétien avec le sacrement, justifioit le Juif sans sacrement ? que tout l'avantage que le premier a sur le second, c'est que les graces qui forment ce sentiment, coulent plus abondamment pour l'un que pour l'autre ; & que la rémission qui s'obtient par le ministere des clés est plus pleine & plus parfaite, que celle que méritoit l'amour du Juif destitué de la vertu & de l'efficace du sacrement. Quoi qu'en disent quelques scholastiques, ils ne persuaderont jamais que Dieu ait exigé du Juif, pour se réconcilier avec lui, des dispositions plus parfaites qu'il n'en exige du Chrétien ; tandis que d'une main libérale il verse sur le dernier des graces qu'il ne dispensoit au premier qu'avec une espece de reserve. Ne donnons point cet avantage aux Juifs, qu'ils ayent l'amour pour partage, tandis que nous nous bornerons à être les esclaves de la crainte, qui, quelque bonne & chaste qu'on la suppose, est toûjours inférieure à l'amour. Avec plus de graces qu'eux, il nous conviendroit mal de ne pas autant aimer Dieu, pour obtenir le pardon de nos fautes. Cette facilité de l'obtenir, que les attritionnaires regardent comme une suite de la loi évangélique à laquelle nous appartenons, ne consiste pas précisément en ce que Dieu demande moins de nous que du Juif ; mais plûtôt en ce qu'il nous accorde beaucoup plus de graces qu'aux circoncis. Penser autrement, ce seroit rabaisser le Christianisme au-dessous du Judaïsme même ; puisqu'une religion est d'autant plus parfaite, qu'elle ramene davantage à l'amour qui en fait toute la perfection : Non colitur Deus nisi amando, dit quelque part S. Augustin. Ce seroit même outrager la justice de Dieu, puisqu'on supposeroit qu'il exige plus de celui à qui il accorde moins. Donc s'il étoit ordonné au Juif d'aimer Dieu s'il vouloit se reconcilier avec lui, il l'est peut être encore plus au Chrétien qui se trouve favorisé d'un plus grand nombre de graces.

Mais si suivant les principes des attritionnaires le précepte de l'amour de Dieu n'oblige pas dans le moment même où le pécheur pénitent sollicite la clémence & la miséricorde divine ; dans quelle circonstance donc, dans quel tems, selon eux, ce précepte oblige-t-il ?

Il est bon de les entendre eux-mêmes sur cette matiere. " Quand est-on obligé d'avoir affection actuellement pour Dieu, dit un d'entr'eux ? Suarez dit que c'en est assez si on l'aime avant l'article de la mort, sans déterminer aucun tems ; Vasquez, qu'il suffit encore à l'article de la mort ; d'autres, quand on reçoit le baptême ; d'autres, quand on est obligé d'être contrit ; d'autres, les jours de fête : mais notre pere Castro Palao combat toutes ces opinions-là, & avec raison. Hurtado de Mendoza prétend qu'on y est obligé tous les ans, & qu'on nous traite bien favorablement encore de ne nous y obliger pas plus souvent. Mais notre pere Coninck croit qu'on y est obligé en trois ou quatre ans ; & Filiutius dit qu'il est probable qu'on y est pas obligé à la rigueur tous les cinq ans. Et quand donc ? Il le remet au jugement des sages ". Ce sont les termes d'Escobar.

Un de ses confreres, le P. Antoine Sirmond, balance ainsi les divers sentimens des casuistes sur le précepte de l'amour de Dieu. " Saint Thomas dit qu'on est obligé d'aimer Dieu aussitôt après l'usage de raison : c'est un peu bientôt. Scotus chaque dimanche : sur quoi fondé ? D'autres quand on est griévement tenté : oüi, en cas qu'il n'y eût que cette voie de fuir la tentation. Sotus, quand on reçoit un bienfait de Dieu : bon, pour l'en remercier. D'autres à la mort : c'est bien tard. Je ne crois pas non plus que ce soit à la réception de quelque sacrement ; l'attrition y suffit avec la confession, si on en a la commodité. Suarez dit qu'on y est obligé en un tems : mais en quel tems ? Il vous en fait juge, & il n'en sait rien. Or ce que ce docteur n'a pas sû, je ne sai qui le sait.

Tels sont les excès où conduit le probabilisme ; & quand il n'auroit que ce seul défaut, d'avoir introduit dans la Théologie une opinion aussi monstrueuse que l'est celle qui, dépouillant l'attrition de l'amour, la rend suffisante pour le sacrement de pénitence, c'en seroit assez pour l'exterminer de toutes les écoles.

Au reste ce seroit une injustice criante que de penser ou de dire que les sentimens de ces particuliers soient la théologie unanime de la société dont ils étoient membres. Les plus célebres théologiens de ce corps, Laynez, Claude le Jai, Salmeron, qui assisterent au concile de Trente, Canisius, Edmond Auger, Maldonat, le cardinal Tolet, le P. Peteau, &c. ont tous reconnu la nécessité de quelque amour, au moins commencé, joint à l'attrition, pour la rendre suffisante dans le sacrement de pénitence ; & ni Cheminais ni Bourdaloue, ne favorisent la morale relâchée. Voyez PROBABILISME.

On doit à la vérité ce témoignage aux Jansénistes, d'avoir assez bien vengé les droits de l'amour divin contre les principes relâchés de ces casuistes attritionnaires. Mais ces Jansénistes si fiers contre les Jésuites, quand il s'agit de l'amour de Dieu, n'ont-ils rien eux-mêmes à se reprocher sur cet article ? C'est ce qu'il faut examiner en peu de mots.

C'est un principe reçu dans la théologie des Jansénistes, qu'il n'y a que deux principes de nos actions, savoir l'amour de charité qui rapporte tout à Dieu, & l'amour de cupidité qui rapporte tout à nous-mêmes. De ce principe je conclus avec les Jansénistes, que toute action qui ne procede pas de la charité a nécessairement sa source dans la cupidité, qui l'infecte & la rend vicieuse. Un autre principe non moins intime, ni moins essentiel au système des Jansénistes ; c'est que toute grace, quelque forme qu'elle prenne dans un coeur, est elle-même l'amour de charité, & qu'elle en teint, s'il est permis de parler ainsi, toutes les actions qu'elle nous fait produire. Or cette grace, de l'aveu des Jansénistes, ne produit jamais en nous un amour de Dieu dominant sur celui des créatures, toutes les fois qu'elle se trouve aux prises avec une cupidité qui lui est supérieure en degrés. Voyez DELECTATION RELATIVE. D'un autre côté, elle produit toûjours en nous un commencement d'amour de charité, quoiqu'inférieur en degrés à la cupidité ; parce que la grace, dans leurs principes, agit toûjours selon toute l'énergie de ses forces présentes. Voyez DELECTATION.

Cela posé, voici le raisonnement qu'on peut former contre les Jansénistes. Lorsque la grace qui nous porte à l'amour de charité (c'est même la nature de toutes les graces, dans le système des Jansénistes, puisqu'ils disent que dans la loi d'amour, elles ne coulent que pour enflammer tous les coeurs) ; lors donc que cette grace tombe malheureusement sur une cupidité qui lui est supérieure en degrés, l'amour qu'elle produit dans un coeur est bien un véritable amour de charité, un amour surnaturel ; mais cet amour qu'elle allume est inférieur à l'amour des créatures, ouvrage de la cupidité, dans le même rapport & dans la même proportion que la grace l'est à la cupidité : donc il peut y avoir un amour de charité, un amour surnaturel, qui pourtant ne domine pas dans le coeur sur celui des créatures. Or, demandera-t-on aux Jansénistes, le S. Esprit qui est l'auteur de tout ordre, peut-il nous inspirer un amour qui dans notre ame balanceroit Dieu avec la créature ? Est-ce donc aimer Dieu d'un amour surnaturel, d'un amour que le S. Esprit allume lui-même, que d'aimer quelque chose plus que Dieu ? Un amour qui ne peut qu'être injurieux à Dieu, peut-il donc être son ouvrage ? J'aimerois autant qu'on me soûtînt qu'on peut avoir une foi surnaturelle, qui ne s'étende pas à tous les articles révélés, que de me dire qu'on peut avoir un amour surnaturel, qui ne place pas Dieu dans notre coeur au-dessus de toutes les créatures. C'est le sentiment de tous les théologiens orthodoxes, que tout véritable amour de Dieu est un amour de préférence ; ce que l'école exprime en ces termes, omnis verus Dei amor est appretiativè summus ? c'est-à-dire que le plus leger souffle de l'amour que le S. Esprit nous inspire, nous fait aimer Dieu plus que toutes les créatures. Tout autre amour est indigne de Dieu, & ne peut être l'ouvrage de la grace.

Si vous demandez maintenant à un homme éclairé, & qui n'est ni entraîné par l'intérêt d'un corps, ni fasciné par l'esprit de parti, ce qu'il pense sur l'étendue du grand précepte de l'amour ; il vous répondra qu'il en pense ce que vous en pensez vous-même, pourvû que vous aimiez Dieu. Donnez-moi un coeur qui aime, vous dira-t-il, un coeur où domine l'amour de Dieu ; ce coeur ne pourra contenir au-dedans de lui-même l'amour qui le dévorera. Cet amour se diversifiera en une infinité de manieres ; il prendra la forme des actions les plus indifférentes ; il se peindra dans mille objets qui échappent à ceux qui n'aiment pas ; il s'échauffera par les obstacles qui l'empêchent de se réunir avec le Dieu qui en allume les flammes. Mais, ajouterez-vous, en quel tems le coeur aimera-t-il ? On vous répondra avec la même impartialité : est-ce donc là un langage qu'on doive tenir à un coeur plein de son amour ? Etudions ses devoirs, non dans les livres des casuistes qui n'auroient jamais dû assujettir au calcul les actes d'amour envers Dieu, mais bien plûtôt dans ceux que rend à son époux une femme vertueuse & fidele, qui brûle pour lui d'un feu chaste & légitime ; cet amour que la nature & le devoir allument dans deux coeurs est une image, quoiqu'imparfaite, de celui que le S. Esprit verse dans ceux qu'il se plaît à enrichir de ses graces.

Mais enfin, ajouterez-vous, quel est donc le sentiment le plus sûr & le plus suivi sur la contrition & sur l'attrition ? Celui du clergé de France exprimé en ces termes : Haec duo imprimis ex sacrosanctâ synodo tridentinâ monenda & docenda esse duximus : primum ne quis putet in utroque sacramento (baptismi & poenitentiae) requiri ut praeviam contritionem eam, quae sit charitate perfecta, & quae cum voto sacramenti, antequam actio suscipiatur, hominem Deo reconciliet : alterum, ne quis putet in utroque sacramento securum se esse, si praeter fidei ac spei actus, non incipiat diligere Deum, tamquam omnis justitiae fontem ; d'où il s'ensuit que la contrition parfaite n'est pas une disposition nécessaire pour la reception du sacrement de pénitence, & que l'attrition est suffisante pourvû qu'elle soit accompagnée d'un commencement d'amour.

Cet amour commencé est-il un amour de charité ou un amour d'espérance ? Le concile & l'assemblée de 1700, en se servant des termes incipiat diligere Deum, n'ont pas déterminé si c'est amour de charité ou d'amitié, si c'est amour de concupiscence ou d'espérance. Leur silence doit être la regle du nôtre. Pourrions-nous, sans la présomption la plus criminelle, nous flatter d'expliquer ce que l'église universelle & une portion distinguée de cette même Eglise n'ont pas jugé à propos de déclarer ? Nous n'ignorons pas que plusieurs théologiens ont prétendu expliquer ces oracles : mais comme le sentiment pour lequel ils ont pris parti d'avance est toûjours celui auquel ils sont bien résolus d'adapter & de rapporter le sens des termes du concile & de l'assemblée du clergé, nous laissons au lecteur intelligent le soin de peser leurs explications pour décider si elles sont aussi justes qu'ils se l'imaginent. Voyez Tournely, traité de la pénit. tom. I. quest. jv. & v. & Witasse, traité de la pénit. quest. iij. sect. 1. 2. 3. art. 1. 2. 3. &c. (G)


CONTROLES. m. (Jurisprud.) est un registre double que l'on tient de certains actes de justice, de finances, & autres, tant pour en assurer l'existence que pour empêcher les antidates. Ce terme contrôle a été formé des deux mots contre, rôle.

Les registres de contrôle en général ne sont point publics, c'est-à-dire qu'on ne les communique pas indifféremment à toutes sortes de personnes, mais seulement aux parties dénommées dans les actes & à leurs héritiers, successeurs ou ayans cause ; à la différence des registres des insinuations, qui sont destinés à rendre public tout ce qui y est contenu, & que par cette raison on communique à tous ceux qui le requierent. Voyez l'arrêt du conseil du 6 Février 1725.

Il y a plusieurs sortes de contrôles qui ont rapport à l'administration de la justice ; tels que le contrôle des actes des notaires, celui des exploits, celui des dépens, & autres que l'on va expliquer dans les subdivisions suivantes, & au mot CONTROLEUR.

CONTROLE DES ACTES ECCLESIASTIQUES, voyez ci-après CONTROLE DES BENEFICES.

CONTROLE DES ACTES DEVANT NOTAIRES, voy. ci-après CONTROLE DES NOTAIRES.

CONTROLE DES ACTES SOUS SEING PRIVE, voy. dans les subdivisions suivantes à l's.

CONTROLE DES ACTES DE VOYAGE, voy. ci-après CONTROLE DES GREFFES.

CONTROLE DES AMENDES, est le double registre que l'on tient de la recette des amendes qui se perçoivent pour différentes causes dans les tribunaux.

CONTROLE DES ARRETS AU PARLEMENT, est un droit qui se perçoit pour l'expédition de chaque arrêt, à proportion du nombre de rôles qu'elle contient ; le greffier en peau qui a fait l'expédition, la porte au contrôleur, lequel en fait mention sur un registre destiné à cet usage, & perçoit le droit de contrôle.

CONTROLE DES AIDES, est le double registre que l'on tient de la recette des aides.

CONTROLE DES BANS DE MARIAGE, étoit un double registre que l'on tenoit ci-devant de la publication des bans de mariage ; il fut établi par édit du mois de Septembre 1697, suivant lequel on devoit enregistrer tous les bans de mariage, soit qu'ils fussent en effet publiés ou obtenus par dispense, de maniere que les parties ne pouvoient se marier qu'après l'enregistrement & contrôle des bans, & il étoit défendu à tous curés, vicaires, & autres de célébrer aucun mariage qu'il ne leur fût apparu de ce contrôle. Il fut à cet effet créé par le même édit des offices héréditaires de contrôleurs des bans de mariage dans toutes les principales villes & bourgs du royaume. Ces offices de contrôleurs de bans de mariage furent supprimés par édit du mois de Mars 1702, portant que le droit de contrôle seroit dorénavant perçû au profit du Roi. Ce droit a depuis été supprimé.

CONTROLE DES BAPTEMES, étoit un double registre des actes de baptêmes, qui étoit tenu par des contrôleurs établis à cet effet par édit du mois d'Octobre 1706, dont l'exécution fut ordonnée par autre édit du Mois de Fevrier 1707 ; ce qui a été depuis supprimé. Présentement les curés sont obligés de tenir deux registres des baptêmes, mariages & sépultures ; mais ce n'est pas un contrôleur qui tient le double registre, ce sont les curés eux-mêmes. Voyez BAPTEMES, REGISTRES, MARIAGES, SEPULTURES.

CONTROLE DES BENEFICES ou ACTES ECCLESIASTIQUES, fut établi par édit du mois de Novembre 1637, pour prévenir les fraudes qui se commettoient dans les procurations ad resignandum, & autres actes concernant les bénéfices. Cet édit ordonne de faire contrôler ces actes ; savoir les procurations pour résigner avant de les envoyer à Rome, & les présentations, collations, & autres actes concernant les bénéfices, l'impétration, & possession d'iceux, & les capacités réquises pour les posséder, dans un mois au plûtard après la date de ces actes.

Cet édit a été enregistré au grand-conseil, & y est observé ; n'ayant point été adressé au parlement dans le tems, il n'y fut point enregistré, & n'y est point observé. Le Roi donna une déclaration au mois d'Octobre 1646, contenant plusieurs modifications sur l'édit de 1637, par laquelle entr'autres choses, il supprima tous les contrôleurs qui avoient été établis pour les bénéfices, & ordonna que les actes seroient insinués ès greffes des diocèses. Cette déclaration fut enregistrée au parlement avec plusieurs modifications, notamment que l'insinuation sera faite au greffe des insinuations, & non pas des diocèses.

CONTROLE DES BILLETS, voyez ci-après CONTROLE DES ACTES SOUS SIGNATURE PRIVEE.

CONTROLE DES BOIS DU ROI, voyez CONTROLE DES DOMAINES ET BOIS.

CONTROLE DES CHANCELLERIES, est le double registre que l'on tient des lettres qui s'expédient, tant en la grande chancellerie de France, que dans les autres chancelleries près les cours & présidiaux. Voy. la déclaration du 24 Avril 1664, pour le contrôle de ces lettres. Hist. de la chancellerie, tome I. p. 563.

CONTROLE DES DEPENS, a été établi par édit du mois de Decembre 1635. Par cet édit & par celui du mois de Mars 1639, il fut créé des contrôleurs des tiers-référendaires dans tous les parlemens, cours & jurisdictions du royaume, à l'effet de faire le contrôle, c'est-à-dire tenir registre de tous les dépens taxés par les tiers-référendaires.

Le motif apparent de cet établissement a été que les contrôleurs des dépens examineroient les taxes des dépens, pour voir si elles sont justes ; mais dans l'exécution ce contrôle se borne à la perception d'un droit pour chaque article de la déclaration de dépens.

Par édit du mois d'Avril 1667, ces offices de contrôleurs & les droits de contrôle furent réunis au domaine du Roi, pour être perçus à son profit par le fermier général de ses domaines.

Au mois de Mars 1694 il y eut un édit qui supprima tous les offices de contrôleurs des tiers-référendaires créés en 1635 & 1639, & créa de nouveaux offices sous le titre de contrôleurs des déclarations de dépens ; savoir, huit pour les conseils du Roi, avec attribution de 18 deniers pour livre, & vingt contrôleurs pour le parlement de Paris, cour des aides & cour des monnoies. Il en fut aussi créé pour tous les autres tribunaux, & on leur attribua à tous le droit de 6 deniers pour livre du montant de tous les dépens, frais, dommages & intérêts ; le tout exigible lorsque les déclarations ont été signifiées.

Mais par plusieurs édits des années 1694, 1695 & 1698, tous ces offices de contrôleurs des dépens ont été réunis aux communautés des procureurs de chaque tribunal. Voy. le recueil des réglemens concernant les procureurs.

CONTROLE DU DOMAINE, ou DES DOMAINES & BOIS, est le double registre que l'on tient de la recette du domaine dans chaque bureau ou généralité.

Il fut créé un office de contrôleur du domaine dans chaque recette, par édit du 24 Janvier 1522, mais qui ne fut registré que le 15 Mai 1533.

Il y a eu depuis diverses créations de contrôleurs généraux, provinciaux & particuliers, anciens & alternatifs des domaines & bois dans chaque généralité, & notamment par édit du mois de Décembre 1689, qui leur a attribué le titre de contrôleurs généraux des domaines & bois.

Ces offices de contrôleurs des domaines ont été unis à ceux de contrôleurs généraux des finances de chaque généralité, par une déclaration du 15 Mai 1692, à l'exception néanmoins de ceux des généralités de Paris, Amiens, Dijon, Montpellier, & des provinces de Bretagne & de Dauphiné.

CONTROLE DES ÉLECTIONS, fut établi par édit du 24 Janvier 1522, dans chaque élection & recette des aides, tailles, octrois équivalens, impositions & fermes. On a depuis attribué aux contrôleurs la qualité d'élû & les mêmes droits.

CONTROLE DES EXPLOITS : ce mot signifie principalement la mention qui est faite d'un exploit sur un registre public destiné à cet effet ; il signifie aussi la mention qui est faite de cet enregistrement ou contrôle sur l'exploit même.

Par un édit du mois de Janv. 1654, suivi d'une déclaration du 18 Août 1655, registrée le 7 Septembre suivant, il fut ordonné qu'il seroit tenu un contrôle des exploits de premiere demande de principal & intérêts, saisies réelles & mobiliaires, significations de transports, &c. mais ces édit & déclaration n'eurent point d'exécution.

L'ordonnance de 1667, tit. des ajournemens, art. 2. avoit ordonné que tous huissiers ou sergens seroient tenus en tous exploits d'ajournement de se faire assister de deux témoins ou records, qui signeroient avec eux l'original & la copie des exploits.

L'édit du mois d'Août 1669, qui a dispensé les huissiers & sergens de se faire assister de deux témoins ou records, a en même tems ordonné que tous exploits, à l'exception de ceux qui concernent les procédures de procureur à procureur, seront enregistrés, c'est-à-dire contrôlés, dans trois jours après leur date, à peine de nullité, & de l'amende portée par cet édit ; avec défenses aux juges de rendre aucun jugement sur des exploits non contrôlés, soit pour interruption de prescription, adjudication d'intérêts ou autrement.

Par un arrêt du conseil du 30 Mars 1670, donné en interprétation de cet édit, le Roi a déclaré que les exploits sujets au contrôle, sont les ajournemens & assignations devant tels juges & pour telle cause que ce soit, faits par huissiers, sergens, archers, & autres ayant droit d'exploiter en toutes matieres criminelle, civile & bénéficiale, à personne ou domicile des parties, ou autres domiciles élus ou indiqués en premiere instance ou d'appel, interventions, anticipations, désertions, intimations de juges, renvois, réglemens de juges, ou évocations ; exploit d'ajournement pour oüir & confronter témoins, nomination de tuteurs & avis de parens ; les assignations sur défaut de juges-consuls, significations de tous arrêts, sentences, jugemens & ordonnances contradictoires, définitifs ou provisoires, rendus par forclusion ou par défaut faute d'avoir constitué procureur ; les exploits de sommation, déclarations, empêchemens, protestations ; protêts de lettres & billets de change, ou offres, desistement, renonciations, significations de transport & autres actes ; dénonciations, commandemens itératifs, emprisonnement, recommandations, exécutions, gageries, saisies-arrêts, oppositions pour quelque cause que ce soit ; main-levée & consentemens, exploit de retrait lignager ou féodal ; de séquestres, saisies féodales, réelles, significations d'icelles, criées & appositions d'affiches, sans néanmoins dispenser les exploits de saisies féodales, réelles, criées & appositions d'affiches, des autres formalités de témoins & records, prescrites par les coutûmes & anciennes ordonnances ; les exploits faits à la requête des procureurs du Roi, & pour le recouvrement des tailles, impôt du sel, don gratuit & autres impositions, pour les fermes des gabelles, aides, entrées, cinq grosses fermes, & tous autres deniers & revenus de Sa Majesté sans exception.

Les actes que les notaires signifient aux parties, tels que les actes de protestation, saisies, offres, oppositions & requisitions, sommations & autres actes, ont été déclarés sujets au contrôle par un arrêt du conseil du 14 Avril 1670.

Le contrôle doit être fait dans les trois jours après la date de l'exploit, quand même il se trouveroit dans ces trois jours un dimanche ou fête, suivant un autre arrêt du conseil du 12 Décembre 1676 ; ce qui a été confirmé par une déclaration du 23 Février 1677.

Cette déclaration excepte seulement les procès-verbaux & exploits qui sont faits à la requête des receveurs ou commis au recouvrement des tailles, fermiers-généraux ou sous-fermiers des gabelles, aides, cinq grosses fermes, & autres deniers & revenus dans les paroisses de la campagne écartées des lieux où les bureaux du contrôle sont établis, lesquels peuvent être contrôlés dans les sept jours qui suivent leur date.

Il est dû autant de droits de contrôle qu'il y a de personnes dénommées dans l'exploit. Cela souffre cependant quelques exceptions ; mais ce détail peu intéressant nous meneroit trop loin : ceux qui en auront besoin, le trouveront dans la déclaration de 1677.

La formalité du contrôle des exploits n'a pas été établie dans tout le royaume en même tems.

Il ne fut établi en Dauphiné que par l'édit de Février 1691.

Au mois de Février 1696, il fut établi dans les provinces de Flandres, Artois, Hainault, Alsace, duché de Luxembourg, comté de Chiny, gouvernement de la Saarre, & pays de Roussillon.

Par édit du mois de Juin 1708, il fut créé des contrôleurs d'exploit dans le comté de Bourgogne.

Sur le contrôle des exploits, voyez le recueil des réglemens faits sur cette matiere.

CONTROLE DES FINANCES, il y avoit un contrôleur-général des finances & domaines de Dauphiné dès 1510.

Par édit du mois de Février 1554, on en créa un dans chaque recette générale des finances.

En quelques endroits on y a uni les offices de contrôleurs des domaines & bois. Voyez ci-devant CONTROLE DU DOMAINE. Voy. ci-après. CONTROLEUR GENERAL DES FINANCES.

CONTROLE DES GABELLES, est le double registre de la recette des gabelles.

CONTROLE GENERAL, ce titre a été donné à plusieurs sortes de contrôles, comme le contrôle général des domaines & bois, des finances de chaque généralité, &c. mais quand on dit contrôle général simplement, par exemple, porter une quittance de finance au contrôle général, on entend le contrôle général des finances de tout le royaume. Voy. ci-après CONTROLEUR GENERAL DES FINANCES.

CONTROLE DES GENS DE MAIN-MORTE, est l'enregistrement que toutes les communautés séculieres & régulieres de l'un & de l'autre sexe, bénéficiers & autres gens de main-morte, sont obligés de faire faire tous les dix ans dans le bureau destine pour cet objet, de la déclaration de tous leurs biens & revenus, suivant les édits & réglemens qui l'ont ainsi ordonné.

CONTROLE DES GREFFES, ou plûtôt DES GREFFIERS, est celui qui se tient des expéditions des greffiers. Ce contrôle fut établi par édit du mois de Juin 1627. Outre les contrôleurs établis dans les jurisdictions ordinaires, il fut créé des contrôleurs des greffiers des hôtels de ville, par édit de Janvier 1704. Au mois de Septembre suivant on créa des contrôleurs des actes d'affirmation de voyage. En 1707 on desunit de la fonction de contrôleur des greffes, celle de contrôleur des présentations, & on l'unit aux offices de contrôleurs des actes de voyage.

Par un édit de Décembre 1708, on supprima tous les offices de contrôleurs des actes d'affirmation de voyages, présentations, défauts & congés, créés par les édits de Septembre 1704, & Décembre 1707, & ceux de contrôleurs des greffes, établis par l'édit de Janvier 1707 ; de sorte qu'il n'est resté que ceux qui étoient établis avant cet édit.

CONTROLE DES GRENIERS A SEL, fut établi au mois de Mai 1577. On a depuis créé des contrôleurs alternatifs & triennaux dans chaque grenier à sel : en quelques endroits ces offices ont été réunis en un seul office. Voy. GRENIER A SEL.

CONTROLE DE NORMANDIE. Voy. ci-après CONTROLE DES NOTAIRES.

CONTROLE DES NOTAIRES, ou DES ACTES DEVANT NOTAIRES, est une formalité établie pour assûrer de plus en plus la date & l'authenticité de ces actes. Ce contrôle avoit été établi dans tout le royaume par édit de l'an 1581, qui fut révoqué en 1588, il y eut néanmoins en 1606 une déclaration du Roi, particuliere pour la province de Normandie, qui y rétablit le contrôle, & qui s'y est depuis toûjours observée, tellement que les actes non contrôlés n'y produisent point d'hypotheque. L'article cxxxiv des placités porte qu'il suffit de contrôler les contrats au bureau du lieu où ils sont passés, ou du lieu du domicile de l'obligé ; mais il est dit par l'article suivant, que les contrats passés hors de Normandie, ont hypotheque sur les immeubles situés en Normandie, encore qu'ils ne soient pas contrôlés.

Pour ce qui est du contrôle des actes des notaires dans les autres provinces du royaume, il fut rétabli par un édit de Louis XIV. donné en 1693 ; il est absolument nécessaire pour la validité de l'acte, & non pas seulement pour assûrer l'hypotheque.

Il doit être fait dans la quinzaine de la date de l'acte. Le contrôleur, après avoir enregistré l'acte par extrait, fait mention du contrôle sur la minute.

Le contrôle est différent de l'insinuation laïque, qui a été établie par édit du mois de Décembre 1703. L'un est pour tous les actes des notaires, l'autre est une double formalité qui n'est nécessaire que pour les actes translatifs de propriété ; ainsi un même acte peut être contrôlé & insinué, auquel cas il est porté sur deux registres différens. Les registres des insinuations sont publics, c'est-à-dire qu'on les communique à tout le monde ; au lieu que les registres du contrôle sont secrets, de même que les actes devant notaires, & ne se communiquent qu'aux parties contractantes, leurs héritiers, successeurs ou ayans cause.

Les actes reçus par les notaires au châtelet de Paris, avoient été assujettis à la formalité du contrôle, comme ceux de tous les autres notaires, par une déclaration du 29 Septembre 1722 ; mais par une autre déclaration du 7 Septembre 1723, ils en ont été exemptés, ce qui s'étend à tous les actes qu'ils reçoivent, soit à Paris ou ailleurs.

CONTROLE DES OCTROIS, ou DES DENIERS D'OCTROI & SUBVENTION, fut établi dans chaque province & ville, par édit du mois de Janvier 1707.

CONTROLE DES OUVRAGES D'OR ET D'ARGENT, est une marque ou poinçon qui s'applique sur tous les nouveaux ouvrages d'or & d'argent, avant qu'ils puissent être exposés en vente. La nécessité de cette marque a été établie par l'ordonnance du mois de Juillet 1681. Voyez ci-après CONTROLE DE LA VAISSELLE.

CONTROLE DES ACTES SOUS SIGNATURE PRIVEE, est une formalité établie pour donner une date certaine à ces sortes d'actes du jour du contrôle, & pour assurer l'identité de l'acte qui est représenté.

Il fut introduit par une déclaration du 14 Juillet 1699, suivant laquelle on n'étoit alors tenu de faire contrôler les actes sous seing privé, qu'après qu'ils avoient été reconnus, soit par défaut, soit contradictoirement, auquel cas celui qui en avoit poursuivi la reconnoissance, étoit tenu de le porter chez un notaire, pour être par lui délivré expédition du tout, après avoir fait contrôler l'écrit.

Mais par un édit du mois d'Octobre 1705, il a été ordonné qu'à l'avenir tous actes passés sous seing privé, à l'exception des lettres de change, billets à ordre ou au porteur, faits par les marchands, négocians & gens d'affaires, seront contrôlés avant qu'on en fasse aucune demande en justice, & les droits payés suivant la qualité des actes, & à proportion des sommes y contenues.

En cas de contravention à ce réglement, non-seulement la procédure est nulle, mais il y a une amende de 300 liv. tant contre la partie que contre l'huissier, sergent ou procureur qui auront fait quelque procédure sans avoir préalablement fait contrôler l'écrit.

CONTROLE DES TAILLES, fut établi dès 1522, comme on l'a dit à l'article du contrôle des élections. Il y eut encore d'autres créations de contrôleurs des tailles en 1574, 1587, 1597, 1616 & 1622 ; & autres années. Tous ces contrôleurs des tailles furent supprimés par édit du mois de Décembre 1701, portant création d'un office d'élû-contrôleur des quittances que les receveurs des tailles donnent aux collecteurs. Ces nouveaux offices furent encore supprimés par édit du mois d'Août 1715, mais par une déclaration du mois d'Août 1718, on excepta de cette suppression les deux contrôleurs des tailles de l'élection de Paris, aux conditions portées par cette déclaration.

CONTROLE DES TITRES. Au mois de Juin 1581, il fut créé un office de contrôleur des titres en chaque siége royal, pour enregistrer les contrats excédans 500 écus de principal, ou 30 sols de rente fonciere, les testamens, decrets, ou autres expéditions entre-vifs & de derniere volonté.

Ce contrôle n'a eu son exécution qu'en Normandie, en vertu d'un édit du mois de Juin 1606. Voyez ci-devant CONTROLE DES NOTAIRES.

CONTROLE DES TRAITES, est celui des droits qui se payent pour les marchandises qui entrent dans le royaume, ou qui en sortent. Il y avoit de ces contrôleurs dès 1571, ès ports & havres de Normandie & de Picardie.

CONTROLE DE LA VAISSELLE D'OR ET D'ARGENT, est une marque établie par l'ordonnance du mois de Juillet 1687, & édit du mois d'Août 1696, & lettres patentes du 18 Juin 1697. (A)


CONTROLEURS. m. (Jurispr.) est celui qui contrôle les actes, c'est-à-dire qui les inscrit sur un double registre, & fait mention de cette formalité sur l'original de l'acte.

Il y a diverses sortes de contrôleurs, tels que les Contrôleurs des actes, des amendes, des arrêts, &c. Voyez ci-devant au mot CONTROLE.

CONTROLEURS DES AFFIRMATIONS, sont ceux qui tiennent un double registre des actes d'affirmation de voyage. Ces officiers furent établis par édit du mois de Septembre 1704, suivant lequel ces actes doivent être contrôlés le même jour qu'ils ont été délivrés.

CONTROLEUR AMBULANT, est un préposé des fermiers généraux, qui fait une ronde dans plusieurs bureaux dont il a le département, & dont il contrôle les registres & la recette.

CONTROLEURS DES BAILLIFS ET SENECHAUX ; c'étoient les procureurs & receveurs de chaque bailliage & sénéchaussée qui faisoient cette fonction à l'égard des baillifs & sénéchaux, auxquels ils donnoient un certificat de la résidence qu'ils avoient fait dans leur jurisdiction, & les baillifs n'étoient payés de leurs gages qu'à proportion du tems qu'ils avoient résidé : c'est ce que l'on voit dans les lettres de Charles VI. du 28 Octobre 1394.

CONTROLEUR DES DECRETS VOLONTAIRES. Voyez ci-devant CONSERVATEURS DES DECRETS VOLONTAIRES.

CONTROLEUR DE LA BOITE AUX LOMBARDS, étoit celui qui faisoit le contrôle de la recette des droits que l'on percevoit à Paris sur les Lombards. Voyez les lettres de Charles V. du 10 Juin 1368.

CONTROLEUR DES BONS D'ETATS DU CONSEIL, est un officier préposé pour poursuivre au conseil le recouvrement de tous les debets de ceux qui ont été jugés reliquataires par arrêt du conseil. Cette fonction est ordinairement jointe à celle de contrôleur des restes de la chambre des comptes. Voyez CONTROLEURS DES RESTES, au mot CHAMBRE, à l'article DE LA CHAMBRE DES COMPTES.

CONTROLEUR DES DECIMES. Voy. DECIMES.

CONTROLEUR DES EAUX ET FORETS, furent créés par édit du mois de Mars 1635 : il y en avoit trois dans chaque grande maîtrise ; savoir, un ancien, un alternatif & un triennal ; & trois pareillement dans chaque maîtrise particuliere. Ils étoient établis pour connoître chacun en droit soi des différends qui se traitent devant les grands-maîtres ou devant les maîtres particuliers, concernant les eaux & forêts du Roi, & concurremment avec eux assistoient aux ventes & adjudications des bois de leur département, & en signoient les procès-verbaux avec les grands maîtres & maîtres particuliers. Ils étoient intitulés en toutes sentences, jugemens & adjudications, & généralement en tous les actes qui émanent des grandes-maîtrises & maîtrises particulieres, & jouissoient des mêmes priviléges que les autres officiers des eaux & forêts. Ces offices ont depuis été supprimés.

CONTROLEUR GENERAL DES FINANCES, (Hist. anc. & mod. & Jurisprud.) est celui qui a en France la direction & administration générale de toutes les finances ordinaires & extraordinaires du royaume.

Ce titre de contrôleur général vient de ce qu'il contrôle & enregistre tous les actes qui ont rapport aux finances du Roi.

Il n'étoit anciennement que le second officier des finances ; mais depuis près d'un siecle il en est devenu le chef.

Il est par le droit de sa place conseiller ordinaire au conseil royal des finances ; & en cette qualité il a entrée & séance dans tous les conseils du Roi, excepté au conseil d'état proprement dit, ou des affaires étrangeres, auquel il n'est admis que quand le Roi lui fait l'honneur de l'y appeller nommément, ce qui lui attribue le titre de ministre, de même qu'aux autres membres de ce conseil.

Il prête serment entre les mains de M. le chancelier, & en la chambre des comptes où il est reçû & installé, & y a séance & voix délibérative en toutes affaires au-dessus des maîtres des comptes.

Il siége au conseil avec ses habits ordinaires, à moins qu'il ne soit en même tems revêtu de quelque dignité plus éminente, comme M. de Machault qui est présentement garde des sceaux de France, & en même tems contrôleur général. Dans ce cas il porte l'habit convenable à sa principale dignité.

C'est lui seul qui fait le rapport de toutes les affaires au conseil royal des finances.

Il opine le premier après les commissaires dans les assemblées de la grande & de la petite direction des finances, qui ne peuvent se tenir sans lui ; & lorsqu'on y rapporte quelque affaire qui paroît intéresser les finances du Roi, il peut après l'exposition du fait & des moyens, avant que les opinions soient ouvertes, demander que les pieces lui soient remises : ce que M. le chancelier ordonne, & ensuite le contrôleur général rapporte l'affaire au conseil royal des finances.

Il a aussi entrée & séance aux assemblées qui se tiennent chez M. le chancelier pour les cahiers du clergé & pour la signature du contrat que le Roi passe avec lui.

Ses fonctions hors du conseil sont :

1°. De vérifier & parapher les enregistremens faits par les gardes des registres du contrôle général des finances, de tous les actes qui concernent les finances du Roi, tels que les quittances comptables qui sont délivrées par les gardes du thrésor royal aux officiers comptables, pour raison des payemens qu'ils y font des deniers de leurs maniemens destinés au thrésor royal. Les quittances de finances aussi délivrées par les gardes du thrésor royal pour constitutions de rentes, & généralement pour tous payemens de finances, à l'exception de celles qui concernent les offices, les quittances de finances qui sont délivrées par le thrésorier des revenus casuels pour payemens de finances ou droits, pour raison de toutes charges & offices du royaume, de tous les baux des fermes générales & leurs cautionnemens, des traités des vivres, des munitions, & autres qui concernent le Roi directement ; de toutes les lettres de don fait par le Roi, lettres de priviléges, commissions des tailles, arrêts du conseil portant impositions, commissions pour faire la recette des deniers du Roi, & autres expéditions mentionnées dans la déclaration du Roi du 6 Mars 1716, & de signer les certificats d'enregistrement au contrôle au dos de ces pieces.

Il a droit par sa charge, & notamment par édit du mois d'Août 1637 & par la déclaration du 16 Mai 1655, de commettre les gardes des registres du contrôle général des finances, à l'exercice des fonctions que les continuelles & importantes occupations qu'il a au conseil pour les affaires & service du Roi, ne lui permettent pas de remplir. L'édit du mois d'Août 1669 & la déclaration du 6 Mars 1716 lui donnent celui de commettre aux fonctions des offices de contrôleurs des finances, domaines & bois, dans toute l'étendue du royaume, en cas de décès, absence, maladie, ou autres empêchemens des titulaires. Il commet tous les ans un officier dans chaque province, pour exercer le contrôle de la recette du prêt & annuel, sans que ceux qui sont ainsi commis en vertu d'un pouvoir signé de lui, soient tenus de se pourvoir en chancellerie pour obtenir lettres du grand sceau.

2°. Les intendans des finances lui font le rapport de toutes les affaires des départemens dont chacun d'eux est chargé. Il donne en matiere de finance tous les ordres nécessaires aux commissaires du Roi départis dans les provinces, aux thrésoriers des deniers royaux, fermiers, receveurs & payeurs du Roi pour le domaine, tailles, capitation, aides, & autres droits compris dans les fermes générales ; octrois, dixieme, vingtieme, &c.

Outre l'inspection générale qu'il a sur tous les officiers de finance, il a lui-même le principal département des affaires de finances qui comprend le thrésor royal, les parties casuelles, la direction générale de toutes les fermes du Roi, le clergé, le commerce de l'intérieur du royaume, & extérieur par terre ; la compagnie des Indes, & les différens commerces maritimes dont elle a le privilége ; l'extraordinaire des guerres, le pain de munition & les vivres de l'artillerie ; toutes les rentes, les pays d'états, les monnoies, les parlemens du royaume, & cours supérieures ; les ponts & chaussées, les turcies & levées, le barrage & pavé de Paris, les manufactures, les octrois des villes, les dettes des communautés, les ligues suisses, les deux sols pour livre du dixieme, le vingtieme, & la caisse générale des amortissements.

Enfin c'est lui qui sous le bon plaisir du Roi donne l'agrément de toutes les charges de finance.

Ce qui vient d'être dit, fait connoître que le contrôleur général n'est pas seulement le chef de toutes les finances du Roi, mais qu'en cette qualité il a aussi part dans les conseils du Roi à l'administration de la justice & au gouvernement de l'état en général.

Pour juger encore mieux de l'importance de cette place, & avoir une juste idée de ses fonctions, il est nécessaire de remonter même au-delà de son premier établissement, d'expliquer quels étoient anciennement chez les Romains, & en France, les divers officiers dont le contrôleur général réunit les fonctions, & les changemens qui sont arrivés dans l'état de cette place.

Jusqu'à l'empire d'Auguste, la recette & l'administration des finances étoient confiées à des questeurs appellés quaestores aerarii, qui furent d'abord choisis entre les sénateurs. Le nombre de ces officiers s'étant dans la suite beaucoup accrû, on surnomma urbani les deux qui étoient de la premiere création ; d'autres provinciales, parce qu'on leur donnoit le gouvernement de quelque province ; d'autres militares, parce qu'ils accompagnoient les consuls à l'armée.

Les uns & les autres étoient encore chargés de différentes fonctions, telles que l'inspection des monnoies, la connoissance des crimes & des confiscations, la garde des registres publics & des arrêts du sénat, le soin de loger les ambassadeurs & de les reconduire hors de la ville ; enfin cette place embrassoit tant de fonctions importantes, qu'elle conduisoit aux premieres dignités de l'etat.

Ils avoient près d'eux des scribes ou contrôleurs des finances que l'on choisissoit entre les personnes d'une fidélité reconnue, tellement que ceux mêmes qui avoient été consuls tenoient à honneur de remplir cette place.

Du tems de Néron, on ôta aux questeurs la garde du thrésor public & des registres, pour la donner à des préfets qui avoient été préteurs. On appella le préfet du thrésor ou des finances praefectus aerarii ; il y en avoit un particulier pour les vivres, appellé praefectus annonae.

Sous Constantin & ses successeurs, les préfets prirent, comme tous les autres officiers de l'empire, le titre de comites, d'où l'on a fait en notre langue celui de comte : il y en avoit trois pour les finances,

Le premier & le plus considerable qui avoit le titre de comes sacrarum largitionum, étoit le gardien des deniers publics, & le dispensateur des libéralités que le prince faisoit sur ces deniers.

Le second appellé comes rerum privatarum, avoit soin des biens particuliers du prince, c'est-à-dire qui lui étoient propres, & qui passoient à ses enfans par succession.

Le troisieme enfin appellé comes sacri patrimonii, avoit la surintendance des revenus que l'état donnoit à l'empereur pour l'entretien de sa maison, & pour soûtenir d'une maniere convenable la dignité impériale. Voyez l'article COMTE.

Le gouvernement des finances étoit ainsi distribué chez les Romains, lorsque nos rois jetterent les fondemens de la monarchie françoise ; ils n'établirent pour les finances aucuns officiers sous les titres de questeurs, ni de préfets ou comtes ; mais comme les empereurs avoient pour le gouvernement de leur maison un premier officier appellé magister palatii, les rois de la premiere & de la seconde race établirent à leur imitation un maire du palais, lequel réunissoit en sa personne la surintendance des armes, celle de la justice, & celle des finances.

Il avoit sous lui pour la garde du thrésor, c'est-à-dire des revenus du domaine, un thrésorier royal dont il est fait mention dans Grégoire de Tours, lib. I.

Au commencement de la troisieme race, la dignité de maire du palais fut supprimée, & sa fonction partagée entre trois différens officiers. Le connétable eut le commandement des armes, le chancelier la surintendance de la justice, & le thrésorier celle du thrésor ou domaine qui formoit alors le principal revenu du roi.

Il y eut un tems que le thrésor du roi étoit déposé au temple où plusieurs de nos rois faisoient leur demeure, entr'autres Philippe-le-Bel. La garde du thrésor étoit alors confiée à un des chevaliers templiers, qui se qualifioit thrésorier du roi au temple.

Il n'y avoit d'abord qu'un seul thrésorier du roi : dans la suite il en fut établi un second, puis un troisieme, & par succession de tems le nombre en fut encore augmenté.

Celui qui étoit au-dessus des thrésoriers s'appelloit le souverain des thrésoriers. C'est ainsi qu'il est nommé dans une ordonnance de Philippe-le-Bel du 3 Janvier 1316 ; on l'appella depuis le grand thrésorier.

Il y avoit dès-lors au thrésor du roi un contrôleur appellé clerc du thrésor, qui tenoit un registre où il marquoit l'origine & le prix de toutes les monnoies apportées au thrésor ; il en rapportoit chaque jour l'état au souverain des thrésoriers.

La fonction de ce contrôleur approchoit en quelque sorte de celle du contrôleur général des finances, si ce n'est que le premier n'avoit aucune inspection sur les deniers extraordinaires, pour lesquels il y avoit un receveur & un contrôleur particulier ; dans la suite, lorsque l'on établit un contrôleur général des finances, le contrôleur du thrésor n'étoit plus qu'un simple officier de la chambre des comptes dont la fonction étoit de vérifier les debentur, & de poursuivre les comptables pour les restes de leurs comptes ; mais les debentur n'ayant plus lieu, & la poursuite des comptables ayant été attribuée au contrôleur général des restes, le contrôleur du thrésor a été supprimé par édit du mois d'Août 1669.

Après la mort tragique de Jean de Montaigu, qui étoit grand thrésorier sous Charles VI. cet office fut supprimé, & l'on créa en sa place, en la même année 1409, celui de grand général souverain gouverneur de toutes les finances, avec cette différence que celui-ci n'eut plus le maniement des finances, comme l'avoit auparavant le grand thrésorier.

Cette commission fut remplie successivement par différens magistrats, & autres personnes distinguées. En 1413, c'étoit Henri de Marle premier président au parlement & chancelier de France, avec Juvénal des Ursins chancelier du duc de Guyenne fils aîné du roi : l'année suivante ce fut le duc de Guyenne lui-même qui exerça seul cette commission ; en 1424, c'étoit Louis de Luxembourg évêque de Terouane & président des comptes, &c.

On établit dans la suite deux intendans des finances, & au-dessus d'eux un surintendant.

Le premier qui eut ce titre fut Jacques de Semblançay en 1518. Cette place a été remplie successivement par les personnes les plus qualifiées, des premiers magistrats, des grands seigneurs, des maréchaux de France, des ducs, des cardinaux, des princes même.

L'office de surintendant fut supprimé une premiere fois en 1549, ensuite rétabli ; supprimé une seconde fois en 1594, rétabli en 1596 ; & enfin supprimé pour la troisieme fois en 1661.

Les gouverneurs des finances ; & après eux, les intendans & surintendans ont toûjours eu des contrôleurs pour vérifier ce qu'ils arrêtoient.

Au mémorial de la chambre des comptes coté h ; fol. 122. du 8 Août 1419, on voit que deux maîtres des comptes furent commis & établis généraux contrôleurs sur toutes les finances.

Etienne Chevalier étoit contrôleur des finances sous Charles VII. Voyez M. Henault, abrégé chronol.

On voit aussi au cinquieme journal coté Q R, II. part. fol. 210. du 28 Novembre 1506, que Jacques le Roi contrôleur général demanda à messieurs des comptes d'être conservé dans sa fonction de mettre les bons sur les rôles des officiers comptans par rôles.

Sous le regne de François I. ceux qui avoient la garde du thrésor ayant pris le titre de thrésoriers de l'épargne, leurs contrôleurs furent pareillement nommés contrôleurs de l'épargne : ils avoient une clé de l'épargne ou thrésor. On trouve au mémorial II. D, fol. 249, v°. la création & provision de deux contrôleurs de l'épargne qui étoient des clercs-auditeurs de la chambre des comptes : ce qui y fut registré le 7 Juin 1527, à la charge que dans six mois ils opteroient.

Henri II. établit pareillement en 1547 deux contrôleurs de l'épargne, l'un pour suivre la cour, & l'autre pour demeurer à Paris : mais dans la suite ce dernier demeura sans fonction : il ne fut pourtant supprimé que par édit du mois d'Octobre 1554. portant création d'un seul office de contrôleur général des finances, dont fut pourvû André Blondet, à condition seulement qu'il auroit à ses dépens un commis attaché à sa charge.

Me Guillaume de Marillac fut créé en 1568 conseiller & contrôleur général des finances ; c'est la premiere fois que le titre de conseiller fut donné au contrôleur général ; l'année suivante on lui donna aussi des lettres d'intendant des finances.

L'office de contrôleur général des finances fut supprimé en 1573, & uni aux quatre charges d'intendant des finances.

On trouve en 1574, que les quatre contrôleurs généraux qui exerçoient conjointement, étoient Jean Lecamus, Claude Marcel, Benoît Milon, & Olivier Lefevre.

En 1581 c'étoit le sieur Miron, & en 1588 le sieur Betremole.

En 1594 Henri IV. ayant supprimé l'office de surintendant des finances après la mort de M. d'O qui en étoit pourvû, établit un conseil des finances & huit offices d'intendans contrôleurs généraux des finances, qui furent remplis par Charles de Sardaigne, le Sr Marcel, Jacques Vallée, Louis Guibert, Octavien-Louis d'Atigny, Louis Picot, Jean de Vienne, & Pierre Pireque : on en trouve deux autres en 1595, savoir les sieurs Perot & Sublet. Cet arrangement subsista jusqu'en 1596, que ces huit intendans & contrôleurs généraux furent supprimés, la charge de sur-intendant rétablie en faveur de M. de Rony avec un seul contrôleur général par commission.

Le premier fut le sieur de Saldagne, auquel en 1599 succéda Jean de Vienne sieur d'Incarville, qui prêta serment entre les mains de M. le chancelier : il eut pour successeur le sieur Duret en 1603.

Le président Jeannin eut cette commission en 1611, le sieur Barbin en 1616, M. de Maupeou intendant des finances en 1618, & le sieur de Castille en 1619, ce fut ce dernier qui introduisit les billets de l'épargne les plus anciens de tous les effets royaux.

M. de Champigny fut commis au contrôle général en 1623 ; ses lettres sont registrées sans prestation de serment.

Simon Marion président au grand conseil lui succéda en 1626.

Les choses demeurerent en cet état jusqu'en 1629, que le sieur de Castille intendant des finances fut commis avec les sieurs de Chevry, Sublet, Malier & Duhoussay, pour faire chacun pendant une partie de l'année le contrôle général.

Le sieur Chevry fut commis seul en 1633 & le sieur Corbinelly lui succéda en 1636

On en remit quatre en 1637, savoir les sieurs Macré, Duhoussay, Cornuel, & le sieur d'Hemery.

Ce dernier fut commis seul en 1638 pour cette fonction ; le sieur Duret lui succéda en 1639.

Peu de tems après les intendans des finances furent rétablis jusqu'au nombre de douze, tant en titre que par commission, & le 25 Février 1641 il fut donné une commission à Me Jacques Tubeuf pour la charge d'intendant & contrôleur général des finances.

Au mois de Novembre 1643 l'office de contrôleur général fut rétabli en titre : le sieur d'Hemery en fut pourvû à la charge de prêter serment, avec séance & voix déliberative avant les maîtres clercs (les maîtres des comptes). M. le Camus lui succéda en 1649.

Claude Menardeau & Antoine Camus le furent conjointement en 1656.

Après la paix des Pyrenées, faite en 1659, le roi remboursa tous les intendans des finances & les reduisit à l'ancien nombre de deux, qui depuis 1660 jusqu'en 1690 exercerent par commission, le roi ayant laissé à la disposition du contrôleur général d'employer sous ses ordres telles autres personnes qu'il voudroit choisir, qui, sans avoir la qualité d'intendans des finances, ne laissoient pas d'en remplir une partie des fonctions.

A la mort du cardinal Mazarin, arrivée le 9 Mars 1661, il y avoit un sur-intendant des finances, deux intendans, & deux contrôleurs généraux, qui étoient les sieurs le Tonnelier de Breteuil & Hervard. Le roi créa une troisieme charge d'intendant pour M. Colbert.

La disgrace de M. Fouquet sur-intendant des finances, donna lieu à l'édit du 15 Septembre 1661, qui supprima cette charge pour la troisieme fois, & depuis elle n'a point été rétablie ; au moyen dequoi le contrôleur général est devenu le chef de toutes les finances.

M. Colbert (J. B.) régit d'abord les finances en qualité d'intendant jusqu'au 15 Avril 1663, qu'il prit celle de contrôleur général, le roi ayant remboursé les deux charges de contrôleurs généraux qui subsistoient alors, pour faire M. Colbert seul contrôleur général par commission, & ayant en même tems attribué à cette qualité une place de conseiller au conseil royal des finances.

Tel est le dernier état par rapport à cette place, qui est devenue une des plus importantes du royaume, tant par la suppression des autres contrôleurs généraux, que par celle de sur-intendant.

Le contrôleur général est, comme on voit présentement, ce qu'étoient chez les Romains les questeurs, les préfets, & les comtes du thrésor & des finances ; il tient aussi la place des grands-thrésoriers, des gouverneurs généraux & sur-intendans qui avoient autrefois en France la direction générale des finances ; il réunit en sa personne leurs fonctions & celles de leurs contrôleurs.

M. Colbert, l'un des plus grands génies qu'ait eu la France, donna encore à cette place un nouveau lustre par la profonde capacité & le zele avec lesquels il en remplit les fonctions.

Il fut reçu en la chambre des comptes le 9 Novembre 1667, avec séance & voix déliberative en toutes affaires ; droit que ses successeurs ont aussi conservé ; & il fut le premier qui, sans être ordonnateur, régit les finances en chef jusqu'à sa mort arrivée le 6 Septembre 1683.

Personne n'ignore combien son ministere fut glorieux & utile pour la France ; non-seulement il reforma les abus qui s'étoient glissés dans l'administration des finances, il rétablit la marine & le commerce, fit fleurir les sciences & les arts, & procura l'établissement de plusieurs académies.

Les bornes de cet article ne nous permettant pas de nous étendre sur chacun des successeurs de M. Colbert, nous ne ferons ici qu'indiquer l'époque de leur ministere.

Claude le Pelletier succéda à M. Colbert jusqu'au mois de Septembre 1689 ; après lui ce fut Louis Phelypeaux de Pontchartrain, qui remplit cette place jusqu'au mois de Septembre 1699, qu'il fut élevé à la dignité de chancelier de France.

Michel de Chamillard lui succéda en la place de contrôleur général jusqu'au 14 Février 1708 ; il fut créé de son tems (en Juin 1701) deux directeurs généraux des finances, avec le droit d'entrer & rapporter au conseil royal, mais avec subordination au contrôleur général, auquel ils étoient obligés de rendre compte des affaires qu'ils devoient rapporter ; ces deux directeurs furent supprimés en 1708.

Nicolas Desmarets fut ensuite contrôleur général jusqu'au mois de Septembre 1715.

Depuis ce tems, la direction & administration des finances fut exercée par le conseil royal des finances, & les fonctions de contrôleur général, dont la place étoit vacante, furent exercées par MM. Philippe-Joseph Perrotin de Barmont & Pierre Soubeyran, tous deux gardes des registres du contrôle général, en vertu d'une ampliation de pouvoir qui leur fut donnée à cet effet le 25 Sept. 1715, & Jacques Perrotin de Barmont fut aggrégé aux deux premiers par lettres du 10 Nov. 1719. M. Rouillé du Coudray étoit alors directeur des finances & du contrôle général ; il avoit l'inspection du contrôle des quittances du thrésor royal, des parties casuelles & autres dépendantes du contrôle général des finances.

M. d'Argenson ayant été nommé garde des sceaux de France le 18 Janvier 1718, fut en même tems chargé seul de l'administration des finances.

La place de contrôleur général des finances fut ensuite donnée à Jean Law, Anglois, par commission du 4 Janvier 1720 ; il prêta serment entre les mains de M. le chancelier le 7 du même mois ; mais n'ayant point été reçu en la chambre des comptes, les deux gardes des registres du contrôle général continuerent l'exercice de ce contrôle jusqu'à la nomination de M. de la Houssaye, le sieur Law étant repassé en Angleterre le 10 Décembre 1720.

Felix le Pelletier de la Houssaye lui succéda le 12 du même mois, jusqu'au mois de Mars 1722 ; après lui Charles-Gaspard Dodun fut reçu en la chambre des comptes le 29 Avril 1722, & exerça jusqu'au 12 Juin 1726. Michel-Robert le Pelletier des Forts le fut jusqu'au 9 Mars 1730. Philibert Orry, reçû le 20 du même mois, jusqu'au 5 Décembre 1745.

M. de Machault d'Arnouville fut nommé à cette place le 5 Déc. 1745 ; commandeur & grand thrésorier des ordres du Roi en 1747. Le 8 Déc. 1750 le Roi lui donna la charge de garde des sceaux de France ; & le 29 Juillet 1754 s'étant démis de la place de contrôleur général, le Roi lui donna la charge de secrétaire d'état, vacante par le décès de M. de Saint-Contest, avec le département de la Marine, M. Rouillé, qui avoit ce département, ayant été nommé à celui des affaires étrangeres.

Enfin M. Moreau de Seychelles conseiller d'état, actuellement contrôleur général, fut nommé à cette place le même jour 29 Juill. 1754, & prêta serment le lendemain entre les mains de M. le chancelier.

Je ne puis mieux terminer ce qui concerne le contrôleur général, qu'en rapportant ici le précis de ce que dit M. le Bret en son traité de la souveraineté, liv. II. ch. jv. des qualités nécessaires à celui qui a la direction gén. des fin. Quoiqu'il parle en cet endroit du sur-intendant, on peut également appliquer ce qu'il dit au contrôleur général, puisqu'il est présentement le chef de toutes les finances, comme l'étoit le sur-intendant. Cette place, dit M. le Bret, est une des plus relevées de l'état, & qui desire le plus de parties en celui qui a l'honneur d'en être pourvû : outre la bonté de la mémoire, la vivacité de l'esprit, & la fermeté du jugement, il est nécessaire encore qu'il ait une fidélité & une affection particuliere au service de son prince, afin qu'il puisse dignement satisfaire aux deux principaux points de sa charge.

Le premier est d'entretenir soigneusement le crédit du Roi, d'accomplir les promesses, & de garder la foi qu'il a donnée à ceux qui l'ont secouru de leurs moyens durant la nécessité de ses affaires, & qui se sont obligés pour son service.

L'autre est de subvenir à point nommé aux occasions pressantes de l'état, de prendre garde d'avoir de l'argent prêt pour le payement des armées qui sont sur pié, & d'avoir l'oeil qu'il ne soit point détourné à autre usage ; parce que l'on a vû souvent que faute d'avoir fidélement employé les deniers que S. M. avoit ordonné pour les frais de la guerre, la France a reçû plusieurs desastres signalés, témoins la déroute de la Bicoque, la perte du duché de Milan, les fréquentes révoltes des Suisses.

Il évite facilement tous ces malheurs, ajoûte M. le Bret, par une parfaite probité & par une grande prudence : celle-ci lui fait trouver des moyens justes & tolérables pour satisfaire aux dépenses publiques & nécessaires ; elle lui donne l'industrie de pourvoir également à toutes les affaires du royaume, de disposer utilement des deniers du Roi, d'en empêcher le divertissement, & de retrancher tous les abus qui pourroient se commettre dans l'administration des finances. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race ; Loyseau, des offices, liv. IV. Sauval, antiq. de Paris ; l'hist. du conseil, par Guillard. Abregé chron. de M. le président Henault.

Gardes des registres du contrôle général des finances. Ces officiers sont au nombre de deux en titre d'offices, qu'ils exercent alternativement sous le nom de conseillers du Roi, gardes des registres du contrôle général des finances de France. Ils prêtent serment entre les mains du garde des sceaux de France.

Ils sont les dépositaires des registres du contrôle général des finances : ce sont eux qui font faire les enregistremens des quittances & actes qui doivent y être enregistrés ; ils les collationnent, & présentent toutes les semaines ces registres au contrôleur gén. des fin. qui paraphe chaque enregistrement qui y est fait, & en signe le certificat au dos de ces pieces.

Le contrôleur des finances & ceux des domaines & bois, sont tenus d'envoyer tous les ans au contrôleur général des finances, le double des registres du contrôle qu'ils ont tenus ; duquel envoi il signe une certification, sans la représentation de laquelle ces officiers ne peuvent être payés de leurs gages.

Les contrôleurs du prêt & droit annuel établis dans les provinces, lui envoyent aussi chaque année les contrôles originaux qu'ils ont tenus de la recette de ces droits, après qu'ils lui ont fait clorre & arrêter le premier Janvier de l'année qui suit leur exercice, par les thrésoriers de France du chef-lieu de la province où ils sont établis.

Tous ces registres sont renvoyés par le contrôleur général des finances, au garde des registres du contrôle gén. des fin. en exercice ; ensorte que tout ce qui concerne le recouvrement des deniers royaux, soit ordinaires, soit extraordinaires, se trouve dans leurs dépôts, composés de plus de quatre mille volumes.

Le contrôleur général ne pouvant remplir par lui-même tout le détail des fonctions de sa place ; les gardes des registres du contrôle général des finances remplissent celles dont il juge à propos de se décharger sur eux, en vertu des commissions particulieres qu'ils en reçoivent.

Lorsque ces commissions particulieres leur sont données à l'occasion des recouvremens de deniers extraordinaires, la date des édits qui ordonnent ces recouvremens, détermine le choix de celui qui se trouve alors en exercice pour remplir ces fonctions, qu'il continue tant en exercice qu'hors d'exercice, jusqu'à l'exécution finale de ces recouvremens ; ensorte que la date de chacun de ces édits indique d'une maniere précise quel est celui de ces deux officiers qui a dans son dépôt les registres dans lesquels les quittances ou actes qui en sont la suite, se trouvent enregistrés.

Lorsque la perception des deniers du Roi est faite en vertu de rôles arrêtés au conseil, dont l'exécution est suivie d'expédition de quittances, soit des gardes du thrésor royal ou du thrésorier des revenus casuels, il est fourni au garde des registres du contrôle général des finances une expédition de ces rôles, sur lesquels il vérifie si les sommes portées par les quittances, sont les mêmes pour lesquelles les particuliers y dénommés sont compris dans ces rôles ; ou si les droits qui leur sont attribués par ces quittances, sont tels qu'ils sont portés dans ces rôles, pour faire reformer ces quittances avant leur enregistrement au contrôle, en cas qu'il s'y soit glissé quelque différence préjudiciable à l'intérêt du Roi ou à celui des particuliers.

La déclaration du 6 Mars 1716, défend aux gardes du thrésor royal, & à tout autre comptable, de faire aucun remboursement, que la quittance dont le remboursement aura été ordonné, n'ait été préalablement déchargée du contrôle, à l'exception seulement des quittances de finances pour la constitution des rentes, pour lesquelles il auroit été expédié des contrats. Cette décharge du contrôle consiste en une mention que fait le garde des registres du contrôle général des finances sur son registre, en marge de l'enregistrement du titre à rembourser ; laquelle mention est faite en vertu de la loi qui ordonne le remboursement sur la représentation de la quittance dont le remboursement est ordonné sur quittance de remboursement passée par le propriétaire, & des titres de sa propriété ; de laquelle mention ainsi faite par le garde des registres du contrôle général des finances, il signe le certificat ou décharge du contrôle sur le titre à rembourser, copie duquel titre faisant mention de cette décharge, il envoye à l'intendant des finances qui a dans son département la confection des états du Roi où l'intérêt du titre à rembourser se trouve employé, à fin de rejet de ces intérêts de l'état du Roi, en conséquence de cette décharge.

Lorsque l'original de la quittance de finances dont le remboursement est ordonné, se trouve perdu, le garde des registres du contrôle général des finances en délivre un duplicata tiré de son registre, & signé de lui, sur lequel il signe le certificat de décharge du contrôle ; & en conséquence le propriétaire en est remboursé sans autre formalité, comme il auroit pû l'être sur l'original.

Lorsqu'il se présente quelque difficulté au remboursement projetté, qui en empêche l'exécution, le garde des registres du contrôle général des finances rétablit sur les registres les quittances qui en avoient été déchargées, en annullant la décharge qui en avoit été faite ; en conséquence duquel rétablissement, dont il signe le certificat sur la quittance, les intérêts y portés sont employés de nouveau dans les états de Sa Majesté.

Le Roi ayant, par déclaration du 15 Septembre 1715, établi un conseil pour la direction & administration des finances, la place de contrôleur général des finances étant alors restée vacante, les gardes des registres du contrôle général des finances furent établis par lettres patentes du 25 des mêmes mois & an, pour en exercer par eux-mêmes les fonctions sous la direction de M. Rouillé du Coudray, conseiller d'état, directeur des finances & du contrôle général, & ensuite sous celle de M. d'Argenson garde des sceaux de France, & chargé seul en même tems de l'administration des finances ; fonction qui fut conservée aux gardes des registres du contrôle général des finances, jusqu'à la nomination qui fut faite le 12 Décembre 1722 de M. le Pelletier de la Houssaye à la place de contrôleur général.

Leurs priviléges consistent au droit de committimus en grande & petite chancellerie, logement à la cour & suite de S. M. & à joüir de tous les honneurs, priviléges, exemptions & prérogatives dont joüissent les officiers commensaux de la maison du Roi, du corps desquels ils sont réputés, & de tous les autres avantages qui leur sont attribués par les édits des mois de Mars 1631, & d'Août 1637, de la déclaration du Roi du 16 Mai 1655, & de l'édit du mois de Février 1689. (A)

CONTROLEURS GENERAUX DES DOMAINES, BOIS ET FINANCES, sont les contrôleurs de chaque receveur des domaines & bois.

CONTROLEURS GENERAUX DES FINANCES, sont aussi ceux qui font le contrôle près des receveurs généraux des finances de chaque généralité.

CONTROLEUR DES RENTES SUR LA VILLE, est un officier royal établi pour tenir un double registre du payement des rentes dûes par le Roi & par le clergé, qui se payent à bureau ouvert à l'hôtel de ville de Paris, pour assûrer la vérité & la date des payemens.

Le premier établissement de ces officiers n'est que de l'année 1576, quoique depuis 1515 il y eût des rentes assignées sur les aides & gabelles & autres revenus du Roi, & que depuis 1562 il y eût des rentes assignées sur les revenus temporels du clergé.

Le receveur de la ville étoit seul chargé du payement de toutes ces rentes, qui montoient en 1576 à environ trois millions 140 mille livres par an.

Plusieurs bourgeois de Paris & autres particuliers se plaignirent au Roi de la confusion & de la longueur du payement des rentes : d'un autre côté, les premiers prélats avec les syndics généraux du clergé de France firent des remontrances au Roi, tendantes à ce qu'il lui plût de retirer des mains du receveur de la ville de Paris, le maniement des finances destinées au payement des rentes assignées sur le clergé, afin qu'à l'avenir ces deniers ne fussent plus confondus avec ceux d'une autre nature : le clergé demanda en même tems au Roi qu'il lui plût, pour établir le bon ordre dans la recette & le payement des rentes, de revêtir de son autorité quelque notable personnage pour tenir le contrôle desdites recette & dépense.

Le Roi n'accepta pas pour lors la proposition de détacher le payement des rentes du clergé, du maniement du receveur de la ville ; mais il fit expédier un premier édit au mois de Décembre 1575, pour la création de deux contrôleurs.

Le parlement ayant ordonné que cet édit seroit communiqué au bureau de la ville, où il y eut une assemblée générale, non-seulement de tous les officiers de la ville, mais des députés de tous les corps & états intéressés aux rentes : comme on crut trouver quelques inconvéniens dans ce nouvel établissement, la ville s'y opposa. Le parlement fit aussi des remontrances à ce sujet, & ce premier édit fut retiré.

Au mois d'Avril 1576, le Roi donna un autre édit portant création de deux contrôleurs, un pour les rentes sur les revenus du Roi, un autre pour les rentes sur le clergé. La ville voulut encore s'opposer à l'enregistrement de cet édit ; mais il fut registré le 14 Mai suivant, & à la chambre des comptes le 21.

Cet édit portoit aussi création d'un payeur des rentes sur le clergé ; mais comme, suivant la modification mise par les cours à l'enregistrement, la création de cet office de payeur n'eut pas lieu, & que celui qui devoit faire le contrôle de ce payeur se trouvoit sans fonction, le Roi, par une déclaration du 23 Mai, ordonna que les deux contrôleurs généraux des rentes exerceroient alternativement & par année.

Dans la suite les rentes sur la ville s'étant peu-à-peu accrues, on a augmenté le nombre des contrôleurs. La premiere augmentation fut faite par édit de 1615, qui ne fut vérifié qu'en 1621. Louis XIII. en créa encore peu de tems après, mais qui furent destinés particulierement au contrôle des rentes du sel ; & depuis ce tems-là chaque partie de rente a eu ses contrôleurs qui y sont attachés.

Il y eut encore dix créations de ces contrôleurs sous le même regne, & trente sous celui de Louis XIV. ce qui fait en tout quarante-trois créations depuis la premiere jusqu'à celle du mois d'Octobre 1711, qui est la derniere.

Le remboursement qui a été fait en divers tems de quelques parties de rentes, & les nouveaux arrangemens qui ont été pris pour le payement, ont occasionné divers retranchemens de contrôleurs : le premier fut fait en 1654, & le dernier est du mois de Juin 1714. Ils sont présentement au nombre de cinquante-deux.

Le contrôle des rentes de tontine qui avoit d'abord été donné à des syndics onéraires, fut quelques années après réuni à des contrôleurs créés à cet effet, qui font corps avec les autres contrôleurs.

Les contrôleurs des rentes ont le titre de conseillers du Roi. A la vérité le premier édit de création ne le leur attribuoit pas ; mais on le leur donna dans leurs provisions, & l'édit de Novembre 1624 le leur attribue formellement.

Ils sont appellés contrôleurs généraux des rentes, parce qu'ils contrôlent toute sorte de nature de rente.

Il y en a eu d'appellés triennaux, mitriennaux, & même de quatriennaux, suivant la distribution du payement des rentes ; ce qui a beaucoup varié : présentement on ne les distingue qu'en deux classes, anciens, & alternatifs.

Suivant la déclaration d'Henri III. du 28 Janvier 1576, ils joüissent, & leurs veuves pendant leur viduité, des mêmes priviléges, franchises & exemptions dont joüissent les thrésoriers de France & généraux des finances ; & en conséquence ils sont exempts de toutes charges, tant ordinaires qu'extraordinaires, aides, tailles, emprunts, subsides, & impositions quelconques, faites ou à faire, pour quelque cause que ce soit.

Leurs priviléges ont été exceptés des révocations faites en 1705 & en 1706 de différens priviléges : ils ont même été étendus par différens édits postérieurs, qui leur donnent l'exemption de toutes charges & emplois publics, comme de collecte, tutele, curatelle, de police, guet & garde, exemption du ban & arriere-ban, & de la milice, & de la contribution pour le service actuel de ces troupes, du logement des gens de guerre, ustensile & subsistance ; droit de committimus au grand & au petit sceau, droit de franc-salé ; & ils joüissent de ces priviléges en quelques lieux qu'ils fassent leur résidence ou fassent valoir leurs biens.

Ils sont seuls en droit de délivrer des extraits certifiés d'eux des registres de leur contrôle.

L'hérédité de leurs offices leur fut accordée par édit de Janvier 1634 : qui fut confirmé par deux autres édits du mois de Juin 1638 & Juillet 1654. Ils ne payent plus de paulette.

Le droit de vétérance qui étoit établi parmi eux dès 1683, fut autorisé par un édit du mois de Septembre 1712, qui accorda aux veuves le committimus au grand & au petit sceau, la moitié du franc-salé, & la joüissance des autres exemptions & priviléges.

Les contrôleurs des rentes sont reçûs à la chambre des comptes ; mais ensuite pour leurs fonctions ils sont soûmis à la jurisdiction du bureau de la ville.

Ils doivent être présens au payement des rentes, & inscrire les parties de rente dans le même ordre qu'elles sont appellées. En cas d'absence ou de maladie, ils peuvent suppléer l'un pour l'autre.

Chaque contrôleur doit envoyer en la chambre des comptes son registre de contrôle trois mois après l'expiration de l'année.

Dès 1654 les contrôleurs, qui étoient alors au nombre de soixante, se réunirent en corps de compagnie afin d'observer entr'eux une meilleure discipline : leurs assemblées furent autorisées par le conseil ; & en 1657 la compagnie dressa des statuts en dix articles, qui s'observent encore présentement. Voyez les mémoires concernant le contrôle des rentes sur la ville par Pierre Leroi. (A)

CONTROLEUR GENERAL DES RESTES, voyez au mot COMPTES, à l'article CHAMBRE DES COMPTES, §. Contrôleur, &c. (A)

CONTROLEUR DE LA MARINE ; c'est un officier de la Marine dont les fonctions sont détaillées dans l'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales & arsenaux de Marine, de 1689, comme on le voit ci-après.

Le contrôleur aura inspection sur toutes les recettes & dépenses, achat & emploi de marchandises & travail des ouvriers ; & il assistera à tous les marchés & comptes qui seront faits par l'intendant.

Il sera présent tous les jours, par lui ou ses commis, dont le nombre sera reglé par les états de Sa Majesté, à l'ouverture des magasins desquels il aura une clé, & le soir il les fera fermer en sa présence.

L'un de ses commis tiendra deux registres dans le magasin général, dans un desquels il écrira la recette de tout ce qui y entrera ; & dans l'autre tout ce qui en sortira, pour le service des vaisseaux & autres usages.

Il tiendra un registre particulier de tous les marchés qui se feront avec les marchands ou ouvriers, pour fournir des marchandises aux magasins de Sa Majesté, ou pour faire quelques ouvrages ; & il aura soin de poursuivre l'exécution des marchés, & d'avertir l'intendant des défauts & manquemens qu'il pourroit y avoir, afin qu'il y soit pourvû.

Il assistera à l'arrêté des comptes du thrésorier & du munitionnaire général de la Marine, comme aussi à tous les contrats & marchés qui seront faits par l'intendant, & les signera avec lui.

Il sera présent aux montres & revûes des équipages, prendra garde que le nombre des matelots & soldats soit complet, & qu'il n'y ait aucun passe-volant, & qu'ils soient tous en état de servir.

Comme aussi aux revûes des officiers de Marine & officiers mariniers entretenus dans les ports, qui doivent être faites à la fin de chaque semaine, dont il signera les extraits conjointement avec l'intendant, & prendra garde qu'il n'y ait que les présens qui y soient employés, à peine d'interdiction.

Il examinera si les vivres qui sont embarqués sur les vaisseaux de S. M. sont en la quantité ordonnée, & de la qualité requise.

Il visitera tous les ouvrages que S. M. fera faire, assistera aux toisés & à leur réception.

Il tiendra registres pour les délibérations qui se tiendront dans le conseil des constructions, & l'autre pour les radoubs à faire aux vaisseaux.

Il se fera remettre par le commis du thrésorier général de la Marine les copies collationnées des états & ordre de fonds qui lui auront été envoyés ; & à la fin de chaque année il enverra au secrétaire d'état ayant le département de la Marine, le registre qu'il doit tenir de la recette & dépense qui aura été faite dans le port. (Z)

CONTROLEUR DES BANCS, (Saline) voyez BANCS.

CONTROLEUR DES CUITES, (Saline) voyez CUITE.

CONTROLEUR DES BOITES, à la Monnoie, est un officier préposé pour la sûreté des deniers des boîtes, lorsqu'ils ont été remis entre les mains du receveur des boîtes.

CONTROLEUR DU RECEVEUR AU CHANGE, à la Monnoie ; officier pour veiller aux opérations du receveur au change. C'est le public qui le paye en province, à Paris c'est le Roi. Son droit est de six deniers par marc d'or, & de trois deniers par marc d'argent & de billon.

CONTROLEUR CONTRE-GARDE, à la Monnoie ; officier pour veiller aux opérations du directeur, & à la sûreté de la caisse. Il y en a un dans chaque monnoie. Le public le paye en province ; à Paris c'est le Roi. Son droit est de six deniers par marc d'or, & de trois deniers pour l'argent & le billon.


CONTROVERSES. f. dispute par écrit ou de vive voix sur des matieres de religion. On lit dans le dictionnaire de Trévoux, qu'on ne doit point craindre de troubler la paix du Christianisme par ces disputes, & que rien n'est plus capable de ramener dans la bonne voie ceux qui s'en sont malheureusement égarés : deux vérités dont nous croyons devoir faire honneur à cet ouvrage. Ajoûtons que pour que la controverse puisse produire les bons effets qu'on s'en promet, il faut qu'elle soit libre de part & d'autre. On donne le nom de controversiste à celui qui écrit ou qui prêche la controverse.


CONTUMACES. f. (Jurispr.) du latin contumacia, qui signifie desobéissance ; en terme de Pratique est le refus que quelqu'un fait de comparoître en justice. Se laisser contumacer, c'est laisser faire contre soi plusieurs poursuites, & laisser obtenir des jugemens par défaut.

Chez les Romains on appelloit contumax celui qui avoit refusé de comparoître nonobstant trois citations consécutives, ou une seule citation péremptoire. Il n'étoit pas d'usage de faire le procès au contumax dans la premiere année ; on annotoit seulement ses biens, & s'il mouroit dans l'année, il mouroit integri status : si c'étoit après l'année, il étoit réputé coupable. Lorsqu'il se représentoit pour se défendre, il devoit refonder les dépens avant d'être écouté ; on l'obligeoit même aussi de donner caution qu'il poursuivroit le jugement du procès. Il ne pouvoit point appeller, ou s'il appelloit, le juge d'appel connoissoit de la contumace. Il pouvoit être contraint par trois voies différentes, par emprisonnement, par saisie de ses biens, & par une condamnation définitive ; le juge pouvoit même ordonner la démolition de sa maison. Il étoit réputé infame de fait en matiere criminelle, mais non pas en matiere civile. Son absence étoit regardée comme un aveu du fait dont étoit question ; mais il n'étoit pas pour cela condamné de plein droit, il falloit que la contumace fût jugée, & quoiqu'absent on ne devoit le condamner définitivement que quand il avoit tort. Il ne pouvoit recouvrer la possession de ses biens, même en se représentant, à moins que les choses ne fussent encore entieres, & qu'il ne fît la refusion des frais de contumace. La contumace étoit excusée lorsque l'absent étoit malade, ou qu'il étoit occupé ailleurs à une cause plus importante, ou à un tribunal supérieur. On ne condamnoit même jamais l'absent, quand il s'agissoit de peine capitale. L. absentem, ff. de poenis.

En France les principes sur la contumace sont différens. On appelle parmi nous frais de contumace en matiere civile, ceux qui ont été faits pour faire juger un défaut faute de comparoir, ou faute de défendre. On est reçû opposant en tout tems à ces sortes de jugemens par défaut, en refondant, c'est-à-dire remboursant les frais de contumace.

En matiere criminelle, on appelle contumace tout ce qui s'appelle défaut en matiere civile.

Lorsque l'accusé est decreté & ne se représente point, il est contumax, & l'on instruit contre lui la contumace.

La forme de procéder contre les absens ou contumax en matiere criminelle, est prescrite par l'ordonnance de 1670, tit. 10 & 17, & par une déclaration du mois de Décembre 1688. L'instruction qui se fait contre un accusé présent, & celle qui se fait par contumace, sont à peu-près semblables en général, si ce n'est que dans la premiere, en parlant de l'accusé, on ajoûte ces mots, ci-présent ; c'est pourquoi Menage disoit en badinant que ce qui déplaisoit le plus à l'accusé de tout un procès criminel, étoient ces deux mots, ci-présent.

Le decret d'assigné pour être oüi est converti en ajournement personnel, & l'ajournement personnel est converti en decret de prise de corps, lorsque l'accusé ne comparoît pas dans le délai reglé par le decret, suivant la distance des lieux.

Lorsque le decret de prise de corps ne peut être exécuté contre l'accusé, on fait perquisition de sa personne, & ses biens sont saisis & annotés, sans qu'il soit besoin d'aucun jugement.

La perquisition se fait au domicile ordinaire de l'accusé ; ou si l'on est encore dans les trois mois que le crime a été commis, elle peut être faite au lieu de sa résidence, s'il en a une dans le lieu où s'instruit le procès, & on lui laisse au même endroit copie du procès-verbal de perquisition.

Si l'accusé n'a ni domicile connu, ni résidence dans le lieu du procès, on affiche la copie du decret à la porte de l'auditoire.

La saisie & annotation des biens se fait en la même forme que les saisies & exécutions en matiere civile.

On saisit aussi les fruits des immeubles du contumax, & on y établit un commissaire, qui ne doit être parent ni domestique des receveurs du domaine, ou des seigneurs auxquels appartient la confiscation.

Après la saisie & annotation, l'accusé est assigné à quinzaine à son domicile. Si l'on est encore dans les trois mois que le crime a été commis, on peut l'assigner dans la maison où il résidoit en l'étendue de la jurisdiction ; hors ce cas, & s'il n'a point de domicile connu, on affiche l'exploit à la porte de l'auditoire.

Faute de comparoir dans la quinzaine, on l'assigne par un seul cri public à la huitaine franche.

Ce cri se fait à son de trompe en place publique, & à la porte du tribunal & devant le domicile ou résidence de l'accusé.

Après l'échéance des assignations, la procédure est communiquée au ministere public, qui donne des conclusions préparatoires.

Si la procédure se trouve valable, le juge ordonne que les témoins seront recollés, & que le recolement vaudra confrontation.

Après le recolement, le ministere public donne ses conclusions définitives.

Enfin intervient le jugement définitif, qui déclare la contumace bien instruite, en adjuge le profit, & prononce la condamnation ou absolution de l'accusé.

S'il y a lieu de prononcer contre lui quelque peine capitale, c'est-à-dire qui doive emporter mort naturelle ou civile, on la prononce contre lui, quoiqu'absent, à la différence de ce qui se pratiquoit chez les Romains. Cet usage est fort ancien parmi nous, comme on en peut juger par un passage de Matthieu Paris dans la vie de Jean Sans-terre, page 196. où il dit que " si l'accusé ne se représente pas, & n'a point d'excuse légitime, il est tenu pour convaincu, & est condamné à mort " (dans le cas de meurtre dont il parle).

Les condamnations à mort par contumace s'exécutent par effigie ; & celles des galeres, amende honorable, bannissement perpétuel, flétrissure & du foüet, sont écrites dans un tableau exposé en place publique, mais sans effigie. Les autres condamnations par contumace sont seulement signifiées avec copie au domicile ou résidence du condamné, sinon affichées à la porte de l'auditoire.

Autrefois les condamnations par contumace s'exécutoient réellement contre le condamné, dès qu'il étoit pris. Dans la suite on distingua s'il se représentoit volontairement ou forcément ; dans le dernier cas on l'exécutoit sans autre forme de procès, mais non pas dans le premier cas.

Présentement, soit que le contumax se représente volontairement, ou qu'il soit arrêté prisonnier après le jugement, même après les cinq années, soit dans les prisons du juge qui l'a condamné, ou autres prisons, la contumace est mise au néant en vertu de l'ordonnance, sans qu'il soit besoin pour cet effet de jugement, ni d'interjetter appel de la sentence de contumace.

Les frais de la contumace doivent être payés par l'accusé ; cependant on ne doit pas, faute de payement, surseoir à l'instruction ou jugement du procès.

On procede ensuite à l'interrogatoire de l'accusé, & à la confrontation des témoins.

La déposition de ceux qui sont décédés avant le recolement, ne doit point être lûe lors de la visite du procès, si ce n'est que ces dépositions aillent à la décharge de l'accusé.

Si le témoin qui a été recollé, est décédé ou mort civilement pendant la contumace, ou qu'il soit absent pour cause de condamnation aux galeres, bannissement à tems ou autrement, sa déposition subsiste, & on en fait confrontation littérale à l'accusé, & en ce cas les juges n'ont point d'égard aux reproches, s'ils ne sont justifiés par titres.

Lorsque l'accusé s'évade des prisons depuis son interrogatoire, on ne le fait point ajourner ni proclamer à cri public ; le juge ordonne que les témoins seront oüis & recollés, & que le recolement vaudra confrontation.

On fait aussi le procès à l'accusé pour le crime de bris de prison, par défaut & contumace.

Quand le condamné se représente ou est constitué prisonnier dans l'année de l'exécution du jugement de contumace, on lui accorde main-levée de ses meubles & immeubles ; & le prix provenant de la vente de ses meubles lui est rendu, à la déduction des frais de justice, & en consignant l'amende à laquelle il a été condamné.

L'état du condamné est en suspens pendant les cinq années qui lui sont accordées pour purger la contumace ; de sorte que s'il décede pendant ce tems, les dispositions qu'il a faites sont valables ; il recueille & transmet à ses héritiers les biens qui lui sont échûs.

Si ceux qui sont condamnés ne se représentent pas, ou ne sont pas constitués prisonniers dans les cinq ans de l'exécution de la sentence de contumace, les condamnations pécuniaires, les amendes & confiscations sont réputées contradictoires, & ont le même effet que si elles étoient ordonnées par arrêt ; ils peuvent cependant être reçus à ester à droit, en obtenant à cet effet en chancellerie des lettres pour purger la contumace ; & si le jugement qui intervient ensuite, porte absolution, ou n'emporte pas de confiscation, les meubles & immeubles qui avoient été confisqués sur les accusés, leur sont rendus en l'état qu'ils se trouvent, sans pouvoir prétendre aucune restitution des amendes, intérêts civils, ni des fruits des immeubles.

Ceux qui ont été condamnés par contumace à mort, aux galeres perpétuelles, ou au bannissement perpétuel hors du royaume, & qui décedent après les cinq ans, sans s'être représentés ou avoir été constitués prisonniers, ne sont réputés morts civilement que du jour de l'exécution de la sentence de contumace ; de sorte que si la condamnation est à mort, il faut que la sentence soit exécutée par effigie ; si c'est aux galeres perpétuelles ou au bannissement perpétuel, il faut que la condamnation ait été affichée dans un tableau en place publique : une simple signification de ces sortes de condamnations n'est pas regardée comme une exécution du jugement, & ne suffit pas pour faire déchoir le condamné de son état.

Quand la condamnation par contumace a été exécutée, le crime, c'est-à-dire la peine prononcée par le jugement, ne se prescrit que par trente ans ; au lieu que si la condamnation n'a pas été exécutée, le crime ne se prescrit que par vingt ans.

Mais cette prescription ne remet au condamné que la peine corporelle, & ne le réhabilite pas dans les effets civils, lorsqu'il les a perdus par l'exécution de la sentence.

Les receveurs du domaine, les seigneurs, ou autres auxquels la confiscation appartient, peuvent pendant les cinq ans percevoir les fruits & revenus des biens des condamnés, des mains des fermiers, redevables & commissaires ; mais ils ne peuvent s'en mettre en possession ni en joüir par leurs mains, à peine du quadruple, & des dépens, dommages & intérêts des parties.

Le Roi ni les seigneurs haut-justiciers ne peuvent faire aucun don des confiscations qui leur appartiennent, pendant les cinq années de la contumace, sinon pour les fruits des immeubles seulement.

Après les cinq années expirées, les receveurs du domaine, les donataires & les seigneurs auxquels la confiscation appartient, doivent se pourvoir en justice pour avoir permission de s'en mettre en possession ; & avant d'y entrer ils doivent faire dresser procès-verbal de la qualité & valeur des meubles & effets mobiliers, à peine contre les donataires & seigneurs d'être déchûs de leur droit, & contre les receveurs du domaine, de 10000 livres d'amende. Voyez au code, liv. VII. tit. xliij. & ff. & cod. ubique passim, le stile criminel ; la conférence de Bornier, le traité des matieres criminelles de la Combe, & ci-apr. CONTUMAX (A)


CONTUMAX(Jurispr.) Ce mot, qui est purement latin, a été retenu dans le style judiciaire pour signifier celui qui refuse de comparoître en justice ; il ne se dit guere qu'en matiere criminelle. Voyez ci-devant CONTUMACE.

Selon les établissemens de S. Louis, ch. xxvj. le baron en la terre duquel avoit été commis le délit, devoit faire sémondre le contumax par jugement, selon le droit écrit, & au monstier de la paroisse du contumax, qu'il vînt en droit dans les sept jours ou les sept nuits, pour connoître (avoüer) ou défendre, & le faire appeller en plein marché : s'il ne venoit pas dans les sept jours & les sept nuits, on le faisoit semondre derechef par jugement, qu'il vînt dans les quinze jours & les quinze nuits, & derechef qu'il vînt dans les quarante jours & les quarante nuits ; & s'il ne venoit point alors, on le faisoit bannir, c'est-à-dire crier en plein marché : s'il venoit ensuite, & qu'il ne pût montrer une raisonnable exoine, comme d'avoir été en pélerinage ou autre lieu raisonnable, alors le baron faisoit ravager la terre du contumax, & s'emparoit de ses meubles. Voyez ci-devant CONTUMACE. (A)


CONTUNDANTadj. (Chirurg.) épithete par laquelle on désigne un instrument qui ne perce ni ne coupe, tel qu'un bâton, une barre, &c. & dont la blessure meurtrit, entame, brise même, mais est accompagnée de caracteres qui ne sont nullement équivoques aux yeux du chirurgien expérimenté.


CONTUSIONS. f. terme de Chirurgie ; solution de continuité dans la chair ou dans les os, occasionnée par une chûte, un coup ou une compression violente, par laquelle la chair est endommagée, sans cependant aucune rupture extérieure, ou aucune perte sensible de substance, laquelle est suivie d'une effusion de sang de plusieurs petits vaisseaux rompus, tellement que la couleur de la chair en est changée, quoique le sang n'ait point passé au-travers de ses pores. Ou on peut définir la contusion, une espece particuliere de tumeur accompagnée de la stagnation du sang dans la partie affectée, produite par la rupture d'une infinité de petits vaisseaux ; à l'occasion de l'impression de quelque corps orbe.

Les contusions sont ou internes ou externes. Quand par quelqu'accident externe il vient une maladie interne, comme un asthme, un crachement de sang, &c. la contusion est dite interne ; s'il ne paroît que des symptomes externes, comme une tumeur, de la lividité, &c. elle est dite externe.

Dans les contusions internes il faut saigner le malade, & lui donner intérieurement des balsamiques, tels que sont le blanc de baleine, la poudre de rhubarbe, l'ardoise d'Irlande, les potions pectorales & oléagineuses, & autres semblables. Les remedes externes propres pour les contusions, sont les linimens ou les onguens d'althéa, de l'huile d'amandes douces, de l'esprit de vin avec du camphre, des fomentations convenables, & des emplâtres fortifians, comme celui d'oxycroceum, &c. selon que la nature de la contusion & que la partie contuse le requierent.

Les repercussifs s'employent avec succès dans les premiers tems de la contusion sans plaie ; les saignées plus ou moins répetées, selon le cas, contribuent beaucoup à la résolution du sang épanché. Lorsque la contusion est considérable, on prévient la pourriture du sang épanché, par l'incision de la tumeur. Si la partie contuse, suffoquée par l'extravasation du sang, étoit menacée de gangrene, il faudroit faire plusieurs scarifications, & appliquer des remedes spiritueux sur les endroits scarifiés, dont on entretient la chaleur avec des flanelles imbibées de quelque décoction lixivieuse. Voyez MORTIFICATION.

Les plaies contuses ne peuvent se guérir sans suppuration ; elle est plus ou moins abondante, selon la grandeur de la contusion. Les plaies d'armes à feu sont des plaies contuses, & non cautérisées, comme l'ont crû quelques anciens, & même comme le croyent quelques modernes. (Y)


CONTY(Géog.) petite ville de France, avec titre de principauté, en Picardie sur la Seille. Long. 19. 34. Lat. 49. 54.


CONVAINCUadj. (Jurispr.) En matiere criminelle, quand il y a preuve suffisante contre un accusé, le juge le déclare dûement atteint & convaincu du crime qu'on lui impute. Ce style paroît assez bizarre en effet ; c'est plûtôt le juge qui est convaincu du crime, que non pas l'accusé, lequel dénie ordinairement le crime. Quand il en seroit intérieurement convaincu, on ne peut pas l'assûrer, parce qu'il ne le manifeste pas extérieurement. Il arrive même quelquefois, mais rarement, que des innocens sont condamnés comme coupables, soit sur de fausses dépositions, ou sur des indices trompeurs. Il est bien certain, dans ce cas, que l'accusé n'est point convaincu intérieurement du crime. Il semble donc que la forme de déclarer un accusé atteint & convaincu, ne conviendroit que dans le cas où il avoüe le crime, & que quand il le nie, on devroit seulement le réputer coupable ; cependant on ne fait aucune distinction à cet égard, & l'usage a prévalu. (A)


CONVALESCENCES. f. (Medec.) recouvrement insensible de la santé.

C'est l'état dans lequel, après la guérison d'une maladie, le corps qui en a été consumé n'est pas encore rétabli, mais commence à reprendre ses forces ; alors il n'a point encore acquis l'entiere faculté : l'aisance, la promtitude de ses fonctions naturelles, les esprits nécessaires manquent, il faut du tems pour leur élaboration ; la matiere qui les produit ne peut y être rendue propre que par le secours lent des actions naturelles & animales. Les alimens fournissent la matiere de la réproduction de ces esprits : mais comme le ton des visceres est affoibli, la nature n'est pas assez forte pour la digestion qui fatigue les organes chylopoïetiques ; une légere sueur par tout le corps en est la preuve, & le moindre excès en ce genre suffit quelquefois pour causer des rechûtes dangereuses. L'image d'un convalescent est une bougie dont la lumiere se ranime, le même degré de vent l'éteint beaucoup plus aisément que quand elle est bien allumée.

Les remedes convenables pour procurer dans cette position le parfait retour de la santé, sont de ne se point impatienter, de n'avoir que des idées douces & agréables, de choisir une nourriture facile à digérer, d'en user en petite quantité & souvent, de respirer un air pur, d'employer les frictions, l'exercice modéré, sur-tout celui du cheval, les stomachiques, & les corroborans. Les facultés de l'ame qui s'étoient éclipsées dans la maladie, reparoissent dans la convalescence. Bien-tôt après les yeux reprennent leur vivacité, les joües leur coloris, les jambes la facilité de leurs mouvemens ; pour lors il n'est déjà plus question de convalesence, la santé où la nature tendoit d'elle-même, la santé, dis-je, qui consiste dans l'exercice agréable & facile de toutes les actions corporelles, a succédé. Ainsi la convalescence est à la santé, ce que l'aurore est au jour, elle l'annonce. Art. de M(D.J.)


CONVENABLEadj. (Grammaire & Morale) J'observerai d'abord que convenance n'est point le substantif de convenable, si l'on consulte les idées attachées à ces mots. La convenance est entre les choses, le convenable est dans les actions. Il y a telle maniere de s'ajuster qui n'est pas convenable à un ecclésiastique : on se charge souvent d'une commission qui n'est pas convenable au rang qu'on occupe ; ce n'est pas assez qu'une récompense soit proportionnée au service, il faut encore qu'elle soit convenable à la personne. Le convenable consiste souvent dans la conformité de sa conduite avec les usages établis & les opinions reçues. C'est, s'il est permis de s'exprimer ainsi, l'honnête arbitraire. Voyez CONVENANCE, DECENCE, HONNETE, VERTU.


CONVENANCES. f. (Gramm. & Morale) Avant que de donner la définition de ce mot, il ne sera pas hors de propos de l'appliquer à quelques exemples qui nous aident à en déterminer la notion. S'il est question d'un mariage projetté, on dit qu'il y a de la convenance entre les partis, lorsqu'il n'y a pas de disparates entre les âges, que les fortunes se rapprochent, que les naissances sont égales ; plus vous multiplierez ces sortes de rapports, en les étendant au tempérament, à la figure, au caractere, plus vous augmenterez la convenance. On dit d'un homme qui a rassemblé chez lui des convives, qu'il a gardé les convenances s'il a consulté l'âge, l'état, les humeurs, & les goûts des personnes invitées ; & plus il aura rassemblé de ces conditions qui mettent les hommes à leur aise, mieux il aura entendu les convenances. En cent occasions les raisons de convenance sont les seules qu'on ait de penser & d'agir d'une maniere plutôt que d'une autre, & si l'on entre dans le détail de ces raisons, on trouvera que ce sont des égards pour sa santé, son état, sa fortune, son humeur, son goût, ses liaisons, &c. La vertu, la raison, l'équité, la décence, l'honnêteté, la bienséance, sont donc autre chose que la convenance. La bienséance & la convenance ne se rapprochent que dans les cas où l'on dit, cela étoit à sa bienséance ; il s'en est emparé par raison de convenance. D'où l'on voit que la convenance est souvent pour les grands & les souverains un principe d'injustice, & pour les petits le motif de plusieurs sottises. En effet, y a-t-il dans les alliances quelque circonstance qu'on pese davantage que la convenance des fortunes ? cependant qu'a de mieux à faire un honnête homme qui a des richesses, que de les partager avec une femme qui n'a que de la vertu, des talens, & des charmes ? De tout ce qui précede il s'ensuit que la convenance consiste dans des considérations, tantôt raisonnables, tantôt ridicules, sur lesquelles les hommes sont persuadés que ce qui leur manque & qu'ils recherchent, leur rendra plus douce ou moins onéreuse la possession de ce qu'ils ont. Voyez les articles VERTU, HONNETETE, DECENCE, &c.

CONVENANCE, terme d'Architecture. La convenance doit être regardée comme le premier principe de l'art de bâtir : c'est par elle qu'on assigne à chaque genre d'édifices le caractere qui lui convient, par rapport à sa grandeur, sa disposition, son ordonnance, sa forme, sa richesse, ou sa simplicité ; c'est par la convenance qu'un palais, qu'un bâtiment public, qu'un monument sacré, qu'une maison de plaisance, ou tout autre ouvrage d'architecture, annonce par son aspect le motif qui l'a fait élever ; c'est elle qui enseigne, lorsqu'on a fait choix d'une expression rustique, virile, moyenne, délicate ou composée, de ne jamais allier dans la même ordonnance deux contraires ensemble ; c'est elle qui détermine l'oeconomie, ou qui autorise la plus grande richesse, qui regle le génie, qui le développe ou lui prescrit des limites ; c'est elle enfin qui conduit les productions d'un architecte, en l'empêchant d'introduire dans ses compositions rien qui ne soit vraisemblable, & qui soit contraire aux regles du bon goût & de la bienséance, Voyez ARCHITECTURE. (P)

CONVENANCE, s. f. (Jurispr.) est un ancien terme de coûtume, qui signifie une convention. Loysel, en ses instit. coûtum. liv. IV. tit. j. reg. 1. dit que convenances vainquent la loi, c'est-à-dire que par convention on peut déroger à ce qui est établi par la loi ; ainsi quoique la coûtume de Paris établisse la communauté des biens entre conjoints, on peut convenir par contrat de mariage qu'il n'y en aura point : mais la convenance ou convention ne peut pas prévaloir sur un statut prohibitif négatif, tel par exemple, que l'article 282 de la coûtume de Paris, qui défend aux maris & femmes de s'avantager l'un l'autre, soit entre-vifs ou par testament. Voyez CONVENTION.

CONVENANCE DE SUCCEDER, est une convention apposée dans un contrat de société, à l'effet que les associés se succedent mutuellement dans le cas où ceux qui viennent à décéder ne laissent point d'enfans.

La coûtume d'Auvergne, ch. xv. art. 1. admet ces sortes de conventions. L'art. 2 permet de stipuler que le pacte ou convenance de succéder, subsistera nonobstant la mort d'un des associés ; & l'article 3. porte que ce pacte finit par la mort d'un des associés quand il n'y a point de convention au contraire ; le quatrieme article décide que la convenance de succéder est entierement révoquée par la survenance des enfans, sinon qu'il y ait une convention expresse au contraire.

Henrys, tom. II. liv. VI. quest. 16. (édit. de 1708.) établit que la survenance d'enfans à l'un des associés détruit le pacte de succéder, non-seulement par rapport à cet associé, mais aussi pour tous les autres.

La convenance de succéder peut être expresse ou tacite. Voyez ci-après. CONVENTION DE SUCCEDER. (A)


CONVENANTS. m. (Hist. mod.) alliance ; c'est le nom que donnent les Anglois à la confédération faite en Ecosse l'an 1638, pour introduire une nouvelle liturgie. Ce convenant comprenoit trois chefs principaux : 1°. un renouvellement du serment qu'avoient fait les Ecossois du tems de la réformation, de défendre la prétendue pureté de la religion & les droits du Roi contre l'église de Rome, & d'adhérer inviolablement à la confession de foi dressée l'an 1580, & confirmée l'année suivante par les états généraux du royaume : 2°. un précis de tous les arrêtés des états généraux pour la conservation de la religion reformée, tant pour la discipline que pour la doctrine : 3°. une obligation de condamner le gouvernement des épiscopaux, & de s'opposer à tout ce qui seroit contraire à la profession de foi des églises d'Ecosse. Le roi Charles I. condamna ce convenant comme téméraire & tendant à rebellion. Il en permit pourtant ensuite un avec quelques restrictions, que les confédérés rigides ne voulurent point accepter. Ce convenant, qui divisa l'Ecosse en deux partis sous les noms de confédérés & de non-confédérés, fut reçu & signé en 1643 par le parlement d'Angleterre où les presbytériens dominoient alors, pour établir une uniformité dans les trois royaumes d'Angleterre, d'Ecosse & d'Irlande. Mais sous Charles II. les épiscopaux ayant repris le dessus, il ne fut plus mention de ce convenant. (G)


CONVENTVoyez COUVENT.


CONVENTICULES. m. (Police) diminutif & mot formé du latin conventus, assemblée. Conventicule se prend toûjours en mauvaise part, pour une assemblée séditieuse ou irréguliere, ou au moins clandestine. En France tout attroupement fait sans la permission & l'aveu du souverain, est un conventicule prohibé par les lois. (G)


CONVENTIONCONSENTEMENT, ACCORD, (Syn.) le second de ces mots désigne la cause & le principe du premier, & le troisieme en désigne l'effet. Exemple. Ces deux particuliers d'un commun consentement ont fait ensemble une convention au moyen de laquelle ils sont d'accord. (O)

CONVENTION, s. f. (Jurisp.) est le consentement mutuel de deux ou de plusieurs personnes pour former entr'eux quelqu'engagement ou pour en resoudre un précédent, ou pour y changer, ou ajouter, ou diminuer quelque chose, duorum vel plurium in idem placitum consensus.

On distinguoit chez les Romains deux sortes de conventions, savoir les pactes & les contrats proprement dits.

Les pactes étoient de simples conventions qui n'avoient point de nom propre ni de cause, de sorte qu'elles ne produisoient qu'une obligation naturelle qui n'engendroit point d'action, mais seulement une exception, au lieu que les contrats proprement dits étoient ceux qui avoient un nom propre, ou du moins une cause ; car il y avoit des contrats innommés, ainsi que nous l'avons dit ci-devant au mot CONTRAT ; & ces conventions produisoient une obligation civile, & celle-ci une action.

Les stipulations étoient des contrats nommés, qui se formoient verbalement & sans écrit par l'interrogation que faisoit l'un des contractans à l'autre, s'il vouloit s'obliger de faire ou donner quelque chose, & par la réponse de l'autre contractant, qui promettoit de faire ou donner ce que l'autre lui demandoit.

On ne s'arrête point parmi nous à toutes ces distinctions inutiles de forme entre les conventions, les contrats, les pactes, & les stipulations : le mot convention est un terme général qui comprend toutes sortes de pactes, traités, contrats, stipulations, promesses, & obligations. Il est vrai que chacun de ces termes convient plus particulierement pour exprimer une certaine convention ; par exemple, on ne se sert guere du terme de pacte que pour les conventions qui concernent les successions. On dit un traité de société. On appelle contrats les conventions par lesquelles deux personnes s'obligent réciproquement, & qui ont un nom propre, comme un contrat de vente, d'échange, &c. Obligation proprement dite est l'engagement d'une personne envers une autre par un acte authentique ; & promesse est un engagement verbal ou sous seing privé : mais tous ces engagemens produisent également une obligation civile & une action.

Les conventions sont proprement des loix privées que les contractans s'imposent, & auxquelles ils s'obligent de se conformer.

L'usage des conventions est une suite naturelle de la société civile & des besoins mutuels que les hommes ont les uns des autres, & des différentes choses qu'ils possedent chacun en propre ; c'est ce qui donne lieu aux traités de loüage, de prêt, de vente, d'échange, & à toutes les autres conventions en général.

Toutes personnes capables de contracter peuvent faire des conventions telles qu'elles jugent à-propos, pourvû qu'elles ne soient point contraires aux bonnes moeurs ou à quelque statut prohibitif.

Ce n'est pas seulement entre présens que l'on peut faire des conventions ; elles se peuvent faire entre absens, soit par l'entremise d'un fondé de procuration, ou de quelqu'un se portant fort pour l'absent, ou même par lettres missives.

Celui qui a charge d'un absent, ne peut l'engager au-delà du pouvoir qui lui a été donné.

Si un tiers se porte fort pour l'absent sans avoir charge de lui, l'absent n'est engagé que du jour qu'il a ratifié la convention.

Les tuteurs, curateurs, & autres administrateurs, les chefs des corps politiques & des sociétés particulieres, ne peuvent engager ceux qu'ils représentent, au-delà du pouvoir qu'ils ont en leur qualité d'administrateurs.

Toutes les choses qui entrent dans le commerce & tout ce qui peut dépendre de l'industrie ou du fait de quelqu'un, peut faire la matiere des conventions.

On les rapporte communément toutes en Droit à quatre especes principales, savoir do ut des, facio ut facias, facio ut des, do ut facias ; mais dans notre usage, ces deux dernieres especes sont proprement la même.

Toute convention pour être valable doit avoir une cause légitime, soit que l'engagement soit gratuit ou non de part & d'autre, & que les deux contractans s'obligent réciproquement l'un envers l'autre, ou qu'un seul s'oblige envers l'autre ; ainsi dans l'obligation pour cause de prêt, les deniers prêtés sont la cause de la convention : une donation doit pareillement avoir une cause, comme de récompenser le mérite ou les services du donataire, ou pour l'amitié que le donateur lui porte.

On distinguoit chez les Romains les conventions ou contrats de bonne foi de ceux qu'on appelloit de droit étroit ; mais parmi nous en toutes conventions la bonne foi est nécessaire, tant envers les contractans qu'envers les tiers qui peuvent se trouver intéressés, & cette bonne foi doit avoir toute l'étendue que l'équité demande selon la nature de l'engagement.

Il y a des conventions qui tirent leur origine du droit des gens, comme le prêt, le louage, l'échange, &c. d'autres qui tirent leur origine du droit civil, comme les transactions, cessions, subrogations. Voyez CONTRAT.

Plusieurs conventions ont un nom qui leur est propre, & forment ce que l'on appelle en Droit des contrats nommés, telles que celles dont on vient de parler, telles encore que la vente, la société, &c. d'autres n'ont point de nom qui leur soit propre, & forment des contrats innommés.

On comprend sous le terme de conventions, non-seulement le contrat principal qui contient quelque engagement, mais aussi toutes les clauses, charges, conditions, & réserves que l'on peut ajoûter au contrat.

La plûpart des conventions s'accomplissent par le seul consentement mutuel des parties ; sans qu'il soit accompagné de tradition de la chose qui fait l'objet de la convention ; il y en a néanmoins qui ne sont parfaites que par la délivrance de la chose, telles que le prêt & la vente des choses qui se livrent par poids, nombre & mesure.

Les conventions se forment en quatre manieres suivant la division du Droit, re, verbis, litteris, & solo consensu : par la chose, c'est-à-dire par la tradition d'une chose que l'on prête ou que l'on loue, ou par paroles, ou par écrit, ou par le seul consentement tacite. Voyez CONTRAT & QUASI-CONTRAT.

Anciennement la bonne foi tenoit lieu d'écrit dans les conventions ; l'écriture même, lorsqu'elle commença à être en usage, ne servoit que de mémoire ; on ne signoit point les conventions. Pline s'émerveille de ce que de son tems dans tout l'Orient & l'Egypte on n'usoit point encore de sceaux, on se contentoit de l'écriture seule ; au lieu qu'à Rome chacun marquoit l'écrit de son sceau ou cachet particulier, pour dire qu'il adoptoit ce qui étoit écrit, soit de sa main ou d'une main étrangere.

Quoiqu'on doive admirer la bonne-foi des anciens, il est cependant plus sûr d'écrire & de signer les conventions, parce que la mémoire est infidele, & que l'on évite par-là l'embarras de la preuve.

Les conventions par écrit se font pardevant notaire ou autre officier public, ou sous seing privé : on peut aussi faire des conventions ou contrats en jugement, lesquels engagent les parties comme si elles avoient signé.

Chez les Romains toute convention étoit valable sans écrit, mais dans notre usage cela souffre quelques exceptions : 1°. suivant l'article 54. de l'ordonnance de Moulins, & l'art. 2. du tit. xx. de l'ordonnance de 1667, toute convention pour chose excédante la somme de 100 livres doit être rédigée par écrit, si ce n'est en certains cas exceptés par l'ordonnance : 2°. il y a certaines conventions qui par leur nature doivent être rédigées par écrit, & même devant notaire, & avec minute, telles que les contrats de mariage, les prêts sur gage, &c.

Les billets sous signature privée, au porteur, à ordre ou autrement, causés pour valeur en argent, sont nuls, si le corps du billet n'est écrit de la main de celui qui l'a signé, ou du moins si la somme portée au billet n'est reconnue par une approbation écrite en toutes lettres aussi de sa main : on excepte seulement les billets faits par les banquiers, négocians, marchands, manufacturiers, artisans, fermiers, laboureurs, vignerons, manouvriers & autres de pareille qualité, dont la signature suffit pour la validité de leur engagement. Voyez la déclaration du 22 Septembre 1733.

Lorsque la convention se fait devant un officier public, elle n'est parfaite que quand l'acte est achevé en bonne forme, que les parties, les témoins, & l'officier public ont signé : si la signature de celui-ci manquoit, la convention seroit nulle & ne vaudroit même pas comme écriture privée, n'ayant pas été destinée à valoir en cette forme ; ce seroit seulement un commencement de preuve par écrit.

Une convention authentique n'a pas besoin de preuve, à moins qu'il n'y ait inscription de faux contre l'acte. Voyez FAUX & INSCRIPTION DE FAUX.

Les signatures apposées au bas des conventions sous seing privé, sont sujettes à vérification.

Pour ce qui est des conventions verbales, on en peut faire la preuve tant par titres que par témoins, suivant les regles portées par le titre xx. de l'ordonnance de 1667. Voyez PREUVE.

Ce qui se trouve d'obscur dans les conventions doit être à la rigueur interpreté contre celui qui a dû s'expliquer plus clairement : on incline sur-tout en ce cas pour l'obligé, & son engagement doit s'entendre de la maniere qui lui est le plus favorable.

On doit néanmoins tâcher de découvrir quelle a été l'intention des parties, à laquelle il faut toûjours s'arrêter plûtôt qu'à la lettre de l'acte ; ou si l'on ne peut découvrir qu'elle a été leur intention, on s'en tient à ce qui est de plus vraisemblable suivant l'usage des lieux & les autres circonstances.

Les différentes clauses & conventions d'un acte s'interpretent mutuellement ; on doit voir la suite de l'acte, le rapport qu'une partie avoit avec l'autre, & ce qui resulte du corps entier de l'acte.

L'effet des conventions valables est d'obliger non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à tout ce qui est une suite naturelle ou fondée sur la loi.

Dans les conventions qui doivent produire un engagement réciproque, l'un ne peut être engagé que l'autre ne le soit pareillement, & la convention doit être exécutée de part & d'autre, de maniere que si l'un refuse de l'exécuter, l'autre peut l'y contraindre ; & en cas d'inexécution de la convention en tout ou partie, il est dû des dommages & intérêts à celui qui souffre de cette inexécution.

Il est permis d'insérer dans les conventions toutes sortes de clauses & conditions, pourvû qu'elles ne soient point contraires aux lois ni au bonnes moeurs. Ainsi l'on peut déroger à son droit particulier & aux lois qui ne sont pas prohibitives ; mais les particuliers ne peuvent par aucune convention déroger au droit public.

L'évenement de la condition opere l'accomplissement ou la résolution de la convention, suivant l'état des choses & ce qui a été stipulé. Voy. CLAUSE RESOLUTOIRE ET CLAUSE PENALE.

Les conventions nulles sont celles qui, manquant de caracteres essentiels qu'elles devroient avoir, ne produisent aucun effet.

La nullité des conventions peut procéder de plusieurs causes différentes : 1°. de l'incapacité des personnes, comme quand elles n'ont pas la faculté de s'obliger ; 2°. lorsqu'il n'y a point eu de consentement libre ; 3°. lorsqu'il y a eu erreur de fait ; 4°. lorsque l'acte n'est pas revêtu des formalités nécessaires ; 5°. si la chose qui fait l'objet de la convention n'est pas dans le commerce ; 6°. si la convention est contraire au droit public, ou à quelque loi prohibitive, ou aux bonnes moeurs.

Celles qui sont dans cette derniere classe ne sont pas seulement nulles, elles sont illicites ; tellement que ceux qui y ont eu part, peuvent être punis pour les avoir faites.

Il y a des conventions qui ne sont pas nulles de plein droit, mais qui peuvent être annullées ; comme quand il y a eu dol ou lésion. Voyez NULLITE, RESCISION, STITUTION EN ENTIERTIER.

Une convention parfaite peut être résolue, soit par un consentement mutuel des parties, ou par quelque clause résolutoire, ou par la voie de la rescision ; & dans tous ces cas, les conventions accessoires, telles que l'hypotheque, les cautionnemens, &c. suivent le sort de la convention principale. Voyez au digeste les titres de pactis & de obligat. & action. & ci-devant au mot CONTRAT. Voyez aussi ENGAGEMENT, OBLIGATION.

CONVENTION COMPROMISSAIRE, est celle qui contient un compromis, à l'effet d'en passer par l'avis d'arbitres. Voyez ARBITRES & COMPROMIS, & au code, liv. IV. tit. xx. l. 20.

CONVENTION DU DROIT DES GENS, c'est celle qui tire son origine de ce droit ; c'est la même chose que contrat du droit des gens. Voyez ci-devant au mot CONTRAT.

CONVENTION EXPRESSE, est tout contrat fait soit par écrit ou verbalement, ou par la tradition de quelque chose, à la différence des conventions tacites formées par un consentement, non pas exprès, mais résultant de quelques circonstances qui le font présumer. Voyez ci-devant QUASI-CONTRAT & CONTRAT TACITE.

CONVENTION ILLICITE, est celle qui est contre les bonnes moeurs, ou contraire à quelque statut prohibitif négatif.

CONVENTION INNOMMEE : on dit plus volontiers contrat innommé. Voyez CONTRAT.

CONVENTION INUTILE, en Droit, est celle qui ne doit point avoir son exécution, telles que les conventions faites contre les bonnes moeurs. Voyez au dig. liv. XVI. tit. iij. l. 1. §. 7.

CONVENTION LEGITIME, en Droit, est celle qui est confirmée par quelque loi. Voy. au digeste, l. II. tit. xjv. l. 6. On entend aussi quelquefois par-là une convention qui tire son origine de la loi, c'est-à-dire du droit civil ; & en ce sens la convention légitime est opposée à la convention ou contrat du droit des gens.

CONVENTION LICITE, est toute convention qui n'est ni prohibée par les lois, ni contraire aux bonnes moeurs.

CONVENTION DE MARIAGE, ce sont toutes les clauses que l'on insere dans un contrat de mariage, relatives au mariage ou au droit que les conjoints doivent avoir sur les biens l'un de l'autre : telles sont les clauses par lesquelles les futurs conjoints promettent de se prendre pour mari & femme ; celles qui concernent la dot de la femme & ses paraphernaux, la communauté de biens, le doüaire ou l'augment de dot, le préciput, les dons de survie, les dettes créées avant le mariage, le remploi des propres aliénés, &c. On peut par contrat de mariage faire telles conventions que l'on juge à-propos, pourvû qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes moeurs, ou à quelque statut prohibitif qui régisse les futurs conjoints ou leurs biens.

CONVENTIONS MATRIMONIALES : on confond souvent cet objet avec les conventions de mariage. Il y a cependant quelque différence, car l'objet des conventions de mariage est plus étendu : on entend ordinairement par-là toutes les clauses contenues dans le contrat de mariage, telles que celle qui concerne la célébration même du mariage, & autres clauses dont on a parlé dans l'article précédent ; au lieu que par le terme de conventions matrimoniales proprement dites, on n'entend ordinairement autre chose que les avantages stipulés en faveur de la femme par le contrat de mariage. On joint communément le terme de reprises avec celui de conventions matrimoniales. Les reprises sont ce qui appartient à la femme de suo, comme sa dot, ses propres, remplois de propres, &c. Les conventions matrimoniales sont ce qu'elle gagne en vertu du contrat exprès ou tacite, comme sa part de la communauté de biens, son préciput, son doüaire ou son augment de dot, & autres avantages portés par la loi ou par le contrat. La femme a pour ses reprises & conventions matrimoniales hypotheque sur les biens de son mari du jour du contrat ; ou à défaut de contrat écrit, du jour de la célébration du mariage.

CONVENTION NATURELLE, qu'on appelle aussi convention sans titre, ou simple promesse, ou pacte nud, étoit chez les Romains une maniere de contracter, qui ne produisoit qu'une obligation naturelle sans aucuns effets civils. Cette convention n'étoit fondée ni sur un écrit, ni sur la tradition d'aucune chose ; mais sur le seul consentement des parties, & sur une promesse verbale qui formoit un simple pacte ou pacte nud, qu'il dépendoit de la bonne foi des parties d'exécuter ou de ne pas exécuter, parce qu'il ne produisoit point d'action civile. On ne connoît plus parmi nous cette distinction subtile des contrats d'avec les simples conventions ; toute convention licite produit une action civile pour en demander l'exécution. Voyez PACTE & & l'hist. de la jurisprud. Rom. de M. Terrasson, part. I. §. 8.

CONVENTION NUE, est la même chose que convention naturelle ; elle ne produisoit point d'action, à moins qu'elle ne fut accompagnée de tradition ou de stipulation, ff. liv. II. tit. xjv. l. 45. Voyez ci-dev. CONVENTION NATURELLE, PACTE & STIPULATION.

CONVENTIONS ORDINAIRES, sont tous les contrats qui produisent une obligation civile : on les appelloit ainsi chez les Romains, pour les distinguer des conventions simples ou naturelles. Voyez CONTRAT.

CONVENTION PRIVEE, est toute convention faite entre particuliers, & pour des objets qui les concernent seuls, ou qui ne concernent en général que des particuliers, & non le public. Ces sortes de conventions ne peuvent déroger au droit public ; elles sont opposées à ce que l'on appelle conventions publiques. Voyez l'article suivant, & au 50e. liv. du dig. tit. xvij. l. 45.

CONVENTION PUBLIQUE, est celle qui concerne le public, & qui engage l'état envers une autre nation : tels sont les treves, les suspensions d'armes, les traités de paix & d'alliance. Voyez la loi v. ou ff. de pactis, & ci-devant CONVENTION PRIVEE.

CONVENTION PROHIBEE, est celle qui est expressément défendue par quelque loi, comme de stipuler des intérêts à un denier plus fort que celui permis par l'ordonnance, de s'avantager entre conjoints.

CONVENTIONS ROYALES DE NIMES, est une jurisdiction royale établie dans cette ville par Philippe Auguste en 1272. Ce prince par une convention faite avec des marchands de différentes villes, donna à cette jurisdiction plusieurs priviléges à l'instar de ceux des foires de Champagne & de Brie, & des bourgeoisies royales de Paris ; il accorda entr'autres choses à ceux qui étoient soumis à cette jurisdiction, de poursuivre leurs débiteurs de la même maniere que le faisoient les marchands des foires de Champagne & de Brie, & de ne pouvoir être jugés par aucun autre juge que celui de Nîmes. Philippe de Valois, par des lettres du 19 Août 1345, accordées à la requête des marchands Italiens demeurant à Nîmes, & étant du corps des conventions royales, confirma ces priviléges qui étoient contestés par les bourgeois de la bastide nouvelle de Beauvais, qui prétendoient avoir des priviléges contraires. Ces lettres ne doivent servir que pendant un an. Le juge des conventions a son principal siége à Nîmes ; mais il a des lieutenans dans plusieurs lieux de la sénéchaussée : il est juge cartulaire, ayant scel royal, authentique & rigoureux. Il connoît des exécutions faites en vertu des obligations passées dans sa cour, il peut faire payer les débiteurs par saisie de corps & de biens ; mais il ne peut connoître d'aucune cause en action réelle ou personnelle, pas même par adresse de lettres royaux, suivant l'ordonnance de Charles VIII. du 28 Déc. 1490.

CONVENTION SIMPLE, voyez ci-devant CONVENTION NATURELLE.

CONVENTION DE SUCCEDER, est un contrat par lequel on regle l'ordre dans lequel on succédera à un homme encore vivant ; c'est la même chose que ce que l'on appelle succession contractuelle. Voyez SUCCESSION CONTRACTUELLE.

CONVENTION TACITE, est celle qui se forme par un consentement non pas exprès, mais seulement présumé, telles que sont les quasi-contrats. Voyez ci-devant au mot CONTRAT, à la subdivision des quasi-contrats.

CONVENTION VERBALE, est celle qui est faite par parole seulement sans aucun écrit. Chez les Romains on distinguoit les conventions qui se formoient par la tradition d'une chose, de celles qui se formoient par paroles seulement. Parmi nous on appelle convention verbale, toute convention expresse faite sans écrit.

CONVENTION USURAIRE, est celle qui renferme quelque usure au préjudice d'une des parties contractantes. V. CONTRAT USURAIRE & USURE. (A)

CONVENTION, (Hist. mod.) nom donné par les Anglois à l'assemblée extraordinaire du parlement, faite sans lettres patentes du roi l'an 1689, après la retraite du roi Jacques II. en France. Le prince & la princesse d'Orange furent appellés pour occuper le trône prétendu vacant, & aussi-tôt la convention fut convertie en parlement par le prince d'Orange. Les Anti-Jacobites se sont efforcés de justifier cette innovation : on a soutenu contre eux que cette assemblée dans son principe étoit illégitime, & contraire aux lois fondamentales du royaume. (G)


CONVENTIONNELadj. (Jurispr.) se dit de ce qui dérive d'une convention.

Par exemple, on dit un bail conventionnel par opposition au bail judiciaire qui est émané de la justice, & non d'une convention.

Fermier ou locataire conventionnel, est ainsi nommé par opposition au fermier judiciaire. Voyez ci-ap. CONVERSION DE BAIL CONVENTIONNEL.

Rachat ou retrait conventionnel, est la même chose que la faculté de réméré. Voyez REMERE. (A)


CONVENTUALITÉS. f. (Jurispr.) signifie l'état & la forme d'une maison religieuse qui a le titre de couvent ; car toute maison qui appartient à des moines, & même occupée par quelques moines, ne forme pas un couvent : il faut que cette maison ait été établie & érigée en forme de couvent, & qu'il y ait un certain nombre de religieux plus ou moins considérable, selon les statuts de l'ordre ou congrégation, pour y entretenir ce que l'on appelle la conventualité.

Il est dit par une déclaration du 6 Mai 1680, que la conventualité ne pourra être prescrite par aucun laps de tems tel qu'il puisse être, tant qu'il y aura des lieux réguliers subsistans pour y mettre dix ou douze religieux, & que les revenus de la maison seront suffisans pour les y entretenir ; de sorte que si la conventualité y est détruite, elle doit être rétablie.

Dans les prieurés simples & les prieurés sociaux, il n'y a point de conventualité. (A)


CONVENTUELSS. m. pl. (Hist. eccl.) congrégation de l'ordre de S. François. Ce nom devint commun en 1250 à tous ceux de cet ordre qui vivoient en communauté ; il fut dans la suite particulier à ceux qui pouvoient posséder des fonds & des rentes. Le cardinal Ximenès les affoiblit beaucoup en Espagne, en transférant la plûpart de leurs maisons aux Observans ; ils furent abolis en Portugal par Philippe II. ils reçurent aussi des échecs en France, où il leur resta cependant des maisons. Léon X. les sépara tout-à-fait des Observans ; mais en accordant à chacun son général, il reserva le titre de ministre général de l'ordre de S. François aux Observans, & le droit de confirmer l'élection du général des Conventuels ; il se forma de ceux-ci, en 1562, en Italie une congrégation particuliere, que Sixte V. approuva, & qu'Urbain VIII. supprima. Voyez CORDELIERS.


CONVERGENTadj. en Algebre, se dit d'une série, lorsque ses termes vont toûjours en diminuant. Ainsi 1, 1/2, 1/4, 1/8, &c. est une série convergente. Voyez SERIE, SUITE & DIVERGENT. (O)

CONVERGENT : droites convergentes, en Géométrie se dit de celles qui s'approchent continuellement, ou dont les distances diminuent de plus en plus, de maniere qu'étant prolongées, elles se rencontrent en quelque point ; au contraire des lignes divergentes, dont les distances vont toûjours en augmentant. Les lignes qui sont convergentes d'un côté, sont divergentes de l'autre. Voyez DIVERGENT.

Les rayons convergens, en Dioptrique, sont ceux qui, en passant d'un milieu dans un autre d'une densité différente, se rompent s'approchant l'un vers l'autre ; tellement que s'ils étoient assez prolongés ils se rencontreroient dans un point ou foyer. Voyez RAYON & REFRACTION, &c.

Tous les verres convexes rendent les rayons paralleles convergens, & tous les verres concaves les rendent divergens, c'est-à-dire que les uns tendent à rapprocher les rayons, & que les autres les écartent ; & la convergence ou divergence des rayons est d'autant plus grande, que les verres sont des portions de plus petites spheres. Voyez CONCAVE, &c. C'est sur ces propriétés que tous les effets des lentilles, des microscopes, des télescopes, &c. sont fondés. Voyez LENTILLE, MICROSCOPE, &c.

Les rayons qui entrent convergens d'un milieu plus dense dans un milieu plus rare, le deviennent encore davantage, & se réunissent plûtôt que s'ils avoient continué à se mouvoir dans le même milieu. Voyez REFRACTION.

Les rayons qui entrent convergens d'un milieu plus rare dans un milieu plus dense, deviennent moins convergens & se rencontrent plûtard que s'ils avoient continué leur mouvement dans le même milieu.

Les rayons paralleles qui passent d'un milieu plus dense dans un milieu plus rare, comme par exemple du verre dans l'air, deviennent convergens, & tendent à un foyer, lorsque la surface dont ils sortent a sa concavité tournée vers le milieu le plus dense, & sa convexité vers le milieu le plus rare. Voyez REFRACTION.

Les rayons divergens ou qui partent d'un même point éloigné, dans les mêmes circonstances, deviennent convergens & se rencontrent ; & à mesure qu'on approche le point lumineux, le foyer devient plus éloigné : de sorte que si le point lumineux est placé à une certaine distance, le foyer sera infiniment distant, c'est-à-dire que les rayons seront paralleles ; & si on l'approche encore davantage, ils seront divergens. Voyez DIVERGENT ; voyez aussi CONVEXITE, CONCAVE, FOYER, &c.

Si la surface qui sépare les deux milieux est plane, les rayons paralleles sortent paralleles, mais à la vérité dans une autre direction ; & si les rayons tombent divergens, ils sortent plus divergens : mais s'ils tombent convergens, il sortent plus convergens. C'est tout le contraire, si les rayons passent d'un milieu plus rare dans un plus dense. (O)

CONVERGENT : hyperbole convergente, est une hyperbole du troisieme ordre, dont les branches tendent l'une vers l'autre, & vont toutes deux vers le même côté. Telles sont (fig. 35. sect. con.) les branches hyperboliques A B, C D, qui ont une asymptote commune. (O)

CONVERGENT, en Anatomie, se dit des muscles qui rencontrent ou rencontreroient obliquement le plan que l'on imagine diviser le corps en deux parties égales & symmétriques, & forment ou formeroient avec lui un angle dont le sommet regarderoit le plan horisontal. Voyez CORPS. (L)


CONVERSS. m. (Jurispr.) est le nom que l'on donne dans les couvens à des freres qui n'ont point d'ordre. Ce mot vient du latin conversus, qui dans son origine signifioit un homme converti. On appliquoit ce nom aux laïcs qui, dans un âge de raison, embrassoient la vie religieuse, à la différence de ceux que leurs parens y avoient voüés & offerts à Dieu dès l'enfance, que l'on nommoit oblats seu oblati. Ces freres convers sont aussi nommés improprement freres lais ; ce qui ne signifie pas néanmoins qu'ils soient véritablement laïcs. En effet, dès l'an 383 le pape Sirice appella tous les moines à la cléricature ; & les freres convers, dont l'institution n'est que du xj. siecle, n'ont été appellés lais, que parce que dans l'origine c'étoient des gens sans lettres, comme ils sont encore la plûpart. Le terme lais signifiant en cette occasion un homme non lettré, par opposition au terme clerc, qui signifioit alors également l'ecclésiastique & l'homme de lettres.

Les freres convers sont néanmoins incapables de posséder des bénéfices, n'ont point de voix en chapitre ; ils n'assistent point ordinairement au choeur, mais sont employés aux oeuvres extérieures de la maison : il y a néanmoins quelques ordres où les soeurs converses ont voix en chapitre. Voy. Mabillon, soec. vj. Bened. praef. xj. n. 11. Tournet, lett. B. n. 45. Papon, liv. II. tit. jv. n. 44. Loix ecclésiast. de d'Hericourt, tit. de l'élection. &c. n. 15. (A)


CONVERSANO(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans le territoire du Bari. Long. 34. 50. lat. 41. 10.


CONVERSATIONENTRETIEN, (Gramm.) Ces deux mots désignent en général un discours mutuel entre deux ou plusieurs personnes, avec cette différence, que conversation se dit en général de quelque discours mutuel que ce puisse être, au lieu qu'entretien se dit d'un discours mutuel qui roule sur quelque objet déterminé. Ainsi on dit qu'un homme est de bonne conversation, pour dire qu'il parle bien des différens objets sur lesquels on lui donne lieu de parler ; on ne dit point qu'il est d'un bon entretien. Entretien se dit de supérieur à inférieur ; on ne dit point d'un sujet qu'il a eu une conversation avec le Roi, on dit qu'il a eu un entretien ; on se sert aussi du mot d'entretien, quand le discours roule sur une matiere importante. On dit, par exemp. ces deux princes ont eu ensemble un entretien sur les moyens de faire la paix entr'eux. Entretien se dit pour l'ordinaire des conversations imprimées, à moins que le sujet de la conversation ne soit pas sérieux ; on dit les entretiens de Ciceron sur la nature des dieux, & la conversation du P. Canaye avec le maréchal d'Hocquincourt. Dialogue est propre aux conversations dramatiques, & colloque aux conversations polémiques & publiques qui ont pour objet des matieres de doctrine, comme le colloque de Poissy. Lorsque plusieurs personnes, sur-tout au nombre de plus de deux, sont rassemblées & parlent entr'elles, on dit qu'elles sont en conversation, & non pas en entretien.

Les lois de la conversation sont en général de ne s'y appesantir sur aucun objet, mais de passer legerement, sans effort & sans affectation, d'un sujet à un autre ; de savoir y parler de choses frivoles comme de choses sérieuses ; de se souvenir que la conversation est un délassement, & qu'elle n'est ni un assaut de salle d'armes, ni un jeu d'échecs ; de savoir y être négligé, plus que négligé même, s'il le faut : en un mot de laisser, pour ainsi dire, aller son esprit en liberté, & comme il veut ou comme il peut ; de ne point s'emparer seul & avec tyrannie de la parole ; de n'y point avoir le ton dogmatique & magistral : rien ne choque davantage les auditeurs, & ne les indispose plus contre nous. La conversation est peut-être la circonstance où nous sommes le moins les maîtres de cacher notre amour propre ; & il y a toûjours à perdre pour lui à mortifier celui des autres ; parce que ce dernier cherche à se vanger, qu'il est ingénieux à en trouver les moyens, & que pour l'ordinaire il les trouve sur le champ ; car qui est-ce qui ne prête pas par cent endroits des armes à l'amour-propre d'autrui ? C'est encore un défaut qu'il faut éviter, de parler en conversation comme on feroit à des lecteurs, & d'avoir ce qu'on appelle une conversation bien écrite. Une conversation ne doit pas plus être un livre, qu'un livre ne doit être une conversation. Ce qu'il y a de singulier, c'est que ceux qui tombent dans le premier de ces défauts, tombent ordinairement dans le second ; parce qu'ils ont l'habitude de parler comme ils écriroient ; ils s'imaginent devoir écrire comme ils parleroient. On ne sauroit être trop sur ses gardes quand on parle au public, & trop à son aise avec ceux qu'on fréquente. Voyez AFFECTATION. (O)


CONVERSEadj. en Géométrie. Quand on met en supposition une vérité que l'on vient de démontrer, pour en déduire le principe qui a servi à sa démonstration, c'est-à-dire quand la conclusion devient principe & le principe conclusion, la proposition qui exprime cela s'appelle la converse de celle qui la précede.

Par ex. on démontre en Géométrie que si les deux côtés d'un triangle sont égaux, les deux angles opposés à ces côtés le sont aussi ; & par la proposition converse, si les deux angles d'un triangle sont égaux, les côtés opposés à ces angles le seront aussi.

La converse s'appelle aussi inverse. Il y a plusieurs propositions dont l'inverse n'est pas vraie : par exemple cette proposition, les trois côtés d'un triangle étant donnés, on peut connoître les trois angles, est vraie & facile à démontrer, mais son inverse seroit fausse ; les trois angles étant donnés, on connoît les trois côtés ; car il y a une infinité de triangles qui peuvent avoir les mêmes angles, sans avoir les mêmes côtés. Voyez TRIANGLES SEMBLABLES. C'est à quoi les faiseurs d'élémens de Géométrie doivent être fort attentifs pour ne pas induire en erreur les commençans. (O)


CONVERSEAUS. m. (Charpent.) ce sont, dans les moulins, quatre planches posées au-dessus des archures, deux devant, deux derriere : elles n'ont qu'un pouce & demi d'épaisseur. Voyez les dictionn. de Trév. & de Dish.


CONVERSIONCONVERSION

CONVERSION, s. f. On se sert en Arithmétique, de l'expression, proposition par conversion de raison, pour signifier la comparaison de l'antécédent, avec la différence de l'antécédent & du conséquent dans deux raisons égales.

Par exemple, y ayant même raison de 2 à 3 que de 8 à 12, on en conclud qu'il y a aussi même raison de 2 à 1 que de 8 à 4 ; c'est-à-dire en général que si a : b : : c : d, on en conclud que a : b - a : : c : d - c, ce qui est évident ; car a d = b c donne a d - a c = b c - a c, & par conséquent a : b - a : : c : d - c. Voyez ANTECEDENT, CONSEQUENT, RAISON, RAPPORT, &c. (O)

CONVERSION DES EQUATIONS, en Algebre, se dit de l'opération qu'on fait lorsqu'une quantité cherchée ou inconnue, ou une de ses parties, étant sous la forme de fraction, on réduit le tout à un même dénominateur, & qu'ensuite omettant les dénominateurs, il ne reste dans l'équation que les numérateurs. Voyez EQUATION & FRACTION.

Ainsi, supposez x - b = (xx + cc)/d + b, x étant l'inconnue, multipliez le tout par d, & vous aurez x d - b d = x x + c c + b d. Voyez EQUATION, TRANSFORMATION, &c. Ce terme est aujourd'hui peu en usage ; on se sert du mot de faire évanouir les fractions. Voyez REDUCTION (O)

* CONVERSION, s. f. (Théol.) changement ferme & durable qui survient dans la volonté du pécheur, en conséquence duquel il se repent de ses fautes, & se détermine sincerement à s'en corriger & à les expier. Il y a des théologiens qui regardent la conversion d'un pécheur dans l'ordre moral, comme un miracle aussi grand que le seroit dans l'ordre physique, celui par lequel il plairoit à Dieu de ressusciter un mort : conséquemment ils sont très-reservés à accorder aux pécheurs les prérogatives qu'ils jugent ne devoir être accordées qu'aux saints ou aux pécheurs convertis depuis un long-tems. Il est aisé de pécher par excès dans cette matiere, soit en croyant les conversions ou plus fréquentes ou plus rares qu'elles ne sont, soit en refusant opiniatrément aux pécheurs pénitens des secours dont ils ont besoin pour consommer leur conversion, & cela sur la supposition que ces secours doivent être conférés pour persévérer dans le bien, & non pour se fortifier contre le mal. V. COMMUNION.

CONVERSION, (Jurispr.) est le changement d'une chose en une autre.

Conversion d'ajournement personnel en decret de prise de corps, est un decret qui se donne en matiere criminelle, lorsque l'accusé ne comparoît pas dans le délai porté par l'ajournement personnel, ou lorsque par les charges les juges trouvent qu'il y a lieu de faire arrêter l'accusé.

Conversion d'appel en opposition, est lorsque celui qui a interjetté appel d'une sentence par défaut, veut néanmoins procéder devant le même juge ; en ce cas il fait signifier à son adversaire un acte par lequel il convertit son appel en opposition. On prenoit autrefois des lettres de chancellerie pour faire cette conversion ; mais présentement elle se fait par requête, ou par un simple acte.

Conversion de bail conventionnel en judiciaire, se fait lorsqu'un héritage est saisi réellement. Le commissaire aux saisies réelles doit sommer le locataire ou fermier de déclarer, s'il veut que son bail conventionnel soit converti en judiciaire pour ce qui reste à expirer. Le locataire ou fermier, & la partie saisie, peuvent aussi demander la même chose. On convertit ordinairement le bail conventionnel, pourvû que le prix de ce bail ne soit pas en grain, & qu'il ne soit pas fait à vil prix ni frauduleux ; & comme la condition du fermier ou locataire ne doit pas par la saisie réelle devenir plus dure qu'elle n'étoit auparavant, il n'est point tenu de donner caution, ni contraignable par corps, à moins qu'il ne le fût déjà par le bail conventionnel.

Lorsque le bail judiciaire est adjugé, les fermiers ou locataires conventionnels ne sont plus recevables à demander la conversion de leurs baux, suivant le reglement du 12 Août 1664.

Conversion de decret ; c'est lorsque pour la contumace de l'accusé, ou à cause des charges qui se trouvent contre lui, on prononce un decret plus rigoureux. Le decret d'assigné pour être oüi peut être converti en ajournement personnel, & celui-ci en prise de corps : on peut même, de l'assigné pour être oüi, passer recta au decret de prise de corps.

Conversion d'information en enquête, est un jugement qui civilise un procès criminel, & à cet effet convertit les informations en enquêtes. Le même jugement doit permettre à l'accusé qui devient défendeur simplement, de faire preuve contraire dans les délais ordinaires : on ordonne en même tems qu'il lui sera donné un extrait des noms, surnoms, âge, qualités, & demeure des témoins, afin qu'il puisse les connoître pour fournir de reproches. Cette conversion d'information en enquête ne peut être faite après la confrontation.

Conversion d'un procès civil en procès criminel, est un jugement qui ordonne qu'un procès commencé par la voie civile sera poursuivi extraordinairement ; ce qui se pratique lorsque le fait dont il s'agit paroit mériter une instruction plus grave. En convertissant le procès civil en criminel, on ne convertit pas pour cela les enquêtes en informations, mais on fait répéter les témoins par forme d'information. Voyez l'ordonn. de 1670, tit. xx. (A)

CONVERSION, figure de Rhétorique qui consiste à terminer les divers membres d'une période par les mêmes tours, comme dans cet endroit de Cicéron : Doletis tres exercitus P. R. interfectos ? Interfecit Antonius. Desideratis clarissimos cives ? eos vobis eripuit Antonius. Autoritas hujus ordinis (senatus) afflicta est ? afflixit Antonius.

On appelle encore en rhétorique conversion, l'art de retourner ou de retorquer un argument contre son adversaire, ou de le montrer par des côtés opposés, en changeant le sujet en attribut, & l'attribut en sujet. Il y a aussi des conversions d'argumens d'une figure à une autre, & des propositions générales aux particulieres. Voyez RETORSION, &c. (G)

CONVERSION, (Art milit.) se dit quand on commande aux soldats de présenter les armes à l'ennemi qui les attaque en flanc, lorsqu'ils croyoient être attaqués de front. L'évolution que les soldats font en ce cas s'appelle conversion, ou plûtôt quart de conversion.

On peut faire mouvoir toute une troupe ensemble de telle sorte, qu'elle change de terrein en conservant le même ordre sur lequel elle a été formée, & la même distance entre ses rangs & ses files. La maniere la plus simple de la faire mouvoir ainsi, est de la faire marcher en avant ; mais cette maniere est si simple, qu'elle n'a besoin d'aucune explication.

On peut aussi retourner une troupe toute entiere, & lui faire faire face d'un côté différent de celui où elle le faisoit auparavant, & cela pour la faire marcher ensuite du côté que l'on a jugé à propos, ou bien pour s'opposer à des ennemis qui paroîtroient d'un côté différent de celui où elle faisoit feu d'abord.

Ce dernier objet est bien le même que celui pour lequel on fait faire les à droit & à gauche. Mais par les à droite & à gauche les hommes de la troupe se présentent bien de différens côtés, mais ils ne s'y présentent pas également en force. Après un à droite ou un à gauche, les ennemis de la troupe se présentent bien vers le terrein qui est au flanc de la troupe, mais il n'y a alors de front que les hommes qui composoient d'abord une file.

On a dit qu'elles n'étoient pas dans les bataillons de plus de cinq, & même de quatre hommes ; ce n'est donc que cinq ou quatre hommes qui se présentent de ce côté. Si c'est un demi-tour à droite ou à gauche que l'on ait fait, un rang entier se présente bien devant l'ennemi, mais c'est le dernier ; le premier rang & les chefs de file sont alors les plus éloignés de l'ennemi. Il en est de même des officiers, qui sont obligés de rompre le bataillon pour passer au-travers, afin d'être les plus près des ennemis, ou bien, suivant l'usage, d'en faire le tour. On a donc cherché un moyen de retourner une troupe de maniere qu'elle puisse se présenter à l'ennemi selon toute sa force ; c'est-à-dire en lui opposant ses officiers & ses chefs de file, & cette maniere est ce que nous appellons conversion.

La conversion s'exécute par toute la troupe ensemble regardée comme un seul corps : tous les hommes de la troupe ne sont considérés que comme membres de ce corps, & agissant tous dépendamment les uns des autres.

La conversion peut se faire vers la droite ou vers la gauche ; si c'est vers la droite qu'elle se fait, alors le chef de file qui est à la droite de la troupe ne change point de place, il tourne doucement sur lui-même pendant que tous les autres hommes de la troupe tournent autour de lui comme autour d'un pivot.

Si c'est vers la gauche que la conversion se fait, le chef de file qui est à la gauche de la troupe ne change point de place, & tous les autres hommes de la troupe tournent autour de lui.

Pour avoir une idée juste de ce mouvement, on n'a qu'à prendre une carte à joüer, ou tel autre rectangle ou plûtôt parallélepipede que l'on voudra, l'arrêter sur une table avec une épingle, ou tel autre pivot que l'on voudra, par un des deux angles qui sont devant la carte, c'est-à-dire du côté vers lequel on la veut faire mouvoir, ensuite faire tourner cette carte sur ce pivot ; on aura une représentation exacte de la maniere dont tourne une troupe ou un bataillon sur le terrein : l'épingle représentera le chef de file qui sert de pivot, & la carte représentera la troupe qui tourne.

Si l'on veut mettre sur cette carte des épingles ou de petits crayons, ou quelque chose qui puisse laisser une trace dans le même ordre que sont les hommes dans la troupe, & que l'on fasse tourner la carte sur la table, on verra que les traces que les épingles ou les crayons laisseront sur la table, seront des portions de cercle concentriques ; de même sur le terrein chaque homme de la troupe décrit une portion de cercle d'autant plus grande qu'il est plus éloigné du pivot.

La troupe pourroit faire un tour entier, & ce mouvement s'appelleroit alors conversion entiere ; mais il ne seroit d'aucune utilité. On suppose ordinairement ce tour divisé en quatre parties égales, & l'on appelle chacune de ses parties quart de conversion.

On peut faire deux quarts de conversion de suite du même côté ; ce mouvement est en usage, & il se nomme demi-conversion. On pourroit faire aussi trois quarts de conversion de suite ; mais ce mouvement étant à présent peu en usage, il n'a point de nom particulier parmi nous, comme il en avoit parmi les anciens. On n'est pas non plus astreint à faire juste des quarts de tour ; celui qui commande l'évolution est le maître de faire arrêter la troupe quand il lui plaît, en disant alte ; ainsi elle peut faire telle portion de tour qu'il juge à propos.

Les quarts de conversion changent l'aspect des hommes, de même que les à droite & les à gauche.

Ce que l'on vient de dire peut faire remarquer aisément, que les hommes de la troupe qui sont auprès du pivot parcourent beaucoup moins d'espace de terrein, que ceux qui en sont plus éloignés ; & comme cette évolution de la troupe n'est achevée que quand tous les hommes ont achevé chacun de parcourir le chemin qu'ils ont à faire, & que d'ailleurs elle doit être faite ensemble & du même mouvement, comme si tous les hommes ne faisoient qu'un corps, il faut que celui qui sert de pivot, & ceux qui sont auprès de lui, se mouvent très-lentement, & que ceux qui en sont plus éloignés marchent plus vîte. Il s'ensuit encore que plus la troupe aura d'étendue ou de front, plus une partie des hommes de la troupe aura de chemin à faire dans le quart de conversion, & plus il faudra de tems pour l'exécuter.

Il est aisé de savoir le chemin que chaque homme de la troupe a à faire dans un quart de conversion ; il ne faut pour cela que savoir quelle est sa distance du pivot : cette distance est le rayon du quart de cercle qu'il doit décrire. Or le rayon ou demi-diamêtre est au quart de cercle, comme 7 est à 11. Ainsi il n'y a qu'à faire une regle de trois, & dire, comme 7 est à 11, ainsi le rayon connu est au quatrieme terme, qui sera la valeur du quart de cercle.

Soit, par exemple, un bataillon de six cent hommes sur quatre rangs ; c'est cent cinquante hommes par rang : on sait que chaque homme occupe deux piés dans le rang ; c'est donc trois cent piés qu'il y aura de distance du pivot à l'homme qui est à l'extrémité du rang. On dira donc, pour savoir le chemin que fera cet homme dans le mouvement du quart de conversion, comme 7 est à 11, ainsi 300 est au quatrieme terme, qui sera de 470 piés ou environ 78 toises pour le chemin qu'il aura à parcourir. (Q)


CONVERSOS. m. (Marine) c'est la partie d'en-haut du tillac qui est entre le mât de misene & le grand mât. C'est le lieu où l'on se visite les uns les autres, & où l'on fait la conversation. Ce mot nous vient des Portugais. (Z)


CONVERTIR(Marine) convertir des marchandises, c'est les mettre en oeuvre. Par exemple, c'est convertir le chanvre que d'en faire des cordes. On évitera, autant qu'il se pourra, de donner des marchandises à convertir hors des atteliers des arsenaux, à des maîtres particuliers des villes. (Z)


CONVEXEadj. (Géom.) se dit de la surface extérieure d'un corps rond, par opposition à la surface intérieure qui est creuse ou concave. Voyez CONCAVE & CONVEXITE.

Ce mot est particulierement en usage dans la Dioptrique & la Catoptrique, où l'on s'en sert par rapport aux miroirs & aux lentilles. Voyez MIROIR & LENTILLE.

Un miroir convexe représente les images plus petites que leurs objets : un miroir concave les représente souvent plus grandes. Un miroir convexe rend divergens les rayons qu'il réfléchit ; c'est pourquoi il les disperse, & affoiblit leur effet : un concave au contraire les rend presque toûjours convergens par la réflexion ; desorte qu'ils concourent en un point & que leur effet est augmenté. Plus le miroir convexe est portion d'une petite sphere, plus il diminue les objets, & plus il écarte les rayons.

Les verres convexes des deux côtés s'appellent lentilles ; s'ils sont plans d'un côté & convexes de l'autres, on les appelle verres plans-convexes, ou convexes-plans ; s'ils sont concaves d'un côté & convexes de l'autre, on les appelle verres convexo-concaves, ou concavo-convexes, selon que la surface convexe ou concave est la plus courbe (c'est-à-dire qu'elle est une portion d'une plus petite sphere), ou selon que la surface convexe ou concave est tournée vers l'objet.

Toutes les lentilles donnent aux rayons de lumiere dans leur passage une tendance l'un vers l'autre ; c'est-à-dire que les rayons sortent de ces lentilles convergens ou moins divergens qu'ils n'étoient, de sorte qu'ils concourent souvent dans un point ou foyer. Voyez CONVERGENT.

Les lentilles ont aussi la propriété de grossir les objets, c'est-à-dire de représenter les images plus grandes que les objets ; & elles les grossissent d'autant plus, qu'elles sont des portions de plus petites spheres. Voyez LENTILLE, REFRACTION, &c. (O)


CONVEXITÉS. f. (Géom.) se dit de la surface convexe d'un corps. Voyez CONVEXE ET COURBE.

Les mots convexe & concave étant purement relatifs, il est assez difficile de les définir ; car ce qui est convexe d'un côté est concave de l'autre. Pour fixer les idées, prenons une courbe, & rapportons-la à un axe placé sur le plan de cette ligne, & appellons sommet de la courbe le point où cet axe la coupe ; tirons des différens points de la courbe des tangentes qui aboutissent à l'axe : si ces tangentes, depuis le sommet de la courbe, aboutissent toûjours à des points de l'axe de plus en plus élevés, ou, ce qui revient au même, si les soûtangentes vont en augmentant, la courbe est concave vers son axe, & convexe du côté opposé ; sinon elle est convexe vers son axe, & concave de l'autre côté. (O)


CONVICTIONS. f. (Métaphys.) c'est la connoissance qu'une chose est ou n'est pas fondée sur des preuves évidentes ; ainsi il ne peut y avoir de conviction de ce qui n'est pas évidemment démontrable. Il y a cette différence entre la conviction & la persuasion, que ce dont on est convaincu ne peut être faux ; au lieu qu'on peut être persuadé d'une chose fausse. Au reste il semble que ces distinctions ne soient applicables qu'aux bons esprits, à ceux qui pesent les raisons, & qui mesurent sur elles le degré de leur certitude. Les autres sont également affectés de tout ; leur entendement est sans balance ; & ces têtes mal reglées sont beaucoup plus communes qu'on ne croit.

CONVICTION, (Jurisprud.) en stile judiciaire, est la preuve d'un fait ou d'un point de droit controversé.

L'ordonnance de 1670, tit. jv. art. 1. veut que les juges dressent procès verbal de tout ce qui peut servir pour la décharge ou conviction de l'accusé. La conviction doit être pleine & entiere pour le condamner. Voyez PREUVE (A)


CONVIVES. m. (Littér.) celui qui est invité, & qui assiste en conséquence à un repas, à un festin avec d'autres personnes.

Dans les repas des Romains il y avoit des convives, des ombres, & des parasites ; les derniers étoient appellés ou tolérés par le maître de la maison, & les ombres étoient amenés par les convives, tels qu'étoient chez Nasidiénus un Nomentanus, un Viscus Turinus, un Varius, & les autres, quos Moecenas adduxerat umbras. On leur destinoit le dernier des trois lits, c'est-à-dire celui qui étoit à la gauche du lit-milieu. Voyez LIT.

Les convives se rendoient au repas à la sortie du bain, avec une robe qui ne servoit qu'à cela, & qu'ils appelloient vestis coenatoria, triclinaria, convivalis : elle étoit pour le plus souvent blanche, surtout dans les jours de quelque solemnité ; & c'étoit aussi-bien chez les Romains que chez les Orientaux, une indiscrétion punissable de se présenter dans la salle du festin sans cette robe. Cicéron fait un crime à Vatinius d'y être venu en habit noir, quoique le repas se donnât à l'occasion d'une cérémonie funebre. Capitolin raconte que Maximin le fils, encore jeune, ayant été invité à la table de l'empereur Alexandre Sévere, & n'ayant point d'habit de table, on lui en donna un de la garderobe de l'empereur. Cet habit étoit une espece de draperie qui ne tenoit presqu'à rien, comme il paroît dans les marbres, & qui étoit pourtant différente du pallium des Grecs. Martial reproche à Luseus d'en avoir plus d'une fois remporté chez lui deux au lieu d'une de la maison où il avoit soupé.

Il étoit ordinaire d'ôter les souliers aux hommes conviés à un repas, de leur laver ou parfumer les piés, quand ils venoient prendre leurs places sur les lits qui leur étoient destinés. On avoit raison de ne pas exposer à la boue & à la poudre les étoffes précieuses dont ces lits étoient couverts.

Mais une chose qui paroîtra ici fort bizarre, c'est que long-tems même après le siecle d'Auguste, ce n'étoit point encore la mode que l'on fournît de serviettes aux convives, ils en apportoient de chez eux.

Tout le monde étant rangé suivant l'ordre établi par un maître des cérémonies préposé à l'observation de cet ordre, on apportoit des coupes qu'on plaçoit devant chaque convive. Suétone dit qu'un seigneur de la cour de Claude ayant été soupçonné d'avoir volé la coupe d'or qu'on lui avoit servie, fut encore invité pour le lendemain ; mais qu'au lieu d'une coupe d'or, telle qu'on en servoit aux autres convives, on ne lui servit qu'un gobelet de terre.

Après la distribution des coupes, on commençoit le premier service du repas. Dans les grandes fêtes, les esclaves, tant ceux de la maison que ceux que les particuliers avoient amenés, & qui demeuroient debout aux piés de leurs maîtres, étoient couronnés de fleurs & de verdure aussi-bien que les convives, & il n'y avait rien alors qui n'inspirât la joie.

Quand un ami, un parent, un voisin, n'avoit pû venir à un repas où il avoit été invité, on lui en envoyoit des portions ; & c'est ce qui s'appelloit partes mittere, ou de mensâ mittere.

Pendant le repas les convives avoient coûtume de boire à la santé des uns & des autres, de se présenter la coupe, & de faire des souhaits pour le bonheur de leurs amis, ainsi la coupe passoit de main en main depuis la premiere place jusqu'à la derniere. Juvénal dit que rarement les riches faisoient cet honneur aux pauvres, & que les pauvres n'auroient pas été bien venus à prendre cette liberté avec les riches. C'étoit néanmoins, au rapport de Varron, un engagement pour tous les convives, lorsque pour conserver l'ancien usage on faisoit un roi. Voyez ROI DU FESTIN.

Au moment que les convives étoient prêts à se séparer, ils finissoient la fête par des libations & par des voeux pour la prospérité de leur hôte, & pour celle de l'empereur. Les Anglois suivent encore cet usage.

Enfin les convives en prenant congé de leur hôte, recevoient de lui de petits présens, qui d'un mot grec étoient appellés apophoreta. Entre les exemples que nous en fournit l'histoire, celui de Cléopatre est d'une prodigalité singuliere. Après avoir fait un superbe festin à Marc Antoine & à ses officiers dans la Cilicie, elle leur donna les lits, les courte-pointes, les vases d'or & d'argent, la suite des coupes qu'on avoit mis devant chacun d'eux, avec tout ce qui avoit servi au repas. Elle y ajoûta encore des litieres pour les reporter chez eux, avec les porteurs même, & des esclaves Mores pour les reconduire avec des flambeaux. Les Empereurs Verus & Eliogabale copierent Cléopatre ; mais ils n'ont depuis été copiés par personne. Nous ne connoissons point ce genre de magnificence. Quand le doge de Venise fait la cérémonie stérile d'épouser la mer, il ne donne de sa vaisselle d'argent à aucun convié ; & s'il paroît en faire un usage plus fou, la jetter dans la mer, ce n'est que par fiction ; on a eu soin de placer des filets pour la retenir ; il n'en perd pas une seule piece. Extr. des mém. de Littér. tome I. pag. 422-450. Art. de M(D.J.)


CONVOCATION(Jurispr.) signifie invitation donnée à plusieurs personnes pour les rassembler.

On dit, par exemple, la convocation du ban & de l'arriere-ban. Voyez BAN & ARRIERE-BAN.

Les billets de convocation sont l'avertissement par écrit que l'on envoye à ceux que l'on veut rassembler.

On dit aussi convoquer ou assembler le chapitre. Voyez CHAPITRE.

L'assemblée d'une communauté d'habitans doit être convoquée au son de la cloche. Voyez ASSEMBLEE, COMMUNAUTE, HABITANS.

On convoque les pairs au parlement dans les affaires qui intéressent l'honneur de la pairie ou l'état d'un pair. Voyez PAIR. (A)

CONVOCATION, s. f. (Hist. mod.) ce terme se dit, spécialement en Angleterre, de l'assemblée du clergé de chacune des deux provinces de l'église Anglicane. Voyez SYNODE, CLERGE, &c.

Le roi adresse l'ordre de convocation à chaque archevêque, lui enjoignant d'en donner communication aux évêques de sa province, aux doyens, archidiacres, aux églises cathédrales & collégiales, &c.

L'archevêque en fait part au doyen de sa province, qui la notifie à son tour à tous ceux à qui il appartient.

Le lieu où se tient la convocation ou assemblée de la province de Cantorbery, est l'église de S. Paul, d'où elle a été transportée depuis peu à S. Pierre de Westminster, dans la chapelle d'Henri VIII. ou chambre de Jérusalem. Il y a dans cette assemblée chambre-haute & chambre-basse, comme dans le parlement d'Angleterre.

La chambre-haute dans la province de Cantorbery, consiste en 22 évêques présidés par l'archevêque, qui tous à l'ouverture de l'assemblée sont en robe d'écarlate & en chaperon.

La chambre-basse consiste en 22 doyens, 24 prébendaires, 54 archidiacres, 44 simples prêtres représentans le clergé des diocèses.

Les articles sont d'abord proposés dans la chambre-haute, qui en donne communication à la chambre-basse. Tous les membres de la chambre-haute & basse ont pour eux & leurs domestiques les mêmes priviléges que les membres du parlement.

L'archevêque d'York tient en même tems dans le même ordre l'assemblée ou convocation du clergé de sa province à York ; & au moyen de la correspondance exacte qui est entre les deux assemblées, on y discute les mêmes matieres que dans la province de Cantorbery ; mais ce n'est pas une loi que le résultat de chacune des deux assemblées soit le même.

Anciennement le clergé avoit ses représentans dans la chambre-basse du parlement. C'étoient deux députés de chaque diocèse, qu'on nommoit procuratores cleri, qui représentoient tout le corps ecclésiastique du diocèse, comme les chevaliers d'une province représentent les communes laïques de la même province ; mais cet usage a cessé depuis qu'on a appellé à la chambre-haute les évêques qui représentent tout le clergé. Voyez PARLEMENT. (G)


CONVOIS. m. (Hist. anc. & mod.) c'est le transport du corps, de la maison au lieu de sa sépulture. Après que le corps avoit été gardé le tems convenable, qui étoit communément de sept jours, un hérault annonçoit le convoi à peu-près en ces termes : " Ceux qui voudront assister aux obseques de Lucius Titus, fils de Lucius, sont avertis qu'il est tems d'y aller ; on emporte le corps hors de la maison ". Les parens & les amis s'assembloient ; ils étoient quelquefois accompagnés du peuple, lorsque le mort avoit bien mérité de la patrie. On portoit les gens de qualité sur de petits lits appellés lectiques, ou hexaphores, ou octaphores, selon le nombre de ceux qui servoient au transport. Les gens du commun étoient placés sur des sandapiles ou brancards à quatre porteurs. Le feretrum paroît être le genre, & le lectique & la sandapile les especes. Les porteurs s'appelloient vespillones. Le mort avoit le visage découvert ; on le lui peignoit quelquefois : s'il étoit trop difforme, on le couvroit. Dans les anciens tems le convoi se faisoit de nuit. Cette coûtume ne dura pas toûjours chez les Romains, & ne fut pas générale chez les anciens. A Sparte quand les rois mouroient, des gens à cheval annonçoient partout cet événement ; les femmes s'écheveloient, & frappoient nuit & jour des chauderons, dont elles accompagnoient le bruit de leurs lamentations. Chaque maison étoit obligée de mettre un homme & une femme en deuil. Au lieu de biere les Spartiates se servoient d'un bouclier. Les Athéniens célebroient les funérailles avant le lever du soleil. Les joueurs de flûte précedoient le convoi en joüant l'ialemos, ou le chant lugubre que les Latins appelloient noenia. Comme on avoit multiplié à l'excès le nombre de ces joueurs de flûte, il fut restreint à dix ; ils étoient entremêlés de saltinbanques qui gesticuloient & dansoient d'une maniere comique ; mais cela n'avoit lieu qu'aux convois de gens aisés, & dont la vie avoit été heureuse. Cette marche étoit éclairée de flambeaux & de cierges ; les pauvres allumoient seulement des chandelles. On faisoit accompagner le mort des marques de ses dignités & de ses exploits ; il y étoit lui-même représenté en cire au milieu de ses ayeux, dont on portoit les images en buste sur de longues piques : ces images étoient tirées de la salle d'entrée, & on les y replaçoit. Si le mort avoit commandé les armées, les légions étoient du convoi, elles y tenoient leurs armes renversées ; les licteurs y tenoient aussi les faisceaux renversés : les affranchis y avoient la tête couverte d'un voile de laine blanc : les fils étoient à la tête, le visage voilé : les filles y assistoient les piés nuds & les cheveux épars. Chez les Grecs les hommes & les femmes de la cérémonie se couronnoient. Mais il paroît que l'ajustement des funérailles a varié ; on s'y habilla de noir, on s'y habilla aussi de blanc. Quelquefois on se déchiroit. On loüoit des pleureuses qui fondoient en larmes en chantant les loüanges du mort ; elles se tiroient aussi les cheveux, ou elles se les coupoient, & les mettoient sur la poitrine du mort. Si le mort étoit sur un char, il y eut un tems où l'on coupoit la criniere aux chevaux. Quand la douleur étoit violente, on insultoit les dieux, on lançoit des pierres contre les temples, on renversoit les autels, on jettoit les dieux Lares dans la rue. A Rome, si le défunt étoit un homme important, le convoi se rendoit d'abord aux rostres ; on l'exposoit à la vûe du peuple : son fils, s'il en avoit un qui fût en âge, haranguoit ; il étoit entouré des images de ses ayeux, à qui on rendoit des honneurs très-capables d'exciter la jeunesse à en mériter de pareils : de-là on alloit au lieu de la sépulture. Voy. SEPULTURE, ENTERREMENT, MORT, BUCHER, &c.

Nos convois tenant beaucoup du caractere de notre religion, n'ont point cet air d'ostentation des convois du paganisme. Cette triste cérémonie se fait diversement dans les différentes sectes du Christianisme. Parmi les catholiques, des prêtres précédés de la croix viennent prendre le corps qui est suivi des parens, amis & connoissances, & le portent au lieu de sa sépulture. Voyez ENTERREMENT.

CONVOI, dans l'Art milit. se dit des provisions d'armes, de munitions, &c. escortées par un corps de troupes, allant au camp ou dans une place forte, &c.

Les armées ne pouvant subsister long-tems par elles-mêmes, & devant être continuellement pourvûes de ce qui se consomme journellement, il est de la prudence du général de faire assembler les convois dans la place la plus voisine de l'armée, afin de pouvoir aisément les rendre fréquens.

Il doit ordonner au gouverneur de veiller continuellement à tenir les chemins sûrs contre les petits partis ennemis, qui, à la faveur des bois, se peuvent tenir cachés, & enlever en détail les marchands qui viennent à l'armée. Ces sortes de petits partis doivent plûtôt être regardés comme des voleurs qui se rassemblent, que comme des partis de guerre ; aussi doivent-ils être traités avec toute sorte de rigueur lorsqu'on les charge, & avant qu'ils ayent pû faire voir qu'ils sont munis de passeports.

Lorsque le convoi est prêt, il est du soin du général de le faire arriver dans son camp avec sûreté. La situation du pays, ou son éloignement de la ville d'où part le convoi, & même la portée de l'armée ennemie, font les différences de la qualité & de la force des escortes, qui peuvent être en certain cas assez considérables pour mériter d'être commandées par un officier général, comme sont ceux d'argent.

Des autres convois, il y en a de plusieurs especes. Ceux des vivres sont presque continuels pour l'allée & le retour, parce que le pain se fournit aux troupes tous les quatre jours ; & à ceux-ci se joint tout ce qui vient à l'armée pour son besoin particulier.

Les autres sont des convois de munitions de guerre pour les besoins journaliers de l'armée, & ceux qui se font pour conduire devant une place assiégée la grosse artillerie.

En général, de quelqu'espece que soit un convoi, il faut toûjours pourvoir à ce qu'il arrive sûrement à l'armée, afin de ne point rebuter les gens que le gain attire à la suite de l'armée, & qu'elle ne manque jamais de rien. Mém. de Feuquiere. (Q)

CONVOI, (Marine) C'est un vaisseau de guerre qui conduit des vaisseaux marchands, & les escorte pour les défendre contre les corsaires, ou contre les ennemis en tems de guerre. Le convoi est composé de plusieurs vaisseaux, lorsqu'on craint la rencontre d'une escadre ennemie.

Le commandant de l'escorte donne à chaque capitaine ou maître de vaisseau marchand, un billet, par lequel on lui permet de se mettre sous la protection du convoi : c'est ce qu'on appelle lettre de convoi. Voyez CONSERVE. (Z)

CONVOI est aussi un terme qui en Hollande a plusieurs significations. On y appelle convoi, les chambres ou bureaux des colléges de l'amirauté où se distribuent les passe-ports. On y nomme aussi en général convoi-gelt, les droits d'entrée & de sortie que ces colléges font recevoir par leurs commis.

CONVOI-LOOPERS. On nomme ainsi à Amsterdam des especes de facteurs publics qui ont soin de retirer du convoi, ou, comme on dit en France, de la doüanne, toutes les expéditions, acquits & passeports dont les marchands ont besoin pour l'entrée ou la sortie de leurs marchandises. Chaque marchand a son convoi-looper, qui porte au convoi ses avis ou déclarations, & en rapporte les acquits ou passe-ports, moyennant un certain droit assez modique que lui donne le marchand ; car il ne monte pas à trois florins pour tout passe-port d'entrée de 200 florins, ni à six florins pour tout passe-port de 600 florins, de sortie. Voyez Chamb. & Savary. (G)

CONVOI DE BORDEAUX, (Jurispr. Hist. & Fin.) est un droit qui se perçoit au profit du Roi dans la généralité de Bordeaux, sur certaines marchandises. Il fut établi lors de la réduction de la Guienne à l'obéissance de Charles VII. sur les marchandises qui devant être transportées par mer aux lieux de leur destination, avoient besoin d'escorte & de convoi pour les assûrer contre les entreprises des Anglois nouvellement chassés de Bordeaux, qui faisoient les derniers efforts pour en anéantir le commerce. Les Bordelois, pour mettre leurs marchandises en sûreté, s'assujettirent volontairement à payer un droit de reconnoissance à deux ou trois petites barques, dont le principal emploi étoit de conduire les vaisseaux marchands au-delà de la tour de Cordoüan & de la branche de la Gironde ; mais dans la suite nos Rois ayant jugé qu'il ne convenoit pas à de simples particuliers de donner le secours de conduite & de convoi, ils s'en sont attribué le droit, & ont défendu à aucun particulier d'y prétendre. Il a été fait différens tarifs pour la perception de ce droit sur chaque sorte de marchandise. Ce droit est présentement compris nommément dans le bail des fermes générales. Voyez ce qui est dit au mot COMPTABLIE. (A)


CONVOIERCONVOIER


CONVOLERCONVOLER


CONVOLVULUSvoyez VOLUBILIS ou GRAND LISERON.


CONVULSIou SPASMODIQUE, (Medecine) Voyez SPASME.


CONVULSIONNAIRESS. m. pl. (Hist. eccl.) secte de fanatiques qui a paru dans notre siecle, qui existe encore, & qui a commencé au tombeau de M. Paris. Les convulsions ont nui beaucoup à la cause de l'appel, & aux miracles par lesquels on vouloit l'appuyer ; miracles attestés d'ailleurs par une foule de témoins prévenus ou trompés. Jamais les Jansénistes ne répondront à cet argument si simple : Où sont nées les convulsions, là sont nés les miracles. Les uns & les autres viennent donc de la même source ; or, de l'aveu des plus sages d'entre vous, l'oeuvre des convulsions est une imposture, ou l'ouvrage du diable, donc &c. En effet, les plus sensés d'entre les Jansénistes ont écrit avec zele & avec dignité contre ce fanatisme, ce qui a occasionné parmi eux une division en anti-convulsionistes & convulsionistes. Ceux-ci se sont redivisés bientôt en Augustinistes, Vaillantistes, Secouristes, Discernans, Figuristes, Mélangistes, &c. &c. &c. noms bien dignes d'être placés à côté de ceux des Ombilicaux, des Iscariotistes, des Stercoranistes, des Indorfiens, des Orebites, des Eoniens, & autres sectes aussi illustres. Nous n'en dirons pas davantage sur un sujet qui en vaut si peu la peine. Arnaud, Pascal & Nicole n'avoient point de convulsions, & se gardoient bien de prophétiser. Un archevêque de Lyon disoit dans le jx. siecle, au sujet de quelques prétendus prodiges de ce genre : " A-t-on jamais oui parler de ces sortes de miracles qui ne guérissent point les malades, mais font perdre à ceux qui se portent bien la santé & la raison ? Je n'en parlerois pas ainsi, si je n'en avois été témoin moi-même ; car en leur donnant bien des coups, ils avoüoient leur imposture ". Voyez le reste de ce passage très-curieux dans l'abrégé de l'histoire ecclésiastique en 2 volumes in -12. Paris, 1752, sous l'année 844. C'est en effet un étrange saint, que celui qui estropie au lieu de guérir. Mais il est peut-être plus étrange encore que les partisans d'un fanatisme si scandaleux & si absurde, se parent de leur prétendu zele pour la religion, & veuillent faire croire qu'ils en sont aujourd'hui les seuls défenseurs. On pourroit leur appliquer ce passage de l'Ecriture : Quare tu enarras justitias meas, & assumis testamentum meum per os tuum ? Voyez CONSTITUTION & JANSENISME. (O)


CONYZOIDES(Botaniq.) genre de plante à fleurs, à fleurons semblables à ceux de la conyze ; mais elle differe de ce genre par ses semences, qui n'ont point d'aigrette. Tournefort, mém. de l'acad. royale des scien. année 1706. Voyez PLANTE. (I)


CONZA(Géog.) petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure, sur la riviere d'Ofante. Long. 32. 55. lat. 40. 50.


COOBLIGÉadj. (Jurispr.) est celui qui est obligé avec une ou plusieurs autres personnes à une même chose. Les coobligés sont appellés dans le droit Romain, correi debendi seu promittendi : cette matiere est traitée principalement dans les institutes de Justinien, liv. III. tit. xvij. de duobus reis stipulandi & promittendi. On voit dans ce titre que chez les Romains il pouvoit y avoir plusieurs coobligés, de même que plusieurs co-créanciers ; mais ce qui est de remarquable dans leur usage, c'est que les coobligés étoient toûjours solidaires, lorsque chacun avoit répondu séparément qu'il promettoit de payer la dette : cependant l'un des coobligés pouvoit être obligé purement & simplement, un autre à terme, ou sous condition, & les délais dont l'un pouvoit exciper, n'empêchoient pas que l'on ne pût poursuivre celui qui étoit obligé purement & simplement : si l'un des coobligés étoit absent ou insolvable, les autres étoient obligés de payer pour lui. Cet ancien droit fut corrigé par la novelle 99, qui explique que, quand il y a plusieurs cofidéjusseurs, ils ne sont point tenus solidairement, à moins que cela n'ait été expressement convenu. Parmi nous il y a deux sortes de coobligés, les uns solidaires, les autres sans solidité. On tient pour principe qu'il n'y a point de solidité, si elle n'est exprimée. Voyez OBLIGATION SOLIDAIRE. (A)


COOMou COMB, s. m. (Comm.) est une mesure angloise contenant quatre boisseaux ou un demi-quart. Voyez MESURE & BOISSEAU.

M. Savary, dans son dictionnaire de Commerce, évalue ainsi le comb, que l'on nomme aussi carnok. Le comb est composé de quatre boisseaux, chaque boisseau de quatre pecks, chaque peck de deux gallons à raison de huit livres environ le gallon poids de troy : sur ce pié le comb pese 256 livres poids de troy.

Il ajoûte que deux combs font une quarte, & dix quartes un lest qui pese environ cinq mille cent vingt livres, poids de troy. Voyez Chambers, Dish, & le dictonn. du Comm. (G)


COOPÉRATEURS. m. (Gramm.) celui qui concourt avec un autre à la production d'un effet, soit dans l'ordre naturel, soit dans l'ordre surnaturel. La volonté de l'homme coopere avec la grace de Dieu dans les actions salutaires. Il faut dans la guérison des infirmités du corps, que la nature & le medecin cooperent. Ce terme s'employe beaucoup plus fréquemment en matiere théologique, qu'en aucune autre. On en tire les termes coopération, coopératrice, coopérer, qui ne renferment que les mêmes idées considérées sous différentes faces grammaticales.


COOPTATIONS. f. (Hist. anc. & mod.) maniere dont quelques corps peuvent s'associer des membres, lorsqu'il y a des places vacantes. Les augures, les pontifes se choisissoient anciennement des collégues par cooptation. Aujourd'hui l'université a quelquefois conféré des dignités réservées pour ceux qui avoient acquis le droit de les remplir par des études faites en son sein, à des étrangers à qui elle sembloit accorder des dispenses de formalités en faveur d'un mérite extraordinaire. Ainsi la cooptation est proprement une nomination extraordinaire & sans préjudice pour l'avenir, accompagnée de dispense. On a fait de cooptation coopter, qui a le même sens. Voyez AUGURES, PONTIFES, ETUDES, UNIVERSITE, NOMINATION.


COORDONNÉESadj. pl. (Géom.) on appelle de ce nom commun les abscisses & les ordonnées d'une courbe (Voyez ABSCISSES & ORDONNEES), soit qu'elles fassent un angle droit ou non. La nature d'une courbe se détermine par l'équation entre ses coordonnées. Voyez COURBE. On appelle coordonnnées rectangles, celles qui font un angle droit. (O)


COPA(Géog. mod.) riviere d'Italie dans le duché de Milan, qui prend sa source dans le comté de Bobio, & se jette dans le Pô dans le Pavesan.


COPAGES. m. (Jurispr.) est dit en quelques endroits par erreur pour capage, capagium, c'est-à-dire droit de chéfage, qui se payoit par chaque chef de maison. Il en est parlé dans des lettres du roi Jean du mois d'Août 1356, accordées aux habitans d'Alzonce en Languedoc, où ce droit est nommé copagium : mais il est nommé plus communément & plus régulierement capage. Voyez CHEFAGE. (A)


COPAGINAIRESS. m. pl. (Jurispr.) on appelle ainsi dans certaines provinces plusieurs cotenanciers d'un même héritage, & qui en ont passé conjointement déclaration ou reconnoissance au terrier du seigneur, in eadem paginâ du terrier. C'est de-là qu'on les appelle copaginaires. Voyez COTENANCIER. (A)


COPAH(BAUME DE), Hist. nat. bot. Pharm. Med. huile balsamique qu'on tire par incision d'un arbre du Bresil. Balsamum copaïva, ou copaü. Off. Voyez HUILE. Suc résineux, liquide, de la consistance de l'huile lorsqu'il est récent ; d'un blanc jaunâtre, devenant tenace & gluant avec le tems ; d'un goût âcre, amer, aromatique ; d'une odeur pénétrante ; & qui approche de l'odeur de ce bois odoriférant nommé calembourg, qui vient des Indes en grosses & longues bûches.

Les Portugais apportent ce baume en Europe du Bresil, de Rio de Janéïro, de Fernambouc, & de Saint-Vincent, dans des pots de terre pointus par le bout, qui contiennent encore quelquefois beaucoup d'humidité & d'ordures jointes au baume. Voyez BAUME.

On trouve dans les boutiques deux especes de ce suc résineux ; l'un plus limpide, de couleur pâle ou jaunâtre, d'une odeur agréable, d'un goût un peu amer, d'une consistance plus ou moins épaisse selon qu'il est plus ou moins vieux, approchant de celle de la térébenthine : c'est le meilleur. L'autre est plus grossier, blanchâtre, moins limpide, tenace, de la consistance du miel, d'une odeur moins suave, d'un goût amer, desagréable, avec une portion d'eau trouble au fond : cette espece paroît falsifiée ou du moins prise dans une mauvaise saison, ou peut-être extraite par la décoction des branches & de l'écorce de l'arbre ; c'est pourquoi on ne l'estime pas.

Léry, de Laët, Herrera, Linschot, Jarrisc, de Moraïs, Labat, Corréal & autres, s'étendent beaucoup sur l'histoire de ce baume & de l'arbre qui le produit ; mais on ne peut guere se fier à des écrivains qui se contredisent, & qui n'étoient ni les uns ni les autres gens du métier. Heureusement nous avons un auteur capable de nous éclairer sur cette matiere ; c'est Marcgrave, dans sa description du Bresil imprimée en latin à Amsterdam en 1648, in-folio.

Il appelle l'arbre d'où découle ce suc, copaïba. Il est assez élevé, & Labat lui donne au moins vingt-deux piés de haut ; ses racines sont grosses & nombreuses ; son tronc est droit, fort gros, couvert d'une écorce épaisse ; son bois est d'un rouge foncé ; ses feuilles en grand nombre sont portées sur une assez grosse queue de la longueur d'environ 2 pouces ; ses fleurs sont à cinq pétales : quand elles sont tombées ; il leur succede des gousses de la longueur du doigt, arrondies & brunes, lesquelles étant mûres, s'ouvrent aussi-tôt qu'on les presse, & laissent sortir le noyau qu'elles contiennent, qui est ovalaire, de la grosseur & de la figure d'une aveline, dont l'écorce extérieure est une peau mince, noirâtre, recouverte jusqu'à la moitié d'une pulpe jaune, visqueuse, molle, qui a l'odeur des pois lorsqu'on les écrase. L'amande qu'il renferme, bonne à manger, & molle comme de la corne bouillie, se brise aisément entre les dents.

Cet arbre croît dans les forêts épaisses qui sont au milieu des terres du Bresil ; il vient aussi dans l'ile de Maranhaon que nous écrivons Maragnan, & dans les îles Antilles voisines.

Lorsqu'on veut tirer l'huile de cet arbre, on fait dans le tronc une profonde incision perpendiculaire de six à sept pouces de longueur ; on glisse ensuite dans cette incision un morceau de calebasse pour diriger l'huile balsamique, & la faire tomber dans une calebasse entiere : il découle sur le champ par l'incision une liqueur huileuse & résineuse, qui est d'abord limpide comme l'huile distillée de térébenthine ; elle devient ensuite plus épaisse & d'un blanc jaunâtre. Cette liqueur qui coule la premiere, se garde séparément comme la meilleure. Si on fait cette incision dans le tems convenable, dans un arbre fort & sain, & qu'elle soit profonde, on dit que dans l'espace de trois heures, on retire jusqu'à douze livres de baume. Cette incision étant couverte aussitôt avec de la cire ou de l'argile, elle répand encore sa liqueur résineuse en assez grande quantité, une quinzaine de jours après.

Labat assûre que le tems le plus propre pour faire l'incision, est le mois de Mars pour les arbres qui se trouvent entre la ligne équinoctiale & le tropique du Cancer ; & le mois de Septembre pour ceux qui sont de l'autre côté de la ligne, c'est-à-dire entr'elle & le tropique du Capricorne.

Les Menuisiers & Ebénistes employent le bois de l'arbre pour leurs ouvrages, à cause de son rouge foncé ; on s'en sert aussi pour la teinture, mais je ne sais si le bois de Bresil de Fernambouc est du même arbre qui produit le baume.

La différence qu'il y a entre le baume de Copahu & celui du Pérou, est que ce dernier se seche & se durcit plus aisément ; au lieu que le baume de Copahu ne fait que s'épaissir, & devenir d'une couleur plus foncée sans se durcir.

On le falsifie souvent avec des huiles de moindre prix : on le contrefait par le mêlange de l'huile distillée de térébenthine avec de l'huile exprimée d'amandes douces : on vend aussi sous son nom la résine la plus pure & la plus récente du Méleze ; il arrive même quelquefois en Europe déjà sophistiqué ; en un mot il n'est pas facile d'en avoir de pur de la premiere sorte, & l'on sait que les épreuves pour découvrir s'il est véritable, sont assez fautives, du moins l'art peut les rendre telles.

La Chimie nous instruit que ce baume est composé d'une huile subtile éthérée, & d'une huile grossiere mêlée avec un sel acide ; c'est de ces principes que dépend son efficacité.

Sa dose est depuis dix gouttes jusqu'à trente dans quelque liqueur convenable, en conserve, en eléosaccharum, en pilules avec de la réglisse, ou dissous dans un jaune d'oeuf. On l'employe intérieurement & extérieurement.

Plusieurs auteurs lui accordent des vertus admirables à ces deux égards. Ils l'ordonnent intérieurement dans le scorbut, la dyssenterie, les flux de ventre, les fleurs blanches ; la gonorrhée, la néphrétique, le crachement de sang, la phthysie. Fuller le vante aussi comme un excellent béchique pour déterger les bronches, & rendre le ton aux poumons. Mais toutes ces ordonnances ne sont plus de mise vis-à-vis des medecins qui ne font aucune attention aux noms des maladies, & qui ne considerent que leurs causes. Comme ce baume est âcre & échauffant, s'il est utile quelquefois, il nuit toûjours quand on en use mal-à-propos & trop long-tems. Il irrite les tuniques délicates des premieres voies, il met les humeurs en mouvement ; il allume le sang & le porte à l'inflammation : c'est pourquoi il faut ne le donner qu'avec connoissance, loin des repas, & en petites doses.

Son usage externe est dans les excoriations pour consolider les plaies, les ulceres, & corroborer les parties nerveuses affectées d'un commencement de paralysie ou de rhûmatisme. On peut dans ce dernier cas le mêler avec deux parties d'esprit-de-vin, & en former un liniment ; mais on ne doit point l'employer dans les plaies & ulceres qui ne sont pas suffisamment détergés, ni même à cause de son âcreté sans le mêlange d'autres substances onctueuses.

Sa principale vertu vulnéraire est de s'opposer à la pourriture des sucs qui sont fournis par la suppuration, & qui découlent dans les plaies. Tout ceci s'applique également aux baumes de la Mecque, du Tollu, du Pérou, &c. Si nous n'en pouvons faire de grands éloges dans les maladies où l'on les vante davantage, du moins nous tâcherons d'amuser le lecteur par leur histoire naturelle : n'est-ce point encore trop promettre ? Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COPAIBAvoyez COPAHU.


COPALS. m. (Pharm.) gomme ou résine d'une odeur agréable, ressemblant à celle de l'encens, mais moins forte, que l'on apporte de la nouvelle Espagne, où elle sort des incisions que l'on fait à l'écorce d'un grand arbre, à-peu-près de la même maniere que la vigne rend une espece de liqueur, quand on la coupe dans le printems. Voyez GOMME & RESINE.

Les Indiens s'en servent pour brûler sur leurs autels. Chez les Européens, on s'en sert contre les envies de vomir ; elle est échauffante & aromatique. Elle est fort rare ; lorsqu'elle est bonne, elle est d'un beau jaune transparent, & se fond aisément dans la bouche ou au feu.

Au défaut de celle-ci, on en apporte d'une autre espece des Antilles, qui est même presque la seule que les droguistes connoissent : elle sert principalement pour faire du vernis. Voyez VERNIS. Chamb.


COPALXOCOTLtepeacensium (Hist. nat. bot. exotiq.) arbre dont il est fait mention dans Ray, qui nous apprend qu'il ressemble beaucoup au cerisier, que son fruit est gluant, & que les Espagnols l'ont appellé par cette raison cerasa gummosa. Voyez le dict. de James & Rai.


COPARTAGEANTadj. (Jurispr.) est celui qui partage une chose avec un autre ; des héritiers, légataires universels, & autres copropriétaires, deviennent copartageans lorsqu'ils procedent à un partage de quelque bien commun qu'ils possédoient par indivis. Voyez PARTAGE. (A)


COPEAUS. m. (Menuis. Charp. & Tourneur) menu bois enlevé à l'instrument par ces ouvriers, lorsqu'ils donnent aux pieces les formes convenables. Les gens du commun en achetent par sachées, parce qu'il est commode pour allumer le feu promtement. Les marchands de vin s'en servent pour éclaircir leurs vins qu'ils jettent dessus. Les Tabletiers, Peigners, donnent le même nom aux morceaux de bois plats, débités à la scie, menus & quarrés, & prêts à être refendus en peigne. Voyez PEIGNE.


COPECS. m. (Comm.) monnoie d'or & d'argent qui se fabrique, & qui a cours en Moscovie.

Le copec d'or pese quatorze grains au titre de vingt-un carats dix-huit trente-deuxiemes, & vaut une livre dix-neuf sous huit deniers argent de France. Le copec, comme on le conçoit facilement, est extrèmement petit. Son empreinte est une partie des armes du prince regnant, & de l'autre la lettre initiale de son nom.

Le copec d'argent est oval ; il pese huit grains au titre de dix deniers douze grains, & vaut argent de France seize deniers. Son empreinte est la même que celle du copec d'or.


COPEIA(Hist. nat. bot. exot.) arbre qui croît dans l'île de Saint-Domingue. On dit que sa feuille peut servir de papier, que les Espagnols en font des cartes, & qu'il en découle une espece de poix. Rai & James.


COPENHAGUE(Géog. mod.) grande ville très-bien fortifiée, avec un port très-commode, capitale du royaume de Danemark, sur la côte orientale de l'île de Seiland, la résidence ordinaire des rois. Long. 30. 25. lat. 35. 41.


COPERMUTANTS. m. (Droit canoniq.) il se dit de deux ecclésiastiques qui se résignent réciproquement leurs bénéfices.


COPERNICsystème ou hypothese de Copernic, (Ordre Encyclop. Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la nat. Science du ciel, Astron.) c'est un système dans lequel on suppose que le Soleil est en repos au centre du monde, & que les planetes & la terre se meuvent autour de lui dans des ellipses. Voyez SYSTEME & PLANETE.

Suivant ce système, les cieux & les étoiles sont en repos, & le mouvement diurne qu'ils paroissent avoir d'orient en occident, est produit par celui de la Terre autour de son axe d'occident en orient. Voyez TERRE, SOLEIL, ETOILE, &c.

Ce système a été soutenu par plusieurs anciens, & particulierement par Ecphantus, Seleucus, Aristarchus, Philolaüs, Cleanthes, Heraclides, Ponticus & Pythagore, & c'est de ce dernier qu'il a été surnommé le système de Pythagore.

Archimede l'a soutenu aussi dans son livre de granorum arenae numero : mais après lui il fut extrèmement négligé, & même oublié pendant plusieurs siecles ; enfin Copernic le fit revivre il y a 250 ans, d'où il a pris le nom de système de Copernic.

Nicolas Copernic, dont le nom à présent est si connu, & dont nous avons fait l'histoire abregée à l'art. ASTRONOMIE, adopta donc l'opinion des Pythagoriciens, qui ôte la Terre du centre du monde, & qui lui donne non-seulement un mouvement diurne autour de son axe, mais encore un mouvement annuel autour du Soleil ; opinion dont la simplicité l'avoit frappé, & qu'il résolut d'approfondir.

Il commença en conséquence à observer, calculer, comparer, &c. & à la fin, après une longue & sérieuse discussion des faits, il trouva qu'il pouvoit non-seulement rendre compte de tous les phénomenes & de tous les mouvemens des astres, mais même faire un système du monde fort simple.

M. de Fontenelle remarque dans ses Mondes, que Copernic mourut le jour même qu'on lui apporta le premier exemplaire imprimé de son livre : il semble, dit-il, que Copernic voulût éviter les contradictions qu'alloit subir son système.

Ce système est aujourd'hui généralement suivi en France & en Angleterre, sur-tout depuis que Descartes & Newton ont cherché l'un & l'autre à l'affermir par des explications physiques. Le dernier de ces philosophes a sur-tout développé avec une netteté admirable, & une précision surprenante, les principaux points du système de Copernic. A l'égard de Descartes, la maniere dont il a cherché à l'expliquer, quoiqu'ingénieuse, étoit trop vague pour avoir long-tems des sectateurs : aussi ne lui en reste-t-il gueres aujourd'hui parmi les vrais savans.

En Italie il est défendu de soûtenir le système de Copernic, qu'on regarde comme contraire à l'Ecriture à cause du mouvement de la Terre que ce système suppose. Voyez SYSTEME. Le grand Galilée fut autrefois mis à l'inquisition, & son opinion du mouvement de la Terre condamnée comme hérétique ; les inquisiteurs, dans le décret qu'ils rendirent contre lui, n'épargnerent pas le nom de Copernic qui l'avoit renouvellé depuis le cardinal de Cusa, ni celui de Diégue de Zuniga qui l'avoit enseignée dans ses commentaires sur Job, ni celui du P. Foscarini carme Italien, qui venoit de prouver dans une savante lettre adressée à son général, que cette opinion n'étoit point contraire à l'Ecriture. Galilée nonobstant cette censure ayant continué de dogmatiser sur le mouvement de la Terre, fut condamné de nouveau, obligé de se retracter publiquement, & d'abjurer sa prétendue erreur de bouche & par écrit, ce qu'il fit le 22 Juin 1633 ; & ayant promis à genoux la main sur les évangiles qu'il ne diroit & ne feroit jamais rien de contraire à cette ordonnance, il fut remené dans les prisons de l'inquisition, d'où il fut bien-tôt élargi. Cet événement effraya si fort Descartes très-soumis au saint siége, qu'il l'empêcha de publier son traité du monde qui étoit prêt à voir le jour. Voyez tous ces détails dans la vie de Descartes par M. Baillet.

Depuis ce tems les philosophes & les astronomes les plus éclairés d'Italie n'ont osé soûtenir le système de Copernic ; ou si par hasard ils paroissent l'adopter, ils ont grand soin d'avertir qu'ils ne le regardent que comme hypothese, & qu'ils sont d'ailleurs très-soumis aux decrets des souverains pontifes sur ce sujet.

Il seroit fort à desirer qu'un pays aussi plein d'esprit & de connoissances que l'Italie, voulût enfin reconnoître une erreur si préjudiciable aux progrès des sciences, & qu'elle pensât sur ce sujet comme nous faisons en France ! un tel changement seroit bien digne du pontife éclairé qui gouverne aujourd'hui l'Eglise ; ami des sciences & savant lui-même, c'est à lui à donner sur ce sujet la loi aux inquisiteurs, comme il l'a déjà fait sur d'autres matieres plus importantes. Il n'y a point d'inquisiteur, dit un auteur célebre, qui ne dût rougir en voyant une sphere de Copernic. Cette fureur de l'inquisition contre le mouvement de la Terre nuit même à la religion : en effet que penseront les foibles & les simples des dogmes réels que la foi nous oblige de croire, s'il se trouve qu'on mêle à ces dogmes des opinions douteuses ou fausses ? ne vaut-il pas mieux dire que l'Ecriture, dans les matieres de foi, parle d'après le S. Esprit, & dans les matieres de physique doit parler comme le peuple, dont il falloit bien parler le langage pour se mettre à sa portée ? Par cette distinction on répond à tout ; la physique & la foi sont également à couvert. Une des principales causes du décri où est le système de Copernic en Espagne & en Italie, c'est qu'on y est persuadé que quelques souverains pontifes ont décidé que la terre ne tourne pas, & qu'on y croit le jugement du pape infaillible, même sur ces matieres qui n'intéressent en rien le Christianisme. En France on ne connoît que l'Eglise d'infaillible, & on se trouve beaucoup mieux d'ailleurs de croire, sur le système du monde, les observations astronomiques que les decrets de l'inquisition ; par la même raison que le roi d'Espagne, dit M. Pascal, se trouva mieux de croire sur l'existance des antipodes, Christophle Colomb qui en venoit, que le pape Zacharie qui n'y avoit jamais été. Voyez ANTIPODES & COSMOGRAPHE.

M. Baillet, dans la vie de Descartes, que nous venons de citer, accuse le P. Scheiner jésuite, d'avoir dénoncé Galilée à l'inquisition sur son opinion du mouvement de la Terre. Ce pere, en effet, étoit jaloux ou mécontent de Galilée au sujet de la découverte des taches du Soleil que Galilée lui disputoit. Mais s'il est vrai que le pere Scheiner ait tiré cette vengeance de son adversaire, une telle démarche fait plus de tort à sa mémoire, que la découverte vraie ou prétendue des taches du Soleil ne peut lui faire d'honneur. Voyez TACHES.

En France on soutient le système de Copernic sans aucune crainte, & l'on est persuadé par les raisons que nous avons dites, que ce système n'est point contraire à la foi, quoique Josué ait dit, sta sol ; c'est ainsi qu'on répond d'une maniere solide & satisfaisante à toutes les difficultés des incrédules sur certains endroits de l'Ecriture, où ils prétendent sans raison trouver des erreurs physiques ou astronomiques grossieres.

Ce système de Copernic est non-seulement très-simple, mais très conforme aux observations astronomiques auxquelles tous les autres systèmes se refusent. On observe dans Venus des phases comme dans la Lune ; il en est de même de Mercure, ce qu'on ne peut expliquer dans le système de Ptolomée ; au lieu qu'on rend une raison très-sensible de ces phénomenes, en supposant comme Copernic le Soleil au centre, & Mercure, Venus, la Terre, qui tournent autour de lui dans l'ordre où nous les nommons. V. COSMOGRAPHIE, PHASE, VENUS, &c.

Lorsque Copernic proposa son système, dans un tems où les lunettes d'approche n'étoient pas inventées, on lui objectoit la non existance de ces phases. Il prédit qu'on les découvriroit un jour, & les télescopes ont vérifié sa prédiction. D'ailleurs n'est-il pas plus simple de donner deux mouvemens à la Terre, l'un annuel & l'autre diurne, que de faire mouvoir autour d'elle avec une vîtesse énorme & incroyable toute la sphere des étoiles ? Que devoit-on penser enfin de ce fatras d'épicycles, d'excentriques, de déférens, qu'on multiplioit pour expliquer les mouvemens des corps célestes, & dont le système de Copernic nous débarrasse ? Aussi n'y a-t-il aujourd'hui aucun astronome habile & de bonne foi à qui il vienne seulement en pensée de le révoquer en doute. Voyez CIEUX DE CRISTAL.

Au reste ce système, tel qu'on le suit aujourd'hui, n'est pas tel qu'il a été imaginé par son auteur. Il faisoit encore mouvoir les planetes dans des cercles dont le Soleil n'occupoit pas le centre. Il faut pardonner cette hypothese dans un tems où l'on n'avoit pas encore d'observations suffisantes, & où l'on ne connoissoit rien de mieux. Kepler a le premier prouvé par les observations, que les planetes décrivent autour du Soleil des ellipses, & a donné les lois de leurs mouvemens. Voyez KEPLER. Newton a depuis démontré ces lois, & a prouvé que les cometes décrivoient aussi autour du Soleil ou des paraboles ou des ellipses fort excentriques. Voyez COMETE. (O)

COPERNIC, est encore le nom d'un instrument astronomique, inventé par M. Whiston, pour calculer & représenter les mouvemens des planetes, premieres & secondaires, &c.

Il a été ainsi appellé par l'auteur, comme étant fondé sur le système de Copernic, ou comme représentant les mouvemens des corps célestes, tels qu'ils s'exécutent suivant cet astronome. Il est composé de plusieurs cercles concentriques. Par les différentes dispositions de ces cercles, qui sont faits de façon qu'ils glissent les uns dans les autres, on résout beaucoup de questions astronomiques, au moyen dequoi on évite, selon Chambers, de grands calculs, & on réduit l'ouvrage de plusieurs heures à celui de quelques minutes. Cet instrument représente jusqu'aux éclipses.

Comme l'instrument est peu en usage, une description particuliere deviendroit inutile ; l'auteur a fait un livre exprès pour l'expliquer. Chambers.

Au reste tous ces instrumens sont en eux-mêmes plus amusans qu'utiles. On ne peut jamais par leurs secours connoître les mouvemens des corps célestes que d'une maniere grossiere ; les observations réelles & les calculs astronomiques sont le seul moyen que les philosophes connoissent d'y parvenir ; tout le reste, quoique assez curieux en soi, est bon à amuser le peuple, ou à orner les cabinets des demi-savans. Voyez PLANISPHERE. (O)


COPERNICIENS. m. (Phys.) nom par lequel on désigne ceux qui soutiennent le système de Copernic sur le mouvement des corps célestes.


COPHTou COPTE, s. m. (Théol.) C'est ainsi que l'on appelle les chrétiens d'égypte, de la secte des Jacobites, ou Monophysites. Voyez JACOBITES. On est très-partagé sur l'origine de ce nom ; on le tire de Copte ou Coptas, ville d'Egypte. On lui fait signifier coupé ou circoncis ; on le dérive d'Aegyptos, en soustrayant la premiere syllabe. On en cherche l'étymologie dans Kibel, nom ancien de l'Egypte ; dans Cobtim, autre ancien nom de l'Egypte ; dans Copt fils de Mesraim & petit-fils de Noé ; & dans Jacobite, en retranchant la premiere syllabe, d'où l'on a fait Cobite, Cobta, Copta, Cophta. Voyez JACOBITES. La langue dans laquelle ils font le service divin, est un mêlange de grec & d'égyptien ; ils persistent dans l'erreur qu'il n'y a qu'une nature en Jesus-Christ. Leur église est gouvernée par un patriarche, & quelques évêques & archevêques. Le patriarche est élû par les évêques, le clergé & les premiers des laïcs. Il est obligé à vivre dans le célibat. Il nomme seul les évêques & archevêques, qu'il choisit entre les séculiers qui sont veufs. La dixme fait tout le revenu de ces princes de l'église Cophte. Les prêtres peuvent être mariés. Il y a sous les prêtres les diacres de l'évangile, les diacres de l'épître, & les agnostes. Ce clergé est très-méprisable ; il ignore même la langue dans laquelle il prie, ce qui n'empêche pas qu'il ne soit très-honoré. L'autorité des évêques est grande. Le patriarche est une espece de despote. Quoiqu'ils n'entendent pas leur breviaire, il n'en est pas moins long. Ils ont des moines & des religieuses qui observent très-rigoureusement le voeu de pauvreté, qu'ils ne font que quand ils n'ont rien, ne concevant pas comment ceux qui ont quelque chose, peuvent y renoncer. Les Mahométans ont confié la recette des droits publics en Egypte, à des Chrétiens Cophtes. Excepté ces receveurs, le reste est pauvre & vit durement, n'ayant pour toute consolation que la facilité de changer de femmes par le divorce, qui est fréquent, & par un nouveau mariage dont il peut être suivi. Ils admettent sept sacremens, dont ceux à qui il est reservé de les conférer, savent à peine les noms. Ils different le baptême des enfans mâles de 40 jours, & celui des filles de 80. Ce sacrement ne se confere jamais que dans l'église ; en cas de péril, on y supplée par des onctions : il se donne par trois immersions, l'une au nom du Pere, la seconde au nom du Fils, & la troisieme au nom du S. Esprit, en disant à chacune : Je te baptise au nom de la Personne dont l'immersion se fait. Ils confirment l'enfant, & le communient aussitôt après l'avoir baptisé ; mais ils ne le communient que sous l'espece du vin. La confirmation & le baptême sont accompagnés d'une multitude prodigieuse d'onctions. Les simples prêtres peuvent donner la confirmation. Ils ont sur l'Eucharistie le même sentiment que les Catholiques. Ils communient les hommes sous les deux especes ; ils portent aux femmes l'espece seule du pain humectée de quelques gouttes du sang de J. C. qui ne sort jamais du sanctuaire, où il n'est point permis aux femmes d'entrer. Ils ne conservent point de pain consacré. Quand il faut administrer le Viatique, la messe se dit, à quelque heure & en quelque circonstance que ce soit. Ils pensent bien sur la confession, mais elle est rare parmi eux ; un de leurs patriarches a été même jusqu'à l'abolir, parce que les mauvais confesseurs, disoit-il, font du mal, & qu'il est presqu'impossible d'en trouver de bons ; & il faut convenir qu'après la peinture que nous avons faite du clergé Cophte, le raisonnement du patriarche peut être approuvé. Dans le cours ordinaire de la vie, les sacremens ne se conferent qu'aux personnes mariées ; ils se confessent une ou deux fois par an : leur mariage a tout l'air d'un sacrement. Ils administrent l'Extrême-onction dans les indispositions les plus légeres de corps ou d'esprit ; ils oignent de l'huile benite & l'indisposé & tous les assistans, de peur que le diable chassé d'un corps, ne rentre dans un autre. Les Cophtes en sont pour les onctions réitérées ; ils oignent les vivans & les morts. Ils ont deux sortes d'huile, l'huile benite & l'huile sacramentale. Leurs jeûnes ne finissent point. Les femmes Turques ont pris la manie du jeûne des femmes Cophtes. Quant aux autres fideles, excepté l'abstinence du carême, qu'ils gardent avec l'exactitude la plus rigoureuse, ils se traitent un peu plus doucement dans les tems moins remarquables ; ils prennent le café, fument la pipe, & laissent aux femmes & aux prêtres la gloire d'un jeûne plus stricte. Les Cophtes ont reçû des Mahométans la circoncision, qui s'abolit peu-à-peu parmi eux. Leur patriarche prend le titre de patriarche d'Alexandrie ; il réside au monastere de S. Macaire ; il prétend que sa dignité n'a point souffert d'interruption depuis S. Marc. Il ne faut pas le confondre avec le patriarche grec des Melchites. On a tenté quelquefois de le ramener dans l'Eglise, mais inutilement. On prétend qu'il reconnoît la primauté de l'Eglise Romaine, ce qui n'est pas avoüé par le parti protestant. Voyez CIRCONCISION, BAPTEME, CONFIRMATION, CONFESSION, PATRIARCHE, MELCHITES, &c.

COPHTE, voyez COPTE.


COPHTIQUou COPTIQUE, adject. (Hist. ecclésiast.) liturgies Cophtiques, ou suivies par les Cophtes. Il y en a trois, l'une attribuée à S. Basile, l'autre à S. Grégoire le théologien, & la troisieme à S. Cyrille d'Alexandrie ; elles ont été traduites en Arabe pour l'usage des prêtres & du peuple. Voyez LITURGIE.


COPIAPO(Géog. mod.) grande riviere de l'Amérique méridionale : avec une ville de même nom au Chily. Long. 309. lat. mérid. 27.


COPIATES. m. (Hist. eccl.) celui qui faisoit les fosses pour enterrer les morts. Dans les premiers siecles de l'Eglise il y avoit des clercs destinés à ce travail. Enfin en 357 Constantin fit une loi en faveur des prêtres Copiates, c'est-à-dire de ceux qui avoient soin des enterremens, par laquelle il les exemptoit de la contribution lustrale que payoient tous les marchands. C'est sous cet empereur qu'on commença à les appeller Copiates, c'est-à-dire des clercs destinés au travail, du grec , travail, qui vient de , scindo, caedo, ferio ; auparavant ils s'appelloient decani & lecticarii, peut-être parce qu'ils étoient divisés par dixaines, dont chacune avoit une biere ou litiere pour porter les corps. On leur donnoit ordinairement rang parmi les clercs, & avant les chantres. Selon Bingham, ils étoient fort nombreux, sur-tout dans les grandes églises ; on en comptoit jusqu'à onze cent dans celle de Constantinople du tems de Constantin, & il n'y en eut jamais moins de neuf cent cinquante sous ceux de ses successeurs, qui réduisirent les Copiates à un plus petit nombre. On les appella aussi collegiati, parce qu'ils formoient un corps à part ; collegium, une société distinguée des autres clercs. Il ne paroît pas qu'ils retirassent aucune rétribution des enterremens, mais sur-tout de ceux des pauvres ; l'église les entretenoit sur ses revenus, ou ils faisoient pour subsister quelque commerce ; & c'étoit en considération des services qu'ils rendoient dans les funérailles, que Constantin les avoit exemptés du tribut imposé sur tous les autres commerçans. Bingham. orig. eccles. tom. II. lib. III. cap. viij. §. 1. 2. 3 & 4. (G)


COPIES. f. (Gramm.) C'est un double d'un écrit, d'un ouvrage, d'un tableau, &c. Une copie pour être bonne, en qualité pure & simple de copie, doit avoir & les beautés & les défauts de l'original, si c'est un tableau. Voyez COPIE (Peinture) Elle doit rendre les fautes de l'écriture & du sens, si c'est d'un écrit.

COPIE, (Jurispr.) est la transcription d'un acte. Le terme de copie est quelquefois opposé à celui d'original ; par exemple, on dit l'original d'un exploit qui reste au demandeur, & la copie que l'on laisse au défendeur. Ce même terme de copie est quelquefois opposé à celui de minute, lorsque la copie est tirée sur l'original d'un acte que l'on qualifie de minute, tel que la minute d'un acte passé devant notaire, la minute d'une consultation, ou autre écriture du ministere d'avocat. Le terme de copie est aussi quelquefois opposé à celui de grosse ; par exemple, l'original d'une requête s'appelle la grosse, & le double que l'on en fait, est la copie. En Bretagne, au lieu de copie on dit un autant, parce qu'en effet celui qui a la copie d'un acte, en a autant qu'il y en a dans l'original. On distingue dans certains actes la copie de la grosse & de l'expédition. La grosse d'un acte devant notaire, ou d'un jugement, est bien une copie tirée sur la minute ; mais c'est une copie revêtue de plus de formalités : elle est en forme exécutoire ; & pour la distinguer des autres copies, on l'appelle grosse. L'expédition est aussi une copie de l'acte, mais distinguée de la simple copie, parce qu'elle est ordinairement en parchemin. Il y a cependant aussi des expéditions en papier, mais elles sont encore distinguées des simples copies, soit parce qu'elles sont sur du papier différent, soit parce qu'elles sont tirées sur la minute ; au lieu qu'une simple copie d'un acte devant notaire, n'est ordinairement tirée que sur une expédition : il y a pourtant des copies collationnées à la minute.

Copie collationnée en général, est celle qui après avoir été tirée sur un acte, a été relûe & reconnue conforme à cet acte. Les notaires délivrent des copies collationnées des actes dont ils ont la minute, ou qui leur sont présentés. Les secrétaires du Roi ont aussi le droit de collationner des copies de toutes sortes d'actes. Les huissiers & sergens, lorsqu'ils compulsent des pieces, en tirent aussi des copies, soit entieres ou par extrait, collationnées à l'original. L'ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Février 1356, veut qu'on ajoûte la même foi aux copies de cette ordonnance collationnées sous le scel royal, que si c'étoit l'original même.

Copie correcte & lisible, est celle où il n'y a point de faute, qui n'est point tronquée, & qui est aisée à lire. Lorsqu'une partie affecte de donner des copies de pieces tronquées ou indéchiffrables, l'autre partie demande qu'on lui donne d'autres copies correctes & lisibles ; & si on le refusoit mal-à-propos, le juge ne manqueroit pas de l'ordonner.

Copie entiere, ne signifie pas celle qui est entiere & finie en elle-même, mais celle qui contient la transcription d'un acte en entier.

Copie par extrait ; c'est proprement un extrait d'un acte que l'on donne au lieu d'une copie entiere, lorsque l'acte est trop long, ou qu'il n'y a qu'une partie de l'acte qui intéresse celui auquel on donne cette copie par extrait.

Copie figurée, est celle qui non-seulement contient la transcription d'un acte en entier, mais qui le représente dans la même forme qu'il est, c'est-à-dire, copie sur du papier de même grandeur, page pour page, ligne pour ligne, où l'on représente en leur lieu jusqu'aux points & aux virgules, les renvois & apostilles, les ratures, interlignes, & les signatures. Ces sortes de copies sont ordinairement demandées & ordonnées, & lorsque l'original est soupçonné d'être faux, ou d'avoir été altéré après coup.

Copie sur papier commun ; ces sortes de copies ne sont point reçûes en justice dans tous les pays où le papier timbré est en usage.

Copie signifiée, est celle que l'huissier laisse à la partie ou à son procureur, en signifiant un acte.

Copie tronquée, est celle dans laquelle l'acte n'est point transcrit exactement, & où l'on a affecté de passer quelque partie de l'acte. Voyez Copie correcte.

Copie vidimée, se disoit anciennement, & se dit encore en certains pays, pour copie collationnée. Ce terme vient de vidimus, par lequel on commençoit autrefois toutes les collations & confirmations de lettres de chancellerie. (A)

COPIE, (Com.) On appelle livre de copie de lettres, un registre sur lequel les marchands font transcrire les lettres qu'ils écrivent à leurs commissionnaires & correspondans. Ce livre est un de ceux qu'il est le plus nécessaire de tenir dans un gros négoce. Voyez LIVRE, LETTRES, les Dict. du Comm. & de Trév. & Chambers.

* COPIE, (Peinture) C'est en général tout ce qui est fait d'imitation, excepté de la nature ; ce qui est fait d'après nature, s'appelle original. On dit copier la nature d'après nature, mais on ne dit pas une copie d'après nature.

Il y a des peintres qui imitent la maniere d'un autre peintre ; on dit d'eux qu'ils savent la maniere de tel ou tel, sans que pour cela leurs tableaux soient regardés comme des copies. On distingue aussi les estampes en copies & en originales ; celles qui sont faites d'après les tableaux, sont appellées originales ; & celles qui sont faites d'après d'autres estampes, copies.

Il y a des peintres qui copient si parfaitement les tableaux d'un ou plusieurs maîtres, que les plus éclairés sont souvent embarrassés à distinguer la copie de l'original, lorsqu'ils n'ont pas un oeil extrèmement expérimenté, une grande connoissance de l'art, ou, ce qui supplée l'un & l'autre, le tableau pour les confronter ; ce qui doit rendre les amateurs de tableaux très-circonspects, soit dans leurs jugemens, soit dans leurs achats, sur-tout lorsqu'il s'agit des productions des grands maîtres de l'école d'Italie, parce qu'on en a fait une infinité de copies, parmi lesquelles il s'en trouve plusieurs d'une beauté & d'une hardiesse surprenante. On dit qu'un éleve d'un peintre habile copia si parfaitement un tableau de son maître, que celui-ci s'y trompa. J'ai entendu nier la possibilité du fait par un peintre qui vit aujourd'hui, & qui se fait admirer par la vérité & l'originalité de ses ouvrages. M. Chardin prétendoit que quelle que fût la copie qu'on feroit d'un de ses tableaux, il ne s'y méprendroit jamais, & que cette copie seroit ou plus belle (ce qui seroit difficile), ou moins belle que l'original. On lui objecta des autorités, il n'en fut point ébranlé ; il opposa la raison & le bon sens aux témoignages & aux faits prétendus, ajoûtant qu'il n'y avoit point d'absurdités, en quelque genre que ce fût, dans lesquelles on ne fût précipité, lorsqu'on sacrifieroit ses lumieres à des noms & à des passages. Il faut, disoit-il, examiner d'abord la possibilité, & les preuves de fait ensuite.

COPIE, terme d'Imprimeur & de Libraire ; c'est le manuscrit ou l'original d'un ouvrage destiné à être imprimé. Par le mot de copie l'on n'entend parler souvent que d'une portion du tout ; c'est dans ce sens que l'on dit : Il faudroit demander de la copie à l'auteur ; s'il est pressé de son ouvrage. On dit d'une copie en général, qu'elle est bien écrite, qu'elle est d'un auteur très-connu, ou d'un anonyme.

Copie, (compter sa) ; c'est combiner combien un manuscrit pourra faire de feuilles d'impression d'un caractere désigné.

Copies de chapelle, c'est un nombre d'exemplaires que les ouvriers de l'imprimerie retiennent sur les ouvrages auxquels ils travaillent. Cet usage abusif n'est fondé sur aucune loi.


COPIEUSEMENTABONDAMMENT, BEAUCOUP, BIEN, (Gram.) adverbes relatifs à la quantité. Bien, à la quantité du qualificatif, ou au degré de la qualité. Il faut être bien vertueux ou bien froid pour résister à une jolie femme. On peut mettre bien de la sagesse dans ses discours, & bien de la folie dans ses actions. Beaucoup, à la quantité ou numérique ou commensurable, ou considerée comme telle. Beaucoup de gens n'aiment point, ne sont point aimés, & se vantent cependant d'avoir beaucoup d'amis. On ne peut avoir beaucoup de prétentions sans rencontrer beaucoup d'obstacles. Abondamment, à la quantité des substances destinées aux besoins de la vie : La fourmi ne seme point, & recueille abondamment. Il se joint ici à la quantité de la chose, une idée accessoire de l'usage. Copieusement est presque technique, & ne s'employe que quand il s'agit des fonctions animales. Ce malade a été sauvé par une évacuation de bile très-copieuse. J'ai dit que la quantité à laquelle beaucoup avoit du rapport, étoit considerée comme susceptible de mesure ; c'est pourquoi l'on dit beaucoup de dévotion : d'où l'on voit encore que beaucoup exclut l'article le, & que bien l'exige ; car on dit aussi bien de l'humeur.


COPISTES. m. (Art méch.) c'est un homme qui sait bien lire & bien écrire, & qui gagne sa vie avec ces deux talens, en transcrivant pour les particuliers, des ouvrages qu'on veut avoir ou plus corrects, ou doubles. Voyez COPIE.

COPISTES, se dit en Peinture, des dessinateurs, des peintres qui travaillent toûjours d'après les ouvrages des autres, & qui ne font rien de génie. Les plus habiles copistes sont moins estimés que de médiocres inventeurs. V. COPIE & le Dict. de Peint. (R)


COPIVISH-OCCASSOU(Hist. nat. bot. exot.) arbre qui croît aux Indes occidentales. On dit que son fruit ressemble à celui du poirier ; qu'on l'appelle occassou, & qu'il est excellent quand il est mûr.


COPLAND(Géog. mod.) petit district d'Angleterre dans la province de Cumberland.


COPORIE(Géog. mod.) ville de l'empire Russien, à l'embouchure d'une riviere de même nom dans l'Ingrie. Long. 47. 25. lat. 59. 36.


COPPAS. m. (Hist. anc.) caractere grec qui exprimoit en nombre 90. C'étoit un P retourné, ou le Q des Latins ; on le figura dans la suite comme un G. On en marquoit les chevaux. Le sigma servoit aussi au même usage. Le cheval marqué du coppa, s'appelloit coppatias equus.


COPPATIASVoyez COPPA.


COPRANITZ(Géog. mod.) ville d'Esclavonie, à peu de distance de la Drave.


COPRIBA(Hist. nat. Bot. exot.) arbre du Brésil qui croît fort haut, & auquel on ne connoît aucune propriété medecinale. Ray.


COPRISA(Géog. mod.) riviere de la Turquie en Europe, en Romanie, qui prend sa source sur les frontieres de la Bulgarie, & se jette dans la Mariza.


COPROPRIETAIRES. m. (Jurisprud.) est celui qui possede avec un autre la propriété d'une maison, d'une terre, ou d'un autre immeuble, ou même de quelqu'effet mobilier.

Les copropriétaires possedent par indivis ou séparément : ils possedent par indivis, lorsque la chose commune n'est point partagée, & qu'aucun d'eux n'a sa part distincte des autres ; ils possedent séparément, lorsque la part de chacun est fixée & distinguée des autres.

Un effet mobilier ne peut appartenir à plusieurs copropriétaires que par indivis ; car si l'effet est partagé, & que les parts soient distinguées, il n'y a plus de copropriété ; au lieu que pour certains immeubles, tels qu'un corps de bâtiment, un fief, il est toûjours vrai de dire que les possesseurs sont copropriétaires, quoique leurs parts soient distinguées.

Il est libre à chacun des copropriétaires par indivis, de provoquer le partage, ou la licitation si l'effet ne peut pas se partager commodément.

Le nombre des copropriétaires auxquels peut appartenir une même chose n'est point limité.

Les copropriétaires peuvent posséder chacun en vertu d'un titre particulier, ou en vertu d'un titre commun : ils sont copropriétaires à titre particulier, lorsque chacun d'eux a acquis séparément sa part, ou que l'un d'eux a eu la sienne par succession, & que l'autre a acquis la sienne d'un héritier : ils sont copropriétaires à titre commun, lorsqu'ils sont devenus propriétaires par le même titre, comme des cohéritiers, collégataires, codonataires ; & des coacquéreurs par le même contrat. Cette distinction du titre commun d'avec le titre particulier est fort importante, en ce que quand les copropriétaires à titre commun par indivis font une licitation, celui d'entr'eux qui se rend adjudicataire ne doit point de droits seigneuriaux ; au lieu que si les copropriétaires ne sont devenus tels qu'à titre particulier, celui qui se rend adjudicataire doit des droits. Voyez LICITATION, PROPRIETE, DROITS SEIGNEURIAUX. (A)


COPSS. m. (Hist. nat.) voyez ESTURGEON.


COPTou COPHTE, (Hist. anc.) c'est la langue ancienne des Egyptiens : elle est aujourd'hui mêlée de beaucoup de grec & d'arabe. Le P. Kirker en a publié un vocabulaire. On en a des grammaires. Ses caracteres sont grecs. Les Cophtes ne la parlent point. Les seuls livres qui soient écrits en cophte sont des traductions de l'Ecriture, ou des offices ecclésiastiques. Il y a des auteurs qui prétendent que le cophte n'a jamais été parlé, & que c'est ou un jargon fait de propos déliberé, ou une langue ancienne, telle que le lybien, ou l'arabe, ou l'égyptien, entierement défigurée. Le P. Kirker, qui n'est pas de cet avis, prétend que la connoissance de ce qui reste du cophte est très-propre pour l'intelligence des hiéroglyphes & des inscriptions anciennes.


COPULES. f. (Logique) c'est, dans un jugement, le terme ou signe qui marque la comparaison ou liaison que l'esprit fait de l'attribut & du sujet. Quelquefois la copule & l'attribut sont renfermés dans un seul mot ; mais il n'y a aucune proposition qu'on ne puisse convertir de maniere à les séparer. Ainsi dans Dieu existe, existe contient la copule & l'attribut ; qu'on distinguera en disant Dieu est existant. C'est sur la copule que tombe toûjours la négation ou l'affirmation qui fait la qualité de la proposition ; les autres affirmations ou négations modifient le sujet ou l'attribut, mais ne déterminent point la proposition à être affirmative ou négative. Ce sont les verbes auxiliaires qui servent de copules grammaticales dans les jugemens. Voy. SUJET, ATTRIBUT, JUGEMENT, PROPOSITION, SYLLOGISME.

COPULE CHARNELLE, (Jurispr.) se dit en Droit pour exprimer la cohabitation qu'il y a eu entre deux personnes de différent sexe. Voyez COHABITATION. (A)


COQad med. consumpt. (Medec.) abréviation dont se servent les Medecins pour dire qu'une chose doit être bouillie jusqu'à ce qu'elle soit à demi-consumée ; ad med. consumpt. signifie ad mediam consumptionem. Coq. in S. Q. Aq. signifie qu'une chose doit être bouillie dans une quantité suffisante d'eau.

COQ, s. m. (Hist. nat. Ornithol.) gallus gallinaceus, oiseau domestique qui est si commun presque par-tout, que la plûpart des Naturalistes ont négligé de le décrire. Willughby le distingue des autres oiseaux de son genre, en ce que les plumes de la queue sont posées verticalement, qu'il a une crête charnue & dentelée sur la tête, des pendans sous le menton, & de longs éperons aux pattes. Le même auteur remarque que le coq & le rossignol sont de tous les oiseaux de jour les seuls qui chantent pendant la nuit. On a compté jusqu'à vingt sept grandes plumes dans chacune des ailes, & quatorze dans la queue. Les deux plumes du milieu sont beaucoup plus longues que les autres, & recourbées dans la plus grande partie de leur longueur. Le coq qui a servi de sujet pour la description suivante, avoit deux piés cinq pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des plus longues plumes de la queue, & seulement un pié huit pouces jusqu'au bout des pattes. L'envergure étoit de deux piés huit pouces. Sa crête étoit charnue, dentelée, d'une belle couleur rouge, droite, ferme, & s'étendoit tout le long du sommet de la tête & sur le bec, jusqu'à environ quatre lignes de distance de cette extrémité : elle avoit trois pouces de hauteur depuis le dessus de la dent la plus élevée jusqu'aux coins de la bouche, trois pouces de longueur, & sept à huit lignes d'épaisseur à la racine ; cette épaisseur diminuoit peu-à-peu, & se réduisoit à une ligne ou deux au sommet. Les dents du milieu de la crête avoient six lignes de hauteur ; celles des deux bouts étoient beaucoup moins longues. Il y avoit sous le bec deux appendices de même substance que la crête, d'une couleur aussi rouge, & de figure ovale ; ils avoient un pouce & demi de longueur, un pouce deux lignes de largeur, sur environ une ligne d'épaisseur : ils étoient situés dans la même direction que le bec. Il y avoit sur le côté extérieur de chacun de ces appendices une sorte de tubercule de quatre lignes de hauteur. La peau qui entoure les yeux étoit d'une couleur rouge moins foncée que la crête : cette peau se prolongeoit, & formoit encore deux appendices de couleur blanchâtre mêlée de rouge, un de chaque côté au-delà de l'oeil, & un peu plus bas ; ils avoient près d'un pouce de longueur, & neuf lignes de largeur. L'espace qui se trouve entre ces appendices étoit dégarni de plumes, & de couleur rouge-pâle. Il y avoit au-delà des coins de la bouche une petite tubérosité charnue de même couleur que la crête. L'ouverture des oreilles étoit petite, & recouverte en partie par un bouquet de plumes très-fines. Les grandes plumes de la queue avoient un pié quatre pouces de longueur ; les jambes, cinq pouces & demi depuis le genou jusqu'au bout des ongles. Le doigt du milieu étoit le plus long, & avoit deux pouces trois lignes de longueur, & l'ongle six lignes ; celle de l'éperon étoit d'un pouce six lignes.

La couleur du plumage du coq est fort variée ; on en trouve de tout noirs, de tout blancs, de rougeâtres, de gris-cendrés, &c. & d'autres dont les plumes sont parsemées de toutes ces couleurs. Cet oiseau porte la queue presque verticalement, & de façon que les deux grandes plumes se recourbent en-devant, & s'étendent jusqu'auprès de la tête. Voyez OISEAU.

Albin a fait graver dans son histoire naturelle des oiseaux le coq & la poule noire des montagnes de Moscovie, qui sont des oiseaux aussi gros que des dindons : ils ont au-dessus des yeux une peau rouge, le devant des jambes est garni de plumes jusqu'à la naissance des doigts ; & le plumage est mêlé de noir, de blanc, de gris, de brun, & de verd, & varie dans différens individus. Il y a de ces oiseaux dans les montagnes de Moscovie, sur les Alpes, &c.

On trouve dans le livre que nous venons de citer le coq de Wendhover, qui est un oiseau de proie, le coq de Hambour, & le coq de Bantam ; le premier de ceux-ci ne paroît pas différer beaucoup de nos coqs ; le second porte sa queue en quelque façon comme les coqs-d'Inde. Tome II. n°. 29. & 30. & tome III. n°. 5. 31. & 32. (I)

* COQ, (Oeconom. rustiq.) Un bon coq doit être de moyenne taille, cependant plus grande que petite ; avoir le plumage ou noir ou rouge obscur ; la patte grosse, & bien garnie d'ongles & d'ergots ; la cuisse longue, grosse, & bien enplumée ; la poitrine large ; le cou élevé & bien fourni de plumes ; le bec court & gros ; les yeux noirs ou bleus ; l'oreille blanche, large, & grande ; les barbes rouges, pendantes, & longues ; les plumes de la tête & du cou étendues jusque sur les épaules, & dorées ; la queue grande ; l'aile forte, &c. Il faut qu'il soit fier, éveillé, ardent, courageux, amoureux, beau chanteur, attentif à défendre & à nourrir ses femmes, &c. Un coq peut suffire à douze & quinze poules. Quand on veut leur en donner un nouveau, il faut accoûtumer les poules à l'accueillir, & les autres coqs à le souffrir ; ce qu'on fera en l'attachant par la patte pendant quelques jours, en rassemblant la basse-cour autour de lui, & en le défendant contre ses rivaux.

COQ, (Mat. med. & Diete) le vieux coq, gallus annosus. Le bouillon de vieux coq est fort recommandé en Medecine, sur-tout dans les maladies chroniques, comme l'asthme, l'affection hypocondriaque, les obstructions invétérées, & certaines coliques, &c. mais comme on ne l'a presque jamais ordonné seul dans aucun de ces cas, & que la façon de le préparer la plus ordinaire est de le faire cuire avec différentes semences, racines, fleurs, feuilles, &c. appropriées à chaque espece de maladie, nous ne sommes pas assez sûrs des vertus réelles de ce medicament alimenteux.

Le jus ou décoction de coq passe en général pour un bon incisif chaud, & même un peu purgatif. On trouve dans différens auteurs de Medecine des descriptions de deux especes de bouillons de coq, l'une altérante, & l'autre purgative.

C'étoit une sorte d'usage assez répandu dans le tems que ce remede étoit plus en vogue, de fatiguer le coq qu'on y destinoit jusqu'à le faire mourir de lassitude ; apparemment dans la vûe d'attendrir sa chair, ou plûtôt, comme quelques auteurs de ce tems-là s'en sont expliqués, dans celle d'exalter ses sucs déjà disposés à cette altération par sa salacité singuliere ; & cette exaltation par laquelle ces théoriciens exprimoient les changemens arrivés par l'augmentation du mouvement dans les humeurs d'un animal, présente, pour le dire en passant, une idée pour le moins aussi lumineuse, que la vergence à l'alkali des modernes.

La chair de vieux coq est extrèmement dure ; on réussit à peine à l'attendrir par la plus longue décoction : mais on l'employe assez communément dans les consommés dont on nourrit les malades foibles, languissans, certains convalescens, & quelques vieillards qui ont besoin d'une nourriture abondante, & que leur estomac puisse digérer sans fatigue. Voyez CONSOMME.

Le sang de coq, sa crête, son fiel, sa fiente, ses testicules, ont été célebrés à différens titres, par différens auteurs ; mais on ne sauroit compter sur les prétendues vertus de ces remedes, qui ne sont plus aujourd'hui en usage en Medecine. Solenander a célebré, par exemple, comme un grand secret contre l'incontinence d'urine, le jabot du coq brûlé & donné en poudre dans du vin : il prétend même que la vertu de ce remede s'étend jusqu'à celle qui est la suite d'un accouchement difficile.

Esculape lui même ordonnoit le sang de coq en collyre, comme on peut le voir par une anecdote rapportée par Jérôme Mercurialis. Cet auteur raconte, à propos d'un tableau appartenant à la maison de Maffei, qu'un soldat aveugle nommé Valerius Aper s'étant adressé à ce dieu pour en obtenir sa guérison, le dieu lui répondit, qu'il allât, qu'il prît le sang d'un coq blanc, qu'il en fît un collyre avec du miel, qu'il s'en frottât les yeux pendant trois jours. Le soldat obéit à l'oracle, guérit, & rendit grace publiquement au dieu ; & c'est peut-être pour cela, ajoûte Mercurialis, que quelques anciens ont représenté Esculape avec un coq sur le poing. (b)

* COQ, (Myth.) cet animal est le symbole de la vigilance ; c'est pour cette raison qu'on le trouve souvent dans les antiques, entre les attributs de Minerve & de Mercure. On l'immoloit aux dieux Lares & à Priape. C'étoit aussi la victime du sacrifice que l'on faisoit à Esculape lorsqu'on guérissoit d'une maladie. Et quand Socrate dit en mourant à Criton son disciple, Criton, immole le coq à Esculape, c'est comme s'il eût dit, enfin je guéris d'une longue maladie. En effet, un homme si sage & si malheureux, à qui il ne manquoit que de croire en J. C. & qui périssoit pour avoir admis l'existence d'un seul Dieu, & conséquemment des peines & des récompenses à venir, devoit regarder le dernier instant de sa vie, comme le premier de son bonheur.

COQ DE BOIS, vrogallus tetrao major, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau qui ressemble au coq-d'Inde pour la grosseur & pour la figure du corps. Le mâle a, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, environ deux piés cinq pouces & demi, & la femelle seulement deux piés. L'envergure du mâle est de trois piés & demi, & celle de la femelle seulement de trois piés deux pouces. Le bec a un pouce & demi de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche : les côtés sont tranchans & forts. La langue est pointue, & le palais en porte l'empreinte. L'iris des yeux est de couleur de noisette. Il y a au-dessus de l'oeil une peau dégarnie de plumes, & de couleur rouge, comme dans tous les autres oiseaux de ce genre. Les jambes sont revêtues de plumes par-devant jusqu'à la naissance des doigts, & n'en ont point par-derriere. Les doigts sont unis ensemble par une membrane seulement jusqu'à la premiere articulation, & sont garnis de chaque côté d'appendices courtes & dentelées. Cet oiseau a la poitrine de couleur rousse pâle, avec des lignes noires transversales. L'extrémité de chaque plume est blanchâtre. Le bas de la gorge est d'un rouge plus foncé, & le ventre presque cendré. Toute la face supérieure est mêlée de noir, de roux, & de couleur cendrée : la pointe des plumes est mouchetée, excepté sur la tête où il y a du pourpre. Le mâle a le menton noir, & la femelle l'a de couleur rousse, sans aucun mêlange de noir. La queue est d'un roux plus ardent, a des bandes transversales noires, & la pointe des plumes est blanchâtre. Le mâle a les plumes de la queue noire, dont la pointe est blanchâtre, & les bords marquetés de petites taches de couleur rousse cendrée : les deux plumes du milieu, & même les deux suivantes, ont des taches blanches ; les plumes qui recouvrent la queue ont la pointe blanchâtre ; quelquefois elles sont noires, parsemées de petites bandes de couleur cendrée roussâtre. Il y a sur le dos des lignes noires & blanches posées alternativement. Les plumes du dessous de la queue sont noires, & ont l'extrémité & les bords extérieurs blanchâtres. La tête est de même couleur que le dos. Les pointes des plumes de la poitrine sont blanches. Il y a vingt-six grandes plumes dans chaque aile : toutes celles qui suivent la dixieme ont la pointe blanche. Les grandes plumes des épaules ont des taches irrégulieres de couleur noire, & mêlées d'un peu de roux. Le mâle a les plumes du cou d'un bleu luisant. Les cuisses, les côtés, le cou, le croupion, & le ventre, sont marqués de lignes blanches & noires. La couleur des plumes de la tête est d'un noir plus foncé, & celles qui entourent l'anus sont cendrées.

Cet oiseau est bien reconnoissable par sa grosseur, sans qu'il soit nécessaire d'observer en détail toutes les couleurs, qui varient par l'âge, le climat, & d'autres accidens : il est excellent à manger. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

COQ DE BRUIERE, tetrao seu vrogallus minor, (Hist. nat. Ornith.) espece d'oiseau. Le mâle qui a servi à la description suivante pesoit trois livres, & avoit un pié neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des doigts, & la femelle seulement un pié & demi. L'envergure du mâle étoit de deux piés sept pouces, & celle de la femelle de deux piés trois pouces. Le mâle est noir, à l'exception du bord des plumes, sur-tout du cou & du dos qui sont d'un bleu luisant, & des cuisses dont la couleur est blanchâtre. La femelle est de couleur rousse comme la bécasse ou la perdrix, avec des taches noires posées transversalement. Le ventre & la poitrine sont blanchâtres ; les grandes plumes des ailes & toutes leurs faces inférieures sont blanches ; comme dans le mâle. La couleur des plumes du milieu du dos est d'un roux ardent ; les plumes du croupion & du dessous de la queue, & le bord de celles de la gorge, sont blanchâtres. Il y a environ vingt-six grandes plumes dans chaque aile ; dans le mâle la cinquieme n'est blanche qu'à la racine ; la huitieme & toutes celles qui suivent jusqu'à la vingt-sixieme, sont blanches depuis la racine jusqu'à la moitié de leur longueur ; la onzieme & les suivantes jusqu'à la vingt-deuxieme, n'ont que la pointe blanche. Dans la femelle, les dix premieres plumes de l'aile sont brunes, & ont un peu de blanc sur les bords extérieurs, & les autres sont de la même couleur que le corps, à l'exception de la pointe qui est blanchâtre. La racine de toutes les grandes plumes est aussi blanchâtre, à l'exception des cinq premieres. Les dix premieres plumes de celles qui recouvrent les grandes plumes de l'aile & celles de la fausse aile, sont blanches à l'extrémité. La face inférieure des grandes plumes est de cette même couleur dans le mâle & dans la femelle ; ce qui forme, lorsque les ailes sont pliées, une tache blanche fort apparente sur la face supérieure de chaque aile. La queue est composée de seize plumes qui sont de même couleur que le corps, & dont la pointe est blanche. Dans le mâle, les plumes extérieures ont près de sept pouces de longueur, tandis que celles du milieu n'en ont que quatre. Dans les femelles, les plumes qui sont à l'extérieur n'ont que quatre pouces & demi de longueur. Les trois premieres de la queue du mâle sont les plus longues de toutes, & se recourbent en-dessous. La quatrieme de chaque côté est plus courte, & moins recourbée. Les plumes extérieures de la queue de la femelle sont plus longues que les autres, comme dans le mâle, mais elles ne sont point recourbées par-dessous. Le bec est noir & crochu ; la piece supérieure est convexe & élevée dans le milieu. La langue est molle & hérissée. Son empreinte est marquée sur le palais. Il y a au-dessus des yeux une peau dégarnie de plumes & de couleur rouge. L'ouverture des oreilles est fort grande dans le mâle & dans la femelle : les pattes, à l'exception des doigts, sont hérissées de petites plumes dirigées en-haut, seulement sur la partie antérieure. Il y a une membrane qui tient les doigts unis ensemble jusqu'à la premiere articulation, ensuite elle forme de chaque côté des doigts une sorte d'appendice, ou de bord dentelé. L'ongle du doigt du milieu est tranchant seulement du côté intérieur ; il n'y a point d'éperon. Willughby, Orn. &c. Voyez OISEAU. (I)

COQ D'INDE, gallopavo sive meleagris & numidica avis, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau de la grosseur du paon ; la tête & le cou sont entierement dégarnis de plumes, & recouverts par une peau de couleur de pourpre dans la plus grande partie de son étendue : cette peau qui est ordinairement lâche & flasque, devient fort tendue & gonflée quand l'oiseau crie, & le cou se renfle pour lors de la grosseur du bras. Le sommet de la tête est de trois couleurs fort distinctes, qui sont le blanc, le bleu, & le pourpre. Cet oiseau n'a point de hupe : on voit cependant un appendice charnu & rouge qui tombe du dessus du bec qui le couvre, & qui descend d'un pouce plus bas ; de sorte qu'on n'apperçoit le bec qu'en regardant l'oiseau de profil. Lorsqu'il mange, cet appendice se raccourcit au point qu'il ne se trouve plus aussi long que le bec. Le coq d'inde a les jambes fort hautes, & les ongles crochus & semblables à ceux des coqs ordinaires. Celui sur lequel on a fait cette description, étoit plus haut qu'un paon, & avoit le corps arrondi ; l'iris des yeux étoit de couleur de pourpre mêlée de bleu ; lorsqu'on approchoit de sa femelle qui étoit blanche, & qui ressembloit à un paon à qui on auroit ôté les plumes de la queue, il hérissoit aussi-tôt toutes ses plumes & sembloit prendre une démarche grave. Cet oiseau n'a point d'éperon aux jambes. Quand les mâles sont un peu âgés, on les distingue des femelles par un petit bouquet de crin qui se trouve sous la gorge. Les femelles ont dans le même endroit un petit morceau de chair sans crin. Il y a dix-huit grandes plumes dans chaque aile, & autant dans la queue. Les oeufs sont blancs & parsemés de beaucoup de petites marques rougeâtres mêlées de jaune. Ces oiseaux cherchent les lieux chauds ; cependant ils supportent très-bien le froid, lorsqu'ils y sont accoûtumés avec l'âge. Les petits sont fort délicats & si foibles, qu'il faut beaucoup de soin pour les élever & les préserver des injures de l'air. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

COQ D'INDE, (Oecon. rustiq.) cet animal est d'une grande ressource dans la basse-cour ; il multiplie beaucoup & souvent, & la chair en est délicate quand il est jeune. Il faut que celui qu'on donne aux femelles soit éveillé, fort, & hardi. Il peut suffire à cinq poules. Voyez les artic. POULE D'INDE, DINDON, DINDONNEAU.

COQ INDIEN, gallus Indicus, (Hist. nat. Ornit.) oiseau fort différent du coq d'inde. Quoique ces noms paroissent synonymes, on auroit mieux fait d'en donner un autre au premier pour le distinguer du second, & de l'appeller avec Jonston coq de Perse. Je ne conserve ici celui de coq Indien que pour me conformer à ce qui est écrit dans les mémoires pour servir à l'histoire naturelle des animaux par M. Perrault. On lui dit que cet oiseau portoit en Afrique le nom d'ano ; il se trouve aussi dans les Indes occidentales, où il est appellé mitu-poranga. M. Perrault rapporte la description de trois oiseaux de cette espece, qui furent disséqués. L'un différoit des deux autres par le bec ; ils étoient grands comme un poulet d'inde de médiocre grandeur ; ils avoient la tête & le cou noir, & le reste du corps mêlé de teintes verdâtres & de noir, excepté le dos où on voyoit du gris de couleur de bois de noyer ; & le bas-ventre, le haut des cuisses par-derriere, & le dessous de la queue où il y avoit des plumes blanches, & aussi au-dessus de la queue, dans l'un de ces trois oiseaux. La tête étoit surmontée par un panache qui s'étendoit depuis le bec jusqu'au commencement du derriere du cou, & qui étoit composé de plumes noires, longues de deux pouces & demi, larges de deux lignes, posées un peu obliquement en arriere, & recourbées en avant par l'extrémité. Les plumes du haut du cou étoient petites, & elles devenoient plus grandes à mesure qu'elles approchoient de la poitrine. Les dernieres avoient deux pouces de longueur, & un pouce de largeur. Les cuisses & les jambes étoient garnies de plumes blanches & noires jusqu'au talon. Il y avoit aussi dans l'un de ces oiseaux des plumes blanches depuis le haut du sternum jusqu'au bas. La longueur du cou étoit de neuf pouces ; depuis le dessous du ventre jusqu'à l'extrémité des doigts, il y avoit quatorze pouces. Il se trouvoit sur le devant & sur le derriere des jambes des écailles quarrées, & sur les côtés des écailles plus petites de figure hexagone. Les piés étoient gros, les ongles noirs, longs, & crochus ; mais on n'y a point vû d'éperon. Le bec avoit neuf lignes de largeur à sa naissance, & deux pouces de longueur ; sa couleur étoit noire à l'extrémité, & jaune dans le reste. Il y avoit une membrane qui étoit renflée dans l'un des trois oiseaux, de façon qu'elle formoit une tumeur de la grosseur d'une petite noix ; dans un autre, l'extrémité du bec paroissoit divisée en trois parties. Mém. de l'acad. roy. des Sciences, tome III. part. I. p. 223. & suiv. Voyez OISEAU. Voyez aussi la Plan. XI. & la fig. 2. de nos Pl. d'Hist. naturelle. (I)

COQ DE MARAIS, voyez FRANCOLIN.

* COQ (l'ordre du). Hist. mod. Claude Polier gentilhomme Languedocien, délivra le dauphin d'un grand danger dans une bataille contre les Anglois, où Louis XI. comte de Toulouse commandoit. En reconnoissance de ce service, le dauphin institua l'ordre qu'il appella du coq, oiseau que Polier avoit dans ses armes, & l'en fit premier chevalier. On place la date de cette institution sous le regne de Philippe le Hardi.

COQ DU VAISSEAU, (Marine) on donne ce nom au cuisinier qui est chargé de faire à manger pour l'équipage. (Z)

COQ, (Horlog.) c'est dans les montres une petite platine vuidée & gravée, qui couvre le balancier. Voyez la fig. 45. Pl. X. d'Horlogerie.

Les coqs à la françoise sont meilleurs que ceux à l'angloise, parce que les premiers ayant deux oreilles ou pattes P, P, ils sont plus solides ; & le pivot du balancier ne peut sortir de son trou par les secousses, comme cela arrive souvent dans les montres angloises.

On appelle petit coq dans les montres françoises, une petite piece de laiton ajustée sur le coq au moyen d'une vis & de deux piés : c'est dans le trou de ce petit coq que roule le pivot du balancier. Les Horlogers françois ont adopté cette pratique ; 1° afin que le régulateur se trouvât plus près du milieu de sa tige ; 2° afin que le pivot du balancier fût moins sujet à se rompre dans les différentes secousses ; 3° pour éviter la trop grande usure de ce pivot & du trou, dans lequel il roule ; 4° enfin pour y conserver une plus grande quantité d'huile.

Il y a encore une piece que dans les montres françoises on nomme petit coq d'acier ; c'est une espece de griffe de ce métal, qui tient une agathe ou un grenat sur le centre du petit coq de laiton, afin que l'extrémité du pivot du balancier s'y appuie quand la montre est sur le plat. Voyez TIGERON. Voyez la fig. 9.

COQ, dans les pendules ; c'est une forte piece de laiton fixement attachée sur la platine de derriere. Son usage est de suspendre le pendule. (T)

* COQ, (Serrurerie) c'est dans une serrure à pêle en bord, la partie dans laquelle le pêle ou la gâchette se ferme.

Il y a des coqs simples, des coqs doubles & triples. Le coq simple est une piece de fer oblongue de la hauteur de la serrure, qui a, à sa partie appliquée à la tête du palâtre, une entaille qui reçoit le pêle ou la gâchette, quand la serrure est fermée. Cette piece est attachée à la tête du palâtre par une patte avec une vis ; & au palâtre même, par un pié qui y entre du côté où le coq s'applique au palâtre. Son usage est de servir de guide ou conducteur au pêle ou à la gâchette, qui n'en sort jamais entierement.

Les coqs doubles & triples ont le même usage que le coq simple ; il n'y a de différence qu'en ce qu'ils forment une espece de boîte, dont les deux grandes surfaces sont deux coqs paralleles, simples, assemblés, entre lesquels entre l'aubron, dans lequel le pêle est reçu, soit simple, soit double, ou triple : il est posé sous l'ouverture de la tête du palâtre ; de sorte que simple il n'est qu'à fleur d'un côté de l'ouverture, & que double, son ouverture répond exactement à celle de la tête du palâtre. Voyez dans nos Planches de Serrurerie des coqs simples, doubles, & triples.


COQUARDES. f. (Art milit.) est un noeud de rubans ou de la même couleur, ou de couleurs différentes, selon les différens corps, que les soldats portent attaché à leurs chapeaux, à l'aile du bouton. On en donne à tous les nouveaux engagés.


COQUES. f. (Hist. nat. des ins.) pelote de fil & de glu, sous laquelle les vers à soie & certaines chenilles se renferment lorsqu'elles deviennent nymphes. Mais nous prenons ici le mot de coque, avec les Naturalistes, dans un sens plus étendu, pour désigner toute enveloppe ou nid de différente texture & figure, formé par les insectes à divers usages.

Ces petits animaux, après s'être choisis un endroit commode pour se garantir de tout accident, munissent ce lieu par toutes sortes de retranchemens également diversifiés & appropriés à leur nature. Les uns, soit à cause de la délicatesse de leur enveloppe, soit pour transpirer plus lentement, pour se développer dans leur juste saison, soit pour prendre la forme d'insecte parfait, se font des coques très-épaisses, & souvent impénétrables à l'eau & à l'air.

D'autres se filent des coques de soie, & d'autres font sortir dans ce dessein des pores de leurs corps, une espece de coton pour les couvrir. Tel est l'insecte du Kermès. Plusieurs fortifient leurs coques en y faisant entrer leurs poils, dont ils se dépouillent ; & ceux qui n'en ont point & qui manquent de soie, rongent le bois & employent les petits fils qu'ils en ont détachés, à affermir l'intérieur & l'extérieur de leur enveloppe. Ils humectent ces fils avec une espece de gomme qui sort de leur corps, & qui est très-propre à durcir leur travail. Si l'on prend une de ces coques séchée, & qu'on la fasse ensuite bouillir dans de l'eau, on la trouvera plus légere qu'elle n'étoit avant cette opération ; elle a donc perdu sa gomme dans l'eau bouillante.

Il y a quelques insectes qui se font deux & même trois coques les unes dans les autres, filées toutes avec un art remarquable par le même animal, & non par différens ichneumons : la chose arrive quelquefois, lorsqu'un ichneumon, après avoir causé la mort à un insecte qui avoit déjà filé sa coque, & après avoir ensuite filé la sienne, a été détruit à son tour par un second ichneumon qu'il renfermoit dans ses entrailles. Il est aisé de s'appercevoir du fait, parce qu'en ce cas les dépouilles de chaque animal consumé, se trouvent entre la coque qu'il s'est filée & celle de celui qu'il a détruit. Voyez ICHNEUMON.

Les coques ne sont pas moins différenciées par leur figure. La plûpart sont ovales, ou sphéroïdes ; d'autres de figure conique, cylindrique, angulaire, &c. Il y a des coques en bateau, d'autres en forme de navette, & d'autres en larme de verre, dont le corps seroit fort renflé, & la pointe recourbée. Un curieux naturaliste, M. Lionnet, dit qu'il en connoît même qui sont composées de deux plans ovales convexes, collées l'une à l'opposite de l'autre sur un plan qui leur est perpendiculaire, qui est partout d'égale largeur, & qui suit la courbure de leur contour ; ce qui donne à ces coques une forme approchante de nos tabatieres ovales applaties par les côtés.

On feroit un volume, si l'on vouloit entrer dans le détail sur la diversité de figure des coques des insectes, sur les matériaux dont ils les forment, sur l'art & l'industrie qui y est employé ; tout en est admirable. Mais il faut ici renvoyer le lecteur aux ouvrages de Malpighi, de Leeuwenhoëk, de Swammerdam, de M. de Reaumur, & de M. Frisch ; je me borne à dire en peu de mots d'après l'ingénieux M. Lionnet, le but de la fabrique de ces nids.

Le premier usage pour lequel les insectes se construisent des coques, & qui est même le plus fréquent, c'est pour y subir leur transformation. L'insecte s'y renferme, & n'y laisse presque jamais d'ouverture apparente : c'est-là qu'il se change en nymphe ou en chrysalide. Ces coques paroissent servir principalement à trois fins. La premiere est de fournir par leur concavité intérieure à la chrysalide ou à la nymphe, dès qu'elle paroît, & lorsque son enveloppe est encore tendre, un appui commode, & de lui faire prendre l'attitude un peu recourbée en avant, qu'il lui faut pour que ses membres (sur-tout ses ailes) occupent la place où ils doivent demeurer fixés jusqu'à ce que l'insecte se dégage de son enveloppe : elles servent en second lieu à garantir l'animal dans cet état de foiblesse, des injures de l'air, & de la poursuite de ses ennemis ; enfin elles empêchent que ces chrysalides ou ces nymphes ne se dessechent par une trop forte évaporation. Les coques qui n'ont presque aucune consistance, n'ont probablement que la premiere de ces fins pour objet ; celles qui sont plus fermes, sans être pourtant impénétrables à l'air & à l'eau, paroissent aussi servir pour la seconde ; & les autres semblent être destinées à satisfaire à ces trois fins différentes, selon les différens besoins que les insectes paroissent en avoir.

Le second usage des coques des insectes est, lorsqu'ils en bâtissent pour y demeurer dans le tems qu'ils sont encore insectes rampans, qu'ils mangent, & qu'ils croissent. Ces coques sont alors ordinairement des étuis ouverts par les deux bouts. L'insecte y loge, il les aggrandit à mesure qu'il croît, ou bien il s'en fait de nouvelles. Ce ne sont pas celles que les insectes font en roulant des feuilles, qui sont les plus dignes de notre admiration. M. de Reaumur, qui a donné lui-même un mémoire très-curieux sur ce sujet, convient dans un autre que les fourreaux que se font les teignes aquatiques & terrestres, de différens genres & de différentes especes, l'emportent sur les coques des chenilles. Ce sont en effet des chefs-d'oeuvre, où l'art & l'arrangement paroissent avec bien plus d'éclat.

Le troisieme usage des coques ou des nids que se font les insectes, est pour servir d'enveloppe à leur couvée. Mais il faut convenir que cet usage est extrèmement rare, & les araignées nous en fournissent presque le seul exemple : je ne dis pas le seul exemple qui existe, ce qui seroit du dernier ridicule. Plus on étudie l'Histoire naturelle, plus les exemples qu'on croyoit rares ou uniques se multiplient ; les exceptions deviennent enfin des regles générales. Art. de M(D.J.)

* COQUE, s. f. (Marine & Corderie) faux pli ou boucle qui se fait à une corde qui a été trop tordue en la fabriquant. Une corde sujette à faire des coques est d'un mauvais service, soit par le retard que ce défaut apporte aux manoeuvres courantes, lorsque les coques se présentent pour passer dans les mouffles, soit par la fraction même des mouffles, si on ne s'est pas apperçu à tems qu'une coque se présentoit.

COQUE, (Jardinage) est une enveloppe forte & dure, particuliere à certains fruits, tels que la noix & autres. (K)

* COQUES & VANONS, (Pêche) sorte de coquillage qui renferme un poisson.

Voici la maniere d'en faire la pêche ou récolte, telle qu'elle se pratique à Rincheville dans le ressort de l'amirauté de Carentan & à Isigni, &c.

Pour prendre des coques, les pêcheurs attendent que la marée soit presqu'au plus bas de l'eau ; ce coquillage se tient à la superficie des sables, dont il ne reste couvert que de l'épaisseur d'un écu au plus. On connoît qu'il y a des coques sur les fonds où l'on est, par les petits trous qu'on remarque au sable, & que les coques font avec la partie que l'on nomme leur langue, qu'elles baissent sur le sable pour paître. On connoît encore qu'il y a des coques, en roulant sur le sable quelque chose de lourd qui fait craquer les coquillages qui sont au-dessous ; alors les pêcheurs foulent, piétinent le sable encore mouillé de la marée, l'émeuvent, & les coques viennent alors d'elles-mêmes au-dessus du sable, où l'on les ramasse avec une espece de rateau de bois ; on les désable aussi quelquefois avec une petite faucille ou autre semblable instrument de fer.

Les pêcheurs riverains qui font cette pêche, la commencent vers la fin de Février & la continuent jusqu'à la S. Jean ; elle ne se pratique aisément que de jour, à cause de la difficulté de connoître les trous que les coques font au sable : lorsque le tems est tempéré, les coques tirées hors de l'eau peuvent vivre jusqu'à sept à huit jours ; en été elles ne durent pas seulement trois jours, encore faut-il qu'elles soient mises dans un lieu frais.


COQUELICOTS. m. papaver, (Hist. nat. bot.) est une espece de pavot rouge qu'on appelle sauvage, qui croît dans les blés. Le double & le panaché sont fort recherchés pour les parterres : ses feuilles sont découpées, d'un verd foncé, & couvertes d'un peu de poil ; ses tiges, d'environ deux piés de haut, se partagent en plusieurs rameaux, qui soutiennent des fleurs doubles à quatre feuilles du plus beau rouge. De petits fruits qui renferment leur semence succedent à ces belles fleurs qu'on voit paroître en été. Leur culture est celle des pavots. V. PAVOT. (K)


COQUELOURDES. f. (Bot.) pulsatilla, genre de plante à fleur en rose ; il sort du milieu un pistil qui est environné d'étamines, & qui devient dans la suite un fruit dans lequel les semences sont rassemblées en un bouquet, & terminées par un petit filet. Ajoutez au caractere de ce genre, qu'il y a de petites feuilles qui environnent la tige au-dessous de la fleur comme dans l'anémone, dont la coquelourde differe en ce que les semences sont nues & terminées par une queue. Tournefort, inst. rei herb. V. PLANTE. (I)

COQUELOURDE, (Matiere médic.) Cette plante, qui n'est point du-tout en usage parmi nous, passe, étant appliquée extérieurement, pour être détersive, résolutive, propre pour la gratelle, & autres maladies cutanées. Les fleurs de la pulsatile ou coquelourde entrent dans l'eau hystérique de la pharmacopée de Paris. (b)


COQUELUCHECOQUELUCHE

Cette maladie qui paroît communément l'automne ou l'hyver, & dont les causes sont aussi inconnues qu'imprévues, est une espece de fiévre catarrheuse, accompagnée de mal de tête, de foiblesse, d'oppression ou de difficulté de respiration, de toux, de douleur dans l'épine du dos, & autres symptomes plus ou moins graves ou variés suivant les tems, les lieux, & les personnes.

M. de Thou croit que le nom de coqueluche donné à cette maladie, est né en 1510, sous le regne heureux de Louis XII. mais il se trompe ; car Mézeray dit qu'il parut en France sous Charles VI. en 1414, un étrange rhûme, qu'on nomma coqueluche, lequel tourmenta toute sorte de personnes, & leur rendit la voix si enroüée, que le barreau & les colléges en furent muets.

Valleriola, dans l'appendice de ses lieux communs, prétend que le nom de coqueluche fut donné par le peuple à cette maladie, de ce que ceux qui en étoient attaqués portoient une coqueluche ou capuchon de moine pour se tenir chaudement. Ménage & Monet sont du même avis. En effet, coqueluche signifie proprement un capuchon. Cependant un medecin François appellé le Bon, a écrit que cette maladie a été nommée coqueluche à cause du remede qu'on y apportoit, qui étoit du loch de codion fait avec la tête de pavot ou tête de coquelicot, qui est appellée codion en grec.

Quoi qu'il en soit de l'étymologie du nom, ce mal épidemique paroît de tems en tems en Europe pour en moissonner les habitans. L'histoire nous apprend qu'il regna avec violence en France en 1414, en 1510, en 1558, & en 1580. L'année 1580, cette maladie qui s'étoit fait sentir d'abord en Orient, passa en Italie, où on la nomma la maladie des moutons ; de là elle vint en Espagne, où elle emporta Anne d'Autriche femme de Philippe II. ; elle se répandit ensuite en France, en Angleterre, & finalement vint s'éteindre dans le Nord.

C'est cette même maladie, qui en 1732 & 1733 parcourut non-seulement l'Europe, mais encore la Jamaïque, le Pérou, le Mexique, &c. & à laquelle les François, toûjours portés à badiner les objets les plus sérieux, donnerent les noms d'allure, de folette, quoiqu'elle fît périr beaucoup de petit peuple dans la capitale & dans les provinces.

On soupçonne avec raison que la cause de cette maladie épidémique consiste dans une matiere extrèmement subtile & caustique, qui se trouve répandue dans l'air, & qui s'insinuant par le moyen de l'inspiration par tout le corps, en infecte les humeurs. D'où il résulte qu'un bon medecin doit se proposer trois choses principales pour opérer la guérison du malade, 1°. de corriger & d'émousser l'acrimonie de la lymphe : 2°. de rétablir la transpiration troublée par la congestion des sérosités qui se sont formées dans les parties intérieures : 3°. d'évacuer ces sérosités vicieuses.

On corrige l'acrimonie de la lymphe par les émulsions des substances huileuses, crême d'amandes, graine de pavot blanc, l'eau de gruau, les décoctions de navets, d'orge, le bouillon de poulet & de chapon. &c. On hâte les excrétions par les infusions chaudes de racine de réglisse & fleurs de sureau, la semence de fenouil, le pavot sauvage, &c. On procure l'évacuation des matieres vicieuses qui séjournent dans les glandes de la gorge, par les pectoraux, & celles des intestins par les purgatifs. Enfin on prescrit tous ces remedes convenables dans la dose & dans l'ordre requis, suivant la nature des symptomes, leur nombre, leur violence, l'âge, le sexe, & le tempérament du malade.

Il ne faut point dire ici après la mort le medecin ; car ces sortes de rhumes épidémiques ne reviennent que trop souvent avec des symptomes plus ou moins graves. Ils dépendent d'une constitution particuliere de l'air, véritablement inconnue, mais dont les causes quelles qu'elles soient, excitent toûjours dans la nature, & produisent sur notre machine des effets dont la méthode curative est assez la meme. Article communiqué par M(D.J.)

COQUELUCHON, s. m. Voyez CAPUCHON.


COQUEMARS. m. (Chauderonnerie ou Orfévrerie) vaisseau de cuivre ou d'argent, à large ventre, étranglé ou retréci au-dessus de ce ventre, & un peu évasé à l'ouverture, fermé d'un couvercle à charniere, auquel on a pratiqué un bec qui dirige l'eau quand on la verse ; c'est un ustencile domestique & à l'usage des Barbiers. Il sert à faire chauffer de l'eau pour différens besoins.


COQUERELLES. f. terme de Blason. Le P. Menêtrier dit que ce sont les bourses de l'alkekenge, qui est une espece de morille, qui porte des baies dans des follicules qui ressemblent à des vessies enflées, ce qui l'a fait appeller solanum vesicarum. (V)


COQUERETS. m. (Hist. nat. bot.) alkekengi, genre de plante à fleur monopétale, découpée en rayons ; le pistil sort d'un calice fait en forme de cloche ; il est attaché à la partie moyenne, & il devient dans la suite un fruit mou, fait comme une cerise ; ce fruit renferme des semences ordinairement plates, & enveloppées dans une vessie membraneuse, qui n'est autre chose que le calice dilaté. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


COQUERONsub. m. (Marine) c'est ainsi que quelques-uns nomment une petite chambre ou retranchement qui est à l'avant des petits bâtimens, sur-tout de ceux qui naviguent dans les eaux internes, parce qu'il y sert de cuisine. Dictionn. de Commerce. (Z)


COQUETadj. Voyez COQUETTERIE.

COQUET, s. m. terme de Riviere ; c'est une sorte de petit bateau qui vient de Normandie amener des marchandises à Paris. (Z)


COQUETER vneut. Voyez COQUETTERIE.

COQUETER, terme de Riviere : on se sert de ce mot pour exprimer l'action d'un homme, qui avec un aviron mene & fait aller un bateau au vent, en remuant son aviron par le derriere. (Z)


COQUETIERsubst. m. (Comm.) voiturier qui transporte à Paris de la volaille, des oeufs, & du beurre des provinces de Normandie, Maine, Brie & Picardie,


COQUETTERIES. f. (Morale) c'est dans une femme le dessein de paroître aimable à plusieurs hommes ; l'art de les engager & de leur faire espérer un bonheur qu'elle n'a pas résolu de leur accorder : d'où l'on voit que la vie d'une coquette est un tissu de faussetés, une espece de profession plus incompatible avec la bonté du caractere & de l'esprit & l'honnêteté véritable, que la galanterie ; & qu'un homme coquet, car il y en a, a le défaut le plus méprisable qu'on puisse reprocher à une femme, Voyez COURTISANNE.


COQUILLADEsubst. f. (Hist. nat. Ichtiolog.) poisson de mer, alauda cristata vel galerita, Rond. petit poisson qui ne differe guere du perce-pierre, voyez PERCE-PIERRE, si ce n'est en ce qu'il a une crête transversale sur la tête. Willughby, hist. pisc. Voyez POISSON. (I)


COQUILLAGES. m. (Hist. nat. Ichtiolog.) on employe souvent ce mot dans la même signification que celui de coquille : mais à proprement parler la coquille n'est qu'une partie du coquillage ; un coquillage est un animal revêtu d'une coquille ; voyez COQUILLE. Les animaux de ce genre sont appellés testacées, parce qu'ils sont recouverts d'une matiere si différente de la chair & des os des autres animaux, si compacte & si dure, qu'on l'a comparée à une terre cuite, à un test, testa, d'où vient le mot de testacées.

Aristote, hist. anim. lib. IV. cap. j. a mis ces animaux dans la classe de ceux qui n'ont point de sang, exanguia : voyez ANIMAL. il distingue les animaux testacées des animaux crustacées, des animaux mous & des insectes, en ce que la partie charnue des testacées est renfermée sous une enveloppe qui est très-dure, qui se brise & se casse, mais que l'on ne peut pas froisser & écraser comme les tayes des animaux crustacées.

Le grand naturaliste que nous venons de citer fait mention, dans le chap. jv. du I. liv. de l'hist. des anim. des principales différences qui se trouvent entre les diverses especes de coquillages, tant par rapport à leurs coquilles, que par rapport à la partie charnue qui y est renfermée. Il fait d'abord remarquer qu'il n'y a dans cette partie charnue aucune matiere dure ; ensuite il divise les testacées relativement à leurs coquilles en univalves, bivalves, & en turbinées. Les univalves sont ceux dont la coquille est d'une seule piece ; les bivalves ont, pour ainsi dire, deux coquilles ; celles des turbinées sont ainsi nommées, parce qu'ils ont une figure conique ou approchante de celle d'une poire, ou parce qu'ils sont contournés en spirale.

On a fait beaucoup plus d'observations sur la figure des coquilles, que sur celle des animaux qui y sont renfermés : on a nommé & décrit, on a dessiné & gravé, on a distribué par ordre méthodique toutes les coquilles que l'on a pû trouver ; on en a cherché presque dans toutes les parties du monde ; on en a fait de nombreuses collections, que l'on conserve avec soin & que l'on admire chaque jour, tandis que l'on jette à peine les yeux sur les animaux qui sont renfermés dans les coquilles que l'on rencontre. Cependant il seroit plus nécessaire de connoître l'animal que la coquille ; cet animal est la partie principale du coquillage : la diversité des formes & des couleurs que nous présentent les coquilles, n'est qu'un spectacle vain en comparaison des connoissances réelles que nous pourrions tirer de la conformation des animaux qui les habitent. En développant leurs organes, en les comparant dans les différentes especes, nous prendrions une nouvelle idée des ressources de la Nature & de la souveraine intelligence qui en est l'auteur. Nous ferions par ce moyen des progrès dans la science de l'oeconomie animale, qui de toutes les sciences humaines est la plus intéressante pour l'homme. Les animaux les plus abjects, ceux qui paroissent les plus vils aux yeux du vulgaire, n'en sont pas moins dignes des recherches du naturaliste. Loin de négliger ces êtres vivans qui sont cachés & ignorés, dans leurs coquilles couvertes de fange, ou enfoncées dans la terre, il faut ouvrir toutes les especes de coquilles bivalves, quoiqu'elles ne renferment que des animaux aussi informes que ceux de l'huître, du pétoncle, & de la moule ; il faut pénétrer dans les cavités les plus reculées des coquilles univalves, & suivre tous les mouvemens de leurs animaux, soit qu'ils ne rampent que comme ceux du limaçon de terre, ou qu'ils nagent comme les nautiles ; enfin il faudroit faire des descriptions complete s de toutes les especes de coquillages.

J'avoue qu'il est difficile de bien observer leur conformation intérieure. Leur consistance est si molle, & les parties si peu sensibles dans la plûpart, qu'on a bien de la peine à les fixer & à les distinguer ; mais des observateurs habiles, tels que Swammerdam & Lister, sont déjà parvenus à surmonter ces obstacles, & nous ont frayé la route. La plus grande difficulté seroit par rapport aux especes de coquillages, qui ne se trouvent que dans des pays fort éloignés. Les liqueurs qui pourroient préserver de la corruption les animaux dans leur coquille, les raccourciroient de façon, qu'on ne pourroit plus développer ces parties, que l'animal étend à son gré au-dehors de son corps, & retire successivement au-dedans, comme nous le voyons pour les cornes des limaçons. De plus ; la forme du corps de ces animaux varie dans leurs différens mouvemens, à mesure qu'ils s'allongent ou qu'ils se raccourcissent pour ramper. Il seroit donc nécessaire de les voir tous vivans & agissans ; un observateur seul ne peut pas y parvenir ; mais tous ceux qui travaillent pour l'avancement des sciences, concourent au même but, chacun doit s'occuper par préférence des productions du pays qu'il habite. On n'a encore décrit que quelques especes de coquillages ; il en reste beaucoup, même dans ce pays-ci, qui sont à peine connus. J'en ai rassemblé en peu de tems jusqu'à trente-cinq especes différentes dans le petit territoire de la banlieuë de Montbard, & je ne desespere pas d'y en trouver un plus grand nombre ; cependant il n'y a que de petits ruisseaux, de petits étangs, & la petite riviere de Brenne : car je compte les coquillages fluviatiles avec les coquillages terrestres. Par tout pays la nature est abondante dans certaines productions, & il y a par-tout beaucoup de recherches & d'observations à faire. Nos côtes fourniroient encore beaucoup pour les coquillages, si on s'appliquoit à rechercher tous ceux qui y sont ; les naturalistes n'épuiseront jamais le fonds de richesses qui se trouvent à toute heure sous leurs pas.

Il s'en faut beaucoup que nous ayons assez de connoissances sur la génération, l'accroissement & la description des coquillages, pour en traiter dans un article général ; c'est pourquoi nous renvoyons aux articles particuliers, où il est fait mention de ce qui a été dit des coquillages que l'on a observés. Voyez HUITRES, LIMAÇONS, MOULES, &c. (I)

* COQUILLAGE, (Diete) c'étoit un mets dont les Grecs & les Romains faisoient grand cas. Ils étoient si délicats sur le choix des coquillages, qu'ils distinguoient, à ce qu'on dit, au premier coup de dent, le rivage où ils avoient été pêchés. Voyez les art. HUITRES, MOULES, TORTUES, &c. Le coquillage est plûtôt un irritamentum gulae, qu'un véritable aliment. On prétend qu'il dispose à l'acte vénérien. Il faut quelqu'habitude d'en manger, pour le digérer en grande quantité ; il n'est cependant pas indigeste, témoins les huitres, dont quelques personnes ont tant de peine à se rassasier.

COQUILLAGE, (Architect.) est un arrangement symmétrique de différentes coquilles dont on fait des compartimens de lambris, voutes, &c. des masques. festons, &c. & dont on décore des grottes, portiques, niches & bassins de fontaines. (P)


COQUILLANS. m. (Carrier) C'est le quatrieme lit que les Carriers rencontrent communément ; il est de quinze pouces ou environ. Il est ainsi appellé des coquillages dont il est parsemé.


COQUILLES. f. (Ord. encyclop. Entend. Mémoire, Histoire, Hist. nat. Ichtiolog.) partie dure qui recouvre les animaux testacées. Cette partie a été comparée à un test à cause de sa dureté, & en porte le nom, testa ; nous l'exprimons par celui de coquille : ainsi la coquille est, par rapport au coquillage, ce qu'est le test relativement à l'animal testacée. Cependant on étend quelquefois la signification du mot coquille, qui n'est qu'une partie du coquillage, au coquillage entier. Voyez COQUILLAGE. Mais c'est improprement, car les Naturalistes ne confondent jamais la coquille avec l'animal qui y est renfermé.

Quoique la coquille ne soit qu'une matiere brute en comparaison de l'animal qu'elle contient, cependant elle a toûjours été plus recherchée & considerée avec plus d'attention que l'animal même. Il est vrai que les animaux de ce genre se refusent pour la plûpart à nos observations, soit par la mollesse & les mouvemens des parties de leur corps, soit par la difficulté de se procurer ceux des pays éloignés ; tandis que l'on peut transporter les coquilles d'un bout du monde à l'autre, sans y causer aucune altération, & que l'on peut les observer à son gré dans tous les tems & dans tous les pays où il s'en trouve des collections. Les coquilles ont de plus un mérite réel, qui n'éclate pas moins par la variété & par l'élégance de leurs formes, que par la beauté & la vivacité de leurs couleurs. On est frappé d'admiration à l'aspect d'une nombreuse collection de différentes especes de coquilles ; on s'étonne que de si belles productions ayent été formées par de vils animaux. Mais le naturaliste, sans se laisser ébloüir par le brillant de ces belles enveloppes ; desire de connoître l'organisation de tous les animaux qui s'en revêtissent ; il ne verroit les coquilles qu'avec une sorte de dédain, si elles ne lui fournissoient pas elles-mêmes un sujet de méditation, qui est, pour ainsi dire, indépendant des animaux auxquels elles ont appartenu.

Les coquilles sont une des matieres les plus abondantes que nous appercevions sur la surface de la terre & dans son sein, jusqu'aux plus grandes profondeurs où il a été ouvert. De toutes les parties des animaux qui peuplent la terre, l'air & les eaux, si on en excepte l'émail des dents, les coquilles sont celles qui se conservent le plus long-tems après la mort de l'animal ; lorsqu'elles en sont séparées, elles acquierent souvent un nouveau degré de solidité, en s'alliant avec la pierre ou le caillou, de sorte que leur dureté doit égaler celle des rochers dont elles font partie, & dont les blocs semblent être à l'abri de l'injure des tems. Cependant les montagnes s'abaissent peu-à-peu, & disparoissent dans la suite des siecles ; le roc le plus dur est altéré peu-à-peu, & dispersé au gré des vents. Mais quoique ces masses de pierre paroissent anéanties, les fragmens des coquilles se retrouvent dans leurs débris, & sont encore reconnoissables dans les substances dont ils font partie.

La plûpart des coquilles qui ont existé depuis le commencement du monde, existent encore aujourd'hui à peu-près sous la même forme. Non-seulement cette matiere a la propriété de se maintenir sous la même apparence, sans que les générations des hommes puissent la voir changer de nature, mais elle se multiplie chaque jour, & la quantité des coquilles augmente excessivement, par le nombre prodigieux des individus que produisent la plûpart des especes de coquillages, & par leur accroissement, qui se fait en peu de tems : aussi toutes les mers en sont peuplées ; elles s'y amoncellent par tas énormes, les côtes en sont jonchées. On trouve des coquilles dans tous les pays du monde ; on les voit dispersées dans les plaines, sur la surface de la terre, ou réunies dans plusieurs endroits, en assez grande quantité, pour former des terreins très-étendus & fort profonds. Ailleurs elles sont mêlées dans les graviers, les craies, les marnes, les argiles, &c. à toutes les profondeurs où ces différentes matieres ont été creusées. On rencontre aussi des coquilles qui roulent en grand nombre sur la pente des collines ; il y en a encore sur le sommet des montagnes & dans le sein des carrieres, elles y forment des lits entiers ; elles sont incorporées avec la pierre & le marbre ; elles font partie de la marne & de la craie, & il y a lieu de croire que la marne & la craie, la pierre & le marbre ne sont composés que de fragmens & de détrimens de coquilles. Voyez l'Hist. nat. tome. I. p. 271 & suiv. où M. de Buffon donne à ce sujet une théorie fondée sur des faits incontestables.

La matiere des coquilles est fort analogue à la pierre, elles se pétrifient fort aisément ; elles changent de nature sans changer de forme, selon l'occurrence des matieres qui les environnent. Les Naturalistes distinguent ces différens états, en désignant par le nom de coquilles fossiles, celles qui sont conservées dans la terre presque sans aucune altération ; & ils appellent coquilles pétrifiées, celles qui participent à la nature de la pierre.

Après avoir considéré les coquilles relativement à leur nature, nous devons faire mention des différences que l'on a observées entre leurs principales especes. Les anciens n'ont pas traité cette matiere dans un grand détail. Aristote divise seulement les coquilles en univalves, bivalves & turbinées : les univalves sont d'une seule piece : les bivalves sont composées de deux pieces ; & les turbinées ne different des univalves, que parce qu'elles ont une figure conique ou ressemblante à celle d'une poire, que leur cavité est contournée en spirale. Ensuite il rapporte quelques différences tirées de la forme, de l'épaisseur des coquilles, &c. Hist. anim. lib. IV. cap. jv.

Les modernes n'ont commencé que sur la fin du dix-septieme siecle à faire des divisions méthodiques des coquilles. Gesner, Aldrovande, Jonston, Rondelet, & plusieurs autres auteurs qui ont traité des coquillages & des coquilles, n'en ont fait aucune distribution suivie & détaillée. J. Daniel Major a été le premier qui ait divisé les coquilles en classes, genres & especes, & qui ait établi sa méthode sur des caracteres tirés des différentes especes de coquilles. Annot. in lib. de purpurâ, fab. Col. Kiliae 1675. Dans cette méthode l'auteur met sous le nom de testacées improprement dits & vivans, testacea impropriè dicta viventia, les écailles de tortues, les nids d'Alcion, les tubes vermiculaires ; & sous le nom de testacées improprement dits & morts, les coquilles pétrifiées, & les noyaux pierreux des coquilles fossiles. Dans cette méthode les oeufs des oiseaux, des tortues, &c. sont au rang des testacées proprement dits, comme les coquillages ; ceux-ci sont divisés en univalves turbinées & non turbinées, & en plurivalves, soit bivalves, soit trivalves ou quatrivalves.

Il parut en 1684 une autre distribution méthodique des coquilles, dans l'ouvrage intitulé Recreatio mentis & oculi, in observatione animalium testaceorum, &c. à Phi. Bonanno soc. Jesu Romae. Les coquilles y sont divisées en trois classes, dont la premiere contient les univalves non turbinées ; la seconde les bivalves, & la troisieme les turbinées.

Martin Lister, Medecin Anglois, fit en 1685 une autre méthode pour la division des coquilles, & la donna dans un volume in-folio, qui renferme un très-grand nombre de planches dans lesquelles les coquilles sont bien gravées, Hist. Conch. Londini. Cet ouvrage est le plus complet que nous ayons pour le nombre des planches, car il contient plus de douze cent figures de coquilles. Il est vrai que l'auteur a pris quelquefois les variétés des individus de la même espece, pour des caracteres spécifiques ; & que n'ayant donné aucune explication détaillée de sa méthode, elle est obscure à quelques égards, & suppose une grande connoissance des coquilles, sans laquelle il n'est pas facile de reconnoître tous les caracteres qui y sont employés. On pourroit aussi faire quelques objections contre certaines parties de ce systême ; mais il n'est pas possible de faire en histoire naturelle aucune distribution méthodique qui soit entierement conforme à l'ordre de la nature. La méthode de Lister m'a paru aussi bonne qu'aucune autre, je l'ai suivie pour l'arrangement de la nombreuse collection de coquilles du cabinet du Roi, par la même raison qui doit la faire préférer à toute autre, lorsqu'on veut prendre connoissance des coquilles ; c'est que l'on trouve dans ce livre à chaque page, la figure de la coquille, & la dénomination que le méthodiste a donnée pour la distinguer des autres. La définition est réunie à l'objet, & les objets sont en plus grand nombre que dans aucun autre ouvrage de ce genre. Il est fâcheux que celui-ci soit aussi rare qu'il l'est. Je rapporterai ici un extrait de la méthode de Lister, en faveur de ceux qui n'ont pas son livre, & par ce moyen je donnerai une idée des différentes especes de coquillages, ou au moins des genres & des classes dans lesquels on les a distribués.

Lister divise les coquilles en trois classes générales : la premiere comprend les coquilles de terre ; la seconde les coquilles d'eau douce ; & la troisieme les coquilles de mer. Il prétend que la terre n'est pas moins propre que les eaux à la génération des coquillages, & qu'on en trouveroit grand nombre d'especes sur la terre, si on y cherchoit les coquilles avec autant de soin qu'on a de facilité à les trouver lorsqu'on fait des pêches. Mais notre auteur paroît prévenu pour cette opinion, de façon qu'il met au nombre des coquilles de terre, plusieurs de celles qui ne se trouvent que dans l'eau.

La premiere classe ne comprend que des coquilles univalves, qui sont des buccins & des limaçons ; en effet, on n'a jamais vû de coquilles terrestres bivalves.

Il y a dans l'eau douce des coquilles univalves & des bivalves. Les premieres sont les buccins, les limaçons, les nérites & les patelles ; les autres sont les moules & les petoncles.

Les coquilles de mer sont bivalves, multivalves, c'est-à-dire composées de plus de pieces, & univalves. Il y a des bivalves de mer dont les pieces sont inégales ; d'autres les ont égales, & semblables l'une à l'autre. Les premieres sont les peignes, les huîtres & les spondyles. Les autres sont les meres-perles, les petoncles, les moules, les pinnes marines, les tollines, les solenes, les chames-pholades. Celles qui sont composées de plus de deux piéces, en ont ou trois, ou cinq, ou douze. Les premieres sont les pholades, les secondes les anatiferes, & les troisiemes les glands de mer. Enfin la troisieme classe des coquilles de mer, qui renferme celles d'une seule piece, comprend les patelles, les dentales, les tubes vermiculaires, les nautiles, les limas, les nérites, les oreilles de mer, les sabots, les porcelaines, les rhombes & les buccins. Ce dernier membre de la division est le plus nombreux de tous, parce qu'il est composé non-seulement des buccins, mais encore des pourpres & des murex, sous le nom de buccins.

COQUILLES DE TERRE. Buccins. Ce sont des coquilles turbinées : toutes celles qui ont cette forme, sont faites dans leur intérieur en quelque façon comme un escalier à vis ; il y a un noyau qui les traverse dans le milieu d'un bout à l'autre. La bouche, c'est-à-dire l'ouverture de la coquille, est l'entrée de la cavité où loge l'animal ; cette cavité tourne en spirale autour du noyau, & diminue peu-à-peu de diametre, jusqu'à ce que les parois se rapprochent & se réunissent au fond de la cavité & à l'extrémité du noyau, que l'on appelle la pointe de la coquille. En tenant les coquilles turbinées de façon que la pointe soit en haut, la bouche en bas, & l'ouverture en avant, on voit que dans la plûpart la cavité tourne autour du noyau de droite à gauche, & dans quelques-unes de gauche à droite. La premiere division des buccins de terre dépend, selon Lister, de cette différence, quoiqu'il y ait plusieurs especes de coquilles dont la spirale tourne de droite à gauche. On n'a pas laissé de les appeller uniques, pour désigner ce caractere singulier, Pl. XXXI. fig. 14. La surface des buccins tournés de droite à gauche, est lisse ou cannelée ; ceux qui sont lisses, ont la levre, c'est-à-dire les bords de l'ouverture, unie ou dentelée. Ces sortes de dents qui se trouvent dans la bouche des buccins lisses & tournés de gauche à droite, se rencontrent aussi dans quelques buccins tournés de droite à gauche, & servent de caractere pour les distinguer des autres.

Tels sont les caracteres par lesquels Lister a déterminé les genres des buccins de terre. Nous ne pouvons pas rapporter ici le détail des especes qui appartiennent à ces genres ; il suffira de donner une idée générale des caracteres spécifiques qui sont employés dans cette méthode, pour distinguer la plûpart des turbinées : ils sont tirés de la forme des coquilles, & de leurs couleurs.

On remarque pour les formes,

Le nombre des tours que fait la cavité en descendant autour du noyau.

La courbure transversale de cette cavité plus ou moins sensible au-dehors dans ses différens tours. Il faut faire attention que cette courbure qui est transversale par rapport à la cavité, est longitudinale par rapport à la coquille en général.

L'épaisseur de la substance de la coquille,

L'allongement ou l'applatissement du corps de la coquille, ou de sa pointe.

La petitesse ou la grosseur de la coquille.

L'ouverture plus ou moins grande, ou plus ou moins arrondie.

Les cannelures plus ou moins profondes.

Les intervalles des cannelures sont lisses ou couverts de noeuds, ou armés de pointes.

L'ombilic est un trou dont est percé le noyau de la coquille à sa partie supérieure.

Les dents que l'on trouve à l'ouverture de la coquille ; les unes tiennent au noyau, d'autres à la levre de la coquille.

Les treillis, dont les mailles sont plus ou moins fortes sur la surface de la coquille.

L'épaisseur des bords de l'ouverture, qui quelquefois se recourbent en dehors.

Les sinus ou fentes que l'on remarque sur certaines parties des coquilles.

Pour les couleurs. Si la coquille est d'une seule couleur, on la nomme de cette couleur ; s'il y en a plusieurs mêlées, on en décrit les nuances & l'arrangement sur les différentes parties de la coquille : on y voit sur un fond d'une couleur, des bandes d'une autre couleur, qui suivent les différens tours de la coquille, ou qui les coupent transversalement.

Sur d'autres les couleurs marquent des ondes, des rayons, des panaches, &c.

Ces caracteres ne pourroient pas servir à distinguer les différentes especes de coquilles, s'ils se réunissoient tous dans chaque espece particuliere ; mais on n'en rencontre qu'un petit nombre dans la même coquille, qui souvent est plus que suffisant pour la définition que l'on veut faire ; & il arrive quelquefois qu'un seul caractere spécifie une coquille, lorsqu'il est particulier à son espece : au contraire, s'il est commun à d'autres especes du même genre, il faut en ajoûter un second & un troisieme, même un quatrieme, &c. si le second ou le troisieme, &c. quoique moins général, n'est pas encore le caractere particulier absolument nécessaire pour que la définition ne soit pas équivoque.

Il faut donc ordinairement employer plusieurs noms, plusieurs épithetes, même des phrases entieres & fort longues, pour désigner une coquille, & pour la distinguer parfaitement de toutes celles qui ne lui sont pas absolument semblables. Ceux qui ne veulent prendre qu'une legere teinture de l'Histoire naturelle, croyent qu'il est inutile de surcharger leur mémoire de toutes ces longues phrases, souvent fort peu intelligibles, à moins qu'on n'en ait fait une étude particuliere. On a voulu substituer aux phrases des Naturalistes des noms plus usités, en donnant aux coquilles ceux des choses auxquelles elles paroissent ressembler. De-là sont venus le ruban, la lampe, le cor de chasse, &c. Beaucoup de gens ont voulu donner de ces sortes de noms. Les uns ont mieux réussi que les autres : il s'en trouve qui sont fort ingénieusement imaginés, & qui caractérisent assez bien les coquilles auxquelles on les a donnés ; mais il y en a beaucoup qui sont amenés de si loin, & fondés sur une ressemblance si legere & si équivoque, qu'on s'y trompe toûjours. D'ailleurs, il n'y a qu'un très-petit nombre de coquilles qui soient susceptibles de ces sortes de noms ; ainsi la plus grande partie n'est pas nommée : quand même elles le seroient toutes, on n'en seroit pas plus avancé ; ces noms sont aussi incertains que les ressemblances sur lesquelles ils sont fondés : on les change souvent, & chacun se fait un langage à part que les autres ne peuvent pas entendre. Il faut donc nécessairement parler la langue des Naturalistes : les commencemens sont un peu pénibles ; mais il en coûte moins qu'on ne pense pour se la rendre familiere.

Limaçons. Tout le monde connoît la forme des limaçons ; les escargots qui rampent dans nos jardins nous en donnent un exemple familier.

Ce genre n'a point de soûdivisions. On distingue ses especes par les mêmes caracteres que nous avons rapportés plus haut pour les especes des buccins.

Limaçons applatis. Dans l'applatissement du limaçon, le noyau est raccourci, & le diametre de la coquille allongé ; la pointe de la coquille est au centre de l'un des côtés, & l'ouverture est dans l'autre.

On distingue les limaçons applatis dont l'intérieur de l'ouverture est lisse, de ceux qui ont des dents.

Lorsque l'intérieur de l'ouverture est lisse, quelquefois les bords de cette ouverture sont tranchans, d'autres fois ils ne le sont pas.

Les limaçons applatis qui ont des dents à l'intérieur de leur ouverture, ont cette même ouverture tournée de gauche à droite, ou de droite à gauche.

Il n'y a que deux nouveaux caracteres parmi les especes de ces quatre genres de limaçons applatis.

1°. La circonférence ou le limbe de la coquille qui est plus ou moins tranchant.

2°. L'ouverture de la coquille, qui dans une espece se retourne & s'ouvre du même côté où paroît la pointe. Pl. XX. fig. 9.

COQUILLES D'EAU DOUCE. On trouve dans les coquilles d'eau douce des univalves & des bivalves. Il y a cinq genres d'univalves, dont quatre sont de turbinées ; savoir les buccins, les limaçons, les limaçons applatis, & les nérites : les patelles, qui font le cinquieme genre, ne sont pas turbinées ; elles n'ont pas de volute.

Les bivalves d'eau douce ne sont que de deux genres, savoir celui des moules & celui des petoncles.

Buccins, limaçons, limaçons applatis. Ces genres ne se soûdivisent pas ; leurs especes se distinguent par les mêmes caracteres que nous avons donnés pour les coquilles de terre. Nous en allons détailler de nouveaux qu'il y faut ajoûter.

Le haut de l'ouverture s'allonge un peu dans quelques especes de buccins ; le noyau produit cet allongement que l'on appelle le bec de la coquille : dans cette espece de buccin ce bec est recourbé & creusé en gouttiere.

On trouve dans d'autres especes une arrête tranchante, ou des tubercules ou des pointes, sur la longueur des différens tours qui embrassent le noyau de la coquille.

Patelles. On a donné le nom de patelles aux coquilles de ce genre, parce qu'elles ressemblent à de petites jattes ou à de petits plats. Lister ne donne qu'une espece de patelle d'eau douce : le sommet de cette patelle est terminé par une petite pointe recourbée.

Nérites. Le nom de nérite semble venir du dieu Nérée.

Les nérites ressemblent beaucoup aux limas : pour le distinguer il faut savoir que le noyau des nérites n'est point du tout apparent à leur ouverture ; ainsi elles ne peuvent pas avoir de bec : les tours de spirale sont fort peu sensibles au-dehors, & en très-petit nombre : la pointe des nérites ne sort presque pas, & dans quelques especes elle n'est point du tout marquée.

Lister ne donne que deux especes de nérites d'eau douce ; l'une est peinte par bandes, l'autre est d'une couleur bleue-verdâtre, parsemée de taches.

Bivalves d'eau douce. Les deux pieces qui composent les coquilles bivalves, tiennent l'une à l'autre dans le tems que l'animal qu'elles renferment est vivant. Chaque piece a une espece de talon ou de bec dans un endroit de sa circonférence. On trouve ordinairement sous chaque bec deux ou trois dents, dont la forme varie dans les différens genres de coquilles bivalves : les unes sortent en s'élevant en pointes ; les autres rampent en s'allongeant, & forment une espece d'arrête ; à côté de chaque dent on voit une cavité destinée à recevoir la dent correspondante de l'autre piece. Ainsi chaque piece a des dents qui doivent entrer dans des cavités, & des cavités qui doivent recevoir des dents. Ces deux pieces posées l'une sur l'autre, composent une espece de charniere à l'endroit de leur circonférence où les deux becs se rencontrent. Les dents entrent dans les cavités destinées à les recevoir, & empêchent les deux pieces de tourner l'une sur l'autre. Les charnieres des coquilles dont l'animal est mort depuis long-tems, sont presque toutes dans cet état, qui n'est pas l'état naturel. Quoique les pieces ne puissent pas tourner l'une sur l'autre, elles peuvent aisément s'écarter l'une de l'autre : la nature a prévû cet inconvénient, qui eût été funeste à l'animal ; un ou deux ligamens attachés aux deux pieces de la coquille à l'endroit de la charniere, les empêchent de se séparer. Le relâchement de ces muscles permet à l'animal d'écarter les deux pieces de sa coquille, à l'endroit de leur circonférence opposé à celui de la charniere, & la contraction de ces mêmes muscles les rapproche.

Moules. On distingue deux especes de moules d'eau douce ; la premiere renferme celles dont la charniere est dentée ; les moules dont la charniere est lisse sont de la seconde espece.

Dans la premiere espece les dents de la charniere sont fort grosses ; & dans la seconde elles sont si petites, que si l'on n'y regarde pas de fort près la charniere paroît lisse.

La forme des bivalves est si différente de celle des univalves, qu'elle nous présente des caracteres nouveaux pour distinguer les especes. Ces caracteres se tirent, comme pour les univalves, des différentes formes des coquilles, ou de la différence de leurs couleurs.

On remarque pour les formes la largeur de la coquille, c'est-à-dire la distance qui est entre le bec & le côté opposé ; cette distance est plus ou moins grande par rapport à la longueur de la coquille.

L'épaisseur des pieces de la coquille, qui varie dans les différentes especes.

L'un des bouts de la coquille est quelquefois plus petit que l'autre.

L'endroit de la charniere est cannelé dans une espece de moule.

Pour les couleurs, si la coquille est d'une seule couleur, on la nomme de cette couleur ; s'il y en a plusieurs mêlées, on en décrit les nuances.

Quelquefois les couleurs sont disposées en rayons ; plusieurs bandes d'une couleur différente de celle du reste de la coquille partent du bec, & s'étendent en ligne droite.

Petoncles. Il n'y a qu'un genre pour en distinguer les especes ; il faut ajoûter les caracteres qui suivent à ceux que l'on a remarqué pour les moules.

Dans quelques especes le bec de chaque piece s'allonge & se recourbe du côté de l'autre piece.

Les petoncles sont plus ou moins arrondis ; on en trouve une espece qui est d'une forme triangulaire.

COQUILLES DE MER. Bivalves de mer. Les peignes, les huîtres, & les spondyles, sont composés de deux pieces inégales.

Peignes. On a donné à ces coquilles le nom de peignes, parce que leurs cannelures partent du bec de chacune des pieces, & s'étendent jusqu'aux bords de la coquille, & que les intervalles qui séparent ces cannelures ressemblent en quelque façon aux dents d'un peigne.

Ces mêmes coquilles sont aussi nommées coquilles de S. Jacques, & quelquefois manteau ducal, lorsqu'elles ont de belles couleurs.

Les peignes ont un petit appendice ou allongement triangulaire de chaque côté du bec de chacune des pieces de la coquille : cet allongement se nomme oreille.

On divise les peignes en deux classes ; la premiere renferme ceux dont les oreilles sont égales & semblables de chaque côté du bec de la coquille : les peignes dont les oreilles sont inégales (Pl. XIX. fig. 1.) composent la seconde classe.

La classe des peignes dont les oreilles sont égales, renferme deux genres différens ; les peignes du premier genre sont cannelés ; ceux du second sont lisses.

Les peignes dont les oreilles sont inégales se divisent en deux genres ; les uns sont dentés, les autres ne le sont pas.

La piece du pecten denté, qui est la plus applatie, porte ces sortes de dents : on les trouve à l'endroit du bord de cette piece qui est immédiatement sous l'oreille droite ; cette oreille est plus allongée que la gauche.

Les peignes nous présentent de nouveaux caracteres pour distinguer les especes.

Le nombre des cannelures varie souvent ; on les compte pour savoir combien il s'en trouve sur telle ou telle espece.

Les pieces du peigne sont plus ou moins convexes.

On trouve des especes de peigne dont la figure approche du rhomboïde.

Huîtres. Les huîtres se divisent en deux genres : celles du premier ont le bec allongé, applati, recourbé, & terminé par un angle aigu.

Les huîtres du second genre ont le bec très-petit, posé en-dessous, & presqu'entierement caché.

On trouve une espece d'huître qui s'attache à des branchages par des crochets qui tiennent au dos de la coquille.

Spondyles. Ce nom vient des Grecs ; ils l'ont donné à cette espece d'huître, parce que leurs pieces sont aussi-bien articulées ensemble que les vertebres des animaux. En effet, la charniere des spondyles est la plus parfaite de toutes les charnieres des coquilles.

Il n'y a qu'un genre de spondyles : pour en distinguer les especes, il faut faire attention à ce qui suit.

Dans une espece de spondyles on trouve de petites dents aux bords des cavités, où se logent les grosses dents de la charniere.

Dans une autre espece, les intervalles qui sont entre les cannelures s'allongent au-delà des bords de la coquille.

Enfin dans une autre espece de spondyle, le bec de chaque piece s'allonge & se recourbe.

Les spondyles les plus recherchés sont ceux qui se trouvent hérissés de piquans, & que l'on appelle communément huîtres épineuses. Pl. XIX. fig. 2.

On compte sept genres de coquilles bivalves de mer, dont les deux pieces sont égales & semblables ; savoir, les meres-perles, les petoncles, les moules, les pinnes marines, les tellines, les solenes, & les chames ou flammes.

Meres-perles. Ces coquilles sont une espece de peigne où se forment des perles qui se trouvent adhérentes à l'intérieur de la coquille. On a donné le nom de peignes aux meres-perles, parce qu'elles ont deux oreilles comme les peignes dont on a parlé à l'article des bivalves de mer, dont les pieces sont inégales. Mais les oreilles des meres-perles sont absolument différentes de celles des peignes ; elles ne sont pas cannelées, & leur forme varie beaucoup dans les différentes especes. Au reste les meres-perles sont trop différentes des peignes, pour qu'on puisse les confondre ensemble.

Les meres-perles se divisent en trois genres ; celles du premier ont les oreilles très-allongées, à l'exception d'une espece ; c'est celle qui donne la nacre ; ses oreilles sont plus courtes, & comme repliées. L'hirondelle de mer a les oreilles beaucoup plus allongées d'un côté que de l'autre. Une autre espece, que l'on appelle le crucifix ou le marteau, a non-seulement les oreilles fort longues & plus allongées d'un côté que de l'autre, mais encore l'endroit des bords de la coquille qui est opposé à celui de la charniere, s'allonge considérablement ; ce qui donne une forme bien particuliere à cette coquille.

Le second genre des meres-perles n'a qu'une espece, qui est celle que l'on appelle vitres chinoises. Ce genre est bien caractérisé par la charniere de la coquille ; l'une des pieces a deux dents longues & étroites en forme d'arêtes, qui naissent sous le bec de cette piece, & qui s'allongent en s'écartant l'une de l'autre : ces deux dents sont reçues dans deux cavités creusées comme des sillons, qui se trouvent sous le bec de l'autre piece de la coquille.

Les meres-perles du troisieme genre ont leur charniere composée de plusieurs dents & de plusieurs cavités posées sur une même ligne droite.

Petoncles. Le mot latin pectunculus vient de pecten, qui signifie petit peigne. Les petoncles n'ont point d'oreilles, leurs pieces sont semblables ; ainsi on les distingue aisément des peignes. Voyez : par exemple, le petoncle appellé conque de Venus orientale (Planc. XIX. fig. 3.), & celui qui est nommé conque de Venus occidentale, fig. 4.

On divise les petoncles en quatre genres principaux : ceux du premier genre ont la charniere composée de plusieurs dents ; ceux du second sont lisses ; les petoncles du troisieme genre sont entourés de bandes, & ceux du quatrieme sont cannelés.

Les petoncles dont la charniere est composée de plusieurs dents, se soûdivisent en trois genres : ceux du premier ont l'un des côtés plus allongé que l'autre ; les petoncles du second genre sont cannelés, & leur contour est arrondi : ceux du troisieme genre sont lisses, & leur contour est arrondi.

Les petoncles lisses se soûdivisent en trois genres : ceux du premier sont triangulaires, & étroits à l'endroit de la charniere : les petoncles du second genre sont triangulaires & larges à l'endroit de la charniere ; & ceux du troisieme genre ont le bec recourbé.

Les petoncles entourés de bandes se soûdivisent aussi en trois genres : ceux du premier sont marqués d'un petit cercle à côté du bec, & les bords de la coquille sont cannelés.

Les petoncles du second genre sont marqués d'un petit cercle à côté du bec, & les bords de la coquille sont lisses ; & ceux du troisieme genre n'ont aucune marque de petit cercle à côté du bec.

Les petoncles cannelés se soûdivisent en neuf genres : ceux du premier ont des cannelures qui naissent deux ensemble, depuis le bec jusqu'au milieu de la coquille : les petoncles du second genre ont des cannelures tracées irrégulierement : ceux du troisieme ont des cannelures égales, mais l'une des faces de la coquille est plus élevée que l'autre : les petoncles du quatrieme genre sont applatis sur les côtés (Pl. XIX. fig. 5.), & le milieu de chaque face est élevé en tranchant : ceux du cinquieme genre sont hérissés de pointes ou de rugosités : les petoncles du sixieme genre n'ont aucunes pointes ni rugosités : ceux du septieme sont treillés : les petoncles du huitieme genre sont plus allongés d'un côté que de l'autre : enfin ceux du neuvieme sont écailleux.

Pour distinguer les especes de tous ces genres de petoncles, il faut ajoûter quelques nouveaux caracteres à ceux qu'on a déjà fait remarquer pour les autres especes de coquilles.

1°. Les cannelures qui se trouvent sur les faces intérieures de la coquille.

2° Les petites marques en forme de lettres ou de caracteres qui sont peints sur les coquilles.

3°. La couleur de l'intérieur de la coquille.

Moules. Les moules de mer sont une espece de coquille longue qui est terminée par un bec à l'endroit de la charniere. Ce bec est allongé dans certaines especes de moules, il en sort des soies ou fils qui servent à attacher les moules les unes avec les autres, ou bien à les arrêter au rocher, &c. ces soies ne sont pas si fines que celles de la pinne-marine, dont nous parlerons dans la suite.

Premier genre, moules dont la charniere est lisse. Second genre, moules dont la charniere est composée de plusieurs dents.

Pinnes-marines. Ces coquilles sont une sorte de moule ; mais Lister en fait une classe à part : elles sont très-grandes ; elles ont quelquefois plus d'un pié & demi de longueur (Plan. XIX. fig. 6.) Elles portent une espece de soie fine A, à laquelle on donne le nom de byssus. Cette soie est de couleur rousse. Elle est commune en Sicile, en Corse, & en Sardaigne, où on l'employe pour faire des étoffes, des bas, des gants, &c. on en fait aussi un grand commerce à Messine & à Palerme. On donne vulgairement à la pinne-marine le nom d'aigrette ou de plume ; on l'appelle aussi nacre. On trouve des perles dans ces coquilles, & même de très-grosses.

Premier genre : pinnes marines dont les bords ne sont pas arrondis.

Second genre : pinnes marines dont les bords sont arrondis.

Tellines ou tenilles ; elles different des moules, en ce que leur charniere n'est pas exactement dans le milieu de la coquille. Planc. XIX. fig. 7. Les tellines sont plus larges d'un côté que de l'autre, ce qui les fait ressembler à un coin.

Premier genre : tellines dont les bords sont dentés en-dedans.

Second genre : tellines dont les bords sont lisses en-dedans.

Solenes ou manches de couteaux. Les coquilles de ce genre sont longues & ouvertes par les deux extrémités. Pl. XIX. fig. 8. A, l'une des pieces vûe en-dehors ; B, l'autre piece vûe en-dedans. Leur ressemblance avec les manches de nos couteaux, leur a fait donner ce nom. Les Grecs les appelloient solenes, tuyaux. Dans le pays d'Aunis, on les nomme le coutelier ; & en Italie, cannolichio. Il n'y a qu'un genre de manche de couteau.

Cames. On donne différens noms françois aux cames ; on les appelle flammes ou flammettes, parce que le poisson de cette coquille enflamme la bouche quand on le mange. On les nomme encore lavignons ou palourdes. Cette classe n'a qu'un genre.

COQUILLES DE MER DE TROIS PIECES. Pholades. Lister croyoit d'abord que les pholades n'étoient composées que de trois pieces ; ensuite il a reconnu que ces coquilles (Pl. XIX. fig. 9.) ont cinq pieces différentes : quand l'animal est mort, les trois pieces les plus petites tombent bientôt, & il ne reste plus que les deux grosses parties.

Premier genre : pholades dont la charniere est percée de petits trous.

Second genre : pholades dont la charniere n'est pas percée.

COQUILLES DE MER DE CINQ PIECES. Conques anatiferes. Anatifere vient du grec, & signifie porte-canard ; parce qu'on croyoit autrefois que le bernacle ou bernache, espece de canne de mer plus grosse que la macreuse, sortoit de ces coquilles. Planc. XX. fig. 1. & 2.

Il n'y a qu'un genre de conques anatiferes ; celle que l'on appelle poussepiés est composée de plusieurs pieces pointues, posées sur un pédicule cylindrique. La surface extérieure de ce pédicule est de couleur de gris de souris, & ressemble à la peau du chagrin ; il renferme une chair blanche qui devient rouge, quand elle est cuite : elle est bonne à manger. Son goût approche de celui de l'écrevisse.

Les poussepiés se réunissent plusieurs ensemble par l'extrémité de leurs pédicules. Il y en a des grouppes de sept ou huit.

COQUILLES DE MER DE DOUZE PIECES. Glands de mer. On a donné à cette espece de coquille le nom de gland de mer, parce qu'elle ressemble un peu à un gland. Planc. XX. fig. 3.

Il y a des cailloux & des coquilles qui sont chargées d'une très-grande quantité de ces glands : on en compte jusqu'à quatre-vingt-dix sur une seule coquille.

Univalves de mer, lepas ou patelles. Le nom de lepas vient du grec : on l'a donné aux coquilles de ce genre, parce qu'elles s'attachent aux rochers sur lesquels elles paroissent comme des écailles ; on les appelle aussi patelles, parce qu'elles ressemblent à un petit plat. Pl. XX. fig. 4.

Il y a quatre genres de lepas. Les lepas du premier genre sont percés au sommet ; ceux du second ont leur sommet entier. Les lepas du troisieme genre ont leur sommet allongé & recourbé : ceux du quatrieme genre sont pointus au sommet, & on trouve dans l'intérieur de la coquille une éminence triangulaire.

Tuyaux de mer ou dentales. Les tuyaux de mer ont aussi le nom de dentales, parce qu'ils ressemblent à une dent de chien. Pl. XX. fig. 5. Ce qui distingue les tuyaux de mer des vermisseaux de mer, c'est que les premiers sont solitaires, & que les autres sont toûjours réunis plusieurs ensemble.

Vermisseaux de mer. Les vermisseaux de mer sont ordinairement entrelacés les uns dans les autres ; ils s'attachent aux rochers & à la carene des vaisseaux : on en trouve des grouppes assez gros.

L'arrosoir ou le pinceau de mer (Pl. XX. fig. 6.) est un vermisseau de mer.

Nautiles. Ce mot vient du grec ; il signifie pilote. La forme de cette coquille (Pl. XX. fig. 7.) approche de celle d'un vaisseau, & le poisson semble la conduire sur la mer, comme un pilote conduiroit un navire. Quand ce poisson veut nager, il éleve deux especes de bras A A, qui soûtiennent une membrane legere B : cette membrane sert de voile. Il a d'autres bras ou longs appendices C C, qu'il plonge dans l'eau, & qui lui tiennent lieu d'avirons & de gouvernail pour diriger sa coquille. Il marche ainsi sans enfoncer dans la mer ; mais si-tôt qu'il veut se retirer au fond de l'eau, il rentre dans sa coquille, qui se trouve alors assez pesante pour couler à fond.

Les nautiles se divisent en deux genres : ceux du premier genre sont chambrés. Pl. XX. fig. 8. L'intérieur de ces nautiles est partagé en plusieurs chambres A, A, par des cloisons ou lames transversales B, B : on en compte quelquefois jusqu'à quarante. Il y a un petit tuyau C C qui regne tout le long de la coquille, & qui traverse toutes ces cloisons. Celles qui se trouvent du côté du bec sont les plus petites, & elles augmentent peu-à-peu jusqu'à l'ouverture de la coquille où est la plus grande chambre.

Les nautiles du second genre ne sont point chambrés, c'est-à-dire que l'animal en occupe tout l'intérieur, qui n'est point divisé en plusieurs loges par des cloisons comme l'intérieur des nautiles du premier genre.

Limaçons. Le nom de limaçon, en latin limax, vient de limus, limon ; parce que les anciens croyoient que ces coquillages s'engendroient dans le limon, & qu'ils s'en nourrissoient. Leur bouche est ronde.

Premier genre : limaçons dont la pointe est courte, percés d'un ombilic, avec une cannelure à côté, qui est accompagnée d'une petite oreille.

Second genre : limaçons dont la pointe est courte, & dont l'ombilic n'est point accompagné de cannelures ni d'oreilles.

Troisieme genre : limaçons sans ombilic ; & dont la pointe est courte.

Quatrieme genre : limaçons dont la pointe est courte, & dont le noyau est un peu élevé à l'ouverture de la coquille.

Cinquieme genre : limaçons dont la pointe n'est pas fort allongée, & dont l'ouverture est dentée.

Sixieme genre : limaçons lisses dont la pointe n'est pas fort allongée, & dont l'ouverture n'est pas dentée.

Septieme genre : limaçons cannelés dont la pointe n'est pas fort allongée. La scalata (Pl. XX. fig. 10.) est de ce genre.

Huitieme genre : limaçons cannelés dont la pointe est mince & fort allongée.

Neuvieme genre : limaçons lisses dont la pointe est mince & fort allongée. Pl. XX. fig. 11.

Nerites. Le nom des nerites semble venir du dieu Nerée. Ces coquilles ressemblent beaucoup aux limaçons : ce qui les fait distinguer, c'est que le noyau des nerites n'est point du tout apparent à leur ouverture. Leurs tours de spirales sont fort peu sensibles & en petit nombre ; leur pointe ne sort presque pas ; & dans quelques especes, elle n'est point du tout marquée.

Premier genre : nerites dentées dont la pointe est un peu saillante. La quenotte (Pl. XX. fig. 12. & 13.) est de ce genre.

Second genre : nerites dentées, cannelées, & dont la pointe est applatie.

Troisieme genre : nerites dentées, lisses, & dont la pointe est applatie.

Quatrieme genre : nerites dont le noyau est denté, & la levre allongée sans aucune dent.

Cinquieme genre : nerites lisses dont l'ouverture n'a aucune dent.

Sixieme genre : nerites hérissées de pointes, & dont l'ouverture n'a aucune dent.

Oreilles de mer. Ces coquilles sont appellées oreilles, parce qu'elles ressemblent en quelque façon à une oreille d'homme ; elles ont un rang de trous ronds, dont il y en a ordinairement six qui sont ouverts : les autres sont fermés. Planche XXI. fig. 1. On a représenté des perles A qui tiennent à cette coquille. Cette classe n'est point divisée en genres.

Sabots. On appelle ces coquilles sabots, parce qu'elles ressemblent aux sabots ou aux toupies qui servent d'amusement aux enfans : elles ont une figure conique. Voyez Pl. XXI. fig. 2. un sabot posé sur sa base ; & fig. 3. la même coquille vûe par la base.

Premier genre : sabots dont la pointe est élevée, & la base un peu convexe.

Second genre : sabots dont la pointe est élevée, & dont la base est cave.

Sabots dont la base est plane. Voyez l'escalier ou cadran, Pl. XXI. fig. 4.

Troisieme genre : sabots percés d'un ombilic : leur pointe n'est pas fort élevée, & leur ouverture est garnie de dents.

Quatrieme genre : sabots en forme de limaçons percés d'un ombilic, & sans aucune dent à leur ouverture.

Cinquieme genre : sabots dont la pointe est courte, & dont le noyau est un peu élevé sans ombilic.

Sixieme genre : sabots dont le milieu de la base est calleux.

Septieme genre : sabots qui ont une dent à l'extrémité du noyau.

Porcelaines : elles ont à-peu-près une forme ovoïde. Pl. XXI. fig. 5. Leur ouverture (fig. 6.) est longue & étroite ; elle s'étend de l'un des bouts de la coquille jusqu'à l'autre : l'une des levres de l'ouverture, & souvent toutes les deux, sont garnies de dents. Gesner prétend qu'on a donné à ces coquilles le nom de porcelaines, parce que les Chinois de la province de Kiamsi s'en servent pour faire leur porcelaine. On les appelle aussi conques de Venus, parce qu'elles étoient autrefois consacrées à Venus. Il ne faut pas les confondre avec les coquilles de Venus, qui sont des pétoncles.

Premier genre : porcelaines d'une seule couleur, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Second genre : porcelaines parsemées de petites lignes qui suivent la longueur de la coquille, dont l'ouverture est étroite & dentée.

Troisieme genre : porcelaines peintes en ondes & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Quatrieme genre : porcelaines entourées de bandes d'une seule couleur, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Cinquieme genre : porcelaines tachées & entourées de bandes, qui quelquefois sont aussi tachées : leur ouverture est étroite & dentée.

Sixieme genre : porcelaines parsemées de points noirs, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Septieme genre : porcelaines parsemées de taches noires ou blanches, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Huitieme genre : porcelaines marquées de taches blanches, peintes en forme de reseau, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Neuvieme genre : porcelaines profondément cannelées, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Dixieme genre : porcelaines couvertes de tubercules ou de noeuds, & dont l'ouverture est étroite & dentée.

Onzieme genre : porcelaines dont l'ouverture est large & sans aucune dent, & dont la pointe n'est pas percée d'un ombilic.

Douzieme genre : porcelaines tournées en spirale dont la pointe est percée d'un ombilic, & dont l'ouverture est large & sans aucune dent.

Rouleaux & cornets. Lister range les rouleaux & les cornets dans la même classe, & il les appelle rhombi. D'autres auteurs leur ont donné le même nom. Il paroît qu'ils l'ont tiré de la figure de ces coquilles : mais elle approche si peu de celle du rhombe géométrique, qu'il seroit ridicule de leur donner en françois le nom de rhombe ; il vaut mieux diviser cette classe en rouleaux & en cornets. Cette division s'accorde avec la méthode de Lister, car il divise les rhombes en cylindriques & en pyramidaux ; les cylindriques sont les rouleaux, & les pyramidaux sont les cornets.

Rouleaux (Pl. XXI. fig. 7.) Premier genre : rouleaux épais d'une seule couleur, & dont le noyau est denté.

Second genre : rouleaux dentés & tachés.

Troisieme genre : rouleaux dentés & entourés de bandes.

Quatrieme genre : rouleaux dentés & peints en ondes.

Cinquieme genre : rouleaux dentés, & dont le dos est élevé.

Sixieme genre : rouleaux dont l'ouverture est étroite & sans aucune dent.

Septieme genre : rouleaux minces dont la pointe est saillante, & dont l'ouverture est large & sans aucune dent.

Huitieme genre : rouleaux dont la pointe est applatie, & dont l'ouverture est large & sans aucune dent.

Cornets, voyez Pl. XXI. fig. 8. le grand amiral, qui est une des plus recherchées de toutes les coquilles.

Premier genre : cornets d'une seule couleur.

Second genre : cornets cannelés.

Troisieme genre : cornets entourés de lignes marquées par des taches.

Quatrieme genre : cornets peints en ondes.

Cinquieme genre : cornets entourés de bandes.

Sixieme genre : cornets peints en réseaux.

Buccins. La classe des buccins est très-nombreuse, selon la méthode de Lister on y trouve des caracteres génériques qui pourroient faire des classes : car il y a des buccins qui sont si différens les uns des autres, que plusieurs auteurs en ont fait des classes sous les noms de murex, pourpre, &c.

Premier genre : buccins dont le noyau est dentelé, & dont la pointe rentre en-dedans, ou ne sort que très-peu. Les coquilles de ce genre sont appellées conques persiques : Aldrovande leur a donné ce nom, parce qu'on lui en avoit envoyé quelques-unes de Perse.

Second genre : buccins dont la pointe est un peu allongée, & dont le noyau est dentelé.

Troisieme genre : buccins dont le noyau est dentelé, & dont la pointe est fort longue & fort mince.

Quatrieme genre : buccins lisses dont la levre est échancrée. Le fuseau (Plan. XXI. fig. 9.) est de ce genre.

Cinquieme genre : buccins cannelés dont la levre est échancrée.

Sixieme genre : buccins raboteux & hérissés de pointes, & dont la levre est échancrée.

Septieme genre : buccins dont la levre est échancrée & prolongée en plusieurs pointes. Le scorpion (Pl. XXI. fig. 10.) est de ce genre.

Huitieme genre : buccins lisses ou très-peu raboteux, tournés de gauche à droite, & dont la pointe n'est pas fort allongée.

Neuvieme genre : buccins hérissés de pointes tournées de gauche à droite, & dont le milieu est enflé. La becassine épineuse (Planc. XXI. fig. 11.) est de ce genre.

Dixieme genre : buccins tournés de droite à gauche, & dont le milieu est enflé. Plan. XXI. fig. 12. On les appelle uniques, comme il a déjà été dit, parce que leur spirale est tournée différemment de celle du plus grand nombre des coquilles.

Onzieme genre : buccins lisses dont le bec & la pointe sont fort allongés.

Douzieme genre : buccins legerement cannelés, & dont le bec & la pointe sont fort allongés.

Treizieme genre : buccins entourés de larges cannelures, & dont la pointe & le bec sont fort allongés, & la levre mince.

Quatorzieme genre : buccins entourés de larges cannelures, dont la pointe & le bec sont fort allongés, & dont la levre est doublée.

Quinzieme genre : buccins hérissés de pointes, & dont le bec & la pointe sont allongés. La chicorée (Pl. XXI. fig. 13.) est de ce genre.

Seizieme genre : buccins chargés de tubercules, & dont le bec n'est pas allongé, & la gouttiere du bec n'est pas courbée.

Dix-septieme genre : buccins cannelés dont le bec n'est pas allongé, & dont la gouttiere du bec n'est pas recourbée.

Dix-huitieme genre : buccins lisses dont la pointe est allongée, dont le bec est court, & dont la gouttiere du bec est droite.

Dix-neuvieme genre : buccins minces dont la levre est écartée, le bec court, & la gouttiere du bec droite.

Vingtieme genre : buccins épais dont la levre est écartée, le bec court, & la gouttiere du bec droite.

Vingt-unieme genre : buccins applatis dont le bec est court, & dont la gouttiere du bec est droite.

Vingt-deuxieme genre : buccins cannelés, enflés, dont le bec est recourbé.

Vingt-troisieme genre : buccins lisses, enflés, & dont le bec est recourbé.

Vingt-quatrieme genre : buccins dont le bec est recourbé, & dont la pointe est fort allongée.

Selon l'ordre chronologique des différentes méthodes qui ont été faites pour la division des coquilles, il me paroît que celle de M. Tournefort doit suivre celle de Lister, quoiqu'elle n'ait été publiée qu'en 1742 par M. Gualtieri de Florence, dans le livre qui a pour titre : Index test. conch. &c. Cet ouvrage posthume a été tiré d'un manuscrit de M. de Tournefort : les coquilles y sont distribuées en trois classes générales, dont la premiere comprend les univalves ; la seconde, les bivalves ; & la troisieme, les multivalves. Les univalves sont soûdivisées en trois familles, qui renferment les univalves proprement dites, les univalves contournées en spirale, c'est-à-dire les turbinées, & les univalves faites en forme de tuyau. Il y a deux familles de bivalves : dans les unes les deux pieces ferment exactement de tous côtés ; dans les autres les deux pieces ne se touchent qu'en partie, & laissent une ouverture à chaque bout. Enfin les multivalves composent deux familles ; dans celles de la premiere, les différentes pieces sont articulées les unes avec les autres ; & dans celles de la seconde famille, elles sont simplement unies & adhérentes par des cartilages.

En 1705, Rumphius fit une distribution méthodique des coquilles dans son ouvrage qui a pour titre, Thesaurus cochlearum, concharum & conchiliorum musei amboinici, &c. qui a été imprimé à Leyde.

Langius publia à Lucerne en 1722 un livre intitulé, Methodus nova & facilis test. mar. in class. &c. distribuendi. Cet auteur ne traite que des coquilles de mer, & il les divise en trois classes générales, dont la premiere renferme les coquilles univalves, qui ne sont point turbinées ; les turbinées sont dans la seconde classe, & les bivalves dans la troisiéme. Langius soûdivise la premiere classe en deux autres, dont les caracteres sont fondés sur la différence qui se trouve entre les coquilles univalves qui ne sont pas turbinées ni contournées en spirale à l'intérieur, & celles qui sans être turbinées sont cependant contournées en spirale à l'intérieur, mais de façon qu'il n'en paroît aucun vestige à l'extérieur. Les premieres sont les patelles, les glands de mer, les tuyaux de mer, &c. Les secondes sont les nautiles, les porcelaines, les cornes d'Ammon, &c. Les turbinées sont divisées en six classes : la premiere renferme celles que l'auteur désigne par leur longueur, cochleae longae ; leur bouche est fort allongée : celles de la seconde classe ont aussi la bouche allongée, mais elle est terminée par une gouttiere, cochleae canaliculatae : les coquilles de la troisieme classe portent le nom de buccins ; leur bouche & leur pointe sont allongées, & elles sont fort grosses à l'endroit du premier tour du spirale : celles de la quatrieme ne different des buccins qu'en ce qu'elles ne sont pas si grosses dans le premier tour de spirale : la cinquieme classe comprend les coquilles qui ne sont allongées que par la pointe : enfin celles de la sixieme classe ne sont allongées ni par un bout ni par l'autre ; elles sont au contraire si raccourcies, que l'auteur les appelle conchae breviores. Il distingue trois sortes de coquilles bivalves : les premieres ont les deux pieces semblables, & aussi longues d'un côté de la charniere que de l'autre : dans les secondes, les deux pieces sont semblables, mais plus longues d'un côté de la charniere que de l'autre : les troisiemes sont composées de deux pieces, qui ne sont point semblables l'une à l'autre ; elles portent dans cette méthode le nom d'anomales.

Il y a une dissertation de M. Hebenstreit, publiée à Leipsic en 1728, sur la distribution méthodique des coquilles ; il a tâché de faire accorder les caracteres de sa méthode avec ceux des animaux qui sont renfermés dans les coquilles, & il les divise en neuf classes, dont voici la suite. 1°. Les coquilles univalves irrégulieres, ce sont les glands de mer & les vermisseaux de mer. Cet auteur prétend que le gland de mer doit être regardé comme univalve, parce que toutes ses différentes pieces sont réunies en une seule par le bas 2°. Les univalves, régulieres, qui ne sont point contournées en spirale 3°. Les univalves régulieres contournées en spirale dans toute leur longueur. 4°. Celles qui ne sont contournées en spirale que vers la pointe, qui ont la bouche étendue d'un bout à l'autre, & qui forment une spirale irréguliere. 5°. Celles qui ne différent des précédentes que par la position de la spirale, qui tourne autour du centre. 6°. Les coquilles dans lesquelles il n'y a qu'un tour de spirale fort court, ce sont les oreilles de mer. 7°. Les bivalves, dont les deux pieces sont jointes par une charniere au-delà de laquelle elles ne débordent pas. 8°. Celles dont les deux pieces débordent au-delà de leur charniere. 9°. Les bivalves, dont les deux pieces sont jointes par une large articulation ; telles sont les peignes & les huîtres.

M. Breyn, dans une dissertation latine imprimée à Dantzick en 1732, a donné une méthode pour la distribution des coquilles ; il les divise en deux classes générales, dont la premiere comprend celles qui sont faites en forme de tuyaux, & la seconde celles qui ont la figure d'un vase. La premiere classe est divisée en deux branches ; les coquilles qui forment la premiere sont celles qui n'ont qu'une seule cavité, qui s'étend en ligne droite ou courbée irrégulierement, comme les dentales, les antales, les tubes vermiculaires, &c. ou contournées en spirale réguliere, comme les nautiles papiracées, les nérites, les limas, les buccins, les porcelaines, & en un mot toutes les turbinées. La seconde branche est composée des coquilles dont l'intérieur est divisé en plusieurs cellules, comme les nautiles chambrés, les cornes d'Ammon, &c. La seconde classe est aussi divisée en deux parties ; les coquilles de la premiere partie sont appellées simples, parce qu'elles n'ont qu'une seule piece, telles sont les patelles. Les coquilles de la seconde partie de cette division ont plusieurs pieces : il y en a de quatre sortes : 1°. les coquilles bivalves : 2°. celles qui ont deux pieces principales & quelques autres plus petites, comme les pholades, les conques anatiferes : 3°. les coquilles qui ont une piece principale & d'autres plus petites, comme le gland de mer 4°. celles qui sont formées de façon qu'elles n'ont que deux ouvertures, dont l'une est la bouche & l'autre l'anus, & qui sont hérissées de piquans de matiere testacée ; ce sont les oursins.

M. Linnaeus, dans son ouvrage intitulé sistema naturae, imprimé à Leyde in-fol. en 1735, & dont il y a eu depuis plusieurs éditions, met les coquillages au rang des vers. Dans les dernieres éditions, dont la plus récente est de 1748, il les divise en neuf ou dix classes. La premiere comprend les patelles ; la seconde les turbinées, telles que les volutes ou cornets, les buccins, les casques, les pourpres, les lambis, les nérites, les sabots, &c. la troisieme les porcelaines ; la quatrieme les oreilles de mer ; la cinquieme les dentales, les vers à tuyaux, l'arrosoir, l'orgue de mer ; la sixieme les nautiles, &c. la septieme les moules, les dails ou pholades, les coutellieres, les tellines ou tenilles, les cames lavignons ou palourdes, les huîtres, les coeurs de boeuf, les jamboneaux, les pinnes marines, les petoncles ou sourdons, &c. la huitieme les glands de mer, les bernacles, &c. la neuvieme les oursins ; enfin le microscome est dans la dixieme classe. Syst. nat. &c. Parisiis, 1744.

M. Gualtieri, dont nous avons déjà cité le nom & l'ouvrage sur la division des coquilles, & l'auteur de l'histoire naturelle éclaircie dans deux de ses principales parties, la Lithologie & la Conchyliologie, ont publié en 1742 chacun une méthode pour la distribution des coquilles. Dans celle de M. Gualtieri elles sont divisées en cinq classes générales ; la premiere comprend celles qui ne sont pas de mer ; cette classe est sous-divisée en deux branches, dont l'une s'étend à toutes les coquilles de terre, & l'autre aux coquilles d'eau douce : l'auteur distingue deux sortes de coquilles de terre, qui toutes sont turbinées ; les unes sont applaties & les autres allongées. Il établit trois sortes de coquilles d'eau douce, savoir, les coquilles qui ne sont pas turbinées, celles qui le sont, & les coquilles bivalves. La seconde classe renferme les coquilles de mer qui ne sont pas turbinées, elles sont sous-divisées en coquilles simples & en coquilles dont la structure intérieure est cachée : les premieres sont en forme de petit plat, comme les patelles, ou en forme de tuyaux divisés en plusieurs cellules ; les autres sont aussi en forme de vase comme les porcelaines, ou en forme de tuyaux divisés en plusieurs loges, comme les nautiles, les cornes d'Ammon, &c. La troisieme classe comprend les turbinées de mer, qui sont soûdivisées dans cette méthode comme dans celle de Langius, que j'ai rapportée plus haut. Les bivalves de mer sont dans la quatrieme classe, & les caracteres de leur soûdivision sont les mêmes que dans la méthode de Langius. La cinquieme classe de M. Gualtieri renferme les coquilles de mer composées de plusieurs pieces ; il les distingue en trois sortes, parce que les différentes pieces sont articulées par des cartilages, comme dans les pholades, &c. ou par des sutures écailleuses, comme dans les glands de mer ; ou enfin par des vraies sutures, comme dans les oursins.

L'auteur de la Conchyliologie dont il a déjà été fait mention, distribue les coquilles en trois classes : la premiere renferme les coquilles de mer ; elles y sont divisées en coquilles univalves, coquilles bivalves, & coquilles à plusieurs pieces. Il y a quinze familles de coquilles univalves ; savoir, les patelles, les oreilles de mer, les tuyaux de mer, les vaisseaux ou nautiles, les limaçons à bouche ronde, les limaçons à bouche demi-ronde, les limaçons à bouche applatie, les trompes, c'est-à-dire les buccins, les vis, les cornets, les rouleaux, les rochers, les pourpres, les tonnes & les porcelaines. Les familles des coquilles bivalves sont au nombre de six ; savoir les huîtres, les cames, les moules, les coeurs, les peignes & les manches de couteaux. Enfin les coquilles à plusieurs pieces forment aussi six familles, savoir les oursins ou boutons, les vermisseaux de mer, les glands de mer, les poussepiés, les conques anatiferes, & les pholades. La seconde classe, qui est celle des coquilles d'eau douce, renferme huit familles d'univalves & trois de bivalves. Les univalves sont les patelles, les nérites, les petits sabots, les vis, les buccins, les conques sphériques ou tonnes, & les cornes d'Ammon. Les bivalves sont les cames, les moules & les peignes. Dans la troisieme classe les coquilles terrestres sont divisées en coquillages vivans & en coquillages morts ; il ne doit être question ici que des premiers ; car quoiqu'on trouve les autres, c'est-à-dire les coquilles fossiles ou pétrifiées sur la terre & dans ses entrailles, elles ne doivent pas toutes être regardées pour cette raison comme des coquilles terrestres, puisque la plûpart viennent originairement de la mer. Les vraies coquilles de terre sont divisées par l'auteur de la Conchyliologie, &c. en cinq familles, qui sont les patelles, les limaçons, les buccins, les vis, & les conques sphériques ou tonnes.

Voilà les principales méthodes qui ont été faites pour la distribution des coquilles en classes, genres, familles, &c. Je n'ai pû rapporter que les principales branches de chacune de ces méthodes ; mais on peut juger sur cet exposé, que les principaux caracteres de la distribution méthodique en ce genre sont ceux que rapporte Aristote, lorsqu'il divise les coquilles en univalves, bivalves, & turbinées. C'est sur les principes de ce grand naturaliste, que les méthodistes dont je viens de faire mention ont établi leur méthode ; chacun a modifié à son gré les détails des soûdivisions : on pourra les varier encore de bien des façons, mais quelque méthode que l'on employe, l'art de l'auteur ne pourra jamais suppléer aux représentations. Ainsi l'ouvrage qui contiendra le plus grand nombre de figures sera toûjours préférable, d'autant plus que chaque coquille y est représentée en entier ; car heureusement les méthodistes n'ont pas encore imaginé pour les coquilles, comme pour les plantes, de ne représenter dans les figures qu'une partie de l'objet ; par exemple, des pistils, des étamines au lieu de la plante entiere. Voy. METHODE. (I.)

* COQUILLE, (Matiere med.) toutes les coquilles sont alkalines, terreuses ou absorbantes. Voy. CALCAIRE, CENDRES & CHAUX. Les seules dont on fasse usage en Pharmacie, sont la nacre de perle, mater perlarum, & l'écaille d'huître. Voyez NACRE, HUITRE.

COQUILLE DE S. JACQUES. Voyez PEIGNE.

COQUILLE, en Anatomie, nom de quelques os situés dans les fosses nazales, à cause qu'ils ressemblent à des coquillages. Voyez NEZ.

On les appelle aussi cornets. Voy. CORNETS. (L)

* COQUILLE, s. f. (Hist. anc.) instrumens de Musique faits de coquille. On en voit dans les anciens monumens. Ils sont tournés en spirale, & se terminent en pointe.

COQUILLE, du latin cochlea, en Architecture, c'est un ornement de sculpture imité des conques marines, & qui se met au cul-de-four d'une niche.

Coquille double, est celle qui a deux ou trois levres, comme il s'en voit une de Michel Ange à l'escalier du capitole.

Coquille, est un petit ornement qu'on taille sur le contour d'un quart de rond.

Coquille d'escalier, est le dessous des marches, qui tournent en limaçon, & portent leur délardement. C'est aussi dans un escalier de bois, rond ou quarré, le dessous de marches délardées, lattées, & ravalées de plâtre.

Les ouvriers appellent coquilles, deux morceaux de métal pareils forgés ou aboutis en reliefs, pour être soudés ensemble, comme les deux moitiés d'une boule ou d'une fleur-de-lys, & d'autres ornemens à deux paremens & isolés.

Coquille de trompe. Voyez TROMPE.

Coquille de bassin. Voyez l'article BASSIN en coquille. (P)

COQUILLES A BOULET, (Art milit. Artillerie.) sont, dans l'Artillerie, les moules dont on se sert pour faire les boulets. Il y a de ces coquilles qui sont de fonte & d'autres de fer. Pour faire un boulet il faut deux coquilles, qui se joignent & se serrent ensemble : quand on y coule le fer, cette jointure, qui n'est jamais assez exactement fermée pour qu'il n'en sorte point un peu de métal, en laisse sortir quelques parties qu'on appelle les barbes du boulet. On les casse ensuite pour le rendre rond. Voyez BOULET. (Q)

COQUILLE, est un ustencile de cuivre, dont les Diamantaires se servent pour mettre les diamans en soudure. Il ressemble à un dé à coudre un peu évasé, & se termine par une queue de cuivre que l'on plie du côté que l'on veut tailler ou polir le diamant. Voyez Pl. prem. du Diamantaire, fig. 7. Q. M. est une coquille seule dont le manche est ôté ; O une coquille posée sur un tas percé, dont on fait sortir au moyen du poinçon N, le reste du manche qui est rompu pour en mettre un autre ; P est le tas percé.

COQUILLE, s. m. (Peintre éventailliste.) petites coquilles de moules de riviere, dans lesquelles on fixe par le moyen d'une gomme, de l'or, de l'argent ou autre métal moulu & reduit en poudre, à l'usage des Peintres, des Eventaillistes. On couvre la coquille d'un papier qu'on lie dessus, afin de garantir la matiere qui y est contenue, de la poussiere & autres ordures.

COQUILLE, terme de Charron, c'est une planche sculptée en coquille, qui sert pour appuyer les piés du cocher. Voyez la figure dans les Planc. du Sellier.

COQUILLE, en terme de Fourbisseur. Voy. PLAQUE.

COQUILLE, (Jardinage.) est un ornement qui imite les conques marines, dont on se sert dans les compartimens des parterres pour en orner la naissance ou le milieu. On le peut placer aussi sur les côtés, & généralement par-tout.

Il y a des coquilles à doubles levres, & dont les côtes sont très-différentes. On en peut faire de broderie, de gazon, de statissée, ou de marguerites. (K)

COQUILLE, terme d'Imprimerie, c'est une lettre déplacée de son cassetin, & mêlée parmi d'autres lettres de la même casse : ce mêlange repété brouille le caractere, & charge une épreuve de nombre de lettres pour d'autres, que l'on appelle des coquilles.

COQUILLE, en terme de Marchand de modes, c'est un demi-cercle tant soit peu plissé, formé seul d'une bande d'étoffe découpée, ou de reseau d'or ou d'argent. Les coquilles sont d'usage dans les garnitures des robes, dans les barbes, &c. Voyez ces mots.

COQUILLE, (Rubanier.) se dit de certains agrémens qui se font sur les lisieres des galons, & qui imitent à-peu-près les coquilles.


COQUILLIERS. m. (Hist. nat.) On donne ce nom ou à une collection considérable de coquilles, ou à l'endroit d'un cabinet d'histoire naturelle où elles sont rangées.

COQUILLIER, s. m. en terme d'Eventailliste, est une boîte divisée par de petites barres de bois en plusieurs cellules, dans lesquelles ils placent les coquilles qui contiennent les couleurs dont ils se servent. Voyez la fig. 23. Pl. de l'Eventailliste.


COQUILLON(Monnoyage.) est l'argent fin que l'on retire en forme de coquille au bout d'une espece de brassoir, lorsque ce métal est à un certain degré de fusion.


COQUIMBO(Géog.) ville de l'Amérique méridionale, près d'une riviere de même nom au Chili. Long. 306d 24'. 15". lat. 29d 54' 10".


COQUINSS. m. pl. (Hist. mod.) communauté établie à Liége en 1150, par Lambert le Begue, qui leur donna dans cette ville un domicile & des fonds. Quand au nom de coquin, c'est au peuple qu'ils en furent redevables.


CORS. m. terme de Chirurgie, est un calus ou durillon qui se forme aux doigts des piés. Voyez CALUS.

Les cors viennent d'une trop grande compression de la peau, qui en conséquence se durcit & forme un noeud.

On guérit les cors, premierement en les amollissant avec l'emplastrum de ranis cum mercurio, ou avec celui de Mynsicht, galban. crocat. & du sel ammoniac, & les arrachant ensuite. Un morceau de boeuf crud appliqué en forme d'emplâtre, & renouvelé souvent, est aussi fort propre à les dissiper en peu de tems.

On fait beaucoup de cas de l'emplâtre suivant. Prenez de la poix navale j. du galbanum dissous dans le vinaigre . du sel ammoniac j. du grand diachilum j. . Mêlez selon l'art.

L'emplâtre de gomme ammoniac est aussi fort utile, de même que les sucs de souci & de pourpier. Ce dernier sur-tout est si efficace, selon Riviere, qu'on détruit les cors & les verrues dans sept ou huit jours, en les frottant deux fois par jour avec les feuilles écrasées de la plante, appliquées ensuite sur les excroissances en forme de cataplasme.

Avant de se servir des emplâtres de quelqu'espece que ce soit, il est à propos de bien ramollir le cor, en baignant les piés pendant deux ou trois heures, deux ou trois soirs, à l'heure du coucher ; & les couper ensuite doucement à plat avec un canif bien tranchant, & prenant garde d'aller jusqu'au vif.

Il ne faut se servir qu'avec beaucoup de circonspection des remedes corrosifs que quelques charlatans distribuent ; j'en ai vû des effets tragiques, par l'impression que ces compositions ont faites sur les tendons, qui sont souvent l'origine des cors, ou du moins qui leur servent d'attache. (Y)

* COR, s. m. (Chauder. & Chasse.) instrument à vent à l'usage des chasseurs. Il est contourné ; il va insensiblement en s'évasant depuis son embouchure jusqu'à son pavillon. Ce sont les chauderonniers qui les font. Voyez Pl. 7. de Lutherie. A, B, montre la figure du grand cor ; C, D, celle du cor à plusieurs trous ; E, F, la trompe qui n'a qu'un tour, & qu'on voit avec son enguichure L, M, G, H, 1, 2, 3. Voyez TROMPE. N, O, le huchet, voyez HUCHET. P, O, le cornet de poste, voyez CORNET. Il n'y a rien de particulier à remarquer sur ces instrumens, sinon leur embouchure A, C, E, N, qu'on fabrique d'argent, de cuivre, de corne, de bois ou autres matieres ; & leur pavillon D, F, O. On peut donner au cor l'étendue de la trompette, voyez TROMPETTE. Mais quelle que soit celle qu'on lui donne par sa construction, elle variera toûjours, selon l'habileté de celui qui en sonnera. Pour sonner du cor, on embouche le bocal en le pressant contre les levres, soit à un des coins de la bouche, soit au milieu, de maniere que le bout de la langue puisse s'insinuer dans le bocal, & conduire le vent dans le corps de l'instrument. Il faut que le bocal soit si bien appliqué, qu'avec quelque violence que le vent soit poussé, il ne s'échappe par aucun endroit que par l'ouverture du bocal. Ce sont les mouvemens de la langue & des levres qui modifient le vent, & c'est le plus ou le moins de vîtesse & de force du vent qui forme les différens tons. On fait des concerts à plusieurs cors ; alors il faut qu'il y ait un certain rapport entre ces instrumens. Si le plus grand cor a six piés de longueur, il fera la quinte en bas de celui qui n'aura que quatre piés ; & si l'on en a un troisieme qui n'ait que trois piés de longueur, il sonnera la quatre du second. Il y a des cors à plus ou moins de tours ; il y en a même qui ont comme un retour ou espece d'anneau dans leur milieu. On n'employe plus ceux qui ont jusqu'à neuf à dix tours. Il y a des cors de vachers ; on les appelle plûtôt cornet, ou cornet à bouquin, voyez CORNET. C'étoit avec des cors faits des cornes du bélier, que les prêtres des Hébreux annonçoient au peuple le jubilé, ainsi appellé de cet instrument, dont étoit dérivé jubel, qui signifie corne de bélier.


CORACE(Géograph. mod.) riviere d'Italie au royaume de Naples, qui a sa source dans la Calabre ultérieure, au pié de l'Apennin, & se jette dans le golfe de Squillace.


CORACESS. m. pl. (Myth.) prêtres du dieu Mythras. Voyez MYTHRIAQUES.


CORACIQUESadj. pris subst. fêtes instituées à l'honneur de Mythras. Voyez MYTHRIAQUES.


CORACITES. f. (Hist. nat. Litholog.) pierre figurée dont on ne nous apprend autre chose, sinon qu'elle étoit noire comme le plumage du corbeau.


CORACO-CERATO-HYOIDIENou CORACO-HYOIDIEN. Voyez COSTO-HYOIDIEN.


CORACO-HYOIDIENVoyez COSTO-HYOIDIEN.


CORACO-RADIALen Anatomie. Voyez BICEPS.


CORACOBRACHIALadj. en Anatomie, est le nom d'un muscle du bras, situé à la partie supérieure & interne de l'humerus.

Il vient de l'apophyse coracoïde, où il s'unit étroitement avec une des têtes du biceps, de laquelle il se sépare, & va se terminer à l'os du bras, ou environ à la partie moyenne de cet os, & au condile externe, duquel il envoye un tendon. (L)


CORACOIDEadj. en Anatomie, apophyse de l'omoplate, ainsi appellée parce qu'elle ressemble à un bec de corbeau. Voy. EMINENCE, OMOPLATE.

Ce mot vient du grec , corbeau, & , figure.

L'apophyse coracoïde est située à la partie supérieure du col de l'omoplate, & s'avance au-dessus de la tête de l'humerus. Elle sert à fortifier l'articulation de l'épaule, & à donner insertion à plusieurs muscles du bras. Chambers. (L)


CORAILS. m. corallum, (Hist. nat. Insectolog.) c'est la plus belle & la plus précieuse de toutes les substances que l'on appelle improprement plantes marines. Voyez la Pl. XXII. d'Hist. nat. fig. 3. On ne peut traiter d'aucune de ces productions, sans se rappeller le nom & la découverte de M. Peyssonel correspondant de l'Académie royale des Sciences, qui a trouvé le premier que ces prétendues plantes appartiennent au regne animal, parce qu'elles sont produites par des insectes de mer. M. Peyssonel étant en 1725 sur les côtes de Barbarie par ordre du Roi, découvrit que les prétendues fleurs du corail observées par M. le comte Marsigli, étoient de véritables insectes, qu'il appelle orties corallines. Notre observateur a étendu la même découverte à plusieurs autres especes du même genre, telles que les madrépores, les lithophites, les éponges, &c. Il a continué ses recherches jusqu'à présent, & il y travaille encore actuellement à la Guadeloupe, où il réside en qualité de Médecin botaniste du Roi. Il nous a envoyé au mois d'Août 1753, à M. de Buffon & à moi, la copie d'un ouvrage qu'il a fait sur cette matiere, & qui comprend l'histoire des prétendues plantes marines, & ses propres observations à ce sujet. Je m'empresserois d'en rendre compte ici au public, si j'avois l'aveu de M. Peyssonel, pour disposer ainsi du dépôt qu'il nous a confié.

Je ne puis mieux remplir cet article que par les observations que M. Donati a faites sur le corail, & qu'il a données au public dans son livre qui a pour titre della storia naturale marina dell'adriatico saggio, &c. in Venetia 1750, in -4°. Les descriptions y sont faites de façon, qu'il convient mieux d'en donner une traduction exacte, que de les rapporter par extrait.

Le corail, selon quelques-uns, tire son nom des mots grecs , orner, & , mer, comme s'il n'y avoit aucune autre production marine dont la beauté pût être comparée au corail : aussi n'en est-il point sur laquelle les anciens ni les modernes ayent tant écrit.

Les sentimens des écrivains ont été partagés sur la nature du corail ; quelques-uns l'ont mis au nombre des pierres ; d'autres ont crû que c'étoit le produit d'un précipité de sels de terre, & d'autres principes mêlés ensemble, & contraires entr'eux ; le grand nombre l'a rapporté au regne végetal ; enfin il s'est trouvé des naturalistes qui ont démontré que c'étoit un véritable zoophite.

Le corail est une végétation marine qui ressemble beaucoup à une branche d'arbrisseau dépouillée de ses feuilles ; il n'a point de racines, mais il a pour base un pié, dont la forme, sans être constante, approche le plus souvent de la ronde. Ce pié s'applique à tous les points de la surface des corps sur lesquels il se trouve, ainsi que feroit de la cire fortement comprimée, & il s'y attache tellement, qu'il est impossible de l'en séparer. Il sert de base & d'appui au corail, mais il ne contribue en aucune façon à sa nourriture, puisqu'on en a trouvé des branches qui ayant été séparées depuis long-tems de leur pié, avoient continué de vivre, de croître & de se reproduire au fond de la mer. De ce pié s'éleve une tige pour l'ordinaire unique, & dont la grosseur extrême, à ce que m'ont assûré d'anciens corailliers, c'est-à-dire pêcheurs de corail, ne passe guere un pouce de Paris. Cette tige ne pousse ordinairement qu'un petit nombre de branches qui se ramifient elles-mêmes. Tous ses rameaux sont presque toûjours séparés ; cependant on en observe quelquefois deux & même plus qui naissent & s'élevent parallelement, qui sont comme jettés ensemble, & tellement unis, qu'il est impossible d'appercevoir comment ils le sont. Il est plus commun d'en voir qui en se rencontrant s'unissent de la même maniere ; & j'ai observé plus d'une fois une seule branche qui s'élevoit de deux autres branches ainsi unies.

Il est bon de faire remarquer que si un coquillage s'attache à la tige ou aux branches du corail, il ne manque pas d'être recouvert en tout ou en partie par la substance même du corail.

J'ai observé que sa plus grande hauteur, à laquelle même il s'éleve très-rarement dans la mer Adriatique, est d'un pié de Paris, ou un peu plus. La tige & les branches sont communément rondes ; néanmoins on en trouve assez souvent, & j'en conserve dans ma collection, qui sont plates & larges.

Le pié, la tige & les branches sont d'une substance uniforme ; & cette substance consiste en une écorce & une matiere propre, qui sont les mêmes dans toutes ces parties.

Cette matiere propre est la substance intérieure du corail, qui approche beaucoup de la dureté du marbre, lors même qu'elle est au fond de la mer. Aux extrémités des branches elle est moins dure que l'écorce ; elle en conserve la consistance aux environs de ces extrémités, & la plus grande dureté est dans la tige & les branches les plus considérables.

Cette substance vûe au microscope dans les coraux d'une seule couleur, comme le rouge, & dans ceux qui ne sont point altérés par les insectes, paroît homogene, pure, sans taches, sans cavités, d'un grain égal, d'une dureté uniforme, & susceptible du plus beau poli. Mais il n'en est pas ainsi dans les coraux de plusieurs couleurs, ni même quelquefois dans ceux d'une couleur de rose jaunâtre, ou même d'une vraie couleur de rose. J'ai quelques branches de cette espece de corail, dont la coupe transversale présente différentes couches concentriques couleur de rose jaunâtre, blanches, & plus ou moins chargées de couleur. On observe les mêmes couches concentriques dans le corail rouge qui a été un peu exposé à l'action du feu ; elles sont toutes d'un brun clair, mais séparées par d'autres couches beaucoup plus foncées.

Quelque dure que soit cette substance, lorsque par le tems ou par accident elle a perdu son écorce, elle est sujette à être rongée par un petit insecte qui s'y insinue par de très-petites ouvertures, & qui détruit son organisation intérieure. Cette organisation consiste en de petites cellules à peu-près rondes qui communiquent entr'elles, & qui sont séparées par des parois très-déliées. Le corail ainsi rongé, est foible, fragile, & ne peut être employé à rien. Il est un autre insecte du même genre qui traverse le corail en ligne droite, & dont la route est marquée par des trous cylindriques. Au reste je dois avertir que les marbres les plus durs qui se trouvent au fond de la mer, ne sont pas exemts des atteintes de ces insectes, ou d'autres insectes qui leur ressemblent parfaitement.

La matiere propre du corail est cannelée, selon sa longueur ; ses cannelures, qui prennent du pié, suivent constamment le parallelisme entr'elles & avec les branches qu'elles parcourent ; elles sont plus marquées dans la tige principale & dans les grosses branches, quelquefois même elles disparoissent dans les petites : leur surface est inégale & raboteuse, comme si elle étoit formée d'un grand nombre de très-petits globules. La matiere dont il est question, exposée à un feu violent, se réduit en une poussiere très-fine, de la même couleur que la cendre ordinaire : & comme dans la cendre vierge, c'est-à-dire dans celle qui est prise sur des charbons ardens, on découvre au microscope une sorte de squelete formé de fibres & des vaisseaux de la substance ligneuse ; ainsi dans la cendre de la substance intérieure du corail, on apperçoit aussi, à l'aide du microscope, ces parties constituantes qui paroissent être de la même figure & de la même couleur que celle de la cendre de l'écorce : ce sont de petits corpuscules blancs à peu-près sphériques, & unis comme en forme de grappe. J'ai vû plusieurs fois sur la coupe transversale de branches de corail qui avoient été rompues, des cannelures qui partoient du centre, & qui aboutissoient par une correspondance exacte aux cannelures de la surface.

Toute cette surface est immédiatement environnée d'un corps cellulaire d'un blanc pâle, d'une consistance médiocrement molle, formée par les entrelacemens de petites membranes vasculeuses, lesquelles reçoivent par des vaisseaux capillaires un suc blanchâtre qui donne sa couleur au corps réticulaire. A ces membranes sont attachés des globules rouges, unis ensemble par d'autres petites membranes. Ces globules ressemblent tout-à-fait, par le volume & par la forme, à ceux de la cendre de la substance intérieure & de l'écorce du corail ; d'où il résulte que ces corps sont inaltérables au point que la calcination ne fait que changer leur couleur.

Le corps réticulaire qui enveloppe immédiatement la matiere propre du corail, y dépose régulierement ses petits globules rouges, ce qui forme les inégalités sphériques dont la surface des cannelures est formée. De-là on doit tenir pour certain que la matiere du corail est composée de ces globules. Si l'on me demande d'où ils tirent leur origine, je répondrai sans hésiter qu'ils la tirent des polypes du corail : car s'il est vrai, comme on le verra plus bas, que leurs oeufs soient couverts de pareils corps, on doit conclure que des corps précisément de la même nature, quelque part qu'ils se trouvent, sont l'ouvrage des mêmes polypes.

Sur le corps réticulaire s'étend une écorce molle, & d'une couleur un peu plus claire que celle de la substance intérieure ; elle est formée de filets très-déliés, auxquels sont attachés un grand nombre de globules rouges qui tiennent ensemble, & qui communiquent leur couleur à l'écorce. On y découvre au microscope des vaisseaux cylindriques & paralleles entr'eux, qui jettent de tous côtés des ramifications dans les petites membranes dont on a parlé plus haut, & qui y portent le suc laiteux qui nourrit le corail.

La superficie de cette écorce est inégale, glissante dans le corail nouvellement pêché ; plus relevée en certains endroits, en d'autres plus applanie : en plusieurs on apperçoit à l'oeil des especes de noeuds qui s'élevent sur la surface ; ils sont ronds, assez larges à leur base, plus étroits vers leur surface supérieure, qui se divise en huit portions plus ou moins égales, & lesquelles se réunissent au centre de chaque noeud, ou plûtôt de chaque cellule composée intérieurement d'une portion du corps réticulaire, & revêtu au dehors de l'écorce du corail.

Dans certains endroits le corps réticulaire forme une duplicature, ou une espece de petit sac qui revêt tout l'intérieur de la cellule jusqu'au bord supérieur ; ensorte que la cellule ne se termine point immédiatement à la matiere propre du corail, mais au corps réticulaire. La forme de ces cellules est celle d'un cone qui a un renflement dont le diametre est plus grand que celui de sa base, & dont le sommet émoussé forme dans la matiere dure du corail de petites cavités plus marquées dans les branches jeunes & déliées, mais moins sensibles dans les branches plus grosses & plus vieilles.

Le fond de chaque cellule regarde le pié de la tige, & l'orifice est tourné du côté opposé ; telle est l'habitation du polype, que l'on peut voir à l'oeil nud, mais dont on ne peut distinguer la figure précise qu'à l'aide du microscope. C'est ainsi que je l'ai observé pour le décrire & pour le dessiner.

De chaque cellule sort & se déploye au-dehors un insecte blanc, mou, un peu transparent, sous la forme d'une étoile à huit rayons égaux, à-peu-près coniques, & garnis de part & d'autre d'appendices aussi coniques, qui ont tous une même direction avec le rayon d'où ils naissent. Ces rayons sont un peu applatis, & de leur centre commun s'éleve une coquille qui s'élargit vers sa base, qui a une ouverture assez grande à son sommet, & qui est sillonnée dans sa longueur de huit cannelures profondes, dont les intervalles forment huit lignes saillantes : c'est dans ces intervalles que chaque rayon a son insertion. La coquille a pour appui une espece de pédicule, que j'appellerois plutôt le ventre de l'animal, lequel reste toûjours dans la cellule, tant que le polype est en vie & qu'il ne souffre pas, quoiqu'il n'y tienne en aucune façon, ainsi qu'on peut l'observer lorsque l'insecte est dans certaines positions. Tout cela se voit dans le corail récemment pêché & tenu dans l'eau de mer ; car lorsqu'on le tire de l'eau, ou que même on le touche dans l'eau, aussi-tôt le polype rentre dans sa cellule, la coquille se referme ; & les rayons ainsi que leurs appendices se retirent d'eux-mêmes par un jeu semblable à celui des cornes de limas, se replient vers leur origine, & s'arrangent sur les bords de la coquille. Le polype se présente sous cette forme lorsqu'il vient d'être tiré de son élément : dans cet état, vû sans microscope, il ressemble à une goutte de lait ; & les anciens pêcheurs le prennent communément pour le lait du corail, d'autant plus qu'en pressant l'écorce on en fait sortir le polype sous l'apparence d'un suc laiteux ; c'est ce qui me fait croire que le lait qu'André Cesalpin observa le premier dans les coraux, n'étoit autre chose que les polypes dont il est question. Le ventre de ces insectes, comme nous l'avons dit, ne tient point du tout à la cellule, néanmoins il leur sert à s'y maintenir en se raccourcissant & en se dilatant assez pour que son diamêtre surpasse celui de l'orifice de la cellule. Ce jeu se voit très-clairement lorsqu'on sépare la cellule & le polype de la matiere dure du corail : non-seulement on apperçoit le ventre dans son état d'accourcissement, mais encore la situation que prend le polype dans sa cellule.

J'ai remarqué dans la partie inférieure du ventre de quelques polypes, de très-petites idatides rondes, extrèmement molles, transparentes, pâles ou jaunâtres, que j'ai prises, à leur figure & à la place où elles se trouvoient, pour de vrais oeufs de polype.

Quoique le diamêtre de ces oeufs ne soit peut-être que de la 40e partie d'une ligne, j'ai cru cependant y découvrir quelques traces de ces petits globules qui entrent dans la composition de l'écorce & de la substance totale du corail ; ces oeufs se détachent de l'animal, & par la mollesse de leur consistance se prennent aux corps sur lesquels ils tombent, ensuite ils se dilatent vers leur base, ils se gonflent un peu, & alors on distingue nettement leur cavité, dont le bord supérieur se sillonne de huit cannelures, mais ne s'ouvre pas encore. L'embrion du polype informe y séjourne un certain tems, puis s'étant développé & étant, pour ainsi dire, devenu adulte, il sort par l'ouverture qui se fait à la surface supérieure de sa cellule & s'épanouit au-dehors, & de-là l'accroissement du corail. Tant que cette premiere cellule ou cet oeuf du polype est encore fermé, tout y est dans l'état de mollesse ; mais lorsqu'il s'est ouvert, on commence à y remarquer quelques petites lames dures ; enfin lorsqu'il a acquis une ligne & demie de diamêtre, il grossit au sommet & à la base, & se resserre vers le milieu de sa hauteur ; c'est alors qu'il prend la vraie consistance du corail. A mesure qu'il croit, les polypes se multiplient & il se forme de nouvelles ramifications. Donati, pag. 43. & suiv. Voyez POLYPIERS. (I)

CORAIL, (Matiere médic. & Pharmacie.) Le corail est un absorbant ou alkali terreux, analogue ou plutôt parfaitement semblable aux yeux d'écrevisses, à la coquille d'huître, à la nacre de perle, à la craie, &c. aussi donne-t-on presqu'indifféremment dans le cas des acides des premieres voies, & dans les différentes maladies qui en dépendent, l'un ou l'autre de ces absorbans terreux.

La préparation du corail proprement dite, celle dont le produit est connu dans l'art sous le nom de corail préparé, consiste à le réduire en poudre dans un mortier de fer, à le tamiser, à le porphyriser, & à le former ensuite en petits trochisques.

Le sel de corail est un sel neutre, formé par l'union de l'acide du vinaigre, & du corail.

La dissolution de ce sel évaporée à feu lent, très-rapprochée, présente en refroidissant une crystallisation en petits filets soyeux, élevés à-peu-près perpendiculairement sur le fond du vaisseau où ils se sont formés, & presque parallelement entr'eux.

Mais on ne se donne pas communément la peine de faire crystalliser le sel de corail qu'on prépare pour les usages médicinaux ; on se contente de le faire dessécher à un feu doux. Ce sel est assez analogue à la terre foliée du tartre ; il ne tombe pourtant pas en deliquium comme ce dernier sel, quoiqu'il soit assez soluble, sur-tout lorsqu'on ne l'a pas dépouillé par une trop forte dessiccation d'une portion d'acide surabondante qu'il retient dans ses crystaux.

Le magistere de corail n'est autre chose que la base du sel dont nous venons de parler, précipitée par un alkali fixe, & édulcorée par plusieurs lotions.

Lemery croyoit que le sel & le magistere de corail avoient la même vertu ; il leur attribuoit à l'un & à l'autre celle de fortifier & de réjoüir le coeur ; c'est apparemment sur son autorité, que quelques apoticaires donnent encore aujourd'hui assez indifféremment ces deux préparations l'une pour l'autre. Elles différent pourtant essentiellement, le magistere de corail n'étant absolument que le corail pur divisé dans ses parties les plus subtiles par la dissolution & la précipitation, l'édulcoration en ayant enlevé la petite portion du dissolvant & du précipitant qui accompagne ordinairement les précipités.

Ce magistere de corail n'est donc qu'un pur absorbant, dont les prétendues vertus cordiales, alexiteres, diaphorétiques, &c. sont aussi imaginaires que celles du corail préparé, auquel quelques auteurs les ont aussi attribuées.

Le sel de corail au contraire est un sel neutre, savonneux, dont on peut esperer de bons effets à titre d'apéritif, de diurétique, de tonique.

Les différentes teintures de corail par les alkalis, les esprits ardens, & les huiles, qui ne sont autre chose que des extractions de sa couleur, qui est soluble dans ces différens menstrues ; ces teintures ou ces extractions, dis-je, sont des préparations absolument inutiles, & qui n'ont d'autres vertus que celles du dissolvant qu'on y employe.

On trouve encore chez plusieurs chymistes, sous le nom de teinture de corail, certaines dissolutions de ce corps opérées par le moyen des différens acides, comme celui du citron, celui du miel, celui de la cire, &c. Ces préparations ne différent pas essentiellement de celle du sel de corail, du-moins nous ne sommes pas encore instruits de leur différence par des observations.

C'est avec une teinture de cette derniere espece, savoir une dissolution de corail par le suc d'épine-vinette, ou par celui de citron, ou même par l'acide distillé de genièvre ou de gayac, que Quercetan faisoit son syrop de corail, qu'il célebre comme un remede unique dans tous les flux hépatiques, dissentériques, & lientériques.

Le corail entre dans les confections hiacynthe & alkerme, dans les poudres antispasmodiques, de guttele, de pattes d'écrevisses ; dans les poudres absorbantes, astringentes, contre l'avortement ; dans les trochisques de Karabé, dans les pilules hypnotiques, astringentes ; il entre dans l'opiate dentrifique & dans les tablettes absorbantes & roborantes.

Ce n'est que du corail rouge dont nous avons parlé jusqu'à présent, parce que ce n'est presque que celui-là qui est en usage dans les boutiques ; cependant on pourroit lui substituer dans tous les cas le corail blanc, qui n'en differe réellement que par la couleur. (b)

* CORAIL, (Mythol.) la Mythologie fait naître cette plante du sang de la tête de Méduse. Ce fut la derniere pétrification de ce monstre.

CORAIL DE JARDIN, (Bot.) est encore appellé piment, poivre d'Inde ou de Guinée : cette plante croît à la hauteur d'un pié, portant des feuilles pointues comme celles de la persicaire, de couleur verte-brune ; sa fleur forme une rosette blanche à plusieurs pointes. Le fruit qui lui succede est une capsule longue & assez grosse, qui étant mûre devient rouge ou purpurine, & renferme des semences plates tirant sur le rouge ; ce sont ces parties qui l'ont fait nommer corail de jardin.

Cette plante aime les pays chauds, & il en croît beaucoup en Espagne, en Portugal, en Languedoc, & en Provence.

On peut la mettre dans des pots, pour la serrer l'hyver. (K)


CORAISCHITES. m. (Hist. mod.) administrateur & gardien du temple de la Mecque. Cette prérogative a été particuliere à une famille ou tribu de cette ville, appellée Coraïschite. On a donné dans la suite ce nom à tous les anciens Arabes compagnons & contemporains de Mahomet, quoique ce faux prophete ait eu ceux de la famille à qui il étoit propre, pour ses plus grands ennemis, Mahomet étoit Coraïschite.


CORALINES. f. (Marine.) c'est une espece de chaloupe légere, dont on se sert au Levant pour la pêche du corail.

C'est ce que l'on appelle un satteau au Bastion de France, qui est une petite place aux côtes de Barbarie, dépendante du royaume d'Alger, où les François sont établis pour cette pêche. (Z)


CORALLINEcorallina, (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui se trouve dans les eaux, & qui est découpée en parties très-fines, jointes les unes aux autres par des sortes d'articulations, ou divisée en rameaux très-fins. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

M. de Tournefort & les botanistes de son tems mettoient toutes les especes de corallines au nombre des plantes ; mais depuis que M. Peyssonel a découvert que la plûpart des corps connus sous le nom de plantes marines, au lieu d'être de vraies plantes, sont des productions d'insectes, on a été obligé de distinguer les corallines qui appartiennent au regne animal de celles qui dépendent du regne végétal. C'est dans cette vûe que M. Bernard de Jussieu, de l'Académie royale des Sciences de Paris, &c. a fait un grand nombre d'observations sur les corallines. Voici les résultats qu'il a eu la bonté de me communiquer sous les dénominations des institutions de M. de Tournefort.

Corallines produites par des insectes.

Corallina capillaceo folio seminifera.

Corallina muscosa denticulata, procumbens, caule tenuissimo denticellis ex adverso sitis. Pluk. Phytog. tab. 47. fig. 11.

Corallina muscosa, alterna vice denticulata, ramis in creberrima capillamenta sparsis. Pluk. Phytog. tab. 48. fig. 3.

Corallina muscosa, denticulis bijugis, unum latus spectantibus. Pluk. Almag. Bot.

Corallina muscosa, pennata, ramulis & capillamentis falcatis. Pluk. Phylog.

Corallina seruposa, pennata, cauliculis crassiusculis, rigidis. Pluk. Almag. Bot.

Corallina Astaci corniculorum aemula.

Corallina marina abietis formâ.

Corallines qui sont des vraies plantes.

Corallina. J. B. 3. 818.

Corallina rubens millefolii divisura.

Corallina capillaceo multifido folio albido.

Corallina capillaceo multifido folio nigro.

Corallina capillaceo multifido folio viridi.

Corallina rubens valde ramosa capillacea.

Corallina alba valde ramosa capillacea.

M. de Jussieu n'a pû se procurer jusqu'à présent que les corallines dont je viens de faire mention. Il est encore douteux si les autres sont des plantes ou si elles sont produites par des insectes. Voyez PLANTES MARINES, POLYPIERS. (I)


CORALLODENDRONS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur papilionacée, dont le pétale supérieur est allongé, & ceux des côtés & l'inférieur très-court. Il sort du calice un pistil cylindrique & environné d'une membrane frangée. Ce pistil devient dans la suite une silique noüeuse, composée de deux valves, & dans laquelle il y a des semences faites en forme de rein. Tournefort, inst. rei herb. app. Voyez PLANTE. (I)


CORALLOIDES. f. (Hist. nat. Bot.) plante dont la substance est seche & sans suc, dure, fragile, ligneuse, & d'une forme assez semblable au corail, dont elle a pris le nom de coralloide. Il se forme à l'extrémité de ses branches des tubercules fongueux, qui s'ouvrent en se mûrissant, & d'où s'échappe une graine petite & menue. On en distingue neuf especes, auxquelles on attribue la propriété astringente & corroborative.


CORASMINsubst. m. (Géog. & Hist. mod.) peuples d'Asie, qu'on croit originaires de Carizme, royaume que Ptolomée appelle Chorasmia, d'où ils se répandirent dans quelques provinces de Perse ; ils errerent ensuite en différens endroits : mais odieux par-tout & aux Mahométans & aux Chrétiens, qu'ils vexerent également par leurs brigandages, ils ne pûrent s'établir en aucun endroit, & ils disparurent de dessus la surface de la terre, comme il arrivera toûjours à toute race qui contraindra le genre humain à la traiter comme son ennemie.


CORBANS. m. (Hist. mod.) terme, qui dans l'Ecriture-sainte, signifie une oblation, ou ce qu'on offre à Dieu sur son autel. Voyez OBLATION, &c.

CORBAN, signifie aussi une cérémonie que font les Mahométans tous les ans au pié du mont Arafat en Arabie près de la Mecque : elle consiste à immoler un grand nombre de brebis, dont ils distribuent la chair aux pauvres. Voyez ARAFAT. (G)


CORBAou CORBAVIE, (Géog.) petit pays dans la Croatie, dont la moitié appartient aux Turcs, l'autre moitié à la maison d'Autriche.


CORBEAUS. m. (Hist. nat. Orn.) corvus, oiseau. Celui qui a servi de sujet pour la description suivante, pesoit deux livres deux onces ; il avoit près de deux piés de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergure approchoit de quatre piés. Le corbeau a le bec noir, épais, pointu, & fort ; la piece supérieure est un peu crochue à l'extrémité, & celle du bas est droite ; il a la langue large, fourchue, déchiquetée, & noirâtre par-dessous : la prunelle de l'oeil est entourée d'un double cercle, dont l'extérieur est mêlé de blanc & de cendré, & l'intérieur de roux & de cendré. Il y a sur sa tête des poils roides qui sont dirigés en bas, & qui couvrent les narines. Cet oiseau est entierement de couleur noire mêlée d'un peu de bleu luisant, surtout sur la queue & sur les ailes : la couleur du ventre est plus pâle, & tire un peu sur le roux. Les grandes plumes des épaules recouvrent le milieu du dos, qui n'est garni en-dessous que de duvet. Il y a vingt grandes plumes dans chaque aile ; la premiere est plus courte que la seconde, la seconde plus que la troisieme, & la troisieme plus que la quatrieme, qui est la plus longue de toutes. Le tuyau des plumes, à compter depuis la sixieme jusqu'à la dixhuitieme, s'étend plus loin que les barbes, & son extrémité est pointue. La queue a neuf pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes ; celles du milieu sont les plus longues, & les autres diminuent de longueur par degré jusqu'à la premiere de chaque côté, qui est la plus courte. Les ongles sont crochus & grands, sur-tout ceux de derriere. Le doigt extérieur tient au doigt du milieu jusqu'à la premiere articulation. Cet oiseau ne se nourrit pas seulement de fruits & d'insectes, il mange aussi la chair des cadavres de quadrupedes, de poissons, d'oiseaux. Il prend les oiseaux tout vifs, & il les dévore comme les oiseaux de proie. On voit quelquefois des corbeaux blancs, mais ils sont très-rares. On trouve des corbeaux dans tous les pays du monde : ils ne craignent ni le chaud ni le froid ; & quoiqu'on dise qu'ils aiment à vivre dans les lieux solitaires, il y en a cependant qui restent au milieu des villes les plus grandes & les plus peuplées, & qui y nichent. Ordinairement les corbeaux placent leur nid au sommet des arbres ou dans de vieilles tours ruinées, au commencement du printems, dès les premiers jours du mois de Mars, & quelquefois plûtôt. La femelle fait d'une seule ponte quatre ou cinq oeufs, & quelquefois six ; ils sont parsemés de plusieurs taches & de petites bandes noirâtres, sur un fond bleu-pâle mêlé de verd. Pour ce qui est de la durée de la vie de cet oiseau, il n'y a pas à douter que ce qu'en a dit Hésiode ne soit faux : cependant il est vrai que les oiseaux vivent long-tems ; & la vie des corbeaux est peut-être encore plus longue que celle des autres. Willughby, ornith. Voyez OISEAU. (I)

CORBEAU, (Mat. med.) Les petits corbeaux réduits en cendre sont recommandés pour l'épilepsie & pour la goutte.

La fiente de corbeau est réputée bonne pour la douleur des dents & pour la toux des enfans, appliquée extérieurement, ou même portée en amulete.

Les oeufs de corbeau sont ordonnés dans l'épilepsie par Arnauld de Villeneuve. Rasès prétend, d'après Pline, que les oeufs de corbeau mêlés avec de l'huile dans un vaisseau de cuivre, sont propres à noircir les cheveux. Quelques auteurs attribuent la même vertu à la graisse de corbeau.

Le cerveau de corbeau pris en substance dans de l'eau de verveine, passe, selon Gesner, pour un remede éprouvé contre l'épilepsie.

Le coeur de corbeau porté en amulete, est regardé par Fernel comme un remede efficace contre la trop grande pente au sommeil : mais toutes ces vertus ne sont fondées que sur une vaine tradition. (b)

* CORBEAU, (Mythol.) La fable dit qu'il devint noir pour avoir trop parlé, & que ce fut une vengeance d'Apollon, qui, sur le rapport que lui fit le corbeau de l'infidélité de Coronis, tua sa maîtresse, s'en repentit, & punit l'oiseau délateur en le privant de sa blancheur.

CORBEAU DE BOIS, voyez CORNEILLE DE MER.

CORBEAU D'EAU, voyez CORMORAN.

CORBEAU GALLERANT ou CORGALLERANT, voyez FRUIT.

CORBEAU DE MER, (Hist. nat. Ichtyol.) ce nom a été donné, soit en latin soit en françois, à différens poissons, tels que le corp, l'hirondelle de mer, & la dorée ou poisson de saint-Pierre.

CORBEAU DE NUIT, voyez BIHOREAU.

CORBEAU, (petit) voyez BIHOREAU.

CORBEAU, en Astronomie, constellation de l'hémisphere méridional dont les étoiles sont au nombre de sept dans le catalogue de Ptolomée & dans celui de Tycho, & au nombre de dix dans le catalogue britannique. (O)

CORBEAU, en Architecture, est une grosse console qui a plus de saillie que de hauteur, comme la derniere pierre d'une jambe sous poutre, qui sert à soulager la portée d'une poutre, ou à soûtenir par encorbellement un arc doubleau de voûte qui n'a pas de dosserets de fonds, comme à la grande écurie du Roi aux Tuileries. Il y en a en consoles, avec des canaux, gouttes, & même des aigles, que Pausanias appelle aquilegiae, comme il s'en voit au portique de Septime Sévere à Rome, & au grand salon de Marly, où ils portent des balcons. (P)

CORBEAU, (Art milit.) c'étoit une machine de guerre dont les Romains, selon Polybe, se servirent dans le combat naval de Myle entre le consul Duillius & Annibal. Voici la description qu'en donne cet auteur.

" Une piece de bois ronde, longue de quatre aulnes, grosse de trois palmes de diamêtre, étoit plantée sur la proue du navire ; au haut de la poutre étoit une poulie, & autour une échelle cloüée à des planches de 4 piés de largeur sur 6 aulnes de longueur, dont on avoit fait un plancher percé au milieu d'un trou oblong qui embrassoit la poutre à 2 aulnes de l'échelle. Des deux côtés de l'échelle sur la longueur, on avoit attaché un garde-fou qui couvroit jusqu'au genou. Il y avoit au bout du mât une espece de pilon de fer pointu, au haut duquel étoit un anneau ; de sorte que toute cette machine paroissoit semblable à celle dont on se sert pour faire la farine. Dans cet anneau passoit une corde avec laquelle, par le moyen de la poulie qui étoit au haut de la poutre, on élevoit les corbeaux lorsque les vaisseaux s'approchoient ; & on les jettoit sur les vaisseaux ennemis, tantôt du côté de la proue, tantôt sur les côtés, suivant les différentes rencontres. Quand les corbeaux accrochoient un navire, si les deux étoient joints par leurs côtés, les Romains sautoient dans le vaisseau ennemi d'un bout à l'autre ; s'ils n'étoient joints que par les deux proues, ils avançoient deux à deux au-travers du corbeau : les premiers se défendoient avec leurs boucliers des coups qu'on leur portoit en-devant ; & les suivans, pour parer les coups portés de côté, appuyoient leurs boucliers sur le garde-fou ". Traduct. de Polybe par D. Thuillier.

Il paroît par cette description, que ce corbeau n'étoit autre chose qu'un pont mobile à l'entour de la poutre, dont le bout élevé étoit garni de griffes propres à accrocher ; que ce pilon de fer & son anneau étoient attachés au haut du mât du navire ; & que cette corde passant par cet anneau & par la poulie de la poutre, ne servoit qu'à hausser & baisser ce pont mobile, pour le laisser tomber sur les vaisseaux ennemis & servir de passage aux Romains. Polybe confirme cette vérité, en disant : lorsqu'on fut à l'abordage, que les vaisseaux furent accrochés les uns aux autres par les corbeaux, les Romains entrerent au-travers de cette machine dans les vaisseaux ennemis, & ils se battirent sur leurs ponts. Ce qui démontre clairement que ce corbeau ne consistoit que dans un pont.

La description que fait M. de Folard de ce corbeau, dans son commentaire sur Polybe, est fort différente : il le représente en forme de grue (machine qui n'étoit pas inconnue à Polybe) posée sur un mât élevé sur le chateau de proue ; ce qui ne convient pas avec la poutre de Polybe. Sur ce mât M. de Folard établit le rancher d'une grue, au bout duquel étoit un cone de fer, piece de fonte, dit-il, des plus pesantes, laquelle tombant de son propre poids, perçoit le pont de proue ; voilà ce que M. de Folard appelle corbeau. Il est difficile de concilier cette machine avec celle que décrit Polybe.

M. de Folard parle, dans son savant commentaire, de plusieurs especes de corbeaux : il y en avoit, dit-il, tant de diverses sortes, & ils étoient si differens entr'eux, qu'il ne sait comment les anciens n'ont pas inventé différens noms pour empêcher qu'on ne les confondit les uns avec les autres. M. de Folard donne la description de ces différens corbeaux, savoir du dauphin, du corbeau démolisseur, du loup, & du corbeau a griffes.

Le premier n'étoit, selon cet auteur, qu'une masse de fer fondu, suspendu au bout des antennes des vaisseaux : on le suspendoit à un des bouts des vergues pour le laisser tomber sur les vaisseaux ennemis, qu'il perçoit depuis le point jusqu'au fond-de-cale.

A l'égard du corbeau démolisseur, Vitruve en fait mention ; mais on ne peut guere comprendre ce que c'est que cette machine. " Ne seroit-ce point, dit M. de Folard, celle dont parle Vegece, qu'il appelle tortue, au-dedans de laquelle il y avoit une ou deux pieces de bois arrondies & fort longues, pour pouvoir atteindre de loin, & au bout desquelles il y avoit des crocs de fer ? elles étoient suspendues en équilibre comme les béliers, & on les poussoit contre les créneaux pour les accrocher & les tirer à bas, ou les pierres ébranlées par les béliers ". Voyez BELIER.

Cependant Végece en parlant de ce croc suspendu & branlant, ne se sert pas du terme de corbeau, mais de celui de faulx. Voici le passage de cet auteur

" On construit la tortue avec des membrures & des madriers, & on la garantit du feu en la revêtissant de cuirs cruds, de couvertures de poil, ou de pieces de laine. Elle couvre une poutre armée à l'un de ses bouts d'un fer crochu pour arracher les pierres de la muraille : alors on donne le nom de faulx à cette poutre, à cause de la figure de son fer ". Nouv. traduct. de Végece.

Pour le loup, M. de Folard prétend que la machine à laquelle Végece donne ce nom, n'étoit qu'un corbeau à tenailles ou à griffes, qui consistoit dans une espece de ciseaux dentelés & recourbés en manieres de tenailles, ou de deux faucilles opposées l'une à l'autre.

Outre les différens corbeaux dont on vient de parler, le savant commentateur de Polybe traite encore du corbeau à lacs-courans & à pinces, de celui à cage, appellé aussi le tollenon ou tellenon, & du polisparte ou corbeau d'Archimede.

Le corbeau à lacs-courans n'étoit autre chose qu'une espece de levier placé sur les murailles des villes, de maniere qu'une partie sailloit en-dehors, & que l'autre plus grande étoit sur le terre-plein : à la partie extérieure étoit attachée une chaîne ou une corde, qui avoit un lac avec lequel on essayoit de saisir la tête du bélier, pour le tirer en-haut & empêcher son effet.

Le corbeau à pinces étoit à-peu-près la même chose, à l'exception qu'au lieu de lacs il y avoit des pinces pour saisir le bélier. Cette machine ne differe guere de celle que M. de Folard appelle corbeau à tenaille, & à laquelle Vegece donne le nom de loup. " Plusieurs, dit cet auteur, attachent à des cordes un fer dentelé fait en maniere de pince, qu'on appelle loup, avec lequel ils accrochent le bélier, le renversent, ou le suspendent de façon qu'il ne peut plus agir ".

Le corbeau à cage ou tollenon est ainsi décrit par Végece. " Le tollenon est une bascule faite avec deux grandes pieces de bois, l'une plantée bien avant en terre ; & l'autre qui est plus longue, attachée en-travers au sommet de la premiere, & dans un tel point d'équilibre, qu'en abaissant une de ses extrémités l'autre s'éleve. On attache donc à l'un des bouts de cette poutre une espece de caisse d'osier ou de bois, où l'on met une poignée de soldats, & en abaissant l'autre bout on les éleve & on les porte sur les murailles ". Nouvelle traduct. de Végece.

Reste à parler du polisparte ou corbeau d'Archimede. " C'étoit sans doute, dit M. de Folard, une poutre ou un mât prodigieusement long & de plusieurs pieces, c'est-à-dire fait de plusieurs mâts joints ensemble, pour le rendre plus fort & moins flexible, renforcé encore au milieu par de fortes semelles, le tout rassuré avec des cercles de fer & d'une lieure de cordes de distance en distance, comme le mât d'un vaisseau composé de plusieurs autres mâts. Cette furieuse poutre devoit être encore allongée d'une autre à-peu-près d'égale force. Ce levier énorme & de la premiere espece, devoit être suspendu à un grand arbre assemblé sur sa sole, avec sa fourchette, son échelier, ses moises, enfin à-peu-près semblable à un gruau. Il devoit être appliqué & collé contre l'intérieur de la muraille de la ville, arrêté & assûré par de forts liens ou des anneaux de fer où l'on passoit des cordages qui embrassoient l'arbre au bout duquel le corbeau étoit suspendu. Ce levier énorme ainsi suspendu à un gros cable ou à une chaîne, & accolé contre son arbre, pouvoit produire des effets d'autant plus grands, que la puissance ou la ligne de direction se trouvoit plus éloignée de son point fixe, ou du centre du mouvement, en ajoûtant encore d'autres puissances qui tirent de haut en bas par des lignes de direction. Il y avoit à l'extrémité plusieurs grapins ou pattes d'ancres suspendues à des chaînes qu'on jettoit sur les vaisseaux lorsqu'ils approchoient à portée. Plusieurs hommes abaissoient cette bascule par le moyen de deux cordes en trelingage ; & dès qu'on s'appercevoit que les griffes de fer s'étoient cramponées, on faisoit un signal, & tout aussi-tôt on baissoit une des extrémités de la bascule, pendant que l'autre se relevoit & enlevoit le vaisseau à une certaine hauteur, qu'on laissoit ensuite tomber dans la mer en coupant le gros cable qui tenoit le vaisseau suspendu ". Comm. sur Polybe.

Quelques critiques se sont exercés sur cette description du corbeau d'Archimede, & sur la figure qu'en donne M. de Folard, p. 86. du prem. vol. de son commen. sur Polybe, édit. de Paris. Voyez une lettre insérée sur ce sujet dans le cinq. vol. de la bibliot. raisonn. Mais malgré les difficultés dont peuvent être susceptibles quelques unes des descriptions des machines de guerre des anciens par M. le chevalier Folard, il faut convenir qu'il falloit la sagacité & la science de cet habile officier pour éclaircir ce que les auteurs de l'antiquité nous ont laissé sur cette matiere. Le commentaire sur Polybe tiendra toûjours un rang distingué parmi les bons ouvrages de notre siecle, & la lecture en sera toûjours très-utile à ceux qui voudront étudier à fond l'art de la guerre. Un auteur très-connu, M. Pluche, borne la bibliotheque d'un militaire en campagne, à un nouveau-Testament, un Euclide, & les commentaires de César. Il est à souhaiter que le commentaire sur Polybe puisse être réduit à un volume assez portatif pour être joint à cette bibliotheque, de même que l'art de la guerre par M. le maréchal de Puységur. (Q)

* CORBEAUX, (Serr. & Charpent.) sont des morceaux de bois ou de fer scellés dans les murs : ils servent à porter les lambourdes sur lesquelles pose le bout des solives des planchers, lorsqu'on ne les fait point porter dans les murs. Voyez nos Planc. de Serrurerie.


CORBEIL(Géog. mod.) ville de France dans l'île de France sur la Seine. Long. 20. 6. lat. 28. 38.


CORBEILLES. f. (Oecon. domestiq. & Gramm.) petit ouvrage de Vannier fait avec de l'osier rond ou fendu, destiné à porter des fruits ou à contenir d'autres choses d'une nature toute différente. Il y a des corbeilles d'une infinité de capacités, de grandeurs, & de formes : elles sont la plûpart comme nattées, circulaires, & terminées en-haut par un cerceau ou gros bâton d'osier, recourbé & recouvert par l'osier fendu.

CORBEILLE, en Architecture, est un morceau de sculpture en forme de panier rempli de fleurs ou de fruits, qui sert à terminer quelque décoration, comme sont celles des piliers de pierre de clôture de l'orangerie de Versailles ; on en fait aussi en bas-relief, comme celles du portail de Val-de-Grace à Paris, au-dessus des niches de S. Benoît & de Sainte Scholastique. (P)

CORBEILLES, en termes de Fortification, sont de petits paniers d'environ un pié & demi de haut sur huit pouces de large au fond, & douze au sommet, pleins de terre, que l'on place souvent les uns près des autres sur le parapet de la place, en laissant assez d'espace pour pouvoir faire feu sur l'ennemi sans être vû. Voyez PARAPET. Chambers. (Q)


CORBEILLERS. m. (Hist. eccl.) officier du chapitre de l'église d'Angers. Il y a quatre corbeillers. Leur fonction étoit autrefois de distribuer le pain de chapitre. Aujourd'hui ils officient aux fêtes doubles. Leur chef s'appelle le grand-corbeiller ; il est le curé du chapitre, & le premier du bas-choeur. Le breviaire des chanoines décédés leur appartient. Ils n'ont que rang de prébendier ; mais ils arrivent assez ordinairement au canonicat.


CORBEILLOou CORBILLON, s. m. (Mar.) c'est une espece de demi-barillet qui a plus de largeur par le haut que par le bas, & où l'on tient le biscuit qu'on donne à chaque repas pour un plat de l'équipage, c'est-à-dire pour sept rations ; sept matelots qui mangent ensemble formant ce qu'on appelle un plat. (Z)


CORBIE(Géog. mod.) ville de France en Picardie sur la Somme, avec une Abbaye célebre. Long. 20d. 10'. 28". lat. 49d. 54'. 32".


CORBIGNY-SAINT-LEONARD(Géog. mod.) petite ville de France dans le Nivernois, près de l'Yonne.


CORBINS. m. (Hist. mod.) Bec de corbin, vieille arme hors d'usage : c'étoit une espece de halebarde. Voyez BEC.

Bec de corbin est synonyme à bec de corbeau. Les instrumens de Chirurgie, dont l'extrémité a cette courbure, sont dits être à bec de corbin. Voyez BEC. Nous avons aussi des cannes qui, selon la même étymologie, sont appellées cannes à bec de corbin, de leurs pommes ou d'or, ou d'yvoire, ou d'écaille, ou de porcelaine, qui ont cette figure.

CORBIN, (bec de) s. m. ustencile de Sucrerie, servant à transporter le sirop qui a acquis le degré de cuisson convenable, pour être mis dans les formes où il doit se condenser.

Le bec de corbin est un vaisseau de cuivre ou une espece de chauderon creux ayant deux anses pour le pouvoir prendre, & un bec en forme de grande gouttiere fort large, au moyen de laquelle on verse le sirop tout chaud dans les formes, sans craindre de le repandre. Article de M. LE ROMAIN.


CORBINAGES. m. (Jurispr.) est un droit singulier, en vertu duquel les curés d'un canton situé vers Mesle en Poitou, prétendent avoir droit de prendre le lit des gentilshommes décédés dans leur paroisse. Il en est parlé dans Boerius, en son commentaire sur la coûtume de Berri, tit. des coûtumes concernant les mariages, art. 4. vers la fin, fol. 62. col. 1. & dans Constant, sur l'art. 99. de la coûtume de Poitou, page 111. & dans le glossaire de M. de Lauriere. (A)


CORBULOChanoines réguliers de Monte-Corbulo, (Hist. eccles.) ils ont eu pour instituteur Pierre de Reggio. Ils étoient habillés d'une tunique grise ; ils avoient sur cette tunique un rochet, & sur le rochet un capuce. Il n'est pas certain, sur ce qu'en dit le P. Bonanni, qu'ils soient éteints. Ils ont été appellés de Monte-Corbulo, du Corbulo montagne de la Toscane à douze milles de Sienne, où ils ont eu leur premiere maison.


CORCANou ALJORJANIYAH, (Géog. mod.) ville d'Asie, capitale de la Corasmie sur le Gihon. Lat. 42. 17. long. 74. 30.


CORCEL(Géog. mod.) ville d'Asie dans les Indes orientales, dans l'île de Manar.


CORCELETS. m. (Hist. nat. des ins.) partie antérieure du corps des insectes.

Après la tête des insectes suit le cou, ensuite le corcelet, & enfin le corps. Le corcelet est plus ou moins dur, à proportion que le genre de vie des insectes les expose à des frottemens plus ou moins violens. Ceux qui se glissent dans les fentes, comme les punaises des arbres, ont cette partie du corps assez plate, afin qu'ils puissent pénétrer aisément. Elle est plus arrondie dans d'autres ; & quelques-uns, comme les punaises du fumier, l'ont revêtue de bords élevés, qui forme dans l'intervalle des profondeurs assez sensibles.

Le corcelet des uns se termine en pointe par-derriere ; & celui des autres s'émousse & s'arrondit : c'est cette derniere figure qu'il a dans les sauterelles vertes. Plusieurs l'ont couvert de poils, & d'autres de petites élévations qui les garantissent d'un frottement trop fort. Il est surmonté chez quelques-uns d'un bourrelet, ou de deux coins, comme dans le scarabée vert qu'on trouve dans les bois ; dans d'autres, c'est un bord, une raie, des figures pyramidales, & même des rhomboïdes.

A l'occasion de cette partie du corps des insectes, je ne puis m'empêcher de remarquer que quoique les insectes ailés n'ayent ordinairement qu'un corcelet, cependant le cas de deux corcelets dans le même insecte n'est pas sans exemple : M. de Reaumur nous en donne un dans la demoiselle qui naît du fourmi-lion ; & M. Lyonnet, qui sait si bien observer les raretés de la nature, nous fournit un autre exemple de ce fait dans une mouche d'un genre singulier. Il est vrai qu'il semble presque aussi étrange qu'un animal ait deux corcelets, que si on lui voyoit deux têtes ou deux corps ; mais c'est que nous ne sommes pas assez éclairés sur la différence & l'usage des parties. Il y a mille choses qui sortent des regles, que nous supposons gratuitement devoir être invariables. Art. de M(D.J.)


CORCHORUSS. m. (Bot. exotiq.) plante originaire d'Egypte dont la tige est unie, qui s'éleve à la hauteur d'une coudée, qui a la feuille assez semblable à celle de la mercuriale, cependant un peu plus large, & dont les gousses tiennent à des pédicules fort courts, ont quatre à cinq pouces de long, sont rayées de jaune, pointues & divisées en cinq portions longitudinales, & contiennent une petite graine cendrée, visqueuse, anguleuse, & abondante. Alpin dit que sa fleur est jaune, plus petite que celle du leuconium, & composée de cinq pétales larges, courts, & pointus. C'est un légume pour les Egyptiens très-agréable à manger, & d'un usage plus général que sain. On lui attribue quelques vertus medicinales. Voyez Rai.


CORDAS. m. (Drap.) grosse serge croisée, drapée, & toute de laine, qu'on nomme aussi, quoique inexactement, pinchina. Il est ordonné qu'à Romorentin où l'on en fabrique, ils auront cinquante-six portées de trente-neuf fils chacune, sur des lames ou rots d'une aune & demi-quart, lisieres comprises, & trente-deux aunes d'attaches de long, pour revenir de la foule avec une aune de large, & vingt à vingt-deux aunes de long. Voyez les réglem. du Comm. le dict. du Comm. & le Trév.


CORDACES. f. danse des Grecs. Elle a pris son nom d'un des suivans de Bacchus, qui en fut l'inventeur. Elle étoit gaie, vive, & du caractere de nos passepiés, de nos gavottes legeres, & de nos tambourins, &c. Bonnet, hist. de la danse. Voyez DANSE. (B)


CORDAGES. m. (Marine) c'est le nom de toutes les cordes qui sont employées dans les agrés d'un vaisseau.

Le nombre des cordages nécessaires pour équiper un vaisseau est très-considérable. Voyez Pl. prem. de la Marine, fig. 1. & fig. 2. le nom & la disposition des principaux. Et pour avoir un détail exact & circonstancié de tous ces cordages & de leur proportion, nous allons donner l'état suivant.

CORDAGES nécessaires pour la garniture & rechange d'un vaisseau du premier rang.

Il reste à faire connoître le poids de ces cordages, tant en blanc que goudronné, en recapitulant les articles précédens.

Le total de la manoeuvre & garniture pese en blanc 137 milliers 448 liv. & goudronné pese 183 milliers 264 liv.

Total de la garniture du canon, pese en blanc 4 milliers 904 liv. & goudronné pese 6 milliers 538 liv.

Total de la garniture des voiles en blanc, pese 5 milliers 733 liv. & goudronné pese 7 milliers 639 liv.

Total du rechange du maître, pese en blanc 15 milliers 506. liv. & goudronné pese 20 milliers 674 liv.

Total du rechange du canonnier pese en blanc 407 liv. & goudronné pese 542 liv.

Total du rechange du pilote, pese en blanc 265 liv. & goudronné pese 353 liv.

Total général du poids de tous les cordages qui entrent dans l'armement du navire, est de 219 milliers 10 liv. tout goudronné, & ne pesoient en blanc que 164 milliers 263 liv. suivant les états les plus exacts. Voyez l'article CORDERIE. (Z)

CORDAGE, (Police & comm. de bois) maniere de mesurer le bois à la corde. Les jurés mouleurs de bois sont chargés de veiller à ce que les particuliers ne soient point lésés par les marchands.


CORDES. f. (Géom.) ligne droite qui joint les deux extrémités d'un arc. Voyez ARC. Ou bien c'est une ligne droite qui se termine par chacune de ses extrémités à la circonférence du cercle, sans passer par le centre, & qui divise le cercle en deux parties inégales qu'on nomme segmens : telle est A B, Planche géomét. fig. 6. Voyez SEGMENT.

La corde du complément d'un arc est une corde qui soûtend le complément de cet arc, ou ce dont il s'en faut que cet arc ne soit un demi-cercle. Voy. COMPLEMENT.

La corde est perpendiculaire à la ligne C E, tirée du centre du cercle au milieu de l'arc dont elle est corde ; & elle a, par rapport à cette droite, la même disposition que la corde d'un arc à tirer des fleches, a par rapport à la fleche. C'est ce qui a servi de motif aux anciens géomêtres pour appeller cette ligne corde de l'arc, & l'autre fleche du même arc. Le premier de ces noms s'est conservé, quoique le second ne soit plus si fort en usage. Ce que les anciens appelloient fleche, s'appelle maintenant sinus verse. Voyez FLECHE & SINUS.

La demi-corde B o du double de l'arc est ce que nous appellons maintenant sinus droit de cet arc ; & la partie o E du rayon, interceptée entre le sinus droit B o & l'extrémité E du rayon, est ce qu'on nomme sinus verse. Voyez SINUS.

La corde d'un angle & la corde de son complement à quatre angles droits ou au cercle entier, sont la même chose ; ainsi la corde de 50 degrés & celle de 310 degrés sont la même chose.

On démontre, en Géométrie, que le rayon C E qui coupe la corde B A en deux parties égales au point D, coupe de même l'arc correspondant en deux parties égales au point E, & qu'il est perpendiculaire à la corde A B, & réciproquement : on démontre de plus, que si la droite N E coupe la corde A B en deux parties égales & qu'elle lui soit perpendiculaire, elle passera par le centre, & coupera en deux parties égales l'arc A E B, aussi bien que l'arc A N B. On peut tirer de-là plusieurs corollaires utiles : comme 1°. la maniere de diviser un arc A B en deux parties égales ; il faut pour cela tirer un perpendiculaire au milieu D de la corde A B, & cette perpendiculaire coupera en deux parties égales l'arc donné A B.

2°. La maniere de décrire un cercle qui passe par trois points donnés quelconques, A, B, C, fig. 7. pourvû qu'ils ne soient pas dans une même ligne droite.

Décrivez pour cela des points A & C, & d'un même rayon des arcs qui se coupent en D, E ; & des points C, B, & encore d'un même rayon, décrivez d'autres arcs qui se coupent en G & H : tirez les droites D E, G H, & leur intersection I sera le centre du cercle cherché qui passe par les points A, B, C.

Démonstration. Par la construction la ligne E I a tous ses points à égale distance des extrémités A, C de la ligne A C ; c'est la même chose de la ligne G I par rapport à C B : ainsi le point I d'intersection étant commun aux deux lignes E I, G I, sera également éloigné des trois points proposés A, C, B ; il pourra donc être le centre d'un cercle, que l'on fera passer par les trois points A, C, B.

Ainsi prenant trois points dans la circonférence d'un cercle ou d'un arc quelconque, on pourra toûjours trouver le centre, & achever ensuite la circonférence.

De-là il s'ensuit aussi, que si trois points d'une circonférence de cercle conviennent ou coïncident avec trois points d'un autre, les circonférences totales coïncident aussi ; & ainsi les cercles seront égaux, ou le même. Voyez CIRCONFERENCE & CERCLE.

Enfin on tire de-là un moyen de circonscrire un cercle à un triangle quelconque.

La corde d'un arc A B, fig. 6. & le rayon C E étant donnés, trouver la corde de la moitié A E de cet arc. Du quarré du rayon C E, ôtez le quarré de la moitié A D de la corde donnée A B, le reste sera le quarré de o C ; & tirant la racine quarrée, elle sera égale à C D : on la soustraira du rayon E C, & il restera D E : on ajoûtera les quarrés de A D & de E D, & la somme sera le quarré de A E ; dont tirant la racine, on aura la corde de la moitié A E.

Ligne des cordes, c'est une des lignes du compas de proportion. Voyez COMPAS DE PROPORTION. Wolf & Chambers. (E)

* CORDE, s. f. ouvrage du Cordier. C'est un corps long, flexible, résistant, rond, composé de filamens appliqués fortement les uns contre les autres par le tortillement. Il y a des cordes de plusieurs especes, qu'on distingue par leur grosseur, leur fabrication, leurs usages & leurs matieres.

On peut faire des cordes avec le lin, le coton, le roseau, l'écorce de tilleul, la laine, la soie, le chanvre, &c. mais celles de chanvre sont les plus communes de toutes ; elles ont plus de force que celles de roseau & d'écorce d'arbre, & les autres matieres ne sont pas assez abondantes pour qu'on en pût faire toutes les cordes dont on a besoin dans la société, quand il seroit démontré par l'expérience que ces cordes seroient meilleures que les autres.

Des cordes de chanvre. On fait avec le chanvre quatre sortes de cordes ; les unes qui sont composées de brins, & qu'on ne commet qu'une fois, comme le merlin & le bitord, voyez BITORD & MERLIN ; d'autres qui sont composées de torons, & qu'on ne commet qu'une fois, comme les aussieres à deux, trois, quatre, cinq & six torons, voyez AUSSIERES & TORONS. Il y en a de composées d'aussieres, & commises deux fois ; on les appelle grelins, voyez GRELINS. On peut commettre des grelins ensemble, & la corde qui en proviendra sera commise trois fois, & s'appellera archigrelins, voyez ARCHIGRELINS. Il y a encore une espece de corde plus menue par un bout que par l'autre, qu'on appelle par cette raison corde en queue de rat, voyez pour cette corde & pour la fabrication des précédentes, l'article CORDERIE.

Si l'on fabriquoit des cordes de coton, de crin, de brins, &c. on ne s'y prendroit pas autrement que pour celles de chanvre ; ainsi on peut rapporter à cette main-d'oeuvre tout ce qui concerneroit celle de ces cordes. Mais il n'en est pas de même des cordes qu'on tire de substances animales, comme les cordes à boyau, les cordes de nerfs, les cordes d'instrumens de musique, &c. celles-ci demandent des préparations & un travail particuliers : nous en allons traiter séparément.

Des cordes à boyau, ou faites de boyaux mis en filets, tortillés & unis avec la presle. Il y en a de deux especes ; les unes grossieres, qu'on employe soit à fortifier, soit à mouvoir des machines : nous en avons donné la fabrication à l'article Boyaudier, voyez BOYAUDIER. Elle se réduit au lavage, premiere opération. Ce lavage consiste à démêler à terre les boyaux ; ce qui se fait avec quelque précaution, pour ne pas les rompre. A la seconde opération on les jette dans un baquet d'eau claire ; on les lave réellement, & le plus qu'il est possible. A la troisieme on les vuide dans un autre baquet ; à la quatrieme on les tire de ce baquet, & on les gratte en les faisant passer sous un couteau qui n'est tranchant que vers la pointe. Cette opération se fait sur un banc plus haut que le baquet d'un bout, & appuyé sur le baquet par le bout qui est plus bas : à la cinquieme on coupe les boyaux grattés, par les deux bouts & de biais, & on les jette dans une autre eau : à la sixieme on les en tire un à un, & on les coud avec une aiguille enfilée de filamens enlevés de la surface du boyau. On observe, pour empêcher la grosseur de la couture, que les biais des coupures se trouvent en sens contraires, c'est-à-dire l'une en dessus & l'autre en dessous. A la septieme on noue chaque longueur à un lacet qui tient à une cheville fixe, & l'on attache l'autre bout aux nelles du roüet, voyez NELLE, ROUET, LACET, &c. A la huitieme on tord le boyau au roüet jusqu'à un certain point, on en tord toûjours deux à la fois : on a des brins de presle ; on entrelace ces brins de presle entre les deux boyaux ; on les serre entre cette presle, & on tire sur toute leur longueur la presle serrée, en les frottant fortement. A la neuvieme on leur donne plus de tors ; on les frotte avec un frottoir ; on les épluche ou l'on enleve leurs inégalités avec un couteau ordinaire, & on leur donne le troisieme & dernier tors. A la dixieme, on les détache des nelles ; on les attache par un autre lacet à une autre cheville ; on les laisse sécher ; on les détache quand ils sont secs ; on coupe la partie de chaque bout qui a formé les noeuds avec les lacets ; on les endouzine, on les engrossit, & la corde est faite. Il faut travailler le boyau le plus frais qu'il est possible ; le délai en été le fait corrompre ; en tout tems il lui ôte de sa qualité. Il ne faut jamais dans cette manoeuvre employer d'eau chaude, elle feroit crisper le boyau. Il y a quelqu'adresse dans le travail de ces cordes, à estimer juste leur longueur, ou ce que le boyau perdra dans ses trois tors. On n'a jusqu'à présent fait des cordes à boyau que de plusieurs boyaux cousus. Le sieur Petit Boyaudier, qui a sa manufacture au Croissant rue Mouffetard, prétend en fabriquer de bonnes de toute longueur, & sans aucune couture. Nous avons répeté ici la maniere de travailler le boyau, parce qu'en consultant plusieurs ouvriers, on trouve souvent une grande différence, tant dans la maniere de s'exprimer que dans celle d'opérer, & qu'il importe de tout savoir en ce genre, afin de connoître par la comparaison de plusieurs mains-d'oeuvres, quelle est la plus courte & la plus parfaite. Voyez ENDOUZINER, ENGROSSIR, &c.

Des cordes à boyau propres à la Lutherie. On dit qu'il ne se fabrique de bonnes cordes d'instrumens qu'en Italie, celles qui viennent de Rome passant pour les meilleures ; on les tire par paquets assortis, composés de 60 bottes ou cordes, qui sont toutes pliées en sept ou huit plis. On les distingue par numéro, & il y en a depuis le n°. 1. jusqu'au n°. 50. Ce petit art qui contribue tant à notre plaisir, est un des plus inconnus : les Italiens ont leur secret, qu'ils ne communiquent point aux étrangers. Les ouvriers de ce pays qui prétendent y entendre quelque chose, & qui font en effet des cordes d'instrumens, que les frondeurs jugeront assez bonnes pour la musique qu'on y compose, ont aussi leurs secrets qu'ils gardent bien, sur-tout quand ils sont consultés. Voici tout ce que nous en avons pû connoître, avec le secours de quelques personnes qui n'ont pû nous instruire selon toute l'étendue de leur bonne volonté. On se pourvoit de boyaux grêles de moutons, qu'on nettoye, dégraisse, tord & seche de la maniere qui suit. On a un baquet plein d'eau de fontaine, on y jette les boyaux comme ils sortent du corps de l'animal ; on ne peut les garder plus d'un jour ou deux, sans les exposer à se corrompre : au reste cela dépend de la chaleur de la saison, le mieux est de les nettoyer tout de suite. Pour cet effet on les prend l'un après l'autre par un bout, de la main droite, & on les fait glisser entre le pouce & l'index, les serrant fortement. On les vuide de cette maniere, & à mesure qu'ils sont vuidés, on les laisse tomber dans l'eau nette. On leur réitere cette opération deux fois en un jour, en observant de les agiter dans l'eau de tems en tems pendant cet intervalle, afin de les mieux laver ; on les passe ensuite dans de nouvelle eau de fontaine, pour y macérer pendant deux ou trois jours, selon la chaleur du tems : chacun de ces jours on les racle deux fois, & on les change d'eau trois fois. Pour les racler on les étend l'un après l'autre sur une planche ou banc incliné au bord du baquet, on a un morceau de roseau divisé longitudinalement ; il faut que les côtés de la division ne soient pas tranchans, mais ronds. C'est avec ce roseau qu'on les ratisse, & qu'on parvient à les dépouiller de l'épiderme grasse qui les rend opaques ; on les fait passer dans des eaux nouvelles à mesure qu'on les ratisse : alors le boyau est nettoyé, & le voilà en état d'être dégraissé. Les ouvriers font un premier secret de la maniere dont ils dégraissent les boyaux ; mais il est constant qu'indépendamment de leur secret, si l'on n'apporte les plus grandes précautions au dégraissage des boyaux, les cordes n'en vaudront rien. Il faut préparer une lessive que les ouvriers appellent eau-forte, & qui s'employe au quart forte, au tiers forte, demi-forte, trois quarts forte, & toute forte. Pour la faire on a un vaisseau de grais ou cuve de pierre contenant demi-barrique, ou le poids de 250 liv. d'eau ; on la remplit d'eau, on y jette environ deux livres & demie de cendres gravelées, qu'on y remue bien avec un bâton. N'y met-on que cela ? Il y en a qui prétendent qu'il y entre de l'eau d'alun en petite quantité ; mais on ne sait, par la maniere dont ils s'expriment, si l'eau d'alun sert avant le dégraissage, si elle entre dans la lessive du dégraissage, si elle y entre seule, ou en mêlange avec la cendre gravelée, ou si cette façon d'eau d'alun ne se donne pas après le dégraissage même avec la cendre gravelée. Quoi qu'il en soit, on a des tinettes ou terrines de grais, qui peuvent tenir environ dix livres d'eau, on met les boyaux par douzaines dans ces vaisseaux ; on prend dans la cuve environ deux livres & demie de lessive ; quelle que soit cette lessive, on la verse dans la tinette sur les boyaux, & on acheve de la remplir avec de l'eau de fontaine : on dit qu'alors les boyaux sont dans la lessive au quart, ce qui signifie que le liquide dans lequel ils trempent, est composé d'une partie de lessive & de trois parties d'eau de fontaine. On les laisse blanchir dans cette eau une demi-journée dans un lieu frais ; on les en retire l'un après l'autre, pour leur donner la façon suivante. On a à l'index une espece d'ongle de fer blanc qu'on met au doigt comme un dé à coudre ; on nomme cet instrument dégraissoir. On applique le pouce contre le bord de son calibre, à son extrémité, & l'on presse le boyau contre ce bord, tandis qu'on le tire de la main droite : on le jette, au sortir de cette opération, dans une autre tinette ou terrine, dont la lessive est au tiers forte, c'est-à-dire de deux parties d'eau de fontaine, sur une partie de lessive. On revient à cette manoeuvre du dégraissoir quatre à cinq fois, & elle dure deux ou trois jours, suivant la chaleur de la saison. Chaque demi-journée on augmente la force de la lessive. Les boyaux se dégraissent plus promtement en été qu'en hyver. Les augmentations de la lessive en hyver sont du quart au tiers, du tiers au demi, du demi aux trois quarts, des trois quarts à l'eau toute forte ; & en été du quart au demi, du demi aux trois quarts, & des trois quarts à l'eau toute forte. Dans le premier cas, les degrés d'eau se donnent en trois jours, & en deux jours dans le second ; mais tantôt on abrege, tantôt on prolonge cette opération : c'est à l'expérience de l'ouvrier à le déterminer. Il faut avoir grande attention à ne point écorcher les boyaux avec le dégraissoir Le dégraissage se fait sur un lavoir haut de deux piés & demi, large de deux, & long d'environ dix ou douze, suivant l'emploi de la fabrique ; il est profond d'environ six pouces, & les eaux peuvent s'en écouler aux deux bouts par les ouvertures, & au moyen de la pente qu'on y a pratiquée. Après ce dégraissage, au sortir des lessives que nous avons dites, on en a une autre qu'on appelle double-forte ; elle est composée de la même quantité d'eau de fontaine, c'est-à-dire de 250 livres ou environ ; mais on y met cinq livres de cendres gravelées. Je demanderai encore : n'y met-on que cela ? & l'on sera bien fondé à avoir sur cette lessive double forte, les mêmes doutes que sur la lessive simple forte. Au reste, on est bien avancé vers la découverte d'une manoeuvre, quand on connoît les expériences qu'on a à faire. On laisse les boyaux dans cette seconde lessive une demi-journée, une journée entiere, & même davantage, selon la saison, & toûjours par douzaines, & dans les mêmes tinettes ou terrines de grais. On les en tire, pour passer encore une fois sur le dégraissoir de fer, d'où on les jette dans de l'eau fraiche ; les boyaux sont alors en état d'être tordus au roüet. On les tire de l'eau ; il est encore incertain si cette eau est pure, ou si elle n'est pas un peu chargée d'alun, & tout de suite on les double. Les gros boyaux servent à faire les grosses cordes, les boyaux plus petits & plus clairs servent à faire les cordes plus petites ; mais il est bon de savoir qu'on ne les tord presque jamais simples ; la plus fine chanterelle est un double. On les fait environ de cinq piés & demi, ou huit pouces. Chaque boyau en fournit deux. Il peut arriver que le boyau double n'ait pas la longueur requise pour la corde. Alors on en prend deux qu'on assemble de cette maniere ; on porte un des bouts à un émerillon du roüet ; on passe le boyau doublé sur une cheville de la grosseur du doigt, qui est fichée dans un des côtés d'un chassis, à quelque distance de l'émerillon, & qui fait partie d'un instrument appellé le talart ou l'attelier. Il faut observer que le bout de la corde qui est à l'émerillon, a aussi sa cheville, & que cette cheville est passée dans le crochet de l'émerillon. Si la corde est trop courte pour cet intervalle, on l'allonge, comme on l'a indiqué plus haut, en assemblant l'un des deux boyaux avec un autre boyau plus long ; s'il y a du superflu, on le coupe, & l'on tord le boyau en douze ou quinze tours de roüet. La roüe du roüet a trois piés de diamêtre, & les bobines qu'elle fait mouvoir ont deux pouces. On détache les deux petites chevilles, l'une de l'émerillon, l'autre du côté du chassis, & on les transporte dans des trous faits exprès à l'autre extrémité du talart placé à côté du roüet. Le talart est un chassis de bois de sapin long de deux aunes, large de deux ; à l'une de ses extrémités il y a vingt trous garnis d'autant de chevilles de la grosseur du doigt, & à l'autre quarante plus petites : ainsi un boyau tord pour un instrument de musique, & tendu sur le talart, a ses deux extrémités attachées, l'une à une des petites chevilles des quarante, & l'autre à une des vingt grosses. Voyez Planche V. de Corderie. b est le baquet où s'égoutte l'eau ; d est une table avec rebords qui reçoit l'eau, & qui par sa pente & ses gouttieres conduit l'eau dans le baquet ; c, c sont des treteaux qui la soûtiennent ; u, rangées de chevilles où l'on attache les cordes quand on les tord ; a, a, a, a, est un chassis oblong, de deux aulnes sur une de ses dimensions, & de deux piés & demi sur l'autre ; x, sont des trous à recevoir les chevilles des cordes, lorsqu'elles sont tordues ; z, corde que l'on tord à l'aide d'une roüe & de deux poulies, avec un petit crochet k, auquel on adapte la cheville qui doit remplir un des trous du chassis quand la corde sera torse. Mais la manoeuvre que nous venons de décrire ne suffit pas pour donner à la corde l'élasticité convenable, & lui faire rendre du son, il y a, dit-on, encore un autre secret. C'est celui-là sur-tout qu'il faudroit obtenir des ouvriers. Ne consiste-t-il que dans la manoeuvre suivante ? Nous l'ignorons. Lorsque le talart est garni de boyaux tords, on les frotte les uns après les autres avec des cordes de crin ; on passe dessus la corde de crin cinq ou six fois de suite, ce qui acheve de les dégraisser & de les dégrossir en les arrondissant. Lorsque chaque boyau ou corde aura été frottée ainsi à deux reprises de la corde de crin, & qu'on la trouvera fort nette, on portera le talard tout garni de ses cordes, dans une étuve proportionnée à sa grandeur, c'est-à-dire d'un peu plus de deux aulnes de long, & d'environ une demi-aulne pour ses autres dimensions ; on les y laissera tendues pendant cinq ou six jours, pour y sécher lentement à la vapeur du soufre & y prendre de l'élasticité. L'étuve est échauffée par un peu de feu de charbon, qu'on y introduit dans un réchaud sur lequel on jette deux onces de fleur de soufre. Cet ensoufrement se donne toûjours en mettant le talart dans l'étuve, & se répete deux jours après. On a soin de tenir l'étuve fermée, afin que la fumée du soufre ne s'échappant point, produise son effet. Au bout de cinq à six jours on sort les talarts de l'étuve ; on frotte chaque corde avec un peu d'huile d'olive ; on les plie à l'ordinaire, après les avoir coupées de la longueur de deux aulnes aux deux extrémités du talart. C'est de la même maniere que se préparent les grosses cordes à boyau, avec cette différence qu'on apporte un peu moins de précautions pour les dégraisser, qu'on les tord & file comme le chanvre ; qu'on y employe les boyaux les plus communs, & qu'on les laisse plus long-tems à l'étuve. Nous n'avons pû nous procurer des connoissances plus étendues sur cet objet. Peut-être n'y a-t-il rien de plus à savoir, peut-être aussi n'est-ce là que le gros de l'art, que ce dont les ouvriers ne se cachent point, & n'avons-nous rien dit des tours de main particuliers, des préparations singulieres, & des manoeuvres requises pour la perfection des cordes. Au reste, celui qui portera ces instructions préliminaires dans un attelier, y acquérera d'autant plus facilement les autres, si en effet il en reste quelques-unes à suppléer ; car j'ai toûjours remarqué que les ouvriers se livroient facilement aux gens dont ils espéroient tirer quelque lumiere. On ne trouvera que le roüet, le chassis & le talart dans nos planches, parce que les autres instrumens n'ont rien de particulier. Le roüet est, comme on voit, un roüet de cordier ; le talart n'est qu'un chassis ordinaire, & le lavoir se connoît assez facilement sur ce que nous en avons dit ; une table commune y suppléeroit. Ce sont les noeuds qu'on fait aux cordes, quand les boyaux sont trop courts, qui ordinairement les rendent fausses, par l'inégalité qu'ils occasionnent. Quand on choisit des cordes d'instrumens, il faut d'abord prendre les plus claires, les plus rondes & les plus égales, & ensuite faire tendre par quelqu'un la corde de la longueur convenable pour l'instrument, en la tirant par les deux bouts ; se placer en face du jour, & la pincer. Si en la pinçant on n'apperçoit dans ses oscillations que deux cordes, c'est une preuve certaine qu'elle est juste ; si on en apperçoit trois, cette preuve qu'elle est fausse n'est pas moins assurée. Cette seconde apparence peut venir de ce que toutes les parties de la corde n'arrivent pas en même tems à la situation horisontale, & qu'elle oscille en deux tems différens. On tord deux cordes à la fois, quoiqu'on n'en voye qu'une dans le dessein, où l'on n'a pû en montrer davantage.

Des cordes de nerfs, ou, pour parler plus exactement, de tendons ou de ligamens. Les anciens, qui faisoient grand usage de ces cordes dans leurs machines de guerre, désignoient en général les veines, arteres, tendons, ligamens, nerfs, par le mot de nerf, & ils appelloient corde de nerf, une corde filée de ligamens. Ils ont ordonné de choisir entre les tendons, ceux des cerfs & des boeufs ; & sur ces animaux les tendons les plus exercés, comme ceux du col dans les boeufs, & ceux de la jambe du cerf. Mais comme il est plus facile de se pourvoir de ceux-là que de ceux-ci, c'est de cette matiere qu'on a fait à Paris les premieres cordes de nerfs, sous les ordres & la direction de M. le comte d'Herouville, qui fut engagé dans un grand nombre d'expériences sur cet objet, par l'exactitude & l'étendue de ses recherches sur tout ce qui appartient à l'Art militaire. Voici comment ces cordes ont été travaillées. On prend chez le boucher les tendons des jambes, on les fait tirer le plus entiers & le plus longs qu'il est possible. Ils se tirent de l'animal assommé, quand il est encore chaud. On les expose dans des greniers ; on fait ensorte qu'ils ne soient point exposés au soleil, de peur qu'ils ne sechent trop vîte, & qu'ils ne durcissent trop. Il ne faut pas non plus que l'endroit soit humide, & qu'ils puissent souffrir de la gelée en hyver ; ces accidens les feroient corrompre. Il y a aussi un tems propre à prendre pour les battre : quand ils sont trop secs, ils se rompent ; quand ils sont trop frais, on en épure la graisse. Il faut éviter ces deux extrèmes. Avant que de les battre, il en faut séparer les deux bouts qui sont trop durs & trop secs : le reste d'ailleurs s'en divisera plus facilement sous le marteau. Le nerf ou ligament n'est filé fin qu'autant que ses extrémités se divisent facilement, ce qui ne peut arriver quand on lui laisse les deux bouts qui sont durs & secs comme du bois.

Les outils de cette espece de corderie se réduisent à un marteau de fer, une pierre & un peigne. Le bloc de pierre doit être un cube, dont la surface polie du côté qu'il doit servir, ait huit à dix pouces en quarré. Le marteau peut peser une demi-livre, & le peigne a huit ou dix dents éloignées les unes des autres d'environ six lignes, & toutes dans la même direction. Le ligament ne doit point être dépouillé de ses membranes ; on les bat ensemble jusqu'à ce qu'on s'apperçoive que la membrane est entierement séparée des fibres. Sept à huit ligamens battus & fortement liés ensemble, suffisent pour faire une poignée ; on passe la poignée dans les dents du peigne : cette opération en sépare la membrane, & divise les fibres les unes des autres. Le point le plus important dans tout ce qui précede, est de bien battre, c'est de-là que dépend la finesse du nerf. Si le nerf n'est pas assez battu, on a beau le peigner ; on l'accourcit en en rompant les fibres, sans le rendre plus fin. Le seul parti qu'il y ait à prendre dans ce cas, est de l'écharpir avec les mains, en séparant les fibres des brins qui ont résisté au peigne, pour n'avoir pas été suffisamment travaillés sous le marteau.

Quant au cordelage de cette matiere, il n'a rien de particulier. On file le nerf comme le chanvre, & on le commet soit en aussiere, soit en grelin. V. l'article CORDERIE. Avant que de se servir de ces cordes, il faut les faire tremper dans l'huile la plus grasse : elles sont très-élastiques & très-fortes. Voici une expérience dans laquelle M. d'Herouville a fait comparer la force d'une corde de chanvre, d'une corde de crin, & d'une corde de nerf. On prit le nerf le plus long qu'on put trouver ; on le peigna avec beaucoup de douceur ; on en fila du fil de carret ; on prit six bouts de ce fil, de neuf piés chacun ; on les commit au tiers, c'est-à-dire que ces neuf piés se réduisirent à six dans le commettage. Cette corde se trouva de quinze lignes de circonférence, & tout-à-fait semblable à une corde de chanvre très-parfaite qui avoit servi à quelques expériences de M. Duhamel sur la résistance des cordes, & qui avoit été faite du chanvre d'Italie le mieux choisi. On tint aussi toute prête une corde de crin de même poids, & commise au même point que la corde de nerf, mais qui se trouva de dix-huit lignes de circonférence. On fit rompre ces cordes, & l'on éprouva que la corde de nerf étoit une fois plus forte que celle de crin, & d'un sixieme plus que la corde de chanvre la plus parfaite. La corde de nerf soûtint 780 livres avant sa rupture. On remarqua qu'en s'allongeant par les charges successives qu'on lui donnoit, les pertes que faisoit son diamêtre étoient à-peu-près en même raison que les accroissemens que prenoit sa longueur, & qu'après la rupture elle se restitua exactement à sa longueur & grosseur premieres.

On a substitué ces cordes aux ressorts des chaises de poste & d'autres voitures, & elles y ont très-bien réussi. Elles n'ont pas encore toute la vogue qu'elles méritent & qu'elles obtiendront, parce qu'il en est dans ce cas comme dans une infinité d'autres ; on consulte toûjours des ouvriers intéressés à faire prévaloir les anciens usages. C'est à un serrurier qui fait des ressorts qu'on s'adresse pour savoir si les cordes de nerfs sont ou ne sont pas meilleures que les ressorts. M. de Lanore, dont M. le comte d'Herouville s'est particulierement servi, soit à recueillir ce que les anciens tacticiens grecs & latins avoient écrit des catapultes, ballistres, & autres machines de guerre auxquelles ils employoient les cordes de nerf, soit à fabriquer les premieres, en a obtenu le privilége exclusif ; & il seroit à souhaiter que les ouvriers allassent prendre des instructions chez un homme à qui cet objet est très-bien connu, ils s'épargneroient aussi à eux-mêmes tout le tems & le travail qu'on perd nécessairement en essais.

On dit que ces cordes sont facilement endommagées par l'humidité, mais on peut les en garantir en très-grande partie par des fourreaux : on présume qu'une lessive, telle que celle que les ouvriers en cordes à boyau, soit pour machines, soit pour instrumens de musique, donnent à leurs boyaux avant que de les tordre, pourroit ajoûter & à l'élasticité & à la durée des cordes de nerf, si on faisoit passer par cette lessive le nerf, soit avant que de le battre, soit après qu'il est battu & peigné. Pourquoi ne suppléeroit-elle pas au roüir du chanvre, en séparant la membrane des fibres, de même que le roüir separe l'écorce de la chenevotte. C'est à l'expérience à confirmer ou détruire cette idée qui nous a été communiquée par un homme que sa fortune & son état n'empêchent point de s'occuper de la connoissance & de la perfection des Arts ; ainsi qu'il vient de le prouver par quelques vûes qu'il a communiquées au public sur le tirage des voitures ; c'est de la même personne que nous tenons le dessein du roüet des faiseurs de cordes d'instrumens de musique, & des éclaircissemens sur l'art de les fabriquer.

Des cordes de cheveux. Les anciens ont aussi fait filer des cordes de cheveux, dans des circonstances fâcheuses qui les y déterminoient. Les dames de Carthage se couperent les cheveux, pour fournir des cordes aux machines de guerre qui en manquoient. Les femmes Romaines en firent autant dans une extrémité semblable : maluerunt pudicissimae matronae, deformato capite, liberè vivere cum maritis, quam hostibus, integro decore, servire. Je ne cite que ces deux exemples, entre un grand nombre d'autres que j'omets, & dont je ne ferois qu'un éloge très-modéré si je les rapportois, le sacrifice des cheveux me paroissant fort au-dessous de ce que des femmes honnêtes & courageuses ont fait en tout tems & font encore tous les jours.

Les Méchaniciens se proposent sur les cordes en général plusieurs questions, telles que les suivantes ; quelle est la force des cordes en elle-même ? quel est leur effet dans les machines ? quelles sont leurs vibrations quand elles sont frappées. Voyez là-dessus les articles suivans.

CORDE, (Méchaniq.) Quelle est la force d'une corde relativement à celle des fils dont elle est composée, si on en prend la somme, en les éprouvant séparément ? Le tortillement ajoute-t-il à la force des cordes ou la diminue-t-il ? Voyez l'article CORDERIE.

CORDE, (Méchaniq.) De la résistance des cordes. La résistance des cordes est fort considérable, & doit par toutes sortes de raisons entrer dans le calcul de la puissance des machines. M. Amontons remarque dans les mém. de l'académie royale des Sciences, 1699, qu'une corde est d'autant plus difficile à courber 1°. qu'elle est plus roide & plus tendue par le poids qu'elle porte : 2°. qu'elle est plus grosse : & 3°. qu'elle est plus courbée, c'est-à-dire qu'elle enveloppe un plus petit cylindre.

Il rapporte des expériences qu'il a faites pour s'assûrer des proportions dans lesquelles ces différentes résistances augmentent ; ces expériences apprennent que la roideur de la corde occasionnée par le poids qui la tire, augmente à proportion du poids, & que celle qui vient de l'épaisseur de la corde augmente à proportion de son diamêtre : enfin que celle qui vient de la petitesse des poulies autour desquelles elle doit être entortillée, est plus forte pour les petites circonférences que pour les grandes, quoiqu'elle n'augmente pas dans la même proportion que ces circonférences diminuent.

D'où il s'ensuit que la résistance des cordes dans une machine, étant estimée en livres, devient comme un nouveau fardeau qu'il faut ajoûter à celui que la machine devoit élever : & comme cette augmentation de poids rendra les cordes encore plus roides, il faudra de nouveau calculer cette augmentation de résistance. Ainsi on aura plusieurs sommes décroissantes, qu'il faudra ajoûter ensemble comme quand il s'agit du frottement, & qui peuvent se monter très-haut. Voyez FROTTEMENT.

En effet, lorsqu'on se sert de cordes dans une machine, il faut ajoûter ensemble toutes les résistances que leurs roideurs produisent, & toutes celles que le frottement occasionne ; ce qui augmentera si considérablement la difficulté du mouvement, qu'une puissance méchanique qui n'a besoin que d'un poids de 1500 liv. pour en élever un de 3000 liv. par le moyen d'une moufle simple, c'est-à-dire d'une poulie mobile & d'une poulie fixe, doit, selon M. Amontons, en avoir un de 3942 livres, à cause des frottemens & de la résistance des cordes.

Ce que nous venons de dire des poulies doit servir de regle dans l'usage des treuils, des cabestans, &c. & des autres machines pour lesquelles on se sert de cordes : si on négligeoit de compter leur roideur, ou tomberoit infailliblement dans des erreurs considérables, & le mécompte se trouveroit principalement dans les cas où il est très-important de ne se point tromper, je veux dire dans les grands effets ; car alors les cordes sont nécessairement fort grosses & fort tendues.

C'est d'après ce principe, qu'on examine dans les mémoires de l'académie de 1739, quelle est la meilleure maniere d'employer les seaux pour élever de l'eau. Car il est certain que de la maniere dont on les employe ordinairement, le poids de la corde s'ajoute à celui du seau ; de sorte que si le puits a 150 piés, par exemple, de profondeur, on aura un plus grand effort à faire au commencement de l'action ou de l'élevation du seau que vers la fin, parce qu'au commencement on aura à soûtenir le poids du seau, plus celui de toute la corde, qui, si elle pese deux livres par toise, en pesera 50 pour ce puits de 25 toises de profondeur ; augmentation très-considérable au poids du seau plein & sortant de l'eau, dont il aura peut-être puisé 24 livres. Il est vrai que cette premiere difficulté de l'élevation du seau ira toûjours en diminuant, & sera nulle au bord du puits ; mais en ce cas l'action de l'homme qui tirera le seau sera fort inégale ; & dans cette supposition il est impossible qu'il ne se fatigue pas trop, qu'il ne perde du tems, & qu'il ne fasse moins qu'il n'auroit pû, parce qu'il est presqu'impossible qu'il ne donne précisément que ce qu'il faudra de force pour surmonter à chaque instant la résistance décroissante du seau & de la corde. Il seroit plus avantageux & plus commode pour la puissance, d'avoir une machine qui réduisît à l'égalité une action inégale par elle-même, de sorte que l'on eût jamais à soûtenir que le même poids, ou à employer le même effort quoique la résistance de la corde fût toujours variable. Pour cela le seul moyen est, que quand le poids de la corde sera plus grand, ou ce qui est le même, quand il y aura plus de corde à tirer, la puissance agisse par un plus long bras de levier, plus long précisément à proportion de ce besoin, & par conséquent il faudra que les leviers soient toujours changeans & décroissans pendant toute l'élevation du seau. C'est pourquoi il faudra donner à la poulie dont on se servira, une forme pareille à-peu-près à celle des fusées des montres, qui sont construites sur le même principe, ou plûtôt il faudra que cette poulie soit comme un assemblage de plusieurs poulies concentriques & inégales : on peut voir sur cette matiere un plus grand détail dans l'hist. de l'acad. de 1739, p. 51.

Il s'ensuit de ce que nous avons dit sur la résistance des cordes, 1°. qu'on doit préférer autant que faire se peut les grandes poulies aux petites, non-seulement parce qu'ayant moins de tours à faire, leur axe a moins de frottement, mais encore parce que les cordes qui les entourent y souffrent une moindre courbure, & ont par conséquent moins de résistance. Cette considération est d'une si grande conséquence dans la pratique, qu'en évaluant la roideur de la corde selon la regle de M. Amontons, on voit clairement que, si on vouloit enlever un fardeau de 800 livres avec une corde de 20 lignes de diamêtre, & une poulie qui n'eût que 3 pouces, il faudroit augmenter la puissance de 212 livres pour vaincre la roideur de la corde, au lieu qu'avec une poulie d'un pié de diamêtre, cette résistance céderoit à un effort de 22 livres, toutes choses d'ailleurs égales.

On peut juger par-là que les poulies moufflées, c'est-à-dire les poulies multiples, ne peuvent jamais avoir tout l'effet qui devroit en résulter suivant la théorie. Car dans ces sortes de machines, les cordes ont plusieurs retours ; & quoique les puissances qui les tendent, chargent d'autant moins les axes qu'il y a plus de poulies, cependant comme il n'y a point de cordes parfaitement flexibles, on augmente leur résistance en multipliant les courbures.

Cet inconvénient, qui est commun à toutes les mouffles, est encore plus considérable dans celles où les poulies rangées les unes au-dessus des autres doivent être de plus en plus petites, pour donner lieu aux cordes de se mouvoir sans se toucher & se frotter. Car une corde a plus de peine à se plier quand elle enveloppe un cylindre d'un plus petit diamêtre. Ainsi les poulies moufflées, qui sont toutes de même grandeur, sont en général préférables aux autres.

Les cordes qui sont le plus en usage dans la méchanique, celles dont il s'agit principalement ici, sont des assemblages de fil que l'on tire des végétaux, comme le chanvre, ou du regne animal comme la soie, ou certains boyaux que l'on met en état d'être filés. Si ces fibres étoient assez longues par elles-mêmes, peut-être se contenteroit-on de les mettre ensemble, de les lier en forme de faisceaux sous une enveloppe commune. Cette maniere de composer les cordes eût peut-être paru la plus simple & la plus propre à leur conserver la flexibilité qui leur est si nécessaire ; mais comme toutes ces matieres n'ont qu'une longueur fort limitée, on a trouvé moyen de les prolonger en les filant, c'est-à-dire en les tortillant ensemble ; le frottement qui naît de cette sorte d'union est si considérable, qu'elles se cassent plûtôt que de se glisser l'une sur l'autre : c'est ainsi que se forment les premiers fils dont l'assemblage fait un cordon ; & de plusieurs de ces cordons réunis & tortillés ensemble, on compose les plus grosses cordes. On juge aisément que la qualité des matieres contribue beaucoup à la force des cordes ; on conçoit bien aussi qu'un plus grand nombre de cordons également gros, doit faire une corde plus difficile à rompre ; mais quelle est la maniere la plus avantageuse d'unir les fils ou les cordons ? Voyez là-dessus l'article CORDERIE.

Les cables & autres gros cordages que l'on employe, soit sur les vaisseaux, soit dans les bâtimens, étant toujours composés de plusieurs cordons, & ceux-ci d'une certaine quantité de fils unis ensemble, il est évident qu'on n'en doit point attendre toute la résistance dont ils seroient capables s'ils ne perdoient rien de leur force par le tortillement ; & cette considération est d'autant plus importante, que de cette résistance dépend souvent la vie d'un très-grand nombre d'hommes.

Mais si le tortillement des fils en général rend les cordes plus foibles, on les affoiblit d'autant plus qu'on les tord davantage ; il faut donc éviter avec soin de tordre trop les cordes.

Lorsqu'on a quelque grand effort à faire avec plusieurs cordes en même tems, on doit observer de les faire tirer le plus également qu'il est possible ; sans cela, il arrive souvent qu'elles cassent les unes après les autres, & mettent quelquefois la vie en danger. Voyez les leçons de Phys. expér. de M. l'abbé Nollet. (O)

CORDES, (Méchan.) De la tension des cordes. Si une corde A B est attachée à un point fixe B (figure 45. Méchaniq.), & tirée suivant sa longueur par une force ou puissance quelconque A, il est certain que cette corde souffrira une tension plus ou moins grande, selon que la puissance A qui la tire, sera plus ou moins grande. Il en est de même, si au lieu du point fixe B, on substitue une puissance égale & contraire à la puissance A ; il est certain que la corde sera d'autant plus tendue, que les puissances qui la tirent seront plus grandes. Mais voici une question qui a jusqu'ici fort embarrassé les Méchaniciens. On demande si une corde A B, attachée fixement en B & tendue par une puissance quelconque A, est tendue de la même maniere qu'elle le seroit, si au lieu du point fixe B, on substituoit une puissance égale & contraire à la puissance A. Plusieurs auteurs ont écrit sur cette question, que Borelli a le premier proposée. Je crois qu'on peut la résoudre facilement ; en regardant la corde tendue A B, comme un ressort dilaté dont les extrémités A, B, font également effort pour se rapprocher l'une de l'autre. Je suppose donc d'abord que la corde soit fixe en B, & qu'elle soit tendue par une puissance appliquée en A, dont l'effort soit équivalent à un poids de dix livres ; il est certain que le point A sera tiré suivant A D avec un effort de dix livres : & comme ce point A, par l'hypothese, est en repos ; il s'ensuit que par la résistance de la corde, il est tiré suivant A B avec une force de dix livres, & fait par conséquent un effort de dix livres pour se rapprocher du point B. Or le point B, par la nature du ressort, fait le même effort de dix livres suivant B A, pour se rapprocher du point A, & cet effort est soûtenu & anéanti par la résistance du point fixe B. Qu'on ôte maintenant le point fixe B, & qu'on y substitue une puissance égale & contraire à A ; je dis que la corde demeurera tendue de même : car l'effort de dix livres que fait le point B, suivant B A, sera soûtenu par un effort contraire de la puissance B suivant B C. La corde restera donc tendue, comme elle l'étoit auparavant : donc une corde A B, fixe en B, est tendue par une puissance appliquée en A, comme elle le seroit, si au lieu du point B, on substituoit une puissance égale & contraire à la puissance A. Voyez TENSION. (O)

CORDES, (Vibrations des) Méchaniq. Si une corde tendue A B (fig. 71. Méchanique), est frappée en quelqu'un de ses points par une puissance quelconque, elle s'éloignera jusqu'à une certaine distance de la situation A B, reviendra ensuite, & fera des vibrations comme un pendule qu'on tire de son point de repos. Les Géomêtres ont trouvé les lois de ces vibrations. On savoit depuis long-tems par l'expérience & par des raisonnemens assez vagues, que toutes choses d'ailleurs égales, plus une corde étoit tendue, plus ses vibrations étoient promtes ; qu'à égale tension, les cordes faisoient leurs vibrations plus ou moins promtement, en même raison qu'elles étoient moins ou plus longues ; de sorte que deux cordes, par exemple, étant de la même grosseur, également tendues, & leurs longueurs en raison de 1 à 2, la moins longue faisoit dans le même tems un nombre de vibrations double du nombre des vibrations de l'autre ; un nombre triple, si le rapport des longueurs étoit celui d'1 à 3, &c. M. Taylor célebre géomêtre Anglois, est le premier qui ait démontré les différentes lois des vibrations des cordes avec quelque exactitude, dans son savant ouvrage intitulé, methodus incrementorum directa & inversa, 1715 ; & ces mêmes lois ont été démontrées encore depuis par M. Jean Bernoulli dans le tome II. des mémoires de l'académie impériale de Petersbourg. On n'attend pas sans-doute de nous, que nous rapportions ici les théories de ces illustres auteurs, qu'on peut voir dans leurs ouvrages, & qui ne pourroient être à la portée que d'un très-petit nombre de personnes. Nous nous contenterons de donner la formule qui en résulte, & au moyen de laquelle tout homme tant soit peu initié dans le calcul, pourra connoître facilement les lois des vibrations d'une corde tendue.

Avant que d'exposer ici cette formule, il faut remarquer que la corde fait des vibrations en vertu de l'élasticité que sa tension lui donne. Cette élasticité fait qu'elle tend à revenir toûjours dans la situation rectiligne A B ; & quand elle est arrivée à cette situation rectiligne, le mouvement qu'elle a acquis, en y parvenant, la fait repasser de l'autre côté, précisément comme un pendule. V. PENDULE.

Or cette force d'élasticité peut toûjours être comparée à la force d'un poids, puisqu'on peut imaginer toûjours un poids qui donne à la corde la tension qu'elle a. Cela posé, si on nomme L la longueur de la corde, M la masse de la corde ou la quantité de sa matiere, P la force du ressort de la corde, ou plûtôt un poids qui représente la force avec laquelle la corde est tendue, D la longueur d'un pendule donné, par exemple, d'un pendule à secondes, p le rapport de la circonférence d'un cercle à son diamêtre, le nombre des vibrations faites par la corde durant une vibration du pendule donné D, sera exprimé par p .

De-là il s'ensuit, 1° que si les longueurs L, & les masses M de deux cordes sont égales, les nombres de leurs vibrations en tems égaux seront comme , ou (à cause que D est le même pour tous les deux) comme P, c'est-à-dire, comme les racines des nombres qui expriment le rapport des tensions. 2°. Que si les tensions P & les longueurs L sont égales, les nombres des vibrations en tems égal seront comme , c'est-à-dire en raison inverse des racines des masses, & par conséquent en raison inverse des diamêtres, si les cordes sont de la même matiere. 3°. Que si les tensions P sont les mêmes, & que les cordes soient de la même matiere & de la même grosseur, les nombres des vibrations en tems égaux seront en raison inverse des longueurs ; car ces nombres de vibrations seront alors comme ; or quand les cordes sont de même grosseur & de même matiere, les masses M sont comme les longueurs L, dont est alors comme , ou comme 1/ L.

Il est visible que l'on peut déduire de la formule générale p , autant de theoremes qu'on voudra sur les vibrations des cordes. Ceux que nous venons d'indiquer, suffisent pour montrer la route qui y conduit.

Les mêmes géomêtres dont nous avons parlé, ne se sont pas contentés de déterminer les vibrations de la corde tendue A B ; ils ont cherché aussi quelle est la figure que prend cette corde, en faisant ses vibrations ; & voici, selon eux, quelle est la nature de la courbe A C B que forme cette corde. Soit D le point de milieu de A B, C D la distance du point de milieu C de la corde au point B, dans un instant quelconque : ayant décrit le quart de cercle C E du rayon C D, soit pris par-tout F N à l'arc correspondant C M comme D B est à l'arc C E, le point N sera à la courbe C B ; desorte que la courbe A C B que forme la corde tendue, est une courbe connue par les Géomêtres sous le nom de courbe des arcs ou compagne de la cycloïde extrêmement allongée. Voy. COMPAGNE DE LA CYCLOÏDE & TROCHOÏDE.

MM. Taylor & Bernoulli ont déterminé cette courbe d'après la supposition que tous les points de la corde arrivent en même tems à la situation rectiligne A B. C'est ce que l'expérience paroît prouver, du moins autant qu'on peut en juger, en examinant des vibrations qui se font presque toûjours très-promtement. M. Taylor prétend même démontrer, sans le secours de l'expérience, que tous les points de la corde A C B doivent arriver en même tems dans la situation rectiligne A B. Mais dans une dissertation sur les vibrations des cordes tendues, imprimée parmi les mémoires de l'académie royale des Sciences de Prusse, pour l'année 1747, j'ai démontré que M. Taylor s'est trompé en cela, & j'ai fait voir de plus, 1° qu'en supposant que tous les points de la corde A C B arrivent en même tems à la situation rectiligne A B, la corde A C B peut prendre une infinité d'autres figures que celle d'une courbe des arcs allongée ; 2° qu'en ne supposant pas que tous les points arrivent en même tems à la situation rectiligne, on peut déterminer en général la courbure que doit avoir à chaque instant la corde A B, en faisant ses vibrations. Cependant il est bon de remarquer, ce que personne n'avoit encore fait, que quelque figure que prenne la corde A C B, en faisant ses vibrations, le nombre de ces vibrations dans un tems donné doit toûjours être le même, pourvû que ses points arrivent en même tems à la situation rectiligne ; c'est ce qu'on peut déduire fort aisément de la théorie dont nous venons de parler. Je crois donc avoir résolu le premier, d'une maniere générale, le problême de la figure que doit prendre une corde vibrante ; M. Euler l'a résolu après moi, en employant presque exactement la même méthode, avec cette différence seule que sa méthode semble un peu plus longue. V. les mém. de l'acad. de Berlin, 1748. Dans les mémoires de la même académie, pour l'année 1750, p. 355 & suiv. j'ai donné encore quelques recherches sur cette matiere, & observations sur le mémoire de M. Euler, & sur les vibrations des cordes. Nous y renvoyons nos lecteurs. (O)

CORDE DU TAMBOUR, (Anatomie) Voyez TYMPAN.

* CORDE NOUEE, (Hist. mod.) Les Chinois & d'autres peuples, comme les Peruviens, se sont servis de cordes noüées au lieu de caracteres. Chez les Chinois, le nombre des noeuds de chaque corde formoit un caractere, & l'assemblage des cordes tenoit lieu d'une espece de livre qui servoit à rappeller ou à fixer dans l'esprit des hommes le souvenir de choses qui sans cela s'en seroient effacées. Les Peruviens, lorsque les Espagnols conquirent leurs pays, avoient des cordes de différentes couleurs, chargées d'un nombre de noeuds plus ou moins grands, & diversement combinées entr'elles à l'aide desquelles ils écrivoient. Voyez CALCUL & ARITHMETIQUE.

CORDES DE DEFENSE, (Marine) ce sont des paquets de grosses cordes, ou bouts des vieux cables, qu'on fait pendre le long des côtés des chaloupes & autres petits bâtimens, pour rompre le choc & empêcher qu'ils ne se brisent contre de plus gros bâtimens. Voyez Pl. XVI. de Marine, fig. 4. cordes de défense, cotées R. (Z)

CORDE A FEU : les Artificiers appellent ainsi les meches de corde dont on se sert pour conserver longtems une petite quantité de feu, & en allumer dans le besoin. On donne aussi ce nom à une espece d'étoupille, qui porte le feu plus lentement que les autres.

CORDE A PUITS, en termes de Boutonnier ; c'est un enjolivement composé de deux brins de bouillon entortillés autour l'un de l'autre, qui se place sur différentes parties du bouton, selon sa figure & la volonté de l'ouvrier. Voyez BOUILLON.

CORDE, (Comm.) c'est ainsi qu'on nomme les chapelets de verroteries enfilées, qu'on envoye au Sénégal & autres côtes d'Afrique.

* CORDE, (Manuf. d'étoffes) se dit en général du tissu de toute étoffe, lorsqu'il est dépouillé du velouté qui fait sa beauté, & auquel on reconnoît qu'il est neuf ; mais sur-tout des étoffes de laine, lorsque le lainage est entierement perdu.

CORDE, (Gazier) Le gazier ayant à-peu-près le même métier que l'ouvrier en soie, a presque les mêmes cordes Voyez ci-après CORDES (Manufact. en soie).

CORDE DU ROULEAU, (Imprimerie) La corde du rouleau d'une presse d'Imprimerie, est une corde à quatre brins d'environ un pouce de diamêtre, qui sert à mouvoir le train. Il y en a ordinairement deux, celle de devant & celle de derriere. Celle de devant, après avoir fait deux tours & demi ou trois tours sur le rouleau où elle est arrêtée par une de ses extrémités, va se terminer à la partie antérieure du coffre, où son autre extrémité est arrêtée à un petit piton de fer qui s'y trouve : elle sert à faire dérouler le train, c'est-à-dire à le faire revenir de dessous la platine. Celle de derriere ne fait qu'un demi-tour sur le rouleau, passe au-travers de la table, & va passer & est arrêtée sur un autre petit rouleau qui est dessous le chevalet qui soûtient le tympan : cette corde fait rouler le train, c'est-à-dire le fait avancer sous la platine. Voyez nos planches d'Imprimerie.

Les cordes employées dans les machines, ont presque toutes leurs noms pris de leur fonction, ou des parties de la machine, ou de leur grosseur. Nous avons cru qu'au lieu d'en grossir cet article, il falloit mieux les renvoyer aux machines auxquelles elles appartiennent.

CORDE : on appelle ainsi, en terme de Manege, la grande longe qu'on tient autour du pilier où le cheval est attaché pour le dégourdir, le dénouer, lui assouplir le corps, lui apprendre à fuir la chambriere, à ne pas galoper à faux ni desuni, & pour le faire manier. Dans les maneges qui n'ont point de piliers, un homme tient le bout de la corde, & se met au milieu du terrein.

On appelle aussi les cordes des deux piliers, les longes du cavesson, lorsque le cheval travaille entre deux piliers ; & on dit qu'on le fait donner dans les cordes, afin que la contrainte du cavesson lui fasse plier les hanches, lui apprenne à se soutenir dessus, & à lever le devant, pour le dresser par-là à être bon sauteur. Voyez SAUTEUR.

On dit aussi des chevaux qu'ils font la corde, pour dire que par la respiration ils retirent la peau du ventre à eux au défaut des côtes. On dit encore que les chevaux ont une corde de farcin, quand ils en ont plusieurs boutons de suite qui forment comme une corde. (V)

CORDE A SAIGNER, en termes de Maréchallerie, est une petite corde qui sert à serrer le cou du cheval lorsqu'on le saigne. (V)

CORDE, terme de jeu de Paume, c'est une grosse corde qu'on attache en travers des deux côtés d'un jeu de paume, précisement dans le milieu de sa longueur, & à environ quatre piés de hauteur. La corde baisse toûjours vers le milieu de sa longueur, à cause de son poids. Depuis la corde jusqu'à terre est attaché un filet ou rézeau de ficelle, pour arrêter les balles qu'on y jette. Les joueurs qui ne font pas passer la balle par-dessus la corde, perdent un quinze. Voyez PAUME.

CORDE, au jeu de Billard, ce sont deux clous attachés sur les bandes des côtés, en deçà desquels le joüeur qui commence à joüer doit placer sa bille.

CORDES, (Relieur) ficelles de différentes grosseurs, dont ces ouvriers se servent pour faire les nervures des livres. Les livres étant de différens formats, il faut que les nervures soient différentes & les cordes aussi.

CORDE A ENCORDER, est une corde double dont le bout porte un petit vergeon, qui entre dans l'entaille de l'ensuple de devant ; de-là cette corde passe sur le rouleau de la poitriniere, ensuite sur le chevalet, & se termine par un autre vergeon qui passe au travers du bout de la chaîne. L'usage de cette corde est d'amener l'ouvrage que l'on va commencer sur l'ensuple de devant : la corde à encorder sert encore aux ensuples de derriere. Lorsque la chaîne est finie, c'est-à-dire que le vergeon se trouve arrêté par les brasselets de l'ensuple ; alors on ôte ce vergeon de son entaille, sans le dépasser de dedans les soies qu'il porte ; on passe les boucles de la corde à encorder dans les deux bouts du vergeon ; le vergeon propre de la corde à encorder se met dans l'entaille de l'ensuple qui enroule cette corde : par ce moyen la soie de la chaîne est employée jusqu'auprès des lisses, & il n'y en a qu'un petit bout de perdu que l'on appelle pêne. Voyez PENE.

* CORDE, (Manufact. en soie) Il y en a de plusieurs sortes. Voici les principales.

La corde encordée, grosse corde qui se roule double sur l'ensuple de derriere, dont les deux bouts sont bouclés, afin d'y passer un bois garni de crochets qui arrêtent & retiennent le composteur sur lequel sont enfilées les portées de la chaîne, pour fixer la soie autant près du corps que la tire peut le permettre. Ainsi la corde encordée de ces ouvriers, est la même que la corde à encorder des Rubaniers. Voyez l'article précédent, & l'article VELOURS.

La corde de calqueron est assez grosse ; elle sert à faire lever les lisses du fond, & à rabattre les autres. Voyez CALQUERON.

La corde de jointe est celle dans laquelle sont enfilés les canons de la jointe. Voyez JOINTE.

Corde de gavassine, voyez GAVASSINE.

Corde de gavassiniere, corde dans laquelle sont enfilées les gavassinieres. Voyez GAVASSINIERE.

Corde de rame, corde de fil à trois bouts, plus grosse que celle de semple, au bout de laquelle, au-dessous des poulies du cassin où elle est passée, est attachée l'arcade.

Corde de roüet : il y a celle des roüets à canettes, à devider, &c.

Corde de semple, corde de fil à trois bouts, dont le semple est composé. Voyez SEMPLE.

Corde de boyau pour l'ourdissoir ; elle se roule & se déroule de dessus une branche de fer posée à l'arbre de l'ourdissoir, pour faire monter ou descendre le plot qui conduit les fils de la cantre, selon que la broche fixe qui tourne perpendiculairement se meut sur elle même, ou de droite à gauche, ou de gauche à droite. Voyez OURDIR & OURDISSOIR.

Corde de valet, grosse corde arrêtée par un bout & d'un côté au pié de derriere du métier, autour duquel elle se roule trois ou quatre fois, ainsi que dans la moulure de l'ensuple, & dont l'autre bout est arrêté au valet de l'ensuple, afin de tenir la chaîne tendue.

Cordes de trop, cordes de semples qui n'étant pas suffisamment tendues, passent dans les entrelassemens du fil qui forme le lac où elles ne se doivent point trouver, sont prises avec celles qui composent la figure, & causent un défaut à l'étoffe.

Cordes qui suivent, cordes qui ne doivent point être tirées, mais qui le sont, parce qu'elles s'accrochent avec celles qu'on tire : cet inconvénient arrive sur-tout, quand le lac est composé d'un nombre considérable de cordes.

Corde de l'ourdissoir : outre celle dont nous avons parlé, il y en a encore une qui passe dans la cavité de la roue, qui enveloppe la cage de l'ourdissoir & lui donne le mouvement dans les barres fixes : lorsque la corde est trop tendue, on la place sur une cavité de la roue, où le diamêtre est moins grand ; & quand elle ne l'est pas assez, on la place sur une cavité où le diamêtre est plus grand. Voyez OURDISSOIR.

CORDE, (Comm.) tabac en corde, est fait de feuilles un peu humectées d'eau de mer, & tordues ensemble, ou filées au roüet : le fil très-long qui en provient, se dévide sur un bâton pour en faire ensuite un rouleau.

CORDE SANS FIN, est la corde qui entoure la roue des Tourneurs, Couteliers, & la poulie qui est montée sur l'arbre, par le moyen de laquelle on fait tourner l'ouvrage. Voyez les planches du Tourneur.

On l'appelle corde sans fin, à cause que les deux bouts sont joints ensemble ou épissés, comme les Cordiers épissent ensemble deux pieces de cables. Voyez CORDERIE.

* CORDE, instrument de Pêche : il y en a de petites & de grosses ; elles ont les unes & les autres à leur extremité un ain ou hameçon. Les grosses servent à prendre de gros poissons, comme morues, turbots, raies, &c. Pour cet effet, les pêcheurs amarrent au bout d'une corde d'un pié de long une torche de paille, qu'ils enfoüissent dans le sable ; ils en frappent à l'autre bout une plus legere longue de trois piés, au bout de laquelle est un gros ain de fer, garni de son appas. Ils tendent ces pieces où bon leur semble : la marée venant à monter, amene avec elle des poissons qui mordent aux appas qui couvrent les hameçons, y restent attachés, demeurent à sec sur le sable quand la marée se retire, & sont ramassés par les pêcheurs. Les petites cordes différent de celles-ci en ce qu'elles sont toutes fixées sur une grande corde, qu'on amare par deux torches d'herbe ou de paille à son extrêmité, & de quelques autres dispersées sur la longueur de distance en distance ; on enfoüit toutes ces torches dans le sable. Les ains dont les cordelettes sont garnies étant très-petits, il ne s'y prend que de petits poissons, ceux qui n'ont pas la force d'entraîner les torches enfoüies, & rompre la cordelette. On fait aussi la pêche des cordes en mer ; mais elles sont amarrées à des chaloupes, d'où elles descendent dans les eaux : en ce cas elles ne different guere du libouret. Voyez LIBOURET SIMPLE. Les petites cordes de cette espece prennent des soles, des merlans, des limandes, &c. En été, les ains ou hameçons sont amorcés de vers ; en hyver de crabes, chevrettes, & autres qu'on prend à la chausse. Il y a des endroits où l'on tend des petites cordes sur des piquets, le long des rivages, au moyen de la longue corde sur laquelle elles sont frappées. On a recours à cet expédient pour empêcher, dans les chaleurs sur-tout, le crabe de manger le poisson pris, avant qu'on ait eu le tems de le relever. Il y a d'autres cordes qu'on nomme dans l'amirauté de Saint-Brieux, trajets ou cordées ; elles se tendent à pié à la basse eau, & ne different des autres que dans la maniere de les tendre. On les dispose en-travers de la marée montante ; & quand le pêcheur imagine que le poisson a mordu l'ain dont chaque pile est garni, il releve les trajets en les halant par le bout de la ligne qu'il a mise à terre, & empêche ainsi les crabes & araignées de s'y jetter. Les lignes des pêcheurs du Croisic, dans l'amirauté de Nantes, sont armés autrement que celles des pêcheurs du canal : leurs lignes ont depuis trente jusqu'à quarante brasses de long ; au bout est frappé un morceau de plomb, que les pêcheurs nomment calle, parce qu'il fait tomber la ligne ; il pese environ une livre & demie ; il a la forme du corps d'une petite chaloupe haute à l'arriere, & obtuse par-devant, ensorte que la grande épaisseur du plomb est à l'arriere ; un petit organeau de cordage passe dans le petit bout, & est frappé sur la ligne qui a trente-six à quarante brasses de long. Sur cette ligne, au-dessus du plomb, à environ une brasse, est frappé l'hameçon sur une pile, échampeau, ou coublette, de trois quarts de brasse au plus ; à l'autre organeau qui est au gros bout du plomb, sont frappées deux autres coublettes, armées d'un ain chacune ; de ces coublettes, l'une a seulement demie-brasse de long, & l'autre brasse, afin que ces hameçons étant de longueurs inégales, le poisson puisse les rencontrer plus facilement. Les petites lignes à doubles ains sont montées en libouret, avec un plomb d'environ une demie-livre ou trois quarterons, afin qu'elles calent ; la pile amarrée au-dessus du plomb est double, avec un ain ou claveau.

Les cordes ou lignes de pié à pile, en usage dans l'amirauté de Boulogne, sont des especes de lignes qui se tendent sur les sables qui bordent le pié des falaises. Chaque piece de lignes est de cinquante à soixante brasses de longueur. Les piles ou ficelles qui tiennent les hameçons, sont frappées sur le bauffe ou la grosse ligne, de distance en distance ; chaque pile est chargée d'un petit corceron ou flotteron de liége. Les pêcheurs étendent ces lignes de toute leur longueur sur les sables, où ils enfouissent le bauffe ou la grosse ligne, d'environ trois pouces : ainsi la marée qui survient souleve les piles, & fait voltiger les appas. Dans les tems chauds où la côte est couverte de bourbe & d'araignées, cette pêche cesse, les araignées s'attachant aux poissons pris.

Dans le ressort de l'amirauté de Poitou, ou des sables d'Olone, les pêcheurs font des lignes avec lesquelles ils font la pêche des chiens de mer, plies, claires, posteaux, & autres gros poissons. Ils n'employent les petites qu'à la pêche des moindres especes : mais les vases empêchant les pêcheurs du Poitou d'étendre leurs hameçons de plat en cordées ou trajets, comme font les pêcheurs Bretons, ils soûtiennent les pieces de leurs applets de 30 brasses de long ; & les ains en sont frappés de brasse en brasse avec des perches par les bouts, pour que la boîte ou l'appié flotte à la marée, & que les poissons qui s'y prennent ne traînent pas de basse-mer sur vases où ils seroient attaqués aussi-tôt par les araignées & les chancres. Cette précaution est surtout nécessaire pour la pêche des poissons qui se prennent aux plus petits ains.

Les gros tems qui empêchent les pêcheurs de sortir du port, rendant impossible l'usage des cordes en mer, ceux de l'amirauté du Bougd'ault se sont avisés, pour ne pas perdre leurs appas, de tendre en cordes ou lignes de pié, à la côte & sur les greves qui bordent le rivage.

Dans le ressort de l'amirauté de Saint-Brieux, on appelle arroüelles les cordes, lignes, ou trajets de piés.

CORDE DE BOIS, (Marchand de bois) certaine quantité de bois à brûler, ainsi appellée parce qu'autrefois on la mesuroit avec une corde. Voyez MESURE.

Ce bois doit avoir quatre piés de long : on le mesure présentement entre deux membrures de quatre piés de haut, éloignées l'une de l'autre de huit.


CORDÉadj. (Jardin) on dit qu'une rave ou une poire est cordée, quand elle est devenue creuse, molle, & que ses fibres sont dures comme du bois ; le goût alors en est insipide. (K)

CORDE, adj. terme de Blason. Quelques auteurs prétendent qu'on entend par croix cordée, une croix entortillée de cordes, quoique d'autres, avec plus de vraisemblance, veulent que ce soit une croix faite de deux morceaux de cordes. Voyez CROIX.

Ce mot se dit aussi des luths, harpes, violons & autres instrumens semblables, aussi-bien que des arcs à tirer, lorsque leurs cordes sont de différent émail. Arpajou en Rouergue, d'azur à une harpe cordée d'or. Voyez Chambers & Trevoux. (V)


CORDEAUS. m. (Charpent.) est une petite corde faite avec du fil fin, & qu'on nomme communément foüet, dont se servent les charpentiers pour aligner leurs pieces de bois, & pour marquer dessus des lignes blanches pour les tracer.

Les Jardiniers ont aussi leurs cordeaux : c'est une espece de compas dont deux piquets de bois ou plantoirs, l'un placé à l'un des bouts & l'autre fixé à l'autre bout, font la fonction de pointes. Fichés tous les deux en terre, ils dirigent le Jardinier quand il veut planter en ligne droite. Si l'on fiche l'un, on peut décrire un arc de cercle ou un cercle entier sur la terre avec l'autre, & un grand nombre d'autres figures.

Les Architectes, les Arpenteurs, se servent du même instrument.

CORDEAUX, (Manufact. en laine) especes de lisieres faites à certaines étoffes de la laine la plus basse. On les nomme cordeaux de leur façon, qui leur donne de la ressemblance avec une corde.


CORDÉEadj. en Medecine, se dit d'une inflammation & contraction du fraenum & de la partie du penis qui est en-dessous, laquelle rend l'érection douloureuse.

Elle arrive dans les gonorrhées, & est plus ou moins violente, à proportion que la gonorrhée est plus ou moins virulente. Elle fait quelquefois beaucoup souffrir. Voyez GONORRHEE & CHAUDEPISSE.

Elle procede de l'acrimonie de la matiere qui descend de l'uretre, laquelle irrite le dessous de la verge ; ce qui fait que le penis, & singulierement le fraenum, est fortement tiré en embas dans l'érection. Quand l'acrimonie est considérable, elle cause quelquefois des érections non-naturelles, ou le symptome appellé priapisme, Voyez PRIAPISME.

Si le symptome est violent, & que dans une gonorrhée il soit plus opiniâtre que les autres, on donnera avec succès un émétique de turbith minéral, lequel opérera une révulsion.

Les saignées, les délayans & adoucissans, tels que le petit-lait, les émulsions anodynes, &c. les cataplasmes émolliens, & les fomentations de même vertu, operent efficacement le calme si desiré dans cette maladie. (Y)


CORDELATS. m. (Drap.) étoffe qui se fabrique en plusieurs endroits, à Ausch en Auvergne, à Langogne, en Languedoc, à Romorentin, en Rouergue, dans les vallées d'Aure, à Montauban, Nebousan, pays de Foix, &c. elle varie dans sa longueur, largeur & fabrication, selon les endroits. En Languedoc elle doit avoir, quand elle est étroite, vingt-huit portées de trente-deux fils chacune, passées dans des lames & rots de quatre pans mesure de Montpellier, ou cinq sixiemes d'aulne mesure-de Paris, pour revenir du foulon à la largeur de demi-aulne prise entre les lisieres. Quand elle est large, elle a trente-quatre portées de trente-deux fils chacune, passées dans des lames & rots de cinq pans de largeur mesure de Montpellier, ou une aulne un vingt-quatrieme mesure de Paris, pour revenir du foulon à demi-aulne demi-quart, de la derniere mesure entre les deux lisieres. Les cordelats appellés redins ont trente-quatre portées de trente-deux fils chacune, & sont passées dans des lames & rots de cinq pans de largeur mesure de Montpellier, pour revenir au retour du foulon, à demi-aulne demi-quart, les lisieres comprises. Les cordelats qui se fabriquent dans les autres manufactures, sont assujettis aux mêmes regles. Il est permis de les teindre au petit teint. Les cordelats de Montauban, tant blancs que mêlés, doivent avoir, selon les reglemens, quarante-quatre portées de quarante fils chacune, passées dans des peignes appellés dix-huit, de quatre pans trois quarts ou cinq sixiemes & demi-aulne de large, pour avoir au sortir du métier quatre pans un quart ou cinq sixiemes d'aulne ; & au retour du foulon, trois pans ou demi-aulne & un douzieme de large. Et lorsque les chaînes seront filées plus grosses, on les pourra fabriquer à quarante-une portées & demie de quarante fils chacune, dans les peignes appellés dix-sept, leur conservant toutefois les largeurs ordonnées, tant au sortir du métier qu'au retour du foulon. Les cordelats de Romorentin ont cinquante-six portées de trente deux fils chacune, & trente-deux aulnes d'attache de long, dans des lames & rots d'une aulne & demi-quart y compris les lisieres, pour être au sortir du foulon d'une aulne de large, & de vingt-une à vingt-deux aulnes de long. Il est permis au Nebouzan, pays de Foix, &c. de leur donner telle longueur qu'ils voudront ; pourvû qu'ils ayent de large deux pans un tiers mesure du pays. Voyez les reglem. des manufact.


CORDELERv. n. (Drap.) voyez l'art. DRAP ou DRAPERIE.


CORDELIadj. (Verrerie) épithete que l'on donne au verre, lorsque le four étant un peu froid, il y aura dans le pot une partie de verre qui deviendra plus dure que l'autre, & qu'ayant pris avec la canne de l'une & de l'autre en cueillant, on en aura soufflé une piece dans laquelle on appercevra comme de la ficelle, tantôt grosse, tantôt menue. Comme ces traces sont d'une qualité différente du reste de l'ouvrage, elles le feront casser : elles sont à-peu-près de la nature des larmes qui tombent de la couronne du four dans les pots, & qu'il en faut soigneusement ôter.


CORDELIERS. m. (Hist. ecclésiast.) religieux de l'ordre de S. François d'Assise, institué vers le commencement du xiij. siecle. Les Cordeliers sont habillés d'un gros drap gris : ils ont un petit capuce ou chaperon, un manteau de la même étoffe, & une ceinture de corde noüée de trois noeuds, d'où leur vient le nom de Cordeliers. Ils s'appelloient auparavant pauvres mineurs, nom qu'ils changerent pour celui de freres mineurs ; ce pauvre leur déplut. Ils sont cependant les premiers qui ayent renoncé à la propriété de toutes possessions temporelles. Ils peuvent être membres de la faculté de Théologie de Paris. Plusieurs ont été évêques, cardinaux, & même papes. Ils ont eu de grands hommes en plusieurs genres, à la tête desquels on peut nommer le frere Bacon,célebre par les persécutions qu'il essuya dans son ordre, & par les découvertes qu'il fit dans un siecle de ténebres. Voyez l'article CHYMIE. Quoique cet ordre n'ait pas eu en tout tems un nombre égal de noms illustres, il n'a cessé dans aucun de servir utilement l'Eglise & la société ; & il se distingue singulierement aujourd'hui par le savoir, les moeurs, & la réputation. Voyez CAPUCHON.


CORDELIERES. f. (Hist. ecclés.) religieuse du même ordre que les Cordeliers, & portant aussi la ceinture de corde noüée.

CORDELIERE, sub. f. en Architecture, est un petit ornement taillé en forme de corde sur les baguettes.

CORDELIERE, terme de Boutonnier, est une espece de pilier fait de plusieurs rangs de bouillons coupés de la même longueur, qui soûtient des amandes ou autres ornemens de boutons. Tous ces rangs sont égaux, & attachés l'un au-dessus de l'autre avec une soie de grenade cirée. Voyez BOUILLON & AMANDE. Les cordelieres sont le plus souvent appuyées d'un U double. Voyez U DOUBLE.

* CORDELIERES, (Manufact. en drap) ce sont des serges qui ont vingt-deux aulnes de longueur en toile, avec pouce & aulne, & trois quartiers un pouce de largeur, pour être au sortir du pot, & avant que d'être étendues, de vingt aulnes & un quart de long, & de demi-aulne & demi-quart de large. Ailleurs on les ordonne de trois quarts un pouce de large, & de vingt-trois aulnes de long, à soixante-douze portées au moins, trois quarts un pouce de large en toile, & vingt-deux aulnes de long. V. les reg. des Manuf.

CORDELIERE, dans la pratique de l'Imprimerie, s'entend d'un petit rang de vignettes de fonte qui se mettent au haut d'une page, & dont on forme un cadre pour l'entourer : on ne s'en sert aujourd'hui que pour entourer des enseignes de marchands, des avis aux ames dévotes, & autres bilboquets. On met aux éditions recherchées des filets ou reglets fondus d'une piece, simples, doubles, ou triples. Voyez BILBOQUET.

CORDELIERE : on appelle ainsi, en termes de Blason, un petit filet plein de noeuds que les veuves & les filles mettent en forme de cordon autour de l'écu de leurs armes.

CORDELIERE DES ANDES, (Géog. mod.) ou simplement CORDELIERE, que d'autres appellent improprement la Cordiliere ou les Cordilieres, est le nom que l'on donne à une haute chaîne de montagnes du Pérou, dont M. Bouguer nous a donné une description circonstanciée dans la premiere partie de son ouvrage sur la figure de la terre. Voici un extrait fort abregé de cette description.

M. Bouguer, après avoir décrit la partie du Pérou comprise entre la mer & la Cordeliere, observe d'abord que, presque toutes les rivieres qui découlent de la Cordeliere dans la mer du sud, sont des torrens impétueux. L'auteur, après avoir marché & monté avec beaucoup de peine durant plusieurs jours, & traversé non sans danger quelques-uns de ces torrens, arriva au pié d'une haute montagne nommée Chimboraço, qui est une de celles de la Cordeliere. Voyez ATTRACTION DES MONTAGNES. Au pié de cette montagne il se trouvoit déjà au-dessus des nuages, dans une région où il ne pleut jamais. Parvenu en haut, il voulut descendre, & fut bien étonné de trouver de l'autre côté un pays doux, agréable, & tempéré, bien différent de celui qu'il quittoit. La Cordeliere est proprement composée, dans sa plus grande partie, de deux chaînes de montagnes paralleles, entre lesquelles est une vallée qui pourroit elle-même passer pour une montagne, étant fort élevée au-dessus du niveau de la mer. C'est dans cette vallée qu'est située Quito, & la plus grande partie de sa province ; l'élevation du sol, jointe au voisinage des montagnes couvertes de neige, & à l'égalité des jours & des nuits pendant toute l'année, fait que le climat y est tempéré, & qu'on y joüit d'un printems perpétuel. Le thermometre de M. de Réaumur s'y maintient entre quatorze à quinze degrés. Quito est au pié d'une montagne nommée Pichincha, où on monte à cheval fort haut. Le pié de la plûpart des montagnes est une terre argilleuse, qui produit des herbes, & le sommet n'est qu'un monceau de pierres.

Le froid, sur Pichincha & sur les autres montagnes, est extrême ; on y est continuellement dans les nuages ; le ciel y change trois ou quatre fois en une demi-heure, & le thermometre y varie quelquefois de dix-sept degrés en un jour. Le mercure s'y soûtient à seize pouces une ligne, & à vingt-huit pouces une ligne au niveau de la mer. On voit quelquefois son ombre projettée sur les nuages dont on est environné, & la tête de l'ombre est ornée d'une espece de gloire formée de plusieurs cercles concentriques, avec les couleurs du premier arc-en-ciel, le rouge en-dehors. Voyez ARC-EN-CIEL.

La hauteur du sommet pierreux de Pichincha, qui est 2434 toises au-dessus du niveau de la mer, est à-peu-près celle du terme inférieur constant de la neige dans toutes les montagnes de la zone torride. Nous disons constant ; car la neige se trouve quelquefois 900 toises au-dessous. Quelques montagnes sont plus basses que ce terme, d'autres sont plus hautes ; & on ne peut les escalader, parce que la neige se convertit en glace. La neige se fond néanmoins plus haut, dans les montagnes qui produisent des volcans. Voyez VOLCAN. Cette ligne du terme inférieur constant de la neige est plus basse, comme cela doit être, plus loin de l'équateur, par exemple, au pic de Ténerif, elle n'est élevée que de 2100 toises. M. Bouguer observe qu'il devroit y avoir aussi un terme constant supérieur, s'il y avoit des montagnes assez hautes pour que les nuages ne passassent jamais qu'à une certaine distance au bas de leur sommet ; mais nous ne connoissons point de telles montagnes.

Dans tous les endroits élevés de la Cordeliere, lorsqu'on passe de l'ombre au soleil, on ressent une plus grande différence qu'ici pendant nos plus beaux jours dans la température de l'air : c'est que sur ces hautes montagnes desertes & couvertes de neige, & où l'air est plus rare, la chaleur vient principalement de l'action directe & immédiate du soleil ? au lieu que dans la partie inférieure de la terre, elle tient à plusieurs autres causes. Voyez CHALEUR.

MM. Bouguer & de la Condamine sont montés sur. Pichincha au-dessus du terme constant de la neige, à 2476 toises de hauteur ; le barometre y étoit à 15 pouces 9 lignes, c'est-à-dire plus de 12 pouces plus bas qu'au bord de la mer : jamais on n'a porté de barometre aussi haut.

La chaîne occidentale de la Cordeliere contient beaucoup d'or, de même que le pié de l'oriental. Les montagnes des environs de Quito paroissent contenir peu de parties métalliques, quoiqu'on y trouve quelquefois de l'or en paillettes. Voyez un plus long détail dans l'ouvrage cité de M. Bouguer ; voyez aussi la relation de M. de la Condamine sur le même sujet dans son journal historique. (O)


CORDELINES. f. (Manufact. en soie) fils de soie ou de fleuret servant de lisiere à l'étoffe.

* CORDELINE, (Verrer.) On donne ce nom dans les verreries à bouteilles, à une petite tringle de fer d'environ quatre piés huit pouces de long, que l'ouvrier prend d'une main, & qu'il trempe chaude dans le pot, pour en tirer de quoi faire la cordeline qui entoure l'embouchure de la bouteille ; ce qui se fait en attachant l'espece de mamelon qui pend, & tournant en même tems l'instrument de la main gauche.

CORDELLE, s. f. (Marine) terme de marine dont on se sert pour signifier une corde de moyenne grosseur dont on se sert pour haler un vaisseau d'un lieu à un autre ; par exemple, dans la Charente on hale les vaisseaux à la cordelle.

On donne encore ce nom à la corde qui sert à conduire la chaloupe d'un navire qui est dans le port, de terre à ce navire. (Z)


CORDERv. act. (Comm.) C'est affermir l'enveloppe d'un ballot, les dessus d'une caisse, en les entourant d'une corde serrée au bâton.

CORDER, terme de Marchands de bois ; c'est le mesurer à la corde ou à la membrure. Voyez CORDE & MEMBRURE.

CORDER, en terme de Vergettier ; c'est noüer & entrelacer les cordes à boyau d'une raquette les unes dans les autres, pour en faire une espece de treillis.


CORDERIEsubst. fémin. (Marine) C'est le nom que l'on donne à un grand bâtiment couvert fort long & peu large, destiné dans un arsenal de marine pour filer les cables & cordages nécessaires pour les vaisseaux du Roi. Voyez Pl. VII. part. 3. n. 6. le plan d'une corderie de 200 toises de long sur 8 toises de large. (Z)

* CORDERIE, (Ord. encyclop. Entend. Mémoire, Hist. de la nat. Hist. de la nat. employée. Arts méchan. Cord.) C'est l'art de faire des cordes. Une corde est un composé long, cylindrique, plus ou moins flexible, ou de lin, ou de laine, ou de coton, ou de roseau, ou d'écorce de tilleul, ou de soie, ou de chanvre, ou de cheveux, ou d'autres matieres semblables, tortillées ou simplement, ou en plusieurs doubles sur elles-mêmes. Si la portion de matiere tortillée simplement sur elle-même est menue, elle prend le nom de fil, voyez FIL. Il y a encore des cordes de boyau, de léton, de cuivre, de fer, &c. mais il semble qu'on ne leur ait donné ce nom que par la ressemblance qu'elles ont pour la flexibilité, la forme, & même l'usage, avec celles de chanvre. Les cordes de chanvre sont les seules qui se fabriquent dans les corderies. Voyez à l'art. BOYAUDIER, la maniere de faire les cordes à boyau ; à l'article TRIFILERIE ou GROSSES FORGES, la fabrication des fils de fer ; à l'article CUIVRE ou LETON, celles des cordes de léton. Nous avons laissé à l'article CHANVRE cette matiere toute prête à passer entre les mains du cordier. Nous allons la reprendre ici, la transporter dans l'attelier des fileurs, & de cet attelier dans celui des commetteurs, jusqu'à ce que nous en ayons formé des cordes de toute espece.

Des fileurs. Les filamens de chanvre qui forment le premier brin, n'ont que deux ou trois piés de longueur ; ainsi pour faire une corde fort longue, il faut placer un grand nombre de ces filamens les uns au bout des autres, & les assembler de maniere qu'ils rompent plûtôt que de se desunir, c'est la propriété principale de la corde ; & qu'ils résistent le plus qu'il est possible à la rupture, c'est la propriété distinctive d'une corde bien faite. Pour assembler les filamens, on les tord les uns sur les autres, de maniere que l'extrémité d'une portion non assemblée excede toûjours un peu l'extrémité de la portion déjà tortillée. Si l'on se proposoit de faire ainsi une grosse corde, on voit qu'il seroit difficile de la filer également, (car cette maniere d'assembler les filamens s'appelle filer), & que rien n'empêcheroit la matiere filée de cette façon, de se détortiller en grande partie ; c'est pourquoi on fait les grosses cordes de petits cordons de chanvre tortillés les uns avec les autres ; & l'on prépare ces cordons, qu'on appelle fil de carret, en assemblant les filamens de chanvre, comme nous venons de l'insinuer plus haut, & comme nous allons ci-après l'expliquer plus en détail.

L'endroit où se fait le fil de carret, s'appelle la filerie. Il y a des fileries de deux especes, de couvertes & de découvertes. Celles-ci sont en plein air sur des remparts de ville, dans des fossés, dans les champs, &c. Celles-là sont des galeries qui ont jusqu'à 1200 piés de long sur 28 de large, & 8 à 9 de haut.

Il est évident qu'on ne laisse pas les instrumens dans les fileries découvertes ; les marchands qui y travaillent sont donc obligés de les avoir portatifs. Leur roüet, tel qu'on le voit à la Pl. II. est composé d'une roüe, de montans qui la soûtiennent, d'une grosse piece de bois qui sert d'empâtement à toute la machine, & de montans qui soûtiennent des traverses à coulisses, dans lesquelles la planchette est reçûe ; de façon qu'on peut tendre ou détendre la corde à boyau qui passe sur la roüe, en rapprochant ou éloignant la planchette qui porte les molettes qu'on voit à terre détachées en a b c. a est un morceau de bois qui sert à attacher la molette à la planchette par de petits coins. b est la broche de fer de la molette ; elle est recourbée par un bout, l'autre traverse le morceau de bois a ; & rivé en a sur une plaque de fer, il peut tourner sur lui-même. c est une petite poulie fixée sur la broche ; la corde de boyau passe sur cette poulie, & la fait tourner avec la broche. Les molettes sont toûjours disposées sur la planche, de maniere qu'une seule corde de boyau peut les faire tourner toutes à la fois. Ce seroit une chose à examiner, si cette disposition n'est pas telle en plusieurs cas, qu'une des molettes tournant plus vîte qu'une des autres, les fils qui en partent ne sont pas également tords.

Les roüets des corderies de roi sont différens ; ils sont plus solides, & ils servent en même tems à onze ouvriers. Le poteau a est fortement assujetti au plancher de la filerie ; il soûtient la roüe l. A la partie supérieure du poteau, au-dessus de l'essieu de la roüe, est une rainure où entre la piece de bois b, que les liens c, c retiennent, & à laquelle est attachée la piece e, qu'on appelle la croisille. La croisille porte les molettes ou cubes m, m, au nombre de sept ou onze. La même corde les fait tourner toutes disposées circulairement. La piece b est assemblée à coulisse avec le poteau a, pour qu'on puisse tendre ou détendre, à discrétion, la corde de boyau qui passe de dessus la roüe sur la croisille qui est verticalement au-dessus. Les crochets des molettes les plus élevées, sont quelquefois au-dessus de la portée de la main ; c'est pour y atteindre qu'on voit une espece de marche-pié ou pont en B, le fileur accroche son chanvre ; on tourne, & le fil se fait. Mais à peine cet ouvrier est-il éloigné du roüet de cinq à six brasses, que le fil ourdi toucheroit à terre, si on ne le tenoit élevé dans les corderies de roi, sur des crochets fixés aux tirans de la charpente, ou à des traverses légeres G, & dans les fileries de marchands, sur des rateliers G fichés ou en terre ou dans des murs.

Le fileur recule à mesure que le fil se tord ; il parvient enfin à gagner le bout de la filerie : il faut alors dévider ce fil d'environ cent brasses de long. Cela se fait sur des especes de grandes bobines appellées tourets, qu'on voit en E, D. La construction en est si simple, qu'il est inutile de l'expliquer. Il y en a qui peuvent porter jusqu'à 500 livres de fil de carret. Quant à la manoeuvre du fileur, la voici. Il a autour de sa ceinture un peignon de chanvre assez gros pour fournir le fil de la longueur de la corderie. Il monte sur le pont. Il fait à son chanvre une petite boucle, il l'accroche dans la molette la plus élevée ; le chanvre se tortille : à mesure que le fil se forme, il recule. Il a dans sa main droite un bout de lisieres, qu'on appelle paumelle ; il en enveloppe le fil déjà fait, il le serre fortement en tirant à lui (ce mouvement empêche le fil de se replier sur lui-même, ou de se gripper, l'allonge, & lui conserve son tortillement. (Il desserre ensuite un peu, le tortillement passe au chanvre disposé par la main gauche ; il recule, la lisiere se trouve alors sur le dernier fil tortillé : il traite ce fil avec la lisiere, comme le précédent, & il continue ainsi.

Quand ce premier fileur, qu'on appelle le maître de roüe, est à quatre à cinq brasses, deux autres fileurs accrochent leur chanvre aux deux molettes suivantes ; deux autres en font autant après ceux-ci, & ainsi de suite jusqu'à ce que toutes les molettes soient occupées. Quand le maître de roüe a atteint le bout de la filerie, il avertit ; on détache son fil du crochet de la molette ; on le passe dans une petite poulie x, placée au plancher de la filerie ; on l'enveloppe d'une corde d'étoupe qu'on appelle livarde ; on charge la livarde d'une pierre n, n ; on porte le même bout sur le touret : un petit garçon tenant le fil enveloppé d'une autre livarde, le conduit sur le touret, sur lequel il se place tandis que le touret tourne ; il le frappe même d'une palette, pour qu'il se serre mieux sur le touret. Voyez cette manoeuvre en D. Le fil s'unit en passant par les livardes de la pierre & du petit garçon ; il perd même un peu de son tortillement, qui étant porté en arriere, fait crisper l'extrémité i du fil, & contraint le fileur à lui permettre de se détordre. Il y a des fileurs qui, pour laisser cette partie du détortillement s'épuiser en entier, attachent l'extrémité qu'ils ont en leur main, à un petit émerillon.

Le maître de roüe rendu au crochet, décroche le fil de l'ouvrier le plus avancé vers le bout de la corderie ; il l'épisse ou tortille au bout du sien, & le met en état d'être dévidé ; celui-ci arrivé, en fait autant, & tout ce qu'il y a de fil fait se dévide tout de suite sur le touret. Quand il est plein, on l'accroche au palant D ; & en halant sur le garent, on le dégage de son essieu, & on y en substitue un autre. On transporte le premier au magasin, d'où il va à l'étuve pour être goudronné, ou à la corderie, pour y être commis en franc funin blanc. Il arrive quelquefois que l'étuve étant dans la corderie, le fil passe au goudron tout au sortir des mains du cordier, & avant que d'être dévidé sur le touret.

Il y a des corderies où l'on sait ménager le tems. Pour cet effet il y a des roüets & des tourets aux deux bouts, & le fileur commence un nouveau fil à l'extrémité où il est arrivé, tandis qu'un petit garçon dévide le fil qu'il a filé, sur le touret placé à côté du roüet où il commence son nouveau fil ; d'où il arrive que le fil filé est dévidé à brousse poil, ce qui le rend un peu plus velu, & plus propre au goudron, quand il doit le recevoir tout de suite. L'autre maniere est, selon M. Duhamel, meilleure pour le cordage blanc.

Le fileur a soin de séparer du chanvre, à mesure qu'il le file, les pattes, les parties mal travaillées, &c. ce qui lui tombe de bon, est ramassé par des enfans qui sont chargés de ce soin. On file le fil de carret à sec, sans quoi il se pourriroit sur les tourets, où il reste quelquefois long-tems. La seule humidité qu'il reçoive est de la paumelle qu'on trempe dans l'eau à Marseille, pays chaud, où elle est promtement dissipée.

Le fil, pour être bien filé, doit être uni, égal, sans meche, & couché en longues lignes spirales. Il y a des fileurs qui, après avoir prolongé le chanvre suivant l'axe du fil t u, en prennent une pincée de la main droite x, & la fourrent au milieu des filamens t u. Si on examine comment ce chanvre se tortille, on trouvera que le chanvre t u se prolongera selon l'axe du fil, en se tordant par de longues hélices, pendant que la partie x se roulera sur l'autre en hélices courtes, comme sur une meche, ce qu'on voit en y. D'autres tiennent tous leurs filamens paralleles, z, en forment comme une laniere platte entre le pouce & les doigts de la main gauche, & contraignent les filamens à se rouler les uns sur les autres en longues hélices allongées z, sans qu'il y ait de meche. Il est évident que cette derniere façon est la meilleure.

Nous avons dit que les fileurs mettoient les peignons autour d'eux, c'est ce qu'on appelle filer à la ceinture ; mais en province presque tous les marchands font filer à la filouse ou à la quenoüille. Dans ce second cas le fileur F tient une longue perche de sept à huit piés, chargée d'une queuë de chanvre peignée, comme nos fileuses leurs quenouilles ; il fournit le chanvre de la droite, & serre le fil de la gauche avec la paumelle. Les expériences ont prouvé que le fil filé à la ceinture étoit plus fort que le fil filé à la quenouille.

On ne peut douter que plus ou moins de tortillement n'influe sur la force du fil. Pour déterminer ce point, il ne s'agissoit que d'expériences ; mais par l'expérience on a trouvé en général que le tortillement ne peut avoir lieu, sans affoiblir les parties qu'il comprime : d'où l'on a conclu qu'il étoit inutile de le porter au-delà du pur nécessaire, ou du point précis en-deçà duquel ces filamens, au lieu de rompre, se sépareroient en glissant les uns sur les autres ; & que pour obtenir ce point il falloit déterminer, d'après l'expérience, quel devoit être le rapport entre la marche du fileur & la vîtesse du tourneur. Une autre quantité non moins importante à fixer, c'étoit la grosseur du fil. L'expérience a encore fait voir qu'il ne falloit pas qu'il y eût plus de trois lignes & demie, ou quatre lignes & demie ; observant toutefois de proportionner la grosseur à la finesse, de filer plus gros le chanvre le moins affiné, & de rendre le fil le plus égal qu'il est possible.

Onze fileurs qui employent bien leur tems, peuvent filer jusqu'à 700 livres de chanvre par jour. Il y a du fil de deux, & quelquefois de trois grosseurs. Le plus grossier sert pour les cables, & on l'appelle fil de cable ; le moyen pour les manoeuvres dormantes & courantes, & on l'appelle fil de hautban ; & le plus fin pour de petites manoeuvres, comme pour lignes de loc, le lusin, le merlin, le fil à coudre les voiles, &c.

On entasse les tourets chargés de fil les uns sur les autres ; on ménage seulement de l'air entr'eux, on en tient le magasin frais & sec. Il est bon que ce magasin soit à rez de chaussée ; que le sol en soit élevé au-dessus du niveau des terres ; qu'il soit couvert de terre glaise ; qu'on ait pavé sur la glaise à chaux & à ciment ; que ce pavé soit couvert de planches de chêne, & que des lambourdes soûtiennent les tourets. Il faut encore veiller à ce que les tourets ne touchent pas aux murs. Moyennant ces précautions, le fil pourra rester assez long-tems, mais non plusieurs années, dans les magasins sans dépérir.

Des commetteurs. Il s'agit maintenant de mettre le fil en cordages.

Il y a deux especes de cordages : les uns simples, ou dont par une seule opération on convertit les fils en corde ; on les appelle des aussieres : les autres qu'on peut regarder comme des cordages composés de cordages simples ou d'aussieres commises les unes avec les autres, c'est-à-dire réunies par le tortillement ; on les appelle des grelins. Ces deux especes de cordages se subdivisent en un nombre d'autres qui ne different que par leur grosseur, & par l'usage qu'on en fait pour la garniture des vaisseaux. Voyez CORDAGES (Marine.) La plus petite & la plus simple de toutes les aussieres, qui n'est composée que de deux fils, s'appelle du bitord ; une autre un peu plus grosse, qui est composée de trois fils, se nomme du merlin. Pour donner par degré une idée de la corderie, nous traiterons 1°. de la fabrique de ces petites ficelles, parce qu'elles sont les plus simples : 2°. des aussieres qui sont composées de trois torons : 3°. des aussieres qui sont composées d'un plus grand nombre de torons : 4°. des grelins & des cables : 5°. des cordages en queuë de rat, ou qui sont plus gros d'un bout que de l'autre, & des cordages refaits.

Du bitord. Quand un cordier veut unir ensemble deux fils pour en faire du bitord il se sert du roüet des fileurs, ou bien d'un roüet de fer dont voici la description.

Du roüet. Ce roüet a, Pl. I. fig. 4. est composé de quatre crochets mobiles, disposés en forme de croix ; ces crochets tournent en même tems que la roüe, & d'un mouvement bien plus rapide, à l'aide d'un pignon ou lanterne dont chacun d'eux est garni, & qui engrene dans les dents de la roüe qu'un homme fait tourner par le moyen d'une manivelle : la grande roüe imprime donc le mouvement aux quatre lanternes, qui étant égales, tournent toutes également vîte. Il est fort indifférent de se servir du roüet de fer ou des roüets ordinaires. Lorsqu'un cordier veut faire une corde seulement avec deux fils il n'employe que deux des crochets de son roüet.

Le cordier b prend d'abord un fil qu'il attache par un de ses bouts à un des crochets du roüet ; ensuite il l'étend, le bande un peu, & va l'attacher à un pieu qui est placé à une distance proportionnée à la longueur qu'il veut donner à sa corde, & ce fil est destiné à faire un des deux cordons. Cela fait, il revient attacher un autre fil à un crochet opposé à celui où il a attaché le premier ; il le tend aussi, il va l'arrêter de même au pieu dont nous venons de parler, & ce fil doit faire le second cordon : de sorte que ces deux fils doivent être de même longueur, de même grosseur, & avoir une égale tension. C'est-là ce qu'on appelle étendre les fils ou les vettes, ou bien ourdir une corde. Cette opération étant faite, la corde étant ourdie, le cordier prend les deux fils qu'il a attachés au pieu, & les unit ensemble, soit par un noeud ou autrement ; de sorte que ces deux fils ainsi réunis, n'en forment, pour ainsi dire, qu'un : car ils font précisément le même effet qu'un seul fil qui seroit retenu dans le milieu par le pieu, & dont les deux bouts seroient attachés aux deux crochets du roüet. La plûpart des cordiers suivent cette pratique, c'est-à-dire que le second fil n'est que le prolongé du premier ; ce qui est préférable, parce que les deux fils sont alors nécessairement tendus également, aussi longs & aussi forts l'un que l'autre, toutes conditions essentielles pour qu'une corde soit bien ourdie. Au reste, que les fils soient assemblés par leur extrémité qui répond au pieu, ou qu'ils soient d'une seule piece, cela ne rend la corde ni plus forte ni plus foible, pourvû qu'ils soient tendus également. C'est par ce point de réunion que le cordier accroche ces deux fils à un émerillon. Un bout de corde qui tient à l'anneau de l'émerillon, va passer sur une fourche qui est plantée quelques pas plus loin que le pieu où nous avons dit qu'on attachoit les fils à mesure qu'on les étendoit, & cette corde soûtient par son autre extrémité un poids proportionné à la grosseur de la corde qu'on veut commettre ; de sorte que ce poids a la liberté de monter ou de descendre plus ou moins le long de la fourche, selon qu'il est nécessaire. Voyez Pl. I. fig. b.

Ce contrepoids sert à tenir également tendus les deux fils ourdis ; & comme le tortillement qu'ils doivent souffrir les raccourcit, il faut que le contrepoids qui les tend, puisse monter à proportion le long de la fourche.

Lorsque tout est ainsi disposé, le cordier prend un instrument qu'on appelle le cabre, le masson, le cochoir, le toupin, le sabot, ou le gabieu.

Du toupin. Cet instrument est un morceau de bois tourné en forme de cone tronqué, dont la grosseur est proportionnée à celle de la corde qu'on veut faire ; il doit avoir dans sa longueur, & à une égale distance, autant de rainures ou gougeures que la corde a de cordons ; ainsi dans cette opération, où il n'est question que d'une corde à deux cordons, le cordier se sert d'un toupin qui n'a que deux rainures diamétralement opposées l'une à l'autre, tel qu'on le voit en c. Ces rainures doivent être arrondies par le fond, & assez profondes pour que les fils y entrent de plus de la moitié de leur diametre. Le cordier place le toupin entre les deux fils qu'il a étendus, en sorte que chacune de ses rainures reçoive un des fils, & que la pointe du toupin touche au crochet de l'émerillon.

Pendant qu'il tient le toupin dans cette situation, il ordonne qu'on tourne la roüe du roüet pour tordre les fils. Chacun des deux fils se tord en particulier ; & comme ils sont parfaitement égaux en grosseur, en longueur, & par la matiere qui est également flexible, ils se tordent également ; mais à mesure qu'ils se tordent, ils se raccourcissent, & le poids qui pend le long de la fourche, remonte d'autant. Quand le maître cordier juge qu'ils sont assez tords, il éloigne le toupin de l'émerillon, & le fait glisser entre les fils jusqu'auprès du roüet, sans discontinuer de faire tourner la roüe ; moyennant quoi les deux fils se rassemblent en se roulant l'un sur l'autre, & font une corde dont on peut se servir sans craindre qu'elle se détorde par son élasticité : c'est ce que les cordiers appellent commettre une corde. Mais il faut observer que pendant cette seconde opération, c'est-à-dire pendant que la corde se commet, elle continue de se raccourcir, & le poids remonte encore le long de la fourche. En réfléchissant sur cette manoeuvre des cordiers, on conçoit pourquoi une corde ne se détord pas, pendant qu'un fil abandonné à lui-même, perd presque tout le tortillement qu'il avoit acquis. Tandis que le toupin étoit contre l'émerillon, les deux fils étoient tords chacun en particulier, & acquéroient un certain degré de force élastique qui tendroit à les détordre, ou à les faire tourner dans un sens opposé à celui dans lequel ils ont été tortillés, si on leur en donnoit la liberté ; ce qui se manifeste par l'effort que le toupin fait pour tourner dans la main du cordier.

Si-tôt donc que le cordier aura écarté le toupin de l'émerillon, la partie du premier fil qui se trouve entre le toupin & l'émerillon étant en liberté, tendra par la force élastique qu'elle a acquise en se tortillant, à tourner dans un sens opposé à son tortillement, c'est-à-dire que si les fils ont été tords de droite à gauche, la partie du premier fil comprise entre le toupin & l'émerillon qui sera en liberté, tendra à tourner de gauche à droite ; & effectivement elle tournera en ce sens par sa seule élasticité, en faisant tourner avec elle le crochet mobile de l'émerillon. De même, le second fil ayant été tors de droite à gauche, la partie de ce fil comprise entre le toupin & l'émerillon tendra aussi à se détortiller & à tourner de gauche à droite, & effectivement elle tournera dans ce sens par sa seule élasticité, en faisant tourner le crochet mobile de l'émerillon. Les deux fils tourneront donc dans le même sens, & s'ils étoient libres ils ne feroient que se détordre ; mais comme ils sont attachés au même crochet, ils ne peuvent tourner autour d'un même axe sans se rouler l'un sur l'autre ; c'est en effet ce qu'ils exécutent ; ils se tordent de nouveau ensemble, mais dans un sens opposé à celui dans lequel ils avoient été tortillés séparément. Le chanvre mou doit être un peu plus tortillé que le dur : il est avantageux de commettre le fil en bitord si-tôt qu'il est filé, & il est important que les fils soient égaux.

Du merlin. Quand le cordier veut faire du merlin, qui est composé de trois fils, après avoir tendu un fil depuis le crochet du roüet jusqu'au crochet de l'émerillon, il lui reste à étendre de même les deux autres fils ; pour aller plus vite, il prend ordinairement un fil sur le touret e, fig. 4 Pl. I. il le passe sur un petit touret de poulie, monté d'un crochet qui lui sert de chape, comme on voit en f ; il l'attache au crochet de la molette. Cela fait, il va en tenant le croc à poulie (c'est le nom de l'outil f) passer la portion du fil qui étoit sur le touret e, dans le crochet de l'émerillon, & revient au touret ; il coupe son fil de longueur ; il l'attache au troisieme crochet, & sa corde est ourdie. Alors il prend le toupin à trois rainures ; il le place entre les fils près de l'émerillon ; on tourne la roüe du roüet, & sa corde à trois fils se commet comme le bitord. Nous observerons seulement qu'il y a de l'avantage à employer trois fils fins préférablement à deux fils gros pour une corde de même quantité de chanvre. C'est le résultat de l'expérience & du raisonnement.

Le bitord sert à fourrer les cordages, c'est-à-dire à les couvrir entierement ; on empêche aussi que le frottement ne les endommage, & que l'eau ne les pénetre ; il se fait de second brin. On le godronne presque tout, & on le plie en paquet de vingt-cinq brasses. Il y en a de fin & de gros ; le gros pour les gros cordages, le fin pour les cordages menus. On le commet tout en blanc. On le trempe tout fait dans la cuve pour le godronner.

Du lusin. Le lusin est un vrai fil retors ; il se fait de deux fils de premier brin, simplement tortillés l'un avec l'autre & non commis ; c'est le goudron qui l'empêche de se détordre. On s'en sert pour arrêter les bouts des manoeuvres coupées quand elles ne sont pas grosses ; quand elles sont grosses on y employe le merlin. On ne conserve que peu de merlin en blanc.

Du fil de voile. Ce n'est qu'un bon fil retors. Pour le faire, on prend du chanvre le mieux peigné & le plus fin : on en étend deux longueurs de vingt brasses chacune ; on les attache à une molette du roüet, mais disposée de maniere que la corde la fait tourner en un sens opposé à celui qu'ont les molettes, quand l'ouvrier file à l'ordinaire. Ces deux fils sont peu commis, puisqu'ils ne se raccourcissent que de quatre brasses. Quand ce fil est fait, on le lisse, afin qu'il passe mieux quand on s'en servira à assembler des lés de toile à voile.

Des aussieres. On appelle de ce nom tout cordage commis après qu'on a donné aux fils un degré convenable d'élasticité par le tortillement ; ainsi le bitord & le merlin sont à proprement parler des aussieres. Mais pour faire des cordages plus gros que ceux dont il a été question jusqu'ici, on réunit ensemble plusieurs fils qui forment des faisceaux : on tord à part chacun de ces faisceaux, comme nous avons dit qu'on tordoit les deux fils du bitord & les trois fils du merlin ; & ces faisceaux ainsi tortillés s'appellent torons : ainsi il y a des aussieres à deux, à trois, à quatre torons, &c. Nous donnerons d'abord la maniere de fabriquer celle à trois torons ; nous parlerons ensuite des autres.

Des quaranteniers. Les cordages en aussieres sont d'un grand usage dans la Marine ; il y en a de plusieurs grosseurs, depuis un pouce de circonférence, jusqu'à douze & par-delà. Les plus petits s'appellent quaranteniers ; & il y a des quaranteniers à six fils, à neuf, à douze, & à dix-huit. Les aussieres plus grosses se distinguent par leurs usages ; on les appelle garands de caliornes, garands de palans, rides, francs funins, itagues, haut-bans, &c. Quand ils n'ont point de destination déterminée, ils retiennent le nom générique d'aussieres. Ils se fabriquent tous de la même maniere. Dans les corderies du Roi, où l'on a de grands roüets, on commet ordinairement les quaranteniers à six & à neuf fils, de la même maniere que le merlin, à cela près seulement qu'en ourdissant les quaranteniers à six fils, on accroche deux fils à chacun des trois crochets du roüet, & que pour les quaranteniers à neuf on en attache trois à chaque crochet. Ils se travaillent de même que les merlins ; avec cette différence que quand les fils sont ourdis, on les tord pour les commettre dans un sens opposé à celui du tortillement. Entrons maintenant dans l'attelier des commetteurs des aussieres à plusieurs torons ; car il a ses dispositions & ses outils particuliers, & commençons par exposer sa disposition générale.

Cet attelier est, comme celui des fileurs, une galerie longue de deux cent brasses, ou de mille piés, large de six à sept brasses, ou de trente à trente-cinq piés. Aux deux bouts de cette galerie sont posés les supports des tourets, qui sont disposés de différente façon.

Des supports des tourets. On sait que le fil de caret est conservé dans les magasins sur des tourets : on en tire la quantité dont on juge avoir besoin, & on les dispose sur des supports, de façon qu'ils puissent tourner tout à la fois sans se nuire les uns aux autres, afin que quand on veut ourdir une grosse corde, au lieu de faire autant de fois la longueur de la corderie qu'on veut réunir de fils ensemble, six fois, par exemple, si l'on a intention de faire un quarantenier à six fils, on puisse, en prenant six bouts de fils sur six tourets différens, ourdir sa corde tout d'une fois. C'est dans cette intention qu'on dispose au bout de la corderie les tourets sur des supports, qui sont quelquefois posés verticalement & d'autres fois horisontalement ; pour cela on pose à bas sur le plancher & par le travers de la corderie, une grosse piece de bois quarrée, dans laquelle on assemble un nombre de piés droits, (Planc. III. divis. prem.) plus ou moins, selon la largeur de la corderie ; le bout d'en-haut de ces piés droits est assemblé dans une autre piece de bois quarrée qui tient aux solives de la corderie ; les piés droits sont entaillés dans leur épaisseur, comme on le voit en B, & c'est dans ces entailles qu'on pose les essieux des roüets. Moyennant cette disposition, l'on peut réunir ensemble les bouts de plusieurs fils, & les étendre ainsi de toute la longueur de la corderie.

Dans beaucoup de corderies on les établit d'une autre façon plus solide & plus commode ; il faut imaginer deux assemblages de charpente CC, qui sont posés l'un sur l'autre, de telle sorte que l'un repose sur le sol de la corderie, & que l'autre soit posé au-dessus, étant plus élevé de trois piés ou trois piés & demi ; on place entre ces bâtis de charpente les tourets debout ou verticalement, & on les assujettit dans cette situation avec la broche qui leur sert d'essieu. De cette façon tous les tourets peuvent tourner ensemble, & on peut d'une seule fois étendre plusieurs fils de toute la longueur de la corderie ; on ordonne seulement à quelques petits garçons de se tenir auprès des tourets pour empêcher, avec un bâton qu'ils appuient dessus, que les tourets qui sont trop déchargés de fil, ne tournent trop vîte & ne mêlent leur fil. Les grands tourets sont quelquefois si chargés de fils, qu'en tirant le fil pour les faire tourner, le fil se rompt.

Du chantier à commettre. A quelques pas des tourets & directement au-devant est le chantier à commettre. Il est composé de deux grosses pieces de bois d'un pié & demi d'équarissage & de dix piés de longueur D, que l'on maçonne en terre à moitié de leur longueur.

Les deux pieces dressées ainsi à plomb à six piés de distance l'une de l'autre, supportent une grosse traverse de bois E, percée à distance égale de quatre & quelquefois de cinq trous, où l'on place les manivelles F, qui doivent, pour les gros cordages, produire le même effet que les molettes des rouets pour les petits.

Des manivelles. Les manivelles sont de fer & de différente grandeur, proportionnellement à la grosseur du cordage qu'on commet, (Pl. III. divis. 2.) G en est la poignée, H le coude, I l'axe, L un bouton qui appuie contre la traverse E du chantier, M une clavette qui retient les fils qu'on a passés dans l'axe I. On tord les fils qui sont attachés à l'axe I, en tournant la poignée G ; ce qui produit le même effet que les molettes, plus lentement à la vérité : mais puisqu'on a besoin de force, il faut perdre sur la vîtesse, & y perdre d'autant plus qu'on a plus besoin de force ; c'est pourquoi on est plus long-tems à commettre de gros cordages, où l'on employe de grandes manivelles, qu'à en commettre de médiocres, où il suffit d'en avoir de petites.

Du quarré. Le quarré dont il s'agit, a trois objets à remplir. 1°. Comme les manivelles du chantier tournent lentement en comparaison de la vîtesse que le roüet imprime aux molettes, pour accélerer un peu l'ouvrage on met au quarré (Pl. III. divis. 1.) N un pareil nombre de manivelles qu'on avoit mis au chantier D ; & en les faisant tourner en sens contraire de celles du chantier, on parvient à accélerer du double le tortillement des torons ; pour cela on fait porter au quarré une membrure O, pareille à la membrure E du chantier, laquelle membrure du quarré doit être percée de trous qui répondent aux trous de celle du chantier. 2°. Quand les fils ont été assez tors, on les réunit tous ensemble par le bout qui répond au quarré, on les attache à une seule manivelle qu'un homme fait tourner, comme on le voit en P, (même Pl. divis. 2.) & alors cette seule manivelle tient lieu de l'émerillon dont nous avons parlé à l'occasion du bitord, du lusin & du merlin. 3°. Enfin on sait qu'en tortillant les fils avant que de les commettre, & quand on les commet, ils se raccourcissent ; c'est pour cette raison qu'on a dit en parlant du bitord, qu'on attache un poids à la corde qui est passée dans l'anneau de l'émerillon, que ce poids tient la corde dans un certain degré de tension, & qu'il remonte le long de la fourche à mesure que les fils se raccourcissent ; il faut de même que le quarré tienne les fils des grosses cordes dans une tension qui soit proportionnelle à la grosseur de la corde, & qu'il avance vers l'attelier à mesure que les fils se raccourcissent. C'est pourquoi le quarré est formé de deux pieces de bois quarrées ou semelles, jointes l'une à l'autre par des traverses ou paumelles. Sur les semelles sont solidement assemblés des montans qui sont affermis par des liens. Ainsi le quarré est un chantier qui ne differe du vrai chantier D, (même Pl. divis. 1.) que parce que celui-ci est immobile, & que le quarré est établi sur un traîneau pesant & qu'on charge plus ou moins, Q, suivant le besoin.

Du chariot du toupin. Quand les fils ont acquis un certain degré de force élastique par le tortillement, le toupin fait effort pour tourner dans la main du cordier, qui peut bien résister à l'effort de deux fils, mais qui seroit obligé de céder si la corde étoit plus grosse ; en ce cas on traverse le toupin avec une barre de bois R (même Planche, divis. 2.), que deux hommes tiennent pour le conduire.

Comme la force de deux hommes n'est quelquefois pas encore suffisante, pour lors on a recours au chariot S (voyez la divis. 2.) qu'on appelle chariot du toupin. Il y a deux sortes de ces chariots ; les uns sont en traîneau, & les autres ont des roulettes : ils sont formés par deux semelles sur lesquelles sont assemblés des montans ; & l'on attache de différente façon avec des cordes la barre R qui traverse le toupin, tantôt aux montans, tantôt aux traverses, suivant la disposition du chariot, desorte que le cordage repose sur le derriere du chariot qui sert de chevalet. On ne charge point le chariot ; au contraire il faut qu'il ne soit pas fort pesant, afin (pour me servir du terme des ouvriers) qu'il courre librement ; & quand on veut qu'il chemine lentement, on le retient par le moyen d'une retraite, qu'on nomme aussi une livarde ou une lardasse, c'est-à-dire, avec une corde d'étoupe T, qui est amarrée à la traverse R du toupin, & dont on enveloppe de plus ou moins de tours le cordage, suivant qu'on desire que le chariot aille plus ou moins vîte.

Du chevalet. Le chevalet V (même Plan. divis. 2.) qui est d'un grand usage dans les corderies, est néanmoins très-simple ; c'est un treteau dont le dessus est armé de distance en distance de chevilles de bois. Ces chevalets servent à soûtenir les fils quand on ourdit les cordes, & à supporter les pieces pendant qu'on les travaille. Nous en avons déjà parlé dans l'attelier des fileurs.

Des manuelles. Il y a encore dans les corderies de petits instrumens qui aident à la manivelle du quarré P (même Pl. divis. 2.), à tordre & à commettre les cordages qui sont fort longs. A Rochefort on appelle ces instrumens des gatons ; mais nous les nommerons avec les Provençaux, des manuelles, à cause de leur usage, quoiqu'ils imitent un foüet, étant composés d'un manche de bois & d'une corde, comme on les voit en X, même Plan. même divis. Pour s'en servir, l'ouvrier Y entortille diligemment la corde autour du cordage qu'on commet ; & en continuant à faire tourner le manche autour du cordage, il le tord. Quand les cordages sont fort gros, on met deux hommes Z sur chacune de ces manuelles, & alors la corde & est au milieu de deux bras de levier ; ainsi cette manuelle double est un bout de perche de trois piés de longueur, estropée au milieu d'un bout de quarentenier mou & flexible qui a une demi-brasse de long.

Des palombes. L'épaisseur du toupin, l'embarras du chariot, l'intervalle qui est nécessairement entre les manivelles, & plusieurs autres raisons, font que les cordages ne peuvent pas être commis jusqu'auprès du chantier : on perdroit donc toutes les fois qu'on commet un cordage, une longueur assez considérable de fil, si on les accrochoit immédiatement à l'extrémité des manivelles. C'est pour éviter ce déchet inutile, qu'on attache les fils au bout d'une corde en double, K, qui s'accroche de l'autre bout à l'extrémité F de chaque manivelle, où elle est retenue par la clavette M : c'est ce bout de corde qu'on appelle une palombe ou une hélingue.

Maniere de faire un cordage en aussiere à trois torons. Maintenant que l'on connoît la disposition de l'attelier & les instrumens qu'on y employe, il faut expliquer comment on fabrique les aussieres : on commence par ourdir les fils, dont on fait trois faisceaux ou longis, que l'on tord ensuite pour en faire les torons, & enfin on commet ces torons pour en faire des cordages. Pour bien ourdir un cordage il faut 1° étendre les fils, 2° leur donner un égal degré de tension, 3° en joindre ensemble une suffisante quantité, 4° enfin leur donner une longueur convenable relativement à la longueur qu'on veut donner à la piece de cordage.

Lorsqu'il s'agit d'ourdir un cordage de vingt-un pouces de grosseur ou de circonférence, qui est composé de plus de deux mille deux cent cinquante fils, s'il falloit prendre tous ces fils sur un seul touret, comme nous l'avons dit en parlant du bitord, on seroit obligé de faire quatre mille cinq cent fois la longueur de la corderie, qui a mille piés de long, ce qui fait quatre millions cinq cent mille piés, ou soixante & quinze mille toises, c'est-à-dire trente-sept lieues & demie. Il est donc important de trouver des moyens d'abréger cette opération. C'est pour cela que si la corde n'est pas fort grosse, le maître cordier fait prendre sur les tourets qui sont établis au bout de la corderie, tous les fils dont il a besoin ; il les fait passer dans un crochet de fer a (Plan. III. divis. 1.), qui les réunit en un faisceau qu'un nombre suffisant d'ouvriers qui se suivent l'un l'autre, prennent sur leur épaule ; & tirant assez fort pour devider ces fils de dessus leurs tourets, ils vont au bout de la corderie, ayant attention de mettre de tems en tems ce qu'il faut de chevalets pour que ces fils ne portent point par terre. Quand l'aussiere qu'il veut ourdir est trop grosse pour étendre les fils en une seule fois, les mêmes ouvriers prennent un pareil nombre de fils sur les tourets qui sont établis à l'autre bout de la corderie où est le quarré, & ils reviennent au bout où est le chantier, ce qui leur épargne la moitié du chemin ; & on continue de la même maniere jusqu'à ce qu'on ait étendu la quantité de fils dont on juge avoir besoin. Enfin il y a des corderies où, pour étendre encore les fils plus vite, en se sert d'un cheval qu'on attele aux faisceaux de fils ; ce cheval tient lieu de sept à huit hommes, il va plus vite, & l'opération se fait à moins de frais. Quand on a étendu un nombre suffisant de fils, le maître cordier qui est auprès du quarré, ou au bout de la corderie opposé à celui où est le chantier à commettre, fait amarrer la queue du quarré avec une bonne corde à un fort pieu b, qui est exprès scellé en terre à une distance convenable du quarré. Pour distinguer dans la suite les deux extrémités de la corderie, on nommera l'une le bout du chantier, & l'autre le bout du quarré. Le cordier fait ensuite charger le quarré du poids qu'il juge nécessaire, & passer trois manivelles proportionnées à la grosseur de la corde qu'il veut faire, dans les trous qui sont à la membrure ou traverse du quarré. Tout étant ainsi disposé, il divise en trois parties égales les fils qu'il a étendus, il fait un noeud au bout de chaque faisceau pour réunir tous les fils qui les composent ; puis il divise chaque faisceau de fil ainsi lié, en deux, pour passer dans le milieu l'extrémité des manivelles, où il les assujettit par le moyen d'une clavette.

Imaginons donc que la quantité de fil qui a été étendu, est maintenant divisée en trois faisceaux, qui répondent chacun par un bout à l'extrémité d'une manivelle qui est arrêtée à la traverse du quarré ; trois ouvriers, & quelquefois six, restent pour tourner ces manivelles, & le maître cordier retourne avec les autres au bout de l'attelier où est le chantier à commettre ; chemin faisant il fait séparer en trois faisceaux les fils précédemment réunis, comme il avoit fait à l'extrémité qui est auprès du quarré ; les ouvriers ont soin de faire couler ces faisceaux dans leurs mains, de les bien réunir, de ne laisser aucuns fils qui ne soient aussi tendus que les autres ; & pour empêcher que ces fils ne se réunissent, ils se servent des chevilles qui sont sur l'appui des chevalets. Quand on a ainsi disposé les fils dans toute leur longueur, & qu'on est rendu auprès du chantier à commettre, le maître cordier fait couper les trois faisceaux de fil de quelques piés plus courts qu'il ne faut pour joindre les palombes, & y fait un noeud ; il les fait ensuite tendre par un nombre suffisant d'ouvriers, ou, pour me servir de leur expression, ils font hâler dessus jusqu'à ce que le noeud qui est au bout de chaque faisceau puisse passer entre les deux cordons des palombes.

Quand les trois faisceaux sont attachés d'un bout aux trois manivelles du quarré, & de l'autre aux trois manivelles du chantier, un cordier qui desire faire de bon ouvrage, examine, 1°. s'il n'y a point de fils qui soient moins tendus que les autres ; s'il en apperçoit quelques-uns, il les assujettit, dans un degré de tension pareil aux autres, avec un bout de fil de carret qu'on nomme une ganse : si cette différence tomboit sur un trop grand nombre de fils, ils déferoit ou couperoit le noeud, pour remédier à ce défaut. 2°. Il faut que les trois faisceaux soient dans un degré de tension pareil ; il reconnoît ceux qui sont les moins tendus en se baissant assez pour que son oeil soit juste à la hauteur des faisceaux, il voit alors que les moins tendus font un plus grand arc que les autres d'un chevalet à l'autre ; pour peu que cette différence soit considérable, il fait raccourcir le faisceau qui est trop long. C'est par ces attentions que certains cordiers réussissent mieux que d'autres : car il ne faut pas s'imaginer que des fils qui ont quelquefois plus de cent quatre-vingt-dix brasses de longueur, s'étendent avec autant de facilité que ceux qui n'auroient que quatre à cinq brasses. Il y a des cordiers qui pour s'épargner le tâtonnement dont nous venons de parler, font un peu tordre les faisceaux qui sont plus lâches, pour les roidir & les mettre de niveau avec les autres : c'est une très-mauvaise méthode, car il est très-nécessaire pour la perfection de l'ouvrage que tous les faisceaux ayent un tortillement pareil. Ces faisceaux de fil ainsi disposés, s'appellent en terme de Corderie, des longis, & quand on les a tortillés, des tourons ou des torons. Si l'on examine la disposition que prennent les fils tortillés dans un toron, on trouve qu'un ou plusieurs occupent le centre ou l'axe d'un toron, & sont enveloppés par un nombre d'autres qui font un petit orbe, & que cet orbe est enveloppé par d'autres fils qui font un orbe plus grand, & ainsi de suite jusqu'à la circonférence de ce toron. Pour distinguer ces différens orbes de fils représentant (Planche IV. fig. 9.) la coupe d'un toron perpendiculairement à son axe ; soit A le fil qui est au centre ; B B les fils qui l'enveloppent, ou ceux du premier orbe ; C ceux du troisieme orbe, D ceux du quatrieme, &c. Or il paroît que quand on tordra ce toron, le fil A ne faisant que se tordre ou se détordre suivant le sens où l'on tordra les torons, il doit être regardé comme l'axe d'un cylindre qui tournera à-peu-près sur lui-même & autour duquel tous les orbes s'entortilleront. L'orbe B se roulera sur le fil A, autour duquel il décrira une hélice ; mais comme cet orbe B est très-près du centre de révolution du cylindre, il fera très-peu de mouvement ; les hélices que décriront les fils qui composent cet orbe, seront très-allongées, parce que le mouvement de ces fils sera très-peu différent de celui qu'éprouve le fil A. Les fils qui composent l'orbe C, sont plus éloignés du centre du mouvement, ils décriront une hélice plus courte qui enveloppera l'orbe B. Les révolutions de cet orbe C seront donc plus grandes que celles de l'orbe B ; donc les fils de cet orbe se raccourciront plus que ceux de l'orbe B : d'où l'on voit que les fils de l'orbe D se raccourciront encore plus que ceux des orbes qui seront plus près du centre A. Tous les fils qui composent un toron, sont donc dans des différens degrés de tension, lorsque le toron est tortillé ; ils résisteront donc inégalement aux poids qui les chargeroient : c'est un défaut qui devient d'autant plus grand, que les torons sont plus gros & plus tortillés. M. Duhamel a fait des tentatives très-délicates pour l'affoiblir, sinon pour l'anéantir ; mais il tient à des parties élémentaires de la corde, & à un si grand nombre de circonstances, qu'il lui a été impossible de réussir.

Du nombre de fils nécessaires pour une corde de grosseur donnée, & de la maniere de lui donner une longueur déterminée. Mais avant que de pousser plus loin la maniere de faire les cordes en aussiere à plusieurs torons, il est bon de savoir 1°, que les maîtres d'équipage fixent dans les ports la grosseur que doivent avoir les manoeuvres relativement au rang & à la grandeur des vaisseaux ; & que si le maître cordier les faisoit plus grosses qu'on ne les lui a demandées, elles ne pourroient pas passer dans les poulies, ou elles y passeroient difficilement : plus menues, on pourroit craindre qu'elles ne fussent pas assez fortes. Un habile cordier doit donc en ourdissant ses cordages, savoir mettre à chaque toron un nombre de fils suffisant pour que quand la corde sera commise, elle ait, à très-peu de chose près, la grosseur convenable. 2°. Qu'on demande aussi quelquefois une corde d'une longueur déterminée. Voici la pratique pour l'un & l'autre cas.

1°. De la grosseur & de la jauge. Les Cordiers ont une mesure pour prendre la grosseur des cordages, ils la nomment une jauge ; ce n'est autre chose qu'une laniere de parchemin divisée par pouces & par lignes, qu'on roule & qu'on renferme dans un petit morceau de bois qu'on appelle un barillet, parce qu'il est tourné en-dessus comme un petit barril, & par dedans il est creusé comme un cylindre ; la bande de parchemin se roule & se renferme dans cet étui que l'on porte très-commodément dans la poche. On fait tenir par un ouvrier les trois torons réunis ensemble ; & quand tous les fils sont bien arrangés & bien serrés les uns contre les autres, on en mesure la grosseur, & on en conclut celle que la corde aura quand elle sera commise : assurément lorsque les torons seront tortillés, les fils dont ils sont composés seront rapprochés les uns auprès des autres plus que ne le pouvoit faire celui qui les serroit entre ses mains ; ainsi occupant moins d'espace, le toron perdra de sa grosseur. Mais d'un autre côté les torons perdront de leur longueur à mesure qu'on les tortillera, & gagneront en grosseur une partie de ce qu'ils perdront en longueur. Ces deux causes qui doivent produire des effets contraires, se compensent à peu près l'une l'autre, ou du moins par l'usage on sait que ce qui manque à cette compensation, va à-peu-près à un douzieme de la grosseur des fils réunis & serrés dans la main. Ainsi quand un cordier veut faire une aussiere de 18 pouces, il donne à la grosseur de ces fils réunis 19 pouces 6 lignes, & par cette seule méchanique les Cordiers arrivent à peu de chose près à leur but ; si la corde étoit trop grosse pour l'empoigner & la mesurer tout-à-la-fois, le cordier donneroit à chaque toron un peu plus de moitié de la circonférence de la corde qu'il voudroit commettre : ainsi pour avoir une aussiere de 18 pouces de circonférence, il donneroit à chaque toron un peu plus de 9 pouces de circonférence ; car la proportion des torons est à la grosseur de la corde, à très-peu près comme 57 à 100.

2°. De la longueur nécessaire des fils, pour ourdir une corde de longueur donnée. Nous avons dit en parlant du bitord & du merlin, que les fils se raccourcissoient quand on les tordoit pour leur faire acquérir le degré d'élasticité qui étoit nécessaire pour les commettre, & qu'ils perdoient encore de leur longueur quand on les commettoit en bitord ou en merlin ; ce raccourcissement des fils a lieu pour toutes les cordes, ce qui fait voir qu'il est nécessaire d'ourdir les fils à une plus grande longueur que la corde ne doit avoir. Mais qu'est-ce qui doit déterminer cette plus grande longueur qu'on doit donner aux fils ? c'est le degré de tortillement qu'on donne à la corde. Il est clair que les fils d'une corde plus tortillée doivent être ourdis à une plus grande longueur que ceux qui doivent faire une corde moins tortillée ; c'est pour cela qu'on mesure le degré de tortillement d'une corde, par le raccourcissement des fils qui la composent. Il y a des cordiers qui tordent au point de faire raccourcir leur fil de cinq douziemes ; si ceux-là veulent avoir une corde de sept brasses, ils ourdissent leur fil à douze brasses, & l'on dit que ces cordes sont commises à cinq douziemes. D'autres cordiers, & c'est le plus grand nombre, font raccourcir leur fil d'un tiers ; ceux-là ourdissent leur fil à douze brasses pour en avoir huit de cordage ; & on dit qu'ils commettent au tiers. Enfin si d'autres ne faisoient raccourcir leur fil que d'un quart, l'ayant ourdi à douze brasses, ils auroient neuf brasses de cordage ; & on diroit que ces cordages seroient commis au quart, parce qu'on compte toûjours le raccourcissement sur la longueur des fils ourdis, & non sur celle de la piece commise. C'est une grande question que de savoir à quel point il est plus avantageux de commettre les cordages, si c'est aux cinq douziemes, au tiers, au quart, au cinquieme, &c. L'usage le plus ordinaire, qu'on peut presque regarder comme général, est de commettre précisément au tiers. Cela posé, continuons la maniere de faire les cordes en aussieres à trois torons.

Suite de la main-d'oeuvre des cordes en aussiere à trois torons. Nous pouvons maintenant supposer que les torons sont d'une grosseur & d'une longueur proportionnées à la grosseur & à la longueur des cordes qu'on veut faire ; qu'ils sont dans un degré de tension pareil ; qu'ils sont assujettis par une de leurs extrémités aux manivelles du chantier, & par l'autre aux manivelles du quarré ; qu'ils sont soûtenus dans leur longueur de distance en distance par des chevalets, & que le quarré est chargé d'un poids convenable. Tout étant ainsi disposé, la piece de cordage étant bien ourdie, il s'agit de faire acquérir aux torons le degré d'élasticité qui est nécessaire pour les commettre, & en faire une bonne corde. C'est dans cette vûe qu'on tortille les torons, ou, pour parler le langage des Cordiers, qu'on donne le tord aux torons.

Comme les torons se raccourcissent à mesure qu'on les tord, on défait l'amarre qui retenoit le quarré, afin de lui donner la liberté d'avancer à proportion que les torons se raccourcissent, & un nombre suffisant d'ouvriers se mettent aux manivelles, tant du chantier que du quarré. Ceux du chantier tournent les manivelles de gauche à droite, ceux du quarré de droite à gauche ; les torons se tortillent, ils se raccourcissent, le quarré avance vers le chantier proportionnellement à ce raccourcissement, & les ouvriers qui sont aux manivelles du quarré, suivent les mouvemens du quarré. Enfin quand les torons sont assez tortillés, ce qu'on connoît par leur raccourcissement, le maître ordonne qu'on cesse de tourner les manivelles ; & cette opération est finie, les torons ayant acquis l'élasticité nécessaire pour être commis.

Il paroîtroit plus convenable de tortiller les torons dans le même sens que les fils l'ont été, surtout après ce que l'on a dit du bitord & du merlin, qu'on tord & qu'on doit tordre avant de les commettre, dans le même sens que les fils ont été filés ; pourquoi donc les Cordiers tortillent-ils leurs torons dans un sens opposé au tortillement des fils ? Cette question mérite d'être éclaircie avec soin & avec exactitude.

Avant que de commettre le bitord, qui est composé de deux fils, & le merlin qui l'est de trois, on tortille les fils plus qu'ils ne l'étoient au sortir des mains des fileurs, afin d'augmenter leur élasticité, qui est absolument nécessaire pour commettre les cordages. Si dans ce cas en tordoit les fils dans un sens opposé à celui qu'ils ont au sortir des mains des fileurs, au lieu d'augmenter leur élasticité on détruiroit celle qu'ils ont acquise ; il convient donc de tordre ces fils dans le sens qu'ils l'ont déjà été par les fileurs. Mais, dira-t-on, cette raison ne doit-elle pas engager à tordre les torons qu'on destine à faire de gros cordages, dans le même sens que les fils l'ont été, de droite à gauche si les fils l'ont été dans ce sens ? Pour mieux concevoir ce qui se passe dans cette occasion, faites tordre deux torons, l'un dans le sens des fils, & l'autre dans un sens opposé, vous ne vous écarterez pas en cela de la pratique des Cordiers ; car quelquefois ils tordent effectivement les torons dans le sens des fils, pour faire certains cordages qu'on nomme de main torse, ou en garochoir. Quand on fait tordre un toron dans le sens des fils, on apperçoit que les fils se roulent les uns sur les autres, comme le font les fibrilles du chanvre quand on en fait du fil, mais outre cela les fils se tortillent un peu plus qu'ils ne l'étoient : examinez ce qui doit résulter de ce tortillement particulier des fils & de leur tortillement général les uns sur les autres. Les fils, en se roulant les uns sur les autres, acquierent un certain degré de tension qui bande leurs fibres à ressort, lesquelles par leur réaction tendent à se redresser & à reprendre leur premier état : ainsi la direction de leur mouvement quand elles se redresseront, sera contraire à la direction du mouvement qui les aura tortillées. On peut imaginer au centre de chaque toron un fil qui ne feroit que se tordre, si on tournoit les manivelles du chantier dans le même sens que les fils sont tortillés ; & l'on voit que tous les autres fils qui recouvrent celui qui est dans l'axe, l'enveloppent en décrivant autour de lui des hélices, qui sont d'autant plus courtes que les fils sont plus éloignés de ce premier fil qui est au centre. Suivant cette méchanique, les fils tendroient par leur force élastique à se redresser par un mouvement circulaire dont le centre est dans l'axe des torons : or c'est-là le mouvement qui est absolument nécessaire pour commettre les torons & en faire une corde. Si l'on examine à présent ce que peut produire le tortillement particulier de chaque fil sur lui-même ; on sera obligé de convenir que plus les fils sont tortillés, plus ils acquierent de force élastique, & plus ils tendent à se détordre : mais quelle est la direction de cette réaction ? C'est par une ligne circulaire dont le centre du mouvement est dans l'axe de chaque fil, & non pas dans l'axe des torons ; chaque fil tendra donc à tourner sur lui-même, ce qui produira un mouvement dont l'effet est presque inutile pour le commettage de la corde, quoiqu'il fatigue beaucoup chaque fil en particulier. Ces fils sont à cet égard comme autant de ressorts qui travaillent chacun en particulier, mais qui ne concourent point à produire de concert l'effet desiré. Il faut néanmoins remarquer que le tortillement que chaque fil acquiert dans le cas dont il s'agit, les roidit : or un toron composé de fils roides doit avoir plûtôt acquis la force élastique qui lui est nécessaire pour être commis, qu'un fil qui est mou, parce que les fils roides tendront avec plus de force à détordre les torons, que ne le feront des fils mous. D'où il suit que si l'on tord les torons dans le sens des fils, on pourra se dispenser de les tordre autant que si on les tordoit dans un sens opposé à celui des fils ; ce qui pourroit faire croire qu'on gagneroit en force par la diminution du tortillement des torons, ce qu'on perdroit par le surcroît de tortillement qu'on donneroit aux fils. Pour que cette conséquence fût juste, il faudroit que toute l'élasticité que les fils acquierent chacun en particulier, fût entierement employée à procurer aux torons l'élasticité qui leur est nécessaire pour se commettre : or cela n'est pas.

Voyons maintenant ce qui arrive lorsqu'on tortille les torons dans un sens opposé au tortillement des fils. A mesure qu'on tortille les torons, les fils se détordent ; néanmoins les torons acquierent peu-à-peu l'élasticité nécessaire pour les commettre : il faut nécessairement tordre plus les torons, quand on le fait en sens contraire des fils, que quand on les tord dans le même sens ; mais dans ce dernier cas la diminution du tortillement des torons ne compense point le tortillement particulier des fils, qui prennent des coques & qui deviennent durs & incapables de se prêter sans dommage aux contours qu'on leur fait prendre ; au lieu que quand on tord les torons dans un sens opposé au tortillement des fils, les fils qui perdent une partie de leur tortillement, deviennent souples & plus capables de prendre toutes les formes nécessaires.

Les cordages qu'on nomme de main torse, & à Rochefort des garochoirs, ne different donc des aussieres ordinaires qu'en ce que les derniers ont leurs torons tortillés dans un sens opposé au tortillement des fils, & que les mains torses au contraire ont leurs torons tortillés dans le même sens que les fils, ensorte qu'on profite d'une partie de l'élasticité des fils pour commettre la corde ; c'est pour cela que les torons n'ont pas besoin d'être tant tortillés pour acquérir l'élasticité qui leur est nécessaire pour être réduits en corde : aussi se raccourcissent-ils beaucoup moins, & par conséquent la corde reste plus longue, c'est un avantage pour l'économie des matieres. Il reste à savoir s'il est aussi favorable pour la force des cordes, pour cela il faut avoir recours à l'expérience ; mais auparavant il faut remarquer que quand on tord les torons dans le sens des fils, si on ne charge prodigieusement le quarré, tous les fils prennent d'intervalle en intervalle des coques ou des commencemens de coques ; & pour peu qu'on continue à donner du tortillement aux torons, on apperçoit visiblement que cela dérange la direction du chanvre dans les fils, & produit des inégalités de tension pour chaque fil : d'ailleurs, puisque dans les mains torses le fil se tord plus qu'il ne l'étoit, & que dans les aussieres le fil se détord un peu, on doit regarder les mains torses comme étant faites avec du fil extrèmement tortillé, & les aussieres avec du fil beaucoup plus mou. Or il a été dit, en parlant des fileurs, que ce dernier cas est le plus avantageux, & l'expérience l'a confirmé.

Suite de la main d'oeuvre. On a vû à l'occasion du bitord & du merlin, qu'il falloit que les fils qui composent ces menus cordages fussent d'égale grosseur, & dans un égal degré de tension & de tortillement : il en est de même des torons ; & les Cordiers prennent des précautions pour qu'ils soient également gros & également tendus : il faut de plus qu'ils ne soient pas plus tortillés les uns que les autres ; c'est pourquoi les maîtres Cordiers recommandent aux ouvriers qui sont sur les manivelles, de virer tous ensemble, afin que tous fassent un nombre égal de révolutions. Si néanmoins, soit par la négligence des ouvriers, soit par d'autres raisons, il arrive qu'il y ait un toron qui soit moins tors que les autres, le maître cordier s'en apperçoit bientôt, ou parce que le quarré est tiré de côté, ou parce qu'il y a un toron qui baisse plus que les autres : alors il ordonne aux manivelles qui répondent aux torons trop tendus, de cesser de virer, afin de laisser l'autre manivelle regagner ce qu'elle a perdu ; & quand le toron précédemment trop lâche est bien de niveau avec les autres, il ordonne à toutes les manivelles de virer. Comme cette manoeuvre se répete assez fréquemment pour éviter la confusion, le maître cordier convient avec tous ses ouvriers des noms que chaque toron doit avoir ; ce qui fait qu'ils entendent les ordres que le maître cordier donne. Enfin quand les torons ont le degré convenable de tortillement, le maître cordier, avant de mettre le toupin, ne doit jamais manquer de vérifier si ces torons sont bien de niveau, & si le quarré n'est point de biais.

Répartition du raccourcissement. On sait ce que c'est que de commettre un cordage au tiers, au quart, &c. & que l'usage général est de le commettre au tiers ; mais lorsqu'on commet une aussiere, il faut que ce tiers de raccourcissement soit réparti entre les deux opérations, savoir de tordre les torons, & de commettre la corde. Il y a des cordiers qui divisent en deux ce raccourcissement, & en employent la moitié pour le raccourcissement des torons, & l'autre pour le commettage : par exemple, s'ils veulent faire une piece de 120 brasses, ils l'ourdissent à 180, il y a donc 60 brasses de raccourcissement ; ils en employent 30 pour le tortillement des torons, & les 30 autres pour commettre la piece. Il y en a d'autres qui employent plus de la moitié pour le raccourcissement des torons, quarante brasses, par exemple, & ils ne réservent que vingt brasses pour commettre la piece. Chacune de ces pratiques a ses partisans, & peut-être ses avantages & ses inconvéniens. C'est ce que l'on examinera après avoir achevé le commettage d'une aussiere à trois torons.

Du commettage. Le maître cordier fait ôter la clavette de la manivelle qui est au milieu du quarré ; il en détache le toron qui y correspond, & le fait tenir bien solidement par plusieurs ouvriers afin qu'il ne se détorde pas : sur le champ on ôte la manivelle, & dans le trou du quarré où étoit cette manivelle, on en place une plus grande & plus forte, à laquelle on attache non-seulement le toron du milieu, mais encore les deux autres ; de telle sorte que les trois torons se trouvent réunis à cette seule manivelle, qui tient lieu de l'émerillon dont nous avons parlé à l'endroit du bitord. Comme il faut beaucoup de force élastique pour ployer ou plûtôt rouler les uns sur les autres des torons qui ont une certaine grosseur, il faudroit tordre extrèmement les torons, pour qu'ils pussent se commettre d'eux-mêmes, s'ils étoient simplement attachés à un émerillon : c'est pour cela qu'au lieu d'un émerillon on employe une grande manivelle qu'un ou deux hommes font tourner, pour concourir avec l'effort que les torons font pour se commettre. Ainsi par le moyen des manivelles, il suffit que les torons ayent assez de force élastique pour ne se point séparer quand ils auront été une fois commis ; au lieu qu'il en faudroit une énorme pour obliger des torons un peu gros à se rouler d'eux-mêmes les uns sur les autres par le seul secours de l'émerillon. Veut-on savoir à-peu-près à quoi se monteroit cette force ? on n'a qu'à remarquer qu'indépendamment de l'effort que les torons élastiques font pour se commettre, il faut qu'un, deux, trois, & quelquefois quatre hommes, travaillent de toute leur force sur la manivelle, pour aider aux torons élastiques à produire leur effet. Ce n'est cependant pas tout ; on est encore obligé, quand les cordes sont grosses, d'en distribuer 20 ou 30, Y, Z, Pl. III. divis. 2. qui avec des manuelles secourent ceux qui sont à la grande manivelle, comme nous l'expliquerons dans un moment : mais on voit dès-à-présent que quand il s'agit de grosses cordes, on romproit plûtôt les torons, que de leur procurer assez d'élasticité pour se rouler & se commettre d'eux-mêmes les uns sur les autres. Les torons étant disposés comme nous venons de le dire, on les frotte avec un peu de suif, ou encore mieux de savon, pour que le toupin coule mieux ; ensuite on place le toupin, qui doit être proportionné à la grosseur des cordes qu'on commet, & qui doit avoir trois rainures quand l'aussiere qu'on commet est à trois torons ; on place, dis-je, le toupin dans l'angle de réunion des trois torons. Si les cordages sont menus, comme des quaranteniers, on ne se sert point de chariots ; deux hommes prennent le barreau de bois R, même Pl. même divis. qui traverse le toupin, & le conduisent sans avoir besoin d'autre secours. Mais quand la corde est grosse, on se sert du chariot, qu'on place le plus près que l'on peut du quarré. Les ouvriers qui sont sur la grande manivelle tournent quelques tours, la corde commence à se commettre, & le toupin s'éloigne du quarré : on le conduit à bras jusqu'à ce qu'il soit arrivé à la tête du chariot où on l'attache très-fortement au moyen de la traverse de bois R ; alors toutes les manivelles tournent, tant la grande du quarré que les trois du chantier. Le maître cordier examine si sa corde se commet bien, & il remédie aux défauts qu'il apperçoit, qui dépendent ordinairement, ou de ce que le toupin est mal placé, ou de ce qu'il y a des torons qui sont plus lâches les uns que les autres : on remédie à ce dernier défaut, en faisant virer les manivelles qui répondent aux torons qui sont trop lâches, & en faisant arrêter celles qui répondent aux torons qui sont trop tendus. Enfin quand il voit que sa corde se commet bien régulierement, il met la retraite du chariot : elle est formée par deux longues livardes ou cordes d'étoupe T, même Pl. divis. 2. qui sont bien attachées à la traverse du toupin, & qu'on entortille plus ou moins autour de la piece qui se commet, suivant qu'on veut que le chariot aille plus ou moins vite. Quand tout est ainsi bien disposé, le chariot avance, la corde se commet, les torons se raccourcissent, & le quarré se rapproche de l'attelier. Lorsque les pieces de cordage sont fort longues, & elles le sont presque toûjours pour la Marine, la grande manivelle du quarré ne pourroit pas communiquer son effet d'un bout à l'autre de la piece ; c'est pourquoi un nombre d'hommes Y, Z, même Pl. même div. plus ou moins considérable, suivant la grosseur du cordage, se distribue derriere le toupin ; & à l'aide des manuelles, ils travaillent de concert avec ceux de la manivelle du quarré à commettre la corde, ou, comme disent les Cordiers, à faire courir le tord que donne la manivelle du quarré. On voit qu'à mesure que le toupin fait du chemin & que la corde se commet, les torons perdent de leur tortillement ; & ils le perdroient entierement, si l'on n'avoit pas l'attention de leur en fournir de nouveau : c'est pour cela que le maître cordier ordonne aux ouvriers qui sont aux manivelles du chantier, de continuer à les tourner plus ou moins vite, suivant qu'il le juge nécessaire. Pour que la vitesse des manivelles soit bien réglée, il faut qu'elle répare tout le tord que perdent les torons, & que ces torons restent dans un dégré égal de tortillement ; les Cordiers en jugent assez bien par habitude. Mais il y a un moyen bien simple pour reconnoître si les torons perdent ou acquierent du tortillement, il ne faut que faire avec un morceau de craie une marque sur un des torons, vis-à-vis un des chevalets qui sont compris entre le toupin & le chantier. Si cette marque reste toûjours sur le chevalet, c'est signe que les manivelles du chantier tournent assez vîte ; si la marque de craie sort de dessus le chevalet & s'approche du chantier à commettre, c'est signe que les manivelles tournent trop vîte ; si au contraire la marque s'éloigne de ce chantier, c'est signe que les manivelles tournent trop lentement, & que les torons perdent de leur tortillement. La raison de cette épreuve est sensible : si les manivelles tournent trop vîte, elles augmentent le tortillement des torons, les torons qui sont plus tortillés se raccourcissent, & la marque de craie s'approche du chantier : si les manivelles tournent trop lentement, les torons qui perdent de leur tortillement s'allongent, & la marque de craie s'éloigne du chantier ; mais elle reste à sa même place si l'on entretient les torons dans un même degré de tortillement, qui est le point où l'on tend. C'est un moyen bien simple & bien commode de reconnoître si les torons conservent leur degré de tortillement ; circonstance qui influe beaucoup sur la perfection d'une piece de cordage ; puisque si l'on augmentoit le tortillement des torons, la corde seroit plus tortillée du côté du chantier à commettre, que de l'autre bout : le contraire arriveroit si on négligeoit d'entretenir le tortillement des torons ; & comme il convient de faire ensorte que les cordes ayent le plus précisément qu'on le peut un certain degré de tortillement, on conçoit qu'il est essentiel que ce degré soit le même dans toute la longueur de la corde. On peut encore reconnoître si la corde se commet bien, en examinant si le toupin avance uniformément ; car si les manivelles du chantier tournent trop vîte relativement à la manivelle du quarré, les torons sont plus tortillés qu'ils ne devroient être : ils deviennent donc plus roides & plus difficiles à commettre ; ce qui retarde la marche du toupin. Si au contraire on laisse perdre le tortillement des torons, ils deviennent plus flexibles, ils cedent plus volontiers à l'effort que fait la manivelle du quarré avec les manuelles pour commettre le cordage, & pour lors le toupin en avance plus vîte. Les Cordiers savent bien profiter de ces moyens pour donner à leur corde précisément la longueur qu'ils se sont proposée, comme nous allons l'expliquer : mais comme ils tirent vanité de cette justesse, il ne leur arrive que trop souvent de lui sacrifier la bonté de leur ouvrage de la maniere qui suit.

Mauvaise industrie des Cordiers. Nous avons dit qu'on ourdissoit une piece qu'on vouloit qui eût 120 brasses, à 180, pour que les torons pussent se raccourcir de 60 brasses, tant en les tordant qu'en les commettant : nous avons dit outre cela que le raccourcissement des torons, quand on les tord, se montoit à 40 brasses ; il reste donc 20 brasses de raccourcissement pour l'opération du commettage. Les Cordiers se font un point d'honneur de donner précisément ce raccourcissement, afin que leur piece de cordage ait juste la longueur qu'ils se sont proposée ; ils le font ordinairement : mais la difficulté est de répartir bien également ce tortillement dans toute la longueur de la piece ; c'est ce qu'il n'est pas aisé de faire, & à quoi ils réussissent très-rarement. Il faudroit pour cela, lorsqu'on commet une aussiere au tiers, que la vîtesse du toupin fût à celle du quarré, précisément comme 140 est à 20, ou comme 7 est à 1, si l'on employe quarante brasses pour le raccourcissement des torons ; ou comme 150 est à 30, ou 5 à 1, si l'on employe trente brasses pour le raccourcissement des torons ; ou comme 160 est à 40, ou 4 à 1, si l'on n'employe que vingt brasses pour le raccourcissement des torons. Si l'on choisit la premiere hypothese, il faudroit donc que la vitesse du toupin fût sept fois plus grande que celle du quarré, ou que le toupin fît sept brasses pendant que le quarré en feroit une. On conçoit bien que cette proportion est bien difficile à attraper ; c'est pourquoi lorsque les Cordiers s'apperçoivent qu'il leur reste beaucoup de corde à commettre, & que le quarré approche des 120 brasses qu'ils doivent donner à leur piece, ils font tourner très-vite la manivelle du quarré, & fort lentement celle du chantier ; avec cette précaution le quarré n'avance presque plus, & le toupin va fort vîte : au contraire, s'il voyent que leur corde est presque toute commise, & que le quarré est encore éloigné de 120 brasses, ils font tourner très-vîte les manivelles du chantier, & lentement celles du quarré ; alors les torons prennent beaucoup de tord, le quarré avance peu pendant que la corde se commet & que le chariot avance plus vîte ; par ce moyen le quarré arrive aux 120 brasses assez précisément dans le même tems que le toupin touche à l'attelier ; & le cordier s'applaudit, quoiqu'il ait fait une corde très-défectueuse, puisqu'elle est beaucoup plus tortillée d'un bout que de l'autre. Il vaudroit mieux laisser la piece de cordage tant soit peu plus longue & un peu moins torse, plûtôt que de fatiguer ainsi les torons par un tortillement forcé. Enfin le toupin arrive peu-à-peu tout près de l'attelier, il touche aux palombes ; alors la corde est commise, & les ouvriers qui sont aux manivelles du chantier cessent de virer. Il y auroit un moyen bien simple de régler assez précisément les marches proportionnelles du quarré & du toupin ; ce seroit d'attacher au chariot un fil de carret noir qui s'étendroit jusque sous le chantier où un petit garçon le tiendroit ; ce fil serviroit à exprimer la vîtesse de la marche du toupin. On attacheroit au quarré une moufle à trois roüets, & au chantier aussi une moufle à pareil nombre de roüets ; on passeroit un fil blanc dans ces six roüets ; un bout de ce fil seroit attaché à la moufle du quarré & le petit garçon tiendroit l'autre qu'il joindroit avec le fil noir : ce fil blanc exprimeroit la vitesse du quarré. Il est évident que si la marche du chariot étoit sept fois plus rapide que celle du quarré, les deux fils que le petit garçon tireroit à lui seroient également tendus ; s'il s'appercevoit que le fil blanc devint plus lâche que le noir, ce seroit signe que le quarré iroit trop vite, & on y remédieroit sur le champ en faisant tourner moins vîte les manivelles du chantier, ou plus vite celle du quarré, ou en lâchant un peu la livarde du chariot : si au contraire le fil noir mollissoit, on pourroit en conclure que le chariot iroit trop vite ; & il seroit aisé d'y remédier en faisant tourner plus vite les manivelles du chantier, ou plus lentement celle du quarré, ou en serrant un peu la livarde ou retraite du chariot. Cette petite manoeuvre ne seroit pas fort embarrassante, & néanmoins elle produiroit de grands avantages ; car presque toutes les cordes sont commises dans une partie de leur longueur beaucoup plus serrée que le tiers ; à d'autres endroits elles ne le sont pas au quart ; & il y a bien des cordages où on auroit peine à trouver deux brasses qui fussent commises précisément au même point. Dans l'hypothese présente nous avons supposé qu'on se proposoit de commettre une corde au tiers, & qu'ainsi la marche du chariot devoit être à celle du quarré comme 7 est à 1 : il est clair qu'il faudroit varier le nombre des roüets des mouffles, si on se proposoit que la marche du chariot fût à celle du quarré comme 5 est à 1, ou comme 4 est à 1 : ou, ce qui est la même chose, si au lieu de commettre une corde au tiers, on se proposoit de la commettre au quart ou au cinquieme : mais dans tous ces cas le problème est aisé à resoudre, puisqu'il consiste à faire ensorte que le fil noir du chariot soit au nombre des fils blancs qui passent sur les rouets, comme la vîtesse du chariot doit être à celle du quarré. On s'apperçoit bien que nous avons recommandé de mettre un fil noir au chariot, & un fil blanc au quarré, pour qu'on pût reconnoître plus aisément à qui appartient le fil qui molliroit.

Autre mauvaise pratique des Cordiers. Quand le quarré n'est pas rendu aux 120 brasses, qui est la longueur que je suppose que l'on veut donner à la piece de cordage, quoique le toupin touche aux palombes, il y a des Cordiers qui continuent de faire virer la manivelle du quarré, pendant que les manuelles du chantier restent immobiles ; ils tordent ainsi la piece de cordage qui se raccourcit, & ne comptent leurs pieces bien commises que quand le quarré est rendu aux 120 brasses qu'ils veulent donner à leur piece ; ils prétendent donner par-là plus de grace à leur cordage, & faire qu'il se roue plus aisément : mais ils sont mal fondés à le penser.

Détacher la piece & la faire rasseoir. Quand le maître cordier voit que sa piece est précisément de la longueur qu'il s'est proposé de la faire ; quand il pense qu'elle est suffisamment tortillée, qu'elle a toute sa perfection, & qu'elle est en état d'être livrée au magasin des cordages, il fait arrêter la manivelle du quarré, il fait lier avec un fil de carret goudronné, & le plus serré qu'il le peut, les trois torons les uns avec les autres, tant auprès du toupin qu'auprès de la manivelle du quarré, afin que les torons ne se séparent pas les uns des autres : on détache ensuite la piece, tant de la grande manivelle du quarré que des palombes, & on la porte sur des chevalets qui sont rangés à dessein le long du mur de la corderie, ou sur des piquets qui y ont été scellés pour cet usage. On travaille une autre piece de cordage, & pendant ce tems-là celle qui vient d'être commise se rasseoit, comme disent les ouvriers, c'est-à-dire que les fils prennent le pli qu'on leur a donné en les commettant ; & à la fin de la journée on roüe toutes les pieces qui ont été commises.

Roüer. Il faut de nécessité plier les cordages pour les conserver dans les magasins ; ceux qui sont fort gros, comme les cables, se portent tout entiers par le moyen des chevalets à rouleau, ou sur l'épaule : on les place en rond dans le magasin sur des chantiers. A l'égard des cordages de moindre grosseur, on les roüe dans la corderie, c'est-à-dire qu'on en fait un paquet qui ressemble à une roüe, ou plûtôt à une meule. Il faut expliquer comment on s'y prend pour cela.

Le maître cordier commence par lier ensemble deux bouts de corde d'étoupe, d'une longueur & d'une grosseur proportionnées à la grosseur du cordage qu'on veut roüer ; mais cette corde doit être très-peu tortillée, pour qu'elle soit fort souple : ces deux cordes ainsi réunies s'appellent une liasse. On pose cette liasse à terre, de façon que les quatre bouts fassent une croix ; ensuite mettant le pié sur l'extrémité de la corde qu'on veut roüer, on en forme un cercle plus ou moins grand, suivant la flexibilité & la grosseur de la corde, & on a soin que le noeud de la liasse se trouve au centre de ce cercle de corde. Quand la premiere révolution est achevée, on lie avec un fil de carret le bout de la corde avec la portion de la corde qui lui répond ; & cette premiere révolution étant bien assujettie, on l'enveloppe par d'autres qu'on serre bien les unes contre les autres, en halant seulement dessus, si la corde est menue & n'est point trop roide ; ou à coups de maillet, si elle ne veut pas obéir aux simples efforts des bras. On continue à ajoûter des révolutions jusqu'à ce qu'on ait formé une espece de bourlet en spirale, qui ait un pié, un pié & demi, deux piés ou plus de largeur, suivant que la corde est plus ou moins grosse ou longue. Ce premier rang de spirale fait, on le recouvre d'un autre tout semblable, excepté qu'on commence par la plus grande révolution, & qu'on finit par la plus petite : au troisieme rang on commence par la plus petite, & on finit par la plus grande ; au quatrieme on commence par la grande, & on finit par la petite : ce que l'on continue alternativement jusqu'à ce que le cordage soit tout roüé. Alors on prend les bouts de la liasse qui sont à la circonférence de la meule de cordages, on les passe dans la croix que forme la liasse au milieu de la meule ; & halant sur les quatre bouts à la fois, on serre bien toutes les révolutions les unes contre les autres. Quand on a arrêté les bouts de la liasse, & que la meule est bien assujettie, on la peut porter sur l'épaule, ou passer dans le milieu un levier pour la porter à deux ; on peut aussi la rouler, si la grosseur & le poids de la piece le demandent : car on n'a point à craindre que la meule se défasse. Le bitord, le lusin & le merlin sont trop flexibles pour être roüés ; on a coûtume de les dévider sur une espece de moulinet en forme d'écheveau, qu'on arrête avec une commande, ou, comme disent les tisserands, avec une centaine. Tous les soirs on porte les pieces qui ont été fabriquées, dans le magasin des cordages, où l'écrivain du Roi, qui en a le détail, les passe en recette après les avoir fait peser ; & cette recette doit quadrer avec la consommation qui a été faite au magasin des tourets, parce que dans cette opération il n'y a point de déchet. Le tord qu'on fait prendre aux pieces de cordage, lorsque le toupin est rendu auprès de l'attelier, après qu'elles sont commises, fait qu'elles se roüent plus aisément. Ce tortillement qui ne résulte point de la force élastique des torons, & qui est uniquement produit par la grande manivelle du quarré, donne à toute la piece un degré de force élastique qui fait que, si on la plioit en deux, elle se rouleroit, ou, ce qui est la même chose, les deux portions de cette corde pliée se commettroient un peu ; or cette force élastique qui donne aux cordes cette disposition à se rouler, fait aussi qu'elles se roüent plus aisément. Ceux qui prendront la peine de roüer une piece de cordage qui a reçû le tortillement dont nous venons de parler, en concevront aisément la raison ; c'est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas davantage : il nous suffira de faire remarquer que ce petit avantage doit être négligé, à cause des inconvéniens dont nous allons parler.

Il convient de faire remarquer que sur les vaisseaux on roüe différemment les cordages ; car on commence toûjours par la plus petite révolution, soit au premier, soit au second, soit au troisieme rang, jusqu'au bout de la corde. Cette pratique est préférée à bord des vaisseaux, parce que les cordages prennent moins de coques, & on l'appelle roüer à la hollandoise.

Nous avons observé en parlant du bitord, que le tortillement qui étoit produit par l'élasticité des torons, ne pouvoit pas se perdre ; mais que celui qui ne résultoit pas de cette élasticité, étoit semblable au tortillement d'un fil de carret, qui se détruit presqu'entierement si-tôt qu'on abandonne ce fil à lui-même. Assûrément le tortillement que les cordiers donnent à leurs pieces de cordage, quand elles sont commises, est dans ce cas. Il est donc certain que ce tortillement se perdra tôt ou tard par le service, d'où on peut déjà conclure qu'il est inutile. Ce tortillement ne laisse pas de subsister quelque tems dans les pieces à qui on l'a donné, ce qui produit une grande disposition à prendre des coques ; c'est un défaut considérable pour les manoeuvres qui doivent courir dans les poulies. Si le tortillement dont nous parlons subsistoit dans certaines manoeuvres qui sont arrêtées par les deux bouts, comme les haubans, il rendroit les hélices plus courtes, ce qui est toûjours desavantageux. Enfin par ce tortillement on fait souffrir aux fils un effort considérable qu'on pourroit leur épargner : tout cela prouve qu'il seroit à propos de le supprimer.

Mais on peut remarquer, 1°. que souvent le tortillement se perd par le service, & conséquemment que la dureté qu'il peut communiquer à la corde, s'évanoüit lorsque les hélices s'allongent, & l'inconvénient cesse. 2°. Que la corde détortillée, comme on vient de le dire, en devient plus longue, ce qui contribue à la rendre plus forte, puisqu'alors elle se trouve moins commise ; il est vrai que les maîtres cordiers pourroient lui procurer cet avantage sur le chantier ; mais comme leur préjugé s'y oppose, nous pourrions, en conservant cette pratique, les rapprocher de nos principes sans qu'ils s'en apperçussent. 3°. Comme il n'est presque pas possible que le toupin coule & s'avance uniformément le long des torons, on égalise à peu de chose près toutes les hélices qui se trouvent le long de la corde, par le tortillement qu'on donne en dernier lieu, puisqu'il est clair que ce seront les parties de la corde les plus molles ou les moins tortillées, qui recevront plus de ce dernier tortillement. 4°. Il arrive souvent que la force élastique occasionnée par le tortillement des torons, n'est pas entierement consommée par le commettage. En donnant à la piece le tortillement dont il s'agit, on répare cette inégalité, qui est toûjours un défaut pour le cordage. Cela arrive assez souvent dans les cordes où l'on prend les deux tiers du raccourcissement de la corde pour tordre les torons ; mais cela est encore plus visible dans les cordages de main torse ; car quand on ne leur donne pas le tortillement dont il s'agit, après qu'elles ont été commises, on les voit (quand elles sont abandonnées à elles-mêmes) se travailler & se replier comme des serpens, & cela dans le sens du commettage, comme si elles vouloient se tordre davantage, à quoi elles ne peuvent parvenir, soit par leur propre poids, soit par la situation où elles se trouvent.

On peut conclure de tout ce qui vient d'être dit, qu'il est bon de donner aux pieces, lorsqu'elles seront commises, un tortillement capable de les raccourcir d'une brasse ou deux, pourvû qu'on ait soin de le leur faire perdre avant que de les roüer.

Du mouvement de la manivelle du quarré. Nous avons dit qu'on n'employoit la manivelle du quarré que pour tenir lieu de l'émerillon, qui suffit quand on commet du bitord ou du merlin, & que cette grande manivelle devoit agir de concert avec l'élasticité des torons, pour les faire rouler les uns sur les autres, en un mot pour les commettre. Mais si la manivelle du quarré tourne trop lentement, eu égard à la force élastique que les torons ont acquise, quand la corde sera abandonnée à elle-même, elle tendra à se tordre, & elle fera des plis semblables à ceux d'une couleuvre, ce qui est un défaut, si au contraire la manivelle du quarré tourne plus vite qu'il ne convient, elle donnera aux cordages plus de tortillement que l'élasticité des torons ne l'exige, & il en résultera le même effet que si l'on avoit tortillé la piece après qu'elle a été commise, c'est-à-dire que le cordage aura une certaine quantité de tortillement, qui, n'étant point l'effet de l'élasticité des fils, ne pourra subsister, & ne servira qu'à fatiguer les fils, & à rendre les cordages moins flexibles. Ce ne sont cependant pas là les seuls inconvéniens qui résultent de cette mauvaise pratique : nous en allons faire appercevoir d'autres.

Pour mieux reconnoître la défectuosité des pratiques que nous venons de blâmer, examinons ce qui doit arriver à une manoeuvre courante, à une grande écoute, par exemple, à un gros cable, &c. en un mot, à un cordage qui soit retenu fermement par un de ses bouts, & qui soit libre par l'autre ; & pour le voir sensiblement, imaginons un quarantenier qui soit attaché par un de ses bouts à un émerillon, & qui réponde par l'autre à un cabestan. Si ce cabestan vient à faire force sur le quarantenier, de quelque façon qu'il soit commis, aussi-tôt le crochet de l'émerillon tournera, mais avec cette différence, que si le quarantenier a été commis un peu mou, & s'il n'a été tortillé que proportionnellement à l'élasticité de ses torons, le crochet de l'émerillon tournera fort peu, au lieu qu'il tournera beaucoup plus, si le quarantenier a été commis fort serré, & s'il a été plus tortillé que ne l'exigeoit l'élasticité des torons ; c'est une chose évidente par elle-même, & que l'expérience prouve.

Cette petite expérience, toute simple qu'elle est, fait appercevoir sensiblement que les cables des ancres très-tords, qui l'ont été plus que ne l'exigeoit l'élasticité des torons, font un grand effort sur les ancres pour les faire tourner, sur-tout quand à l'occasion du vent & de la lame les vaisseaux forceront beaucoup sur leur ancre ; or comme le tranchant de la patte des ancres peut aisément couper le sable, la vase, la glaise, & les fonds de la meilleure tenue, il s'ensuit que pour cette seule raison les ancres pourront déraper & exposer les vaisseaux aux plus grands dangers. Tout le tortillement que la manivelle du quarré fait prendre à une piece de cordage, au-delà de ce qu'exige l'élasticité des torons, donne à ce cordage un degré de force élastique qui fait que quand on en plie une portion en deux, elles se roulent l'une sur l'autre, & se commettent d'elles-mêmes : or il est bien difficile, quand on manie beaucoup de manoeuvres, d'empêcher qu'il ne se fasse de tems en tems des plis. Si la corde est peu tortillée, ces plis se défont aisément & promptement ; mais si elle a été beaucoup tortillée, & sur-tout si elle l'a plus été que ne l'exigent les torons dont elle est composée, la portion de la corde qui forme le pli, étant roulée comme nous venons de l'expliquer, il en résulte une espece de noeud qui se serre d'autant plus, qu'on force davantage sur la corde ; c'est cette espece de noeud, ou plûtôt ce tortillement bien serré, que les marins appellent une coque. Quand un cordage qui a une coque, doit passer dans une poulie, souvent les étropes, ou la poulie elle-même, sont brisés ; la manoeuvre est toûjours interrompue. Un homme adroit a bien de la peine à défaire ces coques avec un épissoir ; souvent les matelots sont estropiés, & le cordage en est presque toûjours endommagé ; ce qui fait que les marins redoutent beaucoup, & avec raison, les cordages qui sont sujets à faire des coques.

De la charge du quarré. Nous nous sommes contentés d'expliquer ce que c'étoit que le quarré ou la traîne, en donnant sa description, & de rapporter en général quels sont ses usages. Nous avons dit à cette occasion qu'on le rendoit assez pesant par des poids dont on le chargeoit, pour qu'il tînt les fils dans un degré de tension convenable ; mais nous n'avons point fixé quelle charge il falloit mettre sur le quarré.

Pour entendre ce que nous avions à dire à ce sujet, il étoit nécessaire d'être plus instruit de l'art du cordier. Il convient donc de traiter cette matiere, qui est regardée comme fort importante par quelques cordiers. Le quarré doit par sa résistance tenir les torons, à mesure qu'ils se raccourcissent, dans un degré de tension qui permette au cordier de les bien commettre : voilà quel est son objet d'utilité. Si le quarré n'avoit pas une certaine pesanteur, il est clair qu'il ne satisferoit pas à ce qu'on en attend ; les torons ne seroient pas tendus, & le cordier ne pourroit pas juger si sa corde a été bien ourdie. Pour peu qu'un des torons fût plus tendu que les autres, la direction du quarré seroit changée, il se mettroit de côté. Comme le traîneau éprouve nécessairement plus de frottement dans des tems que dans d'autres, quand, après que le quarré auroit éprouvé quelque résistance, il se trouveroit sur un plan bien uni, les torons élastiques le tireroient par une secousse à laquelle il obéiroit à cause de sa légereté, & bientôt sa marche seroit dérangée. Enfin, pour que le toupin courre bien, ce qui est toûjours avantageux, il faut que le quarré fasse quelque résistance ; car qui est-ce qui fait marcher le toupin ? c'est la pression des torons, c'est l'effort qu'ils font pour se commettre, ou par leur élasticité, ou par l'effet de la manivelle du quarré, qui fait qu'ils s'enveloppent les uns dans les autres. Si le quarré ne résistoit pas à un certain point, s'il obéissoit trop aisément à la tension des torons, il se rapprocheroit trop vîte du chantier, pendant que le toupin iroit lentement, à cause qu'il seroit moins pressé par les torons : il est donc évident qu'il faut que le quarré fasse une certaine résistance.

Mais si au contraire le quarré étoit extrèmement chargé, il en résulteroit d'autres inconvéniens : car comme c'est le raccourcissement des torons causé par le tortillement, qui oblige le quarré de se rapprocher du chantier ; comme il faut, par exemple, plus de force pour tirer six quintaux sur un plan que pour en tirer trois, il faudra que la tension des torons soit double pour faire avancer le quarré qui pesera six quintaux, de ce qu'elle seroit pour le faire avancer d'une pareille quantité s'il ne pesoit que trois quintaux. Les torons sont donc tendus proportionnellement à la charge du quarré, parce que la tension des torons vient du tortillement qu'on leur donne : donc le tortillement augmente proportionnellement à la tension, & la tension proportionnellement à la résistance du quarré ou à son poids, de sorte que le poids du quarré pourroit être tel que sa résistance seroit supérieure à la force des torons, alors ils romproient plûtôt que de le faire avancer. C'est ce qui est arrivé plusieurs fois dans les corderies, sans que pour cela les Cordiers qui voyoient rompre un toron sur leur chantier, pensassent à chercher la cause de cet accident : ils envisagent seulement que plus un cordage est serré, plus il paroît uni, mieux arrondi, & qu'on apperçoit moins ses défauts ; mais ils ne font pas attention que ce cordage est tellement affoibli par l'énorme tension que ses fils ont éprouvée, que quantité de ces fils sont rompus, & que les autres sont tout prêts à rompre par les efforts qu'ils auront à éprouver. Cependant on voit les tournevires, les rides de haubans, les haubans même, &c. se rompre ; on examine les cordages, on voit que la matiere en est bonne, que le fil est uni & serré, que la corde est bien ronde, & cela suffit pour disculper le cordier ; l'on ne veut pas voir que ce fil n'est uni que parce qu'il est très-tortillé, & que la corde n'est bien ronde que parce que les fibres du chanvre qui la composent, sont dans une tension si prodigieuse qu'ils sont tout prêts à se rompre ; le maître cordier lui-même qui a vû les fils & même les torons rompre sur son chantier, ne fait pas des réflexions si naturelles, & continue obstinément à suivre sa mauvaise pratique.

Nous ne prétendons pas que pour faire de bonnes cordes il suffise de diminuer la charge du quarré ; car il paroît évident qu'en mettant une grande charge sur le quarré, & raccourcissant peu les torons, on pourroit avoir une corde de même force que si l'on chargeoit peu le quarré, & qu'on raccourcît les torons d'une plus grande quantité. Par exemple, si pour avoir deux aussieres de 120 brasses on en ourdit une à 180, & qu'on charge le quarré seulement de 320 livres ; & qu'on ourdisse l'autre seulement à 160 brasses, mais qu'on charge le quarré de 360 livres, peut-être ces deux cordes étant réduites à 120 brasses seront-elles d'égale force. Nous disons peut-être, parce que nous ne sommes pas sûrs que dans cet exemple la charge du quarré soit assez différente pour compenser la différence que nous avons supposée dans le raccourcissement des torons ; nous voulons seulement donner à entendre par cet exemple, l'effet qui peut résulter de la différente charge qu'on met sur le quarré : mais pour être encore plus certain de l'effet que la charge du quarré peut faire sur la force des cordes, il faut consulter l'expérience.

On a fait faire avec de pareil fil deux aussieres tout-à-fait semblables, qui toutes deux étoient commises au tiers, mais la charge du quarré étoit différente pour l'une & pour l'autre ; si l'on avoit suivi l'usage du cordier, on auroit mis, y compris le poids du quarré, 550 livres. Pour une de nos aussieres nous avions augmenté ce poids de 200 livres, ce qui faisoit 750 livres, & pour l'autre nous l'avions diminué de 200 livres ; ainsi le poids du quarré n'étoit que de 350 livres, & la différence de la charge du quarré pour ces deux cordages étoit de 400 livres : c'étoit la seule, car chaque bout de ces cordages pesoit, poids moyen, 7 livres 11 onces 4 gros. Voyons quelle a été leur force. Chaque bout du cordage dont le quarré n'avoit été chargé que de 350 livres, a porté 5425 livres. Et chaque bout du cordage dont le quarré avoit été chargé de 750 livres, n'a pû porter force moyenne, plus de 4150 livres, D'où l'on voit combien il est dangereux de trop charger le quarré. Mais il convient de rapporter ici quel est l'usage de la plûpart des maîtres Cordiers. Il y en a qui mettent sur le quarré le double du poids du cordage ; par exemple, s'ils veulent commettre un cable de douze pouces de circonférence, sachant qu'un cordage de cette grosseur & de 120 brasses de longueur pese à-peu-près 3400 à 3500 livres, ils mettront sur le quarré 6800 livres. D'autres diminuent un douzieme, & ils mettront sur le quarré 6235 livres. A Rochefort, on met sur le quarré le poids de la piece, plus la moitié de ce poids ; ainsi supposant toûjours que le cable de 12 pouces pese 3400 livres, ils chargent le quarré de 5100 livres. Assûrément cette méthode ne fatigue pas tant les fils que la précédente. Cependant on a trouvé que, quand les cordes étoient moins longues, elles se commettoient très-bien en n'ajoûtant que le tiers ou le quart au poids de la corde ; ainsi dans le cas dont il s'agit, si la corde n'avoit que 60 brasses de long, on pourroit ne mettre sur le quarré que 4533 livres ; ou même si elle étoit encore plus courte, 3825 livres suffiroient : en un mot, pourvû que l'on ne tombe pas dans l'excès de charger le quarré de presque le double du poids de la piece, il n'y a pas grand inconvénient à suivre la méthode de Rochefort, surtout pour les cordages qu'on ne commet pas bien serré ; car ayant fait commettre un cordage au quart avec le quarré plus chargé qu'à l'ordinaire, & un pareil cordage au tiers, le quarré étant moins chargé qu'à l'ordinaire, le cordage commis au quart s'est trouvé le plus fort : ce qui prouve qu'il y a plus d'avantage pour la force des cordes, de diminuer de leur raccourcissement, que de diminuer de la charge du quarré.

Nous croyons qu'on est maintenant assez instruit de la Corderie pour comprendre les considérations suivantes, que l'on peut regarder comme les vrais principes de l'art.

De la force des cordes, comparée à la somme des forces des fils qui les composent. Il est question de savoir en premier lieu, si la force des cordes surpasse la force des fils qui composent ces mêmes cordes. Le sentiment vulgaire (& plusieurs auteurs de réputation se sont efforcés de le soûtenir) est que deux fils tortillés l'un sur l'autre sont plus forts qu'étant pris séparément. Ce sentiment a été réfuté par l'expérience, & le raisonnement par MM. de Musschenbroeck & Duhamel. Voici les démonstrations de M. Duhamel. Voyez dans son ouvrage ses expériences.

1°. Les torons sont roulés en spirale ; donc leur surface extérieure occupe une plus grande place que l'intérieure ; donc la partie extérieure de ces torons est plus tendue que l'intérieure ; donc elle porte un plus grand poids, car ces fibres déjà tendues ne pourront s'allonger pendant que les autres seront en état de céder : donc elles rompront plus promptement.

2°. On ne peut tordre les fils, qu'on ne les charge d'une force pareille à un poids qu'on leur appliqueroit ; si on les tord trop, cette seule force est capable de les faire rompre : ainsi il n'est pas possible qu'ils n'en soient affoiblis.

3°. Quand on charge une corde tortillée, elle s'allonge, & toutes les fibres qui sont plus tendues se rompent, les autres se frottent & s'alterent, ce qui tend toûjours au détriment de la corde.

4°. La direction oblique des fils tortillés contribue aussi à l'affoiblissement des cordes ; pour cela examinons quelle est la disposition des cordons qui composent une corde : ce qu'on pourra voir dans la fig. 13. Pl. V. qui représente une corde composée de deux cordons, dont les deux bouts ne sont pas achevés de tortiller. Le cordon A P, qui n'est pas ombré dans la figure, est roulé ou tortillé sur le cordon C P qui est ombré, de même que le cordon C P est roulé ou tortillé sur le cordon A P ; ensorte qu'ils s'appuient l'un sur l'autre, & se croisent sans cesse dans tous les points, comme ils le font au point P. La direction de chacun de ces cordons est en forme d'hélice ; car nous supposons ici une corde parfaite dont les deux cordons soient égaux en tout sens, & par conséquent que les deux hélices formées par leurs deux directions soient égales, ensorte que le cordon C P soit autant courbé ou incliné sur le cordon A P, que le cordon A P est incliné vers le cordon C P. Cette égalité d'inclinaison doit subsister, & subsiste en effet dans tous les points imaginables de la longueur de la corde : ainsi ce qu'on pourra dire d'un point pris arbitrairement, pourra s'entendre de tous en particulier.

Nous avons dit en premier lieu que par le tortillement ces deux cordons se croisent, d'où il suit qu'ils forment continuellement de nouveaux angles. Nous avons dit en second lieu que les deux cordons étoient également inclinés l'un vers l'autre ; d'où il suit que les angles qu'ils forment en se croisant, sont égaux dans toute la longueur de la corde : mais comment découvrir la quantité de ces angles formés par la rencontre des deux hélices ? Il sera aisé de le connoître si l'on considere que les hélices, ainsi que toutes les autres courbes, peuvent être regardées comme étant composées d'une infinité de petites lignes droites ; & que les angles que forment sans cesse les deux hélices en se croisant, sont formés par la rencontre des petites lignes droites dont chacune d'elles est composée ; c'est-à-dire que l'angle P, par exemple, formé par les deux directions d'hélices des cordons, peut être regardé comme un angle rectiligne formé par la rencontre des deux petites lignes droites, dont P A & P C ne sont que le prolongé. Or qu'est-ce que c'est que le prolongé de petites, ou, si l'on veut, d'une des infiniment petites lignes droites dont une courbe est composée ? C'est sans contredit une tangente à cette courbe : donc l'angle P formé par la rencontre des deux petites lignes droites dont les deux hélices sont composées, peut être mesuré par l'angle que forment les deux tangentes A P & C P, en se rencontrant au point P, puisque les deux tangentes A P & C P ne sont que le prolongé des deux petites lignes dont les hélices sont composées.

Ce qui a été dit à l'égard du point P, peut se dire de tous les points imaginables pris dans la longueur de la corde ; ainsi il est constant qu'il n'y a pas un seul point de la corde dans lequel les cordons ne se croisent & ne forment un angle tel que l'angle P, duquel on pourra connoître la quantité en tirant par ce point pris où l'on voudra, deux tangentes à la direction des deux hélices, lesquelles seront respectivement paralleles aux deux lignes A P & C P. Il est question à présent d'examiner quel est l'effet que produit ce croisement des cordons, & s'il peut causer une augmentation ou une diminution de force à la corde qu'ils composent. Chacun des deux cordons porte sa part du fardeau appliqué au point H, & lui résiste avec un certain degré de force selon sa direction particuliere ; la direction des deux cordons est en forme d'hélice, ensorte qu'ils se croisent sans cesse, & forment dans tous les points des angles tels que l'angle P : d'où il suit que dans tous les points imaginables de la corde, le cordon A P, qui n'est pas ombré, résistera au fardeau appliqué au point H avec un certain degré de force dans une direction telle que A P, c'est-à-dire parallele à A P ; & de même le cordon C P qui est ombré, résistera au fardeau appliqué au point H avec un certain degré de force, tel que C P ou parallele à C P.

Si donc 1°. un fardeau appliqué au point H de la corde, agit pour la tendre dans la direction P H, il est certain que le point P sera tiré selon cette direction. 2°. Puisqu'il a été dit que le cordon qui n'est pas ombré résistera à l'effort du poids dans la direction A P, il est encore certain que le point P sera tiré ou retenu avec un certain degré de force selon la direction A P. 3°. De même puisqu'il a été dit que le cordon qui est ombré résiste à l'effort du poids dans la direction C P, il est encore certain que le point P sera tiré ou retenu dans la direction C P avec un certain degré de force : voilà donc le point P tiré par trois puissances qui agissent les unes contre les autres, pour le tenir en équilibre selon les directions P H, P A, P C. Or il est démontré que trois puissances qui tiennent un point mobile en équilibre, sont en même raison que les trois côtés d'un triangle qui sont menés perpendiculairement à leur direction : si donc, fig. 14. les lignes P H, P A, P C, représentent la direction de ces trois puissances, les lignes B E, B D, D E, qui forment le triangle B D E dont les côtés sont menés perpendiculairement aux directions des trois puissances, exprimeront la juste valeur de chacune de ces puissances. Ensorte que 1°. le côté B E exprimera le degré de force de la puissance H, c'est-à-dire du poids ; & si ce poids est tel que la moindre petite augmentation soit capable de faire rompre la corde, cette ligne B E exprimera le degré de force avec lequel les deux cordons réunis & tortillés ensemble pour former une corde, sont capables de résister à l'effort de ce poids. 2°. Le côté B D exprimera le degré de force de la puissance A, c'est-à-dire le degré de force avec lequel le cordon qui n'est pas ombré est capable de résister à l'effort d'un poids, si ce cordon étoit tiré selon cette direction. 3°. Le côté D exprimera le degré de force avec lequel le cordon ombré est capable de résister à l'effort d'un poids, si ce cordon étoit tiré selon cette direction seulement. Il suffit d'avoir les élémens les plus simples de la Géométrie, pour connoître que les deux côtés d'un triangle valent ensemble plus que le troisieme tout soul ; ainsi on conviendra que dans le triangle B D E, le côté B E est moindre que la somme des deux autres B D + D E : or le côté B E exprime le degré de force des deux cordons réunis & tortillés pour former une corde, les côtés B D & D E expriment le degré de force avec lequel chacun des deux cordons est capable de résister à l'effort d'un poids.

Autre démonstration. La direction des torons dans une corde composée de deux, peut être considérée comme deux torons séparés l'un de l'autre, & auxquels on donneroit la même direction que les torons ont dans la corde commise ; ainsi les deux torons P A, P C, 15, feront un angle d'autant plus ouvert, que la corde sera plus commise ; A P C, par exemple, si elle l'est au tiers ; I P L, si elle l'est au quart ; M P N, si elle l'est au cinquieme. Supposons maintenant, 16, que deux différentes personnes soûtiennent le poids H à l'aide des deux torons P C, P A, lequel soit capable de rompre chaque toron : l'effort composé qui résultera des deux forces particulieres P C, P A, sera représenté par P E, 17, qui est la diagonale du losange P A, E C ; cet effort composé marque tout le poids que peut soûtenir la corde, & cependant les deux efforts particuliers représentés par P C, P A, sont ensemble plus grands que l'effort composé représenté par P E ; c'est néanmoins cet effort particulier que les cordons ont à supporter. Il y a donc une partie de l'effort des cordons qui est en pure perte pour soûlever le poids ; c'est ce qui devient sensible par l'inspection de la fig. 18. car on apperçoit aisément que si la corde étoit plus tortillée, ou, ce qui est la même chose, si les torons P C, P A, 18, approchoient plus de la perpendiculaire à H E, leur direction étant changée, ils produiroient encore moins d'effet pour soûlever le poids H : chaque toron à la vérité aura la même force particuliere : puisque les lignes P C, P A, n'auront point changé de longueur ; mais comme les forces particulieres seront encore plus contraires dans leur direction, & comme elles s'accorderont moins à agir suivant la verticale pour soûlever le poids H, ou suivant la direction de la corde H P, leur effort commun sera encore plus petit, parce qu'il y aura plus de force employée suivant une direction latérale, & par conséquent de perdue pour soûlever le poids H. Enfin si la direction des cordons P C, P A, 19, étoit perpendiculaire à H E, l'effort composé seroit anéanti, & les forces P C, P A, ne tendroient nullement à soûlever le poids H. Il est évident que le contraire arriveroit si la corde étoit très-peu commise ; car alors les cordons P C, P A, 20, approchant de la direction P H, l'effort composé P E deviendroit plus considérable, & les forces agiroient plus de concert pour soûlever le fardeau H. Ces cordons P C, P H, pourroient même être tellement rapprochés l'un de l'autre, que la diagonale P E qui exprime l'effort composé seroit presqu'aussi longue que les lignes P C, P A, qui expriment les forces particulieres. Donc deux cordes réunies & tortillées pour n'en faire qu'une, font moins d'effort pour résister à un poids, que ne feroient ces deux cordes si elles agissoient séparément selon leur direction : c'est-à-dire que par le tortillement qui a assemblé ces deux cordes, chacune d'elles a perdu une partie du degré de force qu'elle avoit auparavant pour résister à l'effort d'un poids ; & par conséquent qu'elles sont moins en état de résister à cet effort, que si elles étoient tirées par un poids égal selon leur longueur ; ce qu'il falloit démontrer.

C'est d'après les mêmes principes que l'auteur que nous analysons conclut, qu'il y auroit pareillement de l'avantage à ne raccourcir qu'au quart ou qu'au cinquieme, au lieu de suivre l'usage, qui est de raccourcir au tiers. C'est la certitude que le tortillement affoiblit les cordes, qui détermina M. de Musschenbroeck à chercher le moyen d'en faire sans cette condition. Voyez dans M. Duhamel l'examen de ses tentatives. Lorsqu'il arrive au toupin d'être rendu auprès de l'attelier avant que le quarré soit au tiers accordé par le cordier pour le raccourcissement des fils, ses cordages sont dits par le cordier commis au tiers mou ; & ceux en qui cela n'arrive pas, sont dits commis au tiers ferme. L'expérience a fait voir que les premiers étoient les plus forts. Le tortillement diminue donc toûjours la force des cordes ; mais on ne peut s'en passer : il faut nécessairement tordre les torons, & avant que de les commettre, & pendant qu'on les commet. Supposons qu'on veuille faire une piece de cordage commise, suivant l'usage ordinaire, au tiers, on ourdira les fils à 180 brasses, pour avoir un cordage de 120 de longueur ; ainsi les fils auront à se raccourcir de 60 brasses par le raccourcissement des torons qu'on tord, soit avant de les commettre, soit pendant qu'on les commet. Nous avons dit que quelques cordiers divisoient en deux le raccourcissement total, & en employoient la moitié pour le raccourcissement des torons avant que d'être commis, & l'autre lorsqu'on les commet : ainsi, suivant cette pratique, on raccourciroit les torons de 30 brasses avant que de mettre le toupin, & des 30 autres brasses pendant que le toupin parcouroit la longueur de la corderie. Nous avons aussi remarqué que tous les Cordiers ne suivoient pas exactement cette pratique, & qu'il y en avoit qui raccourcissoient leurs torons, avant que de les commettre, de 40 brasses, & seulement de 20 brasses pendant l'opération du commettage : c'est assez l'usage de la corderie de Rochefort. On pourroit penser que cette derniere pratique auroit des avantages ; car en tordant beaucoup les torons avant que de les commettre, on augmente l'élasticité des fils, ce qui fait que quand la corde sera commise elle doit moins perdre sa forme, & rester mieux tortillée : quand on la commettra, le toupin en courra mieux, les hélices que forment les torons seront plus allongées, & le tortillement se distribuera plus également sur toute la piece. Ceux qui donnent moins de tortillement aux torons, pourroient aussi appuyer leur pratique sur des raisons assez fortes : ils pourroient dire qu'ils fatiguent moins les fils, & qu'ils évitent de donner trop d'élasticité aux torons : mais l'expérience est contre eux ; elle démontre qu'on augmente la force des cordes en diminuant le tortillement des torons avant l'application du toupin. Ainsi un cordier qui obstinément voudroit commettre ses manoeuvres au tiers, feroit donc de meilleures cordes s'il ne donnoit que trois neuviemes de tortillement à ses torons avant de mettre le toupin, & que six neuviemes après qu'il l'a mis, ou quand il commet sa corde, que s'il donnoit pour le raccourcissement de la premiere opération six neuviemes, & en commettant seulement trois neuviemes ; parce que, sans s'en appercevoir, il commettroit sa corde beaucoup plus lâche que le tiers. Cela seroit à merveille pour les cordages commis au tiers, mais nous croyons qu'il en seroit autrement pour un cordage commis au quart ou au cinquieme ; c'est ce qu'il faut expliquer. Si l'on ourdit une piece de cordage qui doit avoir 120 brasses de longueur, & que l'intention soit de la commettre au tiers, on donne aux fils 180 brasses de longueur ; & pour faire ce cordage comme l'aussiere E de la premiere expérience, on raccourcit les torons, avant de mettre le toupin, des deux tiers du raccourcissement total, c'est-à-dire de 20 brasses, & ils acquierent assez de force élastique par ce tortillement pour se bien commettre ; il reste 40 brasses pour commettre la corde, & c'est beaucoup plus qu'il ne faut pour consommer la force élastique des torons. Mais si au lieu de se proposer de commettre une piece au tiers, on la vouloit commettre au quart, on n'ourdiroit pas les fils à 180 brasses, mais seulement à 150 ; & au lieu d'avoir 60 brasses pour le raccourcissement, on n'en auroit que 30 : maintenant si on vouloit n'employer pour ce cordage, comme pour le précédent, qu'un tiers du raccourcissement total pour tordre les torons avant que de mettre le toupin, on ne devroit dans cette premiere opération raccourcir les torons que de dix brasses au lieu de vingt ; & alors les torons auroient acquis si peu de force élastique, que quand on viendroit à ôter la piece de dessus le chantier, les vingt brasses de tortillement qu'on auroit données en commettant se perdroient presqu'entierement ; & la corde étant rendue à elle-même, au lieu d'être commise au quart, ne le seroit peut-être pas au cinquieme : au contraire si on avoit raccourci les torons, dans la 1re opération, de la moitié du raccourcissement total, c'est-à-dire de 15 brasses, les torons ayant acquis plus de force élastique, la corde se détortilleroit moins quand elle seroit rendue à elle-même, & elle resteroit commise au quart. Il faut donc mettre d'autant plus de tortillement sur les torons avant de mettre le toupin, qu'on commet la corde plus lâche : ainsi pour commettre au cinquieme une corde pareille, le raccourcissement total étant de 24 brasses, il en faudroit employer plus de 12 pour le raccourcissement de la premiere opération, si l'on vouloit avoir une corde qui ne perdît pas tout son tortillement.

Noms & usages de différens cordages. 1°. Des lignes. On distingue de quatre sortes de lignes ; savoir, 1°. les lignes à tambour ; 2°. les lignes de sonde ou à sonder ; 3°. les lignes de loc ; 4°. les lignes d'amarrage. Les lignes à tambour sont ordinairement faites avec six fils fins & de bon chanvre, qu'on commet au roüet & qu'on ne goudronne point. Il n'est pas besoin de dire que leur usage est de rendre la peau sonore des caisses ou des tambours. Les lignes à sonder ont ordinairement un pouce & demi de grosseur, & 120 brasses de longueur. Les lignes de loc sont faites avec six fils, un peu plus gros que le fil de voile : on ne les goudronne point, afin qu'elles soient plus souples, & qu'elles filent plus aisément quand on jette le loc. Les deux dernieres especes de lignes sont à l'usage des pilotes. Les lignes d'amarrage sont de même que les trois précédentes, de premier brin ; mais comme elles servent à beaucoup d'usages différens, savoir, aux étropes des poulies, aux ligatures, aux haubans, aux étais, &c. il en faut de différente grosseur ; c'est pourquoi on en fait à six fils & à neuf. On les commet toutes en blanc, mais on en trempe une partie dans le goudron, & l'autre se conserve en blanc, suivant l'usage qu'on en veut faire.

2°. Des quaranteniers. Il y a des quaranteniers de six & de neuf fils, qui ne different des lignes d'amarrage que parce qu'ils sont du second brin : car tous les quaranteniers sont de ce brin ; mais il y en a qui ont 18 fils, & même davantage. On les commet tout goudronnés : ils n'ont point d'usage déterminé ; on les employe par-tout où l'on a besoin de cordage de leur grosseur & qualité. On distingue les pieces par leur longueur en quaranteniers simples qui ont 40 brasses, & quaranteniers doubles qui en ont 80 ; & on distingue leur grosseur, en disant un quarantenier de six, de neuf, de quinze fils, &c.

3°. Des ralingues. Les ralingues sont destinées à border les voiles, où elles tiennent lieu d'un fort ourlet, pour empêcher qu'elles ne se déchirent par les bords. Il y a des corderies où l'on commet toutes les pieces de ralingues de 80 brasses de longueur, & dans d'autres on en commet depuis 35 jusqu'à 100, & on leur donne depuis un pouce jusqu'à six de grosseur, diminuant toûjours par quart de pouce. On les fait avec du fil goudronné, premier brin, & on les commet un peu moins serré que les autres cordages, afin qu'étant plus souples, elles obéissent aisément aux plis de la voile. Suivant l'usage ordinaire, on ourdit les fils à un quart plus que la longueur de la piece, plus encore un cinquieme de ce quart : ainsi pour 80 brasses, il faut ourdir les fils à 104 brasses : en virant sur les torons, on raccourcit d'un cinquieme ou de 20 brasses ; & en commettant, on réduit la piece à 80 brasses. Nous croyons qu'il les faut commettre au quart. Si donc l'on veut avoir une ralingue de 80 brasses, nous l'ourdirons à 100 brasses ; & comme il est important que les hélices soient très-allongées, afin que le toupin aille fort vîte, nous raccourcirons les torons de 15 brasses, & le reste du raccourcissement sera pour commettre. Si par hasard on employe une piece de ralingue à quelque manoeuvre, il n'y a point de matelot qui ne sache qu'elle résiste beaucoup plus qu'une autre manoeuvre de même grosseur avant que de rompre. N'est-il pas surprenant après cela qu'on se soit obstiné si long-tems à affoiblir les cordages à force de les tortiller ?

4°. Cordages qui servent aux carenes du port. Les cordages qui servent aux carenes du port, pourroient être simplement nommés du nom générique d'aussiere, qu'on distingueroit par leur grosseur en aussiere de deux ou trois pouces, &c. néanmoins on leur a donné des noms particuliers, les uns se nomment des francs funins, les autres des prodes, des aiguillettes, des pieces de palans, &c. On commet toûjours ces différens cordages en pieces de cent vingt brasses, & on s'assujettit aux grosseurs que fournit le maître d'équipage. Néanmoins les francs funins ont ordinairement six pouces de grosseur, les prodes & les aiguillettes cinq, & les pieces de palans deux pouces & demi jusqu'à trois & demi ; ce qui souffrira beaucoup d'exceptions : car ordinairement les francs funins qu'on destine pour les grandes machines à mâter, ont cent trente brasses de longueur. Pour que ces manoeuvres roulent mieux dans les poulies, on ne les goudronne point, ce qui n'est sujet à aucun inconvénient, puisqu'on peut ne les pas laisser exposées à la pluie ; & comme elles doivent souffrir de grands efforts, on les fait toutes de premier brin. Il y a des ports où on fait les francs funins moitié fil blanc & moitié fil goudronné : cette méthode est très-mauvaise.

Pieces servant aux manoeuvres des vaisseaux. Outre les différens cordages que nous venons de nommer, on commet dans les corderies des pieces qui n'ont point une destination fixe, qui servent tantôt à une manoeuvre & tantôt à une autre, selon le rang des vaisseaux. Elles ont toutes 120 brasses de longueur, elles sont toutes faites avec du fil goudronné, & on ne les distingue que par leur grosseur : on en fait depuis dix pouces jusqu'à deux. Il y a des maîtres d'équipage qui font un grand usage des aussieres à trois torons. Ceux-là demandent des pieces de haubans, des tournevires, des itagues, des drisses, des guinderesses, des écoutes de hune, &c. pour lors on s'assujettit aux proportions qu'ils donnent, & suivant les méthodes que nous avons indiquées.

Des aussieres à quatre, cinq & six torons. On ourdit ces sortes de cordages comme ceux qui n'ont que trois torons. Quand les fils sont étendus, on les divise en quatre, en cinq ou en six faisceaux ; ainsi pour faire une aussiere à trois torons, comme il a fallu que le nombre des fils pût être divisé par trois, une corde, par exemple, de vingt-quatre fils pouvant être divisée par trois, on a mis huit fils à chaque toron ; de même pour faire une corde de vingt-quatre fils à quatre torons, il faut diviser les fils par quatre, & on aura six fils pour chaque toron ; ou pour faire une corde de vingt-quatre fils à six torons, il faudra diviser vingt-quatre par six, & on aura quatre fils par toron. Mais on ne pourroit pas faire une corde de vingt-quatre fils à cinq torons, parce qu'on ne peut pas diviser exactement vingt-quatre par cinq ; ainsi il faudroit mettre vingt-cinq fils, & on auroit cinq fils par toron.

On met autant de manivelles au quarré & au chantier, qu'on a de torons, & on vire sur ces torons comme sur les trois dont nous avons parlé dans les articles précédens ; on les raccourcit d'une même quantité, on les réunit de même du côté du quarré à une seule manivelle : pour les commettre on se sert d'un toupin qui a autant de rainures qu'il y a de torons. Enfin en commettant les torons on les raccourcit autant que quand il n'y en a que trois : ainsi il y a peu de différence entre la façon de fabriquer les aussieres à quatre, cinq ou six torons, & celle à trois.

De la meche. Quand on examine attentivement une aussiere à trois torons, on voit que les torons se sont un peu comprimés aux endroits où ils s'appuient l'un sur l'autre, & qu'il ne reste presque point de vuide dans l'axe de la corde. Si on examine de même une aussiere à quatre torons, on remarque qu'ils se sont moins comprimés, & qu'il reste un vuide dans l'axe de la corde. A l'égard des cordes à six torons, leurs torons sont encore moins comprimés, & le vuide qui reste dans la corde est très-grand.

Pour rendre sensible la raison de cette différence, considérons la coupe de trois torons placés parallelement l'un à côté de l'autre, comme dans la Pl. IV. fig. 1. C'est dans ce cas où il paroît qu'il doit moins rester de vuide entr'eux, parce que quand les torons sont gros, la difficulté qu'il y aura à les plier, augmentera le vuide, & d'autant plus que les révolutions des hélices seront plus approchantes de la perpendiculaire à l'axe de la corde. Nous ferons remarquer en passant, que cette raison devroit faire qu'il y auroit moins de vuide dans les aussieres à quatre & à six torons, que dans celles à trois, puisque les révolutions d'un toron dans celles à trois torons, sont bien plus fréquentes que dans celles à quatre, & dans celles à quatre que dans celles à six ; néanmoins il reste plus de vuide dans les aussieres à quatre torons que dans celles à trois, & dans celles à six que dans celles à quatre, & cela pour les raisons suivantes.

Nous considérons l'aire de la coupe de trois torons posés parallelement comme les trois cercles, fig. 1. ABC, qui se touchent par leur circonférence. On appercevra que les cercles qu'on suppose élastiques, s'applattiront aux attouchemens, pour peu qu'ils soient pressés l'un contre l'autre, & que les torons rempliront aisément le vuide qui est entr'eux ; car ce vuide étant égal au triangle G H I, moins les trois secteurs g h i, qui valent ensemble un demi-cercle, ne sera que la vingt-huitieme partie de l'aire d'un des torons ; ainsi chaque toron n'a à prêter, pour remplir le vuide, que d'une quantité égale à la quatre-vingt-quatrieme partie de son aire ; encore cette quatre-vingt-quatrieme partie est-elle partagée en deux, puisque la compression s'exerce sur deux portions différentes de chaque toron. Or les torons peuvent bien se comprimer de cette petite quantité, d'autant qu'à mesure qu'ils se commettent, ils se détordent un peu, ce qui les amollit ; & les torons d'un cordage à trois torons faisant plus de révolutions dans des longueurs pareilles, que les torons des aussieres à quatre & à six torons, ils doivent se détordre & mollir davantage, à moins qu'en les commettant on ne fasse tourner les manivelles du chantier beaucoup plus vite que quand on commet des aussieres à quatre, à cinq ou à six torons. Pour appercevoir à la simple inspection que la compression des torons d'une aussiere à trois torons est peu considérable, on peut jetter les yeux sur la figure 2. où l'on verra que les surfaces comprimées des torons font des angles de cent vingt degrés.

Il suit de ce que nous venons de dire, que pour connoître la quantité du vuide qui reste entre les torons de toutes sortes de cordages, il n'y a qu'à chercher le rapport d'une suite de polygones construits sur le diamêtre d'un des torons ; car le rapport des vuides sera celui de ces poligones, diminué successivement d'un demi-toron pour l'aussiere à trois torons, d'un toron pour l'aussiere à quatre, d'un toron & demi pour l'aussiere à cinq, & de deux torons pour l'aussiere à six torons, pourvû que les torons soient d'égale grosseur dans toutes les aussieres. Cela posé, examinons le vuide qui restera entre les torons d'une aussiere à quatre torons. Il est égal à un quarré L M N O, fig. 3. dont le côté est égal au diamêtre d'un toron, moins quatre secteurs l m n o, égaux ensemble à un toron : or l'aire d'un quarré circonscrit à un toron étant à l'aire de la coupe de ce toron, à-peu-près comme 14 est à 11, l'aire de la coupe d'un toron sera au vuide compris entre les quatre torons, comme 14 moins 11 est à 11, ou comme 3 est à 11, c'est-à-dire que le vuide compris entre les quatre torons, ne sera que les trois onziemes de l'aire du toron. Il suffit donc, pour remplir le vuide, que chacun des quatre torons prête du quart de ces trois onziemes, ou de trois quarante-quatriemes, ou d'une quantité à-peu-près égale à la quinzieme partie de son aire. Il faudroit que les torons prissent à-peu-près la forme représentée par la fig. 4. & que les côtés applatis fissent des angles de quatre-vingt-dix degrés ; c'est trop : ainsi il restera un vuide dans l'axe de la corde, mais qui ne sera pas assez considérable pour qu'on soit dans la nécessité de le remplir par une meche. Si l'on examine de même la coupe d'une aussiere à six torons, fig. 5. on appercevra que le vuide qui restera entre les torons, sera beaucoup plus grand, puisqu'il égalera à peu de chose près l'aire de la coupe de deux torons, & que chacun des six torons sera obligé de prêter d'un tiers de son aire ; ainsi pour que les torons pussent remplir le vuide qu'ils laissent entr'eux, il faudroit qu'ils prissent à-peu-près la forme qui est représentée par la figure 6. & que les côtés applatis formassent des angles de 60 degrés.

On remarque sans doute que nous avons comparé des cordes de grosseur bien différente, puisque nous les avons supposé faites avec des torons de même grosseur, & que les unes sont formées de trois torons, les autres de quatre, les autres de six ; & on juge peut-être que nous aurions dû comparer des cordes de même grosseur, mais dont les torons seroient d'autant plus menus, que les cordes seroient composées d'un plus grand nombre de torons, pour dire, par exemple, que le vuide qui est dans une aussiere de quatre pouces de grosseur, est tel, si elle est formée de trois torons, tel, si elle est formée de quatre torons, & tel, si elle est formée de six torons ; mais ce problème est résolu par ce qui a précédé : car puisqu'il est établi que l'espace qui reste entre trois torons, est égal à la vingt-huitieme partie de l'aire d'un toron ; que celui qui reste entre quatre torons, est égal à trois onziemes de l'aire d'un des torons ; & que l'espace qui reste entre six torons, est égal à l'aire de la coupe de deux torons, on pourra, sachant la grosseur des torons, en conclure le vuide qui doit rester entr'eux pour des aussieres de toute grosseur, & composées de trois, quatre ou six torons. Néanmoins il faut convenir que plusieurs causes physiques rendent cet espace vuide plus ou moins considérable. Entre les cordages de même grosseur, ceux à trois torons sont commis plus serré que ceux à quatre, & ceux-ci plus que ceux à six ; ce qui peut faire que les torons seront plus comprimés dans un cas que dans un autre ; & le vuide de l'axe peut encore être changé par la direction des torons, qui dans les cordages à trois est plus approchante de la perpendiculaire à l'axe de la corde, que dans ceux à quatre, & dans ceux-ci que dans ceux à six. Mais une plus grande exactitude seroit superflue. Il suffit de savoir qu'il reste un vuide au centre des cordages, & de connoître à-peu-près de combien il est plus grand dans les cordages à six torons que dans ceux à quatre, & dans ceux-ci que dans ceux à trois, pour comprendre que ce vuide les rend difficiles à commettre, & souvent défectueux, surtout quand les aussieres sont grosses, à cause de la roideur des torons, qui obéissent plus difficilement aux manoeuvres du cordier. Il est aisé d'en appercevoir la raison, car puisqu'il y a un vuide à l'axe du cordage, les torons ne se roulent autour de rien qui les soûtienne ; il ne peuvent donc prendre un arrangement uniforme autour de cet axe vuide, qu'à la faveur d'une pression latérale qu'ils exercent les uns à l'égard des autres : or pour que cet arrangement régulier se conserve, il faut qu'il y ait un parfait équilibre entre les torons, qu'ils soient bien de la même grosseur, dans une tension pareille, également tortillés, sans quoi il y auroit immanquablement quelque toron qui s'approcheroit plus de l'axe de la corde que les autres ; quelquefois même, surtout dans les cordes à cinq & six torons, un d'eux se logeroit au centre de la corde, & alors les autres se rouleroient sur lui : en ce cas ce toron ne feroit que se tordre sur lui-même, pendant que les autres formeroient autour de lui des hélices qui l'envelopperoient. Une corde de cette espece à cinq ou six torons seroit très-mauvaise, puisque quand elle viendroit à être chargée, le toron de l'axe porteroit d'abord tout le poids, qui le feroit rompre ; & alors l'aussiere n'étant plus composée que des quatre ou cinq torons restans, auroit perdu le cinquieme ou le sixieme de sa force, encore les torons restans seroient-ils mal disposés les uns à l'égard des autres, & le plus souvent hors d'état de faire force tous à la fois. C'est pour éviter ces défauts que la plûpart des cordiers remplissent le vuide qui reste entre les torons avec un nombre de fils qui leur servent de point d'appui, & sur lesquels les torons se roulent : ces fils s'appellent l'ame ou la meche de la corde. Voici les précautions que l'on prend pour la bien placer.

Grosseur des meches. On ne met point, & on ne doit point mettre de meche dans les cordages à trois torons, la compression des torons remplissant presque tout le vuide qui seroit dans l'axe. On n'est pas dans l'usage de faire de grosses cordes avec plus de quatre torons, & quelques cordiers ne mettent point non plus de meche dans ces sortes de cordages. Le vuide qui reste dans l'axe n'étant pas à beaucoup près assez considérable pour recevoir un des quatre torons, un habile cordier peut, en y donnant le soin nécessaire, commettre très-bien & sans défaut quatre torons sans remplir le vuide ; néanmoins la plûpart des cordiers, soit qu'ils se méfient de leur adresse, soit pour s'épargner des soins & de l'attention, prétendent qu'on ne peut pas se passer de meche pour ces sortes de cordages ; & ceux qui sont de ce sentiment, sont partagés sur la grosseur qu'il faut donner aux meches : les uns les font fort grosses, d'autres les tiennent plus menues, chacun se fondant sur des tables qu'ils ont héritées de leurs maîtres, & auxquelles ils ont donné leur confiance. Nous avons entre les mains quelques-unes de ces tables de la plus haute réputation, qui néanmoins ne sont construites sur aucun principe, & qui sont visiblement défectueuses. Cependant il nous a paru qu'il étoit bien-aisé de fixer quelle grosseur il faut donner aux meches ; car le seul objet qu'on se propose étant de remplir le vuide qui reste dans l'intérieur, pour donner aux torons un point d'appui qui empêche qu'ils n'approchent plus les uns que les autres de l'axe de la corde, il suffit de connoître la proportion du vuide avec les torons, eu égard à leur grosseur & à leur nombre : car il faut augmenter la grosseur des meches proportionnellement à l'augmentation de grosseur des torons, & proportionnellement à celle de leur nombre, évitant toûjours de faire des meches trop grosses, 1°. pour ne point faire une consommation inutile de matiere, 2°. pour ne point augmenter le poids & la grosseur des cordages par une matiere qui est inutile à leur force, 3°. parce que des meches trop grosses seroient extrèmement serrées par les torons, & nous ferons voir dans la suite que c'est un défaut qu'il faut éviter le plus qu'il est possible.

Pour remplir ces différentes vûes, connoissant par ce qui a été dit dans l'article précédent, que pour remplir exactement tout le vuide qui est au centre des quatre torons, il faut les trois onziemes d'un toron, on croiroit qu'il n'y a qu'à se conformer à cette regle pour avoir une meche bien proportionnée ; mais ayant remarqué que les torons se compriment non-seulement aux parties par lesquelles ils se touchent, mais encore à celles qui s'appuient sur la meche, nous avons jugé qu'il suffiroit de faire les meches de la grosseur d'un cercle inscrit entre les quatre torons, tel que le cercle A ; fig. 7. la compression des torons & celle de la meche étant plus que suffisantes pour remplir les petits espaces représentés par les triangles curvilignes a a a a, c'est-à-dire que la meche ne doit être que la sixieme partie d'un des torons, parce que le rapport du cercle A au cercle B est comme 1 à 6. Suivant cette regle, dont l'exactitude est fondée sur beaucoup d'expériences, on a tout d'un coup la grosseur des meches pour des cordages à torons de toutes sortes de grosseurs : il faut donner un exemple de son application.

Si on veut commettre une aussiere à quatre torons de onze pouces de grosseur, sachant qu'en employant des fils ordinaires, il en faut cinq cent quatre-vingt, non compris les fils de la meche, on divise cinq cent quatre-vingt par quatre, & on a cent quarante-cinq fils pour chaque toron. On divise ensuite ce nombre de fils par six, & le quotient indique que vingt-quatre à vingt-cinq fils suffisent pour faire la meche de ce cordage, supposé toutefois qu'on veuille mettre une meche dans ces cordages ; car il est à propos de s'en passer. A l'égard des cordages à six torons, pour peu qu'ils soient gros, il n'est pas possible de les commettre sans le secours d'une meche ; mais quoique le vuide de l'axe soit à-peu près égal à l'aire de deux torons, on sait par bien des épreuves qu'il suffit de faire la meche égale à un cercle inscrit entre les six torons, ou, ce qui est la même chose, égal à un des torons, fig. 8.

Maniere de placer les meches. Il ne suffit pas de savoir de quelle grosseur doivent être les meches, il faut les placer le plus avantageusement qu'il est possible dans l'axe des cordages ; pour cela on fait ordinairement passer cette meche dans un trou de tariere qui traverse l'axe du toupin, & on l'arrête seulement par un de ses bouts à l'extrémité de la grande manivelle du quarré, de façon qu'elle soit placée entre les quatre torons qui doivent l'envelopper. Moyennant cette précaution, la meche se présente toûjours au milieu des quatre torons, elle se place dans l'axe de l'aussiere, & à mesure que le toupin s'avance vers le chantier, elle coule dans le trou qui le traverse, comme les torons coulent dans les rainures qui sont à la circonférence du toupin.

Il faut remarquer que comme la meche ne se raccourcit pas autant que les torons qui l'enveloppent, il suffit qu'elle soit un peu plus longue que le cordage ne sera étant commis ; un petit garçon a seulement soin de la tenir un peu tendue à une petite distance du toupin pour qu'elle ne se mêle pas, & qu'elle n'interrompe pas la marche du chariot. Pour mieux rassembler les fils des meches, la plûpart des cordiers divisent les fils qui les composent en deux ou trois parties, & en font une vraie aussiere à deux ou à trois torons.

On conçoit bien que quand les torons viennent à se rouler sur ces sortes de meches, ils les tortillent plus qu'elles ne l'étoient, quand même ils auroient l'attention de les laisser se détordre autant qu'elles l'exigeroient sans les gêner en aucune façon. Or pour peu qu'elles se tortillent, elles augmentent de grosseur & se roidissent ; ainsi elles sont dans l'axe de l'aussiere fort roides, fort tendues, & fort pressées par les torons qui les enveloppent. C'est pour cette raison qu'on entend les meches se rompre aux moindres efforts, & que si on défait les cordages après qu'ils en ont éprouvé de grands, on trouve les meches rompues en une infinité d'endroits.

Voilà quel est l'usage ordinaire des Cordiers, & l'inconvénient qui en doit résulter ; car il est visible que la meche venant à se rompre, les torons qui sont roulés dessus ne sont plus soûtenus dans les endroits où elle a rompu, alors ils se rapprochent plus de l'axe les uns que les autres, ils s'allongent donc inégalement, ce qui ne peut manquer de beaucoup affoiblir les cordes en ces endroits.

Ne point commettre les meches. Il seroit à souhaiter qu'on eût des meches qui pûssent s'allonger proportionnellement aux torons qui les enveloppent ; mais c'est en vain qu'on a essayé d'en faire : on a seulement rendu les meches ordinaires moins mauvaises. Quand des aussieres un peu grosses font des efforts considérables, les torons pressent si fort la meche qu'ils enveloppent, qu'elle ne peut glisser ni s'allonger. Pour meche (au lieu d'une corde ordinaire) il faudra employer un faisceau de fils qui forme le même volume & que l'on placera de la même maniere, mais que l'on tortillera en même tems & dans le même sens que les torons ; par ce moyen la meche se tortillera & se raccourcira tout autant que les torons. Il faut se souvenir que quand on commet une corde, la manivelle du quarré tourne dans un sens opposé à celui dans lequel les torons ont été tortillés, & comme ils le feroient pour se détordre. Or comme la meche qui sera déjà tortillée tournera sans obstacle dans ce sens-là, il faut absolument qu'elle se détortille à mesure que la corde se commet ; & comme elle ne peut se détortiller sans que les fils qui la composent se relâchent & tendent à s'allonger, la meche restera lâche & molle dans le centre de la corde, tandis que les torons qui sont autour seront fort tendus ; & s'il arrive que la corde chargée d'un poids s'allonge, la meche qui sera lâche pourra s'étendre & s'allonger un peu : s'il avoit été possible de la faire si lâche qu'elle ne fit aucun effort, assurément elle ne romproit qu'après les torons ; mais jusqu'à présent on n'a pû parvenir à ce point, sur-tout quand les cordages étoient un peu gros.

On convient qu'une meche, de quelqu'espece qu'elle soit, ne peut guere ajoûter à la force des cordes, ainsi il ne faut y employer que du second brin ou même de l'étoupe ; tout ce qu'on doit desirer, c'est de les rendre moins cassantes, pour qu'elles soient toûjours en état de tenir les torons en équilibre, & de les empêcher de s'approcher les uns plus que les autres de l'axe des cordes.

Des cordages à plus de trois torons. Comme on est obligé d'employer une meche pour la fabrique des cordages qui ont plus de trois torons, il est évident que cette meche qui est dans l'axe toute droite, & sans être roulée en hélices comme les torons, ne peut contribuer à la force des cordages ; car si elle résiste, comme elle ne peut pas s'allonger autant que les torons, elle est chargée de tout le poids & elle rompt nécessairement ; si elle ne résiste pas, elle ne concourt donc pas avec les torons à supporter le fardeau : ainsi les cordages à meche contiennent nécessairement une certaine quantité de matiere qui ne contribue point à leur force ; ces sortes de cordages en sont par conséquent plus gros & plus pesans sans en être plus forts, ce qui est un grand défaut. Encore si cette meche ne rompoit pas, si elle étoit toûjours en état de soûtenir les torons, le mal ne seroit pas si considérable ; mais de quelque façon qu'on la fasse, elle rompt quand les cordages souffrent de grands efforts, & quand elle est rompue les torons perdent leur ordre régulier, ils rentrent les uns dans les autres, ils ne forcent plus également, & ils ne sont plus en état de résister de concert au poids qui les charge.

Enfin on ajoûte encore que la meche étant enveloppée de tous côtés par les torons, conserve l'humidité, s'échauffe, pourrit & fait pourrir les torons ; d'où l'on conclut qu'il faut proscrire les cordages à plus de trois torons. Cependant on trouve par l'expérience, que quoique la supériorité de force des cordages à quatre & à six torons ne se trouve pas toûjours la même, cependant les torons sont constamment d'autant plus forts qu'ils sont en plus grand nombre, plus menus, & que leur direction est plus approchante de la parallele avec l'axe de la corde ; & cette supériorité est telle, qu'elle compense souvent & même surpasse quelquefois la pesanteur de la meche qui est inutile pour la force des cordages.

Des aussieres à plus de quatre torons. On ne croit pas qu'il soit possible de faire des aussieres avec plus de six torons. Les aussieres à six torons sont assez difficiles à bien fabriquer ; elles demandent toute l'attention du cordier pour donner à chaque toron un égal degré de tension & de tortillement : ainsi il faudra se réduire à les faire de quatre, de cinq, ou de six torons tout au plus.

Quoiqu'il soit très-bien prouvé qu'il est avantageux de multiplier le nombre des torons, nous n'oserions néanmoins décider si, pour l'usage de la marine, il conviendroit toûjours de préférer les aussieres à cinq ou six torons, à celles à trois & à quatre, parce que l'avantage qu'on peut retirer de la multiplication des torons s'évanoüit pour peu qu'on laisse glisser quelques défauts dans la fabrique de ces cordages ; & peut-on se flatter qu'on apportera tant de précautions dans des manufactures aussi grandes & aussi considérables que les corderies de la marine, tandis que des cordages faits avec une attention toute particuliere, se sont quelquefois trouvés défectueux ?

De l'usage de la meche dans les cordages à 4, 5, & 6 torons. L'avantage des cordages à quatre, cinq, ou six torons seroit très-considérable si on pouvoit les commettre sans meche ; la chose n'est pas possible pour les aussieres qui ont plus de quatre torons, mais il y a des cordiers assez adroits pour faire des cordages à quatre torons très-bien commis, sans le secours des meches ; ils parviennent à rendre leurs torons si égaux pour la grosseur, pour la roideur & pour le tortillement, & ils conduisent si bien leur toupin, que leurs torons se roulent les uns auprès des autres aussi exactement que si l'axe du cordage étoit plein. Le moyen de les commettre avec plus de facilité, & qui a le mieux réussi, a été de placer au centre du toupin une cheville de bois pointue, qui étoit assez longue pour que son extrémité se trouvât engagée entre les quatre torons, à l'endroit précisément où ils se commettoient actuellement ; de cette façon la cheville servoit d'appui aux torons ; à mesure que le toupin reculoit, la cheville reculoit aussi, elle sortoit d'entre les torons qui venoient de se commettre, & se trouvoit toûjours au milieu de ceux qui se commettoient actuellement. Avec le secours de cette cheville, on parvient à commettre fort régulierement & sans beaucoup de difficulté des cordages à quatre torons sans meche. Mais, dira-t-on, si moyennant cette précaution, ou seulement par l'adresse du cordier, on peut commettre régulierement des cordages à quatre torons sans meche, n'y a-t-il pas lieu de craindre que, quand on chargera ces cordages de quelque poids, leurs torons ne se dérangent ? n'aura-t-on pas lieu d'appréhender que les torons ne perdent par le service leur disposition réguliere ? Encore si on commettoit ces torons bien ferme, on pourroit espérer que le frottement que ces torons éprouveroient les uns contre les autres, pourroit les entretenir dans la disposition qu'on leur a fait prendre en les commettant : mais puisqu'il a été prouvé qu'il étoit dangereux de commettre les cordages trop serrés, rien ne peut empêcher ces torons de perdre leur disposition ; & alors les uns roidissant plus que les autres, ils ne seront plus en état de résister de concert au poids qui les chargera.

Ces objections sont très-bonnes : néanmoins s'il y a quelques raisons de penser que les torons, qui seront fermement pressés les uns sur les autres par le tortillement, seront moins sujets à se déranger, il y a aussi des raisons qui pourroient faire croire que cet accident sera moins fréquent dans les cordages commis au quart que dans ceux qui le seroient au tiers. Car on peut dire : les torons des cordages commis au tiers sont tellement serrés les uns sur les autres par le tortillement, que le poids qui est suspendu au bout de ces cordes tend autant (à cause de leur situation) à les approcher les uns contre les autres, qu'à les étendre selon leur longueur ; au lieu que les torons des cordages commis au quart étant plus lâches, & leur direction étant plus approchante d'une parallele à l'axe de la corde, le poids qui est suspendu au bout tend plus à les étendre selon leur longueur, qu'à les comprimer les uns contre les autres. Si la corde étoit commise au cinquieme, il y auroit encore moins de force employée à rapprocher les torons ; ce qui paroîtra évident si l'on fait attention que les torons étant supposés placés à côté les uns des autres sans être tortillés, ne tendroient point du tout à se rapprocher les uns des autres, & toute leur force s'exerceroit selon leur longueur.

Effectivement il est clair que deux fils qui se croiseroient, & qui seroient tirés par quatre forces qui agiroient par des directions perpendiculaires les unes aux autres, comme A A A A, (fig. 9. Pl. V.) ces fils se presseroient beaucoup plus les uns contre les autres au point de réunion D, que s'ils étoient tirés suivant des directions plus approchantes de la parallele B B B B, & alors ils presseroient plus le point de réunion E, que s'ils étoient tirés suivant les directions encore plus approchantes de la parallele, comme C C C C ; c'est un corollaire de la démonstration que nous avons donnée plus haut.

Il est certainement beaucoup plus difficile de bien commettre un cordage à quatre torons sans meche qu'avec une meche ; mais cette difficulté même a ses avantages, parce que les Cordiers s'apperçoivent plus aisément des fautes qu'ils commettent ; car il est certain qu'en commettant une pareille corde, si l'un des torons est plus gros, plus tortillé, plus tendu, en un mot plus roide que les autres, le cordier s'en apperçoit tout aussi-tôt, parce qu'il voit qu'il s'approche plus de l'axe de la corde que les autres, & il est en état de remédier à cet inconvénient ; au lieu qu'avec une meche les torons trouvant à s'appuyer sur elle, le cordier ne peut s'appercevoir de la différence qu'il y a entre les torons, que quand elle est considérable ; c'est principalement pour cette raison qu'en éprouvant des cordages qui avoient des meches, il y aura souvent des torons qui rentreront plus que les autres vers l'axe de la corde aux endroits où la meche aura rompu.

On sait par l'expérience, qu'avec un peu d'attention l'on peut fort bien commettre de menues aussieres à quatre torons, qui n'auroient pas plus de quatre pouces de grosseur, sans employer de meche ; mais il n'est pas possible de se passer de meche pour commettre des aussieres de cette grosseur lorsqu'elles ont six torons.

On n'a pas essayé de faire commettre sans meche des aussieres à quatre torons qui eussent plus de quatre pouces & demi de grosseur ; mais on en a commis & on en commet tous les jours à Toulon de six, huit, dix, douze & quinze pouces de grosseur, qui ont paru bien conditionnées ; en un mot, toutes les aussieres à quatre torons qu'on fait à Toulon n'ont point de meche : on ne se souvient pas qu'on ait jamais mis de meche dans les cordages, & l'on prétend même que la même étant exactement renfermée au milieu des torons, s'y pourrit & contribue ensuite à faire pourrir les torons.

Mais si, comme il y a grande apparence, on peut se passer de meches pour les cordages à quatre torons, il ne s'ensuit pas qu'il n'en faille point pour les cordages à cinq & à six torons ; le vuide qui reste dans l'axe est trop considérable, & les torons étant menus, échapperoient aisément les uns de dessus les autres & se logeroient dans le vuide qui est au centre, d'autant que ce vuide est plus considérable qu'il ne faut pour loger un des torons. Mais les épreuves qu'on a faites pour reconnoitre la force des cordages à quatre torons sans meche, prouvent non-seulement qu'on peut gagner de la force en multipliant le nombre des torons, mais encore que quand des aussieres de cette espece seroient bien faites, elles soutiendront de grands efforts sans que leurs torons se dérangent.

Noms & usages des cordages dont on vient de parler. Il y a des ports où l'on employe peu d'aussieres à quatre torons ; dans d'autres on en fait quelquefois des pieces de hauban depuis six pouces jusqu'à dix, des tournevires depuis six pouces jusqu'à onze, des itagues de grande vergue depuis six pouces jusqu'à onze, des aussieres ordinaires sans destination précise, des francs-funins, des garants de caliorne, des garants de palants, des rides, &c. depuis un pouce jusqu'à dix.

Des grelins. Si l'on prend trois aussieres, & qu'on les tortille plus que ne l'exige l'élasticité de leurs torons, elles acquerront un degré de force élastique qui les mettra en état de se commettre de nouveau les unes avec les autres ; & on aura par ce moyen une corde composée de trois aussieres, ou une corde composée d'autres cordes : ce sont ces cordes composées qu'on appelle des grelins. Ce terme, quoique générique, n'est cependant ordinairement employé que pour les cordages qui n'excedent pas une certaine grosseur ; car quand ils ont dix-huit, vingt, vingt-deux pouces de circonférence, ou plûtôt quand ils sont destinés à servir aux ancres, on les nomme des cables ; s'ils doivent servir à retenir les grapins des galeres, on les nomme des gummes, ou simplement des cordages de fonde ; parce qu'on dit en italien, en espagnol, & en provençal, dare fondo, dar fondo donner fonde, pour dire mouiller.

Suivant l'idée générale que nous venons de donner des grelins, il est clair qu'il suffit pour les faire, de mettre des aussieres sur les manivelles du chantier & du quarré, comme on mettroit des torons, de tourner ces manivelles dans le sens du tortillement des aussieres, jusqu'à ce qu'elles ayent acquis l'élasticité qu'on juge leur être nécessaire, de réunir les aussieres à une seule grande manivelle par le bout qui répond au quarré, de placer le toupin à l'angle de réunion des torons, de l'amarrer sur son chariot, & enfin de commettre ce cordage comme nous avons dit qu'on commettoit les grosses aussieres. C'est à quoi se réduit la pratique des Cordiers pour faire des grelins de toute sorte de grosseur. Il est seulement bon de remarquer, que quoiqu'exactement parlant les grelins soient composés d'aussieres, néanmoins les Cordiers nomment cordons les aussieres qui sont destinées à faire des grelins : ainsi lorsque nous parlerons des cordons, il faut concevoir que ce sont de vraies aussieres, mais qui sont destinées à être commises les unes avec les autres pour en faire des grelins. De cette façon les torons sont composés de fils simplement tortillés les uns sur les autres ; les cordons sont formés de torons commis ensemble, & les grelins de cordons commis les uns avec les autres. On appelle souvent cabler, lorsqu'on réunit ensemble plusieurs cordons, au lieu qu'on se sert du terme de commettre lorsqu'on réunit des torons. Il est bon d'expliquer ces termes, pour se faire mieux entendre des ouvriers.

Les grelins ont plusieurs avantages sur les aussieres. 1°. On commet deux fois les cordages en grelin, afin que lorsqu'ils auront à souffrir quelque frottement violent, les fibres du chanvre soient tellement entrelacées & embarrassées les unes dans les autres, qu'elles ne puissent se dégager facilement : quelques fils viennent-ils à se rompre, la corde est à la vérité affoiblie en cet endroit ; mais comme ces fils sont tellement serrés par les cordons qui passent dessus, qu'ils ne peuvent se séparer plus avant, il n'y a que ce seul endroit de la corde qui souffre, tout le reste du cable est aussi fort qu'auparavant ; & il n'y a pas à craindre que cet accident le rende défectueux dans les autres parties de la longueur du cordage, duquel on peut se servir après avoir retranché la partie endommagée, supposé qu'elle le soit au point qu'on craignît que le cable ne pût résister dans cet endroit aux efforts qu'il est obligé d'essuyer.

2°. Les Cordiers prétendent, aussi-bien que la plûpart des marins, que l'eau de la mer dans laquelle ces cordages sont presque toûjours plongés, pénétreroit avec plus de facilité dans l'intérieur des cables, si on les commettoit en aussiere, & que cela les feroit pourrir plus aisément. Nous ne croyons pas que ce soit la façon de commettre les cordages qui les rend moins perméables à l'eau : il ne faut pas nier que l'eau pénétrera plus promtement & plus abondamment dans un cordage qui sera commis mollement, que dans un qui sera fort dur ; mais cette circonstance peut regarder les cordages commis en grelin, comme ceux qui le seroient en aussiere : aussi est-ce sur une meilleure raison que nous croyons les grelins préférables aux aussieres.

3°. Nous avons prouvé qu'il étoit avantageux de multiplier le nombre des torons ; 1°. parce qu'un toron qui est menu, se commet par une moindre force élastique qu'un toron qui est gros ; 2°. parce que plus un toron est menu, & moins il y a de différence entre la tension des fils qui sont au centre du toron, & la tension de ceux de la circonférence : le plus sûr moyen de multiplier le nombre des torons, est de faire les cordages en grelin, puisqu'il ne paroît pas qu'on puisse faire des aussieres avec plus de six torons, au lieu que le plus simple de tous les grelins en a neuf ; & on seroit maître de multiplier les torons dans un gros cable presqu'à l'infini. On peut faire des grelins avec toute sorte d'aussieres, & les composer d'autant de cordons qu'on met de torons dans les aussieres ; ainsi on peut faire des grelins,

Des archigrelins. Ce n'est pas tout : il seroit possible de faire des cordes commises trois fois ; nous les nommerons des archigrelins, c'est-à-dire des grelins composés d'autres grelins : en ce cas, les plus simples de ces archigrelins seroient à vingt-sept torons ; & si l'on faisoit les cordons à six torons, les grelins de même à six cordons, & l'archigrelin aussi avec six grelins, on auroit une corde qui seroit composée de 216 torons. On voit par-là qu'on est maître de multiplier les torons tant qu'on voudra. Les cordes en seroient-elles meilleures ? J'en doute ; il ne seroit guere possible de multiplier ainsi les opérations, sans augmenter le tortillement ; & sûrement on perdroit plus par cette augmentation du tortillement, qu'on ne gagneroit par la multiplication des torons ; ces cordes deviendroient si roides qu'on ne pourroit les manier, sur-tout quand elles seroient mouillées. D'ailleurs, elles seroient très-difficiles à fabriquer, & par conséquent très-sujettes à avoir des défauts. Mais tous les grelins qu'on fait dans les ports sont à trois cordons, chaque cordon étant composé de trois torons, ce qui fait en tout neuf torons. On en fait aussi, dans l'intention de les rendre plus propres à rouler dans les poulies, qui ont quatre cordons, composés chacun de trois torons ; ce qui fait en tout douze torons. Il est naturel qu'on fasse beaucoup de grelins à neuf torons, puisque ce sont les plus simples de tous & les plus faciles à travailler ; c'est la seule raison de préférence qu'on puisse appercevoir.

Mais si l'on veut faire des grelins à douze torons, lequel vaut mieux de les faire avec trois cordons, qui seroient composés chacun de quatre torons, ou bien de les faire avec quatre cordons qui seroient chacun composés seulement de trois torons ? On apperçoit dans chacune de ces pratiques des avantages qui se compensent : le grelin qui sera fait avec quatre cordons sera plus uni, les hélices que chaque cordon décrira seront moins courbes ; il restera un vuide dans l'axe de la corde, ou bien les torons se rouleront sur une meche qui empêchera qu'ils ne fassent des plis si aigus ; enfin ces grelins seront plus flexibles. Mais les grelins à trois torons auront aussi des avantages : ils n'auront point de meche ; les torons qui composeront les cordons seront assez fins, à moins que le cordage ne soit fort gros, pour qu'un cordier médiocrement habile puisse les commettre sans meche : enfin cette derniere espece de grelin sera plus aisée à commettre ; ce qui ne doit pas être négligé. Il paroît donc que ces deux especes de grelin ont des avantages qui se compensent à peu de chose près : mais pourquoi ne fait-on pas des grelins avec quatre cordons, qui seroient chacun composés de quatre torons ? ces cordages réuniroient tous les avantages des deux especes dont nous venons de parler ; & outre cela, comme ils seroient composés de seize torons, ils auroient encore l'avantage d'avoir leurs torons plus fins que ceux des autres, qui ne sont qu'à douze torons. Qu'on ne dise pas que ce qu'on gagnera par cette multiplication des torons, compensera à peine le poids des meches, puisque les torons seront si fins pour quantité de manoeuvres, qu'on aura pas besoin d'employer de meches pour les commettre ; on en jugera par l'exemple suivant. Un grelin de sept pouces trois quarts de circonférence, est assez gros pour quantité de manoeuvres courantes ; néanmoins en supposant les fils de la grosseur ordinaire, il ne sera composé que de 240 fils, qui étant divisés par seize, qui est le nombre des torons, on trouvera qu'il ne doit entrer que quinze fils dans chaque toron ; & ils seroient encore assez menus pour que les cordons composés de quatre de ces torons pussent être commis quatre à quatre sans meche. La grande difficulté qu'il y auroit à commettre des cordages plus composés, fait que nous croyons qu'il ne convient pas d'en fabriquer dans les corderies du Roi, quoiqu'il soit évident que, si on pouvoit remédier aux inconvéniens de la fabrication, ils en seroient considérablement plus forts.

De la longueur & du raccourcissement des fils dont on ourdit un grelin. Si l'on prenoit des aussieres ordinaires pour en faire un grelin, comme les fils qui composent ces aussieres, se seroient déjà raccourcis d'un tiers de leur longueur, & que pour cabler ces aussieres il faut qu'elles souffrent encore un raccourcissement ; il s'ensuit qu'un tel grelin seroit commis plus serré que ne le sont les aussieres, puisqu'il seroit commis au-delà d'un tiers. Beaucoup de cordiers suivent cette pratique. S'ils veulent faire une aussiere qui ait 120 brasses de longueur, ils ourdissent les fils à 190 brasses ; en virant sur les torons, ils les raccourcissent de 30 ; en commettant les torons, ils les raccourcissent de 20 ; en virant sur les cordons, ils les raccourcissent de 10 ; & enfin en cablant, ils les raccourcissent encore de 10 : ainsi le total de raccourcissement est de 70, qui étant retranchés de 190, le grelin reste de 120. C'est-là l'usage le plus commun. Néanmoins quelques cordiers ne commettent leurs grelins qu'au tiers, comme les aussieres ; & dans cette vûe, s'ils veulent avoir un cordage de 120 brasses, ils ourdissent leurs fils à 180 ; en virant sur les torons pour les mettre en état d'être commis en cordons, ils les accourcissent de 30 ; en commettant les torons, ils les accourcissent de 13 ; en virant sur les cordons pour les disposer à être cablés, ils les raccourcissent de 9 ; enfin en cablant, ils les accourcissent encore de 8 : le total du raccourcissement se monte à 60, qui fait précisément le tiers de la longueur à laquelle on avoit ourdi les fils ; si on le retranche de 180, il restera pour la longueur du grelin 120. Depuis que M. Duhamel a fait des expériences à Rochefort, le maître cordier commet ses grelins un peu moins qu'au tiers ou aux trois dixiemes, comme on le va voir par l'énumération des différens raccourcissemens qu'il a coûtume de leur donner. Il ourdit ses fils à 190 brasses, il raccourcit ses torons de 38 brasses ; en les commettant en cordons, 12 brasses ; en tordant les cordons, 10 brasses ; en commettant le grelin, six brasses ; quand la piece est finie, deux brasses ; ce qui fait 68 brasses, qui étant retranchées de 190, il reste pour la longueur du cable 122 brasses. Il n'est pas douteux que le petit nombre de cordiers qui suivent cette derniere méthode, ne fassent des grelins beaucoup plus forts que les autres : mais on peut faire encore beaucoup mieux, en ne commettant les grelins qu'au quart ou au cinquieme, & en ce cas on pourra suivre à-peu-près les regles suivantes.

Regle pour commettre un grelin au quart. On ourdira les fils à 190 brasses ; en virant sur les torons, on les accourcira de 12 ; en commettant, de 11 ; en virant sur les cordons, de 12 & demie ; enfin en cablant, de 12 brasses ; raccourcissement total, 47 brasses & demie ; reste pour la longueur du grelin 142 brasses & demie, plus long qu'à l'ordinaire de 22 brasses & demie.

Regle pour commettre un grelin au cinquieme. Il faudra ourdir les fils à 190 brasses ; on les raccourcira en virant sur les torons, de 10 ; en commettant les torons, de 9 ; en virant sur les cordons, de 10 ; enfin en cablant, de 9 ; total du raccourcissement 38 brasses ; reste pour la longueur du grelin 152 brasses, plus long qu'à l'ordinaire de 52 brasses : ainsi pour commettre toute sorte de grelins au quart, il faut commencer par diviser la longueur des fils par quatre ; si ces fils ont 190 brasses, on trouvera 47 brasses & demie, qui expriment tout le raccourcissement que les fils doivent éprouver. Ensuite comme il y a quatre opérations pour faire un grelin, il faut diviser ces 47 brasses & demie par quatre ; on trouvera au quotient 59 piés 9 pouces, qui doivent être employés à chaque raccourcissement, & on met, si l'on veut, la fraction de neuf pouces en augmentation du tortillement des cordons, ce qui fait que le grelin s'entretient mieux commis. M. Duhamel, pour plusieurs de ses expériences, a même diminué du tortillement des deux premieres opérations, & a augmenté proportionnellement le tortillement des deux dernieres : on peut voir par ce qu'on a dit des aussieres, que la répartition du tortillement entre les diverses opérations n'est pas une chose indifférente. A l'égard des grelins commis au cinquieme, on divise la longueur des fils par cinq, & ce qui se trouve au quotient par quatre. Pour s'assurer de l'exactitude des raisonnemens précédens, on a consulté l'expérience, & on a toûjours trouvé que les expériences s'accordoient avec la théorie, à rendre les cordes d'autant plus fortes, qu'on multiplie davantage le nombre des torons. Les aussieres à quatre torons sont plus fortes que celles qui n'en ont que trois ; les aussieres à six torons sont plus fortes que celles à quatre. Les grelins les plus simples, ceux qui n'ont que neuf torons, sont plus forts que les aussieres à six torons. On augmente la force des grelins en les faisant de seize & de vingt-quatre torons ; & si les archigrelins ou grelins composés d'autres grelins, ne suivent pas exactement la même loi, c'est qu'il est difficile d'en fabriquer, où les défauts de main-d'oeuvre ne diminuent pas la force d'une quantité plus grande, qu'elle n'y est augmentée par la multiplication des torons.

Noms & usages des grelins. Il y a des maîtres d'équipage & des officiers de port qui employent beaucoup plus de cordages en grelin les uns que les autres ; & on doit conclure de ce qui vient d'être dit, qu'il est à-propos d'employer beaucoup de grelins. Il y a à la vérité plus de travail à faire un grelin qu'à faire une aussiere ; mais on sera bien dédommagé de cette augmentation de dépense, par ce qu'on gagnera sur la force de ces cordages.

Des cables. Tous les cables pour les ancres, & les gumènes pour les galeres, depuis 13 pouces de grosseur jusqu'à 24, sont commis en grelin ; ils ont ordinairement 120 brasses de longueur ; ils sont goudronnés en fil ; on ne les roüe point ; on les porte au magasin de la garniture & aux vaisseaux, ou sur l'épaule, ou sur des rouleaux. Il y en a qui prétendent qu'il faut commettre les cables les plus longs qu'il est possible : mais ce n'est pas l'avis de M. Duhamel ; il pense que le tortillement a trop de peine à se faire sentir dans une piece d'une grande longueur. Ces cables seroient donc plus tortillés par les bouts que par le milieu, ce qui seroit un grand défaut.

Pieces en grelin. On commet aussi des pieces en grelin depuis trois pouces de grosseur jusqu'à treize, dont les usages ne sont point déterminés, & que les maîtres d'équipage employent à différens usages. On en commet de goudronnées en fil & en blanc pour le service des ports.

Haubans. On commet quelquefois en grelin des pieces pour les haubans, depuis 80 brasses de longueur jusqu'à 130, & depuis 5 pouces de grosseur jusqu'à 10 ; elles sont toutes goudronnées en fil. Il est inutile que les haubans soient souples & flexibles, mais ils doivent être forts & ne doivent pas s'allonger ; c'est le cas où on les pourroit faire en grelin commis trois fois.

Tournevires. La plûpart des tournevires sont commis en grelin ; on en commet depuis 40 brasses jusqu'à 67 de longueur, & depuis 7 pouces jusqu'à 12 de grosseur : quelques-uns font mal-à-propos les tournevires en aussieres, disant qu'ils s'allongent moins & qu'ils sont plus souples ; mais on peut procurer aux grelins ces avantages en ne les tordant pas trop, & en multipliant les torons ; alors ils seront bien meilleurs que les aussieres.

Itagues. On commet des itagues de grandes vergues en grelin, qui ont de grosseur depuis 7 pouces jusqu'à 12, & de longueur depuis 26 jusqu'à 44 brasses.

Drisses & écoutes. On commet aussi en grelin toutes les drisses & les écoutes de grande voile & de misaine, depuis 3 pouces jusqu'à 7 de grosseur, & depuis 46 jusqu'à 110 brasses de longueur.

Guinderesses. On commet en grelin toutes les guinderesses de grand & de petits mâts de hune, & on en fait depuis 4 jusqu'à 8 pouces, qui ont depuis 40 jusqu'à 75 brasses.

Orins. On fait des orins en grelins, qui ont depuis 4 pouces de grosseur jusqu'à 8 pouces, & 90 brasses de longueur.

Etais. On fait des étais en grelins, qui ont depuis 4 jusqu'à 15 pouces de grosseur, & depuis 25 jusqu'à 36 brasses de longueur.

Des cordages en queue de rat. On donne ce nom à un cordage qui, ayant moins de diamêtre à l'une de ses extrémités qu'à l'autre, va toûjours en diminuant ou en grossissant.

Des aussieres en queue de rat. Pour les ourdir, on commence par étendre ce qu'il faut de fils pour faire la grosseur du petit bout, ou la moitié de la grosseur du gros bout, comme nous l'avons expliqué en parlant des aussieres ordinaires ; on divise ensuite cette quantité de fils en trois parties, si l'on veut faire une queue de rat à trois torons, ou en quatre, si l'on veut en avoir une à quatre torons. Ainsi si l'on se propose de faire une écoute de hune à trois torons, de neuf pouces de grosseur au gros bout, sachant qu'il faut pour avoir une aussiere de cette grosseur, 384 fils, il faut diviser en deux cette quantité de fils pour avoir la grosseur de la queue de rat au petit bout, & étendre 192 fils de la longueur de la piece, mettant en outre ce qu'il faut pour le raccourcissement des fils. On apperçoit que chaque piece doit faire sa manoeuvre, c'est-à-dire, que chaque piece ne doit pas avoir plus de longueur que la manoeuvre qu'elle doit faire ; car s'il falloit couper une manoeuvre en queue de rat, on l'affoibliroit beaucoup en la coupant par le gros bout, & elle deviendroit trop grosse si l'on retranchoit du petit bout. Sachant donc qu'une écoute de hune de 9 pouces de grosseur doit servir à un vaisseau de 74 canons, & que pour un vaisseau de ce rang elle doit avoir 32 brasses de longueur, on étend 192 fils à 48 brasses, si on se propose de la commettre au tiers, & à 43 brasses, si on se propose de la commettre au quart. Ensuite on divise les 192 fils en trois, si l'on veut faire une aussiere à trois torons, & l'on met 64 fils pour chaque toron ; ou bien on divise le nombre total en 4, pour faire une aussiere à 4 torons, & l'on met 48 fils pour chaque toron. Jusque-là on suit la même regle que pour faire une aussiere à l'ordinaire ; mais pour ourdir les 192 fils restans, il faut allonger seulement quatre fils, assez pour qu'ils soient à un pié de distance du quarré, & au moyen d'une ganse ou d'un fil de quarret, on en attache un à chacun des torons, & voilà l'aussiere déjà diminuée de la grosseur de 4 fils. On étend de même quatre autres fils, qu'on attache encore avec des ganses à un pié de ceux dont nous venons de parler, & la corde se trouve diminuée de la grosseur de huit fils ; en répétant quarante-huit fois cette opération, chaque toron se trouve grossi de quarante-huit fils ; & ces 192 fils étant joints avec les 192 qu'on avoit étendus en premier lieu, la corde se trouve être formée au gros bout de 384 fils, qu'on a supposé qu'il falloit pour faire une aussiere de neuf pouces de grosseur à ce bout. Suivant cette pratique, l'aussiere en question conserveroit neuf pouces de grosseur jusqu'aux quatre cinquiemes de sa longueur, & elle ne diminueroit que dans la longueur d'un cinquieme. Si un maître d'équipage vouloit que la diminution s'étendît jusqu'aux deux cinquiemes, le cordier n'auroit qu'à raccourcir chaque fil de deux piés au lieu d'un, &c. car il est évident que la queue de rat s'étendra d'autant plus avant dans la piece, qu'on mettra plus de distance d'une ganse à une autre ; si on jugeoit plus à propos que la diminution de grosseur de la queue de rat ne fût pas uniforme, on le pourroit faire en augmentant la distance d'une ganse à l'autre, à mesure qu'on approche du quarré. Voilà tout ce qu'on peut dire sur la maniere d'ourdir ces sortes de cordages ; il faut parler maintenant de la façon de les commettre.

Quand les fils sont bien ourdis, quand ceux qui sont arrêtés par les ganses sont aussi tendus que les autres, on démarre le quarré ; mais comme les torons sont plus gros du côté du chantier que du côté du quarré, ils doivent se tordre plus difficilement au bout où ils sont plus gros : c'est pour cette raison, & afin que le tortillement se répartisse plus uniformément, qu'en tordant les torons on ne fait virer que les manivelles du chantier, sans donner aucun tortillement du côté du quarré. Quand les torons sont suffisamment tortillés, quand ils sont raccourcis d'une quantité convenable, on les réunit tous à l'ordinaire à une seule manivelle qui est au milieu de la traverse du quarré ; on place le cochoir ou toupin, dont les rainures ou gougeures doivent être assez ouvertes pour recevoir le gros bout des torons, & on acheve de commettre la piece à l'ordinaire, ayant grande attention que le toupin courre bien ; car comme l'augmentation de grosseur du cordage fait un obstacle à sa marche, & comme la grosseur du cordage du côté du quarré est beaucoup moindre qu'à l'autre bout, il arrive souvent, sur-tout quand on commet ces cordages au tiers, qu'ils rompent auprès du quarré.

Des grelins en queue de rat. Ayant fait les cordons comme les aussieres dont nous venons de parler, les grelins se commettent tout comme les grelins ordinaires, excepté que pour tordre les grelins on ne fait virer que les manivelles du chantier.

Usage des cordages en queue de rat. On fait des écoüets en queue de rat à quatre cordons, & les cordons à trois torons deux fois commis, ou en grelin ; on en fait depuis quatre pouces de grosseur jusqu'à neuf, & depuis dix-huit jusqu'à trente brasses de longueur. On fait des écoutes de hune en aussieres à quatre torons depuis trois jusqu'à huit pouces de grosseur, & depuis dix-huit jusqu'à trente quatre brasses de longueur ; on en commet aussi en grelin sur ces mêmes proportions.

Des cordages refaits & recouverts. Quand les cordages sont usés, on en tire encore un bon parti pour le service ; car comme on a toûjours besoin d'étoupe pour calfater les vaisseaux, on les envoye à l'attelier des étoupieres, qui les charpissent & les mettent en état de servir aux calfats : mais quelquefois un cable neuf, ou presque neuf, aura été endommagé dans une partie de sa longueur, pour avoir frotté sur quelque roche dans un mauvais mouillage ; ou bien dans les magasins ou dans les vaisseaux, un cable se sera pourri en quelques endroits pour des causes particulieres, pendant que le reste se trouve très-sain ; alors ce seroit dommage de charpir ces cables, on en peut tirer un meilleur parti : pour cela on desassemble les torons, on sépare les fils, on les étend de nouveau, & l'on en fait de menus cordages qui servent à une infinité d'usages. Il y a des cordiers qui, croyant beaucoup mieux faire, font retordre les fils au roüet comme on feroit des fils neufs ; mais après ce que nous avons dit, il est évident qu'ils en doivent être moins forts : néanmoins il y a des cas où il convient de le faire. Supposons que les fils, assez bons d'ailleurs (car quand ils ne valent rien, il vaut mieux les envoyer aux étoupieres), soient endommagés seulement dans quelques endroits ; pour remédier à ces défauts, on fera très-bien de les mettre sur le roüet, & de rétablir les en droits défectueux avec du second brin neuf ; alors de petits garçons suivent les fileurs pour leur fournir du chanvre, ou pour leur donner le bout des fils quand ils sont rompus. Il y a des cordiers qui recouvrent entierement les vieux fils dont nous venons de parler, avec du second brin ou de l'étoupe ; ce qui fait de gros fils qui paroissent tout neufs, mais qui ne valent pas grand-chose. On pourroit passer ces fils dans le goudron avant que de les commettre ; mais ordinairement on les commet en blanc, on les étuve ensuite, & on les passe dans le goudron. Comme les fils ainsi réparés sont fort tortillés, pour en tirer un meilleur parti on fera bien de ne les commettre qu'au quart tout au plus : ces sortes de cordages qu'on appelle recouverts, ont l'air de cordages neufs, & les cordiers les vendent souvent pour tels. On fait de ces cordages recouverts ou non-recouverts, de diverses longueur & grosseur, ce qui est indifférent, puisqu'ils ne doivent pas servir pour la garniture des vaisseaux, ni pour aucun ouvrage de conséquence : mais on s'en sert à plusieurs usages, pour les constructions des vaisseaux, pour les bâtimens civils, ou pour amarrer les canots & les chaloupes ; de cette façon ils épargnent beaucoup les cordages neufs. C'est dans cette même intention & pour de pareils usages, qu'il faudroit faire des cordages d'étoupes.

Quelques personnes plus chagrines qu'instruites pourront blâmer dans cet article une étendue, que d'autres ont loüée dans les articles Bas au métier, Chamoiseur, Chiner des étoffes, Chapeau, &c. Nous leur ferons observer pour toute réponse, que si dans le détail d'une manufacture il y a quelque défaut à craindre, c'est d'être trop court, tout étant dans la main-d'oeuvre presque également & essentiel & difficile à décrire ; & que cet article Corderie n'est qu'un extrait fort abregé d'un ouvrage qui a acquis avec justice une grande réputation à son auteur, & dans lequel M. Duhamel, auteur de cet ouvrage, n'a point traité de la goudronnerie, & n'a qu'effleuré l'usage des cordages, quoiqu'il ait employé au reste près de 400 pages in -4°. dans lesquelles nous ne croyons pas que les censeurs trouvent du superflu. O vous ! qui ne vous connoissez à rien, & qui reprenez tout, qu'il seroit facile de faire mal & de vous contenter, si l'on ne travailloit que pour vous ! Nous renvoyons à l'ouvrage même de M. Duhamel pour des détails d'expériences qu'il a multipliées, selon que l'importance de la matiere lui a paru l'exiger, & dont nous avons cru qu'il suffisoit au plan de ce Dictionnaire de rapporter les résultats généraux ; quant aux autres parties de la Corderie, voyez les art. CORDAGES (Marine) ÉTUVE, GOUDRON, GOUDRONNERIE, &c.


CORDES(Géog. mod.) ville de France dans l'Albigeois, sur la riviere d'Auron.


CORDES-TOULOUSAINES(Géog. mod.) petite ville de France dans l'Armagnac, près de la Garonne.


CORDIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Valere Cordus. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, en forme d'entonnoir, découpée, & dont les bords sont ordinairement recourbés ; il s'éleve du calice un pistil qui est attaché comme un clou au bas de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit arrondi & charnu, qui renferme un noyau divisé en deux loges, dans chacune desquelles il y a une amande oblongue. Plumier, nova plant. Amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


CORDIALES(Pharm.) Les quatre eaux cordiales sont celle d'endive, de chicorée, de buglose, & de scabieuse.

CORDIALES, (Pharm.) Les trois fleurs cordiales sont celles de bourache, de buglose, & de violette.

Le choix que quelques anciens medecins avoient fait de ces fleurs & de ces eaux pour leur attribuer plus particulierement la vertu cordiale, est absolument rejetté par la medecine moderne ; & effectivement l'infusion la plus ménagée de ces fleurs ne sauroit avoir aucune utilité réelle, du moins à titre de cordial.

Quant aux quatre eaux distillées, elles sont exactement dans la classe de celle dont Gédeon Harvé a dit, avec raison, qu'elles n'étoient bonnes qu'à être conservées dans de grandes bouteilles de verre pour être jettées dans la rue le printems suivant, vere proxime insequente in cloacas evacuandae. (b)


CORDIAUXadj. (Pharm.) remedes qui raniment & fortifient. J'ai donné leur maniere d'agir à l'article alexipharmaques. Voyez ALEXIPHARMAQUE.


CORDIERS. m. artisan qui a le droit de fabriquer & vendre des cordes & cordages de chanvre, d'écorce de tilleul, de lin, de crin, &c. en qualité de membre de la communauté de ce nom. Les statuts de cette communauté sont datés de 1394. Il n'y a point d'art qui en exigeât de meilleurs & de plus rigoureusement prescrits ; car on ne sent que trop combien il est important dans la marine d'avoir de bons cordages : mais aussi ces reglemens ne pourroient guere être faits que par un physicien très-habile, & qui auroit étudié la fabrique à fond. Je dis pourroient, car il n'y en a de faits que ceux qui augmentent les droits d'apprentissage, & qui ne méritent que le nom de vexations. Il y a des visites ordonnées aux jurés, un chef-d'oeuvre prescrit au récipiendaire, quatre ans d'apprentissage, deux jurés annuels, &c. avec tout cela les Cordiers sont dans le cas de beaucoup d'autres ouvriers ; ils travaillent comme ils le jugent à propos.

CORDIER, terme de riviere, bateau servant à la pêche avec les cordes ou lignes : terme de pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Tuet, Treport & ailleurs. Voyez les art. CORDES, (Pêche)


CORDILIEREvoyez CORDELIERE.


CORDILLATS. m. (manuf. de drap) draps qui se fabriquent à Chabeuil, de fleurs ou prime laine du pays, & sont composés de quarante-six portées au moins de trente-deux fils chacune, pour revenir du foulon & de l'apprêt à une aulne. Il y en a de peignées qui se fabriquent à Crest ; ils sont de vingt-huit portées de quarante fils chacune : d'autres appellés enversins ou communs, fabriqués aussi à Crest, sur vingt-cinq portées de trente-deux fils chacune. Ceux de cette derniere sorte, de Chabeuil, doivent avoir vingt-quatre portées de trente-deux fils chacune, deux tiers de large sur le métier, & deux aulnées après le foulon & l'apprêt. Ces étoffes doivent être aulnes par le dos, & non par la lisiere. Voyez les reglem. des Manufact. les dictionn. du Comm. & de Trév.


CORDONS. m. (Corder.) On donne dans les atteliers de corderie ce nom à une petite corde destinée à faire partie d'une autre, voyez CORDERIE ; chez les ouvriers en soie, les Boutonniers & autres, à un petit tissu en long & ourdi comme la corde, ou de soie, ou de laine, ou de fil, ou de crin, &c. voy. CORDON, BOUTONNIER ; & à la suite de cet art. d'autres acceptions du même terme ; chez les Serruriers, les Sculpteurs, les Fondeurs, &c. à un petit ornement en relief, circulaire & arrondi, qui regne tout autour d'une piece. Si cet ornement, au lieu d'être en relief, étoit en creux, il formeroit une cannelure, une rainure, une gouttiere, &c. selon la forme, la direction & les ouvrages ; car il n'y a rien de si arbitraire dans les arts méchaniques, que l'usage de ces termes.

CORDON DE S. FRANÇOIS, (Hist. eccl.) espece de corde garnie de noeuds que portent différens ordres religieux qui reconnoissent S. François pour leur instituteur. Quelques-uns, comme les Cordeliers, les Capucins, les Récollets, le portent blanc ; celui des Pénitens ou Picpus est noir.

Il y a aussi une confrairie du cordon de S. François, qui comprend non-seulement les religieux, mais encore un très-grand nombre de personnes de l'un & de l'autre sexe. Ces confreres, pour obtenir les indulgences accordées à leur société, ne sont obligés qu'à dire tous les jours cinq Pater & cinq ave Maria, & gloria Patri, à porter le cordon, que tous les religieux peuvent donner, mais qui ne peut être béni que par les supérieurs de l'ordre. (G)

CORDON, (Histoire mod.) marque de chevalerie. Chaque ordre a le sien. C'est un ruban plus ou moins large, de telle ou telle couleur, travaillé de telle ou telle façon, que les membres de l'ordre portent, ainsi qu'il leur est enjoint par les statuts.

CORDON BLEU, (Histoire mod.) voyez à l'article ESPRIT, ORDRE DU S. ESPRIT.

* CORDON JAUNE, (Hist. mod.) Ordre du cordon jaune ; compagnie de chevaliers instituée par le duc de Nevers sous Henri IV. La reception s'en faisoit dans l'église, où tous les chevaliers catholiques ou protestans s'assembloient au son de la cloche. On disoit la messe ; les chevaliers s'approchoient de l'autel ; on haranguoit celui qui demandoit le cordon, on lui lisoit les statuts. Le prêtre prenoit le livre des évangiles ; le chevalier sans épée, mettant un genou en terre & la main sur le livre, juroit d'observer les statuts. Le général lui ceignoit l'épée, lui passoit le cordon sur le col, & l'embrassoit. Le duc de Nevers en étoit général. Un des articles des statuts enjoignoit aux chevaliers de savoir le jeu de la Mourre ; il y en avoit de plus ridicules. Henri IV. abolit cet ordre en 1606.

* CORDON, (Blason) ornement qui accompagne l'écusson. C'est un véritable cordon, qui dans les armes des prélats descend du chapeau qu'ils ont pour cimier, & se divise & sous-divise en houpes ; les cardinaux l'ont rouge, & trente houpes de même couleur, quinze de chaque côté sur cinq rangs, dont le premier n'en a qu'une, le second deux, le troisieme trois, & ainsi de suite. Les archevêques l'ont de sinople, de même que les houpes qui sont de chaque côté au nombre de dix sur les quatre rangs 1, 2, 3, 4 ; les évêques de sinople aussi, de même que les houpes, au nombre de six de chaque côté sur les trois rangs 1, 2, 3 ; les protonotaires l'ont de sinople, ainsi que les houpes au nombre de trois de chaque côté sur les deux rangs 1, 3.

* CORDON, (Anatom.) se dit de plusieurs parties qui ont quelque ressemblance de figure avec un cordon ; ainsi il y a le cordon spermatique, c'est l'assemblage de tous les vaisseaux de ce nom, voyez SPERMATIQUE : le cordon ombilical ; c'est l'assemblage des vaisseaux ombilicaux, voyez OMBILICAL : les cordons ligamenteux des apophyses épineuses des vertebres, voyez LIGAMENS : les cordons ligamenteux du ligament transversal des cartilages semi-lunaires, &c.

CORDON, en Architecture, est une grosse moulure ronde au-dessus du talud de l'escarpe & de la contre-escarpe d'un fossé, d'un quai ou d'un pont, pour marquer le rez de chaussée au-dessous du mur d'appui. On appelle aussi cordon, toute moulure ronde au pié de la lanterne, ou de l'attique d'un dôme, &c. (P)

CORDON, en terme de Fortification, est un rang de pierres arrondies, saillant en-dehors, au niveau du terre-plein du rempart & au pié extérieur du parapet. Le cordon tourne tout autour de la place, & il sert à joindre plus agréablement ensemble le revêtement du rempart qui est en talud, & celui du parapet qui est perpendiculaire.

Dans les remparts revêtus de gazon, on ne peut pratiquer de cordon, mais on y substitue ordinairement un rang de pieux enfoncés horisontalement, ou un peu inclinés vers le fossé. Voyez FRAISES. Le cordon doit avoir huit à dix pouces de saillie. (Q)

CORDON, (Hydraul.) est un tuyau que l'on fait tourner autour d'une fontaine, pour fournir une suite de jets placés au milieu ou sur les bords. (K)

CORDON DE CHAPEAU, (Chapellerie) ficelle qui ceint le bas de la forme du chapeau en-dehors. Ce sont les maîtres Passementiers-Boutonniers qui fabriquent les cordons de chapeaux. Voyez PASSEMENTIER-BOUTONNIER. Dictionn. de Comm. & de Trév.

CORDON A LA RATIERE. C'est ainsi qu'on appelle la ganse, lorsqu'elle a été fabriquée à la navette sur un métier. Voyez GANSE & LACET. Dict. du Comm. & de Trév.

CORDON, en terme de Boutonnier ; c'est une tresse ronde faite à la jatte. Le nombre des fuseaux est toujours pair, & ne passe jamais seize. On fait quatre tas sur les quatre faces de la jatte. Voyez JATTE. Les bouts des fuseaux noués & rassemblés passent dans la cannelle, & sont retenus en-dessous par un poids d'une pesanteur proportionnée à celle des fuseaux ; on mene ou porte d'un tas sur celui de vis-à-vis, d'où on revient en rapportant un autre fuseau pour remplacer celui qu'on avoit ôté du premier tas. On fait la même chose du tas de droite à gauche, jusqu'à ce que l'ouvrage soit fini. Quand on veut faire du plat sur un cordon, on ramasse tous les tas en deux parties sur la même face de la jatte, & on travaille cette partie de l'ouvrage comme la tresse. Voyez TRESSE. Les plus petits cordons que l'on puisse faire, sont de quatre fuseaux.

CORDONS & FRETTES, terme de Charron. Les Charrons appellent cordons & frettes, des cercles de fer qu'ils posent autour des moyeux des roües, pour empêcher qu'ils ne se fendent. Voyez la lett. X. Pl. du Sellier, fig. 2.

* CORDON, (Jardin) cordon de gazon, est une bordure de gazon d'une largeur déterminée par le dessein du parterre dans les compartimens duquel on l'employe. On entoure quelquefois le bassin d'une fontaine d'un cordon de gazon.

CORDON, (Pellet.) on donne ce nom à un certain nombre de queues de martre zibeline ou d'autres animaux, enfilées au nombre de quatorze ou seize, sur une longueur de demi-aulne pour les petites, & d'un plus grand nombre de queues & de plus de longueur pour les grandes, qui n'ont rien de déterminé, non plus que les moyennes. Voyez le dict. du Comm. & celui de Trév.

* CORDONS, (Manufact. en soie) lisiere de soie pour les étoffes de prix. Voyez à l'article VELOURS, les cordons du velours.


CORDONNERv. act. c'est, en terme de Boutonnier & Passementier, tortiller ensemble plusieurs poils de chevre, pour en former un cordon pour faire des boutonnieres sur des habits d'hommes & autres, &c. Quoique ce soit-là proprement ce qu'on appelle cordonner, & du cordonné ou cordonnet, les boutonniers en font de soie & même d'or pour leurs différens enjolivemens. Il n'y a pour la premiere espece qu'à savoir retordre dans le degré qu'il faut, puisque le trop nuiroit à l'ouvrage, comme le trop peu ; mais dans les cordonnés ou cordonnets, que l'on pourroit nommer façonnés, c'est-à-dire que l'on fait de différentes couleurs, & qu'on veut assortir à un habit de soie, il faut être au fait des nuances pour saisir l'effet que telle couleur produit auprès de telle autre. On cordonne au roüet ou à la mollette. Le cordonné ou cordonnet s'applique sur une infinité d'étoffes & d'ouvrages ; on s'en sert à border, on s'en sert aussi à terminer les desseins : le cordonné ou cordonnet en forme les contours : on le coud à l'aiguille, &c.


CORDONNERIES. f. (Comm. & Art méch.) Ce mot a deux acceptions ; c'est, ou l'art de faire différentes chaussures, ou un endroit où on les expose en vente.


CORDONNETS. m. en terme d'Aiguilletier, sont des ganses de fil ou de soie, ferrées par un bout, à l'usage des femmes ou des ecclésiastiques.

CORDONNET, (Monnoyage) marque sur tranche des especes de peu de volume, comme on voit sur le louis, demi-louis & petites pieces d'argent. Voyez MARQUE SUR TRANCHE.

CORDONNET, (Passement. Bouton.) c'est un petit cordon d'or, d'argent, de soie ou de fil. L'usage le plus commun du cordonnet est pour border les boutonnieres de juste-au-corps & de vestes, & pour appliquer sur des broderies, pour en marquer le dessein ou en augmenter le relief. Ce sont les marchands Merciers qui vendent le cordonnet, mais ce sont les maîtres Passementiers-Boutonniers qui le fabriquent. Voyez l'art. CORDONNER.


CORDONNIERS. m. (Art. méch.) ouvrier qui a le droit de faire & vendre des chaussures, en qualité de membre de la communauté de son nom. Cette communauté s'est partagée en quatre corps ; celui des cordonniers -bottiers, celui des cordonniers pour hommes, celui des cordonniers pour femmes, & celui des cordonniers pour enfans : aussi n'y a-t-il point de communauté qui ait tant d'officiers. Voyez-en le détail dans le dict. du Comm. Nous allons seulement dire un mot d'une communauté particuliere qui s'occupe du même métier ; c'est celle des freres cordonniers : elle s'établit en 1645. Ils ont un maître sous la conduite duquel ils vivent. Ils sont privilégiés du grand-prevôt de l'hôtel ; le privilége est expédié au nom du maitre & de son office. Ils mettent en commun tout le provenant de leur travail. Les dépenses oeconomiques faites, le reste est distribué aux pauvres. Ils ne font point de voeux. Ils ont seulement en vûe l'état de stabilité, de chasteté & de desappropriation. Voilà l'abregé des statuts de cette communauté vraiment utile, qui furent approuvés en 1664 par M. Hardouin de Perefixe.


CORDOUANadj. pris subst. cuir de bouc ou de chevre passé en tan ; ce qui le distingue du maroquin passé en galle. On en fait des dessus de souliers.


CORDOUANIERS. m. ouvrier qui prépare & façonne les cuirs appellés cordoüans.

Les cordoüaniers formoient autrefois une communauté, qui à présent est réunie à celle des corroyeurs.


CORDOUE(Géogr. mod.) ville considérable d'Espagne dans l'Andalousie, sur le Guadalquivir. Long. 13. 48. lat. 37. 42.

CORDOUE (la nouvelle) Géogr. mod. ville assez grande de l'Amérique méridionale, dans la province de Tucuman. Long. 316. 30. lat. mérid. 32. 10.


CORDYLEcordylus, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) espece de lézard plus grand que le lézard verd ; sa queue est ronde & couverte d'écailles qui l'entourent & qui anticipent les unes sur les autres. Il ressemble en quelque façon au crocodile, quoiqu'il soit beaucoup plus petit ; mais le dos n'est couvert que par une peau : il y a sur la tête & sur les jambes une sorte d'écorce écailleuse. La tête est plus courte & moins pointue que celle du crocodile. Le cordyle a une fente au-delà de la bouche, & cinq doigts à chaque pié ; il nage à l'aide des piés & de la queue : on en trouve aux environs de Montpellier. Voyez Rondelet & Ray, synop. anim. quadr. (I)


CORDZILERS. m. (Hist. mod.) garde du roi de Perse. On les appelle aussi corizzi & coridschi.


CORECORUS, ou CHOMER, ou HOMER, s. m. (Hist. anc.) mesure des Hébreux qui contenoit dix baths, ou deux cent quatre-vingt-dix-huit pintes, chopine, demi-septier, & 310720/704969 de pouce cube. Voyez dict. de la Bibl. & de Trév. (G)


CORÉE(LA) s. f. Géog. mod. grande presqu'île d'Asie entre la Chine & le Japon. Ce pays tient au Nord au pays des Tartares Niugez, & à celui des Orancays ; il est séparé du continent par la riviere d'Yalo : on la divise en huit provinces. Les habitans de la Corée sont Chinois d'origine, aussi en conservent-ils les moeurs & la religion. Ils sont soûmis à l'empereur de la Chine.


CORÉESadj. fem. pris subst. (Myth.) fêtes instituées en l'honneur de Proserpine, adorée en Sicile sous le nom de Cora ou de Proserpine la jeune.


CORELLA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne au royaume de Navarre, sur les frontieres de la Castille vieille.


CORÉRIES. f. (Hist. mod.) nom de la maison d'en-bas, qu'habitent les freres convers à la grande Chartreuse.


CORESIE(Myth.) surnom de la Minerve des Arcadiens. Pausanias qui nous l'a transmis, ne nous en dit point la raison.


CORESSESS. m. pl. lieux, qu'on appelle roussables ailleurs, où l'on fait sorer le hareng à Calais.


COREZIN(Géog. mod.) ville de la petite Pologne dans le palatinat de Sendomir, sur la Vistule.


CORFF(Géog. mod.) petite ville d'Angleterre dans la province de Dorsetshire.


CORFOU(Géog. mod.) île très-considérable à l'embouchure du golfe de Venise. La capitale s'appelle de même, & appartient aux Vénitiens ; elle est très-bien fortifiée contre les entreprises des Turcs. Long. 37. 48. lat. 39. 40.


CORI(Géog. mod.) petite ville d'Italie dans la campagne de Rome.


CORIA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne au royaume de Léon dans l'Estramadure, sur la riviere d'Alagon. Long. 12. 2. lat. 39. 36.


CORIACEadj. (Art méch.) épithete qui se donne aux substances molles qui se divisent avec peine.


CORIAMBES. f. (Belles-Lettres) pié usité dans la versification greque & latine ; il est composé de deux breves consécutives, enfermées entre deux longues : exemple, mrmrm.


CORIANDRES. f. coriandrum, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleurs en rose, disposées en ombelle, & composées de plusieurs pétales faites en forme de coeur, inégaux dans de certaines especes, égaux dans d'autres, & soûtenus sur le calice, qui devient un fruit composé de deux semences sphériques ou demi-sphériques. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CORIANDRE, (Mat. med. & Pharm.) Les anciens attribuoient à la coriandre une vertu froide, narcotique, & étourdissante. Mathiol dit, qu'il ne faut point se servir de cette graine sans l'avoir auparavant fait tremper dans le vinaigre ; mais, comme l'a fort bien remarqué Zwelfer, l'usage journalier nous faisant voir que cette graine ne contient aucune mauvaise qualité, on auroit grand tort de la faire macérer dans le vinaigre qui n'est propre qu'à détruire, ou au moins altérer ses parties mobiles & aromatiques, qui constituent principalement sa vertu carminative, stomachique, & roborante. Voyez CORRECTIF.

Au reste, si la mauvaise odeur que répand cette graine, lorsqu'elle est récente, y faisoit soupçonner quelque qualité véneneuse, la simple dessication qui suffit pour lui faire perdre cette odeur & lui en faire prendre une très-aromatique & très-agréable, doit donc être admise pour le seul correctif de cette graine ; & comme on ne se sert de la coriandre que lorsqu'elle est seche, le soupçon que les anciens nous ont inspiré contre elle, sans doute à cause de l'odeur nauséabonde qu'elle répand lorsqu'elle est verte, doit être compté pour rien.

La prétendue qualité dangereuse de la coriandre n'empêchoit pas que les auteurs mêmes qui se croyoient obligés de la corriger, ne l'employassent elle-même comme correctif de certains purgatifs ; comme du sené, de l'agaric, &c. Voy. CORRECTIF.

On l'employe aujourd'hui avec plusieurs autres semences de la même famille, dans les décoctions pour les lavemens carminatifs : on en fait aussi des petites dragées, qui passent pour très-propres à exciter l'appetit & chasser les vents.

Cette graine entre dans l'eau de mélisse composée, l'eau de miel royale, l'eau générale, & le clairet de six graines. (b)


CORIARIA(Hist nat. bot.) petit arbrisseau qui croît aux environs de Montpellier, & qui sert à tanner les cuirs. Voyez REDOUL. (c)


CORIE(Myt.) fille de Jupiter & de Coriphe, une des Océanides : c'étoit la Minerve des Arcadiens, & ces peuples la regardoient comme l'inventrice des quadriges. Voy. QUADRIGE, voy. CHAR.


CORIENTES(Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale dans le Paraguai, sur la riviere de Paran.


CORINTHES. f. (Géog. anc. & mod.) ville de la Laconie en Morée, située sur l'Isthme qui porte son nom, entre le golfe de Lépante & celui d'Engia.

L'ancienne Grece a eu peu de villes plus importantes par son ancienneté, par sa situation, par sa citadelle, par ses ports, par ses richesses, par ses temples, par ses architectes, ses sculpteurs, & ses peintres ; peu de villes dans le monde ont été aussi fameuses pour les Arts, & peu ont éprouvé un plus grand nombre de vicissitudes.

Bâtie par Sysiphe, fils d'Eole, sous le nom d'Ephire, gouvernée d'abord par des rois, changée en heureuse république, détruite en cet état par Lucius Mummius, rétablie par Jules-César, redevenue florissante du tems de S. Paul, ensuite le siége d'un archevêque, ruinée pour la seconde fois par Alaric roi des Alains & des Goths ; elle tomba depuis entre les mains des despotes, & finalement des Vénitiens, auxquels Mahomet II. l'enleva en 1458, & l'annexa à l'empire Ottoman.

On la nomme aujourd'hui Géramé, & ce n'est plus qu'une espece de village habité par de malheureux esclaves. Article de M(D.J.)

CORINTHE (cuivre de) voyez CUIVRE DE CORINTHE.

CORINTHE (raisin de) voyez RAISIN DE CORINTHE.


CORINTHIENadj. (Archit.) nom d'un des ordres de l'Architecture. Voyez ORDRE.


CORISS. f. (Jardin) espece de vesce qui vient par-tout sans culture, qui se multiplie de semence & de plan, & qui trace beaucoup. Il y en a de bleue & de jaune. La bleue a la racine grosse, longue, & rougeâtre ; on l'employe dans la teinture : la plante a aussi la même couleur. La jaune a la tige quarrée, & la feuille assez semblable à celle du lin.

CORIS, s. m. (Commerce) monnoie ou plûtôt coquille très-blanche qui se pêche aux Philippines, que l'on trouve aussi dans les terres des maldives, & qui sert de monnoie dans la plus grande partie des Indes orientales, dans les états du grand-Mogol, sur les côtes de Guinée, & dans presque tous les pays où l'on fait la traite des Negres. Les Hollandois fournissent à la plûpart des autres nations les coris, qu'ils échangent en marchandise environ de quarante à quarante-trois sols argent de France, pour une livre pesant.

A présent les Negres n'acceptent plus les coris comme espece ; ils ne les prennent que pour s'en faire des especes de colliers ou autres ornemens de leur goût.

On donne depuis soixante jusqu'à quatre-vingt coris pour un pacha, petite monnoie de cuivre d'environ quatre deniers argent de France : cette évaluation n'a rien de déterminé, elle est conséquente à la rareté du coris.


CORK(Géog. mod.) ville forte & considérable d'Irlande dans la province de Munster, capitale du comté de Cork sur la riviere de Leo, avec un bon port. Long. 9. 10. lat. 51. 48.

CORK, (le comté de) Géog. mod. pays d'Irlande, borné par les comtés de Waterford, de Tiperary, de Kerry, & par la mer.


CORLIEUS. m. numenius, sive arquata. (Hist. nat. Ornith.) La femelle pese une livre douze onces ; le mâle est plus petit, & ne pese qu'une livre neuf onces. La femelle a environ deux piés trois pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des ongles, & seulement un pié dix pouces jusqu'au bout de la queue. L'envergure est de plus de trois piés ; les plumes de la tête & du dos ont le milieu noir, & les bords cendrés avec quelques teintes de roux ; le tuyau des plumes de la gorge & de la poitrine est noir, les bords de ces plumes sont blancs sur la poitrine, & d'un blanc roussâtre sur la gorge ; le menton n'est point tacheté ; le croupion & le ventre sont blancs ; les petites plumes des ailes qui recouvrent immédiatement les grandes, sont blanches ; les premieres grandes plumes de l'aile sont noires, & les autres ont des taches blanches ; la premiere plume du second rang des petites plumes de l'aile est entierement noire, & les huit ou neuf suivantes ont la pointe blanche ; au commencement de l'aile il y a une petite plume pointue & noire, on ne sait si on doit la mettre au rang des grandes plumes de l'aile ; le bec est très-long, étroit, arqué, & noirâtre ; la langue est pointue, & ne s'étend que jusqu'à l'angle de la piece inférieure du bec ; l'ouverture des narines est oblongue ; les pattes sont longues & de couleur bleuâtre, mêlée de brun ; les jambes sont dégarnies de plumes jusqu'au milieu de la seconde articulation ; les doigts sont joints ensemble, depuis leur naissance jusqu'à la premiere articulation, par une membrane épaisse ; les ongles sont petits & noirs ; le côté intérieur de l'ongle du doigt du milieu est tranchant. On a trouvé dans l'estomac de quelques-uns de ces oiseaux des coquilles, de petites pierres, des grenouilles, &c. Le corlieu est de tous les oiseaux le meilleur à manger. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

CORLIEU, (petit) est un oiseau qui se trouve dans les prés comme le corlieu, & qui va aussi à la mer. Il est timide, & il fuit les hommes ; sa voix ressemble à celle du bouc & de la chevre. Cet oiseau est très-bon à manger. On ne le voit guere qu'aux environs de la mer ; il se plaît dans les marais, & il ne cherche sa nourriture que pendant la nuit. Bel. hist. des oiseaux. Voyez OISEAU. (I)


CORLIN(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Poméranie ultérieure, sur la riviere de Persan. Long. 33. 40. lat. 54. 10.


CORLISvoyez COURLIS.


CORMES. f. (Mat. med.) fruit du cormier ; il est astringent & resserrant ; il est bon dans tous les flux de sang & d'humeur : lorsqu'il est mûr, il est agréable au goût, & bienfaisant à l'estomac ; il aide la digestion, & empêche les alimens de passer avec trop de rapidité dans les intestins. Quelques praticiens l'ont recommandé dans les fievres accompagnées de diarrhées. Voyez l'article CORMIER. Chambers.


CORMÉS. f. (Oecon. rustiq.) espece de boisson qu'on fait à la campagne avec de l'eau & des cormes pour les domestiques ; elle est piquante ; le froid en la gelant, & la chaleur en la faisant fermenter, la gâtent : il faut la consommer en hyver. Les cormes ressemblent à de petites poires ou neffles pâles ou rousses ; elles ne mûrissent point sur l'arbre. On les abat en automne, on les étend sur de la paille ; alors elles deviennent grises, brunes, molles, douces, & assez agréables au goût. On éleve le cormier de semence d'une façon singuliere : quand on ne le greffe ni sur sauvageon de son espece, ni sur poirier, ni sur coignassier ou épine, on prend un bout de corde à puits d'écorce de tilleul, on la laisse un peu pourrir ; on a des cormes bien mûres, on en frotte rudement cette corde, la chair s'en va, la graine s'insinue dans la corde ; on fait en terre un rayon profond d'un demi-pié, & l'on y couche la corde, après l'avoir fait passer par quelques-unes des préparations propres à hâter la végétation. Ce travail se fait sur la fin de l'automne. Pour faire le cormé, prenez des cormes qui ne soient point encore mûres, jaunâtres & assez fermes ; emplissez-en un tonneau plus d'à-demi, achevez avec de l'eau, laissez la bonde ouverte, la fermentation donnera à la liqueur un acide assez agréable, & cette liqueur sera bientôt prête à être bûe.


CORMERY(Géog. mod.) petite ville de France en Touraine sur l'Indre. Long. 18. 30. lat. 47. 15.


CORMICY(Géog. mod.) petite ville de France en Champagne dans le Rémois.


CORMIERS. m. (Hist. nat. bot. & Jard.) grand arbre qui croît dans les climats tempérés de l'Europe, où on le trouve dans les bois ; mais non pas en aussi grand nombre que les autres arbres forestiers, qui se plaisent sous la même température. Le cormier fait une belle tige, longue, droite, unie, & d'une grosseur bien proportionnée. Ses branches, qui se soûtiennent & se rassemblent, forment une tête assez réguliere. Ses racines, qui sont grosses & fortes, s'enfoncent plus qu'elles ne s'étendent. Son écorce est de couleur fauve sur les pousses d'un an ; les branches, d'un pouce de diamêtre, sont marquetées de taches blanchâtres, qui s'étendent & couvrent le bois lorsqu'il devient de la grosseur du bras : mais dès qu'il prend plus de volume, son écorce rembrunit par les gersures qui la déchirent & la font tomber par filandres. Sa feuille, en façon d'aile, est composée de treize ou quinze folioles oblongues & dentelées, qui sont velues & blanchâtres en-dessous. Il donne au mois de Mai des fleurs d'un blanc sale, disposées en bouquet. Le fruit qui leur succede ressemble ordinairement à une petite poire ; cependant il varie de forme, & même de couleur & de goût, selon les différentes especes de cet arbre, mais sa maturité s'opere différemment de celle des autres fruits ; ce n'est qu'après qu'elles sont cueillies, que les cormes s'amollissent en contractant une sorte de pourriture qui les rend supportables au goût. Aussi n'est-ce pas ce que cet arbre a de plus recommandable ; on l'estime bien plus pour l'excellente qualité de son bois, dont la solidité, la force & la durée le font rechercher pour quantité d'usages, auxquels ces conditions sont absolument essentielles.

Le bois du cormier étant donc extrêmement compacte & dur, il en résulte que son accroissement est beaucoup plus lent que celui des autres arbres. Quand on l'éleve de semence, il ne parvient en quatre ans qu'à deux piés de hauteur environ ; le saule, au contraire, le peuplier, les grands érables, le platane, &c. s'élevent jusqu'à douze piés dans le même espace de tems : ainsi l'accroissement du cormier est donc six fois plus lent que celui des grands arbres qui croissent promtement. Tout est conséquent dans les opérations de la nature : la lenteur de l'accroissement de cet arbre influe aussi sur le tems de la production de son premier fruit, en proportion à-peu-près égale. Ce n'est guere qu'après trente ans qu'il en rapporte, au lieu que les autres grands arbres en donnent la plûpart dès l'âge de sept ans. Nul doute aussi que cette qualité de son bois ne contribue à faire résister cet arbre à toutes les intempéries des saisons. Angran, qui a donné quelques observations sur l'Agriculture, rapporte que le grand hyver de 1709 ne porta aucun préjudice au cormier. On le met, avec raison, au rang des grands arbres. Il s'éleve souvent à plus de cinquante piés, & j'en ai vû qui avoient jusqu'à sept piés de tour dans des terreins qui leur convenoient.

Ceux où le cormier se plaît davantage, sont les terres fortes, limoneuses, substantielles, & même argilleuses, les lieux frais & humides, les places découvertes, & l'exposition du nord : il vient assez bien aussi dans tous les terreins cultivés, & il ne craint que ceux qui sont trop secs, & les situations trop chaudes : l'une ou l'autre de ces deux circonstances l'empêchent également de profiter & de fructifier, à moins pourtant qu'il n'y ait été élevé de semence.

Ce moyen est le plus sûr qu'on puisse employer pour la multiplication du cormier. On pourroit aussi y parvenir en couchant ses branches ou en greffant : mais ces expédiens sont de peu de ressource, & si l'on veut se procurer des plants en certaine quantité, & même des variétés, le seul parti qui convienne est de semer. On peut s'y prendre aussi-tôt que le fruit est en maturité, c'est-à-dire lorsqu'il est suffisamment pourri ; ou bien attendre au printems, en prenant la précaution de conserver jusqu'à ce tems les pepins des cormes dans du sable en un lieu sec. Ils ne leveront pour l'ordinaire qu'à l'autre printems. Deux ans après qu'ils auront levé, leur hauteur sera d'environ un pié ; alors on pourra les mettre en pepiniere, où il faudra les conduire comme les plants de poirier. Après y avoir passé quatre années, ils auront communément quatre piés de haut, & il leur faudra bien encore autant de tems pour qu'ils soient en état d'être transplantés à demeurant. Ainsi en supposant même qu'on ait aidé ces plants par une culture bien suivie, on ne peut guere compter de les avoir un peu forts que dix ou douze ans après les avoir semés.

Mais comme le cormier reussit à la transplantation peut-être mieux qu'aucune autre espece d'arbre, le plus court moyen de s'en procurer quelques plants, sera d'en faire arracher dans les bois : par-là on s'épargnera bien du tems ; car ils souffriront la transplantation quoique fort gros. J'en ai vû réussir dans les plantations de M. de Buffon, en ses terres de Bourgogne, qui avoient plus d'un pié de tour, & au moins vingt-cinq de hauteur. Tout cet acquis de volume ne dispense pas d'attendre encore une dixaine d'années pour les voir donner du fruit. mais quoique ces arbres reprennent très-aisément à la transplantation, que l'on ne s'imagine pas pour cela qu'il n'y ait qu'à en garnir des terreins incultes, pour avoir tout à coup une forêt ; on y seroit fort trompé : la premiere année ils y feroient des merveilles, il est vrai ; mais les deux ou trois années suivantes leur accroissement diminueroit de plus en plus, jusqu'au point qu'enfin ils ne pousseroient qu'au pié, & qu'alors il faudroit les recéper. Il faut donc à ces arbres transplantés une demi-culture, telle qu'ils peuvent la trouver dans les vignes, les enclos, les terres labourables, &c. Mais quand le cormier est venu de semence dans l'endroit même, il réussit presque par-tout sans aucune culture.

On peut greffer cet arbre sur le poirier & sur le pommier, où il reprend bien rarement ; sur le coignassier, suivant le conseil d'Evelyn ; & particulierement sur l'aubepin, où il réussit très-bien, au rapport de Porta. Comme le cormier se trouve plus fréquemment en Italie que nulle autre part, on peut s'en rapporter à cet auteur qui étoit Napolitain. Cet arbre peut aussi servir de sujet pour la greffe du poirier, qui y réussit difficilement ; du coignassier & de l'aubepin, qui y prennent mieux, mais qui sont des objets indifférens.

Les cormes ne laissent pas d'avoir quelqu'utilité, on peut en manger dans le milieu de l'automne, aussitôt que la grande âpreté du suc de ce fruit a été altérée par la fermentation qui en occasionne la pourriture. Les pauvres gens de la campagne en font quelquefois de la boisson ; & même ils font moudre de ces fruits secs avec leur blé, lorsqu'il est chargé d'yvraie, pour en atténuer les mauvais effets. Voyez CORME.

Le bois du cormier est rougeâtre, compacte, pesant, & extrêmement dur ; d'une grande solidité, d'une forte résistance, & de la plus longue durée ; aussi est-il très-recherché pour quantité d'usages. Il est excellent pour la menuiserie, pour faire des poulies, des vis de pressoir, des poupées de tour, des jumelles de presse, & pour toutes les menues garnitures des moulins. Il est très-propre à recevoir la gravure en bois. Les Armuriers s'en servent pour la monture de quelques armes ; & les Menuisiers le préferent pour les manches & les garnitures d'affutage de leurs outils. Ce bois est rare, & fort cher ; quoiqu'on puisse employer la plus grande partie des branches du cormier, parce qu'il est sans aubier.

Voici les différentes especes ou variétés du cormier les plus connues jusqu'à présent.

Le cormier franc. C'est celui que l'on trouve le plus communément dans les enclos & dans les héritages.

Le cormier à fruit en forme de poire.

Le cormier à fruit en façon d'oeuf. Les fruits de ces deux dernieres especes sont les plus âpres & les plus austeres de tous.

Le cormier à fruit rouge. Ce fruit est plus gros & d'un meilleur goût que ceux des especes précédentes.

Le cormier à fruit rougeâtre. Ce fruit est aussi gros que celui de l'arbre qui précede, mais inférieur pour le goût.

Le cormier à petit fruit rouge. Ce fruit est moins moelleux & plus tardif que ceux des autres especes ; aussi n'est-il pas trop bon à manger.

Le cormier à fruit très-petit. Quoique le fruit de cet arbre soit le plus petit de tous, il est assez agréable au goût.

Le cormier du Levant à feuille de frêne.

Le cormier du Levant à gros fruit jaunâtre. Ces deux dernieres especes sont si rares, qu'on ne les connoît encore que sur le récit de Tournefort, qui les a trouvées dans le voyage qu'il a fait au Levant.

Le cormier sauvage ou le cormier des oiseleurs. Cette espece est très-différente de celles qui précedent, sur-tout des sept premieres, qui ne sont que des variétés occasionnées par la différence des climats ou des terreins. Ce cormier ne fait pas un si grand arbre que tous les autres : il donne de bien meilleure heure au printems de plus grandes feuilles, & d'une verdure plus tendre & plus agréable. Ses fleurs disposées en ombelle, sont plus blanches, plus hatives, & plus belles ; elles ont même une odeur qui est supportable de loin. Il y a encore plus de différence dans le fruit de cet arbre ; ce sont des baies d'un rouge vif & jaunâtre, qui se font remarquer en automne : quoiqu'elles soient desagréables au goût, & nuisibles à l'estomac, elles sont si recherchées de quelques oiseaux qui en font leurs délices, que cet arbre les attire & sert particulierement à les piper. Il croît plus promtement, se multiplie plus aisément, & donne bien plûtôt du fruit. Il résiste dans des climats froids, & jusque dans la Laponie. Il vient dans presque tous les terreins ; il se plaît également dans les fonds marécageux, & sur la crête des montagnes. On peut même tirer quelque parti de cet arbre pour l'agrément : il montre tout des premiers, & dès le mois de Mars une verdure complete , qui jointe à ses fleurs en grandes ombelles qui paroissent à la fin d'Avril, & à la belle apparence de ses fruits en automne, doit lui mériter d'avoir place dans les plus jolis bosquets.

On peut le multiplier de graines qu'il faut semer au mois d'Octobre, & qui leveront au printems suivant ; ou bien par sa greffe, que j'ai vû réussir parfaitement sur l'aubepin, si ce n'est que par ce moyen l'arbre ne s'éleve guere qu'à douze ou quinze piés ; ce qui est fort au-dessous du volume qu'il peut acquérir lorsqu'il est venu de semence. M. Miller dit en avoir vû dans quelques contrées D'Angleterre qui avoient près de quarante piés de hauteur sur deux piés de diamêtre, mais que dans d'autres endroits cet arbre ne s'élevoit qu'à vingt piés. Sa tige est menue, fort droite, & d'une belle écorce unie où la couleur fauve domine. Son bois est fort estimé pour le charronage & pour d'autres usages, parce qu'il est tout de coeur, & presqu'aussi dur que celui du cormier ordinaire.

La plûpart des auteurs françois qui ont traité de l'Agriculture, ont souvent donné au cormier le nom de sorbier, & ont employé ces deux noms indifféremment en traitant du cormier. Ne s'entendroit-on pas mieux par la suite, si on ne donnoit le nom de cormier qu'aux neuf premieres especes que j'ai rapportées, & si on appliquoit particulierement le nom de sorbier à la derniere espece, qui se distingue des autres par des différences si sensibles ? (c)


CORMIERECORNIERE, ou ALLONGE DE POUPE, (Marine) c'est une piece de bois de l'arriere, qui étant assemblée avec le bout supérieur de l'étambord, forme le bout de la poupe. Elle est posée sur la courbe de l'étambord. Voyez Marine, Pl. IV. fig. 1. n°. 12. la situation de cette piece. Voyez ALLONGE DE POUPE. (Z)


CORMORANTS. m. (Hist. nat. Ornithol.) corvus aquaticus : oiseau aquatique qui est de la grosseur d'une oie, & dont toute la face supérieure est de couleur brune mêlée d'un peu de verd obscur & luisant. Le ventre & la poitrine sont blancs, & il y a dans chaque aile environ trente grandes plumes dont la pointe est cendrée, de même que dans les plumes du second rang qui recouvrent les grandes. La queue s'étend au-delà des piés ; elle est composée de quatorze fortes plumes ; quand on les étend elle s'arrondit dans sa circonférence, & se voûte par-dessous. Le bec est crochu à l'extrémité, & a trois pouces & demi de longueur ; la piece supérieure est noire, & ses bords sont tranchans ; ceux de l'inférieure sont larges & applatis, & la base de cette piece est revêtue d'une membrane jaunâtre. La langue est fort petite. les yeux sont situés plus près des angles de la bouche dans le cormorant, que dans la plûpart des autres oiseaux. L'iris est de couleur cendrée. Les cuisses sont fortes, courtes, épaisses, larges, & applaties, au moins quand cet oiseau est jeune. Les ongles sont noirs ; les pattes sont de la même couleur, & couvertes d'écailles disposées en forme de mailles : il y a quatre doigts, & tous sont dirigés en avant ; ils sont réunis ensemble par une membrane noire, le doigt extérieur est le plus long, & l'intérieur est le plus court ; le bord intérieur de l'ongle du doigt du milieu est dentelé. Ces oiseaux nichent non-seulement sur les rochers du bord de la mer, mais aussi sur des arbres ; ce qui est particulier au grand & au petit cormorant, entre tous les oiseaux qui ont une membrane aux piés.

On a mis sous le nom de petit cormorant un oiseau désigné par les noms de gracculus palmipes Arist. & de corvus aquaticus minor. Il differe du grand cormorant par les caracteres suivans. Le petit cormorant est plus petit ; le ventre est brun-roussâtre ; il n'y a que douze plumes dans la queue ; la peau qui est à la base du bec, n'est pas de la même couleur jaune que dans le grand cormorant ; enfin le bec est plus long & plus mince, &c. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU.

Le pere Le Comte dit qu'on éleve à la Chine les cormorans à la pêche ; que le pêcheur en a sur les bords d'un bateau jusqu'à cent ; qu'au signal qu'on leur donne ils partent tous, & se dispersent sur un étang, qu'ils apportent tout le poisson qu'ils peuvent attraper, & qu'on leur serre l'oesophage avec une corde pour les empêcher de le manger, Voyez dans nos Planches d'oiseaux (Hist. nat.) la figure du cormorant. (I)


CORNACS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Indiens appellent un conducteur d'éléphant. Il est placé sur le cou de l'animal : il a deux crochets ; le petit lui sert communément ; il en frappe legerement l'éléphant au front, ou ces coups lui entretiennent une plaie toûjours ouverte ; il n'employe le grand crochet que quand il est rétif ou en chaleur. Voyez les voy. de Dish, & le dictionn. de Trév.


CORNACHINES. f. (Pharmac.) poudre de cornachine ; c'est un purgatif composé d'antimoine diaphorétique, de diagrede & de crême de tartre, mêlés en parties égales.


CORNADOSS. m. (Comm.) petite monnoie de cours en Espagne ; c'est la quatrieme partie du maravedis. Voyez MARAVEDIS.


CORNAGES. m. (Jurisprud.) ou droit de cornage, est une redevance annuelle qui est dûe à quelques seigneurs, principalement dans le Berry, pour chaque boeuf qui laboure dans leur seigneurie, par ceux qui sement du blé d'hyver : le seigneur châtelain de Berri, ressort de Bourges, perçoit ce droit en blé ; il prétend aussi un droit pour les petits blés ou blés de Mars, qui se sement au printems. Dans la coûtume de troy locale de Berri, ce droit de cornage est de quatre parisis par couple de boeuf. Voyez aussi la coûtume de Châteaudun, tit. ij. art 2. Galland dit qu'au cartulaire de S. Denis de Nogent-le-Rotrou, il y a une lettre de Hugues vicomte de Châteaudun, de l'an 1168, qui fait mention d'un droit de cornesage, cornesagium, qui appartient au vicomte, sur ce que chaque habitant du bourg du Saint-Sepulcre vend hors de ce bourg ; mais il ne paroît pas que ce droit se paye pour chaque boeuf, ni par conséquent que ce soit, comme il le dit, la même chose qu'en quelques contrées de Champagne on appelle droit de cornage, lequel se paye par les roturiers à proportion des bêtes à corne trahiantes ; c'est pourquoi il est appellé dans les anciens titres boagium, bovagium. Au cartulaire de Champagne est un accord de l'an 1216, entre les religieux de S. Denis & leurs hommes de B... où ce droit est appellé en latin garbagium, & en françois cornage à B.... & à C.... Dans la même province de Champagne, le seigneur de Rets a un droit de cornage qui est tel, que les habitans lui doivent par an pour chaque animal de trois ans, excepté les taureaux, au jour de S. Jean, trois deniers, & pour chaque boeuf trayant, seu trahens, douze deniers. On donne encore ailleurs différens noms à ce même droit ; en Lorraine & dans le Barrois, on l'appelle droit d'assise ; & dans le vicomté de Lautrec, droit de bladade ; au duché de Thoars, droit de fromentage.

Tenir du Roi par cornage, c'est-à-dire à la charge de corner ou donner du cor pour avertir. Il en est parlé au liv. II. des tenures, chap. viij. à savoir ès marches de Scotlant en la frontiere d'Angleterre, pour avertir à cor & à cri public que les Ecossois ou autres ennemis viennent ou veulent entrer en Angleterre, qui est un service de sergenterie ; mais c'est un service de chevalier, quand aucun tient d'autre seigneur que du Roi par tel service de cornage. Voyez le glossaire de M. Lauriere, au mot cornage. (A)


CORNALINES. f. (Hist. nat. Minéralog.) carneolus, corneolus ; pierre fine demi-transparente de même nature que l'agate, mais de couleur plus vive & de pâte plus fine. Le caractere distinctif de la cornaline est le rouge vif, de sorte qu'on peut aisément la distinguer des autres pierres rouges, telles que certaines agates & certains jaspes. La cornaline en differe autant par sa couleur, que le carmin differe du minium. D'ailleurs on ne pourroit pas confondre la cornaline avec le jaspe, quelque rouge qu'il fut, puisque la premiere est demi-transparente, & que l'autre est opaque. Il y auroit plus de difficulté à distinguer la cornaline de certains morceaux d'agates qui sont rouges ou rougeâtres, parce que ces deux pierres ont à-peu-près le même degré de transparence ; mais le rouge de l'agate n'est jamais qu'un rouge lavé & éteint, en comparaison de celui de la cornaline, qui est toûjours net & vif. La cornaline est susceptible de toutes les teintes de rouge pur ; & elle est d'autant plus belle & plus estimée, que l'intensité de sa couleur est plus grande. Les cornalines les plus parfaites approchent, pour ainsi dire du grenat pour la couleur, & même en quelque sorte pour la transparence, après les avoir placées entre l'oeil & la lumiere : mais ces belles cornalines sont bien rares. On dit que ce sont des cornalines de la vieille roche, & on prétend qu'elles se trouvoient en Perse, & qu'on n'en connoît plus à présent les carrieres : ce qu'il y a de certain, c'est que la plûpart des cornalines, & peut-être toutes sont orientales. La netteté de la couleur suppose toûjours dans les pierres une pâte fine ; celle de la cornaline ne differe guere de la pâte de l'agate que par la couleur ; & il y a des cornalines dont le rouge, quoique vif, est si pâle, qu'on le reconnoît à peine ; il est délayé dans cette matiere blanche & laiteuse qui fait la pâte de l'agate, de la calcedoine, de la sardoine, & de la cornaline ; & lorsque la teinte de rouge est très-foible, il est difficile, & quelquefois impossible, de distinguer si elle est composée de rouge ou d'orangé ; & quelquefois la teinte n'est en effet ni rouge ni orangée ; de même que dans le spectre solaire il se trouve tel espace qui n'est ni rouge ni orangé, mais qui participe également au rouge & à l'orangé. Il y a donc telle pierre dont la teinte foible est équivoque, entre le rouge de la cornaline & l'orangé de la sardoine ; on ne sait si cette pierre est cornaline ou sardoine, & réellement elle n'est ni l'une ni l'autre relativement à ces dénominations ; mais on pourroit dire qu'elle seroit l'une & l'autre, puisqu'elle a les caracteres spécifiques de la cornaline & de la sardoine à égal degré. Voyez SARDOINE.

Ce défaut de la nomenclature est commun à tous les systèmes de distributions méthodiques en histoire naturelle, voyez METHODE ; aussi les Nomenclateurs sont rarement d'accord ensemble pour l'application des noms ; les uns donnent des noms différens à une même chose, les autres réunissent plusieurs choses différentes sous le même nom. Par exemple, la cornaline & la sardoine sont deux pierres différentes par la couleur, puisqu'il est certain que l'une est rouge & que l'autre est orangée ; & si on ne reconnoissoit pas la différence de couleur pour un caractere spécifique dans les pierres fines, on viendroit à confondre non-seulement la cornaline avec la sardoine, mais encore ces deux pierres avec l'agate & la calcedoine, car elles sont toutes de même pâte, & elles ne different les unes des autres, d'une maniere apparente, que par la couleur. Cependant M. Wallerius dans sa Minéralogie, fait de l'agate blanche, de l'agate ordinaire, de la calcedoine & de la cornaline, quatre especes différentes, tandis qu'il confond la sardoine avec la cornaline dans une même espece, sous les noms de carneolus, sardion, sarda, sardus. Il est évident que le premier appartient à la cornaline, & les trois autres à la sardoine ; mais cet auteur n'est pas le seul qui ait fait cette équivoque : la plûpart des nomenclateurs ont plus étudié les noms que les choses. Dans la distribution des noms on erre souvent, lorsqu'on ne consulte que des descriptions incomplete s, telles que le sont le plus grand nombre de celles que nous avons en histoire naturelle ; & la multiplicité des noms pour une même chose, rend toûjours l'application de ces noms très-difficile & fort incertaine, même pour ceux qui connoissent parfaitement les choses. L'ouvrage de M. Wallerius étoit très-pénible & supposoit une grande érudition, pour rassembler tous les noms synonymes que les anciens, & même les modernes, ont donné à chacun des minéraux en particulier. Ce travail sera très-utile & épargnera bien des recherches aux naturalistes ; mais nous en étions privés, avant que M. le baron d'Holbach eût pris la peine de traduire de l'allemand en françois le livre de M. Wallerius, Minéralogie ou description générale des substances du regne minéral, &c. Paris, 1753. 2 vol. in -8°. M. d'Holbach a fait plus, il a ajouté les noms françois aux noms grecs, latins, &c. il faut s'être occupé des détails de l'histoire naturelle, pour connoître toute l'utilité de cette nomenclature françoise, & pour sentir toute la difficulté qu'il y avoit à l'établir. Il a fallu suppléer des noms qui manquoient dans notre langue, & déterminer la signification & les acceptions de ceux dont on ne connoissoit que les sons. Ce travail ne peut être que le fruit d'une grande connoissance des minéraux, & d'un zele constant & éclairé pour l'avancement de la Minéralogie.

Cornaline onyce, cornaline oeillée, cornaline herborisée. Les caracteres & les différences de ces especes de cornalines sont les mêmes que dans l'agate, en supposant le rouge vif & toutes ses nuances sur un fond blanc ou blanchâtre. La cornaline herborisée est plus belle & plus estimée que l'agate herborisée, parce que le rouge vif sur un fond blanc a plus d'éclat que le noir ; d'ailleurs les différentes teintes de rouge sont fort agréables dans les cornalines herborisées. Il arrive quelquefois que la matiere étrangere qui forme les ramifications, a plus d'épaisseur dans le tronc & dans le corps des tiges de ces especes de branchages qu'à leurs sommets, alors le degré de couleur est proportionné à l'épaisseur de la matiere colorante ; ainsi le tronc & le corps des tiges des ramifications est d'un rouge brun, & même tirant sur le noir, tandis que les sommets, c'est-à-dire les extrémités des rameaux sont d'une couleur roussâtre, & même d'un rouge vif. Les gens qui aiment le merveilleux, s'imaginent reconnoître par cette différence de couleur au sommet des ramifications, les fleurs de la petite mousse ou de la petite plante qu'ils supposent être dans la pierre.

Les cornalines servent aux mêmes usages & se trouvent dans les mêmes endroits que les agates orientales. Voyez AGATE, PIERRES FINES. (I)


CORNARISTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) disciples de Theodore Cornhert, enthousiaste, hérétique & secrétaire des états de Hollande. On peut dire de cet homme, factus est sagittarius, & manus ejus contr à omnes : il sembloit que sa crainte fut de n'être pas persecuté. Il n'étoit d'accord avec aucun religionnaire. Il écrivoit & disputoit en même tems & contre les Catholiques, & contre les Luthériens, & contre les Calvinistes. Il prétendoit que toutes les communions avoient grand besoin d'une réforme ; mais il ajoûtoit que sans une mission soutenue par des miracles, personne n'étoit en droit de s'en mêler, les miracles étant les seules preuves, à la portée de tout le monde, qu'un homme annonce la vérité. Son avis étoit donc qu'en attendant l'homme aux miracles, on se réunît tous sous une forme d'interim, qu'on lût aux peuples le texte de la parole de Dieu sans commentaire, & que chacun en pensât comme il lui conviendroit. Il croyoit qu'on pouvoit être bon Chrétien sans être membre d'aucune église visible ; aussi ne communiquoit-il avec personne, ce qui étoit fort conséquent dans un homme mécontent de tout le monde. Il se déclara un peu plus ouvertement contre le Calvinisme que contre aucune autre façon de penser. La protection du prince d'Orange mettant sa personne à couvert des violences auxquelles les sectaires qui l'environnoient se seroient portés volontiers, ils furent obligés de s'en tenir aux injures ; mais en revanche ils lui en dirent beaucoup, selon l'usage.


CORNES. f. (Hist. nat. des Insect.) pointe fine, dure, sans articulation, qui sort ordinairement de la tête des insectes.

La nature a donné des cornes dures à quelques insectes, tout comme elle en a donné à divers quadrupedes. Ces cornes différent des antennes, en ce qu'elles n'ont point d'articulations. Plusieurs insectes n'ont qu'une corne qui est placée sur la tête & s'éleve directement en haut, ou se recourbe en arriere comme une faucille. Nos Naturalistes en ont donné des figures : mais il y a aussi des insectes qui ont deux cornes placées au-devant de la tête, s'étendant vers les côtés, ou s'élevant en ligne droite. Ces cornes sont ou courtes, unies & un peu recourbées en-dedans comme des faucilles, ou elles sont branchues comme celles du cerf-volant. Quelquefois elles sont égales en longueur, & d'autres fois elles sont plus grandes l'une que l'autre.

L'on trouve aussi des insectes qui ont trois de ces cornes qui s'élevent perpendiculairement ; tels sont, par exemple, les cornes de l'énena du Brésil. Voyez la description de cet insecte dans Marcgrave, hist. Brasil. l. VII. c. ij.

Tous les insectes ne portent pas leurs cornes à la tête ; car on en voit qui les ont des deux côtés des épaules près de la tête.

Enfin, dans quelques insectes elles sont immobiles, & mobiles dans d'autres. Ceux-ci peuvent par ce moyen serrer leur proie comme avec des tenailles, & ceux-là écarter ce qui se trouve en leur chemin.

Il regne à tous ces égards des variétés infinies sur le nombre, la forme, la longueur, la position, la structure, les usages des cornes dans les diverses especes d'insectes. Nous devons au microscope une infinité de curieuses observations en ce genre ; mais comme il n'est pas possible d'entrer dans ce vaste détail, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages de Leuwenhoek, de Swammerdam, de M. de Reaumur, de Frisch, Lessers, & autres savans Naturalistes. Article de M(D.J.)

CORNE, s. f. (Physiol.) partie dure & solide qui naît sur la tête de quelques animaux à quatre piés.

Le tissu de ce corps dur & solide paroit être un composé de plusieurs filets, qui naissent par étages de toute la surface de la peau qui est sous la corne. Tous ces filets étant réunis, collés, & soudés ensemble par une humeur visqueuse qui les abreuve, forment autant de cornets de différente hauteur, qui sont enchâssés les uns dans les autres, & prolongés jusqu'à la pointe de la corne, d'où vient que cette pointe composée de toutes ses enveloppes est fort solide, & que plus on approche de la base où ces cornets finissent par étages, plus on voit que l'épaisseur & la dureté de la corne diminuent.

Si l'on prend une corne sciée selon sa longueur, après l'avoir fait boüillir, on voit l'os qui soutient la corne, lequel se trouve aussi scié selon sa longueur ; & l'on remarque au-dedans de cet os, diverses cellules revêtues d'une membrane parsemée d'un très-grand nombre de vaisseaux. Si pour lors on détache de l'os la corne qui le couvre, on voit paroître sur la surface extérieure de la peau qui est entrée dans la corne & l'os, les racines d'une infinité de membranes arrangées par étages, d'où les diverses couches de la corne ont pris leur origine. On apperçoit encore que la surface intérieure de la corne est percée par autant d'étages de petites cavités qui répondent à ses mamelons, lesquels ont quantité de vaisseaux qui portent la nourriture dans tout l'intérieur des couches de la corne. Enfin l'accroissement & le gonflement de la tige des cornes des cerfs, justifient qu'elles ne sont que les productions des mamelons de la peau.

Les sillons qui paroissent sur les cornes lorsqu'elles sont dépouillées de leur peau, semblent formés par le gonflement des veines & des arteres parsemées dans la peau qui couvroit les cornes, & ces vaisseaux sont enflés & tendus par l'affluence perpétuelle du sang qui y aborde, de la même maniere qu'on voit au-dedans du crane, des sillons tracés par les vaisseaux de la dure-mere. Aux animaux dont les cornes ne tombent pas, l'apophyse de l'os du front qui sert de premiere base à la corne, & le péricrane qui la couvre, croissent & font croître la corne par plusieurs couches qui s'appliquent les unes aux autres, & qui forment une croûte.

L'ingénieux & industrieux Malpighi a le premier dévoilé, avant l'année 1675, (voy. ses épitres, p. 21.) l'origine, l'accroissement, & la structure de la corne des animaux : ensuite l'illustre du Verney exposa le même méchanisme dans une lettre écrite à M. le P. Cousin, insérée dans le Journal des savans du 3 Mai 1689 ; & c'est aussi d'après leurs principes qu'on peut expliquer la formation de ces excroissances qu'on voit naître quelquefois en certains endroits du corps de l'homme, & que l'on appelle improprement des cornes.

De ces excroissances, on en a fait dans tous les tems des cornes de bélier, blanches, grises, noires, de toutes sortes de longueur & de figure monstrueuse ; car qu'est-ce que l'amour du merveilleux n'a pas enfanté ? qu'est-ce que la crédulité n'a pas adopté ? Si l'on en croit quelques écrivains, l'imagination seule a même produit des cornes ; témoin l'histoire que fait Valere Maxime (liv. V. ch. vj.) du préteur Cippus, qui pour avoir assisté le jour avec grande affection au combat des taureaux, & avoir eu en songe toute la nuit des cornes en tête, les produisit bien-tôt sur son front par la force de son imagination. Nos auteurs modernes ne sont pas exempts de contes de cette espece.

Ce qu'il y a de vrai, quoique le cas soit encore fort rare, c'est qu'il vient quelquefois dans quelques parties du corps, sur le front par exemple, une excroissance ou élevation longue, dure, ronde, & pointue, qui ressemble à une corne. Le cas le plus singulier de cette difformité, est celui d'un paysan, dont parlent nos historiens, & Mézeray en particulier.

Au pays du Maine, dit-il, en l'année 1599, il se trouva un paysan nommé François Trouillu, âgé de 35 ans, portant à la tête une corne qui avoit percé dès l'âge de sept ans. Elle étoit cannelée en lignes droites, & se rabattoit en-dedans comme pour rentrer dans le crane... Ce paysan s'étoit retiré dans les bois pour cacher cette difformité monstrueuse, & y travailloit aux charbonnieres.... Un jour que le maréchal de Lavardin alloit à la chasse, ses gens ayant vû ce paysan qui s'enfuyoit coururent après ; & comme il ne se découvroit point pour saluer leur maître, ils lui arracherent son bonnet, & ainsi apperçurent cette corne. Le maréchal fit venir cet homme à la cour, le présenta à Henri IV, & il fut donné en spectacle dans Paris à tout le monde. Desesperé de se voir promener comme un ours, il en conçut tant de chagrin qu'il en mourut bien-tôt après.

M. de Thou, qui a été témoin de ce fait, ajoûte (liv. CXXIII.) que cette corne placée au côté droit du front, s'étendoit en se recourbant vers le côté gauche, desorte que la pointe retomboit sur le crane, & l'auroit blessé si on ne l'eût coupée de tems en tems ; alors il ressentoit de grandes douleurs, comme aussi lorsque les spectateurs la touchoient un peu rudement. On éprouve de même les douleurs les plus vives lorsque l'ongle d'un des doigts du pié en se recourbant rentre dans la chair.

Il paroît assez que toutes ces sortes d'excroissances ont la même origine, & ne sont que des productions des mamelons de la peau. On pourroit, suivant les apparences, prévenir de telles difformités dans le commencement ; car comme elles s'annoncent d'abord par une petite grosseur qui fait soulever la peau, & qui résiste au toucher, en frottant souvent cette grosseur avec de l'esprit-de-sel, la racine de l'excroissance se dessécheroit & tomberoit d'elle-même.

Les auteurs d'observations rapportent divers exemples de ces sortes d'excroissances cornuës nées aux extrémités des orteils & des doigts, & en effet leur structure & celle des ongles ont ensemble beaucoup d'affinité ; cependant il faut convenir que dans les cornes des animaux il ne regne point la même uniformité que dans les ongles ; les cornes des animaux sont très-variées en contour, en forme, en grandeur, en dureté, en usages, & à plusieurs autres égards ; il faut encore convenir que jusqu'à ce jour les Physiciens n'ont fait qu'y jetter un coup d'oeil trop superficiel & trop peu curieux. Article de M(D.J.)

CORNE (Bêtes à), Oeconom. rustiq. On ne comprend sous cette dénomination que les boeufs, vaches, & chevres. Voyez BESTIAUX.

CORNE DE CERF. Voyez CERF.

CORNE DE CERF (Gelée de) Pharmacie. Prenez raclure de corne de cerf demi-livre ; faites-la cuire à petit feu dans trois pintes d'eau commune, jusqu'à consistance de gelée ; coulez la décoction, & la passez ; mêlez-y sucre choisi une demi-livre, puis vous la clarifierez avec le blanc d'oeuf. Ajoutez-y vin blanc quatre onces, jus de citron une once, & la gelée sera faite.

Quand on a versé la gelée dans les pots, il faut les mettre dans un lieu frais & sec, afin qu'elle se coagule plus facilement. Elle reste quelquefois en été neuf ou dix heures à se congeler. Elle ne se garde guere plus long-tems que la gelée de viande ; c'est pourquoi on en fera peu à la fois, & on la renouvellera souvent. Voyez Chambers & James.

Cette gelée est nourrissante, cordiale & restaurante ; on la prend à la dose d'une cuillerée toutes les quatre heures, ou dans un bouillon, ou seule.

On fera la gelée de viperes de la même façon ; mais elle est de peu d'usage, quoique d'un grand secours pour purifier le sang, & dans le cas où l'on met en usage les bouillons de viperes.

* CORNE DE BOEUF. C'est cette partie double, éminente, contournée, pointue, noirâtre, qui défend la tête du boeuf. Voyez BOEUF. On en fait grand usage dans les arts ; on en fait des manches de différens instrumens. On tire de l'extrémité qui est solide, des cornets d'écritoire. On la dresse au feu, on l'amollit, on la lime & polit ; alors on y remarque des marbrures très-agréables. On nomme Tabletiers-Cornetiers ceux qui employent cette matiere. Pour l'amollir, la mouler, & lui donner telle forme que vous voudrez, ayez de l'urine d'homme gardée pendant un mois ; mettez-y de la chaux vive & de la cendre gravelée ou de lie de vin, le double de chaux, la moitié de cendres. Ajoûtez sur une livre de chaux & une demi-livre de cendres, quatre onces de tartre & autant de sel ; mêlez bien le tout ; laissez bouillir & réduire un peu le mêlange, passez-le ; gardez cette lessive bien couverte. Quand vous voudrez amollir la corne, laissez-la reposer dedans pendant une huitaine de jours.

Ou ayez des cendres de tiges & têtes de pavots ; faites-en une lessive, & faites-y bouillir la corne.

Ou ayez de la cendre de fougere, autant de chaux vive ; arrosez le tout d'eau, faites bouillir ; réduisez un peu le mêlange, laissez-le ensuite se reposer & se clarifier ; transvasez, ayez ensuite des raclures de cornes, jettez-les dans cette lessive, laissez-les y pendant trois à quatre jours, oignez-vous les mains d'huile, paitrissez la corne, & la moulez.

Ou ayez du jus de marrube blanc, d'ache, de millefeuilles, de raifort, de chelidoine, avec fort vinaigre ; mettez la corne tremper là-dedans, & l'y laissez pendant huit jours.

Ou ayez cendre gravelée & chaux vive, faites-en une forte lessive, mettez-y de la raclure de corne ; faites bouillir la raclure dans la lessive, elle se mettra en pâte facile à mouler. On pourra même, en ajoûtant de la couleur, teindre la pâte.

M. Papillon graveur en bois, de qui nous tenons ces préparations, prétend qu'elles réussiront non-seulement sur la corne, mais même sur l'yvoire. Il ajoûte que pour amollir les os, il faut prendre les portions creuses de ceux des jambes, avoir du jus de marrube, d'ache, de mille-feuilles, de raifort, avec fort vinaigre, en parties égales ; en remplir les os, bien boucher les ouvertures, ensorte que la liqueur ne puisse sortir ; les enterrer en cet état dans le crotin, & les y laisser jusqu'à ce qu'ils soient mous.

Pour l'yvoire & les os, on dit qu'il suffit de les faire bouillir dans de fort vinaigre.

Ayez aussi du vitriol Romain, du sel réduit en poudre ; arrosez le tout de fort vinaigre : distillez. On ajoûte que le résultat de cette distillation amollira l'os & l'yvoire qu'on y laissera séjourner ; & que si on fait passer de-là ces substances dans le suc de bettes, elles s'attendriront tellement, qu'elles prendront des empreintes de médailles, qu'on rendra durables, en mettant d'abord les pieces imprimées dans le vinaigre blanc, & ensuite dans de l'eau de puits fraiche.

Nous ne garantissons aucun de ces effets ; nous les publions afin que quelqu'un les éprouve, & voye si sur ce grand nombre il n'y en auroit pas qui tînt ce qu'on en promet.

CORNE, (Hist. nat.) on donne communément le même nom à ces especes de petits télescopes qui partent de la tête du limaçon & autres animaux semblables, & aux touffes de plumes qui s'élevent sur celle des chat-huants & autres oiseaux.

CORNE, (Maréchall. & manege) est un ongle dur & épais d'un doigt, qui regne autour du sabot du cheval, & qui environne la sole & le petit pié ; c'est-là où l'on broche les clous lorsqu'on le ferre, sans que le fer porte & appuie sur la sole ; parce que celle-ci étant plus tendre que la corne, le fer la fouleroit, & feroit boîter le cheval. Quand la corne est usée, on dit, le pié est usé. On met du surpoint à la corne du pié des chevaux, lorsqu'elle est seche & usée. Voyez SURPOINT.

Les avalures viennent à la corne. L'encastelure vient à la corne des piés de devant. Votre cheval a un javart encorné. Voyez AVALURE, ENCASTELURE & JAVART.

Quand un cheval a beaucoup de corne à la pince des piés de devant, le maréchal y peut brocher haut, sans crainte de rencontrer le vif ; & à l'égard des piés de derriere, il doit brocher haut au talon, mais bas à la pince, parce que la corne y est près du vif.

On dit donner un coup de corne à un cheval, pour dire le saigner au milieu du troisieme, au quatrieme cran, au sillon de la mâchoire supérieure ; ce qu'on fait avec une corne de cerf dont le bout est affilé & pointu, ce qui fait l'effet d'une lancette. On donne un coup de corne à un cheval qui a la bouche échauffée.

Corne de vache. Les maréchaux appellent ainsi une véritable corne de vache ouverte par les deux bouts, dont ils se servent pour donner un breuvage à un cheval.

Muer de corne, voyez MUER. (V)

CORNE DE CERF, Coronopus, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs & les fruits sont semblables aux fleurs & aux fruits du plantain, dont il ne differe qu'en ce que les feuilles sont profondément découpées, tandis que les feuilles du plantain sont seulement dentelées. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CORNE DE CERF, plante, (Matiere méd.) Cette plante a à-peu-près les mêmes propriétés que le plantain, mais on n'en fait aucun usage dans la pratique de la Médecine. Voyez PLANTAIN. (b)

CORNE D'AMMON, cornu Ammonis, (Hist. nat. Minéralog.) pierre figurée dont l'origine & la formation sont à présent bien connues ? on ne doute plus que ce ne soit une pétrification de coquille. Dès qu'on est parvenu à détruire une erreur, il seroit à souhaiter que l'on pût en effacer le souvenir. A quoi bon retracer les chimeres qui ont fait illusion à l'esprit humain, & les superstitions qui l'ont abruti pendant si long-tems ? Une telle érudition ne peut que satisfaire la vaine curiosité des hommes, & non pas les éclairer du flambeau de la vérité. Les Naturalistes, loin de s'occuper des fables qui ont été introduites dans l'histoire naturelle, doivent s'efforcer de les anéantir dans l'oubli, en opposant aux fictions d'une folle imagination, le simple exposé des observations les plus exactes. Ainsi nous ne nous arrêterons point à détailler toutes les idées ridicules que l'on a eues par rapport aux cornes d'Ammon. Peu nous importe de savoir si cette dénomination vient de la ressemblance qu'il y avoit entre les pierres figurées dont il s'agit, & les cornes de la statue de Jupiter Ammon. Quelles lumieres pouvons-nous tirer de diverses opinions qui ont été soûtenues sur la nature des cornes d'Ammon ? Les uns ne considérant que la signification stricte du nom, les ont prises pour des pétrifications de vraies cornes de quelques especes de béliers ; d'autres ont pensé que ces pierres figurées étoient des queues d'animaux pétrifiés, parce qu'elles sont contournées en volute, comme la queue de certains animaux, & composées de plusieurs pieces articulées, en quelque façon, comme des vertebres. Enfin la forme de la volute des cornes d'ammon, qui grossit à mesure qu'elle décrit des circonvolutions autour du centre, a fait imaginer que ces pierres figurées étoient des serpens ou des vers marins pétrifiés, dont la queue, c'est-à-dire l'extrémité la plus mince, se trouvoit au centre de la volute. Enfin ceux qui ont été les plus portés au merveilleux, ont prétendu que ces cornes d'Ammon avoient la vertu de procurer des songes mystérieux, & de donner le secret de les expliquer.

Aucune de ces opinions ne mérite notre attention, depuis que nous savons que les cornes d'Ammon sont des nautiles pétrifiés. Le nautile est un coquillage dont on distingue plusieurs especes : les uns n'ont qu'une seule cavité, & leurs parois sont fort minces ; c'est pourquoi on les appelle nautiles papiracées : il y en a dans la mer Méditerranée. Les autres sont divisés à l'intérieur par des cloisons transversales en plusieurs petites loges qui leur ont fait donner le nom de nautiles chambrés. On n'en a jamais vu que dans les mers des Indes ; cependant on trouve ces coquilles pétrifiées presque par-tout, principalement en Europe : c'est une des pétrifications les plus abondantes qui soient en France. Dans la plûpart de nos provinces la terre en est jonchée, les chaussées des grands chemins en sont en partie construites ; les bancs des carrieres de pierre & de marbre en renferment dans leur sein ; on en voit dans le roc & dans le caillou, il en tombe des montagnes les plus élevées, on les tire de l'argile. Les cornes d'Ammon sont les plus abondantes & les plus nombreuses des pierres figurées ; il y en a de plusieurs formes & de grandeurs très différentes. Il s'en trouve qui ont jusqu'à une toise de diamêtre. On en a découvert dans des sables, qui sont si petites qu'on ne peut les appercevoir qu'à l'aide du microscope. Entre ces deux extrémités il y en a une grande quantité de toutes les grandeurs.

Les Naturalistes ne doutent plus que les cornes d'Ammon ne soient de vraies coquilles de nautiles pétrifiés ; mais comme nous écrivons pour le public, & qu'il y a en tout genre des prétendus esprits forts qui se plaisent à jetter des doutes sur les choses les plus avérées, nous rapporterons ici la preuve incontestable de cette pétrification ; c'est une preuve de fait qui a toute la force de la conviction. On a comparé certaines cornes d'Ammon avec des coquilles de nautiles, & on a vû que la pierre figurée ressembloit si parfaitement à la coquille, qu'on n'y reconnoissoit aucune autre différence, que l'altération que la coquille avoit souffert de la pétrification. Cette comparaison avoit déjà été faite sur deux especes de cornes d'Ammon, relativement à deux especes de coquilles de nautiles, lorsque M. de Jussieu l'aîné, de l'académie royale des sciences, l'a confirmée sur trois autres especes. Mém. de l'académie royale des sciences, année 1722, p. 237.

Non-seulement on reconnoît dans les cornes d'Ammon les coquilles de nautiles pétrifiés ; mais on y distingue la substance de la coquille fossile avec son poli & sa nacre, sans autre altération que celle que doit causer naturellement un long séjour dans la terre. On voit dans ces cornes d'Ammon les cloisons qui séparent les différentes chambres, & les sortes d'articulations qui les réunissent, & qui forment à l'extérieur, par les sinuosités des joints, une espece de feuillage très-régulierement dessiné. Les sels & les bitumes qui se trouvent dans les terres qui environnent ces coquilles, les revêtissent d'une croûte, & les empreignent d'une maniere pyriteuse qui a la couleur & le brillant d'un métal doré ; c'est ce qu'on appelle l'armature : mais ce n'est qu'un faux brillant. L'humidité détruit ces cornes d'Ammon, en les faisant tomber en efflorescence, c'est-à-dire en poussiere ; cependant on les avoit mises autrefois au rang des pierres précieuses. Aujourd'hui nous n'en faisons pas si grand cas, peut-être parce que nous les connoissons mieux, & sans-doute parce que nous possedons beaucoup plus de vraies pierres précieuses.

Au lieu de la valeur arbitraire & des vertus imaginaires que l'on avoit attribuées aux cornes d'Ammon, nous y trouvons un sujet digne de la méditation des plus grands philosophes. Comment ces nautiles, qui ne sont qu'aux Indes en nature de coquillages, se trouvent-ils sous nos piés en pétrifications ? M. de Buffon a traité à fond cette matiere dans sa théorie de la terre. Voy. le premier vol. de l'Hist. nat. gén. & part. Il nous suffit d'avoir rapporté dans cet article l'origine de la corne d'Ammon. Nous y ajoûterons seulement les principaux caracteres par lesquels Lister distingue les différens genres de cornes d'Ammon. Les unes sont concaves sur chacune de leurs faces ; les autres n'ont de concavité que sur une face ; d'autres enfin sont convexes sur les deux faces. Parmi les premieres il y en a qui sont striées, & il s'en trouve qui sont lisses. Hist. anim. angl. tres tractatus. Voyez PIERRES FIGUREES, PETRIFICATIONS. (I)

CORNE (pierre de) lapis corneus, Hist. nat. Minéralogie. Les auteurs Allemands qui ont écrit sur la Minéralogie, & les ouvriers des mines, donnent le nom de pierre de corne (hornstein) à plusieurs différentes especes de pierres.

I°. M. Henckel nous apprend qu'on désigne par-là une pierre qui se trouve par couches, & qui est un vrai jaspe : c'est à cette espece de pierre que les Mineurs donnent le nom de hornstein. Suivant ce savant naturaliste, la pierre de corne est parfaitement semblable au caillou & au quartz, avec cette différence que le quartz est communément blanc & plein de petites fentes, au lieu que la pierre de corne est ordinairement colorée en brun, en jaune, en rouge, en gris, en noir, &c. outre cela elle est plus liée, plus homogene, sans crevasses, & plus propre à être polie & travaillée.

Le même auteur donne dans sa pyritologie l'exemple d'une pierre de corne qui se trouve en Saxe, dans le voisinage de Freyberg. Voici la description qu'il en fait. On a cru devoir la rapporter ici, afin de donner au lecteur une idée de cette pierre, dont il est souvent parlé dans les minéralogistes Allemands. Cette pierre de corne est composée d'un assemblage de petites couches dont voici la suite. La premiere est du spath blanc fort pesant, la seconde est une crystallisation ; ces deux couches ensemble peuvent avoir deux doigts d'épaisseur. la troisieme couche est de l'améthyste, la quatrieme du quartz ou crystal, la cinquieme du jaspe, la sixieme du crystal, la septieme du jaspe, la huitieme du crystal, la neuvieme du jaspe, la dixieme du crystal. Chacune de ces huit dernieres couches n'a souvent que l'épaisseur d'un fil, & toutes ensemble ont à peine trois lignes d'épaisseur ; elles sont cependant très-distinctes. La onzieme couche est du jaspe d'un rouge-clair, la douzieme est du jaspe d'un rouge-foncé, la treizieme est de calcedoine, la quatorzieme du jaspe, la quinzieme de calcedoine ; enfin la seizieme est d'un quartz compacte & solide.

II°. Quelques auteurs par pierre de corne entendent le silex ou la pierre à fusil ordinaire, qui se trouve souvent dans la craie, ou par morceaux répandus dans la campagne. Il paroît qu'ils donnent ce nom à cette pierre, à cause que sa couleur ressemble à celle de la corne des animaux.

III°. On désigne encore par pierre de corne, ou plûtôt roche de corne, une pierre refractaire, c'est-à-dire qui n'est ni calcaire, ni gypseuse, ni vitrifiable, mais qui résiste à l'action du feu qui ne fait que la rendre quelquefois un peu plus friable. M. Wallerius en distingue quatre especes ; la premiere que les Allemands nomment salband, en latin corneus mollior superficialis contortus, ou bien lapis tunicatus, pierre à écorce ; elle est peu compacte, & est recouverte d'une enveloppe ou écorce qui ressemble à du cuir brun un peu courbé. La seconde espece est la roche de corne dure & solide, corneus solidus. Cette pierre est noire, & difficile à distinguer du marbre noir dans l'endroit de la fracture. Il y en a de luisante, & d'autre qui ne l'est point ; d'autre enfin paroît grainue. La troisieme espece est la roche de corne feuilletée ; elle est ou noirâtre ou d'un brun-foncé, & ressemble assez à l'ardoise par sa couleur & son tissu ; mais elle en differe en ce que la pierre de corne feuilletée résiste fortement au feu, & se trouve toujours dans la terre perpendiculaire à l'horison ; au lieu que les ardoises se vitrifient facilement, & sont toûjours placées horisontalement dans le sein de la terre. La quatrieme espece de roche de corne est celle qui est crystallisée, corneus crystallisatus : les Allemands la nomment schorl. Elle affecte toûjours la figure d'un prisme, dont les côtés sont inégaux ; elle est ou grise, ou brune, ou noire. Cette derniere est le balsates, ou le lapis Lydius des anciens : c'est la vraie pierre de touche. M. Pott soupçonne que la terre qui lui sert de base, est une argile semblable à celle qui forme l'ardoise entremêlée d'une terre ferrugineuse. Voyez la continuation de la Lithogéognosie, page 219 & suiv. Peut-être entre-t-il aussi du mica ou du talc dans sa composition. Voyez STOLPE (pierre de)

Au reste il paroit que les ouvriers des mines donnent indifféremment le nom de roche de corne au roc vif & dur qui enveloppe souvent les filons des mines. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome I. page 256 & suiv. (-)

CORNES, en Anatomie, nom de différentes parties : il y a les grandes & les petites cornes du cartilage thyroïde, voyez THYROÏDE ; les grandes & les petites cornes de l'os hyoïde, voyez HYOÏDE.

Les cornes d'Ammon ou les cornes de bélier, sont des éminences médullaires, placées dans les enfoncemens des ventricules tracés dans les hémispheres du cerveau ; mais comme quelques anatomistes donnent aussi le nom de cornes à ces ventricules, M. Morand préfere avec raison le nom d'hippocampus, que Arantius leur a donné. Voyez Mém. de l'acad. roy. des Sciences, an. 1744. Voyez aussi CERVEAU.

CORNES DE LA MATRICE, voyez MATRICE.

CORNES DE LA VALVULE D'EUSTACHI, DU TROU OVAL, voyez COEUR, (L)

* CORNE, (Hist. anc.) instrument militaire ; il étoit assez semblable à la corne du boeuf ; sa courbure étoit seulement un peu plus considérable. Celui qui joüoit de cet instrument s'appelloit le cornicen.

* CORNES DE BACCHUS, (Myth.) Il y a des statues de Bacchus, avec des cornes. Il n'est mention que de ses cornes dans les poëtes : ce qui n'est pas fort obscur, quand on sait que les cornes sont les signes d la puissance & de la force, & qu'on compare ce symbole avec les effets du vin.

CORNE D'ABONDANCE, (Myth.) c'est parmi les anciens poëtes, une corne d'où sortoient toutes choses en abondance, par un privilége que Jupiter donna à sa nourrice, qu'on a feint avoir été la chevre Amalthée.

Le vrai sens de cette fable est qu'il y a un terroir en Lybie fait en forme de corne de boeuf, fort fertile en vins & fruits exquis, qui fut donné par le roi Ammon à sa fille Amalthée, que les poëtes ont feint avoir été nourrice de Jupiter. Dict. de Trév.

Dans l'Architecture & la Sculpture, corne d'abondance est la figure d'une grande corne, d'où sortent des fleurs, des fruits, des richesses. Le P. Jobert observe que l'on donne sur les médailles le symbole des cornes d'abondance à toutes les divinités, aux génies, & aux héros, pour marquer les richesses, la félicité, & l'abondance de tous les biens, procurée par la bonté des uns, ou par les soins & la valeur des autres. On en met quelquefois deux pour marquer une abondance extraordinaire. Chambers. (G)

CORNES D'ABAQUE, en architecture, ce sont les encognures à pans coupés du tailloir d'un chapiteau de sculpture, qui se trouvent pointues au corinthien du temple de Vesta à Rome.

Corne de bélier, ornement qui sert de volute dans un chapiteau ionique composé ; comme on en voit au portail de l'église des Invalides, du côté de la cour.

Corne d'abondance, ornement de sculpture qui représente la corne de la chevre Amalthée, d'où sortent des fruits, des fleurs, & des richesses, comme on en voit à quelques frontons de la grande galerie du Louvre. Latin, cornu copia.

Corne de boeuf ou de vache, trait de maçonnerie qui est un demi-biais passé. (P)

CORNE, (ouvrage à) dans la Fortification. Voyez OUVRAGE A CORNE.

CORNE DE LA LUNE, voyez CROISSANT.

CORNE DE VACHE, (coupe des pierres) espece de voûte en cone tronqué, dont la direction des lites ne passe pas au sommet du cone. (D)

CORNE DE VERGUE, (Marine) c'est une concavité en forme de croissant, qui est au bout de la vergue d'une chaloupe, & qui embrasse le mât lorsqu'on hisse la voile. Il y a plusieurs sortes de bâtimens qui ont des vergues à cornes. (Z)

CORNE A LISSER, (Bourrelier) instrument dont les Bourreliers se servent pour polir & lisser les différens ouvrages de leur métier. Cet instrument n'est autre chose qu'un morceau de corne de cerf fort uni, qu'ils passent sur l'ouvrage en l'appuyant, pour en applanir les inégalités, & leur donner un oeil plus luisant.

CORNE DE RANCHE, terme de Charron, ce sont quatre morceaux de bois de la hauteur de quatre piés ou environ, qui s'enchâssent dans les mortaises des ranchers en-dehors, & qui servent à appuyer les ridelles de la charrette. Voyez les Planches du Charron, qui représentent une charrette.

CORNE, en terme de Potier, ce sont des éminences qui surpassent les bords d'un réchaud, sur lesquelles on appuie le plat ou autre chose semblable, afin de donner de l'air au feu.

CORNE ou CRUDITE DES CUIRS, terme de Tanneurs & autres ouvriers qui travaillent & employent le cuir ; c'est une certaine raie blanche qui paroît à la tranche du cuir tanné lorsqu'on le fend par le milieu, & qui fait connoître que les cuirs n'ont pas pris assez de nourriture dans le tan. C'est un grand défaut dans les cuirs que d'y voir de la corne ou crudité. Voyez TANNER.


CORNÉadj. (Chimie) c'est ainsi qu'on appelle certaines substances métalliques, unies à l'acide du sel marin. Plomb corné, Lune cornée, &c. Voyez les articles particuliers des substances métalliques, & l'article SEL MARIN. (b)


CORNÉES. f. (Anat.) La tunique la plus externe, la plus épaisse, & la plus forte du globe de l'oeil, est la cornée, qui renferme toutes les autres parties dont ce globe est composé. Elle tire son origine de la dure-mere, qui enveloppe le nerf optique aussitôt qu'il passe du cerveau dans l'orbite. Etant arrivée à l'oeil, elle s'étend & forme comme une sphere. Parvenue à la partie antérieure de l'oeil, elle devient plus mince, plus souple, & transparente ; alors elle n'est plus si dure, & elle se jette davantage en-dehors. Tandis qu'elle est opaque, on lui donne le nom de sclérotique ; mais dès qu'elle devient transparente par-devant, elle porte celui de cornée : c'est pourquoi les Anatomistes la divisent en deux portions ; une grande, appellée cornée opaque ou sclérotique ; & une petite, nommée cornée transparente, située antérieurement, & qui n'est qu'un petit segment de sphere.

Je dis que la cornée transparente est un petit segment de sphere, mais je dois dire, pour parler plus exactement, qu'elle fait portion d'un sphéroïde un peu allongé ; ce qui est une suite nécessaire de la disposition des muscles droits qui compriment l'oeil selon la direction de son axe, & qui le tirent en même tems vers le fond de l'orbite, conformément aux observations de M. Petit medecin, qui a beaucoup travaillé sur la figure & sur les dimensions des parties de l'oeil. Selon cet habile homme, la cornée transparente est une portion de sphere, dont le diamêtre est ordinairement de 7, 7 1/4 ou 7 1/2 lignes ; sa corde est de 5, 5 1/4 ou 5 1/2 lignes, & son épaisseur est le plus souvent de 2/12 ou 3/12 d'une ligne. Voyez l'hist. de l'ac. des Sc. an. 1728. Le savant P. Scheiner a connu, il y a plus d'un siecle, que la cornée n'étoit pas sphérique, car il la compare au sommet d'un sphéroïde parabolique ou hyperbolique.

La cornée opaque est composée de plusieurs couches étroitement collées ensemble ; son tissu est dur, compacte, semblable à une espece de parchemin : elle est comme percée vers le milieu de la portion postérieure de sa convexité, où elle porte le nerf optique, & elle est assez épaisse dans cet endroit ; son épaisseur diminue par degrés vers la portion opposée : cette épaisseur a d'espace en espace quelques petits vaisseaux sanguins ; elle est encore traversée d'une maniere particuliere par des filets de nerfs, qui entrant dans sa convexité à quelque distance du nerf optique, se glissent dans l'épaisseur de la tunique, & pénetrent sa concavité vers la cornée transparente. Voyez l'épître xiij de Ruysch.

La cornée transparente qu'on nomme simplement la cornée, en donnant le nom de sclérotique en particulier à l'autre portion, est pareillement composée de plusieurs couches ou lames très-intimement unies ensemble : elle est une continuation de la sclérotique ou cornée opaque, quoique d'un tissu différent : ce tissu se gonfle par la macération dans l'eau froide.

La convexité de cette portion est un peu saillante au-delà de la convexité de la cornée opaque, dans les uns plus, dans les autres moins ; de sorte qu'elle paroît comme le segment d'une petite sphere, ajoûté au segment d'une sphere plus grande : la circonférence de sa convexité n'est pas circulaire comme celle de sa concavité, mais un peu transversalement ovale ; car la portion supérieure & la portion inférieure de la circonférence, sont obliquement terminées dans leur épaisseur : cette obliquité est à la vérité plus apparente dans le boeuf & le mouton, que dans l'homme.

La cornée transparente est percée d'un grand nombre de pores imperceptibles, par lesquels suinte continuellement une liqueur ou sérosité subtile, qui s'évapore à mesure qu'elle sort. On s'en peut assûrer en pressant un oeil d'abord après la mort, l'ayant bien essuyé auparavant : alors on verra sensiblement une rosée très-fine s'accumuler peu-à-peu jusqu'à former de petites gouttelettes. Elle se trouve aussi dans ceux qui meurent sans fermer les paupieres, & elle ternit quelquefois la cornée au point de faire presque disparoître la prunelle. Voyez les mém. de l'acad. des Sc. an. 1721. pag. 320.

C'est cette rosée qui produit sur les yeux des moribonds une espece de pellicule glaireuse très-délicate, qui se fend en plusieurs écailles quand on y touche, & que l'on emporte facilement en essuyant la cornée ; voilà pourquoi l'on dit d'ordinaire, cet homme va mourir, car sa vûe est déjà obscurcie. En effet, dans cet état, les sphincters des vaisseaux étant extrêmement relâchés, la lymphe qui les abreuve, perce les pores de la cornée transparente, & s'y amasse. Stenon semble être le premier qui a connu la porosité de cette membrane. Disons un mot de son usage.

L'éminence sphérique de la cornée transparente excédant celle du globe, fait que les rayons qui rejaillissent de chaque petite partie des objets, se brisent en s'approchant chacun de la perpendiculaire de leur rentrée, plus qu'ils ne feroient sans cette éminence ; & continuant leur route en cette disposition par l'humeur aqueuse, il en passe un plus grand nombre par la prunelle qui, sans cette réfraction, tomberoient sur l'iris. Selon que cette éminence est saillante ou déprimée, c'est-à-dire selon qu'elle fait partie d'un plus grand ou d'un moindre cercle, on voit les objets ou plus petits, ou plus gros, ou de plus loin, ou de plus près.

Au reste, la cornée est sujette à plusieurs accidens, à des pustules, des phlyctenes, des ulceres, & en particulier à cet abcès que les Grecs ont nommé hypopyon. Voyez ce mot. Article de M(D.J.)

CORNEE, (Artificier) c'est ainsi que les Artificiers nomment une cuillerée de matiere combustible, qu'on verse dans le cartouche avec une espece de cuilliere cylindrique de corne, de cuivre, ou de fer-blanc, dont la capacité est proportionnée à la grosseur de la fusée, & au diamêtre intérieur du cartouche, pour ne mettre à chaque reprise de la charge qu'on doit battre & fouler à coups de maillet, que la quantité convenable, pour qu'elle le soit fortement & également. Dict. de Trév. (V)


CORNEILLES. f. cornix. (Hist. nat. Ornithol.) espece d'oiseau. Le mâle pese dix onces ; il a un pié cinq pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des ongles, & un pié six pouces, si on prend la mesure jusqu'au bout de la queue, l'envergure est de deux piés ; le bec est droit, fort, & long, de près de deux pouces & demi depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; la langue est fourchue ; les yeux sont grands ; l'iris est de couleur de noisette : l'ouverture des narines est ronde & recouverte par des soies noires & rabattues sur le bec. Toutes les plumes de cet oiseau sont entierement noires. Il y a vingt grandes plumes dans chaque aile ; la premiere ou l'extérieure est plus courte que la seconde ; la seconde est aussi plus courte que la troisieme, & la quatrieme est la plus longue de toutes. Les pattes sont noires ; les ongles forts, & de la même couleur que les pattes. Le doigt extérieur tient au doigt du milieu, jusqu'au-dessus de la premiere articulation ; la queue est composée de douze plumes, & elle a sept pouces & demi de longueur. La corneille aime la chair de cadavres d'animaux, surtout quand ils commencent à se corrompre : mais elle ne se contente pas de manger les animaux quand ils sont morts, elle attaque & tue les oiseaux vivans, de même que le corbeau, & elle est aussi avide de fruits, de vers & de toutes sortes d'insectes. La corneille niche au haut des arbres. La femelle fait quatre ou cinq oeufs semblables à ceux du corbeau, mais plus petits.

Aldrovande dit que la corneille apprend facilement à parler. Pline fait mention d'un de ces oiseaux qui prononçoit plusieurs mots de suite, & qui apprenoit en peu de tems à en prononcer d'autres. Il n'y a que la femelle qui couve les oeufs, & le mâle a soin de lui apporter de la nourriture pendant le tems de l'incubation ; au lieu que parmi les autres oiseaux, le mâle & la femelle couvent tour-à-tour. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

CORNEILLE EMANTELEE, cornix cinerea frugilega, oiseau qui differe un peu de la corneille. Celui qui a servi pour la description suivante, pesoit environ une livre six onces ; il avoit un pié six ou sept pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & son envergure étoit de trois piés. Le bec avoit deux pouces & demi de longueur, depuis sa pointe jusqu'à l'angle de la bouche ; il est fort, sa surface est lisse, & sa couleur noire dans toute son étendue, à l'exception de l'extrémité qui est blanchâtre ; la piece de dessus est un peu plus longue que celle du dessous, & un peu crochue par le bout, & convexe par le dessus. Les ouvertures des narines sont rondes & recouvertes par des soies. La langue est large, noire, fourchue & déchiquetée sur les côtés ; l'iris des yeux est de couleur de noisette ; la tête, la gorge, le devant du cou, & les ailes, sont de couleur noire avec quelque teinte de bleu ; le ventre, la poitrine, le dos, le derriere & les côtés du cou, sont de couleur cendrée, à l'exception des tuyaux des plumes qui sont noirâtres, la couleur du ventre est plus claire que celle du dos ; les plumes qui se trouvent à l'endroit où la couleur noire du devant du cou joint la couleur grise des côtés, ont les barbes extérieures de couleur cendrée, & les intérieures noires. Il y a vingt grandes plumes dans les ailes ; la premiere est fort courte, la troisieme & la quatrieme sont les plus longues ; dans toutes celles qui sont placées après la sixieme, la pointe du tuyau déborde au-delà des barbes. La queue est composée de douze plumes ; les deux du milieu ont sept pouces & demi de longueur ; les autres sont moins longues, & diminuent par étage jusqu'à la derniere de chaque côté. Le doigt de derriere est grand ; le doigt extérieur est égal à l'intérieur, & la pointe des ongles de ces deux doigts ne s'étend pas au-delà de l'origine de l'ongle du doigt du milieu ; ce doigt & l'extérieur sont unis à leur base. La corneille émantelée se nourrit de froment, d'orge & d'autres graines ; elle est sujette à avoir des pous. Aldrovande dit qu'elle reste sur les hautes montagnes pendant l'été, qu'elle y fait son nid, & qu'en hyver elle descend dans les plaines. Willughby, Ornit. Pour ôter toute équivoque de noms, on pourroit appeller cet oiseau bontecraye, qui signifie en idiomes belgiques corneille de plusieurs couleurs. Voyez OISEAU. (I)

CORNEILLE, oiseau. (Mat. med.) La fiente de corneille prise dans du vin, est recommandée dans la cure de la dyssenterie. Dict. de med. Dale, Schroeder, &c.

CORNEILLE, (Chasse & oecon. rust.) Ces oiseaux font un grand dégat dans les terres nouvellement ensemencées. Voilà la meilleure maniere de les détruire. On prend des fressures de boeufs coupées par petits morceaux, que l'on mêle avec de la noix vomique en poudre ; on laisse le tout s'incorporer pendant vingt-quatre heures à froid ; on répand à la pointe du jour ces morceaux de viande sur les terres nouvellement ensemencées : dès que les corneilles en ont mangé, & que la viande est digérée, elles tombent mortes. On peut leur sauver la vie, en leur faisant boire de l'eau par force ; & si quelque chien a pris de la noix vomique, on le sauve pareillement en lui faisant avaler du vinaigre.

On les prend à la glu, au rets saillant. Un des appas que les corneilles aiment beaucoup, sont les feves de marais ; on les perce, quand elles sont vertes, avec une aiguille ou épingle sans tête, qu'on laisse dans la feve, & en hyver on les répand sur la terre. Les corneilles les mangent ; mais lorsqu'elles sont digérées, ces corneilles languissent & meurent.

On en fait encore, à ce qu'on dit, une chasse singuliere à Roumens, aux environs de Castelnaudari. On va dans une forêt où il y en a beaucoup ; on ébranche plusieurs arbres ; le soir on se couvre de noir depuis la tête jusqu'aux piés ; on a des corneilles de bois peint en noir ; on met ces corneilles sur les arbres ébranchés ; on se place au milieu ; d'autres vont secoüer les arbres circonvoisins, & effaroucher les corneilles : elles s'envolent, & trompées par les corneilles peintes, elles se précipitent sur les arbres ébranchés, où les chasseurs vêtus de noir & perchés les prennent à la main. Cette chasse commence en Novembre, dure jusqu'en Mars, & se fait pendant les nuits les plus obscures.

CORNEILLE DE MER, corvus sylvaticus. Aldrovande fait mention sous ce nom d'un oiseau qu'il ne connoissoit que sur le rapport d'autrui. Il dit lui-même que la corneille de mer est peut-être un autre oiseau, & que celui-ci n'est pas aquatique ; qu'il se trouve au contraire sur les montagnes & dans les bois, & qu'il n'a point de membrane aux piés : cependant il ajoûte qu'on l'a confondu avec le cormorant. On a aussi donné le nom de corneille de mer à la corneille émantelée. Voyez OISEAU. (I)

CORNEILLE SAUVAGE, voyez FREUS.

CORNEILLE, lysimachia, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale découpée en rayons. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie moyenne de la fleur, & il devient dans la suite un fruit ou une coque presque ronde qui s'ouvre par la pointe, & qui renferme des semences attachées à un placenta. Tournefort, Institut. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CORNEILLE JAUNE, (Medecine) plante, lysimachia lutea major quae Dioscoridis C. B. Pit. Tournefort. Les semences sont d'un goût astringent. Elle contient beaucoup de flegme, d'huile, & peu de sel.

Elle est fort astringente & vulnéraire ; on s'en sert pour la dyssenterie, pour les hémorrhagies, pour nettoyer & consolider les plaies. James & Chamb.


CORNEMUSES. f. (Lutherie & Musique) instrument à anches. Il y a de ces anches de plusieurs sortes. La simple a (Planche VI. de Luth.) est un chalumeau ; l'autre b est un roseau. Les parties de la cornemuse sont la peau de mouton qu'on enfle comme un ballon par le moyen du porte-vent, & les trois chalumeaux 2, 3, 4. Le chalumeau 2 est le bourdon ; le chalumeau 4 s'appelle le petit bourdon. Ces deux bourdons sont à l'unisson. Le porte-vent a une soûpape au-dedans de la peau qui permet au vent d'entrer, mais qui ne lui permet pas de sortir, tandis que le joüeur de cornemuse reprend haleine. Le vent n'a d'issue que par les chalumeaux. Ils ont chacun leur anche à leur partie inférieure ; ces anches sont prises dans des boîtes 5, 6, 7, sur lesquelles la peau est bien appliquée. Quand on joue de la cornemuse, le grand bourdon passe sur l'épaule gauche ; on enfle la peau par le porte-vent ; la peau est pressée sous le bras gauche ; & les doigts sont sur les chalumeaux que le vent fait resonner.

Le gros bourdon est de deux piés & demi, en y comprenant son anche qui a deux pouces & demi, dont la languette ou fente est de deux pouces de long sur quatre lignes de large. Le petit bourdon a un pié, en y comprenant son anche qui a deux pouces de longueur. Le porte-vent a six pouces de long ; on lui en peut donner plus ou moins. Le chalumeau a treize pouces avec son anche & sa boîte qui sont de deux pouces & demi. Il a huit trous. Le premier est seul en dessous, à la distance de trois pouces & un tiers du haut de l'anche ; il n'y a que 2/3 de pouce de ce trou au second ; du second au troisieme il y a dix lignes ; autant du troisieme au quatrieme. Les autres sont éloignés d'un pouce : ils sont presque tous de même grandeur. La peau est d'un pié & demi de long sur dix pouces de large. Le gros bourdon rend l'octave au-dessous du petit ; & le petit l'octave au-dessous du chalumeau quand tous les trous sont bouchés, & sa quinzieme quand ils sont ouverts.

Ainsi la cornemuse a trois octaves d'étendue. On peut lui en donner davantage en forçant le vent. Tout ce qu'on auroit à dire sur cet instrument concerne particulierement les anches, dont le ton varie selon les ouvertures qu'on leur donne. On se ménage la commodité d'allonger ou de raccourcir les bourdons par le moyen des boîtes, & par conséquent celle de les rendre plus ou moins graves. Les chalumeaux de la cornemuse étant mobiles dans ces boîtes, on parvient à l'accorder. Voyez les articles ANCHE, MUSETTE, &c.

Il y a une sorte de cornemuse qu'on appelle cornemuse de poictou. Elle ne differe de celle que nous venons de décrire, qu'en ce qu'elle n'a point de petit bourdon ; son chalumeau a huit trous, dont le premier s'ouvre & se ferme à clé.

La cornemuse s'appelle aussi chalemie. Cet instrument est principalement d'usage au Nord ; il n'y a guere que les paysans qui en jouent parmi nous.


CORNESOLEvoyez CORNALINE.


CORNETS. m. en Anatomie, nom de quelques parties qui ressemblent à-peu-près à la figure d'un morceau de papier qu'on roule en maniere de coffre, & qu'on appelle cornet.

Les cornets de l'os éthmoïde sont ces trois lames situées l'une sur l'autre, qu'on remarque à la partie latérale interne & postérieure de chaque portion de cet os. Voyez ETHMOÏDE.

Les cornets inférieurs du nez, appellés aussi conques ou coquilles & lames spongieuses inférieures du nez, sont au nombre de deux, situés dans les fosses nasales. (L)

CORNET. Voyez CALMAR, QUILLEILLE.

CORNETS pour l'ouie, (Acoustique) instrumens à l'usage de ceux qui ont l'oreille dure. Le son se conserve dans ces instrumens, parce qu'en traversant leurs parois il ne peut se répandre circulairement, & le son ainsi ramassé frappe l'organe avec plus de force. On peut encore augmenter l'effet du son, en donnant à ces tuyaux une forme en partie parabolique, parce que le son est refléchi & comme ramassé en un seul point appellé foyer, où l'oreille est placée. Voyez CABINETS SECRETS, ECHO, RTE-VOIXVOIX. Ces cornets sont à-peu-près à l'égard de l'oreille, ce que les lunettes d'approche sont par rapport à la vue. On peut les perfectionner comme on fait les lunettes. Mais nous croyons avec M. de Buffon, qu'il faut, pour que les cornets ayent tout l'effet possible, que l'oreille soit dans un endroit desert, ou du moins tranquille ; autrement, comme le son ne se propage pas en ligne droite ainsi que la lumiere, le bruit des objets voisins frappant l'oreille suivant toutes sortes de directions, altéreroit & affoibliroit le bruit augmenté par le cornet. (O)

CORNET D'EPISSE, (Marine) Voyez EPISSOIR. (Z)

CORNET DE MAST, (Marine) c'est une espece d'emboîtement de planches vers l'arriere du mât de divers petits bâtimens, qui est néanmoins ouvert du côté de l'arriere où s'emboîte le pié du mât qui se baisse du côté qui n'est point fermé, c'est-à-dire vers l'arriere, & qui se releve autant de fois qu'il en est besoin. (Z)

* CORNET (Luth. & Musiq.) instrument à vent dont les anciens se servoient à la guerre. Les cornets faisoient marcher les enseignes sans les soldats, & les trompettes, les soldats sans les enseignes : les cornets & les clairons sonnoient la charge & la retraite ; & les trompettes & les cornets animoient les troupes pendant le combat. Nous ne nous servons plus guere du cornet dans les concerts ; nous en allons cependant expliquer la facture. Il y en a de plusieurs sortes ; celui qu'on voit Pl. VII. de Lutherie, fig. 11. s'appelle dessus de cornet : il a sept trous. Ceux qui se piquoient de bien jouer de cet instrument, lui donnoient la même étendue avec six, & ne se servoient pas du septieme. A est son bocal, il se sépare de l'instrument, & on l'en voit séparé en A a. La taille de cornet est entierement semblable au-dessus de cornet, à l'exception d'un trou qu'on lui a ajouté en-bas, & qui s'ouvre & se ferme à clé. Elle se brise en deux endroits pour la commodité. Elle a sept trous. L'étendue du dessus de cornet est d'un seizieme ; il n'y a que trois pouces de l'extrémité de l'instrument jusqu'au milieu du sixieme trou, & que dix pouces du bocal jusqu'au milieu du premier trou. Les trous sont éloignés de treize lignes, excepté le troisieme & le quatrieme, dont la distance est de dix-sept lignes. Le diamêtre de chaque trou est de quatre lignes ; celui du fond du bocal n'est que d'une ligne. Cet instrument va toûjours en s'élargissant depuis le bocal jusqu'à sa patte, dont le diamêtre est d'un pouce. La divergence des côtés est plus sensible du bocal au premier trou, que du premier sur le reste de la longueur. Il y en a qui pratiquent au derriere de l'instrument, à treize lignes plus haut que le premier trou d'en-haut, un autre trou. Il y a des dessus de cornet & des tailles de cornet droites & d'autres courbes. On les fait de cormier, de prunier & autres bois. Il faut que le bois soit sec. On le couvre de cuir. Cet instrument est rude, & il faut le savoir adoucir. Le dessus de cornet va du c sol ut à l'f ut fa de la troisieme octave. Le serpent est une vraie basse de cornet ; voyez SERPENT.

Le dessus de cornet donne le c sol ut tous les trous bouchés ; on fait le re, le mi, &c. en débouchant les trous les uns après les autres en montant. Sa tablature est la même que celle du flageolet, voyez FLAGEOLLET. Quant à la basse du cornet, les trous en sont éloignés d'un pouce & 2/3, excepté le troisieme & le quatrieme qui sont éloignés de six pouces ; le sixieme & le troisieme de six pouces 2/3 : il y a du septieme à la patte 10 pouces plus 1/6, & du bocal au premier trou un pié sept pouces ; la patte en est ouverte de 2 pouces. Le diamêtre du bocal est de 5 lignes à son orifice supérieur, & d'une ligne à l'inférieur ; l'instrument est divisé en trois tronçons ; le dernier a un pouce un quart de diamêtre en-haut ; celui du milieu 8 lignes en-haut ; ainsi le canal entier va toûjours en s'évasant du bocal jusqu'à la patte. Voyez toutes ces especes de cornets, Planche VII. de Lutherie, fig. 6. 7. 10. 11. 12. 13. & 15.

CORNET, (Orfévrer.) opération de l'essai de l'or ; la derniere forme que l'on donne à la plaque préparée pour faire l'essai. Quand on l'a rendue aussi mince qu'il convient, on la tourne sur un arbre de fer en forme de cornet ; c'est sous cette forme qu'on la met dans l'acide nitreux. C'est un terme tellement consacré à cette opération, que quand on en parle on dit : le cornet est beau, bien sain, ou il est détérioré.

CORNET, (grand) Lutherie, jeu d'orgue, un de ceux qu'on appelle composés, c'est-à-dire qui ont sur chaque touche plusieurs tuyaux qui parlent à la fois. Ce jeu est composé du dessus de bourdon de 8 piés A, d'un dessus de flûte B, d'un dessus de nazard C, d'un dessus de quarte nazard D, & d'un dessus de tierce E, fig. 3. Pl. d'Orgue. Les sons de ces tuyaux forment l'accord parfait ; dans lequel l'octave est redoublée. Voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'Orgue, & CORNET D'ECHO, & CORNET DE RECIT, dont celui-ci ne differe que parce qu'il est de plus grosse taille.

CORNET D'ECHO, (Lutherie) est un jeu d'orgue de la classe de ceux qu'on appelle composés, c'est-à-dire de ceux qui ont plusieurs tuyaux sur chaque touche qui parlent tous à la fois. Les tuyaux sur une même touche font un dessus de bourdon, un dessus de flûte, un dessus de nazard, un dessus de quarte de nazard, & un dessus de tierce, qui parlent tous ensemble ; ce qui fait sur chaque touche l'accord parfait, dans lequel l'octave est redoublée, ut sol, ut mi. En montant il n'est composé que des dessus de ces jeux, parce qu'il n'a d'étendue que les dessus & les tailles du clavier ou les deux octaves supérieures. Voyez CLAVIER. Dans quelques orgues ce cornet descend jusqu'à l'f ut fa de la clé de fa. Voyez l'artic. ORGUE, & la table du rapport de l'étendue des jeux de l'orgue, qui contient un cornet de deux octaves seulement, lequel commence à la clé de c sol ut, & la fig. 43. Pl. d'Orgue.

La place du cornet d'écho est dans le bas du fust de l'orgue, pour que ses sons soient étouffés en partie, & qu'ainsi il imite mieux l'écho. Pour la même raison on fait les tuyaux de plus menue taille que ceux du cornet de récit.

Ce jeu est ordinairement sur un sommier séparé, qui reçoit le vent du grand sommier par des porte-vents de plomb, qui prennent dans les gravures du sommier de l'orgue, & le vont porter aux gravures du sommier du cornet ; ou bien il a une loge particuliere, dont les soupapes sont ouvertes par un abregé dont les touches du troisieme clavier tirent les targettes. Voyez ORGUE, ABREGE, &c.

CORNET DE RECIT, (Lutherie) est un jeu de la classe de ceux qu'on appelle composés, c'est-à-dire qui ont sur chaque touche plusieurs tuyaux qui parlent à la fois ; voyez CORNET D'ECHO, dont il ne differe, que parce que ses tuyaux sont un jeu de plus grosse taille, quoiqu'ils soient à l'unisson, & qu'au lieu d'être renfermé dans le bas de l'orgue, il est au contraire placé au haut, derriere les tuyaux de la montre, en lieu où il puisse facilement se faire entendre. Ce jeu qui a deux octaves ou deux octaves & quinte d'étendue, est sur un sommier & un clavier séparé, dont les soupapes sont ouvertes par un abrégé séparé. Voyez ABREGE & ORGUE, où la facture de ce jeu est expliquée, & la table du rapport de l'étendue des jeux de l'orgue.

* CORNET, on donne ce nom à un morceau de papier, lorsqu'après l'avoir roulé sur lui-même, on en a formé une espece de vaisseau pointu par un bout & fort évasé par l'autre, où l'on peut renfermer des substances solides & même fluides, lorsqu'elles ont une certaine consistance, & qu'on ferme par le bout pointu en le tortillant, & par le côté évasé en en rabattant les bords de tous côtés, sur la surface de la substance contenue dans le cornet.

CORNET, (Chasse) piége pour des oiseaux voraces, comme corneilles, pies, & autres. Faites des cornets de fort papier gris ou bleu ; frottez-en le dedans avec de la glu, & mettez au fond quelque morceau de charogne ou autre appas qui les attire : en fourrant la tête dans les cornets, la glu s'attachera à leurs plumes, & ainsi ne pouvant pas voir, ils retomberont & on les prendra à la main.

* CORNET, c'est la partie d'un écritoire, qui contient l'encre. Comme cette partie étoit de corne dans les écritoires communes, on l'a appellée cornet, & ce nom a passé à tous les vaisseaux, ou de cuivre, ou d'argent, ou d'or, ou de verre, qui ont la même destination dans toutes sortes d'écritoires. Les cornets des écritoires de cornes se font avec la corne du boeuf. Se monter, être applatie, s'ouvrir & s'étendre, sont les premieres façons qu'on lui donne quand on la travaille. Voyez GALINS, OUVRIR, FENDRE, ÉTENDRE, APPLANIR, CORNETIER-TABLETIER.

CORNET, (Pâtisserie) espece de gaufre faite de farine & de sucre ou de miel délayés : on cuit le cornet entre deux fers gravés, qui y marquent en relief les traits qu'on y voit ; au sortir du fer on le tortille & on lui donne la forme d'un cornet d'épice.

Cornet, (Jeux de hasard) espece de petit gobelet rond & délié, ordinairement de corne, & dont on fait usage pour agiter les dés quand on joüe.

Le cornet dont les anciens se servoient pour joüer aux dés & aux osselets, & qui peut-être fut inventé pour empêcher les coups de main, étoit rond en forme d'une petite tour, plus large par le bas que par le haut, dont le cou étoit étroit. Ordinairement il n'avoit point de fond, mais plusieurs degrés au-dedans, qui faisoient faire aux dés & aux osselets plusieurs cascades avant que de tomber sur la table, comme il paroît par ce passage d'Ausone :

Alternis vicibus, quos praecipitante rotatu

Fundunt excussi per cava buxa gradus.

On l'appelloit chez les latins, turris, turricula, orca, phimus, fritillus, &c. Ce sont les Tabletiers-Cornetiers qui font les cornets. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CORNETIEou TABLETIER EN CORNES, s. m. est un ouvrier du corps des Tabletiers, qui ne fait ordinairement que les ouvrages de corne, moins parce qu'il n'a pas droit d'en faire d'autres, que parce qu'il a choisi volontairement cette partie de la Tabletterie, comme celle où il a espéré de faire plus de profit & de progrès.

Les Cornetiers n'ont point d'autre communauté, d'autres statuts, ni d'autres priviléges que les Tabletiers. Les ouvriers de cette profession sont beaucoup plus communs à Rouen & à Dieppe qu'à Paris, où l'on en compte à peine quatre ou cinq. Voy. TABLETIERS.


CORNETO(Géogr. mod.) petite ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, sur la Marta. Long. 29. 28. lat. 42. 15.


CORNETTES. m. (Art milit.) c'est ainsi qu'on appelle l'officier qui porte l'étendart dans chaque compagnie de cavalerie & de dragons. Son poste dans une action, est à la tête de l'escadron ; & dans les marches, entre le troisieme & quatrieme rang. Il commande la compagnie après le lieutenant. On dit enseigne des mousquetaires & guidon des gendarmes, au lieu de cornette. Dish.

CORNETTE, (Marine) C'est un pavillon que les chefs d'escadre portent au mât d'artimon. La cornette est blanche, & doit avoir quatre fois plus de battant que de guidant ; fendue par le milieu des deux tiers de sa hauteur, dont les extrémités se terminent en pointe. Ordonnances de la marine de 1689, tit. ij.

La cornette ne peut être portée que par un chef d'escadre, & lorsqu'il est accompagné de cinq vaisseaux, à moins qu'il n'en ait la permission particuliere du Roi.

Lorsque plusieurs chefs d'escadre se trouveront joints ensemble dans une même division ou escadre particuliere, il n'y aura que le plus ancien qui pourra arborer la cornette ; les autres porteront une simple flamme. (Z)

CORNETTE, (Hist. mod.) sorte de chaperon à l'usage des magistrats dans plusieurs villes ; ils la portent sur l'épaule, & elle caractérise leur dignité.

CORNETTE, (Hist. mod.) bande de soie que les professeurs du collége royal portent autour du col, & qui étoit autrefois particuliere aux docteurs en Droit.

* CORNETTE, vêtement de tête à l'usage des femmes, elles n'en mettent guere qu'en deshabillé. La cornette est composée de trois pieces, le dessus, le dessous, & le fond. Le fond couvre tout le derriere de la tête ; il est plissé. La piece à laquelle le fond est cousu, qui enveloppe le front, les oreilles, & qui pend à droite & à gauche, ou s'attache sous le menton, ou se releve sur le haut de la tête, s'appelle la bande ou le dessus. Le dessous est une bande toute semblable au dessus, placée de la même maniere, à cette seule différence que le dessous avance un peu plus avant que le dessus. On pratique au bas du fond un grand ourlet plat, qu'on appelle une passe ; on y met un ruban attaché au côté droit & au côté gauche, de maniere que la partie attachée au côté droit étant ramenée à gauche dans la passe, & la partie attachée au côté gauche, étant ramenée dans la passe au côté droit, quand on vient à tirer ces parties de ruban, on force les côtés à s'approcher, & par conséquent & la passe & le derriere du bas du fond à se froncer : c'est ainsi que la cornette se serre sur la tête. Ces deux bouts de ruban viennent ensuite se noüer ou s'attacher à l'épingle sur le haut de la tête ; le dessus & le dessous sont assemblés avec le fond, de maniere qu'ils forment tout autour du visage des plis plats. Il y a des cornettes de jour, il y en a de nuit, il y en a d'une infinité de formes & de noms différens ; mais elles conservent toutes en grande partie la façon que nous venons de décrire. On met sur la cornette une coëffe de mousseline qui se noue sous le menton, & qui se ramenant quelquefois autour du col, va se noüer encore une fois au derriere de la tête.

CORNETTE, (Fauconn.) c'est ce qu'on appelle la houppe ou tiroir de dessus le chaperon de l'oiseau.


CORNICHEou CORNET, voyez CALMAR.

CORNICHE, s. f. terme d'Architecture. On comprend sous ce nom tout membre à-peu-près saillant de sa hauteur, & servant à couronner un bâtiment ou tout autre membre principal en Architecture, qui par sa saillie jette loin du pié du bâtiment les eaux du ciel.

La corniche est toûjours considérée comme la troisieme partie d'un entablement (voyez ENTABLEMENT), & en compose la partie supérieure. Il en est de propres à chacun des cinq ordres, & qui sont le plus universellement approuvées ; celles de Vignoles, par exemple, sont assez belles en général, & ont été assez communément suivies dans nos édifices françois, (Voyez leur profil dans les plans de l'Architecture). La corniche toscane, suivant cet auteur, est composée de trois parties principales ; savoir, d'une cimaise inférieure (voyez CIMAISE), d'un larmier (voyez LARMIER) & d'une cimaise supérieure. La dorique est composée de deux cimaises & de deux larmiers ; l'ionique de trois cimaises & de deux larmiers ; la corinthienne & composite, de trois cimaises & de trois larmiers. Mais Palladio, auteur qui a été plus suivi en Italie, donne à cette derniere trois cimaises & quatre larmiers, c'est-à-dire qu'un de ces larmiers est à double plate-bande, ainsi qu'on remarque à la corniche de l'ordre composite du château de Clagni, & au portail des minimes à Paris.

Toutes ces parties principales sont divisées par d'autres membres qu'on nomme en général moulures, (voyez MOULURES). Ces moulures sont appliquées en plus ou moins grande quantité, selon la richesse des ordres, & doivent être plus ou moins ressenties, selon leur virilité ou leur élégance ; & enfin doivent être conservées lisses ou taillées d'ornemens, selon la richesse de l'ordonnance.

Lorsque l'oeconomie ou quelqu'autre considération fait supprimer les ornemens dans les corniches, il faut savoir que les larmiers inférieurs de chacune d'elles, excepté la toscane, ont les membres d'Architecture qui les caractérisent : par exemple, le larmier inférieur de la corniche dorique est orné de mutules (voyez MUTULE), beaucoup plus propres à cet ordre dans les dehors, que le denticule, malgré l'exemple célebre que nous en ont donné les anciens au théatre de Marcellus ; celui de la corniche ionique, de denticules (voyez DENTICULE) ; celui de la corniche corinthienne & composite, de modillons (voyez MODILLON). Palladio, auteur que nous ne saurions trop citer, fait les modillons de la corniche composite à doubles faces, & a été suivi en cela par plusieurs architectes anciens & modernes, dont on voit les différens systêmes dans le livre de M. de Chambrai, qui nous a donné le parallele des ordres d'Architecture des dix commentateurs de Vitruve.

On appelle corniche architravée, celle qui étant composée des principaux membres dont nous venons de parler, a pour supplément une ou plusieurs plates-bandes qui lui tiennent lieu d'architrave (voyez ARCHITRAVE). Communément cette corniche tient lieu d'entablement dans un édifice de peu d'importance ; ensorte que la cimaise inférieure de la corniche tient lieu de cimaise supérieure à l'architrave, & que la frise est absolument supprimée (voyez FRISE). Mais ce genre de corniches ne doit jamais couronner un ordre d'Architecture, malgré les exemples fréquens que nous en donnent nos architectes modernes.

Chaque membre principal de la corniche profile assez communément sur son quarré, & l'on affecte de dégager par un renfoncement le plafond ou sophite du larmier supérieur, (voyez SOPHITE) afin d'éloigner l'écoulement des eaux de la surface du bâtiment : raison pour laquelle on fait toûjours, comme nous l'avons déjà dit, les corniches au moins aussi saillantes que leur hauteur, ainsi qu'on le va voir par les mesures que nous donnons d'après Vignoles.

La corniche toscane a de saillie un module six parties (voyez MODULE), sur un module quatre parties de hauteur ; la corniche dorique deux modules sur un module six parties ; la corniche ionique trente-une parties sur un module trois quarts ; la corniche corinthienne deux modules deux parties sur deux modules ; la corniche composite deux modules sur deux modules.

Lorsque par quelques circonstances particulieres l'on ne peut donner à ces corniches les saillies qu'on vient de rapporter, on incline quelquefois en talud le devant des larmiers. Les anciens en ont usé ainsi en bien des occasions ; mais cette imitation produit des angles aigus, qui font toûjours un mauvais effet dans l'Architecture, principalement dans les retours des corniches ; de maniere qu'il ne faut employer ces taluts que lorsqu'elles se trouvent continues, comme dans l'intérieur d'un dôme, tel qu'on le remarque au Val-de-grace ; ou contenues entre deux grands pilastres, ainsi qu'il s'en voit dans l'interieur de l'Oratoire. Au reste cette obliquité autorise à donner réellement moins de saillie à toute la corniche, sans néanmoins nuire à celle des sophites & des larmiers. Voyez ces différentes corniches dans la Planche d'Architecture.

On appelle aussi corniches, tout membre saillant varié & composé de moulures à l'usage de la décoration intérieure, quoique ces dernieres ne soient pas soûmises aux dimensions précédentes, & que l'on appelle, selon leurs dispositions, droites, circulaires, surbaissées, mutilées, interrompues, rampantes, inclinées, tournantes, &c.

Mais toutes doivent être d'un profil (voyez PROFIL) agréable, & conforme aux différens usages qui les fait employer dans l'art de bâtir. (P)

CORNICHE (Menuis.) est composée de plusieurs membres d'Architecture, & se met au haut des lambris : c'est ce qui couronne les ouvrages de menuiserie, & qu'on appelle ordinairement corniche volante, pour la distinguer des corniches en plâtre qui se font aux plafonds.


CORNICHONS. m. (Jard. & Cuisin.) n'est autre chose qu'un petit concombre qu'on ne laisse point croître pour le pouvoir confire dans le vinaigre, & en faire des salades pendant l'hyver. (K)

CORNICHON, (Diete) voyez CONCOMBRE


CORNICO(Géog. mod.) ville de l'île de Candie dans le territoire de la Canée.


CORNICULAS. f. (Chirurg.) instrument de corne fait à-peu-près comme une ventouse, à l'extrémité la plus petite de laquelle on auroit pratiqué une ouverture. On appliquoit sa grande ouverture sur les parties exténuées, on suçoit l'air par la petite. Cette opération faisoit élever les chairs, & invitoit les sucs nourriciers à s'y porter. Hildan & Tulpius font mention de cures obtenues par cette voie. Voyez Hild. Tulp. & VENTOUSE.


CORNICULAIRES. m. (Hist. anc.) nom d'un officier de guerre chez les Romains, qui soulageoit le tribun dans l'exercice de sa charge, en qualité de lieutenant. Voyez TRIBUN.

Les corniculaires faisoient les rondes à la place des tribuns, visitoient les corps-de-garde, & étoient à-peu-près ce que sont les aides-majors dans nos troupes. Voyez AIDE.

Le nom de corniculaires fut donné à ces officiers, parce qu'ils avoient un petit cor, corniculum, dont ils se servoient pour donner les ordres aux soldats. Ce nom pris au premier sens, vient, selon Saumaise, de corniculum, qui signifie le cimier d'un casque ; & en effet Pline nous apprend qu'on mettoit sur les casques des cornes de fer ou d'airain, qu'on appelloit cornicula.

On trouve dans les notices de l'Empire un huissier ou greffier nommé corniculaire ; son office étoit d'accompagner par-tout le juge, de le servir, & d'écrire les sentences qu'il prononçoit.

Dans le second sens, on prétend que ce mot est dérivé de corniculum, un cornet à mettre de l'encre. Voyez le dict. de Trév. & celui de Dish. & Chamb. (G)


CORNIENS. m. (Hist. anc.) celui qui joüoit de la corne, instrument militaire. Voyez CORNE, Hist. anc.


CORNIERS. m. voyez CORNOUILLIER.

CORNIER, (Charp. & Menuis.) c'est ce qui fait le coin ou encoignure d'une armoire, buffet, commode ; on le nomme pié-cornier. Voyez-en le plan, Pl. IV. fig. 11. du Menuisier. Les Selliers-Carrossiers donnent le même nom aux quatre piliers de bois ou montans qui soûtiennent l'impériale des carrosses, &c.


CORNIERES. f. en termes de Blason, signifie une anse de pot, ainsi appellée parce qu'elle a succédé aux cornes ou anses qu'on mettoit anciennement aux angles des autels, des tables, des coffres & autres choses, pour pouvoir les porter plus aisément. (V)

CORNIERE, (Marine) Voyez CORMIERE & ALLONGE DE POUPE. (Z)

CORNIERE, Voyez NOUE.

CORNIERES d'une presse d'Imprimerie, &, selon quelques-uns, CANTONNIERES. Ce sont quatre pieces de fer plat, dont chacune a un pié de long, deux ou trois lignes d'épaisseur, & sept à huit de hauteur ; coudée dans son milieu en angle droit, & allant un peu en diminuant de hauteur & d'épaisseur jusqu'à ses deux extrémités, à chacune desquelles est prise une patte percée de plusieurs trous, pour être attachée avec des clous. Au moyen de ces cornieres posées aux quatre coins du coffre, on arrête une forme sur la presse, en mettant un coin entre l'extrémité de chaque corniere & le chassis de la forme. Voyez les Pl. d'Impr.


CORNIERS(Eaux & For.) piés-corniers ; arbres que les officiers des eaux & forêts choisissent & marquent dans les forêts, taillis ou hautes-futaies, où ils fixent la limite des ventes & des coupes.


CORNIGLIANO(Géogr. mod.) petite ville d'Italie au duché de Milan, sur la riviere d'Adda.


CORNOUAILLEou CORNWALLIS (Géog. mod.) province maritime d'Angleterre, dont la capitale est Launceston. Elle est environnée de la mer de toutes parts, hormis à l'orient, où elle est bornée par le Devonshire : elle a le titre de duché. Elle est sur-tout remarquable par ses mines d'étain, le meilleur qui soit en Europe.

CORNOUAILLES (Géog. mod.) contrée de France en Bretagne, qui s'avance dans la mer. Elle comprend tout le diocèse de Quimper.


CORNOUILLERS. m. (Hist. nat. Bot.) cornus, genre de plante à fleur en rose : le calice devient dans la suite un fruit en forme d'olive, ou rond, mou, charnu, dans lequel il y a un noyau divisé en deux loges qui renferment chacune une amande. Tournef. inst. rei. herb. Voyez PLANTE. (I)

CORNOUILLIER, (Jardin) Parmi les especes de cet arbre, qui sont assez nombreuses, on distingue deux ordres principaux, qui sont fort différens entre eux par le volume des arbres, la disposition des fleurs, la forme des fruits, la qualité du bois, mais que les Botanistes ont toûjours fait aller ensemble, sous le spécieux prétexte de leurs arrangemens méthodiques. Cette distinction se fait en cornouillier mâle & en cornouillier femelle ; cependant ces caracteres se trouvent-là faussement employés, & ne peuvent servir qu'à induire en erreur, attendu que chaque espece de ces arbres est mâle & femelle tout ensemble, & qu'ainsi les uns n'ont pas plus le droit d'être appellés mâles que les autres d'être nommés femelles. Comme l'on peut donc raisonnablement se dispenser de conserver ces dénominations abusives, je traiterai les prétendus cornouillers mâles sous le simple nom de cornouillier ; & ceux qu'on fait tout aussi mal-à-propos passer pour femelles sous celui de sanguin.

Le cornouillier est un petit arbre assez commun dans les bois & dans les haies, où quelquefois il s'éleve jusqu'à dix-huit ou vingt piés, sur un demi-pié de diamêtre environ, & où le plus souvent aussi il ne forme qu'un buisson. Sa tige, lorsqu'il fait tant que s'élever, est tortue, courte, noüeuse, & chargée de beaucoup de rameaux : son écorce d'un gris roussâtre, se détache lorsque l'âge la fait gerser : sa fleur jaunâtre & moussue, paroit toute des premieres en hyver, toûjours au mois de Février, & dès le commencement, quand la saison est favorable : ses feuilles d'un verd-foncé, ne viennent qu'ensuite, & au moins deux mois plûtard : son fruit fort ressemblant à l'olive, rougit en mûrissant au commencement de Septembre ; mais il se fait bien attendre. Quand on éleve cet arbre de semence, ce n'est guere qu'après douze ans qu'il en produit. L'accroissement de cet arbre est si lent, qu'il lui faut quinze années pour prendre environ dix piés de hauteur ; cependant rien n'est capable de retarder sa venue. Les intempéries des saisons ne portent point sur le cornouillier ; il endure le grand froid comme les fortes chaleurs ; le givre même, qui fait tant de ravages sur les végétaux ligneux, n'agit ni sur le jeune bois ni sur les fleurs de cet arbre, qui est si robuste à tous égards, qu'il s'accommode de tous les terreins & des plus mauvaises expositions : son bois a toutes les excellentes qualités de celui du cormier ; il seroit aussi recherché, s'il avoit autant de volume. Le cornouiller n'est pas sans quelqu'agrément ; sa fleur très-hâtive, assez apparente, & de longue durée ; son feuillage d'une belle verdure, qui n'est jamais attaqué des insectes, & qui souffre l'ombre des autres arbres ; & la figure réguliere qu'on peut donner au cornouillier, sans nuire à son fruit, peuvent engager à l'employer dans quelque cas pour l'ornement.

On peut donc s'aviser quelquefois de multiplier cet arbre, qui pousse assez ordinairement des rejettons au pié, qu'on pourra tirer des bois, & ce sera la voie la plus courte : ou bien il faudra s'en tenir à semer les noyaux des cornouilles, qui, soit qu'on les mette en terre en automne ou au printems, ne leveront qu'à l'autre printems : ensuite avec la culture ordinaire des pepinieres, & beaucoup de patience, on parviendra en huit ans à avoir des plants d'environ six pieds de haut, qui n'auront exigé qu'un peu de soin pour les faire venir droits, & que l'on pourra transplanter alors où l'on voudra.

Il n'y aura nul choix à faire pour le terrein, & encore moins pour l'exposition : tout convient au cornouillier, même le sable & la pierraille ; plûtôt cependant les lieux frais que chauds, & sur-tout l'ombre ; mais il ne faut pas qu'il soit trop serré, ni couvert par les autres arbres, si l'on veut qu'il se mette à fruit.

Ce fruit est la cornouille, dont on retire quelqu'utilité. Elle est dans sa maturité d'un rouge brillant, & d'un goût assez passable pour en manger ; mais ce doit être avec ménagement, par rapport à sa qualité astringente. On en fait de la gelée qui sert à cette fin, ou bien une boisson qui a la même vertu ; & il y a très long-tems que l'on dit qu'on peut aussi préparer les cornouilles avant leur maturité, comme on fait les olives, pour les manger en salade : il faut cependant que ce mets ne soit pas bon, puisqu'il n'est point en usage. Les anciens ont prétendu que la culture étoit contraire au cornouillier, & qu'elle nuisoit même à la qualité de son fruit, qui perdoit par-là de sa douceur. Il est vrai que cet arbre n'exige point de culture ; mais il n'est pas moins certain aussi, comme je m'en suis assuré, qu'il en profite beaucoup mieux quand on le cultive, & que son fruit en devient plus gros, plus coloré & d'un meilleur goût. Voyez CORNOUILLES.

Le bois du cornouillier est compacte, massif, des plus dur, d'un grain très-fin, & sans aubier. Il est excellent & fort recherché pour quantité de petits usages, où il est besoin de force, de solidité, & de durée ; le volume de ce bois ne permettant pas de l'employer en grand autant que celui du cormier, qu'il égale pourtant en qualité à très-peu-près.

Voici les différentes especes de cornouillier que l'on connoît à présent.

Le cornouillier sauvage. C'est l'espece qui croît dans les bois, dans les haies, & à laquelle on peut le mieux appliquer ce qui vient d'être dit en général.

Le cornouillier franc. Ce n'est autre chose que l'espece sauvage améliorée par les soins de la culture.

Le cornouillier à fruit jaune. Cette variété est assez rare ; les cornouilles en sont plus douces que les rouges.

Le cornouillier à fruit blanc. Autre variété encore plus rare que la précédente. Le fruit de cette espece est plus précoce que dans les autres ; il vient à maturité dès le commencement du mois d'Août. Cette cornouille est plus douce & plus agréable au goût qu'aucune, mais elle est plus petite.

Le cornouillier à fruit rouge foncé. Le fruit de cet arbre est plus gros que celui des autres especes, & il est fort doux.

Le cornouillier à fruit tardif. Son fruit ne mûrit en effet qu'au commencement du mois de Novembre : il est d'un rouge pâle, & le plus aigre de tous.

Le cornouillier du Levant. Le fruit de cet arbre, qui est très-rare, est cylindrique.

Le cornouillier à feuille de citronnier. La feuille de cet arbre a beaucoup de ressemblance avec celle du citronnier, si ce n'est qu'elle est plus étroite.

Le cornouillier de Virginie à feuilles tachées. Cet arbre ressemble à notre cornouillier commun, avec cette différence seulement que sa feuille est plus longue, & qu'il s'en trouve quelques-unes qui sont pour ainsi dire maculées d'une couleur brune-roussâtre.

Le cornouillier de Virginie à gros fruit rouge. C'est un arbrisseau qui ne s'éleve qu'à dix ou douze piés, qui est très robuste, & qui se plaît dans les terres humides & légeres.

Le cornouillier de Virginie à grande fleur. Ce n'est qu'un arbrisseau de sept ou huit piés de haut, qui pousse bien en pleine terre, & qui est très-commun à présent dans les pepinieres autour de Londres, où il est connu sous le nom de dogwood de Virginie. Ce cornouillier se garnit de beaucoup de feuilles, qui sont plus grandes que celles des autres especes ; mais il ne donne pas tant de fleurs, & M. Miller ne l'a point encore vû porter de fruit en Angleterre. Voilà ce que cet auteur a dit de ce bel arbrisseau, qui ayant un agrément singulier, mérite que l'on recourre à Catesby, dont j'ai encore tiré ce qui suit. " Cet arbre n'est pas grand, son tronc n'a guere que huit ou dix pouces de diamêtre ; ses feuilles, qui ressemblent à celles de notre cornouillier ordinaire, sont plus grandes & plus belles : ses fleurs paroissent au commencement de Mars ; & quoiqu'elles soient alors entierement formées & ouvertes, elles ne sont pas si larges qu'une piece de six sous ; elles augmentent ensuite jusqu'à la largeur de la main, & n'atteignent leur perfection que six semaines après qu'elles ont commencé à s'ouvrir : elles sont composées de quatre feuilles d'un blanc verdâtre, & il s'éleve du fond de cette fleur une touffe d'étamines jaunes. Le bois de cet arbre est blanc, d'un grain serré, & il est aussi dur que le buis. Ses fleurs sont suivies de baies disposées en grappes, qui sont rouges, ovales, ameres, de la grosseur d'une senelle, qui renferment un noyau fort dur, & qui en restant sur l'arbre sont d'un aussi bel aspect en hyver, que ses fleurs l'ont été au printems ".

Le cornouillier de Virginie à grandes fleurs blanches & rouges. M. Miller estime que cet arbre n'est qu'une variété du précédent, dont il ne differe qu'en ce que sa fleur sort d'une enveloppe qui est rouge, & qui contribue à la beauté de cet arbrisseau.

Le petit cornouiller de Virginie. C'est en effet un petit arbrisseau qui ne s'éleve guere qu'à quatre ou cinq piés, & qui n'est pas robuste. Il lui faut l'orangerie pour passer l'hyver à moins que de le placer contre un mur bien exposé, où il ne pourroit toûjours résister qu'aux hyvers ordinaires. Sa feuille est grande, & sa fleur assez belle.

Le sanguin, est un arbrisseau très-commun dans les bois, dans les haies, & dans les places incultes, où je l'ai vû s'élever quelquefois à dix piés. Sa tige est droite, menue, & égale ; l'écorce de ses jeunes rameaux est d'un rouge vif & foncé, qui a fait donner à cet arbrisseau le nom de sanguin. Sa fleur, qui est blanche, vient en ombelle au bout des nouvelles branches, & paroît au commencement du mois de Juin. Les baies qui succedent sont noires dans leur maturité, un peu ameres, & de fort mauvais goût ; tout le parti qu'on en peut tirer, c'est d'en faire de l'huile qui est propre à brûler, suivant que je m'en suis assûré par plusieurs épreuves. Son bois est blanc, compacte, pas si dur que celui du cornouiller, & bien moins volumineux. Cet arbrisseau vient partout, & se multiplie plus qu'on ne veut.

Voici les différentes especes de sanguin.

Le sanguin commun. C'est à cette espece qu'on doit appliquer ce qui vient d'être dit du sanguin en général.

Le sanguin à feuille panachée. C'est une variété de l'espece commune, dont on fait peu de cas.

Le sanguin à fruit blanc. Autre variété qui ne s'étend que sur la couleur du fruit.

Le sanguin de Virginie à feuille de laurier. On trouve dans tous les pays septentrionaux de l'Amérique cet arbrisseau, dont le fruit est d'une couleur bleue-noirâtre. Il ne s'éleve qu'à la hauteur de notre sanguin commun.

Le sanguin de Virginie à feuille étroite. C'est une variété qui ne differe de l'arbrisseau précédent que par la figure de la feuille.

Le sanguin d'Amérique à feuille blanche. C'est un bel arbrisseau, qui peut infiniment contribuer à l'ornement d'un jardin, par la blancheur singuliere des ses feuilles qui se font remarquer au printems, par les bouquets de fleurs blanches qui l'embellissent durant l'été, par les grandes grappes de ses baies bleues, qui toute l'automne sont d'un bel aspect, & par la couleur rouge & vive de l'écorce de ses rameaux qui le distinguent pendant l'hyver. (c)


CORNOUILLESS. f. pl. (Mat. medic. & Diete) Le fruit du cornouiller est aigre, acerbe, & styptique, lorsqu'il n'est pas parfaitement mûr. On peut l'employer dans cet état, sur-tout extérieurement, comme la plûpart des autres vrais styptiques tirés des végétaux. Il s'adoucit beaucoup en mûrissant ; alors il n'est qu'aigrelet, & assez agréable à manger, & beaucoup de gens le croyent propre à arrêter le cours de ventre. Hippocrate, Dioscoride, & Pline, lui accordent cette propriété.

On peut préparer un rob de cornouilles qui aura les propriétés du fruit ; mais cette préparation est peu en usage.

La pharmacopée de Paris met au nombre des eaux distillées celle des fruits du cornouiller ; mais cette eau doit être absolument rangée dans la classe de celles qui sont exactement inutiles. Voyez EAU DISTILLEE. (b)


CORNUsub. m. (Comm. & Monnoie) monnoie battue sous Philippe-le-Bel. Il y en avoit de deux sortes, le parisis & le tournois ; celui-ci pesoit vingt-un grains, avoit trois deniers dix-huit grains de loi, & valoit un denier tournois ; l'autre étoit de vingt grains, & de trois deniers douze grains de loi, & valoit un denier parisis. Voyez le dictionn. de Trév. & Ducange, au mot moneta.

CORNU, adj. (Marechall.) un cheval cornu est celui dont les os des hanches s'élevent aussi haut que le haut de la croupe. Voyez HANCHE & CROUPE. (V)


CORNUAUS. m. (Pêche) poisson très-ressemblant à l'alose, & qui remonte la Loire avec elle ; il est seulement plus court ; mais il s'en manque beaucoup que ce soit un aussi bon manger : l'alose est le mets des friands ; le cornuau, celui des paysans & des ouvriers.


CORNUES. f. (Chimie) La cornue est une sorte de vaisseau destiné à faire la distillation appellée per latus, d'une figure quelquefois ronde, & quelques fois un peu oblongue, & portant à sa partie supérieure un cou recourbé, de maniere que ce vase étant posé sur sa base dans le fourneau de reverbere ou sur le bain de sable, de limaille, &c. puisse excéder la paroi du fourneau de cinq ou six pouces, pour pouvoir entrer commodément dans un autre vaisseau appellé récipient. Voyez RECIPIENT. On donne à la cornue assez communément le nom de retorte, sans doute à cause de la courbure du cou ; & il y a grande apparence que le nom de cornue a été donné à ce vaisseau, ou parce que le cou a la figure d'une corne, ou bien parce que le vaisseau entier ressemble assez à une cornemuse. Voyez la Planche.

Les cornues sont ordinairement de terre ou de verre ; on se sert quelquefois aussi de cornues de fer fondu.

Les cornues de terre sont de tous les instrumens chimiques celui dont l'usage est le plus fréquent, toutes les fois qu'on veut soûmettre à la distillation une substance qui demande le degré de feu supérieur à l'eau bouillante, pour donner les produits qu'on se propose d'en retirer ; la retorte de terre est le vaisseau le plus propre à cette opération. Or le cas se présente très-communément dans l'analyse par le feu des substances végétales & animales, dans la préparation des huiles empyreumatiques végétales & animales, dans celle des sels volatils végétaux & animaux. C'est aussi avec cet instrument que l'on distille les acides minéraux, & l'acide végétal combiné avec une substance saline, terreuse, ou métallique, &c. que l'on retire le soufre de différentes pyrites, le mercure du cinnabre, l'arsenic du cobolt, le phosphore des matieres qui en fournissent, &c.

Les cornues de terre étant non-seulement destinées à être exposées à un degré de feu supérieur à l'eau bouillante, mais encore quelquefois à supporter ce dernier degré jusqu'à son extrème, c'est-à-dire le feu le plus violent que nous puissions faire dans nos fourneaux, doivent nécessairement être faites d'une matiere capable de résister à ce degré de feu qui vitrifie les métaux imparfaits, & généralement toutes les terres qui sont tant soit peu fusibles. Il faut pour cela qu'elles soient faites d'une bonne terre glaise, qu'elles soient aussi minces qu'il sera possible, & qu'elles soient cuites au point qui fait donner le nom de grais à la terre cuite. A la vérité tout grais ne seroit pas bon à être employé en cornue ; celui qui est trop cuit, & presque vitrifié, est trop cassant ; & malgré le lut dont on l'enduit, & les précautions qu'on prend pour l'échauffer peu-à-peu, on ne parvient que très-difficilement à lui faire soûtenir le feu. il faut donc que nos cornues soient suffisamment cuites (ce qui les empêche d'être poreuses, & les rend propres à supporter le plus grand feu), mais qu'elles ne soient pas trop vitrifiées. Celles qui nous viennent des environs de Beauvais en Picardie, sont excellentes ; elles ne sont point du tout poreuses ; elles s'échauffent assez facilement sans se fêler, & supportent le dernier degré de feu (M. Rouelle s'en sert pour faire le phosphore) sans se fendre & sans se rompre. C'est sans-doute le défaut de pareilles cornues qui fait que les Allemands, qui vantent d'ailleurs tant leur terre de Hesse, n'employent que les cornues de verre dans presque toutes leurs opérations. M. Marggraf s'est servi de cornues de verre pour la distillation du phosphore ; Hoffman, pour la distillation de l'acide nitreux, fumant, &c. Nous faisons ces opérations bien plus commodément dans nos bonnes cornues de terre. Voyez Cornues de verre, dans la suite de cet article.

M. Rouelle a fait faire en Normandie des cornues qui étoient de la même espece de grais que les petits pots à beurre de Bretagne, que tout le monde connoît. Ce grais est très-bien cuit, & les cornues qui ont été faites de la même terre, & cuites au même feu, sont excellentes : mais comme elles sont sujettes à se fendre lorsqu'on commence à les échauffer, & à se casser dans le cours des distillations, pour peu que le feu se rallentisse & que l'air froid les frappe, on ne doit pas hésiter à leur préférer celles qui nous viennent de Picardie, qui n'ont pas à beaucoup près les mêmes inconvéniens que celles de Normandie. Nous aurons occasion de parler de ce grais de Normandie au mot creuset. Voyez CREUSET.

Les cornues de Picardie sont non-seulement excellentes pour faire toutes les distillations dont nous avons parlé : mais comme elles peuvent souffrir le plus grand degré de feu, elles seront encore fort propres à toutes les expériences que l'on pourroit tenter sur certaines substances métalliques que l'on voudroit traiter à un grand feu, & sans le contact de l'air ; ainsi on s'en servira très-bien pour la réduction des différentes chaux de zinc, & pour faire l'essai de la calamine, suivant le procédé qu'en a donné M. Marggraf, dans un mémoire imprimé parmi ceux de l'acad. de Berlin, ann. 1746. Voyez ZINC.

Il y a une sorte de vaisseau de terre appellé cuine, qui ne differe de la cornue que parce qu'il a une base applatie, & le cou beaucoup plus court. Les distillateurs d'eau-forte s'en servent pour retirer l'acide du nitre & du sel marin. La cuine a été autrefois mise en usage par les Chimistes : mais comme c'est le propre des arts pratiques de rectifier & de retrancher tout ce que l'expérience nous apprend, ou ne rien valoir, ou du moins être peu commode, les Chimistes modernes l'ont absolument rejettée ; & cela avec raison, ce vaisseau ayant de si grands défauts qu'il ne peut être employé dans aucune distillation qui demande de l'exactitude.

Pour ce qui est de la maniere d'employer la cornue de grais, de la luter, de l'appareiller, de l'échauffer, &c. & des précautions qu'il faut prendre pour la conserver & l'empêcher de se casser, lorsque l'opération étant finie on laisse tomber le feu ; tout cela, dis-je, est détaillé exactement à l'article distillation (voyez DISTILLATION), & au mot lut. Voyez LUT.

Les cornues de verre sont d'un usage tout aussi étendu que celles de grais ou de terre ; elles nous fournissent un moyen commode de distiller un nombre infini de matieres, qui étant ou fort volatiles, ou du moins d'une médiocre fixité, n'ont pas besoin d'un très-grand degré de feu. Ce n'est pas qu'on ne puisse leur en faire soûtenir un plus grand, puisqu'on peut très-bien les faire rougir (on sait que le verre rougit longtems avant que de fondre), & par conséquent s'en servir pour la distillation de toute substance animale & végétale, ces deux regnes s'analysant à ce degré de feu. Voyez VEGETAUX & ANIMAUX. Nous avons observé ci-dessus que les Allemands n'en employoient presque pas d'autres, même dans la plûpart des opérations qui demandent un feu très-long-tems continué, à un degré beaucoup supérieur à l'eau bouillante, puisque M. Marggraf s'en est servi pour la distillation du phosphore. Nous examinerons au mot PHOSPHORE, s'il a eu raison, & s'il n'en auroit pas tiré davantage en se servant d'une cornue de terre. Voyez PHOSPHORE.

Les cornues de verre ont, outre la fragilité ordinaire à tous vaisseaux faits de cette matiere, le défaut de se fêler fort aisément, soit lorsqu'on commence à les échauffer, soit lorsqu'étant trop chaudes l'air froid vient à les frapper ; inconvéniens auxquels on ne remédie qu'en prenant de grandes précautions, dont les principales sont 1°. d'avoir des cornues fort minces, & d'un verre bien égal, c'est-à-dire qui ne soit pas plus épais dans un endroit que dans un autre ; 2°. de luter celles qu'on doit placer dans le fourneau de reverbere ; 3°. de les chauffer peu-à-peu & également ; 4°. de faire ensorte que la partie qui n'est point enfermée dans le fourneau, ou qui n'est point recouverte de sable, soit à l'abri du contact de l'air ; 5°. d'administrer à celles qui sont au bain de sable le feu avec prudence, l'art ne nous fournissant point d'autre moyen de diminuer la chaleur de ce bain une fois trop échauffé, qu'en faisant prendre l'air à la cornue ; ce qui l'expose à se casser. Voyez BAIN DE SABLE & DISTILLATION.

La plûpart des chimistes préferent dans bien des cas la cornue de verre à l'alembic de même matiere, & certainement avec raison ; car outre que la cornue soûtient mieux le feu que l'alembic, elle a encore un avantage considérable, qui est de fournir un appareil qui a le moins de jointures qu'il est possible. Voyez tout ce qu'il y a à observer sur le manuel de la distillation, au mot DISTILLATION.

Nous nous servons à Paris de deux sortes de cornues de verre, les unes connues sous le nom de verre de Lorraine, & les autres sous le nom de verre blanc.

Les cornues de Lorraine sont presque rondes, & d'un verre brun, qui quoiqu'assez mauvais, ne laisse pas que de supporter le feu nud lorsque la cornue a été bien lutée ; aussi nous en servons-nous avec succès pour la concentration de l'acide vitriolique, qui exige un degré de feu assez fort. Voyez Acide vitriolique au mot VITRIOL. Elles sont excellentes pour la rectification des autres acides & des huiles foetides, pour faire le beurre d'antimoine, celui d'arsenic, la liqueur fumante de Libavius : ce sont ces cornues que nous employons pour unir l'acide vitriolique au mercure, dans la préparation du turbith minéral ; enfin ces cornues sont fort propres à la distillation d'une petite quantité de matieres résineuses, &c. en vûe d'analyse. On pourroit très-bien s'en servir pour la distillation des acides minéraux à la façon de Glauber ; mais il y auroit à craindre que la chaleur qui s'excite lorsqu'on vient à verser l'acide vitriolique sur le nitre ou le sel marin, ne les fît casser : on fera donc mieux d'avoir recours à la cornue de grais.

L'autre espece de cornue dont nous nous servons communément à Paris, & que nous avons dit être connue sous le nom de verre blanc, est d'une figure presque ovale, d'un verre fort mince, très-blanc, & ordinairement assez bien soufflé ; nous n'employons ces sortes des cornues qu'au bain de sable, par le moyen duquel on peut leur donner un feu très-supérieur à l'eau bouillante. Nous nous en servons pour distiller tout liquide très-volatil & précieux, comme l'éther, & pour rectifier l'huile animale de Dipellius, les huiles essentielles, & celle de succin, la premiere seule & sans intermede, les autres par le moyen de l'eau ; voyez HUILE ANIMALE, HUILE ESSENTIELLE, & SUCCIN. Lorsque l'ovale de ces cornues est un peu allongé, nous appellons ces vaisseaux cornues à l'Angloise. L'élevation que cette forme leur donne, les rend très-propres à la distillation de plusieurs matieres sujettes à se gonfler, qui ne seroit que très-difficilement praticable dans une cornue écrasée, telle que les cornues de verre de Lorraine.

Nous avons dit au commencement de cet article, qu'on se servoit quelquefois de cornues de fer fondu ; cette derniere espece est peu en usage dans les laboratoires des Chimistes ; elle seroit pourtant d'une grande utilité, & on pourroit l'employer dans un très-grand nombre d'opérations chimiques, ce qui diminueroit la dépense ; car une cornue de fer seroit un meuble indestructible : si l'on vouloit s'en procurer, il faudroit avoir l'attention de les faire faire très-minces, & de pratiquer à la partie supérieure un couvercle fermant exactement, qui serviroit à introduire dans la cornue les matieres à distiller, & à en retirer les résidus après la distillation. On conçoit facilement qu'il seroit possible de sauver un grand nombre de cornues de terre, que l'on est obligé de casser pour avoir la matiere charboneuse, qui y reste après la plûpart des distillations, &c.

Il ne nous reste plus qu'à dire quelque chose d'une autre espece de cornue, connue sous le nom de cornue tubulée.

Une cornue tubulée est celle à la partie supérieure de laquelle on a pratiqué une petite ouverture en forme de tuyau ou de tube, que l'ouvrier a ajusté de façon à le pouvoir fermer avec un bouchon de verre pour les cornues de verre, & de terre pour celles de terre.

Ces sortes de cornues, soit celles de terre, soit celles de verre, sont très-commodes dans nombre d'opérations, soit pour cohober la liqueur distillée, soit pour introduire de nouvelle matiere, soit pour en ajoûter de différentes especes successivement & en différens tems, &c. sans être obligé de desapareiller les vaisseaux ; on doit apporter toute l'attention possible à ce que les bouchons ferment exactement, & soient ajustés sur le petit tube ou tuyau, de la façon qui sera expliquée au mot tubulure. Voyez TUBULURE ou VAISSEAUX TUBULES.

Il est parlé de l'usage des cornues tubulées au mot distillation, au mot clyssus, & aux articles acide nitreux & acide marin. VOYEZ DISTILLATION, CLYSSUS, NITRE, SEL MARIN. (b)


CORNUS(Géog. mod.) petite ville de France dans le Quercy.


CORNUTIAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont le nom a été dérivé de celui de Jacques Cornuti medecin de Paris. La fleur des plantes de ce genre est monopétale, en forme de masque, dont la lévre supérieure est relevée, & l'inférieure divisée en trois parties. Il s'éleve du fond du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit ou une baie pleine de suc sphérique : qui renferme une semence qui a pour l'ordinaire la forme d'un rein. Plumier, nova plant. Amer. genera. Voyez PLANTE. (I)


COROS. m. (Financ. étrang.) droit de 20e pour l'or, & de 5e pour l'argent, que le roi d'Espagne leve sur le produit des mines du Chily & du Pérou. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév.


COROD(Géog. mod.) petite ville de Transilvanie, près de Clausenbourg.


COROGN(LA), Géogr. mod. ville maritime d'Espagne, en Galice, avec un port très-commode. Long. 9. 20. lat. 43. 20.


COROLITIQUEadj. (Archit.) épithete par laquelle on désigne des colonnes ornées de feuillages, qui serpentent autour d'elles en spirales, telles qu'on en voit quelquefois dans les édifices, & souvent dans les décorations théatrales. Elles servoient anciennement de base à des statues, qui étoient aussi appellées corolitiques.


COROLLAIRES. m. en Géométrie, est une conséquence tirée d'une proposition qui a déja été avancée ou démontrée : comme si de cette proposition, Un triangle qui a deux côtés égaux, a aussi deux angles égaux, on tire la conséquence, donc un triangle qui a les trois côtés égaux a aussi les trois angles égaux.

On auroit tout aussi-tôt fait de dire conséquence que corollaire, cela seroit plus à portée de tout le monde : mais c'est le sort de presque toutes les Sciences d'être chargées de mots scientifiques assez inutiles. Il ne faut pas espérer qu'on les change, & ceux qui en traitent sont obligés de s'y conformer. Il faut avoüer aussi que ce n'est pas toûjours la faute des Savans ni des Artistes, si les mots scientifiques sont si multipliés. Comme la plûpart des Sciences & des Arts nous viennent des Grecs & des Latins, les mots nous en sont venus avec les choses ; la plûpart de ces mots scientifiques n'ont point passé dans l'usage ordinaire, & sont devenus obscurs pour le vulgaire. Un Athénien, sans savoir de Géométrie, entendoit tout de suite que le mot de théorème signifioit une vérité de spéculation. Chez nous, c'est un mot savant pour ceux qui ignorent le grec ; & ainsi des autres.

Plutarque, dans la vie de Cicéron, le loue d'avoir le premier donné des noms latins dans ses ouvrages, aux objets dont les philosophes grecs s'étoient occupés ; & qui jusqu'à lui avoient retenu leurs noms grecs. On ne sauroit rendre le langage des Sciences trop simple, & pour ainsi dire trop populaire : c'est ôter un prétexte de les décrier aux sots & aux ignorans, qui voudroient se persuader que les termes qu'ils n'entendent pas en font tout le mérite, & qui, pour parler le langage de Montagne, parce qu'ils ne peuvent y prétendre, se vengent à en médire. (O)


COROMANDE(LA COTE DE), Géog. mod. grand pays de l'Inde, en-deçà du Gange ; il contient la côte occidentale du golfe de Bengale.


CORON(Géog. mod.) ville de la Grece, dans la Morée, sur le golfe de même nom, dans la province de Belvedere. Long. 39. 40. lat. 36. 15.


CORONAIRES(Anat.) c'est ainsi qu'on distingue deux arteres qui partent de l'aorte, vis-à-vis ses valvules ; avant qu'elle soit hors du péricarde, & qui servent à porter le sang dans toute la substance du coeur. Voyez COEUR.

On les appelle coronaires, à cause que par leurs ramifications elles environnent la base du coeur, comme une espece de couronne ou de guirlande. Il en part dans leur route plusieurs branches qui sont dirigées longitudinalement, & comme Ruysch l'observe, aux oreillettes & dans la substance même du coeur : après avoir entouré la base du coeur & s'être rencontrées, elles s'anastomosent l'une avec l'autre. Voyez COEUR. Chambers.

L'artere coronaire stomachique est une branche de la coeliaque ; elle se distribue à l'estomac, & se porte le long de son arc concave entre l'orifice cardiaque & le pylore, où elle s'anastomose avec une branche qui vient de l'hépatique ; elle se divise en plusieurs rameaux, qui non-seulement communiquent entre eux, mais encore avec différens rameaux de la grande & petite gastrique. Voyez ESTOMAC.

Quant à la veine coronaire stomachique, on appelle ainsi une veine qui se décharge dans le tronc de la veine splénique, qui en s'unissant avec la mésentérique, concourt à la formation de la veine-porte. Voyez VEINE-PORTE. (L)

Le ligament coronaire du rayon ou radius, est un ligament qui unit le radius avec le cubitus. Voyez RADIUS & CUBITUS. (L)


CORONALadj. en Anatomie, est l'os du front, que l'on appelle aussi os frontal, os de la poupe, &c.

Le coronal est un des huit os du crane, situé à la partie supérieure & antérieure de la face, il en forme la partie appellée le front. V. FRONT & CRANE.

Il a une figure demi-circulaire ; on y observe différentes cavités & diverses apophyses. (L)


CORONERS. m. (Hist. mod.) en Angleterre, officier dont la charge est de faire faire des informations par un jury, c'est-à-dire par une assemblée de jurés qui ont prêté serment, composée de douze personnes voisines du lieu où l'on a trouvé une personne morte ; comment & de quelle maniere est arrivé cet accident ; si elle est morte naturellement ou d'une mort violente, ce qu'il marque sur un registre. Il y a deux officiers revêtus de ce pouvoir dans chaque province.

L'objet de leurs fonctions étant une matiere criminelle, &, comme disent les Anglois, un plaidoyer de la couronne, on a appellé ces officiers crowners ou coroners. Ils sont choisis par les freeholders de la province, ou ceux qui tiennent de francs-fiefs qui ne relevent de personne, & cette élection se fait en vertu d'un ordre de la chancellerie.

Par un statut de Westminster, le coroner doit être chevalier ; & l'on trouve dans le registre qu'on appelle nisi sit miles, un rescrit du prince ou reglement par lequel il paroît qu'on pourroit exclure quelqu'un de la charge de coroner, & avoir contre lui une cause de récusation suffisante, s'il n'étoit pas chevalier & qu'il ne possedât pas cent schelins de revenu en franc-fief. Dès l'an 925, sous le roi Athehtan, on connoît cet officier. Le chef de justice de la cour du banc du roi, est le premier coroner du royaume en quelqu'endroit qu'il réside.

Dans plusieurs districts il y a aussi de certains coroners particuliers, semblables aux coroners ordinaires établis par la loi en chaque province, de même que dans quelques collèges & communautés, qui sont autorisés par leurs chartres & priviléges à nommer leur coroner dans leur propre territoire.

Nous n'avons point en France de semblables officiers, ni de nom qui approche du leur, si ce n'est peut-être celui de commissaire-enquêteur. C'est aux procureurs du Roi à connoître des morts inopinées & accidentelles qui peuvent être arrivées par violence. (G)


CORONILLAsub. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est légumineuse : le calice pousse un pistil qui devient dans la suite une gousse composée de plusieurs pieces articulées bout à bout, qui renferment chacune une semence oblongue. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CORONISS. f. (Myth.) déesse révérée à Sycione ; on lui sacrifioit dans le temple de Pallas, parce qu'il n'y en avoit point de bâti en son nom.


CORONOIDEen Anatomie, nom que l'on donne à une éminence pointue des os. Voyez Pl. d'Anat. Voyez aussi Os.

On dit l'apophise coronoïde de la mâchoire inférieure.

L'apophise coronoïde du cubitus. Voyez MACHOIRE & CUBITUS. (L)


COROPA(Géog. mod.) pays de l'Amérique méridionale, sur la riviere de Corapatude, entre le lac de Parima & la riviere des Amazones.


COROPOJAK(Géogr. mod.) grande ville de l'empire Russien, sur le Don ou Tanaïs.


COROSSOLsub. m. (Hist. nat. bot.) fruit très-commun aux Antilles ; il croît de la grosseur d'un melon, mais moins gros & un peu recourbé vers la partie opposée à la queue ; il est couvert d'une peau verte, lissée, épaisse comme du drap, hérissée de petites pointes de la même substance, un peu courbées, fléxibles, & ne piquant point ; l'intérieur du fruit est d'une très-grande blancheur, ressemblant à de la crême ; cependant lorsqu'on y fait attention, on apperçoit une prodigieuse quantité de vesicules de forme pyramidale, longues d'environ deux pouces, tendantes de la circonférence vers le coeur du fruit, renfermant une eau blanchâtre, un peu visqueuse, au milieu de laquelle se trouve la graine, de figure oblongue, de couleur brune, & de la grosseur d'une petite féve. Le coeur du fruit est fibreux, coriace, se séparant aisément ; ce n'est autre chose que le prolongement de la queue, qui traversant les deux tiers du fruit se termine en pointe insensible.

La substance du corossol est d'un goût sucré relevé d'une pointe aigrelette très-agréable ; elle se résoud en eau, à l'exception des vesicules, qui glissent avec tant de facilité qu'on les avale sans s'en appercevoir. On prétend que le nom de ce fruit vient de l'île de Curacao ou Corossol, appartenante aux Hollandois.

L'arbuste qui porte le corossol se nomme corossolier ; il s'éleve d'environ huit à neuf piés ; ses feuilles sont d'un beau verd, plus nourries, plus larges, & moins pointues que celles du laurier.

Le fruit du corossolier est sort sain : on a éprouvé que plusieurs personnes incommodées de violentes diarrhées, ont été guéries en ne mangeant que des corossols pendant plusieurs jours. Lorsque ce fruit n'est pas encore en maturité, si on le coupe par tranches de l'épaisseur du doigt, il tient lieu de culs d'artichauts dans les fricassées & les ragoûts ; mais quand il est trop mûr, on l'employe utilement à engraisser les cochons, qui en sont extrèmement friands. Art. de M. LE ROMAIN.


CORPS. m. (Hist. natur. Ichthiolog.) coracinus, Rond. poisson de mer qui ressemble à la tenche pour la couleur, & à la perche pour la forme du corps ; les écailles & la bouche sont de médiocre grandeur, & les machoires sont garnies de dents. Quant au nombre, à la position, à la figure & aux picquans des nageoires : le corp ne differe aucunement de l'umbre : sa queue n'est point fourchue, & quand elle s'étend, elle forme une portion de cercle. L'extrémité des picquans de la queue & des nageoires du dos est noire ; les yeux sont de médiocre grandeur ; l'iris est de couleur brune, & presque noire : les nageoires du ventre, & celles qui sont derriere l'anus, sont noires, & comme teintes d'encre. Ce poisson a aussi été appellé corbeau de mer, à cause de sa couleur noire. Willughby, hist. pisc. Voyez POISSON. (I)


CORPORACORPORA


CORPORALS. m. terme de Liturgie, qui signifie un linge sacré dont on se sert pendant la messe, & que l'on étend sous le calice pour y mettre décemment le corps de N. S. ce qui lui a fait donner ce nom. Il sert aussi à recueillir les particules de l'hostie qui pourroient venir à tomber, soit lorsque le prêtre la rompt, soit lorsqu'il la consomme.

Quelques-uns disent que c'est le pape Eusebe qui le premier enjoignit l'usage du corporal, d'autres l'attribuent à S. Silvestre ; mais si l'on en croit Comines, cet usage avoit déjà lieu du tems des apôtres, puisque cet historien rapporte que le pape fit présent à Louis XI. d'un corporal sur lequel on disoit que S. Pierre avoit dit la messe. On avoit coûtume autrefois de porter les corporaux aux incendies, & de les élever contre les flammes pour les éteindre. (G)


CORPORATIONS. f. (Jurispr. Police, Histoire mod.) corps politique, que l'on appelle ainsi en Angleterre, parce que les membres dont il est composé ne forment qu'un corps ; qu'ils ont un sceau commun, & qu'ils sont qualifiés pour prendre, acquérir, accorder, attaquer ou être attaqués en justice au nom de tous. Voyez INCORPORATION. Nous n'avons point de terme qui lui réponde directement ; communauté en approche, mais ce n'est pas la même chose : il n'a pas une signification si étendue.

Une corporation peut être établie de trois façons ; savoir, par prescription, par lettres patentes, & par un acte du parlement.

Les corporations (corporation signifie ici communauté) sont ou ecclésiastiques ou laïques ; les ecclésiastiques sont ou régulieres, comme les abbayes, les prieurés conventuels, les chapitres, &c. ou séculieres, comme les évêchés, les doyennés, les archidiaconats, les cures, &c. & les universités, les colléges & les hôpitaux. Voyez ABBAYE, PRIEURE, CHAPITRE, &c. Voyez aussi HOPITAL, &c. les laïques sont les cités, les villes, les mairies, les bailliages, les compagnies ou sociétés de commerçans, &c. Voyez COMPAGNIE ; &c.

De plus, une corporation est ou unique, ou un composé de plusieurs ; c'est cette derniere que les jurisconsultes appellent un collége. Voyez COLLEGE. Voyez aussi COMMUNAUTE.


CORPORÉITÉS. f. terme de Métaphys. C'est la modification qui forme le degré différentiel dans la définition du corps, ou ce qui constitue un corps, une substance corporelle. Les Antropomorphites attribuoient à Dieu la corporéité.


CORPORELadj. (Gramm.) se dit de tout ce qui est relatif au corps considéré sous cette relation ; ainsi on dit des qualités corporelles, &c.


CORPORELLES(Jurisprud.) choses corporelles. Voyez au mot CHOSES, & ci-après au mot DROITS INCORPORELS.

CORPOREL, (Fief) Voyez FIEF. (A)


CORPSS. m. (Métaphys. & Physiq.) C'est une substance étendue & impénétrable, qui est purement passive d'elle-même, & indifférente au mouvement ou au repos, mais capable de toute sorte de mouvement, de figure & de forme. Voyez SUBSTANCE, SOLIDE, MOUVEMENT, &c.

Les corps, selon les Péripatéticiens, sont composés de matiere, de forme & de privation ; selon les Epicuriens & les Corpusculaires, d'un assemblage d'atomes grossiers & crochus ; selon les Cartésiens, d'une certaine portion d'étendue ; selon les Newtoniens, d'un système ou assemblage de particules solides, dures, pesantes, impénétrables & mobiles, arrangées de telle ou telle maniere : d'où résultent des corps de telle ou telle forme, distingués par tel ou tel nom. Voyez ATOME.

Ces particules élémentaires des corps doivent être infiniment dures, beaucoup plus que les corps qui en sont composés, mais non si dures qu'elles ne puissent se décomposer ou se briser. Newton ajoûte que cela est nécessaire, afin que le monde persiste dans le même état, & que les corps continuent à être dans tous les tems de la même texture & de la même nature. Voyez MATIERE, PARTICULE, SOLIDITE, DURETE, &c.

Il est impossible, selon quelques philosophes, de démontrer l'existance des corps. Voici, disent-ils, la suite d'argumens par laquelle nous pouvons arriver à cette connoissance.

Nous connoissons d'abord que nous avons des sensations ; nous savons ensuite que ces sensations ne dépendent pas de nous, & de-là nous pouvons conclure que nous n'en sommes donc pas la cause absolue, mais qu'il faut qu'il y ait d'autres causes qui les produisent ; ainsi nous commençons à connoître que nous ne sommes pas les seules choses qui existent, mais qu'il y a encore d'autres êtres dans le monde conjointement avec nous, & nous jugeons que ces causes sont des corps réellement existans, semblables à ceux que nous imaginons. Le docteur Clarke prétend que ce raisonnement n'est pas une démonstration suffisante de l'existance du monde corporel. Il ajoûte que toutes les preuves que nous en pouvons avoir, sont fondées sur ce qu'il n'est pas croyable que Dieu permette que tous les jugemens que nous faisons sur les choses qui nous environnent, soient faux. S'il n'y avoit point de corps, dit-on, il s'ensuivroit que Dieu qui nous représente l'apparence des corps, ne le feroit que pour nous tromper. Voici ce que dit là-dessus le philosophe dont nous parlons. " Il est évident, s'objecte-t-il, que Dieu ne peut pas nous tromper ; & il est évident qu'il nous tromperoit à chaque instant, s'il n'y avoit point de corps : il est donc évident qu'il y a des corps. On pourroit, selon quelques philosophes, nier la mineure de cet argument. "

En effet, quand même il seroit possible qu'il existât des corps, c'est-à-dire des substances solides, figurées, &c. hors de l'esprit, & que ces corps fussent analogues aux idées que nous avons des objets extérieurs, comment nous seroit-il possible avec cela de les connoître ? Il faudroit que nous eussions cette connoissance ou par les sens, ou par la raison. Par nos sens, nous avons seulement la connoissance de nos sensations & de nos idées ; ils ne nous montrent pas que les choses existent hors de l'esprit telles que nous les appercevons. Si donc nous avons connoissance de l'existance des corps extérieurs, il faut que ce soit la raison qui nous en assûre, d'après la perception des sens. Mais comment la raison nous montrera-t-elle l'existance des corps hors de notre esprit ? Les partisans même de la matiere nient qu'il puisse y avoir aucune connexion entr'elle & nos idées. En effet on convient des deux côtés (& ce qui arrive dans les songes, dans les phrénésies, les délires, les extases, en est une preuve incontestable), que nous pouvons être affectés de toutes les idées que nous avons, quoiqu'il n'existe point hors de nous de corps qui leur ressemblent. De-là il est évident que la supposition des corps extérieurs n'est pas nécessaire pour la production de nos idées. Si donc nous avons tort de juger qu'il y ait des corps, c'est notre faute, puisque Dieu nous a fourni un moyen de suspendre notre jugement. Voici encore ce que dit à ce sujet le docteur Berckley, Principes de la connoissance humaine, p. 59. " En accordant aux Matérialistes l'existance des corps extérieurs, de leur propre aveu ils n'en connoîtront pas davantage comment nos idées se produisent, puisqu'ils avouent eux-mêmes qu'il est impossible de comprendre comment un corps peut agir sur un esprit, ou comment il se peut faire qu'un corps y imprime aucune idée ; ainsi la production des idées & des sensations dans notre esprit, ne peut pas être la raison pour laquelle nous supposons des corps ou des substances corporelles, puisque cela est aussi inexpliquable dans cette supposition que dans la contraire. En un mot, quoiqu'il y eût des corps extérieurs, il nous seroit cependant impossible de savoir comment nous les connoissons ; & s'il n'y en avoit pas, nous aurions cependant la même raison de penser qu'il y en a que nous avons maintenant. " Id. ibid. pag. 60. 61.

" Il ne sera pas inutile de réfléchir un peu ici, sur les motifs qui portent l'homme à supposer l'existance des substances matérielles. C'est ainsi que voyant ces motifs cesser & s'évanoüir par degrés, nous pourrons nous déterminer à refuser le consentement qu'ils nous avoient arraché. On a donc crû d'abord que la couleur, la figure, le mouvement & les autres qualités sensibles, existoient réellement hors de l'esprit ; & par cette même raison il sembloit nécessaire de supposer une substance ou sujet non pensant, dans lequel ces qualités existassent, puisqu'on ne pouvoit pas concevoir qu'elles existassent par elles-mêmes. Ensuite étant convaincus que les couleurs, les sons & les autres qualités secondaires & sensibles, n'avoient point leur existance hors de l'esprit, on a dépoüillé ce sujet de ces qualités, en y laissant seulement les premieres, comme la figure, le mouvement, &c. qu'on a conçû toûjours exister hors de l'esprit, & conséquemment avoir besoin d'un support matériel. Mais comme il n'est pas possible (c'est toujours Berckley qui parle), qu'aucune de ces qualités existe autrement que dans l'esprit qui les apperçoit, il s'ensuit que nous n'avons aucune raison de supposer l'existance de la matiere. " Id. ibid. p. 115. 119. Voyez QUALITE, EXISTENCE.

Voilà en substance les raisons du docteur Berckley. Leibnitz ajoûte que quand nous examinons les propriétés des corps, telles que nous les concevons, ces propriétés paroissent renfermer contradiction. De quoi les corps sont-ils composés, peut-on se demander ? Qu'on cherche tant qu'on voudra une réponse à cette question, on n'en trouvera point d'autre, sinon que les corps sont eux-mêmes composés d'autres petits corps. Mais ce n'est pas là répondre, car la difficulté reste toûjours la même, & on redemandera ce qui forme les corps composans. Il semble qu'il en faille venir à quelque chose qui ne soit point corps, & qui cependant forme les corps que nous voyons. Mais comment cela est-il possible ? On peut faire la même objection sur la cause de la dureté : qui tient de près à celle de l'impénétrabilité. Ces deux propriétés, ainsi que le mouvement & la divisibilité de la matiere, sont sujettes à des difficultés très-fortes. Cependant le penchant que nous avons à croire l'existance des corps, sur le rapport de nos sensations, est si grand, qu'il seroit fou de ne s'y pas livrer, & c'est peut-être le plus grand argument par lequel on puisse prouver que ce penchant nous vient de Dieu même : aussi personne n'a-t-il jamais révoqué vraiment en doute l'existance des corps. Au reste cette opinion de Berckley est encore exposée dans un ouvrage intitulé Dialogues entre Hilas & Philonoüs (ami de l'esprit). Il a été traduit depuis quelques années en françois par un homme d'esprit, métaphysicien subtil & profond. On voit à la tête d'un de ces dialogues, une vignette du traducteur extrèmement ingénieuse. Un enfant voit son image dans un miroir, & court pour la saisir, croyant voir un être réel ; un philosophe qui est derriere lui, paroît rire de la méprise de l'enfant ; & au bas de la vignette on lit ces mots adressés au philosophe : Quid rides ? fabula de te narratur.

Le principal argument du docteur Berckley, & proprement le seul sur lequel roule tout l'ouvrage dont nous parlons, est encore celui-ci : " Notre ame étant spirituelle, & les idées que nous nous formons des objets, n'ayant rien de commun ni d'analogue avec ces objets mêmes, il s'ensuit que ces idées ne peuvent être produites par ces objets. L'objet d'une idée ne peut être qu'une autre idée, & ne sauroit être une chose matérielle ; ainsi l'objet de l'idée que nous avons des corps, c'est l'idée même que Dieu a des corps : idée qui ne ressemble en rien aux corps ; & ne sauroit leur ressembler. " Voilà, comme l'on voit, le Malebranchisme tout pur, ou du moins à peu de chose près. L'auteur fait tous ses efforts pour prouver que son sentiment differe beaucoup du systême du P. Malebranche ; mais la différence est si subtile, qu'il faut être métaphysicien bien déterminé pour l'appercevoir. Le P. Malebranche, intimement persuadé de son système des idées & de l'étendue intelligible, étoit fermement convaincu que nous n'avons point de démonstration de l'existance des corps ; il employe un grand chapitre de son ouvrage à le prouver. Il est vrai qu'il est un peu embarrassé de l'objection tirée de la réalité de la révélation, & il faut avoüer qu'on le seroit à moins ; car s'il n'est pas démontré qu'il y ait des corps, il ne l'est pas que J. C. soit venu, qu'il ait fait des miracles, &c. aussi le Pere Malebranche a-t-il de la peine à se tirer de cette difficulté. L'imagination de ce philosophe, souvent malheureuse dans les principes qu'elle lui faisoit adopter, mais assez conséquente dans les conclusions qu'il en tiroit, le menoit beaucoup plus loin qu'il n'auroit voulu lui-même ; les principes de religion dont il étoit pénétré, plus forts & plus solides que toute sa philosophie, le retenoient alors sur le bord du précipice. Les vérités de la religion sont donc une barriere pour les philosophes : ceux qui les ayant consultées ne vont pas au-delà des bornes qu'elles leurs prescrivent, ne risquent pas de s'égarer.

Berckley se propose une autre difficulté qui n'est pas moins grande que celle de la révélation : c'est la création, dont le premier chapitre de la Genese nous fait l'histoire. S'il n'y a point de corps ; qu'est-ce donc que cette terre, ce soleil, ces animaux que Dieu a créés ? Berckley se tire de cette difficulté avec bien de la peine & avec fort peu de succès, & voilà le fruit de toute sa spéculation métaphysique ; c'est de contredire ou d'ébranler les vérités fondamentales. Il est fort étrange que des gens qui avoient tant d'esprit, en ayent abusé à ce point ; car comment peut-on mettre sérieusement en question s'il y a des corps ? Les sensations que nous en éprouvons, ont autant de force que si ces corps existoient réellement : donc les corps existent ; car eorumdem effectuum eaedem sunt causae. Mais nous ne concevons pas, dit-on, l'essence des corps, ni comment ils peuvent être la cause de nos sensations. Et concevez-vous mieux l'essence de votre ame, la création, l'éternité, l'accord de la liberté de l'homme & de la science de Dieu, de sa justice & du peché originel, & mille autres vérités dont il ne vous est pourtant pas permis de douter, parce qu'elles sont appuyées sur des argumens incontestables ? Taisez-vous donc, & ne cherchez pas à diminuer par des sophismes subtils, le nombre de vos connoissances les plus claires & les plus certaines, comme si vous en aviez déjà trop.

Nous avons exposé, quoique fort en abrégé, dans le discours préliminaire de l'Encyclopédie, p. ij. comment nos sensations nous prouvent qu'il y a des corps. Ces preuves sont principalement fondées sur l'accord de ces sensations, sur leur nombre, sur les effets involontaires qu'elles produisent en nous ; comparés avec nos réflexions volontaires sur ces mêmes sensations. Mais comment notre ame s'élance-t-elle ; pour ainsi dire, hors d'elle-même, pour arriver aux corps ? Comment expliquer ce passage ? Hoc opus, hic labor est.

Nous avancerons donc dans cet article comme un principe inébranlable, malgré les jeux d'esprit des philosophes, que nos sens nous apprennent qu'il y a des corps hors de nous. Dès que ces corps se présentent à nos sens, dit M. Musschenbroeck, notre ame en reçoit ou s'en forme des idées, qui représentent ce qu'il y a en eux. Tout ce qui se rencontre dans un corps, ce qui est capable d'affecter d'une certaine maniere quelqu'un de nos sens, de sorte que nous puissions nous en former une idée, nous le nommons propriété de ce corps. Lorsque nous rassemblons tout ce que nous avons ainsi remarqué dans les corps, nous trouvons qu'il y a certaines propriétés qui sont communes à tous les corps ; & qu'il y en a d'autres encore qui sont particulieres, & qui ne conviennent qu'à tels ou tels corps. Nous donnons aux premieres le nom de propriétés communes ; & quant à celles de la seconde sorte, nous les appellons simplement propriétés.

Parmi les propriétés communes il y en a quelques-unes qui se rencontrent en tout tems dans tous les corps naturels, & qui sont toûjours les mêmes ; il y en a d'autres encore qui, quoiqu'elles soient toûjours dans les corps, ont pourtant des degrés d'augmentation ou de diminution. Celles de la premiere classe sont l'étendue, l'impénétrabilité, la force d'inertie, la mobilité, la possibilité d'être en repos, la figurabilité, &c. Celles de la seconde classe sont la gravité ou pesanteur, & la force d'attraction.

Il ne s'est trouvé jusqu'à présent, selon M. Musschenbroeck, aucun corps, soit grand ou petit, solide ou liquide ; qui ne renfermât en lui-même ces propriétés. Il n'a même jamais été possible d'ôter ou de faire disparoître par quelqu'art que ce soit, aucune de ces propriétés, que nous appellons pour cette raison propriétés communes. Plusieurs physiciens excluent pourtant la derniere. Voyez ATTRACTION.

Les autres propriétés des corps sont la transparence, l'opacité, la fluidité, la solidité, la colorabilité, la chaleur, la froideur, la saveur, l'insipidité, l'odeur, le son, la dureté, l'élasticité, la mollesse, l'âpreté, la douceur, &c. Ces propriétés ne se remarquent que dans certains corps, & on ne les trouve pas dans d'autres, de sorte qu'elles ne sont pas communes.

Il y a encore une autre sorte de propriétés qui tiennent le milieu entre les premieres & les dernieres. Ces propriétés sont aussi communes, mais seulement à certains égards. Expliquons cela par un exemple. Tous les corps qui sont en mouvement, ont la force de mettre aussi en mouvement les autres corps qu'ils rencontrent ; cette proprieté doit être mise par conséquent au rang de celles qui sont communes. Cependant comme tous les corps ne sont pas en mouvement en tout tems, il s'ensuit que cette propriété commune ne devra avoir lieu, & ne pourra être regardée comme telle, que dans les cas où l'on suppose les corps en mouvement ; mais les corps ne sont pas toûjours en mouvement, & par conséquent cette propriété ne peut passer pour commune, puisqu'elle n'est pas toûjours dans tous les corps.

Rien n'est plus propre que les observations, pour nous faire conclure que nous ne connoissons pas en effet la nature des corps ; car si nous la connoissions, ne pourrions-nous pas prédire par avance un grand nombres d'effets que les corps qui agissent l'un sur l'autre devroient produire ? C'est ainsi que les Mathématiciens déduisent plusieurs choses de la nature du cercle. Mais nous ne connoissons d'avance aucun effet, il faut que nous en venions aux expériences pour faire nos découvertes. Dans tous les cas où les observations nous manquent, nous ne pouvons pas commencer à raisonner sur ce que nous ne connoissons pas encore des corps ; & si nous le faisons, nous nous exposons à tirer des conséquences fort incertaines. Nieuwentit a commencé à démontrer cette vérité dans ses Fondemens de la certitude, & nous pourrions aussi confirmer la même chose par cent exemples. Ces philosophes qui croyent connoître la nature des corps, ont-ils jamais pû prédire par la seule réflexion qu'ils ont faite sur les corps, un seul des effets qu'ils produisent en agissant l'un sur l'autre ? En effet, quand même on leur accorderoit que la nature des corps consiste dans l'étendue, ils n'en seroient pas pour cela plus avancés, parce que nous ne pouvons rien déduire de-là, & que nous ne pouvons rien prévoir de ce qui arrive dans les corps, puisqu'il faut que nous fassions toutes nos recherches en recourant aux expériences, comme si nous ne connoissions point du tout la nature des corps. Mussch. Essais de Physiq. l. I. ch. 1. Voyez ETENDUE & IMPENETRABILITE. Par rapport à la couleur des corps, voyez l'article COULEUR. (O)

CORPS, en Géométrie, signifie la même chose que solide. Voyez SOLIDE. Nous avons expliqué dans le Discours préliminaire de cet Ouvrage, comment on se forme l'idée des corps géométriques. Ils different des corps physiques, en ce que ceux-ci sont impénétrables ; au lieu que les corps géométriques ne sont autre chose qu'une portion d'étendue figurée, c'est-à-dire une portion de l'espace terminée en tout sens par des bornes intellectuelles. C'est proprement le phantôme de la matiere, comme nous l'avons dit dans ce discours ; & on pourroit définir l'étendue géométrique, l'étendue intelligible & pénétrable. Voyez ETENDUE.

Les corps réguliers sont ceux qui ont tous leurs côtés, leurs angles & leurs plans égaux & semblables, & par conséquent leurs faces régulieres.

Il n'y a que cinq corps réguliers, le tétrahedre composé de quatre triangles équilatéraux ; l'octaedre de huit ; l'icosaedre de vingt ; le dodécaedre de douze pentagones réguliers ; & le cube de six quarrés. Quand on dit ici composé, cela s'entend de la surface ; les figures que nous venons de dire, renferment ou contiennent la solidité, & composent la surface de ces corps. Voyez REGULIER, IRREGULIER, &c. (O)

CORPS, (Physiq.) Corps élastiques, sont ceux qui ayant changé de figure parce qu'un autre corps les a frappés, ont la faculté de reprendre leur premiere figure ; ce que ne font point les corps qui ne sont point élastiques.

De quelque façon qu'on ploie un morceau d'acier, il reprendra sa premiere figure : mais un morceau de plomb reste dans l'état où on le met. Voyez ELASTICITE.

Corps mous, sont ceux qui changent de figure par le choc, & ne la reprennent point. Voy. MOLLESSE.

Corps durs, sont ceux que le choc ne sauroit faire changer de figure. Voyez DURETE.

Corps fluide ; est celui dont les parties sont détachées les unes des autres, quoique contiguës, & peuvent facilement se mouvoir entre elles. Voyez FLUIDE. (O)

CORPS, (Med.) dans les animaux, c'est l'opposé de l'ame, c'est-à-dire cette partie de l'animal qui est composée d'os, de muscles, de canaux, de liqueurs, de nerfs. Voyez AME.

Dans ce sens, les corps sont le sujet de l'anatomie comparée. Voyez ANATOMIE.

CORPS, dans l'Oeconomie animale, partie de notre être étendue suivant trois dimensions, d'une certaine figure déterminée propre au mouvement & au repos. Boerhaave.

Quelques Medecins modernes Allemands ont admis pour troisieme partie un certain genre d'archée ; mais je ne sais ce qu'ils veulent dire, & je pense qu'ils ne se sont pas entendus eux-mêmes. Voyez ARCHEE.

Le corps humain est composé de solides & de fluides. Voyez SOLIDE & FLUIDE.

Il y a quelques variétés dans les corps des hommes ; c'est ce que prouvent les divers effets des remedes, sur-tout en différens pays : c'est de-là que vingt grains, par exemple, de jalap dans un lieu, lâchent à peine le ventre, & dix suffisent dans un autre où l'on transpire moins. Il n'en faut pas conclure de-là qu'il y ait une diversité sensible, dans la nature même des parties qui le composent, & qu'ainsi on ne puisse compter sur aucune pratique générale. L'homme qui mange des alimens de toute espece, & le boeuf qui ne vit que d'herbe, ont à-peu-près le même sang : l'analyse chimique ne montre aucune différence que les sens puissent appercevoir, si ce n'est une odeur de poisson dans les brebis qui vivent de poisson au détroit de Perse ; & dans les hommes qui vivent de même. Aussi Tabor dit il que le sang de l'homme & du boeuf ont le même poids & les mêmes propriétés. Ceci s'accorde avec le mémoire que M. Homberg donna à l'académie des Sciences, an. 1722 ; & avec Baglivi qui avant ce célebre chimiste, avoit observé très-peu de différence dans la bile de l'homme & du mouton. Or toute cette analogie n'a rien qui doive surprendre les Physiciens, puisque les sucs des animaux ne different des végétaux que d'un seul degré, & que les nôtres ne sont pas différens de ceux des animaux. N'est-ce pas encore de la même maniere que les plantes ont toutes un suc qui leur est propre, & tout-à-fait différent des sucs qui les ont nourries & qui les ont fait croître ? En effet les sucs de la terre qui forment l'aloès, la mélisse, & le cerfeuil, sont tous les mêmes ; cependant telle est la vertu séminale de chacune, que les uns deviennent amers, les autres doux & aromatiques. Dans cent mille végétaux, le même suc se change donc en autant de diverses liqueurs ; comme notre corps de cent mille sucs différens, fait un chyle doux qui lui est propre. Il y a donc dans le corps humain un principe, qui au moyen de deux choses d'une nature étrangere, le pain & l'eau, forme les parties solides & liquides de ce corps ; & si ce principe vient à manquer, jamais toutes les forces de l'univers réunies ensemble, ne pourroient faire les mêmes productions par les mêmes moyens. Boerhaave.

Comme il n'est rien de plus important pour les maladies que de bien connoître la situation des parties, & qu'on se sert très-souvent dans la description de ces parties des mots interne & externe, antérieur & postérieur, supérieur & inférieur, on doit pour éviter la confusion, concevoir le corps divisé par un plan que l'on suppose partager le corps en deux parties égales & symmétriques, de la tête aux piés ; un autre plan sur la tête, & perpendiculaire sur le premier ; un autre qui aille de la face vers les piés, & qui soit de même perpendiculaire au premier. Toutes les parties tournées vers le premier plan (le plan de division) sont dites internes, & on appelle externes toutes celles qui sont dans un sens opposé : de même on nomme supérieures toutes les parties qui regardent le plan sur la tête (horisontal) dans quelque attitude que le corps puisse être ; inférieures, celles qui sont opposées à ces premieres : enfin on appelle antérieures, les parties tournées vers le troisieme plan (vertical) ; & postérieures, &c. On doit outre cela supposer les bras pendans sur les côtes, le dedans de la main tourné vers le plan de division.

L'anatomie étant une espece de géographie dans laquelle la précision est nécessaire, on a divisé le corps comme la terre, en plusieurs régions ; mais comme je craindrois de fatiguer mon lecteur par un trop long détail, je le renvoye aux Pl. anatomiques, où il trouvera l'explication de ces différentes régions à côté de la figure.

On se sert aussi en Anatomie du mot corps, pour désigner quelques parties ; telles que les corps bordés, les corps olivaires, les corps cannelés, les corps caverneux, le corps pyramidal, le corps réticulaire, le corps pampiniforme, &c. Voyez PYRAMIDAL, RETICULAIRE, &c.

Le corps humain étant considéré par rapport aux différentes motions volontaires qu'il est capable de représenter, est un assemblage d'un nombre infini de leviers tirés par des cordes ; si on le considere par rapport aux mouvemens des fluides qu'il contient, c'est un autre assemblage d'une infinité de tubes & de machines hydrauliques ; enfin si on le considere par rapport à la génération de ces mêmes fluides, c'est un autre assemblage d'instrumens & de vaisseaux chimiques, comme philtres, alembics, récipients, serpentines : &c. & le tout est un composé que l'on peut seulement admirer, & dont la plus grande partie échappe même à notre admiration. Le principal laboratoire chimique du corps est celui du cerveau. Voyez OECONOMIE ANIMALE. (L)

CORPS, (Hist. nat. des Ins.) Il y a tant de diversités dans la figure extérieure du corps des insectes (car il ne s'agit pas ici de l'intérieure ni des détails), qu'il seroit impossible d'épuiser cette variété. Contentons-nous donc de remarquer que le corps des uns, comme celui des araignées, est de figure à peu-près sphérique ; & celui des autres, comme des scarabées de Sainte-Marie, ressemble à un globe coupé par le milieu : il y en a qui sont plats & ronds, comme le pou des chauve-souris ; d'autres ont la figure ovale ; un troisieme, comme le ver qu'on trouve dans les excrémens des chevaux, a celle d'un oeuf comprimé ; & un quatrieme, comme le mille-piés rond, ressemble au tuyau d'une plume : beaucoup ont le corps quarré, plat ; plusieurs sont courbés comme une faucille, & pourvûs d'une longue queue comme celle de la fausse guêpe. L'on ne remarque pas moins de diversité dans la couleur dont ils sont parés.

Quelques-uns de ceux qui n'ont point de piés, ont en divers endroits de petites pointes qui leur en tiennent lieu : ils s'en servent pour s'accrocher & se tenir fermes aux corps solides.

Le corps des insectes qui vivent dans l'eau, est naturellement couvert d'une espece d'huile qui empêche l'eau de s'y arrêter, & de retarder leur mouvement ; d'autres, comme l'araignée blanche de jardin, ont le corps entouré d'un rebord rouge qui en fait le cercle ; quelquefois ils ont de petits tubercules, qui non-seulement leur servent pour empêcher qu'en entrant & en sortant de leur trou le frottement ne les blesse, mais qui encore leur sont un ornement comme dans la chenille blanche à tache jaune, qui vit sur le saule. Ces tubercules ne sont pas tout-à-fait de la grandeur d'un grain de millet ; cependant on y apperçoit un mêlange des plus belles couleurs, & ils ressemblent à ces petites boules remplies d'eau & diversement colorées. Enfin l'on en voit qui, comme les chameaux, ont une bosse sur le dos : telles sont les araignées.

De la partie postérieure du corps des insectes. Les uns l'ont unie, & les autres revêtue de poils. Les araignées y ont des mamelons, dont elles tirent leurs fils ; quelques-uns ont le derriere couvert d'une espece d'écusson ; d'autres ont dans le même endroit une membrane roide qui leur sert de gouvernail, pour se tourner en volant du côté qu'il leur plaît : elle est à ces insectes ce que la queue est aux oiseaux. L'on en trouve qui ont des soies au derriere ; d'autres ont des especes de queues, qui sont ou droites, ou courbes, ou circonflexes. Il y en a encore qui ont des barbillons ou pointes, qui leur servent à différens usages, tantôt pour appercevoir ce qui les approche par derriere, tantôt pour s'accrocher, tantôt pour pousser leur corps en avant. La partie postérieure est encore le lieu de l'aiguillon de quelques insectes, ou de leur pincette faite en faucille. Enfin l'on trouve des insectes qui ont au derriere une fourche à deux dents.

Des parties de la génération des insectes. Les parties de la génération sont ordinairement placés au derriere dans les mâles ; l'on en voit cependant qui les portent pardevant sous le ventre, même d'autres à la tête. Ces parties sont ordinairement couvertes d'un poil extrèmement fin, à cause de leur délicatesse infinie. La queue des femelles leur sert de conduit, pour pondre leurs oeufs dans les corps où elles veulent les introduire : cette queue ou ce conduit est creux en-dedans, & se termine en pointe. Comme les oeufs ne descendent point par la pression de l'air, la nature y a formé plusieurs demi-anneaux vis-à-vis l'un de l'autre : qui facilitent cette descente. Les insectes les resserrent successivement, en commençant par celui qui est le plus près du ventre, & font tomber les oeufs d'un anneau à l'autre par une espece de mouvement péristaltique. La fente de ce canal est presque invisible pendant que les insectes sont en vie ; mais elle s'ouvre un peu davantage quand ils sont morts.

Toutes les femelles n'ont pas un pareil canal : celles qui déposent leurs oeufs sur la surface des corps, les font passer immédiatement par les parties génitales. Il n'y a que celles qui les déposent dans la chair, dans d'autres insectes, dans les feuilles ou dans la terre, qui ayent besoin d'un semblable tuyau, afin qu'elles puissent les introduire aussi profondément qu'il est nécessaire.

Ce tuyau ne sert pas toûjours de canal aux oeufs. L'on trouve certains insectes aquatiques, dont les mâles ont ce canal aussi-bien que les femelles ; ils s'en servent comme d'un soûpirail, par lequel ils respirent un air frais. On les voit souvent avancer sur la superficie de l'eau l'ouverture de ce canal ; & l'on remarque même que quand ils sont rentrés sous l'eau, il s'éleve de petites bulles d'air qu'ils en laissent échapper.

Pour ce qui concerne en particulier chaque partie du corps des insectes, voyez-les chacune dans leur ordre alphabétique. Article de M(D.J.)

CORPS ETRANGER, (Chirurgie) on entend par corps étrangers, toutes les choses qui n'entrent point actuellement dans la composition de notre corps. On les partage en deux classes : on met dans la premiere ceux qui se sont formés au-dedans de nous ; dans la seconde, ceux qui sont venus du dehors. Les uns & les autres peuvent être animés ou inanimés.

Ceux qui se sont formés chez nous, sont de deux especes. Les uns se sont formés d'eux-mêmes : telles sont la pierre dans les reins, ou dans les ureteres, ou dans la vessie, ou dans la vésicule du fiel, ou dans tout autre endroit du corps ; la mole dans la matrice, les vers, & d'autres insectes dans les intestins, ou dans quelque autre partie du corps. Les autres sont devenus corps étrangers, parce qu'ils ont séjourné trop long-tems dans le corps : tel est un enfant mort dans la matrice ; ou parce qu'ils se sont séparés du tout : telles sont les esquilles d'os, une escare, &c.

Les corps étrangers venus de dehors, sont entrés dans le corps en faisant une division, ou sans faire de division. Ceux qui entrent en faisant une division, sont tous les corps portés avec violence : tels qu'un dard, une balle de fusil, un éclat de bombe, de la bourre, &c. Ceux qui entrent sans faire de division sont de toutes especes, & s'introduisent dans les ouvertures naturelles, dans les yeux, dans le nez, dans le gosier, dans les oreilles, dans l'anus, dans l'urethre, & dans la vessie.

On doit mettre parmi les corps étrangers l'air qui peut causer, en s'insinuant dans l'interstice des parties, des tumeurs qui prennent des noms differens, selon les parties où elles se trouvent. La tumeur faite d'air qui se trouve au ventre, s'appelle hydropisie tympanite ; celle qui se trouve aux bourses, se nomme pneumatocele ; celle qui se trouve à l'ombilic, s'appelle pneumatomphale. Si l'air s'est insinué dans tout le tissu cellulaire de la peau, le gonflement universel qui en résulte s'appelle emphyseme universel ; si l'air ne s'est insinué que dans une certaine étendue, on appelle la tumeur qu'il produit, emphyseme particulier. Le détail de toutes ces maladies appartient à une pathologie particuliere. Voyez-en les articles.

Tous les corps étrangers doivent être tirés, dès qu'il est possible de le faire, de peur que ceux qui sont engendrés dans le corps, tels, par exemple, que les pierres contenues dans la vessie, n'augmentent en volume, ou que ceux qui sont venus en-dehors, n'occasionnent par leur pression des accidens qui empêchent leur extraction, ou qui la rendent difficile. Mais il y a différentes manieres d'extraire les corps étrangers ; on ne peut tirer les uns que par une ouverture qu'on est obligé de faire ; on peut tirer les autres sans faire aucune division.

Si on tire un corps par l'endroit par lequel il est entré, cette maniere s'appelle attraction ; si au contraire on le fait sortir par une ouverture opposée à celle où il est entré, cette maniere s'appelle impulsion.

La diversité des corps étrangers qui peuvent entrer, les différens endroits où ils se placent, les moyens singuliers qu'il faut quelquefois inventer pour en faire l'extraction, enfin les accidens que ces corps étrangers occasionnent, demandent quelquefois de la part des Chirurgiens, beaucoup de génie & d'adresse.

Avant que de faire l'extraction d'un corps de quelque espece que ce soit, on doit se rappeller la structure de la partie où il est placé ; s'informer & s'assurer, s'il est possible, de la grosseur, de la grandeur, de la figure, de la matiere, de la quantité, de la situation du corps étranger, & de la force avec laquelle il a été poussé dans le corps, s'il est venu de dehors : il faut outre cela mettre le malade & la partie dans une situation commode, & telle que les muscles soient dans un état de relâchement, & faire choix des instrumens les plus convenables pour en faire l'extraction.

Les corps étrangers entrés & engagés dans quelque ouverture naturelle, doivent être tirés promtement. On doit auparavant faire des injections d'huile d'amande douce, pour lubrifier le passage & faciliter par ce moyen la sortie du corps. Quant aux corps étrangers qu'on ne peut tirer sans faire de division, ou sans aggrandir l'ouverture déjà faite par le corps, il faut, en faisant cette division, éviter les gros vaisseaux, les tendons, & les nerfs ; la faire suivant la rectitude des fibres, des muscles, & proportionnée au volume du corps étranger, & même plus grande que petite, sur-tout si la partie qu'on ouvre est membraneuse & aponévrotique, pour éviter les accidens qui accompagnent presque toûjours les petites divisions.

Les instrumens dont on se sert pour faire l'extraction des corps étrangers, sont des curetes pour tirer ceux qui sont engagés dans l'oreille, ou dans l'urethre ; les différentes especes de repoussoir & de pincettes pour tirer ceux qui sont engagés dans le gosier ; les tenettes, les pinces, les tire-balles de différentes especes, grandeur & figure, pour tirer les pierres, les balles, & les corps étrangers semblables. On employe encore plusieurs autres instrumens, suivant les circonstances qui s'y rencontrent : mais on préfere toûjours la main à tout instrument, lorsque le corps étranger est situé de façon qu'on peut le saisir avec les doigts.

On jugera par ce précis court, net, & méthodique, que j'ai tiré de M. de la Faye, combien cette partie de l'art est étendue, combien le chirurgien doit posséder de talens, de connoissances, & d'instrumens différens, pour ce genre particulier d'opérations. Mais il y a plus : quelques lumieres que le chirurgien ait acquises par ses études, quelques instructions qu'il ait prises dans les écoles, dans les hôpitaux, & dans les armées, quelques sommes qu'il ait pû employer pour se fournir d'un arsenal complet d'instrumens, il faut qu'il compte souvent davantage sur son génie, que sur toutes autres ressources ; parce qu'il se présente plusieurs cas extraordinaires & imprevûs, dans lesquels il ne peut être guidé que par son bon sens & son invention. Il faut alors qu'il sache tirer de son industrie seule, les moyens de procurer l'extraction des corps étrangers, arrêtés où enclavés dans une partie. Pour prouver ce que j'avance, je vais transcrire à ce sujet une observation fort curieuse, rapportée dans Dionis, & qui servira d'exemple.

" Un homme âgé de 27 ans, ayant reçu un violent coup de couteau sur la partie antérieure de la quatrieme des vraies côtes, fut pansé très-simplement pendant les trois premiers jours ; mais une toux extraordinaire & un crachement abondant de sang étant survenus, on eut recours à M. Gerard. Il reconnut que les accidens dépendoient de la présence d'une portion de la lame du couteau qui traversoit la côte, & dont la pointe excédoit d'environ six lignes dans la cavité de la poitrine. Ce corps étranger débordoit si peu l'extérieur de la côte, & y étoit tellement fixé, qu'il ne fut pas possible de le tirer avec différentes pincettes ou tenailles, ni même de l'ébranler au moyen des ciseaux & du marteau de plomb ; & quoique dans un cas aussi pressant il semble qu'on n'eût d'autre parti à prendre, que de scier ou de couper la côte, M. Gerard crut, avant d'en venir à cette extrémité, devoir tenter de dégager ce corps étranger, en le poussant de dedans en-dehors.

Dans ce dessein il alla choisir un dé dont les tailleurs se servent pour coudre ; il en prit par préférence un de fer, un peu épais, & fermé par le bout ; il y fit creuser une petite gouttiere pour y mieux fixer la pointe du couteau ; & ayant suffisamment assujetti ce dé sur son doigt index, il porta ce doigt ainsi armé dans la cavité de la poitrine, & réussit par ce moyen à chasser le morceau de couteau, en le poussant avec force de dedans en-dehors.

Ayant tiré le corps étranger, il quitta le dé & remit le doigt index à nud dans la poitrine, pour examiner si le couteau en traversant la côte, ne l'auroit point fait éclater en-dedans ; il trouva un éclat capable de piquer, & qui tenoit trop fortement au corps de la côte pour qu'on pût l'en séparer entierement : il prit donc le parti de l'en rapprocher, & pour le tenir au niveau de la côte, il se servit du doigt qui étoit dans la poitrine pour conduire une aiguille courbe enfilée d'un fil ciré. Il fit sortir cette aiguille au-dessus de la côte, qui par ce moyen se trouva embrassée par le fil en-dehors de la poitrine sur une compresse épaisse d'un pouce, & serra assez le noeud pour appliquer exactement & remettre au niveau l'esquille saillante.

On sent aisément que l'effet d'une manoeuvre aussi ingénieuse a dû être non-seulement la cessation des accidens, mais encore une promte guérison. "

Je n'ai pas parlé des médicamens attractifs pour tirer des plaies les corps étrangers, parce qu'il n'y a point de tels remedes. Je sai bien qu'il se trouve des auteurs qui en distinguent de deux sortes, dont les uns, disent-ils, agissent par une qualité manifeste, comme la poix, la résine, le galbanum, & plusieurs autres gommes ; mais ce ne sont-là que des maturatifs, & les autres, ajoûtent-ils, attirent par des qualités occultes, comme l'ambre jaune, l'aimant, &c. mais un très-bon chirurgien n'y donne aucune confiance ; il ne connoît de moyens de tirer les corps étrangers, que ses doigts, ses instrumens, & son génie pour en forger au besoin. Article de M(D.J.)

CORPS, se dit aussi en matiere de Littérat. de plusieurs ouvrages de la même nature rassemblés & reliés ensemble.

Gratien a fait une collection des canons de l'Eglise, que l'on appelle corpus canonum. V. CANON. Le corps du droit civil est composé du digeste, du code, & des institutes. Voyez DROIT CIVIL. Voyez aussi CODE & DIGESTE. Voyez aussi plus bas CORPS (Jurisprudence) Nous avons aussi un corps des poëtes grecs & un autre des poëtes latins. (G)

* CORPS DE J. C. (religieux du) Hist. ecclésiast. ordre institué vers le commencement du xjv. siecle. Le fondateur n'en étant pas connu, on a supposé qu'après l'institution de la fête du saint Sacrement par Urbain IV. quelques personnes dévotes s'étoient associées pour adorer particulierement la présence de J. C. au sacrement de l'autel, & réciter l'office composé par saint Thomas d'Aquin ; & que c'est de là que sont venus les religieux du corps de J. C. ou les religieux blancs du saint Sacrement, ou les freres de l'office du saint Sacrement ; & qu'on les assujettit à la regle de saint Benoît. Après avoir erré en plusieurs endroits, Boniface IX. les unit en 1393 à l'ordre de Cîteaux. Ils en furent ensuite séparés par différens évenemens ; & ils subsisterent indépendans jusques sous Grégoire XIII. qui unit leur congrégation à celle du mont Olivet.

CORPS, (Jurisp.) est l'assemblage de plusieurs membres ou parties qui forment ensemble un tout complet. Ce terme s'applique à différens objets qui vont être expliqués dans les subdivisions suivantes. (A)

CORPS & COMMUNAUTES. Ce terme comprend tous les corps politiques en général, c'est-à-dire toutes les personnes auxquelles il est permis de s'assembler & de former un corps ; car on ne peut faire aucunes assemblées sans permission du prince ; & ceux même auxquels il permet de s'assembler ne forment pas tous un corps ou communauté. Par exemple, les ordres de chevalerie ne sont pas des corps politiques, mais seulement un ordre, c'est-à-dire un rang & titre commun à plusieurs particuliers ; les avocats forment de même un ordre, sans être un corps politique.

Pour former un corps ou communauté, il faut que ceux qui doivent le composer ayent obtenu pour cet effet des lettres patentes dûment enregistrées, qui les établissent nommément en corps & communautés, sans quoi ils ne seroient toûjours considérés que comme particuliers. Il ne leur seroit pas permis de prendre un nom collectif, ni d'agir sous ce nom ; & l'on pourroit leur ordonner de se séparer : ce qui est fondé sur deux motifs légitimes ; l'un d'empêcher qu'il ne se forme des associations qui puissent être préjudiciables au bien de l'état ; l'autre, d'empêcher que les biens qui sont dans le commerce des particuliers ne cessent d'y être, comme il arrive lorsqu'ils appartiennent à des corps & communautés. V. au mot COMMUNAUTE. (A)

CORPS DE DROIT, est la collection des differentes parties du Droit ; il y a deux sortes de corps de Droit, savoir le canonique & le civil. (A)

CORPS DE DROIT CANONIQUE, est la collection des différentes parties qui composent le droit canonique Romain : savoir le decret de Gratien, les decrétales de Grégoire IX. le sexte, les clémentines, les extravagantes communes, les extravagantes de Jean XXII. (A)

CORPS DES CANONS, est la collection ou code des canons des apôtres & des conciles. Voyez CANON & CONCILE. (A)

CORPS DE DROIT CIVIL ROMAIN ou DE DROIT CIVIL simplement, est la collection des différens livres de Droit composés par ordre de l'empereur Justinien, qui sont le code, le digeste, les institutes, les novelles, treize édits du même empereur, on y comprend aussi les novelles de Justin, quelques constitutions de Tibere, quelques-unes de Justinien & de Justin, les novelles de Léon, & celles de plusieurs autres empereurs ; les livres des fiefs, les constitutions de l'empereur Fréderic II. les extravagantes d'Henri VII. le livre de la paix de Constance. Dans quelques éditions du corps de Droit, on a encore compris les fragmens de la loi des douze tables, qui est en effet la source de tout le droit Romain, quelques fragmens d'Ulpen, les institutions de Caius. (A)

CORPS, (contrainte par) voyez ci-devant CONTRAINTE. (A)

CORPS DE COUR, c'est le corps d'une compagnie de justice, soit souveraine ou autre. Le terme de cour étant pris en cet endroit pour compagnie de justice en général, celui de corps est opposé à députation. Les compagnies vont aux cérémonies en corps de cour ou par députation. Elles sont en corps de cour, lorsque toute la compagnie y est censée présente, quoiqu'elle n'y soit pas toûjours complete . Elles vont par députation, lorsque la compagnie commet seulement quelques-uns de ses membres pour la représenter. Une compagnie qui va en corps de cour, marche avec plus de pompe & de cérémonie ; & on lui rend de plus grands honneurs qu'à de simples députés. (A)

CORPS DE DELIT, est l'existence d'un délit qui se manifeste de maniere qu'on ne peut douter qu'il ait été commis, & qu'il ne soit plus question que d'en découvrir l'auteur, & ensuite de le convaincre. Par exemple, on trouve le cadavre d'un homme assassiné, ou des portes enfoncées la nuit, voilà un corps de délit.

Il n'en faut pas davantage au juge du lieu pour informer de ce délit & en poursuivre la vengeance, quand il n'y auroit ni dénonciateur ni partie civile, parce qu'il importe pour le bien public que les crimes ne demeurent point impunis.

Quand il n'y a point de corps de délit bien constaté, on doit être fort circonspect à ne pas se déterminer trop légerement par des présomptions, même pour ordonner la question, parce qu'il peut arriver que l'on impute à quelqu'un un délit qui ne soit point réel. On a vû plusieurs fois des gens accusés, & même condamnés pour prétendu assassinat de gens qui ont ensuite reparu. (A)

CORPS, (femmes de) sont des femmes de condition servile. Voyez SERFS & MORTAILLABLES. (A)

CORPS DU FIEF, c'est le domaine du fief, tant utile que direct ; il est opposé aux droits incorporels du fief. On appelle aussi corps du fief, ce qui en fait la principale portion relativement à celles qui en ont été démembrées, ou dont le seigneur s'est joüé. Voyez FIEF, DEMEMBREMENT, JEU DE FIEF. (A)

CORPS, (gens de) c'est un des noms que l'on donne en quelques endroits aux serfs de main-morte. (A)

CORPS HEREDITAIRES, signifient des biens de la succession tels qu'ils sont en nature. La légitime doit être fournie en corps héréditaires, c'est-à-dire que le légitimaire doit avoir sa part des meubles & immeubles en nature, & qu'on ne peut, au lieu de meubles & immeubles, lui donner de l'argent. (A)

CORPS D'HERITAGES, se dit dans le même sens que corps héréditaires. (A)

CORPS, (hommes de) sont des serfs. Voyez SERFS & MORTAILLABLES. (A)

CORPS D'HOTEL, signifie une maison entiere. Plusieurs coûtumes disent que l'aîné pour son préciput a droit de prendre un corps d'hôtel. (A)

CORPS DES MARCHANDS, voyez MARCHANDS & CORPS (Commerce). (A)

CORPS DES METIERS, voyez METIERS. (A)

CORPS DE PREUVE ; c'est l'assemblage de plusieurs sortes de preuves, qui toutes ensemble forment une preuve complete . Voyez PREUVE. (A)

CORPS, (six) voyez CORPS DES MARCHANDS, CORPS (Commerce) (A)

CORPS DE VILLE, est une compagnie composée des officiers municipaux, tels que sont à Paris, & dans quelques autres villes, les prevôt des marchands & échevins, & autres officiers, ailleurs, les maire & échevins ; à Toulouse, les capitouls ; à Bordeaux, & dans quelques autres villes, les jurats ; & ailleurs, les consuls, les bailes, syndics, &c. (A)

CORPS, en Architecture, est toute partie qui par sa saillie excede le nud du mur, prend naissance dès le pié du corps-de-logis. On appelle le corps principal avant-corps du bâtiment, qui dans son extérieur est capable de contenir toutes les pieces nécessaires pour l'habitation du maître qui l'a fait bâtir, aussi bien que pour ses domestiques ; alors on l'appelle principal corps-de-logis. On dit corps-de-logis particulier, de celui qui ne contient qu'un petit appartement destiné pour les personnes de dehors, ou bien pour placer des caisses, des écuries, des remises ; & on appelle ces différens corps-de-logis suivant leur situation ; corps-de-logis de devant, lorsqu'il est sur la rue ; de derriere, lorsqu'il donne sur une cour ou sur un jardin ; corps-de-logis en aile, lorsqu'il est placé à la gauche ou à la droite d'une grande cour, & qu'il communique à ceux de devant & de derriere. (P)

CORPS-DE-GARDE, (Archit.) est devant un grand palais un logement au rez-de-chaussée pour les soldats destinés à la garde du prince. Ce lieu doit être voûté de peur du feu, & avoir une grande cheminée & des couchettes pour les paillasses, comme ceux du château de Versailles. (P)

CORPS DE BATAILLE, (Art milit.) c'est, lorsqu'une armée est divisée en trois lignes, la ligne du milieu, ou celle qui est entre l'avant-garde, & l'arriere-garde. (Q)

CORPS-DE-GARDE, (Art milit.) est dans l'Art militaire un petit détachement de soldats pour faire une garde particuliere. On en tire des sentinelles pour les poser dans les lieux où il en est besoin.

On appelle aussi corps-de-garde, dans les places de guerre, de petits bâtimens pratiqués dans les places & dans les dehors, pour mettre les soldats & les officiers de garde à l'abri du mauvais tems. (Q)

CORPS-DE-GARDE, (Art milit.) est un poste quelquefois couvert, quelquefois découvert, destiné pour mettre des gens de guerre qui sont de tems en tems relevés par d'autres, pour veiller tour-à-tour à la conservation d'un poste considérable. Voyez GARDE.

Le nom de corps-de-garde ne signifie pas seulement le poste, mais encore les troupes qui l'occupent. Chambers.

On pose ordinairement un grand & un petit corps-de-garde à une distance considérable des lignes, pour être plus promptement averti de l'approche de l'ennemi. Voyez GARDES ORDINAIRES. (Q)

CORPS D'UNE PLACE, dans l'Art militaire, est proprement ce qui en forme immédiatement l'enceinte. Ainsi les bastions & les courtines forment le corps de nos places fortifiées à la moderne. (Q)

CORPS DE BATAILLE, (Marine) on donne ce nom à l'escadre qui est placée au milieu de la ligne. Dans un combat naval, c'est ordinairement l'escadre ou la division du commandant qui se place au milieu, & qui fait le corps de bataille. (Z)

CORPS-DE-GARDE dans un vaisseau, (Marine) c'est ordinairement la partie qui se trouve sous le gaillard de l'arriere, qu'on appelle demi-pont. Voyez Marine, Pl. I. lett. K. (Z)

CORPS-MORT, (Marine) c'est une grosse piece de bois qu'on enfonce fortement dans la terre, & un peu inclinée, à laquelle tient une chaîne de fer qui sert à amarrer les vaisseaux. (Z)

CORPS, (Marine) on dit le corps du vaisseau ; c'est le corps du bâtiment sans ses agrés & apparaux, comme voiles, cordages, &c. (Z)

CORPS, dans le Commerce, se dit de plusieurs marchands ou négocians dans un même genre, qui forment une compagnie réglée par les mêmes statuts, & soûmise aux mêmes chefs ou officiers.

Il y a à Paris six corps de marchands, qui sont regardés comme les principaux canaux & instrumens du commerce de cette grande ville.

Le premier est celui de la Draperie. Voyez DRAPERIE.

Le second, celui de l'Epicerie. Voyez EPICERIE.

Le troisieme, celui de la Mercerie. Voyez MERCERIE.

Le quatrieme, celui de la Pelleterie. Voyez PELLETERIE.

Le cinquieme, celui de la Bonnetterie. Voyez BONNETTERIE.

Le sixieme est le corps de l'Orfévrerie. Voyez ORFEVRERIE.

Chacun de ces corps a ses maîtres & gardes en charge, qui en sont comme les chefs ou officiers.

Les assemblées particulieres de chaque corps se font dans le Bureau de ce corps ou maison commune qu'a chacun d'eux pour traiter de sa police & de ses affaires particulieres. Mais les assemblées générales se font ordinairement dans le bureau des Drapiers, qui seuls sont en droit de les convoquer, à cause du premier rang qu'ils y tiennent ; & c'est toûjours le premier grand-garde de la Draperie qui préside.

Ce sont les maîtres & gardes des six corps des marchands qui ont l'honneur de porter le dais sur les Rois, les Reines, & autres princes, princesses, & seigneurs qui font leur entrée publique à Paris, chaque corps alternativement, depuis le throne dressé hors des barrieres de la porte Saint-Antoine, jusque dans le Louvre.

Les six corps de marchands de Paris ont une devise, qui a pour corps un homme assis tenant en ses mains un faisceau de baguettes qu'il s'efforce de rompre sur le genou, & pour ame ces mots : Vincit concordia fratrum Voyez le Dict. de Commerce. (G)

CORPS, se dit aussi des communautés des arts & métiers, c'est-à-dire de toutes les sortes d'artisans & d'ouvriers qui ont été réunis en divers corps de jurande. On dit plus ordinairement communauté. Voyez COMMUNAUTE. Ibid. (G)

CORPS DE JURANDE ; ce sont les communautés d'artisans à qui, par des lettres patentes des rois, il a été accordé des jurés, le droit de faire des apprentis, la maîtrise, & des statuts de police & de discipline. Voyez JURES & JURANDE Ibid. (G)

CORPS DE POMPE, voyez POMPE.

CORPS D'ENTREE, (Danse) ce sont les choeurs de danse qui figurent dans un ballet, & qu'on nomme aussi figurans. Le corps d'entrée est ordinairement composé de huit danseurs & danseuses ; quelquefois ils sont jusqu'à seize. Voyez ENTREE, FIGURANT, ADRILLEILLE. (B)

CORPS, en Venerie, se dit quand il s'agit de la tête d'un cerf, d'un dain, & d'un chevreuil, & des perches & du merrein où sont attachés les andouillers ; & quand il s'agit du pié, il se dit des deux côtés du pié d'une bête fauve, & des pinces qui forment le bout du pié.

CORPS LIGNEUX, (Hist. nat. botan.) ce qui est renfermé dans la tige couverte de l'écorce dont il tire son origine, aussi-bien que de la graine ; son tissu est plus serré, & forme un cercle plein de pores, plus ouverts que ceux de l'écorce. (K)

CORPS, dans les Arts méchaniques, se dit ordinairement de quelque partie principale d'un ouvrage, d'une machine : en voici quelques exemples.

CORPS DE SEAU, en terme de Boisselerie ; c'est une planche de hêtre fendue très-mince, haute d'environ un pié, dont on fait le milieu ou corps du seau.

CORPS DE CARROSSE ; c'est ainsi que les Selliers appellent le carosse, avant qu'il soit posé sur ses roues & sur son train.

CORPS, dans l'Ecriture ; est relatif à la hauteur & à la force du caractere : ainsi une écriture qui peche par le corps, est ou trop maigre ou trop courte, &c. Le corps a la hauteur de huit becs de plume & cinq & demi de large pour le titulaire ; quatre & demi pour la hauteur de la ronde, & quatre environ de large ; pour la coulée, sept & demi de hauteur & cinq de large.

Les majeurs ou mineurs qui excedent les autres lettres, se partagent en trois parties ; le corps intérieur ou médial de la figure, le corps supérieur qui excede au-dessus du caractere, & l'inférieur qui excede en-dessous.

* CORPS, (Fonderie en caracteres d'Imprimerie) Les caracteres d'imprimerie ont une épaisseur juste & déterminée, relative à chaque caractere en particulier, & sur lesquels ils doivent être fondus : c'est cette épaisseur qui s'appelle corps, qui fait la distance des lignes dans un livre ; & on peut dire qu'il y a autant de corps dans une page, qu'il y a de lignes : c'est ce corps qui donne le nom au caractere, & non l'oeil de la lettre. Cependant pour ne rien confondre, lorsque l'on fond, par exemple, un cicéro sur le corps de saint-augustin, pour donner plus de blanc entre les lignes de ce cicero, pour les ouvrages de poésie ou autres, on dit pour lors oeil de cicéro sur le corps de saint-augustin. Voyez CARACTERES.

On dit corps foible & corps fort, par un abus qui vient de l'ignorance des premiers tems de l'imprimerie, qui n'a été remarqué qu'en 1742 par le sieur Fournier le jeune, graveur & fondeur de caracteres à Paris. Il a donné un plan qui assigne au corps des caracteres une épaisseur fixe & déterminée, & une correspondance générale entr'eux. N'y ayant point de regle sûre pour exécuter les caracteres avant que le sieur Fournier en ait donné, il est arrivé que chaque imprimeur a fait faire ces caracteres suivant les modeles qu'il a trouvé chez lui, ou qu'il a voulu choisir : ainsi, il commande, par exemple, un caractere de cicéro, sans connoître la mesure déterminée & exacte que devroit avoir ce corps ; un autre a le même caractere, dont le corps est un peu plus fort ; un troisieme en a un plus foible, & ainsi des autres. D'un même caractere ainsi différent de corps, on appelle le plus épais corps fort, & les autres corps foible. Ces corps ainsi confondus, n'ont ni mesure, ni justesse, ni correspondance ; ce qui jette une grande confusion dans l'imprimerie, & elle subsistera tant qu'on n'exécutera point les proportions données par ledit sieur Fournier. V. l'art. CARACTERE.

CORPS, en termes de Fondeur de cloches, est la troisieme partie de la plus grande épaisseur du bord de la cloche, ou la quarante-cinquieme du diametre. Voyez l'article FONTE DES CLOCHES.

CORPS, (Joüaillerie) il se dit de l'anneau d'une bague. Lorsqu'une bague a une tête, l'anneau qui la supporte s'appelle le corps de bague.

CORPS, (Maréchall.) on appelle ainsi les côtes & le ventre du cheval. Avoir ou n'avoir point de corps. Voyez l'article suivant. (V)

CORPS, (avoir du) Maréchall. se dit d'un cheval qui a le flanc rempli, & les côtes évasées & arrondies. N'avoir point de corps, se dit d'un cheval qui a les côtes plates, & dont le ventre va en diminuant vers les cuisses, comme celui d'un levrier. Les chevaux d'ardeur sont sujets à cette conformation. Avoir de la noblesse, se dit principalement d'un cheval qui a le cou long & relevé, & la tête haute & bien placée. Avoir du ventre, se dit en mauvaise part d'un cheval qui a le ventre trop gros, ce qui est un signe de paresse. Avoir de l'haleine & du fond, se disent communément des chevaux qu'on employe à courir, quand ils résistent long-tems à cet exercice sans s'essouffler, & qu'ils le peuvent recommencer souvent sans se fatiguer. Avoir des reins ou du rein, se dit d'un cheval vigoureux, ou de celui dont les reins se font sentir au cavalier, parce qu'ils ont des mouvemens trop durs & trop secs. Avoir le nez au vent, se dit d'un cheval qui leve toûjours le nez en-haut ; c'est un défaut qui provient souvent de ce que le cheval ayant les os de la ganache serrés, a de la peine à bien placer sa tête : ce défaut vient aussi quelquefois de ce qu'il a la bouche égarée, c'est-à-dire déreglée. Avoir l'éperon fin, se dit d'un cheval fort sensible à l'éperon, & qui s'en apperçoit pour peu qu'on l'approche. Avoir de la tenue à cheval, se dit du cavalier qui y est ferme & ne se déplace point, quelques mouvemens irréguliers que le cheval fasse. Avoir du vent, se dit d'un cheval poussif. (V)

CORPS DE RANG, terme de Perruquier ; ce sont des tresses qui se cousent au-dessus des tournans, en allant depuis les temples jusqu'à la nuque. Voyez l'art. PERRUQUE.

CORPS, (Manufact. en soie) c'est l'assemblage de toutes les mailles attachées aux arcades. Voyez ARCADES & VELOURS.

CORPS ; c'est, chez les Tailleurs, la partie d'un habit qui couvre depuis le cou jusqu'à la ceinture : ainsi ils disent un corps de pourpoint ; doubler un habit dans le corps.

Quoique nous ayons rapporté un grand nombre d'acceptions différentes du mot corps, nous ne nous flatons pas de n'en avoir omis aucune ; mais celles qui précedent suffisent pour donner une idée de l'étendue dans la langue, de ce mot qui désigne une chose qui en a tant dans la nature.


CORPS DE REFEND(Architect.) Voyez REFEND.


CORPULENCEsub. f. (Medecine) l'état d'une personne trop grasse. Voyez CHAIR & GRAISSE.

La corpulence revient à ce que les Medecins appellent obésité, & qu'on appelle communément graisse.

Etmuller la définit une telle augmentation & des membres & du ventre, que les fonctions du corps en sont empêchées, particulierement le mouvement & la respiration.

Boerhaave remarque que la corpulence ou l'obésité ne consiste pas dans l'augmentation des solides, mais dans leur distension extraordinaire, causée par l'abondance des humeurs qu'ils contiennent. Voyez SOLIDE, &c.

La corpulence ou la graisse vient d'un sang loüable, abondant, huileux, doux, contenant moins de sel que l'ordinaire.

Une telle constitution du sang n'occasionne qu'une foible fermentation, il s'en fait plus qu'il ne s'en dissipe ; la lymphe qui paroît la matiere propre de la nutrition, garde plus long-tems sa consistance visqueuse ; & par ce moyen adhere en plus grande quantité aux différentes parties du corps. Ajoûtez qu'il y a plus de graisse séparée du sang, qu'il ne s'en peut déposer naturellement dans les cellules adipeuses ; de-là le corps grossit considérablement, & les parties s'étendent quelquefois jusqu'à un volume monstrueux.

La corpulence est occasionnée par tout ce qui tempere & adoucit le sang, & qui le rend moins acide & moins salin ; tel est le manque d'exercice & de mouvement, une vie indolente, trop de sommeil, des alimens fort nourrissans, &c. On la prévient & on la guérit par les causes contraires, & particulierement par l'usage de boissons & d'alimens salins & acides.

La corpulence est la cause de plusieurs maladies, particulierement de l'apoplexie ; elle passoit pour infâme parmi les Lacédémoniens.

Etmuller affirme qu'il n'y a point de meilleur remede contre une graisse excessive, que le vinaigre squillitique. Borelli recommande de mâcher du tabac, ce dont Etmuller dissuade, de peur que cela ne mene à la consomption. Sennert fait mention d'un homme qui pesoit 600 livres, & d'une fille de 36 ans qui en pesoit 450. On dit que Chiapin Vitellis marquis de Cerona, général Espagnol, très-connu de son tems pour sa corpulence excessive, se réduisit, en bûvant du vinaigre, à un tel degré de maigreur, qu'il pouvoit tourner sa peau plusieurs fois autour de lui : on peut douter de ce dernier fait. Chambers.


CORPUSCULAIREadj. (Physique) c'est ainsi qu'on appelle cette physique qui cherche la raison des phénomenes dans la configuration, la disposition, & le mouvement des parties des corps. En voici une idée un peu plus étendue. La physique corpusculaire suppose que le corps n'est autre chose qu'une masse étendue, & n'y reconnoît rien que ce qui est renfermé dans cette idée, c'est-à-dire une certaine grandeur jointe à la divisibilité des parties, où l'on remarque une figure, une certaine situation, du mouvement & du repos, qui sont des modes de la substance étendue. Par-là on prétend pouvoir rendre raison des propriétés de tous les corps, sans avoir recours à aucune forme substantielle, ni à aucune qualité qui soit distincte de ce qui résulte de l'étendue, de la divisibilité, de la figure, de la situation, du mouvement, & du repos. Cette physique ne reconnoît aucunes especes intentionnelles, ni aucuns écoulemens par le moyen desquels on apperçoive les objets. Les qualités sensibles de la lumiere, des couleurs, du chaud, du froid, des saveurs, ne sont dans les corps que la disposition des particules dont ils se trouvent composés, & en nous, que des sensations de notre ame, causées par l'ébranlement des organes.

Ce sont-là les opinions de Descartes, mais il a des précurseurs dans l'antiquité.

Leucippe & Démocrite furent les premiers qui enseignerent dans la Grece la physique corpusculaire ; Epicure l'apprit d'eux, & la perfectionna tellement qu'à la fin elle prit son nom, & qu'on l'appella la philosophie d'Epicure.

Il y a eu divers philosophes, qui, sans suivre l'athéisme de Démocrite, soutenoient que toutes choses étoient composées de corpuscules, comme Ecphantus, Heraclide, Asclepiade, & Métrodore de Chio. En général tous les Atomistes qui ont vêcu avant Démocrite & Leucippe, ont joint la créance d'une divinité avec la doctrine des atomes ; de sorte qu'on peut dire d'eux ce que Sidoine Apollinaire a dit d'Arcésilas :

Post hos, Arcesilas, divinâ mente paratam

Conjicit hanc molem, confectam partibus illis

Quas atomos vocat ipse leves.

Les anciens considérant l'idée qu'ils avoient de l'ame & ce qu'ils connoissoient dans le corps, trouvoient qu'ils pouvoient concevoir distinctement deux choses, qui sont les principales de tout ce qu'il y a dans l'univers. L'une est la matiere, qu'ils regardoient comme incapable de soi-même d'agir ; & l'autre est une faculté agissante. Duo quaerenda sunt, dit Cicéron, unum quae materia sit ex quâ quaeque res efficiatur, alterum quae res sit quae quidque efficiat. On prouve la même chose par Séneque & par l'auteur du livre de placitis philosophorum, qui est parmi les oeuvres de Plutarque.

Bien loin que la philosophie corpusculaire mene à l'athéisme, elle conduit au contraire à reconnoître des êtres distincts de la matiere. En effet, la physique corpusculaire n'attribue rien au corps que ce qui est renfermé dans l'idée d'une chose impénétrable & étendue, & qui peut être conçu comme une de ses modifications, comme la grandeur, la divisibilité, la figure, la situation, le mouvement & le repos, & tout ce qui résulte de leur différente combinaison ; ainsi cette physique ne sauroit admettre que la vie & la pensée soient des modifications du corps ; d'où il s'ensuit que ce sont des propriétés d'une autre substance distincte du corps. Cette physique ne reconnoissant dans les corps d'autre action que le mouvement local, & le mouvement étant nécessairement l'effet de l'action d'un être différent du corps mû, il s'ensuit qu'il y a quelque chose dans le monde qui n'est pas corps ; sans quoi les corps dont il est composé, n'auroient jamais commencé à se mouvoir. Selon cette philosophie on ne peut pas expliquer les phénomenes des corps par un pur méchanisme, sans admettre des causes différentes de ce méchanisme, & qui soient intelligentes & immatérielles. Il est évident par les principes de la même philosophie, que nos sensations elles-mêmes ne sont pas des effets matériels, puisqu'il n'y a rien dans les corps qui soit semblable aux sensations que nous avons du chaud, du froid, du rouge, du doux, de l'amer, &c. D'où il s'ensuit que ce sont des modifications de notre ame, & que par conséquent elle est immatérielle. Enfin il est aussi clair par cette philosophie, que les sens ne sont pas juges de la vérité, même à l'égard des corps, puisque les qualités sensibles dont ils paroissent revêtus n'y sont nullement ; ainsi il faut qu'il y ait en nous quelque chose de supérieur aux sens, qui juge de leurs rapports, & qui distingue ce qui est véritablement dans le corps, de ce qui n'y est pas. Ce ne peut être que par une faculté supérieure, qui se donne à elle-même les mouvemens qu'elle veut, c'est-à-dire qui est immatérielle.

La physique corpusculaire a encore divers avantages. Voici les deux principaux : 1°. elle rend le monde corporel intelligible, puisque le méchanisme est une chose que nous entendons, & qu'hors cela nous ne concevons rien distinctement dans le corps. Dire qu'une chose se fait par le moyen d'une forme ou d'une qualité occulte, n'est autre chose que dire que nous ne savons pas comment elle se fait, ou plutôt c'est faire l'ignorance où nous sommes de la cause d'un effet, la cause de cet effet-là, en la déguisant sous les termes de formes & de qualités. On conçoit encore clairement que le froid, le chaud, &c. peuvent être des modifications de notre ame, dont les mouvemens des corps extérieurs sont des occasions. Mais on ne sauroit comprendre que ce soient des qualités des corps mêmes, distinctes de la disposition de leurs particules. 2°. L'autre avantage de la physique corpusculaire, c'est qu'elle prépare l'esprit à trouver plus facilement la preuve de l'existence des substances corporelles, en établissant une notion distincte du corps. Il faut que celui qui veut prouver qu'il y a quelque chose dans le monde outre les corps, détermine exactement les propriétés des corps, autrement il prouveroit seulement qu'il y a quelque chose outre un certain je ne sais quoi qu'il ne connoît pas, & qu'il appelle corps. Ceux qui rejettent la philosophie corpusculaire composent les corps de deux substances, dont l'une est la matiere destituée de toute forme, par conséquent incorporelle ; l'autre est la forme, qui étant sans matiere est aussi immatérielle. Par-là on confond si fort les idées de ce qui est matériel & immatériel, qu'on ne peut rien prouver concernant leur nature.

Le corps lui-même devient incorporel ; car tout ce qui est composé de choses immatérielles, est nécessairement immatériel, & ainsi il n'y auroit rien du tout de corporel dans la nature. Au lieu que la philosophie corpusculaire établissant une notion distincte du corps, montre clairement jusqu'où ses opérations peuvent s'étendre, où celles des substances immatérielles commencent, & par conséquent qu'il faut de nécessité que ces dernieres existent dans le monde.

Il faut cependant avoüer qu'on abuse très-souvent de cette philosophie ; écoutons M. Wolf là-dessus. In scriptis eorum qui philosophiam corpuscularem excoluêre, multum inest veritatis, etsi circa prima rerum materialium principia erraverint autores. Non tamen ideò probamus promiscuè quae ab autoribus philosophiae corpuscularis traduntur : nihil enim frequentius est, quàm ut figuras & molem corpusculorum ad libitum fingant, ubi eas ignorantes in ipsis phoenomenis acquiescere debebant. Exempli gratiâ, nemo hucusque explicuit qualia sint aëris corpuscula, etsi certum sit per eorum qualitates elasticitatem aëris explicari. Deficiunt hactenus principia, quorum ope certè quid de iis colligi datur. Quamobrem in phoenomeno acquiescendum erat quod scilicet aër possit comprimi, & continuo sese per majus spatium expandere nitatur. Enim verò non desunt philosophi qui cùm corpuscula principia essendi proxima corporum observabilium esse agnoscant, elaterem quoque aëris per corpuscula ejus explicaturi, figuras aliasque qualitates pro arbitrio fingunt, etsi nullo modo demonstrare possint corpusculis aëris convenire istiusmodi figuras & qualitates, quales ipsis tribuunt. Minimè igitur probamus, si quis philosophus corpuscularis sapere velit ultra quod intelligit. Absit autem ut philosophiae corpusculari tribuamus quod philosophi est vitium. Deinde philosophi corpusculares in universum omnes hactenus in eo peccant, quod prima rerum materialium principia corpuscula esse existiment ; M. Wolf parle ici en Leibnitien : il ajoûte : Et plerique etiam à veritate oberrant dum non alias in corpusculis qualitates quàm mechanicas agnoscunt. Il n'y a qu'à lire tous les écrits que la fameuse baguette divinatoire a occasionnés, pour achever de se convaincre des abus dont la physique corpusculaire est susceptible. Wolf, Cosmol. §. 236. in schol. Cet article est de M. Formey.


CORPUSCULES. m. en Physique, diminutif de corps, terme dont on se sert pour exprimer les particules ou les petites parties des corps naturels. Voy. PARTICULE & CORPS.

Tout corps est composé d'une quantité prodigieuse de corpuscules. Ces corpuscules eux-mêmes sont des corps, & sont composés par la même raison d'autres corpuscules plus petits, ensorte que les élemens d'un corps ne paroissent être autre chose que des corps. Mais quels sont les élemens primitifs de la matiere ? c'est ce qu'il est difficile de savoir. Voyez les articles CORPS & CONFIGURATION. Aussi l'idée que nous nous formons de la matiere & des corps, selon quelques philosophes, est purement de notre imagination, sans qu'il y ait rien hors de nous de semblable à cette idée. Ces difficultés ont fait naître le systême des monades de M. Leibnitz. Voyez MONADES & LEIBNITIANISME.

M. Newton a donné une méthode pour déterminer par la couleur des corps la grosseur des corpuscules qui constituent les particules qui les composent, ou plutôt le rapport de la grosseur des particules d'un corps d'une certaine couleur, à celle des particules d'un corps d'une autre couleur. Il ne faut cependant regarder cette méthode que comme conjecturale. Voyez COULEUR. (O)


CORRou CORRET, subst. m. terme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Boulogne, sorte de filet. Voici la description de la pêche du corre ou corret, ou picot à poche.

L'instrument que les pêcheurs nomment corre ou corret, peut être regardé comme un rets de picots à poche ou sac. Lorsque la marée est très-basse, les pêcheurs font à pié la pêche avec ce filet ; si les eaux sont trop hautes, ils le tendent avec leurs petits bateaux.

Le corre ou corret est un véritable sac de chalut ou rets traversier de la longueur qu'on veut. Voyez l'article CHALUT. Le haut de l'ouverture est chargé de flottes de liége, & le bas de plaques de plomb du poids d'environ deux onces pesant ; ce qui fait pour la garniture entiere du filet trois à quatre livres. On oppose l'ouverture du corret au courant de la riviere ; l'un des côtés du sac est amarré à une ancre qui est au large du bateau ; les liéges qui soûlevent le haut du filet le tiennent ouvert d'environ deux brasses, si la marée monte suffisamment dans la riviere. Les mailles de ce filet n'ont que 14 à 15 lignes. Etabli de cette maniere, il ne peut être nuisible, puisqu'il reste où les pêcheurs l'ont placé. Pour faire une meilleure pêche, ils sont obligés de battre l'eau avec des perches ou avec leurs avirons, s'ils sont dans leur bateau, & de faire du bruit afin que le poisson sorte du fond & de la vase où il se tient.

Ils ne peuvent pêcher que de marée baissante, à moins qu'ils ne retournent l'embouchure de leur corret pour pêcher de flot avec des mailles de dix-huit lignes en quarré ; cette pêche ne peut être abusive : le sac du corret est le même que celui du chalut ou rets traversier, ou de la dranguelle claire usitée par les pêcheurs de la Seine, à la différence que ces deux instrumens coulent sur le fond, & que le corret est sédentaire.

Les pêcheurs de riviere, à leurs embouchures, prennent avec ce filet des poissons plats, sur-tout des plies & des anguilles. Ils y prennent cependant aussi d'autres sortes de poissons ronds, s'ils remontent : ce qui est rare à cause de la bourbe que les poissons de mer fuient toûjours.


CORREAU(Marine) voyez COUREAU. (Z)


CORRECTadj. (Littérat.) ce terme désigne une des qualités du style. La correction consiste dans l'observation scrupuleuse des regles de la Grammaire. Un écrivain très- correct est presque nécessairement froid : il me semble du moins qu'il y a un grand nombre d'occasions où l'on n'a de la chaleur qu'aux dépens des regles minutieuses de la syntaxe ; regles qu'il faut bien se garder de mépriser par cette raison, car elles sont ordinairement fondées sur une dialectique très-fine & très-solide ; & pour un endroit qui seroit gâté par leur observation rigoureuse, & où l'auteur qui a du goût sent bien qu'il faut les négliger, il y en a mille où cette observation distingue celui qui sait écrire & penser, de celui qui croit le savoir. En un mot, on ne doit passer à un auteur de pécher contre la correction du style, que lorsqu'il y a plus à gagner qu'à perdre. L'exactitude tombe sur les faits & les choses ; la correction, sur les mots. Ce qui est écrit exactement dans une langue, rendu fidélement, est exact dans toutes les langues. Il n'en est pas de même de ce qui est correct ; l'auteur qui a écrit le plus correctement, pourroit être très-incorrect traduit mot à mot de sa langue dans une autre. L'exactitude naît de la vérité, qui est une & absolue ; la correction, de regles de convention & variables.

CORRECT, se dit, en Peinture, d'un dessein, d'un tableau, où tous les objets, & particulierement les figures, sont bien proportionnées, où les parties sont bien arrêtées, & leurs contours exactement semblables à ceux que présente la nature. On dit, ce Peintre est correct. Dict. de Peint. (R)


CORRECTEURS. m. (Gramm.) celui qui corrige. Corriger a deux acceptions ; c'est, ou infliger une peine pour une faute commise, ou changer de mal en bien la disposition habituelle & vicieuse du coeur & de l'esprit, par quelque voie que ce puisse être.

CORRECTEURS DES COMPTES, (Jurisp.) Voyez sous le mot Comptes, à l'article CHAMBRE DES COMPTES, § Correcteur des comptes.

* CORRECTEUR D'IMPRIMERIE, est celui qui lit les épreuves, pour marquer à la marge, avec différens signes usités dans l'Imprimerie, les fautes que le compositeur a faites dans l'arrangement des caracteres. Le correcteur doit être attentif à placer ses corrections par ordre, &, autant qu'il le peut, à côté de la ligne où elles doivent être placées. Voy. EPREUVE. Rien n'est si rare qu'un bon correcteur : il faut qu'il connoisse très-bien la langue, au moins, dans laquelle l'ouvrage est composé ; ce que le bon sens suggere dans une matiere, quelle qu'elle soit ; qu'il sache se méfier de ses lumieres ; qu'il entende très-bien l'ortographe & la ponctuation, &c.


CORRECTIFS. m. (Gramm.) ce qui réduit un mot à son sens précis, une pensée à son sens vrai, une action à l'équité ou à l'honnêteté, une substance à un effet plus modéré ; d'où l'on voit que tout a son correctif. On ôte de la force aux mots par d'autres qu'on leur associe ; & ceux-ci sont ou des prépositions ou des adverbes, ou des épithetes qui modifient & temperent l'acception : on ramene à la vérité scrupuleuse les pensées ou les propositions, le plus souvent en en restreignant l'étendue ; on rend une action juste ou décente, par quelque compensation ; on ôte à une substance sa violence, en la mêlant avec une substance d'une nature opposée. Celui donc qui ignore entierement l'art des correctifs, est exposé en une infinité d'occasions à pécher contre la langue, la Logique, la Morale, & la Physique.

CORRECTIFS, adj. & CORRECTION, sub. (Pharmacie) On appelle correctifs, certains ingrédiens des medicamens composés, soit officinaux, soit magistraux, qui sont destinés à détruire les qualités nuisibles ou desagréables des autres ingrédiens de la même composition, sans diminuer leurs vertus ou qualités utiles.

On peut distinguer très-naturellement ces correctifs en deux classes ; en correctifs d'activité, & en correctifs des qualités desagréables.

Les anciens employoient beaucoup les premiers ; ils n'ordonnoient jamais leurs émétiques, leurs purgatifs forts, & leurs narcotiques, sans les mêler avec des prétendus correctifs. C'étoit une certaine acrimonie, ou une qualité plus occulte encore, capable d'affoiblir l'estomac & les intestins, & d'y engendrer des vents, qu'ils redoutoient dans les purgatifs, & une qualité vénéneuse froide dans les narcotiques.

C'est dans la vûe de prévenir ces inconvéniens, qu'ils mêloient toûjours aux purgatifs différens aromatiques, comme le santal, le stoechas, la canelle, &c. & sur-tout les semences carminatives, comme l'anis, le fenouil, la coriandre, &c. & même quelques toniques plus actifs, le gingembre, la pyretre, &c. La nécessité de ces correctifs passoit même pour si incontestable parmi eux, que leurs purgatifs ordinaires avoient chacun un correctif approprié. C'est ainsi qu'ils ordonnoient le sené avec l'anis ou la coriandre, la rhubarbe avec le santal, l'agaric & le jalap avec le gingembre, &c. C'est sur cette opinion qu'est fondée la dispensation des compositions officinales purgatives qui nous viennent des anciens ; compositions qui contiennent toûjours une quantité considérable de différens aromates.

Ce sont presque les mêmes drogues ; c'est-à-dire les aromatiques vifs, qu'ils ont employés dans les compositions opiatiques.

Cette classe de correctifs est absolument proscrite de la Pharmacie moderne : nous n'avons plus aujourd'hui la moindre confiance en leur efficacité ; nous ne connoissons d'autres ressources pour prévenir les inconvéniens des purgatifs forts, que de les bien choisir & les préparer exactement, de les donner à propos & en une dose convenable.

Quant à la qualité froide des narcotiques, nous avons appris à ne pas la craindre dans ceux que nous retirons des pavots, qui sont les seuls que nous mettions aujourd'hui en usage. L'expérience nous a appris qu'une décoction d'une tête de pavot, ou l'opium sans préparation, étoient tout aussi efficaces & aussi peu dangereux, que les opiatiques corrigés des anciens, & même que le fameux laudanum liquide de Sydenham, qui paroît être fait d'après les mêmes principes, ou plûtôt d'après les mêmes préjugés.

Il est une autre espece de correctifs d'activité, aussi réels que ceux dont nous venons de parler paroissent imaginaires : ce sont les différens corps doux ou muqueux, tels que les pulpes de pruneaux, de tamarin, de casse ; les décoctions de fruits doux, le sucre, le miel, la manne, &c. que l'on mêle avec les purgatifs les plus forts dans certains électuaires dont l'usage est encore assez ordinaire, sur-tout dans les hôpitaux. Ces correctifs masquent la violence de ces purgatifs au point que les électuaires dont nous parlons sont des purgatifs assez doux, à une dose qui contient une quantité de ces purgatifs, fort capable de produire les effets les plus violens, s'ils étoient donnés sans mêlange. C'est ainsi que dans le diaprun solutif, p. ex. l'activité de la scammonée est assez tempérée par la pulpe des pruneaux & par le sucre, pour qu'une once de cet électuaire qui contient un scrupule de scammonée, ne soit pas un purgatif si dangereux à beaucoup près, que le seroit la même dose de scammonée donnée sans mêlange. Le sucre qui donne la consistance aux syrops purgatifs, tempere aussi jusqu'à un certain point l'activité des remedes qui en font la vertu. La décoction des fruits doux & de certaines autres substances végétales, comme les racines de réglisse, de polipode, la scolopendre, & les autres capillaires, diminuent un peu l'énergie de certains purgatifs, comme du sené ; ensorte qu'une infusion de ses feuilles ou de ses follicules mêlée à une décoction de fruits pectoraux, tels que les raisins, les dattes, & les figues, fournit un purgatif des plus benins. C'est comme un correctif de cette espece qu'on donne la manne avec le tartre émétique, dont elle affoiblit considérablement l'action dans la plûpart des cas, & dans le plus grand nombre des sujets.

Il ne seroit pas assez exact de regarder le sucre & le jaune d'oeuf comme de simples correctifs des résines purgatives, parce que c'est par une véritable combinaison qu'ils châtrent l'activité de ces corps, qu'ils les dénaturent, qu'ils en font un être nouveau, dans lequel on ne doit plus considérer ces principes de composition, de même qu'on ne s'avise pas d'avoir égard aux qualités particulieres de l'acide nitreux & de l'alkali fixe, lorsqu'il s'agit des vertus du nitre, &c. Voyez RESINE & PURGATIF.

Les qualités desagréables que nous cherchons à corriger dans les medicamens, sont la mauvaise odeur & le mauvais goût. La premiere correction est connue sous le nom d'aromatisation : elle consiste à ajoûter au medicament quelqu'eau, quelqu'esprit, ou quelque poudre aromatique, pour couvrir autant qu'il est possible, sa mauvaise odeur : sur quoi il faut se souvenir qu'il est certains malades à qui les odeurs douces peuvent être funestes, & qu'en général toutes les odeurs ne sont pas également agréables à tout le monde ; que l'ambre affecte bien diversement les différens sujets, &c.

La seconde de ces corrections s'effectue 1°. par l'édulcoration (Voyez ÉDULCORATION) ; 2°. en enveloppant les remedes solides, comme boles, pilules, opiates, &c. dans différentes matieres qui les empêchent de faire aucune impression sur l'organe du goût ; ces enveloppes les plus ordinaires sont le pain-à-chanter, les feuilles d'or ou d'argent, la poudre de réglisse, de sucre &c. 3°. on corrige ou plûtôt on prévient le mauvais goût de certains remedes, par certaines circonstances de leur préparation ; c'est ainsi que la manne fondue à froid, ou à une très-legere chaleur, est bien moins desagréable que celle qu'on a fait fondre dans l'eau bouillante.

Une autre espece de correction pharmaceutique qui a été long-tems en usage, & que nous avons enfin abandonnée, étoit celle qui consistoit à faire macérer dans différentes liqueurs, & principalement dans le vinaigre, certaines drogues prétendues dangereuses, comme l'azarum, l'ésule, l'ellébore ; à en exposer d'autres, comme la scammonée, à la vapeur du soufre, &c. cette correction remplissoit fort mal sans doute la vûe qu'on se proposoit ; car elle affoiblissoit ou châtroit la vertu médicamenteuse, au lieu de l'épargner, comme on le prétendoit, en ne détruisant qu'une vertu vénéneuse supposée dans la drogue. Or comme cet affoiblissement est toûjours inexact ou impossible à évaluer avec quelque justesse, il est plus sûr d'avoir recours à des remedes qui possedent la même vertu en un degré moins actif, ou d'employer les premiers non-corrigés en moindre dose, que d'avoir recours à ces remedes ainsi corrigés, qui sont toûjours infideles.

La lotion de l'aloès que l'on faisoit aussi en vûe de le corriger, est une opération plus mal-entendue encore ; car par ce moyen on rejettoit les parties résineuses de l'aloès, pour ne conserver que ses parties extractives : or quand même la séparation de ces deux parties pourroit être regardée comme avantageuse, en ce qu'elle fourniroit deux différens remedes chacun très-utile, on ne pourroit jamais regarder cette séparation comme une correction. Mais il conste d'ailleurs par l'observation, que l'aloès entier fournit un fort bon remede à la Medecine ; au lieu que son extrait seul ne possede qu'en un degré très-inférieur les vertus de l'aloès entier, tandis que sa résine est absolument inusitée. (b)


CORRECTIONS. f. (Gramm.) voyez l'article CORRECT.

CORRECTION DU MIDI, en Astronomie : voici en quoi elle consiste. Les Astronomes, pour déterminer l'heure de midi, employent les observations qu'ils appellent de hauteurs correspondantes, c'est-à-dire qu'ils observent avant midi le soleil à une certaine hauteur, & qu'ils attendent ensuite l'heure où ils observeront le soleil à la même hauteur après midi. L'instant milieu entre les deux observations détermine l'instant du midi. Cette méthode est analogue à celle dont on se sert pour déterminer la ligne méridienne sur un plan horisontal, en marquant deux points où l'ombre du style soit égale avant & après midi, & prenant le milieu entre ces deux points. Voyez LIGNE MERIDIENNE. Mais ces méthodes supposent que le soleil décrit chaque jour, par son mouvement apparent, un cercle exactement parallele à l'équateur ; ce qui n'est pas rigoureusement vrai : car comme l'écliptique est oblique à l'équateur, & que le soleil avance chaque jour par son mouvement apparent d'environ un degré sur l'écliptique, il a chaque jour un petit mouvement en déclinaison ; d'où il est aisé de voir que dans deux instans également éloignés de l'instant de midi, l'un avant, l'autre après, il ne doit pas être exactement à la même hauteur ; qu'ainsi après avoir observé le soleil à deux hauteurs égales, & pris le milieu du tems écoulé, on n'a pas encore le vrai instant du midi, & qu'il faut une petite correction. Plusieurs astronomes ont résolu ce problème par des méthodes fort simples ; entr'autres M. de Maupertuis, dans son astronomie nautique, & M. Euler, dans les mém. de l'acad. de Petersb. tome VII. Mais leurs méthodes, quoique très-ingénieuses & très-simples, ont cet inconvénient, qu'elles supposent que la correction soit fort petite ; ce qui n'a plus lieu dans les pays où la hauteur du pole est fort grande, c'est-à-dire qui sont fort près du pole : car dans ces pays-là le soleil est presque toûjours à la même hauteur sur l'horison ; d'où l'on voit qu'une petite différence dans la hauteur doit en produire une fort grande dans l'heure. Il est donc nécessaire de trouver une méthode générale pour avoir la correction du midi à une hauteur quelconque ; & j'ai résolu ce problème dans les mém. de l'academ. de Berlin, 1747. Au reste, nous devons remarquer ici que notre méthode, quoique simple & facile à pratiquer, est plus recommandable par sa généralité géométrique, que par le besoin qu'on en a. Car on ne fait guere d'observation dans la zone glacée ; & les pays qui seroient très-près du pole nous sont entierement inconnus. Mais en Géométrie & en Astronomie, il est toûjours utile d'avoir des méthodes générales, qui puissent ne pas manquer au besoin. (O)

CORRECTION, (Jurisprud.) Les peres ont droit de correction sur leurs enfans ; ils avoient même droit de vie & de mort sur eux par l'ancien droit Romain : mais cela a été réduit à une correction modérée. Ils peuvent néanmoins les faire enfermer jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans dans quelque maison de correction, telle que celle de S. Lazare à Paris ; à moins que les peres ne soient remariés ; auquel cas ils ne le peuvent faire, non plus que les meres tutrices & autres tuteurs, sans une ordonnance du juge, lequel prend ordinairement l'avis des parens paternels & maternels à ce sujet. On peut voir au journal des aud. les arrêts des 9 & 13 Mars 1673, 14 Mars 1678, & 27 Octobre 1690, & celui du 30 Juillet 1699.

Les maris ont aussi droit de correction sur leurs femmes par l'ancien droit Romain : si le mari battoit sa femme à coups de foüet, ce qui étoit une injure pour une femme ingénue, c'étoit une cause de divorce : mais par le dernier droit il est seulement dit que le mari qui le feroit sans cause, seroit obligé de donner dès-lors à sa femme une somme égale au tiers de la donation à cause des noces. leg. viij. cod. de repud. Cette loi n'est point suivie parmi nous ; on en a sans doute senti l'inconvénient : bien des femmes se feroient battre pour augmenter leur doüaire ou augment de dot. Le mari doit traiter sa femme avec douceur & avec amitié : cependant si elle s'oublie, il doit la corriger modérément : il peut même, s'il ne trouve point d'autre remede, la faire enfermer dans un couvent ; & si elle a eu une mauvaise conduite, la faire mettre dans une maison de correction. Mais s'il la maltraite à tort, soit de coups, soit de paroles, ce qui est plus ou moins grave selon la qualité des personnes, ces mauvais traitemens sont une cause de séparation. Voyez SEPARATION.

Les maîtres ont aussi droit de correction sur leurs esclaves & domestiques, mais modérément. Le droit de vie & de mort que les Romains avoient anciennement sur leurs esclaves, fut abrogé par le droit du code, liv. IX. tit. xjv. l. 1. L'autentique ad hoc dit que le maître peut châtier ses esclaves plagis mediocribus. Parmi nous l'humanité met encore des bornes plus étroites à ce droit de correction.

Enfin les supérieurs des monasteres ont droit de correction sur leurs religieux ou religieuses : ils n'ont cependant aucune jurisdiction ; c'est pourquoi ils ne peuvent infliger que des peines legeres, telles que le jeûne, le foüet, le renfermement dans leur prison privée : il ne leur est pas permis de traiter leurs religieux avec inhumanité ; s'ils le font, leurs religieux peuvent s'en plaindre à leurs supérieurs, & même à la justice séculiere, & demander d'être transférés dans un autre monastere. La justice séculiere peut même d'office en prendre connoissance, lorsqu'il se passe quelque chose de grave, & y mettre ordre. (A)

CORRECTION DES COMPTES, voyez au mot COMPTES, à l'article des CORRECTEURS DES COMPTES. (A)

CORRECTION, figure de Rhétorique qui consiste à corriger ou à expliquer une expression, une pensée qu'on a déjà avancée : elle est très-propre à fixer ou à réveiller l'attention des auditeurs, comme dans cet endroit de Cicéron : Atque haec cives, cives inquam, si hoc nomine eos appellari fas est, qui haec de patriâ suâ cogitant. Pro Muren.

Il y a une sorte de correction par laquelle, loin de rétracter une pensée, on la rappelle de nouveau pour la confirmer davantage, la présenter avec plus de force & de véhémence, comme si on n'en avoit pas d'abord assez dit. Telles sont ces paroles de J. C. touchant son précurseur, Matth. ch. xj. vers. 9. Qu'êtes-vous donc allés voir ? un prophete ? Oui certe, je vous le dis, & plus que prophete. On l'appelle autrement épanorthose. Voyez EPANORTHOSE. (G)

CORRECTION, (Pharmacie) voyez CORRECTIF.

CORRECTION, (Peint.) V. CORRECT (Peinture).

CORRECTION, terme d'Imprimerie qui s'entend de deux façons : on entend par ce mot les fautes corrigées sur une épreuve ; & l'on dit, s'il y en a beaucoup, voilà une feuille bien chargée de corrections. On entend encore par ce mot les lettres nécessaires pour corriger une épreuve ; & l'on dit lever sa correction dans une casse avant de corriger : distribuer sa correction après avoir corrigé.


CORREGIDORS. m. (Hist. mod.) nom d'un officier de justice en Espagne, & dans les contrées qui sont soûmises à l'Espagnol. C'est le premier juge d'une ville, d'une province, d'une jurisdiction ; les conseillers & les avocats lui sont inférieurs.


CORREGIO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, capitale d'un petit pays de même nom, au duché de Modene. Long. 28. 20. lat. 44. 145.


CORRELATIF(Gramm. & Logiq.) Ce terme désigne de deux choses qui ont rapport entr'elles & qu'on considere par ce rapport, celle qui n'est pas à l'instant présente à l'esprit, ou dont on ne fait pas premierement & spécialement mention, soit dans le discours, soit dans un écrit. Exemple. Si je pense, je parle ou j'écris de l'homme comme pere, l'homme considéré comme fils, sera son correlatif ; si je pense, je parle ou j'écris de l'homme comme fils, l'homme considéré comme pere, sera son correlatif. Cette définition me paroît si juste, que dans la pensée, la conversation & l'écrit, on voit en un instant deux êtres qui ont rapport entr'eux, prendre & perdre alternativement la dénomination de correlatif, selon que l'un est rappellé à l'occasion de l'autre. C'est toûjours celui qui est rappellé, & qui entre, qui prend le nom de correlatif. Mais si ce correlatif devient l'objet principal de la pensée, ou de l'entretien, ou de l'écrit, il cede sur le champ cette dénomination de correlatif, à celui dont on a cessé & dont on recommence de s'occuper. Correlatif se prend aussi en un autre sens ; comme quand on dit, vieux & jeunes sont des correlatifs, alors correlatif est appliqué aux deux objets de la correlation, & l'on assûre qu'ils ont entr'eux cette espece de rapport, sans avoir l'un plus présent à l'esprit que l'autre : il semble que ce soit seulement dans ce seul sens qu'il faut entendre le terme correlation, voyez le mot CORRELATION. Au reste ces définitions ne sont pas particulieres à correlatif ; elles conviennent aussi à tous les autres termes de la même nature, tels que corrival & corrivaux. Qu'est-ce qu'un corrival ? c'est de deux hommes qui se disputent la même maîtresse, le même honneur, &c. celui qui n'a été que le second présent, soit à ma pensée, soit à ma bouche, soit à ma plume. Qu'est-ce que des corrivaux ? ce sont deux hommes que je considere indistinctement, par la prétention qu'ils ont tous les deux à un bien qui ne peut appartenir qu'à l'un des deux, sans que l'un soit le premier présent à ma pensée, & l'autre le second, sans que j'institue entr'eux une comparaison dans laquelle l'un seroit présent & l'autre rappellé : c'est sous un point de vûe qui leur est commun que je les envisage, & en tant que ce point de vûe leur est commun.


CORRELATIONS. f. (Logiq. & Gramm.) terme par lequel je désigne qu'il y a rapport entre deux objets A & B ; & je le désigne d'une maniere indéterminée, sans marquer que c'est A que je compare à B, ni que c'est B que je compare à A : l'un ne m'est pas plus présent à l'esprit que l'autre, du moins au moment où j'assûre qu'il y a correlation entr'eux ; quoique ce jugement ait été précédé d'un autre où je comparois ces objets, & où l'un étoit le premier terme de la comparaison, & l'autre le second ; quand à la nature de la correlation, elle consiste dans le rapport de deux qualités dont l'une ne peut se concevoir sans l'autre.


CORRESE(Géog. mod.) petite riviere d'Italie dans la Sabine, dans l'état de l'Eglise, qui se jette dans le Tibre.


CORRESPONDANCERELATION, s. f. commerce réciproque qu'ont ensemble deux personnes. Il se dit, en termes de Commerce, de la relation qu'un marchand entretient avec un autre marchand ; un banquier avec un banquier, ou même tous deux avec de simples commissionnaires établis dans diverses villes d'un même état ou de pays étrangers, pour le fait de leur banque ou négoce. On dit de l'un & de l'autre qu'ils ont de grandes correspondances, quand ils ont affaire avec quantité d'autres négocians ou banquiers. Dictionn. de Comm. (G)

* CORRESPONDANCE, CORRESPONDANT, & CORRESPONDRE, ont encore une signification prise des rapports que les êtres peuvent avoir entr'eux : aussi on dit : voilà deux idées, deux mots, deux objets, deux choses qui se correspondent, lorsqu'elles ont même rapport ou de sens, ou de place, ou d'effet, ou de forme, &c. avec une troisieme à laquelle on les rapporte, ou dans laquelle on les considere.


CORRESPONDANTS. m. en termes de Comm. personne domiciliée dans un lieu, & avec laquelle une autre personne résidante dans une autre ville ou pays, est en commerce de banque ou de marchandise.

S'il y a quelque différence entre correspondant & commissionnaire, elle est bien légere, & leurs fonctions sont à-peu-près les mêmes. Voyez COMMISSIONNAIRE. Dictionn. de Comm. (G)


CORRESPONDREv. n. avoir relation avec quelqu'un, l'avoir correspondant ou être le sien. (G)


CORRIDORS. m. terme d'Architecture. On entend par ce mot une piece fort longue & assez étroite, servant de dégagement & de piece commune à divers appartemens, en usage à la campagne. Ils ont cela de commode, qu'ils évitent les antichambres, qui occupent beaucoup de terrein dans un lieu serré, & dont on ne peut se passer pour précéder une chambre à coucher, lorsqu'on ne pratique pas de corridor ; néanmoins on ne peut disconvenir que ces derniers ont l'incommodité d'occasionner beaucoup de bruit dans les pieces voisines, à cause de leur communication avec tout le bâtiment ; de maniere qu'ils ne sont plus guere d'usage que dans les étages en galetas & dans les communautés religieuses, où ils sont absolument indispensables.

La proportion de ces corridors, c'est-à-dire le rapport de leur largeur avec leur longueur, est arbitraire ; en quoi ils different des galeries, qui doivent avoir des dimensions relatives à leur usage. Voyez GALERIE. (P)

CORRIDOR, en Fortification, signifie le chemin qui regne tout autour de la place, sur le bord du fossé en dehors. Ce mot vient de l'italien coridore, ou de l'espagnol coridor.

On l'appelle aussi chemin couvert ; & même ce dernier est à présent le seul usité, parce qu'il est couvert du glacis ou de l'esplanade, qui lui sert comme de parapet. Voyez CHEMIN COUVERT. Le corridor est large d'environ six toises. Chambers. (Q)


CORRIGERv. act. voyez les différentes acceptions de l'adjectif CORRECT & CORRECTIF, & du substantif CORRECTION.

CORRIGER, terme d'Imprimerie ; c'est une des fonctions principales que le compositeur est obligé de faire. Après avoir levé la correction dans son composteur, il couche sa forme sur le marbre, & la desserre ; ensuite il corrige, par le moyen d'un petit instrument appellé pointe, les fautes qui ont été marquées par le correcteur en marge de l'épreuve. Voy. COMPOSITEUR, FORME, MARBRE, POINTE.

CORRIGER un cheval, voyez CHATIER.


CORRIVALS. m. un autre qui avoit avec celui-ci un ruisseau commun. Voyez à l'article CORRELATIF, la raison de cette définition, qui n'est bizarre qu'en apparence ; & pourquoi elle seroit inexacte, si j'avois dit un corrival est celui qui a un ruisseau commun avec un autre. Le corrival n'est pas celui-ci, c'est l'autre.


CORROBORATIF(Médec. Thérapeut.) voyez FORTIFIANT & TONIQUE.


CORRODÉadject. CORROSION, subst. Ces mots ne sont d'usage qu'en Physique, & sur-tout en Medecine, pour dire rongé & action de ronger ; ainsi on dit une pierre dont la surface a été corrodée (c'est-à-dire rongée) par les eaux & par l'action de l'air. On dit aussi la corrosion des chairs par un ulcere. Au reste le substantif corrosion n'ayant point d'équivalent, est plus en usage que corrodé. (O)


CORROIS. m. (Architect. Mass. Hydraul.) est un massif de terre franche ou de glaise que l'on pétrit entre les deux murs d'un canal ou d'un bassin, pour retenir l'eau à une certaine hauteur ; ou entre le contre-mur d'une fosse d'aisance ou un puits, pour empêcher qu'elle ne se corrompe : il doit se lier avec celui du plafond, qui doit regner de la même épaisseur dans toute son étendue.

On ne dit point un corroi de ciment : mais un massif ou une chemise de ciment. (K)


CORROIERen Architect. est bien pétrir la chaux & le sable par le moyen du rabot, pour en faire du mortier. C'est aussi pétrir & battre au pilon de la terre glaise, pour en faire un corroi. (P)


CORROMPREv. act. (Morale) expression empruntée de ce qui se passe dans la gangrene du corps, & transportée à l'état de l'ame ; ainsi un coeur corrompu est un homme dont les moeurs sont aussi mal-saines en elles-mêmes, qu'une substance qui tombe en pourriture ; & aussi choquantes pour ceux qui les ont innocentes & pures, que le spectacle de cette substance, & la vapeur qui s'en exhale, le seroient pour ceux qui ont les sens délicats.

CORROMPRE, (Physiq.) voyez CORRUPTION.

CORROMPRE, (Art méch.) c'est altérer la forme. Le panier de mon habit est corrompu. Les hérétiques ont souvent corrompu les textes sacrés.

CORROMPRE UN CUIR, terme de Corroyeur, qui signifie le ployer ; ainsi ces artisans disent corrompre un cuir des quatre quartiers, c'est-à-dire le plier de patte en patte pour lui couper le grain. Voyez CORROYER, & la fig. Pl. du Corroyeur.

* CORROMPRE, (Manuf. en soie) c'est mettre plus ou moins de fils dans la premiere maille de corps, ou dans la premiere dent du peigne, pour empêcher l'étoffe de se rayer.


CORROSIFadj. (Mat. méd. ext.) Voyez CAUSTIQUE.

CORROSIF, (Chimie) nom qu'on a donné à certains menstrues capables de contracter rapidement une union réelle ou chimique avec des corps d'un tissu dur & serré ; & de surmonter par conséquent par leur affinité avec ces corps, l'adhésion aggrégative des parties intégrantes des mêmes corps.

C'est précisément par ce degré d'affinité qu'il faut déterminer la propriété qu'on a désignée par la prétendue corrosivité de ces menstrues, ou par leur force, activité, violence, &c. Toutes ces dénominations exprimant des qualités absolues, portent des notions également fausses, puisque toute dissolution chimique suppose une action réciproque du menstrue & du corps dissous : ensorte que ces expressions de menstrue & de corps dissous, ne sont pas elles-mêmes trop exactes, puisque dans tous les cas de dissolution chimique, l'un ou l'autre des deux corps qui contracte l'union que cette dissolution exprime, peut être regardé indifféremment comme le menstrue ou comme le corps dissous. Voyez MENSTRUE.

Au reste les menstrues qu'on désigne communément par la qualification de corrosifs, sont sur-tout les acides minéraux, les sels alkalis, la chaux, & certains sels métalliques surchargés d'acides. Voyez SEL. Le titre de corrosif a été donné à ces corps, lorsqu'on n'a évalué leur action que par leurs effets sensibles ; & l'usage de ce mot a été confirmé lorsqu'il est devenu théorique, qu'il a désigné un agent physique compris, ou du moins expliqué dans les tems où les agens méchaniques ont été les seuls que les philosophes ayent voulu admettre dans la nature ; & ces tems ne sont pas loin, ni absolument passés.

Les expressions de la classe de celle-ci subsistent souvent dans les sciences, long-tems après qu'on en a reconnu la fausseté. Le langage chimique est plein de ces dénominations qui doivent leur naissance à l'ignorance, aux préjugés ou aux théories de nos prédécesseurs. On peut se servir cependant de la plûpart sans conséquence, ce me semble, quoiqu'il fût apparemment plus utile de les abandonner absolument. (b)


CORROSIONou exésion de parties solides par une humeur acre. (Maladies) Elle est l'effet de la dissolution des humeurs, ou de quelque acrimonie alkaline & sceptique qui ronge le tissu des parties, & par-là les détruit. Le remede vrai de la corrosion consiste à détruire la qualité sceptique des humeurs, & à leur rendre leur qualité balsamique par l'usage des adoucissans, des induisans & des agglutinans.


CORROYERCORROYER

Travail de la vache noire, ou, comme on dit, retournée. Le Corroyeur, en recevant la peau tannée, commence par l'humecter à plusieurs reprises ; il se sert pour cela d'un balai qu'il trempe dans de l'eau. Il roule la peau humectée, puis il la jette sur la claie, & la foule aux piés. Cette manoeuvre s'appelle le défoncement. La claie est un assemblage de bâtons flexibles, entrelacés dans des traverses emmortoisées sur deux montans. Le défoncement se donne ou à pié nud, ou avec un soulier qu'on appelle l'escarpin, qui ne differe du soulier ordinaire que par des bouts de cuir-fort dont il est revêtu au bout & au talon. On appelle ces garnitures contreforts. La peau pliée d'abord de la tête à la queue, & les pattes dans le pli, est arrêtée avec un pié, & frappée fortement avec le talon de l'autre. Ce travail s'appelle le refoulement. On donne à la peau des refoulemens en tout sens ; on la change de face, & on la tient sur la claie, & sous les piés ou l'escarpin, tant qu'on y apperçoit des inégalités un peu considérables. Voyez dans la Planche du Corroyeur un ouvrier en A, qui défonce & refonce sur la claie. Alors on la déploye, pour être écharnée ou drayée : on se sert indistinctement de ces deux mots. Ceux qui disent écharnée, appellent le couteau à écharner, écharnoir : ceux qui disent drayée, l'appellent drayoire. La drayoire est une espece de couteau à deux manches, tant soit peu tranchant & affilé, qu'on voit fig. 3. La peau est jettée sur le chevalet ; & l'ouvrier la fixant entre son corps & le bout du chevalet, enleve avec la drayoire, qu'on nomme aussi couteau à revers, tout ce qui peut y rester de chair après le travail de la tannerie. On voit en B un ouvrier au chevalet. La construction du chevalet est si simple, qu'il seroit superflu de l'expliquer.

Lorsque la peau est drayée ou écharnée, on fait un trou à chaque patte de derriere ; on passe dans ces trous une forte baguette qui tient la peau étendue, & on la suspend à l'air à des chevilles, à l'aide du crochet qu'on voit fig. 1. On appelle cela mettre à l'essui.

Quand elle est à moitié seche, on l'humecte comme au défoncement, & on la refoule sur la claie pendant deux ou trois heures plus ou moins, selon que les fosses qu'on y remarque, & qu'il faut effacer, sont plus ou moins considérables. Cette manoeuvre, qu'on appelle retenir, se donne sur la peau pliée & dépliée en tout sens, comme au défoncement. La peau retenue se remet à l'essui, mais on la laisse secher entierement, pour l'appointer, c'est-à-dire lui donner un dernier refoulement à sec.

Cela fait, on la corrompt. Ce travail s'exécute avec un instrument de bois d'un pié ou environ de longueur sur six pouces de largeur, plat d'un côté, arrondi de l'autre, traversé à sa surface arrondie, selon sa largeur, de rainures paralleles, qui forment comme des especes de longues dents, & garni à son côté plat d'une manicle de cuir. On appelle cet instrument une pomelle. Il y en a de différentes sortes, selon les différentes manoeuvres. Voyez les fig. 8. 10. 11. L'ouvrier passe la main dans la manicle, place la peau sur un établi, & conduit la pomelle en tout sens sur la peau, en long, en large, de chair & de fleur. Il faut observer que la peau dans cette manoeuvre n'est pas couchée à plat, & que la portion que l'ouvrier corrompt, est toûjours comme roulée de dessous en dessus ; de cette maniere la pomelle en agit d'autant mieux sur le pli. Voyez fig. D, un ouvrier qui corrompt & tire à la pomelle.

Lorsque la peau a été corrompue & tirée à la pomelle, on la met en suif. Pour cet effet on a du suif dans une grande chaudiere ; on le fait chauffer le plus chaud qu'on peut, on en puise plein un petit chauderon : on a de la paille, on y met le feu ; on passe la peau à plusieurs reprises au-dessus de ce feu, afin de l'échauffer, d'ouvrir ses pores, & de la disposer à boire mieux le suif. On prend une espece de lavette faite de morceaux d'étoffe de laine ; on appelle cette lavette paine ou gipon. Voyez la fig. 5. On la trempe dans le chauderon de suif, & on la passe de fleur & de chair sur toutes les parties de la peau. Ce premier travail ne suffit pas pour mettre la peau convenablement en suif ; on le réitere en entier, c'est-à-dire qu'on la repasse sur un nouveau feu de paille, & qu'on l'imbibe derechef de suif avec le gipon. On la met ensuite tremper dans un tonneau d'eau froide, du soir au lendemain, c'est-à-dire environ dix à douze heures. On la tire de ce bain pour la refouler, & en faire sortir toute l'eau : elle est pliée dans ce travail, comme au défoncement. Lorsqu'on s'apperçoit qu'elle est assez foulée, on la crêpit. Pour la crêpir, on tourne la fleur en haut, où le côté de chair est posé sur la table ; on prend la pomelle, & on la conduit sur toute cette surface, puis on la rebrousse. Rebrousser, c'est mettre le côté de chair en haut, & passer la pomelle sur le côté de la fleur. Pour bien entendre cette manoeuvre, il faut se rappeller que pour se servir de la pomelle on roule la partie sur laquelle on travaille, de dessous en dessus, & que par conséquent il faut que le côté qu'on veut travailler, soit toûjours appliqué contre la table, & l'autre côté en haut.

Quand la peau est crêpie de chair & rebroussée de fleur, on l'étend sur la table ; on l'essuie fortement avec des écharnures, ou ces pieces de chair qui ont été enlevées de la peau avec la drayoire, puis on l'étire. On a pour cette manoeuvre un morceau de fer plat, épais de cinq à six lignes, & large par en-bas de cinq à six pouces ; la partie étroite forme la poignée, & la partie large & circulaire est en plan incliné, & arrondie par son tranchant. Voyez l'étire, fig. 2. On conduit cet instrument à force de bras, de fleur, sur toute la peau, pour l'unir & l'étendre ; c'est ce que fait l'ouvrier C : alors la peau est prête à recevoir le noir.

Le noir est composé de noix de galles & de ferrailles, qu'on fait chauffer dans de la biere aigre ; ou bien on laisse le tout tremper dans un tonneau pendant un mois en été, & deux en hyver, à moins qu'on ne tienne le tonneau à la cave. On donne le noir à la peau avec une brosse ordinaire, ou un gipon ; on la trempe plusieurs fois dans la teinture, & on la passe sur la peau de fleur : jusqu'à ce qu'on s'apperçoive que la couleur a bien pris : si le noir graissoit, ce seroit parce qu'il seroit trop épais ; alors on y jetteroit un ou deux seaux d'eau. Quand ce premier noir est donné & que la peau est essorée ou à demi-seche, on la retient : la retenir dans ce cas-ci, c'est l'étendre sur la table & y repasser de fleur, & fortement l'étire, jusqu'à ce qu'on s'apperçoive que la peau est bien unie, & que le grain est bien écrasé : c'est le terme.

Alors on donne un second noir, appellé noir de soie ; c'est un mêlange de noix de galle, de couperose, & de gomme arabique ; on a soin d'étendre bien également la couleur ; on fait sécher entierement la peau. On la remet seche sur la table. On a de la biere aigre, on en charge la peau avec un morceau d'étoffe, on la plie de patte en patte ; on prend une moyenne pomelle de bois, on la passe sur la fleur qui touche par conséquent la table, puis on rebrousse sur la fleur avec une pomelle de liége : cela s'appelle corrompre des quatre quartiers, & couper le grain.

Après l'avoir rebroussée, on la charge encore de biere, qu'on chasse avec une torche de crin bouillie dans de la lie de chapelier : après quoi on prend le valet qu'on voit fig. 12. ; on serre par son moyen la peau sur la table, du côté de la tête : ce valet est un morceau de fer recourbé, dans la courbure duquel la table & le cuir peuvent être reçûs ; il a un pouce de largeur, sur environ un pié de long. On acheve de nettoyer la peau avec l'étire, d'abord du côté de la fleur, ensuite du côté de la chair ; avec cette différence que l'étire qui sert de chair est un peu tranchante. On l'essuie de fleur & de chair, après ce travail ; on se sert pour cela d'un vieux bas d'estame, qu'on appelle le bluteau : après quoi on l'éclaircit.

Cette façon se donne seulement de fleur : on se sert pour cela du suc de l'épine-vinette, qu'on a laissé macérer & fermenter pendant vingt-quatre heures, après l'avoir écrasée. On lustre le côté de fleur seulement, avec ce suc.

Quand la peau est lustrée, il ne reste plus qu'à lui donner le grain : on entend par le grain, ces especes de gersures qu'on apperçoit à la peau. Pour les commencer, on a plié la peau la fleur en dedans, & on l'a pressée à l'étire en plusieurs sens, comme nous l'avons dit plus haut. Et pour l'achever, on la dresse ou plie la fleur en-dedans, après son premier lustre ; 1°. de quatre faux quartiers, c'est-à-dire des quatre coins, mais un peu de biais : 2°. de travers, c'est-à-dire en long, oeil contre oeil ; 3°. en large, ou de queue en tête : on fixe le grain en pressant fortement la peau avec l'étire, fleur en-dedans, dans tous ces sens. Puis on passe la peau au second lustre, qui se compose de biere, d'ail, de vinaigre, de gomme arabique, & de colle de Flandre, le tout bouilli ensemble, mais appliqué à froid. Ce lustre appliqué, on la plie, & on la pend la fleur en-dedans, en faisant passer la cheville dans les deux yeux.

Travail des veaux noirs à chair grasse. On les mouille d'abord, puis on les boute sur le chevalet jusqu'à la tête : le boutoir est un couteau à deux manches, droit, peu tranchant ; c'est pourquoi on l'appelle aussi couteau sourd. Après avoir bouté la partie de la peau qui doit l'être, on travaille la tête avec la drayoire, ce qui s'appelle dégorger. La chair étant un peu plus épaisse à la tête qu'ailleurs, on se sert du couteau à revers ou de la drayoire pour cette partie, & du couteau sourd pour le reste. Ces deux opérations nettoyent la peau de la chair que le tanneur peut y avoir laissée. Après cela on la fait sécher entierement, & on la ponce, c'est-à-dire qu'on passe une petite pierre forte & dure sur tout le côté de la chair, afin d'achever de le nettoyer. Ce travail est suivi de la manoeuvre par laquelle on corrompt ; on corrompt la peau de quatre quartiers, on la rebrousse de queue en tête, on la met en suif, & on l'acheve comme la vache.

Travail des moutons noirs. On commence par les ébourer à l'étire : ce travail les nettoye du tan qui y est resté attaché ; on les mouille, on les foule & roule sur la claie ; on leur donne l'huile du côté de la fleur seulement ; on les met au bain d'eau fraîche, on en fait sortir l'eau à l'étire, ce qui s'appelle écouler ; on leur donne le noir ; on les repasse ; on les retient ; on les seche entierement ; on les corrompt ; on les rebrousse, & on les pare à la lunette. Le paroir est un chevalet, qui n'est pas plus difficile à concevoir que celui du travail des vaches noires, quoiqu'il soit fort différent. La peau est fixée à la partie supérieure sur un rouleau, ou sur une corde au défaut de rouleau ; l'ouvrier passe autour de lui la lisiere qui correspond aux deux branches de sa tenaille : cette lisiere descend au bas de ses fesses qui la tirent suffisamment pour que la tenaille morde ferme l'extrémité de la peau, l'approche de lui, & la tende ; la peau lui présente la chair. Sa lunette est un instrument de fer, semblable à un palet, d'un pié de diametre ou environ, percé dans le milieu, & tranchant sur toute sa circonférence ; les bords du trou sont garnis de peau. L'ouvrier passe la main dans cette ouverture qui a six ou sept pouces de diametre, & conduit le tranchant de la lunette sur toute la surface de la peau, pour en enlever le peu de chair qui a pû échapper à l'étire. Le reste du travail s'expédie comme à la vache noire. Voyez fig. E, un ouvrier qui pare ; fig. 6. la tenaille avec son cordon ; & fig. 7. sa lunette.

Travail du cuir lissé. Il n'y en a que de boeufs & de vaches. On les mouille, on les foule, on les tire à la pomelle ; on les rebrousse, on les boute ; on en continue le travail comme aux vaches noires, jusqu'au suif qu'on donne très-fort, & à plusieurs reprises de fleur & de chair. On les met au bain à l'eau fraiche ; on continue, comme nous l'avons prescrit pour la vache retournée, jusqu'au second lustre, après lequel on les met en presse entre deux tables pour les applatir. Pendant tout ce travail, on n'a ni corrompu ni dressé.

Mais le noir n'est pas la seule couleur que les Corroyeurs donnent aux peaux ; ils en fabriquent en jaune, rouge, verd, & blanc. Voici la maniere dont la préparation en est décrite dans le dictionnaire de Commerce. Nous ne répondons pas de leur succès, les ouvriers étant vraisemblablement aussi cachés, lorsque M. Savari faisoit son ouvrage, qu'ils le sont aujourd'hui. Le jaune se compose de graine d'Avignon & d'alun, demi-livre de chacun sur trois pintes d'eau, qu'on réduit au tiers. Le rouge, de bois de Bresil, deux livres sur quatre seaux d'eau : réduisez le tout à moitié par l'ébullition ; tirez au clair, remettez sur le Bresil même quantité d'eau que la premiere fois, réduisez encore à moitié par une ébullition de six heures ; rejettez la premiere teinture sur cette seconde, & laissez-les toutes deux environ deux heures sur le Bresil, & sur le feu. Le verd, de gaude ; mettez une botte de gaude sur six seaux d'eau ; laissez bouillir le tout pendant quatre heures à petit-feu ; ajoûtez ensuite quatre livres de verd-de-gris. Le blanc ne demande aucune préparation particuliere, c'est la couleur même du cuir passé en huile ; couleur qui est d'autant plus belle, que le jaunâtre en est plus éclatant. Pour passer ces peaux en blanc, on les commence comme pour les autres couleurs ; ensuite on les passe en huile, ou au dégrais des Chamoiseurs. Voyez CHAMOISEURS. Quand elles sont seches, on les refoule à sec, on les corrompt, on les rebrousse des quatre quartiers, on les repare à la lunette ; on les refoule à sec encore une fois, on les ponce, on les corrompt derechef & rebrousse de quatre quartiers ; & pour les redresser de grain, on les corrompt de travers, & de queue en tête. On n'apprête ainsi que des vaches & des veaux, qu'on appelle façon d'Angleterre.

La différence des teintures n'en apporte point aux travaux ; il faut seulement observer que celles qu'on destine à être passées en jaune, ne se passent point en alun, parce qu'il en entre dans leur teinture. Voy. l'article CHAMOISEUR, sur la maniere de passer les peaux en couleur jaune. Voici donc le travail qu'il faut donner aux peaux qu'on veut teindre. On commence par les brosser du côté de la fleur avec des brosses ni molles ni rudes ; on les trempe dans l'eau ; on les foule dans l'eau, on les défonce au sortir de l'eau ; on les draye, boute, ou ébourre, selon leur qualité ; on les seche, on les remet au bain pour peu de tems ; on les refoule dans ce bain, on les écoule à l'étire, on leur donne une huile legere du côté de chair seulement, on les met à essorer ; on les retient avec une étire de cuivre, on les seche entierement ; on les humecte avec le gipon d'une eau d'alun, faite d'une livre de cet ingrédient sur trois pintes d'eau, on les met essorer ; on les défonce, au moins pendant deux à trois heures ; on continue le travail, crépissant des quatre quartiers, rebroussant de travers, & séchant entierement jusqu'au moment où il faut les teindre : alors on leur donne de fleur la couleur qu'on souhaite, d'abord de queue en tête, puis de travers. On les met sécher, on leur donne la seconde couleur quand elles sont toutes seches, on les rebrousse, & on les finit comme les vaches retournées. Cela fait, on les décrasse au couteau de revers sur le chevalet ; on les ponce, on les retire des quatre quartiers & de travers ; on leur donne leur lustre, avec le blanc d'oeuf battu dans une pinte de la couleur ; on les seche entierement, ou on les essore seulement ; on a une lisse de verre, comme on la voit figure 13, & on la passe sur toute la peau. La lisse des Corroyeurs n'est pas différente, ni pour la matiere, ni pour la forme de celle des Lingeres ; elle est seulement plus pesante & plus forte.

Travail des vaches étirées. Après qu'elles ont été mouillées, on les rebrousse avec une pomelle à larges dents, sans les avoir foulées ni défoncées ; on les draye au chevalet, on les rebrousse des quatre quartiers & de queue en tête ; on les mouille de fleur & de chair, avec un gipon de serge, mais le mouillage est leger de chair ; on les étend sur la table, on les retient avec l'étire de cuivre, puis on les presse à demi-seches entre deux tables.

Travail des cuirs gris. Ils se fabriquent comme les lissés ; mais on ne les passe point en teinture, & on ne les lisse point.

CORROYER DU SABLE, chez les Fondeurs, c'est le passer plusieurs fois sous le bâton & le couteau, pour le rendre plus maniable, en écraser toutes les mottes, & le disposer à prendre plus exactement les diverses empreintes des modeles qu'on veut jetter en cuivre. Voyez FONDEUR EN SABLE.

CORROYER DU BOIS, (Menuiserie) c'est le dresser pour le mettre en oeuvre, au moyen d'une demi-varlope & de la varlope.

CORROYER LA TERRE GLAISE : les Potiers de terre, les Fournalistes, les Sculpteurs, & les Fontainiers, se servent de ce terme pour exprimer la façon qu'ils donnent à la terre glaise qu'ils veulent employer dans leurs ouvrages, en la pétrissant & la remuant, soit avec les mains, soit avec les piés. Voyez POTERIE.

* CORROYER LE FER, (Serrurerie, Taillanderie, Coutellerie, & autres ouvriers en fer) c'est le préparer à la forge pour différens ouvrages. Cette premiere opération consiste à le battre sur l'enclume, pour en ôter les pailles, l'allonger, le reforger, le resouder, &c.

CORROYER se dit encore de l'action d'un forgeron qui de plusieurs barres de fer qu'il soude ensemble, n'en fait qu'une. Si l'union de ces barres est bien intime & bien faite, on dit de la barre entiere qu'elle est bien corroyée.


CORROYEURS. m. artisan qui a le droit de corroyer & faire corroyer les cuirs, en qualité de membre d'une communauté de ce même nom. Voy. CORROYER LES CUIRS à l'article CORROYER.

Les ouvriers qui donnoient la derniere préparation aux cuirs au sortir des mains des Tanneurs, formoient autrefois quatre communautés, appellées Corroyeurs, Baudroyeurs, Cordoüaniers, & Sueurs. Les Corroyeurs travailloient les cuirs blancs, les Baudroyeurs les cuirs de couleur, les Cordoüaniers ne préparoient que les cordoüans ou especes de maroquins, enfin les Sueurs donnoient aux cuirs le suif & la graisse. On ne sait pas la date de la réunion de ces communautés ; mais on ne connoît plus que la communauté des Corroyeurs, dont les statuts sont de 1345.

Cette communauté est régie par huit jurés, dont quatre sont appellés jurés de la conservation, & les autres, jurés de la visitation royale. On élit tous les ans deux jurés de la conservation, & il en sort deux jurés de la visitation ; ainsi leur jurande dure quatre ans, savoir deux ans à la conservation, & deux ans à la visitation.

Un maître doit avant que d'être juré, avoir été pendant un an receveur, c'est-à-dire avoir fait la perception de tous les nouveaux droits, tant de réception que de lotissage, ordonnés par la déclaration du 7 Juin 1692, pour acquiter les dettes de la communauté.

La visitation royale se fait tous les mois par les jurés Corroyeurs chez les Corroyeurs ; mais il s'en fait une autre tous les deux mois par les jurés Corroyeurs & Cordonniers, chez les maîtres Cordonniers.

Il y a encore deux autres jurés pour la marque des cuirs, qu'on appelle les jurés du marteau.

La discipline de cette communauté est à-peu-près la même que celle de toutes les autres communautés.


CORRUCHE(Géog. mod.) petite ville de Portugal dans l'Estramadoure, sur une riviere du même nom.


CORRUGATEURS. m. (Anat.) muscle qui sert au froncement des sourcils. Voyez SOURCILS.


CORRUPTEURS. m. (Morale) ne se prend plus qu'au figuré ; celui qui porte dans les moeurs d'un autre la dépravation qui regne dans les siennes.


CORRUPTIBLEadj. designe, au moral, ce qui peut être corrompu ; au physique, ce qui peut se corrompre. Voyez CORRUPTION.


CORRUPTICOLESS. m. pl. (Hist. eccles.) sont des hérétiques Eutychiens qui parurent vers l'an 531 de Jesus-Christ, & qui eurent pour chef Severe, faux patriarche d'Alexandrie.

Cette secte naquit en Egypte ; car Severe s'étant retiré à Alexandrie, y soûtint, que le corps de Jesus-Christ étoit corruptible, que les peres l'avoient reconnu, & que le nier, c'étoit nier la vérité de la passion du Sauveur.

D'un autre côté Julien d'Halicarnasse, autre Eutychien aussi refugié en Egypte, soûtenoit que le corps de Jesus-Christ a toûjours été incorruptible ; que de dire qu'il étoit corruptible, c'étoit admettre de la distinction entre Jesus-Christ & le Verbe, & par conséquent deux natures en Jesus-Christ. Voyez EUTYCHIEN.

Le peuple d'Alexandrie se partagea entre ces deux opinions : les partisans de Severe furent appellés Corrupticoles, c'est-à-dire adorateurs du corruptible ; & ceux de Julien, Incorruptibles ou Phantasiastes. Le clergé d'Alexandrie & les puissances séculieres favoriserent les premiers ; mais les moines & le peuple tinrent pour les seconds. Dict. de Trév. (G)


CORRUPTIONS. f. en Philosophie, est l'état par lequel une chose cesse d'être ce qu'elle étoit ; on peut dire que le bois est corrompu, quand nous ne le voyons plus subsister, & qu'au lieu du bois nous trouvons du feu : de même l'oeuf est corrompu, quand il cesse d'être un oeuf & que nous trouvons un poulet à sa place ; car corruption n'est pas pris ici dans le sens vulgaire. De-là cet axiome de Philosophie, que la corruption d'une chose est la génération d'une autre.

La corruption differe donc de la génération, comme deux contraires different l'un de l'autre.

Elle differe de l'altération, comme un plus grand d'un moindre, ou comme le tout de sa partie. Une chose est dite altérée lorsqu'elle n'est pas tellement changée qu'on ne la puisse reconnoître, & qu'elle conserve encore son ancien nom : mais après la corruption, ni l'un ni l'autre ne subsistent plus. Voyez ALTERATION.

Mais comme dans la génération aucune matiere n'est véritablement créée, ainsi dans la corruption rien n'est réellement anéanti, que cette modification particuliere qui constituoit la forme d'un être, & qui le déterminoit à être de telle ou telle espece. Voyez FORME & GENERATION. Chambers.

Les anciens croyoient que plusieurs insectes s'engendroient par corruption. On regarde aujourd'hui cette opinion comme une erreur, quoiqu'elle paroisse appuyée par des expériences journalieres. En effet, ce qui se corrompt produit toûjours des vers : mais ces vers n'y naissent, que parce que d'autres insectes y ont déposé leurs oeufs. Une expérience sensible prouve cette vérité.

Prenez du boeuf tout nouvellement tué ; mettez-en un morceau dans un pot découvert, & un autre morceau dans un pot bien net, que vous couvrirez sur le champ avec une piece d'étoffe de soie, afin que l'air y passe sans qu'aucun insecte y puisse déposer ses oeufs. Il arrivera au premier morceau ce qui est ordinaire ; il se couvrira de vers, parce que les mouches y font leurs oeufs en liberté ; l'autre morceau s'altérera par le passage de l'air, se flétrira, se reduira en poudre par l'évaporation ; mais on n'y trouvera ni oeufs, ni vers, ni mouches. Tout au plus les mouches attirées par l'odeur viendront en foule sur le couvercle, essayeront d'entrer, & jetteront quelques oeufs sur l'étoffe de soie, ne pouvant entrer plus avant. Au fond, il est aussi absurde, selon M. Pluche, de soûtenir qu'un morceau de fromage engendre des mites, qu'il le seroit de prétendre qu'un bois ou une montagne engendrât des cerfs ou des éléphans. Car les insectes sont des corps organisés, & aussi fournis des différentes parties nécessaires à la vie, que le sont les corps des plus gros animaux.

Cependant quelques philosophes modernes paroissent encore favorables à l'opinion ancienne de la génération par corruption, du moins en certains cas. M. de Buffon, dans son histoire naturelle, pag. 320. II. vol. paroît incliner à cette opinion. Après avoir exposé son système des molécules organiques, dont il sera parlé à l'article GENERATION, il en conclut qu'il y a peut-être autant d'êtres, soit vivans soit végétans, qui se produisent par l'assemblage fortuit des molécules organiques, qu'il y en a qui se produisent par la voie ordinaire de la génération ; c'est, dit-il, à la production de cette espece d'êtres qu'on doit appliquer l'axiome des anciens, corruptio unius generatio alterius. Les anguilles qui se forment dans la colle faite avec de la farine, n'ont pas d'autre origine, selon lui, que la réunion des molécules organiques de la partie la plus substantielle du grain. Les premieres anguilles qui paroissent, dit-il, ne sont certainement pas produites par d'autres anguilles ; cependant quoique non-engendrées, elles en engendrent d'autres vivantes. On peut voir sur cela un plus grand détail dans l'endroit que nous abrégeons. On ne peut nier que généralement parlant les particules qui composent un insecte, ne puissent être rassemblées par une autre voie que par celle de la génération : du moins nous connoissons trop peu les voies & le méchanisme de la Nature, pour avancer là-dessus une assertion trop exclusive. Il est certain par l'expérience, que dans la plûpart des cas où les insectes paroissent engendrés par corruption, ils le sont par génération ; mais est-il démontré dans tous les cas, que la corruption ne puisse jamais engendrer de corps animé ? c'est ce qu'il faut bien se garder d'affirmer d'une maniere positive. Au reste, M. de Buffon lui-même avoüe qu'il lui faudroit plus d'observations pour établir entre ces êtres ainsi engendrés, des classes & des genres. (O)

CORRUPTION DES HUMEURS, (Pathologie) expression qui désigne un vice imaginaire, si on l'employe comme synonyme de putréfaction, ou même d'acrimonie, dans l'histoire des maladies ou des affections contre-nature de l'animal vivant ; expression fausse ou peu exacte, prise dans le même sens qu'abberration, ou état contre-nature des humeurs de l'animal vivant, parce qu'elle semble trop spécifier ou n'être pas assez générale. Voyez ACRIMONIE DES HUMEURS au mot HUMEURS. (b)

* CORRUPTION PUBLIQUE, (Politiq. & Morale) elle a deux sources ; l'inobservation des bonnes lois ; l'observation de lois mauvaises. Il m'a toûjours semblé plus difficile de faire observer rigoureusement de bonnes lois, que d'en abroger de mauvaises. L'abrogation est l'effet de l'autorité publique. L'observation est l'effet de l'intégrité particuliere.

CORRUPTION DU SANG, (Hist. mod.) Les Anglois appellent ainsi la tache imprimée sur tous les descendans d'un criminel de leze-majesté, qui les rend incapables des charges & emplois publics, & les dégrade de noblesse s'ils sont gentilshommes. V. DEGRADATION.

Si le roi accorde des lettres de pardon, elles empêchent que les enfans qui naîtront depuis ne participent à cette corruption du sang, mais elles ne rehabilitent pas ceux qui étoient nés auparavant. (G)


CORSAGES. m. (Vénerie) se disoit autrefois de la forme du corps humain ; il ne se dit plus que de la forme du corps du cerf.


CORSAIREFORBAN, PIRATE, (Marine) écumeur de mer, tous noms synonymes pour désigner celui qui arme un vaisseau en guerre, sans aucune commission, pour voler indifféremment les vaisseaux marchands qu'il rencontre à la mer. Les corsaires ou forbans sont traités comme des voleurs publics ; & lorsqu'on les prend, on peut les pendre sans autre forme de procès.

Ceux qui font la course avec plusieurs commissions de différentes puissances, sont traités comme forbans.

Il ne faut pas confondre le corsaire avec l'armateur ; ce dernier ne fait la course que sur les ennemis de l'état, avec commission particuliere de son prince. (Z)


CORSE(Géog. mod.) île très-considérable d'Italie, dans la mer méditerranée, appartenante à la république de Genes. Les Corses sont remuans, vindicatifs, & belliqueux.


CORSELETS. m. (Art. milit.) cotte de maille, armure défensive en forme de tunique, qui descendoit depuis le cou jusqu'au milieu du corps. Elle étoit faite de petits anneaux ou mailles de fil de fer tortillées & entrelacées les unes dans les autres. Voyez MAILLE.

On appelloit aussi cette armure haberge, hauberge, haubere, habert, hauther, hautbert, & hauberk. Spelman croit que tous ces mots sont dérivés du gaulois hault, haut, & berg, armure, parce que cette arme servoit à défendre la partie supérieure du corps. Ducange & Skinner aiment mieux tirer son origine du belgique hals, ou du teutonique haltz, cou, & bergen, couvrir, à cause que cette cotte de maille servoit principalement à couvrir le cou ; d'autres le font venir du même mot bergen, couvrir, & de al ou alla, tout, pour signifier que le haubert couvroit tout le corps. Voyez HAUBERT. (G)

On le donnoit autrefois aux piquiers, que l'on plaçoit pour l'ordinaire sur le front & sur les flancs d'une armée, pour mieux résister aux attaques de l'ennemi, & pour mieux défendre les soldats qui étoient devant ou derriere eux. Voyez CUIRASSE. Vaugelas observe que les gens de mer étoient autrefois armés de corselets. (Q)


CORSEROou COCHON, s. m. terme de Pêche, est un petit morceau de liége, que l'on frappe sur la pille de l'ain. Voyez LIGNE.


CORSETsub. m. Le corset de nos dames est un petit corps ordinairement de toile piquée & sans baleine, qu'elles attachent par-devant avec des cordons plats ou avec des rubans, & qu'elles portent lorsqu'elles sont en deshabillé ; mais le corset étoit aux dames Romaines le plus brillant de tous leurs ajustemens.

On se servit d'abord de ceintures ou de bandes, dont les jeunes personnes se serroient le sein, qui jusques-là, pour ainsi dire, n'avoit été soûtenu que par les mains de la Nature. Le Phédria de l'eunuque de Terence, dit à son valet, d'une jeune beauté dont il avoit été frappé subitement ; " Cette fille n'a rien de commun avec les nôtres, à qui leurs meres s'efforcent de baisser la taille, & qu'elles obligent de se serrer le sein avec des bandes pour paroître plus menues ". Il y a apparence que ces bandes donnerent ensuite la premiere idée des corsets, & ils ne furent pas longtems en usage sans qu'on les décorât de toute la parure que le luxe & l'envie de plaire peuvent imaginer. Voyez les mém. de l'acad. des Inscript. & les auteurs sur l'habillement des dames Romaines. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CORSNEDS. m. (Hist. anc. d'Angl.) maniere de se purger d'un crime parmi les Anglo-Saxons.

Une des manieres reçûes chez les Anglo-Saxons pour se purger d'un crime, s'exécutoit par le moyen d'une once de pain ou de fromage consacrée avec beaucoup de cérémonie, qu'on donnoit à manger à la personne accusée, qui devoit être à jeun. On croyoit que si elle étoit coupable, ce morceau devoit s'arrêter dans son gosier & l'étouffer, mais qu'au contraire elle l'avaleroit aisément si elle étoit innocente. Voilà où en étoient nos peres.

Le formulaire de l'imprécation qu'on prononçoit en lui présentant ce morceau ; après qu'elle avoit reçu la communion, étoit tel : Puisse son visage devenir pâle, ses membres être attaqués de convulsions ; & qu'un changement affreux paroisse sur tout son corps si elle est coupable. Cette maniere d'épreuve étoit vraisemblablement, comme le pense M. de Rapin, imitée des eaux de jalousie, dont on voit l'institution dans l'ancien Testament, Nombres, chap. v. On appelloit ce morceau consacré corsned, du mot snide, qui veut dire couper ou un morceau coupé, & de corse (on écrit à présent curse) qui signifie maudire, parce qu'on croyoit que ce morceau portoit la malédiction dans celui qui étoit coupable. Voyez EPREUVE. Art. de M(D.J.)


CORSOER(Géog. mod.) petite ville du royaume de Danemark, dans l'île de Séeland, avec un fort sur la mer Baltique.


CORSOIDES. f. (Lytholog.) pierre figurée, ou espece d'agate où l'on voit une tête à chevelure humaine.


CORTE(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'île de Corse, avec un fort château. Long. 25. 55. lat. 42. 12.


CORTEGES. m. (Hist. mod.) se dit généralement de tout ce qui accompagne ou suit une personne considérable, comme un prince, un ambassadeur, &c. dans quelque cérémonie publique, telle qu'une entrée, &c. hommes, chevaux, équipages. Je ne crois pas qu'on puisse dire le cortége d'un souverain.


CORTELINS. m. (Hist. mod.) nom d'officiers des empereurs de Constantinople ; c'étoient de simples portiers du palais, qu'il ne faut pas confondre avec les cortinaires. Voyez CORTINAIRES.


CORTEMIGLIA(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au duché de Montferrat, dans le pays d'Alba, sur la riviere de Bormida.


CORTICALadj. en Anatomie, se dit d'une substance qui environne une partie, comme l'écorce fait l'arbre.

La substance corticale du cerveau, c'est la partie extérieure du cerveau & du cervelet, ou cette partie qui est immédiatement au-dessous de la pie-mere, ainsi appellée, parce qu'elle entoure la partie intérieure ou médullaire, comme l'écorce d'un arbre l'entoure. Voyez CERVEAU.

On l'appelle aussi la substance cendrée, à cause de sa couleur grisâtre ou cendrée. Voyez CENDREE.

Archange Piccolomini Ferrarois passe pour avoir introduit le premier en 1526 cette division du cerveau en substance corticale ou cendrée, & en médullaire ou fibreuse. Mais Vesale avoit déjà observé cette distinction, liv. VII. ch. jv. & en avoit donné la figure. Voyez SUBSTANCE MEDULLAIRE.

La substance corticale est plus molle & plus humide que la médullaire ; elle l'accompagne dans toutes ses circonvolutions. Elle est formée par des ramifications capillaires des arteres carotides, qui font un lassis dans les meninges, & qui de-là se continuent dans cette substance par des ramifications capillaires imperceptibles. Voyez MENINGES.

La plûpart des Anatomistes, après Malpighi, Bidloo, &c. conviennent qu'elle est glanduleuse, & que la substance médullaire n'en est que la continuation. Ruisch, Bergerus, Vieussens, &c. prétendent qu'elle n'a rien de glanduleux. Voy. CERVEAU, CERVELET, & MOELLE ALLONGEE ; voyez aussi GLANDE, &c. Chambers. (L)


CORTINAIREsub. m. (Hist. mod.) nom d'officiers des empereurs de Constantinople assistans toûjours au-dedans de la cortine ou portiere de la chambre du souverain, prêts à recevoir ses ordres. Il y avoit le comte ou chef des cortinaires ou huissiers de la chambre.


CORTONE(Géog. mod.) petite ville d'Italie en Toscane, dans le Florentin. Long. 29. 37. latit. 43. 18.


CORTUSEcortusa, s. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont le nom a été dérivé de celui de Jacques Antoine Cortusus. La fleur des plantes de ce genre est composée de cinq pétales inégaux & dissemblables. Il s'éleve du fond du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ovoïde & charnu, qui renferme un osselet divisé en deux loges, dans chacune desquelles il y a une semence menue & oblongue. Plumier, nova pl. amer. gener. V. PLANTE. (I)


CORUS. m. (Hist. nat. bot.) arbre du Malabar, nain & semblable au coignassier ; il a la fleur jaune, presque nulle odeur, la feuille du pêcher, l'écorce mince, légere, & d'un verd d'eau, pleine d'un suc laiteux, épais, gluant, insipide, amer, froid & dessiccatif. On fait un grand usage de cette derniere partie contre toute sorte de flux. Voyez là-dessus Rai & James.


CORUSCATIONsubst. f. (Docimasie) Voyez ECLAIR.


CORVEABLESadj. pris subst. (Jurisprud.) sont les sujets d'un seigneur qui sont tenus de faire pour lui certains ouvrages, comme de faucher ou faner ses foins, scier ses bleds, faire les vendanges, curer les fossés du château, réparer les chemins, &c. Ils sont appellés angarii ou angararii par Frédéric II. roi de Sicile, lib. I. constitut. tit. xlvij. lib. II. tit. xxxij. & lib. tit. x. & lx. Voyez le glossaire de M. de Lauriere au mot corvéables, & ce qui est dit ci-après au mot CORVEES. (A)

CORVEABLES A MERCI ou A VOLONTE, sont ceux qui doivent des corvées indéfiniment, sans que le tems ni le nombre en soit limité. Voyez ci-après CORVEES à la subdivision corvées à merci, & le glossaire de M. de Lauriere au mot corvéables. (A)

CORVEE, s. f. (Jurisprud.) est un service que le sujet doit à son seigneur, tel que l'obligation de faucher ou faner ses foins, de labourer ses terres & ses vignes, de scier ses blés, faire ses vendanges, battre ses grains, faire des voitures & charrois pour lui-même, lui fournir à cet effet des boeufs, chevaux, & autres bêtes de sommes ; des charrettes, & autres harnois ; curer les fossés du château, réparer les chemins, & autres oeuvres semblables.

Dans la basse latinité la corvée étoit appellée corvata : quelques-uns prétendent que ce terme vient à curvando, parce que celui qui doit la corvée se courbe pour l'acquiter ; d'autres tiennent que ce terme est composé de deux mots cor & vée, dont le dernier en vieil langage lyonnois signifie peine & travail. Cette étymologie paroît d'autant plus naturelle, que la corvée est en effet ordinairement un ouvrage de corps, & que l'origine de ces servitudes vient des pays de droit écrit & du droit Romain.

Les corvées chez les Romains étoient de deux sortes : savoir, celles qui étoient dûes à des particuliers ; celles que l'on mettoit au nombre des charges publiques, & que tout le monde devoit.

La premiere sorte de corvées, c'est-à-dire celles dûes à des particuliers, étoient principalement dûes aux patrons par leurs affranchis appellés liberti. C'étoient des conditions & des devoirs imposés aux esclaves lors de leur affranchissement.

Cette matiere est traitée dans plusieurs titres du Droit ; savoir, au digeste de muneribus & honoribus patrim. de excusatione & vacatione munerum, & au code de muneribus patrim. & autres titres.

Les corvées y sont appellées operae ; & les lois les regardent comme un travail d'un jour, & qui se fait de jour, diurnum officium. Il y avoit pourtant des corvées dûes de jour & de nuit, comme le guet & garde, vigiliae, excubiae.

Les lois distinguent les corvées en officiales & en fabriles, seu artificiales. Les premieres consistoient à rendre certains devoirs d'honneur au patron, comme de l'accompagner où il alloit. Les autres consistoient à faire quelque ouvrage ; & sous ce point de vûe les lois comprenoient même ce qui dépendoit de certains talens particuliers, comme de peindre, d'exercer la Medecine, même de joüer des pantomimes.

Les corvées appellées officiales, n'étoient point cessibles, & ne pouvoient être dûes qu'au patron personnellement ; au lieu que les corvées fabriles ou artificielles pouvoient être dûes à toutes sortes de personnes, & étoient cessibles : le patron pouvoit en disposer, & les appliquer au profit d'une tierce personne.

Il n'étoit dû aucune corvée, qu'elle n'eût été réservée lors de l'affranchissement. Celles que l'affranchi faisoit volontairement ne formoient pas un titre pour en exiger d'autres ; mais l'affranchi les ayant faites, ne pouvoit en répéter l'estimation, étant censé les avoir faites en reconnoissance de la liberté à lui accordée : ce qu'il faut sur-tout entendre des corvées obséquiales ou officiales qui ne gissent point en estimation ; car pour les oeuvres serviles, si elles avoient été faites par erreur, & que le sujet en eût souffert une perte de tems considérable eu égard à sa fortune, il pourroit en répéter l'estimation dans l'année, condictione indebiti.

Les lois Romaines nous enseignent encore qu'on ne peut stipuler de corvée, où il y ait péril de la vie, ni corvées deshonnêtes & contraires à la pudeur.

Que l'âge ou l'infirmité du corvéable est une excuse légitime pour les travaux du corps, & que dans ces cas les corvées n'arréragent point, quoiqu'elles ayent été demandées, parce que le corvéable n'est pas en demeure, per eum non stetit.

Que la dignité à laquelle est parvenu le corvéable l'exempte des corvées personnelles, comme s'il a embrassé l'état ecclésiastique.

Que l'affranchi doit se nourrir & se vêtir à ses dépens pendant la corvée ; mais que s'il n'a pas dequoi se nourrir, le patron est obligé de le lui fournir, ou du moins de lui donner le tems de gagner sa nourriture.

Que les corvées n'étoient point dûes sans demande, & qu'elles devoient être acquittées dans le lieu où demeuroit le patron ; que si l'affranchi demeuroit loin du patron, & qu'il lui fallût un jour pour venir & autant pour s'en retourner, ces deux jours étoient comptés comme s'ils eussent été employés à faire des corvées : de sorte que si l'affranchi devoit quatre jours de corvées, il n'en restoit plus que deux à acquiter ; & le patron ne pouvoit les exiger que dans un lieu fixe, & non pas se faire suivre par-tout par son affranchi.

Quand l'affranchi s'étoit obligé par serment de faire autant de corvées que le patron voudroit, cela devoit s'exécuter modérément, sinon on les régloit arbitrio boni viri.

Les corvées officieuses ne passoient point aux héritiers du patron, mais seulement celles qu'on appelloit fabriles ; & à l'égard de celles-ci, lorsqu'il en étoit dû plusieurs, & que l'affranchi laissoit plusieurs héritiers, l'obligation se divisoit entr'eux.

Telles sont les principales regles que l'on observoit chez les Romains pour les corvées dûes par les affranchis à leurs patrons, ou entre d'autres particuliers.

A l'égard des charges publiques appellées tantôt munus publicum, tantôt onus & aussi obsequia, c'est-à-dire devoirs, par où l'on désignoit tous les travaux publics ; c'étoient aussi des especes de corvées, & qui étoient dûes par tous les sujets. On les distinguoit en charges personnelles, patrimoniales, & mixtes. On appelloit corvées ou charges personnelles, celles qui ne consistoient qu'en travail de corps ; patrimoniales ou réelles, celles où le possesseur d'un fonds étoit taxé à fournir tant de chariots, ou autres choses, suivant la valeur de son héritage. Le droit de gîte, par exemple, étoit une corvée réelle ; les pauvres qui ne possédoient point de fonds n'étoient pas sujets à ces corvées réelles. On ne connoissoit alors d'autres corvées réelles, que celles qui étoient établies par une taxe publique ; il n'y en avoit point encore d'établies par le titre de concession de l'héritage : enfin les mixtes étoient des travaux de corps auxquels chacun étoit taxé à proportion de ses fonds.

Personne n'étoit exempt des corvées ou charges publiques patrimoniales, c'est-à-dire réelles, ni les forains, ni les vétérans, ni les ecclésiastiques, même les évêques ; aucune dignité ni autre qualité n'en exemptoit les philosophes, les femmes, les mineurs : tous étoient sujets aux corvées réelles, c'est-à-dire dûes à cause des fonds. On ne pouvoit s'en exempter que quand c'étoient des ouvrages du corps, que l'âge ou l'infirmité ne permettoient pas de faire.

L'origine des corvées en France vient des lois Romaines, que les Francs trouverent établies dans les Gaules, lorsqu'ils en firent la conquête. Les rois de la premiere & de la seconde race puiserent la plûpart de leurs ordonnances dans ces lois ; & elles continuerent d'être le droit principal de plusieurs provinces, qu'on appella de-là pays de droit écrit. Il y eut même plusieurs dispositions adoptées dans nos coûtumes, qui avoient aussi été empruntées du droit Romain.

Il ne faut donc pas s'étonner si les corvées usitées en France, même dans le pays coûtumier, sont une imitation du droit Romain. Les seigneurs qui, dans les commencemens de la monarchie, ne tenoient leurs seigneuries qu'à titre d'offices & de bénéfices à vie ou à tems, vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, se rendirent propriétaires de leurs seigneuries ; ils usurperent la puissance publique & tous les droits qui en dépendoient. Ils traiterent leurs sujets comme des esclaves ; ou s'ils les affranchirent, ce ne fut qu'à des conditions onéreuses, & sous la reserve de certaines corvées. Ils s'attribuerent ainsi les devoirs dont les affranchis étoient tenus envers leurs patrons ; ils appliquerent de même à leur profit particulier les charges dont leurs sujets étoient tenus envers l'état, & par ce moyen s'attribuerent toutes les corvées publiques & particulieres : aussi trouve-t-on dans le droit Romain toutes les mêmes corvées qui sont présentement en usage parmi nous, soit en pays de droit écrit, soit en pays coûtumier.

On distingue parmi nous, comme chez les Romains, deux sortes de corvées ; savoir publiques & particulieres.

Les corvées publiques sont celles qui sont dûes pour le service de l'état, ou pour l'intérêt commun d'une province, d'une ville ou d'une communauté d'habitans ; le Prince est le seul qui puisse les ordonner quand il le juge à propos.

Les corvées particulieres sont celles qui sont dûes à quelques seigneurs, en vertu de la loi du pays ou de quelque titre particulier, ou d'une possession qui tient lieu de titre.

La plûpart des corvées particulieres ont été acquises, comme on l'a dit, par usurpation ; mais depuis que les coûtumes ont été rédigées par écrit, on a eu l'attention de n'admettre aucune de ces servitudes, si elles ne paroissent fondées sur une cause & un titre légitime.

Les capitulaires de nos rois, & les ordonnances d'Orléans & de Blois, défendent de les exiger, si elles ne sont fondées en titre.

Tous les auteurs, tant des pays de droit écrit que des pays coûtumiers, conviennent unanimement que la possession sans titre ne suffit pas pour les établir.

En pays de droit écrit, les corvées peuvent être stipulées par le bail à fief, & sont réputées un droit seigneurial ; elles sont reportées dans les terriers, comme étant des droits de la seigneurie, & néanmoins elles n'y entrent pas dans l'estimation des rentes seigneuriales. On peut les acquérir du jour de la contradiction, lorsque les sujets les ont servis depuis pendant trente ou quarante ans sans réclamer.

En Auvergne les corvées de justice qui sont à merci & à volonté, sont seigneuriales, mais non celles qui sont de convention.

En pays coûtumier on ne les considere point comme un droit ordinaire des seigneuries & justices, mais comme un droit exorbitant & peu favorable, qui ne reçoit point d'extensions, & doit être renfermé dans ses justes bornes.

Le droit commun veut qu'on ne puisse les exiger sans titre : il y a néanmoins quelques coûtumes qui semblent se contenter de la possession ; telles que Bassigny, art. 40. qui admet titre ou haute possession ; de même Nivernois, ch. viij. art. 4 & 5. On tient aussi en Artois que vingt ans de possession suffisent.

La coûtume de Paris, art. 71. requiert titre valable, aveu & dénombrement ancien.

Le titre, pour être valable, doit être consenti par tous ceux contre lesquels on prétend s'en servir.

Il faut aussi que cet acte ait une cause légitime, & qui ait tourné au profit des corvéables, tel qu'un affranchissement ou une concession de communes, bois, pâtures.

Un aveu seul, quelqu'ancien qu'il fût, ne formeroit pas seul un titre, étant à l'égard des corvéables res inter alios acta ; il faut qu'il y en ait au moins deux conformes, passés en différens tems, & qu'ils ayent été suivis d'une possession publique & non interrompue, & qu'il y ait preuve par écrit que les corvées ont été servies à titre de corvées, & non autrement.

Toutes ces preuves ne seroient même admissibles que pour des corvées établies avant la réformation de la coûtume ; car l'art. 186 portant, que nulle servitude sans titre, cela doit présentement s'appliquer aux corvées qui sont de véritables servitudes.

On ne connoît plus parmi nous ces corvées appellées fabriles chez les Romains. On pouvoit stipuler que l'affranchi qui avoit quelque talent particulier, comme de peindre, ou d'exercer la Médecine ou autre Art libéral, seroit tenu d'en travailler pour son patron ; mais en France, où les corvées sont odieuses, on les restreint aux travaux serviles de la campagne : c'est pourquoi par arrêt rendu en la tournelle civile le 13 Août 1735, on jugea qu'un notaire n'étoit point tenu, pendant les jours de corvée, de recevoir à ce titre tous les actes du seigneur, quoique l'aveu portât que chaque habitant devoit trois jours de corvée de son métier, comme le laboureur de sa charrue, &c.

On tient communément en pays de droit écrit, que toutes corvées y sont imprescriptibles, si ce n'est du jour de la contradiction. La raison est que dans ces pays elles sont seigneuriales ; mais pour leur donner ce privilége d'être imprescriptibles, il faut qu'elles tiennent lieu de cens, autrement la prescription est toûjours favorable de la part des corvéables.

En pays coûtumier, les corvées à volonté ne se prescrivent que du jour de la contradiction, parce que ce sont des droits de pure faculté, qui ne se perdent point par le non-usage, à moins que le seigneur n'eût été cent ans sans s'en être servi.

Pour ce qui est des autres corvées, soit réelles ou personnelles, elles se prescrivent par trente ou quarante ans, de même que toutes actions & droits personnels ou réels. Les servitudes sont odieuses, la liberté au contraire est toûjours favorable.

Les corvéables sont obligés de se fournir des outils & instrumens nécessaires à la corvée qu'ils doivent ; ils sont aussi obligés de se nourrir à leurs dépens pendant le tems même de la corvée : tel est l'usage le plus général du pays coûtumier, à moins que le titre ou la coûtume du lieu ne soit contraire, telles que les coûtumes d'Auvergne & de la Marche, & quelques autres voisines des pays de droit écrit. Si le titre paroît charger le seigneur, il doit être interprété favorablement pour les habitans, qui sont déjà assez grevés de travailler gratuitement, pour qu'il soit juste de la part du seigneur de les nourrir, pour peu que la coûtume ou le titre y incline.

A l'égard des chevaux, boeufs & autres bêtes de labour ou de somme que le corvéable fournit, c'est au seigneur à les nourrir pendant la corvée.

Les corvées ne doivent être acquittées en général que dans les limites de la seigneurie ou justice à laquelle elles sont dûes ; il y en a cependant quelques-unes, telles que la dohade ou vinade que le corvéable doit faire même hors les limites, mais toûjours de maniere qu'elle se puisse faire sans découcher. Cela dépend au surplus des termes de la coûtume, des titres & de la possession.

Quand les corvées sont dûes avec charroi & bestiaux, si les corvéables n'en ont pas, ils sont obligés de les faire avec une bête de somme, s'ils en ont une ; ou s'ils n'en ont pas non plus, de faire ce qu'ils peuvent avec leurs bras.

Toutes les corvées, soit de fief ou de justice, réelles ou personnelles, ne sont point dûes qu'elles ne soient demandées ; elles ne tombent point en arrérages que du jour de la demande, depuis lequel tems on les évalue en argent : hors ce cas, il n'est pas permis au seigneur de les exiger en argent.

Il y a seulement une exception pour le fermier du domaine, à l'égard duquel on a évalué les charrois à 20 sols, & chaque manoeuvre ou corvée de bras, à 5 sols.

Quoique les corvées à merci ou à volonté annoncent un droit indéfini de la part du seigneur, il ne lui est pas permis cependant d'en abuser pour vexer ses sujets ; non-seulement il ne peut en demander que pour son usage, mais elles doivent être reglées modérément, arbitrio boni viri. Si la coûtume n'en détermine pas le nombre, on les fixe ordinairement à douze par an. En Pologne les paysans travaillent cinq jours de la semaine pour leur seigneur, & le dimanche & le lundi pour eux.

Le droit du seigneur, par rapport aux corvées, est un usage personnel, de sorte qu'il ne peut le céder à un autre.

Pour ce qui est des exemptions qui peuvent avoir lieu en faveur de certaines personnes, les ecclésiastiques & les nobles sont exempts des corvées personnelles, dont le ministere est vil & abject ; mais quant aux corvées réelles, personne n'en est exempt, parce que c'est le fonds qui doit : ainsi les ecclésiastiques & les nobles y sont sujets comme les autres ; ils doivent fournir un homme à leur place, ou payer l'estimation de la corvée en argent.

Il ne nous reste plus qu'à donner dans les subdivisions suivantes, une notion sommaire des différentes sortes de corvées.

Corvée d'animaux, est celle où le sujet est tenu de fournir son boeuf, cheval ou âne, soit pour labourer les terres du seigneur, ou pour voiturer quelque chose pour lui. Le corvéable est quelquefois tenu de mener lui-même ses bêtes, & de les faire travailler : cela dépend du titre.

Corvées artificielles, en latin artificiales seu fabriles, sont celles qui consistent à faire quelqu'oeuvre servile pour le seigneur, comme de faucher ou faner ses foins, labourer ses terres ou ses vignes, scier ses bleds, & autres ouvrages semblables.

Corvées à bras, sont celles où le corvéable n'est tenu de fournir que ses bras, c'est-à-dire le travail de ses mains, à la différence de celles où le corvéable doit fournir quelque bête de somme, ou une charrette ou autre ustensile.

Corvée de charroi, est celle qui consiste à fournir quelques voitures, & à charroyer quelque chose pour le seigneur. Voyez CHARROI.

Corvées de convention, sont celles qui sont fondées sur une convention expresse ou tacite, faite entre le seigneur & les corvéables ; elle est expresse, quand on rapporte le titre originaire ; tacite, lorsqu'il y a un grand nombre de reconnoissances conformes les unes aux autres, antérieures à la réformation des coûtumes, & soûtenues d'une possession constante & non interrompue, qui font présumer un titre constitutif consenti par les habitans, soit en acceptant les clauses d'un affranchissement, soit en acceptant des communes, ou pour quelqu'autre cause légitime.

Corvées de corps, sont celles où le corvéable est obligé de travailler de son corps & de ses bras à quelqu'oeuvre servile, comme de faner, labourer, scier, vendanger, &c. Toutes corvées en général sont de leur nature des corvées de corps ; il y en a néanmoins où le corvéable n'est pas censé travailler de corps, telles que les corvées obséquiales, où il est seulement obligé d'accompagner son seigneur, ou lorsqu'il est seulement tenu de lui fournir quelques bêtes de somme ou voitures pour faire des charrois.

Corvées fabriles, du latin fabriles, sont les mêmes que les corvées artificielles ou d'oeuvre servile.

Corvées de fief, sont celles qui ont été reservées pour le seigneur par le bail à cens ou autre concession par lui faite aux habitans, à la différence des corvées de justice, qui sont imposées en conséquence de la puissance publique que le seigneur a comme haut-justicier.

Corvées d'hommes & de femmes, sont celles qui sont dûes par tête de chaque habitant, & non par feu & par ménage, ni à proportion des fonds.

Corvées de justice, ou dûes au seigneur à cause de la justice ; il y en a en Auvergne, en Languedoc, en Bourbonnois. Voyez ci-devant Corvées de fief.

Corvées à merci ou à volonté, sont celles que le seigneur peut exiger quand bon lui semble, & pendant tout le tems qu'il en a besoin, sans que le tems ni le nombre en soit limité. La jurisprudence des arrêts les réduit néanmoins à douze par an.

Corvées mixtes, sont celles qui sont en partie réelles & en partie personnelles ; il y en a peu qui soient véritablement mixtes : car elles sont naturellement ou réelles, c'est-à-dire dûes à cause des fonds ; ou personnelles, c'est-à-dire dûes par les habitans, comme habitans : cependant on en distingue deux sortes de mixtes ; savoir, les réelles mixtes, telles que les corvées à bras, dûes par les détenteurs des fonds qui en peuvent être chargés ; & les mixtes personnelles, qui sont dûes par chaque habitant, comme habitant, mais par charrois & par chevaux ; ce qui a toûjours rapport au plus ou moins de fonds qu'il fait valoir.

Corvées obséquiales, sont celles qui consistent en certains devoirs de déférence envers le seigneur, telles que celles qui étoient dûes aux patrons chez les Romains, & qui consistoient à adesse patrono, comitari patronum.

Corvées officieuses ou officiales, en latin officiales, sont la même chose que les corvées obséquiales ; elles sont opposées à celles qu'on appelle fabriles.

Corvées particulieres, voyez ci-après Corvées publiques.

Corvées personnelles. Toutes corvées sont dûes par des personnes ; mais on entend sous ce nom celles qui sont dûes principalement par la personne, c'est-à-dire par l'habitant, comme habitant, & indépendamment des fonds, soit qu'il en possede ou qu'il n'en possede pas. Voyez ci-devant Corvées mixtes, & ci-après Corvées réelles.

Corvées publiques, sont celles qui sont dûes pour quelques travaux publics, comme pour construire ou réparer des ponts, chaussées, chemins, &c. à la différence des corvées qui sont dûes au seigneur pour son utilité particuliere Voyez plus bas CORVEE, Ponts & chaussées. (A)

Corvées réelles ; sont celles que le sujet doit à cause de quelque fonds qu'il possede en la seigneurie. Voy. ci-devant Corvées mixtes & personnelles.

Corvées seigneuriales, sont celles qui sont stipulées dans les terriers ou reconnoissances, comme un droit du fief, ou comme un droit de justice, à la différence de celles qui peuvent être imposées par convention sur des fonds.

Corvées taillablieres, sont celles qui procedent de la taille réelle, & que l'on regarde elles-mêmes comme une taille. Ces sortes de corvées ont lieu dans les coûtumes de Bourbonnois & de la Marche. En Bourbonnois celles qui procedent de la taille personnelle, & sur le chef franc ou serf, le corvéable doit quatre charrois par an ; ou s'il n'a point de charrette & de boeufs, il doit quatre corvées à bras ; au lieu que les corvées qui procedent de la taille réelle & à cause des héritages, & que l'on appelle taillablieres, sont reglées à trois charrois par an ; ou, à défaut de charrois, à trois corvées à bras.

Corvées à terrier, sont les corvées seigneuriales qui sont établies par le bail à fief, & relatives dans le terrier.

Corvées à volonté, voyez ci-devant Corvées à merci. Voyez la biblioth. de Bouchel, le glossaire de M. de Lauriere, au mot Corvées, & la conférence des coûtumes ; le traité des Corvées de M. Guyot, tome I. des fiefs ; Henris, tome I. liv. III. ch. iij. quest. 32 & 33. Despeisses, tome III. p. 207. (A)

CORVEE, (Ponts & chaussées) La corvée est un ouvrage public, que l'on fait faire aux communautés, aux particuliers, desquels on demande dans les saisons mortes, quelques journées de leur tems sans salaire. Une telle condition est dure sans-doute pour chacun de ces particuliers ; elle indique par conséquent toute l'importance dont il est de les bien conduire, pour tirer des jours précieux qu'on leur demande sans salaire le plus d'utilité que l'on peut, afin de ne point perdre à la fois & le tems du particulier, & le fruit que l'état en doit retirer.

On peut donc établir sur cette seule considération, que la perfection de la conduite des corvées doit consister à faire le plus d'ouvrage possible dans le moins de tems possible ; d'où il s'ensuit qu'il faut de toutes les voies choisir la plus promte & la plus expéditive, comme celle qui doit être la meilleure.

On n'a déjà que trop éprouvé en plusieurs provinces, qu'une corvée languissante étoit un fardeau immense sur les particuliers, & une servitude dans l'état, qui sans produire le fruit que l'on avoit en vûe, fatiguoit sans-cesse les peuples, & gênoit pendant un grand nombre d'années la liberté civile des citoyens. Il suffit, pour en être plus convaincu, de joindre à un peu d'expérience, quelques sentimens de commisération pour les peuples. Il ne s'agit donc que de chercher quelle est la méthode qui répond le mieux à ces principes, premierement pour la distribution & la conduite des travaux, & ensuite pour la police avec laquelle on doit régir les travailleurs.

De la conduite & distribution des travaux. Toutes les actions des hommes ont un mobile ; l'argent & l'intérêt sont ceux qui les conduisent aux travaux, mais ce sont des mobiles dont les corvées sont privées ; il a fallu y en substituer d'autres pour tenir lieu de ceux-là. Ceux qui ont été reconnus devoir être employés, sont les tâches que l'on donne & qu'il faut indispensablement donner aux corvoyeurs ; on a vû que c'étoit l'unique moyen de les intéresser au progrès de l'ouvrage, & de les engager à travailler d'eux-mêmes avec diligence, pour se décharger promtement du fardeau qui leur étoit imposé. Ces tâches font ordinairement naître une telle émulation, au milieu d'un attelier si ingrat pour celui qui y travaille, qu'il y a eu des corvées si bien conduites, que leur progrès l'emportoit même sur celui des travaux à prix d'argent.

On peut distribuer ces tâches de différentes manieres, & c'est le choix que l'on en doit faire qu'on aura ici particulierement en vûe ; parce que l'on doit encore se servir de ce moyen avec quelques reserves, la distribution de tout un ouvrage public en plusieurs ouvrages particuliers, pouvant quelquefois se faire de telle sorte, qu'au lieu d'y trouver l'avantage que l'on y cherche, l'ouvrage public languit & dégenere, parce qu'il change trop de nature.

Un esprit d'équité qu'on ne sauroit trop loüer, joint à l'habitude que l'on a de voir les tailles & les impositions annuelles, réparties sur les communautés & reglées pour chaque particulier, est ce qui a fait sans-doute regarder les travaux publics comme une autre sorte de taille que l'on pouvoit diviser de même en autant de portions qu'il y avoit d'hommes dans les communautés, sur lesquelles le tout étoit imposé. Rien ne paroît en effet plus naturel, plus simple, & en même tems plus juste que cette idée ; cependant elle ne répond point du tout dans l'exécution, au principe de faire le plus d'ouvrage possible dans le moins de tems possible, & de plus elle entraîne des inconvéniens de toute espece.

Il suffiroit pour s'en convaincre de considérer l'état de la route de Tours au Château-du-Loir ; cette route a été commencée il y a quinze à dix-huit ans, par conséquent long-tems avant l'arrivée de M. l'intendant & de M. Bayeux dans cette généralité ; elle a été divisée en plusieurs milliers de tâches, qui ont été réparties sur tous les particuliers : néanmoins ce n'est encore aujourd'hui qu'avec mille peines qu'on en peut atteindre la fin. On a dû penser vraisemblablement dans le commencement de cette route, que par une voie si simple & si équitable en apparence, chaque particulier pouvant aisément remplir en trois ou quatre ans au plus la tâche qui lui étoit donnée, la communication de ces deux villes devoit être libre & ouverte dans ce même terme ; puis donc que l'exécution a si peu répondu au projet, il est bon d'examiner de près ce genre de travail, pour voir s'il n'y a point quelque vice caché dans la méthode qui le conduit.

Il semble au premier coup d'oeil que le défaut le plus considérable, & celui duquel tous les autres sont dérivés, est d'avoir totalement fait changer de nature à un ouvrage public, en le décomposant à l'infini, pour n'en faire qu'une multitude sans nombre d'ouvrages particuliers ; d'avoir par-là trop divisé l'intérêt commun, & rendu la conduite de ces travaux d'une difficulté étonnante & même insurmontable.

Un seul ouvrage, quoique considérable par le nombre des travailleurs, comme sont ordinairement tous les travaux publics, ne demande pas beaucoup de personnes pour être bien conduit ; un seul ouvrage, une seule tête, le nombre des bras n'y fait rien ; mais il faut qu'avec l'unité d'esprit, il y ait aussi unité d'action : ce qui ne se rencontre point dans tout ouvrage public que l'on a déchiré en mille parties différentes, où l'intérêt particulier ne tient plus à l'intérêt général, & où il faut par conséquent, un bien plus grand nombre de têtes pour pouvoir les conduire tous ensemble avec quelque succès, & pour les réunir malgré le vice de la méthode qui les desunit.

Puisque la distribution de la taille avoit conduit à la distribution de toute une route en tâche particuliere, on auroit dû sentir que, comme il falloit plusieurs collecteurs par communauté pour lever une imposition d'argent, il auroit fallu au moins un conducteur sur chacune pour tenir les rôles & les états de cette corvée tarifée, & pour tracer & conduire toutes les portions d'ouvrage assignées à chaque particulier. On aura pû faire sans-doute cette réflexion simple ; mais l'oeconomie sur le nombre des employés ne permettant pas, dans un état où il se fait une grande quantité de ces sortes d'ouvrages, de multiplier autant qu'il seroit nécessaire, sur-tout dans cette méthode, les ingénieurs, les inspecteurs, les conducteurs, &c. il est arrivé que l'on n'a jamais pû embrasser & suivre tous ces ouvrages particuliers, pour les conduire chacun à leur perfection.

Quand on supposeroit que tous les particuliers ont été de concert dès le commencement, pour se rendre sur toute l'étendue de la route, chacun sur sa partie, un inspecteur & quelques conducteurs ont-ils suffi le premier lundi pour marquer à un chacun son lieu, pour lui tracer sa portion, pour veiller pendant la semaine à ce qu'elle fût bien faite, & enfin pour recevoir toutes ces portions les unes après les autres le samedi, & en donner à chacun le reçu & la décharge ? Qui ne voit qu'il y a de l'impossibilité à conduire ainsi chaque particulier, lorsque l'on a entrepris de la sorte une route divisée dans toute son étendue ? Ces inconvéniens inévitables dès la premiere semaine du travail, ont dû nécessairement entraîner le désordre de la seconde ; de saisons en saisons & d'années en années, il n'a plus fait que croître & augmenter jusqu'au point où il est aujourd'hui. De l'impossibilité de les conduire, on est tombé ensuite dans l'impossibilité de les contraindre ; le nombre des réfractaires ayant bientôt excédé tout moyen de les punir.

J'ai tous les jours, dit l'auteur de cet article, des preuves de cette situation étrange pour un ouvrage public, où depuis environ dix mois de travail je n'ai jamais trouvé plus de trois corvoyeurs ensemble, plus de dix ou douze sur toute l'étendue de la route, & où le plus souvent je n'ai trouvé personne. Je n'ai pas été long-tems sans m'appercevoir, que le principe d'une telle desertion ne pouvoit être, que dans la division contre nature d'une action publique en une infinité d'actions particulieres, qui n'étoient unies ni par le lieu, ni par le tems, ni par l'intérêt commun : chaque particulier sur cette route ne pense qu'à lui, il choisit à sa volonté le jour de son travail, il croit qu'il en est comme de la taille que chacun paye séparément & le plûtard qu'il peut, il ne s'embarrasse de celle des autres que pour ne pas commencer le premier ; & comme chacun fait le même raisonnement, personne ne commence.

Je peux dire que je n'ai point encore été sur cette route avec un but ou un objet déterminé, soit d'y trouver telles ou telles communautés, soit de me rendre sur tel ou tel attelier pour y tracer l'ouvrage. Dans le printems dernier, par exemple, où je n'ai point laissé passer de semaine sans y aller, je ne me suis toûjours mis en marche qu'à l'avanture, & parce qu'il étoit du devoir de mon état d'y aller ; situation où je ne me suis jamais trouvé dans mes autres travaux, pour lesquels je ne montois jamais à cheval sans en avoir auparavant un sujet médité, & sans avoir un objet fixe & un but réfléchi qui m'y appelloit.

Ce n'est point faute d'ordonnances néanmoins, & faute de réglemens de la part de l'autorité publique, si ces travaux se trouvent dans une telle situation ; ils n'ont même été peut-être que trop multipliés ; les bureaux qui en sont occupés & qui entrent dans les plus petits détails de cette partie, en sont surchargés & même rebutés depuis long-tems : mais malgré la sagesse de ces réglemens, & quel que soit leur nombre, ce n'est pas la quantité des lois & les écritures qui conviennent pour le progrès des travaux, mais plûtôt des lois vivantes à la tête des travailleurs ; & pour cela il me paroît qu'il faut donc les réunir, afin qu'ils soient tous à portée de voir la main qui les conduit, & afin qu'ils sentent plus vivement l'impression de l'ame qui les fait mouvoir.

L'intention des ordonnances est dans le fond, que tous les particuliers ayent à se rendre au reçû desdits ordres, ou au jour indiqué, sur les atteliers, pour y remplir chacun leur objet ; mais c'est en cela même que consiste ce vice qui corrompt toute l'harmonie des travaux, puisque s'ils y vont tous, on ne pourra les conduire, & que s'ils n'y vont pas, on ne pourra les punir d'une façon convenable.

La voie de la prison, qui seroit la meilleure, ne peut être admise, parce qu'il y a trop de réfractaires, & que chaque particulier ne répondant que pour sa tâche, il faudroit autant de cavaliers de maréchaussée qu'il y a de réfractaires. La voie des garnisons est toûjours insuffisante, quoiqu'elle ait été employée une infinité de fois ; elle se termine par douze ou quinze francs de frais, que l'on répartit avec la plus grande précision sur toute la communauté rébelle, ensorte que chaque particulier en est ordinairement quitte pour trois, six, neuf, douze, ou quinze sols : or quel est celui qui n'aime mieux payer une amande si modique, pour six semaines ou deux mois de desobéissance, que de donner cinq à six jours de son tems pour finir entierement sa tâche ? aussi sont-ils devenus généralement insensibles à cette punition, si c'en est une, & aux ordonnances reglées des saisons. On n'a jamais vû plus d'ouvriers sur les travaux après les garnisons, jamais plus de monde sur les routes dans la huitaine ou quinzaine, après l'indication du jour de la corvée, qu'auparavant ; on ne reconnoît la saison du travail que par deux ou trois corvoyeurs que l'on rencontre par fois, & par les plaintes qui se renouvellent dans les campagnes, sur les embarras qu'entraînent les corvées & les chemins.

Il n'est pas même jusqu'à la façon dont travaillent le peu de corvoyeurs qui se rendent chacun sur leur partie, qui ne découvre les défauts de cette méthode ; l'un fait son trou d'un côté, un autre va faire sa petite bute ailleurs, ce qui rend tout le corps de l'ouvrage d'une difformité monstrueuse : c'est surtout un coup d'oeil des plus singuliers, de voir au long de la route auprès de tous les ponceaux & aqueducs qui ont demandé des remblais, cette multitude de petites cases séparées ou isolées les unes des autres, que chaque corvoyeur a été faire depuis le tems qu'on travaille sur cette route, dans les champs & dans les prairies, pour en tirer la toise ou la demi-toise de remblai dont il étoit tenu par le rôle général. Une méthode aussi singuliere de travailler, ne frappe-t-elle pas tout inspecteur un peu versé dans la connoissance des travaux publics, pour lesquels on doit réunir tous les bras, & non les diviser ? On ne desunit point de même les moyens de la défense d'un état ; on n'assigne point à chaque particulier un coin de la frontiere à garder, ou un ennemi à terrasser : mais on assemble en un corps ceux qui sont destinés à ce service, leur union les rend plus forts ; on exerce sur un grand corps une discipline que l'on ne peut exercer sur des particuliers dispersés, une seule ame fait remuer cent mille bras. Il en doit être ainsi des ouvrages publics qui intéressent tout l'état, ou au moins toute une province. Un seul homme peut présider sur un seul ouvrage où il aura cinq cent ouvriers réunis, mais il ne pourra suffire pour cinq cent ouvrages épars, où sur chacun il n'y aura néanmoins qu'un seul homme. Il ne convient donc point de diviser cet ouvrage ; & la méthode de partager une route entiere entre des particuliers, comme une taille, ne peut convenir tout au plus qu'à l'entretien des routes quand elles sont faites, mais jamais quand on les construit.

Enfin pour juger de toutes les longueurs qu'entraînent les corvées tarifées, il n'y a qu'à regarder la plûpart des ponceaux de cette route : ils ont été construits à ce qu'on dit, il y a plus de douze ou treize ans : néanmoins malgré toutes les ordonnances données en chaque saison, malgré les allées, les venues des ingénieurs-inspecteurs, des garnisons, les remblais qui ont été répartis toise à toise, ne sont point encore faits sur plusieurs, les culées en sont isolées presqu'en entier, le public n'a pû jusqu'à présent passer dessus d'une façon commode ; & il pourra arriver si cette route est encore quelques saisons à se finir, qu'il y aura plusieurs de ces ouvrages auxquels il faudra des réparations, sur des parties qui n'auront cependant jamais servi ; chose d'autant plus surprenante, que ces remblais, l'un portant l'autre, ne demandoient pas chacun plus de dix à douze jours de corvée, avec une trentaine de voitures au plus, & un nombre proportionné de pionniers.

Peut-on s'empêcher de représenter ici en passant l'embarrassante situation d'un inspecteur, que l'on croit vulgairement être l'agent & le mobile de semblables ouvrages ? n'est-ce point un poste dangereux pour lui, qu'une besogne dont la conduite ne peut que le deshonorer aux yeux de ses supérieurs & du public, qui prévenus en faveur d'une méthode qu'ils croyent la meilleure & la plus juste, n'en doivent rejetter le mauvais succès que sur la négligence ou l'incapacité de ceux à qui l'inspection en est confiée ?

Non-seulement les corvées tarifées sont d'une difficulté insurmontable dans l'exécution, elles sont encore injustes dans le fond. 1°. Soient supposés dix particuliers ayant égalité de biens, & par conséquent égalité de taille, & conséquemment égalité de tâches ; ont-ils aussi tous les dix égalité de force dans les, bras ? C'est sans-doute ce qui ne se rencontre guere ; ainsi quoique sur les travaux publics ces dix manouvriers ne puissent être tenus de travailler suivant leur taille, mais suivant leur force, il doit arriver, & il arrive tous les jours, qu'en réglant les tâches suivant l'esprit de la taille, on commet une injustice, qui fait faire à l'un plus du double ou du triple, au moins plus de la moitié ou du tiers qu'à un autre. 2°. Si l'on admet pour un moment que les forces de tous ces particuliers soient au même degré, ou que la différence en soit legere, le terrein qui leur est distribué par égale portion, est-il lui-même d'une nature assez uniforme, pour ne présenter sous volume égal, qu'une égale résistance à tous ? Cette homogénéité de la terre ne se rencontrant nulle part, il naît donc de-là encore, cette injustice dans les répartitions que l'on vouloit éviter avec tant de soin. Il est à présumer qu'on a bien pû dans les commencemens de cette route avoir quelques égards à la différente nature des contrées ; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne reste plus nul vestige qu'on ait eu primitivement cette attention : bien plus, quand on l'auroit eue, comme c'est une chose que l'on ne peut estimer toise à toise, mais par grandes parties, il ne doit toûjours s'en suivre que de la disproportion entre toutes les tâches ; injustice où l'on ne tombe encore que parce que l'on a choisi une méthode qui paroissoit être juste.

Enfin si l'on joint à tant de défauts essentiels, l'impossibilité qu'il y a encore d'employer une telle méthode dans des pays montueux & hors des plaines, c'est un autre sujet de la desapprouver, & d'en prendre une autre dont l'application puisse être générale par sa simplicité. Il est facile de comprendre que les tâches d'hommes à hommes ne peuvent être appliquées aux descentes & aux rampes des grandes vallées, où il y a en même tems des remblais considérables à élever, & des déblais profonds à faire dans des terreins inconnus, & au-travers de bancs de toute nature qui se découvrent à mesure que l'on approfondit. Ce sont-là des travaux qui, encore moins que tous les autres, ne doivent jamais être divisés en une multitude d'ouvrages particuliers. On présentera pour exemple la route de Vendôme, qu'il est question d'entreprendre dans quelque tems. Il y a sur cette route deux parties beaucoup plus difficiles que les autres à traiter par la quantité de déblais, de remblais, de roches, & de bancs de pierre qu'il faudra démolir suivant des pentes réglées, & nécessairement avec les forces réunies de plusieurs communautés ; l'un de ces endroits est cette grande vallée auprès de Villedômé, qu'il faut descendre & remonter ; l'autre est la montagne de Château-Renault. Ces deux parties, par où il conviendra de commencer parce qu'elles seront les plus difficiles, demanderont la plus grande assiduité de la part des inspecteurs, & le concours d'un grand nombre de travailleurs & de voitures, afin que ces grands morceaux d'ouvrage puissent être terminés dans deux ou trois saisons au plus, sans quoi il est presqu'évident qu'ils ne seront point faits en trente années, si on divise la masse des déblais & des remblais en autant de portions qu'il y aura de particuliers : puis donc que la corvée, sur le ton de la taille, est défectueuse en elle-même par-tout, & ne convient point particulierement aux endroits les plus difficiles, & les plus considérables des ouvrages publics, il convient présentement de chercher une regle générale qui soit constante & uniforme, pour tous les lieux & pour toutes les natures d'ouvrage.

On ne proposera ici que ce qui a paru répondre au principe de faire le plus d'ouvrage possible dans le moins de tems possible, & l'on n'avancera rien qui n'ait été exécuté sur de très-grands travaux avec le plus grand succès, & à la satisfaction des supérieurs ; cependant comme il peut arriver que la situation & l'oeconomie des provinces soient différentes, & que le génie & le caractere des unes ne répondent pas toûjours au génie & au caractere des autres, l'on soumet d'avance tout ce que l'on exposera aux lumieres & aux connoissances des supérieurs.

L'acte de la corvée n'étant pas un acte libre, c'est dans notre gouvernement, une des choses dont il paroît par conséquent, que la conduite & les réglemens doivent être simples & la police breve & militaire. Un acte de cette nature ne supporte point non plus une justice minutieuse, comme tous les autres actes qui ont directement pour objet la liberté civile & la sûreté des citoyens. La conduite en doit être d'autant plus simple, que l'on ne peut préposer pour y veiller qu'un très-petit nombre de personnes, & la police en doit être d'autant plus concise, qu'il faut que ces ouvrages soient exécutés dans le moins de tems possible, pour n'en point tenir le fardeau sur les peuples pendant un grand nombre d'années.

La véritable occupation d'un inspecteur chargé d'un travail public, est de résider sur son ouvrage, d'y être plus souvent le piquet d'une main pour tracer, & l'autre main libre pour poster les travailleurs & les conduire, sans qu'ils se nuisent les uns aux autres, que d'avoir une plume entre les doigts pour tenir bureau au milieu d'un ouvrage qui ne demande que des yeux & de l'action.

Suivant ces principes, il ne me paroît pas convenable d'entreprendre en entier & à la fois la construction de toute une route ; les travailleurs y seroient trop dispersés, chaque partie ne pourroit être qu'imparfaitement faite : l'inspecteur, obligé de les aller chercher les uns après les autres, passeroit tout son tems en transport de sa personne & en courses, ce qui multiplieroit extrèmement les instans perdus pour lui, & pour les travailleurs qui ne font rien en son absence, ou qui ne font rien de bien. Il devient donc indispensable de n'entreprendre toute une route que parties à parties, en commençant toûjours par celles qui sont les plus difficiles & les plus urgentes, & en réunissant à cette fin les forces de toutes les communautés chargées de la construction. On ne doit former qu'un ou deux atteliers au plus, sur chacun desquels un inspecteur doit faire sa résidence. Les communautés y seront appellées par détachement de chacune d'elles, qui se releveront toutes de semaines en semaines ; ces détachemens travailleront en corps, mais à chacun d'eux il sera assigné une tâche particuliere, qui sera déterminée suivant la quantité des jours qu'on leur demandera, sur la force du détachement, dont les hommes robustes compenseront les foibles, & enfin sur la nature du terrein.

On évitera avec grand soin tout ce qui peut multiplier les détails & attirer les longueurs ; les ordonnances adressées aux communautés, une seule fois chaque saison, indiqueront tout simplement le jour, le lieu, la force du détachement, & la nature des outils & des voitures.

Sur ces ordres, les détachemens s'étant rendus au commencement d'une semaine sur l'attelier indiqué, on distribuera d'abord à chaque détachement une longueur de fossés proportionnée à ses forces, & on les postera de suite les uns au bout des autres. On suivra cette manoeuvre jusqu'à ce que les fossés soient faits, sur toute la partie que l'on aura crû pouvoir entreprendre dans une saison ou dans une campagne. On fouillera ensuite l'encaissement de même, & lorsqu'il sera ouvert & dressé sur ladite longueur, on en usera aussi de la même sorte pour l'empierrement, en donnant chaque semaine pour tâche à chaque détachement une longueur suffisante d'encaissement à remplir, qui sera proportionnée à la facilité ou à la difficulté du tirage & de la voiture de la pierre. Cet empierrement se fera à l'ordinaire, couche par couche. Les tâches hebdomadaires seront marquées les unes au bout des autres. Le cailloutis ou jard sera amené & répandu ensuite, & les bermes seront ajustées & réglées aussi suivant la même méthode.

Si l'ouvrage public consiste en déblais, & en remblais dans une grande & profonde vallée, on place les détachemens sur les côtes qu'il faut trancher ; on les dispose sur une ou plusieurs lignes ; on fait marcher les tombereaux par colonnes, ou de telle autre façon que la disposition du lieu le permet ; & comme dans ce genre de travail il ne se voiture de terre qu'autant que l'on en fouille par jour, & qu'il seroit difficile d'apprécier ce que les pionniers peuvent fouiller pour une quantité quelconque de voitures, eu égard à la distance du transport ; c'est par la quantité de voyages que chaque voiturier peut faire chaque jour, que l'on regle le travail du journalier. Un piqueur placé sur le lieu de la décharge, donne à cette fin une contre-marque à chaque voiturier pour chaque voyage ; & comme chacun d'eux cherche à finir promtement la quantité qui lui est prescrite pour le jour & pour la semaine, chaque voiturier devient un piqueur qui presse le manouvrier, & chaque manouvrier en est un aussi vis-à-vis de tous les voituriers.

C'est à l'intelligence de l'inspecteur à proportionner au juste, chaque jour (parce que l'emplacement varie chaque jour ou au moins chaque semaine), la quantité de pionniers au nombre des voitures, & le nombre des voitures à la quantité de pionniers, de façon qu'il n'y ait point trop de voitures pour les uns, & trop peu de manouvriers pour les autres, sans quoi il arriveroit qu'il y auroit, ou une certaine quantité de voitures, ou une certaine quantité de manouvriers qui perdroient leur tems, ce qu'il est de conséquence de prévoir & d'éviter dans les corvées. C'est dans de tels ouvrages que les talens d'un inspecteur se font connoître s'il en a, ou qu'il est à portée d'en acquérir & de se perfectionner dans l'art de conduire de grands atteliers. Enfin de semblables travaux, par le nombre des travailleurs, par la belle discipline que l'on y peut mettre, par le progrès surprenant qu'ils font chaque semaine & chaque saison, méritent le nom d'ouvrages publics.

J'ai toûjours évité, dit l'auteur de cet article, dans les travaux où je me suis trouvé, composés de quatre & cinq cent travailleurs, & d'un nombre proportionné de voitures, de faire mention dans les ordonnances dont la dispensation m'étoit confiée, de toutes les différentes parties dont l'ouvrage d'une grande route est composé, ainsi qu'on le pratique depuis longtems sur la route de Tours au Château-du-Loir : on y donne successivement des ordonnances pour les fossés, pour les déblais, pour les remblais, pour le tirage de la pierre, pour sa voiture, & enfin pour le tirage & l'emploi du jard. Ou je me trompe, ou quand on multiplie ainsi aux yeux des peuples que l'on fait travailler sans salaire, tous les différens objets de la corvée, on doit encore par-là la leur rendre plus à charge & plus insupportable. Et comment ne leur seroit-elle pas à charge, puisque pour ceux mêmes qui les conduisent, ces détails ne peuvent être que pénibles & laborieux ? ces ordonnances menent nécessairement à un détail infini ; elles deviennent une pépiniere immense d'états, de rôles, & de bien d'autres ordonnances qui en résultent. Autant d'ordonnances, autant ensuite de diverses branches de réfractaires qui pullulent de jour en jour. Une ordonnance pour cent toises de pierre n'en produit que quatre-vingt ; une ordonnance pour deux cent toises de fossés, n'en produit que cent soixante ; autant il en arrive pour les déblais & pour les remblais : on est ensuite obligé de recourir à des supplémens, & à de nouvelles impositions qu'il faut encore faire & repartir sur le général : & tout ceci est inévitable, non-seulement parce qu'il y a autant de petites fraudes qu'il y a de particuliers & de différens objets dans leurs tâches, mais encore parce que cette méthode ne pouvant manquer d'entraîner des longueurs, & demandant un nombre d'années considérable pour une entiere exécution, il y a sans-cesse des absens dans les communautés, il y arrive un grand nombre de morts, & il se fait de nouveaux privilégiés & des insolvables.

De l'expérience de tant d'inconvéniens, il en résulte ce me semble, que les ordonnances pour les corvées doivent se borner à demander des jours, & que l'emploi de ces jours doit être laissé à la direction des inspecteurs qui conduisent les ouvrages, pour qu'ils les appliquent suivant le tems & le lieu qui varient suivant le progrès des travaux. Si les détachemens sont au nombre de cinquante, il ne faut le premier jour de la semaine qu'une demi-matinée au plus, pour leur donner à chacun une tâche convenable. Les appels se font par brigade le soir & le matin ; on commence à cinq heures le matin, on finit à sept le soir ; l'heure des repas & du repos est réglée comme sur les ouvrages à prix d'argent. Dans tout ce qui peut intervenir chaque jour & chaque instant, l'inspecteur ne doit viser qu'au grand dans le détail, & éviter toutes les languissantes minuties. Sa principale attention est, comme j'ai dit, de mettre & de maintenir l'harmonie dans tous les mouvemens de ces bras réunis.

Les différens conducteurs dont il se sert peuvent eux-mêmes y devenir très-intelligens ; ces ouvrages seuls sont capables d'en former d'excellens pour la conduite de travaux de moindre importance. Il n'en est pas de même des corvées tarifées, les conducteurs qu'on y trouve n'ont pas même l'idée d'un ouvrage public ; ils ne font que marcher du matin au soir, ils courent quatre lieues pour enregistrer une demi-toise de pierre, qui sera peut-être volée le lendemain comme il arrive souvent, & ils font ensuite deux ou trois autres lieues, pour trois ou quatre toises de fossés ou quelques quarts de remblais ; ils sont devenus excellens piétons & grands marcheurs, mais ils seroient incapables, quoiqu'ils soient employés depuis bien du tems, de conduire un attelier de vingt hommes réunis, & de leur tracer de l'ouvrage.

La simplicité de l'autre méthode n'a pas besoin d'être plus développée, quant à présent, pour être conçue ; passons à la maniere d'administrer la police sur les corvoyeurs de ces grands atteliers, pour les contraindre quand ils refusent de venir sur les travaux, pour les maintenir dans le bon ordre quand ils y sont, & pour punir les querelleurs, les déserteurs, &c.

C'est une question qui a souvent été discutée, si cette police devoit être exercée par les inspecteurs, ou si l'autorité publique devoit toûjours s'en reserver le soin. Pour définir & limiter l'étendue de leur ressort, il paroît que c'est la nature même de la chose sur laquelle réside la portion d'autorité qui leur est confiée, qui en doit déterminer & régler l'étendue ; ainsi on n'a qu'à appliquer ce principe à la police particuliere que les corvées demandent, pour savoir jusqu'à quel point l'autorité publique doit en prendre elle-même le détail, & où elle peut ensuite s'en rapporter aux inspecteurs qu'elle a crû capables de les conduire, & qu'elle n'a choisi qu'à cette fin.

Les travailleurs dont on se sert dans les travaux publics, sont ou volontaires ou forcés ? s'ils sont volontaires, comme dans les travaux à prix d'argent, le soin de leur conduite semble devoir appartenir à ceux qui président directement sur l'ouvrage ; ces travailleurs sont venus de gré se ranger sous leur police & sous leurs ordres, & ceux qui les commandent, connoissent seuls parfaitement la nature & la conséquence des desordres qui peuvent y arriver.

S'ils sont forcés, comme dans les corvées, alors il est très-sensible que l'autorité publique, qui veille sur les peuples où les travailleurs forcés sont pris, doit entrer nécessairement pour cette partie qui intéresse tout l'état, dans le détail du service des corvées. C'est parce que ces travailleurs sont peuples, qu'il ne doit y avoir que les intendances & les subdélégations qui puissent décider du choix des paroisses, en regler la quantité, étendre ou modérer la durée de l'ouvrage, & en donner le premier signal ; il n'y a que dans ces bureaux où l'on soit parfaitement instruit de la bonté ou de la misere du tems, des facultés des communautés, & des vûes générales de l'état. Mais lorsque ces peuples sont ensuite devenus travailleurs par le choix de la puissance publique, ils deviennent, en même-tems & par cette même raison, soumis à l'autorité particuliere qui préside sur le travail ; il conviendra donc que pendant tout le tems qui aura été désigné, ils soient directement alors sous la police des ingénieurs & des inspecteurs, sur qui roule particulierement le détail de l'ouvrage, qui doivent faire l'emploi convenable suivant le tems & suivant le lieu, de tous les bras qu'on ne leur donne que parce que leur talent & leur état est d'en régler l'usage & tous les mouvemens.

Par la nature de la chose même, il paroîtroit ainsi décidé que les corvoyeurs, comme peuples, seroient appellés & rappellés des travaux par le canal direct de l'autorité supérieure, & qu'en qualité de travailleurs ils seront ensuite sous la police des ingénieurs & inspecteurs ; que ce doivent être ces derniers qui donneront à chacun sa part, sa tâche, & sa portion de la façon que la disposition & la nature de l'ouvrage indiqueront être nécessaire, pour le bien commun de l'ouvrage & de l'ouvrier ; que ce seront eux qui feront venir les absens, qui puniront les réfractaires, les paresseux, les querelleurs, &c. & qui exerceront une police réglée & journaliere sur tous ceux qui leur auront été confiés comme travailleurs. Eux seuls en effet peuvent connoître la nature & la conséquence des délits, eux seuls résident sur l'ouvrage où les travailleurs sont rassemblés ; eux seuls peuvent donc rendre à tous la justice convenable & nécessaire. Bien entendu néanmoins que ces inspecteurs seront indispensablement tenus vis-à-vis de l'autorité publique, (qui ne peut perdre de vûe les travailleurs parce qu'ils sont peuples) à lui rendre un compte fidele & fréquent de tout ce qui se passe parmi les travailleurs, ainsi que du progrès de l'ouvrage.

Ce qui m'a presque toûjours porté, dit l'auteur, à regarder ces maximes comme les meilleures, ce n'est pas uniquement parce qu'elles sont tirées de la nature des choses, c'est aussi parce que j'en ai toûjours vû l'application heureuse, & que je n'ai reconnu que des inconvéniens fort à charge aux peuples, & très-contraires aux ouvrages, quand on s'est écarté de ce genre de police.

Comment en effet les bureaux d'une intendance, ou un subdélégué dans son cabinet, peuvent-ils pourvoir au bon ordre des travaux dont ils sont toûjours éloignés ? les délits qui s'y commettent sont des délits de chaque jour, qu'il faut punir chaque jour ; ce sont des délits de chaque instant, qu'il faut réprimer à chaque instant ; l'impunité d'une seule journée fait en peu de tems d'un ouvrage public une solitude, ainsi qu'il est arrivé sur la route de Tours au Château-du-Loir, à cause de la police composée & nécessairement languissante qui y a toûjours été exercée : on y punit à la vérité, mais c'est par crise & par accès ; il n'y a point une police journaliere ; & elle ne peut y être, parce qu'il faut recourir, suivant la position des élections, à des autorités dispersées. Les subdélégués ou autres personnes sur qui l'autorité supérieure se décharge de ce soin, trouvent souvent dans la bonté de leur coeur, des raisons & des moyens d'éluder ou de suspendre les actes d'une police qui ne doit jamais être interrompue. On pense même qu'une police est rigoureuse, lorsqu'elle n'est cependant qu'exacte ; elle ne devient véritablement rigoureuse, que par faute d'exactitude dans son exercice journalier. Quand on a une fois imprimé l'esprit de subordination & de discipline, lorsqu'on a réglé dès le commencement la régie des travaux publics, comme le sont les convois militaires & les pionniers dans les armées, les grands exemples de sévérité n'ont presque plus lieu, parce qu'il ne se trouve que point ou peu de réfractaires. J'ai bien plus souvent fait mettre sur mes travaux des corvoyeurs en prison parce qu'ils étoient venus tard, ou qu'ils s'étoient retirés le soir avant l'heure, que parce qu'ils n'étoient point venus du tout. C'est un des plus grands avantages de la méthode que je propose, & qui lui est unique, d'être ainsi peu sujette aux réfractaires, parce que le brigadier de chaque détachement apportant au commencement de la semaine le rôle de sa brigade arrêté par le syndic, il ne peut s'absenter un seul homme qui ne soit en arrivant dénoncé par tous les autres ; ce qui ne peut jamais arriver dans la corvée divisée, parce que chacun travaillant séparément l'un de l'autre, & ayant des tâches distinctes, l'intérêt commun en est ôté, & qu'il importe peu à chaque corvoyeur en particulier que les autres travaillent ou ne travaillent pas : on peut juger par cela seul combien il est essentiel de ne jamais déchirer les travaux publics.

Il n'est pas étonnant au reste, que des bureaux ayant rarement réussi quand ils ont été chargés du détail de cette police ; le service des travaux publics demande une expérience particuliere, que les personnes qui composent ces bureaux n'ont point été à portée d'acquérir, parce qu'elles n'ont jamais vû de près le détail & la nature de ces ouvrages. Il faut pour les conduire un art qui leur est propre, auquel il est difficile que l'esprit & le génie même puissent suppléer, puisqu'il ne s'acquiert que sur le lieu, par la pratique & par l'expérience.

J'ai eu par-devers moi plusieurs exemples des singuliers écarts où l'on a donné dans ces bureaux, quand on y a voulu, la plume à la main & le coeur plein de sentimens équitables, régler les punitions & les frais de garnison que l'on avoit envoyé dans les paroisses. On y demande, par exemple, qu'en répartissant sur tous les réfractaires ces frais qui montent ordinairement à douze, quinze, ou dix-huit francs, on ait égard aux divers espaces de tems que les particuliers auront été sans travailler, au plus ou au moins d'exactitude avec laquelle ils y seront revenus, en conséquence des ordres dont le cavalier aura été le porteur, enfin sur la quantité de la tâche qu'ils redoivent chacun, & sur la nature qui consiste ou en déblais, ou en remblais, ou en fossé, ou en tirage, ou en voiture des pierres, & qui quelquefois est composée de plusieurs de ces objets ensemble. Ces calculs se font avec la plus grande précision, & l'on m'a même renvoyé un jour une de ces répartitions à calculer de nouveau, parce qu'il y avoit erreur de quelques sous sur un ou deux particuliers. Une telle précision est sans-doute fort belle : mais qui ne peut juger cependant ? que de tels problèmes sont beaucoup plus composés qu'ils ne sont importans ; & que quoiqu'ils soient proposés par esprit de détail & d'équité, on s'attache trop néanmoins à cette justice minutieuse dont j'ai parlé, que ne supportent point les grands travaux, à des scrupules qui choquent la nature même de la corvée, & à des objets si multipliés, qu'ils font perdre de vûe le grand & véritable objet de la police générale, qui est l'accélération des travaux dont la décharge du peuple dépend ? Leur bien, en ce qui regarde les corvées qu'on leur fait faire, consiste, autant que mes lumieres peuvent s'étendre, à faire ensorte que le nom du Roi soit toûjours respecté, que l'autorité publique représentée par l'intendant & dans ses ordres, ne soit jamais compromise, que ses plus petites ordonnances ayent toûjours une exécution ponctuelle, & que le corvoyeur obéisse enfin sans délai, & se rende sur l'attelier à l'heure & au jour indiqué. De telles attentions dans des bureaux, sont les seuls soins & les seules vûes que l'on doit y avoir, parce qu'ils visent directement à la décharge des peuples par la promte exécution des travaux qu'on leur impose.

Comme on n'a point encore vû en cette généralité une telle police en vigueur, on pourra peut-être penser d'avance qu'un service aussi exact & aussi militaire, doit extrèmement troubler la tranquillité des paroisses & la liberté des particuliers, & qu'il est indispensable dans la conduite des corvées, de n'user au contraire que d'une police qui puisse se prêter au tems, en fermant plus ou moins les yeux sur les abus qui s'y passent. Le peuple est si misérable, dit-on : je conviens à la vérité de sa misere ; mais je ne conviens point que pour cette raison la police puisse jamais fléchir, & qu'elle doive être dans des tems plus ou moins exacte que dans d'autres ; elle ne peut être sujette à aucune souplesse sans se détruire pour jamais. Ainsi ce ne doit point être quant à l'exactitude & à la précision du service, qu'il faut modérer la corvée ; c'est seulement quant à sa durée. Dans les tems ordinaires le travail peut durer deux mois dans le printems, & autant dans l'automne : si le tems est devenu plus dur, on peut alors ne faire que six semaines ou qu'un mois de corvée en chaque saison, & ne travailler même que quinze jours s'il le faut ; mais pour la discipline elle doit être la même, aussi suivie pour quinze jours que pour quatre mois de travail, parce que l'on doit tirer proportionnellement autant de fruit de la corvée la plus courte que de la corvée la plus longue. Enfin il vaut mieux passer une campagne ou deux sans travailler, si les calamités le demandent, que de faire dégénérer le service. Ce mémoire est de M. Boulanger, sous-ingénieur des ponts & chaussées dans la généralité de Tours. S'il lui fait honneur par la vérité de ses vûes, il n'en fait pas moins au supérieur auquel il a été présenté, par la bonté avec laquelle il l'a reçu.


CORVETTEvoyez COURVETTE.


CORVO(Géog. mod.) île la plus septentrionale des Açores, au nord de celle de Flores.


CORWEY(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne en Westphalie, avec une abbaye célebre dont l'abbé est prince de l'Empire. Longit. 27. 1. lat. 51. 50.


CORWUA(Géog. mod.) ville de Pologne assez commerçante, dans la Samogitie, sur la riviere de Niemen.


CORYBANTES. m. (Myth.) nom des prêtres de Cybele, qui, en dansant, frappoient comme des furieux à coups redoublés leurs bruyantes cymbales ; ce qui fait dire à Horace, dans sa peinture de la colere :

Non acuta

Sic geminant Corybantes aera,

Tristes ut irae.

Liv. I. ode xvj. v. 8.

Ces prêtres célebres dans la Mythologie & dans l'Histoire, ont été ainsi nommés, au rapport de Diodore de Sicile, liv. V. de Corybas fils de Jason & de cette déesse, lequel accompagné de Dardanus son oncle, porta dans la Phrigie le culte de la mere des dieux. Saisis d'une fureur prétendue sacrée, ils dansoient au son des cymbales qu'ils frappoient eux-mêmes en secoüant violemment la tête, & communiquoient leur fureur à ceux qui les regardoient. Catulle, dans son poëme intitulé Atys, en donne une belle description ; & Strabon, dans son X. livre, fait une digression curieuse sur ce sujet. Ainsi les Grecs employerent le mot de , corybantiser, pour être transporté de fureur & de phrénésie. Les curieux peuvent encore consulter Noel Lecomte, Mythol. liv. IX. cap. vij. & Vossius, de idolol. l. II. cap. liij.

Ovide, Catulle, & Festus ajoûtent que ces prêtres mêloient à leurs danses des cris & des hurlemens pour pleurer la mort d'Atys, dont ils souffroient volontairement le supplice, afin de satisfaire à la loi que Cybele leur avoit prescrite ; que par la même raison ils honoroient le pin près duquel Atys avoit été mutilé ; qu'ils couronnoient les branches de cet arbre, & en couvroient le tronc avec de la laine, parce que la déesse avoit ainsi couvert le corps de son amant, espérant par ce secours lui redonner la vie qu'il venoit de perdre.

Quoiqu'il en soit, les Corybantes après avoir longtems demeuré en Phrigie sur le mont Ida, vinrent en Crete, & s'établirent sur une montagne à laquelle ils donnerent le nom de leur ancienne habitation. Ce fut là qu'ils prirent soin de l'enfance de Jupiter. Plusieurs auteurs prétendent que les Corybantes, les Cabires, les Curetes, les Idéens, & les Dactyles, n'étoient que la même sorte de prêtres ; & cette opinion paroîtra très-vraisemblable à ceux qui considéreront que Cybele portoit plusieurs noms, suivant les divers lieux de son culte, le plus ancien du paganisme.

Ce n'est pas même dans la Phrigie qu'il en faut chercher l'origine ; il passa premierement avec les autres cérémonies des Egyptiens dans la Syrie & la Phénicie, de-là dans la Phrigie qui est une partie de l'Asie mineure, ensuite dans la Grece, & enfin en Italie où fut établi le siege de son empire, au point qu'on lavoit dans le fleuve Almon le simulacre de Cybele, & que la folie licentieuse de ses fêtes régnoit encore singulierement du tems de l'empereur Commode, au rapport d'Hérodien. Quantum mutata ab illo est tempore Italia ! Ceci est un point de question, & non pas d'admiration. Art. de M(D.J.)


CORYBANTIASMES. m. (Med.) espece de phrénésie dont il est parlé dans les anciens medecins, dans laquelle le malade se voyoit sans-cesse obsédé de fantômes, avoit des tintemens d'oreille, & ne dormoit point ou dormoit les yeux ouverts. On prétendoit que ces phrénétiques avoient été frappés de terreur par les prêtres de Cybele. V. CORYBANTES.


CORYCÉES. m. (Hist. anc.) piece ou appartement des gymnases des anciens. C'étoit un lieu destiné à joüer à la paulme, à la balle ou au ballon, nommé en grec . Mercurial & d'autres auteurs ont confondu le coryceum avec l'apodyterion ; mais outre que Vitruve ne fait point mention du coryceum dans le sens où le prennent ces écrivains : il est certain que l'usage auquel il étoit destiné selon eux, se trouvant parfaitement rempli par l'apodyterion, ce seroit multiplier sans nécessité les pieces des anciens gymnases. (G)


CORYCOMACHIou CORYCOBOLIE, s. f. (Hist. anc.) c'étoit, selon M. Burette, la quatrieme espece de sphéristique grecque : elle consistoit à suspendre au plancher d'une salle, par le moyen d'une corde, une espece de sac que l'on remplissoit de farine ou de graine de figuier pour les gens foibles, & de sable pour les robustes, & qui descendoit jusqu'à la ceinture de ceux qui s'exerçoient. Ils prenoient ce sac à deux mains, & le portoient aussi loin que la corde pouvoit s'étendre ; après quoi lâchant le sac ils le suivoient, & lorsqu'il revenoit vers eux, ils se reculoient pour céder à la violence du choc ; puis le reprenant encore à deux mains au moment où il étoit sur le point de descendre, ils le repoussoient en-avant de toute leur force, & tâchoient ensuite, malgré l'impétuosité qui le ramenoit, de l'arrêter, soit en opposant leurs mains, soit en présentant leur poitrine, les mains étendues ou croisées derriere le dos ; ensorte que pour peu qu'ils négligeassent de se tenir fermes, l'effort du sac qui revenoit leur faisoit lâcher pié, & les contraignoit de reculer. Les medecins ordonnoient cette espece d'exercice, comme très-capable de fortifier les parties qui y étoient principalement employées. Mem. de l'acad. des inscript. tome I. pag. 168. Après tant de précautions qu'on voit que les anciens prenoient pour augmenter les forces, conserver la santé & prévenir les maladies, il resteroit à savoir s'ils étoient en général plus vigoureux que nous, s'il vivoient plus long-tems, s'ils se portoient mieux, s'ils avoient moins de maladies, ou si on les en guérissoit plus facilement.


CORYDALISsub. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur polypétale, irréguliere proprement dite, ressemblante aux fleurs papilionacées, mais qui en differe cependant par un prolongement du pétale en forme de queue. Cette fleur est composée de quatre pétales, & d'étamines qui soûtiennent des sommets & qui sont réunies en forme de gaîne. La partie intérieure de la fleur garnie d'une trompe, devient un silique qui n'a qu'une seule cavité, & qui renferme des semences globuleuses & pour ainsi dire crochues. Pontedera, anth. lib. III. Voyez PLANTE. (I)


CORYMBES. m. (Myth.) petits grains qui naissent en grouppe sur le lierre, & qu'on remarque souvent dans les couronnes de Bacchus appellé le porte-corymbe, corimbifer, & adoré en Grece sous ce surnom.


CORYPHÉES. m. (Spectacle) Les anciens nommoient ainsi le chef de la troupe dont leurs choeurs étoient composés ; il vient d'un mot grec qui signifie le sommet de la tête.

On donne ce nom dans quelques-uns de nos opéra à un acteur principal, lorsqu'il chante des morceaux avec les choeurs. (B)


CORYSECorysa, (Medec.) Voyez le nom françois ENCHIFRENEMENT.


CORYTHALIENNEadj. surnom sous lequel Diane avoit un temple, un sacrifice & des fêtes à Lacédémone ; on lui immoloit en dansant de petits cochons, & on l'invoquoit sur la santé des petits garçons que les nourrices lui présentoient dans les solemnités Corythaliennes.


CORZEGNO(Géog. mod.) petite ville d'Italie au pays d'Alba, dans le duché de Monferrat.


COS(Isle de) Géog. anc. & mod. L'île de Cos, une des Sporades, aujourd'hui Lango ou Stanchio, a eu l'honneur d'être la patrie d'Hippocrate & d'Appelles, les deux plus grands hommes du monde pour la Medecine & la Peinture. Elle fut aussi très-célebre par la pourpre que l'on pêchoit entre cette île & celle de Nisizus, à présent Nassari ; par ses excellents vins & par ses belles gazes. Elle s'approchoit des côtes de l'Asie mineure entre la mer Egée & la mer Carpathienne, à l'entrée du golfe Céramique, qui séparoit la Carie de la Doride. Strabon lui donnoit 69 milles d'Italie de circuit, & parmi les modernes Thevet lui en assigne trente-cinq de France.

Il y avoit encore du tems de Jesus-Christ, un temple élevé en l'honneur d'Esculape dans le fauxbourg de Cos, qui étoit également renommé & rempli de présens consacrés, des plus précieux, On voyoit entr'autres dans ce temple le portrait d'Antigonus peint par Appelles, & celui de Vénus Anadyomene, c'est-à-dire qui sort de l'eau. Ce dernier portrait fut porté à Rome, & consacré au dieu César par l'Empereur Auguste. Voyez ANADYOMENE.

Enfin ce qui me touche davantage, on y voyoit quantité de planches ou de tableaux qui contenoient des observations sur le cours des maladies, leurs symptomes, les remedes dont on s'étoit servi, avec leurs divers succès. On dit qu'Hippocrate fit un recueil de toutes ces observations, & que c'est là qu'il a puisé les premieres lumieres qu'il a eues de la Médecine, & dont il a sû tirer un si grand parti. Qu'on me pardonne cette remarque en faveur d'une science dont l'étude fait mes délices. Par M(D.J.)


COSA(Géog. mod.) petite riviere d'Italie dans la campagne romaine, qui se jette dans le Carigliano.


COSAQUE(les) Géogr. mod. nation située aux confins de la Pologne, de la Russie, de la Tartarie, & de la Turquie. On en distingue plusieurs sortes : les Kosaki-porovi, qui habitent sur les rives du Boristhene : leur pays s'appelle l'Ukraine ; ils occupent aussi une partie de la Volhinie : les Kosaki-Donski habitent les bords du Don ou Tanaïs, & du Dnieper : enfin les Kosaki-Jaïki, qui demeurent le long du Jaïk. Tous professent la religion grecque, comme les Russiens, sous la protection de qui ils sont ; il y en a cependant qui sont sous celle des Turcs : ils sont belliqueux, adroits, & fort sujets à voler & à faire des incursions chez leurs voisins.


COSCINOMANCES. f. (Divination) Divination qui se fait par le crible. Voyez DIVINATION. Ce mot vient de , crible ; & , divination. On éleve un crible sur quelque chose ; puis après avoir dit quelques paroles, on le prend de deux doigts seulement : on récite le nom de ceux qui sont suspects, & celui au nom duquel le crible tourne, tremble ou branle, est tenu coupable du mal dont on cherche l'auteur.

Théocrite parle dans sa troisieme idylle, d'une femme qui étoit fort habile dans cette espece de divination. On dit qu'elle se pratiquoit en suspendant un crible par un fil, ou le posant sur une pointe de ciseau, & le faisant tourner, en nommant pendant qu'il tournoit, les noms des personnes suspectes. On la pratique encore de cette derniere maniere dans quelques endroits d'Angleterre.

Il paroit par Théocrite qu'on s'en servoit pour connoître non-seulement des personnes inconnues, mais encore les sentimens intérieurs des personnes que l'on connoissoit. Dict. de Trév. & Chambers.

C'est ce qu'on appelle tourner le sas ; pratique superstitieuse qui est encore aujourd'hui en usage parmi le peuple ignorant & grossier, pour découvrir les auteurs d'un vol, ou recouvrer les choses perdues. Pictorius a donné la formule des paroles qu'on employe dans cette opération, en assûrant qu'il s'en est lui-même servi trois fois avec succès, si l'on en croit Delrio, inquisit. magic. lib. IV. ch. ij. quaest. 7. sect. 1. p. 548. (G)


COSCOMA(Hist. nat. bot.) arbre du Monomotapa, dont le fruit ressemble à la pomme d'amour ; est violet, agréable au goût, & purge violemment lorsqu'on en mange en trop grande quantité.


COSENZA(Géog. mod.) ville considérable d'Italie au royaume de Naples, sur le Gratte. Long. 34. 10. lat. 39. 23.


COSME(Hist. mod.) chevaliers de l'ordre de S. Cosme & de S. Damien. Ils n'ont point existé réellement, selon quelques-uns ; d'autres circonstancient tellement leur institution, qu'il est difficile d'en douter. Ils commencerent, dit-on, en 1030. C'étoient des hospitaliers qui recevoient à Jerusalem & dans d'autres lieux de la Palestine, tous les Chrétiens qui tomboient malades en suivant la Croisade ; ils les rachetoient aussi quand ils étoient pris. Ils suivoient la regle de saint Basile. Jean XX. leur donna pour marque de dignité, sur un manteau blanc une croix rouge, au milieu de laquelle un cercle renfermoit les images de S. Cosme & de S. Damien.

* COSME, (Hist. mod.) chanoines réguliers de S. Cosme. Ce sont ceux de S. Cosme-lez-Tours, qui laisserent la regle trop austere de S. Benoît, pour celle de S. Augustin. On ne sait point en quel tems se fit cette révolution monastique.

* COSME, (Histoire mod.) Il se prend aujourd'hui pour la communauté des Chirurgiens, pour leur école, pour leur amphithéatre & pour leur académie. Aller à S. Cosme, être de S. Cosme, peuvent avoir ces différentes acceptions, auxquelles le voisinage de la paroisse de S. Cosme & du lieu de leurs assemblées & exercices a donné occasion.


COSMESS. m. pl. (Hist. anc.) magistrats souverains qui étoient établis en Crete au nombre de dix, pour maintenir le bon ordre dans la république ; & c'est par cette raison qu'ils furent appellés Cosmes, du mot grec , ordre. Ils étoient à vie, ne rendoient compte à personne de leur administration, & commandoient les armées en tems de guerre. On les choisissoit par le sort, mais seulement dans de certaines familles, & on tiroit aussi de ces mêmes familles les sénateurs qui formoient le conseil public. Je ne connois rien qui ait plus de rapport aux anciens Cosmes de Crete, que le conseil des Dix établi à Venise, avec cette différence seulement, que ces derniers ne commandent point les armées. Voyez DIX. Par M(D.J.)


COSMETIQUES. f. on peut donner ce nom en général à la science de l'univers ; elle renferme trois parties, la Cosmographie, la Cosmogonie, & la Cosmologie. Voyez ces mots. On peut aussi donner ce nom en général à la science des ornemens dans quelque genre que ce puisse être ; le même mot grec , qui signifie monde & ordre, signifiant aussi ornement. (O)

COSMETIQUE, (Médecine) C'est la partie de la Medecine qui a pour objet l'entretien de la beauté naturelle. Ce nom vient du grec , orner. La Cosmétique est non seulement l'art de l'embellissement du corps, mais encore celui de combattre la laideur, de diminuer les défauts qui peuvent occasionner un objet de dégoût ; de cacher les imperfections, les infirmités qui viennent de naissance, par maladie, ou par quelqu'autre cause que ce soit, & même de prévenir ces infirmités. On a eu de tout tems pour but, & avec raison, de rendre la nature la moins desagréable & la plus attrayante qu'il seroit possible. Il nous manque un ouvrage en ce genre ; & un tel ouvrage, pour être bien fait, demanderoit un fort habile homme. Il faut cependant distinguer cette partie de la Medecine, peu cultivée jusqu'à ce jour, de celle qui fournit le fard, & qui indique pour l'embellissement de la peau, les drogues que nous appellons des Cosmetiques. Voyez l'article suivant. Par M(D.J.)

COSMETIQUE, s. m. Les Cosmétiques sont tous les remedes imaginés pour rendre la peau belle, conserver la couleur & la fraicheur du teint, teindre les cheveux, les sourcils, &c. en un mot tout ce qu'Ovide étale sur ce point dans son poëme de medicamine faciei, supposé que ce poëme soit de lui.

Criton l'Athénien, qui vivoit vers l'an 350 de Rome, considérant que les grands n'ont pas moins à coeur de faire passer de petits boutons, des taches de rousseur, & en général tous les défauts de la peau, que de guérir d'une maladie sérieuse, épuisa la matiere des Cosmétiques dans un traité de la composition des médicamens. Galien, qui le cite souvent avec éloge, ajoute qu'Héraclide de Tarente en avoit déjà dit quelque chose, comme aussi la reine Cléopatre ; mais que ce n'étoit rien en comparaison de ce que Criton avoit écrit sur ce sujet, parce que du tems d'Héraclide, & même du tems de Cléopatre, les femmes ne s'étoient pas portées à cet égard à l'excès où elles parvinrent dans le siecle de Criton. D'ailleurs le même Galien excuse Criton de s'être attaché sérieusement à ces bagatelles, quoiqu'il fût medecin de cour, & d'une cour qui ne les regardoit point avec l'indifférence qu'elles méritent.

Celse a judicieusement remarqué que la plûpart des cosmétiques les plus vantés, ne sont qu'un vain amusement, un pur charlatanisme ; qu'il est inutile d'entreprendre de détruire le hâle, les taches de rousseur, les rougeurs du visage ; que c'est une folie d'espérer de changer la grosseur du teint, la couleur de la peau naturelle ; encore plus de vouloir remédier aux rides : mais que les femmes sont tellement éprises de la beauté, & du desir d'éloigner ou de réparer les débris de la vieillesse, qu'il est impossible de vaincre en elles ce penchant, & de leur persuader la futilité de tous ces beaux secrets qui portent le nom de cosmétiques.

Effectivement les meilleurs se réduisent, à les bien peser, au mérite des simples frictions, des lotions de liqueurs spiritueuses pour la propreté, & de celles qui étant onctueuses, peuvent être employées sans danger pour décrasser, polir & adoucir la peau. Tels sont, par exemple, l'eau de fraises, l'eau de lavande, l'eau distillée de féves, le suc que l'on tire des fleurs de l'oreille d'ours, &c. l'huile de mirrhe par défaillance, d'amandes, de citrouille, de graine de melon, de noisettes, de graine de pavot blanc, de semence de cameline ou de myagrium ; l'huile de behin, de cacao, tirée sans feu ; la cire de canelle de la compagnie hollandoise des Indes orientales, les pommades où entre le blanc de baleine, l'onguent de citron fait avec le camphre & les émulsions de substances farineuses ; l'eau de talc tirée par la même méthode qu'on employe pour l'huile de mirrhe & autres de cette nature.

On range dans la même classe le fiel de boeuf distillé, mêlé à la quantité de six onces, sur alun de roche, de borax & de sucre candi pulvérisés ; de chacun demi-once. Cette liqueur étant philtrée, on s'en lave le visage le soir avant que de se coucher, & on l'enleve le matin avec de l'eau de lavande.

Enfin on doit mettre au rang des excellens cosmétiques, le baume de la Mecque & la teinture de benjoin. Voyez BENJOIN.

Cette teinture de benjoin mêlangée avec parties égales d'eau de fleurs de féves, ou autre semblable, donne sur le champ ce qu'on nomme le lait virginal, liqueur blanche, laiteuse, opaque, qui est fort bonne pour la peau.

Les dames qui peuvent avoir du baume de la Mecque, le mêlant avec un peu d'huile des quatre semences froides ; d'autres dissolvent de ce baume dans de l'esprit de vin ou de l'eau de la reine d'Hongrie : ensuite elles jettent cette dissolution dans de l'eau de lys, & en font une espece de lait virginal.

Voici la meilleure maniere de préparer ce baume cosmetique, suivant M. Geoffroy.

Prenez baume de la Mecque, huile d'amandes douces nouvellement tirée, de chacune parties égales ; mêlez ces drogues avec soin dans un mortier de verre, pour en faire une espece de nutritum, sur trois drachmes duquel vous verserez, après l'avoir mis dans un matras, six onces d'esprit de vin ; laissez-le en digestion jusqu'à ce que vous en ayez extrait une teinture suffisante. Séparez cette teinture de l'huile, & mettez-en une once dans huit onces de fleurs de féves, ou autre analogue, vous aurez un excellent cosmétique laiteux.

Il faut bien se garder de confondre ces sortes de préparations cosmétiques innocentes, avec celles qu'on compose de plomb, de céruse, de vinaigre de Saturne, de magistere, de fleurs de bismuth & autres de cette nature, qui font à la vérité les plus beaux blancs du monde, mais qui par leurs parties salines, venéneuses, arsénicales, indélébiles, alterent & gâtent le teint sans remede.

Comme on blanchit les fleurs de jacynthe bleues, en les passant à la fumée de soufre, cette expérience a fait imaginer, qu'on pourroit par le même secours rendre blanche la peau brune & basanée ; mais les personnes qui s'en servent pour les mains & les bras, n'en éprouvent point de succès. A l'égard du visage, si ce moyen étoit praticable sans affecter les yeux & la poitrine, il ne manqueroit pas de pâlir les joues & les levres, & de les rider en même tems.

Il est donc très-important de n'employer aucun de tous ces dangereux fards cosmétiques, qui plombent la peau, la dessechent, la minent, & produisent finalement les mauvais effets dont parle la Bruyere, quand il dit que " si les dames étoient telles naturellement qu'elles le deviennent par artifice, c'est-à-dire qu'elles perdissent très-promtement la fraicheur de leur teint ; qu'elles eussent le visage aussi gâté qu'elles se le rendent par la peinture dont elles se fardent, elles seroient inconsolables " Par M(D.J.)


COSMIQUEadj. (Géog.) se dit de ce qui appartient à la Cosmographie, ou qui a rapport au monde en général. (O)

COSMIQUE, se dit, en Astronomie, du lever d'une étoile dans certaines circonstances. Une étoile se leve cosmiquement, quand elle se leve avec le soleil, ou avec le degré de l'écliptique où est le soleil. Voyez LEVER.

Le coucher cosmique arrive lorsqu'une étoile se couche dans le même tems que le soleil se leve. Voy. COUCHER & HELIAQUE.

Selon Kepler, se lever ou se coucher cosmiquement, c'est seulement s'élever sur l'horison ou descendre dessous. Voyez ACHRONIQUE. Chambers. (O)

COSMIQUES. (Qualités) Façon de parler dont M. Boyle se sert pour désigner certaines qualités des corps résultantes de la construction générale de l'Univers. Voyez QUALITE.

Quoiqu'en considérant les qualités des corps, nous n'examinions ordinairement que la faculté que chaque corps a d'agir sur un autre, ou que la propriété qu'il a de subir l'action d'un autre corps avec lequel une communication réciproque d'impressions fait observer qu'il a une relation manifeste ; cependant, selon M. Boyle, un corps peut avoir quelques attributs, & être sujet à certains changemens, non pas simplement par rapport à ces qualités qui paroissent lui être évidemment inhérentes, ni par les relations qu'il a avec les autres corps, mais en conséquence de la constitution du systême général du Monde, de laquelle il pourroit résulter plusieurs agens insensibles, qui par des moyens inconnus, pourroient agir puissamment sur les corps que nous considérons, y produire des changemens, & les rendre capables d'en produire sur les autres corps ; de sorte que ces changemens devroient être attribués plûtôt à l'action de quelques agens insensibles, qu'à celle des autres corps avec lesquels on observeroit que le corps en question auroit un certain rapport. Ainsi plusieurs corps étant placés ensemble dans quelque espace supposé au-delà des bornes de l'Univers ; ils retiendroient, selon M. Boyle, plusieurs des qualités dont ils sont doüés présentement, & ils pourroient en perdre quelques-unes & en acquérir d'autres. Mais si on les remettoit à leurs premieres places dans l'Univers, ils reprendroient leurs propriétés & dispositions primitives, dépendantes de la forme du systême général ou du monde. Ce sont ces qualités ou propriétés que M. Boyle appelle systématiques ou cosmiques. Chambers.

On ne sauroit douter que tous les corps dont cet Univers est composé, ne forment un systême qui est un, & dont les parties sont dépendantes les unes des autres, & ont entr'elles des relations qui résultent de l'harmonie du tout. Certainement quelques-uns de ces corps déplacés pourroient perdre ces relations, & changer par conséquent de propriétés à certains égards. Mais tout ce que nous pouvons dire là-dessus se réduit à des choses bien générales & bien vagues ; parce que nous sommes fort ignorans sur les propriétés de la matiere, & sur l'ensemble de cet univers que nous habitons. Un seul phénomene, un seul fait bien vû & bien développé instruit plus que toutes ces conjectures hasardées, que nous ne serons jamais à portée de vérifier, & qui, sans éclairer les Philosophes, exercent leur imagination & leur oisiveté. Newton, sans s'épuiser en raisonnemens sur le système d'un autre univers, a fait plus de découvertes qu'aucun autre philosophe dans le systême de celui que nous habitons. Ne cherchons point ce que les corps pourroient être dans un monde imaginaire, contentons-nous d'ignorer ce qu'ils sont dans celui-ci. (O)


COSMOGONIES. f. (Physiq.) est la science de la formation de l'univers. Ce mot est formé de deux mots grecs, , monde, , je nais. La Cosmogonie differe de la Cosmographie, en ce que celle-ci est la science des parties de l'Univers, supposé tout formé, & tel que nous le voyons, & elle differe de la Cosmologie, en ce que celle-ci raisonne sur l'état actuel & permanent du Monde tout formé ; au lieu que la Cosmogonie raisonne sur l'état variable du Monde dans le tems de sa formation. Voyez COSMOLOGIE.

De quelque maniere qu'on imagine la formation du Monde, on ne doit jamais s'écarter de deux grands principes : 1°. celui de la création ; car il est clair que la matiere ne pouvant se donner l'existance à elle-même, il faut qu'elle l'ait reçue : 2°. celui d'une intelligence suprême qui a présidé non-seulement à la création, mais encore à l'arrangement des parties de la matiere en vertu duquel ce Monde s'est formé. Ces deux principes une fois posés, on peut donner carriere aux conjectures philosophiques, avec cette attention pourtant, de ne point s'écarter dans le systême qu'on suivra, de celui que la Genèse nous indique que Dieu a suivi, dans la formation des différentes parties du Monde.

Ainsi un chrétien doit rejetter tout systême de Cosmogonie, par exemple, où les poissons seroient existans avant le soleil ; parce que Moyse nous apprend que le soleil fut fait le quatrieme jour, & les poissons le cinquieme. Mais on auroit tort de taxer d'impiété un physicien qui penseroit que les poissons ont habité le globe avant l'homme, puisqu'il est écrit que l'homme ne fut créé que le dernier. Ainsi l'auteur d'une gazette périodique a sottement accusé l'illustre secrétaire de l'académie des Sciences, d'avoir dit que les poissons ont été les premiers habitans du globe, car cela est très-conforme au recit de Moyse.

C'est encore une chose qu'il est très-permis de soûtenir, suivant le recit même de Moyse, que le chaos a existé avant la séparation que Dieu a faite de ses différentes parties. Voyez l'article CHAOS.

Il doit être très-permis de dire avec Descartes, que les planetes, & la terre en particulier, ont commencé par être des soleils qui se sont ensuite encroûtés, parce que le récit de Moyse n'a rien de contraire à cette supposition. La Physique peut la réprouver ; mais la religion l'abandonne à nos disputes. Il doit être permis de dire que la formation de ce Monde n'a dépendu que du mouvement & de la matiere différemment combinés ; parce que Dieu auteur seul de la matiere & du mouvement n'a employé certainement que ces deux principes pour l'arrangement du Monde ; mais les a employés avec une intelligence dont lui seul est capable, & qui seule est une preuve de son existance. On doit donc être extrèmement reservé à taxer d'irréligion les philosophes qui proposent un système de Cosmogonie, lorsque ce système peut s'accorder avec le récit de Moyse ; & il ne faut pas craindre qu'on leur donne par-là trop d'avantage. Dans le système de Newton, par exemple, l'impulsion une fois donnée aux planetes, & l'attraction supposée, le système du Monde doit subsister en vertu des seules lois du mouvement. Il semble d'abord que ce système favorise l'Athéisme, en ce qu'il ne suppose autre chose qu'un premier mouvement imprimé, dont tout le reste est une suite, & qu'il n'a pas recours à l'action continue de l'Etre suprême. Mais qui a pû donner ce premier mouvement, & qui a établi les lois en vertu desquelles il se conserve ? Ne sera-ce pas toûjours l'être suprême ? Il en est ainsi des autres. La philosophie de Démocrite qui attribuoit tout au hasard & au concours fortuit des atomes, étoit impie ; mais une physique qui, en réduisant tout au mouvement différemment combiné & à des lois simples & générales, explique la formation de l'Univers, est très-orthodoxe, quand elle commence par reconnoitre Dieu pour auteur seul de ce mouvement & de ces lois. V. CREATION, MOUVEMENT, PERCUSSION, &c.

Après ces observations, nous n'entrerons point dans le détail des différens systèmes des anciens & des modernes sur la formation du Monde, tous ces systèmes étant des hypothèses purement conjecturales, & plus ou moins heureuses, à proportion qu'elles sont plus ou moins appuyées sur les faits & sur les lois de la méchanique ; nous en exposerons les principaux à l'article TERRE. Car c'est principalement la formation de ce globe que nous habitons qui est l'objet de la Cosmogonie. (O)


COSMOGRAPHEadj. pris subst. se dit d'une personne versée dans la Cosmographie. Voyez COSMOGRAPHIE. Les anciens qui nioient l'existance des antipodes, étoient de mauvais Cosmographes. Voyez l'article ANTIPODES, où nous avons exposé l'affaire de Virgile, & que nous rappellons ici, parce qu'il nous paroit que nous y avons discuté avec exactitude le jugement que le pape Zacharie porta en cette occasion, & répondu d'avance aux mauvaises objections qu'on nous a faites là-dessus. (O)


COSMOGRAPHIES. f. description du monde, ou science qui enseigne la construction, la figure, la disposition, & le rapport de toutes les parties qui composent l'Univers. Voyez MONDE. Ce mot vient du grec , monde, & , je décris.

La Cosmographie differe de la Cosmologie, en ce que celle-ci raisonne sur la construction & la formation de l'Univers, au lieu que la Cosmographie en est seulement la description historique.

La Cosmographie dans sa définition générale embrasse, comme l'on voit, tout ce qui est l'objet de la Physique. Cependant on a restraint ce mot dans l'usage, à designer la partie de la Physique qui s'occupe du systéme général du monde. En ce sens la Cosmographie a deux parties ; l'Astronomie, qui fait connoitre la structure des cieux & la disposition des astres, voyez ASTRONOMIE ; & la Géographie, qui a pour objet la description de la terre, voyez GEOGRAPHIE.

Quoique nous donnions dans les différens articles de cette Encyclopédie le détail des différens points du système du monde, nous allons ici exposer ce système fort en abregé, pour en présenter l'idée générale à ceux qui n'en sont pas instruits, nous réservant à entrer dans un plus grand détail aux articles dont il s'agit. Voyez COPERNIC, PLANETE, &c.

Le Soleil est au centre de notre système. C'est un globe lumineux, environ un million de fois gros comme la terre ; il tourne sur son axe en 25 jours ; on y voit des taches qui disparoissent. Voyez SOLEIL, TACHE, &c.

Mercure tourne autour du Soleil en trois mois ; on ne sait s'il tourne sur lui-même. Son diamêtre est 1/300 de celui du Soleil ; sa distance au Soleil la plus grande est de 5137 diam. de la Terre, la plus petite de 3377. Voyez MERCURE.

Venus a un diamêtre qui est le 1/100 de celui du Soleil. Elle tourne sur son axe, selon quelques-uns, en 24 jours, selon d'autres en 24 heures. Sa plus grande distance est de 8008 diam. terr. la moindre de 7898. Voyez VENUS.

La Terre est dans sa plus grande distance à 11187 diam. & dans la plus petite à 10813. Elle tourne en 24 heures sur son axe, & cet axe a outre cela un mouvement conique, dont la révolution est de 25000 ans ; il fait un angle de 66° 1/2 avec l'écliptique. V. ECLIPTIQUE, PRECESSION DES EQUINOXES, TERRE.

Mars tourne sur lui-même en 25 heures, & autour du Soleil en deux ans ; sa plus grande distance est de 18315 diam. de la terre, & la moindre de 15213 ; son diamêtre est de 1/170 de celui du Soleil. V. MARS.

Jupiter tourne en 10 heures sur son axe, & autour du Soleil en 12 ans ; son diamêtre est 1/9 de celui du Soleil, sa plus grande distance est de 59950 diam. terr. sa moindre de 54450. Voyez JUPITER.

Saturne tourne en trente ans autour du Soleil, on ignore s'il tourne sur son axe. Sa plus grande distance est de 110935 diam. terr. sa moindre de 98901 Voyez SATURNE.

Outre ces six planetes principales, il en est de secondaires ou satellites. La Lune est satellite de la Terre ; elle tourne autour d'elle-même & autour de la Terre en un mois ; elle est éloignée de nous de 30 diamêtres de la terre. Son diamêtre est le 1/4 de diam. de la Terre. Voyez LUNE, SATELLITE.

Jupiter a de même quatre satellites, & Saturne cinq. De plus, cette derniere planete a un anneau très-singulier. Voyez ANNEAU. Les éclipses des satellites sont d'une grande utilité pour les longitudes. Voyez LONGITUDE.

Notre Terre est couverte de deux grands fluides : l'un est la mer, dans lequel l'action de la Lune & du Soleil cause un flux & reflux continuel ; l'autre est l'air, dans lequel on a remarqué beaucoup de propriétés. Voyez MER, MAREE, AIR, &c.

La lumiere des planetes, matte & foible en comparaison de celle du Soleil, leurs phases, leurs taches constantes, & leurs différentes éclipses, prouvent qu'elles sont comme notre terre des corps opaques, qui reçoivent la lumiere du Soleil. Voyez PHASES, ECLIPSES, TACHE, &c.

La lumiere du soleil est un composé de sept couleurs primitives : rouge, orangé, jaune, verd, bleu, indigo, violet ; voyez COULEUR, & cette lumiere vient à nous en 7 à 8 minutes. Voyez LUMIERE & ABERRATION.

Les planetes ne sont point des globes parfaits, & leurs orbites sont des ellipses & non des cercles. V. ORBITE, TERRE, &c. Les cometes ne sont autre chose que des planetes, dont les orbites sont fort allongées, & qui ne sont vûes que dans une partie de leurs cours. Voyez COMETE.

Les coquillages, les poissons pétrifiés qu'on trouve sur les lieux les plus élevés & les plus éloignés de la mer, prouvent que les eaux ont inondé autrefois les lieux que nous habitons, voyez CHAOS & DELUGE ; & l'on voit dans les dispositions des différens lits de la terre, des preuves des secousses qu'elle a autrefois éprouvées. Voyez TERRE.

Les étoiles fixes sont autant de soleils semblables au nôtre, dont la distance est si énorme qu'on ne peut la mesurer. Il y en a de différentes grandeurs, de changeantes, de nébuleuses, &c. Voy. ETOILE. Voyez l'essai de Cosmologie de M. de Maupertuis. (O)


COSMOLABES. m. (Astron.) ancien instrument de Mathématique ; c'est presque la même chose que l'astrolabe. Voyez ASTROLABE. Ce mot est dérivé de , monde, & , prendre, parce que cet instrument sert, pour ainsi dire, à prendre la mesure du monde (O)


COSMOLOGIEsub. f. Ordre Encycl. Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la Nature, Cosmologie) Ce mot, qui est formé de deux mots grecs, , monde, & , discours, signifie à la lettre science qui discourt sur le monde, c'est-à-dire qui raisonne sur cet univers que nous habitons, & tel qu'il existe actuellement. C'est en quoi elle differe de la Cosmographie & de la Cosmogonie. Voy. ces mots.

La Cosmologie est donc proprement une Physique générale & raisonnée, qui, sans entrer dans les détails trop circonstanciés des faits, examine du côté métaphysique les résultats de ces faits mêmes, fait voir l'analogie & l'union qu'ils ont entr'eux, & tâche par-là de découvrir une partie des lois générales par lesquelles l'Univers est gouverné. Tout est lié dans la Nature ; tous les êtres se tiennent par une chaîne dont nous appercevons quelques parties continues, quoique dans un plus grand nombre d'endroits la continuité nous échappe. L'art du Philosophe ne consiste pas, comme il ne lui arrive que trop souvent, à rapprocher de force les parties éloignées pour renoüer la chaîne mal-à-propos dans les endroits où elle est interrompue ; car par un tel effort on ne fait que séparer les parties qui se tenoient, ou les éloigner davantage de celles dont elles étoient déjà éloignées, par l'autre bout opposé à celui qu'on rapproche ; l'art du philosophe consiste à ajoûter de nouveaux chainons aux parties séparées, afin de les rendre le moins distantes qu'il est possible : mais il ne doit pas se flatter qu'il ne restera point toûjours de vuides en beaucoup d'endroits. Pour former les chainons dont nous parlons, il faut avoir égard à deux choses ; aux faits observés qui forment la matiere des chainons, & aux loix générales de la Nature qui en forment le lien. J'appelle lois générales, celles qui paroissent s'observer dans un grand nombre de phénomenes ; car je me garde bien de dire dans tous. Telles sont les lois du mouvement, qui sont une suite de l'impénétrabilité des corps, & la source de plusieurs des effets que nous observons dans la Nature. Figure & mouvement (j'entends le mouvement qui vient de l'impulsion), voilà une grande partie des principes sur lesquels roule la Cosmologie. Il ne faut pas s'en écarter sans nécessité, mais aussi il ne faut pas trop affirmer qu'ils soient les seuls : nous ne connoissons pas tous les faits, comment pourrions-nous donc assûrer qu'ils s'expliqueront tous par une seule & unique loi ? cette assertion seroit d'autant plus téméraire, que parmi les faits mêmes que nous connoissons, il en est que les lois de l'impulsion n'ont pû expliquer jusqu'aujourd'hui. V. ATTRACTION. Peut-être y parviendra-t-on un jour ; mais en attendant cette grande découverte, suspendons notre jugement sur l'universalité de ces lois. Peut-être (& cela est du moins aussi vraisemblable) y a-t-il une loi générale qui nous est & qui nous sera toûjours inconnue, dont nous ne voyons que les conséquences particulieres, obscures, & limitées ; conséquences que nous ne laissons pas d'appeller lois générales. Cette conjecture est très-conforme à l'idée que nous devons nous former de l'unité & de la simplicité de la Nature. Voy. NATURE. Au reste si nous refléchissons sur la foiblesse de notre esprit, nous serons plus étonnés encore de ce qu'il a découvert, que de ce qui lui reste caché.

Mais l'utilité principale que nous devons retirer de la Cosmologie, c'est de nous élever par les loix générales de la Nature, à la connoissance de son auteur, dont la sagesse a établi ces lois, nous en a laissé voir ce qu'il nous étoit nécessaire d'en connoître pour notre utilité ou pour notre amusement, & nous a caché le reste pour nous apprendre à douter. Ainsi la Cosmologie est la science du monde ou de l'Univers considéré en général, entant qu'il est un être composé, & pourtant simple par l'union & l'harmonie de ses parties ; un tout, qui est gouverné par une intelligence suprême, & dont les ressorts sont combinés, mis en jeu & modifiés par cette intelligence.

" Avant M. Wolf, dit M. Formey dans un article qu'il nous a communiqué, " ce nom étoit inconnu dans les écoles, c'est-à-dire qu'il n'y avoit aucune partie distincte du cours de Philosophie qui fût ainsi appellé. Aucun métaphysicien ne sembloit même avoir pensé à cette partie, & tant d'énormes volumes écrits sur la Métaphysique, ne disoient rien sur la Cosmologie. Enfin M. Wolf nous a donné un ouvrage sous ce titre : Cosmologia generalis, methodo scientifica pertractata, quâ ad solidam, imprimis Dei atque naturae, cognitionem via sternitur. Francof. & Lips. in -4°. 1731. Il y en a eu une nouvelle édition en 1737. Il donna cet ouvrage immédiatement après l'Ontologie, & comme la seconde partie de sa métaphysique, parce qu'il y établit des principes, qui lui servent dans la théologie naturelle à démontrer l'existance & les attributs de Dieu par la contingence de l'Univers & par l'ordre de la nature. Il l'appelle Cosmologie générale ou transcendante, parce qu'elle ne renferme qu'une théorie abstraite, qui est, par rapport à la physique, ce qu'est l'Ontologie à l'égard du reste de la Philosophie.

Les notions de cette science se dérivent de l'Ontologie ; car il s'agit d'appliquer au monde la théorie générale de l'être & de l'être composé. A cette considération du Monde, à priori ; on joint le secours des observations & de l'expérience. De sorte qu'on peut dire qu'il y a une double Cosmologie ; Cosmologie scientifique, & Cosmologie expérimentale.

De ces deux Cosmologies, M. Wolf s'est proprement borné à la premiere, comme le titre de son ouvrage l'indique ; mais il n'a pas négligé néanmoins les secours que l'expérience a pû lui donner pour la confirmation de ses principes.

L'une & l'autre fournissent des principes, qui servent à démontrer l'existance & les attributs de Dieu. Les principales matieres qu'embrasse la Cosmologie générale, se réduisent à expliquer comment le Monde résulte de l'assemblage des substances simples, & à développer les principes généraux de la modification des choses matérielles.

C'est là le fruit le plus précieux de la Cosmologie ; il suffit seul pour en faire sentir le prix, & pour engager à la cultiver, n'en produisît-elle aucun autre. C'est ainsi qu'on parvient à démontrer que la contemplation du monde visible nous mene à la connoissance de l'être invisible qui en est l'auteur. M. Wolf paroit extrêmement persuadé de l'utilité & de la certitude de cette nouvelle route qu'il s'est frayée, & voici comment il s'exprime là dessus ". In honorem Dei, confiteri cogor, me de cognitione Dei methodo scientificâ tradendâ plurimùm sollicitum, non reperisse viam aliam, quâ ad scopum perveniri datur, quam eam quam propositio praesens monstrat, nec reperisse philosophum qui eandem rite calcaverit, etsi laude sitâ defraudandi non sint, qui nostris praesertim temporibus theologiae naturali methodum demonstrativam applicare conati fuerint. Wolf, Cosmolog. prolegom. §. 6. in schol.

M. de Maupertuis nous a donné il y a quelques années, un essai de Cosmologie, qui paroît fait d'après les principes & suivant les vûes que nous avons exposées plus haut. Il croit que nous n'avons ni assez de faits ni assez de principes pour embrasser la Nature sous un seul point de vûe. Il se contente d'exposer le systême de l'Univers ; il se propose d'en donner les lois générales, & il en tire une démonstration nouvelle de l'existance de Dieu. Cet ouvrage ayant excité, en 1752, une dispute très-vive, je vais placer ici quelques réflexions qui pourront servir à éclaircir la matiere. J'y serai le plus court qu'il me sera possible, & j'espere y être impartial.

La loi générale de M. de Maupertuis est celle de la moindre quantité d'action, voyez-en la définition & l'exposé au mot ACTION : nous ajoûterons ici les remarques suivantes.

Leibnitz s'étant formé une idée particuliere de la force des corps en mouvement, dont nous parlerons au mot FORCE, l'a appellée force vive, & a prétendu qu'elle étoit le produit de la masse par le quarré de la vîtesse, ou ce qui revient au même, qu'elle étoit comme le quarré de la vîtesse en prenant la masse pour l'unité. M. Wolf. dans les Mém. de Petersbourg, tom. I. a imaginé de multiplier la force vive par le tems, & il a appellé ce produit action, supposant apparemment que l'action d'un corps est le résultat de toutes les forces qu'il exerce à chaque instant, & par conséquent la somme de toutes les forces vives instantanées. On pourroit demander aux Leibnitiens, dont M. Wolf est regardé comme le chef, pourquoi ils ont imaginé cette distinction métaphysique entre l'action & la force vive ; distinction qu'ils ne devroient peut-être pas mettre entr'elles, du moins suivant l'idée qu'ils se forment de la force vive ; mais ce n'est pas de quoi il s'agit ici, & nous en pourrons parler au mot FORCE. Nous pouvons en attendant admettre comme une définition de nom arbitraire cette idée de l'action ; & nous remarquerons d'abord qu'elle revient au même que celle de M. de Maupertuis. Car le produit de l'espace par la vîtesse, est la même chose que le produit du quarré de la vîtesse par le tems. M. de Maupertuis, dans les ouvrages que nous avons cités au mot ACTION, ne nous dit point s'il avoit connoissance de la définition de M. Wolf ; il y a apparence que non : pour nous, nous l'ignorions quand nous écrivions ce dernier article, & nous voulons ici rendre scrupuleusement à chacun ce qui lui appartient. Au reste il importe peu que M. de Maupertuis ait pris cette idée de M. Wolf, ou qu'il se soit seulement rencontré avec lui ; car il s'agit ici uniquement des conséquences qu'il en a tirées, & auxquelles M. Wolf n'a aucune part. M. de Maupertuis est constamment le premier qui ait fait voir que dans la réfraction la quantité d'action est un minimum : il n'est pas moins constant, 1°. que ce principe est tout différent de celui-ci, que la Nature agit toûjours par la voie la plus simple ; car ce dernier principe est un principe vague, dont on peut faire cent applications toutes différentes, selon la définition qu'on voudra donner de ce qu'on regarde comme la voie la plus simple de la Nature, c'est-à-dire selon qu'on voudra faire consister la simplicité de la Nature & sa voie la plus courte, ou dans la direction rectiligne, c'est-à-dire dans la briéveté de la direction, ou dans la briéveté du tems, ou dans le minimum de la quantité de mouvement, ou dans le minimum de la force vive, ou dans celui de l'action, &c. Le principe de M. de Maupertuis n'est donc point le principe de la voie la plus simple pris vaguement, mais un exposé précis de ce qu'il croit être la voie la plus simple de la Nature.

2°. Nous avons fait voir que ce principe est très-différent de celui de Leibnitz, voyez ACTION : & il seroit assez singulier, si Leibnitz a eu connoissance du principe de M. de Maupertuis comme on la prétendu, que ce philosophe n'eût pas songé à l'appliquer à la réfraction, mais nous traiterons plus bas la question de fait.

3°. Il n'est pas moins constant que ce principe de M. de Maupertuis appliqué à la réfraction, concilie les causes finales avec la méchanique, du moins dans ce cas-là, ce que personne n'avoit encore fait. On s'intéressera plus ou moins à cette conciliation, selon qu'on prendra plus ou moins d'intérêt aux causes finales ; voyez ce mot. Mais les Leibnitiens du moins doivent en être fort satisfaits. De plus, M. Euler a fait voir que ce principe avoit lieu dans les courbes que décrit un corps attiré ou poussé vers un point fixe : cette belle proposition étend le principe de M. de Maupertuis à la petite courbe même que décrit le corpuscule de lumiere, en passant d'un milieu dans un autre ; de maniere qu'à cet égard le principe se trouve vrai généralement, & sans restriction. M. Euler, dans les Mém. de l'acad. des scienc. de Prusse, de 1751, a montré encore plusieurs autres cas où le principe s'applique avec élégance & avec facilité.

4°. Ce principe est différent de celui de la nullité de force vive, par deux raisons ; parce qu'il s'agit dans le principe de M. de Maupertuis non de la nullité, mais de la minimité ; & de plus, parce que dans l'action on fait entrer le tems qui n'entre point dans la force vive. Ce n'est pas que le principe de la nullité de la force vive n'ait lieu aussi dans plusieurs cas, ce n'est pas même qu'on ne puisse tirer de la nullité de la force vive plusieurs choses qu'on tire de la minimité d'action ; mais cela ne prouve pas l'identité des deux principes, parce que l'on peut parvenir à la même conclusion par des voies différentes.

5°. Nous avons vû à l'article CAUSES FINALES, que le principe de la minimité du tems est en défaut dans la réflexion sur les miroirs concaves. Il paroît qu'il en est de même de la minimité d'action ; car alors le chemin du rayon de lumiere est un maximum, & l'action est aussi un maximum. Il est vrai qu'on pourroit faire quadrer ici le principe, en rapportant toûjours la réflexion à des surfaces planes ; mais peut-être les adversaires des causes finales ne goûteront pas cette réponse ; il vaut mieux dire, ce me semble, que l'action est ici un maximum, & dans les autres cas un minimum. Il n'y en aura pas moins de mérite à avoir appliqué le premier ce principe à la réfraction, & il en sera comme du principe de la conservation des forces vives qui s'applique au choc des corps élastiques, & qui n'a point lieu dans les corps durs.

6°. M. de Maupertuis a appliqué cette même loi de la minimité d'action au choc des corps, & il a déterminé le premier par un seul & même principe, les lois du choc des corps durs & des corps élastiques. Il est vrai que l'application est ici un peu plus compliquée, plus détournée, moins simple, & peut-être moins rigoureuse que dans le cas de la réfraction.

Ce que nous disons ici ne sera point desavantageux dans le fond à M. de Maupertuis, quand nous l'aurons expliqué. Il suppose que deux corps durs A, B, se meuvent dans la même direction, l'un avec la vîtesse a, l'autre avec la vîtesse b, & que leur vîtesse commune après le choc soit x ; il est certain, dit-il, que le changement arrivé dans la Nature est que le corps A a perdu la vîtesse a - x, & que le corps B a gagné la vîtesse x - b ; donc la quantité d'action nécessaire pour produire ce changement, & qu'il faut faire égale à un minimum, est A (a - x)2 + B (x - b)2, ce qui donne la formule ordinaire du choc des corps durs x = (A a + B b)/(A + B). Tout cela est fort juste. Mais tout dépend aussi de l'idée qu'on voudra attacher aux mots de changement arrivé dans la Nature : car ne pourroit-on pas dire que le changement arrivé consiste en ce que le corps A qui, avant le choc, a la quantité d'action ou de force A a a, la change après le choc en la quantité A x x, & de même du corps B ; qu'ainsi A a a - A x x, est le changement arrivé dans l'état du corps B, & B x x - B b b, le changement arrivé dans le corps B ? de sorte que la quantité d'action qui a opéré ce changement, est A a a - A x x + B x x - B b b. Or cette quantité égalée à un minimum ne donne plus la loi ci-dessus du choc des corps durs. C'est une objection que l'on peut faire à M. de Maupertuis, qu'on lui a même faite à peu-près ; avec cette différence que l'on a supposé A x x + B x x - A a a - B b b, égale à un minimum, en retranchant la quantité A a a - A x x de la quantité B x x - B b b, au lieu de la lui ajoûter, comme il semble qu'on l'auroit aussi pû faire : car les deux quantités A a a - A x x & B x x - B b b, quoique l'une doive être retranchée de A a a, l'autre ajoûtée à B b b, sont réelles, & peuvent être ajoûtées ensemble, sans égard au sens dans lequel elles agissent. Quoi qu'il en soit, il semble qu'on pourroit concilier ou éviter toute difficulté à cet égard, en substituant aux mots changement dans la Nature, qui se trouvent dans l'énoncé de la proposition de M. de Maupertuis, les mots changement dans la vîtesse : alors l'équivoque vraie ou prétendue ne subsistera plus.

On abjecte aussi que la quantité d'action, dans le calcul de M. de Maupertuis, se confond en ce cas avec la quantité de force vive : cela doit être en effet ; car le tems étant supposé le même, comme il l'est ici, ces deux quantités sont proportionnelles l'une à l'autre, & on pourroit dire que la quantité d'action ne doit jamais être confondue avec la force vive, attendu que le tems, suivant la définition de M. de Maupertuis, entre dans la quantité d'action, & que d'ailleurs, dans le cas des corps durs, le changement se faisant dans un instant indivisible, le tems est = 0, & par conséquent l'action nulle. On peut répondre à cette objection, que dès qu'un corps se meut ou tend à se mouvoir avec une vîtesse quelconque, il y a toûjours une quantité d'action réelle ou possible, qui répondroit à son mouvement, s'il se mouvoit uniformément pendant un tems quelconque avec cette vîtesse ; ainsi au lieu de ces mots, la quantité d'action nécessaire POUR PRODUIRE ce changement, on pourroit substituer ceux-ci, la quantité d'action QUI REPOND à ce changement, &c. & énoncer ainsi la regle de M de Maupertuis : Dans le changement qui arrive par le choc à la VITESSE des corps, la quantité d'action QUI REPONDRA à ce changement, le tems étant supposé constant, est la moindre qu'il est possible. Nous disons, le tems étant supposé constant ; cette modification, & limitation même si l'on veut, est nécessaire pour deux raisons : 1°. parce que dans le choc des corps durs, où à la rigueur le tems est = 0, la supposition du tems constant ou du tems variable, sont deux suppositions également arbitraires, qu'il faut par conséquent énoncer l'une des deux : 2°. parce que dans le choc des corps élastiques, le changement se fait pendant un tems fini, quoique très-court, que ce tems n'est pas le même dans tous les chocs, qu'au moins cela est fort douteux ; & qu'ainsi il est encore plus nécessaire d'énoncer ici la supposition dont il s'agit : en effet le tems qu'on suppose ici constant est un tems pris à volonté, & totalement indépendant de celui pendant lequel se fait la communication du mouvement ; & l'on pourroit prendre pour la vraie quantité d'action employée au changement arrivé, la somme des petites quantités d'action consumées, pendant le tems que le ressort se bande & se débande. On dira peut-être qu'en ce cas M. de Maupertuis auroit dû ici se servir du mot de force vive, au lieu de celui d'action, puisque le tems n'entre plus ici proprement pour rien. A cela il répondra sans-doute, qu'il a cru pouvoir lier cette loi par une expression commune, à celle qu'il a trouvée sur la réfraction. Mais quand on substitueroit ici le mot de force vive à celui d'action, il seroit toûjours vrai que M. de Maupertuis auroit le premier réduit le choc des corps durs & celui des corps élastiques, à une même loi ; ce qui est le point capital : & son theorème sur la réfraction n'y perdroit rien d'ailleurs.

Il est vrai qu'on a trouvé les lois du mouvement sans ce principe : mais il peut être utile d'avoir montré comment il s'y applique. Il est encore vrai que ce principe ainsi appliqué ne sera & ne peut être que quelqu'autre principe connu, présenté différemment. Mais il en est ainsi de toutes les vérités mathématiques ; au fond elles ne sont que la traduction les unes des autres. Voyez le Discours préliminaire, pag. viij. Le principe de la conservation des forces vives, par exemple, n'est en effet que le principe des anciens sur l'équilibre, comme je l'ai fait voir dans ma Dynamique, II. part. chap. jv. cela n'empêche pas que le principe de la conservation des forces vives ne soit très-utile, & ne fasse honneur à ses inventeurs.

7°. L'auteur applique encore son principe à l'équilibre dans le levier ; mais il faut pour cela faire certaines suppositions, entr'autres que la vîtesse est toûjours proportionnelle à la distance du point d'appui, & que le tems est constant, comme dans le cas du choc des corps ; il faut supposer encore que la longueur du levier est donnée, & que c'est le point d'appui qu'on cherche : car si le point d'appui & un des bras étoit donné, & qu'on cherchât l'autre, on trouveroit par le principe de l'action que ce bras est égal à zéro. Au reste les suppositions que fait ici M. de Maupertuis, sont permises ; il suffit de les énoncer pour être hors d'atteinte, & toute autre supposition devroit de même être énoncée. L'application & l'usage du principe ne comporte pas une généralité plus grande. A l'égard de la supposition qu'il fait, que les pesanteurs sont comme les masses ; cette supposition est donnée par la Nature même, & elle a lieu dans tous les théorêmes sur le centre de gravité des corps, qui n'en sont pas regardés pour cela comme moins généraux.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire, que le principe de la minimité d'action a lieu dans un grand nombre de phénomenes de la nature, qu'il y en a auxquels il s'applique avec beaucoup de facilité, comme la réfraction, & le cas des orbites des planetes, ainsi que beaucoup d'autres, examinés par M. Euler. Voyez les Mém. acad. de Berlin, 1751. & l'article ACTION ; que ce principe s'applique à plusieurs autres cas, avec quelques modifications plus ou moins arbitraires, mais qu'il est toûjours utile en lui-même à la Méchanique, & pourroit faciliter la solution de différens problèmes.

On a contesté à M. de Maupertuis la proprieté de ce principe. M. Koenig avoit d'abord avancé pour le prouver un passage de Leibnitz, tiré d'une lettre manuscrite de ce philosophe. Ce passage imprimé dans les actes de Léipsic, Mai 1751, contenoit une erreur grossiere ; que M. Koenig assûre être une faute d'impression : il l'a corrigée, & en effet ce passage réformé est du moins en partie le principe de la moindre action. Quand la lettre de Leibnitz seroit réelle (ce que nous ne décidons point), cette lettre n'ayant jamais été publique, le principe tel qu'il est n'en appartiendroit pas moins à M. de Maupertuis ; & M. Koenig semble l'avoüer dans son Appel au public, du jugement que l'académie des Sciences de Prusse a prononcé contre la réalité de ce fragment. M. Koenig avoit d'abord cité la lettre dont il s'agit, comme écrite à M. Herman ; mais il a reconnu depuis qu'il ne savoit à qui elle avoit été écrite : il a produit dans son appel cette lettre toute entiere, qu'on peut y lire ; elle est fort longue, datée d'Hanovre le 16 Octobre 1707 ; & sans examiner l'authenticité du total, il s'agit seulement de savoir si celui qui l'a donnée à M. Koenig, a ajoûté ou altéré le fragment en question. M. Koenig dit avoir reçû cette lettre des mains de M. Henzy, décapité à Berne il y a quelques années. Il assûre qu'il a entre les mains plusieurs autres lettres de Leibnitz, que ce même M. Henzy lui a données ; plusieurs sont écrites, selon M. Koenig, de la main de M. Henzy. A l'egard de la lettre dont il s'agit, M. Koenig ne nous dit point de quelle main elle est ; il dit seulement qu'il en a plusieurs autres écrites de cette même main, & qu'une de ces dernieres se trouve dans le recueil imprimé in -4°. & il transcrit dans son appel ces lettres. M. Koenig ne nous dit point non plus s'il a vû l'original de cette lettre, écrit de la main de Leibnitz. Voilà les faits, sur lesquels c'est au public à juger si le fragment cité est authentique, ou s'il ne l'est pas.

Nous devons avertir aussi que M. Koenig, dans les act. de Leips. donne un théoreme sur les forces vives, absolument le même que celui de M. de Courtivron, imprimé dans les Mémoir. de l'acad. de 1748, pag. 304. & que M. de Courtivron avoit lû à l'académie avant la publication du mémoire de M. Koenig. Voy. ce théoreme au mot CENTRE D'EQUILIBRE.

Il ne nous reste plus qu'à dire un mot de l'usage métaphysique que M. de Maupertuis a fait de son principe. Nous pensons, comme nous l'avons déjà insinué plus haut, que la définition de la quantité d'action est une définition de nom purement mathématique & arbitraire. On pourroit appeller action, le produit de la masse par la vîtesse ou par son quarré, ou par une fonction quelconque de l'espace & du tems ; l'espace & le tems sont les deux seuls objets que nous voyons clairement dans le mouvement des corps : on peut faire tant de combinaisons mathématiques qu'on voudra de ces deux choses, & on peut appeller tout cela action ; mais l'idée primitive & métaphysique du mot action n'en sera pas plus claire. En général tous les théoremes sur l'action définie comme on voudra, sur la conservation des forces vives, sur le mouvement nul ou uniforme du centre de gravité, & sur d'autres lois semblables, ne sont que des théoremes mathématiques plus ou moins généraux, & non des principes philosophiques. Par exemple, quand de deux corps attachés à un levier l'un monte & l'autre descend, on trouve, si l'on veut, comme M. Koenig, que la somme des forces vives est nulle ; parce que l'on ajoûte, avec des signes contraires, des quantités qui ont des directions contraires : mais c'est-là une proposition de Géométrie, & non une vérité de Métaphysique ; car au fond ces forces vives pour avoir des directions contraires, n'en sont pas moins réelles, & on pourroit nier dans un autre sens la nullité de ces forces. C'est comme si on disoit qu'il n'y a point de mouvement dans un système de corps, quand les mouvemens de même part sont nuls, c'est-à-dire quand les quantités de mouvement sont égales & de signes contraires, quoique réelles.

Le principe de M. de Maupertuis n'est donc, comme tous les autres, qu'un principe mathématique ; & nous croyons qu'il n'est pas fort éloigné de cette idée, d'autant plus qu'il n'a pris aucun parti dans la question métaphysique des forces vives, à laquelle tient celle de l'action. Voyez la page 15 & 16 de ses oeuvres, imprimées à Dresde, 1752. in -4°. Il est vrai qu'il a déduit l'existance de Dieu de son principe : mais on peut déduire l'existance de Dieu d'un principe purement mathématique, lorsqu'on reconnoît ou qu'on croit que ce principe s'observe dans la nature. D'ailleurs il n'a donné cette démonstration de l'existance de Dieu que comme un exemple de démonstration tirée des lois générales de l'Univers ; exemple auquel il ne prétend pas donner une force exclusive, ni supérieure à d'autres preuves. Il prétend seulement avec raison que l'on doit s'appliquer sur-tout à prouver l'existance de Dieu par les phénomenes généraux, & ne pas se borner à la déduire des phénomenes particuliers, quoiqu'il avoüe que cette déduction a aussi son utilité. Voyez, sur ce sujet, la préface de son ouvrage, où il s'est pleinement justifié des imputations calomnieuses que des critiques ignorans ou de mauvaise foi lui ont faites à ce sujet ; car rien n'est plus à la mode aujourd'hui, que l'accusation d'athéisme intentée à tort & à-travers contre les philosophes, par ceux qui ne le sont pas. Voyez aussi, sur cet article Cosmologie, les actes de Leipsic de Mai 1751, l'appel de M. Koenig au public, les mémoires de Berlin 1750 & 1751 (dont quelques exemplaires portent mal-à-propos 1752) ; & dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris de 1749, un écrit de M. d'Arcy sur ce sujet. Voilà quelles sont (au moins jusqu'ici, c'est-à-dire en Février 1754) les pieces véritablement nécessaires du procès, parce qu'on y a traité la question, & que ceux qui l'ont traitée sont au fait de la matiere. Nous devons ajoûter que M. de Maupertuis n'a jamais rien répondu aux injures qu'on a vomies contre lui à cette occasion, & dont nous dirons : nec nominetur in vobis, sicut decet philosophos. Cette querelle de l'action, s'il nous est permis de le dire, a ressemblé à certaines disputes de religion, par l'aigreur qu'on y a mise, & par la quantité de gens qui en ont parlé sans y rien entendre. (O)


COSMOPOLITAINou COSMOPOLITE, (Gram. & Philosoph.) On se sert quelquefois de ce nom en plaisantant, pour signifier un homme qui n'a point de demeure fixe, ou bien un homme qui n'est étranger nulle part. Il vient de , monde, & , ville.

Comme on demandoit à un ancien philosophe d'où il étoit, il répondit : Je suis Cosmopolite, c'est-à-dire citoyen de l'univers. Je préfere, disoit un autre, ma famille à moi, ma patrie à ma famille, & le genre humain à ma patrie. Voyez PHILOSOPHE.


COSMOSS. m. (Hist. mod.) breuvage qui est préparé du lait de jument, & qu'on dit être à l'usage des Tartares.


COSNE(Géog. mod.) ville de France dans l'Auxerrois, sur la Loire. Long. 20. 35. 26. lat. 47. 24. 40. il y a une autre ville de même nom en France, dans l'Orléanois.


COSSANO(Géog. mod.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure. Long. 34. 5. lat. 39. 55.


COSSART-BRUNS. m. pl. (Comm.) toiles de coton qu'on fabrique aux Indes orientales, sur dix aulnes de long & trois quarts de large ; elles en viennent écrues. Dict. de Comm. & de Trév.


COSSASS. m. (Comm.) mousseline unie & fine, de seize aulnes de long sur trois quarts de large. Il y a des doms- cossas & des bords- cossas, qui sont d'autres fabriques, mais de même aulnage que les simples. Ce sont les Anglois qui les apportent les uns & les autres des Indes orientales. Dict. du Comm. & de Trév.


COSSES. f. (Hist. nat. & bot.) fruit de la figure du marron d'Inde, rouge ou blanc, un peu amer, croissant sur les bords de la riviere de Serre-Lionne, d'où les Portugais le portent bien avant le long de cette riviere, aux Barbares qui en manquent, qui en font cas, & qui leur donnent en échange des pagnes ou tapis qu'ils troquent avec d'autres Negres pour de la cire, du miel, &c. ou qu'ils vendent à d'autres Portugais.

* COSSE, s. m. (Hist. mod.) mesure de chemin fort en usage aux Indes ; elle est de deux mille cinq cent pas géométriques.

COSSE, (Marine) Voyez DELOT. (Z)

COSSE, (Mineralog.) se dit dans les ardoisieres de la premiere couche que l'on rencontre, & qui ne fournit qu'une mauvaise matiere qui ne peut être travaillée. Voyez ARDOISE.

COSSE, (Bot.) est une enveloppe longue où se forment les poix, les féves, & autres légumes ou fruits de la même espece. (K)

COSSE, terme de Parcheminier. Le parchemin en cosse ou en croûte n'est rien autre chose que du parchemin qui n'a point encore été raturé avec le fer sur le sommier, & qui est tel qu'il est sorti d'entre les mains du Mégissier.

* COSSE DE GENESTE, (Histoire mod.) ordre de chevalerie institué en 1234 par Louis IX. ou saint Louis. Le collier étoit composé de cosses de genestes entrelacées de fleurs de lys d'or, avec une croix fleurdelisée au bout : la devise en étoit, Exaltat humiles.


COSSÉadj. (Bot.) se dit des pois, féves, & autres légumes & fruits, quand ils sont sortis de leurs cosses. (K)


COSSIACO(Géog. mod.) petite ville d'Italie en Istrie, sur un lac de même nom, à la maison d'Autriche.


COSSIQUEadj. nombre cossique en Arithmétique & en Algebre, est un terme qui n'est plus en usage aujourd'hui, mais dont les premiers auteurs d'Algebre se sont fréquemment servis. Il y a apparence que ce mot vient de l'Italien cosa, qui veut dire chose. On sait en effet que les Italiens ont été les premiers, du moins en Europe, qui ayent écrit sur l'Algebre. Voyez ALGEBRE.

Les Italiens appelloient dans une équation res ou cosa, la chose, le coefficient de l'inconnue linéaire ; ainsi dans x x + p x + q = 0, ou x 3 + p x + q = 0, p étoit nommé res. Voyez les mém. de l'acad. 1741, p. 437. 438. &c. ainsi ils ont appellé nombres cossiques, les nombres qui désignent les racines des équations : & comme ces nombres sont pour l'ordinaire incommensurables, on a depuis transporté cette expression aux nombres incommensurables. Voyez ce mot. Luc Paciolo, dans son Algebre, appelle costa census la racine d'une équation du second degré. (O)


COSSONS. m. (Oeconom. rust.) c'est le nouveau sarment qui croît sur le cep de la vigne, depuis qu'elle est taillée.

C'est aussi le synonyme de charençon. Voyez CHARENÇON.


COSSUMBERG(Géog. mod.) ville du royaume de Boheme, dans le cercle de Chrudim.


COSSWICK(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la principauté d'Anhalt, sur l'Elbe.


COSTA-RICA(Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale, à la nouvelle Espagne, dans l'audience de Guatimala : Carthago en est la capitale.


COSTALadj. (Anat.) qui appartient aux côtes, ou qui y a quelque rapport ; ainsi on dit les vertebres costales, &c. Voyez COTES.


COSTEN(Géog. mod.) ville de la grande Pologne sur les frontieres de la Silésie, avec le titre de Starostie.


COSTIERE(faites sentir l'S) s. f. Aux Antilles on appelle costieres le penchant des montagnes qui se regardent, formant un vallon profond & de peu d'étendue. Les terreins de costieres ne sont point propres à l'établissement des sucreries ; on les destine, lorsqu'ils sont praticables, aux plantations de café, cacao, magnoc, &c. & pour l'ordinaire on y seme des légumes. Art. de M. le Romain.


COSTO-HYOIDIENadj. en Anatomie ; nom d'une paire de muscles qui viennent de la partie antérieure de la côte supérieure de l'omoplate, proche l'apophyse coracoïde (ce qui les a fait aussi nommer coracohyoïdiens) ; & se terminent à la partie inférieure de la base de l'os hyoïde, proche son union avec la grande corne. (L)


COSTUMES. m. (Peint.) terme plein d'énergie que nous avons adopté de l'Italien. Le costume est l'art de traiter un sujet dans toute la vérité historique : c'est donc, comme le définit fort bien l'auteur du dictionnaire des Beaux-arts, l'observation exacte de ce qui est, suivant le tems, le génie, les moeurs, les lois, le goût, les richesses, le caractere & les habitudes d'un pays où l'on place la scene d'un tableau. Le costume renferme encore tout ce qui regarde la chronologie, & la vérité de certains faits connus de tout le monde ; enfin tout ce qui concerne la qualité, la nature, & la propriété essentielle des objets qu'on représente. C'est la pratique de toutes ces regles que nous comprenons, ainsi que les Peintres d'Italie, sous le mot de costume.

Suivant ces regles, dit M. l'abbé du Bos (& les gens de l'Art conviennent de la justesse de ces réflexions), il ne suffit pas que dans la représentation d'un sujet il n'y ait rien de contraire au costume, il faut encore qu'il y ait quelques signes particuliers pour faire connoître le lieu où l'action se passe, & quels sont les personnages du tableau.

Il faut de plus représenter les lieux où l'action s'est passée, tels qu'ils ont été, si nous en avons connoissance ; & quand il n'en est pas demeuré de notion précise, il faut, en imaginant leur disposition, prendre garde à ne se point trouver en contradiction avec ce qu'on en peut savoir.

Les mêmes regles veulent aussi, qu'on donne aux différentes nations qui paroissent ordinairement sur la scene des tableaux, la couleur de visage, & l'habitude de corps que l'histoire a remarqué leur être propres. Il est même beau de pousser la vraisemblance jusqu'à suivre ce que nous savons de particulier des animaux de chaque pays, quand nous représentons un événement arrivé dans ce pays-là.

Le Poussin, qui a traité plusieurs actions dont la scene est en Egypte, met presque toûjours dans ses tableaux, des bâtimens, des arbres ou des animaux qui, par différentes raisons, sont regardés comme étant particuliers à ce pays.

Le Brun a suivi ces regles avec la même ponctualité, dans ses tableaux de l'histoire d'Alexandre ; les Perses & les Indiens s'y distinguent des Grecs, à leur physionomie autant qu'à leurs armes : leurs chevaux n'ont pas le même corsage que ceux des Macédoniens ; conformément à la vérité, les chevaux des Perses y sont représentés plus minces. On dit que ce grand maître avoit été jusqu'à faire dessiner à Alep des chevaux de Perse, afin d'observer même le costume sur ce point.

Enfin, suivant ces mêmes regles, il faut se conformer à ce que l'histoire nous apprend des moeurs, des habits, des usages & autres particularités de la vie des peuples qu'on veut représenter. Tous les anciens tableaux de l'Ecriture-sainte sont fautifs en ce genre. Albert Durer habille les Juifs comme les Allemands de son pays. Il est bien vrai que l'erreur d'introduire dans une action des personnages qui ne purent jamais en être les témoins, pour avoir vécu dans des tems éloignés de celui de l'action, est une erreur grossiere où nos peintres ne tombent plus. On ne voit plus un S. François écouter la prédication de S. Paul, ni un confesseur le crucifix en main exhorter le bon larron ; mais ne peut-on pas reprocher quelquefois aux célebres peintres de l'école romaine, de s'être plus attachés au dessein ; & à ceux de l'école lombarde, à ce qui regarde la couleur, qu'à l'observation fidele des regles du costume ? C'est cependant l'assujettissement à cette vraisemblance poëtique de la Peinture, qui plus d'une fois a fait nommer le Poussin le peintre des gens d'esprit : gloire que le Brun mérite de partager avec lui. On peut ajoûter à leur éloge, d'être les peintres des savans. Il y a un grand nombre de tableaux admirables par la correction du dessein, par la distribution des figures, par le contraste des personnages, par l'agrément du coloris, dans lesquels il manque seulement l'observation des regles du costume. On comprend encore dans le costume, tout ce qui concerne les bienséances, le caractere & les convenances propres à chaque âge, à chaque condition, &c. ainsi c'est pécher contre le costume, que de donner à un jeune homme un visage trop âgé, ou une main blanche à un corps sale ; une étoffe légere à Hercule, ou une étoffe grossiere à Apollon. Par M(D.J.)


COSTUSS. m. (Botanique exot.) Le costus des Grecs, des Latins, des Arabes, est un même nom qu'ils ont donné à différentes racines, & qu'il est impossible de connoître aujourd'hui. L'hommonymie en Botanique, fait un chaos qu'on ne débrouillera jamais.

Les anciens qui estimoient beaucoup le costus, en distinguoient deux ou trois sortes, sur la description desquels ils ne s'accordent point. Horace appelle le plus précieux, Achaemenium costum, parce que les Perses, dont Achémenes étoit roi, en faisoient grand usage. Les Romains s'en servoient dans la composition des aromates, des parfums, & ils le brûloient sur l'autel, comme l'encens, à cause de l'admirable odeur qu'il répandoit. Nous ne trouvons point dans notre costus cette odeur forte & excellente dont parlent Dioscoride, Galien & Pline ; c'est pourquoi nous le croyons entierement différent. Il est vrai que nos parfumeurs distinguent, à l'imitation de Dioscoride, trois especes de costus, sous les noms d'arabique, d'amer, & de doux ; mais aucune espece ne répond au vrai costus de l'antiquité.

Celui que nos apoticaires employent pour le costus ancien d'Arabie, est une racine coupée en morceaux oblongs, de l'épaisseur du pouce, légers, poreux, & cependant durs, mais friables ; un peu résineux, blanchâtres, & quelquefois d'un jaune-gris ; d'un goût acre, aromatique, & un peu amer ; d'une odeur assez agréable, qui approche de celle de l'iris de Florence, ou de la violette.

Commelin prétend que c'est la racine d'une plante qui s'appelle tsiava-kua, dont on trouve la description & la figure dans l'Hort. Malabar. t. XI. pl. 15. Marc-graffe estime que c'est le paco-caatingua du Brésil.

Suivant ces deux auteurs botanistes, la racine de cette plante, dans le tems de sa seve, est blanche, tubéreuse, rempante, fongueuse, pleine d'un suc aqueux, tendre & fibrée ; celle qui est plus vieille & brisée, paroît parsemée de plusieurs petites fibres, d'un goût doux, fondant en eau comme le concombre, d'une odeur foible de gingembre. Il naît en différens endroits des racines, plusieurs rejettons qui s'élevent à la hauteur de trois ou quatres piés, & qui deviennent gros comme le doigt, cylindriques, de couleur de sang, lisses, luisans, semblables aux tiges de roseaux ; noüeux, simples, verds en dedans, & aqueux ; les feuilles sont oblongues, étroites, de la longueur de deux palmes, pointues à l'extrémité, larges dans leur milieu, attachées près des noeuds, ayant une nervûre ou une côte saillante en dessous, qui s'étend dans toute la longueur, & creusée en gouttiere en dessus, de laquelle partent de petites nervûres latérales & transversales. Ces feuilles sont très-souvent repliées en dedans, molles, succulentes, luisantes & vertes.

Cette plante croît dans les forêts de Malabar, du Brésil, & de Surinam. Linnaeus dans sa description du jardin de M. Clifford, en a détaillé fort au long la tige, la fleur, l'embryon, & la graine.

M. Geoffroy (mém. de l'acad. année 1740, p. 98.) pense que l'aunée est une racine fort approchante du costus ; car étant choisie, bien nourrie, sechée avec soin, & gardée long-tems, elle perd cette forte odeur qu'ont toutes celles de ce nom que nos herboristes nous apportent des montagnes, & elle acquiert celle du costus. Par M(D.J.)

COSTUS, (Pharmacie & Mat. med.) Le costus des modernes, celui qu'on employe toûjours dans nos boutiques pour le costus verus ou arabicus, est une racine aromatique exotique, dont nos medecins ne font presqu'aucun usage dans les préparations magistrales, quoique chez plusieurs de nos voisins, chez les Allemands, par exemple, elle soit employée dans les especes stomachiques, emmenagogues, antispasmodiques, &c.

Cette racine est mise, selon M. Geoffroi, mat. med. au nombre des remedes qui servent à l'expectoration, & des céphaliques & utérins ; elle atténue les humeurs & les divise ; elle provoque les urines & la transpiration. La dose est demi-gros en substance, & depuis deux gros jusqu'à demi-once en infusion.

On l'employe pour le costus des anciens dans la thériaque, le mithridate, l'orviétan, le grand philonium. Il donne son nom à un électuaire appellé caryocostin.

Les Apoticaires ont encore coûtume de substituer d'autres racines à la place de leur vrai costus, comme l'angélique, la zédoaire, &c. & même quelquefois une écorce connue sous le nom de cortex winteranus, costus corticosus. Voyez ECORCE DE WINTER.

Electuaire caryocostin. costus, gérofle, gingembre, cumin, de chaque deux gros ; diagrede, hermodates, demi-once ; miel écumé, six onces : faites du tout un électuaire selon l'art. Cet électuaire est un purgatif hydragogue dont la vertu est dûe au diagrede & aux hermodates ; les autres ingrédiens ne sont employés que comme correctifs, selon la méthode des anciens.

Ce remede n'est presque d'aucun usage parmi nous. On pourroit l'employer cependant dans les cas où les hydragogues sont indiqués, depuis la dose d'un gros jusqu'à celle de demi-once. (b)


COTANTINadj. pris subst. (Geog. mod.) pays de la basse Normandie dont une partie forme une presqu'île qui s'avance sur l'Océan, & qui remplit les piés du chien couché que représente la Normandie sur les cartes. Voyez COUTANCE.


COTARDIou COTTE-HARDIE, s. f. (Hist. mod.) espece de pourpoint ou d'habillement commun aux hommes & aux femmes il y a quatre cent ans. C'étoit une des libéralités que les seigneurs étoient en usage de faire à leurs vassaux & autres personnes qu'ils vouloient gratifier ; & ils mettoient de l'argent dans l'escarcelle ou bourse, qui suivant l'usage de ce tems-là étoit attachée à cette sorte de vêtement. Froissart, dans des poésies manuscrites qu'on a de lui, raconte qu'Amedée comte de Savoie lui donna une bonne cotte-hardie de vingt florins d'or. Mém. de l'acad. tome X. (G)


COTATI(Géog. mod.) ville d'Asie dans la presqu'île de l'Inde, en-deçà du Gange, au royaume de Travanor. Long. 95. 8. lat. 8.


COTATIS(Géog. mod.) ville d'Asie dans la Géorgie, capitale du pays d'Imirette, sur le Phase. Long. 61. 20. lat. 43. 10.


COTBETS. f. (Hist. mod.) discours par lequel les Imans commençoient ordinairement leur priere du vendredi, à l'exemple de Mahomet. Mahomet, les jours d'assemblée, montoit sur une estrade & entretenoit le peuple de la grandeur de Dieu, puis il mettoit les affaires en délibération. Les califes Rachidis qui lui succéderent suivirent le même usage. Mais la domination mahométane s'étant très-étendue, & le gouvernement étant devenu à-peu-près despotique, le peuple ne fut plus consulté sur les affaires du gouvernement, & on laissa à des mustis le soin de faire la cotbet au nom du calife. A l'avênement d'un nouveau calife, le peuple pendant la cotbet levoit les mains, les mettoit l'une sur l'autre, & cette cérémonie lui tenoit lieu du serment de fidélité. Ainsi celui au nom de qui la cotbet se faisoit, étoit censé le souverain. Les familles puissantes qui se révolterent contre les califes de Bagdat, n'oserent d'abord les priver de l'hommage de la cotbet. Il semble cependant qu'en s'y prenant si maladroitement, ils perpétuoient la mémoire de leur révolte. La cotbet se faisoit au nom du calife par devoir, & du sultan par soûmission, par-tout, excepté en Afrique & en Egypte, où les Fatimides l'ordonnerent en leur nom seulement. Mais Nouraddin sultan de Syrie ne fut pas plûtôt maître de l'Egypte, qu'il ordonna la cotbet au nom du califat de Bagdat. Cet exemple fut suivi généralement par tous les princes Mahométans, & dura presque jusqu'à l'extinction du califat dans la personne de Mostasem, que les Tartares conquérans de l'Orient jusqu'aux frontieres de l'Egypte, enfermerent dans un sac, & écraserent sous les piés de leurs chevaux. Quatre ans après cet évenement, Bibars quatrieme des mamelins Turcs, revêtit de la dignité de calife un inconnu qui se disoit de la famille d'Abbas ; & fit faire la cotbet en son nom. Ce calife prétendu fut assassiné au bout de cinq mois, & eut un nommé Hakem pour successeur à ce califat fictif, qui ne donnoit de prérogatives que celle d'avoir son nom prononcé dans une priere. Le nom d'Hakem resta dans la cotbet parmi les mamelins Turcs & Circassiens, jusqu'à la mort de Tumambis dernier sultan Circassien, que Selim fit étrangler en 1515. Le califat imaginaire ayant alors cessé, la cotbet, cette priere aussi ancienne que le Mahométisme, ne se fit plus. Dans cet intervalle, lorsque les Fatimides ordonnerent la cotbet en leur nom, les Abassides les traiterent d'hérétiques : mais les Fatimides ne demeurerent pas en reste avec leurs envieux ; ceux-ci faisant garnir d'un tapis noir l'estrade sur laquelle la cotbet se disoit en leur nom, les Fatimides crierent de leur côté à l'hérésie contre les Abassides, parce que le blanc étoit la couleur d'Hali.


COTBUS(Géog. mod.) ville forte d'Allemagne dans la basse Lusace, sur la Sprée. Long. 33. 4. lat. 51. 40.


COTES. f. (Jurisprud.) a plusieurs significations différentes ; quelquefois ce terme se prend pour une lettre ou chiffre que l'on met au dos de chaque piece mentionnée dans un inventaire ou dans une production, pour les distinguer les unes des autres, & les reconnoître & trouver plus aisément. Le mot cote en ce sens vient du latin quot ou quota, parce que la lettre ou le chiffre marque si la cote est la premiere ou la seconde, ou autre subséquente. On comprend ordinairement sous une même cote toutes les pieces qui ont rapport au même objet ; & alors la lettre ou chiffre ne se met sur aucune des pieces en particulier, mais sur un dossier auquel elles sont attachées ensemble. Ce dossier, qu'on appelle aussi cote, contient ordinairement un titre qui annonce la qualité des pieces attachées sous cette cote ; & si c'est d'une production, le nom des parties pour & contre, le numero du sac dont ces pieces font partie, le nom des procureurs, & enfin la cote proprement dite, qui est la lettre ou chiffre relatif aux pieces de cette liasse. Voyez ci-après COTER.

Cote signifie aussi la part que chacun doit payer d'une dépense, dette, ou imposition commune ; cela s'appelle cote ou cote-part, quasi quota pars. (A)

COTE D'UN DOSSIER, est une feuille de papier qui enveloppe des pieces, & sur laquelle on met en titre, les noms des parties, de l'avocat, des procureurs. Voyez ci-après COTER. (A)

COTE D'INVENTAIRE, est la lettre ou chiffre qui est marqué sur chaque piece inventoriée, ou sur chaque liasse des pieces attachées ensemble. On cote ainsi les pieces dans les inventaires qui se font après le decès de quelqu'un, ou en cas de faillite, séparation, &c. On les cote pareillement dans les inventaires de production qui se font dans les instances appointées, & dans les productions nouvelles qui se font par requête ; dans les procès-verbaux qui se font pour la description, reconnoissance, & vérification de certaines pieces. (A)

COTE MALTAILLEE, se dit d'un compte qu'on a arrêté sans exiger tout ce qui pouvoit être dû, & où l'on a rabattu quelque chose de part & d'autre.

Ce terme maltaillée, vient de ce qu'anciennement, lorsque l'usage de l'écriture étoit peu commun en France, ceux qui avoient des comptes à faire ensemble marquoient le nombre des fournitures ou payemens sur des tailles de bois, qui étoient un leger morceau de bois refendu en deux, dont chacun gardoit un côté ; & lorsqu'il étoit question de marquer quelque chose, on rapprochoit les deux parties qui devoient se rapporter l'une à l'autre, & l'on faisoit en-travers des deux pieces une taille ou entaille dans le bois avec un couteau, pour marquer un nombre : quand ces deux parties ou pieces ne se rapportoient pas pour le nombre de tailles ou marques, cela s'appelloit une cote maltaillée, c'est-à-dire que la quantité dont il s'agissoit étoit mal marquée sur la taille. De même aussi ceux qui trouvent de la difficulté sur quelques articles d'un compte, lorsqu'ils veulent se concilier & arrêter le compte, en usent comme on faisoit des cotes maltaillées, c'est-à-dire que chacun se relâche de quelque chose. (A)

COTE-MORTE, (Jurisprud.) est le pécule clérical d'un religieux.

Les religieux profès qui vivent en communauté, ne possedent rien en propre & en particulier ; de sorte que ce qui se trouve dans leurs cellules au tems de leur décès, ou lorsque ces religieux changent de maison, appartient au monastere où ils se trouvent.

Il en est de même des religieux qui possedent des bénéfices non-cures ; la cote-morte ou pécule qu'ils se trouvent avoir amassé au tems de leur décès, appartient au monastere où ils demeurent ; ou s'ils font résidence à leur bénéfice, la cote-morte appartient au monastere d'où dépend le bénéfice. Voyez Louet & Brodeau, lett. R, n. 42.

Mais si le bénéfice dont un religieux est pourvû est un bénéfice-cure, comme il vit en son particulier & séparé de la communauté, il possede aussi en particulier tout ce qu'il y amasse, soit des épargnes des revenus de sa cure ou autrement ; & ce religieux curé a sur ce pécule clérical le même pouvoir qu'un fils de famille a sur son pécule castrense ou quasi-castrense, pour en disposer par toutes sortes d'actes entre-vifs : mais il ne peut en disposer à cause de mort ; le bien qu'il laisse en mourant, soit meubles ou immeubles, est compris sous le terme de cote-morte, & le tout appartient à la paroisse dont le religieux étoit curé, & non pas à son monastere, quand même ce monastere auroit droit de présenter à la cure. On adjuge ordinairement quelque portion du mobilier aux pauvres de la paroisse, & le surplus des biens meubles & immeubles à la fabrique, suivant les arrêts rapportés dans Chopin, de sacrâ politiâ, lib. III. tit. j. n. 2. & dans Soefve. Voyez le tr. des minorités de M. Meslé, ch. jv. n. 12. (A)

Il n'y a point de cote morte à l'égard d'un religieux devenu évêque ; il a pour héritier ses parens. Voyez Louet & Brodeau, lett. E, n. 4. & l'art. 336. de la coût. de Paris. Voyez aussi les mém. du clergé, édit. de 1716, tome IV. pag. 1355. & suiv. (A)

COTE-PART, voyez ci-devant COTE.

COTE DE PIECE, voyez ci-devant COTE D'INVENTAIRE.

COTE D'UN SAC, est la même chose que cote d'un dossier. Voyez ci-devant COTE D'UN DOSSIER.

COTE DE SEL, est la quantité de sel que chacun est obligé de prendre à la gabelle, dans les pays voisins des salines où le sel se distribue par impôts.

On appelle aussi cote de sel, l'article où chacun est employé sur le rôle de la répartition du sel.

La cote de sel de chaque particulier se regle à proportion de son état & de la consommation qu'il peut faire, à raison de quatorze personnes par minot. Voyez GABELLE, GRENIER A SEL, GRENIER D'IMPOT, L SEL. (A)


CÔTES. f. (Anat.) long os courbé, placé sur les côtés du thorax dans une direction oblique, tendante obliquement en en-bas par rapport à l'épine.

Ces segmens osseux tiennent aux vertebres du dos, & forment les parties latérales du thorax. Il y en a ordinairement douze de chaque côté, qui sont articulées par derriere avec les corps des douze vertebres du dos, & qui par-devant se joignent la plûpart avec le sternum par des cartilages, tant immédiatement que médiatement. Elles sont toutes convexes en-dehors, concaves en-dedans, & lissées de ce côté par l'action des parties internes, qui par cette raison peuvent les heurter sans danger.

Elles sont en partie osseuses & en partie cartilagineuses ; ces cartilages sont presque tous de la même figure que les côtes mêmes, mais ils ne sont pas tous de la même grandeur ; ils deviennent quelquefois si durs, qu'on ne peut plus les séparer avec le scalpel.

Le côtes se divisent en vraies & en fausses ; les vraies sont les sept supérieures ; on leur donne le nom de vraies, parce qu'elles décrivent un demi-cercle plus parfait que les autres, & en se joignant postérieurement au corps des vertebres, elles s'unissent par-devant, par le moyen de leurs cartilages, immédiatement au sternum, avec lequel elles ont une ferme articulation. Les cinq côtes inférieures s'appellent fausses, parce qu'elles n'atteignent pas le sternum par leurs cartilages ; mais la premiere s'attache seulement par son cartilage à celui de la septieme des vraies, sans laisser aucun espace entre deux, & quelquefois aussi par des espaces. Les côtes qui suivent s'attachent les unes aux autres, à l'exception de la derniere qui est libre.

La figure des côtes est demi-circulaire, & les supérieures sont plus courbées que les inférieures ; aussi ne sont-elles pas de la même longueur ni de la même largeur. La premiere est plus courte, plus applatie, & plus large que les autres, & les moyennes ont plus de longueur que les supérieures & les inférieures ; mais la derniere est la plus courte de toutes.

On considere aux côtes deux sortes de parties, leur corps & leurs extrémités. Le corps de la côte est ce qui en fait la portion moyenne & la principale ; elles sont plus grosses à leur partie supérieure qu'à l'inférieure, excepté la premiere qui est fort plate ; & c'est par-là que l'on peut d'abord connoître, parmi un grand nombre de côtes, quelles sont les droites ou les gauches.

Les côtes sont articulées avec les vertebres de telle maniere, qu'elles vont en descendant obliquement de derriere en-devant, faisant des angles aigus avec les vertebres ; ensuite elles montent obliquement de bas en haut, & se joignant par le moyen de leurs cartilages au sternum, elles forment des arcs. Mais ici l'articulation des côtes est plus serrée que celle qui se fait avec les vertebres du dos, à cause que le sternum se meut avec les côtes, au lieu que les vertebres n'obéissent pas à leurs mouvemens.

Les côtes servent 1°. à la fermeté de la poitrine, & à former sa cavité ; ensorte que la dilatation de cette partie contribue à fournir aux parties supérieures du bas-ventre un espace commode pour se placer. 2°. Elles servent d'appui à quelques parties voisines, & aux muscles de la respiration. 3°. Elles servent de défenses aux visceres contenus dans la cavité de la poitrine.

A ces idées générales joignons quelques remarques particulieres sur cet organe de la respiration, où le Créateur a fait briller la géométrie la plus exacte, & dont l'examen a le plus occupé les Physiciens.

1°. On sait que l'élevation des côtes qui sont naturellement abaissées, dilate la cavité de la poitrine, & que leur abaissement la retrécit. On a encore observé que cette dilatation se fait en divers sens, entre les deux rangs des côtes, & de derriere en-devant. Ce sont les articulations doubles des côtes avec les vertebres qui accomplissent cette méchanique ; car par-là le mouvement des côtes devient ginglymoïde, ou comme celui des charnieres.

2°. Plus les côtes s'éloignent du sternum, plus elles sont étroites, rondes & serrées ; mais elles s'applatissent & deviennent plus larges à mesure qu'elles en approchent. Leurs extrémités ont un bord supérieur & inférieur, qui tous deux ont des inégalités formées par l'action des muscles intercostaux qui y sont insérés.

3°. Ces muscles étant tous à-peu-près d'égale force & également tendus dans les interstices des côtes, s'il arrive que les extrémités de ces os soient rompues par une fracture, ils empêchent qu'ils ne se déplacent au point d'interrompre le mouvement des organes vitaux.

4°. La substance des côtes est spongieuse, cellulaire, & couverte seulement en-dehors d'une substance mince & en lame, qui est plus épaisse & plus forte près des vertebres qu'à l'extrémité antérieure.

5°. Les vraies côtes enferment le coeur & les poumons, & sont par conséquent propres à être les vrais gardiens de la vie. Les fausses côtes ont la substance de leur cartilage plus molle par le défaut de pression, & les cartilages de ces fausses côtes sont plus courts à mesure qu'on descend. A toutes ces cinq côtes est attaché le bord circulaire du diaphragme. En mettant un sujet mort sur le dos, on peut juger qu'il y a une large cavité formée de chaque côté par le diaphragme en-dedans des fausses côtes, où sont logés le foie, l'estomac, la rate, &c. qui faisant aussi partie des visceres naturels, ont fait donner le nom de fausses côtes ou de gardes bâtardes à ces os.

6°. On peut comprendre par-là la justesse de la maxime d'Hippocrate, qui veut que dans les simples fractures de fausses côtes sans fievre, on tienne l'estomac modérément plein d'alimens, de peur que les côtes, qui sans cela ne seroient point soûtenues, s'affaissant en-dedans, la douleur & la toux n'augmentassent. Paré, instruit par une longue expérience, confirme la vérité de cette observation ; mais à présent on la néglige, ou pour mieux dire, on l'a entierement oubliée.

7°. La sage providence du Créateur a pris soin d'empêcher notre destruction du moment que nous sommes au monde. Les têtes & les tubercules des côtes sont dès l'origine de vraies apophyses ossifiées avant la naissance : c'est ce qui fait que le poids considérable de la côte est soûtenu ; que le tétement, la déglutition & la respiration, actions nécessaires dès qu'on est né, se font sans qu'il y ait risque que les parties des os qui sont pressées par ces mouvemens, se séparent ; au lieu que si les processus des côtes avoient été des épiphyses à leur naissance, les enfans étoient exposés à un danger évident de mourir par cette séparation, dont les conséquences immédiates auroient été la compression du commencement de la moelle épiniere, ou l'impossibilité de prendre des alimens & de respirer. C'est une très-bonne remarque de M. Monro.

8°. Les jeux de la nature sur le nombre des côtes nous fournissent le sujet d'une huitieme observation ; & il y a long-tems qu'on a remarqué de la variété dans ce nombre.

On sait qu'ordinairement nous avons douze cotes de chaque côté ; s'il se rencontre par hasard douze ou treize vertebres au dos, il se trouve aussi dans ce cas douze ou treize côtes ; mais quelquefois on en trouve onze d'un côté & douze de l'autre. On a nommé ces gens-là des adamites. Colombus, dans son I. liv. de re anatomicâ, assûre qu'il ne lui est arrivé qu'une seule fois de ne trouver qu'onze côtes ; ensuite dans son XV. livre, il reconnoît en avoir trouvé 22, 25, & 26. Bartholin fait mention d'un cadavre qui avoit onze côtes d'un côté & douze de l'autre. Diemerbroek, en 1642, ne trouva dans le cadavre d'un soldat françois que vingt-deux côtes. Riolan dit avoir rencontré treize côtes d'un côté, & autant de l'autre, en montrant le squelete d'une femme qui fut pendue étant grosse, malgré ce qu'elle put dire pour persuader qu'elle l'étoit. Falloppe & Piccolomini ont vû chacun dans deux sujets vingt-six côtes. Bohnius en a trouvé le même nombre, mais une seule fois. Dans le catalogue des pieces que M. Ruisch avoit ramassé de toutes parts, il n'est parlé que d'un seul sujet qui eût vingt-six côtes. Dans le neuvieme volume des acta med. Berolin, il est rapporté qu'en 1620 le corps mort d'un vieillard offrit treize côtes de chaque côté ; mais la treizieme ne formoit qu'un bout de côte entiere. Dans le huitieme volume des mémoires d'Edimbourg, il y a une observation de treize côtes de chaque côté, savoir huit vraies & cinq fausses. Ces faits suffisent pour justifier que ce n'est point une chose étrange que le manque ou l'excès du nombre de côtes au-delà de l'ordinaire.

On conçoit sans peine comment un homme peut n'avoir que 22 ou 23 côtes ; parce que les unes sont confondues ensemble postérieurement ou antérieurement, & que le nombre des côtes peut être ou paroître diminué. De plus, il ne seroit pas étonnant qu'une ou plusieurs côtes manquassent à se développer ; mais on ne conçoit pas aussi facilement comment quelques sujets peuvent avoir une ou deux côtes de plus que n'en a le reste des hommes : peut-être cela ne dépend-il que de ce que l'ossification des apophyses transverses de la septieme vertebre du cou, se fait d'une façon différente, de celle qui arrive aux apophyses transverses des autres vertebres de cette partie. Alors les côtes surnuméraires doivent toûjours appartenir à la derniere vertebre du cou ; les anatomistes qui ont parlé des côtes surnuméraires, ont obmis de dire où elles sont placées ; cependant il pourroit être qu'on trouvât les côtes surnuméraires placées au-dessous des autres côtes. Ne nous flattons pas d'expliquer toutes les voies de la nature dans ses opérations, puisque nous ne pouvons pas la prendre ici sur le fait. Il paroît seulement, si l'on veut y faire attention, que les côtes qui excedent le nombre de 24, ne sont pas la suite d'un développement particulier, & qu'elles n'existent pas comme les autres dans le germe.

9°. Mais que le nombre de ces os courbés excede ou manque, notre machine n'en souffre aucun dommage. En général les côtes ne sont guere exposées qu'à des fractures ; & c'est même un cas rare. Ces fractures qui demandent une réduction faite artistement, arrivent en-dedans ou en-dehors par des causes contondantes ; les signes prognostics se tirent de l'espece de la fracture, & des accidens qui l'accompagnent ; la félure des côtes n'est qu'un vain nom ; leur enfonçure prétendue sans fracture n'est qu'une pure illusion, que les bailleuls on renoueurs ont répandus dans le public comme des accidens communs, qu'eux seuls savent rétablir par leur expérience, leur manuel particulier, & leurs appareils appropriés. Misérables charlatans, qui trouvent toûjours des dupes par leur effronterie dans des cas de peu d'importance ; & dans des cas graves, par leurs vaines & séduisantes promesses de guérison !

10°. Je finis par indiquer les bonnes sources où le lecteur peut puiser les plus grandes lumieres sur cette partie du corps humain.

Nous devons entierement à Vesale l'exacte connoissance de la structure & de la connexion des cotes. Il est admirable sur ce sujet.

Il faut consulter sur la méchanique & sur l'usage des côtes, Aquapendente, Borelli, Bellini, & M. Winslow dans les mémoires de l'acad. année 1720.

Sur leur configuration, leurs attaches, & leur effet dans la respiration, M. Senac, mém. de l'acad. année 1724.

Sur leur nombre moindre ou plus grand, M. Hunaud, mém. de l'acad. année 1740.

Sur leur fracture interne, M. Petit & M. Goulard, mém. de l'acad. année 1740.

A tous ces auteurs, il faut joindre M. Monro, dans son excellente anatomie des os, imprimée à Edimbourg en Anglois, in -12. Article de M(D.J.)

COTES, en Architecture ; ce sont les listels qui séparent les cannelures d'une colonne.

Côtes de dôme, sont des saillies qui excedent le nud de la convexité d'un dôme, & le partagent également en répondant à plomb aux jambages de la tour, & terminant à la lanterne. Elles sont ou simples en plates-bandes, comme au Val-de-grace & à la Sorbonne à Paris ; ou ornées de moulures, comme à la plûpart des dômes de Rome.

Côtes de coupe, sont les saillies qui séparent la doüelle d'une voûte sphérique en parties égales ; elles peuvent être de pierre, comme aux Invalides ; ou de stuc, & ornées de moulures avec ravalemens, & quelquefois enrichies de compartimens : le tout doré ou peint de mosaïque, comme dans la coupe de S. Pierre à Rome. (P)

COTES, (Mar.) membres du vaisseau. Ce sont les pieces du vaisseau qui sont jointes à la quille, & montent jusqu'au plat-bord. Les varangues, les courbes, les allonges, &c. sont les membres du vaisseau. (Z)

COTE, (Marine) la côte ou les côtes. On appelle ainsi les terres & rivages qui s'étendent le long du bord de la mer.

Côte saine, c'est-à-dire que les vaisseaux peuvent en approcher sans crainte de danger, n'y ayant ni roches, ni banc de sable.

Côte sale : c'est celle qui est dangereuse par les roches & les bas-fonds qui sont auprès.

Côte écorre : c'est une côte dont les terres sont escarpées & coupées à pic.

Côte de fer : c'est une côte très-haute & très-escarpée, auprès de laquelle on ne trouve aucun abri ni aucun moyen d'aborder ; de sorte qu'un vaisseau qui seroit jetté contre un de ces endroits qu'on appelle côte de fer, s'y briseroit, & périroit sans aucune ressource. (Z)

COTE, en terme de Chaircuitier ; c'est le boyau du porc employé en boudin ou saucisse.

COTE ROUGE ou BLANCHE, (Comm.) especes de fromages qui se font en Hollande, & qui ne different que par la consistance ; le premier a la pâte dure & serrée ; l'autre l'a plus molle & plus douce.

COTE, (Com.) On appelle côte de soie, ce qu'on entend plus communément par le fleuret ou le capiton.

COTE, (Fabriq. de tabac) celui qui se fabrique de la meilleure feuille séparée de ses nervures, qu'on tire à trois doigts de la pointe, & qu'on file ou sur une ligne de diamêtre, ou sur deux lignes, ou environ sur quatre, & sous les noms de prinfilé, de moyen & de gros filé.

COTE, en terme de Vannier ; ce sont les gros brins qui servent de soûtient aux menus osiers. On donne aussi le même nom à l'espace arrondi & convexe contenu entre ces mêmes brins, & tissu d'osiers plus menus.

COTE DE S. ANDRE, (la) Géograph. mod. petite ville de France en Dauphiné, dans le Viennois.

COTE DES DENTS, (la) Géog. mod. pays d'Afrique dans la Guinée, entre la côte de Malaguette, la côte d'Or, & les Quaquas : il s'y fait un grand commerce d'yvoire.

COTE D'OR, (la) Géog. mod. contrée d'Afrique dans la Guinée, entre la côte des Dents & le royaume de Juda. Ce pays comprend une infinité de petits royaumes. On en tiroit autrefois beaucoup de poudre d'or.


COTÉS. m. en Géométrie. Le côté d'une figure est une ligne droite qui fait partie de son périmetre.

Le côté d'un angle est une des lignes qui forment l'angle. Voyez ANGLE.

Toute ligne courbe peut être regardée comme un polygone d'une infinité de côtés. Voyez COURBE, INFINI, POLYGONE.

Côté mécodynamique, voyez MECODYNAMIQUE.

Dans un triangle rectangle, les deux côtés qui renferment l'angle droit, se nomment cathete, & le 3e, l'hypothenuse. Voyez CATHETE & HYPOTHENUSE.

Le côté d'une puissance est ce que l'on appelle autrement racine. Voyez RACINE. Chambers. (O)

COTE, (Jurispr. En fait de parenté & de succession on distingue deux côtés, le paternel, & le maternel.

Par le droit Romain, observé en pays de droit écrit, on ne distingue point deux côtés dans une même succession, c'est-à-dire que tous les biens d'un défunt, qui lui sont échûs tant du côté paternel que du côté maternel, appartiennent indifféremment au plus proche parent, soit paternel ou maternel, habile à succéder.

Dans les pays coûtumiers au contraire, on distingue dans les successions les parens & les biens du côté paternel, d'avec ceux du côté maternel. Le voeu général des coûtumes est de conserver les biens de chaque côté, aux parens qui en sont, suivant la regle paterna paternis, materna maternis. Les coûtumes ne sont cependant pas uniformes à ce sujet : on les divise en trois classes ; savoir, les coûtumes de simple côté, les coûtumes de côté & ligne, & les coûtumes soucheres.

Le terme de côté, en cette occasion, signifie la famille en général de celui de cujus ; & le terme ligne désigne la branche particuliere dont il est issu. Voyez ci-après au mot COUTUMES. (A)

COTE DROIT & COTE GAUCHE. A l'église & à la procession, le côté droit est ordinairement estimé le plus honorable ; quelques-uns prétendent que c'est le côté gauche du choeur, parce qu'il répond à la droite du prêtre lorsqu'il se retourne vers le peuple : cela dépend beaucoup de la façon d'envisager les choses, & de l'usage du lieu. En Normandie le côté gauche du choeur est le plus estimé ; suivant le droit commun, c'est le côté droit. Pour la position du banc du seigneur, cela dépend beaucoup de la disposition des lieux ; le seigneur a choix du coté qui lui convient le mieux.

Dans les tribunaux le côté droit est le plus honorable : on regarde comme côté droit, celui qui est à la droite du président. (A)

COTE, en Architecture, est un des pans d'une superficie réguliere ou irréguliere. Le côté droit ou gauche d'un bâtiment se doit entendre par rapport au bâtiment même, & non pas à la personne qui le regarde. (P)

COTE, (Art. milit.) dans les ouvrages à corne, à couronne, &c. sont les remparts qui les renferment de droite à gauche. Voyez BRANCHES & AILES.

COTE EXTERIEUR : c'est dans la Fortification le coté du polygone que l'on fortifie. Ce côté est appellé extérieur, comme C H, Pl. I. de Fortification, fig. 1. où la fortification est en dedans le polygone ; & il est appellé intérieur, lorsque la fortification faille en dehors le polygone, c'est-à-dire lorsque la courtine & les demi-gorges sont prises sur ce côté.

Tout front de fortification a un côté de polygone extérieur, & un intérieur ; le premier joint les deux angles flanqués, & nous parlerons tout à l'heure du second.

Le côté du polygone extérieur est de 180 toises dans la fortification de M. le maréchal de Vauban ; il peut avoir au plus 200 toises, & au moins 150 : au-dessous de 150 toises il donneroit des bastions trop proches les uns des autres ; & au-dessus de 200, les lignes de défense surpasseroient la portée du fusil.

Côté intérieur : c'est la ligne qui joint les centres de deux bastions voisins, ou ce qui est la même chose, la courtine prolongée de part & d'autre jusqu'à la rencontre des rayons extérieurs, tirés aux extrémités du même côté du polygone. (Q)

COTE DU VAISSEAU, (Marine) On nomme ainsi le flanc du vaisseau. On distingue les côtés en stribord & basbord. Le côté de stribord est la droite de celui qui, le dos à la poupe, regarde la proue du navire. Le côté de basbord est celui de la gauche.

Côté du vent : c'est le côté d'où le vent vient ; le côté sous le vent est l'autre côté.

Prêter le côté, se dit d'un vaisseau qui présente le flanc à un autre, pour le canonner. (Z)

COTE, (Marine) Mettre côté en travers, c'est présenter le flanc au vent, ou mettre le vent sur les voiles de l'avant, & laisser porter le grand hunier ; en sorte que le vaisseau présente le côté au vent dans un parage où il est nécessaire de jetter la sonde, afin d'avoir le loisir de sonder. On met encore côté en travers pour attendre quelqu'un.

On se sert de la même façon de parler, & l'on dit que l'on a mis côté en-travers, quand le vaisseau présente le côté à une forteresse que l'on veut canonner, ou contre quelque vaisseau ennemi.

Un vaisseau qui veut envoyer sa bordée à un autre, met le côté en-travers, c'est-à-dire lui présente le flanc. (Z)

COTE, (Marine) Mettre un vaisseau sur le côté, c'est le faire tourner & renverser sur le côté par le moyen de verins ou d'autres machines, pour lui donner le radoub, ou pour l'espalmer.

Autrefois on mettoit un vaisseau à terre sur le côté ; mais une pareille manoeuvre ne pouvoit que fatiguer beaucoup le corps du bâtiment, dont les liaisons des membres devoient souffrir beaucoup, & s'ébranler ; ainsi on ne doit coucher le vaisseau sur le côté que dans l'eau, laquelle le soûtient & facilite le travail.

Lorsqu'on veut coucher un navire dans l'eau pour le nettoyer, pour carener ou lui donner quelqu'autre radoub, on appuie les mâts avec des matériaux qui viennent se rendre sur le bord du vaisseau, & l'on fait approcher un petit bâtiment, comme ponton & allege, au plus bas bord duquel est amarré un gros cordage, sur quoi l'on se met pour virer au cabestan qui est dans ce petit bâtiment, & qui tire le vaisseau sur le côté par le mât ; cette grosse corde sur quoi l'on est, servant à tenir le bâtiment en équilibre, & à empêcher qu'il ne renverse ; & elle est appellée à cause de cela, attrape, ou corde de retenue. On peut bien mettre aussi cette corde de retenue au plus haut bord du vaisseau, en l'amarrant à quelque chose de ferme qui soit hors le bord. On peut bien encore appuyer le vaisseau sur le mât du ponton ou de l'allege, & en ce cas on l'amarre bien avec des cordes.

Lorsqu'un vaisseau est chargé, & qu'il est dans un endroit où il y a flot & jussant, on cherche un fond mou ; & ayant mis le bâtiment à sec, on passe tous les canons d'un bord, ou bien l'on met toute la charge à la bande, ce qui fait doucement tourner le vaisseau, & tomber sur le côté ; & quand on l'a nettoyé ou radoubé d'un côté : on attend une autre marée, & l'on passe toute la charge de l'autre côté pour donner lieu à le nettoyer partout : car lorsque la charge est ainsi transportée, le vaisseau se releve de lui-même, & va tomber sur le côté ou elle est. (Z)

COTE, (Manege) Porter un cheval de côté : c'est le faire marcher sur deux pistes, dont l'une est marquée par les épaules, l'autre par les hanches. Voyez PISTE. Dict. de Trév. (V)


COTEAUS. m. (Oecon. rustiq.) On donne ce nom à tout terrein élevé en plan incliné au-dessus du niveau d'une plaine, supposé que ce terrein n'ait pas une grande étendue. Lorsque son étendue est considérable, comme d'une lieue, d'une demi-lieue, &c. il s'appelle alors une côté ; ainsi côteau est le diminutif de côte. Les côteaux doivent être autrement cultivés que les plaines. Cette culture varie encore, selon la nature de la terre, & l'exposition. Une observation assez générale sur les côtes & côteaux, c'est qu'ils ne sont ordinairement fertiles que d'un côté : on diroit que le côté opposé ait été dépouillé par des courans, & que les terres en ayent été rejettées à droite & à gauche sur le côté fertile ; ce qui acheve de confirmer les idées de M. de Buffon.

COTEE, s. f. (Hist. nat. ornytholog.) querquedula cristata, seu colymbus, Bell. oiseau du genre des canards. Il est plus petit que le morillon ; il a le corps épais & court, les yeux jaunes & brillans, les piés & les jambes noires ; le bec est de la même couleur, & large comme celui des canards : les jambes sont courtes, & les piés larges : la tête, le cou, la poitrine & le ventre, sont de couleur livide. On l'a appellé côté en françois, parce qu'il a sur les aîles une bande transversale : il a une crête sur la tête. Bell. Voyez Ald. Ornitholog. lib. XIX. cap. xxxjv. Voyez OISEAU. (I)


COTELETTESS. f. pl. (Boucherie) Il ne se dit que des côtes du mouton.


COTER(Jurisp.) est marquer une piece ou une liasse d'une piece, d'un chiffre ou d'une lettre, pour distinguer ces pieces ou liasses les unes des autres, & les reconnoître & trouver plus facilement.

On cotoit autrefois les pieces par les paroles du Pater ; de sorte que la premiere étoit cotée Pater, la seconde, noster, & ainsi des autres successivement. Il y a à la chambre des comptes des registres qui sont ainsi cotés, & cela se pratique encore dans quelques provinces. En Bretagne on dit coter & millesimer, pour dire qu'en cotant les pieces on les marque de chiffres depuis un jusqu'à mille.

L'usage à Paris & dans la plûpart des provinces, est de coter par chiffres les pieces & liasses, dans les inventaires qui se font après le décès d'un défunt ; mais dans les inventaires de production & requêtes de productions nouvelles, on les cote par lettres. (A)

COTER PROCUREUR, c'est déclarer dans un exploit qu'un tel procureur occupera pour celui à la requête de qui l'exploit est donné. (A)

COTER UN SAC ou DOSSIER. Nous avons expliqué ci-devant ce que c'est que la cote d'un sac ou dossier ; mais lorsqu'on parle d'un sac ou dossier, côté tel procureur, on entend que le procureur qui occupe, a marqué son nom sur ce sac ou dossier ; il marque son nom à droite, & celui de ses confreres qui occupe contre lui, à gauche. (A)


COTEREAUXCATHARIS, COURRIERS, ROUTIERS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) branche de la secte des Petrobusiens. Voyez PETROBUSIENS. Ils parurent en Languedoc & en Gascogne sur la fin du xije siecle, & sous le regne de Louis VII. Je ne sais pourquoi on en a fait des hérétiques ; ce n'étoient que des scélerats qui vendoient leurs bras à la haine, à la vengeance, & à d'autres passions violentes & sanguinaires. Il est vrai que les hérétiques du tems les employerent plus que personne. Ils servirent Henri II. roi d'Angleterre, contre Richard son fils, comte de Poitou. Ils se fondirent ensuite dans la secte des Albigeois. Ce fut alors qu'ils commencerent à devenir hérétiques, mais sans cesser d'être assassins. Alexandre III. les excommunia, accorda des indulgences à ceux qui les attaqueroient, & décerna des censures contre les orthodoxes ecclésiastiques & laïcs qui ne concouroient pas de toute leur force au massacre de ces bandits. Conduite tout-à-fait opposée à l'esprit de l'Evangile que saint Augustin connut beaucoup mieux, lorsque consulté par les juges civils sur ce qu'il falloit faire des circumcellions qui avoient égorgé plusieurs catholiques, il leur répondit à-peu-près en ces termes : " Nous avons interrogé là-dessus les saints martyrs, & nous avons entendu une voix qui s'élevoit de leur tombeau, & qui nous avertissoit de prier pour leur conversion, & d'abandonner à Dieu le soin de la vengeance ". Il y eut plus de 7000 Cotereaux d'exterminés dans le Berri.


COTERETS. m. assemblage de plusieurs morceaux de menus bois, soit de taillis soit de quartier, par le moyen de deux harres. Il doit avoir deux piés de longueur sur 17 à 18 pouces de grosseur.


COTERIES. f. terme emprunté des associations de commerce subalterne, où chacun fournit sa cote part du prix, & reçoit sa cote part du gain, & auquel on n'a rien ôté de la force de sa premiere acception, en le transportant à de petites sociétés où l'on vit très-familierement, où l'on a des jours reglés d'assemblées & des repas de fondation, où chacun fournit sa cote-part de plaisanterie, bonne ou mauvaise ; où l'on fait des mots qui ne sont entendus que là, quoiqu'il soit presque du bon ton d'en user par-tout ailleurs, & de trouver ridicules ceux qui ne les entendent point, &c. Toute la ville est divisée en coteries, ennemies les unes des autres & s'entre-méprisant beaucoup. Il y a telle coterie obscure qui équivaut à une bonne société, & telle société brillante qui n'équivaut tout juste qu'à une mauvaise coterie. Il n'y a presque point de bonnes coteries, gaies, libres, & franches, sous les mauvais regnes.

COTERIES, (Jurisp.) c'est le nom que l'on donne en certaines coûtumes aux héritages roturiers, comme dans celle d'Artois, art. 20. suivant lequel ces coteries doivent être relevées & droiturées dans sept jours, sinon elles sont réunies de plein droit à la table du seigneur. Les héritages cotiers, qui sont la même chose que coteries, ne peuvent, lorsqu'ils sont patrimoniaux, être aliénés sans le consentement de l'héritier apparent. Les héritiers en égal degré succedent aux coteries par égales portions ; la femme a la moitié des coteries acquises par son mari. La dessaisine & saisine, & la saisie seigneuriale des coteries ou rotures mouvantes de la seigneurie vicomtiere, doivent être faites en présence des hommes de fief & non des hommes cotiers, qui ne doivent point desservir les plaids de la justice du vicomte, puisqu'il y a des vassaux pour l'exercer. Voyez la coût. d'Artois, art. 20. 77. 106. 136. Pour l'étymologie du mot coterie, voyez Ducange, gloss. lat. cota, cotagium, cotarius. Menage, dict. au mot cotteraux. (A)


COTHURNES. m. (Belles-lett.) espece de soulier ou de patin fort haut, dont se servoient les anciens acteurs de tragédies sur la scene, pour paroître de plus belle taille, & pour mieux approcher des héros dont ils joüoient le rôle, & dont la plûpart passoient pour avoir été des géans. V. TRAGEDIE.

Il couvroit le gras de la jambe, & étoit lié sous le genou. On dit qu'Eschyle en fut l'inventeur. Chausser le cothurne, en langage moderne, signifie même joüer ou composer des tragédies.


COTICES. f. terme de Blason, c'est une espece de bande diminuée, plus étroite, qui n'a que les deux tiers de la bande ordinaire, qui n'occupe que la quatrieme ou cinquieme partie de l'écu. Elle se pose de même biais, tirant de l'angle dextre du haut au senestre d'en-bas. La cotice se met aussi en barre, tirant du côté gauche au droit, comme le filet de bâtardise. Pithou les appelle frétaux, parce qu'en effet les fretes sont composées de cotices & de contre-cotices. Quand la cotice tient lieu de brisure on la nomme bâton. On appelle un écu coticé, quand tout son champ est rempli de dix bandes de couleurs alternées. Voyez BANDE. Dictionn. de Trév. & P. Ménétr.

On dit, cette maison porte de sable sur un écu coticé de trois quinte-feuilles d'argent. (V)


COTICÉadj. en termes de Blason, se dit de l'écu, lorsqu'il est rempli de dix bandes de couleurs alternées. Voyez COTICE. Escaieul, coticé d'argent & d'azur.


COTIERS. m. (Jurisp.) dans quelques coûtumes est synonyme de roturier ou censuel, comme en Artois. Les héritages cotiers sont tous ceux qui ne sont point tenus féodalement. Le seigneur cotier ou foncier est celui qui n'a dans sa mouvance que des rotures ; & la justice cotiere ou fonciere, celle qui ne s'étend que sur des rotures ; les hommes ou juges cotiers, sont les propriétaires des héritages tenus en censive ; pour ce qui concerne leurs obligations par rapport à l'exercice de la justice, & leurs droits pour recevoir les contrats d'aliénation des héritages cotiers & les testamens, voyez au mot HOMMES COTIERS, JUGES COTIERS ; V. aussi ci-dev. COTERIES.

Il y a dans la coûtume de Cambrai, tit. j. art. 74. des fiefs cotiers, qui sont de la nature des terres cotieres ou de main-ferme. (A)

COTIER, (Marine) Pilote côtier : ce nom se donne à des pilotes particuliers, qui ont une connoissance plus étendue & plus détaillée de certaines côtes, de leurs ports, de leurs mouillages, & de leurs dangers ; on les distingue des pilotes hauturiers, qui sont ceux qui sont chargés de la conduite du vaisseau en pleine mer. Le pilote côtier ne prend la conduite du navire qu'à la vûe des côtes. (Z)


COTIERES. f. (Maçonnerie, Jardinage) se dit de certains ados de terre un peu longs, faits le long des murs, ou en suivant le penchant d'un petit côteau, sur lesquels le soleil tombe à plomb, & avance infiniment les plantes qu'on y seme.

Cotieres, se dit, en Brasserie, des rebords des planches qui soûtiennent le grain ; & qui entourent la touraille.


COTIGNACS. m. (Confit.) espece de confiture qui se fait avec le coing de la maniere suivante. Prenez une douzaine de coings, s'ils sont petits, sept ou huit s'ils sont gros ; coupez-les par petits morceaux ; faites-les boüillir dans cinq à six pintes d'eau, jusqu'à la réduction de deux pintes ; passez ces deux pintes restantes dans un linge blanc ; jettez cette décoction dans une poële à confiture ; ajoûtez quatre livres de sucre ; faites boüillir jusqu'à ce que le tout soit en gélée suffisamment cuite. Versez chaud dans des boîtes ou pots. S'il n'étoit pas assez rouge, vous y mêleriez pendant qu'il cuit un peu de cochenille préparée. Voyez COING.

Il y a un autre cotignac qu'on tire du moût : on prend du moût ; on le met dans un chauderon ; on le réduit sur un feu clair au tiers ; on a des poires de certeau toutes pelées & coupées par quartiers ; on les jette dans le moût ; on fait boüillir le tout jusqu'à ce que les poires soient cuites, & que le sirop ait une bonne consistance : alors on remplit des pots de cette confiture. Voyez MOUT.

COTIGNAC, (Géog. mod.) petite ville de France, en Provence, sur la riviere d'Argens.


COTILE(Géog. mod.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, elle se jette dans celle de Crate.


COTILLONS. m. partie de l'habit des femmes ; c'est une jupe courte de dessous ; il est très-leger en été, & très-fourré en hyver. Nous avons une danse légere du même nom. C'est une espece de branle à quatre, huit personnes. Voyez BRANLE.


COTIRv. act. (Jard.) c'est la même chose que taillé, froissé, ou meurtri ; être frappé trop rudement. Il ne se dit que des fruits & n'est pas fort usité. La grêle a côti ces poires.


COTISATIONS. f. (Jurisp.) est l'imposition qui est faite sur quelqu'un, de la cote-part qu'il doit supporter d'une dette, charge, ou imposition commune à plusieurs.

La taille, le sel dans les lieux où il s'impose, & les autres charges & subventions doivent être supportées par chaque habitant suivant sa cotisation, telle qu'elle est faite sur le rôle qui contient les différentes cotes assignées à chacun. Voyez COTE, TAILLE, GABELLE, SEL, ROLE. (A)


COTISERv. act. (Jurisp.) signifie comprendre quelqu'un dans un rôle, & lui imposer sa part des charges auxquelles il doit contribuer. Ce terme est surtout usité en matiere de tailles. On ordonne ou on défend aux asséeurs & collecteurs de comprendre ni cotiser quelqu'un dans leur rôle des tailles. (A)


COTITou QUOTITé, sub. f. (Comm.) se dit ordinairement de la taxe ou part que chacun paye d'une imposition, ou du cens que les vassaux doivent au seigneur. On l'employe aussi dans le Commerce pour signifier la part ou portion que chacun doit porter dans une société ou compagnie de commerce. (G)


COTONsub. m. (Hist. nat. Ornitholog.) petits d'un oiseau de l'Amérique, qu'on appelle diable ou diablotin : il paroît que ce sont les becs-figues du pays. Ils sont couverts d'un duvet jaune & épais, & tous blancs de graisse. C'est un mets fort délicat. Voyez DIABLE.

* COTON, s. m. (Hist. nat. bot.) xilon ; genre de plante à fleur monopétale, en forme de cloche, ouverte & découpée, du fond de laquelle s'éleve un tuyau pyramidal, ordinairement chargé d'étamines. Le calice pousse un pistil qui enfile la partie inférieure de la fleur, & le tuyau, & qui devient dans la suite un fruit arrondi, divisé intérieurement en quatre ou cinq loges. Ce fruit s'ouvre par le haut, pour laisser sortir les semences qui sont enveloppées d'une espece de laine propre à être filée, appellée coton du nom de la plante. Tournefort.

Le P. du Tertre, le P. Labat, M. Frezier, &c. disent que l'arbuste qui porte le coton s'éleve à la hauteur de huit à neuf piés ; qu'il a l'écorce brune, & que sa feuille est divisée en trois : lorsque sa gousse est mûre & qu'elle commence à se sécher, elle s'ouvre d'elle-même ; alors le coton qui y étoit extrêmement resserré sort, s'étend, & si l'on ne se hâte de le cueillir, le vent en enleve une partie considérable qui se disperse entre les feuilles & les branches de l'arbre, s'y attache & se perd. Il est d'une grande blancheur, & rempli de graines noires de la grosseur du pois, auxquelles il est tellement adhérent, que ce ne seroit pas sans beaucoup de travail & de patience qu'on parviendroit à l'éplucher à la main. Aussi a-t-on imaginé de petits moulins à cet usage, dont nous parlerons ailleurs.

L'arbuste qui produit cette utile marchandise est commun en plusieurs endroits du Levant, des Indes orientales, occidentales, & sur-tout aux îles Antilles ; on le cultive aussi en Sicile & dans la Pouille. Des auteurs contraires à ceux que nous avons cités plus haut, disent qu'il n'est guere plus grand que le pêcher, & qu'il s'étend en buisson, que la couleur de sa fleur varie selon la qualité du terroir, tantôt violette, tantôt d'un jaune doré ; que son fruit, sa coque ou gousse se noircit en mûrissant ; qu'il y a une sorte de coton qui rampe comme la vigne qu'on ne soûtiendroit pas sur des échalats ; qu'il y a dans la terre ferme du Brésil un cotonnier de la hauteur des plus grands chênes, & dans l'île de Ste Catherine un autre, dont la feuille est large & divisée en cinq segmens pointus, & le fruit de la grosseur d'un petit oeuf de poule ; qu'on tire de la fleur & de la feuille du cotonnier cuites ensemble sous la braise, une huile rousse & visqueuse propre à la guérison des ulceres ; que l'huile de la graine est un bon cosmétique, &c. Quoi qu'il en soit de ces propriétés, il est sûr que le coton mis sur les plaies en forme de tente, y occasionne l'inflammation. Leuvenoeck qui a recherché la cause de cet effet au microscope, a trouvé que les fibres du coton avoient deux côtés plats d'où il a conclu qu'elles avoient comme deux tranchans ; que ces tranchans plus fins que les molécules dont les fibres charnues sont composées, plus fermes, & plus roides, divisoient ces molécules, & occasionnoient par cette division l'inflammation.

Passons maintenant à d'autres considérations sur le coton, relatives à sa récolte, à son filage, & aux opérations qui précedent son emploi. Cet emploi est très-étendu ; mais le seul qui puisse singulierement piquer notre curiosité, c'est celui qui se fait en mousselines & autres toiles qui nous viennent des Indes & qui nous étonnent par leur finesse. Nous en donnerons le détail le plus exact & le plus circonstancié, d'après des mémoires de M. Jore habitant de Roüen, qui a employé son tems & une partie de son bien à perfectionner le filage du coton, & qui étoit parvenu à en faire des ouvrages aussi beaux que ceux qui nous viennent de l'Inde : ils nous ont été communiqués par M. le chevalier Turgot, qui s'est instruit de cette fabrique, par un goût pour les Arts utiles d'autant plus digne de nos éloges, qu'il est très-estimable en quelques personnes que ce soit, & qu'il est malheureusement trop rare dans celles de son rang & de sa fortune.

Les îles françoises de l'Amérique fournissent les meilleurs cotons qui soient employés dans les fabriques de Roüen & de Troyes. Les étrangers, nos voisins, tirent même les leurs de la Guadeloupe, de Saint-Domingue, & des contrées adjacentes. Ils ont différentes qualités. Celui qu'on appelle de la Guadeloupe est court, la laine en est grosse ; & la maniere de filer le coton dont on parlera plus bas, ne lui convient point. Celui de Saint-Domingue peut être filé, comme nous le dirons, lorsqu'il est bien beau : on peut le remêler avec d'autres cotons plus fins, & en faire certains ouvrages. Mais tous ces endroits en fournissent une autre espece qu'on appelle de Siam blanc à graine verte, pour le distinguer d'un autre de la même qualité, mais d'une couleur différente. Celui-ci est roux, l'autre est blanc ; sa laine est fine, longue, & douce sous la main ; sa graine est plus petite que celle des autres cotons, & la laine y est souvent adhérente : cette graine est noire & lisse, quand le coton a bien mûri. Si au contraire la culture & la récolte ont été mal conduites, la laine y demeure attachée, & ses extrémités qui en ont été séparées, sont vertes, sur-tout lorsque le coton a été nouvellement recueilli. Cette espece n'est point cultivée en Amérique, quoiqu'on convienne de sa supériorité ; parce que sa graine étant petite, s'engage entre les cylindres du moulin, s'y écrase, tache la laine, & la remplit d'ordures ; défaut considérable qui en diminue beaucoup le prix : d'ailleurs ce coton est trop leger pour les fileuses des fabriques de Roüen &c. il leur faudroit beaucoup plus de tems pour en filer une livre, que pour une livre de tout autre ; ainsi elles ne l'estiment point, & sur leur mépris intéressé, on l'a abandonné. Ce même coton est cultivé au Mississipi, climat qui ne lui convient pas comme les îles de l'Amérique : aussi il n'y mûrit pas ; la laine en est courte & fortement attachée à la graine, ensorte qu'il n'est pas possible d'en faire un bon usage.

L'arbrisseau qui donne les cotons, dont nous venons de parler, à l'Amérique, est vivace. Sept ou huit mois après avoir été planté de graine, il donne une recolte foible. Il continue de rapporter de six en six mois pendant dix années. Celui des Indes & de Malte est annuel. Il y a aussi quelque différence pour la qualité. Celui de l'Amérique paroît plus soyeux.

Du moulinage du coton. Immédiatement après la récolte, on porte le coton au moulin. Le méchanisme du moulin est fort simple : ce sont deux petits rouleaux cannelés, soûtenus horisontalement ; ils pincent le coton qui passe entre leurs surfaces, & le dégagent de sa graine dont le volume est plus considérable que la distance des rouleaux qui tournent en sens contraires, au moyen de deux roues mises en mouvement par des cordes attachées à un même marche-pié qu'un homme presse du pié, comme fait un tourneur ou une fileuse au roüet, tandis qu'avec ses mains il présente le coton aux rouleaux qui le saisissent, l'entraînent & le rendent dans un panier ou dans un sac ouvert, & attaché sous le chassis ; ce qui vaut beaucoup mieux, parce que la poussiere ne s'y mêle point, & que le vent ne peut en emporter, même lorsque ce travail se fait à l'air, sous un simple angard, comme c'est assez la coûtume. Voyez Plan. du coton, Hist. nat. le petit moulin à main, fig. 2. & le moulin à pié, fig. 1. A A A A, le chassis B, les deux rouleaux avec de très-petites cannelures ; C, deux roues servant de balanciers ; D, cheville posée hors du centre de la roue ; E, corde attachée à la cheville par un de ses bouts, & au marche-pié par l'autre ; F, marche-pié mobile faisant mouvoir les roues C, C, & les rouleaux B, B ; G, tablette inclinée sur laquelle tombe la graine qui glisse sur cette tablette, & tombe à terre.

De l'emballage du coton. Lorsque le coton est séparé de sa graine, on le met dans de grands sacs de toile forte, longs d'environ trois aulnes ; on les emplit à force & à grands coups de pince de fer. On commence par les mouiller, puis on les suspend en l'air, la gueule ouverte, & fortement attachée à des cordes passées dans des poulies fixées aux poutres d'un plancher. Un homme entre dedans, & range au fond une premiere couche de coton, qu'il foule avec les piés & avec un pilon. Sur cette couche il en met une autre, qu'il enfonce & serre avec sa pince de fer ; il continue de cette maniere jusqu'à ce que le sac soit entierement plein. Pendant ce travail, un autre homme a soin d'asperger de tems en tems le sac à l'extérieur avec de l'eau, sans quoi le coton ne seroit point arrêté, & remontroit malgré les coups de pince. On coud le sac avec de la ficelle, on pratique aux quatre coins des poignées pour le pouvoir remuer plus commodément : ce sac ainsi conditionné s'appelle une balle de coton ; il contient plus ou moins, selon qu'il est plus ou moins serré, plus ou moins foulé ; cela va ordinairement à 300, 320 livres.

De la fabrique des toiles de coton fines, appellées mousselines. Elle se divise naturellement en deux parties, le filage des cotons fins, & la fabrique des toiles & autres ouvrages, dans lesquels on employe ce fil.

Du filage, ou de la maniere de peigner le coton, de l'étouper, de le lustrer, d'en mêler diverses sortes pour différens ouvrages, de former le fil, de le dévider & des différens instrumens qui ont rapport à toutes ces opérations. Lorsque l'on se proposera de ne fabriquer que des mousselines fines, des bas fins, il faudra séparer à la main le coton d'avec la graine ; cela facilitera le travail de l'ouvriere qui doit le filer : mais dans une fabrique plus étendue, il seroit à-propos de recourir à une machine plus précise que celle que nous avons décrite. Lorsqu'on doit filer, on ouvre les gousses pour en tirer les graines avec les doigts ; on charpit le coton en long, observant de ménager & de ne pas rompre les filamens qui composent son tissu, & l'on en forme des flocons gros comme le doigt. Voyez deux de ces flocons, Pl. II. du coton, Hist. nat.

Peigner le coton. Quoique cette opération se fasse avec des cardes, cependant il ne faut point carder : carder le coton, c'est le mêler en tout sens & le rendre rare & leger. Les opérations du peignage tendent à séparer les uns des autres les filamens, & à les disposer selon leur longueur, sans les plier, les rompre, ni les tourmenter par des mouvemens trop répétés. Sans cette précaution il deviendroit mou & plein de noeuds, qui le rendroient mauvais & souvent même inutile. Cette opération est la plus difficile à apprendre, & la plus nécessaire à bien savoir. C'est elle qui conduit les ouvrages en coton à leur perfection. On y réussit rarement d'abord, mais on prend l'habitude de la bien faire ; & quand on l'a, elle ne fatigue plus. Elle consiste dans la maniere de se servir des cardes, & de le faire passer d'une carde à l'autre en le peignant à fond. Pour y procéder, prenez de la main gauche la plus longue de vos cardes, ensorte que les dents regardent en-haut, & que les pointes courbées soient tournées vers la main gauche ; menagez-vous la liberté du pouce, & le pouvoir de glisser la main d'un bout à l'autre de la carde. Prenez de la main droite un flocon, par le tiers de sa longueur ou environ ; portez-en l'extrémité sur la carde, engagez-la dans les dents, aidez-vous du pouce gauche, si vous le trouvez à-propos, en l'appliquant sur le coton, comme vous voyez fig. prem. tirez le flocon de la main droite, sans le serrer beaucoup, il restera une partie du coton prise par un bout dans les dents de la carde, & l'autre bout de ce coton engagé sortira hors de la carde ; réitérez quinze à seize fois cette manoeuvre jusqu'à ce que le flocon soit fini ; remplissez, en procédant de la même maniere, la carde d'un bout à l'autre, avec de semblables flocons ; observez seulement de n'en jamais trop charger à la fois.

La carde étant suffisamment garnie, fixez-la dans votre gauche, en la saisissant par le milieu & par le côté opposé à celui des dents. Prenez de la droite la plus petite de vos cardes dans un sens opposé à l'autre, c'est-à-dire les pointes en-bas & leur courbure tournée vers la droite ; pour la tenir, saisissez-la par les deux bouts entre le pouce & le doigt du milieu, l'index se trouvera placé sur son dos ; posez-la sur les filamens du coton qui sont au-dessus de l'autre carde, & les peignez légerement, en commençant comme vous voyez fig. 2. Plan. II. par les bouts du coton que vous tirerez un peu avec votre carde droite, afin d'enlever & d'étendre selon leur longueur tous les filamens du coton qui n'ont pas été engagés dans les dents de la grande carde. Continuez d'un bout à l'autre, en approchant la petite carde de plus en plus des dents de la grande, ensorte qu'en dix-huit à vingt coups de cette sorte de peigne, le coton qui sort en-dehors soit bien peigné. Faites la même opération par-dessous, pour enlever ce qui s'y trouve de mal rangé, & qui n'a pû être atteint par les pointes de la petite carde, lorsqu'on s'en est servi en-dessus.

Cela fait, il se trouve du coton engagé dans les deux cardes, dont les parties extérieures ont été peignées ; mais il est évident que les bouts du coton engagés dans l'intérieur de la grande carde, ne l'ont point été : c'est pourquoi l'on fait passer tout le coton de la grande carde sur la petite, sans changer leurs positions, mais en enfonçant seulement les dents de la petite dans le coton engagé dans la grande, en commençant à l'endroit où il se montre en-dehors, observant de tourner les cardes, de sorte que le coton se puisse dégager peu à peu de l'une pour s'attacher à l'autre, peignant toûjours à mesure qu'il s'attache & qu'il sort de la grande pour charger la petite. Quand la petite carde aura recueilli tout le coton de la grande, sans le plier ni le rompre, les filamens qui le composent auront tous été séparés les uns des autres dans le courant de cette manoeuvre, & il se trouvera en état d'être mis sur les quenouilles pour être filé.

Les quenouilles sont les cardes mêmes, & l'opération consiste à faire passer le coton de la petite carde sur la grande, s'attachant principalement à l'y distribuer également & legerement. Lorsque tout le coton est sur la grande carde, on examine au jour s'il n'y a point d'inégalités ; s'il y en a, on se sert de la petite carde pour les enlever ; & ce qu'elle prend de coton dans ces derniers coups, suffit pour la charger & la faire servir elle même de quenouille comme la grande.

Le coton est alors si facile à filer, que la manoeuvre du filage devient une espece de devidage ; & le fil qui proviendra du coton ainsi préparé, sera propre pour toute sorte de toile. L'écheveau pesera depuis vingt jusqu'à trente grains, selon l'adresse de la fileuse. Au demeurant il est à propos de savoir qu'un écheveau de coton contient toûjours 200 aulnes de fil, que le numéro qu'il porte est le poids de ces 200 aulnes ; ainsi que quand il s'agira d'un fil pesant 20 grains, il faudra entendre un écheveau de 200 aulnes de ce poids : d'où l'on voit que plus le poids de l'écheveau est petit, la longueur du fil demeurant la même, plus il faut que le fil ait été filé fin ; pour l'obtenir très-fin, il faut étouper le coton.

Les ouvrages faits avec les cotons dont nous avons parlé, sont mousseux, parce que les bouts des filamens du coton paroissent sur les toiles ou estames qui en sont faites : c'est cette espece de mousse qui a fait donner le nom de mousseline à toutes les toiles de coton fines qui nous viennent des indes, qui en effet ont toutes ce duvet. Pour réformer ce défaut, qui est considérable dans les estames & dans les mousselines très-fines, il faut séparer du coton tous les filamens courts qui ne peuvent être pris en long dans le tors du fil, qui lui donnent de la grosseur sans lui donner de la liaison. C'est ce qu'on appelle étouper.

Etouper le coton. Choisissez les plus belles gousses du coton de Siam blanc, qui ayent la soie fine & longue ; charpissez-les, & les démêlez sur les cardes au point d'être mis sur les quenouilles ; que votre coton soit partagé entre vos deux cardes : alors vous tournez les deux cardes du même sens, & posez-les dents de l'une sur les dents de l'autre, les engageant legerement & de maniere que les bouts du coton qui sortent des cardes se réunissent. Voyez Pl. II. fig. 4. Fermez la main droite, saisissant entre le pouce & l'index tous ces bouts de coton que vous tirerez hors de la carde & sans lâcher prise ; portez ce que vous aurez saisi sur la partie de la grande carde qui restera découverte, comme vous voyez même figure ; afin seulement d'en peigner les extrémités en les passant dans les dents. Posez ensuite ce coton sur quelque objet rembruni, qui vous donne la facilité de le voir & de l'arranger ; continuez cette opération jusqu'à ce que vous ayez tiré tout le coton qui vous paroîtra long ; peignez derechef ce qui restera dans les cardes, & recommencez la même opération. Après cette seconde reprise, ce qui ne sera pas tiré sera l'étoupe du coton, & ne pourra servir à des ouvrages fins.

Lustrer le coton. Voulez-vous approcher encore davantage de la perfection, & donner du lustre à votre coton ; faites de ce coton tiré des cardes dans l'étoupage, de petits flocons gros comme une plume, rassemblant les filamens longitudinalement, & les tordant entre les doigts, comme vous voyez fig. 1. Planc. III. assez fortement, en commençant par le milieu, comme si vous en vouliez faire un cordon ; que ce tors se fasse sentir d'un bout à l'autre du flocon. Quand vous viendrez ensuite à le détordre vous vous appercevrez que le coton se sera allongé, & qu'il aura pris du lustre comme la soie. Si vous voulez charpir un peu ce coton & le tordre une seconde fois, il n'en sera que plus beau. Voyez Pl. II. fig. 5. & 6. deux flocons ; l'un, fig. 5. lustré une premiere fois ; & l'autre, fig. 6. lustré une seconde fois. Pour le filer, on le met sur les quenouilles comme le coton non lustré, observant de les charger peu si l'on veut filer fin. Le fil du coton ainsi préparé, sert à faire des toiles très fines & des bas qui surpassent en beauté ce qu'on peut imaginer, ils ont l'avantage d'être ras & lustrés comme la soie. Le fil sera filé fin, au point que l'écheveau pourra ne peser que huit ou dix grains ; mais il y a plus de curiosité que d'utilité à cette extrême finesse.

Le détail de toutes ces opérations, dit M. Jore dans des mémoires très-circonstanciés & très-clairs, d'après lesquels nous donnons cette manoeuvre (comme si cet homme sensé eût prévû les objections qu'il avoit à craindre de la futilité de je ne sais quelle petite espece de lecteurs) ; le détail de toutes ces opérations paroîtra peut-être minutieux ; mais si les objets sont petits, la valeur n'en est pas moins considérable. Un gros de coton suffit pour occuper une femme tout un jour, & la faire subsister ; une once fait une aune de mousseline, qui vaut depuis 12 livres jusqu'à 24 livres, suivant la perfection ; une paire de bas pesant une once & demi, deux onces, vaut depuis 30 livres jusqu'à 60 & 80 livres. Il n'y a nul inconvénient pour la fileuse à employer deux heures de son tems à préparer le coton qu'elle peut filer en un jour ; puisque c'est de cette attention que dépend la solidité du fil, la célérité dans les autres opérations, & la perfection de tous les ouvrages qu'on en peut faire. L'habitude rend cet ouvrage très-courant.

Mêler des cotons de différentes sortes. On a dit que le beau coton de Saint-Domingue pouvoit être employé à certains ouvrages, & sur-tout qu'on le mêloit avantageusement. Employé seul, on en fileroit du fil pesant 72 grains, qui serviroit en chaine pour des toiles qu'on voudroit brocher sur le métier, ou pour des mouchoirs de couleur. En le mêlant par moitié avec des cotons fins, le fil pesera 54 à 50 grains, & sera propre à tramer les toiles & mouchoirs dont nous venons de parler, & à faire des toiles fines qu'on pourra peindre. En mêlant trois quarts de coton fin avec un quart de coton de Saint-Domingue bien préparé & lustré, on en pourra faire les rayures des mousselines rayées, des mousselines claires & unies, & le fil en pesera 36 à 30 grains. Ce mêlange se fait dans la premiere opération, lorsque le fil est en flocons ; on met sur la carde tant de flocons d'une telle qualité, & tant d'une autre, suivant l'usage qu'on en veut faire. Les Indiens ne connoissent point ces mêlanges. La diversité des especes que la nature leur fournit, les met en état de satisfaire à toutes les fantaisies de l'art. Au reste, les préparations qu'ils donnent à leurs cotons, n'ont nul rapport avec ce qui vient d'être dit ci-dessus. Voyez la vingt-deuxieme des Lettres édifiantes. Leur coton recueilli, ils le séparent de la graine par deux cylindres de fer, qui roulent l'un sur l'autre ; ils l'étendent ensuite sur une natte, & le battent pendant quelque tems avec des baguettes ; puis, avec un arc tendu, ils achevent de le rendre rare, en lui faisant souffrir les vibrations réitérées de la corde : c'est-à-dire qu'ils l'arçonnent. V. à l'art. CHAPELIER, comment ces ouvriers font subir au poil la même opération, qui le divise extraordinairement, & qui ne paroît pas peu contraire au but de l'ourdissage, & de tout art où l'on tortillera des filamens ; car il est bien démontré que, tout étant égal d'ailleurs, plus les filamens seront longs, plus le cordon qui en proviendra sera fort. Quand le coton a été bien arçonné, ils le font filer par des hommes & par des femmes. J'ai inutilement essayé ces moyens, dit l'auteur de ces mémoires, & je ne les trouve bons que pour faire du fil tout-à-fait commun ; ils peuvent à peine remplacer le cardage ordinaire, pratiqué dans les fabriques de Normandie ; & je suis persuadé que les Indiens en ont quelqu'autre pour la préparation de leur coton, qui ne nous est encore point parvenu. Si M. Jore eût refléchi sur le but & l'effet de l'arçonnage, il n'en auroit rien attendu d'avantageux ; car il ne s'agit pas ici de multiplier les surfaces aux dépens des longueurs : cela est bon, quand il s'agit de donner du corps par le contact, mais non par le tortillement. L'arçonnage est une opération évidemment contraire à l'étoupage.

Filer les cotons fins. Le roüet étant préparé, comme on le dira ci-après, & la fileuse ayant l'habitude de le faire tourner également avec le pié ; pour commencer, elle fixera un bout de fil quelconque sur le fuseau d'ivoire ; elle le fera passer sur l'épinguer & dans le bouton d'ivoire ; de-là elle portera l'extrémité de ce fil, qui doit avoir environ quatre piés de long, sur la grande carde qui doit servir de quenouille ; elle le posera sur le coton, à la partie la plus voisine du manche ; elle tiendra ce manche dans sa main gauche, faisant ensorte d'avancer le pouce & l'index au-delà des dents de la carde, vers les bouts du coton, où elle saisira le fil à un pouce près de son extrémité, sans prendre aucun filament du coton entre ses doigts. Tout étant en cet état, elle donnera de la main droite le premier mouvement au roüet, qui doit tourner de gauche à droite. Ayant entretenu ce mouvement quelques instans avec son pié, le ferin étant suffisamment tendu, l'on sent le fil se tordre jusque contre les doigts de la main gauche qui le tiennent proche le coton, sans lui permettre d'y communiquer ; prenez alors ce fil de votre droite entre le pouce & l'index, à six pouces de distance de la main gauche, & le serrez de façon que le tors que le roüet lui communique en marchant toûjours, ne puisse pas s'étendre au de-là de votre main droite. Cela bien exécuté, il n'y a plus qu'un petit jeu pour former le fil ; mais observez qu'il ne faut jamais approcher de la tête du roüet plus près que de deux piés & demi à trois piés, & que les deux mains soient toûjours à quelque distance l'une de l'autre, excepté dans des circonstances extraordinaires que l'on expliquera ailleurs.

Le bout du fil qui est entre les deux mains, qui a environ six pouces de longueur, ayant été tors comme on l'a dit, sert à former à-peu-près 4, 5, 6 pouces de nouveau fil, car en lâchant ce fil de la main gauche seulement, le tors montera dans la carde le long de sa partie qui y est posée, & y accrochera quelques bouts de coton qui formeront un fil que vous tirerez hors de la carde, en portant la main droite vers la tête du roüet, tant que le tors aura le pouvoir de se communiquer au coton. Dès que vous vous appercevrez que le tors cessera d'accrocher les filamens du coton, vous saisirez le fil nouveau fait des deux doigts de votre gauche, comme ci-devant ; alors vous laisserez aller le fil que vous teniez de votre droite, le tors qui étoit entre le roüet & votre droite venant à monter précipitamment jusqu'à votre gauche, vous donnera occasion de reprendre sur le champ votre fil de la droite, à 5 ou 6 pouces de la gauche, comme auparavant, & de continuer à tirer ainsi de nouveau fil de la carde. On parviendra à se faire une habitude de cette alternative de mouvement, si grande qu'il en devient d'une telle promtitude, que le roüet ne peut quelquefois pas tordre assez vîte, & que la fileuse est obligée d'attendre ou de forcer le mouvement du roüet.

Le bout de fil de six pouces de long qui est intercepté entre les deux mains, & qui contient le tors qui doit former le nouveau fil, le formera inégalement si on le laisse agir naturellement ; car étant plus vif au premier instant que vers la fin, il accrochera plus de coton au premier instant que dans les instans suivans. Il est de l'adresse de la fileuse de modérer ce tors, en roulant entre ses doigts le fil qu'elle tient de la droite dans un sens opposé au tors ; & lorsqu'elle s'apperçoit que le tors s'affoiblit, en le roulant dans le sens conspirant avec le tors, afin d'en augmenter l'effet. Par ce moyen elle parviendra à former le fil parfaitement égal, si le coton a été bien préparé. Celles qui commencent cassent souvent leur fil, faute d'avoir acquis ce petit talent.

On a fait le roüet à gauche, afin que la main droite pût agir dans une circonstance d'où dépend toute la perfection du fil. On a fait pareillement tourner le roüet de gauche à droite, parce que sans cela le fil se torderoit dans un sens où il seroit incommode à modérer, soit en le tordant, soit en le détordant entre les doigts de la main droite.

Une autre adresse de la fileuse, c'est de tourner sa carde ou quenouille de façon que le tors qui monte dedans trouve toûjours une égale quantité de coton à accrocher, & qu'il soit accroché par les extrémités des filamens, & non par le milieu de leur longueur. C'est par cette raison qu'il est très-essentiel que le coton y soit bien également distribué, & que les brins soient bien détachés les uns des autres. Mais quelqu'adroite que soit la fileuse, il arrive quelquefois que le tors accroche une trop grande quantité de coton, qui forme une inégalité considérable. Pour y remédier, il faut saisir l'endroit inégal, tout au sortir de la carde, avec les deux mains, c'est-à-dire du côté de la carde avec la gauche, comme si le fil étoit parfait, & l'autre bout avec la droite, & détordre cette inégalité en roulant légerement le fil entre les doigts de la droite, jusqu'à ce que le coton étant ouvert, vous puissiez allonger cette partie trop chargée de coton au point de la réduire à la grosseur du fil. Cette pratique est nécessaire, mais il faut faire ensorte de n'y avoir recours que quand on ne peut prévenir les inégalités ; elle retarde la fileuse, quand elle est trop souvent réitérée. Une femme habile qui prépare bien son coton, forme son fil égal dans la carde même.

Il est inutile d'avertir que lorsque le coton qui est près du manche de la carde est employé, il faut avancer la main gauche sur les dents de la carde même, pour être à portée d'opérer sur le reste. Lorsque la carde commence à se vuider, il reste toûjours du coton engagé dans le fond des dents : pour le filer, il faut approcher la main droite, & filer à deux pouces près de la carde ; on pourra par ce moyen aller chercher le coton par-tout où il sera, & on l'accrochera en tordant un peu le fil entre les doigts de la droite, afin de rendre le tors du fil plus âpre à saisir les filamens épars. Lorsque l'opération devient un peu difficile, on abandonne ce coton pour le reprendre avec la petite carde, & s'en servir à charger de nouvelles quenouilles.

Toutes les fois que le fuseau est chargé d'un petit monticule de coton filé appellé sillon, il faut avoir soin de changer le fil sur l'épinguer, c'est-à-dire le transporter d'une dent dans une autre, & ne pas attendre que le sillon s'éboule. Il faut remplir le fuseau de suite, autrement le fil ne se peut devider ; il est perdu. Quand le fuseau sera plein à la hauteur des épaulemens, il faudra passer une épingue au-travers du fil, & y arrêter le bout du fil.

Si l'on faisoit usage du fil de coton au sortir du roüet, il auroit le défaut de se friser comme les cheveux d'une perruque, il manqueroit de force, il seroit cassant : pour y remédier, on fait bouillir les fuseaux tels qu'ils sortent de dessus le roüet, dans de l'eau commune, l'espace d'une minute. C'est pour résister à ce débouilli qu'on a fait les fuseaux d'ivoire ; ceux de bois deviennent ovales en-dedans, & ne peuvent servir deux fois s'ils ne sont doublés de cuivre.

Une fileuse bien habile peut filer mille aulnes de fil du numéro 16, & apprêter son coton pour les filer chaque jour. Il est presqu'inutile de filer plus fin. Elle ne fileroit pas plus d'un fil plus gros, parce qu'il lui faudroit apprêter plus de coton. Mais elle n'en fileroit pas quatre cent aulnes des numéros 8 & 10, qui n'ont été filés que par curiosité.

On donne le nom de coton en laine au coton au sortir de la coque, par opposition au coton au sortir des mains de la fileuse, qu'on appelle coton filé.

Devider le coton filé. Le fil de coton ne s'employe facilement, qu'autant qu'il est bien filé, & qu'on ne l'a pas fatigué par trop de travail. Il est donc à propos de le manier le moins qu'il est possible. Ainsi le mettre en écheveau, puis le devider ensuite pour en ourdir les chaînes, est un travail inutile & nuisible, qu'il convient d'éviter ; & c'est en même tems une oeconomie considérable pour le fabriquant, tant à cause du prix du devidage, que parce que dans cette manoeuvre on ne pourroit manquer de perdre beaucoup de fil de coton. Les Indiens ont senti cet inconvénient ; ils ourdissent leur toile du fuseau même sur lequel le fil a été filé. Mais comme il est essentiel de se rendre compte de ce que peut devenir un établissement avant que de former aucune entreprise, M. Jore qui étoit dans ce cas s'est servi d'un devidoir à aspe, pour mesurer la longueur des écheveaux, auxquels il a donné deux cent aulnes ; il a comparé ces écheveaux par poids & longueur avec les mousselines fabriquées aux Indes ; & leur rapport lui ayant paru favorable, il a poussé ses essais jusqu'à faire fabriquer des mousselines unies & rayées, caladans & mouchoirs imités des Indes ; enfin il a fait fabriquer des bas aux métiers les plus fins qui soient à Paris. Mais son avis est que dans la pratique il faut ourdir à l'indienne, & ne mesurer que par le moyen qui sera indiqué dans la fabrique de la mousseline. On expliquera la maniere de se servir de l'aspe, à l'article qui suivra des instruments.

Une femme qui commence à filer se donne bien de la peine les premiers jours, sans pouvoir faire un bout de fil qui soit propre à quelque chose, tant il est tors & inégal ; mais elle parvient en huit jours à filer passablement.

Des instrumens qui servent au filage des cotons fins. Il y en a de trois sortes ; les cardes, le roüet, & le devidoir.

Des cardes. Elles ne different de celles qu'on employe pour carder les laines fines & les cotons que l'on fabrique en ce pays, qu'en ce qu'elles sont plus petites & différemment montées. Ce sont des pointes de fil-de-fer peu aiguës, coudées & passées par couple dans une peau de basanne ou autre ; elles ont un pouce de largeur sur huit de longueur. La petite planche qui sert de monture doit avoir dix lignes de largeur, dix à onze pouces de longueur, sur quatre lignes d'épaisseur ; elle doit être plate d'un côté, & bombée de l'autre sur la largeur. On attache la carde sur un bout de la planchette du côté bombé, les pointes courbes disposées vers la gauche, laissant au-dessous de la partie qu'elles occupent quelques pouces de bois pour servir de poignée. Le bombé de la planchette fait séparer les pointes, ce qui donne au coton plus de facilité pour y entrer & pour en sortir. Lorsque quelques-unes des pointes du premier & second rang se renversent en arriere, se mêlent, ou font un mauvais effet, on les coupe dans le pli avec des ciseaux ; le bout qui reste a son usage dans l'emploi de la carde ; à l'égard des autres pointes, on les r'arrange quand elles se déplacent.

Les petites cardes sont des grandes cardes dont on auroit supprimé le manche, & qu'on auroit divisées en deux. Les cardes noires ont été faites pour les dames qui ont voulu essayer de filer par amusement. Voyez ces cardes grandes & petites chargées de coton, Pl. II. fig. 1, 2, 3, 4, &c.

Du roüet. Il ne differe des roüets ordinaires que l'on fait marcher au pié pour filer le lin, qu'en quelques petites particularités qui le rendent plus doux, & qui le font tordre davantage. Plus un fil est fin, plus il le faut tordre, pour que les filamens qui le composent puissent se tenir liés, & se soûtenir au point de former un continu solide. Cependant quand le tors excede ce qu'il lui en faut pour le soûtenir, le fil devient cassant, & ne peut être employé à aucun ouvrage. Cet excès du tors est très-sensible à qui a l'habitude de filer le coton. Le remede est de former son fil plus promtement, sans ralentir le mouvement du roüet. La fileuse pressée obéit au roüet, s'y accoûtume, & par ce moyen fait beaucoup plus de fil. C'est pour ces raisons qu'on a donné vingt-deux pouces de diamêtre à la roue de celui qu'on voit Pl. III. qu'on l'a faite pesante, & que la corde porte sur une noix de dix-huit lignes de diamêtre : on y a ajoûté une autre noix qui a trois pouces pour servir à celles qui commenceront ; mais il convient de n'en plus faire usage aussi-tôt que l'ouvriere se perfectionnera ; il faut alors passer à la tête du roüet une nouvelle noix de neuf à dix lignes de diamêtre, où l'on aura creusé une rainure comme aux autres noix : on augmentera ainsi le mouvement de la broche, & l'on forcera la fileuse à former son fil plus promtement.

Ce roüet est monté à gauche, & doit tourner de gauche à droite pour les raisons qu'on a dites au paragraphe du filage. Les jentes de la roue portent une rainure profonde, & terminée dans le fond à angle aigu. Les noix qui sont à la tête du roüet en ont de toutes semblables ; elles servent à comprimer la corde, & à lui faire communiquer du mouvement de la roue à la tête du roüet, sans être serré sensiblement, ce qui donne de la douceur au roüet. La corde est de laine, & doit être grosse au moins comme une forte plume. L'élasticité de la laine contribue encore à rendre le mouvement plus doux. Elle est faite de trois cordons réunis ensemble ; on l'ajuste sur le roüet en faisant un noeud qui joigne les deux bouts ; on observe de diviser ce noeud en tiers, en noüant séparément entr'eux les cordons qui composent la corde, ensorte que les noeuds ne passent pas ensemble sur la noix.

La tête du roüet est faite comme celle du roüet à filer le lin, mais elle est plus petite ; le fuseau est d'ivoire, pour résister au débouilli sans perdre sa rondeur, sur-tout dans l'intérieur ; parce que n'étant pas rond, il tourneroit inégalement sur la broche.

La délicatesse du fil de coton fin, a obligé de donner huit à neuf lignes de diamêtre au corps du fuseau : si le diamêtre étoit plus petit, comme de quatre lignes, ainsi qu'on le pratique pour le lin, le fil de coton casseroit en commençant les fuseaux, au lieu que le rayon du fuseau étant deux fois plus long, le fil en altere le mouvement avec un effort quatre fois moins grand. C'est par le même principe qu'on a donné à la noix du fuseau la même hauteur qu'aux joues ; le boyau qui y porte pour servir de frein, en fait le tour entier. Comme ce boyau agit par le frottement, le frottement est bien plus considérable sur une grande noix, que sur une petite, & dans un tour entier, que sur une portion de la circonférence ; d'où il arrive qu'on n'est pas obligé de comprimer fortement ce fuseau contre la broche, & que le mouvement de la broche reste plus libre pour les autres opérations du filage.

L'ouverture intérieure du fuseau passe sur un fourreau de drap qui enveloppe la broche : l'usage de ce morceau de drap est de servir de coussinet entre le fuseau & la broche, pour éviter le bruit que feroit le battement de l'ivoire contre la broche de fer.

L'épinguer est bas, afin qu'il trouve peu de résistance dans l'air qui le feroit bruir, donneroit un mouvement irrégulier à la tête du roüet, & feroit casser le fil.

On a mis au bout de la broche un bouton d'ivoire percé des deux côtés, tant pour y passer commodément le fil, que parce que l'ivoire étant doux, il ne le coupe pas.

A la tête du roüet est attaché à un fil un crochet de fil-de-laiton qu'on introduit dans les trous qui sont au bouton d'ivoire, pour accrocher le fil de coton lorsqu'on le veut passer dans le bouton.

Dévidoir. C'est une espece de lanterne qui a une demi-aulne de tour, tournant sur un pivot par le moyen d'une poignée ou manivelle qu'on voit à sa partie supérieure, Pl. III. Sous la lanterne est une pointe qui s'engage dans les dents d'une roue, dont elle en fait passer une à chaque tour, cette roue a vingt dents, de sorte que quand la lanterne a fait vingt tours, la roue en a fait un. Cette roue porte elle-même une pointe qui s'engage dans les dents d'une roue toute semblable, de sorte que la premiere fait vingt tours avant que celle-ci en ait fait un ; & conséquemment la lanterne fait vingt fois 20 tours, ou 400 tours, avant que la derniere roue en ait fini un, au bout duquel un ressort se détend, & avertit que la piece de coton est complete , c'est-à-dire qu'elle a quatre cent tours qui valent 200 aulnes : l'on forme ainsi deux pieces à la fois.

Les fuseaux qui portent le coton qui vient d'être débouilli, se placent tout mouillés à des broches entre les deux montans opposés à la lanterne. On attache les bouts du coton à un des montans de la lanterne, ou la piece doit être refaite : on le passe aussi auparavant dans un oeil de laiton qui est sur le bâton placé debout vers le milieu du dévidoir ; ensorte que les deux fils que vous devidez forment un écheveau vers le haut de la lanterne, & l'autre dans le milieu.

Quand les deux pieces sont complete s, on met les fils dans d'autres yeux, & l'on continue de former de nouvelles pieces ; ainsi de suite jusqu'à ce que la lanterne soit couverte. On laisse sécher le fil sur la lanterne ; après quoi on attache les pieces séparément les unes des autres. Mais pour les tirer de dessus la lanterne sans les endommager, on déplace deux montans de la lanterne qui sont mobiles, & les écheveaux sortent librement.

De l'ouvrage, ou des moyens de mettre le fil de coton en oeuvre, & des instrumens qu'on y employe. Avant que d'aller plus loin, il ne sera pas inutile d'exposer sommairement ce qu'on pratique en Normandie dans la fabrication des pieces de toile de coton qui s'y font. La fileuse forme du coton qu'elle a filé, des écheveaux dont la longueur est indéterminée ; on blanchit & l'on teint ces écheveaux de toutes couleurs, on les devide ensuite sur des fuseaux appellés rochets, pour en ourdir des chaînes, sur un moulin à ourdir semblable à celui sur lequel on ourdit les chaînes des toiles de toute autre matiere. Trente ou quarante fils, & même un plus grand nombre, se devident à la fois sur le moulin. Si la toile est de diverses couleurs en chaîne, l'ouvrier en dispose le dessein ; de sorte que la chaîne ourdie contient le dessein des raiyures. On observe vers les extrémités de la chaîne de croiser, en ourdissant les fils qui la composent sur des chevilles qui sont au moulin, & cela pour conserver l'ordre dans lequel ces fils ont été placés sur le moulin. On appelle ces fils ainsi croisés, les encroix de la chaîne. Après plusieurs tours du moulin, la chaîne ayant le nombre de fils convenable, sur une longueur de 80 à 100 aulnes, l'on passe des fils dans les deux bouts de cette chaine, au lieu & place des chevilles ; ces fils passés maintiennent les encroix dans l'ordre qu'ils ont été formés sur le moulin. Cette chaîne étant hors de dessus le moulin, on lui donne l'apprêt ; c'est-à-dire qu'on la trempe en entier dans une colle legere faite de ligamens, nerfs, & cartilages de boeufs : lorsqu'elle en est bien imbibée, l'ouvrier la porte dans un champ, l'étend sur des chevalets selon toute sa longueur ; il remet l'ordre dans les fils au moyen des encroix qui sont observés au bout de la chaîne ; il empêche que ces fils ne se collent en séchant. Cette manoeuvre n'est pas très-longue ; & avec quelque négligence qu'on la fasse, elle suffit.

Un second apprêt se donne sur le métier, lorsque la chaîne est montée, à mesure que l'ouvrier la trame. Cet apprêt est une colle faite de farine de froment, long-tems pourrie & aigrie par la force du levain. L'ouvrier étend cette colle sur les fils de la chaîne avec de fortes vergettes de bruyeres, & il ne cesse de frotter que tous les fils ne soient secs.

Ourdissage du fil de coton fin par la fileuse même. Les pieces de mousselines ont ordinairement seize aulnes ; on en peut ourdir deux à la fois, qui font trente-deux aulnes. Comme il y a toûjours de la perte sur les longueurs des chaînes, il faut leur en donner au moins trente-quatre.

L'ourdissoir consiste en des chevilles placées par couple dans une muraille, à la distance d'un pié les unes des autres, toutes sur une même ligne ; de sorte que sur la longueur de trente-quatre aulnes, il se trouve cent vingt couples de chevilles de six pouces de longueur, rangées comme on le voit ici.


COTONNÉESadj. pris subst. (Comm.) petites étoffes fil & coton, qui se fabriquent en Hollande.


COTONNERverb. act. il a deux significations chez les ouvriers ; l'une, c'est garnir de coton cardé, ce qu'on pratique aux vêtemens qu'on veut rendre chauds ; l'autre, c'est être couvert d'une espece de bourre, ce qui provient de mauvaise façon.


COTONNEUXadj. (Jardinage) se dit des fruits & légumes qui commençant à passer, sont secs molasses, sans goût, & mauvais à manger.


COTONNIERS. m. xilon, (Hist. nat. bot.) Voy. à l'article COTON, la description de ce genre de plante, & différentes observations, tant sur les arbres de ce nom, que sur la laine qu'ils donnent. On dit que la tige de celui qu'on cultive à Malte & en plusieurs endroits du Levant, & qui est désigné dans les auteurs de Botanique par xilon herbaceum, J. B. ou cotonnier commun, s'éleve environ à trois ou quatre piés ; qu'elle est droite, velue, ligneuse, & presque toûjours branchue ; ses feuilles alternes & semblables, au haut de la plante, à celles du petit érable, moins fermes, plus velues & plus blanchâtres ; au bas, arrondies & échancrées en quelques endroits ; ses fleurs, placées aux extrémités des branches, de la grandeur & de la figure de celles de la mauve ordinaire, jaunes sur les bords & purpurines au fond, & que son pistil devient, quand la fleur est passée, un fruit gros comme une petite noix, & divisé en plusieurs cellules pleines d'une filasse blanche qu'on appelle coton, attachée à plusieurs graines. Ce cotonnier est annuel. Le xilon arboreum ou cotonnier arbre, est commun aux Indes & n'est point annuel ; il a la tige haute de plusieurs piés ; les branches longues, ligneuses, couvertes de feuilles alternes, & peu différentes de celles du riceri, excepté par la couleur & la consistance ; la fleur jaune & de l'étendue de celle de la mauve appellée rose d'outre-mer ; le fruit plus gros que celui du cotonnier précédent, & le coton & la graine tout-à-fait pareils à son coton & à sa graine.

On peut diviser ce dernier en trois especes, qu'on distingue par la finesse de la laine & la disposition des graines dans la gousse. La premiere donne un coton commun dont on fait des matelas & des toiles ordinaires : la seconde, un coton très-blanc & extrèmement fin, propre aux ouvrages déliés ; & la troisieme, un très-beau coton qu'on appelle à la Martinique coton de pierre, parce que les graines au lieu d'être éparses dans sa gousse, comme elle l'est aux autres, sont ammoncelées & si serrées les unes contre les autres qu'on a de la peine à les séparer, ensorte que toutes ensemble occupent le milieu du flocon.

On cultive aux Antilles une quatrieme espece de cotonnier, plus petite que les précédentes, quoique leur ressemblant à-peu-près par sa tige & ses feuilles ; le coton en est très-fin & d'une belle couleur de chamois ; on l'appelle coton de Siam ; voyez l'article COTON ; peut-être sa graine est-elle venue de Siam. On fait de sa laine des bas d'une extrème finesse. La couleur en est recherchée. Les plus beaux se font dans l'île de la Guadeloupe.

Le coton de Fromager se tire d'une gousse de la grosseur d'un bon oeuf, & cette gousse est produite sur un des plus gros & des plus grands arbres que la Nature ait fait croître aux Antilles. Ce coton est d'une extrème finesse ; il est doux comme la soie ; la couleur en est brune, tirant sur celle de l'olive ; il se pelote facilement : les parties qui le composent sont si courtes, qu'il ne peut être filé ; il est presqu'aussi combustible que l'amadou. Les Negres & les chasseurs l'employent au même usage que l'amadou ; pour cet effet ils le portent dans de petites calebasses. On prétend qu'on en pourroit fabriquer de beaux chapeaux. Les habitans ne le mettent qu'en oreillers & en coussins.

Coton de Mahot ; il est beaucoup plus fin que les précédens ; sa couleur est tannée ; la soie est moins luisante ; rien n'est plus doux au toucher ; mais étant aussi court que celui de Fromager, il est impossible de le filer. L'arbre qui le produit croît le long des rivieres, la fleur en est grosse, jaune, en cloche, & découpée ; la gousse qui lui succede est longue d'un pié, ronde, de 15 à 14 lignes de diamêtre, cannelée, un peu véloutée, & s'ouvrant d'elle-même quand elle est mûre, ensorte que le coton qui s'échappe d'entre les cannelures recouvre la gousse en entier. On pourroit transporter ce coton dans les climats froids pour en oüetter les vêtemens. Il reste dans le pays, où on ne l'employe qu'aux mêmes usages que celui de Fromager. Article de M. LE ROMAIN.


COTONNINES. f. (Marine) c'est une grosse toile à chaîne de coton & trame de chanvre, dont on se sert pour les voiles des galeres ; dans quelques endroits on s'en sert aussi pour les petites voiles des vaisseaux. (Z)


COTONNISS. m. (Comm.) se dit des taffetas & des couvertures qui viennent des Indes orientales. Ce sont des satins, & non des étoffes en coton, comme on seroit porté à le croire sur le nom.


COTOUALS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme, dans quelques pays des Indes, le juge des affaires criminelles, & qui a droit de condamner à mort pour les délits commis, mais qui n'a droit de faire exécuter sa sentence qu'après qu'elle a été ratifiée par le roi ou souverain du pays.


COTTAsub. m. (Comm.) espece de mesure de continence, dont on se sert aux Maldives pour mesurer les cauris. Le cotta contient douze mille cauris. Voyez CAURIS. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév. (G)

COTTA, (Géog. mod.) royaume d'Asie, dans l'île de Ceylan.


COTTABES. m. (Hist. anc.) singularité dont, au rapport d'Athenée, les anciens poëtes faisoient une fréquente mention dans leurs chansons ; c'étoit ou le reste de la boisson, ou le prix de celui qui avoit le mieux bû, ou plus ordinairement un amusement passé de la Sicile en Grece, qui consistoit à renverser du vin avec certaines circonstances auxquelles on attachoit du plaisir. Les principales étoient de jetter en l'air ce qui restoit dans la coupe après qu'on avoit bû, mais à le jetter la main renversée, de façon qu'il retentît sur le parquet, ou dans un vase destiné à le recevoir, & disposé de la maniere suivante. On enfonçoit un long bâton en terre ; on en plaçoit un autre à son extrémité, sur laquelle il faisoit l'équilibre ; on accrochoit aux extrémités de celui-ci deux plats de balance ; on mettoit sous ces plats deux seaux, & dans ces seaux deux petites figures de bronze. Quand on avoit vuidé sa coupe jusqu'à une certaine hauteur fixée, on se plaçoit à quelque distance de cette machine que nous venons de décrire, & on tâchoit de jetter le reste de sa coupe dans un des plats de la balance ; s'il en tomboit dans le plat autant qu'il en falloit pour le faire pancher, ensorte qu'il frappât la tête de la figure de bronze qui étoit dessous, & que le coup s'entendît, on avoit gagné, sinon on avoit perdu. Cet amusement étoit accompagné de chansons. Les Siciliens, qui en étoient les inventeurs, avoient des lieux publics pour s'y exercer. Ils donnerent le nom de latax, & à la liqueur lancée, & au bruit qu'elle faisoit en retombant. Les Grecs qui s'étoient entêtés du cottabe, auguroient bien ou mal du succès de leurs amours, par la maniere dont il leur réussissoit.


COTTAGES. m. (Hist. mod.) est un terme purement anglois, qui signifie une cabane ou chaumiere bâtie à la campagne sans aucune dépendance.

La reine Elisabeth avoit défendu de bâtir aucune maison à la campagne, si petite qu'elle fût, à moins qu'il n'y eût au moins quatre acres de terre adjacente, appartenantes au même propriétaire. Ainsi depuis ce réglement un cottage est une maison qui n'a pas quatre acres de terre de dépendances.


COTTES. f. partie du vêtement des femmes ; il s'attache à la ceinture, & descend jusques sur le cou de pié, couvrant toute cette partie du corps. Il n'y a plus que les paysannes qui portent des cottes. Les autres femmes ont des cotillons & des jupes.

COTTE D'ARMES ; s. f. (Litt. Hist. milit.) habillement militaire qu'on mettoit par-dessus la cuirasse, comme un ornement pour distinguer les différens partis, & le soldat du général. On l'appelloit chez les anciens chlamys, paludamentum, sagum ; & si on en croit la plûpart des auteurs, ce n'étoit qu'une draperie ouverte de tous côtés, & qui s'attachoit sur l'épaule droite avec une boucle ou ardillon, Macrobe rapporte que les anciens comparoient la mappemonde à une cotte d'armes : Plutarque ajoûte qu'Alexandre le grand vit avec plaisir le plan que les architectes avoient fait de la ville d'Alexandrie, qui avoit la figure d'une cotte d'armes macédonienne. Ce qui prouve encore que les cottes d'armes chez les Romains, ainsi que chez les Grecs, n'étoient qu'une draperie qui n'étoit pas fermée, c'est que Néron, au rapport de Suétone, s'en servoit pour berner & faire sauter en l'air ceux qu'il rencontroit la nuit dans les rues : plaisir digne de cet imbécille tyran !

Un autre passage du même auteur (vie d'Othon), détermine encore plus précisément la forme de la cotte d'armes des Romains. Cet écrivain, après avoir dit qu'un centurion nommé Cornelius, étant venu à Rome demander le consulat pour son général, & voyant que les sollicitations étoient infructueuses, leva sa cotte d'armes, & montrant la garde de son épée, " voilà de quoi vous porter à m'accorder ma " demande : rejecto sagulo, ostendens gladii capulum, non dubitasse in curiâ dicere, hic faciet si vos non feceritis. On voit par ces paroles, que la cotte d'armes couvroit les armes de cet officier, & qu'il fut obligé de la relever pour montrer son épée, ce qui ne peut pas convenir à la cuirasse. Ces sortes d'armes, comme les écharpes de nos Cantabres dans la derniere guerre, servoient à distinguer les soldats de chaque parti ; celles des empereurs & des généraux d'armée se nommoient paludamentum, & celles des bas-officiers & des soldats, sagum. Les hauts officiers en avoient de fort longues & de fort riches ; mais le général étoit le seul qui eût le privilége d'en porter une de pourpre : il la prenoit en sortant de la ville, & il la quittoit avant que d'y rentrer.

A l'égard des sayons ou cottes d'armes des Germains, ils ne leur venoient que jusqu'aux hanches. Cluvier nous a conservé la forme de cette cotte d'armes, qui étoit une espece de manteau qui descendoit jusqu'aux hanches, & qui étoit attaché par-devant avec une agraffe ou une petite cheville.

Nos François néanmoins, quoiqu'originaires de la Germanie, avoient coûtume de porter ces manteaux plus longs. Le moine de S. Gal dit que c'étoit un manteau qui descendoit par-devant & par-derriere jusqu'à terre, & qui par les côtés touchoit à peine les genoux. Dans la suite la cotte d'armes des Gaulois, qui étoit beaucoup plus courte, devint à la mode, comme plus propre pour la guerre, au rapport du même auteur. Quelques siecles après, Charlemagne rétablit l'ancien usage. Il paroît que sous Louis le Débonnaire on étoit revenu à la cotte d'armes des Gaulois ; mais dans les guerres continuelles que ses successeurs eurent à soûtenir, la mode rechangea ; & comme alors la plûpart des militaires étoient continuellement à cheval, non-seulement la cotte d'armes couvroit tous leurs habits ; mais leur magnificence se renferma dans cet habillement militaire, qu'ils faisoient ordinairement de drap d'or & d'argent, & de riches fourrures d'hermines, de martres zibelines, de gris, de vair, & autres pannes, qu'on peignoit même de différentes couleurs. Marc Velser (lib. IV. Rer. Aug.) prétend que les hérauts d'armes ont emprunté de ces cottes d'armes les métaux, les couleurs, & les pannes qui entrent dans la composition des armoiries.

Quoi qu'il en soit, les hérauts d'armes portent seuls aujourd'hui ce vêtement, que Nicod dit être appellé autrement tunique ; sur quoi il rapporte ces mots de Guaguin au couronnement du roi d'armes. Mont-joie portera la tunique ou cotte d'armes du roi... Au reste les cottes d'armes & les bannieres n'étoient permises qu'aux chevaliers & aux anciens nobles. Voyez dans le recueil de l'acad. des Belles-Lettres, tom. IX. le morceau de M. l'abbé de Vertot sur cette matiere. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COTTIENNESS. f. pl. (Géog. mod. & anc.) la partie des Alpes comprise entre le mont Riso au midi, & le mont Cenis au septentrion. Le mont Riso, le mont au Col-de-la Croix, le mont Genevre, & le mont Cenis, forment ce qu'on appelle les Cottiennes, Alpes cottiae ou cottianae, de ce Cottus ou Cottius à qui l'empereur Claude donna le nom de roi. Elles séparent le Dauphiné du Piémont.


COTTIMOS. m. (Comm.) terme de commerce de mer en usage dans les échelles du Levant. C'est une imposition que les consuls, par ordre de la cour ou du consentement des marchands, mettent à tant pour cent sur les vaisseaux, soit pour le payement de quelques avanies, soit pour d'autres affaires communes de la nation. Voyez AVANIE. Dict. de Comm. & de Trév. (G)


COTULAS. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur radiée dans quelques especes, & non radiée dans quelques autres. Le disque est un amas de fleurons ; & lorsqu'il y a une couronne, elle est formée par des demi-fleurons portés sur un embryon, & soûtenus par un calice écailleux pour l'ordinaire. Les embryons deviennent dans la suite des semences applaties faites en forme de coeur, pour ainsi dire ailées. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


COTYLES. f. (Hist. anc.) mesure attique pour les liqueurs. On a supputé qu'une cotyle étoit égale à un demi-septier romain. Voyez MESURE.

La cotyle romaine, suivant Savot, étoit de douze onces, pour quelque liqueur que ce fût. Si cela est, il y avoit autant de différentes cotyles, qu'il y a de liqueurs qui se vendent ordinairement ; ce qui ne doit pas étonner, puisqu'en quelques pays plusieurs mesures de différentes grandeurs ont le même nom, lorsqu'elles contiennent le même poids, quoique sous différens volumes.

D'autres disent que la cotyle étoit la même chose que l'hémine, qui étoit la moitié du sextier. Voyez HEMINE.

At cotylas, quas si placeat dixisse licebit

Heminas, recipit geminas sextarius anus.

Chorier, hist. du Dauph. liv. II. p. 201. dit que la cotyle servoit aux choses seches aussi-bien qu'aux liquides ; & que Thucydide dit en un endroit deux cotyles de vin, & en un autre, deux cotyles de pain. Dictionn. de Trev. & Chambers. (G)

COTYLE, s. m. en Anatomie ; nom d'une cavité profonde d'un os dans laquelle un autre os s'articule. On s'en sert plus particulierement pour signifier la cavité des os des hanches, qu'on appelle cavité cotyloïde. Voyez COTYLOÏDE. (L)


COTYLEDONsub. m. terme d'Anat. On donne ce nom à des petites glandes répandues sur toute la membrane externe du foetus, appellé chorion. Elles servent, suivant quelques auteurs, à séparer le suc qui sert de nourriture au foetus. Voyez FOETUS.

Il n'y a que les chevres, les brebis, & quelques autres animaux, qui ayent des cotyledons ; le placenta supplée à leur défaut dans la matrice des femmes. Voyez PLACENTA.

D'autres donnent le nom de cotyledon à l'orifice des veines qui tapissent la surface interne de la matrice. Voyez MATRICE. Chambers. (L)


COTYLOIDEadj. en Anat. se dit de la grande cavité des os des hanches. Voyez HANCHE.

Cette cavité est formée par la rencontre des trois pieces dont les os des hanches sont formés dans les jeunes sujets : le bord est appellé sourcil. On y remarque une échancrure proche le trou ovale ; & au fond de la cavité près l'échancrure, une empreinte ligamenteuse où s'insere le ligament rond du fémur. (L)


COTYTTÉESadj. pris sub. (Myth.) mysteres de Cotytto déesse de la débauche. Son culte passa de la Thrace dans Athenes. Alcibiade s'y fit initier ; & il en coûta la vie à Eupolis pour avoir plaisanté sur cette initiation. Les mysteres abominables de Cotytto se célébroient avec un secret impénétrable. Il est inconcevable qu'on en vienne jusqu'à croire honorer les dieux par des actions, qu'on ne cache avec tant de soin que parce qu'on les regarde comme deshonnêtes & deshonorantes aux yeux des hommes.


COTZIou COZZA, (Géog. mod.) petite ville de la Turquie en Europe, dans la Bosnie, sur la riviere de Drucia.


COUsub. m. (Anatomie) la troisieme partie du tronc & la plus mince, située entre la tête & la poitrine.

Le cou en général est divisé en gorge ou partie antérieure, en chignon ou partie postérieure, & en parties latérales. La gorge commence par une éminence qu'on nomme la pomme, & se termine par une fossette. Le chignon commence par une fossette appellée le creux de la nuque, qui s'efface en descendant.

Il ne faut point négliger ou passer légerement l'examen du cou, comme ont fait quelques anatomistes ; il faut au contraire que ceux qui enseignent l'Anatomie le démontrent exactement, & que ceux qui étudient le corps humain en ayent une parfaite connoissance : c'est pour cela qu'Aristote, Rufus, Oribase, Coiter, Vésale, Riolan, & les modernes qui les ont suivis, n'ont pas oublié le cou dans les divisions qu'ils ont faites du corps humain ; ils l'ont soigneusement distingué des autres parties, parce que l'on ne sauroit le rapporter ni à la tête ni au thorax.

Des parties du cou. On doit donc remarquer attentivement dans le cou toutes les parties dont il est composé ; savoir,

1°. Les tégumens communs.

2°. Les vertebres qui servent aux mouvemens de la tête & du cou, & qui sont ordinairement au nombre de sept, renfermant la moelle de l'épine qui fournit les nerfs cervicaux.

3°. Les arteres & les veines. Les arteres sont les carotides externes & internes, les vertébrales, & les cervicales. Les veines sont les jugulaires externes & internes, les vertébrales, & les cervicales.

4°. Les nerfs considérables de la paire vague & de l'intercostal, les diaphragmatiques, les vertébraux, les cervicaux, &c.

5°. Une portion de la trachée-artere, & sur-tout le larynx, lequel s'avançant par-devant, forme cette éminence ou grosseur que nous appellons la pomme d'Adam, d'ordinaire plus apparente aux hommes qu'aux femmes, parce que les femmes ont en cet endroit de grosses glandes qui leur rendent le cou plus arrondi, & la gorge plus pleine. Quand on mange ou qu'on boit, il arrive que cette grosseur monte & puis descend ; la cause de ce mouvement est que lorsque nous avalons quelque chose, la descente de l'aliment oblige alors le larynx, par une méchanique nécessaire, à s'élever ; ce qui facilite la chûte de l'aliment dans l'estomac.

6°. Le pharinx, une portion de l'oesophage, les muscles peauciers, les sterno-mastoïdiens, les sternohyoïdiens, les tiro-hyoïdiens, les omo-hyoïdiens, &c.

7°. Plusieurs glandes, parmi lesquelles la plus considérable est la glande thyroïde ; les autres petites glandes qu'on découvre par la dissection, & qui deviennent quelquefois fort considérables dans les écroüelles.

8°. Des muscles qui servent aux divers mouvemens du cou ; car cette partie du corps, outre la flexion & l'extension, peut s'incliner sur les côtés, & se tourner à droite & à gauche en maniere de pivot. Tous ces mouvemens qui paroissent toûjours accompagnés de ceux de la tête, dépendent de l'action de plusieurs muscles, dont les uns sont situés à la partie antérieure du cou, les autres à sa partie postérieure, & les autres sur ses parties latérales. Il n'y en a que deux dans la partie antérieure ; on les nomme les longs fléchisseurs du cou : on en compte huit dans la partie postérieure, quatre de chaque côté, auxquels on ajoûte tous les petits muscles qui se rencontrent le long du cou ; & qu'on a nommés, eu égard à leur situation, inter-épineux & inter-transversaires. Les muscles situés sur les côtés du cou sont les deux scalenes.

Tous ces muscles sont très-composés, multipliés, entrelacés, & ont toûjours paru très-difficiles à bien disséquer & à décrire avec netteté. D'ailleurs, ils varient beaucoup dans leurs attaches & leurs communications réciproques. Parmi ces muscles particuliers au cou, M. Winslow en ajoûte deux autres qui sont rapportés à ceux de la tête, & nommés l'un le grand oblique, & l'autre le petit droit ; mais nous n'entrons point dans ce genre de discussions. Voyez les mém. de l'acad. des Scienc. 1730.

9°. Enfin plusieurs ligamens, les uns inter-musculaires, les autres latéraux, & d'autres encore qui s'étendent comme une membrane depuis l'occiput jusqu'aux deux dernieres vertebres.

La nécessité du cou. Quelques voyageurs racontent qu'il y a des peuples qui n'ont point de cou ; la tête disent ces auteurs, est posée chez ces peuples immédiatement sur la poitrine : mais ou ces voyageurs ont cru nous en imposer par une fable pitoyable ; ou étant de mauvais physiciens, ils ont vû des hommes, dont les épaules étoient élevées de maniere que la tête paroissoit dans l'entre-deux, & ils ont pris ces hommes-là pour des hommes sans cou. Il ne peut pas plus y avoir dans le monde de gens sans cou, que de gens sans tête.

En effet, le cou est une partie dont la nécessité saute aux yeux. Sans nous attacher à le prouver, il suffira de dire que comme nous avons besoin de mouvoir la tête en divers sens, ces mouvemens seroient presque tous impossibles sans le cou : c'est pour faciliter ces mouvemens que le cou est d'une grosseur médiocre ; si son diamêtre avoit été égal à celui du crane, la tête n'auroit pû s'incliner commodément en-devant, & la mâchoire inférieure auroit trouvé un obstacle, quand elle auroit été tirée par les muscles digastriques.

Mais plus le cou est nécessaire, plus sa structure est admirable ; plus elle est composée, & puis il y a d'accidens différens auxquels il est sujet : car ses tégumens externes, ses glandes, ses vertebres, ses ligamens, ses muscles, ses nerfs, ses vaisseaux, peuvent souffrir une quantité de maladies dangereuses ou mortelles, dont la connoissance est très-intéressante. Nous n'en donnerons ici qu'une énumération générale ; les détails appartiennent à chaque article en particulier.

Des maladies du cou en général. 1°. Les abcès, les tumeurs inflammatoires, érésipélateuses, pierreuses, oedémateuses, hydropiques, écroüelleuses, skirrheuses, affectent le cou, & sont plus ou moins dangereuses à proportion qu'elles sont plus ou moins externes, & qu'elles compriment plus ou moins les parties internes. Les anevrysmes & les varices dans ces parties, ne doivent être ni ouvertes ni comprimées ; il faut seulement les soûtenir dans leur état.

2°. Il faut mettre au rang des grandes maladies du cou ses blessures, qui sont ici plus dangereuses que dans d'autres parties musculeuses, à cause du grand assemblage d'organes & de divers vaisseaux, comme aussi par la structure de la partie, qui ne permet ni la compression ni la ligature de ces vaisseaux. Le prognostic des différentes plaies du cou dépend encore des parties affectées ; les plaies des arteres de cette partie, celles de la moelle épiniere, des gros nerfs, des jugulaires internes ; des carotides, de la trachée-artere, de l'oesophage coupé, sont presque toûjours incurables ; celles des jugulaires externes sont très-guérissables, si l'on y remédie à tems : celles qui n'affectent que la peau & les chairs, demandent les traitemens des plaies ordinaires.

3°. La luxation incomplete des vertebres du cou est d'un péril très-éminent, à cause de la moelle épiniere qu'elles renferment, du larynx, du pharynx, & des gros vaisseaux de cette partie. Dans la luxation complete , le malade meurt sur le champ ; dans l'incomplete , il meurt ordinairement : si l'on ne réduit promtement la luxation, il meurt presque toûjours ; il meurt même très-souvent, quoiqu'on n'ait pas différé la réduction : enfin l'on desire sur l'art de cette réduction, une meilleure méthode que celle qu'on a mis en usage jusqu'à présent.

4°. Le cou peut être courbé de telle sorte, qu'il fait pancher la tête du côté droit ou du côté gauche. Ce défaut vient de naissance, par un accouchement laborieux ; ou par accident, comme par une brûlure, par la contraction spasmodique d'un des muscles mastoïdiens, par un trop grand relâchement de quelqu'un de ces muscles, par une abondance d'humeurs catarrheuses, par un ligament contre nature. Le premier cas n'admet point de remede ; les autres en demandent de promts, d'éclairés, & qui soient opposés aux causes.

5°. Quelquefois on distend les vertebres du cou, en prenant la tête d'un enfant par-dessous avec les deux mains, & le soûlevant en l'air, badinage dangereux, & qu'il faut éviter. S'il ne naît de ce badinage qu'une distension légere, & de la roideur dans le cou, il faut le frotter avec des huiles nerveuses, & l'entourer d'un linge trempé dans ces huiles ; s'il arrive de la dislocation, il faut recourir promtement au secours de l'art.

Des prognostics au sujet du cou. L'examen du cou n'est point indifférent dans la pratique de la Medecine ; on en peut tirer des prognostics utiles, & j'en vais donner quelques exemples.

1°. La couleur du cou rouge, livide, noire, sans fievre ni accidens, indique dans le malade les maux auxquels il est sujet, & demande l'application des topiques. Les tumeurs qui se forment extérieurement, & qui viennent de l'intérieur par métastase, sont communément un bon signe.

2°. Une pulsation visible, fréquente, & forte des carotides, dans les fievres & les maladies aiguës, annonce de violens maux de tête, le délire, la phrénésie, les convulsions, s'il ne survient point d'hémorrhagie, ou si l'on omet de porter au mal des remedes convenables. Ces symptomes dans les maladies chroniques, viennent d'ordinaire de la viscosité du sang & des humeurs : dans l'esquinancie & autres maladies du cou & de la gorge, cette pulsation marque de l'embarras dans le cours libre du sang.

3°. Les douleurs du cou dans les maladies aiguës, présagent des parotides & des douleurs de tête ; dans les mélancholiques, un délire prochain. Il faut guérir ces maux d'après la connoissance de la cause.

4°. Dans les maladies aiguës, la contorsion du cou est dangereuse, & désigne qu'il y a quelque cause cachée dans le cerveau qui produit cet effet convulsif ou paralytique. Si cette contorsion naît des muscles roides, on la traitera par des linimens émolliens, & en étendant par art la partie retirée.

Le torticolis qui naît de la mauvaise configuration des vertebres, doit être prévenu dans les commencemens par un bandage, sans quoi le mal est sans remede ; & c'est l'ordinaire.

5°. La sueur froide autour du cou seulement, prognostique la longueur ou le danger dans les maladies aiguës.

6°. Le cou long & grêle est, choses égales, un présage de la phthysie : la raison n'est pas difficile à trouver. Quand on rencontre huit vertebres au cou, on n'en trouve qu'onze au dos au lieu de douze, & onze côtes de chaque côté. Dans ce cas la longueur du cou diminue la cavité de la poitrine ; cette cavité est moins considérable : ainsi le sang qui circule alors plus difficilement dans le tissu pulmonaire, produit plus aisément les tubercules qui se forment dans les poumons, & qui donnent le commencement à la phthysie, suivant les idées de Morton, un des meilleurs auteurs sur cette matiere ; & comme alors la respiration est moins libre, l'on comprend sans peine les maladies du poumon qui peuvent naître de cette conformation.

7°. Ceux dont le cou est fort court, n'ont dans cette partie que six vertebres au lieu de sept ; & l'on prétend qu'ils sont plus sujets que les autres hommes à l'apoplexie. Cela vient, dit-on, de ce qu'à proportion que le cou diminue en longueur, la caisse de la poitrine augmente, & par conséquent la masse des poumons. Or quand la masse des poumons est trop considérable, il s'y peut former plus aisément des engorgemens, qui interrompent la circulation dans la tête & dans les autres parties, puisque le sang qui vient au coeur ne peut plus passer dans les poumons : d'ailleurs, lorsque le cou est trop court, le moindre mouvement est fort considérable dans chaque vertebre ; ainsi les arteres vertébrales sont plus aisément comprimées. Cependant ces raisons ne sont peut-être pas fort solides ; car il n'est pas assez sûr que ceux qui ont le cou court soient plus sujets à l'apoplexie que les autres hommes, ou du moins ce fait auroit encore besoin d'être mieux constaté.

8°. Plutarque prétend que le cou gros est une marque d'orgueil ; ce qui pris à la lettre est faux : mais il arrive que dans les accès de cette passion, le sang s'arrêtant dans les vaisseaux du cou par la respiration devenue moins libre, rougit, grossit, tuméfie cette partie. Et c'est aussi là le sens qu'il faut donner au passage de Job dans lequel il caractérise le superbe, ch. xv. v. 26. en disant : Superbus armatur pingui cervice, c'est-à-dire, tumefactâ cervice. Art. de M(D.J.)

COU DE CHAMEAU, (Jard.) est une espece de narcisse. Voyez NARCISSE.

COU DU CHEVAL, (Manege) voyez ENCOLURE. Cheval qui a le cou roide, voyez ROIDE. Plier le cou à un cheval, voy. PLIER. Mettre la bride sur le cou, c'est laisser aller un cheval à sa fantaisie. (V)


COUARDS. m. (Oecon. rust.) est l'extrémité faite en anse, par laquelle on applique le manche à la faulx à faucher ; on serre le couard sur le manche avec des coins & une virole. Le bout du couard a un talon recourbé en crochure, pour empêcher la virole de descendre trop bas ; & la faulx de s'échapper de dessus le manche, quand on s'en sert, le crochet du talon embrassant la partie de la virole à laquelle il correspond.

COUARD, adj. pris subst. en termes de Blason, se dit d'un lion qui porte sa queue retroussée en-dessous entre les jambes. (V)


COUBAISS. m. (Marine) c'est un bâtiment du Japon, qui ne sert qu'à naviguer dans les eaux internes. On y met environ quarante rameurs, qui le font avancer avec une très-grande vîtesse. Ils sont pour l'ordinaire fort ornés & fort agréables à la vûe. Il y a une chambre à l'avant qui s'éleve au-dessus du bâtiment, & qui forme comme un petit gaillard. (Z)


COUCHANTadj. pris subst. (Astronom.) est la même chose que l'ouest ou l'occident ; c'est l'endroit du ciel où le Soleil paroît se coucher. Le mot d'occident est proprement celui que les Astronomes employent ; le mot d'ouest, celui des marins ; & le mot de couchant est le plus usité dans le discours ordinaire.

Quoique le vrai point du couchant change tous les jours selon la situation du Soleil ; cependant on a pris pour point fixe du couchant, celui où le Soleil se couche aux équinoxes, & qui partage précisément en deux parties égales le demi-cercle qui est entre le midi & le nord. Lorsqu'on est tourné vers le midi, on a le couchant à sa droite. Le couchant d'hyver se trouve entre le midi & le vrai couchant, & est d'autant plus éloigné du vrai couchant, que la déclinaison du Soleil & l'élévation du pole sont plus grandes. Le couchant d'été est entre le nord & le vrai couchant, & d'autant plus éloigné aussi du vrai couchant, que la déclinaison du Soleil & l'élévation du pole sont plus grandes. (O)

COUCHANT, adj. (Ven.) Chien couchant, voyez l'article CHIEN.


COUCHARTS. m. terme de Papeterie, c'est le nom que l'on donne à un ouvrier F, qui reçoit les formes chargées de pâte des mains de l'ouvrier fabriquant A, & qui couche le papier sur les feutres G, en renversant la forme & appuyant dessus. Toutes les feuilles sont couchées alternativement avec les feutres, sur une grosse planche qui a deux poignées, qui servent à lever le tout pour le mettre sous la presse H. Voyez Pl. VI. de Papeterie.


COUCHou COUCHETTE, s. f. (Menuiserie) se dit du bois de lit avec toutes ses pieces, & disposé à recevoir les matelas.

COUCHE DES NERFS OPTIQUES, en Anatomie, sont deux éminences ovales, situées dans la partie moyenne & postérieure des ventricules latéraux du cerveau. Voyez CERVEAU.

Elles sont ainsi appellées, parce que les nerfs optiques en viennent. Voyez OPTIQUES. (L)

COUCHE, (Med.) se dit de l'état de la femme & du tems qui suit immédiatement l'accouchement. Ses couches ont été longues ; ses couches ont été fâcheuses. Voyez ACCOUCHEMENT.

COUCHE, en Architecture, est une espece d'enduit de chaux & de ciment, d'environ un demi-pouce d'épaisseur, qu'on raye & picote à sec avec le tranchant de la truelle, & sur lequel on repasse successivement jusqu'à cinq ou six autres enduits de la même matiere, pour faire le corroi d'un canal, d'un aqueduc, &c. (P)

COUCHE, (Arquebusier) la partie menue de la crosse d'un bois de fusil, à l'extrémité de laquelle d'un côté est la crosse, & de l'autre l'entaille qui reçoit la queue de la culasse.

COUCHE, en Peinture, est un enduit de couleur qu'on met sur des treillages, trains de carrosses, auvents, &c. sur des planches, sur des murailles, des toiles, avant de peindre dessus. On appelle cette façon d'enduire, imprimer. Cette toile, dit-on, n'a eu qu'une couche de couleur, deux, trois couches, &c. On dit bien, en Peinture, coucher la couleur ; avant de fondre les couleurs, il faut qu'elles soient couchées ; mais on ne dit pas, ce tableau a eu trois couches de couleur, pour exprimer qu'il a été repeint deux fois sur l'ébauche. Dictionn. de Peint. (R)

COUCHE, en termes de Boulanger, ce sont des toiles ou des bannes étendues sur une table, ou toute autre chose semblable, sur lesquelles on met le pain pour le faire lever.

COUCHE : les Brasseurs désignent par ce terme la disposition du grain dans le germoir, en un tas quarré & d'une épaisseur convenable à pouvoir germer.

COUCHE, en termes de Charpentier, ce sont des pieces de bois que l'on met par terre, & sur lesquelles portent les étais des solives d'un plancher qui a besoin d'être étayé.

COUCHE, (Jard.) est une élévation de litiere ou grand fumier de cheval, de quatre piés de haut, large d'autant, & d'une longueur à volonté : on range proprement ce fumier, on le tripe bien, & on le couvre au moins d'un demi-pié de terreau, pour y élever les graines & les plantes délicates. Il faut faire les couches en Janvier, & les exposer autant qu'il est possible au Soleil de midi.

On distingue de trois sortes de couches, la chaude, la tiede, & la sourde.

La couche chaude est celle qui vient d'être construite, & qui conserve toute sa chaleur, dont on laisse évaporer une partie en laissant passer huit jours sans y rien semer. Le doigt enfoncé dans la couche, fait juger de sa chaleur ; & les six à sept pouces de terreau dont on la couvre, sont pour garantir de la vapeur du fumier les jeunes plantes qu'on y seme.

La couche tiede est celle qui ayant perdu un peu trop de chaleur, demande à être réchauffée ; ce qui se fait en répandant dans les sentiers du pourtour, du grand fumier de cheval ou de mulet.

La couche sourde est enterrée jusqu'à fleur de terre, mais elle n'a jamais tant de chaleur que les autres : on s'en sert à élever des champignons, & à rechauffer des arbres plantés en caisse.

On expose peu-à-peu à l'air les jeunes plantes qui sont semées sur la couche, en élevant les cloches sur des fourchettes de bois, qui laissent un passage à l'air : c'est par ce moyen qu'on accoûtume les jeunes plantes à supporter le grand air.

Les semences qu'on y répand doivent être un peu à claire-voie, sans cela les plants s'étoufferoient l'un l'autre. On a le soin de les éclaircir, en arrachant les plus serrés, ou on les repique en les plantant au plantoir sur d'autres couches, ce qui les avance beaucoup. Les saisons qui font craindre la fraîcheur des nuits, obligent à couvrir les couches de paillassons & de brise-vents, que l'on leve tous les matins. (K)

COUCHE, chez les Tanneurs, Chamoiseurs, & Mégissiers ; c'est une certaine quantité de peaux que ces artisans mettent à-la-fois sur le chevalet pour les quiosser. Voyez QUIOSSER.

COUCHE, entretoise de couche. Voyez l'article CANON.

COUCHE, (Oecon. domest.) lange dont on enveloppe les enfans au maillot, & dont on doit les rechanger tous les jours aussi souvent que la propreté l'exige.

COUCHE, (Chimie) Voyez LIT.

COUCHE, terme de Doreur, c'est la feuille d'or ou d'argent qu'on porte sur l'objet ou le bâton qu'on veut argenter ou dorer.

COUCHE, (Doreur sur cuir) mêlange de blanc d'oeuf & d'eau gommée, qu'on applique sur le cuir, avant que d'y poser la feuille d'or ou d'argent.


COUCHÉparticipe, (la maniere de se tenir) Méd. posture dans laquelle on se tient au lit, soit en maladie ou en santé ; c'est ce que les Latins nomment en un seul mot decubitus, & nous le disons en trois ou quatre. Nous manquons presque toûjours de substantifs pour exprimer sans périphrase les actions animales ; c'est un défaut de notre langue qu'il seroit bon de rectifier à l'imitation de nos voisins.

On juge assez bien par la posture dans laquelle on se tient couché, de la force ou de la foiblesse de la faculté motrice ; car lorsqu'il arrive que le corps se meut avec peine, qu'il a de la difficulté à se tourner ou à demeurer debout, c'est un signe que la faculté animale est diminuée, affaissée ; tant qu'elle demeure dans son entier, le corps se meut aisément, se tourne ou se leve suivant la volonté : les bras, les mains & la tête se soûtiennent en l'air.

Il est assez indifférent d'être couché sur le dos, du côté droit, ou du côté gauche, car plusieurs personnes par habitude, & sur-tout les enfans ; se couchent de toutes les façons.

Hippocrate, parlant de la meilleure maniere de se tenir couché, dit que le medecin doit trouver le malade couché sur l'un des côtés, avec les bras, le cou & les jambes un peu retirés, & tout le corps dans une situation libre & commode, comme cela est ordinaire à ceux qui sont en santé. On sent en effet qu'une telle posture indique la force conservée de la faculté motrice des muscles, sans aucun degré de tension préter-naturelle.

Quand les forces sont affoiblies, on aime à être couché sur le dos, les bras & les jambes étendues & sans mouvement ; mais ne pouvoir demeurer longtems dans la même position, ni rester couché sur le même côté, & néanmoins sentir de la difficulté à changer de posture, voilà des indications de maladie.

Demeurer couché sur le dos, un moment après se découvrir, éloigner continuellement les couvertures du lit, s'agiter, tenter de dormir dans une position différente de l'ordinaire, ne pouvoir rester couché que d'une même maniere, & toûjours d'une façon inquiete ; ce sont des signes d'un état de maladie encore plus grave.

Quand cette inquiétude continue dans les douleurs d'estomac, dans la dépravation ou l'abondance des humeurs, dans l'inflammation, la colique, la fievre maligne, les douleurs aiguës par tout le corps, la tension, l'enflure & l'inflammation du bas-ventre ; alors le danger devient beaucoup plus grand, & réquiert la guérison de ces divers maux.

Par la mauvaise façon dont on est couché dans l'esquinancie, la péripneumonie, la pleurésie, l'empiême, la phthisie, l'asthme ; on a lieu de juger que la poitrine, les poumons, & les organes de la respiration sont accablés avec danger : mais il ne faut pas moins craindre la mauvaise maniere d'être couché dans le délire, la phrénésie, l'assoupissement & semblables maladies, parce qu'elles signifient l'action troublée du cerveau.

Dans les maladies aiguës, les fievres ardentes continues, dans l'inflammation, dans la grande foiblesse ; la maniere d'être couché indique des anxiétés dangereuses, ou une métastase fâcheuse dans les parties internes, comme il arrive quelquefois dans la rougeole, la petite vérole & le pourpre.

Lorsque le malade, dans les maux qu'on vient de détailler, demeure couché sur le dos, dort continuellement la bouche ouverte, les jambes courbées & entrelacées, ou ne dort point dans cette posture, que la respiration est en même tems empêchée, c'est un fort mauvais signe : l'ouverture seule de la bouche désigne alors une résolution particuliere dans les muscles de la mâchoire inférieure, & un grand affaissement dans toute la machine.

Si le malade se tient couché les jambes découvertes, sans ressentir de chaleur violente ; s'il jette ses bras, son corps, & ses jambes de côté & d'autre, ou qu'il se couche sur le ventre contre son ordinaire ; ces signes présagent de l'inflammation dans quelque partie du bas-ventre, une fievre interne, ou le délire.

Quand le malade repose sur le dos, avec les bras & les jambes étendues, ou extrêmement retirées, la tête renversée sur l'oreiller, le menton élevé ou entierement panché, les yeux hagards, & les extrémités froides ; tous ces symptomes réunis annoncent une mort prochaine.

Ainsi, suivant la connoissance des causes qui produisent dans le malade les diverses postures qu'il tient étant couché, & l'examen réitéré que le medecin donne à ces causes & à ces postures, il peut presque prédire les convulsions, l'hémorrhagie, le sphacele, l'accouchement, l'avortement, le délire, les crises prochaines, la mort. Mais cette science du prognostic est le fruit du génie & du talent de l'observation ; deux qualités rares. Article de M(D.J.)

COUCHE, adj. en termes de Blason, se dit du cerf, du chien, du lion, & autres animaux.

Caminga, au pays de Frise, d'or au cerf couché de gueules, accompagné de trois peignes. (V)

COUCHE, s. m. (Brodeur) point de broderie qui se fait en cousant avec de la soie, l'or, ou l'argent, que l'on devide de dessus la broche à mesure qu'on les employe.

COUCHE, adj. se dit, chez les ouvriers en soie, d'un arrangement convenable de la trame dans l'ouvrage. Pour que la soie soit bien couchée, il faut qu'elle ne soit point tortillée, lâche, ou inégalement placée entre les fils de chaîne ; précautions nécessaires à la perfection de l'ouvrage.

COUCHE, (Géog. mod.) petite ville de France dans le Poitou, sur une petite riviere qui se jette dans le Ciain.


COUCHERv. act. (Gram. Art méch.) c'est étendre ou poser à terre, ou sur une surface, un corps selon la plus grande de ses dimensions, ou peut-être selon celle qui est verticale, quand il est droit. Un corps couché est incliné ou panché le plus qu'il est possible.

COUCHER, en Astronomie, est le moment où le soleil, une étoile ou une planete disparoît, ou se cache sous l'horison. Voyez COUCHANT & LEVER.

Comme la réfraction éleve les astres, & nous les fait paroître plus hauts qu'ils ne sont réellement, le soleil & les étoiles nous paroissent encore sur l'horison, lorsqu'ils sont réellement dessous ; ainsi la réfraction fait que les astres nous paroissent se coucher un peu plûtard qu'ils ne font réellement, & au contraire se lever un peu plûtôt. Voyez REFRACTION.

Les astronomes & les poëtes distinguent trois sortes de coucher des étoiles, le cosmique, l'achronyque, & l'héliaque. Le premier, quand l'étoile se couche en même tems que le soleil, voyez COSMIQUE : le second, quand l'étoile se couche en même tems que le soleil se leve, voyez ACHRONYQUE : & le troisieme, quand l'étoile se perd dans les rayons du soleil, voyez HELIAQUE. Pour trouver par le globe le tems auquel le soleil & les étoiles se couchent, voyez GLOBE. (O)

COUCHER (Jurisp.) Ce terme est usité dans les comptes ; on dit coucher une somme ou article en recette, dépense & reprise, ou pour mémoire ; c'est-à-dire l'employer ou comprendre dans le compte. (A)

COUCHER LA PASTE, en Boulangerie ; c'est la mettre dans des toiles ou dans des bannes, pour la faire gonfler & revenir : on la laisse dans ces toiles environ une heure, après quoi on l'enfourne.

COUCHER D'ASSIETE, en terme de Doreur sur bois ; c'est coucher une couleur rougeâtre sur une piece déjà reparée, pour la préparer à recevoir l'or.

COUCHER, en terme d'Evantailliste ; c'est étendre la premiere couleur sur le papier, pour le rendre susceptible de toutes les autres couleurs dont on voudra le peindre.

COUCHER, en Jardinage, se dit d'une branche qu'on étend par terre pour faire des marcottes.

COUCHER, (Man.) Se coucher sur les voltes ; c'est lorsque le cheval a le cou plié en dehors, & porte la tête & la croupe hors la volte ; comme lorsqu'en maniant à droite, il a le corps plié & courbé comme s'il alloit à gauche. Se coucher sur les voltes est autre chose que volte renversée, & se dit d'un cheval qui en tournant au galop ou aux voltes, panche tout le corps du côté qu'il tourne. Voyez VOLTE. (V)

COUCHER L'OR, (Reliure) Cela se fait en tenant de la main droite le compas avec lequel on a pris l'or, & de la main gauche le pinceau ou blanc d'oeuf, dont on fait d'abord une couche sur la tranche, puis on applique l'or. Voyez Pl. II. fig. A.

On prend aussi l'or destiné à mettre sur le dos des livres, tant sur les nerfs que dans les entre-nerfs, avec une carte écorchée de la largeur de l'entre-nerf ; & de même pour les plats où l'on veut mettre des dentelles. Pl. II. fig. D de la Reliure. Voyez DORURE.

COUCHER, v. act. (Manufacture en laine) C'est sur un drap tondu à fin, ranger le poil, soit avec la tuile, soit avec la brosse, soit avec le cardinal. Voyez l'art. DRAPERIE.


COUCHISS. m. c'est, en Architecture, la forme de sable d'environ un pié d'épais, qu'on met sur les madriers d'un pont de bois, pour y asseoir le pavé, en latin statumen, & en général toute couche sur laquelle on doit asseoir ou établir une aire ou parement de quelque matiere que ce soit. (P)


COUCHOIRS. m. (Reliure) Les Relieurs-Doreurs appellent couchoir, l'instrument dont ils se servent pour appliquer l'or en feuille sur les livres ; il y en a de deux sortes, l'un pour les bords, & l'autre pour les armes.

Celui pour les bords est une regle de bois, mince, polie, & longue d'environ neuf à dix pouces, arrondie sur les longueurs, & s'allongeant par les bouts en ligne droite. On applique cette regle par le rond du coupant, légerement sur une bande d'or, & on l'enleve pour la mettre sur les bords. Planche fig. 5.

Le couchoir pour les armes est de bois blanc, quarré & plat ; il a une poignée par-dessus, pour enlever ce couchoir tout entier lorsqu'on l'a mis sur la feuille d'or, & la porter à la place où on veut la mettre. Voyez COUCHER L'OR, & Pl. II. de la Reliure, fig. 10.


COUCHURES. f. en terme de Brodeur au métier ; c'est un point d'un fil cordonné ou simple, en soie, en or ou en argent, couché le long du dessein, & attaché d'un fil qui l'embrasse de distance en distance ; ensorte que les points qui lient le second couché, soient toûjours au milieu de ceux du premier, ceux du troisieme au milieu de ceux du second, &c.

COUCHURE EN POINT DE COMPTE, en terme de Brodeur au métier ; c'est un ornement en or, en argent ou en soie, couché en rond, en ovale, &c. dont les points liants sont fichés exactement vis-à-vis l'un de l'autre, & vont du centre à la circonférence, en forme de rayon.


COUCO(Géog. mod.) pays d'Afrique dans la Barbarie, entre Alger & le Bugir. Le peuple qui est soumis à un roi ou chef particulier, habite dans des montagnes & des deserts.


COUCOUS. m. cuculus, (Hist. nat. ornitholog.) genre d'oiseaux, dont les uns different, à ce que l'on prétend, pour la grosseur du corps, & les autres par les couleurs. Aldrovande rapporte, d'après les oiseleurs de Boulogne, qu'il y a des coucous différens pour la grandeur, quoique semblables pour les couleurs ; & d'autres au contraire qui se ressemblent pour la couleur, quoiqu'ils soient de grandeur inégale.

Willughby a donné la description du coucou le plus commun : celui qu'il a décrit, avoit onze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue. La piece supérieure du bec étoit un peu crochue, plus longue que l'inférieure, & d'un brun noirâtre sur la plus grande partie de son étendue, & la piece inférieure de couleur jaune-blanchâtre. Il avoit la langue & le dedans de la bouche de couleur de safran ; la langue dure & transparente, & l'iris des yeux de couleur de noisette. L'ouverture des narines étoit ronde, grande, garnie de plumes, & élevée par les bords. Ce dernier caractere est, selon Willughby, particulier au coucou, & suffit pour le faire distinguer de tous les oiseaux que cet observateur a pû voir. La paupiere inférieure étoit grande, & les cils de couleur jaune. Ce coucou avoit la gorge, la poitrine & le ventre blancs, avec des lignes transversales brunes qui n'étoient point interrompues ; il s'en trouvoit sur la gorge en plus grand nombre, & plus près les unes des autres. Les bords des plumes de la tête étoient blancs, & le reste brun. Il y avoit sur la tête une ou deux taches blanches. Les plumes du dos & du milieu du cou, & les grandes plumes des épaules, étoient brunes dans le milieu, & blanchâtres sur les bords : dans quelques-unes il y avoit du roux mêlé avec le brun. Le croupion étoit de couleur de feuille-morte. Cet oiseau avoit les grandes plumes des aîles noires, & les bords extérieurs de ces plumes, à l'exception de la premiere, étoient tachés de roux, & il y avoit sur les bords intérieurs des premieres, de longues taches blanches : la pointe de toutes ces plumes étoit blanche, & les petites plumes des aîles étoient de la même couleur que le dos. Willughby n'a point décrit la queue du coucou. Selon Aldrovande dans la description qu'il a faite d'un second oiseau de ce nom, la queue est composée de dix plumes qui ont des taches blanchâtres, à-peu-près en forme de coeur, & qui font un bel effet à l'oeil : lorsque la queue est étendue, elles ont toutes l'extrémité marquée de blanc, de même que le bord intérieur, excepté les deux du milieu : les pattes & les ongles sont jaunes : il y a deux doigts en arriere dont l'intérieur est le plus petit de tous ; les doigts de devant sont unis ensemble par une membrane jusqu'à la premiere articulation.

Le coucou ne fait point de nid, mais il s'empare de celui d'un autre oiseau ; il en écarte les oeufs, s'il y en trouve ; il met le sien à la place, & l'abandonne : car il n'en pond qu'un. L'oiseau auquel appartient le nid, couve l'oeuf du coucou, soigne le petit lorsqu'il est éclos, & le nourrit jusqu'à ce qu'il soit assez fort pour prendre l'essor. Avant la mûe les petits coucous ont le plumage de différentes couleurs disposées par taches, qui le rendent fort beau. C'est ordinairement dans le nid de la fauvette brune que le coucou pond son oeuf ; il s'empare aussi des nids des alouettes, des pinçons, des bergeronettes, &c. Willughby n'assûre pas si les coucous restent pendant l'hyver cachés & engourdis dans des arbres creux, dans des trous de roche, dans la terre, &c. ou s'ils passent dans des pays chauds ; cependant il y a des gens qui prétendent avoir entendu chanter des coucous dans des trous d'arbres au milieu de l'hyver, lorsque l'air étoit doux. Le nom de cet oiseau vient de son cri. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

COUCOU, (Matiere medic.) On se sert en Medecine de cet oiseau en entier, & de sa fiente ; on recommande ses cendres pour la gravelle, pour les douleurs & l'extrème humidité de l'estomac.

On les ordonne avec succès dans les paroxysmes des fievres. Schroder dit que la fiente du coucou prise en boisson, est bonne contre la morsure du chien enragé. Il ne manque à ces prétendues vertus, que d'être confirmées par des observations.

* COUCOU, (Myth.) Cet oiseau est consacré à Jupiter : il est difficile d'en deviner la raison sur ce qu'on en raconte. On dit que ce fut sous cette forme que Jupiter transi de froid, s'alla reposer un jour d'hyver sur le sein de Junon. Le mont Thornax sur lequel la déesse eut la complaisance de réchauffer le dieu, fut depuis appellé dans le Péloponnèse, le mont du coucou.

COUCOU, (Jeu de cartes) L'on peut joüer à ce jeu depuis cinq jusqu'à vingt personnes. Lorsqu'on est un grand nombre, on joüe avec un jeu de cartes entier, c'est-à-dire où sont toutes les basses ; autrement on joüe avec le jeu de piquet ordinaire, en observant que les as sont les dernieres & les moindres cartes du jeu. Comme il y a un grand avantage à avoir la main, on voit à qui l'aura. Après avoir pris chacun huit ou dix jettons, qu'on fait valoir ce qu'on veut, celui qui a la main ayant fait couper à sa gauche, donne une carte, sans la découvrir, à chaque joüeur, qui l'ayant regardée, dit, si sa carte lui paroit bonne, je suis content ; mais si sa carte est un as, ou une autre carte dont il soit mécontent, il dit, contentez-moi à son voisin à droite, qui doit prendre sa carte & lui céder la sienne, à moins qu'il n'ait un roi ; auquel cas il ne peut être contraint à échanger, & il répond, coucou : alors le mécontent garde sa carte, tandis que les autres continuent à se faire contenter de la même maniere, c'est-à-dire à changer de carte avec leur voisin à droite & à gauche, jusqu'à ce qu'on en soit venu à celui qui a mêlé, qui, lorsqu'on lui demande à être contenté ; doit donner la carte de dessus le talon, à moins que, comme il a déjà été dit, ce ne soit un roi. Enfin la regle générale, c'est que chaque joüeur peut, s'il le croit avantageux à son jeu, & que ce soit à son tour à parler, forcer son voisin à droite de changer de carte avec lui, à moins qu'il n'ait un roi. Après que le tour est ainsi fini, chacun étale sa carte sur la table, & celui ou ceux qui ont la plus basse carte, payent un jetton au jeu, qu'ils mettent dans un corbillon qui est exprès au milieu de la table. Il peut se faire que quatre joueurs payent à la fois, & c'est toûjours la plus basse espece des cartes qui soit sur le jeu, qui paye. Les as payent toûjours, quand il y en a sur le jeu ; & au défaut des as, les deux ; au défaut des deux, les trois, & ainsi des autres. L'avantage de celui qui mêle, est qu'il a trois cartes sur lesquelles il peut choisir celle qu'il veut pour lui. Chacun mêle à son tour ; & quand quelqu'un des joüeurs a perdu tous ses jettons, il se retire du jeu, n'y ayant plus d'espérance pour lui. Celui au contraire qui conserve encore des jettons quand les autres n'en ont plus, gagne la partie & prend tout ce qui a été déposé dans le corbillon.


COUCOUME(Teint.) Voyez TERRA-MERITA, ou l'article TEINTURE.


COUCY(Géog. mod.) ville de France dans le Laonnois, près de la riviere d'Oyse. Long. 20. 58. lat. 48. 30.


COUDES. m. en Anatomie ; c'est l'angle extérieur formé par la flexion du bras. Voyez BRAS.

Cette éminence sur laquelle le bras se pose, & que nous appellons coude, s'appelloit en latin cubitus, & en grec , ou par d'autres . (L)

COUDE, (l'os du) cubitus, en terme d'Anatomie ; est un des os du bras qui va depuis le coude jusqu'au poignet : on l'appelle aussi cubitus. Voyez CUBITUS.

COUDE, en Architecture, est un angle obtus dans la continuité d'un mur de face ou mitoyen, considéré par-dehors, & un pli par dedans. On doit supprimer, autant qu'il est possible, les coudes des murs de faces des bâtimens sur la rue, pour rendre ces dernieres plus droites. Je trouve que cette partie essentielle pour l'agrément d'une capitale, est trop négligée à Paris. (P)

COUDE, en terme de Chauderonnerie ; c'est l'extrémité d'une trompette, ainsi appellée parce qu'elle forme le coude. Voyez dans les Planches de Lutherie, la fig. & l'art. TROMPETTE.

COUDE ou JARRET, (Hydrauliq.) c'est dans le tournant d'une conduite de fer ou de grais, un bout de tuyau de plomb coudé pour raccorder ensemble les tuyaux de fer. (K)

COUDE (Jardin) se dit d'une allée, d'un terrein, quand les alignemens ne sont pas droits. Un arbre peut aussi avoir un coude, quand la tige n'est pas bien droite sur le pié. (K)

COUDE, (Manege) jointure au train de devant du cheval, qui assemble le bout de l'épaule avec l'extrémité du bras. Voyez BRAS & EPAULE.

Coude, c'est aussi la partie de la branche qui prend naissance au bas de l'arc du banquet, vis-à-vis le milieu du fonceau ou du chaperon, & qui forme un arc au-dessous du banquet. Le coude d'une branche prend un tour plus ou moins grand, selon que l'on veut fortifier ou affoiblir la branche. Voyez BANQUET, FONCEAU, BRANCHE, & Pl. de l'Eperonnier, fig. 22 en C.

Un coude serré releve assez bien le cheval ; mais un trop grand coude tire la tête du cheval entre ses jambes.


COUDÉES. f. (Histoire anc.) longue mesure qui étoit fort en usage chez les anciens, sur-tout chez les Hébreux ; elle étoit environ de la longueur du bras d'un homme, depuis le coude jusqu'au bout des doigts. Voyez MESURE, BRAS & MAIN.

On trouve dans l'Ecriture des coudées de deux longueurs ; l'une égale, selon le Docteur Arbuthnot, à un pié neuf pouces, 888/1000 de pouce, ce qui vaut la quatrieme partie d'une brasse, le double d'une palme, & six fois une paulme ; l'autre égale à un pié 824/1000 de pié, ou à la 400e. partie d'une stade. Le P. Mersenne fait la coudée des Hébreux d'un pié quatre doigts cinq lignes par rapport au pié du Capitole. Selon Heron, la coudée géométrique est de vingt-quatre doigts ; & selon Vitruve, le pié est les deux tiers d'une coudée romaine, c'est-à-dire contient seize doigts ou largeur du doigt. Voyez PIE, MESURE, &c. Chambers. (G)


COUDELATTES. f. (Marine) On appelle de ce nom des pieces de bois plus fortes aux extrémités qu'au milieu, qui entrent dans la construction d'une galere, où elles reçoivent une longue piece de bois de quatre pouces en quarré, qu'on nomme la tapiere.


COUDERv. act. (Oecon. rust.) se dit d'un sep de vigne qu'on plie ou couche en angle obtus. Ce terme est d'usage aux environs d'Auxerre.


COUDRAIES. f. (Oecon. rust.) lieu planté de coudriers. Ces arbres ne font point ornement, mais ils sont utiles ; on peut en couvrir les terreins éloignés dont on ne peut tirer meilleur parti.


COUDRANS. m. terme de Riviere ; mélange de plusieurs ingrédiens, entre lesquels il y a des especes d'herbages & du goudron ; les bateliers en enduisent leurs cordes, pour les empêcher de se pourrir. On a fait de ce mot le verbe coudranner, tremper dans le coudran ; & le substantif coudranneur, celui qui trempe dans le coudran.


COUDREv. act. c'est assembler deux substances qui peuvent se percer, soit avec une aiguille, soit avec une alène ou un poinçon, par le moyen d'un fil ou de quelqu'autre chose d'analogue au fil dont l'aiguille est enfilée, & qui suit l'aiguille à-travers les trous qu'elle fait aux substances qu'on veut assembler, ou qu'on passe dans les trous faits avec le poinçon ou quelqu'instrument semblable. Les Tailleurs cousent à l'aiguille enfilée de fil ou de soie ; les Tapissiers, à l'aiguille enfilée de soie ou de laine ; les Boyaudiers, à l'aiguille enfilée de filamens de boyaux ; les Cordonniers-bottiers, &c. au poinçon, à l'alène & au ligneul. Le ligneul est armé à son extrémité d'une soie de sanglier ou de cochon, qu'on passe facilement à-travers les trous que la pointe de l'instrument a faits, & que le ligneul est obligé de suivre quand on tire cette soie. On peut coudre encore avec le fil-d'archal.

COUDRE, (Géogr. mod.) petite ville d'Italie en Savoie, dans le Chablais, près du lac de Geneve.


COUDREMENTS. m. terme des Tanneurs. Mettre les cuirs en coudrement, c'est étendre les cuirs dans la cuve où il y a de l'eau chaude & du tan, pour leur donner le grain. Cette opération se nomme coudrer ou brasser les cuirs. Voyez COUDRE & BRASSER LES CUIRS. Voyez TANNER.


COUDRERterme de Tanneurs ; c'est brasser les cuirs, ou les remuer.


COUDRIERvoyez NOISETTIER


COUENNES. f. (Chaircuiterie) C'est ainsi qu'on appelle la peau du cochon, après qu'il a été grillé & raclé ; elle est fort dure, fort épaisse, & presque toûjours un peu chargée du reste des soies qu'on n'a pû enlever.


COUENNEUXadj. (Med.) épithete que les Medecins donnent particulierement au sang, lorsqu'il se forme à la surface une épaisseur dure, compacte, blanchâtre, & difficile à diviser.


COUETSECOITS, s. m. pl. (Marine) ce sont quatre grosses cordes, dont il y en a deux amarrées aux deux points d'en-bas de la grande voile, & les deux autres aux deux points d'en-bas de la misene. Les écoutes sont amarrées à ces mêmes points ; les coüets s'amarrent vers l'avant du vaisseau, & les écoutes vers l'arriere. Les coüets sont beaucoup plus gros que les écoutes. Quand on veut porter la grande voile ou la misene de l'un des bords du vaisseau sur l'autre bord, selon que le vent change ou qu'on veut changer de route, on largue ou lâche les écoutes, & on hale sur les coüets, c'est-à-dire qu'on les bande pour ramener la voile sur l'autre bord, & lui faire prendre le vent. La manoeuvre des coüets s'appelle amurer ; & lorsque la voile est appareillée & qu'elle prend le vent, les coüets qui le tiennent en état sont dans leurs amures vers l'avant, tandis que les écoutes sont amarrées vers l'arriere : mais la manoeuvre des coüets est bien différente de celle des écoutes ; car des deux coüets & des écoutes qui sont au vent, les coüets sont halés & les écoutes larguées ; & au contraire des deux coüets & des deux écoutes qui sont sous le vent ; les coüets sont largués & les écoutes sont halées. On dit halez avant sur les coüets, halez arriere sur les écoutes, c'est-à-dire bandez les coüets vers la proue & les écoutes vers la poupe. Il y a des coüets à queue de rat.

On peut fort bien considérer les coüets & les écoutes comme les mêmes cordages, étant amarrés aux mêmes points de la voile : & leur seule différence est en ce que les coüets sont destinés à faire le même effet vers l'un des bouts du vaisseau, que les écoutes font vers l'autre bout. (Z)


COUETTES. f. (Tourn.) qu'on appelle aussi grenouille ou crapaudine., est un morceau de fer ou de cuivre creusé en rond, dans lequel tourne un pivot.

Les Tourneurs ont des poupées à pointes, à lunettes, & à coüettes, qui leur servent à fabriquer plusieurs ouvrages de tour. A la vérité les poupées à coüettes sont plus en usage chez les Serruriers & autres ouvriers qui tournent le fer & les métaux, que chez les Tourneurs en bois ; ceux-ci en ont pourtant quand ils se servent de l'arbre à tourner en ovale ou en d'autres figures irrégulieres.


COUFLES. f. (Comm.) c'est ainsi qu'on appelle les balles de séné qui viennent du Levant.


COUHAGES. m. (Hist. nat. bot.) espece de féve qu'on apporte des Indes orientales. On l'appelle aussi siliqua hirsuta.

COUHAGE, (Matiere médicale) espece de féve qui vient des Indes, & dont on fait usage dans l'hydropisie.

On en fait infuser douze gousses dans deux pintes de biere : on en fait prendre tous les matins le quart d'une pinte au malade. Ce remede a été essayé sur des Negres. Chambers.

Le duvet de cette gousse pique la chair, & y cause une démangeaison douloureuse. Ray, hist. des plant.


COUIERsub. m. terme de Riviere, se dit d'une corde que l'on ferme ou attache à terre, pour empêcher que le derriere d'un bateau ne s'en éloigne, sur-tout dans les gros tems. Voyez MUSEAU DE DEVANT.


COUILLARDS. m. (Marine) corde qui tient la grande voile à la grande attaque du grand mât. Ce mot n'est plus usité.

COUILLARD, (Charpent.) On appelle ainsi deux pieces, qui, dans la construction d'un moulin, entretiennent les traites qui supportent la cage de la chaise qui est au-dessous : elles ont chacune trois piés de long. Voyez l'art. COUPE DES BOIS.


COUISS. m. (Oecon. domest.) vaisseau fait avec le fruit du calebassier, en usage aux îles françoises de l'Amérique, où il sert comme servent ici les sebilles de bois.


COUITS. m. (Comm.) qu'on nomme aussi guz ; sorte d'aune dont on se sert à Moka pour mesurer les toiles & les étoffes de soie ; elle porte vingt-quatre pouars de long. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév. (G)


COULACvoyez ALOSE.


COULADOUXS. m. pl. (Marine) cordages qui tiennent lieu, sur les galeres, des rides de haubans. Voyez Planche II. de la Marine, le n° 2. & le n° 10. les couladoux du mestre & du trinquet. (Z)


COULAGES. m. terme de Marine & de Riviere, se dit de la perte ou fausse consommation qui se fait des diverses liqueurs qui sont dans le vaisseau pour l'usage journalier de l'équipage, ou qui en composent la charge, comme vins, eaux-de-vie, huile, &c. c'est ce qui fait dire des marchandises sujettes au coulage. On passe toûjours sur la consommation une certaine quantité pour le coulage.

Dans les vaisseaux du Roi, le munitionnaire est tenu de faire embarquer dix pour cent de biscuit, & douze pour cent de vin d'augmentation pour les déchets & coulages qui pourroient arriver pendant la campagne. Ordonnances de 1689, liv. X. tit. j. article 13. (Z)


COULAN(Géog. mod.) petit royaume d'Asie, dans l'Inde, sur la côte de Malabar, dont la capitale porte le même nom : le roi est idolâtre ainsi que la plus grande partie de ses sujets.


COULANGES-LES-VINEUSES(Géog. mod.) petite ville de France dans l'Auxerrois, fameuse par les bons vins de ses environs.


COULANTS. m. en terme de Boutonnier, est un morceau de bois un peu arrondi sur ses extrémités, & percé en-travers ; le coulant couvert sert de noeud aux cordons de canne, de montre, & autres cordons de tresses. Les coulans des grandes guides pour les chevaux, sont beaucoup plus gros que les autres & percés d'un trou quarré de la forme des guides. Voy. GUIDES ou TRESSES.

COULANT, outil d'Orfévrerie, c'est un anneau de fer, qui sert à faire joindre les mâchoires d'une tenaille en en resserrant les branches, qui, dès que l'anneau est lâché, s'écartent d'elles-mêmes au moyen d'un ressort fixé sur l'une des deux. La tenaille de cette espece s'appelle tenaille à coulant, du nom de son anneau. Elle sert aux Orfévres & aux Horlogers, sur-tout quand il s'agit de faire entrer les goupilles dans les charnieres.

COULANT, terme de Jouaillier, ornement de cou pour les femmes ; ce n'est quelquefois qu'un chaton à pierre seule, plus souvent c'est une pierre entourée en forme de rosette : il s'attache au milieu du collier, perpendiculairement à la croix.


COULANTEou COURANTES, (Marine) se dit de quelques manoeuvres. Voyez MANOEUVRES COURANTES. (Z)


COULES. f. (Hist. ecclés.) robe monacale telle que celle des Bernardins & des Bénédictins ; ces derniers la nomment communément chape, les autres ont retenu le nom de coule. Voyez HABIT.

Ce mot s'est vraisemblablement formé du latin cucullus, en confondant ensemble les deux premieres syllabes, qui toutes deux sont composées des mêmes lettres. La cuculle étoit un capot que portoient les paysans & les pauvres : pullo Maevius alget in cucullo, dit Martial. Cet habillement fut adopté par humilité par les fondateurs des ordres religieux ; il devint même commun aux laïques, sur-tout dans les pays froids, & on le portoit encore en Europe il y a environ deux cent ans.

Les Bernardins ont deux sortes de coule, une blanche, qui est fort ample, dont ils se servent dans les cérémonies & lorsqu'ils assistent à l'église, & une noire qu'ils portent dans les visites du dehors. Le P. Mabillon prétend que la coule dans son origine est la même chose que le scapulaire. Cependant l'auteur de l'apologie de l'empereur Henri IV. distingue deux sortes de coule ou plutôt de vêtemens des anciens moines ; l'une est une robe qui descend jusqu'aux piés, qui a des manches & un capuchon, & sert dans les cérémonies ; une autre qui n'est qu'un chaperon pour travailler, & qu'on nomme scapulaire, parce qu'il ne couvre que la tête & les épaules. C'est aussi le sentiment de M. Fleury : " La cuculle, dit-il, marquée par la regle de S. Benoît servoit de manteau. C'est la coule des moines de Cîteaux ; le nom même en vient, & le froc des autres Bénédictins vient de la même origine. S. Benoît leur donne encore un scapulaire pour le travail. Il étoit beaucoup plus court & plus large qu'il n'est aujourd'hui, & servoit, comme porte le nom, à garnir les épaules pour les fardeaux & conserver la tunique. Il avoit son capuce comme la cuculle, & ces deux vêtemens se portoient séparement : le scapulaire pendant le travail, & la cuculle à l'église ou hors de la maison. Depuis, les moines ont regardé le scapulaire comme la partie la plus essentielle de leur habit ; ainsi ils ne le quittent point, & mettent le froc ou la coule par-dessus ". Moeurs des Chrét. tit. 54. (G)

COULE, (Géog. mod.) petite ville de Hongrie, en Walachie, sur le Danube.


COULÉen Musique, adj. pris subst. Le coulé se fait lorsqu'au lieu de marquer chaque note d'un coup d'archet sur les instrumens à corde, ou d'un coup de langue sur les instrumens à vent, on passe deux ou plusieurs notes sous la même articulation en prolongeant l'expiration, ou en continuant de tirer ou pousser l'archet aussi long-tems qu'il est nécessaire. Il y a des instrumens, tels que le clavecin, sur lesquels le coulé paroît presque impossible à pratiquer ; & cependant on vient à bout de l'y faire sentir par un toucher doux & lié, très-difficile à décrire, & que l'écolier apprend plus aisément que le maître ne l'enseigne. Le coulé se marque par une liaison dont on couvre toutes les notes qui doivent être coulées ensemble. (S)

COULE, en terme de Brodeur, c'est un assemblage de deux points faits séparement sur une même ligne, en observant de piquer l'aiguille au second point, à l'endroit où elle est sortie dans le premier.

COULE, (Orfévrerie & autres Artistes) il se dit de la fusion des soudures, auxquelles il faut donner un degré de chaleur convenable pour que la fusion en soit nette. Il se dit aussi de tout ouvrage jetté en moule.

COULE, s. m. (Saline) issues par lesquelles la riviere qui tombe dans les poëles s'enfuit ; comme ces issues sont souvent cachées, & que l'équille ne suffit pas pour les boucher, alors un ouvrier rompt l'équille, & bouche le coulé avec de la chaux-vive. Voyez SALINES & EQUILLES.


COULÉES. f. (Marine) c'est l'évidure qu'il y a depuis le gros du vaisseau jusqu'à l'étambord, ou bien l'adoucissement qui se fait au-bas du vaisseau entre le genou & la quille, afin que le plat de la varangue ne paroisse pas tant, & qu'il aille en étrécissant insensiblement. (Z)

COULEE, adj. pris subst. (Ecriture) se dit d'un caractere panché, lié de pié en tête, tracé avec plus ou moins de rapidité. Voyez-en les différentes especes aux Planches de l'Ecriture.

* COULEE, s. f. (grosses Forges) c'est un espace d'environ sept à huit pouces, par lequel s'écoule toute la fonte contenue dans le creuset ; on bouche cette ouverture avec de la terre détrempée ; & détremper la terre pour fermer la coulée s'appelle faire le bouchage. Voyez l'article GROSSES FORGES, & nos Planches de grosses Forges.


COULEMENTCOULEMENT

Coulement de pié ferme & sans dégager, est celui qui se fait en mesure sans quitter l'épée de l'ennemi.

Il s'exécute ainsi : 1°. faites du bras droit tout ce qui est enseigné pour parer quarte ou tierce, &c. suivant le côté où les épées sont engagées : 2°. glissez par un frottement vif & sensible le tranchant de votre lame contre celle de l'ennemi, en avançant la pointe de l'épée droite à son corps pour le déterminer à parer : 3°. s'il pare, dégagez en allongeant l'estocade : 4°. s'il ne pare pas, achevez l'estocade droite.

Nota qu'on doit s'attendre en faisant un coulement d'épée que l'ennemi prendra ce tems pour détacher l'estocade droite, ou en dégageant : mais remarquez qu'au premier cas il ne peut porter l'estocade droite sans forcer votre épée ; c'est pourquoi s'il la force, vous ferez le premier dégagement forcé ; voyez PREMIER DEGAGEMENT FORCE ; & s'il dégage, détachez incontinent l'estocade de quarte droite si vous coulez tierce, ou l'estocade de tierce droite si vous coulez quarte.

Coulement de pié ferme en dégageant ; il s'exécute comme le coulement de pié ferme sans dégager, excepté qu'on commence par dégager.

Coulement d'épée en entrant en mesure sans dégager, se fait comme le coulement de pié ferme sans dégager, excepté que l'on serre la mesure en coulant l'épée.

Coulement d'épée en serrant la mesure & en dégageant, se fait comme le coulement de pié ferme & en dégageant, excepté qu'on coule l'épée en entrant en mesure.


COULERv. n. terme qui marque le mouvement de tous les fluides, & même de tous les corps solides réduits en poudre impalpable. Rouler, c'est se mouvoir en tournant sur soi-même. Glisser, c'est se mouvoir en conservant la même surface appliquée au corps sur lequel on se meut. Voyez FLUIDE.

COULER BAS, COULER A FOND, (Marine) c'est faire périr un vaisseau en l'enfonçant dans l'eau.

Dans un combat, on coule bas son ennemi, lorsqu'on lui tire assez de coups de canon pour que l'eau y entre en si grande quantité qu'elle le fasse enfoncer dans l'eau.

Un vaisseau coule bas, lorsqu'il se fait quelque voie d'eau très-considérable, à laquelle on ne puisse remédier. (Z)

COULER, (Chimie) c'est extraire des sels en versant de l'eau sur les substances, telles que des terres, ou des cendres, qui en contiennent, & dont elles sont dépouillées par l'eau qui les dissout & les entraîne. C'est ainsi qu'on obtient le salpêtre. On coule aussi la lessive.

COULER, v. act. dans le Commerce, se dit des mauvaises marchandises qu'on fait passer à la faveur des bonnes. Ce marchand, dit-on, m'a trompé, il a coulé quelques pieces de drap médiocres parmi celles qu'il m'a livrées. Dictionn. de Comm. (G)

COULER, (Danse) c'est porter la jambe doucement & legerement, & raser la terre de la pointe du pié d'un mouvement presqu'uniforme & sans marquer de cadence.

COULER EN PLOMB, (Archit.) c'est remplir de plomb les joints des dalles de pierre & les marches des perrons exposées à l'air, ou sceller avec du plomb les crampons de fer ou de bronze : précaution qu'on doit prendre dans les bâtimens d'importance, ainsi qu'on l'a observé aux Invalides, au Val-de-grace, &c. (P)

COULER, en termes de Boutonnier, c'est l'action d'entortiller un brin de soie ou d'or, sur plusieurs autres enfilés dans la même aiguille, en faisant tourner le bouton comme une piroüette, au moyen d'un fil un peu gros attaché au pié du bouton ; ce qui se fait en rostant un bouton façonné. Voyez ROSTER.

COULER, v. n. terme de Chandelier ; il se dit d'une chandelle dont le suif fondant trop vîte, se répand sur sa surface.

COULER, en terme d'Epinglier, se dit proprement du second tirage qu'ils donnent au laiton, en le faisant passer par des trous de filiere, comme on fait l'or & l'argent que la premiere main n'a fait que dégrossir.

COULER, terme de Fondeur : on dit couler une piece de canon, quand le métal en est fondu, & qu'on lui permet d'entrer dans le moule. Voyez FONDERIE.

COULER, se dit particulierement du verjus, du chasselas, & de la vigne, lorsque le suc contenu dans le fruit s'en échappe par quelque accident de la saison, qui nuit toûjours à l'abondance.

COULER LE BOUTON, (Man.) voyez BOUTON. Le maître d'académie dit quelquefois à l'écolier, quand il galope autour du manege, coulez, coulez ; ce qui veut dire, ne retenez pas tant votre cheval, & allez un peu plus vîte. Un cheval qui coule au galop, est celui qui va au galop uni, ou qui avance. Voyez GALOP.


COULERESSEadj. f. pris subst. en termes de Raffineur, est un grand bassin demi-circulaire, percé de trous d'un demi-pouce de diamêtre, & garni de deux mains de fer qui le soûtiennent sur un brancard exprès. Il doit y en avoir deux, l'un à passer la terre, & l'autre le sucre. Voyez TERRE & PASSER.


COULETAGES. m. (Jurispr.) dans la coûtume de Lille paroît être synonyme de courtage ; l'article 66 de cette coûtume dit que pour venditions, droit de couletage n'est dû. M. de Ragneau en son glossaire, prétend que ce droit est la même chose que celui de tonlieu, de maille, & de vendition ; que c'est une collecte d'un denier ou obole qui se perçoit en quelques lieux sur toutes les marchandises que l'on vend & achete, ensorte que couletage seroit dit par corruption de collectage ou collecte. Voyez ci-après COULETIER ; Galland, du franc-aleu, pag. 80. derniere édition ; Cujas, observ. liv. XVI. cap. xxiij. (A)


COULETIEou COULTIER, s. m. (Jurisprud.) à Lille signifie courtier. Voyez ci-devant COULETAGE. (A)


COULETTES. f. (Rubanier) c'est une petite broche de fer menue & courte, emmanchée le plus souvent dans un vieux rochet qui ne pouvoit plus servir, ou dans quelque autre manche. La coulette sert à mettre dans un rochet de soie ou fil, que l'on veut survuider sur un autre. Ce rochet peut tourner sur la coulette à mesure qu'il se déroule ; on la tient droite dans la main gauche ; pendant que la main droite fait tourner le rochet sur lequel on devide.


COULEURS. f. (Physiq.) suivant les Physiciens est une propriété de la lumiere, par laquelle elle produit, selon les différentes configurations & vîtesses de ses particules, des vibrations dans le nerf optique, qui étant propagées jusqu'au sensorium, affectent l'ame de différentes sensations. Voyez LUMIERE.

La couleur peut être encore définie une sensation de l'ame excitée par l'action de la lumiere sur la retine ; & différente suivant le degré de réfrangibilité de la lumiere & la vîtesse ou la grandeur de ses parties. Voyez SENSATION.

On trouvera les propriétés de la lumiere à l'article LUMIERE.

Le mot couleur, à proprement parler, peut être envisagé de quatre manieres différentes ; ou en tant qu'il désigne une disposition & affection particuliere de la lumiere, c'est-à-dire des corpuscules qui la constituent ; ou en tant qu'il désigne une disposition particuliere des corps physiques, à nous affecter de telle ou telle espece de lumiere ; ou en tant qu'il désigne l'ébranlement produit dans l'organe par tels ou tels corpuscules lumineux ; ou en tant enfin qu'il marque la sensation particuliere qui est la suite de cet ébranlement.

C'est dans ce dernier sens que le mot couleur se prend ordinairement ; & il est très-évident que le mot couleur pris en ce sens, ne désigne aucune propriété du corps, mais seulement une modification de notre ame ; que la blancheur, par exemple, la rougeur, &c. n'existent que dans nous, & nullement dans les corps auxquels nous les rapportons néanmoins par une habitude prise dès notre enfance : c'est une chose très-singuliere & digne de l'attention des Métaphysiciens, que ce penchant que nous avons à rapporter à une substance matérielle & divisible ce qui appartient réellement à une substance spirituelle & simple ; & rien n'est peut-être plus extraordinaire dans les opérations de notre ame, que de la voir transporter hors d'elle-même & étendre pour ainsi dire ses sensations sur une substance à laquelle elles ne peuvent appartenir. Quoi qu'il en soit, nous n'envisagerons guere dans cet article le mot couleur, en tant qu'il désigne une sensation de notre ame. Tout ce que nous pourrions dire sur cet article, dépend des lois de l'union de l'ame & du corps, qui nous sont inconnues. Nous dirons seulement deux mots sur une question que plusieurs philosophes ont proposée, savoir si tous les hommes voyent le même objet de la même couleur. Il y a apparence qu'oüi ; cependant on ne démontrera jamais que ce que j'appelle rouge, ne soit pas verd pour un autre. Il est au reste assez vraisemblable que le même objet ne paroit pas à tous les hommes d'une couleur également vive, comme il est assez vraisemblable que le même objet ne paroit pas également grand à tous les hommes. Cela vient de ce que nos organes, sans différer beaucoup entre eux, ont néanmoins un certain degré de différence dans leur force, leur sensibilité, &c. Mais en voilà assez sur cet article : venons à la couleur en tant qu'elle est une propriété de la lumiere & des corps qui la renvoyent.

Il y a de grandes différences d'opinions sur les couleurs entre les anciens & les modernes, & même entre les différentes sectes des Philosophes d'aujourd'hui. Suivant l'opinion d'Aristote, qui étoit celle qu'on suivoit autrefois, on regardoit la couleur comme une qualité résidente dans les corps colorés, & indépendante de la lumiere. Voyez QUALITE.

Les Cartésiens n'ont point été satisfaits de cette définition ; ils ont dit que puisque le corps coloré n'étoit pas immédiatement appliqué à l'organe de la vûe, pour produire la sensation de la couleur, & qu'aucun corps ne sauroit agir sur nos sens que par un contact immédiat ; il falloit donc que les corps colorés ne contribuassent à la sensation de la couleur, que par le moyen de quelque milieu, lequel étant mis en mouvement par leur action, transmettoit cette action jusqu'à l'organe de la vûe.

Ils ajoûtent que, puisque les corps n'affectent point l'organe de la vûe dans l'obscurité, il faut que le sentiment de la couleur soit seulement occasionné par la lumiere qui met l'organe en mouvement, & que les corps colorés ne doivent être considérés que comme des corps qui réfléchissent la lumiere avec certaines modifications : la différence des couleurs venant de la différente texture des parties des corps, qui les rend propres à donner telle ou telle modification à la lumiere. Mais c'est sur-tout à M. Newton que nous devons la vraie théorie des couleurs, celle qui est fondée sur des expériences sûres, & qui donne l'explication de tous les phénomenes. Voici en quoi consiste cette théorie.

L'expérience fait juger que les rayons de lumiere sont composés de particules dont les masses sont différentes entr'elles ; du moins quelques-unes de ces parties, comme on ne sauroit guere en douter, ont beaucoup plus de vîtesse que les autres : car lorsque l'on reçoit dans une chambre obscure un rayon de lumiere F E (Pl. d'Optiq. fig. 5.) sur une surface réfringente A D, ce rayon ne se réfracte pas entierement en L, mais il se divise & se répand pour ainsi dire en plusieurs autres rayons, dont les uns sont réfractés en L, & les autres depuis L jusqu'en G : ensorte que les particules qui ont le moins de vitesse, sont celles que l'action de la surface réfringente détourne le plus facilement de leur chemin rectiligne pour aller vers L, & que les autres, à mesure qu'elles ont plus de vitesse, se détournent moins ; & passent plus près de G. Voyez REFRANGIBILITE.

De plus, les rayons de lumiere qui different le plus en réfrangibilité les uns des autres, sont aussi ceux qui different le plus en couleur ; c'est une vérité reconnue par une infinité d'expériences. Les particules les plus réfractées, par exemple, sont celles qui forment les rayons violets, & cela, selon toute apparence, à cause que ces particules ayant le moins de vitesse, sont aussi celles qui ébranlent le moins la rétine, y excitent les moindres vibrations, & nous affectent par conséquent de la sensation de couleur la moins forte & la moins vive, telle qu'est le violet. Au contraire les particules qui se réfractent le moins, constituent les rayons de la couleur rouge ; parce que ces particules ayant le plus de vitesse, frappent la rétine avec le plus de force, excitent les vibrations les plus sensibles, & nous affectent de la sensation de couleur la plus vive ; telle qu'est la couleur rouge. Voyez ROUGE.

Les autres particules étant séparées de la même maniere, & agissant suivant leurs vîtesses respectives, produiront par les différentes vibrations qu'elles exciteront, les différentes sensations des couleurs intermédiaires, ainsi que les particules de l'air excitent suivant leurs différentes vibrations respectives les différentes sensations des sons. Voyez VIBRATIONS.

Il faut ajoûter à cela que non-seulement les couleurs les plus distinctes les unes des autres, telles que le rouge, le jaune, le bleu, doivent leur origine à la différente réfrangibilité des rayons ; mais qu'il en est de même des différens degrés & nuances de la même couleur, telles que celles qui sont entre le jaune & le verd, entre le rouge & le jaune, &c.

De plus, les couleurs des rayons ainsi séparés ne peuvent pas être regardées comme de simples modifications accidentelles de ces rayons, mais comme des propriétés qui leur sont nécessairement attachées, & qui consistent, suivant toutes les apparences, dans la vitesse & la grandeur de leurs parties ; elles doivent donc être immuables & inséparables de ces rayons, c'est-à-dire que ces couleurs ne sauroient s'altérer par aucune réfraction ou réflexion.

Or c'est ce que l'expérience confirme d'une maniere sensible ; car quelqu'effort qu'on ait fait pour séparer par de nouvelles réfractions un rayon coloré quelconque donné par le prisme, on n'a pas pû y réussir. Il est vrai qu'on fait quelquefois des décompositions apparentes de couleurs, mais ce n'est que des couleurs qu'on a formées en réunissant des rayons de différentes couleurs ; & il n'est pas étonnant alors que la réfraction fasse retrouver les rayons qu'on avoit employés pour former cette couleur.

De-là il s'ensuit que toutes les transmutations de couleurs qu'on produit par le mélange de couleurs de différentes especes, ne sont pas réelles, mais de simples apparences, ou des erreurs de la vûe, puisque, aussi-tôt qu'on sépare les rayons de ces couleurs, on a les mêmes couleurs qu'auparavant : c'est ainsi que des poudres bleues & des poudres jaunes étant mêlées, paroissent à la vûe simple former du verd ; & que sans leur donner aucune altération, on distingue facilement, à l'aide d'un microscope, les parties bleues d'avec les jaunes.

On peut donc dire qu'il y a deux sortes de couleurs ; les unes primitives, originaires & simples, produites par la lumiere homogene, ou par les rayons qui ont le même degré de réfrangibilité, & qui sont composés de parties de même vitesse & masse, telles que le rouge, l'orangé, le jaune, le verd, le bleu, l'indigo, le violet, & leurs nuances ; les autres secondaires ou hétérogenes, composées des premieres, ou du mélange des rayons de différente réfrangibilité.

On peut produire par la voie de la composition, des couleurs secondaires, semblables aux couleurs primitives, quant au ton ou à la nuance de la couleur, mais non par rapport à la permanence ou à l'immutabilité. On forme de cette maniere du verd avec du bleu & du jaune, de l'orangé avec du rouge & du jaune, du jaune avec de l'orangé & du verd jaunâtre, & en général avec deux couleurs qui ne sont pas éloignées l'une de l'autre dans la suite des couleurs données par le prisme, on parvient assez facilement à faire les couleurs intermédiaires. Il faut savoir aussi que plus une couleur est composée, moins elle est vive & parfaite ; & qu'en la composant de plus en plus ; on parvient jusqu'à l'éteindre entierement.

Par le moyen de la composition on peut parvenir aussi à former des couleurs qui ne ressemblent à aucune de celles de la lumiere homogene. Mais l'effet le plus singulier que peut donner la composition des couleurs primitives, c'est de produire le blanc ; il se forme en employant à un certain degré des rayons de toutes les couleurs primitives : c'est ce qui fait que la couleur ordinaire de la lumiere est le blanc, à cause qu'elle n'est autre chose que l'assemblage des lumieres de toutes les couleurs mêlées & confondues ensemble. Voyez BLANCHEUR.

La réfraction que donne une seule surface réfringente, produit la séparation de la lumiere en rayons de différentes couleurs ; mais cette séparation devient beaucoup plus considérable, & frappe d'une maniere tout-à-fait sensible, lorsqu'on employe la double réfraction causée par les deux surfaces d'un prisme ou d'un morceau de verre quelconque, pourvû que ces deux surfaces ne soient pas paralleles. Comme les expériences que l'on fait avec le prisme, sont la base de toute la théorie des couleurs, nous allons en donner un précis.

1°. Les rayons du soleil traversant un prisme triangulaire, donnent sur la muraille opposée une image de différentes couleurs, dont les principales sont le rouge, le jaune, le verd, le bleu, & le violet. La raison en est que les rayons différemment colorés, sont séparés les uns des autres par la réfraction ; car les bleus, par exemple, marqués Pl. d'Opt. fig. 6. par une ligne ponctuée, après s'être séparés des autres en d d, par la premiere réfraction occasionnée par le côté c a du prisme a b c (ou par la premiere surface du globe d'eau a b c, fig. 7.), viennent à s'en écarter encore davantage en e e par la réfraction du même sens, que produit l'autre côté du prisme (ou la seconde surface du globe a b c) : il arrive au contraire dans le verre plan a b c f, figure 9. (ou sur le prisme g l o, fig. 8. placé dans une autre situation), que les mêmes rayons bleus qui avoient commencé à se séparer par la premiere surface en d d, deviennent, par une seconde réfraction, paralleles à leur premiere direction, & se remêlent par conséquent avec les autres rayons.

2°. L'image colorée n'est pas ronde, mais oblongue, sa longueur étant environ cinq fois sa largeur, lorsque l'angle du prisme est d'environ 60 ou 65 degrés. La raison en est que cette image est composée de toutes les images particulieres que donne chaque espece différente de rayons, & qui se trouvent placées les unes au-dessus des autres, suivant la force de la réfrangibilité de ces rayons.

3°. Les rayons qui donnent le jaune, sont plus détournés de leur chemin rectiligne que ceux qui donnent le rouge ; ceux qui donnent le verd, plus que ceux qui donnent le jaune, & ainsi de suite jusqu'à ceux qui donnent le violet. En conséquence de ce principe, si on fait tourner autour de son axe le prisme sur lequel tombent les rayons du soleil, de maniere que le rouge, le jaune, &c. tombent successivement sur un autre prisme fixe placé à une certaine distance du premier, comme douze piés, par exemple ; & que les rayons de ces différentes couleurs ayent auparavant passé l'un après l'autre par une ouverture placée entre les deux prismes ; les rayons rompus que donneront ces différens rayons, ne se projetteront pas tous à la même place, mais les uns au-dessus des autres.

Cette expérience simple & néanmoins décisive, est celle par laquelle M. Newton leva toutes les difficultés dans lesquelles les premieres l'avoient jetté, & qui l'a entierement convaincu de la correspondance qui est entre la couleur & la réfrangibilité des rayons de lumiere.

4°. Les couleurs des rayons séparées par le prisme, ne sauroient changer de nature ni se détruire, quoique ces rayons passent par un milieu éclairé, qu'ils se croisent les uns les autres, qu'ils se trouvent voisins d'une ombre épaisse, qu'ils soient réfléchis, ou rompus d'une maniere quelconque : d'où l'on voit que les couleurs ne sont pas des modifications dûes à la réfraction ou à la réflexion, mais des propriétés immuables & attachées à la nature des rayons.

5°. Si par le moyen d'un verre lenticulaire ou d'un miroir concave on vient à réunir tous les différens rayons colorés que donne le prisme, on forme le blanc ; cependant ces mêmes rayons qui, tous rassemblés, ont formé le blanc, donnent après leur réunion, c'est-à-dire au-delà du point où ils se croisent, les mêmes couleurs que celles qu'ils donnoient en sortant du prisme, mais dans un ordre renversé, à cause du croisement des rayons. La raison en est claire ; car le rayon étant blanc avant d'être séparé par le moyen du prisme, doit l'être encore par la réunion de ses parties que la réfraction avoit écartées les unes des autres, & cette réunion ne peut en aucune maniere tendre à détruire ou à altérer la nature des rayons.

De même si on mêle dans une certaine proportion de la couleur rouge avec du jaune, du verd, du bleu & du violet, on formera une couleur composée qui sera blanchâtre (c'est-à-dire à-peu-près semblable à celle qu'on forme en mêlant du blanc & du noir) & qui seroit entierement blanche, s'il ne se perdoit & ne s'absorboit pas quelques rayons. On forme encore une couleur approchante du blanc, en teignant un rond de papier de différentes couleurs, & en le faisant tourner assez rapidement pour qu'on ne puisse pas distinguer aucune des couleurs en particulier.

6°. Si on fait tomber fort obliquement les rayons du soleil sur la surface intérieure d'un prisme, les rayons violets se réfléchiront, & les rouges seront transmis : ce qui vient de ce que les rayons qui ont le plus de réfrangibilité, sont ceux qui se réfléchissent le plus facilement.

7°. Si on remplit deux prismes creux, l'un d'une liqueur bleue, l'autre d'une liqueur rouge, & qu'on applique ces deux prismes l'un contre l'autre, ils deviendront opaques, quoique chacun d'eux pris seul, soit transparent, parce que l'un d'eux ne laissant passer que les rayons rouges, & l'autre que les rayons bleus, ils n'en doivent laisser passer aucun lorsqu'on les joint ensemble.

8°. Tous les corps naturels, mais principalement ceux qui sont blancs, étant regardés au-travers d'un prisme, paroissent comme bordés d'un côté de rouge & de jaune, & de l'autre de bordures bleues & violettes ; car ces bordures ne sont autre chose que les extrémités d'autant d'images de l'objet entier, qu'il y a de différentes couleurs dans la lumiere, & qui ne tombent pas toutes dans le même lieu, à cause des différentes réfrangibilités des rayons.

9°. Si deux prismes sont placés de maniere que le rouge de l'un & le violet de l'autre tombent sur un même papier, l'image paroîtra pâle ; mais si on la regarde au-travers d'un troisieme prisme, en tenant l'oeil à une distance convenable, elle paroîtra double, l'une rouge, l'autre violette. De même si on mêle deux poudres, dont l'une soit parfaitement rouge, & l'autre parfaitement bleue, & qu'on couvre de ce mélange un corps de peu d'étendue, ce corps regardé au-travers d'un prisme, aura deux images, l'une rouge, l'autre bleue.

10°. Lorsque les rayons qui traversent une lentille convexe, sont reçûs sur un papier avant qu'ils soient réunis au foyer, les bords de la lumiere paroîtront rougeâtres ; mais si on reçoit ces rayons après la réunion, les bords paroîtront bleus : car les rayons rouges étant les moins réfractés, doivent être réunis le plus loin, & par conséquent être les plus près du bord, lorsqu'on place le papier avant le foyer ; au lieu qu'après le foyer, c'est au contraire les rayons bleus réunis les premiers, qui doivent alors renfermer les autres, & être vers les bords.

L'image colorée du soleil, que Newton appelle le spectre solaire, n'offre à la premiere vûe que cinq couleurs, violet, bleu, verd, jaune & rouge ; mais en retrécissant l'image, pour rendre les couleurs plus tranchantes & plus distinctes, on voit très-bien les sept, rouge, orangé, jaune, verd, bleu,, indigo, violet. M. de Buffon (mém. acad. 1743) dit même en avoir distingué dix-huit ou vingt ; cependant il n'y en a que sept primitives, par la raison qu'en divisant le spectre, suivant la proportion de Newton, en sept espaces, les sept couleurs sont inaltérables par le prisme ; & qu'en le divisant en plus de sept, les couleurs voisines sont de la même nature.

L'étendue proportionnelle de ces sept intervalles de couleurs, répond assez juste à l'étendue proportionnelle des sept tons de la Musique : c'est un phénomene singulier ; mais il faut bien se garder d'en conclure qu'il y ait aucune analogie entre les sensations des couleurs & celles des tons : car nos sensations n'ont rien de semblable aux objets qui les causent. Voyez SENSATION, TON, CLAVECIN OCULAIRE, &c.

M. de Buffon, dans le mémoire que nous venons de citer, compte trois manieres dont la nature produit les couleurs ; la réfraction ; l'inflexion, & la réflexion. Voyez ces mots. Voyez aussi DIFFRACTION,

Couleurs des lames minces. Le phénomene de la séparation des rayons de différentes couleurs que donne la réfraction du prisme & des autres corps d'une certaine épaisseur, peut encore être constaté par le moyen des plaques ou lames minces, transparentes comme les bulles qui s'élevent sur la surface de l'eau de savon ; car toutes ces petites lames à un certain degré d'épaisseur transmettent les rayons de toutes les couleurs, sans en réfléchir aucune ; mais en augmentant d'épaisseur, elles commencent à réfléchir premierement les rayons bleus, & successivement après, les verds, les jaunes & les rouges tous purs : par de nouvelles augmentations d'épaisseur, elles fournissent encore des rayons bleus, verds, jaunes & rouges, mais un peu plus mêlés les uns avec les autres ; & enfin elles viennent à réfléchir tous ces rayons si bien mêlés ensemble, qu'il s'en forme le blanc.

Mais il est à remarquer que dans quelqu'endroit d'une lame mince que se fasse la réflexion d'une couleur, telle que le bleu, par exemple, il se fera au même endroit une transmission de la couleur opposée, qui sera en ce cas ou le rouge ou le jaune.

On trouve par expérience, que la différence de couleur qu'une plaque donne, ne dépend pas du milieu qui l'environne, mais seulement la vivacité de cette couleur. Toutes choses égales la couleur sera plus vive, si le milieu le plus dense est environné par le plus rare.

Une plaque, toutes choses égales, réfléchira d'autant plus de lumiere, qu'elle sera plus mince jusqu'à un certain degré ; par-delà lequel elle ne réfléchira plus aucune lumiere.

Dans les plaques dont l'épaisseur augmente suivant la progression des nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, &c. si les premieres, c'est-à-dire les plus minces, réfléchissent un rayon de lumiere homogene, la seconde le transmettra ; la troisieme le réfléchira de nouveau, & ainsi de suite ; ensorte que les plaques de rangs impairs, 1, 3, 5, 7, &c. réfléchiront les mêmes rayons, que ceux que leurs correspondantes en rangs pairs 2, 4, 6, 8, &c. laisseront passer. De là une couleur homogene donnée par une plaque, est dite du premier ordre, si la plaque réfléchit tous les rayons de cette couleur. Dans une plaque trois fois plus mince, la couleur est dite du second ordre. Dans une autre d'épaisseur cinq fois moindre, la couleur sera du troisieme ordre, &c.

Une couleur du premier ordre est la plus vive de toutes, & successivement la vivacité de la couleur augmente avec l'ordre de la couleur. Plus l'épaisseur de la plaque est augmentée, plus il y a de couleurs réfléchies & de différens ordres. Dans quelques cas la couleur variera, suivant la position de l'oeil ; dans d'autres elle sera permanente.

Cette théorie sur la couleur des lames minces, est ce que M. Newton appelle dans son Optique, la théorie des accès de facile réflexion & de facile transmission ; & il faut avoüer que toute ingénieuse qu'elle est, elle n'a pas à beaucoup près tout ce qu'il faut pour convaincre & satisfaire entierement l'esprit. Il faut ici s'en tenir aux simples faits, & attendre pour en connoître ou en chercher les causes, que nous soyons plus instruits sur la nature de la lumiere & des corps, c'est-à-dire attendre fort long-tems, & peut-être toujours. Quoi qu'il en soit, voici quelques expériences résultantes des faits qui servent de base à cette théorie.

Anneaux colorés des verres. Si on met l'un sur l'autre deux verres objectifs de fort grandes spheres, l'air qui se trouve entre ces deux verres, forme comme un disque mince, dont l'épaisseur n'est pas la même par-tout : or au point de contact l'épaisseur est zéro, & on voit le noir en cet endroit ; ensuite on voit autour plusieurs anneaux différemment colorés, & séparés les uns des autres par un anneau blanc. Voici l'ordre des couleurs de ces anneaux, à commencer par la tache noire du centre :

Noir, bleu, blanc, jaune, rouge,

Violet, bleu, verd, jaune, rouge,

Pourpre, bleu, verd, jaune, rouge,

Verd, rouge.

Il y a encore d'autres anneaux, mais ils vont toûjours en s'affoiblissant.

En regardant les verres par-dessous, on verra des couleurs aux endroits où les anneaux paroissoient séparés, & ces couleurs seront dans un autre ordre. Voyez Musschenbroeck, Ess. de Phys. §. 1134 & suiv.

On explique par-là les couleurs changeantes qu'on observe aux bulles de savon, selon que l'épaisseur de ces bulles est plus ou moins grande.

Couleurs des corps naturels. Les corps ne paroissent de telle ou telle couleur, qu'autant qu'ils ne réfléchissent que les rayons de cette couleur, ou qu'ils réfléchissent plus de rayons de cette couleur que des autres ; ou plûtôt ils paroissent de la couleur qui résulte du mélange des rayons qu'ils réfléchissent. Voyez CORPS.

Tous les corps naturels sont composés de petites lames minces, transparentes ; & lorsque ces petites lames seront disposées les unes à l'égard des autres, de maniere qu'il n'y aura ni réfraction ni réflexion entre leurs interstices, les corps seront transparens ; mais si les interstices qui sont entre ces lames, sont remplis de matiere si hétérogene par rapport à celle des lames elles-mêmes, qu'il se fasse beaucoup de réfractions & de réflexions dans l'intérieur du corps, ce corps sera alors opaque. Voyez TRANSPARENCE & OPACITE.

Les rayons qui ne sont pas réfléchis par un corps opaque, pénetrent au-dedans de ce corps, & y souffrent une quantité innombrable de réfractions & de réflexions, jusqu'à ce qu'enfin ils s'unissent avec les particules de ce corps.

De-là il suit que les corps opaques s'échauffent d'autant moins, qu'ils réfléchissent plus de lumiere : aussi voyons-nous que les corps blancs, qui sont ceux qui réfléchissent le plus de rayons, s'échauffent beaucoup moins que les corps noirs, qui n'en réfléchissent presque point. Voyez, CHALEUR, NOIR.

Pour déterminer la constitution de la surface des corps, d'où dépend leur couleur, il faut considérer que les corpuscules ou premieres parties dont ces surfaces sont composées, sont très-minces & transparentes ; de plus, qu'elles sont séparées par un milieu qui differe d'elles en densité. On peut donc regarder la surface de chaque corps coloré, comme un nombre infini de petites lames, dans le cas de celles dont nous venons de parler, & auxquelles on peut appliquer tout ce qu'on a dit à cette occasion.

De-là il suit que la couleur d'un corps dépend de la densité & de l'épaisseur des particules de ce corps, renfermées entre ses pores : que la couleur est d'autant plus vive & plus homogene, que ces parties sont plus minces ; & que, toutes choses égales, ces parties doivent être les plus épaisses dans les corps rouges, & les plus minces dans les violets, qu'ordinairement les particules des corps sont plus denses que celles du milieu qui remplit leurs interstices ; mais que dans les queues de paons, dans quelques étoffes de soie, & dans tous les corps dont la couleur dépend de la situation de l'oeil, la densité des parties est moindre que celle du milieu ; & qu'en général la couleur d'un corps est d'autant moins vive, qu'il est plus rare par rapport au milieu que renferment ses pores.

De plus, ceux des différens corps opaques dont les lamelles sont les plus minces, sont ceux qui paroissent noirs, & les corps blancs sont ceux qui sont composés des lamelles les plus épaisses, ou de lamelles qui different considérablement en épaisseur, & sont par conséquent propres à réfléchir toutes sortes de couleurs. Les corps dont les lamelles seront d'une épaisseur moyenne entre ces premieres, seront ou bleus, ou verds, ou jaunes, ou rouges, suivant celle de ces couleurs qu'ils réfléchiront en plus grande quantité, absorbant les autres, ou les laissant passer.

C'est cette derniere circonstance de renvoyer ou de laisser passer les rayons de telle ou telle couleur, qui fait que certaines liqueurs, telles par exemple que celle de l'infusion de bois néphrétique, paroissent rouges ou jaunes par la réflexion de la lumiere, & qu'elles paroissent bleues lorsqu'on les place entre l'oeil & la lumiere. Il en est de même des feuilles d'or, qui sont jaunes dans le premier cas, & bleues dans le second.

On peut encore ajoûter à cela que le changement de couleur qui arrive à quelques poudres employées par les peintres, lorsqu'elles sont broyées extrèmement fin, vient sans doute de la diminution sensible des parties de ces corps produite par le broyement, de même que le changement de couleur des lamelles est produit par celui de leur épaisseur.

Enfin ce phénomene si singulier du mêlange des liqueurs d'où résultent différentes couleurs, ne sauroit venir d'une autre cause que des différentes actions des corpuscules salins d'une liqueur, sur les corpuscules qui constituent la couleur d'une autre liqueur : si ces corpuscules s'unissent, leurs masses en seront ou retrécies ou allongées, & leur densité par conséquent en sera altérée ; s'ils fermentent, la grandeur des particules sera diminuée, & par conséquent les liqueurs colorées deviendront transparentes ; si elles se coagulent, une liqueur opaque sera le résultat de deux couleurs transparentes.

On voit encore aisément par les mêmes principes, pourquoi une liqueur colorée étant versée dans un verre conique placé entre l'oeil & la lumiere, paroît de différentes couleurs dans les différens endroits du verre où l'on la regarde : car suivant que la section du verre sera plus éloignée du bas ou de la pointe, il y aura plus de rayons interceptés ; & dans le haut du verre, c'est-à-dire à la base du cone, tous les rayons seront interceptés, & on n'en appercevra aucun que par la réflexion.

M. Newton prétend qu'on peut déduire l'épaisseur des parties composantes des corps naturels de la couleur de ces corps ; car les particules des corps doivent donner les mêmes couleurs que les lamelles de même épaisseur, pourvû que la densité soit aussi la même. Toute cette théorie est conjecturale.

Quant aux propriétés particulieres de chaque couleur, voyez NOIR, BLANC, BLEU, &c, voyez aussi ARC-EN-CIEL.

Couleurs qui résultent du mêlange de différentes liqueurs, ou de l'arrangement de différens corps. Lorsqu'on fait infuser pendant un court espace de tems des roses rouges avec de l'eau-de-vie, & qu'on verse sur cette infusion encore blanche quelqu'esprit acide de sel, comme l'esprit de vitriol, de soufre, de sel marin, de nitre, ou de l'eau-forte, mais en si petite quantité qu'on ne puisse même y remarquer l'acide, l'infusion blanche deviendra d'abord d'un beau rouge-couleur-de-rose. Si on verse sur cette teinture rouge quelque sel alkali dissous, comme de la lessive de potasse, ou de l'esprit de sel ammoniac, elle se changera en un beau verd : mais si on verse sur l'infusion de roses, du vitriol dissous dans de l'eau, il en naîtra d'abord une teinture noire comme de l'encre. Mussch. ess. de Phys.

Si on fait infuser pendant peu de tems des noix de gale dans l'eau, ensorte que cette infusion demeure blanche, & qu'on y verse du vitriol commun, ou qui ait été calciné au feu jusqu'à ce qu'il soit devenu blanc, ou qu'on l'ait réduit en colcothar rouge ; on aura d'abord une teinture noire. Si on verse sur cette teinture quelques gouttes d'huile de vitriol ou d'eau-forte, toute la couleur noire disparoîtra, & la teinture reprendra son premier éclat. Mais si on verse sur cette liqueur quelques gouttes de lessive de potasse, tout ce mêlange deviendra d'abord fort noir ; & pour lui faire perdre cette noirceur, il suffira de verser dessus un peu d'esprit acide.

Si on met sur du papier d'un bleu obscur un morceau de papier blanc, qui ait été auparavant légerement frotté d'eau-forte, le bleu deviendra roux, & ensuite pâle. La même chose arrive aussi lorsqu'on a écrit sur du papier bleu avec le phosphore urineux. Si on éclaircit du syrop violat commun avec de l'eau, & qu'on le verse dans deux différens verres, le syrop avec lequel on mêlera une liqueur acide deviendra rouge, & celui auquel on ajoûtera une liqueur alkaline ou du sel, deviendra verd : si on mêle ensuite ensemble ces deux syrops ainsi changés, on aura un syrop bleu, supposé qu'on ait employé autant d'acide que d'alkali : mais si l'alkali domine, tout ce mêlange sera verd ; & si l'acide s'y trouve en plus grande quantité, le mêlange deviendra rouge. Lorsqu'on verse un peu de lessive de sel de tartre sur du mercure sublimé dissous dans de l'eau, ce mêlange devient rouge, épais, & opaque ; mais si on verse sur ce mêlange un peu d'esprit urineux ou de sel ammoniac, il redevient blanc.

Si on dissout aussi un peu de vitriol bleu dans une grande quantité d'eau, ensorte que le tout reste blanc & transparent, & qu'on verse ensuite dans cette liqueur un peu d'esprit de sel ammoniac, on verra paroître, après que ce mêlange aura été fait, une belle couleur bleue ; mais si on y verse un peu d'eau forte, la couleur bleue disparoîtra sur le champ, & l'eau deviendra claire & blanche : enfin si l'on y joint encore de nouvel esprit de sel ammoniac, la couleur bleue reparoîtra de nouveau. Lorsqu'on verse une infusion de thé-bou sur de l'or dissous dans de l'esprit-de-vin éthéré, il s'y forme une chaux de couleur pourprée qui se précipite au fond. Lorsqu'on dissout de l'étain dans de l'eau régale, & qu'après avoir éclairci cette solution avec de l'eau on y verse quelques gouttes d'or fondu dans de l'eau régale, on voit paroître une belle couleur de pourpre fort agréable à la vûe. Ceux qui veulent voir un plus grand nombre d'expériences sur le changement des couleurs, doivent consulter la chimie de Boerhaave : on peut aussi en trouver d'autres dans l'ouvrage des philosophes de Florence : enfin on ne fera pas mal de consulter encore sur cette matiere les trans. philosoph. n°. 238. §. vj. Mussch. ibid.

L'infusion de noix de gale versée sur la solution de vitriol, produit un mêlange dont les parties absorbent toute la lumiere qu'elles reçoivent, sans en réfléchir que fort peu ou point du tout ; d'où il arrive que cette teinture paroît noire ; mais nous ignorons quel est l'arrangement de ces parties : lorsqu'on verse sur cette teinture quelques gouttes d'eau-forte, elle redevient aussi claire que l'eau, & la couleur noire disparoît ; parce que l'eau-forte attire d'abord à elle avec beaucoup de violence le vitriol qui se sépare des noix de gale, lesquelles nagent alors dans leur eau comme elles faisoient auparavant, en lui laissant toute sa clarté & sa transparence. Dès qu'on verse ensuite sur ce mêlange quelques gouttes de lessive de potasse, qui étant un sel alkali agit fortement sur l'acide, elles attirent sur le champ les parties acides de l'eau-forte, qui de son côté se sépare du vitriol qu'elle avoit attiré ; de sorte que le vitriol trouve encore par-là le moyen de se réunir avec les parties des noix de gale, & de produire la même couleur noire qu'auparavant.

Les parties de la surface d'un papier d'un bleu-violet, ont une épaisseur & une grandeur déterminées ; mais aussi-tôt que l'eau-forte les rend plus minces, ou qu'elles se séparent un peu des autres parties, il faut qu'elles écartent des rayons de lumiere qui ont une couleur différente de celle des premiers, ce qui fait que la couleur bleue se change en une couleur roussâtre ; & comme les particules du papier deviennent chaque jour plus minces, & qu'elles sont comme rongées par l'humidité de l'air qui se joint aux parties de l'eau-forte, il faut qu'elles rompent continuellement d'autres rayons colorés, & par conséquent qu'elles fassent paroître le papier d'une autre couleur. Voyez Mussch. ess. de Phys. pag. 556. & suivantes, d'où ceci est extrait.

Couleurs accidentelles, sont des couleurs qui ne paroissent jamais que lorsque l'organe est forcé, ou qu'il a été trop fortement ébranlé. C'est ainsi que M. de Buffon, dans un mémoire fort curieux imprimé parmi ceux de l'académie des Sciences de 1743, a nommé ces sortes de couleurs, pour les distinguer des couleurs naturelles qui dépendent uniquement des propriétés de la lumiere, & qui sont permanentes : du moins tant que les parties extérieures de l'objet demeurent les mêmes.

Personne, dit M. de Buffon, n'a fait avant M. Jurin d'observations sur ce genre de couleurs ; cependant elles tiennent aux couleurs naturelles par plusieurs rapports, & voici une suite de faits assez singuliers qu'il nous expose sur cette matiere.

1. Lorsqu'on regarde fixement & long-tems une tache ou une figure rouge : comme un petit quarré rouge, sur un fond blanc, on voit naître autour de la figure rouge une espece de couronne d'un verd foible ; & si on porte l'oeil en quelqu'autre endroit du fond blanc, en cessant de regarder la figure rouge, on voit très-distinctement un quarré d'un verd tendre tirant un peu sur le bleu.

2. En regardant fixement & long-tems une tache jaune sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache une couronne d'un bleu pâle ; & portant son oeil sur un autre endroit du fond blanc, on voit distinctement une tache bleue de la grandeur & de la figure de la tache jaune.

3. En regardant fixement & long-tems une tache verte sur un fond blanc ; on voit autour de la tache verte une couronne blanche légerement pourprée ; & en portant l'oeil ailleurs, on voit une tache d'un pourpre pâle.

4. En regardant de même une tache bleue sur un fond blanc, on voit autour de la tache bleue une couronne blanchâtre un peu teinte de rouge ; & portant l'oeil ailleurs, on voit une tache d'un rouge-pâle.

5. En regardant de même avec attention une tache noire sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache noire une couronne d'un blanc vif ; & portant l'oeil sur un autre endroit, on voit la figure de la tache exactement dessinée, & d'un blanc beaucoup plus vif que celui du fond.

6. En regardant fixement & long-tems un quarré d'un rouge vif sur un fond blanc, on voit d'abord naître la petite couronne d'un verd tendre dont on a parlé ; ensuite en continuant à regarder fixement le quarré rouge, on voit le milieu du quarré se décolorer, & les côtés se charger de couleur, & former comme un quadre d'un rouge beaucoup plus fort & beaucoup plus foncé que le milieu : ensuite en s'éloignant un peu & continuant toûjours à regarder fixement, on voit le quadre de rouge foncé se partager en deux dans les quatre côtés, & former une croix d'un rouge aussi foncé ; le quarré rouge paroît alors comme une fenêtre traversée dans son milieu par une grosse croisée & quatre panneaux blancs ; car le quadre de cette espece de fenêtre est d'un rouge aussi fort que la croisée. Continuant toûjours à regarder avec opiniâtreté, cette apparence change encore, & tout se réduit à un rectangle d'un rouge si foncé, si fort & si vif, qu'il offusque entierement les yeux ; ce rectangle est de la même hauteur que le quarré, mais il n'a pas la sixieme partie de sa largeur. Ce point est le dernier degré de fatigue que l'oeil peut supporter ; & lorsqu'enfin on détourne l'oeil de cet objet, & qu'on le porte sur un autre endroit du fond blanc, on voit au lieu du quarré rouge réel l'image du rectangle rouge imaginaire exactement dessiné, & d'une couleur verte brillante. Cette impression subsiste fort long-tems, ne se décolore que peu-à-peu, & reste dans l'oeil même après qu'il est fermé. Ce que l'on vient de dire du quarré rouge arrive aussi lorsqu'on regarde un quarré jaune ou noir, ou de toute autre couleur ; on voit de même le quadre jaune ou noir, la croix & le rectangle ; & l'impression qui reste est un rectangle bleu, si on a regardé du jaune, un rectangle blanc brillant, si on a regardé un quarré noir, &c.

7. Personne n'ignore qu'après avoir regardé le soleil, on porte quelquefois très-long-tems l'image de cet astre sur tous les objets. Ces images colorées du soleil sont du même genre que celles que nous venons de décrire.

8. Les ombres des corps qui par leur essence doivent être noires, puisqu'elles ne sont que la privation de la lumiere, sont toûjours colorées au lever & au coucher du soleil. Voici les observations que M. de Buffon dit avoir faites sur ce sujet. Nous rapporterons ses propres paroles.

" Au mois de Juillet 1743, comme j'étois occupé de mes couleurs accidentelles, & que je cherchois à voir le soleil, dont l'oeil soûtient mieux la lumiere à son coucher qu'à toute autre heure du jour, pour reconnoître ensuite les couleurs & les changemens de couleur causés par cette impression, je remarquai que les ombres des arbres qui tomboient sur une muraille blanche étoient vertes ; j'étois dans un lieu élevé, & le soleil se couchoit dans une gorge de montagne, ensorte qu'il me paroissoit fort abaissé au-dessous de mon horison ; le ciel étoit serein, à l'exception du couchant, qui quoiqu'exempt de nuages, étoit chargé d'un rideau transparent de vapeurs d'un jaune rougeâtre ; le soleil lui-même étoit fort rouge, & sa grandeur apparente au moins quadruple de ce qu'elle est à midi : je vis donc très-distinctement les ombres des arbres qui étoient à vingt ou trente piés de la muraille blanche, colorées d'un verd tendre tirant un peu sur le bleu ; l'ombre d'un treillage qui étoit à trois piés de la muraille, étoit parfaitement dessinée sur cette muraille, comme si on l'avoit nouvellement peinte en verd-de-gris : cette apparence dura près de cinq minutes, après quoi la couleur s'affoiblit avec la lumiere du soleil, & ne disparut entierement qu'avec les ombres. Le lendemain au lever du soleil, j'allai regarder d'autres ombres sur une autre muraille blanche ; mais au lieu de les trouver vertes comme je m'y attendois, je les trouvai bleues, ou plûtôt de la couleur de l'indigo le plus vif : le ciel étoit serein, & il n'y avoit qu'un petit rideau de vapeurs jaunâtres au levant ; le soleil se levoit sur une colline, ensorte qu'il me paroissoit élevé au-dessus de mon horison ; les ombres bleues ne durerent que trois minutes, après quoi elles me parurent noires : le même jour je revis au coucher du soleil les ombres vertes, comme je les avois vûes la veille. Six jours se passerent ensuite sans pouvoir observer les ombres au coucher du soleil, parce qu'il étoit toûjours couvert de nuages : le septieme jour je vis le soleil à son coucher ; les ombres n'étoient plus vertes, mais d'un beau bleu d'azur ; je remarquai que les vapeurs n'étoient pas fort abondantes, & que le soleil ayant avancé pendant sept jours, se couchoit derriere un rocher qui le faisoit disparoître avant qu'il pût s'abaisser au-dessous de mon horison. Depuis ce tems j'ai très-souvent observé les ombres, soit au lever soit au coucher du soleil, & je ne les ai vûes que bleues, quelquefois d'un bleu fort vif, d'autres fois d'un bleu pâle, d'un bleu foncé ; mais constamment bleues, & tous les jours bleues ". (O)

Couleurs passantes, nom que quelques auteurs donnent aux couleurs qui se déchargent ou ne sont pas de longue durée, comme celles de l'arc-en-ciel, des nuages avant ou après le coucher du soleil, &c. Voyez COULEUR &c.

Les couleurs passantes sont la même chose que celles qu'on appelle couleurs fantastiques ou emphatiques, &c.

On dit d'une piece de drap que sa couleur est passante, pour dire qu'elle change promtement & se flétrit à l'air. Chambers.


COULEUVRES. f. coluber, (Hist. nat. zoolog.) On a donné ce nom à plusieurs especes de serpens qui se trouvent en différens pays. Quelques auteurs en ont même fait une dénomination générale & synonyme à celle de serpens, serpula, anguis, &c. Nous appellons communément du nom de couleuvre, la plus grande espece de nos serpens ; c'est, pour ainsi dire, notre serpent domestique. Il y a une autre espece qui porte le nom de couleuvre à collier. Voyez la description de l'un & de l'autre au mot SERPENT. (I)

* COULEUVRE, (Myth.) reptile consacré à Esculape qui s'étoit caché plusieurs fois sous cette forme, & adoré à Rome & dans Epidaure, où on lui éleva des temples.

COULEUVRE, (Bois de) s. m. Botaniq. exot. Le bois de couleuvre, ou le bois couleuvré, en latin lignum colubrimum des boutiques, est un bois des Indes orientales, ou plûtôt une racine ligneuse, dure, compacte, pesante, de la grosseur du bras, d'un goût âcre & amer, sans aucune odeur. Cette racine est couverte d'une écorce de couleur de fer, parsemée de taches cendrées ; on nous l'apporte des îles de Soloo & de Timoo : il est bon de la connoître.

Commelin assûre que la noix vomique & le bois de couleuvre prennent naissance du même arbre ; mais Herman prétend au contraire que cette noix tire son origine d'une toute autre plante. Lequel faut-il croire ? Peut-être qu'ils disent vrai tous les deux, & qu'on nous apporte diverses especes de noix vomiques plus ou moins grosses, qui viennent d'arbres différens.

Quelques loüanges que certains auteurs ayent donné à ce bois contre la morsure des serpens, les vers & la fievre quarte, le docteur Antoine de Heyde a découvert par ses observations, qu'il avoit une vertu somnifere, affectant les nerfs, causant le tremblement & la stupeur : qualités très-vénéneuses dans un végétal, qui doivent en faire rejetter l'usage. En vain répondroit-on qu'il ne faut s'en servir que lorsqu'il est vieux ; le meilleur est de ne s'en point servir du tout, & de le bannir de la Pharmacie, comme un remede dangereux, parce que le plus grand bien qu'on en puisse attendre, c'est que par le hasard de sa vétusté il ne produise aucun mauvais effet : la pratique de la Medecine court assez d'autres hasards sans celui-là. Par M(D.J.)

COULEUVRE, machine singuliere dont les Caraïbes se servent pour exprimer & séparer le suc du magnoc. C'est une espece de panier à-peu-près de la forme d'une chausse ou gros boyau long de cinq à six piés sur trois pouces & plus de diametre ; il est tissu de façon qu'il prête & s'élargit à proportion de la quantité de substance qu'on y met, sans pour cela que les aiguillettes d'écorce dont il est construit, s'écartent les unes des autres ; il ne peut cependant s'étendre en largeur, qu'il ne diminue considérablement en longueur. A la partie supérieure, qui est toûjours ouverte, est une espece d'anse très-forte, servant à le suspendre à quelque chose de solide au haut de la case ; l'extrémité inférieure est fermée, se terminant en pointe, au bout de laquelle est une forte boucle de la même matiere que tout le reste de cette sorte de panier. V. MAGNOC.

Usage de la couleuvre. On la remplit de rapure de magnoc, qu'un Sauvage presse & refoule de sa main autant qu'il le peut. On conçoit par ce qui a été dit, que dans cette action du Sauvage la couleuvre doit s'élargir, & par conséquent diminuer de longueur. Lorsqu'elle est totalement remplie, le Sauvage la suspend par l'anse au milieu de la case : cela fait, il met un bâton dans la boucle inférieure ; & le passant entre ses jambes par-dessous ses fesses, il s'abandonne dessus, pour faire porter à la couleuvre tout le poids de son corps, de façon qu'elle est contrainte de s'allonger en diminuant de diametre ; & la rapure de magnoc qu'elle contient, se trouve pour lors tellement resserrée & comprimée, que le suc s'en échappe & tombe à terre. Lorsque le Sauvage s'apperçoit qu'il ne découle plus rien, il décroche la couleuvre, & en retire la rapure qu'il fait cuire sur une platine, pour en former la cassave dont il se nourrit.

La tradition n'a point transmis chez les Caraïbes le nom de l'inventeur de la couleuvre ; cela n'a rien d'étonnant, puisque nous ignorons aujourd'hui l'auteur de ces utiles machines qui préparent le grain dont nous faisons l'essentiel de notre subsistance. Art. de M. LE ROMAIN.


COULEUVRÉES. f. bruyonia, (Hist. nat. bot.). genre de plante à fleur monopétale, faite en forme de cloche ouverte & découpée ; le calice l'enveloppe ordinairement de façon qu'on ne peut pas l'en séparer. Il y a des fleurs stériles qui n'ont point d'embryon, & des fleurs fécondes portées par un embryon qui devient dans la suite une baye ronde ou ovoïde, dans laquelle il y a des semences arrondies. Ajoûtez au caractere de ce genre, qu'il y a des vrilles par lesquelles la couleuvrée s'attache comme avec des mains. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


COULEVRINE & DEMI-COULEVRINE, s. f. (Art milit.) est une piece d’Artillerie d’environ 10 piés 6 pouces. On appelloit autrefois cette sorte de piece demi-canon de France. Elle porte ordinairement 16 livres de balles, & elle pese environ 4200. livres.

Il y a des coulevrines plus longues, entr'autres celle qui est appellée coulevrine de Nancy, parce qu'elle a été fondue dans cette ville, qui a près de 22 piés de longueur, & qui chasse un boulet de 18 livres.

On a prétendu que cette piece avoit plus de portée que les autres moins longues ; mais M. Belidor rapporte dans son cours de Mathématique, que l'expérience a fait voir qu'on se trompoit à cet égard, puisqu'au contraire sa portée est plus petite. (Q)


COULIERESterme de Riviere ; pieces de bois placées sur un train, & servant à tenir sa branche en état.


COULISS. m. en Bâtiment, est du plâtre gaché clair, pour remplir les joints des pierres, & pour les ficher. (P)

COULIS, (Cuisine) est une espece de purée ou jus tiré par expression à-travers un vaisseau percé de trous, ou quelque linge, qu'on répand ou sur la soupe, ou sur un ragoût, ou sur une piece rôtie, &c. Il y a des coulis gras & maigres, des coulis de légumes, &c.


COULISSES. f. (Art méch. & Gramm.) c'est en général une rainure ou profondeur étroite, pratiquée longitudinalement dans un corps, pour contenir, aider, & diriger le mouvement d'un autre, dont une partie saillante se place dans cette profondeur.

COULISSE (mouvement de), Anatomie. Comme il y a dans les Arts cent choses qu'on nomme coulisses, parce qu'étant appliquées l'une sur l'autre, ou l'une contre l'autre, on peut les faire couler & mouvoir, en les tirant, les allongeant, les haussant, les baissant, ainsi qu'on en peut voir quelques exemples dans les articles suivans ; on appelle en anatomie dans notre langue le mouvement de coulisse, celui qui se fait lorsqu'un os glisse sur un autre dans l'articulation ligamenteuse lâche : par exemple, la circonférence de la tête ronde du radius qui glisse de cette maniere dans la cavité qu'on remarque à la partie du cubitus qui lui répond, est un mouvement de coulisse.

Quelque multipliés que soient les noms grecs des articulations, on ne sauroit les accommoder avec toutes celles qui se présentent dans le corps de l'homme, & qu'a découvert de nos jours une anatomie plus éclairée que n'étoit celle des anciens. L'articulation du radius avec le cubitus, celle du même os avec l'humerus, l'articulation de la seconde vertebre avec la premiere, l'assemblage des os du tarse & du carpe, &c. ne peuvent être comprises dans les noms grecs des articulations.

Des modernes qui ont senti cette difficulté, n'osant pas cependant abandonner ce langage, ont tenté d'ajoûter dans le même goût de nouvelles subdivisions aux anciennes ; mais bien loin de nous éclairer par ce secours, ils ont rendu la matiere plus abstraite & plus obscure.

Quand nous pouvons trouver dans notre langue des mots qui expriment bien les choses que nous voulons peindre, il est inutile d'en tirer d'une langue étrangere, qui soient équivoques, moins connus, & moins intelligibles, & quand notre langue en manque, il faut en adopter de ceux des Arts, ou en créer qui dénotent le plus précisément qu'il est possible ce que nous voulons caractériser ; car à mesure que les Sciences se perfectionnent, elles demandent de nouveaux mots.

Dans le xvj. siecle, l'Histoire naturelle étoit si peu connue parmi nous, qu'on n'avoit pas même encore de terme pour désigner un curieux qui s'attachoit à cette partie de la physique, & qu'on inventa pour lors le nom de naturaliste, dont Montagne n'usa qu'en le soûlignant ; il ne devinoit pas qu'un jour notre langue seroit forcée de forger mille nouvelles expressions, pour expliquer les secrets de cette science & les découvertes qui s'y feroient. Article de M(D.J.)

COULISSE, (Théatre Lyrique) rainure faite au plancher du théatre, dans laquelle est enfermé un chassis de décoration qui y coule. On donne aussi ce nom à des entaillures, pratiquées dans de gros chevrons posés horisontalement à huit piés en-dessous du théatre, qui soûtiennent les faux chassis sur lesquels sont posés les chassis, & dans lesquelles ils coulent. Voyez FAUX-CHASSIS.

Pendant le tems qu'un chassis avance sur le théatre, celui qui étoit ou devant ou derriere coule en-dedans, & c'est ainsi que se font en même tems les changemens de décoration par le moyen d'une très-belle machine. Voyez CHANGEMENT.

On appelle aussi improprement de ce nom le chassis même. Voyez CHASSIS. L'actrice s'appuie sur la coulisse lorsqu'elle est accablée de douleur, comme dans la scene de Médée & d'Eglé de l'opéra de Thesée. On se sert aussi du même mot pour désigner l'espace qui est d'un chassis à l'autre ; un acteur entre sur le théatre par la seconde coulisse, & il en sort par la cinquieme, selon l'état de la scene.

Au théatre de l'opéra de Paris, il n'y a que six coulisses ou chassis de chaque côté du théatre ; par conséquent il n'y a jamais que les six premiers chassis de chaque côté qui changent par le moyen du contrepoids. Le changement des autres parties se fait à la main. Voyez MANOEUVRE.

Les coulisses ou rainures sont d'un très-grand inconvénient à ce théatre, elles avancent beaucoup plus que les chassis en-dedans, & hors du théatre ; & cela paroît indispensable jusqu'à ce que leur forme soit changée, parce qu'il faut nécessairement qu'on puisse, suivant les occasions, élargir ou retrécir le lieu de la scene ; que d'ailleurs la coulïsse qui avance laisse la partie de la rainure qu'elle a occupée vuide hors du théatre, & que celle qu'on retire laisse vuide aussi celle qu'elle occupoit sur le devant. Ces rainures, qu'on ferme le plus vîte qu'on le peut, ne le sont presque jamais assez vîte ; ensorte que les danseurs & les autres exécutans sont exposés à chaque instant à mettre le pié dans ses ouvertures, se blessent, prennent des entorses, &c. Il seroit aisé de trouver des moyens pour prévenir ces inconvéniens, qui assûrément ne sont pas sans remede. Lorsque l'humanité parle, l'art sait trouver des ressources pour obéir. (B)

COULISSE, en termes de Formier, c'est une rainure qui regne intérieurement tout le long de la forme brisée, pour recevoir la clé qui doit écarter ses deux parties. Voyez les Pl. du Cordonnier-Bottier.

COULISSE, (Horlog.) piece d'une montre ; c'est une portion de zone (fig. 45. C. Pl. X. d'Horloger) d'environ 180 degrés, fixée sur la platine de dessus au moyen de deux vis. Pour qu'elle soit bien placée, il faut qu'elle le soit concentriquement au balancier.

Son usage est de contenir le rateau dans la position requise, pour qu'il puisse se mouvoir circulairement, & avoir un engrenage constant avec la roue de rosette. Pour cet effet, cette coulisse porte un filet circulaire, qui entre dans une rainure pratiquée dans le rateau. Il est d'une grande conséquence qu'il n'y ait aucun jeu dans cet ajustement, car s'il y en a lorsque l'on tourne la roue de rosette, le rateau sera poussé tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; & sa position devenant incertaine, il sera impossible que le ressort spiral puisse jamais être courbé de façon à être constamment au milieu de ses chevilles. Voyez RATEAU, ROSETTE, PLATINE DE DESSUS, & la fig. 52. même Planche. (T)

COULISSE, (Hydraulique) rainures faites dans les dormans, par le moyen desquelles on leve les chassis des corps de pompe, pour en visiter les brides & les cuirs. Voyez DORMANT. (K)

COULISSE DE GALEE, terme d'Imprimerie ; c'est une planche de bois plat, de deux ou trois lignes d'épaisseur, plus longue que large, & d'une grandeur proportionnée au corps de galée auquel la coulisse est destinée ; elle a un manche de quatre pouces de long pris dans le même morceau de bois, & plus large à son extrémité qu'à son origine : elle sert de fond postiche à la galée, sur lequel se posent & se lient les pages, & elle donne la commodité, en la tirant du corps de la galée, de transporter les pages liées sur le marbre pour y être imposées. Voyez GALEE & les Planches de l'Imprimerie.

COULISSE, terme d'Orfévrerie, place disposée à recevoir les chaînons qui composent la charniere : elle se forme sur deux morceaux de quarré préparé à cet effet, que l'on nomme porte-charnieres, inhérens l'un au-dessus, l'autre au-dessous de la piece, limés exactement plats, & reposant bien l'un sur l'autre. Le mérite d'une coulisse est d'être exactement partagée, de n'être pas plus creusée dans un porte-charniere que dans l'autre, d'être formée bien ronde, & d'être bien droite dans toutes ses parties. Quoique la coulisse ait lieu dans tous les ouvrages d'orfévrerie, le bijoutier est cependant celui qui la traite le mieux. Voyez les détails de ce travail à l'article TABATIERE.

COULISSE, c'est, en termes de raffinerie de sucre, une trace, un sentier que l'eau fait sur les bords du pain, plus ou moins long, & large selon que l'eau est venue en grande ou petite quantité de l'esquive crevassée, ou par quelque autre route. Voyez ESQUIVE.

Le mot coulisse s'employe en tant d'occasions, qu'il seroit inutile & presque impossible de les rapporter toutes : on les rencontrera dans les explications des machines.


COULISSÉadj. en termes de Blason, se dit d'un château & d'une tour qui ont la herse ou la coulisse à la porte.

Vieux Chatel, de gueules au château à trois tours d'argent, coulissé de sable. (V)


COULISSOIRES. f. (Lutherie) sorte de petite écoüenne dont les facteurs de musettes se servent pour creuser les coulisses des bourdons. Voyez MUSETTE & les fig. 10. & 13. Pl. X. de Lutherie.


COULOIRCOUROIR, COURIER, (Marine) on se sert indifféremment de ces trois mots, pour désigner le passage qui conduit dans les chambres du vaisseau. Voyez, Pl. V. de Marine, fig. 1. le couroir des chambres, côté 160. Couloir des fontes, voy. Pl. IV. fig. 1. coté 62. (Z)

COULOIRS ou COURCIVES, voyez COURCIVES.


COULOIRES. f. (Oecon. rustiq.) grand panier d'osier tressé en ovale, qu'on met dans la cuve, & qu'on foule contre la grappe, afin que le moût le remplisse, & qu'on puisse séparer cette partie liquide du reste.

COULOIRE, (Oecon. rustiq.) écuelle de bois, percée par le fond, dont les ouvertures sont fermées d'un linge fin ou d'un tamis, à-travers lequel on passe le lait. Il faut laver souvent la couloire, parce que ce qu'il y reste de fluide s'aigrissant, peut déterminer le lait nouveau qu'on y passe à s'aigrir aussi.

* COULOIRE, (Cuisine) c'est un vaisseau de cuivre étamé, percé d'un grand nombre de trous, dans lequel on pétrit & écrase des légumes & autres substances cuites, dont on extrait le suc qui passe par les trous de la couloire, & qu'on reçoit dans un autre vaisseau pour en faire un coulis, une sauce, &c. d'où l'on voit de quelle importance il seroit que ce vaisseau & tous les semblables où l'on travaille, pour ainsi dire, long-tems & avec violence, des substances qui peuvent avoir quelques qualités corrosives, fussent de fer ou de quelque autre métal dont les particules ne fussent point nuisibles au corps humain.

COULOIRE, en termes d'Epinglier, est une espece de filiere dans laquelle on tire le laiton sortant de la premiere main, pour le réduire à la grosseur dont on veut que les épingles soient.


COULOM-CHAS. m. (Hist. mod.) nom que l'on donne en Perse à des especes de pages ou gentilshommes, que le roi envoye aux gouverneurs des provinces, aux vicerois, & autres personnes de marque, pour leur signifier ses ordres. Ce nom signifie esclave du roi, non que ces officiers soient réellement esclaves comme les ichoglans du grand-seigneur, mais ils prennent cette qualité pour marquer qu'ils sont entierement dévoüés aux ordres du souverain : car ce sont pour la plûpart des enfans de qualité élevés dès leur jeunesse à la cour, & qu'on destine aux plus grands emplois. Celui vers lequel le sophi les envoye, doit leur donner un riche habit à leur arrivée, & un présent convenable à leur qualité lorsqu'ils s'en retournent : souvent même le roi taxe le présent que l'on doit faire à son coulom-cha, & alors on est obligé de le lui payer d'abord comme une dette, sans préjudice des libéralités qu'on y ajoûte selon le mérite de l'envoyé & son crédit auprès du prince. Chardin, voyag. de Perse. (G)


COULOMBESS. f. (Charp.) sont deux gros poteaux dans les cloisons ou pans de bois où portent les poutres ; ils sont éloignés de la grosseur de la poutre, & dans l'une & l'autre est assemblé à tenons & mortoises avec embrevement, le tasseau qui porte la poutre. Voyez Pl. du Charp. fig. 17. n. 32.


COULOMMIERS(Géog.) petite ville de France près de Meaux.


COULONvoyez PIGEON.

COULON RAMIER, voyez MANSART.


COULONGES(Géog. mod.) petite ville de France en Poitou.


COULPES. f. en Droit, est synonyme à faute. Ainsi l'on dit pour rendre le lata culpa, culpa levis, & culpa levissima des Latins, la coulpe grave, la coulpe legere, & la coulpe très-legere.

Les Théologiens disent que dans la confession des péchés, le sacrement remet la coulpe ; mais non la satisfaction.

COULPE, (Hist. eccles.) se dit encore dans plusieurs monasteres, de l'aveu de ses fautes en présence de tous les freres assemblés.


COULURES. f. (Oecon. rustiq.) interruption de la seve dans son mouvement, en conséquence de laquelle elle cesse de nourrir les fleurs de la vigne qui tombent sans donner de fruit.

COULURES, terme de Pêche, cordes de crin qui accompagnent une seine par en-haut où l'on attache les liéges, & par en-bas où l'on met les caillous.

COULURE ; (Fondeur) portion de métal qui s'est échappée hors du moule, quand on a jetté la piece.


COUODOS. m. (Comm.) mesure de Portugal dont on se sert à Goa & dans les autres possessions que les Portugais ont aux Indes, pour mesurer les étoffes, les toiles, & autres semblables étoffes envoyées d'Europe. Elle contient deux aulnes un quart de Hollande.


COUPS. m. (Chir.) choc plus ou moins violent d'un corps qui nous frappe, ou contre lequel nous allons heurter.

Il en résulte toûjours que les coups un peu considérables affoiblissent & quelquefois détruisent le ressort des vaisseaux ou les divisent. Lorsque le ressort des vaisseaux est diminué ou perdu, le mouvement progressif des fluides qui y sont contenus s'y fait lentement, ou ne s'y fait point ; parce que les solides n'ont plus la force de les pousser. Lorsque les vaisseaux sont divisés, les fluides s'épanchent dans leurs interstices, ou dans quelque cavité.

Les coups legers qui affoiblissent peu le ressort des vaisseaux ou qui les divisent foiblement, n'ont point de suites fâcheuses, la nature pourvoit toute seule à leur guérison : mais les autres coups peuvent produire toutes sortes de maux, des tumeurs, des solutions de continuité dans les parties molles, dans les parties dures, leur déplacement, un dérangement dans le cerveau, si la tête a souffert ; en un mot tous les effets qui peuvent naître des apostèmes, des blessures, des contusions, des fractures, des luxations. Alors on doit considérer seulement la nature du mal, son état, & son degré, pour y appliquer le remede. Tirons d'abord les hommes du danger, & puis nous en discuterons les causes, Article de M(D.J.)

COUP-DE-SOLEIL, s. m. (Med.) impression subite & momentanée des rayons du Soleil, réunis par des causes naturelles sur quelques corps, dont ils peuvent détruire la texture, séparer ou disperser les principes.

Tout le monde sait qu'on détourne à l'aide d'un miroir ardent les rayons du Soleil de leur parallélisme, & qu'on les réunit dans un foyer où ils vitrifient les corps qu'on y présente. Or toutes les causes naturelles qui rassemblent le mouvement de la lumiere vers un même endroit, sont capables de faire naître beaucoup de chaleur dans le lieu où elles dirigent la lumiere. Ainsi les nuées qui la réunissent quelquefois à-peu-près comme les verres & les miroirs, peuvent produire des traits de chaleur très-vifs, & c'est ce que nous appellons coups-de-Soleil. Les plantes sur lesquelles tombent ces traits de chaleur, en sont séchées, brûlées, grillées. Les hommes n'en souffrent guere impunément l'atteinte sur quelque partie du corps, particulierement sur la tête ; & l'expérience nous apprend que les caravanes, les moissonneurs, les faucheurs, les laboureurs, en sont souvent la victime : ils éprouvent encore les effets de ces traits de chaleur, lorsque le Soleil après avoir été quelque tems obscurci par des nuages, vient, en se découvrant tout-à-coup, à darder sur eux ses rayons sans aucun obstacle qui les brise.

Cette chaleur vive & subite produit sur le corps humain la raréfaction des humeurs, la distension des vaisseaux, leur atonie, la compression du cerveau, l'extravasation des fluides, l'apoplexie, la mort. Le Soleil donnant à plomb sur le crane, échauffe cette partie, met en contraction les fibres tendineuses de la dure-mere, & cause de violentes douleurs de tête, & des étourdissemens qui sont d'ordinaire les avant-coureurs de la mort.

La méthode préservative demande d'éviter ces sortes d'accidens, de s'en garantir par art, & de rompre la force des rayons du Soleil par un corps intermédiaire ; mais ce corps propre à produire cet effet, ne doit pas toucher la tête, afin de ne lui pas communiquer par le contact la chaleur qu'il recevroit des rayons du Soleil : on en peut concevoir la raison par ce qui arrive à ceux qui, ayant eu le crane ouvert, se servent pour la sûreté de leur cerveau d'une calotte d'argent ; bientôt ils se trouvent obligés, à cause de la grande chaleur que contracte cette calotte, de lui en substituer d'autres faites de carton, ou de quelque matiere moins dense & moins solide qu'un métal. La méthode curative consiste à desemplir & détendre les vaisseaux par la saignée, les lavemens, les bains tiedes, le repos des muscles & de l'esprit, l'air frais & renouvellé, les fomentations, les vapeurs d'eau, les humectans, les boissons acides, & les sucs gélatineux. Article de M(D.J.)

COUP FOUDROYANT, expérience de Leyde ou de la commotion (Physique), est le nom d'une expérience de l'électricité, dans laquelle la personne ou les personnes qui la font se sentent comme frappées vivement & tout à la fois dans plusieurs parties du corps. La maniere ordinaire de la faire est fort simple, & consiste en ceci. Ayant empli d'eau à moitié ou un peu plus une bouteille ou un vase de verre médiocrement épais, bien net & bien sec au-dessus de l'eau tant en-dedans qu'en dehors ; prenez-le d'une main, en l'empoignant de façon que vous le touchiez dans la partie qui répond à celle où se trouve l'eau intérieurement, & faites qu'un fil de métal partant du conducteur, voyez CONDUCTEUR, y trempe sans toucher les bords du vase. Si après que l'on aura électrisé le globe pendant quelque tems, vous tirez avec la jointure du milieu d'un des doigts de l'autre main une étincelle du conducteur, vous ferez l'expérience du coup foudroyant, ou plutôt vous recevrez le coup foudroyant, c'est-à-dire que dans l'instant que vous tirerez l'étincelle, si l'électricité est d'une certaine force, vous vous sentirez frappé violemment & en même tems dans les poignets, dans les coudes, les épaules, & même dans la poitrine. La maniere dont cette expérience se fait sentir & affecte telles ou telles parties, varie beaucoup selon la force de l'électricité, la constitution, & le tempérament des personnes qui la font. Dans les unes, & c'est ordinairement celles qui sont d'une constitution foible, elle affecte un plus grand nombre de parties, & produit un sentiment de douleur plus vif ; dans les autres elle occasionne une si grande surprise, qu'elles sont tentées de croire que quelqu'un des assistans les a frappées, ne pouvant s'imaginer que ce qu'elles viennent d'éprouver n'est dû qu'à l'expérience qu'elles ont faites. Mais en général elles conviennent toutes de la rapidité & de la violence du coup qu'elles ont ressenti ; coup qui est toûjours suivi, ou plutôt accompagné, d'une secousse ou convulsion si vive dans les parties qui en ont été affectées, qu'elle a souvent été cause que les personnes ont jetté le vase par terre ; c'est cette convulsion qui a fait donner à cette expérience, comme nous l'avons déjà dit, le nom d'expérience de la commotion ou du choc.

Nous pourrions pousser plus loin ce détail, sur ce que l'on ressent en la faisant ; mais comme c'est une affaire de sensation, nous ne pourrions espérer par tout ce que nous ajoûterions d'en donner une idée précise au lecteur ; ce n'est qu'en la faisant lui-même qu'il pourra l'acquérir.

Cependant comme la nouveauté des sensations les rend plus frappantes, & nous rend par-là plus éloquens & plus vrais dans les descriptions que nous en faisons, notre imagination n'ayant pû être séduite par les discours des autres ; je crois devoir ajoûter ici ce que dit M. Musschenbroeck de cette expérience, dans une lettre qu'il écrivit à M. de Reaumur après l'avoir faite pour la premiere fois, & par laquelle nous en eumes la premiere nouvelle. Ayant donné une idée de son appareil, qui ressembloit à-peu-près à celui que je viens de décrire, il continue ainsi : " tenant de ma main droite le vase de verre, tandis que j'essayois de l'autre à tirer des étincelles, tout d'un coup ma main droite fut frappée avec tant de violence, que j'eus le corps ébranlé comme d'un coup de foudre ; le vaisseau, ajoûte-t-il, quoique fait d'un verre mince, ne se casse point ordinairement, & la main n'est pas déplacée par cette commotion ; mais les bras & tout le corps sont affectés d'une maniere terrible que je ne puis exprimer ; en un mot, je crûs que c'étoit fait de moi ".

On voit par tout ce que nous venons de rapporter, que le nom de coup foudroyant qu'on a donné à cette expérience, n'est que l'expression de ce que la plûpart des personnes qui la font croyent ressentir, la maniere subite & violente dont elles sont frappées leur faisant imaginer qu'elles ont été comme foudroyées.

On n'aura pas de peine à croire que la nouvelle d'une expérience aussi extraordinaire s'étant répandue dans le monde savant, tous les physiciens ayent été curieux de la repéter : mais qu'il en ait été de même du peuple & des plus indifférens ; que cette expérience ait excité leur curiosité au point où elle l'excita, c'est ce qu'on auroit de la peine à s'imaginer, si la chose n'étoit encore trop récente pour qu'on en pût douter. En effet, il n'y eut peut-être jamais d'empressement pareil à celui qu'on témoigna pour la voir ou pour la faire, tant on avoit de peine à croire le merveilleux qu'on en racontoit. Nos physiciens étoient accablés de gens, qui demandoient à s'assurer par eux-mêmes de ce qui en étoit ; elle faisoit le sujet de la conversation ordinaire à la ville & à la cour. Enfin les choses allerent au point que l'électricité, qui jusques-là avoit été renfermée dans les cabinets des physiciens, se donna en spectacle pour de l'argent ; des gens avec des machines à électricité s'étant établis dans les foires, & ayant couru les villes & les provinces pour satisfaire à l'envie que l'on témoignoit, comme nous l'avons dit, de toutes parts de faire cette célebre expérience.

C'est ainsi que la Physique venge, si cela se peut dire, de tems en tems les Physiciens du peu de cas que le peuple (& il y en a de plus d'une espece) fait de leurs occupations : elle leur offre des faits si singuliers & si extraordinaires, que les moins curieux ne peuvent s'empêcher de sortir de leur indifférence, pour venir les admirer.

Quelque singulier & extraordinaire que l'empressement dont nous venons de parler puisse paroître, on voit cependant qu'il a une espece de fondement dans la nature de la chose elle-même. En effet, tous les différens phénomenes que nous offre la Physique ne piquent pas également la curiosité ; il y en a beaucoup où il n'y a point à admirer pour qui ne sait pas penser ; mais dans celui-ci le merveilleux s'y voit, s'y ressent pour ainsi dire. Quoi de plus surprenant, en effet, qu'une bouteille qui ne produit aucune sensation, qui paroît n'avoir apporté aucun changement à votre état, & dont l'effet est tel cependant, que lorsque vous l'empoignez, l'étincelle que vous tiriez auparavant du conducteur sans aucune conséquence en n'éprouvant qu'une légere douleur, vous fait ressentir alors une violente commotion dans les bras & dans la poitrine si brusquement & avec tant de rapidité, qu'il est impossible de l'exprimer.

C'est à Leyde que cette fameuse expérience se fit pour la premiere fois, au commencement de Janvier de l'année 1746. Comme l'on fut quelque tems avant de savoir précisément qui en étoit l'auteur, M. l'abbé Nollet lui donna le nom d'expérience de Leyde ; & le merveilleux de ses effets paroissant venir uniquement de la bouteille dont on se sert pour la faire, on l'appella aussi en conséquence la bouteille de Leyde.

Depuis on a appris que nous devions cette découverte à M. Cuneus, d'une des premieres familles de cette ville, qui aime & cultive la Physique. Il la fit par hasard un jour qu'il s'occupoit à repéter quelques expériences d'électricité. (Ceci est tiré d'une note qui se trouve à la page 3 du mémoire de M. l'abbé Nollet sur l'expérience de Leyde, inseré dans les mémoires de l'académie des Sciences de l'année 1746.)

Je me suis un peu étendu sur l'historique de cette expérience, sur l'éclat & la réputation qu'elle a donné à l'électricité ; mais j'ai cru que dans un ouvrage consacré à transmettre à la postérité les découvertes des différens siecles, & les circonstances qui les ont accompagnées, on ne seroit pas fâché de trouver une histoire abregée de celle-ci.

On conçoit que cette nouvelle expérience, ou plutôt ce nouveau phénomene de l'électricité, reveilla l'ardeur des Physiciens, & qu'ils s'empresserent à l'envi de reconnoître toutes les différentes circonstances qui l'accompagnent, afin d'en découvrir les causes ; c'est aussi ce qui arriva. De-là il est facile d'imaginer qu'il a dû résulter un nombre infini d'expériences qu'il seroit inutile & même impossible de rassembler ici.

Afin de satisfaire cependant à ce que le lecteur a droit d'attendre de nous à ce sujet, nous exposerons ce qui regarde ce phénomene d'une maniere assez étendue, pour qu'il lui soit facile ensuite de se former une idée de la plûpart des expériences qui n'en sont que des suites.

Pour exécuter ceci d'une maniere plus abrégée, nous commencerons par donner le plus succinctement que nous pourrons, une idée de plusieurs propriétés des corps électrisables par communication, & de ceux qui ne le sont pas, dont il sera traité plus amplement à l'article ELECTRICITE, auxquels il nous paroît que l'on doit attribuer ce qui arrive dans l'expérience du coup foudroyant ; ensuite nous montrerons par l'analyse des faits qu'elle nous présente ; qu'ainsi que nous venons de l'avancer, elle n'est qu'une suite de ces propriétés. Au reste, si nous avons suivi cette voie, c'est que nous avons cru pouvoir par son moyen, donner un ordre plus systématique à cet article, & exposer plus méthodiquement ce qui en dépend ; car nous ne prétendons nullement donner comme une véritable explication des causes de cette expérience, ce que nous disons à ce sujet (quoiqu'en le faisant nous ayons tâché de ne suivre d'autre guide que l'analogie des faits), mais plutôt comme une hypothese, des conjectures, ou tout ce que l'on voudra sur ces causes. Pour faire voir que nous regardons cette explication exactement sur ce pié, nous ajoûterons celles qu'ont donné de la même expérience les plus habiles Physiciens, afin que le lecteur puisse choisir, & ne se déclarer que pour celle qui lui paroîtra le mieux quadrer avec les faits.

Au reste, nous n'oublierons rien dans cet article pour rendre justice à tous les Physiciens qui ont travaillé sur cette matiere ; & si par hasard nous y manquions, nous les prions de croire que c'est faute d'avoir été bien instruits, & non pour leur ôter rien d'une gloire aussi légitime que celle qui leur revient de leurs travaux.

Une des plus grandes différences qu'il y ait entre les corps électrisables par communication, & ceux qui ne le sont pas, & dont il soit plus important d'être instruit, c'est que les premiers, comme les métaux, les corps animés, l'eau, &c. paroissent être les véritables reservoirs de la matiere électrique, comme M. Watson l'a avancé le premier, & comme nous l'avons prouvé dans un mémoire lû à l'académie des Sciences l'année derniere ; & que les seconds, comme le verre, la porcelaine, la cire d'Espagne, &c. paroissent au contraire n'en point contenir du tout, ou du moins être de telle nature que par les moyens connus jusqu'ici nous ne pouvons pas l'en tirer. Ainsi, par exemple, avec quelque force que vous frottiez le verre, vous ne l'électriserez jamais sensiblement, si le corps qui le frotte ne contient de la matiere électrique ; car s'il n'en contient pas, s'il en est dépouillé, quelqu'effort que vous fassiez, & quelque tems que vous employiez à le frotter, il ne deviendra jamais électrique.

Il est à propos d'observer à ce sujet, que les métaux, les corps animés, &c. paroissent ne pouvoir contenir qu'une certaine quantité de feu ou fluide électrique dans leurs pores, & qu'aussi-tôt qu'on leur en ajoûte au-delà, le surplus tend à s'échapper de toute part. Il suit de ces propriétés un phénomene assez singulier, que je crois avoir observé le premier ; c'est que toutes les fois qu'une personne, ou un corps quelconque électrisable par communication, tire une étincelle d'un corps électrique, le premier, à moins qu'il ne soit isolé, se décharge du feu électrique qu'il a reçû, ou insensiblement (ce qui arrive lorsque le corps est dans un contact immédiat avec quelque grande masse de corps électrisables par communication, comme le plancher) ; ou d'une maniere sensible & avec une étincelle plus ou moins forte, lorsque ce corps étant comme isolé se trouve près de quelque corps non-électrique par lui-même. Si une personne, par exemple, tire une étincelle du conducteur, elle se déchargera du feu électrique qu'elle aura reçû d'une maniere insensible à-travers ses souliers : mais si elle presse légerement avec ses doigts le bras ou le poignet d'une autre personne, de façon cependant qu'elle ne le touche que dans très- peu de points ; dans l'instant qu'elle tirera l'étincelle, elles ressentiront l'une & l'autre, si l'électricité est un peu forte, une légere douleur comme d'une piquûre dans l'endroit où elles se touchoient ; douleur produite par une petite partie de l'électricité de la personne qui tire l'étincelle qui passe par cet endroit, tandis que le reste se dissipe par ses souliers. Cet effet ira même plus loin ; & si l'électricité est d'une certaine force, il se communiquera à quatre, cinq, ou six personnes se tenant de la même maniere.

Les corps électrisables par communication ont encore cette propriété, qui selon toute apparence tient à la premiere dont nous avons parlé ; c'est qu'en les touchant, quoique ce ne soit que dans un point, pourvû que le contact soit bien intime, on leur communique ou leur enleve l'électricité dans un instant.

Pour se former une idée de cette propriété, qu'on suppose un conducteur ou tout autre corps bien électrique : si une personne posant sur le plancher le touche, elle lui enlevera toute son électricité, à moins que le plancher ou ses souliers ne soient fort secs : si au contraire cette personne montée sur un gâteau de résine, touche ce même conducteur supposé électrisé de nouveau, elle acquerrera au même instant une électricité égale à la sienne.

A cet égard, le verre, la porcelaine, & les autres substances électriques par elles-mêmes, different extrèmement de celles qui ne le sont pas ; car vous pouvez les toucher, & même dans plusieurs points tout-à-la-fois, sans leur enlever pour cela toute leur électricité : de même, ce qui ne paroît que l'inverse de cette qualité, vous ne pouvez les électriser par communication, qu'autant que le corps qui les électrise les touche tout-à-la-fois dans un grand nombre de points ; encore ne peut-on les électriser sensiblement de cette façon que d'une surface à l'autre, c'est-à-dire, par exemple, qu'en électrisant par communication une des surfaces d'un carreau de verre, on électrisera la surface opposée. Il semble que ces substances soient comme composées de parties ayant chacune en particulier leur petite atmosphere d'électricité. On voit par-là que pour desélectriser les corps électriques par eux-mêmes, comme pour les électriser par communication, il faut les toucher tout-à-la fois dans un grand nombre de points.

Pour donner une idée de leur composition, & de celle des corps électrisables par communication, ou plûtôt de la maniere dont leurs différentes propriétés, dont nous venons de parler, peuvent avoir lieu, on pourroit supposer les premiers comme composés d'un grand nombre de petits globules non électriques par eux-mêmes, mais assez distans les uns des autres pour que l'on puisse enlever l'électricité de l'un d'entr'eux, sans pour cela enlever celle du globule voisin ; & les seconds comme composés des mêmes petits globules, se touchant tous de façon que l'on ne pourroit enlever l'électricité de l'un, que l'on n'enlevât en même tems celle de tous les autres. Ainsi, par exemple, en supposant une douzaine de balles de fer toutes isolées, électrisées, & placées à une certaine distance les unes des autres, on conçoit qu'on pourra à différentes reprises tirer des étincelles d'une de ces balles, sans enlever pour cela toute l'électricité des autres ; on aura une idée de ce qui se passe dans le verre. Mais si on les suppose rapprochées de façon qu'elles se touchent immédiatement, on ne pourra tirer une étincelle de l'une d'entr'elles, qu'on n'enleve en même tems toute ou la plus grande partie de l'électricité des autres ; ce qui est le cas des métaux & des autres corps électrisables par communication. Mais passons à une autre propriété des corps électriques par eux-mêmes, ou plus particulierement du verre & de la porcelaine, dans laquelle nous paroît consister tout le mystere du coup foudroyant.

Cette singuliere propriété du verre est que, lorsqu'il est électrisé par communication, ou même par frottement, comme nous l'avons découvert, pendant que la surface opposée à celle que l'on électrise de l'une ou l'autre de ces manieres, est en contact avec du métal ou toute autre substance électrisable par communication, il acquiert la faculté de donner du fluide électrique par la surface qui est électrisée, & en donne effectivement si rien ne l'en empêche, & d'en pomper ou d'en tirer par son opposée en contact avec le corps métallique ; & ce qu'il fait effectivement s'il en peut donner par la premiere surface. Eclaircissons ceci par un exemple. Supposons un carreau de verre bien net & bien sec, suspendu horisontalement sur des cordons de soie, & recouvert d'une feuille de plomb d'une figure semblable, mais plus petite dans toutes ses dimensions d'un pouce ou un peu plus, de façon qu'il la déborde en tout sens ; supposons encore ce carreau électrisé par communication au moyen de l'électricité que reçoit la feuille du conducteur ; imaginons de plus qu'une personne touche sa surface inférieure du plat de la main, sans cependant en toucher les bords : si après l'avoir électrisé de cette maniere pendant un certain tems, on ôte à la feuille de plomb sa communication avec le conducteur ; on verra que cette feuille qui auparavant recevoit l'électricité, en fournira, & que la surface inférieure du verre qui en fournissoit, comme nous le dirons dans un moment, en recevra. Pour bien s'assûrer de l'existence de ce fait, présentez à la feuille de plomb une pointe de fer, vous verrez à son extrémité une espece de petit point de lumiere ; faites-en de même à la surface inférieure du carreau, au lieu de ce point vous verrez à la pointe une aigrette, ou si vous ne la voyez pas, vous serez toûjours en état de l'exciter en tirant des étincelles de la feuille de plomb. Or, comme on le verra à l'art. ÉLECTRICITE, & comme nous l'avons montré dans le mémoire déjà cité, le point de lumiere indique toûjours l'entrée du fluide électrique dans le corps, & l'aigrette sa sortie ; ce qui montre que dans le premier cas il y a un fluide électrique qui sort de la feuille de plomb & entre dans la pointe de fer, & que dans le second il y en a un qui sort de cette pointe pour entrer dans la surface inférieure du verre.

Dans les circonstances que nous avons dites être nécessaires à observer pour que le verre acquît la propriété dont il est ici question, nous avons spécifié particulierement qu'il falloit tenir le plat de la main contre la surface opposée à celle qui recevoit l'électricité. Or quoique tout verre électrisé par une de ses surfaces, soit par frottement, soit par communication, donne toûjours un peu d'électricité par l'autre, comme on peut s'en convaincre en présentant à cette derniere surface la pointe de fer (car on y verra le petit point de lumiere, qui est, comme nous venons de le dire, la preuve qu'il sort un fluide électrique du corps auquel vous la présentez) il paroît cependant par un grand nombre d'expériences, que par le moyen dont nous avons parlé, on oblige une plus grande quantité de fluide électrique à sortir de cette surface non électrisée. Ainsi, par exemple, si vous électrisez par communication un tube de verre plein de limaille de fer ou de sable, il paroîtra peu d'électricité au-dehors, pendant qu'elle passera toute au-dedans. De même si vous vuidez ce tube d'air, ce qui, comme on le verra à l'article ELECTRICITE, revient à la même chose que de l'emplir de limaille, vous verrez encore dans l'obscurité l'électricité passer au-dedans, & y faire plusieurs jets d'un feu pâle & rare, &c. enfin on observera toûjours qu'il sort beaucoup plus de fluide électrique de la surface opposée à celle qu'on électrise, lorsque la premiere est en contact avec quelque corps électrisable par communication, que dans tout autre cas.

On a vû par ce qui a été dit plus haut, comment, lorsque le carreau de verre a été fortement électrisé, sa surface qui a reçû l'électricité en fournit, & comment son opposée en pompe des corps environnans qui en peuvent donner. Mais nous avons dit que dès que le verre est électrisé par une de ses surfaces, pendant que l'autre est en contact avec un corps électrisable par communication, il acquiert une tendance à produire cet effet, s'il n'en est pas empêché ; c'est ce qui demande à être expliqué un peu plus au long. Quant au fait, voici ce qui arrive, & que l'on observera constamment dès qu'on commencera à électriser le carreau de verre. Par exemple, tout étant de même que nous l'avons supposé plus haut, on verra, si l'on retire pour un moment la main de dessous la surface inférieure, on verra, dis-je, en y présentant la pointe de fer, le point de lumiere à cette pointe ; preuve, comme nous l'avons dit, que le fluide sort de cette surface. Mais à mesure que le carreau de verre deviendra plus électrique, ce point ira toûjours en s'affoiblissant, comme on pourra s'en appercevoir en retirant la main de tems en tems, & présentant la pointe. Enfin lorsque ce verre aura acquis le plus grand degré d'électricité que la vertu électrique du globe pourra lui communiquer, si l'on présente de nouveau cette pointe à la surface inférieure, le point de lumiere paroîtra comme insensible, ou s'évanoüira tellement, que pour peu que l'électricité du conducteur vienne à diminuer en en tirant des étincelles, ou par quelqu'autre cause, ce point se changera aussi-tôt en aigrette, qui est la marque d'un fluide électrique sortant de cette pointe, & tendant à entrer dans le corps auquel vous la présentez. Cependant la tendance de ce carreau à fournir de l'électricité, n'a pas moins lieu pendant tout le tems de son électrisation : mais comme c'est avec peu de force, elle ne se manifeste que dans les cas où elle peut véritablement entrer en action, comme lorsqu'on diminue tout-d'un-coup par une forte étincelle l'électricité du conducteur. Car si dans le même moment ayant retiré la main de sa surface inférieure, on présente à cette surface la pointe de fer, on en verra sortir une aigrette, au lieu du point de lumiere que nous avons dit précédemment qu'on y observoit. Voici à-peu-près comment nous concevons que ces différens effets ont lieu. Lorsque vous commencez à électriser le carreau de verre, la force qu'il acquiert pour fournir du fluide électrique par sa surface électrisée, est inférieure de beaucoup à celle avec laquelle le globe tend à en fournir par le conducteur : celle-ci l'emportant donc, l'électricité qu'il fournit doit passer au-travers du verre, & en sortir, comme on a vû que cela arrivoit, à-peu-près comme deux courans d'air opposés qui se rencontreroient dans un tuyau ; celui qui auroit le plus de vîtesse repousseroit l'autre, & l'obligeroit à lui livrer passage. Mais comme à mesure que le carreau de verre est électrisé, il acquiert plus de force pour pousser du fluide par la surface électrisée, &c. la force avec laquelle l'électricité vient du globe, l'emporte de moins en moins sur celle avec laquelle il tend à en donner ; de façon que le fluide électrique qui passe à-travers le carreau va toûjours en diminuant, jusqu'à ce qu'enfin la force que le carreau a pour en fournir, étant égale à celle que le globe a pour lui en communiquer, il n'en peut plus passer. Ces deux forces une fois parvenues à l'égalité, dès que celle avec laquelle le conducteur agit s'affoiblit, soit que l'on diminue l'électricité en en tirant des étincelles, ou que le globe en fournisse moins, la force avec laquelle le carreau tend à fournir du fluide électrique l'emporte ; & il en donne par la surface électrisée, pendant qu'il en pompe par l'autre, ainsi que nous l'avons dit. Au reste il paroît que toutes les substances électriques par elles-mêmes, n'ont pas la propriété du verre dont nous venons de parler : on ne connoît encore que la porcelaine & le talc qu'on lui puisse substituer dans l'expérience du coup foudroyant. M. Dutour de Riom, correspondant de l'académie des Sciences, est le premier que je sache qui ait parlé de cette propriété du talc.

Ayant mis sous les yeux du lecteur ces différentes propriétés des substances électriques & non électriques par elles-mêmes, nous passerons à l'analyse des moyens que l'on employe pour faire l'expérience du coup foudroyant, & de ce qui se passe dans cette expérience.

Dans la description que nous avons donnée de la maniere dont elle se fait, nous avons dit que l'on emplissoit la bouteille à moitié, ou un peu plus, & que l'on faisoit tremper dans l'eau de cette bouteille, un fil de métal partant du conducteur. Nous avons dit en même tems qu'il falloit la tenir d'une main, en l'empoignant de façon que l'on touche les parties de sa surface qui répondent à celle que l'on touche intérieurement, & ensuite tirer une étincelle du conducteur. Nous allons, d'après les différentes propriétés du verre, & des corps électrisables par communication, que nous avons rapportées, essayer de faire voir comment de cette disposition & de ces propriétés il en doit résulter un choc dans la personne qui fait l'expérience. Par les propriétés du verre, que nous venons de rapporter, on voit, 1°. que l'eau étant électrisée par le moyen du fil de métal venant du conducteur, elle doit électriser le verre dans tous les points où elle le touche, puisque, comme nous l'avons dit, le verre s'électrise ainsi par communication. On sent facilement aussi pourquoi on ne doit pas emplir la bouteille d'eau au-dessus d'une certaine hauteur, & pourquoi elle doit être fort seche dans toute la partie extérieure & intérieure au-dessus de la surface de l'eau ; car si cette liqueur montoit trop haut dans la bouteille, ou que ses deux surfaces fussent humides, l'électricité pourroit glisser le long de ces surfaces, se transmettre à la main, &c. & de-là se perdre dans le plancher ; ainsi le verre ne pourroit plus s'électriser, puisqu'il ne resteroit plus d'électricité : on voit donc la nécessité d'un intervalle, rebord ou marge de verre, qui sépare les deux substances électrisables par communication, qui le touchent. On voit, 2°. que la main, qui est un électrisable par communication, touchant la bouteille par sa surface extérieure, doit obliger une partie de l'électricité que reçoit l'intérieure, à passer au-travers du verre, comme nous avons dit que cela arrivoit dans ce cas. 3°. Que par-là, au bout d'un certain tems d'électrisation, cette bouteille acquiert la propriété de pouvoir fournir de l'électricité par sa surface intérieure, & d'en pomper extérieurement par les pores répondans à ceux qui ont été électrisés en-dedans. Ceci étant bien entendu, si l'on se rappelle que tous les corps électrisables par communication, contiennent beaucoup de fluide électrique, on concevra comment on doit éprouver un choc, lorsqu'en tenant la bouteille d'une main, on tire de l'autre une étincelle du conducteur ; car dès que vous tirez cette étincelle, vous acquérez du fluide électrique qui tend à se décharger de toutes parts, & qui se déchargeroit effectivement au plancher à-travers vos souliers, si dans le même instant le cul de la bouteille ne l'attiroit : or comme dans le même tems que d'une main vous tirez l'étincelle du conducteur, la bouteille tire ou pompe l'électricité de l'autre main qui la touche, comme nous l'avons dit, vous devez en conséquence sentir instantanément deux secousses dans les parties du corps opposées, c'est-à-dire dans le poignet, &c. de la main qui tient la bouteille, & dans celui de celle qui tire l'étincelle. En effet, dans le bras qui tire l'étincelle, vous devez sentir une secousse produite par le fluide électrique qui y entre ; & dans celui qui tient la bouteille, une autre secousse produit au contraire par le fluide qui en sort : & c'est aussi ce que l'on ressent, non seulement dans les poignets, mais encore dans les coudes, &c. comme nous l'avons dit au commencement de cet article. Cette double sensation distingue d'une maniere bien précise l'effet de cette expérience, de celui d'une simple étincelle que l'on tire du conducteur. Dans ce dernier cas on ne ressent qu'une seule secousse, & cela dans la partie qui tire l'étincelle. Il est vrai que lorsque l'électricité est très-forte, on en ressent une aussi quelquefois en même tems dans la cheville du pié ; ce qui a fait dire à quelques physiciens, que le choc de l'expérience de Leyde ne différoit de celui que produit une simple étincelle, que par la force ; mais ils ne faisoient pas attention à cette double sensation simultanée, que l'on éprouve toûjours dans cette expérience, quelque foible même que soit l'électricité, & qui par-là en fait, pour ainsi dire, le caractere.

L'expérience suivante forme une nouvelle preuve en faveur de l'explication que nous venons de donner des causes du coup foudroyant.

Que, tout restant de même, on suppose la bouteille placée sur un guéridon de bois, & deux personnes ayant chacune une main posée dessus, toûjours dans la partie qui répond à celle où l'eau se trouve intérieurement ; si l'une d'elles tire une étincelle du conducteur, elles seront frappées toutes les deux en même tems ; mais l'une, celle qui tout à la fois touche la bouteille & tire l'étincelle, recevra le coup foudroyant ; & l'autre, dont la main repose dessus, ne sera frappée, quoiqu'assez vivement, que dans le bras & le poignet de la main qui touche à la bouteille. La raison en est sensible. Lorsqu'une des personnes tire l'étincelle du conducteur, le verre de la bouteille pompe le fluide électrique de tous les corps qui touchent les points de sa surface extérieure, répondant à ceux que touche l'eau intérieurement : il doit donc non-seulement en pomper de la personne qui tire l'étincelle, & par-là lui faire recevoir le coup foudroyant, mais encore de celle qui ne fait que reposer sa main dessus, quoique cette personne ne participe aucunement au reste de l'expérience.

Avant d'aller plus loin, il est à propos de répondre à une difficulté que l'on pourroit nous faire. Selon vous, nous dira-t-on, les secousses que l'on ressent dans le coup foudroyant, sont produites par l'entrée du fluide électrique d'un côté, & par sa sortie de l'autre. Or ce fluide entrant par la main qui tire l'étincelle, & sortant par celle qui tient la bouteille, il sembleroit que ces secousses devroient se faire sentir aux deux mains, & cependant vous dites que c'est aux poignets, aux coudes, &c. Comment cela se fait-il ? Le voici. Ce n'est pas tant l'entrée ni la sortie du fluide électrique dans un corps, qui produit un effet ou une sensation, que la maniere dont ce fluide entre ou sort. La raison en est que la transmission de l'électricité d'un corps à un autre qui le touche immédiatement, se fait sans choc, sans étincelle, enfin sans aucun effet apparent ; au lieu que si elle se fait d'un corps à un autre qui ne le touche pas, il y a toûjours étincelle & choc. Ainsi, que l'on électrise une chaîne de fer non tendue, & dont les chaînons soient à quelque distance les uns des autres, le passage de l'électricité de l'un à l'autre deviendra sensible par une étincelle qui partira successivement de chacun d'eux ; mais si la chaîne est bien tendue, ensorte que tous les chaînons se touchent bien intimement, la transmission se fera d'un bout à l'autre dans un instant, & sans que l'on s'en apperçoive. Appliquons ceci à ce qui se passe dans un homme qui fait l'expérience du coup foudroyant. Dans cet homme se trouvent des articulations aux poignets, aux coudes, aux épaules, &c. Dans ces parties la continuité n'est pas bien entiere ; elles ressemblent donc en quelque façon aux chaînons qui ne se touchent pas immédiatement : il s'ensuit donc qu'il doit y avoir une espece de choc, lorsque l'électricité passe de l'une à l'autre, comme nous avons dit qu'on l'observe. Cependant le doigt ne laisse pas de ressentir une douleur, mais plûtôt d'une forte piquure brûlante ; & si la main qui touche la bouteille ne ressent rien ordinairement, c'est que le fluide électrique se déchargeant par tous ses pores, l'impression qu'elle fait est trop foible pour être apperçue. Vous vous assûrerez que c'en est-là l'unique cause, si au lieu d'appuyer la main toute entiere sur une bouteille bien électrisée, vous ne la touchez que du bout des doigts ; car vous y ressentirez une douleur très-vive en faisant l'expérience, le fluide électrique faisant alors une impression fort sensible, parce qu'il ne sort que par le petit nombre de pores qui sont au bout des doigts.

Non-seulement l'expérience que nous avons rapportée plus haut, paroît confirmer notre explication des effets de la bouteille de Leyde, mais encore la plûpart de celles que l'on peut faire avec cette bouteille ; ainsi lorsqu'elle fait partie d'un système de corps électrisés, quoique d'abord l'électricité paroisse plus foible que lorsqu'il n'y en a pas, cependant elle augmente successivement jusqu'à devenir très-forte : ce qui arrive lorsque cette bouteille a acquis la plus grande vertu possible, relativement à l'intensité de la force électrique qui vient du globe. On dit alors qu'elle est chargée, & l'électricité devient en quelque façon constante, & n'augmente ni ne diminue point à chaque instant, comme cela arrive lorsque cette bouteille ne fait point partie du système des corps électrisés ; ensorte qu'elle forme comme une espece de réservoir à l'électricité : or cet effet est une suite naturelle de ce que nous avons dit plus haut de la propriété qu'a le verre, de fournir du fluide électrique par la surface qui en a reçû, & d'en pomper par celle qui en a donné : car par cette propriété on voit que lorsque le verre de la bouteille de Leyde a été fortement électrisé, si le globe vient à fournir moins d'électricité, ce verre en redonne à l'eau, &c. en en pompant de la personne ou du support non-électrique sur lequel il est appuyé : la force qu'ont le globe & la bouteille pour fournir chacun de l'électricité, étant, comme nous l'avons dit plus haut, pour ainsi dire en équilibre lorsque celle-ci est bien chargée. On voit encore, par la même raison, que la vertu qu'a cette bouteille de conserver long-tems son électricité, est une suite de la même propriété. En effet, tant qu'elle conserve la faculté de pomper du fluide électrique des corps qui la touchent, elle conserve celle d'en fournir, & par conséquent de paroître électrique. Le tems que cette bouteille conserve son électricité, va quelquefois jusqu'à trente-six, quarante heures, & plus.

Dans la description que nous avons donnée du procédé que l'on observe dans cette expérience, nous avons suivi celui qui a été le premier employé, comme le plus simple. Aujourd'hui on met ordinairement un bouchon dans la bouteille, au-travers duquel passe un fil-de-fer qui va tremper dans l'eau, & dont l'extrémité qui deborde le bouchon, est courbée comme un anneau : on l'appelle le crochet. Par ce moyen on se sert plus commodément de cette bouteille ; & l'ayant chargée, on peut la transporter où l'on veut.

Après avoir donné notre explication des causes de l'expérience du coup foudroyant, il est à propos de dire, comme nous l'avons promis, deux mots de celles qu'en ont donné les plus habiles physiciens, comme MM. l'abbé Nollet, Jallabert, Watson & Franklin.

Selon le premier, tout dans cette expérience consiste à électriser un corps fortement, lequel cependant on puisse toucher & manier sans lui rien faire perdre de sa vertu ; & la commotion que l'on ressent, vient de ce que la matiere électrique du corps non-électrisé qui fait l'expérience, est vivement & en même tems choquée d'un côté par celle qui sort du conducteur ; & de l'autre, par celle qui s'élance de la bouteille. Selon M. Jallabert, au moment de l'expérience, deux courans d'un fluide très-élastique mûs avec violence, entrent & se précipitent dans le corps par deux routes opposées, se rencontrent, se heurtent, & leur mutuelle répulsion cause une condensation forcée de ce fluide en diverses parties du corps. Selon M. Watson, lorsque la personne qui fait l'expérience de Leyde ou du coup foudroyant, tire l'étincelle du conducteur, elle perd au moment de l'explosion qui se fait alors, autant de feu de son corps, qu'il y en avoit d'accumulé dans l'eau & dans le canon de fusil ; & elle sent dans ses deux bras l'effet du courant de son feu qui passe à-travers l'un, au canon de fusil ; & à-travers l'autre, à la phiole ou à la bouteille. Enfin, selon M. Franklin, la commotion n'a lieu qu'en conséquence de la prodigieuse condensation du fluide électrique dans la surface touchée par le corps électrisable par communication du verre électrisé, comme l'eau, le métal, &c. & raréfié au même degré dans la surface opposée ; & ce fluide, pour se rétablir en équilibre, ne pouvant passer à-travers le verre, qui selon cet auteur, y est imperméable ; ce fluide, dis-je, dans l'instant que l'on tire l'étincelle, se précipite avec une rapidité inexprimable à-travers le corps électrisable par communication, qui fait la jonction du conducteur à la bouteille, pour entrer dans la surface du verre de cette bouteille, dans laquelle il avoit été tant raréfié.

On voit par cet exposé de la doctrine de M. Franklin sur la cause du coup foudroyant, que la nôtre y a assez de rapport. Nous prétendons en effet, comme lui, qu'il se fait un mouvement du fluide électrique, du crochet de la bouteille vers son ventre ; & il faut en convenir. Il est le premier qui, à cet égard, ait bien observé ce qui se passe dans cette expérience, & nous sommes d'accord avec lui, quant aux effets en genéral, mais d'une opinion très-différente de la sienne. On vient de voir que, selon lui, le verre est imperméable à la matiere électrique ; que lorsqu'on charge la bouteille, il sort autant de fluide électrique de sa surface intérieure, qu'il en entre par l'extérieure. Or il ne prouve nullement l'imperméabilité du verre à la matiere électrique, d'une maniere décisive, non plus que la seconde proposition : tous les faits qu'il allegue à ce sujet étant équivoques, & pouvant tout aussi-bien provenir d'autres causes. Enfin on ne voit pas comment, dans son systeme, il pourroit expliquer ce qui arrive dans l'expérience que j'ai rapportée, où deux personnes ayant tout à la fois les mains sur la bouteille, celle qui ne tire pas l'étincelle du conducteur, ne laisse pas de sentir une secousse, & même assez vive, dans la partie qui communique avec la bouteille, car dans la supposition de M. Franklin, n'y ayant aucun fluide qui la traversât, elle ne devroit ressentir aucun choc ; mais c'est ce qui est directement contraire à l'expérience. Quoi qu'il en soit, il faut rendre à cet habile physicien la justice de dire, qu'il est le premier qui, par un grand nombre d'expériences ingénieuses, nous ait mis sur la voie de bien analyser ce qui se passe dans l'expérience du coup foudroyant ; & en cela on peut dire qu'il n'a pas rendu un petit service à l'électricité. En effet, parmi tous ses différents phénomenes, il n'en est point dont il soit plus essentiel d'avoir une connoissance exacte, que de celui-ci, au moins quant à la route qu'y tient le fluide électrique. J'exhorte tous les Physiciens à la chercher, & à tâcher de la reconnoître ; car comme on a crû qu'une expérience de cette nature devoit sûrement agir sur le corps humain, & qu'en conséquence on a crû en devoir faire l'application à différentes maladies, il est de la plus grande conséquence de savoir quelle route prend le fluide électrique ; s'il va de la bouteille à-travers la personne au conducteur, ou de celui-ci à travers la personne à la bouteille. Pour peu effectivement qu'on y fasse attention, on voit que si l'on n'a pas une connoissance exacte de cette route, on peut, en appliquant cette expérience au corps humain, donner lieu à des effets directement contraires à ceux que l'on se proposoit de produire.

Après avoir donné une idée de ce qui se passe dans l'expérience du coup foudroyant, & fait voir qu'elle n'est qu'une suite des différentes propriétés du verre, & des corps non électriques par eux-mêmes qu'on y employe. Il ne sera pas difficile de satisfaire à plusieurs questions que l'on peut faire par rapport à cette expérience, & au procédé que l'on observe pour la faire. Ces questions nous paroissent pouvoir se réduire aux suivantes : 1°. si on peut substituer indifféremment toutes sortes de matieres à l'eau que l'on met dans la bouteille : 2°. si la grandeur ou la forme du vase n'y change rien : 3°. si l'on peut en augmenter la force, & comment : enfin si plusieurs personnes peuvent faire cette expérience tout à la fois comme une seule ; ou, ce qui revient au même, si le circuit, le cercle ou la chaîne des corps non électriques par eux-mêmes, qui font la communication du ventre de la bouteille avec le conducteur dont on tire l'étincelle, peut avoir telle étendue qu'on veut ; & si alors dans cette grande étendue l'effet est instantané.

On a vû qu'il n'étoit question dans cette expérience, que d'électriser le verre par communication. Toutes les substances capables de s'électriser de cette façon, & disposées sous une forme à toucher le verre en un grand nombre de points tout à la fois, y seront donc propres ; ainsi tous les métaux réduits en limaille ou en feuilles, le plomb en grains, le mercure, un corps animé, &c. y conviendront fort bien, & enfin toutes les matieres bien électrisables par communication. Il y a cependant une remarque assez intéressante à ce sujet, par rapport aux métaux : c'est que lorsqu'ils sont calcinés on ne peut plus les y employer ; quoique réduits en limaille, ils y servent très-bien : ainsi la céruse, le minium, & en général toutes les chaux de métaux, n'y conviennent pas, comme l'a observé M. Watson. Cela est d'autant plus singulier, que pour revivifier un métal de sa chaux, il ne faut, comme on sait, qu'ajoûter à celle-ci un peu de phlogistique. Or comme il y a toute apparence que c'est le phlogistique qui fait les corps originairement électriques, puisque nous voyons que la plûpart de ceux qui en contiennent beaucoup, sont dans ce cas, il sembleroit que cette addition devroit rendre le métal moins électrisable par communication, que sa chaux : ce qui cependant, comme on vient de le voir, est contraire à l'expérience. Nous avons dit en parlant des propriétés du verre, que lorsqu'on ôtoit le contact de l'air d'une de ses surfaces, c'étoit comme si on la touchoit par des corps électriques par communication. Donc, si au lieu d'eau dans la bouteille, on y substituoit le vuide, si cela se peut dire ; ou plûtôt si, épuisant la bouteille d'air, on la scelloit hermétiquement, & qu'on électrisât bien son cou pendant qu'on la tiendroit par son ventre, on feroit avec cette bouteille ainsi préparée, l'expérience de Leyde, de même que si l'on y avoit mis de l'eau. Nous devons cette curieuse expérience à M. l'abbé Nollet. Enfin on la feroit encore, si au lieu de vuider la bouteille d'air, on l'emplissoit ou d'eau ou de limaille, &c. & qu'on la scellât hermétiquement, ainsi que je l'ai éprouvé. J'ai dit que les matieres substituées à l'eau dans cette expérience, devoient être des plus électrisables, & cela est ainsi ; car le bois & d'autres substances, qui d'ailleurs ne laissent pas de s'électriser beaucoup par communication, n'y sont pas propres.

Ayant montré que la bouteille ne produisoit le coup foudroyant que par la propriété qu'a le verre, lorsqu'il a été fortement électrisé, de donner de l'électricité par le côté qui en a reçu, & d'en pomper par celui qui en a donné, on voit par rapport à la seconde question, que la forme du vase ou celle sous laquelle vous employez le verre, n'y fait rien ; puisque cela ne peut apporter aucun changement à la propriété dont nous venons de parler : ainsi qu'il soit formé en bouteille, en cylindre, qu'il soit rond ou plat, &c. pourvû que les corps électrisables par communication qui touchent ses deux surfaces, laissent de chaque côté, comme nous l'avons dit, deux especes de rebords ou marges tout-autour pour empêcher l'électricité de passer d'une surface à l'autre le long de ces corps, on fera toûjours l'expérience de Leyde. En effet, on voit que le verre disposé en forme de carreau n'est, à le bien prendre, que la bouteille ou le vase développé & étendu. Cependant, quoique cette idée paroisse aujourd'hui fort simple, nous sommes en général si fort attachés à l'imitation, qu'il s'écoula près de deux ans depuis la premiere découverte de cette expérience jusqu'au tems où l'on pensa à la faire de cette maniere. Le docteur Bevis & M. Jallabert furent les premiers qui s'en aviserent ; mais il seroit difficile de décider lequel de ces deux savans a la date sur l'autre : car dans un mémoire que lut M. Watson à la société royale de Londres, le 21 Janv. (vieux style) 1748 ; il dit avoir tenté l'expérience de Leyde de cette maniere, sur ce que le docteur Bevis lui en avoit dit quelque tems auparavant ; & M. Jallabert nous en parle dans son livre imprimé en Mars 1748, en nous disant qu'il ne sache pas que personne l'ait tentée avant lui de cette façon. Il est plus que vraisemblable que ces deux habiles physiciens se sont rencontrés ; ce qui est arrivé déjà plusieurs fois, & qui arrivera apparemment encore souvent, si la même émulation à cultiver la Physique continue. Quoi qu'il en soit, il faut remarquer que le procédé du docteur Bevis differe en une circonstance essentielle de celui de M. Jallabert : celui-ci n'a fait son expérience qu'avec des glaces de miroir, dont l'étain alloit jusqu'au bord ; celui-là au contraire laisse de chaque côté du verre deux rebords ou marges, semblables à ceux dont j'ai déjà parlé, & qui rendent par-là son procédé plus sûr que celui de M. Jallabert.

Pour répondre à la troisieme question, nous dirons que si l'on suppose le globe ou les globes que l'on employe capables de fournir une assez grande quantité d'électricité, plus le vase ou plûtôt le morceau de verre dont vous vous servirez pour faire l'expérience sera grand, plus l'expérience sera forte, ou plus les effets en seront considérables. En voici la raison. On ne peut enlever au verre son électricité, comme nous l'avons fait voir, qu'en le touchant tout-à-la-fois dans un grand nombre de parties, parce qu'alors vous enlevez, & dans un instant, l'électricité de chacune de ses parties : il s'ensuit donc que plus il y aura de parties du verre qui seront électrisées en même tems, plus vous enleverez d'électricité tout-à-la-fois, & par conséquent plus vous aurez d'effet. Il résulte deux choses de cette considération, non-seulement qu'il faut que le verre soit grand, mais encore que le métal, &c. qui le couvre le touche dans le plus grand nombre de points possibles, en supposant toûjours qu'on réserve les marges dont nous avons parlé. C'est M. Watson qui a découvert le premier que quand on augmentoit ainsi la quantité des points de la surface du verre touchée par le corps électrisable par communication, on augmentoit la force de l'expérience. Par ce que nous venons de dire, on conçoit que si l'on enleve dans un instant l'électricité d'une surface de 12 pouces en quarré, on aura un effet beaucoup plus grand que si l'on enlevoit celle d'une surface de 6 pouces, quoiqu'il fût fort difficile de déterminer dans quel rapport. Cependant, selon l'expérience ordinaire, il paroît que l'effet ne suit pas ici la loi des surfaces ; car s'il la suivoit, il devroit être quadruple, & c'est ce qui ne paroît pas être : mais, comme nous venons de le dire, il est fort difficile de s'assûrer de ce qui en est. En effet, il faudroit pour cela être certain que la force du globe augmente comme la résistance du verre à s'électriser par communication, ce verre paroissant, comme nous l'avons dit, opposer dans cette opération une véritable résistance à l'action de l'électricité qui vient du globe. M. Watson a, je crois, poussé ces expériences plus loin que personne ; ayant fait faire des vases cylindriques de verre de 16 pouces de haut & de 18 pouces de circonférence, & de 22 pouces de haut sur 41 de circonférence, qu'il faisait argenter avec des feuilles depuis le haut jusques en-bas, à la reserve d'une marge au-haut d'un pouce. Selon ce physicien, lorsqu'on les déchargeoit d'un seul coup, les effets en étoient très-considérables ; mais il ne nous dit rien là-dessus qui nous montre dans quel rapport cette grande surface augmentoit la force. On augmentera encore la force du coup foudroyant, si l'on combine ensemble plusieurs bouteilles ou plusieurs carreaux, que l'on déchargera tout-à-la-fois pourvû cependant que ces bouteilles ou ces carreaux ne soient pas tellement arrangés que l'un reçoive le fluide électrique qui soit de la surface non électrisée de l'autre ? car alors on auroit tout au plus l'effet ordinaire d'une seule bouteille. Enfin voici une circonstance qui est en quelque sorte étrangere, mais cependant qui peut beaucoup augmenter ou diminuer la force du coup foudroyant ; c'est que le corps électrisable par communication avec lequel vous tirez l'étincelle du conducteur pour décharger le bouteille, ne soit pas pointu, qu'au contraire il soit rond, & d'une certaine grosseur. On verra à l'article ÉLECTRICITE, que les étincelles augmentent de force jusqu'à un certain degré, à mesure que les corps dont on les tire, & qui les tire, ont plus de volume & plus de rondeur. Or il en est de même dans cette expérience ; car on peut décharger la bouteille la plus électrisée ou la plus chargée sans crainte, lorsqu'en la tenant d'une main au lieu de tirer de l'autre avec la jointure du doigt ou un corps obtus, l'étincelle du conducteur, on en approche une pointe de métal, cette pointe tirant successivement l'électricité de la bouteille, & par-là la déchargeant insensiblement.

Après avoir fait voir que d'après les propriétés connues des corps électriques & non électriques par eux-mêmes, on pouvoit satisfaire aux trois premieres questions que nous nous étions proposées, nous tâcherons de montrer de même par rapport à la quatrieme, & la plus intéressante sur l'étendue du circuit ou cercle, faisant la communication de la surface extérieure de la bouteille avec le conducteur, que si cette étendue va beaucoup au-delà de ce que l'on pourroit croire d'abord, ce n'est encore qu'une suite de ces mêmes propriétés.

Nous avons dit qu'en même tems que l'on tire l'étincelle du conducteur, ou ce qui revient au même, du crochet de la bouteille, elle pompe le fluide électrique des corps qui la touchent, ces deux effets étant instantanés, ils doivent donc se faire sentir dans le même tems aux deux extrémités de la chaîne quelle que soit son étendue ; c'est-à-dire qu'en la supposant formée par plusieurs personnes se tenant toutes par la main, & dont la premiere tienne la bouteille, & la derniere tire l'étincelle, elles ressentiront l'une & l'autre une secousse en même tems, l'une dans la partie qui tient la bouteille, & l'autre dans celle qui tire l'étincelle, soit que le nombre des personnes entre-deux soit grand ou petit. Or comme on a vû que lorsqu'une personne tire une étincelle en pressant legerement la main d'une autre, elles ressentent l'une & l'autre une douleur dans l'endroit où elles se touchent, produite par l'électricité qui passe de la premiere à la seconde, &c. lors donc que la derniere personne de la chaîne tire l'étincelle, dans l'instant même le fluide électrique qu'elle a acquis, passe dans la personne dont elle tient la main : il en est de même de celle-ci à la troisieme, jusqu'à celle qui tient la bouteille ; de même celle-ci tire du fluide électrique de celle qui la touche, celle-ci de la troisieme &c. jusqu'à celle qui tire l'étincelle. Ce double effet doit donc se faire sentir dans un instant d'un bout à l'autre de la chaîne ; les personnes qui la composent doivent donc être toutes frappées, & en même tems quel que soit leur nombre. Ainsi l'on voit que par la nature des choses cet effet semble devoir se transmettre à des distances infinies, & instantanément tant que la continuité n'est pas interrompue.

M. l'abbé Nollet est le premier qui ait pensé à faire faire cette expérience à plusieurs personnes tout-à-la-fois ; dans sa nouveauté, il la fit, le Roi étant présent, dans la grande galerie de Versailles, avec 240 personnes auxquelles se joignirent tous les seigneurs qui vinrent avec sa Majesté. Comme cette expérience est du genre des choses, ainsi que nous l'avons dit au commencement de cet article, dont on ne peut avoir d'idée qu'autant qu'on les éprouve soi-même, peu de tems après le Roi curieux de savoir ce qui en étoit par lui-même, vint dans le cabinet des médailles où étoient les instrumens de cet académicien, & là fit l'expérience plusieurs fois avec des personnes de sa cour. Quelque tems après M. le Monnier le medecin la fit dans le clos des Chartreux, en faisant partie d'un cercle formé par deux fils-de-fer chacun de 95 toises de long ; & il remarqua qu'elle étoit instantanée. M. Watson & quelques membres de la société royale de Londres, ont fait aussi des expériences très-curieuses à ce sujet, qui seroient trop longues à rapporter, mais par lesquelles il paroît que l'étendue du cercle électrique ayant quatre milles, l'experience a encore parfaitement réussi, & s'est fait sentir instantanément dans tous les points de cette vaste étendue. Ce qu'il y a de plus singulier dans cette expérience, c'est que quoiqu'à dessein ils eussent interrompu la chaîne pendant l'espace de deux milles, ensorte que la commotion ne pouvoit se transmettre de l'observateur qui étoit à l'extrémité d'un fil-de-fer à un autre observateur qui en étoit éloigné de deux milles, que par le terrein, cela n'empêcha pas, comme nous venons de le dire, l'expérience de réussir. Enfin les expériences du même genre que fit en 1749 M. Jallabert, sont trop singulieres pour que je ne les rapporte pas ici. M. l'abbé Nollet en fait mention dans ses lettres, page 202. " J'avois établi (c'est M. Jallabert qui parle) une machine électrique dans une galerie située sur le Rhone, deux cent cinquante piés environ au-dessous de notre machine hydraulique : un matras destiné aux expériences de la commotion, fut suspendu à une barre de fer électrisée immédiatement par un globe de verre, & du culot de ce matras pendoit un fil-de-fer, qui plongeoit dans le Rhone de la profondeur de quelques lignes : des fils de fer attachés à la barre, & soûtenus par des cordons de soie, venoient aboutir auprès de quelques fontaines publiques. Le globe étant frotté, on tiroit de ces fils-de-fer, en approchant la main, des étincelles qui causoient la sensation d'une legere piquûre ; mais si quelqu'un communiquant d'une main à l'eau de quelqu'une des fontaines, présentoit l'autre au fil-de-fer qui y aboutissoit, il éprouvoit une forte commotion, &c. " Il est à remarquer que les eaux qu'éleve cette machine hydraulique, sont portées dans un réservoir à plus de mille quatre cent piés de cette machine, élevé de 131 piés sur le niveau du Rhone, & que de ce réservoir elles se distribuent dans les différens quartiers de la ville.

Nous avons considéré dans tout cet article l'expérience du coup foudroyant d'après la plûpart de ceux qui en ont écrit, sous un seul point de vûe, c'est-à-dire comme une expérience singuliere de l'électricité, par laquelle on peut imprimer des secousses violentes à nos corps, secousses avec lesquelles on a déjà tué quelques petits oiseaux, & jusqu'à des poulets, si nous en croyons M. Franklin. Mais si nous l'avons fait, ce n'a été que pour nous conformer à l'usage reçu ; car cette maniere de l'envisager est trop particuliere, la commotion violente qu'elle nous fait éprouver n'étant qu'un cas particulier des effets qu'elle produit. En effet, on voit que dans cette expérience le fluide ou feu électrique étant emporté rapidement du crochet de la bouteille vers son ventre, ce feu peut par-là produire beaucoup d'autres effets. C'est aussi ce que nous a fait voir M. Franklin : cet habile physicien nous a montré qu'on pouvoit par son moyen percer des cartes, du papier, &c. enflammer de la poudre, & faire une espece du fusion froide des métaux. Voici comment on s'y prend à-peu-près pour faire ces expériences : ayez un grand carreau de verre doré des deux côtés, avec des marges d'un pouce ou plus, comme nous l'avons dit, jusqu'où la dorure ne s'étende pas : l'ayant posé horisontalement, on le fait communiquer par-dessous avec le conducteur, ensorte que ce soit sa surface inférieure qui reçoive l'électricité : ensuite on le charge bien, en mettant de tems en tems les mains sur la surface supérieure, pour faire communiquer cette surface avec le plancher : comme nous avons dit que cela étoit nécessaire lorsque le carreau est bien chargé, si l'on veut percer des cartes, par exemple, on les pose dessus, & prenant une espece de C de fer dont les deux bouts sont retournés en-dehors & forment des especes d'anneaux, on le met d'un bout sur ces cartes, & de l'autre on l'approche ; on tire une étincelle du conducteur, dans l'instant le fluide par l'extrème vîtesse avec laquelle il est emporté, les perce. Si l'on veut faire la fusion froide des métaux, ayant deux lames de verre d'une certaine épaisseur, de trois pouces de long ou environ, & d'un de large ; placez entre ces lames au milieu d'un bout à l'autre, une feuille de métal quelconque, comme d'or, de cuivre, &c. fort étroite, n'ayant guere qu'une ligne de largeur : ceci fait, serrez-les fortement l'une contre l'autre avec du cordonnet de soie ; plus elles seront serrées, mieux l'expérience réussira : posez-les ensuite au milieu du carreau de verre, & faites communiquer l'un des bouts de la feuille d'or (qui pour cet effet doit déborder par ses deux extrémités) avec la dorure du carreau, & l'autre avec quelque plaque ou morceau de métal ; que vous mettrez sur un morceau de verre posé dessus l'ayant bien chargé, comme on vient de le dire : prenez ensuite le C de fer dont nous avons parlé ; & après l'avoir appliqué sur le morceau de métal, tirez une étincelle du conducteur : si vous desserrez le cordon, & que vous regardiez vos lames, vous y verrez dans différens endroits des taches rougeâtres, produites par l'or qui y a été comme comprimé dans l'explosion, ou dans l'instant que le carreau s'est déchargé. Ces taches sont parfaitement égales sur chacune de ses lames, ensorte que l'une est toûjours la contre-épreuve de l'autre, & si adhérentes que l'eau régale ni aucun mordant ne peut les enlever ; quelquefois le choc est si grand : lorsque l'électricité est très-forte, qu'elles se brisent en mille parties.

Après avoir parlé de l'expérience du coup foudroyant en général, en avoir fait voir les causes & montré les différens moyens de le varier, il ne me reste plus qu'à parler de son application à la Medecine.

Je souhaiterois bien pouvoir donner ici une longue liste des bons effets qu'elle a produits ; mais malheureusement je suis contraint d'avoüer qu'ils sont en très-petit nombre, au moins ceux qu'on peut légitimement attribuer à cette expérience. Je sai qu'on a fait beaucoup de tentatives ; je sai qu'on a vanté le succès de plusieurs, mais ces succès ne sont pas confirmés. Je n'ai pas été moi-même plus heureux ; tout ce que j'ai remarqué de plus constant, c'est que la commotion donnée avec une certaine violence occasionne des sueurs très-fortes aux personnes qui la reçoivent, soit par la crainte qu'elle leur cause, soit aussi par l'impression qu'elle fait sur tout leur corps. Cependant on ne doit pas se décourager, souvent le peu de succès de nos tentatives ne vient que de la maniere dont nous les faisons : peut-être à la vérité que le tems & les expériences nous apprendront, que l'application de celle-ci au corps humain est inutile ; peut-être aussi qu'ils nous en feront découvrir d'heureuses applications auxquelles nous touchons, & dont cependant nous ne nous doutons pas. Voyez ÉLECTRICITE. (T)

COUP DE CROCHET, en Batiment, est une petite cavité que les Maçons font avec le crochet, pour dégager les moulures du plâtre, & que l'on appelle grain d'orge dans les profils des corniches de pierre, ou moulures de menuiserie. Voyez GRAIN D'ORGE. (P)

COUP-D'OEIL (le), dans l'art militaire, est selon M. le chevalier de Folard, l'art de connoître la nature & les différentes situations du pays, où l'on fait & où l'on veut porter la guerre ; les avantages & les desavantages des camps & des postes que l'on veut occuper, comme ceux qui peuvent être favorables ou desavantageux à l'ennemi.

Par la position de nos camps & par les conséquences que nous en tirons, nous jugeons sûrement des desseins présens, & de ceux que nous pouvons avoir par la suite. C'est uniquement par cette connoissance de tout le pays où l'on porte la guerre, qu'un grand capitaine peut prévoir les événemens de toute une campagne, & s'en rendre pour ainsi dire le maître. Sans le coup-d'oeil militaire, il est impossible qu'un général puisse éviter de tomber dans une infinité de fautes d'une certaine conséquence.

Philopoemen, un des plus illustres capitaines de la Grece, avoit un coup-d'oeil admirable. Plutarque nous apprend la méthode dont il se servit pour voir de tout autres yeux que de ceux des autres, la conduite des armées.

" Il écoutoit volontiers, dit cet auteur dans la vie de ce grand capitaine, les discours, & lisoit les traités des Philosophes, non tous, mais seulement ceux qui pouvoient l'aider à faire des progrès dans la vertu. Il aimoit sur-tout à lire les traités d'Evangelus, qu'on appelle les tactiques, c'est-à-dire l'art de ranger les troupes en bataille ; & les histoires de la vie d'Alexandre : car il pensoit qu'il falloit toûjours rapporter les paroles aux actions, & ne lire que pour apprendre à agir, à moins qu'on ne veuille lire seulement pour passer le tems, & pour se former à un babil infructueux & inutile. Quand il avoit lû les préceptes & les regles de Tactique, il ne faisoit nul cas d'en voir les démonstrations par des plans sur des planches ; mais il en faisoit l'application sur les lieux mêmes, & en plaine campagne : car dans les marches il observoit exactement la position des lieux hauts & des lieux bas, toutes les coupures & les irrégularités du terrein, & toutes les différentes formes de figures que les bataillons & escadrons sont obligés de subir à cause des ruisseaux, des ravins, & des défilés, qui les forcent de se resserrer ou de s'étendre ; & après avoir médité sur cela en lui-même, il en communiquoit avec ceux qui l'accompagnoient, &c. "

C'est un abregé des préceptes qui peuvent former un général au coup-d'oeil. On peut voir dans le commentaire sur Polype de M. le chevalier Folard, tom. I. pag. 262. le coup-d'oeil réduit en principes & en méthode. C'est un chapitre des plus instructifs de ce commentaire, & un de ceux dont il paroît qu'un officier destiné à commander les armées peut tirer le plus d'utilité. (Q)

COUP PERDU, (Art milit.) est un coup de canon tiré de maniere que la bouche du canon est élevé au-dessus de la ligne horisontale, & qu'il n'est pas pointé directement à un but. (Q)

COUP DE PARTANCE, (Marine) c'est un coup de canon que le commandant fait tirer sans être chargé à balle, pour avertir les passagers ou autres gens de l'équipage qui sont encore à terre, de se rendre à bord & que le navire va partir. (Z)

Coup de canon à l'eau, (Marine) se dit des coups de canon qu'un vaisseau reçoit dans la partie qui en est enfoncée dans l'eau, c'est-à-dire au-dessous de sa ligne de flotaison.

Dans un combat, les calfats sont tous prêts avec des plaques de plomb, qu'on applique sur le trou pour boucher le plus promptement qu'il est possible les coups de canon à l'eau.

Coup de canon en bois, (Marine) ce sont ceux que reçoit le vaisseau dans sa partie qui est hors de l'eau. (Z)

COUP DE VENT, (Marine) se dit lorsque le vent se renforce assez pour obliger de serrer les voiles, & qu'il forme un gros tems ou un orage qui tourmente le vaisseau. (Z)

COUP DE MER, (Marine) c'est lorsque la mer est grosse, & que la vague vient frapper avec violence contre le corps du vaisseau. On a vû des coups de mer assez forts pour enlever le gouvernail, briser les galeries, & mettre le navire en danger. (Z)

COUP DE GOUVERNAIL, (Marine) donner un coup de gouvernail ; c'est pousser le gouvernail avec beaucoup de vîtesse à bas-bord ou à stribord. (Z)

* COUP, PETITS COUPS, (bas au métier) parties de cette machine, à l'aide desquelles s'exécute une des principales manoeuvres dans le travail. Cette manoeuvre s'appelle former aux petits coups. Voyez l'article BAS AU METIER.

* COUP, (Brasserie) c'est le nom que l'on donne à une des façons que reçoit le grain pour en tirer la biere. Il y a le premier coup & le second. Voyez l'article BRASSERIE.

COUP, prendre coup, (Fauconnerie) se dit de l'oiseau quand il heurte trop fortement contre la proie.

COUP FOURRE, (Escrime) on appelle ainsi les estocades dont deux escrimeurs se frappent en même tems.

COUP DE NIVEAU, (Hydraulique) se dit d'un alignement entier pris entre deux stations d'un nivellement. Voyez NIVELLER. (K)

COUP DE HANCHE, (Manége) mauvaise conformation du cou d'un cheval ; c'est un creux à la jonction du cou & du garrot. Voyez GARROT.

COUP DE CORNE. Voyez CORNE.

COUP DE LANCE est un enfoncement comme une espece de gouttiere, qui va le long d'une partie du cou sur le côté. Quelques chevaux d'Espagne & quelques barbes naissent avec cette marque qui passe pour bonne. Voyez BARBE. (V)

COUP SEC, (Jeu de Billard) Joüer coup sec, c'est frapper la bille avec la masse du billard, & la faire partir sans la suivre ni la conduire. Les billes faites du coup sec sont les seules qui se comptent.

COUP D'AJUSTEMENT, est, au Mail, le dernier des coups que l'on doit joüer avec le mail, pour s'ajuster & envoyer la boule à portée d'être jettée à la passe avec la leve.


COUPABLES. m. & f. (Jurispr.) en Droit, est un accusé convaincu. Voyez CRIMINEL.


COUPANTS. m. (Comm.) monnoie d'or & d'argent fabriquée & de cours au Japon. Elle sert en même tems de poids : elle est ovale & assez mince, quoique pesante. Le coupant d'or pese une once six gros un denier, & celui d'argent deux onces. On n'en peut guere établir le prix, y en ayant de différens titres, d'altérés & de bas aloi. Il y a des demi-coupans, des tiers, des quarts de coupans.


COUPEsub. f. (Hist. anc. & mod. prof. & sacr.) vase à boire, propre pour les sacrifices, les festins, &c. Ce mot a différentes acceptions dans l'Ecriture. La coupe de bénédiction est celle que l'on bénissoit dans les repas de cérémonie, & dans laquelle on bûvoit à la ronde.

C'est ainsi que dans la derniere cene Jesus-Christ benit le calice de son sang après le souper, & le fit boire à tous ses apôtres. La coupe de salut, dont il est parlé dans les pseaumes, est une coupe d'action de graces, que l'on bûvoit en bénissant le Seigneur, en lui rendant graces de ses miséricordes. On en voit encore la pratique dans le troisieme livre des Macchabées, où les Juifs d'Egypte, dans les festins qu'ils firent pour leur délivrance, offrirent des coupes de salut.

Les Juifs ont encore aujourd'hui de ces coupes d'actions de graces, que l'on benit dans les céremonies de leurs mariages, & dans les repas qu'ils font pour la circoncision de leurs enfans. Quelques commentateurs croyent que la coupe de salut n'est autre chose que le vin que l'on répandoit sur les victimes d'action de graces, suivant la loi de Moyse.

La coupe, dans le style de l'Ecriture, marque aussi quelquefois le partage ; Dominus pars haereditatis meae & calicis mei ; parce que dans les repas on donnoit à chacun sa coupe, que l'on remplissoit de vin autant de fois qu'il en avoit besoin : ou bien le prophete parle de ces coupes que l'on bûvoit en cérémonie & chacun à son tour. Dieu est mon héritage & ma coupe ; je ne veux avoir aucune part à l'héritage, aux festins, aux sacrifices, aux partages, à la société des méchans ; Dieu seul me suffit, il est mon partage & ma coupe ; je ne desire pas davantage. Psal. xv. 5.

La coupe de Joseph, dont parle l'Ecriture, que l'on cacha dans le sac de Benjamin, le plus jeune des freres de ce patriarche, est le sujet de plusieurs différentes conjectures, fondées sur les paroles des officiers de Joseph : la coupe que vous avez volée, est celle dans laquelle mon seigneur boit, & dont il se sert pour prédire l'avenir. On demande si en effet Joseph se servoit de la coupe pour prédire l'avenir, ou si ces gens le croyoient ainsi, ou s'ils disent cela suivant l'opinion commune des Egyptiens, qui tenoient Joseph pour un grand magicien, ou s'ils le disent pour intimider les freres de Joseph, leur faisant accroire que Joseph, qu'ils ne connoissoient pas encore pour leur frere, étoit un homme très-expert dans l'art de deviner, qui avoit connu par la vertu de son art le vol qu'ils lui avoient fait. Gen. xljv. v. 5. tous ces sentimens ont leurs défenseurs. Il est certain que les anciens avoient une sorte de divination par la coupe. Les Orientaux disent que l'ancien roi Giamschid, qui est le Salomon des Perses, & Alexandre le grand, avoient des coupes par le moyen desquelles ils connoissoient toutes les choses naturelles, & quelquefois même les surnaturelles. Les anciens parlent de certaines coupes divinatoires pleines de vin ou d'autres liqueurs, que l'on répandoit en cérémonie du côté de l'anse, & dont on tiroit des présages pour l'avenir.

Pline parle des divinations par le moyen des eaux & des bassins. Or voici de quelle maniere on devinoit par le gobelet : on y jettoit de petites lames d'or ou d'argent, ou quelques pierres précieuses, sur lesquelles étoient gravés certains caracteres, & après quelques invocations & cérémonies superstitieuses on consultoit le démon ; il répondoit en plusieurs façons : quelquefois par des sons articulés, quelquefois il faisoit paroître sur la superficie de l'eau les caracteres qui étoient dans le gobelet, & formoit sa réponse par leur arrangement ; quelquefois il traçoit l'image de la personne au sujet de laquelle on l'avoit interrogé. Voyez DIVINATION.

Nous ne prétendons nullement prouver que Joseph se soit servi de la coupe pour deviner. Il étoit certainement très-habile dans la science de prédire l'avenir : mais ce n'étoit pas une science acquise, ni un art curieux & diabolique ; c'étoit une vertu surnaturelle que Dieu lui avoit communiquée, & qui lui avoit attiré cette haute considération où il étoit dans l'Egypte. Il n'est pas incroyable que les Egyptiens, & peut-être une partie de ses gens, le crussent vraiement magicien, & qu'ils en ayent parlé suivant cette prévention ; mais il ne s'ensuit pas qu'il ait usé de la coupe pour deviner. Le texte hébreu, même de la Genese, peut avoir un autre sens, n'est-ce pas la coupe dans laquelle mon seigneur boit, & qu'il cherche avec beaucoup de soin ? ou bien : n'est-ce pas la coupe dans laquelle mon seigneur boit, & par laquelle il vous a éprouvé ? Il va éprouver si vous êtes aussi reconnoissans que vous devez, des bontés qu'il a eues pour vous ; cette coupe servira à donner une preuve de votre ingratitude & de votre infidélité. Calmet, dict. de la Bible, tom. I. lettre C. pag. 471. (G)

COUPE, en Astronomie, constellation de l'hémisphere méridional, dont les étoiles sont au nombre de sept dans le catalogue de Ptolomée, de huit dans celui de Tycho, & de onze dans celui de Flamsteed.

COUPE, (Jurisp.) mesure usitée pour les grains en certaines provinces : en Auvergne, par exemple, le septier de blé contient huit cartons, & le carton quatre coupes. Mais il y a trois mesures différentes dans cette province, savoir celle de Clermont, celle de S. Flour, & celle de Brivadois & Langhadois. V. les lettres patentes du mois de Septembre 1510, sur la réformation des poids & mesures d'Auvergne, qui sont à la suite du procès-verbal de rédaction des coûtumes de cette province. (A)

COUPE, (Belles-lettres) on donne ce nom à l'arrangement des diverses parties qui composent un poëme lyrique. C'est proprement le secret de l'art, & l'écueil ordinaire de presque tous les auteurs qui ont tenté de se montrer sur le théatre de l'opéra.

Un poëme lyrique paroît fort peu de chose à la premiere inspection : une tragédie de ce genre n'est composée que de 600 ou 700 vers ; un ballet n'en a pour l'ordinaire que 500. Dans le meilleur de ces sortes d'ouvrages on voit tant de choses qui semblent communes ; la passion est si peu poussée dans les premiers, les détails sont si courts dans les autres ; quelques madrigaux dans les divertissemens, un char qui porte une divinité, une baguette qui fait changer un desert en un palais magnifique, des danses amenées bien ou mal, des dénoüemens sans vraisemblance, une contexture en apparence seche, certains mots plus sonores que les autres, & qui reviennent toûjours ; voilà à quoi l'on croit que se bornent la charpente & l'ensemble d'un opéra. On s'embarque, plein de cette erreur, sur cette mer, qu'on juge aussi tranquille que celles qu'on voit peintes à ce théatre : on y vogue avec une réputation déjà commencée ou établie par d'autres ouvrages décidés d'un genre plus difficile : mais à peine a-t-on quitté la rive, que les vents grondent, la mer s'agite, le vaisseau se brise ou échoüe, & le pilote lui-même perd la tête & se noie. Voyez COUPER.

Le poëte dans ces compositions ne tient que le second rang dans l'opinion commune. Lulli a joüi pendant la vie de Quinault, de toute la gloire des opéra qu'ils avoient fait en société. Il n'y a pas vingt ans qu'on s'est apperçu que ce poëte étoit un génie rare ; & malgré cette découverte tardive, on dit encore plus communément : Armide est le chef-d'oeuvre de Lulli, que Armide est un des chefs-d'oeuvre de Quinault. Comment se persuader qu'un genre pour lequel en général on ne s'est pas accoûtumé encore à avoir de l'estime, est pourtant un genre difficile ? Boileau affectoit de dédaigner cette espece d'ouvrages ; la comparaison qu'il faisoit à la lecture d'une piece de Racine avec un opéra de Quinault, l'amitié qu'il avoit pour le premier, son antipathie contre le second, une sorte de sévérité de moeurs dont il faisoit profession, tout cela nourrissoit dans son esprit des préventions qui sont passées dans ses écrits, & dont tous les jeunes gens héritent au sortir du collége.

Si l'on doit juger cependant du mérite d'un genre par sa difficulté, & par les succès peu fréquens des plus beaux génies qui l'ont tenté, il en est peu dans la poésie qui doive avoir la préférence sur le lyrique. Aussi la bonne coupe théatrale d'un poëme de cette espece, suppose seule dans son auteur plusieurs talens & un nombre infini de connoissances acquises, une étude profonde du goût du public, une adresse extrême à placer les contrastes, l'art moins commun encore d'amener les divertissemens, de les varier, de les mettre en action ; de la justesse dans le dessein, une grande fécondité d'idées, des notions sur la peinture, sur la méchanique, la danse, & la perspective, & sur-tout un pressentiment très-rare des divers effets, talent qu'on ne trouve jamais que dans les hommes d'une imagination vive & d'un sentiment exquis ; toutes ces choses sont nécessaires pour bien couper un opéra : peut-être un jour s'en appercevra-t-on, & que cette découverte détruira enfin un préjugé injuste, qui a nui plus qu'on ne pense au progrès de l'art. Voyez OPERA. (B)

COUPE, (Sculpture) morceau de sculpture en maniere de vase, moins haut que large, avec un pié qui sert à couronner quelque décoration.

COUPE, (Architec.) est l'inclination des joints des voussoirs d'un arc & des claveaux d'une plate-bande.

COUPE DE BATIMENT. Voyez PROFIL.

COUPE DE FONTAINE. Voyez FONTAINE.

COUPE DE BOIS. (Jurisp.) Voyez BALIVEAUX, BOIS, UX-ET-FORETSRETS, TAILLIS, VENTE. (A)

COUPE, s. f. (Drap.) façon que l'on donne aux étoffes. Il y en a une d'endroit & une d'envers. Voy. DRAP.

COUPE, (Gravure) c'est, dans les principes de la Gravure en bois, la premiere & l'une des principales opérations où le coup de pointe est donné & enfoncé dans le bois avec la pointe à graver, en tirant la lame de gauche à droite appuyée devers soi sur le plan incliné du biseau du taillant de cet outil, afin de préparer le bois à l'endroit où cette coupe se fait, à pouvoir ensuite être enlevé par la recoupe à la deuxieme opération de la gravure. Voyez dans les Planches de la gravure en bois la position de la main pour faire cette coupe. Voyez aussi RECOUPE, GRAVURE EN BOIS, &c. Voyez aussi, tant à l'article GRAVURE, qu'aux mots TAILLES, CONTRETAILLES, & ENTRETAILLES, les principes de cet art. Article de M. Papillon.

COUPE DES PIERRES, ou STEREOTOMIE, est une partie de l'Architecture qui enseigne à construire des voûtes, ensorte qu'elles soient le plus durables qu'il est possible. Voyez STEREOTOMIE.

Cette science est entierement fondée sur la géométrie, la Statique, la Dynamique, &c. ou plûtôt est un composé de toutes ces différentes connoissances judicieusement ramenées à son objet.

L'idée qu'on a attachée au nom de coupe des pierres, n'est pas ce qui le présente d'abord à l'esprit ; ce mot ne signifie pas particulierement l'ouvrage de l'artisan qui taille la pierre, mais la science du mathématicien qui le conduit dans le dessein qu'il a de former une voûte ou un corps d'une certaine figure, par l'assemblage de plusieurs petites parties. Il faut en effet plus d'industrie qu'on ne pense, pour qu'elles soient faites de façon que quoique d'inégales figures & grandeurs, elles concourent chacune en particulier à former une surface réguliere, ou régulierement irréguliere, & qu'elles soient disposées de maniere qu'elles se soutiennent en l'air en s'appuyant réciproquement les unes sur les autres, sans autre liaison que celle de leur propre pesanteur ; car les liaisons de mortier ou de ciment doivent toûjours être comptées pour rien. Voyez VOUTE.

Ce n'est que dans ces derniers tems qu'on a écrit sur la coupe des pierres, du moins il ne nous reste point d'écrit des anciens sur cette matiere. Philibert de Lorme, aumônier & architecte d'Henri II. est, dit-on, le premier qui en ait écrit, dans le traité d'Architecture qu'il publia en 1567 ; cette date n'est pas fort ancienne. Mathurin Jousse produisit quelques traits, dans son livre intitulé secrets d'Architecture, qu'il publia en 1642. Le P. Deran, l'année suivante, mit cet art dans toute son étendue pour les ouvriers. Bosse, la même année, donna un systême tout différent qu'il tenoit de Desargues, lequel ne fut pas goûté. M. de la Rue, en 1718, a redonné une partie des traits du P. Deran, avec quelques nouveaux. Tous ces auteurs s'en sont tenus à une simple pratique dénuée de démonstrations.

Enfin M. Frezier chevalier de l'ordre militaire de S. Louis, & ingénieur ordinaire du Roi en chef à Landau, a publié dernierement un excellent ouvrage sur cette matiere avec des démonstrations, en trois volumes in -4°. Plus de la moitié de son livre, qui est très-méthodique, traite des solides ; ce qui manque dans les élémens de Géométrie ordinaires. (D)

COUPE DES CHEVEUX, terme de Perruquier, qui signifie la dépouille d'une tête, ou tous les cheveux qu'un Perruquier a enlevé avec les ciseaux de dessus la tête d'une personne. On dit dans ce sens, une belle coupe de cheveux, pour signifier une dépouille de cheveux bien abondante ou d'une belle couleur.

Coupe de cheveux signifie aussi la maniere de tailler & étager les cheveux. C'est dans ce sens qu'on dit, tel perruquier est habile pour la coupe des cheveux.

COUPE D'HABITS, terme de Tailleur, qui signifie l'action de tailler tous les morceaux de l'étoffe qui doit entrer dans la composition d'un habit ou autre partie du vêtement qui est du ressort du tailleur : ainsi on dit, un tel tailleur a la coupe fort bonne, c'est-à-dire qu'il entend fort bien à tailler un habit.

Couper un habit, signifie tailler l'étoffe. Voyez TAILLER.


COUPÉadj. en Musique ; c'est quand au lieu de faire durer une note toute sa valeur, on se contente de la frapper par un son bref & sec au moment qu'elle commence, passant en silence le reste de sa durée. (S)

COUPE, dans la Danse ; c'est un pas qui est composé de deux autres, savoir d'un demi- coupé & d'un pas glissé : ce dernier doit être plié à propos, élevé en cadence, & soûtenu gracieusement. Si l'on commence le coupé du pié droit, il faut, ayant le pié gauche devant & le corps posé dessus, approcher le pié droit auprès à la premiere position, puis plier les deux genoux également, & étant plié on passe le pié droit devant jusqu'à la quatrieme position : on s'éleve dessus la pointe en étendant les genoux, & du même tems le talon droit se pose & le genou se plie ; mais la jambe gauche se glisse devant jusqu'à la quatrieme position, & le corps se posant dessus termine l'étendue du pas.

Il y a encore une autre façon de faire le coupé : le demi- coupé fait, étant élevé sur la pointe, on glisse le pié, dans le même tems qu'il s'éleve, jusqu'à la quatrieme position : en le passant, la pointe doit être basse, & la jambe bien étendue ; & à mesure que la jambe gauche passe devant, le genou droit se plie, & renvoye par ce mouvement le corps sur le pié gauche.

Ces deux manieres sont bonnes ; mais la premiere est plus aisée, parce que le corps est plus assuré par le talon droit qui est appuyé.

Il se fait aussi en arriere & de côté, aux positions près, qui sont différentes selon le chemin que l'on doit tenir.

COUPES, (demi -) ce sont des pas de danse que l'on n'exécute bien qu'avec la connoissance des mouvemens du coup-de-pié, du genou, & des hanches.

Ces pas ont quatre attitudes, soit qu'on les fasse du pié droit, soit qu'on les exécute du gauche.

1°. En supposant qu'on veuille les faire du pié droit, on mettra le gauche devant à la quatrieme position, & le corps sera posé dessus en avant, le pié droit prêt à partir, & sa pointe posée seulement à terre.

2°. On apportera le pié droit contre le gauche à la premiere position, & l'on pliera également les deux genoux, ayant toûjours le corps posé sur le pié gauche, la ceinture non pliée, & la tête fort en arriere.

3°. En demeurant plié, on passera le pié droit devant soi sans se relever à la quatrieme position, & l'on apportera le corps dessus en s'élevant sur la pointe du pié droit.

4°. En même tems on apportera le corps sur le pié droit en s'élevant sur la pointe du pié : on aura soin en s'élevant d'étendre le genou, & d'approcher incontinent la jambe gauche, en prenant garde que les deux jambes soient bien étendues lorsque l'on sera élevé sur la pointe du pié. Enfin on laissera poser le talon à terre pour terminer le pas, & pour avoir la facilité d'en faire autant de l'autre pié en observant les mêmes regles. Ces pas sont absolument nécessaires. On suivra les mêmes regles pour les faire en arriere & de côté : mais on ne passera le pié qu'après que l'on aura plié ; autrement on prendroit son mouvement à faux, & l'on ne se releveroit pas avec la même facilité.

COUPES DU MOUVEMENT, terme de Danse, pour exprimer un pas qui est un des plus gracieux & des plus gais que l'on ait inventé, par rapport à la variété des mouvemens qui sont modérés. Voici la maniere de le faire.

Lorsque vous prenez votre demi-coupé en avant, par exemple, vous le pliez très-doucement, & vous vous élevez de même sur le pié qui a passé devant les jambes bien étendues, parce que le corps se portant sur le pié de devant, attire la jambe de devant qui s'étend également : dans le même moment le talon du pié de devant se pose, le genou se plie, & la jambe qui est en l'air s'ouvre un peu à côté ; & le genou qui est plié en s'étendant rejette cette jambe en-devant en vous laissant tomber dessus, & en ne sautant qu'à demi ; c'est ce qu'on appelle demi-jetté.

Ce coupé n'est composé que de deux pas, & ces deux pas renferment deux mouvemens différens. Le premier est plier sur un pié, passer l'autre en s'élevant dessus ; & le second plier sur ce pié, & s'élever avec plus de vivacité pour retomber sur l'autre en sautant à demi ; & c'est ce qui rend ce pas gai.

Quand à ceux qui se font de côté, ce sont les mêmes regles, à l'exception que l'on porte le pié à la cinquieme position pour le demi-coupé, & à la seconde pour le demi-jetté. D'autres se prennent de la premiere, & l'on porte le pié à côté à la seconde position en s'élevant dessus, & du même tems on pose le talon à terre pour plier, & pour lors on fait le demi-jetté en croisant à la cinquieme position.

COUPE, en terme de Blason, se dit des membres des animaux, comme la tête, la cuisse, &c. qui sont coupés net & séparés du tronc ; au lieu qu'on les appelle arrachés lorsqu'ils ont divers lambeaux & filamens sanglans ou non sanglans qui paroissent avoir été arrachés avec force. Voyez ARRACHE.

Coupé se dit encore des croix, barres, bandes, chevrons, &c. qui ne touchent point les côtés de l'écusson, & qui semblent en avoir été séparés.

Il se dit aussi de l'écu partagé horisontalement par le milieu en deux parties égales. Lomellini à Genes, coupé de gueules & d'or. Chambers & Trev. (V)

* COUPE-CERCLE, instrument de Mathém. C'est une des pointes d'un compas : elle est tranchante, & divise circulairement le papier ou le carton sur lequel on l'appuie. On donne le même nom en Menuiserie à un vilebrequin qui est armé à son extrémité d'une couronne tranchante, au centre de laquelle il y a une pointe qui fixe le vilebrequin, & qui perce un trou tandis que la couronne emporte une piece circulaire. Voyez TREPAN.

COUPEE, adj. pris subst. en Géométrie, est la même chose qu'abscisse, abscissa, qui est dérivé du latin, & qui signifie la même chose. Voyez ABSCISSE. (O)

COUPEE, adj. pris subst. (Ecriture) est une sorte de lettres dont les pleins sont interrompus au tiers & à la moitié de leurs jambages, ce qui les compose de trois parties qu'on réunit par le moyen d'une rose qu'on exécute à chaque vuide. Voyez les Planches.


COUPE-GORGEvoyez GORGERE.


COUPE-PAILLE(Maréchallerie) Le coupe-paille sert à couper la paille par petits fétus, pour que le cheval puisse la manger en guise d'avoine, après cependant qu'on l'a mêlée avec la moitié de ce grain. Je crois que cette machine a été inventée en Allemagne : les Allemands en font beaucoup d'usage. C'est une espece de canal de bois de grandeur propre à recevoir une botte de paille, il est terminé en devant par une arcade de fer, un morceau de planche, plat en-dessous, & traversé par une barre de fer dont les deux bouts passent de chaque côté par une petite fenêtre ferrée, communique par le moyen de courroies à un marche-pié, sur lequel l'homme qui coupe la paille, met le pié pour serrer la botte de paille, qu'il avance à chaque coup de couteau qu'il donne, afin d'en couper l'extrémité par le moyen d'un rateau de fer, qu'il enfonce dans la botte. Quand la paille excede la longueur d'un grain d'avoine, il la tranche en faisant couler un couteau tout le long de l'arcade de fer ; plus elle est coupée courte, & mieux les chevaux la mangent : il est bon de la mouiller en la mêlant avec l'avoine, soit que le cheval soit sain ou malade. (V)


COUPE-PASTEchez les Boulangers, est le nom qu'ils donnent à un instrument de fer large & presque quarré, ayant pour manche ou poignée un bord roulé sur lui-même à plusieurs replis : ils s'en servent pour couper la pâte. Voyez la Planche du Boulanger, fig. 5.

COUPE-PASTE, en Pâtisserie ; ce sont des especes de moules ou emporte-pieces, dont on se sert pour couper la pâte de telle grandeur que l'on veut. Voyez Pl. I. Fig. 2.


COUPE-QUEUEinstrument dont les Mégissiers se servent pour couper les queues des peaux qu'ils veulent passer en mégie. Le coupe-queue n'est autre chose qu'un morceau de vieilles forces qui se sont cassées par l'anneau. Voyez Planche du Mégissier, lettre K.


COUPE-TÊTE(Jeu) jeu d'enfans qui consiste à se courber & à sauter les uns par-dessus les autres.


COUPELLE(Docimas. Chimie) sorte de vaisseau dont se servent les Chimistes pour purifier l'or & l'argent des différens métaux avec lesquels ils peuvent être alliés.

La coupelle est faite d'une matiere qui a la propriété de tenir en fusion tous les métaux parfaits & imparfaits tant qu'ils conservent leur état métallique, & de les absorber ou de les boire, pour se servir du terme de l'art, dès qu'ils sont vitrifiés.

Or tous les métaux, excepté l'or & l'argent, se vitrifiant très-aisément avec le plomb que l'on employe à cet effet, le fondement de l'opération que l'on exécute par le moyen des coupelles est très-évident. Voyez ESSAI & AFFINAGE.

Pour faire des coupelles, il faut choisir une matiere qui résiste au feu le plus violent sans se fondre, & qui ne se vitrifie pas facilement avec le corps vitrescible, par exemple avec le verre de plomb ; il faut que cette matiere ait assez de cohésion, & qu'elle fasse une masse poreuse.

On a trouvé que la terre qui reste après la combustion des os de tous les animaux, à l'exception de quelques-uns qui sont moins propres que les autres, étoit ce qu'il y avoit de mieux pour cet usage. La terre que l'on retire des végétaux brûlés n'est pas moins bonne, & on fait de très-excellentes coupelles avec le spath. M. Stahl indique même que l'on en pourroit faire de fort bonnes avec la chaux. Voy. CENDREE.

Les cendres d'os & celles de bois étant préparées comme il a été exposé au mot CENDREE, Schlutter veut qu'on prenne pour les coupelles communes trois parties de cendres de bois & une partie de cendres d'os. Si on veut les faire meilleures, dit-il, il faut deux parties des premieres & une partie des autres ; on les mêle bien ensemble, en les humectant avec autant d'eau claire qu'il en faut pour qu'elles puissent se peloter sans s'attacher aux mains ; alors on en fait des coupelles de telle grandeur qu'on veut. Il faut pour cela prendre la partie inférieure du moule, la remplir de cendres que l'on presse avec la main ; on retranche avec un couteau les cendres qui excedent le moule, puis on pose la partie supérieure du moule sur son inférieure, & l'on frappe dessus d'abord à petits coups, jusqu'à ce qu'on soit sûr qu'elles se rencontrent exactement ; ensuite on frappe trois coups forts avec le marteau ou maillet de bois : qui, selon quelques-uns, doit être du même poids que les deux moules ensemble. Il faut que le moule inférieur soit posé sur un gros billot fort stable, & qui n'ait point de ressort, sans quoi les coupelles seroient sujettes à se refendre horisontalement. Ce moule inférieur qui reçoit les cendres se nomme en Allemagne la nonne : le supérieur qui forme le creux arrondi de la coupelle s'appelle le moine. Après qu'on a retiré ce moule supérieur, on met sur la coupelle une couche très-mince de claire (voy. CLAIRE), en la saupoudrant à-travers un petit tamis de soie ; on l'y étend uniment avec le petit doigt, ensuite on y replace le moine qu'on a bien essuyé, & l'on frappe dessus deux ou trois petits coups : cela étant fait, on presse le fond de la coupelle qui est encore dans le moule sur un morceau de drap attaché exprès sur le billot, où l'on travaille ce qui la détache ; on la renverse sur la main gauche pour la poser sur la planche ou sur l'ardoise où elle doit sécher : on continue ainsi jusqu'à ce qu'on en ait fait la quantité que l'on souhaite. Il est bon de faire observer qu'avant de les mettre sous la moufle, il faut qu'elles ayent été séchées exactement à l'air.

On fait aisément avec les cendres de bois seules, ou avec les mêlanges précédens, des coupelles assez grandes pour passer jusqu'à deux onces de plomb : mais si on les vouloit beaucoup plus grandes, il faudroit avoir des cercles de fer de différens diametres, & de hauteur proportionnée à la quantité de cendres dont on a besoin pour passer depuis trois onces jusqu'à un marc de plomb. On les remplit exactement de cendres de bois seules, ou d'un mêlange de parties égales de ces cendres & de chaux d'os exactement mêlées & humectées, jusqu'à ce qu'elles se pelotent en les pressant sans s'attacher aux doigts : on pose le cercle de fer sur une pierre plate, unie, & qui soit très-stable ; on frappe les cendres avec un moule en demi-sphere, si le cercle de fer n'a que trois ou quatre pouces de diametre ; mais s'il est plus grand, on les bat verticalement avec un pilon de fer arrondi, jusqu'à ce qu'elles ayent acquis assez de fermeté pour que le doigt n'y fasse aucune impression ; ensuite avec un couteau courbé on y forme un creux en section de sphere, & on le perfectionne avec une boule d'ivoire. On ne retire point les cendres de ce cercle de fer comme des moules de cuivre précédens ; mais après qu'elles sont exactement seches, on le met sous la moufle avec les cendres qu'il contient.

Quand on fait des coupelles de cendres de bois seules, il faut y joindre quelque chose de glutineux, sans quoi elles conservent fort difficilement la forme que le moule leur a donnée. Les uns y mêlent de l'eau gommée, d'autres du blanc d'oeuf battu dans beaucoup d'eau, d'autres un peu de terre glaise ; mais ce qui m'a paru réussir le mieux, c'est d'humecter les cendres avec de la biere, jusqu'à ce qu'en les pressant elles se pelotent sans s'attacher aux doigts. D'autres y ajoûtent un peu de terre glaise purifiée par le lavage, & séchée. Quant à moi, après avoir essayé tous les mélanges décrits par les auteurs, je m'en suis tenu à faire mes coupelles de cendres d'os de veau & d'os de mouton lavées & calcinées deux fois, puis porphyrisées à sec en poudre impalpable ; par-là je ne suis point obligé d'y mettre de claire pour en boucher les pores : quoiqu'elles paroissent à la vûe très-compactes, l'essai y passe aussi vîte que dans les coupelles faites de cendres d'os simplement passées au tamis de soie : elles boivent beaucoup moins de fin que ces dernieres. M. Cramer préfere les coupelles de chaux d'os à celles de cendres de bois ; l'essai, dit-il, dure plus longtems, mais il se fait avec plus d'exactitude. Le plomb vitrifié avec l'alliage, pénetre lentement la matiere compacte des cendres d'os. Mais de ce léger inconvénient il résulte un avantage ; c'est qu'il n'est point à craindre que la coupelle s'amollisse au feu, & y devienne rare & spongieuse, ni qu'elle boive autant de fin que les coupelles de cendres des végétaux. Il est vrai qu'il faut gouverner le feu du fourneau autrement qu'avec ces dernieres. De plus, les coupelles d'os, ainsi que celles qui sont faites avec un spath bien choisi, n'ont presque pas besoin d'être recuites sous la moufle ; & comme on n'employe que de l'eau pour les humecter, on n'a pas à craindre, comme dans celles qui sont faites de cendres humectées de biere ou de blanc d'oeuf, un phlogistique ressuscitant la litarge en plomb à mesure qu'elle entre dans le corps de la coupelle. (Schlutter publié par M. Hellot.)

Il y a plusieurs especes de spath qui sont très-propres à faire d'excellentes coupelles, & même meilleures que celles dont nous venons de parler ; mais parce que tout spath n'est pas propre à ce dessein, il faut, selon M. Cramer, avant que de le préparer, essayer si celui dont on va se servir, est de la bonne espece, ou non : pour cela on en fait calciner une petite quantité dans un vaisseau fermé, à un feu médiocre : il se fait une légere décrépitation qui, lorsqu'elle cesse, annonce que la calcination est achevée : on retire le creuset du feu, & on trouve le spath raréfié, & devenu si friable, qu'il peut très-facilement être réduit en une poudre très-subtile. On formera avec cette poudre humectée d'une dissolution de vitriol, une coupelle dont on se servira pour faire un essai, par lequel on s'assûrera que le spath dont on s'est servi, est de la bonne espece ; & pour lors on pourra en préparer une quantité suffisante pour faire des coupelles de toutes sortes de grandeurs, qui auront les mêmes avantages que celles qui sont faites d'os, & qui même, selon M. Cramer, leur sont préférables.

M. Stahl dit avoir essayé de faire des coupelles avec l'ardoise ordinaire dont on couvre les maisons, avec la craie, avec le gyps ; & il ajoute qu'il a observé divers phénomenes qu'il ne détaille pas, & qu'il abandonne aux curieux. Voyez Stahl. opuscul. pag. 824. (b)


COUPELLERv. act. (Chimie, Docimasie) c'est passer de l'or, de l'argent, &c. à la coupelle. Voyez COUPELLE.


COUPERv. act. (Gram.) c'est en général faire usage d'un instrument tranchant, & l'effet produit s'appelle coupure. Mais ce mot se prend aussi dans un autre sens, & il est synonyme à mêler & tempérer ; ainsi l'on dit couper un fluide avec un autre. Ce terme a encore d'autres acceptions particulieres, dont on verra quelques-unes dans les articles suivans.

COUPER un opera. Il faut couper un opera bien différemment de tous les autres ouvrages dramatiques. Quinault a coupé tous ses poëmes pour la grande déclamation : il ne pouvoit pas alors avoir une autre méthode, parce qu'il n'avoit que des sujets propres à la déclamation ; que d'ailleurs on connoissoit à peine la danse de son tems, & qu'elle n'occupoit qu'une très-petite partie de la représentation.

Ce ne fut qu'au ballet du triomphe de l'Amour qu'on introduisit en France des danseuses dans les représentations en musique ; il n'y avoit auparavant que quatre ou six danseurs qui formoient tous les divertissemens de l'opéra, & qui n'y portoient par conséquent que fort peu de variété & un agrément très-médiocre ; ensorte que pendant plus de dix ans on s'étoit passé à ce théatre d'un plaisir qui est devenu très-piquant de nos jours. Tous les ouvrages antérieurs à 1681 furent donc coupés de maniere à pouvoir se passer de danseuses ; & le pli étoit pris, si on peut s'exprimer ainsi, lorsque le corps de danse fut renforcé : ainsi Persée, Phaëton, Amadis de Gaule, Roland & Armide, poëmes postérieurs à cette époque, furent coupés, comme l'avoient été Cadmus, Thésée, Atys, Isis, Alceste & Proserpine qui l'avoient précédée.

Quinault, en coupant ainsi tous ses opéra, avoit eu une raison décisive ; mais ceux qui l'ont suivi, avoient un motif aussi fort que lui pour prendre une coupe contraire. La danse naissoit à peine de son tems, & il avoit pressenti qu'elle seroit un des principaux agrémens du genre qu'il avoit créé : mais comme elle étoit encore à son enfance, & que le chant avoit fait de plus grands progrès ; que Lulli se contentoit de former ses divertissemens de deux airs de violons, de trois tout au plus, quelquefois même d'un seul ; qu'il falloit cependant remplir le tems ordinaire de la représentation ; Quinault coupoit ses poëmes de façon que la déclamation suffît presque seule à la durée de son spectacle : trois quarts d'heure à-peu-près étoient occupés par les divertissemens, le reste devoit être rempli par la scene.

Quinault étoit donc astraint à couper ses poëmes de façon que le chant de déclamation (alors on n'en connoissoit point d'autre, voyez COUPE, EXECUTION, DECLAMATION, OPERA) remplît l'espace d'environ deux heures & demie ; mais à mesure qu'on a trouvé des chants nouveaux, que l'exécution a fait des progrès, qu'on a imaginé des danses brillantes, que cette partie du spectacle s'est accrûe ; depuis enfin que le ballet (genre tout entier à la France, le plus piquant, le plus vif, le plus varié de tous) a été imaginé & goûté, toutes les fois qu'on a vû un grand opéra nouveau coupé comme ceux de Quinault (& tous les auteurs qui sont venus après lui, auroient crû faire un crime de prendre une autre coupe que la sienne), quelque bonne qu'ait été la musique, & quelqu'élégance qu'on ait répandu dans le poëme, le public a trouvé du froid, de la langueur, de l'ennui. Les opéra même de Quinault, malgré leur réputation, le préjugé de la nation, & le juste tribut de reconnoissance & d'estime qu'elle doit à Lulli, ont fait peu à peu la même impression ; & il a fallu en venir à des expédiens, pour rendre agréable la représentation de ces ouvrages immortels. Tout cela est arrivé par degrés, & d'une façon presqu'insensible, parce que la danse & l'exécution ont fait leurs progrès de cette maniere.

Les auteurs qui sont venus après Quinault, n'ont point senti ces différens progrès, mais ils ne sont point excusables de ne les avoir pas apperçus ; ils auroient atteint à la perfection de l'art, en coupant leurs ouvrages sur cette découverte. Voyez COUPE.

La Mothe qui a créé le ballet, est le seul qui ait vû ce changement dans le tems même qu'il étoit le moins sensible ; il en a profité, en homme d'esprit, dans son Europe galante, dans Issé, & dans le Carnaval & la Folie, trois genres qu'il a créés en homme de génie. Voyez BALLET, COMEDIE-BALLET, STORALERALE. On ne conçoit pas comment, après un vol pareil vers la perfection, il a pû retomber dans l'imitation servile. Tous ses autres ouvrages lyriques sont coupés sur l'ancien patron, & on sait la différence qu'on doit faire de ses meilleurs opéra de cette derniere espece, avec les trois dont on vient de parler.

En réduisant donc les choses à un point fixe qui puisse être utile à l'art, il est démontré, 1°. que la durée d'un opéra doit être la même aujourd'hui qu'elle l'étoit du tems de Quinault : 2°. les trois heures & un quart de cette durée qui étoient remplies par deux heures & demie de récitatif, doivent l'être aujourd'hui par les divertissemens, les choeurs, les mouvemens du théatre, les chants brillans, &c. sans cela l'ennui est sûr, & la chûte de l'opéra infaillible. Il ne faut donc que trois quarts d'heures à-peu-près de récitatif, par conséquent un Opéra doit être coupé aujourd'hui d'une maniere toute differente de celle dont s'est servi Quinault. Heureux les auteurs qui, bien convaincus de cette vérité, auront l'art de couper les leurs, comme Quinault, s'il vivoit aujourd'hui, les couperoit lui-même. Voyez BALLET, COUPE, DECLAMATION, DEBIT, DIVERTISSEMENT, OPERA, RECITATIF, &c. (B)

COUPER, en Bâtiment, a plusieurs significations. On dit couper une pierre, pour exprimer qu'on en a ôté trop de son lit ou de son parement, ensorte qu'elle devient trop petite pour servir, & qu'il la faut mettre au rebut, ou la faire servir avec déchet dans un endroit de moindre capacité. Couper le plâtre, c'est faire des moulures de plâtre à la main ou à l'outil. Couper le bois, c'est pratiquer des ornemens de sculpture en plein bois sur des panneaux de menuiserie. (P)

COUPER DU TRAIT (Coupe des pierres) c'est faire un modele en petit avec de la craie, ou du plâtre, ou du bois, ou autre chose facile à couper, pour voir la figure des voussoirs, & s'instruire dans l'application du trait de l'épure sur la pierre en se servant des instrumens, comme cherches, panneaux, biveaux, équerres. Voyez COUPE des pierres. (D)

COUPER LE CABLE, (Marine) Lorsqu'on est obligé d'appareiller très-promtement, soit à cause du mauvais tems, soit pour poursuivre un vaisseau ennemi ; comme dans ce cas si l'on levoit l'ancre à l'ordinaire, cela consommeroit un tems précieux, on commande de couper le cable, ce qui se fait sur les bittes ou sur l'écubier. Quelquefois pour éviter de couper le cable, ce qui est une perte, on le file bout pour bout, & l'on y attache une bouée qui sert de marque pour le venir chercher, & lever l'ancre qu'on a été forcé d'abandonner.

Lorsqu'un maître de navire est obligé de couper son cable & laisser son ancre, il en fait un procès-verbal signé des principaux de l'équipage ; & les armateurs ou les marchands le lui payent sur l'estimation, avant que les marchandises soient débarquées. (Z)

COUPER UN MAST. Dans une tempête on est quelquefois obligé de couper un mât, & cette manoeuvre doit se faire avec précaution.

On commence, si le tems le permet, par dégarnir le mât de sa vergue, & de toutes les manoeuvres qui pourroient le retenir, excepté les haubans & l'étai : on coupe ensuite le mât sous le vent ; & quand il commence à chanceler, des matelots prêts avec des haches, coupent promtement les haubans au vent & le grand étai. Les haubans sous le vent se coupent quand le mât est à la mer, ou quand il y va, si l'on en a le moyen. Il faut remarquer qu'on coupe les haubans du vent les premiers, afin que le mât tombe sous le vent, & ne creve pas le vaisseau ; & qu'on commence de l'avant à l'arriere, afin que le mât tombe de l'arriere, ce qui est moins dangereux. S'il faut couper le mât étant au mouillage, on fait carguer le vaisseau du côté qu'on veut jetter le mât, & l'on fait ensuite la manoeuvre qu'on vient d'exposer. (Z)

COUPER LA LAME, c'est quand la pointe du vaisseau fend le milieu de la lame (les flots ou la vague), & passe au travers. (Z)

COUPER L'OR, en terme de Batteur d'or ; c'est partager une feuille en quatre parts, pour être battues & amenées chacune à la premiere grandeur qu'elles avoient avant que d'avoir été séparées ; ce qui se pratique jusqu'à ce que toutes ces feuilles soient assez minces & assez légeres. Voyez BATTEUR D'OR.

COUPER, en terme de Boulanger, c'est trier les farines, & les mettre chacune avec celles de leur espece. Voyez SASSER.

COUPER, en terme de faiseur de cardes ; c'est réduire au moyen des ciseaux, le fil-de-fer à la longueur nécessaire pour être employé : on fait pour cela un petit paquet du fil, que l'on arrête par un bout, & on le coupe sur une mesure.

COUPER, (Carrossier) Couper un carrosse, c'est lui retrancher un de ses fonds ; ainsi un carosse coupé, c'est un carosse qui n'a qu'un fond.

COUPER, en terme de Cirier ; c'est retrancher d'une bougie trop longue ce qui est superflu. Couper la tête, c'est ôter ce qui est de trop à l'extrémité où l'on a fait la tête.

COUPER, v. n. (Commerce de sel, de légumes & de grains) C'est passer la racloire sur la mesure, quand elle est comble.

COUPER LE GRAIN, terme de Courroyeur, qui signifie former sur la surface du cuir qu'on courroye du côté de la fleur, de petites traces s'entrecoupant en tout sens à angles inégaux, telles qu'on les remarque sur les peaux de veau retournées ; ce qui forme une espece de grain. Voyez COURROYER.

COUPER, (Danse) voyez COUPE.

COUPER, en terme d'Epinglier fabriquant d'aiguilles pour les Bonnetiers, se dit de l'action de donner aux aiguilles les longueurs proportionnées à leur grosseur, par le moyen d'une boîte ou mesure. Voy. l'article EPINGLIER.

COUPER, Quoique ce terme ait lieu dans plusieurs opérations des Epingliers, on ne l'employe pourtant proprement que pour signifier l'action de diviser les dressées en transons, & les transons en hanses. Voyez DRESSE, TRANSONS, NSESNSES. Les plus gros transons se coupent ordinairement de la longueur de deux épingles ; les petits, de trois, & quelquefois de quatre & de cinq.

COUPER LES EPINGLES ; c'est les réduire à une certaine longueur ; ce qui s'exécute en les faisant entrer de toute cette longueur dans une boîte, & les faisant toutes toucher une traverse de cuivre qui les sépare. Voyez BOITE. & la fig. 19. Plan. I. de l'Epinglier.

COUPER SOUS LE POIGNET, (Escrime) c'est dégager par dessous le poignet de l'ennemi, au lieu de dégager par-dessous le talon de sa lame. Voyez DEGAGER.

COUPER SUR POINTE, c'est porter une estocade à l'ennemi en dégageant par-dessus la pointe de son épée, au lieu de dégager par-dessous le talon. Voyez DEGAGER.

COUPER, Jardinage, se dit d'un arbre dont on veut se débarrasser, d'une branche qu'on a dessein de supprimer. On dit encore couper un terrein ou terrasse en talus ; couper une allée.

Couper se dit aussi d'un bois bien dessiné.

On appelle coupée blanche la coupe des baliveaux & du gros bois d'un taillis ; ce qui est fort défendu par les ordonnances. (K)

COUPER, (se) en terme de Manége, se dit des chevaux qui s'entre-heurtent les jambes, ou se donnent des atteintes en marchant, ou qui avec l'un des fers se font sauter la peau d'un des boulets. Voyez BOULET.

Cela arrive plus fréquemment aux piés de derriere qu'à ceux de devant. Ce défaut vient de lassitude, de foiblesse aux reins, de ce que les chevaux ne savent comment aller, ou de ce qu'ils sont mal ferrés.

On dit aussi couper le rond, couper la volte, lorsqu'un cheval change de main en travaillant sur ses voltes, en sorte que divisant la volte en deux, il change de main, & part sur une ligne droite pour recommencer une autre volte. Dans cette sorte de manége les écuyers ont coûtume de dire, coupez, ou coupez le rond. Voyez VOLTE. (V)

COUPER UN CHEVAL, voyez CHATRER (Maréchallerie)

On dit : On a été obligé de couper ce cheval, parce qu'il ruoit & mordoit. C'est un excellent remede contre ces vices. Les roussins sont ordinairement entiers, non coupés.

Couper les oreilles, voyez BRETAUDER.

COUPER, à la Monnoie. Lorsque les lames, soit d'or, d'argent, ou de billon, ont passé suffisamment par les laminoirs & au recuit, & que ces lames sont de l'épaisseur convenable à l'espece que l'on veut fabriquer, on en coupe avec un instrument appellé coupoir (voyez COUPOIR) des morceaux ronds en forme de palets unis, à-peu-près du même poids des especes à fabriquer, appellés flancs. Voyez FLANCS. Cette manutention est appellée couper les lames en flancs.

COUPER CARREAUX, terme d'ancien monnoyage ; c'étoit réduire les lames de métal en carreaux avec les cisoirs. Voyez CARREAUX.

COUPER, v. act. (Orfév. Grav. &c.) c'est exécuter avec le burin, l'échope, &c. en creux ou en relief, les différens ornemens des ouvrages, qu'on dit être bien ou mal coupés, selon que l'ouvrier est habile ou mal-adroit.

COUPER, TRANCHER, en Peinture, se dit d'une couleur forte & vive, lorsqu'elle est mise près d'une autre sans aucun adoucissement. Les couleurs qui se coupent ou qui tranchent sans aucun passage, produisent un effet desagréable. (R)

COUPER LES CHEVEUX, (Perruquier) Le Perruquier habile, en ôtant les cheveux de la tête avec des ciseaux, a soin de les prendre par petites parcelles appellées meches, & d'en couper peu à la fois afin qu'ils se trouvent plus égaux par la tête, & qu'il se fasse moins de déchet.

COUPER, (Venerie) se dit d'un chien lorsqu'il quitte la voie de la bête qu'il chasse, qu'il se sépare des autres, & qu'il la va chercher en coupant les devants pour prendre son avantage ; défaut auquel on doit prendre garde pour n'en pas tirer de la race. On dit, ce chien ne vaut rien, il ne fait que couper.

COUPER, terme de Jeu ; c'est diviser le jeu de cartes en deux parties ; ce qui se fait par un des joüeurs, après que celui qui a la main a mêlé. La partie qui étoit dessus se met dessous, & celle qui étoit dessous se met dessus. Il ne faut point couper une carte.

COUPER LA BALLE, (jeu de Paume) c'est la frapper avec la raquette inclinée ; ce qui la faisant tourner de haut en bas relativement au côté de celui qui l'a coupée, elle ne fait point de bond quand elle vient à tomber à terre, ou n'en fait que très-peu, & trompe toûjours le joüeur inexpérimenté en le faisant faux, c'est-à-dire en se jettant après le bond ou à droite ou à gauche, ou même en avant, au lieu que le bond devroit être en arriere. Cela vient de la maniere dont la balle tourne quand elle est coupée, & de la maniere dont le carreau lui fait obstacle quand elle tombe : l'obstacle qu'il lui fait quand elle est coupée, est précisément en sens contraire de celui qu'il lui feroit si elle ne l'étoit pas.

COUPER LES DES, terme de Jeu ; c'est en retirant le cornet leur donner en arriere une impulsion, qui compense celle qu'ils ont reçue pour aller en avant, ensorte qu'en tombant sur la table ils y restent sans se mouvoir.

COUPER, (Blason) se dit de l'écu ; c'est le diviser en deux parties égales, par une ligne horisontale ou parallele à la fusée. Il est coupé de gueule & de sable.


COUPERETS. m. (Tailland. & Cuisine) instrument de gros acier que fabriquent les Taillandiers : la lame en est assez bien représentée par un quart d'ovale ; c'est la portion curviligne qui est le taillant. Le dos en est très-fort & très-épais. Le manche en est ou de fer ou de bois. On s'en sert dans les cuisines & les boucheries pour hacher les viandes.

COUPERET, terme d'Emailleur, est une sorte d'outil d'acier dont ces ouvriers se servent pour couper les canons ou filets d'émail, à-peu-près comme le diamant sert aux Vitriers & aux Miroitiers pour le verre & pour les glaces. Il est fait ordinairement d'une vieille lime applatie & tranchante par un côté ; ce qui lui a fait donner aussi le nom de lime. Voyez EMAIL, & la fig. 6. Plan. II. de l'Emailleur en perles fausses.


COUPEROSES. f. (Minéralog.) espece de vitriol. Voyez VITRIOL.


COUPEURS. m. voyez CARDEUR.

COUPEUR DE POIL, chez les Chapeliers, est un ouvrier qui coupe le poil de dessus la peau des castors, des lapins, &c. avec des ciseaux ou avec une espece de couteau, afin de pouvoir l'arçonner & l'employer à faire des capades. Voyez l'article CHAPEAU.

COUPEUR, ou COUPEUSE, s. f. lorsque c'est une femme, (Fonte de la dragée au moule) est l'ouvrier qui sépare les dragées de la branche ou jet commun à laquelle les dragées moulées tiennent au sortir du moule ; ce qui se fait avec les tenailles tranchantes. Voyez TENAILLES TRANCHANTES. & l'art. FONTE DE LA DRAGEE AU MOULE ; & A, fig. 2. Pl. de la Fonte des dragées au moule, qui représente une ouvriere qui coupe.


COUPISS. m. (Comm.) toiles de coton à carreaux de huit aulnes de long, sur trois quarts, à cinq six de large. Elles viennent particulierement de Bengale. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév.


COUPLAGES. m. terme de Riviere ; c'est une partie d'un train : il y en a seize dans un train.


COUPLES. m. quand on parle de l'espece humaine ; s. f. quand on parle des autres especes d'animaux ou des êtres inanimés. Il se dit en général de deux objets pris ou considérés ensemble.

COUPLE, s. m. (Marine) On appelle couple les côtes ou membres d'un navire, qui étant égaux de deux en deux, croissent ou décroissent couple à couple également à mesure qu'ils s'éloignent du principal ou maître couple, qui est celui du vaisseau qui a le plus de capacité. On le nomme aussi maître gabari. Voyez GABARI. (Z)

COUPLES ou FERMURES, (Marine) ce sont deux planches du franc bordage entre chaque préceinte.

Le couple d'entre les deux plus hautes préceintes doit être placé ensorte que les dalots du haut pont y puissent être percés convenablement ; & la plus basse planche de ce couple où sont les dalots, doit être de la même largeur qu'une des préceintes entre lesquelles elle est posée. L'autre planche qui est sur cette premiere doit, en cas que le vaisseau ait deux batteries, avoir autant de largeur qu'il en faut aux sabords, sans qu'on soit obligé de toucher aux préceintes ou à la lisse de vibord. Si le vaisseau a trois batteries, il faut prendre d'autres mesures. Mais en général on ne peut pas donner de regles certaines pour les couples ou fermures, cela dépend du gabari. Voyez BORDAGE. (Z)

COUPLE, s. m. (Venerie) c'est l'attache de cuir & de fer dont on assemble deux chiens.

Coupler les chiens, c'est les attacher deux à deux avec un couple.

COUPLE, s. m. en terme de Blason, est un bâton d'un demi-pié auquel pendent deux attaches dont on se sert pour coupler les chiens. (V)


COUPLÉadj. terme de Blason, se dit des chiens de chasse liés ensemble, aussi bien que de quelques fruits.

Philippe de Billy, à Paris, d'argent au chevron de gueules accompagné de trois glands & de trois olives de synople, un gland & une olive couplés & liés de gueules. (V)


COUPLERCOUPLER


COUPLETS. m. (Belles lett. & Musiq.) est le nom que l'on donne dans les vaudevilles à cette partie du poëme qu'on appelle strophe dans les odes. Comme tous les couplets d'une chanson sont composés sur la même mesure de vers, on les chante aussi sur le même air. Voyez STROPHE.

COUPLET, en Musique, se dit aussi des doubles & variations qu'on fait sur un même air, en le reprenant plusieurs fois avec de nouveaux changemens ; mais toûjours sans défigurer le fond de l'air, comme dans les folies d'Espagne & dans les anciennes chaconnes. Voyez VARIATION. Chaque fois qu'on reprend ainsi l'air varié différemment, c'est un couplet. (S)

COUPLET, (Arquebus.) Les Arquebusiers appellent ainsi un fusil dont le canon est brisé, c'est-à-dire fait de deux pieces qui se rassemblent par le moyen d'une vis. Voyez FUSIL.

COUPLETS, (Serrur.) c'est une fermeture en charniere composée de deux ailes en queue d'aronde ou droites, assemblées par une charniere que traverse une broche.

On en met aux portes, cassettes, tables, par-tout où il s'agit d'ouvrir & de fermer.

COUPLETS DE PRESSE D'IMPRIMERIE, sont les deux grosses charnieres de fer qui attachent le grand chassis ou tympan au coffre de la presse : ils doivent être extrèmement justes, pour éviter divers inconvéniens qui arrivent dans le cours du travail de l'impression. Il y a deux autres petits couplets ou charnieres à l'extrémité supérieure de ce même chassis ou tympan, qui servent à y attacher la frisquette au moyen de deux brochettes. Voyez FRISQUETTE, TYMPAN, COFFRE.


COUPLIERESS. m. pl. terme de Riviere, est un assemblage de huit roüettes bouclées par un bout, où elles forment une espece de noeud coulant. On s'en sert dans la construction des trains, pour retenir la branche d'un train sur l'attelier. Voyez TRAIN.


COUPOIRS. m. (Ecrivain & Libr.) c'est un couteau d'ivoire ou de buis : il est fait à deux tranchans paralleles ; les deux bouts en sont arrondis. On s'en sert pour couper les feuillets d'un livre, ou mettre des feuilles de papier en quarrés.

COUPOIR, (Fonderie en caracteres) Instrument servant aux Fondeurs de caracteres d'Imprimerie, pour couper aux corps des caracteres, certaines parties qui nuiroient à l'impression, & pour les rendre plus propres. De ces instrumens il y en a de deux façon, de bois & de fer. Ceux de bois sont les plus anciens, & ils subsistent depuis l'origine de la Fonderie. C'est un billot de bois d'un seul morceau, assujetti à hauteur d'appui sur une espece de banc fermé à l'entour, pour recevoir les rognures des lettres. Ce billot est entaillé dans toute sa longueur de trois à quatre pouces de profondeur. Dans cette entaille, aux parois du côté gauche, on met le justifieur, aussi de bois, qui contient deux ou trois cent lettres plus ou moins, suivant leur grosseur, arrangées à côté les unes des autres ; puis entre ce justifieur & le parois à droite du billot, on place un coin de bois qui en remplit le vuide, & qui frappé à plusieurs coups de maillet, serre les lettres dans le justifieur, pour pouvoir souffrir l'effort d'un rabot avec lequel on les coupe. Voyez JUSTIFIEUR.

Le coupoir de fer est d'une invention moderne, beaucoup plus composé, plus propre & plus commode, & avec lequel on fait l'ouvrage plus diligemment & plus sûrement. Celui-ci est d'autant mieux inventé, que l'autre est bruyant, & sujet à se déranger par les intempéries de l'air qui tourmentent le bois. Voyez la Planche III. du Fondeur de caracteres, fig. 1. & 2.

Il fut inventé à Sedan par Jean Janon graveur, fondeur & imprimeur de cette ville, qui rendit public en 1621 un cahier d'épreuves des caracteres qu'il avoit gravés. Voici quelle fut l'occasion de cette découverte. Janon avoit depuis long-tems sa femme malade, & comme entreprise de tous ses membres : le bruit réitéré des coups de maillet pour serrer le coin qui tient les lettres fermes dans ce coupoir de bois, venant à retentir à ses oreilles, lui causoit une grande douleur, suivie d'un accès de mal de tête. Cet homme chercha les moyens de soulager sa femme, & fit part de son dessein à un habile armurier de la même ville ; & tous les deux ensemble, après plusieurs recherches, inventerent cette machine pour la fin qu'ils s'étoient proposée, d'eviter le bruit, & ajoûterent à cela tout ce que l'art put leur fournir pour en faire une belle composition, commode & aisée ; en quoi ils réussirent. L'auteur ne joüit pas long-tems du fruit de son invention ; il mourut peu de tems après. Sa fonderie passa après lui entre les mains de plusieurs fondeurs, qui ne connurent point l'usage de ce nouveau coupoir : cela fit qu'il resta inconnu jusqu'au tems que cette fonderie ayant passé des mains du sieur Langlois imprimeur & libraire, & depuis syndic de la Librairie de Paris, dans celles du sieur Cot fondeur dans la même ville, celui-ci en rassembla les pieces ; & reconnoissant l'utilité de cette nouvelle machine, en fit faire un par un nommé Labrune armurier à Paris, qui l'exécuta suivant ce modele, & avec quelques légers changemens.

M. de la Chapelle sur-intendant des bâtimens du Roi, ayant été instruit de l'utilité de ce nouveau coupoir, en a fait faire un sur le modele du sieur Cot pour la fonderie du Roi au Louvre. En 1739 le sieur Fournier le jeune en a fait faire un pour son usage, où il a changé & transposé plusieurs pieces, pour le rendre plus parfait & plus commode. C'est d'après le sien qu'on a dessiné celui de nos Planches. Voyez ces Planches. Voyez aussi l'art. CARACTERES.

* COUPOIR, à la Monnoie, est un instrument de fer qui sert à emporter des lames de métal, les flancs destinés à faire des monnoies. Pl. I. fig. 1. En voici la description.

L'arbre de fer à vis A, B, C, est attaché au montant G H I ; au-dessous de la tête A, est emboîtée la manivelle D E à main en F, & armée d'une boule de plomb K ; au montant G H sont adaptées deux jumelles de fer M N, qui servent d'écrou & de directrices à l'arbre A B C, à l'extrémité duquel est assemblé à clavettes l'appui O P à mortoise en Q, où est reçue la queue du plein R, qui va frapper le coupant S enclavé à vis dans la boîte V. Le coupant est creux, & la table X X est percée ; ainsi lorsque le plein R vient frapper une lame de métal placée entre lui & le coupant S, le plein R force le métal à s'enfoncer en creux sur le coupant ; & ce coupant S, qui est vif & d'acier acéré, emporte de la lame la partie qu'on lui oppose ; & cette partie, qui est le flanc, passant dans le coupant & à-travers la table X, tombe dans le panier Z. Il faut avoir autant de coupoirs qu'il y a de différentes monnoies : mais pour toutes les especes, les coupoirs sont construits de même ; il n'y a que le coupant qui change de calibre.


COUPOLES. f. terme d'Architecture, qui signifie la même chose que dôme. Voyez DOME.

Ce mot vient de l'italien cupola, qui est dérivé du mot latin barbare cuppola, autrement thola ou fornix, voûte.

C'est aussi le dedans ou la partie concave d'une voûte sphérique, qu'on orne de compartimens & de peinture. Voyez VOUTE.


COUPON D'ACTION(Comm. & Fin.) portion de la dividende, ou répartition d'une action. Voyez ACTION & DIVIDENDE.

Ce terme inconnu en France en ce sens jusqu'au regne de Louis XV. commença à s'y introduire dans les finances, lorsque pour accréditer & soûtenir les fermiers généraux des revenus du Roi, on créa des actions des fermes.

Les actions de la compagnie des Indes ayant succédé à celles-ci, l'usage des coupons fut rétabli dans le commerce des actions.

Chaque dividende ou répartition d'action est divisée en deux coupons, & chaque billet ou police d'actions contient six coupons, ou trois années de dividende.

Ces coupons ont été inventés pour faciliter le payement des dividendes, & épargner à l'actionnaire le soin de faire dresser des quittances à chaque demi-année.

On les appelle coupons, parce qu'en les coupant, & retranchant de la police un billet d'action à chaque division de six mois, ils deviennent des quittances en forme, qui suffisent au caissier de la compagnie pour sa décharge, & à l'actionnaire pour recevoir sa demi-répartition, sans même avoir besoin de la signer.

Chaque coupon d'action a une empreinte du sceau de la compagnie, ensorte qu'une police d'actions pour trois années, a sept sceaux ; la derniere division, qui est proprement l'action, ayant aussi le sien. Tous les trois ans les billets d'action se renouvellent : en voici un modele, tel qu'on les délivre à la compagnie des Indes. Les croix qu'on a mises dans chaque division, tiennent lieu du sceau de la compagnie.

Les billets des nouvelles loteries royales ont aussi leurs coupons, sur lesquels on va à chaque tirage se faire payer au trésor royal de la rente du billet, ou de son lot. Voyez dict. du Comm. (G)

* COUPON, (Comm.) espece de toile d'ortie qui se fait à la Chine, d'une plante appellée co, qui ne se trouve guere que dans la province de Fokien. C'est une espece de lierre, dont la tige donne un chanvre qui sert à la fabrique du coupon. On la fait roüir, on la tille ; on laisse la premiere peau, qui n'est bonne à rien ; on garde la seconde, qu'on divise à la main, & dont, sans la battre ni filer, on fait une toile très-fine & tres-fraiche. N'aurions-nous point dans nos contrées de plantes qu'on pût dépouiller d'une premiere peau, sous laquelle il y en eût une autre propre à l'ourdissage ? Cette recherche ne seroit pas indigne d'un Botaniste.

COUPONS, (Manufact. d'Etoffes) petites pieces de toile, de serge, &c. qui n'ont pas plus de cinq aulnes de long. Il est défendu par les réglemens d'attacher aux ouvrages, soit étoffes, soit toiles, des coupons pour en complete r l'aulnage prescrit.

COUPON, terme de Riviere, dix-huitieme partie d'un train de bois flotté. Chaque coupon doit avoir douze piés de long, ce qui donne trente-six toises pour la longueur entiere du train. La largeur du train est de quatre longueurs de buches. Le train rend communément vingt-cinq cordes de bois à Paris ; il en rendroit bien davantage, sans le déchet qui se fait en chemin.

COUPURE, s. f. (Chirurgie) blessure légere faite avec un instrument tranchant, tel qu'un rasoir, un couteau, une serpe, une hache. La coupure peut être légere ou considérable. Une coupure légere qui n'a point offensé de grosses arteres, de nerfs, ni de parties tendineuses, se guérit d'elle-même, en écartant l'air, le froid, le frottement, en employant quelque baume vulnéraire, naturel ou artificiel ; en rejoignant le bord des levres séparées, & en les contenant dans leur réunion par un bandage. Si la coupure est considérable, alors elle prend le nom de blessure ou plaie, & demande le secours de l'art dans le traitement, V. PLAIE. Cet art, pour le dire en deux mots, consiste à suivre la route que tient la nature dans la guérison des plaies, écarter ce qui peut être nuisible, & suppléer à ce qui manque. Au reste il ne faut pas confondre la coupure avec l'incision : la coupure est bien une incision d'une partie molle, mais faite sans dessein & sans utilité ; l'incision au contraire est une coupure faite exprès par une main chirurgicale avec un instrument tranchant, pour tendre à la guérison du malade, ou pour l'accélérer. Voyez INCISION. Par M(D.J.)

COUPURES, en termes de Fortification ou de la guerre des siéges, sont dant les ouvrages attaqués, des séparations qu'on y pratique pour en disputer le terrein pié à pié à l'ennemi. Les coupures ne sont ordinairement composées que d'un fossé & d'un parapet. (Q)


COURS. f. terme d'Architecture ; est la dépendance d'une maison, d'un hôtel ou d'un palais, consistant en une portion de terrein découvert, plus ou moins grande, laquelle est fermée de murs ou entourée de bâtimens.

Les cours principales doivent en général être plus profondes que larges ; on leur donne communément la diagonale du quarré de leur base : celles qui sont quarrées font un mauvais effet.

La cour qui est en face & proche le grand corps de logis, s'appelle cour principale ; celle qui précede cette derniere, s'appelle avant-cour ; celles destinées aux équipages, aux cuisines, &c. s'appellent basses-cours. Voyez BASSES-COURS. (P)

* COUR, (Histoire moderne & anc.) c'est toujours le lieu qu'habite un souverain ; elle est composée des princes, des princesses, des ministres, des grands, & des principaux officiers. Il n'est donc pas étonnant que ce soit le centre de la politesse d'une nation. La politesse y subsiste par l'égalité où l'extrême grandeur d'un seul y tient tous ceux qui l'environnent, & le goût y est raffiné par un usage continuel des superfluités de la fortune. Entre ces superfluités il se rencontre nécessairement des productions artificielles de la perfection la plus recherchée. La connoissance de cette perfection se répand sur d'autres objets beaucoup plus importans ; elle passe dans le langage, dans les jugemens, dans les sentimens, dans le maintien, dans les manieres, dans le ton, dans la plaisanterie, dans les ouvrages d'esprit, dans la galanterie ; dans les ajustemens, dans les moeurs mêmes. J'oserois presqu'assûrer qu'il n'y a point d'endroit où la délicatesse dans les procédés soit mieux connue, plus rigoureusement observée par les honnêtes gens, & plus finement affectée par les courtisans. L'auteur de l'esprit des lois définit l'air de cour, l'échange de sa grandeur naturelle contre une grandeur empruntée. Quoiqu'il en soit de cette définition, cet air, selon lui, est le vernis séduisant sous lequel se dérobent l'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans l'orgueil, le desir de s'enrichir sans travail, l'aversion pour la vérité, la flaterie, la trahison, la perfidie, l'abandon de tout engagement, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l'espérance sur ses foiblesses, &c. en un mot la malhonnêteté avec tout son cortege, sous les dehors de l'honnêteté la plus vraie ; la réalité du vice toûjours derriere le fantôme de la vertu. Le défaut de succès fait seul dans ce pays donner aux actions le nom qu'elles méritent ; aussi n'y a-t-il que la mal-adresse qui y ait des remords. Voyez l'article COURTISAN.

COUR, (Jurispr.) en latin curia, seu curtis, aula, comitatus, praetorium, palatium signifie en général un tribunal composé de plusieurs pairs ou vassaux, conseillers ou assesseurs.

On donnoit autrefois le titre de cour à toutes sortes de tribunaux indifféremment ; on disoit la cour du seigneur, pour signifier sa jurisdiction ; cour d'église pour officialité. Présentement les compagnies souveraines sont les seules jurisdictions qui doivent être qualifiées de cour, & qui puissent prononcer leurs jugemens en ces termes : La cour ordonne....

Cour signifie quelquefois simplement jurisdiction, comme quand le Roi renvoye à un juge la connoissance d'une affaire, & lui attribue à cet effet toute cour & jurisdiction.

C'est aussi en ce sens qu'un juge, même inférieur, met les parties hors de cour, pour dire qu'il les renvoye & les met hors de procès.

Congé de cour, c'est obtenir son renvoi : sa décharge.

Ravoir la cour, c'est obtenir le renvoi d'une cause. Voyez de Fontaine, ch. iij. art. 10.

Rendre la cour à ses hommes, c'est renvoyer les parties en la justice de ses vassaux. Beauman. ch. x.

COUR DU ROI A AIGUES-MORTES. La viguerie de cette ville est ainsi nommée dans des lettres de Charles V. du 2 Novembre 1364. Ordonnances de la troisieme race, tome IV.

COUR DE BEZIERS, ou COUR ROYALE DE BEZIERS. La justice royale de cette ville est ainsi nommée dans des lettres de Charles V. du mois de Juin 1365. Ordonnances de la troisieme race, tome III.

COUR DE BERRY ; c'est le bailliage royal de Bourges, qui est ainsi qualifié dans des lettres de Charles V. du mois de Décembre 1355.

COUR DU DUC DE BOURGOGNE ; c'étoit la justice souveraine de ce seigneur : il en est parlé dans des lettres d'Odon duc de Bourgogne, de l'an 1213, rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome IV. p. 403.

COUR DU BAILLI DE GRENADE ; c'est la justice royale de cette ville, ainsi appellée dans des lettres du roi Jean, du mois de Décembre 1350.

COUR DE CHRETIENTE, étoit la même chose que cour d'église. Pasquier, liv. III. de ses recherches, chap. xxvj. rapporte que dans les vieux registres du viguier de Toulouse, il est dit que vers l'an 1290 le roi permit aux veuves & aux orphelins de se pourvoir pardevant ses juges, ou en la cour de chrestienté, c'est-à-dire en cour d'église ; ce qui a depuis été abrogé, de même que plusieurs autres entreprises que les ecclésiastiques avoient faites sur la jurisdiction séculiere, par la nonchalance, & même par la connivence de ceux qui avoient part au gouvernement de l'état, & des officiers royaux qui auroient dû arrêter ces entreprises. Voyez ci-après COUR D'EGLISE.

COUR COMMUNE, est un titre que l'on donnoit anciennement à quelques jurisdictions. Dans des lettres de Philippe de Valois, du premier Juillet 1328, il est parlé de la cour commune de Gevaudan, curia communis Gaballitani. Ordonnances de la 3e. race, tome II. p. 19.


COURADOUXS. m. (Marine) c'est l'espace qui est entre deux ponts. (Z)


COURAGES. m. (Morale) c'est cette qualité, cette vertu mâle qui naît du sentiment de ses propres forces, & qui par caractere ou par réflexion fait braver les dangers & ses suites.

Delà vient qu'on donne au courage les noms de coeur, de valeur, de vaillance, de bravoure, d'intrépidité : car il ne s'agit pas ici d'entrer dans ces distinctions délicates de notre langue, qui semble porter dans l'idée des trois premiers mots plus de rapport à l'action que dans celle des deux derniers, tandis que ceux-ci à leur tour renferment dans leur idée particuliere un certain rapport au danger que les trois premiers n'expriment pas. En général, ces cinq mots sont synonymes & désignent la même chose, seulement avec un peu plus ou un peu moins d'énergie. Voyez BRAVOURE.

On ne sauroit s'empêcher d'estimer & d'honorer extrêmement le courage, parce qu'il produit au péril de la vie les plus grandes & les plus belles actions des hommes ; mais il faut convenir que le courage, pour mériter véritablement l'estime, doit être excité par la raison, par le devoir, & par l'équité. Dans les batailles, la rage, la haine, la vengeance, ou l'intérêt, agitent le coeur du soldat mercénaire ; mais la gloire, l'honneur & la clémence, animent l'officier de mérite. Virgile a bien senti cette différence. Si l'éclat & le brillant font paroître dans son poëme la valeur de Turnus plus ébloüissante que celle d'Enée, les actions prouvent qu'en effet & au fond la valeur d'Enée l'emporte infiniment sur celle de Turnus. Epaminondas n'a pas moins de résolution, de vaillance & de courage, qu'aucun héros de la Grece & de Rome ; " non pas de ce courage (comme dit Montagne) qui est éguisé par l'ambition, mais de celui que l'esprit, la sapience & la raison peuvent planter en une ame bien réglée, il en avoit tout ce qui s'en peut imaginer. "

Cette louange dont Epaminondas est bien digne, me conduit à la distinction philosophique du courage de coeur, si je puis parler ainsi, qu'on nomme communément bravoure, qui est le plus commun, & de cette autre espece de courage qui est plus rare, que l'on appelle courage de l'esprit.

La premiere espece de courage est beaucoup plus dépendante de la complexion du corps, de l'imagination échauffée, des conjonctures & des alentours. Versez dans l'estomac d'un milicien timide des sucs vigoureux, des liqueurs fortes, alors son ame s'arme de vaillance ; & cet homme devenu presque féroce, court gaiement à la mort au bruit des tambours. On est brave à la guerre, parce que le faste, le brillant appareil des armes, le point d'honneur, l'exemple, les spectateurs, la fortune, excitent les esprits que l'on nomme courage. Jettez-moi dans les troupes, dit la Bruyere, en qualité de simple soldat, je suis Thersite ; mettez-moi à la tête d'une armée dont j'aye à répondre à toute l'Europe, je suis Achille. Dans la maladie, au contraire, où l'on n'a point de spectateurs, point de fortune, point de distinctions à espérer, point de reproches à appréhender, l'on est craintif & lâche. Où l'on n'envisage rien pour récompense du courage du coeur, quel motif soûtiendroit l'amour propre ? Il ne faut donc pas être surpris de voir les héros mourir lâchement au lit, & courageusement dans une action.

Le courage d'esprit, c'est-à-dire, cette résolution calme, ferme, inébranlable dans les divers accidens de la vie, est une des qualités des plus rares. Il est très aisé d'en sentir les raisons. En général tous les hommes ont bien plus de crainte, de pusillanimité dans l'esprit que dans le coeur ; & comme le dit Tacite, les esclaves volontaires font plus de tyrans, que les tyrans ne font d'esclaves forcés.

Il me semble, avec un auteur moderne qui a bien développé la différence des deux courages (Considér. sur les moeurs), " que le courage d'esprit consiste à voir les dangers, les périls, les maux & les malheurs, précisément tels qu'ils sont, & par conséquent les ressources ; les voir moindres qu'ils ne sont, c'est manquer de lumieres ; les voir plus grands, c'est manquer de coeur : la timidité les exagere ; & par-là les fait croître : le courage aveugle les déguise, & ne les affoiblit pas toûjours ; l'un & l'autre mettent hors d'état d'en triompher. Le courage d'esprit suppose & exige souvent celui du coeur ; le courage du coeur n'a guere d'usage que dans les maux matériels, les dangers physiques, ou ceux qui y sont rélatifs. Le courage d'esprit a son application dans les circonstances les plus délicates de la vie. On trouve aisément des hommes qui affrontent les périls les plus évidens ; on en trouve rarement qui sans se laisser abattre par un malheur, sachent en tirer le parti qui conviendroit ".

Cependant l'Histoire, & l'on ne doit pas le dissimuler, ne manque pas d'exemples de gens qui ont réuni admirablement en eux le courage de coeur & le courage d'esprit : il ne faut que lire Plutarque parmi les anciens, & de Thou parmi les modernes, pour sentir son ame élevée par des traits & des actions de cette espece, glorieuses à l'humanité. Mais l'exemple le plus fort & le plus frappant qu'il y ait peut-être en ce genre, exemple que tout le monde sait, qu'on cite toûjours, & que j'ose encore transcrire ici, c'est celui d'Arria femme de Cecina Poetus, fait prisonnier par les troupes de l'empereur Claude, après la déroute de Scribonianus, dont il avoit embrassé le parti.

Cette femme courageuse ayant inutilement tenté, par les instances les plus vives, les plus séduisantes, & les plus ingénieuses, d'être reçue dans le navire qui conduisoit son mari prisonnier, loüa, sans s'abandonner au desespoir, un bateau de pêcheur, & suivit Poetus toute seule dans ce petit esquif depuis l'Esclavonie jusqu'à Rome. Quand elle y fut arrivée, & qu'elle ne vit plus d'espérance de sauver les jours de son mari, elle s'apperçut qu'il n'avoit pas le coeur assez ferme pour se donner la mort, à laquelle la cruauté de l'empereur le contraignoit. Dans cette extrémité elle commença, pour tâcher d'y disposer Poetus, d'employer ses conseils & ses exhortations les plus pressantes : alors le voyant ébranlé, elle prit dans sa main le poignard qu'il portoit : Sic Poete, fais ainsi mon cher Poetus ; & à l'instant s'étant donné un coup mortel de ce même poignard, elle l'arracha de la plaie, le lui présenta tranquillement, & lui dit en expirant ces trois mots : Poete non dolet ; tiens, Poetus, il ne m'a point fait de mal. Praeclarum illud, s'écrie Pline, ferrum stringere, perfodere pectus, extrahere pugionem, porrigere marito, addere vocem immortalem ac poene divinam, Poete non dolet. Pline, ép. xvj. liv. III. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COURALINS. m. terme de Pêche usité dans l'amirauté de Bordeaux : c'est une sorte de petite chaloupe dont se servent les Pêcheurs.


COURANTS. m. en terme d'Hydrographie, est le nom qu'on donne en général à une certaine quantité d'eau qui se meut suivant une direction quelconque. Voyez FLEUVE.

Les courans, par rapport à la navigation, peuvent être définis un mouvement progressif que l'eau de la mer a en différens endroits, soit dans toute sa profondeur, soit à une certaine profondeur seulement, & qui peut accélérer ou retarder la vîtesse du vaisseau, selon que sa direction est la même que celle du vaisseau, ou lui est contraire. Voyez NAVIGATION.

Les courans en mer sont ou naturels & généraux, en tant qu'ils viennent de quelque cause constante & uniforme ; ou accidentels & particuliers, en tant qu'ils sont causés par les eaux qui sont chassées vis-à-vis les promontoires, ou poussées dans les golfes & les détroits, dans lesquels n'ayant pas assez de place pour se répandre, elles sont obligées de reculer, & troublent par ce moyen le flux & reflux de la mer, Voyez MER, FLUX & REFLUX.

Il y a grande apparence qu'il en est des courans comme des vents, qui parmi une infinité de causes accidentelles ne laissent pas d'en avoir de reglées. L'auteur des réflexions sur la cause générale des vents, imprimées à Paris en 1746, paroît porté à croire que les courans considérables qu'on observe en pleine mer, peuvent être attribués à l'action du soleil & de la lune : il prétend que si la terre étoit entierement inondée par l'océan, l'action du soleil & de la lune qui produit les vents d'est réglés de la zone torride, donneroit aux eaux de la mer sous l'équateur une direction constante d'orient en occident, ou d'occident en orient, selon que les eaux seroient plus ou moins profondes ; & il ajoûte qu'on pourroit expliquer par le plus ou moins de hauteur des eaux, & par la disposition des côtes, les différens courans réglés & constans que les navigateurs observent, & que les oscillations horisontales de la pleine mer dans le flux & reflux, pourroient être l'effet de plusieurs courans contraires. Voyez sur cela l'histoire naturelle de MM. de Buffon & Daubenton, tome I. art. des courans. C'est sur-tout aux inégalités du fond de la mer que M. de Buffon attribue les courans. Quelques-uns, selon lui, sont produits par les vents ; les autres ont pour cause le flux & le reflux modifié par les inégalités dont il s'agit. Les courans varient à l'infini dans leurs vîtesses & dans leurs directions, dans leur force, leur largeur, leur étendue. Les courans produits par les vents, changent de direction avec les vents, sans changer d'ailleurs d'étendue ni de vîtesse. C'est sur-tout à l'action des courans que M. de Buffon attribue la cause des angles correspondans des montagnes. Voy. ANGLES CORRESPONDANS DES MONTAGNES.

Les principaux courans, les plus larges & les plus rapides, sont 1°. un près de la Guinée, depuis le cap-Verd jusqu'à la baie de Fernandopo, d'occident en orient, faisant faire aux vaisseaux cent cinquante lieues en deux jours. 2°. Auprès de Sumatra, du midi vers le nord. 3°. Entre l'île de Java & la terre de Magellan. 4°. Entre le cap de Bonne-Espérance & l'île de Madagascar. 5°. Entre la terre de Natal & le même cap. 6°. Sur la côte du Pérou dans la mer du Sud, du midi au nord, &c. 7°. Dans la mer voisine des Maldives, pendant six mois d'orient en occident, & pendant six autres mois en sens contraire. Hist. nat. tome I. p. 454.

Les courans sont si violens sous l'équateur, qu'ils portent les vaisseaux très-promtement d'Afrique en Amérique : mais aussi ils les empêchent absolument de revenir par le même chemin ; de sorte que les vaisseaux, pour retourner en Europe ; sont forcés d'aller chercher le cinquantieme degré de latitude.

Dans le détroit de Gibraltar, les courans poussent presque toûjours les vaisseaux à l'est, & les jettent dans la Méditerranée : on trouve aussi qu'ils se meuvent suivant la même direction dans d'autres endroits. La grande violence de la mer dans le détroit de Magellan, qui rend ce détroit fort périlleux, est attribuée à deux courans directement contraires, qui viennent l'un de la mer du Nord, & l'autre de celle du Sud. (O)

L'observation & la connoissance des courans est un des points principaux de l'art de naviger : leur direction & leur force doit être soigneusement remarquée. Pour la déterminer, les uns examinent, quand ils sont à la vûe du rivage, les mouvemens de l'eau, & la violence avec laquelle l'écume est chassée : mais suivant Chambers, la méthode la plus simple & la plus ordinaire est celle-ci. D'abord on arrête le navire de son mieux par différens moyens ; on laisse aller & venir le vaisseau comme s'il étoit à l'ancre : cela fait, on jette le lock ; & à mesure que la ligne du lock file, on examine sa vîtesse & sa direction. Voyez LOCK. Par ce moyen on connoit s'il y a des courans ou s'il n'y en a point ; & quand il y en a, on détermine leur direction & leur degré de force. Il faut cependant observer qu'on ajoûte quelque chose à la vîtesse du lock pour avoir celle du vaisseau ; car quoique le vaisseau paroisse en repos, cependant il est réellement en mouvement. Voici comment se détermine ce qu'on doit ajoûter. Si la ligne du lock file jusqu'à soixante brasses, on ajoûte le tiers de sa vîtesse ; si elle file à quatre-vingt, le quart, & le cinquieme, si elle file à cent brasses. Si le vaisseau fait voile suivant la direction même du courant, il est évident que la vîtesse du courant doit être ajoûtée à celle du vaisseau ; s'il fait voile dans une direction contraire, la vîtesse du courant doit être soustraite de la vîtesse du vaisseau ; si la direction du vaisseau traverse celle du courant, le mouvement du vaisseau sera composé de son mouvement primitif & de celui du courant, & sa vîtesse sera augmentée ou retardée, selon l'angle que fera sa direction primitive avec celle du courant ; c'est-à-dire que le vaisseau décrira la diagonale formée sur ces deux directions, dans le même tems qu'il auroit décrit l'un des deux côtés, les forces agissant séparément. Voyez COMPOSITION DE MOUVEMENT. Chambers.

Ce qui rend la détermination des courans si difficile, c'est la difficulté de trouver un point fixe en pleine mer. En effet le vaisseau ne le sauroit être, car il est mû par le courant même ; de sorte que la vîtesse du vaisseau se combine avec celle du courant, & est cause qu'on ne sauroit exactement démêler celle-ci. L'académie royale des Sciences a proposé ce sujet pour le prix de l'année 1751 ; mais en rendant justice au mérite des pieces qui lui ont été envoyées, elle reconnoît que les méthodes proposées par les auteurs laissent encore beaucoup à desirer. Ces pieces n'étant point encore publiques au moment où nous écrivons ceci (Mai 1754), nous ne pouvons en donner l'extrait.

Sous-courans. M. Halley croit qu'il est fort vraisemblable que dans les dunes, dans le détroit de Gibraltar, &c. il y a des sous-courans, c'est-à-dire des courans qui ne paroissent point à la surface de la mer, & dans lesquels l'eau est poussée avec la même violence que dans les courans qui se font à la surface. M. Halley appuie cette opinion sur l'observation qu'il a faite de la haute mer entre le nord & le sud de Foreland ; savoir que le flux ou le reflux arrive dans cette partie des dunes trois heures avant qu'il arrive dans la pleine mer : ce qui prouve, selon lui, que tandis que le flux commence à la partie supérieure, le reflux dure encore à la partie inférieure, dont les eaux sont resserrées dans un lit plus étroit ; & réciproquement que le flux dure encore à la partie inférieure, lorsque le reflux commence à la partie supérieure. Donc, conclud-il, il y a dans ces détroits deux courans contraires, l'un supérieur, l'autre inférieur.

L'auteur confirme son sentiment par une expérience faite dans la mer Baltique, & qu'il dit lui avoir été communiquée par un habile homme de mer témoin oculaire. Cet homme étant dans une des frégates du Roi, elle fut tout-d'un-coup portée au milieu d'un courant, & poussée par les eaux avec beaucoup de violence. Aussi-tôt on descendit dans la mer une corbeille où on mit un gros boulet de canon ; la corbeille étant descendue à une certaine profondeur, le mouvement du vaisseau fut arrêté : mais quand elle fut descendue plus bas, le vaisseau fut porté contre le vent, & dans une direction contraire à celle du courant supérieur, qui n'avoit qu'environ quatre ou cinq brasses de profondeur. M. Halley ajoûte qu'au rapport de ce marin, plus on descendoit la corbeille, plus on trouvoit que le courant intérieur étoit fort.

Par ce principe il est aisé d'expliquer, selon M. Halley comment il peut se faire qu'au détroit de Gibraltar, dont la largeur n'est que d'environ vingt milles, il passe continuellement une si grande quantité d'eau de la mer Atlantique dans la Méditerranée par le moyen des courans, sans cependant que l'eau s'éleve considérablement sur la côte de Barbarie, ni qu'elle inonde les terres qui sont fort basses le long de cette côte. L'auteur paroît donc supposer qu'il y a au détroit de Gibraltar un courant inférieur & intérieur contraire au courant supérieur ; mais cela est assez difficile à comprendre. (O)

COURANT D'EAU, voyez RUISSEAU.

COURANT DE COMBLE, en Bâtiment, est la continuité d'un comble dont la longueur a plusieurs fois la largeur, comme celui d'une galerie. (P)

COURANT, terme qu'on employe assez souvent sur-tout dans le commerce. Ainsi argent courant, ou bon argent, est celui qui passe dans le commerce d'une personne à une autre.

COURANT. On appelle le courant, des intérêts d'une somme, des arrérages d'une rente pour signifier ceux qui courent actuellement & qui ne sont pas encore échus ; ce qui les distingue des anciens arrérages.

COURANT. On appelle ainsi, en termes d'aulnage de tapisserie de haute ou basse lisse, de Bergame, de cuir doré, &c. l'aulne de ces tapisseries mesurée & estimée dans sa longueur, sans avoir égard à sa hauteur ; ce qui est opposé à une aulne quarrée, qui est celle qui doit avoir une aulne de haut & de large.

COURANT, terme abréviatif dont se servent les négocians pour exprimer le mois dans lequel ils écrivent. J'ai eu l'honneur de vous écrire le 6 du courant, c'est-à-dire du présent mois. V. le dict. du Comm.

COURANT, est encore un terme qui se dit du tems présent. L'année courante est l'année 1754. (G)

COURANT, adj. (Venerie) chien courant, voyez l'article CHIEN.

COURANT, en termes de Blason, se dit de tout animal qui court. Jaquemet, d'azur à une bande d'or, acostée de deux cerfs courans de même. (V)


COURANTES. f. (Musiq. & Danse) ancienne espece de danse dont l'air est lent, & se note ordinairement en triple de blanches avec deux reprises. (S)

La Courante est composée d'un tems, d'un pas, d'un balancement, & d'un coupé. On la danse à deux.

C'est par cette danse qu'on commençoit les bals anciennement. Elle est purement françoise. Les menuets ont pris la place de cette danse, qu'on n'exécute presque plus.

Il y a le pas de courante qu'on fait entrer dans la composition de plusieurs danses.

Dans les premiers tems qu'on trouva la courante, on en sautoit le pas ; dans la suite on ne la dansa que terre-à-terre. (B)

Pas de courante. Ses mouvemens, quoique la courante ne soit plus en usage, sont si essentiels, qu'ils donnent une grande facilité pour bien exécuter les autres danses.

On nomme ce pas tems, parce qu'il est renfermé dans un seul pas & un seul mouvement, & qu'il tient la même valeur que l'on employe à faire un autre pas composé de plusieurs mouvemens. Voici comment ce pas s'exécute.

On place le pié gauche devant, & le corps est posé dessus. Le pié droit est derriere à la quatrieme position, le talon levé prêt à partir. De-là on plie en ouvrant le pié droit à côté ; & lorsque l'on est élevé & les genoux étendus, on glisse le pié droit devant jusqu'à la quatrieme position, & le corps se porte dessus entierement. Mais à mesure que le pié droit se glisse devant, le genou gauche se détend & le talon se leve, ce qui renvoie avec facilité le corps sur le pié droit, & du même tems l'on s'éleve sur la pointe. On baisse ensuite le talon en appuyant tout le pié à terre, ce qui termine le pas, le corps étant dans son repos par le pié qui pose entierement.

On en peut faire un autre du pié gauche, en observant les mêmes précautions.


COURANTINS. m. (Artificier) On appelle courantin ou fusée de corde, en termes d'Artificiers, une fusée qui sert à porter le feu d'un lieu à un autre, & à former même en l'air une espece de combat entre des figures qui représentent des hommes ou des animaux. Voici la maniere de le faire.

Prenez deux fusées volantes appellées marquises, voyez FUSEE VOLANTE, sans pot néanmoins & sans garniture, & comme elles sortent du moule ; joignez-les ensemble à côté l'une de l'autre, la tête de l'une tournée vers le bas de l'autre fusée, & faites ensorte que l'étoupille qui sortira du massif de l'une, entre dans la gorge de l'autre, & collez cela par-dessus avec du papier, pour empêcher que la violence de l'effort ne les sépare ; bouchez aussi avec du papier mouillé & collé le bout du massif de celle qui doit tirer la derniere.

Ces deux fusées étant ainsi disposées, on y attache un tuyau vuide ; on le lie avec ces fusées en trois endroits bien serré, & puis on le passe dans la corde.

La premiere fusée étant allumée, parcourt la corde de l'endroit d'où elle part à l'autre ; & quand elle a fini, l'autre prend feu & revient sur ses pas, faisant le même chemin.

Si c'est une figure que vous desiriez faire paroître pour porter ce feu, comme, par exemple, un dragon ; la figure étant faite de carton ou d'osier très-léger, couvert de papier peint, on lui passe ces deux fusées au-travers du corps, de maniere que l'une sorte par la gueule, & l'autre par le derriere, en observant de les proportionner au poids de la figure. Voyez les Feux d'artifice de M. Frezier. (V)


COURAPS. m. (Medecine) espece de herpe ou gale, commune à Java & autres contrées des Indes orientales ; elle paroît aux aisselles, à la poitrine, aux aînes, & au visage, avec une démangeaison très-vive ; les parties déchirées par les ongles rendent une humeur âcre qui les irrite. Elle est si contagieuse, qu'il y a peu de personnes qui n'en soient ou qui n'en ayent été attaquées. Voyez, sur la maniere de la guérir, Bontius, de med. Ind. & James.


COURBARILsub. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante, dont la fleur est papilionacée. Il s'éleve du fond du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ou une silique dure, composée d'une seule capsule qui renferme des semences dures, arrondies, & environnées de farine & de fibres. Plumier, nova plant. Amer. gener. Voyez PLANTE. (I)

Le courbaril autrement courbary, est un grand arbre des pays chauds de l'Amérique, dont le bois est rouge, dur, pesant, ayant le fil mêlé, très-propre à faire d'excellens ouvrages de charpente : on l'employe à la construction des arbres & des rôles qui servent aux moulins à sucre ; il sert aussi à faire de grandes roulettes d'une seule piece, tant pour les chariots que pour les affuts de canon.

Le courbaril porte un fruit de forme à-peu-près ovale, long de 5 à 6 pouces, large de 2 ou 3, épais de 15 à 18 lignes, & attaché à une forte queue.

L'écorce de ce fruit est ligneuse, dure, épaisse de deux lignes, & très-difficile à rompre ; elle renferme trois ou quatre semences extrêmement dures, couleur de maron foncé, plus grosses que des féves de marais, & de figure ovale ; entourées d'une substance fibreuse, fort déliée, dont les interstices contiennent une poussiere grise qui remplit tout le vuide du fruit ; elle ressemble, tant par la couleur que par le goût, à de la poudre de reglisse un peu vieille. On en fait peu d'usage.

Lorsque l'arbre est vieux, il sort de son tronc de gros morceaux d'une parfaitement belle résine, d'un jaune clair, solide, transparente, & de bonne odeur ; elle brûle comme le camphre ; elle n'est pas soluble dans les esprits ardens, non plus que dans les huiles essentielles ni dans les grasses. Cette résine ressemble tellement à la gomme copal ; qu'il n'est pas aisé de les distinguer : on peut au moyen d'un procédé particulier les employer également dans les vernis transparens. Article de M. LE ROMAIN.


COURBATONSS. m. pl. (Marine) On appelle courbatons, des pieces de charpente fourchues ou à deux branches, presque courbées à angle droit. On les employe pour lier les membres, & pour servir d'arcboutans. Il y en a au-dessus de chaque berrot, il y en a aussi vers l'arcasse, & ailleurs. Ce sont proprement des courbes petits & minces.

Courbaton de beaupré ; c'est une piece de bois qui fait angle aigu avec la tête du mât, au bout duquel est un petit chouquet où l'on passe le perroquet de beaupré.

Le courbaton qu'on place sur le perroquet de beaupré, doit avoir en sa branche supérieure un pié de longueur par chaque dix piés de long, que l'on donne au mât, & pour sa branche inférieure on la tient aussi longue qu'il est possible ; il faut qu'il soit quarré sous le chouquet, & que dans ce même endroit il ait la même épaisseur que le perroquet.

Courbaton de bittes. Voyez BITTES.

Courbaton de l'éperon ; ce sont ceux qui font la rondeur de l'éperon, depuis la fleche supérieure jusqu'au premier porte-vergue. Voyez Pl. IV. de Marine, fig. 1. la position des courbatons de l'éperon, qui sont cotés 189, le porte-vergue 188, & la fleche 183, c'est entre ces courbatons que dans les grands vaisseaux on fait des aisances pour l'équipage.

Les courbatons sont quarrés ; & aux endroits où ils posent sur les porte-vergues, ils ont autant d'épaisseur que le porte-vergue a de largeur.

Lorsque le plus haut & le plus bas porte-vergues sont posés, on pose les courbatons de l'éperon, qui panchent un peu en-avant en suivant la quitte de l'étrave, & font une rondeur entre les porte-vergues & puis après on pose le troisieme porte-vergue pardessus.

Courbatons ou Caquets de hune ; ce sont plusieurs pieces de bois, longues & menues, qui sont mises en maniere de rayons autour des hunes, & qui servent à lier ensemble le fond, les cercles, & les garites qui composent la hune. Voyez Pl. VI. de Marine. fig. 19.

Le nombre des courbatons de hune se regle sur le nombre de piés que le fond a dans son tour où sont les cercles, si bien que lorsqu'il y a douze piés de tour, il faut mettre vint-quatre courbatons. En faisant les trous par où passent les cadenes de haubans, il faut bien prendre garde qu'il se trouve toûjours un trou tout droit devant le courbaton du milieu. Voyez HUNE. Dictionn. de Marine. (Z)


COURBATURES. f. (Medecine) Voyez RHUMATISME.

COURBATURE, (Maréchallerie) On appelle ainsi le battement ou l'agitation du flanc du cheval, & un mouvement tel que celui que la fievre cause aux hommes. La courbature peut arriver lorsque le cheval a été surmené, & la respiration n'est alors altérée que par l'excès du travail ; à la différence du cheval poussif, dont le poumon est altéré avec de grands redoublemens de flanc. Il devient aussi courbatu sans être surmené, & c'est lorsqu'il est trop échauffé ou plein de mauvaises humeurs. La courbature, suivant Soleisel, est une chaleur étrangere, causée par les obstructions qui se forment dans les intestins & les poumons, ce qui donne les mêmes signes que pour la pousse, & même avec plus de violence. Voyez POUSSE.

Le remede le plus sûr & le plus facile à la courbature est le vert : si le cheval est jeune, il se remettra assûrément le prenant dans les premieres herbes, & si on le laisse pendant la nuit à l'herbe ; car la rosée d'Avril & de Mai le purgera & lui débouchera les conduits. L'orge vert, donné comme nous venons de dire, est aussi parfaitement bon.

La courbature est un des trois cas redhibitoires qui annullent la vente d'un cheval. On en est garant pendant neuf jours, parce que ce défaut peut être caché durant ce tems-là. (V)


COURBEadj. pris subst. (Ordre encycl. Entend. Raison, Science, Science de la Nat. Science des quantités abstr. Science de l'étendue, Géométrie, Géométrie des lignes courbes) est, dit-on, une ligne dont les différens points sont dans différentes directions, ou sont différemment situés les uns par rapport aux autres. C'est du moins la définition que donne Chambers après une foule d'auteurs. Voyez LIGNE.

Courbe, ajoûte-t-on ; pris en ce sens, est opposé à ligne droite, dont les points sont tous situés de la même maniere les uns par rapport aux autres.

On trouvera peut-être chacune de ces deux définitions peu précise ; & on n'aura pas tort. Cependant elles paroissent s'accorder assez avec l'idée que tout le monde a de la ligne droite & de la ligne courbe : d'ailleurs il est très-difficile de donner de ces lignes une notion qui soit plus claire à l'esprit que la notion simple qu'excite en nous le seul mot de droit & de courbe. La définition la plus exacte qu'on puisse donner de l'une & de l'autre, est peut-être celle-ci : La ligne droite est le chemin le plus court d'un point à un autre, & la ligne courbe est une ligne menée d'un point à un autre, & qui n'est pas la plus courte. Mais la premiere de ces définitions renferme plûtôt une propriété secondaire que l'essence de la ligne droite ; & la seconde, outre qu'elle ne renferme qu'une propriété négative, convient aussi-bien à un assemblage de lignes droites qui font angle, qu'à ce qu'on appelle proprement courbe, & qu'on peut regarder comme l'assemblage d'une infinité de petites lignes droites contigues entr'elles à angles infiniment obtus. Voyez plus bas COURBE POLYGONE ; voyez aussi CONVEXE. Peut-être feroit-on mieux de ne point définir la ligne courbe ni la ligne droite, par la difficulté & peut-être l'impossibilité de réduire ces mots à une idée plus élémentaire que celle qu'ils présentent d'eux-mêmes. Voyez DEFINITION.

Les figures terminées par des lignes courbes sont appellées figures curvilignes, pour les distinguer des figures qui sont terminées par des lignes droites, & qu'on appelle figures rectilignes. Voyez RECTILIGNE & FIGURE.

La théorie générale des courbes, des figures qu'elles terminent, & de leurs propriétés, constitue proprement ce qu'on appelle la haute géométrie ou la géométrie transcendante. Voyez GEOMETRIE.

On donne sur-tout le nom de géométrie transcendante à celle qui, dans l'examen des propriétés des courbes, employe le calcul différentiel & intégral. Voyez ces mots ; voyez aussi la suite de cet article.

Il ne s'agit point ici, comme on peut bien le croire, des lignes courbes que l'on peut tracer au hasard & irréguliérement sur un papier. Ces lignes n'ayant d'autre loi que la main qui les forme, ne peuvent être l'objet de la Géométrie ; elles peuvent l'être seulement de l'art d'écrire. Un géomêtre moderne a pourtant crû que l'on pouvoit toûjours déterminer la nature d'une courbe tracée sur le papier ; mais il s'est trompé en cela. Nous en donnerons plus bas la preuve.

Nous ne parlerons d'abord ici que des courbes tracées sur un plan & qu'on appelle courbe à simple courbure. On verra dans la suite la raison de cette dénomination. Pour déterminer la nature d'une courbe, on imagine une ligne droite tirée dans son plan à volonté. Par tous les points de cette ligne droite, on imagine des lignes tirées parallelement & terminées à la courbe. La relation qu'il y a entre chacune de ces lignes paralleles, & la ligne correspondante de l'extrémité de laquelle elle part, étant exprimée par une équation, cette équation s'appelle l'équation de la courbe. Voyez EQUATION.

Dans une courbe, la ligne A D (Pl. de Géométr. fig. 51.) qui divise en deux également les lignes paralleles M M, est ordinairement appellée diamêtre. Si le diamêtre coupe ces lignes à angles droits, il est appellé axe ; & le point A par où l'axe passe est appellé le sommet de la courbe. Voyez DIAMETRE, AXE & SOMMET.

Les lignes paralleles M M sont appellées ordonnées ou appliquées ; & leurs moitiés P M demi-ordonnées ou ordonnées. Voyez ORDONNEE.

La portion du diamêtre A P, comprise entre le sommet ou un autre point fixe, & l'ordonnée est appellée abscisse. Voyez ABSCISSE. Le point de concours des diamêtres se nomme centre. V. CENTRE ; voyez aussi les remarques que fait sur ce sujet M. l'abbé de Gua dans la premiere section de son ouvrage intitulé, Usages de l'analyse de Descartes. Il appelle plus proprement centre d'une courbe un point de son plan, tel que si on mene par ce point une ligne droite quelconque terminée à la courbe par ses deux extrémités, ce point divise la ligne droite en deux parties égales.

Au reste, on donne aujourd'hui en général le nom d'axe à toute ligne tracée dans le plan de la courbe & à laquelle se rapporte l'équation ; on appelle l'axe des x, ou simplement axe, la ligne sur laquelle se prennent les abscisses ; axe des y, la ligne parallele aux ordonnées, & passant par le point où x est = 0. Ce point est nommé l'origine des coordonnées ou l'origine de la courbe. Voyez COORDONNEES.

Descartes est le premier qui ait pensé à exprimer les lignes courbes par des équations. Cette idée sur laquelle est fondée l'application de l'Algebre à la Géométrie (voyez APPLICATION & DECOUVERTE) est très-heureuse & très-féconde.

Il est visible que l'équation d'une courbe étant résolue, donne une ou plusieurs valeurs de l'ordonnée y pour une même abscisse x, & que par conséquent une courbe tracée n'est autre chose que la solution géométrique d'un problême indéterminé, c'est-à-dire qui a une infinité de solutions : c'est ce que les anciens appelloient lieu géométrique. Car quoiqu'ils n'eussent pas l'idée d'exprimer les courbes par des équations, ils avoient vû pourtant que les courbes géométriques n'étoient autre chose que le lieu, c'est-à dire la suite d'une infinité de points qui satisfaisoient à la même question ; par exemple, que le cercle étoit le lieu de tous les points qui désignent les sommets des angles droits, qu'on peut former sur une même base donnée, laquelle base est le diamêtre du cercle ; & ainsi des autres.

Les courbes se divisent en algébriques, qu'on appelle souvent avec Descartes courbes géométriques ; & en transcendantes, que le même Descartes nomme méchaniques.

Les courbes algébriques ou géométriques sont celles où la relation des abscisses A P aux ordonnées P M (fig. 52.) est ou peut être exprimé par une équation algébrique. Voyez EQUATION & ALGEBRIQUE.

Supposons, par exemple, que dans un cercle on ait A B = a, A P = x, P M = y ; on aura P B = a - x : par conséquent, puisque P M2 = A P x P B, on aura y y = a x - x x ; ou bien si on suppose P C = x, A C = a, P M = y, on aura M C2 - P C2 = P M2, c'est-à-dire a2 - x2 = y2.

Il est visible par cet exemple, qu'une même courbe peut être représentée par différentes équations. Ainsi sans changer les axes dans l'équation précédente, si on prend l'origine des x au sommet du cercle, au lieu de les prendre au centre, on trouve, comme on vient de le voir, y y = a x - x x pour l'équation.

Plusieurs auteurs, après Descartes, n'admettent que les courbes géométriques dans la construction des problêmes, & par conséquent dans la Géométrie ; mais M. Newton, & après lui, MM. Leibnitz & Wolf sont d'un autre sentiment, & prétendent avec raison que dans la construction d'un problême, ce n'est point la simplicité de l'équation d'une courbe qui doit la faire préférer à une autre, mais la simplicité & la facilité de la construction de cette courbe. Voyez CONSTRUCTION, PROBLEME, OMETRIQUEIQUE.

Courbe transcendante ou méchanique est celle qui ne peut être déterminée par une équation algébrique. Voyez TRANSCENDANT.

Descartes exclud ces courbes de la géométrie ; mais Newton & Leibnitz sont d'un avis contraire pour la raison que nous venons de dire. En effet une spirale, par exemple, quoique courbe méchanique, est plus aisée à décrire qu'une parabole cubique.

L'équation d'une courbe méchanique ne peut être exprimée que par une équation différentielle entre les d y & les d x. Voyez DIFFERENTIEL. Entre ces deux genres de courbes, on peut placer, 1°. les courbes exponentielles dans l'équation desquelles une des inconnues, ou toutes les deux entrent en exposant, comme une courbe dont l'équation seroit y = a x, ou y x = a y &c. Voyez EXPONENTIEL. 2° les courbes interscendantes dans l'équation desquelles les exposans sont des radicaux, comme x = y 2. Ces deux especes de courbes ne sont proprement ni géométriques ni méchaniques, parce que leur équation est finie sans être algébrique.

Une courbe algébrique est infinie, lorsqu'elle s'étend à l'infini, comme la parabole & l'hyperbole ; finie, quand elle fait des retours sur elle-même comme l'ellipse ; & mixte, quand une de ses parties est infinie, & que d'autres retournent sur elles-mêmes.

Pour se former l'idée d'une courbe par le moyen de son équation, il faut imaginer que l'équation de la courbe soit résolue, c'est-à-dire qu'on ait la valeur de y en x. Cela posé, on prend toutes les valeurs positives de x depuis o jusqu'à l'infini, & toutes les valeurs négatives depuis o jusqu'à - l'infini. Les ordonnées correspondantes donneront tous les points de la courbe, les ordonnées positives étant prises toutes du même sens, & les négatives du côté opposé. Voilà ce qu'on trouve dans tous les Algébristes & géomêtres modernes. Mais aucun n'a donné la raison de cette regle. Nous la donnerons dans la suite de cet article, après avoir parlé auparavant de la transformation des axes d'une courbe.

Il est certain qu'après avoir rapporté l'équation d'une courbe à deux axes quelconques d'abscisses & d'ordonnées, on peut la rapporter à deux autres axes quelconques tirés, comme on voudra, dans le plan de la courbe. De ces deux axes, l'un peut être parallele ou coïncident à l'axe des x, & l'autre parallele ou coïncident à l'axe des y ; ils peuvent aussi n'être point paralleles ni l'un ni l'autre aux deux premiers axes, mais faire avec eux des angles quelconques. Supposons, par exemple, que A P (x) & P M (y) soient (Pl. d'Algeb. fig. 17.) les abscisses & les ordonnées d'une courbe, & qu'on veuille rapporter la courbe aux nouvelles coordonnées quelconques A p & p M ; on tirera A B & B q paralleles à y & à x, & on nommera les coordonnées nouvelles A p (z) & p M (u). Cela posé, il est visible que l'angle a p M est donné, comme on le suppose, ainsi que l'angle p B q, & l'angle B q m ou son égal A m M, & que a B & A B sont aussi donnés de grandeur & de position. Donc si on nomme a B, a, & A B, b, on aura B p = z - a, B q ou A m = (z - a) m, m exprimant le rapport connu de B q à B p ; P m = y n, n étant de même un coefficient donné, & par conséquent A P ou x = (z - a) m + y n : de plus M m = p M - p m = p M - A B - p q = u - b - z q + a q, q étant de même un coefficient donné, & M P ou y = (u - b - z q + a q) x k : donc on aura y = (u - b - z q + a q) k & x = (z - a) m + n k (u - b - z q + a q) donc si on met à la place de x & de y leurs valeurs qu'on vient de trouver en z & en u, on aura une nouvelle équation par rapport aux coordonnées z & u. Voyez à l'art. TRANSFORMATION DES AXES un plus grand détail.

Il est visible qu'on peut placer non-seulement l'axe des z & l'axe des u, mais aussi l'axe des x & celui des y, par-tout où l'on voudra, sans que la courbe change pour cela de place, & que la position de la courbe est totalement indépendante de la position des axes ; de sorte que les ordonnées u partant de l'axe des z, doivent aboutir aux mêmes points que les ordonnées y, partant de l'axe des x. Cela est évident par les opérations même que l'on fait pour la transformation des axes. D'ailleurs on doit considérer qu'une courbe n'est autre chose que le lieu d'une infinité de points qui servent à résoudre un problême indéterminé, c'est-à-dire un problême qui a une infinité de solutions. Or la situation de ces points est totalement indépendante de la position des axes auxquels on les rapporte, ces axes pouvant être placés partout où l'on voudra. De ces principes, on peut tirer les conséquentes suivantes sur la position des ordonnées.

1°. Les ordonnées positives doivent être prises d'un même côté ; car soit (fig. 36. n°. 3. analys.) A P l'axe des x, & qu'on trouve deux valeurs positives pour y ; soit P m la plus grande de ces valeurs, je dis que la plus petite P M doit être prise du même côté. Car soit transposé l'axe A P en a p, en sorte que P p = a, & soit a p = x, & p m = z ; on aura l'équation rapportée aux axes x & z, en mettant z - a pour y dans l'équation de la courbe ; & on aura chaque valeur de z égale aux valeurs correspondantes de y, augmentées chacune de a ; donc au point p, on aura deux valeurs positives de z, savoir a + P M & a + P m. Or si on ne prenoit pas P M du même côté que P m, mais de l'autre côté, l'ordonnée p M, au lieu d'être a + P M, seroit a - P M ; la courbe changeroit donc ou d'équation ou de figure, en changeant d'axe ; & tandis qu'une de ses parties resteroit à la même place, l'autre se promeneroit, pour ainsi dire, suivant que l'on changeroit l'axe de place. Or ni l'un ni l'autre ne se peut. Donc il faut que P M & P m soient pris du même côté, quand ils sont tous deux positifs.

2°. Si on a deux valeurs, l'une positive P M, l'autre négative P m (fig. 36. n°. 2.), il faudra les prendre de différens côtés. Car soit, par exemple, P M = , & P m = - x : transposant l'axe A P en a p, ensorte que p P = a & mettant z - a pour y, dans l'équation de la courbe, on aura z = a + x & z = a - x. Si on suppose x < a,ce qui se peut toûjours, puisque a est arbitraire, on trouvera z ou p M = a + P M & z ou p m = a - P M. Donc P m doit être égale à P M, & prise dans un sens contraire. Tout cela est aisé à voir avec un peu d'attention.

Lorsque les ordonnées sont positives, elles appartiennent toutes également à la courbe, ce qui est évident, puisqu'il n'y a pas de raison pour préférer l'une à l'autre. Mais lorsqu'elles sont négatives, elles n'appartiennent pas moins à la courbe ; car pour s'en convaincre, il n'y a qu'à reculer l'axe de façon que toutes les ordonnées deviennent positives. Dans cette derniere position de l'axe, toutes les ordonnées appartiendront également à la courbe. Donc il en sera de même dans la premiere position que l'axe avoit.

Donc supposant x positive, toutes les valeurs de y tant positives que négatives, appartiennent à la courbe ; mais au lieu de prendre la ligne des x pour l'axe, on peut prendre la ligne des y, & alors on aura des valeurs tant positives que négatives de x, lesquelles par la même raison appartiendront aussi à la courbe. Donc la courbe renferme toutes les valeurs des y répondantes à une même x, & toutes les valeurs de x répondantes à une même y ; ou ce qui revient au même, elle renferme toutes les valeurs positives & négatives de y répondantes, soit aux x positives, soit aux x négatives. En effet, si dans la valeur de y qui repond aux x positives, on change les signes des termes où x se trouve avec une dimension impaire, on aura la valeur de y correspondante aux x négatives ; & cette équation sera évidemment la même qu'on auroit, en résolvant l'équation en x & en y, après avoir changé d'abord dans cette équation les signes des termes où x se trouve avec une dimension impaire. Or je dis que cette derniere équation appartient également à la courbe ; car ordonnons l'équation primitive par rapport à x, avant d'avoir changé aucun signe, & cherchons les valeurs de x en y ; nous venons de voir que les valeurs, tant positives que négatives de x, appartiennent à la courbe. Or les valeurs négatives sont les mêmes que l'on auroit avec un signe positif, en changeant dans l'équation primitive les signes des termes où x se trouve avec une dimension impaire ; car on sait que dans une équation ordonnée en x, si on change les signes des termes où x se trouve avec une dimension impaire, toutes les racines changent de signe sans changer d'ailleurs de valeur. Voyez EQUATION. Donc l'équation en x, avec le changement des signes indiqué, appartient aussi-bien à la courbe que l'équation en x, sans changer aucun signe. Donc, &c. Il est donc important de changer les signes de x, s'il est nécessaire, pour avoir la partie de la courbe qui s'étend du côté des x négatives. En effet soit, par exemple, y y = a a - x x l'équation du cercle, on aura, en prenant x positive, y = + ; & en faisant x négative, on aura de même y = + : ce qui donne le cercle entier. Si on prenoit seulement x positive, on n'auroit que le demi-cercle ; & si on ne prenoit y que positive, on n'auroit que le quart du cercle.

Voilà donc une démonstration générale de ce que tous les Géomêtres n'ont supposé jusqu'à présent que par induction. En effet ils ont vû, par exemple, que si y = a - x, c'est l'équation d'une ligne droite qui coupe son axe au point où x = a, & qui ensuite passe de l'autre côté. Or quand x > a, on a y négative ; ainsi ont-ils dit, l'ordonnée négative doit être prise du côté opposé à la positive. Ils ont vû encore que y = ± p x est l'équation de la parabole, & que cette courbe a en effet deux parties égales & semblables, l'une à droite & l'autre à gauche de son axe, ce qui prouve que - p x doit être prise du côté opposé à p x. Plusieurs autres exemples pris du cercle, des sections coniques rapportées à tel axe qu'on jugera à propos, ont prouvé la regle de la position des ordonnées & la nécessité de prendre x négative, après l'avoir pris positive. On s'en est tenu là, mais ce n'étoit pas une démonstration rigoureuse.

Les différentes valeurs de y répondantes à x positive & à x négative, donnent les différentes branches de la courbe. Voyez BRANCHE.

Lorsqu'on a ordonné l'équation d'une courbe par rapport à y ou à x, s'il ne se trouve point dans l'équation de terme constant, la courbe passe par l'origine ; car en faisant x = 0, & y = 0 dans l'équation, tout s'évanoüit. Donc la supposition de y = 0 quand x = 0, est légitime. Donc la courbe passe par le point où x = 0.

En général, si on ordonne l'équation d'une courbe par rapport à y, ensorte que le dernier terme ne contienne que x avec des constantes, & qu'on cherche les valeurs de x propres à rendre ce dernier terme égal à zéro, ces valeurs de x donneront les points où la courbe coupera son axe ; car puisque ces valeurs de x substituées dans le dernier terme le rendront = 0, on prouvera par le même raisonnement que ci-dessus, que dans les points qui répondent à ces valeurs de x, on a y = 0.

Lorsque la valeur de l'ordonnée y est imaginaire, a courbe manque dans ces endroits-là ; par exemple, lorsque x > a dans l'équation y = + , la valeur d'y est imaginaire : aussi le cercle n'existe point dans les endroits où x > a, de même si dans l'équation y = + , on fait x négative, on trouvera y imaginaire, ce qui prouve que la parabole ne passe point du côté des x négatives.

On verra aux articles EQUATION & IMAGINAIRE que toute quantité imaginaire, ou racine imaginaire d'une équation peut se réduire à A + B , A & B étant des quantités réelles, & que toute équation qui a pour racine A + B , a pour racine aussi A - B . Or quand une ordonnée passe du réel à l'imaginaire, cela vient de ce qu'une quantité comme C, qui étoit sous un signe radical C, devient négative, en sorte que C = B , B étant une quantité réelle. Or pour que C devienne négative, de positive qu'elle étoit, il faut qu'elle passe par le zero, ou par l'infini. Voyez MAXIMUM. Donc au point où l'ordonnée passe à l'imaginaire, on a B nul ou infini ; donc les racines A + B & A - B deviennent égales en ce point là. Donc la limite qui sépare les ordonnées réelles des ordonnées imaginaires, renferme deux ou plusieurs ordonnées égales, lesquelles seront = 0, ou finies ou infinies ; égales à zero, si A = 0, & si B est zero ; finies, si A est finie, & B zero ; infinies si A est infinie & B zero, ou si A est finie & B infinie, ou si A & B sont infinies l'une & l'autre.

Par exemple, si x = a, & que l'équation soit y = a - x + , on a y = 0 ; si l'équation est y = a + , y sera = a ; si l'équation est y = a + , ou y = 1/(a - x) + , y sera infinie ; & si dans tous ces cas on prend x > a, la valeur de y sera imaginaire.

Quand on a l'équation d'une courbe, il faut examiner d'abord si cette équation ne peut pas se diviser en plusieurs équations rationnelles ; car si cela est, l'équation se rapporte, non à une seule & même courbe, mais à des courbes différentes. On en peut voir un exemple à l'article HYPERBOLES CONJUGUEES au mot CONJUGUE. Nous ajoûterons ici, 1°. qu'il faut, pour ne point se tromper là-dessus, mettre d'abord tous les termes de l'équation d'un côté, & zero de l'autre, & voir ensuite si l'équation est réductible en d'autres équations rationnelles ; car soit, par exemple ; y y = a a - x x, on seroit tenté de croire d'abord que l'équation peut se changer en ces deux-ci y = a - x & y = a + x, dont le produit donne y y = a a - x x ; ainsi on pourroit croire que l'équation y y = a a - x x qui appartient réellement au cercle, appartiendroit au systême de deux lignes droites, y = a + x & y = a - x. Or on se tromperoit en cela, mais pour connoître son erreur, il n'y a qu'à faire y y - a a + x x = 0, & l'on verra alors facilement que cette équation n'est pas le produit des deux équations y - a + x = 0 & y - a - x = 0 ; en effet, on sent assez que y y = a a - x x ne donne ni y = a - x, ni y = a + x ; mais si on avoit l'équation y y - 2 a y + a a - x x = 0, on trouveroit que cette équation viendroit des deux y - a - x = 0 & y - a + x = 0, & qu'ainsi elle représenteroit non une courbe, mais un systême de deux lignes droites.

2°. Les équations dans lesquelles l'équation apparente d'une courbe se divise, n'en seroient pas moins rationnelles, quand elles renfermeroient des radicaux, pourvû que la variable x ne se trouvât pas sous ces radicaux ; par exemple, une équation qui seroit formée de ces deux-ci, y - a a + b b - x = 0 & y - a a + b b + x = 0, représenteroit toûjours le systême de deux lignes droites. Il faut seulement remarquer que l'équation y y - 2 y + a a + b b - x x = 0 qui résulte de ces deux-là, se change, en faisant évanoüir tout-à-fait le signe radical, en celle-ci (y y + a a + b b - xx)2 - 4 y y aa + bb) = 0, qui est du quatrieme degré, & qui renferme le systême de 4 lignes droites y - - x = 0, y - + x = 0, y + - x = 0, y + + x = 0.

3°. Les équations sont encore rationnelles quand même x se trouveroit sous le signe radical ; pourvû qu'on puisse l'en dégager : par exemple, y - = 0 & y - = 0 se changent en y = + x , & y = +

, qui est le système des quatre lignes droites, où l'on voit que les deux équations radicales en ont fourni chacune deux autres, parce que la racine de x x est également + x & - x. Je m'étends sur ces différens objets, parce qu'ils ne sont point traités ailleurs, ou qu'ils le sont trop succinctement, ou qu'ils le sont mal.

Ceci nous conduit à parler d'une autre maniere d'envisager l'équation des courbes, c'est de déterminer une courbe par l'équation, non entre x & y, mais entre les y qui répondent à une même abscisse.

Exemple. On demande une courbe, dans laquelle la somme de deux ordonnées correspondantes à une même x soit toûjours égale à une quantité constante 2 a, je dis que l'équation de cette courbe sera y = a + X, X désignant une quantité radicale quelconque, composée de x & de constantes. En effet, les deux ordonnées y = a + X & y = a - X ajoûtées ensemble, donnent une somme = 2 a ; mais il faut bien remarquer que X doit être une quantité irrationnelle ; car, par exemple, y = a + x3/ b2 & y = a - x3/ b2 ne satisferoient pas au problème, parce que ces deux équations ne désigneroient pas le système d'une seule & même courbe. De même si on demande une courbe, dans laquelle le produit des deux ordonnées correspondantes à x soit une quantité Q, qui contienne x avec des constantes, ou qui soit une constante, on fera y = P + , P étant une quantité quelconque qui contienne x avec des constantes, ou qui soit une constante ; car le produit des deux valeurs P + & P - donnera Q. Voyez sur tout cela les journaux de Leipsic de 1697, les mémoires de l'académie des Sciences de 1734, & l'introductio ad analysim infinitorum, par M. Euler, c. xjv.

Cours d'une courbe. Pour déterminer le cours d'une courbe, on doit d'abord résoudre l'équation de cette courbe, & trouver la valeur de y en x ; ensuite on prend différentes valeurs de x, & on cherche les valeurs de y correspondantes ; on voit par-là les endroits où la courbe coupe son axe, savoir les points où la valeur de y = 0 ; les endroits où la courbe a une asymptote, c'est-à-dire les points où y est infinie, x restant, ou bien où y est infinie, & a un rapport fini avec x supposée aussi infinie ; les points où y est imaginaire, & où par conséquent la courbe ne passe pas, &c. Ensuite on fait les mêmes opérations, en prenant x négative. Par exemple, soit (y - a a/a - x)2 = x x + a a l'équation d'une courbe, on aura donc y = a a/a - x + . Ce qui fait voir 1°. que chaque valeur de x donne deux valeurs de y, à cause du double signe ± ; 2°. que si x = 0, on a y = a ± a, c'est-à-dire y = 0 & y = 2 a ; 3°. que si x = a, y = à l'infini, & que par conséquent la courbe a une asymptote au point où x = a ; 4°. que si x = à l'infini, on a y = ± x ; ce qui prouve que la courbe a des asymptotes qui font avec son axe un angle de 45 degrés ; en faisant x négative, on trouve y = a a/a + x + , équation sur laquelle on fera des raisonnemens semblables. Il en est de même des autres cas. Si l'équation avoit , on trouveroit qu'au point où x = 0, l'ordonnée devient imaginaire, &c.

On peut tracer à peu-près une courbe par plusieurs points, en prenant plusieurs valeurs de x assez près l'une de l'autre, & cherchant les valeurs de y. Ces méthodes de décrire une courbe par plusieurs points sont plus commodes & en un sens plus exactes que celles de les décrire par un mouvement continu. Voyez COMPAS ELLIPTIQUE.

Les anciens n'ont guere connu d'autres courbes que le cercle, les sections coniques, la conchoïde, & la cissoïde. Voyez ces mots. La raison en est toute simple, c'est qu'on ne peut guere traiter des courbes sans le secours de l'Algebre, & que l'Algebre paroît avoir été peu connue des anciens. Depuis ce tems on y a ajoûté les paraboles & hyperboles cubiques, & le trident ou parabole de Descartes ; voilà où on en est resté, jusqu'au traité des lignes du troisieme ordre de M. Newton, dont nous parlerons plus bas. Voyez PARABOLE, HYPERBOLE, TRIDENT, &c.

Nous avons dit ci-dessus que les courbes méchaniques sont celles dont l'équation entre les coordonnées n'est & ne peut être algébrique, c'est-à-dire finie. Nous disons ne peut être ; car si l'équation différentielle d'une courbe avoit une intégrale finie, cette courbe qui paroîtroit d'abord méchanique, seroit réellement géométrique. Par exemple, si d y = , la courbe est géométrique parce que l'intégrale est y = + A ; ce qui représente une parabole. Mais l'équation d y = est l'équation d'une courbe méchanique, parce que l'on ne sauroit trouver l'intégrale de cette équation différentielle. Voyez DIFFERENTIEL, INTEGRAL & QUADRATURE.

Les anciens ont fait très-peu d'usage des courbes méchaniques, nous ne leur en connoissons guere que deux, la spirale d'Archimede & la quadratrice de Dinostrate. Voyez ces mots. Ils se servoient de ces courbes pour parvenir d'une maniere plus aisée à la quadrature du cercle. Les modernes ont multiplié à l'infini le nombre des courbes méchaniques ; le calcul différentiel a facilité extrêmement cette multiplication, & les avantages qu'on pouvoit en tirer. V. MECHANIQUE. Revenons aux courbes algébriques ou géométriques, qui sont celles dont il sera principalement mention dans cet article, parce que le caractere de leurs équations qui consiste à être exprimées en termes finis, nous met à portée d'établir sur ces courbes des propositions générales, qui n'ont pas lieu dans les courbes méchaniques. C'est principalement la Géométrie des courbes méchaniques, qu'on appelle Géométrie transcendante, parce qu'elle employe nécessairement le calcul infinitésimal ; au lieu que la Géométrie des courbes algébriques n'employe point, du moins nécessairement, ce calcul pour la découverte des propriétés de ces courbes, si on en excepte leurs rectifications & leurs quadratures ; car on peut déterminer, par exemple, leurs tangentes, leurs asymptotes, leurs branches, &c. & toutes les autres propriétés de cette espece, par le secours du seul calcul algébrique ordinaire. Voyez les ouvrages de MM. Euler & de Gua, déjà cités, & l'ouvrage de M. Cramer, qui a pour titre introduction à l'analyse des lignes courbes, Genev. 1750. in-4°.

Nous avons vû ci-dessus comment on transforme les axes x & y d'une courbe par les équations x = A z + B u + C, y = D z + E u + F ; c'est-là la transformation la plus générale, & si on veut faire des transformations plus simples, on n'a qu'à supposer un des coefficiens A, B, C, D. &c. ou plusieurs égaux à zéro, pourvû qu'on ne suppose pas, par exemple, A & B ensemble égaux à zéro, ni D & E ensemble égaux à zéro, car on auroit x = C, & y = F ; ce qui ne se peut, puisque x & y qui sont des indéterminées ne peuvent être égales à des constantes. On ne doit point non plus supposer en même tems B & E = 0, ni A & D = 0 ; car substituant les valeurs de x & de y, on n'auroit plus dans l'équation de la courbe qu'une seule indéterminée u. Or il faut qu'il y en ait toûjours deux.

Il est visible que si on substitue à la place de x & de y les valeurs ci-dessus dans l'équation de la courbe, l'équation n'augmentera pas de dimension ; car on détermine la dimension & le degré de l'équation d'une courbe, par la plus haute dimension à laquelle se trouve l'une ou l'autre des inconnues x, y, ou le produit des inconnues ; par exemple, l'équation d'une courbe est du troisieme degré, lorsqu'elle contient le cube y3, ou le cube x3, ou le produit x y y ou x x y, ou toutes ces quantités à la fois, ou quelques-unes seulement. Or comme dans les équations x = A z + B u + C, y = D z + E u + F, z & u ne montent qu'au premier degré, il est évident que si on substitue ces valeurs dans l'équation en x & en y, la dimension de l'équation & son degré n'augmentera pas. Il est évident par la même raison, qu'elle ne diminuera pas ; car si elle diminuoit, c'est-à-dire si l'équation en z & en u étoit de moindre dimension que l'équation en x & en y, alors substituant pour z & pour u leurs valeurs en x & en y, lesquelles sont d'une seule dimension, comme il est aisé de le voir, on retrouveroit l'équation en x & en y, & par conséquent on parviendroit à une équation d'une dimension plus élevée que l'équation en z & en u ; ce qui est contre la premiere proposition.

Donc en général, quelque transformation d'axe que l'on fasse, l'équation de la courbe ne change point de dimension. On peut voir dans l'ouvrage de M. l'abbé de Gua, & dans l'introduction à l'analyse des lignes courbes par M. Cramer, les manieres abrégées de faire le calcul pour la transformation des axes. Mais ce n'est pas de quoi il s'agit ici, cette abréviation de calcul étant indifférente en elle même aux propriétés de la courbe. Voyez aussi TRANSFORMATION des axes.

Courbes algébriques du même genre ou du même ordre ou du même degré, sont celles dont l'équation monte à la même dimension. V. ORDRE & DEGRE.

Les courbes géométriques étant une fois déterminées par la relation des ordonnées aux abscisses, on les distingue en différens genres ou ordres ; ainsi les lignes droites sont les lignes du premier ordre, les lignes du second ordre sont les sections coniques.

Il faut observer qu'une courbe du premier genre est la même qu'une ligne du second ordre, parce que les lignes droites ne sont point comptées parmi les courbes, & qu'une ligne du troisieme ordre est la même chose qu'une courbe du second genre. Les courbes du premier genre sont donc celles dont l'équation monte à deux dimensions ; dans celle du second genre, l'équation monte à trois dimensions ; à quatre dans celle du troisieme genre, &c.

Par exemple, l'équation d'un cercle est y2 = 2 a x - x x ou y 2 = a2 - x2 ; le cercle est donc une courbe du premier genre & une ligne du second ordre.

De même la courbe, dont l'équation est a x = y 2, est une courbe du premier genre ; & celle qui a pour équation a2 x = y3, est courbe du second genre & ligne du troisieme ordre.

Sur les différentes courbes du premier genre & leurs propriétés, voyez SECTIONS CONIQUES au mot CONIQUE.

On a vû à cet article CONIQUE, quelle est l'équation la plus générale des lignes du second ordre, & on trouve que cette équation a 3 + 2 + 1 termes ; on trouvera de même que l'équation la plus générale des lignes du troisieme ordre est y3 + a x y2 + b x x y + c x3 + e y2 + f x y + g x x + h x + i y + l = 0, & qu'elle a 4 + 3 + 2 + 1 termes, c'est-à-dire 10 ; en général, l'équation la plus composée de l'ordre n, aura un nombre de termes = (n + 2) x (n + 1)/2, c'est-à-dire, à la somme d'une progression arithmétique, dont n + 1 est le premier terme & 1 le dernier. Voyez PROGRESSION ARITHMETIQUE.

Il est clair qu'une droite ne peut jamais rencontrer une ligne du ne ordre qu'en n points tout au plus ; car quelque transformation qu'on donne aux axes, l'ordonnée n'aura jamais que n valeurs réelles tout au plus, puisque l'équation ne peut être que du degré n. On peut voir dans l'ouvrage de M. Cramer, déjà cité, plusieurs autres propositions, auxquelles nous renvoyons, sur le nombre des points, où les lignes de différens ordres ou du même ordre peuvent se couper. Nous dirons seulement que l'équation d'une courbe du degré n étant ordonnée, par exemple, par rapport à y, ensorte que y n n'ait pour coefficient que l'unité, cette équation aura autant de coefficiens qu'il y a de termes, moins un, c'est-à-dire, (n n + 3 n)/2. Donc si on donne un pareil nombre de points, la courbe du ne ordre qui doit passer par ces points sera facilement déterminable ; car en prenant un axe quelconque à volonté, & menant des points donnés des ordonnées à cet axe, on aura (n n + 3 n)/2 ordonnées connues, ainsi que les abscisses correspondantes, & par conséquent on pourra former autant d'équations, dont les inconnues seront les coefficiens de l'équation générale. Ces équations ne donneront jamais que des valeurs linéaires pour les coefficiens, qu'on pourra par conséquent trouver toûjours facilement.

Au reste il peut arriver que quelques-uns des coefficiens soient indéterminés, auquel cas on pourra faire passer plusieurs lignes du même ordre par les points donnés ; ou que les points donnés soient tels que la courbe n'y puisse passer, pour lors l'équation sera réductible en plusieurs autres rationnelles. Par exemple, qu'on propose de faire passer une section conique par cinq points donnés (car n étant = 2, (n n + 3 n)/2 est = 5) : il est visible que si trois de ces points sont en ligne droite, la section n'y pourra passer ; car une section conique ne peut jamais être coupée qu'en deux points par une ligne droite, puisque son équation n'est jamais que de deux dimensions. Qu'arrivera-t-il donc ? l'équation sera réductible en deux du premier degré, qui représenteront non une section conique, mais le système de deux lignes droites, & ainsi des autres.

On peut remarquer aussi que si quelques coefficiens se trouvent infinis, l'équation se simplifie ; car les autres coefficiens sont nuls par rapport à ceux-là, & on doit par conséquent effacer les termes où se trouvent ces coefficiens nuls.

M. Newton a fait sur les courbes du second genre un traité intitulé, enumeratio linearum tertii ordinis. Les démonstrations des différentes propositions de ce traité se trouvent pour la plûpart dans les ouvrages de MM. Stirling & Maclaurin sur les courbes, & dans les autres ouvrages dont nous avons déjà parlé. Nous allons rapporter sommairement quelques-uns des principaux articles de l'ouvrage de M. Newton. Cet auteur remarque que les courbes du second genre & des genres plus élevés, ont des propriétés analogues à celles des courbes du premier genre : par exemple, les sections coniques ont des diamêtres & des axes ; les lignes que ces diamêtres coupent en deux parties égales sont appellées ordonnées ; & le point de la courbe où passe le diamêtre est nommé sommet ; de même si dans une courbe du second genre, on tire deux lignes droites paralleles qui rencontrent la courbe en trois points, une ligne droite qui coupera ces paralleles, de maniere que la somme des deux parties comprises entre la sécante & la courbe d'un même côté, soit égale à l'autre partie comprise entre la sécante & la courbe, elle coupera, suivant la même loi, toutes les autres lignes qu'on pourra mener parallelement aux deux premieres, & qui seront terminées à la courbe, c'est-à-dire, les coupera de maniere que la somme des deux parties d'un même côté sera égale à l'autre partie.

En effet, ayant ordonné l'équation de maniere que y3 sans coefficient soit au premier terme, le second terme sera y2 (a + b x), & ce second terme contiendra la somme des racines, c'est-à-dire des valeurs de y. Voyez EQUATION. Or par l'hypothese, il y a deux valeurs de x qui rendent ce second terme = 0, puisqu'il y a deux valeurs de x (hyp.) qui donnent la somme des ordonnées positives égale à la somme des négatives. Donc il y a deux valeurs de x, savoir A & B, qui donnent a + b A = 0, a + B b = 0. Or cela ne peut être, à moins qu'en général on n'ait a = 0, b = 0. Donc a + b x = 0, quelque valeur qu'on suppose à x. Donc le second terme manque dans l'équation. Donc la somme des ordonnées positives est par-tout égale à la somme des ordonnées négatives.

On peut étendre ce théoreme aux degrés plus élevés. Par exemple, dans le quatrieme ordre, le 2d terme étant y3 (a + b x), c'est encore la même chose, & si deux valeurs de x donnent la somme des ordonnées nulle, toutes les autres valeurs la donneront.

Outre cela, comme dans les sections coniques non paraboliques, le quarré d'une ordonnée, c'est-à-dire le rectangle des ordonnées situées de deux différens côtés du diamêtre, est au rectangle des parties du diamêtre terminées aux sommets de l'ellipse ou de l'hyperbole, comme une ligne donnée appellée latus rectum ou parametre, est à la partie du diamêtre comprise entre les sommets, & appellée latus transversum ; de même dans les courbes du second genre non parabolique, le parallelépipede sous trois ordonnées est au parallelépipede sous les trois parties du diamêtre terminées par les sommets & par la rencontre des ordonnées, dans un rapport constant.

Cela est fondé sur ce que le dernier terme de l'équation, savoir h x3 + l x2 + m x + n, est le produit de toutes les racines ; que ce dernier terme est outre cela le produit de A x + B par D x + E, & par F x + G, & que, aux points où y = 0, c'est-à-dire où le diamêtre coupe la courbe, points que l'on appelle ici sommets, on a x = - A/B, x = - E/D, x = - G/F : avec ces propositions on trouvera facilement la démonstration dont il s'agit, ainsi que celle des théorèmes suivans, qui sont aussi tirés de M. Newton.

Comme dans la parabole conique qui n'a qu'un sommet sur un seul & même diamêtre, le rectangle des ordonnées est égal au produit de la partie du diamêtre comprise entre le sommet & l'ordonnée, par une ligne constante appellée latus rectum ; de même dans celle des courbes du second genre qui n'ont que deux sommets sur un même & unique diamêtre, le parallelépipede sous trois ordonnées est égal au parallelépipede sous les deux parties du diamêtre, comprise entre les sommets & la rencontre de l'ordonnée, & sous une troisieme ligne constante, que l'on peut par conséquent nommer latus rectum. Voyez PARABOLE.

De plus, dans les sections coniques, si deux lignes paralleles & terminées à la section, sont coupées par deux autres lignes paralleles & terminées à la section, la premiere par la troisieme, & la seconde par la quatrieme, le rectangle des parties de la premiere est au rectangle de la partie de la troisieme, comme le rectangle des parties de la seconde est au rectangle des parties de la quatrieme ; de même aussi, si on tire dans une courbe du second genre deux lignes paralleles, terminées à la courbe en trois points, & coupées par deux autres paralleles terminées à la même courbe, chacune en trois points, le parallelépipede des trois parties de la premiere ligne sera à celui des trois parties de la troisieme, comme le parallelépipede des trois parties de la seconde est à celui des trois parties de la quatrieme.

Enfin les branches infinies des courbes du premier & du second genre & des genres plus élevés, sont ou du genre hyperbolique ou du genre parabolique : une branche hyperbolique est celle qui a une asymptote, c'est-à-dire qui s'approche continuellement de quelque ligne droite ; une branche parabolique est celle qui n'a point d'asymptote. Voyez ASYMPTOTE & BRANCHE.

Ces branches se peuvent distinguer encore mieux par leurs tangentes. En effet, si le point de contact d'une tangente est supposé infiniment éloigné, la tangente de ce point se confond avec l'asymptote dans une branche hyperbolique ; & dans une branche parabolique, elle s'éloigne à l'infini, & disparoît. On peut donc trouver l'asymptote d'une branche, en cherchant sa tangente à un point infiniment éloigné, & on trouve la direction de cette branche, en cherchant la position d'une ligne droite parallele à la tangente, lorsque la point de contact est infiniment éloigné ; car la direction de la branche infinie à son extrémité est parallele à celle de cette ligne droite.

Les lignes d'un ordre impair, par exemple du troisieme, du cinquieme, ont nécessairement quelques branches infinies ; car on peut toûjours par une transformation d'axes, s'il est nécessaire, préparer l'équation, ensorte que l'une au moins des coordonnées se trouve élevée à une puissance impaire dans l'équation ; elle aura donc toûjours au moins une valeur réelle, quelque valeur qu'on suppose à l'autre coordonnée. Donc, &c.

Nous avons dit plus haut que dans une ligne courbe d'un genre quelconque, on peut toûjours imaginer l'axe tellement placé, que la somme des ordonnées d'une part soit égale à la somme des ordonnées de l'autre. L'axe en ce cas s'appelle ordinairement diamêtre. Il est évident que toute courbe en a une infinité ; car ayant transformé les axes d'une maniere quelconque, on peut toûjours supposer cette transformation telle que le second terme de la transformée manque, & en ce cas l'un des axes sera diamêtre.

On appelle diamêtre absolu celui qui divise les ordonnées en deux également ; tels sont ceux des sections coniques.

M. de Bragelongne appelle contre-diamêtre un axe des abscisses, tel que les abscisses opposées égales ayent des ordonnées opposées égales ; c'est-à-dire, tel que x négative donne y négative, sans changer d'ailleurs de valeur.

Ceci nous conduit naturellement à parler des centres, dont nous avons déjà dit un mot plus haut. Pour qu'une courbe ait un centre, il faut qu'en supposant l'origine placée dans ce centre, & prenant deux x opposées & égales, les y correspondantes soient aussi opposées & égales ; c'est-à-dire il faut que faisant x négative dans l'équation, on trouve pour y la même valeur, mais négative. L'équation doit donc être telle par rapport à x & à y, qu'en changeant les signes de x & de y, elle demeure absolument la même ; donc cette équation ne doit contenir que des puissances ou des dimensions impaires de x & de y, sans terme constant, ou des puissances & des dimensions paires de x & de y, avec ou sans terme constant. Car dans le premier cas, tous les signes changeront, en faisant x & y négatives, ce qui est la même chose que si aucun signe ne changeoit ; & dans le second cas aucun signe ne changera. Voulez-vous donc savoir si une courbe a un centre ? L'équation étant ordonnée par rapport à x & à y, imaginez que l'origine soit transportée dans ce centre, ensorte que l'on ait x + a = z, y + b = u ; & déterminez a & b à être telles, qu'il ne reste plus dans la transformée que des dimensions paires, ou des dimensions impaires sans terme constant ; si la courbe a un centre possible, vous trouverez pour a & b des valeurs réelles. Dans l'extrait du livre de M. l'abbé de Gua, journal des savans, Mai 1740, extrait dont je suis l'auteur, on a remarqué que l'énoncé de la méthode de cet habile géomêtre pour déterminer les centres, étoit un peu trop générale.

Nous ne nous étendrons pas ici sur les manieres de déterminer les différentes branches des courbes ; nous renvoyerons sur ce sujet au livre de M. Cramer, qui a pour titre, introduction à l'analyse des lignes courbes. Nous dirons seulement ici que ce problème depend de la connoissance des séries & de la regle du parallélogramme, dont nous parlerons en leur lieu. Voyez PARALLELOGRAMME, SERIE, &c.

Division des courbes en différens ordres. Nous avons vû à l'article CONIQUE, comment l'équation générale des sections coniques ou ligne du second ordre donne trois courbes différentes. Voyez le troisieme vol. p. 878, col. 1re ; nous remarquerons seulement ici, 1°. qu'il faut - D u u au lieu de D u u ; c'est une faute d'impression : 2°. que lorsque D est négatif, & par conséquent - D u u positif, alors l'équation primitive & générale y y + p x y + b x x + q y + c x + a = 0 est telle que la portion y y + p x y + b x x a ses deux facteurs imaginaires, c'est-à-dire que cette portion y y + p x y + b x x supposée égale à zéro, ne donneroit aucune racine réelle. On peut aisément s'en assûrer par le calcul ; car en ce cas on trouvera (p p)/4 < b, & la quantité A dans la transformée z z + A x x + B x + C = 0 sera positive, & par conséquent - D positive : 3°. dans l'équation z z - D u u + F u + G = 0, on peut réduire les trois termes - D u u + F u + G à deux + K t t + H, lorsque D n'est pas = 0, par la même méthode qu'on employe pour faire évanouir le second terme d'une équation du second degré ; c'est-à-dire en faisant u - F /(2 D) = t, & alors l'équation sera z z + K t t + H = 0 ; équation à l'ellipse, si K est positif ; & à l'hyperbole, si K est négatif : 4°. si D = 0, en ce cas on fera F u + G = k t, & l'équation sera z z + k t = 0, qui est à la parabole : 5°. dans le cas où D = 0, y y + p x y + b x x a ses deux facteurs égaux ; & dans le cas où D est positif, c'est-à-dire où - D u u est négatif, y y + p x y + b x x a ses deux facteurs réels & inégaux, & l'équation appartient à l'hyperbole, car en ce cas (p p)/4 > b, & A est négative. Voyez sur cela, si vous le jugez à propos, le septieme livre des sections coniques de M. de l'Hopital, qui traite des lieux géométriques ; vous y verrez comment l'équation générale des sections coniques se transforme en équation à la parabole, à l'ellipse ou à l'hyperbole, suivant que y y + p x y + b x x est un quarré, ou une quantité composée de facteurs imaginaires, ou de facteurs réels inégaux. Passons maintenant aux lignes du troisieme ordre ou courbes du second genre.

Réduction des courbes du second genre. M. Newton réduit toutes les courbes du second genre à quatre especes principales représentées par quatre équations. Dans la premiere, le rapport des ordonnées y aux abscisses x, est représenté par l'équation x y y + e y = a x3 + b xx + c x + d ; dans la seconde, l'équation a cette forme x y = a x3 + b x x + c x + d ; dans la troisieme, l'équation est yy = a x3 + b x2 + c x + d : enfin la quatrieme a pour équation y = a x3 + b x2 + c x + d.

Pour arriver à ces quatre équations, il faut d'abord prendre l'équation générale la plus composée des lignes du troisieme ordre, & l'écrire ainsi.

On remarquera que le plus haut rang z3 + b z u2 + c u z2 + c u3 étant du troisieme degré, il aura au moins un facteur réel ; les deux autres étant, ou égaux entr'eux & inégaux au premier facteur, ou réels & inégaux, tant entr'eux qu'avec le premier facteur, ou imaginaires, ou enfin égaux au premier. Soit z + A u ce facteur réel, & faisons d'abord abstraction du cas où les trois facteurs sont égaux ; soit supposé z + A u = t, on aura une transformée qui contiendra t3, t2, t, t u u, u t t, t u, u u & u, avec un terme constant ; or on fera d'abord disparoître le terme u u, en supposant t + F = s ; ensuite en faisant u = N s + p + Q (les grandes lettres désignent ici des coefficiens), on fera disparoître les termes u t t & u t, & il ne restera plus que des termes qui représenteront la premiere équation x y y + e y = a x3 + b x x + c x + d = 0.

En second lieu, si les trois facteurs du plus haut rang sont égaux, on n'aura dans l'équation transformée, en faisant z + Au = t, que les termes t3, t2, t, u, t u, u u, & un terme constant. Or on peut faire disparoître les termes t u & u, en supposant u + R t + K = s, & l'on aura une équation de la forme y y = a x3 + b x2 + c x + d. Troisieme forme de M. Newton. Nous remarquerons même que cette équation pourroit encore se simplifier ; car en supposant x = R + q, on feroit évanoüir les termes b x x ou d, & quelquefois le terme c x.

3°. Si les trois facteurs du premier rang sont égaux, & que de plus un de ces facteurs soit aussi facteur du second rang f z z + g z u + h u u, alors la transformée aura des termes de cette forme t3, t, t u, t t, u, & un terme constant. Or faisant t + R = q, on fera disparoître le terme u, & on aura une équation de cette forme x y = a x 3 + b x 2 + c x + d. Seconde forme de M. Newton. Cependant on pourroit encore simplifier cette équation, & faire disparoître les deux termes b x 2 + c x, en supposant x = Q p, & y = N p + R z + M.

4°. Enfin si les trois facteurs du premier rang étant égaux, ceux du second sont les mêmes, l'équation alors n'aura que des termes de cette forme t3, t t, u & t, avec un terme constant, & elle sera de la quatrieme forme de M. Newton y = a x3 + b x2 + c x + d, de laquelle on peut encore faire disparoître les termes b x2 + c x + d, en supposant x = p + R, & y + N x + Q = z. En ce cas l'équation sera de la forme y = A x3, & représentera la premiere parabole cubique. Voy. les usages de l'analyse de Descartes, par M. l'abbé de Gua, pag. 437 & suiv.

On voit par ce détail sur quoi est fondée la division générale des lignes du troisieme ordre qu'a donné M. Newton ; on voit de plus que les équations qu'il a données auroient pû encore recevoir toutes une forme plus simple, à l'exception de la premiere.

Enumération des courbes du second genre. L'auteur subdivise ensuite ces quatre especes principales en un grand nombre d'autres particulieres, à qui il donne différens noms.

Le premier cas qui est celui de x y y + e x = a x3 + b x2 + c x + d = 0, est celui qui donne le plus grand nombre de subdivisions ; les trois subdivisions principales sont que les deux autres racines du plus haut rang soient ou réelles & inégales, ou imaginaires, ou réelles & égales ; & chacune de ces subdivisions en produit encore d'autres. Voyez l'ouvrage de M. l'abbé de Gua, page 440. & suiv.

Lorsqu'une hyperbole est toute entiere au-dedans de ses asymptotes comme l'hyperbole conique, M. Newton l'appelle hyperbole inscrite : lorsqu'elle coupe chacune de ses asymptotes, pour venir se placer extérieurement par rapport à chacune des parties coupées, il la nomme hyperbole circonscrite ; enfin lorsqu'une de ses branches est inscrite à son asymptote, & l'autre circonscrite à la sienne, il l'appelle hyperbole ambigene : celle dont les branches tendent du même côté, il la nomme hyperbole convergente : celle dont les branches ont des directions contraires, hyperbole divergente : celle dont les branches tournent leur convexité de différens côtés, hyperbole à branches contraires : celle qui a un sommet concave vers l'asymptote, & des branches divergentes, hyperbole conchoïdale : celle qui coupe son asymptote avec des points d'inflexion, & qui s'étend vers deux côtés opposés, hyperbole anguinée ou serpentante : celle qui coupe la branche conjuguée, cruciforme : celle qui retourne sur elle-même & se coupe, hyperbole à noeud : celle dont les deux parties concourent en un angle de contact & s'y terminent, hyperbole à pointe ou à rebroussement : celle dont la conjuguée est une ovale infiniment petite, c'est-à-dire un point, hyperbole pointée ou à point conjugué : celle qui par l'impossibilité de deux racines n'a ni ovale, ni point conjugué, ni point de rebroussement, hyperbole pure ; l'auteur se sert dans le même sens des dénominations de parabole convergente, divergente, cruciforme, &c. Lorsque le nombre des branches hyperboliques surpasse celui des branches de l'hyperbole conique, il appelle l'hyperbole redundante.

M. Newton compte jusqu'à soixante-douze especes inférieures de courbes du second genre : de ces courbes il y en a neuf qui sont des hyperboles redundantes sans diamêtre, dont les trois asymptotes forment un triangle. De ces hyperboles, la premiere en renferme trois, une inscrite, une circonscrite, & une ambigene, avec une ovale ; la seconde est à noeud, la troisieme à pointe, la quatrieme pointée, la cinquieme & la sixieme pures, la septieme & la huitieme cruciformes, la neuvieme anguinée.

Il y a de plus douze hyperboles redundantes qui n'ont qu'un diamêtre : la premiere a une ovale, la seconde est à noeud, la troisieme à pointe, la quatrieme pointée ; la cinquieme, sixieme, septieme & huitieme, pures ; la neuvieme & la dixieme cruciformes, la onzieme & la douzieme conchoïdales. Il y a deux hyperboles redundantes qui ont trois diamêtres.

Il y a encore neuf hyperboles redundantes, dont les trois asymptotes convergent en un point commun : la premiere est formée de la cinquieme & de la sixieme hyperbole redundantes, dont les asymptotes renferment un triangle ; la seconde de la septieme & de la huitieme, la troisieme & la quatrieme de la neuvieme ; la cinquieme est formée de la huitieme & de la septieme des hyperboles redundantes, qui n'ont qu'un diamêtre ; la sixieme de la sixieme & de la septieme, la septieme de la huitieme & de la neuvieme, la huitieme de la dixieme & de la onzieme, la neuvieme de la douzieme & de la treizieme. Tous ces changemens se font en réduisant en un point le triangle compris par les asymptotes.

Il y a encore six hyperboles défectives sans diamêtre : la premiere a une ovale, la seconde est à noeud, la troisieme à pointe, la quatrieme pointée, la cinquieme pure, &c.

Il y a sept hyperboles défectives qui ont des diamêtres : la premiere & la seconde sont conchoïdales avec une ovale, la troisieme est à noeud, la quatrieme à pointe : c'est la cissoïde des anciens ; la cinquieme & la sixieme sont pointées, la septieme pure.

Il y a sept hyperboles paraboliques qui ont des diamêtres : la premiere ovale, la seconde à noeud, la troisieme à pointe, la quatrieme pointée, la cinquieme pure, la sixieme cruciforme, la septieme anguinée.

Il y a quatre hyperboles paraboliques, quatre hyperbolismes de l'hyperbole, trois hyperbolismes de l'ellipse, deux hyperbolismes de la parabole.

Outre le trident, il y a encore cinq paraboles divergentes : la premiere a une ovale, la seconde est à noeud, la troisieme pointée ; la quatrieme est à pointe (cette derniere est la parabole de Neil, appellée communément seconde parabole cubique) ; la cinquieme est pure, Enfin il y a une derniere courbe appellée communément premiere parabole cubique. Remarquons ici que M. Stirling a déjà fait voir que M. Newton dans son énumération avoit oublié quatre especes particulieres, ce qui fait monter le nombre des courbes du second genre jusqu'à soixante-seize, & que M. l'abbé de Gua y en a encore ajoûté deux autres, observant de plus que la division des lignes du troisieme ordre en especes pourroit être beaucoup plus nombreuse ; si on assignoit à ces différentes especes des caracteres distinctifs, autres que ceux que M. Newton leur donne.

On peut voir dans l'ouvrage de M. Newton, & dans l'endroit cité du livre de M. l'abbé de Gua, ainsi que dans M. Stirling, les subdivisions détaillées des courbes du troisieme ordre, qu'il seroit trop long & inutile de donner dans un Dictionnaire. Mais nous ne pouvons nous dispenser de remarquer que les principes sur lesquels ces divisions sont fondées, sont assez arbitraires ; & qu'en suivant un autre plan, ou pourroit former d'autres divisions des lignes du troisieme ordre. On pourroit, par exemple, comme MM. Euler & Cramer, distinguer d'abord quatre cas généraux : celui où le plus haut rang n'a qu'une racine réelle, celui où elles sont toutes trois réelles & inégales, celui où deux sont égales, celui où trois sont égales, & subdiviser ensuite ces cas. Cette division générale paroît d'autant plus juste & plus naturelle, qu'elle seroit parfaitement analogue à celle des lignes du second ordre ou sections coniques, dans laquelle on trouve l'ellipse pour le cas où le plus haut rang a ses deux racines imaginaires ; l'hyperbole, pour le cas où le plus haut rang a ses racines réelles & inégales, & la parabole pour le cas où elles sont égales. Au reste il faut encore remarquer que toutes les subdivisions de ces quatre cas, & même la division générale, auront toûjours de l'arbitraire. Cela se voit même dans la division des lignes du second ordre. Car on pourroit à la rigueur, par exemple, regarder la parabole comme une espece d'ellipse dont l'axe est infini (voy. PARABOLE), & ne faire que deux divisions pour les sections coniques ; & on pourroit même n'en faire qu'une, en regardant l'hyperbole comme une ellipse, telle que dans l'équation yy = aa - xx, le quarré de l'abscisse x x ait le signe +. Il semble qu'en Géometrie comme en Physique, la division en genres & en especes ait toûjours nécessairement quelque chose d'arbitraire ; c'est que dans l'une & dans l'autre il n'y a réellement que des individus, & que les genres n'existent que par abstraction de l'esprit.

M. Cramer trouve quatorze genres de courbes dans le troisieme ordre, & M. Euler seize, ce qui prouve encore l'arbitraire des subdivisions.

On peut par une méthode semblable faire la division des courbes d'un genre supérieur. Voyez ce que M. Cramer a fait par rapport aux lignes du quatrieme ordre dans le chap. jx. de son ouvrage.

Pour rappeller à l'une des quatre formes de M. Newton une ligne quelconque du troisieme ordre, dont l'équation est donnée en z & en u, on transformera d'abord les axes de la maniere la plus générale, en supposant a = A z + B u + C, & y = D z + E u + F ; substituant ensuite ces valeurs, on déterminera les coefficiens A, B, &c. à être tels que l'équation en x & en y ait une des quatre formes susdites.

Points singuliers & multiples des courbes. On appelle point multiple d'une courbe celui qui est commun à plusieurs branches qui se coupent en ce point, & par opposition point simple celui qui n'appartient qu'à une branche. Il est visible qu'au point multiple l'ordonnée y a plusieurs valeurs égales répondantes à un même x. C'est-là une propriété du point multiple ; mais il ne faut pas croire que le point soit multiple, toutes les fois que l'ordonnée a plusieurs valeurs égales. Car, si une ordonnée touche la courbe, par exemple, il est aisé de voir que l'ordonnée a dans ce point deux valeurs égales, sans que le point soit double. Voyez TANGENTE. La propriété du point multiple, c'est que l'ordonnée y a plusieurs valeurs égales, quelque situation qu'on lui donne ; au lieu que dans le point simple l'ordonnée qui peut avoir plusieurs valeurs égales dans une certaine situation, n'en a plus qu'une dès que cette situation change, ce qui est évident par la seule inspection d'un point multiple & d'un point simple. Voyez POINT.

De-là il s'ensuit que si on transporte l'origine en un point supposé multiple, en faisant z + A = x, u + B = y, il faut qu'en supposant z infiniment petit, on ait plusieurs valeurs nulles de u, quelque direction qu'on lui donne. Ainsi pour trouver les points multiples, il n'y a qu'à, après avoir transporté l'origine dans le point supposé, donner une direction quelconque à l'ordonnée, & voir si dans cette direction quelconque l'ordonnée aura plusieurs valeurs égales à zéro. Voyez M. l'abbé de Gua, p. 88. & M. Cramer, page 409.

On prouvera par ces principes, que les sections coniques ne peuvent avoir de points multiples, ce qu'on savoit d'ailleurs. On prouvera aussi que les courbes du troisieme ordre ne peuvent avoir de points triples, &c. Mais cette proposition se peut encore prouver d'une maniere plus simple en cette sorte. Imaginons que l'ordonnée soit tangente d'une des branches, elle rencontrera cette branche en deux points. Or si le point est un point double, par exemple, l'ordonnée rencontreroit donc la courbe en trois points, ce qui ne peut être dans une section conique ; car jamais une droite ne peut la rencontrer qu'en deux points, puisque son équation ne passe jamais le second degré ; & qu'ainsi quelque position qu'on donne à l'ordonnée, elle ne peut avoir jamais plus de deux valeurs. On prouvera de même qu'une courbe du second genre, ou ligne du troisieme ordre, ne peut avoir de point triple, parce que la courbe ne peut jamais être coupée qu'en trois points par une ligne droite.

A l'égard des points doubles des courbes, nous avons déjà remarqué que les courbes du second genre peuvent être coupées en trois points par une ligne droite. Or deux de ces points se confondent quelquefois, comme il arrive, par exemple, quand la ligne droite passe par une ovale infiniment petite ; ou par le point de concours de deux parties d'une courbe qui se rencontrent, & s'unissent en une pointe. Quelquefois les lignes droites ne coupent la courbe qu'en un point, comme il arrive aux ordonnées de la parabole de Descartes, & de la premiere parabole cubique ; en ce cas il faut concevoir que ces lignes droites passent par deux autres points de la courbe placés à une distance infinie ou imaginaire. Deux de ces intersections coïncidentes, faites à une distance infinie, ou même imaginaire, constituent une espece de point double.

On appelle points singuliers les points simples qui ont quelque propriété particuliere, comme les points conjugués, les points d'inflexion, les points de serpentement, &c. Voyez POINT, CONJUGUE, INFLEXION, SERPENTEMENT, &c. Voyez aussi REBROUSSEMENT, NOEUD, &c. Sur les tangentes des courbes en général, & sur les tangentes des points multiples, voyez TANGENTE.

Description organique des courbes. 1°. Si deux angles de grandeur donnée, P A D, P B D (Pl. de Géomet. fig. 53.) tournent autour de deux poles A & B, donnés de position, & que le point de concours P des côtés A P, B P, décrive une ligne droite, le point de concours D des deux autres côtés décrira une section conique qui passera par les poles A & B, à moins que la ligne ne vienne à passer par l'un ou l'autre des poles A & B, ou que les angles B A D & A B D ne s'évanoüissent à la fois, auquel cas le point de concours décrira une ligne droite.

2°. Si le point de concours P des côtés A P, B P, décrit une section conique passant par l'un des poles A, le point de concours D des deux autres côtés A D, B D, décrira une courbe du second genre qui passera par l'autre pole B, & qui aura un point double dans le premier pole A, à moins que les angles B A D, A B D, ne s'évanoüissent à la fois, auquel cas le point D décrira une autre section conique qui passera par le pole A.

3°. Si la section conique décrite par le point P ne passe, ni par A ni par B, le point D décrira une courbe du second ou du troisieme genre, qui aura un point double ; & ce point double se trouvera dans le concours des côtés décrivans A D, B D, quand les deux angles B A P, A B P, s'évanoüissent à la fois. La courbe décrite sera du second genre, quand les angles B A D, A B D, s'évanoüiront à la fois, sinon elle sera du troisieme genre, & aura deux points doubles en A & en B.

Les démonstrations de ces propositions, qu'il seroit trop long de donner ici, se trouveront dans l'ouvrage de M. Maclaurin, qui a pour titre, Geometria organica, où il donne des méthodes pour tracer des courbes géométriques par un mouvement continu. Voyez aussi le VIII. livre des sections coniques de M. de l'Hopital.

Génération des courbes du second genre par les ombres. Si les ombres des courbes de différens genres sont projettées sur un plan infini, éclairé par un point lumineux, les ombres des sections coniques seront des sections coniques ; celles des courbes du second genre seront des courbes du second genre ; celles des courbes du troisieme genre seront des courbes du troisieme genre, &c.

Et comme la projection du cercle engendre toutes les sections coniques, de même la projection des cinq paraboles divergentes engendre toutes les autres courbes du second genre ; & il peut y avoir de même dans chaque autre genre une suite de courbes simples, dont la projection sur un plan éclairé par un point lumineux, engendre toutes les autres courbes du même genre. MM. Nicole & Clairaut, dans les mémoires de l'acad. de 1731, ont démontré la propriété des cinq paraboles divergentes dont nous venons de parler ; propriété que M. Newton n'avoit fait qu'énoncer sans démonstration. Voyez aussi sur cette proposition l'ouvrage cité de M. l'abbé de Gua, page 198. & suiv. Voyez aussi OMBRE.

Usage des courbes pour la construction des équations. L'usage principal des courbes dans la Géométrie, est de donner par leur point d'intersection la solution des problêmes. Voyez CONSTRUCTION.

Supposons, par exemple, qu'on ait à construire une équation de neuf dimensions, comme x9 + b x7 c x6 + d x5 + e x4 + (m + f) x3 + g x2 + h x + k = 0, dans laquelle b, c, d, &c. signifient des quantités quelconques données, affectées des signes + ou - ; on prendra l'équation à la parabole cubique x3 = y, & mettant y pour x3 dans la premiere équation, elle se changera en y3 + b x y2 + c y2 + d x2 y + e x y + m y + f x3 + g x2 + h x + k = 0, équation à une autre courbe du second genre dans laquelle m ou f peuvent être supposés = 0. Si on décrit chacune de ces courbes, leurs points d'intersection donneront les racines de l'équation proposée. Il suffit de décrire une fois la parabole cubique. Si l'équation à construire se réduit à 7 dimensions par le manquement des termes h x & k, l'autre courbe aura, en effaçant m, un point double à l'origine des abscisses, & pourra être décrite par différentes méthodes. Si l'équation est réduite à six dimensions par le manquement des trois termes g x2 + h x + k, l'autre courbe, en effaçant f, deviendra une section conique ; & si par le manquement des six derniers termes l'équation est réduite à trois dimensions, on retombera dans la construction que Wallis en a donnée par le moyen d'une parabole cubique & d'une ligne droite. Voyez CONSTRUCTION, & l'ouvrage de M. Cramer, chap. jv.

COURBE POLYGONE. On appelle ainsi une courbe considérée non comme rigoureusement courbe, mais comme un polygone d'une infinité de côtés. C'est ainsi que dans la géométrie de l'infini on considere les courbes ; ce qui ne signifie autre chose, rigoureusement parlant, sinon qu'une courbe est la limite des polygones, tant inscrits que circonscrits. Voyez LIMITE, EXHAUSTION, INFINI, DIFFERENTIEL, &c. & POLYGONE.

Il faut distinguer, quand on traite une courbe comme polygone ou comme rigoureuse ; cette attention est sur-tout nécessaire dans la théorie des forces centrales & centrifuges ; car quand on traite la courbe comme polygone, l'effet de la force centrale, c'est-à-dire la petite ligne qu'elle fait parcourir, est égale à la base de l'angle extérieur de la courbe ; & quand on traite la courbe comme rigoureuse, l'effet de la force centrale est égale à la petite ligne, qui est la base de l'angle curviligne formé par la courbe & par sa tangente. Or il est aisé de voir que cette petite ligne n'est que la moitié de la premiere, parce que la tangente rigoureuse de la courbe divise en deux également, l'angle extérieur que le petit côté prolongé fait avec le côté suivant. La premiere de ces lignes est égale au quarré du petit côté divisé par le rayon du cercle osculateur, voyez OSCULATEUR & DEVELOPPEE ; la seconde au quarré du petit côté divisé par le diamêtre du même cercle. La premiere est censée parcourue d'un mouvement uniforme, la seconde d'un mouvement uniformément accéléré : dans la premiere, la force centrale est supposée n'agir que par une impulsion unique, mais grande ; dans la seconde, elle est supposée agir, comme la pesanteur, par une somme de petits corps égaux ; & ces deux suppositions reviennent à une même ; car l'on sait qu'un corps mû d'un mouvement accéléré parcouroit uniformément avec sa vîtesse finale, le double de l'espace qu'il a parcouru d'un mouvement uniformément accéléré, pour acquérir cette vîtesse. Voyez les articles ACCELERATION, CENTRAL, & DESCENTE. Voyez aussi l'hist. de l'acad. 1722. & mon traité de Dynamique, page 20. article 20. & page 30. article 26.

Rectification d'une courbe, est une opération qui consiste à trouver une ligne droite égale en longueur à cette courbe. Voyez RECTIFICATION.

Inflexion d'une courbe. Voyez INFLEXION.

Quadrature d'une courbe, est une opération qui consiste à trouver l'aire ou l'espace renfermé par cette courbe, c'est-à-dire à assigner un quarré dont la surface soit égale à un espace curviligne. Voyez QUADRATURE.

Famille de courbes, est un assemblage de plusieurs courbes de différens genres, représentées toutes par la même équation d'un degré indéterminé, mais différent, selon la diversité du genre des courbes. Voyez FAMILLE.

Par exemple, supposons qu'on ait l'équation d'un degré indéterminé a(m -1) x = ym : si m = 2, on aura a x = y2 ; si m = 3, on aura a2 x = y3 ; si m = 4, a3 x = y4. Toutes les courbes auxquelles ces équations appartiennent sont dites de la même famille par quelques géomêtres.

Les équations qui représentent des familles de courbes, ne doivent pas être confondues avec les équations exponentielles ; car quoique l'exposant soit indéterminé, par rapport à toute une famille de courbes, il est déterminé & constant par rapport à chacune des courbes qui la composent ; au lieu que dans les équations exponentielles l'exposant est variable & indéterminé pour une seule & même courbe. Voyez EXPONENTIEL.

Toutes les courbes algébriques composent, pour ainsi dire, une certaine famille, qui se subdivise en une infinité d'autres, dont chacune contient une infinité de genres. En effet dans les équations par lesquelles les courbes sont déterminées, il n'entre que des produits, soit des puissances des abscisses & des ordonnées par des coefficiens constans, soit des puissances des abscisses par des puissances des ordonnées, soit de quantités constantes pures & simples, les unes par les autres. De plus chaque équation d'une courbe peut toûjours avoir zéro pour un de ses membres, par exemple, a x = y2 se change en a x - y2 = 0. Donc l'équation générale qui représentera toutes les courbes algébriques sera

Nous devons remarquer ici que le P. Reyneau s'est trompé dans le second volume de son analyse démontrée, lorsque voulant déterminer les tangentes de toutes les courbes géométriques en général, il prend pour l'équation générale de toutes ces courbes ym + b xn yq + c xp = 0, équation qui n'a que trois termes. Il est visible que cette équation est insuffisante, & qu'on doit lui substituer celle que nous venons de donner.

Courbe caustique. Voyez CAUSTIQUE.

Courbe diacaustique. Voyez DIACAUSTIQUE.

Les meilleurs ouvrages dans lesquels on puisse s'instruire de la théorie des courbes, sont, 1° l'enumeratio linearum tertii ordinis de M. Newton, d'où une partie de cet article COURBE est tirée : 2° l'ouvrage de M. Stirling sur le même sujet, & Geometria organica de M. Maclaurin, dont nous avons parlé : 3° les usages de l'analyse de Descartes par M. l'abbé de Gua, déjà cités ; ouvrage original & plein d'excellentes choses, mais qu'il faut lire avec précaution (Voyez BRANCHE & REBROUSSEMENT) : 4° l'introduction à l'analyse des lignes courbes, par M. Cramer ; ouvrage très-complet, très-clair & très-instructif, & dans lequel on trouve d'ailleurs plusieurs méthodes nouvelles : 5° l'ouvrage de M. Euler, qui a pour titre, introductio in analys. infinitorum, Lausan. 1748.

Sur les propriétés, la génération, &c. des différentes courbes méchaniques particulieres ; par exemple, de la cycloïde, de la logarithmique, de la spirale, de la quadratrice, &c. Voy. les articles CYCLOÏDE, LOGARITHMIQUE, &c.

On peut voir aussi la derniere section de l'application de l'Algebre à la Géométrie, de M. Guisnée, où l'on trouvera quelques principes généraux sur les courbes méchaniques. Voyez aussi MECHANIQUE & TRANSCENDANT.

On peut faire passer une courbe géométrique & réguliere, par tant de points qu'on voudra d'une courbe quelconque irréguliere, tracée sur le papier ; car ayant imaginé dans le plan de cette courbe une ligne droite quelconque, qu'on prendra pour la ligne des abscisses, & ayant abaissé des points donnés de la courbe irréguliere des perpendiculaires à la ligne des x, on nommera a la premiere ordonnée, & b l'abscisse qui lui répond ; c la seconde ordonnée, & e l'abscisse correspondante ; f la troisieme ordonnée, & g l'abscisse correspondante. Ensuite on supposera une courbe dont l'équation soit y = A + B x + C x2 + D x2 + &c. & faisant successivement y = a, x = b ; y = c, x = e ; y = f, x = g, &c. on déterminera les coefficiens A, B, C, &c. en tel nombre qu'on voudra ; & la courbe réguliere dont l'équation est y = A + B x + C x2, &c. passera par tous les points donnés. S'il y a n points donnés, il faudra supposer n coefficiens A, B, C, D, &c. On peut donc faire approcher aussi près qu'on voudra une courbe irréguliere d'une courbe réguliere, mais jamais on ne parviendra à faire coïncider l'un avec l'autre ; & il ne faut pas s'imaginer qu'on puisse jamais, à la vûe simple, déterminer l'équation d'une courbe, comme l'a crû le géomêtre dont nous avons parlé au commencement de cet article.

Les courbes dont l'équation y = A + B x + C x2 &c. s'appellent courbes de genre parabolique. Voyez PARABOLIQUE. Elles servent à rendre une courbe quelconque irréguliere ou méchanique, le plus géométrique qu'il est possible. Elles servent aussi à l'équarrer par approximation. Voyez QUADRATURE. Au reste, il y a des courbes, par exemple, les courbes ovales ou rentrant en elles-mêmes, par lesquelles on ne peut jamais faire passer une courbe de genre parabolique ; parce que dans cette derniere courbe l'ordonnée n'a jamais qu'une valeur, & que dans les courbes ovales, elle en a toûjours au moins deux. Mais on pourroit, par exemple, rapporter ces courbes, lorsqu'elles ont un axe qui les divise en deux également, à l'équation y y = A + B x + C x2 + &c. Voyez METHODE DIFFERENTIELLE.

Courbe à double courbure. On appelle ainsi une courbe dont tous les points ne sauroient être supposés dans un même plan, & qui par conséquent est doublement courbe, & par elle-même, & par la surface sur laquelle on peut la supposer appliquée. On distingue par cette dénomination les courbes dont il s'agit, d'avec les courbes à simple courbure ou courbes ordinaires. M. Clairaut a donné un traité de ces courbes à double courbure ; c'est le premier ouvrage qu'il ait publié.

Une courbe quelconque a double courbure étant supposée tracée ; on peut projetter cette courbe sur deux plans différens perpendiculaires l'un à l'autre, & les projections seront deux courbes ordinaires qui auront un axe commun & des ordonnées différentes. L'équation d'une de ces courbes sera, par exemple, en x & en y, l'autre en x & en z. Ainsi l'équation d'une courbe à double courbure sera composée de deux équations à deux variables chacune, qui ont chacune une même variable commune. Il est à remarquer que quand on a l'équation en x & en y, & l'équation en x & en z, on peut avoir par les regles connues (Voyez EQUATION & DIVISION) une autre équation en y & en z ; & ce sera l'équation d'une troisieme courbe, qui est la projection de la courbe à double courbure sur un troisieme plan perpendiculaire aux deux premiers.

On peut regarder, si l'on veut, une des courbes de projection, par exemple, celle qui a pour coordonnées x & y, comme l'axe curviligne de la courbe à double courbure. Si on veut avoir la tangente de cette derniere courbe en un point quelconque, on menera d'abord la tangente de la courbe de projection au point correspondant, c'est-à-dire au point qui est la projection de celui dont on demande la tangente ; & sur cette tangente prolongée autant qu'il sera nécessaire, on prendra une partie = (z d s)/(d z), d s exprimant le petit arc de la courbe de projection : on a le rapport de d s à d x par l'équation de la courbe en x & en y (Voyez TANGENTE & DIFFERENTIEL) ; on a celui de d x à d z par l'équation de la courbe en x & en z. Donc z d s/d z pourra toûjours être exprimé par une quantité finie, d'où les différentielles disparoîtront. Une courbe à double courbure est algébrique, quand les deux courbes de projection le sont : elle est méchanique, quand l'une des courbes de projection est méchanique, ou quand elles le sont toutes deux. Mais dans ce dernier cas on n'en trouvera pas moins les tangentes ; car par l'équation différentielle des courbes de projection, on aura toûjours la valeur de d s en d x & celle de d z en d x.

Surfaces courbes. Une surface courbe est représentée en Géométrie par une équation à trois variables, par exemple, x, y & z. En effet, si on prend une ligne quelconque au-dedans ou au-dehors de la surface courbe pour la ligne des x, & qu'on imagine à cette ligne une infinité de plans perpendiculaires qui coupent la surface courbe, ces plans formeront autant de courbes, dont l'équation sera en y & en z, & dont le parametre sera la distance variable x du plan coupant à l'origine des x. Ainsi, z z = x x - y y, est l'équation d'un cone droit & rectangle, dont l'axe est la ligne des x. M. Descartes est le premier qui ait déterminé les surfaces courbes par des équations à trois variables, comme les lignes courbes par des équations à deux.

Une surface courbe est géométrique, quand son équation est algébrique & exprimée en termes finis. Elle est méchanique, quand son équation est différentielle & non algébrique ; dans ce cas on peut représenter l'équation de la surface courbe par d z = d x + d y, & étant des fonctions de x, de y & de z. Il semble d'abord qu'on aura cette surface courbe, en menant à chaque point de la ligne des x un plan perpendiculaire à cette ligne, & en traçant ensuite sur ce plan la courbe dont l'équation est d z = d y, x étant regardée comme un parametre constant, & d x étant supposée = 0. Cette construction donneroit à la vérité une surface courbe ; mais il faut que la surface courbe satisfasse encore à l'équation d z = d x, y étant regardé comme constant ; c'est-à-dire il faut que les sections de la surface courbe, par un plan parallele à la ligne des x, soient représentées par l'équation d z = d x. Or cela ne peut avoir lieu que lorsqu'il y a une certaine condition entre les quantités & ; condition que M. Fontaine, de l'académie des Sciences, a découvert le premier. On trouvera aussi dans les mémoires de l'académie de Petersbourg, tome III. des recherches sur la ligne la plus courte que l'on puisse tracer sur une surface courbe entre deux points donnés. Sur une surface plane, la ligne la plus courte est une ligne droite. Sur une surface sphérique, la ligne la plus courte est un arc de grand cercle passant par les deux points donnés. Et en effet il est aisé de voir, par les principes de la Géométrie ordinaire, que cet arc est plus petit que tout autre ayant la même corde ; car, à cordes égales, les plus petits arcs sont ceux qui ont un plus grand rayon. Voyez aussi les oeuvres de Bernoulli, tome IV. page 108. La ligne dont il s'agit a cette propriété, que tout plan passant par trois points infiniment proches, ou deux côtés contigus de la courbe, doit être perpendiculaire au plan qui touche la courbe en cet endroit. En voici la preuve. Toute courbe qui passe par deux points infiniment proches d'une surface sphérique, & qu'on peut toûjours regarder comme un arc de cercle, est évidemment la ligne la plus courte, lorsqu'elle est un arc de grand cercle ; & cet arc de grand cercle est perpendiculaire au plan touchant, comme on peut le démontrer aisément par les élémens de Géométrie. Or toute portion de surface courbe infiniment petite peut être regardée comme une portion de surface sphérique, & toute partie de courbe infiniment petite comme un arc de cercle. Donc, &c. La perpendiculaire à la méridienne de la France tracée par M. Cassini, est une courbe à double courbure, & est la plus courte qu'on puisse tracer sur la surface de la terre regardée comme un sphéroïde applati. Voyez les mémoires de l'acad. de 1732 & 1733. Voilà tout ce que nous pouvons dire sur cette matiere, dans un ouvrage de l'espece de celui-ci.

Des courbes méchaniques, & de leur usage pour la construction des équations différentielles. Nous avons expliqué plus haut ce que c'est que ces courbes. Il ne s'agit que d'expliquer ici comment on les construit, ou en général comment on construit une équation différentielle. Soit, par exemple, d y = une équation à construire, on aura y = + C, C étant une constante qu'on ajoûte, parce que est supposée = 0 lorsque x = 0, & qu'on suppose que x = 0 rend y = C. Voyez CONSTANTE. On construira d'abord une courbe géométrique dont les ordonnées soient les abscisses étant x, l'aire de cette courbe (Voyez QUADRATURE) sera ; ainsi en supposant cette courbe quarrable, si on fait un quarré z z = , on aura y = z z/a + C, & on construira la courbe dont l'ordonnée est y.

Cette méthode suppose, comme on voit, que les indéterminées soient séparées dans l'équation différentielle (Voyez CALCUL INTEGRAL) ; elle suppose de plus les quadratures, sans cela elle ne pourroit réussir.

Soit en général X d x = Y d y, X étant une fonction de x (Voyez FONCTION), & Y une fonction de y. On construira d'abord par la méthode précédente une courbe dont les abscisses soient x, & dont les ordonnées z soient = X d x divisé par une constante convenable, c'est-à-dire par une constante m qui ait autant de dimensions qu'il y en a dans X ; ensorte que X d x/m soit d'une dimension, pour pouvoir être égale à une ligne z. Ensuite on construira de même une courbe dont les abscisses soient y, & dont les ordonnées u soient = Y d y/m ; prenant ensuite u dans la derniere courbe = z dans l'autre, on aura l'x & l'y correspondantes ; & ces x & y joints à angles droits, si les coordonnées doivent faire un angle droit, donneront la courbe qu'on cherche.

Voyez dans la derniere section de l'application de l'Algebre à la géométrie de M. Guisnée, & dans l'analyse des infiniment petits de M. de l'Hopital, plusieurs exemples de construction des équations différentielles par des courbes méchaniques. (O)

COURBE DES ARCS, voyez TROCHOÏDE.

COURBE DES SINUS, voyez SINUS.

COURBES, s. f. (Mar.) Ce sont des pieces de bois beaucoup plus fortes & plus grosses que les courbatons, dont elles ont la figure : leur usage est de lier les membres des côtés du vaisseau aux baux, & de gros membres à d'autres. Voyez COURBATONS.

Sur chaque bout des baux on met une courbe ou courbaton, pour le soûtenir & lier le vaisseau. Pour former une courbe on prend ordinairement un pié d'arbre, au haut duquel il y a deux branches qui fourchent, & l'on coupe ce pié en deux, y laissant une branche fourchue de chaque côté. Aux grands gabarits & sous toute l'embelle, où le vaisseau a le plus à souffrir, on ne peut mettre les courbes trop fortes ; mais comme de si grosses pieces de bois diminuent l'espace pour l'arimage, on fait quelquefois des courbes de fer de trois à quatre pouces de large, & d'un quart de pouce d'épais, qu'on applique sur les côtés des courbes qui sont les plus foibles, & la branche supérieure s'applique aux baux avec des clous & des chevilles de fer. Voy. Marine, Pl. V. fig. 1. n°. 121. les courbes de fer du second pont, & Pl. IV. fig. 1. même n°. 121. & celles du premier pont, mêmes Planches n°. 70.

A l'égard des courbes ou courbatons qui se posent en-travers dans les angles de l'avant & de l'arriere du vaisseau, on leur laisse toûjours toute la grosseur que le bois peut fournir, & l'on tâche d'en avoir d'un pié d'arbre entier où il n'y ait qu'une fourche, & qui n'ait point été scié, parce que celles qui sont sciées sont bien plus foibles ; & pour le mieux on tâche que les courbes qui se posent en travers, ayent à l'endroit de bas des serrebauquieres, autant d'épaisseur que le bau auquel elles sont jointes.

Courbes d'arcasse, ce sont des pieces de liaison assemblées dans chacun des angles de la poupe, d'un bout contre la lisse de hourdi, & de l'autre contre les membres du vaisseau. Voyez leur figure, Marine, Pl. VI. n°. 69.

Courbe de contre-arcasse ou contre-lisses ; ce sont des pieces de bois posées en fond de cale, arcboutées par en-haut contre l'arcasse, & attachées du bout d'en-bas sur les membres du vaisseau.

Courbe d'étambord, c'est une piece de bois courbe, qui pose sur la quille du vaisseau d'un côté, & de l'autre contre l'étambord. Voyez Marine, Pl. IV. fig. 1. n°. 8.

Courbes du premier pont, doivent avoir les deux tiers de l'épaisseur de l'étrave. Voy. leur fig. Marine, Pl. VI. n°. 68.

Courbe de la poulaine, c'est une piece de bois située entre la gorgere ou taille-mer, l'étrave & l'aiguille de l'éperon. Voyez Pl. IV. fig. 1. cette courbe cotée 194. la gorgere, cotée 193. l'étrave, n°. 3. & l'aiguille de l'éperon, 184. (Z)

COURBE, se dit en Charpenterie & Menuiserie, de toute piece de bois ceintrée.

COURBE D'ESCALIER (Charpent.) c'est celle qui forme le quartier tournant, autrement dit le noyau recreusé. Voyez Pl. I. fig. 2. du Charpentier.

Courbes rallongées, sont celles dont les parties ceintrées ont différens points de centres.

COURBE, (Maréchallerie) Les Maréchaux appellent ainsi une tumeur dure & calleuse qui vient en longueur au-dedans du jarret du cheval ; c'est-à-dire à la partie du jarret opposée à l'une des jambes, de côté. (V)

COURBE, se dit dans l'écriture, des rondeurs supérieures & inférieures des lettres o, c, d, &c.

COURBE, terme de Riviere, piece de bois arrondie, placée des deux côtés d'un bateau foncet, tant derriere que devant, sur lesquelles, on ferme les cordes du bateau : il y en a quatre dans un bateau. Voyez FONCET. Dans le pays d'amont on l'appelle la courbe bouletant.

On appelle encore sur les rivieres courbes de chevaux, deux chevaux accouplés qui tirent les bateaux avec une corde pour les remonter. Il faut quelquefois jusqu'à douze courbes de chevaux, que l'on nomme rhum.


COURBÉadj. en terme de Blason, se dit de la situation naturelle des dauphins & des pars, aussi-bien que des faces un peu voûtées en arc. Beget en Forêt, d'azur au dauphin courbé d'argent, accompagné de trois étoiles de même. (V)


COURBETS. m. (Bourrel. est la partie d'un bât de mulet, placée en forme d'arcade sur les aubes.


COURBETTES. f. air de Manege, dans lequel le cheval leve ses jambes plus haut que dans la demi-volte. C'est une espece de saut en l'air & un peu en devant, dans lequel le cheval leve en même tems ses deux jambes de devant, en les avançant également (lorsqu'il va directement en devant sans tourner) ; & dès qu'il les baisse, il éleve celles de derriere, en les avançant toûjours également en devant, de sorte que ses quatre piés sont en l'air au même tems, & en les posant il n'en marque que deux fois. Voy. AIR.

Les chevaux qui ont trop de feu, & ceux qui n'en ont pas assez, ne valent rien pour les courbettes, ce saut étant le plus difficile, & demandant beaucoup de jugement dans le cavalier, & de patience dans le cheval. Chambers.

On dit mettre un cheval à l'air des courbettes, cheval qui fait des courbettes, qui manie à courbettes, qui se présente de lui-même à courbettes. Un cheval bat la poudre à courbettes, quand il les hâte trop, & qu'elles sont trop basses. Il est dangereux que le jardon ne viennent aux chevaux qu'on fait manier à courbettes avec excès. Les éparvins les font harper & lever les jambes, & le cheval en rabat les courbettes plus haut.

Rabattre la courbette, c'est poser à terre les deux piés de derriere à la fois.

Terminer la courbette, c'est la même chose.

La demi-courbette est une petite courbette dans laquelle le cheval ne s'éleve pas tant qu'à la courbette.

Faire la croix à courbettes, c'est faire cette espece d'air ou de saut, tout d'une haleine en avant, en arriere, aux côtés, comme une figure de croix. (V)


COURBETTER(Manege) c'est faire des courbettes. Cheval qui ne fait que courbetter.


COURBURES. f. (Géom.) On appelle ainsi la quantité dont un arc infiniment petit d'une courbe quelconque, s'écarte de la ligne droite : or un arc infiniment petit d'une courbe peut être considéré comme un arc de cercle (voyez DEVELOPPEE) ; par conséquent on détermine la courbure d'une courbe par celle d'un arc de cercle infiniment petit. Imaginons donc sur une corde infiniment petite, deux arcs de cercle qui ayent différens rayons ; le plus petit sera plus écarté de sa corde que le plus grand, & on démontre en Géométrie que les écarts seront en raison inverse des rayons des cercles : donc en général la courbure d'un cercle est en raison inverse de son rayon, & la courbure d'une courbe en chaque point est en raison inverse de son rayon osculateur. Au reste il y a de l'arbitraire dans cette définition ; car si d'un côté on peut dire, qu'un arc de petit cercle est plus courbe qu'un arc de grand cercle rapporté à la même corde, on peut dire d'un autre côté que ces arcs sont également courbes, rapportés à des cordes différentes & proportionnelles à leurs rayons ; & cette façon de parler pourroit être admise aussi, d'autant que les cercles sont des courbes semblables. En nous conformant à la premiere définition, il est clair que la courbure d'une courbe en un point quelconque est finie, si le rayon osculateur en ce point est fini ; que la courbure est nulle, si le rayon osculateur est infini ; & que la courbure est infinie, si le rayon osculateur est = 0. Voyez le Scholie sur le lemme XI. des princ. matth. de Newton, l. I. M. Cramer, chap. xij. & M. Euler, l. II. ch. xiv. Il y a cependant sur ce dernier chapitre quelques observations à faire. Voyez REBROUSSEMENT. (O)

Courbes à double courbure, voyez COURBE.

COURBURE, en bâtiment, est l'inclinaison d'une ligne en arc rampant, d'un dôme, &c. ou le revers d'une feuille de chapiteau. (P)


COURCAILLETS. m. (Chasse) C'est le cri que font les cailles ; c'est aussi un petit sifflet qui imite le cri des cailles, & qui sert d'appeau pour les imiter : il est fait d'un morceau de cuir ou de peau qui forme un petit sachet rond, fermé par un des bouts, qu'on remplit de crin, qui se plisse, s'étend, se resserre, & fait resonner le sifflet qui est à l'autre bout.


COURCES. m. (Oecon. rustiq.) est le bois qu'on laisse à la taille de la vigne.


COURCIVES. f. (Marine) C'est un demi-pont que l'on fait de l'avant à l'arriere de chaque côté, à certains petits bâtimens qui ne sont pas pontés. Dans d'autres les courcives sont des serre-gouttieres ou pieces de bois qui font le tour du vaisseau en-dedans, & qui lui servent de liaison. Voyez COULOIRS. (Z)


COURÇONen termes de Fondeur, est une piece de fer longue qui se couche tout du long des moules des pieces de canon, & qui sert à les bander & serrer.

COURÇON, terme de Riviere, est un pieu qui reste dans les rivieres, de quelques ouvrages ou batardeaux qu'on y a faits, & qui blesse quelquefois les bateaux.

On se sert aussi de ce mot pour exprimer un bois qui n'a pas la longueur marquée par l'ordonnance.


COUREAUS. m. terme de Riviere, c'est un petit bateau de la riviere de Garonne, qui sert à charger les grands bateaux. (Z)


COURÉECOUROI, COURRET, s. m. (Marine) c'est une composition de suif, d'huile, de soufre, de résine ou brai, & de verre brisé ou pilé, dont on enduit le fond des vaisseaux par-dessous, afin de conserver le bordage, & le garantir des vers qui s'engendrent dans le bois, & le criblent ; ce que l'on fait sur-tout aux vaisseaux que l'on destine pour les voyages de long cours.

On dit donner la courée au navire, lorsqu'on enduit toute la partie qui est sous l'eau avec la courée. (Z)


COURESSES. f. (Hist. nat.) La couresse, ainsi nommée aux Antilles, est une couleuvre qui n'excede guere la longueur de trois à quatre piés ; elle est menue, mouchetée, vive, ne faisant point de mal. Les Negres prétendent qu'elle détruit les rats & les insectes, aussi la laissent-ils venir dans leurs cazes. Art. de M. LE ROMAIN.


COUREURS. m. (Gram.) en général, homme léger à la course.

COUREURS, (Art milit.) cavaliers détachés pour battre l'estrade & reconnoître l'ennemi. On le dit aussi de ceux qui s'échappent du camp, ou qui s'écartent dans les marches pour aller en maraude.

COUREUR, domestique gagé par un grand seigneur pour le précéder quand il sort, & exécuter ses ordres avec promtitude. Les coureurs sont en veste, ont un bonnet particulier, une chaussure légere, & un gros bâton ferré par le bout : l'usage nous en est venu d'Italie.

COUREUR DE VIN, officier qui porte à la suite du Roi, à la chasse & ailleurs, du vin, de l'eau, & de quoi se rafraîchir.

COUREUR, (Manege) On appelle ainsi un cheval qui a la queue & une partie des crins coupés, & qui est propre pour la course, & particulierement pour la chasse & la bague.

Coureur de bague, cheval propre à courir la bague. Voyez BAGUE. (V)

COUREURS DE BOIS, (Comm.) habitans de Canada qui vont trafiquer de pelleterie avec les Sauvages les plus éloignés, en suivant les lacs dans des canots.


COURGES. f. (Jardin) cucurbita. Il y a trois especes de courges ; la premiere est appellée cucurbita longa ; la seconde, cucurbita latior ; la troisieme, cucurbita minor. Cette plante pousse plusieurs sarmens aussi rampans que ceux de la citrouille, qui s'attachent par les mains à des perches ; ses feuilles sont grandes & crenelées en quelques endroits ; ses fleurs sont des cloches blanches, velues & découpées en cinq parties. Après cette fleur vient un fruit cylindrique qui a trois ou quatre piés de long, & gros à proportion ; il renferme des semences couvertes d'une écorce dure, où l'on trouve une amande blanche & agréable au goût, c'est une des quatre semences froides.

Ces trois especes ne different que par le fruit, qui est souvent semblable à une bouteille qui a le cou étroit. (K)

COURGE ou CALEBASSE, (Matiere med. & diet.) La chair ou pulpe de la courge est très-aqueuse, mais cependant un peu nourrissante ; elle éteint la soif ; elle est propre par conséquent dans les ardeurs d'entrailles, & dans les constipations qui dépendent de cette cause ; elle relâche les premieres voies, & est bientôt évacuée par les selles. On ne la mange point crûe, à cause de son goût fade & insipide ; mais elle est fort en usage dans plusieurs pays, comme dans les provinces méridionales du royaume, apprêtée de différentes façons : on l'employe sur-tout dans les potages, comme tant d'autres légumes. Voyez LEGUMES.

Les Medecins ordonnent aussi communément dans ces contrées, par exemple, à Montpellier, l'eau de courge, qui n'est autre chose qu'une légere décoction & expression de leur chair, dans la vûe de rafraîchir & de tempérer, & presque dans les mêmes cas où l'on employe à Paris l'eau de poulet, l'eau de veau, le petit-lait, &c. cependant beaucoup moins fréquemment, parce que cette indication de rafraîchir ou de tempérer se présente bien plus rarement dans la pratique des premiers.

La semence de courge, qui est émulsive, est une des quatre grandes semences froides. (b)

COURGE, en bâtiment, est une espece de corbeau de pierre ou de fer, qui porte le faux manteau d'une cheminée.

Courge de bâtiment, est un bâton d'environ trois piés de long, un peu courbé, avec deux hoches aux deux bouts, pour tenir les anses de deux seaux & les porter en équilibre sur l'épaule. (P)


COURIERS. m. (Hist. anc. & mod.) postillon dont la fonction & profession est de courir la poste, & de porter des dépêches en diligence. Voyez POSTES.

L'antiquité a eu aussi ses couriers ; elle en a eu de deux sortes : des couriers à pié, que les Grecs appelloient hemerodromi, c'est-à-dire couriers d'un jour. Pline, Cornélius Népos & César parlent de quelques-uns de ces couriers, qui avoient fait vingt, trente & trente-six lieues & demie en un jour, & jusqu'à la valeur même de quarante dans le cirque pour remporter le prix ; des couriers à cheval, qui changeoient de chevaux comme on fait aujourd'hui.

Xénophon attribue l'usage des premiers couriers à Cyrus ; Hérodote dit qu'il étoit ordinaire chez les Perses, & qu'il n'y a rien dans le monde de plus vîte que ces sortes de messagers.

Cyrus, dit Xénophon, examina ce qu'un cheval pouvoit faire de chemin par jour, & à chaque journée de cheval il fit bâtir des écuries, y mit des chevaux, & des gens pour en avoir soin. Il y avoit aussi dans chacune de ces postes un homme qui, quand il arrivoit un courier, prenoit le paquet qu'il apportoit, montoit sur un cheval frais ; & tandis que le premier se reposoit avec son cheval, il alloit porter les dépêches à une journée de-là, où il trouvoit un nouveau cavalier qu'il en chargeoit, & ainsi de même jusqu'à la cour.

Il n'est pas sûr que les Grecs ni les Romains ayent eu de ces sortes de postes reglées avant Auguste, qui fut le premier qui les établit ; mais on couroit en char. On courut ensuite à cheval, comme il paroît par Socrate.

Sous l'empire d'Occident on appelloit les couriers viatores ; & sous les empereurs de Constantinople, cursores, d'où est venu leur nom. Chambers. (G)

On voit encore que sous Dioclétien il y avoit des relais établis de distance en distance. Lorsque Constantin eut appris la mort de son pere Constance qui gouvernoit les Gaules & les îles Britanniques, il prit secrettement & nuitamment la poste pour lui venir succéder dans les Gaules ; & dans chaque relais où il arrivoit, il faisoit couper le jarret des chevaux qu'il y laissoit, afin qu'on fût hors d'état de le suivre & de l'arrêter, comme on en eut le dessein le lendemain matin, mais il n'étoit plus tems. Après la décadence de l'Empire, les postes furent négligées en occident, & le rétablissement en est dû à l'université de Paris, laquelle, pour le besoin des écoliers, établit des couriers ou messageries en France ; & l'an 1462 le roi Louis XI. établit les couriers & les postes dans toute la France. Cependant l'université de Paris conservoit toûjours son droit sur les couriers & messageries. Après bien des contestations, on en est venu en 1719 à un accommodement, qui est que l'université auroit pour sa part & portion dans la ferme des postes, le vingt-huitieme de l'adjudication annuelle. Sur quoi voyez ce qui sera dit ci-après au mot MESSAGERIES.

Cet établissement des couriers a passé ensuite dans les autres états, où il est regardé, ainsi qu'en France, comme un droit du souverain. L'empereur d'Allemagne établit en titre d'office un grand-maître des postes & couriers de l'empire ; cependant plusieurs princes de l'empire croient pouvoir user pareillement de ce droit. (a)

On appelle couriers du cabinet ceux qui portent les dépêches du roi en son conseil.

COURIER, (Jurisprud.) correarius ou conrearius, étoit le procureur ou intendant d'un évêque, abbé, prieur, ou communauté ecclésiastique. On appelle encore courier, chez les Chartreux, celui qui fait la fonction de procureur dans la maison. Le courier des évêques ou autres ecclésiastiques faisoit quelquefois les fonctions de juge, ou celles de procureur fiscal. On voit dans une sentence arbitrale, rendue en 1294 par Raymond des Baux prince d'Orange, entre l'évêque de Die & les habitans de la même ville, que le courier y avoit une jurisdiction réglée ; que le chapitre de Die avoit aussi un courier, dont la jurisdiction ne s'étendoit que sur ceux du même corps & sur leurs domestiques, au lieu que celui de l'évêque rendoit la justice aux étrangers aussi-bien qu'aux habitans de la ville, & connoissoit de toutes sortes d'affaires.

L'archevêque de Vienne, comme abbé de S. Bernard de Romans, avoit aussi un courier qui exerçoit sa justice dans la ville ; cela résulte d'une sentence arbitrale de 1294, par laquelle il paroit que cet officier avoit la police & la correction des moeurs ; qu'il pouvoit reprimer la licence & les desordres, comme la prostitution des femmes mariées.

Le courier que ce même archevêque avoit à Vienne, n'avoit presque d'autre fonction que de tenir la main à l'exécution des jugemens, & à la punition des criminels qui étoient condamnés ; il prenoit quelquefois aussi le titre de vice-gérent ou lieutenant.

Lors du procès que l'archevêque de Vienne eut en 1339 contre le dauphin Humbert, il prétendoit que son courier pouvoit en outre informer de toutes sortes de crimes & de malversations, faire emprisonner les accusés, établir des gardes pour la sûreté de la ville, avoir inspection sur la police de la ville, & plusieurs autres droits.

A Grenoble, le courier de l'évêque avoit droit de convoquer l'arriere-ban & les milices, faire mettre les habitans sous les armes au nom de l'évêque ; c'est ce qui paroît par une assignation donnée au crieur public, pour comparoître en jugement au sujet d'une proclamation faite par ordre du courier de l'évêque, dans laquelle il avoit excédé les limites de la jurisdiction, & entrepris sur celle du dauphin.

Il est parlé de ces couriers & de leur jurisdiction, dans une ordonnance du roi Jean du mois d'Octobre 1358. Voyez l'histoire de Dauphiné, par M. de Valbonay. (A)


COURIRen terme de Marine, c'est faire route : on dit courir au nord, courir au sud, pour signifier faire route au nord ou au sud.

Quand on apperçoit à la mer un vaisseau qu'on dit courir à l'est ou à l'ouest, c'est dire qu'il fait route vers l'est ou vers l'ouest. Si l'on dit qu'il court à l'autre bord ; il faut entendre qu'il fait une route contraire à celle que tient celui qui le voit.

Courir une bordée, (Marine) c'est faire route sur un côté, jusqu'à ce qu'on revire pour courir de l'autre côté.

Courir sur la terre, (Marine) c'est lorsqu'on voit une terre, ou qu'on estime n'en être pas éloigné, on fait route pour s'en approcher.

Courir terre à terre, (Marine) c'est naviger le long de la côte ; ranger la côté.

Courir le bon bord, (Marine) c'est une façon de parler de corsaires, pour dire qu'il ne faut attaquer que des vaisseaux marchands, dont la prise peut être bonne & avantageuse.

Courir, la côte court, (Marine) on se sert de ce mot pour signifier que les terres s'étendent & regnent suivant un certain gissement, ou selon tel air de vent.

Lorsqu'on dit qu'une chaîne de roche ou qu'un banc de sable court au sud-ouest deux lieues, c'est dire qu'il s'étend à cette distance sur cet air de vent.

Fais courir, (Marine) terme de commandement qu'on fait au timonier, pour qu'il fasse porter plein les voiles, ou qu'il n'aille pas au plus près du vent.

Courir sur son ancre, (Marine) c'est lorsque le vaisseau est porté ou chassé par le vent ou le courant de la mer, du côté où son ancre est mouillée. (Z)

COURIR, (Jurisprud.) a dans cette matiere plusieurs significations.

On dit, par exemple, qu'une procédure empêche la peremption ou la prescription de courir.

Il faut une demande expresse pour faire courir les intérêts.

On dit aussi courir un bénéfice, pour dire envoyer à Rome pour l'obtenir. Voyez COURSE & COURSE AMBITIEUSE. (A)

COURIR, dans le Commerce, a diverses significations.

On dit que les intérêts d'une somme commencent à courir, quand ils commencent à être dûs. Les intérêts des sommes dûes pour marchandises, ne courent que du jour que la demande a été faite en justice par le créancier, & qu'il est intervenu un jugement qui y condamne le débiteur.

Courir sur le marché d'autrui, c'est vouloir avoir une marchandise dont un autre est en marché, en enchérissant sur lui, ou en offrant de meilleures conditions.

Courir franc, terme de négoce d'argent, qui se dit lorsque les agens de banque ne prennent rien pour leur salaire des lettres-de-change qu'ils font fournir pour de l'argent comptant. Dictionn. de Comm. (G)

COURIR, (Manége) c'est faire galoper un cheval de toute sa force. Trop courir un cheval, c'est l'outrer, le faire courir trop vîte & trop longtems. Courir à toutes jambes ou à tombeau ouvert, c'est faire courir son cheval tant qu'il peut. (V)

COURIR, v. neut. terme d'ourdissage ; il se dit d'un fil de laine, de soie, de fil, lorsqu'il fournit beaucoup d'étoffe ou d'ouvrage. Il court d'autant plus, qu'il est plus fin.

COURIR, se dit aussi en Géographie. Cette suite de montagnes, dit-on, court est-ouest, pour dire qu'elle est dirigée de l'est à l'ouest ; cette côte court entre l'ouest & l'ouest-sud-ouest, pour dire que sa direction est entre l'ouest & l'ouest-sud-ouest, &c. & ainsi des autres. (O)


COURLIEUVoyez CORLIEU.


COURLISVoyez CORLIEU.


COURMONTERAL(Géog. mod.) petite ville de France, au bas Languedoc, près de Montpellier.


COURONDIS. m. (Hist. nat. bot. exot.) grand arbre, toûjours verd, qui croît aux environs de Paracaro & dans les Indes orientales. Belle description !


COURONNES. f. en Géométrie, est un plan terminé ou enfermé par deux circonférences paralleles de cercles inégaux, ayant un même centre, & qu'à cause de cela on appelle cercles concentriques. On a la surface de la couronne, en multipliant sa largeur par la longueur de la circonférence moyenne arithmétique entre les deux circonférences qui la terminent, c'est-à-dire que si l'on veut mesurer la couronne dont la largeur est A B, (fig. 11. Géom.) & qui est terminée par les cercles dont les rayons sont C A & C B, il faut prendre le produit de la largeur A B & de la circonférence décrite du centre C par le point de milieu D de la largeur A B. La démonstration en est bien simple ; soit a le rayon du grand cercle, c sa circonférence, c a /2 sera son aire ; soit r le rayon du petit cercle, c a /2 x r r/a a ou c r r /2 a sera son aire ; donc la différence des deux aires, c'est-à-dire la surface de la couronne = (c a)/2 - c r r/2a = (a - r) x c /2 x (a + r)/a. Or A B = a - r, & la circonférence dont le rayon est C D, a pour expression c/a x (r + (a - r)/2) = c ((a + r) /2 a). Donc, &c. (O)

COURONNE BOREALE, en Astronomie, est une constellation de l'hémisphere septentrional, où il y a 8 étoiles selon le catalogue de Ptolomée, autant dans celui de Tychobrahé, & 21 selon le catalogue Britannique, &c. (O)

COURONNE MERIDIONALE, (Astronomie) constellation de l'hémisphere méridional, composée de 13 étoiles. (O)

COURONNES DE COULEURS, (Physique) ou anneaux colorés qu'on voit autour des astres ; on les appellent autrement & plus communément halos. Voy. HALO. (O)

COURONNE IMPERIALE, (Hist. nat. bot.) corona imperialis, genre de plante dont les fleurs sont disposées, pour ainsi dire, en couronne surmontée d'un bouquet de feuilles, ce qui a fait donner le nom de couronne impériale à cette plante. Chaque fleur est liliacée & faite, pour ainsi dire, en forme de cloche, & composée de six pétales ; le pistil qui occupe le milieu de la fleur devient dans la suite un fruit garni d'ailes longitudinales, & divisé en trois loges, & il renferme des semences applaties, placées les unes sur les autres. Ajoutez au caractere de ce genre, que la racine est composée de tuniques, & fibreuse dans sa partie inférieure. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

COURONNE IMPERIALE, (Matiere med.) Toutes les parties de cette plante sont vénéneuses, mais surtout sa racine, qui est un bulbe ou oignon, qui, selon Wepfer, pris intérieurement, produit les mêmes effets que la ciguë. Voyez CIGUE.

Cette racine est estimée résolutive : elle entre dans l'emplâtre diabotanum de Blondel.

COURONNE, s. f. (Hist. anc. & mod.) marque de dignité, ornement que les rois & les grands mettent sur leur tête pour marquer leur pouvoir, & qu'on regarde aussi comme un symbole de victoire, de joie. Voyez ROI.

L'antiquité la plus réculée ne défera les couronnes qu'à la divinité. Bacchus, si l'on en croit Pline, s'en para le premier après la conquête des Indes. Pherecydes, cité par Tertullien, de coronâ, rapporte l'origine des couronnes à Saturne ; Diodore l'attribue à Jupiter après sa victoire sur les Titans ; Fabius Pictor à Janus, & dit que cet ancien roi d'Italie s'en servit le premier dans les sacrifices. Léon l'Egyptien assûre qu'Isis se couronna la premiere d'épis de blé, parce qu'elle avoit appris aux hommes l'art de le semer & de le cultiver.

La plûpart des auteurs conviennent que la couronne étoit dans son origine, plutôt un ornement du sacerdoce que de la royauté ; les souverains la prirent ensuite, parce qu'alors ces deux dignités, du sacerdoce & de l'empire, étoient réunies.

Les premieres couronnes n'étoient qu'une bandelette nommée diadème, dont on se ceignoit la tête, & qu'on lioit par-derriere, comme on le voit aux têtes de Jupiter, des Ptolomées, & des rois de Syrie, sur les médailles.

Quelquefois on les faisoit de deux bandelettes, ensuite on prit des rameaux de différens arbres, auxquels on ajoûta des fleurs.

Tertullien, de coronâ, écrit que selon Claudius Saturninus il n'y avoit aucune plante dont on n'eût fait des couronnes. Celle de Jupiter étoit de fleurs, elle est souvent de laurier sur les médailles. Celle de Junon, de vigne ; celle de Bacchus, de pampre & de raisin, de branches de lierre chargées de fleurs & de fruits ; celles de Castor, de Pollux & des fleuves, de roseaux ; celle d'Apollon, de roseaux ou de laurier ; celle de Saturne, de figues nouvelles ; celle d'Hercule, de peuplier ; celle de Pan, de pin ou d'hyeble ; celle de Lucine, de dictame ; celles des heures, des fruits propres à chaque saison ; celles des graces, de branches d'olivier, aussi-bien que celle de Minerve ; celle de Venus, de roses ; celle de Cerès, d'épis aussi-bien que celle d'Isis ; celles des Lares, de noyer ou de romarin, en quoi l'on suivoit l'opinion commune dans le paganisme, que ces arbres ou plantes étoient particulierement consacrés à ces divinités. Voyez GUIRLANDE.

Non-seulement les couronnes furent employées pour décorer les statues & désigner les images des dieux, pour les prêtres dans les sacrifices, pour marquer l'autorité dans les prêtres & les souverains, mais on couronnoit encore les autels, les temples, les portes des maisons, les vases sacrés, les victimes, les navires, &c. On couronnoit aussi les poëtes, ceux qui remportoient la victoire dans des jeux solemnels, les gens de guerre qui se distinguoient par quelque exploit. Voyez OLYMPIQUES.

Quelques auteurs concluent de certains passages d'Eusebe de Césarée, que les évêques portoient autrefois des couronnes.

On trouve sur les médailles quatre sortes de couronnes propres aux empereurs Romains ; 1°. une couronne de laurier ; 2°. une couronne rayonnée ; 3°. une couronne ornée de perles, & quelquefois de pierreries ; 4°. une espece de bonnet à-peu-près semblable à un mortier ou bonnet, tel que les princes de l'empire le mettent sur leur écu.

Jules César obtint la permission du sénat de porter la premiere, à cause, dit-on, qu'il étoit chauve, ses successeurs l'imiterent. La couronne radiale n'étoit accordée aux princes qu'après leur mort ; mais Néron la prit de son vivant. On les voit sur les médailles avec la couronne perlée ; mais Justinien est le premier qui ait porté celle de la quatrieme espece, que Ducange nomme camelancium, & qu'on a confondu avec le mantelet, qu'on appelle camail, à cause de la ressemblance de ce mot, quoique l'un soit fait pour couvrir les épaules, & l'autre pour couvrir la tête.

La couronne papale est composée d'une tiare & d'une triple couronne qui l'environne ; elle a deux pendans, comme la mitre des évêques. Voyez TIARE & PAPE.

La couronne impériale est un bonnet ou tiare avec un demi-cercle d'or qui porte la figure du monde, cintré & sommé d'une croix.

La couronne du roi d'Angleterre est rehaussée de quatre croix, de la façon de celle de Malte, entre lesquelles il y a quatre fleurs-de-lis ; elle est couverte de quatre diadèmes, qui aboutissent à un petit globe surmonté d'une croix.

Celle du roi de France est un cercle de huit fleurs-de-lis, cintré de six diadèmes qui le ferment, & qui portent au-dessus une double fleur-de-lis qui est le cimier de France. Quelques-uns prétendent que Charles VIII. est le premier qui ait pris la couronne fermée, lorsqu'il eut pris la qualité d'empereur d'Orient, en 1495 ; cependant l'on voit dans les cabinets des curieux, des écus d'or & autres monnoies du roi Louis XII. successeur de Charles VIII. où la couronne n'est point fermée. Il paroît donc qu'on pourra rapporter cet usage à François I. qui ne vouloit céder en rien à Charles-Quint & à Henri VIII. qui avoient pris la couronne fermée.

Celles des rois de Portugal, de Danemark, & de Suede, ont des fleurons sur le cercle, & sont fermées de cintres avec un globe croisé sur le haut. La couronne des ducs de Savoie, comme rois de Chypre, avoit des fleurons sur le cercle, étoit fermée de cintres, & surmontée de la croix de S. Maurice sur le bouton d'en-haut : celle du grand duc de Toscane est ouverte, à pointes mêlées de grands treffles sur d'autres pointes, avec la fleur-de-lis de Florence au milieu.

Celle du roi d'Espagne est rehaussée de grands treffles refendus, que l'on appelle souvent hauts fleurons, & couverte de diadèmes aboutissans à un globe surmonté d'une croix.

La noblesse sur ses armoiries porte aussi des couronnes, qu'on appelle couronnes de casques ou couronnes d'écussons. Elles sont de différentes formes, selon les divers degrés de noblesse ou d'illustration. On en distingue de cinq sortes principales : 1°. la couronne ducale, toute de fleurons à fleurs d'ache ou de persil : 2°. la couronne de marquis, qui est de fleurons & de perles mêlées alternativement : 3°. celle de comte, composée de perles sur un cercle d'or : 4°. celle de vicomte est aussi un cercle, avec neuf perles entassées de trois en trois : 5°. celle de baron, qui est une espece de bonnet avec un collier de perles en bandes.

Mais tout cela varie & pour la forme des fleurons & pour le nombre des perles, suivant les différentes nations ; & même, à l'exception des couronnes des ducs & pairs, les autres sont ordinairement au choix de ceux qui les mettent sur le timbre de leurs armes. A Venise, les nobles ne mettent aucune couronne sur leurs armes ; celles du doge seul sont surmontées du bonnet ducal : à Genes, les vingt-huit familles principales portent sur leurs armoiries la couronne ducale : à Rome, nul cardinal, quoique prince, n'en met aucune sur son écusson. Au reste, toutes ces couronnes de la noblesse sont ouvertes, même celles des princes du sang en France, qui sont composées d'un cercle d'or surmonté de fleurs-de-lis. Le dauphin portoit autrefois une couronne rehaussée de fleurs-de-lis, & fermée de deux cercles en croix avec une fleur-de-lis au sommet : maintenant elle est fermée par quatre dauphins, dont les queues aboutissent à un bouton qui soûtient la fleur-de-lis à quatre angles.

Les Romains avoient diverses couronnes pour récompenser les exploits militaires. La couronne ovale qui étoit la premiere, étoit faite de myrthe ; on la donnoit aux généraux qui avoient vaincu des esclaves ou d'autres ennemis, peu dignes d'exercer la valeur romaine, & à qui on décernoit les honneurs du petit triomphe appellé ovation. Voyez OVATION.

La seconde étoit la navale ou rostrale, qui étoit un cercle d'or relevé de proues & de poupes de navires, qu'on donnoit au capitaine ou soldat, qui le premier avoit accroché ou sauté dans un vaisseau ennemi. Voyez ROSTRAL & NAVAL.

La troisieme nommée vallaire ou castrense, étoit aussi un cercle d'or relevé de paux ou pieux, que le général donnoit au capitaine ou soldat qui avoit franchi le premier le camp ennemi, & forcé la palissade.

La quatrieme appellée murale, étoit un cercle d'or surmonté de creneaux ; elle étoit le prix de la bravoure de celui qui avoit monté le premier sur la muraille d'une ville assiégée, & y avoit arboré l'étendart : c'est aussi sur les médailles l'ornement des génies & des déités qui protégeoient les villes, & en particulier de Cybele.

La cinquieme appellée civique, faite d'une branche de chêne verd, s'accordoit à un citoyen qui avoit sauvé la vie à un autre citoyen dans une bataille ou un assaut. Voyez CIVIQUE.

La sixieme étoit la triomphale, faite de branches de laurier ; on l'accordoit au général qui avoit donné quelque bataille ou conquis quelque province : mais l'an 569 de Rome, le consul Claudius Pulcher introduisit l'usage de dorer le cercle de la couronne ; bientôt elles furent converties en or massif. Les Grecs en décernerent une à T. Quintius Flaminius. Voyez TRIOMPHE.

La septieme étoit l'obsidionale ou graminée, parce qu'elle se faisoit de gramen, ou des herbes qui se trouvoient dans la ville ou le camp assiégé ; elle étoit décernée aux généraux qui avoient délivré une armée ou une ville romaine assiégée des ennemis, & qui les avoient obligés à décamper.

La huitieme étoit aussi une couronne de laurier, que les Grecs donnoient aux athletes, & les Romains à ceux qui avoient ménagé ou confirmé la paix avec les ennemis : c'étoit la moins estimée. C'est une chose digne de remarque, que chez les Romains, qui connoissoient, dit-on, la véritable gloire, celle d'avoir donné la paix à son pays, fût la moindre de toutes.

Chez les Romains on donnoit encore une couronne ou bandelette de laine aux gladiateurs qu'on mettoit en liberté. Tout le monde sait que les anciens, dans les sacrifices, se couronnoient d'ache, d'olivier, de laurier ; qu'ils portoient dans leurs festins & autres parties de plaisir, des chapeaux de lierre, de myrthe, de roses, &c. mais que dans les funérailles ils ne portoient que des couronnes de ciprès.

Le P. Daniel dit que S. Louis dégagea à ses frais la couronne d'épines de N. S. qui avoit été engagée par Baudouin, empereur de Constantinople, pour une très-grosse somme d'argent, & qu'il la fit transporter en France avec beaucoup de pompe & de cérémonie. On la garde encore aujourd'hui dans la Sainte-Chapelle. L'auteur de l'histoire de S. Louis assûre qu'elle subsistoit de son tems, & que les épines en étoient toûjours vertes. Quelques auteurs après Clément Alexandrin, prétendent qu'elle étoit de ronce, ex rubo ; d'autres, qu'elle étoit de nerprun, ex rhamno ; d'autres, d'épine blanche ; & d'autres, de jonc marin.

On prétend que ce mot couronne vient de corne, parce que les couronnes anciennes étoient en pointe, & que les cornes étoient des marques de puissance, de dignité, de force, d'autorité, & d'empire ; & dans la sainte Ecriture, les mots de cornu & cornua sont souvent pris pour la dignité royale : delà vient que corne & couronne en hébreu sont expliqués par le même mot. Charles Paschal a donné un traité particulier des couronnes. Baudelot, dans son histoire de Ptolomée Auletes, a fait beaucoup de remarques qui avoient échappé à Pascal. Nous avons de M. Ducange une savante & curieuse dissertation sur les couronnes de nos rois ; & d'un Allemand nommé Shmeizelle, un traité sur les couronnes royales tant anciennes que modernes.

Couronne se dit aussi de la tonsure cléricale, qui est la marque & le caractere des ecclésiastiques. Voyez TONSURE. C'est un petit rond de cheveux qu'on rase au sommet de la tête, & qui est plus ou moins grand, selon la qualité des ordres qu'on a reçus : celle des clercs est la plus petite, celle des prêtres & des moines est la plus grande. Voyez ORDRE.

La couronne cléricale n'étoit autrefois qu'un tour de cheveux qui représentoit véritablement une couronne : on le remarque aisément dans plusieurs statues & autres monumens anciens. Quelques religieux la portent encore ainsi, comme ceux de saint Dominique & de saint François. Chambers & Trév.

COURONNE, (Hist. mod. ordre de la couronne royale, ou ordre de la couronne, ou les chevaliers Frisons ou de Frise ; il y en a qui prétendent que cette institution est imaginaire ; d'autres la datent de l'an 802, & disent que les chevaliers portoient une couronne en broderie d'or sur un habit blanc.

Ordre de la couronne (autre), institué par Enguerrand VII. sire de Couci & comte de Soissons. On a plusieurs monumens de sa réalité, mais aucun de ses statuts.

COURONNE, en termes d'Architecture, est le plus fort membre quarré d'une corniche à qui on a donné ce nom, parce qu'il couronne non-seulement la corniche, mais encore l'entablement & l'ordre entier.

Les François l'appellent larmier, & nos ouvriers gouttiere ; parce que sa grande saillie garantit l'édifice des injures de la pluie. Voyez LARMIER.

Il y en a d'autres qui l'appellent corniche, parce qu'il en forme le principal membre. Vitruve employe souvent le mot corona, pour désigner toute la corniche. Voyez CORNICHE. (P)

COURONNE, (ouvrage à) Voyez OUVRAGE A COURONNE.

COURONNE, en Musique, autrement POINT DE REPOS, est une espece de C renversé avec un point dans le milieu, qui se fait ainsi . Quand il est dans toutes les parties sur la note correspondante, c'est la marque d'un repos général : on doit arrêter-là la mesure, & souvent même on peut, si l'on veut, finir par cette note. Ordinairement la partie principale fait quelque passage à sa volonté, que les Italiens appellent cadenza, sur l'harmonie de cette note, pendant que toutes les autres s'arrêtent sur le son qui leur est marqué : mais si la couronne est sur la note finale d'une seule partie, alors on l'appelle en françois point d'orgue, & elle marque qu'il faut continuer le son de cette note, jusqu'à ce que les autres parties soient arrivées à leur conclusion naturelle. On s'en sert aussi dans les canons, pour marquer l'endroit où toutes les parties peuvent s'arrêter quand on veut finir. V. REPOS, CANON, POINT D'ORGUE. (S)

COURONNE, (Comm.) monnoie d'argent d'Angleterre, au titre de dix deniers vingt-un grains, vaut cinq livres quinze sous onze deniers de France ; il y a des demi-couronnes, des quarts.

COURONNE, (Comm.) monnoie d'argent de Danemark ; qui vaut trente-trois sous lubs d'Hambourg, le sou lubs évalué à un denier un cinquieme, argent de France ; ce qui fait 39 den. & 3/5, ou 3 sous 3 den. & 3/5.

COURONNE, (Fauconnerie) c'est le duvet qui est autour du bec de l'oiseau, à l'endroit où il se joint à la tête.

COURONNE, (greffer en) Jard. voyez GREFFER.

COURONNE, (Maréchall.) c'est la partie la plus basse du paturon du cheval, qui regne le long du sabot, se distingue par le poil, joint & couvre le haut du sabot. Atteinte à la couronne ; crapaudine à la couronne. Voyez ATTEINTE & CRAPAUDINE.

Couronne est aussi une marque qui demeure à un cheval, qui s'est si fort blessé au genou par chûte ou autrement, que le poil en est tombé. Trév. (V)

COURONNE ou CORONAIRE, partie du moulin à tordre le fil & à ovaler la soie. Voyez MOULIN & OVALE.

COURONNE, terme de Couverturier, marques qui se font à l'aiguille aux quatre coins des couvertures. Ce nom leur vient de leur figure. Les couronnes sont le dernier travail de la couverture.

COURONNE, (Rubanier) est une piece de l'ourdissoir rond, assez ressemblante à une petite table ronde à trois piés : ces trois piés sont disposés de façon qu'ils en supposent un quatrieme, qui n'y est cependant pas. On va voir pourquoi il manque : comme il faut que l'extrémité de ces piés entre dans les trous des traverses de la lanterne, le quatrieme pié y nuiroit s'il y étoit, puisqu'il empêcheroit le passage de la corde du blin. La couronne a un trou au centre de sa petite table, où entre le bout de la broche de l'arbre du moulin : par ce moyen cet arbre est fixé, & ne peut varier d'aucun côté ; ce qui fait que l'ourdissoir tourne parfaitement rond, ce qui est d'une nécessité absolue.

COURONNE, terme de Tourneur, piece qui s'ajuste à l'extrémité de l'arbre du tour figuré, & qui par ses creux & ses reliefs, fait avancer & reculer cet arbre selon sa longueur, par le moyen d'un ressort ; ensorte que l'outil creuse plus ou moins la piece que l'on tourne, & forme sur cette même piece des creux ou des reliefs dépendans de ceux de la couronne : celle-ci fait dans le sens de la longueur de l'axe du tour, à-peu-près les mêmes effets que la piece appellée rosette produit dans le sens perpendiculaire à l'axe. Voyez TOUR FIGURE, ROSETTE. Article de M. DE LA CONDAMINE.

COURONNE, (Verrerie) calotte ou voûte ; partie du fourneau de verrerie. Voyez VERRERIE.


COURONNÉadj. (Jard.) en fait d'arbres veut dire mort & desséché ; ce qui ne se dit ordinairement que de la cime d'un arbre : ces chênes sont couronnés.

Une fleur peut être couronnée, quand elle est chargée à son sommet d'une couronne : tel est le martagon, la couronne impériale, &c. (K)

COURONNE, adj. (Maréchall.) on appelle cheval couronné, celui qui s'est emporté la peau des genoux en tombant, de maniere que la marque y reste.

Les chevaux couronnés ne sont pas de vente, parce qu'on les soupçonne d'être sujets à tomber sur les genoux. (V)

COURONNE ; en termes de Blason, se dit des lions, des casques, & des autres choses qui ont une couronne. V. le P. Menet. & le Dict. de Trév.

Bournonville en Flandres ; de sable au lion d'argent, couronné d'or, armé & lampassé de même, la queue fourchue & passée en sautoir. (V)

* COURONNEES, (stances) Belles-Lettres ; une stance est couronnée, lorsque les mots qui forment la derniere ou les deux dernieres syllabes de chaque vers, sont exactement la derniere ou les deux dernieres syllabes des mots qui les précedent. Exemple : La blanche colombelle, belle, &c.


COURONNEMENTS. m. (Hist. mod.) cérémonie dans laquelle on place la couronne sur les têtes des souverains.

COURONNEMENT, terme d'Architecture, ouvrage de sculpture & d'architecture, servant à exhausser quelqu'avant corps qui doit prééminer dans l'ordonnance d'un bâtiment, connu sous le nom d'amortissement. Voyez AMORTISSEMENT. Plusieurs auteurs anciens ont appellé l'entablement couronnement, parce que cette partie dans l'Architecture est considérée comme le couronnement de l'ordre, quoiqu'il soit lui-même le plus souvent surmonté d'une balustrade ou d'un attique. (P)

COURONNEMENT DU CHEMIN COUVERT, Art milit. est dans l'attaque des places, le logement qu'on fait sur le haut des glacis, qui enferme ou couronne toutes les branches du chemin couvert du front de l'attaque. (Q)

COURONNEMENT, (Marine) c'est la partie du haut de la poupe, qui est un ornement de menuiserie & de sculpture pour l'embellissement de l'arriere. Voyez, Mar. Pl. III. fig. le dessein de la poupe d'un vaisseau, où le couronnement est coté N : ce qui suffit pour faire connoître cette partie. (Z)

* COURONNEMENT, (Chirurgie) Il n'y a point de partie du corps humain qui s'appelle ainsi ; c'est une position de l'enfant, lorsqu'il est sur le point de venir au monde, dans laquelle l'orifice de la matrice lui embrasse la tête.


COUROUS. m. (Comm.) monnoie de compte en Perse. Le courou de roupies vaut cent mille laixs de roupies & le laix cent mille roupies.


COUROU-MOELLI(Hist. nat. bot.) arbrisseau qui s'éleve à la hauteur de quatre à cinq piés, qui croît aux environs de Baypin & autres contrées sabloneuses, voisines de Cochin aux Indes orientales, & qui porte une baie acide, succulente, & agréable au goût. Description si incomplete , qu'elle nous dispense de parler des propriétés médicinales. Voyez-les dans Rai.


COUROUÇAS. m. (Hist. nat. bot.) arbre qui croît dans nos îles de l'Amérique. Il est gros, haut & droit ; il a l'écorce noire, l'aubier rouge, & le coeur d'un violet si brun, qu'il tire sur le noir de l'ébene. Son fruit est en grappe : ce sont des gousses rondes qui renferment un fruit de la même figure, moitié rouge & moitié noir, de la grosseur d'une petite prune. Les perroquets en sont friands, quand il est verd ; quand il est sec, il est trop dur.


COUROUKS. m. (Hist. mod.) en Perse se dit d'une défense que le roi ou le sophi fait à différens égards. On l'entend principalement de celle que le prince fait à ses sujets, de se trouver sur le chemin par où il doit passer avec ses femmes. Ce qui est beaucoup plus rigoureux que le chelvet du serrail : car alors il faut que tous les hommes abandonnent leurs maisons, & fuyent dans un quartier éloigné ou à la campagne ; parce qu'il y a peine irrémissible de mort, contre quiconque oseroit seulement regarder les concubines du roi. Ces courouks sont très-fréquens, & extrèmement fâcheux à Ispahan. Il y en a d'une autre espece qui ne le sont guere moins : c'est quand le roi met un courouk sur la volaille, le poisson, ou autres denrées qui sont de son goût ; on n'oseroit alors en vendre à personne, si ce n'est pour le sophi. Thevenot, voyage du Levant. (G)


COURPIERES(Géog. mod.) petite ville de France en Auvergne.


COURREv. act. (Gram.) c'est la même chose que courir : mais l'usage est de dire courre, au lieu de courir, dans les occasions suivantes. On dit, à l'égard de la chasse, courre le cerf, le sanglier ; on dit aussi courre la poste.

Courre en guides, voyez GUIDES. On couroit autrefois le faquin ou la quintaine. Voyez FAQUIN & QUINTAINE.

COURRE LA BOULINE, FAIRE COURRE LA BOULINE, (Marine) c'est lorsqu'on passe du bout du pont à l'autre, ou qu'on y fait passer quelqu'un devant l'équipage rangé des deux côtés, qui frappe avec des bouts de cordes celui qui passe. C'est un châtiment qu'on employe sur mer, & qui répond à celui de passer par les baguettes sur terre.

La sentinelle de la dunette qui aura manqué d'avertir l'officier, lorsque quelque chaloupe ou bateau aura abordé ou débordé du vaisseau, courra une fois la bouline. (Z)

COURRE, s. m. ou f. (Venerie) l'endroit où l'on place les levriers lorsqu'on chasse le loup, le sanglier, ou le renard, avec ces chiens.


COURROou COUROI, voyez COUREE.


COURROIESS. f. (Bourrelier) ce sont des bandes de cuir plus ou moins longues ou larges, dont les Selliers & les Bourreliers se servent pour attacher quelque chose à leurs ouvrages.

Les anciens François se servoient autrefois de courroies ou lanieres de cuir, enrichies de plusieurs ornemens d'or, d'argent, &c. pour se faire des ceintures : mais cet usage s'est perdu lorsqu'on a quitté les robes & habillemens longs, pour prendre les habits courts.


COURROUXCOLERE, EMPORTEMENT, voyez COLERE. Le courroux est une colere qu'on marque au-dehors ; l'emportement est l'excès du courroux. (O)


COURROYERvoyez CORROYER.


COURROYEURvoyez CORROYEUR.


COURSS. m. (Gram.) se dit des élémens & des principes d'une science, ou rédigés par écrit dans un livre, ou démontrés en public par des expériences.

C'est en ce dernier sens qu'on dit, un cours d'Anatomie, de Chimie, de Mathématiques, &c. Le mot de cours vient apparemment de ce qu'on y parcourt toutes les matieres qui appartiennent à la science qui en est l'objet.

Le cours d'une science doit contenir non-seulement toutes les parties de cette science & leurs principes, mais les détails les plus importans. Au reste, comme les principes de chaque science ne sont pas en fort grand nombre, sur-tout pour un esprit philosophique, il ne seroit peut-être pas impossible de faire un cours général de Sciences, dans lequel chaque science seroit réduite à ses principes essentiels : un tel ouvrage, s'il étoit bien fait, dispenseroit un génie inventeur de bien des lectures inutiles ; il sauroit jusqu'où les hommes ont été, & ce qu'il peut avoir à y ajoûter. Voici quel pourroit être le plan d'un tel ouvrage. On poseroit chaque principe, on le démontreroit, & on indiqueroit ensuite en peu de mots tous les usages & toutes les applications qu'on auroit fait de ce principe, en se contenant d'indiquer les auteurs qui en auroient le mieux traité ; peu-à-peu cet ouvrage pourroit en produire un plus grand : où presque toutes les connoissances humaines seroient renfermées. Je doute qu'il y ait aucune science sur laquelle il ne soit possible d'exécuter ce projet : il me le paroît du moins sur le petit nombre de celles que j'ai étudiées, entr'autres sur les différentes parties des Mathématiques ; & je pourrois tenter de l'exécuter un jour sur ces différentes parties. Je ne doute point, par exemple, que des élémens de Géométrie & de Méchanique faits dans ce goût ou sur ce plan, ne fussent un ouvrage très-utile : mais il y a beaucoup d'apparence qu'un tel ouvrage ne ressembleroit guere aux élémens ordinaires qu'on donne de ces Sciences. Voyez ÉLEMENS. (O)

COURS, est aussi le tems qu'on employe à étudier & à apprendre les principes d'une science : en ce sens on dit, qu'un écolier a fait son cours de Philosophie.

COURS D'UNE COURBE. Voyez COURBE. (O)

COURS ROYALES, COURS SOLEMNELLES, COURS COURONNEES, ou FETES ROYALES, (Hist. mod.) assemblées pompeuses que les anciens rois de France tenoient aux principales fêtes de l'année, pour se faire voir à leurs sujets, aussi-bien qu'aux étrangers, dans toute leur majesté & avec une magnificence vraiment royale.

Cette cour se tenoit aux grandes fêtes de Pâques & de Noël, & étoit fort différente des champs de Mars ou de Mai dont on a parlé. Grégoire de Tours rapporte que Chilperic fit cette cérémonie à Tours aux fêtes de Pâques. Eginhard dit que Charlemagne paroissoit dans ces solennités revêtu d'habits de drap d'or, de brodequins enrichis de perles & d'autres ornemens royaux, avec la couronne sur la tête. Les rois de la 3e race imiterent en cela leurs prédécesseurs. Le moine Helgaud raconte que le roi Robert tint des cours solemnelles aux jours de Pâques en son palais de Paris, où il fit des festins publics ; & S. Louis nonobstant sa modestie ordinaire, paroissoit dans les mêmes occasions avec tout l'appareil de la royauté, comme il fit, dit Joinville, en cette cour & maison ouverte qu'il tint à Saumur, où le roi de Navarre se trouva en cotte & mantel, avec le chapel d'or fin ; & comme en ces occasions les rois paroissoient avec la couronne en tête, on donna à ces solennités le nom de cours couronnées, curiae coronatae. Sous les rois de la seconde race, on ne les célébroit qu'à Noël & à Pâques ; mais ceux de la troisieme y ajoûterent les assemblées des fêtes de l'Epiphanie & de la Pentecôte. Elles étoient accompagnées d'un festin où le roi mangeoit en public, servi par ses grands officiers ; leur faisoit des libéralités, & faisoit jetter au peuple une grande quantité de toutes sortes de monnoies, tandis que les hérauts crioient largesse. A l'imitation de la France, Guillaume le Conquérant en introduisit l'usage en Angleterre. Eadmer, parlant du roi Henri I. les appelle les jours de la couronne du roi, parce que le souverain y paroissoit avec la couronne sur la tête. Les marches ou processions des rois avec les chevaliers de leur ordre, telle que celle des chevaliers du saint-Esprit à la Pentecôte, des chevaliers de la Jarretiere le jour de l'Epiphanie, ont succédé à ces anciennes cours royales, mais n'en ont pas conservé toute la magnificence. Chambers & Morery. (G)

COURS, (Jurispr.) a plusieurs significations. Le cours du change, c'est le taux de ce que les banquiers prennent pour droit de change, à raison de tant pour cent, pour faire tenir de l'argent d'un lieu dans un autre. Voyez CHANGE.

Cours d'eau, signifie une certaine étendue d'eau courante.

Cours des intérêts, c'est le tems pendant lequel les intérêts s'accumulent.

Cours de la place, est la même chose que cours du change.

Cours de la peremption, c'est le tems qui est compté pour acquérir la peremption.

Cours de la prescription, est le tems qui sert pour la prescription. Voyez PRESCRIPTION. (A)

COURS, terme fort usité dans le Commerce, où il a diverses significations.

Cours se dit des longs voyages qui se font par mer pour le commerce ; ainsi l'on appelle les voyages des Indes, des voyages de long cours.

Cours signifie aussi quelquefois la mesure & l'étendue d'une étoffe : cette tapisserie a vingt aulnes de cours.

Cours signifie encore le crédit ou le discrédit que les billets d'un marchand, négociant, ou banquier, ont dans le commerce. Ils ont cours lorsqu'on les trouve bons, & qu'on veut s'en charger : quand on les trouve mauvais, & que personne ne veut les accepter, ils n'ont plus de cours.

Cours se prend encore dans le même sens, pour la faveur que prennent ou perdent dans le public, suivant les circonstances, les billets introduits dans le commerce ; tels qu'ont été en France les billets de l'épargne, les billets de monnoie, de banque, &c.

Cours se dit aussi parmi les marchands de la bonne ou mauvaise vente des étoffes, des denrées. C'est la mode qui donne le cours aux étoffes nouvelles ; celles qui sont d'ancienne mode n'ont plus de cours. Chambers & Dict. du Comm.

COURS D'UNE RIVIERE, voyez RIVIERE.

COURS, en terme d'Architecture, est un rang de pierres continu, de même hauteur dans toute la longueur, d'une façade, sans être interrompu par aucune ouverture.

Cours de plinthe, c'est la continuité d'une plinthe de pierre ou de plâtre dans les murs de face, pour marquer la séparation des étages. V. PLINTHE. (P)

COURS, COURSE, CHEMIN, SILLAGE, (Mar.) ces mots sont synonymes, & s'employent pour designer la route que fait le vaisseau. Voyez COURIR, voyez aussi ROUTE & SILLAGE.

COURS, voyages de long cours, (Marine) cela se dit des voyages éloignés, & plus particulierement de ceux où l'on passe la ligne.

COURS, COURSE, FAIRE LA COURSE, ARMER EN COURSE, (Marine) c'est se mettre en mer avec un ou plusieurs vaisseaux armés en guerre, pour en tems de guerre attaquer les ennemis, & enlever les vaisseaux marchands : on dit à cet effet, armer en course. Voyez CORSAIRE. (Z)

COURS, (à la Monnoie) est le prix que le prince & l'hôtel des monnoies attachent tant aux especes répandues actuellement dans le commerce, qu'à celles qui se reçoivent suivant leur titre ; conséquemment aux arrêts du conseil, enregistrés à la cour des monnoies. Voyez les articles MONNOIE, ÉVALUATION, TITRE, VALEUR, &c.

COURS DE PANNES, en termes de Charpente, sont toutes les pannes qui sont au bout l'une de l'autre, pour faire la longueur du comble : ainsi sur un comble il peut y avoir autant de cours de pannes qu'il y a de rangs de pannes. Voyez la fig. 17. Pl. du Charpentier.

* COURS ou COURSE, (Manuf. en soie, Passement. Rubann.) se dit de l'ordre entier selon lequel il faut faire mouvoir les marches pour exécuter l'ouvrage : ainsi le cours ou course commence à la premiere marche que l'on presse, & il finit lorsque l'ouvrier revenu à la même marche, va lui faire succéder les autres dans le même ordre ; si le cours ne consistoit pas dans un certain nombre fixe & déterminé de mouvemens des marches, quel est l'ouvrier qui pourroit travailler ?


COURS DES AIDESsont des cours souveraines instituées par les rois à l'instar des parlemens, pour juger & décider en dernier ressort & toute souveraineté, tous procès, tant civils, que criminels, au sujet des aides, gabelles, tailles, & autres matieres de leur compétence. Les arrêts de ces cours sont intitulés au nom du Roi : elles ont une jurisdiction contentieuse : chacune d'elles a un ressort, & par conséquent de grandes audiences sur les hauts siéges ; ce qui, selon le sentiment de tous les auteurs, en caractérise essentiellement la souveraineté.

Dans l'origine la cour des aides de Paris étoit unique, & son ressort s'étendoit par tout le royaume. Les rois en ont depuis créé plusieurs autres, lesquelles ou ont été démembrées de celle de Paris, ou ont été établies à son instar dans quelques-unes des provinces qui ont été réunies par la suite au royaume de France.

Il y a actuellement en France cinq cours des aides.

La premiere & la principale de toutes, est la cour des aides de Paris : on en parlera dans un article particulier.

La seconde est celle de Montpellier. Elle fut établie par Charles VII. par ordonnance du 20 Avril 1437, pour les pays de Languedoc, Roüergue, Quercy & duché de Guyenne (pour ce qui est du ressort du parlement de Toulouse), à cause de la difficulté qu'il y avoit pour les habitans de ces pays, de venir pardevant les généraux-conseillers sur le fait de la justice des aides à Paris, pour obtenir remede de justice souveraine. Il fut permis aux officiers établis par cette ordonnance, de tenir leur siége & auditoire où bon leur sembleroit audit pays. Cette cour tint d'abord ses séances à Montpellier, puis à Toulouse ; & enfin Louis XI. par édit du 12 Décembre 1467, la fixa à Montpellier, où elle a toûjours résidé depuis. On y a uni en Juillet 1629, la chambre des comptes qui avoit été établie dans la même ville en Mars 1522, & que cette cour des aides, avant leur réunion, avoit toûjours précedée dans toutes les cérémonies publiques & particulieres, comme étant de plus ancienne création. Elle partage avec la cour des aides de Montauban, le ressort du parlement de Toulouse.

La troisieme est celle de Bordeaux. Henri II. par édit de Mars 1550, avoit établi en la ville de Périgueux une cour des aides, où ressortissoient les généralités d'Agen, Riom en Auvergne, & Poitiers, & qui avoit le titre de cour des aides de Guienne, Auvergne & Poitou. Ce prince, par édit de Mai 1557, la supprima, rendit à la cour des aides de Paris l'Auvergne & le Poitou, & attribua au parlement de Bordeaux le ressort des élections qui se trouvoient dans l'étendue de ce parlement. Louis XIII. par édit d'Août 1637, établit une cour des aides à Bordeaux. Louis XIV. la transféra à Saintes en Novembre 1647, & la rétablit à Bordeaux en Juillet 1659. Elle fut ensuite transferée à Libourne en Novembre 1675, & enfin rétablie à Bordeaux par édit de Septembre 1690. Elle est partagée en deux sémestres. Son ressort est le même que celui du parlement de Bordeaux, à l'exception de la Saintonge & de l'Aunis, qui ressortissent à la cour des aides de Paris.

La quatrieme est celle de Clermont en Auvergne, qui fut d'abord établie à Montferrand par édit de Henri II. du mois d'Août 1557, pour la généralité de Riom en Auvergne, que cet édit distrait de la cour des aides de Paris. Elle a été ensuite transferée à Clermont par édit d'Avril 1630. Son ressort s'étend dans toute l'Auvergne.

La cinquieme est celle de Montauban, établie d'abord à Cahors par édit de Juillet 1642, & ensuite transferée à Montauban par édit d'Octobre 1661. Son ressort comprend une partie de celui du parlement de Toulouse.

Outre ces cinq cours des aides, il y en a encore huit autres qui sont unies, soit aux parlemens, soit aux chambres des comptes ; savoir, celles de

Grenoble. Louis XIII. par édit de Mars 1628, avoit établi une quatrieme chambre au parlement de Grenoble, avec titre de jurisdiction de cour des aides. Ce prince, par édit de Janvier 1638, créa une cour des aides à Vienne en Dauphiné. Louis XIV. l'a supprimée & unie au parlement de Grenoble par édit d'Octobre 1658.

Dijon, unie au parlement.

Rennes, unie au parlement.

Pau. Elle avoit été établie par édit de Mai 1632, sous le nom de cour des aides de Navarre. Elle fut supprimée l'année suivante par édit de Septembre 1633. Sa jurisdiction est exercée par le parlement.

Metz, unie au parlement.

Rouen. Son origine est attribuée au roi Charles VII. Louis XIII. par édit de Juillet 1637, en sépara la basse-Normandie, & pour cet effet créa une cour des aides à Caën, qui fut depuis réunie à celle de Rouen par édit de Janvier 1641. La cour des aides de Rouen a été unie à la chambre des comptes de cette ville par édit d'Octobre 1705.

Aix en Provence, unie à la chambre des comptes.

Dole en Franche-Comté, unie à la chambre des comptes.

Ces cours des aides ont le même ressort que celui des parlemens de ces provinces.

Il y a eu plusieurs autres cours des aides établies, qui ont été supprimées ou réunies à d'autres, comme celle de Périgueux, créée en Mars 1553 ; supprimée en Mai 1557 ; celle d'Agen, créée en Décembre 1629, dont le ressort est aujourd'hui joint à celle de Bordeaux ; celle de Lyon, qui fut créée par édit de Juin 1636, mais dont l'établissement n'eut point lieu, & fut révoqué par l'édit de juillet 1636, portant confirmation de la troisieme chambre de la cour des aides de Paris.

COUR DES AIDES DE PARIS, étoit originairement la seule établie pour tout le royaume.

Les anciennes ordonnances en lui attribuant dès sa création la souveraineté dans les matieres de sa compétence, font marcher ses jugemens de pair avec ceux du parlement. Celle du 28 Décembre 1355, veut que ce qui sera fait & ordonné par les généraux députés sur le fait des aides, vaille & tienne comme arrêt du parlement, sans que l'on en puisse appeller. Une autre du 26 Janvier 1382, ordonne que tout ce qui par nosdits conseillers, quant au fait de justice, sera sentencié & jugé, tienne & vaille entierement ainsi comme ce qui est fait ou jugé par arrêt de notre parlement. Une infinité d'autres contiennent les mêmes dispositions.

Aussi nos rois en parlant de cette cour, l'ont toûjours assimilée au parlement. L'ordonnance de Charles VI. faite sur l'assemblée des trois états tenue à Paris au mois de Mai 1413, sur la réformation des offices & abus du royaume, publiée par le roi en son lit de justice au parlement, les 26 & 27 Mai de la même année, en conservant la cour des aides en sa souveraineté, ajoûte ces mots, comme notre cour de parlement. Une autre du 26 Février 1413, énonce qu'elle est souveraine quant au fait desdites aides, & en laquelle tous procès & questions prennent fin comme en notre cour de parlement. Celle du 24 Juin 1500, en rappellant le ressort & la souveraineté de cette cour, porte : tout ainsi que des causes ordinaires non touchans lesdites aides, la connoissance en appartient en premiere instance aux baillis, &c. & en cas d'appel, ès souverainetés à nos cours de parlement. Et dans le préambule de la déclaration du 27 Avril 1627, registrée en parlement le 15 Décembre 1635, il est dit que la cour des aides de Paris a été établie & continuellement reconnue après le parlement de Paris, pour cour souveraine seule & universelle en France pour lesdites aides.

La jurisdiction de cette cour n'est point un démembrement de celle des autres cours souveraines. Dès le commencement de la levée des aides ou subsides, qui ne s'accordoient dans l'origine que pour un tems limité, les rois nommoient, soit pour établir & imposer ces droits, soit pour décider les contestations qui naîtroient à l'occasion de leur perception, des commissaires dont le pouvoir finissoit avec la levée de ces impositions ; & depuis que ces mêmes droits sont devenus perpétuels & ordinaires, la fonction de ces juges l'est pareillement devenue : mais jamais la connoissance de ces aides ou subsides n'a appartenu à aucun autre tribunal du royaume. On voit au contraire que les rois l'ont toûjours interdite à tous leurs autres officiers, & si quelquefois les juges ordinaires en ont connu, comme en 1350 en Normandie au sujet de l'aide accordée par cette province, ce n'a été qu'en vertu de l'attribution particuliere que le roi leur en faisoit par l'ordonnance portant établissement de ces droits.

Pour donner une idée plus particuliere de cette cour, on considérera dans cet article

1°. Son origine & les progrès de son établissement.

2°. Les magistrats & autres officiers dont elle est composée.

3°. Quelles sont les matieres de sa compétence, ses différens priviléges, & sa police intérieure.

4°. L'étendue de son ressort, & les divers tribunaux dont elle reçoit les appels.

Origine de la cour des Aides. Le terme d'aides d'où cette cour a pris sa dénomination, signifie en général un secours ou subside que les sujets payent au roi, pour lui aider à soûtenir les dépenses de la guerre & les autres charges de l'état.

Dans les commencemens de la monarchie, nos rois prenoient leur dépense sur leur domaine, & sur les dons qui leur étoient offerts volontairement le premier jour de chaque année, usage qui subsistoit encore sous les rois de la seconde race.

Il se faisoit aussi quelquefois des levées extraordinaires lorsque les besoins de l'état le demandoient, comme en tems de guerre pour entretenir l'armée, réparer les forteresses, &c. Ces sortes d'aides ou subsides s'accordoient, soit par les états généraux du royaume, soit par les états particuliers des provinces, & même des villes, & ne duroient qu'un tems limité. Charles VII. est le premier qui, comme le remarque Comines, ait imposé les aides & subsides de sa seule autorité.

Il y avoit aussi des aides que l'on appelloit légitimes, c'est-à-dire qui étoient dûes par les principes du droit féodal, & autorisées par une loi suivant laquelle les vassaux devoient une aide à leur seigneur dans trois cas, lorsqu'il faisoit son fils aîné chevalier, lorsqu'il marioit sa fille aînée, & lorsqu'il étoit obligé de payer une rançon. Ces sortes d'aides étoient communes au roi & aux autres seigneurs féodaux.

Toutes ces différentes impositions furent nommées aides, subsides, tailles, gabelles. Ce dernier nom ne se donnoit pas seulement aux impositions qui se levoient sur le sel, mais aussi sur toutes les autres denrées & marchandises. Il y avoit la gabelle du vin, la gabelle des draps, &c.

Il paroît qu'à chaque fois que l'on établissoit ces aides ou subsides, il y avoit des commissaires nommés, tant pour en faire l'imposition & répartition, que pour juger des débats & contestations que la levée de ces droits occasionnoit.

S. Louis, par un réglement sur la maniere d'asseoir & de regler les tailles, établit à cet effet des élûs, qui étoient choisis entre les notables bourgeois.

Philippe de Valois ayant aboli les impositions faites au pays de Carcassonne sur les draps, & ayant accepté en la place une offre de 150000 liv. adressa ses lettres du 11 Mars 1331, à quatre commissaires, auxquels il donne pouvoir de distribuer & départir cette somme en cinq années, contraindre les rebelles ou contredisans, toutes dilations & appellations rejettées, & commande à tous justiciers de leur obéir.

Ce même prince ayant établi la gabelle sur le sel par tout le royaume, commit par ses lettres du 30 Mars 1342, trois maîtres des requêtes & quatre autres personnes, & les établit maîtres souverains, commissaires, conducteurs, & exécuteurs des greniers & gabelles, leur donnant pouvoir d'établir tels commissaires, grenetiers, gabelliers, clercs, & autres officiers, de les destituer à leur volonté, & de pourvoir de tel remede que bon leur semblera sur tous doutes, empêchemens, excès, & défaut. Il attribue à eux seuls la connoissance, correction & punition du tout quant aux choses touchant le fait dudit sel. Il ordonne qu'il y aura toûjours à Paris deux de ces commissaires souverains, qu'ils ne seront responsables qu'à lui, & qu'on ne pourra se pourvoir par voie d'appel ou autrement que devant eux. Dans quelques autres ordonnances ils sont appellés généraux députés sur le fait du sel. Philippe de Valois déclara par ses lettres du 15 Février 1345, que son intention n'étoit point que la gabelle du sel & autres impositions fussent unies à son domaine, & durassent à perpétuité.

Le roi Jean ayant obtenu, pour un an, des états généraux, tant de la Languedoil que de la Languedoc, assemblés à Paris le 16 Février 1350, une imposition de six deniers pour livre sur toutes les marchandises & denrées vendues ; & les assemblées particulieres des provinces & des villes ayant accordé la continuation de ce subside pendant les années suivantes, ce prince, par ses lettres du 5 Juillet 1354, nomma l'évêque de Laon, le sire de Montmorency, & Matthieu de Trye sire de Fontenay, pour assembler les prélats, nobles, & habitans du baillage de Senlis, afin de leur demander la continuation de ce subside, & leur donna pouvoir de punir ceux qui s'étoient entremis des impositions du tems passé, enjoignant à tous ses officiers & sujets de leur obéir & à leurs députés en toutes choses.

Par d'autres lettres du mois de Juillet 1355, le roi avoit nommé pour régir une aide imposée dans l'Anjou, les évêques d'Angers & du Mans, le seigneur de Craon, Pierre & Guillaume de Craon, & Brient seigneur de Montejehan, chevaliers, avec un bourgeois d'Angers & un du Mans. Ils devoient entendre les comptes des receveurs, sans que le roi, le comte d'Anjou, la chambre des comptes de Paris ou autres, pûssent s'en mêler.

Il n'est pas inutile d'observer que la Languedoil comprenoit toute la partie septentrionale de la France, qui s'étendoit jusqu'à la Dordogne, & dont l'Auvergne & le Lyonnois faisoient aussi partie. La Languedoc ne comprenoit que le Languedoc, le Quercy, & le Roüergue. Le roi d'Angleterre étoit pour lors maître de la Guienne & de quelques pays circonvoisins. L'assemblée du 16 Février 1350 est la derniere où le roi Jean ait convoqué les états de la Languedoil & de la Languedoc conjointement : ce prince les assembla depuis séparément.

En l'année 1355, ce même prince pour soûtenir la guerre qui recommençoit avec les Anglois, ayant fait assembler à Paris les états du royaume de la Languedoil ou pays coûtumier, & en ayant obtenu une gabelle sur le sel, & une imposition de huit deniers pour livre sur toutes les choses qui seroient vendues, à l'exception des ventes d'héritages seulement, donna un édit daté du 28 Décembre 1355, par lequel il ordonna que ces aides seroient cueillies par certains receveurs, qui seroient établis par les députés des trois états en chacun pays, & qu'outre les commissaires ou députés particuliers des pays, il seroit établi par les trois états neuf personnes bonnes & honnêtes, c'est à savoir de chacun état trois, qui seront généraux & superintendans sur tous les autres. Il est dit que toutes personnes de quelqu'état & condition qu'ils soient, & de quelque privilége qu'ils usent, seront tenus d'obéir à ces députés tant généraux que particuliers ; & que s'il y avoit quelques rebelles que les députés particuliers ne pûssent contraindre, ils les ajourneront pardevant les généraux superintendans, qui les pourront contraindre & punir ; & vaudra ce qui sera fait & ordonné par lesdits généraux députés comme arrêt de parlement, sans que l'on en puisse appeller, ou que sous ombre de quelconque appel, l'exécution de leurs sentences ou ordonnances soit retardée en aucune maniere.

Ces aides n'étoient accordées que pour un an, le roi même & la reine n'en étoient pas exempts. Les députés des trois états avoient seuls la distribution des deniers qui en provenoient, & qui ne pouvoient être employés à autre chose qu'au fait de la guerre.

Les généraux superintendans devoient, suivant la même ordonnance, prêter serment entre les mains du roi ou de ceux qu'il commettroit, de bien & loyalement exercer leur office ; & les députés particuliers & autres officiers qui se mêloient des aides, devoient faire le même serment aux trois états ou aux superintendans, ou à ceux qui seroient par eux commis.

C'est cette ordonnance que l'on doit regarder comme l'époque la plus véritable de l'institution de la cour des aides ; d'où l'on voit que cette cour tire son origine, & est une émanation de l'assemblée des états généraux du royaume. Car quoique cette aide n'eût été accordée que pour un an, il est certain qu'il y eut toûjours successivement dans toutes les années suivantes des aides accordées, soit par les états généraux, soit par les états particuliers tenus dans les provinces ; qu'elles furent regies par des députés élûs par les états qui les accordoient, & qu'il y eut toûjours depuis à Paris des députés généraux, auxquels ceux des provinces ressortissoient.

De ces députés particuliers qui avoient la charge des aides & subsides dans les dioceses & principales villes du royaume, & qui étoient élûs par les députés des trois états, est venu le nom d'élû, qui est demeuré aux officiers établis dans les provinces pour avoir en premiere instance la connoissance de tout ce qui concerne les aides & subsides. Le nom de généraux des aides est demeuré aux députés généraux qui étoient préposés pour en avoir la direction générale en la ville de Paris, & recevoir l'appel des députés particuliers ou élûs distribués dans les provinces.

Les mêmes états généraux qui avoient accordé cette aide en 1355, s'étant rassemblés à Paris au premier Mars suivant, ainsi que le portoit la précedente ordonnance, la supprimerent, imposerent à la place une capitation suivant les facultés & revenus de chacun, dont le clergé & la noblesse furent tenus comme les autres. L'ordonnance faite en conséquence le 13 Mars 1355, avant pâques, porte que l'aide & subside sera levé par les députés des trois états en chaque pays, & qu'à Paris il y aura six généraux députés auxquels on aura recours, & qui auront le gouvernement & ordonnance sur tous les autres députés, & seront leurs souverains & de tous ceux qui se mêleront du fait.

L'espérance que l'on avoit conçue de voir finir la guerre pour laquelle ces aides avoient été accordées, s'évanoüit bien-tôt par la perte de la bataille de Poitiers, qui se donna le 19 Septembre 1356 ; & la captivité du roi Jean, qui fut fait prisonnier à cette bataille, ayant réduit le royaume à la plus fâcheuse extrémité, il fallut songer à imposer de nouveaux subsides.

Charles dauphin de France reconnu pour lieutenant général du royaume, assembla les états de la Languedoil à Paris, au 15 Octobre 1356 ; mais ces états s'étant séparés infructueusement, ce prince prit le parti de s'adresser aux bonnes villes pour leur demander une aide, & il paroît que la plûpart en accorderent. A l'occasion des subsides accordés par les états particuliers d'Auvergne, il est parlé des généraux gouverneurs qui connoissoient de la maniere d'imposer ladite finance, oüir les plaintes & doutes, & les remédier & corriger.

Au mois de Février suivant, le dauphin assembla à Paris les états de la Languedoil, qui lui accorderent des subsides pour un an. L'ordonnance du mois de Mars 1356 faite en conséquence, porte que le subside sera levé par les gens élûs par les trois états. Les députés généraux qui devoient prêter serment entre les mains du roi, ne pouvoient rien faire s'ils n'étoient d'accord, ou au moins six d'entr'eux, savoir deux personnes de chaque état. On trouve un mandement du 17 Mai 1357, donné par les généraux élûs à Paris par les gens des trois états du royaume de France, sur le subside octroyé pour la guerre.

Les mêmes états de la Languedoil assemblés à Compiegne le 4 Mai 1358, accorderent au dauphin, qui venoit d'être déclaré régent par le parlement, une aide pour le fait des guerres, la délivrance du roi Jean, & la défense du royaume. Elle devoit commencer le 15 Mai & durer un an. Quoique plusieurs villes & provinces n'eussent point député à ces états, il paroît par une lettre du roi Jean à l'évêque de Soissons, que les états avoient arrêté que l'aide seroit levée, même sur ceux qui n'y avoient pas assisté, ce qui fut exécuté en vertu des états particuliers qui s'assemblerent dans les provinces. L'ordonnance du 14 Mai 1358, donnée par le régent au sujet de cette aide, veut que tous autres subsides cessent, remet tout ce qui en pouvoit être dû du passé, révoque les commissions des généraux à Paris & élûs dans les diocèses, & marque que les états ont élû & éliront des personnes de chaque état, qui gouverneront le fait de l'aide présentement octroyée, & qu'ils seront commis par le régent. Il paroît par des lettres du régent, du même jour, que dans cette assemblée les nobles avoient élu de leur part Sohier de Voisins, pour gouverner l'aide en la ville & diocèse de Paris. Cette aide consistoit au dixieme des revenus ecclésiastiques ; les nobles devoient payer douze deniers pour livre de leurs rentes ; les habitans des villes & châteaux fermés devoient entretenir un homme d'armes par 70 feux ; les serfs abonnés, un homme d'armes par 100 feux ; les serfs taillables, un pour 200 feux ; les pupilles, veuves, & autres qui n'avoient point de feux, douze deniers pour livre de leur revenu ; les serviteurs douze deniers pour livre de leurs salaires.

Le 25 Mai 1359, en l'assemblée des mêmes états à Paris, on fit la lecture d'un traité qui avoit été négocié à Londres ; mais les conditions ayant révolté tous les esprits, il fut résolu de continuer la guerre, & les états accorderent l'entretien de 1200 glaives ; c'étoit des troupes d'infanterie.

On n'a parlé ci-dessus que des états de la Languedoil ; ceux de la Languedoc pendant ce tems s'assemblerent séparément. Le 12 Octobre 1356 ils accorderent une aide, qui, suivant l'ordonnance confirmative du mois de Février suivant 1356, devoit être régie sous les ordres de vingt-quatre personnes choisies par les trois états. Après l'assemblée de Compiegne, en Mai 1358, il paroît qu'ils en accorderent une autre ; & une ordonnance du 2 Octobre 1360, marque qu'en 1359 ils avoient accordé certaines impositions & gabelles, qui devoient durer jusqu'à noël 1361.

Après la paix de Bretigny, conclue en 1360, le roi Jean revint en France vers la fin d'Octobre ; & par son ordonnance du 5 Décembre de cette année, il établit dans toute la Languedoil une aide pour payer sa rançon. Elle consistoit en douze deniers pour livre sur les marchandises & denrées vendues, le cinquieme sur le sel, & le treizieme sur le vin, & devoit être levée par ceux que le roi députeroit sur ce fait. L'ordonnance du 18 Décembre 1360, sur la maniere de lever cette aide, porte que les élûs enverront les deniers à Paris pardevant les généraux thrésoriers ordonnés pour le fait de cette aide, & que s'il arrive aucun trouble ou doute, les élûs des cités en écriront aux généraux thrésoriers à Paris, lesquels leur en feront déclaration.

Cette aide devoit être levée jusqu'à la perfection & entérinement de la paix, c'est-à-dire jusqu'à ce que le roi eût acquité toutes les sommes qu'il s'étoit engagé de payer pour sa rançon dans l'espace de six ans. Elle devoit par conséquent finir avec l'année 1366 ; mais elle fut encore prolongée long-tems après ce terme.

M. Secousse remarque que pour imposer cette aide il ne fut peut-être pas nécessaire d'assembler les états, parce qu'elle étoit légitime, c'est-à-dire dûe par une loi suivant laquelle les vassaux & les sujets doivent une aide à leur seigneur lorsqu'il est obligé de payer une rançon ; ensorte qu'il faut dire que les états qui ont été assemblés pour cette aide, ne l'ont été que pour régler la maniere dont elle seroit levée & payée.

Le roi imposa en même tems en Languedoc une aide semblable pour sa rançon : elle devoit de même durer six années ; mais elle fut aussi continuée après ce tems.

Il paroît que les généraux des aides à Paris commencerent dès lors à être ordinaires. On voit des lettres du 29 Septembre 1361, adressées à nos amés & féaux les généraux thrésoriers à Paris sur le fait des aides, n'a guere ordonnées pour notre délivrance, ainsi que plusieurs autres lettres des années subséquentes. Et Charles V. à son avênement à la couronne, voulant confirmer, comme il étoit d'usage, les officiers de son royaume, adresse son ordonnance du 17 Avril 1364, à nos amés & féaux les présidens & autres gens de notre parlement & enquêtes, gens de nos comptes, les généraux thrésoriers sur le fait de la délivrance de Mons, & de la défense du royaume, & thrésoriers de Paris, & les confirme dans leurs offices.

Avant que l'aide établie pour la délivrance du roi Jean fût finie, il y eut encore d'autres aides établies pour la guerre : une ordonnance du 19 Juillet 1367 parle des aides ordonnées, tant pour la rédemption de feu notre très-cher seigneur & pere, de laquelle le payement n'est pas encore parfait, comme pour celles ordonnées pour la défense de notre royaume. Les mêmes généraux étoient établis pour ces deux aides, suivant cette ordonnance, dont l'adresse est à nos amés & féaux conseillers les généraux & élus, tant sur l'un fait comme sur l'autre.

Dans une autre du lendemain 20 Juillet 1367, adressée aux mêmes généraux, le roi, en parlant des aides accordées en 1356, 1357, & 1358, remet tout ce qui pouvoit en être dû du passé ; ce qui montre que ces généraux avoient encore en même tems l'administration de ces anciennes aides.

Ces aides pour la guerre subsisterent jusqu'au décès de Charles V. arrivé le 16 Septembre 1380. Ce prince en mourant pria les ducs de Berri, de Bourgogne & de Bourbon, de pourvoir à l'abolition des impositions dont le peuple étoit surchargé, & que les dépenses d'une longue guerre l'avoient forcé de lever : & pour commencer à soulager en partie son peuple, il donna le jour même de sa mort des lettres patentes adressées aux généraux conseillers sur les aides de la guerre, par lesquelles il abolit les foüages, c'est-à-dire les impositions par feux, & remit tout ce qui en étoit dû du passé. Mais le duc d'Anjou déclaré régent après la mort de Charles V. ne se fit pas un devoir d'exécuter ces dernieres volontés, bien loin d'abolir les impôts, il les augmenta, & on les leva avec une rigueur qui mit le peuple au desespoir, & excita dans plusieurs villes du royaume, & principalement à Paris, plusieurs révoltes pendant les premieres années du regne de Charles VI. Pour les appaiser, le roi se vit forcé de donner une ordonnance le 13 Novembre 1380, pour laquelle il abolit tous aides & subsides quelconques, qui pour le fait des guerres ont été imposés depuis le roi Philippe-le-Bel. Il en donna de pareilles aux mois de Janvier & de Mars suivans.

Les troubles ayant été appaisés, le roi Charles VI. rentré dans Paris le 10 Janvier 1382, fit publier le rétablissement de tous les impôts qui avoient eu cours sous Charles V. & par ordonnance du 26 du même mois il établit, pour les régir & gouverner, des généraux conseillers à Paris, dont il regla les fonctions : elles sont les mêmes que celles qui avoient été données par l'ordonnance du 28 Décembre 1355 aux généraux superintendans nommés par les états. L'instruction du 21 du même mois faite sur cette nouvelle aide ordonnée pour la guerre, marque qu'elle devoit commencer le premier Février suivant, & qu'elle consistoit en douze deniers pour livre sur toutes les marchandises vendues ou échangées, la huitieme partie de la vente du vin en détail, & vingt francs d'or par muid de sel.

Il y eut dans la suite quelques changemens ou augmentations faits dans ces aides ou subsides ; mais comme elles ont toûjours subsisté depuis, la fonction, tant des élûs distribués dans les provinces, que des généraux conseillers à Paris, s'est aussi perpétuée depuis ce tems.

On a vû que dans les commencemens, les généraux députés sur le fait des aides étoient nommés & établis par les trois états : mais bientôt le roi se réserva de nommer à ces offices ; ce qui a toûjours duré depuis. On voit cependant dans une ordonnance du 26 Février 1413, que dans le cas de vacance d'un office, les autres généraux élisoient un sujet auquel le roi donnoit des provisions.

Ils eurent d'abord la qualité de généraux superintendans, généraux députés. Toutes les lettres du roi Jean leur sont adressées sous le nom de généraux thrésoriers. Celles de Charles V. son successeur les nomment généraux conseillers, & c'est sous ce nom qu'ils ont toûjours été connus depuis. Ils avoient tous indistinctement cette qualité de généraux conseillers, jusqu'en 1398 que Gérard d'Athies archevêque de Besançon fut le premier décoré du titre de président en la chambre de la justice des aides ; qualité à laquelle étoit toûjours jointe celle de général conseiller.

Leur origine qu'ils tiroient de l'assemblée des états généraux du royaume, fit qu'il y eut pendant très-long-tems parmi eux les personnes les plus distinguées, soit dans l'état ecclésiastique, soit dans la noblesse ; on trouve même à leur tête des princes du sang. Charles d'Albret connétable de France, cousin-germain du roi Charles VI. fut commis par lettres du 8 Octobre 1401, pour présider outre & par-dessus les généraux conseillers. Louis duc d'Orléans frere du roi obtint pareilles lettres le 18 Avril 1402. Philippe de France duc de Bourgogne, oncle du roi, en eut de semblables le 24 Juin 1402 ; & pareillement Jean duc de Berri, aussi oncle du roi : & il paroît par un mandement du 6 Mars 1402, donné par ces trois derniers princes, qu'ils exerçoient cette fonction conjointement.

Aussi les rois ont-ils donné aux officiers de cette compagnie les marques de la plus grande considération : ils prêtoient serment entre les mains du roi : ils assistoient quelquefois au conseil du roi, ainsi qu'on le voit par plusieurs ordonnances données par le roi en son conseil, où étoient les généraux conseillers sur le fait de la guerre. Un grand nombre d'autres sont rendues par le roi, à la relation du conseil étant en la chambre des aides ordonnées pour la guerre. Charles V. par son ordonnance du mois d'Octobre 1374, en nommant les conseils des tuteurs de ses enfans, y place entr'autres un général conseiller sur le fait des aides. Ils avoient pouvoir, en appellant avec eux des gens du grand & étroit conseil, d'augmenter, diminuer, interpréter les instructions & ordonnances faites sur les aides. Une ordonnance du 6 Décembre 1373, leur donne pouvoir d'envoyer des réformateurs dans les diocèses, quand au fait des aides ; & effectivement on voit que plusieurs d'entr'eux ont eu cette fonction.

Ces généraux conseillers, outre l'administration de la justice, avoient encore la direction de la finance, qu'ils ont conservée pendant long-tems ; c'est-à-dire qu'ils avoient seuls droit d'ordonner la distribution des deniers provenans des aides. Aucune dépense ne pouvoit être passée dans les comptes des receveurs des aides, qu'en vertu des lettres signées par les généraux. Ils avoient le pouvoir d'établir les élus, receveurs, grenetiers, contrôleurs, commissaires, sergens, & autres officiers ; de les substituer & renouveller, de les corriger & punir ; & la connoissance de toutes ces matieres étoit interdite au parlement, à la chambre des comptes, & autres juges & officiers.

Leur nombre n'étoit pas fixe : il y en eut neuf nommés en 1355 par les états généraux, savoir trois de chaque état. L'ordonnance du 13 Mars 1355 n'en met que six. Celle de Mars 1356 prouve que le nombre étoit augmenté, puisqu'elle veut qu'ils ne puissent rien faire s'ils ne sont d'accord, au moins six d'entr'eux, savoir deux personnes de chaque état. Charles V. par ordonnance du 6 Décembre 1373, en nomma neuf ; & Charles VI. en 1382, n'en nomma que cinq, qui devoient être au moins au nombre de trois pour ordonner de la finance, & de deux quant au fait de justice. Ce prince, par une autre ordonnance du 9 Février 1387, en nomma quatre ; & ce qui est remarquable, c'est qu'il en établit deux sur le fait de la justice, & les deux autres sur le gouvernement de la finance ; ensorte que dès-lors l'administration de la justice fut séparée de celle de la finance, & que les uns furent appellés généraux conseillers sur le fait de la finance des aides, & les autres, généraux conseillers sur le fait de la justice des aides ; avec cette distinction, que ceux qui étoient nommés pour la finance avoient concurremment avec les autres l'administration de la justice, au lieu que ceux qui n'étoient nommés que pour la justice ne pouvoient ordonner de la finance. Les ordonnances subséquentes en instituerent six, dont trois pour la finance, & trois pour la justice ; & le 21 Avril 1390, Charles VI. leur joignit trois conseillers, pour pourvoir au fait de justice & pour l'expédition des causes. Enfin par une déclaration du 26 Février 1413, il paroît que le nombre des officiers de la chambre de la justice des aides avoit été précédemment fixé à un président, quatre généraux conseillers, & trois conseillers pour visiter & rapporter les procès ; & c'est sur ce pié que Louis XI. les régla depuis. On verra à l'article des officiers de cette cour, les différentes augmentations d'offices qui ont été faites depuis.

Il est à remarquer que depuis 1417, tems où les divisions agitoient le royaume, & principalement la ville de Paris, qui tomba dans la suite au pouvoir des Anglois, il n'est plus fait mention dans les registres de la cour des aides des généraux conseillers sur la finance.

Quoique le nombre des officiers eût été fixé, cependant comme ces places étoient briguées par des personnes qui se faisoient honneur de les posséder, il y eut quelquefois des offices, soit de généraux, soit de conseillers extraordinaires, accordés, à condition que ceux qui en seroient pourvûs, ne joüiroient point des mêmes gages & émolumens que les ordinaires.

Charles VII. par ses lettres patentes du 22 Octobre 1425, ayant transféré à Poitiers la chambre de la justice des aides, institua de nouveaux officiers, qui furent l'évêque de Poitiers président, le lieutenant de Poitiers, trois conseillers au parlement, & un maître des requêtes ; & après la réduction de Paris à son obéissance, il la rétablit dans Paris le premier Décembre 1436, & y institua cinq généraux, du nombre desquels furent deux des conseillers au parlement ; qui avoient siégé en cette qualité à Poitiers. C'est en mémoire de cette translation que la cour des aides célebre le 13 Janvier, ainsi que le parlement, la fête de S. Hilaire évêque de Poitiers.

Louis XI. à son avênement à la couronne, supprima la chambre de la justice des aides, par lettres patentes enregistrées en cette chambre le 4 Mai 1462 : mais ensuite il la rétablit par lettres du 3 Juin 1464 ; & par d'autres du 29 Décembre 1470, il fixa les officiers de cette compagnie à un président, quatre généraux conseillers, trois conseillers, un avocat & un procureur du Roi, un greffier, un receveur des amendes, & deux huissiers.

Henri II. par édit du mois d'Août 1550, voulut qu'il n'y eût plus de différence entre les généraux & les conseillers, & qu'ils eussent tous le titre de généraux conseillers. Ce prince, par autre édit de Mars 1551, créa une seconde chambre en la cour des aides, & confirma & augmenta la jurisdiction de cette compagnie.

Pendant les fureurs de la ligue, Henri III. ayant transféré le parlement à Tours en Février 1589, y transféra aussi la cour des aides, par déclaration du 4 Mai 1589, & en attendant attribua au parlement séant à Tours la connoissance des matieres de sa compétence. Mais Henri IV. son successeur ayant réuni un nombre suffisant des officiers de cette cour, la rétablit en sa jurisdiction par édit du 7 Janvier 1592, & révoqua l'attribution qui avoit été faite au parlement séant à Tours & à Châlons, pour la nécessité du tems & l'absence des officiers de la cour des aides. Et par déclaration du 24 Mars suivant, il fut enjoint au greffier du parlement de délivrer à celui de la cour des aides tous les procès, en quelqu'état qu'ils fussent, qui avoient été portés au parlement, & qui appartenoient à la cour des aides. Elle tint ses séances d'abord en la ville de Chartres, & peu après en celle de Tours, jusqu'en 1594 qu'elle fut rappellée à Paris, par déclarations des 28 Mars & 2 Avril, après la réduction de cette ville à l'obéissance du roi.

Louis XIII. par édit de Décembre 1635, établit une troisieme chambre, & créa entr'autres douze offices de conseillers, auxquels il ne donna que ce titre, sans ajoûter celui de général, qui ne fut plus conservé que dans les provisions de ceux qui furent pourvûs d'anciens offices, & qui même s'abolit tout-à-fait par la suite. Les dernieres provisions où ce titre de général se trouve, sont celles d'Abel de Sainte-Marthe, du 22 Décembre 1654.

La cour des aides a toûjours eu le titre de cour, comme il paroît entr'autres par un de ses arrêts de 1389. François I. dans son édit du 5 Février 1522, la nomme la cour des généraux de la justice des aides ; & depuis Henri II. elle n'a plus été connue que sous le titre de cour des aides.

Quelques-uns des officiers de cette compagnie ont été élevés à la suprème dignité de la magistrature.

Jean de Ganay reçû conseiller en la chambre des aides le 21 Mai 1474, fut ensuite président du parlement de Paris le 27 Juin 1490, puis premier président du même parlement en 1505, & enfin chancelier de France le 31 Janvier 1507.

Et Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil, reçu d'abord avocat général du parlement de Paris le 2 Juin 1707, puis président du même parlement le 20 Décembre 1723, & ensuite premier président de la cour des aides le 9 Mai 1746, a été nommé chancelier de France le 9 Décembre 1750.

Quoique l'établissement des officiers commis pour prendre connoissance des aides & subsides soit, ainsi qu'il a été dit, aussi ancien que l'établissement & la levée de ces impositions, on ignore cependant quels étoient les lieux qu'ils ont occupés pour l'exercice de la justice dans les tems les plus reculés : mais on ne peut douter que nos rois ne leur ayent accordé dans leur palais, ainsi qu'au parlement & à la chambre des comptes, un endroit destiné à tenir leurs séances. Il en est fait mention dans l'ordonnance de Charles VII. du 20 Avril 1437, qui en établissant la cour des aides de Montpellier, ajoûte ces mots : ainsi que font les généraux sur le fait de la justice, tenant leur siége & auditoire en notre palais royal à Paris.

Cet auditoire étoit situé vers la chambre des comptes, à côté de la sainte-Chapelle basse ; on y montoit par un escalier en vis fort étroit. Sa situation, telle qu'elle est désignée, s'accorde assez avec l'emplacement dans lequel se trouve aujourd'hui le bâtiment de la premiere chambre. Il paroît par un réglément de cette cour du 3 Juillet 1471, qu'elle avoit établi un fonds destiné à faire dire tous les jours une messe en la basse sainte-Chapelle, avant que d'entrer en la chambre.

Mais sur la représentation qui fut faite au roi Louis XI. par le procureur général de la cour des aides, que l'éloignement de cet auditoire causoit beaucoup d'incommodité aux avocats & procureurs pratiquans ès cours de parlement, des requêtes de l'hôtel & du palais, qui pour venir de la grande salle du palais où ils ont leurs bureaux, gagner la chambre des généraux des aides, étoient obligés de traverser la galerie des merciers, descendre l'escalier de la sainte-Chapelle, & remonter celui de la cour des aides, ce qui étoit préjudiciable à l'expédition des causes & procès ; ce roi, par lettres patentes du dernier Août 1477, accorda à cette cour les lieux appellés les chambres de la reine, situés au-dessus de la galerie aux merciers, qui s'étendoient depuis le mur de la grande salle jusqu'à la sainte-Chapelle. Ces lettres portent, qu'il donne aussi à cette cour les escaliers qui descendent de-là dans la grande salle, & lui permet d'en faire construire quelqu'autre en lieu plus commode. C'est en conséquence de cette permission, & pour faciliter l'entrée, que fut faite ensuite, comme le dit Miraulmont, une ouverture du gros mur de la grand-salle du palais, avec un escalier qui prenoit en la galerie des merciers, & qui a subsisté jusqu'en 1717, qui fut démoli pour construire celui que l'on voit aujourd'hui en la grand-salle, moins beau & moins hardi que l'ancien, mais qui laisse un passage plus commode pour le Roi lorsqu'il va au parlement.

Dans cet espace de bâtiment appellé les chambres de la reine, ont été faites les seconde & troisieme chambres, salle & chapelle de cette cour que l'on y voit actuellement. Il est fait mention de cette chapelle dans une ordonnance de Louis XI. du 20 Juin 1482, qui accorde deux cent livres parisis à prendre sur les exploits & amendes, pour y faire célébrer la messe, & pour les autres menues nécessités de ladite cour.

Quoiqu'il ne soit pas porté dans les lettres patentes du dernier Août 1477, que le roi ait laissé aux généraux des aides leur ancien auditoire ; comme les bâtimens où il étoit situé font encore aujourd'hui partie des lieux occupés par la cour des aides, & contiennent la premiere chambre de cette cour, il est à présumer qu'ils leur resterent, & que l'on perça pour lors une porte de communication des chambres de la reine avec ces anciens bâtimens où étoit la premiere chambre, afin que les avocats & procureurs pussent aisément venir de la grand-salle dans toutes les chambres de cette cour.

Cette premiere Chambre fut démolie de fond en-comble au mois de Septembre 1620, pour refaire une chambre plus grande pour les audiences : elle fut finie au mois de Mars 1623, & ce fut le 17 du même mois que s'y tint la premiere audience. Corbin, dans la préface de son recueil des édits concernant la cour des aides, rapporte qu'il y plaida ce jour-là, & c'est ce qu'il appelle la dédicace de ce nouveau temple. On voit dans le mercure françois, que les bâtimens de la cour des aides furent préservés de l'incendie qui arriva le 7 Mars 1618 en la grand-salle du palais.

Officiers de la cour des aides. La cour des aides est aujourd'hui composée d'un premier président & de neuf autres présidens, de plusieurs conseillers d'honneur dont le nombre n'est pas fixe, de cinquante-deux conseillers, trois avocats généraux, un procureur général qui a quatre substituts, de deux greffiers en chefs, cinq secrétaires du roi servans prés la cour des aides ; un principal commis de l'audience publique, que l'on appelle ordinairement greffier des appellations, & qui outre une charge de commis-greffier écrivant à la peau, réunit encore en sa personne l'office de greffier des decrets & de premier commis au greffe des decrets ; un principal commis en la premiere chambre pour l'audience à huis clos, & pour les arrêts rendus en la chambre du conseil tant au civil qu'au criminel, que l'on appelle ordinairement greffier civil & criminel, lequel outre deux pareils offices créés pour la seconde & troisieme chambres, réunit encore trois offices de commis-greffiers écrivant à la peau ; un greffier garde-sacs & des dépôts ; un greffier des présentations & affirmations ; un thrésorier payeur des gages ; qui a trois contrôleurs ; un receveur des épices & vacations, un contrôleur des arrêts, un commis à la délivrance des arrêts, un premier huissier, & sept autres huissiers.

Premier président. Les généraux-conseillers sur le fait des aides ayant été tirés, comme on l'a dit ci-dessus, du corps des trois états du royaume, la fonction de présider en la chambre de la justice des aides demeura affectée aux ecclésiastiques, comme étant du premier corps des états ; ce qui continua même depuis que les généraux cesserent d'être choisis par les états, & qu'ils furent nommés par le roi. Il n'y avoit dans l'origine qu'un président. Cette place fut occupée par les personnes les plus qualifiées, & constituées dans les plus éminentes dignités ecclésiastiques.

Avant l'an 1370, on ignore les noms de ceux qui ont présidé en cette chambre ; on sait seulement que c'étoit un des généraux du corps du clergé à qui cet honneur étoit déféré.

Le premier dont on a connoissance est Jean de la Grange abbé de Fécamp, puis évêque d'Amiens, & cardinal. Quoique la qualité de président ne lui ait point été donnée, il ne laissoit pas d'en faire les fonctions, & d'en avoir les prérogatives de la même maniere qu'en ont joüi ses successeurs, jusqu'à Gerard d'Athies, archevêque de Besançon, qui le premier fut décoré du titre de président en la chambre de la justice des aides, par lettres du roi Charles VI. du 24 Mars 1398.

Il paroit qu'il étoit aussi d'usage de donner un ecclésiastique pour adjoint aux prélats qui présidoient en la chambre de la justice des aides, que l'on peut regarder comme vice-président, puisqu'il y présidoit en leur place en cas d'absence : mais l'usage de nommer ces vices-présidens s'abolit sur la fin du regne de Charles VII.

Cette succession de présidens ecclésiastiques ne fut interrompue qu'en 1401 & 1402, que Charles d'Albert cousin-germain du roi Charles VI. & Louis duc d'Orléans frere du roi, & ensuite Philippe duc de Bourgogne, & Jean duc de Berri, tous deux oncles du roi, furent établis pour présider les généraux des aides.

Ce ne fut qu'en 1489 qu'il y eut pour la premiere fois un laïc nommé pour président ; & Charles Duhautbois évêque de Tournai, reçu en 1510, est le dernier des ecclésiastiques qui ait possédé cette dignité.

Le roi François I. ayant par édit du 5 Février 1522 créé un office de second président, Louis Picot qui avoit été reçu président dès le 9 Août 1513, prit le titre de premier président, qui depuis a été donné à ses successeurs.

Par lettres du 8 Avril 1556 avant Pâques, Henri II. a accordé au premier président de la cour des aides le titre de chevalier, ainsi qu'en avoient joüi ses prédécesseurs ; & par l'article 7 du reglement du 3 Janvier 1673, le titre de conseiller du roi en ses conseils d'état & privé lui a été confirmé, ainsi qu'aux premiers présidens du parlement & de la chambre des comptes.

Suite chronologique des anciens présidens, vice-présidens, & premiers présidens de la cour des aides, avec la date de leur réception.

Présidens. On a vû dans l'article premier président, qu'il n'y avoit originairement qu'un seul président, nommé pour présider les généraux des aides, & quelquefois un vice-président pour exercer ses fonctions en son absence, & que ces offices étoient toûjours considérés comme affectés à un ecclésiastique.

En 1470, sur les remontrances qui furent faites au roi qu'il se présentoit en la chambre de la justice des aides des matieres criminelles, auxquelles le président clerc ou ecclésiastique ne pouvoit assister, Mathurin Barton fut pourvû d'un office de président laïc pour présider en l'absence de Louis Raguier évêque de Troyes, lorsqu'il s'agiroit d'affaires criminelles. Mais cet office ayant été supprimé au mois de Décembre de la même année, il ne resta plus qu'un seul président en la chambre de la justice des aides jusqu'en 1522, que le roi François I. par son édit du 5 Février créa un second office de président, auquel fut reçu François de Marcillac le 31 Mars ; ce qui fit prendre à Louis Picot qui étoit déjà président, le titre de premier président.

Henri II. par édit du mois de Mars 1551, portant établissement de la seconde chambre, créa deux autres présidens pour présider à cette chambre & aussi aux plaidoyeries en la premiere chambre, en l'absence du premier & du second président.

Louis XIII. par son édit du mois de Décembre 1635 qui établit la troisieme chambre, créa deux offices de présidens pour cette chambre.

Louis XIV. par un édit du mois de Mars 1619, en augmenta le nombre de deux ; & par édit du mois de Novembre 1704, il en créa encore deux autres, de maniere qu'il y a présentement dix offices de présidens ; savoir, celui de premier président qui préside à la premiere, & les neuf autres présidens sont distribués au nombre de trois dans chacune des trois chambres, savoir les plus anciens à la premiere, & les autres dans les deux autres chambres : ces derniers montent par ordre d'ancienneté à la premiere chambre.

Conseillers d'honneur. L'établissement des conseillers d'honneur n'est pas fort ancien à la cour des aides. Le premier qui ait été décoré de ce titre est François le Haguais, qui fut reçu le 2 Décembre 1700, après s'être démis de sa charge d'avocat général en la cour des aides, en faveur de Guillaume Joly de Fleuri, depuis avocat général, & ensuite procureur général au parlement de Paris. C'est un titre d'honneur que le Roi accorde en la cour des aides à l'instar des conseillers d'honneur du parlement. Leurs provisions portent qu'ils seront reçûs au titre de conseiller d'honneur ; auront entrée & voix délibérative aux audiences, chambre du conseil, & aux assemblées générales de la cour ; auront rang & séance du côté & au-dessus du doyen des conseillers, & joüiront des mêmes priviléges dont joüissent les conseillers honoraires en cette cour. Celles de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes ajoûtent, qu'il joüira des mêmes priviléges & prérogatives dont joüissent les conseillers d'honneur des autres cours. Leur réception se fait ainsi que celle des autres officiers de la cour : leur nombre n'est point fixe.

En 1659, quoiqu'il n'y eût point alors de place de conseillers d'honneur établie en la cour des aides, M. Pingré conseiller honoraire en cette cour, ayant été nommé évêque de Toulon, en eut les prérogatives, & vint siéger à l'audience en rochet & en camail au-dessus du doyen, ainsi qu'il se pratique au parlement, où les membres de cette compagnie, qui sont promûs à l'évêché, ont le rang de conseiller d'honneur.

Conseillers. Les généraux conseillers furent d'abord sans aucune distinction entr'eux jusqu'en 1398, que Gérard d'Athies archevêque de Besançon, eut le premier le titre de président. On a vû ci-dessus qu'il y en eut ensuite d'établis les uns pour la finance, & les autres pour la justice ; que les premiers avoient concurremment avec les autres l'administration de la justice, & que cette distinction s'abolit vers 1417, depuis lequel tems il n'est plus fait mention de généraux conseillers sur la finance. Charles VI. en 1390, leur joignit trois conseillers pour pourvoir à l'expédition des causes ; & enfin le nombre des officiers de la chambre de la justice des aides fut fixé à un président, quatre généraux conseillers ; & trois conseillers : ces derniers formoient un ordre à part, différent du président & des généraux.

Au mois de Juillet 1543, François I. créa deux offices, l'un de général, & l'autre de conseiller. Par un autre édit de Novembre de la même année, il créa un autre office de conseiller : & enfin par un édit du mois de Décembre suivant, il créa deux autres offices de généraux.

Henri II. par un édit du mois d'Août 1550, voulut qu'il n'y eut plus de différence entre les généraux & les conseillers, & qu'ils eussent tous le titre de généraux conseillers.

Ce même roi, par un édit du mois de Mars 1551 portant établissement de la seconde chambre de la cour des aides, créa huit offices de généraux conseillers, auxquels, par un autre édit du mois de Mai 1557, il en ajoûta six autres, qui furent réduits à un seul par un autre édit du mois de Février suivant.

Charles IX. par un édit du mois de Septembre 1570, créa encor un autre office.

Henri IV. en créa depuis six, par édit du mois de Mars 1592, qui furent réduits à trois par une déclaration du 15 Décembre 1593 ; & peu de tems après il en créa un autre par édit du mois de Mai 1594.

Louis XIII. par édit du mois d'Août 1631, en créa d'abord deux ; & par un autre édit du mois de Décembre 1635, portant établissement de la troisieme chambre, il créa douze offices de conseillers auxquels il ne donna que ce titre sans ajoûter celui de général, qui s'est aboli tout-à-fait dans la suite.

Louis XIV. par édit du mois de Mars 1691, créa six offices de conseillers, & enfin six autres par l'édit du mois de Novembre 1704 ; ensorte qu'il y a présentement cinquante-deux conseillers à la cour des aides distribués dans les trois chambres, savoir dix-huit à la premiere, & dix-sept à chacune des deux autres chambres : ces derniers montent par ordre d'ancienneté à la premiere chambre.

Avocats généraux. Il n'y en avoit originairement qu'un en la cour des aides, lequel n'avoit que le titre d'avocat du roi, ainsi que les pourvûs de pareils offices au parlement, & pouvoit comme eux plaider pour les parties. L'institution de cet office est très-ancienne. En 1386, Pierre le Cerf étoit avocat du Roi en la chambre de la justice des aides. On trouve en 1389, Jean Juvenal des Ursins, qui fut depuis avocat du roi au parlement ; & en 1399, Jean de Vailly, qui fut par la suite institué président de cette même cour, & ensuite président du parlement. Louis XII. par une déclaration du 2 Mars 1501, leur fit défenses de plaider pour les parties ; défenses que Henri II. renouvella par l'édit du mois de Mars 1551, portant établissement de la seconde chambre.

Il y eut aussi quelquefois des avocats du roi extraordinaires, comme en 1466, où François Dufresnoy en fit les fonctions.

François I. par édit de Février 1543, créa un second office d'avocat du roi.

Les avocats du Roi en la cour des aides ont eu par succession de tems le titre d'avocat général, comme ceux du parlement. Louis Galope est le premier à qui il ait été donné dans ses provisions du 9 Novembre 1578.

Le troisieme office d'avocat général fut créé par édit du mois de Mars 1691.

Les avocats généraux assistent à toutes les audiences de la premiere chambre. Ils portent aussi la parole dans les deux autres chambres, lorsque les affaires exigent leur ministere.

Procureur général. Cet office est extrêmement ancien. Dans une ordonnance de Charles V. du 24 Janvier 1372, ce prince mande d'ajourner les contrevenans pardevant nos amés & féaux les généraux-conseillers à Paris, sur le fait des aides ordonnées pour la guerre, pour répondre sur ce à notre procureur, à tout ce qu'il leur voudra demander.

On n'attribua dans le commencement à cet office que le titre de procureur du Roi. Isambert le franc-homme est le premier qui soit qualifié procureur général du Roi sur le fait des aides de la guerre, ainsi qu'il paroît par le registre des plaidoiries du 10 Avril 1404, avant Pâques.

Cette même qualité de procureur général fut aussi donnée à Jean de la Chaine, dans un arrêt de la cour des aides du 30 Avril 1405, rendu sur une instruction criminelle poursuivie à la requête du procureur général.

Jean l'Huillier fut aussi institué en cet office de procureur général, par lettres de don du roi Charles VI. l'an 1410 : qualité qui est énoncée dans les lettres patentes du même prince, du 23 Janvier 1411, & depuis ce tems tous ses successeurs ont toûjours été qualifiés de même.

Le procureur général de la cour des aides a dans son parquet quatre substituts.

Les procureurs du Roi des élections, greniers à sel, traites, & autres jurisdictions dépendantes de la cour des aides, sont aussi ses substituts ; & pendant l'absence de ceux qui sont pourvûs par le Roi de ces offices, ou vacance par mort, il a le droit d'y commettre, conformément à la déclaration du 22 Septembre 1663, qui ordonne que ceux qui seront par lui commis dans ces cas, seront reçûs, & exerceront ces commissions & substitutions en la maniere accoûtumée.

Substituts du procureur général de la cour des aides. Henri III. par édit du mois de Mai 1586, créa dans toutes les cours souveraines de son royaume, des offices en titre formé de conseillers du Roi, substituts des procureurs généraux, pour être du corps des compagnies où ils seroient établis ; & il en érigea seize pour le parlement, & quatre pour la cour des aides.

Cet édit ne fut enregistré au parlement qu'en présence du Roi, qui y tint son lit de justice ; & à la cour des aides, que du très exprès commandement du Roi. Les remontrances du parlement, & les inconvéniens de cet édit, en suspendirent l'exécution ; ensorte que les quatre offices de substituts du procureur général de la cour des aides ne furent levés qu'en l'année 1606, & ont toûjours été remplis depuis, comme ils le sont encore actuellement, au même nombre de quatre. Il en fut néanmoins créé un cinquieme par édit du mois de Novembre 1704, qui attribue la noblesse, tant à celui nouvellement créé, qu'aux quatre anciens ; & depuis, ce cinquieme office a été supprimé.

Il y avoit aussi autrefois en la cour des aides des substituts qui avoient le titre d'adjoints du procureur général, dont les fonctions consistoient à assister aux enquêtes, informations, interrogatoires, recollemens & confrontations, & autres commissions où l'adjonction étoit requise avant les ordonnances de 1667 & 1670 ; mais par une déclaration du mois de Février 1700, les fonctions de ces adjoints furent réunies au corps des offices de conseillers en la cour des aides.

Les fonctions ordinaires des quatre substituts sont de faire leur rapport devant le procureur général, des requêtes, des défauts & des procès, tant civils que criminels, dans lesquels le procureur général doit donner ses conclusions. En cas d'absence du procureur général, c'est le plus ancien des substituts qui les signe. Il y a toûjours un des substituts qui accompagne messieurs les commissaires de la cour à la visite des prisons, & qui porte la parole aux séances que la cour tient à la conciergerie, ainsi que pendant la chambre des vacations, dans les affaires où le ministere public est nécessaire.

Greffiers en chef. Dès l'origine de la cour des aides, il y a eu un greffier établi. On voit que le 17 Mai 1357, Jean Cordier signa, en qualité de greffier, au bas d'une ordonnance des généraux des aides ; une autre du mois d'Avril 1370, est signée J. Cadoret : un registre de plaidoiries, commençant en 1373, est signé à la fin H. Bonsoulas : un édit du 9 Février 1387, & des instructions du 11 Mars 1388, fort mention de Robert Lyotte greffier des généraux des aides.

Henri III. par édit du mois de Mars 1580, supprima tous les offices des greffes dans toutes les cours souveraines & autres jurisdictions de son royaume, & les réunir à son domaine pour être vendus & aliénés. Ceux qui furent pourvûs par la suite de ces offices, furent en même tems greffiers civils & criminels, des présentations, &c.

Par édit de Mars 1673, le Roi, en créant plusieurs offices de greffiers en la cour des aides, établit entr'autres deux offices de greffiers en chef, un pour le civil, & un pour le criminel ; & au mois d'Avril 1695, il les augmenta au nombre de quatre, tant pour le civil que pour le criminel. Ces quatre offices furent supprimés & récréés par un même édit du mois de Décembre 1699. Trois de ces offices furent supprimés en Février 1715 ; & enfin l'édit de Janvier 1716 en rétablit un, de sorte qu'il y a aujourd'hui à la cour des aides deux greffiers en chef. Ils ont entrée, rang & séance en la cour, & la faculté de porter la robe rouge, & jouissent des mêmes priviléges que les présidens & conseillers. Chacun d'eux est obligé d'être revêtu en même tems d'un des offices de secrétaire du Roi près la cour. Ils sont, suivant les édits, gardes & dépositaires de toutes les minutes & registres de la cour.

Il a été fait deux inventaires des registres de la cour des aides, l'un en 1607, & l'autre en 1677. Les anciens registres des plaidoiries qui subsistent aujourd'hui, commencent en Mars 1383, après Pâques ; mais l'inventaire de 1607 en énonce un qui commençoit en 1373, & qui ne se trouve plus dans l'inventaire de 1677.

Secrétaires du Roi près la cour des aides. Il y avoit anciennement dans la chambre des généraux des aides, cinq clercs notaires & secrétaires du Roi, dont les fonctions étoient de signer sous le grand scel du Roi, ou sous leurs seings particuliers, toutes les lettres, mandemens & ordonnances émanées des généraux.

Ils furent établis par édit du roi Charles VI. du 9 Février 1387, portant réduction de tous les officiers, tant sur le fait de la justice que de la finance des aides, & réduits aux gages des notaires seulement.

Ces cinq clercs notaires & secrétaires du Roi furent réduits à quatre par une ordonnance du 7 Janvier 1400, du même roi Charles VI.

Depuis ce tems-là on ne trouve aucune mention de ces officiers dans les registres de la cour des aides, jusqu'en l'année 1635, que le roi Louis XIII. par son édit du mois de Février de cette année, créa quatre offices de conseillers, notaires & secrétaires du Roi en la cour des aides de Paris, à l'instar de quatre semblables offices établis par le même édit en la cour de parlement. Il ne fut néanmoins pourvû à ces quatre offices qu'en l'année 1675, par une déclaration du 12 Janvier de la même année, par laquelle il est dit qu'ils auront rang & séance immédiatement après les avocats & procureur généraux, & greffiers en chef de cette cour.

Ces quatre offices furent supprimés & récréés par un même édit du mois d'Avril 1702 ; & au mois de Janvier 1716, il en fut créé un cinquieme. La déclaration du 4 Juin 1702, en expliquant les priviléges de ces offices qui venoient d'être nouvellement récréés, portent qu'ils joüissent des mêmes priviléges & prérogatives que les secrétaires du Roi de la grande chancellerie, & qu'en cette qualité ils peuvent signer les arrêts en l'absence ou légitime empêchement des greffiers en chef ; qu'ils ont la noblesse au premier degré, & qu'ils sont exempts des droits seigneuriaux dans la mouvance du Roi, tant en vendant qu'en achetant.

Greffiers de la cour des aides. L'édit du mois de Mars 1673, en créant pour la cour des aides deux offices de greffiers en chef, y a aussi établi quatre principaux commis, tant pour l'audience que pour la chambre du conseil ; un greffier des présentations, & un commis ; un greffier garde-sacs, & un commis ; un greffier des decrets, & un commis ; un greffier des affirmations, qui est controleur des dépens, & un commis : & celui de Juillet 1675 y a ajoûté quatre commis-greffiers écrivant à la peau. Les pourvûs de ces offices peuvent les exercer conjointement ou séparément, ou les desunir, & même les faire exercer par personnes capables, dont ils sont responsables civilement.

Greffier des appellations. La déclaration du 6 Juillet 1675, qui regle les fonctions des quatre principaux commis créés par l'édit de Mars 1673, veut qu'il y en ait un en la premiere chambre pour tenir le plumitif, & faire les minutes des arrêts des audiences publiques, confection des rôles ordinaires, reception des appointemens, même de ceux qui se délivrent sur les rôles & de tous autres, & généralement tout ce qui dépend des audiences publiques, enregistremens des lettres patentes, baux à ferme, & des receptions des officiers. Il tient aussi la plume aux audiences que la cour donne en la conciergerie pour les prisonniers ; il assiste messieurs les commissaires lorsqu'ils vont faire la visite des prisons. Celui qui est actuellement pourvû de cet office, a réuni, suivant la faculté qui a été dite ci-dessus, l'office de greffier des decrets, & de commis au greffe des decrets, & encore un des quatre offices de commis-greffiers écrivant à la peau.

Greffier civil & criminel. La même déclaration du 6 Juillet 1675, veut qu'il y ait en la premiere chambre un principal commis pour tenir le plumitif, & faire les minutes des arrêts d'audience à huis-clos, l'expédition des minutes des arrêts de rapport & affaires du conseil en cette chambre, tant au civil qu'au criminel. Elle veut aussi qu'il y en ait pareillement un en chacune des seconde & troisieme chambres, & qu'ils écrivent sous les conseillers-commissaires, les minutes de toutes les instructions criminelles. Celui qui est actuellement pourvû, a réuni ces trois offices, & en outre trois des offices de commis-greffiers écrivant à la peau.

Greffier des présentations. Cet office avoit été établi par édit du mois d'Août 1575, puis supprimé. Son dernier rétablissement est du mois de Décemb. 1699. Il est aussi greffier des affirmations.

Greffier garde-sacs & des dépôts, créé par l'édit de Mars 1673. Il tient les registres pour la distribution des procès & instances, & pour les défauts. Il est garde de tous les états de la maison du Roi, de la Reine, & des princes & princesses du sang, qui s'envoyent à la cour des aides ; & c'est lui qui en délivre les extraits, lorsque les officiers qui sont compris dans ces états, veulent jouir de leur committimus ou autres priviléges.

Payeur des gages de la cour des aides. Anciennement le receveur général des aides à Paris, étoit chargé de payer des deniers de sa recette, les gages des officiers de la chambre des généraux des aides. On voit qu'en 1370 François Daunoy avoit cette fonction. Louis XI. institua un payeur des gages, par lettres du 5 Mai 1474. Il y eut un office alternatif créé en Octobre 1554 ; un triennal, en Juillet 1597 ; & un quatriennal, en Août 1645. Le titulaire de cet office est aujourd'hui ancien, alternatif & triennal, & a trois controleurs.

Receveur des amendes. Cette commission étoit exercée, suivant les anciens registres des plaidoiries, par le receveur général des aides. Depuis, les généraux y nommerent Robert Lyotte leur greffier, & ensuite ils y commirent en 1397 Gobert Thumery, parce que le greffe étoit trop chargé. L'office de receveur des amendes a été supprimé & réuni au domaine par édit de Mars 1716, & cette fonction n'est plus exercée que sur la commission du fermier des domaines.

Receveur des épices & vacations. Cet office avoit été créé par édits de 1581 & 1586. Il a été supprimé par celui de Juillet 1626, & ensuite rétabli en Février 1691, sous le nom de conseiller-receveur ancien, alternatif & triennal des épices & vacations de la cour des aides.

Controleur des arrêts, avoit été créé par édit d'Avril 1702, sous le titre de greffier garde-minutes. L'édit de Février 1715 l'a changé en celui de contrôleur des minutes des arrêts.

Huissiers. Le premier huissier de la cour des aides, créé par l'édit du mois de Mars 1551, joüit du privilege de noblesse, en conséquence de l'édit du mois de Mars 1691 ; & dans les cérémonies il porte la robe noire, avec paremens de velours de même couleur, & chaperon noir à bourlet.

Il y a actuellement sept autres huissiers-audienciers, qui ont été successivement augmentés jusqu'à ce nombre par différens édits de création. Ils n'étoient que deux lors de leur premier établissement, qui est aussi ancien que celui de la chambre de la justice des aides, ainsi qu'il paroît par les plus anciens registres des plaidoiries de cette chambre. Ces huissiers-audienciers joüissent des mêmes prérogatives que ceux des autres cours souveraines.

Compétence de la cour des aides, priviléges, police intérieure. La cour des aides de Paris a droit de connoître & décider en dernier ressort tous procès, tant civils que criminels, entre toutes personnes, de quelqu'état, rang & qualité qu'elles soient, & de quelques priviléges qu'elles joüissent, au sujet des aides, gabelles, tailles, octrois, droits de marque sur les fers & sur les cuivres, & autres droits, subsides & impositions.

Cette cour reçoit les appels interjettés des sentences des élections, greniers à sel, juges des dépôts des sels, juges des traites ou maîtres des ports, juges de la marque des fers, & autres siéges de son ressort, même les appels des sentences rendues sur le fait des droits d'octrois ou autres, dont la connoissance est attribuée en premiere instance au bureau de la ville ou autres juges, par les édits & déclarations, sauf l'appel en la cour des aides.

Elle connoit aussi des appels des ordonnances & jugemens des intendans & commissaires départis dans les provinces & généralités, au sujet des cottes d'offices par eux faites, & des autres matieres qui sont de la compétence de cette cour.

Elle est seule compétente pour juger du titre de noblesse ; & non-seulement elle en juge sur les contestations des parties, mais son procureur général est en droit d'obliger tous ceux qui se disent nobles, à produire les pieces sur lesquelles ils fondent cette qualité. Elle vérifie les lettres d'annoblissement & de réhabilitation, & elle connoît des exemptions & privileges dont les nobles & les ecclésiastiques doivent jouïr par rapport aux aides, tailles, gabelles & autres impositions. Les nobles qui sont troublés dans leur noblesse par l'imposition aux tailles, peuvent se pourvoir en premiere instance en la cour des aides.

Les états de la maison du Roi, ceux des maisons de la Reine, des Enfans & Petits-enfans de France, & du premier prince du sang, sont vérifiés à la cour des aides de Paris, & déposés dans son greffe ; & tous les officiers compris dans ces états, n'ont pour juges en dernier ressort (pour ce qui regarde leurs exemptions) que cette cour, quoiqu'ils soient domiciliés dans l'étendue du ressort des autres cours des aides, où l'on n'envoye que des copies de ces états.

Elle connoît pareillement, & privativement aux autres cours, en premiere instance & dernier ressort, tant au civil qu'au criminel, de tous les différends pour raison des finances dont le calcul, audition & clôture des comptes appartiennent à la chambre des comptes ; du payement des debets de ces comptes, & des exécutoires de cette chambre ; &, en conséquence, de tous débats, discussion, ventes d'immeubles, priviléges & hypotheques concernant les comptables, & le maniement & administration des deniers royaux, entre les trésoriers, receveurs généraux & particuliers, leurs commis & leurs cautions : pareillement de toutes contestations concernant les baux, sous-baux, traités, transports, associations dans les affaires du Roi ; entre les fermiers, sous-fermiers, munitionnaires, entrepreneurs des vivres & étapes, traitans, leurs associés, croupiers, cautions, participes, commis & autres intéressés, sous quelque scel, privilégié ou non, que les actes ayent été passés, à Paris ou ailleurs : ce qui est fondé sur l'édit d'Henri II. du mois de Mars 1551.

Elle connoît aussi en premiere instance & dernier ressort, exclusivement à tous autres, cours & juges, de la discussion des biens de tous les comptables & gens d'affaires du royaume, & de leurs descendans & héritiers à perpétuité, en quelque lieu de l'obéissance du Roi que leurs biens soient situés, lesquels ne peuvent être purgés de l'hypotheque du Roi, que par des decrets faits en la cour des aides de Paris.

La saisie réelle, soit des offices, soit des immeubles des comptables, ne se peut faire ailleurs qu'en la cour des aides. Cette saisie se fait à la requête du procureur général de la cour des aides, poursuite & diligence du controleur général des restes ; c'est en la cour des aides qu'elle est enregistrée, & que le decret s'en poursuit ; & la compétence de cette cour s'étend tellement sur toutes les affaires & personnes dont l'on vient de parler, qu'elle a le droit de les évoquer des requêtes du palais, du châtelet & de tous les autres tribunaux, quand même les parties y auroient des attributions particulieres ; ainsi que toutes les affaires dans lesquelles les fermiers généraux, ou le controleur général des restes, sont parties ; &, en conséquence de l'évocation, de juger les appels, s'il y a eu des sentences rendues.

L'hôpital général, suivant les édits du mois d'Avril 1637 & 1656, a ses causes commises directement & en premiere instance en la cour des aides de Paris, pour tous les procès & différends mûs au sujet de ses priviléges & exemptions des droits d'aides & autres, dont la connoissance appartient à cette cour. Il en est de même de l'hôtel-Dieu.

La cour des aides de Paris a également le droit de connoître seule des appellations des sentences rendues sur le fait des aides, gabelles, & autres droits, par les prevôts & officiers de M. le prince de Condé dans l'étendue du Clermontois, sans que les appellations puissent être relevées au bailliage ni en aucune autre cour ; ce qui fut d'abord reclamé par l'enregistrement fait en la cour des aides de Paris le 15 Janvier 1661, des lettres patentes du mois de Décembre 1648, par lesquelles Louis XIV. fit don à M. le prince de Condé du Clermontois, qui avoit été cédé à S. M. par le traité de paix du duc de Lorraine du 29 Mars 1641, & depuis a été confirmé par la déclaration du 4 Juin 1704, qui fixe & détermine la compétence de chacune des deux cours du parlement de la cour des aides. Par lettres patentes du 10 Décembre 1715, registrées en la cour des aides le 15 Janvier suivant, le Roi a attribué à la premiere chambre, à l'exclusion des deux autres, la connoissance de toutes les contestations des affaires du Clermontois, qui jusque-là pouvoient être indistinctement portées dans les trois chambres.

Il y a eu aussi plusieurs autres attributions faites à la cour des aides, par différens édits & déclarations. Par déclaration du 15 Décembre 1639, elle fut commise pour exercer la justice en la cour des aides de Rouen. Par l'édit de Mars 1717, portant suppression de la chambre de justice, & par les lettres patentes du 29 Mai suivant, le Roi a renvoyé en la premiere chambre de la cour des aides, les saisies réelles ou mobiliaires faites ou à faire en exécution des rôles & des condamnations prononcées en la chambre de justice ; ensemble les adjudications & discussions qui pourroient être faites en conséquence ; & les appellations & exécutions des sentences rendues par les subdélégués de la chambre de justice ; & des saisies faites à la requête des substituts du procureur général de cette chambre.

Cette cour a le droit, ainsi que les autres cours souveraines, de faire des réglemens pour l'exercice & manutention de la justice, ainsi que pour l'exécution & interprétation des lois & ordonnances dans toute l'étendue de son ressort : elle vérifie les ordonnances, édits, déclarations, & lettres patentes, qui forment le droit général du royaume. Beaucoup de traités de paix y ont été enregistrés. Elle enregistre aussi les provisions des chanceliers ; & c'est à ses grandes audiences qu'elle en fait faire la publication, dans la même forme que cela se pratique au parlement.

Par l'édit de Mars 1551, portant création de la seconde chambre, & par celui de Juin 1636, qui confirme la troisieme chambre, cette cour a le même privilége que le parlement, de pouvoir seule juger les officiers qui la composent lorsqu'ils sont poursuivis extraordinairement pour crimes ; ce qui a été entr'autres confirmé sous Louis XIV. par le renvoi fait à la cour des aides du procès de M. le président de Maridor, qui avoit commencé à lui être fait en la chambre de justice de l'année 1661.

Suivant toutes les anciennes ordonnances elle a toute jurisdiction & correction, non-seulement sur les officiers des siéges de son ressort, mais aussi sur les thrésoriers, receveurs, collecteurs, & leurs commis, dans ce qui regarde les fonctions de leurs charges, offices, & commissions.

La cour des aides a pour effet son pilori ou poteau dans la cour du palais, au bas de l'escalier de la sainte-Chapelle, comme le parlement a le sien au bas de l'escalier du mai ; & ses jugemens portant condamnation de mort ou autres peines, s'exécutent aussi, tant à Paris que dans toutes les autres villes & lieux de son ressort, dans les places où l'on a coûtume de faire les autres exécutions.

Outre le privilége qu'ont les officiers de cette cour, de ne pouvoir être jugés ailleurs en matiere criminelle, les présidens, conseillers, gens du Roi, greffiers en chef, secrétaires du Roi près la cour, & premier huissier, joüissent de la noblesse au premier degré : sur quoi il faut observer qu'en 1645 le Roi ayant accordé la noblesse, tant à la cour des aides, qu'au parlement, à la chambre des comptes, & au grand-conseil, ce privilége qui avoit été renouvellé en 1659, fut révoqué par l'édit de Juillet 1669, portant réglement pour les offices de judicature du royaume, & fut depuis rétabli, savoir, pour le parlement, par édit de Novembre 1690 ; pour la cour des aides, par édit de Mars 1691 ; pour la chambre des comptes, par celui d'Avril 1704 ; & pour le grand-conseil, par celui d'Août 1717.

Les mêmes officiers de la cour des aides joüissent encore, suivant l'édit de Mars 1691, de l'exemption des droits seigneuriaux dans la mouvance du Roi, tant en achetant qu'en vendant.

La noblesse n'a été accordée aux substituts du procureur général de la cour des aides, que par l'édit de Novembre 1704.

Les officiers de la cour des aides joüissent du franc-salé ; ils sont commensaux de la maison du Roi, & c'est à ce titre qu'ils ont droit de deuil à la mort des Rois, & qu'ils assistent à leur enterrement en robes noires, à la différence du parlement qui y assiste en robes rouges.

Les présidens, conseillers, avocats, & procureurs généraux de la cour des aides, doivent nécessairement, suivant l'ordonnance donnée à Fontainebleau au mois de Juin 1549, être interrogés & subir pareil examen sur la loi donnée que ceux des parlemens, attendu, dit cette ordonnance, qu'elle est cour souveraine, & juge en dernier ressort de toutes les causes dont la connoissance lui est attribuée, & de si long-tems qu'il n'est mémoire du contraire. Et par la déclaration du 27 Avril 1627, registrée en parlement le 20 Décembre 1635, ils ont le privilége d'être reçûs sans subir nouvel examen, lorsqu'ils sont pourvûs d'offices du parlement ou de maîtres des requêtes.

L'habit de cérémonie de MM. de la cour des aides est, pour M. le premier président & pour les autres présidens, la robe de velours noir, avec le chaperon de la même étoffe fourré d'hermine. Les conseillers, gens du Roi, & greffier en chef, portent la robe rouge ; & suivant l'ancien usage, ils doivent porter sur la robe rouge un chaperon noir à longue cornette, ainsi que cela fut réglé par Henri II. le 7 Janvier 1552. Ce chaperon, quoique noir n'est pas une marque de deuil ; & l'on ne doit pas croire que la couleur du chaperon en diminue la dignité, parce que cela vient de ce que MM. de la cour des aides ont toûjours conservé l'ancien usage, & porté la robe rouge avec le chaperon noir, comme on la portoit vers le milieu du xvj. siecle. En effet, l'on voit sur d'anciennes vitres plusieurs conseillers au parlement qui sont ainsi représentés, c'est-à-dire en robes rouges avec le chaperon noir. Dans l'église de Champigni sur Marne, l'on y voit un Bochart ainsi habillé ; & à S. Benoît à Paris, au bas d'un retable d'autel d'une chapelle, deux conseillers au parlement que l'on a découverts par leurs armes se nommer d'Origni, sont aussi en robes rouges avec un chaperon noir fourré d'hermine. Cela se pratiquoit ainsi, parce que le chaperon étant alors la couverture de la tête & des épaules, on ne vouloit pas exposer à la pluie de l'écarlate ; & c'est de-là que le premier président du parlement étant réputé venir de son hôtel, qui avant M. de Harlai n'étoit pas dans l'enclos du palais, porte le chaperon noir sans hermine sur sa robe rouge aux petites audiences qui se donnent avant le rôle. Présentement les conseillers de la cour des aides portent la robe rouge sans chaperon ; & ce qui est remarquable par rapport à leur habillement de cérémonie, c'est qu'aux pompes funebres des Rois & des Reines ils y assistent en robes noires & de deuil, quoique le parlement y soit en robes rouges ; ce qui vient de ce que MM. de la cour des aides ont en cette occasion droit de deuil, comme commensaux de la maison du Roi. Il survint à ce sujet un incident en 1683, pour l'enterrement de la Reine épouse de Louis XIV. la lettre de cachet adressée à la cour des aides pour y assister, portoit que ce seroit en robes rouges : mais cette cour ayant remontré au Roi que ce n'étoit pas l'usage, le Roi déclara que son intention n'étoit pas d'innover, & en conséquence cette cour assista aux services à S. Denis & à Notre-Dame en robes noires de deuil.

Pour ce qui est des autres cérémonies, comme aux entrées des Rois & Reines, aux Te Deum, processions, & autres cérémonies publiques, les présidens & conseillers y assistent avec les robes de cérémonie telles qu'elles sont marquées ci-dessus.

Il y a par an deux cérémonies ordinaires auxquelles la cour des aides assiste : la premiere le 22 Mars, à la messe qui se célebre en l'église des grands Augustins, en actions de graces de la réduction de la ville de Paris à l'obéissance de Henri IV. en 1594, & la seconde, à la procession qui se fait le jour de l'Assomption en l'église métropolitaine de Paris, en exécution de la déclaration du 10 Février 1638, par laquelle Louis XIII. met son royaume sous la protection de la Vierge.

La cour des aides a rang dans toutes les cérémonies après le parlement & la chambre des comptes, comme étant de moins ancienne création que ces deux compagnies. C'est la date de la création qui regle le rang entre les compagnies ; ce qui est si vrai, que la chambre des comptes de Montpellier établie par édit de Mars 1522, à l'instar de celle de Paris, ayant voulu disputer la préséance à la cour des aides de Montpellier, qui y avoit été établie dès 1437 par ordonnance du 20 Avril, cette cour des aides y fut maintenue par arrêts du conseil contradictoires, des 16 & 23 Juillet 1557, & 28 Mars 1558.

La cour des aides est composée de trois chambres. La premiere, que l'on appelloit anciennement la chambre des généraux des aides, ou des généraux de la justice des aides, étoit autrefois le seul siége de cette cour. C'est présentement celle où se tiennent les audiences, & par cette raison elle est appellée dans plusieurs ordonnances la chambre des plaidoyers ou plaidoiries.

C'est en cette chambre que se portent, ainsi qu'il se pratique à la grand-chambre du parlement, toutes les appellations verbales des jugemens rendus dans les siéges de son ressort, toutes les requêtes introductives d'instances, ou autres qui sont présentées directement en la cour des aides pour y former de nouvelles demandes. Tous les incidens qui surviennent dans les procès ou instances avant que le partage en ait été fait entre les trois chambres, sont aussi portés en la premiere.

La premiere chambre a aussi quelques attributions qui lui sont particulieres, comme les appels des sentences rendues sur le fait des aides & gabelles & autres droits par les juges du Clermontois ; la connoissance en premiere instance des affaires de l'Hôpital général & de l'Hôtel-Dieu de Paris, au sujet de leurs priviléges & exemptions des droits d'aides & autres ; la poursuite des saisies réelles & mobiliaires faites en exécution des rôles & jugemens de la chambre de justice, &c.

C'est en cette chambre que se font les enregistremens de toutes les ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, lettres de noblesse, & autres : ce qui ne concerne que les particuliers est enregistré en la premiere chambre seule ; ce qui contient des réglemens généraux & concerne tout le royaume, est enregistré les trois chambres assemblées ; sur le reste on suit le même usage qu'au Parlement. C'est aussi en cette chambre que le grand-maître ou le maître des cérémonies vient apporter les lettres de cachet du Roi qui invitent la cour d'assister à quelque cérémonie.

Lorsque les princes viennent apporter des édits en la cour des aides, ils ont séance en la premiere chambre sur le banc des présidens, après M. le premier président, & avant les autres présidens, Les maréchaux de France qui les accompagnent se mettent sur le banc à la droite des présidens, au-dessus du doyen des conseillers, & les conseillers d'état prennent place sur le banc vis-à-vis, au-dessus des conseillers.

Les présidens, conseillers, & Gens du Roi, sont reçus & installés en la premiere chambre, toutes les chambres assemblées. A l'égard des autres officiers de la cour, ils y sont reçus sans assembler les deux autres chambres, ainsi que tous les officiers ressortissans en cette cour, qui y sont examinés & y prêtent serment.

Il y a par an deux rentrées de la cour des aides. La premiere se fait le lendemain de la S. Martin. Après la messe du S. Esprit, toutes les chambres s'étant rassemblées en la premiere, on y fait la lecture des ordonnances. M. le premier président y prononce un discours, & fait prêter serment aux greffiers & aux huissiers, & ensuite un de MM. les gens du Roi prononce une harangue. La seconde rentrée se fait le lendemain de Quasimodo. On y fait aussi la lecture des ordonnances.

L'ouverture des audiences de la cour des aides se fait en la premiere chambre, le mercredi de la premiere semaine après la S. Martin.

Les grandes audiences qui se tiennent sur les hauts siéges, sont celles des appellations, tant du rôle ordinaire que du rôle extraordinaire. Les plaidoiries du rôle ordinaire sont les mercredis & vendredis matin. Depuis l'Ascension jusqu'au 8 Septembre, lorsqu'il y a une fête le jeudi, l'audience du vendredi matin est remise au samedi. Celles du rôle extraordinaire sont les mardis de relevée, & cessent après la S. Jean. Ces rôles sont signifiés à la communauté des procureurs ; & de-là vient l'usage qui se pratique, comme au parlement, de ne point accorder de défauts aux grandes audiences avant que l'huissier ait appellé & rapporté ; c'est-à-dire qu'avant que la cour adjuge le défaut, l'huissier se transporte au haut de l'escalier de la cour des aides, d'où il appelle à haute voix dans la grand-salle la partie contre laquelle on prend le défaut & son procureur, & vient rapporter ensuite qu'ils n'ont point répondu. L'ancien des présidens tient les audiences des mardis de relevée, à l'exception de la premiere & de la derniere qui est tenue par M. le premier président.

Les audiences sur les demandes, que les anciennes ordonnances appellent audiences à huis clos, se tiennent sur les bas siéges, les mardis matin & vendredis de relevée.

Toutes ces audiences cessent passé le 7 Septembre, & ne recommencent qu'après la S. Martin.

Les gens du Roi aux grandes audiences sont assis en la même place que ceux du parlement, c'est-à-dire au banc qui est au-dessous des présidens. Les secrétaires du Roi près la cour ne se mettent point sur ce banc. A l'égard des petites audiences, ils sont placés sur le banc qui est à la gauche des présidens, qui est la même place qu'avoient autrefois au parlement les gens du Roi, sur le banc des baillis & sénéchaux.

La premiere chambre est composée du premier président, de trois présidens, des conseillers d'honneur dont le nombre n'est pas fixe, & qui ont séance au-dessus du doyen des conseillers, & de dix-huit conseillers. Les présidens & conseillers des deux autres chambres montent à la premiere par rang d'ancienneté, ainsi que les conseillers des enquêtes du parlement montent à la grand-chambre.

Par l'article 3 de la déclaration du 10 Août 1748, deux conseillers de chacune des seconde & troisieme chambres doivent à tour de rôle servir pendant six mois en la premiere chambre.

La seconde & la troisieme chambre sont composées chacune de trois présidens & de dix-sept conseillers. Elles donnent audience les mercredi & vendredi matin, sur les demandes incidentes au procès qui y sont distribués. Les avocats généraux y portent la parole dans les affaires qui requierent leur ministere. Il y a quelquefois des affaires qui sont attribuées en particulier à l'une de ces deux chambres.

La distribution des procès & instances civiles se fait également entre les trois chambres, par M. le premier président, assisté d'un président de chacune des deux autres chambres. Lorsqu'un conseiller de la seconde ou troisieme chambre monte à la premiere par droit d'ancienneté, il peut pendant le cours d'une année rapporter en la chambre d'où il est sorti les procès & instances dont il étoit chargé ; mais après l'année révolue, il les remet au greffe, pour être redistribués en cette même chambre. Les procès criminels se jugent indistinctement dans les trois chambres.

Lorsque dans les affaires de rapport il y a partage d'opinions en quelqu'une des chambres, le rapporteur & le compartiteur, c'est-à-dire celui qui a le premier ouvert l'avis contraire à celui du rapporteur, vont départager l'affaire dans une autre chambre en cet ordre : les partages de la premiere chambre vont en la seconde, ceux de la seconde en la troisieme, & ceux de la troisieme en la premiere. Il est arrivé quelquefois que des affaires s'étant trouvées successivement partagées dans toutes les chambres de la cour, le Roi a donné des lettres patentes pour les aller départager dans quelqu'une des chambres des enquêtes du parlement, comme firent MM. Quatrehommes & Bouette, les 3 & 4 Décembre 1614, en la premiere des enquêtes ; & le 8 Janvier 1633, MM. Gourreau & Bourgoin, en la seconde des enquêtes.

La chambre des vacations commence le 9 Septembre, & finit le 27 Octobre. Elle tient ses séances en la premiere chambre, où elle donne ses audiences sur les bas siéges les mercredis & vendredis matin. Elle ne connoît que des affaires sommaires ou provisoires, des affaires criminelles, & de celles qui concernent le Roi. Elle est composée de deux présidens & de quinze conseillers, savoir, cinq de chacune des chambres. L'ouverture s'en fait par M. le premier président, qui a droit d'y assister quand il le juge à propos.

Cinq fois par an, savoir la surveille de Noel, le mardi de la semaine-sainte, la surveille de la Pentecôte, la veille de l'Assomption, & la veille de S. Simon, la cour des aides va tenir ses séances à la conciergerie, & y donne audience pour les prisonniers. C'est un substitut qui y porte la parole. Quelques jours auparavant ces séances, deux conseillers commissaires, assistés d'un substitut & d'un greffier, vont faire leur visite dans toutes les prisons de Paris où il se trouve des prisonniers de son ressort, & en font ensuite leur rapport à la cour.

Les avocats du parlement plaident & écrivent en la cour des aides. Les procureurs sont les mêmes pour le parlement & pour la cour des aides.

Avant la déclaration du 10 Août 1748, les conseillers rouloient pour le service dans les trois chambres en cet ordre. Chaque sémestre ou bimestre il sortoit de chacune des chambres quatre conseillers, qui se partageoient dans les deux autres. Les bimestres étoient celui de Novembre & de Décembre, & celui de Juillet & Août ; les trimestres étoient celui de Janvier & celui d'Avril. On appelloit ces changemens de service, migrations. Leur origine venoit de l'édit de Mars 1551, portant établissement de la seconde chambre, qui ordonnoit que de six mois en six mois, six généraux conseillers de la premiere fussent députés par ordre, & successivement en la seconde chambre. La création de la troisieme chambre ayant obligé de changer l'ordre qui avoit été établi jusqu'alors, il y fut pourvû par différens arrêtés de la cour. La déclaration du 10 Août 1748 a abrogé ces migrations ; elle veut seulement que tous les six mois, deux conseillers des seconde & troisieme chambres, viennent à tour de rôle servir en la premiere : mais les conseillers de la premiere ne vont plus servir, comme auparavant ; dans les autres chambres.

Tous les officiers de la cour des aides servent pendant toute l'année.

Lorsqu'il arrive quelque conflit entre le parlement & la cour des aides, c'est-à-dire, lorsqu'une de ces compagnies reclame une affaire comme étant de sa compétence, les réglemens veulent qu'avant que le différend soit porté devant le roi, les deux compagnies conferent ensemble pour tâcher de s'accorder à l'amiable. L'édit de François II, du 29 Décembre 1559, en parlant des différends qui surviennent entre les cours de parlement de Paris & cour des aides pour raison de compétence ou incompétence de jurisdiction, porte : Voulons qu'ils soient amiablement & fraternellement entre vous traités & composés, & qu'à cette fin nos avocats & procureur général en notre dite cour des aides, ayent incontinent à communiquer & conférer desdits différends avec nos avocats & procureur général en notre dite cour de parlement.

Par une seconde disposition il ajoûte : & où ils n'en pourroient tomber d'accord, voulons que vous, gens de notredite cour des aides, ayez à députer & commettre aucuns des présidens & conseillers d'icelle, selon que le cas le requérera, pour avec vous gens de notredite cour de parlement en la grand'chambre d'icelle, conférer & communiquer desdits différends, & iceux accorder, vuider, & terminer ; & où ne pourriez vous en accorder, voulons nous en être par vous respectivement référé pour en être par nous ordonné ; sans qu'autrement il soit loisible procéder entre vous, soit par appel ou inhibitions & défenses.

La premiere partie de ce réglement s'est toûjours exécutée depuis, & s'exécute encore aujourd'hui. En conséquence, lorsqu'il y a quelque conflit entre les deux cours, les gens du Roi de la cour des aides se transportent au parquet du parlement. Les avocats généraux du parlement se mettent tous sur le même banc, & ceux de la cour des aides ensuite sur le même banc ; & M. le procureur général de la cour des aides se met sur le banc qui est vis-à-vis, sur lequel est aussi le procureur général du parlement ; un substitut de celui-ci fait le rapport de l'affaire qui forme le conflit. Si les gens du Roi des deux cours, après avoir conferé entr'eux, sont d'accord, ils renvoyent les parties à se pourvoir en la jurisdiction qui en doit connoître.

La seconde disposition de ce réglement, au sujet de la conférence en la grand'chambre du parlement lorsque les deux parquets ne s'étoient point accordés, a eu son exécution jusqu'en 1669.

La cour des aides assez ordinairement députoit un président & deux conseillers, qui se transportoient en la grand'chambre, & qui y prenoient séance ; savoir, les présidens au banc des conseillers au-dessus du doyen, & les conseillers au banc du bureau ; & ce n'étoit que lorsque les deux cours ne s'accordoient pas dans cette conférence, qu'elles se pourvoyoient au conseil.

Mais en 1669, le roi, par l'art. 12. du titre ij. des réglemens de juges en matiere civile de l'ordonnance d'Août 1669, a voulu qu'en cas que les gens du Roi des deux cours ne s'accordent pas, les parties se pourvoyent directement au conseil en réglement de juges, tant au civil qu'au criminel.

Ressort de la cour des aides. L'étendue du ressort de la cour des aides de Paris, est la même que celle du parlement de Paris, excepté que la cour des aides a de plus la province de Saintonge & l'Aunis, qu'elle anticipe sur le parlement de Bordeaux, & que d'un autre côté l'Auvergne en a été distraite pour former une cour des aides particuliere à Clermont. Par le détail qui suit des différens tribunaux dont elle reçoit les appels, on verra quelles sont les généralités comprises dans ce ressort.

ÉLECTIONS DU RESSORT.

Juges de la marque des fers, sont établis dans plusieurs généralités du ressort de la cour de aides ; savoir,

Prevôtés du Clermontois dépendantes des domaines de M. le prince de Condé, dont les appels ressortissent en la cour des aides dans les matieres qui sont de sa compétence.

Sur la cour des aides, voyez les ordonnances de la troisieme race ; Miraulmont ; Pasquier, recherches de la France, liv. II. chap. vij. Papon, liv. IV. tit. 7. Pierre Bonfons, antiq. de Paris, chap. xxxiij. Bibl. du Droit François, &c. au mot trésor ; la préface du mémorial alphabétique des tailles ; Fontanon, Joly, Chenu, Rebuffe, Corbin, recueil de la cour des aides ; le dictionn. des arrêts, au mot aides & au mot cour. Et pour l'étendue du ressort de la cour des aides, voyez la carte publiée en 1747 par M. l'abbé de la Grive. (A)

COUR DES COMPTES. Ce terme est peu usité en notre langue, quoiqu'en parlant de la chambre des comptes on dise que c'est une cour souveraine ; mais en latin on dit regiarum rationum curia. Il y a néanmoins quelques chambres des comptes auxquelles il y a cour des aides & bureau des finances unis, & que l'on appelle par cette raison cour des comptes, aides & finances. Voyez au mot COMPTES, l'article CHAMBRE DES COMPTES. (A)

COUR D'EGLISE, signifie jurisdiction ecclésiastique, non pas la jurisdiction spirituelle, qui ne s'étend que sur les ames, mais la jurisdiction temporelle que des ecclésiastiques ont en certaines matieres, par la concession du prince, tant sur les ecclésiastiques que sur les laïcs qui leur sont soumis. Le terme de cour n'est pas ici un titre d'honneur, comme pour les cours souveraines auxquelles seules il appartient de se qualifier de cour. Le terme de cour d'église signifie seulement jurisdiction ecclésiastique, & est opposé à cour laïc, ou justice séculiere : car on comprend sous le terme de cour d'église, toutes les jurisdictions ecclésiastiques, telles que les officialités ordinaires, les officialités primatiales, la jurisdiction que les archiprêtres, archidiacres, grands-chantres & autres dignitaires, ont en certaines églises ; les bureaux ecclésiastiques, tant généraux que particuliers, qu'on appelle aussi chambres ecclésiastiques, les unes diocésaines, & les autres souveraines ; mais les chambres ecclésiastiques, mêmes souveraines, ne peuvent pas se qualifier de cour.

Il y avoit autrefois au châtelet un procureur du Roi en cour d'église. Voyez PROCUREUR DU ROI. Voyez aussi JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, OFFICIALITE, PRIMATIE, PROMOTEUR, VICE-GERENT. (A)

COUR DES FINANCES, est un titre qui ne convient proprement qu'aux chambres des comptes, lesquelles connoissent seules souverainement de toutes les matieres de finance ; cependant il y a quelques autres compagnies qui prennent ce même titre, à cause que le bureau des finances de la généralité où elles sont établies, y est uni : tel est le parlement de Pau, auquel la chambre des comptes, cour des aides & finances sont unies : telles sont aussi les chambres des comptes de Rouen & de Dole. Voyez BUREAU DES FINANCES & TRESORIERS DE FRANCE. (A)

COUR FONCIERE, c'est la basse justice du seigneur pour les droits fonciers. Voyez le stile de Liege, ch. xxvj. au commencement. (A)

COUR FEODALE ou FEUDALE, c'est la justice du seigneur dominant, en laquelle les vassaux sont jugés par leurs pairs. V. le style de Liege, ch. xxv. (A)

COUR DE FRANCE. Le parlement est ainsi nommé dans plusieurs ordonnances, entr'autres une de Philippe V. du 17 Novembre 1318 ; & dans des lettres de Charles VI. du mois de Janvier 1392. (A)

COUR LAÏE signifie jurisdiction séculiere : ce terme est opposé à celui de cour d'église. Il est employé dans quelques coûtumes, comme dans celle de Paris, art. 106. qui porte que reconvention n'a lieu en cour laïe si elle ne dépend de l'action, &c. (A)

COUR MAJEURE ou PLENIERE DE BEARN, appellée anciennement en langage du pays cort-major Béarn, tit. iij. étoit la justice supérieure, que l'on appelloit ainsi pour la distinguer de la cour ou justice inférieure ou subalterne, dans laquelle la justice s'expédioit aussi au nom du prince souverain de Béarn. La cour majeure étoit composée de deux évêques, des abbés & des gentilshommes du pays : on y traitoit de toutes les grandes affaires qui regardoient l'intérêt général du pays, & les causes particulieres y étoient décidées souverainement par le prince, les évêques & les vassaux, ou par ceux d'entr'eux que les parties choisissoient, qui sont appellés les jurats de la cour dans le for de Morlas, & dans les anciens titres latins, conjuratores & legitimi proceres. Voyez au mot CONJURE. On jugeoit aussi les appels des cours subalternes, les matieres qui regardoient la liberté & la condition des personnes, & les matieres réelles. M. de Marca, en son hist. de Béarn, liv. V. ch. iij. n°. 2. & 3. & liv. VI. ch. xxiij. n°. 7. explique comment les souverains de Béarn convoquoient leur cour majeure. Voyez le glossaire de M. de Lauriere. (A)

COUR DES MARECHAUX : on donnoit autrefois ce nom à la jurisdiction des maréchaux de France, qu'on appelle aujourd'hui connétablie & maréchaussée de France ; un arrêt du parlement du 22 Janvier 1361, intervenu sur l'appel d'une sentence de cette jurisdiction, la qualifie, sentence de l'audience de la cour des Maréchaux. Voyez le dictionnaire des maréchaussées de M. de Beauclas, tome. I. au mot connétablie. (A)

COUR DES MONNOIES ; voyez au mot MONNOIE, où il sera parlé de cette cour à la suite de ce qui sera dit sur les monnoies en général. (A)

COUR DES MORTE-MAINS, c'est ainsi que la coûtume du Hainaut, ch. lxxxiij. & lxxxjv. appelle les plaids du receveur général des main-mortes. Voyez MAIN-MORTE & MORTE-MAIN. (A)

COUR DES PAIRS ou PARLEMENT DE PARIS, voyez PARLEMENT.

COUR DE PARLEMENT, voyez PARLEMENT.

COUR PERSONNELLE : on entendoit par-là anciennement toute justice où les parties étoient obligées de comparoître & procéder en personne, & non par procureur ; ce qui n'étoit pas permis alors sans lettres du prince. Il en est parlé dans la coûtume locale de Saint Severe, tit. j. art. 22. (A)

COUR DU PETIT SCEL, à Montpellier. Voyez la Martiniere, article de Montpellier, pag. 346.

COUR DES PIES-POUDREUX, en Angleterre COUR OF PI-POUDERS, pedis pulverisati curia, est une jurisdiction qui se tient à Londres en tems de foire, pour rendre justice aux marchands forains désignés sous ce terme de piés-poudreux. Bracconus, liv. V. traité. I. chap. vj. dit : propter personas quae celerem debent habere justitiam, sicut sunt mercatores quibus exhibetur justitia pepoudroux. Voyez les origines de de Brieux, pag. 76. (A)

COUR DU ROI, c'est ainsi que le parlement est qualifié dans plusieurs ordonnances, notamment dans celle de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Mars 1356 (A)

COUR DU ROI A AIGUEMORTES, voyez ci-devant COUR D'AIGUEMORTES.

COUR ROYALE DE BEZIERS, voyez ci-devant COUR DE BEZIERS.

COUR DES SALINES, à la Rochelle étoit une cour souveraine qui fut établie par édit du mois de Décembre 1639, pour connoitre des procès qui concernent le sel & les marais salans : elle fut supprimée par édit du mois de Septembre 1643. Voyez le recueil des ordonnances par Blanchard. (A)

COUR SECULIERE : ce terme comprend toutes sortes de jurisdictions laïques, soit cours souveraines ou autres tribunaux inférieurs. Il est opposé à cour d'église. (A)

COUR DU SEIGNEUR, c'est sa justice. Voyez ci-devant COUR FEODALE.

COUR ORDINAIRE, c'est ainsi que l'on appelloit la jurisdiction royale ordinaire de Nismes pour la distinguer de celle des conventions. Il en est parlé dans un arrêt du parlement du 25 Mai 1341, rapporté dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. III. pag. 605. (A)

COUR SOUVERAINE, est un tribunal supérieur & du premier ordre, qui connoît souverainement & sans appel des matieres dont la connoissance lui est attribuée par le Roi, & dont les jugemens ne peuvent être cassés que par le Roi ou par son conseil : tels sont les parlemens, le grand-conseil, les chambres des comptes, les cours des aides, les cours des monnoies, les conseils supérieurs, établis dans certaines provinces.

Si ces cours ou compagnies de justice sont appellées souveraines, ce n'est pas qu'elles ayent aucune autorité qui leur soit propre, car elles tiennent leur autorité du Roi, & c'est en son nom qu'elles rendent la justice ; c'est parce qu'elles représentent la personne du Roi plus particulierement que dans les autres tribunaux, attendu que leurs jugemens sont intitulés de son nom & qu'il est censé y être présent, & il vient en effet quelquefois au parlement tenir son lit de justice ; enfin toutes ces cours en général jugent souverainement & sans appel ; & hors le cas de cassation, leurs jugemens ont autant de force que si c'étoit une loi faite par le Prince même.

Les cours souveraines sont composées de magistrats, savoir de présidens & de conseillers pour rendre la justice, d'avocats & procureurs généraux pour faire les réquisitoires convenables ; & de greffiers, secrétaires, huissiers, & autres officiers, pour remplir les différentes fonctions qui ont rapport à l'administration de la justice.

L'autorité des cours souveraines ne s'étend pas au-delà de leur ressort, ni des matieres dont la connoissance leur est attribuée ; elles sont indépendantes les unes des autres, & ont chacune un pouvoir égal pour ce qui est de leur ressort.

S'il arrive un conflit entre deux cours souveraines, elles tâchent de se concilier par la médiation de quelques-uns de leurs officiers ; s'ils ne s'accordent pas, il faut se pourvoir au conseil du Roi en reglement de juges, pour savoir où l'on procédera. Voy. CONFLIT.

Le pouvoir des cours souveraines est plus grand que celui des autres juges : 1°. en ce que les cours souveraines ne sont pas astraintes à juger toûjours selon la rigueur de la loi ; elles peuvent juger selon l'équité, pourvû que leur jugement ne soit point contraire à la loi : 2°. il n'appartient qu'aux cours souveraines de rendre des arrêts de réglemens qui s'observent dans leur ressort sous le bon plaisir du Roi, jusqu'à ce qu'il plaise à sa Majesté d'en ordonner autrement : 3°. les cours souveraines ont seules droit de bannir hors du royaume ; les autres juges ne peuvent bannir chacun que hors de leur ressort.

Les officiers de cour souveraine joüissent de plusieurs priviléges ; quelques-uns sont réputés commensaux de la maison du Roi. Voyez aux articles des différentes cours, & aux mots PRESIDENS, CONSEILLERS, &c. (A)

COUR SPIRITUELLE DE L'ÉVEQUE D'AUXERRE, c'est la justice ecclésiastique ou officialité de cet évêque : elle est ainsi appellée dans des lettres de Charles V. du mois de Janvier 1364. Ordonnances de la troisieme race, tome IV. pag. 574.

COUR SUBALTERNE & INFERIEURE, se dit pour exprimer une jurisdiction inférieure. Le terme de cour en cette occasion ne signifie autre chose que jurisdiction, & non pas une compagnie souveraine : il est au contraire défendu à tous juges inférieurs aux cours souveraines de se qualifier de cour. (A)

COUR SUPERIEURE, est la même chose que cour souveraine. Voyez COUR SOUVERAINE. (A)

COUR DE COMTE, (Hist. mod.) en Angleterre est une cour de justice qui se tient tous les mois dans chaque comté par le sherif ou son lieutenant. Voyez SHERIF & COMTE.

Cette cour connoissoit autrefois de matieres très-importantes : mais la grande charte & les statuts d'édouard IV. lui en ont beaucoup retranché. Elle juge encore à-présent en matiere de dettes & de délits au-dessous de quarante schelins.

Avant l'établissement des cours de Westminster, les cours de comtés étoient les principales jurisdictions du royaume.

Parmi les loix du roi Edgar, il y en a une conçue en ces termes : " Qu'il y ait deux cours de comté par an, auxquelles assistent un évêque & un alderman, ou un comte, dont l'un jugera conformément au droit commun, & l'autre suivant le droit ecclésiastique ". Cette union des deux puissances pour être mutuellement secondée l'une l'autre, est aussi ancienne que le gouvernement même d'Angleterre. Voyez EVEQUE. &c.

Celui qui les sépara le premier fut Guillaume le Conquérant, qui voulut qu'on portât toutes les affaires ecclésiastiques à un consistoire qu'il créa pour cet effet (Voyez CONSISTOIRE), & que les affaires civiles fussent portées au banc du Roi. Voyez BANC DU ROI. Chambers. (G)

COUR DE LA DUCHE, (Hist. mod.) c'est une cour dans laquelle toutes les matieres qui appartiennent à la duché ou à la comté palatine de Lancastre, sont décidées par le jugement du chancelier de cette cour. Voyez COMTE, COUR, CHANCELIER, &c.

Cette cour a pris son origine du tems du roi Henri IV. d'Angleterre, qui parvint à la couronne par la déposition de Richard II. Comme il avoit par sa naissance le duché de Lancastre aux droits de sa mere, il s'en empara comme roi, & non pas comme duc ; de sorte que toutes les libertés, franchises, & jurisdictions de cette comté, passoient du roi à son grand sceau, sans avoir besoin de l'acte qui met en possession, ou de celui par lequel on reconnoît son seigneur ; comme on le pratiquoit pour la comté de March, & d'autres possessions à lui dévolues par d'autres seigneurs ses ancêtres qui n'étoient pas rois.

Henri IV. par l'autorité du parlement, sépara de la couronne les possessions & les libertés du duché de Lancastre : mais édouard IV. les rétablit sur l'ancien pié.

Les officiers de cette cour sont un chancelier, un procureur général, un receveur général, un clerc de cour, & un messager, ou un sergent, auxquels sont joints encore des assistans, tels qu'un procureur en l'échiquier, un autre en chancellerie, & quatre conseillers. Voyez CHANCELIER & PROCUREUR DE LA DUCHE.

Gwin dit que la duché de Lancastre fut créée par édouard III. qui en fit présent à son fils Jean de Gaunt, en le revêtant des droits régaliens semblables à ceux des comtes palatins de Chester ; & parce que dans la suite ce comté vint à s'éteindre dans la personne du roi Henri IV. qui le réunit à sa couronne, le même roi se croyant duc de Lancastre à plus juste titre que roi d'Angleterre, se détermina à s'assûrer solidement les droits qu'il avoit dans ce duché pour se mettre à l'abri des inconvéniens qui pouvoient arriver au royaume. Dans cette idée, il sépara le duché de la couronne, & l'attacha à sa propre personne & à ses héritiers, comme s'il n'avoit pas été roi, mais un simple particulier. Les choses continuerent dans le même état sous les regnes d'Henri V. & d'Henri VI. & même jusqu'à Edouard IV. lequel après avoir recouvré la couronne suivant les droits de la maison d'Yorck, réunit encore le duché de Lancastre à la couronne : il permit néanmoins que la cour & les officiers demeurassent dans l'état où il les trouva. C'est de cette maniere que ce duché vint avec la couronne à Henri VII. lequel, suivant la politique de Henri IV. (par les droits duquel il étoit effectivement parvenu à la royauté) sépara encore ce duché de la couronne, & le laissa ainsi à sa postérité, qui en joüit encore aujourd'hui. (G)

COUR FONCIERE, (Hist. mod.) que les Anglois appellent cour-leet, est une cour qui se tient par le seigneur du manoir, quoiqu'elle soit réellement cour du roi dans tel manoir que ce soit qu'elle se tienne ; parce que l'autorité qu'a cette cour appartient originairement à la couronne, & en est émanée aux particuliers qui l'exercent.

Dans cette cour on a droit d'informer & de prendre connoissance de toutes sortes d'offenses, qui ne peuvent pas être qualifiées de crime d'état ou de haute trahison : elle n'a à la vérité le pouvoir d'en punir qu'un petit nombre ; il faut qu'elle renvoye les autres au juge de l'assise. Chambers. (G)


COURSECOURSE

COURSE, FAIRE LA COURSE, ALLER EN COURSE, (Marine) se dit d'un vaisseau armé en tems de guerre pour aller faire des prises sur l'ennemi. On ne peut aller en course sans avoir une commission de l'amiral ; & un vaisseau qui en tems de guerre feroit la course sans avoir de commission particuliere, seroit traité comme forban.

Course se dit quelquefois du tems qu'un vaisseau met à aller d'un lieu à un autre, sur-tout quand ce sont des voyages de long cours. On dit : ce vaisseau a été deux années à faire sa course. (Z)

COURSE AMBITIEUSE, (Jurispr.) se dit en matiere bénéficiale, pour la retention des dates qui est faite en cour de Rome du vivant du titulaire ; celui qui retient ainsi prématurément des dates, est indigne du bénéfice, suivant la regle de non impetrando beneficia viventium. On peut justifier la retention des dates & la course ambitieuse, en compulsant le registre du banquier. Quelque diligence extraordinaire que le courier ait faite pour arriver à Rome, ce n'est pas ce qui rend la course ambitieuse : car s'il n'est parti que depuis le décès du titulaire, la course est bonne ; mais si l'on a envoyé à Rome du vivant du titulaire, la course est toûjours réputée ambitieuse, quand même le courier ne seroit arrivé, & que la date n'auroit été retenue que depuis la mort du titulaire. Tel est le sentiment de Castel & de Drapier contre Dumolin sur l'édit des petites dates. Voyez Drapier, traité des Bénéfices, tome I. page 183. & tome II. page 8.

Les avocats au conseil appellent aussi course ambitieuse, les démarches que quelqu'un d'entr'eux pourroit faire pour enlever à son confrere une affaire dont il est chargé. Ces sortes de courses sont expressément défendues par leurs réglemens. (A)

COURSE, (Manege) On appelle ainsi un défi de plusieurs hommes à cheval, à qui arrivera le premier, en courant de toute la vîtesse du cheval, à un but fixé. Les Anglois font fréquemment de ces courses. Le vainqueur gagne un prix ou une somme d'argent qu'on appelle une vai elle. On dit une course de bague, de tête, de Méduse. On dit aussi poursuivre un homme à course de cheval. Voyez Chambers. (V)

COURSE, terme d'Emailleur. On dit tirer l'émail à la course, lorsque le fil en est si long, que le compagnon est obligé de le soûtenir d'un bout, tandis que le maître le présente de l'autre au feu de la lampe.

COURSE DE RAMES, (Ruban.) s'entend toûjours (dans un ouvrage supposé de six retours) de cinquante-quatre rames passées dans les hautes lisses, suivant l'ordre indiqué par le patron. Si ce patron est sans glacis, ces cinquante-quatre rames seront toutes de figure, sinon il y en aura trente-six de figure, & dix-huit de glacis ; ainsi qu'il sera dit à l'article passage des rames. Les neuf premieres de ces cinquante-quatre ont été prises sur le premier retour, & passées de suite : après quoi on en a pris neuf autres sur le second retour, & toûjours de même jusqu'au dernier ; & c'est de ce passage des cinquante-quatre rames (où il faut recommencer à en prendre neuf du premier retour) que se dit le mot course de rames.

COURSE, (Serrur.) c'est la quantité dont un pêle peut avancer ou reculer. Il se dit aussi du mouvement même de cette partie de la serrure.


COURSIERS. f. (Marine) est un espace ou chemin pratiqué dans le milieu de la galere, large d'environ un pié & demi, sur lequel on va d'un bout à l'autre. (Z)

COURSIER, (Marine) On nomme ainsi la piece de canon qui est placée à l'avant d'une galere. Voyez Pl. IV. de Marine, fig. 2. la situation de cette piece de canon cotée 19. (Z)

COURSIER, (Manege) On appelle ainsi un cheval propre à la course. Les bons coursiers viennent de Naples. Ce mot n'est plus guere d'usage qu'en Poësie, où il est fort noble. (V)

COURSIER, (Hydraul.) est un chemin entre deux rangs de pilotis, que l'on donne à l'eau pour arriver aux aubes de la roue d'un moulin, & qu'on ferme quand on veut, en baissant la vanne qui est au-devant de la roue. (K)


COURSIERES. f. (Marine) pont mobile dont on se sert dans une action sur mer, pour la promte communication d'une partie du vaisseau à une autre.


COURSONS. m. (Oeconom. rustiq.) branche de vigne taillée & raccourcie à quatre ou cinq yeux au plus, qu'on doit toûjours laisser au bas du sep, pour la renouveller au cas qu'elle vienne à manquer.

COURSON ou CROCHET, s'employe communément pour la vigne ; on peut s'en servir aussi en parlant d'une branche à bois de six à sept pouces de long, taillée & raccourcie à deux ou trois pouces, pour remplir un vuide, & faire sortir des branches à bois bien placées. (K)


COURTadj. (Gramm.) terme relatif à l'étendue & à la durée, dont il désigne une portion peu considérable, relativement à une autre portion à laquelle nous comparons dans notre esprit celle que nous nommons courte. Si la chose que nous nommons courte, est un individu, nous la comparons à l'étendue ou à la durée moyenne de celle de son espece, au-dessous de laquelle nous la trouvons : si cette chose est une espece, il y a une autre espece qui n'est ni la plus grande, ni la plus courte du même genre, qui nous sert de modele, & ainsi de fuite : ainsi nous disons d'une telle élégie qu'elle est courte, rélativement à la longueur commune des élégies. Nous disons qu'une élégie est entre les pieces de Poësie une des plus courtes.

COURT, nom que les Anatomistes donnent à un grand nombre de muscles, par opposition à ceux qui sont nommés longs. Voyez LONG.

Le court extenseur de l'avant-bras, Voyez ANCONE.

Le court radial externe, voyez RADIAL.

Le court palmaire, voyez PALMAIRE.

Le court supinateur, voyez SUPINATEUR.

Le court extenseur commun des doigts du pié, voyez EXTENSEUR.

Le court peronier, voyez PERONIER.

Le court extenseur du pouce de la main & du pié, voyez EXTENSEUR.

Le court fléchisseur commun des doigts du pié, voyez PERFORE. (L)

COURT, (Manege) Un cheval court est celui dont le corps a peu de longueur du garrot à la croupe. Voyez GARROT, CROUPE.

Court-jointé, est un cheval dont le paturon est court. Voyez PATURON.

COURT, en Architecture. Voyez COUR.


COURT-BOUILLON(Cuisine) maniere particuliere d'apprêter le poisson ; on le sert sec, après l'avoir fait cuire dans de l'eau, du vinaigre, du sel & du beurre ; & on le mange avec la sauce à l'huile, au sel & au vinaigre.


COURT-JOINTÉadj. en Venerie & en Maréchallerie, se dit d'un oiseau, d'un cheval qui a les jambes de médiocre longueur.


COURT-MANCHERv. act. terme de Boucher, c'est, avec une brochette de bois, tenir le manche d'une épaule de mouton rapproché du gros, afin de la parer & la rendre plus vénale.


COURT-PLISS. m. (Comm.) c'est dans l'aunage des toiles à voile, tout pli qui a moins d'une aune.


COURTAGES. m. (Comm.) profession de celui qui s'entremet de faire acheter, vendre, échanger & troquer des marchandises, ou de faire prêter de l'argent. Voyez COURTIER.

Courtage signifie aussi le droit ou salaire qu'on paye à celui qui exerce le courtage.

Courtage est aussi un droit qui se leve à Bordeaux : c'est également le nom de la ferme de ce droit, & du bureau où on le perçoit. Dict. de Comm. (G)

* COURT AMOUREUSE, (Hist. mod.) espece de société divisée en plusieurs classes, dont la premiere étoit composée de personnages des premieres maisons de France. On ne sait pas le titre qu'ils avoient dans cette court, parce que les premiers feuillets du manuscrit qui en fait mention, ont été perdus. La seconde classe étoit des grands-veneurs : la troisieme, des thrésoriers des chartres & registres amoureuses ; la quatrieme, des auditeurs ; la cinquieme, des chevaliers d'honneur, conseillers de la court amoureuse ; la sixieme, des chevaliers-thrésoriers, la septieme, des maîtres des requêtes ; la huitieme, des secrétaires ; la neuvieme, des substituts du procureur général ; la dixieme, des concierges des jardins & vergiers amoureux ; la onzieme & derniere des veneurs de la court amoureuse. Il paroit que ce tribunal étoit une espece de parodie des tribunaux supérieurs. Ce qu'on y remarque de plus étrange, c'est le mélange, dans certaines classes, des noms les plus illustres & des noms les plus communs ; ce qui pourroit être encore une satyre de l'état des cours de justice sous Charles VII. tems auquel on rapporte l'institution de la court amoureuse, dont nous ne savons rien de plus, sinon qu'à en juger par le titre, l'art d'aimer devoit être le code de cette magistrature ; code qui étoit assez du goût de la cour de Charles VI. & d'Isabeau de Baviere sa femme.


COURTAUDadj. (Manege) On appelle ainsi un cheval de moyenne taille, à qui l'on a coupé la queue & les oreilles. (V)


COURTAUTS. m. (Luth. & Musique) Voyez nos Planches de Luth. parmi les instrumens à vent & à anche. Celui-ci n'est autre chose qu'un fagot ou basson raccourci, qui peut servir de basse aux musettes. Il est fait d'un seul morceau de bois cylindrique, & ressemble à un gros bâton : il a onze trous, sept en-dessus ; les 8, 9, 10 & 11 sont en-dessous. L'instrument est percé sur toute sa longueur de deux trous : le septieme trou indique le lieu où ces deux trous aboutissent. Pour faire de ces deux trous un canal continu, on y ajuste une boîte ; par ce moyen le vent est porté depuis l'anche jusqu'à l'onzieme trou, de sorte que l'air descend & remonte. Outre les trous dont nous venons de faire mention, il y en a six autres ; trois à droite, pour ceux qui joüent de cet instrument à droite ; & trois à gauche, pour les autres. On bouche avec de la cire ceux dont on ne se sert pas. On applique aux autres des especes de petits entonnoirs de bois qu'on appelle tetines, qui pénetrent jusque dans le second canal, où s'ouvrent les trous du dessous de l'instrument. De tous ces trous, les deux de dessous, 9 & 10, donnent le son le plus aigu : les six trous 1, 2, 3, 4, 5, 6, suivent après ; ainsi celui qui est marqué 6, fait le septieme ton. Le dixieme s'appelle le trou du pouce, parce qu'il est fermé par ce doigt : il s'ouvre dans le premier canal, ainsi que les six qui le suivent. Le septieme trou ne donne point de son, selon qu'il est ouvert ou fermé ; il continue le canal, ou il l'interrompt : les tetines font les huit, neuf & dixieme trous ; le onzieme ne sert qu'à donner issue au vent.


COURTE-HALEINEvoyez ASTHME, ORTHOPNEE.


COURTENAI(Géog. mod.) petite ville de France, dans l'île de France au Gâtinois. Long. 20. 45. lat. 48. 1.


COURTEPOINTES. f. (March. Tapiss.) c'est la partie d'un lit qui le couvre depuis le chevet jusqu'aux piés, quand il est fait, & qui descend jusque sur les soubassemens. Les courtepointes se font des étoffes les plus riches & les plus simples ; il y en a d'hyver & d'été, les unes légeres, les autres chaudes, & souvent piquées.


COURTESadj. f. terme de Fondeur de caracteres d'Imprimerie, pour distinguer une lettre dont le corps doit être coupé des deux côtés à l'extrémité de l'oeil, pour le laisser isolé. Toutes les lettres qui n'occupent que le milieu du corps, sont appellées courtes, comme on appelle longues un d, un q, dont les traits plus allongés que ceux de l'm, occupent une plus grande partie du corps, & ne doivent être coupés que d'un côté. Voyez PLEINES, LONGUES.


COURTIS. m. (Blason) tête de mort à collier d'argent.


COURTIERS. m. (Comm.) sorte de négociateur qui s'entremet entre des négocians ou des commerçans, pour la vente de leurs marchandises, ou pour leur faire trouver de l'argent ; sur quoi ils ont un droit ou un salaire. Voyez CHANGE & AGENT DE CHANGE.

En Ecosse on les nomme broccarii, qui veut dire médiateurs ou entre-metteurs dans quelque affaire.

Leur affaire est de connoître les différentes variations dans le cours du change, d'en instruire les négocians, & de faire savoir à ceux qui ont de l'argent à recevoir ou à payer dans les pays étrangers, quelles sont les personnes auxquelles ils doivent s'adresser pour en négocier le change ; & quand la transaction est finie, c'est-à-dire quand l'argent est payé, ils ont à Paris pour droit de courtage, un quart pour cent, dont la moitié est payée par chacune des deux parties qui font la négociation. En Angleterre le droit de courtage n'est que d'un par mille.

En France, jusqu'au milieu du dix-septieme siécle, on les appelloit courtiers de change ; mais par un arrêt du conseil en 1639, ce nom fut changé en celui de agens de change, banque & finance : & au commencement du dix-huitieme siecle on y ajoûta le titre de conseillers du Roi, afin de rendre cet emploi encore plus honorable. Voyez AGENT DE CHANGE.

Au Caire & dans plusieurs villes du Levant, on appelle censals les Arabes qui font l'emploi de courtiers de change. Leur façon de négocier avec les commerçans européens a quelque chose de si singulier, que nous avons crû devoir en faire un article separé. Voyez CENSAL.

Les courtiers de change à Amsterdam, nommés makelaers, sont de deux especes ; les uns sont nommés courtiers jurés, à cause du serment qu'ils font entre les mains des bourguemaîtres ; les autres négocient sans être autorisés pour cela : on appelle ces derniers courtiers ambulans. Les courtiers jurés sont au nombre de 395, dont 375 sont Chrétiens, & 20 Juifs. Il y a presque le double de ce nombre de courtiers ambulans ; de sorte qu'il y a près de mille courtiers de change à Amsterdam. Il y a cette différence entre les courtiers jurés & les courtiers ambulans, que les livres & le témoignage des premiers sont reçûs dans les cours judiciaires, comme des preuves ; au lieu que dans un cas de contestation, les derniers sont récusés & leurs transactions annullées. La même distinction a aussi lieu en Angleterre entre ces deux sortes de courtiers.

Le droit des jurés courtiers de change à Amsterdam, est fixé par deux reglemens, par celui de 1613, & par celui de 1623 ; pour les affaires du change, à 18 sols pour 100 livres de gros, qui valent 600 florins, c'est-à-dire 3 sols par 100 florins, payables moitié par le tireur, & moitié par celui qui paye l'argent ; mais l'usage a autorisé en cela bien des changemens.

Dans l'Orient toutes les affaires se font par une espece de courtiers que les Persans appellent dedal, c'est-à-dire grands parleurs. Leur façon de négocier est très-singuliere. Après que les courtiers se sont étendus en de longs & souvent d'impertinens discours, ils ne s'entretiennent plus qu'avec les doigts lorsqu'il s'agit de conclure le marché. Le courtier de l'acheteur & celui du vendeur se donnent réciproquement la main droite, qu'ils couvrent avec leurs habits ou avec un mouchoir. Le doigt étendu signifie six ; plié, il veut dire cinq ; le bout du doigt dénote un ; la main entiere signifie cent ; & le poing fermé, mille. Ils savent exprimer jusqu'aux sols & deniers avec la main. Pendant que ce commerce mystérieux dure, les deux courtiers paroissent aussi tranquilles & de sang froid, que s'il ne s'agissoit de rien entr'eux. Voyez les Dictionn. de Trévoux & du Comm. Chambers.


COURTIGE(Comm.) terme en usage à Marseille & dans le Levant, pour signifier ce qui manque sur la longueur que doivent avoir les étoffes. (G)


COURTILIERES. f. grillotalpa, (Hist. nat. Insectolog.) grillon, taupe, ou taupe-grillon, insecte qui a été ainsi appellé, parce qu'il fait un bruit comme celui du grillon, & qu'il reste sous terre comme la taupe. Il est de la longueur & de la grosseur du petit doigt, & il ressemble en quelque façon à une sauterelle ; il a auprès de l'anus deux filets garnis de poils ; le corps est formé par huit anneaux écailleux, un peu velus, & de couleur de châtaigne ; le ventre est mou, & moins foncé en couleur ; le dos est recouvert par deux ailes terminées en pointe, le long desquelles il y a une ligne noirâtre ; ces ailes sont plissées, & deux autres ailes déployées & marquetées par des stries noires, s'étendent jusqu'à la moitié des premieres : mais celles-ci se prolongent jusqu'à la moitié de la longueur de la queue. Cet insecte a quatre jambes, les deux dernieres sont les plus longues ; elles sont attachées au premier anneau du corps, & composées de quatre parties jointes par des articulations. La premiere partie est une sorte de fémur ; la seconde, un tibia dentelé ; la troisieme correspond au tarse ; & la quatrieme est terminée par un filet fourchu, au lieu de doigts. Les autres jambes ressemblent à celles-ci, quoique plus petites. La poitrine est revêtue d'un corcelet fort & velu, de couleur noirâtre en-dessus, & moins foncé en-dessous. Il y a de chaque côté de la tête, au lieu de bras, deux prolongemens durs comme les serres des crustacées : chacun est composé de quatre pieces ; la premiere forme, pour ainsi dire, l'aisselle ; la seconde est plus longue, plus large, & appliquée contre la poitrine. Cette partie a une sorte d'appendice, dans laquelle s'engage la troisieme, que l'on peut comparer à une main ; elle a cinq pointes noirâtres qui tiennent la place des doigts, & deux autres au lieu de pouces : cette sorte de main se fléchit en-dehors, comme celle de la taupe. La tête est enfoncée en partie dans le corcelet ; elle est velue ; elle a deux antennes placées, comme celles des écrévisses, derriere le nez & au-dessous des yeux : il y a aussi des papilles blanchâtres, & une sorte de barbe. La queue de cet insecte est fourchue ; les yeux sont durs, brillans & noirâtres. Ce qu'il y a de plus singulier dans les parties de l'intérieur, c'est qu'il s'y trouve plusieurs estomacs, comme dans les animaux ruminans. Descript. anat. grillotalp. D. J. de Muralto. eph. nat. cur. dec. 2. ann. 1 & 2.

La courtiliere creuse en terre, comme la taupe, avec les deux sortes de mains dont il a été fait mention ; elle se soûtient sur les jambes de devant, & saute à l'aide de celles de derriere ; elle marche fort lentement, & son vol ne differe guere d'un saut. Cet insecte se loge dans la terre humide ; mais il en sort pendant la nuit, & même au coucher du soleil : le bruit qu'il fait est assez fort pour être entendu de loin. La courtiliere ramasse des grains de froment, d'orge & d'avoine ; elle les porte dans ses soûterreins ; elle coupe la racine des plantes, & porte beaucoup de dommage aux jardins. Aldrovande lui donne le nom de vermis cucurbitarius, parce qu'on la trouve souvent en Italie sur une sorte de courge ou citrouille. On dit qu'elle enferme ses oeufs dans une petite motte de terre, jusqu'au nombre de cent cinquante, & qu'elle approche ce grouppe de la surface du terrein lorsque l'air est doux, & que dans le froid elle le descend jusqu'au-dessous de la profondeur à laquelle pénetre la gelée. Mouff. theat. ins. Aldr. de ins. Voyez INSECTE. (I)


COURTINES. f. (Art milit. Fortificat.) est la partie de la muraille ou du rampart, comprise entre deux bastions, dont elle joint les flancs, comme E F, Pl. I. de Fortificat. fig. 1. Voyez REMPART & BASTION.

Ducange dérive ce mot du latin cortina, quasi minor cortis, petite cour entourée de murailles : il dit que c'est à leur imitation que l'on donnoit ce nom aux remparts & aux parapets qui enferment les villes comme une cour : il ajoute que les rideaux des lits tirent leur nom de la même origine ; que cortis étoit le nom de la tente du général ou du prince, & que ceux qui en avoient la garde étoient appellés cortinarii & curtisarii. Dictionn. étimol. & de Trév.

La courtine est ordinairement bordée d'un parapet de 6 ou 7 piés de haut comme le reste de l'enceinte, qui sert à couvrir les soldats qui défendent le fossé & le chemin couvert. Voyez PARAPET & CONTRESCARPE.

Les assiégeans s'avisent rarement d'attacher le mineur à la courtine, parce qu'elle est la partie de la place la mieux flanquée. Voyez FLANC. (Q)


COURTISAN(Morale) que nous prenons ici adjectivement, & qu'il ne faut pas toûjours confondre avec homme de la cour ; c'est l'épithete que l'on donne à cette espece de gens que le malheur des rois & des peuples a placés entre les rois & la vérité, pour l'empêcher de parvenir jusqu'à eux, même lorsqu'ils sont expressement chargés de la leur faire connoître : le tyran imbécille écoute & aime ces sortes de gens ; le tyran habile s'en sert & les méprise ; le roi qui sait l'être, les chasse & les punit, & la vérité se montre alors ; car elle n'est jamais cachée que pour ceux qui ne la cherchent pas sincerement. J'ai dit qu'il ne falloit pas toûjours confondre courtisan avec homme de la cour, sur-tout lorsque courtisan est adjectif ; car je ne prétens point, dans cet article, faire la satyre de ceux que le devoir ou la nécessité appellent auprès de la personne du prince : il seroit donc à souhaiter qu'on distinguât toûjours ces deux mots ; cependant l'usage est peut-être excusable de les confondre quelquefois, parce que souvent la nature les confond ; mais quelques exemples prouvent qu'on peut à la rigueur être homme de la cour sans être courtisan ; témoin M. de Montausier, qui desiroit si fort de ressembler au misantrope de Moliere, & qui en effet lui ressembloit assez. Au reste, il est encore plus aisé d'être misantrope à la cour, quand on n'y est pas courtisan, que d'y être simplement spectateur & philosophe ; la misantropie est même quelquefois un moyen d'y réussir, mais la philosophie y est presque toûjours déplacée & mal à son aise. Aristote finit par être mécontent d'Alexandre. Platon, à la cour de Denis, se reprochoit d'avoir été essuyer dans sa vieillesse les caprices d'un jeune tyran, & Diogene reprochoit à Aristippe de porter l'habit de courtisan sous le manteau de philosophe. En vain ce même Aristippe, qui se prosternoit aux piés de Denis, parce qu'il avoit, disoit-il, les oreilles aux piés, cherchoit à s'excuser d'habiter la cour, en disant que les philosophes doivent y aller plus qu'ailleurs, comme les medecins vont principalement chez les malades : on auroit pû lui répondre, que quand les maladies sont incurables & contagieuses, le medecin qui entreprend de les guérir ne fait que s'exposer à les gagner lui-même. Néanmoins (car nous ne voulons rien outrer) il faut peut-être qu'il y ait à la cour des philosophes, comme il faut qu'il y ait dans la république des lettres des professeurs en Arabe, pour y enseigner une langue que presque personne n'étudie, & qu'ils sont eux-mêmes en danger d'oublier, s'ils ne se la rappellent sans-cesse par un fréquent exercice. (O)


COURTISANNES. f. (Morale) on appelle ainsi une femme livrée à la débauche publique, sur-tout lorsqu'elle exerce ce métier honteux avec une sorte d'agrément & de décence, & qu'elle sait donner au libertinage l'attrait que la prostitution lui ôte presque toûjours. Les courtisannes semblent avoir été plus en honneur chez les Romains que parmi nous, & chez les Grecs que chez les Romains. Tout le monde connoît les deux Aspasies, dont l'une donnoit des leçons de politique & d'éloquence à Socrate même ; Phryné, qui fit rebâtir à ses dépens la ville de Thebes détruite par Alexandre, & dont les débauches servirent ainsi en quelque maniere à réparer le mal fait par le conquérant ; Laïs qui tourna la tête à tant de philosophes, à Diogene même qu'elle rendit heureux, à Aristippe, qui disoit d'elle, je possede Laïs, mais Laïs ne me possede pas (grande leçon pour tout homme sage) ; enfin la célebre Léontium, qui écrivit sur la philosophie, & qui fut aimée d'Epicure & de ses disciples. Notre fameuse Ninon Lenclos peut être regardée comme la Léontium moderne ; mais elle n'a pas eu beaucoup de semblables, & rien n'est plus rare parmi nous que les courtisannes philosophes, si ce n'est pas même profaner ce dernier nom que de le joindre au premier. Nous ne nous étendrons pas beaucoup sur cet article, dans un ouvrage aussi grave que celui-ci. Nous croyons devoir dire seulement, indépendamment des lumieres de la religion, & en nous bornant au pur moral, que la passion pour les courtisannes énerve également l'ame & le corps, & qu'elle porte les plus funestes atteintes à la fortune, à la santé, au repos & au bonheur. On peut se rappeller à cette occasion le mot de Démosthene, je n'achete pas si cher un repentir ; & celui de l'empereur Adrien, à qui l'on demandoit pourquoi l'on peint Venus nue ; il répondit, quia nudos dimittit.

Mais les femmes fausses & coquettes ne sont-elles pas plus méprisables en un sens, & plus dangereuses encore pour le coeur & pour l'esprit, que ne le sont les courtisannes ? C'est une question que nous laisserons à décider.

Un célebre philosophe de nos jours examine dans son histoire naturelle, pourquoi l'amour fait le bonheur de tous les êtres, & le malheur de l'homme. Il répond que c'est qu'il n'y a dans cette passion que le physique de bon ; & que le moral, c'est-à-dire le sentiment qui l'accompagne, n'en vaut rien. Ce philosophe n'a pas prétendu que ce moral n'ajoûte pas au plaisir physique, l'expérience seroit contre lui ; ni que le moral de l'amour ne soit qu'une illusion, ce qui est vrai, mais ne détruit pas la vivacité du plaisir (& combien peu de plaisirs ont un objet réel !) Il a voulu dire sans doute que ce moral est ce qui cause tous les maux de l'amour, & en cela on ne sauroit trop être de son avis. Concluons seulement de-là, que si des lumieres supérieures à la raison ne nous promettoient pas une condition meilleure, nous aurions beaucoup à nous plaindre de la Nature, qui en nous présentant d'une main le plus séduisant des plaisirs, semble nous en éloigner de l'autre par les écueils dont elle l'a environné, & qui nous a, pour ainsi dire, placés sur le bord d'un précipice entre la douleur & la privation.

Qualibus in tenebris vitae quantisque periclis

Degitur hoc aevi quodcumque est ?

Au reste, quand nous avons parlé ci-dessus de l'honneur que les Grecs rendoient aux courtisannes, nous n'en avons parlé que relativement aux autres peuples : on ne peut guere douter en effet que la Grece n'ait été le pays où ces sortes de femmes ont été le plus honorées, ou si l'on veut le moins méprisées. M. Bertin, de l'académie royale des Belles-lettres, dans une dissertation lûe à cette académie en 1752, & qu'il a bien voulu nous communiquer, s'est proposé de prouver contre une foule d'auteurs anciens & modernes, que les honneurs rendus aux courtisannes chez les Grecs, ne l'étoient point par le corps de la nation, & qu'ils étoient seulement le fruit de l'extravagante passion de quelques particuliers. C'est ce que l'auteur entreprend de faire voir par un grand nombre de faits bien rapprochés, qu'il a tirés principalement d'Athenée & de Plutarque, & qu'il oppose aux faits qu'on a coûtume d'alléguer en faveur de l'opinion commune. Comme le mémoire de M. Bertin n'est pas encore imprimé en Mars 1754 que nous écrivons ceci, nous ne croyons pas devoir entrer dans un plus grand détail, & nous renvoyons nos lecteurs à sa dissertation, qui nous paroît très-digne d'être lûe. (O)


COURTOISES(ARMES) Hist. mod. armes innocentes & qui ne pouvoient blesser ; c'est l'opposé d'armes à outrance : ce fut des premieres seulement qu'on usa d'abord dans les tournois ; mais bientôt une valeur mal-entendue remit des fers aux lances, rendit des pointes aux épées, & ensanglanta des jeux où il n'étoit question que de montrer de l'adresse.


COURTOISIES. f. (Hist. mod.) en Angleterre, se dit d'une sorte de tenure de biens qu'un homme possede du chef de sa femme, après même qu'elle est décédée sans lui avoir laissé d'enfans, pourvû toutefois qu'elle soit accouchée d'un enfant qui soit né vivant ; car en ce cas, quoique la mere & l'enfant soient morts, l'époux survivant reste en possession, pour sa vie, des héritages dont la femme est morte saisie & vêtue, & sera dit les tenir par courtoisie d'Angleterre ; parce qu'en effet ce privilége n'a lieu qu'en Angleterre, si ce n'est aussi en Ecosse, où il est appellé curialité d'Ecosse, curialitas Scotiae.

Cette tenure a été introduite en Angleterre par Guillaume le Conquérant, qui l'apporta de Normandie, où elle s'observoit sous le nom de veuveté. Chambers. (G)

COURTOISIE, (Fauconn.) faire la courtoisie aux autours, c'est leur laisser plumer le gibier.


COURTONS. m. (Filassier) c'est, après l'étoupe, la plus mauvaise espèce de chanvre. On l'appelle ainsi, parce qu'elle est très-courte. Les autres especes sont le chanvre proprement dit, la filasse, & l'étoupe.


COURTRAI(Géog. mod.) ville des pays-bas Autrichiens, dans la Flandre, sur la Lis. Long. 20. 58. lat. 51. 51.


COURVETTES. m. (Marine) c'est une espece de barque longue, qui n'a qu'un mât & un petit trinquet, & qui va à voiles & à rames : on s'en sert pour aller à la découverte & pour porter des nouvelles ; il y en a toûjours à la suite d'une armée navale. (Z)


COURZOLA(Géog. mod.) île dans le golfe de Venise, qui est près des côtes de Dalmatie, avec une ville de même nom, qui porte le titre d'un duché.


COUSINculex, sub. m. (Hist. nat. Insectolog.) insecte fort connu par sa piquûre & par son bourdonnement ; on éprouve assez l'une & l'autre de ces incommodités, pour être curieux d'en connoître la cause, aussi nos plus grands observateurs n'ont-ils pas négligé cet insecte. Il n'est que trop multiplié : on en distingue dans ce pays-ci plusieurs especes de différentes grandeurs ; aux environs de Paris on peut en reconnoître trois especes ; ceux de la plus grande ont sur le corps des marques de blanc & de noir, & sur le corcelet des ondes brunes ou noires, mêlées avec des ondes blanches ou grisâtres ; les yeux sont bruns. D'autres cousins moins grands ont le corps brun ; le corcelet des plus petits, qui sont les plus communs, est de couleur rousse ou de feuille morte, & le corps blanchâtre : ils ont le ventre gris, excepté l'endroit d'une tache brune qui est sur chaque anneau. En général les cousins ont le corps allongé, cylindrique, & composé de huit anneaux ; le corcelet est court & gros, il porte les six jambes, les deux ailes, & les deux balanciers ou maillets de cet insecte. On y voit aussi quatre stigmates. Dans l'état de repos les ailes se croisent l'une sur l'autre ; elles sont très-minces & transparentes ; on y apperçoit au microscope quelques écailles semblables à celles des ailes de papillon ; ces écailles sont placées pour l'ordinaire le long des nervures de l'aile, ce qui ressemble en quelque sorte à des feuilles posées le long de la tige d'une plante ; il y a aussi des écailles sur le corcelet & sur tous les anneaux du corps, & on y découvre des poils longs & extrèmement fins : les antennes sont faites en forme de panache, celles des mâles sont plus grosses que celles des femelles. Ces insectes ont des yeux à réseau qui entourent presque toute la tête ; il y en a qui sont d'un beau verd, changeant à certains aspects où ils paroissent rouges. Dans quelques especes il y a deux corps oblongs, arrondis, & placés près de la trompe comme les barbes des papillons. Les cousins piquent par le moyen d'une trompe : c'est une sorte d'instrument composé de plusieurs pieces renfermées dans un fourreau, qui paroît cylindrique dans la plus grande partie de sa longueur, & qui est couvert d'écailles ; il est terminé par un bouton pointu, dont l'extrémité est percée : on apperçoit quelquefois une pointe qui sort par cette ouverture ; mais lorsqu'on presse l'insecte entre deux doigts par le corcelet près de la tête, on voit le fourreau de la trompe s'entr'ouvrir dans sa partie supérieure, & quelquefois d'un bout à l'autre, jusqu'au bouton qui est à l'extrémité. Il sort alors de l'ouverture du fourreau une espece de fil rougeâtre & luisant, qui se courbe dans toute sa longueur ; ce fil est composé de plusieurs filets que l'on peut séparer les uns d'avec les autres, & qui se séparent quelquefois d'eux-mêmes. Lorsque l'insecte pique, on voit la pointe qui sort de l'ouverture du bouton placé à l'extrémité de la trompe : il fait d'abord quelque tentative, & semble chercher l'endroit où il enfoncera la pointe ; alors si on l'observe, par exemple, sur la main avec une loupe, on voit qu'à mesure que l'aiguillon pénetre dans la chair, il glisse à travers le bouton qui remonte du côté de la tête de l'insecte : le fourreau n'étant pas fait de façon à se raccourcir en se plissant, il se plie par le milieu, l'aiguillon en sort par la fente dont il a déjà été fait mention, & le bouton du fourreau en se rapprochant de la tête de l'insecte met le fourreau en double. Cette organisation est particuliere à la trompe du cousin : c'est par ce moyen qu'un aiguillon qui n'a qu'une ligne de longueur, peut entrer dans la peau à trois quarts de ligne & plus de profondeur sans s'allonger d'autant, sans que le fourreau se plisse & sans que le bouton entre dans l'ouverture que fait l'aiguillon. Il y a quelques différences entre les trompes des diverses especes de cousins : on voit quelquefois deux antennes qui se séparent de la trompe ; dans d'autres l'aiguillon a un double fourreau ; l'extérieur est composé de deux pieces latérales, qui se séparent du second, & s'élevent jusqu'à la tête de l'insecte avant que le second fourreau se plie lorsque l'aiguillon fait une piquûre. Il y a de ces insectes dont l'aiguillon est plus fort que celui des especes les plus communes ; l'extrémité de l'étui s'éloigne de celle de l'aiguillon, qui par conséquent ne passe plus par le bouton de l'étui lorsqu'il sort au-dehors ; l'insecte s'appuie alors sur l'extrémité de l'étui de la trompe, comme sur une jambe qui pose à une ou deux lignes de l'endroit où se fait la piquûre de l'aiguillon.

Cet aiguillon est dans tous les cousins composé de plusieurs pieces, mais si fines, que les observateurs ne sont pas d'accord ni sur leur nombre ni sur leur figure ; mais il n'est pas douteux que ces insectes ne sucent le sang des animaux & de l'homme par le moyen de leur trompe ; ils s'en remplissent l'estomac & tous les intestins. Le ventre qui est plat, flasque, & gris, lorsqu'il est vuide, devient arrondi, tendu, & rougeâtre, après qu'il a été rempli de sang ; & pour qu'il en contienne une plus grande quantité, on prétend que l'insecte rend les excrémens qui y étoient restés ; mais cette quantité est si petite, qu'elle seroit très-indifférente si nous ne ressentions pas une petite douleur dans l'instant de la piquûre, & sur-tout si elle n'étoit pas suivie d'une demangeaison assez forte, & d'une enflûre assez considérable. Sur les bords de la mer & dans les lieux marécageux, où il se trouve un plus grand nombre de ces insectes qu'ailleurs, il arrive que leurs piquûres sont si fréquentes, que des gens en ont eu les bras & les jambes enflés & affectés au point, qu'il étoit à craindre qu'on ne fût obligé de les couper. Pour l'ordinaire les piquûres de ces insectes ne sont pas si dangereuses, mais on en est assez incommodé pour en rechercher la cause & le remede.

L'aiguillon qui fait cette piquûre est si délié, qu'on a peine à l'appercevoir, & qu'on ne sait comment il est capable de causer de la douleur & des tumeurs dans la peau : on a cru que ces symptomes venoient de ce que l'aiguillon avoit une figure particuliere ; mais il y a là-dessus une autre opinion, c'est qu'il sort de la trompe une liqueur qui peut irriter la petite plaie. On a vû dans diverses circonstances de petites gouttes d'une liqueur claire au bout de la trompe, &c. cette eau sert peut-être à délayer le sang, & à le rendre assez fluide pour qu'il puisse entrer dans la trompe. On a comparé cette liqueur à la salive qui prépare les alimens à la digestion. Quoiqu'il en soit, il vaudroit encore mieux avoir un bon remede contre les piquûres du cousin, que de connoître la cause des accidens qu'elles font éprouver. On conseille de délayer avec de l'eau la liqueur que l'insecte a laissée dans la plaie, c'est-à-dire de laver la plaie aussi-tôt qu'on a été piqué, & même de la gratter pour l'aggrandir afin que l'eau y pénétre mieux. Pour l'ordinaire on ne la gratte que trop, & l'enflûre n'en est que plus grande ; mais je ne doute pas que l'eau, ou tout autre topique émollient & rafraîchissant, ne puisse non-seulement adoucir la demangeaison & prévenir l'enflûre, mais même faire disparoître la tumeur lorsqu'elle est déjà formée ; & je crois qu'on ne doit pas négliger de traiter méthodiquement les piquûres de ces insectes, lorsqu'il y en a plusieurs sur une même partie. Il est à croire que le sang des animaux n'est pas un aliment nécessaire pour les insectes dont il s'agit, & que la plûpart vivent du suc des plantes, sans jamais sucer de sang.

Les cousins naissent dans les eaux croupissantes. On les trouve sous la forme de vers aquatiques dans les mares, depuis le mois de Mai jusqu'au commencement de l'hyver. Dans les années pluvieuses leur nombre est prodigieux : mais il est toûjours aisé d'en avoir : il suffit de laisser un baquet plein d'eau à l'air, au bout de quelques semaines il y a des vers de cousins. Ceux des différentes especes peuvent varier en quelque chose dans leur figure ; mais ils se ressemblent tous pour les parties essentielles. Ces vers n'ont ni jambes ni dents ; le corps est allongé ; la tête bien détachée du premier anneau auquel elle tient par une espece de cou. Les anneaux sont au nombre de neuf ; le premier est beaucoup plus gros & plus long que les autres ; ils diminuent successivement de grosseur jusqu'au dernier, qui est le plus petit de tous : il y a une sorte de tuyau qui tient au dernier anneau, & qui pour l'ordinaire est dirigé obliquement en arriere & à côté : sa longueur est plus grande que celle des trois anneaux qui le précédent pris ensemble ; c'est par ce conduit que le ver respire. L'ouverture qui est à l'extrémité se trouve à la surface de l'eau, de sorte que l'insecte est comme suspendu la tête en bas. Dès qu'on agite l'eau, ces vers s'y enfoncent ; mais bien-tôt ils reviennent à la surface, où il est aisé de les voir, quoiqu'ils soient très-petits. Un autre tuyau tient encore au dernier anneau ; il est aussi gros, mais plus court que l'autre, & il sert d'anus. Chacun des anneaux a de chaque côté une houppe de poils ; mais le premier en a trois. La couleur des anneaux est verdâtre ou blanchâtre, lorsque le ver est nouvellement éclos ; elle devient grisâtre lorsqu'il approche du tems de sa transformation. La tête est un peu plus brune que le reste de l'insecte : on voit une tache brune à l'endroit de chaque oeil, & autour de la bouche des barbillons qui servent à diriger les alimens qui nagent dans l'eau. Il y a encore sur la tête deux antennes différentes de celles des insectes ailés ; elles sont courbées en arc, & n'ont qu'une articulation qui est à la base.

Le ver du cousin change trois fois de peau en quinze jours ou trois semaines. Avant que de se transformer à la quatrieme fois, il perd sa premiere forme, il se raccourcit & s'arrondit ; le corps est contourné de façon que la queue est appliquée contre le dessous de la tête, & que le tout a une forme lenticulaire : une partie de sa circonférence est plus épaisse que l'autre ; celle-là est à la surface de l'eau, & l'autre en-bas : on distingue sur la premiere deux sortes de cornes, ou plutôt deux cornets qui ressemblent à des oreilles d'âne. Lorsque l'insecte nage, il déplie la partie du corps qui étoit recourbée en-dessous jusqu'auprès de la tête. Dans ce second état il peut être appellé nymphe ou chrysalide, parce qu'il a des qualités propres à l'une & à l'autre : alors il ne mange plus, mais il respire comme auparavant, quoique la situation des organes soit différente ; l'air entre par les cornets qui s'élevent sur le corcelet, & qui se trouvent à la surface de l'eau. L'état de nymphe dure plus ou moins, selon le degré de chaleur. Quelquefois la seconde transformation se fait onze ou douze jours après la naissance du ver ; & d'autres fois ce n'est qu'après quatre semaines.

Par cette transformation l'insecte passe de l'etat de nymphe à celui d'insecte ailé, dans lequel nous lui donnons le nom de cousin. Pour y parvenir, il étend la partie postérieure du corps à la surface de l'eau, au-dessus de laquelle le corcelet paroît ; alors l'enveloppe extérieure de la nymphe se fend assez près des deux cornets, ou même entre ces deux cornets ; le corcelet se découvre, la fente s'aggrandit, & bientôt la tête du cousin s'éleve au-dessus des bords ; le corps suit, & à mesure que l'insecte sort de son enveloppe, il se redresse, & parvient enfin à mettre son corps dans une direction presque verticale, s'appuyant sur sa partie postérieure qui porte dans le milieu de sa dépouille comme un mât dans le milieu d'un bateau. En effet, la dépouille lui sert de barque ; & si par quelqu'accident l'insecte perd l'équilibre au point que l'eau passe par-dessus les bords de l'ouverture qu'il a faite dans sa dépouille lorsqu'il en est sorti, & qu'elle entre dans la cavité qui est restée vuide par le déplacement du corps de l'insecte, la barque est submergée, & il tombe dans l'eau où il périt à l'instant ; ce qui arrive à une grande quantité de ces insectes lorsqu'il fait du vent dans le tems de leur transformation. Cependant pour l'ordinaire la barque se soûtient, & en une minute la manoeuvre la plus difficile est achevée. Le cousin tire d'abord ses deux premieres jambes du fourreau, ensuite les deux suivantes, & les appuie sur l'eau en penchant son corps ; enfin il déplie ses ailes ; dans un instant elles se sechent, & l'insecte prend l'essor.

On ne sait pas comment, ni en quel lieu, ni en quel tems se fait l'accouplement de ces insectes ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils sont très-féconds ; une seule femelle produit deux cent cinquante ou trois cent, & même jusqu'à trois cent cinquante oeufs d'une seule ponte ; & s'il ne faut que trois semaines ou un mois pour chaque génération, il pourroit y avoir six ou sept générations chaque année, puisqu'on trouve des oeufs dans les mares depuis le mois de Mai jusqu'à l'hyver. Dès que l'on a vû des nymphes se transformer en cousins, dans un vase que l'on a rempli d'eau & exposé à l'air, comme il a déjà été dit, peu de jours après il se trouve dans le même vase de nouveaux oeufs qui nagent sur la surface de l'eau ; ils sont oblongs, & plus gros à un bout qu'à l'autre : tous ceux qui viennent d'une même femelle sont rassemblés en un tas, situés verticalement le gros bout en bas, & l'autre en haut à la surface de l'eau. Ces oeufs sont collés les uns aux autres, & disposés de façon qu'ils forment une sorte de radeau dont la figure approche de celle d'un bateau plat qui se soûtient sur l'eau ; car si elle y entroit, les oeufs n'éclorroient pas. Lorsqu'on les regarde à la loupe, on voit que leur gros bout est terminé par une sorte de cou : d'abord ils sont blancs ; bien-tôt ils deviennent verds, & en moins d'une demi-journée leur couleur change encore en grisâtre. Lorsque le cousin femelle pond, il s'affermit avec ses quatre jambes antérieures sur quelque corps solide, & étend son corps sur la surface de l'eau, sans y toucher que par l'avant-dernier anneau : le dernier est relevé en-haut, & l'anus situé de façon que l'oeuf en sort de bas en haut, & se trouve dans sa position verticale tout près des autres oeufs déjà pondus, contre lesquels il se colle, parce qu'il est enduit d'une matiere gluante. Dans le commencement de la ponte, l'insecte soûtient les premiers oeufs avec les jambes de derriere en les croisant ; il les écarte peu-à-peu à mesure que le tas augmente ; enfin il ne l'abandonne qu'à la fin de la ponte. Ces oeufs ont sans doute été fécondés dans le corps de la femelle. On la distingue du mâle en ce que le corps de celui-ci est moins allongé & plus effilé, & terminé par des crochets ; au lieu de ces crochets, la femelle a deux petites palettes. Mém. pour servir à l'hist. des insect. tome IV. p. 573 & suiv. Voyez INSECTE. (I)

COUSIN, s. m. (Jurisprud.) qualité relative de parenté qui se forme entre ceux qui sont issus de deux freres ou de deux soeurs, ou d'un frere & d'une soeur. Les cousins sont paternels ou maternels ; on appelle cousins paternels, ceux qui descendent d'un frere ou soeur du pere de celui dont il s'agit ; les cousins maternels, sont ceux qui descendent des freres ou soeurs de la mere.

Les cousins paternels ou maternels sont en plusieurs degrés.

Le premier degré est des cousins germains, c'est-à-dire enfans de freres & soeurs.

Les cousins du second degré, qu'on appelle issus de germains, sont les enfans que les cousins germains ont chacun de leur côté.

Dans le troisieme degré on les appelle arriere-issus de germains ; ce sont les enfans des cousins issus de germains.

Au quatrieme degré, on les appelle simplement cousins au quatrieme degré ; & ainsi des autres degrés subséquens.

Les cousins peuvent se trouver en degré inégal ; par exemple, un cousin germain, & un cousin issu de germain ; en ce cas, on dit que le premier a le germain sur l'autre, & c'est ce que l'on appelle oncle ou tante à la mode de Bretagne. Si les deux cousins sont encore plus éloignés d'un degré, en ce cas le plus proche de la tige commune est, à la mode de Bretagne, le grand oncle du plus éloigné.

On voit dans une ordonnance de Charles V. du 5 Septembre 1368, qu'à Doüai deux cousins germains ne pouvoient en même tems être échevins ; & dans une autre du 28 Janvier suivant il est dit, qu'entre les trente personnes qui éliront le maire & échevins de Péronne, il ne pourra pas y en avoir plus de deux qui soient parens, si cela est possible ; que si cela ne se peut, & qu'il y en ait plus de deux qui soient parens, du moins il ne pourra y en avoir plus de deux qui soient cousins germains. (A)


COUSOIRCOUSOIR


COUSSECAYou COUSECAILLE, subst. fém. (Cuisine) ragoût des dames Créoles des Antilles. Il est composé de farine de magnoc mêlée tout simplement dans du syrop ou dans le vesou chaud sortant des chaudieres à sucre ; on y met du jus de citron, après quoi on verse cette espece de broüet dans des tasses de porcelaine pour le prendre chaud, à-peu-près comme on fait le chocolat. Art. de M. LE ROMAIN.


COUSSECOUCHou COUCHE-COUCHE, s. f. racine potagere des îles Antilles. Elle croît ordinairement de la grosseur & à-peu-près de la forme d'un gros navet ; la pellicule qui la couvre est brune, quelquefois grise, rude au toucher, poussant plusieurs menus filets en forme de chevelure. La chair de la coussecouche est d'une consistance un peu plus solide que l'intérieure des châtaignes bouillies, & plus cassante : la couleur en est blanche, ou quelquefois d'un violet foncé.

Cette racine étant cuite dans de l'eau avec un peu de sel, se mange avec des viandes salées ou du poisson.

C'est un mets fort estimé des dames Créoles, quoiqu'il soit un peu venteux. Article de M. LE ROMAIN.


COUSSINS. m. On donne en général ce nom à un amas de quelque substance molle, compressible, élastique, & renfermé dans une espece de sac ou de toile ou d'étoffe, destiné à soûtenir doucement un corps.

* COUSSIN (Art militaire) bloc de bois placé au-derriere de l'affut, sur lequel la culasse du canon est soûtenue.

COUSSIN, (Marine) c'est un tissu de menue corde à deux fils ou à trois, qu'on met sur les cercles des hunes autour du grand mât, sur le mât de beaupré & ailleurs, pour empêcher que les voiles qui portent sur ces endroits, ne se coupent & s'usent contre les bois par un trop dur frottement. (Z)

COUSSINS D'AMURES, (Marine) c'est un tissu de bitord que l'on met sur le plat-bord du bord, à l'endroit où porte la ralingue de la voile, afin d'empêcher qu'elle ne se coupe. (Z)

COUSSIN SOUS LE BEAUPRE, voyez CLAMP.

COUSSIN, en termes d'argenteur, est un sac de cuir rempli de sable, sur lequel on lie les piés de chandelier, ou autres pieces, qu'on veut ciseler. Voyez, Planche de l'Argenteur, fig. 1. un ouvrier qui ciselle une piece attachée sur un coussin.

COUSSIN, en terme de Batteur-d'or, est une planche fourrée de bourre, & recouverte de peau, pour couper l'or quand les lames ont acquis une certaine grandeur : ce qui se fait en répandant sur ce coussin du brun de plâtre pulvérisé, pour donner du jeu à l'or & prise au roseau.


COUSSINETsubst. m. en Architecture, est selon Vitruve, un oreiller ou balustre, à quoi ressemblent les parties latérales du chapiteau ionique antique, & dont les côtés sont dissemblables. V. CHAPITEAU.

On appelle aussi coussinet, la pierre qui couronne un pié-droit, & dont le lit de dessous est de niveau, & celui de dessus incliné pour recevoir le premier voussoir ou la retombée de l'arc d'une voûte. (P)

COUSSINET, voyez CHEVET.

COUSSINET A MOUSQUETAIRE, (Art milit.) étoit un coussinet que le soldat portoit autrefois sous sa bandouilliere, à l'endroit où se posoit le mousquet. (Q)

COUSSINET, en terme d'Argenteur, est une espece d'oreiller couvert de bazanne, sur lequel on met l'argent pour le couper plus aisément. Cet oreiller ou coussinet est représenté sur la table de la figure 4. de la vignette de la planche de l'Argenteur.

COUSSINET, en termes de Bottier, est un petit sac plein de crin & piqué, qui se met dans les genouillieres des bottes, pour empêcher les incommodités qu'elles peuvent causer.

COUSSINET, en terme de Bourrelier, c'est une partie du harnois des chevaux de carrosse, composée de deux petits coussins de toile B, garnis de bourre & de crin, & recouverte d'une grande plaque de cuir à-peu-près quarrée. Le coussinet pose sur le garrot du cheval. L'usage du coussinet est de soûtenir par deux bandes de cuir l'anneau de fer en forme de boucle, où aboutissent les reculemens, le poitrail, & les traits ; & par deux autres bandes appellées montans, de soûtenir le poitrail, & empêcher qu'il ne baisse trop & n'embarrasse le cheval dans sa marche.

Le coussinet sert aussi à assujettir le surdos, & ainsi à contenir toutes les parties du harnois. Voyez la fig. 1. & 2. Pl. du Bourrelier.

COUSSINET, (Couvreur) rouleau de paille nattée, que ces ouvriers attachent sous les piés de leurs échelles, pour les empêcher de glisser ; ces échelles en sont appellées échelles à coussinet.

COUSSINET, (Doreur) Le coussinet des Doreurs est un morceau de bois bien uni, sur lequel est posé un lit de crin, ou de bourre, ou de feutre, & pardessus une peau de mouton ou de veau, bien tendue & attachée avec de petits clous. Ce coussinet est entouré de deux côtés d'un morceau de parchemin de six doigts de haut, pour empêcher que le vent ne jette à terre l'or qu'on met dessus. Voyez la figure 6. Pl. III. du Doreur.

COUSSINET, en terme de Gravure en Taille-douce, c'est une espece de petit coussin que l'on fait de peau, rempli de sablon d'Etampes ; il doit avoir six à sept pouces de diamêtre, & deux à trois pouces d'épaisseur. Il sert pour poser la planche de cuivre, & lui donner tous les mouvemens nécessaires. Voyez Pl. II. de la Gravure & la fig. 14. de la Pl. I. qui en fait voir l'usage.

COUSSINETS, (à la Monnoie) sont les lames ou bandes d'acier, sur lesquelles sont gravés en creux les moltés de légende de la tranche. Voyez MARQUE SUR TRANCHE.


COUSUpart. (Maréch.) se dit d'un cheval fort maigre. On dit qu'il a les flancs cousus, pour dire qu'il y a si peu d'épaisseur d'un flanc à l'autre, qu'il semble qu'ils sont cousus ensemble.

On dit qu'un homme est cousu dans la selle, pour signifier qu'il est si ferme à cheval, qu'il en branle si peu, qu'il semble y être attaché. (V)

COUSU, en terme de Blason, signifie la même chose que rempli, & se dit d'une piece de métal ou de couleur placée sur le champ de l'écu. On l'appelle ainsi, parce que par la regle générale du Blason de ne pas mettre métal sur métal, ni couleur sur couleur, elle ne doit pas avoir place dans l'écu ; & l'on sauve cette espece d'irrégularité, en disant qu'elle y est cousue. Voyez le P. Menet. & le dictionn. de Trév.

Bonne de Lesdiguieres en Dauphiné, de gueules au lion d'or, au chef cousu d'azur, chargé de trois vases d'argent. (V)


COUTS. m. (Jurispr.) d'un acte en général, est ce que l'on paye à l'officier public pour son salaire de l'acte.

COUT d'un arrêt, sentence, ou autre jugement ; sont les frais que l'on est obligé de payer pour obtenir un arrêt & pour le lever : tels que les vacations, épices & autres droits.

COUTS (loyaux), voyez au mot LOYAUX COUTS. (A)


COUTANCES(Géog. mod.) ville considérable de France en basse Normandie, capitale du Cotentin près de la mer. Long. 16d. 12'. 25". latit. 49d. 2'. 50".


COUTEAUS. m. (Gram.) instrument tranchant d'acier, que les Couteliers fabriquent particulierement ; ce qui les a fait nommer Couteliers. Il y en a un si grand nombre de différentes sortes, & ils sont à l'usage de tant d'artistes, qu'il est impossible d'en faire une énumération exacte. Nous allons faire mention des principaux : on trouvera la description & l'usage des autres aux articles des ouvrages auxquels on les employe ; & la maniere de faire le couteau ordinaire de poche ou de table, à l'article Coutelier. Voyez l'article COUTELIER.

COUTEAU, (Hist. anc.) dans les sacrifices des anciens, instrument pointu, ou tranchant sans pointe, dont les victimaires se servoient pour égorger ou dépouiller les victimes. Ils en avoient de plusieurs especes. Le plus connu est le secespita, glaive aigu & tranchant, qu'ils plongeoient dans la gorge des animaux, & dont la figure, suivant la description de Festus, approchoit de celle d'un poignard. La seconde espece étoit le couteau à écorcher les victimes, culter excoriatorius, qui étoit tranchant, mais arrondi par le haut en quart de cercle : on faisoit ceux-ci d'airain, comme l'étoient presque tous les autres instrumens des sacrifices ; les côtés du manche en étoient plats, & à son extrémité étoit un trou qui servoit à y passer un cordon, afin que le victimaire pût le porter plus aisément à sa ceinture. La dissection ou partage des membres de la victime se faisoit avec une troisieme espece de couteaux plus forts que les premiers, & emmanchés comme nos couperets : c'est ce qu'ils appelloient dolabra & scena. On en voit sur les medailles des empereurs, où cet instrument est un symbole de leur dignité de grand pontife : les cabinets des antiquaires en conservent encore quelques-uns. Chambers. (G)

COUTEAU COURBE, instrument dont les Chirurgiens se servent pour couper les chairs dans les amputations des membres. La figure de ce couteau représente un demi-croissant ou un segment de cercle.

Cet instrument est composé de deux parties, de la lame & du manche. La lame ne doit point excéder sept pouces sept lignes de long, sans y comprendre le contour, cette mesure se prenant dans l'intervalle de deux lignes paralleles qu'on tireroit horisontalement à ses extrémités ; ou bien si l'on veut prendre la longueur dans le milieu de la lame, en suivant la courbure, elle doit être de huit pouces cinq lignes.

Cette étendue est assez grande, même pour les plus grands couteaux. La largeur de la lame, dans l'endroit qui a le plus de diamêtre, est de quinze lignes, allant doucement en diminuant pour se terminer par une pointe fort aiguë.

Cette lame doit avoir du corps & de la force ; ainsi l'épaisseur de son dos près le manche doit être de deux lignes, allant doucement en diminuant à mesure qu'il approche du tranchant & de la pointe.

La courbure doit être legere, & commencer depuis le mentonnet, en sorte que le tranchant représente le segment d'un grand cercle. Pour qu'on ait une idée plus parfaite de la courbure que nous demandons, en supposant une corde tirée de la pointe du couteau au mentonnet, on doit voir l'arc presque d'une égale rondeur ; & le rayon qui part du milieu de l'arc pour se jetter en ligne droite sur le milieu de la corde, ne doit pas avoir plus d'un bon pouce de longueur.

L'avantage qu'on tire d'une legere courbure telle qu'on vient de la décrire, est que le tranchant coupe de long & dans presque toute son étendue ; ce qui adoucit beaucoup son action, & par conséquent la douleur : au contraire, les couteaux dont la pointe seule est très-courbée, n'embrassent pas le membre dans une si grande circonférence, & le grand arc devient fort embarrassant. Enfin la lame du couteau courbe doit être formée par deux biseaux, un de chaque côté, qui viennent de loin, qui soient très-adoucis & presque imperceptibles, afin de former un tranchant qui ne soit ni trop fin ni trop gros pour porter plus de résistance à la section des chairs.

Il faut aussi faire attention à la base de la lame du couteau courbe ; c'est une plaque horisontale dont la circonférence est octogone, pour quadrer aux huit pans du manche. Cette plaque du milieu de laquelle sort la lame du couteau, est renforcée dans cet endroit par deux éminences de chaque côté, que les ouvriers appellent double coquille : cela donne de l'ornement & de la solidité à l'instrument.

La plaque horisontale doit avoir dix lignes de diamêtre, & la lame doit former dans cet endroit une avance arrondie qui est limée, & qui ne coupe point du tout ; les Couteliers nomment cette avance mentonnet : il sert d'appui au pouce de l'opérateur. La surface inférieure de la plaque octogone est limée sans être polie, afin de s'appliquer plus uniment sur le manche ; & c'est pour cette raison qu'on la nomme la mitte du couteau.

Du milieu de la mitte part une tige exactement quarrée, de quatre pouces sept à huit lignes de long. On l'appelle la soie. Toute la lame doit être d'un bon acier & d'une trempe dure, afin que le tranchant résiste & coupe bien.

Le manche du couteau courbe est ordinairement d'ébene ; il a quatre pouces huit lignes de long, treize lignes de diamêtre à l'endroit de sa tête ; sa partie antérieure ne doit pas excéder dix lignes ; volume qui peut entierement remplir la main. Le manche doit être à huit pans, pour être tenu plus fermement ; sa partie postérieure est ordinairement terminée par une avance en forme de tête d'aigle, dont le bec est tourné du côté du dos du couteau, afin de servir de barriere aux doigts de l'opérateur. Voyez la figure, Pl. XX. fig. 5.

COUTEAU DROIT, pour les amputations. La lame a quatre pouces deux lignes ; sa largeur près le mentonnet ne doit pas excéder quatre lignes, & aller toûjours en diminuant jusqu'à la pointe. Ce couteau n'a qu'un tranchant ; le manche peut être d'ébene ou d'ivoire ; il doit être taillé à pans, long de trois pouces quatre lignes, & de six lignes de diamêtre, dans l'endroit le plus épais. La mitte doit être proportionnée à ces dimensions. Lisez la construction du couteau courbe. Voyez fig. 4. Pl. XX.

Cet instrument sert à couper les chairs qui sont entre les deux os de l'avant-bras ou de la jambe, & d'achever même la section de celles qui auroient échappé à l'action du grand couteau courbe : c'est avec ce couteau droit qu'on incise le périoste ; quelques-uns se servent d'un couteau à deux tranchans séparés par une vive arrête. La lame de ce couteau doit avoir six pouces de long : mais il n'est utile que pour les amputations en lambeaux. Voyez la figure dans les Planches de Chirurgie. Il faut observer, en se servant du couteau droit, de ne pas en tourner le tranchant vers les parties qu'on veut conserver, de crainte de fendre des vaisseaux suivant leur longueur, & de scarifier inutilement la partie. Voyez AMPUTATION.

COUTEAU LENTICULAIRE, est un instrument composé d'une tige d'acier, longue d'environ deux pouces & demi ; son extrémité antérieure forme un couteau d'une trempe douce, plat des deux côtés, long d'un pouce, large de quatre lignes dans son commencement, & de trois à sa fin, qui est terminée par un bouton fait en forme de lentille ; situé horisontalement, large de quatre lignes, plat du côté qui regarde le manche, un peu arrondi de l'autre ; le dos de ce couteau doit être bien poli, arrondi, large d'une ligne ; sa tige est enchâssée dans un manche long de deux pouces & demi.

L'usage de cet instrument est de couper, sans craindre de blesser la dure-mère, les inégalités que la couronne du trépan a laissées à la face interne du crane. Voyez TREPAN. Voyez la fig. 13. Pl. XVI.

COUTEAU A CROCHET, instrument de Chirurgie pour les accouchemens laborieux. Voyez ACCOUCHEMENT.

Son corps est une tige d'acier de cinq pouces de longueur, dont la base a cinq lignes de diamêtre, & son autre extrémité environ trois lignes : celle-ci est terminée par un couteau demi-circulaire en forme de crochet, dont la lame a à-peu-près cinq lignes de largeur dans son milieu. Voyez Pl. XX. de Chirurgie, fig. 1. Cet instrument tient par une soie quarrée à un manche d'ébene, au-travers duquel elle passe, & au bout duquel elle est rivée : ce manche a trois pouces & demi de long.

L'usage qu'on donne à cet instrument est de dépecer un enfant monstrueux, afin de pouvoir le tirer par morceaux. Voyez CROCHET. On le propose aussi pour percer le ventre des enfans qu'une hydropisie empêche de venir au monde, & pour ouvrir la tête dans les cas où il est nécessaire de vuider le cerveau. Il est certain que dans ces deux dernieres circonstances, on peut avoir recours à des moyens plus faciles & plus sûrs. Pour ouvrir la tête d'un enfant ; il est bien plus commode d'opérer avec des ciseaux longs & pointus : lorsqu'on les a introduits dans le crâne, on y fait une assez grande ouverture en les retirant les lames écartées, & en les fermant ensuite pour les r'ouvrir & les retirer dans un sens différent.

Dans le cas où une hydropisie empêcheroit la sortie de l'enfant, la nécessité de lui percer le ventre n'exige pas qu'on se serve du couteau à crochet, avec lequel on peut, quelque adresse qu'on ait, blesser la mere ou se blesser soi-même : l'introduction du doigt dans l'anneau de l'ombilic, percera aisément le péritoine. M. Levret dit que ce moyen est préférable à tous les instrumens que les auteurs ont proposés : nous observerons cependant qu'il faut pour cet effet que l'enfant soit mort. On objectera peut-être encore que dans la possibilité de porter le doigt sur le nombril de l'enfant, qui est la partie du ventre la plus éminente dans le cas d'hydropisie, il n'y auroit point d'obstacle de la part de cette maladie pour la terminaison de l'accouchement. Mesnard dit qu'après avoir dégagé les épaules & les bras de l'enfant, s'il paroît que son corps est hydropique, l'accoucheur donnera issue aux eaux avec un long trocart s'il lui remarque de la vie, ou avec la branche de ses ciseaux ou tout autre instrument, s'il est mort. Ces distinctions nous paroissent dictées par la prudence. Voyez TROCART.

A l'égard des enfans monstrueux, dans le cas extrème où l'on ne peut se dispenser de mutiler, le docteur Smellié, célébre accoucheur à Londres, dit avec raison, qu'il est plus sûr de se servir de ciseaux que de couteaux. Avec des ciseaux, on ne craint point de blesser la matrice ; ils ne coupent jamais que ce qui est entre leurs lames. Voyez l'art. JUMEAUX.

Le couteau à crochet est donc un instrument superflu ou nuisible : nous croyons travailler aussi efficacement au progrès de l'art, en faisant connoître les choses défectueuses dont l'usage est familier, qu'en publiant les découvertes les plus importantes. (Y)

COUTEAU A DEUX MANCHES. Les Arquebusiers & beaucoup d'autres ouvriers nomment ainsi ce qu'on nomme plus communément une plane. Les premiers s'en servent pour dégrossir & ébaucher les fusts des armes qu'ils veulent monter ; qu'ils approchent ensuite avec les écoüennes & les écoüennettes, & qu'ils finissent avec les râpes, les limes & la peau de chien marin. Voyez PLANE.

COUTEAU A COUPER L'ARGENT, en terme d'Argenteur ; c'est un couteau dont la tranche est émoussée, afin de ne point couper le coussinet avec l'argent. Voyez COUSSINET, & Pl. de l'Argenteur, fig. 11. Le même couteau est représenté sur la table de la fig. 4 de la vignette.

COUTEAU A HACHER, en terme d'Argenteur, est un couteau tranchant dont on taille les pieces, pour que l'argent y prenne plus aisément. Voyez Pl. I. fig. 8.

COUTEAU, en terme de Batteur d'or ; c'est une lame d'acier fort mince & peu tranchante, montée sur un manche de bois assez grossier, avec laquelle on coupe l'or en quarré, & dont on se sert pour gratter les livrets ou mesures. Voyez MESURES.

COUTEAU A PIE, instrument dont les Cordonniers, les Selliers & les Bourreliers se servent pour tailler leurs cuirs.

Cet outil est plat, de fer fort tranchant, & garni d'un manche pour le tenir. La partie tranchante a la figure d'une portion de cercle, dont le grand diametre a environ cinq pouces, & le petit deux à trois pouces. Du milieu du grand diametre sort une queue d'environ sept ou huit pouces de longueur, enfoncée dans un manche de bois qui en a trois ou quatre. Tel est le couteau à pié dont les Cordonniers se servent.

Celui des Selliers & des Bourreliers ne differe de celui des Cordonniers, qu'en ce que la queue en est plus longue, & qu'elle est recourbée par le milieu, de maniere qu'elle forme comme une équerre. Voy. la Pl. du Bourrelier, fig. 12.

Les Bourreliers ont encore deux autres sortes de couteaux à-peu-près semblables, & qui ressemblent assez aux grands couteaux de cuisine ; l'un se nomme couteau à surtailler, & l'autre se nomme couteau à parer. Le couteau à surtailler sert à couper exactement de la grandeur qu'il le faut, les différens morceaux de cuir qui n'ont été qu'ébauchés avec le couteau à pié. Le couteau à parer sert à amincir ou diminuer de l'épaisseur du cuir.

COUTEAU A PIE, (Ceinturier) Il a le tranchant fait comme un couperet à pointe ronde ; mais le manche, au lieu d'être droit, est recourbé sur la lame à la distance de dix-huit lignes. Voyez la Pl. du Ceinturier, fig. 3.

COUTEAU A EFFLEURER, ou COUTEAU DE RIVIERE, outil de Chamoiseur & de Mégissier. C'est un instrument d'acier long & tranchant ; qui a une poignée de bois à chaque bout ; on s'en sert pour effleurer les peaux de chamois, de chevres, de moutons, &c. sur le chevalet. Voyez CHAMOISEUR.

COUTEAU A MECHE, sert aux Chandeliers pour couper les meches des chandelles. Ce couteau est monté sur un petit banc, ayant deux piés de même largeur que le banc, pour qu'il puisse être stable ; une coulisse pour allonger & raccourcir, suivant les longueurs des meches. Sur la partie qui ne se meut point est attachée perpendiculairement une broche de fer ronde, & sur la coulisse est le couteau, qui forme une ligne parallele à la broche, & distant de cette broche suivant la longueur de la meche qu'on veut couper. Il y a des couteaux montés différemment. Voyez la Planche du Chandelier, fig. 5. & l'art. CHANDELLE.

COUTEAU A CHAPELIER. Les Chapeliers font usage de deux sortes de couteaux pour arracher & pour couper le poil de castor.

Le premier, qu'ils appellent le grand couteau, & qui ressemble assez au tranchet des Cordonniers, sert à arracher les longs poils de la peau, qui ne peuvent point entrer dans la fabrique des chapeaux. Voyez la Pl. du Chapelier, fig. 11.

Le second, qu'ils nomment le petit couteau, & qui est construit comme une serpette de vendangeur, à l'exception qu'il ne coupe que par le dos, sert à couper, ou plûtôt à raser le poil court de l'animal, dont on fait l'étoffe des chapeaux appellés castors. Voyez CHAPEAU.

COUTEAU A TETE, en terme de Cirier ; c'est une espece de couteau de buis dont le tranchant est fait en biseau, pour former la tête de la bougie de table. Voyez Pl. du Cirier, fig. 11.

COUTEAU A TRANCHER, en Marqueterie. Voyez Pl. du Ciseleur-Damasquineur, fig. 15. & la fig. 1 de la vignette, qui représentent un ouvrier qui tranche un canon de fusil avec un couteau à trancher, qui n'a rien de particulier.

COUTEAU A PIE, du Cordonnier ; il sert à couper les empeignes des souliers. Voyez Pl. du Cordonnier-Bottier, fig. 8.

COUTEAU A REVERS, instrument dont se servent les Corroyeurs pour travailler leurs cuirs ; c'est un instrument d'acier dont le tranchant est fort émoussé & un peu renversé. Cet instrument a deux manches, un à chaque bout, & on s'en sert pour écharner les peaux de vache, &c.

On appelle aussi cet instrument couteau-sourd, écharnoir, boutoir & drayoire. Voyez ÉCHARNOIR, BOUTOIR, DRAYOIRE.

COUTEAU-SOURD, terme de Corroyeur. Voyez l'article précédent COUTEAU A REVERS, & Planche du Corroyeur, fig. 3.

COUTEAU, en terme de Doreur sur bois, s'entend d'un morceau de buis plat ; dont la tranche est un peu épaisse, & qui sert à couper l'or étendu sur le coussinet, figure 6. de la largeur & de la longueur dont on a besoin. Voyez Pl. du Doreur, fig. 7.

COUTEAU A ESCARNER, outil des Doreurs sur cuir ; est un couteau large & arrondi du côté du tranchant, emmanché dans un manche de bois, comme une lime, dont ils se servent pour amincir les bords des pieces de cuir qu'ils veulent coller ensemble. Voyez Pl. du Doreur sur cuir, fig. 9. & l'art. PARER, terme de Reliure.

COUTEAU A DETIRER, outil de Doreur sur cuir ; est un outil fait à-peu-près, pour le manche, comme le brunissoir : dans le milieu du manche est fixée une lame longue & étroite, avec laquelle on étend les pieces de cuir sur la pierre. Voyez Pl. du Doreur sur cuir, fig. 12.

COUTEAU A HACHER. Les Doreurs sur métal appellent ainsi un couteau à lame courte & un peu large, dont ils se servent pour faire des hachures sur le cuivre ou sur le fer, avant de les dorer de ce qu'on appelle or haché. Voyez DORURE AU FEU, & Pl. du Damasquineur.

COUTEAU A TRANCHER, outil dont se servent les ébénistes : il consiste en une lame tranchante des deux côtés, & emmanchée dans un bâton long d'un pié & demi ou environ. Voyez Pl. de Marqueterie, fig. 5. Cet outil leur sert à couper les pieces de placage selon les contours du dessein qu'ils ont tracé dessus.

COUTEAUX, (Epicier) sont des morceaux de buis façonnés en forme de couteaux, & marqués sur le dos au nom de l'ouvrier qui les met en oeuvre. Tous les cierges doivent en avoir l'empreinte, afin qu'on connoisse le marchand, en cas de defaut dans la cire ou dans l'ouvrage. Pl. 1. fig. 3.

COUTEAUX, (Fonderie des canons) sont des barreaux d'acier dont les arêtes sont fort vives, que l'on monte sur une boîte de cuivre qui s'ajuste sur la tige de l'alezoir. Ces couteaux servent à accroître & à unir l'ame des pieces de canon. Voyez ALEZOIR, & Planche de la Fonderie des canons, figure 3. de l'alezoir.

COUTEAU A FONDEUR ; c'est un instrument dont les Fondeurs en sable se servent pour dresser le courroi de sable ou de terre dont ils font leurs moules. Il est de fer, emmanché de bois, & long en tout d'un pié & demi : ce n'est ordinairement qu'un morceau de vieille lame d'épée un peu large, dont on a rompu quelques pouces de la pointe, & auquel on a ajoûté un manche. Voyez FONDEUR EN SABLE, & Pl. du Fondeur en sable, fig. 13.

COUTEAU DE CHASSE, en terme de Fourbisseur, est une espece d'épée courte & forte, dont la garde n'a qu'une coquille, qu'une croix, & qu'une poignée sans pommeau : cette poignée est ordinairement de corne de cerf, ou autre de cette nature.

COUTEAU, (grosses-Forges) c'est dans la machine à fondre le fer, la partie qui divise les barres en plusieurs parties. Voyez GROSSES-FORGES.

COUTEAU A TAILLER, (Fourbisseur) Les Fourbisseurs appellent ainsi un petit outil de fer aceré, ou d'acier très-tranchant, dont ils se servent pour faire les hachures sur lesquelles ils placent le fil d'or ou d'argent, lorsqu'ils veulent damasquiner un ouvrage : il est fait comme le couteau avec lequel on taille les petites limes, & peu différent de celui à dorer d'or haché. Voyez Planche du Damasquineur. fig. 4.

Couteau à refendre ; c'est aussi un petit outil de Fourbisseur, du nombre de ceux qu'en général on appelle ciselets. Il est fait en forme de petit ciseau d'acier ; on s'en sert à refendre les feuilles qu'on a gravées en relief sur l'or, l'argent ou l'acier, avec le ciselet qu'on appelle la feuille, parce qu'il en a une gravée en creux à l'un de ses bouts.

Couteau à tracer ; c'est encore un des ciselets des Fourbisseurs, avec lequel ils tracent & enfoncent un peu les endroits où ils veulent frapper quelqu'un de leurs ciselets gravés.

Couteau de Fourbisseur ; c'est un quatrieme outil dont ces ouvriers se servent pour débiter les feuilles de bois de hêtre dont ils font les fourreaux des armes qu'ils montent : il est de fer avec un manche de bois, la lame médiocrement large, & la pointe tranchante des deux côtés.

Enfin les Fourbisseurs ont un cinquieme couteau de forme ordinaire ; il sert à diminuer de grosseur le bout des fourreaux, quand il s'agit d'y poser les bouts de cuivre, &c.

COUTEAU A DOLER, terme de Gantier ; c'est un outil d'acier fort mince & bien tranchant, court & large, arrondi par le haut du côté du tranchant, & garni d'un petit manche de bois. Les Gantiers s'en servent pour doler les étavillons, c'est-à-dire pour parer & amincir par les bords, les morceaux de cuir qui ont été taillés pour faire des gants.

COUTEAU A COUPER LE BOIS, outil de Gainier. Ce couteau est long d'environ sept ou huit pouces, dont le manche est large & un peu plat ; la lame platte & ronde par en-haut, fort affilée, qui sert aux Gainiers pour tailler & rogner le bois. Voyez Pl. du Gainier, fig. 11.

Couteau à ébiseler, est un couteau dont les Gainiers se servent pour couper en biseau les couvercles des étuis qu'ils fabriquent, afin qu'ils entrent plus facilement sur les pieces qu'ils doivent couvrir. Voyez Pl. du Gainier, fig. 7.

Couteau à parer, terme & outil de Gainier ; c'est un couteau exactement fait comme les couteaux de table ordinaires, qui sert aux Gainiers pour parer & amincir le cuir qu'ils employent pour leurs ouvrages. Ils pourroient se servir de celui des Relieurs, représenté C f Pl. de Reliure, lequel est plus propre à cet usage. Voyez PARER.

COUTEAU, (Horlogerie) nom que les Horlogers donnent à un pivot, qui, au lieu d'être rond comme à l'ordinaire, est formé comme un couteau, dont le dos seroit fort épais. Ils se servent de cette espece de pivot pour des pieces qui font peu de mouvement, comme des pendules, &c. Ce couteau portant sur le tranchant, le frottement est presque réduit à zéro ; parce qu'il ne parcourt aucun espace, & qu'il ne fait, pour ainsi dire, que balancer tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Voyez SUSPENSION. (T)

COUTEAU DE CHALEUR, (Maréchallerie) Les Maréchaux appellent ainsi un morceau de vieille faux avec lequel on abat la sueur des chevaux, en le coulant doucement sur leur poil : il est long à-peu-près d'un pié, large de trois à quatre doigts, mince, & ne coupe que d'un côté.

Le couteau de feu est un instrument dont les Maréchaux se servent pour donner le feu aux parties des chevaux qui en ont besoin. Il consiste en un morceau de cuivre ou de fer long à-peu-près d'un pié, qui par une de ses extrémités est applati & forgé en façon de couteau, ayant le côté du dos épais d'un demi-pouce, & l'autre côté cinq à six fois moins épais. Après l'avoir fait rougir dans la forge, on l'applique par la partie la moins épaisse sur la peau du cheval, sans pourtant la percer, aux endroits qui en ont besoin. (V)

COUTEAUX A ECHARNER, voyez l'art. de CHAMOISEUR, & les Planches du Mégissier, fig. 11. 12. 13. 14.

COUTEAU A SCIER, en terme d'Orfévre en grosserie, est une lame fort semblable à celle d'un couteau, à l'exception de ses petites dents, qui la rendent propre à scier. Elle est montée sur un manche de bois, comme un couteau ordinaire. On se sert de cette espece de scie pour les morceaux qui ont plus de longueur que de grosseur, comme fil à moulure, &c. ce qui emporte moins de tems & fait moins de déchet. Voyez Pl. III. fig. 4.

COUTEAUX, (Papetier) Ce sont des barres d'acier dont les cylindres du moulin à papier sont revêtus. Voyez l'article MOULIN A PAPIER A CYLINDRES.

COUTEAU DE PALETTE, ou COUTEAU A COULEURS, (Peint.) est un couteau d'environ huit pouces de long, dont la lame est mince & ployante. Les Peintres s'en servent pour manier leurs couleurs.

COUTEAU A COULEUR, (Peintre en émail) Il doit être plus fin & plus délicat que ceux dont se servent les Peintres à l'huile ; il doit être coupant des deux côtés, & arrondi par la pointe, quoique tranchante. Son usage est de ramasser les couleurs sur le cristal, la glace ou la pierre d'agate, & pour faire les teintes sur la palette.

COUTEAU, en terme de Plumassier ; c'est un instrument d'acier en forme de couteau court & fort tranchant, dont le dos forme presqu'une ligne courbe. On s'en sert pour poser & couper les plumes de longueur. Voyez Pl. 1. fig. 3.

Couteau à friser, chez les Plumassiers ; c'est une espece de couteau sans tranchant, garni d'un manche enveloppé de drap ou de peau, pour mieux remplir la main & l'empêcher d'y tourner. Voyez Planche 1. fig. 2.

COUTEAU A TAILLER, en terme de Potier de terre ; c'est un couteau à deux manches, dont on se sert pour tailler la terre encore en pains. Voyez TAILLER, & Pl. 1. fig. 3.

COUTEAU A ROGNER, (Relieur) Il est composé d'un talon, & d'une lame qui est soudée au talon ; il a un trou quarré, taillé en chanfrin ; la lame en est pointue, & va en s'élargissant jusqu'au talon ; il doit être plat en dessous, & avoir sur le dessus une arrête. Voyez Pl. 1. de la Reliure, fig. 10. & l'article RELIURE.

Couteau à parer, (Reliure) est un outil dont les Relieurs se servent pour amincir les bords des couvertures qu'ils ont préparées pour couvrir un volume, afin qu'il se colle mieux sur le carton, & que l'épaisseur de la peau ne soit pas un obstacle à la propreté de l'ouvrage ; voyez COUVRIR. Ce couteau est un morceau d'acier large, très-aminci par le coupant, & emmanché de l'autre côté à un morceau de bois qui lui sert de poignée. Planc. I. de la Reliure, fig. Q.

Quand le cuir est épais, on pare aussi la place du dos ; il est nécessaire d'observer cette façon pour le marroquin.

Couteau pour couper l'or, (Reliure) cet outil doit avoir un manche court, la queue un peu relevée ; sa lame est une lame ordinaire, mais le coupant doit être droit & le dos un peu rond. Voyez Pl. II. de la Reliure, fig. E.

COUTEAU A VELOURS, (Rubanier) est une espece de grosse épingle d'acier d'égale grosseur dans toute sa longueur ; par l'un de ses bouts elle porte une petite tête de même matiere, pour lui servir de prise ; son autre extrémité est terminée en angle aigu, est mince, plate, & extrémement tranchante, pour pouvoir couper net les soies sans bavures ni effiloques. Voici son usage : l'ouvrier met l'un de ses couteaux dans le pas de la levée de figure ; ce couteau se trouve arrêté lorsque l'ouvrier enfonce une autre marche ; ayant ainsi marché quatre coups de fond, la même levée s'ouvre encore, où il est mis un autre couteau, ainsi de même trois ou quatre fois de suite & guere plus, parce que les coups réitérés du battant entassant & serrant à chaque coup la trame contre ces couteaux, en rendroit la sortie presqu'impossible si on en mettoit davantage. Ces trois ou quatre couteaux étant ainsi employés dans l'ouvrage, lorsqu'il est besoin d'y en mettre un nouveau, l'ouvrier tire de l'ouvrage, & cela du pouce & de l'index de la main droite par la tête, le couteau qui est le plus près de lui, c'est-à-dire le plus éloigné du battant ; en tirant ce couteau avec une certaine violence il coupe les soies qui le tenoient enfermé ; lorsqu'il est dégagé, il est remis tout de suite dans le pas actuel de la levée pour attendre son tour ; les soies de la chaîne formant la figure, ainsi coupées près-à-près, forment ce qu'on appelle velours.

COUTEAU, en terme de Raffinerie de sucre, est un morceau de bois taillé en lame d'épée à deux tranchans. Il porte environ 4 piés de hauteur, & sert à opaler & à monder le sucre dans la forme. Voyez MONDER.

Il faut que ce couteau soit d'une grandeur proportionnée aux formes, pour ménager le tems & la peine des ouvriers.

Couteau, en terme de Raffineur de sucre, s'entend encore d'un couteau ordinaire dont on se sert pour gratter le sucre qui est tombé sur les bords des formes en emplissant & en mondant, voyez EMPLIR & MONDER ; on le gratte au-dessus d'une espece de coffre de sapin appellé caisse. Ce couteau est encore nécessaire pour nettoyer les formes en plamotant. Voyez PLAMOTER.

Couteau croche, en terme de Raffineur de sucre, est un couteau que l'on plie sur le plat de la lame pour couper le sucre lorsque la patte du pain est plus haute d'un côté que de l'autre, afin d'unir le fond & de le rendre bien de niveau. Voyez FONCER.

COUTEAUX ou DILLES, (Pêche) sorte de coquillage ; ils se pêchent dans le fond des sables ordinairement vaseux, qui se trouvent dans les achenaux, crassats ou petites gorges ; d'où les pêcheurs les retirent avec une baguette de fer faite en maniere de tire-bourre, & dont le bout a la forme d'un ain ou hameçon. Voyez COUTELIER.


COUTELASS. m. (Art milit.) épée de fin acier fort tranchante, large, & courte.

COUTELAS, (Marine) V. BONNETTE EN ETUI.


COUTELIERsolen, (Hist. nat. Conchiolog.) coquillage auquel on a donné le nom de couteau, parce que sa coquille ressemble en quelque façon à un manche de couteau. Elle est composée de deux pieces, dont chacune est creusée en gouttiere ; lorsquelles sont réunies elles forment un cylindre ; elles sont attachées près de l'extrémité inférieure par un ligament à ressort. Depuis ce ligament jusqu'à l'autre bout de la coquille, il y a sur le joint qui se trouve entre les deux pieces, une membrane collée sur le bord de l'une & l'autre, & sur le joint qui est de l'autre côté aux bords opposés une pareille membrane. Ces membranes peuvent être comparées à du parchemin, & ont assez de ressort pour que les deux pieces de la coquille puissent s'éloigner l'une de l'autre de deux ou trois lignes & se rapprocher alternativement, de sorte que la coquille n'est jamais ouverte que par les deux bouts.

Ces coquillages restent dans le sable, & s'y enfoncent souvent à plus d'un pié & demi ou deux piés de profondeur, sans que la longueur de leur coquille s'éloigne beaucoup de la direction verticale ; dans cette situation ils remontent & redescendent successivement, voilà en quoi consiste leur mouvement progressif. Dans les grandes marées, lorsque la mer a laissé à découvert le sable où ces coquillages habitent, on voit les orifices de leurs trous, & on les distingue aisément de ceux des autres coquillages, parce qu'ils sont d'une figure oblongue. Alors les couteliers sont enfoncés dans le sable, mais les pêcheurs les font sortir en partie de leur trou en jettant du sel dedans, il tombe sur la partie de l'animal qui se trouve à l'extrémité supérieure de la coquille : cette partie est composée de deux canaux dans lesquels l'eau circule : elle entre par l'un & sort par l'autre, mais sa route n'est pas constante ; car ce n'est pas toûjours par le même canal qu'elle entre ou qu'elle sort. Le sel affecte cette partie de façon qu'il en détache des morceaux ; aussi dès que le coquillage en sent l'impression, il remonte au-dessus du sable pour s'en délivrer ; & en effet il ferme autant qu'il le peut les orifices des canaux, & il fait tomber le sel en gonflant la partie qui les environne. Lorsque les couteliers paroissent au-dessus du sable, on les prend à la main ; mais comme ils ne restent à découvert qu'un instant, on les manque quelquefois, ou on ne les saisit pas assez fortement ; enfin s'ils peuvent rentrer dans leur trou, on prétend qu'il n'y a plus moyen de les faire remonter en leur jettant du sel ; il faut employer des instrumens que l'on appelle dards ou dardillons ; ce sont de longs ferremens pointus, que l'on enfonce dans le sable pour enlever le coutelier.

Lorsqu'on a tiré ce coquillage de son trou, & qu'on l'étend sur le sable, on lui voit faire des mouvemens qui font connoître la maniere dont il descend dans le sable & dont il remonte. Il fait sortir de l'extrémité inférieure de la coquille une petite partie de son corps, à laquelle on a donné le nom de jambe, qui dans ce moment est plate, terminée en pointe, & pour ainsi dire tranchante par les bords ; il l'allonge & l'enfonce dans le sable en la recourbant. A l'aide de ce point d'appui, il fait mouvoir sa coquille & la mene à une position verticale ; alors il redresse sa jambe, il l'allonge de nouveau, & l'enfonce verticalement dans le sable. Lorsqu'elle est parvenue à une longueur égale à celle de la moitié ou des deux tiers de la coquille, sa forme change, elle se gonfle & devient cylindrique sans se raccourcir ; de plus, l'extrémité est terminée par un bouton dont le diamêtre est plus grand que celui de la coquille. Dans cet état le coutelier raccourcit la partie de la jambe qui est entre le bouton & l'extrémité inférieure de la coquille, où il fait rentrer cette partie dans la coquille, ce qui ne se peut pas faire sans que le bouton remonte ou que la coquille descende ; mais c'est la coquille qui descend, parce qu'elle a moins de sable à déplacer que le bouton de la jambe, puisque le diamêtre du bouton est le plus grand. En répétant cette manoeuvre, le coquillage descend successivement, & on conçoit aisément qu'à l'aide des mêmes organes il peut remonter ; car en retirant en-haut le bouton de la jambe, & en allongeant ensuite la partie de la jambe qui est entre le bouton & la coquille, la coquille doit remonter par la même raison qui a déjà été rapportée. Mém. de l'acad. royale des Scienc. ann. 1712. Voyez COQUILLE, COQUILLAGE. (I)


COUTELIERS. m. ouvrier qui a le droit de faire & vendre des couteaux, ciseaux, rasoirs, & autres instrumens de Chirurgie, de quelque espece qu'ils soient, en qualité de membre d'une communauté appellée communauté des Couteliers. Les statuts de cette communauté sont de 1505. Ils ont quatre jurés qui se succedent deux à deux tous les ans. Les maîtres ne peuvent faire qu'un apprentif à la fois. Celui qui veut se faire recevoir doit faire chef-d'oeuvre ; il n'y a que le fils de maître qui en soit exempt. Chaque maître a sa marque. Les veuves peuvent tenir boutique, mais ne peuvent faire d'apprentifs ; elles continuent seulement ceux que leurs maris ont commencé.

Les principaux outils du coutelier sont une enclume à bigorne d'un côté & à talon de l'autre, sa forme est du reste peu importante ; il suffit qu'elle soit bien proportionnée & bien dure. Une forge semblable à celle des Serruriers, des Taillandiers, des Cloutiers, & autres Forgerons ; des tenailles & des marteaux de toutes sortes ; des meules hautes & basses ; des polissoires pareillement de différentes grandeurs ; des brunissoirs, des forêts, des arçons, des limes, des pierres à aiguiser, à repasser, & à affiler, des grands étaux, & des étaux à main, &c.

Voyez à l'article RASOIR, une des pieces de Coutellerie les plus difficiles à bien faire, le détail de presque tout le travail que le coutelier ne fait qu'appliquer diversement à d'autres ouvrages. Voici comment il s'y prend pour faire un couteau à gaine. Il a une barre d'acier, il y pratique une entaille sur le quarré de l'enclume ; il forme la scie du couteau de la portion d'acier comprise au-dessus de l'entaille ; il conserve de l'autre part autant de matiere qu'il en faut pour la lame : dans cet état cela s'appelle une enlevure de couteau ; il forge la lame ; il acheve la scie : quand on vouloit des coquilles, on avoit des mandrins & des enclumettes à l'aide desquelles les coquilles se faisoient : on dresse le couteau à la lame ; on le trempe, on l'émout, & on le polit ; les meules & les polissoires doivent être très-hautes pour cet ouvrage dont la lame est très-plate ; elles ne doivent être ni trop ni trop mal rondes. On peut rapporter presque tous les ouvrages du coutelier à cette espece de couteau ; au rasoir, voyez RASOIR, & au ciseau, voyez CISEAU.


COUTELIERES. f. (Gainier) étui de bois couvert de cuir, où l'on met les couteaux de table. Ce sont les maîtres Gainiers qui font ces étuis, & de qui les maîtres Couteliers les achetent. Ils font aussi partie du négoce des Quincailliers, qui vendent de la coutellerie foraine.

Les couteaux, cuillieres, & fourchettes que l'on met dans les étuis, dont l'intérieur est tapissé de velours ou de quelqu'autre étoffe de laines, comme, par exemple, la ratine, sont séparés les uns des autres par de petites cloisons vêtues & couvertes des mêmes étoffes.


COUTELINES. f. toile de coton, de 14 aulnes de long sur trois quarts à cinq six de large. Elle vient sur-tout de Surate ; elle est blanche ou bleue. Voyez les dictionn. du Comm. & de Trév.


COUTELLERIES. f. (Art méch. & Comm.) ce terme a deux acceptions ; il se prend premierement pour l'art du Coutelier, en second lieu pour ses ouvrages. Il entend très-bien la coutellerie. Il a un grand magasin de coutellerie.


COUTERv. act. (Comm.) terme relatif à la valeur des choses. Combien cela vous coûte-t-il ? peu de chose. Du verbe coûter on a fait l'adjectif coûteux, qui marque toûjours une valeur considérable quand il est employé seul.


COUTIERS. m. (Manuf. de toile) ouvrier tissutier qui travaille le coutil.


COUTILS. m. grosse toile toute de fil qu'on employe communément en lit, pour matelats de plume, traversins, oreillers, tentes. Les pieces sont depuis 120 jusqu'à 130 aulnes de long, & depuis deux tiers jusqu'à trois quarts de large. Les coutils de Bruxelles sont très-estimés.


COUTILLES. f. (Hist. mod.) espece d'épée plus longue qu'à l'ordinaire, menue, à trois pans, & tranchante depuis la garde jusqu'à la pointe. Elle étoit en usage parmi nos soldats sous Charles VII. ceux qui s'en servoient étoient appellés des coutillers.


COUTOIRou CLOVISSE, (Pêche) sorte de coquillage : on en fait la pêche avec une espece de houe semblable à celle dont on se sert pour travailler les vignes, les mahis, & le millet. Ce sont ordinairement les femmes qui les pêchent. Il s'en fait pendant le carême une extrême consommation : on en porte à Bordeaux une grande quantité, outre ce qui s'en renverse dans les campagnes voisines de la baie : on les met dans des sacs ou dans des barrils, qui vont quelquefois jusqu'à Toulouse & en Languedoc, ces sortes de coquillages pouvant se conserver en hyver plus de quinze jours à trois semaines.


COUTONS. m. (Hist. nat. bot. exotiq.) arbre du Canada assez semblable à notre noyer, & rendant par les incisions qu'on y fait, un suc vineux qui l'a fait appeller arbor vinifera, couton, juglandi similis.


COUTRAS(Géog.) petite ville de France dans le Périgord, sur la Dordogne. Long. 17. 32. latit. 46. 4.


COUTREvoyez COUTRERIE.

COUTRE, s. m. (Oeconom. rustiq.) morceau de fer tranchant fixé à un des côtés de la charrue ordinaire, & dont l'usage est d'ouvrir & verser la terre. Voyez CHARRUE.


COUTRERIES. f. (Hist. eccles.) fonction subalterne qui consiste à sonner les cloches, avoir soin du luminaire, entretenir les lampes, & garder les clés de l'église. Celui qui en étoit chargé s'appelloit le coutre.


COUTUMATS. m. (Comm.) quelques-uns prononcent contumat. Il se dit en Guienne, particulierement à Bayonne, des lieux où se paye le droit de coûtume. Voyez COUTUME.

Le coutumat de Bayonne a dix-huit bureaux. (G)


COUTUMEHABITUDE, s. f. (Gramm. syn.) termes relatifs à des états auxquels notre ame ne parvient qu'avec le tems. La coûtume concerne l'objet, elle le rend familier ; l'habitude a rapport à l'action, elle la rend facile. Un ouvrage auquel on est accoûtumé coûte moins de peine ; ce qui est tourné en habitude se fait quelquefois involontairement. On s'accoûtume aux visages les plus desagréables, par l'habitude de les voir. La coûtume, ou plûtôt l'accoûtumance, naît de l'uniformité, & l'habitude, de la répétition.

COUTUME, USAGE, (Gramm. synon.) ces mots désignent en général l'habitude de faire une chose : on dit les usages d'un corps, & la coûtume d'un pays. On dit encore, avoir coûtume de faire une chose, & être dans l'usage de la faire ; telle personne a de l'usage du monde, tel mot n'est pas du bel usage. (O)

COUTUME, (Mor.) disposition habituelle de l'ame ou du corps. Les hommes s'entretiennent volontiers de la force de la coûtume, des effets de la nature ou de l'opinion ; peu en parlent exactement. Les dispositions fondamentales & originelles de chaque être, forment ce qu'on appelle sa nature. Une longue habitude peut modifier ces dispositions primitives ; & telle est quelquefois sa force, qu'elle leur en substitue de nouvelles, plus constantes, quoiqu'absolument opposées ; de sorte qu'elle agit ensuite comme cause premiere, & fait le fondement d'un nouvel être : d'où est venue cette conclusion très-littérale, que la coûtume est une seconde nature ; & cette autre pensée plus hardie de Pascal, que ce que nous prenons pour la nature n'est souvent qu'une premiere coûtume : deux maximes très-véritables. Toutefois, avant qu'il y eût aucune coûtume, notre ame existoit, & avoit ses inclinations qui fondoient sa nature ; & ceux qui réduisent tout à l'opinion & à l'habitude, ne comprennent pas ce qu'ils disent. Toute coûtume suppose antérieurement une nature, toute erreur une vérité : il est vrai qu'il est difficile de distinguer les principes de cette premiere nature de ceux de l'éducation ; ces principes sont en si grand nombre & si compliqués, que l'esprit se perd à les suivre, & il n'est pas moins difficile de démêler ce que l'éducation a épuré ou gâté dans le naturel. On peut remarquer seulement que, ce qui nous reste de notre premiere nature, est plus véhément & plus fort, que ce qu'on acquiert par étude, par coûtume, & par réflexion, parce que l'effet de l'art est d'affoiblir, lors même qu'il polit & qu'il corrige ; de sorte que nos qualités acquises sont en même tems plus parfaites & plus défectueuses que nos qualités naturelles : & cette foiblesse de l'art ne procede pas seulement de la résistance trop forte que fait la nature, mais aussi de la propre imperfection de ses principes, ou insuffisans, ou mêlés d'erreurs. Sur quoi cependant je remarque, qu'à l'égard des lettres l'art est supérieur au génie de beaucoup d'artistes, qui ne pouvant atteindre la hauteur des regles, & les mettre toutes en oeuvres, ni rester dans leur caractere qu'ils trouvent trop bas, ni arriver au beau naturel, demeurent dans un milieu insupportable, qui est l'enflure & l'affectation, & ne suivent ni l'art ni la nature. La longue habitude leur rend propre le caractere forcé ; & à mesure qu'ils s'éloignent davantage de leur naturel, ils croyent élever la nature : don incomparable, qui n'appartient qu'à ceux que la nature même inspire avec le plus de force. Mais telle est l'erreur qui les flatte ; & malheureusement rien n'est plus ordinaire que de voir les hommes se former, par étude & par coûtume, un instinct particulier, & s'éloigner ainsi, autant qu'ils peuvent, des loix générales & originelles de leur être ; comme si la nature n'avoit pas mis entr'eux assez de différence, sans y en ajoûter par l'opinion. De-là vient que leurs jugemens se rencontrent si rarement : les uns disent cela est dans la nature ou hors de la nature, & les autres tout au contraire. Parmi ces variétés inexplicables de la nature ou de l'opinion, je crois que la coûtume dominante peut servir de guide à ceux qui se mêlent d'écrire, parce qu'elle vient de la nature dominante des esprits, ou qu'elle la plie à ses regles ; de sorte qu'il est dangereux de s'en écarter, lors même qu'elle nous paroît manifestement vicieuse. Il n'appartient qu'aux hommes extraordinaires de ramener les autres au vrai, & de les assujettir à leur génie particulier : mais ceux qui concluroient de-là que tout est opinion, & qu'il n'y a ni nature ni coûtume plus parfaite l'une que l'autre par son propre fond, seroient les plus inconséquens de tous les hommes. Article de M. FORMEY.

" C'est, dit Montagne, une violente & traîtresse maîtresse d'école, que la coûtume. Elle établit en nous peu-à-peu, à la dérobée, le pié de son autorité ; mais par ce doux & humble commencement l'ayant rassis & planté avec l'aide du tems, elle nous découvre tantôt un furieux & tyrannique usage, contre lequel nous n'avons plus la liberté de hausser seulement les yeux.... Mais on découvre bien mieux ses effets aux étranges impressions qu'elle fait en nos ames, où elle ne trouve pas tant de résistance. Que ne peut-elle en nos jugemens & en nos créances ?.... J'estime qu'il ne tombe en l'imagination humaine aucune fantaisie si forcenée, qui ne rencontre l'exemple de quelque usage public, & par conséquent que notre raison n'étaye & ne fonde.... Les peuples nourris à se commander eux-mêmes, estiment toute autre forme de police monstrueuse. Ceux qui sont duits à la monarchie en font de même. C'est par l'entremise de la coûtume que chacun est content du lieu où nature l'a planté ".

COUTUMES, (Jurisprud.) en latin consuetudo, est un droit non écrit dans son origine, & introduit seulement par l'usage, du consentement tacite de ceux qui s'y sont soûmis volontairement ; lequel usage après avoir été ainsi observé pendant un long espace de tems, acquiert force de loi.

La coûtume est donc une sorte de loi ; cependant elle differe de la loi proprement dite, en ce que celle-ci est ordinairement émanée de l'autorité publique, & rédigée par écrit dans le tems qu'on la publie ; au lieu que la plûpart des coûtumes n'ont été formées que par le consentement des peuples & par l'usage, & n'ont été rédigées par écrit que long-tems après.

Il y a beaucoup de rapport entre usage & coûtume, c'est pourquoi on dit souvent les us & coûtumes d'un pays. Cependant par le terme d'usage on entend ordinairement ce qui n'a pas encore été rédigé par écrit ; & par coûtume, un usage qui étoit d'abord non écrit, mais qui l'a été dans la suite.

En quelques occasions on distingue aussi les us des coûtumes ; ces us sont pris alors pour les maximes générales, & les coûtumes en ce sens sont opposées aux us, & signifient les droits des particuliers de chaque lieu, & principalement les redevances dûes aux seigneurs.

On dit aussi quelquefois les fors & coûtumes, & en ce cas le terme de coûtume signifie usage, & est opposé à celui de fors, qui signifie les priviléges des communautés & ce qui regarde le droit public.

Les coûtumes sont aussi différentes des franchises & priviléges : en effet, les franchises sont des exemptions de certaines servitudes personnelles, & les priviléges sont des droits attribués à des personnes franches, outre ceux qu'elles avoient de droit commun ; tels sont le droit de commune & de banlieue, l'usage d'une forêt, l'attribution des causes à une certaine jurisdiction.

L'origine des coûtumes en général est fort ancienne ; tous les peuples, avant d'avoir des lois écrites, ont eu des usages & coûtumes qui leur tenoient lieu de lois.

Les nations les mieux policées, outre leurs lois écrites, avoient des coûtumes qui formoient une autre espece de droit non écrit : ces coûtumes étoient même en plusieurs lieux qualifiées de lois ; c'est pour quoi on distinguoit deux sortes de lois chez les Grecs & chez les Romains, savoir les lois écrites, & les lois non écrites : les Grecs étoient partagés à ce sujet ; car à Lacédémone il n'y avoit pour loi que des coûtumes non écrites ; à Athenes au contraire on avoit soin de rédiger les lois par écrit. C'est ce que Justinien explique dans le titre second de ses institutes, où il dit que le droit non écrit est celui que l'usage a autorisé ; nam diuturni mores consensu utentium comprobati legem imitantur.

Les coûtumes de France qui sont opposées aux lois proprement dites, c'est-à-dire au droit Romain, & aux ordonnances, édits & déclarations de nos rois, étoient dans leur origine des usages non écrits, qui par succession de tems ont été rédigés par écrit.

Elles ont été formées en partie des usages des anciens Gaulois, en partie du droit Romain, des usages des Germains dont les François sont issus, des anciennes lois des Francs ; & autres qui ont été recueillies dans le code des lois antiques, savoir la loi des Visigoths, celle des Bourguignons, la loi salique & celle des Ripuariens, celles des Allemands, Bavarois, Saxons, Anglois, Frisons, Lombards, & des capitulaires de nos rois.

Nous voyons en effet que la plûpart des matieres qui entrent dans notre droit coutumier, ont été tirées de ces anciennes lois ou coutumes, telles que la communauté de biens qui nous vient des Gaulois, le doüaire qui nous vient des Germains, les fiefs qui nous viennent aussi des Germains & des Lombards, & les propres dont l'usage vient des Francs.

La révolution qui arriva en France au commencement de la troisieme race ayant fait tomber toutes les lois dans l'oubli, on ne suivit plus qu'un droit incertain, fondé seulement sur l'usage : les ducs, les comtes, & autres officiers royaux, s'étant attribué la propriété des villes & provinces dont ils n'avoient que l'administration, & les plus puissans d'entr'eux s'étant même érigés en souverains, entreprirent chacun de donner des lois à leurs sujets ; c'est de-là que les coutumes se sont tant multipliées dans le royaume.

Les nations voisines de la France avoient aussi dèslors leurs coutumes particulieres, qui furent rédigées par écrit, telles que celle de Barcelone en 1060, celle d'Angleterre en 1080, celle de Béarn en 1088, le livre des fiefs en 1150, le miroir du droit de Saxe en 1120.

Les assises de Jérusalem qui y furent rédigées par écrit en 1099, contiennent un précis du droit coûtumier qui s'observoit alors en France, mais qui n'y étoit point encore rédigé par écrit.

Auparavant la rédaction des coutumes par écrit, rien n'étoit plus incertain que le droit coûtumier ; dans toutes les contestations, chacun alléguoit pour soi la coutume ; les juges ordonnoient des enquêtes par turbes, qui souvent induisoient en erreur, & quelquefois laissoient le juge dans l'incertitude, parce qu'il arrivoit souvent que moitié des témoins alléguoit la coutume d'une façon, & que l'autre moitié attestoit une coutume toute contraire ; ce qui dépendoit beaucoup de la bonne ou mauvaise foi des témoins, qui étoient souvent gagnés pour attester une coutume contraire à la véritable. Ces inconvéniens firent sentir la nécessité de rédiger les coutumes par écrit.

On avoit déjà fait une premiere ébauche de cette rédaction, dans les chartes que Louis VII. & Philippe Auguste accorderent à plusieurs villes & bourgs dans les xj. & xij. siecles, pour y établir une commune ou chartes, par lesquelles ils confirmerent celles qui avoient déjà été établies par quelques seigneurs. Ces chartes de commune confirment plusieurs usages qui étoient propres à chaque ville.

Mais du tems de S. Louis on commença à rédiger par écrit les coutumes des provinces entieres : celles de Paris, d'Anjou, & d'Orléans, furent recueillies & confirmées dans les établissemens ou ordonnances que ce prince fit en 1270, avant de partir pour l'Afrique.

On tient communément que Charles VII. fut le premier qui ordonna que les coutumes seroient rédigées par écrit : il est néanmoins certain que Philippe IV. avoit ordonné dès 1302, que dans chaque bailliage ou sénéchaussée on assembleroit plusieurs personnes capables pour informer des anciennes coutumes du royaume, & de quelle maniere on en usoit du tems de S. Louis ; voulant que si depuis ce tems, outre les bonnes coutumes qui avoient été approuvées, on en avoit introduit qui eussent déjà été abolies ou qui fussent injustes, elles seroient révoquées & réduites à leur ancien état, & que pour mémoire des bonnes coutumes elles seroient registrées. Il ordonna aussi dans un autre article, que les juges garderoient soigneusement les usages des lieux & les coutumes approuvées. Il y avoit par conséquent dés-lors des coutumes, & l'on pensoit que pour avoir force de loi elles devoient être approuvées.

On trouve en effet quelques coutumes qui furent rédigées par écrit à-peu-près vers ce tems, comme celle de Toulouse en 1285, celle de Provence & de Forcalquier en 1366, celle de Bragerac en 1368 ; & plusieurs autres qui ont depuis été réformées, comme les anciennes coutumes de Champagne, de Bourgogne, de Normandie, d'Amiens ; la plûpart de ces anciennes rédactions sont en latin, telles que les coutumes de Toulouse, de Provence, & de Forcalquier. On tient communément que l'ancienne coutume de Normandie est la premiere qui fut rédigée en langue vulgaire.

Outre les textes des anciennes coutumes, il y a encore quelques ouvrages composés par différens particuliers qui ont recueilli soigneusement le droit coutumier, tel qu'il s'observoit de leur tems. De ce nombre sont le Conseil de Pierre de Fontaines ; le Livre à la reine Blanche, que l'on dit être du même auteur ; les Coutumes de Beauvaisis, composées par Philippe de Beaumanoir en 1285 ; la Somme rurale de Bouteiller ; le grand Coutumier, composé sous le regne de Charles VII. les Décisions de Jean des Mares ; & les Coutumes notoires du châtelet, qui sont la plûpart des résultats d'enquêtes par turbes faites depuis l'an 1300 jusqu'en 1387.

L'autorité des coutumes devint si grande, que Charles IV. fit défenses d'alléguer les lois romaines contre la coutume ; un ancien arrêt dont Bodin fait mention, liv. 1. ch. viij. le défendit aussi en ces termes : Les avocats ne soient si hardis de mettre droit écrit contre la coutume.

Charles VII. après avoir chassé les Anglois du royaume, donna en 1453 une ordonnance, par laquelle il renouvella le projet qui avoit déjà été formé avant lui, de faire rédiger par écrit toutes les coutumes ; ce qui n'avoit été exécuté que pour un très-petit nombre. Il ordonna donc que toutes les coutumes seroient écrites & accordées par les praticiens de chaque pays, puis examinées & autorisées par le grand-conseil & par le parlement ; & que les coutumes ainsi rédigées & approuvées seroient observées comme lois, sans qu'on en pût alléguer d'autres.

Il n'y eut cependant aucune coutume rédigée sous Charles VII. & la premiere qui fut rédigée en exécution de son ordonnance, fut celle de Ponthieu en 1495, sous Charles VIII.

Le travail de la rédaction des coutumes avança peu jusqu'au tems de Louis XII. sous lequel on rédigea les coutumes d'Anjou, du Maine, de Chartres & de Dreux, celles de Meaux, de Vitry, de Chaumont en Bassigny, de Troyes, d'Auvergne, d'Acqs, Saint-Sever, la Bourt, Bayonne, la Rochelle & Angoumois.

Les autres coutumes ont été rédigées sous François I. & sous ses successeurs, depuis 1518 jusqu'en 1609.

Quelques-unes, après avoir été rédigées par écrit, ont été dans la suite réformées, comme celles de Paris, d'Orléans, de Normandie, de Bretagne, d'Artois & plusieurs autres.

Les seules qui ayent été réformées de nos jours, sont les coutumes locales d'Artois & les coutumes locales de Saint-Omer.

Toutes les coutumes du royaume ont été rédigées ou réformées en vertu de lettres patentes du Roi, suivant lesquelles on assemble les trois états de la province. On ordonne dans une premiere assemblée à tous les juges royaux, greffiers, maires & échevins, d'envoyer leurs mémoires sur les coutumes, usages & styles qu'ils ont vû pratiquer d'ancienneté. Les états choisissent ensuite un petit nombre de notables, auxquels on remet ces mémoires pour les mettre en ordre, & en composer un seul cahier qu'on lit dans l'assemblée des états, & où l'on examine si les coutumes sont telles qu'on les présente dans le cahier. A chaque article, chacun des députés des trois états a la liberté de faire ses observations ; & enfin les articles sont adoptés, rejettés ou modifiés, suivant ce qui est arrêté dans l'assemblée : & les coutumes ainsi rédigées, sont apportées au parlement pour y être registrées, si faire se doit.

On voit dans l'histoire de Lorraine, que quand le duc de Lorraine eut fait rédiger la coutume de Bar, le procureur général du Roi au parlement de Paris interjetta appel de sa rédaction ; que le duc de Lorraine fut partie sur l'appel, en qualité d'intimé ; & qu'après que son avocat eut été entendu, il intervint arrêt le 4 Décembre 1581, qui ordonna la publication de cette coutume.

La coutume de Ponthieu fut rédigée par les officiers des lieux, seuls. La plûpart des autres l'ont été par des commissaires nommés par le Roi, & tirés ordinairement du corps du parlement, lesquels ont présidé à l'assemblée des états, & arrêté les articles en la forme où ils sont ; mais n'ayant pas eu le tems de composer eux-mêmes les cahiers des coutumes, ni de les corriger à loisir, ce sont les officiers du pays qui ont eu le plus de part à la rédaction ; c'est pourquoi le style de la plûpart de ces coutumes est si grossier, & il s'y trouve si peu d'ordre & de méthode ; ce qui n'empêche pas que les commissaires qui y ont présidé, ne fussent des gens de mérite.

Plusieurs de ces commissaires ont beaucoup imprimé de leur génie dans la coutume qu'ils ont fait rédiger : par exemple, le premier président Lizet, qui assista à la rédaction de celle de Berry en 1539, la rendit, autant qu'il put, conforme au droit romain, quoique cette province fût purement coutumiere : M. le Maistre, au contraire, qui fut depuis premier président, ne souffrit pas que les principes du droit romain fussent insérés dans les coutumes à la rédaction desquelles il assista.

On compte environ soixante coutumes générales dans le royaume, c'est-à-dire qui sont observées dans une province entiere ; & environ trois cent coutumes locales qui ne sont observées que dans une seule ville, bourg ou village.

Il n'y a point de province où il y ait tant de bigarrure à cet égard, que dans la province d'Auvergne ; les coutumes locales y sont en très-grand nombre ; chaque ville, bourg ou village y a sa coutume particuliere. D'autres sont régies par le droit écrit ; & les lieux régis par le droit coutumier, sont entre-mêlés avec ceux qui suivent le droit écrit.

Louis XI. avoit, dit-on, dessein de réduire toutes les coutumes du royaume en une seule, & que l'on usât partout du même poids & de la même mesure. Ce loüable dessein est demeuré jusqu'à présent sans exécution. Quelques-uns ont crû qu'il avoit été renouvellé par M. le premier président de Lamoignon ; que c'étoit dans cette vûe qu'il avoit fait composer ces arrêtés célebres, auxquels il ne manque que d'être revêtus de l'autorité publique : mais M. Auzanet qui y avoit eu beaucoup de part, assûre que l'objet de M. de Lamoignon étoit seulement de fixer la jurisprudence dans le ressort du parlement de Paris. Il convient que l'on a proposé plusieurs fois d'établir une loi, un poids & une mesure qui fussent communs pour toute la France : que cela ne seroit pas difficile à exécuter pour les poids & mesures ; mais de faire une loi générale pour tous les pays de coutume & de droit écrit, c'est à quoi il prétend que l'on ne peut pas parvenir : il en allegue pour raison que plusieurs provinces se sont données à la France, à la charge de les maintenir dans l'usage de leurs lois & coutumes ; que les habitans de chaque pays croyent que leurs lois sont les meilleures ; & enfin que si on changeoit les coutumes, cela causeroit beaucoup de trouble dans les familles, par rapport aux conventions & dispositions qui ont été faites suivant ces coutumes.

Ces considérations ne paroissent cependant pas capables de balancer l'avantage commun que l'on retireroit de n'avoir qu'une seule loi. N'est-il pas étrange de voir dans un même royaume tant de coutumes différentes ; & que dans une même province où il se trouve plusieurs coutumes locales dont le ressort n'est séparé que par une riviere ou par un chemin, ce qui est réputé juste d'un côté, soit réputé injuste de l'autre ? La prévention des peuples pour leurs anciens usages, n'est pas ce que l'on doit consulter, mais le bien public. En rendant toutes les coutumes uniformes pour l'avenir, on ne changeroit rien à ce qui auroit été fait par le passé ; ainsi il n'y auroit nul inconvénient, & il ne seroit pas plus difficile de réduire tout à une même coutume, que de réduire tout à un poids & à une mesure.

Les différentes coutumes du royaume ont été rassemblées en plusieurs volumes, ce que l'on appelle le coutumier général ; & les coutumes générales & particulieres de certaines provinces ont été pareillement rassemblées avec leurs commentateurs, ce qui a formé plusieurs coutumiers particuliers, que l'on a distingués chacun par le nom de la province dont ils contiennent les coutumes, tels que les coutumiers de Picardie, de Vermandois, de Poitou, &c. Voyez COUTUMIER.

Quelque soin que l'on ait pris pour la rédaction ou réformation des coutumes, il s'en faut beaucoup que ces coutumes ayent prévû toutes les matieres & toutes les questions qui se présentent : les dispositions même qu'elles contiennent, ont besoin d'interprétation : c'est ce qui a fait naître les commentaires, observations, conférences & autres ouvrages sur le texte des coutumes.

Je ne sai où M. Caterinot a pris que la coutume de Berry est la premiere qui ait été commentée par Boerius ; car ce commentaire est moins ancien que celui de Dumolin sur la coutume de Paris, & il y en a encore de plus anciens sur d'autres coutumes. Je crois qu'un des premiers est un volume in -12. sur la coutume de Bretagne, par Dalier & autres, qui fut imprimé en gothique à Rennes en 1484.

Il n'y a guere de coutume qui n'ait eu quelque commentateur. Celle de Paris en a eu environ vingt-cinq plus ou moins considérables, dont le premier & le plus recommandable est Me. Charles Dumolin, qui a aussi fait des notes sommaires sur les autres coutumes.

La plûpart des autres commentateurs n'ont travaillé que sur la coutume de leur pays ; & il est en effet difficile de bien commenter une coutume, d'en bien posséder l'esprit, & de connoître tous les usages d'un lieu, sans y être né, ou du moins sans y être établi depuis long-tems.

Quelques auteurs, au lieu de commentaires, ont fait des conférences des coutumes : Guenois, par exemple, a fait une conférence générale de toutes les coutumes du royaume, qu'il a arrangé par matieres ; ce qui est fort utile pour comparer les coutumes les unes aux autres, voir quel est le droit commun sur une matiere, & ce que chaque coutume a de singulier.

D'autres ont fait des conférences particulieres pour une seule coutume ; c'est-à-dire que pour l'éclaircir ils ont rapporté sous chaque article les dispositions des autres coutumes qui ont rapport au même objet.

M. Berroyer a fait la bibliotheque des coutumes, qui est un catalogue raisonné des coûtumes par ordre chronologique.

Enfin plusieurs auteurs ont fait divers traités sur certains titres, articles ou matieres dépendantes des coûtumes.

On a vû que chez les Romains les coûtumes n'étoient point écrites ; elles imitoient néanmoins les lois écrites, les interprétoient, & quelquefois même les corrigeoient & abrogeoient, tant par un non usage de la loi écrite, que par un usage contraire qui y succédoit, & qui acquéroit force de loi : tels sont les principes que l'on trouve dans les lois 36. & 37. ff. de legibus.

Il n'en est pas tout-à-fait de même parmi nous : on appelle usage toute coutume qui n'est point écrite, & l'on ne reconnoît de coutume proprement dite, que celle qui est rédigée par écrit & autorisée par le prince.

L'usage est considéré comme le meilleur interprete des lois ; nous avons même des usages non-écrits qui ont en quelque sorte force de loi : mais tout cela n'a lieu qu'autant qu'ils ne sont point contraires à une loi subsistante.

A l'égard des coutumes, depuis que l'ordonnance de 1667 a abrogé les enquêtes par turbes, on n'admet plus les parties à la preuve d'une coûtume non-écrite.

Il ne suffit même pas parmi nous, pour la validité d'une coûtume, qu'elle soit rédigée par écrit ; il faut qu'elle l'ait été par l'autorité du prince : car il n'en est pas ici comme anciennement chez les Romains, où le peuple avoit le pouvoir de faire des lois. En France, toute la puissance législative réside en la personne du Roi, & lui seul peut donner force de loi aux coûtumes. Les députés des trois états des provinces ne peuvent s'assembler que par son ordre ; leurs mémoires & cahiers, les dires & observations qu'ils font dans les procès-verbaux de rédaction, ne sont que des avis, auxquels les commissaires du Roi ont tel égard que de raison : ce sont les commissaires du Roi qui arrêtent les articles, en vertu du pouvoir qui leur en est donné par les lettres patentes & par leur commission ; & si la difficulté est trop grande, & mérite une instruction en forme, ils doivent renvoyer les parties au parlement ; la coûtume subsistant néanmoins par provision, comme il est dit dans les lettres patentes données à Moulins le 2 Septembre 1497, portant commission à Thibault Baillet président au parlement de Paris, & autres, pour faire publier dans chaque bailliage & sénéchaussée les coûtumes qui étoient arrêtées par les commissaires du Roi.

Lorsque les coutumes sont arrêtées par les commissaires du Roi, il faut qu'elles soient enregistrées au parlement ; car la loi ne prend son exécution que du jour de la publicité qu'elle acquiert par l'enregistrement.

Quand une coutume est ainsi revêtue de l'autorité publique, elle tient lieu de loi pour tous ceux qui lui sont soûmis, soit par rapport à leurs personnes, ou par rapport aux biens qu'ils possedent sous l'empire de cette coutume.

Toutes personnes, de quelque qualité qu'elles soient, sont soûmises à la coutume, les mineurs comme les majeurs, les nobles comme les rôturiers, les ecclésiastiques, les hôpitaux, les princes : le Roi lui-même s'y soûmet, de même qu'aux autres lois.

Le parlement peut déclarer nulles de prétendues coutumes qui ne sont point revêtues des formalités nécessaires pour leur donner le caractere de loi ; & il y en a plusieurs exemples assez récens.

Hors ce cas, tous juges sont tenus de juger conformément aux coutumes.

Le Roi peut y déroger par une ordonnance contraire, & n'a pas besoin pour cela du consentement des états de la province.

Les particuliers peuvent aussi, par leurs conventions & autres dispositions, déroger pour ce qui les concerne, aux dispositions des coutumes, pourvû qu'elles ne soient que positives ou négatives, & non pas prohibitives.

On appelle disposition positive ou négative d'une coutume, celle qui regle les choses d'une façon, sans néanmoins défendre de les régler autrement, soit que cette disposition soit conçûe en termes négatifs ou en termes positifs seulement, ou même absolus & impératifs.

Par exemple, l'article 220 de la coutume de Paris, qui porte que homme & femme conjoints ensemble par mariage, sont communs en biens, &c. est une disposition conçûe en termes simplement positifs, ou même, si l'on veut, absolus & impératifs ; mais il n'est pas défendu par la coutume d'exclure cette communauté : la disposition n'est pas prohibitive.

L'article 389 de la coutume de Normandie, qui dit au contraire que les personnes conjointes par mariage ne sont communes en biens, &c. est conçû en termes négatifs ; néanmoins il n'est pas non plus prohibitif, c'est pourquoi on peut stipuler qu'il y aura communauté.

Les dispositions de coutumes qu'on appelle prohibitives, sont celles qui défendent de disposer autrement qu'il n'est reglé par la coutume, soit que la disposition de la coutume soit conçûe en termes négatifs, ne peut, ou autres termes équipollens.

Par exemple, dans la coutume de Paris, l'art. 292 qui permet de disposer par testament des meubles & acquêts, & du quint des propres, & non plus avant, est prohibitif pour la quotité que l'on peut donner de ses propres.

De même en Normandie, l'art. 330 est prohibitif négatif ; il porte que, quelqu'accord ou convenant qui ait été fait par contrat de mariage, & en faveur d'icelui, les femmes ne peuvent avoir plus grande partie aux conquêts faits par le mari, que ce qui leur appartient par la coutume, à laquelle les contractans ne peuvent déroger.

C'est une question fort controversée entre les auteurs, de savoir si les coutumes sont le droit commun de la France, ou si c'est le droit Romain. La plûpart de ceux qui ont traité cette question, en ont parlé selon l'affection qu'ils avoient pour le droit Romain, ou pour le droit coutumier : quelques auteurs surtout qui étoient originaires des pays de droit écrit, ont marqué trop de prévention pour la loi de leur pays.

Ce n'est pas que le droit Romain ne mérite toûjours beaucoup de considération, comme étant une loi fort sage ; mais par rapport à l'autorité qu'il doit avoir en France, il faut distinguer les tems & les lieux.

Avant la formation de nos coutumes, le droit Romain a pû être considéré comme une loi générale pour toute la France ; mais depuis qu'il s'est établi des coutumes dans plusieurs provinces, le droit Romain n'a plus eu le caractere de loi que pour les pays de droit écrit, où l'usage en a été continué.

Il y a bien quelques statuts & coutumes locales dans les pays de droit écrit, tels que les statuts de Provence, les coutumes de Toulouse & de Bordeaux ; mais ces coutumes ne sont que des exceptions au droit Romain, qui forme le droit commun de ces pays.

Il y a même quelques coutumes qui, quoique qualifiées de générales, telles que celles du duché & du comté de Bourgogne, ne sont pareillement que des exceptions au droit Romain, que l'on doit suivre pour tous les cas qui ne sont pas prévûs dans ces coutumes, ainsi qu'il est dit dans le préambule.

Dans les autres provinces purement coûtumieres, le droit Romain n'a point force de loi ; on n'y a recours que comme à une raison écrite.

On tient aussi communément que les coûtumes sont de droit étroit, c'est-à-dire qu'elles ne reçoivent point d'extension d'un cas à un autre, quoique quelques auteurs se soient efforcés de soûtenir le contraire.

Lorsqu'il se trouve un cas non prévû par les coûtumes, la difficulté est de savoir à quelle loi on doit avoir recours ; si c'est au droit Romain, ou aux coûtumes voisines, ou à celle de Paris.

Quelques-uns veulent que l'on défere cet honneur à la coûtume de Paris, comme étant la principale coûtume du royaume ; mais quoique ce soit une des mieux rédigées, elle n'a pas non plus tout prévû, & elle n'a pas plus d'autorité que les autres hors de son territoire.

Il faut distinguer les matieres dont il peut être question : si ce sont des matieres inconnues dans les coûtumes, & qui ne soient prévûes que dans les lois Romaines, on doit y avoir recours comme à une raison écrite.

S'il s'agit d'une matiere de coûtumes, il faut suppléer de même ce qui manque dans l'une par la disposition d'une autre, soit la coûtume de Paris ou quelque autre plus voisine, en s'attachant principalement à celles qui ont le plus de rapport ensemble, & qui paroissent avoir le même esprit ; ou s'il ne s'en trouve point qui ait un rapport plus particulier qu'une autre, en ce cas il faut voir quel est l'esprit général du droit coûtumier sur la question qui se présente.

Les coûtumes sont en général réelles, c'est-à-dire que leurs dispositions ne s'étendent point hors de leur territoire ; ce qui est exactement vrai par rapport aux biens fonds qui y sont situés. A l'égard des personnes, les coutûmes n'ont aussi d'autorité que sur celles qui leur sont soûmises, mais elles ont leur effet sur ces personnes en quelque lieu qu'elles se transportent.

Lorsque plusieurs coûtumes paroissent être en concurrence, & qu'il s'agit de savoir laquelle on doit suivre, il faut distinguer si l'objet est réel ou personnel.

S'il s'agit de regler l'état de la personne, comme de savoir si un homme est légitime ou bâtard, noble ou roturier, majeur ou mineur, s'il est fils de famille ou joüissant de ses droits, & s'il peut s'obliger personnellement ; dans tous ces cas & autres semblables, où la personne est l'objet principal du statut, & les biens ne sont que l'objet subordonné, c'est la coûtume du domicile qu'il faut suivre.

Cette même coûtume regle aussi le sort des meubles, & de tous les droits mobiliers & immobiliers qui suivent la personne.

Pour ce qui est des immeubles réels, tels que les maisons, terres, prés, bois, &c. les dispositions que l'on en peut faire, soit par donations entre-vifs ou par testament ; comme aussi les partages, ventes, échanges, & autres aliénations ou hypotheques, se reglent par la coûtume du lieu de la situation de ces biens.

Les formalités extérieures des actes se reglent par la loi du lieu où ils sont passés.

Tels sont en substance les principes que l'on suit en cas de concurrence de plusieurs coûtumes, pour déterminer celle que l'on doit suivre ; mais comme ces questions s'élevent pour toutes sortes de statuts en général, soit lois, coûtumes, statuts proprement dits, ou usages, nous expliquerons ces principes plus au long au mot STATUT.

COUTUME ANNUELLE, est une redevance en grain, vin, ou autres denrées, qu se paye annuellement au seigneur pour raison de quelque héritage donné à cette condition, ou pour les denrées & marchandises vendues dans les foires & marchés. Voyez ci-après COUTUME DE BLE, &c.

Bacquet, en son traité des droits de justice, chap. x. n°. 5. dit que par ce mot coûtume on ne doit pas entendre l'accoûtumance ou usage de lever tels droits, mais que ce mot est pris pour un tribut ou redevance qu'on a coûtume de lever en certain tems chaque année sur certaines denrées & marchandises qui se vendent & débitent aux foires & marchés.

Ce terme de coûtume pris dans ce sens, vient du droit Romain, où les tributs ordinaires étoient appellés coûtumes. La loi dit consuetudinem praestare, pour tributum praestare ; comme on voit en la loi 9. §. earum ff. de public.

Philippe I. s'exprime de même dans le privilége qu'il accorda à ceux de Chalo-Saint-Mas, ut in totâ terrâ regiâ nullam consuetudinem praestent ; ce qui s'entend des tributs ordinaires qui se levoient en ce tems-là, soit au profit du roi ou des seigneurs, ce que la coûtume d'Anjou appelle la grande & la petite coûtume. Voyez ci-après GRANDE & PETITE COUTUME, COUTUME DU PIE ROND.

COUTUME DE BAYONNE, (Jurisp. Hist. & Fin.) est un droit local qui se perçoit dans le pays de labour, dans l'élection des Landes & une partie du Bazadois. Les bourgeois de Bayonne en sont personnellement exempts, & toutes les marchandises qui leur appartiennent en conséquence des priviléges qu'ils se sont conservés par leur capitulation avec le roi charles VII. Ce prince accorda la moitié de ce droit en propriété à la maison de Grammont, qui étoit alors très-puissante dans ce pays, en échange du château de Humblieres qui lui appartenoit dans la ville de Bordeaux. L'autre moitié de ce droit qui se perçoit au profit du roi, est comprise nommément dans le bail des fermes générales.

COUTUMES DE BESTIAUX, voyez ci-après COUTUMES DE BLE, &c.

COUTUMES DE BLE, VIN, VOLAILLES, BESTIAUX, & autres denrées, sont des prestations de blé, vin & autres choses, qui se font au seigneur pour différentes causes.

Il y en a qui se payent par forme de péage, lorsque des marchandises passent sur un pont ou sous une porte.

D'autres se payent pour la vente qui se fait de ces marchandises, soit au marché ou en la seigneurie.

D'autres enfin se payent annuellement, pour raison de quelque héritage qui a été concédé à cette charge.

Il en est parlé dans plusieurs coûtumes, comme Tours, Anjou, Maine, Lodunois, Grand-Perche. Voyez ci-après GRANDE & PETITE COUTUME.

COUTUME BLEUE, est un surnom que les praticiens ont donné aux articles placités ou réglement de 1666 du parlement de Normandie. Ce réglement étant fait pour décider plusieurs cas qui n'étoient pas prévûs par la coûtume, on l'a regardé comme un supplément ou une seconde coûtume ; & comme l'imprimé ne formoit qu'un petit livret, que l'on vendoit broché & couvert d'un papier bleu, cela a donné occasion d'appeller ce réglement la coûtume bleue de Normandie.

COUTUMES DE COTE ou DE SIMPLE COTE, sont celles où pour succéder aux biens immeubles d'un défunt, il suffit d'être parent du côté d'où ils lui sont provenus ; si ce sont des biens paternels ; il suffit d'être parent du côté paternel, & de même pour les biens maternels. On suit dans ces coûtumes la regle paterna paternis, materna maternis. Voyez ci-après COUTUMES DE COTE & LIGNE.

COUTUMES DE COTE & LIGNE, sont celles où pour succéder à un propre, il ne suffit pas d'être parent du défunt du côté d'où il lui est venu, mais où il faut encore être le plus proche parent du défunt du côté & ligne du premier acquéreur de ce propre, c'est-à-dire du premier qui l'a mis dans la famille. La coûtume de Paris & plusieurs autres semblables, sont des coûtumes de côté & ligne. Voyez ci-devant COUTUMES DE COTE, & ci-après LIGNE.

COUTUME DECRETEE, est celle qui est omologuée par lettres patentes dûment enregistrées. Voy. ci-après COUTUME OMOLOGUEE & OMOLOGATION.

COUTUMES DOMESTIQUES, ou PRIVEES, ou FAMILIERES, familiares, sont des usages & arrangemens particuliers, introduits par convention dans certaines familles. Ces sortes de coûtumes n'ont point lieu quand elles sont contraires à la coûtume générale écrite, comme il fut jugé par arrêt prononcé en robe rouge par M. le président Seguier, le 9 Avril 1565, au sujet du partage du comté de Laval. Voy. Brodeau sur M. Louet, lett. R. n°. 37. & PACTE DE SUCCEDER.

COUTUMES D'EGALITE, sont celles qui défendent d'avantager un de ses héritiers plus que les autres.

De ces coûtumes, les unes sont ce qu'on appelle d'égalité simplement, les autres d'égalité parfaite. Les premieres défendent bien d'avantager un de ses héritiers au préjudice des autres, mais elles n'obligent pas les héritiers de rapporter ce qu'ils ont reçû ; ou bien elles permettent au pere de dispenser ses enfans du rapport, au moyen dequoi la prohibition d'avantager peut être éludée & l'égalité blessée. Telles sont les coûtumes de Paris, art. 304. & 307. Nivernois, chap. xxvij. art. 11. Berri, tit. xjx. art. 42. Bourbonnois, art. 308. au lieu que les coûtumes d'égalité parfaite obligent l'héritier à rapporter ce qu'il a reçû en avancement d'hoirie, & défendent de dispenser de ce rapport : telles sont les coûtumes d'Anjou & Maine.

Entre les coûtumes d'égalité parfaite, il y en a quelques-unes qui le sont tant en ligne directe qu'en collatérale ; d'autres en directe seulement, & non en collatérale : par exemple la coûtume de Vitri n'est d'égalité qu'en directe, suivant un arrêt du 4 Juillet 1729.

Dans toutes les coûtumes d'égalité lorsque le rapport a lieu, ce n'est qu'en faveur des cohéritiers qui le demandent, parce qu'il n'a été introduit qu'en leur faveur, & non au profit des créanciers qui ne sont pas recevables à le demander.

COUTUMES D'ENTRECOURS, (Jurisprud.) voyez COUTUMES DE PARCOURS, & les mots ENTRECOURS & PARCOURS.

COUTUMES FAMILIERES ou DOMESTIQUES, voyez ci-devant COUTUMES DOMESTIQUES.

COUTUMES DE FERRETE, est une espece de communauté de biens, usitée entre conjoints dans la plus grande partie de la haute Alsace, & même dans la basse, tout ce que les conjoints apportent en mariage, qui leur échet par succession ou autrement, ou qu'ils acquierent pendant le mariage, compose une masse dont le mari ou ses héritiers prennent les deux tiers, & la femme ou les siens l'autre tiers, avec environ soixante livres pour gain nuptial. Cette confusion ou société de tous biens, est appellée la coûtume de ferrête. Cette coûtume n'est point écrite ; elle n'est fondée que sur un usage qui a force de loi, & qui a lieu de plein droit & sans aucune stipulation. Voyez mon traité des gains nuptiaux, chap. jx. pag. 91. & la consultation des avocats au conseil souverain d'Alsace qui y est insérée, pag. 261.

COUTUME DES FILLETES, est un droit singulier usité dans le comté de Dunois, qui est que, quand une fille ou une veuve se trouve enceinte, ou même une femme mariée, s'il est notoire que ce soit du fait d'un autre que de son mari, elle est tenue de le déclarer à la justice du lieu, afin qu'il en soit fait registre, sur peine d'un écu d'amende. Ce droit est affermé avec les autres fermes muables du comté de Dunois ; & si la personne qui est enceinte n'a pas fait sa déclaration à la justice, le receveur-fermier étant averti de l'accouchement, se transporte avec un balai au lieu auquel la fille, femme, ou veuve est accouchée, demande l'amende, & ne quitte point la porte du logis jusqu'à ce qu'il soit satisfait de l'amende à lui dûe. Voyez Bacquet, traité du droit de bâtardise, chap. ij. n°. 2.

COUTUMES DE FRANC-ALEU, sont celles où le franc-aleu est naturel & de droit, c'est-à-dire où tout héritage est réputé franc, si le seigneur dans la justice duquel il est situé, ne prouve le contraire. Il y a d'autres coûtumes où le franc-aleu n'est point reçû sans titre, & enfin d'autres qui n'ont point de dispositions sur cette matiere. Les coûtumes où le franc-aleu a lieu sans titre, sont les seules qu'on appelle coûtumes de franc-aleu. Voyez FRANC-ALEU.

COUTUME DE FRANCE, se dit quelquefois pour exprimer le droit commun & général de France, le droit François, ou certains usages non écrits observés en France.

COUTUME GENERALE, est celle qui est faite pour servir de loi dans toute une province. Quelques coûtumes sont intitulées coûtumes générales, comme celles du haut & bas pays d'Auvergne ; & cela par opposition aux coûtumes locales ou particulieres de certaines châtellenies, villes, ou cantons, qui sont insérées à la suite des coûtumes générales. Voyez ci-après COUTUMES LOCALES.

On compte près de cent coûtumes générales dans le royaume, sans les coûtumes locales.

COUTUME, (grande) est un droit qui se paye au seigneur sur les denrées vendues dans sa seigneurie, comme blé, vin, & autres choses : on appelle ce droit la grande coûtume ou droit de prevôté, parce qu'il est plus fort que celui qui se leve ailleurs sur ces menues marchandises, & qu'on appelle la petite coûtume. Il en est parlé dans l'article 20 de la coûtume d'Anjou.

COUTUMES LOCALES ou PARTICULIERES, sont celles qui ne font loi que dans l'étendue d'un bailliage, châtellenie, ou autre jurisdiction, ou dans une seule ville, bourg, ou canton, à la différence des coûtumes générales, qui font loi pour toute une province. Il y a un grand nombre de coûtumes locales dans le royaume ; on en compte plus de cent dans la seule province d'Auvergne, c'est aussi la province où il y en a le plus.

Les coûtumes locales ne sont que des exceptions à la loi générale du pays ; ainsi ce qu'elles n'ont pas prévû, doit être décidé par la coûtume générale, ou par le droit Romain, si c'est dans un pays où l'on suive le droit écrit, comme il s'en trouve en effet plusieurs où il y a quelques coûtumes locales ou statuts particuliers, tels que la coûtume de Toulouse, celle de Bordeaux, & autres semblables.

COUTUME LOUABLE ou LOUABLE COUTUME, laudabilis consuetudo : dans l'usage, on entend par-là certains droits & rétributions que les ecclésiastiques exigeoient des laïcs, & qui ne sont fondés sur d'autre titre qu'une longue possession.

Quand ces coûtumes n'ont rien d'exorbitant, elles dégénerent par succession de tems en une espece de contrat dont l'exécution est d'obligation ; mais lorsqu'elles introduisent des droits insolites, excessifs, ou deshonnêtes, elles sont rejettées.

Joannes Galli, quest. 273. fait mention d'un arrêt par lequel le sacristain de la ville d'Agde comme curé, fut maintenu selon l'ancienne & louable coûtume à prendre le lit de ses paroissiens décédés, ou la valeur du lit, selon la qualité du paroissien.

Aufrerius, décis. 388. traite la question du curé qui est fondé en loüable coûtume, à prendre l'habit de son paroissien décédé, & décide que le curé peut prendre un habit neuf qui est encore chez le tailleur, pourvû qu'il fût destiné à servir d'habit ordinaire & journalier.

Il y a quelques curés qui sont fondés en loüable coûtume de prendre le drap mortuaire qui est mis sur le cercueil du décédé, & les arrêts les y ont maintenus, selon l'article 51 de l'ordonnance de Blois ; avec ce tempérament néanmoins, qu'il seroit permis à la veuve & héritiers de le retirer moyennant une somme raisonnable.

On proscrit sur-tout les droits de sépultures & enterremens insolites & excessifs, que des curés voudroient exiger sous prétexte de loüable coûtume.

Dans quelques diocèses on exigeoit aussi des droits extraordinaires des laïcs nouvellement mariés, pour leur donner congé de coucher avec leurs femmes la premiere, seconde, & troisieme nuits de leurs nôces : mais par arrêt du Parlement du 19 Mars 1409, rendu à la poursuite des habitans & échevins d'Abbeville, il fut fait défenses d'exiger de tels droits. Voyez ci-après CULLAGE. Voyez Chopin, de leg. Andium, lib. I. tit. j. cap. xxxj. n°. 8. & de polit. lib. II. tit. vij. n°. 4. Fevret, tr. de l'abus, lib. IV. ch. vij. n°. 3. & suiv.

COUTUMES DE NANTISSEMENT, sont celles où les contrats passés devant notaires n'emportent point hypotheque contre des tierces personnes sur les biens situés dans ces coûtumes, si les contrats ne sont nantis & réalisés par les officiers des lieux d'où relevent les biens hypothéqués : cette formalité du nantissement est une espece de tradition feinte & simulée de l'héritage pour y acquerir hypotheque.

La coûtume d'Amiens, art. 137, celle de Vermandois, art. 119. celle d'Artois, art. 72. sont des coûtumes de nantissement. Voyez NANTISSEMENT.

COUTUMES NON ECRITES, sont des usages qui n'ont point encore été rédigés par écrit. Toutes les coûtumes étoient autrefois de cette espece ; présentement elles sont la plûpart écrites : il reste néanmoins encore dans certaines provinces quelques usages non écrits.

COUTUME OMOLOGUEE, est lorsque le prince par ses lettres patentes a adopté & autorisé les usages que ses sujets ont rédigé par écrit.

COUTUMES DE PARCOURS, sont celles entre lesquelles le parcours & entrecours a lieu, c'est-à-dire dont les habitans roturiers, mais libres, peuvent réciproquement établir leur domicile dans l'une ou dans l'autre de ces coûtumes, sans devenir serfs du seigneur. Cette liberté dépend des traités faits entre les seigneurs voisins. Voyez ENTRECOURS & PARCOURS.

COUTUME PARTICULIERE, est la même chose que coûtume locale. Voyez COUTUME LOCALE.

COUTUME, (petite) est un droit qui se paye en certains endroits au seigneur, pour les grains, vins, bestiaux, volailles, & autres denrées qui se vendent en sa seigneurie. On l'appelle petite coûtume par opposition à la grande coûtume, qui est un droit plus fort que quelques seigneurs ont droit de percevoir.

Les coûtumes d'Anjou & du Maine font mention des droits de petite coûtume & de levage, qui y sont quelquefois confondus comme termes synonymes. Il y a cependant quelque différence entre ces deux droits, en ce que la petite coûtume se paye en général pour les petites denrées vendues dans le fief ; le droit de levage n'est proprement que pour les denrées qui ont séjourné, ou pour les biens des sujets qui vont demeurer hors le fief.

La coûtume du Maine, art. 10. dit que les seigneurs bas justiciers ont la petite coûtume des denrées vendues en leur fief, comme blé, vin, bêtes, & autres meubles ; lequel levage & petite coûtume est un denier par boeuf & par vache, pipe de blé vendus & tirés hors le fief ; & pour autre menu bêtail, comme moutons, brebis, porcs vendus, & qui auroient séjourné huit jours, sera payé une maille ; & pour les autres meubles quatre deniers par charrete, deux deniers pour charge de cheval, & un denier (le tout tournois) pour faix d'homme.

L'article suivant parle du levage dû par l'acheteur pour les denrées qui ont séjourné huit jours, & ont été ensuite vendues ou autrement transportées hors du fief. Ce même article ajoûte que si le seigneur prenoit prevôté ou grande coûtume, il ne pourra prendre ni demander la petite coûtume ; ce qui suppose que levage & petite coûtume sont synonymes dans le Maine.

L'art. 35. porte que celui qui tient à foi & hommage son hébergement, soit noble ou coûtumier, ne paye à son seigneur aucunes petites coûtumes ni levages.

La coûtume du Maine s'explique à-peu-près de même, mais elle marque mieux la différence qu'il y a entre petite coûtume & levage.

L'art. 8 dit que les seigneurs bas justiciers ont la petite coûtume des denrées vendues en leur fief, comme blé, vin, bêtes, & autres choses.

Art. 9. Pareillement ont levage des denrées qui y ont séjourné huit jours, vendues & autrement transportées en mains d'autrui hors le fief, lequel levage est dû par l'acheteur.... aussi ont le levage des biens de leurs sujets qui vont demeurer hors leur fief.

L'art. 10. dit que le levage & petite coûtume est un denier pour boeuf, vache, pipe de vin, & charge de blé ; que pour autre menu bétail, comme porcs, moutons & brebis vendus, & qui auroient séjourné huit jours, sera payé une obole ; que le levage des biens de ceux qui vont demeurer hors le fief, ne pourra excéder cinq sous ; que comme en plusieurs lieux on n'a point accoûtumé d'user de ces droits de petites coûtumes & levages, il n'y est en rien dérogé, & que si aucun seigneur prenoit droit de prevôté ou de grande coûtume, il n'auroit la petite.

L'art. 30. est semblable à l'art. 35. de la coûtume du Maine. Voyez ci-devant COUTUME (grande) & COUTUME DE BLE, &c.

COUTUME DU PIE ROND, FOURCHE, ou DU PIE, signifie l'imposition que l'on a coûtume de payer au Roi pour chaque animal qui entre dans la ville de Paris, ou qui est vendu au marché aux chevaux.

Dans les anciens baux des fermes du Roi, il est parlé de la ferme & coûtume du pié rond, qui étoit autrefois d'un karolus pour chaque cheval entrant dans la ville de Paris, ou vendu au marché aux chevaux. Voyez Bacquet, des droits de justice, chap. x, n. 5.

COUTUMES DE PRELEGS, sont celles qui déferent les droits d'aînesse per modum praelegati, à la différence des autres coûtumes qui les déferent à titre d'universalité, & per modum quotae.

Dans les coûtumes où l'aîné prend seul tous les fiefs, & dans celles où le droit d'aînesse se prend per modum quotae, le pere peut préjudicier aux droits de l'aîné, c'est-à-dire qu'il peut par testament réduire le droit d'aînesse jusqu'à concurrence de ce dont il est permis de disposer par testament ; & sauf la légitime, l'aîné contribue aux dettes à proportion de tout ce qu'il prend en qualité d'aîné : telle est la coûtume d'Amiens, art. 71.

Mais dans les coûtumes de prélegs, c'est-à-dire où le droit d'aînesse est réduit par la loi & laissé per modum praelegati, comme dans la coûtume de Paris, art. 15. on estime que l'aîné tient ce droit de la loi même, & que le pere n'y peut donner aucune atteinte en disposant au profit des puînés : car si la disposition étoit en faveur d'un étranger, même à titre purement gratuit, elle seroit valable, sauf la légitime de l'aîné. Dans ces mêmes coûtumes de prélegs l'aîné ne contribue pas aux dettes plus que les autres pour son droit d'aînesse, & c'est la raison pour laquelle on y considere le droit d'aînesse comme un prélegs fait par la coûtume, & ce qui a fait appeller ces coûtumes de prélegs. Voyez Louet, lett. C, somm. 24. & les dissertations de M. Boulenois, sur les questions qui naissent de la contrariété des lois & des coûtumes, quest. 21.

COUTUMES PRIVEES, voyez COUTUMES DOMESTIQUES.

COUTUMES DE SAISINE, sont celles dans lesquelles, pour assûrer l'acquisition que l'on fait du droit de propriété ou d'hypotheque sur un héritage, il faut prendre saisine, c'est-à-dire prendre possession de l'héritage en notifiant le contrat au seigneur dont l'héritage releve. Les coûtumes de Clermont en Beauvaisis, celles de Senlis & de Valois, sont des coûtumes de saisine. Cette formalité a quelque rapport avec le nantissement, qui dans certain pays est nécessaire pour que le contrat produise hypotheque. Mais dans les coûtumes de saisine, le contrat ne laisse pas de produire hypotheque, quoiqu'il ne soit pas ensaisiné ; la saisine sert seulement à donner la préférence aux rentes constituées qui sont ensaisinées sur celles qui ne le sont pas ; les rentes ensaisinées sont préférées aux autres sur le prix de l'héritage du débiteur lorsqu'il est decrété ; & entre ceux qui ont pris saisine, les premiers ensaisinés sont préférés.

Les coûtumes de la province de Picardie & celles d'Artois, sont aussi des coûtumes de saisine : mais la saisine est une des voies nécessaires pour y acquerir droit réel ou hypotheque sur l'héritage.

Suivant l'art. 8. de la coûtume de Paris, ne prend saisine qui ne veut.

COUTUMES SOUCHERES, sont celles où pour succéder à un propre il faut être descendu du premier acquereur qui a mis le propre dans la famille ; au lieu que dans les coûtumes de simple côté, il suffit d'être le plus proche parent du côté d'où le propre est venu : & dans les coûtumes du côté & ligne, il suffit d'être le plus proche parent du défunt du côté & ligne du premier acquereur.

La coûtume de Mantes est une de ces coûtumes soucheres. Voyez l'art. 167.

Dans ces coûtumes, lorsqu'il ne se trouve personne descendu en ligne directe du premier acquereur, le plus proche parent du défunt succede au propre comme si c'étoit à un acquêt. Voyez le traité des successions de Lebrun, liv. II. chap. j. sect. 2. & au mot PROPRES.

COUTUMES DE SUBROGATION, sont celles qui pour assûrer quelque chose aux héritiers, subrogent les meubles & acquêts au lieu des propres, & ne permettent point à un testateur de disposer de la totalité de ses meubles & acquêts lorsqu'il n'a point de propres. Voyez Lebrun, des success. liv. II. chap. jv. n. 33. & suiv.

COUTUMES DE VEST & DE DEVEST, sont la même chose que coûtume de saisine & dessaisine ; car vest signifie possession, & devest, déposition. Voyez ci-devant COUTUME DE SAISINE.

COUTUME DU VEXIN FRANÇOIS, dont il est parlé dans les art. 3. 4. & 33. de la coûtume de Paris, n'est point une coûtume qui en soit distincte & séparée ; c'est un usage particulier qui ne consiste qu'en ce qui en est énoncé dans ces articles de la coûtume de Paris ; savoir que dans les fiefs qui se reglent suivant cette coûtume du Vexin françois, il n'est jamais dû de quint au seigneur pour les mutations de fief par vente ; mais aussi il est dû relief à toute mutation, au lieu que dans la coûtume de Paris il est dû le quint pour vente ou contrat équipollent à vente d'un fief, pour succession, donation & substitution en collatérale ; & en quelques autres cas il est dû relief : mais aussi en succession, donation, & substitution en directe, il n'est dû au seigneur par le nouveau vassal que la bouche & les mains. Cette coûtume du Vexin françois n'a point de territoire circonscrit & limité ; elle n'est suivie que pour les fiefs.

COUTUME, (sage) est un surnom que l'on donne à la coûtume de Normandie, non pas pour signifier que les autres coûtumes soient moins sages que celle-ci dans leurs dispositions, mais pour exprimer que la coûtume de Normandie est une coûtume savante ; le terme sage étant synonyme en cet endroit, de même que les sept sages de la Grece furent ainsi nommés parce qu'ils étoient les plus savans du pays ; de même aussi que les sages femmes ou matrones ont été ainsi appellées, comme plus expérimentées que les autres femmes au fait des accouchemens. Il est dit dans le journal du palais, tome I. p. 663. que la coûtume de Normandie est appellée la sage coûtume, parce qu'en effet il n'y a guere de cas importans qu'elle n'ait prévû. Je ne sai néanmoins si ce surnom de sage ne viendroit pas plûtôt de ce que cette coûtume a emprunté plusieurs de ses dispositions des lois romaines, telles que celles qui concernent la dot, les paraphernaux, l'obligation des femmes mariées pour le bénéfice d'inventaire, les prescriptions, &c. (A)

COUTUMES VOLONTAIRES, (Droit féod.) c'étoit un droit qui entroit dans les revenus de nos rois sous les deux premieres races. Ce droit étoit dû par ses vassaux dans quatre cas extraordinaires ; savoir, quand le roi faisoit son fils aîné chevalier, lorsqu'il marioit sa fille aînée, lorsqu'il survenoit une guerre, & lorsqu'il étoit fait prisonnier. Les seigneurs des fiefs exerçoient aussi ces quatre droits sur leurs terres. Abr. chron. du P. Hénault. Art. de M(D.J.)

COUTUMES, (Comm.) ce sont les droits qui se payent sur les côtes de Guinée, & sur-tout dans les rivieres de Gambie & de Sénégal, pour obtenir des rois Negres la permission de commercer sur leurs terres.

Ces coûtumes sont plus ou moins fortes selon les pays : il y en a qui vont jusqu'à deux mille liv. monnoie de France, mais qu'on ne paye qu'en marchandises propres au pays, comme du fer, de l'eau-de-vie, des toiles, des couteaux, &c.

Coûtumes se dit aussi de certains droits qui se payent à Bayonne pour la sortie ou entrée des marchandises.

Coûtumes signifie encore un droit que les voituriers & passagers payent à l'entrée de quelques villes, bailliages & vicomtés de France, pour l'entretien des ponts, chaussées, passages, grands chemins.

COUTUME, Grande & petite coûtume, sont les droits qui composent la recette de comptablie de Bordeaux : ils montent ensemble à quatorze deniers maille pour livre de l'appréciation des marchandises, outre les deux sous pour livre de contrôle. Voyez COMPTABLIE.

Se mettre en coûtume, se dit à Bordeaux des barques & autres bâtimens chargés de sel, qui font leur déclaration aux bureaux de la comptablie & du convoi, pour être visités, & leur sel mesuré. Voyez CONVOI. Diction. de Trevoux, de Chamb. & de Dish. (G)


COUTUMERIES. f. (Jurisprud.) c'est la péagerie, c'est-à-dire l'étendue de la seigneurie dans laquelle un seigneur perçoit un droit de coûtume ou péage. Il en est fait mention dans les art. 50 & 54 de la coûtume d'Anjou, & dans celle du Maine, articl. 58 & 62. Voyez ci-devant COUTUME DE BLE, VIN, & COUTUME (grande & petite).


COUTUMIER(Jurisprud.) est tout ce qui a rapport à la coûtume, comme l'augment coûtumier, le doüaire coutumier, le droit coutumier, les institutes coûtumieres, le pays coutumier, le tiers coutumier. Voyez l'explication de chacun de ces mots à leurs lettres.

COUTUMIER DE FRANCE, est le recueil des différentes coûtumes du royaume. On dit plus communément coûtumier général. Voy. ci-apr. COUTUMIER GENERAL.

COUTUMIER DES GAULES, est le titre que l'on a donné aux premieres éditions du coutumier général.

COUTUMIER GENERAL, est la collection de toutes les coûtumes de France, tant générales, que locales ou particulieres. On en a fait plusieurs éditions, dont la derniere donnée par M. de Richebourg en quatre volumes in-fol. est la plus ample & la plus utile. Elle contient les anciennes & les nouvelles rédactions des coûtumes : on y compte environ cent coûtumes générales, & plus de deux cent coûtumes locales. Il y manque néanmoins encore plusieurs coûtumes locales & statuts particuliers. Il seroit aussi à souhaiter que l'on y eût compris toutes les chartes de commune des villes, que l'on peut regarder comme l'origine des coûtumes.

COUTUMIER DE FRANCE, (grand) est la même chose que coutumier général. C'est aussi le titre d'un ancien traité contenant la pratique du droit civil & canon observé en France, composé par Jean Bouteiller, sur lequel Carondas a fait des annotations.

COUTUMIER DE PICARDIE, est une collection des commentateurs des coûtumes de cette province, en deux volumes in-fol.

COUTUMIER DE POITOU, est une compilation des différens commentateurs de la coûtume de Poitou, que Boucheul a faite dans son nouveau commentaire.

COUTUMIER DE VERMANDOIS, est une collection des commentateurs des différentes coûtumes générales de cette province, en la cité, ville banlieue, & prevôté foraine de Laon, & des coûtumes particulieres de Ribemont, Saint-Quentin, Noyon, & Coucy.

COUTUMIERS, dans les ordonnances des eaux & forêts, signifie les usagers, c'est-à-dire ceux qui ont droit de coûtume, pascage, & usage dans les bois.

COUTUMIERS, au style du pays de Liége, chap. iij. art. 20. & dans Froissart, liv. I. chap. cxlvij. & ailleurs, signifie les anciens praticiens qui rendent témoignage en justice du droit ou de l'usage que l'on a coûtume d'observer dans le pays.

COUTUMIERE, (amende) c'est l'amende de coûtume, c'est-à-dire réglée par la coûtume. On entend quelquefois aussi par ce terme l'amende accoûtumée, qui est opposée à l'amende arbitraire ; comme dans la coûtume de Tours, art. 55. qui porte que le haut justicier peut prendre amendes, tant coûtumieres qu'arbitraires.

COUTUMIERE, (prise) en la coûtume de la Ferté-Imbaut, art. 7. signifie l'amende ordinaire qui est fixée par la coûtume du lieu.

COUTUMIER, dans certaines coûtumes signifie aussi non-noble, roturier ; il signifie aussi quelquefois celui qui est sujet aux coûtumes, c'est-à-dire aux prestations ordinaires envers le seigneur, en quoi les hommes coutumiers sont opposés aux hommes francs qui sont les exempts. Les francs sont ordinairement les nobles, ou du moins les bourgeois ; & les coutumiers sont les serfs, ou au moins les roturiers sujets aux impositions & coûtumes. Voyez ci-après COUTUMIER (serf).

COUTUMIERE (bourse), acquets de bourse coutumiere, dans les coûtumes de Tours, Lodunois, Anjou, & Maine, sont tous biens soit nobles ou non, qui sont acquis par un roturier.

COUTUMIERE (femme ou fille), dans les coûtumes d'Anjou & Maine, c'est celle qui est roturiere.

COUTUMIER (homme), en Anjou & au Maine, signifie celui qui est roturier. Voyez ci-aprés COUTUMIER (serf), & au mot HOMMES.

Personne roturiere, voyez ci-devant COUTUMIERS (femme & homme).

COUTUMIER (serf), en la coutume de la Marche, est celui qui doit les tailles ordinaires à son seigneur. Voyez les artic. 126. 127. & 128. Le premier de ces articles dit, que quiconque doit à son seigneur à cause d'aucun héritage, argent à trois tailles payables à trois termes, avoine & geline chacun an, il est réputé serf coutumier, s'il doit tels devoirs à un homme lay ; que s'il les doit à l'Eglise, il est réputé être homme mortaillable.

COUTUMIERS (sujets étagers), dans les coûtumes d'Anjou, Maine, & Lodunois, sont les sujets roturiers d'un seigneur, qui ont étage & maison en son fief.

COUTUMIER (villain), est un roturier qui tient quelque héritage en villenage, c'est-à-dire chargé de rente ou de champart envers le seigneur. Voyez au livre de l'établissement le roi, que les prevôts de Paris & d'Orléans tiennent en leurs plaids. (A)


COUTURES. f. (Art. de coudre) on dit, apprendre à un enfant la couture.

Couture se dit aussi de la jonction de deux choses qu'on a cousues avec la soie ou le fil, au moyen de l'aiguille.

Il y a plusieurs sortes de coutures ; savoir les coutures simples, les coutures rabattues, les surjets, les ourlets, rentraiture simple, rentraiture à la coupe, rabattement, couture entrelassée ou à point derriere, &c.

COUTURE, (Marine) se dit de la distance qui se trouve entre deux bordages que l'on joint & que l'on remplit d'étoupes ou d'autre matiere, pour les bien étancher & empêcher que l'eau ne pénetre.

Couture ouverte, c'est lorsque l'étoupe, que le calfat avoit mis entre deux bordages, en est sortie.

Couture de cueille de voile, c'est une couture plate qui doit être bien faite. (Z)

COUTURE, en termes de Bottier, c'est un ornement ou cordon qu'on fait sur une botte demi-chasse en forme de couture, quoique le morceau soit d'une piece, & n'ait aucun besoin d'être rassemblé.

COUTURE, terme de Plombier, maniere d'ajuster le plomb sur les couvertures de maisons sans le souder, c'est-à-dire en faisant déborder les tables de plomb les unes par-dessus les autres, & en les attachant avec des clous, ou même sans clous.

Le plomb ajusté ainsi n'est pas propre à la vûe ; mais on prétend qu'il est meilleur & moins sujet à se casser dans les grandes chaleurs & pendant les froids. L'église de Notre-Dame de Paris est couverte en cette maniere. Voyez PLOMB LAMINE.


COUTURIER(Anat.) muscle de la jambe. Le couturier qui est logé dans une gaîne, production du fascia-lata qui le sépare des autres muscles, est très-remarquable par sa situation oblique ; il vient de l'épine supérieure & antérieure de l'os des îles, à côté de l'épineux ; il se porte obliquement de dehors en-dedans, & va s'insérer à la partie interne & supérieure du tibia ; il est difficile de conduire son tendon jusqu'à l'os, parce qu'il se confond dans cet endroit avec une production aponévrotique, qui appartient au fascia-lata. Le couturier n'agit point seul, c'est l'auxiliaire de plusieurs muscles ; cependant son principal usage est de faire tourner l'os de la cuisse sur son axe, en portant la jambe pliée vers l'autre.

Ce muscle est le plus long de tous ceux du corps humain ; outre la flexion de la jambe, à laquelle il a part, il sert aussi, comme M. Winslow l'a remarqué, à faire la rotation de la cuisse de devant en-dehors, soit qu'elle soit étendue ou fléchie ; quand il opere cette rotation, la jambe étant fléchie, il fait croiser cette jambe avec l'autre, à-peu-près comme font les tailleurs d'habits lorsqu'ils travaillent étant assis. Voilà d'où lui vient le nom de couturier, & en latin celui de sartorius.

C'est sous le muscle couturier que sont situées la veine & l'artere crurale, & un gros nerf appellé aussi crural, qui vont se distribuer à la jambe & au pié. Les Chirurgiens doivent y prendre garde, quand ils ont des incisions à faire au-dedans de la cuisse ; car alors ils pourroient donner atteinte à ces vaisseaux s'ils poussoient jusque-là leurs instrumens, ce qui seroit très-dangereux. Fabrice de Hilden, dans la cinquante-deuxieme observation de la troisieme centurie, rapporte ce qui arriva en pareil cas à un charlatan, lequel voulant emporter une tumeur qu'un homme de qualité avoit au-dedans de la cuisse, & ignorant la situation de ces vaisseaux, ne manqua pas de les ouvrir, & le malade mourut avant que l'on pût arrêter l'hémorrhagie qui s'ensuivit de cette ouverture.

Je dois observer ici, qu'il se trouve un petit espace entre le couturier & le vaste-interne, autre muscle de la jambe, où l'on peut appliquer le cautere. Voyez CAUTERE. Par M(D.J.)


COUTURIERES. f. femme autorisée à travailler différens vêtemens, en qualité de membre d'une communauté établie en 1675. Une maîtresse ne peut faire qu'une apprentisse. L'apprentissage est de trois ans : cet apprentissage doit être suivi de deux ans de travail chez les autres maîtresses. Celles qui veulent se faire recevoir, sont obligées de faire chef-d'oeuvre : il n'y a que les filles de maîtresse qui en soient exemptes. La communauté est dirigée par six jurées, dont trois entrent & sortent tous les ans. Leur corps est distribué en quatre sortes d'ouvrieres : il y a des couturieres en habit, elles ne font que des habits, & autres vêtemens de femmes ; des couturieres en corps d'enfant ; des couturieres en linge, & des couturieres en garniture.


COUVÉES. f. (Oecon. rustiq.) est la totalité des oeufs qu'on a laissés sous une poule ou un autre oiseau domestique, pour en avoir des poulets. Il se dit aussi de la totalité des poulets quand ils sont éclos.


COUVENTS. m. terme d'Architecture, grand bâtiment où se retirent des personnes du même sexe, qui consacrées à Dieu, y vivent dans la retraite & la pratique de la vertu. On appelle les couvens monasteres, communautés, ou abbayes, selon qu'ils sont gouvernés par des abbés ou abbesses, prieurs ou prieures. Les bâtimens de ces monasteres consistent principalement en églises, cloîtres, réfectoires, dortoirs, chapitres, parloirs, cours, préaux, jardins, &c. Voyez chacun de ces termes. Les couvens de filles different de ceux des hommes, en ce que le choeur (Voyez CHOEUR) & leurs bâtimens intérieurs sont séparés des dehors par des grilles & des parloirs qui en défendent l'entrée. Les deux plus beaux monumens de ce genre qui se voyent à Paris, sont l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés & celle du Val-de-Grace, la premiere pour hommes, & la seconde pour filles.

Les bâtimens intérieurs doivent être d'une belle disposition, exposés convenablement, & bâtis avec solidité. Leurs églises sont ordinairement assez spacieuses, & d'une décoration proportionnée à l'importance du monastere ; celle du Val-de-Grace est une des plus belles, & dont l'ordonnance soit la plus relative à la convenance du lieu, & à l'idée qu'on doit se former d'un lieu saint. Les églises des Petits-Peres, des Jacobins, la rotonde des filles Sainte-Marie, dans un genre beaucoup plus simple, sont aussi fort estimées ; mais une des églises conventuelles de Paris, qui soit la plus conforme à la dignité des cérémonies de la religion, est celle des Carmelites du fauxbourg saint-Jacques : nous citerons aussi les abbayes de Corbie & de Clairvaux, décorées à la moderne avec beaucoup d'art & de goût. Voyez les desseins de celles de Corbie, dans nos Planches d'Architecture ; & ceux du Val-de-Grace, dans l'Architecture françoise, tome II. (P)

COUVENT, (Jurispr.) on ne donne ce nom qu'aux maisons habitées par des religieux ou religieuses, qui sont autorisés à y former une communauté ; car les autres maisons appartenantes à des religieux ; telles que des maisons de campagne & métairies, même celles où ils ont des hospices, ne sont pas des couvens.

Il faut même un certain nombre de religieux dans un monastere, pour qu'il soit conventuel proprement dit : ce nombre est plus ou moins considérable, selon les statuts de chaque ordre ou congrégation.

Il y a dans l'ordre de Cluni des prieurés composés de quatre ou cinq religieux qui ne sont pas conventuels, mais qu'ils appellent prieurés sociaux. Voy. PRIEURES & MONASTERES.

On ne peut fonder aucun couvent sans une permission de l'évêque diocésain, autorisée par lettres patentes du Roi, dûement enregistrées au parlement. Voyez l'édit du mois d'Août 1749.

Les juges & officiers de police, les commis des fermes sont en droit de faire la visite dans les couvens quand ils le jugent à-propos.

Le juge séculier ne peut contraindre des religieuses de recevoir dans leur couvent une fille ou une veuve, sans la permission de l'ordinaire. Augeard, tome II. ch. xxij. & xxxviij.

Une femme en puissance de mari ne peut pas non plus se retirer dans un couvent sans le consentement de son mari, ou sans y être autorisée par justice.

Petit couvent, se prend pour les biens qui ne sont pas de la premiere fondation du monastere : ainsi on appelle biens du petit couvent, ceux qui ont été acquis par les religieux, ou qui leur ont été aumônés ou donnés pour fondations particulieres.

Lorsqu'il s'agit de faire un partage des biens entre l'abbé ou prieur commendataire & les religieux, on distingue si les biens ont été donnés avant l'introduction de la commende, ou depuis ; ceux qui ont été donnés avant, ne se partagent qu'à la charge par le commendataire de payer aux religieux l'honoraire pour les messes, obits, & autres fondations qui s'acquitent dans le monastere. Voyez les mém. du clergé, édit. de 1716. tome IV. col. 1226. au mot Partage. (A)


COUVERv. act. & n. (Gram.) au simple il est neutre, & il désigne l'assiduité d'un oiseau mâle ou femelle, à rester sur ses oeufs jusqu'à ce qu'il en soit éclos des petits. Les différens oiseaux couvent plus ou moins de tems. Au figuré, il est actif, & ne se prend guere qu'en mauvaise part : ainsi on dit, couver un mauvais dessein, pour le renfermer dans son ame jusqu'au moment qu'il puisse être accompli.


COUVERCLES. m. (Art méchaniq.) en général tout ce qui est destiné à fermer une ouverture, en s'appliquant sur la partie supérieure ou antérieure.


COUVERÉESS. f. pl. terme de Pêche, sorte de filet que l'on nomme ainsi dans l'embouchure de la Loire, & que dans la Seine on appelle feintiers ou alosieres ; il est de l'espece des filets tramaillés : la nappe du ret du milieu est de deux sortes de grandeur ; les plus larges ont la maille de vingt lignes en quarré, & les autres de dix-huit lignes aussi en quarré.

Ces rets servent à faire la pêche des feintes pucelles ou fausses aloses, que les pêcheurs nomment ici couverts. La pêche de ces poissons commence un peu après celle de l'alose, & finit presque en même tems.


COUVERSEAUS. m. (Charp.) planche épaisse d'un pouce ou d'un pouce & demi, placée au-dessous des archures d'un moulin : il y en a quatre.


COUVERTA COUVERT, A L'ABRI, (Gram.) à couvert présente l'idée d'un voile qui dérobe, à l'abri, l'idée d'un rempart qui défend. On se met à couvert du soleil & à l'abri du mauvais tems. On a beau s'enfoncer dans l'obscurité, rien ne met à couvert des poursuites de la méchanceté, rien ne met à l'abri des traits de l'envie.

COUVERT se dit, dans la Fortification, des lieux cachés à l'ennemi par une élévation de terre, ou par quelque disposition particuliere. Voyez CHEMIN COUVERT, FLANC COUVERT, &c. (Q)

COUVERT, s. m. (Ecrivain) est synonyme à enveloppe, & se dit d'une lettre. On affranchit une lettre, en la faisant partir sous le couvert d'un ministre, &c.

COUVERT, adj. (Manuf. en laine) tout ce qui n'a pas été tondu d'assez près.

COUVERT, (Manege) Voyez MANEGE.

COUVERT, adj. (Teinture) est synonyme à sombre & à foncé, & se dit de toute couleur.

COUVERT, en termes de Blason, se dit d'un château ou d'une tour qui a un comble.

Leydet Fombeston, de gueules à la tour couverte d'or. (V)


COUVERTES. f. (Marine) c'est le mot des Levantins, pour dire pont ou tillac. Ce bâtiment porte couverte, pour dire qu'il est ponté, qu'il a un pont. Cette expression n'est guere d'usage. (Z)

* COUVERTE, s. f. (Fayence & Porcelaine) c'est une substance particuliere, blanche, vitreuse, ou facilement vitrescible, qu'on applique sur la matiere dont les pieces de porcelaine sont faites, & qu'on appelle le biscuit : c'est sur la couverte qu'on peint. Ce n'est pas une découverte facile que celle d'une bonne couverte ; il y en a qui prétendent que la pâte ou le biscuit d'une bonne porcelaine ne doit point contenir de sels, & qu'une bonne couverte ne doit point être métallique.

COUVERTE, (Fauconn.) vol à la couverte, c'est celui qui se fait lorsqu'on approche le gibier à la faveur de quelque haie.


COUVERTURES. f. en général ce qui s'étend sur la surface entiere ou partielle d'un objet, & qui sert, soit à garantir cette surface, soit à préserver l'intérieur de l'action des corps extérieurs.

* COUVERTURE, (art du Couvreur) la partie extérieure d'un bâtiment la plus élevée, qui défend toutes les intérieures des injures de l'air, & qui est soutenue de tout côté sur des bois appuyés d'un bout sur les murs de la maison, & de l'autre aux arc-boutés ou assemblés, soit ensemble soit avec d'autres bois qui font partie de la charpente. On couvre les maisons ou de plomb, ou d'ardoise, ou de tuile, ou de bardeau, ou de chaume. Plus la matiere est pesante, plus le toit doit être bas ; pour l'ardoise, on peut donner au toit une hauteur égale à sa largeur. Pour la tuile, la hauteur n'en peut être que les deux tiers ou tout au plus les trois quart de la largeur. S'il y a des croupes ou boîtes de toit qui ne soient point bâties en pignon, mais couvertes en penchant comme le reste du comble, il faut tenir ces croupes plus droites que les autres couvertures. Autrefois on ne faisoit que des couvertures droites, hautes, & n'ayant de chaque côté qu'une pente terminée en pointe au comble. Ces toits avoient des avantages, mais ils occasionnoient trop de dépense en tuile, en ardoise, en charpente, &c. & ils renfermoient trop peu d'espace : on les a donc abandonnés pour les mansardes, Voyez MANSARDES.

Quand on couvre de tuile, on place les chevrons à deux piés ou seize pouces au plus de distance. Le millier de tuiles du grand moule, fait sept toises de couvert. Ces tuiles ont treize pouces de long, huit de large, & quatre pouces trois lignes de pureau ; on appelle de ce nom, la portion de tuile qui reste découverte quand elle est en place. La grandeur des tuiles du petit moule est communément de neuf à dix pouces de long, sur six de large, & trois pouces & demi de pureau. Les tuiles rondes, ou creuses, ou en s couchée, demandent un toit extrèmement plat. Il y a de l'ardoise de 11 pouces de long sur 6 à 7 de large, & 2 lignes d'épais ; c'est la quarrée forte. La quarrée fine a 12 à 13 pouces de large sur une ligne d'épais. Le millier fait 4 toises de couverture, en lui donnant 3 pouces & demi de pureau ; en la ménageant bien, elle peut former jusqu'à quatre toises & demie. Le bardeau, ou ces petits ais qu'on substitue à la tuile, ne charge pas les maisons ; on les appelle aissis ou aissantes. On les employe communément aux hangards. Il faut qu'ils soient sans aubier. Si on en fait des toits de maison, il ne sera pas nécessaire que la charpente soit forte. Il n'y faudra pas épargner le clou, non plus qu'à l'ardoise. Il durera plus longtems si on le peint à l'huile. A la campagne, on couvre de chaume ou de paille de seigle non battue au fleau ; après que les faîtes & soûfaîtes sont posés, on y attache avec des gros osiers ou des baguettes de coudriers &c. de grandes perches de chêne, à trois piés de distance ; on lie ces perches avec de plus petites qu'on met en-travers, & l'on applique là-dessus le chaume ou la paille qu'on fixe avec de bons liens. Plus ces liens sont serrés & le chaume pressé & égal, mieux la couverture est faite. Il y a des couvertures de jonc & de roseaux. Quelquefois on gache la paille avec de la terre & du mortier.

On accroche la tuile à la latte ; on y cloue l'ardoise après l'avoir percée d'un coup de marteau ; c'est pour cela qu'on remarque à la tuile une encrénure en-dessous. Le pureau est plus grand ou plus petit selon la distance des lattes. Voilà en quoi consiste tout l'ouvrage de couvreur, qui demande plus de hardiesse & de probité que d'adresse. La latte est attachée sur les chevrons.

Comme il est quelquefois difficile de vérifier l'ouvrage de couvreur, il n'a pas de peine à tromper. Il peut compter plus de tuile ou d'ardoise qu'il n'en employe. Il peut employer de mauvaise latte & de la tuile mal façonnée ; il peut disposer la neuve de maniere qu'elle soit mêlée avec la vieille, ou qu'elle lui serve de cadre. Il n'y a que la stipulation avant que l'ouvrage commence, & un examen attentif après que l'ouvrage est achevé, qui puisse mettre à couvert de la tromperie.

Le toiser de la couverture n'a rien de difficile, les dimensions étant données ; mais il est quelquefois dangereux de les prendre sur le toit. Quand on les a, il faut supposer la couverture plane, & ajoûter au produit pour le battelement un pié quarré, pour la pente un pié quarré ; pour le posement de gouttiere un pié quarré ; pour une vûe de faîture six piés ; pour un oeil de boeuf commun dix-huit piés, pour les lucarnes, demi-toise ou toise, selon leur forme.

Il n'est pas difficile de savoir ce qu'il doit entrer d'ardoise ou de tuile dans une couverture, les dimensions de l'ardoise étant données, l'étendue de la couverture, & la quantité de pureau ; ce qu'on a toûjours.

On appelle couverture à la mi-voie, celle où l'on a tenu les tuiles moins serrées que dans la couverture ordinaire. Cette maniere de couvrir convient à tous les atteliers où il faut ménager une issue à la fumée ou à des vapeurs incommodes ou nuisibles.

COUVERTURE, terme à l'usage des Couteliers, Serruriers, Taillandiers, & autres ouvriers en fer, c'est un morceau de gros acier, forgé comme il convient pour l'espece d'ouvrage auquel on le destine ; qu'on refend ou qu'on recourbe, & dans lequel on place un morceau d'acier fin ; cet acier fin forme le tranchant de l'ouvrage, & le morceau de gros acier, qu'on appelle couverture, forme le dos, la scie, & les autres parties qu'il est indifférent de faire d'une matiere fine ou grossiere. Ainsi, la couverture sert, comme on voit, à épargner l'acier fin, & elle fait la fonction de la dorure chez les Chapeliers.

COUVERTURE, (Maréchallerie) on appelle ainsi un morceau de coutis bordé, qu'on met sur le corps du cheval dans l'écurie. On dit donner une couverture d'un étalon, lorsqu'on lui fait couvrir une jument.

* COUVERTURE, ouvrage d'ourdissage, qu'on étend sur les draps du lit pour se garantir du froid pendant la nuit. Les couvertures sont ordinairement blanches. Elles se fabriquent au même métier que le drap, voyez DRAP ; mais elles sont croisées comme la serge, voyez SERGE. On exécute aux coins, des couronnes ; & aux bords, des barres. On les foule ; au sortir du foulon on les peigne au chardon ; voyez l'article DRAP. On en fait à Montpellier d'une infinité de sortes différentes, distinguées par noms, marques, & poids. Il y a les grands marchands blancs & roux, marquées de trois barres & demie, & du poids de six livres au moins, & de sept au plus, au sortir des mains du pareur, & prêtes à être tondues. Les passe-grand-marchands, tant blancs que roux, marquées de quatre barres & demie, & du poids de neuf livres au moins & dix au plus. Les reforme-marchands, blancs & roux, marquées de cinq barres & demie, & du poids de onze livres au moins & douze au plus. Les extraordinaire-marchands, blancs & roux, marquées de six barres & demie, & du poids de treize livres au moins, & quatorze au plus. Les grands-fins, blancs & roux, marquées de quatre barres, & du poids de six livres au moins, & sept au plus. Les passe-grand-fins, blanc & roux ; marquées de cinq barres, & du poids de neuf livres au moins, & dix au plus. Les reforme-fins, blancs & roux, marquées de six barres, & du poids de onze livres au moins, & douze au plus. Les extraordinaire-fins, blancs & roux, marquées de sept barres, & du poids de treize livres au moins, & quatorze au plus. Les passe-extraordinaire-fins, blancs & roux, marquées de huit barres, & du poids de quinze liv. au moins, & de seize livres & demie au plus. Les repasse-extraordinaire-fins, blancs & roux, marquées de neuf barres, & du poids de dix-sept livres au moins, & dix-huit livres & demie au plus. Les grand-repasse-extraordinaire-fins, blancs & roux, marquées de dix barres, & du poids de dix-neuf livres au moins, & de vingt-une au plus. Les passe-grand-repasse-extraordinaire-fins, blancs & roux, marquées de onze barres, & du poids de vingt-trois livres au moins, & vingt-cinq au plus. Les grandes-fines, blancs & roux, marquées de douze barres, & du poids de vingt-trois livres au moins, & de vingt-cinq au plus. Les grandes-fines, blancs & roux, marquées de treize barres, & du poids de vingt-cinq liv. au moins, & de vingt-sept au plus. Les grandes-fines, marquées de quatorze barres, & du poids de vingt-sept livres au moins, & de vingt-neuf au plus. Les grandes-fines, marquées de quinze barres, & du poids de vingt-neuf livres au moins, & de trente-une au plus. Les grandes fines, tant blancs que roux, marquées de seize barres, & du poids de trente une livres au moins, & de trente-trois au plus. Les grandes fines, marquées de dix-sept barres, & du poids de trente-trois livres au moins, & de trente-cinq au plus : il n'y a point de couverture au-dessus de ce poids. Des peignées, façon d'Angleterre, marquées de deux croix, & du poids de dix livres au moins, & de douze au plus : elles sont de laines fines du pays, ou de laine refin d'Espagne. Des peignées, façon d'Angleterre, marquées de trois croix, & du poids de douze livres au moins, & quatorze au plus. Des peignées fines, façon d'Angleterre, marquées de quatre croix, & du poids de quatorze livres au moins, & de seize au plus : elles sont de laine refin du pays ou refin d'Espagne. Des peignées très-fines, façon d'Angleterre, marquées de cinq croix, & du poids de seize livres au moins, & dix-huit au plus. Les mêmes, marquées de six croix, & de dix-huit livres au moins, & de vingt livres au plus. Des couvertures façon de Roüen, fabriquées de laine de Constantinople, marquées de barres comme les autres & des mêmes poids. Des grises, de poids à la discrétion du marchand, parce qu'elles sont de bas-prix.

Il est ordonné par les réglemens des Manufactures, que toutes les couvertures soient de bonne laine & de bon poil ; de ne laisser courir aucun fil ; que les peselles en soient retirées par le marchand, en les payant aux Tisserands ; qu'elles soient bien foulées, nettoyées, dégorgées, afin qu'elles ayent le corps capables de soûtenir le garnissage du pareur ; que les pareurs les épaississent, les nettoyent, en coupent les noeuds avant que les garnir ; qu'on veillera à ce que les ouvriers n'en tirent aucune suite, bout, ou fil de long ; que les pareurs les garnissent doucement & sans les effondrer ; qu'elles soient visitées, afin qu'il n'y reste ni trou ni invaladure, ni autre défaut ; que les pareurs n'employent point de cardes de fer, mais seulement des chardons ; & que si on les teint, elles soient teintes en bon teint sans garence.

COUVERTURE : les Relieurs appellent couvertures, les peaux ou étoffes dont ils couvrent les livres après qu'ils ont reçu les façons nécessaires ; elles sont ordinairement en veau, ou en basanne ; quelquefois en marroquin ou en parchemin, rarement en autre chose. Il y en a eu cependant en velours, &c.

Pour couper les couvertures lorsqu'elles sont préparées, on étend la peau sur une table, & on présente le volume qu'on veut couvrir sur cette peau, en ouvrant le volume sur le plat du dos, qui doit toucher la peau, afin de couper juste ce qu'il en faut, en laissant un rebord pour retourner sur le carton & en-dedans. On coupe de même le marroquin, le parchemin, &c. On dit couper le cuir. Voyez PARER LES PEAUX.


COUVERTURIERS. m. (Art méchan.) ouvrier qui ourdit des couvertures.


COUVRE-CHEFS. m. terme de Chirurgie, bandage dont on se sert pour envelopper la tête. Il y en a de deux sortes, le grand & le petit.

Le grand couvre-chef se fait avec une serviette plus longue que large : on la plie inégalement en-travers, ensorte qu'il y ait un bord plus long que l'autre de trois ou quatre travers de doigts. On la plie encore en deux pour en marquer précisément le milieu. On applique cette serviette par-dessus la tête, observant que le bord le plus long soit en-dessous ; que l'autre, qui est externe, descende jusqu'au bord des sourcils ; que le milieu de la serviette soit vis-à-vis le nez, & que les quatre coins pendent en-devant sur les joües. On fait tenir les deux coins externes sous le menton par un aide, ou par le malade s'il est en état de le faire. On prend ensuite les deux angles du bord de la serviette qui touche le front ; on renverse ce bord sur l'autre, & l'on conduit ces angles jusqu'à la nuque, où on les attache l'un sur l'autre avec une épingle forte posée transversalement. Ensuite on prend les deux bouts qui sont sous le menton, pour y faire un noeud plat, qui s'appelle le noeud de la cravate. On releve les bords de la serviette qui pendent sur les côtés, & on les attache proprement sur les côtés & derriere la tête avec quelques épingles ; & ce bandage forme un bonnet qui convient pour contenir l'appareil de l'opération du trépan & de toutes les grandes plaies de la tête. Voyez Pl. XXX. fig. 1.

Le petit couvre-chef se fait avec un mouchoir quarré plié en triangle. On le prend avec les deux mains, les quatre doigts dessous, les pouces dessus ; on le met sur la tête, l'appliquant par le milieu au bas du front : on conduit les deux chefs à la nuque ; on les croise en les passant l'un sur l'autre par-dessus l'angle du milieu qui pend derriere le cou, & l'on en vient attacher les bouts en devant. On releve ensuite le derriere du mouchoir, & on l'attache sur la tête. Ce petit couvre-chef sert pour les plaies simples de la tête. (Y)

COUVRE-FEU, s. m. (Hist. mod.) nom de la cloche qu'on sonnoit tous les soirs en Angleterre au commencement de la nuit, du tems de Guillaume le conquérant. Cette coûtume, & le nom de cette cloche, vinrent de ce prince qui, après être monté sur le throne d'Angleterre, ordonna en 1068, qu'au son de la cloche qui sonneroit à sept heures du soir chacun se tînt renfermé dans sa maison, qu'on éteignît la lumiere, & qu'on couvrit le feu ; le tout à peine d'une grosse amende pour chaque contrevenant. Le son de cette cloche, qu'on appelle le couvre-feu, devint un sujet de grandes vexations, auxquelles les Anglois furent très-sensibles ; car pour peu qu'ils manquassent d'exactitude dans l'observation de cet ordre nouveau, ils étoient assûrés d'en être punis rigoureusement.

Je conviens, avec M. de Voltaire, que la loi du couvre-feu étoit une police ecclésiastique en usage dans presque tous les anciens cloîtres des pays du Nord ; mais ce n'étoit pas du moins une police civile qui eût lieu en Normandie. Aussi Polydore Virgile remarque que l'une des polices dont Guillaume I. s'avisa, fut de desarmer les Anglois, de leur défendre de sortir de leurs maisons depuis les sept heures du soir, & de leur ordonner de couvrir leur feu, dont ils auroient avis par la cloche que l'on sonneroit. " Qu'il eût emprunté cette coûtume de nous, dit Pasquier, je ne le vois ; que nous la tenions de lui, je ne le crois : mais il y a grande apparence, ajoûte-t-il, que le couvre-feu fut introduit parmi nous du tems de Charles VI. lors de la faction des Bourguignons & des Armagnacs ; car cet usage subsistoit sous le regne de Charles VII ". Quoi qu'il en soit, la cloche du couvre-feu établi avec rigueur chez les Anglois, étoit comme un signal qui se renouvellant tous les jours, ne leur permettoit pas d'oublier l'état de leur esclavage. Mais cette oppression ne dura pas long-tems chez un peuple prêt à tout sacrifier pour sa liberté. Henri II. abolit le couvre-feu en 1100, c'est-à-dire trente-deux ans après son établissement. Les Anglois n'ont connu depuis que le son des cloches des églises, qui ne marquent aucune servitude. Art. de M(D.J.)


COUVREPIÉS. m. (Oeconom. domestiq.) petite couverture qui n'occupe que la partie inférieure du lit. L'usage auquel elle est destinée, & qui est assez clairement désigné par son nom, indique qu'elle doit être piquée, ouaitée, doublée, remplie d'aigredon, &c. en un mot rendue la plus chaude & la plus légere qu'il est possible.


COUVREUR S. m. ouvrier à qui il est permis de couvrir les maisons, en qualité de membre de la communauté de ce nom. Il ne peut faire qu'un apprentif. L'apprentissage est de six ans. Au bout de trois ans l'apprentif fait expérience, afin que le maître puisse prendre profit de son travail. Au bout des trois autres années il est reçu à chef-d'oeuvre.



COUVRIR(Jurisprud.) signifie parer, garantir, sauver, opposer quelqu'exception ou défense.

Couvrir un fief ou arriere-fief, c'est prévenir & empêcher la saisie féodale d'un fief qui est ouvert, en faisant la foi & hommage ou offrant de la faire, & de payer les droits si aucuns sont dûs.

Couvrir une fin de non-recevoir, c'est la parer, l'écarter de maniere qu'elle ne peut plus être opposée. La fin de non-recevoir que l'on pouvoit opposer au demandeur est couverte, lorsque le défendeur a procédé volontairement au fond sans opposer la fin de non-recevoir, & sans qu'elle ait été reservée par aucun jugement : c'est pourquoi l'ordonnance de 1667, tit. v. art. 5. veut que l'on employe dans les défenses les fins de non-recevoir, nullité des exploits, ou autres exceptions péremptoires, si aucunes y a, pour y être préalablement fait droit.

Couvrir une nullité, c'est l'écarter par une espece de fin de non-recevoir ; ce qui arrive lorsque celui qui pouvoit débattre de nullité un exploit, jugement, ou acte, a approuvé cet acte, & a procédé volontairement en conséquence. Voyez ce qui est dit dans l'article précédent.

Couvrir la péremption, c'est la prévenir de maniere qu'elle ne puisse plus être opposée. Lorsqu'il y a eu cessation de procédures pendant trois ans, celui qui a intérêt de faire anéantir ces procédures, peut en demander la péremption : mais si avant qu'elle soit demandée il se fait de part ou d'autre la moindre procédure, quoique ce soit depuis les trois ans, la péremption est couverte. Voyez PEREMPTION.

Couvrir la prescription ; c'est lorsque par quelqu'acte de possession ou par quelque procédure, on interrompt la prescription qui commençoit à courir. (A)

COUVRIR, en terme de Cirier, c'est mettre la derniere couche aux bougies, en les attachant par la tête au cerceau. Voyez CERCEAU & TETE.

COUVRIR, (Jardin) On dit couvrir de fumier sec un quarré d'artichaux, pour les préserver de la gelée ; couvrir avec de la litiere des figuiers, des jasmins, des grenadiers, une planche de salade nouvellement semée, une de chicorée. On couvre avec des paillassons ou une toile, des plantes nouvellement levées sur la couche, pour leur ôter le trop grand soleil. (K)

COUVRIR UNE AIGUILLE, terme à l'usage de ceux qui font les filets pour la pêche & la chasse : leur aiguille est ordinairement de bois ; & la couvrir, c'est mettre du fil dessus.

COUVRIR ou SAILLIR, (Manége) se dit des jumens auxquelles on donne l'étalon. C'est une mauvaise coûtume de faire couvrir les cavales en main, c'est-à-dire en les tenant par le licou ou par la bride ; il vaut mieux les laisser dans leur liberté naturelle, le poulain en est beaucoup mieux formé. (V)

COUVRIR, (Reliure) Quand les couvertures sont parées, on les trempe à la colle, & ensuite on prend le livre prêt à couvrir, on égalise les bords du carton de chaque côté du volume, ce qui s'appelle égaliser les chasses. Ensuite on applique le carton qui est renversé sur la table ; & quand la colle a attaché la couverture au carton, on met le livre sur son champ, & en passant le plat de la main dans toute l'étendue, & ensuite le plioir, on tire bien le cuir sur les bords, pour qu'il soit exactement tendu de toute part sans faire aucun pli. Quand cela est entierement fait, on renverse tout-à-l'entour du carton les extrêmités de la couverture en-dedans du carton, & on pince exactement les bouts de la peau aux angles, que l'on coupe, afin qu'en-dedans on puisse croiser ce qui en reste sans faire une élevation desagréable ; ensuite on coëffe les tranchefils. Voyez COEFFER, TREMPER A LA COLLE LES COUVERTURES.

La même façon se pratique pour toutes sortes de couvertures.

COUVRIR, en terme de Raffineur de sucre ; c'est mettre sur la pâte du pain une couche de terre délayée en bouillie, pour entraîner le syrop avec l'eau qui sort de cette terre, & filtre à travers le pain.

COUVRIR, au trictrac ; c'est placer une dame sur une autre qui étoit découverte ou seule. Voyez TRICTRAC.


COUYS. m. (Hist. mod.) coupe de calebasse servant de vaisselle aux Negres. Les Caraïbes, après avoir enlevé la pellicule qui couvre ces coupes, les enduisent dehors & dedans d'une liqueur qu'ils savent composer, au moyen d'une décoction de certaines écorces, laquelle étant séchée forme un assez beau vernis noir qui s'incorpore de façon qu'il ne s'écaille jamais, quoique ces couys leur servent souvent à mettre de l'eau bouillante. Art. de M. LE ROMAIN.


COVENANTS. m. (Hist. mod. d'Angl.) C'est la fameuse ligue que les Ecossois firent ensemble en 1638, pour maintenir leur religion libre de toute innovation.

Pour comprendre ce que c'étoit que ce covenant, il suffira de savoir qu'en 1580, l'assemblée générale d'Ecosse dressa une confession de foi qu'elle présenta à Jacques I. que ce prince signa, & donna ses ordres pour la faire signer par tous ses sujets. Ce fut cette confession de foi de l'année 1580, reçue & de nouveau confirmée en 1590, dont on renouvella la signature en 1638, par la délibération de la table générale, c'est-à-dire des états généraux d'Ecosse. A cette signature de confession de foi, on ajoûta une clause obligatoire ou serment, par lequel " les souscrivans s'engagerent à maintenir la religion dans l'état où elle étoit en 1580, & à rejetter toutes les innovations introduites dans l'église depuis ce tems-là ". Ce serment joint à la confession de foi reçut le nom de covenant, c'est-à-dire, contrat, ligue, convention, faite entre ceux qui le souscrivirent. Le but de ce covenant ne tendoit pas à dépouiller Charles I. de ses droits, mais à empêcher qu'il ne les étendît plus loin qu'il ne le devoit par les lois, comme aussi qu'il ne pût abolir le Presbytérianisme. C'étoient-là précisément les deux points qui étoient directement contraires aux projets du roi ; aussi ce covenant fut-il l'origine des tristes brouilleries qui partagerent le royaume entre les deux factions de presbytériens & d'épiscopaux ; de même que des guerres qui s'éleverent bientôt après entre les Ecossois & Charles I. qui jetterent ce prince dans des fautes qu'il ne put jamais réparer, & qui furent enfin la cause de sa perte. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


COVENTRY(Géog. mod.) grande ville d'Angleterre au comté de Warwick, sur le Sherburn. Long. 16. 3. lat. 52. 25.


COVILHAMA(Géog. mod.) petite ville du royaume de Portugal, dans la province de Beira.


COVINS. m. (Hist. anc.) char armé de faulx, que les Gaulois & les Anglois conduisoient dans les combats.


COWALAMS. m. (Hist. nat. bot.) grand arbre du Malabar & de l'île de Ceylan, dont le fruit ressemble à une pomme ronde, couverte d'une écorce épaisse & verdâtre sous laquelle il s'en trouve une autre dure, ligneuse, qui enveloppe une pulpe visqueuse, humide, jaunâtre, acide, douçâtre, & parsemée de graines plates, oblongues, blanches, & pleines d'un suc transparent & gommeux. Voyez dans James & Ray l'éloge de ce fruit, pour son goût & pour ses vertus médicinales.


COWALE(Géogr. mod.) petite ville de la grande Pologne, dans le Palatinat de Brzestie, sur la Vistule.


COWLE(Géog. mod.) petite ville maritime de l'Ecosse septentrionale, dans le comté de Mernis.


COWPER(glandes de) Cowper chirurgien à Londres, a publié une anatomie du corps humain enrichie de figures dessinées d'après nature. Il a donné la description de deux glandes dont il fit la découverte en 1699, avec celle de leurs conduits excréteurs, il les a nommées glandes de Cowper : elles sont d'une figure ovale, applatie, & pas plus grosses qu'un pois. Lorsqu'on a écarté la partie du muscle accélérateur qui couvre le bulbe de l'urethre, on les découvre à la partie postérieure du bulbe, & on voit leurs conduits dans la partie interne de l'urethre en les comprimant. Voyez URETHRE. (L)

COWPER, (Géog. mod.) ville d'Ecosse au comté de Fife. Long. 15. lat. 56. 34.


COYAUS. m. (Charpent.) Ce terme a deux acceptions ; ou ce sont des bouts de chevrons placés sous la couverture d'un toit, & qui la portent jusqu'au bout de l'entablement (voyez CHANLATTES) ; ou c'est une petite piece de bois entaillée sur la roue d'un moulin à eau, & serrant l'aube.


COYEMBOUou COUYEMBOUE, s. m. ustensile de ménage. C'est une calebasse vuidée ayant une ouverture à pouvoir y passer la main ; cette ouverture se referme au moyen d'une autre calebasse coupée en forme de calotte, & assujettie par de petites cordes, le tout s'emboîtant exactement.

Les coyemboues servent aux Negres & aux Sauvages à serrer leur mangeaille, & ce qu'ils veulent conserver proprement. Art. de M. LE ROMAIN.


COYERS. m. (Charp.) piece qui va d'un poinçon ou d'un gousset à l'arestier, & où se place en-dessous le grand esselier. Voyez POINÇON, GOUSSET, ARESTIER, SELIERLIER.


COZRI(Théolog.) quelques Juifs prononcent cuzari ; titre d'un excellent livre juif composé il y a plus de 500 ans par R. Juda lévite. C'est une dispute en forme de dialogue sur la religion, où celle des Juifs est défendue contre les philosophes gentils, & où l'on s'appuie principalement sur l'autorité & sur la tradition, n'étant pas possible, selon cet auteur, d'établir aucune religion sur les seuls principes de la raison. L'auteur attaque en même tems la secte des Juifs Caraïtes, qui ne reconnoissent que l'Ecriture-sainte. On trouve dans ce même ouvrage un abregé assez exact de la créance des Juifs. Il a été premierement écrit en arabe, puis traduit en hébreu de rabbin par R. Juda-Ben-Thibbon. Il y en a deux éditions de Venise ; l'une qui ne contient que le texte, une autre où le texte est accompagné du commentaire d'un rabbin nommé Juda-Muscato. Buxtorf a fait imprimer le même ouvrage à Bâle en 1660, avec une version latine & des notes. Il y en a une traduction espagnole faite par le Juif Aben-Dana, qui y a joint des remarques écrites dans la même langue. Simon, Buxtorf. Biblioth. rabbiniq. Chambers. (G)


COZUMEL(Géog. mod.) île considérable de l'Amérique, sur la côte de Jucatan. Elle est fertile, & habitée par des Indiens.


CRABECANCRE, sub. m. (Hist. nat.) cancer ; genre d'animaux crustacés qui comprend plusieurs especes. En général les crabes ont la queue composée de tables ; rabattue en-dessous, & appliquée sur le ventre. La tête n'est pas séparée du corps. Ils ont dix jambes, cinq de chaque côté, y compris celles qui portent les serres, & que l'on a comparées à des bras parce qu'elles en tiennent lieu à quelques égards. Les jambes de devant sont beaucoup plus grosses que les autres : il y a aussi pour l'ordinaire une différence de grosseur entre l'une & l'autre de ces grosses jambes ; ce qui vient de ce que les crabes sont sujets à se casser ces jambes, & qu'il en renaît une nouvelle en place de celle qui a été cassée. Ce fait est prouvé par des expériences faites sur les écrevisses, que l'on a aussi observées dans le tems qu'elles se dépouillent de leur taie. Voyez ECREVISSE. La figure des crabes est arrondie, parce que la queue, la tête, & le corps, paroissent confondus ensemble. Les especes de ce genre différent par la grandeur du corps & par les couleurs, par la longueur & la grosseur des pattes & des serres. Rondelet a mis au nombre des crabes les crustacés, auxquels on a donné le nom d'araignée de mer, & ceux que l'on appelle poupars : Voyez POUPAR. Ensuite il fait mention des especes suivantes de crabes d'eau salée.

Le crabe appellé migraine ou ours. Il ne ressemble à ce quadrupede que par la dextérité avec laquelle il se sert de ses serres, en quelque façon comme l'ours se sert de ses piés de devant, & par sa figure informe. Il a aussi quelque ressemblance avec une grenade, soit pour la figure, soit pour la couleur, c'est pourquoi on lui a donné le nom de migraine.

Le crabe au pié large, latipes. Il differe des autres par les jambes de derriere, qui sont larges à l'extrémité, & ont six articulations. Il a quatre petites cornes au front, & sa taie est lisse.

Le crabe jaune & ondé. Ses pattes sont longues & velues ; il a deux grandes cornes, & des aiguillons sur le front & à côté du front.

Le crabe marbré, cancer varius vel marmoratus. Sa taie est lisse, & parsemée, comme un marbre ou un jaspe, de différentes couleurs, telles que le verd, le bleu, le noir, & le cendré. Il y a deux petites cornes au front : la taie est crenelée en forme de scie à côté des yeux.

Le crabe commun. Il a deux petites cornes au front, les jambes de devant courtes, & les autres plus allongées & terminées en pointe.

Le crabe à bras court. Il est petit, de couleur mêlée de rouge & de noirâtre : la partie postérieure du corps est large, & l'antérieure pointue ; les deux jambes de devant sont très-courtes, & les deux suivantes fort longues, grosses, pointues, & velues ; les autres sont aussi longues, mais menues & lisses.

Le crabe velu. On en distingue de trois sortes ; les premiers ont les jambes de devant hérissées de pointes, & noires à l'extrémité ; il y a deux petites cornes au front ; la partie antérieure de la taie est dentelée comme une scie, & le milieu de la face supérieure porte la figure d'un coeur. La seconde espece est plus petite que la premiere, & n'a point de noir à l'extrémité des bras. Enfin la troisieme espece ne differe de la seconde, qu'en ce qu'elle est encore plus petite.

Le crabe fait en forme de coeur. Il est petit ; c'est le corps qui représente la figure d'un coeur. Il a deux cornes au front. Ce crabe vit en pleine mer : on en a souvent trouvé dans l'estomac des merlans.

Les petits crabes qui se logent dans des coquilles. On en trouve dans des moules, des huîtres, des peignes & des pinnes marines : ceux des huîtres ne sont pas plus gros qu'une féve ; ils sont blancs, excepté le milieu de leur face supérieure où il y a du rouge. Ceux de la pinne marine sont plus grands, & ont plus de rouge que de blanc. L'animal des coquillages où sont ces crabes est vivant. Ils se retirent aussi dans des trous d'éponge, dans des fentes de rocher, &c.

Le crabe appellé araignée. Rondelet donne le nom d'aranea crustata à une petite espece de crabe qui a la tête un peu plus distincte, plus pointue, & plus avancée que les autres crabes : il y a deux petites cornes entre les deux yeux, qui sont fort saillans : les jambes sont fort longues, à proportion de la grosseur du corps, comme celles des araignées.

On a aussi donné le nom d'araignée à une autre espece de crabe beaucoup plus grosse, appellée maia : Rondelet dit en avoir vû qui avoient la largeur d'un empan, & la longueur d'une demi-coudée. Les jambes de ce crabe sont courtes à proportion de la grandeur du corps, & l'extrémité des serres est noirâtre : il a quatre cornes : sa taie est légere & découpée en demi-cercles à la circonférence : la chair est dure, & de mauvais goût. Savoir quel crabe Aristote a désigné par le nom de maia : tous les auteurs ne sont pas d'accord à ce sujet ; Gesner donne le nom de maia au crabe que Rondelet nomme pagurus. Voyez POUPAR.

Le crabe d'eau douce, cancer fluviatilis. Il se trouve en Grece, en Candie, en Italie, en Sicile, en Egypte, dans le Nil, &c. Il ressemble aux crabes de mer, mais il a la taie plus mince, le corps moins arrondi, & les pattes plus grosses à proportion du corps. Les femelles ont la queue plus large que les mâles. Ces crabes sont bons à manger, sur-tout lorsqu'ils sont dépouillés de leur taie. Rondelet, hist. des poissons.

Il y a encore d'autres especes de crabes, dont on peut voir la description dans Aldrovande, Gesner, Jonston.

Le crabe des Moluques, cancer Mollucensis, a une figure particuliere. Voyez la Pl. XII. Thes. imag. pisc. &c. Rumphii. On nous a aussi donné la description & l'histoire de plusieurs especes de crabes des Antilles, savoir les crabes violets, les blancs, & ceux que l'on appelle dans le pays du nom de tourlourou. Voyez l'hist. génér. des Antilles par le P. du Tertre, tome II. Voyez CRUSTACEE. (I)

De toutes les différentes especes de crabes qu'on trouve dans les Antilles, celle dont on fait le plus d'usage sont les crabes blancs, les crabes rouges, & les crabes manicoux, ainsi nommés à la Grenade, & connus à la Martinique sous le nom de seriques de riviere.

On prétend que les crabes font mal lorsqu'ils ont mangé le fruit du manceniller : cependant dans l'île de la Grenade on les prend communément sous ces arbres, & on ne s'est jamais apperçû qu'ils ayent incommodé personne. Les crabes & les sériques de mer sentent un peu le marécage, & n'ont pas tant de substance que les autres. Art. de M. LE ROMAIN.


CRABIERS. m. (Hist. nat. Ornith.) héron des Antilles, un peu moins gros qu'une poule, haut sur jambes, ayant le cou long, la tête petite, le bec pointu & dur, les yeux vifs, le plumage du corps & des ailes d'un gris-cendré, mais celui du cou changeant, couleur d'ardoise tirant sur le bleu. Le crabier se nourrit de crabes, fréquentant les anses & les îles désertes : sa chair en daube est un assez bon manger. Art. de M. LE ROMAIN.


CRABRANT(Hist. nat.) Voyez CRAVANT.


CRACS. f. (Fauconn.) maladie des oiseaux de proye. On dit, ce faucon a la crac. Pour remédier à cette maladie, il faut purger les oiseaux avec une cure de filasse ou de cotton, & ensuite les paître avec des viandes macerées dans l'huile d'amandes douces & dans l'eau de rhubarbe alternativement, puis leur donner encore une cure comme auparavant. On peut lier la cure avec de la rhue ou de l'absinthe ; & si l'on remarque que le mal soit aux reins & en-dehors, il faudra faire tiédir du vin & en étuver ces parties. On ne dit point en quoi consiste la crac.


CRACHATS. m. (Medecine) Les Medecins donnent ordinairement ce nom à toutes les matieres évacuées par la bouche, en conséquence des mouvemens & des secousses de l'expectoration. Voyez EXPECTORATION.

Tous les sucs qui aboutissent à l'intérieur de la bouche par différens couloirs, sont donc la matiere des crachats, excepté la salive proprement dite, dont le flux ou l'écoulement contre nature s'appelle salivation. Voyez SALIVATION. On ne désigne à proprement parler par le mot de crachat, que les matieres qui sortent de la trachée-artere, de la gorge, des narines & des amygdales. Voyez EXPECTORATION, AMYGDALES, TRACHEE-ARTERE, &c. Il ne se présente aucune considération physiologique particuliere sur la secrétion & la nature des crachats. Voyez SECRETION, EXCRETION, GLANDE. Nous allons donc les considérer comme un phénomene de l'histoire des maladies, & déterminer d'après les bons observateurs, les caracteres distinctifs des différentes especes de crachats sur lesquels le médecin peut fonder son diagnostic & son prognostic.

Il faut cependant remarquer d'abord qu'il ne paroît point aisé de décider si l'excrétion ou même la formation des crachats, peut jamais être dans l'ordre naturel ; car comme il paroît que la fonction des glandes, dont ils sont les produits, ne consiste qu'à séparer une espece de mucosité onctueuse propre à lubrifier certaines parties, il semble que cette mucosité ne peut se ramasser & former la matiere des crachats, que les parties dans lesquelles elle s'accumule jusqu'à un certain point, ne soient plus ou moins viciées.

Selon cette idée, un homme qui se porteroit parfaitement bien, ne devroit jamais cracher ; cependant comme bien des personnes crachent sans paroître réellement incommodées, il semble que les crachats peuvent quelquefois tenir lieu d'une excrétion naturelle, & être considérés sous cet aspect.

Quoiqu'il en soit, personne ne confondra le crachement habituel, ou dépendant du vice insensible dont nous venons de parler, avec celui qui est causé par les rhumes, les asthmes, les pleurésies, les péripneumonies, la phthysie, certaines fievres, & bien d'autres maladies & infirmités. C'est dans ce dernier cas qu'il est essentiel que le medecin distingue les bons crachats d'avec les mauvais ou d'avec les indifférens.

La quantité des crachats, leur consistance, leur odeur, leur couleur, leur égalité, leur figure, leur goût, le tems de la maladie auquel ils paroissent, l'âge & le sexe du malade, sont les qualités & les circonstances par lesquelles le médecin se dirige dans le jugement qu'il porte sur cette évacuation.

Voici les principales regles qu'une observation constante a fourni aux vrais maîtres de l'art, qui ont sur ce point une doctrine uniforme & constante depuis Hippocrate jusqu'à notre siecle. Nous allons les prendre dans l'illustre Riviere, & les accompagner, quoique toûjours sobrement, de quelques pourquoi, que nous distinguerons toûjours soigneusement des oracles de l'observation.

Les crachats, dit Riviere, sont bons en général, lorsqu'ils sont d'une consistance égale, aequalia, levia, ni trop gros ni trop petits, & qu'ils sortent de la gorge aisément & sans douleur.... Ils supposent la disposition des couloirs aussi parfaite qu'il est possible pour qu'ils se déchargent des sucs qu'ils contiennent.

Si les crachats sont en petite quantité, qu'ils n'augmentent que peu-à-peu, & qu'ils restent long-tems cruds, ils ne sont pas sans danger.... parce qu'il est à craindre qu'il ne se forme dans les glandes qui les fournissent, des arrêts indomptables, ou un relâchement encore plus pernicieux.

Les crachats cruds, qu'on nomme aussi pituiteux ou glaireux, sont ceux qui ressemblent à du blanc d'oeuf, ou bien ceux qui sont formés par des glaires mêlées de plus ou moins de sang.... Ceux-là sont la suite de l'expression seule, & non celle d'une résolution ou d'une maturation complete . Voy. COCTION.

Les crachats cuits sont ceux qui sont blancs ou verdâtres, qui ressemblent à du pus, qui sont bien égaux & bien liés.... Ils sont souvent si peu différens du pus, que les plus expérimentés s'y trompent. En général l'inspection du crachat est une ressource presqu'inutile pour découvrir s'il est purulent ou non. Voyez PUS.

Les crachats, quels qu'ils soient, paroissant précisément au commencement d'une maladie, sont favorables, dit Hippocrate.... En effet, il est bon que les efforts de la maladie ayent un aboutissant, & que la partie puisse se dégager.... Ils ne sont pas dangereux, lorsque le sang y est un peu mêlé avec la pituite.... Cela suppose que la résolution se travaille, & que quelque vaisseau sanguin déchiré ne l'empêche point.

Si les crachats sont jaunes & sanguinolens dans les inflammations du poumon, ils ne sont pas dangereux, pourvû que ce ne soit pas après le septieme jour, dit Hippocrate.... Le septieme jour & les suivans sont des jours après lesquels les matieres doivent être cuites, sans quoi la maladie va trop lentement pour pouvoir se terminer heureusement.

Les crachats visqueux, glutineux, épais dans la pleurésie ou la péripneumonie, sont de mauvais augure, sur-tout s'ils sont accompagnés d'une sorte d'extinction de voix, ramedo, selon Hippocrate.... En effet, l'extinction de voix & les crachats de cette nature annoncent un relâchement dangereux, ou une constriction qui n'est pas moins à craindre.

Les crachats verds, très-rouillés, livides, noirs, fétides ou non fétides, sont fort à craindre... car toutes ces couleurs supposent que le sang se mêle avec les crachats & le pus ; que ces matieres séjournent, que le poumon perd son ressort peu-à-peu.

Si les crachats quelconques se suppriment une fois qu'ils ont paru ; s'il survient dans les maladies aiguës ou dans les ulceres du poumon plus ou moins de râlement, c'en est fait du malade.... le poumon est pris ; il ne joue presque plus : la tête va se prendre.

Les crachats qui suivent un crachement de sang, sont toûjours suspects, sur-tout dans les maladies chroniques.... parce qu'on doit toûjours craindre qu'ils ne soient purulens, ou le produit d'un ulcere presque toûjours mortel.

Les crachats qui nagent sur l'eau sont en général moins fâcheux que ceux qui vont au fond ; ces derniers tiennent toûjours plus ou moins du pus.... Il en est pourtant de la premiere espece qui sont tout aussi dangereux que ceux de la derniere ; les bons praticiens ne s'en laissent pas imposer par leur légereté, lorsque les signes suffisans de la suppuration intérieure existent d'ailleurs : ils pensent dans ces cas à une sorte de suppuration lymphatique, que Fernel connoissoit très-bien. Nous avons déjà observé que l'inspection du crachat étoit un mauvais moyen de s'assûrer s'il étoit purulent ou non.

Les mélancoliques sont grands cracheurs ; ils prodiguent leur salive, toûjours rejettée avec la matiere propre & l'espece de stimulus de leur crachement. Les femmes grosses sont assez fréquemment dans le même cas. Voyez GROSSESSE & MELANCOLIQUE. C'est ordinairement une fort bonne pratique contre les inconvéniens de cette indisposition, que celle d'avaler ces crachats très-chargés de salive ; ce secours devient même quelquefois curatif.

Les mélancoliques & les femmes grosses jettent quelquefois par la bouche certains grains ou noyaux durs, transparens, noirs ou jaunâtres, qui ne supposent qu'un resserrement des glandes, & qui ne sont pas de grande conséquence.

Les crachats méritent plus d'attention s'ils sont salés, amers, ou qu'ils ayent une saveur fade, dégoûtante ; Hippocrate l'a dit, & Bennet l'a sur-tout confirmé parmi les modernes.... soit que ces saveurs annoncent des qualités nuisibles, des acrimonies dans les crachats ; soit qu'ils n'impriment la sensation de salé, d'amer ou de fade, qu'en conséquence d'une certaine disposition des organes qu'ils affectent, dépendante d'un vice général dans le système des solides, vice éminemment dangereux, &c.

Les crachats qui semblent être des morceaux de chair fongueuse, jaunâtre ou rougeâtre, sont toûjours pernicieux, soit dans les maladies aiguës, soit dans les chroniques.... Ce sont des portions du parenchime du poumon qui se détruit ou qui se gangrene.

Si les crachats, quels qu'ils soient, s'arrêtent subitement, c'est toûjours un mauvais signe, comme nous l'avons déjà observé ; & alors le médecin doit tâcher de les faire paroître de nouveau ; indication qu'il remplit par différens moyens indiqués aux mots EXPECTORANT, SAIGNEE, VOMITIF.

L'expectoration anacatharsis étant une des voies par laquelle la nature se délivre utilement quelquefois de la matiere morbifique, le medecin doit se proposer quelquefois aussi de l'évacuer par les crachats. Voici les signes qui dénotent que la crise ou les torrens des excrétions se portent vers la poitrine.

Ces signes sont les douleurs des côtés, la difficulté de respirer, la toux, le crachement de sang qui a paru au commencement d'une maladie ; & avec cela la sécheresse de la peau, la coction imparfaite des urines, la sécheresse du ventre ; en un mot l'absence de tous les symptomes qu'annoncent les évacuations critiques par d'autres couloirs que par ceux de la poitrine.

Le medecin se détermine & favorise les crachats par les mêmes secours par lesquels il tâche de les rétablir, & que nous avons indiqués en général plus haut, lorsque nous avons annoncé que nous proposerions ces moyens aux mots EXPECTORANT, SAIGNEE, VOMITIF.

En général, c'est une fausse indication que celle d'arrêter les crachats ; mais cette proposition n'est problématique que pour le cas particulier du crachement de sang. Voyez HAEMOPTYSIE. (b)


CRACHEMENTS. m. action par laquelle on crache. Voyez CRACHAT.

CRACHEMENT DE SANG, (Medec.) Voyez HAEMOPTYSIE & CRACHAT.


CRACHERv. act. & neut. rendre la salive par la bouche. Voyez CRACHAT.

* CRACHER, v. n. (Fonderie) Il se dit de l'action de rejetter une partie du métal en fusion. S'il y a dans le moule quelqu'humidité ; si l'air pressé par le métal qui descend, ne trouve pas une promte issue, &c. alors le métal coulé est repoussé par l'ouverture du jet, & l'on dit que le moule a craché.


CRACHOIRS. m. (Oecon. domest.) vaisseau dans lequel les crachats sont reçus : il y en a pour les personnes malades ou en santé ; ils sont de fayance ou de porcelaine ; d'autres sont faits de bois en forme d'auge ; on les remplit de chaux vive ; on les place dans les bureaux & dans les maisons de religieux, de religieuses, & autres communautés, partout où l'on s'assemble ; cela entretient la propreté dans ces endroits.


CRACKS. m. (Marine) c'est le nom que l'on donne dans le Nord à des bâtimens à trois mâts, dont les Suédois & Danois se servent pour naviger sur la mer Baltique.


CRACKOW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne au cercle de basse-Saxe, dans le duché de Meklenbourg.


CRACOVIE(Géog. mod.) grande ville capitale de la Pologne dans un palatinat de même nom, à peu de distance des frontieres de Silésie sur la Vistule ; il y a des mines de sel très-abondantes dans son voisinage. Long. 38. lat. 50. 8.

CRACOVIE, (le palatinat de) Géog. province de la petite-Pologne, borné par le palatinat de Sendomir, la Siradie, la Silésie & les frontieres d'Hongrie. Ce pays est fertile en mines de différentes especes.


CRADOSPESTRES ou PETRES, terme de Pêche ; sortes de poisson dont on fait la pêche dans le ressort de l'amirauté de Brest, avec la seine pierrée ; ils ne servent que d'appas aux lignes des pêcheurs, qui ont demandé la permission de faire cette pêche pendant les mois de Février, Mars & Avril.

Ce sont les chaloupes à sardines qui font cette petite pêche ; elles ont deux mâts, deux voiles, & sont du port de deux tonneaux. L'équipage est de cinq hommes. Les pêcheurs la pratiquent entre le Goulet & Camaret ; ils tendent leur seine de vingt-cinq à trente brasses de longueur, garnie d'une petite pierre, de deux brasses & demie en deux brasses & demi de distance, pour la faire caler : un seul homme demeure dans le bateau ; les quatre autres restent à terre, où ils ont porté le cordage amarré au canon de la seine ; ils se mettent deux hommes à chaque bout, pour le haler sur des fonds couverts d'herbages, sans aucun plein de sable. Ils prétendent qu'il n'est pas possible de pêcher de cette maniere aucune autre espece de poisson que les crados ou petres ; que le poisson plat & le poisson rond fuient ces sortes de fonds, & qu'il n'y a que les petres qui se tiennent toujours à la surface de l'eau.


CRAGOCENO(Géog. mod.) petite ville de la Walachie sur la riviere d'Alant ou d'Olt.


CRAIES. f. (Hist. nat. Minéralog.) creta ; c'est une pierre calcaire, plus ou moins friable, qui s'attache à la langue, colore les mains ; sa couleur est blanche, cependant elle varie quelquefois en raison des matieres minérales étrangeres qui y sont jointes. Les parties qui composent la craie, sont comme farineuses, & faciles à détacher les unes des autres.

Les Naturalistes sont partagés sur la formation de la craie. Henckel dans son traité de lapidum origine, pense qu'elle est la terre primitive, terra primogenea, telle qu'elle est sortie des mains du Créateur. Neumann & quelques autres ont crû que la craie se formoit par une espece de décomposition du silex ou de la pierre à fusil. Ces derniers se fondent sur ce que les pierres à fusil noires se trouvent très-souvent dans des couches de craie, & sont environnées d'une écorce qui y ressemble très-fort. Mais de tous les sentimens sur cette formation, il n'y en a point qui approche plus de la démonstration, que celui de ceux qui ne regardent la craie que comme formée des débris de coquilles. En effet, pour peu qu'on considere les parties qui la composent, on y découvrira toûjours des vestiges de coquilles qui en forment le tissu. Quelques auteurs ont rejetté ce sentiment, fondés sur ce qu'il n'étoit point possible d'imaginer que des coquilles eussent pû former des montagnes aussi considérables que le sont celles qu'on trouve remplies de craie ; mais si l'on fait attention à l'énorme quantité de coquilles qui sont renfermées dans le sein de la terre, & aux couches immenses qu'on en trouve, la surprise cessera, & l'on verra qu'il n'y a rien de plus naturel que la formation que nous venons d'assigner à la craie. Cela posé, la craie doit son origine à la terre animale.

Les principales propriétés de la craie, sont de faire effervescence avec tous les acides, & d'être changée en chaux par l'action du feu ; propriétés qui lui sont communes avec toutes les terres ou pierres calcaires, qui ont d'ailleurs la même origine : & c'est à ces deux qualités que l'on doit reconnoître la craie ; c'est par elle qu'on la distinguera d'une infinité d'autres substances argilleuses & talqueuses, &c... à qui les Naturalistes ont donné mal-à-propos le nom de craie, à cause d'une ressemblance légere & extérieure qu'elles ont avec la craie véritable dont nous parlons. Voyez l'art. CALCAIRE.

M. Wallerius compte huit especes de craie : 1°. la craie blanche : 2°. la craie d'Angleterre, qui fait une effervescence considérable avec l'eau froide : 3°. la craie d'un blanc-sale : 4°. le lait de lune : 5°. le guhr ou la craie coulante : 6°. la craie en poussiere : 7°. la craie rouge : 8°. la craie verte ; mais toutes ces différentes especes ne different entr'elles que par le plus ou le moins de liaison de leurs parties, par la couleur, & par d'autres qualités purement accidentelles.

Quoique la craie n'ait pas beaucoup de solidité, on ne laisse point que de s'en servir avec succès pour bâtir ; & tout le monde sait que presque toute la ville de Reims en Champagne est bâtie de cette espece de pierre.

Personne n'ignore les usages de la craie pour le dessein, pour la fertilisation des terres ; & l'on trouvera dans la Lithogéognosie de M. Pott, pag. 17 & suiv. les différens effets qu'elle produit dans le feu, lorsqu'on la fait entrer en fusion avec des matieres vitrifiables. (-)

CRAIE, (Mat. med.) La craie est un alkali ou un absorbant terreux, qu'on peut employer comme succédanée du corail, des yeux d'écrevisse, de la magnésie, &c. Voyez ABSORBANT.

On trouve dans la pharmacopée de Bate une décoction simple & une décoction composée de craie : la premiere a beaucoup de rapport avec le decoctum album Sydenhami, qui est beaucoup plus en usage parmi nous. Voyez DECOCTUM ALBUM. (b)

CRAIE DE BRIANÇON, (Hist. nat. Minéralogie) c'est une pierre talqueuse, grasse au toucher, qui paroît composée de petites lames ou de feuillets ; ce qui ne l'empêche point d'être assez solide & compacte. Sa couleur est ou blanche, ou tirant sur le verd ; elle est réfractaire au feu, & ne se dissout point dans les acides.

On peut voir par ce qui a été dit à l'art. CRAIE, que c'est très-improprement qu'on a donné ce nom à la substance dont nous parlons, puisqu'elle n'est point soluble dans les acides, & ne se réduit point en chaux par l'action du feu, qui sont les deux caracteres distinctifs de la craie.

Les Tailleurs se servent de la craie de Briançon pour tracer des lignes legeres sur les étoffes.

Quelques médecins ordonnent la craie de Briançon comme absorbant, ou comme astringent ; mais il paroît qu'elle ne peut nullement remplir ces vûes, puisque c'est une substance talqueuse, insoluble dans les acides des premieres voies, & incapable par conséquent de passer dans l'oeconomie animale, en s'unissant aux humeurs. (-)

CRAIE, (Marine) vaisseau Suédois & Danois à trois mâts, sans hunier.

CRAIE, mettre en craie, c'est un terme de Plumassier, qui signifie plonger les plumes dans de l'eau chaude, où l'on a détrempé du blanc d'Espagne.

CRAIE, (Faucon) infirmité qui survient aux oiseaux de proie ; c'est une dureté des émeus si extraordinaire, qu'il s'y forme de petites pierres blanches de la grosseur d'un pois, lesquelles venant à boucher le boyau, causent souvent la mort aux oiseaux, si l'on n'a soin d'y remédier. Comme ce mal est causé par une humeur seche & épaisse, il faut l'humecter & l'atténuer en trempant la viande des oiseaux dans du blanc d'oeufs & du sucre candi battus & mêlés ensemble.


CRAIL(Géog. mod.) petite ville d'Ecosse dans la province de Fife sur la Mera.


CRAILSHEIM(Géog. mod.) ville d'Allemagne au cercle de Franconie, dans le Marggraviat d'Anspach sur la Iaxt.


CRAINBOURG(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Carniole, sur la Save. Long. 31. 55. lat. 46. 30.


CRAINTES. f. (Morale) c'est en général un mouvement inquiet, occasionné dans l'ame par la vûe d'un mal à venir. Celle qui naît par amour de notre conservation, de l'idée d'un danger ou d'un péril prochain, je la nomme peur. Voyez PEUR.

Ainsi la crainte est cette agitation, cette inquiétude de notre ame quand nous pensons à un mal futur quelconque qui peut nous arriver ; c'est une émotion désagréable, triste, amere, qui nous porte à croire que nous n'obtiendrons pas un bien que nous desirons, & qui nous fait redouter un accident, un mal qui nous menace, & même un mal qui ne nous menace pas, car il regne ici souvent du délire. Un état si fâcheux affecte servilement à quelques égards plus ou moins tous les hommes, & produit la cruauté dans les tyrans.

Cette passion superstitieuse se sert de l'instabilité des événemens futurs pour séduire l'esprit dont elle s'empare, pour y jetter le trouble & l'effroi. Prévenant en idée les malheurs qu'elle suppose, elle les multiplie, elle les exagere, & le mal qu'elle appréhende lui toûjours à ses yeux. " Elle nous tourmente, dit Charron, avec des marques de maux, comme l'on fait des fées aux petits enfans : maux qui ne sont souvent maux que parce nous les jugeons tels ". La frayeur que nous en avons les réalise, & tire de notre bien même des raisons pour nous en affliger. Combien de gens qui sont devenus misérables de peur de tomber dans la misere, malades de peur de l'être ? Source féconde de chagrins, elle n'y met point de bornes ni d'adoucissement. Les autres maux se ressentent pendant qu'ils existent, & la peine ne dure qu'autant que dure la cause : mais la crainte s'étend sur le passé, sur le présent, sur l'avenir qui n'est point, & qui peut-être ne sera jamais. Ennemie de notre repos, non-seulement elle ne connoît que le mal, souvent à fausses enseignes, mais elle écarte, elle anéantit, pour ainsi dire, les biens réels dont nous joüissons, & se plaît à corrompre toutes les douceurs de la vie. Voilà donc une passion ingénieusement tyrannique, qui loin de prendre le miel des fleurs, n'en suce que l'amertume, & court de gayeté de coeur au-devant des tristes songes dont elle est travaillée.

Ce n'est pas tout de dire qu'elle empoisonne le bonheur de l'homme, il faut ajoûter qu'elle lui est à jamais inutile. Je sai que quelques gens la regardent comme la fille de la prudence, la mere de la précaution, & par conséquent de la sûreté. Mais y a-t-il rien de si sujet à être trompé que la prudence ? mais cette prudence ne peut-elle pas être tranquille ? mais la précaution ne peut-elle pas avoir lieu sans mouvemens de frayeur, par une ferme & sage conduite ? Convenons que la crainte ne sauroit trouver d'apologie ; & je dirois presque, avec mademoiselle Scudery, qu'il n'y a que la crainte de l'amour qui soit permise & louable.

Celle que nous venons de dépeindre, a son origine dans le caractere, dans la vivacité inquiete, la défiance, la mélancholie, la prudence pusillanime, le manque de nerf dans l'esprit, l'éducation, l'exemple, &c.

Il faut de bonne heure rectifier ces malheureuses sources par de fortes réflexions sur la nature des biens & des maux ; sur l'incertitude des événemens, qui font naître quelquefois notre salut des causes dont nous attendions notre ruine ; sur l'inutilité de cette passion ; sur les peines d'esprit qui l'accompagnent, & sur les inconvéniens de s'y livrer. Si le peu de fondement de nos craintes n'empêche pas qu'elles soient attachées aux infirmités de notre nature ; si leurs tristes suites prouvent combien elles sont dangereuses, quel avantage n'ont point les hommes philosophes qui les foulent aux piés ? Ceux à qui l'imagination ne fait point appréhender tout ce qui est contingent & possible, ne gagnent-ils pas beaucoup à penser si sagement ? Ils ne souffrent du moins que ce qui est déterminé par le présent, & ils peuvent alléger leurs souffrances par mille bonnes réflexions. Essayons donc notre courage à ce qui peut nous arriver de plus fâcheux ; défions les malheurs par notre façon de penser, & saisissons les armes de la fortune : enfin, comme la plus grande crainte, la plus difficile à combattre, est celle de la mort, accoûtumons-nous à considérer que le moment de notre naissance est le premier pas qui nous mene à la destruction, & que le dernier pas, c'est celui du repos. L'intervalle qui les sépare, n'est qu'un point, eu égard à la durée des êtres qui est immense. Si c'est dans ce point que l'homme craint, s'inquiete, & se tourmente sans cesse, on peut bien dire que sa raison n'en a fait qu'un fou. Article de M(D.J.)

* CRAINTE, (Mythol.) La crainte étoit aussi une déesse du paganisme. Elle avoit un temple à Sparte, l'endroit du monde où les hommes avoient le plus de bravoure, & où ils étoient le moins dirigés dans leurs actions par la crainte, cette passion vile qui fit mépriser & le culte & les autels que Tullus Hostilius fit élever à la même déesse chez les Romains. La Crainte étoit fille de la Nuit ; j'ajoûterois volontiers & du crime.

CRAINTE, (Jurispr.) on en distingue en Droit de deux sortes, la crainte grave & la crainte legere.

La crainte grave, qu'on appelle metus cadens in constantem virum, est celle qui ne vient point de pusillanimité, mais qui est capable d'ébranler l'homme courageux ; comme la crainte de la mort, de la captivité, de la perte de ses biens.

La crainte legere est celle qui se rencontre dans l'esprit de quelque personne timide, & pour un sujet qui n'ébranleroit point un homme courageux ; comme la crainte de déplaire à quelqu'un, d'encourir sa disgrace.

On met au rang des craintes legeres, la crainte révérentielle, telle que la déférence qu'une femme peut avoir pour son mari, le respect qu'un enfant a pour ses pere & mere, & autres ascendans, soit en directe ou collatérale ; celui que l'on doit avoir pour ses supérieurs, & notamment pour les personnes constituées en dignité ; la soumission des domestiques envers leurs maîtres, & autres semblables considérations, qui ne sont pas réputées capables d'ôter la liberté d'esprit nécessaire, pour donner un consentement valable, à moins qu'elles ne soient accompagnées d'autres circonstances qui puissent avoir fait une impression plus forte : ainsi le consentement qu'un fils donne au mariage que son pere lui propose, ne laisse pas d'être valable, quand même il seroit prouvé que ce mariage n'étoit pas du goût du fils, volunt as enim remissa tamen volunt as est.

Les lois romaines nous donnent encore plusieurs exemples de craintes graves & legeres. Elles décident que la crainte de la prison est juste, & que la promesse qui est faite dans un tel lieu, est nulle de plein droit. Parmi nous, une promesse qui seroit faite pour éviter la prison, seroit en effet nulle ; mais celui qui est déjà constitué prisonnier, peut s'obliger en prison, pourvû que ce soit sans contrainte : on observe seulement de le faire venir entre deux guichets, comme étant réputés lieu de liberté.

La crainte d'un procès mû ou à mouvoir, ne vitie pas la stipulation ; il en est de même de l'appréhension que quelqu'un a d'être nommé à des charges publiques & de police ; ce qui est fait pour obéir à justice, n'est pas non plus censé fait par crainte. Mais lorsqu'il y a du danger de la vie, ou que l'on est menacé de subir quelque peine corporelle, c'en est assez pour la rescision d'un acte, fût-ce même une transaction.

Un nouveau consentement, ou une ratification de l'acte, répare le vice que la crainte y avoit apporté.

Chez les Romains, aucun laps de tems ne validoit un acte qui avoit été fait par une crainte grave ; mais dans notre usage il faut reclamer dans les dix années du jour qu'on a été en liberté de le faire, autrement on n'y est plus recevable. Voyez au ff. 4. tit. ij. l. 21. tit. jv. l. 22. au code 8. tit. xxxviij. l. 9. & liv. II. tit. jv. l. 13. tit. xx. l. 4. & liv. 8. (A)


CRAIONS. m. qu'on devroit écrire craiyon (Hist. nat. & Arts) c'est un nom générique, par lequel on désigne plusieurs substances terreuses, pierreuses, & minérales, colorées, dont on se sert pour tracer des lignes, dessiner, peindre au pastel ; telles sont la craie, la sanguine ou hématite, la pierre noire. Voyez ces mots, & PASTEL.

On donne plus particulierement le nom de craiyon à la blende, ou mine de plomb, molybdena, qui est un minéral contenant quelquefois du zinc, & qui résiste très-fort à l'action du feu. Voyez BLENDE. On coupe la mine de plomb en morceaux quarrés longs & menus, pour les revêtir de bois & en faire les craiyons ordinaires, ou bien on les taille & on leur donne une forme propre à être mis dans un porte-craiyon : cette substance se trouve en plusieurs endroits de l'Europe ; cependant il y a du choix. Les meilleurs craiyons sont ceux qui nous viennent d'Angleterre ; on les fait avec une espece de blende, ou mine de plomb très-pure, non-mêlée de sable ou de matieres étrangeres ; elle se taille aisément, & quand on l'a taillée, elle ressemble à du plomb fraîchement coupé ; celle qui n'a point ces qualités, n'est pas propre à faire de bons craiyons. La mine qui fournit le bon craiyon d'Angleterre, est dans la province de Cumberland, à peu de distance de Carlisle : elle est unique dans son espece, & le gouvernement en a pris un soin tout particulier. L'exportation de cette mine est défendue sous des peines très-rigoureuses, avant que d'être employée en craiyons. Personne n'ignore l'usage du craiyon dans le dessein, &c.

CRAION ROUGE : ce n'est que de la sanguine, ou de l'ochre rouge. Voyez ces articles. (-)


CRAIONNEou mieux CRAIYONNER, (Dessiner) c'est tracer des lignes au craiyon.

On dit : il n'a fait qu'un leger craiyon de ce sujet, les craiyons de tel sont fort estimés ; cette façon de parler est moins d'usage que les desseins de tel sont fort estimés. Cela n'est que craiyonné, signifie cette idée est fort éloignée de la perfection. (R)


CRAMANIS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on appelle aux Indes le premier juge d'une ville. Voyez les lettres édifiantes.


CRAMBES. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en croix. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ou coque, composée d'une seule capsule qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme une semence ordinairement oblongue. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CRAMBORN(Géog. mod.) ville d'Angleterre dans la province de Dorcester.


CRAMOISIadj. pris subst. l'une des sept couleurs rouges de la teinture. Voyez ROUGE & TEINTURE.

Ce mot vient de l'arabe kermesi, qui a été fait de kermès, qui signifie rouge. Les Bollandistes insinuent que cramoisi vient de Crémone, & est mis pour Crémonois. Voyez KERMES & COCHENILLE.

Les étoffes qu'on veut teindre en cramoisi, après avoir été dégorgées de leur savon & alunées fortement, doivent être mises dans un bain de cochenille chacune selon sa couleur. Voyez POURPRE & TEINTURE. Chamb. Dictionn. de Trév. Etimol. & du Comm.


CRAMPES. f. (Médecine) espece d'engourdissement ou de convulsion, accompagnée d'une douleur violente, mais passagere, & que le simple frottement emporte. Les muscles de la jambe & de la cuisse sont les siéges les plus ordinaires de cette maladie. Voyez l'histoire générale des maladies convulsives ou spasmodiques, au mot SPASME. Ce mot vient de l'allemand krampff, qui signifie la même chose. (b)

CRAMPE, (Maréchall.) même maladie que la précédente, qui prend au jarret des chevaux, qui leur fait traîner la jambe pendant cinquante à soixante pas en sortant de l'écurie, & qui se dissipe par le mouvement. (V)

CRAMPE, (Géog. mod.) petite riviere d'Allemagne, dans le duché de Poméranie.


CRAMPONS. m. terme d'Architecture, morceau de fer ou de bronze à crochet ou à queue d'aronde, qui, scellé à plomb, sert à retenir les pierres les unes avec les autres dans la construction du bâtiment. Il s'en fait de droits, de coudés, & de circulaires ; on les appelle aussi agraffes. Les plus petits crampons servent dans la Serrurerie pour la ferrure des portes, des croisées, &c. Voyez CRAMPON (Serrurerie). (P)

CRAMPONS ou PATTES d'une presse d'Imprimerie ; Ce sont douze morceaux de fer : chacun de huit à neuf pouces de long sur sept à huit lignes de large, plats d'un côté & convexes de l'autre, dont chaque extrémité se termine en une patte large percée de plusieurs trous, pour recevoir des clous qui puissent les attacher transversalement par leur surface plate au-dessous de la table, où ils sont en effet cloüés six de chaque côté, & de façon que leur partie convexe porte sur le berceau & ses bandes qui sont revêtues de fer. L'usage de ces crampons donne la facilité de faire rouler & dérouler le train de la presse le long des bandes & sous la platine. Voyez BANDES, BERCEAU, TABLE.

CRAMPON, (Maréchall.) petit morceau de cuir qui est en forme d'anneau sur le devant de la selle, pour attacher les fourreaux des pistolets. Ce mot désigne aussi le renversement de l'éponge du fer du cheval, ou la maniere de renverser cette éponge. Il y en a de quarrés, & d'autres en oreilles de lievre. Voyez FER DE CHEVAL. (V)

CRAMPON, en terme d'Orfévre en grosserie, se dit d'un morceau de fil-de-fer plié & élargi vers ses extrémités, dont on se sert pour retenir ensemble deux pieces qu'on veut souder : pour empêcher que ce crampon ne gâte la moulure, on l'appuie sur un autre morceau de fer de la forme de la moulure.

* CRAMPON, (Serrurerie) c'est un morceau de fer plat, coudé à l'équerre par ses deux bouts. Il y en a de plusieurs grandeurs & de plusieurs façons.

Crampon à pointe ; c'est celui dont les deux parties recourbées sont en pointes ; on les appelle aussi crampons en bois.

Crampon à patte ; c'est celui qui est recourbé à double équerre par chaque extrémité, dont chaque patte plate, ronde, quarrée en queue d'aronde, &c. ou à panache, &c. est percée de trous, pour attacher le crampon où il est nécessaire, avec vis ou clous.

Crampon en plâtre ; il est semblable à celui à pointe, excepté que par ses extrémités il est refendu, & forme deux crochets ; ce qui sert à le retenir dans le plâtre.

Crampon en plomb ; il a ses branches de la forme même du corps, plates ou quarrées, mais hachées dans toute la longueur de la patte qui doit entrer dans la pierre, où il doit être scellé, afin que le plomb entre dans ces hachures & les retienne.

On préfere ici les hachures à la refente, pour éviter la quantité de plomb ; car la refente demanderoit une grande ouverture.

L'usage des crampons à pointe ou patte, c'est de recevoir le verroux des targettes aux croisées, portes ou armoires, de même que les verroux à ressort, &c.

Les crampons en plomb servent aussi au même usage ; mais ils ont encore celui de lier les pierres ensemble. Voyez CRAMPON, terme d'Architecture.

CRAMPON, (Blason) morceau de fer dont on armoit les extrémités des échelles destinées à l'escalade des villes, & dont quelques Allemands ont orné l'écu de leurs armes, sous la figure d'un Z pointu par les deux bouts.


CRAMPONÉadj. en termes de Blason, se dit des croix & autres pieces dont les extrémités sont recourbées comme celles d'un fer cramponé, ou qui ont une demi-potence. Menetr. & Trév. (V)


CRAMPONERCRAMPONER


CRAMPONETS. m. (Serrur.) c'est dans une serrure la partie qui tient la queue du pêle, qui l'embrasse, & dans laquelle il se meut ; ses piés sont rivés sur le palatre de la serrure ; s'il est à pattes, il est arrêté sur le palatre avec une vis.


CRANmettre un vaisseau en cran. Voyez CARENE. (Z)

CRAN, s. m. (Manége) On appelle ainsi les inégalités ou replis de la chair, qui forment comme des sillons posés de travers dans le palais de la bouche du cheval. Il faut donner un coup de corne au troisieme, au quatrieme cran au sillon d'un cheval pour le saigner, lorsqu'il a la bouche échauffée. Dict. de Trév. & Chambers. (V)

CRAN, terme de tailleur ; c'est un morceau d'étoffe presque quarré, qui s'ajuste au derriere d'un habit depuis la premiere boutonniere jusqu'à la seconde, pour former le pli de derriere à chaque derriere d'habit.

CRAN, s. m. se dit en général d'une petite entaille pratiquée sur un corps solide. Il a dans presque tous les articles la même acception que dans l'article qui suit.

CRAN, terme de Fondeur de caracteres d'Imprimerie, est un petit enfoncement ou breche faite au corps des caracteres, vers les deux tiers de leur longueur du côté du pié. Ce cran se forme en fondant les caracteres, & sert à connoître le sens de la lettre : le compositeur mettant avec soin le cran de chaque lettre du même côté, est sûr qu'elles se trouveront en leurs sens. On place ce cran dessus ou dessous la lettre, suivant le pays, & suivant la volonté des Imprimeurs.


CRANBROOKE(Géog. mod.) ville d'Angleterre dans la province de Kent.


CRANCELIou CRANCESLIN, s. m. (Blason) portion d'une couronne posée en bande à-travers l'écu, qui se termine à ses deux extrémités, tant du côté du chef que de la pointe. Voyez le dictionn. de Trév.


CRAND(Jurisprud.) dans les ordonnances de Metz & dans la coûtume de Hainaut, ch. lxxxviij. lxxxjx. & xc. signifie sûreté. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, au mot Crand. (A)


CRANES. m. (Anatom.) c'est, comme on sait, la boîte osseuse qui renferme le cerveau, le cervelet, & la moelle allongée, & défend toutes ces parties des injures extérieures. Cette boîte osseuse a une figure approchante de l'ovale ; elle est éminente dans la partie antérieure & dans la postérieure, & applatie sur les côtés.

Le crane est formé de l'assemblage de huit os, que l'on a distingué en communs & en propres. Parmi ces derniers on compte pour l'ordinaire le coronal, l'occipital, les deux pariétaux, & les temporaux. L'on range parmi les communs l'os sphénoïde & l'ethmoïde : cependant de tous ces os il n'y a que l'occipital & les pariétaux qu'on puisse regarder comme des os propres au crâne, les cinq autres étant communs à cette partie & à la face.

Tous ces os sont composés de deux lames nommées tables, entre lesquelles se rencontre une substance spongieuse appellée diploé.

De plus, ils sont percés de plusieurs trous extérieurs & intérieurs, qui donnent passage à la moelle de l'épine, aux nerfs, aux arteres, & aux veines.

Enfin ils sont joints entr'eux, & quelques-uns même avec ceux de la face, par sutures ; & ces sutures sont d'autant plus apparentes, que les sujets sont plus jeunes.

Cependant il n'en est pas moins vrai que les diverses pieces des os du crane n'en font véritablement qu'une seule ; qu'elles ne sont pas seulement appliquées les unes contre les autres, mais que dans tout le crane, dès le moment de sa formation, il n'y a pas une seule interruption de continuité : c'est une belle découverte qu'on doit à M. Hunauld.

Pour s'assûrer de cette vérité, qui en a d'abord si peu les apparences, il faut avec soin enlever le péricrane dessus une suture ; on apperçoit alors la continuité d'un os avec son voisin par le moyen d'une membrane qui est placée entre-deux, & qui fait partie de l'une & de l'autre : on remarque des filets membraneux qui, sortant du fond des échancrures, s'implantent dans les dents de l'os opposé, & qui lorsqu'on remue en différens sens un des os que forme la suture, s'étendent & se relâchent. Après avoir détaché exactement la dure-mere, on apperçoit la même chose au-dedans du crane. Tout cela se remarque très-bien dans la tête d'un enfant mort d'hydrocéphale.

Cela se concevra sans peine, si l'on fait attention à la maniere dont se forment les différens os du crane. Le crane, dans un foetus peu avancé, n'est qu'une membrane qui se métamorphose insensiblement en os. Un endroit de cette membrane commence peu-à-peu à s'ossifier ; cette ossification gagne & se continue par des lignes qui partent comme d'un centre de l'endroit où l'ossification a commencé : dans différens endroits de cette calotte membraneuse commencent en même tems d'autres ossifications, qui de même font du progrès & s'étendent ; lorsqu'elles sont parvenues à un certain point, le bord de chaque ossification commence à prendre en partie la conformation que le bord de l'os doit avoir par la suite, & à s'ajuster avec l'ossification voisine. Voyez les mém. de l'acad. des Scienc. 1730.

On trouve assez souvent entre les sutures du crane, mais sur-tout dans la lambdoïde, de petits os de différente grandeur & figure, que les Anatomistes nomment clés, & en latin ossa wormiana : Voyez SUTURE, TROU, DIPLOE, TABLE, &c. On détaillera l'explication de tous ces mots dans cet ouvrage.

Le crane est une partie du corps humain qui fournit le plus de variétés dans la structure de ses os, & par rapport aux sutures qui les unissent : ces phénomenes peuvent mieux se comprendre que ceux des variétés qu'on rencontre souvent dans d'autres parties du corps humain. Ce qui est un crane actuellement, n'a été d'abord, comme on l'a dit ci-dessus, qu'une membrane, dans différens endroits de laquelle l'ossification ayant commencé plus ou moins tôt, a occasionné des conformations particulieres : là où l'ossification s'est arrêtée, elle a laissé des parties membraneuses ; & suivant qu'elle a été plus ou moins promte, les sutures se sont conservées plus ou moins long-tems.

Mais les variétés qu'on rencontre dans la figure de certains cranes sont quelquefois si étranges, qu'on ne comprend pas comment le cerveau a pû se développer d'une façon qui y réponde, & qui soit si différente de celle qu'il doit naturellement avoir.

On trouve par toute l'Europe, dans les cabinets des curieux, quantité de cranes de toutes sortes de figures irrégulieres, & qui présentent des exemples de ces variétés étranges difficiles à concevoir. Les uns sont extrèmement allongés, les autres applatis sur les côtés, les autres singulierement saillans ou épais, les autres enfoncés & déprimés de diverses manieres.

J'ai vû chez M. Hunauld le crane d'un Caraïbe qui n'avoit absolument point de front ; ce crane sembloit regagner postérieurement en longueur ce qui lui manquoit sur le devant. M. Hunauld possédoit encore le crane d'un sujet assez avancé en âge, dans lequel il y avoit au milieu de la suture sagittale un enfoncement considérable fait dans la jeunesse, & remplacé par deux especes de bosses sur les côtés. Le même anatomiste conservoit un autre crane fort resserré sur le côté ; & qui en récompense s'étendoit de devant en arriere.

Il y a dans le cabinet du Roi à Paris un crane ; n°. cxv. dont l'endroit le plus élevé sur l'os pariétal gauche a dix lignes de distance de la suture sagittale. La compression qui a causé ce défaut de naissance a été telle, que l'orbite gauche est plus élevé que le droit, & les machoires sont plus basses du côté droit que du côté gauche.

Il y a un autre crane, n°. cxviij. dont le bord supérieur du côté droit de l'os occipital déborde d'un pouce, & ce même os se trouve de niveau au pariétal vers sa partie moyenne.

Il y a un troisieme crane, n°. cxxij. dont le côté droit du front est plus avancé que le côté gauche, tandis que le côté droit de l'occipital accompagné d'une dépression, est moins saillant que le gauche.

Le n°. cxxjv. est la coupe d'un crâne dont l'occipital a jusqu'à demi-pouce d'épaisseur. On peut parcourir à ce sujet le tome III. de la description du cabinet du Roi par M. Daubenton ; & ce n'est pas le cabinet de l'Europe qui soit rempli du plus grand nombre de pieces rares en ce genre, produites par défaut de conformation, par des accidens, ou des maladies.

M. Hunauld a fait voir à l'académie des Sciences le crane d'un enfant de trois ou quatre ans, dont les os avoient presque sept ou huit lignes d'épaisseur ; ils étoient assez mous, & en les pressant on en faisoit sortir du sang & de la lymphe en abondance. Le même fait a été observé par Hippocrate, & c'est un cas bien singulier. Voy. son traité des plaies de la tête, sect. 2. Velschius, dans ses observations de Physique & de Medecine, parle aussi d'un homme dont le crane fut trouvé épais d'un doigt, & sans suture.

Enfin il y a des peuples entiers qui défigurent de différentes manieres le crane de leurs enfans dès le moment de leur naissance. Les Omaguas, au rapport de M. de la Condamine (Mém. de l'ac. des Sc. 1745, p. 428.), ont la bizarre coutume de presser entre deux planches le front des enfans qui viennent de naître, & de leur procurer l'étrange figure qui en résulte, pour les faire mieux ressembler, disent-ils, à la pleine lune.

On jugera que le cerveau sera plus disposé à se détruire, qu'à se prêter à un développement différent de celui qu'il doit naturellement acquérir, si l'on fait attention qu'il est un assemblage d'une infinité de tuyaux d'une petitesse extrême, & que les parties qui composent ces tuyaux n'ont entr'elles qu'une liaison bien foible. En effet, on sait que lorsque l'injection a pénétré jusque dans la substance corticale, si on remue légerement cette substance dans l'eau, ses parties se détachent les unes des autres, les vaisseaux se détruisent, & il ne reste que des filets prodigieusement petits qui ont pénétré jusque dans leur cavité. Cependant il n'arrive chez les peuples à tête plate dont nous venons de parler, aucun accident de la configuration difforme qu'ils procurent au crane en le comprimant dès la naissance, ni aucun développement de leur cerveau, différent de celui qui se feroit naturellement L'organe des organes, le cerveau, le siége de l'ame, est donc pour nos foibles lumieres d'une nature aussi cachée, aussi incompréhensible, que l'ame même. Art. de M(D.J.)

CRANE, (Blessures du) Chirurg. Il n'y a qu'un chirurgien bien instruit de la structure du crane, qui puisse être en état de traiter avec succès le grand nombre d'accidens auxquels cette partie du corps est exposée ; accidens, qui sont souvent de la derniere importance pour la santé & pour la vie.

En effet, selon la variété de la cause vulnérante, & le degré de violence du coup, le crane peut être piqué, fendu, rompu, contus, enfoncé, ou privé d'une portion de sa substance ; ce qui peut arriver dans l'une ou dans l'autre de ses tables, ou dans toutes les deux, & cela plus ou moins avant ; les plus profondes plaies dans ces parties sont les plus difficiles à guérir.

Dans tous les coups portés au crane, on doit commencer par examiner soigneusement s'il n'a point été endommagé ; & on y sauroit regarder de trop près, depuis qu'Hippocrate a reconnu avec cette candeur si digne de lui, qu'il se trompa dans un cas de cette nature.

L'on tâche de s'assûrer que le crane a été endommagé ou non, 1°. par la violence de la cause vulnérante, ce qu'on ne peut cependant pas toûjours savoir bien précisément.

2°. Par la grandeur de la plaie comparée avec la figure de la partie blessée. Il faut encore observer qu'on porteroit un jugement faux ; en se fondant sur l'apparence de la plaie lorsqu'elle a été faite avec un instrument mousse, concave, ou qu'elle est petite, mais accompagnée de contusion considérable.

3°. Par la sonde mousse, polie, menue, & souple ; le Chirurgien habile cherchera d'abord en tatonnant avec la sonde, si l'os est tout-à-fait découvert, ce qu'il connoîtra par le son que renverra la sonde sur le crane. S'il est découvert, il conduira sa sonde sur toute la surface pour sentir s'il n'y a rien de raboteux ; si l'os paroît continu & poli, excepté dans les endroits où il est naturellement raboteux, il est vraisemblable qu'il n'est pas endommagé.

4°. En versant sur la partie quelque liqueur innocente colorée ; mais comme la sonde par la rencontre des sutures & des aspérités peut induire en erreur, cette méthode de la sonde peut y induire de même, & à peu-près par les mêmes raisons ; car la liqueur colorée s'insinue dans les interstices des sutures, & peut s'attacher aux inégalités du crane.

5°. Par l'étonnement que sent le malade dans la tête, en serrant quelque chose entre ses dents. Ce moyen donne quelques lumieres si la fracture est considérable ; mais on ne pourra jamais découvrir une fente ou fissure au crane par cette méthode. Elle a été imaginée, parce que les muscles crotaphites qui partent des deux côtés de la partie latérale du crane, sont toûjours en action lorsqu'on mâche.

6°. En voyant le crane rompu, contus, pâle, ou bleuâtre en certains endroits, cette inspection découvrira les fissures ou fractures s'il y en a ; mais s'il y a contusion, sans que l'os soit séparé, il sera plus difficile de la découvrir, comme Hippocrate l'a remarqué, ce signe tiré de l'altération de la couleur naturelle de l'os, & de sa pâleur, est très-décisif.

7°. Par le tact ; mais il ne faut pas oublier qu'on peut ici par ce moyen tomber dans l'erreur, & croire souvent que l'os est affaissé, quoiqu'il ne le soit pas, parce que dans de violentes contusions, les tégumens du crane sont élevés par les parties subjacentes, & la membrane cellulaire se gonfle par les humeurs qui s'y déchargent.

8°. Par les accidens que souffrent les tégumens, par l'abscès qui se forme le septieme jour, plutôt ou plûtard, par la douleur, par la nature du pus ichoreux, fétide, par la malignité étrangere de la plaie, & qui ne lui est pas ordinaire quand il n'y a que les tégumens d'affectés. En effet, les simples plaies des tégumens sont bien plutôt guéries, mais les tristes symptomes ici détaillés prouvent seulement que le crane a été offensé, & que sa plaie a été inconnue ou mal traitée.

Telle est la nature des signes ici mentionnés ; que si plusieurs concourent ensemble, ils fournissent un diagnostic certain, & ceux que nous rapporterons tout-à-l'heure, marquent infailliblement le danger arrivé au crane. Mais ce desordre caché se découvre souvent trop tard, pour qu'il soit encore tems de le guérir ; au lieu que s'il eût été connu plutôt, on auroit pû y remédier.

Les effets de ce desordre sont 1°. la mortification ou la destruction d'une partie de l'os qui se sépare du reste. 2°. La corruption des parties voisines. 3°. Souvent la putréfaction ou la carie des tables externes & internes du crane. 4°. Celle du diploé. 5°. La corruption des membranes, & même du cerveau. 6°. La suite de ce dernier accident, sont tous les desordres qu'entraine après soi celui de l'affection du cerveau, tels que les convulsions, l'assoupissement profond, la paralysie, & la mort.

Il est présentement facile de comprendre le prognostic qu'on peut déduire des blessures du crane ; & l'on doit, en le formant, redouter tous les symptomes dont nous avons parlé, non pas qu'ils arrivent toûjours, mais seulement parce qu'il est possible qu'ils arrivent.

Les indications curatives sont 1°. de découvrir l'os endommagé, & seulement lorsqu'on le soupçonne violemment d'être endommagé ; car il faut éviter ici les deux extrémités où l'on tombe d'ordinaire : 2°. nettoyer la plaie : 3° : trépaner l'os si la nécessité le requiert, & en ce cas conduire le trépan suivant les regles de l'art : 4°. procurer la régénération du périoste de l'os : 5°. consolider & guérir la plaie par les bandages & la méthode ordinaire.

On découvrira la partie, 1°. en faisant avec un bistouri fort & tranchant, aux tégumens blessés jusqu'au crane, une incision simple, droite, perpendiculaire, angulaire, cruciale, &c. On évitera autant qu'il sera possible, de toucher aux grosses arteres, nerfs, tendons, & sutures, dont il n'est pas permis au chirurgien d'ignorer la situation. Lorsqu'il se trouve sous les tégumens des fragmens d'os rompus & vacillans, il faut beaucoup de prudence, & faire différemment cette incision, selon la variété du lieu offensé & de la plaie ; 2°. en séparant du crane exactement avec un bistouri les tégumens coupés : 3°. en remplissant de charpie la plaie, de peur que les parties qu'on vient de séparer ne se joignent. Il est bon de prévenir en même tems l'inflammation.

On absorbe avec des éponges le sang, le pus, la sanie, & toutes les ordures qui empêcheroient de voir à découvert la superficie du crane ; ensuite on doit chercher avec tout le soin possible s'il n'y a rien à ôter ou à rétablir, afin d'écarter tout ce qui peut gêner ou incommoder dans la cure. Pour les fragmens d'os, les petites esquilles, & les lames écailleuses qui se séparent d'elles-mêmes, il faut les regarder comme des corps hétérogenes nuisibles, les emporter avec des instrumens convenables, s'ils sont petits, & s'ils ne tiennent plus aux parties vives, ne pas tarder à les extirper ; mais d'un autre côté ne pas les tirer avec violence s'ils tiennent encore aux membranes. C'est là ce qu'on appelle modification artificielle.

Si les fragmens, les esquilles, ou les lames écailleuses du crane sont considérables & fort adhérentes, ou qu'elles soient tellement cachées qu'on n'y puisse pas atteindre aisément, il faut les laisser ; elles se sépareront d'elles-mêmes ou se réuniront aux autres parties. Voilà la mondification naturelle.

Si l'os paroît fendu, contus, blanc brun, livide, alors on y fera, par le trépan, un grand nombre de petites perforations dans les regles, afin que ces vaisseaux vivans percent à-travers les trous, & se déchargent des humeurs putréfiées qui y sont en stagnation ; car il se reformera par cette voie un nouveau périoste. On se conduira pour le surplus de la cure, comme dans les simples plaies des tégumens.

On conçoit par-là, pourquoi une fissure du crane est souvent d'une conséquence plus dangereuse qu'une grande contusion, ou même qu'une fracture. De plus, il est évident que cette conduite est préférable aux cauteres actuels, & aux rugines ou trépans exfoliatifs si douloureux dont les anciens se servoient ; en effet, notre méthode a le double avantage de séparer promtement les parties gâtées, & de créer une nouvelle substance qui répare celle qui s'est perdue.

Quand le crane est enfoncé en-dedans dans les jeunes sujets sans fracture, & dans les adultes avec fracture, il en résulte nécessairement la compression du cerveau. Voyez COMPRESSION, COMMOTION, CONTUSION, DEPRESSION, &c. Nous n'entrons ici que dans des généralités ; nous renvoyons pour les détails aux meilleurs traités sur cette matiere, & nous mettons Hippocrate à la tête.

N'oublions pas de remarquer qu'un segment du crane peut être enlevé & emporté tout-à-fait, ce qui arrive quand un instrument vulnérant coupe avec les tégumens une portion de l'os, c'est ce qu'on appelle dédolation ou section du crane : l'on ne manque pas d'exemples de blessés, qui malgré ce malheur ont été parfaitement guéris.

Enfin une partie du crane peut s'exfolier dans toute son épaisseur, & se séparer du reste ; témoin cette femme de l'hôtel-Dieu dont parle Saviard (obs. xc.) qui demandoit l'aumône dans son crane. Objet touchant pour l'humanité ! C'est cette même femme dont il est question dans l'hist. de l'acad. des Sc. an. 1700. p. 45. Comme elle avoit, dit M. Poupart, en conséquence de son accident, la moitié de la dure-mere découverte, un jour que quelqu'un la lui toucha légerement du bout du doigt elle jetta un grand cri, & dit qu'on lui avoit fait voir mille chandelles. Autre sujet de spéculation pour un anatomiste physicien ! Art. de M(D.J.)

CRANE, (Mat. medic.) Le crane d'un jeune homme robuste mort de mort violente, est mis par plusieurs écrivains de la matiere médicale, au rang des grands remedes internes de l'apoplexie & de l'épilepsie en particulier. On le rapera & on le pulvérisera, disent-ils, sans le calciner pour n'en point détruire les vertus, & la dose sera depuis un scrupule jusqu'à trois. Il étoit en effet naturel en adoptant une fois des secours de cette espece contre ces terribles maladies du cerveau, de recourir plûtôt à la boîte osseuse qui le couvre & le défend, qu'à tout autre os fort éloigné. Il est vrai que le bon sens & l'expérience n'ont jamais trouvé de propriété medicinale dans aucun crane ; il est vrai encore que l'analyse chymique n'en tire rien de différent des autres os, & que même la corne de cerf seroit préférable à tous égards : mais tous les os ensemble & la corne de cerf ne frappant pas l'imagination du vulgaire comme le crane de quelqu'un qu'on vient d'exécuter, ne pouvoient jamais faire fortune ; cependant un auteur moderne par l'attention qu'il a eu d'avertir le public de prendre bien garde, à cause du danger immanquable où l'on s'exposeroit, d'employer par hasard, en guise de médicament, le crane d'une personne qui auroit été infectée de virus vénérien, a peut-être indiqué, sans le vouloir, le vrai secret de détourner de ce prétendu remede les gens qui seroient les plus portés à y mettre leur confiance. Ce que la raison ne sauroit opérer chez les hommes, la crainte du péril en vient à bout ; c'est bien un autre agent dans la Nature. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CRANENBOURG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, au duché de Cleves, entre le Wahal & la Meuse.


CRANEQUIou PIé DE BICHE, s. m. (Hist. mod. & Art milit.) espece de bandage de fer qui se portoit à la ceinture, & dont on se servoit autrefois pour tendre l'arc, d'où l'on a fait le substantif cranequinier. Les cranequiniers étoient une sorte d'arbalétriers : il y en avoit à pié & à cheval ; ils portoient des arbaletes legeres. Ces arbaletes furent d'abord de bois ; on les fit ensuite de corne, & enfin d'acier. Le grand maître de l'artillerie a succédé à celui des arbalétriers & cranequiniers.


CRANGANOR(Géog. mod.) petit royaume d'Asie, dans l'Inde, en-deçà du Gange, sur la côte de Malabar, dépendant du Samorin.


CRANGE(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Pomeranie ultérieure, au duché de Wendeon, sur la riviere de Grabow.


CRANICHFELD(Géog. mod.) petite ville d'Arce, avec un territoire qui en dépend, dans la Thuringe, sur la riviere d'Ilm.


CRANSAC(Géog. mod. & Médecine) lieu de France dans le bas-Roüergue, connu seulement par ses eaux minérales qui y attirent beaucoup de monde en Mai & Septembre. On puise ces eaux à deux fontaines, qui ne sont qu'à six piés l'une de l'autre, & qui sortent d'une montagne. On trouve au-dessus de ces deux fontaines des grottes qui sont des étuves très-salutaires pour les maladies du genre nerveux, les tremblemens qui en sont la suite, les paralysies legeres, & la sciatique. Les eaux de Cransac n'ont aucune odeur sensible ; leur saveur est un peu âcre & vitriolique. Elles sont apéritives, purgatives, & présentement fort en vogue à Paris. On n'en a point encore donné d'analyse exacte & détaillée. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CRAON(Géog. mod.) petite ville de France, dans la province d'Anjou, sur la riviere d'Oudon.


CRAONNE(Géog. mod.) petite ville de France, dans la généralité de Soissons, au diocèse de Laon.


CRAPAUDS. m. animal amphibie. Il y en a de deux sortes, le crapaud de terre, bufo rubeta, & le crapaud d'eau, rana palustris venenata.

Le crapaud de terre est plus gros que la grenouille ; il a le corps épais, le dos large, le ventre gonflé, & il est si pesant, qu'il ne saute qu'à peine ; & si lourd, qu'il ne marche que fort lentement. La peau est dure, couverte de tubercules, & de couleur livide, tachée de jaune sur le ventre. Cet animal se retire dans des lieux sombres & humides, & se cache dans des creux infectés de fange & de puanteur : il se nourrit de vers, d'insectes, de coquillages de terre. On a trouvé de ces animaux renfermés dans des troncs d'arbres, & même dans des blocs de pierre, où ils devoient avoir passé grand nombre d'années sans autre aliment que l'eau qui pouvoit suinter à travers le bois ou la pierre. Les crapauds s'accouplent & pondent des oeufs comme les grenouilles, voyez GRENOUILLE ; mais leur cri est différent du croassement.

Le crapaud d'eau est plus petit que celui de terre. Rondelet a trouvé tant de ressemblance entre l'un & l'autre, qu'il n'a donné que la figure du crapaud d'eau, & qu'il y renvoye pour donner une idée de celle du crapaud de terre.

On donne encore le nom de crapaud à une sorte de grenouille que l'on trouve dans la terre & sous les fumiers : elle a le museau plus pointu & les jambes plus courtes que les autres grenouilles ; sa peau est tuberculeuse & parsemée de taches de couleur cendrée ; ses yeux sont saillans & verdâtres, &c.

Les crapauds passent communément pour des animaux venimeux, sur-tout le crapaud de terre ; on prétend qu'il est plus dangereux, lorsqu'il habite dans des lieux secs & froids. On a rapporté, dans les éph. des cur. de la nat. Déc. 1. an. 1. qu'il étoit arrivé de funestes accidens à des gens pour avoir manié des pierres avec lesquelles on avoit écrasé des crapauds. On dit que l'eau dans laquelle ces animaux vivent & l'air qui les environne, sont un poison pour les personnes qui se baignent dans cette eau, ou qui respirent cet air ; & que les fraises ou les autres plantes qui sont infectées de la bave ou de l'urine du crapaud, produisent de mauvais effets lorsqu'on les mange sans qu'elles ayent été lavées. On croit que cet animal darde son urine lorsqu'il est poursuivi. On raconte qu'un charlatan ayant reçû de cette urine dans sa bouche, en mourut une demi-heure après, quoiqu'il eût pris du contre-poison ; & qu'une autre personne eut les yeux fort malades, parce qu'il y étoit tombé de l'urine du même animal. Eph. cent. 4. Il arriva à une autre de dangereux accidens, pour avoir tenu la tête d'un crapaud dans sa bouche. Enfin on a aussi attribué une qualité venimeuse au sang de cet animal, à ses oeufs lorsqu'on les avale, &c. Il seroit inutile de rapporter ici tout ce qui a été écrit des effets du venin des crapauds. Passons à d'autres observations, qui jettent beaucoup d'incertitude sur l'existence de ce prétendu venin. Voyez cependant CRAPAUD (Mat. med.)

Les canards mangent souvent des crapauds, & les fourmis se nourrissent de ceux que l'on jette dans les fourmilieres, sans qu'il paroisse que ni les uns ni les autres en ressentent aucun mauvais effet. On a éprouvé que l'urine du crapaud, soit qu'on l'avale ou qu'on l'applique à l'extérieur, n'a aucune qualité venimeuse ; on a même reconnu que cette urine étoit bonne pour les yeux dans certains cas, au lieu d'être nuisible. Eph. des cur. de la nat. Déc. 3. ann. 7. On prétend que les excrémens du crapaud sont diurétiques : on dit que des gens ont mangé de ces animaux sans en ressentir aucun mal, & qu'ils les ont trouvé d'aussi bon goût que les grenouilles.

Tant de faits rapportés pour & contre l'existence du venin des crapauds, prouvent au moins que cet animal est suspect, & qu'on doit le fuir jusqu'à ce que des épreuves plus exactes & mieux constatées ayent décidé la question. Si dans les climats tempérés les excrémens des crapauds sont corrosifs, il y a lieu de croire qu'ils peuvent être venimeux dans les pays chauds ; & que le crapaud de Surinam, qui est appellé curucu au Bresil, est aussi dangereux qu'on l'a dit dans différentes relations ; cet animal est une fois aussi gros que les crapauds de ce pays-ci ; il a aux deux côtés de la tête des excroissances semblables à de grosses verrues ; son urine & sa bave sont, dit-on, très-venimeux, mais sur-tout son sang, sa graisse & son fiel.

On a vû en Italie, aux environs d'Aquapendente, un crapaud qui avoit plus d'un pié & demi de largeur, & qui étoit plus gros que la tête d'un homme. Eph. des cur. de la nat. Déc. 2. ann. 2. En effet il y a dans plusieurs régions des crapauds beaucoup plus gros que ceux de ce pays-ci : mais je crois que le crapaud de Surinam appellé pipa, est un des plus singuliers de tous, en ce que les oeufs éclosent sur le dos du mâle. Voyez PIPA. (I)

CRAPAUD, (Hist. nat. insect. aquat.) Le crapaud des Antilles n'est proprement qu'une très-grosse grenouille grise, mouchetée, ayant la peau fine ; elle se tient ordinairement dans les costieres sur le penchant des montagnes, & quelquefois au bord des petits ruisseaux. La chair de ce crapaud est blanche & délicate ; on la prépare en fricassée de poulet. Deux de ces animaux suffisent pour former un bon plat. Article de M. LE ROMAIN.

* CRAPAUD, (Mat. med.) on doute de la qualité venéneuse de notre crapaud. Je vais en raconter ce que j'en sai par expérience ; on en conclura ce que l'on jugera à-propos. J'étois à la campagne vers le tems de la Quasimodo ; j'apperçus sur un bassin, à l'extrémité d'un parc, une masse de crapauds collés les uns sur les autres : cette masse flottoit, & étoit suivie d'une foule d'autres crapauds ; je l'attirai au bord du bassin avec une canne, puis je l'enlevai de l'eau avec une branche d'arbre fourchue, & je me mis à séparer ces animaux, au centre desquels j'apperçus une femelle, apparemment étouffée. Tandis que j'étois occupé à mon observation, je me sentis prendre au nez d'une vapeur très-subtile, qui me passa de la gorge dans l'estomac, & de-là dans les intestins ; j'eus des douleurs de ventre, & je fus incommodé d'un crachement assez abondant qui dura trois ou quatre heures, au bout desquelles ces accidens cesserent avec l'inquiétude qu'ils me donnoient, & à la personne avec laquelle je me trouvois : c'étoit M. l'abbé Mallet, maintenant professeur royal en Théologie, alors curé de Pesqueux, village voisin de Vernouillet, lieu de la scene que je viens de raconter.

Il y en a qui prétendent que le crapaud réduit en poudre, soulage dans l'hydropisie ; on l'ordonne depuis un scrupule jusqu'à deux ; on fonde cette vertu sur une histoire singuliere. On raconte qu'une femme dont le mari étoit attaqué de cette maladie, l'en guérit en lui servant, on ne dit point à quelle sauce, des crapauds, auxquels elle supposoit au contraire une qualité venéneuse très-propre à la débarrasser de son hydropique.

On dit que le crapaud mort ou séché, s'enfle des humeurs peccantes qu'il attire, si on l'applique sous les aisselles, sur la tête, sur la région des reins, & sur les autres parties du corps, où ces humeurs pourront causer des embarras, obstructions, &c. Credat Judaeus.

Autre fable ; c'est que si on le met mort ou vivant sur le lit d'une personne attaquée de quelque maladie maligne & venéneuse, il s'enflera du venin de la maladie par une espece d'attraction animale.

CRAPAUD-VOLANT, (Hist. nat.) Voyez TETE-CHEVRE.

CRAPAUD, (Hist. nat. bot. exotiq.) arbre qui croît dans les Antilles, principalement à la Grenade. Son bois est rouge, dur, très-pesant, & d'un fil mêlé, difficile à travailler. On en fait des planches de 12 à 14 pouces de large, qui ne sont bonnes qu'employées à couvert ; elles sont sujettes à se fendre inégalement, sur-tout lorsqu'on les veut percer à la vrille, ou qu'on y enfonce des clous. Article de M. LE ROMAIN.

CRAPAUD, (Maréchal) les Maréchaux appellent ainsi une grosseur molle qui vient sous le talon du cheval : on l'appelle aussi fic. (V)


CRAPAUDAILLES. f. (Manuf. en soie) petite étoffe de soie tant en trame qu'en chaîne, fort legere, très-claire, & peu différente de la gase. Voy. les réglemens du Comm.


CRAPAUDINen termes de Friseur d'étoffes, est une plaque de fer creuse, dans laquelle tourne le pivot du grand roüet. Voyez GRAND ROUET ; voy. X. fig. 1. Pl. X. de la Draperie. Il y en a aussi de petits de cuivre, dans lesquels tournent les fers à friser. Ainsi ces ouvriers appellent crapaudin, ce que les autres appellent crapaudines.


CRAPAUDINES. f. bufonites, dent de poisson pétrifiée. On a cru que cette pétrification venoit du crapaud, comme le nom le désigne ; mais on sait à présent que c'est une vraie dent de dorade ou d'un poisson du Bresil, appellé le grondeur. Toute la surface intérieure des deux mâchoires de celui-ci, est couverte de tubercules inégaux posés les uns contre les autres, comme une sorte de pavé ; chacun est une dent : les plus grosses sont placées dans le milieu d'un bout à l'autre, & les plus petites sur les côtés. Lorsqu'on les détache de la mâchoire, on voit qu'elles sont concaves en-dedans, & assez minces ; & lorsqu'elles sont pétrifiées, on donne aux plus grosses le nom de crapaudines, & les plus petites sont appellées yeux de serpent. Voyez YEUX DE SERPENT. Mém. de l'acad. roy. des Sc. ann. 1723.

Il y a des crapaudines rondes ; il y en a aussi de longues. Les premieres ressemblent à de petites calottes, qui ont environ un demi-pouce de diamêtre ; les autres sont allongées comme une petite auge, elles ont le plus souvent un pouce de longueur sur quatre ou cinq lignes de largeur. Les crapaudines sont lisses au-dehors ; leur grandeur varie de même que leurs couleurs. On en voit de grises, de brunes, de rousses, de noires, de blanches, de verdâtres, & elles ont quelquefois des taches blanchâtres, rougeâtres, roussâtres, &c. Traité univ. des drogues, &c. par M. Lémeri. Gemm. & lap. hist. Boetii de Boot. lib. II. cap. lxcjx. &c. (I)

CRAPAUDINE, (Mat. med.) en latin bufonites ; la pierre appellée crapaudine, a passé pour une excellente amulete portée au cou ou au doigt. Mais il y a long-tems qu'on ne croit plus à ces prétendues vertus. (b)

CRAPAUDINE, (Hist. nat. bot.) sideritis, genre de plante à fleur monopétale labiée ; la levre supérieure est relevée, & l'inférieure est découpée en trois parties. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il est environné de quatre embryons, qui deviennent dans la suite autant de semences oblongues renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur : ajoûtez au caractere de ce genre, que les fleurs sont disposées en anneaux dans les aisselles des feuilles, qui sont ordinairement découpées en crête de coq dans ces endroits, & qui par-là different des autres feuilles. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CRAPAUDINE, (Machine) est un morceau de fer ou de bronze creusé, qui reçoit le pivot d'une porte ou de l'arbre de quelque machine, & les fait tourner verticalement : on la nomme aussi couette ou grenouille. Voyez COUETTE & GRENOUILLE. (P)

CRAPAUDINE, en termes de Diamantaires, se dit d'une masse de fer, au milieu de laquelle est un trou dans lequel tourne un pivot : ce trou n'est point percé à jour. Voyez C C C, Pl. II. du Diamantaire.

CRAPAUDINE, (Hydraul.) sont des especes de boîtes ou coffres de tole, de plomb, de bois, ou simplement des grilles de fil-d'archal, qui renferment les soûpapes pour les garantir des ordures inséparables des fontaines. Elles se placent encore au-devant des tuyaux de décharge, qui fournissent d'autres bassins ou qui vont se perdre dans des puisarts. On les perce de plusieurs trous, pour donner à l'eau un passage plus libre. (K)

CRAPAUDINE, piece qui se trouve à quelques presses d'Imprimerie ; elle est de fer, de la longueur environ de dix pouces sur un pouce d'épaisseur dans son milieu, qui est la partie la moins large ; elle est percée d'un grand trou quarré pour recevoir le pié de la grenouille. La crapaudine est unie du côté par lequel elle est appliquée sur la platine, & de l'autre est en quelque façon convexe. Ses quatre extrémités se terminent en une espece d'ailes ou de jambes, auxquelles sont attachés quatre anneaux qui servent, avec les quatre crochets dépendant de la boîte, à lier la platine, & à la maintenir dans son état. Cette piece ne se trouve qu'à quelques presses dont la platine est de fer : aux presses dont la platine est de cuivre, la platine & la crapaudine ne sont qu'un seul & même morceau. Voyez GRENOUILLE, PLATINE, BOITE.

CRAPAUDINE, (Maréchall.) crevasse que le cheval se fait aux piés par les atteintes qu'il se donne sur la couronne, en croisant avec les éponges de ses fers. La crapaudine dégénere en ulcere. (V)

CRAPAUDINE, (Cuisine) maniere de préparer des pigeons ; fendez-les sur le dos, écartez les parties ouvertes, applatissez-les, saupoudrez-les de sel & de poivre, faites-les rôtir sur le gril, mettez dessous une sauce piquante avec verjus, vinaigre, échalotes, capres, &c. & vous aurez préparé des pigeons à la crapaudine.


CRAPE(Hist. nat.) Voyez CRABE.


CRAPONE(Géog. mod.) petite ville de France dans la province d'Auvergne. Il y en a encore une de ce nom au Languedoc dans le Vélay.


CRAPULES. f. (Morale) débauche habituelle ou des femmes ou du vin. C'est le terme auquel aboutissent presque nécessairement ceux qui ont eu de bonne heure l'un de ces deux goûts dans un degré violent, & qui s'y sont livrés sans contrainte, la force de la passion augmentant à mesure que l'âge avance, & que la force de l'esprit diminue. Un homme crapuleux est un homme dominé par son habitude plus impérieusement encore que l'animal par l'instinct & les sens. Le terme de crapule ne s'appliquoit qu'à la débauche du vin ; on l'a étendu à toute débauche habituelle & excessive. La crapule est l'opposé de la volupté ; la volupté suppose beaucoup de choix dans les objets, & même de la modération dans la joüissance ; la débauche suppose le même choix dans les objets, mais nulle modération dans la joüissance. La crapule exclud l'un & l'autre.


CRAQUELINS. m. (Pâtissier) espece de pâtisserie, qui ne differe de l'échaudé que par la forme. L'échaudé est fait en pain rond & petit ; le craquelin est plus étendu, & il est figuré tantôt en écuelle, tantôt comme le signe dont les Astronomes se servent pour désigner le lion.


CRAQUELOTS. m. (Pêche) on donne ce nom au hareng sor, lorsqu'il est encore dans sa primeur.


CRAQUERv. n. produire le bruit d'un bois sec qui s'éclate. Il se dit, en Fauconnerie, de celui que la grue fait en fermant son bec, ou même de son cri ; & dans les Arts, de tous ceux qui annoncent la rupture.


CRAQUETER(Chasse) terme par lequel on désigne le cri de la cicogne.


CRAQUETTES. f. instrument de Tailleur, c'est un petit billot de fer d'un doigt d'épaisseur, garni des deux côtés de son plat de plusieurs rainures assez enfoncées, dans lesquelles on fait entrer les boutonnieres du morceau qu'on veut passer au carreau, afin de ne point les applatir. Cet instrument a un petit anneau de fer par où on le prend, & qui sert à l'accrocher.


CRASCHEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne en Silésie, dans la principauté de Wolau, près des frontieres de la Pologne.


CRASES. f. terme de Grammaire ; la crase est une de ces figures de diction qui regardent les changemens qui arrivent aux lettres ou aux syllabes d'un mot, relativement à l'état ordinaire du mot où il est sans figure. La figure qu'on appelle crase se fait lorsque deux voyelles se confondant ensemble, il en résulte un nouveau son ; par exemple, lorsqu'au lieu de dire à le ou de le, nous disons au ou du, & de même le mois d'Oût au lieu du mois d'Août. Nos peres disoient : la ville de Ca-en, la ville de La-on, un fa-on, un pa-on, en deux syllabes ; comme on le voit dans les écrits des anciens poëtes : aujourd'hui nous disons par crase en une seule syllabe, Can, Lan, pan, fan. Observez qu'en ces occasions la voyelle la plus forte dans le son, fait disparoître la plus foible. Il y a crase quand nous disons l'homme, l'honneur, &c. Mais il faut observer que ce mot crase n'est en usage que dans la Grammaire greque, lorsqu'on parle des contractions qu'on divise en crase & en synchrese. Au reste ce mot crase est tout grec, , mêlange, R. , misceo, je mêle. Voyez CONTRACTION. (F)

CRASE, (Medec.) état naturel ou sain du sang, sa constitution convenable, en vertu de laquelle les différens principes dont il est composé, s'y trouvent dans la juste proportion, & dans le degré de pureté & d'union qu'ils doivent avoir. Ce mot a pour opposé discrase, discrasis, qui marque un mélange vicieux des principes, ou l'état qui n'est pas naturel à quelqu'un d'eux.

Le mot est grec, , qui signifie mêlange, tempérament. Voyez SANG & HUMEURS. Chambers.


CRASSAMENTUMterme dont se servent quelques anatomistes pour marquer les parties proprement sanguines du sang, ou la partie qui, en se refroidissant, forme un coagulum, par opposition au serum ou à la sérosité dans laquelle elles nagent. Voy. SANG & SEROSITE.

Quelques auteurs ont pensé que le crassamentum étoit spécifiquement plus léger que le serum ; mais le docteur Jurin a démontré le contraire par des expériences réitérées. Chambers. (L)


CRASSES. f. (Medecine) La crasse de la peau retenue dans ses pores ou sur sa superficie, est capable de produire plusieurs maladies, comme clous, phlegmons, &c. la gale & les dartres sont sur-tout engendrées par cette crasse : on doit donc obvier à ces maladies en nettoyant exactement la peau par les bains, les frictions, & les autres moyens propres à enlever la crasse de la circonférence du corps. Les habitans des pays chauds qui sont plus sujets à la crasse de la peau, à cause de la grande chaleur du climat qu'ils habitent, se baignent aussi fort souvent pour se garantir de ces maladies, méthode qu'ils ont retenue des anciens. Voyez GALE, ENGELURE, FRICTION. Chambers.

CRASSE, adj. (Gramm.) ne se prend guere qu'au figuré ; ignorance crasse, pour ignorance extrème & invétérée. Peut-être l'employe-t-on en Medecine systématique & en Chirurgie, mais rarement. Je ne sai si l'on dit des humeurs crasses, pour des humeurs très-épaisses ; les parties crasses, par opposition aux parties déliées.

* CRASSE, chez les Ouvriers en métaux ; c'est le nom qu'on donne à l'écaille qui se forme sur le métal chaud, qui s'en détache quand on le bat, & qu'on trouve à l'entour des enclumes des forgerons en petites pellicules noires, minces & fragiles. On lui donne aussi quelquefois le nom de paille.


CRASSIERSS. m. pl. voyez FORGES GROSSES.


CRASSNITZ(Géogr. mod.) petite ville de la petite-Pologne, au palatinat de Sendomir.


CRATÉES. f. (Myth.) déesse des enchanteurs & des sorciers, mere de Sylla, & la même, selon toute apparence, qu'Hécate. Voyez les dict. de Trév. de Dish. & de Mythol.


CRATERES. f. (Hist. anc. & mod.) On donne ce nom à certains vaisseaux des anciens. Il y a des crateres d'une infinité d'especes différentes : on trouve sur ces vaisseaux des bas-reliefs de la plus grande beauté ; ils sont d'ailleurs de formes très-commodes & très-élégantes. Comment eût-il été possible qu'ils passassent de mode ; il n'y a que les choses qui n'ont aucun modele dans la nature, dont il soit possible de se dégoûter. On ne buvoit point dans les crateres, mais on y mettoit le vin & l'eau dont on devoit se servir. La Sorbonne & le cardinal Lemoine ont encore aujourd'hui des crateres ; ce sont de grandes coupes en écuelle à bords rabattus & sans oreilles.


CRATICULAIREadj. (Optique) On appelle prototype & ectype craticulaire, le modele d'une anamorphose & l'anamorphose même. Voyez ANAMORPHOSE. (O)


CRATICULERv. act. (Dessein, ou dessiner aux petits quarreaux) Pour cet effet on divise les bords de l'image qu'on veut copier ou de grand en petit, ou de petit en grand, en parties égales ; par tous les points de divisions on fiche des pointes sur lesquelles on fait passer des fils très-delicats ; ces fils partagent, en s'entre-coupant, toute la surface de l'original en petits quarreaux. On divise la surface sur laquelle on veut en avoir la copie, en un égal nombre de petits quarreaux, dont les côtés soient aux côtés des quarreaux de l'image, en tel rapport qu'on voudra : cela fait, on transporte à la vûe ce qui est contenu dans chaque quarreau de l'original, dans l'espace de chaque quarreau correspondant de la surface où l'on veut en avoir copie. On peut avoir une toile ou papier divisé en autant de quarreaux qu'il y en a dans un chassis, & se servir de ce chassis placé au-devant du visage d'une personne dont on fait le portrait, pour en prendre au moins les proportions les plus considérables. Il est inutile de s'étendre davantage sur cette pratique, qui se conçoit avec beaucoup de facilité. Voyez ANAMORPHOSE.


CRAU(le) Géog. mod. petit pays de France en Provence, le long de la rive orientale du Rhône.


CRAVANS. m. anas muscaria, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau qui a été ainsi nommé, parce qu'il prend les mouches qui volent sur l'eau. Il ressemble beaucoup au canard domestique pour la grandeur & pour la figure : son bec est large & court : la piece du dessus est jaune, & longue de deux pouces au-delà des plumes : de chaque côté il y a des dents en forme de scie ; celles de dessus sont larges, flexibles, élevées, & pour ainsi dire membraneuses ; celles du dessous sont moins saillantes, & forment des stries oblongues. Il se trouve des plumes de différentes couleurs presque par-tout, principalement sur le cou en-dessus & en-dessous ; elles sont noirâtres, blanches, bazannées à-peu-près comme celles de la perdrix : les pattes sont jaunes, & la membrane des doigts noirâtre : la couleur du sommet de la tête & des ailes est plus noire que celle d'aucune autre partie ; les ailes & la queue sont courtes. Willughby n'a jamais vû cet oiseau, & doute qu'il soit différent du canard sauvage, boschas. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I).


CRAVATESS. m. pl. (Hist. mod.) corps de cavalerie étrangere, qu'on eût mieux appellé Croate ; mais l'usage en a décidé autrement : il est commandé par un colonel. Ils ont les mêmes fonctions à l'armée, que les houssards, pandours, &c.

CRAVATE, s. f. (Mod.) ancien ajustement de toile fine, plié ; on faisoit plusieurs tours autour du cou, & les deux bouts noüés sous le menton, descendoient le long de la poitrine. Les tours de cou ont succedé aux cravates.

CRAVATE, en terme de Boutonnier ; c'est une bouffette composée de plusieurs brins de milanoise pliés au moule, serrés & liés à la bobine par le milieu, & représentant un noeud de bourse à cheveux.

CRAVATE ou CROATE, s. m. (Maréchallerie & Man.) espece de cheval qui vient de Croatie, & qui va ordinairement fort vîte. Les cravates battent à la main & portent au vent ; ils ont l'encolure haute, tendent le nez en branlant la tête, & sont sujets à être bégus. Voyez BATTRE A LA MAIN, PORTER AU VENT, GUTEGUT. (V)


CRAVEou CRAVENT, (Hist. mod.) vieux mot anglois qui signifioit coüard ou poltron ; étoit dans l'ancienne coûtume d'Angleterre, un terme de reproche dont on se servoit dans les jugemens par combat. Voyez COMBAT.

La loi étoit qu'on proclamât le vainqueur, & que le vaincu reconnût sa faute en présence du peuple, ou prononçât le mot craven pour aveu de sa lâcheté, &c. après quoi on rendoit incontinent le jugement, & le poltron amittebat legem terrae, c'est-à-dire devenoit infame.

Coke observe que si l'appellant, après avoir été au combat, crioit craven, il perdoit alors liberam legem ; mais que si c'étoit l'appellé, on le faisoit pendre. Voyez DUEL. Chambers. (G)


CRAYERSS. m. pl. (Verrerie) c'est la cendre du charbon que la violence de la chaleur convertit en une espece de verre ou de matiere vitrifiée en forme de croûte : cette croûte couvre la grille, & elle étoufferoit le feu, en empêchant l'air de traverser la grille, si on n'avoit l'attention de l'en dégager. On l'appelle aussi mousse.


CRAYONvoyez CRAION ou CRAIYON.


CRAZIS. m. (Commerce) petite monnoie usitée en Italie, & sur-tout dans le grand duché de Toscane & dans le Florentin, qui revient à un peu plus de quatre sols de notre argent.


CRÉADIERSterme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux ; est une sorte de trameaux dérivans, dont les pêcheurs se servent pour la pêche du créac ou esturgeon. Voyez TRAMEAUX.

Ce sont ceux de la plus grande espece que les pêcheurs de Cariot y employent. Le créac ou esturgeon, dont la pêche est accidentelle sur toutes les autres côtes du royaume, pourroit se faire dans des saisons reglées, à l'embouchure de la Gironde. Les créadiers sont ainsi nommés du nom de créac ; ils ont les mailles de l'Armail ou des Hameaux, d'un calibre bien plus large que l'ordonnance ne les a fixés pour les hameaux de la Dreige : ces mailles ont quelquefois jusqu'à dix pouces en quarré ; celles de la charte, carte, toile, nappe, ou ret du milieu, ont deux à trois pouces en quarré. Les créadiers sont composés d'un gros fil, à-peu-près comme les rets des soles ; mais ils ne restent pas sédentaires sur les fonds, ils dérivent à la marée, ainsi que les rets courans.

L'esturgeon aimant particulierement les eaux blanches ou troubles, la pêche en est ordinairement plus avantageuse quand elles le sont ; alors ce poisson trouve une plus grande abondance d'anguilles & de lamproies, dont il fait sa pâture.

La pêche de l'esturgeon avec les trameaux dérivans, commence en quelques endroits en Février, & dure jusqu'en Juillet & Août, & même plûtard ; en d'autres, à la Notre-Dame de Mars, & dure jusqu'à la fin de Septembre : les pêcheurs la font avec les mêmes rets au haut de la riviere ; mais comme le courant y est moins rapide qu'à son embouchure, ils amarrent par un cordage de quelques brasses les bouts de leur tressure, qui a quelquefois plus de cent brasses de long, à un pieux planté à la rive, ou à quelques arbres, de bord & d'autre. Le ret suit la profondeur des eaux à deux, trois, quatre brasses de chûte ; mais le tramail reste sédentaire, sans dérive, & arrête au passage les créacs qui montent ou qui descendent. Voyez ESTURGEON.


CRÉANCES. f. (Jurispr.) On entend ordinairement par ce terme, une dette active, c'est-à-dire le droit que le créancier a de se faire payer d'une somme d'argent, d'une rente ou autre redevance, soit en argent ou en grains, ou autre espece ; ce qui vient du latin credere, qui signifie prêter, confier. On comprend néanmoins sous ce terme, toutes sortes de créances, non-seulement pour prêt ou commodat, ou dépôt, mais aussi de quelqu'autre cause qu'elle dérive, comme d'une donation, d'un legs, partage, contrat de vente, &c.

Il y a plusieurs sortes de créances.

Créance caduque, est celle dont il n'y a rien à espérer.

Créance chirographaire, est celle qui est fondée sur un titre sous signature privée, qui n'emporte point d'hypotheque. On met dans la même classe les créances pour lesquelles il n'y a aucun titre écrit, parce que c'est la même chose vis-à-vis des créanciers hypothécaires, de n'avoir point de titre, ou de n'en avoir qu'un sous seing privé. Entre créanciers chirographaires, le premier saisissant est préferé sur le prix des effets saisis, parce qu'il a conservé le gage commun ; mais s'il y a déconfiture, le premier saisissant vient, comme les autres, par contribution au sol la livre.

On distingue néanmoins deux sortes de créances chirographaires, les unes ordinaires, d'autres privilégiées : les créances chirographaires ordinaires sont toutes celles qui n'ont point de privilége : les créances chirographaires privilégiées, sont celles qui sont privilégiées par leur nature, soit qu'il y ait un titre ou non ; & les unes ont un privilége spécial sur une certaine chose, comme le privilége du nanti de gages, le propriétaire de la maison sur les meubles des locataires ; les autres ont un privilége général sur tous les effets du débiteur, comme les frais de justice, les frais de la derniere maladie du débiteur, les frais funéraires.

Créance déléguée, est celle qu'un tiers est chargé de payer en l'acquit d'un autre. Voyez DELEGATION.

Créance douteuse, est celle dont le recouvrement est incertain par rapport au peu de stabilité du débiteur.

Créance hypothécaire, est celle qui résulte d'un titre authentique, tel qu'un jugement ou un acte passé devant notaire, & qui emporte hypotheque au profit du créancier sur les biens de l'obligé.

Créance ordinaire, est celle qui n'est point privilégiée. Voyez PRIVILEGE.

Créance personnelle, est celle à laquelle la personne est principalement obligée, à la différence d'une créance hypothécaire, qui ne donne droit contre un tiers que comme détenteur d'un bien hypothéqué.

Créance privilégiée, est celle à laquelle les lois accordent une faveur particuliere & une préférence sur les créances ordinaires ; tels sont les frais de justice, frais funéraires, les créances d'un maçon sur la maison qu'il a construite ou réparée. Voyez PRIVILEGE.

Créances privilégiées hypothécaires, sont celles que l'on paye sur les immeubles par préférence entre les hypothécaires, & par conséquent avant toutes les créances chirographaires, même privilégiées : telle est la créance du bailleur de fonds pour le prix de la vente. Voyez PRIVILEGE.

Créance solidaire, est celle qui appartient en commun à plusieurs personnes qui sont chacune en droit d'en exiger la totalité, comme il arrive lorsque le débiteur s'est obligé de payer à chacun des créanciers la totalité de la dette, sans aucune division. Néanmoins lorsque l'un d'eux a exigé la totalité de la dette, les autres ne peuvent pas en exiger une seconde fois le payement, sauf leur recours contre celui qui a reçû.

On appelle lettre de créance, une lettre qu'un banquier ou marchand donne à un homme qui voyage, pour lui servir de lettre de change quand il aura besoin d'argent : c'est proprement une lettre de crédit.

On appelle aussi créance à la chambre des comptes, le rapport qui est fait verbalement à la chambre, de ce qui s'est passé en quelque députation ou autre commission. (A)

CREANCE, (Fauconnerie & Venerie) c'est un nom qu'on donne à la filiere ou ficelle avec laquelle on retient l'oiseau qui n'est pas bien assûré. On appelle un oiseau de peu de créance, celui qui n'est ni bon ni loyal, qui est sujet à s'essorer ou à se perdre : on dit aussi un chien de créance, de celui auquel on peut se fier.


CRÉANCIERS. m. (Jurispr.) est celui auquel il est dû quelque chose par un autre, comme une somme d'argent, une rente, du grain, ou autre espece.

Pour pouvoir se dire véritablement créancier de quelqu'un, il faut que celui qu'on prétend être son débiteur soit obligé, du moins naturellement.

On devient créancier en vertu d'un contrat ou quasi-contrat, en vertu d'un jugement, d'un délit, ou d'un quasi-délit.

Tous créanciers sont chirographaires ou hypothécaires, & les uns & les autres sont ordinaires ou privilégiés. Voyez ci-devant au mot CREANCE.

Un créancier peut avoir plusieurs actions pour la même créance, savoir une action personnelle contre l'obligé & ses héritiers, une action réelle s'il s'agit d'une charge fonciere, une action hypothécaire contre les tiers détenteurs d'héritages hypothéqués à la dette.

Il est permis au créancier, pour se procurer son payement, de cumuler toutes les contraintes qu'il a droit d'exercer, comme de faire des saisies & arrêts, & en même tems de saisir & exécuter les meubles de son débiteur, même de saisir réellement les immeubles, s'il s'agit d'une somme au moins de 200 liv. & d'user aussi de la contrainte par corps, si le titre de la créance y autorise.

Mais il n'est pas permis au créancier de se mettre de son autorité en possession des biens de son débiteur ; il faut qu'il les fasse saisir & vendre par autorité de justice.

Les créanciers sont en droit, pour la conservation de leur dû, d'exercer les droits de leur débiteur, comme de saisir & arrêter ce qui lui est dû, de former opposition en sous-ordre sur lui, de prendre de son chef des lettres de rescision contre un engagement qu'il a contracté à son préjudice, & de faire révoquer tout ce qu'il a fait en fraude des créanciers ; enfin d'accepter en son nom une succession malgré lui, en donnant caution de l'acquiter des charges.

On ne peut pas contraindre un créancier de morceler sa dette, c'est-à-dire de recevoir une partie de ce qui lui est dû, ni de recevoir en payement une chose pour une autre, ni d'accepter une délégation & de recevoir son payement dans un autre lieu que celui où il doit être fait.

Lorsque plusieurs prêtent conjointement quelque chose, chacun d'eux n'est censé créancier que de sa part personnelle, à moins qu'on n'ait expressément stipulé qu'ils seront tous créanciers solidaires, & que chacun d'eux pourra seul pour tous les autres exiger la totalité de la dette.

La qualité de créancier est un moyen de reproche contre la déposition d'un témoin ; ce seroit aussi un moyen de récusation contre un arbitre & contre un juge.

Il faut encore remarquer ici quelques usages singuliers qui se pratiquoient autrefois par rapport au créancier.

A Bourges, un bourgeois qui étoit créancier pouvoit se saisir des effets de sa caution, & les retenir pour gages sans la permission du prevôt ou du voyer.

En poursuivant le payement de sa dette, à Orléans, le créancier ne payoit aucun droit comme étranger.

Enfin au Périgord & dans le Quercy, le créancier qui avoit obtenu des lettres royaux pour appeller ses débiteurs devant les juges royaux, n'étoit pas obligé de faire les sergens royaux porteurs de ces lettres ; ce qui est contraire à l'usage présent, selon lequel l'huissier ou sergent doit être porteur de tous les titres en vertu desquels il instrumente. Voyez ci-devant CREANCE, HYPOTHEQUE, PRIORITE, PRIVILEGE, SAISIE. (A)


CRÉATS. m. (Manége) gentilhomme qui est élevé dans une académie pour se mettre en état d'enseigner l'art de monter à cheval. Il sert aussi de sous-écuyer. Dictionn. de Trév. (V)


CRÉATEURS. m. (Gramm.) est celui qui tire un être du néant. Il ne se dit proprement que de Dieu ; mais il se transporte par métaphore aux inventeurs originaux, sur-tout d'un genre. Voyez CREATION.


CRÉATIONsub. f. (Métaphys.) La création est l'acte d'une puissance infinie qui produit quelque chose, sans la tirer d'une matiere préexistante. C'est une question assez problématique, si le dogme de la création a été soûtenu par quelques philosophes payens, ou si les docteurs Juifs & les Chrétiens sont les premiers qui l'ayent enseigné. Les savans sont partagés là-dessus : le sentiment de ceux qui soûtiennent la négative par rapport aux payens, paroît le plus vraisemblable. Nous ne craindrons point d'avancer sur la foi de leurs ouvrages, que tous les philosophes anciens ont crû que la matiere premiere avoit été de toute éternité. Cela paroît en ce qu'ils n'avoient même aucun terme dans leurs langues, ni aucune façon de parler, qui exprimassent la création & l'anéantissement. " Y a-t-il un seul physicien, demande Cicéron, qui saisisse, qui conçoive ce que c'est que créer & qu'anéantir " ? Aristote, en poussant ses spéculations plus loin, ajoûte que les premiers habitans du monde ont toûjours jugé que la matiere existoit par elle-même, & sans dépendre d'aucune cause extérieure. Si elle en dépendoit, disoient-ils, on ne pourroit la connoître que par quelqu'idée qui lui seroit étrangere, qui n'auroit aucun rapport avec elle ; & cette idée dégraderoit certainement la matiere du titre de substance qui lui appartient. L'éternité de la matiere leur servoit à sauver la bonté de Dieu aux dépens de sa puissance, & à expliquer d'une maniere en apparence moins révoltante l'origine du mal moral & du mal physique. " Peut-on croire, disoit Platon dans son Timée, que ce qui est mauvais & déreglé soit l'ouvrage de Dieu ? N'est-il pas le principe & la source de toute vertu, tant en lui-même que hors de lui ? S'il avoit trouvé plus de docilité dans la terre, plus de disposition à l'ordre, sans doute qu'il l'auroit remplie de toute sorte de bien. Tel est en effet son caractere, à moins qu'il ne trouve des obstacles invincibles ". Ils étoient persuadés en général, que si Dieu avoit tiré la matiere du néant, il l'auroit aisément pliée à sa volonté, au lieu de trouver en elle un sujet rébelle. Il avoit fait cependant, disoient-ils, pour mettre l'ordre dans le monde, tout ce qui pouvoit dépendre de sa sagesse ; mais elle se trouva trop contrariée, & ne pût empêcher cet amas de desordres qui inondent l'univers, & de miseres, & de disgraces, auxquelles les hommes sont assujettis.

L'histoire de la création du monde étant la base de la loi de Moyse, & en même tems le sceau de sa mission, il est naturel de croire que ce dogme étoit universellement reçu parmi les Juifs : on regardoit même comme des hérétiques, comme des gens indignes de vivre dans le sein d'Israel, tous ceux qui disoient que la matiere est de niveau avec l'Etre souverain, qu'elle lui est coéternelle, & qu'elle ne tient point de lui son existence. Cependant comme malgré les censures, & même les punitions corporelles encore plus puissantes que les censures, il y a toûjours des esprits novateurs & incapables de plier, trois sortes de novateurs s'étoient glissés parmi les Juifs ; mais ils n'oserent bien se déclarer qu'après la captivité de Babylone, où apparemment ils apprirent à déguiser moins leurs sentimens. Le commerce des gens hardis, & qui pensent librement, inspire je ne sai quelle témérité qu'on n'auroit point de soi-même. Les uns soûtenoient qu'un monde plus imparfait avoit précédé celui-ci ; que celui-ci sera relevé successivement par une infinité d'autres, mais toûjours en diminuant de perfection ; la durée de chaque monde doit être de 7000 ans ; & la preuve qu'ils en apportoient, preuve très-vaine, très-frivole, c'est que Moyse a commencé la Genese par la lettre beth, qui est la seconde de l'alphabet hébreu, connue pour annoncer qu'il donnoit l'histoire à lui seul connue du second monde. Les autres insinuoient le même système, auquel Spinosa a depuis donné l'apparence géométrique. Les derniers novateurs enfin, plus délicats que les autres, convenoient à la vérité que les anges, les hommes, avec le monde sublunaire, avoient été créés ; mais en même tems ils disoient qu'il y a plusieurs mondes, tous sortis de Dieu par voie d'émanation, tous composés de la lumiere céleste fort épaissie. Ce qu'il y avoit de plus remarquable dans ce système, c'est qu'on avançoit les deux propositions suivantes : l'une, que Dieu n'a pû se dispenser de créer plusieurs mondes, parce que sans cela il n'auroit point rempli toute l'étendue, ni du nom de Jehovah, qui signifie celui qui existe, ni du nom d'Adonaï, qui signifie celui qui commande à des sujets : l'autre, que l'origine de tous ces mondes n'a pû être ni avancée ni reculée, parce qu'ils devoient tous paroître dans le tems même où ils ont paru. Mais le moment marqué par la sagesse de Dieu, est le seul moment où il soit digne de lui d'agir. Tous ces systèmes enfantés par le libertinage d'esprit, sont infiniment au-dessous de la noble simplicité que Moyse a sû mettre dans son histoire.

Cependant quelques peres de l'Eglise ont jugé à propos d'ajoûter quelques réflexions au récit du législateur des Juifs ; les uns, pour mieux faire connoître la toute-puissance divine ; les autres, prévenus de je ne sai quelles propriétés des nombres. " Quand Moyse assûre, dit S. Augustin, lib. II. de civit. Dei, que le monde fut créé en six jours, on auroit tort de s'imaginer, & que ce tems eût été nécessaire à Dieu, & qu'il n'eût pû le créer tout à la fois ; mais on a seulement voulu par-là marquer la solennité de ses ouvrages ". En effet, six a une distinction particuliere ; c'est le premier des nombres qui se compose de ses parties aliquotes, 1, 2, 3 : il y a même des Juifs qui ont adopté ce sentiment ; & Philon, auteur d'une assez grande réputation, & habile dans la connoissance de la loi judaïque, a traité de ridicule l'opinion qui admet la distinction des journées, qui n'est rapportée par Moyse que pour marquer quelqu'ordre qui donne une idée de génération.

Cette dispute ne faisant rien au fond de la religion, chacun peut indifféremment embrasser le sentiment qui lui paroîtra le plus probable, & pour lequel il aura plus d'inclination. Cependant je crois qu'à examiner avec un esprit philosophique les différentes opinions de la création momentanée ou de la successive, celle de la création dans un instant donne une plus grande idée de la puissance de Dieu, qui n'a pas besoin, comme un vil artisan, du tems & de la matiere pour perfectionner un ouvrage : il n'a qu'à dire que la lumiere se fasse, & la lumiere est faite ; fiat lux, & facta est lux. C'est dans cette promte obéissance de la chose créée, que se manifeste la puissance du Créateur.

Sur ce principe, on pourroit se persuader que tout ce que Dieu créa fut créé en un instant, ensemble, dans l'état le plus accompli où il devoit être créé. O Seigneur, dit un auteur inspiré, vous avez parlé, & toutes choses ont été produites ; vous avez envoyé votre esprit, & toutes choses ont été animées : nul ne résiste à votre voix. Pour la narration de Moyse, elle est liée avec tant d'ordre & de symmétrie, qu'elle pourroit aussi s'interpréter de cette maniere : Tout reçut en même tems la vie & l'existence. Mais si Dieu avoit voulu que les choses se succédassent les unes aux autres, après leur avoir imprimé la quantité de mouvement qui devoit subsister tant que le monde subsisteroit ; voici comme elles se seroient débrouillées ; distribuées, arrangées. Ainsi les six jours ne sont que les six mutations par où passa la matiere pour former l'univers, tel que nous le voyons aujourd'hui. D'ailleurs le mot de jour, dans presque toute la Genese, ne doit point se prendre pour ce que nous appellons jour artificiel, mais seulement pour un certain espace de tems : ce qui est encore à observer en d'autres endroits de l'Ecriture, où les noms d'année, de semaine, de jour, ne doivent point être reçus au pié de la lettre. Ce qui peut donner encore du poids à ce sentiment, c'est que Moyse, après avoir fait séparément l'énumération des choses qui furent créées en six jours divers, il les réduit ensuite toutes à une seule journée, ou plûtôt à un seul instant fixe. En ce jour-là, dit-il, Dieu fit le ciel & la terre, & l'herbe des champs, &c.

Pour les docteurs Chrétiens, on peut dire en général que quelques-uns des premiers siecles ne sont pas bien clairs sur cet article. Saint Justin martyr, Tertullien, Théophile d'Antioche, ont soûtenu que dans la formation du monde, Dieu n'avoit fait que rappeller les choses à un meilleur arrangement : comme il est la bonté même, dit S. Justin, il a travaillé sur un sujet rébelle, informe, & il en a fait un ouvrage utile aux hommes. Quoique tous les philosophes modernes soient persuadés de la vérité de la création, il y en a cependant quelques-uns qui regardent la question, si Dieu a fait le monde de rien, ou s'il y a employé une matiere qui existoit éternellement, plûtôt comme une question philosophique, que comme une question de religion : ils soutiennent que la révélation ne s'est point exprimée là-dessus d'une maniere positive. C'est le sentiment de deux auteurs anglois, dont l'un est Thomas Burnet, & l'autre Guillaume Whiston. Ils ont avancé que le premier chapitre de la Genese ne contenoit que l'histoire de la formation de la terre, & non du reste de l'univers qui subsistoit déjà. " En effet, remarque M. Whiston, lorsque Moyse raconte que pour manifester sa puissance Dieu créa le ciel & la terre, il n'entendoit que la terre que nous habitons & le ciel aérien, l'atmosphere qui l'enveloppe à une certaine distance. Moyse raconte ensuite que la terre étoit informe & toute nue, que les ténebres couvroient la face de l'abysme : quelle description plus énergique peut-on avoir du chaos ? Cette planete ainsi dépouillée passa par six revolutions avant que de recevoir la forme qui lui séoit le mieux. Une preuve démonstrative que l'écriture n'avoit en vûe que la formation de la terre, c'est que dans tous les endroits où elle parle de la fin du monde, ces passages ne doivent absolument s'interpréter que de la dissolution de cette même terre, & de la couche d'air qui l'environne. Ainsi l'ensemble de l'univers ne souffrit aucun changement, à notre globe près, où les élémens étoient confondus, où les principes des choses se trouvoient composés. Il y a plus : quand l'historien des Juifs prononce que le ciel & la terre furent créés ensemble, on doit sousentendre qu'ils le furent dans un tems antérieur ; mais que la terre étant devenue peu-à-peu chaos, Dieu lui rendit son premier lustre, son premier arrangement ; ce qui approchoit assez d'une nouvelle création ". Il est certain que la hardiesse de l'auteur anglois a quelque chose de frappant ; mais il faut avoüer qu'elle est dénuée de preuves.

Pour revenir aux anciens philosophes, ils ont tous cru que la matiere avoit été de toute éternité, & n'ont disputé entr'eux que de la différence du tems où l'arrangement & l'ordre que nous voyons dans l'univers avoient commencé. Cela ne doit point nous paroître surprenant de leur part, ils croyoient bien que Dieu étoit lui-même matériel. On peut les ramener à trois classes différentes : les uns croyoient que la regle & la disposition que nous admirons aujourd'hui avoient été produites & formées par une premiere cause intelligente, qu'ils faisoient coéternelle avec la matiere ; les autres pensoient que le hasard & le concours fortuit des atomes avoient été, pour ainsi dire, les premiers ouvriers qui eussent donné l'ordre à l'univers ; il y en a eu enfin plusieurs qui ont soûtenu que le monde, tel que nous le voyons, étoit éternel, & que l'arrangement n'étoit point postérieur à la matiere.

Quand on réfléchit sur l'histoire du monde, & sur toutes les connoissances qu'on pouvoit tirer de tous les monumens de l'antiquité, il est difficile de s'imaginer qu'on ait pû croire que ce monde avoit été de toute éternité. Mais d'un autre côté quand on pense qu'il falloit que la raison atteignit jusqu'à la création, on ne peut que plaindre l'esprit humain de le voir occupé à un travail si fort au-dessus de ses forces ; il étoit dans un détroit plein d'abysmes & de précipices. Car ne connoissant pas de puissance assez grande pour créer la matiere de l'Univers, il falloit nécessairement dire, ou que le monde étoit de toute éternité, ou que la matiere étant en mouvement l'avoit produit par hasard. Il n'y a point de milieu, il falloit prendre son parti, & choisir l'une ou l'autre de ces deux extrémités. C'est aussi à quoi on fut réduit ; & tous les Philosophes, excepté ceux qui attribuoient la formation de l'univers au mouvement des atomes, crurent que le monde étoit éternel.

Censorin, dans son traité du jour natal, parlant de l'éternité du monde, dit que cette opinion a été suivie par Pythagore, Lucain, & Archytas de Tarente, tous philosophes Pythagoriciens ; mais encore, ajoûte-t-il, Platon, Xenocrate, & Dicéarque de Messine, & tous les philosophes de l'ancienne académie, n'ont pas eu d'autres sentimens. Aristote, Theophraste, & plusieurs célebres Péripateticiens ont écrit la même chose, & en donnoient ces raisons : 1°. que Dieu & la Nature ne seroient pas toûjours ce qu'il y a de meilleur, si l'univers n'étoit éternel, puisque Dieu ayant jugé de tout tems que l'arrangement du monde étoit un bien, il auroit differé de le produire pendant toute l'éternité : 2°. qu'il est impossible de décider si les oiseaux ont été avant les oeufs, ou les oeufs avant les oiseaux. De sorte qu'ils concluoient que le monde étant éternel, toutes choses avoient été & seroient dans une vicissitude mutuelle de générations. Les philosophes Grecs avoient été prévenus par les Egyptiens dans l'opinion de l'éternité du monde ; & peut-être les Egyptiens l'avoient-ils été par d'autres peuples dont nous n'avons aucune connoissance. Mais nous ne pouvons en être éclaircis ; car c'est en Egypte où nous découvrons les premieres traces de la Philosophie. Les prêtres étoient ceux qui s'y appliquoient le plus ; mais généralement tous les Egyptiens croyoient & admettoient deux divinités premieres & éternelles, le Soleil & la Lune, qui gouvernoient tout l'univers. Quoique ce système ne supposât point entierement le monde éternel, cependant il approchoit beaucoup de celui d'Aristote, en supposant l'éternité du Soleil & de la Lune. Il étoit beaucoup moins absurde que celui qui rendoit le hasard la cause de l'arrangement de l'univers, au lieu que les deux premiers principes intelligens que supposoient les Egyptiens, leur faisoient trouver aisément la cause de l'ordre & de sa continuation. Ils n'étoient plus surpris de la justesse que nous appercevons dans le cours des astres & dans les arrangemens des saisons, puisque la regle avoit été faite & étoit encore conservée par des êtres intelligens & éternels.

Mais si le système de l'éternité du monde étoit plus suivi & mieux raisonné que celui des Epicuriens, le système de ces derniers avoit sur l'autre beaucoup d'avantages, que lui fournissoient les vestiges sensibles qu'on rencontroit par tout de la jeunesse & de la nouveauté du monde. Pour se tirer d'affaire, on avoit recours aux déluges & aux embrasemens. Mais rien n'est plus vain ni plus frivole que cette réponse ; car ces inondations & ces embrasemens n'ayant pû consumer que quelques contrées, puisqu'un déluge ou embrasement universel n'est possible que dans l'ordre surnaturel, le monde ne seroit pas retombé dans sa premiere enfance par ces desordres. Les nations conservées auroient reçu ceux qui seroient échappés à ces malheurs, & leur auroient communiqué leurs avantages. A supposer même que ces tristes restes du genre humain eussent subsisté seuls, & qu'ils eussent été engagés à repeupler la terre, ils n'auroient pas oublié les commodités nécessaires à la vie : quand même ils auroient voulu négliger la culture des arts & des sciences ; les maisons, les navires, le pain, le vin, les lois, la religion, étoient de ces choses nécessaires, qu'un déluge ou un embrasement ne pouvoit effacer de la mémoire des hommes, sans détruire entierement le genre humain. On auroit quelque monument, quelque tradition, quelque petit recoin dans l'histoire, qui nous laisseroient entrevoir ces inondations & ces embrasemens, au lieu qu'on ne les trouve que dans les conjectures, ou dans la seule fantaisie des philosophes entêtés du système de la prétendue éternité du monde. Ainsi il faut nécessairement demeurer d'accord que toute l'histoire de l'Univers réclame contre cette absurdité.

Mais pourquoi tant d'habiles gens ont-ils embrassé un système si incompatible avec l'histoire ? Les raisons n'en sont pas difficiles à trouver. Il n'y avoit point de milieu entre le sentiment d'Epicure, qui attribuoit la formation de l'Univers au concours fortuit des atomes, & l'opinion de l'éternité du monde. Car la création n'a été connue que par la révélation ; la raison humaine n'avoit pas assez de force d'elle-même pour faire cette découverte. Ainsi étant réduits à la nécessité de choisir un monde éternel, ou un monde formé par l'aveugle hasard, ils trouvoient beaucoup moins de difficultés à prendre le parti de l'éternité, tout contraire qu'il étoit à l'histoire, contre le concours fortuit des atomes, qui tout téméraire & aveugle qu'il est, auroit formé néanmoins un ouvrage le plus sage & le plus constant que l'esprit humain se pût figurer, un ouvrage permanent, uniforme, & toûjours conduit par une sagesse simple dans ses voies & féconde dans ses effets.

A peser les difficultés, ils en trouvoient beaucoup moins dans leur système, & ils avoient raison. Mais comme d'un autre côté, ni l'histoire, ni les monumens du monde, ni la nouveauté des Sciences & des Arts, ne pouvoient s'allier avec ce systême de l'éternité ; pressés qu'ils étoient de ces objections par les Epicuriens, ils coupoient ce noeud indissoluble par leurs inondations & leurs embrasemens inventés à plaisir, & démentis par l'histoire. C'est un misérable retranchement à l'impiété, de n'avoir que ce refuge imaginaire.

Il y a eu, à la vérité, des philosophes qui ont parlé d'un esprit, d'un Dieu. Mais ils ne laissoient pas de croire l'éternité du monde : les uns, parce qu'ils ne pouvoient concevoir une matiere créée, ni comment cet esprit auroit pû la disposer à sa volonté ; ensorte que le dieu qu'ils admettoient étoit un être inutile & sans action ; & les autres, parce qu'ils regardoient le monde comme une suite & une dépendance de Dieu, comme la chaleur l'est du Soleil. Les premiers raisonnoient ainsi : la matiere étant incréée, Dieu ne peut la mouvoir ni en former aucune chose ; car Dieu ne peut remuer la matiere ni l'arranger avec sagesse sans la connoître. Or Dieu ne peut la connoître s'il ne lui donne l'être. Car Dieu ne peut tirer ses connoissances que de lui-même ; rien ne peut agir en lui ni l'éclairer. Il ne connoît donc point la matiere, & par conséquent il ne peut agir sur elle. D'ailleurs comment auroit-il pû agir sur elle, & de quels instrumens se seroit-il servi pour cela ?

Ce sujet a servi quelquefois de raillerie aux plus beaux esprits du paganisme. Lucien, dans un de ses dialogues, dit qu'il y a des sentimens différens touchant l'origine du monde ; que quelques-uns disent que n'ayant point eu de commencement, il n'aura point aussi de fin ; que d'autres ont osé parler de l'auteur de l'univers ; & de la maniere dont il a été formé : il pouvoit bien avoir en vûe les Chrétiens. J'admire, poursuit-il, ces gens par-dessus tous les autres, en ce qu'après avoir supposé un auteur de toutes choses, ils n'ont pas ajoûté d'où il étoit venu, ni où il demeuroit quand il fabriquoit le monde, puisqu'avant la naissance de l'univers on ne peut se figurer ni tems ni lieu. Cicéron s'est fort appliqué à détruire l'opinion de la formation de l'univers par une cause intelligente, dans son traité de la nature des dieux, qui est un ouvrage fait exprès pour établir l'athéisme. Il dit en se moquant, qu'on a recours à une premiere cause pour former l'univers, comme à un asyle. Ailleurs il demande de quel instrument ce Dieu se seroit servi pour façonner son ouvrage. Aristote se moque aussi d'Anaxagore, & dit, qu'il employe son mens comme une machine pour former le monde ; car Anaxagore étoit le premier des philosophes qui eût parlé de mens ou d'un être intelligent, pour mettre en ordre les corps ou la matiere qui subsistoit de toute éternité. Platon vouloit que les corps fûssent en mouvement quand Dieu voulut les arranger ; mais Plutarque, tout sage qu'il étoit, se moque de ce Dieu de Platon, & demande d'un ton ironique s'il existoit lorsque les corps commencerent à se mouvoir. S'il étoit, ajoûte-t-il, ou il veilloit, ou il dormoit, ou il ne faisoit ni l'un ni l'autre. On ne peut point dire qu'il n'ait pas existé, car il est de toute éternité. On ne peut point dire aussi qu'il ait dormi ; car dormir de toute éternité, c'est être mort. Si on dit qu'il veilloit, il demande s'il manquoit quelque chose à sa béatitude, ou s'il n'y manquoit rien. S'il avoit besoin de quelque chose, il n'étoit pas Dieu. S'il ne lui manquoit rien, à quoi bon former le monde ? Si Dieu gouverne le monde, ajoûte-t-il, pourquoi arrive-t-il que les méchans soient heureux pendant que les bons sont dans l'adversité ?

Les autres qui faisoient intervenir l'action de Dieu dans l'arrangement du monde, n'en soûtenoient pas moins son éternité. Car, disoient-ils, il est impossible que Dieu fasse autre chose que ce qu'il fait, à cause que sa volonté est immuable & ne peut recevoir aucun changement ; desorte qu'elle ne peut vouloir faire autre chose que ce qu'elle fait actuellement. On peut assûrer que ce sont là les seules raisons de l'impiété de tous les tems. Ce sont ces objections qui ont poussé les philosophes à parler de l'éternité du monde ; car n'ayant pû comprendre comment Dieu auroit pû agir pour former le monde, ni, supposé qu'il pût agir, comment il auroit laissé passer une éternité sans le créer, & le concevant d'ailleurs comme une cause qui agit nécessairement, ils se sont déterminés à croire que le monde étoit éternel, malgré la foi de toutes les histoires qui démentoient leur systême.

Le sophisme de ces raisonnemens vient de ce qu'un être spirituel est difficile à connoître, & de ce que nous ne pouvons comprendre l'éternité. On est inquiet de savoir ce qu'a fait l'auteur de l'univers pendant cette éternité que le monde n'a pas existé. A cela je répons : si par le nom de Dieu vous entendez un corps, une matiere qui ait été en mouvement, on ne pourra satisfaire à votre question ; car il est impossible de se représenter une cause en action, une matiere en mouvement, un Dieu faisant ses efforts pour produire le monde, & ne pouvant le former qu'après avoir été une éternité en mouvement. Mais si on se représente Dieu comme un esprit, on apperçoit cet être dans ce que nous en connoissons par nous-mêmes, capable de deux actions fort différentes ; savoir, des pensées qu'il renferme dans son propre sein, & qui sont ses actions les plus naturelles ; & d'une volonté, par laquelle il peut encore produire des impressions sur les corps. C'est sa vie, son action. C'est ce qu'il faisoit avant de créer le monde par sa volonté, de même, à-peu-près, que nous voyons un homme longtems en repos, occupé de ses propres pensées, & concentré tout entier dans lui-même. Cela n'implique aucune contradiction, & ne renferme aucunes difficultés à beaucoup près comparables à celles qui se trouvent dans le systême d'une matiere qui ait été en mouvement de toute éternité sans rien produire. Tout ce qu'on peut objecter se réduit à dire, que la comparaison de l'homme réfléchissant sur lui-même & de Dieu renfermé en lui-même est fausse, en ce que l'homme discourt & que Dieu ne discourt point. L'esprit humain est occupé dans la méditation, parce qu'il passe du connu à l'inconnu, qu'il forme des raisonnemens, qu'il acquiert des connoissances, & que le spectacle de ses pensées est toûjours nouveau ; au contraire l'intelligence divine voit en un instant presqu'indivisible, & d'un seul acte, tout ce qu'il y a d'intelligible. La contemplation de Dieu est d'autant plus oisive, qu'il ne peut pas même se féliciter d'être ce qu'il est. Il n'y a aucune philosophie à l'occuper à méditer la production des mondes. Méditer la production d'un ouvrage, c'est la précaution raisonnable d'un être fini qui craint de se tromper. Donc nous ne savons quelles étoient les pensées de Dieu avant la création des mondes ; j'en conviens. Donc il n'y avoit point de Dieu ; je le nie : c'est mal raisonner que d'inférer la non-existance d'une chose, de l'ignorance où l'on est sur une autre.

Mais pourquoi le monde n'a-t-il pas été créé de toute éternité ? C'est que le monde n'est pas une émanation nécessaire de la divinité. L'éternité est le caractere de l'indépendance ; il falloit donc que le monde commençât. Mais pourquoi n'a-t-il pas commencé plutôt ? Cette question est tout-à-fait ridicule ; car s'il est vrai que le monde a dû commencer, il a fallu qu'une éternité précédât le tems ; & s'il a fallu qu'une éternité précédât le tems, on ne peut plus demander pourquoi Dieu n'a pas fait plutôt le monde. Il est visible que le tôt ou le tard sont des propriétés du tems & non de l'éternité : & si l'on supposoit que Dieu eût créé le monde plutôt qu'il n'a fait d'autant de millions d'années qu'il y à de grains de sable sur le rivage des mers, ne pourroit-on pas encore demander d'où vient qu'il n'auroit pas commencé plutôt ? Ainsi il suffit de dire qu'une éternité a dû le précéder, pour faire comprendre qu'il n'a été créé ni trop tôt ni trop tard.

Les philosophes s'embarrassoient de savoir si les oiseaux avoient été avant les oeufs, ou les oeufs avant les oiseaux ; & ne pouvant décider cette question, ils se sauvoient dans l'éternité du monde, & soûtenoient qu'il devoit y avoir une espece de cercle dans les semences, & que les oeufs & les oiseaux avoient toûjours été engendrés & produits alternativement l'un par l'autre, sans que leur espece eût jamais eu ni origine ni commencement. Quand on suppose un créateur de l'univers, cette difficulté tombe aussitôt ; car on conçoit clairement qu'il créa toutes les especes d'animaux qui sont sur la terre, qui se conserverent ensuite par la génération. Mais la difficulté seroit beaucoup plus grande à supposer l'éternité du monde, parce que le monde étant en mouvement, il semble qu'il y ait de la contradiction à supposer un mouvement éternel. Car tout mouvement étant successif, une partie va devant l'autre, & cela ne peut compatir avec l'éternité. Par exemple, le jour & la nuit ne peuvent être en même tems, en même pays ; par conséquent il faut nécessairement que la nuit ait précédé le jour, ou que le jour ait existé le premier : si la nuit a précédé le jour, il s'ensuit démonstrativement que le jour n'est pas éternel, puisque la nuit aura existé auparavant ; il en est de même du jour.

Ces mêmes philosophes ont eu recours à l'éternité du monde, parce qu'ils ne pouvoient comprendre de quels instrumens Dieu se seroit servi, ni comment il auroit agi pour mettre la matiere de l'univers dans l'ordre où nous la voyons. Cette difficulté se seroit encore dissipée, s'ils eussent fait alternativement réflexion sur les mouvemens du corps humain, que nous déterminons par le seul acte de la volonté. On marche, on s'assied quand on veut. Pour remonter jusqu'à la premiere origine de ce mouvement & de ce repos, il faut nécessairement parvenir à l'acte de la volonté. On connoît bien par l'anatomie du corps humain, comme cette machine peut se mouvoir. On voit des os emboîtés les uns dans les autres, pour se tourner & pour se plier ; on voit des muscles attachés à ces os, pour les tirer ; on trouve des nerfs dans ces muscles ; qui servent de canaux aux esprits animaux. On sait encore que ces esprits animaux peuvent être déterminés à couler d'un côté plûtôt que d'un autre, par les différentes impressions des objets ; mais pourquoi arrive-t-il que tant que la machine est bien constituée, ils sont toûjours disposés à se répandre du côté où la volonté les détermine ? Il n'y a sans contredit que le seul acte de ma volonté qui cause cette premiere détermination aux esprits animaux : donc la connoissance que l'homme a de lui-même, nous donne l'idée d'une cause qui agit par sa volonté. Appliquons cette idée à l'esprit éternel, nous y verrons une cause agissante par sa volonté, & cette volonté sera le seul instrument qu'il aura employé pour former l'univers.

La supériorité de l'esprit sur le corps ne contribuera pas peu à nous faire comprendre la possibilité de la création de la matiere. En effet, quand on considere la matiere par rapport à l'esprit, on conçoit d'abord sans aucune peine que la matiere est infiniment au-dessous de l'esprit ; elle ne sauroit l'atteindre, ni l'aborder, ni agir directement sur lui : tout ce qu'elle peut faire, ne va qu'à lui donner occasion de former des idées qu'il tire de son propre fonds. Mais quand on considere l'esprit par rapport à la matiere, on reconnoît en lui une supériorité & éminence de pouvoir qu'il a sur elle. L'esprit a deux facultés, par lesquelles il connoît & il veut. Par la connoissance il pénetre toutes les propriétés, toutes les actions du corps ; il connoît son étendue ou sa quantité, les rapports que les figures ont les unes avec les autres, & compose d'après cela la science des Mathématiques ; il examine les nombres & les proportions, par l'Arithmétique & l'Algebre ; il considere les mouvemens, & forme des regles & des maximes pour les-connoître : en un mot, il paroît par les sciences qu'il n'y a point de corps sur lequel l'esprit n'exerce ou ne puisse exercer ses opérations.

Le pouvoir que l'esprit a sur le corps paroîtra encore plus sensiblement, si on considere la volonté ; c'est d'elle que dépend la premiere détermination des esprits animaux qui coulent dans mon bras. C'est déja beaucoup d'avoir un mode du corps très-réel & très-positif, comme le mouvement, qui est produit par le seul acte de ma volonté. Si donc ma volonté peut produire une direction de mouvement, disons même un mouvement dans mon corps, il n'est pas impossible qu'une volonté en produise ailleurs ; car mon corps n'est pas d'une autre espece que les autres, pour donner lui-même plus de prise sur lui à ma volonté, qu'un autre corps : il n'est donc pas impossible qu'il y ait un esprit qui agisse par sa volonté sur l'univers, & qu'il y produise des mouvemens. Or si cet esprit a un pouvoir infini ; rien n'empêche de concevoir qu'il ait pû créer la matiere par sa puissance infinie, qui est sa volonté. 1°. On ne sauroit douter qu'il n'y ait un Etre qui agisse par sa volonté : c'est ainsi que notre esprit agit ; nous le sentons, nous en sommes intimement persuadés. D'un autre côté, il ne peut y avoir d'obstacle de la part du néant, car le néant ne peut agir. De plus nous connoissons & nous sentons que notre volonté produit chez nous des déterminations, des mouvemens qui n'étoient pas auparavant, & qu'elle tire, pour ainsi dire, du néant ; de sorte que tirer le mouvement du néant, ou en tirer la matiere, c'est une même espece d'opération, qui demande seulement une volonté plus puissante. Si cette opération de l'esprit est si difficile à saisir, c'est qu'on veut se la représenter par l'imagination : or comme l'imagination ne peut se former l'idée du néant, il faut nécessairement, tant qu'on se sert de cette faculté, se représenter un sujet sur lequel on agisse ; & cela est si véritable, qu'on a posé pour maxime qu'il faut approcher & toucher ce sujet sur lequel on agit, nemo agit in distans. Mais si l'on fait taire les sens & l'imagination, on trouve que ces deux maximes sont fausses. Quand je dis, par exemple, que de rien on ne peut rien faire, où est, je vous prie, le sujet sur lequel mon esprit s'exerce présentement ? De même : quand on considere attentivement l'opération d'une volonté, on conçoit clairement qu'elle doit produire elle-même son sujet, bien-loin qu'elle suppose un sujet pour agir : car qu'est-ce qu'un acte de volonté ? Ce n'est pas une émanation de corps, qui puisse ou qui doive toucher un autre corps pour agir ; c'est un acte purement spirituel, incapable d'attouchement & de mouvement : il faut donc nécessairement qu'il produise lui-même son effet, qui est son propre sujet. Je veux remuer mon bras, & à l'instant une petite écluse s'ouvre, qui laisse couler les esprits dans les nerfs & dans les muscles, qui causent le mouvement de mon bras. Je demande qui a causé l'ouverture de cette petite écluse ? C'est sans contredit l'acte de ma volonté. Comment l'a-t-il ouverte ? car cet acte n'est pas un corps, il n'a pû la toucher : il faut donc nécessairement qu'il l'ait produite par sa propre vertu.

Posons présentement une volonté infinie & toute-puissante : ne faudra-t-il pas dire que comme je conçois que je marche en vertu d'un acte de ma volonté, aussi la matiere doit-elle exister par une opération de cette volonté toute-puissante ? Un être qui a toutes les perfections, doit nécessairement avoir celle de faire & de produire tout ce qu'il veut.

Le fameux axiome, rien ne se fait de rien, est vrai en un certain sens ; mais il est entierement faux dans celui auquel les Athées le prennent. Voici les trois sens dans lesquels il est vrai. 1°. Rien ne peut sortir de soi-même du néant, sans une cause efficiente. De ce principe découle cette vérité, que tout ce qui existe n'a pas été fait, mais qu'il y a quelque chose qui existe nécessairement & par soi-même : car si tout avoit été fait, il faudroit nécessairement que quelqu'être se fût fait, ou fût sorti de lui-même du néant. 2°. Rien ne peut être produit du néant par une cause efficiente, qui ne soit pour le moins aussi parfait que son effet, & qui n'ait la force d'agir & de produire. 3°. Rien de ce qui est produit d'une matiere préexistante, ne peut avoir aucune entité réelle qui ne fut contenue dans cette matiere ; de sorte que toutes les générations ne sont que des mélanges, ou de nouvelles modifications d'êtres qui étoient déjà. Ce sont les sens dans lesquels il est impossible que rien se fasse de rien, & qui peuvent être reduits à cette maxime générale, que le néant ne peut être ni la cause efficiente, ni la cause matérielle de rien. C'est-là une vérité incontestable, mais qui, bien-loin d'être contraire à la création ou à l'existance de Dieu, sert à les prouver d'une maniere invincible.

En effet, 1°. s'il étoit vrai en général qu'aucun être ne peut commencer à exister, il ne pourroit y avoir aucune cause qui fît quoi que ce soit : il n'y auroit point d'action ni de mouvement dans le monde corporel, & par conséquent aucune génération ni aucun changement. Or nous portons en nous-mêmes l'expérience du contraire, puisque nous avons le pouvoir de produire de nouvelles pensées dans notre ame, de nouveaux mouvemens dans notre corps, & des modifications dans les corps qui sont hors de nous. Il est vrai que les Athées restreignent leur assertion aux substances, & disent qu'encore qu'il puisse y avoir de nouveaux accidens, il ne se peut pas faire néanmoins qu'il y ait de nouvelles substances ; mais dans le fond ils ne peuvent rendre aucune raison solide pourquoi l'un est plus impossible que l'autre, ou pourquoi il ne peut y avoir aucun être qui fasse de nouvelles substances. Ce qui produit ce préjugé, ce sont les idées confuses que l'on emprunte de la production des choses artificielles, où tout se fait d'une matiere préexistante, à laquelle on donne seulement de nouvelles modifications. Nous nous persuadons mal-à-propos qu'il en est des productions d'un Etre infini, comme des nôtres ; nous en concluons qu'il n'y a aucune puissance dans l'univers qui puisse faire ce qui nous est impossible, comme si nous étions la mesure de tous les êtres : mais puisqu'il est certain que les êtres imparfaits peuvent eux-mêmes produire quelque chose, comme de nouvelles pensées, de nouveaux mouvemens & de nouvelles modifications dans les corps, il est raisonnable de croire que l'Etre souverainement parfait va plus loin, & qu'il peut produire des substances. On a même lieu de croire qu'il est aussi aisé à Dieu de faire un monde entier, qu'à nous de remuer le doigt : car dire qu'une substance commence à exister par la puissance de Dieu, ce n'est pas tirer une chose du néant dans les sens que nous avons ci-dessus reconnus pour impossibles. Il est vrai que la puissance infinie ne s'étend pas à ce qui implique contradiction ; mais c'est ici précisément, où les adversaires de la création sont défiés de prouver, qu'encore qu'il ne soit pas impossible de tirer du néant un accident ou une modification, il est absolument impossible de créer une substance ; c'est ce qu'ils ne démontreront jamais.

2°. Si rien ne peut être tiré du néant dans le sens que nous soûtenons, il faut que toutes les substances de l'univers existent, non-seulement de toute éternité, mais même nécessairement & indépendamment de toute cause ; or on peut dire que c'est-là effectivement faire sortir quelque chose du néant, dans le sens naturel auquel cela est impossible, c'est-à-dire faire le néant la cause de quelque chose : car, comme lorsque les Athées assûrent que rien ne se peut mouvoir soi-même, & qu'ils supposent en même tems que le mouvement a été de toute éternité, c'est-là tirer le mouvement du néant dans le sens auquel cela est impossible ; de même ceux qui font les substances existantes par elles-mêmes, sans que l'existance nécessaire soit renfermée dans leur nature, tirent du néant l'existance des substances.

3°. Si toutes les substances étoient éternelles, ce ne seroit pas seulement la matiere ou les atomes destitués de qualités, qui existeroient par eux-mêmes de toute éternité, ce seroit aussi les ames. Il n'y a point d'homme tant soi peu raisonnable, qui puisse s'imaginer que lui-même, ou ce qui pense en lui, n'est pas un être réel, pendant qu'il voit que le moindre grain de poudre emporté par le vent, en est un. Il est visible aussi que l'ame ne peut pas naître de la matiere destituée de sentiment & de vie, & qu'elle ne sauroit en être une modification. Ainsi si aucune substance ne peut être tirée du néant, il faut que toutes les ames humaines, aussi-bien que la matiere & les atomes, ayent existé non-seulement de toute éternité, mais encore indépendamment de tout autre être. Mais les Athées sont si éloignés de croire l'éternité de l'ame humaine, qu'ils ne veulent en aucune maniere admettre son immortalité ; s'ils avoüoient qu'il y eût des êtres intelligens immortels, ils seroient en danger d'être obligés de reconnoître une Divinité.

4°. La matiere n'est pas coéternelle avec Dieu, d'où il s'ensuit qu'elle a été créée : en voici la preuve. Ou la matiere est infinie dans son étendue, ensorte qu'il n'y ait aucun espace qui n'en soit absolument pénétré ; ou elle est bornée dans son étendue, de façon qu'elle ne remplisse pas toutes les parties de l'espace : or soit qu'elle soit finie, soit qu'elle soit infinie dans son étendue, elle n'existe pas nécessairement. 1°. Si elle est finie, dès-là elle est contingente : pourquoi ? parce que si un être existe nécessairement, on ne peut pas plus concevoir sa non-existance, qu'il n'est possible de concevoir un cercle sans sa rondeur, l'existance actuelle n'étant pas moins essentielle à l'être qui existe nécessairement, que la rondeur l'est au cercle. Or si la matiere est finie, & qu'elle ne remplisse pas tous les espaces, dès-lors on conçoit sa non-existance. Si on peut la concevoir absente de quelques parties de l'espace, on pourra supposer la même chose pour toutes les parties de l'espace ; il n'y a point de raison pour qu'elle existe dans une partie de l'espace plûtôt que dans toute autre : donc si elle n'existe pas nécessairement dans toutes les parties de l'espace, elle n'existera nécessairement dans aucune : & par conséquent si la matiere est finie, elle ne sauroit exister nécessairement. Il reste donc à dire que l'éternité ne peut convenir à la matiere qu'autant qu'elle est infinie, & qu'elle remplit toutes les parties de l'espace, de sorte que le plus petit vuide soit impossible : or je soûtiens que la matiere considérée sous ce dernier aspect, ne peut exister nécessairement. Voici sur quoi je me fonde. La matiere qui compose le monde, doit être susceptible de mouvement, puisque le mouvement est l'ame & le ressort de ce vaste univers : or en admettant une fois une matiere infiniment diffuse, qui remplisse toutes les parties de l'espace, le mouvement devient alors impossible. Je pourrois faire valoir ici toutes les raisons qu'on allegue contre les Cartésiens, qui bannissent absolument le vuide de l'univers, & qui tâchent de concilier le mouvement avec le plein ; mais ce n'est pas là de quoi il est question. Les Cartésiens eux-mêmes seront les premiers à m'accorder que si la matiere existe nécessairement, le mouvement ne sauroit y être introduit de quelque maniere que ce soit : car d'où pourroit naître en elle le mouvement ? ou il seroit inhérent à sa nature, ou il lui seroit imprimé par quelque cause distinguée d'elle ; or on ne peut dire ni l'un ni l'autre. Que le mouvement lui soit naturel, ou qu'elle l'ait reçu de Dieu, peu importe ; ce qu'il y a de certain, c'est que ce mouvement une fois introduit dans la matiere, influera sur les parties qui la composent, les transportera d'un lieu à un autre lieu, les placera diversement les unes par rapport aux autres, en un mot en formera diverses combinaisons : or si la matiere est infinie & qu'elle existe nécessairement, tous ces déplacemens & toutes ces combinaisons, effets naturels du mouvement, deviendront impossibles : la raison en est que chaque partie de matiere existera nécessairement dans la partie de l'espace qu'elle occupe. Ce n'est pas le hazard qui l'aura placée là plûtôt qu'ailleurs, ni dans le voisinage de telles parties plûtôt que dans le voisinage d'autres : la même raison qui fait qu'elle existe nécessairement, fait aussi qu'elle existe dans un endroit plûtôt qu'ailleurs. C'est ici qu'a lieu la raison suffisante de M. Leibnitz. Donc si la matiere existe nécessairement, le mouvement devient impossible.

La création de rien est donc conforme à la raison ; elle éleve la puissance de Dieu au plus haut degré, & elle arrache jusqu'aux racines de l'athéisme. Cet Article est en grande partie de M. Formey.


CRECELLECRESSERELLE, CERCERELLE ou QUERCERELLE, tinnunculus, (Hist. nat. Ornitholog.) cenchris. Cet oiseau pese neuf onces ; il a treize pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergure est de deux pieds quatre pouces ; le bec est court, crochu, pointu ; la partie supérieure est blanche, & la pointe noirâtre : il y a une membrane jaune autour des narines, & deux appendices à l'endroit où le bec se recourbe, qui frottent contre la partie inférieure : la langue est fourchue : les paupieres sont jaunâtres : l'ouverture de la bouche est grande, & le palais de couleur bleue.

La tête est grande, le sommet large, applati, de couleur cendrée, & parsemé de petites lignes noires longitudinales ; le dos, les épaules & les petites plumes des ailes sont rousses & marquées de taches noires à la pointe ; le croupion est de couleur cendrée, & les tuyaux des plumes sont noirs ; la poitrine & le ventre ont une couleur rousse-pâle, avec des taches noires qui suivent la longueur des plumes : il y a ordinairement deux taches sur chacune ; l'une des taches vers la pointe, l'autre dans le milieu, & une ligne noire qui s'étend de l'une des taches à l'autre. On ne voit point de taches noires sur les plumes du menton & du bas-ventre, qui sont d'une couleur rousse plus foncée. Les cuisses ont la même couleur que le bas-ventre, mais on y voit quelques petites taches noires. Il y a environ vingt-quatre grandes plumes dans les ailes ; les premieres sont brunes, & tachées de blanc sur les barbes extérieures ; les taches sont disposées de façon qu'elles représentent une sorte de scie : la couleur des six ou sept dernieres plumes est rousse ; les barbes intérieures de ces plumes sont entrecoupées de bandes brunes transversales ; toute la face inférieure de l'aile est blanche, & parsemée de taches brunes.

La queue est composée de douze plumes qui ont sept pouces de longueur ; les plumes extérieures sont les plus courtes, & les autres sont toûjours de plus en plus longues jusqu'à celles du milieu. La pointe de ces plumes est de couleur blanchâtre tirant sur le roux, & plus bas il y a une large bande noire & transversale : le reste de la queue est de couleur cendrée, avec des taches noires : les ailes sont très-longues, & s'étendent presque jusqu'à l'extrémité de la queue : les pattes sont d'un beau jaune, & les ongles noirs.

Le mâle differe de la femelle en ce qu'il est plus petit, & que les plumes de la tête & du dos sont de couleur cendrée : la femelle n'est pas plus grosse qu'un pigeon.

On apprivoise facilement la crecelle, & on la dresse pour la chasse, comme les autres oiseaux de proie ; elle ne prend pas seulement les petits oiseaux, mais encore les perdreaux ; elle niche dans des creux de chêne & d'autres arbres ; elle ne fait pas son nid sur les branches, comme les corneilles, mais dans des trous, comme le chouca ; elle ne pond jamais plus de quatre oeufs, qui sont blancs, parsemés de taches rougeâtres. Willughby. Voyez OISEAU. (I)


CRECHES. f. (Hist. ecclés.) mangeoire des animaux. S. Luc raconte que la sainte Vierge & S. Joseph n'ayant pû trouver place dans l'hôtellerie publique, furent obligés de se retirer dans l'étable où la sainte Vierge mit au monde Jesus-Christ, & l'ayant emmailloté, le coucha dans une creche. Les anciens peres qui parlent du lieu de la naissance du Sauveur, marquent toûjours qu'il naquit dans une caverne creusée dans le roc. S. Justin & Eusebe disent que ce lieu n'est pas dans la ville de Bethléem, mais à la campagne près de la ville. Ils en devoient être mieux informés que d'autres, puisque S. Justin étoit du pays, & qu'Eusebe y avoit sa demeure. Saint Jérome met cette caverne à l'extrémité de la ville de Bethléem, vers le midi.

La sainte Vierge fut obligée de mettre l'enfant Jesus nouveau-né dans la creche de l'étable où elle étoit, parce qu'elle n'avoit point de berceau ni d'autre lieu où le placer. La creche étoit apparemment ménagée dans le rocher, & il pouvoit y avoir au-dedans de la creche de pierre une auge de bois où l'enfant Jesus fut couché. La creche que l'on conserve à Rome est de bois. Un auteur latin cité dans Baronius sous le nom de S. Chrysostome, dit que la creche où Jesus-Christ fut mis étoit de terre, & qu'on l'avoit ôtée pour mettre en sa place une creche d'argent.

Les Peintres ont accoûtumé de représenter auprès de la creche du Sauveur un boeuf & un âne. On cite pour ce sentiment le passage d'Isaïe : le boeuf a reconnu son maître, & l'âne la creche de son seigneur ; & ces autres d'Abacuc, vous serez connu au milieu de deux animaux ; & plusieurs peres disent que Jesus-Christ dans la creche a été reconnu par le boeuf & par l'âne : L'auteur du poëme sous le nom de Lactance, est exprès pour ce sentiment, aussi-bien que l'auteur du livre des promesses cité sous le nom de S. Prosper. Mais nonobstant ces autorités, plusieurs critiques doutent que le boeuf & l'âne ayent été dans l'étable de Bethléem, ni l'Evangile ni les anciens peres ne l'ayant point remarqué, & les passages d'Isaïe & d'Abacuc, que l'on cite pour le prouver, ne le marquant pas distinctement. Calmet, diction. de la bible. (G)

CRECHE, (Hydr.) espece d'éperon bordé d'une file de pieux, & rempli de maçonnerie devant & derriere les avant-becs de la pile d'un pont. C'est encore une file de pieux en maniere de bâtardeau rempli de maçonnerie, pour empêcher que l'eau ne dégravoye un pilotis. (K)

CRECHE, Voyez MANGEOIRE.


CRÉDENCEsub. f. en Architecture, est dans un bâtiment le lieu où l'on renferme ce qui dépend de la table & du buffet, & qu'on appelle office. C'est aussi le buffet, Voyez BUFFET.

Crédence d'autel, est une petite table à côté du grand autel, qui sert à mettre ce qui dépend du service de l'autel. (P)


CRÉDIBILITÉS. f. (Méthaphys. & Morale) qualité par laquelle une chose est rendue croyable ou digne d'être crue. Voyez PROBABILITE & FOI.

On dit d'une chose qu'elle est croyable, lorsqu'elle n'est ni évidente par elle-même, ni de nature à pouvoir être déduite & inférée certainement de la cause ou de son effet, & que cependant il y a des preuves qui en établissent la vérité. Les choses qui paroissent immédiatement vraies ; comme la blancheur de la neige, ou que le tout est plus grand que sa partie, ne sont pas appellées croyables, mais évidentes. Dans l'école on met au rang des choses croyables, celles auxquelles nous ne donnons notre consentement qu'en vertu du témoignage ou de l'autorité ; par exemple, que J. C. s'est incarné, a été crucifié, &c. Voyez CROYANCE.

On trouve dans les transactions philosophiques le calcul mathématique de la crédibilité du témoignage des hommes. Voyez TEMOIGNAGE, PROBABILITE & CERTITUDE.


CRÉDITS. m. (Morale & Comm.) Le crédit étant en général la faculté de faire usage de la puissance d'autrui, on peut le définir plus particulierement en fait de commerce & de finance, la faculté d'emprunter sur l'opinion conçue de l'assûrance du payement.

Cette définition renferme l'effet & la cause immédiate du crédit.

Son effet est évidemment de multiplier les ressources du débiteur par l'usage des richesses d'autrui.

La cause immédiate du crédit est l'opinion conçûe par le prêteur de l'assûrance du payement.

Cette opinion a pour motifs des sûretés réelles ou personnelles, ou bien l'union des unes & des autres.

Les sûretés réelles sont les capitaux en terres, en meubles, en argent, & les revenus.

Les sûretés personnelles sont le degré d'utilité qu'on peut retirer de la faculté d'emprunter ; l'habileté, la prudence, l'oeconomie, l'exactitude de l'emprunteur.

Ces causes, quoiqu'ordinaires, ne sont cependant ni constantes, ni d'un effet certain ; parce que dans toutes les choses où les hommes ne se sont pas dépouillés de leur liberté naturelle, ils n'obéissent souvent qu'à leurs passions. Ainsi il arrive que les sûretés réelles & personnelles ne font pas toûjours sur l'esprit des hommes une impression proportionnée à leur étendue ; on les méconnoît où elles sont, on les suppose où elles n'existent jamais.

Par une conséquence nécessaire de ce que nous venons de dire, tout crédit a ses bornes naturelles ; il en a d'étrangeres qu'il n'est pas possible de déterminer.

Quoique les sûretés personnelles soient moins évidentes que les sûretés réelles, souvent elles n'en méritent pas moins de confiance : car en général elles tendent continuellement à procurer des sûretés réelles à celui qui les possede.

De cette considération il résulte, que si l'un & l'autre crédit excede sa proportion connue, le danger est moindre respectivement au crédit personnel.

L'objet du crédit réel ne peut disparoître, il est vrai : c'est un grand avantage, & l'unique motif de préférence sur l'autre qui peut cesser d'exister pendant quelque tems sans qu'on le sache.

Cette différence emporte avec elle trois sortes de risques de la part du crédit personnel : l'un est plus attaché à la nature des moyens qu'à l'industrie d'employer des richesses d'autrui ; le second regarde la prudence de l'emprunteur ; le troisieme, sa bonne foi.

Le premier risque s'évanoüit si le second est nul : il est constant que l'industrie ne s'exerce que pour acquérir des sûretés réelles ; que tout homme prudent gagne dans la masse générale de ses entreprises ; car un homme prudent ne cherche de grands profits, que lorsqu'il est en état de soûtenir de grandes pertes.

Le troisieme risque est le plus frappant, & le moindre cependant, si les lois sont exécutées. Le crime est facile sans doute ; mais le crédit est si favorable à l'industrie, que son premier soin est de le conserver.

Après la religion, le plus sûr garand que les hommes puissent avoir dans leurs engagemens respectifs, c'est l'intérêt. La rigueur des lois contient le petit nombre d'hommes perdus, qui voudroient sacrifier des espérances légitimes à un bénéfice présent, mais infâme.

Des différences qui se trouvent entre le crédit réel & le crédit personnel, on peut conclure qu'il est dans l'ordre :

1°. Que les sûretés réelles procurent un crédit plus facile & moins coûteux, mais borné le plus ordinairement à la proportion rigide de ces sûretés.

2°. Que les sûretés personnelles ne fassent pas un effet aussi promt ; pouvant disparoître à l'insçû des prêteurs, ce risque doit être compensé par des conditions plus fortes : mais lorsque l'impression de ces sûretés est répandue dans les esprits, elles donnent un crédit infiniment plus étendu.

Si ces deux sortes de sûretés peuvent chacune en particulier former les motifs d'un crédit, il est évident que leur union dans un même sujet sera la base la plus solide du crédit.

Enfin moins ces sûretés se trouveront engagées, plus dans le cas d'un besoin l'opinion conçue de l'assûrance du payement sera grande.

Tout citoyen qui jouit de la faculté d'emprunter fondée sur cette opinion, a un crédit qu'on peut appeller crédit particulier.

Le résultat de la masse de tous ces crédits particuliers, sera nommé le crédit général : l'application de la faculté dont nous venons de parler, à des compagnies exclusives bien entendues & à l'état, sera comprise sous le mot de crédit public.

Il est à propos d'examiner le crédit sous ses divers aspects, d'après les principes que nous avons posés, afin d'en tirer de nouvelles conséquences. Je supplie le lecteur d'en bien conserver l'ordre dans sa mémoire, parce qu'il est nécessaire pour l'intelligence de la matiere.

Crédit général. Commençons par le crédit général.

On peut emprunter de deux manieres : ou bien le capital prêté est aliéné en faveur du débiteur avec certaines formalités ; ou bien le capital n'est point aliéné, & le débiteur ne fournit d'autre titre de son emprunt qu'une simple reconnoissance.

Cette derniere maniere de contracter une dette appellée chirographaire, est la plus usitée parmi ceux qui font profession de commerce ou de finance.

La nature & la commodité de ces sortes d'obligations, ont introduit l'usage de se les transporter mutuellement par un ordre, & de les faire circuler dans la société. Elles y sont une promesse authentique d'opérer la présence de l'argent dans un lieu & dans un tems convenus : ces promesses réparent son absence dans le commerce, & d'une maniere si effective, qu'elles mettent les denrées en mouvement à des distances infinies.

Au terme limité ces promesses reviennent trouver l'argent qu'elles ont représenté : à mesure que ce terme approche, la circulation en est plus rapide ; l'argent s'est hâté de passer par un plus grand nombre de mains, & toûjours en concurrence avec les denrées dont il est attiré, & qu'il attire réciproquement. Tant que le commerce répartira l'argent dans toutes les parties de l'état où il y a des denrées, en proportion de la masse générale, ces obligations seront fidélement acquittées : tant que rien n'éludera les effets de l'activité du commerce dans un état, cette répartition sera faite exactement. Ainsi l'effet des obligations circulantes dont nous parlons, est de répéter l'usage de la masse proportionnelle de l'argent dans toutes les parties d'un état : dès-lors elles ont encore l'avantage de n'être le signe des denrées, que dans la proportion de leur prix avec la masse actuelle de l'argent ; parce qu'elles paroissent & disparoissent alternativement du commerce, qu'elles indiquent même qu'elles n'y sont que pour un tems ; au lieu que les autres représentations d'espece restent dans le public comme monnoie : leur abondance a l'effet même de l'abondance de la monnoie ; elle renchérit le prix des denrées sans avoir enrichi l'état. L'avantage des signes permanens n'est pas d'ailleurs intrinsequement plus grand pour la commodité du commerce, ni pour son étendue.

Car tout homme qui peut représenter l'argent dans la confiance publique, par son billet ou sa lettre de change, donne autant que s'il payoit la même somme avec ces représentations monnoies. Il est donc à souhaiter que l'usage des signes momentanés de l'argent s'étende beaucoup, soit en lui accordant toute la faveur que les lois peuvent lui donner, soit peut-être en astreignant les négocians qui ne payent pas sur le champ avec l'argent, de donner leur billet ou une lettre de change. Dans les endroits où l'argent est moins abondant, cette petite gêne auroit besoin qu'on prolongeât les jours de grace ; mais elle auroit des avantages infinis, en mettant les vendeurs en état de joüir du prix de la vente avant son terme.

L'accroissement des consommations est une suite évidente de la facilité de la circulation des denrées, comme celle-ci est inséparable de la circulation facile de la masse d'argent qui a paru dans le commerce. Chaque membre de la société a donc un intérêt immédiat à favoriser autant qu'il est en lui le crédit des autres membres.

Le chef de cette société ou le prince, dont la force & la félicité dépend du nombre & de l'aisance des citoyens, multiplie l'une & l'autre par la protection qu'il accorde au crédit général.

La simplicité, la rigueur des lois, & la facilité d'obtenir des jugemens sans frais, sont le premier moyen d'augmenter les motifs de la confiance publique.

Un second moyen, sans lequel même elle ne peut exister solidement, sera la sûreté entiere des divers intérêts qui lient l'état avec les particuliers, comme sujets ou comme créanciers.

Après avoir ainsi assuré le crédit des particuliers dans ses circonstances générales : ceux qui gouvernent ne peuvent rien faire de plus utile que de lui donner du mouvement & de l'action. Tous les expédiens propres à animer l'industrie, sont la seule méthode de remplir cette vûe, puisque l'usage du crédit n'aura lieu que lorsque cet usage deviendra utile. Il sera nul absolument dans une province qui n'aura ni rivieres navigables, ni canaux, ni grands chemins praticables ; où des formalités rigoureuses & de hauts droits détruiront les communications naturelles ; dont le peuple ne saura point mettre en oeuvre les productions de ses terres ; ou bien dont l'industrie, privée de l'émulation qu'apporte la concurrence, sera encore refroidie par des sujétions ruineuses, par la crainte qu'inspirent les taxes arbitraires ; dans tout pays enfin dont il sortira annuellement plus d'argent, qu'il n'y en peut rentrer dans le même espace de tems.

Crédit public, premiere branche. Nous avons observé plus haut, que la faculté d'emprunter sur l'opinion conçûe de l'assûrance du payement, étant appliquée à des compagnies exclusives & à l'état, porte le nom de crédit public ; ce qui le divise naturellement en deux branches.

Les compagnies exclusives ne sont admises chez les peuples intelligens que pour certains commerces, qui exigent des vûes & un systême politique dont l'état ne veut pas faire la dépense ou prendre l'embarras ; & que la rivalité ou l'ambition des particuliers auroit peine à suivre. Le crédit de ces compagnies a les mêmes sources que celui des particuliers, il a besoin des mêmes secours ; mais le dépôt en est si considerable, il est tellement lié avec les opérations du gouvernement, que ses conséquences méritent une considération particuliere, & lui assignent le rang du crédit public.

Le capital des compagnies exclusives dont nous parlons, se forme par petites portions, afin que tous les membres de l'état puissent y prendre commodément intérêt. La compagnie est représentée par ceux qui en dirigent les opérations, & les portions d'intérêt le sont par une reconnoissance transportable au gré du porteur.

Cette espece de commerce emporte de grands risques, de grandes dépenses ; & quelque considérables que soient les capitaux, rarement les compagnies sont-elles en état de ne point faire usage de la puissance d'autrui.

Il en résulte deux sortes d'engagemens de la compagnie avec le public : les uns sont les reconnoissances d'intérêt dans le capital ; les autres sont les reconnoissances des dettes contractées à raison des besoins. Ces deux sortes d'engagemens, dont l'un est permanent & l'autre momentané, ont cours comme signes de l'argent.

Si la somme des dettes s'accroît à un point & avec des circonstances qui puissent donner quelque atteinte à la confiance, la valeur d'opinion de l'un & de l'autre effet sera moindre que la valeur qu'ils représentoient dans l'origine.

Il en naîtra deux inconvéniens, l'un intérieur, l'autre extérieur.

Dans une pareille crise, les propriétaires de ces reconnoissances ne seront plus réellement aussi riches qu'ils l'étoient auparavant, puisqu'ils n'en retrouveroient pas le capital en argent. D'un autre côté le nombre de ces obligations aura été fort multiplié ; ainsi beaucoup de particuliers s'en trouveront porteurs : & comme il n'est pas possible de les distinguer, le discrédit de la compagnie entraînera une défiance générale entre tous les citoyens.

Le trouble même qu'apporte dans un état la perte d'une grande somme de crédit, est un sûr garant des soins qu'un gouvernement sage prendra de le rétablir & de le soûtenir. Ainsi les étrangers qui calculeront de sang-froid sur ces sortes d'événemens, acheteront à bas prix les effets décriés, pour les revendre lorsque la confiance publique les aura rapprochés de leur valeur réelle. Si chez ces étrangers l'intérêt de l'argent est plus bas de moitié que dans l'état que nous supposons, ils pourront profiter des moindres mouvemens dans ces obligations, lors même que les spéculateurs nationaux regarderont ces mouvemens d'un oeil indifférent.

Le profit de cet agiotage des étrangers sera une diminution évidente du bénéfice de la balance du commerce, ou une augmentation sur sa perte. Ces deux inconvéniens fournissent trois observations, dont j'ai déjà avancé une partie comme des principes ; mais leur importance en autorise la répétition.

1°. Tout ce qui tend à diminuer quelque espece de sûreté dans un corps politique, détruit au moins pour un tems assez long le crédit général, & dès-lors la circulation des denrées, ou en d'autres termes la subsistance du peuple, les revenus publics & particuliers.

2°. Si une nation avoit la sagesse d'envisager de sang-froid le déclin d'une grande somme de crédit, & de se prêter aux expédiens qui peuvent en arrêter la ruine totale, elle rendroit son malheur presque insensible. Alors si les opérations sont bonnes, ou si l'excès des choses n'interdit pas toute bonne opération, ce premier pas conduira par degrés au rétablissement de la portion de crédit qu'il sera possible de conserver.

3°. Le gouvernement qui veille aux sûretés intérieures & extérieures de la société, a un double motif de soûtenir, soit par les lois, soit par des secours promts & efficaces, les grands dépôts de la confiance publique. Plus l'intérêt de l'argent sera haut dans l'état, plus il est important de prévenir les inégalités dans la marche du crédit.

Crédit public, deuxieme branche. Le crédit de l'état, ou la deuxieme branche du crédit public, a en général les mêmes sources que celui des particuliers & des compagnies ; c'est-à-dire les sûretés réelles de l'état même, & les sûretés personnelles de la part de ceux qui gouvernent.

Mais ce seroit se tromper grossierement que d'évaluer les sûretés réelles sur le pié du capital général d'une nation, comme on le fait à l'égard des particuliers. Ces calculs poussés jusqu'à l'excès par quelques écrivains Anglois, ne sont propres qu'à repaître des imaginations oisives, & peuvent introduire des principes vicieux dans une nation.

Les sûretés réelles d'une nation, sont la somme des tributs qu'elle peut lever sur le peuple, sans nuire à l'agriculture ni au commerce ; car autrement l'abus de l'impôt le détruiroit, le désordre seroit prochain.

Si les impôts sont suffisans pour payer les intérêts des obligations, pour satisfaire aux dépenses courantes, soit intérieures, soit extérieures ; pour amortir chaque année une partie considérable des dettes : enfin si la grandeur des tributs laisse encore entrevoir des ressources en cas qu'un nouveau besoin prévienne la libération totale, on peut dire que la sûreté réelle existe.

Pour en déterminer le degré précis, il faudroit connoître la nature des besoins qui peuvent survenir, leur éloignement ou leur proximité, leur durée probable ; ensuite les comparer dans toutes leurs circonstances avec les ressources probables que promettroient la liquidation commencée, le crédit général, & l'aisance de la nation.

Si la sûreté n'est pas claire aux yeux de tous, le crédit de l'état pourra se soûtenir par habileté jusqu'au moment d'un grand besoin. Mais alors ce besoin ne sera point satisfait, ou ne le sera que par des ressources très-ruineuses. La confiance cessera à l'égard des anciens engagemens ; elle cessera entre les particuliers d'après les principes établis ci-dessus. Le fruit de ce désordre sera une grande inaction dans la circulation des denrées : développons-en les effets.

Le capital en terres diminuera avec leur produit ; les malheurs communs ne réunissent que ceux dont les espérances sont communes : ainsi il est à présumer que les capitaux en argent & meubles précieux seront mis en dépôt dans d'autres pays, ou cachés soigneusement ; l'industrie effrayée & sans emploi ira porter son capital dans d'autres asyles. Que deviendront alors tous les systèmes fondés sur l'immensité d'un capital national ?

Les sûretés personnelles dans ceux qui gouvernent peuvent se réduire à l'exactitude ; car le degré d'utilité que l'état retire de son crédit, l'habileté, la prudence, & l'oeconomie des ministres, conduisent toutes à l'exactitude dans les petits objets comme dans les plus grands. Ce dernier point agit si puissamment sur l'opinion des hommes, qu'il peut dans de grandes occasions suppléer aux sûretés réelles, & que sans lui les sûretés réelles ne font pas leur effet. Telle est son importance, que l'on a vû quelquefois des opérations contraires en elles-mêmes aux principes du crédit, suspendre sa chûte totale lorsqu'elles étoient entreprises dans des vûes d'exactitude. Je n'entens point cependant faire l'éloge de ces sortes d'opérations toûjours dangereuses si elles ne sont décisives ; & qui, réservées à des tems de calamité, ne cessent d'être des fautes que dans le cas d'une impossibilité absolue de se les épargner ; c'est proprement abattre une partie d'un grand édifice, pour soustraire l'autre aux ravages des flammes : mais il faut une grande supériorité de vûes pour se déterminer à de pareils sacrifices, & savoir maîtriser l'opinion des hommes. Ces circonstances forcées sont une suite nécessaire de l'abus du crédit public.

Après avoir expliqué les motifs de la confiance publique envers l'état, & indiqué ses bornes naturelles, il est important de connoître l'effet des dettes publiques en elles-mêmes.

Indépendamment de la différence que nous avons remarquée dans la maniere d'évaluer les sûretés réelles d'un état & des particuliers, il est encore entre ces crédits d'autres grandes différences.

Lorsque les particuliers contractent une dette, ils ont deux avantages : l'un de pouvoir borner leur dépense personnelle jusqu'à ce qu'ils se soient acquités ; le second, de pouvoir tirer de l'emprunt une utilité plus grande que l'intérêt qu'ils sont obligés de payer.

Un état augmente sa dépense annuelle en contractant des dettes, sans être le maître de diminuer les dépenses nécessaires à son maintien ; parce qu'il est toûjours dans une position forcée relativement à sa sûreté extérieure. Il n'emprunte jamais que pour dépenser ; ainsi l'utilité qu'il retire de ses engagemens, ne peut accroître les sûretés qu'il offre à ses créanciers : au moins ces occasions sont très-rares, & ne peuvent être comprises dans ce qu'on appelle dettes publiques. On ne doit point confondre non plus avec elles, ces emprunts momentanés qui sont faits dans le dessein de prolonger le terme des recouvremens, & de les faciliter : ces sortes d'oeconomies rentrent dans la classe des sûretés personnelles ; elles augmentent les motifs de la confiance publique. Mais observons en passant que jamais ces opérations ne sont si promtes, si peu coûteuses, & n'ont moins besoin de crédits intermédiaires, que lorsqu'on voit les revenus se libérer.

C'est donc uniquement des aliénations dont il s'agit ici.

Dans ce cas, un corps politique ne pouvant faire qu'un usage onéreux de son crédit, tandis que celui des particuliers leur est utile en général, il est facile d'établir entr'eux une nouvelle différence. Elle consiste en ce que l'usage que l'état fait de son crédit peut nuire à celui des sujets ; au lieu que jamais le crédit multiplié des sujets ne peut qu'être utile à celui de l'état.

L'usage que l'état fait de son crédit, peut porter préjudice aux sujets de plusieurs manieres.

1°. Par la pesanteur des charges qu'il accumule ou qu'il perpétue ; d'où il est évident de conclure que toute aliénation des revenus publics est plus onéreuse au peuple, qu'une augmentation d'impôt qui seroit passagere.

2°. Il s'établit à la faveur des emprunts publics, des moyens de subsister sans travail, & réellement aux dépens des autres citoyens. Dès-lors la culture des terres est négligée ; les fonds sortent du commerce ; il tombe à la fin, & avec lui s'évanoüissent les manufactures, la navigation, l'agriculture, la facilité du recouvrement des revenus publics, enfin imperceptiblement les revenus publics mêmes. Si cependant par des circonstances locales, ou par un certain nombre de facilités singulieres, on suspend le déclin du commerce, le desordre sera lent, mais il se fera sentir par degrés.

3°. De ce qu'il y a moins de commerce & de plus grands besoins dans l'état, il s'ensuit que le nombre des emprunteurs est plus grand que celui des prêteurs. Dès-lors l'intérêt de l'argent se soûtient plus haut que son abondance ne le comporte ; & cet inconvénient devient un nouvel obstacle à l'accroissement du commerce & de l'agriculture.

4°. Le gros intérêt de l'argent invite les étrangers à faire passer le leur pour devenir créanciers de l'état. Je ne m'étendrai pas sur le préjugé puérile qui regarde l'arrivée de cet argent comme un avantage : j'en ai parlé assez au long en traitant de la circulation de l'argent. Les rivaux d'un peuple n'ont pas de moyen plus certain de ruiner son commerce en s'enrichissant, que de prendre intérêt dans ses dettes publiques.

5°. Les dettes publiques emportent avec elles des moyens ou impôts extraordinaires, qui procurent des fortunes immenses, rapides, & à l'abri de tout risque. Les autres manieres de gagner sont lentes au contraire & incertaines : ainsi l'argent & les hommes abandonneront les autres professions. La circulation des denrées à l'usage du plus grand nombre est interrompue par cette disproportion, & n'est point remplacée par l'accroissement du luxe de quelques citoyens.

6°. Si ces dettes publiques deviennent monnoie, c'est un abus volontaire ajoûté à un abus de nécessité. L'effet de ces représentations multipliées de l'espece, sera le même que celui d'un accroissement dans sa masse : les denrées seront représentées par une plus grande quantité de métaux, ce qui en diminuera la vente au dehors. Dans des accès de confiance, & avant que le secret de ces représentations fût connu, on en a vû l'usage animer tellement le crédit général, que les réductions d'intérêt s'opéroient naturellement : ces réductions réparoient en partie l'inconvénient du surhaussement des prix relativement aux autres peuples qui payoient les intérêts plus cher. Il seroit peu sage de l'espérer aujourd'hui, & toute réduction forcée est contraire aux principes du crédit public.

On ne sauroit trop le répéter, la grande masse des métaux est en elle-même indifférente dans un état considéré séparément des autres états ; c'est la circulation, soit intérieure, soit extérieure, des denrées qui fait le bonheur du peuple : & cette circulation a besoin pour sa commodité d'une répartition proportionnelle de la masse générale de l'argent dans toutes les provinces qui fournissent des denrées.

Si les papiers circulans, regardés comme monnoie, sont répandus dans un état, où quelque vice intérieur repartisse les richesses dans une grande inégalité, le peuple n'en sera pas plus à son aise malgré cette grande multiplicité des signes : au contraire les denrées seront plus cheres, & le travail pour les étrangers moins commun. Si l'on continue d'ajoûter à cette masse des signes, on aura par intervalle une circulation forcée qui empêchera les intérêts d'augmenter : car il est au moins probable que si les métaux mêmes, ou les représentations des métaux n'augmentoient point dans un état où leur répartition est inégale, les intérêts de l'argent remonteroient dans les endroits où la circulation seroit plus rare.

Si l'on a vû des réductions d'intérêts dans des états où les papiers-monnoie se multiplioient sans-cesse, on n'en doit rien conclure contre ces principes, parce qu'alors ces réductions n'étoient pas tout-à-fait volontaires ; elles ne peuvent être regardées que comme l'effet de la réflexion des propriétaires sur l'impuissance nationale. Ceux qui voudront voir l'application de ces raisonnemens à des faits, peuvent recourir au discours préliminaire qui se trouve à la tête du Négociant Anglois.

Les banques sont du ressort de la matiere du crédit : nous ne les avons point rangées dans la classe des compagnies de commerce, parce qu'elles ne méritent pas proprement ce nom, n'étant destinées qu'à escompter les obligations des commerçans, & à donner des facilités à leur crédit.

L'objet de ces établissemens indique assez leur utilité dans tout pays où la circulation des denrées est interrompue par l'absence du crédit, & si nous les séparons des inconvéniens qui s'y sont presque toûjours introduits.

Une banque dans sa premiere institution est un dépôt ouvert à toutes les valeurs mercantiles d'un pays. Les reconnoissances du dépôt de ces valeurs, les représentent dans le public, & se transportent d'un particulier à un autre. Son effet est de doubler dans le commerce les valeurs déposées. Nous venons d'expliquer son objet.

Comme les hommes ne donnent jamais tellement leur confiance qu'ils n'y mettent quelque restriction, on a exigé que les banques eussent toûjours en caisse un capital numéraire. Les portions de ce capital sont représentées par des reconnoissances appellées actions, qui circulent dans le public.

Le profit des intéressés est sensible : quand même la vaine formalité d'un dépôt oisif seroit exécutée à la rigueur, la banque a un autre genre de bénéfice bien plus étendu. A mesure qu'il se présente des gages, ou du papier solide de la part des négocians ; elle en avance la valeur dans ses billets, à une petite portion près qu'elle se réserve pour l'intérêt. Ces billets représentent réellement la valeur indiquée dans le public ; & n'ayant point de terme limité, ils deviennent une monnoie véritable que l'on peut resserrer ou remettre dans le commerce à sa volonté. A mesure que la confiance s'anime, les particuliers déposent leur argent à la caisse de la banque, qui lui donnent en échange ses reconnoissances d'un transport plus commode ; tandis qu'elle rend elle-même ces valeurs au commerce, soit en les prêtant, soit en remboursant ses billets. Tout est dans l'ordre ; la sûreté réelle ne peut être plus entiere, puisqu'il n'y a pas une seule obligation de la banque qui ne soit balancée par un gage certain. Lorsqu'elle vend les marchandises sur lesquelles elle a prêté, ou que les échéances des lettres de change escomptées arrivent, elle reçoit en payement, ou ses propres billets, qui dès-lors sont soldés jusqu'à ce qu'ils rentrent dans le commerce, ou de l'argent qui en répond lorsque le payement sera exigé, & ainsi de suite.

Lorsque la confiance générale est éteinte, & que par le resserrement de l'argent les denrées manquent de leurs signes ordinaires, une banque porte la vie dans tous les membres d'un corps politique : la raison en est facile à concevoir.

Le discrédit général est une situation violente dont chaque citoyen cherche à se tirer. Dans ces circonstances la banque offre un crédit nouveau, une sûreté réelle toûjours existante, des opérations simples, lucratives, & connues. La confiance qu'elle inspire, celle qu'elle prête elle-même, dissipent en un instant les craintes & les soupçons entre les citoyens.

Les signes des denrées sortent de la prison où la défiance les renfermoit, & rentrent dans le commerce en concurrence avec les denrées : la circulation se rapproche de l'ordre naturel.

La banque apporte dans le commerce le double des valeurs qu'elle a mise en mouvement : ces nouveaux signes ont l'effet de toute augmentation actuelle dans la masse de l'argent, c'est-à-dire que l'industrie s'anime pour les attirer. Chacune de ces deux valeurs donne du mouvement à l'industrie, contribue à donner un plus haut prix aux productions, soit de l'art, soit de la nature ; mais avec des différences essentielles.

Le renouvellement de la circulation de l'ancienne masse d'argent, rend aux denrées la valeur intrinseque qu'elles auroient dû avoir relativement à cette masse, & relativement à la consommation que les étrangers peuvent en faire.

Si d'un côté la multiplication de cette ancienne masse, par les représentations de la banque, étoit en partie nécessaire pour la faire sortir, on conçoit d'ailleurs qu'en la doublant on hausse le prix des denrées à un point excessif en peu de temps. Ce surhaussement sera en raison de l'accroissement des signes qui circuleront dans le commerce, au-delà de l'accroissement des denrées.

Si les signes circulans sont doublés, & que la quantité des denrées n'ait augmenté que de moitié, les prix hausseront d'un quart.

Pour évaluer quel devroit être dans un pays le degré de la multiplication des denrées, en raison de celle des signes, il faudroit connoître l'étendue des terres, leur fertilité, la maniere dont elles sont cultivées, les améliorations dont elles sont susceptibles, la population, la quantité d'hommes occupés, de ceux qui manquent de travail, l'industrie & les manieres générales des habitans, les facilités naturelles, artificielles & politiques pour la circulation intérieure & extérieure ; le prix des denrées étrangeres qui sont en concurrence ; le goût & les moyens des consommateurs. Ce calcul seroit si compliqué, qu'il peut passer pour impossible ; mais plus l'augmentation subite des signes sera excessive, moins il est probable que les denrées se multiplieront dans une proportion raisonnable avec eux.

Si le prix des denrées hausse, il est également vrai de dire que par l'excès de la multiplication des signes sur la multiplication des denrées, & l'activité de la nouvelle circulation, il se rencontre alors moins d'emprunteurs que de prêteurs ; l'argent perd de son prix.

Cette baisse par conséquent sera en raison composée du nombre des prêteurs & des emprunteurs.

Elle soulage les denrées d'une partie des frais que font les négocians pour les revendre. Ces frais diminués sont l'interêt des avances des négocians, l'évaluation des risques qu'ils courent, le prix de leur travail : les deux derniers sont toûjours réglés sur le taux du premier, & on les estime communément au double. De ces trois premieres diminutions résultent encore le meilleur marché de la navigation, & une moindre évaluation des risques de la mer.

Quoique ces épargnes soient considérables, elles ne diminuent point intrinsequement la valeur premiere des denrées nationales, il est évident qu'elles ne la diminuent que relativement aux autres peuples qui vendent les mêmes denrées en concurrence, soutiennent l'interêt de leur argent plus cher en raison de la masse qu'ils possedent. Si ces peuples venoient à baisser les intérêts chez eux dans la même proportion, ce seroit la valeur premiere des denrées qui décideroit de la supériorité, toutes choses égales d'ailleurs.

Quoique j'aye rapproché autant qu'il a dépendu de moi les conséquences de leurs principes, il n'est point inutile d'en retracer l'ordre en peu de mots.

Nous avons vû la banque ranimer la circulation des denrées, & rétablir le crédit général par la multiplication actuelle des signes : d'où résultoit une double cause d'augmentation dans le prix de toutes choses, l'une naturelle & salutaire, l'autre forcée & dangereuse. L'inconvénient de cette derniere se corrige en partie relativement à la concurrence des autres peuples par la diminution des intérêts.

De ces divers raisonnemens on peut donc conclure, que par-tout où la circulation & le crédit joüissent d'une certaine activité, les banques sont inutiles, & même dangereuses. Nous avons remarqué en parlant de la circulation de l'argent, que ces principes sont nécessairement ceux du crédit même, qui n'en est que l'image : la même méthode les conserve & les anime. Elle consiste, 1°. dans les bonnes lois bien exécutées contre l'abus de la confiance d'autrui. 2°. Dans la sûreté des divers intérêts qui lient l'état avec les particuliers comme sujets ou comme créanciers. 3°. A employer tous les moyens naturels, artificiels & politiques, qui peuvent favoriser l'industrie & le commerce étranger ; ce qui emporte avec soi une finance subordonnée au commerce. J'ai souvent insisté sur cette derniere maxime, parce que sans elle tous les efforts en faveur du commerce seront vains. J'en ai précédemment traité dans un ouvrage particulier, auquel j'ose renvoyer ceux qui se sentent le courage de développer des germes abandonnés à la sagacité du lecteur.

Si quelqu'une de ces regles est négligée, nulle banque, nulle puissance humaine n'établira parmi les hommes une confiance parfaite & réciproque dans leurs engagemens : elle dépend de l'opinion, c'est-à-dire de la persuasion ou de la conviction.

Si ces regles sont suivies dans toute leur étendue, le crédit général s'établira sûrement.

L'augmentation des prix au renouvellement du crédit, ne sera qu'en proportion de la masse actuelle de l'argent, & de la consommation des étrangers. L'augmentation des prix par l'introduction continuelle d'une nouvelle quantité de métaux, & la concurrence des négocians, par l'extension du commerce, conduiront à la diminution des bénéfices : cette diminution des bénéfices & l'accroissement de l'aisance générale feront baisser les intérêts comme dans l'hypothèse d'une banque : mais la réduction des intérêts sera bien plus avantageuse dans le cas présent que dans l'autre, en ce que la valeur premiere des denrées ne sera pas également augmentée.

Pour concevoir cette différence, il faut se rappeller trois principes déja répétés plusieurs fois sur-tout en parlant de la circulation de l'argent.

L'aisance du peuple dépend de l'activité de la circulation des denrées : cette circulation est active en raison de la répartition proportionnelle de la masse quelconque des métaux ou des signes, & non en raison de la répartition proportionnelle d'une grande masse de métaux ou de signes : la diminution des intérêts est toûjours en raison composée du nombre des prêteurs & des emprunteurs.

Ainsi à égalité de répartition proportionnelle d'une masse inégale de signes, l'aisance du peuple sera relativement la même ; il y aura relativement même proportion entre le nombre des emprunteurs & des prêteurs, l'intérêt de l'argent sera le même.

Cependant la valeur premiere des denrées sera en raison de l'inégalité réciproque de la masse des signes.

Malgré les inconvéniens d'une banque, si l'état se trouve dans ces momens terribles, & qui ne doivent jamais être oubliés, d'une crise qui ne lui permet aucune action ; il paroît évident que cet établissement est la ressource la plus promte & la plus efficace, si on lui prescrit des bornes. Leur mesure sera la portion d'activité nécessaire à l'état pour rétablir la confiance publique par degrés : & il semble que des caisses d'escompte rendroient les mêmes services d'une maniere irréprochable. Une banque peut encore être utile dans de petits pays, qui ont plus de besoins que de superflu, ou qui possedent des denrées uniques.

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des banques solides, c'est-à-dire dont toutes les obligations sont balancées par un gage mercantil. Les états qui les ont regardées comme une facilité de dépenser, n'ont joüi de leur prospérité que jusqu'au moment où leur crédit a été attaqué dans son principe. Dans tous les tems & dans tous les pays, la ruine d'un pareil crédit entraînera pour long-tems celle du corps politique : mais avant que le jour en soit arrivé, il en aura toûjours résulté un ravage intérieur, comme nous l'avons expliqué plus haut en parlant des dettes publiques. Art. de M. D. V. F. Voyez les Elemens du Commerce du même auteur.

* CREDIT, (Morale) La définition du crédit, que M. Duclos a donnée dans ses considérations sur les moeurs, étant générale, l'auteur de l'article précédent n'a eu besoin que de la restraindre pour l'appliquer au commerce. Le crédit d'un homme auprès d'un autre, ajoûte M. Duclos, marque quelque infériorité dans le premier. On ne dit point le crédit d'un souverain, à moins qu'on ne le considere relativement à d'autres souverains dont la réunion forme à son égard de la supériorité. Un prince aura d'autant moins de crédit parmi les autres, qu'il sera plus puissant & moins équitable ; mais l'équité peut contrebalancer la puissance, & je ne suis pas éloigné de croire que cette vertu ne soit par conséquent aussi essentielle à un souverain, sur-tout s'il est puissant, parmi les autres souverains, qu'à un commerçant dans la société. Rien ne feroit plus d'honneur à un grand, que le crédit qu'il accorderoit à un honnête-homme, parce que le crédit étant une relation fondée ou sur l'estime ou sur l'inclination, ces sentimens marqueroient de la conformité soit dans l'esprit soit dans le coeur. Voyez le chapitre du crédit dans l'ouvrage que nous citons ; si vous êtes un grand, vous y apprendrez à bien choisir ceux à qui vous pourrez accorder du crédit ; si vous êtes un subalterne en faveur, vous y apprendrez à faire un usage convenable du crédit que vous avez.

CREDIT, (Jurisprud.) signifie en général tout ce qui est confié à autrui.

Faire crédit, vendre à crédit, c'est donner quelque chose & accorder terme pour le payement, soit que ce terme soit fixé ou indéfini.

En matiere de Commerce, le terme de credit est opposé à celui de débit, le crédit est ce qui est dû au marchand, le débit est ce qu'il doit de sa part, il distingue l'un & l'autre sur le grand livre de raison ; qui contient autant de comptes particuliers que le marchand a de débiteurs. On fait un article pour chacun ; le crédit du marchand est marqué au verso d'un feuillet du grand livre, & le débit de ce même marchand, à l'égard de son créancier, est marqué sur le recto du feuillet suivant, de sorte que l'on peut voir d'un coup d'oeil le crédit marqué à gauche & le débit à droite.

Donner crédit sur soi, c'est se reconnoître débiteur envers quelqu'un. Quand le Roi crée des rentes sur ses revenus il donne crédit au prevôt des marchands. & échevins de Paris sur lui, pour aliéner de ses rentes au profit des acquéreurs jusqu'à concurrence d'une certaine somme. Le clergé & les états des provinces accordent aussi quelquefois credit sur eux au Roi, comme on voit dans l'arrêt du conseil & lettres patentes du 15 Décembre 1746, qui autorisent le traité fait entre les commissaires du Roi & ceux des états de Languedoc, le 1 Décembre 1746, au sujet du crédit que cette province avoit accordé sur soi à S. M. pour six millions.

Prêter son crédit, signifie prêter son nom & fournir son obligation pour emprunter des deniers qui doivent tourner au profit d'une autre personne ; on en voit un exemple dans un arrêt du conseil du 25 Août 1733, concernant un emprunt de deux millions, pour lequel la province de Languedoc avoit prêté son crédit à S. M.

Lettre de crédit, est une lettre missive, qu'un marchand négociant ou banquier adresse à un de ses correspondans établi dans une autre ville, & par laquelle il lui mande de fournir à un tiers porteur de cette lettre une certaine somme d'argent, ou bien indéfiniment tout ce dont il aura besoin.

Ceux qui ont reçu de l'argent en vertu de ces sortes de lettres, sont contraignables au payement de même que si c'étoient des lettres de change.

Il est facile d'abuser de ces lettres, quand l'ordre de fournir de l'argent est indéfini, ou quand il est au porteur ; car la lettre peut être volée : on doit donc prendre des précautions pour limiter le crédit que l'on donne, & pour que le correspondant paye sûrement, en lui désignant la personne de façon qu'il ne puisse être trompé.

CREDIT, (droit de) La plûpart des seigneurs avoient ce droit dans leurs terres, qui consistoit en ce qu'ils pouvoient prendre chez eux des vivres & autres denrées à crédit, c'est-à-dire sans être obligés de les payer sur le champ, mais seulement après un certain tems marqué : ils étoient quelquefois obligés de donner des gages pour la sûreté du payement.

Il est parlé de ce droit de crédit dans plusieurs anciennes chartres, entr'autres dans celle que Philippe Auguste accorda en 1209 pour l'établissement de la commune de Compiegne. Il ordonne que les habitans feront crédit à l'abbé pendant trois mois, de pain, chair & poisson ; que s'il ne paye pas au bout de ce terme, on ne sera pas obligé de lui rien donner qu'il n'ait payé.

Robert comte de Dreux & de Montfort, seigneur de Saint-Valery, ordonna par des lettres de l'an 1219, que toutes les fois qu'il séjourneroit à Dieppe, on seroit tenu de lui faire crédit pendant quinze jours, de 10 liv. de monnoie usuelle.

A Boiscommun & dans plusieurs autres endroits, le Roi avoit crédit pendant quinze jours pour les vivres qu'il achetoit des habitans ; & celui auquel il avoit donné des gages pour sa sûreté, & en général quiconque avoit reçu des gages de quelqu'un, pouvoit, en cas qu'il ne fût pas payé, les vendre huit jours après l'échéance du payement, comme il paroît par des lettres du roi Jean, du mois d'Avril 1351.

Plusieurs seigneurs particuliers avoient droit de crédit pendant le même tems, tels que le comte d'Anjou, le seigneur de Mailli-le-château & sa femme, & le seigneur d'Ervy.

Ce qui est de singulier, c'est que dans quelques endroits, de simples seigneurs avoient pour leur crédit, un terme plus long que le Roi ne l'avoit à Boiscommun & autres lieux du même usage.

Par exemple, à Beauvoir le Dauphin avoit crédit pendant un mois pour les denrées qu'il achetoit pour la provision de son hôtel ; mais il étoit obligé de donner au vendeur un gage qui valût un tiers plus que la chose vendue.

Quelques seigneurs avoient encore un terme plus long.

Les seigneurs de Nevers avoient droit de prendre dans cette ville des vivres à crédit, sans être obligés de les payer pendant quarante jours, passé lesquels, s'ils ne les payoient pas, on n'étoit plus obligé de leur en fournir à credit, jusqu'à ce qu'ils eussent payé les anciens. Il en est parlé dans une ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Février 1356.

La même chose s'observoit pour les comtes d'Auxerre : on trouve seulement cela de particulier pour eux, que s'ils étoient un an sans payer, celui qui leur avoit fourni des vivres, en recevoit le prix sur le produit du cens.

Le seigneur d'Aussonne en Bourgogne ne pouvoit rien prendre à crédit dans les jardins potagers de la ville, à moins qu'il ne donnât des gages. Lorsqu'il prenoit à crédit des denrées chez les gens qui les avoient achetées pour les revendre, il devoit aussi donner des gages ; & si après quarante jours il ne payoit pas ce qu'il avoit pris, le marchand qui avoit reçu les gages, pouvoit les vendre, comme il paroît par des lettres du roi Jean, du mois de Janvier 1361.

Il y avoit, comme on voit, une différence entre les denrées provenant du crû de celui chez qui on les avoit prises à crédit, & celles qu'il avoit achetées pour les revendre. Le terme que le seigneur avoit pour payer les premieres, n'étoit pas marqué, & il n'étoit pas dit que faute de payement le vendeur pourroit vendre les gages ; au lieu que pour les denrées qui n'étoient pas de son crû, si on ne les payoit pas dans le terme de quarante jours, il pouvoit vendre les gages. Cette différence étoit fondée sur ce que celui qui vend des denrées de son crû, n'ayant rien déboursé, peut attendre plus long-tems son payement ; au lieu que celui qui a acheté des denrées pour les revendre, ayant déboursé de l'argent, il est juste qu'il soit payé dans un tems préfix, & que faute de payement il puisse faire vendre les gages.

Le seigneur de Chagny avoit crédit, comme les précédens, pendant quarante jours, passé lesquels, s'il n'avoit pas payé, on n'étoit pas obligé, jusqu'à ce qu'il l'eût fait, de lui donner autre chose à crédit. Si quelqu'un cachoit sa marchandise, de peur d'être obligé de la donner à crédit au seigneur, on le condamnoit à l'amende ; ce qui feroit penser que le crédit du seigneur étoit apparemment déjà bien usé. Si les officiers du seigneur nioient qu'on leur eût fait crédit, celui qui prétendoit l'avoir fait, étoit reçu à le prouver par témoins, & les officiers étoient admis à faire la preuve contraire : mais les officiers du seigneur ne pouvoient acheter des vivres des habitans, qu'ils n'en donnassent le prix courant & ordinaire, & ne les payassent sur le champ.

A Dommart (diocèse d'Amiens) le seigneur pouvoit prendre du vin chez un bourgeois pour le prix qu'il revenoit à celui-ci, & ce seigneur n'étoit obligé de le payer que lorsqu'il sortoit de la ville ; s'il ne le payoit pas alors, il étoit obligé de le payer au prix que le vin se vendoit dans le marché, & il avoit crédit de quinze jours. S'il achetoit une piece de vin il n'en payoit que le prix qu'elle avoit coûté au bourgeois, mais il falloit qu'il payât sur le champ. Lorsqu'il n'avoit point d'avoine, il pouvoit faire contraindre, par le maïeur, les bourgeois à lui en vendre au prix courant, & il avoit crédit de quinze jours, en donnant caution, s'il ne payoit pas à ce terme, il n'avoit plus de crédit, jusqu'à ce qu'il eut satisfait au premier achat.

A Poiz en Picardie, les bourgeois qui vendoient des denrées étoient obligés une fois en leur vie d'en fournir à crédit au seigneur, lorsqu'il le demandoit, sans qu'il fût tenu de leur donner des gages ; mais cette charge une fois acquittée par les bourgeois, il ne pouvoit plus prendre des denrées sans gages, & dans ces deux cas il ne pouvoit se servir du droit de crédit sur les denrées qui excédoient la valeur de cinq sols, à moins que le vendeur n'y consentît.

L'archevêque de Vienne avoit moins de crédit que les autres seigneurs ; car il ne pouvoit rien acheter qui ne fût en vente, & qu'il n'en payât le prix qu'un autre en donneroit.

Dans les lieux où le seigneur n'avoit point ce droit de crédit, il y avoit des réglemens pour qu'il ne pût obliger les habitans de lui porter des denrées, qu'il ne pût les prendre si elles n'étoient exposées en vente ; que s'il étoit obligé d'en user autrement, ce ne seroit que par les mains des consuls, & en payant le prix suivant l'estimation.

Tous ces usages singuliers, quoique différens les uns des autres, prouvent également la trop grande autorité que les seigneurs particuliers s'étoient arrogée sur leurs sujets ; & présentement que le royaume est mieux policé, aucun seigneur ni autre personne ne peut rien prendre à crédit que du consentement du vendeur. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tomes IV. V. VI. VII. & VIII, à la table, au mot Crédit.

Crédit vel non : on appelloit réponses par crédit vel non, celles où le témoin se contentoit de répondre qu'il croyoit qu'un fait étoit tel, sans dire affirmativement si le fait étoit vrai ou non. Ces sortes de réponses ont été abrogées par l'ordonnance de 1539, art. xxxvj. (A)


CREDITERCREDITER


CREDITEURS. m. (Comm.) terme assez usité parmi les négocians pour signifier un créancier, ou, comme ils s'expriment, celui qui doit avoir. Voyez CREDIT, CREANCIER & AVOIR. Dict. du Comm. & de Trév. (G)


CREDITON(Géogr. mod.) ville d'Angleterre dans le Devonshire, sur la riviere de Crédit.


CREDOS. m. (Théolog.) nom par lequel on désigne communément le symbole des apôtres ou l'abregé des vérités chrétiennes, & qui commence par ce mot, credo, je crois. Voyez SYMBOLE. (G)


CREDULITÉS. f. est une foiblesse d'esprit par laquelle on est porté à donner son assentiment, soit à des propositions, soit à des faits, avant que d'en avoir pesé les preuves. Il ne faut pas confondre l'impiété, l'incrédulité & l'inconviction, comme il arrive tous les jours à des écrivains aussi étrangers dans notre langue que dans la philosophie. L'impie parle avec mépris de ce qu'il croit au fond de son coeur. L'incrédule nie sur une premiere vue de son esprit, la vérité de ce qu'il n'a point examiné, & de ce qu'il ne veut point se donner la peine d'examiner sérieusement ; parce que frappé de l'absurdité apparente des choses qu'on lui assûre, il ne les juge pas dignes d'un examen réfléchi. L'inconvaincu a examiné ; & sur la comparaison de la chose & des preuves, il a cru voir que la certitude qui résultoit des preuves que la chose étoit comme on la lui disoit, ne contrebalançoit pas le penchant qu'il avoit à croire, soit sur les circonstances de la chose même, soit sur des expériences réitérées, ou qu'elle n'étoit point du tout, ou qu'elle étoit autrement qu'on ne la lui racontoit. Il ne peut y avoir de doute que sur une chose possible ; & l'on est d'autant moins porté à croire le passage du possible à l'existant, que les preuves de ce passage sont plus foibles, que les circonstances en sont plus extraordinaires, & que l'on a un plus grand nombre d'expériences que ce passage s'est trouvé faux ou dans des cas semblables, ou même dans des cas moins extraordinaires ; ensorte que si les cas où une pareille chose s'est trouvée fausse, sont au cas où elle s'est trouvée vraie, comme cent mille est à un, & que ce rapport soit seulement doublé par la combinaison des circonstances de la chose considérée en elle même, sans aucun égard à l'expérience, il faudra que les preuves du passage du possible à l'existant, soient équivalentes à 1999 au moins. Celui qui aura fait ce calcul, dans la supposition dont il s'agit, & trouvé la valeur de la probabilité égale à 1999, ou moindre que cette quantité, sera un inconvaincu de bonne foi. Celui qui n'aura point fait le calcul, mais qui l'aura présumé tel en effet qu'il est & qu'il doit être, par l'habitude d'un esprit exercé à discerner la vérité, sans entrer dans la discussion scrupuleuse des preuves, sera nécessairement un incrédule ; l'impie aura dans la bouche le discours de l'incrédule, & dans l'esprit une présomption contraire : ainsi l'inconviction est éclairée par la méditation, l'incrédulité par le sentiment, & l'impiété s'étourdit elle-même ; l'inconvaincu mérite d'être instruit, l'incrédule d'être exhorté, l'impie seul est sans excuse. L'impiété ne répugne point à la crédulité. Un idolatre qui croit en son idole & qui la brise, quand il n'en est pas exaucé, est un impie ; un catholique qui approche de la sainte table sans reconnoître en lui-même les dispositions nécessaires, est un impie ; un mahométan aux yeux duquel les différens articles de sa croyance sont autant de rêveries qui ne sont pas dignes d'occuper sa réflexion, est un incrédule ; le protestant qui, sur un examen impartial, parvient à se former des doutes graves sur la préférence qu'il donne à sa secte, est un inconvaincu. Au reste, comme il s'agit ici de questions morales, il pourroit bien arriver que quoiqu'il y eût deux mille à parier contre un que telle chose est, cependant elle ne fut pas. L'inconvaincu peut donc supposer raisonnablement la vérité où elle n'est pas : il est encore bien plus facile à l'incrédule de s'y tromper. Mais il ne s'agit point de ce qui est ou de ce qui n'est pas, il est question de ce qui nous paroît. C'est avec nous mêmes qu'il importe de nous acquiter ; & quand nous serons de bonne foi, la vérité ne nous échappera pas. Il y a le même danger à tout rejetter & à tout admettre indistinctement ; c'est le cas de la crédulité, le vice le plus favorable au mensonge.


CRÉECK(les) Géog. mod. nation de l'Amérique septentrionale, sauvage & idolâtre ; elle est voisine des établissemens des Anglois dans la nouvelle Géorgie. Les Créecks vont tout nuds, sont fort belliqueux, & se peignent des lésards, des serpens, crapaux & autres animaux de cette espece sur le visage pour paroître plus redoutables.


CREGLINGEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Franconie, au marggraviat d'Anspach sur la Tauber.


CREICHAW(Géog. mod.) petit pays d'Allemagne dans le bas-Palatinat, arrosé par le Creich, petite riviere qui se jette dans le Rhin près de Spire.


CREIL(Géograph. mod.) petite ville de France dans l'île de France, sur l'Oise. Longit. 20. 8. 11. Lat. 49. 13. 10.


CREMou CRESME, (Géog. mod.) ville d'Italie dans l'état de Venise, capitale du Cremasque, sur le Serio. Long. 27. 25. lat. 45. 25.


CREMAILLIERES. f. terme qui a différentes acceptions. Voyez les articles suivans. C'est dans une montre ou pendule à répétition, la piece que l'on pousse avec le poussoir, ou que l'on tire avec le cordon, lorsqu'on veut qu'elle répete. Par ce mouvement elle produit deux effets : 1°. elle bande le ressort de la répétition, qui en se débandant la fait sonner : 2°. elle va s'appuyer sur les degrés du limaçon des heures, pour la déterminer à sonner l'heure marquée par les aiguilles.

Dans les pendules à répétition à la françoise, où elle ne sert qu'à produire ce dernier effet, on l'appelle rateau. Voyez REPETITION, CADRATURE, &c.

Quoique nous ayons dit que le cordon d'une pendule à répétition étoit attaché à la crémailliere, cependant il tient plus ordinairement à une poulie fixée sur l'arbre de la grande roue de sonnerie. Voyez REPETITION. (T)

CREMAILLIERE, en terme d'Orfévre en grosserie, se dit proprement d'un morceau de fer dentelé dont le cric est garni, au bout duquel la main s'accroche & qui est tiré lui-même par la machine que nous avons décrite en parlant du cric ou banc à cric. Voy. BANC.

CREMAILLERES ou CREMAILLIERS, (Rubanerie & Manufacture en soie) Ce sont deux pieces de bois plates, taillées en forme de crémaillere renversée, que l'on attache sur les piliers de devant du métier. Leur usage est de recevoir deux ficelles qui sont attachées aux porterames de devant, & qui viennent terminer sur elles pour y être haussées ou baissées, suivant le besoin. Voici ce besoin. Lorsque le tems est sec, les rames s'allongent, & conséquemment les lissettes seroient plus basses que le peigne, ce qui ne se doit jamais : il faut donc que l'ouvrier tire à lui le porterame, en baissant les cordes sur les crémailleres, ce qui remet les rames dans leur état. Au contraire lorsque le tems est humide, les rames se raccourcissent, se haussent : il faut donc faire le contraire.

* CREMAILLERE, (Serrur.) c'est dans une serrure un méchanisme d'usage, quand elle est à pignon. Ce méchanisme consiste en deux pieces de fer dentées qui traversent la serrure dans toute sa largeur, & prennent le pignon entre leurs deux parties dentées, de sorte que le pignon ne peut tourner sans faire monter l'une des pieces & descendre l'autre. Mais ces pieces portent à leurs extrémités coudées quelquefois à double coude, des verroux, qui entrent par ce moyen haut & bas dans des gâches qui leur sont préparées.

Le pignon est mû par le moyen d'une crémaillere pratiquée à la queue du pêle, & qui entre dans les dents du pignon ; de sorte que quand on tourne la clé pour ouvrir ou fermer la porte, les verroux sortent & entrent dans leurs gâches, en même tems que le pêle sort & entre dans la gâche, par le mouvement que le pêle communique au pignon en allant & venant.

La crémaillere est encore une piece de serrurerie qui s'applique derriere les guichets des grandes portes. Cette piece a à ses extrémités des pattes qui servent à l'attacher contre le guichet. La partie qui est entre les pattes est dentée, & sert à recevoir le crochet d'une barre de fer qui est scellée dans le mur opposé, avec son lacéré. Son usage est de tenir une porte fermée entierement, ou ouverte plus ou moins, à discrétion. Pour fermer la porte entierement, on met le crochet de la barre au premier cran de la crémaillere ; pour l'ouvrir plus ou moins, on met le crochet au second, au troisieme cran, &c.

Il est évident que quand la porte est ainsi ouverte ou fermée, elle reste immobile, & ne peut ni s'ouvrir si elle est fermée, ni s'ouvrir davantage si elle est déjà ouverte.

La crémaillere a pour couverture une tringle ronde de fer rond, tout d'une piece avec elle, & qui empêche le crochet de s'échapper des crans ; & à conduire le crochet, en soûtenant la barre pendant le mouvement de la porte ou du guichet.

On appelle encore crémaillere, soit en bois, soit en fer, ces parties ou tringles dentées dans lesquelles se met un chevalet qui sert à tenir une surface, comme celle d'un pupitre, plus ou moins inclinée.

On donne le même nom à une bande de fer plat, sur la longueur de laquelle on a pratiqué des dents ou hoches profondes. Cette bande a un bout de chaine à une de ses extrémités, par lequel elle peut être suspendue ; elle est embrassée par une autre bande de fer plat qui se meut sur elle, dont l'extrémité supérieure peut s'arrêter dans chacune de ses dents, & dont l'inférieure est terminée par un crochet. On place cet assemblage dans les cheminées de cuisine ; on fait descendre ou monter le crochet à discrétion, par le moyen des dents ou crans ; on passe un pot à anse ou un chauderon dans le crochet, & ce vaisseau demeure ainsi exposé au-dessus de la flamme.


CREMASQUE(le) Géog. mod. petit pays d'Italie dans les états de la république de Venise, dont Cresme est la capitale.


CREMASTERS. m. en Anatomie ; c'est une épithete qu'on donne à deux musc es appellés autrement suspenseurs des testicules. Ce mot vient du grec , suspendere, suspendre, pendre.

C'est un trousseau de fibres musculaires qui se détache de chaque côté, quelquefois du petit oblique du bas-ventre, quelquefois du transverse, & d'autres fois de la bande ligamenteuse de Fallope, de-là descend avec une production du péritoine dans le scrotum, & s'épanoüit sur la membrane vaginale du testicule. Voyez SCROTUM, VAGIN, &c. (L)


CREMES. f. (Oeconom. rustiq.) c'est la partie la plus délicate & la plus grasse du lait. Voyez LAIT.

CREME, (Pharmacie & Diete) La creme est la décoction d'une semence farineuse, passée & rapprochée en une consistance moyenne entre la tisane ou l'état vraiment liquide & la consistance de pulte ou de bouillie claire. La creme de ris, la creme d'orge mondée, &c. sont les préparations les plus usitées de cette espece.

CREME DE CHAUX, (Chimie) voyez CHAUX.

CREME DE LAIT, (Med. Diete & Chimie) voyez LAIT.

CREME DE TARTRE, (Chimie) voyez TARTRE. (b)

CREME FOUETTEE ; c'est une creme qu'on fait élever en mousse en la foüettant avec de petits osiers ; on y fait quelquefois entrer un peu de sucre en poudre, de gomme adragante pulverisée, & d'eau-de-fleur-d'orange.


CRÉMENTS. m. (Gramm.) c'est, dans les langues tant anciennes que modernes, l'accroissement d'une ou plusieurs syllabes qui surviennent à un mot, soit dans la formation de ses tems, soit dans la formation de ses cas ; comme dans amavit de amo.


CREMIEU(Géog. mod.) petite ville de France en Dauphiné, dans le Viennois, à une lieue du Rhône. Il y en a une autre du même nom dans la même province.


CREMINIECK(Géog. mod.) ville de Pologne dans la haute Wolhinie, aux confins de la Podolie, sur la riviere d'Ikwa.


CREMITTEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Prusse brandebourgeoise, sur la Pregel.


CREMMEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la moyenne Marche de Brandebourg.


CREMNITou KREMNITZ, (Géog. mod.) ville de la haute Hongrie au comté de Zoll, remarquable par ses mines d'or & par les ducats qu'on y frappe, qui passent pour être la monnoie d'or la plus pure & la moins mêlangée qui soit connue en Europe.


CREMONE(Géog. mod.) grande & forte ville d'Italie au duché de Milan, capitale du Crémonois, sur le Pô. Long. 27. 30. lat. 45. 8.


CREMONOIS(le) Géog. mod. pays d'Italie au duché de Milan, borné par le duché de Mantoue, le Bressan, le Lodesan, le Crémasque, & le Parmesan. Il est très-fertile. Crémone en est la capitale.


CREMPE(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans le cercle de la basse Saxe, au duché de Holstein, appartenante au Roi de Danemark, sur la riviere de Crempe.


CREMS(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la basse Autriche, sur la Crems, qui se jette dans cet endroit dans le Danube.


CREMSIER(Géog. mod.) ville d'Allemagne en Moravie, sur la riviere de Morave.


CRENEAUXen termes de Fortification, sont des ouvertures qu'on pratique dans les murs de différens ouvrages de la fortification, ou dans les murs des lieux qu'on veut défendre, pour y passer le fusil & tirer sur l'ennemi. Le creneau differe de l'embrasure, en ce que celle-ci est une ouverture pour tirer le canon, & que l'autre n'est que pour le fusil. On appelle aussi le creneau meurtriere ; il doit avoir trois ou quatre pouces de diamêtre. (Q)


CRENÉESS. f. pl. déesses des fontaines, ainsi appellées du mot grec , fontaine.


CRENELAGES. f. à la Monnoie ; c'est l'action par laquelle on donne à un flanc avec la machine à marquer sur tranche, le cordonnet ou la légende sur tranche. Voyez MARQUER SUR TRANCHE.


CRENELÉadj. en terme de Blason. On dit qu'une piece honorable d'un écu est crenelée, lorsqu'elle est découpée comme l'étoient les anciennes murailles à crenaux.

Le mot françois est dérivé de cran, coupure, entaillure ; & l'anglois, de ce que c'est un endroit d'où l'on peut combattre. Upton l'appelle en latin imbatallatum, mot forgé de l'anglois ; mais la plûpart disent pinnatum, de pinna, creneau. Voyez CRENEAUX. Menet. & Trév.

Son origine vient sans-doute de ce que l'on donnoit ces sortes de figures aux guerriers qui avoient les premiers escaladé une muraille, ou défendu avec plus de courage. La Lande en Bretagne, d'argent à la face crenelée de gueules. (V)


CRENELERà la Monnoie, c'est marquer sur tranche. Voyez CRENELAGE, MARQUE SUR TRANCHE.


CRENEQUINIERS. m. (Art. milit. & Hist. mod.) homme de guerre allant à cheval & armé d'un habillement de tête semblable au heaume ou casque. On formoit des corps de crenequiniers dans notre ancienne milice.


CRENERciseau à crener. Voyez l'art. ARDOISE.


CRENONS. m. (ardoise) voyez l'article ARDOISE.


CRÉOLESadj. pris sub. (Hist. mod.) nom que l'on donne aux familles descendues des premiers Espagnols qui s'établirent en Amérique, dans le Mexique. Elles sont beaucoup plus nombreuses que les familles espagnoles proprement dites & les mestines, les deux autres sortes de familles qu'on distingue dans ces contrées ; mais elles ne peuvent parvenir aux grandes dignités. Si cette politique est réelle, elle n'a pû manquer d'être suivie des inconvéniens les plus fâcheux, comme d'exciter entre les habitans d'un même pays les dissensions & la haine, d'affoiblir l'attachement à la domination dans l'esprit des mécontens, & de tenir le gouvernement en allarmes, & toûjours attentif aux differens mouvemens d'un grand nombre de sujets dont il est peu sûr.


CREPES. m. (Manufact. en soie) étoffe claire, légere, & non croisée, de soie grise, ou telle qu'elle est sortie du cocon ou plûtôt du roüet sur lequel elle a été torse, qui se fabrique ainsi que la gaze & autres étoffes sans croisure, sur le métier à deux marches. Il y a des crêpes crêpés, & des crêpes lissés, des crêpes simples & des crêpes doubles ; c'est le plus ou le moins de tors de la soie, sur-tout à la chaîne, qui fait le crêpage, & le plus ou moins de crêpage. On crêpe en trempant dans l'eau l'étoffe au sortir du métier, & en la frottant avec un morceau de cire préparée. On la blanchit ou on la teint ensuite en noir, sur le cric, à froid, puis on lui donne l'eau gommée. Les crêpes ont des aulnages différens : ces aulnages se marquent par dix-huit numeros qui commencent à deux, suivent la progression des nombres pairs, désignent la largeur, & marquent chacun un accroissement d'un trente-deuxieme ou environ de l'aulne de Paris. L'aulnage sur lequel ils se vendent a été pris en écru au sortir du métier ; il est marqué par un plomb. La demi-piece des crêpes simples est communément de vingt-six aulnes, & celle des crêpes doubles de dix-neuf aulnes. On porte ces étoffes dans le deuil ; les lisses dans le petit deuil, & les crêpés dans le grand. Les premiers se sont fabriqués à Bologne en Italie, d'où ils ont été apportés en France, les uns disent en 1667 par François Bourgey, d'autres antérieurement par un nommé Dupuy, Lyonnois. Voyez dans le dictionn. du Comm. toutes les tromperies qui peuvent avoir lieu, & dans la fabrication, & dans le débit de cette étoffe, dont la plus importante est de vendre des crêpes de Lyon pour des crêpes de Bologne. Il n'y a que la chaîne qui fasse la frisure dans le crêpe uni ; & le gros crêpe ne differe du crêpe crêpé, qu'en ce qu'il est plus fort.

CREPE, (Perruq.) Les Perruquiers appellent crêpe les cheveux qu'ils ont nattés & tortillés dans leur longueur, après les avoir frisé par le bout, & avant que de les mettre en pâté. Cette opération les fait bouffer. On employe ces sortes de cheveux dans les perruques ordinaires, mais on n'en met point dans les perruques naturelles.


CREPÉadj. (Manufact. soie & laine) se dit de toute étoffe qui tient du crêpe ou du crêpon, ou dont la chaîne est très-torse, & la trame filée lâchement. Il y a une étoffe qui vient d'Angleterre sous le nom de crispée ou crispé ; ce n'est qu'une espece d'étamine dont le nom indique assez la fabrication. Voyez CREPE & CREPON ; voyez ÉTAMINE.

CREPEE, voyez l'article précédent.


CREPI(Géog. mod.) ville de France dans l'île de France, capitale du Valois. Long. 20. 28. lat. 49. 12.


CRÉPIDESsub. f. pl. (Hist. anc.) espece de chaussure. Voyez l'art. CHAUSSURE. C'étoit chez les Grecs celle des philosophes, & chez les Romains celle du petit peuple. On ferroit les crépides, & elles se nommoient alors crepidae aeratae. Elles ne couvroient pas tout le pié. Les femmes les portoient dans la ville.


CREPINES. f. (Boutonnier) est un ouvrage travaillé à jour par le haut, & pendant en grands filets ou franges par en-bas, qui se fait avec l'aiguille, le crochet, la brochette, les pinces, & le fuseau à lisser.

Les crêpines servent à enrichir les ornemens d'églises, les meubles, les carrosses, &c.

Les matieres qu'on y employe le plus ordinairement sont l'or, l'argent, la soie, le fil, &c.

On les cloue ou bien on les coud sur les étoffes, de maniere que les franges tombent perpendiculairement en en-bas.

Les maîtres Passementiers-Boutonniers ont droit par l'art. 24 de leurs statuts de 1653, de fabriquer toutes sortes de crêpines sans aucune exception. Mais comme les crêpines sont de véritables franges, les Frangiers ont aussi le droit d'en fabriquer.

CREPINE, (Rôtisseur & Boucher) c'est la toile de graisse qui couvre la panse de l'agneau, & qu'on étend sur les rognons quand il est habillé. Voyez le diction. de Trév.


CREPIRv. act. en Bâtiment, est employer le plâtre ou le mortier avec un balai, sans passer la truelle par-dessus. Lat. arenatum opus, selon Vitruve. (P)

CREPIR le crin, (Cordier) c'est faire bouillir le crin dans l'eau après l'avoir cordé, pour le friser & le rendre propre aux Selliers, Tapissiers, & autres artisans.

Suivant les reglemens rendus en faveur des maîtres Cordiers de Paris, il n'est permis qu'à eux seuls de faire le crin, le crêpir & le bouillir.

CREPIR les cuirs, terme de Corroyeur qui signifie la même chose que tirer à la pommelle. Voyez POMMELLE.

Cette façon se donne aux cuirs de vache avant que de les passer en suif : elle fait sortir le grain du côté de la fleur. Voyez CORROYER.


CRÉPITATIONsub. f. (Chirurg.) bruit que les bouts ou pieces d'os font en se froissant ensemble, lorsque le chirurgien remue le membre pour s'assûrer de l'existence d'une fracture par l'organe de l'oüie.

Un des signes sensibles des fractures, est celui de la crépitation. Pour faire avec le moins de douleur cette épreuve, presque toûjours nécessaire, on tient ou plûtôt on fait tenir fixement la partie supérieure du membre cassé, tandis qu'on remue légerement la partie inférieure. Ce mouvement qu'on doit exécuter le plus doucement qu'il est possible, fait frotter les extrémités des os les unes contre les autres, & par conséquent occasionne la crépitation. Il arrive quelquefois qu'on ne l'entend point, mais alors la main supplée à l'oreille ; car ce mouvement produit dans la main une sensation, qu'il ne produiroit pas s'il n'y avoit point de fracture.

Il faut prendre garde de confondre la crépitation dont il s'agit, avec l'espece de craquement qu'on sent en pressant les tumeurs emphysémateuses, & sur-tout avec le cliquetis des articulations : ce dernier cliquetis, qui peut être plus ou moins sensible, se rencontre assez ordinairement quand les jointures ont souffert ; & il dépend de ce que les ligamens en se gonflant se raccourcissent, serrent les os de plus près, & chassent d'entr'eux la synovie.

Nous avons en françois les trois termes craquement, cliquetis, crépitation, qui expriment très-bien le bruit que font les os par leur choc, leur froissement ou leur tiraillement dans diverses maladies, mais ils ne caractérisent pas ces maladies ; il faut la théorie & la connoissance de l'art pour éviter de les confondre. C'est ce qui constitue la différence du chirurgien au bailleul, c'est-à-dire de l'homme éclairé dans sa profession à un ignorant téméraire, qui ose en usurper la pratique. Voyez FRACTURE. Art. de M(D.J.)


CREPONsub. m. (Manufact. en laine) étoffe non croisée dont la chaîne est filée plus torse que la trame. Elle se fabrique sur le métier à deux marches, ainsi que les étamines. Il y en a un grand nombre d'especes, qui portent différens noms selon les lieux où elles ont été fabriquées : les unes sont entierement laine, les autres soie & laine, & même d'entierement soie : ces dernieres se fabriquent à Naples, où on les appelle ritorti.


CREPUSCULAIREadj. (Astr.) On appelle cercle crépusculaire un cercle parallele à l'horison, & abaissé au-dessous de l'horison de 18 degrés ; c'est le cercle terminateur des crépuscules. Voyez à l'article suivant CREPUSCULE.


CREPUSCULES. m. en Astronomie, est le tems qui s'écoule depuis la premiere pointe du jour jusqu'au lever du soleil, & depuis le coucher du soleil jusqu'à la nuit fermée. Voyez JOUR, LEVER, &c.

On suppose ordinairement que le crépuscule commence & finit, quand le soleil est à dix-huit degrés au-dessous de l'horison. Il dure plus long-tems dans les solstices que dans les équinoxes, & dans la sphere oblique que dans la sphere droite. On en peut voir la raison dans les inst. astronom. de M. le Monnier, pag. 405. & suiv.

Les crépuscules sont causés par la réfraction que souffrent les rayons du soleil en passant par l'atmosphere, qui réfléchit ensuite ces rayons jusqu'à nos yeux. En effet supposons un observateur en O (Pl. astronomique, fig. 41.), dont l'horison sensible soit A B, & que le soleil soit au dessous de l'horison ; le rayon E T du soleil entre d'abord dans l'atmosphere en E, & devroit naturellement continuer sa route suivant E T, en s'éloignant de la terre. Or, comme les couches de l'atmosphere sont d'autant plus denses qu'elles sont plus proches de la terre, les rayons du soleil passent continuellement d'un milieu plus rare dans un plus dense ; ils doivent donc se rompre (voyez REFRACTION) en s'approchant toûjours de la perpendiculaire, c'est-à-dire du demi-diamêtre C E. Par conséquent ces rayons n'iront point en T, mais viendront toucher la terre en D, pour tomber ensuite sur A en un point de l'horison sensible ; & de tous les rayons qui sont rompus en E, aucun ne peut arriver en A que le rayon A D. Or, comme les particules de l'atmosphere réfléchissent les rayons du soleil (voyez REFLEXION), & que l'angle D A C est égal à C A O, les rayons réfléchis en A viendront en O, lieu du spectateur ; ainsi le spectateur recevra quelques rayons, & par conséquent commencera à appercevoir la pointe du jour.

On peut expliquer de la même maniere le crépuscule du soir par la réfraction & la réflexion des rayons du soleil.

L'abaissement du soleil sous l'horison, au commencement du crépuscule du matin, ou à la fin du crépuscule du soir, se termine aisément ; savoir, en observant le moment où le jour commence à paroître le matin, ou bien celui où il finit le soir ; & trouvant ensuite le lieu du soleil pour ce moment, & par conséquent la quantité dont il est abaissé au-dessous de l'horison.

Alhazen la trouve de dix-neuf degrés, Tycho de dix-sept, Stevin de dix-huit, Cassini de quinze ; Riccioli le matin dans les équinoxes de 16d, le soir de 20d 30', le matin au solstice d'été de 21d 25', & le matin au solstice d'hyver de 17d 25'. Wolf, élemens d'Astronomie.

On ne sera point étonné de la différence qui se trouve entre les calculs de tous ces astronomes, si on remarque que la cause du crépuscule est sujette aux changemens. En effet, si les exhalaisons répandues dans l'atmosphere sont plus abondantes ou plus hautes qu'à l'ordinaire, le crépuscule du matin commencera plûtôt, & celui du soir finira plus tard que de coûtume ; car plus les exhalaisons seront abondantes, plus il y aura de rayons réfléchis, par conséquent plus la lumiere sera grande ; & plus les exhalaisons seront hautes, plus elles seront éclairées de bonne heure par le soleil. A quoi on peut ajoûter que quand l'air est plus dense, la réfraction est plus grande ; & que non-seulement la densité de l'atmosphere est variable, mais aussi sa hauteur par rapport à la terre. Cependant il paroit qu'aujourd'hui les Astronomes conviennent assez généralement de prendre dix-huit degrés pour la quantité du moins moyenne de l'abaissement du soleil, à la fin ou au commencement du crépuscule.

De ce que nous venons de dire, il s'ensuit que quand la déclinaison du soleil & l'abaissement de l'équateur sous l'horison, sont tels que le soleil ne descend pas de 18 degrés au-dessous de l'horison, le crépuscule doit durer toute la nuit. C'est pour cela que dans nos climats au solstice d'été nous n'avons, pour ainsi dire, point de nuit, & que dans des climats plus septentrionaux il n'y en a point du tout, quoique le soleil soit sous l'horison. C'est ce qui arrive quand la différence entre l'abaissement de l'équateur & la déclinaison boréale du soleil est plus petite que 18 degrés. Il suffit de faire la figure pour s'en convaincre.

L'élevation du pole (fig. 42.) & la déclinaison du soleil étant donnés, trouver le commencement du crépuscule du matin & la fin du crépuscule du soir. Puisque dans le triangle P S Z, les trois côtés sont donnés : savoir, P Z complément de l'élevation du pole P R, P S complément de la déclinaison, & S Z somme du quart de cercle Z D, & de l'abaissement D S du soleil, on trouvera l'angle Z P S. Voyez TRIANGLE. Ensuite on convertira en tems le nombre de degrés de cet angle, & l'on aura le tems qui doit s'écouler depuis le commencement du crépuscule du matin jusqu'à midi. Voyez TEMS.

Pour trouver le crépuscule par le moyen du globe artificiel, voyez GLOBE.

Le crépuscule est un des principaux avantages que nous retirons de notre atmosphere ; en effet, si nous n'avions point d'atmosphere autour de nous, la nuit viendroit dès que le soleil se cacheroit sous notre horison, ou le jour naîtroit dès que le soleil reparoîtroit, & nous passerions ainsi tout d'un coup des ténebres à la lumiere & de la lumiere aux ténebres. L'atmosphere dont nous sommes environnés fait que le jour & la nuit ne viennent que par des degrés insensibles.

Kepler a prétendu expliquer les crépuscules par le moyen d'une matiere lumineuse répandue autour du soleil, qui s'élevant près de l'horison en forme de cercle, forme, selon lui, le crépuscule ; cette matiere peut bien y entrer pour quelque chose, mais le crépuscule qui en provient paroît d'une bien moindre durée que celui qui est causé par notre atmosphere, lequel ne finit que quand le soleil est à environ 18 degrés au-dessous de l'horison. Il y a apparence que cette matiere qui est autour du soleil est ce qui produit la lumiere zodiacale. Voyez LUMIERE ZODIACALE & AURORE BOREALE.

Les crépuscules d'hyver sont moins longs que ceux d'été ; parce qu'en hyver l'air étant plus condensé doit avoir moins de hauteur, & par conséquent les crépuscules finissent plûtôt ; c'est le contraire en été. De plus les crépuscules du matin sont plus courts que ceux du soir ; car l'air est plus dense & plus bas le matin que le soir, parce que la chaleur du jour le dilate & le raréfie, & par conséquent augmente son volume & sa hauteur. Le commencement du crépuscule arrive lorsque les étoiles de la sixieme grandeur disparoissent le matin ; mais il finit quand elles commencent à paroître sur le soir, la lumiere du soleil dont l'air est pénétré étant le seul obstacle qui les empêchoit de paroître. En été vers les solstices, le crépuscule s'est trouvé quelquefois durer trois heures quatre minutes, & celui du soir presque la moitié de la nuit. Voyez inst. astron. de M. le Monnier.

De tout ce que nous avons dit, il s'ensuit que le commencement du crépuscule du matin ou la sin de celui du soir étant donnés, on trouvera facilement l'élevation de l'air qui réfléchit la lumiere. Car la sin du crépuscule arrive lorsque les rayons S D (fig. 41.) qui partent du soleil, rasent la terre & se réfléchissent vers l'oeil de l'observateur par les parties les plus élevées A de l'atmosphere ; de sorte que menant du point O un rayon O A tangent de la terre, qui soit réfléchi en A D, & qui rase la terre en D, il faut que la hauteur A N de l'atmosphere soit telle, que ce rayon A D fasse avec l'horison A B un angle de 18 degrés ; parce que le crépuscule commence ou finit lorsque le soleil est à 18 degrés au dessous de l'horison. M. de la Hire a fait ce calcul dans les mémoires de l'académie des Sciences de Paris pour l'année 1713, en ayant égard à quelques autres circonstances dont nous ne faisons point mention ici, & qu'on peut voir dans son mémoire & dans les inst. astron. pag. 403 ; il a trouvé la hauteur A N de l'atmosphere d'environ 15 1/3 lieues.

Dans la sphere droite, c'est-à-dire pour les habitans de l'équateur, les crépuscules sont plus courts que par-tout ailleurs, parce que le soleil descend perpendiculairement au-dessous de l'horison, & que par conséquent il est moins de tems à s'abaisser sous l'horison de la valeur de 18 degrés. Plus on s'éloigne de l'équateur, plus les crépuscules sont longs ; & enfin proche des poles ils doivent être de plusieurs mois.

Il y a pour chaque endroit du monde un jour dans l'année où le crépuscule est le plus court qu'il est possible. On trouve dans l'analyse des infiniment petits à la fin de la troisieme section, un problème où il s'agit de trouver ce jour du plus petit crépuscule, l'élevation du pole étant donnée. On trouve aussi une solution de la même question dans les inst. astr. de M. le Monnier, pag. 407. Ce problème est résolu très-élégamment dans les deux ouvrages, & ne présente aucune difficulté considérable ; cependant M. Jean Bernouilli dit dans le recueil de ses oeuvres, tome I. page 64. qu'il en a été occupé cinq ans sans en pouvoir venir à bout. Cela vient apparemment de ce qu'il avoit d'abord résolu le problème analytiquement, au lieu d'employer l'espece de synthèse qu'on trouve dans l'analyse des infiniment petits & dans les inst. astr. synthèse qui rend la solution bien plus simple. En effet, si on résoud ce problème analytiquement, on tombe dans une équation du quatrieme degré, dont il faut d'abord trouver les quatre racines, & ensuite déterminer celle ou celles de ces racines qui résolvent la question. Comme cette matiere n'a été traitée dans aucun ouvrage, que je sache, avec assez de détail, je vais la développer ici suivant le plan que je me suis fait d'éclaircir dans l'Encyclopédie ce qu'on ne trouve point suffisamment expliqué ailleurs.

Soit (fig. 41. n°. 2. astron.) P le pole, Z le zenith, H O l'horison, E C le rayon de l'équateur, E e la déclinaison cherchée du soleil le jour du plus petit crépuscule ; h o le cercle crépusculaire parallele à l'horison, lequel cercle est abaissé au-dessous de l'horison de 18 degrés, suivant les observations. Soit l'inconnue C c sinus de la déclinaison du soleil = s, & soient les données C Z = 1, C Q sinus de 18 degrés = k, P N sinus de la hauteur du pole = h, on trouvera c T = ; T S = ; & par conséquent c S = ; or c e ou , s étant prise pour sinus total, c S est le sinus de l'angle horaire depuis le moment de six heures jusqu'à la fin du crépuscule, & c T le sinus de l'angle horaire depuis le moment de six heures jusqu'à l'instant où le soleil atteint l'horison. Donc est le sinus du premier angle, & est le sinus du 2d ; or la différence de ces deux angles est proportionnelle au tems du crépuscule. Donc nommant le premier sinus u, & le second u', on aura - un minimum, & par conséquent = ; substituant pour u & u' leurs valeurs, en ne faisant varier que s, on parviendra à une équation de cette forme - = 0 ; c'est-à-dire s4 + (2 h s3)/ k - s s + s s h h - (2 h s)/k - h h = 0.

Cette équation peut être regardée comme le produit de ces deux-ci s s - 1 = 0 ; s s + (2 h s)/k + h h = 0 (Voyez EQUATION ; d'où l'on tire les quatre valeurs suivantes de s ; s = 1, s = - 1 ; s = - h/k + = - h/k + h/k & s = - h/k - h/k . Or de ces quatre valeurs, il est d'abord évident qu'il faut rejetter les deux premieres ; car l'une donneroit la déclinaison boréale du soleil = 1, l'autre la déclinaison australe = 1, & cela ne se peut pour deux raisons : 1° parce que la déclinaison du soleil n'est jamais égale à 90 degrés : 2°. parce que s = 1, donneroit les sinus des deux angles horaires égaux à l'infini, comme il est aisé de le voir : ce qui ne se peut ; car tout sinus réel d'un angle réel ne sauroit être plus grand que l'unité. Il ne reste donc que les deux valeurs - & - . J'examine d'abord la seconde de ces deux valeurs, & je vois qu'elle est négative, ce qui indique que la déclinaison donnée par cette valeur est australe & non boréale, comme nous l'avons supposé dans la solution.

D'ailleurs il faut que soit plus petit que le sinus total, & jamais plus grand que le sinus e de 23d 1/2, qui est la plus grande déclinaison du soleil ; ce qui donne h + h < ou = k e, & par conséquent h = ou < ; de plus si on cherche la tangente de la moitié de l'angle dont le sinus est k, c'est-à-dire de la moitié de l'arc crépusculaire de 18 degrés, & par conséquent la tangente de neuf degrés, on trouvera que cette tangente est ; car 1°. la tangente de l'angle dont le sinus est k, est (voyez TANGENTE) ; 2°. si on divise cet angle en deux parties égales, & qu'on nomme x la tangente de la moitié de l'angle, on aura cette proportion x : - x : : 1 : ; car on sait que dans un triangle dont l'angle du sommet est divisé en deux parties égales, les parties de la base sont comme les côtés adjacens. Donc x = donc au lieu de s = - h on peut mettre s = - h/x ; donc on dira, comme la tangente x de neuf degrés est au sinus de l'élevation du pole, ainsi le sinus total est au sinus de la déclinaison australe. Il faut donc pour que s soit = h/x, que l'élevation du pole soit très-petite, puisque x est déjà une quantité très-petite, & que h/x ne sauroit être > e ; ainsi cette racine s = - h/x ne servira de rien dans les cas où + h/x sera > e. Nous verrons dans la suite ce qu'elle indique lorsque h/x est < e.

A l'égard de l'autre valeur s = - , elle est évidemment négative aussi, puisque 1 est > ; ce qui donne encore la déclinaison du soleil australe ; & comme on a = (ce qui est aisé de voir en multipliant en croix les deux membres) il s'ensuit que cette seconde valeur est = - h x ; donc on dira, comme le rayon est à la tangente de neuf degrés, ainsi le sinus de la hauteur du pole est à la déclinaison australe cherchée : c'est l'analogie que M. Jean Bernoulli & M. de l'Hopital ont donnée pour la solution de ce problème ; & la racine s = - h x résout par conséquent la question, parce que h x est toûjours plus petit que e ; car la tangente x de 9 degrés est plus petite que le sinus e de 23d 1/2. Mais l'autre racine s = - h/x résout-elle aussi le problème ? Voilà où est la difficulté.

Pour la résoudre, nous n'avons qu'à supposer dans la solution primitive que la déclinaison soit australe au lieu d'être boréale, & faire le calcul comme dessus, nous trouverons . pour le sinus d'un des angles horaires, & pour l'autre ; nous verrons de plus que c'est alors la somme de ces angles, & non leur différence, qui est le tems du crépuscule, comme il est aisé de le prouver en considérant la figure, le point e se trouvant de l'autre côté de E ; car le point c se trouvera alors entre les points T & S, & T S sera égale, non à la différence, mais à la somme de c S & de c T. Achevant donc le calcul, on trouvera une équation qui ne différera de l'équation du quatrieme degré en s trouvée ci-dessus, que par les signes des termes impairs, c'est-à-dire des termes où sont s3 & s. Cette équation sera le produit de s s - 1 par s s - (2 h s)/k + h h, & l'on aura deux valeurs positives de s, savoir s = . Ce sont les deux valeurs de s, lorsque la quantité du quatrieme degré s4 - (2 h s3)/ k &c. est supposée = 0. Cela posé, on peut regarder cette quantité comme le produit de 1 - s s positive par (2 h s)/s - h h - s s ; & lorsque s4 - (2 h s3)/ k + &c. sera > 0, on aura (2 h s)/h - h h - s s > 0, & s s + h h - (2 h s)/k < 0,& par conséquent s - h/k < & h/k - s < . Donc s < h/k + , & s > . Donc la quantité s4 - (2 h s3)/ k &c. < 0donnera s > h/k + ; & s < . Or la quantité s4 - (2 h s3)/ k &c. = 0, vient de (s k - h) = h ; en supposant la somme ou la différence des deux angles horaires égale à un minimum ; la somme pour le cas de - h, & la différence pour le cas de + h ; donc la quantité s4 - (2 h s3)/ k &c. < 0ou - s4 + (2 h s3)/ k &c. > 0, viendra (en supposant s k - h positive) de (s k - h) > h ; or, pour que s k - h soit positive dans cette condition, il faut prendre s > h/k + h ; donc si s > h/h + h , on a la différence des deux angles horaires positive : je dis la différence, & non la somme ; car si c'étoit la somme, il faudroit que h dans le second membre eût le signe - ; donc la valeur de s = h/k + h donne, non la somme des deux arcs égale à un minimum, mais leur différence égale à un minimum : je dis à un minimum ; car prenant s plus grand que , la différence se trouve positive. V. MINIMUM. Donc la valeur de s = ne résoud pas le problème du plus court crépuscule ; mais un autre problème, qui n'est ni celui du plus court, ni celui du plus long crépuscule, & qui néanmoins se réduit finalement à la même équation du quatrieme degré ; parce que les quantités étant élevées au quarré, la différence des signes disparoît. Ceci ne surprendra point les algébristes, qui savent que souvent une équation donne par ses différentes racines, non-seulement la solution du problème qu'on s'est proposé, mais la solution d'autres problèmes qui ont rapport à celui-là, sans être le même. Plusieurs équations très-différentes, lorsque l'on n'a pas ôté les signes radicaux, deviennent la même lorsqu'on les ôte. Voyez EQUATION.

Enfin, si on suppose s4 - (2 h s3)/ k &c. > 0, & s > , on trouvera que ces conditions donnent - s4 + (2 h s3)/ k &c. < 0,& par conséquent (à cause que h - s k est ici positif) (h - s k) < h & h + (s k - h) > 0 ; donc la différence de la somme des deux arcs est = 0, lorsque s = ; & est positive, lorsque s est plus grand. Donc cette somme est un véritable minimum, lorsque s = , & par conséquent cette valeur de s est la seule qui résolve véritablement le problème du plus court crépuscule : je dis du plus court, & non pas du plus long. Car l'équation du plus long crépuscule seroit la même que celle du plus court, en faisant la différente = 0 ; parce que la regle pour les maxima & pour les minima est la même ; ainsi il pouvoit encore rester ici de l'équivoque ; mais elle est levée entierement, lorsque l'on considere que s > h/k - h donne la différence positive, ce qui indique le minimum. Si - k k/k la différence étoit négative, alors le tems du crépuscule seroit un maximum. Mais, dira-t-on, quel sera le jour du plus long crépuscule ? Car il y en aura un. Je réponds que le plus long crépuscule ne se trouve pas en faisant la différence de la somme des arcs égale à zéro, mais en prenant le crépuscule du jour de la plus grande déclinaison boréale du soleil, & celui du jour de la plus grande déclinaison australe, & en cherchant lequel de ces deux crépuscules est le plus grand. Car il n'y a qu'un seul crépuscule qui soit le plus court, puisqu'il n'y a qu'une valeur de s pour le plus court crépuscule ; donc c'est un des deux crépuscules extrêmes qui est le plus long. V. sur tout cela les art. MAXIMUM & MINIMUM, où nous ferons plusieurs remarques sur les quantités plus grandes & plus petites.

M. de Maupertuis dans la premiere édition de son Astronomie nautique, s'est proposé la même question que nous venons de discuter ; il l'a résolue en très-grande partie, & nous devons ici lui en faire honneur ; cependant il y restoit encore quelque chose à discuter ; & c'est apparemment pour cette raison qu'il a supprimé cette solution dans la seconde édition de son ouvrage, pour n'être pas obligé, en la donnant tout au long, d'entrer dans un détail que son plan ne comportoit pas. Nous avons tâché d'y suppléer ici, & de remplir un objet que M. de Maupertuis auroit sans-doute rempli aisément lui-même, s'il l'avoit jugé à propos. (O)


CREQUIERS. m. (Blason) sorte de prunier sauvage, qui croît dans les haies de Picardie, & qui porte un fruit qu'on appelle creque. Quelques-uns veulent cependant que le créquier soit un arbre imaginaire. La maison de Créqui en porte un dans ses armes, où il est représenté avec sept branches disposées en forme de chandelier, & de petits fruits comme des câpres. Le P. Menestrier dit que le créquier est un cerisier sauvage, qui ayant été mal représenté dans un tems où les Peintres & les Graveurs n'étoient point habiles, a toûjours retenu depuis la même figure dans les armoiries. Dictionn. de Trév. (V)


CRESS. f. (Manuf. en toile) toile qui se fabrique à Morlaix & aux environs. Il y en a de communes qu'on appelle Rosconnes, Gratiennes, Pedernecqs, Landernaux, Plougastel, Saint-Paul, Plouvigneaux, Prats, & qui ont de largeur la demi-aulne de Paris. Les autres sont ou de deux tiers justes, ou de trois quarts justes. Voyez les dictionn. de Trév. de Dish, & les régl. du Comm.


CRESCENTINO(Géog. mod.) ville d'Italie au Piémont, dans le Verceillois, sur le Pô. Long. 25. 40. lat. 45. 30.


CRESSIER(Géog. mod.) petite ville de la Suisse dans la principauté de Neufchâtel, appartenant au roi de Prusse.


CRESSONS. m. (Hist. nat. bot.) nasturtium, genre de plante dont la fleur est à quatre feuilles disposées en croix ; le calice pousse du fond un pistil, qui devient, après que la fleur est passée, un fruit presque rond, applati, composé de deux panneaux séparés par une cloison transversale, contre les bords de laquelle sont assemblés les panneaux. Ce fruit renferme des semences ordinairement plates. Ajoûtez au caractere de ce genre que les feuilles sont découpées, ce qui fait une différence entre le cresson & le thlapsi. Tournef. inst. rei herb. Voy. PLANTE. (I)

CRESSON D'EAU ou DE FONTAINE, (Mat. med. Pharm. & Diete) Le cresson d'eau est une des plantes anti-scorbutiques, des plus actives & des plus efficaces ; elle contient un esprit alkali volatil, assez sensible, qui s'éleve dans la distillation à un très-leger degré du feu : c'est pourquoi les medecins exacts ne doivent point la prescrire sous forme de décoction ; aussi en ordonne-t-on communément le suc à la dose de trois ou quatre onces : on peut exprimer ce suc commodément de la plante fraîche dans tous les tems de l'année.

Si l'on veut faire entrer cette plante dans les bouillons anti-scorbutiques, qui sont des remedes fort usités, il faut nécessairement ou se contenter de l'infusion de la plante au bain-marie, & dans des vaisseaux exactement fermés, ou en introduire le suc dans le bouillon à demi-refroidi.

On prépare dans les boutiques une eau distillée, & un extrait de cresson ; on préparoit aussi son sel lixiviel, lorsqu'on n'avoit pas encore découvert, que ces sortes de sels ne retenoient rien des vertus particulieres des plantes dont ils avoient été tirés.

Le suc, l'eau distillée de cresson, sont de très-bons anti-scorbutiques ; très-analogues au suc & à l'eau de cochléaria, dont ils sont même les succédanés ordinaires. Voyez COCHLEARIA.

On employe encore assez communément & avec succès le suc de cresson, soit seul, soit coupé avec du petit-lait, dans différentes maladies de la peau & des reins, dans les maladies des yeux, dans les obstructions commençantes, & dans quelques maladies de la poitrine, comme les asthmes & les phthisies au premier degré ; on le fait même manger dans ces derniers cas, à poignée, par bottes, ou sans dose ; & l'efficacité de cette plante donnée de cette façon, est confirmée par plusieurs observations.

Plusieurs auteurs recommandent l'usage extérieur du cresson pour la gale de la tête des petits enfans, & pour les dartres legeres.

La préparation du suc de l'eau distillée qui contient toutes les parties volatiles du cresson, n'ont rien de particulier ; voyez SUC, EAU DISTILLEE : il faut seulement avoir soin dans la distillation de cette plante, comme de toutes celles de la même classe, de ne point se servir de vaisseau de cuivre, ceux mêmes qui sont étamés n'étant pas très-sûrs. Il faut se servir des vaisseaux d'étain. Voyez DISTILLATION.

Le cresson mangé crud avec les volailles & sous quelqu'autres viandes rôties, en est un assaisonnement très-salutaire ; il excite l'appétit, favorise la digestion ; il produit les mêmes bons effets, mangé en salade, soit seul, soit avec quelqu'autres herbes insipides, dont il corrige la crudité. Son usage diététique est fort analogue à celui de la moutarde. Voyez MOUTARDE.

Outre l'eau distillée, & l'extrait de cresson que l'on tient dans les boutiques, cette plante est encore d'un fréquent usage en Pharmacie ; elle entre dans le decoctum, & le vin anti-scorbutique, dans l'eau générale, dans l'eau & le sirop anti-scorbutiques. L'eau distillée entre dans la composition de l'eau pour les gencives.

CRESSON ALENOIS ; le cresson alenois est très-peu employé en Medecine ; on peut pourtant s'en servir comme de la plûpart des anti-scorbutiques alkalins, auxquels il n'est pas inférieur en vertu, & qui pourroit même être préféré dans quelques cas, à cause de sa partie aromatique qui est assez sensible ; son usage diététique nous est beaucoup plus familier : on le mange très-communément en salade, mêlé avec les plantes insipides, comme la laitue, la chicorée, dont il releve non-seulement le goût, mais même dont il facilite la digestion. Voyez SALADE. (b)


CRES(LE) Géog. mod. petite ville de France en Auvergne, près de l'Allier. Il y a une autre petite ville de ce nom en France dans le Dauphiné, sur la Drome. Long. 22. 44. lat. 44. 45.


CRETÉadj. terme de Blason ; il se dit des coqs à cause de leur crête.

Vaugué en Vivarès, d'azur au coq d'argent, crêté & barbelé de gueules.


CRETE DE COQcrista galli, terme d'Anatomie ; éminence de l'os ethmoïde qui avance dans la cavité du crane, & à laquelle s'attache la partie de la dure-mere qui sépare le cerveau en deux, & que l'on nomme la faulx. Voyez CERVEAU.

Cette éminence est appellée crête de coq, parce qu'elle en a la figure. Voyez COQ.

Dans les adultes elle paroît d'une seule piece, avec la cloison de l'os cribleux ou ethmoïde. Voyez ETHMOÏDE.

On donne encore le nom de crête à différentes éminences inégales & longues, de certains os. La crête du tibia, la crête de l'os des hanches. (L)

CRETE DE COQ, (Bot. & Mat. med.) espece de pédiculaire. Cette plante n'est point en usage parmi nous : on la croit cependant propre à arrêter les hémorrhagies de toutes especes, étant prise en décoction. On la met au nombre des plantes vulnéraires, & on la dit excellente pour guérir les fistules. (b)

CRETES, en Bâtiment, ce sont les cueillies ou arrêtieres de plâtre, dont on scelle les tuiles faîtieres. (P)

CRETE DU CHEMIN-COUVERT, ou plûtôt DU GLACIS, est en Fortification, la partie la plus élevée du glacis. Ainsi l'on dit qu'on est logé sur la crête du glacis, lorsqu'on est établi sur le haut du glacis. (Q)

CRETE ou PATE, (Jard.) est un terme de terrassier, qui signifie une élévation ou bute de terre que l'on trouve en dressant un terrein, & qu'il faut araser. (K)

CRETE voyez CANDIE.


CRETENETSS. m. plur. (Hist. ecclés.) communauté d'ecclésiastiques, fondée vers le milieu du dernier siecle par M. Cretenet.


CRETENISTESS. f. pl. (Hist. ecclés.) soeurs de la congrégation de S. Joseph, ainsi appellées d'un chirurgien de Champlite en Bourgogne nommé Cretenet, qui les institua dans plusieurs lieux.


CRETINSS. m. plur. (Hist. mod.) on donne ce nom à une espece d'hommes qui naissent dans le Vallais en assez grande quantité, & sur-tout à Sion leur capitale. Ils sont sourds, muets, imbecilles, presque insensibles aux coups, & portent des goêtres pendans jusqu'à la ceinture ; assez bonnes gens d'ailleurs, ils sont incapables d'idées, & n'ont qu'une sorte d'attrait assez violent pour leurs besoins. Ils s'abandonnent aux plaisirs des sens de toute espece, & leur imbecillité les empêche d'y voir aucun crime. La simplicité des peuples du Vallais leur fait regarder les Cretins comme les anges tutélaires des familles, & ceux qui n'en ont pas se croyent assez mal avec le ciel. Il est difficile d'expliquer la cause & l'effet du Cretinage. La malpropreté, l'éducation, la chaleur excessive de ces vallées, les eaux, les goêtres même sont communs à tous les enfans de ces peuples. Ils ne naissent pas cependant tous Cretins. Il en mourut un à Sion pendant le séjour que fit en cette ville M. le comte de Maugiron, de la société royale de Lyon ; on ne voulut point lui permettre de le faire ouvrir. Il s'est borné à examiner (apparemment sur le vivant) les deux sexes ; il n'y a rien remarqué extérieurement d'extraordinaire que la peau d'un jaune fort livide. Voyez VALLAIS. Ce détail est tiré d'un mémoire de M. le comte de Maugiron, dont l'extrait nous a été communiqué, & qui a été lû à la société royale de Lyon. (O)


CRETONNES. f. (Manuf. en toile) toile blanche, ainsi nommée de celui qui en a fabriqué le premier ; elle a la chaîne de chanvre, & la trame de lin ; la largeur & la longueur des pieces varient beaucoup. Il y a des cretonnes fines, grosses, & moyennes. Voyez les dict. du Comm. & de Trév.


CREUSAGES. m. (Gravure en bois) c'est dans la nouvelle maniere de préparer le bois pour graver les lointains, &c. l'action de le creuser aux places nécessaires avec la gouge, & de le polir avec le grattoir à creuser. V. CREUSER & GRAVURE EN BOIS. Article de M. PAPILLON.


CREUS(LA), Géog. mod. riviere de France qui prend sa source dans la haute Marche, & se jette dans la Vienne.


CREUSERv. act. & n. c'est en général pratiquer une profondeur ; selon la nature de la profondeur, la creusure s'appelle trait, crenelure, cannelure, rigole, rainure, &c.

CREUSER, (Gravure en bois) c'est, dans la nouvelle maniere, ajuster le bois pour y graver ensuite les lointains & parties éclairées ; maniere pratiquée pour la premiere fois en 1725, par M. Papillon, & perfectionnée depuis. Elle consiste, 1°. à creuser avec la gouge ces endroits peu à peu, artistement & assez, pour que les balles en touchant la planche n'y mettent point trop d'encre, & que le papier posé dessus en imprimant, n'y atteignant que legerement, ces parties ne viennent point trop dures & trop noires à l'impression, & ne soient pas d'égale teinte ou force, que celles qui forment les grandes ombres : 2°. à se servir de quelque grattoir à creuser, pour polir & unir ces fonds, afin de pouvoir dessiner dessus & les graver. Voyez à GRAVURE EN BOIS, immédiatement après les principes de cet art, la maniere de faire proprement ce creusage. Article de M. PAPILLON.


CREUSETsubst. m. (Chimie) Le creuset est un vaisseau de terre, dont la forme la plus ordinaire est celle d'un gobelet (voyez la Planche), qui est employé par les Chimistes pour exécuter diverses opérations qui demandent un feu violent, & des vaisseaux ouverts ou qu'on n'est pas obligé de fermer très-exactement. Les opérations qui s'exécutent dans les creusets ordinaires, sont la fusion & la calcination des sels, la fixation du nitre par différentes matieres, la fusion, la calcination, la réduction, la cementation & l'alliage des substances métalliques, la vitrification de leurs chaux, la préparation des régules, la combinaison du soufre avec les substances alkalines, la formation du soufre artificiel, la fusion des terres & des pierres, &c.

Les creusets employés dans quelques arts chimiques, qui s'occupent de quelqu'une des opérations que nous venons d'indiquer, sont des creusets de cette espece ; tels sont les creusets des Verreries, ceux dont on se sert pour la préparation du cuivre jaune, &c. Voyez VERRERIE & CUIVRE JAUNE.

On donne des formes particulieres aux creusets qu'on employe dans les essais des mines, & qu'on appelle, à cause de cet usage, creusets d'essai. Voyez ESSAI.

Les qualités essentielles d'un bon creuset, sont celles-ci : il doit résister au plus grand feu sans se casser & sans se fendre ; il ne doit rien fournir aux matieres que l'on traite dedans ; & enfin il ne doit pas être pénétré par ces matieres, & les laisser échapper à-travers ses pores, ou à-travers des trous sensibles qu'elles se pratiquent dans leurs parois & dans leur fond.

La matiere la plus propre à former des creusets qui réunissent dans le plus grand nombre de cas les trois conditions que nous venons d'assigner, est une excellente terre glaise, purifiée de toute terre calcaire, & mêlée d'un peu de sable. Cette matiere étant bien préparée, & cuite avec soin, prend une dureté considérable, & ses parties se lient par une sorte de demi-vitrification.

La terre cuite réduite en poudre, celle des fragmens de vieux creusets, par exemple, mêlée à de la bonne argille, fournit un mêlange très-propre à donner de bons creusets.

Mais ce n'est proprement qu'à l'expérience aveugle & au tatonnement qu'on doit les meilleurs creusets qu'on employe dans les laboratoires, & ce n'est presque que par ce moyen que l'on peut encore raisonnablement tenter de les perfectionner.

On prévient facilement l'inconvénient qui pourroit dépendre de ce qu'un creuset seroit sujet à casser ou à se fendre, en l'échauffant & le laissant réfroidir avec précaution ; ce n'est que dans un petit nombre de cas qu'il peut nuire, comme fournissant quelque principe aux matieres qu'il contient (je ne connois guere de changement essentiel observé qui dépende de cette cause, que la réduction du plomb opérée par la craie dans une expérience de M. Pott, d'après laquelle cet habile chimiste a condamné la prétention de quelques auteurs qui avoient écrit, qu'un morceau de craie creux, étoit un excellent creuset pour tenir en fonte le verre de plomb) ; mais le grand défaut des creusets ordinaires, c'est d'être entamés, pénétrés, & percés par certaines substances, entre lesquelles le sel marin, l'alkali fixe ordinaire, & le verre de plomb sont les plus connues ; ensorte que tenir longtems le sel marin, le sel de tartre, & le verre de plomb en fonte, c'est-là l'éloge éminent pour un creuset.

Les creusets d'Allemagne, & sur-tout ceux de Hesse, ont été longtems fameux parmi les Chimistes de toutes les nations ; nous ne nous en servons presque plus en France, parce que nous en avons de meilleurs. Les creusets ordinaires des fournalistes de Paris sont généralement bons pour toutes les opérations ordinaires ; mais ils ne tiennent pas longtems les sels & les verres de plomb, épreuve que les creusets d'Allemagne ne soûtiennent pas non plus. Les meilleurs creusets d'Allemagne n'ont pû résister à certains mélanges très-fusibles, que M. Pott a traité dans ces vaisseaux (voyez la Lithogeognosie) ; il y a apparence que les nôtres ne seroient pas plus propres aux mêmes expériences.

M. Rouelle a éprouvé depuis quelques années, que les petits pots de grais dans lesquels on porte à Paris le beurre de Bretagne, & qu'on trouve chez tous les Potiers sous le nom de pots à beurre, étoient les plus excellens creusets qu'on pût employer, & qu'ils pouvoient remplir les desirs de plusieurs chimistes, qui ayant des prétentions sur le verre de plomb, se sont plaints de n'avoir point de vaisseaux qui le pûssent longtems tenir en fonte. Voyez PLOMB.

Quelques chimistes ont employé des creusets doubles, c'est-à-dire, un creuset emboîté juste dans un autre creuset, pour exposer à un feu longtems continué des mélanges difficiles à contenir ; M. Pott a eu recours avec succès à cet expédient. Voyez la Lithogeognosie.

On fait une espece de descensum en plaçant l'un sur l'autre deux creusets, dont le supérieur a le fond percé de plusieurs trous, & adapté exactement à l'ouverture de l'inférieur ; cet appareil est principalement employé à retirer l'antimoine de sa mine. Voyez ANTIMOINE, DISTILLATION & DESCENSUM.

On se sert très-commodément d'un creuset comme d'une capsule à bain de sable, dans plusieurs opérations, par exemple, dans la sublimation en petit. V. SUBLIMATION. (b)

CREUSET, c'est une partie du fourneau des grosses forges. Voyez GROSSES FORGES.


CREUSONsub. m. (Comm.) écu ou piastre de Milan ; il vaut cinq livres dix-sept soldis du pays.


CREUSSEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Franconie, au marggraviat de Culmbach, sur les confins du haut Palatinat.


CREUSURES. f. (Horlogerie) nom que les Horlogers & d'autres ouvriers donnent en général à des cavités, mais sur-tout à celles qui sont un peu grandes, & dont le fonds est plat ; tel est dans une montre simple celle de la platine des piliers du côté du cadran, & qui sert à contenir les roües de la cadrature, la barrette, &c. Les creusures servent en général dans les montres à contenir des roües, qui par la disposition du calibre, ne pourroient pas se trouver au-dessus du plan des platines. Voyez PLATINE, &c. (T)


CREUTZ(Géog. mod.) ville royale de l'Esclavonie, sur la riviere de Hun, capitale d'un comté de même nom, situé entre la Save & la Drave.

Il y a encore une ville de même nom dans la basse Hongrie, près d'Oldenbourg.


CREUTZBERG(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Thuringe, sur les frontieres du pays de Hesse, sur le Werra.


CREUTZBOURG(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Silésie, à la principauté de Brieg, sur la Trinnitz. Il y a une autre ville du même nom en Livonie, dans la province de Letten.


CREUTZENACH(Géog. mod.) ville d'Allemagne, au palatinat du Rhin, sur la Nave. Long. 25. 16. lat. 49. 64.


CREUXadj. & subst. Creux, adjectif, est synonyme à profond ; creux, substantif, est synonyme à cavité. Ces mots sont d'un usage fort étendu dans les Arts ; on dit, en Musique, d'un chanteur qu'il a du creux, lorsque sa voix descend fort bas ; en Fonderie, de l'intérieur d'un moule ; en Architecture, de l'espace vuide d'une colonne, &c.

CREUX, s. m. (Marine) Les marins appellent le creux, la profondeur d'un vaisseau, & c'est la distance qu'il y a entre le dessus de la quille & le dessus du bau du premier pont, non compris le bouge de ce bau. Voyez Planche V. de Marine, fig. 1. où la ligne X X désigne le creux.

Le creux se fait ordinairement des neuf vingtiemes du bau, c'est-à-dire d'une dixieme partie moindre que sa moitié, & quelquefois d'une douzieme.

D'autres constructeurs font cette profondeur exactement égale à la moitié du bau ou de la largeur, & cela afin de rendre plus élevée au-dessus de la surface de l'eau la premiere batterie, & l'empêcher d'être noyée.

La hauteur du premier pont vers le milieu du navire se trouve fixée par le creux ; mais comme on donne ordinairement un peu de relevement au pont à l'avant & l'arriere, il en résulte que le creux est plus grand en ces endroits qu'au milieu ; & la différence du tirant d'eau augmente encore beaucoup le creux de l'arriere, & diminue celui de l'avant ; mais quand on parle du creux d'un vaisseau, c'est du creux du milieu ou vis-à-vis le maître gabary dont il s'agit. Car le creux de l'arriere est le creux du milieu, plus la tonture du pont, & encore la moitié de la différence du tirant d'eau ; le creux de l'avant est le même que celui de l'arriere, moins toute la différence du tirant d'eau. Ce qu'on vient de voir est tiré des savans traités de MM. Bouguer & Duhamel, sur la construction des vaisseaux, auxquels on peut avoir recours si l'on a besoin de quelques détails plus particuliers sur cet article. (Z)

CREUX D'UNE VOILE, (Marine) c'est l'enfoncement que le vent fait dans la voile lorsqu'il souffle & l'enfle. (Z)


CREVANT(Géog. mod.) petite ville de France en Bourgogne, sur la riviere d'Yonne.


CREVASSECREVASSE

CREVASSE, en Bâtiment ou Architecture, est une fente ou un éclat qui se fait à un enduit qui boufe. (P)

CREVASSE, (Maréch.) les Maréchaux appellent ainsi des fentes qui viennent aux paturons & aux boulets des chevaux, & qui rendent une eau rousse & puante. Dict. de Trév. (V)


CREVECOEUR(Géog. mod.) petite ville de France dans les Pays-bas au Cambrésis, sur l'Escaut.


CREVELT(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans le cercle de Westphalie, au comté de Meurs, au roi de Prusse.


CREVERv. act. c'est rompre avec effort, soit en détruisant la continuité de dehors en-dedans, comme à une peau de tambour ; soit en la détruisant de dedans en-dehors, comme à une vessie ; soit d'un côté à l'autre, comme à un papier.

CREVER UN CHEVAL, (Manege) c'est l'outrer & le fatiguer extraordinairement par de trop longues courses. (V)

CREVER, CREVURES, CREVASSES, en Gravure ; on se sert de ces termes pour exprimer les endroits où les tailles sont confondues dans l'ouvrage, soit par le défaut de l'eau-forte ; ou par l'incapacité du graveur qui a donné des coups de burin qui se confondent les uns dans les autres.


CREVETen termes d'Aiguilletier, est une sorte de lacet qui ne peut être que de tresse, ferré par un bout en forme de croix, & par l'autre à l'ordinaire, avec lequel les femmes se lacent en échelle. Voyez ECHELLE DE RUBANS.


CREVETTE(Hist. nat.) Voyez SQUILLE.


CREVILLE(Géog. mod.) petite ville de France dans la basse Normandie, sur la riviere de Seille.


CREVONSS. m. terme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Poitou, ou des sables d'Olone ; ce sont de petites pêcheries ou parcs de pierres formés par la nature entre les rochers dont cette côte est couverte. Comme les tempêtes y sont fort ordinaires, ils se trouvent souvent bouleversés d'une marée à l'autre ; & comme il n'y a aucun platin de sable depuis la rive de l'est de la baie du Perray jusqu'aux sables d'Olone, le frai & le poisson du premier âge ne peuvent y séjourner, & encore moins s'y former. Les battures sont trop grandes pour y prendre d'autres poissons que les ronds, & les plats fuyent toûjours les roches & les fonds de cette espece : aussi ces sortes de pêcheries sont-elles toutes d'une forme très-irréguliere, & ajustées au terrein sur lequel on les a faites. Il n'y a point d'autre retenue d'eau que des perches plantées aux égoûts, sans gonnes, bourgnes, ni nasses ; & c'est pour les distinguer des pêcheries bâties de pierres & amoncelées, que les riverains nomment celles-ci des crévons. Lorsqu'il leur arrive d'être détruits ou comblés, les riverains ne s'embarrassent point de les réparer ou de les nettoyer.


CREZEAUS. m. (Manuf. en laine) espece de grosse serge à deux envers, & à poil des deux côtés ; il y en a de gros & de fins ; de blancs & de colorés.


CRICLAMEUR, (Synon. Gramm.) le dernier de ces mots ajoûte à l'autre une idée de ridicule par son objet ou par son excès. Le sage respecte le cri public, & méprise les clameurs des sots. (O)

CRI D'ARMES ou CRI DE GUERRE, (Hist. mod. & Art milit.) On appelloit ainsi certaines paroles en usage chez nos premiers François & chez les autres peuples de l'Europe pour animer les soldats au combat, ou pour se faire connoître dans les batailles & dans les tournois.

On trouve dans l'antiquité des traces de cette coûtume, & sur-tout bien expressement dans l'Ecriture au livre des Juges, chap. vij. où Gédeon donna pour mot ou pour cri de guerre, aux soldats qu'il menoit contre les Madianites ces paroles, Domino & Gedeoni, au Seigneur & à Gédeon.

Parmi les modernes, le cri de guerre étoit une suite de la banniere, c'est-à-dire que nul n'étoit reconnu pour gentilhomme de nom, d'armes, & de cri, s'il n'avoit droit de lever banniere, l'un & l'autre servant à mener des troupes à la guerre & à les rallier. Dans les batailles, les bannerets faisoient le cri, desorte que dans une armée il y avoit autant de cris qu'il y avoit de bannieres ou enseignes. Mais outre ces cris particuliers, il y en avoit un général pour toute l'armée, & c'étoit celui du général ou du roi, quand il s'y trouvoit en personne. Quelquefois il y avoit deux cris généraux dans une même armée, lorsqu'elle étoit composée de deux différentes nations. Ainsi dans la bataille donnée entre Henri de Transtamare & Pierre le Cruel, en 1369, les Espagnols du parti de Henri crierent Castille au roi Henri, & les François auxiliaires, commandés par Bertrand du Guesclin, prirent pour cri, Notre-Dame, Guesclin. Le cri général se faisoit unanimement par tous les soldats en même tems à l'instant de la mêlée, tant pour implorer l'assistance du ciel, que pour s'animer au combat les uns les autres ; & les cris particuliers servoient aux soldats à s'entre-connoître, & aux chefs à démêler leurs soldats, à les tenir serrés autour de leur banniere, ou à les rallier en cas de besoin. Dans les tournois, c'étoient les hérauts d'armes qui faisoient le cri lorsque les chevaliers étoient prêts d'entrer en lice. Le cri de la famille appartenoit toûjours à l'aîné ; & les puînés ne prenoient le cri de leur maison, qu'en y ajoûtant le nom de leur seigneurie.

Mais le roi Charles VII. ayant établi des compagnies d'ordonnance vers l'an 1450, & dispensé les bannerets d'aller à la guerre accompagnés de leurs vassaux, l'usage du cri d'armes a été aboli ; il ne s'est conservé que dans les armoiries, auxquelles on joint souvent le cri de la maison. Le cri le plus ordinaire des princes, des chevaliers, & des bannerets, étoit leur nom ; quelques-uns ont pris le nom des maisons dont ils étoient sortis ; d'autres celui de certaines villes, parce qu'ils en portoient la banniere ; ainsi le comte de Vendome crioit Chartres : des princes & seigneurs très-considérables ont crié leurs noms ou ceux de leurs villes principales avec une espece d'éloge, ainsi le comte de Hainaut avoit pour cri, Hainaut au noble comte ; & le duc de Brabant, Louvain au riche duc. La seconde maniere de cri, étoit celui d'invocation ; les seigneurs de Montmorenci crioient Dieu aide, & ensuite Dieu aide au premier chrétien ; parce qu'un seigneur de cette maison reçut, dit-on, le premier le bâteme après le roi Clovis. La maison de Bauffremont, en Lorraine & en Bourgogne, avoit pour cri ces mots, Bauffremont, au premier chrétien, probablement pour une pareille raison. Les ducs de Normandie crioient, Diez aye, Dam Diez aye, c'est-à-dire, Dieu nous aide, le Seigneur Dieu nous aide ; car dans la seconde de ces formules, dam est pris pour dom, dominus, & non pour Notre-Dame, ainsi que l'a pensé la Colombiere. Le duc de Bourbon crioit Notre-Dame, Bourbon ; & le duc d'Anjou, S. Maurice. La troisieme espece étoit un cri de résolution, comme celui que prirent les croisés pour la conquête de la Terre-sainte sous Godefroi de Bouillon, Diez le volt, c'est-à-dire Dieu le veut. La quatrieme sorte de cri est celui d'exhortation, tel que celui du seigneur de Montoison de la maison de Clermont en Dauphiné, à qui le roi Charles VIII. cria à la recousse Montoison, ou celui des seigneurs de Tournon, au plus druz, c'est-à-dire au plus épais & au plus fort de la mêlée. La cinquieme espece est celui de défi ; comme le cri des seigneurs de Chauvigni, chevaliers pleuvent, c'est-à-dire viennent en foule. La sixieme sorte de cri celui de terreur ou de courage, ainsi les seigneurs de Bar crioient au feu, au feu ; & ceux de Guise, place à la banniere. La septieme espece est des cris d'évenement, comme celui des seigneurs de Prie, cant l'oiseaux, parce qu'un seigneur de cette maison avoit chargé l'ennemi dans un bois où chantoient des oiseaux. La derniere espece étoit le cri de ralliement, comme celui de Mont-joye S. Denis, c'est-à-dire ralliez-vous sous la banniere de saint Denis. Ducange, Dissert. xj. sur l'hist. de S. Louis. Le P. Menestrier, origine des armoiries.

Tous ces différens cris de guerre étoient bons dans les batailles avant l'invention de la poudre à canon & l'introduction des armes à feu. Malgré le cliquetis des armes & le bruit des combattans, on pouvoit encore quelquefois entendre ces différens signaux.

On avoit même autrefois recours aux cris, parce que le visage des chefs se trouvant caché par le heaume qui le couvroit entierement, il falloit un cri ou signal pour reconnoître son chef, & se rallier à sa troupe.

Aujourd'hui les troupes ne se reconnoissent dans une action que par leurs enseignes, leur uniforme & d'autres marques visibles ; ce qui n'empêche pas qu'il n'arrive quelquefois des méprises & du desordre. Au reste ces cris de guerre n'ont pas été tellement propres aux Européens, qu'on n'en ait trouvé de semblables parmi les peuples d'Amérique, si l'on en croit d'Acosta. Les Orientaux, tels que les Persans, les Tartares, & les Turcs, ont coûtume d'attaquer leurs ennemis en poussant des cris & des hurlemens ; ces derniers sur-tout crient allah, allah Mahomet. Si dans une bataille contre les chrétiens ils voyent que ceux-ci, après les avoir enfoncés, négligent de les poursuivre, ils crient giaur camar, c'est-à-dire l'infidele a peur, & c'est un signal de ralliement pour revenir à la charge. Si au contraire ils se voyent enfoncés & pressés l'épée dans les reins, alors ils crient giaur gildy, c'est-à-dire les infideles sont à nos talons, ce qui est une marque de leur fuite & de leur déroute entiere. (G)

CRI ou CRY DE LA FETE, (Jurisp. & Hist.) est un droit qui se paye en certains endroits au seigneur, pour l'annonce de la fête du lieu. Dans l'origine c'étoit la rétribution que l'on payoit à celui qui alloit de porte en porte pour annoncer la fête ; ensuite on se contenta de l'annoncer seulement dans la place publique, & par succession de tems les seigneurs ont appliqué à leur profit la rétribution qui se payoit à leur préposé, & l'ont convertie en un droit seigneurial : il en est parlé dans l'histoire de Verdun. (A)

CRI PUBLIC, (Jurisp.) se prend quelquefois pour clameur publique. Un homme pris en flagrant délit, peut être arrêté à la clameur publique, sans decret ni ordonnance de justice préalable.

Cri public signifie aussi la proclamation, ban, publication qui se fait, après avoir amassé le peuple à son de trompe ou de tambour, dans les places publiques & carrefours d'une ville, bourg & autres lieux, à l'effet de rendre une chose publique.

Cet usage est fort ancien dans la plûpart des villes. Il est dit dans des lettres du roi Jean, du 7 Août 1351, que les consuls de Fleurence en la sénéchaussée de Toulouse, ont droit d'y faire des cris publics dans les affaires qui regardent leur jurisdiction.

Les réglemens de police se publient encore par cri public ; il n'y avoit point d'autre maniere de les rendre vraiment publics jusqu'en 1461, que commença l'usage des affiches au coin des rues ; & encore présentement on ne laisse pas de publier à son de trompe certains réglemens qui concernent jusqu'au menu peuple, afin que ceux qui ne savent pas lire, ne puissent prétendre cause d'ignorance des affiches. Ces sortes de publications ne peuvent être faites que par le juré-crieur de la justice, accompagné des jurés-trompettes ou tambours commis à cet effet.

En matiere criminelle, en cas d'absence de l'accusé, après qu'il a été assigné à la quinzaine par affiche à la porte de l'auditoire, il est assigné à la huitaine par un seul cri public. Cette assignation & ce cri public se font dans la place publique, & dans la place qui est au-devant de la jurisdiction où le procès s'instruit, & encore au-devant du domicile ou résidence de l'accusé. L'huissier qui donne cette assignation à cri public, se fait accompagner de plusieurs jurés-trompettes ; & après que ceux-ci ont assemblé le peuple par leurs chamades, l'huissier fait à haute voix la lecture de l'assignation. Voyez ci-dev. CONTUMACE, & ci-après CRIEUR PUBLIC. (A)


CRIAGECRIAGE


CRIARDES(Comm.) se dit des dettes, lorsque ceux avec qui elles ont été contractées, en sollicitent le payement avec importunité.

CRIARDES, (Manuf. en toile) grosses toiles qui sont très-gommées, & qui par conséquent ne se frottent point sans faire du bruit, ce qui les a fait nommer criardes.


CRIBLES. m. (Oecon. rust.) machine destinée à nettoyer les grains des ordures dont ils sont mêlés. Voyez l'article GRAINS.

CRIBLE dans l'oeconomie animale, (Physiol.) c'est un plan ou une surface étendue, percée de petits trous, qui, en refusant passage aux parties épaisses & grossieres, en séparent les plus fines, & les admettent : tels sont les petits vaisseaux rouges avec leurs branches latérales, où le sang ne peut entrer. On a vû les fermens, les archées, les cribles, l'air étranger s'introduire hardiment en Medecine depuis Harvey. Boerhaave, comment. (L)

CRIBLE, en terme de Fondeur de plomb à tirer ; c'est une peau percée d'une infinité de trous ronds, & montée sur un cerceau de bois. Les Fondeurs s'en servent pour trier le plomb à l'eau, & en distinguer les différentes grosseurs.

CRIBLE, voyez a l'article JARDINAGE, la définition de cette machine ; & dans nos Planches d'agriculture, sa représentation.


CRIBLEUXadj. terme d'Anatomie : on appelle os cribleux, un petit os qui est au haut du nez, & qui est percé comme un crible, pour laisser passer plusieurs petites fibres qui viennent des productions mammillaires, & qui vont se répandre dans les membranes qui tapissent les cavités des narines : on l'appelle aussi ethmoïde. Voyez ETHMOÏDE. Dict. de Trév. & Chambers. (L)


CRIBRATIONS. f. (Chymie, Pharm.) La cribration, ou la cribellation, est une de ces opérations employées par les Chymistes, qu'ils appellent méchaniques ou préparatoires. Elle sert en général à séparer les parties les plus fines d'une poudre seche, ou même d'un corps grossierement pilé, de leurs parties les plus grossieres. Les instrumens employés à cette opération, sont les différens cribles.

Les cribles les plus serrés ou les plus fins, sont connus dans les boutiques sous le nom de tamis. Voyez TAMIS.

Ils servent à la préparation des poudres fines, prescrites dans l'Art sous cette formule : Fiat pulvis per setaceum trajiciendus.

Il est encore une autre opération pharmaceutique qui s'exécute par le moyen des tamis, & qui peut être regardée comme une espece de cribration. C'est la préparation des pulpes. Voyez PULPE.

Les gros cribles sont employés par les Apoticaires & les Droguistes, pour monder différentes drogues seches, soit de la poussiere ou d'autres impuretés dont elles pourroient être chargées, soit même d'un certain débris ou grabot qui diminueroit leur qualité. (b)


CRICS. m. (Méchan.) machine dont plusieurs ouvriers, entr'autres les Charpentiers & les Maçons, se servent pour enlever des corps très-pesans. Elle est ordinairement composée de plusieurs roües dentées, qui font sortir d'une forte boîte, par une ouverture pratiquée en-dessus, une barre de fer qui peut monter & descendre par le moyen des dents qu'on a pratiquées sur ses côtés, & dans lesquelles s'engrenent celles des roües. Cette barre est terminée par un crochet qu'on applique aux poids à élever. Le principe de la force de cette machine est le même que celui des roües dentées. Voyez ROUE, & Pl. du Charpent. fig. 16.


CRICGOW(Géog. mod.) ville du grand duché de Lithuanie, dans le palatinat de Mcizlaw.


CRICO-PHARYNGIAen Anatomie, nom d'une paire de muscles qui viennent des parties latérales, externes & postérieures du cartilage cricoïde, d'où ils montent obliquement pour se croiser sur la ligne blanche du pharinx. (L)


CRICO-THYROIDIENterme d'Anatomie, nom que l'on donne à la premiere paire des muscles du larynx. Voyez LARYNX. Leur nom leur vient de ce qu'ils prennent leur origine de la partie latérale & antérieure du cartilage cricoïde, & vont s'insérer à la partie inférieure de l'aile du cartilage thyroïde. Dict. de Trév. & Chambers. (L)


CRICOARITHÉNOIDIENadj. terme d'Anatom. c'est le nom que l'on donne à deux paires de muscles qui servent à ouvrir le larynx.

Il y a les cricoarithénoïdiens postérieurs, & les cricoarithénoïdiens latéraux.

Les latéraux viennent du bord de la partie latérale & supérieure du cartilage cricoïde, & s'inserent à la partie supérieure & postérieure du cartilage arithénoïde. Voyez CRICOÏDE.

Les postérieurs ont leur origine à la partie postérieure & inférieure du cartilage cricoïde, & s'inserent à la partie supérieure & postérieure du cartilage arithénoïde. Dict. de Trév. & Chambers. (L)


CRICOIDEterme d'Anatomie ; c'est un cartilage du larynx, qu'on appelle ainsi parce qu'il est rond comme un anneau, & qu'il environne le larynx. Voyez LARYNX.

Le cricoïde, qui est le second cartilage du larynx, est étroit par devant, large & épais par-derriere, sert de base à tous les autres cartilages, & est comme enchâssé dans la thyroïde.

C'est par son moyen que les autres cartilages sont joints à la trachée-artere, c'est pourquoi il est immobile. Chambers.

La face postérieure est divisée en deux par une espece de ligne saillante longitudinale.

On remarque dans ce cartilage quatre facettes articulaires ; deux latérales inférieures, pour la connexion avec les cornes inférieures du cartilage thyroïde ; & deux postérieures latérales & supérieures, qui sont plus considérables : elles ressemblent à des petites têtes sur lesquelles roulent les cartilages arythénoïdes, dans les cavités desquelles ces têtes sont reçues. Voyez THYROÏDE & ARYTHENOÏDE.

Il est attaché par son bord antérieur le plus étroit, avec le thyroïde, par un ligament très-fort ; par plusieurs ligamens courts & forts, autour de l'articulation de ces deux facettes latérales inférieures, avec les deux cornes inférieures du thyroïde ; par son bord inférieur au premier cerceau cartilagineux de la trachée-artere ; avec les cartilages arythénoïdes, au moyen d'une membrane capsulaire qui environne leur articulation.

Ces cartilages sont presque toûjours ossifiés dans les sujets avancés en âge, & beaucoup plus épais que quand ils sont cartilages ; les cellules dont ils sont alors remplis, & les vésicules médullaires qui s'y remarquent, sont propres à entretenir la légereté & la souplesse nécessaires pour les usages auxquels ils sont destinés. (L)


CRIECRIE

CRIE, (pierre de la) est celle où l'on fait les publications, & sur laquelle on vend à l'encan les meubles saisis. Il y avoit autrefois à Paris la pierre de marbre dans la cour du palais, qui servoit à cet usage ; & il y a encore dans le même lieu une pierre où l'on fait les exécutions, quand la cour fait brûler quelque libelle par la main du bourreau. A Bourges & en plusieurs autres endroits où il y a de semblables pierres, on les appelle pierre de la crie. Voyez le gloss. de Lauriere, au mot CRIE. (A)


CRIÉE(Jurisp.) est une proclamation publique qui se fait par un huissier ou sergent, pour parvenir à la vente par decret de quelqu'immeuble.

On usoit chez les Romains de semblables proclamations, qui étoient appellées bonorum publicationes praeconia.

Ces proclamation se faisoient sub hastâ, de même que la vente forcée des effets mobiliers ; d'où est venu le terme de subhastations, qui est encore usité dans quelques provinces : on en parlera en son lieu.

Les titres du droit qui ont rapport à nos criées, sont de rebus autoritate judicis possidendis seu vendendis, au digeste & au code ; & le titre de fide & jure hastae fiscalis & adjectionibus, au code.

L'usage des criées en France est fort ancien, comme il paroît par le style du parlement dans Dumolin, qui en fait mention sous le titre de cridis & subhastationibus.

La plûpart des coûtumes ont reglé la forme des criées. Celle de Ponthieu, qui fut la premiere rédigée par écrit, en exécution de l'ordonnance de Charles VII. y a pourvû.

Les ordonnances anciennes & nouvelles contiennent aussi plusieurs dispositions sur cette matiere. Il y a entr'autres l'ordonnance d'Henri II. du 23 Novembre 1351, connue sous le nom d'édit des criées, qui fait un réglement général pour la forme des criées.

On confond quelquefois parmi nous les criées avec la saisie réelle, & même avec toute la poursuite de la saisie réelle, & la vente & adjudication par decret. En effet, on dit souvent que l'on met un bien en criées, pour exprimer en général qu'on le fait saisir réellement, & que l'on en poursuit la vente par decret ; & dans la plûpart des coûtumes on a mis sous le titre des criées, tout ce qui y est ordonné par rapport aux saisies réelles & ventes par decret. C'est aussi dans ce même sens que quelques auteurs qui ont traité des saisies réelles, criées & vente par decret, ont intitulé leurs traités simplement traité des criées, comme M. le Maitre, Gouget, Forget & Bruneau.

Il paroît que dans ces occasions on a pris la partie pour le tout, & que l'on a principalement envisagé les criées comme étant la plus importante formalité de la poursuite d'un décret.

Au reste il est constant que les criées sont des procédures totalement distinctes & séparées de la saisie réelle qui les précede toûjours, & de la vente par decret qui ne peut être faite qu'après les criées.

Aussi les derniers auteurs qui ont traité cette matiere, n'ont-ils pas intitulé leurs ouvrages traité des criées, mais traité de la vente des immeubles par decret ; tels que M. d'Héricourt, qui en a donné un fort bon traité ; & M. Thibaut procureur au parlement de Dijon, qui en a donné aussi un suivant l'usage du duché de Bourgogne.

Les criées proprement dites ne sont donc parmi nous qu'une des formalités des decrets ; ce sont des proclamations publiques qui se font après la saisie réelle, à certains jours, par le ministere d'un huissier ou sergent, pour faire savoir à tous ceux qui peuvent y avoir intérêt, que le bien saisi réellement sera vendu & adjugé par decret.

On appelle poursuivant criées, celui qui poursuit la vente par decret.

Dans quelques provinces les criées sont connues sous le terme d'inquants.

L'édit des criées ne dit point qu'il y ait aucun délai à observer entre la saisie réelle & la premiere criée ; c'est pourquoi on peut commencer la premiere criée aussi-tôt après la saisie réelle, pourvû que ce soit un dimanche.

Il est seulement ordonné par l'édit, qu'incontinent après la saisie réelle, & avant que de faire la premiere criée, il sera établi un commissaire au régime & gouvernement des choses criées, à peine de nullité des criées ; ce qui doit s'entendre au cas que l'exploit de saisie réelle ne contînt pas d'établissement de commissaire, à quoi l'on ne manque guere ordinairement, en tout cas cette formalité pourroit être suppléée après-coup avant les criées.

Il faut aussi faire signifier la saisie réelle & l'établissement de commissaire à la partie saisie, après quoi on peut procéder à la premiere criée, quand même la saisie réelle ne seroit pas encore enregistrée.

Il faut encore, avant de procéder aux criées, que l'huissier ou sergent appose une affiche ou panonceau aux armes du Roi, où l'on marque quand se feront les criées des biens saisis, & où l'on avertit ceux qui prétendent quelques droits sur les biens saisis, de former leur opposition. Le procès-verbal d'apposition de cette affiche, doit être signifié à la partie saisie.

Le nombre des criées n'est point fixé par l'édit de 1551, ainsi il faut suivre à cet égard la coûtume du lieu & l'usage.

Il y a des pays où l'on fait trois criées de huitaine en huitaine : le parlement de Bretagne l'a ainsi ordonné par provision en 1545. On en use de même au parlement de Toulouse. On ne fait aussi que trois criées en Auvergne de quinzaine en quinzaine, ou, pour parler plus exactement, de quatorzaine en quatorzaine, comme le disent quelques coûtumes ; ainsi la premiere criée étant faite un dimanche, la seconde ne peut être faite que le second dimanche ensuite.

La coûtume d'Amiens, article 255, veut que l'on fasse quatre criées par quatre quinzaines ; ce qui doit s'entendre de la maniere qui vient d'être expliquée.

Celle de Paris ne regle rien pour le nombre des criées, ni pour le délai que l'on doit observer entre les criées ; mais on a toûjours pratiqué l'usage des quatre criées de quatorzaine en quatorzaine, suivant l'ancienne coûtume, où le titre des criées étoit aussi intitulé, des quatre quatorzaines.

Quand on craint qu'il ne manque quelque chose aux criées, pour la régularité on ordonne souvent qu'il sera fait une quinte & surabondante criée.

Au surplus, tel nombre de criées que l'on soit obligé de faire, & tel délai que l'on y doive observer, suivant la coûtume ou l'usage, il faut les faire, suivant l'édit des criées, aux jours de dimanche à l'issue de la messe paroissiale ; ce qui s'observe dans les villes aussi-bien que dans les villages. Il n'est plus d'usage de les faire au marché ni à l'audience, comme cela se pratiquoit autrefois dans quelques provinces avant l'édit d'Henri II. car ce qu'on appelle au châtelet l'audience des criées, n'est pas le lieu où elles se font, mais celui où elles se certifient.

En quelques pays, comme en Bretagne & à Nevers, on fait une quatrieme criée au marché ; mais l'édit des criées ne l'ordonnant point, on ne croit pas qu'il y eût nullité pour avoir omis cette formalité.

L'obligation de faire les criées le dimanche, est une exception aux canons & ordonnances, qui défendent de faire ces jours-là aucunes procédures ; & une dérogation à quelques coûtumes qui défendent spécialement de faire les criées le dimanche, comme celle de Nevers. Cette exception a été introduite à cause de la nécessité qu'il y a de faire les criées dans le lieu où le peuple se trouve assemblé en plus grand nombre ; ensorte qu'une criée faite le jour même de la Pentecôte, a été jugée valable : on excepte seulement le jour de Pâques.

Les criées doivent être faites à l'issue de la messe paroissiale, & non à l'issue de vêpres, même dans les coûtumes qui paroissent l'autoriser ainsi, attendu que l'édit veut, à peine de nullité, que ce soit à l'issue de la messe de paroisse.

Le procès-verbal que l'huissier fait pour chaque criée, doit contenir en substance qu'il s'est transporté à la grande porte & principale entrée de l'église paroissiale, à l'issue de la grande messe, les paroissiens sortant en grand nombre : & l'huissier doit en nommer & désigner le plus qu'il peut, & ajoûter qu'en leur présence il a fait lecture de l'affiche pour la premiere criée ; laquelle affiche il transcrit dans son procès-verbal.

Cette affiche commence par ces mots, De par le Roi, & l'on ajoûte le nom du juge de l'autorité duquel se poursuit le decret : ensuite que l'on fait à savoir à tous qu'il appartiendra, que.... (En cet endroit de l'affiche est transcrit le procès-verbal dont on vient de parler.) L'huissier déclare que c'est la premiere, seconde, troisieme ou quatrieme criée ; que les autres se continueront sans interruption à pareil jour de dimanche, à ce que si quelqu'un prétend droit de propriété ou créance sur les biens saisis réellement, il ait à le déclarer & s'opposer pendant le cours des criées, sinon que le decret étant scellé & délivré, nul n'y sera plus reçû.

L'huissier fait aussi mention dans son procès-verbal, si en procédant aux criées il est survenu ou non quelqu'opposition.

Lorsque les biens saisis réellement, soit fief ou roture, sont situés en différentes paroisses, on se sert de différens huissiers pour faire les criées.

S'il y a des biens dans le territoire d'une église succursale, & que l'on y dise une messe de paroisse, il faut y faire les criées pour ces biens.

Au cas que la messe de paroisse manquât un dimanche, l'huissier doit en dresser son procès-verbal signé de témoins, afin de pouvoir continuer les criées le dimanche suivant, & qu'il n'y ait point d'interruption.

En Normandie il y a quelques formalités particulieres pour les criées des héritages : celles des rotures se font quarante jours après la saisie ; si la paroisse où sont les biens est hors le ressort de Normandie, les criées se font au jour ordinaire du marché plus prochain du lieu où sont les biens saisis. Les criées des fiefs ne peuvent y être faites que trois mois après la saisie ; & si le fief porte le nom d'une paroisse, & que le principal manoir soit dans une autre, il faut faire les criées dans les deux paroisses. Le sergent doit aussi dans toutes criées appeller trois témoins, outre ses records ordinaires.

Les criées des rentes assignées sur les hôtels-de-ville, doivent être faites à la porte de la paroisse de l'hôtel-de-ville, comme l'ordonne la coûtume d'Orléans.

Celles des rentes foncieres se font en la paroisse de l'héritage chargé de la rente.

Pour ce qui est des rentes sur particuliers, les coûtumes de Paris, Orléans, & Calais, veulent que les criées s'en fassent en la paroisse de la partie saisie ; ce qui s'observe de même dans les coûtumes qui n'y ont pas pourvû. En Normandie elles se font en la paroisse du débiteur, suivant l'art. 4. du réglement de 1666.

A l'égard des offices, l'édit de Février 1683 veut qu'on en fasse trois publications ou criées de quinzaine en quinzaine aux lieux accoûtumés ; savoir à la paroisse du lieu où se fait le principal exercice, & au lieu où la saisie réelle est enregistrée.

Les criées des vaisseaux doivent être faites par trois dimanches consécutifs, à la porte de la paroisse du lieu où le vaisseau est amarré.

En Artois, où l'édit de 1551 n'est point observé, les criées doivent être faites dans l'année de la mise à prix, sinon la saisie réelle tombe en péremption : on ne peut les commencer avant le huitieme jour de la mise à prix. On les fait au marché breteque, c'est-à-dire destiné pour les proclamations. L'intervalle est de huitaine en huitaine, pour les rotures, & de quinzaine pour les fiefs & pour les rotures saisies avec un fief. Le dimanche qui suit chaque criée faite au marché, on en fait une à l'issue de la messe paroissiale. Il en faut quatre, tant au marché qu'à la porte de l'église.

En Franche-Comté les quatre criées se font au marché de quinzaine en quinzaine, & après les proclamations on met une affiche générale à la porte de l'église paroissiale.

Quand l'échéance est un jour de fête, on remet la criée au marché suivant, en indiquant la remise.

Suivant l'usage commun il n'est pas nécessaire de signifier les criées à la partie saisie, si ce n'est dans les coûtumes qui l'ordonnent expressément.

Les criées finies, on doit les faire certifier. La certification est une sentence qui les déclare bien & valablement faites. Cette formalité étoit déjà usitée long-tems avant l'ordonnance de 1539. L'édit de 1551 veut que les criées soient certifiées devant les juges des lieux, après que la lecture en aura été faite au jour des plaids, & iceux tenant.

Quoique le decret se poursuive dans une jurisdiction d'attribution particuliere, la certification des criées se fait toûjours devant le juge ordinaire du lieu.

Le juge de seigneur peut certifier les criées qui se font dans sa justice, pourvû qu'il y ait un nombre suffisant de praticiens pour examiner si elles sont bien faites.

Le châtelet de Paris joüit à cet égard d'un droit singulier, qui est que l'on y certifie les criées de tous les biens saisis réellement dans la prevôté de Paris, en quelque jurisdiction royale, ordinaire, ou seigneuriale, qu'ils soient situés.

Le rapport des criées qui précede la certification, se faisoit anciennement par le premier praticien du siége qui en étoit requis ; & en Normandie, par le sergent qui les avoit faites.

Au mois de Septembre 1581, Henri III. créa deux rapporteurs & certificateurs de criées en titre d'office en chaque jurisdiction royale, pour faire le rapport des criées exclusivement à tous autres.

Ces charges furent supprimées par Henri III. lequel, par une déclaration du 12 Juin 1587, en établit d'autres sous le titre de rapporteurs vérificateurs des criées ; ce qui fut confirmé par Henri IV. au mois de Juillet 1597.

Ce même prince créa aussi en 1606 des conseillers rapporteurs des criées, dans chaque jurisdiction royale de Normandie.

Mais tous ces édits ayant été regardés comme bursaux, eurent peu d'exécution. Dans plusieurs siéges ces nouveaux offices ne furent point levés ; dans d'autres on les laissa tomber aux parties casuelles ; ce qui donna lieu à l'édit du mois d'Octobre 1694, par lequel toutes ces charges de rapporteurs & de vérificateurs des criées furent supprimées. Le roi créa par le même édit des certificateurs de criées dans toutes les justices royales, & même dans les justices seigneuriales où il jugeroit à propos d'en établir.

La plûpart de ces nouvelles charges n'ayant point encore été levées, Louis XIV. en 1695 les réunit, moyennant finance, aux communautés des procureurs, dans tous les siéges où il n'y avoit point encore de vérificateurs en titre ; au moyen de quoi il y a présentement des justices, tant royales que seigneuriales, où le rapport des criées se fait par un certificateur en titre, & d'autres où il se fait par un des procureurs du siége.

Pour parvenir à la certification des criées, le poursuivant remet au certificateur en titre, ou à celui qui en fait les fonctions, le commandement recordé, la saisie réelle, l'affiche, la signification de la saisie réelle & de l'affiche à la partie saisie, le procès-verbal des criées, & les autres procédures requises par la coûtume du lieu : le certificateur en fait son rapport à l'audience, & ensuite le juge, après avoir pris l'avis des avocats & procureurs de son siége, déclare les criées bien faites, & donne acte au poursuivant.

Les ordonnances n'ont point réglé la qualité ni le nombre de ceux dont on doit prendre l'avis sur la validité des criées : la coûtume de Normandie veut qu'elles soient certifiées par sept avocats, y compris le juge, qui doivent tous signer la minute. S'il n'y a pas d'avocats, on fait certifier les criées aux plaids suivans, ou au siége royal du ressort. Un arrêt de reglement du parlement de Rouen du 16 Décembre 1662, veut que les suffrages uniformes des proches parens ne soient comptés que pour un.

Dans les autres parlemens il est d'usage de prendre l'avis des avocats & procureurs ; & à défaut de ceux-ci, on prend l'avis des notaires & sergens du siége.

Au châtelet de Paris on fait mention que l'on a pris l'avis des anciens avocats & procureurs ; mais ce n'est qu'un style, car pour l'ordinaire les avocats & procureurs n'entendent pas un mot du rapport, & le juge prononce sans avoir pris leur avis ; ce qui se pratique de même dans plusieurs autres sieges.

Suivant la jurisprudence du parlement de Paris, on doit prendre l'avis de dix avocats, procureurs, ou autres praticiens.

Au parlement de Toulouse, il suffit qu'il y en ait quatre ou cinq.

Si le juge du lieu refusoit de certifier les criées, il faudroit s'adresser au juge supérieur, qui lui enjoindroit de faire la certification, ou commettroit à cet effet un autre juge royal le plus prochain.

Quand les biens saisis sont situés en différentes jurisdictions, & que l'on veut éviter de multiplier les frais des certifications, on obtient des lettres en chancellerie, qui renvoyent toutes les criées devant le juge, qui a la plus grande partie des biens dans son ressort.

Si les criées se trouvent mal faites, on les rejette comme nulles : l'huissier ou sergent est tenu, suivant l'édit de 1694, des dommages & intérêts du poursuivant, & condamné en 60 livres d'amende, dont un tiers pour le Roi, un tiers au poursuivant, l'autre tiers pour le certificateur.

Le certificateur, le juge, ni les avocats, procureurs, & autres dont il prend l'avis, ne sont point responsables de la validité des criées, ni du bien ou mal jugé de la sentence de certification.

En débattant la procédure du decret, on peut attaquer, soit par moyen de nullité, soit par appel, les criées & la sentence de certification : la nullité de la certification n'emporte pas celle des criées.

Quand on en fait de surabondantes, il n'est pas besoin de les certifier.

On ne certifie pas non plus les criées qui se font pour les offices, ni celles qui se font pour les vaisseaux, attendu que l'édit de 1683 & l'ordonnance de la Marine n'exigent pas cette formalité.

Il y a aussi quelques pays où l'on ne fait point de certification, comme en Bresse, où les biens se vendent suivant les anciens statuts des ducs de Savoie ; on y fait seulement crier trois fois à haute voix par un huissier, que le bien sera vendu : ces proclamations se font de huitaine en huitaine, au marché, à la porte de l'église, devant le chateau ou l'auditoire, suivant l'usage du lieu.

Pendant que l'on procede aux criées, le commissaire établi à la saisie doit de sa part faire procéder au bail judiciaire, ou s'il y en a un conventionnel, le faire convertir en judiciaire.

Celui qui se fait subroger à la saisie & criées, n'a pas besoin de reprendre l'instance au greffe ; le jugement qui le subroge le met aux droits du poursuivant.

Les criées tombent en péremption, comme les autres procédures, par le laps de trois ans sans poursuites.

S'il survient quelques oppositions aux criées ou au decret, ce qui est la même chose, il faut y faire statuer avant de passer outre à l'adjudication.

Les criées finies & duement certifiées, sans aucune opposition subsistante, on obtient le congé d'adjuger.

Pour la suite de la procédure, voyez CONGE D'ADJUGER, ENCHERE DE QUARANTAINE, ADJUDICATION, SAISIE REELLE, VENTE PAR DECRET.

Sur les criées, voyez Bouchel, en sa biblioth. aux mots Criées & Decret ; les commentateurs des coûtumes sur le titre des criées, & les traités des criées que l'on a cités ci-devant. (A)


CRIER(Jurispr.) voyez PUBLIER, ENQUANT, COLPORTEURS.

CRIER HARO, voyez CLAMEUR DE HARO.

CRIER A L'ENQUANT, voyez ENQUANT. (A)


CRIEUR DES BAN(Jurisprud.) de la ville de Paris, c'est le crieur public qui fait les proclamations & cris publics, appellés autrefois bans. Il est ainsi nommé dans des lettres de Charles VI. du 3 Janvier 1381, & 5 Mars 1398, qui lui défendent de faire aucune prise de vivres sur les habitans du Bourg-la-Reine & autres lieux qui y sont nommés. (A)

CRIEUR PUBLIC : il y en avoit un dès 1350 pour les ordonnances ; il est aussi parlé des crieurs de corps & de vin dans un réglement de la même année, & l'on voit qu'il y en avoit dès-lors dans la plûpart des villes ; que ces crieurs s'attribuoient différens droits & émolumens ; qu'à Bois-Commun ils prétendoient exiger un droit lors du mariage des habitans ; ce qui leur fut défendu par une ordonnance du roi Jean du mois d'Avril 1351.

Dans les lettres du roi Jean de l'année 1352, il est parlé du crieur qui faisoit les enquants, incantator.

On voit aussi par des lettres de Charles V. du 9. Mai 1365, que le crieur public annonçoit par la ville l'heure des enterremens & des vigiles. D'autres lettres de 1366 justifient qu'à Pontorson le valet du roi, famulus regis, qui publioit & crioit le vin qui étoit à vendre, avoit un denier pour chaque cri de vin, une obole pour chaque cri de biere ; qu'il avoit aussi un droit pour le cens dont il faisoit la recette.

CRIEUR DU ROI, c'est le juré crieur public : il est ainsi nommé dans des lettres de Charles VI. du 2. Juillet 1388, & dans d'autres lettres du 16 Février suivant. (A)

* CRIEUR de vieilles ferrailles & de vieux drapeaux : ce font des hommes qui rodent dans les rues, qui vont dans les maisons, & qui assistent quelquefois aux inventaires ; ils achetent les vieux morceaux de fer, & le rebut d'une infinité d'ustensiles de ménage, qu'ils revendent. Ils forment communauté. Ils sont au nombre de vingt-quatre, & il est défendu à tous autres de s'ingérer de leur commerce.

CRIEUSES de vieux chapeaux, (Comm.) femmes qui se promenent dans les rues, qui vont aux inventaires, & qui achetent & revendent. Elles forment à Paris un corps très-nombreux, dont les membres s'entendent très-bien : elles n'enchérissent point les unes sur les autres dans les inventaires, parce que toutes celles qui sont présentes à un achat y ont part : elles dégoûtent facilement les particuliers d'acheter, parce qu'une perte qui deviendroit considérable pour une seule personne, se répartit entr'elles sur un si grand nombre, qu'elle se réduit presqu'à rien : enfin elles s'indiquent les maisons où elles ont été appellées, afin qu'aucune n'aille au-dessus du prix qu'une premiere aura offert. Les choses perdues ou volées se retrouvent assez souvent entre leurs mains, quoique la police & la justice les traitent avec beaucoup de sévérité.


CRIM(Géog. mod.) ville d'Asie dans la petite Tartarie, capitale de la Crimée, sur la riviere de Gerukesu.


CRIMEFAUTE, PÉCHé, DÉLIT, FORFAIT, (Synon.) Faute est le mot générique, avec cette restriction cependant qu'il signifie moins que les autres, quand on ne lui joint point d'épithete aggravante. Péché est une faute contre la loi divine. Délit est une faute contre la loi humaine. Crime est une faute énorme. Forfait ajoûte encore à l'idée de crime, soit par la qualité, soit par la quantité : nous disons par la quantité, car forfait se prend plus souvent au pluriel qu'au singulier ; & il est rare d'appliquer ce mot à quelqu'un qui n'a commis qu'un crime. (O)

CRIME, s. m. (Droit nat.) action atroce commise par dol, & qui blesse directement l'intérêt public ou les droits du citoyen. On peut ranger tous les crimes sous quatre classes : ceux de la premiere choquent la religion ; ceux de la seconde, les moeurs ; ceux de la troisieme, la tranquillité ; ceux de la quatrieme, la sûreté des citoyens. Mais cette division n'est pas la seule qu'on puisse faire ; les jurisconsultes en ont même une autre. Voyez CRIME (Jurispr.) En conséquence les peines que l'on inflige doivent dériver de la nature de chacune de ces especes de crimes. C'est le triomphe de la liberté, dit M. de Montesquieu, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime : tout l'arbitraire cesse ; la peine ne dépend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ; & ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme.

Dans la classe des crimes qui intéressent la religion, sont ceux qui l'attaquent directement ; tels sont, par exemple, l'impiété, le blaspheme, les sacriléges. Pour que leur peine soit tirée de la nature de la chose, elle doit consister dans la privation de tous les avantages que donne la religion, l'expulsion hors des temples, la privation de la société des fideles pour un tems ou pour toûjours, les conjurations, les admonitions, les exécrations, & ainsi des autres.

La seconde classe renferme les crimes qui sont contre les moeurs : tels sont la violation de la continence publique ou particuliere, c'est-à-dire des lois établies sur la maniere de joüir des plaisirs attachés à l'usage des sens & à l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent être encore tirées de la nature de la chose : la privation des avantages que la société a attachés à la pureté des moeurs, les amendes, la honte, la contrainte de se cacher, l'infamie publique, l'expulsion hors de la ville & du territoire, enfin toutes les peines qui sont du ressort de la jurisdiction correctionnelle, suffisent pour réprimer la témérité des deux sexes ; témérité qui est fondée sur les passions du tempérament, sur l'oubli ou le mépris de soi-même.

Les crimes de la troisieme classe sont ceux qui choquent la tranquillité des citoyens : les peines en doivent être tirées de la nature de la chose, & se rapporter à cette tranquillité, comme la prison, l'exil, les corrections, & autres peines qui ramenent les esprits inquiets, & les font rentrer dans l'ordre établi.

Les crimes de la quatrieme classe sont ceux qui troublant la tranquillité, attaquent en même tems la sûreté des citoyens : tels sont le rapt, le viol, le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnement, &c. La peine de ces derniers crimes est la mort : cette peine est tirée de la nature de la chose, puisée dans la raison & les sources du bien & du mal. Un citoyen mérite la mort, lorsqu'il a violé la sûreté au point qu'il a ôté la vie, ou même qu'il a entrepris par des voies de fait de l'ôter à un autre citoyen : cette peine de mort est comme le remede de la société malade. Voyez l'Esprit des Lois, sur ces quatre classes de crimes.

Comme tous les crimes, renfermés même sous chacune des classes particulieres dont nous venons de parler, ne sont pas égaux, on peut juger de la grandeur de ces crimes en général par leur objet, par l'intention & la malice du coupable, par le préjudice qui en revient à la société ; & c'est à cette derniere considération que les deux autres se rapportent en dernier ressort. Il faut donc mettre au premier rang les crimes qui intéressent la société humaine en général : ensuite ceux qui troublent l'ordre de la société civile, enfin ceux qui regardent les particuliers ; & ces derniers sont plus ou moins grands, selon que le mal qu'ils ont causé est plus ou moins considérable, selon le rang & la liaison du citoyen avec le coupable, &c. Ainsi celui qui tue son pere, commet un homicide plus criminel que s'il avoit tué un étranger ; un prêtre sacrilége est plus criminel qu'un laïc ; un voleur qui assassine les passans, est plus criminel que celui qui se contente de les dépouiller ; un voleur domestique est plus coupable qu'un voleur étranger, &c.

Le degré plus ou moins grand de malice, les motifs qui ont porté au crime, la maniere dont il a été commis, les instrumens dont on s'est servi, le caractere du coupable, la récidive, l'âge, le sexe, le tems, les lieux, &c. contribuent pareillement à caractériser l'énormité plus ou moins grande du crime ; en un mot l'on comprend sans peine que le différent concours des circonstances, qui intéressent plus ou moins la sûreté des citoyens, augmente ou diminue l'atrocité des crimes.

Les mêmes réflexions doivent s'appliquer aux crimes qui ont été commis par plusieurs ; car 1°. on est plus ou moins coupable, à proportion qu'on est plus ou moins complice des crimes des autres ; 2°. dans les crimes commis par un corps, ou par une communauté, ceux-là sont coupables qui ont donné un consentement actuel, & ceux qui ont été d'un avis contraire sont absolument innocens ; 3°. en matiere de crimes commis par une multitude, la raison d'état & l'humanité demandent une grande clémence. Voy. CLEMENCE.

Nous avons dit ci-dessus que les peines doivent dériver de la nature de chaque espece de crime. Voyez PEINE. Ces peines sont justes, parce que celui qui viole les lois de la société, faites pour la sûreté commune, devient l'ennemi de cette société. Or les lois naturelles en défendant le crime, donnent le droit d'en punir l'auteur dans une juste proportion au crime qu'il a commis ; elles donnent même le pouvoir de faire souffrir à l'auteur du crime le plus grand des maux naturels, je veux dire la mort, pour balancer le crime le plus atroce par un contrepoids assez puissant.

Mais d'un autre côté, l'instinct de la nature qui attache l'homme à la vie, & le sentiment qui la porte à fuir l'opprobre, ne souffrent pas que l'on mette un criminel dans l'obligation de s'accuser lui-même volontairement, encore moins de se présenter au supplice de gaieté de coeur ; & aussi le bien public, & les droits de celui qui a en main la puissance du glaive, ne le demandent pas.

C'est par une conséquence du même principe, qu'un criminel peut chercher son salut dans la fuite, & qu'il n'est pas tenu de rester dans la prison, s'il apperçoit que les portes en sont ouvertes, qu'il peut les forcer aisément, & s'évader avec adresse. On sait comment Grotius sortit du château de Louvestein, & l'heureux succès du stratagême de son épouse, auquel il crut pouvoir innocemment se préter ; mais il ne seroit pas permis à un coupable de tenter de se procurer la liberté par quelque nouveau crime ; par exemple, d'égorger ses gardes ou de tuer ceux qui sont envoyés pour se saisir de lui.

Quoique les peines dérivent du crime par le droit de nature, il est certain que le souverain ne doit jamais les infliger qu'en vûe de quelque utilité : faire souffrir du mal à quelqu'un, seulement parce qu'il en a fait lui-même, est une pure cruauté condamnée par la raison & par l'humanité. Le but des peines est la tranquillité & la sûreté publique. Dans la punition, dit Grotius, on doit toûjours avoir en vûe ou le bien du coupable même, ou l'avantage de celui qui avoit intérêt que le crime ne fût pas commis, ou l'utilité de tous généralement.

Ainsi le souverain doit se proposer de corriger le coupable, en ôtant au crime la douceur qui sert d'attrait au vice, par la honte, l'infamie, ou quelques peines afflictives. Quelquefois le souverain doit se proposer d'ôter aux coupables les moyens de commettre de nouveaux crimes, comme en leur enlevant les armes dont ils pourroient se servir, en les faisant travailler dans des maisons de force, ou en les transportant dans des colonies ; mais le souverain doit surtout pourvoir par les lois les plus convenables aux meilleurs moyens de diminuer le nombre des crimes dans ses états. Quelquefois alors pour produire plus d'effet, il doit ajoûter à la peine de la mort que peut exiger l'atrocité du crime, l'appareil public le plus propre à faire impression sur l'esprit du peuple qu'il gouverne.

Finissons par quelques-uns des principes les plus importans, qu'il est bon d'établir encore sur cette matiere.

1°. Les législateurs ne peuvent pas déterminer à leur fantaisie la nature des crimes.

2°. Il ne faut pas confondre les crimes avec les erreurs spéculatives & chimériques qui demandent plus de pitié que d'indignation, telles que la magie, le convulsionisme, &c.

3°. La sévérité des supplices n'est pas le moyen le plus efficace pour arrêter le cours des crimes.

4°. Les crimes contre lesquels il est le plus difficile de se précautionner, méritent plus de rigueur que d'autres de même espece.

5°. Les crimes anciennement commis, ne doivent pas être punis avec la même sévérité que ceux qui sont récents.

6°. On ne doit pas être puni pour un crime d'autrui.

7°. Il seroit très-injuste de rendre responsable d'un crime d'autrui, une personne qui n'ayant aucune connoissance de l'avenir, & ne pouvant ni ne devant empêcher ce crime, n'entreroit d'ailleurs pour rien dans l'action de celui qui le doit commettre.

8°. Les mêmes crimes ne méritent pas toûjours la même peine, & la même peine ne doit pas avoir lieu pour des crimes inégaux.

9°. Les actes purement intérieurs ne sauroient être assujettis aux peines humaines ; ces actes connus de Dieu seul, ont Dieu pour juge & pour vengeur.

10°. Les actes extérieurs quoique criminels, mais qui dépendent uniquement de la fragilité de notre nature, exigent de la modération dans les peines.

11°. Il n'est pas toûjours nécessaire de punir les crimes d'ailleurs punissables ; & quelquefois il seroit dangereux de divulguer des crimes cachés par des punitions publiques.

12°. Il seroit de la derniere absurdité, comme le remarque l'auteur de l'Esprit des Lois, de violer les régles de la pudeur dans la punition des crimes, qui doit toûjours avoir pour objet le rétablissement de l'ordre.

13°. Un principe qu'on ne peut trop répéter, est que dans le jugement des crimes, il vaut mieux risquer de laisser échapper un criminel, que de punir un innocent. C'est la décision des meilleurs philosophes de l'antiquité ; celle de l'empereur Trajan, & de toutes les lois chrétiennes. En effet, comme le dit la Bruyere, un coupable puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens.

14°. On ne doit jamais commettre de crimes pour obéir à un supérieur : à quoi je n'ajoûte qu'un mot, pour détourner du crime les personnes qu'un malheureux penchant pourroit y porter ; c'est de considérer mûrement l'injustice qu'il renferme, & les suites qu'il peut avoir. Article de M(D.J.)

CRIME, (Jurispr.) transgression des lois tant naturelles que civiles, & qui tend à troubler l'ordre public, de maniere que la vindicte publique y est intéressée ; ou qui fait à quelque particulier un grief tel que le fait mérite punition.

Il y a des actions qui sont réputées criminelles, selon la religion & selon la morale, mais que les lois civiles ne punissent pas ; parce que ces actions sont du ressort du for intérieur, & que les lois civiles ne reglent que ce qui touche le for extérieur.

Le terme de crime comprend toutes sortes de délits & de maléfices : ces deux derniers termes pris dans une signification étendue, comprennent aussi toutes sortes de crimes ; cependant chacun de ces termes a ordinairement sa signification propre.

On entend par crime, les délits les plus graves qui intéressent la vindicte publique.

Sous le nom de délits proprement dits, on n'entend que les moindres délits dont la réparation n'intéresse que quelque particulier.

Enfin on appelle proprement maléfices, l'action par laquelle on procure du mal, soit aux hommes ou aux animaux, & aux fruits de la terre, en employant le sortilége, le poison, ou autres choses semblables.

Tout ce qui est défendu par la loi n'est pas réputé crime ; il faut que le fait soit tel qu'il mérite punition.

Pour qu'il y ait un crime, il faut que le fait soit commis par dol & avec connoissance de cause : ainsi ceux qui sont incapables de dol, tels que les insensés & les impuberes, ne peuvent être poursuivis pour crime, parce qu'on ne présume point qu'ils ayent animum delinquendi.

Les Crimes & délits se peuvent commettre en quatre manieres différentes ; savoir, re, verbis, litteris, & solo consensu. Re, lorsque le crime est commis par effet & par quelque action extérieure ; comme les homicides, assassinats, empoisonnemens, sacriléges, vols, larcins, battures, excès, & violences, & autres choses semblables. Verbis : on commet des crimes par paroles, en proférant des convices & injures verbales, en chantant des chansons injurieuses. Litteris : les crimes se commettent par écrit, en fabriquant quelque acte faux, ou en composant & distribuant des libelles diffamatoires. Consensu : on commet un crime par le seul consentement, en participant au crime d'un autre, soit par suggestion, mauvais conseils, ou complicité.

Celui qui tue quelqu'un par mégarde & contre son intention, ne laisse pas d'être punissable suivant les lois civiles ; parce que tout homme qui tue mérite la mort, mais il obtient facilement des lettres de grace.

La volonté qu'un homme peut avoir eu de commettre un crime dont l'exécution n'a point été commencée, n'est point punie en justice, cogitationis poenam nemo patitur. La punition de ces crimes cachés est réservée à la justice de Dieu, qui connoît seul le fond des coeurs.

Mais celui qui ayant dessein de commettre un crime s'est mis en état de l'exécuter, quoiqu'il en ait été empêché, mérite presque la même peine que si le crime avoit été consommé ; la volonté dans ce cas est réputée pour le fait : in maleficiis voluntas spectatur, non exitus.

L'ordonnance de Blois, art. 195. veut que l'on punisse de mort ceux qui se loüent pour tuer, outrager, & excéder quelqu'un, ensemble ceux qui auront fait avec eux de telles conventions, ou qui les y auront induits : dans ce cas, on punit la seule volonté, quoiqu'elle n'ait été suivie d'aucune exécution ; parce que la convention est un acte complet & un commencement d'exécution de la volonté : tout est même déjà consommé par rapport à celui qui donne charge à un autre d'exécuter le crime ; & celui qui se charge de le faire, commet aussi un crime en faisant une telle convention qui blesse l'ordre de la société. Cette convention est un acte extérieur de la volonté, dont on peut avoir la preuve à la différence d'une simple volonté qui n'a point été manifestée, & que par cette raison l'on ne punit point.

Les crimes sont divisés, suivant le droit romain, en crimes privés & publics.

Les crimes ou délits privés, sont ceux qui ne regardent que les particuliers, & dont la poursuite n'est permise par les lois romaines qu'à ceux qui y sont intéressés, & auxquels la réparation en est dûe.

Les crimes publics sont ceux qui troublent l'ordre public, & dont la réparation intéresse le public. Chez les Romains, la poursuite en étoit permise à toutes sortes de personnes, quoique non-intéressées. Mais parmi nous, la poursuite n'en est permise qu'aux parties intéressées, ou au ministere public : mais toutes sortes de personnes sont reçûes à les dénoncer.

On distinguoit aussi chez les Romains les crimes publics ou privés, en crimes ordinaires ou extraordinaires. Les premiers étoient ceux dont la peine étoit fixée par les lois, & qui se poursuivoient par la voie ordinaire ou civile. Les crimes extraordinaires étoient ceux dont la peine n'étoit point fixée par les lois, & qui se poursuivoient par la voie extraordinaire de la plainte & accusation.

En France on n'observe point cette distinction, la réparation publique de tous crimes & délits ne peut être poursuivie que par la voie extraordinaire : néanmoins les dommages & intérêts peuvent être poursuivis par la voie civile contre le coupable.

A l'égard des peines, on dit communément qu'elles sont arbitraires en France ; ce qui ne signifie pas que les juges puissent prononcer des peines qui ne sont point décernées par la loi contre le crime dont il s'agit, ils ne peuvent au contraire prononcer contre chaque crime une peine plus grave que celle qui est établie par la loi : ainsi ils ne peuvent condamner à mort, dans un cas où il n'y a point de loi qui prononce la peine de mort ; mais l'application des peines plus ou moins rigoureuses est arbitraire, c'est-à-dire qu'elle dépend des circonstances & de la prudence du juge, lequel peut absoudre ou infliger une peine plus legere, s'il ne croit pas que l'accusé soit précisément dans le cas d'une peine plus rigoureuse.

On distingue parmi nous de même que chez les Romains les crimes capitaux, c'est-à-dire qui emportent peine de mort naturelle ou civile, de ceux qui ne le sont pas, & donnent seulement lieu à quelque condamnation moins grave.

Les crimes les plus legers que l'on qualifie ordinairement de délits simplement, sont les injures faites, soit verbalement, ou par écrit, ou par gestes, comme en levant la canne sur quelqu'un, ou par effet en le frappant de soufflets, de coups de poing ou de pié, ou autrement.

Les autres crimes plus graves qui sont les plus connus, sont les vols & larcins, les meurtres, homicides & parricides, l'homicide de soi-même, le crime des femmes qui celent leur grossesse & se font avorter, la supposition de part, le crime de lese-majesté divine & humaine, les empoisonnemens, les crimes de concussion & de péculat, les crimes de débauche publique, adultere, rapts, & autres procédant de luxure ; le crime de faux, de fausse monnoie, les sortiléges, juremens & blasphemes, l'hérésie, & plusieurs autres, de chacun desquels on parlera en leur lieu.

Nous observerons seulement ici que les crimes en général sont réputés plus ou moins graves, eu égard aux circonstances qui les accompagnent ; par exemple, l'injure est plus grave lorsqu'elle est faite à un homme qualifié, & par un homme de néant, lorsqu'elle est faite en public ; & ainsi des autres circonstances qui peuvent accompagner les différens crimes.

La connoissance des crimes appartient à certains juges, privativement à d'autres ; ainsi qu'on le verra aux mots COMPETENCE, JUGES, LIEUTENANS-CRIMINELS, PREVOTS DES MARECHAUX, PREVENTION, & PROCEDURE CRIMINELLE.

La maniere de poursuivre les crimes est expliquée aux mots ACCUSATION, ACCUSATEUR, ACCUSE, DENONCIATION, PLAINTE, PROCEDURE CRIMINELLE, & autres termes qui appartiennent à la procédure extraordinaire.

Il y a aussi plusieurs choses à observer par rapport aux preuves nécessaires en matiere criminelle : par exemple, que la confession de l'accusé ne suffit pas pour le condamner, qu'il faut des preuves très-claires, sur-tout lorsqu'il s'agit de condamner un homme à mort. Il y a des crimes qui se commettent en secret, tels que l'adultere, l'inceste, & autres crimes de cette espece, pour lesquels on n'exige pas des témoins oculaires ; mais on a égard aux autres circonstances qui fournissent des indices du crime, comme la fréquentation & la grande familiarité, les privautés, les discours libres tenus verbalement & par écrit, qui annoncent la débauche. Voyez INFORMATION & PREUVE.

Les différentes peines que l'on peut infliger aux accusés selon la qualité des crimes & délits, tels que les amendes, aumônes, peines du carcan, du foüet, d'être marqué, le bannissement, les galeres, la peine de mort, seront expliquées en général au mot PEINES, & plus particulierement chacune au mot qui leur est propre.

Tous crimes en général sont éteints par la mort de l'accusé, pour ce qui est de la peine corporelle & de la peine pécuniaire applicable au fisc ; mais quant aux réparations pécuniaires qui peuvent être dûes à la partie civile, les héritiers de l'accusé sont tenus à cet égard de ses faits.

Il y a même certains crimes dont la réparation publique n'est point éteinte par la mort de l'accusé, tels que l'homicide de soi-même, le duel, le crime de lese-majesté.

La peine portée par le jugement peut être remise par des lettres de grace, qu'il dépend de la clémence du prince d'accorder. Voyez LETTRES DE GRACE.

Mais sans le secours d'aucunes lettres, le crime ou plûtôt la peine publique, & les condamnations pécuniaires prononcées pour raison du crime, se prescrivant au bout d'un certain tems, savoir après 20 ans, lorsque la condamnation n'a pas été exécutée, & au bout de 30 ans, lorsqu'elle a été exécutée soit par effigie ou par simple signification, selon la qualité du jugement. Voyez PRESCRIPTION. Voyez les livres XLVII. & XLVIII. du digest. & le IX. du code, le liv. V. des décret. & ACCUSATEUR, ACCUSE, & ci-après CRIMINEL, PEINES, PROCEDURE CRIMINELLE.

Crime atroce ; est celui qui blesse griévement le public, & qui mérite une punition des plus severes.

Crime capital, est celui qui emporte peine de mort naturelle ou civile.

Crime double, les lois Romaines donnent ce nom aux actions qui renferment tout à la fois deux crimes différens, tel que l'enlevement d'une femme mariée, dont l'auteur commet en même tems le crime de rapt & celui d'adultere. Le crime double est opposé au crime simple. Voyez au Code, liv. IX. tit. xiij. l. 1.

Crimen duorum, est celui qu'une personne ne peut commettre seule, & sans qu'il y ait deux coupables, tel que le crime d'adultere.

Crime énorme ou atroce, est la même chose.

Crimes extraordinaires, chez les Romains, étoient opposés aux crimes qu'on appelloit ordinaires. On entendoit par ceux-ci les crimes qui avoient une peine certaine & fixée par les lois Romaines, & dont la poursuite se faisoit par la voie ordinaire des demandes & des défenses ; au lieu que les crimes extraordinaires, tant privés que publics, étoient ceux dont la peine n'étoit point déterminée par les lois, dont par conséquent la punition étoit arbitraire, & qui se poursuivoient par la voie extraordinaire de la plainte & de l'accusation. Parmi nous, on fait peu d'attention à ces distinctions de crimes privés & publics, & de crimes ordinaires & extraordinaires ; on ne s'arrête principalement, qu'à la distinction des crimes qui sont capitaux d'avec ceux qui ne le sont pas ; & quoique nos lois ayent reglé la peine des crimes les plus connus, on tient cependant qu'en France toutes les peines sont arbitraires, c'est-à-dire qu'elles dépendent beaucoup des circonstances & de la prudence du juge. Quant à la voie par laquelle on poursuit la vengeance des crimes, le ministere public le fait toûjours par la voie de la plainte. Les particuliers intéressés à la vengeance du crime, peuvent aussi prendre la voie de la plainte ou de la dénonciation ; mais ils peuvent aussi prendre la voie civile pour les intérêts civils.

La voie de la plainte est bien regardée comme une voie & procédure extraordinaire : cependant la procédure criminelle commencée par une plainte, quoiqu'elle soit suivie d'information & de decret, n'est vraiment réglée à l'extraordinaire que quand il y a un jugement qui ordonne le recolement & la confrontation, qui est ce que l'on appelle le réglement à l'extraordinaire ; car jusqu'à ce réglement l'affaire peut, sur le vû des charges, être civilisée ou du moins renvoyée à l'audience. Voyez au digeste 47. tit. xj. de extraordinariis criminibus.

Crime graciable, est celui pour lequel on peut obtenir des lettres de grace du prince, tel qu'un homicide que l'on a commis involontairement ou à son corps défendant.

Crime grave, est un crime qui est de qualité à mériter une punition rigoureuse.

Crime ordinaire. Voyez ci devant Crime extraordinaire.

Crime parfait, est celui qui a été consommé, à la différence du crime imparfait, qui n'a été que projetté ou exécuté seulement en partie. Voyez ce qui est dit ci-devant des crimes en général, & comment on punit la volonté.

Crime prescrit, est celui dont la peine est remise par le laps de 20 ans sans poursuites contre le coupable. Voyez PRESCRIPTION.

Crime privé : chez les Romains on distinguoit tous les crimes en publics & privés ; les premiers étoient ceux qui regardoient le public, & dont la poursuite étoit permise à toutes sortes de personnes, quoique non intéressées, cuilibet è populo ; au lieu que les crimes privés étoient ceux qui ne regardoient que les particuliers, & dont la poursuite n'étoit permise par les lois qu'à ceux qui y étoient intéressés, & à qui la réparation en étoit dûe. Tous crimes & délits étoient réputés privés, à moins que la loi ne les déclarât publics ; mais on regardoit alors comme crime public un mariage prohibé. Parmi nous on ne qualifie ordinairement de crimes, que ceux qui blessent le public ; ceux qui n'intéressent que des particuliers, ne sont ordinairement qualifiés que de délits. Toutes personnes sont reçûes à dénoncer un crime public, mais il n'y a que les parties intéressées ou le ministere public qui puisse en rendre plainte & en poursuivre la vengeance. A l'égard des crimes ou délits privés, les parties intéressées sont les seules qui puissent en demander la réparation.

Crime public. Voyez ci-devant Crime privé.

Crimen repetundarum ; c'est ainsi qu'on appelloit chez les Romains, le crime de concussion. Voy. CONCUSSION.

Crime simple, est opposé à crime double. Voyez ci-devant Crime double. (A)


CRIMÉE(Géog. mod.) vaste contrée de la Tartarie. Les anciens l'ont connue sous le nom de Chersonese Scythique, ou Taurique, ou Cimmerienne, ou Pontique, parce qu'elle avance dans le Pont-Euxin ou la mer Noire, qui la borne au couchant, au midi, & partie à l'orient. On voit en ce pays-là des ruines des villes grecques, & quelques monumens des Genois, qui subsistent encore au milieu de la desolation & de la barbarie. Les habitans sont Mahométans ; ils sont gouvernés par un han, que nous appellons kam, nommé par la porte Ottomane, qui le dépose, dit M. de Voltaire, si les Tartares s'en plaignent, & encore plûtôt s'il en est trop aimé. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CRIMINEL(Jurisprud.) est celui qui est atteint & convaincu de quelque crime. On confond quelquefois le terme de criminel avec celui d'accusé ; on en trouve plusieurs exemples dans les anciennes ordonnances ; cependant c'est improprement que les accusés sont qualifiés de criminels avant leur condamnation, n'étant point jusques-là convaincus du crime qu'on leur impute, ni jugés criminels.

Il paroît par le concile de Carthage en 395, & par le sixieme de Constantinople, qu'on administroit alors aux criminels, même condamnés à mort, les sacremens de pénitence & de l'eucharistie. Les conciles d'Agde & de Wormes, le second de Mayence, & celui de Tibur, tenus en 506, 770, 848, & 1035, ordonnent de communier les criminels. Alexandre IV. ordonna la même chose. Clement V, en 1411, leur accorda seulement la confession. Sous les papes Pie IV, Pie V, & Grégoire XIII, les peres assemblés à Rome déciderent que, puisque les conciles commandent de confesser ceux qui s'accusent simplement de leurs péchés, & de les communier quand ils en ont un sincere repentir, on ne doit pas non plus le refuser à ceux à qui leurs péchés attirent une mort violente. Cependant en France il n'étoit point d'usage d'accorder, même la confession, aux criminels condamnés à mort, jusqu'à Charles VI, qui ordonna qu'on leur offriroit le sacrement de pénitence avant de sortir de prison : on tient que ce fut à la persuasion de Pierre de Craon ; mais l'ordonnance dit seulement que ce fut à la persuasion de son frere & de ses oncles, par l'avis de son conseil & de quelques conseillers du parlement & du châtelet. On exécutoit autrefois les criminels les dimanches & fêtes de même que les autres jours.

Par rapport à ce qui concerne la faculté que peuvent avoir les criminels, de disposer de leurs biens avant ou après leur condamnation, & la confiscation de leurs biens, voyez aux mots ACCUSES, CONDAMNATION, CONDAMNE, CONFISCATION, & MORT CIVILE.

Criminel d'état, est celui qui a commis quelque crime contre l'état, tel que le crime de trahison, &c. Voyez ci-devant CRIME D'ETAT.

Criminel de lese-majesté. Voyez ci-devant Crime de lese-majesté.

Assesseur criminel, est une espece de conseiller qui assiste au jugement des procès criminels, avec le lieutenant criminel & autres juges. Henri III, par édit du mois de Juin 1586, créa dans chaque bailliage, prevôté, sénéchaussée, & siége présidial du royaume, un lieutenant particulier assesseur criminel, avec titre de conseiller du roi, & rang & séance après le lieutenant criminel & le lieutenant particulier civil. Ces offices furent supprimés en 1588, & rétablis par Henri IV. au mois de Juin 1596.

Chambre criminelle. Voyez au mot CHAMBRE.

Grand-criminel. Voy. au mot PROCES-CRIMINEL.

Greffe criminel. Voyez au mot GREFFE.

Greffier criminel. Voyez au mot GREFFIER.

Interrogatoire des criminels. Voyez INTERROGATOIRE.

Juge criminel. Voyez au mot JUGE.

Justice criminelle. Voyez au mot JUSTICE, & aux mots PROCES & PROCEDURE CRIMINELLE.

Lieutenant criminel.

Lieutenant criminel de robe courte. Voyez au mot LIEUTENANT.

Matieres criminelles. Voyez PROCES CRIMINEL.

Petit criminel. Voyez PROCES CRIMINEL.

Procédure criminelle. Voy. aux mots PROCEDURE & PROCES.

Procès criminel. Voyez au mot PROCES.

Registres criminels. Voyez REGISTRES.

Tournelle criminelle. Voyez TOURNELLE. (A)


CRIMNONS. m. (Pharmacie) espece de farine grossiere, tirée du froment & du zea, dont on faisoit des bouillies.

Hippocrate ordonne quelquefois en boisson l'eau où l'on aura fait macérer ou boüillir le crimnon ; cette boisson passoit pour rafraichissante.


CRINS. m. On appelle ainsi ces grands poils qui sont attachés tout le long du cou, de même que ceux qui forment la queue du cheval : on dit qu'un cheval a tous ses crins, lorsqu'on ne lui a coupé ni la queue ni les crins du cou : on noüe, on tresse, & on natte les crins, ou pour l'embellissement du cheval, ou pour les accoûtumer à rester du côté que l'on veut : on coupe les crins depuis la tête jusqu'à la moitié du cou, pour que celui-ci paroisse moins gros & plus dégagé. Faire le crin, c'est recouper au bout de quelque tems le crin de l'encolure qui a été coupé, lorsqu'il devient trop long. Faire les oreilles ou faire le crin des oreilles, c'est couper le poil tout autour du bord des oreilles. Se tenir aux crins, se dit lorsque le cavalier se sentant peu ferme, prend les crins du cou avec la main lorsqu'un cheval saute, de peur qu'il ne le jette par terre. On dit vendre un cheval crins & queue, pour dire le vendre très-cher. (V)

CRIN, (Corderie) On distingue deux sortes de crin, l'un qui est droit & tel qu'il sort de dessus l'animal ; l'autre qu'on appelle crin crépi, c'est-à-dire du crin qui a été cordé, & qu'on a fait boüillir pour le friser.

Il y a plusieurs sortes d'artisans qui se servent de crin pour les ouvrages de leur métier.

Le crin plat ou droit est employé par les Perruquiers, qui en font entrer dans les perruques. Les Luthiers s'en servent pour garnir les archets des instrumens de Musique. Les Boutonniers en font de fort beaux boutons ; & les Cordiers en font des longes pour les chevaux, & des cordes pour étendre le linge.

Le crin crépi sert aux Selliers & aux Bourreliers ; aux Selliers, pour garnir les carrosses, selles, & coussinets ; aux Bourreliers, pour rembourrer les bâts des chevaux & des mulets, & les sellettes des chevaux de chaise & de charrette.


CRINIERS. m. artisan qui prépare le crin, & le met en état d'être employé par les différens ouvriers qui s'en servent dans leurs ouvrages.

Il n'y a que les maîtres Cordiers qui ayent le droit de boüillir, crépir, & friser le crin.


CRINIERES. f. (Marechallerie) c'est la racine du crin qui est sur le haut de l'encolure du cheval. Les crinieres larges sont moins estimées que les autres. C'est un défaut, sur-tout aux chevaux de selle, que d'avoir une criniere large, parce qu'à moins que d'en avoir un soin extraordinaire, elle est sujette à la galle. Lorsque le cheval se cabre, on le prend aux crins ou à la criniere.

On appelle aussi criniere, une couverture de toile qu'on met sur les crins du cheval depuis le haut de la tête jusqu'au surfaix. Voyez SURFAIX.

Elle a deux trous à l'une de ses extrémités pour passer les oreilles, d'où elle vient répondre & s'attacher au licou sur le devant de la tête, & de-là au surfaix sur le dos du cheval. Les Anglois donnent des crinieres aux chevaux pendant l'hyver ; en France on ne s'en sert que dans les écuries. (V)


CRINONSS. m. pl. (Hist. nat. Insectolog.) crinones, très-petits vers qui se trouvent dans le corps humain : on les appelle crinons, parce qu'il y en a plusieurs ensemble, qui forment un grouppe qui ressemble en quelque sorte à un peloton de crin. Ils naissent aux bras, aux jambes, & principalement au dos des enfans à la mammelle. Ces vers étant vûs au microscope, paroissent avoir une grande queue & le corps gros. Les anciens ne les connoissoient pas, & Etmuller les a confondus avec ceux que l'on appelle petit-dragons ou dragonneaux. Voyez de la gener. des vers dans le corps de l'homme, &c. par M. Andry. Voy. DRAGONNEAU, INSECTE. (I)


CRIOBOLES. m. (Myth.) sacrifice qu'on faisoit d'un bélier, à Cybele. Voyez TAUROBOLE.


CRIONERO(Géog. mod.) riviere d'Asie, en Natolie, qui prend sa source dans le mont Taurus.


CRIOPHOREadj. épithete qu'on donnoit à Mercure qui avoit délivré de la peste les Thébains, qui, lorsqu'ils en furent attaqués ou menacés, porterent en honneur de ce dieu un bélier autour de leurs murailles, & célébrerent dans la suite en mémoire de leur conservation, une fête dans laquelle le jeune Thébain, de la figure la plus belle, faisoit le tour de la ville avec un agneau ou un bélier sur ses épaules.


CRIQUES. m. (Marine) on donne ce nom à un petit enfoncement que la mer fait dans la côte, où de petits bâtimens peuvent entrer & s'y mettre à l'abri de la tempête. (Z)

CRIQUES, (Art milit.) font des especes de fossés que l'on fait quelquefois dans les environs des places, pour en couper le terrein de différens sens, de maniere que l'ennemi ne puisse pas y conduire de tranchée. Ils sont ordinairement remplis d'eau.

" Lorsqu'il se rencontre des endroits où le terrein qu'on veut inonder se trouve sensiblement plus élevé que le niveau des eaux, on le coupe de tous les sens par des fossés nommés criques, qui communiquent à l'écluse la plus à portée de les remplir d'eau. S'il reste encore sur le même terrein des espaces dont l'ennemi puisse profiter pour l'établissement de ses batteries dans un tems de siége, on les occupe par des redoutes qui prennent des revers sur son travail, &c. ". Architect. hydraulique, seconde partie, tom. II.

On avoit fait anciennement de ces criques à Dunkerque, pour couper un terrein, qui, ayant été marécageux, s'étoit ensuite desseché, & sur lequel l'ennemi auroit pû conduire une tranchée pour arriver à la place. Voyez la description de Dunkerque dans le premier vol. de la seconde partie de l'ouvrage que l'on vient de citer. (Q)


CRIQUETS. m. (Marechall.) On appelle ainsi un petit cheval de peu de valeur.


CRISES. f. (Medecine) Galien nous apprend que ce mot crise est un terme du barreau que les Medecins ont adopté, & qu'il signifie, à proprement parler, un jugement.

Hippocrate qui a souvent employé cette expression, lui donne différentes significations. Toute sorte d'excrétion est, selon lui, une crise ; il n'en excepte pas même l'accouchement, ni la sortie d'un os d'une plaie. Il appelle crise tout changement qui arrive à une maladie. Il dit aussi qu'il y a crise dans une maladie, lorsqu'elle augmente ou diminue considérablement, lorsqu'elle dégénere en une autre maladie, ou bien qu'elle cesse entierement. Galien prétend, à-peu-près dans le même sens, que la crise est un changement subit de la maladie en mieux ou en pis ; c'est ce qui a fait que bien des auteurs ont regardé la crise comme une sorte de combat entre la nature & la maladie ; combat dans lequel la nature peut vaincre ou succomber : ils ont même avancé que la mort peut à certains égards être regardée comme la crise d'une maladie.

La doctrine des crises étoit une des parties les plus importantes de la Medecine des anciens : il y en avoit à la vérité quelques-uns qui la rejettoient, comme vaine & inutile ; mais la plûpart ont suivi Hippocrate & Galien, dont nous allons exposer le système, avant de parler du sentiment des medecins qui leur étoient opposés, & de rapporter les différentes opinions des modernes sur cette partie de la Medecine pratique.

La crise, dit Galien, & d'après lui toute son école, est précedée d'un dérangement singulier des fonctions ; la respiration devient difficile, les yeux deviennent étincelans ; le malade tombe dans le délire, il croit voir des objets lumineux ; il pleure, il se plaint de douleurs au-derriere du cou, & d'une impression fâcheuse à l'orifice de l'estomac ; sa levre inférieure tremble, tout son corps est vivement secoüé : les hypocondres rentrent quelquefois, & les malades se plaignent d'un feu qui les brûle dans l'intérieur du corps, ils sont altérés : il y en a qui dorment ou qui s'assoupissent ; & à la suite de tous ces changemens, se montrent une sueur ou un saignement du nez, un vomissement, un devoiement, ou des tumeurs. Les efforts & les excrétions sont proprement la crise ; elle n'est, à proprement parler, qu'un redoublement ou un accès extraordinaire, qui termine la maladie d'une façon ou d'autre.

La crise se fait, ou finit par un transport de matiere d'une partie à l'autre, ou par une excrétion ; ce qui établit deux différentes especes de crises. Les crises different encore en tant qu'elles sont bonnes ou mauvaises, parfaites ou imparfaites, sûres ou dangereuses.

Les bonnes crises sont celles qui font au moins espérer que le malade se rétablira ; & les mauvaises, celles qui augmentent le danger. Les crises parfaites sont celles qui enlevent, qui évacuent ou qui transportent toute la matiere morbifique (voyez COCTION) ; & les imparfaites, celles qui ne l'enlevent qu'en partie. Enfin la crise sûre ou assûrée, est celle qui se fait sans danger ; & la dangereuse est celle dans laquelle le malade risque beaucoup de succomber dans l'effort de la crise même. On pourroit encore ajoûter à toutes ces especes de crises, l'insensible, appellée solution par quelques auteurs, & qui est celle dans laquelle la matiere morbifique se dissipe peu-à-peu.

Chaque espece de crise a des signes particuliers, & qui sont différens, suivant que la crise doit se faire par les voies de la sueur ; par celles des urines, par les selles, par les crachats, ou par hémorrhagie ; c'est à la faveur de ces signes que le medecin peut juger du lieu que la nature a choisi pour la crise. On trouvera dans tous les articles qui regardent les différens organes secrétoires, & notamment aux mots URINE, CRACHAT, SUEUR, HEMORRHAGIE, &c. les moyens de connoître l'événement de la maladie, relativement aux différentes excrétions critiques, ou la détermination de la crise.

Les anciens ne se sont pas contentés d'avancer & de soûtenir qu'il y a une crise dans la plûpart des maladies aiguës, & de donner des regles pour déterminer l'organe, ou la partie spéciale dans laquelle ou par laquelle la crise doit se faire ; ils ont crû encore pouvoir fixer le tems de la crise : c'est ce qui a donné lieu à leur doctrine sur les jours critiques, que nous allons exposer, en nous attachant seulement à ce qu'il y avoit de plus communément adopté parmi la plûpart des anciens eux-mêmes ; car il y en avoit qui osoient douter de la vertu des regles les plus reçûes. Ce sont ces regles qui furent autrefois les plus reçûes, que nous allons rapporter. Les voici.

Toutes les maladies aiguës se terminent en quarante jours, & souvent plûtôt ; il y en a beaucoup qui finissent vers le trentieme, & plus encore au vingt, au quatorze ou au sept. C'est donc dans l'espace de sept, de quatorze, de vingt ou de quarante jours au plus, qu'arrivent toutes les révolutions des maladies aiguës, qui sont celles qui ont une marche marquée par des crises & des jours critiques, ou du moins dans lesquelles ce caractere est plus sensible, plus observable.

Les jours d'une maladie dans lesquels les crises se font, sont appellés critiques, & tous les autres se nomment non-critiques. Ceux-ci peuvent pourtant devenir critiques quelquefois, comme Galien en convient lui-même ; mais cet évenement est contraire aux regles que la nature suit ordinairement. De ces jours critiques il y en a qui jugent parfaitement & favorablement, & qui sont nommés principaux ou radicaux par les Arabes, ou bien simplement critiques ; tels sont le septieme, le quatorzieme, le vingtieme. Il en est d'autres qui ont été regardés comme tenant le second rang parmi les jours heureux ; ce sont le neuvieme, le onzieme & le dix-septieme : le troisieme, le quatrieme & le cinquieme jugent moins parfaitement : le sixieme juge fort souvent, mais il juge mal & imparfaitement ; c'est pourquoi il a été regardé comme un tyran ; au lieu que le septieme, qui juge pleinement & favorablement, a été comparé à un bon roi. Le huitieme & le dixieme jugent mal aussi, mais ils jugent rarement. Enfin le douzieme, le seizieme & le dix-huitieme ne jugent presque jamais.

(Nota. Tout lecteur entendra parfaitement le sens de ce mot juger que nous venons d'employer, & qui est technique, s'il veut bien se rappeller la signification propre du mot crise, que nous avons expliquée au commencement de cet article.)

On voit par ce précis quels sont les bons & les mauvais jours dans une maladie aiguë ; les éminemment bons sont le septieme, le quatorzieme & le vingtieme. Galien dit avoir remarqué dans un seul été plus de quatre cent maladies parfaitement jugées au septieme ; & quoiqu'on trouve dans les épidémies d'Hippocrate des exemples de gens morts au septieme, ce n'est que par un accident rare, & dû à la force de leur tempérament, qui a fait que leur maladie s'est prolongée jusqu'à ce terme, qu'elle ne devoit pas atteindre dans le cours ordinaire. C'est toûjours Galien qui parle, & qui veut sauver son septieme jour, qu'il a comparé à un bon prince qui pardonne à ses sujets ou qui les retire du danger, comme nous l'avons déjà observé. Le quatorzieme est le second dans l'ordre des jours salutaires ; il est heureux, & juge très-souvent : il supplée au septieme, il a même mérité de lui être préféré par quelques anciens. Quant au vingtieme, il est aussi vraiment critique & salutaire ; mais il n'est pas en possession paisible de ses droits ; Archigene, dont nous parlerons dans la suite de cet article, lui a préféré le vingt-unieme.

Tous les jours, excepté les trois dont nous venons de parler, sont plus ou moins dangereux & mauvais ; ils jugent quelquefois, comme nous venons de le dire, mais ils ne valent pas les premiers, en tant que critiques ; ils ne sont pas même précis�ment regardés comme tels : c'est pourquoi on leur a donné des dénominations particulieres, & on les a distinguées en indices, en intercalaires, & en vuides.

Les jours indices, ou indicateurs, qui forment le premier ordre après les trois critiques, & qu'on appelle aussi contemplatifs, sont ceux qui indiquent ou qui annoncent que la crise sera parfaite, & qu'elle se fera dans un des jours radicaux : de cet ordre sont le quatrieme, le onzieme & le dix-septieme. Le quatrieme qui est le premier des indices, comme le septieme est le premier des critiques, annonce ce septieme, qui n'est jamais aussi parfait qu'il doit l'être, s'il n'est indiqué ou annoncé. Ceux qui doivent être jugés au septieme, ont une hypostase blanche dans l'urine au quatrieme, dit Hippocrate dans ses Aphorismes. Ainsi le quatrieme est, par sa nature, indice du septieme, suivant Galien, pourvû qu'il n'arrive rien d'extraordinaire ; car il peut se faire non-seulement qu'il soit critique lui-même (comme nous l'avons remarqué ci-dessus, & comme il est rapporté dans les épidémies d'Hippocrate, de Périclès qui guérit par une sueur abondante au quatrieme), mais encore qu'il n'indique rien, soit par la nature de la maladie, lorsqu'elle est très-aiguë, soit par les mauvaises manoeuvres du medecin, ou par quelqu'autre cause à laquelle il ne faut pas s'attendre ordinairement. Enfin le quatrieme indique quelquefois que la mort peut arriver avant le septieme ; & c'est ce qu'il faut craindre, lorsque les changemens qu'il excite passent les bornes ordinaires. Le onzieme est indice du quatorzieme ; il est moins régulier, moins exact que le quatrieme, &, comme lui, il devient quelquefois critique, & même plus souvent : car Galien a observé que tous ses malades furent jugés au onzieme dans une certaine automne. Le dix-septieme est indice du vingtieme ; mais il perd apparemment cette prérogative pour la céder au dix-huitieme, si le vingtieme cesse d'être critique, ainsi que nous avons dit qu'Archigene l'a prétendu.

Les jours qu'on nomme intercalaires ou provocateurs, sont le troisieme, le cinquieme, le neuvieme, le treizieme & le dix-neuvieme ; ils sont comme les lieutenans des critiques, mais ils ne les valent jamais : s'ils font la crise, on doit craindre une rechûte ; Hippocrate l'a dit nommément du cinquieme, qui fut mortel à quelques malades des épidémies. Le neuvieme se trouvant entre le septieme & le quatorzieme, peut être quelquefois heureux ; Galien le place entre les critiques du second ordre, & cela parce qu'il répare la crise du septieme, ou qu'il avance celle du quatorzieme. Le treizieme & le dix-neuvieme sont très-foibles, le dernier plus encore que le premier.

Les jours vuides, qu'on nomme ainsi parce qu'ils ne jugent pour l'ordinaire que malheureusement, parce qu'ils n'indiquent rien, & qu'ils ne sauroient suppléer aux critiques, sont le sixieme, le huitieme, le dixieme, le douzieme, le seizieme, le dix-huitieme, &c. Galien n'épargne pas sa rhétorique contre le sixieme ; il fait contre ce jour une déclamation véhémente : d'abord il le compare à un tyran, comme nous l'avons déja rapporté ; & après lui avoir dit cette injure, il descend de la sublimité du trope, pour l'accuser au propre de causer des hémorrhagies mortelles, des jaunisses funestes, des parotides malignes, ce en quoi Actuarius n'a pas manqué de le copier. Le huitieme est moins pernicieux que le sixieme, mais il n'en approche que trop, ainsi que le dixieme. Le douzieme est, si on peut s'exprimer ainsi, un jour inutile ; il n'est bon qu'à être compté, non plus que le seizieme & le dix-huitieme.

Tous les jours, excepté le redoutable sixieme, sont, comme on voit, de peu de conséquence, relativement à la figure qu'ils font dans la marche de la nature, mais ils sont par cela même très-précieux aux medecins, auxquels ils présentent le tems favorable pour placer leurs remedes : aussi ces jours-là ont-ils été appellés médicinaux ; ce sont pour ainsi dire les jours de l'Art, qui n'a presqu'aucun droit sur tous les autres, puisqu'il ne lui est jamais permis de déranger la nature, qui partage son travail entre les jours critiques & indicateurs, & qui se repose ou prend haleine les jours vuides.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que des maladies qui ne passent pas le vingtieme jour ; mais il y en a qui vont jusqu'au quarantieme, & qui ont aussi dans la partie de leur cours, qui s'étend au-delà du vingtieme, leurs crises & leurs jours critiques : de ce nombre sont le vingt-septieme, le trente-quatrieme, & le quarantieme lui-même. On compte ceux-ci de sept en sept, au lieu que depuis le premier jour jusqu'au vingtieme, on les compte non-seulement par sept ou par septenaires, mais encore par quatre ou par quartenaires. Le septieme, le quatorzieme, le vingtieme ou le vingt-unieme, sont les trois septenaires les plus importans ; le quatrieme, le huitieme, le douzieme, le seizieme & le vingtieme, sont les quartenaires les plus remarquables, & les seuls auxquels on fasse attention. Quelques anciens ont appellé ces derniers jours demi-septenaires ; ils ont aussi divisé les jours en général, en pairs & en impairs. Les uns & les autres avoient plus ou moins de vertu, suivant que les maladies étoient sanguines ou bilieuses, les bilieuses ayant leurs mouvemens aux jours impairs, & les sanguines aux jours pairs.

Il paroît que c'est à ce précis qu'on peut le plus raisonnablement réduire tout ce que les anciens nous ont laissé au sujet de la différence des jours ; il seroit fort inutile de relever les contradictions dans lesquelles ils sont tombés quelquefois, & de les suivre dans toutes les tournures qu'ils ont tâché de donner à leur système. Nous ne nous attacherons ici qu'à parler de quelques-uns de leurs principaux embarras, & ces considérations pourront devenir intéressantes pour l'histoire des maladies.

Les anciens ne sont pas d'accord sur la maniere dont on doit fixer le jour. Qu'est-ce qu'un jour en Médecine, ou dans une maladie ? Voilà ce que les anciens n'ont pas assez clairement défini. Ils se sont pourtant assez généralement réduits à faire un jour qu'ils appelloient médical ou medicinal, & qui étoit de vingt-quatre heures, comme le jour naturel. La premiere heure de ce jour medical étoit la premiere heure de la maladie, qui ne commençant pas toûjours au commencement d'un jour naturel, pouvoit n'être qu'à son second jour, lorsqu'on comptoit le troisieme jour naturel depuis son commencement, &c.

Mais il ne fut pas aussi aisé de se fixer à l'égard de ce qu'il faut prendre pour le premier jour dans une maladie. En effet, s'il est des cas dans lesquels une maladie s'annonce subitement & évidemment par un frisson bien marqué, il est aussi des maladies où le malade traîne deux & trois jours, & quelquefois davantage, sans presque s'en appercevoir. On se bornoit, dans ces cas, à compter les jours de la maladie, du moment auquel les fonctions étoient décisivement lésées ; mais ce moment-là même n'est pas toûjours aisé à découvrir. La complication des maladies est encore fort embarrassante pour le compte des jours. Par exemple, une femme grosse fait ses couches ayant actuellement la fievre ; une autre est saisie de la fievre trois ou quatre jours après ses couches : où faudra-t-il alors prendre le commencement de la maladie ? Hippocrate s'est contredit sur cette matiere, & Galien veut qu'on compte toûjours du moment de l'accouchement, ce en quoi il a été suivi par Rhazès, Amatus Lusitanus, &c. Il y en a eu qui prétendoient faire marcher les deux maladies à la fois, & les compter chacune à part. D'autres, tels qu'Avicenne, Zacutus Lusitanus, &c. ont distingué l'accouchement contre nature d'avec le naturel, & ils ont pris celui-ci pour un terme fixe, & pour leur point de partance dans le compte des jours, en regardant l'autre comme un symptome de la maladie. Mais tout cela n'éclaircit pas assez la question, parce que les explications particulieres, ne sont souvent que des ressources que chacun se ménage pour éluder les difficultés. L'histoire des rechûtes, & celle des fievres aiguës entées sur des maladies habituelles ou chroniques, embrouillent encore davantage le compte des jours ; & ce qu'il y a de plus fâcheux pour ce système, c'est qu'une crise durant quelquefois trois & quatre jours, on ne sait à quel jour on doit la placer. Il faut l'avoüer, toutes ces remarques que les anciens, les plus attachés à la doctrine des crises, avoient faites, & dont ils tâchoient d'éluder la force, rendent leur doctrine obscure, vague, & sujette à des mécomptes qui pourroient être de conséquence, & qui n'ont pas peu contribué à décrier les crises & les jours critiques. Il y a plus, c'est que Galien lui-même est forcé de convenir (ch. vj. des jours critiques) qu'on ne sauroit dissimuler, si on est de bonne foi, que la doctrine d'Hippocrate sur les jours critiques ne soit très-souvent sujette à erreur. Si cela est, si on risque de se tromper très-souvent, à quoi bon s'y exposer en admettant des dogmes incertains ? D'ailleurs on trouve des contradictions dans les livres d'Hippocrate, au sujet des jours critiques. (Ces contradictions ont été vivement relevées par Marsilius Cagnatus.) Ce qu'Hippocrate remarque dans ses épidémies, n'est pas toûjours conforme à ses prognostics & à ses aphorismes. Galien a senti de quelle conséquence étoient ces contradictions ; il tâche d'éluder l'argument qu'on peut en tirer contre son opinion favorite, en disant que les livres des épidémies étoient informes, & destinés seulement à l'usage particulier d'Hippocrate. Dulaurens va plus loin, & il veut faire croire qu'Hippocrate n'avoit pas encore acquis, lorsqu'il composoit ses livres des épidémies, une connoissance complete des jours critiques. Mais à quoi servent ces subterfuges ? Tout ce qu'on peut supposer de plus raisonnable en faveur d'Hippocrate, s'il est l'auteur de ces ouvrages dans lesquels on trouve des contradictions, c'est que ces contradictions sont dans la nature, & qu'il a, dans toutes les occasions, peint la nature telle qu'elle s'est présentée à lui ; mais il a toûjours eu tort de se presser d'établir des regles générales : ses épidémies doivent justifier ses aphorismes, sans quoi ceux-ci manquant de preuves, ils peuvent être regardés comme des assertions sur lesquelles il ne faut pas compter.

D'ailleurs, Dioclès & Archigene dont nous avons déjà parlé, ne comptoient point les jours comme Hippocrate & Galien ; ils prétendoient que le 21 devoit être mis à la place du 20, d'où il s'ensuivoit que le 18 devenoit jour indicatif, & que le 25, le 28, le 32, & les autres dans cet ordre, étoient critiques. Dioclès & Archigene avoient leurs partisans ; Celse, s'il faut compter son suffrage sur cette matiere, donne même la préférence au 21 sur le 20. On en appelloit de part & d'autre à l'expérience & à l'observation ; pourquoi nous déterminerions-nous pour un des partis plûtôt que pour l'autre, n'ayant d'autre motif que le témoignage ou l'autorité des parties intéressées elles-mêmes.

Nous l'avons déjà dit, les anciens sentoient la force de ces difficultés, ils se les faisoient à eux-mêmes, & malgré cela la doctrine des jours critiques leur paroissoit si essentielle, qu'ils n'osoient se résoudre à l'abandonner : ceux qui se donnoient cette sorte de liberté, tels qu'un des Asclépiades, étoient regardés par tous leurs confreres comme très-peu medecins, ou comme téméraires. Cependant Celse loue Asclépiade de cette entreprise, & donne une très-bonne raison du zele des anciens pour les jours critiques : c'est, dit-il en parlant des premiers medecins qu'il nomme antiquissimi, qu'ils ont été trompés par les dogmes des Pythagoriciens.

Il y a apparence que ces dogmes devinrent à la mode, qu'ils pénétrerent jusqu'au sanctuaire des sectes des medecins. Ceux-ci furent aussi surpris de découvrir quelques rapports entre les opinions des philosophes & leurs expériences, que charmés de se donner l'air savant : en un mot, ils payerent le tribut aux systêmes dominans de leur siecle ; ce qui est arrivé tant de fois depuis, & ce que nous conclurons sur-tout d'un passage d'Hippocrate que voici.

Il recommande à son fils Thessalus de s'attacher exactement à l'étude de la science des nombres ; parce que la connoissance des nombres suffit pour lui enseigner, & le circuit ou la marche des fievres, & leur transmutation, & les crises des maladies, & leur danger ou leur sûreté. C'est évidemment le Pythagoricien qui donne un pareil conseil, & non le medecin. Il n'en faut pas davantage pour prouver, qu'avec de pareilles dispositions, Hippocrate étoit très-porté à tâcher de plier l'observation à la théorie des nombres. L'esprit de système perce ici manifestement ; on ne peut le méconnoître dans ce passage, qui découvre admirablement les motifs d'Hippocrate dans toutes les peines qu'il s'est donné pour arranger méthodiquement les jours critiques. C'est ainsi que par des traits qui ont échappé à un fameux moderne, on découvre facilement sa maniere de philosopher en Medecine. Voici un de ces traits, qui paroîtra bien singulier, sans-doute, à quiconque n'aura pas donné dans les illusions de la medecine rationnelle. Après avoir donné pour la cause des fievres intermittentes la viscosité des humeurs, l'auteur dont nous parlons avance, qu'il est plus difficile de distinguer la vraie cause des fievres, que d'en imaginer une au moyen de laquelle on puisse tout expliquer ; & tout de suite il procede à la création de cette cause, il raisonne, & il propose des vûes curatives d'après sa chimere, &c.

Quant à Galien, qui auroit dû être moins attaché qu'Hippocrate à la doctrine des nombres, qui avoit déjà vieilli de son tems, on peut le regarder comme un commentateur & comme un copiste d'Hippocrate : d'ailleurs, son opinion sur l'action de la lune, dont nous parlerons plus bas, & plus que tout cela, son imagination vive, son génie incapable de supporter le doute, dubii impatiens, ont dû le faire échoüer contre le même écueil.

Cependant il faut convenir que Galien montre de la sagesse & de la retenue dans l'examen de la question des jours critiques ; car outre ce que nous avons déjà rapporté de la bonne-foi avec laquelle il avoüoit, que cette doctrine pouvoit souvent induire en erreur, il paroît avoir des égards singuliers pour les lumieres & les connoissances d'Archigene, & des autres medecins qui n'étoient pas de son avis. Galien fait d'ailleurs un aveu fort remarquable au sujet de ce qu'il a écrit sur la vertu ou l'efficacité des jours : Ce que j'ai dit sur cette matiere, je l'ai dit comme malgré moi, & pour me prêter aux vives instances de quelques-uns de mes amis : ô dieux ! vous savez ce qui en est ; je vous fais les témoins de ma sincérité. Vos, ô dii immortales, novistis ! vos in testimonium voco. On ne sauroit ce semble soupçonner que Galien ait voulu tromper ses lecteurs & ses dieux sur une pareille matiere ; & cette espece de serment indique qu'il n'étoit pas tout-à-fait content de ses idées : eût-il pensé qu'elles devoient passer pour des lois sacrées pendant plusieurs siecles, & qu'en se prêtant aux instances de ses amis intéressés à le voir briller, il deviendroit le tyran de la Medecine ?

C'est donc sur la prétendue efficacité intrinseque des jours & des nombres, qu'étoient fondés les dogmes des jours critiques : c'est de leur force naturelle que les Pythagoriciens tiroient leurs arcanes, & ces arcanes étoient sacrés pour tout ce qui s'appelloit philosophe. On ne peut voir sans étonnement toutes leurs prétentions à cet égard, & sur-tout l'amas singulier de conformités ou d'analogies qu'ils avoient recueillies pour prouver cette prétendue force : par exemple, celle du septieme jour ou du nombre septenaire, au sujet duquel, dit Dulaurens, les Egyptiens, les Chaldéens, les Grecs, & les Arabes, ont laissé beaucoup de choses par écrit. Le nombre septenaire, dit Renaudot, medecin de la faculté de Paris, est tant estimé des Platoniciens, pour être composé du premier nombre impair, & du premier tout pair ou quarré, qui sont le 3 & le 4 qu'ils appellent mâle & femelle, & dont ils font un tel cas qu'ils en fabriquent l'ame du monde ; & c'est par leur moyen que tout subsiste : la conception de l'enfant se fait au septieme jour ; la naissance au septieme mois. Tant d'autres accidens arrivent aux septenaires : les dents poussent à sept mois ; l'enfant se soûtient à deux fois sept ; il délie sa langue à trois fois sept ; il marche fermement à quatre fois sept ; à sept ans les dents de lait sont chassées ; à deux fois sept il est pubere ; à trois fois sept il cesse de croître, mais il devient plus vigoureux jusqu'à sept fois.... le nombre sept est donc un nombre plein, appellé des Grecs d'un nom qui veut dire vénérable. Hoffman n'a pas manqué de répéter toutes ces belles remarques, dans sa dissertation de fato physico & medico.

Voilà la premiere cause de tous les calculs des medecins, voilà l'idole à laquelle ils sacrifioient leurs propres observations, qu'ils retournoient toujours jusqu'à ce qu'elles fussent conformes à leur opinion maîtresse ou fondamentale ; trop semblables dans cette sorte de fanatisme à la plûpart des modernes, dont les uns ont tout rappellé à la matiere subtile, les autres à l'attraction, à l'action des esprits animaux, à l'inflammation, aux acrimonies, & à tant d'autres dogmes, qui n'ont peut-être d'autre avantage sur la doctrine des nombres, que celui d'être nés plûtard, & d'être par-là plus conformes à notre maniere de penser.

Cette doctrine des nombres vieillissoit du tems de Galien, nous l'avons déjà dit ; elle s'usoit elle-même peu-à-peu ; l'opinion des jours critiques s'affoiblissoit à proportion : la théorie hardie & sublime d'Asclépiade, fort opposée au génie calculateur ou numérique des anciens, si on peut ainsi parler, auroit infailliblement pris le dessus, si Galien lui-même n'avoit ménagé une ressource aux sectateurs des crises. C'est à l'influence de la lune, dont les anciens avoient aussi parlé avant lui, qu'il eut recours pour les expliquer : il porta les choses jusqu'à imaginer un mois medical ou medicinal, au moyen duquel les révolutions de la lune s'accordant avec celles des crises, celles-ci lui paroissoient dépendre des phases de la lune.

Les Arabes ne changerent presque rien à la doctrine des crises & des jours critiques ; ils la supposoient irrévocable & connue, & ils eurent occasion de l'appliquer à la petite-vérole, à laquelle elle ne va pas mal : ils étoient trop décidés en faveur de Galien, d'Aetius & d'Oribase, pour former quelque doute sur leur système. Hali-Abbas regardoit le 20 & le 21 comme des jours critiques ; il semble qu'il voulût concilier Galien & Archigene.

L'Astrologie étant devenue fort à la mode dans le tems du renouvellement des Sciences, elle se glissa bien-tôt dans la théorie medicinale : il y eut quelques medecins qui oserent traiter le mois medical de Galien de monstrueux & d'imaginaire. Mais le commun des praticiens ne renonça pas pour cela à l'influence de la lune sur les crises & les jours critiques ; on ne manquoit jamais de consulter les astres avant d'aller voir un malade. J'ai connu un medecin mathématicien qui, ayant été mandé pour un malade qui avoit la salivation à la suite des frictions mercurielles, ne voulut partir qu'après avoir calculé si la chose étoit possible, vû la dose de minéral employée. Ce mathématicien eût été sûrement astrologue il y a deux siecles.

La lune, disoient les Astrologues, a autant d'influence sur les maladies, que sur la plûpart des changemens qui arrivent dans notre globe ; c'est d'elle que dépendent les variations des maladies, & la vertu ou l'action des jours critiques. Un calcul bien simple le prouve : si quelqu'un tombe malade le jour de la nouvelle lune, il se trouvera qu'au 7 la lune sera au premier quartier, qu'on aura pleine lune au 14, & qu'au troisieme septenaire elle sera dans son dernier quartier. D'où il paroît qu'il y a un rapport évident entre les jours critiques, le 7, le 14, & le 21, & les phases de la lune, sans compter ses rapports avec les jours indices. Aussi toutes les maladies qui se trouveront suivre exactement les changemens de la lune, & commencer avec la nouvelle lune, auront-elles des crises complete s & parfaites.

Mais comme il y a beaucoup de maladies qui ne commencent pas à la nouvelle lune, les révolutions de chaque quartier ne sauroient avoir lieu dans ces cas ; cependant il y aura toûjours dans les mouvemens de la lune des révolutions notables, qui répondront au 7, au 14 & au 21, & au 4, au 11 & au 17, ainsi que peut le découvrir tout lecteur assez patient & assez curieux de calculs.

Parmi les medecins qui ont déduit la marche des crises de cette cause, il y en avoit qui ne trouvant pas bien leur compte avec la lune seule, avoient recours à tous les astres, au signe du zodiaque & aux planetes, qui présidoient chacune à des maladies particulieres.

Le dirai-je ? Cette action de la lune à laquelle Vanhelmont même n'a osé se dispenser de soûmettre son grand archée, & en général les influences des astres sur les corps sublunaires, pourroient peut-être être expliquées assez physiquement, ainsi que M. Richard Mead a commencé de le faire parmi les modernes, ou au moins être reçûes comme phénomenes existans dans la nature, quoique non compris. Ce n'est pas qu'il faille ajoûter foi aux ridicules & puériles calculs des anciens : mais on ne peut, lorsqu'on examine les choses de bien près, s'empêcher de se rendre à certains faits généraux, qui méritent au moins qu'on les examine & qu'on doute. On trouve tous les jours tant de gens de bon sens qui assûrent avoir des preuves de l'action de la lune sur les plantes, & sur des maladies mêmes, telles que la goutte & les rhûmatismes, qu'on ne sauroit se déterminer, ce me semble, sans témérité à regarder ces sortes d'assertions comme destituées de tout fondement, quelques folles applications que le peuple en fasse. Car de quelle vérité n'abuse-t-on point en Physique ? Il en est comme des effets ou de l'influence de l'imagination des femmes grosses sur leurs enfans ; le peuple les admet ; les Philosophes, ceux sur-tout qui ont une antipathie marquée pour toutes les idées populaires, qui ne sont que les restes des opinions de l'antiquité, ces philosophes rejettent l'influence de l'imagination des femmes grosses sur leurs enfans ; mais il paroît malheureusement que c'est parce qu'ils n'en savent point la cause. N'est-ce pas pour la même raison, à-peu-près, qu'on rejette l'action ou l'influence de la lune & des autres astres sur nos corps ? Après tout, pourquoi prendre sans hésiter un ton si décisif contre des choses que les anciens les plus respectables ont admis, jusqu'à ce qu'on ait démontré par des faits constatés, qu'ils se sont trompés autant dans leurs observations, que dans les applications qu'ils en ont faites ? On a laissé présider la lune au flux & reflux de la mer ; comment peut-on assûrer après cela que la lune occasionnant des révolutions si singulieres sur la mer, & plus que probablement sur l'air, ne produise pas quelque effet sur nos humeurs ? Pourquoi notre frêle machine sera-t-elle à l'abri de l'action de cette planete ? n'est-elle ni compressible ni attirable en tout ou en partie ? la sensibilité animale n'est-elle pas même une propriété qui expose plus qu'aucune autre, cette machine dont nous parlons, à un agent qui cause tant de révolutions dans l'atmosphere ?

Quoiqu'il en soit, Fracastor qui vivoit au xv. siecle, fut un des plus redoutables ennemis du système dominant au sujet de l'action de la lune sur les jours critiques & les crises ; il étoit d'autant plus intéressé à la destruction de ce système, qu'il en substituoit un autre fort ingénieux ; le desir de faire recevoir ses propres idées, a fait faire à plus d'un philosophe des efforts efficaces contre les opinions reçûes avant lui, On aura peut-être besoin de l'hypothese de Fracastor, lorsqu'on viendra à discuter la question des crises & des jours critiques, comme elle mérite de l'être ; c'est ce qui nous engage à en donner ici un court extrait.

Fracastor par des principes reçus chez tous les Galénistes au sujet des humeurs, la pituite, la bile, & la mélancholie, qui ont, disoient-ils, différens mouvemens, qui occasionnent chacune leurs maladies particulieres, leurs fievres, leurs tumeurs, &c. c'étoit débuter d'une maniere bien séduisante pour des gens qui croyoient à ces humeurs ; la mélancholie, ajoûte-t-il, qui se meut de quatre en quatre jours, fait que tous les quartenaires sont critiques. En effet, il est vraisemblable que toutes les humeurs pechent plus ou moins dans la plûpart des maladies ; ces humeurs peccantes sont celles dont la nature tâche de se défaire ; elle ne le peut si ces humeurs ne sont préparées, la coction devant toûjours précéder une bonne crise : or la coction de la mélancholie ayant besoin de quatre jours pour être parfaite, puisque la coction doit suivre les mouvemens des humeurs, il suit de-là que la crise se fera de quatre en quatre jours, c'est-à-dire dans le tems du mouvement de la mélancholie, qui étant la plus épaisse & la plus lourde des humeurs, doit pour ainsi dire entraîner toutes les autres lorsqu'elle se meut, & causer une secousse qui fait la crise.

Mais l'humeur mélancholique ne se trouve pas toûjours en même quantité, & les autres sont plus ou moins abondantes qu'elle. Ces différences font qu'elle se meut plus ou moins évidemment ou plus ou moins vîte, & qu'elle paroît suivre quelquefois le mouvement des autres humeurs ; & c'est de-là que dépendent les différentes maladies, & leurs différentes coctions ou crises : par exemple, les maladies aiguës etant occasionnées par une matiere extrèmement chaude, autre que la mélancholie, leur mouvement commence dès le premier jour ; au lieu que les humeurs étant lentes & tenaces dans les maladies longues, rien ne force la mélancholie à se mouvoir avant le quatrieme jour ; & elle se meut au deuxieme dans les maladies médiocres, vû le degré d'activité de la matiere qui la détermine. Si donc la mélancholie se meut dès le premier jour, les crises seront au quatrieme jour, au septieme, au dixieme, au treizieme, suivant le plus ou le moins de division des humeurs : si la mélancholie ne se meut qu'au deuxieme jour, alors les mouvemens critiques se manifesteront au cinquieme, au huitieme, au onzieme, au quatorzieme, au dix-septieme, au vingtieme : & enfin si la mélancholie ne se meut qu'au troisieme jour, alors le sixieme, le neuvieme, la douzieme, le quinzieme, le dix-huitieme, le vingt-unieme le vingt-quatrieme, le vingt-septieme, & le trentieme, seront les jours critiques, qui sont de trois ordres ou de trois especes dans l'opinion de Fracastor.

On voit que ce systême dérange les calculs des anciens ; c'est-là aussi ce qu'on lui a opposé de plus fort ; & la plûpart des medecins qui ont succédé à Fracastor, s'en sont tenus à admettre les jours critiques à la façon de Galien, en donnant cependant pour causes des crises & des jours critiques la diversité des humeurs à cuire, la différence des tempéramens, & même l'action de la lune, à laquelle on attribuoit plus ou moins de vertu : ils ont établi une de ces opinions mixtes qui sont intermédiaires entre les systèmes, ou qui sont des especes de recueils ; ressource ordinaire des compilateurs. Prosper Alpin, qu'on doit mettre dans cette classe, mérite d'être consulté, tant par rapport à ses observations précieuses, que par rapport à ses mouvemens combinés de l'atrabile & de la bile, &c.

On trouvera tous les auteurs Galénistes qui ont travaillé depuis Fracastor, occupés des mêmes questions, & suivans à-peu-près le même plan, c'est-à-dire ce que leurs prédécesseurs leur avoient appris. Dulaurens chancelier de la faculté de Montpellier, & premier medecin d'Henri IV. a été un de ceux qui ont donné un traité des plus complets & des mieux faits sur les crises : il y a dans ce traité des idées particulieres à l'auteur, qui méritent beaucoup d'attention ; & son exactitude a fait que plusieurs medecins qui ont travaillé depuis lui, se sont contentés de le copier : tel est entr'autres, pour le dire ici en passant, le fameux Sennert : ceux qui ont dit de ce dernier que Riviere, un des plus grands medecins de son siecle, l'avoit copié & abregé, auroient pû ajoûter que le medecin françois n'a fait que reprendre au sujet des crises, ce que Sennert a pris dans Dulaurens, & que pour le reste Riviere & Sennert ont puisé dans les mêmes sources, & n'ont fait que suivre leurs prédécesseurs dans la plûpart des questions ; en cela fort ressemblans à bien des modernes, qui se sont copiés les uns les autres, depuis Harvée, Vieussens, & Baglivi, jusqu'à nos jours.

Les Chimistes ayant foudroyé le Galénisme, & la plûpart des opinions répandues dans les écoles, qui avoient à dire vrai, besoin d'une pareille secousse, la doctrine des crises se ressentit de la fougue des réformateurs. Ce fut en vain qu'Arnaud de Villeneuve, qui se montre toûjours fort sage dans la pratique, se déclara pour les jours critiques, en avançant qu'on passoit les bornes de la Medecine, si on prétend aller plus loin qu'Hippocrate à cet égard. C'est en vain que Paracelse eut recours aux différens sels pour expliquer les crises : Il n'est rien, disoit Vanhelmont toûjours en colere, de plus impertinent que la comparaison qu'on a fait des crises avec un combat ; un vrai médecin doit nécessairement négliger les crises auxquelles il ne faut point avoir recours, lorsqu'on sait enlever la maladie à propos. A quoi servent tant de pénibles recherches sur les jours critiques ? Le vrai medecin est celui qui sait prévenir ou modérer la malignité des maladies mortelles, & abréger celles qui doivent être longues, en un mot empêcher les crises. J'ai, ajoûte-t-il, composé étant jeune cinq livres sur les jours critiques, & je les ai fait brûler depuis. Il y avoit déjà long-tems que la doctrine des crises avoit été combattue par des clameurs & des bons mots ; on avoit traité la medecine des anciens de méditation sur la mort. Ainsi Vanhelmont se servoit pour lors des mêmes traits lancés par des esprits non moins ardens que le sien ; & ces répétitions ne paroissent pas devoir faire regretter les livres qu'il a brûlés. Il faut pourtant convenir que les expressions ou la contenance de Vanhelmont ne peuvent que frapper tout lecteur impartial ; on est naturellement porté à approuver ou à desirer une medecine héroïque & vigoureuse, qui sût résister efficacement aux maladies & les emporter d'emblée. La doctrine des crises & des jours critiques a un air de lenteur, qui semble devoir ennuyer les moins impatiens, & donner singulierement à mordre aux Pyrrhoniens.

Les chimistes plus modernes, & moins ennemis des écoles que Vanhelmont, tels que Sylvius-Deleboë, & quelques autres, n'ont pas même daigné parler des crises & des jours critiques, & on les a totalement perdues de vûe, ou du moins on n'a fait qu'étendre les railleries de Vanhelmont ; il faut avoüer que la brillante théorie des chimistes, leurs spécifiques, & leurs altérans, ne pouvoient guere conduire qu'à cela : enfin les chimistes ont perdu peut-être trop tôt l'empire de la medecine, qu'ils avoient arraché à force ouverte à ceux qui en étoient en possession, & qui avoient fait dans l'art une de ces grandes révolutions dont les avantages & les desavantages sont si confondus, qu'il est bien difficile de juger quels sont ceux qui l'emportent.

Baglivi parut, il consulta la nature ; il crut la trouver bien peinte dans Hippocrate : Il est inutile, s'écria-t-il, de se moquer des anciens, & de ce qu'ils ont dit des jours critiques ; laissons toutes les injures qu'on leur a dites, venons au fait. La fermentation à laquelle on convient que le mouvement du sang a du rapport, a ses lois, & son tems marqué pour se manifester ; pourquoi les dépurations du sang n'auroient-elles pas les leurs ? On observera les crises évidemment sur les paysans qui n'ont pas recours aux medecins ; & il ne faut pas s'étonner qu'elles ne se fassent point, lorsqu'on les dérange par la multitude des remedes ; il faut pourtant avoüer qu'il y a des maladies malignes dans lesquelles on ne doit pas s'attendre aux coctions & aux crises : d'ailleurs le tempérament du malade, le pays qu'il habite, la constitution de l'année, & la différence des saisons, sont cause que les crises ne se font point dans nos pays, précisément comme en Grece, en Asie ; ce que Houllier avoit déjà avancé avant lui.

La comparaison que Baglivi fait du mouvement des humeurs animales avec la fermentation des liqueurs spiritueuses, mérite une réflexion ; elle est sortie de l'école des chimistes, & il me semble qu'elle prouve qu'il falloit bien que Baglivi fût persuadé de la vérité des crises & des jours critiques. En effet l'attachement que Baglivi avoit pour le solidisme, ne permet pas de douter qu'il n'eût fait des efforts pour l'appliquer à la marche des crises. Il nous a fait part ailleurs de ses essais à cet égard ; mais ici il se sert du systême des humoristes, soit qu'il voulût les persuader par leur propre système, soit qu'il préférât de bonne grace la vérité de l'observation à ses explications. Il seroit à souhaiter que tous les Medecins imitassent cette candeur ; les exemples de ceux qui ne mettent au jour que les observations qui quadrent bien avec leur système particulier, & qui oublient, ou qui n'apperçoivent peut-être pas, celles qui pourroient le déranger, ne sont que trop communs. Chacun a sa maniere de voir les objets, chacun en juge à sa façon ; c'est pourquoi la diversité même des systèmes peut avoir ses usages en Medecine.

Les Medecins plus modernes que Baglivi, ceux de l'école de Montpellier qui ont succédé à Riviere, tels que Barbeïrac qui est un des premiers législateurs parmi les modernes, & qu'un de ses compatriotes, célebre professeur du dernier siecle, un des Châtelains, regarde (dans des manuscrits qui n'ont point vû le jour) comme le premier auteur de tout ce que Sidenham a publié de plus précieux, Barbeïrac, & ses autres confreres, qui ont pratiqué & enseigné la Medecine avec beaucoup plus de netteté, de simplicité & de précision que les Chimistes & les Galénistes, ont négligé les crises, & n'en ont presque point parlé ; ils ne les ont, ni adoptées comme les anciens, ni vilipendées comme les Chimistes, auxquels ils n'ont rien reproché à cet égard ; en un mot ces questions sont devenues pour eux comme inutiles, comme non avenues, & comme tenant aux hypothèses des vieilles écoles. La même chose est arrivée à-peu-près aux medecins de l'école de Paris (à moins qu'on ne doive en excepter Hecquet qui a tant varié). Ils ont été long-tems à se concilier sur les systèmes chimiques ; & il y en a eu beaucoup qui ont parû rester attachés à la méthode de Houllier, Duret, Baillou. Ces grands hommes auront assûré à l'école de Paris la prééminence sur toutes les autres de l'Europe, principalement si la doctrine des crises vient à reprendre le dessus, puisqu'ils ont été les restaurateurs des opinions anciennes sur cette matiere, & qu'ils ont fondé un système de pratique qui a duré malgré les Chimistes jusqu'aux tems des Chirac & des Silva.

Il y eut dans le dernier siecle, qui est celui dans lequel vivoient les medecins de Montpellier dont je viens de parler, bien de grands hommes dont Hoffman cite quelques-uns dans sa dissertation sur les crises, qui crurent qu'il étoit inutile de s'attacher à la doctrine des crises dans nos climats, parce qu'elles ne pouvoient pas se faire comme dans les pays qu'habitoient les anciens médecins. Il ne les taxoient point de superstition ni d'ignorance, ainsi que les chimistes ; ils tâchoient de concilier tous les partis, en donnant quelque chose à chacun d'eux. Ces medecins ne doivent donc pas être regardés comme des ennemis des crises, & ils different aussi de ceux de Montpellier dont il a été question ci-dessus, & qui gardoient un profond silence au sujet des crises.

On peut placer Sidenham au nombre de ces medecins, c'est-à-dire de ceux que j'appelle de Montpellier : tout le monde connoît la retenue & la modération de Sidenham, aussi-bien que le penchant qu'il avoit pour l'expectation, sur-tout dans les commencemens des épidémies. Je ne parlerai ici que d'une de ses prétentions, que je trouve dans son traitement de la pleurésie : cette prétention mérite quelque consideration ; elle est conçûe en ces termes : Mediante venae sectione morbifica materia penes meum est arbitrium : & orificium à phlebotomo incisum tracheae vices subire cogitur ; " je peux à mon gré tirer par la saignée toute la matiere morbifique qui auroit dû être emportée par les crachats ". Ce n'est point ici le lieu d'examiner si cette proposition est bien ou mal fondée ; il suffit de remarquer qu'elle paroît directement opposée à la méthode des anciens, ou à leur attention à ne pas troubler la nature. C'est une assertion hardie, qui appuie singulierement la vivacité & l'activité des Chimistes, & de tous les ennemis des crises, & des jours critiques : car enfin quelqu'un qui se flatte de maîtriser la nature comme Sidenham, & de lui dérober la matiere des excrétions, peut-il être regardé comme son ministre, dans le sens que les anciens donnoient à cette dénomination ? Joignez à cette réflexion les louanges que Harris donne à Sidenham, pour avoir osé purger dans tous les tems de la fievre, sans compter la maniere dont celui-ci s'efforçoit de diminuer la force de la fievre par l'usage des rafraîchissans dans la petite vérole, & vous serez obligé de convenir que la pratique de Sidenham pourroit bien n'avoir pas été conforme au ton de douceur qu'il avoit sû prendre, ni à la définition qu'il donnoit lui-même de la maladie, qu'il regardoit comme un effort utile & nécessaire de la nature. C'est où j'en voulois venir, & je conclus de-là, qu'il ne faut pas toûjours juger de la pratique journaliere d'un medecin, par ce qu'il se vante lui-même de faire ; tel qui se donne pour un athlete prêt à combattre de front une maladie, est souvent très-timide dans le traitement : d'autre côté, il en est qui vantent leur prudence, leur attention à ne pas déranger la nature, & qui sont souvent ses ennemis les plus décidés. Seroit-ce que dans la Medecine comme ailleurs, les hommes ont de la peine à se guider par leurs propres principes ? J'insisterois moins sur cette matiere, si je n'avois connu des medecins qui se trompent, pour ainsi dire, eux-mêmes, & qui pourroient induire à erreur, les gens qui voudroient les croire sur ce qu'ils disent de leur méthode. C'est en les voyant agir vis-à-vis des malades, qu'on apprend à les bien connoître : c'est alors que le masque tombe.

Stahl & toute son école ont eu un penchant très-décidé pour les crises & pour les jours critiques ; leur autocratie les conduisoit à imiter la lenteur & la méthode des anciens, plûtôt que la vivacité des Chimistes ; l'expectation devint un mot pour ainsi dire sacré dans cette secte, d'autant plus qu'il lui attira comme on sait, de piquantes railleries de la part d'un Harvée, fameux satyrique en Medecine. Nenter, Stahlien déclaré, a donné l'histoire & les divisions des jours critiques à la façon des anciens. En un mot il est à présumer, par tout ce qu'on trouve à ce sujet dans les ouvrages de Stahl & dans ceux de ses disciples, qu'ils auroient très-volontiers suivi & attendu les crises & les jours critiques, s'ils n'avoient été arrêtés par la difficulté qu'il y avoit de livrer l'ordre, la marche, & les changemens des redoublemens à l'ame, à laquelle ils n'avoient déjà donné que trop d'occupation. Comment oser dire en effet que l'ame choisit les septenaires pour redoubler ses forces contre la matiere morbifique, & qu'elle se détermine de propos délibéré à annoncer ces septenaires par des revolutions qu'elle excite aux quartenaires ? A dire vrai, ces prétentions auroient pû ne pas réussir ; il valut mieux biaiser un peu sur ces matieres, & rester dans une sorte d'indécision. Nichols a pourtant franchi le pas ; mais disons-le puisque l'occasion s'en présente : il seroit à souhaiter pour la mémoire de Stahl, qu'il se fût moins avancé au sujet de l'ame, ou qu'il eût trouvé des disciples moins dociles à cet égard ; c'est-là, il faut l'avoüer, une tache dont le Stahlianisme se lavera difficilement. On pourroit peut-être le prendre sur le pié d'une sorte de retranchement, que Stahl s'étoit ménagé pour fuir les hypotheses, les explications physiques, & les calculs : mais cette ressource sera toûjours regardée comme le rêve de Stahl ; rêve d'un des plus grands génies qu'ait eu la Medecine, il est vrai, mais d'autant plus à craindre, qu'il peut jetter les esprits médiocres dans un labyrinthe de recherches & d'idées purement métaphysiques.

L'école de Montpellier auroit été infailliblement entraînée dans cet écueil, sans la prudence des vrais medecins qui la composoient ; & sans la sagesse de celui-là même qui y soûtint le premier le Stahlianisme publiquement, & qui apprend aujourd'hui à ses disciples à s'arrêter au point qu'il faut.

Hoffman avance dans la dissertation dont j'ai parlé ci-dessus, & que M. James a traduite comme tant d'autres du même auteur, qu'il se fait des crises dans les maladies chroniques ; telles que l'épilepsie, les douleurs, & les fievres intermittentes, ainsi que dans les maladies aiguës. Il répete en un mot ce que bien des auteurs ont dit avant lui ; il a recours, pour ce qui concerne les révolutions septenaires, à la volonté du Créateur, ce que quelques-uns de ses prédécesseurs n'avoient pas manqué de faire : il ajoûte qu'il est impossible que les parties nerveuses ne soient irritées par la matiere morbifique, & par les stases des humeurs, & qu'il arrive par-là de certains mouvemens en de certains tems, certi motus, certis temporibus, & il appelle cela, pour le dire en passant, reddere rationem crisium, expliquer la maniere dont se font les crises. Il donne à son ordinaire un coup de dent à Stahl sur le principe interne, directeur de la vie ; il cite Baglivi ; il parle des crises dans la petite vérole & la rougeole. Il avoue qu'il y a des fievres malignes, dans lesquelles on ne sauroit remarquer l'ordre des jours. Il dit enfin qu'il ne faut pas déranger les crises, dans lesquelles il a observé à-peu-près la marche que les anciens leur ont fixée ; en un mot Hoffman se décide formellement en faveur des crises ; cependant il semble laisser son lecteur dans une incertitude d'autant plus grande, que lorsqu'il parle du traitement des maladies, telle que l'angine, la fievre sinoche, &c. il n'observe pas les jours critiques, ou du moins il ne s'explique pas là-dessus. On ne sait donc pas bien clairement s'il faut mettre Hoffman au nombre des partisans des crises, c'est-à-dire de ceux qui les attendent dans les maladies, ou avec les praticiens qui les négligent, scientes & volentes : pour me servir d'une expression de Sidenham, & qui se dirigent dans le traitement des maladies, suivant l'exigence des symptomes. La plûpart des anciens attendoient les crises, les Chimistes n'en vouloient point entendre parler non plus qu'Asclepiade, qui assûroit que non certo aut legitimo tempore morbi solvuntur, ni d'autres qui ont traité les idées des anciens de pures niaiseries ; nugae, comme disoit Sinapius. Voilà deux partis bien opposés. Il en est un troisieme qui tâche de les concilier. Hoffman est de ce dernier. Les Medecins qui ne parlent des crises, ni en bien, ni en mal, font un quatrieme parti peut-être plus sage que tous les autres.

Boerhaave, que nous plaçons ici à côté de Stahl & d'Hoffman, a dit dans ses instituts (§. 931) qu'il arrive ordinairement dans les maladies aiguës humorales & en de certains tems, un changement subit de la maladie, suivi de la santé ou de la mort, changement qu'on nomme crise. Il dit (§. 939) que la crise salutaire, parfaite, évacuante, séparant le sain du malade, separatio morbosi à sano, est celle qui est entr'autres conditions, précédée de la coction ; il appelle coction (§. 927) l'état de la maladie, dans lequel la matiere crue (c'est-à-dire celle qui est (§. 922) disposée à causer ou à augmenter la maladie), est changée de façon qu'elle soit peu éloignée de l'état de santé & par conséquent moins nuisible, & appellée alors cuite. Il appelle coction parfaite (§. 945) celle par laquelle, coctio quâ, la matiere crue est parfaitement & très-vîte, perfectissimè & citissimè, rendue semblable à l'humeur naturelle ; matiere résolue (§. 930) resoluta, celle qui est devenue très-semblable à la matiere saine, salubri ; & résolution, l'action par laquelle cela arrive, action qui sera la guérison parfaite, qui se fait sans aucune évacuation.

D'où il paroît 1°. que par les propres paroles de Boerhaave, la résolution & la coction parfaite sont la même chose, puisqu'elles ne sont l'une & l'autre que l'action par laquelle la matiere morbifique est rendue semblable à l'humeur naturelle ou saine, naturali, salubri ; ce qui est bien, à peu de chose près, l'idée de Sidenham, mais ce qui est fort éloigné de celle que les anciens ont eu de la coction : car ils ont dit que les humeurs étoient cuites, lorsqu'elles sont propres à l'excrétion ; ils prétendoient que toute coction se fait en épaississant ; Hippocrate a dit en termes exprès (Aph. xvj. sect. 2. prognost.), qu'il faut que tout excrément s'épaississe lorsque la maladie approche du jugement : or ni l'épaississement ni la disposition à l'excrétion ne conviennent à la matiere de la résolution lorsqu'elle est résolue, resoluta, surtout si, comme le veut Boerhaave, elle est alors devenue très-semblable à la matiere saine.

2°. Il suit de ce qu'avance Boerhaave, que la résolution guérissant parfaitement une maladie sans aucune évacuation, la coction parfaite qui lui est analogue, pourroit aussi n'être point suivie d'évacuation ; ce qui est encore fort éloigné des dogmes des anciens, & d'Hippocrate lui-même, qui prétend que, pour qu'une coction soit parfaite, elle doit être continue & universelle ; continue, en ce qu'elle doit toujours charger les urines de sédiment blanc, uni, & égal ; & universelle, en ce qu'elle doit se montrer dans tous les excrémens, en un mot les anciens n'ont jamais jugé de la coction que par la nature des évacuations, & une coction de la matiere morbifique sans évacuation, ou sans metastase, auroit été pour eux un être imaginaire ; car leur solution supposoit des évacuations.

3°. Boerhaave même paroît être de cet avis, lorsqu'il avance que la crise parfaite, separatio morbosi à sano, crisis evacuans, doit toujours être précédée de la coction ; preuve que ce qui est cuit n'est point simile salubri, crisis debet sequi coctionem ut bona esse possit (§. 941. Haller, comment.) ; mais cette coction qui doit précéder la crise, selon Boerhaave, ne doit pas être parfaite, car celle-ci ou la coction parfaite est, par la définition qu'il en donne lui-même, celle par laquelle la matiere crue est rendue parfaitement semblable à l'humeur naturelle ; de sorte que la crise parfaite n'est pas précédée d'une coction parfaite : ce qui est aussi fort éloigné des prétentions des anciens, & ce qui, à dire vrai, n'est pas bien clair.

4°. En supposant avec Boerhaave que la coction simple ou non parfaite ; différente de la coction parfaite (car il faut en faire de deux especes pour sauver la contradiction) ; en supposant, dis-je, que cette coction est, comme il l'avance (§. 927), l'état dans lequel la matiere crue est changée de façon qu'elle soit peu éloignée de l'état de santé, on ne voit guere comment cette coction peut être suivie de la crise ; en effet Boerhaave prétend (§. 932) que la cause du mouvement critique est la vie restante, vita superstes, irritée par la matiere morbifique doüée de différentes qualités : mais comment la matiere cuite, si elle est peu éloignée de l'état de santé, peut-elle irriter la vie & causer une révolution subite ? comment est-elle doüée de différentes qualités, praedita variis conditionibus, si elle est peu éloignée de l'état de santé ?

D'ailleurs Boerhaave assûre (§. 941) que l'évacuation critique qui arrive à un jour critique, est bonne ; que la doctrine d'Hippocrate (§. 942. Haller, comm.) sur les jours indices, le quatre indice du sept, le cinq du neuf, ne trompe pas lorsqu'on livre la nature à elle-même : haec non fallunt quamdiu naturae morbum committis, neque te immisces curationi ; il ajoûte (§. 941. Hall.) que la crise qui se fait en Norvege est différente de celle qui se fait en Grece, & que celle qui se fait dans une femme differe de celle qui se fait dans un homme. Il dit (§. 1178), après avoir fait un détail des remedes, correctifs, des acrimonies, acide, alkaline, muriatique, huileuse, aromatique, bilieuse, exuste, putride, rance, acrimonia, aromatica, exusta, &c. que celui qui entend bien, recte intellexit, tout ce qu'il vient de dire, & qui a lû avec soin les ouvrages d'Hippocrate & les beaux commentaires de Galien, Galeni in illa eruditas curas, connoîtra certainement, profecto, les remedes propres à faire digérer, gouverner la coction & la crise des maladies, ad excitandam, promovendam, gubernandam, absolvendam coctionem & crisim.

Il suit de ces passages & de ceux que nous avons rapporté ci-dessus, ainsi que de plusieurs autres que je passe sous silence, que Boerhaave ne rejettoit pas la doctrine des crises, mais qu'il n'étoit pas bien décidé sur ces matieres, ou du moins qu'il est difficile de pénétrer le plan qu'il s'étoit formé à cet égard. En effet s'il est vrai que l'évacuation critique, qui arrive à un jour critique, est bonne, il y a donc des jours critiques : mais quels sont-ils ? C'est ce que Boerhaave ne décide point assez précisément. S'il est vrai que la doctrine des jours indices ne trompe point, tandis qu'on livre la maladie à la nature, en quoi cette vérité est-elle utile à savoir ? & jusqu'à quel point faut-il livrer la nature à elle-même, & ne pas se mêler de la cure, se immiscere curationi ? Voilà un point d'autant plus embarrassant, que Boerhaave lui-même suppose que quelquefois (§. 940) le medecin, non auscultat naturae neque crisim expectat, ne se prete pas aux mouvemens de la nature, & n'attend pas la crise. Il est donc des cas où il est permis de s'opposer à la nature, & de ne pas attendre les crises, expectare crisim : mais quels sont-ils ? C'est ce que Boerhaave ne dit point, & ce qu'il falloit dire. Outre cela, si un medecin qui entend bien, recte intellexit, les préceptes que Boerhaave donne sur les acrimonies ; si un médecin, dis-je, qui sait manier comme il faut les médicamens opposés aux acrimonies dont Boerhaave fait autant de spécifiques, connoît certainement, profecto, la façon de faire, de diriger, & de gouverner la crise & la coction, à quoi bon les attendre de la nature ? comment cette action permutante des spécifiques s'accorde-t-elle avec les jours critiques ? pourquoi s'en tenir, comme Boerhaave le fait (§. 1210. Haller), à la loi d'Hippocrate, qui vetat purgare in statu cruditatis, qui défend de purger pendant que les humeurs sont crues, & qui ordonne d'attendre la coction ? pourquoi ne pas la faire cette coction avec les spécifiques ? & s'ils réussissent, ou si on croit qu'ils peuvent réussir, quelle nécessité y a-t-il de s'en tenir à des lois anciennes ? pourquoi ne pas se décider contre-elles comme les Chimistes ? Enfin Boerhaave a bien dit, que la crise est différente en Grece & en Norvege ; mais on ne sait point si cette différence regarde la nature de la crise, ou l'organe par lequel elle se fait, ou bien les jours auxquels elle arrive : & cela n'est pas mieux décidé au §. 941, dans lequel Boerhaave prétend que la crise est différente dans les différens climats, crisis varia est ratione regionis ; de maniere qu'il paroît avoir à peine touché à l'opinion de ceux dont nous parlons ci-dessus, & qui prétendent que les crises ne se font point aux mêmes jours en Grece & dans ce pays-ci.

En un mot il me semble qu'il est assez difficile, quelque parti qu'on prenne, de s'appuyer du sentiment de Boerhaave. Il a écrit des généralités ; ses propositions ne paroissent pas assez circonscrites. Il n'a pas bien exactement fixé sa façon de penser ; tantôt il semble vouloir concilier les modernes & les anciens, le plus souvent il donne la préférence à ces derniers : mais, encore une fois, tout ce qu'il avance n'est ni assez clair, ni assez déterminé, surtout pour les commençans. Il est fâcheux que le savant M. Haller n'ait pas jugé qu'il fût convenable de toucher à toutes ces questions essentielles, & les seules peut-être qui soient vraiement intéressantes. Lorsque Boerhaave parle des crises, qu'il donne des lois à ce sujet, qu'il propose des choses, qu'il appelle (941. &c.) recepta, reçûes, axiomata, des axiomes ; M. Haller garde le silence sur ces lois, sur les sources où son maître les a puisées, sur leur vérité & leur authenticité ; il ne cite pas même les ouvrages d'Hippocrate & de Galien, dans lesquels Boerhaave a pris presque tout ce qu'il avance de positif. Chacun peut, il est vrai, s'orienter sur ces matieres par lui-même ; mais lorsqu'il s'agit de la maniere dont Boerhaave assûre que ce qu'il dit est reçu, & qu'il en fait des axiomes, chose fort importante pour l'histoire de la Médecine que M. Haller a tant à coeur, n'est-il pas surprenant, qu'il ne nous apprenne point dans quel endroit ces axiomes étoient reçus, lorsque Boerhaave composoit son ouvrage (en 1709 & 1710), & de quel oeil les partisans de Silvius Deleboé, qui étoient les dominans à Leyde, regardoient ces axiomes ? S'il s'agit d'un petit muscle, d'une figure anatomique, d'une discussion curieuse, M. Haller ne s'épargne point, il cite des auteurs avec une abondance qui fait honneur à son érudition, il fait mille pénibles recherches, il instruit son lecteur en le conduisant dans tous les coins de sa bibliotheque ; & lorsqu'il s'agit des matieres de Pathologie, il n'a rien à dire, rien à citer. Un medecin, par exemple Vanswieten, que les praticiens peuvent à bon droit appeller l'enfant légitime ou le fils aîné de Boerhaave, auroit fait précisément le contraire.

Si on consulte Boerhaave dans ses aphorismes, il veut que dans l'angine inflammatoire (ap. 809) on ait recours " à de promtes saignées, & si abondantes, que la débilité, la pâleur, & l'affaissement des vaisseaux s'ensuivent ", cita, magna, repetita missio sanguinis, quousque ut debilitas, palor, vasorum collapsus ; & tout de suite " à de forts purgatifs ", valida alvi subductio, per purgantia ore hausta ; " sans oublier les suffumigations humides ", vapore humido, molli, tepido, assidue hausto. Boerhaave prétend que dans la péripneumonie inflammatoire & récente (ap. 854), " il faut recourir à de promtes saignées ", citam largam missionem sanguinis, ut diluentibus spatium concedatur, " pour faire place aux délayans ". Il donne les mêmes préceptes pour l'inflammation des intestins, pour la pleurésie, &c. mais s'il faut suivre ces regles, il n'est plus question de choisir, des jours déterminés, il n'y a pas même lieu d'attendre la coction & la crise sans les déranger. Il est vrai que Boerhaave présente les mêmes maladies sous d'autres points de vûe ; mais on ne trouvera jamais une conformité parfaite entre le traitement qu'il prescrit, & la doctrine des jours critiques, reçue chez les anciens ; & il demeure incontestable que, comme nous l'avons dit, le système de Boerhaave est indéterminé, & qu'au reste il a du rapport avec ce que Baglivi, Stahl, Hoffman, & bien d'autres pratiquoient avant lui. L'illustre Vanswieten est plus précis & plus décidé que son maître ; il s'explique au sujet des crises, à l'occasion d'un ouvrage de M. Nihell, dont je parlerai plus bas, & il le fait d'une maniere qui annonce le praticien expérimenté, l'homme qui a vû & vérifié ce qu'il a lû. Il est à souhaiter que ce medecin puisse communiquer un jour les observations nombreuses dont il parle, & dans lesquelles il s'est convaincu de la vérité du fond de la doctrine des anciens.

Il n'est pas douteux enfin, que les modernes, qui ont joint la pratique aux principes de l'école de Boerhaave, parmi lesquels il faut placer quelques Anglois de réputation, tels que M. Heuxam, ne fussent très-portés à admettre la doctrine des crises ; le docteur Martine mérite d'être mis dans cette derniere classe.

Chirac, un des réformateurs ou des fondateurs de la médecine Françoise, qui se donne lui-même pour disciple de Barbeïrac & des autres médecins de Montpellier, quitta cette fameuse école, où il avoit déjà formé bien des éleves, & où il avoit soutenu pendant dix-huit ou vingt ans (en s'en rapportant à un passage d'un de ses ouvrages que je citerai dans un moment), des opinions erronées qui l'égaroient ; il vint prendre à Paris des connoissances, qui y sont aujourd'hui les fondemens de la médecine ordinaire, de sorte qu'on ne sauroit bien décider si le système de Chirac est né à Montpellier ou à Paris, & s'il n'appartient pas par préférence à la médecine de la capitale, où Chirac trouva plus d'une occasion de s'instruire, & de revenir de ses opinions erronnées de Montpellier ; d'ailleurs la célébrité de son système est dûe aux medecins de la faculté de Paris.

Quoi qu'il en soit, les idées simples & lumineuses que Chirac nous a transmises, sont devenues des lois sous lesquelles la plûpart des médecins François ont plié. On y a pris les maladies dans leurs causes évidentes ; on a combattu les idées des anciens & celles des Chimistes ; on a formé une médecine toute nouvelle, à laquelle la nature a pour ainsi dire obéi, & qu'on a bien fait de comparer au Cartésianisme dans la Physique.

La retenue & les préjugés des anciens, qui n'osoient rien remuer dans certains jours, ont été singulierement combattus par Chirac. Il a employé les purgatifs, les émétiques, & les saignées dans tous les tems de la maladie, où les symptomes ont paru l'exiger ; enfin il a bouleversé & détruit la médecine ancienne : il n'en reste aucune trace dans l'esprit de ses disciples, trop généralement connus & trop illustres, pour qu'il soit nécessaire de s'arrêter à les nommer. Ils ont peut-être été eux-mêmes plus loin que leur maître, & ils ont rendu la medecine en apparence si claire, si à portée de tout le monde, que si par hasard on venoit à découvrir, qu'elle n'a point acquis entre leurs mains autant de sûreté que de brillant & de simplicité, on ne sauroit s'empêcher de regretter des opinions qui semblent bien établies, & de faire des efforts pour détruire tout ce qu'on pourroit leur opposer.

Voici quelques propositions tirées du Chiracisme, qui feront mieux juger que je ne pourrois le faire du genre de cette medecine : Hippocrate & Galien, dit Chirac (trait. des fiévres malig. & int.), ne doivent pas avoir plus de privilége qu'Aristote ; ils n'étoient que des empyriques, qui dans une profonde obscurité ne cherchoient qu'à tatons ; ils ne peuvent être regardés par des esprits éclairés, que comme des maréchaux ferrans, qui ont reçu les uns des autres quelques traditions incertaines... Quand même ils n'auroient jamais existé, & que tous leurs successeurs n'auroient jamais écrit, nous pourrions déduire des principes que j'ose me flatter qu'on trouvera dans mon ouvrage, tout ce qui a été observé par les anciens & par les modernes... Les Chimistes pleins de présomption n'ont fait qu'imaginer... leur audace n'a produit qu'un exemple contagieux pour plusieurs medecins ; ils m'ont égaré moi-même pendant plus de dix-huit ou vingt ans, par des opinions erronées que j'ai eu bien de la peine à effacer de mon esprit. C'est en suivant les mêmes principes, que M. Fizes s'explique ainsi dans son traité des fiévres (tractat. de febrib.) : " la fiévre est une maladie directement opposée au principe vital " : principio vitali directe oppositus.... Sic, ajoute-t-il, naturam errantem dirigimus, & collabentem sustinemus, non otiosi crisium spectatores : " c'est ainsi que nous dirigeons la nature qui s'égare, & que nous la relevons dans ses chûtes, sans attendre négligemment les crises ".

Je choisis ces propositions, comme les plus éloignées de l'expecta des Stahlliens, & du quo natura vergit des anciens : on pourroit peut-être les trouver trop fortes ; mais ce n'est ni par des injures, ni par des épigrammes qu'il faut les combattre. Le fait est de savoir si elles sont vraies, si en effet le medecin peut retourner, modifier, & diriger les mouvemens du corps vivant ; si on peut s'opposer à des dépôts d'humeurs, emporter des arrêts, replier des courans d'oscillations ; & purger, saigner, & faire suer, ainsi que Chirac le prétend, dans tous les tems, sans craindre les dérangemens qui faisoient tant de peur aux anciens : après tout ce sont-là des choses de fait. Le Chiracisme n'est fondé que sur un nombre infini d'expériences, qui se renouvellent chaque jour dans tout le royaume : est-on en droit de présumer que cette méthode, si elle étoit pernicieuse, fût suivie journellement par tant de grands praticiens ? & suivie de propos déliberé, avec connoissance de cause, par des gens qu'on ne sauroit soupçonner de ne pas savoir tout ce que les anciens ont dit, tout ce que leur sagesse, leur timidité ou leur inexpérience leur avoient si vivement persuadé. Nous purgeons, saltem alternis, au moins de deux en deux jours, dit souvent M. Fizes ; notre méthode n'effarouche que ceux qui ne voyent que des livres & non des malades, qui aegrotos non vident : nous saignons toutes les fois que la vivacité & la roideur du pouls l'exigent, à la fin des maladies comme au commencement ; comment se persuaderoit-on, que des gens qui parlent ainsi se trompent, ou qu'ils veulent tromper les autres ? c'est ce qui s'appelle être décidé, & avoir un système positif, fixe, déterminé.

Ce n'est pas à dire qu'il ne reste bien des ressources aux défenseurs du système des anciens ; Chirac lui-même, qui le croiroit ? a fait des observations qui paroissent favorables à ce système : Quelques malades (c'est Chirac qui parle), n'échappoient que par des sueurs critiques qui arrivoient le septieme jour, le onzieme, & le quatorzieme.... Ceux en qui les bubons ou les parotides parurent le quatrieme, le cinquieme ou le sixieme, perirent tous ; il n'échappa que ceux en qui les bubons parurent le septieme ou le neuvieme.... Il y en avoit qui mouroient avant le quatrieme & au septieme, au neuvieme, au onzieme.... Les purgatifs n'agissent jamais pour vuider absolument qu'après sept, quatorze, ou vingt-un jours, quoiqu'il soit dangereux de ne pas purger les malades avant ce tems-là.... La résolution & la séparation des humeurs n'arrivent qu'après le septieme, le quatorzieme, & le vingt-unieme, mais on peut toûjours purger en attendant.... Les fievres inflammatoires ne se terminent heureusement qu'à certains jours fixes, comme le septieme, le quatorzieme, & le vingt-unieme.... On reviendra au sept, aux délayans ; c'est un jour respectable & qui demande une suspension des grands remedes : le tems de la digestion des humeurs, ou celui de la résolution est de cinq jours, de sept, de onze, & de quatorze, ou bien de dix-huit & de vingt-un, & cela plus communément qu'au six, au neuf, au douze, au quinze... Le premier terme critique des inflammations est le septieme, & lorsqu'elles ne peuvent y arriver, elles s'arrêtent au deuxieme & au troisieme. Habemus confitentem reum, diront les sectateurs de l'antiquité ; en faut-il davantage pour faire sentir la certitude, l'invariabilité, & la nécessité de la doctrine des anciens ? Le septieme, le quatorzieme, le vingt-unieme, sont ordinairement heureux, de l'aveu de Chirac ; le sixieme l'est moins que le septieme ; le onzieme & le quatorzieme le suivent de près : n'est-ce pas-là précisément ce que Galien & Hippocrate ont enseigné ?

A quoi se réduisent donc les efforts & les projets des medecins actifs qui prétendent diriger la Nature, puisqu'ils sont obligés de recourir au compte des jours ? la ressource qu'ils veulent se ménager, par la liberté où ils disent qu'ils sont de manier & d'appliquer la saignée & les purgatifs, ne vaut pas à beaucoup près ce qu'ils imaginent. En effet, la multitude des saignées auxquelles bien des medecins semblent borner tous les secours de l'art, n'est pas bien parlante en faveur de la medecine active : on réitere souvent ce secours ou cet adminicule, il est vrai, mais les anciens tiroient plus de sang dans une seule saignée qu'on n'en tire aujourd'hui en six : on les traite de timides, ils étoient plus entreprenans que les modernes ; car quel peut être l'effet de quelques onces de sang qu'on fait tirer par jour ? la plûpart de ces évacuations sont souvent comme non avenues, & heureusement elles ne sont qu'inutiles ; elles n'empêchent pas le cours des maladies. Les medecins qui saignent fréquemment & peu à la fois, attendent des crises sans le savoir ; & voilà à quoi tous leurs efforts se bornent : heureux encore de ne rien déranger, ce qui arrive dans quelques maladies, comme on veut bien l'accorder : mais il est aussi des maladies dans lesquelles le nombre des saignées n'est point indifférent ; & on nie hautement à leurs partisans, qu'ils viennent à bout de ces maladies aussi aisément qu'on pourroit le penser, en s'en rapportant à ce qu'ils avancent ; il suffit pour s'en convaincre d'opposer les modernes à eux-mêmes, ils sont partagés. Ceux qui se laissant emporter par la théorie des prétendues inflammations, ne veulent jamais qu'évacuer le sang, & qui sont sectateurs de Chirac, dont ils mêlent la pratique à la théorie legere & spécieuse de Hecquet, ces medecins, dis-je, sont directement opposés à d'autres sectateurs du même Chirac, qui sont plus attachés à la purgation qu'à la saignée. C'est-là aujourd'hui un des grands sujets de dispute entre les praticiens ; les uns ont recours à la saignée plus souvent que Chirac même, & les autres prétendent que les purgations fréquentes sont très-préférables aux saignées : il y a même des gens qui croyent que c'est ici une dispute entre les medecins de Paris & ceux de Montpellier ; les premiers, dit-on, saignent souvent & purgent peu, & ceux de Montpellier purgent beaucoup & ne saignent presque pas. Quoiqu'il en soit, dira le partisan des anciens ou le pyrrhonien, voilà les medecins actifs divisés entr'eux sur la maniere d'agir, avant d'avoir bien démontré qu'on doit agir en effet.

D'ailleurs, ajoûteront-ils, prenez-garde que la plûpart des medecins purgeurs, qui prétendent guérir & emporter leurs maladies avec les catartiques, profitent comme les medecins saigneurs, de quelques mouvemens legers auxquels la Nature veut bien se prêter, quoiqu'occupée au fond à conduire la maladie principale à sa fin ; ils attendent les crises sans s'en douter, comme les medecins qui font des saignées peu copieuses & réitérées : ils purgent ordinairement avec de la casse & des tamarins ; ils ont recours à des lavemens pour avoir deux ou trois selles, qui ne sont souvent que le produit de la quantité de la medecine elle-même. Quels purgatifs ! Quelle activité que celle de ces drogues ! En un mot, il est très-rare qu'elles fassent un effet de purgation bien marqué : on peut les prendre sur le pié de très-legers laxatifs ou de lavages ; & c'est à ce titre qu'heureusement ils ne dérangent pas toûjours le cours de la maladie : ainsi, que ceux qui y ont recours avec beaucoup de confiance, cessent de nous vanter leur efficacité.

Il est vrai qu'il y a quelques medecins qui semblent regarder comme des remedes de peu de conséquence, les lavages, les apozemes, les sirops, & toutes les sortes de tisanes légerement aiguisées, qu'on employe communément, sous prétexte qu'il faut toûjours tâcher d'avoir quelqu'évacuation sans trop irriter. Les medecins vraiment purgeurs, & en cela fideles sectateurs des anciens, employent comme eux les remedes à forte dose ; mais ils ménagent leurs coups, ils attendent le moment favorable pour placer leurs purgatifs, c'est-à-dire qu'ils purgent au commencement d'une maladie, ou lorsque la coction est faite, à-peu-près comme les anciens eux-mêmes ; & ceux qui les verront pratiquer, auront lieu d'observer que, s'ils manquent l'occasion favorable, & surtout s'ils purgent violemment lorsque la Nature a affecté quelqu'organe particulier, pour évacuer la matiere morbifique cuite, ils font de très-grands ravages ; c'est ce qui fait qu'ils deviennent d'eux-mêmes très-réservés, & que peu s'en faut qu'ils ne comptent les jours ainsi que les anciens.

Les mêmes sectateurs des anciens diront encore, que quelques prétentions que puissent avoir les medecins modernes non expectateurs, quoiqu'ils avancent que leurs principes sont non-seulement appuyés de l'expérience, mais encore évidens par eux-mêmes, il seroit aisé de leur faire voir qu'il en est peu qui puissent être regardés autrement que comme des hypotheses ingénieuses, ou plutôt hardies, qui, en réduisant toute la médecine à quelques possibilités & à des raisonnemens vagues, n'en ont fait que des systèmes purement rationnels très-variables, ouvrant ainsi dans un art sacré, dont l'expérience seule apprend les détours, une carriere qu'on parcourt très-facilement lorsqu'on se livre au desordre de l'imagination.

Prenons pour exemple quelques-uns des principes des disciples de Chirac ; principes déjà adoptés par Freind dans ses commentaires sur les épidémies, & qui ont, à dire vrai, quelque chose de spécieux & de séduisant. Veulent-ils prouver qu'il faut saigner dans les maladies aiguës ? voici comment ils raisonnent : La nature, disent-ils, livrée à elle-même, procure des hémorrhagies du nez & des autres parties : il suit de-là qu'il est essentiel de faire des saignées artificielles pour suppléer aux saignées naturelles ; mais on ne prend pas garde que la nature suit des lois particulieres dans ses évacuations ; qu'elle choisit des tems marqués pour agir ; qu'elle affecte de faire ces évacuations par des organes, ou des parties déterminées. Comment s'est-on convaincu que l'art peut à son gré changer le lieu, le tems & l'ordre d'une évacuation ? En raisonnant sur ce principe, il n'y auroit qu'à saigner une femme qui est au point d'avoir ses regles, pour suppléer à cette évacuation ; il n'y auroit qu'à saigner une femme qui doit avoir ses vuidanges, dans la même vûe : enfin il n'y auroit qu'à saigner un homme qui a des hémorrhoïdes. Mais l'expérience & les épreuves trop réitérées que la liberté, ou plûtôt la licence de raisonner & d'agir ainsi, font naître, prouvent assez combien ces sortes d'assertions sont peu fondées, & combien M. Bouillet, qui est fort attaché aux principes de Chirac, a eu tort de se persuader qu'elles avoient les qualités nécessaires à des axiomes ou à des postulatum de Mathématique.

Il seroit aisé de faire les mêmes remarques sur la plûpart des propositions qui en ont imposé à beaucoup de modernes ; mais il suffit de dire en un mot, qu'une hémorrhagie ou toute autre évacuation critique ou même symptomatique, ménagée par la nature, a des effets bien différens de ceux qu'elle produit lorsqu'elle est dûe à l'art. Quelques gouttes de sang qui se vuideront par les narines, par l'une des deux par préférence ; quelques crachats, trois ou quatre croûtes sur les levres, très-peu de sédiment dans les urines ; ces évacuations, qui semblent de peu de conséquence, feront beaucoup d'effet, & auront un succès fort heureux lorsque la nature les aura préparées, comme elle sait le faire : & des livres de sang répandues, des séaux de tisane rendus par les urines, des évacuations réitérées par les selles, que l'art s'efforcera de procurer, ne changeront pas la marche d'une maladie ; ou si elles font quelque changement, ce sera de la masquer ou de l'empirer.

Ne nous égarons pas nous-mêmes dans le labyrinthe des raisonnemens. Je ne fais comme on voit ; qu'ébaucher très-légerement cette matiere, que l'observation seule peut éclaircir & décider, & qu'il est dangereux de prétendre examiner autrement que par la comparaison des faits bien constatés. Je ne puis oublier ce qu'a dit sur une matiere à peu-près semblable un auteur moderne ; c'est M. de Bordeu pere, docteur de Montpellier, & célebre medecin de Peau en Béarn. Il est fort partisan des remedes actifs, même dans les maladies chroniques du poumon ; & il paroit avoir abandonné le systeme de Chirac, quant à la façon d'appliquer la théorie & le raisonnement physique à la Medecine. Un théoricien (dit-il dans son excellente dissertation sur les eaux minérales du Béarn), un théoricien ne prouveroit-il pas, ne démontreroit-il pas au besoin, que des émétiques & des purgatifs doivent nécessairement augmenter les embarras du poumon dans toutes les péripneumonies ; effaroucher l'inflammation & procurer la gangrene ? Qui pourroit résister aux raisonnemens puisés dans la théorie sur cette matiere ? Mais il est sûr que quelque spécieux qu'ils paroissent, ils sont démentis par la pratique. En un mot il faut convenir qu'on s'égare presque nécessairement, lorsqu'on se livre sans réserve au raisonnement en Medecine. La dispute entre les anciens & les modernes, dont je viens de dire quelque chose, ne peut & ne doit être vuidée que par l'observation.

Or si, comme je l'ai remarqué ci-dessus, le Chiracisme ou la Medecine active est le système généralement reçû aujourd'hui, sur-tout en France, il y a aussi des praticiens respectables des pays étrangers, tels que M. Tronchin medecin célebre à Amsterdam, qui sont expectateurs, & qui ménagent les crises dans les maladies aiguës ; ainsi la doctrine des anciens est pour ainsi dire prête à reparoître en Europe. Attachons-nous uniquement à ce qui regarde la France. Nous devons à l'attention & au goût de M. Lavirotte medecin de Montpellier & de Paris, très-connu dans la république des Lettres, la connoissance d'une découverte fort remarquable, publiée en Anglois par M. Nihell, au sujet des observations sur les crises, faites principalement par le docteur Don Solano medecin espagnol. Je ne parlerai pas ici de ces observations, qui mettront, si elles sont bien constatées, Solano à côté des plus grands medecins ; elles regardent l'hémorrhagie du nez, le cours de ventre & la sueur ; évacuations critiques que Solano se flate de pouvoir prédire par le pouls, Voyez POULS.

Je parlerai seulement ici d'une dissertation que M. Nihell a faite sur la nature des crises, sur l'attention des anciens & la négligence des modernes au sujet des crises ; c'est le quatrieme chapitre de son ouvrage, qui a paru en françois sous le titre d'observations nouvelles & extraordinaires sur la prédiction des crises par le pouls, année 1748.

M. Nihell avance d'abord qu'on n'a jamais démontré publiquement la fausseté des observations des anciens sur les crises, ni justifié le peu de cas qu'on en fait aujourd'hui, & cela est vrai ; mais il est aisé de répondre à M. Nihell, qu'il s'agit de démontrer la vérité, & sur-tout l'utilité des observations des anciens, & non point de dire qu'on n'en a pas prouvé la fausseté. Il a lui-même senti la difficulté qu'il y avoit de le faire ; car il commence par prévenir son lecteur qu'il est éloigné de ses livres : mais ce ne sont pas les livres qui nous manquent à cet égard, ce sont les faits évidens & bien discutés.

Il se réduit ensuite à avancer, 1°. que les jours septenaires & demi-septenaires sont particulierement consacrés aux révolutions critiques, sans exclusion des autres jours : 2°. que les crises peuvent être prédites par les signes que les anciens ont donnés pour cela. La premiere proposition de M. Nihell est contenue en termes au moins équivalens, dans ce que nous avons rapporté de Chirac, & dans plusieurs autres ; ainsi elle apprend seulement que M. Nihell est de cet avis, & on peut la regarder comme la principale question. Quant à ce que M. Nihell ajoûte, que les crises peuvent être prédites par les signes que les anciens ont donnés pour cela, il l'avance, mais il ne le prouve pas. D'ailleurs il ne suffit pas que les crises puissent être prédites ; il faudroit, pour poursuivre les anti-critiques dans leurs derniers retranchemens, prouver que les crises doivent être attendues.

Il est évident, dit M. Nihell, que les objections tirées des différentes façons de compter les jours des fievres aiguës, sont nulles & de nulle valeur, puisque les différences ne sont pas positivement prouvées dans les faits particuliers rapportés en faveur des anciennes observations sur les crises. M. Nihell ne s'est pas rappellé qu'Hippocrate se contredit, comme je l'ai dit ci-dessus, & qu'on l'a vivement attaqué en faisant voir le peu de rapport qu'avoient ses propres observations dans les épidémies, avec son système des jours critiques, & celui de Galien.

M. Nihell observe ensuite que de quarante-huit histoires de maladies dont Forestus fait mention, les trois quarts furent accompagnées de crises ; cinq arriverent au quatrieme jour, & des cinq malades trois moururent : vingt-deux, dont trois malades moururent, furent terminées au septieme, & toutes les autres se terminerent heureusement ; sept au quatorzieme, deux au onzieme, une au dix-septieme, & une au vingt-unieme ; ce qui est en effet très-favorable au système des anciens, auquel Forestus étoit attaché.

M. Nihell après avoir fait quelques remarques qui ne sont pas tout-à-fait concluantes contre la méthode des modernes, rappelle un fait arrivé à Galien, qui s'opposa à une saignée ordonnée par ses confreres, prévoyant une hémorrhagie critique du nez, qui arriva en effet. M. Nihell a peine à croire qu'il y eût aucun medecin moderne qui n'eût voulu être à la place de Galien ; mais on pourroit lui demander s'il auroit lui-même voulu être à la place du malade ; & s'il voudroit encore dans ce moment-ci risquer pareille avanture, sachant la vérité du prognostic de Galien, & de ceux de Solano même. Pitcarne n'auroit pas manqué de faire cette demande, lui qui avançoit sans façon qu'il y auroit peu de medecins qui voulussent risquer leur bien en faveur de leurs opinions particulieres.

M. Nihell continue ses remarques contre les modernes ; elles peuvent se réduire la plûpart à des reproches ou à des raisonnemens, tels que ceux que j'ai observé ci-dessus, devoir être évités sur cette matiere. Il s'appuie de ce qu'Albertinus a fait insérer dans les mémoires de l'académie de Boulogne, au sujet de l'action du quinquina, qu'il dit ne pas empêcher qu'il n'arrive des évacuations critiques dans les fievres d'accès ; ce qui ne paroît pas directement opposé au système des modernes sur les crises, (voyez QUINQUINA). Car enfin, si les remedes n'empêchent pas les crises, il est inutile de s'élever contre leur usage, sur-tout s'ils sont utiles ou nécessaires d'ailleurs, ne fût-ce que comme le quinquina qu'il faut donner dans de certaines fievres, pour arrêter ou modérer les accès, à moins qu'on ne veuille exposer les malades à un danger évident, disent bien des praticiens.

Enfin M. Nihell finit en remarquant fort judicieusement, que toutes les disputes entre les anciens & les modernes, se réduisent à des faits de part & d'autre. Il avance que l'observation des crises n'est aucunement opposée à une vigoureuse méthode de pratiquer ; ce qui ne paroît pas bien conséquent à tout ce qu'il a voulu établir contre l'activité de la Medecine des modernes. Il fait encore quelques autres remarques dans lesquelles je ne le suivrai point. Il seroit à souhaiter que ce medecin eût continué ses recherches, qui ne pouvoient manquer d'être utiles, étant faites avec la précaution qu'il a prise dans l'examen des observations de Solano. Voyez POULS. Je dois ajoûter, par rapport à ce dernier medecin, qu'il est très-décidé en faveur des crises & des jours critiques, & qu'il a même fait des remarques importantes à cet égard : mais l'intérêt qu'il auroit à faire valoir ses signes particuliers, pourroit bien affoiblir son témoignage ; & dans ce cas-là M. Nihell qui a fait un voyage en Espagne pour consulter Solano, doit être regardé comme son disciple, & non point comme un juge dans toutes ces disputes. Je parlerai plus bas des caracteres nécessaires à un juge de ces matieres ; ils me paroissent bien différens de ceux d'un simple témoin.

Il y a encore des auteurs plus modernes que M. Nihell, qui semblent annoncer quelque chose de nouveau sur toutes ces importantes questions, & qui font présumer que la Medecine françoise pourroit bien changer de face, ou du moins n'être pas aussi uniforme qu'elle l'est, sur le peu de cas qu'on paroît faire de la doctrine des crises.

L'un de ces auteurs est celui du specimen novi Medicinae conspectus, 1751. C'est ainsi qu'il s'explique : Omnis motus febrilis, quia tendit ad superandum morbosum obicem, criticus censendus est, vel tendens ad crises : " Tout mouvement fébrile doit être regardé comme critique, ou tendant à procurer des crises, parce qu'il tend à la destruction de l'arrêt qui cause ou qui fait la maladie. " Crisium typus, ajoûte le même auteur, dierumque criticorum, quorum ab Hippocrate traditus ordo, non tam facile quàm plerique clamant clinici, venae sectionibus & medicamentis patitur immutari seu accelerari : " Il n'est pas aussi aisé que la plûpart des medecins le pensent, de changer ou d'accélerer l'ordre des jours critiques établi par Hippocrate. " Ce qui fait assez voir que cet excellent observateur, très-connu, quoiqu'il ne se nomme pas dans son ouvrage, n'est pas éloigné de l'opinion des anciens sur les crises, & qui doit le faire regarder en France comme un des premiers qui ayent trouvé à redire à la méthode des modernes.

M. Quesnay medecin consultant du Roi, " considere la nature des crises avec une très-grande sagacité (dans son traité des Fievres, 1753). Il paroît avoir profondément réfléchi sur cette matiere importante ; & tout ce qu'il dit à cet égard, mérite d'être lû avec beaucoup d'attention. Il y a en général trois sortes de jours critiques ; les jours indicatifs, les jours confirmatifs, & les décisifs. Les jours indicatifs sont ceux qui annoncent la crise par les premieres marques de coction, comme le quatrieme, le onzieme, le dix-septieme, &c. Les jours confirmatifs sont ceux où on observe les signes qui assûrent du progrès de la coction ; tels sont les jours de redoublement, qui arrivent entre les jours indicatifs & les jours décisifs. Ces derniers sont ceux auxquels la crise arrive, comme le septieme, le quatorzieme & le vingt-unieme. Les jours décisifs sont assujettis à une période de sept jours ; & si la maladie dure plusieurs septenaires, il n'y a que le dernier qui soit regardé comme critique. Ce tems de crise avance plus ou moins, selon que les redoublemens sont plus ou moins vifs ; & pour que la crise soit bien réguliere, elle ne doit arriver que les jours impairs ; mais pour ne pas s'y tromper, il faut suivre l'énumération des jours mêmes du septenaire critique, & non pas simplement celle des jours de la maladie : car l'exacerbation du jour critique décisif, qui arrive le quatorzieme jour de la maladie, se trouveroit, selon cette derniere énumération, dans un jour pair ; mais selon celle du septenaire critique, elle se trouve dans un jour impair, parce qu'en quatorze jours il y a deux septenaires : & le dernier, qui est le septenaire critique, ne commence qu'à la fin du premier, c'est-à-dire au huitieme jour. Ainsi la derniere exacerbation de ce second septenaire se trouve dans le septieme jour, & par conséquent dans un jour impair. Ces deux premiers septenaires sont ceux que les anciens nommoient disjoints ; ils appelloient les autres conjoints, parce que le dernier jour du troisieme septenaire, par exemple, étoit en même tems le premier jour du quatrieme, & ainsi de suite ; ensorte qu'ils comptoient six septenaires dans l'espace de quarante jours naturels : mais dans ces quarante jours il y a vingt jours de remission & vingt-un jours de redoublement, & par conséquent quarante-un jours de maladie. C'est en partant de-là que l'auteur établit que le jour de maladie doit être à-peu-près de vingt-trois heures, ou vingt-deux heures cinquante-une minutes ; le quartenaire de trois jours naturels & huit heures ; le septenaire de six jours & seize heures, &c.

M. Quesnay observe ici que cette supputation des anciens est défectueuse, en ce qu'ils paroissent avoir eu plus d'égard aux rapports numériques des jours des maladies, qu'à l'ordre périodique des redoublemens, qui cependant regle celui des jours critiques. Par leur division il se trouve quatre redoublemens dans les deux premiers septenaires, tandis qu'il n'y en a que trois dans les autres. L'auteur donne ici une maniere de compter fort ingénieuse, par laquelle on allie l'ordre & le nombre des redoublemens avec les révolutions septenaires, & cela en faisant toûjours commencer & finir chaque septenaire par un jour de redoublement : car les jours de remission doivent être réputés nuls. Ainsi, par exemple, on laissera le huitieme jour, comme un jour interseptenaire, & on fera commencer le second septenaire au neuvieme jour, & finir au quinzieme ; & ce dernier sera le premier jour du troisieme septenaire, & ainsi de suite. Par ce moyen il se trouvera six septenaires en quarante jours naturels, & dans chacun quatre redoublemens ; car si le second septenaire étoit le critique, la derniere exacerbation seroit celle du quinzieme de la maladie ; ou s'il y a d'autre septenaire, ce quinzieme jour sera aussi le premier jour, & le premier redoublement du troisieme septenaire : il est vrai cependant que c'est en faire un double emploi. Quoiqu'il en soit, l'auteur a construit suivant cette idée une table fort curieuse, où, en supposant les jours de maladie de vingt-trois heures, on voit les six septenaires compris en quarante jours naturels ; espace qui est le terme des maladies aiguës & des maladies critiques régulieres.

Il ne regarde pas les jours critiques comme des jours de combat entre la nature & la maladie, suivant l'idée des anciens ; mais il croit que c'est la fievre elle-même qui, si elle est simple, opere par son méchanisme la guérison de la maladie : si au contraire elle est troublée & dérangée par des accidens étrangers d'une certaine violence, on n'apperçoit rien dans les jours de redoublement qui puisse faire prédire la mort, que le progrès de ces épiphénomenes dangereux, & le défaut des signes de coction. Il examine ensuite les différentes crises, en particulier les principaux signes qui les annoncent, & les voies par lesquelles elles se font. Il définit la crise en général, le produit de la derniere exacerbation de la fievre, par laquelle la cause de la maladie est incorporée dans l'humeur purulente, & chassée avec celle-ci hors des voies de la circulation par les excrétoires du corps.... " C'est-là le jugement porté par l'auteur du journal des savans (Juill. 1753), sur ce que M. Quesnay avance au sujet des crises.

L'académie de Dijon avoit proposé pour les prix de l'année 1751, d'examiner si les jours critiques sont les mêmes en nos climats, qu'ils étoient dans ceux où Hippocrate les a observés, & quels égards on doit y avoir dans la pratique. L'académie a couronné la dissertation de M. Aymen docteur en Medecine. Cette dissertation vient d'être rendue publique. Je ne saurois m'empêcher d'en dire ici quelque chose, & je ne manquerai pas de parler de celle de M. Normand medecin de Dole, qui avoit été adressée à la même académie, & qui a vû le jour par hasard.

M. Aymen prétend que dans nos climats les jours critiques sont les mêmes que dans ceux où Hippocrate les a observés ; que tous les jours de la maladie sont décrétoires ou critiques ; que ces jours critiques existent réellement, mais qu'ils ne sont pas bornés au nombre septenaire ou quartenaire ; qu'ils arrivent aussi les autres jours ; que la combinaison, le rang des jours décrétoires prouvent la superstition des anciens, & que cette doctrine est fondée sur les observations d'Hippocrate.

J'employe les propres expressions de M. Aymen. Telle est son opinion sur la premiere partie de la question proposée, qui est celle sur laquelle il s'est le plus étendu. Il établit son sentiment, en faisant l'énumération d'une grande quantité d'observations répandues dans les différens auteurs. Il commence par le premier jour, il finit par le vingtieme ; & il prouve par des faits qu'il y a eu des crises dans tous ces jours, le premier, le second, le troisieme, le quatrieme, le 5e, &c. jusqu'au 20e (& non le 21) ; d'où M. Aymen conclut que les crises arrivent dans tous les jours d'une maladie indifféremment. Cette conclusion paroît d'abord nécessaire & évidente ; elle peut pourtant donner lieu à quelques considérations particulieres, qui me paroissent mériter l'attention de l'auteur.

1°. Les partisans de l'antiquité ne conviendront pas avec M. Aymen, qu'Hippocrate ait crû que les crises se font dans tous les jours d'une maladie indifféremment. Cette doctrine, dit-il, est la même que celle du célébre auteur des Coaques. Comment cela seroit-il possible, puisqu'Hippocrate paroît avoir établi dans les Aphor. 23 & 24. de la seconde section ; Aphor. 31 & 32. sect. 4. lib. I. des Epid. sect. 3. Coac. praenot. praesag. lib. 3. & ailleurs, qu'il y a des jours qui sont les uns plus remarquables & plus heureux que les autres ? D'ailleurs tous les commentateurs, les Grecs & les Arabes, qui ont travaillé après lui, se sont appuyés de sa décision là-dessus ; il est regardé comme le créateur des quartenaires & des septenaires, ainsi que de toute la doctrine que j'ai exposée ci-dessus : Septenorum quartus est index, alterius septimanae, octavus principium ; est autem & undecimus contemplabilis ; ipse enim quartus est alterius septimanae ; rursùs vero & decimus-septimus contemplabilis, ipse siquidem quartus est à quarto-decimo, septimus vero ab undecimo, dit Hippocrate, Aphor. 24. sect. 2. Voilà les septenaires, les quartenaires, les indices, les jours vuides & les critiques, établis dans un seul aphorisme.

On est donc très-formellement opposé à Hippocrate, lorsqu'on soutient que tous les jours sont indifférens pour les crises. Il est bien vrai qu'on peut prouver par les observations répandues dans les différens écrits d'Hippocrate, qu'il est en contradiction avec lui-même, comme je l'ai remarqué au commencement de cet article ; mais Galien, Dulaurens & tous les autres, tâchent de concilier ces contradictions, comme je l'ai aussi observé. Les adversaires d'Hippocrate s'en sont servis pour détruire son opinion. M. Aymen auroit donc pû raisonner ainsi : Je prouve par les observations d'Hippocrate même, qu'il se fait des crises dans d'autres jours que les jours appellés critiques ; je ne suis donc pas du sentiment d'Hippocrate. C'est, encore une fois, le raisonnement qu'ont fait les antagonistes de ce medecin grec. D'ailleurs tous les partisans des crises, & notamment Galien, de dieb. decret. cap. ij. lib. I. ont avoüé que les jours indices & les jours vuides pouvoient juger quelquefois. C'est-là encore une observation que j'ai faite plus haut, & que je devois à la bonne foi des anciens. Je n'en connois point qui ayent dit formellement que les crises ne pouvoient se faire que les jours qu'ils ont désignés, pour me servir de l'expression de M. Aymen (p. 32.) c'est-à-dire les jours vraiment critiques. Il s'agit de savoir s'il n'y a pas des jours qui jugent plus parfaitement, plus heureusement & plus communément que d'autres. La nature a plutôt choisi le septieme qu'un autre nombre (dit Dulaurens, trad. de Gelée) pour ce que Dieu le pere & créateur de toutes choses, lui a imposé cette loi ; car il a sanctifié le septieme jour ; il l'a recommandé aux enfans d'Israël, comme le plus célebre de tous, & s'est voulu reposer en icelui de ses oeuvres, après avoir parachevé la création : & partant la nature particuliere, comme chambriere & imitatrice de l'universelle, fait en chaque septieme jour des crises parfaites.... Les crises se font aussi quelquefois aux jours intercalaires.

2°. M. Aymen dit lui-même qu'Hippocrate observa le premier les crises, ou le changement subit de la maladie qui suit l'évacuation ; (ce qui est fort douteux, pour le dire en passant, comme on peut s'en convaincre dans le commentaire d'Hecquet sur les Aphorismes.) M. Aymen ajoûte qu'Hippocrate vit que ce changement arrivoit plus souvent certains jours que d'autres ; qu'il nomma ces jours critiques ou décrétoires (p. 24.) que les crises arrivent plûtôt certains jours que d'autres. Il convient (p. 28.) que les maladies finissent le plus souvent les jours qui ont été remarqués ; que quelques affections ont leur tems limité : (p. 41.) que dans notre partie du monde, les maladies aiguës finissent le plus souvent les jours que les medecins ont notés : (p. 108.) que plusieurs maladies sont terminées le même jour, c'est-à-dire dans un espace reglé ; que les maladies sont terminées d'une ou d'autre façon, plus souvent certains jours que d'autres. Il y a donc des jours critiques marqués : tous les jours ne sont donc pas critiques indifféremment ; ils n'ont pas la même force, la même vertu ; ou s'ils sont critiques, ce n'est que par accident, comme disoient les anciens. L'observation des jours n'est donc point une observation inutile & superstitieuse, diroient les amateurs de la vieille Medecine.

3°. Ils pourroient encore dire, en lisant l'ouvrage de M. Aymen, que puisqu'il donne un moyen certain de déterminer le jour critique, qui est de faire attention aux jours indicatifs, & qu'il soûtient sur la parole de Solano qu'il cite, que tous les jours, quels qu'ils soient pour le quantieme, dans lesquels on apperçoit les signes indicatifs d'une crise décisive, doivent être tenus comme le quatrieme jour avant la crise à venir : les partisans des anciens pourroient, dis-je, avancer, qu'il faut qu'il y ait quelque différence entre le jour indicatif & l'indiqué ou le critique, & plus encore entre ces deux jours & les intermédiaires que Galien auroit appellés vuides. Or si plusieurs observations ont démontré que le quatrieme jour, par exemple, est souvent indicatif du septieme, & le onzieme du quatorzieme, &c. (ce que les anciens prétendent, ainsi que Solano, que M. Aymen ne peut pas récuser), il est essentiel de se le tenir pour dit dans le traitement des maladies ; d'où il suit, qu'il y a une différence marquée entre les jours. C'est sur ces différences que sont fondées les regles d'Hippocrate & de Galien. Il est bon de remarquer que M. Aymen est beaucoup plus opposé à ces regles, par exemple, que Chirac, comme on peut le voir dans ce que nous avons rapporté ci-dessus de ce dernier ; ainsi Chirac qui déchire les anciens par ses épigrammes, est plus conforme au fond à leur maniere de penser, que M. Aymen qui ne cesse d'en faire l'éloge.

4°. Quant à la maniere dont M. Aymen prétend prouver son opinion, on ne peut s'empêcher d'être surpris, qu'après avoir avancé (p. 107), que les crises sont indiquées quatre jours avant qu'elles arrivent, & que les signes de coction précédent toûjours le jugement ; il s'efforce d'établir par des faits pris dans les différens auteurs, que le premier jour, le deux, & le trois sont decrétoires : car enfin, ou ces jours ne sont pas decrétoires, ou la crise n'est pas indiquée quatre jours avant qu'elle arrive, ou bien les signes de coction ne précédent pas toûjours le jugement. D'ailleurs les observations que M. Aymen rapporte pour prouver que le premier jour est decrétoire, sont elles bien concluantes ? Hippocrate, dit-il, a vû des fievres éphemeres ; ces fievres sont-elles définitivement jugées dès le premier jour, comme Hoffman le prétend ? M. Aymen ajoûte que dans la constitution de Thasos certains malades qui paroissoient guéris le six, retomboient, & que le premier jour de la rechûte étoit distinctif : n'est-il pas évident que ces maladies étoient jugées au sept ou au neuf, & non point au premier jour ? La rechûte arrivoit, parce que les maladies n'étoient pas jugées ; parce que le six, auquel elles changeoient, n'est pas un bon jour ; la rechûte suppose que la maladie a toujours duré, & qu'elle n'étoit pas terminée. Un Gascon, ajoûte encore M. Aymen, eut sur la fin d'une maladie une catalepsie qui l'enleva en vingt-quatre heures : cette catalepsie arrivée à la fin d'une maladie, étoit la crise de cette maladie, la catalepsie étoit perturbatio critica. Tout le monde est convenu que le redoublement qui précede la crise est extraordinaire. M. Aymen fait bien de passer sous silence des apoplexies qui enlevent les malades en peu d'heures ; & il trouvera bien des medecins qui prétendront que les fievres malignes dont il parle, & qui ont été terminées en vingt-quatre heures, ne sauroient être regardées comme des maladies d'un jour ; elles se préparoient ou parcouroient leur tems depuis bien des jours ; elles étoient insensibles, mais elles n'en existoient pas moins : d'ailleurs les anciens & les modernes conviennent, ainsi que Baglivi l'a dit expressément, qu'il y a des fievres malignes qui ne suivent pas les regles ordinaires.

5°. Tout lecteur peut aisément appliquer ces réflexions à ce que M. Aymen dit du deuxieme jour, du troisieme, & de bien d'autres, & il n'est pas difficile d'appercevoir qu'il a eu plus de peine à trouver des exemples de crises arrivées aux jours vuides, qu'aux jours vraiment critiques. Ainsi, quoique M. Aymen présente le sept, le quatorze, le vingt, & le neuf avec les autres jours, & qu'il les fasse pour ainsi dire passer dans la foule, ils méritent pourtant d'être distingués par la grande quantité de crises observées dans ces jours-là précisément. Je n'en apporterai ici d'autre preuve que celle qu'on peut tirer des observations de Forestus, que M. Aymen rapporte d'après M. Nihell, mais dont il ne fait pas le même usage que le medecin Anglois : de quarante-huit malades, dit-il, p. 113. de fievre putride, ardente, maligne, dont Forestus rapporte les observations dans son second livre, dix-neuf ont été jugés heureusement par des flux critiques. M. Aymen auroit pû achever la remarque de M. Nihell, & ajoûter que de ces quarante-huit malades, cinq furent jugés au quatre, vingt-deux au sept, sept au quatorze, deux au onze, un au dix-sept & un au vingt-un ; & cette observation auroit démontré la différence des jours : car si de quarante-huit maladies les trois quarts finissent aux jours critiques, ces jours là ne sauroient être confondus avec les autres ; & si parmi ces jours critiques, il y en a qui de trente maladies en jugent vingt-deux, d'autres sept, comme le sept & le quatorze l'ont fait dans les observations dont il s'agit, il n'est pas douteux que ce sept & ce quatorze ne méritent une sorte de préférence sur tous les autres jours. En voilà assez, ce me semble, pour justifier le calcul des anciens.

Au reste je suis fort éloigné de penser que tout ce que je viens de rapporter doive diminuer en rien la gloire de M. Aymen. Sa dissertation est des plus savantes, & les connoisseurs la trouvent très-sagement ordonnée. Le public me paroît souscrire en tout à la décision de l'académie de Dijon. Il est aisé d'appercevoir que M. Aymen est assez fort pour résister à une sorte de critique dictée par l'estime la moins équivoque, ou plûtôt à l'invitation qu'on lui fait de continuer ses travaux sur cette importante matiere, & sur-tout de joindre ses observations particulieres aux lumieres que son érudition lui fournira. Les amateurs de l'art doivent être bien-aises, qu'il se trouve parmi nous des gens propres à le cultiver sérieusement ; M. Aymen paroît être du nombre de ces derniers.

J'ai dit que je ne manquerois pas de parler de la dissertation de M. Normand, medecin de Dole, qui s'est placé de lui-même à côté de M. Aymen. Mais ce n'est point à moi à prendre garde aux motifs qui l'ont porté à faire imprimer son ouvrage ; chacun peut voir dans sa préface le détail de ses raisons, sur lesquelles le journaliste de Trévoux s'est expliqué assez clairement. M. Normand avoit quelques doutes, qui ne lui restent apparemment plus depuis la publicité de la dissertation de M. Aymen. Je n'ai qu'un mot à dire sur la raison qu'il a eu d'écrire sa dissertation en latin : c'est, dit-il après Baglivi, de peur d'instruire les cuisinieres, & de leur apprendre à disputer avec les Medecins ; linguâ vernaculâ docere mulierculas è culinâ, cum ipsis etiam medicinae principibus arroganter disputare. Ces précautions pourront paroître usées, & peu nécessaires aujourd'hui. Celse auroit ri sans-doute de ceux qui lui auroient dit qu'il falloit traiter la Medecine en grec dans le sein de Rome.

Quoiqu'il en soit, la dissertation de M. Normand, qui est un petit in -4°. de 19 pages en comptant la préface, est, comme on voit, en latin, & on pourroit la regarder, pour m'exprimer dans la langue favorite de l'auteur, veluti elenchum aliquot Medicinae principum sententiarum : en effet, l'auteur parcourt les Medecins grecs, arabes, & latins ; il en donne une liste, & il prouve qu'ils étoient la plûpart attachés au système des crises, ce dont je crois que personne n'a jamais douté. M. Normand paroît fort occupé à la lecture des anciens ; c'est pourquoi sans doute il s'arrête parmi les modernes à M. Mead & au docteur Bark : de sorte qu'on ne sait pas si les Vanswieten, les Solano, les Nihell, & bien d'autres, sont encore parvenus jusqu'à Dole.

Au reste M. Normand cite beaucoup d'auteurs ; son ouvrage n'est qu'une chaine de passages & d'autorités. Une partie de la dissertation d'Hoffman, de sato medico & physico, dans laquelle ce medecin rapporte tout ce que l'on a dit des septenaires, fait le premier chapitre de la dissertation de M. Normand. L'auteur termine ce premier chapitre en citant contre Themison disciple d'Asclepiade, & par conséquent fort opposé aux crises, ce vers de Juvenal,

Quot Themison aegros autumno occiderit uno.

Bien des gens pourront penser que cette réflexion n'est pas plus concluante contre Themison, que tous les traits de Moliere contre les Medecins françois ; il faut la regarder comme la plaisanterie de ce roi d'Angleterre, qui prétendoit que son medecin lui avoit tué plus de soldats que les ennemis. Ce sont-là de ces bons mots dont on ne peut jamais se servir sérieusement contre quelqu'un qu'on veut combattre ; ils font honneur à ceux auxquels on les oppose, & on pourroit présumer par le vers seul de Juvénal, que Themison fut un medecin des plus célebres.

Le deuxieme chapitre de la dissertation de M. Normand fait, à proprement parler, le corps de l'ouvrage ; on y trouve la plus pure doctrine des anciens : l'auteur n'y a rien changé. Le troisieme chapitre contient des réflexions fort judicieuses sur l'importance des crises & des jours critiques, & sur les différentes voies par lesquelles les crises se font ; il remarque que les jours critiques sont rarement de vingt-quatre heures précises, adaequate. Enfin personne ne disconviendra jamais que cet ouvrage ne puisse être de quelque utilité pour ceux qui travailleront dans la suite sur les crises. Il est fâcheux que l'auteur se soit uniquement livré à l'autorité des anciens, & qu'il n'ait pas rapporté quelques-unes de ses observations particulieres, qui n'auroient certainement pas déparé sa dissertation.

On doit se rappeller que j'ai avancé ci-dessus qu'il y avoit toûjours eu dans la faculté de Paris des medecins attachés aux dogmes de Baillou, de Houllier, de Duret, & de Fernel, qui ont renouvellé dans cette fameuse école les opinions des anciens. Je tire mes preuves, tant des différens ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde, que du recueil des theses dont M. Baron, doyen de la faculté, vient de faire imprimer le catalogue : ce catalogue fait connoître parfaitement la maniere de penser des Medecins, & les progrès de leurs opinions. C'est une espece de chronologie aussi intéressante pour l'histoire de la Medecine, que pour celle de l'esprit humain ; on y découvre les vûes précieuses de nos prédécesseurs, & les traces des efforts qu'ils ont faits pour perfectionner notre art & toutes ses branches : c'est-là la source pure des différens systèmes ; ils s'y présentent tels qu'ils furent dans leur naissance. Semblable aux anciens temples dans lesquels on consacroit les observations & les découvertes en Medecine, la faculté de Paris conserve le dépôt sacré que ses illustres membres lui ont confié ; & il seroit à souhaiter que toutes celles de l'Europe l'imitassent à cet égard.

Or parmi les theses trop peu connues, qu'on a soûtenues à la faculté, & qui ont quelque rapport au système des crises ; j'en choisis une qui est antérieure à tous les ouvrages des modernes dont je viens de parler, & dans laquelle on trouve la doctrine des crises exposée avec beaucoup de précision & de clarté. Cette these a pour titre : An à rectâ crisium doctrinâ & observatione medicina certior ? savoir si la saine doctrine des crises & leurs observations rendent la medecine plus certaine. Année 1741. Elle a été soûtenue sous la présidence de M. Murry, qui en est l'auteur ; & on voit qu'elle a beaucoup de rapport avec le programme de l'académie de Dijon.

M. Murry, après avoir fait quelques réflexions sur l'importance de la doctrine des crises, & sur la maniere dont elle a été arrêtée & pour ainsi dire ensevelie par les différens systèmes, en fait une exposition tirée d'Hippocrate & de Galien. Il insiste beaucoup après Prosper Martianus & Petrus Castellus, sur la nécessité qu'il y a de ne point compter scrupuleusement les jours naturels dans les maladies ; il fait voir qu'il faut s'en tenir aux redoublemens ; & qu'en suivant exactement leur marche, on trouve son compte dans le calcul des anciens : ce qui fournit en effet de très-grands éclaircissemens, & qui est conforme à l'avis de Celse, qui étoit ennemi déclaré des jours critiques. D'ailleurs la these dont il est question, est pleine de préceptes sages & de réflexions très-sensées. En un mot, on doit la regarder comme un abregé parfait de tout ce que les anciens on dit de mieux sur cette matiere, & on y trouve bien des remarques qui sont propres à l'auteur.

Cette these qui manquoit à M. Normand, a beaucoup servi à M. Aymen, qui a eu la précaution de la citer. Il en a tiré notamment trois remarques particulieres. En premier lieu, une observation rare faite par M. Murry, & conforme en tout à la loi d'Hippocrate ; cette loi est conçûe en ces termes : In febribus ardentibus oculorum distorsio, aut caecitas, aut testium tumores, aut mammarum elevatio, febrem ardentem solvit : " La fievre ardente peut se terminer par le dérangement du corps des yeux, par la perte de la vûe, par une tumeur aux testicules, ou par l'élévation des mammelles ". L'auteur de la these a précisément vû le cas de la tumeur au testicule & de la perte de la vûe, & il a cité Hippocrate, dont il a eu le plaisir de confronter la décision avec sa propre observation. La deuxieme remarque que M. Aymen a pû extraire de la these dont il est question, regarde le docteur Clifton Witringham, qui a observé pendant seize ans les maladies des habitans d'Yorck, & le changement des saisons, qui a découvert que les maladies suivoient exactement les mouvemens de la liqueur du barometre, & qui s'est convaincu que ces maladies étoient semblables à celles de la Grece. Enfin la troisieme observation est une idée très-lumineuse de M. Duverney, medecin de la faculté de Paris, qui soûtint dans une these en 1719, qu'il y avoit beaucoup d'analogie entre la théorie des crises & celle des périodes des maladies ; magnam cum periodis affinitatem habet crisium theoria ; si enim stati sunt morborum decursus, cur non & solutiones ? Ce sont autant de matériaux pour l'éclaircissement de la doctrine des crises.

Il y auroit bien des réflexions à faire sur tous les ouvrages dont je viens de parler ; je les réduis à trois principales. 1°. On ne peut qu'admirer la sagesse de tous ces auteurs modernes, qui se contentent d'admettre la doctrine des crises comme un tissu de phénomenes démontré par l'observation ; ils ne rappellent qu'avec une sorte d'indignation les explications que les anciens ont voulu donner de ces phénomenes ; ils regardent ces explications prétendues comme des romans, ou plûtôt comme des rêveries, qui sont autant de taches faites à la pure doctrine d'Hippocrate. Ils ne sont pourtant pas bien d'accord sur l'usage qu'on peut faire de la théorie & des systèmes des nouvelles écoles pour l'explication des crises, & pour en découvrir les causes, vero consentaneum non censui, s'écrie M. Normand, propositum probare ex physicis vel hypotheticis ratiociniis, ut plurimum inconstantibus & incertis : ut ut magis multò pompam redoleant. " Chaque auteur, dit M. Aymen, a bâti selon son idée une hypothese, & donné un nom ridicule à la cause des crises " ; & il avance bientôt après, que la cause des crises est simple, & qu'elle se présente naturellement. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on est trop avancé aujourd'hui dans la physique du corps humain, pour qu'on ne puisse pas tenter au moins de déterminer si les crises sont possibles, & tâcher de chercher une explication de leur méchanisme. Je ne doute pas que ces efforts ne fissent un bien considerable au fonds de la doctrine des crises, & qu'elle ne reçût un nouvel éclat, si on la présentoit de maniere à satisfaire l'imagination des Physiciens. Il faut l'avoüer, les faits épars & isolés n'ont jamais autant de grace, sur-tout pour quiconque n'est pas en droit de douter, que lorsqu'ils sont liés les uns aux autres par un systême quel qu'il puisse être. Les systèmes sont la pâture de l'imagination, & l'imagination est toûjours de la partie dans les progrès de l'esprit ; elle peint les objets de l'entendement, elle classe ceux de la mémoire. Sinesius & Plotin appelloient la nature magicienne (Gelée, trad. de Dulaurens) : cette dénomination conviendroit mieux à l'imagination. Voilà la grande magicienne qui dirige les têtes les moins ordinaires comme les plus communes ; le nombre des élûs qui lui résistent est infiniment petit, il faut qu'il le soit.

M'est-il permis, cela étant, & pour ne rien négliger de ce qui peut servir à bâtir un systême, de rappeller ici ce que j'ai placé dans mes recherches anatomiques sur les glandes ? Supposé, ai-je dit, §. 127, que tel organe agisse tous les jours dans le corps, c'est-à-dire, qu'il exerce sa fonction à telle heure précisément, ne pourroit-on pas soupçonner qu'il concourt à produire les phénomenes qu'on observeroit dans ce même tems ; & s'il y a des organes dont les actions ou les fonctions se rencontrent de deux en deux ; ou de trois en trois jours, ne pourroit-on pas aussi établir les mêmes soupçons, éclaircir par-là bien des phénomenes dont on a tant parlé, les crises & les jours critiques. & distinguer ce qu'il y a d'imaginaire & de réel sur ces matieres ? Ce sont-là des problèmes que je me suis proposé, & dont j'attendrai la résolution de la part de quelque grand physiologiste & medecin qui les trouvera dignes de son attention, jusqu'à ce que je sois en droit de proposer mes idées. Je ne puis m'empêcher de parler d'une prétention d'Hippocrate, qui me paroît fort importante : il dit (de morb. lib. IV.) que la coction parfaite des alimens se fait ordinairement en trois jours ; & que la nature suivant les mêmes lois dans les maladies que dans l'état de santé, les redoublemens doivent ordinairement être plus forts aux jours impairs. M. Murry tire un grand parti de cette remarque, qui mérite d'être encore examinée avec attention.

Ma deuxieme remarque roule sur le fameux passage de Celse, qui accusoit les anciens d'avoir été trompés par la philosophie de Pythagore, & d'avoir fondé leur système des jours critiques sur les dogmes de cette école, dans laquelle les nombres, surtout les impairs, joüoient un très-grand rôle. Ce passage porte un coup mortel à la doctrine des crises, il en sappe les fondemens ; aussi a-t-il été attaqué vivement par tous les sectateurs des crises, tant anciens que modernes. Genuina Hippocratis praeceptorum traditio, dit M. Murry, Celso non innotuit, cui per tempus non vacabat, aut quem animus non stimulabat, ut medicinae clinicae navaret operam... Celsus ait in praefatione recentiores fateri Hippocratem optime praesagisse, quamvis in curationibus quaedam mutaverint ; " Celse n'a pas eu le tems de s'instruire, sur-tout par la pratique de la véritable doctrine d'Hippocrate ; & il dit que les medecins de son tems avoüoient qu'Hippocrate étoit fort pour le prognostic ". Ainsi la plûpart de tous ceux qui ont parlé de Celse, l'ont accusé de n'être pas praticien, & par conséquent d'être hors d'état de rien statuer sur la matiere des crises. Je me suis contenté ci-dessus de révoquer son témoignage particulier en doute, & il me semble que c'est tout ce qu'on peut faire de plus. En effet, quand je vois que Celse prétend, dans le même endroit où il réfute le système des anciens sur le nombre des jours, qu'il faut observer les redoublemens & non point les jours, ipsas accessiones intueri debet medicus, cap. jv. lib. III. & que tous les modernes sont obligés d'en revenir à cette façon de calculer, je ne puis m'empêcher d'en conclure qu'il falloit que Celse y eût regardé de bien près, ou du moins qu'il eût reçu des éclaircissemens de la part des medecins les mieux instruits. Après tout, si Celse n'a pas été praticien, il est naturel de présumer qu'il s'en est uniquement tenu à la pratique des fameux medecins de son tems ; & ces medecins disciples d'Asclépiade, ne peuvent pas être regardés comme n'ayant point vû de malades. Ajoûtez à tout cela la bonne-foi que Celse & ceux dont il expose le sentiment montrent à l'égard d'Hippocrate : il savoit, disent-ils, très-bien former un prognostic, mais nous avons changé quelque chose à sa façon de traiter les maladies ; c'est-à-dire que si Hippocrate avoit été à portée d'observer les maladies vénériennes, par exemple, il auroit très-bien sû dire après des épreuves réitérées, & en voyant un malade atteint de cette maladie : dans tant de jours le palais sera carié, les os seront exostosés, les cheveux tomberont, & qu'Asclépiade auroit cherché un remede pour arrêter les progrès de la maladie ; lequel vaut le mieux ? Il est donc important de ne pas se décider légerement contre Celse ; & comme je l'ai déjà remarqué, c'est beaucoup faire que de rester dans le doute sur ses lumieres particulieres ; mais il sera toûjours vrai que les fameux praticiens de son tems étoient de l'avis qu'il expose.

Troisiemement enfin, quels que soient les travaux des modernes que nous venons de citer, quelle que soit leur exactitude, il ne faut pas penser que les anticritiques demeurent sans aucune ressource ; il leur reste toûjours bien des raisons qui ont au moins l'air fort spécieuses, pour ne rien avancer de plus. En effet, diront-ils, nous avoüons qu'il arrive des crises dans les maladies, & qu'il y a des jours marqués pour les redoublemens ; s'ensuit-il delà que cette doctrine puisse avoir quelqu'application dans la pratique ? C'est ici qu'il faut en appeller aux vrais praticiens, à ceux qui sont chargés du traitement des malades : ils ont souvent éprouvé qu'il est pour l'ordinaire impossible de connoître les premiers tems d'une maladie : ils nous apprendront qu'ils sont appellés chaque jour pour calmer de vives douleurs, pour remédier à des symptomes pressans ; que les malades veulent être soulagés, & que les medecins leur deviennent inutiles s'ils prétendent attendre & compter les jours. La marche des crises sera, si l'on veut, aussi-bien réglée & aussi bien connue que la circulation du sang ; en quoi ces connoissances peuvent-elles être utiles ? qui oseroit se proposer d'en faire usage ? Il peut être aussi certain qu'il y a des crises, comme il est certain qu'il se fait des changemens dans les urines ; on saura l'histoire des crises, comme on sait celle de la transpiration : tout cela n'aboutit après tout, qu'à quelques regles générales que tout le monde sait, & dont personne ne fait usage. Cette doctrine des crises contient de petites vérités de détail, qui ne peuvent frapper que ceux qui ne connoissent pas les maladies par eux-mêmes, & qui cherchent à se faire des regles qui suppléent à leurs lumieres. Attendre les crises, compter les redoublemens d'une maladie, c'est vouloir connoître les vices des humeurs par le microscope, le degré de fievre à la faveur d'un thermometre, ou au moyen d'un pulsiloge ou d'un pendule à pouls, machine puérile, dont l'application seroit encore plus puérile, & que les praticiens regarderont toûjours comme un ornement gothique, qui ne peut qu'être rebuté par les vrais artistes. Cette précision peut amuser, mais elle n'instruit pas ; elle a l'air de la science, mais elle n'en a pas l'utilité : ce n'est point par des calculs scrupuleux qu'on apprend à juger d'une maladie, & à faire usage des remedes ; on devient en calculant, timide, temporiseur, indéterminé, & par conséquent moins utile à la société : la nature a ses lois ; mais on ne les compte pas, on ne sauroit les classer.

Le véritable medecin, diront encore les anticritiques, est l'homme de génie qui porte un coup-d'oeil ferme & décidé sur une maladie ; la nature & le grand usage l'ont rendu de concert, propre à se laisser emporter par cette sorte d'enthousiasme, si peu connu des théoriciens : il juge des tems d'une maladie, pour ainsi dire, sans s'en appercevoir ; il peut avoir appris tout ce que la théorie enseigne, mais il n'en fait point usage, il l'oublie, & il se détermine par l'habitude & comme malgré lui ; tel est le praticien. Que la maladie soit organique ou humorale, qu'elle soit un effort salutaire de la nature ou un bouleversement de ses mouvemens, que la crise se prépare ou qu'elle se fasse, que le redoublement soit pair ou impair, l'état présent décide le véritable connoisseur, les symptomes le déterminent à se presser ou à attendre ; il vous dira ce malade est mal, & vous devez l'en croire, celui-ci ne risque rien, & l'évenement justifiera pour l'ordinaire son prognostic : si vous lui demandez des raisons, il n'en sauroit donner dans bien des occasions ; c'est demander à un peintre pourquoi ce tableau est dans la belle nature, & au musicien les raisons de tous ces accords mélodieux qui enchantent l'oreille. Le praticien qui cherche des raisons peut s'égarer, parce qu'alors son génie ne le guide plus ; les expressions doivent lui manquer, parce que le sentiment ne s'exprime pas ; l'ensemble des symptomes l'a frappé, sans qu'il puisse vous dire comment : apprenez à voir, s'écrie-t-il, veni & vide. Le goût, le talent, & l'expérience, font le praticien ; le goût & le talent ne s'acquerent pas ; l'habitude & l'expérience peuvent y suppléer jusqu'à un certain point : l'habitude apprend à connoître les maladies & à en juger, comme elle apprend à connoître les physionomies & les couleurs : les regles, quelles qu'elles soient, restent toûjours dans l'espace immense des généralités ; & ces généralités qui peuvent, peut-être, être utiles à celui qui apprend l'art, sont certainement très-inutiles pour celui qui l'exerce actuellement ; elles n'enseignent rien de déterminé, rien de réel, rien d'usuel ; inescant, non pascunt. Voyez MEDECINE.

On voit par tout ce que je viens de détailler sur les crises, sur les jours critiques, & sur la maniere dont chaque parti soûtient son opinion dans cette sorte de controverse, combien elle est importante & épineuse. Je finirai cet article en exhortant tous les medecins qui sont sincerement attachés aux progrès de l'art, à ne pas négliger les occasions & les moyens d'éclaircir toutes ces questions : il s'agit de savoir & de décider par l'observation, s'il y a des crises dans les maladies, si elles ont des jours déterminés, ou s'il y a des jours vraiement critiques, & d'autres qui ne le sont pas ; si, supposé qu'il y ait des crises, il faut les ménager & les attendre ; si les remedes dérangent les crises, & comment & jusqu'à quel point ; s'ils les retardent ou s'ils les accélerent, & quels sont les remedes les plus propres à produire ces effets, s'il y en a ; s'il y a dans les maladies des jours marqués pour appliquer les remedes, & d'autres dans lesquels on ne doit rien remuer, nihil movendum ; si, & en quel sens, & jusqu'à quel point il est utile ou nécessaire de regarder une maladie comme l'effort salutaire de la nature de la machine, ou comme aussi opposée à la vie & à la nature qu'à la santé ; si la sûreté du prognostic d'un medecin qui sauroit prévoir les crises, est d'une utilité réelle ; si un praticien sage & expérimenté qui ne connoît pas la doctrine des crises, ne sera pas porté, en suivant les symptomes, à agir comme s'il savoit l'histoire des crises ; s'il est indifférent d'attendre les crises ou de ne pas les attendre ; enfin si un medecin expectateur ne seroit point aussi sujet à se tromper, qu'un medecin actif ou qui se presse un peu.

J'ai dit qu'il faudroit décider tous les problèmes que je viens de proposer par l'observation, ce qui exclud d'abord les idées purement hypothétiques, qui ne sauroient avoir lieu dans des matieres de fait : non point qu'il faille renoncer à toute sorte de systèmes pour expliquer les crises ; on peut s'en permettre quelqu'un pour lier les faits & les observations ; ceux qui pourront s'en passer sauront le mettre à part ; mais il en faut au commun des hommes, comme je l'ai remarqué ci-dessus. Le point principal seroit que les observations fussent bien faites & bien constatées. Je n'entrerai pas là-dessus dans un détail inutile & déplacé ; je dirai seulement que j'appellerois une observation constatée, c'est-à-dire, celle sur laquelle on pourroit compter, une observation faite depuis longtems, rédigée sans aucune vûe particuliere pour ou contre quelqu'opinion, & présentée avant de la mettre en usage à quelque faculté ou à quelqu'académie. Il seroit bon qu'on exigeât des preuves d'observation, & que chaque observateur eût ses journaux à pouvoir communiquer à tout le monde : ces sortes de précautions sont nécessaires, parce qu'on se trompe souvent soi-même, on adopte une opinion quelquefois par hazard ; on se rappelle vaguement tout ce qu'on a vû de favorable à cette opinion, mais pour le reste, on l'oublie insensiblement. L'observateur ou celui qui pourroit fournir des observations bien faites, ne seroit point à ce compte celui qui se contenteroit de dire, j'ai vû, j'ai fait, j'ai observé ; formules avilies aujourd'hui par le grand nombre d'aveugles de naissance qui les employent. Il faudroit que l'observateur pût prouver ce qu'il avance par des pieces justificatives, & qu'il démontrât qu'il a vû & sû voir en tel tems ; ce seroit le seul moyen de convaincre les Pyrrhoniens, qui n'ont que trop le droit de vous dire où avez-vous vû, comment avez-vous vû ? & qui plus est encore, de quel droit avez-vous vû ? de quel droit croyez-vous avoir vû ? qui vous a dit que vous avez vû ?

Au reste, quels talens ne devroit pas avoir un bon observateur ? Il ne s'agit point ici seulement d'être entraîné, pour ainsi dire, passivement, comme le praticien, & de recevoir un rayon de cette vive lumiere qui accompagne le vrai, & qui force au consentement ; il faut revenir de cet état passif, & peindre exactement l'effet qu'il a produit, c'est-à-dire exprimer clairement ce qu'on a apperçû dans cette sorte d'extase, & l'exprimer par des traits réfléchis, & combinés de maniere qu'ils puissent éclairer le lecteur comme la nature le feroit. Tel est l'objet de l'observateur, tel est le talent rare qu'il doit posséder ; talent bien différent de celui du simple praticien, qui n'a que des idées passageres qu'il ne peut pas rendre, & qui se renouvellent au besoin, mais que le besoin seul fait reparoître, & non la réflexion.

Il est donc évident que l'examen de la doctrine des crises regarde plus particulierement les medecins au-dessus du commun ; ceux qui se contenteroient de suivre leurs idées, leurs systêmes, & non la nature, ne pourroient que former d'inutiles ou de dangereux romans, fort éloignés du but qu'on doit se proposer. Les observateurs même qui se réduisent à ramasser des faits, sans avoir assez de génie pour distinguer les bons d'avec les mauvais, & pour les lier les uns aux autres, n'en approcheroient pas de plus près. Enfin les praticiens les plus répandus n'ont pas assez de tems à eux ; & il est rare, outre ce que nous en avons dit ci-dessus, qu'ils puissent être atteints, lorsque leur réputation est déjà établie, de la passion de faire des réformes générales dans l'Art. Il faudroit que des observateurs suivissent exactement ces praticiens, & fissent un recueil exact de leurs différentes manoeuvres, ainsi que les poëtes & les historiens le faisoient autrefois des belles actions des héros.

Quant aux medecins qui sont faits pour enseigner dans les écoles, ils ne sont que trop souvent obligés de s'attacher à un système qui leur vaut toute leur considération. C'est de cette sorte de medecins, très respectables & très-utiles sans-doute, qu'on peut dire avec Hippocrate, unusquisque suae orationi testimonia & conjecturas addit... vincitque hic, modo ille, modo iste, cui potissimum lingua volubilis ad populum contigerit : " Chacun cherche à s'appuyer de conjectures & d'autorités.... l'un terrasse aujourd'hui son adversaire, & il vient à en être terrassé à son tour ; le plus fort est communément celui dont le peuple trouve la langue la mieux pendue ". Ce sont les malheurs de l'état de professeur, qui a bien des avantages d'ailleurs.

En un mot, il est nécessaire pour terminer la question des crises, ou pour l'éclaircir, d'être libre, & initié dans cette sorte de Medecine philosophique ou transcendante, à laquelle il n'est peut-être pas bon que tous les medecins populaires, je veux dire cliniques, s'attachent. En effet on pourroit demander si ces medecins populaires ne sont pas faits la plûpart pour copier seulement, ou pour imiter les grands maîtres de l'Art. N'y auroit-il pas à craindre que ces esprits copistes ou imitateurs, qui sont peut-être les plus sages & les meilleurs pour la pratique journaliere de la Medecine, ne tombassent dans le pyrrhonisme, si on leur laissoit prendre un certain essor ? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on doit chercher parmi eux ce que j'appellerois les témoins des faits particuliers en Medecine ; & il semble qu'il convienne qu'ils soient assujettis à des regles déterminées, tant pour leur propre tranquillité, que pour la sûreté des malades : Sint in memoria tibi morborum curationes & horum modi, & quomodo in singulis se habeant ; hoc enim principium est in Medicina, & medium & finis : " Le commencement, le milieu & la fin de la Medecine, sont de bien savoir le traitement des maladies, & leur histoire ". Voilà ce qu'Hippocrate exigeoit de ses disciples. De decenti ornat.

Voilà ce qui regarde les medecins ordinaires, voüés à des travaux qui intéressent journellement la société, & dont les services sont d'autant plus précieux qu'ils sont plus réitérés, & qu'ils ne peuvent souffrir aucune sorte de distraction de la part du praticien.

Il y a des questions qui sont réservées pour les législateurs de l'art ; telle est la doctrine des crises. J'appelle un législateur de l'art, le medecin philosophe qui a commencé par être témoin, qui de praticien est devenu grand-observateur, & qui franchissant les bornes ordinaires, s'est élevé au-dessus même de son état. Ouvrez les fastes de la Medecine, comptez ses législateurs. Voyez MEDECIN & MEDECINE.

Cet article a été fourni par M. DE BORDEU docteur de la faculté de Montpellier, & medecin de Paris.


CRISTALvoyez CRYSTAL.


CRISTou CRÊTE MARINE, s. f. (Botan.) Ses feuilles sont étroites, mais plus larges & plus courtes que celles du fenouil ; charnues, subdivisées trois à trois, & salées. Sa tige est cannelée, & verte comme un porreau ; elle a les fleurs jaunes, & ramassées en parasol. Sa graine ressemble à celle du fenouil, elle est seulement plus grande. Le goût en est agréable, piquant & aromatique. C'est une espece de pourpier de mer : le verd de sa tige va s'éclaircissant à mesure qu'elle croît. Elle meurt tous les ans au commencement de l'hyver, & renaît au printems vers le commencement de Juillet. Les riverains la cueillent & la vendent pour être salée & servir aux salades d'hyver. Il faut la saler avec un vinaigre foible & un peu de sel. Lorsqu'elle a resté environ un mois dans cette premiere saumure, on la transvase, soit dans des barrils ou des pots de terre, où l'on met de nouveau vinaigre plus fort. Le vinaigre blanc de la Rochelle est celui qui y convient le mieux. On ajoûte au sel du gros poivre, des clous de gerofle, quelques feuilles de laurier, & même un peu d'écorce de citron.

La crête marine croît au bord des marais, & sur les bancs de terre que la marée couvre journellement ; celle-ci est la plus tendre & la meilleure : celle que l'eau de mer mouille plus rarement, est seche & dure : des femmes, des filles & des enfans en font ordinairement la cueillette, qu'ils portent par sacs & paniers dans les villes voisines : il n'en croît pas sur les sables purs. Cette cueillette est libre & permise à tout le monde.


CRITHOMANCES. f. (Divinat. & Hist. anc.) espece de divination, qui consistoit à considérer la pâte ou la matiere des gâteaux qu'on offroit en sacrifice, & la farine qu'on répandoit sur les victimes qu'on devoit égorger.

Comme on se servoit souvent de farine d'orge dans ces cérémonies superstitieuses, on a appellé cette sorte de divination crithomance, de , orge, & , divination. Dict. de Trév. & Chambers.

Cette superstition a été pratiquée dans le Christianisme même, par de vieilles femmes qui se tenoient autrefois dans les églises auprès des images des saints, & qu'on nommoit pour cela , au rapport de Théodore Balsamon cité par Delrio, lib. IV. cap. ij. quaest. 7. sect. 1. pag. 553. Voyez ALPHITOMANCIE. (G)


CRITIQUES. m. (Belles lett.) auteur qui s'adonne à la critique. On comprend sous ce nom divers genres d'écrivains dont les travaux & les recherches embrassent diverses parties de la Littérature, tels 1°. que ceux qui se sont appliqués à rassembler & à faire le dénombrement des ouvrages de chaque auteur ; à en faire le discernement, afin de ne point attribuer à l'un ce qui appartient à l'autre ; à juger de leur style & de leur maniere d'écrire ; à apprendre le succès qu'ils ont eu dans le monde, & le fruit qu'on doit tirer de leurs écrits. Tels ont été Photius, Erasme, le P. Rapin, M. Huet, M. Baillet, &c. 2°. Ceux qui par des dissertations particulieres ont éclairci des points obscurs de l'histoire ancienne ou moderne, tels que Meursius, Ducange, M. de Launoy, & la plûpart de nos savans de l'académie des Belles-lettres. 3°. Ceux qui se sont occupés à recueillir d'anciens manuscrits, à mettre ces collections en ordre, à donner des éditions des anciens, comme les Bollandistes, les Bénédictins, & entr'autres le P. Mabillon, M. Baluze, Graevius, Gronovius, &c. 4°. Ceux qui ont fait des traités historiques & philologiques des plus célebres bibliotheques, tels que Juste-Lipse, Gallois, &c. 5°. Ceux qui ont composé des bibliotheques ou catalogues raisonnés d'auteurs soit ecclésiastiques, soit profanes, comme M. Dupin, &c. 6°. Les commentateurs ou scholiastes des auteurs anciens, comme Dacier, Bentley, le P. Jouvenci ; tous les auteurs dont on a recueilli les notes sous le titre de variorum, & ceux qui sont connus sous celui de critiques dauphins. Enfin, dit M. Baillet, on comprend sous le nom de critiques, tous les auteurs qui ont écrit de la philologie, sous les titres extraordinaires & bisarres de diverses leçons, leçons antiques, leçons nouvelles, leçons suspectes, leçons mémorables ; mélanges, nommés par les uns symmictes, par les autres miscellanées ; cinnes, schediasmes ou cahiers, adversaires ou recueils, collectanées, philocalies, observations ou remarques, animadversions ou corrections, scholies ou notes, commentaires, expositions, soupçons, conjectures, conjectanées, lieux communs, éclogues ou électes, extraits ou florides, parergues, vraisemblables, novantiques, saturnales, sémestres, nuits, veilles, journées, heures subcesives ou successives, précidanées, succidanées, centurionats : en un mot, ajoûte-t-il, tous ceux qui ont écrit des Belles-lettres, qui ont travaillé sur les anciens auteurs pour les examiner, les corriger, les expliquer, les mettre au jour ; ceux qui ont embrassé cette Littérature universelle qui s'étend sur toutes sortes de sciences & d'auteurs : & qui faisoit anciennement la principale & la plus belle partie de la Grammaire, avant que les mauvais grammairiens l'eussent obligée de changer son nom en celui de Philologie, qui embrasse bien les principales parties de la Littérature & quelques-unes des sciences, mais qui regardant essentiellement les mots de chacune, n'en traite les choses que rarement & par accident ; tels ont été chez les anciens Varron, Athénée, Macrobe, &c. & parmi les modernes les deux Scaliger, Lambin, Turnebe, Casaubon, MM. Pithou, Saumaise, les PP. Sirmond & Pétau, Bayle, &c. On peut encore ajoûter aux critiques ceux qui ont écrit contre certains ouvrages. Voyez PHILOLOGIE, & sur-tout l'article suivant CRITIQUE. (G)

CRITIQUE, CENSURE, (Synonymes) Critique s'applique aux ouvrages littéraires ; censure aux ouvrages théologiques, ou aux propositions de doctrine, ou aux moeurs. Voyez CENSURE. (O)

CRITIQUE, s. f. (Belles-lettres) On peut la considérer sous deux points de vûe généraux : l'une est ce genre d'étude à laquelle nous devons la restitution de la Littérature ancienne. Pour juger de l'importance de ce travail, il suffit de se peindre le cahos où les premiers commentateurs ont trouvé les ouvrages les plus précieux de l'antiquité. De la part des copistes, des caracteres, des mots, des passages altérés, défigurés, obmis ou transposés dans les divers manuscrits : de la part des auteurs, l'allusion, l'ellipse, l'allégorie, en un mot, toutes ces finesses de langue & de style qui supposent un lecteur à demi instruit ; quelle confusion à démêler, dans un tems où la révolution des siecles & le changement des moeurs, sembloient avoir coupé toute communication aux idées !

Les restituteurs de la Littérature ancienne n'avoient qu'une voie, encore très-incertaine ; c'étoit de rendre les auteurs intelligibles l'un par l'autre, & à l'aide des monumens. Mais pour nous transmettre cet or antique, il a fallu périr dans les mines. Avoüons-le, nous traitons cette espece de critique avec trop de mépris, & ceux qui l'ont exercée si laborieusement pour eux & si utilement pour nous, avec trop d'ingratitude. Enrichis de leurs veilles, nous faisons gloire de posséder ce que nous voulons qu'ils ayent acquis sans gloire. Il est vrai que le mérite d'une profession étant en raison de son utilité & de sa difficulté combinées, celle d'érudit a dû perdre de sa considération à mesure qu'elle est devenue plus facile & moins importante ; mais il y auroit de l'injustice à juger de ce qu'elle a été par ce qu'elle est. Les premiers laboureurs ont été mis au rang des dieux, avec bien plus de raison que ceux d'aujourd'hui ne sont mis au-dessous des autres hommes. Voy. MANUSCRIT, ERUDITION, TEXTE.

Cette partie de la critique comprendroit encore la vérification des calculs chronologiques, si ces calculs pouvoient se vérifier ; mais le peu de fruit qu'ont retiré de ce travail les savans illustres qui s'y sont exercés, prouve qu'il seroit desormais aussi inutile que pénible de revenir sur leurs recherches. Il faut savoir ignorer ce qu'on ne peut connoître ; or il est vraisemblable que ce qui n'est pas connu dans l'histoire des tems, ne le sera jamais, & l'esprit humain y perdra peu de chose. Voyez CHRONOLOGIE.

Le second point de vûe de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé & un jugement équitable des productions humaines. Toutes les productions humaines peuvent être comprises sous trois chefs principaux ; les Sciences, les Arts libéraux, & les Arts méchaniques : sujet immense que nous n'avons pas la témérité de vouloir approfondir, sur-tout dans les bornes d'un article. Nous nous contenterons d'établir quelques principes généraux, que tout homme capable de sentiment & de réflexion est en état de concevoir ; & s'il en est qui manquent de justesse ou de clarté, à quelque sévere examen que nous ayons pû le soûmettre, le lecteur trouvera dans les articles relatifs auxquels nous aurons soin de le renvoyer, de quoi rectifier ou développer nos idées.

Critique dans les Sciences. Les sciences se réduisent à trois points : à la démonstration des vérités anciennes, à l'ordre de leur exposition, à la découverte des nouvelles vérités.

Les vérités anciennes sont ou de fait ou de spéculation. Les faits sont ou moraux ou physiques. Les faits moraux composent l'histoire des hommes, dans laquelle souvent il se mêle du physique, mais toûjours relativement au moral.

Comme l'histoire sainte est révélée, il seroit impie de la soûmettre à l'examen de la raison ; mais il est une maniere de la discuter pour le triomphe même de la foi. Comparer les textes, & les concilier entr'eux ; rapprocher les évenemens des prophéties qui les annoncent ; faire prévaloir l'évidence morale à l'impossibilité physique ; vaincre la répugnance de la raison par l'ascendant des témoignages ; prendre la tradition dans sa source, pour la présenter dans toute sa force ; exclure enfin du nombre des preuves de la vérité tout argument vague, foible ou non concluant, espece d'armes communes à toutes les religions, que le faux zele employe & dont l'impiété se joüe : tel seroit l'emploi du critique dans cette partie. Plusieurs l'ont entrepris avec autant de succès que de zele, parmi lesquels Pascal doit occuper la premiere place, pour la céder à celui qui exécutera ce qu'il n'a fait que méditer.

Dans l'histoire profane, donner plus ou moins d'autorité aux faits, suivant leur degré de possibilité, de vraisemblance, de célébrité, & suivant le poids des témoignages qui les confirment : examiner le caractere & la situation des historiens ; s'ils ont été libres de dire la vérité, à portée de la connoître, en état de l'approfondir, sans intérêt de la déguiser : pénétrer après eux dans la source des évenemens, apprécier leurs conjectures, les comparer entr'eux & les juger l'un par l'autre : quelles fonctions pour un critique ; & s'il veut s'en acquiter, combien de connoissances à acquérir ! Les moeurs, le naturel des peuples, leurs intérêts respectifs, leurs richesses & leurs forces domestiques, leurs ressources étrangeres, leur éducation, leurs lois, leurs préjugés & leurs principes ; leur politique au-dedans ; leur discipline au-dehors ; leur maniere de s'exercer, de se nourrir, de s'armer & de combattre ; les talens, les passions, les vices, les vertus de ceux qui ont présidé aux affaires publiques ; les sources des projets, des troubles, des révolutions, des succès & des revers ; la connoissance des hommes, des lieux & des tems ; enfin tout ce qui en morale & en physique peut concourir à former, à entretenir, à changer, à détruire & à rétablir l'ordre des choses humaines, doit entrer dans le plan d'après lequel un savant discute l'histoire. Combien un seul trait dans cette partie ne demande-t-il pas souvent, pour être éclairci, de réflexions & de lumieres ? Qui osera décider si Annibal eut tort de s'arrêter à Capoue, & si Pompée combattoit à Pharsale pour l'empire ou pour la liberté ? Voyez HISTOIRE, POLITIQUE, TACTIQUE, &c.

Les faits purement physiques composent l'histoire naturelle, & la vérité s'en démontre de deux manieres : ou en répetant les observations & les expériences ; ou en pesant les témoignages, si l'on n'est pas à portée de les vérifier. C'est faute d'expérience, qu'on a regardé comme des fables une infinité de faits que Pline rapporte, & qui se confirment de jour en jour par les observations de nos Naturalistes.

Les anciens avoient soupçonné la pésanteur de l'air, Toricelli & Pascal l'ont démontrée. Newton avoit annoncé l'applatissement de la terre, des philosophes ont passé d'un hémisphere à l'autre pour la mesurer. Le miroir d'Archimede confondoit notre raison, & un physicien, au lieu de nier ce phénomene, a tenté de le reproduire, & le prouve en le répetant. Voilà comme on doit critiquer les faits. Mais suivant cette méthode les sciences auront peu de critiques. Voyez EXPERIENCE. Il est plus court & plus facile de nier ce qu'on ne comprend pas ; mais est-ce à nous de marquer les bornes des possibles, à nous qui voyons chaque jour imiter la foudre, & qui touchons peut-être au secret de la diriger ? Voy. ÉLECTRICITE.

Ces exemples doivent rendre un critique bien circonspect dans ses décisions. La crédulité est le partage des ignorans ; l'incrédulité décidée, celui des demi-savans ; le doute méthodique, celui des sages. Dans les connoissances humaines, un philosophe démontre ce qu'il peut ; croit ce qui lui est démontré ; rejette ce qui y répugne, & suspend son jugement sur tout le reste.

Il est des vérités que la distance des lieux & des tems rend inaccessibles à l'expérience, & qui n'étant pour nous que dans l'ordre des possibles, ne peuvent être observées que des yeux de l'esprit. Ou ces vérités sont les principes des faits qui les prouvent, & la critique doit y remonter par l'enchaînement de ces faits ; ou elles en sont des conséquences, & par les mêmes degrés il doit descendre jusqu'à elles. Voyez ANALYSE, SYNTHESE.

Souvent la vérité n'a qu'une voie par où l'inventeur y est arrivé, & dont il ne reste aucun vestige : alors il y a peut-être plus de mérite à retrouver la route, qu'il n'y en a eu à la découvrir. L'inventeur n'est quelquefois qu'un avanturier que la tempête a jetté dans le port ; le critique est un pilote habile que son art seul y conduit : si toutefois il est permis d'appeller art une suite de tentatives incertaines & de rencontres fortuites, où l'on ne marche qu'à pas tremblans. Pour réduire en regles l'investigation des vérités physiques, le petit critique devroit tenir le milieu & les extrémités de la chaîne ; un chaînon qui lui échappe, est un échelon qui lui manque pour s'élever à la démonstration. Cette méthode sera longtems impraticable. Le voile de la nature est pour nous comme le voile de la nuit, où dans une immense obscurité brillent quelques points de lumiere ; & il n'est que trop prouvé que ces points lumineux ne sauroient se multiplier assez pour éclairer leurs intervalles. Que doit donc faire le critique ? observer les faits connus ; en déterminer, s'il se peut, les rapports & les distances ; rectifier les faux calculs & les observations défectueuses ; en un mot, convaincre l'esprit humain de sa foiblesse, pour lui faire employer utilement le peu de force qu'il épuise envain ; & oser dire à celui qui veut plier l'expérience à ses idées : Ton métier est d'interroger la nature, non de la faire parler. (Voyez les pensées sur l'interp. de la nat. ouvrage que nous réclamons ici, comme appartenant au dictionnaire des connoissances humaines, pour suppléer à ce qui manque aux nôtres de profondeur & d'étendue).

Le desir de connoître est souvent stérile par trop d'activité. La vérité veut qu'on la cherche, mais qu'on l'attende ; qu'on aille au-devant d'elle, mais jamais au-delà. C'est au critique, en guide sage, d'obliger le voyageur à s'arrêter où finit le jour, de peur qu'il ne s'égare dans les ténebres. L'éclipse de la nature est continuelle, mais elle n'est pas totale ; & de siecle en siecle elle nous laisse appercevoir quelques nouveaux points de son disque immense, pour nourrir en nous, avec l'espoir de la connoître, la constance de l'étudier.

Lucrece, S. Augustin, Boniface, & le pape Zacharie, étoient debout sur notre hémisphere, & ne concevoient pas que leurs semblables pussent être dans la même situation sur un hémisphere opposé : ut per aquas quae nunc rerum simulacra videmus, dit Lucrece, (De rer. nat. lib. I.) pour exprimer qu'ils auroient la tête en bas. On a reconnu la tendance des graves vers un centre commun, & l'opinion des Antipodes n'a plus révolté personne. Les anciens voyoient tomber une pierre, & les flots de la mer s'élever ; ils étoient bien loin d'attribuer ces deux effets à la même cause. Le mystere de la gravitation nous a été révélé : ce chaînon a lié les deux autres ; & la pierre qui tombe & les flots qui s'élevent, nous ont paru soûmis aux mêmes lois. Le point essentiel dans l'étude de la nature, est donc de découvrir les milieux des vérités connues, & de les placer dans l'ordre de leur enchaînement : tels faits paroissent isolés, dont le noeud seroit sensible s'ils étoient mis à leur place. On trouvoit des carrieres de marbre dans le sein des plus hautes montagnes ; on en voyoit former sur les bords de l'Océan par le ciment du sel marin ; on connoissoit le parallélisme des couches de la terre : mais répandus dans la Physique, ces faits n'y jettoient aucune lumiere ; ils ont été rapprochés, & l'on reconnoît les monumens de l'immersion totale ou successive de ce globe. C'est à cet ordre lumineux que le critique devroit sur-tout contribuer.

Il est pour les découvertes un tems de maturité avec lequel les recherches semblent infructueuses. Une vérité attend, pour éclorre, la réunion de ses élémens. Ces germes ne se rencontrent & ne s'arrangent que par une longue suite de combinaisons : ainsi ce qu'un siecle n'a fait que couver, s'il est permis de le dire, est produit par le siecle qui lui succede ; ainsi le problème des trois corps proposé par Newton, n'a été résolu que de nos jours, & l'a été par trois hommes en même tems. C'est cette espece de fermentation de l'esprit humain, cette digestion de nos connoissances, que le critique doit observer avec soin : suivre pas à pas la science dans ses progrès, marquer les obstacles qui l'ont retardée, comment ces obstacles ont été levés ; & par quel enchaînement de difficultés & de solutions elle a passé du doute à la probabilité, de la probabilité à l'évidence. Par-là il imposeroit silence à ceux qui ne font que grossir le volume de la science sans en augmenter le thrésor. Il marqueroit le pas qu'elle auroit fait dans un ouvrage ; ou renverroit l'ouvrage au néant, si l'auteur la laissoit où il l'auroit prise. Tels sont dans cette partie l'objet & le fruit de la critique. Combien cette réforme nous restitueroit d'espaces dans nos bibliotheques ! Que deviendroit cette foule épouvantable de faiseurs d'élémens en tout genre, ces prolixes démonstrateurs de vérités dont personne ne doute ; ces physiciens romanciers qui, prenant leur imagination pour le livre de la nature, érigent leurs visions en découvertes, & leurs songes en systèmes suivis ; ces amplificateurs ingénieux qui délayent un fait en 20 pages de superfluités puériles, & qui tourmentent à force d'esprit une vérité claire & simple, jusqu'à ce qu'ils l'ayent rendue obscure & compliquée ? Tous ces auteurs qui causent sur la science au lieu d'en raisonner, seroient retranchés du nombre des livres utiles : on auroit beaucoup moins à lire, & beaucoup plus à recueillir.

Cette réduction seroit encore plus considérable dans les sciences abstraites, que dans la science des faits. Les premieres sont comme l'air qui occupe un espace immense lorsqu'il est libre de s'étendre, & qui n'acquiert de la consistance qu'à mesure qu'il est pressé.

L'emploi du critique dans cette partie seroit donc de ramener les idées aux choses, la Métaphysique & la Géométrie à la Morale & à la Physique ; de les empêcher de se répandre dans le vuide des abstractions, & s'il est permis de le dire, de retrancher de leur surface pour ajoûter à leur solidité. Un métaphysicien ou un géomêtre qui applique la force de son génie à de vaines spéculations, ressemble à ce lutteur que nous peint Virgile :

Alternaque jactat

Brachia protendens, & verberat ictibus auras.

Aen. lib. V.

M. de Fontenelle qui a porté si loin l'esprit d'ordre, de précision, & de clarté, eût été un critique supérieur, soit dans les sciences abstraites, soit dans celle de la nature ; & Bayle (que nous considérons ici seulement comme littérateur) n'avoit besoin pour exceller dans sa partie, que de plus d'indépendance, de tranquillité, & de loisir. Avec ces trois conditions essentielles à un critique, il eût dit ce qu'il pensoit, & l'eût dit en moins de volumes.

Critique dans les Arts libéraux ou les beaux Arts. Tout homme qui produit un ouvrage dans un genre auquel nous ne sommes point préparés, excite aisément notre admiration. Nous ne devenons admirateurs difficiles que lorsque les ouvrages dans le même genre venant à se multiplier, nous pouvons établir des points de comparaison, & en tirer des regles plus ou moins séveres, suivant les nouvelles productions qui nous sont offertes. Celles de ces productions où l'on a constamment reconnu un mérite supérieur, servent de modeles. Il s'en faut beaucoup que ces modeles soient parfaits ; ils ont seulement chacun en particulier une ou plusieurs qualités excellentes qui les distinguent. L'esprit faisant alors ce qu'on nous dit d'Apelle, se forme d'une multitude de beautés éparses un tout idéal qui les rassemble. C'est à ce modele intellectuel au-dessus de toutes les productions existantes, qu'il rapportera les ouvrages dont il se constituera le juge. Le critique supérieur doit donc avoir dans son imagination autant de modeles différens qu'il y a de genres. Le critique subalterne est celui qui n'ayant pas dequoi se former ces modeles transcendans, rapporte tout dans ses jugemens aux productions existantes. Le critique ignorant est celui qui ne connoît point, ou qui connoît mal ces objets de comparaison. C'est le plus ou le moins de justesse, de force, d'étendue dans l'esprit, de sensibilité dans l'ame, de chaleur dans l'imagination, qui marque les degrés de perfection entre les modeles, & les rangs parmi les critiques. Tous les Arts n'exigent pas ces qualités réunies dans une égale proportion ; dans les uns l'organe décide, l'imagination dans les autres, le sentiment dans la plûpart ; & l'esprit qui influe sur tous, ne préside sur aucun.

Dans l'Architecture & l'Harmonie, le type intellectuel que le critique est obligé de se former, exige une étude d'autant plus profonde des possibles, & pour en déterminer le choix, une connoissance d'autant plus précise du rapport des objets avec nos organes, que les beautés physiques de ces deux arts n'ont pour arbitre que le goût, c'est-à-dire ce tact de l'ame, cette faculté innée ou acquise de saisir & de préférer le beau, espece d'instinct qui juge les regles & qui n'en a point. Il n'en a point en harmonie : la résonnance du corps sonore indique les proportions ; mais c'est à l'oreille à nous guider dans le mêlange des accords. Il n'en a point en Architecture : tant qu'elle s'est bornée à nos besoins, elle a pû se modeler sur les productions naturelles ; mais dès qu'on a voulu joindre la décoration à la solidité, l'imagination a créé les formes, & l'oeil en a fixé le choix. La premiere cabane, qui ne fut elle-même qu'un essai de l'industrie éclairée par le besoin, avoit si l'on veut pour appuis quelques pieux enfoncés dans la terre, ces pieux soûtenoient des traverses, & celles-ci portoient des chevrons chargés d'un toît. Mais de bonne-foi peut-on tirer de ce modele brute les proportions des colonnes, de l'entablement & du fronton ?

Le sentiment du beau physique, soit en Architecture, soit en Harmonie, dépend donc essentiellement du rapport des objets avec nos organes ; & le point essentiel pour le critique, est de s'assûrer du témoignage de ses sens. Le critique ignorant n'en doute jamais. Le critique subalterne consulte ceux qui l'environnent, & croit bien voir & bien entendre lorsqu'il voit & entend comme eux. Le critique supérieur consulte le goût des différens peuples ; il les trouve divisés sur des ornemens de caprice ; il les voit réunis sur des beautés essentielles qui ne vieillissent jamais, & dont les débris ont le charme de la nouveauté ; il se replie sur lui-même, & par l'impression plus ou moins vive qu'ont faites sur lui ces beautés, il s'assûre ou se défie du rapport de ses organes. Dès-lors il peut former son modele intellectuel de ce qui l'affecte le plus dans les modeles existans, suppléer au défaut de l'un par les beautés de l'autre, & se disposer ainsi à juger non-seulement des faits par les faits, mais encore par les possibles. Dans l'Architecture, il dépouillera le gothique de ses ornemens puériles, mais il adoptera la coupe hardie, majestueuse, & legere de ses voûtes, qu'il revêtira des beautés simples & mâles du grec : dans celui-ci, il joindra la frise ionique à la colonne dorique, la base dorique au chapiteau corinthien, à ce chapiteau si élégant, si noble, & si contraire à la vraisemblance. Il aura recours au compas & au calcul pour proportionner les hauteurs aux bases, & les supports aux fardeaux ; mais dans le détail des ornemens, il jugera d'un coup-d'oeil les rapports de l'ensemble, sans exiger qu'on fasse du triglif un quarré long, du metope un quarré parfait, &c. bisarrerie d'usage, tyrannie de l'habitude, que la stérilité & la paresse ont érigée en inviolable loi.

Il usera de la même liberté dans la composition de son modele en Harmonie ; il tirera du phénomene donné par la nature, l'origine des accords ; il les suivra dans leur génération, il observera leurs progrès, il développera leur mêlange, il appliquera la théorie à la pratique ; & soûmettant l'une & l'autre au jugement de l'oreille, il sacrifiera les détails à l'ensemble, & les regles au sentiment. L'Harmonie ainsi réduite à la beauté physique des accords, & bornée à la simple émotion de l'organe, n'exige donc, comme l'Architecture, qu'un sens exercé par l'étude, éprouvé par l'usage, docile à l'expérience, & rebelle à l'opinion.

Mais dès que la mélodie vient donner de l'ame & du caractere à l'Harmonie, au jugement de l'oreille se joint celui de l'imagination, du sentiment, de l'esprit lui-même. La Musique devient un langage expressif, une imitation vive & touchante : dès-lors c'est avec la Poésie que ses principes lui sont communs, & l'art de les juger est le même. Des sons articulés dans l'une, dans l'autre des sons modulés, dans toutes les deux le nombre & le mouvement, concourent à peindre la nature. Et si l'on demande quelle est la Musique & la Poésie par excellence, c'est la poésie ou la musique qui peint le plus & qui exprime le mieux. Voyez ACCORD, ACCOMPAGNEMENT, HARMONIE, MUSIQUE, MELODIE, MESURE, MODULATION, MOUVEMENT, &c.

Dans la Sculpture & la Peinture, c'est peu d'étudier la nature en elle-même, modele toûjours imparfait ; c'est peu d'étudier les productions de l'art, modeles toûjours plus froids que la nature. Il faut prendre de l'un ce qui manque à l'autre, & se former un ensemble des différentes parties où ils se surpassent mutuellement. Or, sans parler des sources où l'artiste & le connoisseur doivent puiser l'idée du beau, relative au choix des sujets, au caractere des passions, à la composition & à l'ordonnance ; combien la seule étude du physique dans ces deux arts ne suppose-t-elle pas d'épreuves & d'observations ? que d'études pour la partie du dessein ! Qu'on demande à nos prétendus connoisseurs où ils ont observé, par exemple, le méchanisme du corps humain, la combinaison & le jeu des nerfs, le gonflement, la tension, la contraction des muscles, la direction des forces, les points d'appui, &c. Ils seront aussi embarrassés dans leur réponse, qu'ils le sont peu dans leurs décisions. Qu'on leur demande où ils ont observé tous les reflets, toutes les gradations, tous les contrastes des couleurs, tous les tons, tous les coups de lumiere possibles, étude sans laquelle on est hors d'état de parler du coloris. Un peintre aussi connu par les sacrifices qu'il a faits à la perfection de son art, que par la force & la vérité qui caractérisent ses ouvrages, M. de la Tour, vouloit exprimer dans un de ses tableaux l'application d'un homme absorbé dans l'étude. Il a imaginé de le peindre éclairé par deux bougies, dont l'une fond & s'éteint sans qu'il s'en apperçoive. Combien, de l'aveu même de l'artiste, pour saisir cet accident il a fallu voir couler de bougies ? Or si un homme accoûtumé à épier & à surprendre la nature a tant de peine à l'imiter, quel est le connoisseur qui peut se flatter de l'avoir assez bien vûe pour en critiquer l'imitation ? C'est une chose étrange que la hardiesse avec laquelle on se donne pour juge de la belle nature, dans quelque situation que le peintre ou le sculpteur ait pû l'imaginer & la saisir. Celui-ci après avoir employé la moitié de sa vie à l'étude de son art, n'ose se fier aux modeles que sa mémoire a recueillis, & que son imagination lui retrace ; il a cent fois recours à la nature pour se corriger d'après elle : il vient un critique plein de confiance, qui le juge d'un coup-d'oeil : ce critique a-t-il étudié l'art ou la nature ? aussi peu l'un que l'autre : mais il a des statues & des tableaux, & avec eux il prétend avoir acquis le talent de s'y connoître. On voit de ces connoisseurs se pâmer devant un ancien tableau dont ils admirent le clair-obscur : le hasard fait qu'on leve la bordure ; le vrai coloris mieux conservé se découvre dans un coin ; & ce ton de couleur si admiré se trouve une couche de fumée.

Nous savons qu'il est des amateurs versés dans l'étude des grands maîtres, qui en ont saisi la maniere, qui en connoissent la touche, qui en distinguent le coloris : c'est beaucoup pour qui ne veut que joüir, mais c'est bien peu pour qui ose juger : on ne juge point un tableau d'après des tableaux. Quelque plein qu'on soit de Raphael, on sera neuf devant le Guide. Bien plus, les Forces du Guide, malgré l'analogie du genre, ne seront point une regle sûre pour critiquer le Milon du Puget, ou le Gladiateur mourant. La nature varie sans-cesse : chaque position, chaque action différente la modifie diversement : c'est donc la nature qu'il faut avoir étudiée sous telle & telle face pour en juger l'imitation. Mais la nature elle-même est imparfaite, il faut donc aussi avoir étudié les chefs-d'oeuvres de l'art, pour être en état de critiquer en même tems & l'imitation & le modele.

Cependant les difficultés que présente la critique dans les Arts dont nous venons de parler, n'approchent pas de celles que réunit la critique littéraire.

Dans l'histoire, aux lumieres profondes que nous avons exigées du critique pour la partie de l'érudition, se joint pour la partie purement littéraire, l'étude moins étendue, mais non moins refléchie, de la majestueuse simplicité du style, de la netteté, de la décence, de la rapidité de la narration ; de l'apropos & du choix des réflexions & des portraits, ornemens puériles dès qu'on les affecte & qu'on les prodigue ; enfin de cette éloquence mâle, précise, & naturelle, qui ne peint les grands hommes & les grandes choses que de leurs propres couleurs, qualités qui mettent si fort Tacite & Salluste au-dessus de Tite-Live & de Quinte-Curce. Ce n'est que de cet assemblage de connoissances & de goût, que se forme un critique supérieur dans le genre historique : que seroit-ce si le même homme prétendoit embrasser en même tems la partie de l'Eloquence & celle de la Morale ?

Ces deux genres, soit que renfermés en eux-mêmes, ils se nourrissent de leur propre substance, soit qu'ils se pénetrent l'un l'autre & s'animent mutuellement, soit que répandus dans les autres genres de littérature comme un feu élémentaire, ils y portent la vie & la fécondité ; ces deux genres dans tous les cas, ont pour objet de rendre la vérité sensible & la vertu aimable.

C'est un talent donné à peu de personnes, & que peu de personnes sont en état de critiquer. L'esprit n'en est qu'un demi-juge. Il connoît l'art de convaincre, non celui de persuader ; l'art de séduire, non celui d'émouvoir. L'esprit peut critiquer un rhéteur subtil ; mais le coeur seul peut juger un philosophe éloquent. Le critique en éloquence & en morale doit donc avoir en lui ce principe de sensibilité & de droiture, qui fait concevoir & produire avec force les vérités dont on se pénetre : ce principe de noblesse & d'élévation qui excite en nous l'enthousiasme de la vertu, & qui seul embrasse tous les possibles dans l'art d'intéresser pour elle. Si la vertu pouvoit se rendre visible aux hommes, a dit un philosophe, elle paroîtroit si touchante & si belle, que personne ne pourroit lui résister : c'est ainsi que doit la concevoir & celui qui la peint & celui qui en critique la peinture.

La fausse éloquence est également facile à professer & à pratiquer : des figures entassées, de grands mots qui ne disent rien de grand, des mouvemens empruntés, qui ne partent jamais du coeur & qui n'y arrivent jamais, ne supposent ni dans l'auteur ni dans le connoisseur aucune élevation dans l'esprit, aucune sensibilité dans l'ame : mais la vraie éloquence étant l'émanation d'une ame à la fois simple, forte, grande, & sensible, il faut réunir toutes ces qualités pour y exceller, & pour savoir comment on y excelle. Il s'ensuit qu'un grand critique en éloquence, doit être éloquent lui-même. Osons le dire à l'avantage des ames sensibles, celui qui se pénetre vivement du beau, du touchant, du sublime, n'est pas loin de l'exprimer ; & l'ame qui en reçoit le sentiment avec une certaine chaleur, peut à son tour le produire. Cette disposition à la vraie éloquence ne comprend ni les avantages de l'élocution, ni cette harmonie entre le geste, le ton, & le visage qui compose l'éloquence extérieure (Voyez DECLAMATION). Il s'agit ici d'une éloquence interne, qui se fait jour à-travers le langage le plus inculte & la plus grossiere expression ; il s'agit de l'éloquence du paysan du Danube, dont la rustique sublimité fait si peu d'honneur à l'art, & en fait tant à la nature ; de cette éloquence sans laquelle l'orateur n'est qu'un déclamateur, & le critique qu'un froid Aristarque.

Par la même raison un critique en Morale doit avoir en lui, sinon les vertus pratiques, du moins le germe de ces vertus. Il n'arrive que trop souvent que les moeurs d'un homme éclairé sont en contradiction avec ses principes, quelquefois avec ses sentimens. Il n'est donc pas essentiel au critique en Morale d'être vertueux, il suffit qu'il soit né pour l'être ; mais alors, quel métier que celui du critique ? avoir à se condamner sans-cesse en approuvant les gens de bien ! Cependant il ne seroit pas à souhaiter que le critique en Morale fût exempt de passions & de foiblesses : il faut juger les hommes en homme vertueux, mais en homme ; se connoître, connoître ses semblables, & savoir ce qu'ils peuvent avant d'examiner ce qu'ils doivent ; se mettre à la place d'un pere, d'un fils, d'un ami, d'un citoyen, d'un sujet, d'un roi lui-même, & dans la balance de leurs devoirs, peser les vices & les vertus de leur état ; concilier la nature avec la société, mesurer leurs droits & en marquer les limites, rapprocher l'intérêt personnel du bien général, être enfin le juge & non le tyran de l'humanité : tel seroit l'emploi d'un critique supérieur dans cette partie ; emploi difficile & important, sur-tout dans l'examen de l'Histoire.

C'est-là qu'il seroit à souhaiter qu'un philosophe aussi ferme qu'éclairé, osât appeller au tribunal de la vérité, des jugemens que la flaterie & l'intérêt ont prononcés dans tous les siecles. Rien n'est plus commun dans les annales du monde, que les vices & les vertus contraires mis au même rang. La modération d'un roi juste, & l'ambition effrénée d'un usurpateur ; la sévérité de Manlius envers son fils, & l'indulgence de Fabius pour le sien ; la soûmission de Socrate aux lois de l'aréopage, & la hauteur de Scipion devant le tribunal des comices, ont eu leurs apologistes & leurs censeurs. Par-là l'Histoire, dans sa partie morale, est une espece de labyrinthe où l'opinion du lecteur ne cesse de s'égarer ; c'est un guide qui lui manque : or ce guide seroit un critique capable de distinguer la vérité de l'opinion, le droit de l'autorité, le devoir de l'intérêt, la vertu de la gloire elle-même ; en un mot de réduire l'homme quel qu'il fût, à la condition de citoyen ; condition qui est la base des lois, la regle des moeurs, & dont aucun homme en société n'eut jamais droit de s'affranchir. Voyez CITOYEN.

Le critique doit aller plus loin contre le préjugé ; il doit considérer non-seulement chaque homme en particulier, mais encore chaque république comme citoyenne de la terre, & attachée aux autres parties de ce grand corps politique, par les mêmes devoirs qui lui attachent à elle-même les membres dont elle est formée : il ne doit voir la société en général, que comme un arbre immense dont chaque homme est un rameau, chaque république une branche, & dont l'humanité est le tronc. De-là le droit particulier & le droit public, que l'ambition seule a distingués, & qui ne sont l'un & l'autre que le droit naturel plus ou moins étendu, mais soumis aux mêmes principes. Ainsi le critique jugeroit non-seulement chaque homme en particulier suivant les moeurs de son siecle & les lois de son pays, mais encore les lois & les moeurs de tous les pays & de tous les siecles, suivant les principes invariables de l'équité naturelle.

Quelle que soit la difficulté de ce genre de critique, elle seroit bien compensée par son utilité : quand il seroit vrai, comme Bayle l'a prétendu, que l'opinion n'influât point sur les moeurs privées, il est du moins incontestable qu'elle décide des actions publiques. Par exemple, il n'est point de préjugé plus généralement ni plus profondément enraciné dans l'opinion des hommes, que la gloire attachée au titre de conquérant ; toutefois nous ne craignons point d'avancer que, si dans tous les tems, les Philosophes, les Historiens, les Orateurs, les Poëtes, en un mot les dépositaires de la réputation & les dispensateurs de la gloire, s'étoient réunis pour attacher aux horreurs d'une guerre injuste le même opprobre qu'au larcin & qu'à l'assassinat, on eût peu vû de brigands illustres. Malheureusement les Philosophes ne connoissent pas assez leur ascendant sur les esprits : divisés, ils ne peuvent rien ; réunis, ils peuvent tout à la longue : ils ont pour eux la vérité, la justice, la raison, & ce qui est plus fort encore, l'intérêt de l'humanité dont ils défendent la cause.

Montagne moins irrésolu, eût été un excellent critique dans la partie morale de l'Histoire : mais peu ferme dans ses principes, il chancelle dans les conséquences ; son imagination trop féconde étoit pour sa raison, ce qu'est pour les yeux un crystal à plusieurs faces, qui rend douteux l'objet véritable à force de le multiplier.

L'auteur de l'esprit des lois est le critique dont l'Histoire auroit besoin dans cette partie : nous le citons quoique vivant ; car il est trop pénible & trop injuste d'attendre la mort des grands hommes pour parler d'eux en liberté.

Quoique le modele intellectuel d'après lequel un critique supérieur juge la Morale & l'Eloquence, entre essentiellement dans le modele auquel doit se rapporter la Poésie, il s'en faut bien qu'il suffise à la perfection de celui-ci : combien le modele de la Poésie en général n'embrasse-t-il pas de genres différens & de modeles particuliers ? Bornons-nous au poëme dramatique & à l'épopée.

Dans la comédie, quel usage du monde, quelle connoissance de tous les états ! combien de vices, de passions, de travers, de ridicules à observer, à analyser, à combiner, dans tous les rapports, dans toutes les situations, sous toutes les faces possibles ! combien de caracteres ! combien de nuances dans le même caractere ! combien de traits à recueillir, de contrastes à rapprocher ! quelle étude pour former le seul tableau du Misantrope ou du Tartuffe ! quelle étude pour être en état de le juger ! Ici les regles de l'art sont la partie la moins importante : c'est à la vérité de l'expression, à la force des touches, au choix des situations & des oppositions, que le critique doit s'attacher ; il doit donc juger la comédie d'après les originaux ; & ses originaux ne sont pas dans l'art, mais dans la nature. L'avare de Moliere n'est point l'avare de Plaute ; ce n'est pas même tel avare en particulier, mais un assemblage de traits répandus dans cette espece de caractere ; & le critique a dû les recueillir pour juger l'ensemble, comme l'auteur pour le composer. Voyez COMEDIE.

Dans la tragédie, à l'observation de la nature se joignent dans un plus haut degré que dans la comédie, l'imagination & le sentiment ; & ce dernier y domine. Ce ne sont plus des caracteres communs ni des évenemens familiers que l'auteur s'est proposé de rendre ; c'est la nature dans ses plus grandes proportions, & telle qu'elle a été quelquefois lorsqu'elle a fait des efforts pour produire des hommes & des choses extraordinaires. Voyez TRAGEDIE. Ce n'est point la nature reposée, mais la nature en contradiction, & dans cet état de souffrance où la mettent les passions violentes, les grands dangers, & l'excès du malheur. Où en est le modele ? Est-ce dans le cours tranquille de la société ? Un ruisseau ne donne point l'idée d'un torrent, ni le calme l'idée de la tempête. Est-ce dans les tragédies existantes ? Il n'en est aucune dont les beautés forment un modele générique : on ne peut juger Cinna d'après Oedipe, ni Athalie d'après Cinna. Est-ce dans l'Histoire ? Outre qu'elle nous présenteroit en vain ce modele, si nous n'avions en nous dequoi le reconnoître & le saisir ; tout évenement, toute situation, tout personnage héroïque ne peut avoir qu'un caractere de beauté qui lui est propre, & qui ne sauroit s'appliquer à ce qui n'est pas lui ; à moins cependant que, remplis d'un grand nombre de modeles particuliers, l'imagination & le sentiment n'en généralisent en nous l'idée. C'est de cette étude consommée que s'exprime, pour ainsi dire, le chyle dont l'ame du critique se nourrit, & qui changé en sa propre substance, forme en lui ce modele intellectuel, digne production du génie. C'est sur-tout dans cette partie que se ressemblent l'orateur, le poëte, le musicien, & par conséquent les critiques superieurs en Eloquence, en Poésie, & en Musique : car on ne sauroit trop insister sur ce principe, que le sentiment seul peut juger le sentiment ; & que soumettre le pathétique au jugement de l'esprit, c'est vouloir rendre l'oreille arbitre des couleurs, & l'oeil juge de l'harmonie.

Le même modele intellectuel auquel un critique supérieur rapporte la tragédie, doit s'appliquer à la partie dramatique de l'épopée : dès que le poëte épique fait parler ses personnages, l'épopée ne différant plus de la tragédie que par le tissu de l'action, les moeurs, les sentimens, les caracteres, sont les mêmes que dans la tragédie, & le modele en est commun. Mais lorsque le poëte paroît & prend la place de ses personnages, l'action devient purement épique : c'est un homme inspiré aux yeux duquel tout s'anime ; les êtres insensibles prennent une ame ; les abstraits, une forme & des couleurs ; le souffle du génie donne à la nature une vie & une face nouvelle ; tantôt il l'embellit par ses peintures, tantôt il la trouble par ses prestiges & en renverse toutes les lois ; il franchit les limites du monde ; il s'éleve dans les espaces immenses du merveilleux ; il crée de nouvelles spheres : les cieux ne peuvent le contenir ; & il faut avoüer que le génie de la Poésie considéré sous ce point de vûe, est le moins absurde des dieux qu'ait adoré l'antiquité payenne. Qui osera le suivre dans son enthousiasme, si ce n'est celui qui l'éprouve ? Est-ce à la froide raison à guider l'imagination dans son ivresse ? Le goût timide & tranquille viendra-t-il lui présenter le frein ? O vous ! qui voulez voir ce que peut la Poésie dans sa chaleur & dans sa force, laissez bondir en liberté ce coursier fougueux ; il n'est jamais si beau que dans ses écarts ; le manége ne feroit que ralentir son ardeur, & contraindre l'aisance noble de ses mouvemens : livré à lui-même, il se précipitera quelquefois ; mais il conservera, même dans sa chûte, cette fierté & cette audace qu'il perdroit avec la liberté. Prescrivez au sonnet & au madrigal des regles gênantes ; mais laissez à l'épopée une carriere sans bornes ; le génie n'en connoît point : c'est en grand qu'on doit critiquer les grandes choses ; il faut donc les concevoir en grand, c'est-à-dire, avec la même force, la même élevation, la même chaleur qu'elles ont été produites. Pour cela il faut en puiser le modele, non dans les beautés de la nature, non dans les productions de l'art, mais dans l'une & l'autre savamment approfondies, & sur-tout dans une ame vivement pénétrée du beau, dans une imagination assez active & assez hardie, pour parcourir la carriere immense des possibles dans l'art de plaire & de toucher.

Il suit des principes que nous venons d'établir, qu'il n'y a de critique universellement supérieur que le public, plus ou moins éclairé suivant les pays & les siecles, mais toûjours respectable en ce qu'il comprend les meilleurs juges dans tous les genres, dont les opinions préponderantes l'emportent, & se réunissent à la longue pour former l'avis général. Le public est comme un fleuve qui coule sans-cesse, & qui dépose son limon. Le tems vient où ses eaux pures sont le miroir le plus fidele que puissent consulter les Arts.

A l'égard des particuliers qui n'ont que des prétentions pour titres, la liberté de se tromper avec confiance est un privilége auquel ils doivent se borner, & nous n'avons garde d'y porter atteinte.

On peut nous opposer que l'on naît avec le talent de la critique. Oui, comme on naît poëte, historien, orateur, c'est-à-dire avec des dispositions à le devenir par l'exercice & l'étude.

Enfin l'on peut nous demander, si sans toutes les qualités que nous exigeons, les Arts & la Littérature n'ont pas eu d'excellens juges. C'est une question de fait sur les Arts ; nous nous en rapportons aux artistes. Quant à la Litterature, nous osons répondre qu'elle a eu peu de critiques supérieurs, & moins encore qui ayent excellé en différentes parties.

On n'entreprend point d'en marquer les classes. Nous avons indiqué les principes ; c'est au lecteur à les appliquer : il sait à quel poids il doit peser Cicéron, Longin, Petrone, Quintilien, en fait d'éloquence ; Aristote, Horace, & Pope, en fait de Poésie : mais ce que nous aurons le courage d'avancer, quoique bien sûrs d'être contredits par le bas peuple des critiques, c'est que Boileau, à qui la versification & la langue sont en partie redevables de leur pureté, Boileau, l'un des hommes de son siecle qui avoit le plus étudié les anciens, & qui possedoit le mieux l'art de mettre leurs beautés en oeuvre ; Boileau n'a jamais bien jugé que par comparaison. De-là vient qu'il a rendu justice à Racine, l'heureux imitateur d'Euripide, & qu'il a méprisé Quinault, & loüé froidement Corneille, qui ne ressembloient à rien, sans parler du Tasse qu'il ne connoissoit point ou qu'il n'a jamais bien senti. Et comment Boileau qui a si peu imaginé, auroit-il été un bon juge dans la partie de l'imagination ? Comment auroit-il été un vrai connoisseur dans la partie du pathétique, lui à qui il n'est jamais échappé un trait de sentiment dans tout ce qu'il a pû produire ? Qu'on ne dise pas que le genre de ses oeuvres n'en étoit pas susceptible. Le sentiment & l'imagination savent bien s'épancher quand ils abondent dans l'ame. L'imagination qui dominoit dans Malebranche, l'a entraîné malgré lui dans ce qu'il appelloit la recherche de la vérité, & il n'a pû s'empêcher de s'y livrer dans le genre d'écrit où il étoit le plus dangereux de la suivre. C'est ainsi que les fables de la Fontaine (cet auteur dont Boileau n'a pas dit un mot dans son Art poétique) sont semées de traits aussi touchans que délicats, de ces traits qui échappent naturellement à l'auteur sans qu'il s'en apperçoive & qu'on s'y attende, & qui sont moins des émanations du sujet, que des saillies de caractere & des élancemens de génie.

Les critiques qui n'en ont pas eu le germe en eux-mêmes, trop foibles pour se former des modeles intellectuels, ont tout rapporté aux modeles existans ; c'est ainsi qu'on a jugé Virgile, Lucain, le Tasse, & Milton, sur les regles tracées d'après Homere : Racine & Corneille sur les regles tracées d'après Euripide & Sophocle. Les premiers ont réuni les suffrages de tous les siecles. On en conclut qu'on ne peut plaire qu'en suivant la route qu'ils ont tenue : mais chacun d'eux a suivi une route différente ; qu'ont fait les critiques ? Ils ont fait, dit l'auteur de la Henriade, comme les Astronomes, qui inventoient tous les jours des cercles imaginaires, & créoient ou anéantissoient un ciel ou deux de crystal à la moindre difficulté. Combien l'esprit didactique, si on vouloit l'en croire, ne retréciroit-il pas la carriere du génie ? " Allez au grand, vous dira un critique supérieur, il n'importe par quelle voie ", non qu'il permette de négliger l'étude des modeles anciens dans la composition, ni qu'il la néglige lui-même dans sa critique ; il vous dira avec Horace,

Vos exemplaria graeca

Nocturnâ versate manu, versate diurnâ.

Mais avec Horace il vous dira aussi,

O imitatores, servum pecus.

Il ajoûtera, " que votre narration soit claire & noble ; que le tissu de votre poëme n'ait rien de forcé ; que les extrémités & le milieu se répondent ; que les caracteres annoncés se soûtiennent jusqu'au bout. Ecartez de votre action tout détail froid, tout ornement superflu. Intéressez par la suspension des évenemens ou par la surprise qu'ils causent : parlez à l'ame : peignez à l'imagination ; pénétrez-vous pour nous toucher ". Il ne vous dira pas " qu'elle soit importante ou non, pourvû que vos personnages soient illustres ; car Horace n'exclud que la bassesse des personnages, & dans les deux poëmes d'Homere l'action en elle-même n'a rien de grand (le P. le Bossu, l. II. c. xjx.). Que l'action de votre poëme ne dure pas moins de 40 jours, ni plus d'un an ; car celle de l'Iliade dure 40 jours, & l'on peut borner à un an celle de l'Odissée & de l'Enéide ; que celle de vos tragédies soit supposée se passer dans une même enceinte ; car c'est ainsi que Sophocle & Euripide l'ont pratiqué quelquefois. Gardez-vous de faire un poëme sans merveilleux ; car au défaut du merveilleux, le poëme de Lucain n'est pas un poëme épique : mais il vous dira, " puisez dans ces modeles & dans la nature l'idée & le sentiment du vrai, du grand, du pathétique, & employez-les suivant l'impulsion de votre génie, & la disposition de vos sujets. Dans la tragédie, l'illusion & l'intérêt, voilà vos regles ; sacrifiez tout le reste à la noblesse du dessein & à la hardiesse du pinceau ; ne méprisez pas les regles tracées d'après les anciens ; car elles renferment des moyens de toucher & de plaire : mais n'en soyez pas esclave ; car elles ne renferment que quelques-uns de ces moyens ; elles sont bonnes, mais elles ne sont pas exclusives. Le Cid n'est point suivant les regles d'Aristote, & n'en est pas moins une très-belle tragédie. Les unités ne sont observées ni dans Machbet ni dans Otello. Les Anglois n'y pleurent & n'y frémissent pas moins ; leur théatre a des grossieretés barbares, mais il a des traits de force & de chaleur, qu'une vaine délicatesse & une séverité mal entendue ne nous permettent que d'envier.

Dans le poëme épique, passez-vous du merveilleux comme Lucain, si comme lui vous avez de grands hommes à faire parler & agir. Imitez l'élevation de ce poëte, évitez son enflure & laissez donner à votre poëme le nom qu'il plaira à ceux qui disputent sur les mots. Faites durer votre action le tems qu'elle a dû naturellement durer ; pourvû qu'elle soit une, pleine, & intéressante, elle finira trop tôt. Fondez la grandeur de vos personnages sur leur caractere, & non sur leurs titres ; un grand nom n'annoblit point une action, comme une action héroïque annoblira le nom le plus obscur. En un mot, touchez comme Euripide, étonnez comme Sophocle, peignez comme Homere, & composez d'après vous. Ces maîtres n'ont point eu de regles, ils n'en ont été que plus grands, & ils n'ont acquis le droit de commander, que parce qu'ils n'ont jamais obéi. Il en est tout autrement en Littérature qu'en Politique, le talent qui a besoin de subir des lois n'en donnera jamais ".

C'est ainsi que le critique supérieur laisse au génie toute sa liberté ; il ne lui demande que de grandes choses, & il l'encourage à les produire. Le critique subalterne l'accoûtume au joug des regles, il n'en exige que l'exactitude, & il n'en tire qu'une obéissance froide & qu'une servile imitation. C'est de cette espece de critique, qu'un auteur que nous ne saurions assez citer en fait de goût, a dit, ils ont laborieusement écrit des volumes sur quelques lignes que l'imagination des poëtes a créées en se joüant.

Qu'on ne soit donc plus surpris, si à mesure que le goût devient plus difficile, l'imagination devient plus timide & plus froide, & si presque tous les grands génies depuis Homere jusqu'à Lucrece, depuis Lucrece jusqu'à Milton & à Corneille, semblent avoir choisi, pour s'élever, les tems où l'ignorance leur laissoit une libre carriere. Nous ne citerons qu'un exemple des avantages de cette liberté. Corneille eût sacrifié la plûpart des beautés de ses pieces, & eût même abandonné quelques-uns de ses plus beaux sujets, tels que celui des Horaces, s'il eût été aussi severe dans sa composition qu'il l'a été dans ses examens ; mais heureusement il composoit d'après lui, & se jugeoit d'après Aristote. Le bon goût, nous dira-t-on, est donc un obstacle au génie ? Non, sans doute ; car le bon goût est un sentiment courageux & mâle qui aime sur-tout les grandes choses, & qui échauffe le génie en même tems qu'il l'éclaire. Le goût qui le gêne & qui l'amollit, est un goût craintif & puérile qui veut tout polir & qui affoiblit tout. L'un veut des ouvrages hardiment conçus, l'autre en veut de scrupuleusement finis ; l'un est le goût du critique supérieur, l'autre est le goût du critique subalterne.

Mais autant que le critique supérieur est au-dessus du critique subalterne, autant celui-ci l'emporte sur le critique ignorant. Ce que celui-ci sait d'un genre, est à son avis tout ce qu'on en peut savoir ; renfermé dans sa sphere, sa vûe est pour lui la mesure des possibles ; dépourvû de modeles & d'objets de comparaison, il rapporte tout à lui même ; par-là tout ce qui est hardi lui paroît hasardé, tout ce qui est grand lui paroît gigantesque. C'est un nain contrefait qui juge d'après ses proportions une statue d'Antinoüs ou d'Hercule. Les derniers de cette derniere classe sont ceux qui attaquent tous les jours ce que nous avons de meilleur, qui louent ce que nous avons de plus mauvais, & qui font, de la noble profession des Lettres, un métier aussi lâche & aussi méprisable qu'eux-mêmes (M. de Voltaire dans les Mensonges imprimés). Cependant comme ce qu'on méprise le plus, n'est pas toûjours ce qu'on aime le moins, on a vû le tems où ils ne manquoient ni de lecteurs ni de Mecenes. Les magistrats eux-mêmes cédant au goût d'un certain public, avoient la foiblesse de laisser à ces brigands de la Litterature une pleine & entiere licence. Il est vrai qu'on accordoit aux auteurs poursuivis, la liberté de se défendre, c'est-à-dire d'illustrer leurs critiques, & de s'avilir, mais peu d'entre les hommes célebres ont donné dans ce piége. Le sage Racine disoit de ces petits auteurs infortunés (car il y en avoit aussi de son tems), ils attendent toûjours l'occasion de quelqu'ouvrage qui réussisse, pour l'attaquer ; non point par jalousie, car sur quel fondement seroient-ils jaloux ? mais dans l'espérance qu'on se donnera la peine de leur répondre, & qu'on les tirera de l'obscurité où leurs propres ouvrages les auroient laissés toute leur vie. Sans-doute ils seront obscurs dans tous les siecles éclairés ; mais dans les tems où regnera l'ignorance orgueilleuse & jalouse, ils auront pour eux le grand nombre & le parti le plus bruyant ; ils auront sur-tout pour eux cette espece de personnages stupides & vains, qui regardent les gens de lettres comme des bêtes féroces destinées à l'amphitéatre pour l'amusement des hommes ; image qui, pour être juste, n'a besoin que d'une inversion. Cependant si les auteurs outragés sont trop au-dessus des insultes pour y être sensibles, s'ils conservent leur réputation dans l'opinion des vrais juges ; au milieu des nuages dont la basse envie s'efforce de l'obscurcir, la multitude n'en recevra pas moins l'impression du mépris qu'on aura voulu répandre sur les talens, & l'on verra peu-à-peu s'affoiblir dans les esprits cette considération universelle, la plus digne récompense des travaux littéraires, le germe & l'aliment de l'émulation.

Nous parlons ici de ce qui est arrivé dans les différentes époques de la Littérature, & de ce qui arrivera sur-tout, lorsque le beau, le grand, le sérieux en tout genre, n'ayant plus d'asyle que dans les bibliotheques & auprès d'un petit nombre de vrais amateurs, laisseront le public en proie à la contagion des froids romans, des farces insipides, & des sottises polémiques.

Quant à ce qui se passe de nos jours, nous y tenons de trop près pour en parler en liberté ; nos loüanges & nos censures paroîtroient également suspectes. Le silence nous convient d'autant mieux à ce sujet, qu'il est fondé sur l'exemple des Fontenelle, des Montesquieu, des Buffon, & de tous ceux qui leur ressemblent. Mais si quelque trait de cette barbarie que nous venons de peindre, peut s'appliquer à quelques-uns de nos contemporains, loin de nous retracter, nous nous applaudirons d'avoir présenté ce tableau à quiconque rougira ou ne rougira point de s'y reconnoître. Peut-être trouvera-t-on mauvais que dans un ouvrage de la forme de celui-ci, nous soyons entrés dans ce détail ; mais la vérité vient toûjours à-propos dès qu'elle peut être utile. Nous avoüerons, si l'on veut, qu'elle eût pû mieux choisir sa place ; mais par malheur elle n'a point à choisir.

Qu'il nous soit permis de terminer cet article par un souhait que l'amour des Lettres nous inspire, & que nous avons fait autrefois pour nous-mêmes. On voyoit à Sparte les vieillards assister aux exercices de la jeunesse, l'animer par l'exemple de leur vie passée, la corriger par leurs reproches, & l'instruire par leurs leçons. Quel avantage pour la république littéraire, si les auteurs blanchis dans de savantes veilles, après s'être mis par leurs travaux au-dessus de la rivalité & des foiblesses de la jalousie, daignoient présider aux essais des jeunes gens, & les guider dans la carriere ; si ces maîtres de l'art en devenoient les critiques ; si, par exemple, les auteurs de Rhadamiste & d'Alzire vouloient bien examiner les ouvrages de leurs éleves qui annonceroient quelque talent : au lieu de ces extraits mutilés, de ces analyses seches, de ces décisions ineptes, où l'on ne voit pas même les premieres notions de l'art, on auroit des jugemens éclairés par l'expérience & prononcés par la justice. Le nom seul du critique inspireroit du respect, l'encouragement seroit à côté de la correction ; l'homme consommé verroit d'où le jeune homme est parti, où il a voulu arriver ; s'il s'est égaré dès le premier pas ou sur la route, dans le choix ou dans la disposition du sujet, dans le dessein ou dans l'exécution : il lui marqueroit le point où a commencé son erreur, il le rameneroit sur ses pas ; il lui feroit appercevoir les écueils où il s'est brisé, & les détours qu'il avoit à prendre ; enfin il lui enseigneroit non-seulement en quoi il a mal fait, mais comment il eût pû mieux faire, & le public profiteroit des leçons données au poëte. Cette espece de critique, loin d'humilier les auteurs, seroit une distinction flateuse pour leurs talens & pour leurs ouvrages ; on y verroit un pere qui corrigeroit son enfant avec une tendre sévérité, & qui pourroit écrire à la tête de ses conseils :

Disce puer virtutem ex me, verumque laborem.

Cet article est de M. MARMONTEL.


CRIVITZ(Géographie) ville d'Allemagne dans la basse-Saxe, au duché de Meklembourg, dans le comté de Schwerin.


CROATIE(Géog.) pays de Hongrie borné par l'Esclavonie, la Bosnie, la Dalmatie, le golfe de Venise & la Carniole. Il est presqu'entierement sous la domination de la maison d'Autriche ; le gouverneur qu'elle y établit, se nomme le ban de Croatie. Ce pays est fort exposé aux invasions des Turcs.


CROCS. m. (Ustensile de ménage) fer recourbé qui a une ou plusieurs pointes crochues, auxquelles on suspend de la viande de boucherie, de la volaille, &c. Ce terme a d'autres acceptions. V. les art. suiv.

CROC DE CANDELETTE, (Mar.) c'est un grand croc de fer avec lequel on prend l'ancre qui est tirée de l'eau, pour la remettre en sa place.

Crocs de palans ; ce sont deux crocs de fer qui sont mis à chaque bout d'une corde fort courte que l'on met au bout du palan, lorsqu'on a quelque chose à embarquer.

Crocs de palans de canon ; ce sont aussi des crocs de fer mis à chaque bout de ces palans, leur usage est de croquer à l'erse de l'affût, ou à un autre croc qui est à chaque côté du sabord.

Crocs de palanquin ; ce sont de petits crocs de fer qui servent à la manoeuvre dont ils portent le nom. (Z)

CROC, terme de Riviere, perche de batelier ; elle a de longueur neuf ou dix pieds, & a au bout qui touche jusqu'au fond de l'eau, une pointe de fer avec un crochet. La pointe, en s'enfonçant dans l'eau, fixe le croc, & donne lieu au batelier d'employer toute sa force pour faire avancer le bateau. Le crochet sert à saisir les objets solides qui se trouvent sur la route du bateau le long de la rive, & à aider le batelier à avancer. Voyez RAME.

CROCS ou CROCHETS, (Maréchallerie) On appelle ainsi quatre dents rondes & pointues qui croisent entre les dents de devant & les dents mâchelieres, plus près des dents de devant ; & cela au bout de trois ou quatre ans, sans qu'aucune dent de lait soit venue auparavant au même endroit. Presque tous les chevaux ont des crochets, mais il est assez rare d'en trouver aux jumens. Quelques-uns disent écaillons, mais ce terme est hors d'usage. Pousser des crochets se dit d'un cheval à qui les crochets commencent à paroître. (V)

* CROC, (Salines) pieces de fer de deux piés & demi de longueur ou environ, recourbées par leurs extrémités, de maniere à entrer dans la sappe qui leur sert d'anneau ; elles sont terminées en demi-cercle. La pointe du haut, longue de cinq pouces ou environ, en est seulement abattue, & tient à de grosses pieces de bois de sapin appellées bourbons. Voyez les art. BOURBONS & SALINES.


CROCANTEou plutôt CROQUANTES, s. f. (Pâtiss.) ce sont parmi les Pâtissiers des especes de tourtes séchées au four, & composées d'amandes.

Crocantes montées. Les Pâtissiers donnent ce nom aux crocantes faites de plusieurs pieces rapportées, & formant un dessein ou compartiment.


CROCHES. f. chroma, (Musiq.) est une note de Musique qui ne vaut que le quart d'une blanche ou la moitié d'une noire. Il faut huit croches pour une ronde ou pour une mesure à quatre tems. Voyez MESURE, VALEUR DES NOTES.

La croche se figure ainsi , quand elle est seule, ou qu'elle se chante sur une seule syllabe ; mais si l'on en passe plusieurs dans un tems ou sur une syllabe, on les lie de cette maniere , de quatre en quatre ordinairement, selon la division des tems ; & même de six en six dans la mesure à trois tems, selon la division des mesures. Le nom de croche a été donné à cette valeur de note, à cause du crochet par lequel on la désigne. (S)

CROCHE, s. m. (Comm.) petite monnoie de billon fabriquée à Basle en Suisse, & qui a cours dans les Treize-cantons. Le croche vaut deux deniers un huitieme argent de France.


CROCHETS. m. on donne en général ce nom à tout instrument recourbé par la pointe, & destiné à saisir différens objets, soit pour les tenir suspendus, soit pour les enlever d'un lieu dans un autre. Le mot crochet a une infinité d'acceptions différentes, voyez-en quelques-unes dans les articles suivans.

CROCHET, (Instrument de Chirurg.) son corps est une tige d'acier de cinq pouces de longueur, son extrémité inférieure est une soie quarrée de trois pouces ou environ ; elle doit entrer dans un manche, sur le bout duquel elle est rivée. Ce manche est d'ébene ; il est taillé à pans, pour présenter plus de surface, & être tenu avec plus de fermeté. L'extrémité antérieure, ou le crochet, est la continuation de la tige qui forme le corps de l'instrument. La figure cylindrique de cette tige va en augmentant de largeur & en s'applatissant jusqu'à la hauteur de quatorze ou quinze lignes ; là sa largeur est d'environ six lignes : alors elle se courbe & forme un angle aigu, dont le sommet est mousse & arrondi : le reste va en diminuant de largeur & d'épaisseur, pour former une pointe mousse & polie. Le manche doit avoir à sa tête un petit crochet, dont le bec tourné du côté du crochet de l'extrémité antérieure de l'instrument, fait connoître par l'inspection du manche, la direction précise de ce crochet dans les opérations où il est d'usage. Voyez Pl. XXI. fig. 6. de Chirurgie.

Telle est la description du crochet dont on se sert communément dans la pratique des accouchemens laborieux, lorsqu'avec la main ou d'autres moyens plus doux que le crochet, on n'a pû faire l'extraction de l'enfant. Voyez FORCEPS. Mais le crochet dont nous parlons, quoique destiné uniquement à tirer un enfant mort, en entier ou par parties, comme nous l'avons dit ailleurs, a des inconvéniens considérables. Si les parties sur lesquelles on l'a implanté, n'offrent pas assez de résistance à l'effort nécessaire pour l'extraction (ce qui arrive souvent, sur-tout lorsque l'enfant a séjourné long-tems dans la matrice depuis sa mort, & qu'il tend à une putrefaction parfaite), alors la prise venant à manquer, on risque de blesser dangereusement la mere. C'est pour prévenir cet accident, presqu'inévitable dans l'usage du crochet ordinaire, que M. Levret a imaginé depuis peu un crochet à gaîne, dont on peut lire la description & voir la figure dans la suite de ses observations sur les accouchemens laborieux ; mais la tige de cet instrument est droite, & M. Mesnard accoucheur de réputation à Roüen, avoit remarqué que cette direction n'étoit pas favorable au but qu'on se propose : ses corrections sur cet instrument ont été adoptées par les plus habiles accoucheurs de l'Europe.

La tige des crochets de Mesnard est courbe depuis la partie moyenne jusqu'à l'extrémité où est le crochet proprement dit. Cette figure permet de porter la pointe du crochet jusqu'à la nuque, & de le fixer dans la base du crâne, ce qui est impossible avec un crochet dont la branche est droite. Secondement, Mesnard dit avec raison que pour que l'extraction se fasse sûrement & commodément, il faut absolument avoir deux crochets qu'on place en partie opposée. Le manche de l'un a une vis assez longue du côté intérieur, & le manche de l'autre est percé pour recevoir cette vis, que l'on assujettit extérieurement avec un écrou. Ces crochets courbes ainsi réunis, ont l'avantage de ne pouvoir jamais blesser la mere, puisque leur pointe ne peut porter contre la matrice, quand la prise viendroit à manquer.

Il importe peu par lequel de ces deux instrumens on commence l'introduction ; mais il faut que le doigt d'une main serve de conducteur à la pointe du crochet, qui doit couler de côté jusqu'au-delà de la tête de l'enfant, pendant que son manche est tenu de l'autre main ; de maniere que quand on fait l'introduction de la pointe, le manche soit élevé du côté du ventre de la femme, afin de lui faire faire un demi-tour en le conduisant par-dessus le pubis, pour le faire aller vers la cuisse opposée au côté où l'on a fait l'introduction ; & cela afin que la pointe de ce crochet se trouve tournée du côté du crâne de l'enfant. On doit prendre les mêmes précautions pour introduire l'autre crochet dans le vagin du côté opposé. On choisit pour l'extraction de l'enfant, le tems d'une des douleurs expulsives de la mere, dans la supposition qu'elle en ait encore.

Il faut bien connoître les cas où il est indispensable d'avoir recours aux crochets ; car les ignorans abusent de ce moyen dans les accouchemens laborieux, dont plusieurs peuvent se terminer sans en venir à cette extrémité : il ne suffit pas même que l'opération soit jugée nécessaire, il faut encore qu'elle soit possible. L'accoucheur observera donc si la malade a des forces suffisantes pour supporter l'opération : la foiblesse du pouls & de la voix, les yeux éteints, le froid des extrémités, les sueurs froides, les défaillances, peuvent empêcher le chirurgien d'opérer ; & s'il y a encore une lueur d'espérance, il fera son prognostic de l'état fâcheux de la malade, & lui fera administrer les secours spirituels, si cela est possible.

On se sert principalement des crochets, lorsqu'on a été obligé d'ouvrir la tête d'un enfant, comme nous l'avons expliqué au mot couteau à crochet. On peut aussi s'en servir utilement dans les accouchemens où la tête de l'enfant a été séparée de son corps resté dans la matrice, principalement lorsque l'enfant est à terme. Il est utile néanmoins d'observer que dans ce dernier cas on peut situer la malade de façon que ses fesses soient beaucoup plus élevées que sa tête, & dans cette situation on portera la main dans la matrice, pour tirer l'enfant par les piés. Si cette façon de terminer l'accouchement ne peut avoir lieu, il faut absolument avoir recours aux crochets ; ces instrumens ne peuvent être regardés comme dangereux que par des personnes qui n'ont point d'expérience, ou qui ne sont pas suffisamment instruites. (Y)

CROCHET A CURETE, instrument de Chirurgie, d'acier poli, de figure pyramidale, allongé & évasé par sa partie antérieure en forme de cuillere, dont le dos & les bords sont arrondis & fort polis, & dont une partie de la cavité est garnie de trois rangs de dents en façon de râpe, pour mieux accrocher & retenir les pierres. Cette cuillere est longue d'environ trois travers de doigt, sur un demi-pouce de large dans son milieu ; elle est un peu recourbée en maniere de crochet, ce qui lui en a fait donner le nom. L'extrémité est une pointe fort arrondie, pour ne pas blesser, & s'engager facilement derriere les pierres. La tige du crochet est engagée par une soie quarrée dans un manche de bois taillé à pans, long d'environ trois pouces & demi. Tout l'instrument peut avoir sept pouces de longueur. Voyez Planche XI. fig. 7.

Cet instrument sert pour tirer les pierres dans le petit appareil ; on peut s'en servir dans toutes les méthodes, lorsqu'une pierre est enclavée au passage. On porte la pointe de l'instrument derriere la pierre en passant par-dessus ; & lorsqu'on l'a engagée on releve le manche de l'instrument, & on tire à soi pour faire l'extraction du corps étranger qui résiste. (Y)

CROCHET, voyez l'art. BAS AU METIER.

* CROCHETS, instrumens servans aux Blanchisseurs de toiles, à les mesurer, afin que l'aulnage y soit fidelement observé : la longueur en est déterminée par les réglemens.

CROCHET ou AILE, voyez travail des chandelles moulées à l'article CHANDELLE.

CROCHET DE FER, est chez les Charpentiers, un outil fait d'un bout en queue d'aronde, & denté à la partie la plus large ; & de l'autre bout coudé à l'équerre, comme une tige quarrée & en pointe : c'est par cette extrémité qu'il entre dans un morceau de bois quarré qu'on appelle la boîte de l'établi. La boîte est placée au bout dudit établi, & elle ne l'excede que suivant l'épaisseur des bois que l'on met dessus pour les dresser, & où le crochet les arrête, pour les empêcher d'avancer lorsqu'on pousse la varlope. Voyez la vignette de l'établi des Menuisiers, dans les Planches du Menuisier.

CROCHETS, (Fonderie en caracteres) pieces du moule servant à fondre les caracteres d'Imprimerie. Ce sont deux fils d'archal de deux pouces environ de long, & crochus par un bout ; l'autre bout qui est pointu, est piqué & enfoncé dans le bois du moule. Lorsqu'on a fondu la lettre & qu'on a ouvert le moule, ces crochets servent à séparer la lettre dudit moule, ce qui s'appelle décrocher. Voyez DECROCHER, & Pl. II. du Fondeur de caracteres d'Imprimerie, fig. 1. & 2. a, b.

CROCHET, outil de Fourbisseur ; c'est une meche de lame d'épée, avec environ un doigt de la lame, elle est faite en crochet un peu tranchant du côté de la meche : elle sert à décoller le cuir du fourreau pour y placer le crochet, après y avoir fait une petite entaille avec le couteau.

CROCHET, en terme de Fourbisseur ; c'est une petite attache qui est montée sur le fourreau, à une petite distance de son extrémité supérieure, & qui arrête l'épée dans le ceinturon.

CROCHET ou ESCHOPES, espece de burin ou d'outil tranchant, trempé fort dur, dont les Horlogers se servent pour creuser différentes pieces sur le tour. Voyez Pl. XIII. de l'Horlogerie, fig. 22. La seconde sert particulierement à creuser les drageoirs des barillets de ces figures.

Quand on remonte une répétition fort basse, ou dont les roües sont cachées, on se sert d'un petit outil auquel on donne aussi le nom de crochet : par son moyen, en poussant ou tirant les tiges des roües, on met les pivots dans leurs trous. Voyez Pl. XVI. de l'Horlogerie fig. 73. (T)

On appelle encore crochet, en Horlogerie, des pieces très-différentes par leurs figures, mais dont la fonction est à-peu-près la même ; ainsi on appelle crochets de la chaîne, les pieces T, F, Planche X. d'Horlogerie, fig. 54. dont l'une sert à la faire tenir au barillet, & l'autre à la fusée : ainsi on nomme crochet de petites éminences fort semblables à la dent d'un rochet, qui sont rivées sur la circonférence de l'arbre d'un barillet, & dans la circonférence interne du barillet, de maniere qu'elles retiennent fixement les deux extrémités du ressort. Voyez RESSORT, OEIL DE RESSORT. On appelle encore crochet de la fusée, cette partie C, figure 46. qui sert à l'arrêter par le moyen du guide-chaîne, lorsque la montre est remontée tout au haut. Voyez FUSEE, GUIDE-CHAINE, &c. (T)

CROCHET ou CROCHETS, termes d'imprimerie. Les crochets sont au nombre des signes dont on se sert dans l'écriture, autres que les lettres. Les crochets sont différens des parentheses ; celles-ci se font ainsi (), au lieu que les crochets se font en ligne perpendiculaire, terminée en-haut & en-bas par une petite ligne horisontale [ ]. On met entre deux crochets un mot qui n'est point essentiel à la suite du discours, un synonyme, une explication, un mot en une autre langue, & autres semblables. On appelle aussi crochets certains signes dont on se sert dans les généalogies, dans les abrégés faits en forme de table ; ce qui sert à faciliter la vûe des divisions & des subdivisions. (F)

CROCHETS, voyez CROCHETEUR.

CROCHET, terme de Mégissier ; c'est un outil de fer crochu emmanché d'un long bâton, dont ces ouvriers se servent pour tirer avec des seaux l'eau & la chaux des plains qu'ils veulent vuider. Voyez Pl. du Mégissier, fig. 7.

CROCHET D'ÉTABLI, (Menuis.) est un morceau de bois qui s'attache contre le devant de l'établi, plus près du bout que la boîte, & qui sert à arrêter les planches lorsqu'on les dresse sur le champ. Voyez Pl. de Menuiserie, fig. 36.

CROCHET DE FER, (Menuiserie) c'est le même que celui du charpentier. Voyez CROCHET en Charpenterie. Sa queue entre dans la boîte de l'établi, & sert à tenir l'ouvrage. Voyez Planche de Menuiserie, fig. 36.

CROCHET ou ÉMERILLON, terme de Passementier-Boutonnier ; c'est un petit outil de fer de trois ou quatre pouces de longueur, recourbé & pointu par un bout, & garni d'un manche de bois par l'autre ; il sert à faire les cordons de chapeau & les chaînettes, à appliquer les fleurs sur le haut des crépines, & particulierement à doubler & tordre ensemble les différens fils de poil de chevre & de soie qui doivent être employés en boutons poil & soie. Voyez les Planches & leur explication.

CROCHET, outil de Potier d'étain. Cet outil sert à tourner l'étain, c'est tout son usage ; mais il en faut un certain nombre, parce que le même ne peut pas servir à tout : il y en a pour la vaisselle, pour la poterie, pour la menuiserie ; les uns plus gros, les autres plus petits. Ce qu'il s'agit de considérer, c'est la forme du taillant ; il y en a de quarrés, de demi-ronds, de pointus, &c. C'est un morceau de fer plus ou moins long, plus plat qu'épais, d'environ un pouce de large, & acéré sur la planche du côté où il est courbé, ce qui fait le taillant ; l'autre bout est pointu, pour y mettre un manche. Voyez la fig. 2. du métier du Potier d'étain.

Les crochets dont on se sert pour commencer à tourner, & qui coupent le plus, s'appellent ébauchoirs ; ceux dont on se sert après, qui coupent moins & rendent l'étain plus brun, parce qu'on les frotte de tems en tems sur la potée d'étain, s'appellent planes. Voyez TOURNER L'ÉTAIN.

CROCHET, instrument d'usage dans les Salines ; il sert à tirer les fagots de dessus la masse. Voyez l'art. SALINE, & les Planches des fontaines salantes.

* CROCHET : c'est un instrument dont les Serruriers se servent pour ouvrir les portes, quand on n'en a pas les clés ; il est fait d'un morceau de fer battu, plat, fait en anneau par la poignée, & coudé sur le champ par l'autre bout, de la longueur à-peu-près du panneton de la clé : on l'introduit par l'entrée de la serrure ; on le tourne dedans, & l'on tâche d'attraper le ressort & les barbes du pêle, afin de le faire sortir de la gache.

CROCHET, instrument de fer qui se met à l'extrémité d'un établi, qui est semblable à celui des menuisiers, & qui a le même usage.

* CROCHET, (Manuf. en soie) Crochet de devant le métier des étoffes de soie. Ces petits crochets sont montés sur une bande de fer de la largeur d'un pouce environ, & de la longueur proportionnée à la largeur de l'étoffe. On les attache à l'ensuple, au moyen de plusieurs bouts de ficelles qui, en forme de boucle, tiennent d'un côté à ce crochet, & de l'autre à la verge qui entre dans la chanée de l'ensuple. Ces crochets servent dans les cas où l'on veut commencer l'étoffe sans perdre de la soie.

Il y a de ces crochets qui, au lieu des bouts de ficelle dont il est fait mention ci-dessus, sont cousus à une grosse toile que l'on fait tenir à l'ensuple, comme l'étoffe.

* CROCHETS de derriere le métier des étoffes de soie. On se sert aujourd'hui de cordes moyennes auxquelles on donne le nom de gancettes, parce qu'il n'est pas possible de placer des espolins avec des crochets de devant.

Ces crochets sont de moyenne grosseur, & sont attachés à un bois rond proportionné : on s'en sert lorsque la chaîne est sur sa fin, & qu'il n'y a plus rien sur l'ensuple de derriere. On commence par faire autour de ces ensuples plusieurs tours d'une grosse corde à deux bouts, à chacun desquels il y a une boucle ; on y passe les crochets ; & on met la verge sur laquelle est la chaîne, dans ces crochets ; & à mesure que l'ouvrier employe sa chaîne, & qu'il roule son étoffe sur l'ensuple de devant, la corde qui est sur l'ensuple de derriere se dévide, ce qui facilite l'emploi du restant des chaînes.

CROCHET, en terme de Raffineur de sucre ; c'est une verge de fer recourbée par un bout, garnie de l'autre d'une doüelle où entre son manche. Ce crochet sert à mettre des piles de formes tremper. Voyez TREMPER & FORMES. On met ces formes dans l'eau, la patte en en-bas ; &, pour plus grande facilité, pendant que la main de l'ouvrier conduit la tête de la pile, il la plonge doucement dans le bac, en la soûtenant avec le crochet. Voyez BAC A FORMES. Il y en a encore d'autres qui sont beaucoup plus courts, qui s'attachent aux deux bouts d'une corde, & servent à descendre les esquisses par les tracas. Voyez ESQUISSES & TRACAS.

CROCHET, (grand) en terme de Raffineur de sucre, ne differe du stoqueur, (voyez STOQUEUR), que par un coude qu'il forme à son extrémité en se recourbant d'environ deux pouces & demi. Il sert aussi à arranger les feux sous les chaudieres, & à en tirer les mache-fers.

CROCHET, en terme de Raffinerie de sucre, est une branche de fer plate, pliée à-peu-près comme une pincette, dont on se sert pour arrêter le blanchet sur les bords du panier. Voy. BLANCHET & PANIER A CLAIREE.

CROCHET, (Tondeur de draps) est un morceau de fer recourbé par les deux bouts, dont les Tondeurs se servent pour attacher leurs étoffes sur les tables à tondre.

* CROCHET, (Verrerie) tringle de fer de neuf lignes de diamêtre, courbée & pointue par le bout, avec laquelle le foüet arrange les bouteilles dans le four à recuire. Il y a d'autres crochets dont on se sert pour mettre les pots dans le four ; ils ont sept piés & demi.

* CROCHET, (Verrerie) Il en faut trois, de peur qu'ils ne se cassent ; ils ont neuf piés & demi de longueur, onze lignes de diamêtre : les angles en doivent être rabattus, ce qui les met à six pans. Le grand crochet est une barre dont on se sert à l'ouvroir, pour lever & tenir le pot sur le siége, & le placer comme il convient. On verra à l'article VERRERIE, l'usage des autres. Ce dernier a dix piés de long sur un pouce dix lignes d'équarrissage.


CROCHETERv. act. (Serrur.) Il se dit seulement d'une porte & d'une serrure : c'est l'ouvrir avec un crochet.


CROCHETEURS. m. (Comm.) c'est un gagne-denier, dont l'occupation journaliere est de transporter des fardeaux sur ses épaules, à l'aide d'une machine appellée des crochets. Ces crochets sont composés de deux montans contenus par deux traverses, l'une en-haut & l'autre en-bas ; à la partie inférieure de ces montans ou côtés, il y a deux morceaux de bois longs d'un demi-pié ou environ, assemblés avec ces montans à leur bout inférieur, par le moyen d'une forte planche qu'ils traversent, de maniere que chaque montant & chaque morceau de bois forme comme un V consonne, & que ces quatre pieces forment ensemble comme un coin dont on auroit tranché la pointe. L'assemblage de ces quatre pieces est encore fortifié par de petits morceaux de bois qui les joignent deux à deux ; les bouts des deux morceaux de bois & des deux côtés ou montans, en débordant un peu la planche qui les contient, servent de piés aux crochets. On place les fardeaux le long des montans ; leur partie inférieure s'emboîte dans les especes d'V consonnes que forment les morceaux d'en-bas avec les montans, & y est retenue. Deux bouts de sangle attachés à une hauteur convenable sur les montans, & recevant dans une boucle qu'ils ont à leur extrémité inférieure, les parties de ces montans qui excedent, au travers de la planche, & qui servent de piés aux crochets, en forment les brassieres. C'est par ces brassieres que le crocheteur fixe ses crochets sur son dos. Quant au fardeau, il le fixe sur ses crochets avec une corde qui est attachée d'un bout au bas des crochets, qu'on ramene par le haut sur le fardeau, entre les cornes des crochets, & dont le crocheteur prend en sa main l'autre extrémité qu'il tire : par ce moyen le fardeau serré contre les montans, ne peut vaciller.


CROCHUadj. (Gramm.) On donne cette épithete à tout corps solide, long & droit, dont une des extrémités s'écarte de la direction rectiligne, & forme une portion de cercle : plus le cercle est petit & la portion du cercle grande, plus le corps est crochu. Voyez COURBE & COURBURE.

CROCHU, s. m. en Anatomie, est le nom de l'un des huit os du carpe situé dans le second rang ; il répond au petit doigt & au doigt annulaire : on l'appelle ainsi à cause d'une apophyse mince, longue & large, un peu crochue, à laquelle s'attache le ligament qui retient les muscles qui fléchissent les doigts. (L)

CROCHU, adj. (Maréchall.) se dit d'un cheval qui a les jarrets trop près l'un de l'autre : on dit aussi qu'il est sur ses jarrets, ou qu'il est jarreté.

Les chevaux crochus sont ordinairement fort bons. (V)


CROCHUAUXS. m. pl. terme de Riviere ; pieces de bois ceintrées qui s'entaillent dans le chef d'un bateau-foncet.


CROCODILES. m. crocodilus, (Hist. nat. Zoolog.) animal amphybie qui ressemble au lésard, mais qui est beaucoup plus grand ; voyez LESARD. Aristote, & Pline rapportent qu'il ne cesse de croître pendant toute sa vie, & que sa longueur s'étend jusqu'à huit coudées ; Hérodote & Elien prétendent qu'il en a jusqu'à vingt-six, ce qui fait six toises & demie. Selon les nouvelles relations, les crocodiles sont bien plus grands ; on en a vû à Madagascar qui avoient jusqu'à dix toises. Sur la fin de l'année 1681 on en amena un à Versailles dans la ménagerie du Roi ; il y vécut pendant près d'un mois. Sa longueur n'étoit que de trois piés neuf pouces & demi ; il avoit la queue aussi longue que le reste du corps ; le ventre étoit l'endroit le plus large, & n'avoit que cinq pouces & demi ; la longueur des bras depuis le corps jusqu'au bout des ongles, étoit de six pouces & demi ; celle des jambes de sept pouces & demi, & celle de la tête de sept pouces. Les yeux avoit neuf lignes de longueur d'un angle à l'autre ; la tête étoit plate, & il n'y avoit pas un pouce de distance entre les deux yeux. Le dessus du corps & les ongles étoient d'un gris-brun, verdâtre, mêlé en plusieurs endroits d'un autre verd-blanchâtre ; il avoit les dents blanches, & le dessous du corps & de la queue, le dedans des jambes & le dessous des pattes, d'un blanc un peu jaunâtre. La plûpart des auteurs prétendent que les crocodiles sont jaunes, & que leur nom vient de leur couleur de safran, crocus. Celui dont il s'agit ici, avoit tout le corps couvert d'écailles, à l'exception de la tête, dont la peau étoit collée immédiatement sur les os. Il y avoit de trois sortes d'écailles ; celles qui se trouvoient sur les bras, les jambes, les flancs, & sur la plus grande partie du cou, étoient à-peu-près rondes, plus ou moins grandes, & placées irrégulierement. Les écailles du dos, du milieu du cou & du dessus de la queue, étoient très-fortes, & formoient des bandes qui s'étendoient d'un côté à l'autre. Ces bandes étoient sillonnées transversalement, & paroissoient divisées en plusieurs écailles. Ces especes de sillons sembloient être continués d'une bande à l'autre, & se prolonger le long du corps ; ainsi les écailles formoient des files longitudinales dans ce sens, & des files transversales le long des bandes, & étoient posées comme des pavés les uns contre les autres : les joints qui se trouvoient entre les bandes, n'étoient formés que par la peau de l'animal. Il y avoit sur le milieu de ces écailles, une crête plus ou moins élevée. Celles de la troisieme sorte couvroient le ventre, le dessous de la queue, le dessous du cou & de la mâchoire, le dedans des jambes & le dessous des pates ; elles étoient minces, flexibles, & n'avoient point de crête ; leur figure étoit quarrée : elles étoient jointes les unes contre les autres par de forts ligamens. Ce crocodile avoit le bout du museau pointu, & deux narines en forme de croissant. Les yeux étoient posés de façon que le grand angle se trouvoit en avant, & le petit en arriere. Les paupieres étoient grandes & mobiles toutes les deux ; il y avoit sur les bords, des dentelures au lieu de cils ; & aussi au-dessus des orbites, une autre dentelure au lieu de sourcils. Les ouvertures des oreilles se trouvoient au-dessus des yeux ; elles étoient recouvertes par la peau, qui formoit pour ainsi dire deux paupieres fermées exactement. Les dents étoient au nombre de soixante-huit, dix-neuf de chaque côté de la mâchoire supérieure, & quinze du côté de l'inférieure ; elles étoient plus longues les unes que les autres, mais toutes creuses, pointues & recourbées vers le gosier. La bouche étant fermée, les dents de l'une des mâchoires se trouvoient placées entre celles de l'autre. La mâchoire supérieure n'étoit point mobile, comme on l'a crû autrefois. Les piés de devant avoient cinq doigts, & ceux de derriere seulement quatre ; mais les premiers étoient les plus petits : il y avoit des membranes entre les doigts, & des écailles entre les doigts & sur les membranes. Les ongles étoient noirâtres, crochus & pointus, mais moins que les dents. Mém. pour servir à l'Hist. des animaux, par M. Perrault, tome III.

Le crocodile est fort pesant, & ne se retourne qu'avec peine pour changer de chemin. On prétend qu'il a une odeur suave, mais il est très-dangereux ; il déchire avec ses ongles, dévore avec ses dents, & brise jusqu'aux os les plus durs. Ses oeufs sont de la grosseur de ceux d'une oye ; il y en a environ soixante à chaque ponte : cet animal les dépose dans le sable, la chaleur du soleil fait éclorre les petits sans incubation. On trouve des crocodiles dans le Nil, le Niger, le Gange, &c. Ray, sinop. anim. quad.

Aux Antilles on appelle le crocodile du nom de cayman ; on le trouve dans la mer, dans les rivieres, & même sur la terre, parmi les roseaux dans les îles inhabitées. On en a vû qui avoient jusqu'à dix-huit piés de longueur, & qui étoient aussi gros qu'une barrique. La peau du dos résiste à un coup de mousquet chargé de bales ramées ; mais on peut le blesser au ventre, & sur-tout aux yeux. Sa bouche est si grande, ses mâchoires sont si fortes, ses dents si pointues, que l'on prétend qu'il peut couper un homme par le milieu du corps ; au moins on assûre qu'il coupe la cuisse tout net, & les traces de ses pates sont aussi profondes que celles d'un cheval de carosse. Il court assez vîte sur la terre, mais seulement en ligne droite ; ainsi lorsqu'on en est poursuivi, il faut faire plusieurs détours pour l'éviter plus aisément. Les crocodiles qui sont dans l'eau douce, ont une odeur de musc qui se répand à plus de cent pas aux environs, & qui parfume l'eau. Ceux qui sont dans la mer n'ont point d'odeur. On dit que ces animaux ferment les yeux à demi, & qu'ils se laissent aller au fil de l'eau sans faire aucun mouvement, comme une piece de bois qui flotteroit dans un courant ; & qu'ils surprennent par cette ruse les animaux qui viennent boire sur le bord des étangs ou des rivieres, & même les hommes qui se baignent. Lorsqu'un crocodile a trouvé le moyen d'approcher d'un boeuf ou d'une vache, il s'élance sur l'animal, le saisit par le muffle, & l'entraîne au fond de l'eau pour le noyer, & manger ensuite.

On a appellé îles du cayman, certaines îles qui ne sont fréquentées que dans les tems où l'on va tourner la tortue : comme on laisse sur le sable leurs dépoüilles, il vient un grand nombre de crocodiles les manger, d'où vient le nom de ces îles.

On rapporte dans différentes relations, que les Chinois apprivoisent les crocodiles, qu'ils les engraissent pour les manger : la chair en est blanche ; les Européens la trouvent fade & trop musquée. Hist. nat. des îles Ant. &c.

M. de la Condamine rapporte, d'après les Negres de la riviere des Amazones, que les tigres résistent au crocodile, lorsqu'ils en sont attaqués sur les bords de cette riviere. Le tigre enfonce ses griffes dans les yeux du crocodile, & se laisse entraîner dans l'eau plûtôt que de lâcher prise. Les crocodiles de l'Amazone ont jusqu'à vingt piés de longueur, & peut-être plus. M. de la Condamine en a vû un grand nombre sur la riviere de Guayaquil ; ils restent pendant des journées entieres sur la vase étendus au soleil. Voyage de la riviere des Amazones.

Le crocodile de Ceylan est nommé kimbula par les habitans du pays ; il est marqué de taches noirâtres.

On a envoyé au cabinet d'Histoire naturelle un crocodile du Gange, qui differe des autres par le museau, qui est fort long & fort effilé. (I)

* CROCODILE, (Myth.) Les Egyptiens ont traité cet animal diversement : il étoit adoré dans quelques contrées, où on l'apprivoisoit : on l'attachoit par les pattes de devant ; on lui mettoit aux oreilles des pierres précieuses, & on le nourrissoit de viandes consacrées jusqu'à ce qu'il mourût. Alors on l'embaumoit ; on renfermoit sa cendre dans des urnes, & on la portoit dans la sépulture des rois. Il y en avoit d'assez fous pour se féliciter de leur bonheur, s'il arrivoit qu'un crocodile eût dévoré quelques-uns de leurs enfans. Ailleurs on les abhorroit, on les chassoit & on les tuoit, & cela aussi par un sentiment de religion, ici on croyoit que Typhon le meurtrier d'Osiris & l'ennemi de tous les dieux, s'étoit transformé en crocodile : d'autres en faisoient le symbole de la divinité, & tiroient des présages du bon ou mauvais accueil des vieux crocodiles. Si l'animal recevoit des alimens de la main qui les lui présentoit, cette bonté s'interprétoit favorablement ; le refus au contraire étoit de mauvais augure. Il ne s'agit que de mettre l'imagination des hommes en mouvement, bien-tôt ils croiront les extravagances les plus outrées. Le crocodile n'aura point de langue ; il aura autant de dents qu'il y a de jours dans l'an ; il y aura des tems & des lieux où il cessera d'être malfaisant ; certains Egyptiens en étoient là, & souffroient très-impatiemment qu'on leur reprochât leur sotte crédulité. Celui qui osoit soûtenir qu'un crocodile avoit attaqué un Egyptien, quoiqu'il fût sur le Nil & dans une barque de papyrus, étoit un impie.

CROCODILE, (Belles lett.) en termes de Rhétorique, signifie une sorte d'argumentation captieuse & sophistique, dont on se sert pour mettre en défaut un adversaire peu précautionné, & le faire tomber dans un piége. Voyez SOPHISME.

On a appellé cette maniere de raisonner crocodile, à cause de l'histoire suivante imaginée par les Poëtes ou par les Rhéteurs. Un crocodile, disent-ils, avoit enlevé le fils d'une pauvre femme, lequel se promenoit sur les bords du Nil ; cette mere désolée supplioit l'animal de lui rendre son fils ; le crocodile repliqua qu'il le lui rendroit sain & sauf, pourvû qu'elle même répondît juste à la question qu'il lui proposeroit. Veux-je te rendre ton fils ou non, lui demanda le crocodile : la femme soupçonnant que l'animal vouloit la tromper, répondit avec douleur : tu ne veux pas me le rendre ; & demanda que son fils lui fût rendu, comme ayant pénétré la véritable intention du crocodile. Point du tout, repartit le monstre, car si je te le rendois, tu n'aurois point dit vrai ; ainsi je ne puis te le donner sans que ta premiere réponse ne soit fausse, ce qui est contre notre convention. Voyez DILEMME.

On peut rapporter à cette espece de sophisme, les propositions appellées mentientes ou insolubles, qui se détruisent elles-mêmes ; telle qu'est celle de ce poëte Crétois : omnes ad unum Cretenses semper mentiuntur ; tous les Crétois, sans en excepter un seul, mentent toûjours. En effet, ou le poëte ment quand il assure que tous les Crétois mentent, ou il dit vrai. Or dans l'un ou l'autre cas il y a quelques Crétois qui ne mentent pas. La proposition générale est donc nécessairement fausse. (G)


CROCOTES. f. (Hist. anc.) habillement leger, de soie, & couleur de safran, à l'usage des comédiennes, des prêtres de Cybele, & des femmes galantes. Ceux qui teignoient les crocotes s'appelloient crocotaires, crocotarii, du mot crocota, crocote.


CROCUSVoyez SAFRAN.

CROCUS MARTIS. Voyez SAFRAN DE MARS.

CROCUS METALLORUM. Voyez SAFRAN DES METAUX.


CRODONS. m. (Hist. anc.) une des principales idoles des anciens Germains. C'étoit un vieillard à longue barbe, vêtu d'une robe longue, sanglé d'une bande de toile, tenant dans la main gauche une roue, ayant à sa main droite un panier plein de fruits & de fleurs, & placé débout sur un poisson hérissé de piquans & d'écailles, qu'on prend pour une perche, soutenu horisontalement par une colonne : on l'adora particulierement à Hartesbourg près de Goslar, jusque sous le regne de Charlemagne, qui fit abattre la statue de Crodo, & beaucoup d'autres. Il y en a qui font venir crodo de cronos, & qui croyent que ce Crodo des Germains est le Saturne des Grecs & des Romains ; mais cette conjecture n'est autorisée par aucun des attributs de la statue de Crodon.


CROIA(Géog.) ville forte de la Turquie en Europe, dans l'Albanie, proche du golfe de Venise, sur l'Hisino. Long. 37. 18. lat. 41. 46.


CROIREv. act. & neut. (Métaphysique) c'est être persuadé de la vérité d'un fait ou d'une proposition, ou parce qu'on ne s'est pas donné la peine de l'examen, ou parce qu'on a mal examiné, ou parce qu'on a bien examiné. Il n'y a guere que le dernier cas dans lequel l'assentiment puisse être ferme & satisfaisant. Il est aussi rare que difficile d'être content de soi, lorsqu'on n'a fait aucun usage de sa raison, ou lorsque l'usage qu'on en a fait est mauvais. Celui qui croit, sans avoir aucune raison de croire, eût-il rencontré la vérité, se sent toûjours coupable d'avoir négligé la prérogative la plus importante de sa nature, & il n'est pas possible qu'il imagine qu'un heureux hasard pallie l'irrégularité de sa conduite, Celui qui se trompe, après avoir employé les facultés de son ame dans toute leur étendue, se rend à lui-même le témoignage d'avoir rempli son devoir de créature raisonnable ; & il seroit aussi condamnable de croire sans examen, qu'il le seroit de ne pas croire une vérité évidente ou clairement prouvée. On aura donc bien reglé son assentiment, & on l'aura placé comme on doit, lorsqu'en quelque cas & sur quelque matiere que ce soit, on aura écouté la voix de sa conscience & de sa raison. Si on eût agi autrement, on eût péché contre ses propres lumieres, & abusé de facultés qui ne nous ont été données pour aucune autre fin, que pour suivre la plus grande évidence & la plus grande probabilité : on ne peut contester ces principes, sans détruire la raison & jetter l'homme dans des perplexités fâcheuses. V. CREDULITE, FOI.


CROISADESS. f. (Hist. mod. & ecclés.) guerres entreprises par les chrétiens, soit pour le recouvrement des lieux saints, soit pour l'extirpation de l'hérésie & du paganisme.

Croisades entreprises pour la conquête des lieux saints. Les fréquens pélerinages que les chrétiens firent à la Terre-sainte, après qu'on eut retrouvé la croix sur laquelle le fils de l'homme étoit mort, donnerent lieu à ces guerres sanglantes. Les pélerins, témoins de la dure servitude sous laquelle gémissoient leurs freres d'Orient, ne manquoient pas d'en faire à leur retour de tristes peintures, & de reprocher aux peuples d'Occident la lâcheté avec laquelle ils laissoient les lieux arrosés du sang de Jesus-Christ, en la puissance des ennemis de son culte & de son nom.

On traita longtems les déclamations de ces bonnes gens avec l'indifférence qu'elles méritoient, & l'on étoit bien éloigné de croire qu'il viendroit jamais des tems de ténebres assez profondes, & d'un étourdissement assez grand, dans les peuples & dans les souverains sur leurs vrais intérêts, pour entraîner une partie du monde dans une malheureuse petite contrée, afin d'en égorger les habitans, & de s'emparer d'une pointe de rocher qui ne valoit pas une goutte de sang, qu'ils pouvoient vénérer en esprit de loin comme de près, & dont la possession étoit si étrangere à l'honneur de la religion.

Cependant ce tems arriva, & le vertige passa de la tête échauffée d'un pélerin, dans celle d'un pontife ambitieux & politique, & de celle-ci dans toutes les autres. Il est vrai que cet évenement extraordinaire fut préparé par plusieurs circonstances, entre lesquelles on peut compter l'intérêt des papes & de plusieurs souverains de l'Europe ; la haine des chrétiens pour les musulmans ; l'ignorance des laïcs, l'autorité des ecclésiastiques, l'avidité des moines ; une passion desordonnée pour les armes, & sur-tout la nécessité d'une diversion qui suspendît des troubles intestins qui duroient depuis longtems. Les laïcs chargés de crimes crûrent qu'ils s'en laveroient en se baignant dans le sang infidele ; ceux que leur état obligeoit par devoir à les desabuser de cette erreur, les y confirmoient, les uns par imbécillité & faux zele, les autres par une politique intéressée, & tous conspirerent à venger un hermite Picard des avanies qu'il avoit essuyées en Asie, & dont il rapportoit en Europe le ressentiment le plus vif.

L'hermite Pierre s'adresse au pape Urbain II ; il court les provinces & les remplit de son enthousiasme. La guerre contre les infideles est proposée dans le concile de Plaisance, & prêchée dans celui de Clermont. Les seigneurs se défont de leurs terres ; les moines s'en emparent ; l'indulgence tient lieu de solde : on s'arme ; on se croise, & l'on part pour la Terre-sainte.

La croisade, dit M. Fleury, servoit de prétexte aux gens obérés pour ne point payer leurs dettes ; aux malfaiteurs pour éviter la punition de leurs crimes ; aux ecclésiastiques indisciplinés pour secoüer le joug de leur état ; aux moines indociles pour quitter leurs cloîtres ; aux femmes perdues pour continuer plus librement leurs desordres. Qu'on estime par-là quelle devoit être la multitude des croisés ?

Le rendez-vous est à Constantinople. L'hermite Pierre, en sandales & ceint d'une corde, marche à la tête de quatre-vingt mille brigands ; car comment leur donner un autre nom, quand on se rappelle les horreurs auxquelles ils s'abandonnerent sur leur route ? Ils volent, massacrent, pillent, & brûlent. Les peuples se soulevent contr'eux. Cette croix rouge qu'ils avoient prise comme la marque de leur piété, devient pour les nations qu'ils traversent le signal de s'armer & de courir sur eux. Ils sont exterminés ; & de cette foule, il ne reste que vingt mille hommes au plus qui arrivent devant Constantinople à la suite de l'hermite.

Une autre troupe qu'un prédicateur Allemand appellé Godescal traînoit après lui, coupable des mêmes excès, subit le même sort. Une troisieme horde composée de plus de deux cent mille personnes, tant femmes que prêtres, paysans, écoliers, s'avance sur les pas de Pierre & de Godescal ; mais la fureur de ces derniers tomba particulierement sur les Juifs. Ils en massacrerent tout autant qu'ils en rencontrerent ; ils croyoient, ces insensés & ces impies, venger dignement la mort de Jesus-Christ, en égorgeant les petits-fils de ceux qui l'avoient crucifié. La Hongrie fut le tombeau commun de tous ces assassins. Pierre renforça ses croisés de quelques autres vagabonds Italiens & Allemands, qu'il trouva devant Constantinople. Alexis Comnene se hâta de transporter ces enthousiastes dangereux au-delà du Bosphore. Soliman soudan de Nicée tomba sur eux, & le fer extermina en Asie, ce qui étoit échappé à l'indignation des Bulgares & des Hongrois, & à l'artifice des Grecs.

Les croisés que Godefroi de Bouillon commandoit furent plus heureux ; ils étoient au nombre de soixante & dix mille hommes de pié, & de dix mille hommes de cheval. Ils traverserent la Hongrie. Cependant Hugues frere de Philippe I. roi de France, marche par l'Italie avec d'autres croisés ; Robert duc de Normandie, fils aîné de Guillaume le Conquérant est parti ; le vieux Raimond comte de Toulouse passe les Alpes à la tête de dix mille hommes, & le Normand Boemond, mécontent de sa fortune en Europe, en va chercher en Asie une plus digne de son courage.

Lorsque cette multitude fut arrivée dans l'Asie mineure, on en fit la revûe près de Nicée ; & il se trouva cent mille cavaliers & six cent mille fantassins. On prit Nicée. Soliman fut battu deux fois. Un corps de vingt mille hommes de pié & de quinze mille cavaliers assiégea Jérusalem, & s'en empara d'assaut. Tout ce qui n'étoit pas chrétien fut impitoyablement égorgé ; & dans un assez court intervalle de tems, les chrétiens eurent quatre établissemens au milieu des infideles, à Jérusalem, à Antioche, à Edesse, & à Tripoli.

Boemond posseda le pays d'Antioche. Baudoüin frere de Godefroi alla jusqu'en Mésopotamie s'emparer de la ville d'Edesse ; Godefroi commanda dans Jérusalem, & le jeune Bertrand fils du comte de Toulouse s'établit dans Tripoli.

Hugues frere de Philippe I, de retour en France avant la prise de Jérusalem, repassa en Asie avec une nouvelle multitude mêlée d'Allemands & d'Italiens ; elle étoit de trois cent mille hommes. Soliman en défit une partie ; l'autre périt aux environs de Constantinople, avant que d'entrer en Asie ; Hugues y mourut presqu'abandonné.

Baudoüin regna dans Jérusalem après Godefroi ; mais Edesse qu'il avoit quittée ne tarda pas à être reprise, & Jérusalem où il commandoit à être menacée.

Tel étoit l'état foible & divisé des chrétiens en Orient, lorsque le pape Eugene III. proposa une autre croisade. S. Bernard son maître la prêcha à Vezelai en Bourgogne, où l'on vit sur le même échafaud un moine & un souverain exhortant alternativement les peuples à cette expédition. Soixante & dix mille François se croiserent sous Louis le jeune. Soixante & dix mille Allemands se croiserent peu de tems après sous l'empereur Conrad III., & les historiens évaluent cette émigration à trois cent mille hommes. Le fameux Fréderic Barberousse suivoit son oncle Conrad. Ils arrivent : ils sont défaits. L'empereur retourna presque seul en Allemagne ; & le roi de France revint avec sa femme, qu'il répudia bien-tôt après pour sa conduite pendant le voyage.

La principauté d'Antioche subsistoit toûjours. Amauri avoit succédé dans Jérusalem à Baudoüin, & Gui de Lusignan à ce dernier. Lusignan marche contre Saladin, qui s'avançoit vers Jérusalem dans le dessein de l'assiéger. Il est vaincu & fait prisonnier. Saladin entra dans Jérusalem ; mais il en usa avec les habitans de cette ville de la maniere la plus honteuse pour les chrétiens, à qui il sut bien reprocher la barbarie de leurs peres. Lusignan ne sortit de ses fers qu'au bout d'un an.

Outre la principauté d'Antioche, les chrétiens d'Orient avoient conservé au milieu de ces desastres Joppé, Tyr, & Tripoli. Ce fut alors que le pape Clément III. remua la France, l'Angleterre, & l'Allemagne en leur faveur. Philippe Auguste régnoit en France, Henri II. en Angleterre, & Fréderic Barberousse en Allemagne. Les rois de France & d'Angleterre cesserent de tourner leurs armes l'un contre l'autre pour les porter en Asie ; & l'empereur partit à la tête de cent cinquante mille hommes. Il vainquit les Grecs & les Musulmans. Des commencemens si heureux présageoient pour la suite les plus grands succès, lorsque Barberousse mourut. Son armée réduite à sept à huit mille hommes, alla vers Antioche sous la conduite du duc de Soüabe son fils, se joindre à celle de Lusignan. Ce jeune prince mourut peu de tems après devant Ptolémaïs, & il ne resta pas le moindre vestige des cent cinquante mille hommes que son pere avoit amenés. L'Asie mineure étoit un gouffre où l'Europe entiere venoit se précipiter ; des flottes d'Anglois, de François, d'Italiens, d'Allemands, qui avoient précédé l'arrivée de Philippe Auguste & de Richard Coeur de lion, n'avoient fait que s'y montrer & disparoître.

Les rois de France & d'Angleterre arriverent enfin devant Ptolémaïs. Presque toutes les forces des chrétiens de l'Orient s'étoient rassemblées devant cette place. Elles formoient une armée de trois cent mille combattans. On prend Ptolémaïs. Cette conquête ouvre le chemin à de plus importantes, mais Philippe & Richard se divisent ; Philippe revient en France ; Richard est battu ; ce dernier s'en retourne sur un seul vaisseau, & il est fait prisonnier en repassant par l'Allemagne.

Telle étoit la fureur des peuples d'Europe, qu'ils n'étoient ni éclairés ni découragés par ces désastres. Baudouin comte de Flandres rassemble quatre mille chevaliers, neuf mille écuyers, & vingt mille hommes de pié ; ces nouveaux croisés sont transportés sur les vaisseaux des Vénitiens. Ils commencent leur expédition par une irruption contre les chrétiens de la Dalmatie : le pape Innocent III. les excommunie. Ils arrivent devant Constantinople, qu'ils prennent & saccagent sous un faux prétexte. Baudouin fut élû empereur ; les autres alliés se disperserent dans la Grece & se la partagerent ; les Vénitiens s'emparerent du Péloponnèse, de l'île de Candie, & de plusieurs places des côtes de la Phrygie ; & il ne passa en Asie que ceux qui ne purent se faire des établissemens sans aller jusques-là. Le regne de Baudoüin ne fut pas de longue durée.

Un moine Breton, nommé Erloin, entraîna une multitude de ses compatriotes. Une reine de Hongrie se croisa avec quelques-unes de ses femmes. Elle mourut à Ptolémaïs d'une maladie épidémique, qui emporta des milliers d'enfans conduits dans ces contrées par des religieux & des maîtres d'écoles. Il n'y a jamais eu d'exemple d'une frénésie aussi constante & aussi générale.

Il ne restoit aux chrétiens d'Orient, rien de plus considérable que l'état d'Antioche. Le royaume de Jérusalem n'étoit qu'un vain nom dont Emery de Lusignan étoit décoré, & que Philippe Auguste transféra à la mort d'Emery à un cadet sans ressource de la maison de Brienne en Champagne. Ce monarque titulaire s'associa quelques chevaliers. Cette troupe, quelques Bretons, des princes Allemands avec leurs cortéges, un duc d'Autriche avec sa suite, un roi de Hongrie qui commandoit d'assez bonnes troupes, les templiers, les chevaliers de S. Jean, les évêques de Munster & d'Utrecht, se réunirent ; & il y avoit là beaucoup plus de bras qu'il n'en falloit pour former quelque grande entreprise ; mais malheureusement point de tête. André roi de Hongrie se retira ; un comte de Hollande lui succéda avec le titre de connétable des croisés. Une foule de chevaliers commandés par un légat accompagné de l'archevêque de Bordeaux, des évêques de Paris, d'Angers, d'Autun, & de Beauvais, suivis par des corps de troupes considérables ; quatre mille Anglois, autant d'Italiens acheverent de fortifier l'armée de Jean de Brienne : & ce chef parti presque seul de France, se trouva devant Ptolémaïs à la tête de cent mille hommes.

Ces croisés méditent la conquête de l'Egypte, assiégent Damiette, & la prennent au bout de deux ans. Mais l'ambition mal entendue du légat, plus propre à benir les armes qu'à les commander, fait échoüer ces foibles succès. Damiette est rendue, & les croisés faits prisonniers de guerre sont renvoyés en Phrygie, excepté Jean de Brienne que Meledin garda en ôtage.

Jean de Brienne sorti d'ôtage, donna sa fille à l'empereur Fréderic II. avec ses droits au royaume de Jérusalem. Le politique habile pressé par le pape Grégoire IX, que sa présence inquiétoit en Europe, de passer en Asie, négocie avec le pape & le sultan Meledin ; s'en va plutôt avec un cortége qu'une armée prendre possession de Jérusalem, de Nazareth, & de quelques autres villages ruinés, dont il ne faisoit pas plus de cas que le sultan qui les lui cédoit, & annonce à tout le monde chrétien qu'il a satisfait à son voeu, & qu'il a recouvré les saints lieux sans avoir répandu une goutte de sang.

Thibaut, ce fameux comte de Champagne, partit aussi pour la Terre-sainte ; il fut assez heureux pour en revenir, mais les chevaliers qui l'avoient accompagné resterent prisonniers.

Tout sembloit tendre en Orient à une espece de treve, lorsque Gengiskan & ses Tartares franchissent le Caucase, le Taurus & l'Imaüs ; les Corasmins chassés devant eux, se répandent dans la Syrie, où ces idolâtres égorgent sans distinction & le musulman & le chrétien & le juif. Cette révolution inattendue réunit les chrétiens d'Antioche, de Sidon & des côtes de la Syrie, avec le soudan de cette derniere contrée & avec celui d'Egypte. Ces forces se tournent contre les nouveaux brigands, mais sans aucun succès ; elles sont dissipées ; & les chevaliers templiers & hospitaliers sont presqu'entierement détruits dans une irruption des Turcs qui succéda à celle des Corasmins.

Les Latins étoient renfermés dans leurs villes maritimes, divisés, & sans espérance de secours. Les princes d'Antioche s'occupoient à dessoler quelques chrétiens d'Arménie ; les factions Persanes, Génoises & Venitiennes déchiroient l'intérieur de Ptolémaïs ; ce qui restoit de templiers ou de chevaliers de S. Jean, s'entre-exterminoient avec acharnement ; l'Europe se refroidissoit sur la conquête des lieux saints, & les forces des chrétiens d'Orient s'éteignoient, lorsque S. Louis médita sa croisade.

Il crut entendre dans un accès de léthargie, une voix qui la lui ordonnoit, & il fit voeu d'obéir ; il s'y prépara pendant quatre ans. Lorsqu'il partit avec sa femme, ses trois freres & leurs épouses, presque toute la chevalerie de France le suivit ; il fut accompagné des ducs de Bourgogne & de Bretagne, & des comtes de Soissons, de Flandres & de Vendôme, qui avoient rassemblé tous leurs vassaux ; on comptoit parmi ses troupes trois mille chevaliers bannerets. On marcha contre Melec-sala soudan d'Egypte. Un renfort de soixante mille combattans arrivés de France, se joignit à ceux qu'il commandoit déjà. Que ne pouvoit-on pas attendre de ces troupes d'élite sous la conduite d'un prince tel que Louis I X ? Toutes ces espérances s'évanoüirent ; une partie de l'armée de S. Louis périt de maladie, l'autre fut défaite par Almoadan fils de Melec-sala, près de la Massoure, le comte d'Artois est tué, S. Louis & les comtes de Poitiers & d'Anjou sont faits prisonniers. Le monarque françois paye sa rançon aux émirs qui gouvernerent après la mort d'Almoadan, assassiné par une garde trop puissante que son pere avoit instituée ; se retire dans la Palestine, y demeure quatre ans, visite Nazareth, & revient en France avec le dessein de former une autre croisade.

Croisade entreprise pour l'extirpation des infideles. Saint Louis, pour cette expédition plus malheureuse encore que la premiere, partit à-peu-près avec les mêmes forces ; son frere devoit le suivre. Ce ne fut point la conquête de la Terre-sainte qu'il se proposa. Charles d'Anjou, usurpateur du royaume de Naples, fit servir la piété de saint Louis à ses desseins ; il détermina ce monarque à s'avancer vers Tunis ; sous prétexte que le roi de cette contrée lui devoit quelques années de tribut ; & saint Louis conduit par l'espérance de convertir le roi de Tunis à la religion chrétienne, descendit sous les ruines de l'ancienne Carthage. Les Maures l'assiegent dans son camp désolé par une maladie épidémique, qui lui enleve un de ses fils né à Damiette pendant sa captivité ; il en est attaqué lui-même, & il en meurt. Son frere arrive, fait la paix avec les Maures, & ramene en Europe les débris de l'armée. Ainsi finirent les croisades que les Chrétiens entreprirent contre les Musulmans. Il ne nous reste plus qu'à dire un mot de celles qu'ils entreprirent contre les payens, & les uns contre les autres.

Croisade entreprise pour l'extirpation du paganisme. Il y en eut une de prêchée en Danemark, dans la Saxe & dans la Scandinavie, contre des payens du Nord, qu'on appelloit Slaves ou Sclaves. Ils occupoient alors le bord oriental de la mer Baltique, l'Ingrie, la Livonie, la Samogetie, la Curlande, la Poméranie & la Prusse. Les chrétiens qui habitoient depuis Brême jusqu'au fond de la Scandinavie, se croiserent contr'eux au nombre de cent mille hommes ; ils perdent beaucoup de monde ; ils en tuent beaucoup davantage, & ne convertissent personne.

Croisade entreprise pour l'extirpation de l'hérésie. Il y en eut une de formée contre des sectaires appellés Vaudois, des vallées du Piémont ; Albigeois, de la ville d'Alby ; bons-hommes, de leurs régularités ; & manichéens, d'un nom alors commun à tous les hérétiques. Le Languedoc étoit sur-tout infecté de ceux-ci, qui ne vouloient reconnoître de lois que l'évangile. On leur envoya d'abord des juges ecclésiastiques. Le comte de Toulouse, soupçonné d'en avoir fait assassiner un, fut excommunié par Innocent III. qui délia en même tems ses sujets du serment de fidélité. Le comte qui savoit ce que peut quelquefois une bulle, fut obligé de marcher à main armée contre ses propres sujets, au milieu du duc de Bourgogne, du comte de Nevers, de Simon comte de Montfort, des évêques de Sens, d'Autun & de Nevers. Le Languedoc fut ravagé. Les évêques de Paris, de Lisieux & de Bayeux allerent aussi grossir le nombre des croisés ; leur présence ne diminua pas la barbarie des persécuteurs, & l'institution de l'inquisition en Europe fut une fin digne de couronner cette expédition.

On voit par l'histoire abregée que nous venons de faire qu'il y eut environ cent mille hommes de sacrifiés dans les deux expéditions de S. Louis.

Cent cinquante mille dans celle de Barberousse.

Trois cent mille dans celle de Philippe-Auguste & de Richard.

Deux cent mille dans celle de Jean de Brienne.

Seize cent mille qui passerent en Asie dans les croisades antérieures.

C'est-à-dire que ces émigrations occasionnées par un esprit mal entendu de religion, coûterent à l'Europe environ deux millions de ses habitans, sans compter ce qui en périt dans la croisade du Nord & dans celle des Albigeois.

La rançon de S. Louis coûta neuf millions de notre monnoie. On peut supposer, sans exagération, que les croisés emporterent à-peu-près chacun cent francs, ce qui forme une somme de deux cent neuf millions.

Le petit nombre de chrétiens métifs qui resterent sur les côtes de la Syrie, fut bientôt exterminé ; & vers le commencement du treizieme siecle il ne restoit pas en Asie un vestige de ces horribles guerres, dont les suites pour l'Europe furent la dépopulation de ses contrées, l'enrichissement des monasteres, l'apauvrissement de la noblesse, la ruine de la discipline ecclésiastique, le mépris de l'agriculture, la disette d'especes, & une infinité de vexations exercées sous prétexte de réparer ces malheurs. Voyez les ouvrages de M. de Voltaire, & les discours sur l'histoire ecclésiastique de M. l'abbé Fleury, d'où nous avons extrait cet article, & où l'origine, les progrès & la fin des croisades sont peintes d'une maniere beaucoup plus forte.

CROISADE ou CROISETTE, en termes d'Astronomie ; est le nom qu'on a donné à une constellation de l'hémisphere austral, composée de quatre étoiles en forme de croix. C'est par le secours de ces quatre étoiles que les navigateurs peuvent trouver le pole antarctique. Voy. ETOILE & CONSTELLATION. (O)


CROISATS. m. (Comm.) monnoie d'argent qui se fabrique à Genes, & qui a cours dans les états de la république ; elle a pour effigie une croix, d'où elle a pris le nom de croisat, & sur l'écusson l'image de la Vierge. Le croisat vaut, au titre de 11 deniers 2 grains, 5 liv. 15 s. 11 den. argent de France.


CROISÉadj. pris subst. (Manuf. en soie, fil, coton & laine) Il se dit de toute étoffe fabriquée à quatre marches, & où les fils de chaîne sont plus serrés par cette raison, que si elle n'avoit été travaillée qu'à deux ; ainsi toute étoffe croisée est d'un meilleur user que si elle étoit simple.

CROISE, adj. en terme de Blason, se dit du globe impérial & des bannieres où il y a une croix. Gabriel, en Italie, d'azur à trois bezans d'argent, croisées de gueules ; un croissant d'argent en abysmes, & une bordure endentée d'argent & de gueules. (V)


CROISÉS. f. terme d'Architecture, en latin fenestra, formé du grec , reluire ; ce qui a fait jusqu'à présent regarder comme synonymes les noms de croisée & de fenêtre : néanmoins celui de croisée est plus universellement reçu, soit parce qu'anciennement on partageoit leur hauteur & leur largeur par des montans & des traverses de pierre ou de maçonnerie en forme de croix, ainsi qu'il s'en remarque encore à quelques-unes du palais du Luxembourg, ou soit parce qu'à-présent les chassis de menuiserie qui remplissent les baies, sont formés de croisillons assemblés dans des bâtis ; de maniere qu'on appelle indistinctement croisée, non-seulement le chassis à verre, mais aussi l'ouverture qui le contient.

Les croisées sont une des parties de la décoration la plus intéressante ; leur multitude, leurs proportions, leurs formes & leurs richesses dépendant absolument de la convenance du bâtiment, on ne peut trop insister sur ces quatre manieres de considérer les croisées dans l'ordonnance d'un édifice : car comme elles se réiterent à l'infini dans les façades, c'est multiplier les erreurs que de négliger aucune des observations dont on va parler.

La trop grande quantité d'ouvertures dans un bâtiment, nuit à la décoration des dehors ; cependant cet abus gagne au point qu'on néglige l'ordonnance des façades pour rendre, disent quelques-uns, les dedans commodes & agréables. Il est vrai que les anciens Architectes sont tombés dans un excès opposé ; mais est-il impossible de concilier ces deux systèmes ? La mode devroit-elle s'introduire jusques dans les bâtimens ? quel contraste de voir dans une ville où regne une température reglée, un sentiment si opposé d'un siecle à l'autre, concernant la multiplicité des croisées dans les édifices toûjours également destinés à l'habitation des hommes ! Cette vicissitude provient sans-doute de ce que la plûpart des Architectes ont regardé les beautés de leur art comme arbitraires, d'où est née l'inégalité de leurs productions. Pour prévenir cet abus il est un moyen certain, qui consiste à concilier le rapport des pleins avec les vuides d'un mur de face. Or comme la largeur des croisées dépend de leur hauteur, & que l'une & l'autre sont assujetties à la grandeur & à la convenance du bâtiment, ne doit-il pas s'ensuivre que les murs ou trumeaux (voyez TRUMEAU) qui les séparent, doivent avoir de l'analogie avec leur baie ? de sorte que si les croisées doivent être plus ou moins élégantes, selon l'expression du bâtiment (voyez EXPRESSION), ainsi qu'il en va être parlé, les trumeaux doivent aussi se ressentir de cette même expression ; d'où il faut conclure que les trumeaux d'une façade considérée de proportion toscane, doivent être plus larges que ceux distribués dans une façade dans laquelle on a voulu faire présider la légereté attribuée à l'ordre corinthien. Les trumeaux de l'ordonnance toscane seront donc au moins égaux au vuide ; les corinthiens & composites, au moins égaux à la moitié : & les trumeaux des autres ordonnances entre ces deux extrêmes, à l'exception des encoignures des avant-cours & des pavillons du bâtiment, qu'il faut toûjours, autant qu'il est possible, tenir de la moitié plus larges, afin de donner aux parties anguleuses une solidité réelle & apparente, mais toûjours proportionnée à la décoration rustique, solide, moyenne ou délicate qui présidera dans les dehors.

La proportion des croisées consiste à leur donner une largeur relative à leur hauteur, selon la solidité ou l'élégance de la décoration du bâtiment. Plusieurs croient qu'il suffit de leur donner de hauteur le double de la largeur. Il seroit vicieux sans-doute de leur en donner moins ; mais il faut savoir que cette regle générale ne peut être propre à toutes les ordonnances ; & que ces parties si essentielles à un édifice, doivent avoir dans leurs dimensions des proportions plus ou moins élégantes, qui répondent à la diversité des ordres que l'on peut employer ensemble ou séparément dans les bâtimens : ensorte que la hauteur d'une croisée d'ordonnance toscane, puisse être réduite au plus à deux fois la largeur ; celle dorique à deux fois un quart ; celle ionique à deux fois un quart ; & celles corinthienne & composite, à deux fois & demie ; & diminuer ces différentes hauteurs à raison de la simplicité qu'on aura crû devoir affecter dans ces diverses ordonnances, c'est-à-dire selon qu'on aura fait parade de colonnes ou de pilastres dans sa décoration, que ces pilastres ou colonnes y seront traités avec une plus ou moins grande richesse ; ou enfin selon qu'on les en aura soustraits tout-à-fait pour n'en retenir dans sa décoration que l'expression, le caractere & la proportion.

La forme des croisées est encore une chose sur laquelle il est indispensable de réfléchir dans la décoration des bâtimens ; & quoique nous n'en reconnoissions que de trois especes, les droites, les plein-ceintres & les bombées (les surbaissées étant absolument à rejetter), il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a que les bombées & les droites, nommées à plates-bandes, dont il faut faire usage ; autrement, lorsqu'on les fait à plein-ceintre, elles imitent la forme des portes ; & c'est une licence condamnable en Architecture, de donner à ces ouvertures une forme commune, lorsque ces deux genres d'ouvertures doivent s'annoncer différemment, malgré l'exemple de plusieurs édifices de réputation, où l'on voit des fenêtres à plates-bandes ou bombées : preuve incontestable du peu de réflexion qu'on a eue, d'assigner à chaque partie du bâtiment, des formes qui désignent d'une maniere stable & constante leurs divers usages. De cette imitation résulte le désordre de la décoration, qu'on remarque dans les façades. Celui-ci imite ce qu'il a vu faire à celui-là. La plûpart n'ont aucun principe. On fait un dessein, il plaît au vulgaire : enfin on passe à l'exécution, sans s'appercevoir que, plus ignorant encore que ceux qui ont précédé, on laisse à la postérité les témoignages honteux de son incapacité ; sans réfléchir qu'aujourd'hui le mérite principal de l'Architecture ne consiste, pour ainsi dire, que dans l'arrangement & l'application raisonnée des préceptes des anciens, & dans la maniere ingénieuse de les ajuster aux usages de ce tems, selon les loix de la convenance & les principes du goût.

Par la richesse des croisées on entend les crossettes, & les chambranles (voyez CHAMBRANLE) qui les entourent ; les arriere-corps qui les accompagnent, les corniches, les frontons, les consoles, les claveaux ou agraffes qui les couronnent. Mais l'assemblage de tous ces membres divers, dont on mesuse le plus souvent, devroit être réprimé, & n'être employé absolument que relativement à l'importance du bâtiment ; car il faut savoir en général qu'un chambranle d'un beau profil, qu'une agrafe d'une forme & d'un galbe intéressant, une table, un arriere-corps, devroient faire tous les frais de leur décoration ; rien n'étant plus abusif que de prétendre qu'une croisée ne peut être belle, qu'autant qu'elle est surchargée de membres d'Architecture & d'ornemens, souvent aussi peu vraisemblables que contraires aux regles de la convenance. Voyez AGRAFE, CLAVEAU, FRONTON, CROSSETTE, &c.

Il est des croisées qu'on nomme attiques, parce qu'elles tiennent de la proportion de cet ordre raccourci (voyez ATTIQUE). Il en est aussi qu'on nomme mezanines, de l'italien mezanini, parce qu'elles ont moins de hauteur que de largeur, ainsi qu'il se remarque aux façades du palais des Tuileries.

Il est encore des croisées appellées atticurgues par Vitruve, parce qu'elles sont moins larges dans leur sommet que dans leur base ; genre d'ouverture qu'ont employé fréquemment les anciens dans leurs portes & croisées, parce qu'ils prétendoient qu'elles étoient plus solides que celles dont les piédroits sont paralleles. Néanmoins cette prétendue raison de solidité n'a pas lieu en France, les obliquités dans l'Architecture réguliere étant reconnues comme une licence défectueuse. On donne encore différens noms aux croisées, selon leurs diverses applications dans les bâtimens. Par exemple on appelle croisée à balcon, celle qui descend jusqu'au niveau du plancher ; croisées à banquettes, lorsqu'elles ont un appui de pierre de quatorze pouces, & le reste en fer ; enfin croisée en tour ronde, en tour creuse, biaise, &c. selon la forme du plan qui les reçoit. (P)

CROISEE D'OGIVES, sont les arcs ou nervûres qui prennent naissance des branches d'ogives, & qui se croisent diagonalement dans les voûtes gothiques. (P)

CROISEE ou CROSSE D'UN ANCRE, (Marine) est sa partie courbe qui s'enfonce dans la mer. Voyez ANCRE.

CROISEES D'EAU, voyez BERCEAUX D'EAU.

* CROISEE, (Couverturier) espece de petite croix de bois qui porte les bosses de chardon propre à lainer les couvertures. Voyez COUVERTURE.

CROISEE, en terme d'Epinglier ; c'est une croix de fer dans chaque bras de laquelle passe un fil de laiton qu'on recroise sur les plaques, pour les scier ensemble dans le blanchissage. Voyez PLAQUER & BLANCHIR, & la Pl. de l'Epinglier, fig. 14.

CROISEE, terme dont se servent les Horlogers. Ce mot parmi eux n'a pas une signification trop déterminée ; tantôt ils entendent par croisées, les espaces vuides compris entre les barettes d'une roue, son bord & son centre, comme l'espace 5 c de la roue de champ, fig. 26. tantôt ils entendent par ce mot, la figure de ces espaces vuides, lorsque les barrettes, au lieu d'être terminées par des lignes droites, le sont par des lignes courbes, telles que celles des roues de la pendule à ressort. Pl. III. de l'Horlog. (T)

CROISEE, (Menuiserie) est ce qui ferme les baies des fenêtres des appartemens, & ce qui porte les vîtres. Voyez la Pl. IV. de Menuiserie, fig. 1.

Devant de croisée, dessous d'appui, soubassement de croisée, est la partie de lambris qui remplit depuis la croisée jusques sur le parquet ou quarreau.

CROISEE, en terme d'Orfevre en grosserie ; ce sont les trois branches d'une croix assemblée, aux extrémités desquelles ont met des fleurons, fleurs-de-lys ou autres ornemens, pour les terminer avec grace.


CROISEAU(Hist. nat.) nom qu'on a donné au biset. Voyez BISET.


CROISEMENTS. m. (Soierie) c'est l'action d'unir & tordre les uns sur les autres les brins qui forment le fil de soie, ce qui s'exécute au moulin. Il n'y a point de croisement à la soie plate.


CROISER(Jurispr.) en matiere de taxe de dépens, signifie marquer d'une croix sur la déclaration de dépens, les articles dont on se plaint. Lorsqu'il y a appel de la taxe, l'intimé fait mettre au greffe la déclaration de dépens, avec les pieces justificatives ; & en conséquence il somme l'appellant de croiser les articles dont il se plaint, & ce dans trois jours suivant l'ordonnance : faute par le procureur de l'appellant de croiser dans ce délai, on peut se pourvoir pour faire déclarer l'appellant non-recevable en son appel. Après que le procureur de l'appellant a croisé, l'intimé peut se faire délivrer exécutoire des articles non croisés dont il n'y a pas d'appel.

Si l'appel est sous deux croix ou chefs d'appels seulement, il faut se pourvoir à l'audience ; mais s'il y a plus de deux croix, il faut prendre au greffe l'appointement de conclusion, pour instruire l'appel comme procès par écrit.

L'ordonnance veut que l'appellant soit condamné en autant d'amendes qu'il y aura de croix & chefs d'appels sur lesquels il sera condamné, à moins qu'il ne soit appellant des articles croisés par un moyen général.

L'appellant réunit souvent sous deux chefs d'appel sept ou huit articles de la déclaration dont il se plaint, soit pour éviter l'appointement, soit pour éviter la multiplicité des amendes, au cas qu'il succombe.

Si la taxe est infirmée, on ordonne que les articles croisés seront réformés ; savoir, l'article tel, sous la premiere croix, taxé à... sera réduit à... & ainsi des autres. Voyez l'ordonn. de 1667. titre des dépens, art. 28. 29. 30. & 31. & ci-après DEPENS. (A)

CROISER, (Mar.) c'est faire différentes routes & courses dans quelques parages, ou parties de la mer, dans lesquels on va & revient pour observer tout ce qui s'y passe, ou pour y rencontrer des vaisseaux ennemis, ou pour en assurer la navigation contre les corsaires. (Z)

CROISER LES TRAITS, (Charp.) c'est, lorsqu'on trace quelqu'ouvrage, faire passer les traits les uns sur les autres, sans répandre de confusion sur le dessein.

CROISER, (Jardinage) se dit des branches d'un arbre en espalier qui passent les unes sur les autres, ce qui est quelquefois nécessaire pour remplir un vuide dans le mur : ce n'est plus alors un défaut. (K)

CROISER la gaule par derriere, (Maréchall.) voyez GAULE. (V)

* CROISER LES LACS, (Manuf. en soie) Lorsqu'un fond d'or est en quatre dorures, & qu'on le veut mettre en deux, on tire le premier & le troisieme lacs, le second & le quatrieme ; ce qui s'appelle les croiser.


CROISERIES. f. (Vann.) ouvrages de croiserie ; ce sont des ouvrages à jour que les Vanniers appellent de ce nom, parce qu'ils sont faits de brins d'osier croisés les uns sur les autres de différentes manieres.


CROISÉSadj. pris subst. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on appelle dans l'histoire, depuis le onzieme jusqu'à la fin du treizieme siecle, les gentilshommes & les soldats qui s'unissoient pour faire le voyage de la Terre-sainte, ou pour y combattre contre les infideles. On les nommoit ainsi d'une croix d'étoffe qu'ils portoient cousue sur l'épaule.

Ce mot signifie la même chose dans les anciennes coûtumes d'Angleterre. Il désigne aussi les chevaliers de S. Jean de Jérusalem, qui portoient cette croix sur l'estomac, & protégeoient les pélerins. On entend encore par ce terme tous les nobles qui sous les regnes d'Henri II, de Richard premier, de Henri III, & d'Edouard premier, se croiserent, cruce signati, c'est-à-dire se consacrerent aux guerres entreprises pour le recouvrement de la Terre-sainte. V. CROISADE. (G)


CROISETTEsubst. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante qui ne differe du caille-lait & du grateron, que par le nombre de ses feuilles, qui naissent quatre à quatre à chaque noeud des tiges. Tournefort, inst. rei herb. Voyez CAILLE-LAIT, GRATERON, PLANTE. (I)

CROISETTE, (Mat. med.) cette plante passe pour vulnéraire, astringente, dessicative : on la recommande sur-tout dans les cas où le scrotum est gonflé par la descente de l'intestin.

La décoction prise dans du vin est bonne dans les descentes. Cette plante est très-rarement, ou plutôt n'est jamais prescrite par les medecins. (b)

CROISETTE, (Marine) quelques marins donnent ce nom à la clé ou cheville qui sert à joindre & entretenir le bâton du pavillon avec le mât qui est au-dessous. (Z)

CROISETTE, terme de Blason, petite croix. Il y a des écus semés de croisettes. Les faces & autres pieces honorables sont quelquefois chargées ou accompagnées de croisettes. Menetr. & Trév. (V)


CROISIC(LE) Géog. mod. petite ville maritime de France, dans la province de Bretagne, avec un port.


CROISIERES. f. (Marine) se dit des endroits & parages où l'on va croiser. On dit établir sa croisiere à l'oüest de la Manche, aux Açores, aux Canaries, &c. suivant les endroits où l'on va croiser. (Z)


CROISIERSS. m. pl. (Hist. eccl.) nom d'une congrégation de chanoines réguliers. Voyez CHANOINE.

Il y a trois ordres qui ont porté ou portent encore ce nom. L'un est d'Italie, l'autre a pris son origine dans les Pays-Bas, & le troisieme en Boheme.

Ils prétendent venir de S. Clet, & ajoûtent que S. Quiriace Juif, qui montra à S. Helene le lieu de la vraie croix, & qui se convertit ensuite, les réforma. Ce qu'il y a de certain, c'est que cet ordre étoit établi en Italie avant qu'Alexandre III. montât sur la chaire de S. Pierre, puisque ce pontife fuyant la persécution de l'empereur Fréderic Barberousse, trouva un asyle dans le monastere des croisiers, qu'il prit ensuite sous sa protection en 1169, lui donnant la regle de S. Augustin.

Pie V. l'approuva de nouveau ; mais la discipline réguliere s'y étant extrèmement affoiblie, Alexandre VII. les supprima tout-à-fait en 1656.

Matthieu Paris dit que des croisiers ou religieux porte-croix, portant des bâtons au bout desquels il y avoit une croix, vinrent en Angleterre en 1244, se présenter au synode que tenoit l'évêque de Rochester, pour être reçus.

Dodswarth & Dugdale parlent de deux monasteres de cet ordre en Angleterre, l'un à Londres, l'autre au bourg de Ryegate ; celui-ci fondé en 1245, & l'autre en 1298. Quelques-uns en comptent un troisieme à Oxford, où ils furent reçus en 1349. M. Allemand dit qu'il y avoit quatorze monasteres de croisiers en Irlande, & qu'ils étoient venus de ceux d'Italie, puisque ceux de France & des Pays-Bas ne les reconnoissoient point.

Les croisiers de France & des Pays-Bas furent fondés en 1211, par Theodore de Celles, qui ayant été servir en Palestine en 1188, & y ayant trouvé quelques-uns des croisiers institués par. S. Clet, conçut dès-lors le dessein d'en fonder une congrégation dans son pays. Ce qu'il y a de certain, c'est que Théodore étant de retour de la Palestine, s'engagea dans l'ordre ecclésiastique, & alla en qualité de missionnaire à la croisade contre les Albigeois. Etant retourné dans son pays en 1211, l'évêque de Liege lui donna l'église de S. Thibault près de la ville d'Hui, où avec quatre de ses compagnons il jetta les fondemens de son ordre, qu'Innocent III. & Honorius III. confirmerent. Théodore envoya de ses religieux à Toulouse, qui se joignirent à S. Dominique pour combattre les Albigeois, & cette congrégation s'établit & se multiplia depuis en France. Les papes ont voulu soûmettre les croisiers d'Italie à ceux de Flandres.

Les croisiers ou porte-croix avec l'étoile en Boheme, font remonter leur origine jusqu'au tems de S. Quiriace, puisqu'ils disent qu'ils sont venus de Palestine en Europe, où ils ont embrassé la regle de S. Augustin & bâti plusieurs monasteres. Ils ajoûtent que Ste. Agnès de Boheme pour les distinguer des autres croisiers, obtint du pape Innocent IV. qu'ils ajoûteroient une étoile à la croix qu'ils portent. Mais ce que l'on dit de S. Quiriace n'a aucun fondement, & c'est Agnès fille de Primislas roi de Boheme, qui institua cet ordre à Pragues en 1234. Ils ont maintenant deux généraux, & sont en très-grand nombre. Voyez les dict. de Moreri & de Chambers. (G)


CROISILLES. f. terme de Cordier, est une piece de bois taillé en portion de cercle, qui est sur le roüet des fileurs, & qui porte les molettes. Voyez la Planc. I. de la Corderie.


CROISILLONSS. m. pl. en Bâtiment ou Architecture, sont des meneaux de pierre faits de dalles fort minces, dont on partageoit autrefois la baie d'une fenêtre, comme il s'en voit au Luxembourg.

Croisillons de modernes, sont les nervures de pierre qui séparent les panneaux des vitraux gothiques. (P)

CROISILLON, s. m. terme de Metteur en oeuvre ; ce sont de petits chatons ou fleurons qu'ils placent entre les grands dans une croix. Voyez CROIX.


CROISOIRES. m. (Manufact. d'ourdissage) espece de peigne de fer ou de boüis, à l'usage des Boulangers qui font le biscuit ; ils s'en servent pour tracer des façons à sa surface.


CROISSANCES. f. (Jardinage) On dit qu'un arbre prend bien de la croissance, lorsqu'il pousse vigoureusement ; cependant cette croissance a des bornes : il vient un tems qu'un arbre a sa juste proportion suivant cette exacte symmetrie que le créateur a établie entre tous les êtres créés ; alors cet arbre ne croit plus, il ne fait que s'entretenir. (K)


CROISSANTS. m. (Astron.) se dit de la Lune nouvelle, qui montre une petite partie éclairée de sa surface en aboutissant en pointes, quand elle commence à s'éloigner du Soleil ; cette partie éclairée augmente jusqu'à ce que la lune soit pleine & dans son opposition. Voyez LUNE.

Ce mot est latin, crescens, & vient de crescere, cresco, je crois, j'augmente. Les pointes ou extrémités du croissant s'appellent cornes ; l'une est méridionale, l'autre boréale. Tertia, dit Virgile, jam lunae se cornua lumine complent, pour dire voilà le troisieme mois.

On appelle aussi croissant, la même figure de la Lune en décours : mais alors ses pointes ou cornes sont tournées du côté de l'occident, au lieu que dans l'autre cas elles sont du côté de l'orient.

Peu avant ou après la nouvelle Lune, lorsque le croissant paroit assez foible & mince, on peut appercevoir, outre le croissant, le reste du globe de la Lune, à la vérité d'une lumiere beaucoup moins vive que le croissant. C'est qu'alors la partie éclairée de la Terre étant presque toute entiere tournée vers la Lune, renvoye à la Lune une certaine quantité de lumiere, qui est de nouveau réflechie par la Lune & renvoyée à la Terre. Plus la Lune approche des quadratures, plus cette lumiere s'affoiblit. (O)

CROISSANT, adj. (Géom.) On appelle quantité croissante, une quantité qui augmente à l'infini ou jusqu'à un certain terme, par opposition à une quantité constante (voyez CONSTANT) ou à une quantité décroissante. Ainsi dans l'hyperbole rapportée aux asymptotes, l'abscisse étant décroissante, l'ordonnée est croissante. De même dans un cercle l'abscisse prise depuis le sommet étant croissante ; l'ordonnée est croissante jusqu'au centre, & ensuite décroissante, &c. (O)

CROISSANT, (Hist. mod.) est le nom d'un ordre militaire, institué par René d'Anjou roi de Sicile, &c. En 1448 les chevaliers portoient sur le bras droit un croissant d'or émaillé, duquel pendoient autant de petits bâtons travaillés en forme de colonne, que le chevalier s'étoit trouvé de fois en bataille ou autres occasions périlleuses.

Ce qui donna occasion à l'établissement de cet ordre, c'est que René avoit pris pour dévise un croissant, sur lequel étoit écrit le mot los, ce qui en style de rébus vouloit dire los-en-croissant, c'est-à-dire qu'en avançant en vertus on mérite des louanges.

Les chevaliers portoient le manteau de velours cramoisi, le mantelet de velours blanc, avec la doublure & la soutane de même. L'ordre étoit composé de cinquante chevaliers, y compris le senateur ou président, c'est-à-dire le chef, & nul n'y pouvoit être reçu ni porter le croissant s'il n'étoit duc, prince, marquis, comte, vicomte, ou issu d'ancienne chevalerie, & gentilhomme de ses quatre lignées, & que sa personne fût sans vilain cas de reproche. D'anciens manuscrits de la bibliotheque de S. Victor nous ont conservé la formule du serment qu'ils prêtoient en vers de ce tems-là.

La messe oüir, ou pour Dieu tout donner,

Dire de Notre-Dame, ou manger droit le jour

Que pour le souverain, ou maître, ou sa cour,

Armer ses freres ou garder son honneur,

Fête & dimanche doit le croissant porter,

Obéir sans contredit toûjours au sénateur.

Cet ordre étoit sous la protection de S. Maurice, & s'assembloit dans l'église de S. Maurice d'Angers. Favin, théat. d'honn. (G)

CROISSANT. On appelle ainsi, en termes de Blason, une demi-lune. Les Ottomans portent de sinople au croissant montant d'argent.

Avant que les Turcs se fussent rendus maîtres de Constantinople, & de toute antiquité, la ville de Bysance avoit pris un croissant pour symbole, comme il paroît par les médailles des Bysantins, frappées à l'honneur d'Auguste, de Trajan, de Julia Domna, de Caracalla.

On appelle croissant montant, celui dont les pointes sont tournées en-haut vers le chef, qui est sa représentation la plus ordinaire. Les croissans adossés, sont ceux qui ont leurs parties les plus grosses & les plus pleines à l'opposite l'une de l'autre, & dont les pointes regardent le flanc de l'écu.

Le croissant renversé ou couché, est celui dont les pointes sont au rebours du montant. Les croissans tournés se posent comme les adossés : la différence est, qu'ils tournent toutes leurs pointes d'un même côté vers le flanc dextre de l'écu, soit en face, soit en bande ; les croissans contournés, au contraire, ont leurs pointes vers le côté gauche de l'écu. Les croissans affrontés ou appointés ont leur assiete contraire à celle des adossés, parce que leurs pointes se regardent. Voyez le dict. de Trév. Menet. & Chambers. (V)

CROISSANT, (Bas au métier) Il y a le croissant du bas de presse. Voyez l'article BAS AU METIER.

CROISSANT, en terme de Boutonnier ; c'est un outil aigu, plat, & creusé en forme de croissant ; il est garni d'un manche, & sert à faire des coulans. Voyez COULANS.

CROISSANT, outil de Jardinage. V. JARDINAGE.

CROISSANT, (Maréchall.) suite de la fourbure. Voyez FOURBURE. (V)

CROISSANT, (Lutherie) Les Facteurs d'orgue appellent ainsi des planches entaillées en demi-cercles concaves, dont l'usage, après qu'elles ont été affermies contre les montans des tourelles du fût d'orgue, est de soûtenir les grands tuyaux de montre par derriere, & les tenir écartés les uns des autres à une distance convenable.


CROISSANTÉadj. terme de Blason : on dit d'une croix qu'elle est croissantée, lorsqu'elle a un croissant ou une demi-lune attachée à chacune de ses extrémités. Voyez CROIX. (V)


CROISSERVoyez RENETTE.


CROISTCROIST


CROISURES. f. c'est le travail d'une étoffe croisée ou fabriquée à quatre marches. Ce terme est opposé à filure, qui se dit de la tissure des étoffes fabriquées à deux marches.


CROITREAUGMENTER, (Gram. & Synon.) ces mots désignent en général ce qui devient plus grand. Les enfans & les arbres croissent ; le froid & la chaleur augmentent. (O)


CROIXS. f. (Hist.) instrument composé de deux pieces de bois, qui se coupent & se traversent ordinairement à angles droits.

Le pere Pezron fait venir le mot crux du celtique croug & crouas, quoique peut-être on puisse avec autant de raison dire que croug & crouas sont dérivés de crux.

La croix étoit anciennement le supplice des malfaiteurs & des esclaves. On la plantoit en différens endroits pour inspirer de la terreur aux scélérats, comme on faisoit autrefois les estrapades, & comme on fait encore aujourd'hui en quelques occasions les potences. Selon Sozomene, Constantin converti au Christianisme abolit le premier le supplice de la croix, qui jusque-là avoit toûjours été en usage chez les Romains. Il l'avoit aussi été chez les Assyriens, les Egyptiens, les Perses, les Carthaginois, & même les Grecs, comme il paroît par les auteurs profanes.

A l'égard du crucifiement ou de la maniere dont on attachoit les criminels à la croix, on peut voir ce que nous en dirons au mot CRUCIFIEMENT.

Nous ajoûterons seulement ici, que les critiques sont fort partagés sur cet article. Les principaux points de leur dispute consistent à savoir si on y attachoit le patient avec trois cloux ou avec quatre : si ses piés étoient immédiatement attachés à la croix ou s'ils étoient posés sur un petit tasseau qui servoit à les appuyer : si l'on commençoit par planter la croix en terre pour y attacher ensuite le patient par le moyen d'un échafaud élevé à la hauteur de l'endroit où ses piés devoient être placés, ou si l'on attachoit le patient à la croix avant que de l'élever & de la planter, comme les peintres le représentent dans le crucifiement de Jesus-Christ ; enfin si le crucifié étoit entierement nud ou couvert. (G)

CROIX (Invention de la sainte), fête très-ancienne dans l'Eglise, & qu'on célebre le 3 de Mai, en mémoire de ce que Ste Helene mere du grand Constantin trouva la croix de Jesus-Christ enfoncée en terre sous le mont Calvaire. Cette princesse fit bâtir une église au même endroit pour y conserver une partie de la croix, & fit porter le reste à Rome, où elle fut placée dans une église somptueuse que fit bâtir l'empereur, & qu'on nomma l'église de sainte croix de Jérusalem.

Théodoret dit qu'en creusant pour faire cette recherche, on trouva trois croix ; celle de Jesus-Christ, & celle des deux voleurs qu'on avoit crucifiés avec lui, & qu'on trouva même le titre que Pilate avoit fait mettre au-dessus de la croix de Jesus-Christ, mais détaché, ensorte qu'on ne pouvoit découvrir quelle étoit celle du Sauveur, mais qu'on la reconnut par l'application qu'on en fit à une femme dangereusement malade qui fut guérie sur le champ. S. Paulin, dans son épître xxxj. à Severe, dit qu'on coucha un cadavre d'abord sur deux de ces croix, qui ne produisirent aucun effet, mais qu'il ressuscita lorsqu'on l'eut approché de la troisieme, qu'on reconnut à ce signe éclatant pour être celle de Jesus-Christ. (G)

CROIX (Exaltation de la sainte), fête qu'on célebre dans l'église Romaine le 14 de Septembre, en mémoire de ce que l'empereur Heraclius rapporta au Calvaire, l'an 642, la vraie croix qui en avoit été enlevée 14 ans auparavant par Cosroés roi des Perses, lorsqu'il prit Jérusalem sur l'empereur Phocas. Voyez EXALTATION.

CROIX (Porte-), cruciger ; c'est dans l'église Romaine un clerc ou chapelain d'un évêque, archevêque ou primat, qui porte une croix devant le prélat dans les occasions solemnelles. Le pape a une croix qu'on porte devant lui partout. On porte aussi celle d'un patriarche partout devant lui, excepté à Rome. Les primats, métropolitains, ceux qui ont droit de porter le pallium, font porter la croix devant eux dans tous les lieux de leurs jurisdictions respectives. Cet usage ne remonte, pour les quatre patriarches d'Orient, qu'au concile de Latran, tenu en 1215 sous Innocent III, encore Grégoire IX. ne leur permit-il pas de la porter en présence des cardinaux. Depuis, les papes ont accordé la croix aux archevêques de Bourges, de Cologne, d'Auch, de Gnesne, de Cantorberi, d'York, &c. & enfin aux évêques. La croix de ceux-ci est simple, celle des archevêques a deux branches en-travers, & celle du pape en a trois. Il ne paroit pas que les archevêques Grecs ayent fait porter une croix devant eux. Mais comme on portoit une lampe allumée devant les empereurs, cette marque d'honneur fut accordée au patriarche de Constantinople, & ensuite, selon Balsamon, aux archevêques de Bulgarie & de Chypre, & à quelques autres métropolitains. C'est l'origine du bougeoir qu'on porte aux offices, & même à la messe, devant les évêques, & même devant les curés de Paris. Thomass. Discipl. ecclés. part. IV. liv. I. c. xxxjx. (G)

CROIX PECTORALE ; c'est une croix d'or ou d'argent ou de quelqu'autre matiere précieuse, même de diamans, que les évêques, archevêques, &c. portent pendue au cou. On la nomme pectorale, parce qu'elle descend sur la poitrine, pectus. Les abbés & abbesses réguliers & régulieres en portent aussi. C'est une dévotion autorisée par plusieurs exemples de l'église greque & latine. Jean diacre nous représente S. Grégoire dans son mausolée, avec ce qu'il appelle filateria, c'est-à-dire un reliquaire d'argent pendu au cou. S. Grégoire expliquant lui-même ce terme, dit que c'est une croix enrichie de reliques. Innocent III. dit, que par cette croix les papes ont voulu imiter la lame d'or que le grand-prêtre des Juifs portoit sur le front. Les évêques ont depuis imité les papes. Thomassin. Ibid. (G)

CROIX (Ordre de la) ou croisade. Ordre de chevalerie composé seulement de dames, & institué en 1668 par l'impératrice Eléonor de Gonzague femme de l'empereur Leopold, en reconnoissance de ce qu'elle avoit recouvré une petite croix d'or, dans laquelle étoient renfermés deux morceaux du bois de la vraie croix. Cette croix d'or avoit échappé à l'embrasement d'une partie du palais impérial, & fut retrouvée dans les cendres. Le feu, dit-on, avoit brûlé la boîte où elle étoit renfermée, & fondu le crystal, sans toucher au bois de la vraie croix. (G)

CROIX DE S. ANDRE ; c'est une croix composée de deux pieces de bois égales & passées en sautoir. On la nomme ainsi, parce qu'on prétend que ce fut avec une pareille croix que l'apôtre saint André fut martyrisé à Patras en Achaie. La croix de S. André est l'instrument du supplice des assassins, voleurs de grand-chemin, & autres malfaiteurs que l'on condamne à la roüe. Le bourreau les étend & les lie sur cette croix posée sur un échafaud, & leur y brise les bras, les jambes, les cuisses, & les reins. V. ROUE. (G)

CROIX (Filles de la), Hist. ecclés. communauté de filles instituée en 1265 à Roye en Picardie, & répandue de-là à Paris & dans d'autres villes. Elles tiennent écoles & instruisent les jeunes personnes de leur sexe. Il y en a de deux sortes ; les unes ont fait les trois voeux simples de pauvreté, de chasteté, & d'obéissance ; les autres ont conservé toute leur liberté. Elles ont les unes & les autres chacune un supérieur, qui gouverne toutes les maisons de leur congrégation.

CROIX (Jugement de la), Hist. mod. il étoit en usage en France au commencement du jx. siecle, & consistoit à donner gain de cause à celui des deux parties qui tenoit le plus longtems ses bras élevés en croix. Il semble que cette maniere comique & folle de décider les différends des particuliers, ne pouvoit venir que dans l'esprit des Indiens du Paraguay nouvellement convertis au Christianisme. Article de M(D.J.)

CROIX, (Jurisprud.) est la marque que le procureur de celui qui est condamné aux dépens, met sur les articles de la déclaration dont il est appellant. Voyez ci-devant CROISER.

Croix de cens, signifie un sur-cens, comme qui diroit croît de cens, incrementum censûs. Dumoulin, sur le §. 51. de l'ancienne coûtume de Paris, gl. 1. n°. 17. & Loiseau, tr. du déguerpissement, liv. I. ch. v. n°. 7. se sont trompés en disant que le croix de cens n'a pas été ainsi nommé de l'accroissement du cens, mais de ce qu'anciennement, & jusqu'au tems d'Henri II, toute la petite monnoie qui servoit à payer le cens étoit marquée d'une croix. On reconnoît le contraire par une ordonnance de Philippe de Valois, du 6 Janvier 1347, qui porte, art. jx. que tous cens & croix de cens se payeront, &c. On peut voir aussi ce que dit Brodeau dans son commentaire sur le tit. des censives de la coûtume de Paris, n. 23. le gloss. de M. de Lauriere, tom. II. p. 306. & 307. & la note de M. Secousse, sur l'ordonnance de 1347.

CROIX, marquée par quelqu'un qui ne sait pas écrire, autrefois tenoit lieu de signature. Heribal, comte du palais sous le regne de Louis le Débonnaire, dans un cartulaire du monastere de Casaure, mit ainsi sa souscription, signum Heribaldi comitis sacri palatii, qui ibi fui, & proter ignorantiam litterarum signum S. crucis feci. Depuis que l'usage des lettres est devenu commun, cela ne se pratique plus guere que parmi des gens du peuple, & sur-tout de la campagne ; mais une simple croix ou marque n'est plus regardée comme une signature qui ait l'effet de rendre un acte valable ; ceux qui ne savent point signer ne peuvent s'obliger par écrit que pardevant notaire.

CROIX, peine ; autrefois, à S. Geniez dans le Languedoc, on bouchoit d'une croix la porte de ceux qui refusoient de payer la taille. Ordonnances du roi Jean, du 3 Mars 1356. (A)

CROIX, en termes de Blason. On la définit une piece de l'écu composée de lignes quadruples, dont deux sont perpendiculaires, & les deux autres transversales ; car il faut les imaginer telles, quoiqu'elles ne soient pas tracées exactement, mais qu'elles se rencontrent deux à deux en quatre angles droits près du point de fasce de l'écusson. Voyez PIECE.

Elle n'occupe pas toûjours le même espace dans le champ de l'écu ; car quand elle n'est point chargée, cantonnée ni accompagnée, elle ne doit occuper que la cinquieme partie du champ : mais si elle est chargée, elle doit occuper le tiers. V. CROISETTE.

Cette armoirie fut accordée originairement à ceux qui avoient exécuté ou au moins entrepris quelque action d'éclat pour le service de Jesus-Christ & pour l'honneur du nom chrétien, & est regardée par plusieurs comme la plus honorable de tout le Blason. Ce qui la rendit fort fréquente, ce furent sans-doute les expéditions & les voyages multipliés qu'on fit en la Terre-sainte ; car la plûpart de ceux qui en revinrent, chargerent leur écu d'une croix, & la croix devint une enseigne militaire.

On prétend que dans ces guerres saintes les Ecossois portoient la croix de S. André, les François une croix d'argent, les Anglois une croix d'or, les Allemands de sable, les Italiens d'azur, les Espagnols de gueules.

On compte trente-neuf différentes sortes de croix usitées dans le Blason, dont voici les noms ; les descriptions des principales d'entr'elles termineront cet article : Croix vuidée, croix ondée-vuidée, croix patée-frangée, croix patée-fichée sur le pié, croix patée sur trois pates, & fichée sur la quatrieme ; croix engrelée, croix patonnée, croix fleurie, croix patonnée-vuidée, croix avelane, croix patée avec l'ambel, croix fourchée, croix recroisettée, croix recroisettée-fichée en pointe, croix boutonnée, croix pommée, croix ordée, croix dégradée-fichée, croix potencée, croix potencée-fichée, croix du calvaire, croix recroisettée à degrés, croix patriarchale, croix ancrée, croix moulinée, croix cléchée, croix fleurdelysée, croix double fichée, croix à seize pointes, croix ragulée, croix pointée-vuidée, croix pallée, croix en tau, ou croix de S. Antoine, croix vuidée & coupée, croix coupée-percée, croix moulinée percée en losanges, croix moulinée percée en quatre, croix en sautoir, ou croix de S. André, dont on parlera plus en détail à son rang, aussi-bien que des autres.

La Colombiere fait mention de 72 sortes de croix différentes ; nous n'en nommerons ici que celles que nous n'avons pas nommées plus haut, telles que la croix remplie, qui n'est autre chose qu'une croix chargée d'une autre croix ; la croix partie, c'est-à-dire moitié d'une couleur & moitié d'une autre ; la croix écartelée, c'est-à-dire dont les quartiers opposés sont de différentes couleurs ; la croix de cinq pieces, c'est-à-dire celle qui est de cinq couleurs différentes ; la croix moussue & abaissée, la croix croissantée, la croix fourchée à trois pointes, la croix pommetée de trois pieces, la croix recrenelée, la croix pointée, la croix ancrée & sur-ancrée, la croix ancrée avec des têtes de serpent, la croix ailée, la croix exhaussée, la croix rayonnante, ou qui répand à l'entour des rayons de gloire ; la croix de Malte, la croix du S. Esprit, la croix fourchée à la maniere des anciennes fourchettes, la croix à huit pointes, la croix bourdonnée, la croix cramponée & tournée, la croix cablée, la croix inclinée, la croix de patenôtre, c'est-à-dire faite de grains de chapelet ; la croix de treffle, la croix fleuronnée, la croix vuidée, cléchée & pommetée ; la croix crenelée & baltillée, la croix à quatre branches pour chaque bras, la croix arrondie, la croix & demie, la croix étoilée ou en étoile, la croix cordée, la croix doublée de six pieces ensemble, la double croix fendue en pal, la longue croix coupée en pieces & démembrée, la croix coupée ou divisée en fasce, de deux couleurs contraires à celle du champ ; le chevron surmonté d'une demi- croix, quatre queues d'hermine en croix, les bouts de l'hermine opposés l'un à l'autre au milieu ; quatre pieces de vair disposées en croix, & contrepointées au centre ; la croix ou l'épée de S. Jacques ; une croix potencée cramponée au bras dextre supérieur avec une potence vers le milieu de la fleche. Menetr. Trév. & Chambers.

Voilà toutes les différentes sortes de croix qu'on trouve dans les deux auteurs que nous avons cités. Elles peuvent n'être pas toutes usitées en France ; mais le Blason est pour tous les pays, & il est bon d'en connoître au moins les termes.

Et ce n'est pas seulement par rapport aux croix qu'il y a une si grande variété ; il y en a tout autant par rapport à plusieurs autres pieces usitées, & singulierement par rapport aux lions & à leurs parties, dont la Colombiere compte quatre-vingt-seize positions différentes. Leigls ne parle que de quarante-six croix différentes ; Sylvanus Morgan, de vingt-six ; Upton, de trente ; Joannes de Bado-aureo, de douze ; & plusieurs autres qu'il est inutile de nommer ici, différens nombres plus ou moins grands.

Upton à la vérité convient qu'il n'ose entreprendre de détailler toutes les différentes croix usitées dans les armoiries, parce qu'elles sont, dit-il, innombrables ; c'est pourquoi il ne parle que de celles qu'il a vûes en usage de son tems. Voici les principales :

La croix ordinaire se nomme croix pleine, crux plena, comme celle de Savoie, &c.

Aspremont en Lorraine, de gueules à la croix d'argent. Elle est dite engrelée, quand elle a une espece de dentelle sur tous les bords.

D'Aillon de Lude, d'azur à la croix engrelée d'argent. Elle est dite patée, quand ses quatre extrémités s'élargissent, comme Argentré en Bretagne, d'argent à la croix patée d'azur. Elle est dite alezée, ou coupée ou rétrécie, quand de nul de ses bouts elle ne touche aux bords de l'écu.

Aintrailles, d'argent à la croix alezée de gueules.

Celle des Squarciafichi, de Genes, est d'autant plus extraordinaire, qu'étant potencée, c'est-à-dire terminée par quatre plates-bandes ; elle est repotencée ou cramponée en quatre endroits au bout droit d'en-haut, au droit du côté dextre, & aux deux d'en-bas.

Celle de Damas est ancrée, c'est-à-dire, crochue en ses extrémités, comme les ancres des vaisseaux.

Celle des Allegrains est non-seulement ancrée, mais partie de l'un à l'autre d'argent & de gueules, l'écu étant contreparti de même ; ainsi on dit :

Allegrain, parti de gueules & d'argent, à la Croix ancrée, contrepartie de l'une à l'autre.

Celle des Venasques, semblable à celle des comtes de Tolose, dont ils se disent descendus, est vuidée, c'est-à-dire percée à jour ; cléchée, c'est-à-dire qu'elle a ses quatre extrémités, comme les anciens anneaux de clés ; & pommetée, c'est-à-dire qu'à chaque angle des anneaux il y a une pomme : ainsi on blasonne ces armoiries d'or à la croix vuidée, cléchée & pommetée de gueules.

La croix des Sauteraux, de Dauphiné, est accompagnée de quatre oiseaux de proie d'argent, bequés, membrés & grilletés d'or : on dit bequé pour le bec, membré pour les jambes, grilleté pour les sonnettes.

La croix des Kaer en Bretagne, est dite en termes d'armoiries, gringolée, c'est-à-dire que ses extrémités se terminent en têtes de serpens, que le vulgaire nomme gargouilles, & par corruption, gringoles : ainsi il faut blasonner, Kaer en Bretagne, de gueules à la croix d'hermine gringolée d'or.

Celles de Des-Escures, en Bourbonnois, est ancrée, & chargée d'une étoile en coeur ; c'est-à-dire au milieu ou au centre de la croix.

Des-Escures, de sinople à la croix ancrée d'argent, chargée en coeur d'une étoile de sable.

Il s'en peut faire de cordes & de cables, comme celle qu'Upton donne en Angleterre à un nouvel annobli, de deux tortils de cables. Ces croix se disent cablées.

Hurleston ; en Angleterre, d'argent à une croix de quatre queues d'hermine aboutée.

Laurens, d'argent à une croix écotée de gueules.

Bierley, d'argent à une croix recroisetée de gueules.

Villequier, de gueule à une croix fleurdelisée d'or, accompagnée de douze billettes de même.

Troussel, une croix patée & fleurdelisée.

Delisle, une croix pommetée.

Rubat, une croix potencée.

La Chastre, une croix ancrée de vair.

La croix des Tohestke, en Silésie, est une croix que nous nommons croix de Lorraine, parce qu'une semblable croix est l'ancienne devise de la maison de Lorraine. C'est une croix greque alezée à double traverse ; la traverse la plus haute, plus courte que la basse : ici la plus basse est cramponée à senestre. Il faut donc dire, porte d'azur à la croix de Lorraine d'argent, cramponée au flanc senestre de la traverse d'en-bas.

Celle de Saliceta, à Genes, est bretessée ou recroisetée à double.

Celle des Weyers, au pays du Rhin, est recercelée en ses extrémités, & chargée en coeur d'un écusson de sable à trois besans d'or.

Herschfelt, abbaye d'Allemagne, a pour armoiries une croix de Lorraine, dont le pié est enhendé : ce terme vient de l'Espagnol enhendido, qui signifie refendu. Ces croix à refente sont communes dans les armoiries d'Allemagne.

Celle de Tigny est alezée, patée & écartelée.

Celle du Bosc, en Normandie, est échiquetée.

Celle des Truchses, fourchettée.

Celle de S. Gobert, trefflée.

Celle de la Riviere, frettée.

Des Ardinghelli, losangée.

De Viri, ouverte en fer de moulin.

Echaute, porte celle de Lorraine.

La croix longue sur un mont, avec une couronne d'épines & les clous, se nomme croix du calvaire. Les peres Théatins la portent ainsi, parce que leur congrégation commença le jour de l'exaltation de la sainte Croix.

Celle qui la suit, se dit perronnée.

Celle des Manfredi de Lucques est retranchée & pommetée.

Celle des Knolles, d'Angleterre, est resarcelée d'or.

Celle des Roussets est au pié fiché.

La suivante est de losanges.

La pénultieme, guivrée.

Et la derniere a le pié cramponé comme le flanc senestre de la pointe. (V)

CROIX DE JERUSALEM ou DE MALTE, flos constantinopolitanus, (Botanique & Jardin) est une espece de lychnis à qui l'on a donné le nom de croix de Jerusalem ou de Malte. C'est une plante dont les tiges, hautes de deux piés, se partagent en plusieurs rameaux dont les longues feuilles se terminent en pointes, & qui ont à leurs extrémités des fleurs à cinq feuilles disposées en ombelle, comme autant de croix ; de couleur d'écarlate, ou blanche, ou variée. Ces fleurs se convertissent en fruits de figure conique, qui contiennent beaucoup de semence, ce qui les multiplie. Ces croix viennent en été dans toutes sortes de terres, aiment le grand soleil, & on les place dans les parterres. (K)

CROIX DE S. ANDRE. (Bot. & Jardin) est une allée qui, en croisant une autre de traverse, forme la figure d'une croix allongée. Ces sortes d'allées se rencontrent dans un parterre également comme dans un bois. (K)

CROIX, terme d'Architecture. Sous ce nom on entend un monument de piété qui se plaçoit indistinctement autrefois dans les cimetieres, les places publiques, les carrefours, les marchés, les grands-chemins, les routes principales, &c.

Les croix aujourd'hui semblent réservées pour les cimetieres & les devants des églises ; on les éleve sur des piés-d'estaux ornés d'architecture & enrichis de sculpture, surmontées sur des gradins & entourées de bornes. Dans nos grands-chemins, nos places & autres lieux publics, l'on préfere les obélisques, les pyramides & les fontaines, ainsi qu'on le remarque dans les bois de Vincennes & de Boulogne, sur la route de Juvisy, &c. & l'on ne voit plus guere de ces monumens de piété que sur la route de S. Denys, où se remarquent quantité de ces monumens dans le goût gothique.

On appelle aussi croix, les amortissemens placés au-dessus des portails & des faîtes des monumens sacrés. Enfin on appelle croix greque ou latine dans une église, la partie qui traverse l'église entre le choeur & la nef. Voyez ÉGLISE. (P)

CROIX, (Marine) On dit, il y a une croix sur les cables ; ce qui signifie que les cables qui sont mouillés, sont passés l'un sur l'autre. (Z)

CROIX DE S. ANDRE, (Charpenterie) servent à remplir & à entretenir les combles & pans de bois où ils sont employés. Voyez Pl. du Charpentier, fig. 17.

* CROIX, (Manufact. en drap) morceau de bois dont le nom désigne assez la figure, sur lequel sont montées les têtes de chardon qui servent au lainage des étoffes.

* CROIX, (Manuf. en drap) petite courroie de cuir qui appartient à la manicle des Tondeurs de draps. Voyez MANICLE.

* CROIX, (Manuf. de fer-blanc) marque que ces Manufacturiers placent sur le fond des barrils qu'ils remplissent de fer blanc : elle désigne que ce fer est de la sorte la plus forte : elle s'imprime avec un fer chaud : elle donne au fer-blanc le nom de fer à la croix, qui se vend plus cher que l'autre.

CROIX, en terme de Fourbisseur, sont deux sortes de bras recourbés en-dessous, qui passent au haut du corps de la garde, l'un dessous la branche, & l'autre vis-à-vis ; ce qui avec le corps représente effectivement une croix. Voy. la fig. Pl. du Ciseleur-Damasquineur.

CROIX, faire la croix à courbettes, à ballotades ; en termes de Manege, c'est lorsqu'on fait ces sauts en-avant, en-arriere & de côté tout d'une haleine, de façon qu'ils forment la figure d'une croix sur le terrein.

Quelques-uns ont dit aussi faire la croix à caprioles, ce qui ne se peut pas ; car les chevaux qui feroient des caprioles en-arriere, sembleroient tenir du ramingue & du rétif, & ne travailleroient pas selon la justesse du manege : outre qu'un cheval, quelque vigoureux qu'il soit, ne peut faire d'une haleine toute la croix à caprioles. Voyez RAMINGUE, RETIF, CAPRIOLE. (V)

CROIX, en terme de Metteur en oeuvre, est une piece d'ajustement à l'usage des femmes, dont la figure est semblable à une croix, ce qui l'a fait appeller ainsi.

Personne n'ignore que les croix se portent au cou. On distingue de trois sortes de croix ; branlante, croix à la dévote, & croix d'évêques ou de chevaliers. Voyez ces mots à leur article.

CROIX A LA DEVOTE, en terme de Metteur en oeuvre, est un ornement de femmes qui leur tombe du cou sur le sein : elles ont pour l'ordinaire un coulant d'un dessein qui est assorti au leur. Voyez COULANT.

CROIX D'EVEQUE, en terme de Metteur en oeuvre, est pour l'ordinaire une croix d'or mat, ou quelquefois émaillée. Il est aussi difficile d'en déterminer le dessein, que de fixer le caprice & la mode.

CROIX, (Hist. mod. & Monnoyage) Autrefois, & encore aujourd'hui, dans plusieurs états de l'Europe on mettoit une croix sur les monnoies à la place de l'effigie. Voyez EFFIGIE, PILE.

En France toutes les monnoies porterent depuis le commencement de la monarchie & pendant la premiere race de nos Rois, l'effigie du prince regnant. Cet usage ne fut pas continué sous la seconde ; après le regne de Louis le Débonnaire, on ne voit plus de monnoie à croix.

Henri II. par édit de 1548, ordonna que sa pourtraiture, d'après son pourtrait, seroit gravée & empreinte sur les monnoies d'or & d'argent... &c. ce qui a été continué jusqu'à présent.

CROIX DE S. ANDRE, terme de Riviere, charpente qui porte en décharge la lisse d'un pont.

CROIX DE CERF, (Venerie) c'est un os que l'on trouve dans le coeur de cet animal : il a à-peu-près la forme d'une croix. On croit que mis en poudre dans du vin, c'est un remede pour les femmes en travail ; & que pendu au cou en amulete, il soulage dans les palpitations de coeur.

CROIX OU PILE, (analyse des hasards) Ce jeu qui est très-connu, & qui n'a pas besoin de définition, nous fournira les réflexions suivantes. On demande combien il y a à parier qu'on amenera croix en jouant deux coups consécutifs. La réponse qu'on trouvera dans tous les auteurs, & suivant les principes ordinaires, est celle-ci. Il y a quatre combinaisons,

De ces quatre combinaisons une seule fait perdre & trois font gagner ; il y a donc 3 contre 1 à parier en faveur du joüeur qui jette la piece. S'il parioit en trois coups, on trouveroit huit combinaisons dont une seule fait perdre, & sept font gagner ; ainsi il y auroit 7 contre 1 à parier. Voyez COMBINAISON & AVANTAGE. Cependant cela est-il bien exact ? Car pour ne prendre ici que le cas de deux coups, ne faut-il pas réduire à une les deux combinaisons qui donnent croix au premier coup ? Car dès qu'une fois croix est venu, le jeu est fini, & le second coup est compté pour rien. Ainsi il n'y a proprement que trois combinaisons de possibles :

Croix, premier coup.

Pile, Croix, premier & second coup.

Pile, pile, premier & second coup.

Donc il n'y a que 2 contre 1 à parier. De même dans le cas de trois coups, on trouvera.

Croix.

Pile, croix.

Pile, pile, croix.

Pile, pile, pile.

Donc il n'y a que 3 contre 1 à parier : ceci est digne, ce me semble de l'attention des Calculateurs, & iroit à réformer bien des regles unanimement reçues sur les jeux de hasard.

Autre question. Pierre joue contre Paul à cette condition, que si pierre amene croix du premier coup, il payera un écu à Paul ; s'il n'amene croix qu'au second coup, deux écus ; si au troisieme coup, quatre, & ainsi de suite. On trouve par les regles ordinaires (en suivant le principe que nous venons de poser), que l'espérance de Paul, & par conséquent ce qu'il doit mettre au jeu est (1 + 2 + 4 + &c.)/(1 + 1 + 1 &c.) quantité qui se trouve infinie. Cependant il n'y a personne qui voulût mettre à ce jeu une somme un peu considérable. On peut voir dans les mémoires de l'académie de Petersbourg, tome V. quelques tentatives pour résoudre cette difficulté ; mais nous ne savons si on en sera satisfait ; & il y a ici quelque scandale qui mérite bien d'occuper les Algébristes. Ce qui paroît surprenant dans la solution de ce problême, c'est la quantité infinie que l'on trouve pour l'espérance de Paul. Mais on remarquera que l'espérance de Paul doit être égale au risque de Pierre. Ainsi il ne s'agit que de savoir si le risque de Pierre est infini, c'est-à-dire (suivant la véritable notion d'infini) si ce risque est tel qu'on puisse toûjours le supposer plus grand qu'aucun nombre fini assignable. Or pour peu qu'on réfléchisse à la question, on verra que ce risque est tel en effet. Car ce risque augmente avec le nombre des coups, comme il est très-évident par le calcul. Or le nombre des coups peut aller & va en effet à l'infini, puisque par les conditions du jeu le nombre n'est pas fixé. Ainsi le nombre indéfini des coups est une des raisons qui font trouver ici le risque de Pierre infini. Voyez ABSENT & PROBABILITE.

Selon un très-savant géomêtre avec qui je raisonnois un jour sur cette matiere, l'espérance de Paul & son enjeu ne peut jamais être infini, parce que le bien de Pierre ne l'est pas ; & que si Pierre n'a, par exemple, que 220 écus de bien, il ne doit y avoir que 21 coups, après lesquels on doit cesser, parce que Pierre ne sera pas en état de payer. Ainsi le nombre des coups possibles est déterminé, fini, & égal à 21, & on trouvera que l'espérance de Paul est (221 - 1.)/22 Quoique cette somme ne soit plus infinie, je doute que jamais aucun joueur voulût la donner. Ainsi cette solution, toute ingénieuse qu'elle est, ne paroît pas d'abord résoudre la difficulté. Cependant toutes choses bien examinées, il me semble qu'on doit en être satisfait. Car il ne s'agit pas ici de la peine ou de la facilité que Paul doit avoir à risquer la somme en question, il s'agit de ce qu'il doit donner pour joüer à jeu égal avec Pierre ; & il est certain que ce qu'il doit donner est la somme ci-dessus. Paul seroit un fou sans-doute de la donner ; mais il ne le seroit, que parceque Pierre est un fou aussi de proposer un jeu où lui Pierre peut perdre en une minute des sommes immenses. Or, pour joüer avec un fou à jeu égal, il faut se faire fou comme lui. Si Pierre joüant en un seul coup, parioit un million qu'il amenera pile, il faudroit que chacun mît au jeu un demi-million : cela est incontestable. Il n'y a pourtant que deux insensés qui pussent jouer un pareil jeu.

Nous remarquerons à cette occasion, que pour rendre plus complete s, & pour ainsi dire plus usuelles, les solutions de problèmes concernans les jeux, il seroit à souhaiter qu'on pût y faire entrer les considérations morales, relatives, soit à la fortune des joüeurs, soit à leur état, soit à leur situation, à leur force même (quand il s'agit des jeux de commerce), & ainsi du reste. Il est certain, par exemple, que de deux hommes inégalement riches qui joüent à jeu égal suivant les regles ordinaires, celui qui est le moins riche risque plus que l'autre. Mais toutes ces considérations étant presque impossibles à soûmettre au calcul, à cause de la diversité des circonstances, on est obligé d'en faire abstraction, & de résoudre les problèmes mathématiquement, en supposant d'ailleurs les circonstances morales parfaitement égales de part & d'autre, ou en les négligeant totalement. Ce sont ensuite ces circonstances, quand on vient à y faire attention, qui font croire le calcul en faute, quoiqu'il n'y soit pas. Voyez AVANTAGE, JEU, PARI, &c. (O)

CROIX, (Sainte) Géog. île de l'Amérique septentrionale, l'une des Antilles.

CROIX (Sainte) Géog. petite ville de France dans la haute Alsace.


CROKETHORN(Géog.) petite ville d'Angleterre dans la province de Sommerset, sur la riviere de Perd.


CROLER(Fauconn.) il se dit du bruit que font les oiseaux en se vuidant par bas. Quand un oiseau de proie crole, c'est en lui une marque de santé.


CROMARTYE(Géog. mod.) petite ville de l'Ecosse septentrionale, dans la province de Ross.


CROMAU(Géog.) ville du royaume de Bohême, près de Budweis.


CROMORNES. m. (jeu d'Orgue) sonne l'unisson du 8 piés. Voyez la table du rapport de l'étendue des jeux de l'Orgue. C'est un jeu d'anche dont le corps A B, fig. 47. Pl. d'Orgues, est par-tout du même diamêtre ou de forme cylindrique ; il est terminé par embas par une portion conique B C qu'on appelle la pointe, à l'extrémité de laquelle est soudée une noix garnie de son anche & de sa languette, que l'on accorde par le moyen de la rasette qui traverse la noix & vient appuyer dessus. Voyez TROMPETTE, dont ce jeu ne differe que parce que le corps du tuyau est d'un bout à l'autre du même diamêtre.

L'anche, la noix, la rasette, & une partie de la pointe du tuyau, entrent dans la boîte D E, qui reçoit le vent du sommier par l'ouverture E pratiquée à son pié. Voyez ORGUE, où la facture de ce jeu qui est d'étain est expliqué.


CROou CRAN, Hist. nat. Minéral.) On nomme ainsi une terre ou un sable qui n'est formé que par un amas de fragmens de coquilles qui ont été réduites en poudre : cependant on y distingue presque toûjours de petites coquilles encore entieres ; mais ce n'est guere sans l'aide de la loupe ou du microscope. Quand ces coquilles sont dans un état de destruction encore plus grand, & que cette poudre a pris de la consistance, il y a lieu de croire que c'est elle qui forme la craie. Voyez l'article CRAIE.

Le cron est très-propre à fertiliser les terres ; on s'en sert dans plusieurs endroits avec autant de succès que de la marne. On le nomme falun dans de certaines provinces. (-)


CRONACH(Géog. mod.) ville fortifiée d'Allemagne au cercle de Franconie, avec une citadelle, sur une riviere qui porte le même nom, & se jette dans le Mein.


CRONBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Wéteravie, près de Francfort, sur le Mein.


CRONES. m. terme de Pêche ; c'est ainsi qu'on appelle des endroits au fond de l'eau remplis de racines d'arbres, de grands herbages, & autre chose de cette nature. C'est ordinairement où se retire le poisson. Dict. de Trév.


CRONENBOURG(Géog. mod.) ville & forteresse du royaume de Danemark, dans l'île de Séeland. Long. 30. 25. lat. 56.

CRONENBOURG, (Géog. mod.) ville d'Allemagne dans le cercle du haut Rhin, au landgrave de Hesse Cassel.


CRONIENES(Mythol.) fêtes qu'on célébroit à Athenes en l'honneur de Saturne, au mois Hécatombéone. Les cronienes des Grecs étoient la même chose que les saturnales des Romains. On prétend qu'à Rhodes on reservoit un malfaiteur pour l'immoler à Saturne dans cette espece de solennité.


CRONOou SATURNE, voyez SATURNE.


CRONSLOT(Géog. mod.) ville forte de l'empire Russien dans l'Ingrie, sur l'île de Retusari, avec un bon port.


CRONSTADT(Géog. mod.) ville considérable de Hongrie dans la Transilvanie, aux confins de la Moldavie & de la Walachie.


CROONS. m. (Comm.) ancienne monnoie d'argent qui se fabriquoit autrefois en Hollande : elle est assez rare aujourd'hui. Le croon vaut deux florins, & quatre liv. un sou trois deniers argent de France.


CROPPEN(Géog. mod.) petite ville de l'empire Russien en Livonie, dans la province de Letten.


CROQUANTESVoyez CROCANTES.


CROQUERv. act. (Marine) signifie accrocher. Croquer le croc de palan, c'est le passer dans l'organeau de l'ancre, pour le remettre au bossoir. (Z)

CROQUER, en Peinture, c'est dessiner ou peindre à la hâte les premieres idées mal digérées qui viennent sur un sujet qu'on se propose d'exécuter. Je n'ai fait que croquer cela, je le rectifierai à loisir. Ce peintre ne fait que croquer ses ouvrages. Cela n'est que croqué. (R)


CROQUETS. m. c'est chez les Pain-d'épiciers un pain-d'épice fort mince, & de pâte à menu. Voyez PATE A MENU.


CROQUISS. m. (Dess. & Peint.) est en Peinture une esquisse moins finie qu'elles ne le sont ordinairement. On dit j'ai fait un croquis de cette idée, c'est-à-dire j'ai jetté sur le papier une premiere pensée de cette composition. (R)


CROSSES. f. (Hist. ecclés.) bâton pastoral que portent les archevêques, évêques, & les abbés réguliers, ou qu'on porte devant eux dans les cérémonies.

Il y a beaucoup d'apparence que la crosse dans son origine n'étoit qu'un bâton pour s'appuyer, dont on a fait depuis une marque de distinction. Il n'en est point parlé dans l'histoire des premiers siecles de l'Eglise ; nous lisons seulement dans le concile de Troyes de l'an 867, que les évêques de la province de Rheims qui avoient été consacrés pendant l'absence de l'archevêque Ebbon, reçurent de lui, après qu'il eut été rétabli, l'anneau & le bâton pastoral, suivant l'usage de l'Eglise de France : ce qui prouve que cette marque de la dignité épiscopale y étoit connue avant cette époque. En 885 dans le concile de Nîmes, on rompit la crosse d'un prétendu archevêque de Narbonne nommé Selva. Balsamon dit qu'il n'y avoit que les patriarches en Orient qui la portassent.

On donne cette crosse à l'évêque dans l'ordination, selon S. Isidore de Séville, pour marquer qu'il a droit de corriger & qu'il doit soûtenir les foibles. L'auteur de la vie de S. Césaire d'Arles, parle du clerc qui portoit sa crosse ; & celui qui a écrit la vie de S. Burchard évêque de Wurtsbourg, le loue de ce que sa crosse n'étoit que de bois. Les abbés réguliers portent aussi la crosse quand ils officient. Il n'en est pas de même des abbés commendataires, qui ne peuvent qu'en faire graver ou peindre la figure sur leurs armoiries. Thomass. Discipl. ecclés. part. IV. liv. I. ch. xxxjx. (G)

CROSSE d'une ancre, (Marine) voyez CROISEE.

CROSSE, (Epinglier) n'est autre chose, chez les Epingliers, que la traverse de la chausse qui passe dans ses deux anneaux, & sous laquelle on place les tronçons pour les contenir & les couper plus facilement. Voyez q. fig. 19. & n. fig. 20. Pl. I. de l'Epinglier.

CROSSE, terme de Riviere ; piece de bois servant au gouvernail d'un bateau foncet.


CROSSEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne en Silésie, capitale de la principauté de même nom, au confluent du Bober & de l'Oder. Long. 23. lat. 52.


CROSSETTES. f. terme d'Architecture. On appelle ainsi les ressauts que l'on fait faire aux chambranles des portes ou croisées, & qui ne comprennent ordinairement que les moulures extérieures du chambranle. Les anciens ont fait un usage ridicule de ces crossettes ; ils en mettoient aux quatre angles de leurs chambranles, à leurs tables, à leurs amortissemens, &c. Il s'en voit encore très-fréquemment dans les bâtimens du dernier siecle. Nos architectes en usent aujourd'hui avec plus de circonspection, ayant reconnu que leur multiplicité tourmentoit l'architecture, & formoit de trop petites parties. Mais lorsqu'on les admet dans une ordonnance, leur longueur doit avoir le quart de la hauteur ou de la largeur du chambranle hors d'oeuvre, & de saillie la sixieme partie de la largeur du profil du chambranle ; au-delà de ces propositions elles sont vicieuses, autant que leur répétition est desagréable. (P)

CROSSETTE, s. f. (Jardin) en fait de plants, signifie un rameau qui ne vient ni par le moyen de la graine, ni d'aucune racine, telle que la marcotte ; c'est une simple branche, un jetton que l'on taille comme un sarment.

Il y a des plants où la marcotte est préférable à la crossette & à la graine ; tels sont les tilleuls, les ifs, les figuiers, & qui seroient trop longs à élever de graine. Mais les ormes, les maronniers, la charmille, l'hérable, le hêtre, veulent être élevés de graine.

La vigne vient aisément de crossette.

Les fruits doivent tous être de pepin ou de noyau qui est leur graine.

Les saules, les osiers, les peuples, viennent de bâtons épointés par un des bouts fichés en terre appellés boutures & plançons.

La crossette est appellée dans certains pays, chevelée. (K)

CROSSETTES, terme de Marine, voyez VOUSSOIRS.


CROSSILLONterme d'Orfévre en grosserie ; c'est l'extrémité recourbée d'une crosse, & la fin des tours qu'elle fait en-dedans. Le crossillon est terminé ordinairement par une feuille de refente ou autre ornement qui lui donne de la grace.


CROT-PESCHEROT(Hist. nat.) voyez ORFRAIE


CROTALAIRES. f. crotolaria, (Hist. nat. bot.) genre de plante différent du genêt pour la forme de ses siliques, qui sont renflées comme celles de l'arrête-boeuf, dont elle differe en ce que ses feuilles naissent une à une. Tournefort, inst. rei herb. Voyez GENET, ARRETE-BOEUF, PLANTE. (I)


CROTALES. m. (Musiq. ancienne) espece de castagnettes qu'on voit sur les médailles dans les mains des prêtres de Cybele. Voyez CORYBANTE.

Le crotale étoit différent du sistre, quoiqu'on semble avoir confondu quelquefois ces noms. Il consistoit en deux petites lames ou petits bâtons d'airain que l'on remuoit de la main, & qui en se choquant faisoient du bruit. Voyez SISTRE.

On en faisoit aussi d'un roseau fendu en deux, dont on frappoit les deux parties l'une contre l'autre ; & comme cela faisoit à-peu-près le même bruit que celui du bec d'une cicogne, on appelloit cet oiseau crotalistria, joüeuse de crotales.

Un ancien, dans Pausanias, dit qu'Hercule ne tua pas les oiseaux du lac Stymphale, mais qu'il les chassa en joüant des crotales : si cela est vrai, les crotales étoient en usage dès le tems d'Hercule.

Clément d'Alexandrie en attribue l'invention aux Siciliens, & en défend l'usage aux Chrétiens, à cause des mouvemens & des gestes indécens que l'on faisoit en joüant de cet instrument. Voyez le dictionn. de Trév. Chambers, & l'article CASTAGNETTES.


CROTAPHITEadj. pris sub. (Anatom.) muscle temporal qui occupe la cavité des tempes, & tire la mâchoire inférieure en haut. Voyez MUSCLE. (L)


CROTIN(Maréchall.) on appelle ainsi la fiente fraîche du cheval. (V)

CROTIN de mouton (Oeconom. rustiq. & Jardin) c'est ainsi que l'on nomme le fumier de mouton, qui est le meilleur de tous pour engraisser toute sorte de terre, pourvû qu'on le laisse long-tems reposer & perdre à l'air son trop de chaleur. Rien n'est si actif que les sels de ce fumier. Voyez ENGRAIS. (K)


CROTONE(Géog. mod.) ville d'Italie au royaume de Naples, sur le golfe de Tarente. Long. 35. 8. lat. 39. 10.


CROTOY(le) Géog. mod. petite ville de France en Picardie, dans le Ponthieu, à l'embouchure de la Somme. Long. 19. 20. lat. 50. 15.


CROTTEse dit de la fiente de lievre, de lapin, des chevres, des brebis, &c.


CROULAREvoyez TRAQUET.


CROULERv. act. (Marine) on s'en sert pour rouler.

Crouler un bâtiment, c'est le lancer à l'eau. (Z)

CROULER la queue, (Venerie) se dit du mouvement que l'animal fait de cette partie lorsque la peur le fait fuir.


CROUMAS. m. (Hist. anc. Musiq.) espece de crotales dont on joüoit dans les contrées méridionales de l'Espagne. C'étoit ce qu'on appelle aujourd'hui des castagnettes. On les faisoit ou avec des têts de pot cassé, ou avec des os bien nettoyés. Antiq. expliq. Voyez CROTALE.


CROUPADES. f. (Manége) c'est un saut plus relevé que la courbette, & qui tient le devant & le derriere du cheval en une égale hauteur, ensorte qu'il trousse ses jambes de derriere sous le ventre, sans les allonger ni montrer ses fers ; & c'est ce qui met de la différence entre cet air, la ballotade ou le cheval s'épale à demi, & la capriole où il s'épare de toute sa force. Voyez BALLOTADE & CAPRIOLE.

Hautes croupades, sont des croupades plus relevées que les croupades ordinaires. On dit manier à croupades, mettre un cheval à l'air des croupades. (V)

CROUPE d'église, en Architecture, est la partie arrondie du chevet d'une église considéré par-dehors. Voyez CHEVET. (P)


CROUPES. f. (Maréchall.) la partie postérieure du cheval, comprise depuis l'endroit où la selle porte jusqu'à la queue. Ce mot vient de crouppa, qui se trouve dans les gloses, & est formé de l'allemand grob, qui signifie gros, gras, épais.

Cette partie répond au haut des fesses de l'homme. Les bonnes qualités de la croupe sont d'être large & ronde. La croupe de mulet, qui fait voir une élévation ou arrête sur toute la partie supérieure, depuis les reins jusqu'à la queue, est une marque de force. Les mauvaises qualités de la croupe sont d'être avalée, c'est-à-dire de descendre trop tôt, ce qui est cause que la queue est trop basse. La croupe trop étroite désigne peu de force, & la croupe coupée est creuse dans le milieu.

Tortiller la croupe, se dit d'un cheval sans force, qui en marchant fait aller sa croupe de côté & d'autre.

Gagner la croupe, c'est lorsqu'un cavalier étant en présence d'un autre, fait un demi-tour pour le prendre en croupe. Dans un combat, il faut faire la demi-piroüette au bout de la passade, pour gagner la croupe d'un ennemi qui presse, sans que la croupe échappe. On se sert de cette expression pour les voltes & le galop, & elle signifie, sans que le cheval se traverse, sans que la croupe sorte de la volte ou de la piste du galop. Voyez VOLTE, GALOP, TRAVERSER.

La croupe est quelquefois sujette à des dartres, accompagnées d'une démangeaison extrème.

Lorsque le cheval a les cuisses bien fournies & proportionnées à la rondeur de la croupe, il s'appelle bien gigoté ; & mal gigoté, lorsque cette proportion manque. (V)

CROUPE, (Charp.) se dit aussi de la charpente d'un pavillon quarré.

CROUPE DE CERF, (Vénerie) c'est ce qu'on appelle cimier.


CROUPIATS. m. (Mar.) c'est un noeud qu'on fait sur le cable ; & l'embossure est proprement quand on frappe, ou l'action de frapper le croupiat sur le cable. Cependant on se sert indifféremment de croupiat & d'embossure pour le noeud même. Voyez EMBOSSURE. (Z)


CROUPIERS. m. (Comm.) associé secret qui prend part dans une entreprise de commerce ou de finance, ou dans un jeu, qui se fait sous le nom d'un autre, & qui en partage les gains & les pertes à proportion de la part qu'il a prise dans l'affaire de ses fonds & de ses avances.

Ce terme est plus en usage chez les gens d'affaires que parmi les négocians, qui se servent plus volontiers de celui d'associé anonyme. Voyez ANONYME, voyez le dict. de Comm. & Chambers. (G)


CROUPIEREterme de Bourrelier, c'est une partie du harnois des chevaux, tant de monture que de tirage, qui consiste en une espece de bourrelet, garni de bourre ou de crin qui passe sous la queue du cheval, & tient à une bande de cuir fendue en deux parties par le bout : cette bande est la suite du surdos dans les chevaux de tirage, & elle est attachée dans les chevaux de selle par une boucle à un crampon de fer, enfoncé dans l'arçon de derriere de la selle. La croupiere sert à empêcher que par le mouvement que le cheval fait en marchant, le harnois ou la selle ne vienne trop en-devant. Voyez C C, fig. 1 & 2. Pl. du Bourrelier.

CROUPIERE, CROUPIAS, (Marine) c'est une corde qui tient un vaisseau arrêté par son arriere.

Mouiller en croupiere, ou de croupiere ou en croupe, c'est mouiller à poupe, afin de maintenir les ancres de l'avant, & empêcher le vaisseau de se tourmenter, ou faire ensorte qu'il présente toûjours le même côté. Pour mouiller de croupiere, le cable passe le long des ceintes, & de-là il va à des anneaux de fer qui sont vers la sainte-barbe ; quelquefois on le fait passer par les sabords de la sainte-barbe. (Z)

CROUPIERES, terme de riviere, se dit des pieces de roüettes qui servent à tenir le devant ou le derriere d'un train en état.


CROUPIONS. m. (Ornithologie) quoiqu'on étende souvent le nom de croupion à la charpente osseuse qui soutient les chairs de la partie postérieure du corps d'un oiseau, on sait que ce nom est proprement dû à un monticule pyramidal qui s'éleve sur le derriere. Ce petit corps, ce croupion proprement dit, a aussi sa charpente osseuse qui soutient les chairs dont sont recouvertes des glandes qui rendent celui de quelques oiseaux un morceau agréable, & qui donne un goût fort, un goût de musc, à celui de quelques autres, comme au croupion des canards.

Les glandes qui entrent pour beaucoup dans sa composition sont destinées à faire la sécrétion d'une liqueur onctueuse ; c'est pour la laisser sortir que le croupion de plusieurs oiseaux a un canal excrétoire très-visible, & que celui de quelques autres en a deux. Les poules & beaucoup d'especes d'oiseaux, soit de leurs classes, soit de classes différentes, n'ont qu'un de ces canaux. Le canal excrétoire des poules est un tuyau charnu qui s'éleve presque perpendiculairement sur le croupion ; sa figure est conique. Il est aisé de se convaincre que ce tuyau est le conduit excrétoire des glandes du croupion ; on n'a qu'à presser avec les doigts les environs de la base des tuyaux charnus, & sur le champ on détermine une liqueur épaisse à monter dans le canal & à sortir par son extrémité. Le tuyau paroît organisé de maniere à pouvoir opérer ce qu'opere la pression des doigts ; à son extérieur il semble composé d'anneaux mis les uns au-dessus des autres.

La singularité remarquable des poules sans queue est qu'elles n'ont aucun vestige de croupion ; l'endroit d'où il devroit s'élever, si elles en avoient un, est plus enfoncé que le reste ; c'est une table rase, où on chercheroit inutilement des glandes, & le canal excrétoire qui donne la sortie à la liqueur onctueuse.

L'usage de cette liqueur grasse nous est inconnu ; & tant qu'on ignorera pourquoi il se fait dans nos oreilles une sécrétion d'une matiere cérumineuse & en si petite quantité, on ne se croira pas obligé de rendre raison pourquoi il se fait une sécrétion pareille en très-petite quantité d'une matiere oléagineuse sur le croupion des oiseaux. (D.J.)


CROUPISSEMENTS. m. (Physiologie) dans l'oeconomie animale, se dit de l'état de différentes matieres qui croupissent. Le croupissement des alimens dans les intestins, leur fait contracter leur mauvaise odeur. Le croupissement de la bile dans la vésicule du fiel, la rend susceptible d'un mouvement spontané, putride, imparfait. Le croupissement parfait est nécessaire pour exciter la pourriture dans le corps. Quesnay, Ess. phys. sur l'Oeconomie animale. (L)


CROUPONS. m. terme de Tanneur, qui se dit des gros cuirs tannés de boeuf, de vache, dont on a ôté le ventre & la tête, comme si on vouloit dire : cuirs de croupe. Ainsi on dit : un croupon de boeuf, un croupon de vache.

CROUPON D'AVALON, (Tannerie) c'est la même chose que le croupon simple. Voyez l'article précédent. La seule différence qu'il y ait, c'est que croupon se dit de tout cuir tanné, au lieu que croupon d'avalon ne se dit que d'un cuir fort, le seul presque qui vienne des tanneries d'Avalon.


CROUTACS. m. monnoie d'argent fabriquée à Dantzik, & qui a cours à Riga, Conisberg, & autres villes du Nord. Le croutac vaut la moitié d'un dantzikhors.


CROUTES. f. (Boulang.) se dit au propre de la partie dure & extérieure du pain ; & par analogie, de beaucoup d'autres choses.

CROUTE LAITEUSE ou DE LAIT, (Maladie des enfans) Les croutes de lait sont ordinaires aux enfans en qui le lait est trop gras, la transpiration diminuée, les humeurs visqueuses & onctueuses, les fibres lâches & trop flexibles. Ces croutes se succedent les unes aux autres, couvrent le visage & la tête des enfans.

On les confond avec les achores, mais elles en sont distinguées ; on les guérit en donnant aux nourrices les sudorifiques, les évacuans purgatifs, les altérans ; on purge les enfans des humeurs vicieuses, par les purgatifs doux & proportionnés à la cause, à l'âge & au tempérament.

On oindra plusieurs fois par jour la partie affectée avec un liniment fait de creme de lait, de céruse, avec l'huile d'oeuf combiné avec les cerats ordinaires. Les onguens répercussifs & ceux qui sont trop actifs, sont nuisibles : ainsi on ne doit employer que des topiques doux. Au cas que l'on eût employé ces remedes mal-à-propos, & que les enfans en fussent incommodés, ou menacés de quelque dépôt sur les visceres, il faudroit réitérer les purgatifs, & employer les sudorifiques coupés avec le lait, le gruau, l'orge, ou donné seul.

Le régime doit être proportionné à la maladie & à la cure ; il faut sur-tout insister sur la propreté & empêcher les enfans de ramasser & de manier mille ordures comme ils font.

Ces croutes ou négligées ou repercutées font périr des enfans. James & Chambers.

CROUTE, (Peinture) on appelle de ce nom certains tableaux anciens presque toûjours noirs & écaillés, quelquefois estimés des curieux, & méprisés par les connoisseurs. Ce n'est pas qu'il n'y ait des croutes dont le fond ne soit véritablement estimable. Il y en a des plus grands maîtres ; mais le tems ou les brocanteurs les ont tellement altérés, qu'il n'y a qu'une ridicule prévention qui puisse les faire acheter.

CROUTE, (Tannerie) on appelle cuirs en croutes, les cuirs de vache, de cheval, & de veaux, qui ont été planés, coudrés & tannés, & qu'on a fait sécher en sortant de la fosse au tan. Voyez TANNEUR.

Parchemin en croute. Voyez COSSE.

* CROUTE DE GARENCE, (Comm.) se dit de la superficie dure de cette matiere mise en pipes ou en sacs, lorsqu'elle a été pulvérisée, & qu'elle a contracté un peu d'humidité. Ces croutes ne sont pas ce qu'il y a de meilleur.


CROUY(Géog. mod.) petite ville de France dans la Brie.


CROWLAND(Géog. mod.) petite ville d'Angleterre dans la province de Lincoln.


CROWNS. m. (Comm.) monnoie d'argent d'Angleterre, qui est au titre & de la valeur d'une couronne. Voyez COURONNE.


CROYANCEFOI, (Gramm. & Syn.) ces deux mots différent en ce que le dernier se prend quelquefois solitairement, & désigne alors la persuasion où l'on est des mysteres de la religion. La croyance des vérités révélées constitue la foi. Ils different aussi par les mots auxquels on les joint. Les choses auxquelles le peuple ajoute foi, ne méritent pas toûjours que le sage leur donne sa croyance. (O)

CROYANCE, s. f. (Théol.) ce terme dans sa signification naturelle, veut dire une persuasion ou le consentement absolu que l'esprit donne à une proposition quelconque.

Ainsi l'on dit croyance fondée sur les sens, sut l'évidence, sur l'autorité ; & quoique la foi ne s'introduise pas par la voie du raisonnement, elle peut néanmoins être fondée sur tous les motifs dont nous venons de parler : car il n'est pas nécessaire que toutes les vérités qui sont l'objet de la foi, soient absolument & indispensablement quelque chose d'obscur. L'existance de Dieu comme créateur, est fondée sur l'évidence, & elle est cependant de foi, puisqu'elle est aussi fondée sur la révélation. On croit l'immortalité de l'ame, parce que cette vérité paroît évidente, mais la foi qu'on a de ce point de doctrine n'en est pas moins une foi proprement dite, quand on est dans la disposition de le croire sur l'autorité seule de Dieu, supposé même qu'on n'eût pas des raisons invincibles & péremptoires sur cette matiere.

Croyance, dans le sens moral & chez les Théologiens, est employé pour signifier cette sorte de consentement, qui est fondé seulement sur l'autorité ou le témoignage de quelques personnes qui assûrent la vérité d'un fait, & c'est ce qu'on appelle évidence de témoignage : en ce sens la foi n'est pas fondée sur le même motif que la science ou connoissance qui a pour base l'évidence de l'objet ; c'est-à-dire celle qui développe d'une maniere claire & distincte la convenance ou la disconvenance qui se trouve entre le sujet & l'attribut d'une proposition. Par exemple celle-ci, deux fois deux font quatre, est évidente d'une évidence d'objet, parce qu'on voit clairement le rapport de proportion qu'il y a entre deux fois deux & quatre : au lieu que cette proposition, Jesus-Christ est ressuscité n'est évidente que d'une évidence de témoignage, parce qu'elle nous a été attestée par les apôtres, témoins oculaires, véridiques, qui n'ont pû ni être trompés, ni avoir intérêt de tromper en publiant ce fait. L'adhésion d'esprit que nous y donnons s'appelle proprement croyance.

De même nous ne pouvons pas dire, nous croyons que la neige est blanche, ou que le tout est égal à sa partie, mais que nous voyons & que nous connoissons que cela est ainsi. Ces autres propositions, les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits : tout corps se meut naturellement en ligne droite, ne sont pas des choses de croyance mais de science ; c'est-à-dire que nous les croyons d'après l'expérience, & non d'après la foi. Voyez ÉVIDENCE, FOI, SCIENCE, &c.

Lors donc qu'une proposition ne tombe pas sous nos sens ni sous notre entendement livré à ses seules lumieres, qu'elle n'est point évidente d'une évidence d'objet, ni liée clairement & nécessairement avec sa cause, enfin qu'elle ne tire sa source d'aucun argument réel, ni d'aucune vérité clairement manifestée ; que néanmoins elle paroît vraie, non par évidence, mais par une attestation de fait, non par elle-même, mais par le témoignage qu'on en a porté : alors cette proposition est censée de foi, & le consentement qu'on y donne est une adhésion de confiance ou de foi.

L'évêque Pearson & la plûpart des théologiens pensent que la croyance contenue dans le symbole, est de cette derniere espece. Le docteur Barrow au contraire soûtient qu'elle est de la premiere espece, & que nous en croyons les articles d'après la persuasion intime que nous avons de la vérité de chaque proposition prise en elle-même, & non d'après les motifs d'autorité, ajoûtant que nous sommes seulement fondés sur des raisons propres à persuader les différens points que nous suivons ; c'est, dit-il, en ce sens que le mot , credere, est employé dans l'Ecriture, & qu'il est dit que S. Thomas a cru parce qu'il a vû : donc, conclut-il, dans cette occasion la foi étoit fondée sur les sens. Ajoûtez que Jesus-Christ lui-même ne demandoit point aux Juifs ni à ses disciples, de s'en fier uniquement à son propre témoignage pour le connoître, mais de se servir de leurs lumieres pour juger de ses oeuvres, afin d'appuyer leur croyance sur leur raison. Ainsi S. Jacques dit, que les démons croyent qu'il y a un Dieu ; mais comment le croyent-ils ? Ils le connoissent par l'expérience, & si l'on veut, par la sagacité de leur génie, & non par révélation ou par témoignage. D'ailleurs la croyance de l'existance d'un Dieu ne peut être fondée seulement sur l'autorité ; car l'autorité humaine seule ne peut en donner des preuves, & c'est l'autorité divine qui est la principale base de cette croyance. Enfin on ne peut pas dire que la foi des premiers Chrétiens ait été fondée purement sur l'autorité, car elle l'étoit en partie sur les principes de la raison, & en partie sur le témoignage des sens. Telle étoit la connoissance qu'ils avoient de la sincérité & de la pureté des moeurs du Sauveur, dont ils étoient convaincus par sa conversation, par la sagesse & la majesté de ses discours. Telle étoit l'opinion qu'ils en pouvoient avoir, en considérant la sainteté de sa doctrine, la grandeur de son pouvoir, l'éclat & la force de ses miracles : toutes ces considérations avoient leur poids aussi bien que son propre témoignage ; il semble même que Jesus-Christ ait insinué, vû leur disposition à l'incrédulité, que son propre témoignage étoit insuffisant, & pouvoit être révoqué en doute. Les apôtres eux-mêmes employent ce motif pour fonder la certitude du témoignage qu'ils vont rendre de J. C. Quod audivimus, quod vidimus oculis nostris, quod perspeximus, & manus nostrae contrectaverunt de verbo vitae... Quod vidimus & audivimus, annuntiamus vobis. Joan. epist. I. c. j. v. 1. & 3. Ainsi c'étoit en formant ce raisonnement que les premiers Chrétiens croyoient à Jesus-Christ : celui dont les paroles, les actions, le caractere, en un mot toute la vie, sont si admirables, si conformes à ce qu'en ont prédit les prophetes ; celui-là, disoient-ils, ne peut être accusé de faux, & nous pouvons nous fier à ses paroles : or, continuoient-ils, nous savons par expérience que Jesus est puissant en oeuvres & en paroles, qu'il a fait un grand nombre de miracles éclatans, &c. donc nous pouvons croire toutes les vérités qu'il nous annonce. Tel est le système du docteur Barrow.

Mais en conclure que notre foi doit avoir le même fondement, c'est une conséquence visiblement dangereuse ; car par rapport à nous la chose est fort différente. La mineure de cet argument qui étoit évidente pour les premiers Chrétiens, d'une évidence de fait, n'est évidente parmi nous que d'une évidence de témoignage & d'autorité, c'est-à-dire que nous nous y confions par les histoires qui sont passées jusqu'à nous, qui sont confirmées par une tradition si constante, & appuyées de circonstances si miraculeuses, que l'on n'en voit aucunes si fortes dans aucune matiere de fait. Or, cela est suffisant pour fonder une certitude qui rende notre croyance raisonnable. Les objets de la foi en eux-mêmes, ses mysteres qui sont l'objet de notre croyance, ne sont pas évidens ; mais les motifs de crédibilité le sont. Il y a une très-grande différence entre cette proposition, ce que l'on doit croire est évident, & celle-ci, il est évident qu'on doit croire telle chose : la premiere suppose essentiellement une évidence d'objet ; la seconde ne suppose nécessairement qu'une évidence de témoignage, soit que ce témoignage établisse une chose claire en elle-même, soit qu'il dépose en faveur d'une chose incompréhensible. Pour avoir une croyance parfaite, il est nécessaire d'avoir une pleine évidence de la certitude du témoignage des hommes, ou de l'infaillibilité du témoignage de Dieu & du fait de la révélation. Or nous avons sur la premiere, c'est-à dire sur le témoignage des apôtres, une certitude au-dessus de toute certitude historique ; & sur la seconde, nous avons toutes les preuves de raison & d'autorité qu'on peut desirer : ce n'est pas à dire pour cela que notre croyance soit fondée sur la raison, celle-ci y prépare les voies ; mais en dernier ressort, elle est appuyée sur l'autorité humaine & sur la véracité de Dieu. Voyez VERACITE. De-là il s'ensuit qu'en matiere de croyance, ce n'est point la raison seule qu'on doit écouter, mais aussi qu'on n'en doit point exclure l'usage dans la discussion des points de croyance ; il ne s'agit que de la regler & de la soûmettre à l'autorité, sur-tout quant aux objets qui surpassent sa portée, tels que sont les mysteres. Pour la discussion des faits, l'usage de la raison est très permis ; car rien n'empêche qu'on ne soit persuadé d'un fait par son évidence, & qu'on ne le croye en même tems par le motif de l'autorité. (G)


CROZET(Géog. mod.) petite ville de France dans le Forès, sur les frontieres du Bourbonnois.


CRUS. m. (Gramm.) c'est le produit d'un fonds de terre qui nous appartient. C'est en ce sens que l'on dit, ce vin est de mon cru.

Cru est aussi synonyme à accroissement ; & l'on dit en ce sens, voilà le cru de l'année.

CRU A CRU, (Manége) Monter à cru, voyez MONTER. Un homme armé à cru. Botté à cru, c'est-à-dire sans bas sur la peau. (V)

CRU, CRUDITE, se dit en Peinture, de la lumiere & des couleurs d'un tableau : de la lumiere, c'est lorsque les grands clairs sont trop près des grands bruns ; des couleurs, c'est lorsqu'elles sont trop entieres & trop fortes. On dit, il faut diminuer ces lumieres, ces ombres sont trop crues, font des crudités : il faut rompre les couleurs de ces draperies, de ce ciel, qui sont trop crues, qui font des crudités. De Piles. (R)

CRU, (Chasse) c'est le milieu du buisson où la perdrix se retire quelquefois pour éviter la poursuite des chiens. On l'appelle aussi le creux du buisson.


CRUAUTÉS. f. (Morale) passion féroce qui renferme en elle la rigueur, la dureté pour les autres, l'incommisération, la vengeance, le plaisir de faire du mal par insensibilité de coeur, ou par le plaisir de voir souffrir.

Ce vice détestable provient de la lâcheté, de la tyrannie, de la férocité du naturel, de la vûe des horreurs des combats & des guerres civiles, de celle des autres spectacles cruels, de l'habitude à verser le sang des bêtes, de l'exemple, enfin d'un zele destructeur & superstitieux.

Je dis que la cruauté émane de la lâcheté : l'empereur Maurice ayant songé qu'un soldat nommé Phocas devoit le tuer, s'informa du caractere de cet homme ; & comme on lui rapporta que c'étoit un lâche, il conclut qu'il étoit capable de cette action meurtriere. Auguste prouva que la lâcheté & la cruauté sont soeurs, par les barbaries qu'il exerça envers les prisonniers qui furent faits à la bataille de Philippes, où il paya si peu de sa personne, que la veille même de cette bataille, il abandonna l'armée & s'alla cacher dans le bagage. La vaillance est satisfaite de voir l'ennemi à sa merci, elle n'exige rien de plus ; la poltronnerie répand le sang. Les meurtres des victoires ne se commettent que par la canaille ; l'homme d'honneur les défend, les empêche, & les arrête.

Les tyrans sont cruels & sanguinaires ; violateurs des droits les plus saints de la société, ils pratiquent la cruauté pour pourvoir à leur conservation. Philippe roi de Macédoine agité de plusieurs meurtres commis par ses ordres, & ne pouvant se confier aux familles qu'il avoit offensées, prit le parti, pour assûrer son repos, de se saisir de leurs enfans. Le regne de Tibere, ce tyran fourbe & dissimulé qui s'éleva à l'empire par artifice, ne fut qu'un enchaînement d'actions barbares : enfin dégoûté lui-même de sa vie, comme s'il eût eu dessein de faire oublier le souvenir de ses cruautés, par celles d'un successeur encore plus lâche & plus méchant que lui, il choisit Caligula. Ceux qui prétendent que la nature a voulu montrer par ce monstre le plus haut point où elle peut étendre ses forces du côté du mal, paroissent avoir rencontré juste. Il alla dans sa férocité jusqu'à se plaire aux gémissemens de gens dont il avoit ordonné la mort ; dernier période de la cruauté ! Ut homo hominem non timens, tantum spectaturus, occidat. Sophiste dans sa barbarie, il obligea le jeune Tibere, qu'il avoit adopté à l'empire, à se tuer lui-même, parce que, disoit-il, il n'étoit permis à personne de mettre la main sur le petit-fils d'un empereur. Lorsque Suétone écrit qu'une des marques de clémence consiste à faire seulement mourir ceux dont on a été offensé, il paroît bien qu'il est frappé des horribles traits de cruauté d'un Auguste, d'un Tibere, d'un Caligula, & des autres tyrans de Rome.

La vûe continuelle des combats, d'abord d'animaux, ensuite de gladiateurs, au milieu des guerres civiles & d'un gouvernement devenu tout-d'un-coup arbitraire, rendit les Romains féroces & cruels. On remarqua que Claude qui paroissoit d'un naturel assez doux, & qui fit cependant tant de cruautés, devint plus porté à répandre le sang, à force de voir ces sortes de spectacles. Les Romains accoûtumés à se joüer des hommes dans la personne de leurs esclaves, ne connurent guere la vertu que nous appellons humanité. La dureté qui regne dans les habitans des colonies de l'Amérique & des Indes occidentales, & qui est inoüie parmi nous, prend sa source dans l'usage des châtimens sur cette malheureuse partie du genre humain. Quand on est cruel dans l'état civil, la douceur & la bonté naturelle s'éclipsent bien promtement ; la rigueur de justice, que des gens inflexibles nomment discipline nécessaire, peut étouffer tout sentiment de pitié.

Les naturels sanguinaires à l'égard des bêtes, ont un penchant visible à la cruauté. C'est pour cette raison qu'une nation voisine, respectueuse à tous égards envers l'humanité, a exclu du beau privilége de jurés, ces hommes seuls qui sont autorisés par leur profession à répandre le sang des animaux : on a conçu que des gens de cet ordre n'étoient pas faits pour prononcer sur la vie & sur la mort de leurs pareils. C'est du sang des bêtes que le premier glaive a été teint, dit Ovide.

Primoque à caede ferarum

Incaluisse puto maculatum sanguine ferrum.

Métam. lib. XV. fab. ij.

La fureur de Charles IX. pour la chasse, & l'habitude qu'il avoit contractée de tremper sa main dans le sang des bêtes, le nourrirent de sentimens féroces, & le porterent insensiblement à la cruauté, dans un siecle où l'horreur des combats, des guerres civiles, & des brigandages, n'en offroit que trop d'exemples.

Que ne peuvent pas l'exemple & le tems ! Dans une guerre civile des Romains, un soldat de Pompée ayant tué involontairement son frere qui étoit dans le parti contraire, il se tua sur le champ lui-même de honte & de regret. Quelques années après, dans une autre guerre civile de ce même peuple, un soldat, pour avoir tué son frere, demanda récompense à son capitaine. Tacite, liv. III. ch. lj. Une action qui fait d'abord frémir, devint par le tems une oeuvre prétendue méritoire.

Mais le zele destructeur inspire sur-tout la cruauté, & une cruauté d'autant plus affreuse, qu'on l'exerce tranquillement, par de faux principes, qu'on suppose légitimes. Voilà quelle a été la source des barbaries incroyables commises par les Espagnols sur les Maures, les Américains, & les habitans des Pays-bas. On rapporte que le duc d'Albe fit passer dix-huit mille personnes par les mains du bourreau pendant les six années de son gouvernement ; & ce barbare eut une fin paisible, tandis qu'Henri IV. fut assassiné.

Lorsque la superstition, dit un des beaux esprits du siecle, répandit en Europe cette maladie épidémique nommée croisade, c'est-à-dire ces voyages d'outremer prêchés par les moines, encouragés par la politique de la cour de Rome, exécutés par les rois, les princes de l'Europe, & leurs vassaux, on égorgea tout dans Jérusalem, sans distinction de sexe ni d'âge ; & quand les croisés arriverent au saint sépulcre, ornés de leurs croix encore toutes dégouttantes du sang des femmes qu'ils venoient de massacrer après les avoir violées, ils baiserent la terre & fondirent en larmes. Tant la nature humaine est capable d'associer extravagamment une religion douce & sainte avec le vice détestable qui lui est le plus opposé ! Voyez CROISADE.

On a remarqué (consultez l'ouvrage de l'esprit des lois), & la remarque est juste, que les hommes extrèmement heureux & extrèmement malheureux, sont également portés à la cruauté ; témoins les conquérans & les paysans de quelques états de l'Europe. Il n'y a que la médiocrité & le mêlange de la bonne & de la mauvaise fortune, qui donnent de la douceur & de la pitié. Ce qu'on voit dans les hommes en particulier, se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages qui menent une vie très-dure, & chez les peuples des gouvernemens despotiques, où il n'y a qu'un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel.

Il faut même avoüer ingénuement, que dans tous les pays, l'humanité prise dans un sens étendu est une qualité plus rare qu'on ne pense. Quand on lit l'histoire des peuples les plus policés, on y voit tant d'exemples de barbaries qu'on est également affligé & confondu. Je suis toûjours surpris d'entendre des personnes d'un certain ordre, porter dans la conversation des jugemens contraires à cette humanité générale dont on devroit être pénétré. Il me semble, par exemple, que tout ce qui est au-delà de la mort en fait d'exécutions de justice, tend à la cruauté. Qu'on exerce la rigueur sur le corps des criminels après leur trépas, à la bonne heure : mais avant ce terme, je serois avare de leurs souffrances ; je respecte encore l'humanité dans les scélérats qui l'ont violée ; je la respecte envers les bêtes ; je n'en prends guere en vie à qui je ne donne la liberté, comme faisoit Montagne ; & je n'ai point oublié que Pythagore les achetoit des oiseleurs dans cette intention. Mais la plûpart des hommes ont des idées si différentes de cette vertu qu'on présente ici, que je commence à craindre que la nature n'ait mis dans l'homme quelque pente à l'inhumanité. Le principe que ce prétendu roi de l'univers a établi, que tout est fait pour lui, & l'abus de quelques passages de l'Ecriture, ne contribueroient-ils point à fortifier son penchant ?

Cependant " la religion même nous ordonne de l'affection pour les bêtes ; nous devons grace aux créatures qui nous ont rendu service, ou qui ne nous causent aucun dommage ; il y a quelque commerce entr'elles & nous, & quelqu'obligation mutuelle ". J'aime à trouver dans Montagne ces sentimens & ces expressions, que j'adopte également. Nous devons aux hommes la justice & la bonté ; nous devons aux malheurs de nos ennemis des marques de compassion, quand ce ne seroit que par les sentimens de notre bonheur, & de la vicissitude des choses d'ici-bas. Cette compassion est une espece de souci tendre, une généreuse sympathie, qui unit tous les hommes ensemble & les confond dans le même sort. Voyez COMPASSION.

Tirons le rideau sur les monstres sanguinaires nés pour inspirer de l'horreur, & jettons les yeux sur les êtres faits pour honorer la nature humaine & représenter la divine. Quand après avoir lû les traits de cruauté de Tibere & de Caligula, on tombe sur les marques de bonté de Trajan & de Marc-Aurele, on commence à avoir meilleure opinion de soi-même, parce qu'on reprend une meilleure opinion des hommes : on adore un Périclès qui s'estimoit heureux de n'avoir fait porter le deuil à aucun citoyen ; un Epaminondas, cette ame de si riche complexion, si je puis parler ainsi, qui allioit à toutes ses vertus celle de l'humanité dans un degré éminent, & de l'humanité la plus délicate ; il la tenoit de naissance, sans apprentissage, & l'avoit toûjours nourrie par l'exercice des préceptes de la Philosophie. Enfin on sent le prix de la bonté, de la compassion, on en est rempli, quand on en a soi-même été digne : au contraire on déteste la cruauté, & par bon naturel & par principes, non-seulement parce qu'elle ne s'associe avec aucune bonne qualité, mais parce qu'elle est l'extrême de tous les vices ; je me flatte que mes lecteurs en sont bien convaincus. Art. de M. le Chev(D.J.)


CRUCHES. f. (Oecon. domest.) vaisseau de terre ou de grais large par le bas, & retréci par le haut, qui sert à puiser de l'eau ou d'autres liquides. Il a une anse. Une pleine cruche s'appelle une cruchée ; une petite cruche, un cruchon.


CRUCIFIEMENTS. m. (Hist. anc. & mod.) supplice en usage chez les anciens pour faire mourir les criminels condamnés par la justice à ce genre de mort, & qui est encore usité dans quelques contrées de l'Asie.

Les anciens Latins nommoient la croix gabalus ; les Romains l'ont appellée patibulum, & les Grecs . Elle n'a pas eu la même forme chez toutes les nations : d'abord ce n'étoit qu'un pal ou poteau de bois tout droit sur lequel on attachoit le criminel, ou avec des cordes par les bras & par les jambes, ou avec des clous qu'on lui enfonçoit dans les mains & dans les piés, & souvent pour cette exécution on se servoit d'un arbre. Mais ordinairement les croix étoient composées de deux pieces de bois qu'on assembloit en trois différentes manieres : 1°. en les croisant & formant la figure d'un X, ce que nous appellons encore aujourd'hui croix de S. André : 2°. en plantant une de ces pieces de bois droite, & mettant l'autre en travers au bout de celle-là, ce qui ressembloit à notre lettre T : 3°. en attachant la piece qui étoit en-travers un peu au-dessous du bout de la piece droite, & c'est de cette derniere figure qu'étoit la croix où Jesus-Christ fut attaché, comme on l'infere de l'inscription que Pilate fit mettre au-dessus, & du concert de tous les Historiens.

On trouve, tant dans les livres saints que dans les auteurs profanes, une foule de passages qui prouvent que les Egyptiens, les Hébreux, les Perses, les Grecs, les Romains, ont puni les criminels par le supplice de la croix ; ce qu'on ne peut pas entendre d'un gibet ou d'une potence où l'on les étranglât, mais d'un genre de mort plus lent & plus cruel, puisqu'il est dit, entr'autres dans Josephe, hist. liv. XIII. qu'Hircan ayant fait mettre en croix jusqu'à huit cent de ses sujets rébelles, fit égorger à leurs yeux leurs femmes & leurs enfans, pour augmenter leurs tourmens par ce spectacle tragique. Les Perses y condamnoient les grands, les Carthaginois leurs propres généraux, les Romains ceux qui s'étoient révoltés, & quelquefois les femmes, mais communément les esclaves ; les Juifs, ceux qu'ils regardoient comme d'insignes scélérats.

Les auteurs se sont contentés de nous transmettre les termes de crucifier, d'attacher, ou de suspendre en croix, sans nous détailler les particularités de ce supplice. On conjecture avec vraisemblance, qu'à l'égard de ceux qu'on y attachoit avec des clous, on les couchoit sur la croix étendue par terre, & que les bourreaux les y cloüoient par les piés & par les mains ; ensuite de quoi l'on élevoit la croix avec des cordes & des leviers, & on la plantoit en en affermissant le pié avec des coins. A l'égard de ceux qu'on y attachoit simplement avec des cordes, on pouvoit au moyen de quelques échelles les garrotter sur la croix déjà plantée. On est plus instruit sur les autres circonstances de ce supplice, & sur ses différences chez les Juifs & chez les autres nations. Les Grecs, par exemple, & les Romains y laissoient mourir les condamnés, & n'en détachoient jamais les corps, qu'on laissoit tomber de pourriture. Les Juifs au contraire avoient coûtume d'ôter les corps de la croix & de les enterrer, après avoir comme épuisé sur eux plusieurs raffinemens de cruauté. Ils les détachoient à la vérité à la fin du jour, mais après leur avoir brisé les os des cuisses s'ils n'étoient pas encore morts ; ce qui étoit un surcroît effroyable de douleur : & afin de ne la leur pas épargner, avant que de les mettre en croix, ils leur faisoient boire du vin excellent mixtionné de drogues, qui fortifioient & donnoient de la vigueur, & qu'on appelloit vinum myrrhatum, parce qu'on le présentoit à ces malheureux dans des vases de myrrhe. D'ailleurs ils avoient coûtume de leur appliquer de tems en tems pendant le supplice, du vinaigre où l'on avoit fait infuser de l'hyssope, & dont ils remplissoient une éponge ; trois choses propres à étancher le sang, selon Pline & Dioscoride, de sorte qu'en arrêtant par-là le sang du patient, ils lui prolongeoient s'ils pouvoient la vie jusqu'au soir, & ajoûtoient à cette continuité de tourmens celui de lui rompre les os des cuisses. L'éponge dont ils se servirent au crucifiement de N. S. J. C. & qu'on conserve avec grande vénération dans l'église de S. Jean de Latran à Rome, au rapport de ceux qui l'ont vûe, paroît rougeâtre, comme ayant été imbibée de sang & ensuite pressée. Les Juifs & les Gentils regardoient aussi les plus hautes croix comme les plus infâmes, & ce supplice comme le plus deshonorant, auquel on condamnoit les voleurs de grand-chemin, les traîtres, & les esclaves, que les Romains regardoient à peine comme des hommes. Aussi les lois romaines en exemptoient-elles nommément les citoyens ; & l'on peut voir dans Cicéron, quel crime il fait à Verrès d'avoir fait crucifier un citoyen, contre la disposition de ces mêmes lois.

Sous les empereurs payens ce genre de mort continua d'être le supplice des scélérats : mais l'impératrice Hélene mere du grand Constantin ayant retrouvé la vraie croix de Jesus-Christ à des indices confirmés par des miracles éclatans, cet empereur abolit entierement le supplice de la croix, & défendit qu'à l'avenir on y condamnât aucun criminel dans l'étendue de l'empire ; ce qui a été depuis observé dans tout le Christianisme. Ainsi ce qui avoit été l'instrument d'un supplice réputé infâme, est devenu l'objet de la vénération & du culte des Chrétiens ; si l'on en excepte les Calvinistes, qui à l'exemple de leur chef, ont tâché de répandre des doutes affectés, tant sur les clous avec lesquels Notre Seigneur fut attaché, que sur le bois de la vraie croix. Sans entrer dans une dispute qui n'est point du ressort de ce Dictionnaire, il suffit de dire, que les Catholiques ont des preuves convaincantes de l'authenticité de ces pieuses reliques, & que le culte qu'ils leur rendent pris dans le véritable esprit de l'Eglise, n'est rien moins qu'une idolatrie, comme le leur reprochent les prétendus Réformés.


CRUCIFIXS. m. (Théologie) croix sur laquelle Jesus-Christ est représenté attaché. Les catholiques romains honorent le crucifix en mémoire de la mort & passion de Notre Seigneur Jesus-Christ. Les protestans ont ôté les crucifix des églises, & ce ne fut qu'avec beaucoup de peine, que, du tems de la réformation en Angleterre, la reine Elisabeth put en conserver un dans sa chapelle. (G)


CRUCIFORMEadj. (Géom.) hyperbole cruciforme, est une hyperbole du troisieme ordre ; ainsi appellée par M. Newton, parce qu'elle est formée de deux branches qui se coupent en forme de croix. voyez COURBE. (O)


CRUDITÉS. f. (Medecine) c'est proprement la qualité des fruits & des viandes par rapport à leur destination pour la nourriture de l'homme, qui n'ont pas été préparés à cet usage par la coction, c'est-à-dire par l'action du feu, de quelque maniere qu'elle soit appliquée. Voyez ALIMENT, FRUIT, VIANDE, COCTION proprement dite ou CUISSON.

Le terme de crudité est employé dans la théorie médicinale, d'après les anciens, par opposition à celui de coction, dont ils se servoient pour signifier 1°. l'altération qu'éprouvent dans le corps humain la substance des alimens & de leurs parties fécales ; celle des humeurs, qui en sont formées ; des recrémens & excrémens de toute espece qu'elles fournissent ; par laquelle ces substances reçoivent (chacune différemment selon sa disposition particuliere), les qualités qui leur conviennent pour le bien de l'oeconomie animale : 2°. le changement qui se fait dans les humeurs morbifiques, qui les dispose à être moins nuisibles, & à être évacuées des parties, dont elles troublent les fonctions : effets qu'ils croyoient être produits par la chaleur naturelle, calidum innatum, le seul agent qu'ils sembloient reconnoître comme suffisant pour ces opérations. Voyez CHALEUR.

C'est conséquemment à cette idée qu'ils appelloient par la raison du contraire crudité en général, 1°. les mauvaises qualités des alimens considérés dans le corps humain, entant qu'ils ne sont pas suffisamment préparés par la digestion, pour fournir un chyle de bonne nature & séparé convenablement de leurs parties grossieres, soit parce qu'ils n'en sont pas susceptibles par leur disposition particuliere, soit parce que la puissance concoctrice, c'est-à dire selon eux, la chaleur naturelle, ne produit pas l'effet nécessaire pour cette élaboration : les vices du chyle mal formé, ceux du sang & des autres humeurs, que ce chyle vicié ne renouvelle qu'imparfaitement, & ceux de tous les excrémens qui en sont séparés & en lesquels elles se résolvent, dont les parties n'ont pas été suffisamment élaborées & sont mal assimilées. 2°. L'état dans lequel les matieres morbifiques nuisent actuellement à l'exercice des fonctions, en constituant des causes de maladies, & n'ont point encore été disposées par la coction à être portées hors du corps.

Ainsi la crudité prise dans ces deux sens, est une qualité vicieuse dont peuvent être affectées les matieres contenues dans les premieres voies, c'est-à-dire celle de la digestion des alimens, dans le système des vaisseaux sanguins, qui constitue les secondes voies, & dans celui des vaisseaux séreux, lymphatiques, nourriciers, nerveux, secrétoires & excrétoires, qui constitue les troisiemes voies ; par conséquent il peut être contenu des matieres crues dans toutes les parties du corps, puisqu'il peut y avoir par-tout des matieres qui pechent par défaut de coction ; d'autant plus que celles qui ont contracté ce vice, par une suite de la mauvaise digestion des alimens, qui est la premiere coction, ne peuvent pas être corrigées par la sanguification, qui est la seconde coction, & les matieres qui pechent par le défaut de celle-ci ne peuvent pas le réparer par la troisieme coction, qui se fait par l'élaboration & la secrétion des humeurs de différente espece dans tout le système des vaisseaux, excepté les sanguins. Ainsi les vices des fluides, en général, proviennent le plus souvent des crudités des premieres voies.

Quelqu'étendue que soit la signification du mot crudité, telle qu'elle vient d'être exposée, puisqu'elle concerne toutes les matieres qui peuvent être contenues dans les parties solides du corps humain, Hippocrate & les anciens qui l'ont suivi, employent quelquefois ce terme dans un sens encore plus générique, qui comprend sans distinction toutes les altérations nuisibles qui troublent l'ordre de l'oeconomie animale ; ainsi ils appellent cru, tout ce qui peut causer ou augmenter une maladie ; & crudité de la maladie, l'état dans lequel subsistent les phénomenes qui dépendent de la cause morbifique : par conséquent tout effet qui s'écarte des conditions requises pour la conservation ou pour le rétablissement de la santé, forme un état de crudité dans les maladies, & la crudité est d'autant plus contraire à l'oeconomie animale, que les qualités des maladies sont plus différentes de celles de la santé ; par où l'on doit distinguer les effets provenans de ce qui est étranger au corps malade, & qui en trouble les fonctions, de ceux qui sont produits par l'action de la vie, qui tend à détruire la cause morbifique : ceux-là sont une suite nécessaire de la crudité, ceux-ci une disposition à la coction, un travail pour opérer ce changement salutaire.

Tant que la crudité subsiste en son entier, la maladie est dans toute sa force. C'est sur-tout au commencement des maladies que la crudité est à son plus haut degré, qui est plus ou moins dangereux, selon la différente nature de la cause morbifique, c'est-à-dire selon qu'elle est plus ou moins disposée à la coction, & que l'action de la vie est plus ou moins proportionnée pour produire cette préparation à la crise. La durée de la crudité dépend de ce que la matiere morbifique résiste aux effets de la puissance concoctrice, ou de ce que cette puissance ne peut être mise en action, ou ne l'est qu'imparfaitement. Les effets qui tendent à procurer la coction peuvent seuls procurer la guérison : plus ils tardent à paroître, ou à produire des changemens salutaires en détruisant la crudité, plus le sort des malades reste indécis. La crudité diminue à mesure que les maladies approchent de leur état, & elle cesse à leur déclin, &c.

Voyez l'article COCTION, pepsis, dans lequel il est traité de bien des choses concernant la crudité, apepsia, telle qu'on la considere en général dans la théorie médicinale, & qui ne pourroient qu'être répetées ici.

L'usage a restraint, parmi les modernes, l'emploi qu'on fait du mot crudité. On s'en sert particulierement pour signifier les matieres crues, contenues dans les premieres voies, produites par les alimens mal digerés : on les appelle crudités simplement, saburra cruda, ou crudités d'estomac, si elles font sentir leurs mauvais effets dans ce viscere. Voyez DIGESTION & ses vices.

La crudité que le chyle vicieux porte dans le sang & communique à toutes les humeurs, est ordinairement appellée, quoiqu'improprement, cacochimie, dénomination qui renferme aussi tous les autres vices des fluides du corps humain en général. On dit cependant encore des urines, des sueurs, & de toutes les humeurs excrémenteuses, qu'elles sont crues, lorsqu'elles ne paroissent pas avoir été séparées avec les qualités qui leur conviennent, pour le bien de l'oeconomie animale. Les matieres fécales sont aussi appellées crues, lorsqu'elles n'ont pas éprouvé, par l'action de la digestion, une dissolution des solides, & une expression des bons sucs qui s'y trouvent mêlés, aussi parfaites qu'elles en auroient été susceptibles par elles-mêmes. Voyez URINE, SUEUR, CRACHAT, SECRETION, DIGESTION, EXCREMENT, DEJECTION, MATIERE FECALE. (d)


CRUEVoyez CROISSANCE.

CRUE des meubles au-dessus de leur prisée, (Jurisp.) tire son étymologie du mot croître. C'est un supplément de prix, qui, dans quelques pays & en certains cas, est dû, outre le montant de la prisée des meubles, par ceux qui en doivent rendre la valeur. On écrivoit autrefois creüe, à présent on écrit & on prononce crue. Elle a été introduite pour suppléer ce qui est présumé manquer à la prisée, pour porter les meubles à leur juste valeur. Les auteurs la nomment en latin incrementum mobilium, quinum assem, accretionem, accessionem ; & en françois quelques-uns l'appellent plus value ou plus valeur des meubles, quint en sus ou cinquieme denier parisis, mais plus communément on dit crue, & ce nom lui convient mieux en général, parce que la crue n'est pas par-tout du parisis ou quart en-sus, comme on le dira dans un moment. Cet usage étoit inconnu aux Romains. Le nom de parisis des meubles, qui paroît le plus ancien qu'on lui ait donné, vient du rapport que la crue a ordinairement avec la monnoie parisis, qui valoit un quart en-sus plus que la monnoie tournois ; la seule coûtume qui en fasse mention est celle de Berry, réformée en 1539, qui en parle à l'occasion des tuteurs, curateurs, & autres administrateurs, qu'elle charge, lorsqu'ils rendront compte, d'augmenter la prisée du tournois au parisis, pour les meubles prisés dans la ville & septaine de Bourges ; ainsi cela n'est pas ordonné pour toutes sortes de personnes ni dans toute l'étendue de la coûtume, mais seulement pour la ville & septaine de Bourges, ce qui est apparemment fondé sur ce que, dans la ville & septaine de Bourges, il y a plus d'enchérisseurs, & que les meubles s'y vendent plus cher que dans le reste de la province, & qu'on a présumé que si les meubles prisés eussent été vendus, ils auroient été portés au-dessus de la prisée. C'est donc parce que la prisée est censée faite à-bas prix, que l'on y ajoûte la crue, ce qui paroît un circuit assez inutile : il seroit plus naturel d'estimer tout d'un coup les meubles à leur juste valeur : cependant comme les huissiers & autres qui font la prisée des meubles ont peur de la faire trop haute, que l'édit d'Henri II, du mois de Fevrier 1556, les rend garans de leur prisée, & que les meubles ne peuvent être vendus au-dessous sans une ordonnance de justice ; pour éviter ces inconvéniens, on fait ordinairement la prisée à bas prix, & c'est sans-doute de-là qu'est venu l'usage de la crue.

Il est encore inconnu dans plusieurs provinces du royaume, telles que les parlemens de Droit écrit, dans le Roussillon & l'Alsace, & dans plusieurs coûtumes, comme Artois, Normandie, Blois, Lorraine.

A Paris la crue est du quart en-sus ; il en est de même dans les coûtumes d'Abbeville, Amiens, Anjou, Beauvais, Berry, Bourbonnois, Bourgogne, Chalons, Chartres, Chaumont-en-Bassigny, Dourdan, Mantes & Meulan, Montdidier, Roie & Peronne, Orléans, Montargis, Nivernois, Poitou, Ponthieu, Reims, Senlis, Sens, Vitry, & quelques autres.

On observe la même chose dans les provinces de Lyonnois, Forez, Beaujolois & Maconnois, qui suivent le Droit écrit, & sont du ressort du parlement de Paris.

Dans quelques coûtumes la crue n'est que du demi parisis ou huitieme en-sus de la prisée, comme au bailliage de Melun, dans celui d'Etampes, & à Troyes.

A Meaux elle n'est que de trois sols pour livre.

Lorsqu'il s'agit de regler si la crue est dûe, & sur quel pié, on doit suivre l'usage du lieu où les meubles ont été inventoriés.

Les prisées faites à juste valeur entre majeurs, ne sont pas sujettes à crues. Il en est de même des prisées qui ne sont pas destinées à être suivies de la vente des meubles, telles que celles qui se font par contrat de mariage ; parce que ces sortes de prisées sont toûjours réputées faites à juste valeur.

Il y a certains meubles qui ne sont point sujets à la crue, tels que ceux qui sont mis pour perpétuelle demeure, parce qu'on ne les estime pas avec les meubles ; ils sont censés faire partie du fonds. Tels sont encore ceux qui ont un prix certain, comme les especes monnoyées, la vaisselle, & les matieres d'or & d'argent, les billets, obligations, sentences, & autres jugemens ; les actions de la compagnie des Indes, les gros fruits, lorsqu'ils sont estimés suivant les mercuriales, le sel, les glaces, le verre, le bois & le charbon, & les fonds de librairie & imprimerie, attendu qu'ils sont toûjours prisés à juste valeur.

Quoique la crue paroisse avoir été introduite d'abord en faveur des mineurs contre leurs tuteurs, présentement les majeurs peuvent aussi la demander, quand même ils auroient fait faire la prisée, ou prisé eux-mêmes les meubles, & qu'il y auroit eu un expert-priseur de part & d'autre ; les créanciers peuvent la demander contre l'héritier de leur débiteur, aussi bien que ceux qui ont droit de propriété aux meubles.

Tous tuteurs, curateurs, gardiens, & autres administrateurs doivent tenir compte de la crue lorsqu'ils n'ont pas fait vendre les meubles, à moins qu'ils n'eussent droit d'en profiter.

Les héritiers légataires universels, exécuteurs testamentaires, curateurs à succession vacante, sequestres, gardiens, sont aussi tenus de la crue envers les créanciers & envers leurs co-partageans, faute d'avoir fait vendre les meubles, & de les représenter en nature & en bon état.

Entre conjoints ou entre le survivant & les héritiers du prédécedé, la crue n'est pas due pour les meubles prisés par contrat de mariage, mais seulement pour ceux inventoriés après décès, au cas qu'ils ne soient pas vendus ou représentés en bon état.

On stipule ordinairement entre conjoints un préciput pour le survivant, en meubles, pour la prisée & sans crue, auquel cas le survivant peut prendre jusqu'à concurrence des meubles pour la prisée ; mais s'il prend de l'argent ou des meubles non sujets à crue, il perd le bénéfice qu'il avoit droit de prétendre d'avoir des meubles pour la prisée & sans crue, & ne peut pas demander pour cela une indemnité.

Le conjoint donataire mutuel qui a droit de joüir des meubles, doit les faire vendre ou les faire estimer à juste valeur, sans s'arrêter à l'estimation portée par l'inventaire, autrement il en devroit la crue outre la prisée.

Si la prisée étoit frauduleuse, on n'en seroit pas quitte en ajoûtant la crue, ce seroit le cas de recourir aux preuves de la véritable valeur des meubles. Voyez mon traité de la crue des meubles au-dessus de leur prisée. (A)


CRUGNA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans la vieille Castille, avec titre de comté.


CRUPEZIA(Hist. anc.) espece de chaussure qui étoit ouverte par le bout, & dans l'ouverture de laquelle on avoit attaché deux plaques de métal sonores, qui s'appliquoient l'une sur l'autre, & résonnoient en cadence par le mouvement des piés du danseur. Voyez CHAUSSURE.


CRUPILLAIRES. m. (Hist. anc. Art. milit.) milice des anciens Gaulois, composée de soldats armés de pié-en-cap.


CRURALadj. en Anatomie, se dit de différentes parties relatives à la cuisse. Voyez CUISSE.

Le muscle crural vient de la partie antérieure du fémur, entre le grand & le petit trochanter ; il s'étend jusqu'à sa partie inférieure, & se termine à la rotule, en unissant son tendon avec ceux du vaste interne & du vaste externe.

L'artere crurale est une continuation de l'artere iliaque ; elle sort du bas ventre dans l'aine : elle jette dans cet endroit plusieurs petites artérioles aux parties externes de la génération & aux environs : elle continue ensuite son chemin ; & se portant en-dedans de la cuisse, & à deux ou trois pouces de distance, elle produit une grosse branche postérieure qui se distribue aux parties internes, moyennes & externes de la cuisse : elle descend en devenant de plus en plus interne, & jette dans son trajet différens petits rameaux ; après quoi, à trois pouces environ au-dessus du genou, elle gagne la partie postérieure, se porte dans le jarret, où elle jette plusieurs rameaux : elle prend-là le nom d'artere poplitée. Voyez POPLITE.

La veine crurale suit assez le trajet de l'artere, & produit des branches qui ont à-peu-près la même direction.

Le nerf crural est formé par l'union de la premiere, de la seconde, de la troisieme portion ; de la quatrieme & de la cinquieme paire lombaire ; passe pardessus le ligament de Fallope, & se divise, en sortant du bas ventre, en plusieurs branches, dont les unes se distribuent à toute la partie antérieure de la cuisse. Il accompagne l'artere crurale ; en l'abandonnant il suit le muscle couturier : & lorsqu'il est arrivé vers le tibia, il accompagne la saphene ; il la quitte vers la malléole interne ; & se distribue aux tégumens voisins. (L)


CRUSCA(Hist. mod.) Ce mot est italien, & signifie le son, ou ce qui reste quand la farine est blutée. On ne s'en sert parmi nous que pour désigner la fameuse académie de la Crusca, établie à Florence pour la perfection de la langue toscane. Voyez ACADEMIE.

Elle a pris son nom de son emploi & de la fin qu'elle se propose, qui est d'épurer la langue toscane, &, pour ainsi dire, d'en séparer le son. Sa devise est un bluteau, avec ce mot italien : il più bel fior ne coglie ; il en recueille la plus belle fleur.

Dans la salle où se tient cette académie, tout fait allusion à son nom & à sa devise.

Les siéges ont la forme d'une hotte à porter du pain ; leur dossier, celle d'une pelle à remuer le blé, les grandes chaises sont faites en façon de cuves d'osier ou de paille où l'on garde le blé ; les coussins des chaises sont de satin gris en forme de sas ; les étuis dans lesquels on met les flambeaux, ressemblent aussi à des sas. C'est ce que rapporte Monconis dans son premier voyage d'Italie.

Le dictionnaire de la Crusca est un dictionnaire italien composé par cette académie. Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)


CRUSTACÉEScrustacea animalia, (Hist. nat.) animaux qui n'ont point de sang, & dont les parties dures consistent dans une taie, crusta, qui les recouvre au dehors. Aristote, hist. anim. lib. IV. cap. j. distingue cette taie des crustacées, du test des coquillages, en ce que la taie peut être froissée & écrasée, mais non pas cassée & brisée, comme les coquilles.

Les principaux genres d'animaux contenus dans la classe des crustacées, sont les crabes, les poupars, les homards, les écrevisses, les squilles, le bernard-l'hermite ou le soldat, &c. Voy. CRABE, POUPARD, HOMARD, ECREVISSE, SQUILLE, BERNARD-L'HERMITE. (I)


CRUSWICK(Géog. mod.) ville de la grande-Pologne dans le palatinat de Inowlocz, sur le lac Gulpo.


CRUSY(Géograph. mod.) petite ville de France dans le bas-Languedoc. Il y a une petite ville de même nom dans le Sénonois.


CRUYS-DAELDERS. m. (Comm.) monnoie d'argent qui se fabrique à Conisberg, qui a cours dans les états du roi de Prusse, à Riga, à Dantzik, au titre de huit deniers vingt-un grains. Le cruys-daelder vaut 7 liv. 1 s. 10 den.


CRUZADou CRUSADE, s. f. (Comm.) monnoie d'argent de Portugal, frappée sous Alphonse V. vers l'an 1457, lorsque le Pape Calixte envoya dans ce royaume sa bulle pour la croisade contre les infideles.

Vraisemblablement ce nom de crusade vient de la croix que l'on voit sur l'empreinte d'effigie. On distingue les crusades vieilles & les neuves ; les premieres valent, argent de France, 2 liv. 16 s. 3 den. & les nouvelles 2 liv. 4 s.


CRYPTES(Anat.) nom d'une espece de glande ronde dans laquelle le rapport de l'orifice à la cavité de la glande n'est pas fort grand. Ruisch a donné particulierement ce nom aux glandes situées sur le dos de la langue, & aux glandes simples des intestins. Voyez LANGUE & INTESTIN. (L)


CRYPTOGRAPHIES. f. (Littérature) du grec , condo, je cache ; & de , j'écris : écriture secrette ou cachée, inconnue à tout autre que celui à qui on l'adresse.

Les anciens en ont eu l'usage, mais personne n'en avoit donné des regles avant l'abbé Tritheme, qui mourut en 1516. Il avoit composé sur ce sujet six livres de la Polygraphie, & un grand ouvrage de la Stéganographie, dont les termes techniques & mystérieux firent penser à un nommé Boville que cet ouvrage ne renfermoit que des mysteres diaboliques ; & c'est sur ce principe que plusieurs auteurs, & entr'autres Possevin, ont écrit que la Stéganographie étoit pleine de magie. L'électeur palatin Frédéric II. fit brûler, par une vaine superstition, l'original de cette Stéganographie, qu'il avoit dans sa bibliotheque. Mais plusieurs auteurs célebres & moins crédules, tels que Vigenere & d'autres, ont justifié l'abbé Tritheme. Le plus illustre de ses défenseurs fut le duc de Lunebourg, dont la Cryptographie fut imprimée en 1624 in-fol. & Naudé dit que ce prince a si bien éclairci toutes les obscurités de Tritheme, & si heureusement mis au jour tous ses prétendus mysteres, qu'il a pleinement satisfait la curiosité d'une infinité de gens qui souhaitoient de savoir ce que c'étoit que cet art prétendu magique. Caramuel donna aussi, dans le même dessein, une Stéganographie en 1635. Le P. Gaspard Schot, Jésuite allemand, & un autre Allemand nommé Heidel, ont aussi donné des traités de Cryptographie ou de Stéganographie. Voyez STEGANOGRAPHIE.

Jean-Baptiste de la Porte Napolitain, a fait cinq livres sur la même matiere ; & le chancelier Bacon en a aussi traité dans ce qu'il dit de l'accroissement des Sciences. Baillet, Jugem. des sav. tom. II. p. 530. Voyez CHIFFRE & DECHIFFRER.


CRYSTALCRYSTAUX, ou CRYSTALLISATIONS. (Hist. nat. Min.) Dans l'histoire naturelle on nomme crystal ou crystaux, toutes les substances minérales qui prennent d'elles-mêmes & sans le secours de l'art, une figure constante & déterminée : il y a donc autant de différentes especes de crystaux, qu'il y a de substances qui affectent une figure réguliere : un grand nombre de pierres calcaires, gypseuses, vitrifiables, réfractaires de métaux, de demi-métaux ; les pyrites, le soufre, &c. sont dans ce cas, & prennent une forme distinctive à laquelle il est aisé de les reconnoître.

Il y a tout lieu de croire que ce phénomene s'opere dans la nature, de la même maniere & suivant les mêmes loix que la crystallisation des sels se fait dans le laboratoire du chimiste. Voyez l'art. CRYSTALLISATION. On ne trouvera rien d'étonnant à ce phénomene, si on fait attention qu'il y a dans la nature un dissolvant généralement répandu, qui est propre à mettre en dissolution une infinité de substances terreuses, pierreuses, métalliques, &c. & qui peut former avec ces substances un grand nombre de combinaisons différentes : ce dissolvant est l'acide vitriolique. La Chimie nous fournit dans le sel, vulgairement appellé séléniteux, un exemple très-frappant de ces combinaisons, qui peut nous faire juger d'un grand nombre d'autres.

Ce sel est, comme on sait, formé par l'union de l'acide vitriolique avec une terre absorbante ; il donne par la crystallisation, des crystaux très-difficiles à dissoudre, au point que, suivant les observations de M. Roüelle, ils exigent cinq ou six cent fois leur poids d'eau pour être mis en dissolution.

Outre l'acide vitriolique qui est propre au regne minéral, l'acide nitreux du regne végétal peut encore être porté accidentellement dans le sein de la terre, & y produire différens effets. L'acide du sel marin se trouve aussi dans certains endroits de la terre, comme on peut en juger par le sel gemme qui se trouve dans les mines. On pourra croire aussi qu'il s'y trouve du sel animal, si l'on fait attention à la prodigieuse quantité d'animaux, de quadrupedes & de poissons qui ont été engloutis dans la terre, soit par les déluges, soit par d'autres révolutions arrivées à notre globe.

Il y a tout lieu de croire que la nature, dont les voies sont variées à l'infini, trouve les moyens de faire agir ces différens dissolvans sur une infinité de différentes substances, & de produire par-là une variété prodigieuse de phénomenes & de combinaisons que l'art ne peut point imiter. Ces phénomenes dépendent peut-être du plus ou du moins de force de ces dissolvans, de la quantité d'eau dont ils ont été étendus, de la base ou matiere à laquelle les acides s'unissent, de l'évaporation plus ou moins lente, & même de la nature du filtre au-travers duquel la matiere en dissolution a passé ; circonstances qui semblent toutes concourir à la formation des différens crystaux. Une chose qui prouve incontestablement que les crystaux ont été d'abord dans un état de fluidité, ce sont les matieres étrangeres, telles que les gouttes d'eau, des insectes, des plantes, &c. qui s'y trouvent souvent renfermés. Cette conjecture est confirmée par l'expérience de M. Roüelle, qui, ayant trouvé de l'eau dans l'intérieur de quelques pierres, l'a recueillie avec soin ; & après l'avoir mise en évaporation, a obtenu des crystaux parfaitement semblables à ceux qui se forment naturellement.

La figure des crystaux varie considérablement dans le regne minéral, & il seroit trop long d'en faire ici l'énumération. En parlant de chaque substance susceptible de crystallisation, on indiquera la figure que ces crystaux affectent le plus ordinairement. Les Naturalistes ont été partagés sur la cause de ces variétés. M. Linnaeus a prétendu que les crystaux en étoient redevables aux différens sels qui entroient dans leur composition, & qui, selon lui, en déterminent la figure. Sur ce principe il appelle chaque crystal du nom du sel avec lequel il a le plus d'analogie. C'est ainsi, par exemple, qu'il nomme le crystal de roche, nitrum quartzosum album, à cause de la conformité de sa figure avec celle des crystaux du nitre.

Ce système est réfuté par M. Wallerius, qui soupçonne que c'est la base, c'est-à-dire la substance terreuse ou métallique à laquelle l'acide s'est uni, qui détermine la figure des crystaux. Il s'appuie dans sa conjecture sur ce que la plûpart des métaux mis en dissolution dans les différens acides, donnent constamment des crystaux d'une figure uniforme, & propres au métal avec lequel l'acide a été combiné. Ce même naturaliste se fonde encore sur ce qu'un grand nombre de métaux affectent toûjours dans leur minéralisation une figure certaine & déterminée. C'est ainsi que le plomb dans sa mine prend toûjours une forme cubique, l'étain une forme polygone, &c. voyez la minéralogie de Wallerius, tome I. pag. 228. & suiv.

Sans entrer dans la discussion de ces différens sentimens, il paroît que l'on a point encore fait assez d'observations pour décider la question ; il suffit de remarquer qu'il y a lieu de croire que c'est souvent l'une de ces causes, souvent l'autre, quelquefois toutes les deux à la fois, quelquefois enfin des accidens, qui semblent concourir à la figure des différens crystaux.

De même que les crystaux different les uns des autres par la figure, on y remarque aussi une grande variété par les couleurs. Les Naturalistes appellent communément fluores, les crystaux colorés, de quelque nature qu'ils soient ; c'est ainsi qu'ils appellent les crystaux de spath colorés, fluores spathici, &c. Il n'est point douteux que les couleurs que nous voyons dans les différens crystaux, ne viennent de substances métalliques mises en dissolution dans le sein de la terre & entraînées par les eaux, ou élevées sous la forme de vapeurs, qui sont venues se joindre à la matiere encore liquide dont les crystaux doivent être formés. En effet, la Chimie suffit pour nous convaincre que la plûpart des métaux fournissent des couleurs qui leur sont propres : c'est ainsi que le cuivre dissous dans quelques dissolvans, donne du verd, & du bleu dans d'autres ; le plomb donne du jaune, le fer donne du rouge, &c. Souvent la couleur pénetre entierement les crystaux, quelquefois elle n'y est attachée que superficiellement, & elle forme une espece d'enduit qui les couvre ; d'autres fois n'ayant pas été en quantité suffisante pour colorer tout le crystal, il y en a une partie qui est restée blanche & transparente, tandis qu'une autre est parfaitement colorée. Souvent on trouve des pyrites & des particules terreuses ou métalliques attachées à la surface des crystaux ; il y a lieu de croire que ces substances sont venues s'y joindre après que les crystaux ont été tous formés, ou avoient déjà acquis une consistance trop solide pour que les parties colorantes pussent pénétrer jusques dans leur intérieur.

Par ce qui vient d'être dit dans cet article, on voit qu'il y a autant de crystaux différens, qu'il y a de pierres & de substances minérales propres à prendre une figure réguliere & déterminée. Ces crystaux conservent toûjours les propriétés des pierres de leur genre. C'est ainsi que, par exemple, les crystaux calcaires ont la propriété de se changer en chaux par la calcination, & de se dissoudre dans les acides ; les pierres gypseuses crystallisées sont changées en plâtre par l'action du feu, & ainsi des autres especes. La crystallisation leur fait prendre seulement une figure déterminée, sans rien changer à leurs qualités essentielles.

Les différentes especes de crystaux se forment dans presque toutes les parties de la terre, & particulierement dans les mines, dans les cavités des montagnes, où la matiere dont ils ont été formés a été entraînée par les eaux qui ont trouvé passage par les fentes de la terre ; on en rencontre dans les creux de quelques pierres, qui en sont quelquefois entierement tapissées ; dans les cornes d'Ammon & autres coquilles fossiles, dont souvent ils remplissent la capacité, &c. Quelquefois les crystaux sont solitaires, mais plus ordinairement il y en a plusieurs qui forment un grouppe, & partent d'une base ou racine commune : quelquefois il y en a deux ou plusieurs qui se confondent, & présentent par-là une figure extraordinaire qui leur est purement accidentelle. (-)

CRYSTAL D'ISLANDE, (Hist. nat. Min.) On donne ce nom à une espece de spath calcaire, transparent comme du crystal de roche, dont la figure est rhomboïdale : c'est un parallélipipede composé de 6 parallélogrammes & de 8 angles solides, dont 4 sont aigus & 4 obtus, & à quelques degrés de petitesse qu'on réduise les parties de cette pierre, on y remarque constamment cette figure à l'aide d'un microscope. Le crystal d'Islande paroit formé d'un assemblage de lames ou de feuillets, semblable à ceux du talc ou de la pierre spéculaire ; il se dissout dans l'eau-forte & les autres acides ; quand on le calcine dans un creuset, il pétille & se divise en une infinité de petits rhomboïdes ; après quoi il s'échauffe avec l'eau comme toutes les pierres calcaires, après qu'elles ont été calcinées à un feu violent. Après la calcination il fait phosphore, & répand une odeur d'hepar sulphuris assez sensible. Mais la propriété la plus remarquable du crystal d'Islande, c'est de faire paroître doubles les objets qu'on voit au travers.

Cette pierre est nommée crystal d'Islande, parce qu'elle se trouve en plusieurs endroits de cette île, & sur-tout au pié d'une montagne proche de Roer-Floerde. C'est Erasme Bartholin qui l'a fait connoître le premier, en en donnant un traité particulier. Quelques auteurs ont cru que c'étoit une pierre talqueuse, à cause de son tissu feuilleté ; d'autres l'ont regardé comme une espece de sélénité : ce qu'il y a de constant, c'est que le vrai crystal d'Islande est un spath calcaire ; & il ne faut point le confondre avec d'autres substances qui lui ressemblent par la figure rhomboïdale & par la transparence, mais qui en different par d'autres propriétés. Voyez la continuation de la Lithogéognosie de M. Pott, pag. 226. & suiv. (-)

* CRYSTAL D'ISLANDE, (Physique) MM. Huyghens & Newton ont examiné ses phénomenes avec une attention particuliere. Voici les principaux : 1°. Le raiyon de lumiere qui le traverse, souffre une double réfraction, au lieu qu'elle est simple dans les autres corps transparens. Ainsi on voit doubles les objets qu'on regarde au-travers.

2°. Le raiyon qui tombe perpendiculairement sur la surface des autres corps transparens, les traverse sans être rompu, & le raiyon oblique est toûjours divisé ; mais dans le crystal d'Islande tout raiyon, soit oblique, soit perpendiculaire, est divisé en deux, en conséquence de la double réfraction. De ces deux raiyons, l'un suit la loi ordinaire ; & le sinus de l'angle d'incidence de l'air dans le crystal est au sinus de l'angle de réfraction comme cinq à trois : quant à l'autre raiyon, il se rompt selon une loi particuliere. La double réfraction s'observe aussi dans le crystal de roche, mais elle y est beaucoup moins sensible.

Lorsqu'un raiyon incident a été divisé en deux autres, & que chaque raiyon partiel est arrivé à la surface la plus ultérieure, celle au-delà de laquelle il sort du crystal, celui des deux qui, en entrant, souffre une réfraction ordinaire, souffre aussi en sortant une réfraction ordinaire ; & celui qui en entrant souffre une réfraction extraordinaire, souffre aussi en sortant une réfraction extraordinaire : & ces réfractions de chaque raiyon partiel sont telles, qu'ils sont tous les deux en sortant paralleles au raiyon total.

De plus, si l'on place deux morceaux de ce crystal l'un sur l'autre, ensorte que les surfaces de l'un soient exactement paralleles aux surfaces de l'autre, les raiyons rompus selon la loi ordinaire en entrant, à la premiere surface de l'un, sont rompus selon la loi ordinaire à toutes les autres surfaces. L'on observe la même uniformité, tant en entrant qu'en sortant, dans les raiyons qui souffrent la réfraction extraordinaire, & ces phénomenes ne sont point changés, quelle que soit l'inclination des surfaces ; supposé que leurs plans, considérés relativement à la réfraction perpendiculaire, soient exactement paralleles.

Newton conclut de ces phénomenes, qu'il y a une différence essentielle entre les raiyons de la lumiere, en conséquence de laquelle les uns sont réfractés constamment selon la loi ordinaire, & les autres selon une loi extraordinaire. Voyez RAIYON & LUMIERE.

En effet, s'il n'y avoit pas une différence originelle & essentielle entre les raiyons, mais que les phénomenes résultassent de quelques modifications nouvelles, qu'ils recevroient à leur premiere réfraction ; de nouvelles modifications qu'ils recevroient aux trois autres réfractions, les altéreroient comme à la premiere ; au lieu qu'elles ne sont point altérées.

Ou plûtôt le même auteur en prend occasion de soupçonner, que les raiyons de lumiere ont des côtés doüés de différentes qualités physiques, en effet il paroît par les phénomenes, qu'il n'y a pas deux sortes de raiyons différens en nature, les uns constamment & en toute position réfractés selon la loi ordinaire, & les autres constamment & en toute position réfractés selon une loi extraordinaire ; la bisarrerie qu'on remarque dans l'expérience n'étant qu'une suite de la position des côtés des raiyons, relativement au plan de la réfraction perpendiculaire : car un même raiyon est quelquefois rompu selon la loi accoûtumée, & quelquefois selon la loi extraordinaire, selon la position relative de ses côtés au crystal. La réfraction est la même dans les deux cas, lorsque les côtés des raiyons ont la même position dans l'un & l'autre ; & la réfraction est différente dans les deux cas, lorsque la position des côtés des raiyons n'est pas la même.

Ainsi chaque raiyon peut être considéré comme ayant quatre côtés ou portions latérales, dont deux opposées l'une à l'autre, déterminent le raiyon à se rompre selon une loi extraordinaire, & dont les deux autres pareillement opposées, le déterminent à se rompre selon la loi accoûtumée : ces principes déterminans, étant dans le raiyon avant qu'il parvienne à la seconde, à la troisieme, à la quatrieme surface, & ne souffrant aucune altération, comme il paroît, à la rencontre de ses surfaces, il faut qu'ils soient essentiels & naturels au raiyon. V. RAIYON, LUMIERE, FRACTIONTION. Chambers.

CRYSTAL DE ROCHE, (Hist. nat. Minér.) crystallus montana : on nomme crystal de roche ou crystal par excellence, une pierre figurée, transparente, non colorée, qui a la forme d'un prisme à six côtés, terminée à ses deux extrémités par une pyramide hexagone, quand la formation est parfaite.

Dans la définition du crystal de roche, nous venons de dire que c'étoit un prisme ou une colonne à six côtés, terminée par deux pyramides : cependant cette regle souffre des exceptions. En effet il y a du crystal de roche dans lequel on ne remarque que la pyramide supérieure, sans qu'on apperçoive de prisme ou de colonne. On en voit d'autre qui n'est composé que de deux pyramides, qui se réunissent par la base sans prisme ni colonne intermédiaires : on en trouve très-fréquemment qui a le prisme & une pyramide hexagone, sans qu'on puisse appercevoir la pyramide inférieure, qui souvent est cachée & confondue dans la pierre qui lui sert de matrice ou de base. Quand on remarque dans le crystal de roche une autre figure que celle d'un prisme hexagone, il y a lieu de croire que cela vient de ce que deux ou plusieurs crystaux sont venus à se joindre, & se sont confondus dans leur formation.

Il y a des crystaux de roche dont les parties sont si étroitement unies, qu'il est impossible d'en remarquer le tissu, tandis que dans d'autres on peut voir distinctement qu'ils sont composés de lames ou de couches, qui ont été successivement appliquées les unes sur les autres, en conservant la régularité de leur figure.

En général, c'est toûjours le quartz qui sert de base ou de matrice au crystal de roche, & c'est dans cette pierre qu'il se forme constamment ; d'où l'on pourroit conjecturer avec beaucoup de vraisemblance que le crystal de roche n'est autre chose qu'un quartz plus épuré, qui par différentes circonstances qui concourent à la crystallisation, a été disposé à prendre une figure réguliere & déterminée. V. l'article précédent CRYSTAL ou CRYSTAUX.

La transparence du crystal de roche & sa ressemblance avec de la glace, ont fait croire aux anciens Naturalistes que c'étoit une eau congelée à qui le froid continuel avoit fait prendre à la longue la consistance solide que l'on y remarque ; c'est sur ce principe que quelques auteurs ont cru qu'il ne se trouvoit que dans les pays froids : mais il y déjà longtems que les Naturalistes sont revenus de ces préjugés ; d'ailleurs les relations des voyageurs nous ont convaincu qu'il y a du crystal de roche dans les pays les plus chauds, tels que l'île de Madagascar, de Sumatra, &c.

Le crystal de roche se trouve dans toutes les parties du monde : en Europe c'est la Suisse, & surtout le mont Saint-Gothard qui en fournit la plus grande quantité. Suivant le rapport de Scheuchzer, il s'est trouvé des crystaux qui pesoient jusqu'à 250 livres. Ce savant naturaliste observe que plus le lieu d'où on le tire est élevé, plus le crystal est parfait, pur & précieux. Voici, suivant lui, les signes auxquels ceux qui recueillent le crystal en Suisse reconnoissent les endroits où ils pourront en trouver. 1°. On fait attention aux veines de quartz blanc qui, si on les suit, conduisent à des roches dont les cavités sont remplies de crystaux. 2°. Les grosses roches ou pierres remplies de bosses, en contiennent très-fréquemment. 3°. Les ouvriers font attention au son que rendent ces roches ou pierres creuses, lorsqu'on les frappe avec le marteau ; ce son est différent de celui des pierres pleines & sans cavités. 4°. On reconnoît encore à la simple vûe les pierres qui contiennent du crystal de roche ; elles sont blanchâtres, très-dures, & ne sont jamais calcaires.

On trouve quelquefois du crystal de roche en pleine campagne, & presque à la surface de la terre ; mais ce n'est point le lieu de sa formation, il y a été porté par les torrens ou par d'autres accidens : pour lors très-souvent on y remarque plus de figure réguliere ; & il ressemble pour la forme aux caillous ordinaires. On en a vû de cette espece en Angleterre qui étoient d'une dureté extraordinaire. On en trouve encore dans le lit des rivieres ; celui-là est quelquefois arrondi, parce que le roulement & le mouvement des eaux lui ont fait prendre cette figure. Les caillous de Medoc paroissent être dans ce cas. Le crystal de roche varie extrêmement pour la grandeur ; quelquefois il est en colonnes détachées, d'autres fois il est en grouppes, & ne présente qu'une infinité de pyramides hexagones, placées les unes à côté des autres. Souvent en brisant des caillous, on y trouve des cavités remplies de crystaux ; d'autres fois on rencontre des prismes hexagones, ou des pyramides détachées : mais il y a tout lieu de croire que c'est par quelque accident qu'elles ont été séparées de la matrice dans laquelle elles ont été formées. Il se trouve de grandes masses de crystal de roche dans l'île de Madagascar : si l'on en croit les relations de quelques voyageurs, on en a tiré des morceaux de six piés de long, de quatre de large, sur autant d'épaisseur. Voyez l'histoire générale des voyages, tom. VIII. pag. 620. Il y a lieu de penser, si ce fait est vrai, que ces masses ne sont autre chose que du quartz transparent, dans lequel les colonnes de crystal se sont formées. On peut dire la même chose du crystal de roche, dans lequel quelques auteurs disent qu'on rencontre une cavité hexagone, qui y a été faite par une colonne de crystal hexagone, qui en ayant été arrachée par quelque accident, y a laissé son empreinte. Le crystal que Langius appelle crystallus cariosa, & qui est rempli de trous, n'est probablement que du quartz qui a servi de base à des crystaux.

Pour que le crystal de roche soit parfait, on exige qu'il soit clair & transparent comme de l'eau, & qu'il n'ait ni couleur, ni tache, ni crevasse : celui qui a toutes ces qualités étoit très-estimé des anciens, qui en faisoient différens vases dont le prix étoit très-considérable. Aujourd'hui l'usage en est moins commun parmi nous ; cependant on admire encore les beaux lustres de crystal de roche : mais ceux que l'on fait à présent sont ordinairement de verre de Bohême. On leur donne la préférence, à cause que le prix en est moins haut.

Les curieux en histoire naturelle recherchent par préférence, pour orner leurs cabinets, des morceaux de crystal de roche, accompagnés d'accidens, c'est-à-dire qui renferment des corps étrangers, tels que du bois, des plantes, des gouttes d'eau, &c.

Un grand nombre de Naturalistes ont cru que le crystal de roche étoit la base des pierres précieuses ; & ce sentiment n'a rien que de très-probable, puisque réellement il n'en differe que par la dureté : d'ailleurs il est susceptible de recevoir comme elles différentes couleurs dans le sein de la terre. Quand le crystal de roche est coloré, on lui donne souvent le nom de fausse pierre précieuse (pseudo gemma) ou bien on l'appelle du nom de la pierre précieuse à laquelle il ressemble par la couleur, en y ajoûtant l'épithete de faux ; c'est ainsi qu'on nomme faux rubis le crystal de roche rouge ; faux saphir, celui qui est bleu ; fausse émeraude, celui qui est verd, &c. Il y a aussi du crystal brun & noir ; ce dernier est assez rare : mais tous ces crystaux ne different du crystal de roche ordinaire que par la couleur qui leur est purement accidentelle.

On peut aussi colorer le crystal de roche par art : en voici le procédé, suivant Neri. On prend d'orpiment & d'arsenic blanc de chacun deux onces, d'antimoine crud & de sel ammoniac de chacun une once ; on pulvérise ces matieres, on les mêle bien exactement, & on les met dans un creuset assez grand ; on place par-dessus ce mêlange des morceaux de crystal de roche ; on couvre le creuset d'un autre creuset renversé, au fond duquel est une petite ouverture pour laisser passage à la fumée qui est dangereuse ; on les lutte avec soin ; ensuite on place le creuset qui contient les matieres dans un fourneau au milieu des charbons ; on laisse le feu s'allumer peu-à-peu ; & quand il sera une fois allumé, on le laissera continuer jusqu'à ce qu'il s'éteigne de lui-même : on laissera refroidir le tout ; pour lors on retirera du creuset les morceaux de crystal qui seront de différentes couleurs, de topase, de rubis, de chrysolite, &c. mais Kunckel prétend avec raison que cette couleur ne pénetre point le crystal, & ne s'y attache que superficiellement. Voyez l'art de la Verrerie de Neri, page 167.

Les propriétés du crystal de roche sont les mêmes que celles de toutes les pierres qu'on nomme vitrifiables, c'est-à-dire de donner des étincelles lorsqu'on les frappe avec un briquet d'acier, & d'entrer en fusion lorsqu'on y mêle une certaine quantité d'alkali fixe : on s'en est quelquefois servi pour imiter les pierres précieuses ; pour lors on y joint deux ou trois parties de plomb pour en faciliter la fusion, avec quelque substance métallique propre à donner au mêlange la couleur qu'on demande.

Becher prétend avoir connu un dissolvant, au moyen duquel il réduisoit le crystal en une masse gélatineuse transparente, propre à recevoir toutes sortes de formes comme la cire. Voyez Beccheri, Physica subterranea, pag. 65. Il y a encore des gens qui ont prétendu avoir le secret de faire avec le crystal une liqueur, dont une partie jointe avec deux parties d'eau commune, avoit la propriété de la changer au boût d'un certain tems en une véritable pierre. L'art de la Verrerie nous fournit les moyens d'imiter par art le crystal de roche ; on pourra les voir dans l'article suivant. Voyez CRYSTAL FACTICE.

Il s'est trouvé des medecins ou plûtôt des charlatans, qui ont attribué des vertus merveilleuses au crystal de roche dans certaines maladies ; ils en recommandoient l'usage interne, prétendant qu'il étoit propre à guérir les obstructions, la pierre, &c. & que réduit en poudre il faisoit les mêmes fonctions qu'une terre absorbante. Cette prétention est si absurde, que nous ne nous arrêterons point à la réfuter : nous nous contenterons de remarquer que le crystal de roche ne peut pas faire plus de bien en Medecine, que des cailloux ou du verre pilés. Nous nous dispenserons donc de parler des préparations puériles du crystal de roche, que l'on rencontre dans quelques auteurs. (-)

CRYSTAL FACTICE, (Chimie) Pour faire un beau crystal, qui n'est proprement qu'un beau verre blanc, il est important de commencer par bien purifier la potasse qu'on veut y faire entrer ; ce qui se fait en la dissolvant dans de l'eau bien claire, en laissant tomber au fond du vase, où l'on fait dissoudre ce sel, toutes les saletés qui peuvent s'y trouver : on décante ensuite l'eau, on la filtre, on la met ensuite évaporer à siccité, on casse en morceaux le sel qui reste, & on le fait calciner doucement ; on le dissout de nouveau dans de l'eau, & on la filtre de nouveau ; plus on réitere ces opérations, plus le crystal qu'on veut faire sera blanc & clair : mais lorsqu'on veut donner une couleur au crystal, une seule purification suffira.

L'on prend ensuite des caillous (les meilleurs sont les pierres à fusil noires), on les fait rougir au fourneau, & lorsqu'elles sont bien rouges, on les éteint dans l'eau froide : cette opération les rend plus tendres & plus friables ; on la fait donc à plusieurs reprises, après quoi on les réduit en une poudre impalpable dans un mortier de marbre ; car ceux qui sont de métaux ne valent rien pour cet usage, parce qu'il se détache toûjours quelques particules métalliques qui contribuent à ternir l'éclat & la blancheur du crystal. Par la même raison, le pilon doit être de bois. Lorsque les caillous calcinés sont réduits en une poudre bien fine, & nettoyés de toute saleté par de fréquentes lotions, on met cette poudre sécher, en observant de la ranger à l'abri de toute ordure.

Les choses ainsi disposées, on prend 60 livres de ces caillous en poudre, & 46 livres de sel alkali fixe purifié comme il a été dit ci-dessus ; on les mêle ensemble bien exactement sur une table de marbre, & on les met en fusion dans un creuset ou pot placé au fourneau de verrerie : plus le mêlange y reste, plus le crystal devient beau ; cependant en général quatre jours suffisent, pourvû que le feu soit violent ; & au bout de ce tems, le crystal est en état d'être travaillé.

Outre cette méthode qui est de Neri, dans son art de la Verrerie, le célebre Kunckel en donne quelques autres dans son commentaire sur le même ouvrage ; on a cru les devoir joindre ici. Voici la premiere.

Prenez du sable blanc très-fin & bien purifié, ou, ce qui vaut encore mieux, de caillous préparés comme on l'a dit ci-dessus, 150 livres ; de potasse bien purifiée, 100 livres ; de craie, 20 livres ; de bonne maganese, 5 onces : on mêle exactement ces matieres, on les laisse long-tems en fusion ; on aura par ce moyen un crystal très-beau. Si les matieres dont on s'est servi ont été bien purifiées, le crystal sera toûjours fort blanc & transparent. On peut s'en servir pour contrefaire toutes sortes de pierres précieuses transparentes, en y portant les matieres colorantes propres à chaque pierre précieuse qu'on veut imiter.

Si on veut préparer un crystal propre à contrefaire les pierres précieuses non transparentes, telles que les turquoises, les agates, les jaspes, &c. voici la méthode que Kunckel indique.

On prendra 60 livres de sable ou de caillous blancs pulvérisés & préparés comme nous avons dit, 40 livres de potasse, 10 livres d'os ou de corne de cerf calcinée ; on aura soin de bien mêler ces différentes matieres, qu'on mettra en fusion : ce crystal au sortir du fourneau est clair & transparent ; mais lorsqu'on l'a travaillé, si on le remet au feu, il devient opale ou d'un blanc de lait, à proportion du plus ou du moins de corne de cerf ou d'os calcinés qu'on y aura fait entrer, & suivant qu'on le met au feu plus ou moins souvent.

Voici une autre maniere qui est plus couteuse, mais qui fournit un crystal encore plus beau : c'est de prendre de caillous blancs ou de pierres à fusil calcinés & préparés, 130 livres ; de salpetre purifié & pulvérisé, 70 livres ; de borax, 12 livres ; tartre purifié, 12 livres ; d'arsenic, 5 livres ; d'os ou de corne de cerf, 15 livres plus ou moins à volonté : c'est-à-dire que si on ne veut qu'une couleur opale, 12 liv. suffiront ; si on veut le crystal d'un blanc d'ivoire ou de lait, on peut y en faire entrer davantage ; c'est-à chacun à en faire l'épreuve en petit. Cette derniere maniere est la meilleure pour contrefaire toutes sortes de pierres précieuses non transparentes : ces différentes recettes sont tirées de l'art de la Verrerie de Neri, Merret, & Kunckel, pag. 100. & suiv. & pag. 149. de la traduction françoise. Voyez à l'article VERRERIE, le travail plus détaillé du crystal artificiel & des fourneaux de cette branche curieuse de la Verrerie. (-)

CRYSTAL MINERAL, (Pharmacie) Le crystal minéral, ou le sel de prunelle, est le produit d'une opération chimique, qui consiste à jetter sur une livre de nitre en fonte & commençant à rougir, environ un gros de fleur de souffre, qui détonne avec une petite portion de ce sel & qui la convertit en tartre vitriolé.

Le soufre détonné avec du nitre, n'étant capable d'en convertir en sel polychreste ou tartre vitriolé, qu'une quantité à-peu-près égale à son propre poids, il doit se trouver dans la livre de crystal minéral dont nous venons de parler, environ un gros de nitre (c'est-à-dire la cent vingt-huitieme partie du tout), changé en tartre vitriolé ; tout le reste de la masse doit être du nitre parfait. L'usage medicinal de cette préparation doit donc être le même que celui du nitre. Voyez NITRE. (b)

CRYSTAL, (cieux de) en Astronomie, étoient deux orbes que les anciens astronomes avoient imaginés entre le premier mobile & le firmament, dans le systême de Ptolomée, où les cieux étoient supposés solides, & n'être susceptibles que d'un mouvement simple. Les Astronomes anciens s'en servoient pour expliquer différens mouvemens apparens de la sphere celeste. Voyez CIEL & COPERNIC.

Mais les modernes expliquent tous ces mouvemens d'une maniere plus naturelle & plus aisée. Il leur suffit pour cela de supposer dans l'axe de la terre un petit mouvement ; & la plûpart des phénomenes célestes, que les anciens n'expliquoient qu'à force de cieux de crystal, s'expliquent aujourd'hui avec une facilité surprenante, dans l'hypothese du mouvement de la terre ; ce qui prouve que cette hypothese est bien plus simple & plus conforme à la vraie philosophie. L'embarras de tous ces cieux de crystal étoit si grand, pour les anciens mêmes, que le roi Alphonse qui étoit obligé d'en imaginer de nouveaux, parce qu'il ne connoissoit rien de meilleur, disoit que si Dieu l'eût appellé à son conseil quand il fit le monde, il lui auroit donné de bons avis. Ce grand prince vouloit seulement dire par-là qu'il lui paroissoit difficile que Dieu eût fait le monde ainsi. Voyez LIBRATION, NUTATION, &c. (O)

CRYSTAL, (Gravure sur Crystal), voyez l'article GRAVURE.

CRYSTAL, (Horlog.) signifie aussi un petit verre circulaire & bombé qui s'ajuste dans la lunette d'une boîte de montre ou de pendule. Il doit être approchant d'égale épaisseur par-tout, afin qu'il n'y ait point de réfraction. Avant qu'on eût pensé à en faire, les boîtes de montre avoient deux fonds, & l'on étoit obligé d'ouvrir la boîte pour voir l'heure. On a commencé à en faire vers la fin du siecle passé : les meilleurs viennent d'Angleterre : on prétend qu'ils se percent sur le touret des Graveurs en pierres fines. Voyez GRAVURE EN PIERRES FINES. (T)


CRYSTALLINen Anatomie, est une espece de lentille solide, sphérique devant & derriere, composée d'une infinité de segmens sphériques, fibreux étroitement unis, fort transparens ; il est plus près de la cornée que la rétine, & il est composé d'une infinité de vaisseaux, comme nous l'apprennent le dessechement, la diminution du poids, la contraction de ce corps. Il est destiné à rompre les raiyons, de maniere qu'il les rassemble sur la rétine, & y forme l'image des objets qu'y doit produire la vision. Voy. OEIL, REFRACTION, VISION, RETINE, &c.

Le crystallin est placé à la partie antérieure de l'humeur vitrée, comme un diamant dans son chaton, & il y est retenu par une membrane qui l'environne, & qui pour cette raison est appellée capsule du crystallin. Cette membrane est aussi appellée quelquefois crystalloïde, & par d'autres arachnoïde, à cause de sa finesse, qui la fait ressembler à une toile d'araignée. Voyez ARACHNOÏDE.

On trouve antérieurement sous cette membrane une eau fixe, fort transparente ; après cette eau, une substance molle qui entoure un noyau plus dur, plus compacte dans les poissons, où il est presque comme de la corne, & plus solide dans l'homme. C'est de ce noyau que commence la cataracte : après la mort il est aussi le premier à s'obscurcir : il est d'une grande transparence dans le jeune âge ; il commence peu à-peu vers l'âge de trente ans à devenir jaune, & dans les vieillards il ressemble aux topases pour la couleur : en même tems il s'endurcit.

Le diamêtre du crystallin dans l'homme a pour l'ordinaire 4 lignes, 4 lignes 1/4 ou 1/2. Son épaisseur 2 lignes, ou 2 lignes 1/4 ; sa convexité antérieure est une portion de sphere dont le diametre est de 6 lignes 6 lignes 1/2 ; la convexité postérieure est une portion de sphere dont le diamêtre est de 5 lignes ou 5 lignes 1/2. Voyez les mémoires de l'académ. année 1730, mém. page 5.

C'est la configuration particuliere du crystallin qui fait qu'une personne est myope ou presbyte, c'est-à-dire qu'elle a la vûe courte ou longue. Voyez MYOPE & PRESBYTE.

Plusieurs auteurs pensent que sa figure peut changer, & ils supposent que ce changement est l'effet du ligament ciliaire ; ainsi le docteur Grew & quelques autres, donnent à ce ligament la faculté de rendre le crystallin plus convexe, aussi-bien que de l'approcher ou l'éloigner de la rétine, selon qu'il est nécessaire par les lois de l'Optique, pour que la vision soit distincte. En effet, comme les rayons des objets éloignés sont moins divergens que ceux des objets proches, il est nécessaire, pour que ces rayons se réunissent tous sur la rétine, ou que le crystallin change de figure, ou que le globe de l'oeil en change, & puisse s'allonger ou s'applatir au besoin ; ou au moins que le crystallin puisse changer de place par rapport à la retine. Voyez LIGAMENT CILIAIRE & VUE.

Quand le crystallin est desséché, il paroît composé, comme nous l'avons dit, d'un grand nombre de lames sphériques très-minces, appliquées les unes sur les autres ; Lewenhoeck en compte 2000. Selon cet auteur, chacune de ces lames consiste en une simple fibre, ou en un fil très-fin, dont les parties ont différentes directions & se rencontrent en différens centres, sans néanmoins se croiser les unes sur les autres. Trans. philos. n. 165. & 293.

Les anciens croyoient que c'étoit le crystallin même, opaque, qui formoit les glaucomes ; ils attribuoient les cataractes à une petite pellicule nageant dans l'humeur aqueuse. Le crystallin étoit uniquement regardé comme l'organe de la vision jusqu'à Kepler & Scheiner, qui corrigerent cette grossiere erreur : mais les Medecins & les Philosophes du siecle passé, tels que Carré, Rolfinck, diss. anat. l. c. xiij. page 179. les Chirurgiens, principalement Lasnier, dont Gassendi fait mention ; Palfyn, Anat. chir. p. 68. & des auteurs célebres tels que Rohault, Phys. I. c. xxxvj. & Mariotte dans ses nouvelles découvertes sur la vision ; les observateurs enfin trouverent que le crystallin seul étoit affecté dans les cataractes, sans qu'elles fussent produites par quelque pellicule. Sténon trouva le crystallin endurci dans deux aveugles, l. c. pag. 104. & Borelli adopta la même opinion, cent. obs. III. p. 279. & act. Hafn. vol. V. observat. VI. D'autres disent qu'après avoir abattu la cataracte, on ne trouva plus de cristallin, Zod. Gall. ann. 4 p. 160. Plempius avoit déjà observé que la vision pouvoit toûjours se faire, le crystallin abattu, au moyen de l'humeur vitrée p. 109. la plûpart des modernes l'ont remarqué. M. Mery est le premier de MM. de l'académie des sciences qui changeant ingénuement d'avis, a trouvé le crystallin opaque dans deux cataractes, mém. de l'acad. 1708. pag. 313. & hist. de l'acad. 1709. obs. II. M. Petit le medecin l'a aussi trouvé tel deux fois ; V. Brisseau, p. 164. M. Maréchal trois fois, p. 153. La célebre observation faite sur les yeux, de Bourdelot, le confirme aussi, p. 164. & enfin le jeune la Hire chantant la palinodie, a avoüé, pag. 258 du meme livre, qu'on pouvoit abattre le crystallin sans danger. La vérité s'est encore mieux montrée de nos jours. Le célebre Brisseau, 6 Avril 1705, trouva le crystallin obscurci dans un oeil qui avoit la cataracte, l. c. p. 3. Maître-Jean dans son livre sur les maladies des yeux rapporte qu'il fit en 1682 & 1685 des expériences qui le conduisirent à la même vérité, & qu'il publia en 1707. Boerhaave fut des premiers à suivre Maître-Jean, dans la premiere édition de ses Instituts, 1707. n°. 607. Heister trouva la même idée vérifiée dans la dissection d'un cadavre, qu'il fit en 1707, & la soûtint dans plusieurs écrits. Le célebre Petit a rendu cette opinion presqu'aussi certaine qu'une proposition de Mathématique, si bien qu'il ne se trouve presque personne qui pense autrement, sur-tout présentement qu'il est démontré que la chambre postérieure de l'oeil est très-petite, & n'a pas assez d'espace pour une membrane libre & flottante. Duverney, Littre & la Hire, dans l'académie, & parmi les medecins oculistes, Woolhouse, ont en vain voulu ruiner cette opinion. On sait assez par expérience que les cataractes membraneuses sont très-rares ; telles sont celles de Geisler, p. 380. & act. Breslav. 1718. mense Mart. de Woolhouse, pag. 23. 237. 245. de Walther, transact. philos. n. 399. de Hovius, p. 86. de Galtald, act. Breslav. 1718. p. 20. 52. & d'autres dont Palfyn fait mention, Anat. chirurg. p. 69.

S. Yves dit que c'est le pus qui les forme, d'autres veulent que ce soit l'opacité de la capsule ; mais il y a une infinité de cas où le crystallin, même obscurci, est la cause & le siége de la maladie. Haller, comment. Boerhaav. Voyez CATARACTE. (L)

CRYSTALLIN, (extraction du) opération de Chirurgie, par laquelle on rend la vûe à ceux qui l'ont perdue par la formation de la cataracte ; & que M. Daviel, qui a toûjours fait sa principale occupation des maladies des yeux, a pratiqué avec succés, voyez CATARACTE. L'ancienne opération consiste à placer ou ranger au fond de l'oeil le crystallin, devenu par son opacité un obstacle à la pénétration des rayons lumineux. Cette méthode a des inconvéniens ; la cataracte peut remonter après l'opération la mieux faite, & répandre encore ses voiles sur l'organe de la lumiere : cette opération n'est pas praticable, lorsque la cataracte n'a pas acquis assez de solidité pour soûtenir l'effort de l'aiguille ; on déchire le corps vitré, & il en résulte quelquefois des inflammations intérieures qu'aucun secours ne peut calmer. M. Mery célebre chirurgien de Paris, a connu ces inconvéniens, & il a proposé l'extraction du crystallin, dès qu'on a été généralement convaincu que la cataracte n'étoit point une pellicule formée dans l'humeur aqueuse de l'oeil. Il étoit naturel qu'après qu'il a été démontré par l'opération même, qui a pour but d'abaisser la cataracte, qu'il est possible de voir sans cristallin ; il étoit, dis-je, naturel qu'on songeât, non-seulement à déplacer ce corps quand il étoit devenu opaque, mais à l'extraire totalement, & délivrer l'oeil d'une partie desormais inutile. C'est ce que M. Mery avoit proposé de faire dès l'année 1707, dans les mémoires de l'académie royale des Sciences. Nous nous contenterons de rapporter ici le résultat des observations de cet habile chirurgien, d'après le secrétaire de l'académie, hist. p. 24.

" Sur ce que la cornée ayant été coupée se reprend aisément, & sur ce que la perte de l'humeur aqueuse se répare avec la même facilité, M. Mery croit qu'on pourroit tirer les cataractes hors de l'oeil par une incision faite à la cornée ; & que cette maniere, dont il ne paroît pas qu'il y ait rien à appréhender, préviendroit tous les périls & les inconvéniens de l'opération ordinaire. Il est bien sûr que la cataracte ne remonteroit point, & ne causeroit point les inflammations qu'elle peut causer lorsqu'on la loge par force dans le bas de l'oeil ".

Malgré les avantages qu'on vient d'exposer, les chirurgiens qui faisoient l'opération de la cataracte, la pratiquoient suivant l'ancienne méthode, & M. Daviel lui-même n'a pas opéré autrement jusques dans ces derniers tems. Ce n'est pas qu'on objectât rien au projet de M. Mery, il n'étoit peut-être entré dans la tête d'aucun praticien d'examiner si cette opération pouvoit avoir des inconvéniens ; & ce qu'on peut penser de plus avantageux sur leur compte, pour les disculper d'un servile attachement à la routine, c'est qu'ils ne connoissoient pas l'exposé de M. Mery. Si M. Daviel étoit dans ce cas, on ne peut lui refuser la gloire d'être l'inventeur de l'extraction du crystallin ; & dans la supposition même où il auroit été guidé par les lumieres de M. Mery, il ne mériteroit pas un moindre éloge pour avoir pratiqué une méthode aussi utile, à la perfection de laquelle il auroit toûjours essentiellement contribué, par l'invention des divers instrumens qui servent à son opération. Le malade mis dans la situation convenable, comme nous l'avons dit au mot CATARACTE, M. Daviel incise la cornée transparente inférieurement près de la conjonctive, avec une aiguille pointue, tranchante & demi-courbée, ayant la forme d'une lancette ; une aiguille pareille, mais mousse, sert à aggrandir cette incision. On acheve de couper demi-circulairement la cornée transparente à droite & à gauche, jusqu'au dessous de la prunelle, avec de petits ciseaux courbes & convexes. Il faut avoir recours à ces instrumens, parce que la cornée qui devient lâche par l'effusion de l'humeur aqueuse, ne pourroit être coupée avec un instrument tranchant. M. Daviel décrit une autre petite aiguille pointue & tranchante des deux côtés, pour ouvrir la membrane qui recouvre antérieurement le crystallin ; & une petite curete d'or pour faciliter quelquefois l'issue du crystallin, ou tirer les fragmens de ce corps, s'il en restoit dans le trou de la prunelle : enfin une petite pincette pour emporter les portions de membrane qui pourroient se présenter.

Dans les différentes opérations que j'ai vû pratiquer à M. Daviel, ces trois derniers instrumens n'ont point servi ; car dès que la cornée étoit incisée, le crystallin passoit dans la chambre antérieure & tomboit sur la joue, même sans le secours de la compression légere, que M. Daviel recommande de faire sur le globe de l'oeil. Par cette opération, dont la cure n'a rien de particulier, la cataracte ne peut remonter : l'on opére également dans le cas des cataractes molles ou solides ; il n'est plus nécessaire d'attendre ce qu'on appelloit la maturité de la cataracte. Ce sont des avantages qui rendent la nouvelle méthode précieuse, & il est évident qu'on a beaucoup d'obligation au zele & aux travaux de M. Daviel sur ce point de l'art. Son mémoire est inséré dans le second volume de l'académie royale de Chirurgie, & il n'y est annoncé que comme l'extrait de ce que l'auteur publiera sur cette matiere, dans un traité complet des maladies des yeux. (Y)

CRYSTALLIN, (Emaill.) c'est une sorte de verre fait avec de la soude d'Alicant & du sablon vitrifiés ensemble ; les Orfevres & les Rocailleurs s'en servent comme de corps & de matiere pour composer les émaux clairs & les verres brillans qu'ils soufflent à la lampe, pour les mêler avec les émaux faits d'étain. Voyez ÉMAIL.


CRYSTALLINEcapsule crystalline, voyez CRYSTALLOÏDE. (L)


CRYSTALLISATION(Chim. & Hist. nat.) On entend en général par ce mot, un phénomene physique par lequel les parties solides & homogenes d'un corps qui a été dissous & atténué dans un liquide, se réunissent ensemble, & forment une masse solide dont la figure est constante & déterminée. Cette définition convient à toutes les substances salines & minérales qui présentent ce phénomene.

Les Chimistes employent plus particulierement le mot de crystallisation, pour exprimer une opération chimique par laquelle on dispose les molécules d'un sel neutre dissous dans un menstrue convenable, à se réunir ensemble en gardant entr'elles un ordre symmétrique, & à former des corps différemment figurés, suivant la nature de chaque sel. Voyez SEL.

Les Physiciens sont partagés sur les causes de ce phénomene : les Cartésiens l'expliquent par l'impulsion de la matiere subtile : les Newtoniens ont recours aux lois de l'attraction, & disent que la crystallisation des sels se fait parce que les molécules salines s'attirent en raison de leurs masses. Becher & Stahl veulent que ces molécules s'attirent & s'unissent en raison de la nature de leurs faces. Sans nous arrêter à discuter cette question, nous nous contenterons de décrire ici les faits principaux qui accompagnent la crystallisation.

Il n'entre point seulement des molécules salines dans la formation des crystaux de sels, il y entre aussi une portion d'eau qui ne leur est point essentielle, attendu qu'elle peut leur être enlevée sans que les sels perdent aucune de leurs propriétés, sinon la figure. C'est cette eau que M. Roüelle appelle l'eau de la crystallisation, pour la distinguer de celle qui a servi à mettre les sels en dissolution, qu'il nomme l'eau de la dissolution. Voyez dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1744, p. 353. & suiv. le mémoire de M. Roüelle, dont cet article est entierement tiré.

Voici en général les regles de la crystallisation. Il faut que la substance qu'on veut faire crystalliser, ait été mise en dissolution dans un dissolvant convenable ; sur quoi l'on observera que plus les sels ont d'eau dans leur crystallisation, moins il en faut pour les mettre en dissolution, & vice versâ. Quand on veut que la crystallisation soit faite avec soin, on passe la dissolution au-travers d'un filtre, afin de la dégager des parties étrangeres qui pourroient y être mêlées. Il faut ensuite, pour que la crystallisation s'opere, qu'une partie de la liqueur qui tient les molécules du corps dissous écartées les unes des autres, soit chassée (c'est ce qu'on nomme l'évaporation), afin que ces molécules puissent se rapprocher. Ce rapprochement commence à se faire à la surface du liquide où les molécules se réunissent, & forment une toile ou pellicule saline qui n'est qu'un amas de petits crystaux, qui, après avoir acquis une pesanteur spécifique plus grande que celle du dissolvant, tombent au fond, & s'y crystallisent sous des figures différentes dont on parlera en traitant de chaque sel. Voyez, SEL.

L'évaporation est d'une grande conséquence dans la crystallisation ; elle y produit des phénomenes très-différens, suivant qu'elle a été plus ou moins rapide : quand elle l'a été trop, les crystaux qu'elle fournit sont confus, & il est très-difficile d'en observer la figure ; au lieu que plus l'évaporation a été lente, & plus l'on a employé d'eau dans la dissolution, plus les crystaux qu'on obtient sont gros, parfaits & réguliers. Le grand froid nuit aussi à la régularité de la crystallisation, il est cause que les crystaux se forment trop promtement & sans ordre. Voyez SEL & ÉVAPORATION. Tout ce qui a été dit dans cet article sur la crystallisation des sels, peut s'appliquer aux crystallisations que la nature opere dans le regne minéral. Voyez CRYSTAL ou CRYSTAUX. (-)


CRYSTALLOIDES. f. (Anatomie) membrane très-fine qui, selon quelques auteurs, renferme le crystallin. Les Anatomistes sont divisés même sur l'existence de cette membrane, qu'on appelle aussi membrane arachnoïde, à cause de la finesse de son tissu. Voyez ARACHNOÏDE. (L)


CRYSTALLOMANCIES. f. (Divination) est, selon quelques-uns, l'art de prédire ou de deviner les évenemens futurs par le moyen d'une glace ou d'un miroir, dans lesquels on voit représentées les choses qu'on demande. Cette crystallomancie conçûe de la sorte, est peut-être la même que la catoptromancie, ou du moins elle a beaucoup d'affinité avec elle. Voyez CATOPTROMANCIE.

Cependant Delrio les distingue, & croit que la crystallomancie proprement dite employoit pour instrumens, non un miroir, mais des morceaux de crystal enchâssés dans un anneau, ou même tout unis, ou façonnés en forme de cylindre, dans lesquels on feint que le démon résidoit. Il cite à ce sujet diverses histoires qu'on peut voir dans ses Disquisitions magiques, liv. IV. quest. 6. sect. 4. page 545. & suiv.

Ce mot crystallomancie vient du grec , glace, eau congelée, ou crystal ; & de , divination. (G)


CRYSTINES. f. (Comm.) monnoie d'argent fabriquée & de cours en Suede ; elle vaut 14 sols 11 den. de France : il y a des demi-crystines. La crystine & la caroline sont les deux seules monnoies que l'on fabrique en Suede. Voyez le dict. du Comm.


CUBAS. f. (Mythol.) divinité des Romains, ainsi appellée de cubo. On l'invoquoit pour faire dormir les enfans. Il est difficile que ceux qui ont tant de dieux ayent beaucoup de religion ; ils ont si souvent raison de s'en plaindre. Un accès de colique qui faisoit crier un petit enfant toute une nuit, devoit arracher à sa nourrice mille blasphèmes contre la déesse Cuba.

CUBA, (Géog. mod.) grande île de l'Amérique septentrionale, à l'entrée du golfe du Mexique. La Havane en est la capitale.


CUBAGUA(Géog. mod.) île de l'Amérique méridionale, près la Terre-ferme, où il se faisoit ci-devant une grande pêche des perles.


CUBATURou CUBATION D'UN SOLIDE, (Géométrie) c'est l'art ou l'action de mesurer l'espace que comprend un solide, comme un cone, un cylindre, une sphere. Voyez CONE, PYRAMIDE, CYLINDRE, &c.

La cubature consiste à mesurer la solidité du corps ; comme la quadrature consiste à en mesurer la surface. Quand on a déterminé cette solidité, on trouve ensuite un cube qui soit égal au solide proposé, & c'est là proprement la cubature. Ce second problème est souvent fort difficile, même après que le premier est résolu. Ainsi si l'on trouvoit un solide qui fût double d'un certain cube connu, par exemple, d'un pié cube, il seroit ensuite fort difficile d'assigner exactement un cube qui fût égal au solide trouvé, & par conséquent double du cube connu. Voyez DUPLICATION DU CUBE. Ainsi le problème de la cubature de la sphere, outre la difficulté de la quadrature du cercle qu'il suppose, renferme encore celle de cuber le solide qu'on auroit trouvé égal en solidité à la sphere. (O)


CUBEsub. m. en terme de Géométrie, signifie un corps solide régulier, composé de six faces quarrées & égales, & dont tous les angles sont droits, & par conséquent égaux. Voyez CORPS & SOLIDE.

Ce mot vient du grec , tessera, dé.

Le cube est aussi appellé hexaedre, à cause de ses six faces. Voyez HEXAEDRE.

On peut considérer le cube comme engendré par le mouvement d'une figure plane quarrée le long d'une ligne égale à un de ses côtés, à laquelle cette figure est toûjours perpendiculaire dans son mouvement. D'où il suit que toutes les sections du cube paralleles à sa base, sont égales en surface à cette base, & conséquemment sont égales entr'elles.

Pour construire le développement du cube, c'est-à-dire une figure plane dont les parties étant pliées forment la surface d'un cube ; il faut d'abord tirer une ligne droite A B (Pl. géometr. fig. 49.) sur laquelle on portera quatre fois le côté du cube qu'on veut construire. Du point A on élevera une perpendiculaire A C égale au côté du cube A I, & on achevera le parallélogramme A B C D : d'un intervalle égal au côté du cube, on déterminera dans la ligne C D les points K, M & O ; enfin on tirera les lignes droites I L, L M, N O, & B D ; on prolongera I K & L M de E vers F & de G vers H, de maniere que E I = I K = K F, & G H = L M = M H : enfin on retirera E G, F H. Voyez DEVELOPPEMENT.

Pour déterminer la surface & la solidité d'un cube, on prendra d'abord le produit d'un des côtés du cube par lui-même, ce qui donnera l'aire d'une de ses faces quarrées ; & on multipliera cette aire par six, pour avoir la surface entiere du cube ; ensuite on multipliera l'aire d'une des faces par le côté pour avoir la solidité. Voyez SURFACE & SOLIDITE.

Ainsi, le côté d'un cube étant dix piés, sa surface sera six cent piés quarrés, & sa solidité mille piés cubes ; si le côté est 12, la solidité sera 1728 : par exemple, la toise étant de six piés & le pié de 12 pouces, la toise cube sera de 216 piés cubes, & le pié cube de 1728 pouces.

CUBE se dit aussi adjectivement. Un nombre cube ou cubique, en terme d'Arithmétique, signifie un nombre qui provient de la multiplication d'un nombre quarré par la racine. Voyez RACINE.

Donc, puisque l'unité est à la racine comme la racine est au quarré, & que l'unité est à la racine comme le quarré est au cube, il s'ensuit que la racine est au quarré comme le quarré est au cube, c'est-à-dire que l'unité, la racine, le quarré & le cube, sont en proportion continue, & que la racine du cube est la premiere des deux moyennes proportionnelles entre l'unité & le cube. Voyez PUISSANCE.

Théorie de la composition des nombres cubes. Tout nombre cube, dont la racine est un binome, est composé du cube des deux parties de cette racine ; de trois fois le produit de la seconde partie par le quarré de la premiere, & de trois fois le produit de la premiere par le quarré de la seconde.

Démonstration. Un nombre cube est le produit d'un quarré par sa racine. Or le quarré d'une racine binome contient le quarré de chacune des deux parties, & deux fois le produit de la premiere par la seconde. Voyez QUARRE.

Par conséquent le nombre cube est composé du cube de la premiere partie, du cube de la seconde, du triple produit de la premiere par le quarré de la seconde, & du triple produit de la seconde par le quarré de la premiere. Voyez RACINE.

L'exemple suivant donnera une démonstration à l'oeil de cette regle. Supposons que la racine soit 24 ou 20 + 4, on aura 2 = 2 + 2 X 4 X 20 + 2

20 + 4

¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾

3 = 3 + 2 X 4 X 2 + 20 X 2

+ 4 X + 2 X 20 X 2 + 3

¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾

3 = 3 + 3 X 4 X 2 + 3 X 20 X 2 + 3

Or 3 = 8000

3 X 4 X 2 = 4800

3 X 20 X 2 = 960

3 = 64

¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾

Donc 3 = 13824.

Comme la partie qui est le plus à la droite désigne des unités, & que la partie qui suit vers la gauche désigne des dixaines, le cube de la partie qui est à droite doit se terminer au dernier chiffre vers la droite ; le produit de trois fois le quarré de la seconde partie par la premiere, doit se terminer au second chiffre vers la droite ; le produit de trois fois le quarré de la premiere par la seconde, au troisieme chiffre vers la droite ; enfin le cube de la premiere partie, au quatrieme chiffre vers la droite.

Si la racine est un multinome, en ce cas deux ou un plus grand nombre de caracteres vers la droite doivent être regardés comme n'en faisant qu'un seul, afin que cette racine puisse être considérée comme un binome. Il est évident que le cube est composé en ce cas des cubes des deux parties de la racine ; du produit du triple quarré de la premiere partie du binome par la seconde, & du produit du triple quarré de la seconde partie par la premiere. Supposons, par exemple, que la racine soit 243, si on prend 240 pour une partie de la racine, 3 sera l'autre partie ; & l'on aura

3 = 3 + 3 X 2 X 3 + 3 X 2 X 240 + 2.

Or 3 = 13824000

3 X 2 X 3 = 518400

3 X 32 X 240 = 6480

33 = 27

¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾¾

Ainsi 3 = 14348907.

Les places des différens produits se déterminent par ce qui a été dit ci-dessus ; & on doit remarquer que si ces produits sont écrits seuls, il faudra laisser la place du nombre de zéros convenable, qui doit se trouver au bout de chaque produit.

La composition des nombres cubiques étant une fois bien conçue, l'extraction de la racine cubique est fort aisée. Voyez EXTRACTION.

Racine cube ou racine cubique est un nombre qui étant multiplié par lui-même, & étant de nouveau multiplié par le produit, donne un nombre cube. V. CUBIQUE.

Extraire la racine cubique, est donc la même chose que de trouver un nombre comme 2, lequel étant multiplié deux fois de suite par lui-même, donne le cube proposé, par exemple, 8. Voyez les articles EXTRACTION & RACINE. (O)

CUBE-DU-CUBE, cubus-cubi, nom que les écrivains Arabes, & ceux qui les ont suivis, ont donné à la 9e puissance d'un nombre, ou au produit d'un nombre multiplié neuf fois de suite par lui-même. Diophante, & après lui Viete, Oughtred, &c. appellent cette puissance cubo-cubo-cubus, cubo-cubo-cube. (O)


CUBEBE(Hist. nat. bot. exot.) espece de fruit qui vient de Java ; il est en grains semblables pour la forme & la grosseur au poivre long, & ramassés comme les baies de lierre. La plante qui les porte n'est pas encore bien connue ; on dit que les Indiens les font boüillir avant que de les vendre, afin qu'on ne puisse les semer. Voyez leur propriété dans l'article suivant.

CUBEBES. (Mat. medic.) Les cubebes contiennent une huile essentielle, aromatique, subtile, que l'on en retire en abondance par la distillation ; c'est pour quoi elles ont beaucoup de vertu dans l'apoplexie, le vertige, la paralysie, la puanteur de la bouche, le dégoût. Elles fortifient le ton de l'estomac relâché, chassent les vents, atténuent la pituite visqueuse & tenace qui s'attache aux parois de l'estomac & des autres visceres : elles sont utiles dans les maladies froides du cerveau & de la matrice. On les recommande pour l'extinction de la voix & l'enroüement, la dose en substance est depuis trois grains jusqu'à un scrupule, & macérée dans du vin, ou autre liqueur convenable, depuis un gros jusqu'à deux gros.

Les cubebes entrent dans l'eau antinéphrétique, dans l'eau générale, dans l'elixir de vitriol, dans l'esprit de lavande composé. L'huile essentielle qu'on en retire par la distillation entre dans la thériaque céleste. Geoffroy, Mat. medic. (b)


CUBER un solideVoyez CUBATURE & SOLIDE.


CUBIQUEadj. se dit de tout ce qui a quelque rapport au cube. Une équation cubique est une équation où l'inconnue a trois dimensions, comme x3 = a3, ou x3 + p x + q = 0, &c. Voyez EQUATION.

Sur la construction des équations cubiques, voyez CONSTRUCTION. Sur leur résolution, voyez RESOLUTION, EQUATION, & CAS IRREDUCTIBLE. Sur leurs racines, voyez RACINE & CUBE.

Pié cubique ou pié cube. Voyez PIE & CUBE.

Premiere parabole cubique est une des paraboles du second genre, dont l'équation est a2 x = y3.

Seconde parabole cubique est celle dont l'équation est a x2 = y3. V. COURBE & PARABOLE. (O)


CUBISTIQUEadj. f. pris subst. un des trois genres dans lesquels la danse ancienne étoit divisée. Les deux autres étoient la sphéristique & l'orchestique. La cubistique étoit accompagnée de mouvemens violens & de contorsions.


CUBITou COUDÉE, (Comm.) c'est une des mesures applicatives, dont on se sert en Angleterre pour mesurer les longueurs.

Au-dessous du cubit sont le pié, la poignée, l'inch ou doigt, & le grain d'orge, qui est la plus petite de toutes les mesures Angloises.

Au-dessus du cubit sont l'yard, l'aune, le pas, la brasse, la perche qu'on nomme aussi gaule & verge & le furlong. Voyez tous ces mots sous leur titre. Dict. de Comm. & Chambers. (G)


CUBITALadj. en Anatomie, se dit de quelques parties relatives au cubitus. Voyez CUBITUS.

Le muscle cubital externe est situé le long du coude extérieurement. Il vient du condyle externe de l'humerus ; & passant son tendon sous le ligament annullaire, il s'insere au quatrieme os du métacarpe, qui soûtient le petit doigt.

Le cubital interne est placé obliquement le long de l'avant-bras. Il vient du condyle interne de l'humerus, & d'une partie de l'os du coude, sous lequel il se porte, jusqu'à ce qu'il vienne passer sous le ligament annulaire, & il s'insere par un tendon court & fort au quatrieme os du premier rang du carpe.

L'artere cubitale s'enfonce dans le pli du bras, où elle touche à l'os du coude ; elle devient ensuite un peu plus superficielle ; elle se porte le long de la partie interne de cet os, entre le muscle sublime & le muscle cubital interne jusqu'au poignet ; elle gagne le dedans de la main, & s'anastomose avec la radiale en formant un arc, duquel il part differens rameaux qui se distribuent aux doigts. (L)


CUBITUSen Anatomie, est un os du bras, qui est long, dur, & creux dans son milieu.

Le cubitus est situé à la partie interne de l'avant-bras, & s'étend depuis le coude jusqu'au poignet ; il est gros à son extrémité supérieure, & devient plus mince à son extrémité inférieure.

A son extrémité supérieure il a deux apophyses, une antérieure nommée coronoïde, qui est reçue dans la fosse antérieure ; l'autre postérieure appellée olécrane, qui est reçue dans la fosse postérieure de l'extrémité de l'humerus.

L'apophyse la plus antérieure est petite & courte ; la plus postérieure, appellée olécrane, est plus grosse & plus longue. Elle arrête l'avant-bras lorsqu'il est en droite ligne avec le bras. Voyez OLECRANE.

Entre ces deux apophyses est un sinus ou cavité demi-circulaire, qui reçoit l'éminence interne de l'extrémité inférieure de l'humerus, sur laquelle porte l'avant-bras quand on le plie ou qu'on l'étend ; & le long du milieu de cette cavité est un petit rebord, au moyen duquel cet os est articulé avec l'humerus par ginglyme.

Si cette articulation avoit été une simple arthrodie, elle auroit été beaucoup plus foible, & la main n'en auroit pas reçu plus de mouvement qu'elle en reçoit maintenant de l'épaule.

Le côté externe de l'extrémité supérieure du cubitus, a une petite cavité qui reçoit la tête du radius. L'extrémité inférieure, qui est ronde & mince, est reçue dans un sinus qui se trouve à l'extrémité inférieure du radius. Cette extrémité inférieure du cubitus a une petite & courte apophyse, de laquelle partent les ligamens qui l'attachent aux os du carpe. Cette apophyse, appellée styloïde, sert à maintenir les os du carpe dans leur place. (L)


CUBO-CUBES. m. cubo-cubus, (Géomet.) terme dont se servent Diophante, Viete, &c. pour exprimer la sixieme puissance, que les Arabes appellent quadratum cubi, quarré du cube. Voyez PUISSANCE & CUBE. (O)

CUBO-CUBO-CUBE. Voyez CUBE-DU-CUBE.


CUBO-SAMAS. m. (Hist. mod.) c'étoit autrefois la premiere dignité de l'empire Japonois. Cubo signifie chef de milice, & sama, seigneur.


CUBOIDou OS CUBOIDE, (Anatom.) est le nom que les Anatomistes ont donné à un os du tarse, parce que cet os a six faces. Voyez l'article PIE.

Quelques auteurs l'appellent os multiforme. Il est situé à la partie antérieure du calcaneum, dans le même rang que les os cunéiformes.

Des six faces de cet os, trois servent à son articulation avec les autres os, & sont revêtues d'un cartilage. De ces trois faces, l'une est postérieure & articulée avec le calcaneum, l'autre antérieure & est articulée avec le quatrieme & le cinquieme os du métatarse, ce qui la distingue de la postérieure ; la troisieme latérale interne, & est articulée avec le moyen cunéiforme.

Des trois faces qui ne sont pas articulaires, l'une est latérale externe & la plus étroite ; l'autre supérieure & assez unie ; la troisieme est inférieure & divisée en deux par une tubérosité transversale. On remarque à sa partie antérieure une gouttiere : par laquelle glisse le tendon du péronier postérieur. (L)


CUCIS. m. (Bot. exot.) fruit des Indes orientales & occidentales, de l'Egypte, de la Nubie, de l'Ethyopie, rond & oblong, de la grosseur d'un oeuf d'oie, couvert tout entier d'une peau de couleur jaunâtre semblable à celle du coing ; d'un goût doux & agréable, ayant un pédicule partagé en six parties, trois grandes & trois petites, & renfermant un noyau gros comme une noix, de forme quadrangulaire, large dessous, un peu pointu au bout, d'un jaune de noisette, revêtu d'une coque très-dure, de couleur rousse.

Ce fruit croît à l'arbre nommé cuciofera palmae facie ; J. B. Palma cujus fructus cuci, C. B. Cet arbre paroit être le même que le cuciophoron de Théophraste ; qui a été mis, ce me semble, mal-à-propos par presque tous les Botanistes dans la classe des palmiers, dont il paroît néanmoins fort différent ; car le palmier n'a qu'un seul tronc, au lieu que l'arbre qui porte le cuci, s'est à peine élevé de terre, qu'il se partage en deux ou plusieurs corps, & chaque corps a plusieurs branches ; de plus le fruit cuci n'est point en grappe. Il me semble aussi que la nux indica minor de Cordus, doit être notre cuci, ou du moins le coco.

Quoi qu'il en soit, la tunique du bézoard de Pomet, qu'il soûtenoit être une des plus grandes curiosités qu'on eût vû, cette enveloppe si singuliere dont il prétendoit avoir fait la découverte, qu'il a décrite & représentée dans son traité des drogues (p. 10.), comme faisant une partie de l'animal d'Orient qui porte le bézoard, n'étoit autre chose que notre fruit exotique cuci, dans lequel ou Pomet lui-même, ou quelqu'autre charlatan par qui il s'est laissé tromper, avoit enchâssé une pierre de bézoard fort adroitement. Cette fraude ourdie avant 1694, puisque l'ouvrage de Pomet parut cette année, n'a été découverte qu'en 1712. Un mémoire de M. Geoffroy le jeune sur les bézoards, inséré dans le recueil de l'académie des Sciences, année 1712, en est la preuve. Ecoutons cet académicien parler lui-même.

" Comme j'étois, dit-il, à examiner avec M. Vaillant & M. de Jussieu démonstrateur des plantes au jardin royal, cette piece singuliere du droguier de feu M. Pomet, nous nous apperçumes que cette prétendue enveloppe ne pouvoit point être une partie d'aucun animal, & qu'il falloit que ce fût quelque fruit peu connu. C'est ce qui fut ensuite vérifié par M. Vaillant, qui se trouva avoir de ces sortes de fruits, & qui n'eut pas de peine à en faire des bézoards avec leurs enveloppes, tout semblables au bézoard tant prisé par Pomet ; j'en ai fait, ajoute-t-il, de pareils. Ce fruit est celui du palma cuciofera, &c. "

Il est nécessaire, pour le bien de l'histoire naturelle, que ces sortes de fraudes soient divulguées, ou que des traits d'une si pitoyable crédulité dans un droguiste consommé, & un auteur accrédité tel que Pomet, soient mis au jour en plus d'un lieu. En effet, " nous ne sommes pas seulement lâches à nous défendre de la piperie (comme dit Montagne), mais nous cherchons & convions à nous y enferrer & à y enferrer les autres ". Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CUCO(Géog. mod.) ville forte & royaume d'Afrique en Barbarie, sur le Bugia ; le roi est tributaire du royaume d'Alger.


CUCUBALUSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en oeillet, composée de plusieurs pétales disposées en rond, qui sortent d'un calice membraneux. Le pistil sort du même calice & devient un fruit mou presqu'ovoïde, ou une baie qui renferme des semences faites ordinairement en forme de rein. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CUCUJOS. m. (Hist. nat.) espece d'escarbot ou de scarabée d'Amérique. Voyez SCARABEE.


CUCULLEsubst. f. (Hist. anc. & mod.) étoit autrefois la cappe des voyageurs : on l'appelloit aussi coules & gula : ce nom a passé chez les moines, & signifie leur froc & leur cappe, qui étoient autrefois d'une seule piece. Voyez COULE. (G)


CUCUPHECUCUPHE


CUCURBITES. f. (Chimie) La cucurbite ou la courge est un vaisseau chimique faisant partie de l'alembic (voyez ALEMBIC), & servant à contenir les matieres que l'on veut soûmettre à la distillation. On appelle aussi ce vaisseau, à cause de sa figure, vessie & poire. Voyez les Planches de Chimie.

Les cucurbites se font de cuivre étamé, d'étain, de verre, & de terre.

Celles qui sont destinées à la distillation des eaux simples, des huiles essentielles, de l'eau-de-vie, & généralement de toutes les matieres, qui, traitées avec l'eau, doivent prendre le degré bouillant, sont toûjours de cuivre, l'étain ne pouvant lui être substitué à cause de la facilité avec laquelle il entre en fusion ; mais il faut, pour prévenir autant qu'il est possible les mauvais effets de la qualité venéneuse du cuivre, avoir soin de les faire étamer de tems en tems ; c'est à quoi les Apoticaires ne sauroient faire trop d'attention, eux qui pendant le cours d'une année se servent de l'alembic de cuivre pour distiller un très-grand nombre de différentes plantes, dont il y en a plusieurs qui attaquent facilement le cuivre, je veux dire les plantes alkalines. Voyez DISTILLATION, CUIVRE.

Les cucurbites que l'on doit employer à faire des distillations au bain-marie, doivent toûjours être d'étain ; il n'y a rien ici à craindre de la grande fusibilité de ce métal, le degré de feu qu'on leur applique ne pouvant jamais surpasser celui de l'eau bouillante. On en exclura donc le cuivre, même le mieux étamé.

Le verre seroit de toutes les matieres celle qu'il conviendroit d'employer à faire toutes les cucurbites, s'il étoit possible ; mais sa grande fragilité, la difficulté de former ces sortes de vases sans être obligé de faire à la partie inférieure externe un bouton que les ouvriers appellent pontée, qui est l'endroit par où cassent tous les vaisseaux de verre lorsqu'on les échauffe trop promtement & trop fort, ou bien lorsqu'on les fait passer trop vîte du chaud au froid. L'impossibilité où l'on est de pouvoir rafraîchir exactement & continuellement le chapiteau, avantage que les seuls vaisseaux métalliques nous procurent, ajoutent un nouvel inconvénient à l'emploi des cucurbites de verre : toutes ces raisons, dis-je, sont cause qu'on ne se sert pas des cucurbites de verre aussi souvent qu'on le feroit ; elles sont cependant d'un usage fort étendu ; celles dont nous nous servons à Paris, quoique d'un assez mauvais verre, supportent très-bien au bain de sable le degré de feu qui fait bouillir l'eau, sur-tout si elles sont d'un verre fort mince. C'est pourquoi on peut sans crainte les employer à la distillation de l'eau de pluie, de neige, &c. ayant la précaution de ne chauffer le sable qu'autant qu'il est nécessaire pour faire bouillir l'eau légerement ; c'est de ces sortes de cucurbites que les Chimistes se servent pour retirer l'esprit-de-vin de différentes teintures que l'on veut concentrer, de différentes infusions résineuses que l'on veut dessecher, &c. pour rectifier des alkalis volatils tirés des substances animales, &c. &c. Nous nous contentons d'indiquer ici une partie des usages de la cucurbite de verre dans les distillations, nous laissons au Chimiste le soin de l'employer dans toutes les circonstances où l'exactitude le requiert, & où l'expérience lui a appris qu'il le pouvoit faire sans risquer la fracture. La certitude où l'on est que le verre ne peut rien communiquer aux matieres que l'on veut y traiter, est un avantage qui doit lui faire préférer tous les vaisseaux qui en sont faits, dans tous les cas où il est possible de les employer.

Les cucurbites de terre n'ont pas été d'un aussi fréquent usage qu'elles pouvoient l'être, & elles ne sont que peu ou point recommandées par les auteurs de Chimie qui ont le mieux travaillé ; cependant on peut en tirer de grands avantages : celles qui nous viennent de Picardie, par exemple, vont très-bien au feu nud, & on peut s'en servir à distiller bien des liquides qu'on ne sauroit traiter dans les vaisseaux de cuivre ou d'étain, par exemple, le vinaigre, certaines huiles essentielles, celle de terebentine, & de tous les autres baumes liquides, celle de succin que l'on veut rectifier par des distillations répétées ; car quoique ces huiles puissent fort bien être distillées dans les alembics de cuivre étamé, il faut autant qu'on pourra, ne le pas faire à cause de la mauvaise odeur que la plûpart de ces huiles leur communiquent. On peut encore très-bien se servir de cucurbites de terre à la distillation de l'esprit-de sel ammoniac, & à la sublimation de l'alkali volatil concret du même sel ; & comme elles sont fort élevées, elles sont très-avantageuses pour la distillation des matieres qui se raréfient beaucoup, comme le miel, la manne, &c. C'est à M. Roüelle, qui ne laisse rien échapper de ce qui peut rendre le manuel de la Chimie aisé & commode, que nous sommes redevables de l'emploi journalier que nous faisons aujourd'hui de cette sorte de cucurbite dans nos laboratoires ; nous donnerons la façon de s'en servir & de l'appareiller dans le fourneau clos, lorsque nous parlerons de la distillation du vinaigre. V. VINAIGRE.

Les cucurbites des Potiers de Paris sont fort mauvaises : elles ne souffrent pas le feu, ou du moins y cassent facilement : elles sont trop poreuses & pas assez cuites ; aussi ne nous en servons-nous que rarement, ou même point du tout. Ils en font pourtant de petites qui nous servent à sublimer le sel sédatif du borax, mais qu'il faut avoir soin de luter si on veut les empêcher de casser. Voyez LUT.

Les cucurbites de terre sont recommandées par tous les auteurs de Docimasie pour la distillation de l'eau-forte qui a servi au départ, & on s'en sert tous les jours avec avantage, en ce cas, dans les monnoies. Voyez DEPART.

Les cucurbites, principalement celles de terre, sont encore employées par les Chimistes pour différentes sublimations ; celle du soufre, celle de Mars par le sel ammoniac, celle du sel sédatif. Voyez SOUFRE, MARS, BORAX, SUBLIMATION.

On fait communément usage des cucurbites, & surtout de celles de verre, pour les digestions & circulations ; voyez DIGESTION & CIRCULATION. Dans ces opérations on couvre la cucurbite ou d'un chapiteau aveugle, voyez CHAPITEAU, ou bien d'une autre cucurbite renversée, ce qui s'appelle vaisseau de rencontre. Voyez VAISSEAU DE RENCONTRE. (b)


CUEILLAGES. m. (Verrerie) c'est la portion de matiere vitrifiée, qu'a tiré successivement à quatre reprises le gentilhomme apprenti d'une Verrerie de verre à vitre, & qui est nécessaire pour faire un plat. Voyez CUEILLEUR. Lorsque le cueillage est formé, le cueilleur le remet au bossier, qui va reprendre une cinquieme fois de la matiere dans le pot, ce qui s'appelle couvrir le cueillage : on dit d'un cueillage qu'il est bon, lorsque le cueilleur n'a point brouillé ou enfumé la matiere qu'il a tirée du pot, & qu'il l'a bien arrondie également sur la felle. Voyez FELLE, BOSSIER, CUEILLIR, VERRE A VITRE. Ce terme est aussi à l'usage des autres Verreries, & s'y prend dans le même sens.


CUEILLES. f. (Marine) C'est un des lez ou des bandes de toile qui composent une voile. Pour désigner la grandeur d'une voile, on dit qu'elle a tant de cueilles, c'est-à-dire tant de lez. Voy. VOILE. (Z)


CUEILLEMENTS. m. une des opérations dans lesquelles on distribue la fabrication des ouvrages sur le métier à bas. Voyez BAS AU METIER.


CUEILLERETS. m. (Jurisprud.) est un extrait du papier terrier d'une seigneurie qui sert de mémoire au receveur pour faire payer les cens & rentes dûs à la seigneurie. Ce terme vient de cueillette qui signifioit autrefois recette, comme on voit en l'article 86 de l'ancienne coûtume de Bretagne. Les cueillerets sont la même chose que ce qu'on appelle ailleurs lieves ou papiers de recette. Voyez LIEVES. (A)


CUEILLETTEsubst. f. terme de commerce de mer. C'est un amas de diverses sortes de marchandises qu'un maître de vaisseau fait, & qui lui sont remises par plusieurs personnes pour former la cargaison de son bâtiment. Ainsi l'on dit, charger un vaisseau à cueillette, quand divers particuliers concourent à en faire le chargement.

Ce terme n'est en usage que sur l'Océan ; sur la Méditerranée on dit, charger au quintal. Voyez QUINTAL. Dictionn. du Comm. de Trév. & de Dish. (G)

CUEILLETTE, (Jardinage) est le tems où l'on cueille les fruits lorsqu'ils se détachent de l'arbre. On le connoît encore au toucher, en mettant doucement le pouce du côté de la queuë sur chacun des fruits fondans, si le fruit obéit il est mûr. Pour les fruits cassans, le goût seul en décide.

On doit prévenir la maturité des fruits d'été dont plusieurs deviendroient cotonneux, s'ils restoient trop long-tems sur l'arbre. Un fruit si mûr est sujet à pourrir ; & l'insecte ou le lézard qui le mange, n'y toucheroit point s'il étoit un peu verd. Les fruits sont même plus aisés à transporter d'un lieu à un autre. Voyez FRUIT.

Les poires d'automne dans les années seches se cueilleront au 15 Septembre, & celles d'hyver au 15 Octobre, le bon-chrétien d'hyver une semaine plûtard ; les pommes sont de cette classe. Dans les années humides vous cueillerez plûtard de quinze jours : choisissez un tems sec afin que le fruit se conserve mieux, que toutes les poires ayent leur queue, & mettez-les doucement dans la fruiterie, sans les meurtrir ni les laisser tomber. (K)


CUEILLEUR(Verrerie) nom d'un jeune gentilhomme apprenti, qui commence à travailler à la fabrication des ouvrages de verre. C'est lui qui met la felle dans le pot, pour en tirer la matiere vitrifiée. Pour qu'un cueilleur puisse devenir bossier dans les Verreries de verre à vitre, il faut qu'il sache cueillir quatre coups, & couvrir le cueillage. Voyez CUEILLAGE. C'est de son habileté que dépend principalement la beauté & la netteté du plat. Voyez VERRERIE.


CUEILLIES. f. en Bâtiment, est du plâtre dressé le long d'une regle qui sert de repere pour lambrisser, enduire de niveau, & faire à plomb les piés droits des portes, des croisées & des cheminées. (P)


CUEILLIRv. act. c'est au propre détacher les fruits des plantes. On a transporté cette expression à beaucoup d'autres actions qui ont peu de rapport avec la premiere.

* CUEILLIR, v. neut. (en Verrerie) c'est prendre la matiere dans le pot avec une felle ou espece de canne de fer creusée dans toute sa longueur. Pour cet effet, le cueilleur tourne trois ou quatre tours l'extrémité de la felle dans le pot : la matiere qui est visqueuse s'y attache ; il en emporte à peu-près de la grosseur d'un oeuf, dans les Verreries à vitre. Il va appuyer sa felle sur une barre de fer posée sur une auge de bois pleine d'eau, ayant soin de tourner sans-cesse, mais fort doucement, sa felle, afin que la matiere s'arrondisse également. Quand elle est assez refroidie, il va cueillir de nouvelle matiere qui s'attache à la premiere ; il revient à la barre de fer après avoir cueilli ; il réitere la même opération à cette barre ; il retourne au pot, & cueille une troisieme fois. Cette matiere enlevée du pot à quatre différentes reprises, s'appelle cueillage ; le cueillage passe entre les mains du bossier. Voyez CUEILLAGE, BOSSIER & VERRERIE.


CUENÇA(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, capitale du pays de la Sierra, sur la riviere de Xucar. Long. 15. 50. lat. 40. 10.

CUENÇA (la nouvelle) Géog. mod. ville de l'Amérique méridionale au Pérou : dans l'audience de Quito.


CUFA(Géog. mod.) ville de la Turquie en Asie, dans la province d'Yerak, sur les frontieres de l'Arabie deserte.


CUIETES. f. (Hist. nat. bot.) cuiete ; genre de plante dont la fleur est monopétale, irréguliere, renflée, & découpée. Il s'éleve du fond du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit charnu dont l'écorce est dure. Il y a dans ce fruit plusieurs semences qui ont la forme d'un coeur. Plumier, nova pl. Amer. genera. Voyez PLANTE. (I)


CUILLEou CUILLERE, s. f. voyez PALETTE, & les mots suivans.

CUILLER, en Bâtiment, est une pierre plate creusée en rond ou en ovale, de peu de profondeur, avec une goulette pour recevoir l'eau d'un tuyau de descente & la conduire dans un ruisseau de pavé. C'est aussi un outil emmanché d'un manche fort long, qui sert à prendre le grais dans le seau & le jetter sur le trait de scie pour scier la pierre. (P)

CUILLER, s. f. instrument de Chirurgie propre à faciliter l'incision qu'on fait en opérant pour la fistule lacrymale. Cet instrument est ordinairement d'argent ; il ressemble en quelque chose aux cueilleres en usage pour manger la soupe ; il en differe en ce que le cueilleron est exactement ovale, que sa plus grande profondeur est précisément dans son milieu, & que sa cavité est fort superficielle. Il a un pouce & demi de long, & onze lignes ou un pouce de large. L'angle extérieur de ce cueilleron est échancré, & forme deux petites cornes ou avances un peu mousses, qui sont fort utiles pour bander la peau tant & si peu qu'on veut, & permettre de voir la réunion des paupieres qu'elles mettent à découvert.

L'échancrure a cinq lignes & demie de profondeur, trois lignes & demie de diametre. Le manche du cueilleron est plat, & a trois pouces quatre à cinq lignes de long, de façon que tout l'instrument a environ cinq pouces de longueur. On comprend l'usage de cet instrument par ce qui vient d'être dit. Voyez la fig. 1. Pl. XXV. & voyez FISTULE LACRYMALE.

Le speculum oculi annulaire, fig. 7. Plan. XXIII. sert au même usage. (Y)

CUILLER, c'est parmi les Ciriers, une machine de fer blanc longue, creuse, garnie d'un manche, & applatie à son autre extrémité où elle se termine en diminuant de grosseur. On s'en sert à puiser la matiere fondue pour la jetter sur les meches accrochées au cerceau, qu'on fait tourner pour les présenter successivement les unes après les autres au-dessus de la cuve. Voyez Pl. du Cirier, fig. 7. & 2.

CUILLER A SOUDER, (Ferblantier). Cette cuiller est commune à ces ouvriers & à beaucoup d'autres. Elle est ronde, assez profonde, mais médiocre, avec une espece de bec pour mieux verser le métal fondu. C'est dans cette cuiller que ces ouvriers fondent leur soudure, & quelquefois même leur plomb, lorsqu'ils n'ont que de petits ouvrages à faire. Voyez le dict. du Comm. & PLOMBIER, VITRIER. &c.

CUILLER, outil de Bimblotier, faiseur de dragée au moule : il leur sert à tirer le plomb fondu de la chaudiere pour le verser dans les moules. A la cuiller qui a un bec pour verser le plomb dans la gouttiere du moule, le manche est terminé par une poignée de bois B qui empêche l'ouvrier de se brûler. Voyez la fig. 5. Pl. de la fonte des dragées au moule.

CUILLER, Fondeur de caractere d'Imprimerie. Cette cuiller a un petit bassin au bout d'une queue de trois à quatre pouces de long, le tout de fer. Cette queue est piquée dans un petit manche de bois pour la tenir, & que la chaleur n'incommode point la main du fondeur. C'est avec cette petite cuiller que l'ouvrier puise dans la grande où est le métal fondu, pour jetter cette petite portion de matiere dans le moule. Voyez la fig. 13. Pl. I. du Fondeur. de caract.

La cuiller du fourneau a huit ou neuf pouces de diametre, & est perpendiculairement divisée en deux ou trois parties comme autant de cellules, pour contenir la matiere forte & foible à la fois, qu'on entretient fluide par le feu qui est continuellement dessous, & qui peut en contenir trente ou quarante livres à la fois, chacune de ces séparations pour chaque ouvrier. Ils sont deux ou trois, suivant la forme du fourneau, qui puisent dans la même cuiller, mais chacun dans la séparation qui lui est destinée.

CUILLER AUX PELOTES, (Fondeur en sable) Les cuillers des Fondeurs en sable ne ressemblent que par leur long manche aux cuillers des Plombiers, & par le nom qu'elles ont conservé, à cause qu'on s'en sert comme de cuiller pour porter les pelotes de cuivre dans le creuset où le métal est en fusion.

Cet instrument est de fer ; au bout du manche qui a plus de deux piés, est la moitié d'un cylindre aussi de fer, de quatre pouces d'ouverture & de six de longueur. Cette moitié de cylindre est creusée en-dedans, & n'est pas fermée par le bout d'en-bas, afin que les pelotes qu'on y met coulent plus aisément, lorsque le fondeur incline doucement l'instrument jusqu'à la bouche du creuset. Voyez le dictionn. du Comm. FONDEUR EN SABLE, & la fig. 8. de la Planche du Fondeur en sable.

CUILLER, (Monnoyage) on s'en sert pour tirer le métal en fusion du fourneau & le jetter en moule. Cette cuiller est de fer, longue de six à sept piés. On ne se sert de cuiller que pour l'argent & le billon, parce que l'on verse l'or dans le moule avec le creuset même.

CUILLER, terme de Plombier ; c'est un ustensile de fer qui a un manche par un bout & qui est creux par l'autre, & dont la profondeur est sphérique.

Les Plombiers se servent de trois sortes de cuillers : la premiere est la cuiller à puiser, avec laquelle ils prennent le plomb fondu : la seconde est la cuiller percée ; ils s'en servent pour écumer le plomb ; ce n'est à proprement parler qu'une vieille poële à laquelle on a fait des trous : la troisieme est la cuiller à souder ; elle est ronde & profonde, & a d'un côté de sa circonférence un bec par lequel on verse le plomb fondu : c'est dans cette cuiller que les plombiers fondent leur soudure, & même aussi leur plomb, quand ils n'ont que de petits ouvrages à faire. Voyez les figures 2 & 3. Pl. III. du Plombier ; la derniere représente l'écumoire.

CUILLER à jetter en moule, (Potier d'étain) c'est une cuiller de fer dont se servent les Potiers d'étain pour cet usage. Il en faut de différentes grandeurs : on en trouve chez les Quincaillers qui tiennent depuis une demi-livre d'étain jusqu'à vingt livres & plus.


CUIR FOSSILE(Hist. nat. Minéral.) aluta montana, corium fossile. C'est une espece d'amiante fort légere : les fibres ou filets qui composent cette pierre sont flexibles, & s'entrelacent de maniere qu'ils forment comme des feuillets. M. Wallerius en distingue deux variétés ; la premiere est le cuir fossile grossier ; la seconde est le cuir fossile fin : ce dernier est composé de feuillets fort minces qui le font ressembler à du papier gris, ce qui fait qu'on le nomme aussi papier fossile (papyrus montana). Voyez la minéralogie de Wallerius, tome I. pag. 266. & suiv. (-)

CUIR, s. m. (Tanneur) c'est la peau des animaux différemment préparée, suivant les divers usages qu'on en veut faire. Voyez PEAU & TANNER.

Les cuirs ont divers noms, qu'ils prennent ou de l'état actuel où ils sont, ou de leurs différentes especes, qualité, & apprêts.

Cuir corroyé, est un cuir qui après avoir été pelé, coudré, & tanné, a passé par les mains du corroyeur, qui lui a donné les dernieres préparations, pour le disposer à être employé par ceux qui le mettent en usage. Voyez CORROYER.

Cuir verd ou crud, est celui qui n'a reçû aucune préparation, étant encore tel qu'il a été levé par le boucher de dessus le corps de l'animal. Voyez BOUCHER.

Cuir salé, est un cuir verd qu'on a salé avec du sel marin & de l'alun, ou avec du salpetre, pour empêcher qu'il ne se corrompe, soit en le gardant trop long-tems dans les caves, soit en le transportant dans les tanneries éloignées pendant les grandes chaleurs.

Cuirs secs à poils ; ce sont pour l'ordinaire des peaux de boeufs, de vaches, ou de bufles, qu'on nous apporte de l'Amérique. Voyez BUFLE & BOUCANIER.

Cuir tanné, est un cuir verd, ou salé, ou sec, dont on fait tomber le poil dans le plain par le moyen de la chaux détrempée avec de l'eau, & qui a été mis ensuite dans la fosse au tan. Voyez TANNER.

Cuir plaqué, est un cuir fort ou gros cuir, qui après avoir été tanné a été séché à l'air, & nettoyé dans son tan.

Les Tanneurs mettent ces sortes de cuirs dans des lieux ni trop humides ni trop secs, bien étendus & empilés les uns sur les autres, avec de grosses pierres ou poids par-dessus pour les bien redresser & applatir ; & c'est cette derniere façon qui leur a fait donner le nom de cuirs plaqués.

Cuir coudré, ou cuir passé en coudrement ; c'est un cuir de vache, de cheval, ou de veau, qu'on a étendu dans une cuve où l'on a jetté de l'eau chaude & & du tan par-dessus, pour le rougir ou coudrer, & pour lui donner le grain.

On ne donne cet apprêt au cuir qu'après l'avoir fait passer par le plain, & avant de le mettre dans la fosse avec le tan. Voyez le diction. du Comm.

CUIR FORT ; ce sont de gros cuirs tels que ceux de boeufs, vaches, orignal, & autres qui ont été préparés dans le plain avec la chaux, & ensuite dans la fosse avec le tan. On les appelle forts, pour les distinguer des autres cuirs plus foibles, comme ceux de veaux, de moutons, d'agneaux, de chevres, & autres semblables.

Les cuirs de vaches tannés en fort, sont ceux qu'on n'a pas passés en coudrement, mais qui ont été tannés à la maniere des cuirs forts. Voyez TANNER.

CUIR DORE, on appelle ainsi une espece de tapisserie faite de cuir, où sont représentées en relief diverses sortes de grotesques relevées d'or, d'argent, de vermillon, ou de différentes autres couleurs.

Cette tapisserie est composée de plusieurs peaux de mouton passées en basanne, coupées en feuilles quarrées, qu'on a cousues les unes avec les autres après leur avoir donné une nouvelle préparation, qui les a disposées à recevoir le relief, l'or, l'argent, les couleurs, & le vernis dont les ouvriers les enrichissent.

Les lieux de France où il se fabrique le plus de tapisserie de cuir doré, sont Paris, Lyon, & Avignon ; il en vient aussi beaucoup de Flandres, qui se manufacturent presque toutes à Lille, à Bruxelles, à Anvers, & à Malines ; celles de cette derniere ville sont les plus estimées de toutes.

Plusieurs prétendent que les premieres tapisseries de cuir doré qui ont parû en France venoient d'Espagne, & que ce sont les Espagnols qui en ont inventé la fabrique : cependant il ne s'en voit plus en France de leur manufacture, soit qu'ils ayent discontinué, ou qu'ils l'ayent transportée en Flandres. Dictionn. du Comm.

CUIR DE POULE, (Gantier) peau très-mince dont ces ouvriers font des gants de femme.

CUIR DE HONGRIE, (Hongrieur) c'est une espece de cuir qui tire son nom des Hongrois, qui seuls avoient autrefois le secret de le préparer.

Il n'y a pas long-tems que l'on connoît en France la maniere de préparer le cuir de Hongrie. On prétend que ce fut Henri IV. qui en établit la premiere manufacture ; pour cet effet il envoya en Hongrie un tanneur fort habile nommé Roze, qui ayant decouvert le secret, revint en France, où il fabriqua cette espece de cuir avec beaucoup de succès.

Maniere de fabriquer les cuirs d'Hongrie. Toutes sortes de cuirs de boeufs, de vaches, de chevaux, & de veaux, sont propres à recevoir cet apprêt ; mais il s'en fabrique plus de ceux de boeufs que d'autres. Les peaux de boeufs étant arrivées de la boucherie, on en coupe les cornes, & on les fend en deux bandes de la tête à la queue ; après quoi on les écharne sur un chevalet avec un instrument appellé une faux, qui est emmanché par un bout, en prenant bien garde de ne point enlever la fleur du cuir. Voyez la figure 6. Planche de l'Hongrieur. Ensuite on les jette dans la riviere pour y être rincés, dans laquelle néanmoins elles ne doivent pas séjourner long-tems, de crainte que le gravier ne s'y attache. On les retourne de tems en tems avec une longue pince de fer, afin d'en ôter le plus gros du sang qui peut y être resté, & en même tems d'humecter le poil. Après les avoir tirés de la riviere, on les étend cinq ou six à la fois sur un chevalet, le côté de la chair en-dessous, & alors on en rase le poil avec une faux que l'on a soin d'éguiser de tems en tems avec le queux : cela fait, on les rejette encore dans la riviere, où on les laisse boire pendant deux jours plus ou moins, selon le tems, afin d'en faire sortir tout le reste du sang. Cette opération s'appelle désaigner ; ensuite on les tire de l'eau, on les roule, & dans cet état on les met égoutter sur un banc pendant un tems suffisant, & jusqu'à ce qu'il n'en sorte plus d'eau.

Quand les cuirs ont été bien désaignés & égouttés, on les alune, c'est-à-dire que l'on fait bouillir dans de l'eau trois livres d'alun & cinq livres de sel par peau, dans une chaudiere (fig. 7.) qui peut bien contenir douze seaux, d'où on en tire deux seaux que l'on met dans une baignoire, où un ouvrier presque nud foule trois cuirs à la fois pendant une heure, dans lequel tems on renouvelle l'eau quatre fois ; après quoi on retire les cuirs de la baignoire, on les couche pliés en quatre la chair en-dehors dans une cuve. On fait la même opération aux autres peaux ; & lorsque toute la fonte est faite, & toutes les peaux ainsi étalées dans la cuve, on jette cette eau alunée par-dessus les cuirs ; ce qui s'appelle mettre les cuirs en retraite pour prendre de la nourriture.

Le lendemain on les retient & change de cuve, après quoi on fait réchauffer la même eau & on les y trempe pendant trois ou quatre jours l'été, & plus pendant l'hyver ; on les refoule de nouveau, & le lendemain on les met égoutter & sécher à l'air pendus par la culée. Cette opération faite, on les detire ; & quand ils sont à moitié secs, on les dresse, c'est-à-dire que l'on les passe à la baguette (Voyez BAGUETTE & la fig. 5.), après quoi on les met en pile.

Il ne s'agit plus pour lors que de les mettre en suif ; pour cet effet on les roule encore avec la baguette de fleur & de chair, c'est-à-dire des deux côtés, & on les étend sur des perches G G G dans une étuve, pour les préparer à prendre ce suif. Dans cet état on les met sur une table bien étalés, & on les frotte de suif chaud avec un guipon, beaucoup sur la chair, & légerement sur la fleur ; chaque peau prend environ sept à huit livres de suif. On reporte les peaux suiffrées sur une autre table, où on les empile jusqu'à ce que la même opération ait été faite à tous les cuirs. Voyez la fig. 1. Cela fait, deux ouvriers (fig. 3. & 4.) les tiennent suspendus les uns après les autres au-dessus d'une grille de fer C, sous laquelle il y a des charbons allumés, afin que la chaleur fasse pénétrer le suif dans le cuir ; ensuite on les remet à l'étuve pendant une demi-heure, toûjours la chair en-dessus, après quoi on les met sécher sur des perches. Le lendemain l'ouvrier y applique sa marque, les pese, & en marque le poids.

Les instrumens dont se servent les Hongrieurs pour la fabrique du cuir d'Hongrie, sont une broüette pour porter les peaux à la riviere & les en rapporter ; un couteau ordinaire pour en ôter les cornes ; un chevalet & une faux emmanchée d'un manche de bois ; un queux pour aiguiser la faux ; un banc pour les égoutter ; une chaudiere pour faire bouillir le suif ; des seaux pour en puiser l'eau ; une baignoire pour fouler les cuirs ; des cuves pour leur faire prendre nourriture ; des perches pour les étendre ; la baguette E pour les couler ; une table pour les suiffrer ; une grille de fer pour leur faire prendre le suif ; un guipon pour y appliquer le suif, & un fourneau pour faire chauffer l'alun & le suif. Voyez chacun de ces articles à leur lettre.

CUIRS DE BALLES, termes d'Imprimeur, ce sont des peaux de mouton crues dont la laine a été séparée, & qui sont préparés pour l'usage des Imprimeries. On taille dans ces peaux des coupons d'environ deux piés & demi de circonférence, lesquels servent à monter les balles. On a soin de les entretenir humides, au moyen d'une autre peau de cette espece qui les double, & que l'on appelle doublure. Voyez BALLES & LAINE.

CUIR (monnoie de), Commerce : l'histoire est remplie de faits où les évenemens & les occasions pressantes ont forcé des princes, des généraux d'armées, ou des gouverneurs, de faire frapper des monnoies de cuir.

On coupoit un morceau de cuir noir en cercle, & on passoit au centre une espece de clou d'or ou d'argent, & au lieu de le river, on le frappoit au marteau à l'opposition de la tête avec un poinçon à fleur-de-lis, & l'on attachoit un prix selon les occurrences à cette espece de monnoie.

On en trouve dans les cabinets des curieux. Il y en eut de frappées sous Louis IX. le royaume ayant été épuisé alors d'argent par les malheurs qui suivirent l'entreprise de la Terre-Sainte. Voyez CROISADE.

CUIR A RASOIR, (Perruq.) est une bande de cuir préparé, appliquée sur un morceau de bois qui lui sert de manche, & à l'aide de laquelle on donne le fil aux rasoirs, & on en adoucit le tranchant en les frottant dessus, après qu'ils ont été repassés sur la pierre.

On fait à présent de ces sortes de cuirs qui sont quarrés, & ont quatre faces moins unies les unes que les autres, sur lesquelles on passe successivement le rasoir, en commençant par la surface la moins polie, & finissant par la plus douce, afin d'adoucir le rasoir par degrés.


CUIRASSES. f. (Littér. Art milit.) en latin lorica. On la définit dans le dictionnaire de l'académie Françoise, la principale partie de l'armure qui est ordinairement de fer fort battu, & qui couvre le corps par-devant & par-derriere, depuis les épaules jusqu'à la ceinture.

Dans le fameux tableau de Polygnote de la prise de Troie, dont Pausanias nous a laissé la description, on voyoit sur un autel la représentation d'une cuirasse d'airain composée de deux pieces, l'une desquelles couvroit le ventre & l'estomac, l'autre couvroit le dos & les épaules ; la partie antérieure étoit concave, & les deux pieces se joignoient ensemble par deux agraffes.

Chez les Grecs & les Romains on connoissoit de trois sortes de cuirasses. Il y en avoit qui n'étoient faites que de toile & de drap battu & piqué : quelques-unes étoient de cuir, & les autres de fer. Pour ce qui est des premieres, Pline (lib. VIII. c. xlviij.) assûre qu'elles étoient composées de plusieurs doubles, battus & piqués ensemble : telle étoit la cuirasse d'Alexandre, au rapport de Dion de Nicée ; & celle de Galba, dont il est fait mention dans Suétone, qui parlant de la sédition qu'excita à Rome la révolte d'Othon, dit : Loricam tamen induit linteam, quam haud dissimulant parùm adversus tot mucrones profuturam. Saumaise, dans ses observations sut Lampridius, remarque qu'on avoit autrefois inventé cette armure pour le soulagement des soldats : on peut ajoûter qu'il y a bien de l'apparence que ces cuirasses de lin & de toile n'empêchoient pas qu'on ne mît par-dessus des cuirasses de fer ; on peut même croire que les anciens avoient donné aux premieres le nom de subarmale, mais il n'étoit pas toûjours nécessaire d'avoir d'autres cuirasses que celles de lin & de toile, puisqu'il y en avoit de si bien faites, qu'elles étoient à l'épreuve des traits. Nicétas, dans la vie de l'empereur Isaac I. rapporte que l'empereur Conrad combattit long-tems sans bouclier, couvert seulement d'une cuirasse de linge.

La seconde espece de cuirasse étoit de cuir, & c'est celle que Varron appelle pectorale corium. Tacite (hist. liv. I. ch. lxxjx.) nous apprend que les chefs des Sarmates s'en servoient quelquefois : Id principibus ac nobillissimo cuique tegmen, ferreis laminis aut praedurio corio concertum.

Cependant le fer étoit la matiere la plus ordinaire des cuirasses. Les Perses appelloient les soldats qui portoient ces sortes de cuirasses, clibanarios, du mot clibanum, qui signifioit une tuile de fer, apparemment parce que ces cuirasses étoient faites d'une plaque fort épaisse de ce métal : mais leur trop grande pesanteur fit qu'on les changea bientôt pour des cuirasses composées de lames de fer, couchées les unes sur les autres, & attachées sur du cuir ou de la toile. A celles-ci on substitua dans la suite la cotte de maille & l'haubergeon ; terme qui ne signifie qu'une armure plus ou moins longue, faite de chaînettes de fer ou de mailles entrelacées. Il paroit par ce que rapportent les anciens, que la cuirasse ne passoit pas la ceinture, quoique la frange dont elle étoit bordée descendît jusqu'aux genoux.

On mettoit la cotte-d'armes sur la cuirasse ; la cotte-d'armes a passé de mode, la cuirasse subsiste toûjours. Autrefois le droit de la porter étoit un titre d'honneur, dont on étoit privé, lorsqu'ayant douze métairies on manquoit au service que l'on devoit au Roi, comme il est décidé dans les capitulaires, où la cuirasse est appellée brunia.

Il n'y a plus guere à-présent que les officiers généraux & les officiers de cavalerie qui portent des cuirasses ; elles doivent être au moins à l'épreuve du pistolet. A l'égard des brigadiers, gendarmes, chevaux-legers, & cavalerie, ils portent un plastron de fer qui leur couvre le devant seulement. Ils doivent la porter dans tous les exercices, revûes, marches, &c. Il est au moins à l'épreuve du pistolet. Il est ordonné aux officiers & ingénieurs de porter des cuirasses, à peine d'être cassés. Extrait de l'hist. de l'acad. des Inscript. & Belles-Lettres, tome II. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CUIREen termes de Cuisine, c'est donner aux viandes, aux légumes, & au poisson, une sorte de préparation qui les rend communément plus tendres & plus propres à être broyées sous les dents, en les exposant à l'action du feu, soit qu'ils la souffrent immédiatement, soit qu'on les fasse bouillir dans de l'eau, ou dans d'autres liqueurs.

CUIRE, en terme de Doreur, c'est mettre une piece rougir sur le feu, pour la rendre plus maniable & plus douce. Voyez la fig. 7. Pl. du Doreur.

CUIRE DES CHEVEUX, terme de Perruquier, c'est mettre des cheveux au four après les avoir roulés autour des moules ou bilboquets, & enfermés dans une pâte de son, faite en forme de pâté. Cette opération sert à leur faire prendre la frisure. Voy. CHEVEUX & PERRUQUE.

CUIRE, en terme de Raffineur, c'est l'action de pétrifier le sucre en clairée, en le faisant bouillir un tems suffisant. On met dans la chaudiere à cuire, (Voyez CHAUDIERE A CUIRE) un peu de beurre avec la clairée, pour empêcher que le bouillon ne s'éleve par-dessus les bords de la chaudiere. Quand la clairée a bouilli pendant trois quarts-d'heure environ, le raffineur la jugeant cuite par la preuve qu'il en prend (Voyez PREUVE), on la transporte dans les rafraîchissoirs. On remet de nouvelle clairée dans la chaudiere à cuire ; on la fait cuire comme la premiere, avec laquelle on la transporte quand elle l'est ; on la mouve bien pour mêler le grain de la premiere qui est descendu au fond avec celui de la seconde cuite en attendant la troisieme, ce qui se fait jusqu'à ce qu'on ait rassemblé un nombre de cuites suffisant pour l'empli qu'on se propose de faire. Voyez EMPLI. On observe à chaque cuite qu'on fait, d'éteindre les feux dès que le raffineur l'ordonne, avec du charbon bien mouillé & deux ou trois pucheurs d'eau (Voyez PUCHEUR), afin que le feu ne reprenne point que la cuite ne soit tirée. Voyez PUCHER.

CUIRE LE VERRE, terme de Peinture sur verre, c'est après que les pieces ont été peintes, les mettre dans la poêle du fourneau, & les y laisser jusqu'à ce que les couleurs soient bien cuites & bien incorporées. Voyez VERRE & PEINTURE SUR VERRE. Ce mot se dit aussi de la fonte des soudes, & autres matieres qu'on employe dans les verreries. Dict. de Comm.


CUIRÉadj. (Coffreterie) se dit d'une malle dont les joints ont été radoubés tant en-dedans qu'en-dehors, avec une toile épaisse enduite de colle-forte, avant que d'être couverte de cuir.


CUIRETterme de Chapelier, c'est un petit morceau de cuir qu'on met entre la chantrelle & la corde de l'arçon, dont ces ouvriers se servent pour faire voguer l'étoffe. Voyez CHAPEAU, & la fig. 17. Pl. du Chapelier. Voyez aussi l'article CHAMOISEUR, où ce terme a une acception toute différente.


CUISINES. f. (Art méchan.) cet art de flatter le goût, ce luxe, j'allois dire cette luxure de bonne chere dont on fait tant de cas, est ce qu'on nomme dans le monde la cuisine par excellence ; Montagne la définit plus brievement la science de la gueule ; & M. de la Mothe le Vayer, la Gastrologie. Tous ces termes désignent proprement le secret réduit en méthode savante, de faire manger au-delà du nécessaire ; car la cuisine des gens sobres ou pauvres, ne signifie que l'art le plus commun d'apprêter les mets pour satisfaire aux besoins de la vie.

Le laitage, le miel, les fruits de la terre, les légumes assaisonnés de sel, les pains cuits sous la cendre, furent la nourriture des premiers peuples du monde. Ils usoient sans autre raffinement de ces bienfaits de la nature, & ils n'en étoient que plus forts, plus robustes, & moins exposés aux maladies. Les viandes bouillies, grillées, rôties, ou les poissons cuits dans l'eau, succéderent ; on en prit avec modération, la santé n'en souffrit point, la tempérance régnoit encore, l'appetit seul régloit le tems & le nombre des repas.

Mais cette tempérance ne fut pas de longue durée ; l'habitude de manger toûjours les mêmes choses, & à-peu-près apprêtées de la même maniere, enfanta le dégoût, le dégoût fit naître la curiosité, la curiosité fit faire des expériences, l'expérience amena la sensualité ; l'homme goûta, essaya, diversifia, choisit, & parvint à se faire un art de l'action la plus simple & la plus naturelle.

Les Asiatiques, plus voluptueux que les autres peuples, employerent les premiers, dans la préparation de leurs mets, toutes les productions de leurs climats ; le commerce porta ces productions chez leurs voisins ; l'homme courant après les richesses, n'en aima la joüissance que pour fournir à sa volupté, & pour changer une simple & bonne nourriture en d'autres plus abondantes, plus variées, plus sensuellement apprêtées, & par conséquent plus nuisibles à la santé : c'est ainsi que la délicatesse des tables passa de l'Asie aux autres peuples de la terre. Les Perses communiquerent aux Grecs cette branche de luxe, à laquelle les sages législateurs de Lacédémone s'opposerent toûjours avec vigueur.

Les Romains devenus riches & puissans, secouerent le joug de leurs anciennes lois, quitterent leur vie frugale, & goûterent l'art de la bonne chere : Tunc coquus (dit Tite-Live, l. xxxjx.) vilissimum antiquis mancipium, estimatione & usu, in pretio esse, & quod ministerium fuerat, ars haberi caepta ; vix tamen illa quae tunc conspiciebantur, semina erant futurae luxuriae. Ce n'étoit-là que de legers commencemens de la sensualité de la table, qu'ils pousserent bientôt au plus haut période de dépense & de corruption. Il faut lire dans Séneque le portrait qu'il en fait ; je dis dans Séneque, parce que sa sévérité, ou sa bile si l'on vent, nous apprend bien des choses sur cette matiere, que des esprits plus indulgens pour les défauts de leur siecle ; passent ordinairement sous silence. On ne voyoit, nous dit-il, que des Sibarites couchés mollement sur leurs lits, contemplant la magnificence de leurs tables, satisfaisant leurs oreilles des concerts les plus harmonieux, leur vûe des spectacles les plus charmans, leur odorat des parfums les plus exquis, & leur palais des viandes les plus délicates. Mollibus, lenibusque fomentis totum lacessitur corpus, & ne nares interim cessent, odoribus variis inficitur locus ipse, in quo luxuriae parentatur. En effet c'est des Romains que vient l'usage de la multiplicité des services, & l'établissement de ces domestiques qu'on nomme échansons, maîtres d'hôtel, écuyers tranchans, &c. mais leurs cuisiniers sur-tout étoient des gens importans, recherchés, considérés ; gagés à proportion de leur mérite, c'est-à-dire de leur prééminence dans cet art flateur & pernicieux, qui bien loin de conserver la vie, produit une source intarissable de maux. Il y avoit à Rome tel artiste en cuisine, à qui l'on payoit quatre talens par année, qui font au calcul du docteur Bernard 864 livres sterling, environ 19000 livres de notre monnoie. Antoine fut si content d'un de ses cuisiniers, dans un repas donné à la reine Cléopatre, qu'il lui accorda une ville pour récompense.

Ces gens-là aiguisoient l'appétit de leurs maîtres par le nombre, la force, la diversité des ragoûts, & ils avoient étendu cette diversité jusqu'à faire changer de figure à tous les morceaux qu'ils vouloient apprêter ; ils imitoient les poissons qu'on desiroit & qu'on ne pouvoit pas avoir, en donnant à d'autres poissons le même goût & la même forme de ceux que le climat ou la saison refusoient à la gourmandise. Le cuisinier de Trimalcion composoit même de cette maniere, avec de la chair de poisson, des animaux différens, des pigeons ramiers, des tourterelles, des poulardes, &c. Athénée parle d'un cochon à demi-rôti, préparé par un cuisinier qui avoit eu l'adresse de le vuider & de le farcir sans l'éventrer.

Du tems d'Auguste, les Siciliens l'emporterent sur les autres dans l'excellence de cet art trompeur ; c'est pourquoi il n'y avoit point à Rome de table délicate qui ne fût servie par des gens de cette nation :

Non siculae dapes

Dulcem elaborabunt saporem.

dit Horace. Apicius, qui vivoit sous Trajan, avoit trouvé le secret de conserver les huîtres fraîches ; il en envoya d'Italie à ce prince pendant qu'il étoit au pays des Parthes, & elles étoient encore très-saines quand elles arriverent : aussi le nom d'Apicius longtems affecté à divers ragoûts, fit une espece de secte parmi les gourmands de Rome. Il ne faut point douter que le nom de quelque voluptueux de cette capitale, mieux placé à la suite d'un ragoût qu'à la tête d'un livre, ne s'immortalise plus sûrement par son cuisinier que par son Imprimeur.

Les Italiens ont hérité les premiers des débris de la cuisine romaine ; ce sont eux qui ont fait connoître aux François la bonne chere, dont plusieurs de nos rois tenterent de réprimer l'excès par des édits ; mais enfin elle triompha des lois sous le regne d'Henri II. alors les cuisiniers de de-là les monts vinrent s'établir en France, & c'est une des moindres obligations que nous ayons à cette foule d'Italiens corrompus, qui servirent à la cour Catherine de Médicis.

J'ai vû, dit Montagne, parmi nous, un de ces artistes qui avoit servi le cardinal Caraffe : il me fit un discours de cette science de gueule avec une gravité & contenance magistrale, comme s'il eût parlé de quelque grand point de Théologie ; il me déchiffra les différences d'appétit, celui qu'on a à jeun, & celui qu'on a après le second & tiers service, les moyens tantôt de lui plaire, tantôt de l'éveiller & piquer ; la police des sauces, premierement en général, & puis particularisant les qualités des ingrédiens & leurs effets ; les différences des salades selon leur besoin, la façon de les orner & embellir pour les rendre encore plus plaisantes à la vûe : ensuite il entra en matiere sur l'ordre du service, plein de belles & importantes considérations, & tout cela enflé de riches & magnifiques paroles, & de celles-là même qu'on employe à traiter du gouvernement d'un empire. Il m'est souvenu de mon homme :

Hoc salsum est, hoc adustum est, hoc lautum est parùm ;

Illud rectè ; iterùm sic memento. Ter. Adelph.

" Cela est trop salé : ceci est brûlé ; cela n'est pas assez relevé : ceci est fort bien apprêté, souvenez-vous de le faire de même une autrefois ".

Les François saisissant les saveurs qui doivent dominer dans chaque ragoût, surpasserent bientôt leurs maîtres, & les firent oublier : dès-lors, comme s'ils s'étoient défié d'eux-mêmes sur les choses importantes, il semble qu'ils n'ont rien trouvé de si flateur que de voir le goût de leur cuisine l'emporter sur celui des autres royaumes opulens, & régner sans concurrence du septentrion au midi.

Il est vrai cependant que graces aux moeurs & à la corruption générale, tous les pays riches ont des Lucullus qui concourent par leur exemple à perpétuer l'amour de la bonne chere. On s'accorde assez à défigurer de cent manieres différentes les mets que donne la nature, lesquels par ce moyen perdent leur bonne qualité, & sont, si on peut le dire, autant de poisons flateurs préparés pour détruire le tempérament, & pour abréger le cours de la vie.

Ainsi la cuisine simple dans les premiers âges du monde, devenue plus composée & plus raffinée de siecle en siecle, tantôt dans un lieu, tantôt dans l'autre, est actuellement une étude, une science des plus pénibles, sur laquelle nous voyons paroître sans-cesse de nouveaux traités, sous les noms de Cuisinier François, Cuisinier royal, Cuisinier moderne, Dons de Comus, Ecole des officiers de bouche, & beaucoup d'autres qui, changeant perpétuellement de méthode, prouvent assez qu'il est impossible de réduire à un ordre fixe, ce que le caprice des hommes & le déréglement de leur goût, recherchent, inventent, imaginent, pour masquer les alimens.

Il faut pourtant convenir que nous devons à l'art de la cuisine beaucoup de préparations d'une grande utilité, & qui méritent l'examen des Physiciens. De ces préparations, les unes se rapportent à la conservation des alimens, & d'autres à les rendre de plus facile digestion.

La conservation des alimens est un point très-important. Indépendamment de la disette dont les régions les plus fertiles sont quelquefois affligées, les voyages de long cours exigent nécessairement cette conservation. La méthode pour y parvenir est la même par rapport aux alimens du regne végétal, comme à l'égard des alimens du regne animal. Cette méthode dépend de l'addition, ou de la soustraction de quelques parties qui tendent à empêcher la corruption, & ce dernier moyen de conserver les alimens tirés des animaux, est le plus simple. Il consiste dans la dessiccation qui s'opere à feu lent & doux, & dans les pays chauds à la chaleur du Soleil. C'est, par exemple, de cette derniere maniere qu'on fait dessécher les poissons qui servent ensuite de nourriture.

On peut aussi soustraire aux sucs des animaux toute leur humidité superflue, & la leur rendre à-propos ; puisqu'ils sont mucilage, ils peuvent éprouver cette vicissitude : de-là vient l'invention des gelées & des tablettes de viande, qui souffrent le transport des voyages de long cours ; mais comme ces tablettes ne sont pas sans addition, elles appartiennent plus particulierement à l'espece de conservation qui est très-ordinaire, & qui se fait par l'addition de quelque corps étranger, capable d'éloigner la putréfaction par lui-même : c'est ce que produisent le sel marin & le sel commun. Les acides végétaux, le vinaigre, les sucs de verjus, de citron, de limon, &c. sont encore propres à cet effet, parce qu'ils resserrent les solides des animaux sur lesquels on les employe, & rendent leur union plus intime & moins dissoluble.

On conserve aussi les viandes tirées des animaux par des sels volatils atténués par la déflagration des végétaux, & par des sels acides-volatiles mêlés intimement avec une huile fort atténuée ; tels sont les alimens fumés : mais cette préparation est composée de la dessiccation qui en fait une grande partie ; cependant il est certain que l'huile qui sort de la fumée, & ces sels très-subtils prenant la place de l'eau qui s'évapore du corps de la viande, doivent la rendre beaucoup moins altérable. L'expérience le démontre tous les jours, car les viandes & les poissons que l'on prépare de cette façon se gardent davantage que par toute autre méthode.

Il est plusieurs autres manieres de conserver les alimens ; mais comme elles sont fondées sur les mêmes principes, je ne m'y dois pas arrêter. Ainsi en cuisant les viandes, soit qu'on les fasse bouillir, ou rôtir, on les conserve toûjours mieux qu'autrement, parce qu'on retranche beaucoup de leur mucilage. On peut aussi conserver pendant quelque tems les parties des animaux & les végétaux, sous la graisse, sous l'huile, sous les sucs dépurés, qui empêchent leur fermentation ou leur pourriture en les défendant de l'air extérieur. Enfin les aromatiques, tels que le poivre, les épices, sont des conservatifs d'autant plus usités, qu'ils donnent ordinairement une saveur agréable aux alimens : cependant il est rare que le sel n'entre pas pour beaucoup dans cette préparation. Ajoûtons que la dessiccation concourt toûjours ou presque toûjours avec les aromatiques, pour les alimens qu'on veut long-tems conserver.

Dans ce qui concerne l'art de rendre les alimens des deux regnes plus faciles à digérer, la premiere regle en usage est une préparation de feu préalable & forte, sur-tout à l'égard des viandes, parce que les fibres de la chair crue adherent trop fortement ensemble pour que l'estomac des hommes puisse les séparer, & que le mucilage qui les joint a besoin d'une atténuation considérable, afin d'être plus soluble & de digestion plus aisée. C'est pourquoi on employe l'ébullition dans quelque liquide, comme dans l'eau, dans l'huile, dans le vin, &c. ou l'action d'un feu sec qui les rôtit & les cuit dans leur suc intérieur.

L'addition des différentes substances qu'on joint à cette premiere préparation, concourt encore à faciliter la digestion, ou à servir de correctif. L'assaisonnement le plus ordinaire pour faciliter la digestion, est le sel qui en petite dose irrite légerement l'estomac, augmente son action & la secrétion des liqueurs. Tout correctif consiste à donner aux alimens le caractere d'altération contraire à leur excès particulier.

Mais à l'égard de la science de la gueule, si cultivée, qui ne s'exerce qu'à réveiller l'appetit, par l'apprêt déguisé des alimens, comme j'ai dit ci-dessus ce qu'on devoit penser de ces sortes de recherches expérimentales de sensualité, je me contente d'ajoûter ici, que quelqu'agréables que puissent être les ragoûts préparés par le luxe en tout pays, suivant les caprices de la Gastrologie, il est certain que ces ragoûts sont plûtôt des especes de poisons, que des alimens utiles & propres à la conservation de la santé. On trouvera dans l'essai sur les alimens par M. Lorry, Médecin de la Faculté de Paris 1754, in 12, une judicieuse théorie physiologique sur cette matiere. Cet article est de M(D.J.)

Cuisine, terme d'Architecture, est une piece du département de la bouche, ordinairement au rez-de chaussée d'un bâtiment, & quelquefois dans l'étage soûterrain. En général elles doivent être spacieuses, bien éclairées, avoir une grande cheminée pour le rôt, lorsqu'il n'y a pas de rôtisserie particuliere, une autre pour les potages, des fourneaux ou potagers pour les ragoûts ; un four, quand on a pas un lieu destiné pour la pâtisserie en particulier ; une paillasse pour entretenir les viandes chaudes, des tables pour le service des cuisiniers ; un billot pour hacher & couper la viande, &c. Les cuisines doivent être voûtées pour éviter le feu, ou au moins plafonnées de plâtre, & leur plancher doit être tenu fort élevé ; elles doivent avoir de l'eau abondamment, soit par des conduits amenés de dehors, ou par le secours d'une pompe pratiquée dans la cuisine. (P)

CUISINE ; c'est dans l'Art militaire des trous que font les soldats à la queue du camp, pour en former des especes de fourneaux où ils font cuire les choses nécessaires à leur nourriture. (Q)

CUISINE : (Marine) Dans un vaisseau du premier rang, la cuisine a neuf à dix piés de long sur huit ou neuf de large. Il faut la garnir de plaques de cuivre qui soient bien jointes. La cheminée doit être de maçonnerie. A l'égard de l'endroit du vaisseau où on la place, cela peut être arbitraire, & suivant les vûes particulieres qu'on a. Quelques fois dans les navires de guerre on la place au fond-de-cale par le travers du vaisseau ; dans les vaisseaux marchands, on la place sous le premier pont vers l'arriere ; quelquefois aussi elle est au milieu du vaisseau ; on la place encore dans le château-d'avant. Voyez Pl. IV. fig. 1. n°. 133. la cuisine placée vers l'avant du bâtiment, & ses dimensions. (Z)


CUISINIERS. m. celui qui sait faire la cuisine & apprêter à manger. Voyez CUISINE.


CUISSARDS. m. arme défensive qui s'attachoit au bas du devant de la cuirasse, pour défendre les cuisses. (Q)


CUISSES. f. (Anat.) La cuisse est une partie du corps de l'homme, des quadrupedes, & des oiseaux, située entre la jambe & le tronc. Voyez JAMBE, &c.

Les parties qui composent la cuisse ont différens noms ; sa partie interne & supérieure forme les aînes ; les côtés latéraux, externes, & supérieurs, forment les hanches ; la partie supérieure postérieure, les fesses ; l'inférieure postérieure, le jarret ; & la partie antérieure, le genou.

L'os de la cuisse est le plus gros & le plus fort de tous ceux qui composent le corps humain, dont il porte tout le poids, c'est ce qui lui a fait donner le nom de fémur, de fero, je porte.

On donne encore le nom de cuisse à différentes autres parties du cerveau ; les cuisses du cerveau, les cuisses du cervelet, les cuisses de la moelle allongée. On leur donne aussi le nom de bras. Voyez BRAS & MOELLE ALLONGEE. Chambers. (L)

CUISSES, (Maréchall.) on appelle ainsi les parties du cheval qui vont depuis les fesses & le ventre jusqu'aux jarrets.

Renfermer un cheval dans les cuisses, voyez RENFERMER. (V)

* CUISSE, s. f. (Verrerie) matiere vitrifiée qui a coulé des pots dans le fond du four, & qui se retire tous les jours avant que de commencer l'ouvrage. Elle est mêlée avec la cendre & le charbon. Elle se remet dans les arches ; on la mêle avec les charées, le sable, & les autres matieres dont on emplit ensuite les pots.


CUISSETTES. f. terme de manufact. en laine, c'est la moitié d'une portée. Voyez PORTEE.


CUISSONS. m. a différentes acceptions dans les arts où l'on fait cuire. Il se dit & des différentes manieres de faire cuire la même substance (Voyez CUISSON Confis. dans les articles suivans), & du degré convenable auquel il faut faire cuire, soit la même substance, soit des substances différentes.

CUISSON, en terme de Confiserie ; c'est une sorte de préparation qu'on donne au sucre en le faisant passer sur le feu. La cuisson du sucre est le fondement principal de l'art de confire. Il y a diverses sortes de cuissons, comme cuisson du sucre à lissé, à perlé, à soufflé, à la plume, à cassé, & au caramel ; & quelques-unes de ces cuissons se distinguent encore & se soûdivisent en d'autres degrés moindres, comme le petit, le grand lisse ; le petit, le fort perlé ; la petite & la grande plume. Voyez ci-dessous Cuisson à lissé, Cuisson à perlé, &c. & les soûdivisions à leurs articles.

Cuisson au caramel ; c'est le sucre cuit au degré nécessaire pour se casser net sous la dent sans s'y attacher, comme le sucre cuit à cassé. Lorsqu'on manque cette cuisson en laissant brûler le sucre, il n'est plus bon à rien ; ce qui le rend encore différent des autres degrés de cuisson, qu'on peut toûjours réduire & rendre propres à tout ce qu'on veut en les décuisant dans de l'eau.

Cuisson à cassé. Les Confiseurs donnent ce nom au sucre qui se casse en faisant un petit bruit, lorsqu'on le détache du doigt qu'on a trempé dans ce sucre après l'avoir mouillé d'eau fraîche.

Cuisson de sucre à lissé ; c'est, en Confiserie, du sucre cuit seulement à un degré nécessaire pour former d'un doigt à l'autre un petit filet qui se rompt d'abord & reste en goutte sur le doigt.

Cuisson à perlé. Les Confiseurs appellent ainsi le degré de cuisson qui est immédiatement après celui qu'ils nomment à lissé, c'est-à-dire le sucre qui forme un filet plus fort, & qui s'étend plus loin en ouvrant les doigts.

Cuisson à la plume ; c'est le degré d'après la cuisson à soufflé : il se connoît aux bouteilles ou étincelles qui s'élevent en haut en soufflant à-travers les trous de l'écumoire, lorsque ces bulles sont encore plus grosses & en plus grand nombre, ensorte qu'elles se tiennent plusieurs l'une à l'autre, & font comme une filasse volante. Cela s'appelle à la grande plume.

Cuisson à soufflé. Les Confiseurs appellent de ce nom du sucre cuit de façon, qu'en soufflant à-travers les trous d'une écumoire qu'on y a trempée en allant & revenant d'un côté à l'autre, il forme comme des étincelles ou petites bouteilles qui avertissent de son degré de cuisson.


CUITES. f. terme de Boulanger, Pâtissier, & autres ouvriers qui se servent de four ou de fourneau ; c'est la quantité d'ouvrage qu'on a mise & retirée du four à chaque fois.

CUITE, s. f. (Pharmac.) opération dans laquelle on réduit par le moyen du feu différentes préparations à certains degrés de consistance déterminés dans l'art. C'est ainsi qu'on dit cuite d'un syrop, cuite de tablettes, cuite d'emplâtres, cuite de sel, cuite de salpetre, cuite de fayence, &c. Voyez SYROP, TABLETTES, EMPLATRE, SEL, SALPETRE. (b)

CUITE, en terme de Raffinerie de sucre ; c'est proprement la clairée ou le syrop cuit, & prêt à être mis dans les formes. On appelle encore cuite la quantité de sucre cuit qu'on tire de la chaudiere après la preuve prise. C'est en ce sens qu'on dit, la premiere, la seconde, &c. cuite. Voyez CUIRE.


CUIVRES. m. (Hist. nat. Métallurg. & Minér.) cuprum, aes, venus, &c. C'est un métal imparfait, d'un rouge éclatant, très-sonore, très-dur, ductile & malléable. Il paroit composé d'une substance terreuse rouge, & de beaucoup de phlogistique ou de principe inflammable.

Le cuivre differe des autres métaux, non-seulement par sa couleur, mais encore par le son qu'il possede à plus haut degré que tous les autres. Son poids est à celui de l'or, comme 4 est à 9. Il est moins pesant que l'argent ; il n'y a que le fer qui soit plus dur & plus difficile à fondre que lui. Il rougit longtems au feu avant que d'entrer en fusion ; il donne à la flamme une couleur qui tient du bleu & du verd : un feu violent & continué pendant long-tems, dissipe une portion de ce métal sous la forme de vapeurs ou de fumée, tandis qu'une autre partie est réduite en une chaux rougeâtre qui n'a plus sa forme métallique ; c'est ce qu'on appelle chaux de cuivre, ou aes ustum. Voyez cet article.

Si on frotte le cuivre avec les mains, il répand une odeur desagréable qui lui est particuliere ; & mis sur la langue, il imprime une saveur stiptique, austere, & capable d'exciter des nausées : exposé à l'air, il se couvre d'une rouille verte. Tous les dissolvans, tels que l'eau, les huiles, les acides, les alkalis, les sels neutres, les résines, &c. agissent sur le cuivre, & il les colore en verd ; c'est à cette couleur verte qu'il est facile de reconnoître la présence du cuivre. Les alkalis volatils changent cette couleur verte en bleu. Quand ce métal est en fusion, le contact de la moindre humidité ou d'une goutte d'eau lui fait faire une explosion très-considérable & très-dangereuse pour ceux qui voudroient en tenter l'expérience.

La nature ne nous présente que rarement & en petite quantité le cuivre sous sa véritable forme ; il faut pour cela qu'il soit tiré de sa mine, séparé d'une infinité de substances étrangeres qui contribuent à le masquer tant qu'il est dans le sein de la terre : cependant il se trouve quelquefois tout formé, comme nous le dirons plus bas, mais il n'est point si pur que celui qui a passé par les travaux de la Métallurgie.

Il y a des mines de cuivre dans toutes les parties du monde connu ; il s'en trouve en Europe, en Asie, & en Amérique : celles de l'île de Cypre étoient les plus riches que les anciens connussent. Aujourd'hui la Suede & l'Allemagne sont les pays qui fournissent le plus de cuivre. Il s'en trouve aussi en France que l'on travaille avec assez de succès. Le cuivre qui vient du Japon est fort estimé : il est en petits lingots assez minces : son mérite consiste à être extrèmement pur ; mais il n'a d'ailleurs aucun avantage sur le cuivre de rosette d'Europe qui a été bien purifié.

Le cuivre est de tous les métaux celui dont les mines sont les plus variées, soit pour les couleurs ; soit pour l'arrangement des parties : quelquefois on le trouve par filons, quelquefois par couches dilatées, d'autres fois par morceaux détachés répandus dans la terre : nous allons donner une description succincte des différentes especes de mines de cuivre qui sont connues. Il y a,

1°. Le cuivre natif. C'est du cuivre tout formé qui se trouve attaché à des pierres de différentes especes, & sur-tout à de l'ardoise, sans affecter de figure déterminée : on ne le trouve pas ordinairement par grosses masses ; mais il est ou par petites paillettes, ou par feuillets minces, ou par petits grains. Ce cuivre n'est pas tout-à-fait si pur que le cuivre de rosette.

2°. Le cuivre précipité. Il est très-pur ; il a été précipité, ou naturellement, ou par art, des eaux vitrioliques cuivreuses. Voyez l'article EAU CEMENTATOIRE.

3°. Le verd de montagne ou chrysocolle verte. Cette mine ressemble à du verd-de-gris ; c'est du cuivre qui a été mis en dissolution dans le sein de la terre, & qui en se précipitant s'est uni à différentes especes de pierre ou de terre ; c'est ce qui fait que la chrysocolle varie pour la consistance & pour l'arrangement. On la trouve, ou compacte, ou en globules ; quelquefois elle presente de petites crystallisations en bouquets ou en houpes soyeuses. La mine de cuivre verte de la chine, qui est si recherchée des curieux est de cette espece.

4°. Le bleu de Montagne ou chrysocolle bleue. D'est du cuivre qui a été dissous naturellement, qui par le concours d'un alkali volatil a pris une couleur bleue, & qui de même que le verd de montagne s'est attaché à quelque substance terreuse ou pierreuse : son bleu est plus ou moins éclatant. Le lapis lazuli est une mine de cuivre de cette espece.

5°. La mine de cuivre azuré. Elle est d'un tissu qui la fait ressembler à du verre dans l'endroit où elle a été rompue. Elle est d'un bleu plus ou moins mêlangé : ce n'est vraisemblablement qu'une variété de la mine qui précede.

6°. La mine de cuivre vitreuse. La couleur de cette mine est assez variée ; elle ressemble à du verre, ce qui lui a fait donner le nom qu'elle porte.

7°. La mine de cuivre grise. Elle est d'un gris plus ou moins foncé. Il est assez difficile au simple coup-d'oeil de la distinguer d'avec une mine de fer.

8°. La mine de cuivre hépatique. Elle est d'un rouge mat ou d'un brun jaunâtre qui la fait ressembler à du foie : c'est la quantité de parties martiales qu'elle contient qui lui donne cette couleur. Elle contient aussi du soufre.

9°. La mine de cuivre blanche. Cette blancheur n'est que relative ; c'est proprement un gris clair qui tire un peu sur le jaunâtre. Cette mine contient du fer, de l'arsenic, & même un peu d'argent.

10°. La pyrite cuivreuse, ou mine jaune de cuivre ; c'est la moins riche & la plus commune des mines de cuivre ; elle contient, outre le cuivre, du fer, du soufre & de l'arsenic. Cette mine est quelquefois d'un jaune d'or très-éclatant, entre-mêlé de différentes couleurs très-brillantes, rouges, violettes, bleues, vertes, gorge de pigeon, &c. Quelquefois cette mine est d'un jaune pâle, ou d'un jaune tirant sur le verdâtre ; mais ces deux dernieres mines ne sont que des pyrites cuivreuses, à qui plus ou moins d'arsenic, & une moindre quantité de cuivre, ont fait prendre une nuance plus claire.

11°. Les mines de cuivre figurées. On peut nommer ainsi les mines de cuivre dans lesquelles on remarque une figure étrangere au regne minéral. Ces mines de cuivre se trouvent toûjours dans de l'ardoise. Il y a une mine de cette espece à Mansfeld en Thuringe, dans laquelle on trouve des empreintes de poissons ; dans d'autres on voit des empreintes de végétaux.

12°. La mine de cuivre terreuse : elle est de différentes couleurs, comme grise, jaune, brune, &c. c'est du cuivre uni avec de l'ochre ou avec de la terre de différente espece. On reconnoît souvent la présence du cuivre dans ces terres, par l'enduit du verd-de-gris qu'on y remarque. L'ochre de Goslar paroît être de cette nature ; on la mêle avec de l'huile de lin ; on en forme des globules qu'on met en distillation dans une cornue bien luttée ; on donne un très-grand feu, ensuite on écrase les globules, on les passe au-travers d'un tamis, & sur la poudre qui est passée on verse de l'eau pour en faire le lavage : on sépare la partie la plus légere d'avec la plus pesante qui va au fond : on mêle cette derniere avec deux parties de flux noir, & on la fait fondre dans un creuset : on obtient par-là du cuivre. Voyez Juncker, de cupro, tab. xxxv. p. 905. C'est-là ce que quelques Chimistes ont appellé cuivre artificiel. D'autres ont cru que dans cette opération il se faisoit une transmutation ; mais il est évident que ce n'est autre chose qu'une séparation & une réduction de la partie cuivreuse qui étoit contenue dans l'ochre de Goslar.

Outre les mines dont on vient de faire l'énumération, il se trouve encore des parties cuivreuses mêlées avec les mines des autres métaux ; il y a aussi des portions de ce métal unies avec une grande quantité de terres & de pierres : en général on a lieu de soupçonner sa présence dans la plûpart de celles où l'on remarque du verd ou du bleu ; cependant cette regle n'est point sans exception, attendu que le fer peut aussi quelquefois produire les mêmes couleurs. Il est certain néanmoins que le cuivre est ce qui donne le bleu & le verd à un grand nombre de substances minérales, telles que l'éméraude, le saphir, la turquoise, le lapis lazuli, &c. Glauber prétend avoir trouvé du cuivre dans les tourbes de Hollande, & sur-tout dans celles qui sont le plus profondement sous terre. Si l'on veut un détail plus circonstancié sur les mines de cuivre, on peut consulter la Minéralogie de Wallerius, tome I. p. 495 & suiv.

Les différentes opérations en usage pour tirer le cuivre de sa mine, sont un chef-d'oeuvre de la Métallurgie : il n'y a point de métal plus difficile à traiter ; on en pourra juger par le détail abregé de ces opérations, qu'on va trouver dans cet article. Ces difficultés viennent des matieres étrangeres, martiales, sulphureuses, arsénicales, terreuses ou pierreuses, &c. qui sont quelquefois étroitement unies avec le cuivre dans sa mine. Les Fondeurs suédois distinguent trois especes de mines de cuivre : 1°. les mines de cuivre simples ; ce sont celles qui sont dégagées des parties terreuses & pierreuses : 2°. les mines de cuivre dures ; ce sont celles qui sont unies avec des pierres vitrifiables, telles que le quartz, ce qui en rend la fusion difficile : 3°. les mines de cuivre réfractaires ; ce sont celles qui sont mêlées avec des pierres qui résistent à l'action du feu, telles que le talc, l'amiante, &c. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome I. pag. 517 & suiv.

Il arrive souvent que dans les mines de cuivre les parties hétérogenes, telles que le fer, la terre, la pierre, &c. s'y trouvent en beaucoup plus grande abondance que ce métal : ces inconvéniens n'empêchent point de travailler ces mines pauvres dans les pays, comme la Suéde & quelques parties de l'Allemagne, où le bois est commun & la main-d'oeuvre à bon marché ; hors ce cas, il y auroit beaucoup de perte à vouloir les traiter.

Maniere de traiter la mine de cuivre. C'est une suite de différentes opérations, dont nous allons donner le détail le plus exact. Ces opérations ne sont pas absolument les mêmes partout ; elles varient selon la qualité des mines : mais c'est à l'expérience à instruire de la nature & du besoin de ces variétés. Il suffit dans un ouvrage de décrire avec précision & clarté un procédé général qui puisse servir de base dans toutes les circonstances possibles.

Du triage de la mine. C'est l'opération par laquelle on commence : elle consiste, 1°. à séparer les morceaux purement pierreux, des morceaux tenant métal, & à rejetter ceux-là : 2°. à séparer ceux qu'on croit purement métalliques, pour les envoyer à la fonderie : 3°. à séparer ceux qui sont mêlés de pierre & de mine, qu'on appelle mine à bocard, & qu'on fait bocarder.

Détail du triage. On commence par passer toute la mine par un crible à mailles quarrées, de la largeur d'un pouce ou quinze lignes : ce crible a dix-neuf pouces de diamêtre sur cinq pouces de profondeur. La mine est ramassée dans un coin ; on en va charger son crible, & on se transporte dans un autre endroit où on la sasse : ce qui reste sur le crible se lave ; pour cet effet on a un baquet de fer percé par le bas de trous d'une ligne de diamêtre. On jette dans ce baquet ce qui est resté de mine sur le crible, & l'on plonge le baquet dans une cuve d'eau. On donne ce lavage à toute la mine nouvellement triée, & l'on répand sur une table les morceaux de mine lavés.

Quant à ce qui a passé à-travers les mailles du crible dans le premier sassement, on y revient : on a un autre crible dont les mailles sont de six à sept lignes en quarré ; on le charge de cette mine, & on la sasse pour la seconde fois ; ce qui reste sur le crible est jetté dans le baquet, lavé dans la cuve, comme on l'a pratiqué après le premier sassement, & répandu sur une seconde table.

On travaille ensuite ce qui a passé à-travers le second crible au second sassement, en le sassant une troisieme fois à-travers un troisieme crible qui a les mailles d'un quart de pouce. On met ce qui reste sur ce troisieme crible, dans une espece de sebille dont le fond est garni d'un petit treilli de fil-de-fer très-serré. Un ouvrier secoue cette sebille dans la cuve ; par ses secousses, mouvemens & tours de poignet, il parvient à élever à la surface les parties pierreuses, qu'il sépare du reste en les prenant par pincées. les parties métalliques qui occupent le fond de la sebille, vont à la fonderie, les pierreuses sont envoyées au bocard pour y être écrasées de nouveau.

On a donc des gros morceaux de mine lavée sur une table, des moindres morceaux sur une autre table, une poussiere qui s'est précipitée dans la cuve au lavage, & des parties pierreuses qu'on envoye au bocard ou pilon, comme nous l'avons dit. Quant à la poussiere qui s'est précipitée dans l'eau de la cuve pendant le lavage, on la porte au lavoir. Voyez un de ces instrumens Pl. IV. de Métallurg. Voici ce qu'on fait des morceaux exposés sur les tables.

Ces morceaux de mine sont triés par des filles & par des petits garçons instruits à cette manoeuvre. Dans ce triage, tout ce qui est purement métallique va à la fonderie ; ce qui est tout pierreux est rebuté ; ce qui est mêlé de pierre & de métal, passe au maître trieur.

Le maitre trieur casse ces morceaux, & tâche de séparer exactement le pierreux du métallique. S'il rencontre des morceaux où le mêlange de la pierre & de la mine lui paroisse intime, il les écrase, & rejette ce qui est purement pierreux ; le reste est criblé, lavé à la sebille, & séparé en deux parties, dont l'une va au bocard, & l'autre à la fonderie.

Cela fait, le triage est achevé, & l'on porte à la fonderie tout ce qui doit y aller.

De la calcination ou du grillage. Entre les mines il y en a qui, avant que d'être mises au fourneau, ont besoin de cette préparation : d'autres peuvent s'en passer. Pour les distinguer, & s'assûrer si la mine exige une calcination préliminaire, on cherche à découvrir par l'essai, si elle n'est point arsénicale, sulphureuse ou martiale. Le fer donne lieu à des porcs ou cochons. On appelle porcs ou cochons, des masses qui se figent aux fourneaux de fusion, & qui n'ayant pris au feu qu'une espece de molesse, & ne pouvant entrer dans une fusion parfaite, les obstruent, & font qu'on est obligé de recommencer l'opération. D'ailleurs ces porcs tiennent du cuivre ; mais quand la mine a été grillée, il ne s'en fait plus : le grillage a disposé une partie du fer à se vitrifier, & le fer calciné coule & se vitrifie facilement à l'aide de certains mêlanges.

Les mines qui ont besoin d'être grillées ou calcinées, le sont dans un fourneau fort simple, & tel qu'on en voit un au bas de la Pl. II. de Métallurgie, fig. 4. & l'on procede au grillage de la maniere suivante au Tillot en Lorraine. On fait un lit de buches dans les séparations du fourneau A ; on répand sur ce lit les gros morceaux de mine, puis les morceaux moins gros, & ensuite la poussiere : on allume le feu, on l'entretient pendant vingt-quatre, trente, trente-six heures de suite. Le grillage se réitere communément une ou deux fois ; il y a des mines qu'on grille jusqu'à huit : il y en a aussi qu'on grille beaucoup moins. Lorsque la mine est grillée, elle passe au fourneau voisin, qu'on appelle fourneau de fonderie, ou fourneau à manche.

De la fonderie. La mine grillée ou non grillée se traite d'abord dans le fourneau B, Métallurgie, Pl. V. fig. 1. on y voit en entier ce fourneau, dont on a donné les coupes & la construction détaillée, Pl. VI. de Métallurgie, fig. 1. 2. 3. 4. La figure 1. représente une coupe sur la longueur ; la figure 2. une autre coupe sur la profondeur ; la figure 3 les évents pratiqués au terrein plein ; la figure 4. la vûe intérieure du fourneau.

On charge ce fourneau avec un mêlange de mine & de charbon de bois & de scories, en certaine proportion : ces scories sont de la fonte précédente : on met plus ou moins de charbons. La mine lavée demande plus de charbon que celle qui ne l'a pas été ; il y a même des mattes à qui il en faut plus qu'à la mine ordinaire.

On remplit de ce mêlange le fourneau jusqu'en haut : on fait joüer les soufflets. L'ouverture qu'on a pratiqué au bas du mur antérieur du fourneau, est toûjours libre. A mesure que la matiere fond, elle coule dans un reservoir qu'on appelle poche ou catin, qui est sous l'ouverture : cette poche est creusée dans un massif un peu élevé au-dessus de terrein. Quand il y a dans la poche une certaine quantité de matiere, les ouvriers en enlevent la partie supérieure, qui est vitreuse ou en scorie, avec un grand instrument de fer ; ils la prennent en-dessous avec cette espece de pelle ; elle est alors figée. Ils continuent d'enlever ces surfaces vitreuses & figées, jusqu'à ce que la poche soit pleine de matiere métallique.

Les poches sont saupoudrées & enduites d'un mêlange de terre grasse & de charbon en poudre, qu'ils appellent brasque ou brasse. Lorsque la poche supérieure est pleine, ils dégagent l'ouverture qui conduit de cette poche à une autre poche inférieure, & la matiere coule dans celle-ci.

Aussi-tôt que la matiere a coulé & que la poche supérieure est vuide, les ouvriers la réparent en l'enduisant d'une nouvelle couche de terre grasse mêlée de charbon : cette couche peut avoir environ deux pouces d'épais. On referme alors la communication de la premiere poche, casse ou catin (car ces trois mots sont synonymes), à l'inférieure.

Quand la matiere contenue dans la seconde poche se refroidit, les ouvriers l'enlevent de la maniere suivante, & dans l'ordre que nous allons dire. Ils commencent par les couches supérieures qui sont scories : la scorie enlevée, ils aspergent la surface de la matiere restante, d'un peu d'eau, qui en fait prendre ou figer une certaine épaisseur : ils enlevent cette épaisseur ; ils continuent d'asperger, de refroidir, & d'enlever des épaisseurs de matiere prise ou figée, jusqu'à ce que la casse en soit tout-à-fait épuisée, & ces especes de plaques s'appellent pierres de cuivre, ou mattes.

Du travail de la matte ou pierre de cuivre. On porte les mattes dans les fourneaux de calcinations ou de grillage A, Pl. II. de Métallurgie, fig. 4. on les y calcine à cinq, huit, dix, vingt feux, selon le plus ou le moins de pureté de la matte. Cette pureté s'estime 1°. par l'usage & par la qualité de la mine : 2°. par la fusion premiere, seconde ou troisieme, dont elle est le produit. Calciner à un feu, c'est traiter une fois la matte de la maniere que nous avons dit, en parlant du grillage ou de la calcination, qu'on commençoit par traiter la mine qui avoit besoin d'être calcinée ou grillée : la griller à deux feux, c'est la passer d'une des séparations du fourneau A, dans une autre, & l'y traiter comme elle l'avoit été dans la précedente, & ainsi de suite.

On ne met qu'un lit de buches pour le premier grillage ou feu ; on augmente la quantité de bois à mesure que le nombre des feux augmente, & avec raison : car plus la matte contient de soufre, plus il faut faire durer le feu, chauffer doucement, & user d'un feu qui n'aille pas si vîte.

Les mattes calcinées se fondent dans le fourneau B, Pl. V. de Métallurgie, fig. 1. avec cette seule différence, que les soufflets vont moins vîte, & qu'on pousse moins le feu. La matiere coule du fourneau dans la premiere casse, de la premiere casse dans la seconde, d'où on l'enleve par plaques ou pains, comme nous l'avons décrit ci-dessus, & l'on a des secondes mattes & un peu de cuivre noir : ce cuivre noir est mis à part.

Ces secondes mattes se reportent encore au fourneau de grillage A, pour y être recalcinées, d'où elles reviennent ensuite pour être fondues au fourneau B. On les calcine cette fois au fourneau A à cinq ou six feux ; & par cette nouvelle fusion au fourneau B, il vient une troisieme matte plus riche que la seconde, ainsi que la seconde étoit plus riche que la premiere, avec du cuivre noir. On obtient du reste une troisieme matte par la même manoeuvre que les mattes précédentes, & l'on met aussi à part le cuivre noir.

On reporte au fourneau de grillage ou de calcination, la troisieme matte, où elle essuie encore cinq à six feux ; on la remet au fourneau de fusion, d'où il sort cette fois une matte riche, avec trois quarts de cuivre noir.

Telle est la suite des opérations de la fonderie ou fusion, & l'ordre dans lequel elles se succéderoient dans une mine & des fourneaux où l'on travailleroit pour la premiere fois ; mais on procede autrement quand les fourneaux sont en train. Alors on fond la mine & les différentes sortes de mattes dans un même fourneau B, dont le travail est ininterrompu. On commence par fondre les mattes, & entre les mattes on choisit les plus riches, pour les faire passer les premieres ; on leur fait succéder les mattes les moins riches ; à celles-ci, celles qui le sont moins encore, ou les mattes pauvres, & l'on finit par la mine.

La raison de cet ordre ; c'est que le fourneau s'use, qu'il s'y forme, sur-tout au fond, des cavités, & qu'il vaut mieux que ces creux se remplissent de matte pauvre que de matte riche. Il arrive cependant dans la succession ininterrompue des fusions, que l'on a quelquefois dans les poches ou casses des mattes plus ou moins riches, & du cuivre noir ; & il ne faut pas craindre que ces différens produits se confondent, & que l'on perde le fruit des calcinations : car les mattes riches étant plus pesantes que les autres, gagnent toûjours le fond de la casse ensorte qu'on a dans les casses le cuivre noir, la matte riche, la matte moins riche, la matte pauvre, à-peu-près dans l'ordre des calcinations.

On observe toutefois dans les fourneaux de calcinations, de griller ensemble les mattes les moins riches. Il y a à ce procédé de l'oeconomie ; car il ne faut pas plus de bois pour griller trente quintaux de matte, que pour n'en griller que cinq à six.

Conséquemment on a soin d'attendre qu'on ait beaucoup de mattes riches, & l'on en ramasse le plus qu'on peut, pour en faire le grillage à part, ou du moins on ne la confond qu'avec celle qui lui succede immédiatement en richesse.

Voici donc l'ordre des produits de toutes les différentes opérations : scories, matte pauvre, matte moyenne, matte riche, cuivre noir.

Le cuivre noir est l'état dernier auquel on tend par les calcinations & les fusions réitérées, à réduire toute la mine, en la faisant passer par ces états de mattes différentes.

Du raffinage du cuivre. Raffiner le cuivre, c'est le conduire de l'état de cuivre noir à celui de cuivre de rosette, ou c'est dissiper le reste de soufre qui le constitue cuivre noir.

Cette opération se fait au fourneau C, Planch. V. de Métallurg. fig. 2. qu'on y voit en entier, & dont on a représenté une coupe & l'intérieur, Plan. VI. de Métallurg. fig. 6. & les évents de son terre-plein ; fig. 5. même Planche.

On commence par garnir la casse ou poche qui est au-dedans avec le mêlange de terre grasse & de charbon en poudre dont nous avons parlé plus haut. Après ce préliminaire, on la fait sécher avec du charbon, qu'on y entretient allumé pendant une ou deux heures.

Cela fait, il s'agit de travailler. Pour cet effet on remplit toute la casse de charbon de bois ; on place sur ce charbon un pain de cuivre noir ; on fait sur ce pain un lit de charbon ; on met sur ce lit trois ou quatre pains, ensuite du charbon, puis lit sur lit des pains alternativement, du charbon, jusqu'à la concurrence de cent, cent vingt, cent cinquante, deux cent, deux cent cinquante, trois cent pains, suivant la grandeur de la casse, qui s'étend considérablement pendant le travail.

On chauffe. Les soufflets marchent à-peu-près pendant deux heures, au bout desquelles le raffineur trempe une verge de fer dans le cuivre qui a gagné le fond de la casse ; c'est un essai : au sortir de la casse, il plonge sa baguette enduite d'une pellicule de cuivre, dans de l'eau froide ; elle s'en détache ; il en examine la couleur, & il juge à cette couleur si la matiere est ou n'est pas affinée. Cet essai se répete d'un moment à l'autre ; car la matiere prend avec beaucoup de vîtesse des nuances successives, différentes & perceptibles pour l'affineur.

Dans le cours de cette fusion, on décrasse la matiere, une, deux, trois, ou quatre fois, ce qui se fait en écartant le brasier qui nage à sa surface avec un rable, ou en se servant de cet instrument pour en enlever les ordures : ensuite on repousse le brasier, & l'on y substitue de nouveau charbon, s'il en est besoin.

Lorsque l'affineur s'est assûré par un dernier essai de la perfection de sa matiere & de son degré d'affinage, on écarte encore le charbon, on décrasse de nouveau, on balaye les bords de la casse ; le cuivre paroît alors dans un état de fluidité très-subtile, sans toutefois bouillonner ; il fremit seulement, il élance dans l'air une pluie de grains menus, qu'on peut ramasser en passant une pelle de fer à-travers cette espece de vapeur, à un pié ou environ au-dessus de la surface du fluide. Elle s'appelle fleurs de cuivre ou cendre de cuivre. Pour en arrêter l'effluvium, & empêcher la matiere de s'éparpiller ainsi, le fondeur asperge legerement la surface avec un balai chargé d'un peu d'eau. Pour faire cette aspersion sans péril, on laisse refroidir la surface du cuivre ; cela est essentiel, car si l'on répandoit l'eau avant que la surface eut commencé à se figer, il se feroit une explosion considérable, capable de faire sauter l'attelier.

Lors donc que la surface commence à se consolider un peu, on a un petit baquet plein d'eau, on en jette une flaquée legere sur la surface du métal : cette eau bouillonne & disparoît en un moment ; on a alors un pic de fer, avec lequel on détache du tour de la casse la lame figée, & l'on enleve cette lame ou plaque avec des pinces. On répand sur la surface du métal restant une seconde flaquée d'eau froide ; on détache avec le pic & l'on enleve avec la pince une seconde lame ; & ainsi de suite, jusqu'à ce que la casse soit épuisée & l'ouvrage fait. Le dernier morceau de cuivre qui reste au fond de la casse, après qu'on en a détaché & enlevé le plus de lames qu'il étoit possible, s'appelle le roi ; & toutes les lames ou pains de cuivre qui l'ont précédé & qu'on a formés, détachés, & enlevés successivement, s'appellent cuivre de rosette, & se vendent dans cet état & sous ce nom dans le commerce.

C'est de l'alliage de la pierre calaminaire avec le cuivre de rosette, qu'on fait le cuivre de laiton. Voyez à l'article LAITON, l'art de le faire, & celui de couler le laiton en table, de le battre, & de le trifiler. Voyez aussi les articles CALAMINE, CADMIE, & ZINC.

Nous n'avons examiné jusqu'à présent que le travail de la mine qui ne contient que du cuivre ; mais il arrive souvent qu'elle contienne du cuivre & de l'argent ; & du cuivre, du plomb, & de l'argent : telle est la qualité de celle de Sainte-Marie-aux-Mines ; alors elle demande à être traitée d'une maniere particuliere, que nous allons exposer.

Du travail de la mine de cuivre & argent ; & cuivre, plomb, & argent. Le triage de cette mine n'est pas différent du triage de la mine de cuivre simple. Quant à la calcination, elle se fait au fourneau de reverbere en grand, ou par la flamme : cette maniere de calciner épargne du bois & du tems, parce qu'on n'y employe que du fagot, & qu'on exécute en deux fois vingt-quatre heures, ce qu'on ne fait au Tillot qu'en quinze jours & par vingt grillages. On ne suit pas au Tillot la même voie ; parce qu'entre tous les ouvriers il n'y en a point qui ayent un attachement plus scrupuleux pour leurs vieilles manoeuvres, que ceux qui travaillent les mines, parce qu'il n'y en a aucun dont la pratique soit moins éclairée.

Les fourneaux de grand reverbere, tels qu'on les voit Pl. VII. de Métall. fig. 1. & fig. 2. sont en usage à Giromagni. Ils y ont été apportés par des Anglois. Ils s'en servirent d'abord pour la fonte du plomb ; ensuite pour celle du cuivre. Ils y calcinoient, fondoient, &c. travailloient cette mine par la flamme ; ils s'assûroient qu'elle étoit cuivre de rosette, comme nous l'avons dit plus haut, & ils continuoient le travail de la maniere que nous l'allons dire en peu de mots.

Ils avoient de petits moules de terre, qu'ils rangeoient devant la casse ; ils puisoient avec une grande cuillere dans le cuivre en fusion, & ils jettoient une de ces cuillerées dans chaque moule. Ils revenoient ensuite au premier de ces moules, sur lequel ils jettoient une seconde cuillerée, & ainsi de suite des autres moules, continuant de la même maniere jusqu'à ce que toute la matiere de la casse fût épuisée. Avant que de verser dans le premier moule une seconde cuillerée, la premiere versée avoit eu le tems de se refroidir assez pour ne pas se souder avec la seconde. Quand la casse étoit entierement épuisée, la seule fraîcheur de l'eau suffisoit pour séparer les produits de toutes ces différentes fusions, & en former autant de pains.

On voit, Pl. VII. fig. 1. & 2. deux de ces fourneaux de grand reverbere en entier, & l'on en voit différentes coupes, Plan. VIII. fig. 1. 2. 3. 4. & 5. La figure 1. est le plan du fourneau de grand reverbere H de la Planche VII. pris au niveau du commencement des voûtes. La figure 2. est une coupe du même fourneau, prise verticalement & selon sa largeur. La figure 3. est une coupe horisontale du fourneau de grand reverbere I de la Planche VII. prise à la hauteur de la voûte. La fig. 4. est une coupe du même fourneau sur la ligne A B. La figure 5. en est une autre coupe verticale.

Dans les coupes du fourneau de grand reverbere H, fig. 1 & 2. Pl. VIII. C, C est la grille ; D, la cheminée de la fumée ; E, la cheminée des vapeurs métalliques.

Dans les coupes du fourneau de grand reverbere I. même Pl. VIII. fig. 3. 4. 5. C est la grille & le cendrier, fig. 3. & 4 ; & c est la grille & le cendrier, fig. 5 ; d la casse ; e l'ouverture extérieure ; f, f, la cheminée des fumées, antérieure & extérieure ; u, u, la cheminée des vapeurs ; g, g, g, la cheminée postérieure & intérieure des vapeurs.

Nous avons dit ce qui concernoit le triage & le grillage des mines tenant cuivre & argent, & cuivre, plomb, & argent : c'est dans ces fourneaux de reverbere que se fait aussi le grillage des mattes qui proviennent de ces mines. Quant à la fonderie, elle s'exécute dans un fourneau tel que celui qu'on voit en B, Pl. V. fig. 1. & de la même maniere que si la mine étoit cuivre seul. On obtient par des fusions réitérées la même suite de produits dans l'un & l'autre cas, avec cette différence que le cuivre noir contient dans celui-ci du cuivre & de l'argent, qu'il faudra séparer par une autre opération dont nous allons parler.

Cette opération est fondée sur la propriété qu'a le plomb fondu avec le cuivre & l'argent, d'enlever l'argent au cuivre noir : d'où il s'ensuit que quand la mine tient cuivre, plomb, & argent, le plomb même qu'elle contiendra commencera dès la premiere fonte à se saisir d'une partie de l'argent ; & le mêlange de plomb & d'argent étant plus pesant que le reste, on aura dans le fond de la casse des pains de plomb tenant argent.

On met de côté ces pains de plomb tenant argent, & l'on traite les autres mattes, comme nous avons dit ci-dessus, réduisant tout par calcinations & fusions à l'état de cuivre noir tenant argent.

On fait ensuite l'essai du cuivre noir, pour savoir quelle est sa richesse, & ce qu'il y faut ajoûter de plomb. Après l'essai, on met ce cuivre noir dans un fourneau tel que le fourneau B, Pl. V. fig. 1. on le travaille comme la mine ordinaire, & l'on a dans le fond des casses, des pains tenant plomb & argent, & sur ces pains d'autres pains de cuivre noir. On appelle rafraîchir le cuivre, l'opération par laquelle on lui joint du plomb.

On met de côté ces seconds pains plomb & argent avec les premiers ; mais ceux du cuivre noir n'étant pas à beaucoup près entierement dépouillés d'argent, on tire ce qu'ils en contiennent de la maniere suivante.

On place verticalement dans le fourneau D, Pl. V. fig. 1. qu'on voit entier, & dont on a des coupes fig. 1. & 7. Pl. VI. les pains de cuivre noir avec du charbon ; on contient le tout avec une espece d'assemblage en forme de boîte, composée de quatre plaques de tole. Le feu qu'ils essuient suffit pour faire fondre & couler le plomb tenant argent, & pour en épuiser à-peu-près le cuivre. Ce plomb tenant argent tombe dans le cendrier du fourneau, d'où il descend par une rigole inclinée vers une casse placée au-devant du cendrier. On a donc dans cette casse des troisiemes pains tenant plomb & argent, qu'on met de côté avec les autres. Cette opération s'appelle liquation, & le fourneau se nomme fourneau de liquation ou de ressuage.

Mais au sortir du fourneau D, ces pains de cuivre noir contenant encore de l'argent, ils sont portés, pour en être entierement dépouillés, au fourneau qu'on voit entier en G, fig. 3. Pl. VII. & dont on voit la coupe fig. 6. Pl. VIII. on les y étale comme des rouleaux de jettons sur une table ; on fait dessous un violent feu de bois ; & pour donner au feu plus d'action, on ferme le devant du fourneau, de maniere que l'air ne pousse que par l'ouverture du cendrier : ce feu acheve d'épuiser ces pains de cuivre noir de tout l'argent & plomb qu'ils contenoient. Il y a aussi à ce fourneau rigole & casse sur le devant.

Toute la matiere se trouve donc maintenant réduite, partie en pains tenant plomb & argent, partie en pains de cuivre noir pur. Le pain de cuivre noir pur se conduit à l'état de cuivre de rosette, comme nous l'avons expliqué plus haut ; & l'argent & le plomb se séparent dans le travail des autres, comme nous allons l'expliquer.

Pour séparer le plomb & l'argent, on coupelle au fourneau, qu'on voit en entier Pl. IX. fermé en F, fig. 1. & ouvert en partie, même Pl. fig. 2. en E, & dont on a différentes coupes, Pl. VI. fig. 8, 9, 10. La figure 8. est le plan de ce fourneau au niveau de l'âtre ; la figure 9. en est une coupe suivant la ligne C L ; & la figure 10. est un plan des évents du fourneau F, & du seul étage où il y ait des évents au fourneau E. Pour cet effet, on couvre le fond du fourneau d'une couche de cendres lessivées, & préparées à la maniere de celles qu'on employe aux coupelles d'essai ordinaires. Voyez les articles ESSAI & COUPELLE. On bat cette cendre ; on lui donne un peu de concavité : cela fait, on y dispose un petit lit de foin, afin qu'en posant les pains on ne fasse point de trous à la couche de cendres, qu'on appelle cendrée. Voyez cet article. On range ensuite les pains les uns sur les autres à plat & circulairement ; on allume un feu de bois, on couvre le fourneau avec son couvercle ; on dirige le vent des soufflets sur la surface du métal : les pains fondent. Quand la fusion est complete , une partie du plomb se vitrifie, & se met en litharge liquide : cette litharge gagne les bords.

On lui a menagé une rigole ; & avec un ringard, on l'attire au-dehors, où elle ne tarde pas à se figer. C'est sous cette forme qu'on se débarrasse d'une partie du plomb ; le reste ou se dissipe en vapeur, ce qu'on appelle fumer ; ou pénetre dans la cendrée & s'y fige, entraînant avec lui tout ce qui n'est pas argent. Ce qui est argent demeure seul & se purifie. On ne dit rien ici du feu ; il se doit ménager selon l'art. Voyez l'article FEU.

Aussitôt que le plomb a été épuisé par les voies que nous venons d'indiquer, l'argent se fige au milieu de la coupelle ; le figer de l'argent suit si rapidement la défection du plomb, que les ouvriers ont donné à ce phénomene le nom d'éclair. Voyez l'article ECLAIR. Si l'on n'a pas soin de retirer le cuivre aussitôt après qu'il a fait éclair, il se brûle & se réduit en chaux.

On a trois matieres, l'argent pur, la litharge, & la matiere imbibée dans la coupelle ou cendrée. La litharge & la coupelle ont leur utilité ; on peut les substituer au plomb dans l'opération même que nous venons de détailler plus haut : mais il est à-propos d'observer que la litharge & la coupelle ne sont autre chose que des chaux de plomb, qui ne se réduisent pas toutes dans la fonte en grand. On trouve dans ces travaux qu'un quintal de litharge réduite, ne donne guere que soixante & quinze livres de plomb, & qu'un quintal de coupelle n'en donne guere plus de cinquante : ainsi, quand au lieu de plomb on employe la litharge & la coupelle, il faut avoir égard à ces déchets. Dans les coupellations en grand, on prend communément partie plomb neuf, partie litharge, partie coupelle. Voyez sur la même matiere, les articles FONDERIE, METALLURGIE, & DOCIMASIE.

Les opérations qui viennent d'être décrites suffisent pour donner une idée générale de la maniere de traiter les mines de cuivre : au reste dans chaque pays, on suit, comme nous l'avons dit plus haut, des méthodes différentes, parce qu'on a à traiter des mines de différente nature ; il faudroit des volumes entiers pour donner tous les détails qui se pratiquent. Ceux qui seront curieux de s'instruire à fond sur cette matiere, pourront consulter le traité de la fonte des mines d'André Schlutter, publié en françois par M. Hellot de l'académie des Sciences ; & Schwedenborg de cupro ; ouvrages dans lesquels on a recueilli presque toutes les manieres de traiter les mines de cuivre pratiquées par différens peuples de l'Europe.

Quand le cuivre a passé par les travaux que nous venons de décrire, il est pur, dégagé de toutes matieres étrangeres, & on l'appelle cuivre de rosette, ou simplement cuivre : c'est alors qu'il a les propriétés indiquées dans la définition que nous avons donnée au commencement de cet article, & qu'il présente les autres phénomenes dont nous allons parler.

Le cuivre a la propriété de s'unir très-facilement par la fusion avec plusieurs substances métalliques. Il s'unit très-aisément avec le fer ; il y a même des chimistes qui prétendent qu'il n'y a point de fer qui n'en contienne une portion. Si on le fond avec l'antimoine, il fait le régule d'antimoine cuivreux ; avec le zinc, il fait le tombac & le métal de prince ; avec la calamine ou la cadmie des fourneaux, il fait ce qu'on appelle le cuivre jaune ou laiton. Voyez les articles CALAMINE, CADMIE, & LAITON. Si on le mêle avec de l'orpiment & de l'étain, on aura une composition propre à faire des miroirs métalliques. Uni avec de l'arsenic détoné avec le nitre, il devient blanc, fragile, & cassant : c'est ce qu'on appelle cuivre blanc. Allié avec de l'étain, il fait une composition très-sonnante, propre à faire des cloches, des statues, &c. cette composition s'appelle bronze. Voyez BRONZE. On mêle une petite portion de cuivre avec l'or & l'argent, pour donner à ces métaux une dureté & une consistance qu'ils n'auroient point sans cela, & pour les rendre plus faciles à être travaillés : outre cela il conserve leur ductilité à ces métaux qui sont sujets à la perdre très-aisément. Lorsque le cuivre a été rougi dans le feu, si on lui joint du soufre, il entre en fusion avec beaucoup plus de facilité que si le cuivre étoit tout seul.

Le cuivre exposé pendant long-tems au feu de reverbere, se change en une chaux métallique qu'on nomme aes ustum, ou safran de venus, ou écaille de cuivre, qui est propre à colorer en verd les verres, les émaux, & à peindre la fayence & la porcelaine. On peut réduire cette chaux en cuivre, en y joignant du charbon & du verre de plomb. Kunckel nous dit que cette chaux de cuivre, calcinée avec partie égale de soufre dans un plat découvert, s'allume & fulmine ; ce qui n'arrive plus, si on y remet de nouveau soufre : mais si l'on en dégage tout le soufre, & qu'on fasse reverbérer de nouveau la chaux de cuivre, elle s'allumera de nouveau avec le soufre. Voyez Kunckel, laboratorium chimicum.

Nous avons déjà remarqué que tous les dissolvans agissent sur le cuivre : voici les phénomenes qui accompagnent ces différentes dissolutions.

L'acide vitriolique dissout le cuivre difficilement, lorsqu'il est entier ; il faut pour que la dissolution se fasse promtement, que le cuivre soit ou en limaille ou en chaux, c'est-à-dire dans un état de division. L'union de l'acide vitriolique & du cuivre, fait le vitriol de vénus ; voyez l'article VITRIOL : il est rhomboïde ou losange.

L'acide nitreux dissout le cuivre avec une rapidité étonnante, quand il est concentré ; il s'éleve beaucoup de vapeurs rougeâtres : la dissolution est d'un bleu qui tire sur le verd : les crystaux qui en résultent sont d'un beau bleu. En distillant la dissolution du cuivre dans l'esprit de nitre, il passera une liqueur d'un beau verd, & le résidu de la distillation sera un sel inflammable. Si on joint de l'huile de vitriol à la même dissolution, & qu'on distille, il passera des gouttes fort pesantes d'une liqueur verte. Si on fait évaporer jusqu'à moitié la dissolution de cuivre dans l'esprit de nitre, & que tandis qu'elle est encore chaude, on y verse une certaine quantité d'huile de vitriol, & qu'on y ajoûte trois fois autant de mercure que d'huile de vitriol, après qu'on aura distillé à grand feu pour faire passer toute la liqueur, on aura un sublimé d'un très-beau rouge : si on réitere ce travail à plusieurs reprises, en faisant dissoudre de nouveau le résidu dans de l'esprit de nitre, & remettant du mercure pour la sublimation, le cuivre sera, dit-on, à la fin entierement détruit, & du résidu on pourra en tirer un vrai sel métallique. Voyez l'alchymia denudata. En joignant du sel marin à la dissolution de cuivre dans de l'esprit de nitre, elle jaunit.

L'esprit de sel marin dissout le cuivre ; dans cette dissolution l'effervescence est considérable, mais la dissolution est lente : elle produit des crystaux soyeux ou par bouquets, qui sont d'un beau verd, & qui attirent l'humidité de l'air. Ce sel neutre est propre à colorer en verd les feux d'artifice ; pour peu qu'on en mette dans un brasier, la flamme conserve longtems une couleur d'arc-en-ciel très-vive.

Le cuivre se dissout dans l'acide du vinaigre, mais il faut pour cela que ce métal soit dans un état de division, comme dans l'aes ustum. Cette dissolution donne des crystaux verds, qu'on nomme crystaux de verdet. Pour les faire il ne s'agit que de mettre du verd-de-gris & du vinaigre dans une bassine de cuivre. On fait bouillir ce mêlange. Quand le mouvement d'effervescence est passé, on filtre la liqueur, & on la fait évaporer : par ce moyen on a des crystaux, sans courir les mêmes risques que si on faisoit digérer le vinaigre & le verd-de-gris dans des matras fermés. Voyez l'art. VERD-DE-GRIS. En mettant en distillation les crystaux de verdet, on obtient le vinaigre radical, ou le prétendu alkahest de Zwelfer.

Le cuivre qui a été mis en dissolution dans un acide quelconque, peut être précipité sous sa forme naturelle par le moyen du fer. Il n'est donc question que de tremper du fer dans la dissolution, & pour lors le cuivre se met à la place du fer qui se dissout, & le fer paroît enduit de particules cuivreuses : c'est ce que quelques gens ont voulu faire passer pour une transmutation, tandis que ce n'est qu'une précipitation, ou plûtôt une révivification du cuivre.

Les alkalis fixes agissent sur le cuivre, de même que les acides, & la dissolution en est bleuâtre : les alkalis volatils rendent la dissolution d'un bleu plus foncé. Rien n'est plus propre à indiquer la présence du cuivre, que l'alkali volatil. En effet, quelque petite que soit la portion de ce métal contenue dans une liqueur, l'alkali volatil en développe sur le champ la couleur. Un phénomene très-digne d'attention, c'est que si on met de la limaille de cuivre dans une phiole qu'on remplisse ensuite d'esprit de sel ammoniac ; si on bouche ce vaisseau, on ne remarquera aucune couleur dans la liqueur ; mais dès qu'on débouchera la phiole, & qu'on ôtera une partie de la liqueur pour donner passage à l'air, on lui verra prendre une couleur bleue très-vive & très-belle. Cela prouve que pour que la dissolution du cuivre se fasse dans l'alkali volatil, il faut le contact de l'air. Un autre phénomene, c'est que le cuivre qui a été dissous par un acide, peut être précipité ou non précipité à volonté par les alkalis fixes & volatils. Si on veut que la précipitation se fasse, il faut n'en mettre qu'un peu ; si on veut qu'il ne se fasse point de précipité, il n'y a qu'à y mettre une trop grande quantité d'alkali : pour lors l'alkali redissout le cuivre sur le champ, & le précipité disparoit. Cette expérience est de M. Roüelle.

La dissolution du cuivre dans l'alkali volatil, fournit une preuve des plus convainquantes de la grande divisibilité de la matiere. Boyle ayant dissous un grain de cuivre dans de l'esprit de sel ammoniac, & ayant ensuite mêlé cette dissolution avec 28534 grains d'eau pure, ce grain de cuivre teignit en bleu 10557 pouces cubes ; & comme un pouce a, selon lui, 216000000 particules visibles, il s'ensuit qu'un grain de cuivre peut être divisé en 227880000 parties visibles.

Le cuivre peut s'amalgamer avec le mercure, mais il faut pour cela qu'il soit en limaille, & qu'on le fasse rougir au feu : alors on triture le mélange. Cet amalgame se fait aussi par la voie humide. Le cuivre dissous dans un acide, est précipité par le mercure, qui le trouvant dans un état de division, fait union avec lui. Par exemple, on prend parties égales de vitriol bleu & de mercure ; on met ce mélange à bouillir dans du vinaigre dans un vaisseau de fer : par-là il se fait un amalgame du mercure avec le cuivre, qu'on a voulu faire passer pour une transmutation du cuivre en argent ; mais dans cette opération l'acide attaque le vaisseau de fer & lâche le cuivre, qui pour lors s'unit au mercure. Borrichius prétend que par l'amalgame le cuivre est décomposé, & n'est plus réductible.

Plusieurs chimistes fondés sur quelques analogies, ont prétendu que le cuivre contient une portion arsénicale & saline, qui est intimément unie à sa terre, & que c'est la raison de la facilité qu'il a à se dissoudre dans toutes les liqueurs, & des mauvais effets qu'il produit lorsqu'on le prend intérieurement. Quoi qu'il en soit de ce sentiment, il est certain que le cuivre est un poison très-dangereux ; en effet les ouvriers qui travaillent le cuivre sont sujets à l'asthme & à la phthisie ; cela vient des particules cuivreuses répandues dans leurs atteliers qu'ils respirent continuellement : d'ailleurs le cuivre est un violent émétique ; il excite de cruelles nausées, & donne à l'estomac des secousses épouvantables accompagnées de douleurs très-aigues & de spasmes, parce qu'il est très-corrosif. Malgré ces mauvaises qualités, quelques medecins en ont vanté l'usage médicinal interne dans certains cas. Boerhaave entr'autres a beaucoup célebré la teinture du cuivre faite par l'alkali volatil comme un puissant remede contre l'hydropisie. D'autres ont attribué de grandes vertus à la teinture de venus, c'est du cuivre dissous dans le vinaigre & précipité par de l'alkali volatil ; en évaporant cette dissolution, on a des crystaux bleus qui donnent cette couleur à de l'esprit-de-vin rectifié. Mais malgré ces éloges, l'usage du cuivre pris intérieurement doit toûjours être regardé comme très-suspect, & par conséquent il faut absolument le bannir de la Pharmacie : il n'en est pas de même de l'usage extérieur ; on regarde les préparations cuivreuses comme propres à nettoyer les ulceres & les plaies, à les dessecher, à ronger les chairs baveuses, & à les faire cicatriser, &c.

Les usages du cuivre dans les arts & métiers sont très-connus ; on en fait un grand nombre de vases & ustensiles, des canons, des planches pour la gravûre, des cordes pour les clavecins ; il en entre dans les caracteres d'Imprimerie. En trempant le cuivre & le travaillant au marteau, on peut le rendre presque aussi dur que l'acier, & en faire toutes sortes d'instrumens tranchans, comme avec le fer : il y a des preuves que les anciens se servoient de couteaux de sacrifices, de haches, &c. de cuivre. On en fait de la monnoie, & l'on allie une petite portion de cuivre aux espece d'or & d'argent, pour leur donner plus de consistance & pour empêcher qu'elles ne s'usent trop promtement : on en fait des statues & des ornemens. Il seroit fort heureux qu'on se bornât là ; mais par un aveuglement impardonnable, on ne se sert que de cuivre pour faire la batterie & presque tous les ustensiles de la cuisine : malgré les inconvéniens facheux qui en résultent journellement, on continue toûjours à se servir d'un métal dont les dangers sont reconnus de tout le monde. On se croit en sûreté par l'étamage, sans faire attention qu'il y a de la témérité à ne mettre entre la mort & soi qu'une lame très-mince d'une composition métallique très-dangereuse par elle-même : en effet, l'étain & le plomb qui servent à étamer les casseroles & les autres morceaux de batterie de cuisine, ne se dissolvent-ils point par les sels, les acides des plantes, le vinaigre, &c. & pour lors ne sont-ils point de vrais poisons ? Joignez à cela qu'il faut un degré de feu si leger pour fondre l'étain & le plomb, qu'il est presqu'impossible de préparer un ragoût ou une sauce sans que l'étamage n'entre en fusion, ce qui donne aux matieres grasses la facilité d'agir & de dissoudre le cuivre qui en est recouvert.

Un abus pour le moins aussi dangereux & contre lequel tout bon citoyen devroit s'élever, c'est l'usage que font quelques apoticaires de mortiers de bronze, pour préparer leurs médicamens & piler des drogues ; on sent aisément que presque toutes les substances résineuses, grasses, &c. agissant sur le cuivre, & d'ailleurs les coups redoublés des pilons pouvant détacher des particules métalliques d'un pareil mortier, il résulte des dangers évidens de l'usage interne de médicamens ainsi préparés ; c'est de-là qu'on voit souvent des remedes opérer d'une façon tout-à-fait contraire au but que s'est proposé celui qui les a ordonnés, & produire dans les malades des vomissemens, des spasmes, des nausées, & d'autres accidens fâcheux auxquels on n'avoit point lieu de s'attendre, & qui peuvent se terminer par la mort.

Il seroit donc bien à souhaiter que ceux qui sont dépositaires de l'autorité publique prissent ces abus en considération, & cherchassent à y remédier efficacement. Quiconque pourroit venir à bout de produire un changement si favorable à l'humanité, mériteroit qu'on lui élevât, du métal qu'il auroit fait proscrire, une statue, au pié de laquelle on mettroit OB CIVES SERVATOS ; inscription mille fois plus glorieuse que celle qu'on pourroit graver sur la statue d'un conquérant, dont les armes victorieuses n'auroient fait que dessoler une portion de l'univers.

On sait que le cuivre fait une partie très-considérable du commerce des Suédois ; cette considération quelqu'importante qu'elle paroisse au premier coup-d'oeil, n'a point empêché le gouvernement de proscrire l'usage du cuivre dans tous les hôpitaux & établissemens qui sont de son ressort : un exemple aussi généreux doit-il n'être point suivi par des nations moins intéressées que la Suede au commerce du cuivre ? (-)

CUIVRE DE CORINTHE, Métallurgie) en latin aes Corinthiacum, & par Virgile, Ephyreia aera. C'est cette fameuse & précieuse composition métallique si vantée pour sa beauté, sa solidité, sa rareté, &c. qu'on préféroit à l'or même.

Il ne faut pas se persuader avec quelques modernes, sur le témoignage de Florus & autres historiens, que ce fût un alliage de cuivre, d'or & d'argent, qui se fit accidentellement lors de l'embrasement de Corinthe par l'armée Romaine, l'an de Rome 607, & 147 ans avant Jesus-Christ : c'est une pure fable qui ne mérite aucune croyance. Le cuivre de Corinthe étoit réellement une composition d'un mêlange de cuivre, d'or, & d'argent fait par art, & l'orichalque factice des anciens étoit suivant toute apparence une espece de cuivre de Corinthe ; mais le secret de cette composition étoit déjà perdu un siecle avant la destruction d'Ephyra par les Romains. L'interprete Syriaque de la Bible prétend que les vases que Hiram donna à Salomon pour le temple étoient de cuivre Corinthien. Il semble qu'on peut recueillir de cette opinion, que le cuivre de Corinthe étoit en usage lorsque Salomon bâtit le temple, c'est-à-dire, plus de 900 ans avant la ruine de cette malheureuse ville.

Sa rareté semble avoir été la principale cause de ce que son prix devint exorbitant. On en faisoit un si grand cas, qu'il passe en proverbe que ceux qui vouloient paroître plus habiles que les autres sur les Arts, flairoient la pureté du cuivre de Corinthe. C'est le sujet d'une des jolies épigrammes de Martial :

Consuluit nares an olerent aera Corinthum,

Culpavit statuas, & Polyclete, tuas.

" Mon cher Polyclete, il a condamné vos statues, parce qu'elles n'ont point à son nez l'odeur du cuivre de Corinthe. ".

Savot a parlé plus exactement de ce cuivre, que divers naturalistes. Il en établit, comme Pline, de trois especes ; l'une où l'or étoit le métal dominant ; l'autre où l'argent prédominoit ; & la troisieme où l'or, l'argent, & le cuivre se trouvoient par égales portions. Nous imiterions peut-être fort bien ces diverses especes de cuivre de Corinthe, si nous voulions nous donner la peine d'allier ces trois métaux.

Les médailles qu'on nous donne aujourd'hui pour être de cuivre de Corinthe, n'en sont sûrement pas, suivant la remarque de Swedenborg. Celles qu'on connoît même pour être du tems d'Auguste, & qu'on range parmi le moyen bronze, sont de cuivre rouge. Il y en a aussi de cuivre jaune, parmi le grand & le moyen bronze. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CUIVRÉOn appelle, en termes de Doreurs, ouvrage cuivré, une fausse dorure, c'est-à-dire une dorure avec du cuivre en feuille, employé de la même maniere que l'or fin.


CUIVREUXadj. pris subst. (Teint.) se dit de l'écume qui paroît à la surface du bain de la cuve.


CUIVROTS. m. outil d'Horlogerie ; c'est une petite poulie de laiton qui a un trou, pour entrer sur les tiges des différentes pieces que l'on veut tourner : les Horlogers en ont un grand nombre qui ont tous des trous de différentes grosseurs. Voyez Planche XIII. de l'Horlogerie, figure 26. qui représente un arbre garni de son cuivrot. C'est sur le cuivrot que passe la corde de l'archet, qui y fait un tour. Les forets & les fraizes ont aussi chacun leur cuivrot.

Cuivrot à vis, est un cuivrot à un très-grand trou, & une vis qui le traverse de la circonférence à son centre. Par le moyen de cette vis on peut faire tenir ce cuivrot sur des tiges de toutes sortes de grosseurs, en la serrant plus ou moins : il y en a de cette espece qui ont une fente A, qui va du centre à la circonférence. Ils sont ordinairement d'acier ; on s'en sert particulierement pour mettre sur les palettes d'une verge de balancier. Voyez PALETTE, VERGE, &c. & les fig. 24. & 25. de la même Planche. Celles qui sont au-dessous, sont le plan desdits cuivrots, ainsi nommés parce qu'ils sont de cuivre. (T)


CUIZEAUX(Géog. mod.) petite ville de France dans la Bresse Châlonnoise.


CUIZERY(Géog. mod.) petite ville de France dans la Bresse Châlonnoise, sur la Seille.


CUJARAS. m. (Hist. mod.) chaise fermée en usage aux Indes, où elle doit son origine à la jalousie. Un chameau en porte deux, une de chaque côté. On y enferme les femmes pour les transporter d'un lieu dans un autre sans être vûes.


CUJAVIE(Géog. mod.) province assez grande de la Pologne arrosée par la Vistule, aux frontieres de la Prusse. Elle contient deux palatinats.


CULS. m. (Anat.) le derriere, cette partie de l'homme qui comprend les fesses & le fondement. Ce mot s'applique à plusieurs autres choses.

CUL D'ASNE, voyez ORTIE DE MER.

CUL DE CHEVAL, voyez ORTIE DE MER.

CUL ROUGE, voyez EPEICHE.

CUL D'UN VAISSEAU, (Mar.) On nomme ainsi son arriere. Voyez Planche III. fig. 1. le dessein de la poupe d'un vaisseau. (Z)

Cul de port ou de porc, (Mar.) ce sont de certains noeuds qu'on fait à des bouts de cordes : il y en a de doubles & de simples. (Z)

CUL-DE-LAMPE, terme d'Architecture ; espece de pendantif en forme pyramidale renversée, servant à soûtenir une tourelle, une guérite, ou tout autre ouvrage d'Architecture qui ne monte pas de fond. On appelle aussi cul-de-lampe, tout ornement de Sculpture qui conserve cette forme, & qui soûtient une figure, un trophée ou un vase, ainsi que ceux qui tiennent lieu de consoles & qui portent les statues qui sont placées au-devant des pilastres de la nef & du choeur de saint Sulpice, à l'imitation des anciens, qui plaçoient ordinairement à la hauteur du tiers inférieur de leurs colonnes, des especes d'encorbellemens sur lesquels ils posoient des figures, ainsi qu'on le remarque dans les desseins des ruines de Palmire, dont un recueil fort estimé vient d'être mis au jour par les Anglois. (P)

CULS-DE-LAMPE, (Gravure) c'est dans la Gravure, tant en bois qu'en cuivre, & même en fonte, des ornemens qu'on met à la fin d'un livre ou des chapitres, lorsqu'il y a du blanc qui feroit un trop grand vuide, & seroit desagréable à voir nud. On les tient de forme un peu pointue par le bas, & telle à-peu-près qu'une lampe d'église : de-là leur est venu le nom de cul-de-lampe. A l'égard des grandeurs qu'ils ont, ceux qui servent à de grands in-fol. sont d'environ quatre pouces en quarré ; ils ont quelque chose de moins pour les petits in-fol. pour les in -4°. trois pouces au plus ; aux in -8°. un pouce & demi ; & aux in -12. un pouce ; ce qui cependant n'est qu'une mesure générale, chacun les ordonnant suivant les places à remplir. Voyez FLEURONS & PLACARDS.

Les Imprimeurs composent des culs-de-lampe de différentes petites vignettes de fonte, arrangées de façon que le premier rang soit plus long que le second, le second plus long que le troisieme, & ainsi de suite jusqu'à la fin, toûjours en rétrécissant, & terminé par une seule ou deux pieces au plus. Anciennement on faisoit volontiers les frontispices ou premieres pages dans ce goût, mais cela n'est plus d'usage.

CUL-DE-SAC, en Architecture, est une petite rue fermée par un bout.

CUL-DE-FOUR, (Coupes des pierres) est une voûte sphérique ou sphéroïde, de quelque ceintre qu'elle soit, surhaussée ou en plein ceintre, quoique les culs-de-four dont elle tire son nom, soient très-surbaissés. L'arrangement de leurs voussoirs peut varier & leur donner différens noms, comme en pendantif, en plan de voûte, d'arrête, &c. (D)

CUL DE CHAPEAU, se dit communément d'un chapeau dont on a coupé tout le bord jusqu'au lien, c'est-à-dire jusqu'au bas de la forme ; mais en terme de Chapelier, le cul du chapeau ne s'entend que du dessus de la tête : ainsi, faire le cul d'un chapeau, est une expression qui signifie mettre le chapeau sur une plaque chaude, couverte de papier & de toile un peu humide, & le tourner sur le fond de la forme, après avoir mis une forme de bois dans la cavité de la tête. V. CHAPEAU.

CUL DE POELE, (Jard.) se dit en fait de dessein d'une allée, d'un tapis de gason, ou d'un canal fait en long, & terminé par un ovale formant une poîle. (K)

CULS-DE-SAC, (Jardin) ce sont des extrémités d'allées qui n'ont point d'issue, telles qu'on en trouve dans les bosquets & les labyrinthes. On donne le même nom aux rues qui n'ont point de sortie.

CUL DE VERRE, (Maréchall.) espece de brouillard verdâtre qui paroît au fond de l'oeil de quelques chevaux, & qui dénote qu'ils ont la vûe mauvaise. Farcin, cul de poule, voyez FARCIN.

Avoir le cul dans la selle, se dit du cavalier, quand il est bien assis dans la selle, de façon que son derriere ne leve pas, & ne paroît pas hors de la selle. (V)

CUL DE CHALANS, terme de Riviere ; especes de bateaux qui se fabriquent aux ports de Saint-Dizier, Moeslin & Estrepy.

CUL-PENDANT, terme de Riviere ; expression usitée dans les ports, pour le placement des bateaux.


CUL-BLANCS. m. (Hist. nat. Ornith.) oenanthe, sive vitiflora, Ald. oiseau de la grosseur d'un moineau ; les plumes de la tête & du dos sont de couleur cendrée, mêlée d'un peu de rouge presque semblable au rouge des plumes du dos du gros bec. L'oiseau appellé cul-blanc, que j'ai décrit à Florence, avoit le dos cendré, avec quelques teintes de verd & de roux. Le croupion est ordinairement blanc, cependant on trouve quelques-uns de ces oiseaux qui ont cette partie de même couleur que le dos, ou même un peu plus rouge : le ventre est blanc, avec une teinte de rouge-pâle, & cette couleur rouge est plus foncée sur la gorge & sur la poitrine : on voit quelquefois des mâles qui ont le ventre jaunâtre : il y a au-dessus des yeux une ligne blanche qui se prolonge jusque derriere la tête, & une bande noire qui s'étend depuis les coins de la bouche jusqu'aux oreilles, en passant au-dessous des yeux : cette bande noire n'est pas sur les femelles. Toutes les grandes plumes de l'aile, & celles qui les recouvrent, sont noires, à l'exception des bords extérieurs, qui sont d'une couleur rousse-blanchâtre. La queue a deux pouces de longueur ; elle est composée de douze plumes ; les deux du milieu sont blanches depuis la pointe jusqu'à la moitié de leur longueur ; dans les autres au contraire cette couleur blanche s'étend depuis le milieu de leur longueur jusqu'à leur racine, & tout le reste de ces plumes est noir, excepté la pointe & le bord extérieur, qui sont blanchâtres. Dans la femelle les plumes ne sont blanches que sur la quatrieme partie de leur longueur ; le bec est mince, droit, & de couleur noire ; il a plus d'un demi-pouce de longueur : la langue est fourchue & noire, de même que la bouche, dont l'ouverture est fort grande : l'iris des yeux est couleur de noisette : les pattes sont petites & très-noires ; cette couleur est un peu moins foncée sur les ongles ; celui du doigt de derriere est le plus long de tous. Willugh. Ornith. Voyez OISEAU. (I)


CULAGECULLAGE, ou CULIAGE, s. m. (Jur.) étoit un droit que certains seigneurs exigeoient autrefois de leurs vassaux & sujets qui se marioient. Plusieurs seigneurs exerçant dans leurs terres un pouvoir arbitraire & tyrannique, s'étoient arrogé divers droits, même honteux & injustes, à l'occasion des mariages, tels que la coûtume infame qui donnoit à ces seigneurs la premiere nuit des nouvelles mariées.

Le seigneur de S. Martin-le-Gaillard dans le Comté d'Eu, étoit un de ceux qui s'étoient attribué ce prétendu droit, comme on le voit dans un procès-verbal fait par M. Jean Faguier auditeur en la chambre des comptes, en vertu d'arrêt d'icelle du 7 Avril 1507 ; pour l'évaluation du comté d'Eu tombé en la garde du Roi pour la minorité des enfans du comte de Nevers & de Charlotte de Bourbon sa femme. Au chapitre du revenu de la baronie de S. Martin-le-Gaillard, dépendant du comté d'Eu, il est dit : Item, a ledit seigneur, audit lieu de S. Martin, droit de cullage quand on se marie.

Les seigneurs de Sonloire avoient autrefois un droit semblable ; & l'ayant obmis en l'aveu par eux rendu au seigneur de Montlevrier seigneur suzerain, l'aveu fut blâmé : mais par acte de 15 Décembre 1607, le sieur de Montlevrier y renonça formellement, & ces droits honteux ont été par-tout convertis en des prestations modiques.

On tient que cette coûtume scandaleuse fut introduite par Even roi d'Ecosse, qui avoit permis aux principaux seigneurs d'Ecosse d'en user ainsi ; mais les suites fâcheuses qu'avoit ordinairement le ressentiment des maris, dont l'honneur étoit blessé en la personne de leurs femmes, engagerent Marcolm III. roi d'Ecosse à abolir cette coûtume, & à la convertir en une prestation appellée marcheta, consistant en une somme d'argent ou un certain nombre de vaches, selon la qualité des filles. Voyez Buchanan, liv. IV. de son hist. le 4e. liv. des lois d'Ecosse, c. 31. & ibi Skaeneus.

Les seigneurs de Prelley & de Parsanny en Piémont, joüissoient d'un pareil droit, qu'ils appelloient carragio ; & ayant refusé à leurs vassaux de commuer ce droit en une prestation licite, ce refus injuste les porta à la révolte, & fit qu'ils se donnerent à Amé sixieme du nom, quatorzieme comte de Savoie.

On voit encore plusieurs seigneurs en France & ailleurs, auxquels il est dû un droit en argent pour le mariage de leurs sujets ; lequel droit pourroit bien avoir la même origine que celui de culage. Mais il y en a beaucoup aussi qui perçoivent ces droits, seulement à cause que leurs sujets ne pouvoient autrefois se marier sans leur permission, comme sont encore les serfs & mortaillables dans certaines coûtumes.

L'évêque d'Amiens exigeoit aussi autrefois un droit des nouveaux mariés, mais c'étoit pour leur donner congé de coucher avec leurs femmes la premiere, seconde & troisieme nuits de leurs nôces. Ce droit fut aussi aboli par arrêt du 19 Mars 1409, rendu à la poursuite des habitans & échevins d'Abbeville. Voyez le gloss. de M. de Lauriere, au mot Cullage. (A)


CULASSES. f. (Artill. & Fond.) c'est la partie du canon la plus épaisse, & qui est opposée à la volée ; elle comprend la lumiere, la derniere plate-bande & le bouton. Voyez CANON. (Q)

CULASSE, terme d'Arquebusier ; c'est une vis de fer ronde, de la grosseur du dedans du tonnerre d'un canon de fusil, pour en fermer l'issue en se vissant dedans comme dans un écrou. La face extérieure de cette vis est plate ; elle a par en-haut une queue de fer qui se pose sur la poignée du bois de fusil : le bout de cette queue est percé d'un trou à-travers lequel passe une vis qui assujettit le canon par en-bas, & qui l'attache à la crosse. La face intérieure est unie ou peu concave, à l'exception d'une petite rainure qui y est pratiquée en pointe par en-haut, & plus large par en-bas : cette rainure correspond à la lumiere du canon.

CULASSE, en terme de Diamantaire ; c'est la partie inférieure d'un brillant, directement opposée à sa table. La culasse se termine en pointe communément, & est taillée à plusieurs pans, comme la table.


CULE(Marine) c'est un terme de commandement pour dire recule, mais peu usité. (Z)


CULEBRILLAS. m. (Hist. nat.) sorte de ver d'Amérique & des Indes orientales. Voyez VER-MACAQUE.


CULÉou BUTÉE, en Architecture, est le massif de pierre dure qui arcboute la poussée de la premiere & derniere arche d'un pont. On donne le même nom à la palée des pieux qui retiennent les terres derriere le massif. (P)

CULEE, s. f. (Marine) Donner des culées. Cela se dit lorsqu'un vaisseau ayant touché sur la terre, sur la roche ou sur le sable, il donne des coups de sa quille contre le fond. (Z)

CULEE, terme du Commerce des cuirs ; c'est la partie de la peau la plus proche de l'endroit où étoit la queue de l'animal. Les gros cuirs se marquent sur la culée ; & les petits cuirs, à la tête du côté de la joue. On appelle aussi cet endroit croupe, au lieu de culée.


CULERv. n. (Marine) c'est aller en arriere : terme peu usité. (Z)


CULERONS. m. en terme de Bourrelier ; c'est la partie de la croupiere qui est faite en rond, & sur laquelle pose la queue du cheval. Voy. CROUPIERE. (V)


CULEYTCULEYT


CULM(Géog. mod.) ville de Pologne, capitale du palatinat de même nom, dans la Prusse polonoise, près de la Vistule. Long. 26. 45. Lat. 53. 4.


CULMA(Géog. mod.) ville de Boheme dans le cercle d'Egra.


CULMBACH(Géog. mod.) ville d'Allemagne au cercle de Franconie, capitale du Marggraviat de même nom, sur le Mein. Long. 29. 3. latit. 50. 12.

CULMBACH, (le pays de) Géogr. mod. c'est un pays d'Allemagne dans le cercle de Franconie, borné par l'évêché de Bamberg, le territoire de Nuremberg, le haut Palatinat, la Boheme & le Voigtland : il a le titre de marggraviat.


CULMINATIONS. f. c'est en Astronomie le passage d'une étoile ou d'une planete par le méridien, c'est-à-dire par le point où elle est à la plus grande hauteur. Voyez ETOILE, HAUTEUR, &c.

C'est pour cela qu'on dit qu'une étoile culmine quand elle passe par le méridien. Voyez MERIDIEN.

Pour trouver la culmination d'une étoile, c'est-à-dire le tems où elle passe par le méridien, on tendra un fil perpendiculairement sur la méridienne A B, Plan. d'Astronom. fig. 48. & du point D au point E on en tendra un autre, qui coupera le méridien obliquement sous un angle quelconque ; le fil triangulaire D C E coupera le plan de l'horison à angles droits, & sera dans le plan du méridien.

Par conséquent si l'oeil est placé de telle maniere que le fil D E couvre le fil D C, & que l'étoile soit coupée en deux parties égales par le plan triangulaire D C E, alors l'étoile sera dans le plan du méridien. Voyez MERIDIEN.

Pour trouver la culmination d'une étoile par le moyen du globe, voyez GLOBE.

Pour trouver le tems où une étoile doit culminer, son ascension droite, & le lieu du soleil dans l'écliptique étant donnés, il faudra d'abord trouver l'ascension droite du soleil par son lieu dans l'écliptique : de l'ascension droite du soleil on ôtera l'ascension droite de l'étoile ; la différence étant convertie en tems, donnera le tems qui doit s'écouler entre l'heure de midi & le moment de la culmination de l'étoile. Voyez TEMS, &c. (O)


CULMSEC(Géog. mod.) petite ville de la Prusse Polonoise, dans le palatinat de Culm.


CULOTS. m. (Chimie) Le culot ou tourteau est un morceau de brique ordinairement de forme cylindrique, sur lequel les Chimistes posent les creusets qu'ils exposent au feu, soit dans la boîte d'une forge, soit sur la grille d'un fourneau de fusion.

Le culot élevant le creuset au-dessus du sol ou de la grille du fourneau, fait que le fond du creuset est plus exposé à la chaleur des charbons au-dessus desquels ce culot l'éleve, & favorise par-là non-seulement l'application d'un feu plus fort à ce fond, mais même le préserve du contact immédiat de l'air frais, qui est nuisible dans le plus grand nombre des cas. (b)

CULOT, terme d'Architecture ; ornement de sculpture employé dans le chapiteau corinthien, qui est supporté par les tigettes, & d'où sortent les volutes & les hélisses qui en soûtiennent le tailloir.

On appelle aussi culot tout ornement d'où sortent des rinceaux qui se taillent en bas-relief, dans les frises & autres membres d'Architecture. (P)

CULOT. Les Artificiers appellent ainsi la base mobile du moule d'une fusée quelconque, sur laquelle on appuie son cartouche par le moyen d'un bouton qui entre dans la gorge, du milieu duquel sort souvent une petite broche de fer.

Lorsqu'on charge le cartouche sans moule, ce bouton peut être immédiatement au milieu du culot ; mais si l'on se sert de moule, ce bouton est au bout d'une partie cylindrique qui doit entrer dans la cavité du moule, pour lier & assembler l'un avec l'autre. Frezier, feux d'artifice.

CULOT, terme de Fonderie ; morceau de métal fondu qui reste au fond du creuset, & qui retenant sa figure, est rond & un peu pointu par bas.

CULOTS, (Jardin) sont des ornemens dont on se sert dans la broderie des parterres, en forme de tigette, d'où sortent des rinceaux, des palmettes, & autres ornemens en forme de cul-de-lampe. (K)

CULOT, en terme de Miroitier, signifie une espece d'escabelle sans fond, sur laquelle on pose la sebille dans laquelle on conserve le vif-argent pour mettre les glaces au teint. Il est placé au coin de la table à étamer, où aboutissent les petits canaux par lesquels s'écoule le vif-argent lorsque la glace a été posée dessus. Dictionn. du Comm.

CULOT, en terme d'Orfévre en grosserie ; c'est la partie inférieure du bassinet d'un chandelier ; c'est proprement le fond.


CULOTTEsub. f. (Tailleur) la partie de notre vêtement qui couvre les cuisses. Elle est très-difficile à bien couper, parce que nous exigeons aujourd'hui, pour qu'elle soit bien faite, qu'elle cole sur la cuisse. La ceinture se boucle par-derriere, & se boutonne par-devant. La culotte prend sur les reins & descend jusqu'aux genoux, sur les côtés duquel elle se boutonne & se serre par une boucle & une jarretiere : elle s'ouvre & se boutonne encore par-devant au-dessous de la ceinture ; cette ouverture s'appelle brayette : on l'a ménagée pour qu'on pût satisfaire à un des besoins naturels sans se deshabiller.


CULPRIT(Jurispr. & Hist.) terme usité en Angleterre en matiere criminelle. Voyez ACCUSATION.

L'accusation étant intentée, & le prisonnier amené à la barre de la cour, lorsqu'on lui demande s'il est coupable ou non, & qu'il répond qu'il n'est pas coupable, l'officier qui exerce le ministere public pour le roi (clerc of arraiguments), ce que nous appellerions en France le procureur du Roi, répond culprit, c'est-à-dire il est coupable ; ce mot étant formé, à ce qu'on prétend, par abréviation du latin culpa ou culpabilis, & de apparet, il est visible, il est clair ; ou d'un prétendu vieux mot françois auquel, dit-on, a été substitué prest. Voyez JUGEMENT. (G)


CULTES. m. (Théol. Morale, Droit nat.) hommage que nous devons à Dieu parce qu'il est notre souverain maître. On distingue deux sortes de culte, l'un intérieur, & l'autre extérieur : l'intérieur est invariable, & de l'obligation la plus absolue ; l'extérieur n'est pas moins nécessaire dans la société civile, quoiqu'il dépende quelquefois des lieux & des tems.

Le culte intérieur réside dans l'ame ; la pente naturelle des hommes à implorer le secours d'un Etre suprème dans leurs calamités, l'amour & la vénération qui les saisissent en méditant sur les perfections divines, montrent que le culte intérieur est une suite des lumieres de la raison, & découle d'un instinct de la nature. Il est fondé sur l'admiration qu'excite en nous l'idée de la grandeur de Dieu, sur le ressentiment de ses bienfaits, & sur l'aveu de sa souveraineté : le coeur pénétré de ses sentimens, les exprime par la plus vive reconnoissance & la plus profonde soûmission. Voilà les offrandes & les sacrifices dignes de l'Etre suprème ; voilà le véritable culte qu'il demande & qu'il agrée : c'est aussi celui que vouloit rétablir dans le monde J. C. quand la femme samaritaine l'interrogeant, si c'étoit sur la montagne de Sion ou sur celle de Séméron qu'il falloit adorer : le tems viendra, lui dit-il, que les vrais adorateurs adoreront en esprit & en vérité. C'est ainsi qu'avoient adoré ces premiers peres du genre humain qu'on appelle patriarches. Debout, assis, couchés, la tête découverte ou voilée, ils loüoient Dieu, le bénissoient, lui protestoient leur attachement & leur fidélité ; la divinité étoit sans-cesse & en tous lieux présente à leur esprit, ils la croyoient par-tout : toute la surface de la terre étoit leur temple ; la voûte céleste en étoit le lambris. Ce culte saint & dégagé des sens, ne subsista pas long-tems dans sa pureté ; on y joignit des cérémonies, & ce fut là l'époque de sa décadence. Je m'explique.

Les hommes justement convaincus que tout ce qu'ils possédoient appartenoit au maître de l'univers, crurent devoir lui en consacrer une partie pour lui faire hommage du tout : de-là les sacrifices, les libations, & les offrandes. D'abord ces actes de religion se pratiquoient en plaine campagne, parce qu'il n'y avoit encore ni villes, ni bourgades, ni bâtimens : dans la suite, l'inconstance de l'air & l'intempérie des saisons en fit naître l'exercice dans des cavernes, dans des antres, ou dans des huttes construites exprès ; de-là l'origine des temples. Chacun au commencement faisoit lui-même à Dieu son oblation & son sacrifice ; ensuite on choisit des hommes qu'on destina singulierement à cette fonction ; de-là l'origine des prêtres. Les prêtres une fois institués, étendirent à vûe d'oeil l'appareil du culte extérieur ; de-là l'origine des cérémonies : ils inventerent des jeux, des danses, que le peuple confondit avec la religion ; ce qui n'en étoit que l'ombre & l'écorce, en parut l'essentiel ; il n'y eut plus qu'un petit nombre de sages qui en conservassent l'esprit.

Cependant l'origine du culte extérieur étoit très-pure & très-innocente : les premiers hommes se flatoient par des cérémonies significatives de produire dans le coeur les sentimens qu'elles exprimoient : il en arriva tout autrement ; on prit les symboles pour la chose même ; on ne fit plus consister la religion que dans les sacrifices, les offrandes, les encensemens, &c. & ce qui avoit été établi pour exciter ou affermir la piété, servit à l'affoiblir & à l'éteindre. Comme les lumieres de la raison ne dictoient rien de précis sur la maniere d'honorer Dieu extérieurement, chaque peuple se fit un culte à sa guise : de ce partage naquit un affreux desordre, également contraire à la sainteté de la loi primitive & au bonheur de la société : les différentes sectes que forma la diversité du culte, conçurent les unes pour les autres du mépris, des animosités, & de la haine ; de-là les guerres de religion qui ont fait couler tant de sang.

Mais de ce qu'il y a d'étranges abus dans la pratique du culte extérieur, s'ensuit-il que le culte de cette espece soit à rejetter ? Non sans-doute, parce qu'il est loüable, utile, & très-avantageux ; parce que rien ne contribue plus efficacement au regne de la piété, que d'en avoir sous les yeux des exemples & des modeles. Or ces exemples & ces modeles ne peuvent être tracés que par des actes extérieurs de religion, & des démonstrations sensibles qui les présentent. Il est certain que l'abolition d'un culte extérieur nuiroit directement au bien de la société humaine en général, & à celui de la société civile en particulier, quand même le culte intérieur ne seroit pas éteint. J'avoue que comme Dieu est suffisant à lui-même, tous nos hommages n'ajoûtent rien à sa gloire ; cependant ils servent à nous mettre en état de nous mieux acquiter de nos autres devoirs, & de travailler ainsi à notre propre bonheur. En un mot, la nécessité des actes d'un culte extérieur, quoiqu'on en ait malheureusement abusé, est néanmoins fondée sur la nature même de l'homme & sur l'intérêt de la société. Cette société est faite de maniere qu'il ne paroît pas qu'une religion purement spirituelle y fût d'un grand usage, parce que tous les hommes ne sont pas également capables de connoître ce qu'ils doivent à Dieu, ni également soigneux de le pratiquer ; ensorte que la plûpart d'entr'eux ont absolument besoin d'y être portés par les instructions & par l'exemple des autres. De simples discours seroient insuffisans pour les ignorans & pour le peuple, c'est-à-dire pour la plus grande partie du genre humain ; il faut des objets qui frappent les sens, qui réveillent l'attention ; il faut des signes & des marques représentatives perpétuellement renouvellées, sans quoi l'on oublieroit aisément la Divinité.

Enfin on ne peut se dispenser des actes d'un culte extérieur, que dans de certains tems & dans certains cas rares ; par exemple, lorsqu'on s'exposeroit en les exerçant à quelque grand mal, & lorsque d'ailleurs leur omission n'emporte aucune abnégation de la religion, ni aucun indice de mépris pour la Majesté divine. Si le sage est citoyen de toutes les républiques, il n'est pas le prêtre de tous les dieux ; il ne doit ni abjurer le culte de religion qu'il approuve dans l'ame, ni troubler celui des autres : si leur culte paroît à ses yeux mêlé de pratiques superstitieuses & blâmables, il réprouve cet alliage impur, plaint l'ignorance de ceux qui l'adoptent, & tâche de les éclairer, sans oublier jamais que la persécution est un fruit du fanatisme & de la tyrannie, que la religion réprouve.

Au reste toutes les nations chrétiennes pratiquent soigneusement un culte extérieur de religion ; & suivant le génie de chacune, la pratique de ce culte s'exerce avec plus ou moins de pompe & de simplicité, avec des démonstrations de pénitence ou d'allégresse plus ou moins sensibles. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner les divers cultes du Christianisme qui subsistent de nos jours, & d'en peser les avantages ou les défauts ; il nous suffira de dire que le plus raisonnable, le plus digne de l'homme, est celui qui en général est le plus éloigné de l'enthousiasme & de la superstition.

Le culte rendu au vrai Dieu seul, s'appelle latrie ; ce même culte transporté du Créateur aux créatures, s'appelle idolatrie. Voyez LATRIE & IDOLATRIE. Les Catholiques nomment culte d'hyperdulie celui qu'ils rendent à la Vierge, & dulie celui qu'ils rendent aux autres Saints. Voyez DULIE & HYPERDULIE. Art. de M(D.J.)


CULTELLATIONS. f. (Géométrie) terme dont quelques auteurs se sont servis pour signifier la mesure des hauteurs & des distances piece par piece, c'est-à-dire par des instrumens qui ne donnent ces hauteurs & ces distances que par parties, & non tout-à-la-fois par une seule opération. Voyez MESURER, ALTIMETRIE, DISTANCE, &c. (O)


CULTIVER(Jardin) Le choix des plantes & l'attention à les bien placer deviendroient inutiles, si l'on n'y joignoit la bonne culture. Trois choses y sont essentielles, le labour, l'arrosement, & la conduite.

Les orangers, les grenadiers, les jasmins, & les arbres à fleurs, demandent un peu plus de soin que les autres ; le froid qui est leur ennemi mortel, oblige de les serrer pendant l'hyver. On observera donc de bâtir une serre bien exposée & où il gele peu, de composer des terres qui approchent de la qualité des pays chauds dont on tire les orangers, de les rencaisser en entier ou à-demi quand leurs racines sont trop serrées, de les égravillonner, de les bien exposer dans un jardin, de les bien tailler, de les arroser & labourer dans les tems nécessaires, de les serrer & sortir à propos de leur prison, de les transporter sans trop remuer leurs mottes, de les garantir des animaux qui les attaquent, en un mot de les bien gouverner, tant en-dedans que dehors de la serre.

Le soin le plus considérable qu'on doit prendre des orangers lorsqu'ils sont enfermés, est de les garantir du froid sans le secours du feu, s'il est possible ; une chaleur naturelle est toûjours meilleure : mais dans un besoin les poëles d'Allemagne sont à préférer à tous les autres expédiens, parce que ceux-ci jettent dehors une fumée qui est si nuisible à ces beaux arbres, qu'elle en fait tomber toutes les feuilles.

Les fleurs demandent aussi quelques soins ; à être bien sarclées, arrosées, labourées, & d'être tous les matins visitées à la rosée, pour ôter les limaçons & les insectes qui les attaquent. On les abriquera dans le gros chaud, & on attachera les plus hautes avec des baguettes, en observant encore de les sevrer du trop de cayeux qu'elles ont à leur pié, ce qui rend les fleurs trop petites.

Les potagers exigent à-peu-près les mêmes soins, & sur-tout de les garantir des courtillieres, pucerons, taons, mulots, musettes, laires, perce-oreilles, limaçons, lésards, chenilles, hannetons, tigres, taupes, & autres animaux qui leur nuisent beaucoup.

Les figuiers demandent une culture particuliere : on la trouvera pour la taille, au mot TAILLER ; & pour le gouvernement, au mot FIGUIER.

Les ormes, les tilleuls, les marronniers, veulent être éloignés pour ne se point gêner les uns les autres : on les mouille peu, à moins qu'ils ne soient nouvellement plantés, & cela pendant deux ans.

La charmille veut être souvent arrosée dans la jeunesse, & être serrée de près dans la tonture.

Les parterres doivent être tondus au moins une fois l'an, sans en estropier le dessein en les rognant de trop près, soit d'un côté soit de l'autre.

Le gazon veut être tondu tous les quinze jours, & arasé avec un gros rouleau de bois ou de pierre.

Les bois, sur-tout les jeunes seront bien sarclés & bien labourés quatre fois par an, ainsi que les pepinieres.

Les vergers demandent un labour de trois piés en quarré autour de chaque arbre.

Les espaliers & les plates-bandes seront bien entretenus de labour, bien sarclés & fumés, n'y mettant ni fraisiers ni laitues qui mangent la terre ; ces plantes empêchent les sels du fumier de descendre sur les racines des arbres, elles les attirent par abstraction pour se nourrir : ainsi ces sels montent au lieu de descendre, par le moyen de l'eau, en se filtrant à-travers la masse de la terre.

Un espalier demande peu d'eau, mais beaucoup de fumier, qui dure tout au plus trois ans.

Une cerisaie, une châtaigneraie, doivent être entretenues de labour, & l'on pourra y semer dessous les arbres de petits grains.

Observez la nature des terres pour le choix des amandemens ; il faut même souvent les charger de terre neuve.

Quant à la conduite des arbres, consultez l'article EMONDER. (K)


CULTURECULTURE

Cette définition même indique l'objet de l'agriculture. Son effet est de procurer de l'occupation à une partie des hommes ; sa perfection consiste à fournir la plus grande quantité possible des matieres propres à satisfaire nos besoins, soit réels, soit d'opinion.

Le Commerce en général est la communication réciproque que les hommes se font des choses dont ils ont besoin. Ainsi il est évident que l'agriculture est la base nécessaire du commerce.

Cette maxime est d'une telle importance, que l'on ne doit jamais craindre de la répéter, quoiqu'elle se trouve dans la bouche de tout le monde. La persuasion où l'on est d'un principe, ne forme qu'une connoissance imparfaite, tant que l'on n'en conçoit pas toute la force ; & cette force consiste principalement dans la liaison intime du principe reconnu avec un autre. C'est ce défaut de combinaison qui fait souvent regarder avec indifférence à un négociant l'aisance ou la pauvreté du cultivateur, les encouragemens qu'il peut recevoir, ou les gênes qui peuvent lui être imposées. Par la même raison la plûpart des propriétaires des terres sont portés à envier au commerce ses facilités, ses profits, les hommes qu'il occupe. L'excès seroit bien plus grand, si ces mêmes propriétaires venoient à séparer l'intérêt de leur domaine de l'intérêt du laboureur ; s'il se dissimuloient un instant que cet homme destiné par le hazard à tracer péniblement les sillons d'un champ, ne le soignera jamais qu'en raison de ses facultés, des espérances ou de l'opinion qui peuvent animer son travail. Une nation où de pareils préjugés se trouveroient fort répandus, seroit encore dans l'enfance de l'agriculture & du commerce, c'est-à-dire de la science des deux principales branches de l'administration intérieure : car on ne doit pas toûjours juger des progrès de cette partie, par les succès d'un état au-dehors ; comme on ne peut pas décider de la bonne conduite d'un particulier dans la gestion de ses biens, par la grande dépense qu'il paroît faire.

L'agriculture ne sera envisagée ici que sous ce point de vûe politique.

L'idée de conservation est dans chaque individu immédiatement attachée à celle de son existence ; ainsi l'occupation qui remplit son besoin le plus pressant, lui devient la plus chere. Cet ordre fixé par la nature, ne peut être changé par la formation d'une société, qui est la réunion des volontés particulieres. Il se trouve au contraire confirmé par de nouveaux motifs, si cette société n'est pas supposée exister seule sur la terre. Si elle est voisine d'autres sociétés, elle a des rivales ; & sa conservation exige qu'elle soit revêtue de toutes les forces dont elle est susceptible. L'agriculture est le premier moyen & le plus naturel de se les procurer.

Cette société aura autant de citoyens que la culture de son territoire en pourra nourrir & occuper : citoyens rendus plus robustes par l'habitude des fatigues, & plus honnêtes gens par celle d'une vie occupée.

Si ses terres sont plus fertiles, ou ses cultivateurs plus industrieux, elle aura une surabondance de denrées qui se répandront dans les pays moins fertiles ou moins cultivés.

Cette vente aura dans la société qui la fait, des effets réels & relatifs.

Le premier sera d'attirer des étrangers ce qui aura été établi entre les hommes, comme mesure commune des denrées, ou les richesses de convention.

Le second effet sera de décourager par le bas prix les cultivateurs des nations rivales, & de s'assûrer toûjours de plus en plus ce bénéfice sur elles.

A mesure que les richesses de convention sortent d'un pays, & que le profit du genre de travail le plus essentiel y diminue, au point de ne plus procurer une subsistance commode à celui qui s'en occupe, il est nécessaire que ce pays se dépeuple, & qu'une partie des habitans mendie ; ce qui est encore plus funeste. Troisieme effet de la vente supposée.

Enfin par une raison contraire il est clair que les richesses de convention s'accumulant sans-cesse dans un pays, le nombre des besoins d'opinion s'accroîtra dans la même proportion. Ces nouveaux besoins multiplieront les genres d'occupation ; le peuple sera plus heureux ; les mariages plus fréquens, plus féconds ; & les hommes qui manqueront d'une subsistance facile dans les autres pays, viendront en foule habiter celui qui sera en état de la leur fournir.

Tels sont les effets indispensables de la supériorité de l'agriculture dans une nation, sur celle des autres nations ; & ses effets sont ressentis en raison de la fertilité des terres réciproques, ou de la variété de leurs productions : car le principe n'en seroit pas moins certain, quand même un pays moins bien cultivé qu'un autre, ne seroit pas dépeuplé à raison de l'infériorité de sa culture : si d'ailleurs ce pays moins cultivé fournit naturellement une plus grande variété de productions. Il est évident qu'il aura toûjours perdu son avantage d'une maniere réelle & relative.

Ce que nous venons de dire conduit à trois conséquences très-importantes.

1°. Si l'agriculture mérite dans un corps politique le premier rang entre les occupations des hommes, celles des productions naturelles, dont le besoin est le plus pressant & le plus commun, exigent des encouragemens de préférence chacune dans leur rang : comme les grains, les fruits, les bois, le charbon de terre, le fer, les fourrages, les cuirs, les laines, c'est-à-dire le gros & le menu bétail ; les huiles, le chanvre, les lins, les vins, les eaux-de-vie, les soies.

2°. On peut décider sûrement de la force réelle d'un état, par l'accroissement ou le déclin de la population de ses campagnes.

3°. L'agriculture sans le secours du commerce, seroit très-bornée dans son effet essentiel, & dès-lors n'atteindroit jamais à sa perfection.

Quoique cette derniere déduction de nos principes soit évidente, il ne paroît point inutile de s'y arrêter, parce que cet examen sera l'occasion de plusieurs détails intéressans.

Les peuples qui n'ont envisagé la culture des terres que du côté de la subsistance, ont toûjours vécu dans la crainte des disettes, & les ont souvent éprouvées. (Voy. le livre intitulé, Considérations sur les finances d'Espagne) Ceux qui l'ont envisagée comme un objet de commerce, ont joüi d'une abondance assez soûtenue pour se trouver toûjours en état de suppléer aux besoins des étrangers.

L'Angleterre nous fournit tout-à-la-fois l'un & l'autre exemple. Elle avoit suivi, comme presque tous les autres peuples, l'esprit des lois romaines sur la police des grains, lois gênantes & contraires à leur objet dans la division actuelle de l'Europe, en divers états dont les intérêts sont opposés : au lieu que Rome maîtresse du monde, n'avoit point de balance à calculer avec ses propres provinces. Elle les épuisoit d'ailleurs par la pesanteur des tributs, aussi-bien que par l'avarice de ses préfets ; & si Rome ne leur eût rien rendu par l'extraction de ses besoins, elle eût englouti les trésors de l'univers, comme elle en avoit envahi l'empire.

En 1689 l'Angleterre ouvrit les yeux sur ses véritables intérêts. Jusqu'alors elle avoit peu exporté de grains, & elle avoit souvent eu recours aux étrangers, à la France même, pour sa subsistance. Elle avoit éprouvé ces inégalités fâcheuses & ces révolutions inopinées sur les prix, qui tour-à-tour découragent le laboureur ou desesperent le peuple.

La Pologne, le Danemarck, l'Afrique & la Sicile étoient alors les greniers publics de l'Europe. La conduite de ces états, qui n'imposent aucune gêne sur le commerce des grains, & leur abondance constante, quoique quelques-uns d'entr'eux ne joüissent ni d'une grande tranquillité ni d'une bonne constitution, suffisoient sans-doute pour éclairer une nation aussi réfléchie, sur la cause des maux dont elle se plaignoit ; mais la longue possession des pays que je viens de nommer, sembloit trop bien établie par le bas prix de leurs grains, pour que les cultivateurs anglois pussent soûtenir leur concurrence dans l'étranger. Le commerce des grains supposoit une entiere liberté de les magasiner, & pour autant de tems que l'on voudroit : liberté dont l'ignorance & le préjugé rendoient l'usage odieux dans la nation.

L'état pourvut à ce double inconvénient, par un de ces coups habiles dont la profonde combinaison appartient aux Anglois seuls, & dont le succès n'est encore connu que d'eux, parce qu'ils n'ont été imités nulle part. Je parle de la gratification qu'on accorde à la sortie des grains sur les vaisseaux anglois seulement, lorsqu'ils n'excedent pas les prix fixés par la loi, & de la défense d'introduire des grains étrangers, tant que leur prix courant se soûtient au-dessous de celui que les statuts ont fixé. Cette gratification facilita aux Anglois la concurrence des pays les plus fertiles, en même tems que cette protection déclarée changea les idées populaires sur le commerce & la garde des grains. La circonstance y étoit très-propre à la vérité ; la nation avoit dans le nouveau gouvernement, cette confiance sans laquelle les meilleurs réglemens n'ont point d'effet.

Le froment reçoit 5 sols sterling, ou 5 liv. 17 sols 6 den. tournois par quarter, mesure de 460 l. poids de marc, lorsqu'il n'excede pas le prix de 2 liv. 8 s. sterl. ou 56 liv. 8 s. tourn.

Le seigle reçoit 3 sols 6 den. sterl. ou 3 liv. 10 s. 6 d. tourn. au prix de 1 l. 12 s. sterl. ou 37 l. 12 s. tourn.

L'orge reçoit 2 s. 6 d. sterl. ou 2 liv. 18 sols 9 d. tourn. au prix de 1 liv. 4 sols sterl. ou 28 liv. 4 sols tourn.

L'évenement a justifié cette belle méthode : depuis son époque l'Angleterre n'a point éprouvé de famine, quoiqu'elle ait exporté presqu'annuellement des quantités immenses de grains ; les inégalités sur les prix ont été moins rapides & moins inopinées, les prix communs ont même diminué : car lorsqu'on se fut déterminé en 1689 à accorder la gratification, on rechercha quel avoit été le prix moyen des grains pendant les quarante-trois années précédentes. Celui du froment fut trouvé de 2 liv. 10 sols 2 d. sterl. le quarter, ou 58 l. 18 s. 11 d. tourn. & les autres especes de grains à proportion. Par un recueil exact du prix des fromens depuis 1689 jusqu'en 1752, le prix commun pendant ces cinquante-sept années ne s'est trouvé que de 2 liv. 2 s. 3 d. sterling ou 49 livres 12 s. 10 d. tourn. Ce changement, pour être aussi frappant n'en est pas moins dans l'ordre naturel des choses. Le cultivateur, dont le gouvernement avoit en même tems mis l'industrie en sureté en fixant l'impôt sur la terre même, n'avoit plus qu'une inquiétude ; c'étoit la vente de sa denrée, lorsqu'elle seroit abondante. La concurrence des acheteurs au-dedans & au-dehors, lui assûroit cette vente : dès-lors il s'appliqua à son art avec une émulation que donnent seules l'espérance du succès & l'assûrance d'en jouir. De quarante millions d'acres que contient l'Angleterre, il y en avoit au moins un tiers en communes, sans compter quelques restes de bois. Aujourd'hui la moitié de ces communes & des terres occupées par les bois, est ensemencée en grains & enclose de haies. Le comté de Norfolk, qui passoit pour n'être propre qu'au pacage, est aujourd'hui une province des plus fertiles en blés. Je conviens cependant que cette police n'a pas seule opéré ces effets admirables, & que la diminution des intérêts de l'argent a mis les particuliers en état de défricher avec profit ; mais il n'en est pas moins certain que nul propriétaire n'eût fait ces dépenses, s'il n'eût été assûré de la vente de ses denrées, & à un prix raisonnable.

L'état des exportations de grains acheveroit de démontrer, comment un pays peut s'enrichir par la seule culture envisagée comme objet de commerce. On trouve dans les ouvrages anglois, qu'il est nombre d'années où la gratification a monté de 150 à 500 mille liv. sterl. & même plus. On prétend que dans les cinq années écoulées depuis 1746 jusqu'en 1750, il y a eu près de 5,906,000 quarters de blés de toutes les qualités exportés. Le prix commun à 1 liv. 8 sols sterl. ou 32 liv. 18 s. tourn. ce seroit une somme de 8, 210, 000 l. sterl. ou 188, 830, 000 l. tourn. environ.

Si nous faisons attention que presque toute cette quantité de grains a été exportée par des vaisseaux anglois, pour profiter de la gratification, il faudra ajoûter au bénéfice de 188, 830, 000 liv. tourn. la valeur du fret des 5, 906, 000 quarters. Supposons-la seulement à 50 s. tourn. par quarter, l'un dans l'autre, ce sera un objet de 14, 750, 000 l. tourn. & au total, dans les cinq années, un gain de 203, 580, 000 liv. de notre monnoie ; c'est-à-dire que par année commune, sur les cinq, le gain aura été de 40, 000, 000 liv. tourn. environ.

Pendant chacune de ces cinq années, cent cinquante mille hommes au moins auront été occupés, & dès-lors nourris par cette récolte & cette navigation ; & si l'on suppose que cette valeur ait encore circulé six fois dans l'année seulement, elle aura nourri & occupé neuf cent mille hommes aux dépens des autres peuples.

Il est encore évident que si chaque année l'Angleterre faisoit une pareille vente aux étrangers, neuf cent mille hommes parmi les acheteurs trouveroient d'abord une subsistance plus difficile ; & enfin qu'ils en manqueroient au point qu'ils seroient forcés d'aller habiter un pays capable de les nourrir.

Un principe dont l'harmonie avec les faits est si frappante, ne peut certainement passer pour une spéculation vague : il y auroit donc de l'inconséquence à la perdre de vûe.

C'est le principe sur lequel la police des grains est établie en Angleterre, que je trouve irréprochable ; mais je ne puis convenir que son exécution actuelle soit sans défauts, & qu'elle soit applicable indifféremment à tous les pays.

L'objet de l'état a été d'encourager la culture, de se procurer l'abondance, & d'attirer l'argent des étrangers. Il a été rempli sans-doute ; mais il semble qu'on pouvoit y réussir sans charger l'état d'une dépense superflue, sans tenir quelquefois le pain à un prix plus fort pour les sujets que pour les étrangers.

L'état est chargé en deux circonstances d'une dépense inutile, qui porte sur tous les sujets indistinctement, c'est-à-dire sur ceux qui en profitent comme sur ceux qui n'en profitent pas.

Lorsque les grains sont à plus bas prix en Angleterre, que dans les pays qui vendent en concurrence avec elle, il est évident que la gratification est inutile : le profit seul que présente l'exportation, est un appas suffisant pour les spéculations du commerce.

Si les grains sont au dernier prix auquel ils puissent recevoir une gratification, & qu'en même tems ils soient à très-bon marché à Dantzick & à Hambourg, il y aura du bénéfice à transporter en fraude les grains de ces ports dans ceux de la grande-Bretagne, d'où ils ressortiront de nouveau avec la gratification. Dans ce dernier cas, il est clair que la culture des terres n'aura point joüi de la faveur qui lui étoit destinée : la navigation y aura gagné quelque chose à la vérité, mais c'est en chargeant l'état & le peuple d'une dépense beaucoup plus considérable que ce profit.

Quoique le profit particulier des sujets par la différence du prix d'achat des grains sur le prix de la vente, rembourse à la totalité de la nation la somme avancée, & même au-delà ; jusqu'à ce que ceux qui ont payé effectivement leur contingent de la gratification, en soient remboursés avec l'intérêt par la circulation, il se passera un tems considérable, pendant lequel ils eussent pû faire un meilleur emploi de ce même argent dans un pays où le commerce, les manufactures, la pêche, & les colonies sont dans un état florissant.

Ce n'est pas que ce moyen de gagner soit méprisable ; il n'en est aucun de ce genre dans le commerce extérieur d'un état : mais il faut bien distinguer les principes du commerce d'oeconomie ou de réexportation des denrées étrangeres, des principes du commerce qui s'occupe des denrées nationales.

Les encouragemens accordés au premier sont un moyen de se procurer un excédent de population ; ils sont utiles tant qu'ils ne sont point onéreux à la masse des hommes, qu'on peut regarder comme le fond d'une nation. Au lieu que le commerce qui s'occupe de l'exportation des denrées nationales, doit être favorisé sans restriction. Il n'en coûte jamais un à l'état qu'il n'en retire dix & plus ; le remboursement du contingent qu'a fourni chaque particulier lui revient plus rapidement & avec un plus gros profit, parceque tout appartient à la terre directement ou à la main-d'oeuvre. D'un autre côté la quantité des denrées nationales ne s'accroît jamais sans augmenter la masse des hommes, qui peuvent être regardés comme le fond de la nation.

Il est difficile dans une île considérable, dont les atterrages sont faciles, de prévenir l'introduction des grains étrangers. Ainsi il faut conclure que la gratification devoit être momentanée, & reglée d'après les circonstances, sur le prix des grains dans les pays qui en vendent en concurrence. Alors l'opération eût été véritablement salutaire, & digne du principe admirable dont elle émane.

Peut-être pourroit-on dire encore, que cette gratification ne tombe pas toûjours aussi immédiatement au profit des laboureurs qu'il le sembleroit d'abord. Car dans les années abondantes, où les grains s'achetent pour les magasiner en attendant l'occasion de les exporter, il n'est pas naturel de penser que les acheteurs, toûjours en plus petit nombre que les vendeurs, leur en tiennent compte sur le prix de leurs achats. Dans un pays où un très-petit nombre de cultivateurs auroit le moyen de garder ses grains, la gratification s'éloigneroit encore plus de la terre.

J'ai remarqué comme un desavantage de la trop grande concurrence extérieure, que l'Angleterre fournit aux ouvriers étrangers du pain à meilleur marché qu'aux siens propres : c'est une affaire de calcul. Si nous y supposons le froment à 42 s. 3 d. st. prix commun depuis cinquante-sept années, il est clair qu'il peut être vendu en Hollande, en Flandres, à Calais, à Bordeaux même, à 40 s. 3 d. ster. avec un bénéfice honnête. La gratification est de 5 s. st. par quarter ; le fret & les assûrances n'iront pas à plus de 2 s. par quarter ; restera encore un profit d'un sol sterling, c'est-à-dire, de 3 % dans une affaire qui ne dure pas plus d'un mois, & dans un pays où l'intérêt de l'argent est à 3 % par an.

Je n'ignore point qu'on répliquera que, par ce moyen, l'Angleterre décourage l'agriculture dans les autres pays. Mais ce raisonnement est plus spécieux que solide, si le prix commun des grains en Angleterre est assez haut, pour que les autres peuples n'y ayent recours, que lorsqu'ils éprouvent chez eux de grandes diminutions de récolte. Or cela est de fait, du moins à l'égard de la France. Nous avons déjà observé que le prix commun du froment en Angleterre a été de 42 s. 3 d. st. le quarter, c'est-à-dire de 49 liv. 12 s. 10 d. de notre monnoie depuis cinquante-sept années ; ce qui revient à 24 liv. 16 s. 5 d. le setier de Paris, qui passe pour être de 240 liv. p. & qui dans le fait n'excede point 230 liv. p. si j'en crois les personnes pratiques. Son prix commun n'a été en Brie que de 18 liv. 13 s. 8 d. pendant les quarante années écoulées depuis 1706 jusqu'en 1745 ; malgré la famine de 1709, la disette de 1740 & 1741, & les chertés de 1713, 1723, 4, 5, 6, & de 1739 (Voyez Essai sur les monnoies, ou réflexions sur le rapport entre l'argent & les denrées). Ainsi la subsistance de notre peuple commence à devenir difficile, lorsque l'Angleterre nous fournit du blé à son prix commun. Pour trouver la raison de cette différence sur le prix des deux royaumes, il faut remonter à un principe certain.

Deux choses reglent dans un état le prix des salaires ; d'abord le prix de la subsistance, ensuite le profit des diverses occupations du peuple, par l'augmentation successive de la masse de l'argent que fait entrer le commerce étranger.

Pendant tout le tems que l'Angleterre prohiba la sortie des grains, ou n'envisagea point l'agriculture du côté du commerce, elle fut exposée à des disettes très-fréquentes : la subsistance des ouvriers étant chere, les salaires y furent chers dans la même proportion. D'un autre côté ayant peu de concurrens dans son travail industrieux, elle ne laissa pas de faire en peu d'années de très-grands profits dans son commerce étranger : l'argent qu'il produisoit se repartissant entre les ouvriers occupés par le travail industrieux, augmenta encore leurs salaires, en raison de la demande des étrangers & de la concurrence des ouvriers. Lorsque plus éclairée sur ces véritables intérêts, cette nation envisagea l'agriculture comme objet de commerce, elle sentit qu'il étoit impossible en ramenant l'abondance des grains, de diminuer sur les salaires ce que la cherté de la subsistance y avoit ajoûté. Pour ranimer la culture, il falloit aussi que cette profession se ressentît comme les autres de l'augmentation de la masse de l'argent : car sans cet équilibre aussi juste qu'essentiel, le législateur perd ou ses hommes, ou un genre d'occupation. Ainsi l'état laissa jouir les terres du haut prix des grains, que les salaires des autres classes du peuples pouvoient porter.

En France au contraire la sortie des grains n'a jamais été aussi libre, que dans le tems où l'Angleterre suivoit les principes contraires : les salaires y étoient moins chers, & réciproquement les frais de culture à meilleur marché. Depuis 1660 environ, les guerres fréquentes qu'elle a eu à soûtenir & ses nombreuses armées, ont paru exiger que les permissions de sortir les grains fussent restraintes : cependant ce n'a jamais été pendant de longs intervalles ; cette incertitude, & l'alternative de quelques chertés, ont un peu entretenu l'espérance du laboureur. Le labourage n'a pas laissé de diminuer, puisqu'une bonne récolte ne rend aujourd'hui que la subsistance d'une année & demie ; au lieu qu'autrefois elle suffisoit à la nourriture de plus de deux années, quoique le peuple fût plus nombreux. Mais l'attention continuelle que le gouvernement a toûjours eu de forcer par diverses opérations le pain de rester à bas prix, jointe à la bonté de nos terres, aux alternatives de chertés & de permissions d'exporter les grains, ont empêché les salaires d'augmenter à un certain point à raison de la subsistance. D'un autre côté, nos augmentations sur les monnoies ont beaucoup diminué la masse d'argent que la balance du commerce faisoit entrer annuellement ; ainsi les ouvriers occupés par le travail industrieux, n'ont pas eu à partager entr'eux annuellement une masse d'argent proportionnée à celle qu'ils avoient commencé à recevoir, lors de la premiere époque de notre commerce, ni dans la même proportion que les ouvriers de l'Angleterre, depuis l'établissement de son commerce jusqu'en 1689. D'où il s'ensuit que le prix des grains doit être plus cher dans ce pays qu'en France ; qu'il le seroit encore davantage, si la culture n'y avoit augmenté à la faveur de son excellente police & de la diminution des intérêts de l'argent ; enfin que lorsque toutes les terres de l'Angleterre seront en valeur, si la balance du commerce lui est annuellement avantageuse, il faudra nécessairement, non-seulement que l'intérêt de l'argent y diminue encore, mais que le prix des grains y remonte à la longue ; sans quoi l'équilibre si nécessaire entre les diverses occupations du peuple n'existera plus. S'il cessoit d'exister, l'agriculture retrograderoit insensiblement ; & si l'on ne conservoit pas de bons mémoires du tems, on pourroit penser dans quelques siecles que c'est la sortie des grains qui est la cause des disettes.

De tout ce que nous venons de dire, on doit conclure en examinant la position & les intérêts de la France, que le principe employé par les Anglois pourroit lui être très-avantageux, mais que la maniere d'opérer doit être fort différente.

Elle est obligée d'entretenir pour sa défense un grand nombre de places fortes, des armées de terre très-nombreuses, & un grand nombre de matelots. Il est nécessaire que la denrée la plus nécessaire à la subsistance des hommes soit à bon marché, ou que l'état augmente considérablement ses dépenses. L'étendue de nos terres est si considérable, qu'une partie de nos manufactures a des trajets longs & dispendieux à faire par terre ; il est essentiel que la main-d'oeuvre se soûtienne parmi nous à plus bas prix qu'ailleurs. Le pain est la principale nourriture de nos artisans : aucun peuple ne consomme autant de blés relativement à sa population. Tant que nos denrées de premiere nécessité se maintiendront dans cette proportion, le commerce & les manufactures, si on les protege, nous donneront annuellement une balance avantageuse, qui augmentera notre population ou la conservera ; qui donnera à un plus grand nombre d'hommes les moyens de consommer abondamment les denrées de deuxieme, troisieme & quatrieme nécessité que produit la terre ; & qui enfin par l'augmentation des salaires augmentera la valeur du blé même.

D'un autre côté, il est juste & indispensable d'établir l'équilibre entre les diverses classes & les diverses occupations du peuple. Les grains sont la plus forte partie du produit des terres comme la plus nécessaire : ainsi la culture des grains doit procurer au cultivateur un bénéfice capable de le maintenir dans sa profession, & de le dédommager de ses fatigues.

Ce qui paroîtroit le plus avantageux, seroit donc d'entretenir continuellement le prix des grains, autour de ce point juste auquel le cultivateur est encouragé par son gain, tandis que l'artisan n'est point forcé d'augmenter son salaire pour se nourrir ou se procurer une meilleure subsistance. Ce ne peut jamais être l'effet d'une gestion particuliere, toûjours dangereuse & plus certainement suspecte : mais la police générale de l'état peut y conduire.

Le premier moyen est sans contredit, d'établir une communication libre au-dedans entre toutes les provinces. Elle est essentielle à la subsistance facile d'une partie des sujets. Nos provinces éprouvent entr'elles de si grandes différences par rapport à la nature du sol & à la variété de la température, que quelques-unes ne recueillent pas en grains la moitié de leur subsistance dans les meilleures années. Elles sont telles, ces différences, qu'il est physiquement impossible que la récolte soit réputée abondante dans toutes à la fois. Il semble que la providence ait voulu, par ce partage heureux, nous préserver des disettes, en même tems qu'elle multiplioit les commodités. C'est donc aller contre l'ordre de la nature, que de suspendre ainsi la circulation intérieure des grains. Ce sont les citoyens d'un même état, ce sont les enfans d'un même pere qui se tendent mutuellement une main secourable ; s'il leur est défendu de s'aider entr'eux, les uns seront forcés d'acheter cher des secours étrangers, tandis que leurs freres vivront dans une abondance onéreuse.

Parmi tous les maux dont cet état de prohibition entre les sujets est la source, ne nous arrêtons que sur un seul. Je parle du tort qu'il fait à la balance générale du commerce, qui intéresse la totalité des terres & des manufactures du royaume. Car lorsque les communications sont faciles, le montant de cette balance se repartit entre chaque canton, chaque ville, chaque habitant : c'est à quoi il ne fait point assez d'attention. L'inégalité des saisons & des récoltes ne produit pas aussi souvent l'inégalité des revenus, que le fait celle de la balance. Dans le premier cas le prix supplée assez ordinairement à la quantité ; & pour le dire en passant, cette remarque seule nous indique qu'un moyen assûré de diminuer la culture des terres, le nombre des bestiaux, & la population, c'est d'entretenir par une police forcée les grains à très-bas prix ; car le laboureur n'aura pas plûtôt apperçu qu'en semant moins il peut faire le même revenu, qu'il cherchera à diminuer ses frais & ses fatigues, d'où résultera toûjours de plus en plus la rareté de la denrée.

Dans le second cas le cultivateur ne trouve plus le prix ordinaire de ses grains, de sa laine, de ses troupeaux, de ses vins ; le propriétaire est payé difficilement de sa rente, & cette rente baisseroit si la balance étoit desavantageuse pendant un petit nombre d'années seulement. L'ouvrier travaille moins, ou est forcé par le besoin de diminuer son salaire raisonnable ; parce que la quantité de la substance qui avoit coutume de vivifier le corps politique est diminuée. Tel est cependant le premier effet de l'interdiction dans une province. C'est un tocsin qui répand l'allarme dans les provinces voisines ; les grains se resserrent ; la frayeur, en grossissant les dangers, multiplie les importations étrangeres & les pertes de l'état.

Avant de se résoudre à une pareille démarche, il ne suffit pas de connoître exactement les besoins & les ressources d'une province ; il faudroit être instruit de l'état de toutes les autres dont celle-ci peut devenir l'entrepôt. Sans cette recherche préliminaire, l'opération n'est appuyée sur aucun principe : le hasard seul en rend les effets plus ou moins funestes.

Je conviens cependant que dans la position actuelle des choses, il est naturel que les personnes chargées de conduire les provinces, s'efforcent dans le cas d'un malheur général d'y soustraire la portion du peuple qui leur est confiée. J'ajoûte encore, que les recherches que j'ai supposées essentiellement nécessaires, & qui le sont, exigent un tems quelquefois précieux ; que le fruit en est incertain, à moins qu'il n'y ait un centre commun où toutes les notions particulieres se réunissent & où l'on puisse les consulter ; que le prix des grains n'est pas actuellement une regle sûre, soit parce que nos cultivateurs pour la plûpart ne sont pas en état de les garder, soit parce qu'il est assez ordinaire dans les mauvaises récoltes, que les grains ayent besoin d'être promtement consommés. Enfin j'avouerai qu'en voyant le mieux, il est impossible de le faire : c'est une justice que l'on doit au zele & à la vigilance des magistrats qui président à nos provinces.

Il s'agit donc d'appliquer un remede convenable à ces inconvéniens forcés ; & comme tous les membres d'un état sont en société, le remede doit être général : il est trouvé. Un citoyen généreux dont la sagacité s'exerce avec autant de succès que de courage & de dépenses sur les arts utiles à sa patrie, nous a proposé l'unique expédient capable de perfectionner notre police sur les grains, en même tems qu'il en a facilité l'exécution par ses découvertes. On sent que je parle de M. Duhamel du Monceaux, & de son excellent traité de la conservation des grains.

La multiplicité des magasins de blé particuliers est la premiere opération nécessaire pour entretenir l'abondance dans le royaume, maintenir le prix dans un cercle à-peu-près égal, & procurer en tous tems un bénéfice honnête au laboureur.

Un axiome de commerce pratique connu de tout le monde, c'est que la denrée est à bas prix s'il y a plus d'offreurs que de demandeurs. Si le grain est à bas prix, le recouvrement des revenus publics & particuliers languit ; le travail est suspendu : quelle ressource a-t-il resté dans ces circonstances à l'état, que d'ouvrir ses ports aux étrangers qui vouloient acheter ses grains, afin d'augmenter le nombre des demandeurs ?

Les étrangers consomment le grain ou le magasinent. Si c'est pour leur consommation qu'ils l'exportent, la quantité est bornée, parce que plusieurs pays abondans les fournissent en concurrence. Si c'est pour magasiner, les achats sont en raison du bas prix & si rapides, qu'on n'est averti souvent de l'excès que par ses effets. Chaque cultivateur affamé d'argent s'est empressé de vendre pour satisfaire son besoin pressant, & sans en prévoir de plus grand. Une mauvaise récolte survient ; les étrangers nous revendent cher cette même denrée, dont nous leur avons abandonné le monopole.

Si les sujets eussent formé la même spéculation, non-seulement l'inconvénient public d'une balance ruineuse pendant la disette lui eût été épargné, mais les inconvéniens particuliers qui sont une suite, soit du trop bas prix des grains, soit de leur prix excessif, & souvent pour plusieurs années, n'eussent point existé.

Car si nous supposons que dans chaque province, plusieurs particuliers fassent dans les années abondantes des amas de blé, la concurrence sera bien mieux établie que lorsque 80 ou 100 négocians de Hollande feront acheter la même quantité par un petit nombre de commissionnaires. Il y aura donc plus de demandeurs, conséquemment le prix haussera. Il est d'autant plus certain que cela s'opérera ainsi, que ces mêmes quatre-vingt ou cent négocians de Hollande ne laisseront pas de tenter comme auparavant, de profiter du bas prix dans les premiers mois qui suivront la récolte.

Le passage de la révolution causée par la surabondance sera évidemment si promt, qu'il n'aura pû porter aucun préjudice au cultivateur. Il joüira au contraire de toute sa richesse, & il en joüira en sûreté. Car si la récolte suivante vient à manquer, chacun saura que tels & tels greniers sont pleins : la faim d'imagination plus effrenée que l'autre peut-être, n'apportera aucun trouble dans l'ordre public. Tandis que d'un côté les demandeurs seront tranquilles, parce qu'ils sauront qu'il y a de quoi répondre à leur demande ; les possesseurs du grain instruits comme les autres de l'état des provisions, appréhenderont toûjours de ne pas profiter assez-tôt de la faveur qu'aura pris la denrée. Ils vendront de tems en tems quelques parties pour mettre au moins leur capital à couvert : la concurrence des parties exposées en vente arrêtera continuellement le surhaussement des prix, & accroîtra la timidité des vendeurs.

Le seul principe de la concurrence donne la marche sûre de ces diverses opérations, tant ses ressorts sont actifs & puissans.

L'exécution d'une idée si simple ne peut rencontrer que trois difficultés ; la contradiction des lois, le préjugé populaire contre la garde des blés, & le défaut de confiance.

Si la nécessité d'envisager l'agriculture comme un objet de commerce a été démontrée aussi clairement que je l'espere, il faut conclure que les lois qui gênent le commerce intérieur des grains, sont incompatibles avec la conservation de l'agriculture. Or les principes étant des vérités, ne peuvent être autrement qu'elles sont essentiellement.

L'objet du commerce est certainement d'établir l'abondance des denrées ; mais l'objet du commerçant est de gagner. Le premier ne peut être rempli que par le second, ou par l'espérance qu'on en conçoit. Quel profit présentera une spéculation sur des denrées qu'il est défendu de garder jusqu'à ce qu'elles renchérissent ? Trois & quatre moissons abondantes de suite ne sont point un spectacle nouveau pour la France ; on remarque même que ce n'est qu'après ces surabondances réitérées, que nous avons éprouvé nos grandes disettes.

La loi qui défend de garder des grains plus de trois ans, a donc dû opérer le contraire de ce qu'elle s'étoit proposé. Je n'ai garde cependant de soupçonner qu'elle manquât d'un motif très-sage : le voici.

L'humidité de nos hyvers & de la plûpart de nos terreins à blé, est très-contraire à la conservation des grains. L'ignorance ou la pauvreté de nos cultivateurs hâtoient encore les effets pernicieux de la mauvaise disposition des saisons, par le peu de soins qu'ils employoient à leurs greniers. L'espérance cependant qui préside presque toûjours aux conseils des hommes, prolongeoit la garde jusqu'à des tems où la vente seroit plus avantageuse, & la perte se multiplioit chaque jour. Enfin ces tems si attendus arrivoient, les greniers s'ouvroient ; une partie du dépôt se trouvoit corrompue. Quelques précautions qu'on prit pour en dérober la connoissance au peuple lorsqu'on la jettoit dans les rivieres, il étoit impossible qu'une marchandise d'aussi gros volume se cachât dans le transport. Ce spectacle sans-doute perçoit le coeur des pauvres, & avec raison ; ils se persuadoient le plus souvent que ces pertes étoient une ruse pour renchérir leur subsistance ; l'incertitude même des faits, le mystere qui les accompagnoit, tout effarouchoit des imaginations déjà échauffées par le sentiment du besoin.

Cette réflexion développe toute la richesse du présent que M. Duhamel a fait à sa patrie. Il a prévenu d'une maniere simple, commode, & très-peu coûteuse, ces mêmes inconvéniens qui avoient excité le cri général, & même armé les lois contre la garde des blés.

Ajoûtons encore qu'il est difficile que les réglemens ne portent l'empreinte des préjugés du siecle qui les a dictés. C'est au progrès de l'esprit de calcul qu'est attachée la destruction de ces monstres.

Les raisonnemens que nous avons employés jusqu'à présent, démontrent assez le faux de la prévention populaire sur les profits qui se font dans le commerce des grains. Sans ces profits, le commerce seroit nul, sans commerce point d'abondance. Nous n'insisterons pas non plus sur la frayeur ridicule qu'inspirent les usuriers, dont les amas sont ou médiocres ou considérables : s'ils sont médiocres, ils ne font pas grand tort, s'ils sont d'un gros volume, ils sont toûjours sous la main de la police.

Mais il ne suffit pas d'opposer des raisons à ces sortes d'erreurs : c'est un ouvrage réservé au législateur de réformer l'esprit national. Il y parviendra sûrement en honorant & en favorisant ceux qui entreront dans ses vûes.

Nous avons même déjà fait quelques pas vers les bons principes sur le magasinage des grains. Il y a quelques années que la sagesse du ministere ordonna aux communautés religieuses du royaume de conserver toûjours des provisions de grains pour trois ans. Rien n'étoit mieux pensé, ni d'une exécution plus facile. Dans les années abondantes, cette dépense n'ira pas au double de l'approvisionnement d'une année au prix commun. Dès-lors toute communauté est en état de remplir cette obligation, à moins qu'elle ne soit obérée ; dans ce cas l'ordre public exige qu'elle soit supprimée pour en réunir les biens à un autre établissement religieux.

A cet expédient M. le garde des sceaux en a ajoûté un encore plus étendu, & digne de la supériorité de ses vûes autant que de son zele. Il a astreint les fermiers des étapes à entretenir pendant leur bail de trois ans, le dépôt d'une certaine quantité de grains dans chaque province. La premiere récolte abondante suffira pour donner à cet établissement toute sa solidité ; il peut même être étendu aux fermiers des domaines.

Voilà donc des magasins de blé avoüés, ordonnés par l'état. Les motifs de ces réglemens & les lois de la concurrence toûjours réciproquement utiles aux propriétaires & aux consommateurs des denrées, nous conduisent naturellement à une réforme entiere.

Un édit par lequel le prince encourageroit, soit par des distinctions, soit dans les commencemens par quelque legere récompense, les magasins d'une certaine quantité de grains, construits suivant la nouvelle méthode, sous la clause cependant de les faire enregistrer chez les subdélégués des intendans, suffiroit pour détruire le préjugé national. Pour peu que le préambule présentât quelque instruction aux gens simples & ignorans parmi le peuple, ce jour seroit à jamais béni dans la mémoire des hommes. On ne peut pas dire que nos provinces manquent de citoyens assez riches pour ces spéculations. Avec une legere connoissance de leur position, on sait que tout l'argent qui s'y trouve ne circule pas. C'est un malheur bien grand sans-doute, & le profit du commerce des grains est dans une telle réputation, que c'est peut-être le plus sûr moyen de restituer à l'aisance publique ces thrésors inutiles. D'ailleurs suivons le principe de la concurrence, il ne peut nous égarer : ce ne seront pas des greniers immenses qui seront utiles, mais un grand nombre de greniers médiocres ; c'est même où l'on doit tendre, c'est sur ceux-là que devroit porter la gratification si l'on jugeoit à-propos d'en accorder une.

Le défaut de confiance est la troisieme difficulté qui pourroit se présenter dans l'exécution ; il auroit sa source dans quelques exemples qu'on a eus, de greniers ouverts par autorité. Il faut sans-doute que le danger soit pressant pour justifier de pareilles opérations : car un grenier ne peut disparoître d'un moment à l'autre, sur-tout s'il est de nature à attirer l'attention du magistrat. On conviendra du moins nécessairement qu'on eût été dispensé de prendre ces sortes de résolutions, si de pareils greniers eussent été multipliés dans le pays. Ainsi la nature même du projet met les supérieurs à l'abri de cette nécessité toûjours fâcheuse, & les particuliers en sûreté. La confiance ne sera jamais mieux établie cependant, que par une promesse solemnelle de ne jamais forcer les particuliers à l'ouverture des greniers enregistrés. Cette distinction seule les porteroit à remplir une formalité aussi intéressante, d'après laquelle on pourroit, suivant les circonstances, publier à propos des états.

Comme il faut commencer & donner l'exemple, peut-être seroit-il utile d'obliger les diverses communautés de marchands & d'artisans dans les villes, à entretenir chacune un grenier, ou d'en réunir deux ou trois pour le même objet. Presque toutes ces communautés sont riches en droits de marque, de réception, & autres : il en est même qui le sont à l'excès aux dépens du commerce & des ouvriers, pour enrichir quelques jurés. Enfin toutes ont du crédit ; & la spéculation étant lucrative par elle-même, ne peut être onéreuse aux membres. Il seroit à-propos que ces communautés administrassent par elles-mêmes leurs greniers, & que le compte de cette partie se rendît en public devant les officiers de la ville.

Lorsqu'une fois l'établissement seroit connu par son utilité publique & particuliere, il est à croire que l'esprit de charité tourneroit de ce côté une partie de ses libéralités : car la plus sainte de toutes les aumônes est de procurer du pain à bon marché à ceux qui travaillent, puisque l'arrêt du Créateur ordonne que nous le mangions ce pain à la sueur de notre corps.

Les approvisionnemens proposés, & ceux de nos îles à sucre, avec ce qu'emporte la consommation courante, assûrent déjà au cultivateur un débouché considérable de sa denrée dans les années abondantes. Mais pour que cette police intérieure atteigne à son but, il faut encore qu'elle soit suivie & soûtenue par la police extérieure.

L'objet du législateur est d'établir, comme nous l'avons dit plus haut, l'équilibre entre la classe des laboureurs & celle des artisans.

Pour encourager les laboureurs, il faut que leur denrée soit achetée dans la plus grande concurrence possible dans les années abondantes.

Il est essentiel que la plus grande partie de ces achats soit faite par leurs concitoyens : mais ceux-ci ne seront invités à faire des amas que par l'espérance du bénéfice.

Ce bénéfice dépend des récoltes inégales, & de la diminution de la masse des grains dans une certaine proportion avec le besoin.

D'un côté, il n'est pas ordinaire que sept années se passent sans éprouver des récoltes inégales : d'un autre côté, on voit souvent plusieurs bonnes moissons se succéder. Si les grains ne sortent jamais, la diminution de la masse des grains sera insensible ; il n'y aura point de profit à les garder, point de greniers établis, plus d'abondance ; ou bien il en suivra un autre mauvais effet : si les grains sont à vil prix, les plus précieux seront indifféremment destinés à la nourriture des animaux, qui pouvoient également être engraissés avec d'autres especes. Ces moindres especes étant ainsi avilies, les terres mauvaises ou médiocres qui les produisent seront abandonnées, voilà une partie considérable de la culture anéantie.

La diminution de la masse des grains après une moisson abondante, ne peut donc s'opérer utilement que par les achats étrangers.

Il doit donc y avoir des permissions d'exporter les grains, pour parvenir à s'en procurer une quantité suffisante aux besoins, & établir l'équilibre sur les prix.

Une question se présente naturellement ; c'est de déterminer la quantité qui doit sortir.

Je répondrai que c'est précisément celle qui assûre un bénéfice à nos magasiniers de grains, sans gêner la subsistance des ouvriers, des matelots, & des soldats.

C'est donc sur le prix du pain ou des grains qu'il convient de régler l'exportation, & ce prix doit être proportionné aux facultés des pauvres.

Etablissons des faits qui puissent nous guider. Le prix commun du setier de froment pesant 230 liv. s'est trouvé de 18 liv. 13 s. 8 den. depuis 1706, jusqu'en 1745 inclusivement : mais depuis 1736, il paroît que le prix commun a été de 19 à 20 liv. supposons de 19 liv. 10 s. tant que ce prix ne sera point excédé, ni celui des autres grains en proportion, il est à croire que le pain sera à bon marché sur le pié des salaires actuels.

Deux tiers d'année sont réputés fournir la masse de grains nécessaire à la subsistance de la nation. Mais il est dans la nature des choses, que les prix augmentent au-delà du prix commun de 19 liv 10 s. lorsqu'il ne se trouve que cette quantité juste. Ceux qui font commerce de grains, doivent, si on leur suppose la plus petite intelligence de leur profession, amasser dans leurs magasins, outre ce qu'ils destinent à leur débit journalier, une quantité réservée pour les cas fortuits, jusqu'à ce que les apparences de la récolte suivante les décident. Le risque d'une pareille spéculation est toûjours médiocre, si les grains ont été achetés à bon compte. Dès que les apparences promettent une augmentation de prix, le grain devient plus rare dans les marchés, parce que plusieurs forment à l'insçû les uns des autres le même projet ; & à toute extrémité chacun se flate de ne pas vendre, même en attendant, au-dessous du prix actuel. Le prix des blés doit donc augmenter au-delà du prix commun, lorsque la quantité existante se trouve bornée dans l'opinion commune au nécessaire exact : ceux qui connoissent ce commerce ne me dédiront pas.

Evaluons ces reserves des marchandises à 1/6 seulement, lorsque les fromens sont à leur prix commun de 19 livres 10 sols le setier & les autres grains à proportion. De ce raisonnement on pourra inférer qu'au prix de 16 liv. 5 s. le setier de froment, & en proportion celui des autres grains, il se trouve dans le royaume pour une demi-année de subsistance au-delà de la quantité nécessaire, ou 2/6 de bonne récolte. Ainsi quand même la récolte suivante ne seroit qu'au tiers, on n'auroit point de disette à éprouver. Le peuple alors fait un plus grand usage de chataignes, de blé noir, millet, pois, féves, &c. ce qui diminue d'autant la consommation des autres grains.

La multiplicité des greniers accroîtroit infiniment ces réserves ; & quand même il n'y en auroit que le double de ceux qui existent aujourd'hui, la ressource dureroit deux années : ce qui est moralement suffisant pour la sûreté de la subsistance à un prix modéré.

Il paroîtroit donc que le prix de 16 liv. 5 sols le setier de froment, seroit le dernier terme auquel on pourroit en permettre la sortie pour l'étranger. Peut-être seroit-il convenable, pour favoriser un peu les terres médiocres qui ont besoin d'un plus grand encouragement, de ne pas suivre exactement la proportion sur le meteil, le segle & l'orge. On pourroit fixer le prix de la sortie du meteil au-dessous de 14 liv. 5 sols, celle du seigle au-dessous de 13 livres, celle de l'orge au-dessous de 10 l. le setier. Le prix commun du setier d'avoine, de quatre cent quatre-vingts livres pesant, s'étant trouvé pendant quarante ans à 12 livres environ, on en pourroit permettre l'extraction au-dessous du prix de 11 liv.

Si nous supposons à-présent les greniers remplis dans un tems d'abondance, lorsque le froment seroit à 14 livres le setier ; le bénéfice qu'on en pourroit espérer, avant même que le prix annonçât la défense de l'exportation, seroit de 17 %. La spéculation étant évidemment avantageuse, les spéculateurs ne manqueroient point.

A ce même prix le laboureur qui n'est pas en état de garder, trouveroit encore assez de profit dans sa culture pour la continuer & l'augmenter : car je suppose une année abondante, où la récolte des terres moyennes seroit de quatre pour un par arpent. Le froment à ce prix, & les menus grains à proportion, la récolte de trois années produiroit, suivant l'ancienne culture, 88 livres, la dépense va à 45 livres, ainsi resteroient pour le fermage, le profit du cultivateur & les impôts, 34 liv. sans compter le profit des bestiaux : c'est-à-dire que les impôts étant à 3 s. pour livre, pour que l'arpent fût affermé 7 liv. 10 s. par an, il faudroit que le cultivateur se contentât par an de 36 s. de bénéfice & du profit des bestiaux. Comme d'un autre côté il est beaucoup de terres capables de produire du froment, qui exigeront plus de 54 l. de dépense par arpent en trois années, & qui rapporteront moins de 88 livres, même dans les bonnes moissons, il s'ensuit évidemment qu'il est à souhaiter que jamais le froment ne soit acheté au-dessous de 14 livres le setier, lorsque l'impôt sur les terres est à 3 sols pour livre, & ainsi de suite : sans quoi l'équilibre de cette profession avec les autres sera anéanti ; beaucoup de terres resteroient en friche, & beaucoup d'hommes sans subsistance. La concurrence intérieure & extérieure des acheteurs bien combinée, est seule capable de garantir les grains de cet avilissement, tandis qu'elle conserveroit aux autres ouvriers l'espérance de ne jamais payer le froment, dans les tems de rareté, au-dessus de 21 à 22 livres le setier : car à la demi-année de subsistance d'avance, que nous avons trouvée devoir exister dans le royaume lorsque le froment est à 16 liv. 5 s. le setier, il faut ajoûter l'accroissement naturel des récoltes, lorsqu'une fois le laboureur sera assûré d'y trouver du bénéfice. Aussi je me persuade, que si jamais on avoit fait pendant sept à huit ans l'expérience heureuse de cette méthode, il seroit indispensable, pour achever d'établir la proportion entre tous les salaires, d'étendre la permission des exportations jusqu'au prix de 18 & même 19 l. Egalement si la France fait un commerce annuel de deux cent millions, & qu'elle en gagne vingt-cinq par la balance, il est clair que dans quarante ans il faudroit, indépendamment des réductions d'intérêt de l'argent, étendre encore de quelque chose la permission d'exporter les grains, ou bien la classe du laboureur seroit moins heureuse que les autres.

Aux prix que nous venons de proposer, l'état n'auroit pas besoin de donner des gratifications pour l'exportation, puisque leur objet principal est de mettre les négocians en état de vendre en concurrence dans les marchés étrangers ; mais il seroit très-convenable de restraindre la faculté de l'exportation des grains aux seuls vaisseaux françois, & construits en France. Ces prix sont si bas, que la cherté de notre fret ne nuiroit point à l'exportation : & pour diminuer le prix du fret, ce qui est essentiel, les seuls moyens sont l'accroissement de la navigation & la diminution de l'intérêt de l'argent.

On objectera peut-être à ma derniere proposition, que dans le cas où les capitaux seroient rares dans le commerce, ce seroit priver le cultivateur de sa ressource.

Mais les capitaux ne peuvent désormais être rares dans le commerce, qu'à raison d'un discrédit public. Ce discrédit seroit occasionné par quelque vice intérieur : c'est où il faudroit nécessairement remonter. Dans ces circonstances funestes, la plus grande partie du peuple manque d'occupation ; il convient donc pour conserver sa population, que la denrée de premiere nécessité soit à très-vil prix : il est dans l'ordre de la justice qu'un désastre public soit supporté par tous. D'ailleurs si les uns resserrent leur argent, d'autres resserrent également leurs denrées : des exportations considérables réduiroient le peuple aux deux plus terribles extrémités à la fois, la cessation du travail, & la cherté de la subsistance.

La réduction des prix de nos ports & de nos frontieres sur les prix proposés, relativement aux poids & mesures de chaque lieu, est une opération très-facile, & encore plus avantageuse à l'état, par deux raisons.

1°. Afin d'égaler la condition de toutes les provinces, ce qui est juste.

2°. Afin d'éviter l'arbitraire presqu'inévitable autrement. Dès ce moment l'égalité de condition cesseroit entre les provinces ; on perdroit tout le fruit de la police, soit intérieure, soit extérieure, qui ne peuvent jamais se soûtenir l'une sans l'autre.

A l'égard des grains venant de l'étranger, c'est une bonne police d'en prohiber l'importation pour favoriser ses terres : la prohibition peut toûjours être levée, quand la nécessité l'ordonne. Nous n'avons point à craindre que les étrangers nous en refusent ; & si par un évenement extraordinaire au-dessus de toutes les lois humaines, l'état se trouvoit dans la disette, il peut se reposer de sa subsistance sur l'appas du gain & la concurrence de ses négocians. La circonstance seule d'une guerre, & d'une guerre malheureuse par mer, peut exiger que le gouvernement se charge en partie de ce soin.

Il ne seroit pas convenable cependant de priver l'état du commerce des grains étrangers, s'il présente quelque profit à ses navigateurs. Les ports francs sont destinés à faire au-dehors toutes les spéculations illicites au-dedans. Avec une attention médiocre il est très-facile d'arrêter dans leur enceinte toutes les denrées, qu'il seroit dangereux de communiquer au reste du peuple, sur-tout lorsqu'elles sont d'un volume aussi considérable que les grains. Il suffit de le vouloir, & de persuader à ceux qui sont chargés d'y veiller, qu'ils sont réellement payés pour cela.

Ainsi en tout tems on pourroit en sûreté laisser les négocians de Dunkerque, de Bayonne & de Marseille entretenir des greniers de grains du Nord, de Sicile ou d'Afrique, pour les réexporter en Italie, en Espagne, en Portugal, en Hollande, mais jamais en France hors de leur ville. Ces dépôts, s'il s'en formoit de pareils, ne pourroient que contribuer à nous épargner les révolutions sur les prix, en rassûrant l'imagination timide des consommateurs.

Les personnes qui compareront les prix de l'Angleterre avec ceux que je propose, regretteront sans doute de voir nos terres aussi éloignées d'un pareil produit en grains : outre que ce n'est pas nous priver de cette espérance, les principes que nous avons établis au commencement, calmeront en partie ces regrets. Il est essentiel de conserver notre main-d'oeuvre à bon marché jusqu'à un certain point, & sans gêne cependant, tant que l'intérêt de notre argent sera haut : notre commerce extérieur en sera plus étendu ; les richesses qu'il apporte augmentent le nombre des consommateurs de la viande, du vin, du beurre, enfin de toutes les productions de la terre de seconde, troisieme & quatrieme nécessité. Ces consommations payent des droits qui soulagent la terre ; car dans un pays où il n'y auroit point de productions de l'industrie, ce seroit la terre qui payeroit seule les impôts. Réciproquement les manufactures augmentent avec la multiplication des bestiaux, & celle-ci fertilise les terres.

Nous avons encore remarqué que l'état est obligé d'entretenir un nombre très-considérable de matelots & de soldats, il est infiniment avantageux qu'ils puissent subsister avec leur paye médiocre, sans quoi les dépenses publiques s'accroîtront, & les taxes avec elles.

Ce n'est point non-plus sur une quantité d'argent qu'on peut comparer l'aisance des sujets de deux états. Cette comparaison doit être établie sur la nature & la quantité des commodités qu'ils sont en état de se procurer, avec la somme respective qu'ils possedent en argent.

Si la circulation de nos espèces est établie au même point que l'est en Angleterre celle des valeurs représentatives, si nos terres ne sont pas plus chargées dans la proportion de leur revenu, si le recouvrement des taxes est aussi favorable à l'industrie du laboureur, notre agriculture fleurira comme la leur ; nos récoltes seront aussi abondantes, à raison de l'étendue, de la fertilité des terres réciproques ; le nombre de nos cultivateurs se trouvera dans la même proportion avec les autres classes du peuple, & enfin ils joüiront de la même aisance que ceux de l'Angleterre.

Cette observation renferme plusieurs des autres conditions qui peuvent conduire l'agriculture à sa perfection. Les principes que nous avons présentés sur l'objet le plus essentiel de la culture, ont besoin eux-mêmes d'être secondés par d'autres, parceque les hommes étant susceptibles d'une grande variété d'impressions, le législateur ne peut les amener à son but que par une réunion de motifs. Ainsi la meilleure police sur les grains ne conduiroit point seule la culture à sa perfection, si d'ailleurs la nature & le recouvrement des impôts ne donnoient au cultivateur l'espérance, &, ce qui est plus sûr, n'établissoient dans son esprit l'opinion que son aisance croîtra avec ses travaux, avec l'augmentation de ses troupeaux, les défrichemens qu'il pourra entreprendre, les méthodes qu'il pourra employer pour perfectionner son art, enfin avec l'abondance des moissons que la providence daignera lui accorder. Dans un pays où le laboureur se trouveroit entre un maître avide qui exige rigoureusement le terme de sa rente, & un receveur des droits que pressent les besoins publics, il vivroit dans la crainte continuelle de deux exécutions à la fois ; une seule suffit pour le ruiner & le décourager.

Si le colon ne laisse rien pour la subsistance de l'abeille dans la ruche où elle a composé le miel & la cire, lorsqu'elle ne périt pas elle se décourage, & porte son industrie dans d'autres ruches.

La circulation facile des denrées est encore un moyen infaillible de les multiplier. Si les grands chemins n'étoient point sûrs ou praticables, l'abondance onéreuse du laboureur le décourageroit bientôt de sa culture. Si par des canaux ou des rivieres navigables bien entretenues, les provinces de l'intérieur n'avoient l'espérance de fournir aux besoins des provinces les plus éloignées, elles s'occuperoient uniquement de leur propre subsistance : beaucoup de terres fertiles seroient négligées ; il y auroit moins de travail pour les pauvres, moins de richesses chez les propriétaires de ces terres, moins d'hommes & de ressources dans l'état.

Dans un royaume que la nature a favorisé de plusieurs grandes rivieres, leur entretien n'exige pas de dépenses autant qu'une vigilance continuelle dans la police ; mais sans cette vigilance, la cupidité des particuliers se sera bientôt créé des domaines au milieu des eaux : les îles s'accroîtront continuellement aux dépens des rivages, & le canal perdra toûjours en profondeur ce qu'il gagne en largeur. Si les îles viennent à s'élever au-dessus des rivages, chaque année le mal deviendra plus pressant, & le remede plus difficile ; cependant le rétablissement d'une bonne police suffira le plus souvent pour arrêter le desordre & le réparer insensiblement. Puisqu'il ne s'agit que de rendre au continent ce que les îles lui ont enlevé, l'opération consiste à empêcher dans celles-ci l'usage des moyens qui les ont accrues, tandis qu'on oblige les riverains à employer ces mêmes moyens qui ne sont pas dispendieux, & avec la même assiduité.

Ces avantages de l'art & de la nature pourroient encore exister dans un pays, sans qu'il en ressentît les bons effets ; ce seroit infailliblement parceque des droits de doüannes particulieres mettroient les provinces dans un état de prohibitions entr'elles, ou parce qu'il seroit levé des péages onéreux sur les voitures, tant par terre que par eau.

Si ces doüannes intérieures sont d'un tel produit que les revenus publics fussent altérés par leur suppression, il ne s'agiroit plus que de comparer leur produit, à celui qu'on pourroit espérer de l'augmentation des richesses sur les terres, & parmi les hommes qui seroient occupés à cette occasion. A égalité de produit, on auroit gagné sur la population ; mais un calcul bien fait prouvera que dans ces cas l'état reçoit son capital en revenus : il ne faut qu'attendre le terme. Si ces droits rendent peu de chose au prince, & que cependant ils produisent beaucoup à ses fermiers, il devient indispensable de s'en procurer une connoissance exacte, & de convenir à l'amiable du bénéfice modéré qu'ils auront été censés devoir faire, pour le comparer au profit réel.

A l'égard des péages, il convient de partir d'un principe certain ; les chemins & les rivieres appartiennent au Roi. Les péages légitimes sont, ou des aliénations anciennes en faveur d'un prêt, ou les fonds d'une réparation publique.

Le domaine est inaliénable, ainsi le souverain peut toûjours y rentrer. Le dédommagement dépend de l'augmentation du revenu du péage à raison de celle du commerce : si cette augmentation a suffi pour rembourser plusieurs fois le capital & les intérêts de la somme avancée, eu égard aux différences des monnoies, & aux différens taux des intérêts ; l'état en rentrant purement & simplement dans ses droits, répare un oubli de la justice distributive. Si après cette opération les fermiers du domaine continuoient à percevoir le péage ; l'agriculture, le commerce, & l'état, n'auroient point amélioré leur condition ; le fermier seroit plus riche.

Lorsque les péages sont considérés comme les fonds d'une réparation publique, il reste à examiner si ces réparations sont faites, si la somme perçue est suffisante ou si elle ne l'est pas : dans ces deux derniers cas, il ne seroit pas plus juste qu'un particulier y gagnât, que de le forcer d'y perdre. En général le plus sûr est que le soin des chemins, des canaux, & des rivieres, appartienne au prince qui en est le propriétaire immédiat.

Cessons un moment d'envisager l'agriculture du côté du commerce, nous verrons nécessairement s'élever l'un après l'autre, tous les divers obstacles dont nous venons d'exposer le danger. Ils n'ont existé, que parce qu'on avoit négligé cette face importante du premier de tous les objets, qui doivent occuper les législateurs. Cette remarque est une preuve nouvelle, qui confirme que les progrès de l'agriculture, sont toûjours plus décidés dans un pays, à mesure qu'il se rapproche des saines maximes, ou qu'il les conserve mieux.

Cependant, comme un principe ne peut être à la fois général & juste dans toutes ses applications, nous ajoûterons à celui-ci une restriction très-essentielle, & que nous avons déja trouvée, être une conséquence de nos premiers raisonnemens.

L'établissement de l'équilibre le plus parfait qu'il est possible entre les diverses occupations du peuple, étant un des principaux soins du législateur, il lui est également important dans l'agriculture, de favoriser les diverses parties en raison du besoin qu'il en ressent. On n'y parviendra point par des gênes & des restrictions, ou du moins ce ne peut être sans desordre ; & à la fin les lois s'éludent lorsqu'il y a du profit à le faire. C'est donc en restraignant les profits qu'on fixera la proportion.

Le moyen le plus simple est de taxer les terres comme les consommations, c'est-à-dire toûjours moins en raison du besoin ; de maniere cependant que l'on n'ôte point l'envie de consommer les moindres nécessités : car on tariroit les sources de l'impôt & de la population. Cette méthode seroit sans doute une des grandes utilités d'un cadastre ; en attendant il ne seroit pas impossible de l'employer. Si nous avons trop de vignes en raison des terres labourables, cela ne sera arrivé le plus souvent que parce que les vignobles produisent davantage. Pour les égaler, seroit-il injuste que les vignes payassent le quinzieme, tandis que les terres labourables payeroient le vingtieme ?

C'est ainsi que chaque espece de terre se trouveroit employée sûrement & sans trouble à ce qui lui convient le mieux. Il ne reste rien de plus à desirer quand une fois les besoins urgens sont assûrés. Quels qu'ils soient d'ailleurs, les lois ne peuvent forcer la terre à produire ; leur puissance peut bien limiter ses productions, mais elle limite la population en même tems. De toutes les lois, la plus efficace est celle de l'intérêt.

Quoique mon dessein n'ait point été d'envisager l'agriculture du côté pratique, ce que nous avons dit des progrès de l'Angleterre dans cet art, & en particulier des améliorations prodigieuses faites dans le comté de Norfolk, m'engage à donner ici la traduction d'une lettre écrite l'année derniere dans cette province : elle peut être instructive pour les terres de même nature qui peuvent se rencontrer parmi nous. Mais auparavant il ne sera point inutile de donner une legere esquisse des diverses méthodes de l'agriculture angloise, & de proposer les doutes qui se rencontrent à la lecture de leurs livres oeconomiques : ils réduisent leurs terres propres à la culture, à six qualités.

1°. Les terres mouillées ; celles qu'on cultive sont de trois sortes ; les terres qui ont une pente sont desséchées par le moyen de tranchées ou de rigoles ; si les eaux viennent d'une source, on tâche d'en détourner le cours, en formant une digue avec la terre même qu'on enleve des tranchées.

Les terres voisines des rivieres ne sont jamais si abondantes qu'après les débordemens de l'hyver, parce que les rivieres charrient la plûpart un limon gras. Ainsi ces terres sont continuellement en rapport & sans art. Mais ces avantages sont quelquefois payés cher, par les ravages que causent les débordemens de l'été. Pour y remédier autant qu'il est possible, ces terres sont enceintes de haies & de fossés très-hauts.

De toutes les terres, les meilleures sont ce qu'on appelle les marais proche la mer : elles sont extrèmement propres à engraisser promtement les bestiaux ; on a même l'expérience que le mouton n'y contracte jamais cette maladie qui lui corrompt le foie. Lorsqu'on s'apperçoit qu'un troupeau en est infecté, on le descend promtement dans les marais ; & si l'on n'a point trop attendu, il se rétablit. C'est du moins ce qu'on a jugé par l'ouverture de plusieurs de ces animaux qui avoient été visiblement attaqués de ce mal, & dont la partie du foie corrompue s'étoit desséchée : preuve sans replique de la nécessité de mêler beaucoup de sel dans la nourriture des bestiaux. Ces terres exigent une grande dépense en chaussées & en fosses profondes pour empêcher l'eau d'y séjourner, sur-tout celle de la mer. Elles sont aussi sujettes à manquer d'eau douce ; on y supplée par des citernes. On a également soin de planter des arbres & des haies élevées pour servir d'abri aux troupeaux, soit pendant les chaleurs, soit pendant l'hyver.

2°. Les terres marneuses. Voyez MARNE. Je ne sais cependant si je dois rendre ainsi chalkly-lands. Le mot anglois chalk dérive du mot teutonique kalck, & tous deux signifient chaux & craie. Ce dernier n'est appliqué dans notre langue à la marne, que lorsqu'elle est calcinée : mais en anglois on la distingue en ce dernier état par le mot lime. Au contraire ils nomment marle ou marne, une terre grasse froide de sa nature ; ce qui est bien différent de notre marne dont la qualité est brûlante. Cette terre grasse & froide est bonne & propre à s'enfoncer par sa pesanteur, moins cependant que la pierre à chaux lime. On en distingue cinq especes.

La premiere est brune, veinée de bleu, mêlangée de petites mottes de pierre à chaux lime-stone : ils nomment cette espece cowshut-marle, ce qui je crois veut dire terre à bauge ; dès-lors c'est une espece de glaise.

La seconde est une maniere d'ardoise grasse ; elle en a pris le nom de slate-marle : elle est bleue ou bleuâtre, & se dissout aisément à la gelée ou à l'eau.

La troisieme espece est appellé diving-marle : ce mot signifie l'action de fouiller une mine ; cette espece est serrée, forte, & très-grasse.

La quatrieme est nommée clay-marle ou marne argilleuse, fort semblable à la glaise, tenant de sa nature, mais plus grasse, & quelquefois mêlée de craie en pierres, chalkstones.

Enfin la cinquieme est connue sous la dénomination de steel-marle ou marne dure. Elle se sépare d'elle-même en petites mottes de forme cubique, & se trouve communément à l'entrée des puits que l'on creuse. Celle-là me sembleroit plûtôt appartenir au genre des terres appellées chalkly-lands, & être notre véritable marne. Il y a sûrement de la confusion parmi les écrivains oeconomiques de cette nation ; car je remarque qu'ils conseillent tantôt l'usage de la marne marle pour les terres froides, tantôt pour les terres chaudes. Ce qui confirme ce soupçon, c'est que dans le dernier cas ils nomment indifféremment cet engrais, clay qui veut dire glaise, & marle que nous rendons par marne.

La bonne ou la mauvaise qualité de cette marne angloise ne se discerne pas tant par sa couleur que par sa pureté, c'est-à-dire que la moins mêlangée est préférable. Elle doit se briser en petits morceaux cubiques, être égale & douce comme de la mine de plomb, sans aucunes parties graveleuses ni sabloneuses. Si elle s'écaille comme l'ardoise, & qu'après une pluie ou exposée au soleil elle seche de nouveau & se réduise en poussiere, elle est certainement bonne. Quant à la qualité glissante au tact, gluante, ou huileuse, on n'en peut tirer aucune conjecture pour la bonté ; car on en trouve dans les mines qui est pure, seche, qui se divise aisément, & qui devient gluante si on la mouille.

Comme j'ai moins eu en vûe d'instruire que de proposer un point d'instruction à éclaircir, & que je n'ai point été en Angleterre, je ne rougis pas de mon embarras : je serois porté à croire que les Anglois ont mal-à-propos établi deux genres dans les terres argilleuses, & que nous n'avons pas assez distingué les especes ; il en résulteroit que des expériences & des recherches sur cette matiere, pourroient contribuer infiniment à l'avancement de l'Agriculture. Car il est certain que toutes ces terres ont leur utilité pour en engraisser d'autres, & que nous manquons de mots pour rendre les diverses especes comprises sous celui de marle.

Soit que le mot chalkly-lands signifie simplement terres à chaux ou marneuses ou crétacées, cette qualité est assez commune en Angleterre. On en distingue de deux sortes : l'une est dure, seche, forte, & c'est la plus propre à calciner : l'autre est tendre & grasse ; elle se dissout facilement à l'eau & à la gelée ; elle est propre au labourage, & à améliorer presque toutes les autres terres, principalement celles qui sont froides ou aigres : pour cet effet on en mêle une charretée avec deux ou trois, soit de fumier, soit de vase ou de terreau, & l'on répand ensuite ce mêlange sur les champs ou sur les prairies.

Ces terres produisent naturellement du pavot, & toutes les autres especes d'herbes qui croissent dans des terreins chauds & secs : elles sont propres au sain-foin, au treffle ; & si elles sont un peu grasses, la luserne y réussit. Le froment, l'orge, & l'avoine, sont les semences ordinaires qu'on leur donne.

L'engrais de ces terres est le parcage des moutons, le fumier ordinaire, de vieux chiffons, des rognures de draps qu'on coupe en très-petits morceaux, & qu'on jette sur la terre immédiatement après qu'on a semé. Ces rognures se vendent par sac ; on en répand quatre par acre : chaque sac contient six boisseaux, qui pesent environ trois cent quatre-vingt livres poids de marc.

S'il vient à pleuvoir immédiatement après les semailles avant que le grain ait levé, cette terre est sujette à se lier de façon que la pointe de l'herbe ne peut la pénétrer.

Dans la province de Hartford on prévient cet inconvénient, en fumant ces sortes de terres avec du fumier à moitié consommé : quelques-uns y mêlent une certaine quantité de sable. Ordinairement on les ensemence avec du froment, du méteil, de l'orge ; seulement après le froment on fait une récolte de pois ou de vesces.

Troisieme qualité, les terres argilleuses ou claylands. On distingue cinq sortes de glaises en Angleterre. La premiere appellée pure, est tendre & molle à la dent comme du beurre, sans le moindre mêlange graveleux ; du moins elle est plus parfaite à mesure qu'elle est plus pure : elle se divise elle-même en plusieurs qualités dont on tire la terre à foulon & l'engrais des terres. La terre à foulon est jaunâtre à Northampton, brune à Hallifax, & blanche dans les mines de plomb de la province de Derby. Cette qualité est la plus raffinée de celles de la premiere espece.

Il se trouve de la glaise pure dans les puits de marne, qui est d'un jaune pâle.

Dans les mines de charbon de terre on en rencontre une qualité qu'on appelle écaille de savon.

Enfin il y a cette glaise brune tirant sur le bleu, que les Anglois appellent indifféremment clay & marle. Ils en font un très-grand usage dans la culture des terres maigres, légeres, & sabloneuses. C'est dans le comté d'York que cette pratique a commencé, ou pour parler plus exactement, s'est renouvellée le plûtôt. C'est ordinairement sur le penchant d'une colline qu'elle se trouve, sous une couche de sable de la profondeur de quatre à cinq piés. Lorsque la glaise est découverte, on creuse un puits d'environ huit à dix piés de profondeur, & de quinze à vingt piés en quarré. La bonne glaise est bleuâtre, sans aucun mêlange de sable, compacte, grasse, & très-pesante ; elle est très-bonne à faire de la brique. C'est vers le milieu de l'été qu'on la tire, & par un tems sec. Cent charretées sont réputées nécessaires sur un acre de terre, environ un arpent un cinquieme de Paris. On observe que pendant trois ou quatre ans cette glaise reste en mottes sur la surface de la terre. La premiere année un champ ainsi engraissé rapporte de l'orge en abondance, d'un grain large, mais de mauvaise couleur. Les années suivantes le grain y croit plein, & arrondi comme du froment. On a l'expérience que cet engrais fertilise les terres pendant quarante-deux ans, & dans d'autres endroits plus long-tems. Dès qu'on s'apperçoit que les terres s'amaigrissent, il faut avoir soin de recommencer l'opération. Les terres sabloneuses auxquelles la glaise convient, ne rapportent jamais que du seigle, quelqu'autre engrais qu'on leur donne, fût-ce de la marne chalk : une fois glaisées, elles sont propres à l'avoine, à l'orge, aux pois, &c. Nous ne manquons point en France de cette espece de glaise, mais je ne me remets pas d'en avoir vû faire usage. A l'égard de la terre à foulon, nous n'en connoissons point encore de bonne : il seroit cependant difficile d'imaginer que la nature nous l'eût refusée, en nous prodiguant le reste. On a vendu à Paris de prétendues pierres de composition propres à détacher, qui étoient blanches, polies, tendres, savonneuses, taillées en quarré pour l'ordinaire, elles étoient à-peu-près de la qualité de ces écailles de savon dont nous venons de parler, & qui sont cendrées ; pas tout-à-fait aussi grasses dans l'eau, quoiqu'elles le parussent davantage étant seches. Le hasard me fit découvrir qu'elles se prenoient dans l'enclos de l'abbaye de Marmoutiers près Tours, dans un endroit appellé les sept Dormans. J'y ai fait chercher ; mais la terre s'étant écroulée depuis quelque tems, on ne m'a envoyé que de la pierre dure. Peut-être avec quelque légere dépense, dans les endroits qui produisent des qualités approchantes, pourroit-on parvenir à trouver la qualité supérieure. On trouve assez communément en Touraine de ces petites pierres d'un gris cendré, très-savonneuses, semblables à des écailles d'ardoise.

La deuxieme espece est une glaise rude, & qui se réduit en poussiere lorsqu'elle est seche : c'est proprement de la craie. Il y a d'autres qualités comprises sous cette espece, qui servent aux potiers : elles sont jaunes, jaunes-pâles, bleues ou rouges, plus ou moins grasses.

La troisieme espece est une pierre : lorsqu'elle est seche, elle est blanche, bleue, & rouge.

La quatrieme espece se trouve mêlée d'un sable ou gravier rond.

La cinquieme espece est distinguée par un mêlange de sable gras ou très-fin, & de talc luisant. Il s'en rencontre de blanche dans la province de Derbi, avec laquelle se font des fayences à Nottingham. Il y en a une autre qualité grise ou bleue dont on fait des pipes à fumer à Hallifax. L'exportation de cette derniere espece est défendue sous peine de mort, comme celle de la premiere espece.

Les terres argilleuses labourables sont noires, bleues, jaunes, ou blanches. Les noires & les jaunes sont réputées les plus propres à porter du grain ; quelques-unes sont plus grasses, d'autres plus gluantes : mais toutes en général sont sujettes à garder l'eau, ce qui engendre une quantité de mauvaises plantes mortelles principalement aux moutons. Ces terres se resserrent par la sécheresse, se durcissent à l'ardeur du Soleil & au vent, jusqu'à ce qu'on les ouvre à force de travail pour donner passage aux influences fécondes de l'air. La plûpart sont propres au froment, à l'orge, aux pois, aux feves, surtout si elles sont mêlées de pierres à chaux. Les meilleures sont bonnes pour la luzerne, & pour cette espece de prairie artificielle appelée ray-grass ou faux segle ; elles soûtiennent l'engrais mieux qu'aucune autre : ceux qu'on y employe sont le fumier de cheval & de pigeon, la marne chaude, le parcage des moutons, de la poussiere de malt, des cendres, de la chaux, de la suie, de cette espece de marne que les Anglois appellent chalck ou pierre à chaux. Nous observerons en passant que les cendres sont réputées & reconnues par expérience, être un des meilleurs moyens de féconder la terre. Les cendres de bruyere, de fougere, de genêt, de jonc, de chaume, enfin celles de tous les végétaux sont bonnes ; mais il n'y en a point de meilleures & dont l'effet soit plus durable, que les cendres du charbon de terre, principalement dans les terres froides. Il faut avoir attention de les garantir de la pluie, qui, en les lavant, emporteroit leurs sels : si cet accident est arrivé cependant, on y remédie en les arrosant d'urine ou d'eau de savon. Dans tous les cas cette préparation est très-bonne, puisque deux charretées de ces cendres ainsi apprêtées, feront plus d'effet sur un acre de terre que six qui ne l'auront point été.

Quatrieme qualité, les terres graveleuses & sabloneuses. On en tire très-peu de parti, parce que la plûpart sont stériles & sujettes, soit à se brûler par la chaleur, soit à se détremper trop par les pluies ; alors elles ne produisent que de la mousse, & se couvrent d'une espece de croûte. Celles qui ont un peu de terreau sur leur surface, ou dont le fond est de gravier, produisent quelquefois de très-bonne herbe, & sont destinées au pacage ; parce que si d'un côté elles se dessechent promtement, de l'autre la moindre pluie les fait revivre. Les terres de pur sable sont blanches, noires, bleuâtres, rouges, jaunes, plus ou moins dures les unes que les autres. Il y en a de couleur cendrée qui sont ordinairement couvertes de lande ou de bruyere, & dont on fait des pacages. Les terres graveleuses sont à-peu-près de la même nature ; & celles qui sont les plus pierreuses, mêlées d'un sable dur, sont les plus stériles. Les meilleures de ces terres sont ensemencées de segle, de blé noir, & de gros navets appellés turnipes qui sont destinés à nourrir les bestiaux. L'engrais le meilleur de ces terres, est une espece de glaise qui se dissout à la gelée, de la vase, du fumier de vache, & du chaume à demi-consommé dans le fumier.

Dans la province d'Hartfortd, l'amélioration des terres qui portent de la mousse, consiste à la brûler, à labourer ensuite ; elles donnent une ou deux belles récoltes de segle, & forment ensuite un pacage de très-bonne qualité.

Avant de quitter ces terreins arides, il est bon de remarquer que le sable n'est point inutile dans la culture des terres froides, comme les glaises fortes, pour les empêcher de se serrer. On choisit ordinairement celui des rivieres par préférence, ou celui que les eaux ont entraîné des collines. Ceux qui ont des étables y renferment leurs moutons pendant l'hyver : cela est fort rare cependant en Angleterre : deux fois la semaine on répand dans cette étable quelques charretées de sable, que l'urine & la fiente des animaux rendent un fort bon engrais.

Le sable de la mer & celui du rivage est encore d'un grand usage sur les côtes. Il est ordinairement rouge, gris tirant sur le bleu, ou blanc : les deux premiers sont les meilleurs. Lorsqu'il est répandu sur la terre, on le laboure, & l'on en tire quatre récoltes de suite, après lesquelles on laisse la terre en pacage pendant six ou sept ans : & l'on recommence. On observe que l'herbe qui croît dans ces champs, engraisse très-promtement les animaux, & leur donne une grande quantité d'excellent lait. Les grains qu'on y seme ont un tuyau fort court, mais les épis sont très-longs & très-gros.

Cinquieme qualité, les terres à brique : elles different de la glaise en ce que l'eau filtre aisément au-travers, & qu'elles ne sont point mêlées de pierres. Leurs productions naturelles sont du genêt, de la bruyere, du chiendent, & toutes sortes de mauvaises plantes. Les meilleures, lorsqu'elles sont bien fumées, sont ensemencées d'orge, d'avoine, de froment, de sarrasin, de turnipes, & de pois. Dans quelques-unes on seme du treffle ou de la luserne ; mais ces plantes n'y durent pas : en fait de prairies artificielles, c'est le faux segle qui y convient le mieux. Les engrais les plus convenables à ces terres, sont la marne & les cendres de charbon de terre.

Mais le mêlange de ces terres à brique avec les autres, est regardé comme une très-bonne amélioration, étant un moyen entre les extrèmes, liant les terres trop tendres, & rafraîchissant celles qui sont trop chaudes.

Sixieme qualité, les terres pierreuses ; elles sont ordinairement mêlangées de diverses qualités de terres ; leur fertilité & leur culture dépendent de la nature de ce mêlange. Si ces pierres sont de qualité froide, on tâche d'en purger le champ, excepté dans les terreins secs & legers où on les laisse.

Lorsque la terre est maigre, mêlée de petites pierres de la qualité du moilon, ou bien que le terroir est pierreux, mêlé de terre aigre, comme dans la province d'Oxford, on la cultive suivant qu'elle est plus ou moins couverte d'herbes ; si elles y sont abondantes, on brûle la terre vers le mois de Juillet ou d'Août : c'est la méthode employée dans toutes les terres stériles, aigres, couvertes de bruyeres & de joncs, soit qu'elles soient froides ou chaudes, seches ou mouillées ; & dans deux ou trois récoltes elles rendent, tous frais faits, plus que l'on en eût retiré de capital à les vendre.

Pour brûler ces terres on a coûtume de les parer : on se sert d'un instrument armé d'un soc recourbé sur un de ses côtés, de huit à neuf pouces de long ; un homme le pousse devant soi, & enleve le gason par formes d'un pié & demi, qui se renversent d'elles-mêmes ; on mord d'environ un demi-pouce, à moins que la terre ne soit remplie de racines ou de filamens : pourvû que ce soient des matieres combustibles, l'épaisseur des formes fera un bon effet ; on a soin de les renverser afin qu'elles sechent plus facilement, à moins que le tems ne soit très-sec, & alors on n'a pas besoin de tant de précaution. Dès que ces formes sont seches, on les entasse par petits monceaux de deux broüettées, & l'on y met le feu, qui prend aisément s'il se trouve beaucoup de racines ; sinon on l'anime avec de petits faisceaux de fougere ou de bruyere. On a l'attention de ne pas consumer cette terre par un feu vif, au point de la réduire en cendres blanches ; les sels nitreux s'évaporeroient, & l'opération seroit inutile. Avant de répandre ces cendres, on attend qu'un peu de pluie leur ait donné assez de consistance pour résister au vent. Les endroits où l'on a allumé les fourneaux sont parés de nouveau un peu au-dessus de la surface ; on laboure, mais peu avant, & l'on n'employe que la quantité ordinaire de semences ; si même c'est du froment, l'on seme tard en Octobre, afin de prévenir la trop grande abondance : preuve certaine de la bonté de cette méthode dans les plus mauvaises terres.

Quelques personnes mettent dans ces monceaux de cendres un quart de boisseau de chaux dure, & les laissent ainsi jusqu'à ce que la pluie vienne & fonde cette chaux ; lorsque le mêlange s'est ainsi opéré, on le répand sur la terre.

Lorsque le terrein dont nous parlons n'est pas fort couvert d'herbes, on lui donne de bonne-heure un labour, afin que la terre se couvre d'herbes fines qui la garantissent pendant l'été de l'ardeur du Soleil ; d'autres y font parquer les moutons pendant l'hyver, & y sement un peu d'herbe ; ou bien on se contente d'y mettre du fumier & d'y laisser du chaume. Dans les mois de Septembre, Octobre, ou Novembre, on prépare la terre suivant qu'elle est plus ou moins garnie d'herbes : l'on a éprouvé que cette méthode réussit mieux dans ces terres que des labours en regle.

En général les terres pierreuses en Angleterre, tenant davantage de la nature des glaises, on les gouverne à-peu-près de même.

Les prairies artificielles dont nous avons eu occasion de parler, sont une des grandes richesses de l'agriculture angloise : elle ne sépare jamais la nourriture des bestiaux du labourage, soit à cause du profit qu'elle donne par elle-même, soit parce qu'elle-même fertilise les terres : ainsi alternativement une partie des terres à blé d'une ferme est labourée & semée en grande & petite luserne, en treffle, en sainfoin, en gros navets, dont il paroît que nous conservons le nom anglois turnip, pour les distinguer des navets des potagers ; enfin avec une herbe qu'ils appellent ray-grass, qui est inconnue à nos cultivateurs, puisque nous n'avons pas de mot pour la rendre. Quelques personnes ont traduit ray-grass par segle avec peu d'exactitude, car il répond au gramen secalinum majus : ainsi c'est une des especes de chiendent que les Botanistes ont reconnue. Je le traduirai par faux segle ; & ce sera la seule espece de prairie artificielle dont je parlerai, puisque nous connoissons assez les propriétés & la culture des autres. Nous n'en tirons cependant presque point de parti en comparaison des Anglois ; aussi sommes-nous bien moins riches en troupeaux de toute espece : dès-lors toutes choses égales d'ailleurs, nos récoltes doivent être moins abondantes, notre agriculture moins lucrative, nos hommes moins bien nourris, ou à plus grands frais. Le faux segle est une des plus riches prairies artificielles, parce qu'il vient dans toutes sortes de terres froides, aigres, argilleuses, humides, dans les plus seches & les plus maigres, comme les terres pierreuses, legeres, & sabloneuses où le sainfoin même ne réussiroit pas. Il résiste très-bien aux chaleurs, & c'est le premier fourrage que l'on recueille, puisqu'on peut le couper dès le printems. Il devient très-doux à garder ; les chevaux n'en peuvent manger de meilleur, & il a des effets merveilleux pour les moutons qui ne se portent pas bien. On en seme ordinairement trois boisseaux par acre de loi, ce qui fait un peu plus que notre setier de Paris, & l'acre de loi est de 160 perches quarrées, la perche de 16 p. 1/2. Le plus sûr est d'y mêler un peu de graine de luserne, ou de nompareille autrement dite fleur de Constantinople & de Bristol. La raison de ce mêlange est que l'épi du faux segle vient naturellement très-foible & clair semé ; si on ne lui associoit pas une autre plante, il ne talleroit point la premiere année. Quatre acres ainsi semés ont rendu jusqu'à 40 quarters de graine, & 14 charretées de fourrage, sans compter l'engrais de sept à huit vaches au printems, & autant dans l'automne.

Ces notions préliminaires suffiront pour lire avec fruit & avec plaisir la lettre que j'ai annoncée : mais je n'étois pas assez versé dans l'Agriculture pour pousser mes recherches plus avant ; je souhaite qu'elles fassent naître le goût de l'instruction dans ceux pour qui elles seront nouvelles, ou que les méprises dans lesquelles j'ai pû tomber, excitent le zele de ceux qui sont en état d'instruire. L'expérience est la meilleure de toutes les leçons en fait de culture ; il seroit sort à desirer que ceux qui ont le bonheur de vivre dans leurs terres, saisissent ce moyen de varier leurs plaisirs, & d'accroître leurs revenus. Des expériences en grand sont toûjours imprudentes, mais en petites parties la dépense de celles que je conseille est legere. La seule voie de se procurer un corps complet d'agriculture, seroit sans-doute de rassembler les diverses observations qu'auroient fourni dans chaque province chaque nature de sol : on ne peut attendre d'instructions des mains auxquelles le soc est uniquement confié aujourd'hui.

Etat de l'agriculture dans le comté de Norfolk, & de la méthode qu'on y suit. L'application que les Anglois ont apportée à l'agriculture depuis un nombre d'années, leur a assûré dans ce genre une telle supériorité sur les autres nations, qu'il est intéressant de connoître la gradation de leurs succès dans chaque contrée.

On croit communément à Londres que feu milord Thownshend a le premier imaginé de féconder nos terres avec de la glaise. Cette opinion n'a d'autre fondement que le parti que prit ce seigneur de faire une dépense, par laquelle très-peu de nos gentilshommes songent à améliorer leurs terres qu'ils ne voyent presque jamais : celui-ci enrichit ses fermiers, & doubla ses revenus.

Il y a très-peu de grandes terres dans le royaume sur lesquelles mille guinées dépensées à-propos, ne rapportent au moins dix pour cent ; malgré l'absence de nos seigneurs & la dissipation de la plûpart d'entr'eux, il n'est point rare de voir des personnes de la premiere qualité s'appliquer à ces sortes d'améliorations.

Milord Thownshend s'étant retiré dans ses terres, imita d'abord, mais il surpassa bientôt ses modeles. Par ses soins il établit des fermes au milieu des bruyeres & des pacages ; il forma des champs fertiles, enclos de haies vives, dans des terreins réputés trop maigres jusques-là pour les labourer.

Ces sortes de défrichemens avoient déjà été poussés très-loin dans la partie occidentale de cette province. M. Allen, de la maison de Lynge, est le premier que l'on suppose y avoir glaisé une grande étendue de terres. Avant lui cependant on le pratiquoit ; mais les gens âgés de quarante à cinquante ans, ne se souviennent pas de l'avoir vû faire sur un plus grand espace que de deux ou trois acres.

Ces méthodes sont très-anciennes dans les provinces de Sommerset & de Stafford ; je ne doute point qu'elles ne le soient également dans celle-ci. Nous avons beaucoup de carrieres dont il paroît que l'on a tiré de la glaise, & qui même en ont conservé le nom dans des titres qui ont plus de 200 ans. Divers anciens auteurs oeconomiques parlent de cette maniere d'améliorer les terres par des engrais tirés de son sein même.

En Angleterre, la régence est l'époque de plusieurs établissemens avantageux à l'agriculture : un des principaux, à mon avis, est l'introduction des prairies artificielles ; elles ne furent d'un usage commun que sous le regne qui suivit : cependant on voit par les ouvrages de MM. Hartlip & Blith, qu'elles commencerent alors à prendre pié. En 1689, on établit la gratification sur la sortie des blés. Au commencement de ce siecle, on introduisit l'usage de nourrir des bestiaux avec des navets ou turnipes.

L'avantage d'enclorre les pieces de terre a été connu depuis long-tems dans nos provinces ; & depuis qu'on s'est dégoûté du partage des terres en petits héritages, l'ancienne coûtume est revenue plus facilement ; souvent leur mêlange empêchoit que l'on ne pût clorre de grandes enceintes. La province de Norfolk a été particulierement dans ce cas, au point qu'autrefois les chefs-lieux n'étoient pas fermés.

La plûpart des terres de cette province sont molles & legeres, un peu grasses, & en général assez profondes (Loam). Les fermiers de la partie occidentale ont long-tems borné leur culture à nourrir des brebis pour avoir des agneaux, qu'ils vendoient aux provinces voisines pour faire race.

Depuis la défense de l'extraction des laines, le prix en a diminué ; celui des moutons en a souffert également, tandis que la valeur du blé, du beurre, & du gros bétail augmentoit. Cette révolution n'a pas peu contribué à introduire la nouvelle culture dans cette province, où les grains, le beurre, & le gros bétail, sont par conséquent devenus plus abondans.

A cette cause j'en joindrai une autre plus éloignée, mais qui doit aussi avoir influé sur ce changement. On sait que les Hollandois ont beaucoup diminué des achats qu'ils faisoient des blés de la Pologne par Dantzick ; soit que les guerres civiles ayent laissé dans ce royaume des vestiges de leurs ravages ordinaires ; soit que la plus grande demande des Suédois depuis la paix de Nystad y ait renchéri les prix. En effet, par ce traité la Russie est en possession des seules provinces qui puissent fournir à la subsistance de la Suede, & l'extraction des grains n'y est pas toûjours permise.

Ces deux dernieres circonstances peuvent avoir contribué à l'amélioration des terres dans le comté de Norfolk, plus qu'en aucun autre endroit ; parce que sa situation est la plus commode pour le transport en Hollande ; elle a dû faire en même tems plus de bruit, parce que sous la reine Elisabeth c'est la province où le labourage fut le plus abandonné pour la nourriture des moutons.

Toutes ces causes ont vraisemblablement concouru aux progrès rapides de notre province dans l'agriculture, & y ont accrédité une méthode connue il y a près de cent ans, mais dont l'usage s'est infiniment accrû depuis.

Pour en concevoir mieux la différence, il faut en examiner l'état progressif dans plusieurs métairies dont les propriétaires n'ont encore pû se résoudre à quitter une pratique qui les a fait vivre & leurs peres, quoiqu'ils voyent leurs voisins s'enrichir par la nouvelle.

Il reste encore un petit nombre de fermes dont les champs sont ouverts, & ne peuvent joüir du bénéfice des prairies artificielles. Quelques-uns de ces propriétaires cependant ont glaisé leurs terres ; mais ils n'en retirent pas autant d'avantage que leurs voisins qui sont enclos. La raison en est simple, ils suivent la routine de leurs quadrisayeuls. A une récolte de froment succede une année de jachere ; ensuite deux, trois ou quatre moissons au plus d'orge, d'avoine, de pois, après lesquelles revient une année de repos. Par conséquent sur trois, quatre ou cinq ans, il y en a toûjours au moins une de perdue, pendant laquelle la terre reste en friche & s'amaigrit. Les meilleures de ces terres rapportent de 5 à 8 s. st. par acre (de 6 à 9 liv. 10 s. tournois), & aucun fermier ne peut vivre dessus. Quelques-uns sement un peu de treffle ou de luserne, mais avec peu de profit, étant obligés de donner du fourrage à leurs bestiaux pendant l'hyver ; & dans la saison où chacun les envoye paître dans les champs, leur herbe devient commune aux troupeaux des autres.

Quelques-unes des parties encloses ne sont point glaisées, & l'on y seme peu de luserne ; on se contente d'y recueillir du froment ou du segle après une année de repos. Tous à la vérité sement des navets, mais en général ces laboureurs usent leurs terres par des récoltes successives, & qui dès lors sont peu abondantes. Ceux qui ne glaisent point laissent pour la plûpart leurs champs ouverts ; d'autres glaisent & ne ferment point non plus leurs pieces de terres, par conséquent ils perdent l'avantage des prairies artificielles.

Il s'agit maintenant d'expliquer en quoi consiste cet avantage, & comment il est plus considérable dans nos terres qu'ailleurs.

J'ai dit que le revenu ordinaire de nos meilleures terres est de 5 à 8 s. st. par acre. Lorsqu'un homme en possede en entier une certaine étendue, il peut y faire avec profit les améliorations dont nous parlons ; mais en général c'est dans les défrichemens qu'il y a le plus à gagner.

Les terres en pacage sont estimées communément du produit de 2 à 4 s. st. par acre. Lorsqu'elles avoient nourri des moutons pendant sept, dix ou quinze ans, l'usage étoit de les labourer ; elles donnoient communément une récolte de segle, qui étoit suivie par une autre d'orge ou d'avoine. Ces terres retournoient ensuite en pacage pour autant de tems, & d'autres prenoient leur place. Au bout de quelques années elles se trouvoient couvertes d'une croûte dure & assez mince.

C'est dans cet état que je les prends. On répand sur la surface de chaque acre environ quarante à quarante-six charretées de glaise grasse. La moins dure est réputée la meilleure ; elle est grisâtre, au lieu que notre marne est brune. On pensoit autrefois que la marne étoit la seule substance capable de féconder ces terres ; mais l'expérience a prouvé que la glaise est préférable dans les terres chaudes & légeres. Il est d'ailleurs plus facile de se la procurer. Il est rare que sur trente à quarante acres de terre, il ne s'en trouve pas quelque veine. Si elle étoit éloignée, la dépense deviendroit trop considérable.

Les puits que l'on creuse retiennent l'eau pour l'ordinaire, & forment un réservoir dans chaque piece de terre ; avantage que j'ai souvent entendu évaluer par nos fermiers à un quart du revenu d'un champ, lorsque les bestiaux y paissent en été ; ce qui arrive deux fois en cinq ans.

La clôture de ces pieces de terre est une haie alignée d'épine blanche. A chaque perche de distance (16 piés 1/2) nous plantons un chêne. Plusieurs qui l'ont été dans le tems où l'on a commencé à clorre les pieces de terre, promettent de très-beau bois de construction à la prochaine génération. Ces haies croissent fort hautes, & forment avec les arbres un abri très-salutaire tant aux grains qu'aux bestiaux.

Dans nos terres nouvellement défrichées, nous semons rarement autre chose que des navets pour la premiere fois. Les façons que l'on donne à la terre la purgent des mauvaises herbes, & aident à la mêler avec l'engrais qui a été répandu sur la surface. Ce dernier objet est perfectionné par la récolte des navets, soit qu'on les leve de terre pour nourrir les bestiaux pendant l'hyver, soit qu'on les fasse manger sur le lieu. La seconde méthode est préférable, elle améliore la terre & opere mieux le mêlange. Si cependant le champ est sujet à être trop mouillé pendant l'hyver, on transporte les navets dans une autre piece ; mais comme cette terre est bénéficiée, elle paye suffisamment cette dépense sur sa récolte. Après les turnipes vient l'orge ou l'avoine. Avec l'une ou l'autre on seme de la graine de luzerne qui produit une récolte pour l'année suivante, soit qu'on la fauche, soit qu'on la laisse paître par les bestiaux. Le froment succede régulierement à la luzerne, & de cette façon on ne perd aucune moisson. La terre reçoit quelquefois jusqu'à trois labours, mais le plus souvent on se contente d'un seul. Les racines de luzerne ou de treffle se trouvant labourées & enfoncées dans le sillon, il en pourroit résulter que la terre se chargeroit d'herbes ; on y remédie en semant des navets on turnipes immédiatement après le froment. Si cependant la récolte du froment s'est trouvée nette, on la remplace par de l'orge.

Au moyen de cette culture nous semons cinq fois plus de froment que nous ne faisions, & deux fois plus d'orge. Le froment nous rend trois fois plus qu'il ne faisoit, & l'orge deux fois seulement.

Le pays est devenu plus agréable à la vûe au moyen des plantations, qui forment en même-tems un abri salutaire contre l'ardeur du soleil & la violence des vents ; il y a trois fois plus de travail, qui soutient le double de familles qu'il n'y en avoit auparavant ; & quoique notre population se soit si fort accrue, nous avons les denrées à meilleur marché. Une ancienne ferme est partagée en deux, trois ou quatre, suivant sa force. On a construit de nouveaux bâtimens, les anciens sont réparés, toutes les maisons sont de brique : chaque jour nos chefs-lieux & nos marchés deviennent plus considérables. Il s'y trouve déjà dix fois plus de maisons qu'il n'y en avoit ; le nombre des ouvriers s'est multiplié dans la même proportion. Nos gentils-hommes ont doublé leurs revenus, & quelques-uns l'ont augmenté par-delà, suivant que la terre s'est trouvée plus ou moins propre à recevoir les améliorations. M. Morley de Barsham retire 800 livres sterling d'un bien qui n'étoit loüé, il y a quelques années, que 180 livres. Il y a une ferme à Scultorque, qui, à ce qu'on m'a assûré, a monté de 18 livres à 240 livres sterling. Ces exemples sont rares : cependant nos terres sont communément loüées de 9 à 12 s. sterling par acre, dixme payée (de 11 liv. à 14 liv. tournois), & les fermiers sont à leur aise. Plusieurs dans des baux de 21 ans, sur des terres affermées à l'ancien taux, ont gagné des dix mille livres sterling & plus.

La glaise que nous mettons sur nos champs est une terre neuve, dont le mêlange avec l'autre en fait une grasse, mais en même tems chaude & legere. Nous recueillons quatre quarters & plus de froment par acre, quoique nous labourions avec des chevaux de 40 s. à 3 liv. st. piece. Un petit garçon les conduit, & laboure ses deux acres par jour : tandis que dans presque tout le reste de l'Angleterre on laboure avec quatre chevaux, même six ; & deux hommes ont de la peine à labourer trois quarts d'acre par jour. Les provinces d'Essex & d'Hartford passent pour les plus fertiles du royaume ; c'est ainsi qu'on y laboure. Jamais on n'y fait une récolte de froment sans laisser reposer la terre ; les aféagemens y sont plus chers : il faut pour que le fermier vive, que le froment vaille 12 livres le last (26 à 27 livres le setier de Paris), tandis qu'à ce prix les nôtres s'enrichissent.

Il ne faut pas croire que cette amélioration ne dure qu'un certain nombre d'années : nous sommes convaincus que si la qualité de la glaise est bonne, que la terre soit bien conduite, c'est-à-dire si les champs sont fermés, la luzerne & les turnipes semés à propos, c'est pour toûjours. Nous avons des terres ainsi améliorées depuis 30, 40, 50, & même 60 ans, qui sont aussi fertiles que celles qu'on a défrichées depuis peu. Il n'y a eu de différence que pendant les cinq ou six premieres moissons, qui sont réellement prodigieuses. Après tout, on peut se procurer ce bénéfice en faisant tous les 30 ans la dépense d'y répandre environ 20 à 30 charretées : elle est toûjours bien assurément payée.

J'ai dit que notre terre en général est molle & profonde, mais dans la partie occidentale est si legere que c'est de pur sable. J'ai oüi dire qu'elle n'étoit susceptible d'aucune amélioration, je n'en sais rien par moi-même : je suis bien assûré seulement que je n'en ai vû aucune où on l'ait tenté en vain ; & j'en connois beaucoup qui ont très-bien répondu aux dépenses, quoiqu'on les eût toûjours regardées comme absolument stériles.

Nous avons une espece de glaise bleuâtre extraordinairement compacte, & en général fort remplie de pierres à chaux ; on dit communément qu'elle n'est bonne à rien parce qu'elle reste en motte, & que ne se brisant jamais, elle ne s'incorpore point avec le sol où elle est déposée. Tant d'honnêtes gens m'ont assuré qu'on avoit en vain essayé de l'employer dans ces terres sabloneuses dont je parle, que je suis obligé de les croire. Ils prétendent qu'à la longue elle s'est enfoncée dans la terre par sa propre pesanteur, sans lui avoir procuré la moindre fécondité. Avec tout cela j'ai peine à me persuader qu'une partie ne se soit pas desséchée & réduite en poussiere. J'en ai bien observé moi-même qui restoit ainsi pendant des années sur la terre sans se diviser, mais je faisois alors cette réflexion dont conviennent unanimement les habiles cultivateurs, que pour améliorer il faut labourer avec art.

La plûpart des glaises employées aux améliorations, excepté les blanches, sont mêlées de petites pierres à chaux, qui échauffent sans-doute les terres froides, où j'ai vû ce mêlange opérer les mêmes effets que si les terres eussent été chaudes. Dans ces dernieres elle retient l'humidité, ce qui est très-convenable à nos terres molles ; car autant elles sont fertiles dans les années mouillées, autant elles se comportent mal par les sécheresses. C'est une chose rare en Angleterre que ces années-là ; on en voit au plus une sur dix : mais lorsqu'au printems seulement la saison semble se mettre au sec, le sol de nos cantons s'échauffe d'une maniere étonnante, & déperit plus que d'autres qui ne valent pas la moitié autant.

Le transport de 120 charretées de glaise nous coûte environ 1 liv. 4 s. st. (28 liv. 14 s. tourn.) La dépense de les bécher, de les charger, & de les répandre, va au même prix. Ainsi 80 charretées par acre nous coûtent 1 liv. 12 s. st. (38 liv. 12 s. tourn.) Avec les frais de clôture des pieces & autres, il faut compter 2 liv. sterl. (47 liv. tourn.) Nos revenus augmentent de 4 sols st. par acre (4 l. 14 s. tourn.) ainsi nos avances nous rentrent sur le pié de 10 %. Cet intérêt paroîtra peut-être médiocre dans d'autres parties du monde : mais en Angleterre c'est la meilleure méthode de faire valoir son argent ; car les terres s'y vendent très-rarement au dernier vingt, & communément fort au-dessus, sans compter les charges & les réparations.

Ce changement est un des plus utiles qui se soient faits dans cette province : mais une chose remarquable, c'est que tandis que l'agriculture nouvelle a enrichi les contrées les plus pauvres & les plus éloignées de la capitale ; ce qu'on appelloit les riches terres d'Angleterre a diminué de valeur, par le moyen des prairies artificielles. Nous cueillons du froment dans des milliers d'acres qu'on croyoit stériles ; à l'aide des turnipes nous engraissons en toute saison une quantité de bétail aussi heureusement que dans les meilleurs pacages ; la luserne, le treffle, le sainfoin, ont doublé la quantité de nos fourrages. Enfin tandis que toutes choses haussent de prix, les rentes seules des prairies naturelles & des terres à froment ont baissé.

C'est une observation très-judicieuse que celle de M. Elliot, lorsqu'il dit dans ses essais, qu'après les guerres civiles rien ne contribua plus au promt rétablissement de l'Angleterre, que l'usage introduit alors des prairies artificielles. M. Hartlib vanta & publia le premier cette méthode d'améliorer les terres. Il vécut assez pour en voir de grands succès : mais il est rare que ces sortes d'expériences deviennent générales en peu de tems. Depuis 50 ans l'agriculture est réformée sans-doute, mais ce n'est que depuis les vingt dernieres années que nous en ressentons les effets surprenans.

Autrefois nous n'exportions point de froment, & même la Pologne nous approvisionnoit souvent ; nous sommes devenus le grenier de l'Europe le plus abondant.

Les biens, depuis 50 ans, ont augmenté d'un tiers en valeur au moins ; les prairies naturelles seules, & les pâtures, ont baissé d'un tiers, & baissent chaque jour. Le prix du foin est considérablement diminué, quoique la consommation s'en soit fort accrue.

Le prix du pain est diminué, malgré la gratification sur la sortie des grains. Enfin pour juger de la richesse de nos récoltes, il suffit de faire attention qu'en une seule année l'état a payé un million sterling en gratifications. (Il pourroit bien y avoir erreur ; car la somme est exorbitante, & je n'ai vû ce fait que dans cet endroit) ; & que pendant plusieurs années de suite, cette dépense n'a pas été beaucoup moins forte.

Nous devons ces succès à la nouvelle agriculture, c'est-à-dire aux prairies artificielles, mais principalement à la luserne & aux turnipes. La luserne est sans contredit la plus avantageuse de ces prairies artificielles ; mais dans des sols particuliers les autres ont mieux réussi, comme le sain-soin dans les terres seches & qui n'ont point de fond. Je ne vois pas qu'on ait eu une confiance aussi générale dans les turnipes, excepté dans la province de Norfolk & dans les cantons adjacens : cependant l'usage en est connu dans tout le royaume, où il est plus ou moins commun selon les endroits. C'est un fourrage excellent pour les troupeaux pendant l'hyver, & une prairie pendant l'été : ils réussissent à merveille dans une terre profonde, quoique legere, & même dans la plus legere si elle est bien entretenue. Enfin depuis que nos champs sont enclos ; que nous faisons succéder régulierement une récolte de froment à une de treffle ou de luserne, & cela dans des endroits qui le plus souvent n'avoient jamais rien produit, nos fermiers tirent de leurs terres cinq fois plus qu'ils n'avoient jamais fait.

Nous avons dans cette province au moins 20 mille acres de terres à froment, cultivées depuis quelques années, qui ne l'étoient point du tout auparavant ; sans compter que les autres terres qui l'étoient ne rapportoient pas la moitié autant. Encore nos dépenses sont elles moins grandes que par-tout ailleurs : nous ne labourons & ne hersons qu'une fois. Il faut avoüer que c'est à l'usage de la glaise que nous sommes redevables de la fécondité de nos terres & du succès de notre luserne. Voyez l'article GRAINS ; voyez aussi les élemens du Commerce. Cet article est de M. V. D. F.


CULVERTAGES. m. (Jurisp. & Hist. anc.) culvertagium, nom que l'on donnoit anciennement à une servitude très-ignominieuse, dont l'étymologie & la signification ne sont pas bien connus. On croit que ce terme signifioit la confiscation du fief du vassal. On appelloit cuverts certains serfs de main-morte, dont il est parlé dans l'ancienne coûtume d'Anjou glosée ; il y a un titre de homme étrange & cuvert. Il y est dit que si un gentilhomme a cuvert en sa terre ; ce que l'on explique par le terme de serf. On appuie cette explication d'un passage de Matthieu Paris sous l'an 1212, qui porte que le Roi ordonna à tous ceux qui étoient capables de porter les armes, de se trouver avec des chevaux, sous peine de culvertage, sub nomine culvertagii & perpetuae servitutis ; que chacun ne craignoit rien tant, nihil magis quàm opprobrium culvertagii metuentes. Matthieu de Westmunster dit la même chose sous l'an 1213. Voyez Guillaume Prynnenn, in libert. Angl. tome II. p. 269. Quelques-uns prétendent que ce terme culvert vient de collibertus, qui signifie celui qui a été affranchi avec un autre esclave par un même seigneur ou patron. M. de Lauriere en sa note seconde sur le chap. xcvj. des établissemens de saint Louis, rapporte cette étymologie : d'autres la tirent du latin culum vertere, c'est-à-dire tourner le cul, prendre la fuite. Le glossaire de Ducange rejette cette étymologie, comme étant sans fondement. L'auteur convient que la signification de ce terme est incertaine, & presqu'inconnue aux plus habiles grammairiens des langues françoise & angloise : il fait seulement entendre que ce culvertage étoit une servitude très-ignominieuse ; & que s'il est permis de hasarder des conjectures, on peut présumer que ce terme culvertage signifioit confiscation de fiefs, ce qui paroît appuyé sur la coûtume de Sole, tit. x. art. 8. où il est dit couvrir le feu du vassal, pour confisquer son fief. (A)


CUMANA(la) Géog. mod. ville de l'Amérique méridionale dans la Terre-ferme, capitale de la province de même nom. Long. 314. lat. 9. 46.


CUMANIE(Géog. mod.) pays de la Moldavie & de la Valachie, entre le Danube & la riviere d'Olt, du côté de la Tartarie.


CUMBERLAND(Géog. mod.) province maritime d'Angleterre avec titre de duché ; elle est très-abondante en pâturages, mines de plomb, de cuivre & de charbon de terre : Carlisle en est la capitale.


CUMINS. m. (Hist. nat. bot.) cuminum ; plante ombellifere dont la tige s'éleve environ d'un pié, & qui a la feuille lasciviée, & la fleur en ombelle, blanche & petite : cette fleur fait place à des semences oblongues, cannelées légerement sur le dos, blanchâtres ou cendrées, & d'une odeur & d'un goût aromatiques. Tournef. Instit. rei herb. (I)

CUMIN, (Matiere medic.) La semence de cette plante, qui est la seule de ses parties que l'on employe en Medecine, aide la digestion & dissipe les vents ; c'est pourquoi quelques-uns la mettent dans le pain & dans les fromages : elle est utile dans la colique venteuse, dans la tympanite & le vertige qui vient d'une mauvaise digestion, soit qu'on le prenne intérieurement, soit qu'on l'applique à l'extérieur. Cependant pour l'usage interne on préfere la graine de carvi à celle de cumin : celle-ci est moins agréable & plus forte, mais on employe préférablement la graine de cumin à l'extérieur. (Geoffroy, Mat. med.)

La graine de cumin est fort peu usitée parmi nous dans les préparations magistrales, mais les Allemands l'employent assez communément ; ils les font entrer dans leurs especes cordiales, stomachiques, emménagogues, &c.

On employe beaucoup plus cette semence dans nos boutiques ; on en tire par la distillation une eau & une huile essentielle.

Les compositions de la Pharmacopée de Paris dans lesquelles elle entre, sont celles-ci : l'eau générale, l'eau hystérique, l'orviétan, l'électuaire de baies de laurier, le caryocostin, le baume oppodeldoc, l'onguent martiatum, l'emplâtre diabotanum.

La semence de cumin est une des quatre grandes semences chaudes. Voyez SEMENCES CHAUDES.

Les Allemands la mangent communément sur du pain mêlée avec du gros sel, pour s'exciter à boire. (b)


CUMINOIDES(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales frangés pour l'ordinaire, disposés en rond, & soûtenus par le calice, qui devient dans la suite une semence le plus souvent oblongue. Tournef. Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


CUMULS. m. (Jurisprud.) est un droit singulier qui n'a lieu que dans quelques coûtumes qui l'établissent expressément. Il consiste dans la faculté que les héritiers des propres ont lorsque les meubles & acquêts sont considérables, & que les propres sont en petite quantité, de demander que l'on accumule le tout, & qu'on leur en donne le tiers ; mais pour cela il faut que les meubles & acquêts excedent des trois quarts la valeur des propres.

Ce droit de cumul n'a lieu qu'en faveur des enfans, & non pour les collatéraux : il n'a pas lieu non plus dans les coûtumes de subrogation, telles qu'Anjou & Maine, attendu qu'elles ont assez pourvû à l'intérêt des héritiers des propres, en subrogeant les acquêts aux propres : enfin il ne s'étend point aux biens qui sont situés dans d'autres coûtumes que celles qui l'établissent. Voyez le Brun, traité des success. lib. II. ch. 4. n. 61. (A)


CUMULERv. act. (Jurisprud.) signifie réunir & joindre ensemble plusieurs objets. On ne peut pas cumuler en sa personne deux causes lucratives ; ce n'est pas à dire néanmoins qu'il soit défendu de réunir deux titres pour avoir une même chose : on cumule au contraire tous les jours droit sur droit & différens titres pour avoir une même chose ; mais on ne peut pas demander deux fois la même chose en vertu de deux titres différens. Voyez CAUSES LUCRATIVES. (A)


CUNÉIFORMEos du crâne, voyez SPHENOÏDE.

CUNEÏFORMES, (Anatom.) os du tarse. C'est le nom qu'on donne aux trois derniers os du tarse, à cause de quelque ressemblance qu'ils ont avec des coins. Dans un foetus de neuf mois, les trois os cunéiformes ne sont tous encore que des cartilages qui s'ossifient dans la suite : ils sont situés entre les trois premiers os du métatarse, le cuboïde & le scaphoïde : leur grosseur & leur grandeur n'est point la même dans tous les trois ; car le premier ou le plus intérieur est le plus grand ; le troisieme l'est plus que le second, & il a moins de volume que le premier.

Les Anatomistes considerent dans chacun de ces os cinq faces, de même que dans un coin ; leur situation est telle, que le second & le troisieme ont leur pointe tournée vers la plante du pié, tandis que le premier a la sienne tournée vers le dessus du pié. Ils sont joints par leur face antérieure aux trois premiers os du métatarse, & par la postérieure avec l'os scaphoïde. On observe que le troisieme est joint aussi par sa face externe au cuboïde.

L'articulation des trois cunéiformes avec l'os cuboïde, & celle de ces quatre os avec les os du métatarse, & celle des os du métatarse entr'eux, ont un mouvement très-obscur. C'est au moyen de ces articulations que l'on peut courber ou voûter le pié selon sa longueur, & tant soit peu selon sa largeur : ce dernier mouvement est moins obscur vers les têtes des os du métatarse, que vers leur base, & vers les os du tarse qui sont dans le voisinage.

Ajoûtons un mot des ligamens qui attachent les trois cunéiformes au scaphoïde & au cuboïde. Ils sont joints ensemble dans leur partie supérieure & inférieure, par des plans ligamenteux particuliers, qui vont plus ou moins transversalement d'un os à un autre, étant unis à une bande ligamenteuse commune qui les couvre tous, & qui s'étend même sur le cuboïde. Ils sont encore joints dans leur partie supérieure & inférieure, avec les quatre premiers os du métatarse par plusieurs ligamens ; mais ceux de la partie supérieure ne sont que des bandes ligamenteuses très-courtes, qui de la partie antérieure de ces os vont se rendre à la postérieure des quatre derniers du métatarse.

Il seroit inutile d'entrer dans de plus grands détails ; les figures même ne les rendroient pas sensibles. Pour comprendre l'arrangement de tous ces os en place, leurs articulations, les divers ligamens qui les attachent, il faut avoir devant les yeux un squelete frais préparé, & un démonstrateur pour guide. Cet art. est de M(D.J.)


CUNETTou CUVETTE, s. f. en terme de Fortification, est une profondeur de dix-huit à vingt piés de large, pratiquée dans le milieu d'un fossé sec, pour en faire écouler l'eau, ou pour en mieux disputer le passage à l'ennemi. Voyez FOSSE.

Cet ouvrage doit être construit de maniere à ne pas donner de couvert à l'ennemi lorsqu'il veut passer le fossé ; c'est pourquoi il est nécessaire qu'il y ait des caponnieres dans le fossé, pour flanquer la cunette. Voyez CAPONNIERE, & Pl. I. de Fortif. fig. 11. une cunette marquée par les lettres a, a. (Q)


CUNEUSest le nom latin d'une des puissances méchaniques, appellée plus communément coin. Voyez COIN.


CUNGEHANG(Géogr. mod.) ville forte de la Chine dans la province de Chiensi. Lat. 26. 51.


CUNINAS. f. (Myth.) divinité sous la protection de qui on mettoit ou l'on supposoit les petits enfans ; si elle présidoit à leurs premiers cris, c'étoit un dieu, & elle s'appelloit vaticanus deus, si elle les disposoit à faire les premiers pas, elle devenoit déesse, & elle prenoit le nom de dea levana ; si elle veilloit pour eux dans le berceau, on la nommoit cunina ou cunaria. Voyez l'art. CUBA.


CUNNINGHAM(Géograph. mod.) province de l'Ecosse méridionale, bornée par celles de Kye, de Cluydesdale, de Lenox, & par la mer : elle est une des plus abondantes de l'Ecosse.


CUNTURCONTOUR, ou CONDOR, s. m. (Hist. nat. Ornithol.) très-grand oiseau ; il a quinze piés d'envergure ; ses ongles ressemblent plûtôt à ceux des poules qu'aux griffes des oiseaux de proie, cependant son bec est assez fort pour ouvrir le ventre à un boeuf. Il a sur la tête une crête qui n'est pas découpée comme celle du coq ; son plumage est noir & blanc, comme celui d'une pie. Les cunturs font un très-grand bruit en s'abattant sur terre ; aussi les Indiens du Pérou où il y a de ces oiseaux, & même les Espagnols, en ont-ils grand'peur. On en a tué un sur la côte de Chily, qui avoit seize piés d'envergure. La longueur de l'une de ses plumes étoit de deux piés quatre pouces ; le tuyau avoit cinq pouces trois quarts de longueur, & un pouce & demi de largeur à l'endroit le plus gros ; la plume entiere pesoit trois gros & dix-sept grains & demi ; sa couleur étoit d'un brun-obscur.

Les cunturs restent sur les montagnes, ils n'en descendent que dans les tems de pluie & de froid ; ils vivent alors de quelques gros poissons que la tempête jette assez souvent sur les côtes : on dit qu'ils ont quelquefois dévoré des enfans de dix à douze ans. On prétend, dit M. de la Condamine, que les Indiens présentent à ces oiseaux pour appas une figure d'enfant d'une argile très-visqueuse ; ils fondent dessus, & y engagent leurs serres de façon qu'ils ne peuvent plus s'en dépétrer. M. de la Condamine a vû des cunturs dans plusieurs endroits des montagnes de Quito, & on lui a rapporté qu'il s'en trouvoit aussi dans les pays-bas des bords du Marannon. Voyage de la riviere des Amazones, & hist. des Incas, &c.

On croit qu'il y a aussi de ces oiseaux dans la région de Sophala, des Cafres & de Monomotapa, jusqu'au royaume d'Angola, & on soupçonne qu'ils ne different pas de ceux que les Arabes ont appellés rouh. (I)


CUPANIES. f. (Hist. nat. bot.) cupania, genre de plante dont le nom a été dérivé de pere François Cupani de Sicile, religieux du tiers-ordre de saint François. La fleur des plantes de ce genre est en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond : il s'éleve du fond du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit dur comme du cuir, fait en forme de poire, qui s'ouvre d'un bout à l'autre en trois parties, & qui renferme des semences rondes, dont chacune est attachée à une petite coeffe charnue. Plumier, nova plant. Amer. gener. Voyez PLANTE. (I)


CUPIDITÉS. f. (Morale) Voyez CONCUPISCENCE.


CUPIDONS. m. (Myth.) voyez l'art. AMOUR.


CUPOLO(Métallurg.) Les Anglois donnent ce nom à un fourneau à reverbere dont on se sert pour faire fondre les mines de plomb. On emploie le charbon de terre dans ces fourneaux ; on s'en sert aussi à Kunsberg en Norwege pour traiter des mines de cuivre. Voici comme ce fourneau est construit. Le minerais se met sur un plan couvert d'une voûte ovale oblongue : le foyer où se mettent les charbons, est à l'un des bouts de cette voûte avec qui il communique par une ouverture : le métal fondu va se rendre dans un creux qui est à côté. On peut en voir une description dans la Métallurgie de Schlutter, ch. xiij. (-)


CURAS. f. (Myth.) l'inquiétude, déesse qui a formé l'homme, & qui depuis ce tems n'a jamais perdu de vûe son ouvrage : post equitem sedet.


CURAÇAou COROSSOL, (Géog. mod.) île de l'Amérique à seize lieues de la terre ferme, sur la côte de Venezuela. Longit. 31. latit. 12. 40. Elle appartient aux Hollandois, qui dans la partie méridionale de cette île ont construit une jolie ville & une citadelle, laquelle défend l'entrée d'un port très-commode pour les gros vaisseaux, qui y mouillent fort près de terre à différentes profondeurs.

Quoique ce lieu ne produise que du gingembre & des citrons, il passe cependant pour un des plus commerçans de l'Amérique équinoxiale, servant d'entrepôt aux nations qui trafiquent le long de la côte. Par M. LE ROMAIN.


CURATAY(Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale dans la province de Quixos : elle se jette dans la riviere des Amazones.


CURATELLES. f. (Jurispr.) c'est la charge & fonction de curateur, c'est-à-dire la commission donnée à quelqu'un d'administrer les biens d'un autre, qui, par rapport à la foiblesse de son âge ou par quelqu'autre empêchement, ne peut le faire par lui-même. La curatelle a quelquefois seulement pour objet d'assister quelqu'un en jugement, ou de l'autoriser à passer quelqu'acte important & de stipuler ses intérêts dans quelqu'affaire, soit judiciaire ou extrajudiciaire. Voyez ci-après CURATEUR. (A)


CURATEURS. m. (Jurisprud.) est celui qui est établi pour veiller aux intérêts de quelqu'un qui ne peut y veiller par soi-même. Voyez ci-devant la définition de la CURATELLE.

La fonction de curateur a quelque rapport avec celle de tuteur ; mais elles different en un point essentiel ; c'est que le tuteur est donné principalement pour prendre soin de la personne du mineur ; l'administration des biens n'est à son égard qu'un objet subordonné, au lieu que le curateur est donné principalement pour prendre soin des biens ; de sorte qu'un mineur sans biens n'auroit pas besoin d'un curateur comptable. Mais on donne aussi un curateur pour d'autres objets.

Le cas le plus ordinaire de la curatelle, c'est lorsque les mineurs sont sortis de tutele. En pays de droit écrit, où la tutele finit à l'âge de puberté, les mineurs pouvoient autrefois se passer de curateurs. La loi des douze tables n'avoit rien ordonné par rapport à ceux qui étoient sortis de tutele ; ils entroient par la puberté dans l'administration de leurs biens ; & l'on ne pouvoit pas les forcer de prendre un curateur, excepté pour les assister en jugement lorsqu'ils avoient un procès, ou pour recevoir un payement, ou pour entendre un compte de tutele. La loi laetoria ordonna que l'on donneroit des curateurs aux adultes qui se gouverneroient mal. Mais Marc Antonin poussa la chose plus loin, & ordonna que tous les mineurs sans distinction auroient des curateurs jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. C'est pourquoi Ulpien, dans le §. 3. de la loi j. au ff. de minor. dit que présentement les mineurs ont des curateurs jusqu'à vingt-cinq ans, & qu'avant cet âge on ne doit pas leur confier l'administration de leurs biens, quamvis bene rem suam gerentibus ; de sorte que le mineur qui sort de tutele en pays de droit écrit, lorsqu'il a atteint l'âge de puberté, ne peut refuser de recevoir un curateur, qu'au cas qu'il soit émancipé en sortant de la tutele ; encore lui en donne-t-on un en l'émancipant, non pas à la vérité pour l'administration de ses biens, mais pour l'assister en jugement lorsqu'il a des procès, soit en demandant ou en défendant, ou pour l'autoriser à recevoir un remboursement, ou enfin pour entendre & régler un compte de tutele.

En pays coûtumier la tutele dure jusqu'à la majorité : mais si les mineurs sont émancipés plûtôt, on leur donne aussi un curateur pour les assister en jugement, c'est-à-dire dans les causes qu'ils peuvent avoir ; c'est pourquoi on l'appelle curateur à l'émancipation, ou curateur aux causes.

On donne quelquefois un curateur au pupille non émancipé, pour faire les fonctions du tuteur, ce qui arrive lorsque le tuteur a des actions à diriger contre son pupille : ou si le tuteur n'est pas idoine, & néanmoins qu'il soit non suspect, on lui adjoint un curateur. Il en est de même quand le tuteur n'est excusé que pour un tems, le juge nomme en attendant un curateur.

Il est aussi d'usage de nommer un curateur à l'enfant posthume à naître.

On en donne aussi en certains cas aux majeurs, comme aux furieux, aux prodigues, aux insensés, aux accusés, sourds ou muets, aux absens.

Enfin on en donne à des biens vacans, à une succession vacante, & dans plusieurs autres cas que nous expliquerons ci-après.

Les séquestres, commissaires, gardiens, sont aussi des especes de curateurs ; mais on ne donne le nom de curateur qu'à ceux qui sont établis pour représenter la personne, ou du moins pour l'assister en jugement.

Les curateurs comptables différent en peu de chose des tuteurs ; c'est pourquoi dans les pays coûtumiers l'on ne donne guere de curateurs comptables aux mineurs qui se font émanciper ; on leur donne seulement un curateur aux causes, pour les assister en jugement. Si on ne juge pas à propos de les faire émanciper, la tutele continue de droit jusqu'à la majorité. Mais en pays de droit écrit, où la tutele finit à l'âge de puberté, quand les mineurs ne sont pas encore en état d'administrer eux-mêmes leurs biens, comme il est rare qu'ils le soient, les parens ont ordinairement soin de leur faire nommer un curateur comptable ; ce que le juge peut ordonner malgré le mineur, quand cela paroît nécessaire.

Quelques coûtumes ordonnent que les mineurs en sortant de tutele seront pourvus de curateurs : d'autres ne font aucune distinction entre la tutele & la curatelle ; quelques-unes même disent que tutele & curatelle n'est qu'un.

Nous avons déjà annoncé que la tutele & la curatelle se rapportent en plusieurs points ; savoir que l'une & l'autre sont données en la même forme & par les mêmes juges ; que les tuteurs & curateurs comptables sont tenus, suivant le droit romain, de donner caution ; ce qui ne se pratique point en pays coûtumier. Les mêmes causes qui exemptent de la tutele, exemptent aussi de la curatelle. Les curateurs comme les tuteurs pouvant être exclus & même destitués lorsqu'ils sont suspects, on peut aussi contraindre les uns & les autres à gérer ? & ce qui est jugé contre le curateur, s'exécute contre le mineur, de même que ce qui a été jugé contre le tuteur. Il faut néanmoins observer que si le mineur est émancipé, le jugement doit être rendu avec lui assisté de son curateur, & qu'il ne seroit pas régulier de procéder contre le curateur seul.

Pour ce qui est des différences qui sont entre la tutele & la curatelle, elles consistent en ce que le tuteur est donné principalement à la personne, au lieu que le curateur est donné principalement aux biens, On comptoit aussi autrefois comme une des différences entre la tutele & la curatelle, que le tuteur se donne au pupille etiam invito, au lieu que suivant l'ancien droit qui s'observoit en pays de droit écrit, le curateur ne se donnoit au mineur pubere qu'autant qu'il le demandoit. Mais on a vû que suivant le dernier état du droit romain, on peut obliger les mineurs puberes de recevoir des curateurs. On ne donne pas de tuteur pour une affaire en particulier, mais on donne quelquefois en ce cas un curateur : on ne donne pas non plus de tuteur à celui qui en a déjà un ; mais en cas de besoin on lui donne un curateur. On peut aussi, quoique le mineur ait déjà un curateur, lui en donner un autre pour quelqu'objet particulier. Le tuteur que l'on donne au posthume ne commence à gérer qu'après la naissance de l'enfant ; c'est pourquoi en attendant on lui nomme un curateur pour avoir soin des biens. Le pupille ne peut pas rendre plainte contre son tuteur, au lieu que le mineur peut se plaindre de son curateur s'il le trouve suspect. Enfin la nomination d'un tuteur faite par testament est valable par elle-même, au lieu que celle d'un curateur doit être confirmée par le juge.

Lorsqu'un mineur est émancipé, soit par mariage ou par lettre du prince, le curateur qu'on lui donne n'est point comptable : mais si le mineur émancipé se conduit mal, on peut lui ôter l'administration de ses biens & la donner au curateur, lequel en ce cas devient comptable.

S'il n'y a pas eu d'inventaire du mobilier du mineur avant la gestion du curateur comptable, il doit faire inventaire & faire vendre les meubles du mineur, de même que le tuteur, & sous les mêmes peines.

La fonction du curateur comptable est de recevoir ce qui est dû au mineur, en donner quittance, poursuivre les débiteurs, défendre aux actions intentées contre le mineur, faire les baux de ses biens, veiller à l'entretien & aux réparations, fournir ce qui est nécessaire à l'entretien du mineur selon ses facultés, en un mot faire la même chose que le tuteur seroit obligé de faire par rapport aux biens.

Le mineur même émancipé ne peut valablement recevoir un remboursement d'un principal, sans être assisté & autorisé de son curateur.

Le curateur ne peut aliéner les immeubles de celui qui est sous sa curatelle, sans un avis de parens omologué en justice.

La curatelle est une charge civile & publique, de même que la tutele ; & l'on peut être contraint de l'accepter, soit qu'il y ait administration de biens, ou que ce ne soit que pour assister la personne en jugement ou dans quelqu'autre acte.

Il y a certaines incapacités personnelles qui excluent de la curatelle.

Par exemple, les femmes en général sont incapables de cette charge, excepté la mere & l'ayeule.

La femme ne peut être curatrice de son mari furieux ou prodigue. Voyez CURATRICE.

Le mari ne peut être curateur de sa femme en pays de droit écrit, parce qu'elle ne peut en avoir besoin que pour ses paraphernaux, dont le mari ne doit point avoir l'administration.

En pays coûtumier le mari ne peut pas non plus être curateur de sa femme lorsqu'elle est séparée de biens d'avec lui, soit par contrat de mariage ou depuis, quand même elle tomberoit en démence.

Les mêmes causes qui exemptent de tutele exemptent aussi de la curatelle. Voyez TUTELE. A quoi il faut ajoûter que celui qui a été tuteur, peut s'excuser d'être ensuite curateur.

Lorsque les curateurs mal-versent dans leurs fonctions, ils peuvent être destitués, de même que le tuteur. Voyez TUTEUR.

La curatelle des mineurs finit à leur majorité. La mort naturelle ou civile du curateur ou de celui qui est en curatelle, soit mineur ou majeur, fait aussi finir la curatelle.

Il y a certaines curatelles qui n'étant données que pour une cause ou affaire particuliere, finissent lorsque leur objet est rempli.

Les curateurs comptables des mineurs doivent rendre compte de leur gestion, lorsque le mineur est devenu majeur.

Ceux qui sont curateurs des furieux & autres majeurs interdits, ne doivent pas attendre la fin de la curatelle pour rendre compte ; on peut les obliger à rendre compte de tems en tems.

Quand ces comptes ne peuvent être réglés à l'amiable, ils doivent être rendus devant le juge qui a déféré la curatelle.

Voyez au digeste les titres de autoritate & consensu tutorum vel curatorum ; curatoribus furioso & aliis extra minores dandis ; de curatore bonis dando ; de ventre in possessionem mittendo & curatore ejus ; de rebus eorum qui sub tutelâ vel curâ sunt, sine decreto non alienandis vel supponendis. Aux institutes les titres de curatoribus ; de satis datione tutorum vel curatorum ; de excusatione tutorum vel curatorum ; de suspectis tutoribus vel curatoribus. Et au code les titres qui dare tutores vel curatores possunt ; de curatoribus furioso, quando tutores vel curatores esse desinunt ; de excusatione tutorum vel curatorum ; de suspectis tutoribus & curatoribus ; de his qui aetatis veniam impetraverunt. Voyez aussi les traités de Gillet & de Meslé sur les tuteles & curatelles.

Curateur à l'absent ; on lui en nomme un pour défendre ses droits.

Curateur à l'accusé. On en donne en differens cas ; savoir lorsque l'accusé n'entend pas la langue françoise, auquel cas on lui nomme aussi un interprete ; lorsque l'accusé est muet, ou tellement sourd qu'il ne peut oüir ; ou sourd & muet tout ensemble. Mais on ne donne pas de curateur à celui qui ne veut pas répondre le pouvant faire. On en donne encore au cadavre accusé qui est encore extant, & à la mémoire d'un défunt qui est accusé. Enfin on en donne aussi aux communautés des villes, bourgs, villages, corps & compagnies qui sont accusés. Il faut que ces curateurs sachent lire & écrire, & qu'ils prêtent serment ; & l'instruction se fait contr'eux audit nom. Ils subissent interrogatoire debout derriere le barreau. La condamnation ne se prononce pas contre eux, mais contre l'accusé. Voyez l'ordonnance criminelle tit. xjv. art. 23. tit. xviij. & xxij.

Curateur au bénéfice d'inventaire, est celui que l'héritier bénéficiaire fait créer pour liquider contre lui ses créances, & les passer ensuite dans son compte de bénéfice d'inventaire.

Curateur aux biens abandonnés, est celui que l'on établit pour l'administration des biens abandonnés par un débiteur qui a fait cession ou faillite ; on saisit réellement les héritages sur ce curateur. Voyez ci-après Curateur aux biens déguerpis & délaissés.

Curateur aux biens du condamné ou aux biens confisqués ; c'est la partie civile qui le fait nommer, à l'effet de se faire payer par lui de ses intérêts civils & autres condamnations pécuniaires.

Curateur aux biens déguerpis, est créé lorsque le détenteur d'un héritage chargé de rente fonciere déguerpit cet héritage ; le bailleur fait liquider contre lui les arrérages de rentes qui sont dûs, & ses dommages & intérêts.

Curateur aux biens délaissés ou abandonnés, est la même chose. Quelques-uns le confondent, mais mal-à-propos, avec le curateur aux biens déguerpis ou au déguerpissement ; le délaissement par hypotheque étant différent du déguerpissement dans sa cause & dans ses effets, notamment en ce que dans le cas du délaissement le créancier fait saisir réellement sur le curateur ; au lieu que dans le cas du déguerpissement proprement dit, le bailleur de fonds peut rentrer dans son héritage sans saisie réelle.

Curateur aux biens saisis, c'est la même chose que le commissaire à la saisie : dans les endroits où il n'y a point de commissaire aux saisies réelles en titre, l'huissier doit en établir un.

Curateur aux biens vacans : on entend ordinairement par-là celui qui est établi curateur à une succession vacante, à laquelle tous les héritiers ont renoncé, & que personne ne reclame en qualité d'héritier. C'est contre ce curateur que tous prétendans droit aux biens vacans doivent diriger leurs poursuites, & c'est sur lui que les créanciers font vendre ces biens, & que le seigneur haut justicier peut se les faire adjuger par droit de deshérence.

Curateur au cadavre, c'est-à-dire au corps mort d'un accusé auquel on fait le procès, voyez ci-devant Curateur à l'accusé. Le juge nomme d'office un curateur au cadavre du défunt s'il est encore extant, sinon à sa mémoire. On préfére pour cet emploi le parent du défunt, s'il s'en offre quelqu'un. La condamnation se prononce contre le cadavre & non contre le curateur, lequel peut interjetter appel de la sentence ; il peut même y être obligé par quelqu'un des parens, lequel en ce cas est tenu d'en avancer les frais. Les cours souveraines peuvent élire un curateur autre que celui qui a été élu par les premiers juges. Voyez le tit. xxij. de l'ordonn. crimin. On ne donne de curateur au cadavre, que lorsqu'il s'agit de crimes qui ne s'éteignent pas par la mort du coupable, comme quand il s'agit de faire le procès à un homme qui s'est tué lui-même, ou qui a été tué en duel, ou qui est décédé coupable d'un crime de lese-majesté. Voyez Argou, en son instit. tit. des curateurs.

Curateur du calendrier, curator kalendarii, étoit chez les Romains le thrésorier ou receveur des deniers de la ville. Il en est parlé au code théodosien, 12. tit. xj. & au digeste, liv. L. tit. viij. l. 9. §. 7.

Curateur aux causes, est celui qui est nommé au mineur émancipé, à l'effet seulement de l'assister en jugement. Voyez ce qui est dit ci-devant de ces curateurs aux mots CURATELLE & CURATEUR, & au code de his qui aetatis veniam impetraverunt.

Curateur comptable, est celui qui a le maniement de quelques deniers dont il doit rendre compte ; tel que le curateur à une succession vacante, ou le curateur d'un interdit, &c. à la différence de plusieurs autres sortes de curateurs, qui n'ayant rien en maniement ne sont point comptables, tels que les curateurs aux causes.

Curateur datif, dativus, est celui qui est nommé par le juge. On le distinguoit chez les Romains des curateurs légitimes & testamentaires. Mais en France, toutes les tuteles & curatelles sont datives.

Curateur au délaissement par hypotheque ; voyez ci-devant Curateur aux biens abandonnés & aux biens délaissés.

Curateur au déguerpissement ; voyez Curateur aux biens déguerpis.

Curateur à la démence, est celui que l'on donne à quelqu'un qui a l'esprit foible ou aliéné.

Curateur à l'effet d'entendre le compte, est celui que l'on nomme seulement pour entendre & regler un compte, soit de bénéfice d'inventaire ou autre.

Curateur à l'émancipation, c'est celui que l'on nomme aux mineurs en les émancipant, à l'effet de les assister en jugement lorsqu'il y échet. C'est la même chose que le curateur aux causes. Voyez ci-dev. CURATELLE & CURATEUR.

Curateur de l'empereur ; voyez ci-après Curateur de la maison de l'empereur.

Curateur au furieux, est celui que l'on donne à un majeur furieux, à l'effet de veiller sur sa personne & biens. Cette matiere est traitée au dig. liv. XXVII. tit. x. de curator. furioso vel aliis personis extra minores dandis. Cette curatelle est une espece de tutele. Voyez ci-devant au mot CURATELLE & CURATEUR, & ce qui est dit ci-après au mot Curateur légitime.

Curateur ad hoc, c'est celui qui n'est établi que pour une fonction passagere, comme pour entendre un compte, faire une liquidation, autoriser le mineur pour recevoir un remboursement.

Curateur à l'interdiction, est celui que l'on nomme à un interdit, soit pour cause de démence, de fureur, ou de prodigalité.

Curateur à l'inventaire, est celui qui est créé pour assister à un inventaire, & y servir de légitime contradicteur vis-à-vis de quelque partie intéressée à l'inventaire. On l'appelle ainsi en Bretagne. A Paris on l'appelle subrogé tuteur. Voyez le traité des minorités, ch. vij. n°. 26.

Curateur légitime, c'étoit chez les Romains celui qui, suivant la loi, étoit le curateur né du mineur ou du majeur furieux ou prodigue, comme son plus proche héritier. Le pere étoit curateur légitime de son fils émancipé, devenu furieux ou en démence ; le frere l'étoit pareillement de son frere ou de sa soeur, dans le même cas ; au défaut du pere & du frere, c'étoit le plus proche agnat. Le curateur légitime ne venoit cependant qu'après le testamentaire ; & s'il n'avoit pas lui-même la capacité nécessaire, il étoit exclus. Voyez code V. tit. lxx. l. 7.

Curateur au majeur, est celui qui se donne en cas de démence, fureur, ou prodigalité.

Curateur de la maison de l'empereur, chez les Romains, étoit celui qui avoit soin du revenu de l'empereur & de la dépense. Voyez ce qui est dit dans la loi 3. au code de quadrienni praescriptione, où Justinien l'appelle curator noster : c'étoit proprement l'intendant de la maison.

Curateur à la mémoire d'un défunt, est créé pour soûtenir les droits du défunt lorsque le cadavre n'est plus existant, & qu'on veut lui faire son procès, ou au contraire lorsque la famille veut faire réhabiliter la mémoire du défunt qui a été condamné. La nomination & fonction de ce curateur se reglent comme celles du curateur au cadavre. Voyez le titre xxij. de l'ordonnance criminelle.

Curateur d'un mineur, est celui qu'on donne à un mineur émancipé. Voy. ci-devant CURATELLE & CURATEUR.

Curateur des ouvrages publics, chez les Romains, étoit celui qui en avoit l'intendance & l'inspection ; il étoit garant des défauts de ces ouvrages pendant quinze ans. Cod. lib. VIII. tit. xij. l. 8.

Curateur au posthume, est celui que l'on donne à un enfant qui n'est pas encore né après le décès de son pere, pour défendre ses intérêts au cas qu'il vienne au monde. Voyez la loi 8. de tutor. & cur. la loi 8. ff. de curat. furios. & l. 24. ff. de reb. aut. jud. possid.

Curateur du prince ; voyez ci-devant Curateur de la maison de l'empereur.

Curateur au prisonnier de guerre ; on lui en donnoit un chez les Romains pour la conservation de ses biens. Voyez au code, liv. VIII. tit. lj. l. 3.

Curateur d'un prodigue, est celui que l'on donne à un majeur interdit pour cause de prodigalité. Voyez au code, liv. V. tit. lxx. l. 1.

Curateur d'une province, chez les Romains, étoit proprement l'intendant de cette province. Voyez au code, liv. v. tit. xl. l. 2.

Curateur d'un pupille, est celui qu'on lui donne pour suppléer à son tuteur, qui se trouve ho s d'état de veiller à ses intérêts à cause de quelque longue maladie ou infirmité ff. Liv. XXVI. tit. j. l. 13. in princip.

Curateurs des quartiers, curatores regionum, chez les Romains étoient des officiers publics, dont la fonction revenoit à-peu-près à celle des commissaires au châtelet de Paris, entre lesquels la police de la ville est distribuée par quartiers.

Curatores regionum ; voyez ci-devant Curateur des quartiers.

Curateur de la république, curatores reipublicae seu procurator, étoit chez les Romains celui qui avoit soin des travaux & lieux publics ; il devoit veiller à ce que les maisons ruinées fussent rétablies, de crainte que l'aspect de la ville ne fût deshonoré. Voy. au ff. liv. XXXIX. tit. ij. l. 46.

Curateur à la succession vacante, est celui que l'on crée pour veiller à une succession, à laquelle tous les héritiers ont renoncé, ou du moins pour laquelle il ne se présente aucun héritier. Dès que les héritiers présomptifs ont renoncé, les créanciers sont en droit de faire nommer un curateur, sans être obligés de rechercher s'il y a d'autres héritiers qui pourroient accepter la succession. Au bailliage de Nevers, il y a un usage singulier ; on assigne sept procureurs, lesquels après en avoir conféré entr'eux nomment le curateur. Celui qui est une fois nommé ne peut être destitué sans cause, & l'héritier qui se représente est tenu de procéder suivant ce qui a été fait & jugé avec le curateur, pourvû qu'il n'ait pas excédé son pouvoir : par exemple, le curateur ne peut pas former une inscription de faux sans y être autorisé par les créanciers. Voyez les arrêts d'Augeard, t. I. c. xcviij. & tom. III. arr. 72.

Curateur testamentaire, c'est celui qui est nommé par le testament du pere à ses enfans mineurs ; mais il ne peut pas exercer qu'il ne soit confirmé par le juge. Voyez §. 1. instit. de curat. Voyez ci-devant Curateur datif & Curateur légitime.

Curateur en titre, en Lorraine est un officier public, établi pour veiller en justice aux intérêts des absens, des étrangers, & autres, qui ne peuvent se défendre par eux-mêmes.

Curateurs aux travaux publics ; voyez ci-devant Curateur de la république.

Curateur au ventre, se donne pour deux causes différentes ; savoir, pour observer si effectivement la femme qui se dit enceinte, accouche dans le tems où elle doit naturellement accoucher, ce qui se fait lorsque la famille soupçonne que la grossesse est feinte & simulée : ou bien pour veiller aux intérêts de l'enfant à naître. Voyez ff. 37. tit. jx. l. 1. §. 23. (A)


CURATIFadj. (Med.) c'est une épithete par laquelle on désigne une indication qui se présente à remplir dans le traitement d'une maladie, ou le traitement même de la maladie, ou les remedes qui y sont employés, lorsque ces différentes choses ont pour objet de détruire la cause de la maladie, & d'en faire cesser les effets.

C'est l'indication curative qui détermine le medecin à faire usage de la méthode de traiter, & des remedes qu'il croit propres à produire des changemens dans le corps des malades, qui tendent à terminer avantageusement les desordres de l'oeconomie animale : ce traitement & ces remedes sont appellés conséquemment curatifs, pour les distinguer de ceux qui ne sont par exemple que préservatifs ou palliatifs. Voyez CURE, REMEDE PRESERVATIF, PALLIATIF, &c. (d)


CURATRICES. f. (Jurisprud.) est celle qui est chargée de la curatelle d'une autre personne. Les femmes en général ne peuvent être curatrices, parce que la curatelle, de même que la tutele, est un office civil. La mere & l'ayeule peuvent néanmoins être curatrices de leurs enfans & petits-enfans, de même qu'elles en peuvent être tutrices. La femme ne peut être curatrice de son mari, soit prodigue ou furieux, ni pour aucune autre cause. La coûtume de Bretagne, art. 523, permet cependant de donner la femme pour curatrice au mari prodigue ; ce qui est une exception au droit commun, & contre l'ordre naturel, suivant lequel la femme est en la puissance du mari. Voyez ci-dev. CURATELLE & CURATEUR. (A)


CURCUMAS. m. (Med.) est une racine médicinale, dont se servent aussi les Teinturiers pour teindre en jaune.

Le curcuma est jaune en-dedans & en-dehors, fort dur, comme s'il étoit pétrifié, & assez semblable au gingembre par sa figure & son volume.

Les feuilles qu'il produit ressemblent à celles de l'ellébore blanc. Ses feuilles viennent en forme d'épi, & son fruit est raboteux comme celui d'une jeune chataigne.

Le curcuma est apporté principalement des Indes orientales. L'île de Madagascar en fournit aussi. Il faut le choisir gros, nouveau, résineux, pesant, & difficile à rompre.

Quelques-uns ont cru faussement qu'il y avoit un curcuma naturellement rouge : cette erreur est venue de ce que le curcuma devient brun à mesure qu'il est vieux, & qu'étant pulvérisé il est rougeâtre.

Les Gantiers, &c. s'en servent beaucoup pour teindre leurs gants, comme aussi les Fondeurs pour donner au cuivre une couleur d'or. Les Indiens l'employent pour teindre en jaune leur ris & leurs autres nourritures : de-là vient que quelques-uns le nomment safran indien.

Nos Teinturiers trouvent qu'il ne donne pas un jaune aussi durable que la gaude ; mais il est admirable pour rehausser la couleur rouge des étoffes teintes avec la cochenille ou le vermillon, comme les écarlates, &c. Chambers.

CURCUMA, (Mat. med.) La racine de curcuma ou terra merita des boutiques, qu'on appelle aussi en françois safran des Indes, a été célébrée comme un bon apéritif & un bon emménagogue, comme favorisant l'accouchement, &c. mais il est surtout recommandé comme un spécifique contre la jaunisse, & cela principalement à cause de sa couleur jaune. Voyez SIGNATURE. (b)


CURDES(LES) Géog. mod. peuples d'Asie dont partie est en Turquie, l'autre, en Perse. Les Curdes occupent un pays voisin de l'ancienne Assyrie & de la Chaldée ; ils sont indépendans, ne sont jamais stables dans un endroit, mais ne font qu'y camper.


CURDISTAN(LE) Géogr. mod. c'est ainsi que l'on nomme le pays habité par les Curdes en Asie au nord-est du Diarbek & de l'Irac. Betlis en est la capitale.


CURE(Jurisprud.) ainsi appellée du latin cura, qui signifie en général soin, charge : en matiere ecclésiastique signifie ordinairement une église & bénéfice ecclésiastique, auxquels est attaché le soin des ames de certaines personnes ; & lorsque cette église a la charge des ames d'un territoire limité, elle forme une paroisse : & en ce cas les termes de cure & de paroisse sont souvent employés indifféremment, quoiqu'ils ne soient pas absolument synonymes.

Il y a plusieurs sortes de cures, comme on l'expliquera dans les subdivisions suivantes.

Celui qui possede un bénéfice cure est ordinairement appellé curé ; mais si cette cure est attachée à un bénéfice régulier, celui qui en est titulaire est appellé prieur-curé ou prieur simplement. Voyez ci-après CURE.

Les fonctions curiales seront aussi expliquées au même endroit.

Les revenus des cures consistent en dixmes, oblations & offrandes, gros, portion congrue : chacun de ces objets sera aussi expliqué en son lieu.

Cure-bénéfice, est tout bénéfice qui a charge d'ames. Ces sortes de bénéfices ne forment pas tous des paroisses ; car on peut avoir charge d'ames de certaines personnes, sans avoir un territoire circonscrit & limité, lequel est nécessaire pour constituer une paroisse. Les chapitres, par exemple, ont charge d'ames, & font les fonctions curiales pour leurs chanoines & chapelains ; ils leur administrent les sacremens & la sépulture, quoiqu'ils demeurent hors du cloître.

Cures exemptes, c'est-à-dire celles qui dépendent d'ordres exempts de la jurisdiction de l'ordinaire : les églises paroissiales de ces cures, quoique desservies par des réguliers, ne laissent pas d'être sujettes à la visite des évêques ; & si les curés réguliers commettent quelque faute dans leurs fonctions curiales, ou administration des sacremens, ils sont soûmis à cet égard à la jurisdiction de l'évêque diocésain, & non au supérieur de leur monastere.

Cures personnelles, sont des églises qui font les fonctions curiales pour certaines personnes, sans avoir de territoire limité.

Cure à portion congrue, est celle où le curé n'a point les grosses dixmes, au lieu desquelles les gros décimateurs lui payent annuellement une somme de 300 l. à titre de portion congrue. V. PORTION CONGRUE.

Cures-prieurés, sont des prieurés réguliers, mais non conventuels, auxquels sont attachées les fonctions curiales d'un certain territoire ou paroisse. Il y en a beaucoup dans l'ordre de S. Benoît, & dans ceux de Saint Augustin, de Prémontré, & autres ; les premiers, c'est-à-dire ceux de l'ordre de S. Benoît, sont remplis par des religieux qui sont seulement curés primitifs, & les fonctions curiales sont faites par un vicaire perpétuel : dans les ordres de S. Augustin & de Prémontré, les prieurés-cures sont remplis par des religieux qui sont titulaires des cures, & font eux-mêmes les fonctions curiales.

Cure primitive, est le droit qui appartenoit anciennement à une église de faire les fonctions curiales dans une paroisse dont le soin a depuis été confié à des vicaires perpétuels.

Cures régulieres, sont les prieurés-cures dépendant d'un ordre régulier, comme il y en a beaucoup dans l'ordre de S. Augustin & de Prémontré qui sont remplies par des chanoines réguliers de ces ordres. Voy. ci-apr. au mot CURE l'article Réguliers & Religieux.

Cures séculieres, sont celles qui peuvent être possédées par des prêtres séculiers, à la différence des prieurés-cures qui sont des cures régulieres, qui sont affectés aux réguliers du même ordre. Voyez ci-devant Cures-prieurés & Cures régulieres.

Cures des villes murées : il faut être gradué pour les posséder ; elles ne peuvent être permutées par des gradués avec d'autres ecclésiastiques qui ne le seroient pas. Voyez le code des curés. (A)

CURE, dans quelques anciennes ordonnances, est dit pour curatelle des enfans mineurs. Voyez le IV. tom. pag. 50. 173 & 183. (A)


CURÉ(Jurisp.) en général est un ecclésiastique qui possede un bénéfice-cure auquel est attaché le soin des ames d'une paroisse, c'est-à-dire du territoire de cette cure, pour le spirituel.

Le titre de prêtre étoit autrefois synonyme de curé, parce qu'on n'ordonnoit point de prêtre qu'on ne lui donnât en même tems la direction d'une église. On appelloit aussi les curés, personae ecclesiarum.

Le nom de curé vient de habet curam animarum, d'où les auteurs latins du bas siecle on dit curatus pour curator.

Dans quelques pays, comme en Bretagne, on les appelle recteurs.

Il y a des paroisses dont les curés ont laissé anciennement la conduite des ames à des vicaires, & ne se sont réservé que le titre de curé avec les dixmes ou une portion d'icelles, & quelques marques de prééminence : on les appelle curés primitifs ; & ceux qui sont chargés de la conduite des ames, sont aussi qualifiés de curés ou vicaires perpétuels, pour les distinguer des vicaires amovibles ; avec cette restriction néanmoins, que ces vicaires perpétuels ne peuvent prendre le titre de curés dans tous les actes & cérémonies où se trouve le curé primitif.

Les curés représentent à certains égards, les lévites de l'ancien Testament qui étoient chargés des fonctions du sacerdoce ; ils ont comme eux de droit commun la dixme de tous les fruits de la terre pour leur subsistance ; mais ils représentent encore plus particulierement les disciples auxquels ils ont succédé, de même que les évêques aux apôtres. Ils tiennent le second rang dans la hiérarchie ecclésiastique, c'est-à-dire qu'ils ont rang immédiatement après les évêques. Leur puissance de jurisdiction est également de droit divin dans sa premiere institution ; mais toûjours avec subordination à l'autorité des évêques, comme il est aisé de le voir dans les monumens de l'Eglise dès les premiers siecles.

Dans quelques lieux exceptés de l'ordinaire, il y a des prêtres commis à la desserte des sacremens, qui prennent aussi le titre de curés. Voyez ci-après Exemption de l'ordinaire.

Les devoirs & fonctions des curés, & leurs droits, vont être expliqués dans les subdivisions suivantes.

Absence du Curé, voyez Résidence.

Age, voyez ci-dessous Capacités.

Banalité, voyez Exemption.

Baptême, voyez Sacremens.

Bis cantat. Quand il se trouve deux églises voisines, si pauvres qu'elles n'ont pas de quoi entretenir chacune un curé, l'évêque diocésain donne à un curé la permission de dire deux messes par jour, une dans chaque paroisse, ce que l'on appelle un bis cantat ou bis cantando. L'ordonnance de Blois, article 22. permet d'unir d'autres bénéfices non cures, & de procéder à la distribution des dixmes ; auquel cas, si le curé se trouve avoir suffisamment de quoi subsister, on ne lui donne point de bis cantat.

Capacité. Ceux qui sont nommés pour être pourvûs de cures, doivent être de bonne vie & moeurs, & gens lettrés : on doit les examiner, & préférer le plus capable ; & en cas d'égalité, celui qui est natif du lieu. Ceux qui sont de doctrine suffisante, accompagnée de bonnes moeurs & de piété, doivent être préférés à ceux qui auroient une doctrine plus éminente, mais auxquels manqueroient les moeurs & la piété : il faut qu'ils soient âgés de vingt-trois ans & un jour, on n'accorde point de dispense à cet égard. Si le pourvû n'est pas encore prêtre, il faut qu'il se fasse promouvoir à la prêtrise dans l'an, sinon au bout de l'an la cure seroit impétrable. Les étrangers ne peuvent posséder aucune cure dans le royaume, à moins qu'ils n'ayent obtenu des lettres de naturalité, ou qu'ils ne soient originaires de France.

Clefs. Les curés & les marguilliers ont conjointement la garde des clefs de l'église & du choeur, pour y entrer lorsqu'il est nécessaire, soit pour l'administration des sacremens, ou pour autre cause. Le curé a seul la garde des clés du lieu où est l'eucharistie.

Cloches. Elles ne peuvent être sonnées après le décès des paroissiens & autres qui sont inhumés dans la paroisse, que le curé n'en ait été averti & n'y ait consenti. L'émolument de la sonnerie appartient à la fabrique.

Comptes des fabriques. Le curé n'a pas l'administration des revenus de l'église, mais seulement de ceux destinés pour sa subsistance. Ce sont les marguilliers qui ont la charge de l'oeuvre & fabrique, & qui sont chargés de l'entretien des ornemens & acquittement du service divin & fondations, dont ils doivent rendre compte. Les curés, comme marguilliers nés, peuvent assister à la reddition de ces comptes.

Convois, voyez Sépultures.

Deux curés. Il ne peut y avoir deux curés dans une même église & paroisse : on a vû néanmoins quelques exemples du contraire, comme à S. Méry de Paris, où il y avoit deux curés qui exerçoient alternativement chacun pendant six mois, mais cela ne subsiste plus. Il y a aussi quelquefois des curés qui sont leurs fonctions dans une église voisine, en attendant que la leur soit rebâtie ; mais ils ne sont dans cette église que par emprunt & pour un tems seulement, & les territoires des deux paroisses sont séparés.

Dixme. Le curé est fondé de droit commun à percevoir la dixme de toutes sortes de fruits, selon l'usage du pays ; il n'a pas besoin pour cela d'autre titre que son clocher, c'est-à-dire sa qualité de curé. Les novales, menues & vertes dixmes lui appartiennent, à l'exclusion des autres gros décimateurs, sauf quelques exceptions qui seront expliquées au mot NOVALES. Un curé peut lever lui-même sa dixme ; il peut prendre à ferme les dixmes de sa paroisse, soit ecclésiastiques ou inféodées, sans déroger ni devenir taillable.

Droits honorifiques. Pour savoir comment les curés doivent se conduire à ce sujet, voyez ci-après au mot DROITS HONORIFIQUES.

Eau bénite. Le curé doit la faire tous les dimanches, conformément au rituel ; & après avoir aspergé l'autel & le clergé, il doit en donner au seigneur & dame du lieu, & à leurs enfans par présentation, & au surplus des fideles par aspersion.

Ecoles. Les maîtres & maîtresses d'écoles doivent être approuvés par les curés.

Enterremens, voyez Sépultures.

Exemptions de l'ordinaire. Les curés exempts de la jurisdiction des évêques diocésains, & soumis à celle du chapitre ou immédiatement au saint siége, ne laissent pas d'être sujets à la visite & correction de l'évêque diocésain, pour ce qui concerne les fonctions curiales & l'administration des sacremens.

Fabrique, voyez Comptes des Fabriques, & au mot FABRIQUE.

Fonctions curiales, voyez CURIAL, & l'art. Fonctions.

Fondations. Les marguilliers ne peuvent en accepter, sans y appeller le curé & avoir son avis. Voyez au mot FONDATIONS.

Gros décimateurs. Quand les curés ont les grosses dixmes, ou quelque portion de ces dixmes, ils ne peuvent demander de portion congrue aux autres gros décimateurs, à moins qu'ils ne leur abandonnent tout ce qu'ils possedent dans les grosses dixmes ; tant qu'ils en possedent quelque portion, ils doivent contribuer à proportion avec les autres codécimateurs, aux charges des grosses dixmes, telles que sont les réparations du choeur & cancel.

Incompatibilité. Les cures sont incompatibles avec tous autres bénéfices qui demandent résidence & fonction habituelle ; & par conséquent on ne peut posséder en même tems deux cures, quand elles seroient dans le même lieu. Les cures sont aussi incompatibles avec les offices d'official & de promoteur.

Mariages. Il est défendu aux curés de conjoindre par mariage d'autres personnes que ceux qui sont leurs vrais & ordinaires paroissiens. Voyez au mot MARIAGE.

Messe de paroisse. Autrefois les curés, avant de la dire, interrogeoient les assistans pour savoir s'ils étoient tous de la paroisse, & renvoyoient ceux qui n'en étoient point : ce qui ne se pratique plus ; quoique dans la regle étroite chacun doive assister au service & instructions de sa paroisse autant qu'il le peut. Voyez ci-après service divin.

Oblations & offrandes appartiennent au curé ou vicaire perpétuel. Voyez Vicaire perpétuel.

Paroisse, paroissiens. Pour savoir ce que c'est que paroisse, & ce qui concerne les érections de nouvelles paroisses, l'union d'une paroisse à une autre, voyez au mot PAROISSE.

Pension, voyez Résignation.

Portion congrue des curés est de 300 liv. voyez au mot PORTION CONGRUE.

Presbytere. Le curé doit être logé aux frais de ses paroissiens dans l'étendue de sa paroisse : ils sont obligés de lui faire construire un presbytere s'il n'y en a point, de le réparer s'il est dégradé de vétusté ou par quelque force majeure. S'il n'y a pas de lieu commode pour lui bâtir un presbytere, ils doivent lui payer son logement en argent.

Curé primitif, a droit de percevoir la moitié des oblations les quatre fêtes annuelles & le jour du patron, pourvû qu'il fasse ces jours-là le service. Il doit avoir un vicaire perpétuel & non amovible. Il est tenu aux réparations du choeur de l'église. Il y a des religieuses qui joüissent du droit de primitives, quoiqu'elles ne puissent faire les fonctions curiales, telles que l'abbesse de S. Pierre de Lyon, les religieuses de Cusset en Auvergne ; ce qui vient de ce que l'on a uni à ces abbayes des bénéfices qui avoient les droits de curés primitifs.

Prône. Les curés & vicaires ne sont point tenus de publier au prône ce qui regarde les affaires purement temporelles.

Qualités du curé, voyez ci-devant Capacités.

Quête. Le curé ne peut empêcher que l'on ne quête pour les pauvres dans son église, quand il y a permission de l'évêque diocésain.

Régale. Les cures n'y sont point sujettes, à moins qu'elles ne soient unies à des dignités, personnats ou canonicats ; mais si c'est la dignité ou canonicat qui est unie à la cure, l'un & l'autre est exempt de la régale.

Registres des baptêmes, mariages & sépulture. Les curés doivent les tenir exactement, & en faire deux ; un pour garder par-devers eux, l'autre pour envoyer au greffe de la justice royale du lieu. Voyez au mot REGISTRES.

Réguliers. Les chanoines réguliers de S. Augustin & de Prémontré ont coûtume de nommer quelqu'un d'entr'eux aux cures de leur ordre. Ils appellent ces bénéfices des prieurés-cures.

Religieux. Anciennement les moines desservoient la plûpart des cures, à cause de la disette où l'on étoit alors de prêtres séculiers. Ce furent principalement les religieux de l'ordre de S. Benoît qui suppléerent ainsi pour les cures : les chanoines réguliers de S. Augustin y eurent aussi bonne part. Lorsque les religieux se retirerent dans leurs cloîtres, ceux de S. Benoît mirent des vicaires perpétuels ; ceux de S. Augustin & quelques autres continuerent à nommer de leurs religieux pour remplir les cures de leur ordre. Les cures & autres bénéfices séculiers qui ont charge d'ames, ne peuvent être tenus par des religieux mendians : les autres moines & religieux ne peuvent aussi les posséder. Un religieux qui a obtenu une cure, doit la faire desservir par un vicaire, & ne peut la desservir lui-même, à moins qu'il n'en ait obtenu dispense du pape, ou que ce ne soit un bénéfice de son ordre, & qui y soit affecté par la fondation. Voyez ci-devant Réguliers.

Réparations, voyez ci-dev. Presbytere & Curé primitif.

Résidence. Les curés y sont obligés ; ils ne peuvent s'absenter sans cause légitime, & ne doivent pas excéder le tems de deux mois. Une dispense de résider seroit abusive.

Résignation. Les curés qui résignent leur cure en faveur d'un autre, ne peuvent point reserver de pension qu'ils n'ayent desservi leur cure pendant quinze années ; si ce n'est que la résignation soit faite pour cause de maladie ou infirmité connue de l'ordinaire, qui les mette hors d'état de servir ; & dans ce cas même les pensions ne peuvent excéder le tiers du revenu. Il faut aussi qu'il reste au titulaire 300 liv. par an franc de toute charge, non compris le casuel & le creux de l'église.

Sacremens. Les curés ont le droit & sont tenus d'administrer ou faire administrer les sacremens de l'église à leurs paroissiens, excepté ceux de l'ordre & de la confirmation dont la dispensation est reservée aux évêques. Il y a cependant quelques paroisses où les curés n'administrent pas certains sacremens, comme dans la ville du Puy en Velay, où le chapitre de la cathédrale est en possession de baptiser tous les enfans nouveaux-nés dans cette ville privativement au curé. Les Curés ne peuvent exiger aucune chose pour l'administration des sacremens, si ce n'est pour les mariages, suivant les statuts du diocese autorisés par lettres patentes duement registrées.

Sépulture. Le patron ecclésiastique ne peut pas donner droit de sépulture dans le choeur ; cela n'appartient qu'au curé. Quand quelqu'un se fait enterrer hors l'église paroissiale, & néanmoins dans le même lieu, le curé doit conduire le corps, & le luminaire se partage par moitié entre le curé & l'église où le défunt est inhumé. Les pauvres doivent être enterrés gratuitement.

Service divin. Les seigneurs, gentilshommes, & autres personnes puissantes, ne peuvent obliger le curé de changer ou différer l'heure du service divin.

Tailles. Les curés sont exempts de tailles, tant pour leurs biens patrimoniaux que d'acquets ; ils peuvent même être fermiers des dixmes de leur paroisse sans devenir taillables. Leurs domestiques qui levent ces dixmes ne sont pas non plus taillables.

Testamens. Les curés peuvent dans leurs paroisses recevoir eux-mêmes les testamens de leurs paroissiens, en la forme prescrite par l'ordonnance & par la coûtume du lieu, quand même il y auroit des legs pieux & au profit de leur église, pourvû qu'il n'y ait point de legs pour eux ni pour leurs parens : quand il y a des legs pieux, ils doivent en donner avis au procureur général du ressort, & lui remettre un extrait en bonne forme du testament.

Vicaire perpétuel, est un ecclésiastique qui est titulaire d'une cure dont un autre est curé primitif. Voyez ci-devant Cure & Curé primitif, & au mot VICAIRE PERPETUEL. Voyez le code des curés & notamment les décisions de Borjon. (A)


CUREPIÉ(Maréchall.) instrument de fer long de cinq à six pouces, crochu d'un côté, plat & pointu de l'autre, qui sert à nettoyer le dedans du pié des chevaux, à en ôter la terre, la crotte ou le sable, soit après qu'ils ont travaillé au manége, soit après quelque course. Lorsqu'on n'est pas exact à les faire nettoyer avec ce cure-pié, la poudre qui y reste desseche le pié & y produit les seymes. Voyez SEYMES.

C'est un bon expédient pour humecter les piés, que d'y mettre de la fiente de vache après les avoir nettoyés avec le cure-pié. Chambers. (V)


CURE-FEUS. m. en terme de Forgeron, est un morceau de fer long & applati par un bout, un peu arrondi, dont on se sert pour ôter le mâche-fer de la forge. Voyez les Planches de Serrurerie.


CURE-OREILLES. f. instrument avec lequel on nettoye l'oreille, & qui sert à d'autres opérations relatives à cette partie. Voyez OREILLE, CERUMEN.


CUREAUsub. m. (Manufact. en drap.) instrument de bois qui s'appelle aussi mailleau quand il est emmanché : il ressemble à la tête d'un petit marteau, & les Tondeurs en drap s'en servent pour faire agir le côté de leurs forces qu'ils appellent le mâle.


CURÉES. f. (Vénerie) c'est faire manger le cerf ou autres bêtes aux chiens. On fait aussi la curée du lievre.

Durant la curée, point de gants ; autrement les valets de chiens sont en droit de demander pour boire.

Pour la curée, les limiers pour le premier ont pour leur droit le coeur & la tête, & les chiens courans ont le cou qu'on leur dépouille tout chaudement ; car les curées chaudes sont les meilleures.

Les curées qui se font au logis sont de pain découpé, avec fromage arrosé du sang de cerf. Voyez l'article CERF.

Donner la curée à l'oiseau, (Fauconn.) cela s'appelle essemer. Voyez ce mot.

Curer les oiseaux, c'est leur donner une cure : il ne faut point paître un oiseau qu'il n'ait curé ou rendu la cure. Voyez CURE (Fauconnerie).


CUREOTISS. m. (Myth.) le jour des apaturies, auquel les jeunes gens qui entroient dans l'âge de puberté alloient se faire couper les cheveux dans un temple, & les consacrer à Appollon ou à Diane. C'étoit le troisieme. Voyez APATURIES.


CURETS. m. en terme de Fourbisseur ; c'est une peau de bufle ou autre animal sur laquelle on frotte les pierres sanguines avec de la potée d'étain, lorsqu'on dore quelque piece.


CURETESS. m. pl. (Hist. anc.) prêtres ou peuples de l'île de Crete, qu'on appelloit autrement corybantes. Voyez CORYBANTES.

Strabon dit qu'on leur donna le nom de curetes, parce qu'ils se coupoient les cheveux par devant, afin de ne point donner de prise à leurs ennemis : car ce mot est grec, , & vient de , tonsure, de , tondre. D'autres disent que ce nom leur fut donné de , qui signifie nourriture d'un enfant, parce qu'ils furent les nourriciers de Jupiter, suivant la fable.

Ils étoient, disent quelques auteurs, originaires du mont Ida en Phrygie, & on les nommoit encore pour cela idaei dactyli. Voyez DACTYLES.

Ovide dit qu'ils avoient été produits par une grande pluie. Lucien & Diodore de Sicile sont les seuls qui disent qu'ils avoient l'art de lancer des fleches ; tous les autres ne leur donnent pour armes que des boucliers & des piques : tous leur donnent aussi des tambours de basque & des castagnettes, & rapportent qu'ils avoient coûtume de danser au bruit de leurs armes & de leurs tambours.

Quelques auteurs parlent des curetes d'une maniere tout-à-fait différente. Si l'on en croit le P. Pezron & quelques autres, les curetes n'étoient autre chose du tems de Saturne & de Jupiter, dans la Crete & la Phrygie, que ce qu'ont été dans les siecles suivans les druides & les bardes, si célebres parmi les Gaulois. C'étoit les prêtres & les sacrificateurs qui avoient soin de ce qui regardoit la religion & le culte des dieux. Voyez DRUIDES.

Et comme on s'imaginoit alors que l'on ne communiquoit avec les dieux que par l'art des divinations & des augures, & par les opérations de la magie, cela étoit cause que tous ces curetes étoient magiciens, devins, & enchanteurs. Ils joignoient à cela la science des astres, de la nature & de la poésie ; ainsi ils étoient encore astronomes, physiciens, poëtes, & medecins. Voyez DIVINATION.

Voilà quels ont été les curetes, & après eux les druides ; avec cette différence, que les curetes du tems des Tirans ne manquoient point d'aller à la guerre ; c'est pourquoi ils étoient armés : ils sautoient même & dansoient si habilement avec leurs armes, frappant leurs boucliers de leurs javelots, que c'est de cet exercice qu'ils ont été appellés curetes ; car curo en langue celtique, est la même chose que le des Grecs, qui en a été formé par la transposition d'une lettre, & signifie je frappe ou bats.

Selon Kirker, les curetes sont dans Orphée, ce que sont les puissances dans S. Denis, les esprits chez les Cabalistes, les démons chez les Platoniciens, & les génies chez les Egyptiens. Voyez DEMON, GENIE, &c.

Vossius, de idolol. distingue trois sortes de curetes ; ceux d'Etolie, ceux de Phrygie, & ceux de Crete qui étoient originaires de Phrygie, & une espece de colonie de ceux-ci que Réa fit venir de Phrygie dans l'île de Crete, quand elle fut prête d'accoucher de Jupiter.

Le nom de ceux d'Etolie vient de , tonsure ; & il leur fut donné, parce que, depuis que dans un combat leurs ennemis les prirent par les cheveux qu'ils portoient fort longs, ils se les couperent.

Ceux de Phrygie & de Crete furent appellés curetes, de , jeune homme, parce qu'ils étoient jeunes, ou parce qu'ils éleverent Jupiter encore fort jeune. Diction. de Trev. Morery & Chambers.

Les Mythologistes attribuent aux curetes de Phrygie l'invention de forger le fer ; le feu, disent-ils, ayant pris dans les forêts du mont Ida, fit couler une grande quantité de fer, que la violence & l'activité des flammes avoient mis en fusion. Les curetes qui en furent témoins, profiterent de cette découverte pour établir des forges de fer. Ils ont eu des temples après leur mort, & on leur sacrifioit toutes sortes d'animaux comme aux dieux. (G)

CURETE, s. f. instrument de Chirurgie pour tirer les sables de la vessie. Il est à l'extrémité d'un autre instrument nommé bouton. Nous avons donné la description de toutes ses parties. Voyez BOUTON A CURETE.

Curete est aussi un instrument en forme de crochet, pour faire l'extraction des pierres. Voyez CROCHET A CURETE.

Curete est aussi un petit instrument fait en forme de cure-oreille, avec lequel on peut tirer de l'urethre des petites pierres qui se seroient engagées dans ce conduit. Quelques-uns se servent de petites curetes tranchantes pour tirer les grains de poudre engagés dans la peau du visage. Chir. Pl. III. (Y)

CURETE, (Manufact. en drap.) espece de crochet emmanché de bois, qui sert aux Couverturiers à nettoyer leurs chardons quand ils lainent leurs ouvrages.


CURIA(Hist. mod.) s'est dit en Angleterre de certaines assemblées que faisoient les rois, des évêques, des pairs, & des grands seigneurs du royaume, en certains lieux assignés pour cet usage aux grandes fêtes de l'année, où l'on délibéroit des affaires importantes de la nation. On appelloit encore cette sorte d'assemblée solemnis curia, generalis curia, augustalis curia, & curia publica. Voyez WITHMAMOT.

On a quelquefois appellé en France de pareilles assemblées parlemens. Voyez PARLEMENT.

Curia baronum, voyez BARON & COUR.

Curia militum, en Angleterre, étoit une cour ou justice militaire qui se tenoit à Carisbrook dans l'île de Wight, toutes les trois semaines.

Curia advisare vult, en Angleterre, est ce que nous appellons dans notre style de Pratique un délibéré. Voyez DELIBERE. Chambers. (G)


CURIA-MARIA(Géog. mod.) île de l'Océan en Asie, sur la côte de l'Arabie heureuse, vis-à-vis de l'embouchure de la riviere de Prim. Long. 71. lat. 77.


CURIAL(Jurispr.) signifie tantôt ce qui est relatif à une cure, tantôt ce qui est relatif à une cour de justice, soit souveraine ou subalterne.

Droit curial, est l'honoraire dû aux curés pour les mariages & convois, suivant les statuts du diocese omologués au parlement.

Eglise curiale, est celle où l'on fait toutes les fonctions curiales. Voyez l'article suivant.

Fonctions curiales, sont celles qui sont propres aux curés, comme de baptiser, marier ; inhumer les paroissiens, dire la messe de paroisse, bénir le pain qui y est destiné, faire le prône, &c.

Maison curiale, est celle qui est destinée à loger le curé ; c'est la même chose que presbytere. Voyez PRESBYTERE.

Curiaux, en Bresse, sont des officiers ou commis qui servent de scribes ou greffiers aux châtelains ou autres juges. Ces curiaux sont obligés de résider sur les lieux : en cas d'empêchement de leur part, ils peuvent commettre quelqu'un en leur place. Les châtelains sont obligés d'avoir des curiaux pour écrire les actes, & ces curiaux ne peuvent pas rendre de jugemens, mais seulement écrire sous les ordres du juge. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, pag. 174 & suiv.

Dépens curiaux, sont les frais de justice. L'art. 35 de la coûtume de Normandie porte que le seigneur contre le vassal, & le vassal contre le seigneur, etant en procès en la cour dudit seigneur, ne peuvent avoir aucuns dépens que les curiaux ; ce qui signifie les simples déboursés de cour, tels que le coût des sentences, actes du greffe, significations, & autres déboursés qui auroient été faits par le seigneur ou le vassal ; celui qui a succombé ne doit point d'autres dépens que ces déboursés : mais s'ils plaidoient en un autre tribunal, celui qui succomberoit pourroit être condamné en tous les dépens. Basnage, sur le tit. de jurisdict. art. 35. (A)


CURIES. f. (Hist. rom.) en latin curia ; portion d'une tribu chez les anciens Romains.

Romulus divisa le peuple Romain en trois tribus, qui formerent trente curies, parce que chaque tribu fut composée de dix curies, c'est-à-dire de mille hommes. Les cérémonies des fêtes se faisoient dans un lieu sacré destiné à chaque curie, dont le prêtre ou le sacrificateur s'appella curion, à sacris curandis, parce qu'il avoit soin des sacrifices. Le peuple s'assembloit par curies dans la place de Rome appellée comitium, pour y gérer toutes les affaires de la république. Il ne se prenoit aucune résolution, soit pour la paix, soit pour la guerre, que dans ces assemblées. C'est là qu'on créoit les rois, qu'on élisoit les magistrats & les prêtres, qu'on établissoit des lois, & qu'on administroit la justice. Le roi de concert avec le sénat, convoquoit ces assemblées, & décidoit par un sénatus-consulte du jour qu'on devoit les tenir, & des matieres qu'on y devoit traiter. Il falloit un second sénatus-consulte pour confirmer ce qui y avoit été arrêté. Le prince ou premier magistrat présidoit à ces assemblées, qui étoient toûjours précédées par des auspices & par des sacrifices, dont les patriciens étoient les seuls ministres.

Les curies subsisterent dans toutes leurs prérogatives jusqu'à Servius Tullius, qui ayant trouvé par son dénombrement la république accrue d'un très-grand nombre de citoyens capables de porter les armes, les partagea en six classes générales, & composa chaque classe d'un nombre plus ou moins grand de centuries. Il établit en même tems, & du consentement de la nation, qu'on recueilleroit à l'avenir les suffrages par centuries, au lieu qu'ils se comptoient auparavant par têtes. Depuis lors les assemblées par curies ne se firent guere que pour élire les flamines, c'est-à-dire les prêtres de Jupiter, de Mars, de Romulus ; comme aussi pour l'élection du grand-curion & de quelques magistrats subalternes. De cette maniere les affaires importantes de la république ne se déciderent plus d'ordinaire que par centuries. Nous en exposerons la maniere dans le supplément de cet Ouvrage au mot CENTURIE, parce que cette connoissance est indispensable pour entendre l'histoire romaine, qui de toutes les histoires est la plus intéressante. Cependant le peuple chercha toûjours à faire par curies les assemblées qu'on avoit coûtume de faire par centuries, & à faire par tribus, qui leur donnoient encore plus d'avantage, les assemblées qui se faisoient par curies. Ainsi quand l'on établit en faveur du peuple les nouvelles magistratures de tribuns & d'édiles, le peuple obtint qu'il s'assembleroit par curie pour les nommer ; & quand sa puissance fut affermie, il obtint qu'ils seroient nommés dans une assemblée par tribus. Voyez TRIBU.

Varron dérive le mot curie du latin cura, soin, comme qui diroit une assemblée de gens chargés du soin des affaires publiques, ou qui se tient pour en prendre soin ; & cette étymologie me paroît la plus vraisemblable de toutes.

Quand les curies, curiae, furent abolies, le nom curia passa au lieu où le sénat se tenoit ; & c'est peut-être de-là qu'est venu le mot de cour, que nous employons pour signifier tout corps de juges & de magistrats. Art. de M(D.J.)


CURIEUXS. m. (Hist. anc.) curiosus ; officier de l'empire romain sous les empereurs du moyen âge, commis pour empêcher les fraudes & les malversations, sur-tout en ce qui regardoit les postes & les voitures publiques, & pour donner avis à la cour de tout ce qui se passoit dans les provinces.

Cet emploi rendoit les curieux redoutables, & leur donnoit le moyen de faire beaucoup plus de mal qu'ils n'en empêchoient ; ce qui fit qu'Honorius les cassa dans quelques parties de l'empire, l'an 415 de J. C.

Ce nom revient à-peu-près à ce que nous appellerions contrôleurs. On les appelloit curieux du mot cura, soin, quod curis agendis & evectionibus cursus publici inspiciendis operam darent. Dictionn. de Trévoux & Chambers.

Académie des curieux de la Nature, voyez ACADEMIE. Voyez aussi CURIOSITE. (G)

CURIEUX, adj. pris subst. Un curieux en Peinture, est un homme qui amasse des desseins, des tableaux, des estampes, des marbres, des bronzes, des médailles, des vases, &c. ce goût s'appelle curiosité. Tous ceux qui s'en occupent ne sont pas connoisseurs ; & c'est ce qui les rend souvent ridicules, comme le seront toûjours ceux qui parlent de ce qu'ils n'entendent pas. Cependant la curiosité, cette envie de posséder qui n'a presque jamais de bornes, dérange presque toûjours la fortune ; & c'est en cela qu'elle est dangereuse. Voyez AMATEUR. (R)


CURIGA(Géog. mod.) ville & royaume d'Asie dans la presqu'île de l'Inde, en-deçà du Gange, sur la côte de Malabar, tributaire du roi de Calicut.


CURIONS. m. (Hist. anc.) curio ; chef & prêtre d'une curie. Voyez CURIE.

Romulus ayant divisé le peuple romain en trois tribus & en trente curies, dont chacune étoit de cent hommes, donna à chaque curie un chef, qui étoit le prêtre de cette curie, & qu'on appella curio, & flamen curialis.

C'étoit lui qui faisoit les sacrifices de la curie, qui s'appelloient curionies, curionia : sa curie lui donnoit quelque somme d'argent pour cela. Cette pension ou ces appointemens s'appelloient curionium.

C'étoit chaque tribu qui choisissoit son curion. Mais tous ces curions avoient un supérieur & un chef, un curion général qui étoit à la tête du corps & qui gouvernoit les autres. On l'appelloit grand curion, curio maximus. Celui-ci étoit élu par toutes les curies assemblées dans les comices, qu'on nommoit curiata. Voyez COMICES.

Toutes ces institutions furent faites par Romulus, & confirmées par Numa, au rapport de Denis d'Halicarnasse.

Quelques auteurs disent qu'il y avoit deux curions dans chaque curie. Dictionn. de Trév. & Chambers.

Jule Capitolin nomme aussi curions certains crieurs publics, qui dans les jeux & les spectacles lisoient les requêtes que les comédiens adressoient au prince ou au peuple. (G)


CURIOSITÉ subf. (Mor. Arts & Scienc.) desir empressé d'apprendre, de s'instruire, de savoir des choses nouvelles. Ce desir peut être loüable ou blâmable, utile ou nuisible, sage ou fou, suivant les objets auxquels il se porte.

La curiosité de connoître l'avenir par le secours des sciences chimériques, que l'on imagine qui peuvent les dévoiler, est fille de l'ignorance & de la superstition. Voyez ASTROLOGIE & DIVINATION.

La curiosité inquiete de savoir ce que les autres pensent de nous, est l'effet d'un amour-propre desordonné. L'empereur Adrien qui nourrissoit cherement cette passion dans son coeur, devoit être un malheureux mortel. Si nous avions un miroir magique, qui nous découvrît sans-cesse les idées qu'ont sur notre compte tous ceux qui nous environnent, il vaudroit mieux le casser que d'en faire usage. Contentons-nous d'observer la droiture dans nos actions, sans chercher curieusement à pénétrer le jugement qu'en portent ceux qui nous observent, & nous remplirons notre tâche.

La curiosité de certaines gens, qui sous prétexte d'amitié & d'intérêt s'informent avidement de nos affaires, de nos projets, de nos sentimens, & qui suivant le poëte,

Scire volunt secreta domûs, atque inde timeri ;

cette curiosité, dis-je, de saisir les secrets d'autrui par un principe si bas, & un vice si honteux. Les Athéniens étoient bien éloignés de cette bassesse, quand ils renvoyerent à Philippe de Macédoine les lettres qu'il adressoit à Olympias, sans que les justes allarmes qu'ils avoient de sa grandeur, ni l'espérance de découvrir des choses qui les intéressassent, pût les persuader de lire ses dépêches. Marc Antonin brûla des papiers de gens qu'il suspectoit, pour n'avoir, disoit-il, aucun sujet fondé de ressentiment contre personne.

La curiosité pour toutes sortes de nouvelles, est l'apanage de l'oisiveté ; la curiosité qui provient de la jalousie des gens mariés est imprudente ou inutile ; la curiosité.... Mais c'est assez parler d'especes de curiosités déraisonnables ; mon dessein n'est pas de parcourir toutes celles de ce genre : j'aime bien mieux me fixer à la curiosité digne de l'homme, & la plus digne de toutes, je veux dire le desir qui l'anime à étendre ses connoissances, soit pour élever son esprit aux grandes vérités, soit pour se rendre utile à ses concitoyens. Tâchons de développer en peu de mots l'origine & les bornes de cette noble curiosité.

L'envie de s'instruire, de s'éclairer, est si naturelle, qu'on ne sauroit trop s'y livrer, puisqu'elle sert de fondement aux vérités intellectuelles, à la science & la sagesse.

Mais cette envie de s'éclairer, d'étendre ses lumieres, n'est pas cependant une idée propre à l'ame, qui lui appartienne de son origine, qui soit indépendante des sens, comme quelques personnes l'ont imaginé. De judicieux philosophes, entr'autres M. Quesnay, ont démontré (Voyez son ouvrage de l'econ. anim.) que l'envie d'étendre ses connoissances est une affection de l'ame, qui est excitée par les sensations ou les perceptions des objets, que nous ne connoissons que très-imparfaitement. Cette idée nous fait non-seulement appercevoir notre ignorance, mais elle nous excite encore à acquérir, autant qu'il est possible, une connoissance plus exacte & plus complete de l'objet qu'elle représente. Lorsque nous voyons, par exemple, l'extérieur d'une montre, nous concevons qu'il y a dans l'intérieur de cette montre diverses parties, une organisation méchanique, & un mouvement qui fait cheminer l'aiguille qui marque les heures : de-là naît un desir qui porte à ouvrir la montre pour en examiner la construction intérieure. La curiosité ne peut donc être attribuée qu'aux sensations & aux perceptions qui nous affectent, & qui nous sont venues par la voie des sens.

Mais ces sensations, ces perceptions, pour être un peu fructueuses, demandent un travail, une application continuée ; autrement nous ne retirerons aucun avantage de notre curiosité passagere ; nous ne découvrirons jamais la structure de cette montre ; si nous ne nous arrêtons avec attention aux parties qui la composent, & dont son organisation, son mouvement, dépendent. Il en est de même des sciences ; ceux qui ne font que les parcourir légerement, n'apprennent rien de solide : leur empressement à s'instruire par nécessité momentanée, par vanité, ou par légereté, ne produit que des idées vagues dans leur esprit ; & bientôt même des traces si légeres seront effacées.

Les connoissances intellectuelles sont donc à plus forte raison insensibles à ceux qui font peu d'usage de l'attention : car ces connoissances ne peuvent s'acquérir que par une application suivie, à laquelle la plûpart des hommes ne s'assujettissent guere. Il n'y a que les mortels formés par une heureuse éducation qui conduit à ces connoissances intellectuelles, ou ceux que la vive curiosité excite puissamment à les découvrir par une profonde méditation, qui puissent les saisir distinctement. Mais quand ils sont parvenus à ce point, ils n'ont encore que trop de sujet de se plaindre, de ce que la nature a donné tant d'étendue à notre curiosité, & des bornes si étroites à notre intelligence. Art. de M(D.J.)


CURLANDou COURLANDE, (Géog. mod.) province avec titre de duché, dans la Livonie, sous la protection de la Pologne. Il est borné par la Livonie, la Lithuanie, la Samogitie, & la mer Baltique. Ce pays se divise en deux parties, la Courlande & le Semigalle. Ce pays est fertile. Mittau en est la capitale.


CURLESterme de Cordier. Voyez MOLETTES.


CURMIS. m. (Oecon. rustiq.) boisson ancienne qui se fait avec l'orge, & qui a beaucoup de rapport avec la biere. Elle est encore d'usage dans les contrées du Nord. Les anciens en bûvoient au lieu de vin : mais leurs medecins la regardoient comme mal saine.


CUROIRS. m. (Agriculture) c'est dans quelques endroits une serpe, dans d'autres un bâton dont le laboureur se sert pour dégager l'oreille de la charrue, de la terre qui s'y attache lorsqu'elle est grasse & humide.


CUROVIA(Géog. mod.) ville de la petite Pologne, dans le palatinat de Sendomir.


CURSEURS. m. (Géom.) se dit d'une petite regle ou lame, ou pointe de cuivre ou d'autre matiere, qui glisse dans une fente ou coulisse pratiquée au milieu d'une autre lame ou regle, sur laquelle le curseur est toûjours à angles droits. Ainsi on appelle curseur une pointe à vis, qui s'enchâsse dans le compas à coulisse, & qu'on peut faire glisser à volonté le long du compas pour tracer de grands ou de petits cercles suivant le besoin. Voyez COMPAS A COULISSE. (E)

CURSEURS APOSTOLIQUES, (Hist. ecclés.) officiers de la cour de Rome, qui représentent les anciens curseurs dont l'histoire ecclésiastique fait mention, & qui du tems des persécutions portoient les lettres des évêques, pour avertir les fideles de se trouver aux assemblées. Les curseurs apostoliques ont la fonction d'avertir les cardinaux, les ambassadeurs, & les princes du throne, de se trouver aux consistoires, aux cavalcades, aux chapelles papales, selon la volonté du pape dont ils prennent les ordres, qu'ils vont ensuite annoncer à qui il appartient, portant une robe violette & à la main un bâton d'épine. Chaque cardinal est obligé de leur donner audience sur le champ, debout & découvert ; & les curseurs mettant un genou en terre, s'acquitent de leur message avec les formules accoûtumées ; mais ils ne s'agenouillent pas devant les ambassadeurs ni devant les princes du throne. Ils intiment aussi les obseques d'un cardinal à tout le sacré collége & aux quatre ordres mendians. Les héritiers du cardinal leurs donnent dix ducats, di camera, vingt-quatre livres de cire, & huit ducats di moneta. Chaque nouveau cardinal leur doit dix ducats di camera. Dans les cavalcades du pape ils accompagnent sa litiere, montés sur des mules, revêtus de leur robe violette, & portant une masse d'argent. Ils sont au nombre de dix-neuf, dont l'un exerce pendant trois mois l'office de maître des curseurs, & c'est à lui seul que sont adressées toutes les commissions signées par le pape ou par le préfet de la justice. Deux de ces curseurs sont obligés d'aller tous les jours au palais prendre les ordres du souverain pontife. Piazza, de la cour de Rome, trait. II. chap. xvj. (G)


CURSITEURS. m. (Hist. mod.) en Angleterre, est un clerc de la chancellerie, qui dresse les originaux des actes qui y doivent être expédiés. Ils sont au nombre de vingt-quatre, & forment une communauté. A chacun est assigné un nombre de comtés, dans l'étendue desquelles ils dressent les actes dont les particuliers les requierent. Chambers. (G)


CURSOLAIRES(LES) Géog. mod. petites îles de la Grece, dans le golfe de Patras.


CURTATIOqu'on peut traduire curtation ou accourcissement, est un terme d'Astronomie plus usité en latin qu'en françois ; c'est la différence entre la distance d'une planete au soleil, & sa distance réduite au plan de l'écliptique, qu'on appelle distantia curtata, distance accourcie. Voyez PLANETE.

Il est aisé de voir que la distance réduite au plan de l'écliptique, se détermine par le point où ce plan est rencontré par une perpendiculaire menée du centre de la planete : il est donc facile de construire des tables de curtation. Voyez ECLIPTIQUE.

Comme la distance d'une planete à l'écliptique, la réduction de son lieu au même plan, & sa curtation, dépendent de l'argument de la latitude ; Kepler, dans ses tables Rudolphines, a réduit toutes les tables de ces quantités en une seule, sous le titre de tabulae latitudinariae. Wolf & Chambers. (O)


CURTICONES. m. en terme de Géometrie, signifie un cone, dont le sommet a été retranché par un plan parallele à sa base, on l'appelle plus communément cone tronqué. Voyez TRONQUE. (O)


CURULEadj. (Hist. anc.) chaise curule ; c'étoit un siége d'ivoire, sur lequel certains magistrats de Rome avoient droit de s'asseoir. Voyez CHAISE.

Les magistrats curules étoient les édiles, les préteurs, les censeurs, & les consuls. Voyez EDILE.

Les senateurs qui avoient exercé ces premieres magistratures curules, se faisoient porter au senat sur ces chaises. Ceux qui triomphoient étoient aussi sur une chaise posée sur une espece de char, currus, d'où est venu le nom de curule. Voyez TRIOMPHE.

La chaise curule sur les médailles marque la magistrature. Quand elle est traversée par une haste, c'est le symbole de Junon, dont on se sert pour marquer la conservation des princesses. Voy. le P. Jobert, Science des médailles.

Statues curules. Voyez STATUE. (G)


CURUPAS. f. (Bot. exot.) plante de l'Amérique méridionale, que nous connoîtrons peut-être bientôt si elle peut lever de graine en Europe. Voici en attendant ce qu'en dit M. de la Condamine.

" Les Omaguas font grand usage de deux sortes de plantes : l'une, que les Espagnols nomment floripondio, dont la fleur a la figure d'une cloche renversée, & qui a été décrite par le P. Feuillée ; l'autre qui dans la langue Omagua se nomme curupa, & dont j'ai rapporté la graine : l'une & l'autre est purgative. Ces peuples se procurent par leur moyen une yvresse qui dure 24 heures, pendant laquelle ils ont des visions fort étranges. Ils prennent aussi la curupa réduite en poudre, comme nous prenons le tabac, mais avec plus d'appareil : il se servent d'un tuyau de roseau terminé en fourche, & de la figure d'un Y ; ils inserent chaque branche dans une narine : cette opération suivie d'une aspiration violente, leur fait faire une grimace fort ridicule aux yeux d'un Européen, qui ne peut s'empêcher de tout rapporter à ses usages ". Mém. de l'acad. des Sc. année 1745, pag. 428. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CURURESS. f. (Jardinage) se dit des boues & de la vase qui restent au fond des fossés, mares, canaux, étangs, lorsqu'ils sont vuides, ce qui fait un bon engrais. Voyez ENGRAIS. On en a dérivé le mot curer. (K)


CURURUS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est en rose, composée ordinairement de quatre pétales disposées en rond. Le pistil s'éleve du fond du calice, qui est à plusieurs feuilles. Ce pistil devient dans la suite un fruit en forme de poire à trois lobes, qui s'ouvre d'un bout à l'autre en trois parties, & qui renferme trois semences charnues recouvertes d'une coeffe fort tendre. Plumier, nova plant. Amer. gener. Voyez PLANTE. (I)

CURURU-APE, (Hist. nat. bot. exot.) arbre rampant du Brésil.

Ses feuilles vertes, broyées & appliquées sur les blessures récentes les guérissent, en unissant leurs levres dès la premiere application. Dict. de Med.


CURUTU-PALA(Hist. nat. bot. exot.) arbrisseau du Malabar. L'écorce de sa racine broyée & prise dans l'eau chaude arrête la diarrhée, & dans du lait soulage la dyssenterie : broyée dans de l'eau & appliquée sur les abscès, on dit qu'elle les termine par résolution. Dict. de Med.


CURVILIGNEadj. terme de Géometrie. Les figures curvilignes sont des espaces terminés par des lignes courbes ; comme le cercle, l'ellipse, le triangle sphérique, &c. Voyez COURBE & FIGURE.

Angle curviligne, est un angle formé par des lignes courbes. Pour la mesure de l'angle curviligne, tirez au point de concours des deux courbes ou sommet de l'angle les tangentes de chacune de ces courbes, l'angle formé par les tangentes sera égal à l'angle curviligne. Cela vient de ce que l'on peut regarder une courbe comme un polygone d'une infinité de côtés, dont les tangentes sont le prolongement ; d'où il s'ensuit qu'en tirant les tangentes, on a la position des petits côtés & par conséquent leur inclinaison. (O)


CURZOLA(Géog. mod.) île du golfe de Venise, sur les côtes de Dalmatie, aux Vénitiens. Long. 34. 50. lat. 43. 6.


CUSCO(Géog. mod.) grande ville de l'Amérique méridionale, autrefois capitale du Pérou, & le séjour des incas, près de la riviere d'Yucay. Long. 304. lat. mérid. 13.


CUSCUTES. f. cuscuta, genre de plante parasite, à fleur monopétale, faite à peu-près en forme de cloche, & découpée. Le pistil sort du calice. Il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit membraneux, arrondi, anguleux, & rempli de semences très-petites. Ce fruit est percé dans le fond, & il s'applique sur une petite capsule qui est au fond du calice. Tournefort, inst. rei herb. app. Voyez PLANTE. (I)

La cuscute est une parasite d'une espece bien singuliere, puisqu'elle ne le devient qu'après avoir tiré de la terre sa premiere nourriture. Elle s'accommode de toutes les plantes, qui sont pour elle ce que la terre est pour celles qui y jettent leurs racines. Le suc mucilagineux des plantes papilionacées lui convient aussi bien que celui des labiées, qui semblent par leur odeur marquer un suc éthéré & spiritueux ; elle suce également celui des cruciferes, qui a quelque chose de caustique & de brûlant ; elle pousse avec la derniere vigueur sur la vigne & sur l'ortie, où elle est toûjours beaucoup plus forte, pour ne pas dire monstrueuse. C'est elle qui forme ce qu'on appelle un raisin barbu. Voyez RAISIN BARBU.

La différence des plantes auxquelles elle s'attache, lui a fait donner les noms d'épithyme, épithymbre, goutte de lin, épimarrube, &c. qui tous désignent la plante sur laquelle elle vivoit : elle ne vient pas cependant seulement sur les plantes dont elle a emprunté le nom, ces noms marquent qu'elle se trouve plus communément sur ces plantes, mais elle se rencontre sur plusieurs autres. On la voit souvent sur l'ivraye, le genêt, le chardon, la garence. On l'a vûe sur le thlaspi, appellé par les fleuristes tharaspic, sur le laiteron, la mille-feuille, le chanvre, le serpolet, l'hyssope, la lavande, &c. enfin elle s'attache sur plusieurs plantes à la fois, elle embrasse toutes celles qu'elle trouve à la portée ; quelquefois, ce qui est assez singulier, elle se suce elle-même. On trouve souvent des branches où elle s'est cramponée, & où elle a insinué la partie avec laquelle elle tire des autres plantes le suc qui la doit nourrir. En un mot la cuscute pousse également ses tiges en tout sens ; toute direction lui est bonne, & c'est par le moyen de petits tubercules que ses tiges s'attachent, s'entortillent-autour des autres plantes de bas en-haut, de haut en-bas, ou s'étendent par-dessus horisontalement. Entrons dans les détails.

Cette plante a d'abord pour racine un filet qui pénetre la terre où il se desseche bientôt ; alors elle n'a pour racine que des tubercules coniques, d'environ une ligne de longueur & d'une demi-ligne dans leur plus grande largeur, arrangés au nombre de deux, trois, ou quatre, jusqu'à celui de douze, quinze, ou vingt, sur la partie concave des courbures de la tige, qui est dans ces endroits plus grosse, plus renflée que dans le reste. Ces tubercules sont d'abord fermés à leur pointe, ensuite ils s'ouvrent, s'évasent, prennent la forme d'une ventouse, dont les bords seroient chagrinés, & s'attachent à la plante qui doit nourrir la cuscute.

Ses tiges sont rondes, cassantes, épaisses d'une ligne au plus, longues depuis un demi-pié jusqu'à 2 piés, & même plus, coupées de plusieurs noeuds, qui donnent naissance à des branches semblables aux tiges, & qui poussent de leurs noeuds d'autres branches qui se ramifient ainsi plusieurs fois. A chacun des noeuds se trouve placée alternativement de chaque côté des tiges & des branches une petite feuille courbe, large dans son milieu d'environ une ligne, qui finit en pointe, & qui embrasse une ou plusieurs jeunes branches, selon qu'il en a poussé, & souvent un bouquet composé de plusieurs fleurs, qui par leur réunion forment un corps demi-sphérique.

Le calice de ces fleurs est d'une seule piece en forme de cloche, épais & solide dans son fond, découpé en quatre ou cinq parties pointues qui n'ont point de nervures.

La fleur est d'une seule piece, de la forme du calice, divisée également en quatre ou cinq parties semblables, sans nervures. Ces parties s'ouvrent beaucoup, & s'étendent horisontalement lorsque la fleur est avancée ; elles sont placées, par rapport à celles du calice, de façon qu'une partie de la fleur se trouve entre deux de celles du calice. Cette fleur ne tombe point.

Les étamines sont quatre ou cinq en nombre ; leurs filets sont coniques, attachés à la fleur depuis son fond jusqu'à l'endroit où elle commence à se diviser ; leur poussiere très-menue paroît à la loupe être composée de petits grains sphériques. On observe à l'endroit où les étamines sont attachées à la fleur, une frange découpée dans son pourtour en quatre ou cinq parties.

Le pistil est placé au milieu de la fleur & sur son fond qu'il perce, de sorte qu'on l'enleve aisément avec la fleur.

L'embrion est une capsule qui devient un fruit arrondi, applati en-dessus, renfermant quatre graines arrondies par un bout, & finissant à l'autre bout par une petite pointe courbe.

La plante est contournée dans le sens de la courbure de la graine.

On peut donc maintenant établir le caractere générique de la cuscute. Le calice est en cloche, découpé en cinq parties, & sert d'enveloppe aux graines. La fleur est monopétale, & ne tombe qu'avec le fruit. Les étamines sont cinq en nombre. Le nectarium ou l'alvéole est une frange à simple découpure. Le pistil est placé au milieu de la fleur. L'embrion est une capsule arrondie, qui s'ouvre horisontalement & renferme quatre semences. La plantule est tournée en spirale dans la semence. La plante est monocotyledone.

Il n'y a qu'une espece de cuscute connue ; de sorte que les plantes que l'on a toûjours appellées du nom de grande & de petite cuscute, ne sont en réalité que la même plante : ainsi tous les synonymes que l'on leur a donnés ne doivent appartenir qu'à une seule. Les différences que l'on a tirées de la couleur rouge ou jaune que prennent quelquefois les branches, ne peuvent former des especes. Si l'on met les branches de l'une ou l'autre couleur sur une plante qui soit à l'ombre, alors elles perdent cette couleur & deviennent blanchâtres. Il faudroit donc désigner la cuscute par son nom seul comme a fait M. Guettard, cuscute à feuilles alternes & à fleurs conglobées ; & puisqu'il n'y a qu'une seule espece de cuscute, ce nombre prodigieux d'expressions & phrases différentes employées pour la caractériser doit être rejetté. La baselle d'Amérique, que Linnaeus range avec la cuscute, est dicotyledone, & conséquemment d'un genre bien différent de celui de la cuscute.

Tous les pays chauds, froids, tempérés, produisent la cuscute. Elle vient en Suede, dans les Alpes, en Suisse, en Angleterre, par toute la France, en Italie, même en Egypte ; & nous devons à M. de Tournefort, dans ses voyages du Levant, une belle description de celle d'Arménie.

Quand les différens commentaires sur les anciens botanistes, comme celui de Mathiole, de Valerius Cordus sur Dioscoride, & le traité de Jean le Febvre contre Scaliger, traité où une érudition profonde se trouve mêlée à une diction pleine de fiel : quand, dis-je, ces différens ouvrages ne prouveroient pas que la plante que nous connoissons sous le nom de cuscute ou l'épithyme, est celle que les anciens connoissoient, une semblable discussion ne seroit plus du goût qui regne à présent, au moins en France. Mais il paroît que ce trait historique de la cuscute est bien constaté par le travail pénible & assidu des savans que je viens de nommer.

Nous avons vû que la cuscute naît en terre, qu'elle y pousse une espece de filet ou racine, au moyen de laquelle elle s'éleve pour s'attacher aux plantes qu'elle rencontre, & faute desquelles elle périroit bientôt ; mais ce qui est bien digne d'observation, c'est qu'avant cette rencontre on n'y remarque aucun organe propre à s'attacher aux plantes, ou à en tirer la nourriture.

Ils existent cependant ces organes, mais ils ne sont pas développés, & ne le seroient jamais sans la rencontre d'une autre plante ; point délicat sur lequel M. Guettard n'a pû s'éclaircir que par des observations réitérées, aidés de l'anatomie la plus exacte.

Les tiges de la cuscute contiennent des vaisseaux longitudinaux, & une substance parenchymateuse ou vésiculaire ; lorsqu'un corps étranger est enveloppé par ses tiges, le pli ou la courbure y produisent deux effets différens ; dans la partie extérieure, l'écorce a la liberté de croître, & par conséquent les vaisseaux & les vésicules de ce côté ne sont point gênés : mais dans la partie concave de la courbure, l'écorce plissée n'a pas la liberté de s'étendre ; bientôt les vésicules y font des ouvertures, & paroissent sous la figure des mamelons qui s'attachent & se collent à la plante, aux dépens de laquelle la cuscute va vivre. Elle commence à y contracter une adhérence, qui n'est pourtant encore que l'effet de l'application des mamelons contre la plante, & jusque-là elle n'en a rien tiré : aussi ne la trouve-t-on ordinairement que dans les lieux frais, & à l'abri du Soleil : par-tout ailleurs elle en auroit été desséchée.

Peu de tems après, des vaisseaux longitudinaux, que les mamelons avoient apparemment entraînés avec eux, sortent de leur extrémité, & s'introduisent dans la plante nourriciere, en écartant les vaisseaux & se glissant dans la partie la plus tendre de la tige : c'est cette partie que M. Guettard nomme suçoir, qui sert à la cuscute à tirer la nourriture de la plante à laquelle elle s'attache, & de laquelle on ne peut plus alors la séparer facilement : pour l'ordinaire les suçoirs y restent attachés, étant plus aisé de les rompre que de les en tirer. M. Guettard cependant en est venu à bout, & a vû distinctement le suçoir introduit dans l'écorce, & quelquefois dans la tige des plantes nourricieres : après cela il n'est pas difficile de comprendre comme se nourrit la cuscute.

Par ce que nous venons de dire, le suçoir est en quelque sorte distinct du mamelon, quoique généralement parlant on puisse dire qu'il ne fait qu'un tout avec lui.

Les mamelons sont placés dans la partie concave des contours que les tiges prennent en s'entortillant, & il n'y en a ordinairement qu'un rang, surtout dans la petite cuscute : dans la grande souvent, outre ce rang, il y en a un de chaque côté dont les mamelons sont plus petits : dans le rang du milieu on en remarque aussi très-souvent un petit proche un grand, ou deux petits à côté l'un de l'autre ; la grosseur d'un chacun est la moitié de celle d'un gros. Quelquefois un mamelon est divisé en deux, ou plûtôt ce sont deux petits mamelons réunis par le haut ; souvent il en sort par les côtés des courbures, & quelquefois même de la partie convexe.

Il n'est pas difficile de trouver la cause de la sortie & de la formation des mamelons ; il n'y a pas lieu de douter qu'elle ne soit dûe à l'action du suc nourricier, qui s'accumule dans les parties de la tige qui sont contournées : ces endroits pressés par ceux de la plante ou la cuscute s'étend, doivent grossir par là partie extérieure qui ne touche pas, & augmenter leur courbure. La peau de la concavité de ces courbures doit nécessairement alors se rider, s'ouvrir, & faciliter ainsi l'extension des parties parenchymateuses, le suc nourricier devant s'y porter en plus grande quantité, puisque les vésicules ne sont plus retenues par la peau : cette distension doit même venir jusqu'à un point qu'elles soient forcées de s'ouvrir, & par conséquent le mamelon, qui a pour lors assez la figure d'une ventouse. Cette ouverture faite, les vaisseaux longitudinaux doivent se gonfler, se courber de ce côté, & s'allonger pour former le suçoir.

Ajoûtons une remarque sur l'usage des mamelons. Lorsqu'ils ne sont pas encore ouverts, la cuscute tient peu aux plantes où elle se trouve, ou plûtôt elle n'y tiendroit, si tous ses mamelons étoient fermés, que par ses entortillemens ; mais lorsque les mamelons sont ouverts, l'adhérence devient plus grande, quand même aucun des suçoirs ne seroient entrés dans la plante ; comme ils ont alors une figure approchante d'une ventouse conique, ils en ont l'effet, & ils doivent ainsi affermir la cuscute : mais son adhésion n'est jamais plus grande que lorsque les suçoirs se sont insinués dans la plante nourriciere ; elle est telle alors, qu'il est plus rare de détacher les mamelons avec les suçoirs, que de les avoir sans eux.

Concluons que la cuscute a besoin pour vivre d'une plante étrangere. Il est vrai qu'elle se renouvelle tous les ans par le moyen de sa graine qui tombe ; il est encore vrai qu'on la fait venir en la semant dans des pots de terre : mais elle périt bientôt quand elle ne rencontre pas près d'elle des plantes dont elle puisse tirer le suc nourricier. Article de M(D.J.)

CUSCUTE, (Mat. med. & Pharm.) La cuscute des boutiques est de deux sortes ; l'une nous vient de Crete, & l'autre de Venise. L'une & l'autre sont du genre de cuscute qu'on appelle épythime, ou qui croissent sur le thim.

La cuscute indigene, nostras, qui est celle du lin, est absolument rejettée comme étant de nulle vertu.

On a cru autrefois que les deux premieres en possédoient beaucoup, mais on fait peu de cas aujourd'hui de ce remede dont l'usage est absolument abandonné dans les préparations magistrales ; il est seulement demandé dans quelques compositions officinales, comme l'électuaire de psyllium, les pilules foetides &c. desquelles encore les meilleurs artistes la retranchent le plus souvent. (b)


CUSSET(Géog. mod.) petite ville de France en Bourbonnois. Long. 21. 10. lat. 46. 2.


CUSTODERIES. f. (Jurisp.) à Lyon est la maison où logent les custodes ou curés de Sainte-Croix ; c'est la même chose que presbytere. Voyez CUSTODE. (A)


CUSTODESS. m. pl. (Hist. anc.) nom de certains officiers Romains, qui prenoient garde qu'on n'usât de supercherie & de mauvaise foi dans la distribution des bulletins pour l'élection des magistrats. (G)

CUSTODE, (Jurisp.) dans certaines églises est la même chose que curé. L'usage du terme de custode pris dans ce sens est fort ancien ; car on voit dans la regle de S. Chrodegand évêque de Metz, qui vivoit vers le milieu du viij. siecle, qu'entre les membres du chapitre de la cathédrale, il y avoit des custodes ou gardiens des trois principales églises de la ville. Voyez le chapitre xxvij. Dans le chapitre de Lyon, il y a un chanoine qui a le titre de grand-custode ; & l'église paroissiale de Sainte-Croix qui est la premiere paroisse de la ville, & unie à l'église cathédrale dont elle fait partie, est desservie conjointement par deux curés qui sont qualifiés custodes de Sainte-Croix. (A)

CUSTODE, s. f. (Bourrelier) on appelle ainsi le chaperon ou le cuir qui couvre les fourreaux de pistolets, pour empêcher qu'ils ne se mouillent. Ce mot est moins usité que celui de chaperon.

C'est aussi la partie garnie de crin qui est à chaque côté du fond d'un carrosse, & sur laquelle on appuie la tête & le corps. Dict. de Trév. (V)


CUSTRIN(Géog. mod.) ville forte & considérable d'Allemagne au cercle de basse-Saxe, dans la nouvelle marche de Brandebourg. Long. 32. 35. lat. 52. 34.


CUTANÉadject. en Anatomie, se dit des parties voisines de la peau. Arteres cutanées, veines cutanées, muscles cutanés, nerfs cutanés.

Le nerf cutané interne est le plus petit des nerfs brachiaux ; il naît de l'union de la septieme paire cervicale avec la premiere dorsale ; il descend le long de la partie interne du bras, entre la peau & les muscles, jusque vers le condyle interne de l'humerus, en accompagnant la veine basilique ; & après avoir jetté plusieurs rameaux, il va se terminer dans la peau que couvre le poignet en fournissant des rameaux jusqu'au petit doigt.

Le nerf cutané externe. Voyez MUSCULO-CUTANE. (L)

CUTANEE, (glande) Anatomie, nom qu'on donne à plusieurs petits grains, dont la surface interne de la peau est toute parsemée, & dont les conduits excréteurs percent tantôt à côté des mamelons, tantôt dans les mamelons même, suivant les observations de M. Winslow.

Les Anatomistes distinguent ordinairement ces glandes en deux classes ; Stenon & Malpighi ont appellé les unes miliaires, Morgagni & Valsalva ont nommé les autres sébacées. Voyez SEBACEE, MILIAIRE. Ruysch n'adopte point ces glandes ; Boerhaave au contraire admet en outre un troisieme genre de glandes cutanées, qui sont simples, n'ont qu'un follicule, dans lequel les arteres s'ouvrent de toutes parts ; & leurs sucs plus tenus enduisent les poils, les cheveux, & empêchent leur desséchement. Ce sont-là les cryptes de Boerhaave qui en a fait la découverte.

Il y a peut-être encore d'autres sortes de glandes cutanées, qui forment ce mucus qu'on apperçoit dans tous les endroits où l'épiderme se détache ; on trouve par-tout la nécessité d'enduire la peau ; & l'analogie des poissons donne lieu de présumer que dans l'homme les parties externes de la peau, comme les parties internes du corps, sont tapissées de follicules muqueux. On ne peut s'empêcher d'accorder à Ruysch, que tous les tubercules cutanés ne sont pas des glandes ; mais on peut encore moins se dispenser de croire avec Stenon, Malpighi, Littre, Duverney, Van-Horn, Cowper, Morgagni, Boerhaave, Winslow, &c. que parmi ces tubercules cutanés, il y en a un très-grand nombre qui sont de vraies glandes. Article de M(D.J.)

CUTANEE, (maladie) en Medecine, terme générique qui désigne toute maladie de la peau.

Lorsqu'on connoît l'oeconomie animale, on n'est pas surpris que la peau, cette espece de membrane qui recouvre toutes les parties du corps, soit exposée à un grand nombre de maux. Elle est faite d'un tissu merveilleux de fibres tendineuses & nerveuses, parsemée d'un nombre prodigieux de vaisseaux, dont la plûpart sont lymphatiques. Elle est percée dans toute son étendue d'une infinité de très-petits trous que l'on nomme pores, lesquels donnent passage à la matiere de la transpiration insensible. En un mot elle est l'émonctoire général du corps, & par conséquent sujette à diverses maladies qui peuvent résulter de l'altération des solides & des fluides.

Comme ces maladies sont nombreuses, on leur a donné des noms particuliers, selon leur caractere, leur nature, & leur degré : ainsi on les appelle dartre, feu volage, érésipele, gratelle, gale, lepre, teigne, herpe miliaire, rongeante, maligne, &c. Voyez-en les articles. Quelques-unes de ces maladies sont contagieuses, & se communiquent ; mais le siége de toutes est dans le tissu tubuleux de la peau.

Elles sont ordinairement accompagnées de chaleur, de rougeur, d'inflammation, de demangeaison, assez souvent d'élevures, de boutons, de pustules, de taches, de douleur, de petites croutes farineuses, seches, humides, quelquefois de plaques, d'exulcérations, & d'autres accidens provenant d'une sérosité acre, qui séjourne entre les vaisseaux excrétoires de la peau & les petites fibres nerveuses qu'elle ronge.

Quant aux causes médiates & éloignées de la formation de cette sérosité acre, qui produit généralement les maladies cutanées, nous les trouverons dans une altération & une diminution de la force des solides, qui entraîne celle de la vîtesse du sang & de la secrétion & excrétion des humeurs superflues : d'où il arrive que les parties fluides n'étant pas suffisamment atténuées, dégénerent de leur état salutaire.

Les indications curatives doivent donc tendre à diminuer, à chasser du corps la masse d'humeurs acres & corrompues, à la corriger, & à rétablir les solides. Les remedes qui y conviennent, se réduisent à la saignée, aux purgatifs, aux diaphorétiques, aux médicamens, & au régime opposé à l'acreté prédominante, aux alimens d'un suc loüable, enfin aux topiques qui, appliqués extérieurement, détergent, consolident, dessechent, & sont propres à appaiser les demangeaisons, à guérir les tumeurs, à fermer les ulceres, & à calmer les douleurs.

Les anciens étoient fort versés dans l'art de traiter les affections cutanées. Deux causes principales, comme le remarque Hoffman, y contribuoient ; la fréquence de ces maladies dans le pays qu'ils habitoient, & la violence de ces mêmes maladies : c'est donc sur leur méthode que nous devons établir la nôtre, en restraignant l'usage de leurs remedes dans de certaines bornes, & en ne les employant qu'avec les précautions que notre climat différent du leur exige que nous prenions.

La saignée convient à ce genre de maladie dans la pléthore & la surabondance du sang. On y peut suppléer par des scarifications, ou par l'application des sangsues, quand le mal est causé par la suppression des excrétions ordinaires du sang dans l'un & dans l'autre sexe.

Entre les purgatifs on doit nommer à juste titre les infusions de manne, de rhubarbe, la crême de tartre, la casse, les tamarins, les sels, les eaux minérales : mais si ces purgatifs doux sont sans effet, il faut recourir à des secours plus puissans tirés de la classe des cathartiques, & de celle des diaphorétiques, la résine de jalap, l'éthyops minéral, le mercure doux, les décoctions de gayac, les antimoniaux : de tels remedes pris en doses convenables avec des décoctions altérantes ou diaphorétiques, tendent tous à mouvoir la lymphe, à lever les obstructions des canaux glandulaires, & conséquemment à dépurer efficacement le sang & les humeurs ; enfin quand les maladies cutanées se trouvent jointes à quelque virus vénérien, il faut pour les subjuguer recourir au mercure & à ses préparations d'après les regles de l'art.

On ne peut trop loüer les poudres diaphorétiques préparées d'antimoine diaphorétique, le soufre doré, le régule médicinal d'antimoine, & généralement toutes ces sortes de préparations antimoniales. On y joindra le nitre, les émulsions convenables, les infusions, & les décoctions des plantes propres à dépurer le sang ; telles que sont la fumeterre, la scabieuse, le scordium, la scolopendre, le cresson aquatique, la bourache, l'endive, la chicorée, les fleurs de sureau, les racines de pimprenelle, & autres qui sont pourvûes en partie d'un sel volatil & pénétrant, & en partie d'un principe amer & balsamique : de plus, les décoctions abondantes faites avec les ingrédiens capables de dessécher l'humidité superflue, & de fortifier en même tems les parties solides, sont souvent très-nécessaires dans les affections cutanées. Les plus usités d'entre ces ingrédiens sont les racines d'esquine, la salsepareille, les écorces de sassafras, de cascarille, les santaux, & autres de la même nature.

Je ne sai s'il faut compter entre les remedes importans, les viperes, dont l'usage est si fort vanté dans plusieurs livres ; il est du moins certain que quantité d'expériences confirmées par des raisons satisfaisantes, ont déjà convaincu de grands praticiens de l'insuffisance de ces sortes de remedes. Quoiqu'il en soit, si les viperes produisent ici quelque effet salutaire, on en peut attendre autant de toutes les parties desséchées d'animaux, qui contiennent un suc gélatineux, volatil, & modérément sulphureux.

Parmi les diététiques, tout le monde s'accorde à recommander le lait seul, ou coupé avec de l'eau, de même que le petit-lait de vache & de chevre pris en quantité, & l'on comprend sans peine l'excellence de ce régime.

Les topiques sont de très-bons moyens pour diminuer la douleur, la rougeur, la chaleur, la demangeaison, les déformations, & les exulcérations de la peau. On les employera suivant qu'il s'agira de dessécher, de resserrer, de déterger, de consolider : mais personne n'ignore que leur emploi demande une extrême circonspection. Ils doivent toûjours être appliqués les derniers, & toûjours conjointement avec les remedes internes ; l'expérience a mille fois appris, que leur usage inconsidéré étoit suivi des symptomes les plus fâcheux, qui mettent la vie du malade en danger, & même quelquefois la détruisent. Les bains tant naturels qu'artificiels entrent dans la classe des remedes extérieurs ; ils sont sur-tout salutaires dans les affections cutanées qui naissent d'humeurs séreuses & lymphatiques, vitiées par leur acreté ou leur épaississement ; telles que la gale seche, les dartres, les herbes, & sur-tout dans les demangeaisons incommodes qui surviennent aux vieillards.

Mais comme les causes de la maladie de la peau varient extrêmement, il est évident que la cure doit varier de même, tant pour les remedes externes, que pour les remedes internes. En effet ces maladies pouvant provenir d'une vie sédentaire, d'intempérance, d'humeurs surabondantes, acides, alkalines, salées, bilieuses, de la suppression de quelque évacuation critique du sang, de celle de l'insensible transpiration, de l'obstruction des conduits de la peau, de son tissu particulier, de l'âge, de virus scorbutique ou vénérien, &c. il en résulte une grande diversité dans la méthode curative, qu'il faut mettre en usage suivant les causes du mal ; & c'est d'après des principes d'une savante théorie qui pourroit nous conduire dans cette application, que l'on desire encore en Medecine un bon ouvrage sur cette matiere. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CUTICULou EPIDERME, s. f. (Anat.) c'est une membrane mince, transparente, qui n'a point de sentiment, & qui sert à recouvrir la peau. Voyez PEAU.

La cuticule est cette premiere enveloppe extérieure du corps, appellée aussi épiderme, mais plus communément sur-peau ; ou bien c'est ce tégument mou qui s'éleve en ampoule après une brûlure ou l'application d'un cautere. Elle est étroitement unie à la surface de la peau ou à la vraie peau, à laquelle elle est aussi attachée par le moyen de vaisseaux qui la nourrissent, quoique l'on ne puisse discerner ces vaisseaux à cause de leur énorme petitesse.

Quand on l'examine avec un microscope, il paroît qu'elle est composée de différentes couches d'écailles excessivement petites, qui se couvrent l'une l'autre, plus ou moins, suivant leurs différentes épaisseurs dans les différentes parties du corps ; & aux levres où les écailles paroissent mieux, parce que la peau y est plus mince, elles ne font guere que se toucher.

Les écailles sont les canaux excrétoires des glandes de la peau, comme il paroît évidemment dans les poissons ; ou bien les glandes ont leurs tubes ou conduits qui s'ouvrent entre les écailles. Voy. GLANDE MILIAIRE.

Leuwenoeck compte que dans une écaille cuticulaire il peut y avoir cinq cent canaux excrétoires, & qu'un grain de sable est en état de couvrir deux cent cinquante écailles ; desorte qu'un grain de sable pourra couvrir 125000 pores ou orifices par lesquels se fait notre transpiration journaliere. Voyez TRANSPIRATION & PORE.

Néanmoins malgré l'excessive porosité de la cuticule ou de l'épiderme, elle bouche le passage à une grande partie des humeurs séreuses qui s'évacueroient autrement par les glandes de la peau ; comme il paroît évidemment par la décharge copieuse qui s'en fait lorsque l'on a appliqué les vésicatoires, & qu'il est arrivé quelqu'autre accident qui a emporté la cuticule & laissé la peau à découvert. Voyez VESICATOIRE.

Les écailles sont souvent collées ensemble par les parties les plus grossieres de notre transpiration insensible, où elles s'y endurcissent par la chaleur du corps qui emporte les particules les plus volatiles ; & c'est en quoi consiste, à ce que l'on croit, cette indisposition que l'on appelle vulgairement un rhûme.

L'humeur séparée par des glandes de la peau étant enfermée entre les écailles, cause de fréquentes demangeaisons ; & quand la matiere y a long-tems séjourné, elle y produit de petites pustules & d'autres impuretés : c'est pour nous en délivrer que nous sommes portés naturellement à nous frotter souvent, nous laver & nous baigner, tous remedes qui sont fort salutaires. Voyez LEPRE.

Quelques-uns pensent que la cuticule est formée des parties les plus grossieres de l'humeur séreuse excrémentitielle, chassées par les pores de la peau, & condensées sur la surface semblable à la pellicule qui paroît dans une évaporation sur la surface de la partie séreuse du sang. Mais Leuwenoeck pense, avec plus de probabilité, qu'elle vient d'une expansion des canaux excrétoires des glandes de la peau.

Elle sert à défendre les nerfs de la peau, qui sont l'origine du sentiment du toucher, ou à les garantir des injures des corps rudes & trop durs, aussi-bien que les impressions de l'air : car les nerfs étant découverts, il en naîtroit un sentiment trop délicat & trop douloureux, ou bien l'air les sécheroit de maniere qu'ils en seroient moins susceptibles des impressions délicates du plaisir. Voyez TOUCHER.

Riolan & plusieurs autres soûtiennent que la cuticule des femmes n'a point de pores. Molinette soûtient que leur sueur démontre le contraire ; mais il convient avec eux que cela est vrai des chiens & des chats, qui ne suent jamais quelque fatigués qu'ils soient. Voyez SUEUR. Chambers. (L)

CUTICULE, (Jardinage) est la premiere peau ou enveloppe du corps de la graine mise en terre, & dépouillée des quatre premieres enveloppes qui n'ont servi qu'à fournir de nourriture à la graine lorsqu'elle germoit, & qui sont péries depuis.

La cuticule renferme les lobes & s'étend sur toute la graine. (K)


CUTTEMBERG(Géog. mod.) petite ville de Boheme dans le cercle de Czaslau. Il y a des mines d'argent dans son voisinage.


CUVEsub. f. (Tonnel.) grand vaisseau de bois propre à contenir des liqueurs. Les cuves sont faites de douves de bois de chêne ou de sapin, reliées avec de grands cerceaux de bois ou des cercles de fer, & garnies d'un fond seulement. On se sert des cuves pour mettre la vendange & y fouler le raisin. Les Brasseurs de biere mettent fermenter leur grain dans des cuves avant que de les cuire dans les chaudieres. Les Teinturiers se servent aussi des cuves pour teindre les étoffes. Ce sont les Tonneliers qui fabriquent les cuves. Voyez les articles suivans.

CUVE, en terme de Blanchisserie de cire, est un grand vaisseau de bois en forme de tonneau, dans lequel la cire fondue tombe & se repose. Voyez REPOSER. Elle est garnie sur le devant d'un gros robinet qui donne issue à la cire dans la grêloire. Voyez GRELOIRE, K K K, Pl. de la Blanchisserie des cires, fig. 1. Ces cuves qui sont cerclées de fer ont trois crochets de fer à la circonférence supérieure, qui servent à accrocher des anneaux qui terminent des cordages, au moyen desquels & du treuil on ôte & on met la cuve sur son support.

CUVE-MATIERE, (Brasserie) est celle dans laquelle les Brasseurs mettent la farine ou le grain bruisiné avec l'eau pour être brassé. Elle differe des autres en ce qu'elle a un faux fond percé de petits trous, & distant du fond de deux pouces. Lorsque l'on jette l'eau dans la cuve par le moyen d'une pompe qui la conduit entre les deux fonds, elle remonte dans la cuve par les petits trous du faux fond, soûleve la farine, & la rend plus aisée à voguer. Cette distance entre les deux fonds facilite l'égoutter des métiers lorsqu'on met à la voie. Au-dessous du faux fond est un cordon étroit autour de la cuve, qui sert à le retenir en place. Au haut il y a encore un cordon, mais plus fort que celui du bas. V. BRASSERIE.

CUVE-MOULOIRE, (Brasserie) est celle dans laquelle les Brasseurs font tremper le grain pour le faire germer.

CUVE-GUILLOIRE, (Brasserie) est celle dans laquelle on jette les métiers pour les mettre en levain.

CUVE, chez les Cartonniers, est une grande caisse de bois de chêne sans couvercle, de trois piés & demi de largeur, & environ cinq à six piés de long, dans laquelle ces ouvriers puisent avec la forme la matiere dont ils fabriquent le carton. Voyez la fig. 2. Pl. du Cartonnier, qui représente l'ouvrier appellé leveur qui leve la matiere dont le carton est fait sur la forme ; la cuve est devant lui qui contient cette matiere délayée dans de l'eau. Voyez PAPETERIE.

CUVE du moulin à papier à cylindres, voyez la description & l'usage des différentes parties qui la composent à l'article MOULIN A PAPIER A CYLINDRES, & la fig. Planc. II. de Papeterie.

CUVE, en terme de Raffineur de sucre, sont de grands vaisseaux de planches de chêne environnées de cerceaux de fer, semblables aux cuves où l'on foule les raisins. C'est où on amasse les écumes & les syrops. Voyez ECUME & SYROP.

* CUVE, (Teinture) grands vaisseaux dont les Teinturiers se servent pour teindre les étoffes. On appelle cuve d'inde, une cuve composée d'indigo sans pastel, dans laquelle on teint à froid ; cuve en oeuvre, celle qui n'a ni trop ni trop peu de chaux, & à qui il ne manque que d'être chaude pour travailler ; cuve garnie, celle qui a tous les ingrédiens, mais qui n'est pas assez formée ou qui n'a pas assez fermenté pour travailler ; cuve rebutée, celle qui ne jette du bleu que quand elle est froide ; cuve qui souffre, celle qui n'a pas assez de chaux ; cuve usée, celle qui avoit trop de chaux, & dont on n'a pû se servir que la chaux n'en fut usée ; cuve sourde, celle qui commence à faire du bruit, & à faire connoître par des petille. mens qu'elle se forme. On dit asseoir ou poser une cuve, pour y mettre les ingrédiens dont elle doit être composée ; pallier la cuve, pour remuer ou brouiller le marc ou pâtée de la cuve, & le mêler avec le fluide ; heurter la cuve, pour pousser brusquement & avec force la surface du bain jusqu'au fond de la cuve, & y donner de l'air par cette manoeuvre ; dégarnir la cuve, pour y mettre du son & de la garence à discrétion, pour qu'elle soit moins chargée ; rejailler une cuve, pour la remplir d'eau chaude deux ou trois jours après qu'elle a travaillé, & qu'elle se trouve trop diminuée ; réchauffer la cuve, pour remettre le brevet ou le bain sur le feu quand la cuve commence à se refroidir ; ouvrir la cuve, pour y jetter la premiere mise de la laine ou de l'étoffe quand elle est neuve ; retrancher la cuve, pour la pallier sans lui donner de chaux. Voyez l'article TEINTURE.


CUVÉES. f. (Agriculture) c'est la quantité de vin qu'une seule cuve fournit. Les cuvées ne sont pas toutes également bonnes. Voyez les articles VIN & VIGNES.


CUVERv. n. (Oecon. rustiq.) c'est laisser fermenter dans la cuve le raisin avec le mout, autant qu'il est à propos pour donner au vin le corps, la couleur & la qualité, qui lui conviennent le mieux. Voyez VIGNE & VIN.


CUVERT(Jurisprud. & Hist.) Voyez ci-devant CULVERTAGE. (A)


CUVETTES. f. en Bâtiment, est un vaisseau de plomb de différentes figures pour recevoir les eaux d'un chêneau & les conduire dans le tuyau de descente. Area selon Vitruve. (P)

CUVETTE, en terme de Fortification, est un petit fossé qu'on construit au milieu du fossé sec pour l'écoulement des eaux. Voyez FOSSE. (Q)

CUVETTE, dans les Ardoisieres, voyez l'article ARDOISE.

CUVETTE, (Jardinage) est un vaisseau de plomb ou de cuivre qui reçoit l'eau d'une source pour la distribuer ensuite à différens endroits. Alors on le nomme cuvette de distribution.

Souvent une cuvette n'est faite que comme une bache ou récipient tenant dix ou douze muids, pour recevoir l'eau d'une machine, rompre le coup de piston, & l'envoyer dans un réservoir élevé à même niveau. (K)

* CUVETTE, (Verrerie) vaisseau ovale & plus petit que les pots, d'où l'on tire la matiere raffinée dont on les remplit, lorsqu'il s'agit de couler les glaces. Voyez l'article VERRERIE.


CUVIERS. m. (Tonnelier) petite cuve dont les lavandieres & blanchisseuses se servent pour faire la lessive. Les cuviers sont un ouvrage de Tonnellerie, & ne different des cuves que par la grandeur.


CUYCK(le pays de) Géog. mod. district des Pays-Bas dans le Brabant Hollandois arrosé par la Meuse, dont Grave est la capitale.


CUYLEMBOURG(Géog. mod.) ville des Pays-Bas dans les Provinces-Unies du duché de Gueldre, sur le Leck, Long. 22. 43. lat. 51. 58.


CUZUM(Géog. mod.) ville d'Afrique en Abyssinie. On y garde les titres authentiques qui prouvent que les rois d'Abyssinie descendent du roi Salomon & de la reine de Saba.


CUZZI(Géog. mod.) c'est le nom d'un peuple de la Grece fort vaillant & belliqueux, que les Turcs n'ont point encore pû venir à bout de soûmettre.


CY(Comm.) terme de Teneur de livre. On se sert de cet adverbe dans les comptes & livres des marchands, pour marquer qu'on tire en chiffres communs & en ligne la somme qu'on a mise tout au long dans un article.

Les gens d'affaires & de finance se servent aussi du cy dans leurs comptes ; avec cette seule différence, qu'ils répetent & tirent les sommes en chiffres de finance. Voyez CHIFFRE. Dictionn. de Comm. (G)


CYANÉESS. f. (Mythologie) rochers placés à l'entrée du Pont-Euxin, les uns du côté de l'Asie, les autres du côté de l'Europe, à environ vingt stades de distance. Les Argonautes arrivés à ce passage difficile, y lâcherent une colombe qui perdit la queue en le traversant. On croit que cette colombe fut une galere legere dont le gouvernail fut brisé contre les rochers qui auroient fait périr le navire Argo, si Neptune ne les eût fixés ; & si Junon à qui les Argonautes sacrifierent dans ce danger, ne leur eût accordé un tems serein & une heureuse navigation.


CYANOIDES(Hist. nat. bot.) genre de plante dont les fleurs sont composées de demi-fleurons rangés autour d'un disque, faits en forme de tuyaux & stériles, & de fleurons proprement dits rassemblés sur le disque en forme de tête écailleuse & inégale. La semence est nue & mûrit entre les poils qui sont sur la couche. Pontedera, diss. nova. V. PLANTE. (I)


CYATHES. m. (Hist. anc.) en latin cyathus, en grec , de , verser : c'étoit un très-petit gobelet avec lequel on mesuroit le vin ou l'eau que l'on versoit dans les tasses, & cette mesure étoit la douzieme partie du septier ; ainsi le septier (sextarius) étoit une mesure composée de douze cyathes. Auguste bûvoit à la fois deux cyathes de vin, & sa plus grande mesure pour tout un repas étoit le septier. On ne dit pas combien il y mettoit d'eau.

Le cyathe étoit par rapport au septier ce que l'once étoit par rapport à l'as ou à la livre, c'est pourquoi on donnoit aux parties du septier les mêmes noms qu'aux parties de l'as. La douzieme partie du septier étoit donc un cyathus ou uncia, & ainsi de suite.

Le cyathe étoit fait pour verser le vin & l'eau dans des tasses. L'usage de ce petit gobelet avoit son incommodité. Celui qui versoit à boire étoit obligé pour remplir une seule tasse, poculum, de puiser à plusieurs reprises, & jusqu'à neuf ou dix fois dans le crater qui étoit un grand vaisseau plein de vin. Le bûveur s'impatientoit ; le vin même versé de ce grand vaisseau dans le cyathe, reversé du cyathe dans la tasse, pouvoit s'éventer. Pour remédier à tous ces petits inconvéniens, on inventa l'usage des tasses inégales. On en fit faire de petites, de moyennes, & de grandes : les petites étoient le sextans, qui tenoit deux cyathes ; le quadrans, trois cyathes ; le triens, quatre cyathes : les moyennes étoient le quincunx, qui tenoit cinq cyathes ; le semis ou l'hémine, six cyathes ; le septunx, sept cyathes ; le bes, huit cyathes : les grandes étoient le dodrans, qui contenoit neuf cyathes ; le dextans, dix cyathes ; le deunx, onze cyathes.

Les Grecs aussi bien que les Romains ont fait usage & du cyathe & de tasses inégales. Athenée introduit un homme qui se fait verser dix cyathes de vin dans une seule tasse ; & voici comme il le fait parler : " Echanson, apporte une grande tasse ; verses-y les cyathes qui se boivent à ce que l'on aime ; quatre pour les personnes qui sont ici à table, trois pour l'amour ; ajoûte encore un cyathe pour la victoire du roi Antigonus. Holà, encore un pour le jeune Démétrius. Verse présentement le dixieme, en l'honneur de l'aimable Vénus ". Voilà dix cyathes versés dans une seule tasse pour être bûs en un seul coup.

Chez les Romains, du tems de Martial, lorsqu'on vouloit boire à un ami ou à sa maîtresse, on demandoit autant de cyathes qu'il y avoit de lettres au nom de la personne à qui l'on alloit boire. Voilà pourquoi Horace a dit :

Qui musas amat impares,

Ternos ter cyathos attonitus petet

Vates, &c. Od. XIX. lib. iij.

" Un poëte qui fait sa cour aux muses, ne se fera point prier dans son enthousiasme pour boire en un seul coup un verre de neuf cyathes ". Il ne dit pas boire neuf fois, mais boire neuf cyathes en une seule fois. Voyez Sanadon sur Horace, & la dissert. de M. Boivin le cadet, dans les Mém. de l'académie des Inscript. tom. I.

On ne se servoit pas seulement chez les Grecs & les Romains de cyathes pour mesurer l'eau & le vin à table, mais en général pour mesurer toutes les substances liquides, & même les seches. La Medecine en faisoit un grand usage ; aussi les anciens medecins en parlent très-souvent. Galien qui a écrit des mesures des liquides, en marquant leur proportion entr'elles par la quantité d'huile ou de vin que chacune contenoit, dit (de pond. & mens. ch. jv.) que le cyathe tenoit douze dragmes d'huile, treize dragmes & un scrupule de vin, d'eau, de vinaigre, & dix-huit dragmes de miel. Nos medecins font aujourd'hui le cyathe d'une once & demie. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CYATHOIDES(Hist. nat. bot.) genre de plante qui a la forme d'une tasse, d'un creuset, ou d'un petit plat. Sa substance est mince & dure, tandis qu'elle prend son accroissement ; son orifice est fermé par une pellicule très-mince, & sa cavité est remplie de fruits faits en forme de lentilles, qui tiennent aux parois intérieures par un pédicule fort court. Ces fruits renferment une sorte de colle fort épaisse qui est mêlée avec des semences ovoides très-petites. Micheli, nov. plant. gen. Voyez PLANTE. (I)


CYBELES. f. (Myth.) divinité du Paganisme. On l'adora sous les noms d'Ops, Rhée, Vesta, la Bonne-déesse, la mere des Dieux, Dyndimene, la mere Idée, Bérécinthe, &c. Elle étoit fille du ciel & de la terre, & femme de Saturne. Elle fut appellée Cybele du mont Cybelus en Phrigie, où l'on racontoit qu'elle avoit été exposée après sa naissance, nourrie par des bêtes sauvages, & épousée par un pâtre, & où elle avoit un culte particulier. On la représentoit sur un char traîné par des lions, avec une tour sur la tête, une clé à la main, & un habit parsemé de fleurs. Elle aima Atys, qui eut tant de mépris pour cette bonne fortune, qu'il aima mieux se priver de ce dont il auroit eu besoin pour en bien profiter, que de céder à la poursuite de la bonne déesse. Il se fit cette belle opération sous un pin où il mourut, & qui lui fut consacré. La mere Idée fut envoyée de Pessinunte à Rome sous la forme d'une pierre brute, où elle fut introduite par Scipion Nasica, pour satisfaire aux livres sibyllins, où les Romains avoient lû que l'expulsion des Carthaginois dépendoit de l'établissement de son culte en Italie ; ils ordonnoient encore que Cybele fût reçue à son arrivée par le plus honnête homme ; ce qui fixa le choix sur Nasica. Ses prêtres s'appellerent galli, dactyles, curetes, corybantes ; ils promenoient sa statue dans les rues, chantant, dansant, faisant des contorsions, se déchiquetant le corps & escamotant des aumônes. C'étoit à son honneur qu'on célébroit la taurobolie. Voyez TAUROBOLIE ; voyez aussi CORYBANTES, DACTYLES, CURETES, &c. On lui sacrifioit tous les ans à Rome une truie, au nom des préteurs, par la main d'un de ses prêtres & d'une prêtresse de Vénus. On a prétendu que ses lions désignoient son empire sur les animaux qu'elle produit & nourrit ; sa couronne, les lieux habités dont la terre est couverte ; sa clé, les greniers où l'on renferme les semences après la récolte ; sa robe, les fleurs dont la terre s'émaille ; son mariage avec Saturne, la nécessité du tems pour la génération de toute chose. A la bonne heure.


CYBERNÉSIESS. f. (Myth.) fêtes instituées par Thésée, en l'honneur des pilotes qui le servirent dans son expédition de Crete. Cybernésie vient de , je gouverne.


CYCEON(Diete) Le cyceon () des anciens Grecs est une espece de potion, qui tenoit lieu en même tems de nourriture & de boisson. Il paroît qu'ils en avoient de deux especes principales ; le plus commun n'étoit autre chose que de la farine délayée dans de l'eau ; l'autre plus délicat, & dont la composition étoit plus recherchée, étoit préparé avec le vin, différentes farines, le miel, & quelquefois même du fromage.

Hippocrate fait souvent mention des différens cyceons, & sur-tout dans son second livre de dieta, où il expose assez au long les différentes qualités de ces préparations.

Il paroit par ce passage même, que par le mot de cyceon on n'entendoit quelquefois autre chose que la farine ordinaire de différens grains, comme froment, orge, &c. ou celle qui étoit appellée polenta, , qui étoit tirée des mêmes grains torrefiés. Tous les cyceons nourrissent bien dans du lait. Hippoc. 2 de dieta, §. IX. Cornarius & Vandus-Linden, après ces mots, tous les cyceons, omnes cyceones, ajoûtent, id est farinae.

Le cinnus des Latins paroît être une potion fort analogue au cyceon des Grecs. Nonn. de re cibaria. Voyez Rieger, introd. Castel, lexic. &c. (b)


CYCINNISS. f. danse des Grecs. Elle avoit retenu le nom de son inventeur, qui étoit un des satyres suivans de Bacchus : elle étoit moitié grave, moitié gaie, & réunissoit ces deux caracteres ; telles sont à-peu-près nos chaconnes, dont le majeur a pour l'ordinaire des couplets legers, forts & fiers, & le mineur des couplets tendres, doux, & voluptueux. Voyez CHACONNE. Bonnet, dans son hist. de la danse, croit qu'elle étoit du caractere de nos bourrées, de nos branles, &c. Ce n'est pas la seule erreur dans laquelle cet auteur est tombé ; son ouvrage en est plein. Le branle & la bourrée sont en entier d'un genre vif, leger, & gai. La cycinnis ne pouvoit donc pas être d'un pareil genre, puisqu'elle étoit moitié grave, moitié gaie. Voyez DANSE. (B)


CYCLADES. f. (Hist. anc.) habillement de femme, arrondi par le bas & bordé d'un galon de pourpre. C'étoit aussi l'étoffe de la robe ; on y brodoit quelquefois des fleurs en or. Les femmes la portoient sous le pallium ; & des hommes l'empruntoient pour se travestir en bouffons.

CYCLADES, (Géog. mod.) c'est le nom de plusieurs îles de l'Archipel, qui paroissent rangées les unes près des autres en forme de cercle. Voy. ARCHIPEL.


CYCLAMEou PAIN DE POURCEAU, (Bot. & Jard.) est une plante vivace qu'on appelle pain de pourceau, à cause que ces animaux s'en nourrissent dans les champs. Elle jette des feuilles larges, presque rondes, d'un verd brun, marquetées pardessus, & purpurines par-dessous. Il sort de leur milieu des pédicules longs, dont la sommité est chargée de fleurs rouges, blanches, ou jaunes, à une seule feuille divisée en cinq parties repliées sur elles-mêmes. Un pistil s'éleve de son calice, lequel dans la suite devient un fruit rond s'ouvrant en différentes parties, qui contiennent des semences qui en perpétuent l'espece.

Il y a deux cyclamen, le printanier qui veut le Soleil, & l'automnal qui aime l'ombre, & qui sent fort bon. Comme cette plante est vivace, on détalle des cayeux en les coupant de la mere, ensorte qu'il reste un oeil à chaque, & on recouvre ces plaies de terebenthine ou de cire d'Espagne avant de les mettre en terre. On ne les arrose que quand ils commencent à pousser. (K)


CYCLAMORS. m. (Blason) espece de bordure que d'autres appellent orlerond.

Barbaro de Venise porte d'argent à un cercle ou cyclamor de gueules.


CYCLES. m. terme de Chronologie, qui signifie une certaine période ou suite de nombres qui procedent par ordre jusqu'à un certain terme, & qui reviennent ensuite les mêmes sans interruption. Voyez PERIODE.

Voici quelle a été l'origine des cycles. La révolution apparente du soleil autour de la terre, fut d'abord divisée arbitrairement en 24 heures ; & cette division devint la base & le fondement de toutes les mesures du tems. Dans l'usage civil on ne connoît que les heures ; ou plûtôt des multiples d'heures, comme les jours, les années, &c. Mais ni le mouvement annuel du soleil, ni celui d'aucun autre corps céleste, ne peut être mesuré & divisé exactement par le moyen des heures ou de leurs multiples. Par exemple, la révolution annuelle du soleil est de 365 jours & 5 heures, 49 minutes, à très-peu de chose près ; celle de la lune de 29 jours, 12 heures, 44 minutes. Voyez ANNEE & MOIS.

C'est pour faire évanoüir ces fractions & pour les changer en des nombres entiers, qui ne renfermassent que des jours & des années, que l'on a inventé les cycles ; ces cycles comprennent plusieurs révolutions du même astre, & par ce moyen l'astre se trouve après un certain nombre d'années au même endroit du ciel, d'où on a supposé qu'il étoit parti ; ou ce qui est la même chose, il se trouve à la même place dans le calendrier civil. Voyez CALENDRIER. Tel est le fameux cycle de 19 ans.

Ce cycle est aussi nommé cycle de la lune ou cycle lunaire ; c'est une période de 19 années solaires équivalente à 19 années lunaires, & 7 mois intercalaires ; au bout de ces 19 ans, les pleines & les nouvelles lunes retombent au même jour de l'année Julienne. Voyez LUNE. Wolf, élém. d'Astron. & Chambers.

On appelle aussi cette période période Méthonienne, du nom de son inventeur Methon Athénien ; on la nomme encore nombre d'or ; cependant le nombre d'or se dit plus proprement du nombre qui indique l'année du cycle lunaire pour une année quelconque donnée. Voyez NOMBRE D'OR.

Ainsi à quelque jour que ce soit que les nouvelles & les pleines lunes arrivent dans une certaine année, on peut être assûré qu'après 19 ans écoulés, ces nouvelles & pleines lunes tomberont encore aux mêmes jours du mois ; & même selon l'opinion de Methon, qui a été adoptée par les peres de la primitive Eglise, mais qui n'est pas tout-à-fait juste, comme nous le dirons plus bas, elles répondront aux mêmes heures & aux mêmes minutes des jours correspondans. Les anciens avoient une si grande idée de la commodité & de l'excellence de ce cycle, qu'ils le firent graver en lettres d'or ; & c'est pour cela qu'on a donné le nom de nombre d'or au nombre du cycle de Methon, qui répond à chaque année proposée. Voici donc de quelle maniere les nombres de ce cycle répondoient aux jours du calendrier, ou du moins de quelle maniere ils auroient dû y répondre : ayant pris une année quelconque pour le commencement du cycle, & faisant ensorte que le nombre 1 du cycle lui répondît, il ne s'agissoit plus que de trouver par observation les jours de chaque mois auxquels arrivoient les nouvelles lunes, & marquer vis-à-vis des jours de cette même année le caractere I ; or supposant que les nouvelles lunes fussent arrivées, par exemple, le 23 Janvier, 21 Février, 23 Mars, 21 Avril, 21 Mai, 19 Juin, &c. & ainsi de suite, on auroit donc mis dans la colonne du cycle lunaire, vis-à-vis ces jours-là, le nombre I ; mais l'année suivante, observant de même les nouvelles lunes, il falloit mettre encore, ainsi que le pratiquoient les anciens, le nombre II dans la colonne du cycle lunaire vis-à-vis les jours de chaque observation, c'est-à-dire vis-à-vis le 12 Janvier, le 10 Février, le 12 Mars, le 10 Avril, & ainsi de suite. Car l'année lunaire est composée de 12 lunaisons ou mois lunaires, qui font 354 jours ; elle est donc plus courte de 11 jours que l'année civile commune qui est de 365 jours ; ainsi les nouvelles lunes d'une année quelconque doivent arriver environ 11 jours plûtôt que celles de l'année précédente. De même la troisieme année il a fallu mettre le caractere III vis-à-vis des jours auxquels les nouvelles lunes ont été observées, & ainsi de suite les autres années jusqu'à ce que le cycle entier de 19 ans fût achevé. Inst. astr. de M. le Monnier.

Pour déterminer les jours de la nouvelle ou de la pleine lune, on auroit pû s'y prendre comme les Juifs, qui n'ayant point d'autres regles que celles de l'observation, attendoient soigneusement que la lune fut à son lever héliaque, ou parût pour la premiere fois hors des rayons du soleil un peu après le coucher de cet astre ; & on auroit pû appeller ce jour-là le premier jour de la lune. Cependant au lieu de l'observation de la premiere phase du croissant, il auroit été beaucoup plus sûr (car c'est-là ce qu'on auroit pû pratiquer de plus exact) d'employer pour la disposition de ces nombres les tables astronomiques, en calculant pour chaque mois, & par conséquent pour chaque année du cycle lunaire, les nouvelles lunes, & marquant les caracteres ci-dessus vis-à-vis les jours auxquels on trouve qu'elles auroient dû arriver. Mais de quelque maniere qu'on s'y soit pris, il est certain que le mois lunaire astronomique étant de 29 jours 12h. 44'. 33". comme le vulgaire ne sauroit distinguer ces petites quantités qui suivent le nombre de jours, on a été obligé de supposer alternativement les mois lunaires d'un certain nombre de jours entiers, comme de 30 & de 29 jours, dont ceux-ci se nomment caves ou simples, & ceux-là pleins, & cela pour satisfaire pleinement aux 29 jours 12 heures du mois astronomique. Enfin parce que, outre ces 29 jours & demi, nous avons encore 44, ou près de trois quarts d'heure de plus dans chaque lunaison ou mois lunaire, il doit s'ensuivre qu'au bout de 32 lunaisons la somme de ces minutes accumulées vaudra un jour entier. Ce jour doit donc s'ajoûter à un des mois simples ; & c'est ainsi que les lunaisons du calendrier peuvent s'accorder avec les lunaisons observées dans le ciel, ou déterminées par les tables astronomiques.

Présentement si le nombre du cycle lunaire est donné, on aura par le moyen du calendrier ecclésiastique les jours des nouvelles lunes pendant le reste de cette même année ; car dans chaque mois le nombre du cycle désignera la nouvelle lune, & la pleine lune doit être 14 jours après.

On croyoit anciennement, comme nous l'avons dit un peu plus haut, que le cycle de 19 ans comprenoit exactement 235 lunaisons ; & qu'après une révolution des années du cycle lunaire, les nouvelles lunes revenoient précisément aux mêmes jours & heures de chaque mois. Mais la chose bien examinée ne s'est pas trouvée véritable. Car dans l'espace de 19 années Juliennes il y a 6939 jours 18 heures ; & s'il est certain, selon les plus exactes observations des astronomes modernes, que chaque lunaison ou mois lunaire soit de 29j. 12h. 44'. 3". il s'ensuit que 235 lunaisons répondroient à 6939j. 16h. 31'. 45". Il n'est donc pas vrai de dire que 235 lunaisons répondent exactement à 19 années Juliennes ; mais il s'en faut environ une heure 1/2. Ainsi les nouvelles lunes, après 19 ans écoulés, n'arriveront pas précisément à la même heure qu'auparavant, mais environ une heure & demie plûtôt ; de maniere que dans l'espace de 304 ans les nouvelles lunes anticiperont d'un jour dans l'année Julienne. Donc le cycle lunaire suffit seulement pour marquer assez bien les nouvelles lunes dans l'espace de 300 ans, & selon d'autres, d'environ 312 (cette différence venant de la grandeur du mois lunaire, sur laquelle les Astronomes ne sont pas parfaitement d'accord). Pendant ces 300 ans l'erreur ne montera pas à plus d'un jour ou 24 heures. Mais après 300 ans, il faudra nécessairement réformer le cycle. Voyez l'article PROEMPTOSE.

Au reste il ne faut pas confondre le cycle lunaire de Methon avec la période ou saros Chaldaïque qui ne contient que 223 lunaisons. Cette période ou saros étant de 18 ans & environ 11 jours, ramene les éclipses à-peu-près dans les mêmes points soit du ciel, soit de l'argument annuel ; au lieu qu'il s'en faut bien que les pleines lunes qui arrivent aux mêmes jours tous les 19 ans, se retrouvent dans une position semblable, tant à l'égard du noeud que de l'anomalie moyenne, le lieu de l'apogée de la lune étant d'ailleurs dirigé bien différemment à l'égard de la ligne qui doit passer par le soleil. Instit. astronom. de M. le Monnier.

L'usage du cycle de 19 ans dans l'ancien calendrier est d'apprendre par le moyen de la nouvelle lune de chaque mois, le jour où doit par conséquent tomber pâques. Car la fête de pâques doit se célébrer le dimanche d'après la pleine lune qui suit ou qui tombe sur l'équinoxe du printems fixé au 21 de Mars. Voy. PASQUES. Dans le nouveau calendrier, l'usage du cycle lunaire se borne à faire trouver les épactes. Voy. EPACTE.

Les Orientaux commencerent à se servir de ce cycle au tems du concile de Nicée, & ils prirent pour la premiere année du cycle, celle où la nouvelle lune pascale tomboit au 23 de Mars ; de sorte que le cycle lunaire III tombe au premier Janvier de la troisieme année.

Au contraire les occidentaux mirent le nombre I au premier Janvier, ce qui produisit une différence très-considérable dans le tems de la pâques pour l'Orient & pour l'Occident ; aussi Denis le Petit cherchant à dresser un nouveau calendrier, persuada aux chrétiens d'Occident d'anéantir cette différence, & de suivre la pratique de l'église d'Alexandrie.

On forma donc une table générale par laquelle on trouvoit facilement les nouvelles lunes pour chaque année, & qui servit par toute l'Eglise chrétienne. Cette table avoit le nombre III au premier Janvier, & elle étoit construite du reste selon la méthode que nous avons exposée ci-dessus. On peut la voir dans le tome IV. des élémens de Mathématiques de M. Wolf. De sorte que quand on avoit trouvé le nombre du cycle lunaire pour une année, ou trouvoit vis-à-vis de ce nombre dans la table ou calendrier les jours des nouvelles lunes pour toute cette année.

Lorsque les peres du concile de Nicée résolurent d'adopter dans leur calendrier le cycle de 19 ans, ce cycle marquoit pour lors assez bien les nouvelles lunes, ce qui se continuoit à-peu-près de même pendant quelques centaines d'années. Mais depuis, comme les lunaisons ont anticipé d'un jour en 304 ans, elles arrivent aujourd'hui cinq jours plûtôt que dans le calendrier établi du tems du concile de Nicée ; ou ce qui revient au même, les nouvelles lunes célestes anticipent de cinq jours celles qui résultent du nombre d'or de l'ancien calendrier ecclésiastique. Malgré ces difficultés l'Eglise anglicane a conservé l'ancienne méthode de calculer les nouvelles lunes par les nombres d'or, tels qu'ils ont été reçus dans le calendrier du tems du concile de Nicée ; ces nouvelles lunes ainsi calculées se nomment ecclésiastiques, pour les distinguer des véritables ; & la table générale & perpétuelle dont on se sert dans la Liturgie en Angleterre, a été calculée pour le tems de pâques par le moyen de ces nombres d'or, selon les différentes lettres dominicales.

On ne doit pas négliger d'avertir que la premiere année de l'ere chrétienne répondoit au nombre 2 du cycle lunaire, c'est-à-dire que le cycle lunaire a dû commencer sa période, l'année qui a précédé immédiatement la naissance de Jesus-Christ. C'est pourquoi si à une année courante quelconque on ajoûte 1, & qu'on divise la somme par 19, en négligeant le quotient, le reste sera le nombre du cycle lunaire pour cette année-là. Inst. astr. de M. le Monnier.

Les imperfections que nous venons de remarquer dans le cycle lunaire, obligerent Grégoire XIII. à lui substituer les épactes dans la réformation du calendrier ; de sorte que dans le nouveau stile on ne détermine plus les nouvelles & pleines lunes par le cycle lunaire, mais par les épactes. Cependant cette méthode n'est pas encore elle-même aussi exacte qu'on pourroit le souhaiter. Voyez EPACTE.

Cycle des indictions, est une période de 15 ans qui revient constamment la même, comme les autres cycles, & qui commence à la troisieme année avant J. C. Voyez INDICTION.

Les Chronologistes sont fort partagés sur le tems où le cycle des indictions s'établit parmi les Romains, & sur l'usage auquel ce cycle servoit. Le P. Petau n'a pas crû devoir prendre de parti sur cette question. L'opinion la plus probable est que le cycle des indictions commença à être en usage l'an 312, après la mort de Constantin.

Pour trouver le cycle d'indiction d'une année proposée, il faut ajoûter 3 à cette année, & diviser la somme par 15, le reste est le cycle d'indiction ; s'il ne reste rien, l'indiction est 15. La raison de cette opération est que, l'année qui a précédé la naissance de J. C., le nombre de l'indiction étoit 3. C'est pour cela qu'on ajoûte 3 au nombre des années de J. C.

Cycle solaire est une période de 28 ans qui commence par 1, & finit par 28. Cette période étant écoulée, les lettres dominicales & celles qui désignent les autres jours de la semaine, reviennent en leur premiere place, & procedent dans le même ordre qu'auparavant. Voyez LETTRE DOMINICALE.

On appelle ce cycle, cycle solaire, non à cause du cours du soleil avec lequel il n'a aucun rapport, mais parce que le dimanche étoit autrefois appellé jour du soleil, dies solis, & que les lettres dominicales, ou qui servent à marquer le dimanche, sont principalement celles pour lesquelles cette période a été inventée : ces lettres qui sont les premieres de l'alphabet, ont succédé aux anciennes lettres nundinales des Romains.

La réformation du calendrier sous le pape Grégoire XIII. produisit dans le cycle dont il s'agit un changement considérable ; car dans le calendrier Grégorien le cycle solaire n'est pas constamment & perpétuellement le même, parce que sur quatre centiemes années il n'y en a qu'une de bissextile, au lieu que toutes sont bissextiles dans le calendrier Julien. Voyez CALENDRIER & BISSEXTILE. L'époque ou le commencement du cycle solaire dans l'un & l'autre calendrier tombera à la neuvieme année avant J. C.

Pour trouver le cycle solaire d'une année proposée, ajoûtez 9 au nombre donné, & divisez la somme par 28, le nombre restant exprimera le cycle cherché, & le quotient marquera le nombre des périodes du cycle solaire depuis J. C.

S'il n'y a point de reste, c'est une marque que l'année dont il s'agit est la vingt-huitieme ou la derniere de son cycle. La raison de cette opération est qu'au tems de la premiere année de J. C. neuf années du cycle s'étoient déjà écoulées, ou étoient censées s'être écoulées.

Pour bien entendre la distribution des lettres dominicales dans le cycle solaire, il faut savoir qu'on a établi qu'une année bissextile seroit la premiere du cycle solaire, & que les lettres dominicales qui lui répondent seroient G & F ; car chaque année bissextile ayant un jour de plus que les autres, elle a aussi deux lettres dominicales dont la premiere sert jusqu'à la veille de saint Matthias, & la seconde jusqu'à la fin de l'année. La lettre dominicale de la seconde année du cycle est E, celle de la troisieme D, celle de la quatrieme C ; mais la cinquieme année étant bissextile, aura pour lettres dominicales B & A, & ainsi de suite. La table suivante fait voir quelle est la lettre dominicale qui répond à chacune des années du cycle solaire.

Grégoire XIII. en reformant le calendrier, a fait plusieurs changemens à cette table. Le cycle solaire de l'année 1582 dans laquelle s'est fait cette réformation, étoit 23, & par conséquent G étoit la lettre dominicale, suivant la table du cycle solaire des années Juliennes. Or cette année 1582, suivant le decret du souverain pontife, on retrancha dix jours du mois d'Octobre, de façon qu'au lieu du 5 Octobre on compta le 15 (afin que l'équinoxe fût remis au 21 de Mars, comme il étoit du tems du concile de Nicée), par conséquent la lettre dominicale qui étoit G en cette année-là, devint C ; car le 7 d'Octobre où se trouve la lettre G devoit être un dimanche ; par conséquent le 4 d'Octobre qui a la lettre D étoit un jeudi, & le 15 qui a la lettre A fut un vendredi, & le 17 qui a la lettre C fut un dimanche. Substituons donc dans le cycle solaire des années Juliennes, au lieu de G la lettre C, pour le cycle solaire 23 ; c'est-à-dire faisons ensorte que la colonne où se trouve la lettre C, & qui est la quatrieme, se trouve à la place de la colonne où est la lettre G, c'est-à-dire soit la pénultieme ; nous aurons la table suivante depuis l'année 1582 jusqu'à l'année 1700.

Les années 1700, 1800 & 1900, ne devant point être bissextiles, comme elles auroient dû l'être suivant le calendrier Julien, cette table ne peut plus servir, & on est obligé de la changer ; par exemple, l'année 1700 le cycle solaire est 1, & par conséquent les lettres dominicales devroient être C & B par la table précédente. Mais comme 1700 n'est point bissextile, C est seule lettre dominicale pour toute l'année, par conséquent l'année suivante la lettre dominicale est B, & les deux années d'après A & G. Ainsi on voit que dans le cycle solaire depuis l'année 1700 jusqu'à 1800, la premiere colonne doit avoir D C, B, A, G. on aura donc la table suivante.

Ce même cycle doit encore changer en l'année 1800. Car le cycle solaire de l'année 1800 est 17, par conséquent E, D, devroient être les lettres dominicales ; mais comme cette année ne sera point bissextile, la lettre dominicale sera E pendant toute l'année, & celles des années suivantes D, C, B. Ainsi la colonne où est F E, D, C, B, doit être la premiere du cycle depuis 1800 jusqu'en 1900. Par la même raison on trouvera que la colonne A G, F, E, D, doit être la premiere du cycle depuis 1900 jusqu'à 2000, & depuis 2000 jusqu'à 2100, parce que l'année 2000 sera bissextile. Ce même cycle devra encore changer l'année 2100. Car dans l'année 2100, suivant l'ordre du cycle solaire depuis 1900 jusqu'à 2100, les lettres dominicales devroient être C, B. Mais on n'aura que C pendant toute l'année 2100, à cause qu'elle ne sera point bissextile, & par conséquent B, A, G, pendant les suivantes. Ainsi la colonne D C, B, A, G, doit être la premiere du cycle depuis 2100 jusqu'à 2200. Or 2100 est la premiere de trois années séculaires non bissextiles, ainsi que 1700 ; & la table pour 1700 commence par cette même colonne D C, B, A, G ; on aura donc une table générale pour tous les cycles solaires, en formant quatre petites tables particulieres, dont la premiere ait pour premiere colonne C B, A, G, F, la seconde D C, B, A, G ; la troisieme F E, D, C, B ; la quatrieme A G, F, E, D. La premiere de ces tables sera pour le siecle qui a commencé par l'année 1600 ; la seconde pour les siecles qui commencent par les années 1700, 2100, 2500, 2900, 3300 &c. & ainsi de suite de 400 en 400 ; de même la troisieme pour les années 1800, 2200, 2600, 3000, 3400, &c. la quatrieme pour les années 1900 jusqu'à 2100, 2300, jusqu'à 2500, 2700 jusqu'à 2900, 3100 jusqu'à 3300, 3500 jusqu'à 3700, &c.

On peut même omettre la premiere de ces tables qui n'est que pour l'année 1600, parce que cette table ne doit plus être d'usage ; mais si on veut la conserver, & qu'on y ajoûte la table du cycle solaire pour les années Juliennes, on aura une table générale de tous les cycles solaires depuis le commencement de l'ere chrétienne jusqu'à 1582, & depuis 1582 jusqu'à la fin des siecles.

Il paroit par ce que nous venons de dire que la table perpetuelle des lettres dominicales qu'on trouve dans la chronologie de Wolf (élémens de Mathémat. tome IV.), est beaucoup plus ample qu'il n'est nécessaire, puisqu'au lieu des sept tables particulieres des différens cycles solaires, l'auteur auroit pû se contenter de n'en mettre que trois. Il est vrai que suivant la table que nous venons de donner, il faudroit changer les nombres du cycle solaire, & que par exemple, le cycle solaire de 1800, au lieu d'être 17, devroit être 1 ; & que de même le cycle solaire de 1900 jusqu'à 2100 devoit être 1, & ainsi des autres. Mais il me semble que cet inconvénient ne seroit pas fort grand ; car, par exemple, depuis 1800 jusqu'à 1900, on auroit le nombre du cycle solaire en divisant par 28 le nombre des années écoulées depuis 1800, augmenté de l'unité, & prenant ce qui resteroit après la division pour le nombre du cycle, ou 28, s'il n'y avoit point de reste. Ainsi le cycle solaire de 1805 seroit 6, celui de 1827 seroit 28, celui de 1831 seroit 4. Car 31 plus 1 ou 32 étant divisé par 28, il reste 4. Mais si on veut conserver la maniere ordinaire de trouver le cycle solaire, alors il faudra une table plus ample que celle que nous venons d'indiquer pour le cycle solaire perpétuel ; & en ce cas il faudra recourir à celle de M. Wolf. Ainsi le cycle solaire de 1800 étant 17, & E, D, C, B, devant être les lettres dominicales de 1800, 1801, 1802, 1803, il s'ensuit que l'ordre du cycle solaire, depuis 1800 jusqu'à 1900, doit être tel que la colonne F E, D, C, B, y soit la cinquieme, comme la colonne E D, C, B, A, est la cinquieme de la table du cycle solaire de 1700, & repond au nombre 17. Donc E D, C, B, A, doit être la premiere colonne pour 1800, de même on trouvera facilement que F E, D, C, B, sera la premiere colonne depuis 1900 jusqu'à 2100 ; depuis 2100 jusqu'à 2200, ce sera G F, E, D, C, depuis 2200 jusqu'à 2300, ce sera A G, F, E, D ; depuis 2300 jusqu'à 2500, ce sera B A, G, F, E, & depuis 2500 jusqu'à 2600, ce sera C B, A, G, F. Or cette derniere colonne est la premiere depuis 1582 jusqu'à 1700. Ainsi on formera par ce moyen sept tables, dont la premiere sera pour les siecles qui commencent par les années 1600, 2500, &c. la seconde pour ceux des années 1700, 2600, &c. la troisieme pour ceux des années 1800, 2700, 2800, &c. la quatrieme pour ceux des années 1900, 2000, 2900, &c. la cinquieme pour ceux des années 2100, 3000, &c. la sixieme pour ceux de 2100, 3100, 3200, &c. la septieme pour ceux des années 2300, 2400, 3300, &c. De sorte qu'après avoir rangé ces sept tables verticalement les unes à côté des autres, on écrira au-dessous les chiffres des années séculaires dans l'ordre suivant :

& ainsi de suite, &c.

On voit que dans cette table les années séculaires se suivent immédiatement dans chaque rang horisontal, avec cette exception que les années qui doivent être bissextiles sont placées immédiatement au-dessous de l'année séculaire précédente, parce que le cycle solaire continue alors à être le même pendant 200 ans. Voyez METEMPTOSE & LETTRE DOMINICALE.

On peut observer que le mot cycle est non-seulement appliqué en général à tous les nombres qui composent la période, mais à chaque nombre en particulier. Ainsi on dit que l'époque commune de la naissance de J. C. a pour cycle solaire 1, pour cycle lunaire ou nombre d'or 2, pour lettre dominicale B, & pour cycle d'indiction 4.

Cycle paschal. Si on multiplie le cycle solaire par le cycle lunaire, c'est-à-dire 19 par 28, il en résultera une période de 532 ans appellée cycle paschal. Voici pourquoi on lui a donné ce nom. Dans l'ancien calendrier on faisoit généralement chaque quatrieme année bissextile, & on supposoit, en adoptant le cycle lunaire, qu'au bout de 19 ans les pleines lunes tomboient aux mêmes jours ; de sorte qu'au bout de 28 fois 19 ans ou 532 ans, le jour de pâques tomboit au même jour, & le cycle recommençoit. Voyez PERIODE DYONISIENNE.

Dans la préface de l'art de vérifier les dates (voyez CHRONOLOGIE) on remarque que le cycle paschal ou produit du cycle solaire 28 par le cycle lunaire 19, a été appellé par quelques anciens annus magnus, & par d'autres circulus ou cyclus magnus. On l'appelle encore période victorienne du nom de Victorius son auteur, qui l'a fait commencer à l'an 28 de J. C. Denis le Petit qui a corrigé cette période, la fait commencer un an avant l'ére chrétienne ; ce qui lui a fait donner le nom de période Dyonisienne, qu'elle a retenu.

Dans le même ouvrage on remarque qu'il y a une différence entre le cycle lunaire & le cycle de 19 ans. Le premier commence trois ans plûtard que le second. Mais le cycle de 19 ans a prévalu, & on a oublié l'autre. Voyez un plus ample détail dans l'ouvrage cité, préf. page 34. & suiv.

Si on multiplie le cycle solaire, le cycle lunaire, & le cycle des indictions, l'un par l'autre, on forme une période de 7980 ans appellée période Julienne. Voyez PERIODE JULIENNE. (O)


CYCLOIDALadj. (Géomet.) L'espace cycloïdal est l'espace renfermé par le cycloïde & par sa base. M. de Roberval a trouvé le premier que cet espace est triple du cercle générateur, & on peut le prouver aisément par le calcul intégral. En effet soit x l'abscisse du cercle générateur prise au sommet de la cycloïde, y l'ordonnée du demi-cercle, & z celle de la cycloïde, l'arc correspondant du cercle sera , a étant le rayon du cercle ; & on aura par la propriété de la cycloïde z = y + = + ; cette quantité étant multipliée par d x donnera pour l'élément de l'aire de la cycloïde d x + d x ; donc l'intégrale est d x + x - ; d'où il est facile de conclure que la moitié de l'espace cycloïdal = 1° le demi-cercle, 2° le diamêtre multiplié par la demi-circonférence, c'est-à-dire le double du cercle entier, d'où il faut retrancher le produit du rayon par cette demi-circonférence, c'est-à-dire le cercle entier ; ainsi la moitié de l'espace cycloïdal est égal à trois fois le demi-cercle. Donc l'espace cycloïdal total vaut trois fois le cercle générateur.

On peut démontrer encore par une méthode fort simple, que l'espace renfermé entre le demi-cercle & la demi-cycloïde est égal au cercle générateur. Prenez deux ordonnées de la cycloïde terminées au cercle & à égales distances du centre, la somme de ces ordonnées sera égale au demi-cercle ; d'où il sera facile de faire voir, en divisant l'espace cycloïdal en petits trapeses, que l'aire de deux trapeses pris ensemble, est égal au produit de la demi-circonférence par l'élément du rayon. Donc la somme des trapeses est égale au produit de la demi-circonférence par le rayon, c'est-à-dire égale au cercle. (O)


CYCLOIDES. f. en Géomet. est une des courbes méchaniques, ou, comme les nomment d'autres auteurs, transcendantes. On l'appelle aussi quelquefois trochoïde & roulette. Voyez COURBE, EPICYCLOIDE, OCHOÏDEOÏDE.

Elle est décrite par le mouvement d'un point A (fig. 55. Pl. de Géomét.) de la circonférence d'un cercle, tandis que le cercle fait une révolution sur une ligne droite A P. Quand une roue de carosse tourne, un des clous de la circonférence décrit dans l'air un cycloïde.

De cette génération il est facile de déduire plusieurs propriétés de cette courbe, savoir que la ligne droite A E est égale à la circonférence du cercle A B C D, & A C égale à la demi-circonférence ; & que dans une situation quelconque du cercle générateur, la ligne droite A d est égale à l'arc a d ; & comme a d est égale & parallele à d c, a d sera égale à l'arc du cercle générateur d F. De plus la longueur de la cycloïde entiere est égale à quatre fois le diamêtre du cercle générateur ; & l'espace cycloïdal A F E est triple de l'aire de ce même cercle. Voyez ci-dessus l'article CYCLOIDAL. Enfin une portion quelconque F I de la courbe prise depuis le sommet, est toûjours égale au double de la corde correspondante F b du cercle ; & la tangente G I à l'extrémité I est toûjours parallele à la même corde F b. Si le cercle tourne & avance en même tems, de maniere que son mouvement rectiligne soit plus grand que son mouvement circulaire, la cycloïde est alors nommée cycloïde allongée, & la base A E est plus grande que la circonférence du cercle générateur. Au contraire, si le mouvement rectiligne du cercle est moindre que le mouvement circulaire, la cycloïde est nommée cycloïde accourcie, & sa base est moindre que la circonférence du cercle. Voyez ROUE D'ARISTOTE.

La cycloïde est une courbe assez moderne ; & quelques personnes en attribuent l'invention au P. Mersenne, d'autres à Galilée ; mais le docteur Wallis prétend qu'elle est de plus ancienne date ; qu'elle a été connue d'un certain Bovillus vers l'année 1500, & que le Cardinal Cusa en avoit même fait mention long-tems auparavant, c'est-à-dire avant l'an 1451.

Il est constant, remarque M. Formey, que le P. Mersenne divulgua le premier la formation de la cycloïde, en la proposant à tous les géometres de son tems, lesquels s'y appliquant à l'envi, y firent alors plusieurs découvertes ; ensorte qu'il étoit difficile de juger à qui étoit dû l'honneur de la premiere invention. Delà vint cette célebre contestation entre MM. de Roberval, Toricelli, Descartes, Lalovera, &c. qui fit alors tant de bruit parmi les savans.

Depuis ce tems-là à peine a-t-on trouvé un mathématicien tant soit peu distingué, qui n'ait éprouvé ses forces sur cette ligne, en tâchant d'y découvrir quelque nouvelle propriété. Les plus belles nous ont été laissées par MM. Paschal, Huyghens, Wallis, Wren, Leibnitz, Bernouilli, &c.

Cette courbe a des propriétés bien singulieres. Son identité avec sa développée, les chûtes en tems égaux par des arcs inégaux de cette courbe, & la plus vîte descente, sont les plus remarquables. En général à mesure qu'on a approfondi la cycloïde, on y a découvert plus de singularités. Si l'on veut qu'un pendule fasse des vibrations inégales en des tems exactement égaux, il ne faut point qu'il décrive des arcs de cercle, mais des arcs de cycloïde. Si l'on développe une demi-cycloïde, en commençant par le sommet, elle rend par son développement une autre demi-cycloïde semblable & égale ; & l'on sait quel usage M. Huyghens fit de ces deux propriétés pour l'Horlogerie. Voyez plus bas ; voyez aussi l'article PENDULE. En 1697, M. Bernouilli professeur de Mathématique à Groningue, proposa ce problême à tous les géomêtres de l'Europe ; supposé qu'un corps tombât obliquement à l'horison, quelle étoit la ligne courbe qu'il devoit décrire pour tomber le plus vîte qu'il fût possible. Car, ce qui peut paroître étonnant, il ne devoit point décrire une ligne droite, quoique plus courte que toutes les lignes courbes terminées par les mêmes points. Ce problème résolu, il se trouva que cette courbe étoit une cycloïde. Une des plus importantes connoissances que l'on puisse avoir sur les courbes, consiste à mesurer exactement l'espace qu'elles renferment, ou seules, ou avec des lignes droites ; & c'est ce qu'on appelle leur quadrature. Si cet espace se peut mesurer, quelle que soit la portion de la courbe qui y entre, & les ordonnées, ou les parties du diametre qui le terminent avec elle, c'est la quadrature absolue ou indéfinie, telle qu'on l'a de la parabole. Mais il arrive quelquefois que l'on ne peut quarrer que des espaces renfermés par de certaines portions de la courbe & par de certaines ordonnées, ou de certaines parties du diametre déterminées. On vit d'abord que la quadrature indéfinie de la cycloïde dépendoit de celle de son cercle générateur, & que par conséquent elle étoit impossible selon toutes les apparences. Mais M. Huyghens trouva le premier la quadrature d'un certain espace cycloïdal déterminé. M. Leibnitz ensuite trouva encore celle d'un autre espace pareillement déterminé ; & l'on croyoit qu'après ces deux grands géometres, on ne trouveroit plus aucun espace quarrable dans la cycloïde. Cependant M. Bernoulli découvrit depuis dans la cycloïde une infinité d'espaces quarrables, dans lesquels sont compris, & pour ainsi dire absorbés, les deux de M. Huyghens & de M. Leibnitz. C'est ainsi que la Géométrie, à mesure qu'elle est maniée par de grands génies, va presque toûjours s'élevant du particulier à l'universel, & même à l'infini. Histoire & mém. de l'acad. 1699.

M. Huyghens a démontré le premier que de quelque point ou hauteur que descende un corps pesant qui oscille autour d'un centre, par exemple, un pendule ; tant que ce corps se mouvra dans une cycloïde, les tems de ses chûtes ou oscillations seront toûjours égaux entr'eux. Voici comment M. de Fontenelle essaye de faire concevoir cette propriété de la cycloïde. La nature de la cycloïde, dit-il, est telle qu'un corps qui la décrit, acquiert plus de vîtesse à mesure qu'il décrit un plus grand arc, dans la raison précise qu'il faut, pour que le tems qu'il met à décrire cet arc soit toûjours le même, quelle que soit la grandeur de l'arc que le corps parcourt, & de-là vient l'égalité dans le tems, nonobstant l'inégalité des arcs, parce que la vîtesse se trouve exactement plus grande ou moindre, en même proportion que l'arc est plus grand ou plus petit.

C'est cette propriété de la cycloïde qui a fait imaginer l'horloge à pendule. M. Huyghens a donné sur ce sujet un grand ouvrage intitulé, horologium oscillatorium. Voyez la suite de cet article ; voyez aussi BRACHYSTOCHRONE, TAUTOCHRONE, ISOCHRONE, &c. Ceux qui voudront s'instruire dans un plus grand détail de l'histoire de la cycloïde, pourront consulter la vie de Descartes in-4°. per M. Baillet, liv. IV. chap. xiij. xjv. xv. Il résulte de l'histoire assez étendue que cet auteur en donne :

1°. Que le premier qui a remarqué cette ligne dans la nature, mais sans en pénétrer les propriétés, a été le P. Mersenne qui lui a donné le nom de roulette.

2°. Que le premier qui en a connu la nature, & qui en a démontré l'espace, a été M. de Roberval qui l'a appellée d'un nom tiré du grec, trochoïde.

3°. Que le premier qui en a trouvé la tangente, a été M. Descartes, & presque en même tems M. de Fermat, quoique d'une maniere défectueuse ; après quoi M. de Roberval en a le premier mesuré les plans & les solides, & donné le centre de gravité du plan & de ses parties.

4°. Que le premier qui l'a nommée cycloïde, a été M. de Beaugrand ; que le premier qui se l'est attribuée devant le public, & qui l'a donnée au jour, a été Toricelli.

5°. Que le premier qui en a mesuré la ligne courbe & ses parties, & qui en a donné la comparaison avec la ligne droite, a été M. Wren, sans la démontrer.

6°. Que le premier qui a trouvé le centre de gravité des solides, & demi-solides de la ligne & de ses parties, tant autour de la base qu'autour de l'axe, a été M. Pascal ; que le même a aussi trouvé le premier le centre de gravité de la ligne & de ses parties ; la dimension & le centre de gravité des surfaces, demi-surfaces, quart-de-surfaces, &c : décrites par la ligne & par ses parties tournées autour de la base & autour de l'axe : & enfin la dimension de toutes les lignes courbes des cycloïdes allongées ou accourcies. M. Pascal publia ces propriétés de la cycloïde dans un petit livre imprimé au commencement de 1658, sous le titre de traité de la roulette, & sous le nom de A. d'Ettonville. Il est fort rare, le libraire n'en ayant tiré que 120 exemplaires. La bibliotheque des Peres de la Doctrine en possede un. Baillet, vie de Descartes, loco citato. (O)

Application de la cycloïde au pendule des horloges. M. Huyghens ayant cru que les erreurs auxquelles les horloges sont encore sujettes, naissoient des petites inégalités qui regnent entre les tems des vibrations d'un même pendule simple, lorsqu'elles sont différemment étendues ; il imagina de faire osciller ce régulateur entre deux arcs de cycloïde, sa lentille décrivant par ce moyen une semblable courbe, devoit, selon lui, achever toutes ses vibrations en des tems égaux (Voyez CYCLOÏDE), & communiquer une parfaite justesse à l'horloge : mais l'expérience & la théorie ont démontré le contraire.

Ce qu'il y eut de plus particulier dans l'erreur de M. Huyghens, c'est que tous les savans de l'Europe y resterent plus de trente années, malgré les irrégularités qu'on remarquoit tous les jours dans les pendules à cycloïde. Tantôt ils les attribuoient au peu d'attention que les artistes prenoient dans la formation de ces courbes, ce qui pouvoit en effet y avoir assez souvent part ; tantôt ils s'en prenoient à la maniere dont elles étoient posées ; d'autres fois les principales erreurs venoient, selon eux, de plusieurs effets physiques : enfin ils n'en purent découvrir la véritable cause, jusqu'à ce qu'un artiste intelligent, M. Sully, vint dessiller leurs yeux.

Il leur fit voir qu'à la vérité le pendule simple qui oscille dans une cycloïde, fait des vibrations parfaitement isochrones ; mais que pour celui qui est appliqué aux horloges, deux causes concourant dans ses vibrations, la pesanteur & l'action continuelle de la force motrice par le moyen de l'échappement, causes dont il n'y a que la premiere qui soit proportionnelle aux arcs, l'autre ne suivant point du tout ce rapport ; il est impossible que cet isochronisme ne soit pas troublé par les variations de cette derniere force. Il confirma son raisonnement par l'expérience, & fit voir qu'on pouvoit à volonté faire avancer ou retarder une pendule à cycloïde, en changeant la forme de son échappement.

Quoique la cycloïde, dans le tems où elle étoit d'usage, loin de concourir à la justesse des horloges, leur fût au contraire desavantageuse ; cependant par la découverte des échappemens à repos, faite depuis ce tems, cette courbe pouvoit leur être favorable quand elles ont des pendules courts : elle seroit aussi fort utile pour certains régulateurs qu'on pourroit peut-être découvrir, & dont la gravité seule causeroit les vibrations. Ces raisons m'ont engagé à donner ici la méthode prescrite par M. Huyghens, horol. oscill. pars prima, pour former cette courbe.

La longueur de votre pendule étant donnée ; sur une table aussi platte qu'il est possible, posez une regle épaisse d'un demi-pouce environ ; ayez ensuite un cylindre de même épaisseur & d'un diametre moitié de la longueur du pendule ; prenez un fil de soie, ou si vous voulez de laiton, afin qu'il ait plus de consistance ; attachez-le à la petite regle, & en un point de la circonférence du cylindre : cela fait, appliquez ce dernier contre la regle, de façon qu'il soit enveloppé par le fil, que vous développerez ensuite en faisant mouvoir le cylindre le long de la regle. Par ce moyen une petite pointe de fer que vous aurez fixé à la circonférence du cylindre, tracera une cycloïde sur la table ; car la courbe décrite sera formée par le mouvement d'un point pris sur la circonférence d'un cercle ou cylindre, lequel en roulant aura appliqué toutes ses parties sur une ligne droite, savoir la regle. Ce sera donc une cycloïde.

Cette opération faite, si vous disposez des lames de laiton en telle sorte que, les appliquant sur la courbe, elles répondent exactement à chacun de ses points, vous aurez pour lors des cycloïdes telles que vous pouvez les desirer ; si vous les attachez au point de suspension d'un pendule dans l'ordre où le point décrivant les a formées ; la soie enveloppant & développant alternativement les deux courbes, fera décrire à votre lentille des arcs cycloïdaux, dans chaque point desquels la pesanteur lui imprimera des vîtesses proportionnelles à sa distance du point de repos. (T)


CYCLOMÉTRIES. f. (Géom.) c'est l'art de mesurer des cercles & des cycles. Voyez CYCLE & CERCLE. (O)


CYCLOPÉDIEvoyez ENCYCLOPEDIE.


CYCLOPÉES. f. (Hist. anc.) danse pantomime des anciens, dont le sujet étoit un cyclope, ou plûtôt un polypheme aveugle & enivré. Il paroît que dans cette pantomime le cyclope étoit le joüet d'autres danseurs ; d'où l'on fit en Grece le proverbe, danser la cyclopée, c'est-à-dire être balloté.


CYCLOPESS. m. pl. (Myth.) peuples qui habiterent les premiers la Sicile avec les Lestrigons. Ils étoient enfans du ciel & de la terre, selon Hésiode : & de Neptune & d'Amphytrite, selon Euripide & Lucien. On pretend qu'ils n'avoient qu'un oeil au milieu du front, d'où ils furent appellés Cyclopes. On en fait les compagnons de Vulcain. On raconte qu'Apollon tua les plus habiles d'entr'eux, pour avoir forgé le foudre dont Jupiter frappa son fils Esculape. Tout le monde sait les avantures de Polypheme avec Ulisse & Galatée. On leur donne une stature gigantesque.


CYDNUS(Géog.) riviere de Cilicie dans l'Asie mineure, qui arrosoit la ville de Tarse. Elle est fameuse dans l'Histoire ancienne par le péril que courut Alexandre, pour s'être baigné dans ses eaux qui sont très-froides ; & dans l'Histoire moderne, par la mort de l'empereur Frédéric I. qui y périt en 1189, lorsqu'il passa en Asie à la tête de 150 mille hommes pour reprendre Jérusalem conquise par Saladin. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.


CYGNES. m. cygnus mansuetus, (Hist. nat. Orn.) oiseau qui pese jusqu'à vingt livres, quand il est un peu avancé en âge. Il a quatre piés trois pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; quatre piés cinq pouces jusqu'au bout des pattes, & plus de sept piés d'envergure. Tout le corps est couvert de plumes très-fines & douces au toucher, qui sont blanches comme la neige quand le cygne est vieux ; dans les jeunes, elles sont au contraire de couleur cendrée. Les tuyaux des grandes plumes des ailes sont plus gros dans le cygne privé, que dans le sauvage. Le bec est de couleur livide, & terminé par une appendice en forme d'ongle. Il y a une marque noire à côté des narines, & entre les yeux & le bec, un espace triangulaire de la même couleur, & dégarni de plumes ; la base de ce triangle est du côté du bec, & la pointe du côté des yeux. Quand les cygnes sont plus avancés en âge, le bec devient rougeâtre, & l'ongle qui est à l'extrémité, prend une couleur noirâtre. Ils ont aussi à la base du bec une tumeur charnue, noire, élevée, & recourbée en-avant & en-bas. La langue est comme hérissée de petites dents ; les ongles sont noirâtres, & les pattes de couleur livide, & dégarnies de plumes jusqu'au-dessus du genou.

On prétend que le cygne vit très long-tems. Il se nourrit de plantes aquatiques & d'insectes ; il pond cinq ou six oeufs, qu'il couve pendant près de deux mois.

Il y a des cygnes sauvages ; ils sont moins grands & moins pesans que le cygne domestique ; toutes leurs plumes ne sont pas blanches, ils en ont de couleur cendrée & de rousses ; la base du bec est recouverte par une peau jaune, &c. Willughby, Ornith. Rai, sinop. meth. avium. Voyez OISEAU. Le duvet du cygne sert à remplir des coussins & des oreillers ; & sa peau, garnie du duvet, est préparée chez les fourreurs, & fait une fourrure fort chaude. (I)

CYGNE, (Mat. medic.) La graisse du cygne est la partie de cet oiseau dont on se sert principalement en Medecine ; elle passe pour émolliente, atténuante, & laxative : on la recommande dans les hémorrhoïdes & dans les contractions spasmodiques de la matrice ; mêlée avec le vin, elle dissipe les taches de rousseur si on les en frotte.

On applique avec succès la peau de cygne sur différentes parties du corps que l'on veut préserver du froid extérieur, & dont on veut soûtenir ou augmenter la transpiration, comme dans les rhumatismes.

CYGNE, (Astron.) constellation de l'hémisphere boréal, proche de la Lyre, de Cephée, & de Pegase. Cette constellation s'étend dans la direction de la voie lactée. Il y a près de la queue du cygne une étoile fort brillante. Voyez LYRE, CEPHEE, VOIE LACTEE. (O)

* CYGNE, (Mythol.) cet oiseau étoit consacré à Apollon. On lui croyoit un ramage très-mélodieux, mais c'étoit seulement lorsqu'il étoit sur le point de mourir. Je ne sai sur quel fondement on le regardoit comme un oiseau voluptueux ; mais c'étoit à ce titre, ou peut-être à cause de la beauté de son plumage, qu'il étoit consacré à Vénus. Jupiter s'est métamorphosé en cygne en faveur de Léda. Le char de Vénus est quelquefois attelé de cygnes.

CYGNE, (Marechallerie) encolure de cygne. Voyez ENCOLURE. (V)


CYLINDRES. m. nom que les Géometres donnent à un corps solide, terminé par trois surfaces, dont deux sont planes & paralleles, & l'autre convexe & circulaire. On peut le supposer engendré par la rotation d'un parallelogramme rectangle C B E F (Pl. Géom. fig. 56.) autour d'un de ses côtés C F, lorsque le cylindre est droit, c'est-à-dire lorsque son axe C F est perpendiculaire à sa base. Un bâton rond est un cylindre. Voyez SOLIDE.

La surface d'un cylindre droit, sans y comprendre ses bases, est égale au rectangle fait de la hauteur du cylindre par la circonférence de sa base.

Ainsi la circonférence de la base, & par conséquent la base elle-même, étant donnée, si on multiplie l'aire de cette base par 2, & qu'on ajoûte ce produit à celui de la circonférence de la base par la hauteur du cylindre, on aura la surface entiere du cylindre, & sa solidité sera égale au produit de la hauteur par l'aire de la base. Car il est démontré qu'un cylindre est égal à un prisme quelconque qui a même base & même hauteur, ce qui est aisé à voir ; & l'on démontre aussi aisément que la solidité d'un prisme est égale au produit de sa base par sa hauteur. Donc la solidité du cylindre est égale à celle de ce prisme, qui est le produit de sa hauteur par sa base. Voy. PRISME.

De plus, le cone pouvant être regardé comme une pyramide d'une infinité de côtés, & le cylindre comme un prisme d'une infinité de côtés, il s'ensuit qu'un cone est le tiers d'un cylindre de même base & de même hauteur. Voyez CONE.

Outre cela, un cylindre est à une sphere de même base & de même hauteur, comme 3 à 2. V. SPHERE. Voyez aussi CENTROBARIQUE.

Tous les cylindres, cones, &c. sont entr'eux en raison composée de leurs bases & de leurs hauteurs. Donc si les bases sont égales, ils sont entr'eux comme leurs hauteurs ; & si leurs hauteurs sont égales, ils sont entr'eux comme leurs bases. De plus, comme les bases des cones & des cylindres sont des cercles, & que les cercles sont en raison doublée de leurs diamêtres ; il s'ensuit que les cylindres, les cones, &c. sont entr'eux en raison composée de leurs hauteurs & du quarré des diamêtres de leurs bases ; & que par conséquent si leurs hauteurs sont égales, ils sont entr'eux comme les quarrés de leurs diamêtres.

Donc si les hauteurs des cylindres sont égales aux diamêtres de leurs bases, ils sont entr'eux en raison triplée, ou comme les cubes de ces diamêtres. Les cylindres semblables sont encore entr'eux en raison triplée de leurs côtés homologues, comme aussi de leurs hauteurs.

Les cylindres, cones, &c. égaux ont leurs bases en raison réciproque de leurs hauteurs. Voy. CONE.

Enfin, un cylindre dont la hauteur est égale au diamêtre de sa base, est au cube de ce diamêtre à-peu-près comme 785 à 1000.

Pour trouver un cercle égal à la surface convexe d'un cylindre droit, on se servira du théoreme suivant : la surface convexe d'un cylindre est égale à un cercle dont le rayon est moyen proportionnel entre la hauteur du cylindre & le diamêtre de sa base. Voyez SURFACE, AIRE, &c.

Le diamêtre d'une sphere & la hauteur d'un cylindre qui lui doit être égal étant donnés, pour trouver le diamêtre du cylindre on se servira de ce théorème : le quarré du diamêtre de la sphere est au quarré du diamêtre d'un cylindre qui lui est égal, comme le triple de la hauteur du cylindre est au double du diamêtre de la sphere. Voyez SPHERE.

Pour trouver le développement d'un cylindre ou un espace curviligne, qui étant roulé sur la surface du cylindre s'y applique & la couvre exactement, on décrira deux cercles d'un diamêtre égal à celui de la base ; on en trouvera la circonférence, & sur une ligne égale à la hauteur du cylindre, on formera un rectangle dont la base soit égale à la circonférence trouvée. Ce rectangle roulé sur la surface du cylindre la couvrira exactement. V. DEVELOPPEMENT.

Quand le cylindre est oblique, la détermination de sa surface courbe dépend de la rectification de l'ellipse ; car ayant imaginé un plan perpendiculaire à l'axe, & par conséquent à tous les côtés du cylindre, ce plan formera sur le cylindre une ellipse, & la surface du cylindre sera égale au produit de la circonférence de cette ellipse par le côté du cylindre. Donc, &c. (O)

CYLINDRE, (Pharmacie) forme oblongue que l'on donne aux emplâtres quand on les a préparés, & que l'on veut les garder pour l'usage. Voyez MAGDALEON.

CYLINDRE, en terme de Blanchisserie de cire, est un gros rouleau de bois appuyé de chaque bout par deux tourillons sur la baignoire ; l'un des tourillons se termine en manivelle. Ce cylindre tourne sans-cesse dans la baignoire de d par e vers f (fig. 2.) ; il est couvert par-devant, sur toute sa longueur, d'une bande de toile attachée à une barre de bois qui porte sur les deux parois de la baignoire ; ce linge empêche que le cylindre ne se charge de plus d'eau qu'il n'en faut, ce qui rendroit les rubans défectueux. V. RUBAN & BAIGNOIRE, & la fig. Pl. de la Blanchisserie des cires, & l'article BLANCHIR.

CYLINDRE, terme d'Horlogerie, c'est une piece de l'échappement des montres de M. Graham. Voyez ECHAPPEMENT, voyez A C D, fig. 57, 2. (T)

CYLINDRES du moulin à papier. Voyez l'article PAPETERIE.


CYLINDRIQUEadj. (Géom.) se dit de tout ce qui a la forme d'un cylindre, ou qui a quelque rapport au cylindre.

Compas cylindrique. Voyez COMPAS.

Miroir cylindrique. Voyez MIROIR.


CYLINDROIDES. m. signifie quelquefois en Géométrie, un corps solide qui approche de la figure d'un cylindre, mais qui en différe à quelques égards, par exemple, en ce que ses bases opposées & paralleles sont elliptiques, &c.

Ce mot vient des mots grecs , cylindre, & , forme. (O)

CYLINDROÏDE, (Géom.) est aussi le nom que M. Parent a donné, d'après M. Wren, à un solide formé par la révolution d'un hyperbole autour de son second axe. On trouve dans l'histoire de l'académie royale des sciences de 1709, l'extrait d'un mémoire que M. Parent donna sur ce sujet à cette académie. Il démontra entr'autres une propriété remarquable du cylindroïde, savoir, que quand les deux axes de l'hyperbole génératrice, auront un certain rapport avec ceux d'un sphéroïde applati qui y sera inscrit, les surfaces de ces sphéroïdes seront en égalité continue, comme celles de la sphere & du cylindre circonscrit. Voyez l'article CONOÏDE, où vous trouverez une méthode pour déterminer la surface des conoïdes, qui peut servir à démontrer la propriété dont il s'agit. C'est un travail que nous laissons à l'industrie de nos lecteurs. (O)


CYMAISou CIMAISE, s. f. (Architect.) quelques auteurs ont donné ce nom à la dousine (voyez MOULURES) : mais en général on doit entendre par ce terme la cime ou partie supérieure de la corniche d'un entablement ; de sorte que toutes les moulures circulaires, grandes ou petites, qui se trouvent séparées par des larmiers (voyez LARMIER) sont appellées ensemble cimaise : c'est pourquoi l'on dit dans l'entablement toscan (voyez ENTABLEMENT), qu'il est composé de deux cimaises & d'un larmier, l'une supérieure & l'autre inférieure, ainsi des autres entablemens des ordres. L'on appelle aussi cimaise la partie du chapiteau toscan & dorique (voyez CHAPITEAU), placé entre le gorgerin & le tailloir. Voy. GORGERIN & TAILLOIR. (P)


CYMBALE(Lutherie) On a fait venir ce mot de trois racines différentes ; savoir de , courbe, de , une tasse ou gobelet, & de , voix. Isidore tire cymbalum, de cum, avec, & ballematica, danse immodeste, qui se dansoit en joüant de cet instrument. La véritable étymologie de ce mot est , cavité.

L'instrument que les anciens appellent cymbale, en latin cymbalum, & en grec , étoit d'airain comme nos tymbales, mais plus petit & d'un usage différent.

Cassiodore & Isidore les appellent acétabule, c'est-à-dire l'emboîture d'un os, la cavité ou la sinuosité d'un os dans laquelle un autre os s'emboîte, parce qu'elle ressembloit à cette sinuosité. C'est encore pour cela que Properce les appelle des instrumens d'airain qui sont ronds, & que Xenophon les compare à la corne d'un cheval qui est creuse. Cela paroît encore, parceque cymbale s'est pris non-seulement pour un instrument de musique, mais encore pour un bassin, un chauderon, un gobelet, un casque, & même pour un sabot, tels que ceux qu'Empedocles portoit, & qui étoient de cuivre.

Du reste ils ne ressembloient point à nos tymbales, & l'usage en étoit différent. Les cymbales avoient un manche attaché à la cavité extérieure, ce qui fait que Pline les compare au haut de la cuisse, & d'autres à des phioles.

On les frappoit l'une contre l'autre en cadence, & elles formoient un son très-aigu. Selon les Payens c'étoit une invention de Cybele : de-là vient qu'on en joüoit dans ses fêtes & dans ses sacrifices. Hors delà il n'y avoit que des gens mous & efféminés qui joüassent de cet instrument.

On en a attribué l'invention aux Curetes & aux habitans du mont Ida dans l'île de Crete. Il est certain que ceux-ci, de même que les Corybantes, milice qui formoit la garde des rois de Crete, les Telchiniens peuple de Rhodes, & les Samothraces, ont été célebres par le fréquent usage qu'ils faisoient de cet instrument & leur habileté à en jouer. Voyez CORYBANTES.

Les Juifs avoient aussi des cymbales, ou du moins un instrument que les anciens interpretes grecs, latins, & les traducteurs anglois nomment cymbale. Mais il est impossible de savoir au juste ce que c'étoit que cet instrument.

Les tuyaux UT, UT, ut, ut sont à l'unisson de même que les tuyaux Ré, RE, ré, ré, &c. au lieu que si la fourniture étoit un jeu sans reprises, le tuyau UT seroit à l'octave du tuyau UT ; le tuyau ut, à l'octave d'UT seroit à la double octave de UT ; le tuyau ut, à l'octave d'ut seroit à la triple octave de celui UT ; ainsi l'on voit que la fourniture n'est composée que d'une octave répétée quatre fois, & par conséquent qu'il n'a point de basses, puisque tous les ut & tous les ré, sont à l'unisson. C'est pourquoi on ne peut employer le jeu seul, non plus que la cymbale, qui ne differe de ce jeu-ci qu'en ce que les tuyaux sont de plus menue taille, & qu'elle sonne l'octave ou la quinte au-dessus de la fourniture, du reste elle a les mêmes reprises que nous avons marqué se faire en C sol ut, & qui pourroient également bien se faire en F ut fa, ainsi que quelques facteurs le pratiquent.

Les chiffres 1, 3, 5, placés au commencement des rangées de zéros, font connoître que le premier rang 1 étant regardé comme son fondamental, le second rang 3 sonne la tierce au-dessus, le troisieme 5 forme la quinte ; ensorte, comme il a été dit, que sur chaque touche on entend l'accord parfait ut mi sol, ré fad la, mi sold si, &c. auquel on peut ajoûter l'octave, si on ajoûte un rang de plus. On peut même encore ajoûter plusieurs rangs, en répétant par unisson l'octave, la quinte ou la tierce. La fourniture, qui est l'autre partie du plein jeu, ne differe point de la cymbale.

La cymbale moderne est un instrument de musique dont les gueux accompagnent le son de la vielle. C'est un fil d'acier de figure triangulaire, dans lequel sont passés cinq anneaux, qu'on touche & qu'on promene dans ce triangle avec une verge aussi de fer, dont on frappe de cadence les côtés du triangle. Voyez le Dictionn. de Trév. & Chambers. (G)

CYMBALE, jeu d'Orgue, est un de ceux que l'on appelle composés, c'est-à-dire qui ont plusieurs tuyaux sur chaque touche qui parlent tous à la fois. Elle est composée des octaves de dessus des jeux, dont les cornets sont composés, mais avec cette différence que les tuyaux ne suivent la regle du diapason que par une octave, au lieu que ceux des autres jeux vont continuellement en diminuant de largeur pendant quatre octaves. La cymbale n'a donc proprement qu'une octave, qui se répete autant de fois que le clavier en contient ; l'exemple suivant va en faire voir la disposition : les rangées de zéros verticales représentent les tuyaux qui parlent à la fois sur une même touche, & la suite des mêmes zéros prise selon les lignes horisontales, ceux qui répondent aux différentes touches du clavier. On saura aussi que les tuyaux qui répondent à une même touche font l'accord parfait, dont on double les octaves, les quintes ou les tierces, si on met plus de trois rangs de tuyaux à la fourniture.


CYNIQUEsecte de philosophes anciens. (Hist. de la Philosophie) Le Cynisme sortit de l'école de Socrate, & le Stoïcisme de l'école d'Antisthene. Ce dernier dégoûté des hypotheses sublimes que Platon & les autres philosophes de la même secte se glorifioient d'avoir appris de leur divin maitre, se tourna tout-à-fait du côté de l'étude des moeurs & de la pratique de la vertu, & il ne donna pas en cela une preuve médiocre de la bonté de son jugement. Il falloit plus de courage pour fouler aux piés ce qu'il pouvoit y avoir de fastueux & d'imposant dans les idées Socratiques, que pour marcher sur la pourpre du manteau de Platon. Antisthene, moins connu que Diogene son disciple, avoit fait le pas difficile.

Il y avoit au midi d'Athenes, hors des murs de cette ville, non loin du Lycée, un lieu un peu plus élevé, dans le voisinage d'un petit bois. Ce lieu s'appelloit Cynosarge. La superstition d'un citoyen, allarmé de ce qu'un chien s'étoit emparé des viandes qu'il avoit offertes à ses dieux domestiques, & les avoit portées dans cet endroit, y avoit élevé un temple à Hercule, à l'instigation d'un oracle qu'il avoit interrogé sur ce prodige. La superstition des anciens transformoit tout en prodiges, & leurs oracles ordonnoient toûjours ou des autels ou des sacrifices. On sacrifioit aussi dans ce temple à Hébé, à Alcmene, & à Iolas. Il y avoit aux environs un gymnase particulier pour les étrangers & pour les enfans illégitimes. On donnoit ce nom, dans Athenes, à ceux qui étoient nés d'un pere Athénien & d'une mere étrangere. C'étoit là qu'on accordoit aux esclaves la liberté, & que des juges examinoient & décidoient les contestations occasionnées entre les citoyens par des naissances suspectes ; & ce fut aussi dans ce lieu qu'Antisthene fondateur de la secte cynique s'établit & donna ses premieres leçons. On prétend que ses disciples en furent appellés Cyniques, nom qui leur fut confirmé dans la suite, par la singularité de leurs moeurs & de leurs sentimens, & par la hardiesse de leurs actions & de leurs discours. Quand on examine de près la bisarrerie des Cyniques, on trouve qu'elle consistoit principalement à transporter au milieu de la société les moeurs de l'état de nature. Ou ils ne s'apperçurent point, ou ils se soucierent peu du ridicule qu'il y avoit à affecter parmi des hommes corrompus & délicats, la conduite & les discours de l'innocence des premiers tems, & la rusticité des siecles de l'Animalité.

Les Cyniques ne demeurerent pas longtems renfermés dans le Cynosarge. Ils se répandirent dans toutes les provinces de la Grece, bravant les préjugés, prêchant la vertu, & attaquant le vice sous quelque forme qu'il se présentât. Ils se montrerent particulierement dans les lieux sacrés & sur les places publiques. Il n'y avoit en effet que la publicité qui pût pallier la licence apparente de leur philosophie. L'ombre la plus legere de secret, de honte, & de ténebres, leur auroit attiré dès le commencement des dénominations injurieuses & de la persécution. Le grand jour les en garantit. Comment imaginer, en effet, que des hommes pensent du mal à faire & à dire ce qu'ils font & disent sans aucun mystere ?

Antisthene apprit l'art oratoire de Gorgias le sophiste, qu'il abandonna pour s'attacher à Socrate, entraînant avec lui une partie de ses condisciples. Il sépara de la doctrine du philosophe ce qu'elle avoit de solide & de substantiel, comme il avoit démêlé des préceptes du rhéteur ce qu'ils avoient de frappant & de vrai. C'est ainsi qu'il se prépara à la pratique ouverte de la vertu & à la profession publique de la philosophie. On le vit alors se promenant dans les rues l'épaule chargée d'une besace, le dos couvert d'un mauvais manteau, le menton hérissé d'une longue barbe, & la main appuyée sur un bâton, mettant dans le mépris des choses extérieures, un peu plus d'ostentation peut-être qu'elles n'en méritoient. C'est du moins la conjecture, qu'on peut tirer d'un mot de Socrate, qui voyant son ancien disciple trop fier d'un mauvais habit, lui disoit avec sa finesse ordinaire : Antisthene, je t'apperçois à-travers un trou de ta robe. Du reste, il rejetta loin de lui toutes les commodités de la vie : il s'affranchit de la tyrannie du luxe & des richesses, & de la passion des femmes, de la réputation & des dignités, en un mot de tout ce qui subjugue & tourmente les hommes, & ce fut en s'immolant lui-même sans réserve, qu'il crut acquérir le droit de poursuivre les autres sans ménagement. Il commença par venger la mort de Socrate ; celle de Mélite & l'exil d'Anyte furent les suites de l'amertume de son ironie. La dureté de son caractere, la sévérité de ses moeurs, & les épreuves auxquelles il soûmettoit ses disciples, n'empêcherent point qu'il n'en eût : mais il étoit d'un commerce trop difficile pour les conserver ; bien-tôt il éloigna les uns, les autres se retirerent, & Diogene fut presque le seul qui lui resta.

La secte cynique ne fut jamais si peu nombreuse & si respectable que sous Antisthene. Il ne suffisoit pas pour être cynique de porter une lanterne à sa main, de coucher dans les rues ou dans un tonneau, & d'accabler les passans de vérités injurieuses. " Veux-tu que je sois ton maître, & mériter le nom de mon disciple, disoit Antisthene à celui qui se présentoit à la porte de son école : commence par ne te ressembler en rien, & par ne plus rien faire de ce que tu faisois. N'accuse de ce qui t'arrivera ni les hommes ni les dieux. Ne porte ton desir & ton aversion que sur ce qu'il est en ta puissance d'approcher ou d'éloigner de toi. Songe que la colere, l'envie, l'indignation, la pitié, sont des foiblesses indignes d'un philosophe. Si tu es tel que tu dois être, tu n'auras jamais lieu de rougir. Tu laisseras donc la honte à celui qui se reprochant quelque vice secret, n'ose se montrer à découvert. Sache que la volonté de Jupiter sur le cynique, est qu'il annonce aux hommes le bien & le mal sans flaterie, & qu'il leur mette sans-cesse sous les yeux les erreurs dans lesquelles ils se précipitent ; & sur-tout ne crains point la mort, quand il s'agira de dire la vérité ".

Il faut convenir que ces leçons ne pouvoient guere germer que dans des ames d'une trempe bien forte. Mais aussi les Cyniques demandoient peut-être trop aux hommes, dans la crainte de n'en pas obtenir assez. Peut-être seroit-il aussi ridicule d'attaquer leur philosophie par cet excès apparent de sévérité, que de leur reprocher le motif vraiment sublime sur lequel ils en avoient embrassé la pratique. Les hommes marchent avec tant d'indolence dans le chemin de la vertu, que l'aiguillon dont on les presse ne peut être trop vif ; & ce chemin est si laborieux à suivre, qu'il n'y a point d'ambition plus loüable que celle qui soûtient l'homme & le transporte à-travers les épines dont il est semé. En un mot ces anciens philosophes étoient outrés dans leurs préceptes, parce qu'ils savoient par expérience qu'on se relâche toûjours assez dans la pratique ; & ils pratiquoient eux-mêmes la vertu, parce qu'ils la regardoient comme la seule véritable grandeur de l'homme ; & voilà ce qu'il a plû à leurs détracteurs d'appeller vanité ; reproche vuide de sens & imaginé par des hommes, en qui la superstition avoit corrompu l'idée naturelle & simple de la bonté morale.

Les Cyniques avoient pris en aversion la culture des Beaux-Arts. Ils comptoient tous les momens qu'on y employoit comme un tems dérobé à la pratique de la vertu & à l'étude de la Morale. Ils rejettoient en conséquence des mêmes principes, & la connoissance des Mathématiques & celle de la Physique, & l'histoire de la Nature ; ils affectoient surtout un mépris souverain pour cette élégance particuliere aux Athéniens, qui se faisoit remarquer & sentir dans leurs moeurs, leurs écrits, leurs discours, leurs ajustemens, la décoration de leurs maisons ; en un mot dans tout ce qui appartenoit à la vie civile. D'où l'on voit que s'il étoit très-difficile d'être aussi vertueux qu'un cynique, rien n'étoit plus facile que d'être aussi ignorant & aussi grossier.

L'ignorance des Beaux-Arts & le mépris des décences furent l'origine du discrédit où la secte tomba dans les siecles suivans. Tout ce qu'il y avoit dans les villes de la Grece & de l'Italie de bouffons, d'impudens, de mendians, de parasites, de gloutons, & de fainéans (& il y avoit beaucoup de ces gens-là sous les empereurs) prit effrontément le nom de cyniques. Les magistrats, les prêtres, les sophistes, les poëtes, les orateurs, tous ceux qui avoient été auparavant les victimes de cette espece de philosophie, crurent qu'il étoit tems de prendre leur revanche ; tous sentirent le moment ; tous éleverent leurs cris à la fois ; on ne fit aucune distinction dans les invectives, & le nom de cynique fut universellement abhorré. On va juger par les principales maximes de la morale d'Antisthene, qui avoit encore dans ces derniers tems quelques véritables disciples, si cette condamnation des Cyniques fut aussi juste qu'elle fut générale.

Antisthene disoit : La vertu suffit pour le bonheur. Celui qui la possede n'a plus rien à desirer, que la persévérance & la fin de Socrate.

L'exercice a quelquefois élevé l'homme à la vertu la plus sublime. Elle peut donc être d'institution & le fruit de la discipline. Celui qui pense autrement ne connoît pas la force d'un précepte, d'une idée.

C'est aux actions qu'on reconnoît l'homme vertueux. La vertu ornera son ame assez, pour qu'il puisse négliger la fausse parure de la Science, des Arts, & de l'Eloquence.

Celui qui sait être vertueux n'a plus rien à apprendre ; & toute la Philosophie se résout dans la pratique de la vertu.

La perte de ce qu'on appelle gloire est un bonheur ; ce sont de longs travaux abrégés.

Le sage doit être content d'un état qui lui donne la tranquille joüissance d'une infinité de choses, dont les autres n'ont qu'une contentieuse propriété. Les biens sont moins à ceux qui les possedent, qu'à ceux qui savent s'en passer.

C'est moins selon les lois des hommes que selon les maximes de la vertu, que le sage doit vivre dans la république.

Si le sage se marie, il prendra une femme qui soit belle, afin de faire des enfans à sa femme.

Il n'y a, à proprement parler, rien d'étranger ni d'impossible à l'homme sage.

L'honnête homme est l'homme vraiment aimable.

Il n'y a d'amitié réelle qu'entre ceux qui sont unis par la vertu.

La vertu solide est un bouclier qu'on ne peut ni enlever, ni rompre. C'est la vertu seule qui répare la différence & l'inégalité des sexes.

La guerre fait plus de malheureux qu'elle n'en emporte. Consulte l'oeil de ton ennemi ; car il appercevra le premier ton défaut.

Il n'y a de bien réel que la vertu, de mal réel que le vice.

Ce que le vulgaire appelle des biens & des maux, sont toutes choses qui ne nous concernent en rien.

Un des arts les plus importans & les plus difficiles, c'est celui de desapprendre le mal.

On peut tout souhaiter au méchant, excepté la valeur.

La meilleure provision à porter dans un vaisseau qui doit périr, c'est celle qu'on sauve toûjours avec soi du naufrage.

Ces maximes suffisent pour donner une idée de la sagesse d'Antisthene ; ajoûtons-y quelques-uns de ses discours sur lesquels on puisse s'en former une de son caractere. Il disoit à celui qui lui demandoit par quel motif il avoit embrassé la Philosophie ; c'est pour vivre bien avec moi ; à un prêtre qui l'initioit aux mysteres d'Orphée, & qui lui vantoit le bonheur de l'autre vie, pourquoi ne meurs-tu donc pas ? aux Thébains enorgueillis de la victoire de Leuctres, qu'ils ressembloient à des écoliers tout fiers d'avoir battu leur maître : d'un certain Ismenias dont on parloit comme d'un bon flûteur, que pour cela même il ne valoit rien ; car s'il valoit quelque chose, il ne seroit pas si bon flûteur.

D'où l'on voit que la vertu d'Antisthene étoit chagrine. Ce qui arrivera toûjours, lorsqu'on s'opiniâtrera à se former un caractere artificiel & des moeurs factices. Je voudrois bien être Caton ; mais je crois qu'il m'en coûteroit beaucoup à moi & aux autres, avant que je le fusse devenu. Les fréquens sacrifices que je serois obligé de faire au personnage sublime que j'aurois pris pour modele, me rempliroient d'une bile âcre & caustique qui s'épancheroit à chaque instant au-dehors. Et c'est-là peut-être la raison pour laquelle quelques sages & certains dévots austeres sont si sujets à la mauvaise humeur. Ils ressentent sans-cesse la contrainte d'un rôle qu'ils se sont imposé, & pour lequel la nature ne les a point faits ; & ils s'en prennent aux autres du tourment qu'ils se donnent à eux-mêmes. Cependant il n'appartient pas à tout le monde de se proposer Caton pour modele.

Diogene disciple d'Antisthene nâquit à Sinope ville de Pont, la troisieme année de la quatre-vingt-onzieme olympiade. Sa jeunesse fut dissolue. Il fut banni pour avoir rogné les especes. Cette avanture fâcheuse le conduisit à Athenes où il n'eut pas de peine à goûter un genre de philosophie qui lui promettoit de la célébrité, & qui ne lui prescrivoit d'abord que de renoncer à des richesses qu'il n'avoit point. Antisthene peu disposé à prendre un faux monnoyeur pour disciple, le rebuta ; irrité de son attachement opiniâtre, il se porta même jusqu'à le menacer de son bâton. Frappe, lui dit Diogene, tu ne trouveras point de bâton assez dur pour m'éloigner de toi, tant que tu parleras. Le banni de Sinope prit, en dépit d'Antisthene, le manteau, le bâton & la besace : c'étoit l'uniforme de la secte. Sa conversion se fit en un moment. En un moment il conçut la haine la plus forte pour le vice, & il professa la frugalité la plus austere. Remarquant un jour une souris qui ramassoit les miettes qui se détachoient de son pain ; & moi aussi, s'écria-t-il, je peux me contenter de ce qui tombe de leurs tables.

Il n'eut pendant quelque tems aucune demeure fixe ; il vêcut, reposa, enseigna, conversa, par-tout où le hasard le promena. Comme on différoit trop à lui bâtir une cellule qu'il avoit demandée, il se réfugia, dit-on, dans un tonneau, espece de maison à l'usage des gueux, long-tems avant que Diogene les mît à la mode parmi ses disciples. La sévérité avec laquelle les premiers cénobites se sont traités par esprit de mortification, n'a rien de plus extraordinaire que ce que Diogene & ses successeurs exécuterent pour s'endurcir à la Philosophie. Diogene se rouloit en été dans les sables brûlans ; il embrassoit en hyver des statues couvertes de neige ; il marchoit les piés nuds sur la glace ; pour toute nourriture il se contentoit quelquefois de brouter la pointe des herbes. Qui osera s'offenser après cela de le voir dans les jeux isthmiques se couronner de sa propre main, & de l'entendre lui-même se proclamer vainqueur de l'ennemi le plus redoutable de l'homme, la volupté ?

Son enjoüement naturel résista presque à l'austérité de sa vie. Il fut plaisant, vif, ingénieux, éloquent. Personne n'a dit autant de bons mots. Il faisoit pleuvoir le sel & l'ironie sur les vicieux. Les Cyniques n'ont point connu cette espece d'abstraction de la charité chrétienne, qui consiste à distinguer le vice de la personne. Les dangers qu'il courut de la part de ses ennemis, & auxquels il ne paroît point qu'Antisthene son maître ait jamais été exposé, prouvent bien que le ridicule est plus difficile à supporter que l'injure. Ici on répondoit à ses plaisanteries avec des pierres ; là on lui jettoit des os comme à un chien. Par-tout on le trouvoit également insensible. Il fut pris dans le trajet d'Athenes à Egine, conduit en Crete, & mis à l'encan avec d'autres esclaves. Le crieur public lui ayant demandé ce qu'il savoit : commander aux hommes, lui répondoit Diogene ; & tu peux me vendre à celui qui a besoin d'un maître. Un corinthien appellé Xeniade, homme de jugement sans-doute, l'accepta à ce titre, profita de ses leçons, & lui confia l'éducation de ses enfans. Diogene en fit autant de petits Cyniques ; & en très-peu de tems ils apprirent de lui à pratiquer la vertu, à manger des oignons, à marcher les piés nuds, à n'avoir besoin de rien, & à se moquer de tout. Les moeurs des Grecs étoient alors très-corrompues. Libre de son métier de précepteur, il s'appliqua de toute sa force à réformer celles des Corinthiens. Il se montra donc dans leurs assemblées publiques, il y harangua avec sa franchise & sa véhémence ordinaires ; & il réussit presque à en bannir les méchans, si non à les corriger. Sa plaisanterie fut plus redoutée que les lois. Personne n'ignore son entretien avec Alexandre ; mais ce qu'il importe d'observer, c'est qu'en traitant Alexandre avec la derniere hauteur, dans un tems où la Grece entiere se prosternoit à ses genoux, Diogene montra moins encore de mépris pour la grandeur prétendue de ce jeune ambitieux, que pour la lâcheté de ses compatriotes. Personne n'eut plus de fierté dans l'ame, ni de courage dans l'esprit, que ce philosophe. Il s'éleva au-dessus de tout évenement, mit sous ses piés toutes les terreurs, & se joüa indistinctement de toutes les folies. A peine eut-on publié le decret qui ordonnoit d'adorer Alexandre sous le nom de Bacchus de l'Inde, qu'il demanda lui à être adoré sous le nom de Serapis de Grece.

Cependant ses ironies perpétuelles ne resterent point sans quelque espece de represaille. On le noircit de mille calomnies qu'on peut regarder comme la monnoie de ses bons mots. Il fut accusé de son tems, & traduit chez la postérité comme coupable de l'obscénité la plus excessive. Son tonneau ne se présente encore aujourd'hui à notre imagination prévenue, qu'avec un cortége d'images deshonnêtes ; on n'ose regarder au fond. Mais les bons esprits qui s'occuperont moins à chercher dans l'histoire ce qu'elle dit, que ce qui est la vérité, trouveront que les soupçons qu'on a répandus sur ses moeurs, n'ont eu d'autre fondement que la licence de ses principes. L'histoire scandaleuse de Laïs est démentie par mille circonstances ; & Diogene mena une vie si frugale & si laborieuse, qu'il put aisément se passer de femmes, sans user d'aucune ressource honteuse.

Voilà ce que nous devons à la vérité, & à la mémoire de cet indécent, mais très-vertueux philosophe. De petits esprits, animés d'une jalousie basse contre toute vertu qui n'est pas renfermée dans leur secte, ne s'acharneront que trop à déchirer les sages de l'antiquité, sans que nous les secondions. Faisons plûtôt ce que l'honneur de la philosophie & même de l'humanité doit attendre de nous : reclamons contre ces voix imbécilles, & tâchons de relever, s'il se peut, dans nos écrits les monumens que la reconnoissance & la vénération avoient érigés aux philosophes anciens, que le tems a détruits, & dont la superstition voudroit encore abolir la mémoire.

Diogene mourut à l'âge de quatre-vingt-dix ans. On le trouva sans vie, enveloppé dans son manteau. Le ministere public prit soin de sa sépulture. Il fut inhumé vers la porte de Corinthe, qui conduisoit à l'Isthme. On plaça sur son tombeau une colonne de marbre de Paros, avec le chien symbole de la secte ; & ses concitoyens s'empresserent à l'envi d'éterniser leurs regrets, & de s'honorer eux-mêmes, en enrichissant ce monument d'un grand nombre de figures d'airain. Ce sont ces figures froides & muettes qui déposent avec force contre les calomniateurs de Diogene ; & c'est elles que j'en croirai, parce qu'elles sont sans passion.

Diogene ne forma aucun système de Morale ; il suivit la méthode des philosophes de son tems. Elle consistoit à rappeller toute leur doctrine à un petit nombre de principes fondamentaux, qu'ils avoient toûjours présens à l'esprit, qui dictoient leurs réponses, & qui dirigeoient leur conduite. Voici ceux du philosophe Diogene.

Il y a un exercice de l'ame, & un exercice du corps. Le premier est une source feconde d'images sublimes qui naissent dans l'ame, qui l'enflamment & qui l'élevent. Il ne faut pas négliger le second, parce que l'homme n'est pas en santé, si l'une des deux parties dont il est composé est malade.

Tout s'acquiert par l'exercice ; il n'en faut pas même excepter la vertu. Mais les hommes ont travaillé à se rendre malheureux, en se livrant à des exercices qui sont contraires à leur bonheur, parce qu'ils ne sont pas conformes à leur nature.

L'habitude répand de la douceur jusque dans le mépris de la volupté.

On doit plus à la nature qu'à la loi.

Tout est commun entre le sage & ses amis. Il est au milieu d'eux comme l'Etre bien-faisant & suprême au milieu de ses créatures.

Il n'y a point de société sans loi. C'est par la loi que le citoyen joüit de sa ville, & le républicain de sa république. Mais si les lois sont mauvaises, l'homme est plus malheureux & plus méchant dans la société que dans la nature.

Ce qu'on appelle gloire est l'appas de la sottise, & ce qu'on appelle noblesse en est le masque.

Une république bien ordonnée seroit l'image de l'ancienne ville du Monde.

Quel rapport essentiel y a-t-il entre l'Astronomie, la Musique, la Géométrie, & la connoissance de son devoir & l'amour de la vertu ?

Le triomphe de soi est la consommation de toute philosophie.

La prérogative du philosophe est de n'être surpris par aucun évenement.

Le comble de la folie est d'enseigner la vertu, d'en faire l'éloge, & d'en négliger la pratique.

Il seroit à souhaiter que le mariage fût un vain nom, & qu'on mît en commun les femmes & les enfans.

Pourquoi seroit-il permis de prendre dans la Nature ce dont on a besoin, & non pas dans un Temple ?

L'amour est l'occupation des desoeuvrés.

L'homme dans l'état d'imbécillité ressemble beaucoup à l'animal dans son état naturel.

Le médisant est la plus cruelle des bêtes farouches, & le flatteur la plus dangereuse des bêtes privées.

Il faut résister à la fortune par le mépris, à la loi par la nature, aux passions par la raison.

Aye les bons pour amis, afin qu'ils t'encouragent à faire le bien ; & les méchans pour ennemis, afin qu'ils t'empêchent de faire le mal.

Tu demandes aux dieux ce qui te semble bon, & ils t'exauceroient peut-être, s'il n'avoient pitié de ton imbécillité.

Traite les grands comme le feu, & n'en sois jamais ni trop éloigné, ni trop près.

Quand je vois la Philosophie & la Medecine, l'homme me paroit le plus sage des animaux, disoit encore Diogene ; quand je jette les yeux sur l'Astrologie & la Divination, je n'en trouve point de plus fou, & il me semble, pouvoit-il ajoûter, que la superstition & le despotisme en ont fait le plus misérable.

Les succès du voleur Harpalus (c'étoit un des lieutenans d'Alexandre) m'inclineroient presque à croire, ou qu'il n'y a point de dieux, ou qu'ils ne prennent aucun souci de nos affaires.

Parcourons maintenant quelques-uns de ses bons mots. Il écrivit à ses compatriotes : " Vous m'avez banni de votre ville, & moi je vous relegue dans vos maisons. Vous restez à Sinope, & je m'en vais à Athenes. Je m'entretiendrai tous les jours avec les plus honnêtes gens, pendant que vous serez dans la plus mauvaise compagnie ". On lui disoit un jour : on se moque de toi, Diogene ; & il répondoit, & moi je ne me sens point moqué. Il dit à quelqu'un qui lui remontroit dans une maladie qu'au lieu de supporter la douleur, il feroit beaucoup mieux de s'en débarrasser en se donnant la mort, lui surtout qui paroissoit tant mépriser la vie : " Ceux qui savent ce qu'il faut faire & ce qu'il faut dire dans le monde, doivent y demeurer ; & c'est à toi d'en sortir qui me parois ignorer l'un & l'autre ". Il disoit de ceux qui l'avoient fait prisonnier : " Les lions sont moins les esclaves de ceux qui les nourrissent, que ceux-ci ne sont les valets des lions ". Consulté sur ce qu'on feroit de son corps après sa mort : " Vous le laisserez, dit-il, sur la terre ". Et sur ce qu'on lui représenta qu'il demeureroit exposé aux bêtes féroces & aux oiseaux de proie : " Non, repliqua-t-il, vous n'aurez qu'à mettre auprès de moi mon bâton ". J'omets ses autres bons mots qui sont assez connus.

Ceux-ci suffisent pour montrer que Diogene avoit le caractere tourné à l'enjoüement, & qu'il y avoit plus de tempérament encore que de philosophie dans cette insensibilité tranquille & gaie, qu'il a poussée aussi loin qu'il est possible à la nature humaine de la porter, " C'étoit, dit Montagne dans son style énergique & original qui plaît aux personnes du meilleur goût, lors même qu'il paroît bas & trivial, une espece de ladrerie spirituelle, qui a un air de santé que la Philosophie ne méprise pas ". Il ajoûte dans un autre endroit : " Ce cynique qui baguenaudoit à part soi & hochoit du nez le grand Alexandre, nous estimant des mouches ou des vessies pleines de vent, étoit bien juge plus aigre & plus poignant que Timon, qui fut surnommé le haïsseur des hommes ; car ce qu'on hait, on le prend à coeur : celui-ci nous souhaitoit du mal, étoit passionné du desir de notre ruine, fuyoit notre conversation comme dangereuse ; l'autre nous estimoit si peu, que nous ne pouvions ni le troubler, ni l'altérer par notre contagion ; s'il nous laissoit de compagnie, c'étoit pour le dedain de notre commerce, & non pour la crainte qu'il en avoit ; il ne nous tenoit capables ni de lui bien ni de lui mal faire ".

Il y eut encore des Cyniques de réputation après la mort de Diogene. On peut compter de ce nombre :

Xéniade, dont il avoit été l'esclave. Celui-ci jetta les premiers fondemens du Scepticisme : en soûtenant que tout étoit faux, que ce qui paroissoit de nouveau naissoit de rien, & que ce qui disparoissoit retournoit à rien.

Onésicrite, homme puissant & considéré d'Alexandre. Diogene Laërce raconte qu'Onésicrite ayant envoyé le plus jeune de ses fils à Athenes où Diogene professoit alors la Philosophie, cet enfant eut à peine entendu quelques-unes de ses leçons, qu'il devint son disciple ; que l'éloquence du philosophe produisit le même effet sur son frere aîné, & qu'Onésicrite lui-même ne put s'en défendre.

Ce Phocion, que Démosthene appelloit la coignée de ses périodes, qui fut surnommé l'homme de bien, que tout l'or de Philippe ne put corrompre, qui demandoit à son voisin, un jour qu'il avoit harangué avec les plus grands applaudissemens du peuple, s'il n'avoit point dit de sottises.

Stilpon de Megare, & d'autres hommes d'état.

Monime de Syracuse, qui prétendoit que nous étions trompés sans-cesse par des simulacres ; système dont Malbranche n'est pas éloigné, & que Berkley a suivi. Voyez CORPS.

Cratès de Thebes, celui qui ne se vengea d'un soufflet qu'il avoit reçu d'un certain Nicodromus, qu'en faisant écrire au bas de sa joue enflée du soufflet : " C'est de la main de Nicodrome, NICODROMUS FECIT " ; allusion plaisante à l'usage des Peintres. Cratès sacrifia les avantages de la naissance & de la fortune à la pratique de la Philosophie cynique. Sa vertu lui mérita la plus haute considération dans Athenes. Il connut toute la force de cette espece d'autorité publique, & il en usa pour rendre ses compatriotes meilleurs. Quoiqu'il fût laid de visage & bossu, il inspira la passion la plus violente à Hipparchia, soeur du philosophe Métrocle. Il faut avoüer à l'honneur de Cratès qu'il fit jusqu'à l'indécence inclusivement tout ce qu'il falloit pour détacher une femme d'un goût un peu délicat, & à l'honneur d'Hipparchia que la tentative du philosophe fut sans succès. Il se présenta nud devant elle, & lui dit, en lui montrant sa figure contrefaite & ses vêtemens déchirés : voilà l'époux que vous demandez, & voilà tout son bien. Hipparchia épousa son cynique bossu, prit la robe de philosophe, & devint aussi indécente que son mari, s'il est vrai que Cratès lui ait proposé de consommer le mariage sous le portique, & qu'elle y ait consenti. Mais ce fait, n'en déplaise à Sextus Empiricus, à Apulée, à Théodoret, à Lactance, à S. Clément d'Alexandrie, & à Diogene Laërce, n'a pas l'ombre de la vraisemblance ; ne s'accorde ni avec le caractere d'Hipparchia, ni avec les principes de Cratès ; & ressemble tout-à-fait à ces mauvais contes dont la méchanceté se plait à flétrir les grands noms, & que la crédulité sotte adopte avec avidité, & accrédite avec joie.

Métrocle, frere d'Hipparchia & disciple de Cratès. On fait à celui-ci un mérite d'avoir en mourant condamné ses ouvrages au feu ; mais si l'on juge de ses productions par la foiblesse de son esprit & la pusillanimité de son caractere, on ne les estimera pas dignes d'un meilleur sort.

Théombrote & Cléomene, disciples de Métrocle. Démétrius d'Alexandrie, disciple de Théombrote. Timarque de la même ville, & Echecle d'Ephese, disciples de Cléomene. Menedeme, disciple d'Echecle. Le Cynisme dégénera dans celui-ci en frénésie ; il se déguisoit en Tysiphone, prenoit une torche à la main, & couroit les rues, en criant que les dieux des enfers l'avoient envoyé sur la terre pour discerner les bons des méchans.

Ménédeme le frénétique eut pour disciple Ctésibius de Chalcis, homme d'un caractere badin & d'un esprit gai, qui, plus philosophe peut-être qu'aucun de ses prédécesseurs, sut plaire aux grands sans se prostituer, & profiter de leur familiarité pour leur faire entendre la vérité & goûter la vertu.

Ménippe, le compatriote de Diogene. Ce fut un des derniers Cyniques de l'école ancienne : il se rendit plus recommandable par le genre d'écrire, auquel il a laissé son nom, que par ses moeurs & sa philosophie. Il étoit naturel que Lucien qui l'avoit pris pour son modele en Littérature, en fît son héros en Morale. Ménippe faisoit le commerce, composoit des satyres, & prétoit sur gage. Dévoré de la soif d'augmenter ses richesses, il confia tout ce qu'il en avoit amassé à des marchands qui le volerent. Diogene brisa sa tasse, lorsqu'il eut reconnu qu'on pouvoit boire dans le creux de sa main. Cratès vendit son patrimoine, & en jetta l'argent dans la mer, en criant : Je suis libre. Un des premiers disciples d'Antisthene auroit plaisanté de la perte de sa fortune, & se seroit reposé sur cet argent qui faisoit commettre de si vilaines actions, du soin de le vanger de la mauvaise foi de ses associés ; le cynique usurier en perdit la tête, & se pendit.

Ainsi finit le Cynisme ancien. Cette philosophie reparut quelques années avant la naissance de J. C. mais dégradée. Il manquoit aux Cyniques de l'école moderne les ames fortes, & les qualités singulieres d'Antisthene, de Cratès, & de Diogene. Les maximes hardies que ces philosophes avoient avancées, & qui avoient été pour eux la source de tant d'actions vertueuses ; outrées, mal entendues par leurs derniers successeurs, les précipiterent dans la débauche & le mépris. Les noms de Carnéade, de Musonius, de Demonax, de Démetrius, d'Oenomaüs, de Crescence, de Pérégrin, & de Salluste, sont toutefois parvenus jusqu'à nous ; mais ils n'y sont pas tous parvenus sans reproche & sans tache.

Nous ne savons rien de Carnéade le Cynique. Nous ne savons que peu de chose de Musonius. Julien a loüé la patience de ce dernier. Il fut l'ami d'Apollonius de Thiane, & de Démétrius ; il osa affronter le monstre à figure d'homme & à tête couronnée, & lui reprocher ses crimes. Néron le fit jetter dans les fers & conduire aux travaux publics de l'isthme, où il acheva sa vie à creuser la terre & à faire des ironies. La vie & les actions de Démétrius ne nous sont guere mieux connues que celles des deux philosophes précédens ; on voit seulement que le sort de Musonius ne rendit pas Démétrius plus réservé. Il vécut sous quatre empereurs, devant lesquels il conserva toute l'aigreur cynique, & qu'il fit quelquefois pâlir sur le throne. Il assista aux derniers momens du vertueux Thrasea. Il mourut sur la paille, craint des méchans, respecté des bons, & admiré de Séneque. Oenomaüs fut l'ennemi déclaré des prêtres & des faux cyniques. Il se chargea de la fonction de dévoiler la fausseté des oracles, & de démasquer l'hypocrisie des prétendus philosophes de son tems ; fonction dangereuse : mais Démétrius pensoit apparemment qu'il peut y avoir du mérite, mais qu'il n'y a aucune générosité, à faire le bien sans danger. Demonax vécut sous Adrien, & put servir de modele à tous les philosophes ; il pratiqua la vertu sans ostentation, & reprit le vice sans aigreur ; il fut écouté, respecté, & chéri pendant sa vie, & préconisé par Lucien même, après sa mort. On peut regarder Crescence comme le contraste de Demonax, & le pendant de Pérégrin. Je ne sais comment on a placé au rang des philosophes un homme souillé de crimes & couvert d'opprobres, rampant devant les grands, insolent avec ses égaux, craignant la douleur jusqu'à la pusillanimité, courant après la richesse, & n'ayant du véritable Cynique que le manteau qu'il deshonoroit. Tel fut Crescence. Pérégrin commença par être adultere, pédéraste, & parricide, & finit par devenir cynique, chrétien, apostat, & fou. La plus loüable action de sa vie, c'est de s'être brûlé tout vif : qu'on juge par-là des autres. Salluste, le dernier des Cyniques, étudia l'éloquence dans Athenes, & professa la philosophie dans Alexandrie. Il s'occupa particulierement à tourner le vice en ridicule, à décrier les faux cyniques, & à combattre les hypotheses de la philosophie Platonicienne.

Concluons de cet abregé historique, qu'aucune secte de philosophes n'eut, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, une physionomie plus décidée que le Cynisme. On se faisoit académicien, éclectique, cyrénaïque, pyrrhonien, sceptique ; mais il falloit naître cynique. Les faux cyniques furent une populace de brigands travestis en philosophes ; & les cyniques anciens, de très-honnêtes gens qui ne mériterent qu'un reproche qu'on n'encourt pas communément : c'est d'avoir été des Enthousiastes de vertu. Mettez un bâton à la main de certains cénobites du mont Athos, qui ont déjà l'ignorance, l'indécence, la pauvreté, la barbe, l'habit grossier, la besace, & la sandale d'Antisthene ; supposez-leur ensuite de l'élévation dans l'ame, une passion violente pour la vertu, & une haine vigoureuse pour le vice, & vous en ferez une secte de Cyniques. Voyez Bruck. Stanl. & l'hist. de la Philos.

CYNIQUE, (spasme) en Medecine, est une sorte de convulsion dans laquelle le malade imite les gestes, le grondement & les hurlemens d'un chien.

Frein, dans les trans. philos. décrit un spasme extraordinaire de cette sorte dont furent attaqués deux familles à Blactothorn, dans la province d'Oxford.

La nouveauté de cet évenement attira quantité de curieux à ce village, & entr'autres Willis, qui de bien loin entendit un bruit terrible d'aboyemens & de hurlemens. Dès qu'il fut entré dans la maison, il fut aussi-tôt salué par cinq filles qui crioient à qui mieux mieux, faisant en même tems de violens mouvemens de tête. Il ne paroissoit à leur visage d'autres marques de convulsion que des distorsions & des oscillations cyniques de la bouche ; leur pouls étoit parfaitement bien reglé ; les cris qu'elles faisoient ressembloient plûtôt à des hurlemens qu'à des abboyemens de chiens, si ce n'est qu'ils étoient fréquens & entrecoupés de profonds soupirs.

Ce spasme les avoit toutes prises de même ; la plus jeune des cinq n'avoit que six ans, & la plus âgée n'en avoit que quinze. Dans les intervalles du spasme elles avoient leur raison & leur connoissance toute entiere ; mais l'intervalle ne duroit pas longtems sans que quelqu'une d'elles se remît à heurler, jusqu'à ce que toutes à la fin tomboient en défaillance, se jettoient comme des épileptiques sur un lit qu'on avoit placé exprès au milieu de la chambre.

Elles s'y tenoient d'abord tranquilles & dans une posture décente ; mais un nouvel accès survenant, elles se mettoient à se battre & à se heurter l'une l'autre. Les deux plus jeunes revinrent à elles, tandis que Willis y étoit encore, & elles laisserent leurs trois autres soeurs sur le lit : mais elles ne furent pas long-tems sans que le spasme les reprît.

Au mois de Juillet de l'année 1700, Freind lui-même vit une autre famille dans le même village où un garçon & trois filles avoient été attaqués de ce même spasme, sans qu'il y eût eu auparavant aucune cause précédente. Une des filles l'avoit été d'abord seule, à ce que rapporta la mere ; & le frere & les deux soeurs furent si frappés, qu'ils en furent eux-mêmes attaqués.

Lorsque Freind arriva ils étoient tous quatre devant leur porte à s'amuser, de fort bonne humeur, & ne songeant à rien moins qu'à leur état : mais à la longue la plus âgée des trois filles, qui avoit environ quatorze ans, tomba dans l'accès. Le seul symptome qui en marqua l'approche fut le gonflement de son estomac, qui montant par degrés jusqu'à la gorge, communiqua la convulsion aux muscles du larynx & à la tête. Ce symptome est dans ces sortes de gens une marque certaine de l'approche du paroxysme ; & s'ils le vouloient arrêter, l'enflure n'en auroit que plus d'intensité, & l'accès plus de durée.

Le bruit qu'ils faisoient étoit perpétuel & desagréable : ce n'étoit pourtant pas précisément des abboyemens ni des heurlemens de chiens, comme on dit que font les personnes attaquées de ce spasme ; mais plûtôt une espece de chant consistant en trois notes ou tons qu'ils répétoient chacun deux fois, & qui étoit terminé par de profonds soupirs accompagnés de gestes & de branlemens de tête extraordinaires.

Freind ne trouve rien que de naturel à cette maladie, laquelle, selon lui, naît de la cause commune de toutes les convulsions, savoir de ce que les esprits animaux fluent d'une maniere irréguliere dans les nerfs, & causent aux muscles différentes contractions, selon les circonstances de l'indisposition. Voyez SPASME. Chambers.


CYNOCÉPHALES. m. (Hist. nat. Zoolog.) cynocephalus ; c'est le nom que l'on a donné aux singes qui ont une queue & le museau allongé comme les chiens. Rai, synop. animal. quadrup. Voyez SINGE (I)

* CYNOCEPHALE, (Mythol.) animal fabuleux à tête de chien, révéré par les Egyptiens. On prétend que c'étoit Anubis ou Mercure. On ajoûte sur son compte beaucoup de sottises, comme d'avoir donné lieu aux prêtres Egyptiens de partager le jour en douze heures, parce qu'il pissoit douze fois par jour à des intervalles égaux. Pline & quelques anciens disent qu'il y avoit dans les montagnes de l'Inde & de l'Ethiopie, des hommes à tête de chien qui abboyoient & mordoient ; mauvais conte de voyageurs. Voyez l'article précédent.


CYNOGLOSSE(Mat. méd. Pharmac.) La racine de cynoglosse qui est la partie de cette plante la plus usitée, est un remede très-anciennement connu des Medecins : elle est tempérante & narcotique ; c'est de cet ingrédient que tire son nom une ancienne composition pharmaceutique très en usage encore à présent, & connue sous le nom de pilules de cynoglosse.

On garde aussi dans quelques boutiques un syrop simple préparé avec le suc exprimé de la plante entiere ; on épaissit aussi ce suc déféqué, on en prépare un extrait.

Ce syrop & cet extrait sont des narcotiques doux, mais qui ne sont presque d'aucun usage depuis que les Medecins ont appris à manier l'opium & les autres préparations tirées du pavot. Voyez NARCOTIQUE.

La cynoglosse n'est pas d'un usage ordinaire dans les prescriptions magistrales.

Pilules de cynoglosse selon la pharmacopée de Paris. racines de cynoglosse mondées & séchées, semence de jusquiame blanche, laudanum, de chaque demi-once ; myrrhe choisie, six gros ; encens mâle, cinq gros ; safran, castoréum, de chaque un gros & demi : faites du tout une masse de pilules que vous incorporerez selon l'art avec le sirop de suc de cynoglosse. La dose de ces pilules est depuis quatre grains jusqu'à dix. (b)

CYNOGLOSSE, (Botanique) Voyez LANGUE DE CHIEN.


CYNOGLOSSOIDES(Botan.) plante exotique borraginée, à fleur complete , monopétale, réguliere, & androgyne, contenant l'embryon du fruit. Cette plante ne mérite aucun intérêt, quoique M. Danty d'Isnard en ait donné dans les Mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1718, la figure, avec une description prolixe où aucune minutie n'est omise. Art. de M(D.J.)


CYNOMORION(Hist. nat. bot.) genre de plante parasite qui croît sur les racines d'autres plantes de même que l'amblatum, la clandestine, l'hypopitys, l'orobanche, &c. Elle est d'abord couverte d'écailles, ensuite les écailles s'écartent & laissent sortir de l'espace qui est entr'elles, de petites feuilles & des fleurs monopétales irrégulieres, ressemblantes au soc d'une charrue ou à un coin, concaves d'un côté & convexes de l'autre. Ces fleurs portent une grosse étamine dont le sommet est à double cavité : elles sont stériles, & n'ont point de calice. L'embryon tient de près à ces fleurs ; il a une trompe, & il est enveloppé dans les fleurs de la plante comme dans un calice. Il devient dans la suite une semence arrondie. Michéli, nov. plant. gen. Voyez PLANTE. (I)


CYNOPHANTIS(Myth.) fête fâcheuse pour les chiens de la ville d'Argos, où on en tuoit autant qu'on en rencontroit. Elle se célébroit dans les jours caniculaires.


CYNOSARGEadj. (Myth.) nom d'Hercule, ainsi appellé d'un autel qu'un citoyen d'Athenes lui éleva dans l'endroit où s'arrêta un chien blanc qui emportoit une victime qu'il étoit sur le point d'immoler. Dydimius, c'étoit le nom de l'Athenien, entendit une voix qui lui crioit d'en-haut : Eleve un autel où le chien blanc s'arrêtera. On raconte encore ce fait autrement. Voyez CYNIQUE.


CYNOSURES. f. terme d'Astronomie ; c'est un nom que les Grecs ont donné à la petite ourse. Voy. OURSE.

Ce mot signifie queue de chien ; il est formé de , queue, & , chien.

C'est la constellation la plus voisine de notre pole, elle est composée de sept étoiles, dont quatre sont disposées en rectangle comme les quatre roues d'un chariot, & les trois autres en long qui représentent un timon ; ce qui fait que l'on appelle ces étoiles le chariot. Voyez CHARIOT, OURSE, &c.

C'est de leur nom qu'on a appellé le pole septentrional, à septem trionibus. Voyez POLE, NORD. Harris & Chambers. (O)


CYNTHIUSCYNTHIUS


CYPERELLA(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur sans pétale composée de deux étamines qui sortent d'un calice d'une seule piece en forme d'écaille. Le pistil qui se trouve entre les deux étamines, devient dans la suite une semence plate & triangulaire, dont la base est environnée de filamens qui ressemblent à des barbes d'épis. Ajoûtez aux caracteres de ce genre que les calices des fleurs sont rassemblés & forment une sorte de tête, & que ces têtes sont disposées en ombelles ou en épis. Michéli, nov. gener. plant. Voyez PLANTE. (I)


CYPERUS(Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur sans pétale, composée ordinairement de trois étamines, & qui sort d'un calice d'une seule piece en forme d'écailles. Le pistil qui s'éleve entre les étamines devient une semence qui est le plus souvent triangulaire. Ajoûtez aux caracteres de ce genre que les tiges ont trois arêtes régulieres, & que les calices des fleurs sont arrangés en épis à deux rangs. Ces épis forment des têtes peu garnies dans quelques especes, & bien fournies dans d'autres. Michéli, nov. plant. gen. Voyez PLANTE. (I)


CYPHI(Mat. med.) mot arabe qui signifie une espece de parfum fortifiant. Voyez PARFUM.

Mithridate donna ce nom à des trochisques dont les prêtres d'Egypte parfumoient anciennement leurs dieux pour en obtenir ce qu'ils leur demandoient. Il les fit aussi entrer dans la composition du mithridate, parce qu'ils sont réputés excellens contre le venin, contre la peste, contre les maladies froides, contre les fluxions, &c.

Ils sont composés de raisins secs, de terebenthine, de myrrhe, de schénante, de cenelle, de jonc odorant, de bdellium, de spicanard, de cassia lignea, d'aspalath, & de safran, &c. auxquels on ajoûte un peu de miel & de vin pour en former une masse. Dictionn. de Trév. de Medecine, & de Chambers.

Ces trochisques ne sont absolument employés aujourd'hui que dans la préparation du mithridate, dont ils sont même un ingrédient très-inutile ; car la plûpart des drogues qui entrent dans leur composition, entrent d'ailleurs aussi dans le mithridate. (b)


CYPHONISMES. m. (Hist. anc.) Le cyphonisme est un ancien tourment auquel les premiers martyrs ont été fréquemment exposés. Il consistoit à être frotté de miel & exposé au soleil à la piquûre des mouches & des guêpes. Cela se faisoit de trois manieres ; ou l'on attachoit simplement le patient à un poteau, ou on le suspendoit en l'air dans un panier, ou on l'étendoit à terre les mains liées derriere le dos.

Ce mot vient du grec ; on le fait dériver de , qui signifie le poteau ou épieu auquel on attachoit le patient, ou le carcan qu'on lui mettoit au cou, ou un instrument dont on se servoit pour le tourmenter. Le Scholiaste d'Aristophane dit que c'étoit une espece de cage de bois ainsi appellée de , courber, parce qu'elle tenoit le patient qu'on y enfermoit le corps incliné ou courbé. D'autres entendent par un morceau de bois qu'on plaçoit, disent-ils, sur la tête du patient, pour l'empêcher de se tenir droit. Hésychius décrit le comme une piece de bois sur laquelle l'on tenoit les criminels étendus pour les tourmenter. Il est assez vraisemblable que toutes ces acceptions différentes convenoient à ce mot, & que c'étoit un genre dont nous avons détaillé les especes.

Nous trouvons dans Suidas un fragment d'une ancienne loi qui condamnoit au cyphonisme pendant vingt jours, & à être ensuite précipités du haut d'un rocher en habit de femme, ceux qui traitoient les lois avec mépris.


CYPRE(Géog. mod.) grande île d'Asie dans la mer Méditerranée. Elle est très-abondante en cuivre, & produit un vin fort estimé. Nicosie en est la capitale. Elle est soûmise aux Turcs, ainsi que toute l'île.


CYPRÈSS. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante qui porte des chatons stériles composés de plusieurs petites feuilles en forme d'écailles, entre lesquels il y a des sommets qui répandent une poussiere très-fine. L'embryon devient dans la suite un fruit arrondi qui s'ouvre par plusieurs fentes irrégulieres, qui laissent entr'elles des especes de têtes de clous, & qui renferment des semences ordinairement anguleuses. Tournefort, inst. rei herbar. Voyez PLANTE. (I)

Le cyprès est un arbre toûjours verd, qui ne croît naturellement que dans les pays méridionaux de l'Europe, & sur-tout dans la plûpart des îles de l'Archipel où il est fort commun. On distingue deux especes de cyprès qui sont anciennement connues, & qui n'ont de différence entr'elles que dans la disposition de leurs branches : l'une par la direction de ses rameaux prend & conserve de soi-même une forme pyramidale, & c'est le cyprès femelle des Botanistes : l'autre espece prenant une forme toute opposée, étend ses branches de côté, & on la nomme le cyprès mâle ; qualifications impropres ou plûtôt erronées, puisque chacun de ces arbres produisant des fleurs & des fruits, est en même tems mâle & femelle. Aussi est-il arrivé que quelques auteurs se fondant sur ces caracteres imaginaires, ont avancé que le cyprès mâle ne rapporte aucun fruit. Mais ces deux especes ne se reproduisent pas constamment les mêmes ; on prétend qu'en semant la graine de l'une ou de l'autre il en vient de deux sortes. Ce fait a été très-anciennement agité ; Théophraste le rapporte ; je l'ai vû dans un des ouvrages manuscrits de Tournefort intitulé plantarum adversaria ; peut-être que ce botaniste s'en étoit aussi rapporté à Theophraste comme à tant d'autres auteurs : car après avoir semé si souvent des graines du cyprès appellé femelle, qui est celui que l'on cultive le plus à cause de sa forme agréable, & que l'attention que j'y ai donnée ne m'a jamais fait saisir le fait en question, je pourrois le trouver susceptible de doute si M. Miller n'assûroit qu'il l'a vérifié lui-même par plusieurs épreuves. Combien n'y a-t-il pas d'inconvénient en effet à s'en rapporter à des auteurs qui n'ont pas vû l'objet par eux-mêmes, & qui copient sans discernement les faits les plus absurdes ? On trouve dans un dictionnaire d'Agriculture qui a paru en 1751, & dans plusieurs autres ouvrages tout aussi nouveaux, que le cyprès donne du fruit trois fois l'année ; en Janvier, Mai, & Septembre : fait aussi étrange que faux, dont on devroit au moins se défier comme d'un fait unique qui seroit un prodige de fécondité, que l'on ne connoît encore dans aucun des végétaux qui croissent en Europe.

Ces deux especes de cyprès sont des arbres qui ne s'élevent qu'à une moyenne hauteur, qui prennent une tige droite, mais fort mince. L'espece qui répand ses branches de côté est moins fournie de rameaux, & son tronc n'en est garni qu'à une certaine hauteur comme les autres arbres ; il devient plus gros que l'autre, & il est un peu plus robuste. Le cyprès pyramidal se garnit de branches presque depuis le pié : & comme les plus basses contre l'ordinaire sont celles qui prennent le moins d'accroissement, & que les unes & les autres s'approchent naturellement de la principale tige en s'élevant perpendiculairement ; cet arbre prend de lui-même une forme réguliere, d'autant plus agréable, que l'art n'y a point de part ; & il est très-propre à border des terrasses, à former des allées, & à terminer des points de vûe dans de grands jardins, où sur-tout il fait une belle décoration lorsqu'on l'employe dans des places disposées en demi-cercle. Cependant cet arbre a déplû, & on l'a exclu des jardins parce qu'on a prétendu qu'il portoit l'ennui par-tout où il étoit & qu'il annonçoit la tristesse. Mais c'est une idée bizarre, qu'on ne s'est faite qu'à force d'avoir vû dans les Poëtes que les anciens faisoient planter cet arbre autour de leurs tombeaux, sans faire attention qu'on ne le préféroit pour cet usage, que parce qu'il fait naturellement décoration.

On n'a pas à choisir pour ces arbres sur la qualité du terrein ; il leur faut une terre légere, graveleuse ou mêlée de sable ; & s'il y a de la profondeur, ils se plairont aux expositions chaudes ; ils se soûtiendront aussi fort bien dans une situation entierement découverte ; ils y seront beaucoup moins sujets à être mutilés par les grandes gelées que dans les terres basses, fortes, & humides, où s'ils reprennent, ils ne feront que languir & périront bien-tôt. Mais il est aisé de les multiplier.

On ne connoît encore qu'un seul moyen d'y réussir, qui est d'en semer la graine. Cette opération se doit faire au mois d'Avril : on tire la graine des pommes qui la contiennent en les exposant au soleil ou à un feu doux, & on la seme assez épais dans du terreau bien pourri & suranné, soit à plein champ, ou mieux encore pour la commodité de sarcler, en rayon d'un demi-pouce de profondeur, qu'on recouvrira légerement du même terreau. Les plans leveront au bout d'un mois, & ils auront en automne 4 ou 5 pouces de hauteur. Il faudra les arroser au besoin, mais avec de grands ménagemens, sur-tout la premiere année, durant laquelle le trop d'humidité est tout ce qu'il y a de plus contraire au cyprès comme à tous les arbres toûjours verds. On pourra les laisser dans la même place pendant deux ans, au bout desquels ils se trouveront parvenus à environ deux piés de hauteur. Mais pour la transplantation de ces arbres, il n'est pas indifférent d'en consulter l'âge. Elle réussit rarement lorsqu'ils ont plus de quatre ou cinq ans ; & dès qu'ils en ont dix ou douze jamais elle ne réussit, quelque précaution que l'on prenne pour les enlever avec une bonne motte de terre. Cette difficulté de reprendre vient de ce que la taille nuit en tout point à ces arbres, & sur-tout aux racines. On pourra donc, lorsqu'ils seront âgés de deux ans, les mettre en pepiniere pendant deux ou trois autres années au plus ; bien moins pour les faire profiter, que pour retarder l'accroissement des racines qui cherchent toûjours à s'étendre près de la surface de la terre. Lorsqu'il sera question de transplanter ces arbres, il faudra y donner les attentions & y prendre les précautions qu'exigent les arbres toûjours verds ; éviter le froid, le hale, le grand soleil ; choisir un tems sombre & humide, & préférer la fin d'Avril au commencement de Septembre, qui quoiqu'assez convenable pour planter les arbres toûjours verds, l'est moins pour la transplantation du cyprès. Ces arbres placés à demeure fixe se passeront d'aucune culture, qui pouvant déranger les racines nuiroit aux plants au lieu de leur profiter.

On peut tailler le cyprès pour l'amener plus parfaitement à une figure pyramidale ou cylindrique, pourvû qu'on ait attention de lui retrancher moins de branches qu'on ne lui en laisse ; mais on s'est mal trouvé de les assujettir par des liens, qui en resserrant les branches empêchent la communication de l'air & font dessécher les rameaux intérieurs.

L'accroissement de ces arbres se fait assez régulierement ; si l'on excepte la premiere année, il poussent ordinairement d'un pié ou de 15 pouces par commune année ; ils s'éleveront à 12 ou 15 piés en douze ans, & auront environ trois pouces de diametre. Mais n'étant pas assez robustes pour résister à tous les hyvers dans les provinces septentrionales de ce royaume, on ne peut l'y multiplier pour le profit. Les grands hyvers des années 1683 & 1709 ont fait périr tous les cyprès du royaume, & la rigueur des gelées qui se sont fait sentir depuis quinze ans, ont souvent détruit les jeunes cyprès d'un âge au-dessous de cinq ou six ans, & ont mutilé les plus grands.

Au premier aspect on ne distingue point de feuilles sur ces arbres, on n'apperçoit qu'une multiplicité de rameaux herbeux, fort menus, dont les plus jeunes sont quadrangulaires & uniquement composés de feuilles charnues & anguleuses, aux dépens desquelles la branche devenant ligneuse, alors les feuilles la revêtissent en façon d'écailles, d'abord verdâtres, ensuite desséchées, & qui enfin se réunissent avec l'écorce, ensorte qu'on ne voit jamais cet arbre quitter ses feuilles. Leur verdure se rembrunit en hyver ; mais au retour du printems le verd des rameaux s'éclaircit & devient agréable à la vûe, même avant la survenance des nouvelles feuilles. C'est alors que sur les arbres âgés de 10 ou 12 ans il naît au bout des jeunes rameaux de petits chatons qui ont peu d'apparence. Le fruit, en plus petit nombre, paroît en même tems sur le bois qui a deux ans ; il n'est mûr qu'après l'hyver, & il le faut recueillir avant le mois de Mars ; car les pommes s'ouvrent aux premieres chaleurs & laissent échapper les graines. Quelques auteurs cependant, M. Miller entr'autres, recommandent de ne tirer la graine des pommes de cyprès que dans le moment qu'on veut la semer, ce qui semble insinuer que cette graine s'altere lorsqu'on l'en tire plûtôt, & que cela peut nuire à sa conservation. J'ai pourtant fait l'épreuve que cette graine tirée des pommes de cyprès, & conservée dans une boîte, avoit bien levé pendant cinq années de suite, mais non au-delà.

Le bois du cyprès est extrèmement dur, assez compact, d'une grand solidité, & d'une très-longue durée. Il est d'une couleur jaunâtre, il n'a point d'aubier ; soit qu'on le coupe à droit fil ou transversalement, on y distingue les couches annuelles aussi aisément que dans le bois du sapin ; & comparaison faite de ce bois avec celui des autres arbres qui croissent en Europe, il est plutôt leger que pesant. Tous les anciens s'accordent à donner au bois du cyprès la qualité d'être aussi odoriférant que le bois de cédre, & de conserver cette odeur tant qu'il subsiste ; de n'être sujet ni à la vermoulure, ni à la pourriture, ni à se gerser ; de recevoir un poli parfait, & d'être propre à faire des échalas ; en effet, j'ai quelques échalas de ce bois, qui, quoiqu'employés depuis 12 ans dans une palissade d'arbres en contre-espalier, sont encore solides & très-peu altérés. Ces échalas qui ont environ un pouce & demi de diametre, ne sont actuellement endommagés par la pourriture que d'environ un sixieme de diametre dans la partie de l'échalas qui est dans la terre, tout le reste s'est conservé en bonne qualité ; même dureté, même solidité, si ce n'est qu'il y a quelques trous de vermoulure dans le bas des échalas, quelques gersures dans le dessus entre des noeuds ; mais le bois n'a plus aucune odeur. Peut-être que le plein air & la vicissitude des saisons causent à ce bois des altérations que l'abri lui sauveroit, puisqu'on assûre que des portes de l'ancienne église de S. Pierre de Rome, qui étoient faites de bois de cyprès, ont duré onze cent ans. Mais M. Duhamel membre de l'académie des Sciences de Paris, ayant observé que des pieux de bois de cyprès faits en 1709 duroient & étoient encore solides en 1740, il n'y a nul doute qu'il ne fût infiniment avantageux d'employer ce bois à de tels usages, s'il pouvoit devenir assez commun pour cela dans ce royaume.

Quoique depuis Théophraste on n'ait cessé d'écrire que les fourmis sont si friandes du cyprès, qu'on ne voit aucun de ces arbres où il n'y ait une fourmiliere au pié ; je crois ce fait sans fondement, puisqu'au contraire je n'ai jamais vû ni fourmis ni aucun autre insecte s'attacher au cyprès ; c'est un arbre résineux, dont l'odeur forte doit nécessairement éloigner toute fréquentation d'insecte. On assûre même que ces arbres purifient l'air qui les environne, parce qu'il en sort des exhudations aromatiques & balsamiques qui sont un spécifique salutaire pour les pulmoniques.

Il y a encore trois especes de cyprès, que jusqu'à présent les Botanistes ont associés à ceux dont on vient de parler.

Le cyprès de Portugal. Cet arbre est plus petit, moins robuste, & plus lent à croître que les especes qui précedent ; ses feuilles sont aussi plus petites, ses rameaux plus menus, ses chatons moins apparens. Les pommes de ce cyprès sont d'une couleur bleuâtre, & tout au plus de la grosseur d'une cerise ordinaire. Cet arbre se garnit ordinairement jusque contre terre de beaucoup de branches, qu'il étend à une grande distance, presqu'horisontalement & avec si peu de régularité, que ce cyprès a un aspect tout différent des especes précédentes. M. Miller a vû un de ces arbres en Angleterre, qui n'avoit qu'environ quinze piés de hauteur, & qui cependant étendoit ses branches à plus de huit piés de chaque côté du tronc. On peut le multiplier & l'élever de la même façon qu'on a dit pour l'espece commune, si ce n'est qu'il conviendra de les abriter pendant les deux premiers hyvers. Il se prête à une facilité de plus, qui est de se multiplier en plantant les jeunes branches des boutures, qui n'auront qu'au bout de deux ans des racines suffisantes pour la transplantation. Mais il faut faire ces boutures en automne, & leur faire de l'abri pendant l'hyver. Les Portugais donnent à cet arbre le nom de cedre de Bussaco, parce qu'on a commencé à le cultiver à Bussaco, qui est un grand couvent de carmes, à quatre lieues de Coimbre en Portugal.

Le cyprès de Virginie. Cet arbre est très-différent des autres cyprès dont on vient de parler. Ses feuilles ressemblent à celles de l'acacia, & il les quitte en hyver ; il prend beaucoup plus de hauteur & de grosseur, & il se plaît dans les terres marécageuses. Mais pour la description de cet arbre, nous nous en rapporterons à Catesby, de qui j'ai tiré ce qui suit. " C'est le plus haut & le plus gros arbre qu'il y ait en Amérique, excepté l'arbre qui porte des tulipes. Quelques-uns ont 30 piés de circonférence près de terre ; ils s'élevent en diminuant toûjours jusqu'à la hauteur de six piés, où réduits aux deux tiers de la grosseur dont ils sont au pié, ils continuent de croître ordinairement 60 ou 70 piés jusqu'à la tige, avec la même proportion que les autres arbres. Il sort d'une maniere singuliere à 4 ou 5 piés autour de cet arbre plusieurs chicots de différente forme & de différente grandeur, quelques-uns un peu au-dessus de terre, & d'autres depuis un pié de haut jusqu'à quatre ; leur tête est couverte d'une écorce rouge & unie. Ces chicots sortent des racines de l'arbre, cependant ils ne produisent ni feuilles ni branches ; car l'arbre ne vient que du grain de semence, qui est de la même force que celui des cyprès ordinaires, & qui contient une substance balsamique & odoriférante. Le bois de charpente qu'on fait de cet arbre est excellent, surtout pour couvrir les maisons, à cause qu'il est leger, qu'il a le grain délié, & qu'il résiste aux injures du tems mieux que ne fait aucun autre que nous ayons dans ce pays-ci. Il est aquatique, & croit ordinairement depuis un pié jusqu'à cinq & six de profondeur dans l'eau. Il semble que sa situation invite un grand nombre de différentes sortes d'oiseaux à se loger sur ses branches, pour y multiplier leur espece ; le perroquet entr'autres y fait volontiers son nid, & se nourrit des pepins en Octobre qui est le tems de leur maturité ".

On peut multiplier cet arbre de semences qui levent aussi promtement que celles des autres cyprès, & qui s'éleveront jusqu'à seize pouces la premiere année. Mais comme il s'en faut bien qu'il y ait dans ce royaume des arbres de cette espece assez âgés pour donner des graines, & qu'à peine il s'en trouve en Angleterre un ou deux qui en rapportent, il faut tirer ces graines soit de la Caroline, soit de la Virginie où il croît une grande quantité de ces arbres, & les semer dans des caisses afin de pouvoir abriter les jeunes plans pendant les deux ou trois premiers hyvers. Car quoique M. Miller assûre que ces arbres sont extrèmement robustes, & qu'ils ne craignent nullement le froid, je crois que cela ne peut leur être applicable que lorsqu'ils sont parvenus à un certain âge, puisque j'ai toûjours vû périr au bout de deux ou trois ans tous ceux qu'on avoit voulu élever en plein air. Les jeunes plans qu'on a essayé de faire venir dans des pots n'ont pas mieux réussi, & ne se sont pas soutenus plus longtems ; les grandes sécheresses les ont toûjours détruits, malgré de fréquens arrosemens. Mais n'y auroit-il pas un moyen de sauver ces arbres en leur procurant de bonne heure toute l'humidité qu'ils demandent ? C'est l'épreuve que je fais faire actuellement, en faisant enfoncer peu-à-peu dans l'eau, & en y laissant séjourner pendant les sécheresses, les caisses & les pots où ces arbres sont plantés. Cependant M. Miller assûre qu'il y a en Angleterre deux fort gros arbres de cette espece, qui y ont bien réussi sans être dans un terrein marécageux, & même dont l'un est placé sur un terrein sec. Celui-ci, dit l'auteur cité, a été transplanté étant déjà très-grand, & il rapporte des graines ; l'autre a été planté dans une cour, où quoiqu'on ne lui ait donné aucune culture, il est parvenu à trente piés de haut & à une grosseur considérable, mais il n'a point encore donné de graine. L'auteur attribue la stérilité de ce dernier arbre au manquement d'eau, & la fertilité de l'autre à la transplantation. On peut aussi multiplier cet arbre de bouture, suivant que le même auteur s'en est assûré par plusieurs épreuves.

Cyprès d'Amérique ou le cédre blanc. Cet arbre n'étant point encore connu en France, nous avons recours pour sa description & sa culture à M. Miller, dont nous ne prendrons que les principaux faits.

Cette espece de cyprès se trouve dans les terreins humides & marécageux du nord de l'Amérique ; il est toûjours verd ; il prend une figure réguliere ; il s'éleve à une hauteur considérable ; il fournit un bois de service très-utile, & le froid ne lui fait jamais de tort. Ses jeunes branches sont garnies de feuilles qui ressemblent à celles de l'arbre-de-vie, & les baies qu'il produit ne sont pas si grosses que celles du genievre, dont il n'est pas aisé de les distinguer du premier aspect ; mais en examinant leur enveloppe, on voit que ce sont des cones parfaits qui ont plusieurs cellules comme la pomme du cyprès ordinaire. On éleve cet arbre de graine, que l'on doit semer au printems dans des caisses où elles ne leveront qu'au bout d'un an ; il faudra les abriter l'hyver suivant, parce que cet arbre est un peu délicat dans sa jeunesse. On pourra les planter en pepiniere au commencement d'Avril, mais il faudra les enlever avec soin par un tems couvert ou de pluie. Trois ou quatre ans après, lorsque ces arbres auront environ 3 piés de haut, il faudra les transplanter à demeure fixe dans le tems & avec les mêmes précautions que la premiere fois, & sur-tout les enlever avec une motte de terre, si l'on veut qu'ils ne courent pas le risque de périr. La transplantation réussit rarement à ces arbres lorsqu'ils sont un peu âgés, & il leur faut de fréquens arrosemens dans les sécheresses ; autrement en été il en périra la plûpart, attendu qu'ils se refusent absolument à un terrein sec. Il leur faut une terre forte & humide, où ils feront de grands progrès ; circonstance qui doit rehausser le mérite de cet arbre, parce qu'elle se trouve rarement dans les arbres toûjours verds. (c)

CYPRES, (Mat. med.) Les fruits de cyprès sont en usage en Medecine ; ils sont astringens, fortifians ; on les donne intérieurement, soit en substance, soit en décoction dans les cas d'hémorrhagie ou de relâchement, où l'adstriction proprement dite est absolument indiquée, comme dans les diarrhées invétérées & colliquatives, dans les hémorrhagies internes, qui font craindre par leur abondance pour la vie du malade. Elles passent pour fébrifuges ; on en donne dans cette vûe la poudre dans du vin à la dose d'un gros ; on en peut effectivement espérer de bons effets dans les fievres intermittentes, & surtout dans les fievres quartes automnales qui attaquent les habitans des lieux marécageux. Plusieurs auteurs les vantent comme spécifiques dans les incontinences d'urine. Mathiole recommande beaucoup la décoction des pommes de cyprès, fraîches ou nouvelles, faite dans du vin, & donnée tous les jours à la dose de trois onces dans les hernies.

On peut employer aussi leur décoction dans tous les cas où il est question de remédier aux relâchemens & aux gonflemens oedémateux de quelques parties. Les fruits de cyprès sont nommés par les Pharmacologistes, fruits, cones, noix, ou pilules de cyprès, & sont ceux de gabulae, galbuli, & gallulae. Voyez l'article précédent.

Le fruit de cyprès entre dans plusieurs compositions pharmaceutiques externes, dont les plus usitées sont l'emplâtre ad hernias de Fernel, & dans l'onguent de la comtesse de Zwelfer. (b)

* CYPRES, (Myth.) symbole de la tristesse. On le plantoit autour des tombeaux. Il étoit consacré à Pluton.


CYPRINou CYPRIS, (Mythol.) surnom de Vénus, ainsi appellée de l'île de Cypre qui lui étoit consacrée, & aux environs de laquelle on prétendoit qu'elle avoit été formée de l'écume de la mer.


CYRBEou AXONES, (Hist. anc.) noms donnés aux lois que Solon établit à Athenes, parce qu'elles étoient écrites sur des tables de bois faites en triangle. Les cyrbes contenoient tout ce qui regardoit particulierement le culte des dieux, & les autres lois pour le civil étoient comprises dans les axones. On gardoit toûjours l'original de ces lois dans l'acropolis ou forteresse d'Athenes : mais Ephialte en fit transporter des copies au pritanée, afin que les juges pussent les consulter plus commodément. Bochart prétend que les cyrbes étoient écrites de la sorte ; la premiere ligne alloit de la gauche à la droite, la seconde de la droite à la gauche, & ainsi de suite. V. BOUSTROPHEDON. Dict. de Trév. & Chambers. (G)


CYRÉNAIQUE(SECTE) Hist. anc. de la Philosophie & des Philosophes. On vit éclorre dans l'école Socratique, de la diversité des matieres dont Socrate entretenoit ses disciples, de sa maniere presque sceptique de les traiter, & des différens caracteres de ses auditeurs, une multitude surprenante de systèmes opposés, une infinité de sectes contraires qui en sortirent toutes formées ; comme on lit dans le poëte, que les héros grecs étoient sortis tout armés du cheval de Troye ; ou plûtôt comme la Mythologie raconte, que naquirent des dents du serpent des soldats qui se mirent en pieces sur le champ même qui les avoit produits. Aristippe fonda dans la Lybie & répandit dans la Grece & ailleurs, la secte Cyrénaïque ; Euclide, la Mégarique ; Phedon, l'Eliaque ; Platon, l'Académique ; Antisthene, la Cynique, &c.

La secte Cyrénaïque dont il s'agit ici, prit son nom de Cyrene, ville d'Afrique, & la patrie d'Aristippe fondateur de la secte. Ce philosophe ne fut ennemi ni de la richesse, ni de la volupté, ni de la réputation, ni des femmes, ni des hommes, ni des dignités. Il ne se piqua ni de la pauvreté d'Antisthene, ni de la frugalité de Socrate, ni de l'insensibilité de Diogene. Il invitoit ses éleves à joüir des agrémens de la société & des plaisirs de la vie, & lui-même ne s'y refusoit pas. La commodité de sa morale donna mauvaise opinion de ses moeurs ; & la considération qu'on eut dans le monde pour lui & pour ses sectateurs, excita la jalousie des autres philosophes : tantae ne animis coelestibus, &c. On mesinterpréta la familiarité dont il en usoit avec ses jeunes éleves, & l'on répandit sur sa conduite secrette des soupçons qui seroient plus sérieux aujourd'hui qu'ils ne l'étoient alors.

Cette espece d'intolérance philosophique le fit sortir d'Athenes ; il changea plusieurs fois de séjour, mais il conserva par-tout les mêmes principes. Il ne rougit point à Egine de se montrer entre les adorateurs les plus assidus de Laïs, & il répondoit aux reproches qu'on lui en faisoit, qu'il pouvoit posséder Laïs sans cesser d'être philosophe, pourvû que Laïs ne le possédât pas ; & comme on se proposoit de mortifier son amour propre en lui insinuant que la courtisanne se vendoit à lui & se donnoit à Diogene, il disoit : Je l'achete pour m'en servir, & non pour empêcher qu'un autre ne s'en serve. Quoi qu'il en soit de ces petites anecdotes, dont un homme sage sera toûjours très-reservé, soit à nier, soit à garantir la vérité, je ne comprens guere par quel travers d'esprit on permettoit à Socrate le commerce d'Aspasie, & l'on reprochoit à Aristippe celui de Laïs. Ces femmes étoient toutes deux fameuses par leur beauté, leur esprit, leurs lumieres, & leur galanterie. Il est vrai que Socrate professoit une morale fort austere, & qu'Aristippe étoit un philosophe très-voluptueux ; mais il n'est pas moins constant que les philosophes n'avoient alors aucune répugnance à recevoir les courtisannes dans leurs écoles, & que le peuple ne leur en faisoit aucun crime.

Aristippe se montra de lui-même à la cour de Denis, où il réussit beaucoup mieux que Platon que Dion y avoit appellé. Personne ne sut comme lui se plier aux tems, aux lieux, & aux personnes ; jamais déplacé, soit qu'il vecût avec éclat sous la pourpre, & dans la compagnie des rois, soit qu'il enseignât obscurément dans l'ombre & la poussiere d'une école. Je n'ai garde de blâmer cette philosophie versatile ; j'en trouve même la pratique, quand elle est accompagnée de dignité, pleine de difficultés & fort au-dessus des talens d'un homme ordinaire. Il me paroît seulement qu'Aristippe manquoit à Socrate, à Diogene, & à Platon, & s'abaissoit à un rôle indigne de lui, en jettant du ridicule sur ces hommes respectables, devant des courtisans oisifs & corrompus, qui ressentoient une joie maligne à les voir dégradés ; parce que cet avilissement apparent les consoloit un peu de leur petitesse réelle. N'est-ce pas en effet une chose bien humiliante à se représenter, qu'une espece d'amphithéatre élevé par le philosophe Aristippe, où il se met aux prises avec les autres philosophes de l'école de Socrate, les donne & se donne lui-même en spectacle à un tyran & à ses esclaves ?

Il faut avoüer cependant qu'on ne remarque pas dans le reste de sa conduite, ce défaut de jugement avec lequel il laissoit échapper si mal-à-propos le mépris bien ou mal fondé qu'il avoit pour les autres sectes. Sa philosophie prit autant de faces différentes, que le caractere féroce de Denis ; il sut, selon les circonstances, ou le mépriser, ou le réprimer, ou le vaincre, ou lui échapper, employant alternativement ou la prudence ou la fermeté, ou l'esprit ou la liberté, & en imposant toûjours au maître & à ses courtisans. Il fit respecter la vertu, entendre la vérité, & rendre justice à l'innocence, sans abuser de sa considération, sans avilir son caractere, sans compromettre sa personne. Quelque forme qu'il prît, on lui remarqua toûjours l'ongle du lion qui distinguoit l'éleve de Socrate.

Aristippe cultiva particulierement la morale, & il comparoit ceux qui s'arrêtoient trop long-tems à l'étude des beaux arts, aux amans de Pénélope, qui négligeoient la maîtresse de la maison pour s'amuser avec ses femmes. Il entendoit les Mathématiques, & il en faisoit cas. Ce fut lui qui dit à ses compagnons de voyage, en appercevant quelques figures de Géométrie sur un rivage inconnu où la tempête les avoit jettés : Courage mes amis, voici des pas d'homme. Il estima singulierement la Dialectique, sur-tout appliquée à la Philosophie morale.

Il pensoit que nos sensations ne peuvent jamais être fausses ; qu'il est possible d'errer sur la nature de leur cause, mais non sur leurs qualités & sur leur existence.

Que ce que nous croyons appercevoir hors de nous est peut-être quelque chose, mais que nous l'ignorons.

Qu'il faut dans le raisonnement rapporter tout à la sensation, & rien à l'objet, ou à ce que nous prenons pour tel.

Qu'il n'est pas démontré que nous éprouvions tous les mêmes sensations, quoique nous convenions tous dans les termes.

Que par conséquent en dispute rigoureuse, il est mal de conclure de soi à un autre, & du soi du moment présent, au soi d'un moment à venir.

Qu'entre les sensations, il y en a d'agréables, de fâcheuses, & d'intermédiaires.

Et que dans le calcul du bonheur & du malheur, il faut tout rapporter à la douleur & au plaisir, parce qu'il n'y a que cela de réel ; & sans avoir aucun égard à leurs causes morales, compter pour du mal les fâcheuses, pour du bien les agréables, & pour rien les intermédiaires.

Ces principes servoient de base à leur philosophie. Et voici les inductions qu'ils en tiroient, rendues à-peu-près dans la langue de nos géometres modernes.

Tous les instans où nous ne sentons rien, sont zéro pour le bonheur & pour le malheur.

Nous n'avons de sensations à faire entrer en compte, dans l'évaluation de notre bonheur & de notre malheur, que le plaisir & la peine.

Une peine ne differe d'une peine, & un plaisir ne differe d'un plaisir, que par la durée & par le degré.

Le momentum de la douleur & de la peine, est le produit instantané () de la durée par le degré.

Ce sont les sommes des momentum de peine & de plaisir passés, qui donnent le rapport du malheur au bonheur de la vie.

Les Cyrénaïques prétendoient que le corps fournissoit plus que l'esprit dans la somme des momentum de plaisir.

Que l'insensé n'étoit pas toûjours mécontent de son existence, ni le sage toûjours content de la sienne.

Que l'art du bonheur consistoit à évaluer ce qu'une peine qu'on accepte doit rendre de plaisir.

Qu'il n'y avoit rien qui fût en soi peine ou plaisir.

Que la vertu n'étoit à souhaiter qu'autant qu'elle étoit ou un plaisir présent, ou une peine qui devoit rapporter plus de plaisir.

Que le méchant étoit un mauvais négociant, qu'il étoit moins à-propos de punir que d'instruire de ses intérêts.

Qu'il n'y avoit rien en soi de juste & d'injuste, d'honnête & de deshonnête.

Que de même que la sensation ne s'appelloit peine ou plaisir qu'autant qu'elle nous attachoit à l'existence, ou nous en détachoit ; une action n'étoit juste ou injuste, honnête ou deshonnête, qu'autant qu'elle étoit permise ou défendue par la coûtume ou par la loi.

Que le sage fait tout pour lui-même, parce qu'il est l'homme qu'il estime le plus ; & que quelque heureux qu'il soit, il ne peut se dissimuler qu'il mérite de l'être encore davantage.

Aristippe eut deux enfans, un fils indigne de lui qu'il abandonna ; une fille qui fut célebre par sa beauté, ses moeurs, & ses connoissances. Elle s'appelloit Areté. Elle eut un fils nommé Aristippe dont elle fit elle-même l'éducation, & qu'elle rendit par ses leçons digne du nom qu'il portoit.

Aristippe eut pour disciples Théodore, Synale, Antipater, & sa fille Areté. Areté eut pour disciple son fils Aristippe. Antipater enseigna la doctrine cyrénaïque à Epimide ; Epimide à Peribate ; & Peribate à Hégésias & à Anniceris, qui fonderent les sectes Hegesiaques & Annicériennes dont nous allons parler.

Hegesias surnommé le Pisithanate, étoit tellement convaincu que l'existence est un mal, préféroit si sincerement la mort à la vie, & s'en exprimoit avec tant d'éloquence, que plusieurs de ses disciples se défirent au sortir de son école. Ses principes étoient les mêmes que ceux d'Aristippe ; ils instituoient l'un & l'autre un calcul moral, mais ils arrivoient à des résultats différens. Aristippe disoit qu'il étoit indifférent de vivre ou de mourir, parce qu'il étoit impossible de savoir si la somme des plaisirs seroit à la fin de la vie, plus grande ou plus petite que la somme des peines ; & Hegesias qu'il falloit mourir, parce qu'encore qu'il ne pût être démontré que la somme des peines seroit à la fin de la vie plus grande que celle des plaisirs, il y avoit cent mille à parier contre un qu'il en arriveroit ainsi, & qu'il n'y avoit qu'un fou qui dût joüer ce jeu-là : cependant Hegesias le joüoit dans le moment même qu'il parloit ainsi.

La doctrine d'Anniceris différoit peu de celle d'Epicure ; il avoit seulement quelques sentimens assez singuliers. Il pensoit, par exemple, qu'on ne doit rien à ses parens pour la vie qu'on en a reçûe ; qu'il est beau de commettre un crime pour le salut de la patrie ; & que de souhaiter avec ardeur la prospérité de son ami, c'est craindre secrettement pour soi les suites de son adversité.

Théodore l'athée jetta par son pyrrhonisme le trouble & la division dans la secte Cyrénaïque. Ses adversaires trouverent qu'il étoit plus facile de l'éloigner que de lui répondre ; mais il s'agissoit de l'envoyer dans quelque endroit où il ne pût nuire à personne. Après y avoir sérieusement refléchi, ils le reléguerent du fond de la Lybie dans Athenes. Les juges de l'Aréopage lui auroient bientôt fait préparer la ciguë, sans la protection de Démétrius de Phalere. On ne sait si Théodore nia l'existence de Dieu, ou s'il en combattit seulement les preuves ; s'il n'admit qu'un Dieu, ou s'il n'en admit point du tout : ce qu'il y a de certain, c'est que les magistrats & les prêtres n'entrerent point dans ces distinctions subtiles ; que les magistrats s'apperçurent seulement qu'elles troubloient la société ; les prêtres, qu'elles renversoient leurs autels ; & qu'il en couta la vie à Théodore & à quelques autres.

On a attribué à Théodore des sentimens très-hardis, pour ne rien dire de plus. On lui fait soûtenir que l'homme prudent ne doit point s'exposer pour le salut de la patrie ; parce qu'il n'est pas raisonnable que le sage périsse pour des fous ; qu'il n'y a rien en soi ni d'injuste ni de deshonnête ; que le sage sera dans l'occasion voleur, sacrilége, adultere ; & qu'il ne rougira jamais de se servir d'une courtisanne en public. Mais le savant & judicieux Brucker traite toutes ces imputations de calomnieuses ; & rien n'honore plus son coeur que le respect qu'il porte à la mémoire des anciens philosophes, & son esprit, que la maniere dont il les défend. N'est-il pas en effet bien intéressant pour l'humanité & pour la philosophie, de persuader aux peuples que les meilleurs esprits qu'ait eus l'antiquité, regardoient l'existence d'un Dieu comme un préjugé, & la vertu comme un vain nom !

Evemere le cyrénaïque fut encore un de ceux que les prêtres du Paganisme accuserent d'impiété, parce qu'il indiquoit sur la terre les endroits où l'on avoit inhumé leurs dieux.

Bion le boristhénite passa pour un homme d'un esprit excellent & d'une piété fort suspecte. Il fut cynique sous Cratès ; il devint cyrénaïque sous Théodore ; il se fit péripatéticien sous Théophraste, & finit par prendre de ces sectes ce qu'elles avoient de bon, & par n'être d'aucune. On lui remarqua la fermeté d'Antisthene, la politesse d'Aristippe, & la dialectique de Socrate. Il étoit né de parens très-obscurs, & ne s'en cachoit pas. On l'accuse d'avoir traité de sottise la continence de Socrate avec Alcibiade, mais on n'a qu'à consulter l'auteur que nous avons déjà cité, pour connoître quel degré de foi il faut accorder à ces anecdotes scandaleuses, & à quelques autres de la même nature. Les prêtres du Paganisme ne pouvoient supporter qu'on accordât de la probité aux inconvaincus de leur tems : ou ils leur reprochoient comme des crimes les mêmes foiblesses qu'ils se pardonnoient ; ou ils en accusoient leur façon de penser, quoiqu'avec des sentimens plus orthodoxes ils ne fissent pas mieux qu'eux ; ou ils les calomnioient sans pudeur, lorsqu'ils en étoient réduits à cette ressource : C'est toûjours montrer de la piété envers les dieux, disoient-ils, que de dénigrer à-tort & à-travers ces hommes pervers.

Tels furent les principaux Philosophes cyrénaïques. Cette secte ne dura pas long-tems. Et comment auroit-elle duré ? Elle n'avoit point d'école en Grece ; elle étoit divisée en Lybie, soupçonnée d'athéisme par les prêtres, accusée de corruption par les autres philosophes, & persécutée par les magistrats. Elle exigeoit un concours de qualités, qui se rentrent si rarement dans la même personne, qu'il n'y a jamais eu que son fondateur qui les ait bien réunies ; & elle ne se soûtenoit que par quelques transfuges des Stoïciens, que la douleur desabusoit de l'apathie. Voyez Bruck. Stanl. hist. de la Phil.


CYRÉNE(Géog. mod.) ville autrefois célebre d'Afrique dans la Barbarie, au royaume de Barca, dans la province de Mestrata, autrefois appellée la Lybie Cyrénaïque.


CYRICENESS. f. pl. (Hist. anc.) étoient chez les anciens Grecs des especes de salles de festin fort magnifiques, qui étoient toûjours tournées vers le nord, & qui ordinairement avoient vûe sur des jardins.

Elles avoient pris leur nom de Cyrique, ville fort considérable par la grandeur de ses bâtimens, & située dans une île de Mysie qui portoit le même nom. Les cyricenes étoient chez les Grecs ce que les triclinia & les coenacula étoient chez les Romains, des salles à manger ou salles de festin. (G)


CYRNA(Géog. mod.) ville & territoire de la Pologne dans le palatinat de Mazovie.


CYST-HÉPATIQUE(CONDUIT) Anatomie, est un canal par où le pore biliaire décharge partie de sa bile dans la vésicule du fiel. Voyez VESICULE DU FIEL.

Ce canal a été décrit pour la premiere fois par Glisson ; & long-tems après, Perrault a prétendu en avoir fait la découverte. Voyez Pl. anat. (Splanc.) fig. 5. lett. cc.

Verheyen, dans son traité sur la bile, renverse le nom ; & au lieu d'appeller ce canal cyst-hépatique, il l'appelle hépaticystique, ce qui est mieux. Voyez HEPATICYSTIQUE. Ce conduit n'a pas encore été découvert dans l'homme. Chambers. (L)


CYSTIQUEadj. en Anatomie, se dit des arteres & des veines qui se distribuent à la vésicule du fiel. Voyez Pl. Anatom. (Angéiol.) fig. 1. n°. 34. Voyez aussi VESICULE DU FIEL.

Les arteres cystiques sont des branches de l'hépatique qui aboutissent à la vésicule du fiel & y fournissent du sang. Les veines cystiques reportent ce qui reste de ce sang dans la veine-porte. Voyez PORTE.

Par remedes cystiques on désigne les remedes contre les maladies de la vessie. Voyez PIERRE, LITHONTRIPTIQUE, &c.

Le canal cystique est un conduit biliaire de la grosseur d'une plume d'oie, qui se joint au canal hépatique à environ deux doigts de distance de la vésicule du fiel ; les deux réunis formant ensemble le conduit commun ou canal cholidoque. Voyez Planc. Anatom. (Splanch.) fig. 1. lett. d. fig. 5. lett. gg. Voy. aussi FIEL (L)


CYTHÉRÉEadj. (Myth.) surnom de Vénus, ainsi appellée de Cythere à présent Curgo, île située vis-à-vis de la Crete, où elle avoit un temple qui passoit pour le plus ancien de la Grece, & sur les bords de laquelle on croyoit qu'elle avoit été portée par les Zéphirs au milieu des Amours, des Tritons, & des Néréides, couchée mollement sur une conque marine ; l'écume de la mer venoit à peine de la former. On donna le nom de Cythériades aux Graces qui l'attendoient sur le rivage, & qui ne la quitterent plus que dans des occasions où Vénus aimoit mieux se faire accompagner des Plaisirs.


CYTHERONIUSadj. (Myth.) surnom de Jupiter, ainsi appellé d'une montagne qui sépare la Béotie de l'Attique, qui est consacrée aux Muses & à Bacchus, où les Poëtes ont placé le sphinx, dont ils ont fait le lieu des scenes d'Acteon, d'Amphyon, &c. & où Jupiter étoit particulierement adoré.


CYTISES. m. (Hist. nat. bot.) cytisus ; genre de plante à fleur papilionacée : le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique fort applatie qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme des semences plates & oblongues. Ajoûtez aux caracteres de ce genre qu'il y a trois feuilles sur un seul pédicule. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

CYTISE-GENET, (Hist. nat. bot.) cytiso-genista ; genre de plante qui differe du genêt & du cytise, en ce que les unes de ses feuilles naissent une à une, & les autres trois à trois. Tournefort, inst. rei herb. Voyez CYTISE, GENET, PLANTE. (I)

Le cytise est un arbrisseau qui a la feuille en treffle, & la fleur légumineuse. On en connoît à présent de beaucoup d'especes, qui varient entr'elles pour la hauteur de l'arbrisseau, pour la couleur des fleurs, la verdure du feuillage, & pour être plus ou moins robustes. Tous les cytises craignent le trop grand froid ; aussi n'en voit-on aucun dans les pays du nord : la plûpart au contraire se trouvent dans les contrées méridionales, & quelques-uns s'accommodent des climats tempérés ; d'où il s'ensuit que dans la partie septentrionale de ce royaume il faut leur suppléer différentes températures. Les uns, tels que ceux qui sont originaires des Alpes, résistent aux plus grands froids de ce climat. La plûpart peuvent aussi passer en pleine terre dans les hyvers ordinaires ; d'autres ont besoin de l'orangerie, & quelques-uns veulent la serre chaude. Il regne aussi une grande différence dans le volume de ces arbrisseaux : il y en a de diverses tailles, depuis le cytise rampant qui s'éleve à peine à un pié, jusqu'au cytise des Alpes qui fait un arbre. Il n'y a pas moins de variété dans la couleur des fleurs, qui sont blanches ou pourprées dans quelques especes, ou jaunes dans la plûpart ; & dans la verdure de leur feuillage qui est de bien des nuances, depuis le verd le plus foncé jusqu'au plus blanchâtre. Mais il est peu de ces arbrisseaux dont on puisse tirer quelqu'utilité ; un peu plus que l'on cultive pour l'agrément, & le plus grand nombre sert tout au plus d'amusement à quelques curieux qui veulent faire des collections de tout, & qui se trouveront les plus intéressés au détail qui suit.

Le plus grand, le plus beau, & le plus utile des cytises, c'est le faux ébenier ou le cytise des Alpes : il s'éleve à dix-huit ou vingt piés, & il prend avec de la culture & du tems jusqu'à trois piés de tour : il donne au mois de Mai une grande quantité de grappes de fleurs jaunes qui ont souvent un pié de long, & qui sont d'une si belle apparence qu'on admet cet arbre dans la plûpart des plantations que l'on fait pour l'agrément. Son bois qui est fort dur, & qui se noircit dans le coeur en vieillissant, lui a fait donner le nom d'ébenier : on s'en sert à faire des palis & des échalas qui durent très-long-tems. Cet arbre se plaît dans les expositions les plus découvertes ; il vient dans tous les terreins, & réussit le mieux dans ceux qui sont médiocres. Il se multiplie fort aisément & de plusieurs façons, dont la plus courte est de semer la graine. Il croît si promtement dans sa jeunesse, qu'en deux ans il s'éleve à six ou sept piés : mais la grande quantité de fleurs qu'il donne bientôt ralentit son accroissement. Il est si robuste, que les hyvers les plus rigoureux ne lui portent aucune atteinte dans ce climat. Sa jeunesse est le tems où la transplantation lui réussit le mieux. Il ne craint point la taille, par le moyen de laquelle on peut le palisser ou lui faire une tête réguliere. Il a de plus l'avantage de n'être point sujet aux attaques des insectes, & de supporter l'ombre des autres arbres, qui peuvent même le dominer sans lui nuire. Cependant cet arbre qui est de tout agrément au printems, n'en a plus aucun en automne, par rapport à la grande quantité de graines qui le couvrent, & qu'il retient pendant tout l'hyver. On distingue plusieurs variétés dans les cytises des Alpes.

L'un a la feuille large ; c'est celui qui s'éleve le plus : on le trouve aussi à feuille panachée de blanc.

Un autre a la feuille étroite, & la grappe de ses fleurs plus longue : c'est celui qui a le plus d'agrément.

Et un troisieme qui a les grappes de ses fleurs plus courtes : c'est le moindre de tous.

Le cytise de jardins. On peut bien appeller ainsi l'espece désignée par C. Bauhin sous la phrase de cytise à feuilles lisses arrondies dont le pédicule est très-court, parce qu'en effet c'est le cytise qu'on cultive le plus pour l'agrément. C'est un arbrisseau fleurissant fort joli, qui s'éleve à cinq ou six piés, & qui produit au mois de Mai une grande quantité de fleurs jaunes d'une belle apparence. On peut le multiplier de branches couchées ou de graines qui sont mûres au mois d'Août, & qui tombent promtement ; mais le plus court sera de le faire venir de boutures, qui étant faites au printems, s'éleveront à deux piés, & seront en état d'être transplantées l'automne suivante : & même j'ai vû réussir des boutures de cet arbrisseau qui n'avoient été faites qu'au mois de Juillet ; ce qui est très-rare parmi les arbres qui quittent leurs feuilles. Ce cytise est fort susceptible de plusieurs formes : on peut lui faire une tête ronde, & sur-tout en former de petites palissades pour lesquelles il est tout-à-fait convenable, à cause qu'il se garnit de quantité de rameaux, qu'il ne quitte ses feuilles que des derniers, & que tous les terreins lui conviennent.

Le cytise verd foncé. C'est encore un bel arbrisseau fleurissant qui est très-robuste, qui ne s'éleve qu'à cinq ou six piés, & auquel on peut donner une forme réguliere. Il se couvre au mois de Juin d'une quantité de grappes de fleurs jaunes plus longues que celles du précédent, qui se soûtiennent aussi droites, mais qui durent plus long-tems. On peut le multiplier & l'élever de la même maniere que celui qui précede.

Le cytise velu, est ainsi nommé parce que ses feuilles sont couvertes d'une espece de duvet roussâtre. C'est un petit arbrisseau fleurissant qui a pris faveur en Angleterre, où on le cultive à présent en quantité dans les pepinieres. Il est assez robuste pour passer l'hyver en pleine terre. Il fleurit dès le commencement d'Avril, & on peut le multiplier & l'élever aussi aisément que les précédens.

Le cytise rampant. Cet arbrisseau qui s'éleve d'environ un pié, se trouve communément en Bourgogne sur les montagnes, au couchant de la ville de Dijon. La plûpart de ses branches s'inclinent naturellement & rampent par terre. Ses fleurs d'un jaune obscur viennent en maniere de couronne au bout des branches au commencement de Juin, & durent jusqu'à la fin de Juillet : les gousses qui renferment la graine sont garnies d'une sorte de duvet, de même que les feuilles en-dessous. Cet arbrisseau est très-robuste, vient dans les plus mauvais terreins, & se multiplie très-aisément ; mais il n'a nul agrément.

Ce sont là les especes de cytise les plus robustes, & qui étant par conséquent les plus intéressantes & les plus utiles, puisqu'elles peuvent résister en plein air dans ce climat, j'ai eu plus occasion de les observer que les suivantes, sur lesquelles on peut très-bien s'en rapporter à M. Miller dont j'ai extrait ce qui suit.

Le cytise des Canaries. C'est un petit arbrisseau toûjours verd dont la feuille est blanchâtre, & qui est trop délicat pour passer l'hyver en pleine terre dans ce climat : il lui faut l'orangerie, dont il fait l'ornement aux mois de Mars & d'Avril, qui est le tems de ses fleurs. On peut le multiplier de graines & de branches couchées.

Le cytise épineux. Il faut des précautions pour élever cet arbrisseau de semence pendant les premieres années ; & on ne doit pas manquer de lui faire passer l'hyver dans l'orangerie. Mais quand il sera devenu ligneux, on pourra l'exposer en pleine terre à une situation chaude, où il résistera aux hyvers ordinaires. Il fleurit au mois de Mars, & n'a pas grand agrément.

Le cytise de Montpellier. Arbrisseau assez joli qui s'éleve à huit piés, qui fleurit au mois de Mai, & auquel on peut faire une tête réguliere : mais comme les grands hyvers le font périr lorsqu'il est en pleine terre, il faut pour l'élever de semence autant de précautions que pour le précédent.

Le cytise à feuilles blanchâtres & à gousses longues. La meilleure qualité de cet arbrisseau est de fleurir au mois de Septembre, où bien peu d'autres arbrisseaux donnent des fleurs.

Le cytise velu à fleurs jaunes pourprées.

Le cytise verd.

Le cytise de Portugal à feuilles de luzerne. Ses fleurs naissent aux aisselles des feuilles.

Le cytise de Portugal à fleur blanche. Ses feuilles sont argentées & très-petites.

Le cytise de Portugal à grande fleur. Ses feuilles sont petites, & les gousses qui renferment sa graine sont larges & velues.

Le cytise à feuilles argentées.

Le cytise du Levant à grandes feuilles blanchâtres en-dessous.

Ces huit dernieres especes de cytise sont de petits arbrisseaux qu'on cultive rarement, & dont il ne paroît pas qu'on fasse grand cas. Mais comme ils sont originaires des pays méridionaux, ils ne sont pas assez robustes pour résister aux grands froids de ce climat. Cependant lorsqu'ils seront forts & ligneux, ils pourront y passer les hyvers ordinaires en pleine terre, dans une bonne exposition, où ils se défendront encore mieux des gelées si on les plante parmi d'autres arbrisseaux. On pourra les multiplier de graine avec quelques précautions & le secours de l'orangerie.

Le cytise d'Afrique. Cet arbrisseau dont la feuille est étroite & velue, étant plus délicat que tous ceux qui précedent, & ne pouvant passer l'hyver en plein air, il faut le traiter comme les orangers.

Le cytise d'Amérique. Cet arbrisseau a l'écorce garnie d'une espece de duvet qui la fait paroître soyeuse. Il est si délicat qu'il ne réussira pas dans ce climat, à moins que de lui faire passer l'hyver dans une bonne serre.

Le cytise à fruit blanc. On cultive cet arbrisseau dans les Indes occidentales à cause de son utilité : il se plaît dans les plus mauvais terreins, & il rapporte quantité de fruits, qui étant bons à manger, servent quelquefois d'aliment aux gens du pays : mais le principal usage qu'ils en font c'est d'en nourrir les pigeons ; ce qui l'a fait nommer le pois des pigeons. On donne aussi les branches de l'arbrisseau avec le fruit même & les feuilles à différens bestiaux pour les bien engraisser. Mais on ne sauroit en tirer le même parti dans ce climat, parce qu'il est si délicat qu'il lui faut une serre à feu pour passer l'hyver.

Le cytise-indigo. C'est une plante vivace qu'on distingue des autres especes de cytises, en ce que ses feuilles n'ont presque point de pédicule, & que le calice qui soûtient la fleur est garni de trois petites écailles. On se sert de cette plante dans la Louisiane pour faire de l'indigo. Cependant on ne l'éleve que difficilement en Angleterre, où elle se trouve délicate pour le climat : & comme elle ne réussit pas bien en pot, & qu'il faut la tenir en pleine terre, il faut avoir soin de la défendre des gelées pendant l'hyver. Elle trouveroit probablement un degré de chaleur plus convenable dans les provinces méridionales de ce royaume.

Le cytise à feuilles ovales. C'est un petit arbrisseau qui ne s'éleve qu'à trois piés, & dont on fait quelqu'estime parce que ses fleurs viennent de bonne-heure au printems. Il est très-robuste, mais fort rare.

Le cytise de Sibérie. Sa feuille est blanchâtre & étroite, & ses fleurs viennent en bouquets au bout des branches. Cet arbrisseau, quoique robuste, est encore peu répandu.

Enfin Tournefort rapporte encore plus de quinze especes de cytises, qui ne sont pas assez connues pour en parler ici. (c)

CYTISE, (Mat. med.) Cette plante n'est d'aucun usage parmi nous : cependant on attribue à ses feuilles de rafraîchir & de résoudre les tumeurs. Leur décoction, selon Dioscoride, prise intérieurement, pousse par les urines. (b)


CZAKENTHURN(Géog. mod.) ville forte d'Allemagne en Stirie, dans l'Autriche, sur les frontieres de Hongrie ; entre la Drave & le Muhir. Long. 34. 54. lat. 46. 24.


CZAPOZAKL(Géog. mod.) petite ville de la Tartarie d'Ocrakow, sur la riviere Rog.


CZARsub. m. (Hist. mod.) nom ou titre d'honneur que prend le grand duc de Moscovie, ou comme on l'appelle aujourd'hui, l'empereur de Russie. Voyez EMPEREUR.

Les naturels du pays prononcent tzar ou zaar ; & selon Becman ce nom est corrompu de Cesar ou empereur ; car il prétend descendre des empereurs Romains, & porte un aigle dans ses armoiries comme un symbole de son empire. Voyez CESAR.

D'autres prétendent que le nom de tzar veut dire seulement seigneur.

Le premier qui a pris le titre de czar a été Basile fils de Jean Basilide, qui secoua le joug des Tartares vers l'an 1470, & jetta les premiers fondemens de la puissance où cet empire est aujourd'hui parvenu.

Sperlingius prétend que ces princes n'ont porté le nom de czar, que depuis que les Russiens ont embrassé la religion des Grecs ; il prétend qu'auparavant ils s'appelloient konger, roi. Voyez ROI. Chamb. (G)

Je sai que quand le czar Pierre I. exigea de la cour de Vienne qu'on le qualifiât du titre d'empereur, cela forma beaucoup de difficulté à la cour impériale ; mais le czar Pierre fit présenter par son ambassadeur une lettre originale que Maximilien I. avoit écrite au czar Jean Basilowitz. Le comte Sinzendorf grand chancelier de la cour de Vienne, fit chercher dans les archives de la maison d'Autriche l'original de cette lettre. On ne la trouva point ; mais l'écriture du secrétaire & la signature de Maximilien ayant été reconnues & bien vérifiées, on ne fit pas difficulté d'accorder à Pierre I. & à ses successeurs le titre d'empereur, dont ils joüissent encore à présent. C'est du comte Sinzendorf que j'appris à Vienne même ces particularités, en 1722. Article de M. l'abbé LANGLET.


CZARNOPEL(Géog. mod.) ville de Pologne en Volhinie, sur la riviere d'Ytza.


CZARTIKOW(Géog. mod.) ville de Pologne en Podolie.


CZASLAU(Géog. mod.) petite ville de Boheme, capitale du cercle de même nom, sur la Crudemka. Long. 33. 18. lat. 49. 50.


CZASNIKI(Géog. mod.) ville de la Russie lithuanienne, au palatinat de Witepsk, sur la riviere d'Ula.


CZEBRIN(Géog. mod.) petite ville forte de Pologne dans la Volhinie, sur le Tatmin.


CZEMIERNIKOW(Géog. mod.) ville de la petite Pologne dans le palatinat de Sendomir.


CZENSTOCHOW(Géog. mod.) petite ville de Pologne au palatinat de Cracovie, sur la Warte. Long. 36. 50. lat. 50. 48.


CZEREMITZES(LES) Géog. mod. nation tartare qui habite près du Wolga, sur les frontieres des royaumes de Casan & d'Astrakan. Ils sont Mahométans ou Idolatres, & ne vivent que de lait & de miel. Ils sont tributaires de la Russie.


CZERKASKI(Géog. mod.) ville principale des Cosaques du Don, sur la riviere du Don, à peu de distance d'Asoff.


CZERNICK(Géog. mod.) petite ville de la haute Hongrie dans le comté de Zips, où il y a des mines d'or & d'argent. Il y a une ville de même nom en Walachie, sur le Danube.


CZERNIENSK(Géog. mod.) ville de Pologne dans le palatinat de Mazovie.


CZERNIKOW(Géog. mod.) ville considérable de la Moscovie, capitale du duché de même nom, sur la Desna. Long. 50. 58. lat. 51. 20.


CZERNOBEL(Géog. mod.) ville de Pologne dans la Volhinie, sur la riviere d'Uza.





CZERSKO(Géog. mod.) ville de Pologne dans le palatinat de Mazovie, sur la Vistule.


CZIRCATSI(Géog. mod.) petite ville de Pologne dans l'Ukraine, au palatinat de Kioire, près du Nieper. Long. 50. 40. lat. 49.


CZIRCKWITZ(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne en Silésie.


CZONGRAD(Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, capitale du comté de même nom, au confluent de la Theiss & du Keres. Long. 38. 32. lat. 46. 30.